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CHARLES-EMMANUEL DUFOURCQ 



LA VIE QUOTIDIENNE 

DANS L'EUROPE MEDIEVALE 

SOUS DOMINATION ARABE 



Couronné par l'académie française 



DU MÊME AUTEUR 



CHARLES-EMMANUEL DUFOURCQ 



Les grands redressements français, Lyon, Lardanchet. 1943, 
épuisé. 

Email catalan, Barcelone, Tobella, 1950, épuisé. 

L'Espagne catalane et le Maghrib aux XIII' et XIV siècles, 
Paris, Presses Universitaires de France, 1966, épuisé. 
Traduit en catalan : L'expansiô catalana a la Medi- 
terrânia occidental, Barcelona, Vicens-Vives, 1969. 

La vie quotidienne dans les ports méditerranéens au Moyen 
Age, Paris, Hachette. 1975. 

En collaboration avec Jean Gautier-Dalché, Histoire 
économique et sociale de l'Espagne chrétienne au 
Moyen Age, Paris, Armand Colin, 1976. 



LA VIE QUOTIDIENNE 

DANS L'EUROPE MÉDIÉVALE 

SOUS DOMINATION ARABE 

Couronné par l'Académie française 



En préparation : 

VEspagne eî les royaumes ibériques dans la chrétienté 
médiévale (711-1312), collaboration à VHistoire Uni- 
verselle (t. II) de TEncyclopédie de la Pléiade, sous 
la direction de Michel François, Paris, Gallimard. 

Espaha y Africa (mise à jour et traduction en espagnol 
d'articles publiés en français de 1949 à 1975), Barcc- 
celona, Edit. El Albir. 



A la mémoire de ma mère, 

en cette amie e 1977 

où elle aurait atteint ses 90 ans. 



Document de couverture : Alhambra de Grenade, le plafond de 
la Salle des Rois (CL Verroust). 



(cjtfcich^- 



/9"^î 




AVANT-PROPOS 
L'ISLAM ET L^EUROPE 



O enfants d'Adam, si vous viennent 
des messagers d'entre vous, qui vous 
racontent Mes signes, quiconque se 
comportera en piété et se réformera sur 
eux, ne sera point affligé. 

Mais ceux qui traitent de mensonges 
Nos signes, sont des compagnons du feu 
de VEnfer, où ils demeureront éternel- 
lement. 



Coran, \\u 35/'^^ cl 36/^1 



Naguère, dans un ouvrage au titre retentissant, Ignacio 
Olague affirmait : Les Arabes n'ont jamais envahi l'Es- 
pagne. Si nous avions voulu répondre à ce paradoxe, en 
défiant cet auteur espagnol sur le plan de la méthode et 
de la critique historiques, nous aurions intitulé ce livre 
La vie quotidienne dam l'Europe conquise par les Arabes. 
Le tout est de définir ce que sont une invasion et une 
conquête. Nous allons même jusqu'à penser que notre 
xx^ siècle finissant incite à se demander si ne risque pas 
de se reproduire demain, avec d'autres modalités, le 



10 



VEUROPE MEDIEVALE ARABE 



bouleversement réalisé sur notre continent par la péné- 
tration islamique, il y a plus de mille ans. 

Né en Arabie au vu' siècle, message religieux à portée 
universaliste, s'adressant à tous les hommes sans distinction 
de race, l'Islam s'est imposé, en moins d'un siècle, dans 
toute l'Arabie, puis, vers l'est, à travers la vieille Méso- 
potamie et l'Iran, jusqu'aux confins de la Chine et dans 
la vallée de l'Indus, vers le nord et vers l'ouest par la 
Syrie-Palestine et l'Asie Mineure jusque sur les rives de 
la mer Noire, dans les montagnes du Caucase et aux 
portes de Constantinople-Byzance, tout comme à travers 
l'Afrique — de l'Egypte au Maroc — jusqu'à l'Atlantique, 
dans toute la péninsule Ibérique et dans la Gaule méri- 
dionale. Les îles ne furent pas négligées : Chypre fut 
atteinte dès le vif siècle et resta d'Islam jusqu'en 965 ; 
la Crète le fut dès les environs de 750 et pour plus de 
deux cents ans; ensuite (en 827), les musulmans s'instal- 
lèrent en Sicile, qu'ils attaquaient depuis 650, et ils y 
restèrent près de trois siècles ; à Malte pareillement. Plus 
tard encore, aux xiv^ et xv' siècles, l'Islam se répandit, 
par la conquête turque, dans les Balkans, en même temps 
que dans toutes les îles de la Méditerranée orientale, 
prises ou reprises. Des populations musulmanes subsistent 
aujourd'hui encore en Yougoslavie comme en Albanie ; 
et Constantinople, oublieuse de ses mille ans de passé 
chrétien, est devenue Istanbul ; elle l'est depuis plus de 
cinq siècles. 

Voilà qui suffit à démontrer combien est erronée 
l'opinion de ceux qui font coïncider la notion d'Islam et 
un cadre géographique seulement asiatique et africain. 
Ce livre, portant sur la période proprement arabe de 
l'histoire musulmane, laisse en dehors de sa vision la 
péninsule Balkanique conquise par les Turcs. Mais, même 
ainsi limitée dans le temps, et donc dans Fcspace, notre 
étude couvre près de huit siècles : ceux durant lesquels 



U ISLAM ET VEUROPE 



11 



une partie plus ou moins étendue de l'Europe occiden- 
tale vécut sous la domination arabo-musulmane. 

Cette époque commence en 711, quand le chef berbère 
Tariq, commandant l'avant-garde d'une armée arabo- 
musulmane, débarque sur la côte rocheuse européenne 
nommée, depuis lors, « la montagne de Tariq » : Djebel 
Tariq (Gibraltar). La péninsule Ibérique ayant été sou- 
mise en cinq ou six ans à peine, les conquérants dominent, 
dès les alentours de 720, les pays méditerranéens qui 
s'appelèrent plus tard le Roussillon et le Languedoc, 
Et cette histoire prend fin seulement en 1492, quand le 
sud-esî de l'Espagne cesse de faire partie du dar aUlslam, 
c'est-à-dire de la « Maison de l'Islam », du fait de la 
prise de Grenade par w les rois catholiques », Ferdinand 
d'Aragon et Isabelle de Castille, 

Nous avons la mémoire courte : nous oublions faci- 
lement qu'il y a moins de cinq siècles une portion de 
l'Europe occidentale était encore sous domination arabe 
et de civilisation islamique, et qu'elle Tétait alors depuis 
près de huit cents ans. 

Toutefois, l'Occident européen n'a jamais été tota- 
tement submergé. Le Languedoc méditerranéen n'est resté 
sous l'autorité musulmane qu'une quarantaine d'années 
au maximum (de 720 à 760 environ) ; Avignon, Arles 
et la vallée du bas-Rhône moins longtemps encore (de 735 
à 750 environ) ; la zone provençale des Maures, moins 
d'un siècle (de 890 à 973) ; la Corse et quelques points 
de la Sardaigne ne furent tenus qu'épisodiqucment, le sud 
de ITtalie durant quelques décennies à peine. Et, partout 
en Europe, le reflux arabe fut net dès le xi' siècle. 

L'Islam n'en a pas moins marqué, directement ou 
non, tout notre Occident. Durant des siècles, la Chré- 
tienté a vécu dans la crainte des mahométans — on disait 
a les Sarrasins j> — , en appréhendant leurs chevauchées et 
leurs débarquements, leurs razzias et leurs bateaux, qui 
furent pendant longtemps les maîtres de la Méditerranée. 



12 



VEUROPE MEDIEVALE ARABE 



L'ISLAM ET U EUROPE 



13 



Comme l'a noté le fameux historien maghrébin Ibn Khal- 
doun. il fut un temps (ix* et x* siècles, surtout) où a même 
une planche ne pouvait flotter sur la mer, si elle n'était 
d'Islam », Au xv* siècle encore, des débarquements arabes 
se produisirent dans la partie chrétienne de l'Espagne, 
en Italie et en France. Et il en fut encore parfois ainsi 
dans les siècles suivants. 

L'Eglise romaine, âme de l'Occident médiéval, s'effor- 
çait de tremper les esprits et d'armer les bras de ses fils, . 
pour qu'ils pussent échapper au double péril que repré- ^ 
sentait l'Islam à ses yeux : sa force matérielle qui sub- / 
juguait, sa flamme spirituelle qui convertissait. Vers Tan | 
mille, une prière était d'usage, dans les pays d'Europe ^ 
sous domination mahométane ; récitée chaque jour, elle 
nous est connue par un bréviaire conservé à Tolède, 
utilisé par le clergé mozarabe (c'est-à-dire chrétien arabisé 
de langue) : « O Dieu qui guides ton Eglise fluctuante 
parmi les périls de ce monde, fais qu'Elle ne soit pas 
opprimée par la tempête de l'infidélité ! » Un siècle plus 
fard, alors que commençait le temps des Croisades, le 
pape de l'an 1100, Pascal II, alertait les évêques de tout 
l'Occident libre, pour qu'eux et leurs fidèles prissent 
conscience des conditions d'existence des chrétiens en 
pays d'Islam : « Nos frères dans le Christ, déclarait le 
pape, y vivent au milieu des musulmans comme on peut 
tenter de le faire au milieu de loups ou de lions. » 

Mais la présence arabo-musulmane en Europe s'est 
manifestée aussi d'une autre manière, toute différente, 
en y enracinant d'intenses foyers d'une civilisation bril- 
lante, notamment en Espagne et en Sicile, centres de 
diffusion qui ont grandement contribué à révokition intel- 
lectuelle du reste de l'Europe, à celle de l'Occident chrétien. 

Malgré les guerres, et dans leurs' intervalles, les 
contacts pacifiques, commerciaux, culturels, amicaux, ont 
été nombreux entre l'Europe restée a européenne » et 
l'Europe arabisée. Vers 812, par exemple, un évêque de 



Charlemagne — prélat d'origine hispanique pré-arabe —, 
j Théodulphe, installé sur le siège d'Orléans, en mission à 
, i Arles, y contemple de superbes produits de l'artisanat 
-^;. \ hispano-musulman et d'autres marchandises arabes, dont 
"^ \ il nous a laissé la description et que l'Europe chrétienne 
j aimait à acheter et cherchait déjà à copier : cuirs blancs 
^ et rouges de Cordoue, pierres précieuses bien travaillées 
\ et serties, tissus de soie, monnaies en or. Au milieu 
\ du x" siècle, des marchands d'Amalfi, qui est alors un 
I des rares ports de l'Occident chrétien faisant du grand 
Icommerce, fréquentent avec admiration réblouissantc ville 
de Cordoue, dont le rayonnement économique atteignait 
aussi Naples, la cité voisine d'Amalfi. Quelques décennies 
après, l'un des plus prestigieux clercs de l'Occident, 
l'Auvergnat Gerbert, d'Aurillac, futur pape Sylvestre II 
(le Saint-Père deTan mille), étudie les mathématiques 
arabes, non pas à Cordoue ni à Fès comme des légendes 
le prétendent, mais dans la Catalogne septentrionale déjà 
reconquise par les chrétiens ; et il introduit ainsi l'arithmé- 
tique en Occident, Au xii' siècle, l'un des premiers centres 
d'études médicales de l'Europe chrétienne, a l'école » de 
Montpellier, élabore sa science en la nourrissant de celle 
des Arabes. Même la lointaine Hongrie connaît la culture 
hispano-islamique : un voyageur andalou, Abou Hamid, 
y vit entre 1150 et 1153 ; et les monnaies qu'y frappe le 
roi Etienne IV, vers 1163-1165, sont inspirées par celles 
des Almoravides et des Almohades, c'est-à-dire celles des 
maîtres successifs de l'Empire hispano-africain de ce 
temps K Au xnf siècle, les professeurs de l'Université 
de Paris sont formés à la pensée du grand philosophe 
hispano-musulman Averroès. Dans un domaine tout autre, 
celui de la poésie, on trouve pareillement trace d'influences 
arabes, au même moment et plus tôt encore. Et tout un 



1. Voigt ViLMOS : Communication au Congrès d'Etudes 
sur les Cultures de la Méditerranée occidentale, Barcelone, sep- 
tembre-octobre 1975, 



14 



VEUR.OPE MEDIEVALE ARABE 



courant de pensée d'Islam a laissé son empreinte dans 
certains aspects de l'œuvre de Dante, qui est sans doute 
l'un des sommets de la culture de notre passé : La Divine 
Comédie, Enfin, des résonances similaires se perçoivent 
dans les arts : celui du monde islamique est l'un des 
éléments qui fécondent nos chefs-d'œuvre de l'école 
romane. Là où la reconquête chrétienne abat le Croissant 
et restaure la Croix, les vainqueurs ne méconnaissent pas 
certains des charmes de la société dont ils viennent de 
triompher. Le grand historien français de Tart islamique, 
Georges Marçais, l'a remarqué : « La Sicile musulmane 
devenue normande fait entrer dans l'Occident chrétien 
des formes artistiques au nombre desquelles pourrait 
bien être l'arc brisé de nos églises. » Et, à partir 
de l'Espagne axabe, le dessin et la polychromie qui 
s'épanouissaient à Cordoue, pénètrent jusqu'au cœur de 
l'Auvergne ^ 

Ainsi, notre civilisation s'est abreuvée à celle de 
rislam. Les heures fécondes n'ont pas manqué à la vie 
de l'Europe médiévale partiellement dominée par les 
Arabes. Elles ont même pu faire oublier aux populations 
les tristesses et l'angoisse des jours de luttes et de sang. 
Ceux-ci se sont estompés dans le souvenir, perdus dans 
la pénombre du passé, au fur et à mesure que les siècles 
s'écoulaient. 

Comment s'est réalisée au jRl des ans, pendant plus 
d'un demi-millénaire, cette curieuse et complexe coexis- 
tence d'Européens chrétiens et de mahométans, dont le 
sang arabe était de moins en moins abondant par rapport 
au sang indigèrte, de génération en génération ? 

Ce livre voudrait le faire comprendre. 



1. Georges Marçais : UArt musulman, Paris, Presses Uni- 
versitaires de FraTîce, 1962, p. 98. 



CHAPITRE PREMIER 
LES JOURS DE RAZZIA ET DMNVASION 



Les historiens bénédictins du Languedoc, dom Devic 
et dom Vessete l'ont bien discerné : « Les conquérants 
arabes distinguaient avec soin les incursions destinées à 
faire du butin, des expéditions entreprises dans un but 
réel de conquête ^ *. » Mais ces deux modes différents de 
pénétration en terre ennemie ont toujours été liés. En prin- 
cipe, jamais les Arabes ne tentaient une annexion quand 
ils lançaient une première attaque contre un nouvel objec- 
tif ; toujours ils commençaient par un raid ou un débar- 
quement nocturne de reconnaissance. Ils raflaient ainsi du 
butin, sondaient une région, déterminaient s'ils avaient 
intérêt à y revenir pour y installer leur domination, 
fixaient ensuite les effectifs de cette entreprise éventuelle 
de conquête, d'après le degré de résistance qu'ils avaient 
rencontré. Ils accomplissaient ainsi, en combattants de la 
Foi, les prescriptions de deux versets du Coran, cekii où 
Allah déclare : « Que de cités nous avons détruites ! » 
(les cites des impies, des infidèles), et celui oh II parle à 
ses croyants : « Nous vous avons donné place sur 
terre ^. » 

Sous l'impact des raids arabes de reconnaissance, se 



♦ Notes en fin de volume. 



16 



L'EUROPE MEDIEVALE ARABE 



créèrent, à l'intérieur des pays exposés à ces chevauchées 
(les algarà), des zones dont l'emplacement géographique 
se déplaça et se modifia au cours des siècles, mais où, 
toujours, régna l'angoisse et se creusa le vide : les terres 
y étaient abandonnées, les cultures cédaient la place à la 
friche, les populations se réfugiaient dans les villes abri- 
tées par des murailles. L'écrivain grenadin Ibn Hudayl, 
qui vivait à la fin du xîv*^ siècle, a expliqué le procédé et 
ses méthodes : 

Il est licite d'incendier les terres de l'ennemi, ses 
grains, de tuer ses bêtes de somme — s'il n'est pas 
possible aux musulmans de se les approprier —, ainsi 
que de couper ses arbres, de ruiner ses villes, de faire 
en un mot tout ce qui est de nature à l'abattre, pour 
peu que Yimam (c'est-à-dire le « guide » religieux de 
la communauté des croyants) juge ces mesures adé- 
quates, de nature à hâter l'islamisation de cet ennemi 
ou à l'affaiblir. Tout cela concourt en effet à en 
triompher de vive force ou à le contraindre à 
composer ^. 



Chevauchées et débarquements 



Sur le mécanisme tragique et monotone des razzias 
en dar al-harb. c*est-à-dire chez l'étranger non-musulman, 
nous avons bien des témoignages. Voici quelques épisodes 
qui concernent la France : arrivés dans les massifs pyré- 
néens, après avoir établi leur domination sur la péninsule 
Ibérique, les envahisseurs sont attirés par les pays qui 
s'étendent au pied du versant septentrional de la chaîne. 
Venant de la vallée aragonaise du Segré, des escadrons 
explorent la vallée de l'Ariège ; en 721, ils effectuent un 
raid vers Toulouse, mais le duc Eudes d'Aquitaine les 



JOUAIS DE RAZZIA ET D'INVASION 



17 



repousse. Plus à l'est, ils se sont déjà avancés, par la Cer- 
dagne et le Roussillon, jusqu'en Languedoc, en empruntant 
la vieille voie romaine devenue wisigothique, celle que les 
géographes liomment la route de la dépression prélittorale. 
Avant 720, ils avaient lancé des raids contre Narbonne et, 
en 725, ils s^cmparent de Carcassonne. Dès leur première 
attaque contre Narbonne — qu'ils ont eu tôt fait de pren- 
dre aussi, an plus tard en 720 —, ils réussissent à pénétrer 
dans la ville, en saccagent les églises, ravissent notamment, 
dans l'une cl elles, sept superbes statues en argent massif 
qui en étaient l'orgueil et qu'ils apprécient à juste titre 
comme leur plus remarquable butin dans cette cité ; et ils 
emmènent comme esclaves de nombreuses femmes, beau- 
coup d'enfants et quelques hommes '*. 

Maîtres de Nîmes, arrivés dans la vallée du bas- 
Rhône, des cléments avancés remontent la vallée de ce 
fleuve en une pointe hardie, et installent peut-être des 
citadelles sur sa rive droite, l'une située entre la basse- 
Ardèche et le site de Viviers, au lieu toujours dit « Les 
Sarrasins » (au sommet de la Dent de Rez), Tautre beau- 
coup plus au nord encore, dans le Vivarais, près d'An- 
dance, en haut de la colline du Castellet, appelée aussi 
« La Sarrasjnicre ». Après être passés près de Lyon, avoir 
suivi le cours de la Saône, et ravage le pays de Mâcon 
et celui de Chalon, à une date imprécise, que l'on croit 
avoir été le 21 août 725 mais que certains pensent de 
l'été 731, i]s atteignent Autun, qu'ils mettent à sac et 
incendient, tandis qu'un autre groupe fonce vers Dijon et, 
de là, sur Langres. Puis, ils galopent jusqu'à Sens où ils 
sont repousses, en grande partie grâce à l'héroïque métro- 
politain (c'est-à-dire l'archevêque) de la ville, saint Ebbon 
(731). Ils étaient à une centaine de kilomètres de Paris... 
L'affaire d'Autun a été le plus retentissant épisode de 
cette expédition. Ainsi que l'écrivait, en 1768, l'érudit 
Bruzon de la Martinière, elle est restée durant des siècles 
présente à Fcsprit des habitants de la ville, d'autant que 



18 



V EUROPE MEDIEVALE ARABE 



a depuis cette ruine, Autun ne s'est pu jamais rétablir en 
son état antérieur ^ ». 

En dévalant les pentes des Pyrénées, les Arabes par- 
courent aussi l'Aquitaine. En 732, vainqueurs du duc 
Eudes, ils entrent à Bordeaux, dont ils brûlent toutes les 
églises et s'avancent jusqu'aux portes de Poitiers, mettant 
le feu à la basilique Saint-Hilaire-hors-les-Murs. Ensuite, 
ils s'ébranlen^ vers la capitale du christianisme gaulois, 
à savoir Tours, leur objectif étant à la fois spirituel et 
matériel : porter un coup au prestige de saint* Martin et 
s'emparer des richesses de son sanctuaire. Mais ils n'at- 
teignent pas leur but : un samedi d'octobre, le chef franc 
Charles Martel les arrête non loin de Poitiers ^. 

Les pays méditerranéens, d'ailleurs, les attirent davan- 
tage. Vers 734-735, ils prennent d'assaut Arles et Avignon. 
Du côté de la Provence et en Italie, leurs marins pré- 
cèdent la cavalerie ou y suppléent. En 846, ils débarquent 
à l'embouchure du Tibre, s'emparent d'Ostie, remontent 
le fleuve, renoncent à attaquer les murailles de Rome, 
mais pillent les basiliques Saint-Pierre et Saint-Paul qui 
sont alors toutes deux hors les murs ^. Cette alerte pro- 
voque, par contre-coup, de 848 à 852, la construction d'une 
nouvelle enceinte romaine entourant Saint-Pierre et allant 
se souder à l'ancienne, au château Saint- Ange, le vieux 
mausolée de l'empereur Hadrien. En 849, les musulmans 
tentent un nouveau débarquement à Ostie ; puis, chaque 
année à partir des environs de 875, ils menacent le 
littoral romain. 

Pour s'en débarrasser, le pape Jean VIII se décide, 
en 878, à leur promettre un versement annuel de plusieurs 
milliers de pièces d'or ; mais ce tribut du Saint-Siège à 
rislam semble n'avoir été payé que durant deux ans ; 
et jusqu'au début du x* siècle, de temps en temps, les 
musulmans réapparaissent à l'embouchure du Tibre ou 
à ses abords. 

Marseille, de son côté, est aussi atteinte : en 838, 



JOURS DE RAZZIA ET D'INVASION 



19 



les Arabes y débarquent et la dévastent, Tabbaye Saint- 
Victor, hors les murs, est détruite, et de nombreux Mar- 
seillais sont emmenés en captivité ; dix ans plus tard, 
se produit un nouveau raid, le Vieux-Port est encore 
mis à sac. Et cela se répète peut-être encore vers 920. 

Toute la péninsule Italienne est pareillement exposée : 
vers 840, des bateaux musulmans remontent les côtes de 
l'Adriatique jusqu'à l'archipel dalmate et à l'embouchure 
du Pô. Puis, en revenant vers le sud, ils osent attaquer 
une ville, Ancône. à quelque deux cents kilomètres au 
nord-est de Rome ; une sorte de commando saute à terre : 
la cité est dévastée et incendiée. 

•* Pendant leur conquête de la Sicile, quand ils pren- 
nent Syracuse en 878, après un assaut meurtrier, ils sont 
exaspérés par la résistance qui leur est opposée. Trouvant 
sur leur passage, quand ils se ruent dans la ville, l'église 
du Saint-Sauveur, remplie de femmes et d'enfants, de 
vieillards et de malades, de clercs et d'esclaves, ils les 
massacrent tous ; puis, se répandant à travers la cité, 
ils continuent de tuer et de piller, se font remettre le 
trésor de la cathédrale ; ils prennent aussi de nombreux 
prisonniers et groupent à part ceux qui ont les armes 
à la main. Une semaine après, tous ces captifs, qui avaient 
osé lutter contre eux, sont égorgés (au nombre de quatre 
mille d'après la chronique al-Boyyan)^. 

En 934 ou 935, ils débarquent à l'autre extrémité de 
l'Italie, à Gênes, en tuent a tous les hommes » et 
repartent, en chargeant sur leurs bateaux, « les trésors 
de la ville et de ses églises j>. Quelques années plus tard, 
ils s'installent, semble4-il, durant un temps, à Nice, à 
Fréjus, à Toulon ^... 

On pourrait citer beaucoup d'autres faits semblables. 
D'une manière générale, dans ces raids arabes réalisés par 
une chevauchée ou après un débarquement, les églises 
sont particulièrement visées, parce que les assaillants 



20 



L'EUROPE MEDIEVALE ARABE 



savent y trouver des objets de culte en or ou en argent 
parfois rehaussés de pierres précieuses, et des étoffes de 
prix. Et, parce qu'elles sont tenues comme une offense 
à Dieu, Dieu l'Unique, du fait qu'elles sont consacrées 
au a polythéisme » de la Trinité, elles sont ensuite incen- 
diées. Les cloches sont l'objet d'un acharnement spécial 
car elles osaient magnifier l'appel à la prière infidèle par 
leur bruit dans les airs, vers les cieux ; elles sont donc 
toujours cassées ^^. 



Une « grande penr » 



On comprend sans peine que de telles expéditions 
aient semé la terreur. L'historien tlemcénien al-Maqqari, 
qui écrivait au xvii' siècle, explique que la panique créée 
par les cavaliers et les marins arabes, au temps de l'expan- 
sion musulmane, dans les zones de raids et de débar- 
quements, facilitait ensuite la conquête, si celle-ci était 
décidée : a Allah, dit-il, diffusait ainsi une telle peur 
parmi les infidèles qu'ils n'osaient pas aller combattre les 
conquérants ; ils n'allaient vers eux qu'en suppliant, pour 
solliciter la paix. » En effet, suivant la Loi islamique, les 
mahométans laissaient la vie et les biens à ceux qui 
n'avaient pas « l'audace de résister à Dieu », c'est-à-dire 
à ceux qui ne luttaient pas contre eux, « les combattants 
de la Foi ». 

Dans les populations attaquées, l'angoisse qui se 
répandait n'était pas seulement le fruit d'une certaine 
impréparation ou d'une tendance à la lâcheté. Les clercs 
et toutes les âmes pieuses avaient une hantise : éviter la 
profanation des reliques qui se trouvaient dans les églises 
et les monastères- Bien des chroniqueui^. rapportent com- 
ment, en apprenant qu'une troupe musulmane approchait, 
les évêques n'avaient qu'un souci : mettre à l'abri ces 
précieuses reliques. Et, souvent, le prélat s'enfuyait lui- 



JOVRS DE RAZZIA ET D'INVASION 21 



même avec elles. Ce fut, par exemple, en 718, le cas du 
métropolitain Prosper de Tarragone ; il échappa d'ailleurs 
ainsi à la mort : le sac de la ville fut terrible ; ce fut 
une ruine totale ; et cette ancienne capitale d'une magni- 
fique province romaine mit des siècles à se relever de ce 
désastre. 

Quant aux villes qui, après s'être ouvertes aux Arabes, 
se révoltaient contre eux, malheur à elles ! Dès le début 
de l'expansion musulmane en Europe, Tolède servit 
d'exemple à cet égard. Cette capitale du royaume wisi- 
gothique s'était livrée aux nouveaux venus, sans combat, 
dès 71 1 ou 712, car ils arrivaient en ennemis du souverain 
Rodéric (ou Rodrigue) contre lequel luttaient les partisans 
du prétendant Akhila, fils du feu roi Wittiza. En 713, 
quand les Tolcdans comprennent que Akhila ne sera pas 
rétabli sur le trône paternel, et que leurs a alliés » arabes 
sont devenus les maîtres, ils déclarent rejeter cette autorité. 

Peu après, le châtiment s'abat sur eux : dès cette 
année 713, leur ville est prise d'assaut ; son métropolitain, 
Sindered, a le temps de s'enfuir (il arriva à Rome), mais 
tous les notables de la cité qui n'ont pu en faire autant 
sont égorges, et tout est pillé l* ; le général arabe s'empare, 
notamment, de la splcndide « table de Salomon » ; on 
appelait ainsi une sorte de banc ou siège, monté en trône, 
tout en or incrusté de pierreries, qui se trouvait dans 
îa cathédrale. Les autres villes d'Espagne qui, dans la 
confusion de la guerre civile wisigothique, avaient accueilli 
les Arabes comme des sortes de rriercenaires au service 
des fils de Wittiza, et qui prennent tardivement conscience 
de la réalité de la domination musulmane, n'osent guère 
imiter Tolède en se révoltant à leur tour. La leçon donnée 
a porté. La crainte s'empare du peuple et des dirigeants. 
Dans les zones frontières du nord de l'Espagne, là où 
le pouvoir islamique n'est pas, ou pas encore, fermement 
établi, la panique s'instaure comme dans les terres de 
raid : en 730 par exemple, les Arabes ravagent la Cer- 



22 



L'EUROPE MEDIEVALE ARABE 



dagne et, pour faire un exemple, ils y brûlent vif un 
évêque ^^, 

Voilà comment en Espagne même, des zones entières 
se vident. Un no man*s land prend forme, particuliè- 
rement large et durable dans la moitié occidentale de la 
péninsule Ibérique : dès le milieu du viif siècles, les 
Arabes ont évacué tout le nord-ouest de VHispania ; le 
pays qui s'étend entre la Cordillère cantabrique au nord 
et la vallée du Douro au sud reste à peu près désert 
pendant longtemps : personne n'ose y demeurer, personne 
n'ose s'y installer. 



Stratégie et tactique 

Pour les régions chrétiennes qui s'étendent au-delà 
du no man's land, les mois critiques sont ceux de la 
belle saison. Dès février, en effet, commencent à se 
recruter et à se préparer des troupes musulmanes des- 
tinées à effectuer des raids en pays infidèle. Ainsi que 
l'a écrit, à propos des ix* et x* siècles, le meilleur historien 
français actuel de la Castille médiévale, Jean Gautier- 
Dalché : 



Lorsque le printemps arrive. Galiciens, Asturiens, 
Castillans et Basques vivent dans l'attente de la 
sdija (la campagne d'été) des musulmans. [...] Sans 
doute ces campagnes n'obéissent-elles pas à un rythme 
régulier ; tantôt elles sont séparées par des intervalles 
de plusieurs années, tantôt elles se succèdent tous 
les ans, mais la menace qu'elles représentent et la 
crainte qu'elles inspirent sont constantes : on pille, 
on enlève le bétail, les combattants vaincus sont 
massacrés, les hommes en état de porter les armes 
tués ou réduits en esclavage, ainsi que les femmes 
et les enfants i^. 



JOURS DE RAZZIA ET D'INVASION 



23 



Ainsi, quand leur élan les emporte jusqu'à la Cor- 
dillère cantabrique et qu'ils y pénètrent, les Arabes lancent 
des raids dans les Asturies, comme, par exemple, leur 
prise d'Oviédo en 794, grande razzia suivie de leur repli. 

Certes, les effectifs engagés dans ces chevauchées 
n'étant pas nombreux, chaque incursion s'effectue sur un 
front étroit ; les destructions sont limitées à une zone 
réduite, le long de Taxe suivi par la troupe. De plus, 
grâce au réseau de châteaux qui, peu à peu, se constitue, 
hommes et bêtes peuvent de plus en plus se mettre à 
l'abri. Mais les populations des zones atteintes par les 
chevauchées, quand elles connaissent un répit, ne savent 
jamais combien de temps durera celui-ci. 

Dans le déroulement de chaque opération mihtaire. 
comme dans la stratégie d'ensemble des raids, la méthode 
arabe met à rude épreuve les nerfs et la patience des 
ennemis ; au combat, la tactique est celle « de l'attaque 
et du repli y>, aUkarr wa4-jan\ littéralement : l'attaque 
et la fuite. Un poème chante en des vers célèbres le cava- 
lier bédouin dans la bataille : « Il attaque, il fuit, 
il revient, il s'en va, il revient encore. » Et quand, enfin, 
c'est pour obtenir l'avantage définitif : « Il est tel un 
rocher, que les eaux précipitent du haut de la mon- 
tagne ^^, » Une autre tactique, qui parfois se greffe sur 
les raids, est décrite par Y « anonyme de Cordoue », 
chrétien qui vivait en Andalousie dans la seconde moitié 
du viif siècle : « Les Arabes tendent souvent des embus- 
cades aux Européens en se cachant derrière les sen- 
tiers *^. » Ce passage d'un poème en latin est caractéris- 
tique, car l'auteur y emploie à juste titre le mot Euro- 
penses (Européens), pour désigner ceux qu'attaquent les 
musulmans, en utilisant pour parler de ceux-ci les mots 
« Arabes » et « Ismaélites d ; nous sommes ainsi placés 
en présence des acteurs collectifs. Et jamais, en aucune 
saison. l'Occident chrétien n'est certain d'être à l'abri 
des coups musulmans, car si les chevauchées de razzias 



24 



UEUROPE MEDIEVALE ARABE 



ont surtout lieu sous forme des campagnes d'été (sa'ifa) 
dont nous avons parlé, et si les débarquements ont géné- 
ralement lieu entre avril et octobre i^, parfois les « com- 
battants pour la foi » déclenchent à Timproviste une 
campagne d'hiver : une shatiya. 



Les îles et les repaires côtiers 

Au fur et à mesure que les années s'écoulent, quand 
les zones d'expéditions se réduisent à certaines parties de 
la péninsule Ibérique, la lutte prend un nouvel aspect : 
des îles et des repaires côtiers, souvent installés sur des 
presqu'îles, deviennent pour les Arabes, après avoir subi 
leurs coups de main, des bases de départ privilégiées pour 
leurs incursions en terre d'infidèles. La méthode, cepen- 
dant, ne varie pas : ils arrivent de nuit, pénètrent à la 
dérobée dans les domaines et les maisons, massacrent 
ceux qu'ils y trouvent ou les emmènent en captivité ^\ 

Durant des décennies, ils ont débarqué ainsi aux 
Baléares, les ravageant, en repartant après avoir obtenu 
une promesse de tribut qu'ils venaient ensuite réclamer 
chaque année, et ils repassaient à l'attaque si on ne vou- 
lait pas le leur verser : après un premier raid, qui remonte, 
semble-t-il, à 707, ils y sont revenus souvent, puis ils s'y 
installent, vers 902-903, pour plus de trois siècles. De 
même, dès les alentours de 650 et à maintes reprises dans 
la seconde moitié du vir siècle, puis durant le vîîî*, ils 
ont assailli la Sicile, en ramenant chaque fois des captifs 
et du butin, puis ils la conquièrent lentement, place par 
place, de 827 à 902, date à laquelle ils s'emparent de 
Taormina. le dernier point de l'île qui leur échappait. 
Pendant ce temps, ils ont envahi, dès 8()6, l'île de Pantel- 
leria, oh ils ont fait de nombreux prisonniers, dont des 
dizaines de moines, qu'ils sont allés vendre en Espagne 
musulmane î8; et, en 870, ils ont pris Malte. Dès 710, 



JOURS DE RAZZIA ET D'INVASION 25 



sinon dès 707, ils ont attaqué la Sardaigne qui subit au 
cours des viif et ix' siècles le même sort que les Baléares, 
mais qui, au début du x^ échappe à l'intégration, au 
dar al-Islam, et reste terre de razzias par débarquement ; 
en 1015 seulement, une troupe musulmane réalise une 
véritable conquête de cette île, mais elle ne peut s'y main- 
tenir plus d'un an i^. On sait mal ce qui se passa en Corse, 
qui fut peut-être attaquée dès 710, mais qui semble ne 
pas l'avoir trop été dans l'ensemble du vin' siècle ; en 
revanche, au début du \x\ elle fut si souvent envahie que 
le pape incita les Corses à abandonner leur île et les 
invita à se réfugier à Rome ; d'après le Liber ponîijicalis, 
quatre mille familles corses seraient ainsi arrivées dans la 
Ville éternelle peu avant 829 ; mais la domination maure 
n'aurait duré que quelques décennies, et avant la fin du 
TX* siècle, la noblesse romaine agissant au nom du pape 
aurait rendu l'île à la Chrétienté 20. 

De plus en plus, les petites îles proches des côtes 
servent de bases aux Arabes vers le continent, où, à 
roccasion. ils aménagent en même temps des têtes de 
pont. Ils prennent ainsi l'île d'Ischia face à Naples, une 
première fois en 812, puis vers 844, ainsi que le promon- 
toire de Misène, qui borde à l'ouest la baie napolitaine ; 
de là, ils conquièrent Naples en 856. Ils s'installent pareil- 
lement à la pointe de Licosa, qui ferme au sud le golfe 
de Salerne et, vers 845, dans les îles Pontincs (l'archipel 
de Ponza) au large de Gaète, puis sur la côte même de 
la péninsule, au sud de cette ville, à Tembouchure du 
Garigliano, dans une zone qui est leur camp retranché, 
de 880 à 9i6 environ. Tout au sud de la botte, ils débar- 
quent souvent en Calabre, y prennent pied en 813, l'oc- 
cupent au moins de 840 à 885, y débarquent de nouveau 
au début du x' siècle. Ils s'installent à Tarente de 840 
à 880, à Bari de 841 à 871 et, par ces deux bases, tiennent 
la Pouille. 

En Provence, des environs de 890 à 973, ils sont les 



26 



L'EUROPE MEDIEVALE ARABE 



maîtres du massif, dit précisément « des Maures », ainsi 
que de la côte du golfe de Saint-Tropez, avec peut-être 
cinq tours-citadelles (Grimaud, Cogolin, Ramatuelle, 
Notre-Dame de Miremar, Gassin) et un centre principal 
dans un camp fortifié à La Garde-Freinet 21. Nous avons 
de bonnes descriptions de ce bastion du dar al-lslam : 
une forêt d'arbres épineux y règne avec des ronces enche- 
vêtrées à pointes tranchantes ; loin de mettre le sol en 
cultures en défrichant, les Arabes épaississent les fourrés, 
favorisent la multiplication des touffes aux feuilles acé- 
rées, créant ainsi un réseau végétal impénétrable. Si les 
Provençaux essayent d'attaquer ce site, ils sont victimes 
de ces plantes, et ne peuvent que difficilement progresser 
ou revenir sur leurs pas. Pour sortir de ce repaire et y 
rentrer, les Arabes ne maintiennent accessible qu'un 
sentier étroit, passage obligatoire qu'ils surveillent et gar- 
dent constamment et qu'ils empruntent pour réaliser 
leurs raids 22. Quelques traces archéologiques permettent 
de supposer qu'au centre de leur dispositif est aménagé 
un réduit en demi-lune, protégé par des défenses inté- 
grées dans le relief montagneux et partiellement entouré 
d'un fossé, là où la nature n'offrait pas d'obstacles suffi- 
sants 23. Ils disposent, en même temps, d'une base annexe 
en Camargue, qu'ils tiennent comme une île depuis 869 ; 
et leurs liaisons maritimes s'opèrent jusqu'avec l'Espagne 
musulmane d'où arrivent des renforts et où aboutit une 
partie du butin ramassé en Provence : dans la zone d'Ali- 
cante et de Carthagène ainsi qu'à Alméria — alors 
appelée Pechina — sont aménagées des bases corsaires, 
qu'animent des marins particulièrement entreprenants 2^, 
Ce bastion provençal des Maures illustre bien comment 
la menace arabe pénétrait profondément en pays chrétien. 
Tout autour, I4 Provence est sans cessé rançonnée comme 
elle l'avait déjà été durant les quelques années du viii' siè- 
cle où les premiers Arabes parvenus en Europe avaient 
tenu le Rhône entre Arles et Avignon et avaient construit 



JOURS DE RAZZIA El D'INVASION 



27 



sur ses rives des forts d'où ils partaient sillonner les pays 
situés à Test du fleuve. Maintenant, de la Camargue et 
des Maures, ils rayonnent en tout sens : ils atteignent le 
bassin d'Aix, dont l'évêque s'enfuit 25 et, des 869, le pays 
d'Arles, dont ils capturent l'archevêque : ils l'emmènent 
en Camargue, négocient sa rançon, la touchent et rendent 
un cadavre... celui du prélat, mort entre-temps 2^. Vers 
le nord, l'est et le nord-est, ils atteignent Gap et Grenoble 
— qu'ils auraient tenus près de vingt ans au milieu du 
X' siècle — , poussent jusqu'aux cols des Alpes, qu'ils 
contrôlent, faisant payer une taxe à tous ceux qui les 
franchissent, en particulier au Grand-Saint-Bernard. De 
là, au nord, ils arrivent dans le Valais et jusqu'à l'abbaye 
de Saint-Gall, ce qui a fait dire qu'ils avaient été a les 
maîtres de la Suisse » durant une dizaine d'années ; et 
vers l'est, ils atteignent le Val de Suse, puis le Piémont 
jusqu'à Asti, et la Ligurie. Ils capturent ainsi, en 972, le 
grand abbé de Cluny, saint Mayeul, qui revenait d'un 
voyage à Rome ; et ils ne le libèrent qu'après avoir encaissé 
une énorme rançon rassemblée à la hâte par les moines 
de Cluny 27, Quand on sait ce que représentait alors cet 
ordre religieux pour la Chrétienté, on devine sans peine 
la résonance qu'un tel exploit put avoir à travers tout 
l'Occident. 

De la même manière, partant du golfe de Gaète, en 
881, d'autres musulmans avaient détruit, dans Tintérieur 
des terres, le monastère de Saint-Vincent de Volturne et 
surtout, en 883, la vieille et prestigieuse abbaye bénédic- 
tine du Mont-Cassin qui, déjà assaillie en 858, avait réussi 
à être épargnée en se résignant à verser une grosse somme. 

Ainsi, deux et trois siècles après leur arrivée en Espa- 
gne, les mahométans font encore sentir leur présence et 
leur force en bien d'autres terres d'Europe. 



28 



LEUROPE MEDIEVALE ARABE 



La valeur militaire et technique des envahisseurs 



Si les prouesses des Arabes terrifient, elles leur confè- 
rent aussi un certain prestige. Voilà sans doute pourquoi 
rhistoire de leurs rapports militaires avec les Occidentaux 
est parfois émaillée de curieux combats singuliers, suites 
de défis que s'étaient lancés tel champion de l'Islam et 
tel preux chrétien. Ces sortes de duels qui, de temps en 
temps, se déroulaient sur le front des troupes ennemies 
face à face, avant que se déclenchât leur combat, révèlent 
des attitudes de type chevaleresque, des similitudes de 
mentalités et de comportements entre Arabes et Euro- 
péens de souche. 

Le courage des musulmans est évident, accentué d'ail- 
leurs par la certitude coranique : celui qui meurt en 
combattant pour la foi, est assuré d'éviter Tépreuve du 
Jugement et d'aller directement au Paradis, quels qu'aient 
pu être ses péchés. De surcroît, leur armement est de 
qualité ; il se modifie, certes, au cours des siècles, tantôt 
se rapprochant, tantôt s'éloignant de celui des troupes 
chrétiennes ; mais, toujours, le guerrier musulman — cava- 
lier ou fantassin — sait bien manier la lance et l'épée, le 
poignard ou le coutelas, voire une hache d'arçon à double 
tranchant, les javelots et les dards, parfois la fronde ou 
la masse, l'arc, puis l'arbalète, et, dans les sièges, les cata- 
pultes. Plus qu'une véritable armure, il porte une sorte de 
casaque, faite de plaques en métal, et s'abrite derrière 
un excellent écu. Les meilleurs boucliers sont faits en 
peau d'antilope d'Afrique ^s. 

Quant aux bateaux, ils transportent souvent des che- 
vaux pour que le débarquement soif -suivi d'un raid de 
cavaliers, mais surtout ils sont bien équipés : dès le 
IX' siècle, l'arsenal de Séville les pourvoie de pots à 
naphte ; le liquide incendiaire y est placé, avec une mèche 



JOURS DE RAZZIA ET D'INVASION 



29 



imprégnée de soufre et de salpêtre ; ce sont de véritables 
grenades incendiaires — dont l'une a été retrouvée à 
Hycres ; le naphte se répand au premier choc et incendie 
le bateau ennemi atteint, mais, de plus, il est semblable 
au feu grégeois des Byzantins : lancé à l'aide de syphons 
vers les navires adverses, il brûle sur l'eau. Un écrivain 
arabe de la fin du x^ siècle le décrit : « Il s'échappe du 
vaisseau qui le lance tel un feu rouge foncé ; cette flamme 
paraît un coursier rapide dont la queue traînerait sur les 
flots [...] la flamme accolant les vagues, comme si celles-ci 
étaient d'une huile dans laquelle on trempe les mèches 29. » 



Les coups de main 



La suprématie maritime arabe décroissant, puis dis- 
paraissant progressivement dès le xr' siècle, une autre 
période commence : la reconquête chrétienne qui ravit à 
rislam toutes les îles, détruit ses repaires littoraux et le 
réduit en Europe, au xiii"^ siècle, à un modeste vingtième 
de la péninsule Ibérique : le sultanat de Grenade. Toute- 
fois, le danger reste menaçant sur mer. L'île de Majorque, 
redevenue chrétienne en 1230, est souvent visée par les 
fidèles d'Allah : aussi bien au xin" siècle que plus tard, 
comme au temps où ils régnaient sur la Méditerranée, les 
Arabes opèrent encore des débarquements de nuit dans 
les anfractuosités des côtes, et se glissent — à pied, main- 
tenant — à travers champs, vers des' maisons isolées. Une 
impressionnante série de documents, récemment décou- 
verts, établit que, vers 1380-1400, à peu près chaque 
année et en général plusieurs fois par an, l'alerte était 
donnée sur la côte méridionale de Majorque parce que 
des navires musulmans étaient en vue : chaque fois qu'ils 
réussissaient à échapper à l'attention des vigies scrutant 
l'horizon du haut des tours de guet, ils approchaient du 
rivage et y débarquaient quelques hommes qui elTcctuaient 



30 



L'EUROPE MEDIEVALE ARABE 



la razzia, généralement deux ou trois heures avant le 
lever du soleiP^. 

Le littoral de la péninsule aussi reste exposé ; vers 
1320. par exemple, est capturé un bateau, conduisant de 
Collioure à Barcelone des pèlerins roussillonnais se ren- 
dant au sanctuaire mariai de Montserrat ; en 1397, un vil- 
lage de la côte valencienne, Torreblanca, est dévasté, plus 
de cent de ses habitants emmenés comme esclaves, l'église 
profanée, les musulmans emportant notamment un ciboire 
en argent rempli d'hosties consacrées, ce qui bouleverse 
la chrétienté espagnole ^^ ; en 1543, le port de Palamos 
sur la Costa Brava catalane est complètement détruit, etc. 
La France aussi est parfois atteinte, à Agde par exemple 
en 1406, tandis qu'en 1475, Fréjus est saccagée et que, 
assez souvent, des pêcheurs provençaux sont capturés par 
des corsaires d'Islam, qu'on commence maintenant à nom- 
mer « pirates barbaresques ». Quant aux eaux et aux côtes 
italiennes, elles sont plus fréquemment encore le théâtre 
de l'audace de ces marins qui sont très attirés par la 
Sicile, terre ayant appartenu à leurs ancêtres pendant plus 
de deux siècles ; en 1393, ils débarquent à Syracuse et 
y capturent plusieurs habitants, dont l'évêque ; au xv* siè- 
cle, ils y reviennent plus d'une fois ; mais ils ont bien 
d'autres points de razzia, par exemple Capri en 1428. 
Malte en 1429, l'île d'Elbe en 1443, etc. 

C'est donc pendant plus d'un demi-millénaire que des 
populations européennes qui avaient déjà été en butte à 
des attaques mahométanes aux viif et ix* siècles, sinon 
dès le VTiS eurent à souffrir de ces coups de main sanglants 
et ruineux, qu'aucun avertissement ne précédait, rien qui 
ressemblât à une a déclaration de guerre ». 



JOURS DE RAZZIA ET D'INVASION 



31 



La riposte des Européens 



Le tableau que nous avons tracé jusqu'à présent a 
été unilatéral, car c'est l'histoire des effets de l'irruption 
islamique en Europe que nous tentons de montrer. Mais 
si l'on veut se faire une idée plus complète des souffrances 
endurées par les pays qui furent l'enjeu des affrontements, 
il ne faut pas oublier qu'elles n'ont pas été dues seule- 
ment aux flux arabes successifs ; elles ont été engendrées 
aussi par la riposte. 

Or, celle-ci se déclenche dès le viif siècle et ne se 
termine que par la victoire totale dans le sud-est de 
l'Espagne, à l'extrême fin du xv' siècle. Initialement, elle 
est l'œuvre des Francs, non seulement en Gaule (qui 
devenait la France), mais aussi en Espagne, où ils sont 
vite relayés par Asturiens et Navarrais, Galiciens et 
Léonais, Catalans, Castillans, Aragonais et Portugais, tan- 
dis qu'en Italie cette réaction, plus que celle des Byzantins 
et des Lombards, est l'œuvre des Normands. Aussitôt 
après sa victoire à Poitiers en 732, Charles Martel se 
retourne contre l'autre aile de l'expansion musulmane en 
Gaule : en 737. il reprend Avignon aux Arabes et tente 
en vain de leur arracher Narbonne. Un douloureux cal- 
vaire commence alors pour le Languedoc, parcouru par 
les Francs qui attaquent et les mahométans qui résistent. 
Après 750, Pépin le Bref reconquiert 'Nîmes, Maguelonne, 
Agde, Béziers, échoue plusieurs fois contre Narbonne 
mais y entre enfin, en 759 au plus tard. Les Narbonnais 
ont beaucoup souffert des batailles autour de leur ville et 
du siège final qui dura plus d'un an. Une certaine soli- 
darité a même uni alors les indigènes chrétiens et les 
dominateurs arabes, car le pays voyait dans les Francs de 
nouveaux envahisseurs : leur catholicité n'était sans doute 
pas une clé suffisante pour ouvrir les cœurs de leurs corc- 



32 



V EUROPE MEDIEVALE ARABE 



ligionnaires qu'ils venaient débarrasser des musulmans : 
les chrétiens de Narbonne demandent à Pépin le Bref de 
conserver l'usage de la loi wisigothique qui était la leur 
avant la domination islamique, le royaume des Wisigoths 
ayant recouvert, non seulement la péninsule Ibérique, mais 
tout le Languedoc ; elle était restée leur code sous la 
domination musulmane ; le roi des Francs consent à la 
leur laisser. Après, bien souvent les Arabes tentent de 
reprendre Narbonne : ils arrivent de nouveau jusqu'à ses 
portes par des raids menés à travers la Cerdagne et le 
Roussillon en 793, 794, encore en 841 ^2. 

Les Francs sont pourtant déjà arrivés au sud des 
Pyrénées, à Gérone peut-être dès 785 ; Charlemagne, en 
tout cas, apparaît en personne sous les murs de Saragosse 
et à Pampelune ; et, de son vivant, son fils Louis le Pieux 
conquiert Ausona-Vich en Catalogne, Huesca en Aragon, 
Barcelone enfin en 801, au milieu de quelques réticences 
antifranques manifestées par des tenants de la tradition 
wisigothique. Les Arabes contre-attaquent partout. En 
934, ils reviennent à Barcelone ^\ la reprennent provisoi- 
rement en 985, parcourent de nouveau la Catalogne vers 
l'an mille, puis en 1038 et encore en 1045 ; la Navarre 
connaît aussi de nouveaux flux musulmans durant la pre- 
mière moitié du x' siècle ; au début du xi*, une vague 
islamique s'abat jusque sur la lointaine Galice, que les 
premiers conquérants arabes avaient évacuée deux cent 
cinquante ans plus tôt ! Cependant, rien n'est plus terrible 
que le duel qui, de 1060 à 1091, oppose Normands et 
Arabes durant la longue reconquête chrétienne de la 
Sicile. Du xf au xv' siècle, tandis que s'effectue le lent 
déplacement vers le sud, entrecoupé de replis vers le nord, 
du front islamo-chrétien à travers la péninsule Ibérique, 
les chevauchées destructrices continuent de part et d'au- 
tre, aussi bien maintenant celtes des champions de la 
Croix que des défenseurs du Croissant. Parfois, de nou- 
velles vagues islamiques arrivant d'Afrique déferlent encore 



JOVRS DE RAZZIA ET D'INVASION 33 

sur l'Europe : au milieu du xif siècle, par exemple, les 
Maghrébins, soudés par le mouvement puritain almohade. 
débarquent en Espagne pour y renforcer l'autorité musul- 
mane et mettre fin à sa faiblesse et à sa trop grande tolé- 
rance envers îes chrétiens; ils s'emparent ainsi, en 1154, 
de la ville andalousc de Niébla, qui avait encore un évê- 
quc — plus de quatre siècles après la conquête arabe — 
et qui venait de leur résister longuement : ils massacrent 
les hommes de cette malheureuse cite et vendent comme 
esclaves les enfants et les femmes ^5. 



La hantise de rOccident 



La possibilité du retour offensif des Arabes et le 
souvenir des luttes soutenues contre eux obsédèrent l'Oc- 
cident durant des siècles ; inlassablement, la Chrétienté 
était tentée de répeter les propos tenus, au vn' siècle, par 
un évêque byzantin : « Qui donc pourrait raconter l'hor- 
reur de l'invasion des Ismaélites [soufflant sur l'Europe] 
comme un simoun brûlant et mortel ^'^ ? » 

Ces événements tumultueux, échelonnés sur plusieurs 
siècles, ont eu un écho profond dans nos chansons de 
geste, notamment dans le cycle de Guillaume d'Orange 
-- Orange-lcz-Rhônc — . poèmes que la France au 
xif siècle a ardemment aimes et passionnément chantes. 
On y trouve trace de Tinquiétude que provoquait le sort 
des prisonniers : a Pas un jour rte passe sans que les 
Sarrasins ne les frappent et ne les torturent ! d Mais, 
surtout, s'y répète la njmeur lancinante de l'arrivée des 
mahornctans, tantôt par terre, tantôt par mer : a Prêtons 
l'oreille ; n'est-ce pas des cors, des tambourins, des flûtes 
et des trompettes ? w Et voici que « soudain, la flotte 
païenne apparaît : ses voiles sont si blanches, ses carènes 
si dorées que, sous elles, les vagues s'éclairent », Dans 
ce poème retentit le bruit des combats : un chef musul- 



34 



L'EUROPE MEDIEVALE ARABE 



man vient défier un baron chrétien, il apparaît avec un 
haubert neuf, un heaume aigu, solidement lacé, et, sus- 
pendu au cou, un fort écu où est ciselé un dragon aux 
ailes déployées ; il porte au côté une large épée et tient 
en main une lance « dont le fer a été empoisonné par le 
venin d'un aspic »... Mais la bataille se déchaîne : les 
archers sarrasins bondissent sur la côte, et les chrétiens 
sont mortellement atteints : « Les javelots tombent drus 
sur eux comme pluie d'avril. » Bientôt nombre d'entre eux 
gisent percés de longues flèches ou de dards aigus, tandis 
que leurs chevaux errent sans maîtres... Puis le lendemain, 
s'ébranle un long convoi de prisonniers chrétiens chargés 
de chaînes, poussés par des cavaliers qui les déchirent à 
coups de fouets. Et le poème pousse le grand cri d'appel 
à la conscience collective de l'Occident : « Les vSarrasins 
maintenant couvrent toutes les plages. La chrétienté périra- 
t-elle^*^? » 



CHAPITRE II 

EN PAYS CONQUIS : 
LES NOUVELLES CONDITIONS D'EXISTENCE 



Partout où les Arabo-musulmans s'enracinent et impo- 
sent leur présence et leur suprématie aux populations 
indigènes, s'installe ipso facto une « communauté des 
croyants », partie intégrante de l'univers islamique, le 
dar al-Islam. Un Etat s'implante donc, qui n'est pas 
autre chose que cette communauté religieuse, et il instaure 
sa loi : rien d'humain ne pouvant égaler la Parole de Dieu, 
le Corafh qui est cette Parole, est la seule Loi possible, 
non seulement au point de vue religieux, mais dans tous 
les domaines. Les questions qui n'y sont pas directement 
traitées doivent être régies à sa lumière et par l'étude 
des paroles, faits et gestes du prophète Mohammed et 
de ses premiers compagnons : l'ensemble des traditions 
qui — portant précisément ce nom — constituent la 
sunna. 

Mais l'Islam enseigne la tolérance envers les infidèles, 
surtout s'ils croient en Dieu et connaissent l'enseignement 
des premiers prophètes. Juifs et chrétiens sont dans ce 
cas, ceux-ci ayant sur ceux-là la supériorité de suivre 
l'enseignement donné par le prophète Jésus, mais ayant 
le grand tort de déformer la personnalité de cet homme, 
en faisant un Dieu. Dieu, le fils de Dieu, ce qui est 



36 



L'EUROPE MEDIEVALE ARABE 



aberrant — affirme l'Islam — parce que Dieu est unique. 
De surcroît, les uns et les autres sont en état de révolte 
contre Dieu, puisqu'ils ne reconnaissent pas son dernier 
prophète, Mohammed. Il est donc juste que les infidèles 
qui ont résisté aux musulmans en portant les armes 
contre eux, aient été tués ou réduits en esclavage. Au 
contraire, ceux qui n'ont pas eu rinso'.^nce de lutter 
contre a les combattants de la foi » et qui se sont rendus, 
ont conservé la vie sauve, leurs biens, le droit de continuer 
à pratiquer leur religion et de conserver leurs coutumes, 
donc leurs lois, dans leurs rapports entre eux. 



Les « dhimmi » et leur influence première 



Les croyants imparfaits, qui observent des messages 
incomplets ou mal interprétés de Dieu (la Bible, les 
Evangiles) sont appelés « des gens du Livre v, ou a d'un 
Livre », de Dieu ; ils sont des protégés : des dhimmi. 
Chaque communauté religieuse, qu'elle soit formée de juifs 
ou de chrétiens, conserve ainsi une autonomie sous le 
contrôle de la a communauté des croyants », des vrais 
croyants : les musulmans. L'Etat qui naît de la conquête 
arabe est donc un agrégat de diverses communautés juxta- 
posées, le seul critère de différenciation étant la religion. 
Cest pourquoi, dans l'Empire islamique, le principe admi- 
nistratif et juridique fondamental est celui de la « confes- 
sionnalité » des lois, chaque habitant étant régi par la 
législation propre à sa confession religieuse. Ainsi, se 
côtoient, dans cet ensemble, des gens soumis à des lois 
différentes, notamment en matière de droit civil et d'héri- 
tage, les chrétiens étant régis par les canons de l'Eglise 
pré-isiamique et le code local, par exemple la Le.x 
Wisigothorum en Espagne et en Languedoc. Cependant, 
du fait de l'imbrication des communautés, les nouveaux 
venus sont appelés à adopter des formules dictées par les 



NOUVELLES CONDIJIONS irEXISTENCE 37 



nécessités ou les traditions locales, qui les affectent eux- 
mêmes. Les non-musulmans étant astreints à payer un 
impôt (( par tête », et l'esclave sans ressources ne pouvant 
l'acquitter, le maître mahométan est parfois invité à verser 
cette capitation pour chacun de ses captifs infidèles, par 
exemple, senible-t-il, en Espagne et dans le pays de 
Narbonne, bien que la législation normale n'assujétisse 
pas l'esclave à cette taxe. De surcroît, conformément à la 
loi dés Wisigoths en vigueur chez les chrétiens de ces 
régions, chacun de ces maîtres et propriétaires fonciers 
doit, en quelques cas défensifs, se faire accompagner par 
un certain pourcentage de ses esclaves servant d'auxiliaires, 
quand il remplit des obligations militaires. 

L'influence des coutumes de chaque pays dominé se 
fait particulièrement sentir au moment même de l'arrivée 
des conquérants. En voici une preuve éclatante : le conqué- 
rant de l'Espagne, Mousa ben Noçayr, partant en 714 
pour rOrient afin de rendre compte de la situation au 
calife, laisse son fils Abd al-Aziz comme gouverneur 
intérimaire de la péninsule Ibérique ; or, celui-ci ayant 
apparemment pris dans son harem la veuve du roi wisigoth 
Rodrigue (alias Rodéric) vaincu et tué par les Arabes, 
aurait subi l'ascendant de cette femme, qui ne se serait 
pas contentée d'être l'une des épouses de l'émir. Ce 
mariage symbolise l'immédiat jeu d'inllucnccs entre les 
deux éléments de population en présence : l'ancienne 
reine des Wisigoths, Egilone, réussit à convaincre Abd 
al-Aziz que, pour asseoir son autorité de nouvel arrivant, 
il doit se poser en époux de la veuve du souverain disparu, 
rétablissant avec elle les usages et la pompe de Tantiquc 
cour des rois wisigoths dans leur capitale, Tolède. De 
son côté, l'émir décide d'aménager une autre résidence, 
aux portes de Séville, oii il va se reposer avec la princesse 
Egilone : il fait choix, à cet effet, d'un monastère qu'il 
désaffecte partiellement et qu'il transfonne, tout en laissant 
au culte cathohque, que pratique sa femme. Téglise de 



38 



L'EUROPE MEDIEVALE ARABE 



cet ancien couvent, et en faisant construire une mosquée 
à proximité. En ce temps, « Abd al-Aziz tint en paix 
toute l'Espagne. Tout le monde se rallia à lui, tant 
il traitait bien ceux qui s'étaient rendus, tant terriblement 
avaient été châtiés ceux qui avaient résisté ^ ». Les mon- 
naies d'or, frappées à ce moment par les Arabes dans la 
péninsule Ibérique, n'étaient encore pourvues que d'ins- 
criptions en latin, soit Non Deus nisi Deus solus (Il n'y a 
comme Dieu que Dieu l'unique), soit Non Deo similis 
alius (Nul n'est semblable à Dieu). Ces quelques faits 
et données laissent bien apparaître ce que pouvaient 
être la vie et les conditions d'existence dans les diverses 
régions conquises par les Arabes, durant les premières 
années qui suivirent leur victoire. 

Mais, dans cet équilibre provisoire d'influences contra- 
dictoires ou au moins diverses, quelle force allait prévaloir 
en définitive ? La nouveauté islamique ou le poids des 
coutumes locales ancestrales ? Un historien spécialiste 
du monde méditerranéen, Femand Braudel, a écrit : 
a Une civilisation ne se déplace pas. » L'Islam, pourtant, 
s'est déplacé. Il a introduit sa civilisation jusqu'en Europe 
occidentale, sans vouloir la laisser ni édulcorer ni influen- 
cer : très vite, les mahométans les plus purs et intran- 
sigeants accusent Abd al-Aziz de se rapprocher du chris- 
tianisme et de vouloir se transformer en roi indépendant 
en Europe : un fanatique l'assassine en 716 2. 



Le pouvoir musulman 

En fait, après quelques atermoiements transitoires, 
se met partout en place une administration proprement 
musulmane : des monnaies d'abdtd bilingues, puis en 
arabe seulement, sont frappées ; chaque pays conquis est 
divisé en provinces ou circonscriptions territoriales, c'est-à- 
dire en espaces gravitant chacun autour d'une ville où 



NOUVELLES CONDITIONS D'EXISTENCE 39 



réside un gouverneur entouré d'une troupe musulmane. 
Ce gouverneur est le « chef » de la province, son amir 
(émir), même si on l'appelle parfois wali ou amil (ce 
dernier titre s'appliquant essentiellement à son rôle de 
percepteur). C'est là. en effet, une de ses taches fonda- 
mentales. Si le rôle de l'armée a été d'accomplir la 
conquête et reste de maintenir l'autorité arabe, celle-ci 
doit maintenant administrer dans le cadre du dar al-lslam. 
Or, suivant les normes du Coran et de la sunna, le musul- 
man n'a pas d'impôts à payer ; il doit simplement verser 
le superflu de ses revenus à la communauté pour ses 
besoins collectifs, ce que l'on appelle en droit islamique 
« l'aumône légale ». D'autre part, tout combattant ou 
ancien combattant « pour la Foi », et tout fidèle malade. 
vieilli ou infirme, doit recevoir de la communauté, qui 
un traitement qui une pension. Voilà pourquoi l'historien 
Georges Marçais a remarqué : « L'existence d'infidèles 
est une condition presque nécessaire de l'équilibre du 
budget en terre d'Islam. » Aussi, vis-à-vis des commu- 
nautés non musulmanes, l'émir gouverneur d'une région 
n'a-t-il qu'un seul comportement : leur faire payer tribut, 
puisqu'elles ne sont pas attaquées par les musulmans et 
qu'elles jouissent de la paix sous leur protection. Ces 
tributs, ou cens, sont administrativement le seul lien 
existant entre une communauté d' a infidèles » et le dar 
al-Islam. Ils sont instaurés à la fois d'après l'étendue 
des terres, selon un barème d'impôt foncier, et d'après le 
nombre des [personnes, selon un tarif de capitation. Dès 
que la domination islamique s'établit sur un pays, la 
nouvelle autorité procède à un recensement approximatif 
des habitants et à une estimation de la superficie des 
terres 5. Ainsi que Ta bien analysé le grand islamologue 
italien contemporain, Francesco Gabrieli, a loin de vouloir 
intervenir en profondeur dans la vie des peuples soumis, 
les Arabes semblent les tenir dédaigneusement à l'écart. 
se contentant de les considérer comme leurs sujets et de 



40 



VEUROPE MEDIEVALE ARABE 



percevoir les sommes » convenues lors de la soumission. 
Une fois ces versements effectués. « les populations locales 
peuvent vaquer tranquillement à leurs occupations et 
célébrer leur culte à leur guise ». [...] « Elles gardent leur 
autonomie civile et religieuse » ; et elles en réfèrent à 
leurs propres autorités pour tout ce qui regarde la vie 
interne de leur communauté'^. 

La prise en mains du pays conquis ou soumis se 
matérialise aussi par la construction de châteaux, de 
villes fortes, de villes naissant autour d'une citadelle 
(qasba), destinés à être des points d'appui, à surveiller 
les indigènes, à contrôler les axes de communication. 
Un exemple en est fourni par la ville de Tudela, que les 
Arabes établissent, en 805, dans la future Navarre, sur 
la rive droite de TEbre pour servir de base fortifiée entre 
Saragosse et Pampelune 5. 

Partout, la mainmise de l'Islam s'accentue, tant aux 
points de vue moral, mental, social que sur le plan 
matériel. Un jeune islamologue et historien français, 
Pierre Guichard, Ta récemment démontré : « Finalement, 
l'élément immigré tent à prédominer, tandis que les 
indigènes sont socialement assimilés ou victimes d'une 
répression ^, » 

Les lignes générales du processus sont nettes, mais 
les dimensions très variables de l'assise territoriale des 
communautés de dhimmi rendent fort complexe leur statut, 
non pas son contenu, mais sa forme et son évolution : 
la conquête est si étendue et de durée souvent si longue, 
que rien n'a été rigide, ni stable, ni jamais définitif, dans 
les rapports entre la communauté des croyants et un 
groupe soumis ou vaincu, protégé ou sujet. 



NOUVELLES CONDITIONS D'EXISTENCE 41 



Villes et zones autonomes 



Souvent, une ville ou un puissant seigneur indigène, 
gouverneur d'une région, a négocié avec les Arabes quand 
ceux-ci étaient en marche dans sa direction. Un pacte 
de trêve, valable en général pour cinq, dix ou quinze ans, 
a alors été conclu, la ville ou le seigneur s'engageant à 
verser un tribut annuel fixé soit forfaitairement, soit par 
tête, en numéraire et en produits des récoltes, sous la 
responsabilité de l'autorité indigène, sans que, dans ce 
cas, soient vraiment évalués par les Arabes, ni le nombre 
des « soumis », ni — s'il s'agit d'une région — la super- 
ficie des terres. Ce tribut annuel est immuable pour la 
durée du pacte, y compris sa portion représentant le 
montant total des capitations, que la population a pro- 
tégée » augmente ou décroisse. La ville ou le seigneur 
ont dû aussi promettre de ne pas attaquer de musulmans 
et de n'aider ni directement ni indirectement aucun 
ennemi du dar al-Islam. De telles communautés autoch- 
tones, formées par toute la population d'une ville ou 
d'une vaste contrée, restent vraiment autonomes, quasi 
indépendantes. Elles n'ont ni administration ni troupes 
musulmanes sauf, parfois, quand le pacte s'applique à une 
sorte de province et que son seigneur ou gouverneur 
chrétien a été amené à céder aux Arabes une ou plusieurs 
de ses villes. 

Telle est donc souvent la première formule de coexis- 
tence. Mais vite se manifeste la force du fait isla- 
mique, sa primauté : il n'y a qu'une Loi, le Coran, 
complété dans les cas imprécis par la sunno. Or tout 
« docteur en Islam t», tout faqi, enseigne que le devoir 
collectif de la communauté des croyants est la propagation 
de la foi, donc l'affermissement et l'extension du dar 
al-Islam. Par conséquent, selon la doctrine religieuse. 



42 



L'EUROPE MEDIEVALE ARABE 



quand un pacte arrive à expiration, l'autorité musulmane 
ne doit accepter de le renouveler qu'en augmentant le 
montant du tribut ou en se faisant céder des villes ou 
des terres ^. 

De surcroît, il est admis que si un seul membre d'une 
communauté « protégée » nuit aux musulmans, cette col- 
lectivité entière perd automatiquement le droit à la 
protection : tous ses biens peuvent être pris ; le pacte est 
rompu s. Enfin, autre motif de rupture, le dar al-Islara 
est souvent déchiré par des guerres civiles, ou au moins 
par des luttes de clan ; or, les communautés soumises 
sont souvent mal vues par la masse musulmane et, plus 
encore, par les anciens chrétiens convertis à l'Islam, car 
elles sont « infidèles » et cependant, dans une certaine 
mesure, privilégiées et souvent prospères. Qu'une révolte 
éclate au sein de la communauté mahométane, aussitôt 
une bande armée a tendance à faire une razzia sur un 
territoire soumis voisin : n'est-il pas licite de faire du 
butin sur les incroyants ? Cela se produit souvent, surtout 
là où il n'y a pas de front de guerre terrestre possible 
contre l'infidèle, par exemple en Sicile ^. Et parfois, un 
groupe révolté victorieux, contestant la politique qu'avait 
suivie l'autorité musulmane antérieure, ne renouvelle pas 
tel ou tel pacte. 

On suit assez bien l'évolution de certaines villes : 
en se révoltant en 713, Tolède vaincue perd son statut de 
cité protégée et devient ville d'Islam ^°. Il en est de même 
pour Saragosse qui n'a un statut d'autonomie que durant 
peu d'années, au lendemain de la conquête arabe ^^ En 
Sicile, au ix* siècle, lors de l'annexion progressive de l'île, 
les musulmans ont conclu très souvent des pactes avec 
des municipes qui les acceptaient ^ de bon gré, le seul 
changement"^our eux étant qu'ils payaient désormais le 
tribut aux Arabes et non plus à l'empereur byzantin ; 
mais ce système n'a eu qu'un temps : le grand historien 
italien de la Sicile musulmane, Michèle Amari, a établi 



NOUVELLES CONDITIONS D'EXISTENCE 43 



qu'il n'y avait, après 965, plus un seul municipe autonome 
dans l'île ^2. 

L'utilité qu'a ce système de transition, aux yeux des 
Arabes, est prouvée par l'obstination qu'ils mettent à 
essayer de l'introduire dans les régions chrétiennes limi- 
trophes de leur Empire : vers 780, par exemple, ils éta- 
blissent un pacte de ce genre avec un comte de Cerdagne, 
que leurs chroniqueurs appellent Ibn Velasco, mais Charle- 
magne reconquiert bientôt le pays ^^ ; en 939, ils en scellent 
un avec le comte Sunyer de Barcelone : bien que ce ne 
soit sans doute qu'un traité de trêve, ils le tiennent pour 
un accord obligeant ce comte à a rester dans l'obédience 
du calife » et à « ne plus apporter aucune aide ni assis- 
tance aux chrétiens non entrés dans la paix califale ^^ ». 
L'histoire des implantations arabes en Sardaigne *5 et celle 
de la lente intégration des Baléares dans le dar aUIslam ^^ 
nous semblent obscures : elles fourmillent de dates contra- 
dictoires, à cause de l'existence de pareils pactes plus ou 
moins longtemps appliqués. 

Quant aux vastes régions continentales fédérées à 
l'empire arabe dans l'autonomie, on en connaît bien mieux 
rhistoire, au moins pour certaines d'entre elles, par exem- 
ple quatre de celles constituées dans la péninsule Ibérique. 
L'une sise dans le Portugal actuel, autour de Coïmbre 
et de la vallée du Mondego, ne dura guère ; accusée de ne 
pas avoir respecté le pacte, elle fut envahie et mise à sac 
dès 716 par les Arabes, qui la transformèrent en province 
musulmane ^\ Un grand écrivain grenadin du xiv' siècle. 
Ibn al-Khatib, nous apprend qu'après 711, là où devait 
s'élever plus tard Grenade, dans la zone d'Elvira-Iliberris, 
prospéra un pays longtemps autonome : a Les indigènes 
y vivaient sous des chefs de leur religion, hommes expé- 
rimentés et intelligents t». » Plus à l'ouest, dans les mon- 
tagnes dites pré-bétiques de ce futur sultanat de Grenade, 
une principauté chrétienne dura plus d'un siècle autour 
de Ronda : le comte wisigoth qui la gouvernait en 711, 



44 



UEVROPE MEDIEVALE ARABE 



Adefons (Aldefonsus. Alphonse) conclut un pacte avec les 
premiers conquérants arabes ; lui-même, puis son fils, 
son petit-fils et son arrière-petit-fils régnèrent dès lors 
« dans une quasi indépendance » ; mais, vers 820, le 
comte de Ronda de la cinquième génération de cette 
dynastie, abandonna la religion de son trisaïeul Aldefons 
et, en se convertissant à Tlslam, permit la transformation 
de cette région en province musulmane i^. Une histoire 
analogue se déroula plus rapidement dans la zone de la 
vallée de l'Ebre moyen qui fut, beaucoup plus tard, 
répartie entre Navarre, Castille et Aragon, autour de 
Tarazona ; son comte-gouverneur des derniers temps wisi- 
goths, Cassius, était de vieille souche hispano-romaine, 
semble-t-il ; il conclut un pacte ; mais ses fils, notamment 
Taîné. son successeur, se convertirent à Tlslam, ce qui 
fit très vite de ce vaste comté une province musulmane ; 
cette famille des « fils de Cassius » ou Béni Qasi joua 
un rôle considérable en Espagne durant plusieurs siècles. 
L'histoire la mieux connue est celle du pays murcien, 
dont la principale cité était, en 711, Aurariola (Orihuela). 
Elle englobait les régions gravitant autour d'Elche, de 
Lorca, Mula, Alicanté, Carthagène, débordant même sur 
le futur pays valcncien, qui aurait été alors quasi déser- 
tique ; on appelle souvent cet ensemble le « pays de 
Théodomir d, du nom du comte wisigoth qui le régissait 
au moment de l'arrivée des Arabes, En avril 713, ce 
puissant seigneur, partisan des fils du feu roi Wittiza. 
dont les Arabes étaient plus ou moins les alliés, conclut 
un pacte en s'engageant à verser un tribut annuel et en 
cédant sept de ses villes aux nouveaux venus. Moyennant 
quoi, il resta le souverain presque indépendant de son 
pays. Certes, en 733, les Arabes lui enlevèrent Carthagène, 
sans doute à J'occasioû d'un renouvellement de Taccord ; 
ce qui amena le comte à se rendre à Damas, où il semble 
avoir obtenu du calife qu'on ne procéderait plus à aucune 
amputation de son Etat, et il régna ainsi jusqu'à sa 



NOUVELLES CONDITIONS D'EXISTENCE 45 

mort en 743. Un prince que l'on peut tenir pour son fils, 
Athanagilde, lui succéda ; mais, en consentant à renou- 
veler le pacte avec lui, l'autorité musulmane exigea qu'il 
lui remît encore certaines terres, sises apparemment à la 
périphérie du pays, afin d'y installer des contingents mili- 
taires arabes récemment arrivés d'Orient, Le comte Atha- 
nagilde régna ensuite trente-six ans en paix, mais brus- 
quement, en 779, les troupes musulmanes pénétrèrent dans 
son pays, Faccusant d'avoir eu des contacts avec Charle- 
magne, dont les armées franchissaient les Pyrénées : villes 
et forteresses du « pays de Théodomir » furent occupées 
par les musulmans. Une très forte amende leur fut impo- 
sée ; et les principales familles indigènes durent s'exiler 
et s'éparpillèrent à travers la Péninsule 20. Cependant, 
l'autonomie subsista; elle se prolongea jusqu'en 831, 
date où les Arabes transformèrent le pays en territoire 
du dar al-Islam et y construisirent Murcie, une nouvelle 
ville, qui en devint la capitale ^K 



- Communaufés de quartier ou de village 



Dans certaines régions conquises, il n'y eut jamais 
de cités ni de zones autonomes. Mais partout, ici dès 
la conquête, ailleurs après les phases transitoires que 
nous avons retracées, se trouvèrent organisées, dans l'auto- 
nomie aussi, les communautés pré-islamiques locales, mais 
sans base territoriale. Le cas de Carcassonnc peut nous 
servir d'exemple : assiégée par les musulmans en 725, 
cette ville capitula, cédant aux vainqueurs la moitié de 
sa superficie, s'engageant à payer un tribut annuel et 
entrant dans l'alliance du dar al-Islam 22. î c comte de 
la ville resta !c seigneur de ses coreligionnain^s. 

Partout, ces communautés urbaines ou rurales, sises 
en province musulmane, ont la même organisation. A leur 
tête, se trouve un chrétien, « élu t> par ses coreligionnaires 



46 



L'EUROPE MEDIEVALE ARABE 



chefs de famille, et confirmé par Tautorité islamique : 
un comte, dans toute ville importante, un vicaire ou viguier 
dans les localités moindres. Ce responsable est toujours 
assisté de deux autres chrétiens au moins : un juge, appelé 
par les Arabes cadi ou wazir, complètement indépendant 
du comte ou viguier, et un inspecteur, dit exceptor, 
veedor ou al-arif, souvent chargé de la comptabilité des 
impositions. Celles-ci sont essentiellement constituées par 
deux éléments : un impôt foncier, acquitté en un ou deux 
versements annuels, fixé souvent au cinquième des récoltes, 
parfois en fonction de la superficie cultivée et de la 
nature des cultures ; et une capitation, payable mensuel- 
lement en numéraire, à raison de quarante-huit dirhern 
(cette pièce en argent pesant environ trois grammes) ou 
quatre dinars (cette monnaie d'or étant environ de quatre 
grammes vingt-cinq) par an si l'on est « riche », la 
moitié si la situation économique du contribuable est 
tenue pour a moyenne t), et le quart seulement, s'il est 
considéré comme « pauvre ». Mais plusieurs catégories 
d' (f infidèles » sont dispensées de la capitation : les 
femmes et les enfants, les aveugles, les invalides, les 
estropiés et les malades, les mendiants et normalement, 
aussi, les esclaves, enfin et toujours les prêtres et clercs 
d'ordre mineur, ce qui prouve la considération que leur 
témoignait l'Islam, 

En principe, ces impôts régis par des règles sunnites 
ne peuvent être augmentés ; en ce sens, une communauté 
locale vivant dans un quartier d'une ville ou à la cam- 
pagne en province musulmane, est plus privilégiée qu'une 
cité ou une région autonomes, car le tribut acquitté par 
celles-ci, peut être augmenté. Mais la réalité est distincte 
du droit strict, en ce sens qu'une contribution supplé- 
mentaire exceptionnelle peut à tout m'ôinent être demandée 
en sus de l'imposition foncière et de la capitation. D'autre 
part, bien qu'un souci de justice sociale se manifeste dans 
le barème de la capitation, en fait l'inégalité du sort des 



NOUVELLES CONDITIONS D'EXISTENCE 47 

dhimmi est grande. En effet, quand une région est annexée 
au dar al~lslam, une partie des terres — souvent la 
moitié — est enlevée aux indigènes et donnée aux fidèles 
d'Allah : l'Etat musulman s'attribue alors un cinquième 
de ces terres confisquées aux « incroyants », conservant 
également les biens de l'Etat qui disparait, ceux qui sont 
de nature k municipale «, ceux des fugitifs et des morts, 
et même, semble-t-il, les « biens indirects » de l'Eglise. 
Les quatre autres cinquièmes des terres prises aux indi- 
gènes sont répartis entre « les combattants pour la Foi », 
qui ont permis cet agrandissement du dar al-lslam ; que 
ces divers biens fonciers soient livrés à la collectivité ou 
à des particuliers, tous leurs cultivateurs doivent y rester, 
non seulement les esclaves qui passent entre les mains 
des nouveaux maîtres, mais aussi les hommes libres ; or. 
la part de récolte que ceux-ci sont tenus de verser au 
nouveau propriétaire est variable : trente-trois pour cent 
si celui-ci est l'Etat musulman, quatre-vingts pour cent 
s'il est un particulier 2\ Telle est la considérable dispa- 
rité des sorts. 



La hiérarchie indigène 



L'habileté des musulmans consiste peut-être à main- 
tenir, voire à accentuer, inégalités, clivages et hiérarchie, 
parmi les autochtones, pour que Ja masse de ceux-ci soit 
bien encadrée par quelques coreligionnaires qui la tiennent 
et que l'on tient. En Languedoc, par exemple, est créée la 
charge de (f comte des chrétiens de la Scptimanie », attri- 
buée au comte Ansemond qui réside à Arbuna (nom arabe 
de Narbonne) et qui contrôle les comtes de plusieurs 
autres villes : Nîmes, Maguelonne, Agde et Béziers au 
moins ^l Un peu plus tard est pareillement installé à 
Cordoue un « comte général des Mozarabes d\îTAndalus » 
(c'est-à-dire des chrétiens de l'Espagne musulmane) : c'est 



48 



L'EUROPE MEDIEVALE ARABE 



le prince Ardabast. dernier des fils de Wittiza ; des textes 
nous le dépeignent siégeant sur un trône, portant couronne 
et entouré d'égards, comme s'il était le successeur de son 
père, le vrai « roi des chrétiens d'Espagne ». On entrevoit 
que s'opère une certaine intégration des indigènes vaincus, 
soumis ou ralliés, dans le cadre du nouvel Etat islamique. 
Quelques personnalités jouent bien le rôle qui leur est 
laissé par le nouveau pouvoir ; si Ton ne sait pas grand- 
chose du « comte général des chrétiens d'Espagne », du 
début du rx' siècle, un certain Ibn Théodulphe, on peut 
affirmer que celui des alentours de 860 est une person- 
nalité brillante, bon médecin, habile politique et grand 
chrétien, qui porte fièrement le nom de Romain (Romanus, 
Romano). Trente ans plus tard, le comte général est soit 
Adulphe, soit Guifred, ces deux comtes résidant à Cor- 
doue, l'un étant le chef de la communauté chrétienne dans 
tout aUAndalus, l'autre dans la ville. Vers 970, un comte 
des chrétiens était toujours en poste dans cette capitale 
islamique, complètement arabisé, mais fidèle à la foi 
catholique : le comte Abou Saïd qui descendait par les 
mâles, en ligne directe, du prince Ardabast et, par consé- 
quent, du roi Wittiza ^5^ 

Dans chaque pays où cette charge existe, le « comte 
général » est doublé, pour Texercice des fonctions judi- 
ciaires d'appel, par un censeur ou grand juge, ultime 
compétence en dernier ressort pour tous les litiges civils 
entre chrétiens du pays. Au x' siècle, pendant un certain 
temps, cette fonction aussi est exercée, en Espagne, par 
un descendant en ligne mâle directe du roi Wittiza, un 
arrière-arrière-petit-neveu du prince Ardabast, le juge Hafs 
Alvarez (Hafs ibn Alvaro), tandis que le cadi des chrétiens 
de la ville de Cordoue se nomme Oualid ibn Jaïzoran 2^. 
Tous ces mag.^strats jugent d'après lès lois et coutumes 
pré-islamiques, wisigothiques en Espagne, Portugal et 
Languedoc, latines ou grecques en Sicile, suivant l'origine 
ethnique de la communauté chrétienne concernée. Chez 



NOUVELLES CONDIIIONS IXLXISIENCE 49 



ces indigènes, nous apercevons des antagonismes très 
violents, des procès longs et acharnés, tel celui qui, 
au ix'^ siècle, met aux prises un comte des chrétiens d'une 
ville et MU inonastcrc nvoisinant --\ Voila s^nis doute qui 
contribue à expliquer pourquoi ccrtanis ' procès entre 
chrétiens, échappant à leurs juges naturels, passent entre 
les mains de cadis musulmans. Cest là attribution nor- 
male, bien entendu, quand Tordre public est en jeu, 
c'est-à-dire pour toutes les affaires de meurtre, de coups 
et blessures ou de rixes, mais cela se produit aussi dans 
certains procès de nature civile : si les deux parties en 
présence, ou même une seule d'entre elles, récusent le 
magistrat chrétien, un cadi peut être saisi du litige et 
il est alors libre, soit de le juger suivant la loi islamique, 
soit de refuser de se prononcer '^^. 

Un autre adjoint d'un « comte général ï> des chrétiens, 
appelé excepîor, est une sorte de contrôleur du versement 
des tributs : un comptable. Son rôle est ingrat : un des 
devoirs de sa charge est de découvrir ceux qui fraudent 
le fisc. Sa conscience de serviteur de TEtat doit donc 
prévaloir sur sa solidarité avec les membres de sa 
conmTunautc religieuse. Dans l'Espagne musulmane du 
IX' siècle, ce haut fonctionnaire, Gomc/. ibn Antonio 
im homme fort riche, fut violemment critique par les 
Mozarabes ^-. 

A travers rautonomie. séduisante en soi, dont jouis- 
sent les populations chrétiennes placées sous l'autorité 
mahométane, se révèlent donc souvent d'assez pénibles 
réalités, faites de querelles, d'affairisme et de cupidité, 
ou d'ambitions personnelles, sous le regard sûrement dédai- 
gneux des Arabes. Eî la prcssi(Mi islarnitiue attise ces 
rivalités par les tensions qu'elle suscite. 



50 



L'EUROPE MEDIEVALE ARABE 



L'incertitude du lendemain 



Un jurisconsulte musulman des alentours de Tan mille, 
de souche hispanique et chrétienne, Ahmed ibn Saïd ibn 
Hazm (père du célèbre écrivain Ibn Hazm, du milieu du 
XI' siècle) laisse apparaître, dans plusieurs de ses consul- 
tations juridiques, comment la liberté des a infidèles » 
est constamment exposée : le non-paiement de la capitation 
par un dhimmi le rend passible des peines islamiques 
frappant les débiteurs ne remboursant pas leurs créan- 
ciers ; il expose donc ce contrevenant à la réduction en 
esclavage et même à la peine de mort. De surcroît, ce 
non-paiement de la capitation par un ou plusieurs dhimmi, 
surtout s'il est frauduleux, permet au pouvoir musulman, 
s'il le veut, de mettre fin à l'autonomie de la communauté 
à laquelle appartiennent le ou les coupables. Ainsi, du 
jour au lendemain, par la faute d'un seul d'entre eux, 
tous les chrétiens d une ville peuvent perdre leur condi- 
tion de protégés. Tout peut être remis en question, y 
compris la liberté personnelle. Certes, à la fois par tolé- 
rance et par intelligence politique, le pouvoir musulman 
évite de sévir ainsi contre tous à cause d'un ou deux 
fautifs. Mais il s'estime en droit d'agir comme il Tentcnd, 

Le non-versement des contributions légales n'est d'ail- 
leurs pas le seul motif de rupture du statut des « gens 
du Livre » ; Test aussi tout « attentat public à la foi 
islamique », par exemple le fait de laisser exposés, à la 
vue des musulmans, une croix ou du vin ou encore des 
porcs ^0. La conviction religieuse du mahométan est, en 
effet, si totale que, malgré sa tolérance, il ne peut admettre 
aucune offense à Dieu, au Coran, au prophète Moham- 
med, à la sumxa. L'infidèle qui se rend coupable d'un tel 
crime est donc passible des pires châtiments, et ceux-ci 
peuvent même frapper toute la communauté à laquelle 
il appartient. 



NOUVELLES CONDEIIONS irEXlSTENCE 51 



La vie dos non-musulmans est aussi conditionnée par 
le rapport de force entre eux et les croyants en Allah : la 
condition huniaine interfère ici avec les données reli- 
gieuses. Lors de la conquête arabe, par exemple, le plus 
jeune des fils de Wittiza, encore enfant, le prince Ardabast, 
resta en Andalousie avec ses tuteurs soucieux de lui 
conserver les immenses biens fonciers que lui avaient 
légués son père. Devenu homme, ce prince essaya même 
de les agrandir en dctournaîU à son profit Théritage d'un 
de ses frères, mais le pouvoir musulman se posa contre 
lui en défenseur de ses neveux orphelins ; il ne put donc 
augmenter son patrimoine à leurs dépens, loutefois son 
sang royal hii domiait un tel prestige aux yeux des indi- 
gènes que les autorités d'Islam lui conférèrent alors — à 
titre de compensation, pour ainsi dire — la charge de 
« comte général des chrétiens d, ainsi que nous l'avons 
indiqué plus haut. Sa richesse n'^en resta pas moins cause 
d'envie. Or, en ce temps — le milieu du viu' siècle — 
entre la chute du califat de Damas et l'instauration de 
l'émirat indépendant de Cordoue, les troubles se multi- 
plient en Espagne, où Tinsécurité grandit, du fait surtout 
d'une insurrection des troupes berbères, ce qui contraint 
des chefs militaires arabes de Syrie à venir rétablir l'ordre, 
qui reste pourtant fragile ; ils vont alors rendre visite au 
prince Ardabast, lui expliquant qu'ils sont sur le point 
de repartir pour l'Orient car la faible étendue des terres 
qu'on leur a remises en Espagne ne leur permet pas d'y 
vivre convenablement... Les interlocuteurs se comprennent 
à demi-mot,.. Ardabast appelle un de ses intendants et 
lui fait aussitôt rédiger des actes de donation remettant 
aux chefs syriens de grands domaines qui lui appartenaient 
et les esclaves qui s'y trouvaient ^^ Autrement dit, il faut 
savoir faire contre mauvaise fortune bon cœur. En l'occur- 
rence, Ardabast sut éviter que le corps arabe arrivé de 
Syrie ne se lançât contre ses propriétés. 

Mais l'instabilité politique, si souvent caractéristique 



52 



U EUROPE MEDIEVALE ARABE 



du dar al-Islam, ne permet pas toujours d'éviter de telles 
attaques soudaines : en 891 par exemple, à Séville, lors 
d'une révolte de la garnison arabe contre le gouverneur 
de la ville, la soldatesque se déchaîne à travers le quartier 
chrétien, pille les maisons, massacre hommes, femmes et 
enfants ; beaucoup d'entre ceux-ci cherchant à s'échapper, 
se jettent dans le Guadalquivir, où plusieurs se noient. 
On vit ensuite leurs corps flotter longuement entre deux 
eaux ^^... 

La paix islamique avait donc ses limites ; comme Fa 
chanté, en une plainte, le poète évoquant ce jour de deuil 
sévillan : 

A travers la cité peinte de sa chaux blanche, 

Entre ses rosiers^ ses lys et ses pervenches, 

S*élevaiem des patios. 

Sertis d'azulejos, 

Des soupirs en volute, 

Tels des notes de flûte ! 



La prière des chrétiens en pleurs montait vers le cieL 
dans ces pays conquis par l'Islam. 



- CHAPITRE m 

LES IMMIGRES : 
LEURS MŒURS ET COUTUMES 



La conquête arabe et ses conséquences entraînent un 
grand brassage de peuples, qui ne se limite pas à l'arrivée 
de bédouins chez des peuples pénétrés de « romanité » : 
partout, l'implantation d'esclaves provenant de la traite 
ou du commerce provoque à la longue, surtout après les 
affranchissements, des croisements ethniques divers. Cepen- 
dant, dans cet ensemble complexe, l'élément arabe prévaut, 
par son impact au moins. 



Arabes et Berbères 



En Sicile, dès les environs de 950, c'est-à-dire un 
siècle après lu conquête de la plus grande partie de l'île, 
la moitié de !a population est déjà mahomctane, semble- 
t-il ^ Or, dans cette masse, les autochtones convertis ne 
paraissent pas très nombreux, ni les Latins, ni les Grecs 
qui ne manquent pas. Au contraire, les immigrés abondent, 
facilement venus de la Tunisie toute voisine : soldats et 
hommes d'affaires, de souche arabe ou berbère, disons 
arabo-berbère, souvent musulmans « orthodoxes », à 
savoir fidèles à la sunna ; ils étaient persécutes en Berbérie 



54 



U EUROPE MEDIEVALE ARABE 



orientale par le régime fatimide, qui s'installe, en cette 
Ifriqiya, au profit de la descendance directe du prophète 
Mohammed ; et ces immigrants ont souvent emmené avec 
eux leurs esclaves, dont quelques-uns sont des Noirs. 

En Espagne aussi, à en croire Pierre Guichard, spécia- 
liste de cette période, l'arabisation ethnique n'est pas 
négligeable -. Certes, les vrais Arabes, racialement parlant, 
sont rares ; mais ces quelques « aristocrates ?>, tenus 
comme tels parce que descendants de compagnons du 
Prophète ou de ses successeurs immédiats, ont été bien 
fixés à la terre ibérique. Dès 719, après l'assassinat de 
l'émir Abd al-Aziz, a l'époux » de la reine Egilone, la 
volonté d'arabisation et d'enracinement en Espagne s'est 
affirmée : des terres sont alors distribuées en pleine pro- 
priété à ces militaires immigrés ^. Un autre groupe arabe, 
plus considérable, arrive de Syrie au milieu du viii' siècle, 
pour réprimer une révolte de troupes berbères de la pénin- 
sule ; ces contingents sont dotés d'autres terres, notamment 
dans la future région grenadine. Et ainsi de suite, de 
temps en temps, des éléments de population arrivent 
du Hedjaz ou du Yémen, et restent : au total, quelques 
dizaines de milliers d'authentiques Orientaux. 

Longtemps, on a cru et répété que ces conquérants 
ou envahisseurs immigrèrent en hommes seuls. Ce n'est 
pas certain ; l'historien lombard Paul Diacre, qui vivait 
dans l'Italie du vni* siècle, affirme que les musulmans 
qui ont conquis la Gaule méditerranéenne jusqu'au Rhône, 
s'y sont installés « avec leurs femmes et leurs enfants t), 
parce qu'ils voulaient « s'établir définitivement dans le 
pays^ ». La conquête arabe a été faite, en effet, par des 
tribus ou fractions de tribus, se déplaçant et même allant 
au combat en groupes, les hommes suivis par les familles, 
non dans les razzias et les raids de reconnaissance, mais 
toujours dans les expéditions de conquête véritable. 

Différents des Arabes à l'origine, des Berbères à peine 
islamisés sont arrivés aussi avec eux en Europe, relati- 



IMMIGRES. MŒURS ET COUTUMES 



55 



vement plus nombreux. Bien que leur organisation sociale 
pré-islamique n'ait guère été proche, croit-on, de celle 
des bédouins, elle subit vite Tinfluence du facteur domi- 
nant : les structures arabes, les mœurs et coutumes du 
peuple qui a propulsé et véhiculé l'Islanu font tache 
d'huile, tant en milieu berbère que dans toutes les régions 
conquises. Après la chute du califat de Cordoue, au 
début du xr siècle, les royaumes de (difas, c'est-à-dire 
de « chefs de bande », qui se partagent la péninsule 
Ibérique islamique, sont surtout des Etats à direction 
arabe ou berbère arabisée : ils éliminent assez vite les 
autres royaumes créés par des musulmans de souche 
européenne. Puis, au temps des empires hispano-africains 
des Almoravides et des Almohades, dont la puissance 
s'est forgée au Maroc, quand des Berbères arrivent en 
assez grand nombre dans la péninsule, aux xi' et xii* 
siècles, ils sont déjà profondément islamises cl ils s'ara- 
bisent dans le milieu andalou. 



Primauté un lignage paternel 



Dès le VîH' siècle, les « cadres y> et les formules 
arabes sont mis en pîacc au sud des Pyrénées comme 
dans la Gaule méditerranéenne. Les vieilles structures 
tribales des clans de la péninsule Arabique sont trans- 
plantées en Occident avec le nouvctiu pouvoir. Elles se 
caractérisent par la primauté absolue du seul groupement 
familial qui compte, celui que constitue la parenté en 
ligne masculine. Pierre Guichard a récemment mis en 
lumière la valeur révélatrice de la décision prise par 
un calife de Cordoue au x" siècle : « Regrouper les 
tribus en réincorporant au noyau tribal central ceux qui 
s'étaient éparpillés ''. » Dans la société arabe, qui est 
devenue la communauté islamique, s'impose la parenté 
agnatique. c'est-à-dire par les maies. Elle conduit à favo- 



56 



L'EUROPE MEDIEVALE ARABE 



IMMIGRES, MŒURS ET COUTUMES 



57 



riser les épousailles endogamiques, dont le modèle parfait 
est l'union d'un jeune homme avec une fille d'un de ses 
oncles paternels. Ce mariage entre cousins germains, en 
ligne masculine, est l'union idéale pour conférer à cette 
femme le rang de « première épouse ». Ce trait social 
a une force telle qu'il acquiert un caractère quasi impé- 
ratif : un garçon a un droit préférentiel sur la fille de 
son oncle paternel ; celui-ci ne peut guère ne pas donner 
une réponse favorable au neveu qui fait une pareille 
demande en mariage. Il est vrai que, par contre, celui-ci 
n'est pas obligé d'épouser une telle cousine germaine ; 
mais, en général, pour rester fidèle à la formule de la 
parenté agnatique et à celle du mariage endogamique, 
il prend cependant pour épouse, dans la mesure du pos- 
sible, une parente plus éloignée, mais qui appartient aussi 
à son groupe tribal par sa parenté en ligne masculine, la 
même pour elle que pour lui. 

Ce type d'union n'empêche d'ailleurs pas un homme 
d'avoir des enfants d'autres femmes ; et tous ses enfants, 
qu'ils soient nés d'une a première épouse » cousine ger- 
maine ou de n'importe quelle concubine, sont des égaux, 
appartenant aussi intégralement au lignage, puisque, en 
définitive, seule l'origine paternelle compte. A la limite, 
peu importe pour un homme de n'avoir, par exemple, 
parmi ses huit bisaïeux qu'un Arabe authentique, le 
grand-père paternel du père : cela suffit à lui donner 
conscience d'être un véritable et pur Arabe. Les réalités 
des pourcentages biologiques ne pèsent pas en face de 
cette certitude mentale. 



Evénements familianx 

Tout mariage est un grand événement, précédé, dans 
tous les milieux, par de longues tractations sur la dot 
que l'épouse recevra de son mari et sur le trousseau dont 



elle sera pourvue. Pour choisir la date de la cérémonie, 
on consulte souvent un astrologue, chargé d'indiquer un 
jour faste. La noce se prépare avec soin dans la maison 
de la fiancée que parentes et amies viennent féliciter et, 
que l'on comble de cadeaux pendant la semaine qui 
précède la cérémonie. Quand le grand jour est arrivé, 
après avoir été baignée, lavée et parfumée, elle reçoit, 
trônant véritablement sur un siège d'apparat, entourée 
de son trousseau, tandis que se presse la foule féminine 
de la famille et des relations, à qui sont olTcrts gâteaux et 
confiseries ; tout cela sans qu'aucun homme soit présent, 
bien entendu. Puis arrive le moment où un cortège se 
forme devant la maison avec des musiciens et des mules 
sur lesquelles est chargé le trousseau. L'épousée, voilée, 
est alors conduite en grande pompe jusqu'à la maison 
de son fiancé, où elle est introduite dans une pièce 
occupée par les femmes de sa belle-famille ; elle s'y 
ofl're de nouveau aux félicitations et à Tadmiration des 
invitées, tandis qu'un repas de noces rassemble les hommes 
des deux familles, autour du fiancé, d'un autre côté de la 
maison. Tard, les invités s'en vont, aussi bien les femmes 
que les hommes ; le mari va chercher son épouse dans 
la zone féminine de la maison ; et il l'emmène dans une 
chambre ^. 

On attend ensuite la naissance. Quand Tévénement 
approche, dans les palais et dans les familles riches, on a 
recours à des sages-femmes, voire à des sortes de femmes 
médecins, spécialistes en gynécologfc, payées fort cher. 
La naissance n'est célébrée que dans Tintimité, annoncée 
aux seuls proches avec qui on la fctc chaleureusement 
s'il s'agit d'un garçon. Au cours d'une petite cérémonie, 
le septième jour après la venue au monde, on donne 
au fils un prénom, en l'accompagnant du surnom corres- 
pondant, gage de paternité à venir, en général ceux du 
grand-père paternel, par exemple, Mohammed surnommé 
Abou Abdallah. fK le père d'Abdallah n. Souvent, le bébé 



58 



LEVR0PE MEDIEVALE ARABE 



est confié à une nourrice, tantôt logée dans la maison, 
tantôt installée à la campagne, son engagement Tobligeant 
toujours à allaiter le nouveau-né, à le baigner réguliè- 
rement et à laver son linge 7. 

Une cérémonie rituelle s'effectue quand le garçon 
atteint sept ans : toute la famille masculine se rassemble, 
on le circoncit, il reçoit maint cadeau, un repas est offert 
aux amis. Si le père est de condition, il invite, en ce 
jour, des garçonnets de même âge que son fils, de rang 
comparable ou d'une couche sociale inférieure, et tous 
ces gamins sont circoncis aux frais du notable qui a pris 
l'initiative de la réunion ^ Pendant ce temps, à part, a lieu 
une réception féminine. 

Un autre événement familial est possible : le mari 
peut répudier sa femme ; et il ne manque jamais de le 
faire, si celle-ci est stérile. Voilà pourquoi la dot qu'il 
lui a constituée pour le mariage est importante : ce 
douaire est conservé par la femme répudiée, qui repart 
s'installer dans sa famille paternelle, et à qui Tex-époux 
assure même parfois une pension complémentaire. 

Enfin, dans chaque famille, les heures de deuil arri- 
vent, inéluctables. Pour les hommes comme pour les 
femmes, les funérailles sont toujours dénuées de pompe : 
on prie autour du corps, on le lave, on l'enveloppe dans 
un linceul ; il est transporté — entouré d'hommes seu- 
lement — dans le cimetière le plus proche du domicile, 
et on l'y ensevelit à môme la terre, sur le côte, la tête 
tournée en direction de La Mecque. Une stèle est ensuite 
posée sur l'emplacement du cadavre, avec quelques mots : 
le nom du disparu, la date de sa mort, un verset du 
Coran ^. 



IMMIGRES. MŒURS ET COUTUMES 59 



Structures et existence familiales 

La famille n'est pas constituée par une seule union. 
L'agnatisrae est complété par la possible multiplicité des 
mariages et des concubinats. Seuls, les riches ont les 
quatre épouses légales admises par la sunna, mais presque 
tous les hommes ont facilement une concubine, au moins 
une esclave. Si le mariage endogamiquc est un signe 
d'honorabilité et si l'honneur consiste mcme à empêcher 
qu'une fille de son sang devienne la femme d'un étranger, 
par contre posséder une femme originaire d'une autre 
tribu ou — ■ mieux encore — d'une nation « infidèle », 
est preuve de supériorité, qu'on ait oblige le père à 
donner cette (ille ou que Ton s'en soit empare par la 
force. Dans l'optique arabe, plus un lignage est puissant, 
plus il reçoit de femmes du dehors, moins il en donne 
à des hommes qui ne sont pas de son sang tribal. 

Donc, l'Arabe qui compte — et dans les provinces 
qui viennent d'être conquises, tout Arabe compte — 
a facilement beaucoup d'enfants de diverses femmes, 
autochtones, étrangères, libres ou esclaves. L'émir Abd 
ar-Rahman 11 de Cordoue (822-852) en a eu par exemple 
deux cents, parmi lesquels quatre-vingt-dix-sept ont vécu 
jusqu'à l'âge adulte, dont quarante-cinq garçons- 

Tout enfant de père musulman né de n'importe quelle 
union n'appartient qu'à sa famille paternelle. L'âge de 
rallaitement passé, il est élevé dans la partie de la maison 
réservée aux femmes, au harem, oi^i l'autorité n'est pas 
forcément sa mère, mais la première « épouse légitime d, 
voire la grand-mère paternelle si elle vit encore et si 
elle est veuve. Dans ce milieu, l'esprit de clan est inculqué 
à l'enfant : il n'entend parler que d'ascendance et de 
parenté masculines, et du seul côté paternel. Certes, la 
mère peut être aimée : elle l'est beaucoup le plus souvent. 



I 



60 



L'EUROPE MEDIEVALE ARABE 



IMMIGRES, MŒURS ET COUTUMES 



61 



f-^ 



et vénérée ;;. si el^n'ap^lgtient pas. par^a naissance, à la 
tribu, elle est entrée par adoption au sein de la famille 
de son épb% ou"|Daître Vi; elle aussi n'a donc plus qu'une 
vraie famille, celle du père de son mari. 

Dans cette société arabo-islamique, une différence 
fondamentale est établie entre les épouses et les concu- 
bines-mères d'une part, et d'autre part, les esclaves, les 
« infidèles ». Celles-ci sont relativement accessibles aux 
hommes ; restant dans ce groupe de second rang tant 
qu'elles n'ont pas d'enfant, elles ont place dans le domaine 
affectif, et elles jouent un rôle social, notamment les 
jours de fête *. Au contraire, les mères, épouses légitimes 
et autres femmes, sont cloîtrées, voilées, surveillées. Un 
poète le dit : 

Aux épouses de droit. 
N'est nul droit de sortie : 
Perles de pure nacre 
Se doivent en étui ^^. 

Les promenades à l'air libre sont rares, réduites aux 
jours de fêtes religieuses et à certains moments de Tannée 
solaire, où l'on sort autour du chef de famille. D'autres 
déplacements en petits groupes ont lieu aussi, très régle- 
mentés, pour aller soit au cimetière, soit au hammam, aux 
jours et heures réservés aux femmes ^K Et, toujours, en ces 
rares cas. celles-ci sont complètement voilées dans les rues. 

La demeure 

L'essentiel de la vie se déroule à l'intérieur de la 
maison. Celle-ci forme un univers fermé sur lequel règne 
en maître absolu le chef de famille, quelle que soit sa 



♦ Cf. infra, p. 135. 



condition sociale. Le grand hi5|orien de l'Espagne .musul- 
mane, Lévi-Provcnçal, en a bien décrit l'atmosphère : 
f La demeure se libère quand Le, in^ître eti^part pour ses 
occupations, souvent dès le matin, toujours toutefois après 
avoir fait le marché du jour ou l'avoir fait effectuer par 
un portefaix régulièrement utilisé pour ces achats *2. j 
Si la mère de ce maître vient à être veuve, elle est 
installée chez lui, s'il est son aîné, et elle y est l'autorité 
féminine. De toute façon, une femme de la famille, celle 
qui y a le plus de droits, est la maîtresse de maison, 
assistée ou non d esclaves, de plusieurs ou d'une servante 
libre, selon la position sociale et la fortune. L'existence 
de femmes domestiques non esclaves, engagées sur des 
bases précises, nous est connue par des contrats que l'on a 
conservés : en général, une bonne de ce genre est chargée 
de « pétrir le pain, cuisiner les repas, balayer, faire les 
lits, filer et tisser la laine ^^ » ; en retour, elle est logée, 
nourrie, habillée et elle perçoit un salaire annuel. Dans 
le milieu riche et puissant où le harem regroupe épouses, 
captives concubines, esclaves, servantes et eunuques, l'un 
de ceux-ci est le majordome réglant et dirigeant toutes 
les questions de ^ervice, 

La maison ignore les fenêtres sur rue ; elle n'a qu'une 
porte dormant sur un vestibule très sombre, d'où un 
couloir — toujours coudé — conduit au patio sur lequel 
s'ouvrent deux, trois ou quatre salles allongées, éclairées 
par leur porte baie. Dans un coin du patio se trouvent 
cuisine, toilette cl remise où se rangent les provisions et 
dont le maître garde la clé ; de la cour, un escalier conduit 
au premier étage, pourvu d'une galerie entourant le patio 
et sur laquelle donnent les chambres. Dans les riches 
demeures, est aménagée sur la terrasse, au-dessus de 
l'étage, une « chambre haute » qui est parfois même sur- 
montée d'un mirador. Chez les pauvres, une seule maison 
abrite deux ou trois familles, qui s'y disputent souvent. 
Le mobilier est sommaire : sur le sol des nattes en jonc, 



62 



L'EUROPE MEDIEVALE ARABE 



sparte ou paille, recouvertes de tapis en laine dès que 
Ton a quelque aisance. Le long des murs sont disposées 
des tentures, et partout, au pied de ces murs, des divans 
chargés de coussins en toile ou en cuir, en velours ou en 
brocart, suivant les saisons et la condition sociale. De-ci 
de-là, de vastes coffres, cadenassés en général, servent 
d'armoires. Dans chaque chambre, une ou plusieurs parties 
du sol sont surélevées, formant des plates-formes devant 
lesquelles se tire un rideau ; sur chacune de ces portions 
hautes de chambre, appelée aUgorfa, l'alcôve, est installé 
un lit bas en bois, recouvert d'un matelas et garni de 
draps, couvertures, oreillers et couvre-lit. Le soir, les 
maisons sont éclairées par des chandelles de suif ou de 
cire, voire des lampes à huile ; chez les plus fortunés, 
de nombreuses chandelles ou lampes sont supportées par 
de grands et bea^ux lustres en bronze. On se chauffe 
avec des braseros où brûle du charbon de bois. Dans 
la demeure luxueuse où est aménagé un hammam privé, 
les tuyaux dfe terrfe où coule l'eau chaude assurent un 
véritable chauffage central ^^. 

Quand le maître est absent, les femmes font la loi 
à la maison : leurs fréquentes disputes y éclatent au 
milieu des jeux désordonnés et bruyants des enfants. 
Peu de visites sont reçues, seulement celles de parentes 
ou amies et celles de quelques revendeuses, dont l'arrivée 
distraie : colifichets, étoffes, bijoux sont présentés, admi- 
rés, parfois achetés. Par ces femmes qui vont de maison 
en maison, par celles des servantes qui sortent, par les 
conversations au cimetière ou au hammam, par les 
eunuques quand il y en a, on essaie de savoir les secrets 
des autres demeures, on obtient des renseignements sur 
la mode, on découvre et on amplifie ce que peut être 
la chronique scandaleuse de la ville. vEn dehors de ces 
bavardages, l'existence monotone est faite du nettoyage 
quotidien de Ja maison et de la préparation des repas, 
alternant avec les ablutions, la toilette, les prières rituelles 



IMMIGRES, MŒURS ET COUTUMES 



63 



et aussi, parfois, quelques pratiques magiques clandestines, 
auxquelles on a recours pour éviter des maladies, jeter 
des mauvais sorts ou y échapper, augmenter les désirs 
passionnels du maître ou époux dont on dépend. 

Au retour du chef de famille, l'atmosphère de la 
demeure change : personne n'ose faire de bruit ; une 
femme ne parle à son mari qu'avec respect, surtout en 
présence des enfants ; ceux-ci n'adressent la parole à leur 
père que s'il les y autorise. Même dans les grandes 
maisons, où plusieurs serviteurs et servantes se déplacent 
sans cesse, tout est si feutré que l'on peut maintenant 
percevoir avec plaisir le murmure du jet d'eau qui, tou- 
jours, est au milieu du patio centra! d'une belle résidence... 
Et bientôt le soir arrive : « Le moment du repos, du rêve 
et du plaisir ^^ » 

En période de ramadan, c'est-à-dire pendant le mois 
lunaire de carême où les musulmans jeûnent du lever 
au coucher du soleil, la nuit est au contraire le temps où 
la maison s'anime : des repas s'y prennent, entre lesquels 
le maître sort parfois faire un tour en ville pour y 
retrouver des amis, si la saison le permet. 



Vie publique ef carrières officielles 



Dans le cadre du dar al-Islam, les puissantes unités 
familiales el tribales à racine arabe ne sont en rien 
coordonnées par des rapports du type vassalique, préféodal 
ou plus ou moins féodal, qui, progressivement, s'instaurent 
dans l'Occident chrétien de cette époque. La religion et 
le clan sont les ciments de la société, plus que tout autre 
lien d'homme à homme, sans que le système d'attribution 
de terres crée une fidélité supérieure à celle qu'engendrent 
la foi et le sang. Tout cet ensemble familial, social et 
religieux dépend de l'émir, qui dirige tel ou tel pays 
ou région d'Espagne, de Gaule ou d'Italie, au nom du 



64 



UEUROFE MEDIEVALE ARABE 



calife. Ce puissant successeur du prophète Mohammed» 
sorte de « pape et empereur » du dar al-Islam, réside 
d'abord à Damas jusqu'au milieu du viii* siècle, puis à 
Bagdad ; mais alors s'opposent à lui des compétiteurs 
régnant, l'un à Cordoue, un autre ensuite en Tunisie 
— avant de s'installer au Caire — ; au xf siècle, un 
pouvoir indépendant à visées impériales naît aussi au 
Maroc, Où que siège le gouvernement central, en Asie, 
en Afrique, en Europe même, i] est assure par un corps 
de lettrés, les « secrétaires », qui constiUicnî J'adminis- 
traiion des « ministères », tout comme celle des provinces, 
dont nous avons dit la naissance * ; à la cour, un cham- 
bellan, le hadjib, chef de la maison du souverain, dirige 
tout ce monde, tandis qu'à la tête de tel ou tel service 
ou de plusieurs d'entre eux est parfois place un conseiller 
et lieutenant du prince : le vizir. Les scribes de la chan- 
cellerie chargée de la rédaction des actes et les « teneurs 
jurés des livres de comptes » sont les phis importants 
des secrétaires. Certes, un service, celui de la poste, 
échappe à cette administration, car il est directement 
entre les mains du souverain, du hadjib, ou d'un vizir, 
assuré par des esclaves de confiance, souvent des Noirs 
soudanais, excellents coureurs à pied ; la garde personnelle 
du souverain, elle aussi, est d'ordinaire formée par des 
m.ercenaircs, groupés en compagnies : Berbères, Noirs, 
chrétiens, parfois esclaves- Mais en dehors de ces deux 
secteurs importants, tout « Fappareil officiel » est arabe 
ou formé d'éléments bien intégrés dans le milieu arabe. 
Des possibilités de belle carrière s'offrent ainsi aux 
hommes qui se lancent dans la course aux honneurs et 
à la puissance, surtout s'ils peuvent s'appuyer sur un 
clan tribal ou s'ils font partie de la « clientèle d d'un 
personnage bien placé. Les plus habilcs,,deviennent gouver- 
neurs de province, voire vizirs ; mieux encore, ils arrivent 



* Cf, supra, pp. 38-39. 



IMMIGRES, MŒURS ET COUTUMES 



65 



au poste suprême, celui de hadjib. lis sonl^ très rkhcs : 
au x^ siècle, dans le califat de Cordoue, les plus grands 
« employés de l'Etat » disposent, en sus des biens $Qnciers 
qu'ils possèdent, d'un traitement mensuel atteignant quelque 
trois cent cinquante dinars, ce qui représente un poids 
de mille ciîiu ccnis grammes d'or environ ^^ 

Les ambiUeuA savent s'ouvrir les portes de l'avenir ; 
celui d'entre eux qui réussit le mieux dans les parties 
de ri^urope dominées par les Arabes, est sans nul doute 
le grand Ibn Abi Aiuir al-Mansour : cet Andalou de la 
seconde moitié du x' siècle, issu d'un authentique lignage 
arabe yéménite, affirme sa volonté dès qu'il est étudiant 
à Cordoue ; tandis que « ses camarades ne pensent qu'aux 
frasques et aux plaisirs )), il édifie, aux dires de Lévi- 
Provençai, « des plans dignes de Machiavel », car il veut 
devenir maître du califat ^^. Effectivement, il entre au 
palais comme secrétaire de l'administration centrale, devient 
ensuite successivement auxiliaire du grand cadi — le chef 
des services judiciaires — , intendant des biens du prince 
héritier, directeur de la frappe de la monnaie, « préfet » 
de Cordoue, enfin chambellan, c'est-à-dire hadjib ; véri- 
table « maire du palais », il épouse une fille du roi de 
Navarre Sanche Abarca, est le maître autocrate de toute 
l'Espagne musulmane, lance ses armées jusqu'à Saint- 
Jacques-de-Compostelle et Barcelone, est sur le point de 
rayer de la carte les Etats chrétiens du nord de la péninsule 
Ibérique. Sa réussite est fruit, certes, de sa valeur, mais 
elle a une autre cause qui nous replonge dans la réalité 
humaine du temps : ses qualités secrètes d'amant d'une 
belle et équivoque esclave, épouse favorite du calife al- 
llakam, mère du calife llischam, les deux princes sous 
lesquels al-Mansour a réalisé son ascension prodigieuse *^. 

Le luxe et des tourbillons de fêtes enveloppent ce 
milieu officiel. Us servent à éblouir les ambassadeurs 
étrangers et à leur prouver la richesse et la force dont 
jouit l'Etat islamique. Les représentants des souverains 



66 



tf EUROPE MEDIEVALE ARABE 



chrétiens du nord de la péninsule Ibérique, ces princes 
eux-mêmes, quand ils se rendent personnellement à Cor- 
doue, sont très sensibles à cet éclat. La magie de l'Orient 
s'est ainsi introduite en Occident : une politique de pres- 
tige est menée. 



La justice et la charité 

Pourtant, la réalité profonde dii dar al-Islam est 
autre : la voie indiquée par le Coran, celle que doivent 
suivre les hommes. Le vrai centre de chaque ville est la 
mosquée ; et le pouvoir n'a pas de tâche plus sainte — en 
dehors de la propagation de la foi — que de faire régner 
la justice dans le respect de la parole de Dieu. 

Les a docteurs en Coran » et en sunna constituent 
ie milieu où califes, émirs, gouverneurs recrutent les juges 
auxquels ils délèguent le pouvoir dans le domaine judi- 
ciaire : les^^adis. <^eux-ci siègent souvent dans un coin 
de Ôiosquéc ou à proximité, très simplement accroupis 
sur une natte, les ^mbes croisées. Lors d'une audience 
où s^nstruit une affaire, ils se font toujours assister de 
« témoins instrumentaires », à savoir de savants musul- 
mans, qui contrôlent si le procès se déroule suivant les 
normes sunnites et si la sentence n'est rendue qu'après 
l'écoute attentive des deux parties en présence. Dans 
l'ensemble, les cadis semblent avoir toujours été équitables 
et honnêtes, très appréciés par la population : hommes 
pieux, respectables, savants, parfois éloquents, souvent 
ascètes, percevant une maigre allocation, mais assez com- 
munément pourvus de biens familiaux leur évitant les 
préoccupations matérielles, ils constituent une des caté- 
gories les plus représentatives de la^-société musulmane. 

Si un conflit oppose un musulman et un « infidèle », 
le cadi est le seul juge, mais il peut convoquer et écouter 
ceux qui auraient jugé suivant une autre loi, celle qui 



IMMIGRES, MŒURS ET COUTUMES 67 



eût été appliquée si aucun des adversaires n'avait été 
mahométan. 

Dans ce monde musulman où la religion, les études 
et la science religieuses sont l'essentiel de la vie privée 
et publique, les besoins de la « communauté des croyants » 
sont le souci des âmes pieuses. On lègue donc souvent 
des propriétés à cette communauté, en affectant leurs 
revenus à telle ou telle œuvre, d'une manière perpétuelle. 
Ces biens inaliénables de mainmorte, les habous sont 
considérables. Leur gestion est confiée au cadi du lieu où 
ils se trouvent. Un autre aspect des préoccupations reli- 
gieuses concerne le commerce : l'Islam prescrit qu'on y 
observe des règles d'honnêteté, suivant la lettre et l'esprit 
du Coran et de la sunna. Aussi existe-t-il, dans chaque 
ville, une sorte de « préfet du marché », chargé de 
contrôler et d'inspecter poids et mesures, qualité et valeur 
des marchandises, tandis que l'ordre est assuré par un 
corps de police urbaine*. 

La gamme des sanctions et châtiments est variée. Les 
boutiquiers coupables de fraudes sont exhibés à travers 
les rues, « montés à rebours sur un âne, coiffés d'un . 
bonnet formé de morceaux d'étoffes de couleurs diverses 
et surmonté d'un grelot ^^ ». A l'issue des procès civils, 
les versements financiers et les incarcérations sont châti- 
ments courants, tandis que la peine de mutilation prévue 
pour les voleurs par le droit coranique semble rarement 
appliquée : c'est l'amputation de la main droite. Par 
contre, les crimes, les injures à l'Islam, les apostasies sont 
condamnés sans pitié. Le délinquant est parfois étranglé 
ou égorgé après avoir été promené dans la ville, exposé 
à tous les sévices de la foule, monté lui aussi sur un âne 
dans le sens contraire de la marche. Mais, le plus sou- 
vent, la mort est donnée par décapitation ; et toujours 
le corps du supplicié est crucifié sur une potence en forme 



* Cf. infra, pp. 248-249. 



68 



L'EUROPE MEDIEVALE ARABE 



de T, puis reste longtemps exposé au public aux portes 
de la ville. L'apostat, lui, est parfois brûlé vif ^^. 

Si la loi est implacable pour châtier l'impie, en revan- 
che, la religion inculque l'esprit de charité. Ainsi l'Etat 
et les particuliers construisent-ils hospices, mosquées et 
cimetières. Les chroniques nous apprennent, par exemple, 
que l'émir de Cordoue al-Hakam (796-822), contemporain 
de Charlemagne, était un homme très pieux, incitant ses 
épouses à s'occuper de bonnes œuvres : Tune d'elles fait 
bâtir à ses frais une mosquée et consacre à l'entretien 
d'une léproserie les revenus d'un grand verger qu'elle 
constitue en habous ; une autre fait également édifier une 
mosquée et aménager l'emplacement d'un cimetière 20. 

Près de deux siècles plus tard, le calife al-Hakam 
(961-976) — le prince qu'une belle Basquaise, travestie 
en éphèbe, réussit à rendre père * — est non moins pieux 
et charitable que ses prédécesseurs : Jl fait beaucoup de 
bien autour de lui et crée des fondations pour l'enseigne- 
ment des enfants pauvres 21. 



Le pèlerinage 



Par-delà cette charité, et pour conserver l'esprit qui 
la suscite, les plus fervents croyants en Allah ont, sur le 
plan religieux, une aspiration terrestre suprême : le pèle- 
rinage à La Mecque. Ce devoir est inéluctable pour ceux 
à qui la santé et l'argent permettent son accomplissement. 
Mais il n'est pas seulement un acte de foi musulmane ; il 
est aussi un retour aux sources profondes de l'arabisme ; 
il contribue à enraciner le fidèle dans ses convictions 
d'ordre socio-ethnique. La volonté de chaque individu s'y 
afîirme et s'en exalte : l'Etat n'orgai^ise en rien le pèle- 
rinage ; chacun effectue le voyage comme il le peut. Si 



* Cf, infra, pp, 134-135. 



IMMIGRES, MŒURS ET COUTUMES ' 69 



les riches Je font géuéralemçril, jusqu'à Alexandrie ou 
eu Syrie, en traversant la Méditerranée dans le sens de 
sa longueur, les pauvres franchissent au contraire la mer 
au plus court, du nord au sud ; et, à partir du Maroc ou 
de la Tunisie, ils continuent par un long et dillicile che- 
minement sur la terre africaine. Mais quelle fierté à l'arrivée 
et au retour ! L'âme et la conscience arabo-musulmanes 
de chaque pèlerin sont solidement trempées par ce voyage 
aux Lieux saints. La chrétienté d'Occident le comprend si 
bien, surtout dans la péninsule Ibérique où le contact avec 
ITslam est le plus intime et le plus long, qu'elle organise 
le pèlerinage à Saint-Jacques-de-Compostelle pour retrem- 
per, elle aussi, à une source de Vie les âmes de ses fils. 
Voilà qui nous rappelle que Flslam n'a pas agi sur l'Eu- 
rope seulement par un impact direct : il a suscité des 
réactions auxquelles certains de ses aspects ont servi de 
modèle ^3. 



CHAPITRE IV 

LA SURVIVANCE ET LES DEVIATIONS 
DU CHRISTIANISME DES AUTOCHTONES 



Le respect deé' religions monothéistes est une des 
caractéristiques de ïà foi musulmane. ^ L'Etat arabo-isla- 
mique n'y manque pas. Bien que ce respect soit facile- 
ment teinté d'un certain dédain, il influe sur l'attitude des 
autorités envers les chrétiens protégés, surtout envers les 
prêtres, parfois même dans les heures belliqueuses et meur- 
trières de la conquête. En 878, par exemple, en prenant 
d'assaut Syracuse, si les Arabes massacrent, dans l'ardeur 
du combat, tous les malheureux réfugiés dans une église, 
par contre lorsqu'ils arrivent à la cathédrale, ils ne tuent 
ni l'évêque ni aucun des prêtres qui l'entourent : ils les 
arrêtent, après s'être fait remettre par eux le trésor du 
sanctuaire. Certes, le prélat est emmené à Palerme sans 
plus de ménagements que les autres prisonniers, mais 
quand il est conduit en présence de l'émir, celui-ci le 
reçoit avec des égards : les deux hommes ont une discus- 
sion brève et courtoise, le mahométan parlant « sans 
orgueil ni intolérance x>, tandis que Févêque, tout en 
restant circonspect, peut s'exprimer librement « avec 
dignité ». 

Une fois une région conquise, l'Eglise chrétienne y 



U: CHRISTIANISME AUTOCHTONE 



71 



conserve droit de cite, magistère spirituel sur ses ouailles, 
possibilité de conserver des biens, d^en acquérir et de 
recevoir des donations. Les musulmans s'interdisent d'in- 
tervenir dans sa vie interné en matière de dogme, de 
culte ou de discipline ecclésiastique. Tous les fidèles, clercs 
et laïques, s'ils ne sont pas esclaves, ont liberté entière 
de circulation, tant h l'intérieur du monde musulman que 
pour aller en pays « infidèle ». De fait, certains se rendent 
en pèlerinage à Jérusalem, Bethléem et Nazareth, et res- 
tent en contact avec l'Eglise de Textéricur, notamment 
avec Rome. Au ir siècle, un riche et pieux indigène 
d'Andalousie, devenu moine et, plus tard, porté sur les 
autels par l'Eglise romaine, saint Euloge, effectue par 
deux fois le voyage de Cordoue à Pampelune, dont il 
visite longuement l'évêque, éminente personnalité de la 
Navarre, qui commence à prendre de l'importance au 
sein de la chrétienté d'Occident. Au x'' siècle, l'évêque 
Recemundo d'Elvira -~ ville proche de m future Gre- 
nade — va prier en Palestine ; c'est ce que fait aussi, en 
1087, un évêque de Valence, qui meurt durant son séjour 
à Jérusalem. La liaison avec le Saint-Siège est illustrée 
par une histoire bien caractéristique du temps : vers l'an 
mille, un évêque mozarabe de Malaga est jeté en prison ; 
les autorités musulmanes observant le mutisme le plus 
complet sur son sort, au bout de cinq ans son clergé 
estime qu'il est mort et le remplace donc par un autre 
prélat ; mais, quelques mois après cc^te intronisation d'un 
nouvel évêque, l'ancien est brusquement libéré et, un 
beau matin, surgit dans sa cathédrale. Son successeur ne 
veut pas abandonner la mitre. Les deux évcqucs entrent 
en conflit, chacun d'eux estimant ses droits supérieurs 
à ceux de l'autre. Le prélat évincé part pour Rome, sou- 
met l'affaire au pape. Celui-ci lui donne raison, ordonne 
que son évêché lui soit restitué et décide que l'autre 
prélat sera placé à la tête du premier diocèse qui sera 
vacant dans îa reeion -. 



72 



U EUROPE MEDIEVALE ARABE 



Les sanctuaires et l'exercice du culte : 
le rayonnement chrétien 

Si lors de la conquête arabe, certaines églises ont été 
^ transformées en mosquées, il n'en est pas moins certain 
\que les musulmans en laissent à la disposition des chré- 
tiens ; plusieurs informations chiffrées plus ou moins exac- 
tement sont concordantes : au \uf siècle, quelque dix 
églises sont ouvertes au culte à Séville ; aux ix\ x' et xf siè- 
cles il y en a plusieurs « fort belles », à Elvira, Tex-Iliberis 
romaine, à environ deux kilomètres de la future Grenade ; 
tant au ix' qu'au x' siècle, plusieurs sont très fréquentées 
à Cordoue et dans les environs immédiats de cette capi- 
tale islamique ; au xi* siècle, elles sont nombreuses à 
ïudela, Huesca, Saragosse, comme au xif encore à 
Séville ; quand Alphonse VI de Castille reconquiert Tolède 
en 1085, il y trouve six, ou même neuf, paroisses urbaines 
organisées ^. 

Toutefois, les années passant, un grignotage s'clTectue : 
à Cordoue, Tempiètemcnt est rapide : dès 743, quand les 
chrétiens de cette ville sont parqués dans les faubourgs, 
rémir-gouverneur d'al-AndaJus leur enlève toutes les 
églises du centre urbain, sauf une moitié de la cathédrale : 
une quarantaine d'années après, un souverain de TEspagne 
musulmane supprime même cette moitié, pour transformer 
l'ensemble de l'édifice en grande mosquée ; mais il leur 
verse, comme indemnité, la somme considérable de cent 
mille dinars or, soit près de cinq cents kilos de métal 
jaune (disons pour fixer les idées — en faisant des réser- 
ves sur les variations du pouvoir d'achat — le poids de 
plus d'un million de francs or d'avant la guerre de 1914)^. 
Plus tard, dans cette même péninsule Ibérique, les procédés 
changent : vers l'an 1100, les Almoravides détruisent les 
églises d'Elvira-Iliberis : et, un siècle phis tard, im calife 



LE CHRISTIANISME AUTOCHTONE "^ 73 

nlmohatîe se largue çlc faire disparaître toutes les %Hses 
de ses Etats ~ ce qu'il ne fait pas, d'ailleurs. Du moins 
cela nous fait-il comprendre que les modalités d'exercice 
du culte ont connu ihs alternances. 

Le principe de sa liberté est maintenu ; il a toujours 
été possible aux chréliens de le célébrer à leur guise, 
aussi bien dans leurs demeures que dans les églises qui 
leur sont laissées, quand il y en a, ce qui est le cas habi- 
tuel. Au lendemain même de la conquête, tout se passe 
très correctement : aucun prêtre n'est exilé par le pouvoir 
musulman ; tous les clercs chrétiens peuvent continuer à 
vivre dans le dar ai-Islam ; aucune restriction n'est appor- 
tée alors à la publicité du culte ; par dérogation aux règles 
sunnites, les autorités laissent sonner les cloches, prier à 
haute voix, tant dans les églises qu'à l'air libre dans les 
processions où la croix est portée, dressée et bien visible, 
et les cierges allumés. Mais assez vite, d\abord ici, puis 
ailleurs, enfiii partout, la légalité islamique s'impose et 
fixe des limites strictes, que nous exposerons en étudiant 
ics rapports entre chrétiens et musulmans *. Mais dans 
le cadre de cette réglementation, Tauloritc musiilmanc ne 
violente jamais l'exercice de la religion chrétienne et laisse 
célébrer messes et offices, au moins d'une manière dis- 
crète, sauf bien entendu en temps de rébellion mozarabe 
ou de troubles ~\ 

Ce culte chrétien qui subsiste dans les régions d'Eu- 
rope conquises par les Arabes se maintient au cours des 
siècles, tel qu1l était à la veille de Tarrivée des musul- 
mans. Dans la péninsule Ibérique, comme en Languedoc 6, 
il suit la liturgie wisigothique, bientôt appelée mozarabe 
en Espagne où l'Islam dure. C'est le vieux rite, apporté 
d'Orient en Espagne, comme en Gaule et en Afrique, par 
les évangélisateurs de l'Occident, nuns il n>' avait pas 
évolué de la même manière qu'ailleurs et y était devenu 



Cf. infra. pp. 166-167 



74 



L'EUROPE MEDIEVALE ARABE 



une liturgie assez particulière, celle qu'on avait parfois 
appelée avant le viif siècle « le rite isidorien » : sa magni- 
ficence verbale est incomparable ; les « préfaces » sont 
nombreuses ; en célébrant la messe, les prêtres divisent 
a le pain eucharistique », non pas en trois parties égales 
comme dans le rite romain, mais en sept ou neuf, comme 
cela se faisait aussi dans l'Eglise de Berbérie. Deux papes. 
>ean X en 924, Alexandre II en 1064, envoient dans 
aUAndalus des enquêteurs qui reconnaissent la parfaite 
orthodoxie et la légitimité chrétiennes du rite qui y est 
observé. D'ailleurs, après la Reconquista, par privilège 
pontifical, cette liturgie a été perpétuée à Tolède, en témoi- 
gnage de fidélité au passé. A l'occasion de certaines fêtes, 
on l'y pratique toujours avec pompe. Dans l'ensemble, cette 
liturgie en usage sous la domination arabe n'a cessé d'être 
brillante, accompagnée d'hymnes spéciales pour toutes les 
circonstances importantes : mariages, funérailles, prières 
pour les malades, sacres des évêqifes, etc. Un écrivain arabe 
a raconté, avec émerveillement, une cérémonie à laquelle 
il assista une nuit, à Cordoue, vers l'an mille ; sans doute 
était-ce une messe de minuit, pour Noël : des rameaux de 
myrte jonchent le sol de l'église, les prêtres portent 
d' a admirables vêtements », « des enfants graves et 
recueillis » assistent celui qui dit la messe, les fidèles réci- 
tent avec ferveur des prières et chantent des psaumes, des 
cierges illuminent l'autel et d'autres points de l'édifice, 
souvent des cloches sonnent, bref a la pompe qui se déploie 
est à la fois pieuse et joyeuse ^ ». Cette sorte de bonheur 
intérieur, qui paraît régner chez les chrétiens, est la tona- 
lité qui impressionne le plus les musulmans, tant que se 
déroule ainsi, durant des siècles, une sorte de dialogue 
entre la mosquée et l'église, dans tant de villes, depuis 
la Sicile jusqy'au Portugal actuel. 



Le dimanche est jour chômé pour les chrétiens. 
L'Islam le tolère ; et une certaine atmosphère catholique 



LE CHRLSmANISME AUTOCjJTONE 



75 



enveloppe ainsi le monde nmsuhiian, à certaines époques 
au moins. Aux alentours de l'an mille par exemple, le 
célèbre hadjib Ibn Abi Amir al-Mansour, « le maire du 
palais » du califat de Cordoue, fait respecter le dimanche 
comme jour de fête dans son armée, même par les musul- 
mans, parce que les chrétiens y sont nombreux. Certaines 
dates marquent des festivités religieuses beaucoup plus 
prenantes- et rayonnantes encore. La Nativité du Christ 
est toujours commémorée avec éclat, non seulement le 
25 décembre, mais durant huit jours jusqu'au V janvier, 
a clou » de cette semaine de joie, journée de liesse chô- 
mée, où les chrétiens se remettent les uns les autres de 
nombreux cadeaux, notamment des mets, surtout des confi- 
series. L'autre très grande fête chrétienne de l'année est 
celle de la Saint-Jean, le 24 juin. Un poète arabe de la 
fin du viir siècle a chanté la magnificence de sa célé- 
bration : V 

■' ': J'ai vu la fête de saint Jean 
Réjouir V heure du matin : 
Là'haut, des nuages légers 
Versaient, de-ci de-là, vers nous. 
De longues gouttes de rosée. 
Toute la terre se vêtait 
De fleurs, de sucs et de parfums. 
Et elle se trouvait drapée 
D'un brillant tapis de soie verte ^ ! 

L'éclat de ces fêtes est tel que les musulmans en pro- 
fitent. Les maisons chrétiennes, parées de tentures et de 
décorations diverses sur les façades, sont si belles à voir 
que les raahométans les plus curieux vont les admirer en 
badauds. Les chrétiens aiment d'ailleurs à remettre des 
présents à leurs amis musulmans en ces jours de fête ; 
ils les invitent même facilement à un repas ou à une 
collation. Une fraternité si grande marque ces jours, qu'un 
écrivain arabe des environs de l'an 900 remarque : « A 



76 



UEUROPE MEDIEVALE ARABE 



cette occasion, les hommes se font tellement de cadeaux, 
que le pauvre contemple le riche sans envie. » Seuls les 
mahométans les plus stricts respectent les règles de leur 
religion, qui leur interdisent d'accepter des présents ou 
des invitations d' « infidèles » ^. 

D'autre part, dans bien des régions, des fêtes locales 
ancrées dans les traditions, sont aussi occasion de pieuses 
cérémonies doublées de réjouissances populaires. Un traité 
sur la vie des champs, écrit au x' siècle par Tévêque Rcce- 
mundo, connu sous le titre : Le calendrier de Cordoue, 
nous apprend comment à Guadix, chaque année, durant 
sept jours continus, à la fin avril et au début de mai, se 
commémorait l'arrivée en Espagne, au f"" siècle de notre 
ère, des sept Apôtres que saint Pierre et saint Paul avaient 
chargés d'évangéliser la péninsule Ibérique : selon la tra- 
dition. Guadix est le plus ancien évêché espagnol. 

Cette présence continue du christianisme et la célé- 
bration de son culte auraient-ils incité certains musulmans 
à se convertir à la religion des « Romains »? Le fait est 
que, malgré la sagesse de l'Eglise et ses craintes, les clercs 
chrétiens les plus sincères ne peuvent éviter d'esquisser un 
apostolat ; il est dangereux, discret, mais conforme à 
l'esprit évangélique. Il se double de charité, autre forme, 
indirecte, de propagation de la foi : la présence d'esclaves 
chrétiens dans les villes d'Islam suscite des initiatives fra- 
ternelles de leurs coreligionnaires. Certaines familles moza- 
rabes ont à cœur de s'occuper d'eux : c'est ce que fait, par 
exemple, une riche famille de Valence au début du 
xiii" siècle, dans les décennies qui précèdent la Recon- 
quista de cette ville ; ses membres visitent régulièrement 
les chrétiens captifs et reçoivent les rédempteurs qui vien- 
nent des pays de l'Occident chrétien, tçl le Montpelliérain 
saint Pierre Nolasque, le fondateur de 'la congrégation de 
Notre-Dame-de-la-Mcrci, ordre consacré au rachat des 
esclaves chrétiens en terre d'Islam. Un enfant de cette 
famille mozarabe valencienne, né en 1227, grandit dans 



LE CHRISTIANISME AVIOCHTONE 



11 



cette atmosphère, célèbre avec les siens la libération de 
sa ville — il a alors onze ans. Devenu prêtre, il continue 
de regarder vers les terres d'Espagne qui restent portion 
du dar al-Islam. Sexagénaire, il est nommé cvêque in 
partibus de Grenade, fait quelques séjours clandestins 
dans cette ville, pour entretenir la foi des chrétiens, celle 
des esclaves, car il n'y a plus de Mozarabes : il y opère 
même, dit-on. des conversions secrètes de musulmans ; 
du moins l'en accuse-t-on ; les autorités grenadines le 
découvrent : il est arrêté, condamné à mort, égorgé le 
6 janvier 1300. Plus tard canonisé, il est devenu saint 
Père (Pierre) Pascual ^'\ 

La vie chrétienne dans le dar al-Islam est donc tissée 
d'ombres et de lumières. Ni la tolérance islamique, qui 
s'arrête quand se manifeste un prosélytisme « polythéiste ï), 
ni la dilatation de l'âme confiante dans le Christ rédemp- 
teur, ne réussissent à étouffer les causes de douleur qui 
subsistent ; aussi, dans son bréviaire, le prêtre mozarabe 
relit-il quotidiennement à voix basse la même supplique : 
« Seigneur, aie pitié de nous ! La vie nous est amère. 
Détruis le joug dont nous opprime le peuple infidèle ! 
Délivre-nous du joug de la captivité ^M » 



Evêques et conciles 

Au Vîii' siècle, au moment de la conquête arabe, 
existe une province ecclésiastique « métropolitaine » — 
disons : un archidiocèsc — de Nàrbonnc qui englobe 
notamment les cvêchés d'Elne (près de Perpignan), 
Carcassonne, Bézicrs et Maguelonne — près du site où 
s'éleva plus tard Montpellier. Au même moment, le métro- 
politain de Tarragonc a parmi ses suffraganls les évêques 
d'Ampurias, Urgel, Gérone, Ausona-Vich, Barcelone, Tar- 
rasa, Huesca. Saragosse, Tarazona, Calahorra. Pampe- 
lune (alors appelée Irunia) etc. L'archidiocèse de Tolède, 
dont le titulaire est primat de toutes les terres ibériques 



78 



UEUROPE MEDIEVALE ARABE 



et languedociennes, est très vaste, poussant vers le nord- 
ouest avec les évêchés de Palencia et d'Osma, vers le 
nord-est et l'est avec ceux d'Alcala de Hénarès et de 
Valence et vers le sud-est avec ceux de Jativa, Dénia, 
Elche, Orihuela et Lorca. La province ecclésiastique de 
Mérida est occidentale avec, notamment, les évêchés de 
Coïmbre, Salamanque et Braga. Quant à l'archevêché de 
Séville, il est riche de nombreux diocèses, dont ceux de 
Médina-Sîdonia, Niebla, Malaga, Elvira-Iliberis, Baeza, 
Ecija, Cordoue, celui-ci tendant à jouer un rôle impor- 
tant, quand la ^capitale de l'Espagne musulmane s'établit 
dans cette cité/Enfin, en Sicile, seize diocèses étaient orga- 
nisés à la veille de l'arrivée des Arabes. Par conséquent, 
plusieurs dizaines de prélats d'Europe ont été amenés à 
composer avec les conquérants mahométans, car rares 
furent ceux qui s'enfuirent comme le métropolitain de 
Tolède, Sindered, stigmatisé pour être arrivé à Rome 
comme s'il était « un prébendier et non un pasteur ». 
Cette histoire est pleine de vicissitudes qu'il serait hors 
de propos de retracer dans ce livre. Cependant certains 
traits majeurs ou significatifs peuvent être retenus. D'une 
part, dans chaque diocèse subsistent des chapitres de cha- 
noines, un archidiacre — tel Saturnin à Cordoue vers 890 
— un ou plusieurs archiprêtres, comme Cyprien, également 
à Cordoue, vers 890 ; chaque paroisse conserve à sa tête 
un recteur ou curé. D'autre part, les prélats restent norma- 
lement « élus » par les fidèles, suivant les règles canoni- 
ques, c'est-à-dire qu'ils sont choisis par des représentants 
qualifiés du « peuple » chrétien, à savoir le chapitre de 
la cathédrale, éventuellement associé à quelques évêques 
de diocèses voisins ; ils sont ensuite acclamés par l'ensemble 
des fidèles. Mais, de surcroît, ils doivent être confirmés 
par le pouvoir musulman, et il arrive Hjue celui-ci dicte 
à l'avance son fchoix. impose véritablement un évêque. 
Bien entendu, pour les métropolitains, le processus est 
comparable : un chef de province ecclésiastique est élu 



LE CHRISTIANISME AUTOCHTONE' 



79 



par ses évêques suffragants, et l'intervention de l'auto- 
rité musulmane risque d'être encore plus pressante à ce 
niveau ^^. 

A vrai dire, on ne suit pas très bien ce qui s'est passé. 
Quelques cas seulement nous éclairent. Au lendemain 
même de l'arrivée des Arabes en Espagne, le prince Oppas, 
frère de Wittiza, qui était métropolitain de Séville et favo- 
rable aux nouveaux venus, contre le roi Rodéric, est trans- 
féré par le conquérant Mousa ibn Noçayr à la tête de 
l'archidiocèse de Tolède : il devient ainsi primat de la 
péninsule et de la Narbonnaise. Au ix* siècle, par contre, 
c'est par fronde contre le pouvoir musulman que les évê- 
ques de cette province tolédane élisent comme métropo- 
litain, en 858, le pieux moine de Cordoue saint Euloge ; les 
autorités n'approuvant pas cette désignation, le siège reste 
vacant jiisqu'à la mort du saint en 859 ^^ Une autre 
affaire est très significative : en 955, le souverain cordouan 
Abd ar-Rahman III décide d'envoyer en ambassade, 
auprès d'Otton P'' le Germanique, un clerc mozarabe très 
savant et dévoué ; celui-ci, le fameux Recemundo, déclare 
qu'il n'acceptera de remplir cette mission que s'il est 
revêtu auparavant de la dignité épiscopale qui le fera 
particulièrement bien considérer. Aussitôt demandé, aussi- 
tôt obtenu : Tévêché d'Elvira-Iliberis est vacant ; l'émir 
impose Reccmundo, qui devient prélat per saltum. 

On entrevoit que, dans la plupart des cas, s'opèrent 
des négociations entre des représentants de l'Eglise et les 
autorités arabo-islamiques, quand un siège épiscopal est 
vacant. Parfois, une donnée financière se glisse dans ces 
tractations : a II arrive que des prêtres indignes et flatteurs 
achètent la mitre à un émir », nous dit-on. De fait, un tel 
cas de simonie est connu : vers 850, l'émir de Cordoue 
refusant de confirmer comme évêque de cette ville le clerc 
Saul, qui venait d'être élu par le chapitre, ce nouveau 
prélat s'abouche avec des eunuques ayant la confiance du 
souverain et leur promet quatre cents dinars (même pas 



80 



L'EUROPE MEDIEVALE ARABE 



deux kilos d'or) s'ils décident l'émir à ratifier sa nomi- 
nation : et i! prélève cette somme sur des fonds destinés 
à faire vivre les prêtres de son diocèse ; quand l'affaire 
s'ébruite, le prélat est accusé d'être simoniaque et il ne 
peut guère se défendre car il a eu l'imprudence de consi- 
gneF--par écrit son pacte avec les eunuques. En tout cas, 
il est nommé par l'émir et se maintient sans trop s'émou- 
voir de l'affaire ; à tort ou à raison, des chrétiens, voire 
d'autres évêques, Faccusent alors d'être un mauvais pré- 
lat : il aurait ordonné des prêtres n'ayant ni culture 
ni morale suffisantes pour l'être ; il aurait relevé des 
clercs indignes appartenant à d'autres diocèses, de Fana- 
thème lancé contre eux par leurs évêques ; il lui serait 
même arrivé de nommer deux recteurs à la tête d'une 
seule paroisse. Parfois, les autorités arabo-islamiques pren- 
nent sur elles de mettre fin aux fonctions d'un prélat : 
cela arrive, vers Fan mille, à Févêque Julien de Malaga 
qui est arrêté et gardé au secret pendant six ans sans 
aucune explication i^. 

Dans al-Andalus subsistent durant des siècles, trois 
sièges métropolitains : Tolède, Séville et Mérida — celui 
de Tarragone ayant disparu du fait de la destruction 
quasi complète de cette ville lors de sa prise par les 
Arabes en 718, les évêchés de la Tarragonaise se ratta- 
chent alors spontanément à Farchidiocèse de Narbonnc. 

Les titulaires du siège primatial de Tolède perdent 
toute autorité sur la Narbonnaise dès que cette région 
est reconquise par les Francs, mais ils la maintiennent 
sur les chrétiens de l'Espagne musulmane. Après le prince- 
archevêque Oppas, le frère de Wittiza, régnent tour à 
tour un pieux prélat nommé Cixila (de 744 à 753 au 
moins), puis de 782 à 808, l'hérésiarque Elipando, celui 
qui a imaginé de dire le Christ a Fils adeptif du Père » ; 
cette formule ravageant aussi la zone catalane reconquise 
par les Carolingiens est condamnée par les évêques francs, 
puis par Rome à la requête de Charlemagne. Vers 828- 



LE CHRISTIANISME AUTOCHTONE 



81 



858, au contraire, le prélat tolédan est parfaitement ortho- 
doxe, « saint, savant et ferme » : le métropolitain Wistre- 
mir, en parfaite communion avec la papauté. Dans la 
seconde moitié du ix' siècle et la première du x' s'entre- 
voient deux de ses successeurs au moins : un archevêque 
Benedictus (859-892) et un prélat Johannès, à moins que 
deux évêques n'aient porté ce même nom (entre 892 et 
956) ; un métropolitain est encore en poste ^i la veille de 
la Reconquista (1085). 

L'archevêché de Séville n'a pas été moins tenace, 
marqué par divers métropolitains énergiques : Théodule 
vers 790, Récafred vers 850, Julien en 937, Salvador vers 
990, et un prélat qui s'enfuit en 1147, lors de l'arrivée 
des Almohades. La province religieuse de Mérida, elle, 
eut au moins un grand et pieux pasteur : le métropo- 
litain Ariulphc, vers 840, tandis que l'Eglise latine de 
Sicile, paraît avoir vite décliné : en 1072, lorsque les Nor- 
mands enlèvent Païenne aux Arabes, ils y trouvent un 
archevêque, Nicomcdc, seul prélat de toute Fjle ; quinze 
diocèses y auraient donc disparu en moins de trois siè- 
cles 15. Les évêchés des Baléares — celui de Majorque 
et celui de Minorque — cessent aussi de fonctionner dès 
avant 1050, bien que l'incorporation des îles au dar al- 
Islam ne remonte qu'au début du x** siècle '^ Par contre, 
sur le sol même de la péninsule Ibérique, d'autres sièges 
que ceux des provinces métropolitaines se maintiennent : 
à Malaga, vers 850, avec j'évcquc Hostcgésis ; à Elvira- 
Iliberis, vers 850-860, avec Févêque Samuel, parent d'Hos- 
tégésis de Malaga, et vers 955-960, avec le diplomate et 
écrivain Reccmundo, dont nous avons déjà parlé et que 
nous retrouverons souvent dans ce livre. Vers Fan mille, 
le diocèse de Carthagène, vers 1085, celui de Valence, 
vers 1145, ceux de Niébla et de Médina-Sidonia ont des 
titulaires. D'autre part, nous connaissons le nom de pré- 
lats andalous dont nous ignorons les sièges : Johannès 
Hispalensis vers 850, un Abd al-Malilc vers 1050 et un 



82 



L'EUROPE MEDIEVALE: ARABE 



Miguel vers 1125. Enfin, une série épiscopale cordouane 
est assez bien établie, jalonnée par les prélats nommés 
Récafred (avant 850), Saul (vers 850-862), Valens (après 
862), un ou deux Johannès (vers 957-968). 

Dans ce domaine, comme dans bien d'autres, les 
périodes d'affaiblissement du monde musulman sont mar- 
quées par des modifications dans la vie de l'Eglise : lorsque 
al'Andalus SQ morcelle en taïfas et que divers royaumes 
islamiques deviennent tributaires d'un Etat chrétien, il 
arrive que l'émir délègue de facto, au souverain de cet 
Etat, le droit de nommer l'évêque ou les évêques de sa 
taifa ; vers 1040, par exemple, un moine de Cluny, Paterne, 
antérieurement abbé du grand monastère aragonais de 
San Juan de la Pena, est nommé évêque de Saragosse par 
l'émir de cette ville, à la demande du roi Ramire d'Ara- 
gon. II reste à la tête de ce diocèse durant vingt ans, de 
1040 à 1060, De même en 1088, Alphonse VI de Castille 
fait nommer évêque de Valence par l'émir de cette cité, 
un clerc périgourdin, moine de Cluny, ami du nouveau 
métropolitain romain de Tolède, Bernard de Sédirac : 
Jérôme. Quand le Cid devient, en 1089. le maître de 
Valence et y crée un curieux Etat christiano-musulman, 
vivace jusqu'à sa mort en 1099, cet évêque Jérôme est 
donc le chef de l'Eglise catholique locale : c'est lui qui 
préside aux obsèques du Cid. Bien entendu, des cluni- 
siens comme lui et comme Paterne de Saragosse ne sont 
pas très bien vus par les chrétiens autochtones. On entre- 
voit des affrontements dans le clergé d'al-Aiidalus entre 
les traditionalistes mozarabes et ces clunisiens qui tentent 
de faire progresser la liturgie romaine, d'autant que le 
pape Grégoire VII (1073-1085), rompant avec l'attitude 
suivie par ses prédécesseurs, entend détruire le vieux rite 
wisigothiquc. 

Dans cette lutte qui affecte al-Andalus, la liturgie 
mozarabe tient bon et résiste aux influences ultramon- 
taines : quand Jacques le Conquérant s'empare de Valence 



£B: CHRISTmNmME^AUrOCHlQNE 



83 



en 1238, c'est le seul rite mozarabe qu'il y trouve pra- 
tiqué ; et il en est de même dans toutes les autres cités 
oii il y a encore des autochtones chrétiens quand la 
Reconquista les atteint. Il est remarquable que, dans la 
rivalité entre clunisiens et autochtones, l'Etat arabo-isla- 
miquc veille en général à protéger la « personnalité » de 
TEglise mozarabe vis-à-vis de Rome. II y tient d'autant 
plus que la coutume wisigothiquc donnait beaucoup d'im- 
portance aux conciles « nationaux )> et que ceux-ci trai- 
taient même de problèmes temporels, d'autant plus que 
des laïques y siégeaient à côté des prélats. 

Les autorités à'al-Andalus s'attachent à maintenir 
cette tradition. Elles s'octroient ainsi le droit de convo- 
quer des conciles, en y faisant siéger, auprès des évêques 
et abbés, des arabo-musulmans, d'ex-chrétiens convertis 
à l'Islam et même des juifs, afin d'y faire étudier des pro- 
blèmes concernant les communautés chrétiennes et leurs 
rapports avec les fidèles des autres confessions *7. Ce 
fut assez systématique, surtout au ix' siècle : en 839, se 
réunit ainsi, à Cordoue, un concile présidé par le métro- 
politain de Tolède, assisté de ceux de Sévillc et de 
Mérida. 

Politique et religion se mêlent, mais l'épiscopat tient 
tête parfois au pouvoir ; on l'entrevoit par la décision que 
prend, en 860, un concile provincial convoqué par le 
métropolitain de wSéville : Tévêque Samuel d'Elvira-Ili- 
beris est déposé, sans doute pour s'être trop aligné sur la 
position islamique, à propos du problème de la circon- 
cision, dont nous reparlerons. L'histoire d'un concile 
« national » tenu à Cordoue, en 862, montre combien la 
lutte est parfois difficile : à la demande de l'évêque de 
Malaga, porte-parole des autorités arabo-musulmanes, en 
cette circonstance, l'abbé d'un monastère proche de Cor- 
doue est déclaré hérétique à l'unanimité. Cette accusa- 
tion avait été montée de toute pièce parce que cet abbé, 
nommé Samson, menait campagne contre le comte des 



84 



L'EUROPE MEDIEVALE ARABE 



chrétiens de Cordoue, fidèle agent du pouvoir. Mais aussi- 
tôt après la condamnation officielle, une réunion secrète 
assemble la majorité des évêques : ils annulent la condam- 
nation et expriment leurs félicitations à Samson pour le 
combat qu'il mène i^». 

A travers de telles affaires, on discerne que les pré- 
lats sont souvent écartelés entre leur nécessaire adhésion 
à TEtat et leur opposition profonde à la Loi islamique. 
Les nécessités ne sont pas vues par tous sous le même 
angle. L'évêque Saul de Cordoue, accusé d'être simo- 
niaque et mauvais pasteur, est pourtant le défenseur de 
certains de ses diocésains qui insultent publiquement 
rislam afin d'être condamnés et de mourir ainsi en mar- 
tyre. Partout, les recteurs des paroisses sont tenus de 
reverser à leur évêque le tiers de leurs revenus ; et, en 
sus, les évêques se font payer un impôt par leurs diocé- 
sains. Ce budget épiscopai permet de faire vivre les prê- 
tres nécessiteux et de conserver les églises en bon état. 
Mais il arrive aux prélats de consacrer une partie de cet 
argent à l'achat de conseillers d'un émir ou d'un calife, 
pour obtenir une décision favorable ou pour éviter que 
ne soit prise telle ou telle mesure susceptible de nuire à 
la communauté chrétienne. Est-ce là légitime? Certains 
clercs le contestent. Les discussions sont vives. On repro- 
che à des évêques de trop dépenser. Le plus étonnant est 
que certains, comme Hostégésis de Malaga, n'hésitent pas 
à faire donner le fouet, par des sbires musulmans, à des 
curés qm ne payent pas les « tiers » diocésains '"*. 



Moines, religieuses et ernii^s. Pèlerinages locaux 



Dans la mesure où ils restent à l'écart du monde, les 
monastères d'hoftimes et de femmes sont toujours des cen- 
tres de ténacité dans la foi. L'Islam respecte ces îlots de 
piété. Non seulement les religieuses en tant que femmes. 



LE CHRISTIANISME AUTOCHTONE 



85 



mais aussi les moines en tant qu'hommes de Dieu, sont 
exemptés de la capitation. 

Dès l'annexion de terres d'Europe par la commu- 
nauté musulmane, les grands monastères sont relativement 
bien mis à l'abri des exactions, car un pacte spécial de 
protection est conclu avec chacun d'eux, les moines s'enga- 
geant à loger, soigner et aider les voyageurs musulmans. 
Au TX*" siècle, aux portes de Cordoue, ou à proximité 
immédiate, neuf monastères au moins sont florissants et 
au moins àz\\\ couvents de religieuses. Les plus connus, 
qui subsistent encore au x^ siècle, sont la maison des 
moines du Saint-Sauveur et le monastère de Tabanos, où 
se trouvent, dans une même enceinte, un couvent de frères 
et un couvent de sœurs, rigoureusement séparés l'un de 
l'autre, mais placés sous Tautoritc d'un môme abbé. En 
Sicile, six monastères au moins fonctionnent encore au 
milieu du xi' siècle ; lorsque les Normands conquièrent 
nie, ils y trouvent deux couvents prospères dans la région 
du val Demona ; on le sait indirectement : d'une part, les 
moines de Sajit'Angelo-di-Liscio, près Brodo, s'empres- 
sent de se faire confirmer par le comte Roger la propriété 
des « monts, collines, eaux, terrains et autres biens » 
qu'ils possèdent ; d'autre part, parmi les frères du monas- 
tère de San-Filippo-in-Demona, s'en trouve un qui meurt 
peu après, en rendant grâces à Dieu d'avoir maintenu la 
vitalité de son couvent, en se réjouissant d'avoir vu la 
lin de la domination islamique sur la Sicile et en prenant 
le ciel à témoin qu'il « avait supporté les outrages des infi- 
dèles, en persévérant dans la foi chrétienne j). A la même 
époque, d'autres couvents sont, au contraire, en déca- 
dence matérielle et peut-être morale, tel celui de Santa- 
Maria-a-Vicari, dans le val de Mazzara, qui végétait alors 
avec quelques terres, peu de bestiaux et une poignée de 
serfs 20. 

Mais ces cas extrêmes sont l'exception : dans l'ensem- 
ble, durant tout le temps de la domination islamique. 



86 



L'EUROPE MEDIEVALE ARABE 



tant en Espagne qu'en Sicile, les monastères sont des 
centres d'études, des foyers de résistance théologique et 
apologétique contre Tlslam ; avec ou sans richesses maté- 
rielles, ils ont un grand rayonnement utile, maintiennent 
et retrempent la foi des familles chrétiennes arabisées, 
surtout dans le milieu aristocratique et aisé : le fameux 
saint Euloge de Cordoue est moine du couvent de Saint- 
Zoïle, où il est un expert des langues de l'Ecriture ; une 
de ses sœurs est religieuse dans un monastère voisin. 
Vers le même temps, au ix' siècle, prospère au nord de la 
capitale d'al-Andalus un autre ensemble monacal, fondé 
par un Mozarabe fortuné nommé Jérémie, articulé en 
deux couvents bien séparés, l'un de moines, l'autre de 
religieuses, le tout sous la direction d'un même supérieur, 
l'abbé Martin. 

Ce monde monacal des zones européennes englobées 
dans le dar al-Islam n'est pas sans contacts avec les autres 
mouvements monastiques de l'univers. Parmi les moines 
les plus en vue de la région de Cordoue au ix* siècle, se 
signale un Syro-Palestinien, nommé Georges, né à Beth- 
léem. Des religieux chrétiens berbères, arrière-petits- 
neveux spirituels de saint Augustin, arrivent en Anda- 
lousie vers le même temps. Saint Eulogc, lui, va visiter 
plusieurs monastères navarrais déjà célèbres par leur piété 
et leur science religieuse. L'un des champions du chris- 
tianisme dans la Sicile musulmane du x* siècle, saint Vitale, 
né dans la première moitié du siècle, quitte l'île jeune 
encore, passe en Italie, vit à Rome, y cultive et perfec- 
tionne sa foi, rentre en Sicile, s'y installe en ermite sur 
les pentes de l'Etna, où il passe une douzaine d'années 
en se nourrissant seulement de plantes sauvages, puis il 
repart pour l'Italie, et y fonde un monastère, où il meurt 
en 994. L'Espagne musulmane aussi connaît des « soli- 
taires de Dieu »,nel Fructus qui, vers 715, pour fuir l'auto- 
rité musulmane et tout contact avec les infidèles, devient 
ermite, au cœur de la péninsule, dans la région de Ségovie, 



LB CHRISTIANISME AUTOCHTONE 



87 



puis est rejoint par deux de ses frères. Sont-ils considérés 
comme des rebelles cherchant à faire naître un foyer de 
résistance ? Une bande musulmane les surprend et les 
égorge tous trois. Jusqu'à la reconquête de cette région 
par les Castillans, au xi' siècle, leurs restes sont vénérés 
sur place par les Mozarabes des alentours : c'est un lieu 
de petit pèlerinage. Quelques années après Fructus et ses 
frères, vers 740, deux autres indigènes chrétiens de la 
région de Saragosse ont une semblable démarche ; ils 
sont frères, eux aussi : Votus et Félix ; avant de se retirer 
du monde, ils vivent en riches grands seigneurs ; leur 
famille, aristocratique, a conservé d'importants biens fon- 
ciers et de nombreux esclaves ; grands chasseurs, ils 
aiment par-dessus tout courir le cerf et le sanglier. Mais 
touchés par un appel de Dieu, ils prennent la décision de 
libérer leurs esclaves et de leur donner l'argent qu'ils se 
procurent en vendant leurs biens familiaux. Ils se retirent 
alors en ermites vers le nord, dans la région de Jaca, à 
une quinzaine de kilomètres au sud-ouest de ce site. Ils 
y meurent en odeur de sainteté vers 750, laissant des 
disciples qui se regroupent en un couvent auprès de leur 
tombe. C'est là l'origine du grand monastère aragonais 
de San Juan de la Pefia^i. 

Autre aspect de la dévotion mozarabe populaire : 
dans les premiers siècles de la domination arabo-musul- 
mane en Andalousie, se maintient vivace le culte des 
reliques de saint Torquatus, tenu comme chef de file des 
sept prédicateurs venus évattgéliscr l'Espagne au f siè- 
cle ; c'est autour de ce culte que s'organise à Guadix la 
semaine de fêles religieuses et profanes, qui gravite autour 
du V'^ mai, et que nous avons évoquée. La tradition 
afi'irme que ce saint avait planté un olivier tenu pour 
miraculeux « fleurissant tous les ans le 30 avril ». Cha- 
que 1*"^ mai, le peuple chrétien de la région venait 
cueillir « les olives déjà mûres ». De ces olives, on 
faisait une huile destinée aux lampes brûlant perpé- 



88 



L'EUROPE MEDIEVALE ARABE 



tuellement dans la chapelle où se conservait le corps 
de saint Torquatus. En outre, cette huile guérissait 
de nombreux maux. Il y avait donc* là un centre de 
dévotion locale, avec pèlerinage saisonnier. Peut-être est-ce 
pour cela que, soit dès la fin du viii' siècle, soit au x\% 
les autorités arabo-islamiques remirent les restes de ce saint 
encombrant à un ambassadeur d'un roi chrétien du nord 
de la péninsule ; elles furent ainsi installées dans un sanc- 
tuaire de Galice. Une autre histoire de reliques mira- 
culeuses et de pèlerinage local causa aussi bien des soucis 
aux autorités islamiques : quand la « principauté de Théo- 
domir » dont nous avons conté l'histoire, disparaît et que 
se développe progressivement la ville islamique de Valence, 
des prêtres mozarabes transportent les reliques de saint 
Vincent, qui y avait été martyrisé sous Dioclétien, dans 
le sud-ouest atlantique de la péninsule, en l'actuel Algarve 
portugais, peut-être parce qu'ils y étaient eux-mêmes 
exilés, puisque la disparition de cette « principauté vas- 
sale » s'accompagne de la dispersion de ses notables. En 
tout cas, l'égUse d'un monastère accueille les reliques et 
devient le grand sanctuaire de saint Vincent : à l'extrémité 
de l'actuel cap Samt- Vincent de FAlgarve. Bientôt, on 
l'appelle « l'église du corbeau ». En elïet, selon la tradi- 
tion, lorsque saint Vincent avait été martyrisé à Valence, 
son corps était resté exposé pour devenir la pâture des 
oiseaux de proie ; mais un corbeau s'en était fait le pro- 
tecteur, éloignant les autres, si bien que le corps resté 
intact put être enseveli. Or, dès que les restes de saint 
Vincent eurent été déposés dans cette chapelle de FAl- 
garve, dix corbeaux s'y installèrent, élisant domicile dans 
ses combles et ne s'en éloignant jamais, volant en cercles 
autour d'elle, bien nourris d'ailleurs par les moines entre- 
tenant le sanctuaire. Au xii* siècle encojre, le culte de 
saint Vincent battait son plein : recevant de nombreuses 
aumônes des fidèles et des pèlerins, les moines offraient 
un repas à tous ceux, chrétiens ou mabomctans. qui se 



LE CHRLSTIAN/SME AUIOCHTONE 



89 



présentaient. Selon un écrivain musulman de ce xiF siècle, 
Abou Maniid, auteur d'un récit de voyages dont on a 
conservé des extraits, chaque fois qu'un groupe entrait 
dans l'église, un corbeau qui y voletait sans cesse lançait 
autant de cris qu'il y avait de visiteurs, pour que les 
moines pussent savoir aussitôt combien de repas ils 
devaient préparer... Peut-être un religieux caché dans un 
coin de tribune lançait-il ces cris en imitant celui du cor- 
beau. En tout cas, les autorités arabo-islamiques furent 
tellement irritées par cette superstition qu'elles firent 
démolir le sanctuaire 22. Les corbeaux disparurent... 



Les hérésies et l'angoisse chrétienne 



La vitalité du christianisme de ces siècles ne l'em- 
pêche pas de dévier parfois, en partie sous Tinfluence de 
rislam. Pis encore, il décline, s'étiole, disparaît à la 
longue. 

Quand l'Islam naît en Orient, depuis des siècles déjà 
la Chrétienté était périodiquement troublée par des débats 
sur la nature du Christ. Si l'Eglise a toujours enseigné 
que Jésus était à la fois « vrai Dieu et vrai homme », 
au début du ïv' siècle, le prêtre égyptien Arius avait nié 
sa divinité et propagé l'idée qu'il n'était quini homme ; 
puis au V' siècle, un patriarche de Constantinople, Nesto- 
rius, avait diffusé une autre hérésie, répétant que Jésus 
était un homme, mais ajoutant qu'il était « habité par 
Dieu >i. En profitant de confuses survivances de cet aria- 
nismc et de ce nestorianisme, l'Islam mena sa propagande 
anti-polythéiste contre le christianisme, en insistant sur 
l'unité absolue de Dieu, incompatible avec la notion de 
Trinité. On découvre ainsi l'origine profonde de l'adop- 
tianisme, né à Cordoue semble-t-il, au milieu du vin' siè- 
cle, et embrassé par le métropolitain de Tolède, Elipando, 
croyant sans doute y trouver une parade efficace contre 



90 



L'EUROPE MEDIEVALE ARABE 



la propagande musulmane, axée sur l'indiscutable unité 
de Dieu : Jésus est bien Dieu le Fils, mais c'est un Fils 
adoptif du Père. Condamné par Rome, Fadoptianisme 
meurt avec Elipando au début du ix* siècle. L'ensemble de 
FEglise mozarabe y a d'ailleurs échappé, tout de suite 
mise en garde par le métropolitain de Séville, Théodule. 
De temps en temps, se manifestent d'autres relents 
antitrinitaires, cherchant à affirmer Tunité divine dans le 
même sens que Tlslam, mais en prétendant rester fidèles 
à des traditions chrétiennes, bibliques ou évangéliques. 
Des résurgences sabéliennes se manifestent ainsi : il n'y 
a qu'une seule personne en Dieu, avait affirmé, vers 
l'an 200, l'obscur hérétique Sabélius ; après plus d'un 
demi-siècle de discrets cheminements, sa doctrine réappa- 
raît dans aUAndalus : le Christ est rincamation du Père ; 
il est le Père, car il n'y a pas de Fils. Ce feu de paille 
s'allume à Tolède avant même Fadoptianisme et c'est le 
prédécesseur d'Elipando, le métropolitain Cixila, qui 
l'étouffe en exorcisant l'apôtre local du sabélianisme : il 
fait sortir le démon du corps de cet homme, qui rentre 
aussitôt dans le giron de l'Eglise. Mais de temps en temps 
le soleil de Satan recommence à éblouir, puis à aveugler, 
des consciences chrétiennes, tant dans al-Andalus qu'en 
Sicile. A Séville, dans la seconde moitié du viiF siècle, 
un prêtre, Migécius, échafaude une doctrine ramenant la 
Trinité à une dimension humaine qui, par là même, ne 
peut plus altérer en rien la rigoureuse unité divine : Dieu 
l'Unique s'est incarné une première fois en un « père », 
David, puis dans un a fils », Jésus ; et c'est en tant que 
fils de David que Jésus peut être dit fils de Dieu le Père ; 
enfin Dieu s'est installé dans un « esprit », celui de saint 
Paul, le grand docteur, troisième personne de la trinité 
humaine. Cette' extraordinaire hérésie mi'gécienne fait des 
ravages, mais les métropolitains Théodule de Séville et 
Elipando de Tolède réussissent à en limiter la propaga- 
tion. Elle reste sous-jacentc cependant, comme le sabé- 



LE CHRISTIANISME AUTOCHTONE 



91 



lianisme, dans des consciences tourmentées qui, par ces 
voies détournées et contradictoires, finissent par se réfu- 
gier dans la grande simplicité islamique pour y trouver 
le repos. 

Le rayonnement mahométan suscite encore d'autres 
hérésies. L'une, celle du gahr, introduit dans la théologie 
et la métaphysique chrétiennes la notion sunnite de « pré- 
destination absolue de l'homme » : Dieu ayant tout 
décidé à l'avance, l'homme n'est pas le maître de son 
destin ; il n'est responsable ni de ses pensées ni de ses 
actes. Une autre a famille d'esprits » arrive de Berbérie 
dans al'Andalus, et en Sicile aussi peut-être, revendiquant 
comme patron un certain saint Cassianus, qui paraît avoir 
inspiré des Berbères chrétiens résistant à la propagande 
islamique : dans ce milieu, on reconnaît que l'Islam a 
raison de taxer les chrétiens de polythéisme quand ils 
a adorent » les « saints » ; les « cassianistes » refusent 
donc de vénérer ce que Ton appelle les reliques, ne croient 
pas en la possibilité d'une intercession des a saints i>, 
semblent même minimiser le rôle du prêtre, intermédiaire 
entre Dieu et les fidèles : la communion est remise par le 
célébrant, non dans la bouche, mais dans la main des 
fidèles, pratique primitive déjà abandonnée par le rite 
mozarabe comme par le rite romain. Les évêques, les 
conciles, le grand théologien et écrivain Alvaro condam- 
nent celte hérésie et ces pratiques cassianistes, tout comme 
la doctrine du gabr, 

L'infiuencc musulmane déclenche d'autres processus 
hérétiques en affectant les mœurs : à Cordoue, des disci- 
ples lointains d'un hérésiarque du iv' siècle, Jovinianus, 
autorisent le mariage avec des non-chrctiens, ce qui facilite 
les unions de femmes mozarabes avec des musulmans ; 
de plus, ils permettent la bigamie et estiment que les prê- 
tres ont le droit d'exercer des professions dans le siècle, 
notamment celles de médecin et de commerçant. L'atmo- 
sphère chrétienne est ainsi viciée au désespoir des fidèles 



92 



L EUROPE MEDIEVALE ARABE 



de l'orthodoxie romaine : le divorce par répudiation de 
la femme s'introduit dans les coutumes ; de nombreux 
chrétiens, même des prêtres, ont des concubines ; on perd 
l'habitude de jeûner le samedi, vigile du dimanche.,. Dans 
toutes ces altérations du christianisme, se discerne faci- 
lement l'ascendant de la société arabo-islamique environ- 
nante. 

Les autorités musulmanes ne favorisent pourtant pas 
les hérésies chrétiennes. Elles les observent sans inter- 
venir et traitent, sur le pied de la plus totale égalité, les 
adeptes de l'Eglise romaine et ceux des sectes plus ou 
moins hérétiques ou dissidentes qui apparaissent, vivo- 
tent, disparaissent, mais fissurent les communautés chré- 
tiennes, suscitent des doutes et ébranlent la doctrine de 
l'Eglise mozarabe romaine. 

Dans cette atmosphère, très vite, les chrétiens les plus 
lucides vivent dans l'angoisse, non une angoisse matérielle 
— ils ne craignent ni l'esclavage, ni la ruine, ni le mar- 
tyre — mais une anxiété spirituelle : la vraie religion, la 
leur, celle du Christ, pourra-t-elle survivre ? Déjà aux 
alentours de l'an 800, après moins d'un siècle de domi- 
nation arabe en Espagne, le grand-père de saint Euloge 
avait l'habitude de se signer, quand il entendait la voix 
du muezzin appeler à la prière mahométane ; et il enton- 
nait alors les paroles du psalmiste : « O mon Dieu, pour- 
quoi la voix de tes ennemis résonne-t-elle ? » Plus tard, 
saint Euloge disait à son tour : « Epargne-nous, Seigneur, 
ce sinistre appel du muezzin ! Epargne-le-nous maintenant 
et toujours ! Confonds tous ceux qui adorent la fiction et 
qui s'enorgueillissent de simulacres ^^ ! k. 

Une bataille spirituelle, passionnée et acharnée s'est 
donc livrée durant des siècles, dissimulée sous les appa- 
rences d'une coexistence codifiée, de tonalité majeure géné- 
ralement pacifique. 



CHAPITRE V 
LA NATURE, LE TRAVAIL, LES PLAISIRS 



Autochtones et immigrés, chrétiens, musulmans et 
juifs, tous ceux qui habitent dans des pays d'Europe 
placés sous Tautorité arabo-islamique, vivent dans un 
môme cadre, qui au fil des siècles, s'il est de plus en plus 
influencé par les traditions, mœurs et coutumes des domi- 
nateurs, reste modelé par la nature : elle en demeure une 
composante fondamentale. 



La vie rurale 



La plus grande partie de la population est formée 
de cultivateurs, la terre constituant, par excellence, la 
matière première de la vie. Quoiqu'iLnous soit impossible 
de vraiment connaître Fhistoire rurale de ces temps, divers 
renseignements nous sont parvenus, qui permettent d'éclai- 
rer quelques moments de l'existence des paysans d'alors, 
et pour commencer son allure générale. 

Dans la Sicile musulmane, l'agriculture est norma- 
lement prospère et variée : aux légumes et aux fruits euro- 
péens, aux agrumes et aux oliviers, s'ajoutent le safran, 
la canne à sucre et le coton, ainsi que la culture des 
ccréalcs et réicvage '. Pour al-Andalus. il en va de même ; 



94 



VEUROPE MEDIEVALE ARABE 



nous le savons par plusieurs « calendriers agricoles b qui 
datent des ix% x* et xi" siècles et par diverses données 
éparses qui concernent le sultanat de Grenade du xui* au 
XV* siècle. 

Certes, bien des aspects de l'existence rurale nous 
échappent : on ignore à peu près tout des crises qui, 
sans nul doute, se manifestèrent parfois, à la suite de 
mauvaises récoltes avec Tinévitable cortège des famines, 
des exodes et des grandes mortalités ; on n'entrevoit guère 
que celles des environs de 749-754, qui affectèrent au 
moins tout le quart nord-ouest de la péninsule Ibérique 2. 
Mais sur la répétition naturelle de ces calamités, un témoi- 
gnage indirect est fourni par les hymnes mozarabes conser- 
vés, destinés à implorer Dieu pour qu'il mette fin soit 
à un excès de sécheresse, soit à une trop grande pluvio- 
sité^. Et l'évêque Recemundo d'Elvira-lliberis, auteur 
d'un calendrier agricole, y a enregistré Finquictudc qui 
saisit les ruraux, au x' siècle comme en d'autres temps, 
quand des coups de vent chaud, de type déjà estival, 
soulèvent des tourbillons de poussière vers la mi-mai : 
les plantes se fanent, se dessèchent, les récoltes sont en 
péril 1 

Le paysage rural ne nous échappe pas, du moins 
certaines de ses caractéristiques. Dans bien des régions 
où l'eau est l'objet de soins constants, les canaux d'irri- 
gation sont toujours entretenus et perfectionnés par les 
hommes ; ils assurent l'humidité nécessaire malgré l'irré- 
gularité des précipitations ; ils rendent possibles deux 
récoltes Tan. Quelques témoignages précis nous sont par- 
venus : aux alentours de Malaga, de magnifiques et grandes 
conduites, faites en une sorte de porcelaine, amènent l'eau 
aux terres assoiffées. Partout, le régime du partage de 
cette onde de Vie est si bien organisé, qii'il s'est perpétué 
jusqu'à nos jours dans une partie de l'Espagne, ainsi qu'il 
appert en la survivance du Tribunal des Eaux de Valence, 
Un autre trait classique du paysage est le moulin, soit à 



NATURE, TRAVAIL, PLAISIRS 



95 



vent, soit mu par des bêtes de somme, soit actionné par 
Teau d'une rivière ^ ; ce dernier type de moulin est, 
d'ailleurs, exposé à l'arrêt en été, quand le cours d'eau 
est à sec. 

L'équipement, dans certaines régions du moins, est 
fourni : à Grenade, au xv' siècle, lorsque l'ultime portion 
de l'Europe occidentale sous domination arabo-islamique 
vit ses dernières heures, fonctionnent « tant à l'intérieur 
qu'à l'extérieur des remparts, plus de cent trente moulins 
à eau claire ^ ». Sur les artisans qui actionnent les mouhns, 
un texte au moins est significatif : « Les meuniers sont 
souvent des fripons, gardant pour eux une partie du blé 
qu'on leur a apporté à moudre » ; ces « filous » rem- 
placent la quantité de grains qu'ils dérobent, par une 
« farine indigeste ij, curieux mélange de poudres miné- 
rales et de « cartilages desséches de sépias ou de cala- 
mars » ^ Mais les moulins ne traitent pas que les céréales. 
Certains moulent des feuilles de henné, produit colorant 
qu'utilisent les teinturiers et qui a des propriétés médicales 
ou légèrement curatives, plus ou moins établies ; il est 
très en vogue dans tout le dar al-lslam ; la superstition 
et la mode s'en mêlent : hommes et femmes aiment à se 
passer au henné les mains et les pieds ou une autre partie 
du corps ; et, grâce à lui, les élégantes se teignent les 
cheveux en rouge ; son commerce se fait plus facilement 
en poudre qu'en feuilles ; c'est pourquoi on moud celles-ci. 
Enfin, le moulin à huile est aussi un élément indispen- 
sable de la vie de tous ces pays où règne l'olivier ; on en 
rencontre partout. 

Arbres, plantes aromatiques et médicinales sont les 
compagnons de l'homme. La cueillette est une de ses 
occupations essentielles. Bien des textes nous en parlent : 
dans la vallée du Guadalquivir, aux alentours de Cordoue, 
on sème le basilic en avril, on cueille en juin les fleurs 
d'absinthe, en juillet le thym et la guimauve, tandis que 
les premières asperges sauvages apparaissent dans les 



96 



L'EUROPE MEDIEVALE ARABE 



NATURE, TRAVAIL. PLAISIRS 



97 



montagnes. Au x-^ siècle, en Andalousie, femmes et enfants 
ramassent — surtout en février — des tiges de fenouil. 
Les « Maures » de Provence consomment les baies et les 
simples du pays. Les Grenadins du xiv' siècle, eux, 
trouvent sur les pentes de la Sierra Nevada, des plantes 
qu'ils apprécient beaucoup, tant pour la pharmacie que 
pour la nourriture. 

Les figuiers sont chéris en Andalousie comme en 
Sicile. D'après le plus célèbre des traités d'agriculture de 
l'Espagne musulmane. Le Calendrier de Cordoue, larbo- 
riculteur procède en mars à une rigoureuse greffe de ces 
arbres « ; ce mois est très important pour la bonne venue 
du fruit : si le vent est alors trop violent, il nuit aux 
figuiers précoces ; mais si tout va bien, il donne de 
beaux fruits qui prennent forme en avril et que Ton fait 
sécher en juillet, après les avoir cueillis ^. 

L'olivier est tout autant apprécié ; il fleurit en avril ; 
dès mai, ses fruits se forment ; en octobre, leur récolte 
s'évalue sur pied et on commence à les cueillir, aussi bien 
ceux qui sont restés d'un jaune gris-vcrdâtre que ceux 
qui ont noirci en septembre. L'homme est sensible à la 
présence de ces arbres dont les vieux troncs émeuvent ; 
il apprécie leur beauté comme l'ombre qu'ils donnent. 
La campagne sent l'olive ; elle est parsemée de moulins à 
huile et de pressoirs, souvent taillés dans le bois des 
arbres morts. Pour obtenir l'huile, après avoir broyé les 
olives sous la grosse meule de pierre, généralement action- 
née par une bête de somme, on passe au pressoir les 
fruits triturés. Puis, pour purifier le jus, on le traite à 
l'eau bouillante et il s'écoule dans un récipient placé 
sous le pressoir. Vers les ix' et x^ siècles, cette huile 
a d'or » est si abondante dans al'Anda{us qu'elle est une 
denrée de constante exportation. En revanche, dans le 
sultanat de Grenade des xwt-xy' siècles, les olivettes sont 
en déclin et le pays doit importer de l'huile de Casîille. 

Partout où le sol est cultivé, l'homme fait corps avec 



la nature Des historiens du dar aMsIam nous indiquent 
que les propriétaires fonciers résident sur leurs terres ; 
cela veut dire sans doute qu'ils s'y rendent assez souvent, 
car ils y possèdent des maisons, sortes de résidences 
secondaires, dans la mesure où leur demeure principale 
est en ville. Par exemple, autour de Grenade au xv" siècle, 
se pressent hameaux et vergers « harmonieusement dis- 
posés » et parsemés de belles constructions, si denses que 
les lieux habiles s'y juxtaposent « comme dans une 
ruche » ^^ ; là, il n'y a nulle part des terrains vagues 
dépourvus de vie humaine, mais c'est un cas exceptionnel ; 
celui de la féconde vega grenadine. La terre présente 
parfois un tout autre visage : les reconquérants chrétiens 
de la Sicile et cVal-Andalus ont souvent noté que les 
maisons qu'ils trouvaient dans la campagne, étaient le 
plus souvent petites et délabrées *2. 

Dans tout le dar al-lslani, même dans ses provinces 
européennes, pays facilement ensoleilles, la maison de 
campagne, comme la maison urbaine, s'ordonne autour 
d'une cour centrale ; mais ce patio y est d'ordinaire plus 
grand que dans les villes ; tout propriétaire aisé l'orne 
de plates-bandes de fleurs et, souvent, du jet d'eau si 
apprécié de tous et chanté par les poètes. Quelquefois 
cette maison de campagne, grande villa ou (f palais », 
est sertie d'un parc planté de fleurs et d'arbres fruitiers, 
au milieu duquel sont disséminés quelques édifices annexes. 
Mais c'est là le cadre dexistence des seuls riches et 
puissants. On voit moins bien vivre ceux qui travaillent 
la terre. Du moins sait-on ce qu'ils récoltent et qu'ils sont 
suspendus au rythme des saisons et à leurs aléas. L'évêque 
Recemundo l'a remarqué : quand la pluie est abondante 
à la mi-novembre, « époque où la terre a besoin d'eau », 
cette pluie est bénie car elle maintient toute Tannée l'humi- 
dité de la couche arable ^^ ; d'autre part, en décembre, 
on ne manque pas d'emmagasiner Teau dans les citernes. 

De précieuses notations d'un Traité d'agriculture. 



I 



L'EUROPE MEDIEVALE ARABE 



rédigé au xi' siècle par un musulman de Tolède, Ibn 
Ouafid, concernent les semailles pratiquées en ce temps 
au cœur de la péninsule Ibérique : « Le blé se sème 
dans la bonne terre, l'orge dans la terre moyenne, les 
fèves et les pois dans la terre humide. » Avant d'être 
semés, ceux-ci doivent être mouillés la veille dans de 
l'eau tiède, et les fèves pendant vingt-quatre heures dans 
une solution de carbonate de soude. Pour ce qui est des 
semences de lentilles, avant de les jeter dans la terre, 
il est recommandé de les frotter avec de la bouse de 
vache, car les lentilles croissent ainsi plus vite et plus 
belles. Enfin pour toute semaille, il faut que le labour 
préalable ait été effectué au moins deux ou trois fois, 
a afin que les fentes dont on ouvre la terre soient très 
profondes » i'^. 

Il est conseillé aux propriétaires d'utiliser comme 
cultivateurs de solides jeunes gens, car « ils ont plus de 
force, travaillent mieux, sont plus sains et plus gais, 
supportent mieux la chaleur et le froid, se laissent mieux 
commander et ont meilleure vue que les vieux )>. Mais 
quand on en emploie beaucoup, il faut éviter qu'ils ne 
travaillent trop nombreux les uns à côté des autres. 
Cela ne vaut rien car, dans ce cas, « ils bavardent sans 
cesse » ; et la tâche en pâtit. On doit donc s'arranger 
pour qu'il n'y en ait jamais plus de six à dix en un 
même lieu de travail ; quand ils remuent le sol à la houe, 
il convient de bien les connaître, afin de toujours placer 
à côté d'un de ceux qui ont tendance à être paresseux, 
un gars efficace, de manière que le premier soit entraîné, 
par force en quelque sorte, à travailler aussi vite que le 
second ^^. Bien entendu, la bonne gestion du domaine 
doit ainsi aller de pair avec une disparité des salaires : 
on paye « uu^ peu plus » ceux qui' travaillent avec le 
plus de zèle et suscitent ainsi l'émulation des autres. 

Dans chacun des hameaux disséminés sur une grande 
propriété, le maître, ou son intendant, a intérêt à choisir 



NATURE, TRAVAIL, PLAISIRS 



99 



un paysan « honnête, sincère, bon croyant de sa religion, 
ni gros mangeur ni buveur » ; il lui verse un supplément 
de salaire et le charge de donner l'exemple, de commencer 
le matin, a en se levant de bonne heure, le premier » ^^. 

Le Calendrier de Cordoue décrit, de mois en mois, 
les travaux agricoles et les progrès de la végétation : 
« En mars, les céréales précoces commencent à se dresser 
sur leurs tiges. » En avril, on scroe le riz ; le millet est 
une céréale d'été très consommée par les pauvres. En 
terre andalouse et murcienne, la moisson de l'orge débute 
en mai et un blé primeur apparaît, dont on fait une 
semoule de luxe. « Dans la plupart des régions, le fro- 
ment commence à se moissonner en juin, la plupart des 
années ^''. » <( Les gens d'expérience, dit l'évcque Rece- 
mundo, affirment que les céréales moissonnées le 24 juin 
ne sont jamais attaquées par les vers. » 

Ce mois de juin est le temps où commence le mesu- 
rage du grain sur les aires et où apparaissent les « gardiens 
de grenier ». chargés de percevoir les impôts sur la 
récolte. En juillet, on dépique Forge et la moisson du 
blé s'achève, fin septembre ou en octobre commence déjà 
le cycle suivant : labours et semailles, dont les plus 
tardives s'effectuent en novembre. Puis, Tannée entre 
dans le silence... Mais, dès le 20 janvier, une aurore de 
vie s'annonce : cette date marque « la fin des nuits noires t> 
et celle de « la rage de l'hiver », dénoncée par les poètes. 

Les légumes ont autant d'importance que les céréales : 
à la fin janvier, on se penche sur la terre pour repiquer 
les oignons que l'on veut garder pour la graine, ces 
oignons qu'on plante d'ailleurs d'octobre à janvier. Puis, 
en février, se prend l'élan vers le printemps. On plante 
le safran et les « légumes d'été )). En mars, les fèves com- 
mencent à se former, tandis qu'on sème concombres et 
aubergines, ainsi que citronnelle et marjolaine. Les carottes 
sauvages sortent de terre en avril, alors que les concombres 
apparaissent et que l'on plante choux-fleurs, et a petits 



ÎOO 



UEUROPE MEDIEVALE ARABE 



melons ^>, puis les choux en juin. Les melons sont « en 
gloire » en juin et juillet, et ies pastèques commencent 
à mûrir en septembre. Le calendrier des légumes se 
mêle donc à celui des céréales. Les courges, fèves, navets, 
carottes, aubergines, haricots, bettes, poireaux, aulx, 
oignons, choux, navets, radis, etc., constituent les éléments 
essentiels de la nourriture. En novembre, c'est « la fin 
des légumes d'été » et « le début des légumes d'hiver ». 
Nous savons qu'on sème en août « les fèves d'automne » 
et, dès décembre, les légumes d'été, « dans les carrés 
fumés des jardins potagers » notamment courges et auber- 
gines, poireaux et aulx, etc. ^^. 

Tous, citadins et ruraux, suivent avec non moins 
d'attention le déroulement des saisons pour les fruits : 
en février, pommiers et poiriers sont greffés ; si un mau- 
vais vent souffle vers la mi-avril, c'est désastreux pour 
les fruits de ces arbres, mais si ce vent ne les atteint 
pas, ils sont sauvés. En mai, on cueille les mûres ; les 
poires, les abricots et les cerises apparaissent ; en juin 
ce sont les noix. « En juillet, les pistaches se forment, 
tandis que pommes et poires sont à point », alors que 
les pêches le sont en août, moment où les jujubes com- 
mencent à mûrir. Mais, bien entendu, de nombreux déca- 
lages de date résultent des différences entre les régions 
et les années : les poires « tardives )^ ne sont pas rares 
en août. En septembre, mûrissent : jujubes, grenades, 
coings, tandis qu'on cueille les noix ; en novembre, on 
récolte les châtaignes et les glands. L'hiver lui-même 
n'est pas sans fleurs ni fruits : en Andalousie comme en 
Sicile, des amandiers précoces fleurissent en décembre 
et des cédrats mûrissent i^. Les pruniers aussi comptent 
beaucoup dans l'arboriculture de ces pays et, à côté du 
vieux citronnier, l'oranger a été introduit par les Arabes 
dans toutes les régions du Midi européen où il s'est bien 
acclimaté ; les bananiers pareillement : ils ont été une 
des fiertés du sultanat de Grenade, au même titre que 



NATURE, TRAVAIL, PLAISIRS 



101 



ces superbes grenadiers dont les poètes nont jamais 
maivqué de chanter « la couleur de rubis », parant de 
son éclat « incomparable » le pays auquel ils ont donné 
leur nom ^^. 

Moins indispensable que les légumes et les fruits, 
les fleurs sont aussi appréciées. Ainsi que Ta écrit avec 
beaucoup de finesse Georges Marçais, « il est un jardin 
merveilleux dont tout musuman porte en lui la nostalgie » ; 
le rêve du jardin est révélateur des individus ; tout le 
dar al-lslam en a été marqué ; et voilà pourquoi se répète 
la formule : « Montre-moi ton jardin et je te dirai qui 
tu es^^ D Le chatoiement des fleurs d'aTAndalus est 
extraordinaire : en janvier, des narcisses précoces fleu- 
rissent déjà ; en mars, font leur apparition les « roses 
d'avant saison » et les lis ; en avril, on cueille les violettes, 
les pavots se forment et Ton plante le jasmin ; en mai, 
se récoltent les jolies petites fleurs de camomille ; en 
août, se sèment les giroflées bleues ; en septembre, le 
myrte commence à pousser, très odoriférant ; en octobre, 
éclosent de magnifiques roses blanches... Telles sont les 
indications précises que nous donnent les calendriers agri- 
coles du temps, 

La vigne, autre parure de la terre inséparable de 
rhommc, caractéristique elle aussi de tous les pays que 
nous évoquons, est moins privilégiée que les fleurs par 
ITslam. Nous pénétrons ainsi dans un monde particulier. 
Cette culture décline vraisemblablement, en Sicile comme 
en Espagne, à la suite de Tinstallc^ion de l'autorité arabe 
sur ces pays, mais elle ne disparaît jamais ; loin de là 22. 
Une consultation juridique, donnée aux environs de 
Tan non, indique qu'il n'est pas interdit à un croyant de 
vendre un terrain planté de vignes à un chrétien qui, 
bien entendu, fabriquera du vin : f( Ce n'est ptis illicite ; 
mais c'est pourtant répréhensible ^^ » Toute l'ambiguïté 
de la civilisation islamique à l'égard du vin se reflète dans 
cette phrase. Mais pour l'instant, il s'agit de vigne et 



102 



L EUROPE MEDIEVALE ARABE 



non de vin. Dans ce domaine aussi, les mois enchaînent 
les étapes de la culture : en janvier, on taille les ceps 
dans la zone qui s'étend à l'ouest de Cordoue, tandis que, 
dans la plaine et les montagnes un peu plus éloignées 
de cette ville, on gretïe les plants ; en avril, un raisin 
d'avant saison commence à se former de-ci de-là. mais 
il apparaît plus normalement en mai ; en juillet, on évalue 
la récolte de raisin sur pied ; en septembre, on vendange : 
on trie soigneusement les grappes, que Ton dispose ensuite 
sur les terrasses ^'^. D'autres cultures encore sont prati- 
quées : celles qui ont une portée industrielle. Nous les 
retrouverons avec l'artisanat. 



l^es ammaux et Thomme : élevage, chasse et pêche 



' "Bovins, ovins, caprins existent partout, les basses- 
cours aussi; mais nous sommes mal informés sur cet 
aspect de la vie. Tout au plus sait-on, par Le Calendrier 
de Cordoue, que les vaches mettent bas en janvier, les 
brebis en octobre, et que « le lait abonde », comme 
les œufs. Les ânes et les mulets — très utilisés pour les 
transports — sont nombreux. Mais l'élevage privilégié par 
excellence est celui du cheval : l'Arabe en a le culte ; 
ff le noble coursier » est indispensable pour les razzias et 
toutes les opérations de guerre. Quelques lignes de Févêque 
Recemundo, sur l'Andalousie du x' siècle, sont précises : 
en hiver, les chevaux paissent tranquillement ; mais tout 
s'anime dans les haras du Guadalquivir à partir de la 
mi-mars ; c'est alors le moment où les juments commen- 
cent à mettre bas après onze mois de gestation ; et, quand 
l'époque de la parturition est terminée vers la mi-avril, 
les étalons sont lâchés sur les juments ^poulinières ; puis 
à partir de juin, ils en sont écartés 26. Le soin avec lequel 
on élève les chevaux est général : en Provence, les 
Arabes du massif des Maures en ont importé beaucoup, 



"NATURE, TRAVAIL. PLAISIRS 



103 



d'excellente race, qui s'est perpétuée jusqu'à nos jours 
dans la Camargue 2^. Le gouvernement surveille les haras 
privés, tout comme les siens : dès février-mars, ses agents 
se mettent en campagne pour procurer des chevaux aux 
chefs de corps militaires et à leurs troupes. La science 
et la littérature s'intéressent à la race chevaline ; on écrit 
et on lit des traités d'hippologie et d'équitation. 

L'apiculture est un autre élément de la vie, tant en 
Espagne qu'en Sicile, en Languedoc et en Provence : 
l'homme sait donner des soins précis aux ruches et apprécie 
les abeilles. Le Calendrier de Cordoue le note au passage : 
ces animaux utiles se reproduisent en février ^s. Oiseaux 
et oisillons sauvages ou de basse-cour sont non moins 
familiers aux populations. Ici encore, les dires de l'évêque 
Recemundo sont révélateurs : « Février est le mois où 
l'on se réjouit de l'éclosion de tant et tant de petits 
oiseaux ï», tandis que mars est, par excellence, le temps 
d'accouplement des paons, des cigognes et des tourte- 
relles, puis avril celui où pondent ces espèces. Les calen- 
driers agricoles signalent aussi que les canetons sauvages 
éclosent ei\ juin, et qu'on chasse en juillet les petits 
perdreaux, très nombreux 29. Mais l'homme s'intéresse 
surtout à deux sortes de volatiles : les pigeons et les 
faucons. 

Dans chaque grand domaine, se trouvent des pigeon- 
niers ; tout alcazar ou fortin en dispose pareillement. 
Le système élémentaire de télégraphie optique, qui fonc- 
tionne entre les tours de vigie échelonnées dans le dar 
al-Islam, au moins le long des côtes et près des zones 
frontières, est, en effet, complété par les pigeons-voyageurs, 
très souvent employés. De surcroît, la fiente de pigeon 
est un fumier fort apprécié. Quant aux faucons, ils sont 
des accessoires vivants de la chasse, indispensables dans 
certains cas où ils remplacent les chiens. Le fauconnier 
est un personnage caractéristique de cette époque. Tous 
les grands du monde arabo-islamique tiennent à posséder 



104 



L'EUROPE MEDIEVALE ARABE 



des faucons bien dressés, sachant s'abattre sur les proies. 
Les calendriers agricoles en parlent avec une sorte de 
respect : « Janvier est le mois où les faucons de Tespèce 
valencienne restent dans leurs nids et commencent à 
cocher... En mars, les femelles pondent leurs œufs qu'elles 
couvent ensuite durant trente jours. » La chasse est une 
des distractions favorites des émirs et de tous les grands ; 
c'est surtout en hiver qu'ils la pratiquent avec les faucons : 
grues, canards et oies sauvages en sont les cibles usuelles. 
L'art de la vénerie n'est pas moins familier aux puissants. 
Avec leurs chiens, ils chassent à courre sangliers, cerfs et 
chevreuils. Lapins et lièvres, eux, sont le gibier que tra- 
quent plus facilement les humbles. On organise parfois 
des battues contre les loups, les renards et les ours ^^ 
L'Arabe était devenu marin ; tous les riverains de la 
Méditerranée le sont. Du coup, la pêche maritime est très 
développée, avec des filets divers et des flotteurs de liège : 
des poissons de bien des espèces différentes sont pris, 
tout particulièrement des thons et plus encore des sar- 
dines, dont un chroniqueur dit qu'il s'en vendait pour 
vingt mille dinars par jour dans la seule ville de Cordoue, 
au temps du calife al-Hakam II (961-976), On récolte 
aussi un peu de corail, notamment sur la côte d'Alméria. 
La pêche fluviale est également pratiquée : Le Calendrier 
de Cordoue signale que certains poissons quittent la mer 
pour remonter le cours des rivières : esturgeons et aloses 
en mars, mulets et sardines en août ^2. 



L'alimentation et la cuisine 



Les soupes épaisses, de farine ou de semoule, plus 
ou moins agrémentées de viande hachée, et de légumes, 
des sortes de bouillies, semblent avoir été les mets fon- 
damentaux, mangés dans des écuelles généralement de 
faïence avec des cuillers en bois. Le fameux couscous 



NATURE, TRAVAIL, PLAISIRS 



105 



apparaît dans al-Andalus au xnf siècle au plus tard ; 
mais les bouillies de fèves, de pois chichcs ou de lentilles 
sont plus souvent consommées par le peuple. Les soupes 
aux légumes et aux herbes avec des vermicelles sont 
aussi appréciées. 

En Sicile comme dans l'Espagne musulmane, le pain 
de blé ou d'orge est usuel, le froment étant souvent 
importé du Maghreb dans al-Andalus. Dans les familles 
bourgeoises et à la campagne, ce pain se pétrit à la 
maison, mais, en ville, on le fait cuire dans un four public : 
un commis du « fournier » passe dans les rues pour cher- 
cher la miche pétrie, marquée d'un signe particulier pour 
chaque famille cliente, et il la rapporte cuite. Dans 
certains cas, il est admis que le fournier soit payé par 
une portion du pain pétri qu'on lui a remis : il dispose 
ainsi de petits morceaux qu'il peut vendre directement 
aux clients, qui n'ont pas préparé de pain chez eux. 
On fabrique et on consomme aussi beaucoup de galettes 
et de nombreuses variétés de beignets, le goût de la friture 
étant fort répandu ^^. 

L'art de la cuisine est complexe et varié, recettes 
arabes, berbères, européennes et juives s'étant interpé- 
nétrées. Dans les milieux pauvres et moyens, la maîtresse 
de maison confectionne elle-même les plats, tandis que 
chez les riches, on utilise les services des cuisinières 
professionnelles, parfois libres, plus souvent esclaves, 
notamment des Noires. La pièce qui sert de cuisine est 
généralement petite et le fournemi qui s'y trouve fonc- 
tionne au charbon de bois. Le trait le plus original de 
ces pays est que les a boutiques de cuisine » y sont 
nombreuses ; tout s'y prépare en public, devant le client, 
et Ton peut y acheter têtes de mouton ou d'agneau 
cuites au four, saucisses piquantes, boulettes, poisson frit, 
etc. Les pauvres ne mangent de la viande que rarement, 
les jours de fête. Agneau, mouton, poulet sont parmi les 
plats préférés, ainsi que tous les gibiers. Le Calendrier 



106 



L'EUROPE MEDIEVALE ARABE 



de Cordoue recommande de manger des agneaux de 
deux ans et des pigeonneaux en décembre et d'éviter au 
contraire la viande de bœuf et de chèvre en ce mois 
d'hiver 5^. Tout ce que nous avons déjà indiqué à propos 
de la pêche laisse entendre que le poisson remplace 
souvent la viande ou figure à ses côtés. Plus encore 
qu'elle, il est souvent consommé en salaison, et si les 
a conserves, de cerfs en saumure » sont prisées, les anchois 
ne le sont pas moins 5^. 

Légumes et fruits, frais, secs, confits, ou en confi- 
tures, font partie de la nourriture quotidienne. Parmi ces 
mets, les olives occupent une place de choix, mangées 
seules ^— après avoir été en saumure — ou incorporées 
dans de nombreux plats. Divers traités nous font connaître 
une série de préparations qui nous surprennent parfois : 
conserves de carottes et de noix, confitures de carottes 
sauvages, de courges, d'aubergines, de cédrats et de 
melons, etc. ^^. Tous les fruits sont mangés frais ; mais 
certains le sont secs, très fréquemment, surtout raisins, 
figues et amandes. D'autres plats sont à base de micK 
ou de fromages, ou de. pâtisseries compliquées et très 
douces. Enfin, le lait, les jus de fruits et l'eau sont les 
seuls breuvages a licites », l'eau étant souvent soit aro- 
matisée à la rose, à la violette ou à la fleur d'oranger, 
soit mêlée à des sirops préparés avec beaucoup de soin 
et présentant une très grande variété, à base de pommes, 
de poires, de cédrats, de pavots, de roses, de grenades, 
de coings, de citrons acides, de raisins, etc. Le lait 
d'amandes et l'orgeat sont aussi répandus ^^ 

Dans al'Andalus, il était recommandé de manger, en 
hiver, de l'ail tous les matins et de boire de l'eau chaude 
aussitôt après. Au printemps et dans les mois suivants, 
le a petit déjeuner » était constitué devfruits et légumes 
frais, préparés a^ besoin avec du vinaigre et des sauces 
piquantes. A midi, le déjeuner, léger, était souvent à base 
de crudités. Le dîner était le seul vrai repas : le soir. 



NATURE, TRAVAIL. PLAlSffiS 



107 



tous mangeaient en famille. Le déroulement en était 
immuable. Il avait lieu un peu après le coucher du 
soleil, une fois le maître de maison rentré chez lui ; c'est 
au père que Ton passait d'abord le plat, puis à ses fils, 
ensuite aux femmes et aux filles. 

Bien entendu, suivant les régions et les époques, la 
cuisine et les modes de table ont yarié : le moment le plus 
raffiné, dans l'Europe sous domination arabo-islamique, 
fut le milieu du ix' siècle, quand un Irakien, Ziriyab. 
grand chanteur et musicien, devenu l'idole des foules 
d'al'Andalus, y devient l'arbitre de l'élégance et y intro- 
duisit l'art de la cuisine bagdadienne, celle des Mille et 
Une Nuits, Dès lors, dans les cours musulmanes d'Occi- 
dent et dans tous les milieux distingués, les plats furent 
servis non plus suivant la fantaisie de chacun ou de 
l'heure, mais selon un ordre protocolaire immuable : 
d'abord, les soupes et les bouillies, ensuite les plats de 
viandes, de volailles ou de poissons, enfin les desserts 
parmi lesquels prévalaient les gâteaux de noix, miel et 
amandes, et les pâtes de fruits parfumées à la vanille 
et trufi'ées de noisettes. Ce fut le temps où, sur les belles 
tables, des nappes de cuir très fin détrônèrent celles en 
lin qu'on employait dans les décennies antérieures, tandis 
que les coupes de cristal étaient désormais préférées aux 
gobelets d'or ou d'argent. Mais on continuait à se passer 
de fourchettes et de couteaux ^^... 



" L'artisanat^ rhabillement et l'élégance 

Dans chaque ville, sous le contrôle du préposé aux 
marchés, poids et mesures, installé par l'autorité arabo- 
islamique \ les métiers sont généralement groupés par rue 
ou plutôt par ruelle ou souk ; Tatelier-boutique réunit un 



Cf. supra, p. 67 et infra, pp. 248-249. 



108 



UEVROPE MEDIEVALE ARABE 



maître et quelques ouvriers, voire des apprentis. L'activité 
est multiforme. 

Elle s'oriente parfois vers la médecine : les yeux 
sont souvent malades, victimes — dit-on — de « mauvais 
vents » ; aussi prépare-t-on pommades et collyres, dont 
Tun fait avec de l'eau de fenouil, est jugé très efficace 
contre diverses maladies des yeux, tout spécialement 
en cas de taie de la cornée. D'ailleurs, les médecins formés 
par la science arabe sont souvent de savants herboristes ; 
et de nombreux « pharmaciens-droguistes » préparent avec 
soin les potions et poudres qu'ils prescrivent '^^. 

A la suite de l'introduction et de la culture de la 
canne à sucre, en Sicile et en Andalousie, des raffineries 
s'installent. Dans les huileries, on fabrique, bien sûr, de 
rhuile d'olive, indispensable à l'alimentation, mais éga- 
lement, des huiles de rose, de camomille, de laurier, uti- 
lisées en parfumerie et en pharmacie. A la demande des 
peintres, des ateliers produisent du blanc de céruse, du 
verdet gris, du minium. 

Les vanniers tressent couffins, paniers, corbeilles, 
chapeaux en jonc et en sparte. Les briqueteries sont 
nombreuses en aUAndalus et en Sicile musulmane. 
On en trouve même, « de type nettement sarrasin n 
dans le Midi de la France : on a cru récemment relever 
les traces de l'une d'elles à Notre-Dame-de-la-Crau près 
de Hyères. Ailleurs, s'affairent les charpentiers ; non loin 
de leurs chantiers maritimes, la résine de pin est trans- 
formée en goudron, pour le calfatage des bateaux ; elle 
sert aussi à la composition de la poix utilisée dans les 
mélanges dont on remplit les grenades ou bombes incen- 
diaires à « feu grégeois » * ; des restes de cette industrie 
chimique ont été repérés dans la région du golfe de 
Sauit-Tropez^i.x^^ 

Le monde de la poterie brille d'un éclat particulier : 



SIUV^C. TTfT. 



:t. "^v 



NATURE, TRAVAIL, PLAISIRS 



109 



jarres, amphores, cruches, écuelles, plats, assiettes, réci- 
pients pour pétrir le pain ou pour laver le linge, tuyaux 
de canalisation, etc., sont façonnés par des potiers qui 
savent donner de beaux reflets métalliques aux produits 
qu'ils veulent soigner : ils sont experts en l'art de la 
vitrification. Céramique et verrerie de luxe prospèrent. 
De jolis plats émaillés sortent de certains ateliers. Des 
coupes translucides et de somptueuses pièces de jeux 
d'échecs, en cristal de roche, sont l'orgueil de riches 
Andalous et Siciliens ^^. 

Partout, des mines (fer, plomb, argent, zinc, cuivre) 
sont recherchées et exploitées ; les carrières aussi, notam- 
ment celles de marbre. Ainsi, la vie artisanale s'échappe 
parfois des villes ; et la découverte de riches gisements 
de minerais sur les franges du dar al-Islam peut avoir 
suscité des expéditions militaires. Par exemple, d'après 
l'archéologue Jean Lacam — dont, à vrai dire, les hypo- 
thèses sont très discutées — des mines d'argent du Viva- 
rais auraient été pendant une quinzaine d'années, dans la 
première moitié du viif siècle, entre les mains des Arabes 
qui auraient fort bien su les mettre en valeur ; après la 
reconquête du pays par les Francs, des musulmans captifs 
auraient, longtemps encore, travaillé dans ces mines. Ainsi, 
tant durant la domination arabe sur les Cévennes que 
pendant la période postérieure, a beaucoup de prisonniers 
étaient employés à la coupe du bois nécessaire pour fondre 
les minerais et à la préparation des lingots dans les souf- 
fleries et les forges. » De même, les Arabes auraient exploité 
des mines de galène argentifère non loin de Toulon 
et auraient établi des fonderies dans ces parages. Il est 
certain que, dans al-Andalus, aussi bien au temps de son 
apogée que lors de sa résorption en sultanat de Grenade, 
forgerons, maréchaux-ferrants. laitonniers furent nombreux, 
actifs, bruyants. Coffres, chaînes, serrures, ciseaux, armes, 
couteaux, outils paraissent d'excellente facture. Le cuivre 
est aussi bien traité. Parmi les objets de luxe, réclamés 



110 



L'EUROPE MEDIEVALE ARABE 



par une riche clièfttèk, figurent mortiers et braseros, 
fontaines en bronze, coffrets d'argent, gobelets d'or, d'ar- 
gent ou d'ivoire ; en ivoire également, les pièces de jeux 
d'échecs, les pots à parfums et les boîtes à bijoux. Nous 
entrons ici dans le domaine de l'art : de splendides sculp- 
tures rehaussent ces objets : tantôt des lettres arabes orne- 
mentées, ciselant un verset du Coran, tantôt des entrelacs 
de fleurs et de feuilles, ou des corps d'animaux (lions, 
chiens, oiseaux, taureaux, gazelles, antilopes) voire de 
personnages ^^. 

On fabrique des arcs, notamment avec des bois de 
cerf et des cornes de bouc sauvage. Le travail du cuir 
est encore plus développé, surtout dans la région de 
Cordoue, où se maintiennent et se perfectionnent des 
techniques pré-islamiques. Du parchemin est fabriqué avec 
la peau du faon comme avec celle de la gazelle, et des 
boucliers le sont avec tous les cuirs. La sellerie, les housses, 
les ceintures et les coussins, les souliers (de type montant : 
diverses espèces de bottines ou bottes) sortent des mains 
des artisans qui traitent les peaux ; ils font aussi beaucoup 
de sandales, auxquelles ils ajustent parfois des semelles 
en liège ou en sparte, de même qu'ils placent des semelles 
en bois aux petites bottes d'été. 

L'artisanat le plus productif est sans conteste celui 
du textile. Outre la laine et le lin, qui ne manquent à peu 
près nulle part, le coton et le mûrier sont cultivés en 
Sicile et en Andalousie. L'élevage du ver à soie est 
l'affaire des femmes : a En février, dit un calendrier 
agricole du x* siècle, elles en mettent la graine dans des 
sachets qu'elles placent sous leurs aisselles ou sur leur 
poitrine '^ » ; et bientôt après les vers éclosent. Outre 
le henné, le pastel, le kermès et le sumac sont utilisés par 
les teinturiers. Toiles de lin et de coton,'* tissus, couver- 
tures et tapis de laine sortent d'ateliers privés, tandis que 
des manufactures d'Etat ont le monopole ou le quasi- 
monopole de la fabrication des étoffes de luxe : brocarts 



NATVRE, TRAVAIL, PLAISIRS 



111 



et soieries. Dans al-Andalus, les agents du fisc procèdent 
chaque année, en février, à des réquisitions de soie et de 
kermès pour ces industries officielles ; ils reviennent en 
août pour se faire remettre de la teinture bleu-pastel et 
encore de la soie. Dans les dépendances des palais, à 
Cordoue et à Palerme, à Séville et à Saragosse, comme 
à Grenade, de superbes toiles de soie et d'or sont tissées ; 
puis y sont brodés les noms et titres du souverain, accom- 
pagnés de guirlandes d'éloges. Dans ces manufactures 
a royales », on fabrique aussi des housses en soie et 
en or, pour les chevaux, des tapis de soie, des selles en 
brocart, des tapisseries de luxe où se reflètent les somp- 
tuosités de l'art byzantin, dont les formules arrivent ainsi 
jusqu'en Occident, via Damas et Bagdad. 

Hommes et femmes s'habillent pareil en général ; 
mais, suivant les époques, telle ou telle mode prévaut. 
Par exemple en Sicile, comme sans doute en Languedoc et 
en Provence, de même qu'en Espagne avant le xn* siècle, 
seules des femmes portent le burnous : dames et jeunes 
filles de la haute société, quand elles sont sur des mules. 
Mais, après l'arrivée des Almohades marocains dans al- 
Andalus, tous les hommes et femmes de ce pays se 
mettent à porter le burnous. Les vêtements se font parfois 
à la maison, parfois chez des tailleurs, mais on en achète 
tout faits. Les peaux de mouton ou de brebis, de lapin, 
de belette et de petit-gris sont appréciées pour les man- 
teaux d'hiver, les plus riches se parant de pelisses en 
renard blanc, en marte ou en zibefme. Les vêtements de 
plus grand prix sont confectionnés dans les manufactures 
d'Etat pour le prince, sa famille et tous ceux à qui 
il en offre. 

A même le corps, se portent d'ordinaire une chemise 
assez cintrée, de lin ou de coton, et des caleçons longs 
et étroits allant jusqu'au genou ; mais, parfois, la chemise 
est remplacée par une tunique plus ample. Sur cette 
tunique ou chemise, on revêt une sorte de longue blouse 



112 



UËVKOPE MEDIEVALE ARABE 



de tissu léger ou chaud. Dans les campagnes, ce vêtement 
est souvent remplacé par un gilet. D'autre part, les jambes 
sont gainées dans des chaussettes de laine, montant jus- 
qu'aux genoux, sur lesquelles on enfile bottes ou bottines, 
sandales ou espadrilles, ou encore, à la maison, des 
pantoufles ou mules qui peuvent être superbes, brodées 
d'or ou d'argent, voire garnies de pierres précieuses. 
A la campagne, on porte, en hiver, des bottes en peaux 
de mouton. 

Quant à la coiffure, elle diffère, bien sûr, selon les 
sexes. Les hommes vont souvent tête nue, surtout dans 
le peuple, mais ils portent, parfois, un petit bonnet de 
lin ou une sorte de casquette en feutre, de couleur rouge 
ou verte ; les plus riches arborent d'élégants et dispen- 
dieux bonnets de soie ornés de pierreries. Enfin, réservé 
d'abord aux faqU porté aussi par ceux qui sont allés en 
pèlerinage à La Mecque, le turban se généralise peu à peu, 
à partir du xr* siècle. Les femmes, au contraire, s'enve- 
loppent la tête d'une sorte de capuchon d'étoffe légère 
et placent sur le visage, soit un voile le couvrant entiè- 
rement et tombant sur la poitrine, soit une gaze qui le 
cache seulement au-dessous des yeux et jusqu'à la gorge. 
Mais à la campagne, en été, les femmes comme les hommes 
mettent sur leur coiffure, ou directement sur leur tête, 
de grands chapeaux de paille tressée. 

Lorsque la « coqueluche » à'aUAndalus, Fartiste 
irakien Ziriyab, a fait la conquête de Cordoue par ses 
chansons et sa musique, il ne tarde pas y devenir une 
sorte de Pétrone ou de Brummel, comme l'a remarqué 
Evariste Lévi-Provençal : il fixe un « calendrier de la 
mode ». De juin à septembre, il faut se vêtir de blanc, 
dit-il, ce qui bouleverse les coutumes car le blanc était 
jusqu'alors réscrv^ aux gens' en deuil, qui dès lors, dans 
les mois chauds, s'habillent en noir, pour se distinguer 
des autres. Quant aux élégants, ils quittent à partir 
d'octobre leurs vêtements blancs et adoptent des tenues 



NAlURh. TRAVAU.. PLAISIRS 



113 



de couleurs relativement sombres en soie grège, en brocart 
ou en laine, sur lesquelles se placent en hiver les four- 
rures et pelisses. Enfin au printemps, c'est le moment de 
s'habiller de couleurs éclatantes, en soie vaporeuse, de 
préférence. 

A Cordoue, Ziriyab ouvre même une sorte d' « Insti- 
tut de Beauté » où Ton reçoit des soins pour la peau. Les 
hommes y apprennent à se raser ; les femmes à s'épiler 
et à se farder. Parfumeurs et barbiers sont nombreux. 
Les hommes portent, soit des cheveux longs couvrant les 
oreilles, soit le crâne rasé. Cette dernière jnode se géné- 
ralise avec Tusage du turban. Au temps de Ziriyab, la 
mode est aux cheveux courts et frisés, avec la nuque 
dégagée. Soit que les hommes portent la barbe, ce qui 
devient de plus en plus rare, soit qu'ils se fassent raser, 
ils ont toujours recours au barbier. Ils se rendent chez 
lui ou le font venir à domicile. 

Hommes et femmes font un grand usage de pâtes 
dentifrices et dépilatoires, d'huiles odoriférantes et d'es- 
sences de fleurs. Parmi les parfums, le jasmin, la rose, 
la violette et le musc sont les plus appréciés. Pour garder 
une haleine agréable, on mastique des gommes à fortes 
saveurs. Les femmes saupoudrent leurs vêtements avec 
des poudres aromatiques ; elles se colorent les lèvres 
avec des racines de noyer, se fardent les yeux et les cils 
avec du khôl, passent au henné les ongles de leurs pieds 
et de leurs mains. Même les moins fortunées ne savent 
pas résister aux tentations de FtSégancc. Pour se rendre 
à des fêtes, des mariages, ou des réceptions qui suivent 
la circoncision d'un fils, elles n hésitent pas à louer leurs 
joyaux, dans des officines spécialisées dans ces prêts. 
Mais dès que l'époux est suffisamment riche, une femme 
a toujours un coffret garni de bijoux, bien à elle : colliers 
de perles ou de pierres précieuses, pendants d'oreille, 
bracelets massifs portés aux chevilles comme aux poignets, 
broches, fibules, diadèmes au besoin, constituent les 



114 



L'EUROPE MEDIEVALE ARABE 



parures des plus fortunées. Le jais et l'ivoire sont appré- 
ciés, mais restent éclipsés par l'or, les rubis et les 
saphirs '^^. 

Au temps d'Abd ar-Rahman II de Cordoue (822- 
852). l'émir jouissait d'un droit d'achat préférentiel, qu'il 
s'était octroyé, sur tous les joyaux, objets de luxe ou 
livres rares, que les marchands pouvaient ramener d'Orient. 
Il y a dpnc, dans ces pays d'Occident « orientalisés », 
tout un art de vivre dans le luxe, réservé, il est vrai' 
à une toute petite couche de la population. 



La joîe du corps, son bien-être et les divertissements 

Dans tous les milieux, l'homme cherche à jouir de 
son corps et il le peut. Un jeu très simple en soi, mais 
à multiples variantes, fait la joie de tous les garçons : 
celui de la balle ; cette activité de type sportif, qui fatigue 
et détend le corps tout à la fois, n'est pas seulement 
pratiquée par les jeunes ou dans le peuple. A Cordoue, 
l'émir al-Hakam P^ (796-822) en a la passion : quand 
il veut combler d'attentions un visiteur de marque pour 
lequel il éprouve de l'amitié, « il lui fait l'insigne honneur 
de l'inviter à jouer à la pelote avec lui^^ ^ jj^ ^utre 
sport, plaisir du cavalier et des spectateurs, est la course 
de chevaux, épanouissement de Fart de l'équitation. Le 
tournoi aussi est pratiqué, comme en Occident. 

Parfois s'organisent, notamment dans al-Andalus, des 
combats d'animaux sur lesquels on est peu renseigné : 
on y entrevoit de curieux affrontements entre taureaux 
et chiens ; peut-être même la corrida, combat entre la 
bête et l'homme, s'esquisse-t-elle. Les jeux de science 
et de hasard, eti.^out cas. sont très répandus : le plus 
noble est celui des échecs, où triomphent l'habileté et la 
réflexion ; a les dames » sont un divertissement plus 
populaire ; les dés, enfin, laissent le sort s'exorimer à t)eu 



NATURE. TRAVAIL, PLAISIRS 



115 



près seul, avec de nombreuses variantes. Tous ces passe- 
temps connaissent une vogue ininterrompue, malgré l'inter- 
diction légale qui frappe les jeux de hasard liés à des 
mises d'argent et que les hommes contournent toujours : 
des tripots clandestins ne cessent de fonctionner. 

Un plaisir tout différent est la danse, pratiquée par 
les hommes comme par les femmes ; mais elle n'est pas 
bien connue car les textes en parlent peu, le puritanisme 
islamique prohibant la musique qui la conditionne. Les 
femmes qui s'y livrent sont des esclaves, dansant chacune 
seule, en mettant en valeur ses formes. Plus qu'une mani- 
festation esthétique collective, la danse est ainsi, pour 
les spectateurs, un plaisir erotique, assez trouble parfois. 
les danseuses s'habillant en garçon, à l'occasion. Les sac- 
cades, l'emballement « endiablé », la frénésie excitent les 
sens. 

Les concerts non dansés, ou encore le simple jeu 
d'un instrument isolé, sont non moins appréciés, source 
d'émotion spirituelle et de ravissement artistique : de 
grands orchestres ont été organisés à certaines heures, 
notamment à Cordoue au ix'^ siècle, un ensemble de musi- 
ciennes formées à l'orientale et dirigées par trois concu- 
bines de l'émir Abd ar-Rahman IL Violes, tambourins et 
flûtes accompagnent ainsi l'existence, souvent avec l'ac- 
cord du pouvoir, malgré les interdits que des a docteurs 
en Islam » font, par moments, remettre en vigueur. 

On aperçoit aussi des danses populaires qui sont à 
l'origine de traditions andalouses, siciliennes ou même 
provençales maintenues jusqu'à nos jours : les castagnettes 
et les claquements de doigts apparaissent peut-être déjà 
en Espagne. Les danses provençales dites « des épées ». 
« des oranges », a à la mauresque », remonteraient aussi 
aux « jeux d'ensemble d auxquels se seraient livrés les 
Maures de La Garde-Freinet et des alentours, les hommes 
exécutant une sorte de danse en courant sur une seule file, 
les uns derrière les autres. <r chacun gambadant ou battant 



116 



L'EUROPE MEDIEVALE ARABE 



des entrechats, s'arrêtant de temps en temps pour boire '^^ ï>. 
Le bain donne au corps une joie toute différente et 
procure la détente : le hammam des pays d'Islam, conti- 
nuateur des thermes de l'Antiquité, est un trait essentiel 
de civilisation. D'ailleurs, l'eau est l'objet d'une sorte de 
respect qui remonte aux traditions pré-islamiques des 
nomades allant d'oasis en oasis, et qu'a sacralisé la religion 
musulmane, en lui faisant place dans ses rites ; des ablu- 
tions sont, en effet, nécessaires avant chacune des prières 
de la journée. De surcroît, l'hygiène est observée : on se 
nettoie les mains et on se rince la bouche avant et après 
les repas ; dans les plus humbles maisons se trouvent des 
bassines où Ton peut se laver les pieds et même se dou- 
cher. Chez les riches, on utilise des baignoires que rem- 
plissent et vident les esclaves. Mais tout cela est éclipsé 
par le hammam, car celui-ci procure, outre la propreté, 
un temps de délassement, de farniente, de bavardages. 
Tous y vont, citadins et ruraux, femmes et hommes. Le 
même et bain maure » accueille en effet la clientèle fémi- 
nine l'après-midi, le matin et toute la nuit étant réservés 
à la clientèle masculine. On y passe plusieurs heures. Des 
masseurs y offrent leurs services. Les femmes s'y font 
épiler. peigner, coiffer, parfumer, oindre d'onguents ^^l 
Rares semblent les mises en garde contre ces bains. On en 
relève pourtant une, curieuse, dans Le Calendrier de Cor- 
doue : il faut éviter d'aller au hammam en décembre '^^. 
Est-ce à cause du froid ? Ou est-ce parce que, dans le 
même paragraphe, ce traité conseille de « pratiquer le 
coït » durant ce mois ? 

Dans les scènes de société et de civilisation propres 
aux pays dont nous tentons d'exposer le style d'existence, 
une forte présence s'impose constamment, en tout cas. 
celle du sexe. Femmes et jeunes enfanta- (filles et garçons) 
vivent en famille dans la plus totale promiscuité. Les his- 
toriens l'ont noté : « Dès l'âge le plus tendre, les enfants 
savent parfaitement ce que sont les relations conjugales 



NATURE, TRAVAIL, PLAISIRS 



117 



et ils n'ont pas besoin de la moindre initiation sexuelle 
quand ils arrivent à la puberté "^i. » Les mœurs masculines 
sont très libres ; mais si une femme trompe son mari, elle 
est exposée aux pires peines, dont la moindre est de deve- 
nir son esclave ; l'homme fait ce que bon lui semble. 

Dans les rues, la prostitution est développée, mais 
les péripatéticiennes non musulmanes n'ont comme clients 
que des lionimes du bas peuple qui les accompagnent dans 
des auberges -bordels, maisons frappées d'un impôt spé- 
cial ^2, D'ailleurs, des octobre et jusqu'au printemps 
« aucune fille coureuse ne met plus le nez dehors », 
affirme l'évêquc Recemundo ". Les hommes d'un certain 
rang trouvent toujours à satisfaire ailleurs ou autrement 
leurs pulsions sexuelles : les esclaves qu'ils détiennent ou 
que leur prêtent des amis sont là pour cela ; les beaux 
garçons aussi. L'écrivain hispano-arabe Ibn Hazm (994- 
1064) raconte le cas d'un mari qui aimait les hommes et 
qui était un peu ruiné : cet individu prostitue ses femmes 
afin d'avoir des revenus supplémentaires pour se payer 
des garçons ^^K Dans toutes les grandes villes, existent des 
« efféminés professionnels », qui vendent leurs faveurs ^5. 
D'autre part, des bordels de belles esclaves, qui ne sor- 
tent pas, fonctionnent à plein rendement. 

Homosexualité et hétérosexualité se combinent : « Un 
homme fait facilement l'amour tantôt avec une de ses 
femmes, tantôt avec un homme 56. „ Lévi-Provençal indique 
que, dans al-Andalus, la pédérastie .est une forme quasi 
courante et usuelle de la vie sexuelle : souvent les maîtres 
possèdent leurs jeunes esclaves mâles, eunuques ou non ; 
bien des poèmes ou des écrits philosophiques de Ui grande 
époque cordouane évoquent des cas émouvants ou tragi- 
ques : en 925, se trouvait otage à Cordoue un adolescent 
léonais d'une grande beauté, âgé de près de quatorze ans ; 
or, écrit rhistorien Simonet, « cet adolescent eut le malheur 
de plaire à Témir et futur calife Abd ar-Rahman III, ce 
prince ayant le vice de la sensualité malgré ses hautes 



118 



VEUROPE MEDIEVALE ARABE 



qualités ». Maladroitement sollicité par lui, Fadolesccnt 
se refusa et Abd ar-Rahman entra dans une si grande 
fureur qu'il ordonna de l'égorger ; ce qui fut fait le 
26 juin ; ce jeune martyr de la virginité a été canonisé 
par l'Eglise : il est saint Pelage ou Pelayo, qu'honorèrent 
toujours beaucoup les Mozarabes. Un siècle plus tard, 
c'est un drame différent qui se produit, encore à Cordoue : 
un célèbre poète et grammairien, Ahmed ibn Klaïb, meurt 
de douleur, parce qu'un de ses concitoyens et coreligion- 
naires, « de bonne famille andalouse » ne répond pas à 
son amour 58. 

Parfois, les carrières politiques sont traversées ou 
ébranlées par des passions sensuelles. Certaines sources 
présentent comme un « bel inverti » le juif Joseph ben 
Samuel ben Nagralla qui a été, à la suite de son père, 
l'un des principaux ministres d'un émir de Grenade, au 
milieu du xi* siècle ^9. 

Les problèmes inhérents aux différences de religion 
compliquent les relations sexuelles : selon la loi des Wisi- 
goths, un mari ne doit pas se livrer sur sa femme à des 
a plaisirs contre nature » ^^ ; l'Islam serait plus tolérant 
en ce domaine, mais il met le christianisme en accusation 
sur un plan plus général : des « docteurs en Coran » du 
X* siècle tonnent, dans al-Andalus contre certains ermi- 
tages chrétiens qu'ils dénoncent comme des lieux de dépra- 
vation, « antres de prostitution », en même temps que 
tavernes. D'après une consultation juridique de cette 
époque, des chrétiens « de mœurs faciles » osent cour- 
tiser des musulmanes, mariées ou jeunes filles : « Ces 
hommes dangereux et impies doivent être punis par de 
rudes châtiments corporels et par un emprisonnement 
quasi perpétuel, v Malgré cela, il arrive à des chrétiens 
d'enlever des m;usulmanes et de s'instaher avec elles dans 
une ville où ils sont inconnus et où ils se font passer pour 
un ménage chrétien ^^ 

Le tourbillon des plaisirs sexuels entraîne les hom- 



NATURE. TRAVAIL. PLAISIRS 



119 



mes, tant les jeunes que les moins jeunes. Un texte chré- 
tien nous dit que la ville de Palerme est, sous la domi- 
nation des Arabes, « une tour de Babel où pullulent les 
abjections et les plaies sociales ^^ ». par contre, les chro- 
niqueurs musulmans sont unanimes à présenter cette ville 
et la Cordoue de la même époque comme des lieux bénis 
ce où se trouvent toutes les délices de la terre », notamment 
dans les banlieues oi^i Ton vit au milieu des jardins : « Les 
demeures des notables sont aménagées à la campagne 
comme des images du paradis promis par Mohammed aux 
fidèles d'Allah ^^. » Le Generalife de Grenade en reste un 
exemple. 

Là, tout est a luxe, calme et volupté i>. Le libertinage 
règne entre amis de bonne compagnie. Ceux-ci aiment 
d'ailleurs à sortir ensemble hors du centre urbain. Un chré- 
tien a décrit un jour de fête religieuse musulmane à Cor- 
doue, en avril 850 : les jeunes gens, vêtus de beaux habits, 
les uns à cheval, les autres à pied, parcourent en bandes 
les rues de ia ville, avec des palmes à la main, imitant 
en cela les coutumes chrétiennes du jour des Rameaux ; 
puis, vers le soir, ils partent vers les cimetières maho- 
métans, qui sont tous de vrais petits jardins : « C'est sous 
prétexte de pleurer sur leurs morts ; en réalité, c'est pour 
y prendre leurs aises et s'y divertir la nuit, entre hom- 



mes 



64 



Bien qu'interdit par llslam, le vin accompagne tou- 
jours ces ébats ; les soirées à la campagne sont même, en 
général, de véritables orgies. Les poèmes arabes en témoi- 
gnent : les poètes de Sicile et d'Espagne ont chanté les 
vins avec a une ferveur tout anacréonlique ^^ ». L'ivresse 
est fréquente dans la « bonne société d. le seul péché étant 
de prononcer des paroles impies sous l'empire de la bois- 
son, ce que Mozarabes ou juifs compagnons de débauche 
font trop facilement, dit-on. Le pire est de « maudire 
celui qui a interdit les boissons enivrantes ^^ ». En tout 
cas, dans les grandes familles urbaines, il n'y a pour ainsi 



120 



UEVROPE MEDIEVALE ARABE 



dire jamais de partie de plaisir se terminant autrement 
que dans l'ivresse 6^, Le vin n'est pas le seul responsable. 
L'hydromel fermenté semble aussi consommé. Le has- 
chisch même apparaît dès le début du xiv' siècle au plus 
tard, dans le sultanat de Grenade : il est fumé dans tous 
les milieux, aussi bien par des gens de la plèbe que par 
des aristocrates, voire par des princes, tel le sultan nasride 
Mohammed VI ^^ 

Certains souverains essayent de réagir contre le vin : 
en montant sur le trône de Cordoue en 822, Abd ar-Rah- 
man II ordonne la démolition de la Halle aux Vins, tenue 
par des chrétiens aux portes de la capitale ; un siècle et 
demi plus tard, un de ses successeurs, le calife al-Hakam II 
(961-976), envisage de faire arracher toutes les vignes de 
ses Etats, mais ses conseillers lui font valoir que les gens 
s'enivreraient alors avec du moût de figues. Les Almora- 
vides et les Almohades sévissent contre la consommation 
du vin mais ils ne peuvent la faire disparaître. A travers 
les siècles, tant dans al-Andalus qu'en Sicile, à l'apogée 
des Etats musulmans tout comme durant les périodes de 
tmfas, se profilent des silhouettes de personnages qui boi- 
vent et se grisent : quand, en 895, un prince de Cordoue 
se décide à faire condamner à mort son propre fils qui 
vient de commettre un crime, aussitôt après l'exécution, 
il prend soin de faire enterrer son enfant « sous un myrte 
dans le jardin où ce malheureux aimait à faire ses liba- 
tions ». Au début du xr* siècle, le calife de Cordoue 
Hisham II et son hadjib, Abd ar-Rahman Sanchuelo, l'un 
et l'autre de sang navarrais par leurs mères, sont pré- 
sentés dans les chroniques comme des libertins et des 
(( ivrognes », passant leurs nuits en compagnie de dan- 
seurs et de l>ouffons, de chanteurs et d'invertis, plus sou- 
vent qu'avec les femmes de leurs harems. Au débtit du 
xif siècle, un poète murcien, Ibn Ouahboun est, nous 
dit-on, un « débauché et inverti notoire ». Tel autre grand 
poète andalou, Ibn Khafadja, nous a laissé dans son œuvre 



NAIUUE, IRAVAIL. PLAISIRS 



121 



de nombreux u tableaux cic mœurs )) de l'époque. Il chante 
un jeune échanson noir qui l'assiste dans les parties de 
plaisir nocturnes, aussi bien que les femmes des cabarets 
que, selon une tradition bien établie, on ne doit pas quit- 
ter avant le lever du jour, car ce serait « perdre une partie 
de la nuit ». Tout un cortège d'adolescents, à la fois 
chanteurs et mignons, circule dans ses vers : ils font pas- 
ser les coupes de main en main au cours des soirées, a tou- 
jours prêts à se livrer de bonne grâce aux caprices de 
tel ou tel convive », On ne sait plus de qui parle le poète, 
d'ailleurs, car comme cela est de mode dans la poésie 
arabe, il emploie souvent le masculin pour parler d'une 
femme. Faisant la cour aux beaux représentants des deux 
sexes, il confond volontairement les genres grammaticaux 
si bien qu'aux dires de bons critiques littéraires univer- 
sitaires, comme Henri Pérès et Hamdan lladjadji, on ne 
peut établir de distinction « entre les vers qui s'adressent 
à des mignons et ceux qui ont pour objet une femme "^^ ». 
Sans trop chercher de qui il est question, enregistrons 
donc les vers du poète Ibn Khafadja connue témoignage 
sur cette vie : 



Véphèbc se leva, pour nous verser à boire. 

Il se fnit à chanter : 

(( Sous des rameaux où roucoulait une colombe... » 

Dans ses yeux, dans ses mains, sur ses joues, sur ses lèvres y 

Savourons la douceur de son vifi. qui pénètre ^' / 



CHAPITRE VI 
CEUX ET CELLES QUI ONT PERDU LA LIBERTE 



Dans la plupart des pays de TOccident chrétien du 
viii" siècle, lorsque les Arabes pénètrent en Europe, Tescla- 
vage était en voie de disparition à Fintérieur du servage 
en train de naître. Au contraire, il se conservait dans le 
dar al-Islam et il s'y maintint : les esclaves subsistaient 
encore nombreux dans le sultanat de Grenade, aux xiv' 
et XV* siècles. On en a compté jusqu'à trente mille environ, 
de religion chrétienne, vers 1310*, tout comme il y en 
avait d'ailleurs encore dans toutes les franges de l'Occi- 
dent chrétien d'alors, qui avaient de fréquents contacts 
belliqueux et commerciaux avec les pays mahométans. 

Mais qu'était-ce qu'un esclave en ces temps médié- 
vaux ? Un frère du servus de l'Antiquité ? Un « slave » 
(sclavus) dont on faisait la traite et que l'on nommait ainsi, 
quelle que fût son origine ethnique ? Un prisonnier de 
guerre ? Le malheureux capturé sur mer ou razzié, soit 
au cours d'une chevauchée soit à la faveur d'un débar- 
quement en pays infidèle ? Le mot recouvre plusieurs 
réalités très nuancées, pour lesquelles la privation de 
liberté est le^^eul dénominateur comrîiun. 

En tout cas, le mahométan détenteur de captifs est 
tenu de respecter certaines règles coraniques, plus ou 
moins proches de divers principes évangéliques : il doit se 



CEUÀ QUI ONT PERDU LA LIBERTE 123 



montrer charitable envers sou esclave, lui laisser la possi- 
bilité de se racheter par le fruit de son labeur dans cer- 
tains cas ; pour aucun motif il ne peut le tuer. De sur- 
croît, il libère parfois ses captifs, souvent par testament, 
pour les récompenser de l'avoir bien servi 2. H arrive 
qu'un maître conclue avec un esclave un a contrat de 
libération », l'autorisant à travailler ailleurs et à quêter 
pour amasser la somme fixée comme prix de sa liberté, 
au besoin le louant à un tiers, en lui laissant les possibles 
excédents de salaire "\ Parfois, ce captif muni d un contrat 
d' « allranchissement à payer y> peut même partir en 
voyage dans son pays d'origine, à condition de laisser à 
son maître un otage, de même valeur marchande, voire 
un de ses enfants. Enfin, des ambassadeurs de souverains 
chrétiens et, dans les derniers siècles du Moyen Age, à 
Grenade, des prêtres rachètent, dans la mesure du pos- 
sible, leurs coreligionnaires esclaves en terre d'Islam. 

La fuite est une autre solution pour le captif, mais 
elle est fort risquée ; le fugitif repris est expose à de terri- 
bles châtiments ; d'abord on le fouette très violemment et 
longtemps, puis on lui coupe une oreille ou le nez ; et 
désormais il est toujours enchaîné pendant la nuit, qu'il 
passe souvent dans une fosse recouverte d'une lourde dalle. 
Si la fuite est réussie, bien imprudent est l'ancien esclave 
chrétien revenant, par exemple comme marchand, dans 
le pays où il a été captif : reconnu, il est arrêté et rede- 
vient le bien de son ancien maître ou des héritiers de 
celui-ci, sauf si un traité de trêve et de Commerce est alors 
en vigueur entre ce pays d'islam et le souverain « infi- 
dèle » dont il relève ; dans ce cas, il est à l'abri de toute 
arrestation ; sous la protection de la communauté musul- 
mane, il peut y séjourner librement pendant qu'il effectue 
ses opérations commerciales 4. 



124 



VEUROPE MEDIEVALE ARABE 



CEUX QUI ONT PERDU LA LIBERTE 125 



La capture et la prison 

La vie de l'esclave, son sort, sa condition sont fluc- 
tuants. Tout comme dans les autres secteurs de la société, 
rien n'est figé dans le vaste milieu que constituent les 
captifs. Pour celui qui ne naît pas dans l'esclavage, la vie 
sans liberté est scindée en diverses phases. Le moment le 
plus cruel est sans doute celui oii il vient d'être, soit cap- 
turé au combat ou à la faveur d'une razzia, soit livré à 
des trafiquants : c'est l'heure des fers, des chaînes, des 
coups de fouet à la moindre incartade. 

L'emprisonnement est un autre aspect de Tesclavage. 
Tantôt de nouveaux esclaves sont jetés dans une sorte 
d'entrepôt provisoire avant d'être mis en vente ; tantôt 
sont incarcérés des hommes libres, musulmans ou non 
condamnés à expier une faute durant un certain temps 
Mais la geôle ne présente pas toujours les mêmes carac 
tères. La prison utilisée à Palerme, vers la fin du ix* sic 
clc, lors de l'arrivée d'un convoi de captifs, est un sou 
terrain où l'on accède en descendant quatorze marches et 
dont la porte est la seule ouverture ; en plein été, la 
chaleur, l'obscurité et la saleté y régnent, les insectes 
y pullulent. Là se trouvent entassés des Siciliens chrétiens, 
des Juifs, quelques Noirs, des Arabes, des chrétiens venant 
de divers pays, parmi eux, les fers aux pieds, Tévêque de 
Malte 5. 

En général, dans les prisons, les geôliers font la loi. 
Ils chargent de chaînes ou attachent à des poteaux les 
malheureux qui ne leur donnent pas de gratifications ou 
ne leur en font pas distribuer par les parents, amis ou 
coreligionnaires de l'extérieur qui viennent les visiter ou 
leur dire quelques mots devant un gardien, dans le vesti- 
bule du bâtiment, La seule nourriture des prisonniers est 
souvent celle que ces visiteurs leur apportent. Le captif, 



qui a la possibilité de donner de bons pourboires à ses 
geôliers, est bien traité et il peut circuler librement à 
l'intérieur de l'ergastule, si celui-ci est vaste. 

Au milieu du ix' siècle, par exemple, à Cordoue, 
saint Euloge ' vit en prison pendant un certain temps. Au 
même moment, deux très jeunes filles, ses coreligionnaires, 
sont aussi incarcérées dans le quartier des femmes du 
même édifice. Accusées d'avoir insuhc l'Islam en public, 
elles sont passibles de la peine de mort, ce qui ne les 
effraie pas ; mais le cadi voudrait les sauver et leur 
demande de se convertir à la religion du Prophète Moham- 
med, les menaçant, si elles refusent, non pas de les faire 
exécuter, mais de les sortir de prison pour les placer dans 
un bordel. Luiogc veut les réconforter cl les soutenir spi- 
rituellement ; ii y réussit d'abord en leur faisant passer 
des billets, puis même en ayant avec elles des entrevues 
secrètement aménagées par des gardiens bien gratifiés. 
Dans sa prison, ce saint andalou peut même travailler 
aux livres qu'il rédige sur le martyre et sur la religion en 
général, à des poèmes qu'il écrit en latin et à une épître 
qu'il compose pour l'évêque de Pampelune et qu'il fait 
parvenir à ce prélat par un chevalier navarrais alors en 
voyage à Cordouc. 

Les geôles sont remplies de captifs chrétiens autoch- 
tones quand une vague de mysticisme catholique se pro- 
page dans une région donnée, suscitant une véritable 
course au martyre volontaire : pour être condamnés à 
mort, les plus exaltés injurient en public le Prophète 
Mohammed et la religion islamique. Cela se produit en 
Andalousie au milieu du ix' siècle **. Afin de limiter la 
propagation de ce tragique engouement collectif, en plein 
accord avec l'archevêque de Séville, le gouvernement arabe 
fait emprisonner ceux des prêtres qui prennent fait et 



* Cf. supra, pp. 71, 79 et 86, et infra, p. 141. 
'*** Cf. infra. p. 219 sq. 



126 



UEUROPE MEDIEVALE ARABE 



cause pour cette course au martyre volontaire, parmi eux 
le propre évêque de Cordoue. Comme Ta écrit saint Euloge 
dans une de ses poésies. 

En ce temps, les cachots étaient emplis de prêtres. 
Tandis que dans la ville étaient privés de clercs 
Eglises et couvents, chapelles et monastères. 
Et seulement dans les coins très secrets des prisons, 
S'entendait murmurer la prière des psaumes^. 

Cependant, dans le cas contraire, c'est-à-dire quand 
une vague de mysticisme et d'exaltation islamiques entraîne 
la masse populaire musulmane d'une ville, ou encore 
quand des troubles urbains éclatent, la pression d'une 
foule vient menacer la vie des captifs chrétiens à Tinté- 
rieur de leurs lieux d'incarcération. Un jour de fête maho- 
métane, par exemple, vers la fin du ix' siècle, un faqi, 
c'est-à-dire un e docteur en science religieuse n, ardent 
prédicateur ayant excité le peuple arabe de Palerme contre 
des prêtres a polythéistes » alors emprisonnés dans cette 
ville, il fallut une prompte réaction des autorités et de la 
troupe musulmanes pour éviter qu'une bande armée de 
pierres et de gourdins n'envahisse le lieu de détention et 
n'y massacre les a incroyants » ^. 



L'esclavage aux champs 

Au moment où les musulmans installent leur autorité 
dans un pays, ils se font livrer, en même temps que des 
terres, les hommes qui les cultivent et qui ne peuvent plus 
les quitter ; et le mahométan considère comme de véri- 
tables esclaves les « serfs » ou a coloqs » qui mettent en 
valeur ces propriétés. Ces paysans asservis sont inégale- 
ment traités suivant le caractère de leur maître ou de 
l'intendant qui les surveille. Quant aux esclaves qui tra- 



CEUX QUI ONT PERDU LA LIBERTE 127 

vaillent le soi dans des propriétés appartenant encore à 
un chrétien, ils sont plus ménagés qu'à l'époque wisigo- 
thique, tant dans la Gaule méditerranéenne que dans la 
péninsule Ibérique : s'ils sont trop maltraités, il leur suffit 
de se convertir à l'Islam pour échapper à leur maître, un 
musulman ne pouvant être l'esclave d'un chrétien *^. 



Le trafic de la marchandise humaine 



Le commerce des captifs se fait partout el sans cesse 
dans les pays d'Islam. Lorsqu'ils sont transportés vers 
des marchés en de longs cortèges qui semblent des trou- 
peaux, les malheureux sont en général particulièrement 
rudoyés. Dans l'été 878, par exemple, après la prise de 
Syracuse par les Arabes, de nombreux Siciliens de cette 
ville sont envoyés en convoi à Palerme, attachés sur des 
bêtes de somme, escortés par des Noirs brutaux ; le 
voyage dure six jours et six nuits, durant lesquels les 
prisonniers restent ligotés, sans nourriture, exposés à des 
températures élevées, parfois en plein soleil ; parmi eux 
Févêque de Syracuse et quelques prêtres arrêtés en même 
temps que lui dans la cathédrale '^. 

Lors des ventes aux enchères d'esclaves, qui sont 
des « cérémonies » bien réglementées, attirant un nom- 
breux public, des médecins, voire des matrones, sont appe- 
lés à l'occasion pour attester les qualités physiques, l'état 
de santé, le cas échéant la virginité cfcs êtres proposés 
aux plus offrants. Des actes de vente précis sont toujours 
dressés, mentionnant particularités, défauts, imperfections, 
par exemple même les taches de rousseur, pour que l'ache- 
teur ne vienne pas ensuite se plaindre qu'on l'a trompé 
sur la marchandise "^*\ 

De fait, les vendeurs cherchent toujours à abuser 
les clients, comme en témoigne cette histoire, authentique 
malgré ses allures de conte : un brave campagnard maho- 



128 



VEUROPE MEDIEVALE ARABE 



métan, bien pourvu de dinars, arrive en une ville où des 
esclaves se vendent aux enchères. Il veut en trouver une 
aussi blanche et blonde que possible, venant du cœur du 
pays des roumis et ne comprenant rien à la langue arabe 
(ce type de femmes est alors le plus recherché). On lui 
fait l'article et il en achète finalement une, dont on lui dit 
qu'elle arrive de la terre des Francs et qu'elle ne dit pas 
un mot d'arabe. L'affaire faite, il repart vers sa campagne, 
juché sur sa mule, la captive trottinant derrière, retenue 
par une corde ; de temps en temps, on croise des gens et 
voici que, brusquement, un passant salue la femme qu'il 
reconnaît et elle lui répond en parfait arabe. La pseudo- 
Franque était une autochtone ! L'acheteur est furieux. Il 
reproche à sa nouvelle esclave de l'avoir trompé par son 
silence. Elle lui rétorque que si elle avait parlé, le mar- 
chand se serait ensuite vengé d'elle ; et elle n'est pas 
sotte ; elle lui dit : « Ecoute mes conseils. Va me vendre 
demain ou après-demain dans une autre ville ; dis à ton 
tour que j'arrive des pays du Nord, je suis si blanche 
qu'on le croira ; et comme je suis jeune et belle tu pour- 
ras faire un beau bénéfice, car tu ne m'as pas achetée très 
cher. D Le brave campagnard comprend que l'esclave a 
raison. Il la garde quelques jours, la traite bien, puis va 
la vendre dans une autre cité, à un prix plus élevé qu'il 
ne l'avait payée ^^. 



Les esclaves proches du pouvoir 

Pour ce qui est des hommes, la chance peut sourire 
à un esclave s'il est au service d'un puissant personnage 
musulman, un émir. Au temps du califat de Cordoue, 
l'entourage servile du souverain forms^ un milieu privi- 
légié, très lié au'^rince. sur qui il n'est pas sans influences. 
Ces captifs, souvent nés dans l'esclavage, ou bien achetés 
très jeunes, sont presque toujours d'origine européenne. 



CEUX QUI ONT PERDU LA LIBERTE 129 

mais non autochtones. Bien que beaucoup ne soient pas 
des slaves, dans le sens actuel de ce mot, on les appelle : 
({ slaves », (( sciaves », esclaves », en arabe saqaliba. Dans 
les derniers temps du califat, ces hommes, appartenant à 
des familles en servitude depuis plusieurs générations, 
devenus musulmans et bien arabisés, forment une garde 
d' a esclavons ^, très sûr appui du prince. Après la chute 
du califat, lors du morcellement de TEspagnc musuhnane. 
au xf siècle, en royaumes de tàifas \ plusieurs Etats sont 
créés et encadres par ces saqaliba, en particulier aux 
Baléares, à Valence et à Alméria. Dans ces royaumes 
qui ne durent guère, l'esclave était devenu roi. 

Dans tous les Etats dlslam, les fils de souverains et 
de grands sont élevés tout enfants avec des fils de captifs 
de confiance ; celte amitié de jeunesse crée des liens très 
sohdes ; souvent ces compagnons serviles des premières 
années sont aflTanchis et font carrière sous le règne de 
leur maître devenu prince ; c'est le cas d'un grand vizir 
grenadin du xiv' siècle, 1 affranchi Redouane, né esclave 
chrétien au palais. 

En dehors des prodigieuses destinées de certaines 
familles serviles arrivées à régir des royaumes dits de 
saqaliba ou des vizirats d'Etat conservant une direction 
arabe, on note partout Timportance des esclaves dans la 
vie des palais. Tout le personnel domestique, on pourrait 
dire toute la a iMaison civile », des souverains, notam- 
ment en Espagne et en Sicile, est composée de sclavi ou 
autres captifs. A Cordoue, ce sont des « esclaves-nés » 
qui ont souvent le monopole de hautes charges ; on recrute 
parmi eux le chef de la cuisine, celui des écuries et de 
bien d'autres services (constructions, ateliers de tissage, 
armurerie) et même le chef du corps des courriers de « la 
Maison du Roi j>. Ils tiennent ainsi des postes de confiance. 
L'un d'eux est à la tête de l'orfèvrerie du palais, où des 



"^ Cf. supra, pp. 55 et 100. 



130 



V EUROPE MEDIEVALE ARABE 



artistes captifs travaillent constamment à façonner des 
bijoux, à sertir des pierres précieuses, l'émir offrant sou- 
vent de beaux présents à ses femmes, à ses favoris, et aux 
visiteurs de marque qu'il reçoit '2. 



Les eunuques 



Dans ce monde des esclaves, surtout à la cour des 
princes, à celle de quelques grands gouverneurs de pro- 
vince, et, très rarement, chez des particuliers, sauf dans 
de riches et puissantes familles, les eunuques constituent 
un groupe à part. L'Espagne musulmane, notamment dans 
la zone d'Alméria, en fut, par excellence, durant des siè- 
cles, le pays de « fabrication ». Au ix' siècle, Verdun est 
aussi un centre de castration, où des marchands d'esclaves, 
le plus souvent juifs, font subir la terrible opération à des 
enfants slaves qu'ils vont ensuite vendre en Espagne musul- 
mane, à des prix extrêmement élevés, car aucun « article 
humain » n'est plus cher que l'eunuque *^. 

Aussi bien à Verdun qu'en terre d'Islam, l'interven- 
tion chirurgicale, très délicate, est généralement faite par 
des médecins juifs. Elle est fort risquée : assez souvent, 
elle entraîne la mort du patient. Voilà qui contribue à 
expliquer pourquoi les eunuques sont d'un prix si élevé 
et sont donc, dans leur très grande majorité, esclaves d'un 
souverain. Cet acte opératoire consiste en la suppression 
des testicules, complété parfois par l'ablation de la verge. 
11 crée un type humain très caractéristique. Le castré 
est toujours un jeune enfant, beau de préférence. Rien 
n'est pire que d'opérer un garçon déjà pubère, car chez 
lui les désirs sexuels subsistent alors qu'ils ne peuvent 
plus être assouvis, ce qui tend le malheureux méchant et 
dangereux. Quand la castration a été effectuée à un âge 
qui convient, la voix de l'opéré reste, la vie durant, celle 
d'un enfant ; elle ne mue jamais ; le poil, loin de se déve- 



CEUX QUI ONT PERDU LA LIBERTE 131 

lopper, se raréfie ou disparaît ; peu ou pas de barbe ; 
des cheveux très fins, qui ne blanchissent que très tard et 
fort lentement. Souvent le jeune eunuque, encore beau 
et frais, sert au plaisir sexuel du maître ; mais, assez tôt, 
il se fripe : sa peau devient molle et pâle ; Tembonpoint 
arrive vite. D'autre part, le castré est toujours un être 
moralement faible, qui accepte volontiers resclavagc, s'y 
complaît presque. En revanche, son intelligence a ten- 
dance à bien se développer, devient agile, aiguc. Souvent 
l'eunuque est astucieux, à la limite intrigant, mais tou- 
jours prudent et craintif. 

Arrivé jeune en milieu musulman, il apprend rapide- 
ment l'arabe et se convertit à l'Islam. 11 devient un élément 
essentiel de la vie du palais, le gardien, le compagnon et 
le confident des femmes du harem princier. 11 est totale- 
ment intégre à ce milieu façonné par la civilisation musul- 
mane. Il porte le nom arabe qu'on lui a donné, nom qui 
se répète souvent et illustre sans doute très profondément 
ce que peut être la satisfaction passive dont il jouit ; on 
l'entend appeler : « Joie », « Bonheur », « Espérance », 
« Pleine Lune », ou encore « Ambre », « Jacinthe », etc. 
En général, apprécié et aimé, il est parfois affranchi avant 
de devenir vraiment vieux ; d'ailleurs, par testament, à la 
mort du souverain, ces bons gros eunuques qui ont long- 
temps servi sont généralement libérés de la servitude, et 
ils héritent d'un legs appréciable. Ils entrent alors dans 
la communauté musulmane libre, s'y intègrent, en adoptant 
une filiation fictive, comme le font tous* les anciens escla- 
ves convertis à l'Islam. Au xr siècle, un eunuque devient 
même préfet de la ville de Grenade. 

Mais pour curieux et important qu'il soit, ce groupe 
des eunuques ne constitue jamais qu'un élément numéri- 
quement très faible du milieu servile. Au x' siècle, à 
l'apogée du califat de Cordoue, par exemple, alors que 
cette ville compte — croit-on — de cinq mille à quinze 
mille esclaves, dont un tiers dans le palais royal, ne s'y 



i_._. 



132 



L'EUROPE MEDIEVALE ARABE 



trouvent sans doute que quelques dizaines d'eunuques, 
peut-être quelques centaines, tout au plus '"*. 



Les esclaves concubines 



Vers le même temps, dans le harem du souverain de 
Cordoue, sont groupées au moins deux mille femmes : 
pour la plupart, des esclaves ou ex-esclaves, et quelques 
épouses officielles, celles du prince et de ses prédéces- 
seurs, car femmes et concubines des monarques morts 
restent toujours dans le palais royal. Cet immense quar- 
tier de la résidence califale, où sont aussi installées les 
femmes des proches parents du prince qui vivent à la cour, 
est peuplé par toute une gamme servile : jeunes beautés 
douillettement entretenues, domestiques ayant un certain 
rang et pauvres cendrillons. Au fur et à mesure que les 
années passent, les femmes qui ont déjà été mères sont 
délaissées, supplantées par de jeunes et belles filles. Au 
dire des chroniqueurs, l'émir Abd ar-Rahman II de Cor- 
doue ne faisait l'amour qu'avec des vierges ; et son cas 
n'est pas unique en son genre. Ces grands ensembles fémi- 
nins que sont les harems princiers sont régis par des cou- 
tumes précises qui sont l'application sur le plan palatin de 
règles islamiques générales. 

Celles-ci sont claires : dans tous les milieux sociaux, 
une femme esclave, blanche ou noire, qui donne le jour 
à un fils né de son propriétaire, est affranchie, un maho- 
métan de condition libre ne pouvant avoir une mère serve ; 
mais cette liberté ne devient effective qu'à la mort du 
maître. Même une humble captive est arrachée à son état 
de servante par sa qualité de mère d'un tel enfant. Si tme 
esclave n'est rqère que de filles de son 'maître et si celles-ci 
sont reconnues telles par lui, elle devient pareillement^' 
de condition libre quand cet homme meurt. Mais si l'état 
juridique de la captive devenue mère change en dignité. 



CEUX QUI ONT PERDU LA LIBERTE 133 



sa liberté réelle reste relative : pour chrétienne qu'elle 
ait pu être ou qu'elle soit restée, elle ne peut, en aucune 
façon retourner dans le pays ou dans le milieu infidèle 
dont elle est originaire, car elle est devenue a cliente », 
c'est-à-dire associée de la famille de son maître ou ex- 
maitre, qui a bien voulu la traiter comme mère de ses 
enfants ; elle lui reste donc attachée par le lien de 
« clientèle », qui l'unit maintenant aux héritiers mâles du 
défunt i\ 

Au palais royal, l'esclave européenne et chrétienne 
— tout comme la musulmane ou la noire — qui met au 
monde un fils du souverain, devient non seulement libre 
ipso jacîo, mais encore accède au rang de a princesse- 
mère », Toujours les émirs cherchent à avoir, dans leur 
harem, des femmes appartenant par leur naissance à des 
lignages non musulmans, si possible d'un certain rang. 
Posséder une telle femme est preuve de supériorité. On 
n'aime pas s'en passer. Parfois, avant de signer un pacte 
ou une trêve, les chefs musulmans vainqueurs d'ennemis 
chrétiens, exigent que de très jeunes filles de familles 
notables soient livrées en tribut. C'est sans doute à ce 
titre qu'est mariée à un chef militaire arabe, au viir siècle, 
une fille du prince Thcodomir, dont nous avons déjà parlé 
dans un autre chapitre et qui régna longtemps sur le pays 
murcien ; elle parait avoir été remise avec deux villages, 
lors d'un renouvellement de pacte ^^, Pareillement, en 844, 
un roi chrétien des Asturies, vaincu, est contraint, semble- 
t-il, de livrer une centaine de vierges" nobles ; et un siècle 
plus tard, un roi de Léon, « pour obtenir la paix », est 
obligé de faire présent au souverain de Cordoue, d'une 
de ses sœurs, jeune et vierge, bien que celle-ci ne soit 
pas consentante ^\ 

Dans d'autres cas, des filles sont ainsi livrées, non 
pas à titre définitif comme élément d'un versement tribu- 
taire, mais à titre provisoire comme otages de choix, 
garantissant qu'un père tiendra un engagement. Grâce au 



134 



L'EUROPE MEDIEVALE ARABE 



recueil de consultations juridiques données par un muphii, 
c'est-à-dire un faqi spécialisé en l'aspect a civil » du droit 
coranique, on connaît un cas très explicite : un esclave 
chrétien, ayant conclu avec son maître un « contrat de 
libération ». devait payer à celui-ci une certaine somme ; 
pour cela, il fut autorisé à partir pour son pays d'origine, 
mais il dut au préalable en faire venir sa fille remise 
en gage. Cette otage est vierge. Or, pendant que le père 
rassemble peu à peu les cent dinars qu'il a promis, 
le maître musulman possède la fille et la rend enceinte ; 
quand le père revient avec l'argent, le maître refuse de 
la laisser partir, tant qu'elle n'aura pas accouché. Le 
muphîi consulté énonce l'avis suivant : « La fille ne sera 
autorisée à regagner la terre des infidèles, qu'après avoir 
mis au monde l'enfant qu'elle porte ; et elle ne pourra 
pas emmener cet enfant : il est musulman ; il doit rester 
à son père et en terre d'Islam *^. » 

Un tel cas est exceptionnel : c'est celui d'un otage. 
Normalement, par la maternité, la chrétienne, même si 
elle conserve sa religion, est intégrée dans la société musul- 
mane. Dans un palais royal, comme celui de Cordoue, ou 
ceux de Sicile et des royaumes postérieurs de idijas, 
l'esclave qui n'était que cr concubine légale » et qui devient 
« princesse-mère », contribue à orienter l'avenir de la 
dynastie ; elle se risque parfois à jouer un vrai rôle poli- 
tique, tramant — en particulier avec la complicité d'eunu- 
ques — des intrigues de palais secrètes et compliquées ^^. 
Il lui arrive de fort bien réussir. En voici la preuve : le 
deuxième calife de Cordoue, al-Hakam, avait un harem 
bien rempli et, cependant, il arriva à l'âge de quarante-six 
ans sans avoir encore eu d'enfants ; peut-être s*intércssait-il 
davantage aux hommes qu'aux femmes ; une esclave bas- 
que chrétienne^ réussit pourtant à le rendre père * très 
jeune, intelligente et belle, elle avait adopté une mode eji 
usage à Bagdad : abandonnant toute toilette féminine, elle 
s'était travestie en s'habillant comme un éphèbe. Le cahfc 



CEUX QUI ONT PERDU LA LIBERTE 135 

prit d'ailleurs l'habitude de l'appeler par le nom d^iommc 
qu'elle avait choisi : Chafar. Transformée en « princesse- 
mère )), très influente, elle fut Fauteur de l'éblouissante 
ascension de celui qui devint le maître du califat, le 
a maire du palais d Ibn Abi Amir al-Mansour, son amant 
clandestin*. 



^ L'amour chez les esclaves 



L'histoire sentimentale des rapports entre libres et 
esclaves est particulièrement curieuse : alors que tout 
semblerait ne devoir y être régi que par des rapports de 
force, de maître à esclave, l'amour y a éclos plus d'une 
fois. La littérature arabe le révèle : la femme aimée par 
un musulman est presque toujours une esclave. Le fait 
n'est pas étonnant : la a première épouse y> ou les « épouses 
légales » de l'Arabe sont généralement choisies suivant 
les normes familiales ou tribales d'un « mariage de 
convenance » 20^ Au contraire, dans les palais et dans 
le cadre de la vie d'une grande et riche famille, le tour- 
billon des plaisirs mondains entraîne des facilités : au 
cours des soirées de fêtes, à la faveur des concerts et des 
ballets, des esclaves exhibent leurs visages a et beaucoup 
plus », alors que les femmes de bonne condition ne peuvent 
jamais être approchées et ne sont entrevues que voilées. 
En ce sens, les captives ont beaucoup plus de liberté que 
les autres femmes ; elles sont libres de plaire et de séduire ; 
et certaines ne s'en privent pas. 

Cependant, la réalisation des actes sexuels reste dif- 
ficile sinon impossible, si l'esclave séduisante appartient 
à un maître jaloux qui veut bien l'exhiber avec fierté, 
mais qui ne la prête pas. L'amoureux tente alors, par 
tous les moyens, d' « avoir cette femme ». qui parfois 



Cf. supra, p. 65. 



136 



L'EUROPE MEDIEVALE ARABE 



le désire elle aussi : c'est le cas classique du beau et jeune 
prétendant évincé par un maître laid et vieilli. Et la diffi- 
culté de surmonter les obstacles transforme en sentiment 
le désir inassouvi. 

L'amour naît même parfois entre une esclave et son 
maître, et peut atteindre une sincérité émouvante. On en 
trouve un écho dans une anecdote contée par THispano- 
Arabe Ibn Hazm *, dans une œuvre fameuse : Le Collier 
de la Colombe. Le propriétaire d'une esclave dont il avait 
conquis l'amour meurt soudainement ; elle est toujours 
captive, n'ayant jamais eu d'enfant. La famille la vend 
aussitôt. Jeune et belle, elle trouve facilement un riche 
acquéreur. Elle a beaucoup de charme, chante très bien, 
mais, une fois achetée, elle déçoit son nouveau maître» 
car elle se refuse obstinément à chanter. 11 veut l'installer 
dans le groupe de ses « femmes destinées à avoir des 
enfants w. c'est-à-dire de ses concubines ; elle a l'audace 
de refuser, demandant à être placée parmi les esclaves 
servantes, laides et déjà assez vieilles en général, celles 
qui font les basses besognes et que les hommes ne regar- 
dent pas. Son nouveau « patron » irrité, veut alors l'en- 
traîner sur sa couche sans plus tarder. Elle refuse. Il essaie 
de la raisonner, de lui dire qu'elle sera une de ses esclaves 
favorites, qui sont servies par les autres et qui mènent 
une vie facile. Il tente de réduire sa résistance à l'amiable, 
il échoue. Puis il a recours à la violence, la roue de 
coups, la maîtrise, la culbute. Jamais elle ne cède vraiment, 
jamais elle ne perd le contrôle d'elle-même au point de 
s'abandonner. Refusant parfums et toilettes, elle repart 
traîner sa vie dans l'aile réservée aux servantes. Cette 
attitude s'explique par la passion qu'elle éprouvait pour 
son ancien maître, celui qui vient de mourir. Elle se 
comporte alçrs en veuve, touchante de fidélité et elle 
refuse de se donner à un autre ^i. 



♦ Cf. supra, pp. 50 et 117. 



CEUX QUI ONI PERDU LA LIBERTE 137 

L'amour homosexuel se révèle aussi d'une manière 
non moins émouvante ; on l'entrevoit par le texte d'une 
consultation juridique ; en 1487. à la veille de la Recon- 
quista de Malaga, un Castillan, acheteur d'esclaves chré- 
tiens, vient en cette ville ; il y rachète notamment un 
garçon qui arrive à la puberté et que le maître ne refuse 
pas de céder, pensant que ce petit chrétien serait heureux 
de retrouver son pays et ses parents. Mais le garçon 
refuse de quitter son ma'tre musulman, parce qu'il l'aime ; 
pour échapper à sa libération, il fait profession de foi 
islamique, afin que le rachat soit automatiquement annulé. 
Son maître, tout heureux de le garder, s'empresse de 
rendre au libérateur la somme qu'il venait de toucher. 
Les deux amants — l'homme et l'enfant - - ont ainsi la 
joie étonnante de rester ensemble ^-^^ 



Les écoles pour captives 



Des captives, lorsqu'elles n'ont pas que des attraits 
physiques, exercent une forte infiiuence sur certains grands 
d'Islam. Voilà pourquoi la a carrière » servile passe, 
quelquefois, par un séjour dans de très curieux centres 
de formation artistique et intellectuelle pour esclaves. 
Tandis que les jolis garçons razziés sont castrés, les belles 
petites filles ont beaucoup plus de chance. Capturées quand 
elles sont encore de très jeunes enfants, elles peuvent 
oublier complètement leur vie passée. Leurs riches acqué- 
reurs les envoient parfois au loin, en Orient ou eO Ifrî- 
qiya, pour qu'elles y apprennent l'arabe, le chant et la 
danse. A partir du x' siècle, des écoles répondant à ce 
but apparaissent aussi en Espagne. Ces fillettes grandissent 
ainsi en pur milieu arabe. Au bout d'un ou deu;c ans, 
elles reviennent à leur maître, toujours avant d'être nubiles. 

On connaît des sortes de prospectus publicitaires 
rédigés par les « imprésarios p des sociétés de fontiation 



138 



L'EUROPE MEDIEVALE ARABE 



et vente d'esclaves, chanteuses et musiciennes, où l'on 
vantait les qualités artistiques de cette « marchandise », 
tel ce texte : 



Je possède en ce moment et peux vendre quatre 
chrétiennes qui, capturées enfants ignorantes, sont 
aujourd'hui cultivées et séduisantes par leurs connais- 
sances, sachant très bien calligraphier, instruites en 
musique et philosophie, en astrologie et en logique, 
en prosodie et en géométrie, en grammaire et en 
beaux-arts, en médecine et en anatomie, nourries 
même de la science des Bédouins, qui permet de 
prévoir le temps..., tout cela venant en complément 
d'une beauté physique remarquable 2^. 

De telles esclaves sont des ornements et des sources 
de plaisir pour le maître. On leur a inculqué la culture 
islamique classique û'adab, c'est-à-dire l'ensemble des 
connaissances de bon ton, dont on disait, en France, 
au xvif siècle qu'elles caractérisaient « l'honnête homme ». 

Cependant, au même moment, dans la même ville, 
chez le même maître, bien d'autres esclaves avaient un 
sort totalement différent. Ainsi la gamme des conditions 
était aussi grande à l'intérieur du milieu scrvile que parmi 
les êtres hbres. Mais l'esclave de souche européenne vrai- 
ment intégré n'est plus un étranger : il est d'Islam. Que 
devenaient, pendant ce temps, les dhimmi qui avaient 
échappé à l'esclavage et restaient chrétiens ? 



CHAPITRE Vil 

LA COEXISTENCE DES MUSULMANS 
ET DES CHRETIENS LIBRES 



Des Européens d'Espagne, de France et d'Italie, sou- 
mis par les Arabes, les uns au viii* siècle, les autres au 
IX' ou au x\ mais restés des hommes libres, ont plus ou 
moins longtemps vécu sous domination islamique. Partout 
oia celle-ci s'est exercée au moins durant trois ou quatre 
générations, ces indigènes ont subi, en profondeur, l'in- 
fluence des vainqueurs. Quelle que soit la largeur du fossé 
qui séparait les idiomes romans et la civilisation occiden- 
tale, de la langue du Prophète et des modes de vie orien- 
taux, certaines régions d'Europe se sont peu à peu ara- 
bisées : le parler, les coutumes des envahisseurs furent 
adoptés par les populations soumises, en partie par besoin 
ou par souci utilitaires, en partie par mode ou désir 
d'imitation, par « contagion » en quelque sorte. Ces popu- 
lations sont devenues les musîarib, c'est-à-dire les « moza- 
rabes », les (( arabisés ». 

Quand elle ne débouche pas sur l'islamisation, cette 
arabisation n'est pas sans inquiéter les plus purs des 
m^usulmans qui voient en elle une cause possible de confu- 
sions. Mais d'autre part, l'influence ne s'exerce pas que 
dans un sens : traditions et coutumes chrétiennes autoch- 
tones qui se maintiennent, marquent parfois les maho- 



140 



L'EUROPE MEDIEVALE ARABE 



métans, les pénètrent à l'occasion, si bien que les 
sourcilleux « docteurs de l'Islam » voient, dans cette 
contamination, une source de dangers pour la foi et la 
société musulmanes. 

Ainsi, tout un système d'influences contradictoires, 
provoquant diverses réactions, se ramifie durant plusieurs 
siècles en nombreuses nuances et modalités de contacts. 



La diffusion de la langue arabe 

Une arabisation se réalise d'abord dans le domaine 
linguistique. Ainsi que Ta écrit l'historien espagnol Fran- 
cisco-Javier Simonet, « par fierté ou par dédain, les Arabes 
répugnaient à apprendre les langues qui leur étaient étran- 
gères p K Ce comportement a d'ailleurs été usuel chez 
les conquérants de tous les temps. Le résultat est que, par 
nécessité pratique, les indigènes se mettent à manier le 
parler des dominateurs ; ils assimilent quelques rudiments, 
puis un peu de syntaxe ; enfin, ils arrivent à une maîtrise 
satisfaisante de l'outil linguistique importé chez eux. Ceux 
qui appartiennent aux milieux aisés et qui sont animés 
d'une certame curiosité d'esprit, acquièrent le goût de la 
culture littéraire que véhiculent les immigrés. Cette arabi- 
sation linguistique, et même intellectuelle, rapide chez les 
Européens de haut rang, se généralise plus ou moins. 
Parfois le pouvoir y pousse : dès les alentours de 790, 
par exemple, les autorités musulmanes rendent obligatoire 
l'enseignement de l'arabe aux chrétiens de Cordoue 2. 

Certes, les indigènes continuent à utiliser leur parler 
propre : ici un hispano- latin ■ — le « romance » ^ — , là le 
grec ou un siciUen né du latin, ailleurs la langue d'Oc 
naissante. Si le^ latin subsiste, il périclite, et la population 
autochtone cultivée écrit plutôt l'arabe. Cependant, de 
grandes œuvres littéraires, encore composées en latin à 
Cordoue au ix' siècle, constituent pour nous des sources 



MUSULMANS ET CHRETIENS 



141 



précieuses sur la vie de la population chrétienne dans 
l'Europe islamique : \c Memoriale Sancîorum, dû à saint 
Euloge *. et une vie de ce champion du christianisme anda- 
lou rédigée par son ami Alvaro. Vers 850, celui-ci y 
remarque en le déplorant : « Parmi nous, il n'y en a 
pas im sur mille qui soit capable d'écrire une lettre dans 
la langue de nos ancêtres^. » 11 s'irrite que beaucoup de 
ses compatriotes et coreligionnaires se passionnent pour 
la littérature arabe, ses contes et ses poésies : « Nous 
nous y livrons avec délices, affirme-t-il, et innombrables 
sont ceux d'entre nous qui composent des vers arabes. » 
11 accuse les gens de son milieu mozarabe aristocratique 
d'avoir un tel engouement pour l'art littéraire des vain- 
queurs qu'ils mettent leur point d'honneur à composer 
(t des vers arabes plus parfaits que ceux écrits par les 
musulmans eux-mêmes ^ >>, De son côté, saint Euloge 
s'indigne que ses coreligionnaires de Cordoue « connais- 
sent les règles de la métrique arabe mieux que ne les 
savent les infidèles » et que beaucoup d'entre eux « igno- 
rent le latin ^ d. 

Une brillante littérature mozarabe se développe. Les 
plus cultivés des Européens intégrés dans le dar al-Islam 
traduisent souvent en arabe des œuvres latines, tant en 
Sicile qu'en Espagne, par exemple tel traité d'astrologie 
que plus tard — au xni' siècle — Alphonse X le Savant 
fit traduire de Tarabe en castillan ''. tels aussi les nombreux 
écrits du plus grand docteur de l'Eglise wisigothique, saint 
Isidore de Scville. Une certaine volonté de prosélytisme 
chrétien qui se manifeste vainement, contribue à accentuer 
cette tendance à l'arabisation linguistique : au ix* siècle, 
un évoque andalou, Johannès Hispalensis, traduit les 
Evangiles et rédige, en arabe, un commentaire du Nouveau 
Testament^. Vers 1050, un traité de droit canon est rédigé 
en arabe en Andalousie ; au xii" siècle, un prélat déporté 



* Cf. supra, pp. 71, 79, 86 et !4K 



142 



UEVROPE MEDIEVALE ARABE 



à Fès» l'évêque Miguel, effectue de sa main une copie 
des Evangiles en arabe, transcrivant une traduction faite 
en Espagne deux cents ans auparavant par un prêtre 
mozarabe nommé « Ysaac, le fils de Velasco » ^. 



L'arabisation des antliroponymes 



L'évolution des populations européennes soumises ne 
se limite pas à la langue ; elle atteint les coutumes, à 
commencer par la manière de s'appeler : progressivement 
les autochtones adoptent des noms arabes ; sans doute 
est-ce à la fois une commodité pour leurs relations avec 
les autorités, et une initiative des musulmans qui trouvent 
plus facile d'appeler un indigène par un mot ou un 
sobriquet qu'ils prononcent mieux que les termes d'origine 
latine. Cette tendance est fréquente à toutes les époques : 
dans les temps mérovingiens, de purs Gallo-Romains ont 
adopté des noms francs ; dans l'Algérie française, des 
xix*-xx' siècles, les Européens attribuaient souvent en 
langage courant un prénom chrétien ou un surnom fran- 
çais à tel ou tel musulman de leur entourage. De même 
en Sicile et en Espagne, dès le tx* siècle, beaucoup d'au- 
tochtones doublent leur appellation juive ou chrétienne 
par des noms arabes. Les traducteurs des Evangiles, dont 
nous venons d'évoquer le souvenir, étaient dits, l'un 

— Johannès Hispalensis — Abou Saïd al-Matran, l'autre 

— Miguel de Fès — Ibn Abd al-Aziz ; au x' siècle, une 
autre figure éminente de l'épiscopat andalou, Févêque 
Recemundo d'Elvira-Iliberis s'appelait aussi Rabi ibn 
Saïd, tandis qu'un métropolitain Johannès de Tolède était 
aussi nommé Obaïd Allah ibn Kasim, et un évêque 
Johannès de^Cordoue Asbag ibn Abdallah. 

Parmi les personnalités laïques, il en est de même, 
l'évolution se précisant d'âge en âge : tel comte chrétien 
du IX* siècle est nommé a Rabi ibn Théodulphe », ce qui 



MUSULMANS ET CHRETIENS 



143 



laisse entendre que, d'une génération à l'autre, le voca- 
bulaire appellatif oriental a remplacé la terminologie chré- 
tienne d'origine grecque ; au x' siècle, le processus s'ac- 
centue : si un a grand juge des chrétiens » est encore dit 
a Hafs ibn Alvaro jï, par contre un comte mozarabe est 
tout uniment désigné par le surnom « Abou Saïd », de 
même que nous connaissons un prélat andalou du xr siècle 
sous le seul nom d' « Abd al-Malik ». Nul doute qu'une 
pareille évolution se produit dans les classes populaires. 



L'orîentalîsation des modes de vie 



L'arabisation ne s'arrête pas au vocabulaire : bientôt, 
les vaincus s'habillent comme les maîtres, à la musulmane. 
Dès le TX' siècle, dans al-Andaliis, c'est-à-dire dans l'Es- 
pagne islamique, même s'ils restent chrétiens, les indi- 
gènes copient les Arabes pour l'essentiel de la tenue et 
de la toilette, pour la coupe et la couleur des vêtements. 
La mode se propage d'abord au sein de la jeunesse moza- 
rabe relativement dorée : on y imite les fils des maho- 
métans notables et riches. Alvaro s'en est lamenté, mais 
en confessant qu'il n'échappait pas à cette tentation : 
« Nous nous habillons à leur manière, de préférence en 
soie ; comme eux, nous nous parfumons et faisons étalage 
d'opulence dans nos joyaux ainsi que dans nos habits. » 
Les femmes mozarabes « d'un bon milieu » prennent 
l'habitude de ne sortir que le visage voilé *^- 

La cuisine des populations européennes annexées subit 
tout autant l'influence arabe : en 954, un moine lorrain, 
envoyé en ambassade à Cordouc par le roi de Germanie 
Otton le Grand, — qui était sur le point de restaurer 
l'empire romain — s*étonne que les chrétiens de l'Espagne 
musulmane ne mangent pas certains mets et aient, par 
exemple, complètement abandonné la consommation de 
la viande de porc, « en imitant sur ce point les maho- 



144 



L'EUROPE MEDIEVALE ARABE 



métans ». Le tabou sur le cochon est, en effet, absolu : 
si un porc tombe dans un silo à blé et y meurt, ce grain 
tenu pour souillé ne peut plus être consommé, ni acheté, 
ni perçu comme redevance par les musulmans ^K Souvent 
des chrétiens renoncent donc à élever des porcs. 

Dans leurs demeures, les riches mozarabes vivent de 
plus en plus à Torientale sur des tapis et des coussins, 
avec des sofas et des tentures. Sous l'influence des mœurs 
islamiques, dans ces logis de plus en plus fermés et 
secrets, s'accentue le poids de l'autorité sans limites du 
chef de famille. Les chrétiens s'enthousiasment autant 
pour la musique des Arabes que pour leur poésie. Le 
goût des fêtes où se produisent ballerines et danseurs se 
généralise *2. 



Les progrès de la sensualité 

Pour les théologiens chrétiens des ix' et x' siècles, 
cette arabisation des coutumes véhicule bien des périls. 
Dans les pays d'Europe dominés par l'Islam, ils s'in- 
quiètent que la jeunesse « se laisse pénétrer par la sensua- 
lité musulmane ». Ils dénoncent, comme « école corrup- 
trice », la liberté de mœurs des conquérants. Reprenant 
et commentant les écrits arrivés dans l'Espagne chrétienne 
de ce temps où sont développés ces griefs, rislaniologue 
Simonet qui écrivait, vers 1900, est arrivé à la conclusion 
que « le sensualisme corrupteur » des Arabes a fait 
« des ravages décisifs » chez les chrétiens en les entraînant 
« sur les chemins de la lubricité et de la luxure » ; 
et ce. essentiellement durant le règne de l'émir oméiyade 
Abd ar-Rahman II (822-852). a prince fastueux et svba- 
rite » 15. 

A Palerme,"à Cordoue, à Séville, dans toutes les 
grandes villes de la Sicile et de l'Espagne musulmane, soit 
par indifférence religieuse, soit par ambition et intérêt. 



MUSULMANS ET CHRETIENS 



145 



des mozarabes se livrent à des orgies en compagnie des 
musulmans et ils ont les mêmes comportements sexuels 
que les plus libertins de ceux-ci : les uns sont des coureurs 
de femmes indigènes ; certains se complaisent dans la 
pédérastie ou en d'autres amours masculines. 

Cette liberté de mœurs se constate d'abord dans les 
milieux autochtones les plus riches, mais vite aussi dans 
diverses couches sociales inférieures, à la fois « chez les 
artisans travaillant à la construction d'édifices urbains » 
et « parmi les travailleurs des champs » '**. 

Une polygamie de fait apparaît même, chez les chré- 
tiens nantis de fortune. L'harmonisation des rapports et 
des mœurs entre eux et les dirigeants musulmans est telle 
que les mahométans tiennent pour légale cette polygamie 
chrétienne. Un événement historique, mineur certes, mais 
très précis, permet de mieux cerner la nature de cette 
coexistence : aux alentours de 920, un seigneur chrétien 
d'al'Andalus, rebelle dans une zone montagneuse où se 
trouvent sa maison-forte et ses terres, décide de cesser 
la guerre ; il négocie avec l'émir de Cordoue, et accepte 
de se soumettre, en échange de l'octroi d'un de ces pactes 
dont nous connaissons bien les clauses générales. Il devient 
un principïcule protégé, dans une {>etite zone reconnue 
comme autonome. Or ce seigneur avait, outre son épouse 
et quelques concubines mozarabes, une maîtresse en titre 
qui était une esclave mahomctane. Quelques mois après 
la conclusion du pacte, cette femme fait parvenir une 
requête au cadi de la ville la plus proche de cette petite 
principauté chrétienne : elle demande rintcrvcntion des 
autorités musulmanes pour que soit mis fm à son état 
de servitude, faisant valoir que son ma'tre est un « pro- 
tégé n, qu'il dépend donc du pouvoir islamique, qu'une 
mahométane ne peut être licitement ni l'esclave ni la 
femme d'un chrétien, et que le seigneur doit donc cesser 
de pouvoir jouir de son corps. 

Du point de vue sunnite, cette requête était abso- 



146 



L'EUROPE MEDIEVALE ARABE 



lument justifiée ; le cadi décide donc qu'il faut rendre 
justice à cette musulmane ; mais pour cela, il faudrait 
avoir recours à la force, seule manière de Tarracher à 
son maître. Le souverain consulté sur le procédé à 
employer pour faire appliquer la décision judiciaire, 
déclare la casser et s'y opposer : 

Puisque un pacte a été conclu avec ce seigneur, 
édicte-t-il, alors que celui-ci avait cette esclave parmi 
ses concubines, que cela plaise ou non à cette femme, 
il doit conserver le droit de la posséder et d'en user 
comme il l'entend et l'entendra, tant que le pacte 
sera en vigueur. Il n'en serait pas de même si ce 
seigneur avait osé prendre une musulmane après la 
conclusion du pacte ; il eût alors violé cette paix ; 
mais il ne l'a pas fait : il se borne à conserver ce 
qu'il avait quand nous lui avons concédé le droit 
de vivre en liberté avec ses biens, sous notre pro- 
tection ^5. 

Sans doute le souverain andalou avait-il omis d'in- 
clure, dans ce pacte, la clause usuelle de restitution par 
les a protégés » de tous les esclaves musulmans qu'ils 
pouvaient avoir. Cette histoire est symptomatique de la 
distorsion des légalités et des droits en présence : ce 
chrétien, coupable aux yeux de son Eglise, était dans le 
droit aux yeux du souverain musulman. 



La pratique de la circoncision 



La lente uniformisation des coutumes et de la vie 
des chrétiens et des musulmans s'opère^, sur le modèle 
arabe. Un fait inattendu le démontre : dès le ix' siècle, 
en Espagne au moins, l'autorité islamique décide que les 
chrétiens ont l'obligation de se faire circoncire. Cette 



MUSULMANS ET CHRETIENS 



147 



mesure étonne : a-t-elle été provoquée par un souci d'hy- 
giène ? On en doute. S est-il donc agi d'une sorte d'affront 
obligeant les chrétiens à s'incliner devant un rite musul- 
man ? En tout cas, Tépiscopat chrétien ne proteste pas : 
il autorise la circoncision ; certains prélats, tel l'évêque 
Samuel d'Elvira-lliberis, vont même jusqu'à l'ordonner i^. 
L'ambassadeur d'Otton le Germanique, arrivé à Cordoue 
en 954, est stupéfait de découvrir que les chrétiens de 
cette ville sont circoncis. Un siècle plus tôt, l'apologiste 
Alvaro s'en était déjà indigné, écrivant non sans emphase : 
« Nous abandonnons les pieuses coutumes de nos ancêtres ; 
au lieu de nous livrer comme eux à la sainte pratique 
constante de Fascèsc, c'est-à-dire de la circoncision spiri- 
tuelle, nous nous sommes mis à pratiquer la circoncision 
corporelle ^^. » 



L'intégration des chrétiens dans la société 
arabo-musulmane 



Malgré la distance à laquelle leur « persévérance dans 
Terreur religieuse » maintient les chrétiens à l'écart de la 
communauté des croyants, ils s'arabisent linguistiquement, 
intellectuellement, physiquement et même mentalement, 
à un point tel que, de très bonne foi, ils en arrivent à se 
sentir sinon Arabes, du moins solidaires des Arabes en 
tous points ; ils se sentent leurs frères à Tintcrieur de cet 
Etat où sont agglomérées diverses communautés confes- 
sionnelles- 11 y a là une curieuse prise de conscience 
« nationale » en quelque sorte, qui ne peut procéder que 
de l'atavisme ibère, romain ou germanique. Le résultat 
en est clair : à diverses reprises, des Mozarabes ont fait 
cause commune en Espagne, et peut-être même en Langue- 
doc, avec les musulmans contre les reconquérants chré- 
tiens. Parfois même, après une étape victorieuse de la 
Reconquista, ils ont facilité un retour offensif des forces 



148 



UEVROPE MEDIEVALE ARABE 



mahométanes : en 987 par exemple, dans le futur Portugal 
alors que Coïmbre, redevenue ville de la Chrétienté, était 
attaquée par les troupes du célèbre « maire du palais » 
de Cordoue, Ibn Abi Amir (surnommé al-Mansour, « le 
Victorieux ») *, un Mozarabe de la cité trahit ses core- 
ligionnaires ; il les induit en erreur, les attire en un guet- 
apens et permet ainsi à l'armée musulmane de repren- 
dre la ville... Al-Mansour l'en récompense en lui faisant 
don des moulins de cette cité, dont il dépossède le grand 
monastère à qui ils appartenaient ^8. 

Ceux des Mozarabes de la péninsule Ibérique qui se 
sentent à Taise dans TEtat musulman, en qui ils voient 
un « Etat espagnol », semblent ne pas attacher d'impor- 
tance à la difiérence de religion. Les mieux nantis sont 
les « cadres », qui constituent de véritables familles 
comtales, voire épiscopales ou abbatiales, de hautes char- 
ges de l'Eglise s'y transmettant d'oncle en neveu, voire 
même de père en fils si des mariages ont eu lieu, ce qui 
est fréquent avant l'entrée dans les ordres. Il y a ainsi 
des lignages chrétiens comme des lignages arabo-islami- 
ques. D'autres Mozarabes sont des hommes d'affaires qui 
réussissent bien. Tant que dure la Sicile musulmane, y 
prospèrent de grands commerçants indigènes restés chré- 
tiens ^9. Des marchands de l'Espagne islamique, pareille- 
ment chrétiens, se consacrent à un important négoce inter- 
national, tels deux frères de saint Euloge, qui effectuent 
souvent des voyages d'affaires entre Cordoue et Maycnce, 
au IX* siècle ^^. Des détails précis, révélés par un procès 
connu, démontrent à quel point des commerçants chré- 
tiens étaient arabisés, non seulement dans leur langue mais 
aussi dans tout leur comportement ; sans s'arrêter aux 
différences de religion, quand des clients entraient dans 
leurs boutiques ou magasins, ils leurv faisaient l'article 
en un bon arabe,'^sans manquer de tenir des propos d'allure 



* Cf. supra, pp. 65, 75 et 135. 



MUSULMANS ET CHRETIENS 



149 



mahométane : « Par le Prophète, je te le jure, c'est un 
article de très bonne qualité ! », ou encore : « Je te le 
jure par Mohammed, tu ne trouveras rien de mieux ail- 
leurs 21 ! » 

Même dans le domaine juridique, l'influence de l'Islam 
s'exerce sur les communautés chrétiennes : s'inspirant du 
droit sunnite, les dhimmi prennent l'habitude de habous- 
ser certaines de leurs propriétés, c'est-à-dire de les consti- 
tuer en biens de mainmorte au profit d'une église ou d'un 
couvent. Ce faisant, ils croyaient rendre inaliénables ces 
propriétés et insaisissable la rente qu'en retirait l'Eglise : 
n'étaient-ils pris les protégés de l'Islam ? 



La réaction de l'Islam 

à Farabisalion excessive des « infidèles » 



Toutefois, l'arabisation a des limites : pour assimilé 
qu'il soit ou qu'il veuille être, le dhimmi n'en reste pas 
moins un infidèle. La communauté des croyants peut se 
réjouir des progrès de la langue du Prophète, mais si les 
indigènes, qui vivent auprès des mahomctans et adoptent 
de plus en plus leurs mœurs et coutumes, ne se conver- 
tissent pas à leur religion, les fidèles d'Allah les plus purs 
se méfient de leur excès d'arabisation, le leur font sentir 
cr les tiennent à récart. Les Mozarabes pouvaient se croire 
intégrés à la société arabo-islamique^, ils oubliaient que 
celle-ci était d'essence religieuse ; ils* lui restaient donc 
étrangers. Quelques faits peuvent nous servir d'exemples 
à ce propos : 

Au xiî' siècle, alors que la Reconquista chrétienne 
progresse dans la péninsule Ibérique, des communautés 
mozarabes d'al-Andalits sont accusées, à tort ou à raison, 
d'intriguer avec les reconquérants. Leurs membres sont 
donc déportés au Maroc, notamment les Sévillans h Mek- 
nès. Les quartiers chrétiens de plusieui-s villes sont ainsi 



150 



UEUROPE MEDIEVALE ARABE 



dépeuplés. Or, ces communautés étaient tellement ara- 
bisées qu'agissant à la musulmane leurs membres avaient 
souvent transformé en habous certaines de leurs proprié- 
tés : que faire maintenant de ces « biens inaliénables », 
dont les revenus sont attribués perpétuellertient à TEglise 
chrétienne ? Un jaqi consulté à ce sujet tranche : « Les 
musulmans ayant chassé les chrétiens, l'église de ceux-ci 
se transforme en mosquée, les biens habou^ devant rester 
en état et servir désormais à Tentretien de la mosquée 22. j> 
Dans un autre cas analogue, les chrétiens, déportés en 
Afrique avec leurs prêtres, font valoir que ceux-ci n'ont 
plus de ressources puisqu'ils vivaient sur les revenus de 
propriétés a haboussées » sises en Espagne ; ils deman- 
dent à avoir le droit de vendre ces biens ; vin jaqi le leur 
reconnaît mais seulement pour ceux de ces biens rendus 
habous par un chrétien encore en vie, les autres étant 
définitivement inaliénables et leurs revenus devant être 
encaissés et gérés par le cadi au profit de la communauté 
islamique 23. Par conséquent, les habous constitués par 
les Mozarabes imitant les musulmans, en croyant assurer 
ainsi une rente perpétuelle à l'Eglise du Christ, pouvaient 
échapper à celle-ci : la religion (ï polythéiste d ne pouvait 
être placée sur le même plan que celle d'Allah. 

L'Islam réagit pareillement contre le^ pratiques du 
langage employé par les commerçants mozarabes vantant 
leurs marchandises en invoquant le nom du Prophète. 
Un jour des musulmans entrent dans le ni^agasin de l'un 
d'eux, à Cordoue, et lui cherchent querelle en lui disant : 
« Toi qui es incroyant, pourquoi places-tvi constamment 
dans tes phrases le nom vénéré de Mohammed en le pre- 
nant à témoin que tu dis la vérité ? Si tu t>e crois pas au 
Prophète, en jurant par son nom tu ne garantis en rien que 
tu dis vrai. Et même tu le ridiculises : tti. p^ux nous trom- 
per ainsi ; tu nous trompes sûrement. » Le marchand 
proteste de sa bonne foi. Mais rien n'y fait : j] est dénoncé 
au cadi et traduit en justice, accusé de a prononcer sans 



MUSULMANS ET CHRETIENS 



151 



cesse et hors de propos le nom du Prophète avec malice 
et irrévérence pour inciter des clients musulmans à lui 
acheter n'importe quoi ». Le pauvre homme est affolé. Il 
affirme au cadi qu'il n'a jamais eu aucune mauvaise 
intention ni arrière-pensée et qu'il utilise spontanément 
les formules qui retentissent souvent dans les boutiques 
musuhnanes. Puis il s'enhardit, prenant la contre-offen- 
sive, en disant que l'affaire a été montée de toutes pièces 
par un de ses concurrents qui veut se débarrasser de lui. 
Le cadi réfléchit longuement, puis rend sa sentence : « Tu 
ne mérites pas la mort car tu n'as pas compris la gravité 
de tes propos quand tu osais parler du Prophète alors que 
tu ne Le reconnais pas. Mais tu seras fouette jusqu'à ce 
que tu renies la pseudo-divinité de Jésus. y> 

Aussitôt les gardes se saisissent du marchand ; mis 
torse nu, il est attaché et fouetté sur la place devant la 
mosquée. Mais, sous les coups, ce chrétien ne faiblit pas : 
il serre les dents et ne renie jamais Jésus. Après avoir 
reçu <T près le quatre cents coups de fouet n, il tombe 
sans connaissance. Les bourreaux vont prévenir le cadi, 
qui décide son emprisonnement pour un temps indéterminé 
et prescrit de donner une grande publicité à l'affaire, afin 
que les chrétiens n'osent plus user et abuser du nom du 
Prophète. Le marchand est alors ficelé sur un âne, face 
à la croupe, suivant l'usage, et il est promené à travers la 
ville tout ensanglanté, notamment dans les quartiers chré- 
tiens et à l'intcricnr même des églises. Un cricur public 
procède Tane en proclamant : a Un cfifitimcnt semblable 
sera infligé à tous ceux qui se moquent de la religion 
révélée au Prophète par Dieu l'Unique ! « Puis le mar- 
chand est jeté en prison, chargé de chaînes. 

11 y resta jusqu'au jour où le cadi l'estima suffisam- 
ment puni. Il sortit alors de la geôle et reprit son métier : 
il avait conservé ses biens 2^, Voilà qui montre ce 
qu'étaient la tolérance islamique et ses bornes. 



152 



L'EUROPE MEDIEVALE ARABE 



L^environnement chrétien et son poids 

Le danger qui pouvait résulter — pour Flslam — de 
l'arabisation des non-musulmans était moindre que celui 
que risquait d'entraîner la diffusion de comportements 
chrétiens au sein de la société mahométane. Cest là un 
problème considérable : dans quelle mesure, en effet, la 
faiblesse numérique des immigrés et la force des réalités 
indigènes ont-elles contrebalancé la puissance de diffusion 
de Tarabisme et la primauté islamique, en infléchissant 
les rapports entre chrétiens et musulmans, sporadiquement 
et dans certains domaines ? Les historiens discutent beau- 
coup sur ce thème. Ce qui est certain, c'est que les moda- 
lités de coexistence entre les mahométans et les autoch- 
tones fidèles à la foi de leurs pères, ont évolué au cours 
des ans. 

Pendant un siècle au moins, après la conquête arabe, 
voire bien plus longtemps encore, structures sociales et 
traditions indigènes restent solidement ancrées. Nous avons 
déjà dit combien a pu être grand l'impact de l'union entre 
Témir Abd al-Aziz et la reine Egilone au lendemain de 
l'incorporation de l'Espagne dans le dar al-Islam *. Si la 
réaction musulmane fut immédiate contre les résultats de 
ces épousailles, il n'en reste pas moins vrai que durant 
de nombreuses décennies, partout, maigre le côté exclusif 
de l'agnatisme arabe, une importante modalité de rappro- 
chement entre les élites des deux populations en présence. 
a été le mariage d'une autochtone chrétienne de haut rang 
avec un musulman, notable ou simple guerrier. L'Islam 
a toujours laissé à ses fidèles la liberté d'avoir des chré- 
tiennes pour femmes parmi leurs épousés légales, et non 



Cf. supra, pp. 37-38. 



MUSULMANS ET CHRETIENS 



153 



simplement comme des concubines, si elles étaient de 
condition non servile. 

.. Les plus célèbres de ces unions ont été les mariages 
successifs de la princesse Sara dite « la Gothe », sœur 
d'un archevêque de Séville, fille du prince Olmund, lui- 
même fils du roi des Wisigolhs, Wittiza. Elle épousa des 
Arabes : Isa ibn Mouhazim puis, après la mort de celui-ci, 
Omar ibn Saïd. Son ascendance royale, sa fortune (elle 
avait hérité d'une partie des immenses propriétés rurales 
conservées par son père dans la région de Séville après 
la conquête arabe), son intelligence aussi lui valurent une 
grande notoriété, que ne pouvaient totalement masquer 
ni rarabismc ni TLslam ^^ L'un de ses descendants, bon 
écrivain hispano-arabe du x' siècle, a perpétué son souve- 
nir, prouvant par son nom que sa famille avait toujours 
proclamé une ascendance féminine illustre, puisqu'il s'ap- 
pelait « le fils de la Gothe ï> : Ibn aUKoutiya (mort en 
916)^, 

Mais il s'agit là d'un cas exceptionnel. En général, 
le respect inconscient que pouvait encore susciter, au 
vur siècle une souche ou un passé pré-islamiques presti- 
gieux, s'atténue à la longue. Plus l'autorité musulmane 
est anciennement étabhe, plus le pouvoir est distant et 
dédaigneux envers les non-croyants, tolérés, protégés, « par 
charité b. D'après Simonet, la domination musulmane 
d'abord plutôt « douce et humaine d tend à devenir 
« despotique » en Espagne à partir du ix' siècle 2? : elle 
élève des Ixirricrcs sociales devant les chrétiens, accentue 
à leur égard le mépris et la ségrégation. 

Or, au mcnie nK>mcnt, dans les campagnes ibériques 
oii subsistciil longtemps des cultivateurs autochtones plus 
ou moins liés à la terre, les civilisations européennes se 
conservent, la langue parlée n'évolue que lentement ; 
même quand s'affirme le triomphe de l'arabe, plus qu'un 
idiome pur c'est une sorte de dialecte qui se généralise, 
où des mo's ^ européens r> truffent le vocabulaire des 



154 



L'EUROPE MEDIEVALE ARABE 



dominateurs ^s. En Sicile, les paysans dhimmi restent tou- 
jours nombreux, jusqu'à la conquête de Tîle par les Nor- 
mands, peut-être parce que la domination mahométane 
n*y dura pas beaucoup plus de deux siècles ^^. Au contraire, 
en Espagne, l'islamisation des campagnes se réalise fina- 
lement, mais elle a un curieux corollaire : les Mozarabes 
fidèles à leur religion cherchent, dans la mesure où ils 
le peuvent, à quitter la terre où les néo-musulmans com- 
mencent à faire masse. Se sentant en infériorité, et même 
en insécurité, éparpillés à travers les campagnes, ils 
refluent vers les villes. Ces déplacements de population, 
spontanés et lents, constituent un phénomène très impor- 
tant, qui a un impact sur la société musulmane urbaine. 
En effet, s'il est évident que les indigènes s'arabisent, il 
ne Test pas moins que mœurs et coutumes autochtones 
aussi ont tendance à se diffuser parmi les immigrés. Dans 
le domaine linguistique, par exemple, parallèlement aux 
progrès du pur arabe, se propage en dehors des cam- 
pagnes le parler « dialectal » que nous y avons déjà 
signalé, charriant tournures et mots hispano-latins, enro- 
bés dans le vocabulaire et la syntaxe des immigrés ; ainsi 
prend naissance VaUgarbiya, c'est-à-dire le « charabia » : 
la « langue de l'Ouest ». Jusque dans les milieux indigènes 
riches et cultivés les plus arabisés, voire à la cour de 
Cordoue, se parlent à l'occasion,' encore au x* siècle, non 
seulement ce dialecte, mais la langue romane hispanique 
née du latin. 

De leur côté, au fil des ans, les autorités islamiques 
soucieuses de a non-contamination » obligent les citadins 
mozarabes à vivre dans des faubourgs spécifiés pour 
chaque ville, plutôt que dans c(es quartiers sis au cœur 
des agglomérations urbaines. DiVers textes, dont les indi- 
cations se recoupeçt et se complètent, nous permettent de 
comprendre que le pouvoir arabe applique une méthode 
cohérente à cet égard : quand il confine les chrétiens 
d'une ville dans un ou plusieurs faubourgs, ceux-ci sont 



MUSULMANS ET CHRETIENS 



155 



presque toujours situés, pour des raisons militaires, dans 
des fonds de vallée, dans des régions plates, jamais sur 
des hauteurs. Cette réglementation est très tôt imposée à 
Cordoue, dès les environs de 740, parce que cette cité 
est la capitale du dar al-Islam dans la péninsule Ibé- 
rique 50. Peu après, Mérida et Séville connaissent le même 
dispositif. Quand une ville est traversée par une rivière, 
celle-ci est souvent imposée comme frontière, les chrétiens 
devant vivre seulement sur une de ses berges. 

Cette politique suivie par les autorités musulmanes 
s'explique à ia fois par la crainte de rebellions et par 
l'appréhension des possibles « contaminations ». En effet, 
il n'y a pas eu de mouvement continu d'arabisation dans 
un sens donne et « irréversible ». Après la chute du califat 
cordouan, au début du xf siècle, par exemple, lorsque 
aUAndalus se morcelle en royaumes de tdijas, les rela- 
tions entre Mozarabes et musulmans deviennent ou rede- 
viennent intimes et confiantes ; il en est de même vers le 
milieu du xii' siècle, après la chute de l'empire almora- 
vide, lors d'une nouvelle période de partage en tdijas : 
le statut des ?vîozarabes est alors nettement amélioré de 
facto '^K En général, raccoutumance des musulmans à la 
religion, et au mode d'existence des chrétiens qui vivent 
à leurs côtés, s'accentue sous la pression des circonstances 
politiques et militaires, partout où la force islamique 
reflue. 

Quelques exemples peuvent servir à jalonner l'histoire 
de cette influence exercée par le christianisme sur la 
société arabo-mahoraétane. Déjà au début du x' siècle, 
une princesse appartenant à la famille néo-nnisulmane 
des Béni Qasi, issus des fils du comte Cassius convertis 
à la religion du Prophète au vin*' siècle, dans la vallée de 
l'Ebre moyen \ épouse le roi F^uela II des Asturies : elle 
devient une très chrétienne reine Urraca ^^ Encore s'agis- 



'^ Cf. supra, p. 44. 



156 



L'EUROPE MEDIEVALE ARABE 



sait-il là d'une famille de souche ibéro-romaine, dont 
certains membres ne faisaient que retrouver le christia- 
nisme de leurs ancêtres. Mais il y a plus net : dans les 
îdîjas de la seconde moitié du xr siècle, bien qu'interdit 
par rislam, un prosélytisme chrétien clandestin se déve- 
loppe ; dans le royaume de Tolède par exemple, une fille 
du roi al-Mamoun se convertit au christianisme sans que 
son père s'y oppose ; elle le quitte pour devenir religieuse 
dans un monastère castillan proche de Burgos, où elle 
termine sa vie en odeur de sainteté, si bien qu'elle a été 
canonisée par l'Eglise, devenant sainte Casilda ^3. Puis, 
à l'extrême-fin de ce xi* siècle, le roi de la tdija de Séville 
étant attaqué et vaincu par les Almoravides arrivés d'Afri- 
que, une des jeunes a princesses-mères u de sa cour, Zaïda, 
qui connaissait quelque peu les chrétiens et leurs coutumes 
par les Mozarabes sévillans, préfère s'enfuir en terre chré- 
tienne que devenir prisonnière des Africains : elle arrive 
en Castille, y devient la maîtresse d'Alphonse VI — ie 
reconquérant de Tolède — se convertit au christianisme 
en prenant le nom d'Isabelle et donne au roi son fils uni- 
que, tenu pour légitime, l'infant Sanche, qui serait monté 
sur le trône castillan s'il n'était mort avant son père. Cette 
union d'Alphonse VI avec <f la Maure » Zaïda reste dans 
l'histoire comme la réplique à l'union d'Abd aî-Aziz ibn 
Mousa avec « la Gothe » Egilone. Au xiir siècle, lors des 
grands progrès de la Reconquista. un ancien émir de 
Valence, un fils du dernier roi musulman de Majorque, 
le fils de l'émir de Baeza et un prince de la dynastie cali- 
fale des Almohades se convertissent au christianisme, tout 
comme un jeune notable majprquin qui devient même 
dominicain, porté plus tard sur lès autels de l'Eglise catho- 
lique : le bienheureux Miguel de Benazar^^^ 

Mais il arrive qu'à ime période dinfluence exercée 
par des chrétiens sur certains musulmans succède une 
période de réaction. A la veille de la Reconquista du 
royaume de Valence, par exemple, le sultan qui était 



MUSULMANS El CHRETIENS 



157 



l'ami et le protégé des chrétiens ayant été renversé, son 
compétiteur ci successeur persécute les Mozarabes et laisse 
la foule attaquer et piller les demeures de riches chré- 
tiens autochtones, notamment celle d'une famille qui comp- 
tait alors parmi ses enfants le futur saint Pierre (« Père d) 
Pascual (1227-1300)55 ^ 

Par conl'e, autre mouvement de pendule, à l'extrême 
fin de la période de domination arabe sur l'Espagne, 
quand le sultanat de Grenade, ultime bastion d'une résis- 
tance islamique passionnée et désespérée contre l'Occi- 
dent chrétien, est sur le point de succomber sous les coups 
des Castillan et des Aragonais, certaines musulmanes 
s'éprennent sincèrement, semble-t-il, non pas d'autoch- 
tones chrétiens (il n'y en a plus) mais de soldats de la 
Reconquête. C'est du moins là ce que chante une tradi- 
tion. Celle-ci prend sa source dans Las guerras civiles 
de Granada, œuvre historique de Pérez de Hita, publiée 
en 1595 ; elle atteint la France au xviir siècle quand 
Florian écrit Gonz.alve de Cordoue ou Grenade recon- 
quise, roman curieusement précédé d'un Précis historique 
sur les Maures d'Espagne. C^ conte décrit l'amour qui 
unit le capitaine castillan Gonzalvo de Côrdoba et une 
princesse prci^entée comme fille du roi de Grenade Abou- 
1-Hasan Ali 11464-1482) et demi-sœur du dernier souve- 
rain musulman, le fameux « Boabdil » ; sans doute ce 
récit n'cst-il qu'une fiction où — de surcroît — la prin- 
cesse est dite secrètement chrétienne, i:omme sa mère, une 
esclave ^^ ; mais il est aussi le reflet d'une réalité histo- 
rique. 

Certes, cv^mme Fa bien remarqué une spécialiste fran- 
çaise du sultanat de Grenade, l'historienne Rachel Arié, 
la vie privée d'Abou-1-Hasan Ali et celle de sa famille 
ont été déformées au xix' siècle — comme au xviir — 



* Cf, sup^^h pp. 7<S-77, 



160 



L'EUROPE MEDIEVALE ARABE 



que faisaient déjà les femmes de l'Espagne romaine, à 
en juger par quelques bustes conservés ^2. 

Le Collier de la Colombe, du grand écrivain his- 
pano-arabe Ibn Hazm *, est considéré comme un a véri- 
table code de l'amour courtois », où s'entremêlent passion 
platonique et ardeurs sensuelles ; or, si beaucoup le tien- 
nent pour une source de la littérature des troubadours, 
qui aurait ainsi subi l'influence arabe, d'autres y voient 
le fruit d'une vieille tradition de pensée enracinée dans 
le terroir ibérique. Certaines formules utilisées par Ibn 
Hazm, qui appartenait à une famille de convertis à l'Islam, 
donnent créance à cette interprétation. N'a-t-il pas écrit 
en effet : « Pardonnez-moi de ne pas raconter des his- 
toires de Bédouins ou de nos anciens (les ancêtres arabes), 
mais leurs chemins sont très différents des nôtres. » 11 a 
même tracé ces mots étonnants : « Mon Orient est l'Occi- 
dent 43. » 

Enfin, rappelons que, malgré l'interdit constamment 
énoncé par les a docteurs de l'Islam », des mahométans 
ne restaient pas à l'écart des lêtes et des réjouissances 
organisées par les chrétiens ^4 •*. 

On peut donc se demander si l'arabisme et l'Islam 
n'ont pas couru le risque de se laisser dévier sur le sol 
européen par diverses survivances tenaces de la civili- 
sation chrétienne occidentale antérieure. En tout cas, pour 
placer les dhimmi à distance respectueuse des croyants, 
l'Islam veilla toujours à maintenir immuables des pré- 
ceptes de pur esprit coranique et sunnite : une véritable 
barrière protectrice. 



* Cf. supra, pp. 50, 117 et 136. 
** Cf. supra, pp, 74-76. 



MUSULMANS ET CHRETIENS 



161 



La ségrégation 



« Ees contacts des musulmans avec les chrétiens 
paraissent avoir cté relativement limités », remarque Pierre 
Guichard "^^ Ce n'est pas étonnant.. Les mahométans les 
plus croyants v'abstienncnt toujours de parler à des « infi- 
dèles » ; si cela est inévitable, enseigne un jaqî. il faut 
leur adresser la parole à distance, en prenant soin de ne 
pas frôler leurs vêtements '^^. Le fameux Malek ibn Anas 
(mort en 795), cadi de Médine, dont les préceptes sunnites, 
le malckisme. ont été suivis et utilisés comme règles de 
vie en Espagne, a défini de quelle manière le croyant 
(en Allah) doit se comporter. Interrogé pour savoir si 
Ton pouvait manger avec un << infidèle d, il avait repondu : 
'i Ce n'est pas défendu ; mais personnellement je ne culti- 
verai pas l'amitié d'un chrétien '^^ » 

Dans une précieuse étude analytique de consultations 
juridiques, doiinées par des muphtls de l'Occident musul- 
man, l'un de nos islamologues actuels, H.R. Idris, a ras- 
semblé une gerbe de citations instructives ; tel iaqi 
affirme : a Mieux vaut ne pas fréquenter les gens d'une 
autre religion » ; et il précise : on peut rendre service à 
un dhimmi et lui parler avec gentillesse, mais « non avec 
déférence ». \Jx\ autre « docteur de la loi » musulmane 
indique à Tun de ses coreligionnaires qui lui demande 
conseil : « Si un dhimmi te salue en disant : *' Que le 
salut soit sur toi ! '\ réponds-lui '' Sur toi ! ", et rien de 
plus '^s. » 

D'ailleurs, il est interdit aux ^< infidèles ^> d'utiliser les 
mêmes formules de salutation et les mêmes paroles que 
les mahométans. Certes, les relations restent possibles : 
les muphîis admettent par exemple qu'un musulman puisse 
avoir un puits en commun avec un chrétien ; Tun d'eux 
explique pourquoi : « Ce n'est pas vicieux, cnr Allah 



158 



L'EUROPE MEDIEVALE ARABE 



par une vision romantique surgie des chroniques espa- 
gnoles de la fin du xv* siècle et du xvf ; il n'empêche 
que l'ouverture au catholicisme reste une donnée du 
temps : aussitôt après la prise de Grenade par les Espa- 
gnols en 1492, un membre de la famille royale musul- 
mane abattue, Yahya al-Naggar, se convertit au catho- 
licisme et devient Valguacil mayor de la ville ^^... 

Ainsi se pose un problème : celui de la possible 
survie de ferments pré-islamiques cachés au sein é'al- 
Andalus et, a fortiori, celui de la solidité des survivances 
occidentales dans les autres régions européennes que les 
musulmans dominèrent beaucoup moins longtemps. 



La survivance et l'influence 
des racines pré-islamiques 

Pour ce qui est de l'Espagne, en raison de la durée 
de la domination islamique, le débat n'est pas près d'être 
clos. Au cours des trente dernières années, des historiens 
espagnols ont polémiqué avec passion. L'un d'eux, Amé- 
rico Castro, affirme que l'influence arabe a été profonde, 
durable et déterminante, sur les populations de la pénin- 
sule Ibérique ; au contraire, son rival, Claudio Sanchez- 
Albomoz, s'ingénie à démontrer que les Arabes se sont 
hispanisés dans cette péninsule ; il affirme : 

L'héritage reçu de l'Espagne hispano-gothe par 
al-Andalus fut très divers et multiforme. Il s'étendit 
à la langue, aux lettres, à l'art, à la culture, à la vie 
quotidienne, aux coutumes, aux institutions, à l'éco- 
nomie, à la mentalité, à la religiosité et même à ce 
qu'il y a de çlus intime chez les grandes figures de 
penseurs, d'écrivains, de poètes et d'hommes d'ac- 
tion ^^. 



MUSULMANS ET CHRETIENS 



L59 



Effectivement, des érudits ont pu établir divers points. 
La musique musulmane d'Espagne, par exemple, a été 
vivifiée par un fonds de mélodies « hispano-pré-isla- 
miques », dont on constate qu'elles subsistaient encore 
à Saragosse, à la veille de la Reconquista de cette ville 
par les Aragonais, au début du xu* siècle. On peut même 
préciser que c'est après un travail de « plusieurs années », 
mené avec des esclaves autochtones, qu'un grand musicien 
arabe d'Espagne réussit à « mêler harmonieusement le 
chant des chrétiens et celui de l'Orient ^'^ ». C'est ainsi 
qu'est née la musique « andalouse ». De même, des chan- 
sons populaires pré-islamiques ont été conservées dans 
al'Andalus durant des siècles, « joyeuses et désinvoltes, 
chaudes et ironiques », retentissant dans a les blanches 
ruelles de Corcioue », toutes différentes du « maniérisme 
de la poésie arabe classique"^ ». 

Il semble bien aussi que malgré l'essor des techni- 
ques artisanales venues d'Orient et les modes arabes, des 
données antérieures sont transmises dans ces domaines 
par les indigènes, acceptées et adoptées par. les immigrés. 
Le travail du cuir, par exemple, devient une gloire de la 
Cordoue arabe et une caractéristique de la toilette et des 
demeures mahométanes ; mais il est de racine pré-isla- 
mique : Cordoue exportait déjà des cuirs artistiquement 
travaillés, à Marseille, au vu" siècle ^^ D'autre part, sans 
doute par manque de ressources suffisantes, mais aussi en 
partie par dépit voilé de moqueries, le petit peuple d'Es- 
pagne ne suit pas l'exemple des riches Mozarabes qui 
copient les mahométans : des femmes sortent le visage 
découvert, des, hommes ne portent ni vêtements en soie 
ni (ï turban a Forientalc v. Ce dernier point est très 
significatif : diurne quand la mode islamique fait que 
l'Arabe cache ses cheveux, les indigènes d' al-Andalus, 
même convertis à Flslam. conservent l'habitude de mon- 
trer leur chevelure en la laissant pousser par-dessus les 
oreilles et en rabattant des mèches sur le front : c'est ce 



162 



L'EUROPE MEDIEVALE ARABE 



n'interdit pas à ses fidèles de consommer la nourriture 
des dhimmi^^. » N'empêche qu'un bon mahométan ne 
peut se lier avec un « polythéiste » ^o chaque fois qu'un 
problème lui est soumis à propos de relations avec des 
chrétiens, tout faqi Tétudie à la lumière de ce verset du 
Coran, qu'il est toujours prêt à rappeler et commenter : 
« Croyants ! Ne prenez pas d'infidèles pour confidents. Ils 
ne failliraient pas à vous pervertir : ils veulent votre 
perdition 5 H » 

Selon le savoir-vivre musulman, si un croyant éter- 
nue, son coreligionnaire qui est à proximité doit lui 
dire : « Qu'Allah ait pitié de toi ! » Mais — nuance — 
si c'est un dhimmi qui éternue, un musulman doit lui 
dire : « Qu'Allah te dirige par le meilleur chemin ! », ou 
encore : « Qu'Allah t'améliore ! », phrases à double 
sens 52. De même, il est recommandé aux mahométans de 
ne pas prendre de nouvelles d'un infidèle ni de sa « mai- 
sonnée ». Bref, envers juifs et chrétiens, il faut toujours 
« observer une certaine réserve » ^'^. 

De surcroît, des prohibitions existent. Il est formel- 
lement interdit à tout musulman de faciliter aux chrétiens 
la célébration de leurs fêtes, notamment de leur prêter 
ou louer des bêtes de somme à cette occasion ^4. L'Islam 
édicté de très nombreux préceptes, destinés à éviter que 
ne soient confondus infidèles et croyants. En Sicile, un 
indigène chrétien n'est pas autorisé à porter un nom 
propre en usage chez les musulmans. Dans al-Andalus, on 
n'admet pas qu'il puisse utiliser un surnom habituel chez 
les fidèles. En Sicile, les dhimmi sont obligés d'arborer 
un signe distinctif sur leurs vêtements : une sorte d'écus- 
son ou d'insigne ; leurs turbans, s'ils en portent, doivent 
être d'une autre coupe et d'une autre couleur que celles 
adoptées par les croyants; si par mégarde, ils ont acquis 
un turban d'une couleur utilisée par les mahométans, ils 
ne doivent le placer sur leur tête qu'après en avoir teint 
autrement l'extrémité visible. Toujours en Sicile, le port 



MUSULMANS ET CHRETIENS 



163 



d'une très large ceinture est imposé aux chrétiens : en 
cuir ou en laine, placée sur les habits d'une manière très 
voyante. En Espagne aussi, les infidèles sont tenus de ne 
pas avoir de vêtements ayant a la même coupe et la même 
forme t» que ceux des musulmans, ni de chaussures de 
même type, ni « aucun vêtement luxueux » ^5 n q^x 
pareillement défendu aux dhimmi de se raser complète- 
ment la tête : on ne les autorise à tondre que la moitié 
antérieure du crâne. Cette curieuse réglementation est à 
comparer avec l'habitude hispanique des mèches sur le 
front : on entrevoit une sourde lutte de préceptes et de 
modes ^6. 

D'autres prescriptions sont dictées par la méfiance 
et la fierté : un dhimmi ne doit jamais porter d'épée ni 
aucune arme, ne pas en fabriquer, ne pas en avoir chez 
lui ; il ne doit jamais discuter le pouvoir musulman ni 
ses décisions, ni nuire aux croyants d'aucune manière ; il 
est tenu de dénoncer aux autorités tout projet ou activité 
anti-islamique (espionnage, conspiration, fraude fiscale) 
et il ne doit parler qu'avec respect de la loi musulmane ^7. 

Plus encore : tout chrétien est, en une certaine mesure, 
au service des musulmans ; il a l'obligation de donner 
l'hospitalité gratuite, avec vivre et couvert, à tout voya- 
geur ou passant mahométan qui la lui demande ^^. 

Enfin, des règles vexatoires sont en usage. Un « pro- 
tégé t» ne doit pas monter à cheval ; il lui faut se conten- 
ter de mules ou d'ânes ; encore doit-il g'y placer en ama- 
zone et non en cavalier, en n'utilisant' que des selles et 
étriers pour animaux de bât et en n'empruntant, quand 
il est sur une de ces bêtes, que des chemins ou voies peu 
fréquentés ^^, Toute infraction est sévèrement punie. Un 
muphti consulté au sujet d'un chrétien qui avait osé 
monter à cheval, déclare que ce coupable mérite vingt 
coups de fouet et un temps de prison ^^. 

Tout un « code de politesse et de respect » est 
imposé : si un chrétien, monté sur une mule ou un âne. 



164 



L'EUROPE MEDIEVALE ARABE 



est amené à passer devant une mosquée, il doit descendre 
à terre dès qu'il voit Tédifice et passer devant lui à pied, 
en tenant sa monture par la bride. Sur la voie publique, 
qu'il soit à pied ou monté, un dhimmi doit toujours céder 
le pas aux musulmans, en leur laissant le meilleur endroit 
où circuler. Si des infidèles sont assis en groupe, en plein 
air ou dans un lieu public, et qu'un musulman passe ou 
s'approche, entre ou sorte, ils doivent se lever ; ils doivent 
lui parler avec respect et lui céder un siège le cas échéant. 
Nulle part un dhimmi ne peut occuper une meilleure 
place — dans une réunion ou assemblée — qu'un maho- 
métan ^^ 

Les maisons des infidèles, si elles sont proches des 
demeures musulmanes, doivent être plus basses que 
celles-ci, car les incroyants ne doivent pas pouvoir regar- 
der de chez eux chez des mahométans. Ces maisons de 
dhimmi doivent porter un signe distinctif, pour que l'on 
sache qu'elles ne sont pas habitées par des musulmans. 
Aucune inscription en caractères arabes ne doit figurer sur 
leurs portes. Il est de même interdit aux infidèles qui ont 
des boutiques de placer sur celles-ci des enseignes ou 
écriteaux rédigés dans la langue du Prophète ^2. 

Les femmes dhimmi ne peuvent entrer dans un ham* 
mam si des musulmanes s'y trouvent, et elles doivent en 
sortir si des musulmanes y arrivent : cela est imposé au 
moins en Sicile ^^. Cette prescription ne semble pas appli- 
quée pour les hommes dhimmi vis-à-vis des mahométans ; 
pourtant, le moindre contact est frappé d'interdit : « Un 
musulman qui a acheté un vêtement chrétien ne doit pas 
le porter quand il fait la prière ^, b II est vrai que les 
contacts impurs qui ont pu souiller le croyant avant une 
de ses oraisons sont lavés par les ablutions qui la pré- 
cèdent. X, ""• 

Dans tout cet ensemble de lois, la pire est sans doute 
le rituel imposé pour le paiement de la capitation, tel 
qu'il est décrit dans un manuscrit arabe conservé à la 



MUSULMANS ET CHRETIENS 



165 



bibliothèque de rEscurial, pour les dhimmi qui vivent 
non dans une zone ou ville autonome, mais dans le dar 
al-lslam, comme membre d'une communauté infidèle dans 
un quartier Lirbain, dans un faubourg ou à la campagne. 
Ce paiement a lieu à jour fixe, une fois par mois, en 
public. Les musulmans qui assistent à cette séance ont le 
droit de bousculer et rudoyer Finfidèle qui vient a faire 
acte de soumission » en payant son tribut personnel ; 
ils crient efTcctivement à cet « impie » : « Oh ! Ennemi 
d'Allah, pa}c la capitation ! » C'est une sorte de spec- 
tacle. Chacun de ceux qui doivent payer est tenu de se 
présenter personnellement, ne pouvant envoyer un émis- 
saire à sa place : il doit donc entrer dans la pièce où se 
trouve le percepteur musulman, qui se tient normalement 
assis à l'orientale, sur une natte ou un tapis ; il doit rester 
debout devant lui ; puis, en lui tendant son argent, il doit 
s'incliner profondément, faire une sorte de révérence ou, 
mieux encore, se prosterner sur le sol. Le percepteur le 
saisit à ce moment par le cou et lui dit : « Dhimmi, 
ennemi d^Allah, paye ta capitation ! », et il lui prend son 
argent ^'^ Ce cérémonial s\applique d'une manière relati- 
vement enjouée et non dénuée d'une certaine camaraderie 
condescendante. 11 n'en est pas moins humiliant. Mais 
est-il souvent en vigueur? On peut se le demander car 
les impôts sont parfois affermés ; il est vrai que l'afTer- 
mage ne semble efl"ectuc que pour la contribution foncière ; 
la capitation payable en numéraire et suivant un tarif 
fixe, a pu facilement échapper à ce^mode de perception. 
Quant aux préposés aux impôts, dans les communautés 
de dhimmi, ils semblent avoir été des comptables — et 
agents recenseurs — , plus que des percepteurs à propre- 
ment parler. 

Tout ce qui touche à l'essentiel, c'est-à-dire à la 
religion, est entouré de règles strictes et d'interdits. Si 
dans un ménage chrétien, la femme se convertit à l'Islam, 
le mariage est automatiquement rompu ; au contraire si 



166 



UEUROPE MEDIEVALE ARABE 



c'est le mari qui devient musulman, sa femme, même si 
elle reste chrétienne, est obligée de rester son épouse *. 
Un chrétien ne peut hériter d'un mahométan, sauf — nous 
l'avons dit — s'il est esclave et si c'est son maître qui 
lui fait un petit legs en mourant. Si l'esclave d'un dhimnii 
se convertit à l'Islam, il doit être immédiatement vendu 
à un musulman. Un infidèle ne peut avoir à son service 
aucun mahométan, même comme salarié. Il est interdit 
aux chrétiens d'apprendre le Coran et d'en parler à leurs 
enfants, de même qu'il leur est défendu de parler du 
Christ avec des musulmans. Si l'Islam admet que ces 
a polythéistes » gardent des églises, ils n'ont pourtant pas 
le droit d'en construire de nouvelles, ni de nouveaux 
couvents ou ermitages ; ils ne sont pas davantage auto- 
risés à surélever leurs anciens édifices religieux ; ils ont 
seulement le droit de les maintenir en bon état, mais il 
ne leur est pas permis de réparer ceux d'entre eux qui se 
seraient détériorés, surtout s'ils sont dans un quartier 
musulman. Tout est prévu dans le moindre détail : il est 
interdit de remplacer dans ces édifices, des murs ou 
constructions de brique crue par des éléments en pierre ; 
si une église était en construction avec une façade ina- 
chevée au moment de l'incorporation de son territoire au 
dar al-lslam, la façade ne doit pas être terminée ; seuls 
des achèvements intérieurs sont possibles ; ne sont licites 
que des « surélèvements de portes d'églises », « s'ils sont 
rendus nécessaires par un exhaussement du sol ^^ ». 

Eglises et chapelles doivent être ouvertes constam- 
ment, de jour et de nuit ; les voyageurs musulmans qui 
le désirent doivent y être logés et nourris durant trois 
jours. A l'intérieur d'une église, on ne doit sonner cloches 
et clochettes que très doucement, n en faisant le moins 
de bruit possible », et il est interdit de. « trop élever la 
voix » en priant, surtout si un musulman se trouve dans 



* Cf. infra, p. 209. 



MUSULMANS ET CHRETIENS 



167 



l'édifice. Aucune croix ne doit être placée à l'extérieur 
d'aucun bâtiment. Quand les prêtres se rendent au domi- 
cile d'un mourant ou d'un malade, ils ne doivent trans- 
porter d'une manière visible ni croix ni Evangiles, s'ils 
passent par des rues ou des chemins que des musulmans 
peuvent fréquenter. Lors des cortèges funèbres qui ne 
peuvent jamais être pompeux, les, prières n'ont pas à être 
dites à haute voix, et les cierges allumés sont prohibés 
dans les rues où vivent des musulmans, il faut voiler le 
visage du défunt qui est transporté suivant l'usage médié- 
val sur un « brancard mortuaire ». Les chrétiens doivent 
être enterrés dans des cimetières qui leur sont propres, 
éloignés de ceux des musulmans, mais leurs familles 
sont parfaitement libres de placer sur les tombes des ins- 
criptions religieuses en latin ^\ 

En aucune circonstance et sous aucun prétexte, des 
processions chrétiennes ne peuvent passer dans des rues 
musulmanes ni dans les souks, avec des statues, des 
palmes, des cierges ou des chandelles. D'aucune manière, 
un a polythéiste » ne doit tenter de propager ses erreurs 
religieuses auprès des musulmans. D'ailleurs un maho- 
métan qui devient chrétien est immédiatement condamné 
à mort, même s'il est un ancien chrétien qui s'était provi- 
soiremem converti à l'Islam. Est aussi passible de la 
peme de mort tout chrétien, homme ou femme, qui nie 
la divinité d'Allah en prétendant que Jésus est Dieu, en 
disant de Mohammed qu'il est ui^ faux Prophète, en 
dénigrant le Coran, ou en blasphémant ^«. 

Bien que tout soit fait pour éviter promiscuité et 
contacts entre musulmans et chrétiens, des relations de 
coexistence s'établissent qui peuvent conduire à des que- 
relles ; les deux parties en présence ne sont pas alors 
jugées suivant les mômes critères : un dhmimi qui tue 
un mahométan peut être condamné à mort, quelles que 
soient les circonstances du meurtre, tandis qu'un croyant 
qui assassine un infidèle n'est passible de mort que s'il 



168 



L'EUROPE MEDIEVALE ARABE 



est convaincu de préméditation et de perfidie. Si, pour 
un tel meurtre, un musulman est condamné à verser une 
indemnité à la famille de la victime chrétienne, cette 
compensation est chijïrée à quatre cents dirhem ; mais 
s*il en acquitte une pour avoir tué un musulman, elle 
s'élève au double ^^ 

En matière de droit civil, il existe également des 
critères de différenciation : en aucun cas, par exemple, 
un chrétien ne peut se rendre acquéreur d'un esclave 
capturé par des croyants ; et des associations commerciales 
entre dhimmi et musulmans ne sont possibles que si leur 
direction appartient à l'un de ces derniers ^o. 

Ainsi, toute une série de prescriptions variées régit 
les rapports entre infidèles et croyants. Leur nature reli- 
gieuse les insère dans la Loi inflexible et inéluctable. Le 
plus grave est qu'elles suscitent parfois la haine et la 
violence contre les « protégés ». Il arrive, ici ou là, 
qu'une foule musulmane, où les néo-convertis se distin- 
guent par leur arrogance, insulte et trouble des célébra- 
tions du culte chrétien, surtout les enterrements ; au 
passage de ces cortèges funèbres, s'élèvent parfois des 
cris passionnés dictés par l'aversion : « Allah ! Ne sois 
pas miséricordieux à ces infidèles ! » Les plus excités 
lancent des pierres et des immondices vers le brancard 
mortuaire et vers les prêtres. Quand ceux-ci se déplacent 
isolés, ils sont parfois pris à partie par la populace, sur- 
tout par les enfants, qui s'amusent à leur jeter des pierres, 
en chantant quelque couplet burlesque tournant la croix 
en dérision ''^ 

Certes, l'Islam n'admet pas ces excès et, en général, 
les autorités veillent au respect du statut des dhimmi, mais 
les simples transforment aisément le mépris condescen- 
dant en hargne déchaînée. 



CHAPITRE VIII 

LES COLLABORATEURS CHRETIENS 
DU POUVOIR ISLAMIQUE 



Partout où s'effectue la conquête arabe et s'implante 
lautorité musulmane, le nouveau pouvoir apprécie et 
utilise la compétence administrative, la valeur militaire, 
voire le sens politique de certains autochtones chrétiens. 
Ceux-ci en profitent. Le fameux polémiste cordouan 
Alvaro le reconnaît au ix' siècle : (t Nous aîTiassons des 
biens en nous mettant au service des musulmans ^ » Le 
problème qui se pose aux vaincus est éternel : faut-il 
collaborer, coopérer avec les ennemis de la veille ? Répon- 
dre affirmativement, n'est-ce pas une manière de garder 
une part de pouvoir, un rôle dans la cité ? Les adver- 
saires d'hier restent-ils Tincarnation d'un mal profond 
à détruire si on le peut ? Ou convient-il de s'adapter aux 
circonstances, à celles du présent comme à celles des pos- 
sibles avenirs ? Conserver les positions et Tinfluence que 
Ton peut maintenir, n'est-ce pas contribuer à préparer 
des lendemains meilleurs ? Les pragmatistes le croient. 



172 



VEUROPE MEDIEVALE ARABE 



LES COLLABORATEURS CHRETIENS 173 



à former de petites « compagnies », fortes de cent ou 
cent cinquante hommes, dont les unes restent sur place 
7*" pour faire régner l'ordre dans la communauté, dont les 

autres sont expédiées dans une autre ville — une capitale 
régionale ou Cordoue — pour être éventuellement uti- 
lisées contre des émeutiers ou rebelles mahométans, voire 
pour participer à une expédition militaire à objectif plus 
ou moins lointain^. 

En 805. Témir al-Hakam en vient à confier le com- 
mandement de sa garde personnelle au comte des chré- 
tiens de la ville de Cordoue : elle est formée de deux 
mille hommes répartis en une quinzaine de compagnies, 
parmi lesquelles celle des « Septiraaniens » (Narbonnais 
ou Languedociens) est la préférée du souverain, car il la 
juge d'une fidélité parfaite^. 

Au milieu du ix* siècle, un Mozarabe nommé Joseph, 
frère d'une religieuse et du célèbre saint Euloge, exerce 
un commandement dans l'alcazar de Cordoue^. 

Plus tard, bien que subsistent toujours des unités 
purement chrétiennes, du fait de l'arabisation très poussée 
de nombreux autochtones, un amalgame relatif s'opère à 
l'intérieur d'un même corps entre chrétiens et musulmans. 
Aucun texte ne le dit clairement, mais divers indices le 
démontrent. Au début du x* siècle par exemple, un page 
chrétien de l'émir de Cordoue, nommé Forloun, participe 
avec une troupe palatine islamique à une expédition 
contre un chef rebelle, qui commandait d'ailleurs à une 
coalition de néo-musulmans et de Mozarabes toujours 
chrétiens : ce Fortoun mène ensuite les négociations entre- 
prises pour obtenir une reddition de ces insurgés ^^. Un 
siècle plus tard, les engagés volontaires, Mozarabes libres, 
sont nombreux dans l'armée du grand^ hadjib Ibn Abi 
Amir al-Mansoùi; qui les ménage beaucoup et leur verse 
une solde élevée ; suivant les chroniqueurs, « quand un 
incident se produisait entre deux soldats, un chrétien et 
un musulman, il donnait toujours raison au chrétien i* ». 



En ce temps, puis à l'époque des royaumes de tœfas, de 
nombreux Mozarabes fidèles à leur foi entrent dans 
l'armée du califat ou dans celle d'un émirat et a ils y 
deviennent souvent officiers ou chefs de corps ^^ „. 



La participation au pouvoir 

Comme conseillers ou favoris, voire en tant que 
véritables ministres de souverains, comme chargés de mis- 
sions diplomatiques à Fétranger, et plus encore peut-être 
comme amis de personnages influents, quelques Moza- 
rabes (ïaUAndalus ont vraiment participé au pouvoir, 
lors des plus grandes heures de la domination islamique 
en Espagne. Divers cas sont significatifs. 

Aux alentours de Tan 800, Fémir al-Hakam a comme 
favori en titre un jeune et beau Mozarabe, Jacinthe, qui 
est son page préféré ; ce garçon suit la politique de très 
près, est consulté par le prince, participe aux intrigues 
de la cour, contribue à faire et à défaire les conseillers ; 
indirectement, du fait même de son influence, il sert la 
cause des Mo/arabes, bien que sa vie privée ne soit pas 
celle d'un « bon chrétien » et qu'il ne fasse rien de systé- 
matique pour ses coreligionnaires ; c'est son absence 
même d'engagement en leur faveur qui rend son inter- 
vention plus efficace : il ne cherche pas à les aider, il est 
un rempart contre les injustices ,dont ils pourraient être 
menacés à tout moment ^"^^ Au milieu du îx' siècle, au 
temps de i'cmir Mohammed T"^' (852-886), un autre Moza- 
rabe, Lcovigildc, occupe or un poste de haut rang » à la 
cour de Cordoue : il a Foreille du souverain et contribue 
à favoriser ses bonnes relations avec des Etats d'Occi- 
dent : en 858, c'est lui qui, au nom du gouvernement 
d'al-Andalus remet les corps de chrétiens — martyrs 
volontaires des années antérieures — à des moines de 
Saint-Gcrmain-dcs-Prés venus chercher ces reliques ; il 



170 



L'EUROPE MEDIEVALE ARABE 



Dans radministration et dans l'armée 



Tant en Sicile, qu'en Espagne et en Languedoc, 
l'administration musulmane a besoin, lorsqu'elle s'installe, 
de secrétaires indigènes 2, Ensuite, quand l'autorité isla- 
mique s'affermit et se prolonge durablement, de nombreux 
chrétiens arabisés continuent d'occuper des fonctions 
publiques, tant à la cour et dans les palais des souve- 
rains, que dans les bureaux et services de dignitaires de 
l'Etat, aussi bien dans les provinces que dans les capi- 
tales, voire comme scribes du chef militaire dont les trou- 
pes gardent un château. Seules certaines charges leur 
restent toujours interdites : celles qui peuvent avoir une 
' portée judiciaire sur des musulmans et celles qui confè- 
rent un pouvoir économique ou financier. 

En revanche, leui intégration à l'appareil militaire 
est remarquable. Au lendemain de la conquête, les nobles 
chrétiens sont peu nombreux, car c'est essentiellement eux 
qui ont résisté les armes à la main ; ils ont donc souvent 
été tués ou réduits en esclavage ; mais ceux d'entre eux 
qui ont traité et sont restés libres ont conservé leur rang, 
en Espagne notamment, tous ceux qui, par fidélité à la 
famille de Wittiza, ont composé avec les nouveaux venus, 
ennemis de Y « usurpateur » Rodéric. Des nobles chré- 
tiens commandent donc des corps au service de l'émir 
ou tiennent des châteaux forts, qui servent de points 
d'appui à l'Etat arabo-musulman. Le prince Oppas, frère 
de Wittiza, archevêque de Séville, puis de Tolède, semble 
avoir participé aux campagnes militaires menées par les 
mahométans dans les Asturies, vers 720. 

Un recrutement systématique de soldats s'opère vite, 
dans trois milieux différents, semble-t-il : les autochtones 
transformés en esclaves, surtout s'ils sont de naissance 
noble ou d'anciens soldats, voient dans rengagement au 



LES COLLABORATEURS CHRETIENS 171 



sein d'une unité militaire la possibilité d'échapper aux 
malheurs de la condition servile, même s'ils ne changent 
pas juridiquement de statut ; pareillement, des jeunes 
gens capturés au cours d'une razzia, lors d'un débarque- 
ment ou dans une expédition en pays lointain, par exem- 
ple en Aquitaine, en Provence, vers la vallée de la Loire, 
ou dans la péninsule Italienne, et Jes Slaves ou prétendus 
tels, charriés par la traite, préfèrent s'engager ; enfin, 
des indigènes restés libres, se lancent dans la carrière des 
armes, soit par amour des aventures, soit parce que la 
conquête arabe les a ruinés. Bref, dès le temps de l'émir 
Abd ar-Rahman P^ (756-788), l'Etat hispano-musulman 
compte quarante mille chrétiens dans son armée ^. Ce 
chiffre est extraordinairement important si on le compare 
à celui des Arabes qui se trouvent alors dans la péninsule 
Ibérique, qu'il s'agisse des trente mille dont parle Claudio 
Sanchez-Albornoz, ou des cinquante mille auxquels pense 
Pierre Guichard 4. Un recrutement aussi élevé n'est pos- 
sible, sans être dangereux, qu'en raison du caractère dis- 
parate et de la dispersion des troupes chrétiennes. Les 
engagés qui viennent d'au-delà aUAndalus, forment des 
unités spéciales, avec leurs propres cadres : de petits 
corps, qui ne parlent ni arabe ni les dialectes romans 
hispano-latins ; ils sont isolés dans la masse de la popu- 
lation ; les habitants de Cordouc appellent ceux qui y 
servent f< les silencieux » 5. Ceux qui sont de souche 
hispanique ou languedocienne s'utilisent de préférence 
dans des régions éloignées de celles" où ils peuvent avoir 
des parents ou des amis. Au début du ix' siècle par exem- 
ple, un corps de cent cinquante Narbonnais fait partie 
de la garnison de Cordoue^ 

Durant le règne d^al-Hakam (796-822), le système 
de recrutement des mercenaires libres, autochtones moza- 
rabes, se perfectionne. Dans chaque communauté chré- 
tienne, vivant dans un quartier urbain ou à la campagne, 
le comte qui la dirige fait appel à des volontaires destinés 



174 



L'EUROPE MEDIEVALE ARABE 



reçoit ces religieux avec beaucoup d*égards et très pieu- 
sement *^ 

Au même moment, deux importants officiers moza- 
rabes sont parmi les conseillers et confidents du souverain 
de Cordouc : le médecin Romanus, comte général des 
chrétiens d'al-Andalus, et Servandus, comte de la commu- 
nauté urbaine de Cordoue, très liés l'un et l'autre avec 
le polémiste Alvaro qui, tout en les critiquant, les estime 
et apprécie leur efficacité. De son côté, un cousin de la 
femme de Servandus, l'évêque Hostégésis de Malaga est 
en fort bons termes avec le hadjib Hicham, qui est alors 
le bras droit du monarque cordouan : quand le prélat 
séjourne dans la capitale, il est toujours l'hôte de ce 
« grand chambellan », à qui il sait d'ailleurs faire de 
nombreux présents, sans oublier d'en combler pareil- 
lement son entourage. L'évêque et ce haut dignitaire 
musulman sont même accusés, par la rumeur publique, 
de très souvent festoyer avec d'autres proches de l'émir, 
en de fastueux banquets où le vin coule à flots. Puritains 
mahométans et chrétiens austères s'en indignent, mais 
l'évêque Hostégésis, avec son réseau d'amitiés islamiques, 
protège les Mozarabes : ceux de son diocèse ne sont pas 
persécutés, la plèbe musulmane les respecte car elle sait 
que l'évêque est bien vu du pouvoir ; il agit comme 
il faut pour cela, d'ailleurs : non seulement il fait fouetter 
ceux de ses curés qui ne lui reversent pas une partie de 
leurs recettes *, mais aussi il fait procéder à des recen- 
sements minutieux des chrétiens de son diocèse, afin 
qu'aucun de ceux-ci n'échappe à la capitation, la décou- 
verte d'une telle fraude par les autorités musulmanes 
risquant toujours de déclencher les pires représailles sur 
toute la communauté chrétienne ^^. Encore à la même 
époque, un autre, collaborateur en vue dit-pouvoir arabo- 
islamique, Vexcepîbr, c'est-à-dire le greffier-comptable ou 



* Cf, supra, p. 84. 



LES COLLABORATEURS CHRETIENS 175 



secrétaire général de la communauté mozarabe d'aZ- 
Andalus, est un Hispano-Romain de vieille souche. Gomez 
ibn Antonio, qui par sa mère ou sa grand-mère pater- 
nelle, une Julien, descend du comte de ce nom qui, 
maître du détroit de Gibraltar en 711, a facilité le débar- 
quement des Arabes en Espagne. Cet arrière-arrière-petit- 
fils du célèbre comte Julien est le » commissaire repré- 
sentant le gouvernement » au concile général d'al-Andalus, 
qui se réunit en 852 *^, 

A Tcpoque des (alfas, le rôle des chrétiens prend 
davantage d'importance : le roi de Séville al-Motamid 
(1061-1095) compte parmi ses favoris un prêtre chrétien, 
le Mozarabe Ibn al-Margari ; un roi de Saragosse, appar- 
tenant à la dynastie d'origine mozarabe des Béni Houd, 
al-Moqtadir (1040-1081), prend comme principal ministre 
durant un temps un poète chrétien, Ibn Gondisalvo (a le 
fils de Gonzalve »), Le souverain ziride de Grenade, 
Badis {1038-1073), laisse aussi un chrétien, Abou-1-Rabi, 
diriger son gouvernement pendant les dernières années 
de son règne ^^. 

Dans les provinces, lorsque al-Andalus est uni, le 
rôle des Mozarabes peut être aussi important que dans 
la capitale : à Séville, par exemple, vers la fin du 
IX' siècle, les noiables chrétiens appartenant aux familles 
des Béni Angelino et des Béni Sabarico siègent toujours 
dans le conseil que consulte et informe périodiquement 
le gouverneur do la ville ^^. Certes, sous les dynasties 
almoravidc et almohade, les Mozarabes perdent leur 
influence, mais ils la récupèrent en général après ces 
intermèdes, notamment à Valence au début du xin' siècle. 



176 



UEVROPE MEDIEVALE ARABE 



LES COLLABORATEURS CHRETIENS 177 



^^m 



Les réactions contre la collaboration des Mozarabes : 
l'hostUité populaire musulmane et chrétienne 

On ne peut guère attendre des masses musulmanes 
ni des docteurs en Islam qu'ils admettent que des infidèles 
aient quelque pouvoir ou influence dans un Etat qui se 
devrait d'esprit coranique strictement sunnite. Aussi les 
collaborateurs mozarabes des émirs sont-ils mal vus par 
la foule mahométane. D'ailleurs, le rôle des soldats 
chrétiens au service des autorités d'al-Andalus est souvent 
répressif et ces hommes ne peuvent, par là-même, qu'être 
détestés. Un exemple le prouvera : Tcmir al-Hakam 
ayant établi de nouveaux impôts, dont la perception 
s'effectuait sous la protection de sa garde personnelle, 
commandée par le comte des chrétiens de Cordoue, la 
population de cette ville se révolte en un jour ensoleillé 
et déjà chaud du printemps 814, au moins celle des 
faubourgs se trouvant sur la rive gauche du Guadal- 
quivir : les boutiques se ferment à la suite du meurtre 
d'un dtadin par un soldat ; commerçants et artisans, 
armés de piques, de haches, de couteaux, se dirigent en 
masse vers le pont du Guadalquivir qui conduit à l'alcazar 
où réside l'émir. Celui-ci est sauvé par ses soldats chré- 
tiens, qui dégagent le pont, pourchassent les émeutiers, 
les vainquent. Le prince lance alors ces hommes à l'inté- 
rieur du faubourg où était née l'insurrection, en leur 
donnant Tordre d'en tuer les habitants et la permission 
de s'emparer de tout ce qu'ils voudraient. Puis il arrête 
le massacre, fait détenir trois cents notables du quartier, 
boutiquiers ou autres, ordonne leur jugement immédiat : 
ils sont condamna à mort, égorgés, crucifiés. En même 
temps, la troupe chrétienne procède à l'expulsion de 
tous les habitants du faubourg qui a donné le mauvais 



exemple ; ceux-ci sont parqués en dehors de la ville, 
sous bonne garde, pour être ensuite expédiés, les uns 
vers TAfrique, les autres vers Tolède. En cette semaine 
terrible, les soldats chrétiens se sont attiré la haine des 
Cordouans. Le monarque a beau amnistier peu après 
les fciqi du faubourg et les membres de leur famille, 
le souvenir du drame ne s'oublie pas ^-^ 

Quelques années plus tard, alors que cet émir al- 
Hakam est à Fagonie, son fils, celui qui est sur le point 
de lui succéder, Abd ar-Rahman II (822--852), désireux 
de se gagner les bonnes grâces de la population, d'être 
acclamé et bien vu dès son avènement, extorque au 
monarque moribond Tordre de faire arrêter le comte des 
chrétiens de Cordoue, celui qui avait étouffé Témeute 
et dirigé la répression quatorze ans plus tôt. A demi 
inconscient, al-Hakam donne son accord : le comte est 
condamné à mort ; eti signe de bon présage pour le 
nouveau règne, il est égorgé et crucifié, au miUeu d'une 
grande liesse populaire, au moment même où expirait 
le souverain qu'il avait naguère sauvé 2^. 

Certains Mozarabes détestent, tout autant que la foule 
musulmane, les collaborateurs catholiques du pouvoir 
islamique Ils tiennent les troupes chrétiennes d'al-Andalus 
pour « un ramassis d'aventuriers provenant de toute 
TEurope, très privilégiés, ne songeant qu'à s'enrichir et à 
bien vivre ï>. De fait, sous le moindre prétexte, des compa- 
gnies chrétiennes pillent parfois des propriétés mozarabes 
et même des domaines de TEglise, notamment ceux de 
monastères 21, De là naît une haine compréhensible contre 
cette soldatesque. Des clercs en profitent pour exciter 
Tensemble de la population mozarabe contre tous les 
chrétiens proches du pouvoir : le rôle de ceux-ci est 
noirci, volontairement incompris ou déforme. Le fait 
est prouve par Tacharnement de ceux qui se déchaînent, 
vers 860, contre le comte des chrétiens de Cordoue, 
Servandus. Un prieur de monastère, Tabbé Samson, Tat- 



178 



UEUROPE MEDIEVALE ARABE 



taque vivement, parce qu'il est un collaborateur du pou- 
voir ; il l'accuse d'être arrivé à sa haute charge « par 
des flagorneries à l'égard des autorités musulmanes d. De 
fait. Servandus est de très humble naissance : le fils d'un 
serf ou d'un esclave de l'Eglise. Mais la violence des 
propos brusquement tenus contre lui par Samson relève 
de la démagogie : en effet, jusqu'alors personne n'avait 
accusé Servandus» tenu comme excellent chrétien et bon 
défenseur des dhimmi auprès du pouvoir ; or voilà que le 
gouvernement décide de percevoir une contribution sup- 
plémentaire sur la communauté mozarabe et. malgré 
l'opposition de l'évêque de Cordoue, Servandus accepte 
d'encaisser pour l'émir un pourcentage sur toutes les 
aumônes faites par les chrétiens lors des quêtes et dans 
les troncs des églises du diocèse \ C'est pourquoi, sans 
tenir compte ni de la ténacité de ce haut dignitaire dans 
la foi. ni du rôle utile qu'il avait joué, l'abbé Samson le 
voue maintenant aux gémonies 22. 

L'historienne Reyna Pastor de Togneri nous livre 
indirectement la clé de cette affaire Samson. Elle remarque 
que l'élite mozarabe est alors divisée en deux groupes : 
les uns « participent » au pouvoir, le servent, en profitent 
et savent être utiles à la communauté chrétienne ; les 
autres rêvent d'opposition quotidienne inspirée par un 
véritable mysticisme et préconisent une résistance condui- 
sant au martyre. Et la majorité penche plutôt du côté 
des premiers, qu'elle juge plus raisonnables 23. Elle voit 
instinctivement, en la personne des collaborateurs, un 
bouclier contre le risque toujours grand des passions anti- 
chrétiennes : ces officiels sont une garantie pour le main- 
tien du statut des dhimmi. Or, en l'occurrence, à la 
faveur de cette taxe complémentaire prélevée sur les 
aumônes chrétiennes. Samson trouve un. écho favorable 



♦ Cf. supra, pp. 83-84. 



LES COLLABORATEURS CHRETIENS 179 



dans la masse mozarabe : il la retourne contre le comte 
Servandus et contre tous les chrétiens nantis de fonctions 
dans l'Etat arabo-islamique. 11 exploite donc l'affaire, 
pour provoquer une rupture, une révolte ; il recherche 
le drame. 



CHAPITRE IX 

LE COMPORTEMENT 
ET L'EXISTENCE DES JUIFS 



Dans rensemble du dar al-Islam, en Europe comme 
ailleurs, les juifs sont considérés par les musulmans de 
la même manière que les chrétiens : ils croient en Dieu, 
observant les préceptes édictés par le Dieu d'Abraham, 
qui est aussi celui de Mohammed. Le pouvoir arabo- 
islamique leur concède donc la qualité de dhimmi ; et 
partout où ils vivent, ils forment une communauté auto- 
nome. 



Les juifs auxiliaires des mosulmans lors de la conquête 
de l'Espagne et du Languedoc 



Au vîîî* siècle, les juifs jouent même un rôle excep- 
tionnel lors de l'arrivée des Arabes en Europe : l'invasion 
musulmane en Espagne et en Languedoc se fait avec leur 
aide. En effet, au vu* siècle, le royaume wisigothique 
bien intégré spirituellement dans la chrétienté catholique 
et romaine, avait entrepris' de liquide^-Ja petite minorité 
juive vivant en^son sein, l'accusant de ne pas participer 
à l'unité du pays et de garder trop de liens avec ses 
coreligionnaires d'Afrique du Nord : ces fils d'Israël cons- 



LES JUIFS 



181 



tituaient ainsi une tache et créaient un problème, que 
l'Eglise et l'Etat wisigothiques avaient entrepris de résor- 
ber par la persuasion, puis par la violence. Des conver- 
sions au catholicisme avaient eu lieu, dont on connaît 
les traces : des ancêtres d'Alvaro, le fougueux polémiste 
chrétien du ix' siècle, auraient été des juifs devenus chré- 
tiens. Des baptêmes forcés avaient été pratiqués, des 
enfants enlevés à leurs parents, des expulsions décidées. 
En 693, un concile national réuni à Tolède avait interdit 
aux Israélites le commerce par mer, car ils intriguaient 
avec les musulmans en train de s'installer en Berbérie, 
Il n'est donc pas étonnant que les juifs aient contribué à 
ouvrir la péninsule Ibérique aux Arabes. Et plus tard, 
leurs coreligionnaires de Provence et des régions alpestres 
semblent avoir pareillement été des alliés, ou des auxi- 
liaires, des musulmans installés dans le massif des Maures. 
L'historien d'al-Andalus, Evariste Lévi-Provençal, 
croit vraisemblable que les juifs d'Espagne ourdirent, au 
début du vnr siècle, « une conspiration, à l'effet de faire 
chasser de la péninsule les Wisigoths par les Arabes ». 
Les contacts et le complot ont été antérieurs à la mort 
du roi Wiîîiza, à la lutte entre les fidèles de sa dynastie 
et r <i usurpateur j> Rodéric. Avant 690, des Israélites 
d'Afrique du Nord apprenaient déjà des rudiments d'arabe 
et connaissaient parfaitement les dialectes berbères : dès 
l'arrivée de l'Islam sur les rives africaines du détroit de 
Gibraltar, et à partir du débarquement arabo-berbère 
en Espagne, les juifs servent donc facilement d'interprètes 
aux conquérants, que certains d'entre eux accompagnent 
comme marchands suivant l'armée. Quelques-uns de ceux 
qui avaient fui l'Espagne pour échapper aux persécutions 
wisigothiques reviennent et servent de guides aux envahis- 
seurs, tout comme leurs coreligionnaires qui n'avaient pas 
quitté la péninsule. Ils offrent aux nouveaux venus leur 
entier concours, les conduisent vers Séville, Cordoue, 
Tolède, et, plus tard, vers Barcelone et Narbonne. 



9 

181 



L'EUROPE MEDIEVALE ARABE 



Vi^aisemblablement, ce sont eux qui ont suggéré aux 
chefs musulmans de susciter ou d'accueillir favorablement 
des propositions de négociations avec la famille du feu 
roi Wittiza, On relève la trace de leur habileté dans la 
manière dont les Arabes se présentent en Espagne comme 
alliés d'une faction et non en organisateurs de razzias 
ou en conquérants : c'est là un fait qui semble unique 
dans l'histoire de la formation de l'empire musulman. 
Les juifs avaient pensé prendre ainsi la direction politique 
de l'opération. Effectivement, d'ailleurs, dans chaque ville 
non ouverte par les Wittiziens aux Arabo-Berbères, mais 
bel et bien prise par ceux-ci, tandis que les chrétiens 
sont désarmés, les juifs — s'il s'en trouve — sont regrou- 
pés dans la citadelle, reçoivent des armes et y deviennent 
une garnison auxiliaire placée à côté de la petite troupe 
musulmane laissée sur place, tandis que le gros de l'armée 
poursuit son avance ^ 

Mais bientôt tout change : les juifs sont déçus par 
les musulmans. Dès que ceux-ci sont les maîtres, après 
avoir accepté leur aide comme celle des Wittiziens, ils se 
révèlent dominateurs. Ils donnent aux fils d'Israël le statut 
qui selon l'Islam doit être le leur, et nul privilège sup- 
plémentaire. 



Les communautés Israélites 

des régions européennes arabisées 



En Espagne et en Languedoc, les juifs fourriers de 
la conquête arabe ne tardent donc pas à être désarmés ; 
ils cessent d'être des alliés, tout en devenant des pro- 
tégés. En Sicile, dès la conquête de l'île, ils sont considérés 
comme tels 2. ^ 

En définitive, les Israélites sont traités comme les 
chrétiens, ni mieux ni plus mal : dans chaque ville, 
ils ont le statut de dhimmi, avec un quartier isolé du 



LES JUIFS 



183 



reste de l'agglomération ; c'est la « cité des juifs » 
(médina al-yaoud), à Tolède par exemple, avec sa syna- 
gogue et son établissement de bains publics. Leurs morts 
aussi sont séparés de ceux des autres communautés ; ils 
ont des cimetières particuliers : aux portes de Cordoue, 
au nord de la ville, entre le leur et celui des musulmans 
nasse un chemin. Très attachés à .leurs traditions reli- 
gieuses et culturelles, ils les maintiennent sans entraves. 

La culture juive est brillante : au x' siècle, un remar- 
quable linguiste hébraïque d'al-Andalus, Ménahen, com- 
pose des élégies et un Dictionnaire de riiébreu et de 
Varan^éen bibliques : cet ouvrage le met aux prises avec 
un autre savant grammairien, de ses coreligionnaires, 
Dounach. élève des maîtres juifs de Babylonc. qui n'ont 
que mépris pour le savoir des Israélites d'fZspagne : des 
discussions, ongues et violentes, opposent les deux érudits 
qui en viennent môme aux injures personnelles ; malgré, 
ou à la faveur de ces discussions, se forge un nouveau 
type de vers hébraïque, composé sur un mètre régulier 
correspondant aux règles de la prosodie arabe. L'ensei- 
gnement talmudique ne prospère pas moins, notamment 
à Lucena, à une soixantaine de kilomètres au sud de 
Cordoue, la communauté juive très riche subvenant lar- 
gement aux frais de l'enseignement. Au x\f siècle, le 
pieux poète Abraham ben Ezra s'affirme comme une 
gloire de la littérature hébraïque, tout comme le mystique 
Ben Paqouda, de Saragosse, qui avait c^xalté rfime d'Israël 
au siècle précédent Au xv' siècle encore, deux liturgistes 
de Malaga, Abraham ben Meïr Abi Simra et Hayym ben 
Asmelis illustrent la juiverie du sultanat de Grenade^. 

Les israélites exercent librement leur culte dans leurs 
synagogues au profit desquelles ils sont admis ï\ constituer 
des biens en habous. mais ils ne sont pas autorisés à en 
construire de nouvelles : au x' siècle, ceux „de Cordoue 
croient pouvoir le faire ; une fois que leur temple neuf 
est terminé, les jurisconsultes musulmans ordonnent sa 



184 



L'EUROPE MEDIEVALE ARABE 



démolition. Quant au prosélytisme envers les mahométans, 
il est, bien entendu, formellement interdit. 

Des règles précises sont appliquées en matière de 
vêtements et de signes distinctifs. Tout juif est tenu de 
porter « à la tête et au cou » une pièce d'étoffe jaune 
ou tout au moins un turban, une calotte ou un insigne 
de cette couleur, ainsi qu'une ceinture spéciale largement 
déployée. 

Les juives sont parfois même obligées d'accrocher 
une clochette à leur cou ; hommes et femmes doivent 
toujours céder le pas aux musulmans ; aucun n'a le droit 
de monter à cheval ; il n'est pas admis qu'ils portent des 
toilettes de soie. Cette réglementation sunnite est toujours 
restée en vigueur, mais, suivant les époques, elle a été 
plus ou moins strictement appliquée, les sautes d'humeur 
d'un musulman pouvant d'ailleurs avoir des conséquences 
imprévisibles : ainsi au ix* siècle, tel juif arrêté pour 
avoir enfreint les normes vestimentaires, reçoit « vingt 
coups de fouet à nu », est promené aussi or ignominieu- 
sement » que possible dans les quartiers habités par ses 
coreligionnaires et par les chrétiens, puis est jeté en 
prison pour un temps indéterminé ; au xf siècle, un 
médecin juif bien en cour, se trouvant invité dans une 
résidence de campagne d'un roi de Grenade — au temps 
des premières tcûfas — va faire une promenade à cheval 
et rencontre un haut dignitaire musulman qui le sait 
invité du prince : il reçoit de cet homme Tordre de des- 
cendre de sa monture et il est insulté ; le souverain ne 
s'en émeut pas 5. 

Une affaire curieuse révèle la dureté qui se cache 
sous une apparente bonté : au x' siècle, un enfant juif de 
huit ans. étant devenu le camarade de petits musulmans 
de son âge étales admirant beaucoup, veut tout faire 
comme eux. Il décide de se convertir à l'Islam ; le cadi 
le reçoit. Tinterroge, prend acte de cette décision, mais 
déclare qu'il serait cruel de séparer ce garçon de ses 



LES JUilS 



185 



parents ; cchii-ci continuera donc à vivre dans sa famille, 
qui en conserve la garde, doit assurer son entretien et 
son instruction ; toutefois, le juge stipule que l'enfant, 
devenu adulte, devra confirmer sa profession de foi isla- 
mique, quitter sa famille et le quartier juif : si par hasard 
ce néophyte, dont la décision est déclarée irrévocable, se 
refuse à se comporter ainsi en arrivant à Tâge d'homme, 
il sera contraint de le faire par autant de coups de fouet 
qu'il le faudra ; et en aucun cas il n'aura le droit de 
revenir à l'erreur judaïque ^. D'autres normes sont usuelles, 
comparables à celles que nous avons indiquées h propos 
des chrétiens : aucun israélite ne peut épouser une musul- 
mane, mais un mahométan peut licitement avoir une 
juive comme épouse ou concubine en titre, à condition 
que cette femme soit de condition libre ; et s'il a une 
esclave juive, il peut en jouir charnellement à sa guise ^. 

Les rapports commerciaux entre fidèles d'Allah et 
fils d'Israël sont possibles, mais l'islam recommande de 
ne les pratiquer que très précautionneusement ; les juris- 
consultes mettent en garde contre les marchands ambu- 
lants juifs, qui vont de maison en maison pour y proposer 
leurs marchandises et que les femmes musulmanes et leurs 
enfants ont Thabitude d'accueillir avec plaisir, comme 
une distraction ; « il faut être circonspect et distant », 
recommande un fogi ^. Quant au négoce illicite du vin 
que les juifs pratiquent, tout comme les chrétiens, il scan- 
dalise les docteurs de la Loi islamique, qui ne cessent 
de tonner et de sévir contre ce trafic : à la fin du 
xnf siècle, sous le règne de l'émir mérinide du Maroc, 
Abou Yaqoub Yousof, qui possède plusieurs villes anda- 
louses et leurs environs, sont décidées, tant en Afrique 
que dans la péninsule Ibérique, la mise à mort de tous 
les juifs convaincus d'avoir vendu du vin à des musul- 
mans, la confiscation de leurs biens et la réduction en 
esclavage de leur famille ^. 

Si un confiit juridique oppose deux juifs, il est jugé 



186 



UEUROPE MEDIEVALE ARABE 



paroles magistrats de leur communauté suivant leurs lois 
et coutumes; mais le condamné a toujours le droit de 
faire appel devant la justice musulmane. On connaît 
un célèbre procès cordouan de ce genre, au x* siècle, 
arrivant en seconde instance devant un cadi : Fisraélite 
condamné par les juges de sa religion alléguait que 
ceux-ci étaient des ennemis de sa famille ^o. On entrevoit 
donc des luttes de clans, chez les juifs comme chez les 
chrétiens, et il n'est pas impossible que les musulmans 
les aient attisées. Mais, en définitive, la coloration domi- 
nante de l'attitude islamique envers Fisraélite est le 
mépris. Un miiphti du xiV siècle, donnant une consul- 
tation juridique dans al-Andalus à propos d'un litige entre 
un juif et un mahométan pose comme principe que « les 
juifs considèrent légitime de gruger les musulmans b et 
remarque que « toute leur activité, ou peu s'en faut, 
est usuraire » ; il en déduit donc que, dans toute transac' 
tion commerciale effectuée avec un non-juif par un juif, 
ce dernier est suspect. Un jugement s'inspire de ces' 
prémices : un Israélite exhibant trois titres de créances 
qu'il a sur un mahométan, vieux l'un de quinze ans, 
chacun des autres de dix ans. le débiteur prétend avoir 
remboursé depuis longtemps ; le muphti consulté déclare 
qu'un infidèle n'a pas coutume de laisser son bien aussi 
longtemps entre les mains d'un musulman ; celui-ci jurant 
qu'il a payé le juif, les titres de créance sont jugés périmés 
et sans valeur : l'israélite n'est pas remboursé n. 

La législation et la jurisprudence islamiques ne suf- 
fisent pourtant pas à empêcher les juifs d'avoir une très 
grande influence, sinon constamment, du moins souvent. 



LES JUIFS 



187 



Le rôle scientifique, intellectuel, commercial 
et politique des juifs 



Sans doute a-t-on exagéré Timportancc numérique 
de la population juive dans l'Espagne prc-islamique, puis 
musulmane. Cependant, si elle est minime en Languedoc 
comme en Sicile, elle n'est pas négligeable dans la pénin- 
sule Ibérique : on peut admettre que vingt mille, ou 
trente mille israélites peut-être, vivaient dans al-Andalus 
dans la première moitié du xi' siècle. Ils étaient assez 
concentrés dans certaines villes, ce qui augmentait leur 
influence. Ils auraient formé au x' siècle la majorité de 
la population d'Elvira-lliberis, là où allait bientôt s'édifier 
Grenade '2. Cc pourcentage élevé de juifs dans la popu- 
lation de diverses villes cVal-Andalus se restreint au fur 
et à mesure que l'Espagne musulmane décline : suivant 
les estimations les plus probables, à la veille de la Recon- 
quista du sultanat de Grenade, au xv*^ siècle, il n'y a 
plus que deux ou trois mille juifs dans ce dernier 
bastion ^^ peuplé d'un demi-million d'habitants peut-être. 

En tout cas, du viii' au xv' siècle, une science ne 
cesse d'être illustrée par les juifs de la partie européenne 
du dar al-Islam : la médecine ; en 958, une célèbre 
régente de Navarre, la reine Toda, amène à Cordoue 
son petit-fils, le roi Sanche P^ de Léon, momentanément 
détrôné, pour consulter un grand médecin juif, Hasday 
ben Isaac ben Shaprout (905-975) : l'enfant est obèse ; 
Hasday le guérit ^1 Les musuliîians ont confiance dans 
ces médecins israélites : ici, un bourgeois mahométan 
confie à l'un d'eux une de ses esclaves malade pour 
qu'il la soigne chez lui ^^ là (à la cour de Grenade), 
un juif est le praticien en titre du souverain, tant au 
XI* siècle, sous le règne du Ziride Badis, qu'au xiv% sous 
celui du Nasride Mohammed V ^^\ Les juifs assimilent 



188 



L'EUROPE MEDIEVALE ARABE 



et perfectionnent bien d'autres aspects de la culture arabe : 
le père du médecin Hasday ben Shaprout, Isaac ben 
Shaprout, est, au milieu du x" siècle, un des hommes 
les plus brillants de Cordoue, parlant couramment Thébrcu, 
le grec, le latin, l'arabe et les langues romanes ^\ Chacun 
sait le rôle capital qu'ont joué les juifs du dar al-lslam 
dans la traduction des œuvres arabes, philosophiques, 
mathématiques et médicales, en latin ou en langue vul- 
gaire de la péninsule Ibérique. Enfin, et surtout, la commu- 
nauté israélite de l'Espagne musulmane a donné, à la 
culture universelle, un philosophe dont le rayonnement 
a été remarquable, tant en Orient que dans l'Occident 
chrétien : Maïmonide, né à Cordoue en 1135, mort en 
1204. Sa Somme ou Guide des Indécis, méditation philo- 
sophique dont l'inspiration est surtout aristotélicienne, 
a eu une influence considérable, notamment en Italie. 
où les israélites ont été ainsi préservés, dit-on, de l'at- 
traction exercée sur eux par les penseurs musulmans de 
Tunisie. 

Bref, le prestige des juifs est tel qu'au grand désespoir 
des « docteurs en Islam i>, leurs pratiques influencent 
parfois les croyants en Allah. Dans le califat de Cordoue, 
la mode se répand d'utiliser la trompe — instrument 
religieux des israélites — pour annoncer l'heure de la 
prière, celle du repas à faire à la fin de la nuit, avant 
le lever du jour, pendant le ramadan, et même pour 
annoncer le terme du jeûne, Israël fait aussi sentir son 
poids sur les chrétiens, contre eux : au ix^ siècle, un 
diacre germain, Bodo, converti à la religion juive sous 
le règne de Louis le Pieux, puis réfugié en. Espagne 
musulmane, exerce son ascendant sur Fémir Abd ar- 
Rahman II, organise une intense propagande pour conver^ 
tir les Mozarabes au judaïsme, tente même d obtenir du 
souverain la mi^e hors la loi du christianisme i». 

L'activité des juifs, leur réussite en affaires est peut^ 
être l'élément déterminant de leur rayonnement. Dans 



LES JUIFS 



189 



al'Andahis, au x* siècle, comme ensuite au temps des 
tdijas, il n'est pas rare que des israélites opulents fassent 
étalage de leur luxe, transgressant la réglementation sun- 
nite avec l'accord tacite des autorites, en se vêtant de soie 
et en portant des turbans de grand prix, tout comme en 
voyageant dans de superbes voitures, ou même à cheval 
tels les seigneurs arabes. En Narbonnaise, des le viii' siècle, 
ils se taillent une place considérable dans le grand com- 
merce international du temps, celui qui amène, dans aU 
AndaliiSy belles captives et eunuques, soieries, fourrures 
et pierres précieuses. Des juifs d'Espagne et du Languedoc 
vont parfois jusqu'en Irak, voire en Inde et en Chine, 
pour en rapporter des épiées dans TOccident musulman *^ ; 
ils sont ainsi les précurseurs du négoce qui domina la vie 
économique méditerranéenne à partir des xf-xn* siècles. 
Leur zone d'action s'enfonce loin au cœur de l'Europe : 
vers 965-966, un marchand de Tortosa, Yaqoub al-Israïli 
al-Tortoshi, est en rapports avec des coreligionnaires de 
Hongrie et de Prague ^o. Leurs efforts pour acquérir, 
quand et où ils le peuvent, un monopole du commerce 
servile, répondent sans doute à une double préoccupation : 
s'enrichir mais aussi essayer d'éviter qu'un juif ne reste 
esclave : dès que ces trafiquants en marchandise humaine 
découvrent un coreligionnaire dans un lot servile, ils le 
libèrent. 

Une curieuse atlaire, survenue au x' siècle dans une 
ville andalousc, laisse entrevoir une activité de ce genre : 
une esclave confiée à un médecin juif^our quMl la soigne, 
s'évade de chez celui-ci ; on prétendait qu elle était tar- 
tare, mais elle devait être juive, et le médecin a, sans 
doute, été l'organisateur de sa fuite ^i. 

Dans certaines villes, comme Grenade, au xf siècle, 
le rôle politique des juifs découle de leur importance 
numérique et sociale. Mais, partout, elle provient plus 
encore, de leur dynamisme culturel et de leur puissance 
économique- A la cour à\\ calife Abd ar-Rahman IIL le 



190 



L'EUROPE MEDIEVALE ARABE 



médecin Hasday ben Isaac ben Shaprout est xin conseiller 
influent : en 955, il va négocier une paix au nom de ce 
souverain avec le roi Ordoiio III de Léon 22. Dans la 
Grenade ziride du xr siècle, les juifs tiennent une place 
de premier plan. L'un d'eux, Samuel Ha-Lévi — en arabe 
alias Abou Ibrahim Ismaïl — savant, poète et auteur 
d'une Introduction au Talmud et d'une vingtaine d ou- 
vrages de grammaire hébraïque et d'imitations des Psaumes, 
des Proverbes et de ÏEcclésiaste. est très fortuné : il fait 
vivre de jeunes étudiants Israélites ; nommé par ses core- 
ligionnaires de la ville a prince des juifs de Grenade », 
il est le conseiller, le grand argentier, le vizir et le prin- 
cipal ministre de cet Etat grenadin pendant près de 
trente ans, de 1027 à 1055. Après quoi, son fils Joseph 
y est, à son tour, un membre influent, puis le vrai chef 
du gouvernement durant une dizaine d'années encore, de 
1055 à 1066, En ce temps, toute l'administration fis- 
cale du royaume de Grenade est entre les mains des 
Israélites ^3. 

Ces quelques exemples suffisent à établir qu'à cer- 
taines heures au moins, parfois très longtemps dans une 
région donnée, les juifs ont contribué fortement à 
caractériser et à modeler la civilisation et la société d'aï- 
Andalus, 



Les réactions antijuives 

Dans l'ensemble, les communautés Israélites des 
régions européennes du dar al-Islam bénéficient du régime 
de protection auquel le Coran et la sunna leur donnent 
droit. Cependant, le juif qui s'élève trop, devient faci- 
lement une cible pour les mahométtos, d'autant que, 
parfois, grisé pa> son ascension, il ne manque pas d'inso- 
lence. Dans plus d'un royaume de taifas, des juifs pro- 
fitent, tantôt de leur fortune, tantôt de lem: facilité à être 



LES JUIFS 



191 



des intermédiaires avec les Etats chrétiens de la Recon- 
quista, pour devenir indispensables à tel ou tel émir. 
Certains Israélites sont accusés d'exercer ainsi une véri- 
table « tyrannie » en s'enrichissant, par exemple le roué 
Ben Mouhagir qui suscite des témoignages calomnieux : 
il fait condamner des musulmans, encaisse une partie de 
Tamende qui leur est infligée, et il oblige d'honnêtes 
fidèles d'Allah à vendre des biens dont il s'empare ^4. 

Contre de pareils agissements, des réactions locales 
antijuives se produisent, de-ci de-là. La plus spectaculaire 
— celle qui a clos l'extraordinaire époque du gouver- 
nement de Grenade par les juifs au xf siècle — se trans- 
forme en « pogrom » : le 31 décembre 1066, l'émeute 
éclate contre le tout-puissant ministre Joseph ben Samuel 
Ha-Levi, dont la résidence est envahie ; le malheureux, 
traqué, se dissimule dans une soute à charbon, se noircit 
le visage, tente de s'échapper ainsi au milieu de la popu- 
lace, qui circule dans sa maison et la pille ; mais il est 
tout à coup reconnu, insulté, frappé et tué ; son cadavre 
est traîné à une porte de la ville où il est cloué. Et c'est 
le pogrom : des milliers de juifs de Grenade sont mas- 
sacrés et leurs biens sont volés 2\ 

Bien que sa portée ait été considérable, car elle a fait 
périr la riche et importante communauté juive de Gre- 
nade, celte afl'aire est restée exceptionnelle. Hn général, 
dans l'Espagne musulmane, du moins avant l'époque de 
la constitution des empires hispano-africains, la vie des 
israélites se maintint « dans les règles licites », voire avec 
des facilites supplémentaires, tout comme, dans Tensemble, 
elle s'est déroulée en Sicile, sans véritable crise 2&. 

Tout change avec l'arrivée, en Espagne, des Berbères 
Almoravidcs, puis Almohades. La tension augmente ; des 
persécutions sont organisées contre les juifs et contre 
les chrétiens. La menace est si grave, Tangoissc si forte 
que, pour ne pas être déportés au Maroc, des israélites 



192 



L'EUROPE MEDIEVALE ARABE 



feignent de se convertir à Tlslam, tandis que d'autres 
préfèrent émigrer vers les royaumes chrétiens. Autrement 
dit, l'idylle judéo-mahométane qui avait caractérisé les 
lendemains immédiats de l'arrivée des Arabes en Espagne, 
n'est plus, dès le xii' siècle au plus tard, qu'un lointain 
souvenir... 



CHAPITRE X 

- DES EUROPEENS CONVERTIS A L'ISLAM 



Nous vivons sur bien des idées fausses ; Tune d elles 
est que les Européens sont normalement des chrétiens, 
tandis que les populations des pays méditerranéens d'Asie 
et d'Afrique sont non moins normalement musulmanes, 
des juifs (de souche asiatique) étant dispersés dc-ci dc-là. 
Or cette répartition ne résulte pas d'une règle qui serait 
à la fois éternelle et impérative. En fait, l'Islam s'est 
propagé, à partir du vif siècle, autour de la Méditerranée, 
dans des pays qui avaient tous été christianisés antérieu- 
rement. Un phénomène général de conversion à la foi 
mahométane se produisit donc en Europe comme ailleurs, 
partout où Tautorité musulmane resta assez longtemps 
établie : dans la péninsule Ibérique et en Sicile, par 
exemple. 



Les mobiles des conversions 



Pourquoi et comment certains habitants des régions 
conquises par les Arabes se sont-ils convertis à l'Islam ? 
On discerne bien les lignes générales de cette question, 
mais on ne peut la poser ni la résoudre avec des chiffres 
absolus, ni même avec des pourcentages de conversions : 



194 



L'EUROPE MEDIEVALE ARABE 



nous ignorons les données exactes ; et nous ne pouvons 
pas davantage tracer de courbes pour suivre les progrès 
de l'islamisation au cours des siècles. Mais nous avons 
des repères ; nous connaissons des personnalités et des 
familles notables converties, ainsi que le résultat global 
de cette évolution. Nous avons donc la possibilité de 
comprendre assez bien ce qui s'est passé. 

Un premier fait ne doit pas être écarté : la foi. Des 
chrétiens, des juifs aussi, ont pu être amenés à se convertir 
par conviction, au contact des musulmans, en s'instruisant 
sur la religion islamique : des conversions sincères ont 
certainement existé. 

L'intérêt, puis le laisser-aller et une certaine lassitude 
de la croyance pré-islamique ont joué souvent et conduit 
à la religion mahométane, acceptée peut-être d'abord du 
seul bout des lèvres, mais ensuite s'enracinant dans Têtre. 
Un fait, en tout cas, est indiscutable : dans tout le dar 
al-Islam, avant même le milieu du vm' siècle, donc avant 
que la Sicile soit conquise, et alors que la péninsule 
Ibérique et le Languedoc ne le sont que depuis quelques 
dizaines d'années, un problème financier et religieux à la 
fois se pose avec éclat et prouve l'importance numérique 
des conversions déjà acquises. Ainsi que nous l'avons 
déjà noté *, dans TEtat arabo-musulman, tandis que le 
croyant n'est passible que d'une seule contribution finan- 
cière — l'aumône légale — 1' « infidèle y) doit acquitter 
un impôt par tête et la taxe foncière. D'autre part, les 
vaincus, restés de condition libre, étaient par définition 
les indigènes les moins intraitables envers les nouveaux 
venus, puisqu'ils n'avaient pas résisté les armes à la main, 
alors que les autres avaient été réduits en esclavage. 
Ces Européens devenus dhimmU dans la mesure où ils 
sont pragmatistes^et où leur christianisme -n'est pas robuste, 
estiment qu'échapper aux impôts vaut bien une profession 



♦ Cf. supra t p. 39, 



DES CONVERTIS A L ISLAM 



195 



de foi mahoniétane : ils se convertissent donc en si grand 
nombre, que 1 Etat arabo-musulman voit fondre ses 
recettes provenant de la capitation et de l'impôt foncier. 

Pour ceux qui hésitent à changer de religion pour 
une vile question d'argent, le processus est plus long : 
ils pensent à cet aspect des choses, mais ils ont honte 
de se décider pour un motif si méprisable. Toutefois leur 
subconscient se laisse entraîner vers l'idée de conversion, 
en suivant une pente naturelle : le pouvoir est entre les 
mains des musuhnans ; pour peu que Ton soit en rapport 
avec les autorités arabo-islamiques, on subit leur influence, 
celle de leur genre de vie ; on tend à les imiter ; nous 
nous en sommes déjà rendu compte *. Cette tendance 
atteint le domaine religieux : en se convertissant, on évite 
d'être parqué dans un quartier donné, d'être victime de 
mesures discriminatoires, d'être humilié. C'est donc par 
un souci de commodité sociale, coïncidant avec l'intérêt 
financier, qu'on devient musulman, d'autant plus que la 
communauté chrétienne est secouée par des discordes 
et se sent toujours en quête de vérité. 

Les afi'rontements spirituels entre les diverses Eglises 
chrétiennes et leurs adeptes ouvrent, en efl[et, une brèche 
dans la doctrine ; l'Islam en profite pour faire progresser 
ses conceptions. En Sicile, quand les musulmans arrivent, 
il n'y a pas encore de schisme définitif entre Rome et 
Constantinopic ; néanmoins le fossé s'élargit et les dis- 
putes, entre catholiques romains et le.\ diverses tendances 
grecques, s^intensifient. En Espagne,' où les Wisigoths 
avaient longtemps été ariens, resurgissent parfois des 
survivances de l'arianisme qui, comme l'Islam, voyait en 
Jésus non un Dieu, mais un homme exceptionnel envoyé 
par Lui. Au xvf siècle encore, des théologiens portugais 
considèrent l'Islam comme une sorte de nouvel arianisme ; 
le roi Sébastien de Portugal le dit dans une proclamation 



^ Ci. supra, p 140 .v«/. 



196 



L'EUROPE MEDIEVALE ARABE 



qu'il adresse aux Marocains en 1578. Dès le vin' siècle, 
en atteignant l'Europe. l'Islam attaque la religion chré- 
tienne au nom du principe de l'unicité de Dieu. L'ar- 
gumentation mahométane anti-trinitaire et « anti-poly- 
théiste » porte ses fruits : l'affaire de l'adoptianisme en 
témoigne •. A la longue, les chrétiens qui voient naître 
des hérésies au sein même de leur Eglise, pensent qu'après 
tout. l'Islam n'est aussi qu'une hérésie, donc à la limite 
une nouvelle forme du christianisme. Très tôt, cette 
conception s'était répandue en Orient : dans un célèbre 
apocryphe du grand docteur chrétien de la Syrie du 
VIII' siècle, saint Jean Damascène. l'Islam est bien consi- 
déré comme une hérésie chrétienne et non comme une 
religion foncièrement différente du christianisme. 

De plus, toute la législation islamique tend à favoriser 
les conversions. Quand un « infidèle r> devient musulman 
il bénéficie sur-le-champ d'une amnistie totale pour tous' 
ses délits antérieurs, même s'il a été condamné à la peine 
de mort, même si ce fut pour avoir injurié le Prophète ou 
msulté la Parole de Dieu : sa conversion le blanchit 
de toutes ses fautes, de tous ses péchés précédents i. Une 
consultation juridique donnée par un nmphti d'al-AndaJus, 
au IX' siècle, est très significative : un dhimmi chrétien 
a enlevé et violé une musulmane ; arrêté et condamné à 
mort, il se convertit aussitôt à l'Islam ; il est automa- 
tiquement gracié, tout en étant contraint d'épouser la 
femme et de lui constituer une dot en rapport avec sa 
condition. Le muphti saisi de l'affaire, peut-être par un 
frère de cette femme, trouve la décision judiciaire parfai- 
tement hcite. mais précise que si ce converti n'est pas 
devenu un musulman de bonne foi et reste secrètement 
chrétien, il sera fouetté, égorgé et crucifié 2. 

La peur est aussi un mobile de conversion. Lorsque 
au XII' siècle,, les Almoravides. puis lcs.Alraohadcs, persé- 



* Cf. supra, pp. 89-90. 



DES CONVERTIS A L'ISLAM 197 

cutent les chrétiens et les iuif^ H'^/ < ^ 7 

femmes et de leurs filles l ^ ^^"" 

motif^'.nTf '^"'"'' '" '""^^ ^'' ^i^^^'^"'- ^^"'"t pour un 

motif, tantôt pour un autre, des conversions à l'IslarS 

c produisent sans cesse. Dans le milieu serv.le don nou^ 

nommes libies, des causes particulières jouant en com- 
plément c est parfois pour échapper à^ la dom nation 
du. maître coreligionnaire chrétien trop dur- c'est sou 
ven dans l'espoir d'être plus facilement affranchi par un 
ma.tre musulman ; plus souvent encore, c'est parce que 

aans ce cas . et aussi mainte captive de harem Mais 
nous touchons ici à l'un des traits de la «unau^é 

Il convient de discerner leur fonctionnement. 

Les structures politico-sociales accélératrices 

Deux procédés d'installation de lautorité et de la 

famfue trnii; f ^"'' "^ ''''^' '* l'organisation de la 

dan le nTl ''''''T''' ^^"""^ essenuellement par et 
Clans le milieu social musulman dirigeant 

et 1 a dmé jusqu'à nos jours : au x.x' siècle, le conqué- 
rant du Sénégal, le général Faidherbe, a enco, c S une 

paTtstra^blrd'u^" ""' ^*'^'^' '' ''^''' ^'^^^ 
par le, Arabes, d une manière habile, était déjà le même 

i?;t z 17'^ '^"°^'^°"^ '^^ ^^""- ^' -''-« ^- 

'a paix du vainqueur » en prenant to-ute une série d'enga- 



198 



IJEUROPE MEDIEVALE ARABE 



gements, le chef et les notables de ce groupe sont tenus 
de remettre en otages des membres de leur famille, des 
enfants, de sexe masculin de préférence. Ces bambins 
ou ces adolescents sont fort bien traités par Fémir musul- 
man, qui les élève avec les siens. 

Une série de faits connus est symptomatique : un 
fils, futur roi Pelayo des Asturies, et une fille d'un chef 
wisigoth de la région cantabre semblent avoir été otages 
au lendemain de la conquête arabe "^ ; lorsque la ville 
de Nîmes est prise et se soumet en 725, les enfants des 
notables sont remis en garantie ^ ; quand Fémir Abd 
ar-Rahman P"" de Cordoue impose, vers 780, un pacte 
au comte de Cerdagne, dit « le fils de Velasco », ce 
seigneur livre en gage son fils aîné ^ ; après les insurrec- 
tions de Tolède, quand cette ville se rend, les person- 
nalités citadines sont obligées à agir de même, tant en 810 
qu'en 837 et en 873 ^ ; vers 900, alors qu'un chef rebelle 
andalou, Omar ibn Hafsoun, dépose provisoirement les 
armes, Fémir de Cordoue exige un fils de cet insurgé 
résipiscent s. En Sicile aussi, ce procédé est employé. 
On pourrait multiplier les exemples. Il s'agit d'une méthode 
systématique, dont on discerne bien la portée : rares sont 
les enfants otages se révélant imperméables à l'Islam 
et à l'influence arabe. On connaît un cas célèbre de 
non-assimilation, mais il s'agit d'un jeune homme déjà 
formé : Pelayo, le fils d'un comte ou duc des pays 
cantabres ; il s'évade du palais où il était otage et il fait 
naître, dans les Asturies, le premier royaume de la Recon- 
quista ; encore son attitude paraît-elle avoir été motivée 
par un fait annexe : sa sœur, également otage, avait été 
violée par Fémir et placée dans son harem. De tels 
inciden^f sont rares, d'ailleurs. 

Le cycle "épique de nos chansons de geste sur Guil- 
laume d'Orange-lez-Avignon laisse clairement apparaître 
l'importance et la résonance acquises par ce système des 
otages : le fils d'un comte provençal étant devenu « gage », 



DES CONVERTIS A U ISLAM 



199 



se laisse emporter par un mouvement de colère, insulte 
et défie les musulmans : Fémir qui Félevait princièrement, 
réagit et s'écrie : a J'ai grande envie d'en faire une 
justice terrible ! x. Mais une sœur de ce prince arabe, 
sensible, d'ailleurs, à la beauté du jeune chrétien, inter- 
vient et dit à son frère : « Ne le tue pas ; nous n'aurions 
plus d'otage ; tant que nous le posséderons, son père n'osera 
pas reprendre les armes contre nous. Réduis-lc plutôt aux 
bas emplois do la cuisine et du moulin. Ou^il ait une vie 
d'esclave quotidiennement humilié et mal traité ^ ! » 

En général, tout se passe d'une manière différente : 
les fils de notables européens soumis reçoivent une bonne 
éducation arabe et islamique ; ils deviennent des amis 
d'enfance de futurs notables et chefs musulmans. Lorsque 
meurt le prince ou le comte d'une zone ou d'une commu- 
nauté protégées, le fils qui lui succède est parfois encore 
en otage ou, plus souvent, un ancien otage : il prend la 
direction du peuple de dhmvni qui dépend maintenant 
de lui, avec l'état d 'esprit d'un ami des Arabes, passa- 
blement islamisé. Dans l'élite sociale autcx^htone, les 
conversions sont donc parfois spontanées et naturelles, 
grâce à cette éducation reçue pendant la période où 
l'on a été otage. De surcroît, rien ne peut s'opposer à 
cette adhésion à la foi du Prophète : dans tous les pactes 
conclus entre conquérants et soumis, les autorités indi- 
gènes — même les prêtres — s'engagent à ne jamais 
empêcher la conversion à FLslam, d'un membre de leur 
communauté »<^. Et l'on discerne sans peine que la couver- 
sion d'un dhimmi bien placé fait tache d'huile. 

Pour les femmes, le rôle du harem est comparable à 
celui de la vie comme otage pour les garçons. Les chré- 
tiennes libres qui y entrent, surtout si elles y arrivent 
très jeunes, ce qui est un cas fréquent, sont souvent 
gagnées à la longue par Fambiance islamique ; les cap- 
tives aussi. Souvent, les unes et les autres adhèrent à la 
religion du Prophète par unc^ sorte de lassitude, puisque. 



200 L'EUROPE MEDIEVALE ARABE 

de toute manière, elles ne pourront jamais «o'^tir de la 
fami?le de leur maître, et que les garçons et les fille 
qu'elles ont mis ou qu'elles mettront - monde se^on 
forcément tous musulmans. Par exemple, les enfants que 
1 ex reine Eg.lone donne à Abd al-Aziz ,bn Mousa son 
mahométans. comme ceux que met au monde la prmcesse 
Sara petite-fille du roi W>tt,za, dans ses deux marmge 
successifs. Souvent des mères se convertissent, pensant 
qu'elles seront plus proches de leur progéniture en prati- 
quant la même religion qu'elle : cela est important dan 
une vie où la journée et l'année sont rythmées par les 
orescriptions coraniques : les heures de prière, le mois 
Seûne, les fêtes musulmanes. On connaît la conversion 
d'une concubine de l'émir de Cordoue Abd ar-Rahman IL 
fille d'un seigneur basque, capturée toute jeune et deve- 
nue excellente chanteuse arabe, célèbre sous le nom de 
Oalam " Dans le cadre familial, la loi islamique est très 
strict • si un chrétien devenu musulman et son épouse 
restée chrétienne ont un enfant, même si celm-c. est une 
fille, que le père meure et que cet enfant soit élevé dans 
le ckrltianisme par sa mère, l'enfant est légalemen maho- 
raétan : il doit le reconnaître et vivre comme tel des 
qu'il arrive à un âge de raison ; s'il s'y refuse, ri est 
passible de la peine de mort, comme tout renégat ^ 
Ainsi, de toute manière, le carcan familial est tel et la 
primauté du lignage paternel si absolue, que les unions 
entre musulmans et « infidèles » ne font qu augmenter la 
population islamique. 



L'extinction du christianisme 

Un *long grignotage du milieu chrétien s'est opéré : 
la confrontation entre christianisme et Islam dans les pays 
conquis par les Arabes dure pendant des siècles. Certes 
une reliRion ne meurt pas facilement : celle du Christ ne 



DES CONVERTIS A L'ISLAM 



201 



disparut ni du Languedoc, ni mcme de la Sicile, car la 
domination musulmane ne fut pas assez longue pour 
l'étouffer. Quand les Normands expulsent les Arabes de 
Sicile, à la^fm du xf siècle, les chrétiens n'y sont plus très 
nombreux dans certaines régions, mais il y en a encore 
partout, aussi bien des catholiques romains que des byzan- 
tins ou grecs ». Dans toute la péninsule Ibérique musul- 
mane comme e>» Bcrbéric. le christianisme subsiste aussi 
aux XI' et xii^ siècles et même de-ci dc-là au début du 
Xiii', par exemple à Murcie ; il survit donc durant plus 
d'un demi-millénaire après la conquête arabe. Mais 
ensuite, il meurt... Est-ce sous le coup des persécutions 
aimoravidc et almohade et h la suite de nombreuses dépor- 
tations ? On croit que c'est plutôt un effet du temps, une 
lente érosion, le résultat de conversions fragmentaires qui 
finissent par rendre l'apostasie générale. Déjà au milieu 
du IX' siècle, l'intrépide et fanatique chrétien Alvaro 
dénonçait un fléchissement de la spiritualité chrétienne : 
« Oui parmi nous, demandait-il, étudie vraiment les 
Saintes Ecritures, cultive les leçons données par l'Evan- 
gile, les Prophètes et les Apôtres? i. Après être restés 
pendant cinq ou six siècles en dehors de la religion isla- 
mique, des autochtones des pays d'Europe dominés par 
les Arabes, tout comme ceux de Berbéric, finissent par 
adhérer à Ja religion de Mohammed. 

L'historien doit se demander pourquoi .se produisit 
cette extinction du christianisme en Occident, alors qu'en 
Orient il n'a jamais sombré et reste vivace aujourd'hui 
encore, notamment au Liban et en Egypte. Faut-il admet- 
tre que les persécutions ont été plus fortes en Occident 
parce que le christianisme y était plus ferme, plus unitaire, 
plus romain et moins diversifié qu'en Orient ? Ce serait 
là ignorer le ferment que constituèrent les mouvements 
hérétiques que l'on connaît. Doit-on donc penser que le 
christianisme oriental, parce qu'oriental précisément, 
même en restant fidèle h Rome, a su être plus souple. 



202 



L'EUROPE MEDIEVALE ARABE 



peut-être plus adapté à des faiblesses humaines que 
rislam sait ménager ? On ne sait. 

En tout cas. le milieu néo-musulman qui s'est consti- 
tué, et peu à peu étoffé, dans les zones européennes du 
dar al-Islam, a toujours eu des caractéristiques qui contri- 
buent à le définir et que nous allons évoquer. 



Le milieu néo-musulman : les « mouladi » 

Un fait est étonnant et indiscutable : pour convertis 
sincères qu'ils soient, les néo-musulmans ne sont pas vrai- 
ment intégrés dans la société arabo-islamique. Us consti- 
tuent un groupe à part ; on les appelle les muouaUadun, 
mot que les Européens ont transformé en mouladi. Bien 
que les mariages soient très fréquents entre musulmans 
de vieille souche et mouladi, du fait — encore et toujours 
— de la primauté absolue du lignage paternel, le clivage 
subsiste entre les deux catégories de familles mahomé- 
tanes : les arabes et les indigènes converties ^^ 

La distinction se matérialise au point de vue fiscal ; 
en effet, dès que se sont produits les premiers mouvements 
de conversion de masse, du fait des répercussions qu'ils 
avaient sur les recettes de l'Etat, les gouvernants arabo- 
musulmans ont été amenés à prendre une décision qui 
entraîna bien des remous et des troubles : une terre du 
dar al-Islam qui a été frappée par l'impôt foncier établi 
par les musulmans, doit toujours continuer à l'être, même 
si elle devient la propriété d'un mahométan ; lisons : 
même si son propriétaire se convertit à l'Islam. Par consé- 
quent, deux catégories de musulmans se distinguent finan- 
cièrement parlant : d'une part, les mahométans de la 
première heure et leurs descendants en ligne masculine 
— disons : les Arabes — et aussi tous ceux qui sont 
arrivés en Europe (puisque nous étudions ici l'Europe) 
déjà convertis à l'Islam, et leurs descendants ; tous ces 



DES CONVERTIS A U ISLAM 



203 



« vieux croyants » ne paient que l'aumône légale comme 
contribution financière ; d'autre part, les convertis et leurs 
descendants acquittent l'aumône légale et l'impôt foncier 
Les révoltes de convertis contre les Arabes dominateurs 
ont souvent été déterminées par un refus d'accepter cette 
discrimination fiscale. Plus qu'un « patriotisme » local 
ou un attachement à des traditions socio-linguistiques pré- 
islamiques, l'inégalité des impositions est à l'origine de 
bien des insurrections. Mais la contestation de l'autorité 
se faisant au nom des principes de l'Islam, qui affirme 
1 égalité de tous les croyants, le modelé même de Pargu- 
mentation contribuait curieusement à enraciner les conver- 
tis dans la religion du Prophète, dont ils se proclamaient 
stricts champions et défenseurs. 

Pour différencié qu'il soit, comprenant des hommes 
libres, des affranchis et même des esclaves, le milieu mou- 
ladi n'en est donc pas moins uni et cohérent face aux 
Arabes. L'histoire de sa dilatation est difficile à suivre, 
tant en Sicile qu'en Espagne, mais on l'aperçoit par celle 
des conversions célèbres. Parmi les premiers notables 
autochtones convertis, auprès des Béni Qasi que nous 
avons déjà eu l'occasion de mentionner et que nous retrou- 
verons *, se signale un de leurs rivaux, aristocrate de 
Huesca, de souche romano-wisigothique, le « seigneur » 
Ambros, alias Amrous »! Au milieu du ix* siècle, quel- 
ques spectaculaires adhésions à la foi islamique se pro- 
duisent encore en Espagne, en particiilicr celle de Gomez 
ibn Antonio ibn Juliana, qui semble avoir été, non un 
simple secrétaire de services gouvernementaux, mais 
Vcxceptor général des Mozarabes, donc le second person- 
nage laïque dans la hiérarchie de la population chrctienne 
de l'émirat de Cordoue •*. Il a été vivement pris à partie 
par certains de ses coreligionnaires dans des écrits contem- 



* Cf. supra, p. M. 

'^* Cf. supra, pp. 49 et 174-175. 



204 



L'EUROPE MEDIEVALE ARABE 



porains, où il est dépeint sous les traits d'un jouisseur 
sceptique, complètement indifférent en matière religieuse. 
Mais ces sources sont sujettes à caution, et il est peut-être 
abusif de prétendre, comme l'ont fait divers historiens '5, 
que cet exceptor se convertit pour conserver ses fonctions : 
en devenant musulman, il ne pouvait rester l'un des chefs 
de la communauté chrétienne. Vers la même époque, une 
autre personnalité mozarabe se convertit aussi à l'Islam : 
un notable, père de l'évêque de Malaga et beau-frère de 
celui d'Elvira-Iliberis, membre donc d'une de ces familles 
épiscopales qui étaient fort en vue ; peu après, ce dernier 
prélat lui-même, l'évêque Samuel, est déposé par un 
concile et prononce la profession de foi mahométane ; 
c'est là un coup d'éclat qui paraît lancer nombre de ses 
6x-diocésains sur la voie de l'adhésion à la religion du 
Prophète 1^ Sur les conversions de masses populaires, 
nous sommes un peu renseignés, pour la Sicile notam- 
ment : les chroniqueurs arabes disent ou laissent entendre 
que les Siciliens chrétiens se sont faits musuhnans dans 
leur grande majorité, à commencer par les « dépendants b 
(« colons » et servi) des grands propriétaires autochtones, 
car ils accédaient ainsi à la liberté '\ D'autre part, les 
annales, qui content la conquête de la Sicile musulmane 
par les Normands, nous apprennent que les nouveaux 
débarqués ont trouvé, dans la région de Palerme, de nom- 
breux musulmans d'origine latine ou grecque, encore 
appelés « fils de Romain d ou « de Franc », tels Ahmed 
ibn Roumi, Abd ar-Rahman ibn Ifranqi. Yousof ibn 
Gennaio, Mohammed Pacione, Y aïs ibn Gelasio, Omar 
ibn Crisobolli. etc. '8. De même, des juifs se sont convertis 
à l'Islam, en Espagne au moins : aussi bien des autoch- 
tones de la péninsule que des membres de familles Israé- 
lites arrivëes^d' Afrique ou d'Asie ^'^>- 

Ce qui est certain, c'est que le processus d'islamisa- 
tion fut partout continu mais lent, étalé sur plusieurs 
générations ; des études de détail l'ont établi pour des 



DES CONVERTIS A U ISLAM 



205 



régions qui n'ont pas été très longtemps musulmanes : le 
pays de Tudéla. celui de Saragosse. celui de Lérida, 
c'est-à-dire des secteurs de la zone pré-pyrénéenne. La 
conversion y fut « le fruit d'un habile accommodement 
au milieu politico-religieux musulman », combiné avec le 
maintien de particularités restant communes avec les cx- 
corcligionnaires vivant dans les hautes montagnes pyré- 
néennes 20. 

Telle quelle, avec ses composantes variées et ses par- 
ticularités, la population mouhidi, tout en restant distincte 
des immigres et non totalement intégrée en leur sein, est 
bien cependant un élément de la communauté des 
croyants : des affranchis ont de belles carrières admi- 
nistratives, voire politiques, favorisées par les relations 
nouées avec telle ou telle grande famille dont ils ont été 
esclaves ; des libres de naissance connaissent aussi parfois 
un destin remarquable. Un jour, par exemple, le calife 
Abd ar-Rahman IH est sur le point de nommer cadi 
malékite de Cordouc un monladi, dont les parents encore 
en vie continuent à être chrétiens 21 : certes, cette nomi- 
nation ne se fait pas, à cause de l'opposition d'un fort 
parti de « docteurs en Islam » du milieu « vieux 
croyant » ; mais l'affaire démontre la place acquise par 
les convertis dans la cité islamique, en même temps que 
les réticences dont ils peuvent être l'objet. Celles-ci s'atté- 
nuent d'ailleurs, après plusieurs générations, quand la 
date de la conversion de la lainille s'clTace dans le passé, 
d'autant que. par les mariages, les divers groupes se 
mêlent. 



Faux convertis, tièdes, fanatiques et champions de Tlslam 



Si elle forme un ensemble quand elle est vue de 
l'extérieur, la population monladi. en soi. est curieusement 



206 



VEUROPE MEDIEVALE ARABE 



diversifiée : s'y côtoient de faux convertis, des tièdes et 
des musulmans fanatiques. 

Parmi ceux qui feignent d'être devenus des adeptes 
de la religion de Mohammed, mais restent fidèles en 
réalité à leurs croyances antérieures, quelques-uns sont 
bien connus : vers 1140, au moment où les Almoravides 
persécutent les chrétiens et les déportent, un archevêque 
de Séville, Johannès, est pratiquement contraint, nous 
dit-on, à faire profession de foi musulmane ; mais il 
avise en secret son clergé et divers prélats, que cette 
conversion est feinte et qu'il reste secrètement chrétien 22. 
Déjà au milieu du ix' siècle, au moment de la crise qui 
avait suivi une vague de martyrs volontaires, beaucoup 
de familles mozarabes de Cordoue s'étaient converties 
officiellement à l'Islam, en demeurant chrétiennes en 
réalité 23. Lorsque les Almohades décident de chasser de 
leurs Etats tous les juifs et les chrétiens, le plus célèbre 
des faux convertis est le grand philosophe juif Maïmo- 
nide (1135-1204) qui a recours à cet expédient pour n'être 
entravé ni dans sa vie ni dans sa production intellec- 
tuelle. On a l'impression qu'à bien des époques, des chré- 
tiennes entrées dans des harems se sont converties seule- 
ment en apparence et même certains de leurs enfants 
— nés mahométans — sont baptisés en secret et christia- 
nisés par elles 24 ; cela se fait encore dans l'Orient du 
XX* siècle. En somme, les néo-musulmans sont parfois 
de faux croyants, comme plus tard, dans l'Espagne du 
xvi* siècle, les Morisques furent le plus souvent de faux 
chrétiens. 

Nous avons conservé la description d'une maison 
d'al-Andalus du xii^ siècle, dénoncée par d'authentiques 
musulmans comme repaire d'un culte chrétien clandestin : 
elle appartient à un moulùâi qui sentble n'être musulman 
qu'officiellement ; Tune de ses pièces se prolonge par 
une sorte de rotonde ou réduit cintré, qui est tourné vers 
l'est et où est suspendue une lampe à huile ; de surcroît. 



DES CONVERTIS A L'ISLAM 



207 



aucune « banquette » ne se trouve dans cette alcôve, ce 
qui prouve quelle ne sert pas de « chambre à coucher » ; 
enfin et surtout, on y voit d'une part « des restes de 
cierges fondus . et un bâton terminé par une croix, 
d'autre part des cierges non encore utih'scs, un lutrin à 
quatre pieds, des livres en latin et « de petits pains plats 
et ronds à pâte sèche et portant Fempreinte d'un sceau d. 
Cette découverte faite, on consulte le fameux philosophe 
hispano-arabe Averroès ; celui-ci déclare qu'il convient 
d'infliger de durs châtiments corporels au maître de cette 
maison, coupable de « grandes imprudences conservatri- 
ces », mais il ajoute qu'on ne peut frapper davantage ce 
mouladi : la peine de mort ne pourrait être prononcée 
que SI des croyants témoignaient l'avoir vu pratiquer le 
culte chrétien 23, Cette consultation témoigne d'une tolé- 
rance secrète : les musulmans savent que certains nou- 
veaux convertis n'ont pas vraiment la foi et demeurent 
chrétiens au fond d'eux-mêmes ; mais ils pensent que ces 
hommes sont sur le chemin d^une authentique adhésion 
et que l'essentiel est qu'il n'y ait pas scandale. L'effroyable 
est que celui-ci éclate. C'est ce qui arrive, par exemple, 
dans le sultanat de Grenade, au xiv^ siècle : un jour un 
imanu après avoir dirigé la prière dans une mosquée', se 
tourne brusquement vers les fidèles et crie : « En vérité, 
je suis chrétien ! » ; puis il s'enfuit 26. 

On entrevoit ainsi, sans doute chez les plus tour- 
mentés, de grands troubles de l'âme, entraînant peut-être 
des sincérités successives dans une anxieuse recherche de 
la vérité. Chez d'autres, au contraire, tiédeur et semi- 
scepticisme prévalent. Quand, vers 750, le roi Alphonse ?^ 
des Asturies atteint la Galice et pousse jusque vers le 
Douro, beaucoup d'indigènes, qui viennent de se convertir 
à l'Islam, s'empressent de redevenir chrétiens 2?. Le pre- 
mier roi de Pampelune, Inigo Arista {env. 803-851) est 
peut-être le fils d'un indigène basque converti à l'Islam, 
puis redevenu chrétien; en tout cas. un de ses demi- 



208 



L'EUROPE MEDIEVALE ARABE 



frères et un de ses gendres sont musulmans ^8. Les tièdes 
glissent alors assez facilement d'une religion à l'autre, 
en fonction des avancées et des reculs des armées caro- 
lingiennes et arabes : la conviction est faible. Lorsque 
vers 820 se convertit à Tlslam le cinquième comte de la 
principauté autonome chrétienne protégée, dont la capi- 
tale est Ronda, il ne reste sans doute pas secrètement 
chrétien, mais il n'est peut-être pas devenu pour autant 
un musulman vraiment sincère * ; en tout cas, un siècle 
plus tard, son arrière-petit-fils, Omar ibn Hafsoun, finit 
par revenir à la foi chrétienne de ses ancêtres 29. Entre- 
temps, des Béni Qasi — que leur islamisme n'empêche 
pas d'oublier qu'ils descendent du comte Casius, important 
« officier » du royaume wisigothique au début du \nf siè- 
cle — tout en restant dans la dépendance nominale du 
souverain de Cordoue, se sont taillés dans la vallée de 
l'Ebre et sur son versant septentrional, du Pays basque 
à la Catalogne, une vaste zone de domination. Ils ont 
osé s'y intituler a rois de la troisième Espagne », comme 
s'ils étaient les maîtres indépendants d'un Etat qui n'était 
ni l'Espagne chrétienne du Nord, ni al-Andalus^''^, 

Ce qui est vrai pour les puissants dont on connaît 
assez bien l'histoire, l'est aussi pour les humbles sur les- 
quels nous sommes beaucoup moins renseignés, mais dont 
les oscillations sont révélées par quelques textes. 

Voici l'un des rares cas connus : au xi' siècle, au 
cœur de la péninsule Ibérique, là où se produisent alors 
flux et reflux des armées castillanes et musulmanes, un 
mahométan, peut-être d'origine autochtone, se convertit 
au christianisme alors qu'il vit dans une zone devenue 
castillane et il y épouse une catholique ; mais, quelques 
années plus tard, ne pouvant pas supporter l'atmosphère 
« occidentale », il réussit à, franchir la zone frontière et 
à passer en terre d'Islam avec sa femiile ; tous deux y 



♦ Cf. supra, pp. 43-44. 



DBS CONVERTIS A L'ISLAM 209 

font tout de suite profession de foi musulmane ; bien 
entendu. Je cad, proclame que leur mariage chrétien est 
tenu pour nul et un délai de réflexion de « trois menstrues 
de la [cmnic .. est unposé au mari ; passé ce délai, il est 
autorise, Sii Je veut, à la reprendre comme épouse selon 
la Joi maJiométane ^i. Quel degré de sincérité peut-on 
attribuer aux variations reJigieuses de ce couple? En 
tout cas, cette Justoire nous rappelle qu'en devenant 
musulman, un ciirctien peut se débarrasser de sa femme 
Cela aussi a pu jouer cliez les tièdes... 

Quelles que soient les limiter qu'il convient de don- 
ner a cette relativité de la foi de certains nouveaux musul- 
mans . la masse des vieux croyants a tendance à présumer 
douteuses les conversions. Divers faits qui émaillent l'his- 
toire da-Andalus le démontrent : en 891 par exemple, 
lorsque la garnison de Séville - un corps arabe origi- 
naire du Yémen - se soulève contre le gouverneur de 
ia VI le, les soldats devenus émeutiers massacrent aussi 
bien les nw.ladi que les dfummi et ils pillent les maisons 
des lins et des autres >l Partout et toujours, les couches 
populaires musulmanes, de souche orientale ou africaine 
ou qui ont tx:rdu conscience de leur origine européenne, 
lennent normalement pour incroyants les néo-musulmans, 
tout cotnme pJus tard, dans l'Espagne catholique du 
XVI siècle 1 opnuon générale suspecta la sincérité des néo- 
chrétiens, les conversas. 

Cependant. Je contraire est aussi vrai : certains néo- 
croyants soru de très sincères « ultças . de la foi, des 
musulmans Janatiques en l'occurrence. L'histoire a même 
conservé la trace de la véritable haine que plusieurs d'en- 
tre eux ont manifestée contre leurs anciens coreligion- 
naires : dans la première moitié du ix^ siècle, un favori 
de 1 emir Abd ar-Rahman 11 de Cordoue. J'eunuque Nasir 
de naissance mozarabe, fils d'un parfait chrétien très 

* Cf. supra, p. 166. 



210 



UEUROPE MEDIEVALE' ARABE 



convaincu, affirme son fanatisme mahoraétan contre son 
milieu d'origine ^^. Quelques années plus tard, un jaqi 
grenadin, qui se signale par des prédications et impréca- 
tions contre les chrétiens, suscitant même des remous de 
la foule musulmane, appartient à une famille moza- 
rabe ^'^. De la Sicile de la seconde moitié du x* siècle 
émerge un indigène surnommé Gaouhar, esclave converti 
à l'Islam, puis affranchi ; il passe au service direct du 
calife fatiitiide al-Mansour en Tunisie : « Jeune homme 
soigneux et de belle allure », il devient bientôt le favori 
du prince, ensuite vizir et général ; puis sous le successeur 
d'al-Mansour, il prend le Vieux Caire en Egypte et 
fonde tout à côté une nouvelle ville : la geste prodigieuse 
de ce jeune Sicilien né chrétien, devenu le champion de 
Ja cause fatlmide — c'est-à-dire de la descendance directe 
du Prophète Mohammed — démontre jusqu'à quel point 
pouvait être total l'engagement musulman d'Européens 
convertis ; mais ce renégat avait quitté très jeune son île 
natale et son milieu origineP^^ 



La population mouladi a évidemment été très compo- 
site, rassemblant hésitants, opportunistes, hypocrites et 
convaincus. Toutefois, l'essence même de l'Islam, à savoir 
son universalisme d'ordre religieux, a érodé à la longue 
les ambiguïtés qui subsistaient inévitablement dans le 
schéma mental des premières générations néo-musulmanes. 
Autrement dit, la foi et la conviction l'ont emporté par 
l'accoutumance. Mais la violence y a aidé. Les vers d'un 
poète du ix^ siècle, célébrant le massacre de mouladi 
é'cd'Andcdus par une tribu arabe, nous montrent que 
l'élimination physique de ces a fils de chiens » fut parfois 
délibérément décidée par passion raciste, étrangère à 
l'esprit de l'Islam, : 



Le sabre au poing, ce jour. 



OES CONVERTIS A JJiSI.AM 



211 



Nous avons massacré tous ces enfants d'esclaves. 

Vingt mille de leurs corps ont jonché les artères, 

La grande onde du fleuve en emportant bien d'autres. 

Ils n'avaient comme dieux qu esclaves ou fils d'esclaves. 

Leur nombre était immense, 

Nous l'avons fait minime ^^ ! 

Infini est le contraste de ces lignes s'appliquant à des 
convertis, avec la notion islamique orthodoxe de rigou- 
reuse égalitd entre tous les croyants. Du moins discer- 
nons-nous ainsi que des forces contraires ont paradoxale- 
ment agi dans le même sens : sous la pression conjuguée 
de l'orgueil ethnique arabe et de l'ouverture islamique 
universalistc, le mouladi, après quelques générations, per- 
dait la conscience d'être issu de convertis. Mais il fallut 
des siècles pour en arriver là : ce qui fut vérité dans le 
sultanat de Grenade des xîv" et xv* siècles ne l'était point 
dans l'Espagne musulmane des ix" et x'^ siècles, pas plus 
que ce ne le fut jamais en Languedoc, ni en Sicile, 



CHAPITRE XI 

LES INCOMPATIBILITES DE CARACTERES 

ET DE COUTUMES : 

FRONDEURS ET INSURGES, 

EMIGRES ET DEPORTES 



Malgré la puissance d'interpénétration des apports 
arabo-islamiques et des réalités antérieures, subsistent de 
nombreux motifs de heurts et d'afîrontv;ments entre ces 
deux ensembles différents de systèmes et de structures. 
Les causes d'antagonisme ne disparaissent vraiment, dans 
les pays d'Occident soumis aux musulmans, qu'avec l'éli- 
mination complète des traditions pré-islamiques. Cette 
élimination, qui ne se constate guère que dans le sultanat 
de Grenade, ne s'est réalisée qu'après plus d'un demi- 
millénaire de domination mahométane. D'autre part, les 

gueur de l'histoire d'al-Andalus, il n'est pas étonnant 
que la documentation sur la résistance de l'Occident à 
la pression arabo-islamique soit beaucoup plus abondante 
pour l'Espagne que pour les autresv.pays. Cette opposition 
a pris des "aspects divers : défis, émeutes, insurrections, 
organisation de zones rebelles, fuites aussi, le pouvoir 
contre-attaquant par des condamnations : exécutions. 



FRONDEURS ET INSURGES 



213 



confiscation de biens, déportations, expulsions. vSur cha- 
cun de ces reflets d'un très long drame, nous disposons 
de renseignements assez nombreux. 



Les motifs de révolte des non-nmsulnians 



Le statut que TJslam concède aux a gens du Livre », 
c'est-à-dire aux croyants non mahométans, est relative- 
ment libéral ; et, dans la mesure où ce statut est appliqué 
sans réserves, les dhimnii s'en satisfont volontiers. Mais 
il arrive qu'un pacte soit transgressé, non pas tant par 
le pouvoir, en général, que par des actions populaires 
musulmanes incontrôlées. Cela provoque, chez les dhimmi, 
amertume, rancune et désir de vengeance. D'autre part, 
sans violer les pactes à proprement parler, l'autorité 
arabo-islamique s'entend très bien à rendre plus dur le 
statut financier de telle ou telle communauté : en prin- 
cipe, un dhlmmi n'est astreint qu'au paiement de la capi- 
tation et cîê l'impôt foncier, dont les tarifs sont fixés par 
la Loi, mais les contributions extraordinaires sont fré- 
quentes ; elles constituent un puissant motif de mécon- 
tentement. Quelques chiffres sont éloquents : au début du 
règne de Fémir de Cordoue Abd ar-Flahman IL en 822, 
les recettes annuelles prélevées sur la population indigène 
de l'Espagne soumise s'élèvent à six cent mille dinars ; 

r^T,* r ' ■ ■ ; ■ - ,- . 

OU ces cnïfîfc^ ^'"^n" cx^^r"^ "'- :^^^ti':^' eue h p'^^ds de la 

leflète pas la réalité, nous sommes certainement en pré- 
sence d'une augmentation qui dut enlra'ner une exaspé- 
Wtlon des contribuables. 

Un motif différent joua tout autant : les nombreuses 
mesures discriminatoires que nous avons exposées dans 
mx autre chapitre, sont très mal supportées par les 



214 



U EUROPE MEDIEVALE ARABE 



dhimmi. Des réactions réciproques d'intolérance et d'exas- 
pération religieuses s'enchaînent et font parfois exploser 
la colère née de l'humiliation dont le « croyant » écla- 
brousse à tout instant 1' « infidèle b. Nous le saisissons sur 
le vif par ce que l'on peut appeler « l'affaire Parfait ». 
Vers le début de l'année 850, un moine pieux et cultivé 
portant ce nom, vit dans un couvent proche de Cordoue ; 
un jour, de passage en cette ville, il y rencontre des 
musulmans qu'il connaît ; une conversation amicale s'en- 
gage, puis dévie quelque peu car les interlocuteurs du 
moine lui posent des questions gênantes sur le Christ et 
sur le Prophète. Parfait leur dit : « Je crois fermement 
en la glorieuse divinité de mon Seigneur Jésus-Christ ; 
mais je ne me risquerai pas à vous dire l'opinion que les 
chrétiens ont sur votre Prophète, car elle vous serait 
désagréable à entendre. » 

Les mahométans ne se contentent pas de cette 
réponse ; ils insistent pour savoir. Parfait leur demande 
de lui promettre de garder secrets ses propos ; ils le lui 
jurent ; il se décide donc à leur citer un passage de l'Evan- 
gile : « Beaucoup de faux prophètes viendront en mon 
nom. B Et il ajoute : a Nous croyons que Mohammed 
est un de ces " faux prophètes ". contre lesquels le Christ 
nous a mis en garde, » La conversation prend fin alors : 
les musulmans sont profondément irrités. Quelques jours 
passent, et voici que, par hasard, ces mêmes hommes 
aperçoivent de nouveau Parfait, cette fois dans un quar- 
tier populaire de Cordoue ; et l'un d'eux dit assez haut 
à l'autre : a Tiens, regarde là-bas ! Voilà ce dhimmi qui 
a été assez fou et téméraire l'autre jour pour oser vomir 
sur le Prophète ! » Des gens entendent la phrase et crient : 
a Qui est-ce ? C'est celui-là ? d et ils se précipitent sur 
le moine :* « Tu as insulté le Prophète, maudit dhimmi ! » ; 
ils l'arrêtent^* et le conduisent devant un cadi à qui ils 
disent : n Voici un chrétien qui a médit du Prophète. 
Tu sais mieux que nous la peine qu'il mérite ! ^ L'accusé 



FRONDEURS ET INSURGES 



215 



nie avoir dit quoi que ce soit contre le Prophète ; ceux 
qui l'ont détenu reconnaissent ne rien avoir entendu de 
lui, mais indiquent que des musulmans ont déclaré devant 
eux qu'il avait tenu des propos sacrilèges. Le cadi, hési- 
tant, fait emprisonner Parfait, en précisant qu'il le fera 
exécuter si le délit est prouvé. 

Une fois enfermé dans sa geôle, le moine se repent 
d'avoir renié ses propos ; il se reproche de ne pas avoir 
eu le courage de sa foi, et il prend la résolution de dire 
la vérité si on l'interroge de nouveau. D'autre part, le 
bruit provoqué par ^ï l'affaire » est arrivé jusqu'aux 
oreilles d'un eunuque de cour, un renégat toujours farou- 
chement dressé contre ses anciens coreligionnaires et très 
influent ; il fait ordonner un nouvel interrogatoire du 
moine : les deux exaltations religieuses contraires conver- 
gent ; Parfait proclame la divinité du Christ, puis l'im- 
posture de Mohammed ; il est exécute. Mais sa mort 
lui donne une auréole de saint, doublée d'un prestige de 
prophète ; en effet, en sortant de sa prison pour aller au 
supplice, le moine avait crié : « Je n'ignore pas que 
l'eunuque Nasir a voulu mon exécution ; mais sachez-le, 
l'an prochain à pareille date, il sera déjà mort ! » Cette 
prédiction circule dans le peuple mozarabe. Appel au 
Ciel ou incitation au meurtre ? Le fait est qu'une dizaine 
de mois plus tard, cet eunuque meurt brusquement, 
empoisonne, a en une crise de rage et de diarrhée », 
alors qu'il venait de goûter un breuvage qu'allait prendre 
Témir^... 

Une telle affaire illustre ce que pouvait être à cer- 
taines heures l'atmosphère de lutte religieuse déchaînée 
dans les pays que dominait rislani et où les chrétiens 
restaient assez nombreux et tenaces dans leur foi. 



216 



L'EUROPE MEDIEVALE ARABE 



FRONDEURS ET INSURGES 



217 



?,:' 



Les motifs de révolte de tous les autochtones 

De surcroît, dans les grandes villes du monde musul- 
man, les rapports sont de telle nature entre le pouvoir et 
les masses, que le mécontentement populaire est fréquent 
et facilement inflammable : à la différence de ce qui se 
passe dans l'Occident chrétien quand les cités croissent, 
il n'y a pas trace d'assemblées urbaines ni de magistra- 
tures municipales, confiées à l'élite de la population bour- 
geoise ; tout au plus entrevoit-on des sortes de conseils 
de notables ou d' « anciens », parfois consultés par le 
gouverneur d'une ville, assisté de « docteurs en droit 
islamique ». Bien que les corps de métiers soient contrôlés 
par un représentant de l'Etat, les grandes agglomérations 
sont facilement frondeuses et agitées. Maurice Lombard 
a remarqué que le contraste y est <f inouï » entre les 
masses populaires de plus en plus appauvries et les mar- 
chands qui vivent dans le luxe comme les hommes du 
milieu politique dirigeant ^. Une plèbe urbaine existe, 
secouée par des mouvements à motivation sociale. Aussi 
le pouvoir est-il vigilant : la moindre émeute est réprimée 
avec une brutalité facilement sanguinaire ; l'autorité cher- 
che à inspirer la crainte qui lui semble une force sûre 
de dissuasion ; nous l'avons déjà constaté en contant la 
répression d'une insurrection cordouane par la garde 
chrétienne de l'émir en 814 '. 

Aux dires de E. Lévi-Provençal, la gravité de cette 
insurrection s'explique précisément, et dans une large 
mesure, par le ressentiment qui couvait depuis quelques 
années : en 805, pour tenter de mettre fin à l'agitation 
chronique de la population du faubourg sud de la ville, 
le gouvememéHt avait fait arrêter et exécuter soixante- 



Cf. supra, p. 176. 



douze Cordoiians dont les cadavres avaient été cloués 
sur des croix, en bordure du chemin longeant la rive 
gauche du Guadalquivir, le long du faubourg : à partir de 
ce jour, Cordoue était devenue « un foyer constant de 
conspiration » ^ Ce qui est remarquable, c'est que cette 
cause de mécontentement et d' « activisme » travaille 
également les mouladi durement frappés par ces exécutions 
sommaires. 

Le cas de Cordoue n'est pas une exception. On 
constate à Tolède une même agitation latente chez les 
familles de convertis. Un épisode sanglant, resté gravé 
dans l'histoire de cette cité, illustre l'animosité tenace 
qui mit longtemps aux prises l'indigène et l'immigré : en 
797, à moins que ce ne soit en 807 — les sources sont 
contradicioires — le gouvernement de Cordoue décide 
de frapper un grand coup pour mettre fin à la sourde 
opposition perpétuelle des Tolédans ; sous prétexte d'une 
campagne imaginaire lancée vers les pays chrétiens du 
Nord, une armée arrive aux abords de la ville, dont le 
gouverneur invite le général commandant les troupes en 
déplacement. La mise en scène entre les comparses est 
parfaite : le général en campagne décline l'invitation car 
il ne veut pas, dit-il, paraître menacer la liberté d'une 
cité dont il sait les susceptibilités et connaît le fier et 
noble passé. Sa réponse est lue aux notables de la ville 
consultée par rémir-gouverneur ; la réserve du général 
leur est agréable ; ils se joignent aux nouveaux émissaires 
qui lui sont envoyés pour le prier \rhonorer la ville d'un 
bref séjour : du coup, il accepte d y venir avec une petite 
escorte et il s'installe dans la citadelle auprès du gouver- 
neur. Le lendemain de son arrivée, il invite les notables 
mouladi à un grand déjeuner dans cet alcazar : a Au 
fur et à mesure que ces Tolédans arrivent, on vient les 
chercher un à un », dans le patio où ils attendent, sous 
le prétexte de les présenter individuellement au général 
arabe ; c'est ainsi qu' a on fait prendre à chacun d'eux 



220 



L'EUROPE MEDIEVALE ARABE 



Un jeune et riche patricien mozarabe, Isaac, né en 824, 
très cultivé tant en lettres latines qu'en arabe, abandonne 
sa charge de secrétaire de la chancellerie gouvernemen- 
tale, pour se retirer dans le monastère (sis à quelques 
kilomètres au nord de Cordoue) fondé par le pieux Jéré- 
mie, dont il était le neveu. Au même moment, sa femme, 
Isabelle, quitte aussi le siècle pour devenir religieuse dans 
le couvent voisin : elle était la sœur de Tabbé Martin 
qui dirigeait cet ensemble monastique *. Au bout de quel- 
ques mois, Isaac décide de mourir en martyr de la foi : 
il va trouver le cadi de Cordoue et se dit prêt à se conver- 
tir à l'Islam, si celui-ci accepte de Tinstruire. La nou- 
velle se lépand comme une traînée de poudre : Isaac est 
très connu ; c'est une belle recrue pour l'Islam ! Au jour 
dit, dans un cadre solennel, devant un nombreux public, 
le cadi commence à enseigner à Isaac la vérité et la valeur 
de l'Islam. Mais le moine a tôt fait de l'interrompre, lui 
tient tête et dénonce le a faux prophète » Mohammed. 
C'est un scandale ! Le cadi, indigné, éclate en sanglots, 
gifle Isaac et le fait immédiatement incarcérer ; ensuite, 
il rend compte de l'affaire à l'émir. Le prince juge ce cas 
très grave, y relève préméditation et provocation : Isaac 
est condamné à mort, égorgé le 3 juin 851, et son corps 
reste exposé pendant plusieurs jours près d'une porte de 
la ville, pmdu à une potence, tête en bas '^. 

Cette mort suscite une véritable émulation : des 
Mozarabes exaltés de Cordoue veulent imiter Isaac ; en 
quelques jours, avant la fin de ce mois de juin, un soldat 
de la garde chrétienne de l'émir, un prêtre, un diacre, un 
laïque civil et quatre moines, dont Jérémie l'oncle d'Isaac, 
insultent le Prophète en public, sont condamnés et exé- 
cutés, leurs cadavres étant toujours pendus la tête en bas. 
A chaque lév<?r du jour, 'Cordoue se'^demande qui sera 
le nouveau provocateur. Certains martyrs ont été d'une 



* Cf. supra, p. 86. 



FRONDEURS ET INSURGES 



221 



arrogance mouïc. insultant ignominieusement Mohammed 
et ses adeptes ; Jércmie, qui se signala en particulier par 
de tels écarts de langage, fut longuement iouclté avant 
detre Ira.nc quasi inanimé sur le lieu où il fut supplicié 
Les deux premiers corps des martyrs volontaires — celui 
d'Isaac et celui du soldat de la garde - avaient été ren- 
dus aux familles au bout de quelques jours, et l'Eglise 
mozarabe avait célébré des obsèques solennelles. Mais, 
ensuite, se rendant compte du tremplin que constituaient 
ces funérailles grandioses, les autorités font dépendre, de 
nuit, les autres corps et les font brûler avant de jeter leurs 
cendres dans le Guadalquivir. Plus encore : le métropo- 
litain de Séville envoie un mandement à lire dans toutes 
les églLses des diocèses dépendant de lui, pour mettre en 
garde les fidèles contre cette déformation de la foi chré- 
tienne : 



Les lois en vigueur, écrit-il, ne nous garantissent- 
elles pas la liberté de nas croyances et l'exercice de 
notre sainte religion? Ah. ne perdent-ils pas leur 
ame ces insensés qui se font tuer par orgueil ? N'ou- 
bliez pas. mes frères, que tout ce qui se fait par 
orgueil est péché « ! 

Malgré cette intervention archiépiscopale, trois autres 
chrétiens de Cordoue cherchent le martyre en juillet 851 
en insultant le Prophète et sa religion dans des audiences' 
publiques du cadi. et ils sont exécutés. Le fameux moine 
saint Eulogc et l'évcque de Cordoue passent outre aux 
consignes données par Tarchevêque de Séville et louent 
avec enthousiasme la « sainte fin ., de ces fidèles du Christ, 
lis sont l'un et l'autre jetés en prison. 

Les femmes sont .saisies à leur tour par le vertige du 
défi, fin cet été 851, deux .sœurs appartenant à une bonne 
famille de la bourgeoisie cordouane s'enfuient de chez 
elles. Leur cas est compliqué : leur père décédé quand 



218 



L'EUROPE MEDIEVALE ARABE 



FRONDEURS ET INSURGES 



219 



un étroit passage, dans le palais, au bord d'une fosse 
profonde, d'où l'on avait sorti la terre pour faire ICvS 
talus de cet alcazar qui venait d'être reconstruit ; et là, 
quand ils passent au bord de la fosse, ils sont un à un 
décapités, et leurs corps y sont jetés ^ »... Cette tragique 
décimation de l'élite tolédane convertie à l'Islam reste 
sans suite immédiate car l'effroi s'empare de tous, quand 
les familles attendent en vain le retour des leurs invités 
au banquet. Mais on conçoit sans peine que la population 
mouladi n'ait pas rapidement oublié cette perfidie san- 
guinaire et que la haine ait, dès lors, couvé dans les 
cœurs. 

Ces exécutions aveugles, faites à titre préventif, ne 
sont pas la seule cause qui pousse les plus impatients à 
la révolte. Des incitations venant de l'étranger y contri- 
buent aussi ; l'argent coule à flots, parfois, quand un 
Etat ennemi cherche à affaiblir ou à renverser un gouver- 
nement en place : en 763 par exemple, le calife qui est 
en train de s'installer à Bagdad, essaie d'étendre son 
autorité sur al-Andalm en abattant l'émir indépendant 
qui a pris le pouvoir dans ce pays ; des émissaires 
venus d'Orient « travaillent » donc l'Espagne musulmane 
pour la soulever. Ils sont d'ailleurs découverts et déca- 
pités. L'épilogue est sinistre : le souverain cordouan fait 
embaumer leurs têtes et ordonne qu'elles soient mises, 
avec un récit détaillé de ce qui s'était passé, dans un 
grand sac très solide, remis à un commerçant partant 
négocier en Tunisie, c'est-à-dire dans la province la plus 
occidentale du gouvernement de Bagdad ; et, à Kairouan, 
une nuit, ce marchand abandonne ce sac sur le marché, 
où il est découvert le lendemain matin : avis à ceux qui 
tenteraient de soulever cd-Andalm contre son monarque 6. 

Plus souvent, l'appeLà i'ihsurrectioa.souffle d'un Etat 
chrétien, même d'une manière indirecte : quand les Nor- 
mands s'installent dans l'Italie méridionale, quand les 
royaumes de la Reconquista progressent vers le Sud, en 



Espagne et au Portugal, intrigues, complots, voire véri- 
tables révoltes éclosent parfois dans la portion du dar 
al-lslam qui semble sur le point d'être atteinte par les 
armées chrétiennes. A vrai dire, ce n'est pas très fréquent, 
en partie parce que beaucoup d'indigènes sont déjà suffi- 
samment arabisés pour ne pas se sentir solidaires de ces 
coreligionnaires « barbares » qui arrivent du Nord ; en 
partie aussi parce que les mesures préventives prises par 
les autorités islamiques ont depuis longtemps détruit à 
la racine lesprit de révolte. Cependant, de loin en loin, 
on entrevoit des conjurations : vers 825, les chrétiens de 
Mérida font appel à l'empereur carolingien Louis le Pieux, 
afin qu'il les libère du joug islamique ; en 1124, les Moza- 
rabes de Grenade envoient des émissaires au roi d'Ara- 
gon, Alphonse le Batailleur, pour qu'il vienne les délivrer 
de l'autoritc mahométane ; c'est là l'origine — ou l'une 
des origines — du raid que ce souverain effectue en 
Andalousie en 1125-1126, atteignant la Méditerranée 
méridionale entre Almeria et Malaga, avec l'aide inter- 
mittente d'une « cinquième colonne » parfois audacieuse. 
Bien entendu, de pareils événements sont suivis de 
représailles : le tragique enchaînement des vengeances et 
des désirs de vengeance enserre les forces antagonistes. 
Insurrections et complots, comme défis religieux et émeu- 
tes, entraînent des châtiments. Ainsi, malgré tout ce qui 
jouait contre ce que Ton peut appeler Y « opposition 
active », plusieurs périodes de l'histQire des pays d'Eu- 
rope sous domination arabe ont été marquées par cette 
résistance. 

La fronde catholique et la soif du martyre 

Au milieu du ix* siècle, une vague d' « activisme » 
chrétien se propage à Cordoue et dans ses environs, puis 
à travers aUAndalus : le sang des martyrs doit féconder 
la terre, pour que le royaume du Christ y soit restauré. 



222 



L'EUROPE MEDIEVALE ARABE 



elles étaient très jeunes était un mouladi, tandis que leur 
mère chrétienne les avait élevées secrètement dans la foi 
catholique ; mais elles ne pouvaient jamais aller à la 
messe ni entrer dans une église, car selon la Loi elles 
étaient musulmanes, et leur frère aîné, bon mahométan, 
les surveillait de très près. Dès qu'elles ont disparu, il 
les recherche partout, pénétrant même avec des amis dans 
les couvents de religieuses car il pense qu'elles s'y sont 
cachées. On ne les trouve nulle part. La famille paternelle 
intervient officiellement et réussit à faire arrêter quel- 
ques prêtres soupçonnés de savoir où elles se cachent. Elles 
étaient tout simplement dans une famille mozarabe du 
faubourg. A la nouvelle de l'incarcération des clercs 
accusés à tort de connaître leur gîte, l'une d'elles, Flora, 
quitte son refuge, rentre à la maison et dit à son frère 
aîné : « Me voici ; oui, je suis chrétienne et je veux le 
crier ; je le crierai. » 

Son frère, qui l'aime bien, est ému ; il essaie de la 
raisonner, la traite par la douceur, la comble de gentil- 
lesses et de cadeaux pour célébrer son retour. Mais elle 
le défie, lui affirme qu'elle n'est pas et ne veut pas être 
mahométane. Il en vient à la menacer, s'emporte même, 
la frappe, lui rappelle qu'elle est légalement née musul- 
mane, et qu'elle mourra suppliciée si elle renie sa religion. 
Elle répond : a C'est ce que je souhaite ! » 11 l'emmène 
alors chez le cadi pour une conversation privée. Flora 
déclare au magistrat qu'elle a été élevée en chrétienne, 
qu'elle n'a jamais été musulmane et qu'elle n'est donc 
pas une apostate. Le cadi rétorque que, fille d'un musul- 
man, elle est obligatoirement musulmane et ne peut chan- 
ger de religion, sous peine de mort. Lassé par son obstina- 
tion, il ordonne qu'elle soit bâtonnéç sur la nuque jus- 
qu'à ce qu'elle se reconnaisse musulmane. Les coups 
pleuvent drus, la peau est arrachée, mais elle ne cède 
pas, elle perd connaissance. Son frère la ramène à la 
maison. 



frondf:urs et insurges 



223 



De nouveau, on la cajole, on la soigne, on espère 
qu'elle renoncera à être chrétienne. Rien n'y fait. Au bout 
de quelques semaines, une nuit, elle se faufile dans le 
jardin de la maison, alors que tout le monde dort ; elle 
grimpe sur le mur de terre battue qui l'entoure ; de là, 
elle se jette dans la rue étroite et obscure qui bordait le 
fond du jardin. Elle atteint la demeure d'une famille chré- 
tienne qu'elle connaît, y passe quelques jours puis va de 
nouveau se réfugier chez ceux qui lui avaient déjà donné 
asile et qui hébergaient toujours sa sœur. Euloge apprend 
cette odyssée, et réussit à faire passer un message enthou- 
siaste à Flora : nr Je m'émerveille de ta fuite dans le 
silence de la nuit, semblable à celle de saint Pierre quand 
un ange le fit échapper de sa prison ^ n 

Au bout de quelque temps. Flora ne tient plus en 
place ; elle décide de quitter de nouveau sa retraite, pour 
aller au martyre, cette fois. Elle abandonne sa sœur et 
ses amis éplorés, repart en plein jour pour la ville : elle 
entre d'abord dans une église, pour la première fois de sa 
vie ; elle s'y abîme en prières puis remarque une jeune 
femme qui v semble pareillement en très dévote oraison. 
Finalement, elles font connaissance : cette fidèle, nommée 
Marie, est la sœur d'un des moines qui étaient morts 
martyrs volontaires en juin précédent, peu après Isaac ; 
elle confie à sa nouvelle amie qu'elle veut suivre le même 
chemin que son frère. Flora l'embrasse, lui dit qu'elle a la 
même intention. Elles décident de nç plus se quitter et 
de mourir ensemble. 

Quittant l'église, elles se dirigent vers la mosquée 
où le cadi tient une audience publique ; voilées, elles 
attendent leur tour. Quand il arrive, Flora montre son 
visage et dit au magistrat : « Je suis cette chrétienne née 
d'un père infidèle, que tu as si cruellement fait frapper, 
il y a quelque temps, quand mon frère qui professe la 
même fausse religion que toi, m'avait emmenée jusques 
à toi pour que tu me convainques. Tu n'as pas pu me 



224 



UEUROPE MEDIEVALE ARABE 



convaincre. Et je suis ici pour te faire savoir bien haut 
que mon seigneur Jésus-Christ est le vrai Dieu, tandis 
que le maître de votre Loi n'est qu'un imposteur. » Tandis 
qu'on arrête brutalement Flora, Marie s'écrie : « Je pense 
comme elle et je suis chrétienne, comme mon frère que 
vous avez martyrisé il y a quelques mois. » 

Elles sont incarcérées ensemble. Une semaine plus 
tard, dans une audience privée, le cadi reçoit Flora en 
présence de son frère. Les deux hommes cherchent à per- 
suader Thérome qu'il lui suffit de faire acte de foi musul- 
mane pour avoir vie sauve, liberté et tranquillité. Elle 
s'y refuse. Peu après, elle passe en jugement avec son 
amie Marie. Condamnées, elles sont égorgées côte à côte 
le 24 novembre 851. 

L*histoire des martyrs volontaires de Cordoue ne se 
réduit pas aux quelques cas que nous avons contés. Il 
y en eut beaucoup d'autres dans les derniers mois de 851 
et en 852 : deux jeunes filles et plusieurs moines, dont 
un certain Christophe — dont on nous dit qu'il avait du 
sang arabe dans les veines, ce qui prouverait que, malgré 
les interdits, des musulmans réussissaient à changer de 
religion en s'installant loin de chez eux et en se disant 
mozarabes lors de leur arrivée dans une nouvelle rési- 
dence. Le gouvernement d'al-Andcdus, de plus en plus 
irrité, exige la réunion d'un concile régional. Celui-ci a 
lieu en août 852 ; à la quasi unanimité, les prélats condam- 
nent la recherche du martyre et la provocation : « Toute 
action faite en vue de se faire condamner à mort est une 
forme de suicide ; elle tombe donc sous Tanathème dont 
l'Eglise a toujours frappé ceux qui se donnent volontaire- 
ment le trépas. » 

Les fidèles mozarabes refusent dç tenir compte de ce 
décret conciliaire. Loin de calmer les chrétiens fana- 
tiques, l'attitude des évêques les excite. Ils sont prêts à 
passer du défi individuel à l'émeute : un jour de septem- 
bre 852, une bande de Mozarabes conjurés se réunit par 



FRONDEURS ET INSURGES 



225 



petits groupes à proximité de la grande mosquée de Cor- 
doue ; à un signal donné, ils pénètrent tous ensemble 
dans Tédifice ; et deux meneurs — un moine et un 
laïque —, se plaçant chacun à une extrémité différente 
de rédifice, se mettent à prêcher l'Evangile en arabe, le 
plus haut possible. La surprise se tourne en scandale. 
Les musulmans qui priaient sortent pour ameuter tous 
leurs coreligionnaires des alentours, l^ foule qui grossit 
veut (( l37icl\er » les chrétiens. La garde arrive : le cadi 
aussi. Tous les perturbateurs sont emprisonnés. Le juge- 
ment a lieu quelques heures après : seuls les deux meneurs 
sont condamnes ; mais la peine est particulièrement 
atroce : on leur coupe d'abord les mains, puis les pieds, 
ils sont ensuite égorgés ; enfin leurs cadavres sont cru- 
cifiés. 

L'affaire est si grave qu'elle a un effet contraire à 
celui qui était recherché. Beaucoup de Mo/arabes se 
désolidarisent des extrémistes, renoncent à la foi chré- 
tienne et se font musulmans, en partie par crainte, en 
partie par dégoût du fanatisme. Par ailleurs, im nouvel 
émir, Mohammed F', monte sur le trône cordouan, en 
ce mois de septembre 852, à la mort de son père ; il 
octroie une amnistie générale et fait libérer les chrétiens 
suspects, notamment saint Euloge. La grande crise est 
alors terminée, bien que, dans les années suivantes, quel- 
ques incidents se produisent encore de temps en temps : 
de 853 à 857. Mais ce sont des cas .isolés, qui semblent 
ne pas avoir de suites. L'émir Mohammed complète d'ail- 
leurs l'indulgence par la menace : il annonce que tous 
les chrétiens sont invités à se convertir à l'Islam et pré- 
cise que les hommes qui refuseront seront regroupés en 
diverses zones, oii ils continueront à jouir du statut de 
dhimmi mais seront privés de femme, de manière à ce 
qu'ils n'aient plus d'enfants ; quant aux femmes et filles 
chrétiennes, qui ne voudront pas devenir nuisuîmancs, 
épouses ou concubines de musulmans, elles seront toutes 



ï'!:<V^'?^^■•- 



226 VEUROPE MEDIEVALE ARABE 

placées dans des bordels ! A vrai dire, ce ne fut là qu'une 
semonce. Mais elle inquiéta. Et Tannée 859 marqua le 
chant du cygne des martyrs volontaires. L'ultime épisode 
commença autour d'une jeune musulmane, Leocncia, mi- 
tiée au christianisme et baptisée en secret par les soms 
d'une vieille parente chrétienne qui vivait dans la mai- 
son. Un jour, après la mort de cette veuve d'un grand- 
oncle qui n'avait pas eu d'enfants, cette crypto-chrétienne 
dit à ses parents quelle est sa vraie religion. C'est alors 
un drame familial. On décide de la tenir cloîtrée, de 
l'empêcher de voir aucune amie, afin d'éviter que cette 
histoire ne s'ébruite. Mais au bout de quelques mois, 
ses parents la croyant calmée, la surveillance se relâche, 
elle s'enfuit, et se réfugie dans la maison de saint Eulogc, 
qui avait alors quitté son monastère. Il avait, en effet, 
été élu archevêque de Tolède, mais n'avait pu prendre 
possession de son siège à cause de l'opposition du gou- 
vernement musulman. Quelques heures plus tard, Leo- 
cricia, Euloge et sa sœur qui vivait avec lui, sont arrêtés ; 
celle-ci est assez vite libérée, mais non Euloge, accusé 
d'avoir caché une jeune musulmane se prétendant chré- 
tienne. Un conseiller de l'émir, ami d'Euloge dont il 
admirait les talents de poète, de grammairien et d'homme 
cultivé, vient voir le saint en prison et lui dit : 

Je ne m'étonne pas que des simples d'esprit se 
précipitant sans nécessité vers une mort pénible et 
misérable. Mais toi qui es savant et sage, ne les imite 
pas. Dès le début de l'audience, rétracte les injures 
que tu as proférées contre le Prophète au moment de 
ton arrestation. Tu seras aussitôt libéré. Et tu pour- 
ras continuer à pçnser et à faire ce que tu veux, sans 
scandale toutefois. 

Peine perdue... Dès que l'audience tixée pour le 
jugement commence, saint Euloge se met à prêcher la 



FRONDEURS ET mSURGFÈ 



227 



vérité du christianisme et Terreur de l'Islam ; il est aussi- 
tôt condamné à mort et égorgé (11 mars 859); quatre 
jours après, Leocricia est à son tour jugie et exécutée ^^. 
l/histoire des martyrs volontaires semble s'arrêter 
là ; mais peut-cire est-ce parce que les sources musul- 
manes n'en parleut jamais et que notre documentation se 
réduit à ce qui a été conservé sur la vie de saint Euloge... 



Les rébellions urbaines ou régionales 

Plus grave que le défi religieux, la véritable révolte 
éclate parfois. Tolède, bien que très durement châtiée et 
surveillée dès sa prise d'assaut en 713 \ réussit plusieurs 
fois à massacrer sa garnison et à se constituer en ville 
rebelle, enfermée dans ses murailles, confiante en son site 
escarpé et inexpugnable, a au-dessus du ravin profond, 
où le Tage roule son Ilot jaunâtre ^i ». De loin en loin, 
l'appel du passé pré-islamique y entraîne Mozarabes, juifs 
et mouladi unis, en une révolte qui triomphe et tient tête 
durant quelques semaines, quelques mois ou même quel- 
ques années : en 745, 829-837, 852-854, etc. L'aventure, 
glorieuse et ruineuse, ne se termine pas toujours de la 
même façon : en 745, le général qui s'empare de la ville 
expédie à Cordouc les principaux chefs de l'insurrection ; 
là, au milieu d'une grande liesse populaire, « ils sont 
promenés à travers les rues, vêtus d'oVipeaux ridicules », 
sous les quolibets, les coups et les immondices, puis cha- 
cun d'eux est cloué sur un madrier avant d'avoir la gorge 
tranchée ^2. pius longue est la rébellion des alentours de 
830, dirigée par un jeune mouladi, Hachim, qui meurt au 
combat, vainqueur de forces de Cordoue qui tentaient de 
prendre la ville soulevée ; puis en 831 comme en 834, les 



* Cf. supra, p. 21. 



;|,; ; 



228 



L'EUROPE MEDIEVALE ARABE 



rebelles rejettent les assaillants et c'est seulement en 837, 
après un blocus rigoureux, que Tolède, affamée, se sou- 
met ^^. En 852, c'est un « chevalier d mozarabe, Sindela, 
qui mène à bien un complot : il s'empare du gouverneur 
de Tolède et de quelques jeunes Arabes de son entourage, 
appartenant à des familles proches du pouvoir cordouan. 
Il les transforme en « contre-otages » et menace de les 
abattre si ne sont pas libérés et ramenés à Tolède les 
otages originaires de cette ville qui vivent à Cordoue. 
L'échange se réalise et la garnison évacue Tolède ; mais 
la ville restée rebelle reçoit l'aide du roi chrétien des 
Asturies et ne négocie sa reddition qu'en 854, après avoir 
obtenu l'amnistie et un statut de cité autonome protégée, 
qui durera jusqu'en 930 ^^. 

La ville de Mérida, tête d'un archidiocèse, est un 
autre foyer de révolte : elle se soulève en 806, puis en 
827, ses habitants tuant alors le gouverneur. Elle capitule 
en 828. Peu après, elle s'insurge de nouveau, sous la direc- 
tion d'un mouladi, Soliman ibn Martin, et tient bon 
jusqu'en 833, date à laquelle elle est reprise. En 836, eîle 
se dresse, encore une fois, contre le gouvernement de 
Cordoue, derrière un de ses notables, dont on ne sait 
s'il était chrétien ou converti à ITslani ^''\ 

Quelquefois, la révolte se propage dans toute une 
zone. On connaît mal la chronologie et les modalités de 
l'installation de l'autorité arabe sur le nord-est de l'Espa- 
gne et sur le Languedoc ; tout au plus entrevoit-on que 
le prince wisigoth Akhila, fils de Wiltiza, et rival du roi 
Rodrigue en 711, avait été reconnu comme monarque par 
les évêques et les comtes des pays s'étendant de la vallée 
inférieure de l'Ebre au delta du Rhône, pays qui n'avaient 
jamais admis la souveraineté de Rodrigue. Apparem- 
ment, en 711 ou 712, les Arabes n'ayaient pas attaqué ce 
royaume a allié », mais dès 713, semble-t-il, le roi Akhila, 
qui était un enfant, avait renoncé à son Etat et s'était 
installé à Tolède pour récupérer d'immenses propriétés 



FRONDEURS ET INSURGES 



229 



foncières que son père possédait au cœur de la péninsule. 
Uette aliauc laisse apparaUre qu AkhiJa avait été orienté 
vers cette solution de lacilitc et d^abandon par les véri- 
tables détenteurs du pouvoir, les cvêques et les comtes 
propriétaires de grands secteurs de la iarragonaise et de 
out e pays de Narbonne. Cepciidant, un nouveau . roi 
des Wisjgolhs . surgU dès 713 dans cette région ; on nen 
sait a peu près rten. smon qu'il s appelait Ardo et était 
membre de ia famille wiltizienne. Setail-ii agi d elimmer 
1 calant Akiiila pour donner le pouvoir à un'homme qui 
aurait ete une sorte de pnnce autonome a allié . des 
Arabes ? On Tignore. Ce qui est certain c'est que, très 
vue, ues heurts se produisent entre Je dar al-islam et 
cet Etat wisigothique indépendant, au moins de facto • 
les Arabes tiennent ces populations groupées autour 
d Ardo pour des révoltes ayant violé un pacte. Ils pro- 
cèdent donc dès lors à leur soumission, et à la conquête 
des territoires jusqu'au Rhône, tantôt par force, tantôt 
par négociation; et le royaume d^Ardo tombe, « pan 
par pan '^^ .. ^ 

^ L'occupation arabe en Espagne a été davantage ébran- 
lée par des rebellions victorieuses. La plus célèbre et la 
plus durable est celle qui maintint toute une région des 
Asturies en dehors de la domination nuisuunane : plus 
quune insurrection, c^est Torganisation de tout un groupe 
d msoumis, entraînés dans la montagne par le jeune notable 
quetart Pelayo. Quand, er. 722, les Arabes v envoient un 
élément de reconnaissance, ils y subissent un cchcc C'est 
sans doute là le point de départ réel de la Reconquista, > 
bien que la tradition espagnole le situe à Covadonga en 
/IH. En retusant de payer le tribut annuel prévu par un 
pacte antérieur, la région dlrunia, c ast~à-dire de ractuelle 
Pampelune, est un autre foyer de révolte qui se maintient 
et s étend grâce au double jeu des Basco-Navarrais, qui 
nunguent entre les Francs et les Araires. 

Il iitn est pas de même en Sicile où les insurrections 



230 



L'EUROPE MEDIEVALE ARABE 



qui suivent l'établissement de l'autorité islamique ne sont 
jamais victprieuses. Elles se terminent souvent par un 
compromis, ' faisant suite à une capitulation négociée. 
En général, les dhimmi. insurgés et vaincus, perdent dans 
une large mesure leur autonomie et sont frappés par une 
contribution annuelle extraordinaire à payer en sus de la 
capitation et de l'impôt foncier, à titre de réparation. 
Leur statut s'en trouve donc aggravé ''. 

Au cours des dernières décennies du ix* siècle, près 
de deux cents ans après la conquête arabe, éclatent au 
moins trois insurrections importantes dans la péninsule Ibé- 
rique. Vers 888, un seigneur mouladi de l'actuel Algarve 
portugais, fils de converti à l'Islam et petit-fils d'un notable 
mozarabe nommé Radulf, se révolte à Faro, à proximité 
de la côte sud du Portugal, et tient tête aux autorités de 
Cordoue durant un certain temps i». Vers 890. une por- 
tion de l'ancienne principauté de Théodomir se rebelle, 
à l'appel d'un chef local, Daïsam ibn Isaac, dont on ne 
sait s'il était encore chrétien ou converti : durant près 
d'un quart de siècle, il tient en échec les armées cor- 
douanes, prend vraiment en main tout le pays situé 
autour de Carthagène, Murcie et Lorca '9. Enfin, dès 879 
et jusqu'en 927, une grande révolte tient en haleine 
quatre souverains successifs de Cordoue, Mohammed I" 
(825-886), ses fils, Mundir (886-888) et Abdallah (888-912) 
et le petit-fils de ce dernier, le grand Abd ar-Rahman IIl 
(912-961). Déclenchée par une sorte de pwnunciamiento 
qui semble s'être produit à Mérida. groupant dès le début 
Mozarabes et mouladi, l'insurrection s'organise au sud 
de la péninsule, dans les chaînes bétiques de la Sierra 
de la Nieve et de la Serrania de Ronda, entre cette ville 
et Malaga. Là, autour d'une cité, Bpbastro, dont l'empla- 
cement est'tiès controversé, s'implartte un véritable Etat. 
Le chef est un mouladi qui, d'après certaines sources, 
descendrait d'une famille galicienne convertie à l'Islam, 
mais qui paraît plutôt être l'arrière-i)ctit-fils du dernier 



FRONDEURà ET /NSURcé 



231 



comte de la principauté autonome chrétienne de Ronda. 
disparue vers 820 *. 

Ce grand seigneur. Omar ibn Hafsoun, violent et 
belliqueux, avait pris le maquis et passé quelque temps 
en Afrique avant de devenir chef d; bande et. enfin, 
chef d'Etat. 11 lance alors ses raids, de Bobastro. située 
dans la province de Malaga, jusque dans les provinces 
de Scville et de Cordoue vers le nord-ouest et le nord, 
jusque dans celles d'Elvira (futur district de Grenade) 
et de Jaen vers le nord-est. 11 est bon politique autant 
que hardi guerrier. Ses prouesses amoureuses sont aussi 
célèbres que ses coups de main militaires : quand il prend 
par surprise la forteresse de Bobastro, dont il fait sa 
capitale, il s'empare de la jeune amante du commandant 
de la garnison, une beauté surnommée « la Tachoubia », 
qui. devenue aussitôt sa maîtresse, lui donnera un fils 20.' 
Dès le début de la révolte, dans toutes les régions 
aux mains des insurges, les cloches, qui avaient été cachées 
durant des dizaines d'années, réapparaissent, se remettent 
à sonner et, partout, des croix surgissent. Le chef rebelle 
se révèle un <- organisateur de génie » 21. jj ^^^^j^ ^^^^ 
comm.unautr.:> mozarabes et aux notables mouladi de tout 
al-Aiidalus des messages transportés par des émissaires 
clandestins : « 11 y a trop longtemps que la race arabe 
vous humilie. Il est temps de vous venger ! ». ou encore : 
« Depuis trop longtemps vous avez à supporter le joug 
de ces gens qui vous enlèvent vos biens et vous imposent 
des charges écrasantes ; ils vous accablent d'humiliations 
et vous trailem en esclaves 22. « En négociant les mariages 
de ses enfants avec des membres de telle ou telle famille, 
il mène une sorte de politique matrimoniale dynastique, 
de type très « occidental ». Quand il est trop faible. 
il négocie, feint de se soumettre, ruse : après avoir 
obtenu la trêve dont il a besoin, alors qu'il doit livrer 



Cf. supra, pp. 43-44. 



232 



L'EUROPE MEDIEVALE ARABE 



un fils en otage, l'enfant qu'il envoie n'est pas le sjen. 
Mais il sait être élégant, ainsi qu'en témoigne cette anec- 
dote : l'émir Mundir. en campagne contre lui, meurt 
en 888. Voyant se replier l'armée qui venait le combattre, 
Ibn Hafsoun ordonne d'abord d'attaquer la colonne qui 
bat en retraite sans qu'il sache pourquoi ; mais dès qu'il 
apprend que l'émir est mort et que l'armée qui rcllue 
est en vérité o le cortège funèbre » du prince contre 
lequel il lutte, il arrête poursuite et harcèlement, par 
respect pour le défunt. 

Peu après le début de la rébellion, le père d'ibn 
Hafsoun s'était converti au christianisme. En 898, Ibn 
Hafsoun change à son tour de religion et prend le nom 
de Samuel. Jusqu'à sa mort, survenue en 917 à Bobastro. 
sans daigner arborer aucun titre princier ou royal, celui 
que l'on continue d'appeler Ibn Hafsoun règne sur un 
assez vaste territoire et sur les esprits de beaucoup de 
Mozarabes et mouladi de tout l'émirat de Coidoue. Son 
fils Chafar, devenu chrétien aussi, lui succède, mais pour 
les' besoins de la politique à suivre dans les milieux 
mouladi dépendant de Cordoue, il croit bien faire en 
redevenant musulman en 920. La force qu'exerce la reli- 
gion chrétienne dans la principauté hafsounienne se mani- 
feste alors avec éclat : dès l'annonce de cette conversion, 
des soldats assassinent le renégat ; et le pouvoir passe à 
Soliman, deuxième fils d'Ibn Hafsoun. qui meurt sept ans 
plus tard, en combattant à la tête de ses troupes. Son 
frère. Hafs. lui succède, mais il a fort à faire. En effet, 
le souverain, qui règne depuis 912 et qui est le futur 
calife Abd ar-Rahman 111. est décidé à en finir : il marche 
sur Bobastro, fait élever un ouvrage assiégeant dans la 
montagne. Le pays est parcouru si^ns cesse par des forces 
armées loyales. Le blocus de la capitale insurgée est 
absolu et le dernier fils d'Ibn Hafsoun doit capituler 
en 928. Lui et les siens sont aussitôt amnistiés ; il reçoit 
même le commandement d'un corps militaire, tandis que 



FRONDEURS ET INSURGES 



233 



sa sœm. liiie chérie d'Ibn Hafsoun, devient religieuse et 
entre dans un couvent de Coidoiic -l 

La rébellion d'Ibn Hafsoun eut un retciuissement 
considérable. Son impact cl ses .séquelles tran.sparaissent 
au milieu des maigres informations dont nous disposons 
le milieu mozarabe est si gagné moralement à cette insur- 
rection, môme dans le secteur qui collabore le plus avec 
le pouvoir cordouan. que, vers 890, un jeune chrétien, 
fils d'un ancien comte des Mozarabes de Cordoue, Ser- 
vandus, partit en une folie équipée, tentant un coup de 
main sur un château des environs de la capitale, dans 
l'espoir d'clcndre sur la vallée du Guadalquivir la zone 
révoltée : il est vite vaincu, tué au combat : et son père 
— qui n'exerçait plus de fonctions officielles et qu'avait 
naguère vilipendé un moine mozarabe — est traduit en 
justice pour avoir su le projet de son fils et ne pas l'avoir 
dénoncé. Cet ancien serviteur dévoué du pouvoir est 
condamné à mort. Il a la gorge tranchée et est crucifié 2*. 
Quant à la durée des remous, elle s'entrevoit par des 
événements postérieurs à la fin de l'insurrectior : neuf ans 
après la capitulation de Bobastro, la fille d'ijn Hafsoun, 
devenue religieuse, est appelée à comparaître devant la 
justice musulmane qui lui reproche — tardivement — 
d'être née mahométane et d'avoir apostasie ; elle rétorque 
dans le langage des martyrs volontaires du siècle pré- 
cédent ; et comme cela était arrivé à tant de ses coreli- 
gionnaires, vers 850-860, elle est condamnée à mort et 
égorgée, en 937 2-\ 



Emigrés et déportés 



La tension qui caractérise souvent les rapports entre 
conquérants et autochtones, se traduit aussi par des fuites, 
constituant un courant intermittent d'émigration. Plusieurs 



234 



VEUROPE MEDIEVALE ARABE 



FRONDEURS ET /NSURCmS 



235 



faits jalonnent cette histoire, tant dans la péninsule Ibé- 
rique qu'en Sicile. 

Dès les environs de 740-750, la population indigène 
clairsemée qui vivait entre le Douro, au sud, et la Cor- 
dillère cantabrique. au nord, se réfugie dans le bastion 
chrétien des Asturies, à la faveur d'un repli des forces 
islamiques vers l'Andalousie, Vers 800, et dans les décen- 
nies suivantes, de nombreux chrétiens, appelés Hispani 
dans les textes, arrivent, fugitifs du sud, en Catalogne 
et en Languedoc, reconquis sur l'Islam par les Carolin- 
giens. Vers 830, un chef de corps berbère musulman, 
qui a participé à l'une des insurrections de Mérida comme 
allié des autochtones, Mahmoud ibn al-Djabbar, s'enfuit 
après la reprise de la ville par les soldats fidèles à Cor- 
doue : il se réfugie en Galice, en terre chrétienne ; tout 
son groupe tribal l'accompagne dans cet exode ; une 
de ses sœurs, arrivée avec lui, se convertit au christianisme 
et épouse un seigneur galicien à qui elle donne un fils, 
qui devint plus tard évêque de Saint-Jacques-de-Compos- 
telle. Mais c'est là un cas limite : Mahmoud, lui, ne reste 
pas dans le royaume des Asturies ; il négocie son retour 
dans aUAndalus, obtient Vamam (le pardon), reprend un 
commandement militaire dans l'armée de Cordoue et 
meurt peu après, en combattant les chrétiens 26. Par contre, 
lorsque ceux qui fuient l'Espagne musulmane sont des 
autochtones, leur émigration est, en général, définitive. 
A la suite des remous que suscite la tension déclenchée 
par les martyrs volontaires de Cordoue au milieu du 
IX* siècle, tandis que des Mozarabes se résignent à se 
convertir à l'Islam pour bien se désolidariser des chrétiens 
fanatiques, d'autres partent pour les pays chrétiens du 
nord, par crainte de représailles. Vers 860-870, beaucoup 
de moines et de prêtres d'Andalousie, quelques évoques 
même, quittent leurs terres et leurs villes et vont s'installer 
dans le royaume des Asturies, notamment en Galice et 
dans le secteur léonais ; ils y créent des couvents, entre 



autres en 872 le monastère de Sahagun, qui devient très 
vite un grand foyer de vie chrétienne ^7. De même, au 
début du x^ siècle, après la liquidation de la révolte de 
Bobastro, beaucoup de Mozarabes du sud de l'Espagne 
émigrent vers le royaume de Léon. Puis, à la suite de 
Tinstallation de Tautorité almohadc sur la partie musul- 
mane de la péninsule Ibérique, au milieu du xii' siècle, 
de nombreux chrétiens se replient Vers la Castille, suivant 
en cela rexcmplc de plusieurs prélats, tels l'archevêque de 
Séville, les évoques de Médina-Sidonia et de Niébla2s. 

Quant à la Sicile, tout conduit à admettre que beau- 
coup de clercs et de fidèles, parmi les plus fervents, ont 
quitté l'île, sont passés en Calabre, aux ix' et x* siècles, 
pour échapper à l'autorité islamique 29, Se profile ainsi, 
au long des siècles, un long cortège de fuyards, plus ou 
moins clandestins, partant pour la Chrétienté en aban- 
donnant leurs biens. 

Mais les départs de chrétiens ne sont pas tous volon- 
taires; d'autres colonnes s'ébranlent, par force, vers le 
sud : le pouvoir islamique a déporté çn Afrique beau- 
coup d'indigènes européens fidèles à la foi de leurs pères. 
Nous connaissons mal ces terribles transplantations mas- 
sives mais, de loin en loin, une chronique lève un pan 
du voile qui cache cette tragédie humaine. En 818, par 
exemple, à la suite d'une révolte ou d'une émeute de 
Mozarabes de Cordoue, beaucoup d'entre eux sont embar- 
qués pour !c Maroc. Ce système d'élimination des indi- 
gènes est employé d'une manière assez systématique au 
début du xii" siècle quand les Berbères almoravides sont 
devenus les ma trcs de l'ensemble hispano-marocain. Vers 
1100, le célèbre philosophe Averroès rend une consul- 
tation juridique agréable au pouvoir : il prescrit la dépor- 
tation des dhimrni d^al-Andalus, accusés d'aider les armées 
des royaumes chrétiens contre les musulmans ^o. En 1106, 
les Almoravides expulsent beaucoup de Mozarabes de 
Malaga et les transportent au Maroc 5'. Vingt ans plus 



si 



lit 



236 



L EUROPE MEDIEVALE ARABE 



tard, ce sont de nombreux chrétiens indigènes de Grenade 
et de Cordoue qui sont évacués vers Meknès et vers 
Fès, parmi eux un prélat ^2. En 1138, un émir almoravide 
fait partir avec lui pour TAfrique des « milliers b de 
Mozarabes d'aUAndaliis, avec au moins un évoque". 
Les successeurs des Almoravides, les Berbères marocains 
almohades, reprennent cette politique : vers 1170, leur 
calife emmène avec lui, en terre maghrébine, pour en 
faire sa garde personnelle, de nombreux Mozarabes d'Es- 
pagne, avec leur famille et des prêtres destinés à en être 
les chapelains, ces transplantés d'office étant autorisés à 
construire des églises au Maroc ~^'^. 

Ce dernier trait est remarquable car, lors des dépor- 
tations effectuées par les prédécesseurs des Almohades, 
les Almoravides, les émirs avaient pareillement envisagé 
de laisser édifier, en Afrique, des églises et même des 
couvents par les déportés, mais les jaqi, c'est-à-dire les 
« docteurs en droit coranique i> s'y étaient opposés : 
en 1127, l'un d'eux avait édicté : 

Les chrétiens déplacés ne doivent pas être autorisés 
à élever des églises là où on les amène, puisqu'il 
n'y en a pas ; ils doivent, certes, rester parfaitement 
libres de célébrer leur culte, mais à Tintéricur de 
leurs maisons, sans se livrer à aucune manifestation 
extérieure et surtout sans utiliser de cloches ~^^. 

— Les recueils de consultations juridiques de ces temps 
de déportation nous donnent de précieux renseignements 
complémentaires : ces Européens, installés par petits 
groupes disséminés dans le Maroc, n'y sont plus frappés 
que par un^ 4mpôt, la capitation. Lbur départ d'Espagne 
a donc été accompagné par la perte de leurs biens fonciers. 
Certes, un texte indique qu'ils sont libres d'en acquérir 
de nouveaux en Berbérie. Mais avec quel argent pour- 



FRONDEURS ET INSURGES 



237 



raient-ils le faire ? Il ne leur est pas facile d'en posséder 
suffisamment : une fois arrivés en Afrique, ils ont été 
autorisés à vendre les biens immobiliers qu'ils avaient été 
obligés de laisser en Espagne ; mais les modalités de 
vente prescrites sont telles que les transactions ne sont 
guère possibles : on peut vendre par acte passé devant 
un cadi marocain, en décrivant les maisons et les terres 
abandonnées ; mais les Maghrébins hésitent à acheter 
des biens qu'ils n'ont pas vus, sis dans un pays où ils ne 
vivent pas. Quant aux musulmans d'Andalousie, vont-ils 
venir chercher a travers le Maroc les propriétaires de ces 



ndonnés ? Certes, une autre formule de vente 



biens aha 

est prévue : un déporté d'une ville donnée peut être 
autorisé à revenir provisoirement dans al-Andahis, avec 
des procurations établies par tous ses coreligionnaires 
exilés, afin de vendre leurs biens. Mais un jnqi précise 
qu'il ne peut y avoir qu'un seul mandataire par ville 
car, écrit-il. a le retour en alAndalm d'un groupe de ces 
gens serait chose dangereuse : on ne peut l'admettre ^^ „ ^ 
En définitive, les biens possédés par les chrétiens d'Europe 
déportés sont, pour eux, totalement perdus : ils ne peuvent 
plus les mettre en valeur, ni les administrer, ni en perce- 
voir quoi que ce soit ; tenus pour abandonnés et vacants, 
ces biens passent gratuitement entre les mains de la 
'^ communauté des croyants ». 

D'autres consultations juridiques donnent un éclairage 
historique beaucoup plus général encore à ce drame des 
déportations. Des « docteurs en \science coranique » 
expliquent en effet sans ambages que cette mesure poli- 
tique destinée à mieux assurer la domination arabo- 
musulmane en Europe, a un double avantage pour l'Islam 
et pour l'Afrique ; ils remarquent que l'installation de 
ces petits groupes d' ^ infidèles î> en un pays inconnu 
d'eux, au milieu de masses musulmanes, ne peut qu'affai- 
blir leur foi A polythéiste >> et les amener à Dieu l'unique : 
d'autre pari, disent-ils, leur arrivée ne peiU qu'entraîner. 






»'€ 



238 L'EUROPE MEDIEVALE ARABE 

et entraîne effectivement, l'essor du Maghreb, car l'Europe 
est mieux mise en valeur que la Berbéne : 

Ces chrétiens déportés, observe un jaqi. sont géné- 
ralement experts en maçonnerie, arboriculture et irri- 
gation, arts dans lesquels les Maghrébins n excellent 
guère et qu'ils n'exercent pas. Par conséquent, 1 ins- 
tallation de dhimmi d'Europe en Afrique amène, 
pour ce pays, un accroissement considérable de 
richesse. Et cela donne à la communauté des croyants 
plus de ressources pour combattre les mfideles . 

Un tel point de vue est très significatif : en décidant 
parfois des déportations, tout comme en maintenant dans 
des limites strictes les droits des chrétiens restant sur 
leur terre natale européenne, l'autorité islamique impré- 
gnait toujours la vie quotidienne de notions religieuses 
coraniques, prescriptions inaltérables de la Loi unique 
et étemelle. C'est cette rigidité qui suscitait les incompa- 
tibilités, les réactions et les heurts, dont les traces émaïUent 
l'existence qu'ont connue les pays d'Europe sous domi- 
nation arabe. 



CHAPITRE . XII 

LA VILLE MUSULMANE D^EUROPE 
ET SON ROLE CULTUREL 



La civilisation islamique, partout, a été éminemment 
urbaine. Le bédouin, c'est-à-dire le nomade arabe pri- 
mitif lancé par le Prophète à la conquête du monde, 
était tenaillé depuis des siècles par une sorte de soif que 
l'on peut dire héréditaire et obsessionnelle : celle de 
l'oasis, de la ville, du « paradis terrestre ». Un géographe, 
Xavier de Planhol, a mis en évidence que le a fait 
anthropo-géographique » islamique essentiel est l'alliance, 
disons la coopération ou la complémentarité, entre citadins 
et nomades, entre les mentalités et modes de vie urbains 
et les concepts et types d'existence propres à la société 
pastorale K Or, dans cet ensemble, la vie civilisée, en 
Foccurrence la vie civilisée arabo-musulmane, s'épanouit 
par excellence dans le cadre urbain.> L'excellent médiéviste 
tunisien Mohammed Talbi la constaté à travers l'étude 
des conceptions islamiques : a La civilisation donne sa 
pleine mesure dans la cité : elle y brille de son plus 
vif éclata. ,> C'est donc essentiellement dans les villes, 
et par elles, que IMslam a pu marquer de son empreinte 
les régions d'Europe où il s'est implanté. Et ces villes 
ont été le tremplin à partir duquel certains de ses apports 
ont pénétré le vieil Occident. 






Ë 






240 



L'EUROPE MEDIEVALE ARABE 



Cité et civilisation 

L'essor urbain du monde arabe-musulman médiéval 
a été prodigieux ; l'Espagne et la Sicile Font connu 
comme les autres régions, d'autant plus qu'elles avaient 
déjà été antérieurement terres de grandes villes, qui 
ressuscitèrent en quelque sorte. Une page du fameux his- 
torien maghrébin Ibn Khaldoun (1332-1406) est signi- 
ficative : 

La civilisation est un raffinement de luxe et une 
maîtrise parfaite des industries, celles qui intéressent 
alimentation, habillement, logement, mobilier, cons- 
tructions et tout ce qui concourt au confort des foyers. 
Dans chacune de ces branches, plusieurs industries 
se spécialisent et elles rivalisent toutes de qualité et 
d'élégance. Elles naissent les unes sur le pas des 
autres, se multiplient et se diversifient au rythme 
des désirs, qui poussent les gens à jouir des voluptés, 
des plaisirs et du bien-être qu'oflfre le luxe ^, 

L'enseignement des sciences y est une industrie parmi 
d'autres et en transmet le flambeau d'âge en âge. Ainsi, 
le développement de la culture, « fonction de la concen- 
tration démographique », est le fruit ultime et l'épanouis- 
sement sublimé de la civilisation urbaine. Le processus 
est manifeste : industrie et commerce, en florissant, 
entraînent l'élévation du niveau de vie, le perfection- 
nement des techniques, l'enrichissement du savoir, l'essor 
de l'humanisme. 

Le plus, vaste des foyers urbairis.de l'Europe arabo- 
musulmane a'^été Cordoue. L'un des maîtres de Tislamo- 
logie française de notre siècle, Maurice Lombard, a noté 
que le plus grand fait d'histoire démographique de l'Oc- 



IM 



Vnj.E MUSULMANE irEUROPE 241 



cident musulman médiéval a été « le développement et 
le bourgeonnement de Cordoue d, qui datent surtout 
du X' siècle : 

La ville proprement dite, la médina, au centre, 
a sept portes ; en dehors d^elle, vingt et un quartiers 
forment le rabai (le faubourg), qui s étend dans toutes 
les directions : neuf quartiers « faubouriens d à 
roiiest, sept à Fest, trois au nord, deux au sud. 

Les agrandissements successifs de la fameuse grande 
mosquée do la ville sont un reflet de l'accroi-sscment de 
la population : les dimensions de l'édifice inciteraient à 
penser que ia cité a compté au moins trois cent mille habi- 
tants. Quant à ce que Lombiird appelle son « bourgeon- 
nement )K il est un trait aussi typique que l'essor du 
centre urbain et des faubourgs : des résidences princières 
installées aux environs de la ville deviennent chacune 
le noyau d'une nouvelle agglomération, notamment les 
« villes adventices » que sont az-Zahra -^- autour d'un 
palais ayant coûté plus de deux millions de dinars (en 
poids : neuf tonnes d or), bâti grâce au travail de dix mille 
maçons, manœuvres et muletiers --- et aussi az-Zahira. 
Ainsi, d'abord par l'auréole des faubourgs, puis par un 
nimbe plus lointain et brillant de <i cités satellites d, 
enfin par le colmatage progressif des vides, est née une 
véritable « région urbaine «, un ^ Grand Cordoue d. 
groupant environ un demi-million '^dïuncs. Le lecteur a 
constaté la place que tient cette ville, dans ce livre comme 
dans la réalité. A aucun moment du Moyen Age, ni Rome 
ni Paris, les deux plus grandes villes de l'Occident chré- 
tien de ces siècles médiévaux, n'ont approché d'un pareil 
épanouissement; une seule métropole de la Chrétienté, 
celle de l'Orient, le surpassait : Constantinople 1 

En Sicile, Palerme est une réplique de Cordoue, 
avec son centre, la a vraie ville t», enserre de murailles 



-■-«'^s.. --- ^■■- 



242 



L'EUROPE MEDIEVALE ARABE 



percées de neuf portes, toute une vaste banlieue urbaine 
et un « quartier neuf », qui est une authentique cité 
annexe. Vers 900. un moine byzantin remarquait : 

On a construit tant de maisons en dehors des 
murailles de Palerme, que se sont ainsi constituées 
près d'elle, en quelques dizaines d'années, plusieurs 
autres villes, non moins florissantes et pareillement 
ceinturées de remparts. 

Un « Grand Palerme » arrivait peut-être à trois cent 
mille habitants vers 950. Cette « région urbaine », très 
étalée, aurait alors été à peu près au même niveau que 
celle de Cordoue, ces deux pôles de TOccident musulman 
n'étant sans doute surpassés que par Bagdad, dans l'en- 
semble du dar al-Islam^. 



Les deux visages de la ville 



Chacune des cités musulmanes de l'Europe occiden- 
tale médiévale, non seulement Cordoue et Palerme, mais 
tout un très long cortège de villes relativement grandes, 
moyennes ou petites, se définit par deux traits fonda- 
mentaux : 

1"* La cité est avant tout une agglomération de 
croyants, marquée par la religion ; le fidèle y honore 
Dieu, il Le prie, Lui rend grâces, car c'est à Lui qu'il 
doit de vivre ainsi en une « oasis d où il fait bon exister. 
La ville gravite autour de sa grande mosquée. La religion 
étant tout, l'édifice où les hommes se réunissent pour prier 
ensemble, le vendredi à midi, est le lieu de rassemblement 
pour tout : ei& pays d'Islam, la mosquée est à peu près 
l'équivalent de l'agora de la Grèce antique, du forum 
des Romains. Du haut de la chaire (le minbar) le sou- 



LA VILLE MUSULMANE D'EUROPE 243 



verain, qui est par définition le directeur de la prière 
commune hebdomadaire, ou en province le gouverneur, 
porte-parole et délégué du prince, non seulement président 
à l'oraison mais encore, chaque fois que besoin s'en fait 
sentir, s'adressent au peuple. C'est de cette chaire que se 
hsent les notifications d'investiture, les avis d ordre fiscal. 
les communiqués militaires, tous les messages aux habi- 
tants de la ville ^. Marque indélébile et transcendante de 
l'Islam, la mosquée est en même temps le support matériel 
de la justice : là, siège le cadi ; elle est aussi le temple de 
l'enseignement : là, s'apprennent le Coran, la sunna, la 
Science par excellence, à savoir la science religieuse, celle 
de Dieu, et toutes ses annexes profanes, dont chacune 
n'a d'intérêt que dans la mesure où elle est un élément 
de la Science qui connaît et honore Dieu. 

De mcme que la vie de la journée est rythmée par 
les cinq prières, celle de l'année l'est par le Carême, le 
Ramadan, qui se termine par la célébration de la « petite 
fête » (Vmd seghir) ; puis, neuf semaines plus tard, c'est 
Vaid kebir, a la grande fête », celle des moutons, où la 
moindre famille sacrifie un de ces animaux : chaque chef 
de lignage doit l'égorger lui-môme, en ce dixième jour du 
douzième mois de Tannée musulmane, le mois du pèle- 
rinage, comme le font à cette date les pèlerins à la 
Mecque, lardivement, d'autres fêtes encore apparaissent 
dans le monde islamique, en particulier à partir des xui* 
et XIV siècles, celle de l'anniversaire de la naissance du 
Prophète. 

Ainsi, ville dlslam avant tout, la cité des pays 
d'Europe sous domination arabo-musulmane, comme celle 
des autres provinces du dar al-Islam, est constellée de 
mosquées : la « Grande » — la « mosquée-cathédrale », 
dit-on parfois — et celles des quartiers. A Cordoue, 
elles sont plusieurs centaines. A Séville, à partir des 
temps almohades, l'une d'elles est parée de la Giralda, 
le plus ccichre des minarets d'Europe, tour « cousine » 



244 



L'EUROPE MEDIEVALE ARABE 



de celles qui ornent la mosquée d'Hassan à Rabat cl la 
Koutoubia à Marrakech. A Narbonne, bien que la domi- 
nation arabe ait duré moins d'un demi-siècle, on créa 
une mosquée, au vjif siècle, dans la moitié d'une église 
chrétienne ; on a retrouvé des traces de son décor floral 
d'inspiration syrienne : plâtre sculpté avec pahnettes. tiges 
et plantes \ Selon l'archéologue J. Lacam, dont nous 
avons déjà dit combien les hypothèses sont sujettes à 
caution, aujourd'hui encore, dans certaines églises du 
Roussillon, celle de Planés et celle de FEcluse à cinq kilo- 
mètres du Boulou, on peut retrouver Tinfluence ou, môme, 
la trace des mosquées édifiées par les Arabes dans ce pays, 
il y a plus d'un millénaire ^. A Palcrmc, au xi' siècle, 
ff innombrables et splendides j> sont les sanctuaires de 
llslam, dont Fart et les techniques continuent à fleurir 
dans l'architecture chrétienne du xn* siècle, sous les 
souverains normands, reconquérants de la Sicile "*, 



2*" Mais la ville musulmane de l'Europe occidentale 
médiévale a un autre visage que celui dont la mosquée 
est le symbole. Elle est aussi un haut lieu du syncrétisme, 
dont les divers apports sont brassés et englobés dans la 
civilisation arabo-musulmane, mais qui conservent leurs 
racines propres et contribuent ainsi à donner une dim.en- 
sion universelle à cette civilisation. L'un des plus cxilèbres 
et des plus importants aspects de ce syncrétisme est 
l'héritage de la pensée grecque, rinfluence de Fart, et 
même du luxe et de la pompe de Byzancc et de tout 
le vieil Orient pré-jslamique. Des apports scientifiques et 
techniques, venus de FIndc et de la Chine, de l'Iran 
et du monde hellénique, fondus dans le creuset islamique, 
pénètrent alors l'Europe musulmane comme les autres 
parties du dar al-lslam. Les écrivains arabes font connaître, 
dans les villes d'Espagne ou de Sicile, Platon, Aristote, 
leurs disciples et tous les travaux de la philosophie et de 
la science helléniques. Puis, par les terres européennes 



LA MUE MUSULMANL ni^jiuopi 



245 



de Fempire arnbo-musulman. cette culture pré-is!amique 
et pré-chrétienne atteint FOccidenl tout entier. 

D'autres ferments syncrétistcs se nianifes'cuî aussi, 
moins spcctiïeubires, assez grossiers même, mais do grande 
portée sociale populaire : le nombre des jours fériés est 
élevé i,'?A\ (ouïes religions confondues ou rapîirochécs, 
la populatioii prend Fhabitude de ne travailler, ni le 
samedi, n^ je diniaîKhc, ni \ox% (fes }:^raude': i'rles chré- 
tiennes, pas plus que le vendredi - le dimanche des 
n)usulmans ni les j<)urs (\\vd. Ces curieuses confusions 
eî généralisations des fesHvités laissent ni^'^m,' place à des 
survivances n'é<hrcticunes : Noël est d'aulant plus faci- 
lement chônic, sinon cclrbrê, par musulmans rt juifs, 
que cette '■' nativité de f)icu ?> se confoncî avee ïUîc sorte 
de célébration du solstice d'hiver, réunion colleclive où 
les hommes se resserrent et se réchaufTent en cette nuit 
la plus loîigue où tout est froid, mais d'où sortiront 
espérance, renouveau et résurrection. C'-^sî îa « nuit 
vieille v, q\\(^ l'on marque par une atfctUion sn -eWile, erllc 
qui, d'^plaeéc au 31 décembre, est devenue dans i'Fspaîzne 
contemporaine la nochc vicia, celle de Noël étant par 
excellence la noche hiicfia. De même, tant en Sicile qu'en 
Espagne, subsiste, pendant et après, connue avant la 
domination islamique, Fanimation de la nuit !a plus courte 
de Fannée. celle du solstice (Vcht coùicidatit avec 'a saint 
Jean-fin ptisle. Ces coutunîcs non-islamique^' ^e îv'nerali- 
sent- datîs i^'-A ndnius con^me en Sieilc. des le '-;■ s'ècle 
ou le Xi' afi p!ïis U\i\L anopl-es d'ah{Srd pnr 1;» f^ jeunesse 
dorée '^ nmsulmane (îes villes cl par les campagnards, 
puis peu ii peu dans l(nis les milieux ^^\ 

Ou {{(vyyc môme trace de véritables suixustit'ons. 
leîuontant aux temps païens et teinl'es parfois de cul- 
ture astrologique. Le Calendrier de Cordoue n(Me que les 
Arabes dclesteyU voyager le 28 mai, car vu u ee jour, 
la Luîic descend t^ans U: Scorpion, et eVsl signe de 
mauvais augure ^' v tv ci ded^. oîi ont revoit *N' vieux 



246 



L'EUROPE MEDIEVALE ARABE 



réflexes magiques, la peur des revenants, voire la croyance 
aux sources, aux oracles de grottes, aux lutins et aux 
farfadets, aux cercles mystérieux que tracent les sorciers, 
toutes ces formes de paganisme rural pénétrant dans les 
villes où elles acquièrent plus de résonance car elles se 
contaminent les unes les autres. Le silence concernant 
ces pratiques est si complet qu'on en soupçonne seu- 
lement l'existence, en échafaudant recoupements et hypo- 
thèses à l'aide de quelques indices sur la vie secrète de la 
demeure musulmane *, au travers des agissements d'un 
eunuque ou d'une vieille servante, ou encore dans la 
misère des quartiers populaires. Puisque Tlslam croit 
d'ailleurs aux djinn, c'est-à-dire aux « démons », pourquoi 
une créature aux abois aurait-elle hésité à faire appel aux 
services « sataniques d de quelque juif ou chrétien égaré 
dans la magie ? 



Le décor et le faste urbains 



L'art musulman ne se réduit pas à ces joyaux que 
sont les mosquées avec leurs guirlandes d'arcs et de 
colonnes, de coupoles et de minarets. Les architectes 
construisent des palais (tels rAljaferia à Saragossc et 
l'Alhambra à Grenade), des remparts, des portes et des 
tours, des ponts, des aqueducs et des bains, avec un 
goût et un talent aussi grands que ceux dont font 
montre les artisans façonnant ces coffres, boîtes, coupes, 
aiguières en ivoire, en bronze, en céramique, que nous 
avons déjà évoqués **. 

Pendant les quelque quarante ans où Narbonne vit 
sous la domination arabe, c'est une grande et belle cité, 
traversée par le cours de l'Aude, qu'enjambe le vieux pont 
romain long d'une centaine de mètreâ, encombré par les 



♦ Cf. supra, p. 246. 

♦♦ Cf. supra, pp. 108-110. 



LÀ VILLE MUSULMANE D'EUROPE 247 

étals des marchands, alors qu^à Tépoque wisigothique 
antérieure, la ville n'existait que sur la rive gauche du 
fleuve ^l Selon le géographe syrien Aboulfcda, qui écri- 
vait vers 1300, VArhuna (Narbonne) des Arabes fut un 
ires gvàwd centre commercial : TAude était alors remontée 
jusqu^à la ville et même au-delà par des bateaux venant 
de la mer. Des navires en partaient pour Alexandrie, 
le plus grand port de l'Orient l'nusulman, chargés de 
cuivre et d'étain arrivés de Toulouse, où ils avaient été 
décharges, provenant d'Angleterre par Bordeaux et la 
Garonne ^-\ 

De la fin du \\\V ou du ix* siècle, date le début du 
prodigieux essor de la ville espagnole de Valence, qui 
jusqu'alors iravait jamais eu de véritable grandeur urbaine. 
Quant à la Tolède des temps musulmans, bien que ne 
retrouvant pas son ancien rôle de capitale péninsulaire 
pré-islamique, elle en est, consolée, pour ainsi dire, par 
le raffinement de son nouveau décor : au.xT siècle par 
exemple, a le luxe et la magnificence de ^ Tolède n'ont 
d'équivalents nulle part » ; parnu' ses édifices les plus 
extraordinaires, se signale un pavillon en coupole, aux 
murs en verre de diverses couleurs et à jointures d'or, 
installé au centre d'un ravissant étaug artificiel, l'eau 
dévalant sans cesse, du haut de la coupole, en jets et en 
cascades sur les parois, d'immenses torches illuminant la 
nuit ce spectacle enchanteur et fantasmagorique ' *. A Cor- 
doue, en été, autre symptôme de raffinement, un magni- 
fique vélum est disposé au-dessus de Iti cour de la grande 
mosquée, pour tamiser l'ardeur du soleil à ceux des 
fidèles qui ne peuvent prendre place dans la mosquée 
elle-même, le vendredi à midi, tant rafflucnce y est consi- 
dérable 15, De pareilles tentes ou toiles, plus modestes, 
sont d'ailleurs disposées partout, au-dessus des patios des 
maisons, pendant la saison chaude. 

Certes, la ville n'est pas en tous points un éden. 
Loin de là ! Partout, la crasse y côtoie le faste. Pour 



248 



L'EUROPE MEDIEVALE ARABE 



''UjJ-: iSfUSULMANI-- niVHopE 



249 



magique qu'il soit, le « mirage oriental >> ne suffit pas à 
faire disparaître la misère. Somptuosité et guenilles voi- 
sinent. La ville d'Tslam ignore d'ailleurs ce que nous 
appelons les préoccupations « urbanistiques t), aussi bien 
que r « environnement » et ce que Ton nomme aujour- 
d'hui l'écologie. Elle est un dédale, un labyrinthe de 
rues, de ruelles et d'impasses souvent sordides avec, de 
loin en loin, une place qui n'est que très rarement vaste. 
Chaque artère a un ruisseau central où les habitants jettent 
leurs eaux sales et qui draine l'eau de pluie ; il y a donc 
là un souci d'hygiène, caractérisé par le transport des 
ordures des riverains de l'artère, qui s'entendent pour 
aller les déposer en tas à quelque distance de la ville. 
Mais tout cela est rudimentaire, et les ruisseaux urbains 
sont, en général, des cloaques en hiver, des tas de pous- 
sière et d'immondices en été. 

^ Du moins la vie, son allant, ses bruits cclipsent-ils 
les ombres. Sur les places, des marchands ambulants et 
des chanteurs de rue, des prestidigitateurs, cl des narra- 
teurs, des diseurs de bonne aventure, et des montreurs 
d'ombres chinoises animent la journée : la rue est grouil- 
lante. Pendant les nuits de ramadan, il en est de mcmc 
avec les colporteurs de confiseries et de boissons. D'autre 
part, le commerce est organisé dans les souks, généra- 
lement non loin de la grande mosquée. C'est là que se 
vendent les objets fabriqués par les artisans Kissus, vête- 
ments, parfums, chaussures), tandis que sont installes à 
proximité ceux qui travaillent les métaux, tout comme les 
libraires, les écrivains publics, les changeurs, les mar- 
chands d'épices ; les articles de luxe se vendent généra- 
lement dans un bazar entouré de portiques : la qaysariya. 
Ailleurs, se trouvent les rues des bouchers, des fruitiers, 
des vendeurs* de tous les produits alimc^ptaires ; un empla- 
cement de marché hebdomadaire est destiné d'autre part 
à la vente des produits apportés de la campagne envi- 
ronnante. Au coucher du soleiK les souks se vident. 



chacun icn-aiU ^a boutique, les préposes instalhinl chaînes 
et verrous aux portes qui closent ba/ars, rues et quar- 
tiers. Durant Ir nuit, des gardes surveillent ces zones 
commerciales, où sont entreposées tant de marchandises ; 
ns traquent les suspects, en arrêtent, mais rien n y fait : 
vols et mcinc attentats sont assez fréquents, bien que le 
mohtasih (le contrôleur des marches et des prix) sY^mploie 
a pourchasser c ie ma! y> cl à faire régner « le bien » î^\ 

Un dcK éJénicaîs essentiels de toute ville, ee sont les 
auberges, -^ks servent à !a lois dliôtels, do lieux où se 
discutent k'^ prix (véritables ^< bourses de commerce i)) 
et de magasins o\i entrepôts pour les marchands de pas- 
sage. Les puis grandes sont de t)clles maisons ayant 
jusqu^à trois étages, comptant parfois une centaine de 
chambres, cellcs^i étant d^nilleurs des pièces vides où le 
voyageur peut installer une natte et une couverture qu'il 
Joue, et où i! est libre de préparer .ses repas comme 
d l'entend. CVst là ce que les Occidentaux appellent des 
jondoukbs. Négociants cl autres voyageurs peuvent se 
déplacer assez facilement, de ville en ville, grâce à ces 
auberges qui leur assurent le gîte. De surcroît^ des entre- 
prises spécialisées Jouent des montures et des bêtes de 
somme, ainsi qu^jn nuileticr pour s'en occuper. Ainsi 
se tisse le réseau des échanges et des déplacements, avec 
des étapes quotidiennes de tordre d^unc trentaine de 
kilomètres par jour, parcourus avec des pauses imposées 
plus par les heures de prière que par tout autre motif. 
Un autre trait fondamental caractérise !e paysage 
urbain : partout Fart des bassins, des jets dVau, des 
villas est prnié à la perfection. 

I./eau. a écrit Georges Marçais, a dans les demeures 
musulm:ines bien des usages que nos habitations 
ignoreni ; clic est la fée bienfaisante û\\ logis ; dans 
les heures chaudes, elle donne rillusion de la fraî- 
cheur : sans arrêt, elle danse au-dessus de la vasque 



250 L'EUROPE MEDIEVALE ARABE 

et ruisselle en chantant dans le bassin de la cour ; 
enfin, toujours répandue à flots sur les dallages, elle 
assure une propreté quotidienne aux maisons ^'^. 

Jusque chez les plus modestes, là même où le décor 
est misérable, elle apporte le bien-être et le luxe dans la 
pauvreté. D'autre part, en général, près d'une porte de 
la ville, en dehors des murs, se trouve aménage un espace 
public aéré, bordé de fleurs, d'arbres et de jets d'eau, 
une esplanade, où les citadins se rassemblent à l'occasion 
de certaines fêtes et où tous prient alors ensemble en 
plein air. Là, se déroulent divers « spectacles » : exécu- 
tions capitales, revues militaires, entrée ou sortie solen- 
nelles d'un souverain ou d'un gouverneur, tout comme 
l'arrivée d'ambassadeurs, tous acclamés par la foule. 

" Plus loin, aux alentours et dans toutes les directions, 
des villas se cachent dans la verdure, pour les séjours 
d'été et pour les escapades nocturnes ; elles sont entourées 
d'eaux vives et souvent de volières, abritant des oiseaux 
plus ou moins rares. Quand on vient s'y détendre et s'y 
distraire, on y badine en se livrant — c'est le « bon 
ton » — à quelques considérations faciles sur « la 
fragilité des grandeurs et la brièveté des joies humaines d ; 
et commodément installé à l'ombre des arbres, on y 
savoure des fruits qui viennent d'être cueillis et des vins 
soigneusement mis au frais au préalable ^^. Les poètes 
andalous et siciliens ont aimé les fleurs avec passion et 
se sont attachés à en évoquer la beauté et la couleur, 
la forme et le parfum. Ils ont souvent puisé leur mspi- 
ration dans le « jardin », cadre de joyeuses réunions 
entre amis et de rendez-vous galants i^. 

Grâce à eux. « dans les arbres que le vent fait 
onduler ». nous voyons paraître « des danseuses dans 
leur lobe verte », c'est-à-dire les frondaisons, qui en se 
touchant au gré du souffle de l'air, « évoquent les baisers 
presque chastes échangés par des jeunes filles qui s'ai- 



LA VILLE MUSULMANE lï EUROPE 



251 



ment d... « Apprécié par les hommes, le séjour à la villa 
est plus impatiemment attendu encore par les femmes ; 
Texodc pc; odiquc qui les y ramène aux beaux jours 
avec la famille est une fetc. d Par cette installation « à la 
campagne o, la femme échappe à la claustration dont 
elle est victime a à la ville ». et elle cesse d'ctrc épiée 
par les voisins. Tous les adultes, hommes et femmes, 
retrouvent :un5i les jeux et les chansons, la gaieté insou- 
ciante des ; nnécs de rcufance. 

D'aprcN Georges Marçais. la langue arnbe possède 
un mot qui exprime « cet étal de réceptivité et le genre de 
plaisir que IVXrabo-musulinan attend trime Ik^IIc journée 
passée à la campagne ou dans son jardin n : tefejjej. 
L'âme, alors, se dilate ; elle s'entrouvre <( comme la fleur 
au soleil ». Llle ne cherche pas de sensations : elle s'ofl're 
à celles qui viennent et s'en laisse longuement pénétrer ^. 
D'autres plaisirs viennent se greffer sur ce tefejjej : la 
poisic, la musique, des danseuses, des orchestres, au 
besoin un bouffon plein d'esprit, tel celui du grand calife 
de Cordoue Abd ar-Rahman 111. Lt fusent des répliques 
et des conversations subtiles avec des répa.rtics brillantes. 

Dans les métropoles comme Cordoue, Palerme, toutes 
les capitales des royaumes de taïjas, à Grenade aussi 
jusqu'au x- siècle, le raffinement et le faste des cours 
atteignent leur apogée et émerveillent les voyageurs — 
ambassadci' s cl marchands — arrivant de TOccident 
chrétien, \m luxe s'ctaic même sans ^pudeur : au milieu 
ihi \:\ siècic, le fameux arbitre des élégances de Cordoue, 
Ziriyab, perçoit de l'émir une pension rnensueile de 
deux cents dinars (près d'un kilo d'or) qui vient s'ajouter 
à sa fortune évaluée à quelque trente mille dinars. Il se 
déplace toujours en somptueux équipage, avec une petite 
escorte de cavaliers amis, tout aussi splendidement vêtus 
que lui ^^. A J'occasion, les ro[s de idijas accordent une 
fastueuse hospitalité à des chrétiens brouillés avec leur 
roi, tels le Cid. ou même îc futur grand roi, Alphonse VI 



252' 



L'EUROPE MEDIEVALE ARABE 



de Castille. Durant le court règne de son frerc cnnenu 
Sanchc, ce prince réfugié fut très bien traité à Tolède 
par l'émir al-Mamoun ; aussi, par la suite, devenu maître 
des royaumes de Castille et de Léon, n'attaqua-t-il jamais 
cette ville tant que vécut cet émir ; ce n'est qu'après la 
disparition de celui-ci, qu'il s'empara de la cité ^-. Sans 
doute est-ce surtout en souvenir de ce qu'il avait vu et 
appris dans cette Tolède islamique, qifil lui arriva dès 
lors de s'intituler non simplement « roi de Léon> de 
Castille, de Galice et de Tolède », mais aussi — dans des 
actes rédigés en arabe — « empereur des deux religions v 



Le rayonnement linguistique, littéraire, 
scientifique et artistique 

Durant des siècles, du vnf au x\\ le dar al-lslam 
devenu empire méditerranéen, tout en étant en contacts 
commerciaux cohérents et continus avec les mondes asia- 
tiques, est siège d'une vie économique en pleine expan- 
sion, en même temps que creuset où s'assemblent des 
apports intellectuels très variés ^5. Ses villes deviennent 
ainsi des « centres moteurs et rayonnants ^^ ». 

La culture s'y épanouit, et d'abord l'enseignement 
Dans les maisons très riches, un précepteur est charge 
des enfants, doublé parfois d'une institutrice pour les 
filles. Les autres familles, sauf si elles sont miséreuses, 
envoient leurs enfants à une école de quartier : plusieurs 
fonctionnent toujours, plus ou moins, aux abords d'une 
mosquée. Chacune est installée dans une sorte de bou- 
tique ouvrant directement sur la rue : le maître y enseigne 
d'abord la lecture et l'écriture, puis le Cormi et des 
rudiments de grammaire. N'ayant toujours qu'un nombre 
limité d'élèves, il impose un travail rapfde et vme stricte 
discipline : l'écolier qui ne sait pas les versets qu'il 
avait à apprendre en un temps prévu, reçoit un chTitiment 
corporel devant ses camarades. Le matériel est simple : 



LA Vf] LE MUSULMANE f Y EUROPE 253 

chaque enfant assis à croupeton.s dispose de tablettes en 
bois, de roseaux tailles pour écrire et d'encre iaue avec 
de la laine brûlée -l Le maUre est rétribue par un 
versement onmict eiicctué par le père de chaque élève, 
pariois complète, périodiquement, par certaines denrées 
(farine, huile d\)!ivc, etc.), toujours par de beaux et 
nombreux cudcaux apportés lors .des fêtes religieuses et 
aussi le grand jour où Tecolier sait enfin le ( oran par 
cœur ^■\ 

Une fo!S terminé ce stade primaire, le garçon devient 
apprenti ou va suivre ics cours de la grande mosquée. 
Lm culture arabo^siainique -- science religieuse, droit 
coranique, nhiiosonhie, médecine, lineraiuu:. sciences - •- 
se deveiopp; avec celai en Lspagnc eî en Siciic, d^autanl 
plus que ce pays sont riches û \\n passe intclicctucl pré- 
islamique qui coastitue Fuuc des compcx^antcs de la cul- 
ïurc arabfvreusuhiiane. 

La [îcu risulc ibcnqac est pays diuualgame : dans 
ia première moitié du ïx" siècle, tous les grands médecins 
y sont encore des chrétiens autochtones ; de nombreuses 
œuvres scientiQqucs grecques et latines y restcîit connues 
et étudiées ; la culture encyclopédique diflusée par saint 
fsidcMc de Sevïllc (560^636) continue d'étîc très répan- 
due : le t^nneux géograplie luspano-arabe ûw xi" siècle, 
aLBakri, a nianiiestemcnt copié sur saint Isidore le 
passage de son 1 raué où il décrit les Canaries ^\ 

En Siciie aussi, les traditions tmmanistes et médi- 
cales sont bien conservées quand les Arabes y arrivent ^s, 
La culture latine nest pas encore tenue pour morte, ni 
autour de Prviermc, ni en Espagne : sa vitalité se rellète, 
par exemple, dans les excellentes épigrammes que com- 
pose, au ix' siècle, un nrchiprélre de Cordoue, Cyprieiu 
célèbre, cnti;- autres, par ses vcîs sur un éveniail ciuun 



\X siècle, seirU l.vûogc rapporte en Andaloîjsic. iWm 

voyait;- m^ ^-Marîe. in (V//^ dr Dir-i de ^^amt Aîîiiuslin. 



256 



U EUROPE MEDIEVALE ARABE 



pratiquer indépendamment de Tautrc, sans nuire au dérou- 
lement de rhorairc des prières ni au calendrier pondue 
par le mois du jeûne et celui du pèlerinage. 

Sur rinfluence que cette poésie arabe a pu avoir 
en Occident, des débats passionnés ont opposé les crudits : 
poésie « courtoise », troubadours, trouvères ont-ils été 
marqués par TOrient ? Les Arabes ont-ils importe la 
rime chez nous ? N'ont-ils rien transmis à notre poésie, au 
contraire ? Selon l'historien italien Amari, c'est dans 
la Sicile imprégnée de culture islamique que naquirent les 
muses de Tltalie -'^^ Un point certain est que le mode 
de vie des cours capiteuses d'al-Andalus et de Palcrmc 
a fait pénétrer dans les châteaux chrétiens de Castille et 
de Calabre, puis à travers tout FOccident. le goût de la 
poésie écrite et chantée dans la langue courante du pays. 
Des concours poétiques, où se comparaient poèmes en 
arabe et vers en langue (( néo-latine », étaient organisés 
dans la Valence christiano-rausulmane, que le Cid gou- 
verna durant quelques années à la fin du xi^ siècle. 
Lamour des idiomes usuels, qui se forgeaient chez les 
Occidentaux, se cultivait à l'égal de celui qui était 
porte en /rre d'Islam à la langue du Coran, Un parler 
recherché, poétique, précieux même, prend forme alors : 
il triomphe très vite à la cour des rois normands de 
Sicile, comme plus tard à celle de l'empereur amoureux 
de l'Orient, Frédéric II de Hohenstaufen ; puis en Castille 
avec Alphonse X le Savant, qui était aussi un poète. 
N'est-ce pas, en partie au moins, sous Finflucnce du 
monde arabe, que les princes chrétiens prennent Thabi- 
tude de combler de dons et d'honneurs les poètes décla- 
mant des vers dans les réceptions de leurs cours ? Par 
ailleurs, une tradition propre à l'Aquitaine renforce peut- 
être l'importance de l'Jsfam, en ce domaine, à travers le 
Languedoc. * 

Cette poésie qui conduit à une philosophie épicu- 
rienne n'est pas sans autre portée : elle sait aussi refléter 



f.A 



VILLE MUSULMANE /L'EUROPL 



257 



e mystère et la complexité du monde. Si rien n\aunonce 
la future lormulc pascalienne sur l'honnne perdu entre 
rmfiniment grand et rinliniment petit, on approche pour- 
tant d'une analyse slructurelle de la nature, de ses 
«hasards . et de son ingéniosité infinie. Un poème arabe 
célèbre eu témoigne, comparant l'univers h une gigan- 
tesque toile d'araignée ^^. 

Sur le plan proprement philosophique, le plus puis- 
sant sans doute des penseurs hispano-arabes, Averroès 
(de son vrai nom : Ibn Rochd. mort en M98). prolonge 
Ansîote : il veut harmoniser la foi et la raison, en sur- 
montant les contradictions apparentes du monothéisme 
qui enseigne non seulement la toute-puissance de Dieu, 
mais aussi la liberté, ou une certaine liberté, de Thomme, 
ht rnvcrr(= sme se propage h travers toute In Chrétienté. 
Le au^raiTl scientificjue. venant surioul de TOri^nt 
est non moins vivant. Déjà les œuvres savantes que 
les béncdiclins catalans de Ripoll traduisent d'arabe en 
latin aux ir et x^ siècles proviennent du Ma<hnY/y^ - 
un archidiacre de Barcelone les envoyait h Cerbert 
dAuriilac, le futur Sylvestre II \ D^mtre part, héritiers 
de traditions remontant à la Babylone antique. 1rs Arabes 
nitroduiscnr en Occident la culture astrologique, dont 
témoignent les calendriers agricoles que nous avons beau- 
coup Cites. La notion des n couples annuels . c-llc d^s 
signes et symboles du Zodiaque, Je poids <le leur influence 
sont connus, supputes, étudiés, coînmeutés. Ici émir 
neutre en campagne qu^aux jour cl heure indî(|ués pri- 
son astrologue. Avec plus de certitude encore, on étudie 
.es déplacements du soleil, des étoiles et de la lune 
Dans aLAndalus, dès le ïx^ siècle, on construit des 
clepsydres donnant, à chaque heure, la position des astres 
de nuit connue de jour. L'art de l'astrolabe se développe • 
ce disque divisé en quatre par deux diamètres déter. 



Cf. 



rn- pi oïH' 



,.^T^-r'^î?'-/'-*<?^. "^'- 



258 



L'EUROPE MEDIEVALE ARABE 



minant donc quatre « cadrans », permet de mesurer la 
position des astres et leur hauteur au-dessus de l'horizon. 
Le cadran solaire, déjà connu de FEgypte pharaonique, 
est non moins en vogue : il marque les heures dans les 
jardins et les patios, en projetant sur une surface plane 
l'ombre d'une tige ou d'une sorte de plaque qui y est 
fixée '^°. De Palerme et de Cordouc, ces techniques 
atteignent TOccidenî chrétien. 

L*un des plus brillants inventeurs venus au monde 
au IX* siècle, dans les régions musulmanes de TEurope 
médiévale est un Andalou de la région de Ronda : 
Abbas ibn Fimas ; il découvre la formule de fabrication 
du cristal et construit, en verre, une voûte céleste qu'il 
rend à volonté claire ou nuageuse, qu'il zèbre d'éclairs à 
l'occasion et où, parfois, il fait même entendre le tonnerre. 
La fabrication et l'utilisation du papier, de même que 
celles de la boussole, apprises des Chinois par les Arabes, 
pénètrent peu à peu en Occident. A la pointe extrême 
de la recherche scientifique, se manifeste même la vieille 
ambition des hommes : voler ! Et c'est encore l'Andalou 
Ibn Firnas qui y réussit presque, mieux que le légendaire 
Icare en tout cas : ayant préparé une sorte de fourreau 
en plumes et en soie, pourvu d'ailes mobiles, il se lance 
un beau jour du haut d'un rocher, en pleine campagne, 
et efi"ectivement il plane et a vole » quelques minutes ; 
s'il finit par tomber, c'est en atterrissant sans trop de 
dommages ^^, 

De racines grecque et iranienne, juive et chrétienne, 
la médecine arabe se mêle à l'astrologie comme à la 
botanique ; des sortes de calendriers diététiques sont 
ainsi mis en circulation, des liens étant établis entre les 
saisons et les « humeurs » du corps humain : les équi- 
noxes, notamment celle d'automne, et lés solstices, surtout 
celui d'été, sont tenus comme peu propices aux opérations 
et à l'administration des médicaments ; un vieil ensei- 
gnement hippocraîique est conservé : il faut éviter de se 



LA VILLE MUSULMANE ir EUROPE 259 



purger au iiioment de la canicule ; en hiver, il convient 
de s'abstenir des saignées. Une science populaire, modelée 
par ces suggestions et ces enseignements, se répand à 
travers les villes et les campagnes, fait progresser l'hygiène 
et un certain sens médical : des prescriptions d'origine 
arabe se sont répétées, de génération en génération, tout 
au long des xv', xvr et xvif siècles au moins, dans 
l'Espagne chrétienne, continuatrice dé l'Espagne musul- 
mane ^2. D'une manière générale, les études médicales 
se développent dans TOccident chrétien à partir du 
Xïii" siècle, sous l'influence de l'école de Salcrne, elle- 
même produit de la médecine de Sicile. Certes, le niveau 
reste modeste, même chez les Arabes les plus experts : 
si l'on sait bien réduire fractures cî luxations, la chi- 
rurgie reste rudimentaire ; d'ailleurs, il n'y a nulle part 
de véritable ^ hôpital » dans l'Europe musulmane ^^ 
léproseries mises à part ; mais ce sont là des lieux où 
Ton parque les malades en dehors des villes bien plus 
que des centres où on les soigne. Les vrais grands méde- 
cins n'existent guère ; ce sont les bons c( techniciens de 
la santé » oui sont nombreux, sachant cicatriser et guérir 
les blessures, soigner les maladies courantes par des 
moyens excellents, par exemple, en plaçant des ventouses. 
Peu à peu, la science des plantes et un empirisme éclairé 
font progresser la médecine. 

Les apports arabes d'ordre plus général, concernant 
l'ensemble de ce que Ton appelle parfoi.^ « la civilisation 
matérielle », ont été innombrables, difl'us, affectant bien 
des domaines. Rien ne démontre mieux cet impact que 
Fétude du vocabulaire : les langues européennes ont 
vraiment été envahies par les mots arabes véhiculés avec 
les techniques qui passaient du dar al- Islam dans l'Oc- 
cident chrétien. Cela est net dans la terminologie des 
poids et mesures, pénétrée de noms qui ont été d'usage 
courant jusque vers 1800, et parmi lesquels subsiste le 
mot quintal. La portée de Tinflnx sur le plan économique 



260 



U EUROPE MEDIEVALE ARABE 



est illustrée par des termes qui sont le reflet des réalités 
ou des abstractions révélées aux Occidentaux par les 
Arabes : zéro, algèbre, chèque, par exemple. Dans le 
domaine des sciences appliquées, une longue liste pourrait 
être établie; citons simplement au hasard : alambic et 
alcali ou almanach et zénith. Certaines coutumes et 
certains goûts musulmans, en matière d'habillement, de 
mobilier,' d'arts décoratifs se sont propagés, dès le xi* siècle, 
en Espagne chrétienne, en Italie méridionale et en Lan- 
guedoc, puis dans tout l'Occident. Par les Arabes, le 
ver à soie a été introduit en Europe, ainsi que le coton ; 
et ce dernier mot est arabe, comme celui de mérinos et 
azur par Tintermédiaire de l'espagnol azul (bleu). Dans 
l'art des mousselines, c'est-à-dire des étoffes légères fabri- 
quées comme à Mossoul, dans la technique des futaines, 
à savoir des tissus en lin et en coton, à la manière de 
Fostat, le Vieux Caire, dans le tissage de la soie, dans 
le travail du cuir, dans les damasquinages comme dans la 
damasserie — et ces mots eux-mêmes fleurent la Syrie — 
et encore dans l'art des enluminures, et aussi dans le 
jeu — ou la science — des échecs, les Arabes ont été 
présents et le sont encore dans notre vie quotidienne. 
Cela est pareillement vrai pour la nourriture : orange, 
safran, gingembre, canne à sucre, le goût des gâteaux, 
des confiseries, des douceurs en témoignent. Du mot 
arabe qa^ah, désignant une grande écuelle contenant 
une crème douce, est né le mot cassaîîa, d'abord localisé 
à Païenne vers les xi* et xif siècles pour désigner un 
gâteau doux et crémeux, puis propagé en Sicile, en 
Italie, et, plus récemment, dans le reste de l'Europe, 
pour distinguer un type bien particulier de crème glacée, 
une glace 44. 

Dans le domaine des -^?^ndes réalî^tions artistiques, 
le dar al-Islam a été foyer de rayonnement après avoir 
été creuset. S'il est vrai que des traditions de construction 
et de décoration pré-islamiques se maintinrent dans Val- 



LA VILLE MUSULMANE D'EUROPE 261 

Andalus des premiers siècles (nombreux furent les archi- 
tectes et artisans chrétiens indigènes qui travaillèicnt, 
par exemple, à la grande mosquée de Cordoue). il est 
encore plus certain que l'art mudejar, c'est-à-dire un art 
musulman, se manifesta ensuite avec éclat dans l'Espagne 
reconquise par les chrétiens. Mieux encore : même dans 
les régions européennes à passé islamique, où ne se 
réalisèrent ni véritable interpénétration ni influence directe, 
en matière d'art, se sont affirmés bien souvent des 
c( rapprochements » vivifiants. L'un des maîtres français 
de l'histoire de Fart, Henri Focillon, Ta bien noté : 

Aujourd'hui encore, dans les vieilles villes rousses 
d'Espagne, non loin d'une cathédrale dont les masses 
rudes et militaires enveloppent un plan et des élé- 
ments français, se niche entre des murs compacts 
la solitude d'un patio arabe ; et un minaret à jours 
polylobés domine des cours de couvent ^5. 



En Sicile, où la domination arabe fit éclore de nom- 
breux édifices dont rien n'a été conservé, si ce n'est 
quelques restes du palais de Palerme appelé Le Jet dEau, 
le prodigieux ensemble architectural qui date de l'époque 
normande est d'inspiration arabe, comme l'attestent les 
petites coupoles parfaitement orientales qui surmontent 
plusieurs églises palermitaines, celles de San Cataldo par 
exemple, et plus encore les cinq ravissantes a coupo- 
lettes » d'une étonnante couleur rouge, de San Giovanni 
degli Eremiti, ou encore des monuments aux alentours, 
tels le château de la Ziza, le palais de la Cuba, l'église 
San Giovanni degli Lebbrosi et, enfin, la fontaine, les 
colonnes, les stalactites de la cathédrale de Monreale, à 
quelques kilomètres de Palerme 4^. 

L'esthétique arabe, ainsi, a ricoché avec éclat sur 
l'Europe chrétienne. Mais il y eut aussi une pénétration 
plus profonde et générale, bien que peu discernable par 



BIBLIOGRAPHIE 



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l'Orient et l'Occident, Paris, 1958. 

UEspagne du Moyen Age : Civilisation et Arts, Paris. 
1966. 



262 



L'EUROPE MEDIEVALE ARABE 



le non-spécialiste ; dans son maître livre, Islam d'Espagne, 
l'excellent historien de l'art, Henri Terrasse, a détaillé 
conMnent l'art chrétien de la péninsule Ibérique s'est 
enrichi, dès la fin du xiii* siècle, d'un élément musulman 
— l'arc en fer à cheval — comment les voûtes nervées, 
les tours uniques sur plan carré rappelant les minarets, 
les arcs brisés, outrepassés ou lobés, et leurs encadrements 
rectangulaires viennent aussi d'al-Andalus ; et Ton est 
^ême tenté de se demander si la coupole à nervures ne 
serait pas à l'origine de la croisée d'ogives... 



CONCLUSION 



Notre Europe médiévale n'aurait pas été ce qu'elle 
fut, si elle n'avait pas connu la présence du dar al-Islam, 
son voisinage, ses influences, et les réactions même qu'il 
a suscitées. Ce premier rendez- vous, long de plusieurs 
siècles, qu'eurent le monde arabo-musulman et l'Occident, 
sur le sol même de l'Europe, a eu une portée prodigieuse. 

D'autres rencontres se produisirent : celles nées des 
Croisades en Terre sainte (xr-xiii* siècles), de voyages et. 
plus tard, dans le cadre des empires coloniaux. Or, ces 
diverses histoires s'éclairent l'une l'autre. Paul Valéry est 
peut-être celui qui a le mieux discerné ce qui doit émerger 
et résulter de ces contacts : que l'Europe et l'Islam 
apprennent à s'enrichir mutuellement de leurs diversités. 
Les hommes y aspirent : qui a vécu sur une terre impré- 
gnée par l'Islam en conserve toujours quelque nostalgie ; 
de même, un certain attachement pour l'Occident marque 
le musulman qui l'a connu... 

Dans ces conditions, quel sera et que sera le rendez- 
vous de demain entre notre société et le monde arabo- 
islamique ? 



NOTES 



CHAPITRE PREMIER 



1. Devic-Vessete : I, 777, n. 2. 

2. Le Coran : VII 4/8 et 10/». 

3. Ibn HiXDAYL, traduct. par Lx)uis Mercier : U ornement 
des âmes, Paris, 1939, p. 195. Sur cet auteur : Arié, 
229, n. 4. 

4. Devic-Vessete : l, 779 ; Millas, 53-67. 

5. Lacam : 87; Bruzon de la Martinière : Dictionnaire 
géographique et historique, t. I, Paris, 1768, p. 554. 

6. Cf. Michel Rouche : Les Aquitains ont-ils trahi avant 
la bataille de Poitiers ? in Le Moyen Age, 1968, pp. 6-26. 

7. Amari : I, 506. 

8. Ibid, : 544-545. 

9. OssiAN de Negri : Storia dî Genova, Milan (édit. Aldo 
Martello), sans date, 160 ; Lacam, 16-17, 

10. SiMONET : 127. 

11. Ibid. : 163. 

12. Ibid. : 176. 

13. Ch.-E. DuFOURCQ et J, Gautier-Dalchê : Histoire 
économique et sociale de VEspagne chrétienne au Moyen 
Age, (Armand Colin), Paris, 1976, p. 21, Cf. Pellat, 
48. 

14. Renseignements aimablement communiqués par Atallah 
Dhina, maître-assistant d'histoire du Moyen Age à 
Tuniversité d'Alger. 

15. Vanonyfne^e Cordout^id, Tai]han^ Paris, 1885, p. 40. 

16. Claire PousSY : La Conquête de la mer par les Arabes 
en Méditerranée occidentale, mémoire de maîtrise es 
lettres, université de Paris-Nanterre, 1975 (dactyl. 
p. 158). 



NOTES 



267 



17. Liutprand DE Crémone : Chronique, éd, Petz (Manu- 
menîa Historica Germanica) ,1839, p. 7. 

18. Talbi (Mohammed) : UEmirat aghlabide, Paris, 1966, 
p. 390. 

19. PoussY (Claude) : op, cit. (supra n. 16), 63. 

20. Ibid. : 51 ; cf. Taviani : Histoire de la Corse, 143- 
145. 

21. Lacam : 102 et 141. 

22. Liutprand : op. cit. {supra n, 17), 7. 

23. Lacam : 141. 

24. Lévi-Provençal : IV, 226. 

25. Cf. FÉVRIER (Paul- Albert) : Le Développement urbain 
en Provence, de Vépoque romaine à la fin du xiv* siè- 
cle, éd. E. de Boccard, Paris, 1964, p. 90. 

26. Lacam : 16-17. 

27. Recueil des Historiens des Gaules et de la France 
(Dom Bouquet, t. VII, 107 et 131, t. VIII, 186 et 
195). 

28. Le meilleur exposé récent sur l'armement des dernières 
troupes musulmanes d'Espagne — celles de Grenade — 
se trouve dans Arié, 250-256. 

29. Canard (Marins) : Textes relatifs à l'emploi du feu 
grégeois par les Arabes, Bulletin des Etudes arabes, 
Alger, n° 26, 1946, p. 6. 

30. Santamaria (Alvaro) : Olfo de Procida, in Hispania, 
t. XXV, Madrid, 1965 ; Sevillano Colom : Mercade- 
res y navegantes, in Mascaro, Historia de Mallorca, 
Palma, 1971, p. 506 ; Font Obrador : Historia de 
Llucmayor, t. I, Palma, 1972, pp. 350-363. 

31. Ivars : Dues creudades valenciano-mallorquînes. Va- 
lence, 1921, pp. 39-42. 

32. Codera : 199 ; Valldeavellano (Luis de Garcia) : 
Historia de Espana, t. I, Madrid il* édit.), 1955, p. 433. 

33. Chalmeta (Pedro) : Communication au Congrès dEtu- 
des sur les Cultures de la Méditerranée occidentale, Bar- 
celone, septembre-octobre 1975. 

34. L'évêque Sébéos, cité par Alain Ducellier : Le Miroir 
de rislam, Julliard, coll. « Archives >, Paris, 1971, 
pp. 23-24. 

35. Simonet : 763. 

36. Cf. l'adaptation de La Légende de Guillaume d'Orange, 
par Paul Tuffrau, éd. Piazza, Paris, 1920, pp. 83, 90, 
101, 114, 123 etc. 



268 



L'EUROPE MEDIEVALE ARABE 



NOTES 



^:^" 



269 



mn 



1. 

2. 

3. 

4. 

5. 

6. 

7. 

8. 

9. 
10. 
11. 
12. 
13. 
14. 



15. 
16. 



17. 
18. 
19. 
20. 
21. 
22. 

23. 
24. 
25. 

26. 

27. 



CHAPITRE II 

SmoNET : 143. 
Ibid. : 145 et 152. 
Devic-Vessete : 780. 
Gabrieu : 115. 
Lévi-Provençal : IV, 102. 
GuiCHARD : al'Andalus, 37. 
SiMONET : CIL 
iDRis : 191, n** 102. 
Amari : I, 475. 
SiMONET : 504. ^ 
Ibid. : 63-64. 
Amari : I, 474 ; II, 456. 
SiMONET : 282. -^ 

Chalmeta (Pedro) : Communicaticm au Congrès d'Etu- 
des sur les Cultures de la Méditerranée occidentale, 
Barcelone, septembre-octobre 1975 (d*après le t. V du 
Muktabis dlbn Hayyan, texte dont la traduction m'a 
été aimablement remise par Fauteur de cette communi- 
cation). 

PoussY (Claire) : op. cit. (supra, n. 16 du chap. P0> 
64-65. 

Cf. Sabah (Lucien) : Essai d'Histoire économique des 
Baléares musulmanes, Thèse de 3" cycle (dactyl.), Uni- 
versité de Paris-I, 1974, pp. 7-16 ; et Urvoy (Domi- 
nique), € La vie intellectuelle dans les Baléares musul- 
manes », Al'Andalus, vol. 37, Madrid-Grenade, 1972, 
p. 87. 

SiMONET : 66... 
IbU, : 539. 
Ibid. : 511. - 

Ibid. : 14, 143, 178 et 199 ; Coll, 284 sq.- 
Lévi-Provençal : IV, 132. 

Ibn al-Athir : trad. française par Fagnan, Revue 
Africaine, Alger, n* 224, 1897, p, 27 ; et Codera, 190. 
Amari : J, 615-617 ; Smojœt : 61, 91, 107 et 802. 
SiMONET ^:^^30. " ^*^ ^ 

Ibid. : 117, 197, 202-203, 457, 487, 552 et 623 ; Lévi- 
Provençal : IV, 108 ; Las Cagigas, passîm. 
SiMONET : 622. 
Ibid. : 457. 



28. Ibid. ; 98 ; Amari : I, 624. 

29. SiMONET : 399 et 444. 

30. Ibid. : 86 et 93. 

31. Ibid. : 204 (d'après Ibn al-Koutiya, descendant de 
< Sarah la Gothe 2> — la nièce du prince Ardabast et 
la petite-fille du roi Wittiza, mariée successivement à 
deux musulmans). 

32. SiMONET : 534-536. 



1. 
2. 
3. 
4. 
5. 
6. 
7. 
8. 
9. 
10. 

11. 
12. 
13. 
14. 
15. 
16. 
17. 
18. 
19. 
20. 
21. 
22. 
23. 



CHAPITRE III 

Cf. Amari : î, 606 sq. 

Cf. Guîchard : aî-Andalus ; et id. : Structures. 
SiMONET : 155 et 539 ; Lévi-Provençal : IV, 51. 
Cf. Guîchard : Les Arabes, 1502, 
Id. : al-Andalus, 19 ; Id. : Structures, 19. 
Lévi-Provençal : V, 260 ; Arié : 365-366. 
Lévi-Provençal : V, 260-261. 
Ibid. : 261. 

Ibid. ; Arié : 369-370 ; cf. Terrasse : Islam, passim. 
Cf. Guîchard : al-Andalus, 77 et 162-163 ; id. : Struc- 
tures, 167. 

Lévi-Provençal : V, 259. 
Ibid. : 258. 
Ibid. 

Ibid. : 264-270. 
Ibid. : 259. 
Ibid. : IV, 165. 
Ibid, : 399400. 
Ibid. : 371-376. 
Arié : 299. 

Lévi-Provençal : V, 90 sq. 
Ibid. ; IV, 121. 
Ibid. : 311. 
Terrasse : Islam, passim. 

CHAPITRE IV 



1. Amarî : I, 545 et 549. 

2. SiMONET : 126, 735 et 1037. 

3. Ibid. : 539, 618, 666 et 734 ; cf. Dufourcq (Ch.-E.) : 
« Le Christianisme dans les pays de l'Occident musul- 
man >, in Mélanges E.R. Labande, Poitiers, 1974, p. 243. 



270 



L'EUROPE MEDIEVALE ARABE 



9. 
10. 
11. 
12. 



13. 
14. 
15. 
16. 

17. 
18. 
19. 
20. 
21. 
22. 
23. 



24. 



SiMONET : 201 et 289. 

Ibid. : 128. 

Devic-Vbssete : 781. 

SiMONET : 648, 693, 713 et 772. 

Ibid, : 630 et 820 ; poème cité par al-Maqqari, trad. 

en anglais par Gayangos : The History of the muham" 

medan dynasties in Spain, t 1, Londres, 1840, p. 357. 

iDRis : 173. 

SiMONET : 783 et 787. 

Ibîd. : 709. 

Ibid. : 122, 126, 130, 360, 552, 812; Amari : I, 249- 

250 ; cf. Las Cagioas : passim ; et Dufourcq : op, cit. 

{supra n. 3), 1A\-1A1. 

SiMONET : 481. 

Ibid. : 361 et 735. 

Ibid. : 171, 573, 604, 666; Amari : II, 462. 

Sabah : op. cit. {supra, n. 16 du chap. II), 53 ; Urvoy : 

op. cit. {supra n. 16 du chap. Il), 88. 

SiMONET : 360. 

Ibid. : 311 et 493. 

Ibid. : 489. 

Ibid : 66, 91, 129, 334; Amari : II, 464. 

SiMONET : 188, 224, 382-384, 392 ; Amari : II, 465. 

SiMONET : 160 et 255. 

Ibid. : 161, 215, 261, 265, 370, 372, 523, 788-790; 

Amari : I, 249-250; II, 465; 111/ 1, 210; Urvoy : 

op. cit. {supra n. 16 du chap. II), 88. 

SiMONET : 381. 



CHAPITRE V 

1. Amari : II, 509. 

2. SiMONET : 215 sq, 

3. Ibid. : 713. 

4. Pellat : 82. 

5. Lêvi-Provençal : V, 154. 

6. Arié : 346-347. 

7. Lévi-Provençal : Vi>^i54. 

8. Ibid. ; m. 

9. Pellat : 56, 68 et 118. 

10. Ibid. : 62, 82, 144, 158 ; Lévi-Provençal : V, 155 : 
Arié : 347. 

11. Arié : 346. 



\ 



NOTES 



271 



12. Cf. ibid, : 371. 

13. Pellat : 164. 

14. Pastor : 149. 

15. Ibid. 

16. Ibid. : 150. 

17. Pellat : 98. 

18. Ibid, : passim. 

19. Ibid. 

20. Laroque (Dominique) : Recherches sur le sultanat de 
Grenade au xiv* siècle - Influences culturelles de VOcci- 
dent et de VOrient, Mémoire de maîtrise es lettres, uni- 
versité de Paris-Nanterre (dactyl), 1972, p. 42. Cf. 
Arié : 348. 

21. Marc aïs : Mélanges, 233-234. 

22. Amari : II, 509. 

23. iDRis : 183. 

24. Pellat : 28, 68, 82, 118 ; Arié : 347. 

25. Pellat : 36 et 158. 

26. Ibid, : 36, 56 et 96. 

27. Lacam : 136, 

28. Pellat : 48 ; Lévi-Provençal : V, 168-169. 

29. Pellat : 48, 56, 68, 104 et 118. 

30. Lévi-Provençal : IV, 17 ; et V, 169. 

31. Pellat : 48 et 56 ; Simonet : 188 ; Lévi-Provençal : 
IV, 121 et 173 ; V, 285 ; Arié : 403-406. 

32. Lévi-Provençal : V, 175 ; Pellat : 62 et 132. 

33. Lévi-Provençal : V, 180, 273, 278 ; Arié : 378-379. 

34. Lévi-Provençal : 180, 272 et 278 ; Pellat : 174. 

35. Pellat : 104 ; Lévi-Provençal : V, 175 ; Arié : 353. 

36. Pellat : 36, 68, 82, 116, 132, 140, 171. 

37. Lévi-Provençal : 271, 274 ; Arié : 382. 

38. Arié : 379 ; Lévi-Provençal : IV, 173. 

39. Lévi-Provençal : V, 182. 

40. CL Pellat : 108 et 130. 

41. Ibid, : 158 ; Lévi-Provençal : 

42. Lévi-Provençal : V, 182 sq. 

43. Ibid, ; Pellat : 104 ; Lacam ; 
356. 

44. Pellat : 48. 

45! Ibid. : 90; Lévi-Provençal : IV, 135, et V, 180. 

46. Lévi-Provençal : IV, 169-173, 332-345 ; et V, 274, 
276. 277. 

47. Ibid. : IV, 103, 121. 

48. Lacam : 201 : 



V, 185 ; Lacam : 200. 
92-94 et 200 ; Arié ; 



272 



UEUROPE MEDIEVALE ARABE 



NOTES 



273 



Umm' 



■k'-:. 



49. Lévi-Provençal : V, 278-279. 

50. Pellat : 174, ^ 

51. Lévi-Provençal : V, 258. 

52. Ibid. : 289. 

53. Pellat ; 156. 

54. Sanchez Albornoz : 332. 

55. Lévi-Provençal : V, 289. 

56. Ibld. 

57. SiMONET : 592. 

58. Lévi-Provençal : V, 289. 

59. Idris (R.H.) : « Les Zirides d'Espagne >, al-Andalus, 
t. XXIX, Madrid-Grenade, 1964, p. 79. 

60. Devic-Vessete : 765. 

61. Idris : Les tributaires, 176 ; Lévi-Provençal : V, 126. 

62. Amari : II, 510. 

63. SiMONET : 365. 

64. Ibid. : 387. 

65. Amari : II, 510. -^ 

66. Idris : 175. 

67. Lévi-Provençal : V, 159 ; cf. Terrasse : Islam, pas- 
sim. 

68. Arié : 413. 

69. Lévi-Provençal : IV, 214 et 455. 

70. Hadjadji (Hamdan) : Vie et œuvre du poète andalou 
Ibn Khafadja, s. d,, Alger (1970), p. 116. 

71. Cf, ibid, : 127. 



CHAPITRE VI 

1. ZuRiTA : Anales de la Corona de Aragon, livre V, chap. 
93 ; cf. SiMONET : 788 et Arié : 321-322. 

2. SiMONET : 118; Amari : I, 625. 

3. Cf. Idris : 179. 

4. Ibid, : Il A, 

5. Amari : I, 549-550. 

6. SiMONET : 118, 411, 418 et 421. 

7. Amari : I, 560. 

8. SiMONET : 118. 

9. Amari : i:>549. ■ ^^ V 

10. Lévi-Provençal : V, 188. 

11. Ibid, 

12. Ibid, : IV, 332. 

13. Ibid, : 328-329. 



14. Ibid, : 330 ; Idris : Les Zirides (op. cit, supra n. 59 
du chap. V) 41/79. 

15. Idris : Les tributaires, 174. 

16. Cf. Guichard : al-Andalus, 195 ; id. : Structures, 106, 
108 et 146-147. 

17. Guichard : al-Andalus, 185 ; id. : Structures, 108. 

18. Idris : 179. 

19. Lévi-Provençal : V, 101. 

20. Guichard : al-Andalus, 165-166. 

21. Ibid. .* 167 et 168. 

22. Idris : 195. 

23. Guichard : al~Andalus, 173-174. Pour tout ce chapitre, 
cf. Terrasse : Islam, passim. 



CHAPITRE VU 

1. SiMONET : XLVII ; cf. Las Cagigas : passim et Ter- 
rasse : Islam, passim, 

2. SiMONET : 277. 

3. Sanchez Albornoz : 301-302. 

4. SiMONET : 371. 

5. Ibid. : 369 et 371. 

6. Cf. Garcia de Cortazar (José-Angel) : Historia de 
Espana Alfaguara, t. II, Madrid, 1973, p. 360. 

7. Vernet (Juan) : Communication à la Semaine d'Etu- 
des d'Histoire médiévale, université autonome de Bar- 
celone, juillet 1976. 

8. Simonet : 321-322. 

9. Ibid, : lU et 752; cf, Dufourcq (Ch.-E.) : « Les 
relations du Maroc et de la Castille pendant la pre- 
mière moitié du xnr siècle », in Revue d'Histoire et de 
Civilisation du Maghreb, n° 5, Alger, 1968, p. 45. 

10. SiMONET : 128 et 369. 

11. Ibid. : 657 ; Idris : 173. 

12. Simonet : 359 et 657. 

13. Ibid. : 349 et 360. 

14. Ibid, : 367-368. 

15. Cf. ibid. : 583. 

16. Ibid. : 360 et 487. 

17. Ibid. : 369. 

18. Ibid, : 141 et 633. 

19. Amari : I, 261. 

20. Simonet : 381. 



mi: 

c?% ■-'■ . ■ 

fer. 



m- 



IIA 



L'EUROPE MEDIEVALE ARABE 



op. cit. {supra 



21. Ibid. : 389. 

22. iDRis : 185-186. 

23. Ibid, 

24. SiMONET : 390-391. 

25. SiMONET : 154 ; cf. Valldeavellano 
n. 32 du chap. I"). 399. 

26. Cf. par exemple, Lévi-Provençal : Histoire de l'Espa- 
gne musulmane, t. III, Paris, 1953, p. 368. 

27. SiMONET : 130. 

28. Lévi-Provençal : IV, 48. 

29. Amari : II, 458, 

30. SiMONET : 130. 

31. Ibid. : 648. 

32. Lévi-Provençal : IV, 278. 

33. SiMONET : 666. 

34. DuFOURCQ (Ch.-E.) : L'Espagne catalane et le Maghrib, 
Paris, 1966, pp. 187-188. 

35. SiMONET : 785. 

36. Cf. HtTRÉ (Jacques) : Gonzalve de Cordoue ou Grenade 
reconquise, diplôme d^Etudes supérieures, faculté de 
lettres de l'université d'Alger, 1967 (dactyl.). 
Arié : 148 et 178, n. 5. 

Sanchez Albornoz : 301. Cf. Castro ; passim, 
Garcia Gomez : in Etudes d* Orientalisme à la mémoire 
de Lévi-Provençal, t, II, 1962, pp. 517-523. 
Sanchez Albornoz : 333 ; cf. Terrasse : Islam, pas- 
sim. 

Sanchez Albornoz : 316. 
Ibid, ; 321. 
Ibid. : 336 et 338. 
SiMONET : 618, 
GuiCHARD : al-Andalus, 33. 
SiMONET : 364. 
Ibid. : 82. 
Idris : 178. 
Ibid. : 184. 

SiMONET : 81. 

Le Coran : IIL 114/118. 

SiMONET : 79. 

Idris : 17^8. 

Ibid. : 183.x. 

Amari : l, 617-618 ; Simonet : 79-80. 

SiMONET : 79-80. Cf. supra nos pages 

livre. 



37. 
38. 
39. 

40. 

41. 
42. 
43. 
44. 
45. 
46. 
47. 
48. 
49. 
50. 
51. 
52. 
53. 
54. 
55. 
56. 



^^^ 



\ 



NOTES 



275 



158-159 de ce 



57. Simonet : 77, 79 et 80 ; Amari : l, 617. 

58. Simonet : 82. 

59. Ibid, : 80 ; Amari : I, 617. 

60. Idris : 172. 

61. Amari : I, 617 ; II, 619 ; Simonet : 80. 

62. Amari : ï, 617 ; Simonet : 81 et 802. 

63. Amari : I, 617. 

64. Idris : 173. 

65. Simonet : 92. 

66. Ibid. : 81, 94, 96, 802; Amari : I, 620; Idris : 178- 
179. 

67. Simonet : 84, 624, 802-803 ; Amari : I, 618-620. 

68. Simonet : 85, 88, 802 ; Idris : 171 et 195. 

69. Simonet : 98. 

70. Ibid. : 804. 

71. Ibid. : 364, 



CHAPITRE VIII 

1. Simonet : 369. 

2. Amari : I, 621, 

3. LÉVi-pROVENÇAL : IV, 86. 

4. GuiCHARD : Al-Andalus, 446. 

5. Lévi-Provençal : V, 42. 

6. Ibid. : IV, 122. 

7. Ibid. 

8. Ibid. 

9. Simonet : 381. 

10. Ibid. : 523. 

11. Ibid. : 629-630. 

12. Ibid. : 368. 

13. Ibid, : 296. 

14. Ibid. : 478. 

15. Ibid. : 490, 

16. Lévi-Provençal : IV, 188-189. 

17. Simonet : 531-535 ; Idris : Les Zirides d'Espagne (op. 
cit. supra n. 59 du chap. V), 93/131 ; cf. Las Caoi- 
CAS : passim; et Terrasse : Islam, passim. 

18. Simonet : 531-535. 

19. Lévi-Provençal : IV, 108. 

20. Ibid. : 130. 



fc 



276 



L'EUROPE MEDIEVALE ARABE 



21. SiMONET : 363. 

22. Ibid. : 493-499. 

23. Pastor : 83-84. 



NOTES 



CHAPITRE X 



277 






IV, 22-23 et 80-81 









2. 
3. 

4. 
5. 

6. 

7. 

8. 

9. 
10. 
11. 
12. 
13. 



14. 
15. 
16. 

17. 
18. 
19. 
20. 



21. 

22. 
23. 

24. 
25. 
26. 



CHAPITRE IX 

SiMONBT : 14; Lévi-Provençal 
Lacam : 15. 
Amari ; I, 622. 
Arié : 329 et 334. 
174 et 180. 

172 ; id» : Les Zirides d* Espagne (op. cit., supra, 
V), 86-87/124-125; Arié : 331. 



Idris 
Ibid. . 

n. 59 du chap. 
Idris : 176. 
SiMONET : 96. 
Idris : 180. 
Ibid. : 191. 
Ibid. : 177. 
Ibid. : 188. 

Lévi-Provençal : V, 127. 

Arié : 333 ; Ladero Quesada (Miguel-Angel) : Granada 
— Historia de un pais islàmico (I232'I57I). Madrid, 
1969, pp. 35-36. 
Lévi-Provençal : IV, 269. 
Idris : 176. 

W. ; Les Zirides d'Espagne (op, cit„ supra, n, 59 du 
chap. V), 86/124; Arié, 333-334. 
Lévi-Provençal : V, 298. 
SiMONET : 374. 

Lévi-Provençal : IV, 169-170, 

ViLMOS (Voigt) : Communication au Congrès d'Etudes 
sur les cultures de la Méditerranée occidentale, Barce- 
lone, septembre-octobre 1975. 
Idris : 176. 

Lévi-Provençal : IV, 298. 
Idris : Les Zirides d Espagne (op, cit., supra, n. 
chap. V), 59, 65, 78, 79. 
Id, : Les tributaires, 183-184. 

Id. : Les ^Zirides d'Espqgn/e (cf. supra, n. 23), 89. 
LÉVI-PROVEiliÇAL : IV, 70. ^ 



59 du 



î. SiMONET : 86 ; Idris : 175. 

2. Cf. ibid. : 178. 

3. Cf. SiMONET : 365. 

4. Al-Maqqari : {op. cit., supra, n. 8 du chap. IV) ; 
SiMONET : 148. 

5. Codera : 190, 

6. SiMONET : 282. 

7. Ibid. : 309, 312 et 504. 

8. Ibid. : 564. 

9. Cf. Tuffrau : (op. cit., supra, n. 36 du chap. FO, 44. 

10. SiMONET : 85 et 802. 

11. Lévi-Provençal : IV, 171. 

12. Idris : 173. 

13. Lévi-Provençal : IV, 46. 

14. Millas : 67 sq. 

15. Lêvî-Provençal : IV, 188-189. 

16. SiMONET : 487-489 et 529. 

17. Amari : I, 249-250. 

18. Ibid. : III/l, 210. 

19. Lévi-Provençal : V, 127. 

20. Millas : 69 sq. 

21. SiMONET : 584. 

22. Ibid. : 756. 

23. Ibid. : 428. 

24. Ibid. : 239. 

25. Idris : 183. 

26. Ibid. : 187. 

27. SiMONET : 217. 

28. Lacara (Jose-Maria) : Historia del reino de Navarra en 
la Edad Media, Pampelune, 1976, pp. 30, 34 et 37. 

29. SiMONET : 51 L Cf. infra, chap. XI. 

30. Lévï-Provençal, IV, 204. 

31. Idrïs : 180, 

32. SiMONET : 536. 

33. Ibid. : 296. 

34. Ibid. : 365. 

35. Amari : I, 253. 

36. Cf. Guichard : Structures, 202. 



278 L'EUROPE MEDIEVALE ARABE 



1 

2, 

3. 

4. 

5. 

6. 

7. 

8. 

9. 
10. 
II. 

12. 
13. 
14. 
15. 



16. 
17. 
18. 
19. 
20. 

21. 
22. 
23. 
24. 
25. 
26. 

27. 
28. 

29. 
30. 
31. 

32. 
33. 



CHAPITRE XI 

SiMONET ; 365. 

Ibid. : 385-389. 

Lombard : 148. 

Lévi-Provençal : IV, 108 

Ibid. : 104. 

Ibid. : ll-m. 

SrMONET : 392-393. 

Ibid. : 401. 

Ibid. : 413-415. 

Ibid. : 481-486. 

Barrés (Maurice), Le Greco ou le Secret de Tolède 

Pans, Pion, nouv. édit. 1923-1937 p 7 

Lévi-Provençal : IV, 71-72 ' * • 

SiMONET : 312 et 452-454 

Ibid. : et 600-601. 

Ibid. : 313-316 (où Soliman ibn Martin est orésent^ 

cornme^chef de la révolte de 836) ; Lbvi-ProvençIT^ 

CoLL : 300-301. 

Amari : I, 475. 

SiMONET : 523. 

Ibid. : 529 et 584. 

Ibid • 511-515; Garcïa de Cortazar : op^ rit {mnra 

n. 6 du chap. VII), 67 et 99. ^ ^ ^ 

GuiCHARD : Structures, 255. 

Ibid. : 255-256 et Sïmonet -518 

Ibid. : 584, 589, 594 et 597. 

Ibid. : 554 : Lévi-Provençal : IV 236 

SmoNET : 597. ' 

Lévi^-Provençal : IV, 141 ; Guîchard 

SiMONET : 439 et 499-501 
DuFOURCQ (Ch.-E.) : (op.^it, 
239-240. 
Amari : II, 465. 
Idris : 182. 

SmtZr^:^!^^^^ ^^' ^'^^^^ ^"^'•"^^' *' ^^"^ 386 ; 
Chromca Aldefonsi, chap. 205 ; Sïmonft : 755. 



Structures, 60 



supra, n. 3 du chap. IV), 



NOTES 



279 



34. SuM^'^vj : 770. 

35. ÎDîUN ; 182 eî 186- 

36. Ihio. : ]H5. 

37. //;///, : 194. 



CMAPITRE XII 



K Pl.ANiioi. (Xavier de) : Les Fôndemeius géographiques de 
r histoire de l'Islam. Flammarion, Paris, 1968, p. 21. 

2. Talbï : 77. 

3. Ibn Khaijx)un Iai ni : 74-75, 

4. Lombard ; 142- 147. 

5. Amarï ; L 349-^352. Le chiffre de 300 OOO ou 400 000 
habitants attribués à Palerme par Francesco Gabrieli et 
Maurice Lombard, est jugé absolument invraisemblable, 
< pour Tespace où seront dénombrées, en 1480, 25 000 
âmes >, par Henri Bresc (Revue Historique, n" 519, 
juillet-septembre 1976, p. 211 : compte rendu critique 
de Aziz Ahmad : A history of îslamic Sicily, Edimbourg, 
1975).^ 

6. LfiV>PRovîiNÇAL : 1ms ciudadcs drJ Occidcnte musulman 
rn la Edad Media, l'étouan, 1950. p. 14: cf Terrasse : 
hla/ri, passinh 

7. Lacam : 45. 

8. Ibid. : 79 cf 8L 

9. Amar] : m, 35(^ : 
Ua"t, passim. 

10. loRrs : 174 178, 
IL Phllat : 86-88. 

12. Cmia, il (Jacqueline) : ^ Narbonne 
musulmane ?>, /;/ Annales du Midi, 
p. 97. 

13. Abou-l-Feda : Géographie, traci Reinnufi, 
t. m, 307. 

14. Pastor : 76. 

15. Lfa'î-Provbnçaî ; ÎV. 344. 

16. Ibid, : V, 199 ; Chaî.mrta (Pedro) : /-V 
zoco 7> en Espana, Madrid, 1973. 

17. Marcaîs ; Mélanges, 225. 

18. îhid. : 238. 

19. Ibid. 

20. Ibid. : 2AA. 
74, î pv- PKovFNÇAr : fV, 173 



Arn : 132 sq et 279 sq ; Marçais 



sons 
nnv 



l'occupation 
.-mars 1975, 

Paris, 1848, 



del 



280 



L'EUROPE MEDIEVALE ARABE 



22 
23 
24, 

25. 
26. 
27. 



28. 
29. 
30. 
31. 
32. 
33. 
34. 
35. 
36. 
37. 
38. 
39. 
40. 
4L 
42. 



43. 
44. 
45. 



46. 



. SiMONET : 666. 

. Terrasse : UEspagne, passim. 

Cf. Lombard : 238. 

Lévi-Provençal : V, 264 

Ibid. : 263, 

Vernet (Juan) : Communication au Com^rcx d'Etudes 

sur les Cultures de la Méditerrance occideiitde, Barce- 
lone, septembre-octobre 1975. 

Amari : I, 621 et 111/3, 899. 

SiMONET : 552. 

Ibid, : 642. 

Ibid. : 787 et 834. 

Ibid. : 241 et 277. 

Cf. Guichard ; Al-Andalus. 514-515. 

Hadjadji : op. cit., supra, (n. du chap, V), 4S 

Ibid. : et 111. 

Ibid. : 116. 

Amari : 111/ 3, 915. 

Lévi-Provençal : IV, 174. 

Vernet (Juan) : Communication cit,, supra, n. 27... 
Ibid. 

Lévi-Provençal : IV, 174. 

Samso (Julio) : Communication au Congrès d'Etudes 
sur les Cultures de la Méditerranée occidentale, Barce- 
lone, septembre-octobre 1975. 
Lévi-Provençal : V. 282. 
Amari : 111/ 3, 920. 

In PiRENNE, Cohen, Focillon : La Civilisation occi^ 
dentale au Moyen Age, t. Vïll de V Histoire Glotz 
Pans, 1933 p. 565; cf. Marçais : Eart^ passim, cl 
1 ERRASSE : L'Espagne, passim. 

Atti : Kroenig (Wolfgang) : Vecchie et nuove prospettîve 
sullarte délia Sicilia normanna ; et Umberto Rizzitano ■ 
La cultura arabe nella Sicilia normanna. 



TABLR DRS MA'fïBRnS 



L'îsi M yv î/F^UROPi^ 

CRAPrnu:. premier 

Lrs K)URS on razzia irr d'invasion 

C^hcviuchces et déharqucmciits. — Une « grande 

peur h, -^^^- SUatcgie et tactique. ~- Les îles et les 

repaires côticr.s. — La valeur militaire el technique des 
cnvaf'isseiirs, .--- Les coups de main. - ~- la riposte dQS 

Curoi:ccns. La hantise de TOccident. 

CHAPITRE II 

En pays f ONQurs ; \ v^ Nouvni Lrs coNî)irioNs d'exis- 

TENC? 

Les r dliinitîii :». et leur influence première. - Le pou- 
voir musulman. - Villes et zones aufononies. ~ Com- 
munautés de quartier ou de village. — Ln hiérarchie 
indigcnc. ™- L'incertitude du lendemain. 
CHAPITRE /// 

L.ES IMMIGRES : lEïJRS MŒURS ET COUrUMÎS 

Arabes^ et Berbères. — Primante du lignage paternel. 

— Evénements familiaux. — Structures et existence 
familiales. — La demeure. — Vie publique et carrières 
officielles. ™- La justice el la charité. -- Le pèlerinage. 

CHAPEFRE IV 

L\ SUR\'IVANCt: Er LFS déviations du CHRIS lîANÏSME 
DUS AU rOCIil ONBS 

Les sanctuaires ^cî rcxercicc (.lu culte : le rayonnement 
chrétien. ---- Lvcqucs et conciles, - - Moines, icligicuses 
et cnnilcs : pèlcritiagcs locaux. r,cs hérésies et lan- 

goissc chrétienne. 
en A PITRE V X 

La Nvî URH, !,î- rRAVMI., les rUAISIRS 

La vic ruiîtie. - Les anim;uix et Thomme : élevage, 

chasse et pêciic, — L'alimentation et la cuisine. — 
L'artisanat, rhabillcment et réiégancc, -^~- La joie du 
corps^, son bien-être et les divertissements. 
CHAPITRE Vf 

Ceux ht crj.i.Fs qui ont perdu ta tihf.riA 

La capture et la prison. — L'esclavage aux champs. 

— Le trafic de Ja marchandise humaine. — Les escla- 
ves pioches du pouvoir. — Les eunuques. ~ Les escLa- 
yes ccuu:nbines, - Lamour chez les esclaves. Ijos 
écoh^F pour c^iptives. 



15 



35 



53 



70 



93 



122 



282 



L EUROPE MEDIEVALE ARABE 



CHAPITRE VII 

La coexistence des musulmans et des curftiens 

LIBRES [ ' J3Q 

La diffusion de la langue arabe. -~- Larabisation des 
anthroponymes. — L'orientalisation des modes de vie. 
— Les progrès de la sensualité. —. La pratique de la 
circoncision. — L'intégration des chrétiens dans la 
société arabo-musulmane. — La réaction de l'Islam à 
l'arabisation excessive des < infidèles ». — L'environ- 
nement chrétien et son poids. — La survivance et 

l'influence des racines pré-islamiques. La sésréea- - 

tion. ^ ^ 

CHAPITRE VIII 

Les collaborateurs chrétiens du pouvoir islamique 169 
Dans l'administration et dans l'armée. — La partici- 
pation au pouvoir. — Les réactions contie la collabo- 
ration des Mozarabes : l'hostilité populaire musulmane 
et chrétienne. 

CHAPITRE IX 

Le comportement et l'existence des juifs 180 

Les juifs auxiliaires des musulmans lors de la conquête 
de l'Espagne et du Languedoc. — Les communautés 

Israélites des régions européennes arabisées. Ix 

rôle scientifique, intellectuel, commercial et politique 
des juifs. — Les réactions anti-juives. 

CHAPITRE X 

Des européens convertis a l'islam 193 

Les mobiles ûqs conversions. — Les structures politico- 
sociales accélératrices. — L'extinction du christianisme. 

— Le milieu néo-musulman : les « mouladi >. Faux 

convertis, tièdes, fanatiques et champions de Tlslam 

CHAPITRE XI 

Les incompatibilités de caractères et de coutu- 
mes : frondeurs et insurgés, émigrés et déportés 212 
Les motifs de révolte des non-musulmans. — Ixs motifs 
de révolte de tous les autochtones. — La fronde catho- 
lique et la soif du martyre. — Les rébellions urbaines 
ou régionales. — Emigrés et déportés, 

CHAPITRE XII 

La ville musulmane d'Europe et son rôle culturel 239 
Cité et civilisation. — Les deux visages de la ville. — 
Le décor et le faste urbains. — Le rayonnement lin- 
guistique, littéraire, scientifique et artistique. 

Conclusion _ 263 

Bibliographie 264 

N^'^^ y^y^y/^'',[[[ 266 



DANS 1 A MËMIi COLLFCriON 



Maurice /\f lhm : La vie quotidienne sous le Second Empire 
(23,083 J.O) 

Maurice Andrjeux : La vie quotidienne dans la Rome ponti- 
ficale au x\uf siècle (23.0832.8) 

Jean Angt adk : La vie quotidienne dans le Massif Central au 
XIX" siècle (23.2180.0) 

-' La vi'j quotidienne contemporaine en Italie (23.2246.9) 

— La vie quotidienne des immigrés en France de Î919 à nos 
jours (23.2549.6) 

Pierre ANTONrii'U : La vie quotidienne à Morcncc au temps de 
Dante (23.3031.4) 

Paul Arrigiu : La vie quotidienne en Corse au xviir siècle 
(23.160?).^)) 

Jeannine Auboyer : La vie quotidienne dans Tlndc jusqu'au 
vin' sicclc (23.2362.4) 

Marcel Bai \wt : La vie quotidienne dans lès armées de Napo- 
léon (23.0S34.4) 

Marc Baholi : La vie quotidienne des Français en Algérie 
n830-I9]'4) (2.]57^*.4) 

Louis BA!Jî)r^; : î ;v vie quotidienne au temps des derniers Incas 
(23.1 28'.^'}) 

Arturo B[-:zunce et CMaude Mouri™ : La vie quotidienne de 
la corrida (23.3420.9) 

Yves-Marie F^frcé : La vie quotidienne dans l'Aquitaine du 
xvji" siùcle (23.2814.4) 

Roger BLTF.fLLr, : La vie quotidienne en Roueiguc avant 1914 
(23.2235.2) 

Gcnevicve Btanquis : La vie quotidienne en Allemagne à l'épo- 
que romantiqne (23.0838.5) 

François Bf ucnn : [,a vie quotidienne de la noblesse française au 
XVJir siècle (23.1880.6) 

— La vie quotidienne au !emps de Louis XVT (23.2817.7) 
Georges Bordonovh ; La vie quotidienne en Vendée pendant la 

Révolution {23.1970.5) 

— La vie quotidienne des Templiers au xiiF" sicclc (23.2460.6) 

— La vie quotidienne de Napoléon en route vers Sainte-Hélène 
(23.2810.2) 



284 



U EUROPE MEDIEVALE ARABE 



Pierre Boyer : La vie quotidienne à AJger à la vcilîc de i'inter- 

vention française (23.0839.3) 
Yann Brékilien : La vie quotidienne des navsan*! breton^ au 

xi?r siècle (23.2091.9) 
Marcel Brion : La vie quotidienne à Vienne a i époque de Mozart 

e^t de Schubert (23.0841.9) 
Jérôme Carcopïno : La vie quotidienne à Rome à ranotrée de 

l'Empire (23.2154.5) 
Duc de Castries : La vie quotidienne des émigrés (23.1248.6) 
Suzanne Chantal : La vie quotidienne au Porfugal après le trem- 
blement de terre de Lisbonne de 1755 (23.0847.6) 
Gilbert et Colette Charles-Picard : La vie quotidienne à Carthage 

au temps d'Hanniba! (nr siècle av. Jésus-Christ) (23.0849,2) 
Jacques Chastenet : La vie quotidienne en Angleterre au début 

du règne de Victoria (1837-1851) (23.0851.8) 
--La vie quotidienne en Espagne au temps de Goya (23.1337.7) 
Liliane Chauleau : La vie quotidienne aux Antilles françaises au 

temps de V, Schœlcher (xix" siècle) (23.2844.1) 
Guy Chaussinand-Nogaret : La vie quotidienne des Français 

sous Louis XV (23.2731.0) 
Marie-France Chauvirey : La vie quotidienne au Pavs basque 

sous le Second Empire (23.2567.8) 
André Chouraqui : La vie quotidienne des hommes de la Bible 

(23.2897.9) 
Georges-Emmanuel Clancier : La vie quott<iienne en Limousin 

au XIX* siècle (23.2533.0) 
Charles Commeaux : La vie quotidienne chez les Mongols de !a 

conquête (xiir siècle) (23.1865.7) 
-— La vie quotidienne en Chine sous les Mandchous (xvir et 

xviii* siècles) (23.1682.6) 

— La vie quotidienne en Bourgogne au temps des ducs Valois 
(1364-1477) (23,2638.7) 

Jean-Paul Crespelle : La vie quotidienne à Montparnasse à la 
grande époque (1905-1930) (23.2550.4) 

— La vie quotidienne à Montmartre au temps de Picasso ri900- 
1910) (23.3040.5) ^ 

Liliane Créî-é : La vie quotidienne en Louisiane 18^^830 
(23.2933.2) ^ 

Daniel-Rops : La vie quotidienne en Palestine au temps de 
Jésus (23.0854.2) 

Marceilin Defoumeaux : La vie quotidienne en Espagne au siècle 
d'or (23.2354.1) 

Jean Descola : La vie quotidienne en Espagne au temps de 
Carmen (23.2039.8) 

Jean Doresse * La vie quotidienne des Ethiopiens chrétiens aux 
xvir et xviir siècles (23.1949.9) 

Paul Dreyfus : La vie quotidienne en Dauphiné sous la HT" Répu- 
blique (23.2204.8) * 

Charles-Emmanuel Dufourco : La vie quotidienne dans les 



r)ANS LA MLML COLLECI ION 



285 



Scn'!?'SS5) "^ ""^^"^ ^^^ (ProvenccLangucdoc 
''*aiabe':'l3J6ëHr'"' '" ^'"''^^ médiévale sous domination 

't^;^^::^;:.^^^ ^'^^^^^^'-^ -^ ^^-'^ p-^-t la 

Philippe ; KtANc,f:K ; Lu vie quotidienne sous Ifenri IV (23 0862 5) 
Kobcu l.UhNM^ : La v,e quotidienne a Ponipci (? ^ 2887 0) 

mv^r'^fi'^ ^''T''' ^ ''''''''' '• ^''' ''''' quotidienne des 
pavsan du Languedoc au xix' siècle (2 ^,22 VI M 

^''n'snrf''*''' i '-^'^ vie quotidienne en Crète au temps de Mmos 
(1500 ;r/. Jcsus Chnslj (23.2276.6) 

"^fhïin''' ^^^^?!^^^'^';^f .c" <^'îèce au temps de la guerre de Troie 

(L2S(} av. Jcsus-Chnst) (23.2399.6) 
■-,,V\ ^^'^ quoîidienne des colons grecs de la mer Noire à 

^V*;i^^M^^:^^ ^" ^'^^^<^ ^^^ Pythagore, vr" siècle avant J.-C. 

Gérard L' yoi j e ; La vie quotidienne en Pcri^o^d au temps de 

Jacquou le Croquanî (23.2805.2) 
Roben iLACELiiiRH : La vie quotidienne en (îrècc au siècle de 
^ Pendes (23.0866.6) 

^"'^"\".^'^, J""'^^^^'^' ■ ^''* ''''^' quotidienne au Far Wes( (1860-1890) 

Charles h^m^ ; Ij, vie quotidienne à Hollywood <2L7()12.5) 
Louis LR^iJERic ; ] a vie quotidienne au Japon à lepoque des 

Samouraï (n85~î603) (23.1687.5) - 

Jacques Cjernei ; La vie quotidienne en C hinc à la veille de 

1 mvasiOii mongole (1250-1276) (23.0868.2) 
Fiançois Girod : La vie quotidienne de la société créole : Saint- 

iJommgue au xvid" siècle (23.1904.4) 
Jacques Ooijvjziior : La vie quotidienne en France sous le Direc- 

îou-e (2.v26i7.{s 
André G^kkin ; La vie quotidienne au Pahds Hourhon à la fln 

de la nv République (23.2769.0) 
Pierre GurRAî : la vie quolidicnnc en France h Vhpc d'or du 

<:apUa]i:^;nc (1S52-Î879) (2:^.201 6.()) ; o - u 

Pierre Guïraï. eî Guy JimtrLUiR ; ï_,a vie quotidienne des 

domestiques au xtx' siècle (23.2843,3) 
"-- La vie quotidienne des députés en FVance de LS7I a 19Î4 

(23.3045.4) 

'^'!o^^^o-.^*-'^'ioU',^' '^"^ quotidienne des preutiers chrétiens 

— La vie quotidienne en Afrique du Nord au temps de Saint- 
Augustm (23.2872.2) 

Jacques MruT<Gc)N : Fa vie fiuotidieimc chez, les Etrusques 
(23.086'>.0; ^ 

Serge Mus t.: : ï.a vie qu(ilidieiuie des aîchiniistes au Moyen Arc 



286 



L'EUROPE MEDIEVALE ARABE 



André Kaspi : La vie quotidienne aux États-Unis au temps de 
la Prospérité, Î919-1929 (23.2867.2) 

Pierre Labracherie : La vie quotidienne de Ja bohème littéraire 
au XIX* siècle (23.1455.9) 

Robert Lacour-Gayet : La vie quotidienne aux Etats-Unis à la 
veille de la guerre de Sécession (1830-1860) (23,1074.6) 

Paul Lari VAILLE : La vie quotidienne des courtisanes en Italie 
au temps de la Renaissance (Rome et Venise, x\^ et xvi* siè- 
cles) (23.2448.1) 

— La vie quotidienne en Italie au temps de Machiavel (23.2716.1) 
Marcel Le.Clère : La vie quotidienne dans les bagnes (1748- 

1953) (23.2013.3) 
Jacques Léonard : La vie quotidienne du médecin de province 

au XIX* siècle (23.2618.9) 
Jacques Lethève : La vie quotidienne des artistes français au 

XIX* siècle (23.1686.7) 
Roger Le Tourneau : La vie quotidienne à Fès en 1900 (23.0833.1) 
Jean Lucas-Dubreton : La vie quotidienne à Florence au temps 

des Médicis (23.0885,6) 
Arnold Mandel : La vie quotidienne des Juifs hassidiques du 

xviii' siècle à nos jours (23.2271.7) 
Robert Mantran : La vie quotidienne à Constantinople au temps 

de Soliman le Magnifique et de ses successeurs (xvr et xvn' 

siècles) (23.1212.2) 
Jean Marabini : La vie quotidienne en Russie sous la révolution 

d'Octobre (23.0888.0) 
Gilbert Martineau : La vie quotidienne à Sainte-Hélène au 

temps de Napoléon (23.1346.8) 
Frédéric Mauro : La vie quotidienne au Brésil au temps de 

Pedro Segundo, 1831-1889 (23.2836.7) 
Aly Mazaheri : La vie quotidienne des Musulmans au Moyen 

Age du X* au xiii* siècle (23.0891.4) 
Jean Merrien : La vie quotidienne des marins au Moyen Age 

(des Vikings aux Galères) (23,1766.7) 

— La vie quotidienne des marins au temps du Roi-Solei! 
(23.0892.2) 

Jean Meyer : La vie quotidienne en France au temps de la 

Régence (23.2704,7) 
François Millepierres : La vie quotidienne des médecins au 

temps de Molière (23,0893.0) 
Emile Mireaux : La vie quotidienne au temps d'Homère 

(23.0895.5) 
Georges Mongrédien : La vie quotidienne des comédiens au 

temps de Molière (23.3421.7) 
Pierre Montet : La vie quotidienne en Egypte au temps des 

Ramsès (23.2509.9) 
Léo Mom.iN : La* vie quotidienne des religieux au Moyen Age 

x'-xv* siècles (23,2733.6) 
René Nelli : La vie quotidienne des Cathares du Languedoc 

au xiir siècle (23.2536,3) 



.PANS LA MEME COI LECTION 



287 



Jean et Renée Nicolas : La vie quotidienne en Savoie aux xvii» 
et xvjir siècles (23.2877.1) 

Henri Ncxîuères : La vie quotidienne en France au temps du 
Front populaire (1935-1938) (23.2628.8) 

André Pakreaux : La vie quotidienne en Angleterre au temps 
de Georges ill (23,1301.3) 

Michel Pasjoureau : La vie quotidienne en France et en Angle- 
terre :n.i temps des chevaliers de la Fable ronde (23.2654.4) 

Léonce T rîLi ard : La vie quotidienne ?i Londfcs an temps de 
Nelson et de Wellington (23.1502.6). 

Pierre Pelîjssîhr : La vie quotidienne à TLlysée au temps de 
Valéry Giscard d'Fstaing (23.2970.4) 

Gabriel Pirrfux : La vie quotidienne des civils en iTance pen- 
dnnl la Grande Guerre (23.1176.9) 

Fidmond Pinir : La vie quotidienne dans l'aviation en France 
au début du xr siècle (1900-1935) (23.2639.5) 

Jean-Christian Petitftes : La vie quotidienne à la Bastille du 
Moyen Age à ia Révolution (23.2600.7) 

Pierre PifiRRard : La vie quotidienne dans le Nord au xix* siè 
de, Artois, Flandre, Hainaut, Picardie (23.2656.9) 

Pernard Pi.ongeron : La vie quotidienne du clergé français au 
xviu* siècle (23,1981.2) 

Michel Richard : La vie quotidienne des Protestants sous l'An- 
cien Rcgime (23.1456.5) 

Pierre Ricme : La vie quotidienne dans IMjnpirc carolingien 
(23,1916.8) 

Pierre Roli.ft : La vie quotidienne en Provence au temps de 
Mistral (23.1719.6) 

Jacques Saînt-Giirmaïn : La vie quotidienne en France à la fin 
du Grand Siècle (23.0903.7) 

Zinaïda Schakovsky : La vie quotidienne à Moscou au xvu" siè- 
cle (23,0904.5) 

— La vie quotidienne à Saint-Pétersbourg à lepoque roman- 
tique f23J418.5) 

Jcnn-Frar^:ois S<MTi.i:f : La vie quotidienne dnns les Pyrénées 
sous r Ancien Régime, du xvr au xviir siècle (23.2274.1) 

Jacques Sousrïîr.rr: : La vie quotidieime des Azlcqncs à la veille 
de la conquête (23.2119.8) 

René ^1 avhneaux ; La vie quotidienne des jnnscnistcs (23.1922.6) 

Félix TAVï-RNn.R : La vie quotidienne à Marseille <le Louis XIV 
à Louis-Philippe {23.2223.8) 

Charles-Marie Ternes : La vie quotidienne en Rhénanie à l'épo- 
que romaine (i^- au IV siècle) (23.Î872.3) 

Guy TiUJH lier : La vie quotidienne dans 1rs ministères au 
XIX* siècle (23.2545.4) 

Henri 'iROYAr : La vie quotidienne en Russie an temps du der- 
trier tsar (23.2100.8) 

Jean Tui.ard : la vie quotidienne des t^rançais s(>us Napoléon 
(23.2543.9) 



288 



L'EUROPE MEDIEVALE ARABE 



Jean Vartier : La vie quotidienne en Lorraine au xix** siècle 

(23.2205.5) 
Maurice Vaussard : La vie quotidienne en Italie au xviir siècle 

(23.0910.2) 
Xavier Versini : La vie quotidienne en Corse au temps de 

Mérimée (23.2983.7) 
Henri Vincenot : La vie quotidienne dans les chemins de fer au 

XIX' siècle (23.2449.9) 

— La vie quotidienne des paysans bourguignons nu temps de 
Lamartine (23.2708.8) 

Gérard Walter : La vie quotidienne à Byzance au siècle des 

Comnèmes (1081-1180) (23.1286.6) 
Jacques Wilhelm : La vie quotidienne au Marais au W siècle 

(23.2925.8) 

— La vie quotidienne des Parisiens au temps du Roi-Soieil 
(1660-1715) (23.2657.7) 

Armel de Wismes : La vie quotidienne dans les ports bretons 

aux xvir et xvni* siècles (23.2256.8) 
Alexandre Wolowski : La vie quotidienne en Pologne au xvjr 

siècle (23.2095.0) 

— La vie quotidienne à Varsovie sous Toccupation nazie (19^9- 
1945) (23.2709.6) 



Aciicvc d'iiDiiiimci 

h: Kl février J98ï 

sur ics presses 

'iniprinicric Ciru) dci Diicn. 

, îne do î^'diin, A Miarril/ 



ï)c]io' îépal lî " 2 ^^40 



r^ Irifncstre 1981 



2JA2,2()S5.i)2 
\S]m ; 2. 01. 003047. K 



Charles-Emmanuel Dufourcq 

Agrégé d'histoire, docteur es lettres, professeur d'histoire 
du iVloyen Age à IVniversité de Paris (Nanterre), Charles 
Emmanuel Dufourcq est né à Alger. Il a été officier de 
Tirailleurs algériens, professeur à Tunis puis durant 

quatorze ans — à Alger, assesseur français du doyen 
algérien de la faculté des lettres. Il a également longtemps 
vécu en Espagne dont il connaît bien le passé islamique. 
Il est membre correspondant de la Real Acadamia de 
Buenas Letras qui siège à Barcelone, Tant sa vie que ses 
travaux littéraires et historiques le rendent donc parti- 
culièrement apte à l'étude des relations nouées au cours 
des siècles entre l'Islam et l'Europe. 

La vie quotidienne dans TEurop^- 
médiévale sous domination arabe 

Dans La vie quotidienne dans les ports méditerranéens au 
Moyen Age, parue en 1975, Charles-Emmanuel Dufourcq 
a évoqué les contacts qui, à travers les vicissitudes de 
l'histoire, se sont maintenus dans les villes portuaires et, 
grâce au commerce maritime, entre les fils de TOccident 
et ceux de l'Islam. Il élargit et approfondit cette étude 
dans ce nouveau livre en analysant le problème toujours 
actuel posé par la coexistence dans un même Etat de 
musulmans et de chrétiens. Entre le Vli!^^ et le XV« siècle, 
de vastes zones de l'Europe ont été soumises à la domina- 
tion arabe; certaines durant quelques décennies, d'autres 
pour plusieurs siècles, voire plus d'un demi-millénaire 
Aussi en nombre de domaines : sciences, médecine et 
philosophie, musique et poésie, vie économique et habi- 
tudes alimentaires, l'Islam a-t~il profondément marqué 
l'Occident. 

De cette influence, bien des traces subsistent en de 
aujourd'hui espagnoles ou portugaises, français 
italiennes : monuments et jardins d'Andalousie, pc 
l'Algaferia à Saragosse, Alhambra de Grenade, 
mosquée de Cordoue, églises arabo-normanc 
Palerme. L'Europe contemporaine est en partie 
l'Islam.