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Full text of "Le darwinisme : ou, Examen de la théorie relative à l'origine des espèces"

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À. L. À. FÉE 
Professeur d'histoire naturelle médicale à la Faculté de médecine de Strasbourg, 
Membre litulaire de l’Académie impériale de médecine. 
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PARIS e 
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| VICTOR MASSON ET FILS 
PLACE DE L'ÉCOLE DE MÉDECINE 
1864. 

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s” OU EXAMEN DE LA THÉORIE : 
RELATIVE À L'ORIGINE DES ESPÈCES, 
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INTRODUCTION. "1 
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Ce système, savamment développé, mais trop absolu dans 
ses conclusions, cherche à établir qu'il n'existe, pour le règne 
animal et pour le règne végétal, que trois ou quatre types, encore 
pourrait-il bien se faire qu'il n’y en eût La ‘un seul. » 

Plus les opinions sont radicales, plus elles ont de chances 
de réussir. Ce qui est contenu dans les limites restreintes du 
possible ne présente qu’un intérêt médiocre; la curiosité 
n’est pas éveillée, il semble qu’on aurait pu en dire tout au- 
tant. 

La publication du livre de M. Darwin est un événement 
scientifique qui n’a point trouvé d’indifférents. Le livre asplu 


aux personnes qui n'avaient point d’idées arrêtées sur le sujet. 
qu’il traite, etil a vivement stimulé l'attention des naturalistes | 


dont l'opinion était déjà fixée. 

Ce n’est pas que le darwinisme soit chose absolument nou- 
velle, du moins quant aux bases s pue il est-établi. 
Un écrivain, auquel il n’a. manqué | Fun peu plus de raison 
pour être un homme de de distinction, Restif de la Bre- 
tonne, dès 4781, avait développé la base d’un système philo- 


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sophique tendant à démontrer qu'originairement il n’y eut, 
sur notre globe, qu’un seul animal et qu’un seul végétal, et 
que les différences de sol et de température ont amené la va- 
riété des êtres et produit des animaux mixtes (4). Tout s’y 
trouve : mais Restif de la Bretonne n’était pas capable de dé- 
velopper ce système; d’ailleurs, les temps n’étaient pas venus, 
et il fallait que la géologie, science en + qui alors 
n’était pas même entrevue, lui vint en aide. 4 il est 
curieux de constater que l’idée première du darWinisme re- 
monte à près d’un siècle et qu’elle a pu éclore dans une tête 
purement littéraire. Ce qui émeut tant aujourd’hui n’a pas 
même alors été compris. Tel est le sort des conceptions-qui 
devancent leur temps ; elles avortent, semblables en cela aux 
arbres dont les fleurs sont trop précoces et qui ne portent 
aucun fruit. 

Plus tard Lamarck, dans sa Philosophie zoologique, publiée 
en 4809, émit des opisio jugées, à leur apparition, bizarres 
et inadmissibles. Cependant ce grand problème de la varia- 
__bilité des espèces s’y trouve posé, et l’auteur y soutient que la 

stabilité des formes organiques n’est qu’une stabilité relative, 
et que l'être vivant peut être modifié sous l'influence des 
agents physiques qui constituent les milieux qu’il habite. Le 
canard serait devenu nageur en nageant ; l’échassier, en mar- 
chant dans les marais, aurait vu s’allonger ses larses; la gi- 
rafe, en s’efforçant d’atteindre les jeunes pousses des arbris- 
_Seaux, aurait vu peu à peu croître ses jambes et son cou. Les 
_amphibies ne le seraient devenus que par le goût tout parti- 
culier qu'ils auraient eu pour l’eau, et c’eût été pour secon- 
der cette tendance que leurs membres + transformés en 
nageoires, ne pourraient plus aujourd’hui servir utilement la 
| rapésples terrestre ; et ainsi des autres animaux doués d’ha- 
itudes spéciales. Cette idée est juste dans de certaines li- 
mites. Il est bien vrai que la puissance fonctionnelle d’un 
organegs'accroit ou diminue par l'exercice ou le non-exercice 
qu'on en fait, mais cela n'implique en rien le changement 
de forme. Lay vue des oiséaux chasseurs à pu acquérir ainsi 


(4) La Découverte australe, ou le Dédale français, 4 vol. in-19, avec figures. 
Paris, 1781, Voy. Nouvelle Biographie générale, t. XLII, p. 31, 


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plus de portée, et l’œil de la taupe et celui de l’aspalax s’atro- 
phier ou même disparaître faute d'usage, parfaitement inu- 
tiles dans le milieu où ils vivent. Non-seulement le système de 
Lamarck, dans son ensemble, a été repoussé par tous les na- 
turalistes du xx° siècle, mais il était tellement en défaveur, 
qu’on le regardait comme une tache qui obscurcissait la 
gloire scientifique du célèbre naturaliste. Cependant Geoffroy 
Saint-Hilaire avait dit, dès 4795, que les types pourraient 
bien n’être que les diverses générations d’un même type, et 
plus tard, à diverses reprises, notamment en 4831, ila posé 
avec Lamarck cet axiome général, qu’il n’y a rien de fixe 
dans la nature, surtout dans la nature vivante ; mais il n’allait 
pas jusqu’à croire à l'extension sans limites des variations, et 
il refusait d'admettre celles que Lamarck prétendait résulter 
des changements d’actions et d’habitudes. « L'espèce est 
fixe, écrivait-il (1), sous la raison du maintien de l'état 
conditionnel de son milieu ambiant; elle se modifie, elle 
change, si le milieu ambiant varie et selon la portée de ses 
variations. Les animaux vivant aujourd’hui proviennent, par 
une suite de générations et sans interruption, des animaux 
perdus du monde anté-diluvien : par exemple, les crocodiles 
de l’époque actuelle, des espèces retrouvées à l’état fossile, 
les différences qui les séparent les unes des autres fussent- 
elles assez grandes pour pouvoir être rangées, selon nos 
règles, dans la classe des distinctions génériques. » IL nous 
semble que voilà bien le darwinisme tout entier, et si par- 
faitement, que nous n’hésitons pas à rattacher l’auteur de 
l’origine des espèces à l’école de Lamarck et de Geoffroy 
Saint-Hilaire, en faisant remarquer toutefois qu’il a creusé 
plus profondément le sillon ouvert par les naturalistes fran- 
çais. Nous espérons que M. Darwin ne se plaindra pas de ce 
rapprochement. - 

Mais l’immutabilité des espèces n’a pas cessé d'être admise 
par les naturalistes modernes, plus disposés à suivre Buffon 
que Lamarck et Geoffroy Saint-Hilaire. Cuvier, Flourens, 
A. Richard, Duméril, Strauss, l'Anglais Morton, d’autres en- 


(4) Isid, Geoffroy de Saint-Hilaire, Histoire des règnes organiques, t. II, p. 416. 


— 6 — 


core, croient que la vie de l’espèce est une vie sans déclin. 
Voici comment s'exprime Isidore Geoffroy Saint-Hilaire (1), 
de si regrettable mémoire : « La reproduction est une con- 
tinuelle renaissance de l’espèce, les individus qui meu- 
rent y étant remplacés par d’autres ; ce qu’elle gagne com- 
pensant ce qu’elle perd, elle reste toujours composée de sujets 
jeunes, adultes, vieux, sans qu’elle-même soit jamais jeune ou 
vieille. Ni progrès, ni apogée, ni déclin, ni acheminement 
vers un terme déterminé. Les espèces restent donc indéfini- 
ment ce qu’elles sont, « toujours neuves, comme le dit Buffon, 
et autant qu’elles l’étaient il y a trois mille ans » (2). 

Link, esprit judicieux et sagace, a dit qu’espèce et forme 
primitive sont une seule et même chose. M. Godron, qui émet 
une opinion mixte, déclare que l’espèce ne change pas, mais 
qu’elle a pu chänger. M. Darwin, comme nous le Verrons, va 
bien plus loin. Son livre, très-capable par lui-même de 
réussir, a cependant eu la bonne fortune d’être soutenu par 
les écrits et l’opinion de M. Lyell, le premier géologue de 
l'Angleterre et peut-être même de l’Europe. Notons encore, 
comme un fait remarquable, que cet ouvrage a eu pour traduc- 

‘teur, et même pour interprète, mademoiselle Royer, femme 
de science profonde, qui vient de le faire connaître en France, 
où déjà le darwinisme compte de nombreux adhérents. 

Et cependant nous ne craignons pas d'ouvrir une contro- 
verse, malgré tant de causes qui peuvent l’empêcher de réus- 
sir. Les convictions de M. Darwin sont sincères, les nôtres le 
sont aussi. Si nous nous trompons, la vérité, qui ne sera pas 
de notre côté, n’en deviendra que plus éclatante du côté où 
elle aura brillé. 

Nous nous proposons de soutenir la permanence de l’espèce, 
attaquée par le darwinisme, essayant de démontrer qu’il existe 
chez chacune d’elles deux ordres de caractères : ceux qui don- 
nent la taille, la force, la nature des téguments, la couleur, 
et ceux, bien plus importants, qui tiennent à la nutrition, à 
la reproduction, aux habitudes de la vie, en un mot à la ma- 
nière d’être. Les premiers peuvent varier, les autres non. 


(4) Ibid., t. I, p. 93. 
(2) Dernières lignes des Généralités de l'histoire des animaux. 


LT, 24 


C’est dans ces derniers que repose le type, et la nature le con- 
serve, même quand elle varie quelques caractères extérieurs. 

Cette conservation du type est dans les desseins de la nature, 
qui ne livre rien au hasard. Si elle se préoccupe peu de la 
conservation des individus, après leur avoir donné l'instinct 
de se conserver, elle se préoccupe au contraire grandement 
de sauvegarder l’espèce. Chaque type est comme un centre 
d'activité où la vie s’épanouit et rejette à la circonférence tout 
ce qui vient de s’y produire ; plus l'individu s’éloigne de ce 
centre, plus il est près de disparaître. Jetez une pierre dans 
une eau tranquille, et vous verrez, au point de la chute, des 
cercles concentriques se produire, s'étendre et s’effacer à la 
circonférence, tandis qu’il s’en formera encore de nouveaux 
au centre; supposez que l'effet se continue indéfiniment, et 
vous aurez une image de la vie, telle qu’elle se manifeste dans 
la succession des individus qui possèdent le merveilleux pri- 
vilége de vivre et de se perpétuer par la génération. C’est 
cette succession non interrompue de l’espèce avec les formes 
qui la caractérisent que nous allons essayer de rendre évi- 
dente. 

Le plan que nous comptons suivre dans cette étude n’a rien 
de compliqué. Nous chercherons d’abord à exposer comment 
la terre a pu se constituer, et comment la vie s’y est graduel- 
lement développée ; nous dirons ce que c’est que l’espèce, et 
de quelle manière on peut comprendre qu’elle soit indépen- 
dante ; nous exposerons la diversité des habitudes des êtres 
organisés des deux règnes, et plus spécialement celles des 
animaux : vie diurne et nocturne, terrestre et aquatique, lo- 
comotion, sommeil, durée de la vie, milieux d’habitation, ac- 
tion des climats, etc. Entrant dans un au‘re ordre d'idées, 
nous parlerons des instincts et des agents qui en permettent 
l’évolution, de la chaîne des êtres, de la concurrence vitale, 
de l’unité de type, de l’axiome Natura non facit saltus, Ces di- 
verses questions, élucidées, autant qu’il nous sera permis de le 
faire, nous conduiront au cœur de notre sujet, et nous aborde- 
rons les idées de M. Darwin relatives à l’origine des espèces, 
pour tracer les limites de l’action modificatrice de la sélection 
naturelle sur la nature vivante. 


— 8 — 


Nous entrons dans une carrière difficile à parcourir, mais 
quiconque cherche la vérité n’éprouve de fatigue véritable 
que si elle se dérobe à ses regards. 


I, — DÉVELOPPEMENT DES ÊTRES VIVANTS À LA SURFACE 
DE LA TERRE. 


Autant que nos connaissances en physique et en astronomie 
nous permettent d’en juger, il peut sembler logique de déci- 
der que les lois qui régissent l'univers sont les mêmes que 
celles auxquelles la terre est soumise, si bien que nous pour- 
rions, sans trop nous hasarder, conclure de la partie au tout. 
Les astres qui circulent dans l’espace, après avoir passé par 
divers états, se sont constitués en masses solides, formées, si 
nous en jugeons par les aérolithes qui visitent notre globe, 
des mêmes éléments minéralisateurs que la terre : fer, cuivre, 
étain, nickel, soufre, magnésie, silice, etc, ; du moins jusqu’à 
présent, l'analyse de ces corps déviés de leur cours n’a-t-elle 
rien présenté qui ne nous soit connu, les proportions seules 
des composants paraissent différer, 

Partout, de près ou à distance, s'exerce l'attraction, partout 
se manifeste le mouvement, La lumière, le calorique, l’élec- 
tricité, le magnétisme, agissent sur les astres les plus éloignés 
de nous, comme ils agissent sur la terre, 

Notre histoire est donc très-vraisemblablement celle du 
monde tout entier. Les phases par lesquelles nous avons 
passé, les révolutions que nous avons subies, sont les mêmes 
à travers lesquelles passent ou ont passé les astres les plus 
éloignés de nous. Ils ont une origine pareille, et, de même 
que la vapeur aqueuse devient de l’eau en se condensant, 
puis de la glace, si la température s’abaisse au-dessous de 
zéro, de même les astres, après avoir été vapeur, puis fluide, 
se solidifient en commençant par la surface, pour gagner le 
centre, et ne plus former, les siècles aidant, qu’un corps solide 
dans toute sa masse, 

Ce qui nous frappe d’abord lorsque nous contemplons cet 
admirable spectacle de l'univers, c’est que tout y est mobile. 


— 9 — 


Non-seulement les astres se déplacent, mais il s'opère en eux 
des changements dont les éphémérides du monde ont gardé 
le souvenir : modifications dans la couleur et dans l'intensité 
de la lumière, disparition subite ou graduée d’étoiles : par 
exemple, l’une des Pléiades, de sept, aujourd’hui réduite à 
six, et elle n’est pas la seule qui ait cessé de briller. On a 
été jusqu’à acquérir la certitude que des astres se sont brisés, 
lançant dans l’espace des fragments que de savants calculs 
ont fait retrouver dans les profondeurs du ciel. 

Placés à des distances plus ou moins considérables de notre 
système, lès astres ne nous transmettent la Iumière dont ils 
brillent qu'après un temps plus ou moins long, depuis celle 
du soleil qui nous arrive en huit minutes, jusqu’à celle de cer- 
taines étoiles qui ne nous parvient qu’en un grand nombre 
de siècles. Il suit de là que le soleil, lorsqu'il nous éclaire, 
n’est pas exactement à la place où il se montre à nous; plus 
les astres sont éloignés, -plus ils se sont écartés du point où ils 
paraissent être. Certains d’entre eux pourraient avoir disparu 
depuis mille ans et plus, que nous les verrions encore. Peu 
de personnes ont songé que nos yeux voient le ciel autrement 
qu'il n’est en réalité. 

Notre vue est limitée, et nous n’avons pas à nôus en plain- 
dre ; si nos yeux avaient la puissance télescopique, le ciel per- 
drait quelque chose de sa mystérieuse beauté, Les astres se 
présenteraient hérissés de montagnes, déchirés par des vol- 
cans, creusés d’abimes ; nous verrions la {erre entourée d’as- 
téroïdes qui la suivent comme les pierrailles suivent l’ava- 
lanche, et nous nous plaindrions bientôt de trop voir. 

Ce que nous découvrons, aidés de nos instruments ampli- 
fiants, suffit pour nous démontrer combien sont nombreuses 
les analogies qui unissent la terre aux autres planètes ses 
sœurs. On a constaté que plusieurs d’entre elles ont une at- 
mosphère, des pôles chargés de neiges que fait fondre la cha- 
leur des étés. On croit savoir que les bandes observées à la 
surface de Jupiter ne sont autre chose que des amas de nua- 
ges. Il n’est pas même jusqu’au soleil qui ne change d’aspect, 
et même dans un temps assez court. 

Si nous connaissions aussi bien les planètes et les astres que 


nous connaissons la terre, il nous serait facile de reconnaître 
que la stabilité n’est nulle part. En ce qui nous concerne, 
combien nos annales, si longtemps incertaines, et qui datent 
d'un jour, n’ont-elles pas constaté de changements ! Que de 
montagnes écroulées, de continents modifiés, de rivages 
abandonnés par les mers! que de volcans éteints et de volcans 
rallumés, de sources taries, de fleuves détournés de leurs cours ! 
Or, qui pourrait soutenir que ces changements sont propres 
à la terre et qu’ils ne s’étendent pas à l'univers to t entier. 
Non-seulement le mouvement entraine la masse, mais la 
masse elle-même est soumise, durant un temps variable en 
raison du volume et sans doute aussi d’après la nature des mi- 
néraux qui la composent, à un mouvement moléculaire consi- 
dérable. 11 agit sur la forme qu’il modifie, sur la température 
qu’il abaisse. C’est une sorte d'activité, une vie chimique et 
physique qui prélude par des actions et des réactions sans 


nombre à un repos dont le terme est inconnu. 


» 


Tant que cette activité dure, on pourrait dire que les astres 
vivent. C’est pour eux comme une manière d’être. Si elle 
s'arrête, ils perdent leur dignité et deviennent impropres au 


‘développement de la nature organique. Comme la lune, ils ne 


roulent plus alors dans l’espace qu’un corps éclairé d’une lu- 
mière d'emprunt; emportés par le mouvement général, le 
mouvement n’est plus en eux : ils ressemblent à ces rochers 
nus que la terre entraine avec elle et qui la chargent d’un 
poids inutile. 

Quoique les astres ne vivent pas, — dans le sens ordinaire 
que nous attachons à ce mot, — ils ont cela de commun avec 
les êtres organisés, de passer comme eux par des phases pen- 
dant lesquelles ils se constituent et prennent une forme. 

Les éléments dont ils tirent leur origine sont dus à la ma- 
tière cosmique, qui elle-même a peut-être sa source dans la 


“matière éthérée qui remplit l’espace. 


Ces vapeurs organisatrices ont une composition très-com- 
pliquée. L’œuf des animaux renferme tous les éléments de 
l'organisation des êtres qu’il doit produire. La matière cosmi- 
que contient aussi à l’état de vapeurs, — tant l'élévation de 
la chaleur est considérable, — tous les minéraux destinés, en 


PTT 


— (4 — 


se condensant, à constituer la masse de l’astre en voie de for- 
mation. 

On peut donc dire, sortant du domaine de l'hypothèse pour 
entrer dans la réalité, qu’il est dans le ciel des astres qui 
éclosent. Ces soleils naïssants se présentent sous l’aspect de 
nébuleuses, les unes avec un seul noyau, les autres avec deux 
et même avec trois, jumeaux ou trijumeaux. Longtemps unis, 
ils se séparent pour avoir une individualité. 

Lorsque la matière cosmique s’est condensée, l’astre est à 
l'état de fusion et rayonne des flots de lumière et de calorique. 
Peu à peu il se refroidit à la surface ; la solidification gagne 
le centre, et l’œuvre, autant qu’il nous est permis d’en juger, 
semble terminée. 

Par cela même que les soleils brillent, ils doivent s’éteindre, 
puisqu'ils tirent d'eux-mêmes la lumière qui s’en dégage. 
C’est une simple question de temps; et qu'est-ce que le temps, 
lorsque sa durée est sans bornes? une minute, un siècle, 
mille siècles, se présentent avec la même valeur. Comment 
trouver la fraction, lorsque n'existe pas le dénominateur ? 

La création n’est pas une œuvre terminée, elle se continue 
et se continuera sans doute indéfiniment. Le monde est tou- 
jours à l’état d’enfantement. Rien ne semble terminé, rien ne 
semble devoir se terminer. Si la vie sidérale cesse en un 


point, elle se développe sur un autre. C’est comme un but 


vers lequel on tendrait toujours, quoique perpétuellement 
atteint. 

Ainsi, de même que sur la terre les êtres vivants naissent, 
meurent et se succèdent, de même verrait-on dans le ciel les 
astres se succéder pour ne plus rouler après leur constitution 
définitive que des masses inertes, impropres à permettre à leur 
surface le développement de la vie. 

Sans doute l’histoire du ciel offre et offrira toujours à notre 
esprit des énigmes indéchiffrables ; mais ce que nous en sa- 
vons, sans nous empêcher de chercher à en savoir davantage, 
peut satisfaire notre orgueil. Nous avons pu comprendre com- 
ment se formaient les astres et quelle route ils parcourent dans 
le ciel, mais qui nous dira jamais en vertu de quelles lois se 
constitue la matière cosmique ; quelle main allume les soleils 


ET pe 


et quel souffle les éteint? Comment le temps n’a pas com- 
mencé, et comment il ne doit pas finir? Comment, dans un 
espace sans bornes, circulent des astres sans nombre ? En pré- 
sence de ces infinis, l'intelligence humaine: s’humilie et la 
grandeur de Dieu se révèle. 

La fleuraison d’un astre, qu’on nous passe ce mot, est mar- 
quée par l’apparition à sa surface des êtres vivants, quelle que 
soit la forme qu’ils revêtent. Si la vie n’a pu s'y développer 
ou si elle s’y est éteinte, l'astre n’a pas vécu ou a cessé de 
vivre. 

Quoi qu’on puisse dire de l’homme, de son imperfection, de 
la courte durée de sa vie, etc., c’est pourtant en lui que ré- 
side la dignité de la terre. L'intelligence est supérieure aux 
lois qui régissent la matière, car l’une est libre et l’autre obéis- 
sante. 

Pour que les astres aient une raison d’être, il fant que la 
vie s’y développe. Il faut des créatures intelligentes qui élèvent 
leur pensée vers Dieu et qui admirent ses œuvres. N'y eût-il 
dans l'univers qu’un seul homme, il vaudrait à Jui seul plus 
que tous les mondes. 

Que sont les astres, dont le cours est réglé, à côté de 
l'homme qui agit librement? Qu'est-ce que la matière à ‘côté 
de l'intelligence; ce qui pense et ce qui ne pense pas, la 
masse qui ne voit rien et l’œil qui voit la masse? 

L'intelligence qui connaît le volume et le poids des astres, 
qui calcule à quelle distance ils sont de nous, qui détermine 
l'étendue de l'orbite qu’ils parcourent, m'étonne bien plus que 
les soleils sans nombre que nous découvrons dans les cieux. Je 
suis à peine un atome, mais cet atome a la pensée et la vo- 
lonté (4). 

Dépeuplez les mondes, et dites-moi ce que vaudra l'univers. 
Dieu remplira l’espace de sa majesté; l'esprit régnera partout, 
mais les astres pourront disparaître sans qu’il en coûte rien à 
la grandeur divine. 

S'il ne peut y avoir qu’un seul Jieu pour régir le monde, il 


” 
(1j «L'homme n’est qu'un roseau, le plus faible de tous, mais il est un roseau pen- 
gant, » (PASCAL.) 


dénhtid hs. 


D D: 


ne peut y avoir qu’une seule destinée pour tout ce qu'il crée : 
passer de l’état actif, qui est la vie, à l’état passif, qui est la mort. 

La puissance des agents auxquels la terre doit ce qu’on 
pourrait nommer sa vitalité ne saurait être limitée. La lumière 
peut avoir plus où moins d'éclat, le calorique une élévation 
plus ou moins considérable, l'électricité et le magnétisme une 
intensité plus ou moins grande, sans pour cela cesser d’être le 
calorique, l'électricité ou le magnétisme, avec des propriétés 
semblables et une seule manière d’agir. 

Les résultats que les études scientifiques nous ont fait obte- 
nir sont immenses, et l’un des plus récents et des plus consi- 
dérables est la découverte de moyens physiques à l’aide des- 
quels on a pu déterminer la nature chimique du soleil et celle 
de plusieurs de ses satellites. C’est avoir beaucoup obtenu, et 
ce n’est pas là le dernier mot de la science. Cependant l’intel- 
ligence a ses bornes, et plus il semble qu’on soit près de les 
atteindre, plus elles semblent s'éloigner. Comment comprendre 
que la matière éthérée, si prodigieusement diffuse, puisse 
contenir à l’état gazeux les minéraux les plus réfractaires à 
l’action du feu de nos laboratoires? Et cette matière destinée à 
constituer la masse solide des astres, d’où provient-elle? en 
vertu de quelles lois se fractionne-t-elle pour émailler le ciel 
de ces millions de corps à peine accessibles à la vue aidée de 
télescopes? Ces impossibilités d'explication pour des phéno- 
mènes dont les effets sont évidents conduit nécessairement à 
admettre l’action toute-puissante d’un Dieu créateur. 

Mais cet être suprème, quel est-il? Il faudrait, pour répondre 
à cette question, comprendre l’espace sans limites et le temps 
sans terme, ce qui n’a pas commencé, ce qui ne devra jamais 
finir. 

Ne nous étonnons pas de voir les anciens confondre les 
œuvres de la création avec Dieu lui-même. Essayer de définir 
ce qui est indéfinissable conduit nécessairement à l'erreur. 
Quelle idée juste pourrions-nous avoir d’un être éternel dans 
le temps et dans l’espace, nous à qui l’espace et le temps ont 
été si étroitement mesurés? N'ayant aucun de ses attributs, 
comment espérer d’en deviner l'essence, lui prêter une forme 
et le personnifier? 


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Le nom de Créateur lui convient sans doute ; cependant, s’il 
opère pour la vie, il opère aussi pour la mort. Tout ce qu'il 
produit est destiné à n’avoir qu'une durée éphémère, et les 
parts faites à la vie et à la mort sont absolument égales. Pour- 
quoi produire sans cesse pour détruire? Dans quel but? Pour- 
quoi cette révolution perpétuelle de plantes dévorées par les 
animaux et d'animaux qui s’entre-dévorent? Pourquoi, en les 
créant, avoir mis la mort à côté de la vie, la douleur à côté de 
la jouissance? Pourquoi les éléments font-ils une guerre inces- 
sante à la nature vivante, et pourquoi faire acheter si cher le 
droit de vivre? L'homme est entouré de mystères, et ce qu’il 
ne comprend pas, il le blâme. 

La vie telle qu’elle se manifeste sur la terre ne pouvait avoir 
qu’une durée temporaire. Ce qui fait vivre doit nécessaire- 
ment faire mourir. Les organes, pour donner l'accroissement 
et la sensibilité, devaient avoir et ils ont en effet une délica- 
tesse extrême. Chez les animaux, ce que perd le système ner- 
veux pendant la veille, le sommeil le leur rend, jusqu’à ce 
que l’époque de la déchéance arrive. Alors la perte l’em- 
porte sur le gain, le corps dépérit, et la mort arrive. Mais si 
l'individu meurt, la vie est transmise à la race, et elle se per- 
pétue d’une manière qui, pour nous, peut paraître indéfinie. 
Il semble que la vie qui donne le mouvement ne peut pas plus 
s'arrêter que le mouvement des astres à travers les cieux. 

Il n’était pas possible que les êtres organiques pussent vivre 
toujours. S'il en eût été ainsi, on ne saurait comprendre ce qui 
serait advenu. Pour éviter l’encombrement, il fallait que la 
mort intervint, ou que la création s’arrêtât après avoir enlevé 

aux plantes et aux animaux la faculté de se reproduire. Toutes 
les lois auxquelles la nature vivante est soumise auraient été 
changées, et la terre serait autre chose que la terre d’à pré- 
sent. Les corps planétaires se trouvent dans des conditions dif- 
férentes; l’espace, étant infini, peut recevoir indéfiniment de 
nouveaux hôtes. S'ils changent d’état, ils n’en conservent pas 
moins leur place. Pourtant, comme aux êtres organisés, la vie 
leur échappe. Devenus obscurs et glacés, ils ont le sort de 
ces ossements fossilifiés, qui témoignent de la vie, mais qui sont 
à tout jamais condamnés à l’inertie. 


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Si nous songeons qu’une intelligence suprême a présidé sur 


‘la terre à l'évolution des êtres, pourquoi ne pas reconnaître 


que cette intelligence a dù se réfléchir sur une créature douée 
de qualités refusées à toutes les autres; or, cette créature 
privilégiée, quelle sera-t-elle, sinon l’homme? Les animaux 
n’ont d'intelligence que celle qui les aide à remplir leurs des- 
tinées et surtout à se conserver; l’espèce humaine, au con- 
traire, étend la sienne par delà ses besoins matériels. On peut 
dire avec une apparence de vérité, que la formation de la terre 
n’est qu’un moyen, la création des animaux qu’une ébauche, 
et que l'apparition de l’homme pouvait seule compléter 
l’œuvre. Seul, en effet, il se met en communication avec la 
nature; il l’étudie, il la comprend ; sans lui la terre n’aurait 
pas même un nom, et Dieu serait pour elle comme s’il n’exis- 
tait pas. Pour qui alors eussent été créées tant de merveilles? 
qui les eût admirées? Les animaux jouissent de tout sans rien 
voir et sans rien comprendre ; à l’homme le privilége exclusif 
de tout voir, sinon de tout comprendre. Ce n’est pas pour nous 
uniquement que le soleil éclaire la nature, que les étoiles 
brillent d’un si vif éclat dans les cieux, que les plantes revêtent 
mille formes, que les oiseaux et les insectes sont si richement 
habillés; mais, parmi les êtres sans nombre qui couvrent la 
terre, nous sommes du moins les seuls qui jouissions des har- 
monies de la nature, tandis que, pour tout le reste des ani- 
maux, la création est une œuvre morte. 


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La présence des êtres vivants à la surface de la terre ne 
pouvant trouver d’explication dans les lois qui régissent Ja 
physique du globe, telles du moins qu’elles nous sont aujour- 
d’hui connues, doit être regardée comme un fait en dehors de 
toute explication. Pourtant, quoique le résultat seul soit évi- 
dent, il est possible de l’apprécier dans la succession des phases 
qui l’ont produit et préparé. 

Nous voyons durer indéfiniment les espèces; nées d’un 


4 


germe, elles portent en elles des germes pareils à celui 


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dont elles tirent leur origine ; c’est une évolution sans terme, 
destinée à continuer la création. Les organes qui la perpé- 
tuent sont conhus; on sait comment ils agissent et dans quel 
but ils fonctionnent. Or, ce qui se passe incessamment sous 
nos yeux s’est passé sous les yeux de nos pères et se passera 
sous les yeux de’ nos fils; @ependant, comme il est surabon- 
damment prouvé que les êtres actuellement vivants n’ont pas 
toujours vécu, on se demande, en remontant le cours des ans 
par la pensée, comment aurait pu se former le premier moule 
de chaque créature vivante? 

A quiconqgne se pose unc pareille question, il est bientôt 
prouvé qu’elle est insoluble par les seules lumières de la rai- 
son; en effet, que l’on fasse intervenir le sec et l’humide, le 
froid et le chaud; que l’on augmente ou que l’on diminue 
l'intensité des agents impondérables, que l’on invoque tour à 
tour la puissance de l'électricité ou celle du galvanisme, il 
sera toujours également impossible d'élever aucune hypothèse 
raisonnable pour expliquer la création et dévoiler ses mys- 
tères. ke 

Ce que l’on sait de plus positif, c’est que les premiers êtres 
créés se sont trouvés en rapport avec un air atmosphérique (1) 
analogue à l’air que nous respirons et que les milieux étaient 
sensiblement les mêmes. 

Quoique la vie s'appuie sur la matière, et que, jusqu’à cer- 
tain point, elle en dépende, d’autres lois la régissent, et ces 
lois nous les ignorons. Nous savons pourquoi l’on meurt, et 
nous ne saurions dire comment l’on vit. Rien n’est plus mani- 
feste dans ses effets que la vie, et rien n’est moins connu dans 
son essence; elle est immatérielle de sa nature; on peut l’é- 
teindre et non la saisir. C'ést une force qui maintient unies 
les molécules inorganiques aussi longtemps qu’elle peut les 
dominer ; différente de V'attraction, elle agit cependant comme 
elle, mais d’une manière toujours temporaire. 

Entourés d’êtres vivants, vivants nous-mêmes, nous ne sa- 
vons donc rien de la vie; seulement, nous pouvons décider 


(1) On a émis l'hypothèse qu'il y avait seulement dans l'air une proportion plus 


, - grande de gaz carbonique et d'azote, laquelle, si elle existait encore, n'aurait aucune 


influence sur la vie organique actuelle. 


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qu’elle ne s’est manifestée sur la terre que quand celle-ci eut 
été préparée pour en permettre l’évolution, et que la création 
dut commencer d’abord par les organismes simples, ainsi 
qu’en témoignent les couches du globe. Fr 

Combien de temps dura cette faculté? Se continue-t-elle 
encore? Comment a-t-elle opéré? Existe-t-il un prototype dont 
seraient dérivés tous les êtres vivants, ou bien ont-ils été créés 
de toutes pièces? Sujets inépuisables de graves méditations qui 
laissent peu de place à des études sérieuses. 

Apprécier le nombre d’années qui nous séparent de la 
création est impossible; cette grande épopée embrasse dans sa 
durée une longue série de siècles. Les naturalistes hétérogé- 
nistes croient que l’évolution des êtres a été ascensionnelle, 
puis décroissante ; de sorte qu’elle aurait commencé par créer 
des êtres de simple structure pour s’élever jusqu'aux orga- 
nismes les plus complexes, puis, après avoir atteint ce maxi- 
mum de puissance, elle se serait ralentie dans son action, de 
manière à pouvoir encore aujourd’hui donner naissance à des 
êtres d’une très-gRande simplicité de structure. 

La création, en opérant par des actes progressifs, disent-ils, 
est dans son évolution comparable aux êtres mêmes qu’elle a 
produits et qu’elle produit encore; n’ont-ils pas tous une pé- 
riode de jeunesse, une autre de maturité et de décroissance ? 
Rien dans l'univers ne se termine brusquement, tout est gra- 
dué; si le temps agit, c’est avec lenteur et mesure; il soumet 
tout à ses lois; mais lui-même opère dans des voies qui lui 
sont tracées et dont il ne saurait s’écarter. — Quoi qu’il en 
soit de cette opinion, si ardemment controversée et qui se lie 
d’une manière si directe avec le darwinisme, on peut com- 
prendre que, d’abord faiblement active, la création ait jeté 
avec profusion dans les eaux les infusoires et les agames, com- 
mençant les uns la vie animale, les auffes la vie végétale ; que 
peu à peu, moins limitée dans son action, elle ait formé des 
êtres plus compliqués et de plus grande dimension dans la 
série animale : les polypes charnus, les actinozoaires, les 
mollusques à branchies, les poissons aux formés bizarres, les 
amphibies, les cétacés à respiration pulmonaire, quoique vivant 


au sein de la mer; enfin les vertébrés terrestres de tous les 
FÉE. 2 


PAR: 


ordres; dans la série végétale, les équisétacées, les lycopodes, 
les fougères, les palmiers, puis les plantes ligneuses et herba- 
cées du grand embranchement des dicotylés. Pour couronner 
ce grand ouvrage, il fallait un être qui püût l’admirer et s’en 
servir : l’homme fut créé, et le Très-Haut, suivant la belle 
expression du poëte, « rentra dans son repos. » 

C’est sans nul doute dans les eaux que dut commencer la 
vie. Douces ou salées, elles renferment les mêmes principes 
fondamentaux. Tous les éléments, bases des organes, s’y 
trouvent mélangés ou dissous : l'air et conséquemment l’oxy- 
gène, l’azote et l’acide carbonique, la chaux, la soude, la ma- 
gnésie, combinés à divers acides, circonstances favorables aux 
plantes et aux animaux, qui s’alimentent en même temps 
qu'ils respirent ou qu’ils absorbent. 

Les organismes aquatiques sont en général remarquables 
par leur grande simplicité; on les croirait contemporains. 
Les nombreux rapports qui les unissent permettent de consta- 
ter facilement qu’ils ont marché dans leur développement 
d’une manière parallèle. L'eau, indépendamment de l’unité 
de composition, présente cet avantage de pouvoir se laisser 
facilement pénétrer; elle donne de la souplesse aux tissus, 
cause puissante de vie; enfin, outre ses principes constituants, 
elle tient en dissolution ou en suspension des molécules très- 
propres à la nutrition. 

Les animaux terrestres sont évidemment placés dans des 
conditions moins favorables que les animaux aquatiques. La 
faculté locomotrice, pour être exercée sur le sol, veut des 
agents plus compliqués dans leurs mouvements et capables de 
résister davantage. Si le système osseux des poissons, par exem- 
ple, pouvait être souple et tenir du cartilage, celui des vertébrés 
terrestres devait, au contraire, être solide, afin d’offrir aux 
muscles un appui sans lequel le mouvement eût été impossible. 
Il faut que les animaux qui vivent dans l'air libre se déplacent 
pour remplir les actes fonctionnels de la vie. Ils marchent, ils 
grimpent, ils rampent, et ces divers modes de locomotion 
s’exercent surdes terrains plus ou moins difficiles à parcourir. 
Quoique le vol soit facile, la natation l’est encore plus. La 
nature ayant mesuré l'intelligence au nombre des fonctions 


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assignées à chaque être, place les animaux terrestres bien au- 
dessus des animaux aquatiques, et, comme elle a procédé 
graduellement, ces derniers ont dû précéder les autres. 

fl est une station intermédiaire ou mixte entre la station 
terrestre et la station aquatique : j'entends parler de la station 
paludéenne, constituée par les terrains fangeux ou maréca- 
geux. La vie ne dut s'y montrer que quand les eaux, en dé- 
layant les terrains, y eurent déposé les débris organiques des 
êtres inférieurs des deux règnes ayant vécu dans son sein. 
Cette boue, échauffée par un soleil énergique, favorisa singu- 
lièrement l’évolution des êtres vivants, et ils y prirent des 
dimensions colossales. Les grands sauriens surtout y pullu- 
lèrent, créations ambiguës, intermédiaires entre les animaux 


. terrestres et les animaux aquatiques; écailleux comme les 


poissons, pourvus de pattes comme les mammifères, cylin- 
driques comme d'immenses ophidiens, portant souvent des 
tôtes énormes sur de petits corps. Organisés pour digérer tou- 
jours sans pouvoir jamais assouvir leur voracité, ils ne trans- 
mettent dans leurs organes qu’un sang épais, incomplétement 
vivifié par la respiration. On devinerait, rien qu’à voir ces 
animaux développés dans des milieux mal définis, qui ne sont 
ni la terre ferme ni l’eau pure, qu’ils participent à cette ambi- 
guité par une organisation en quelque sorte ébauchée et des 


formes bizarres. C’est là que, dans tous les temps, les poëtes 


ont fait naître les monstres, effroi des populations, et, si leurs 
fables ont voilé la vérité, on peut du moins reconnaitre qu’elles 
consacrent le souvenir de faits réels et incontestables, transmis 
aux générations effrayées par la tradition, à défaut de l’his- 
toire. 

La nature végétale aquatique participe à la simplicité de la 
nature animale aquatique. La mer ne nourrit que des plantes 
cellulaires, sauf les ruppia et les zostera des rivages, monoco- 
tylédones très-simples de structure ; les eaux douces, où abon- 
dent les conferves et les lemna, sont riches en plantes amphi- 
bies, immergées et aquatiques quant au système souterrain, 
mais aériennes par leurs fleurs, qui veulent l'air et la lu- 
mière. Les plantes paludéennes sont presque exclusivement 
herbacées. 


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Les animaux à respiration cutanée ont vraisemblablement 
été constitués les premiers; puis seront venus les animaux à 
branchies auxquels durent succéder les animaux à trachées, et 
peut-être simultanément ceux qui, ayant des poumons, absor- 
bent et expirent en outre par la peau. Les animaux à respira- 
tion simplement cutanée sont cellulaires ou bien n’ont de vais- 
seaux, à très-peu d’exceptions près, qu'à l’état rudimentaire, 
Ils ouvrent la série animale, de même que les plantes unique- 
ment formées de cellules et privées d’organes sexuels com- 
mencent la série végétale. 

Les plantes ont dû nécessairement précéder sur la terre la 
presque totalité des animaux. Les mammifères herbivores, les 
oiseaux qui vivent aux dépens du règne végétal, certains pois- 
sons, les mollusques terrestres, les insectes et leurs larves, 
devaient être formés les premiers, tandis que les animaux 
dont la nourriture est purement animale n’ont dû naître que 
les derniers. Ainsi se seront échelonnés sur la terre les êtres or- 
ganisés : la plante pour la gazelle, la gazelle pour le lion, 
l'insecte pour l’hirondelle, la mouche pour laraignée, 
l’homme pour la nature tout entière. Roi ou tyran, que ce soit 
par droit de naissance ou par droit de conquête, l’homme oc- 
cupe le premier rang, et cette prérogative il la doit à son in 
telligence, n’étant pas, à beaucoup près physiquement, le 
mieux doté de tous les animaux, quoiqu'il soit celui de tous 
chez lequel les sens sont le mieux équilibrés. Sa main est un 
admirable instrument sans lequel chez lui l'intelligence serait 
extrêmement limitée dans ses actes; toutes les deux sont dé- 
pendantes, et s’il a l’une, c’est pour servir l’autre. La terre ne 
devait appartenir qu’à celui qui pouvait tirer parti de l’uni- 
versalité de ses produits. Les dents de l’homme, dont aucune 
re l’emporte en puissance sur l’autre, prouvent qu’il peut être 
tout à la fois, s’il le veut, carnivore, frugivore et granivore. Il 
coupe, il broie, il déchire avec une égale facilité; à lui les 
fruits charnus, les graines émulsives, les racines succulentes, 
à lui lé lait et la chair. Les qualités réparties entre tous, il les 
possède, et il a de plus une intelligence progressive qu’ils 
n’ont pas. 


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La subordination des créations est impérieuse dans ses exi- 
gences; ainsi : 
© Les herbes dûrent être créées avant les herbivores : 

Les herbivores avant les carnassiers ; 

Les singes après les arbres; 

Les fourmis avant le fourmilier ; 

Les poissons avant le phoque et la baleine ; 

Les insectes avant les insectivores, avant le caméléon, avant 


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l’araignée ; 

Les vers avant la taupe; 

Les insectes mycétobiens après les champignons ; 

L’hippobosque après le cheval; 

Les entozoaires d’entozoaires après les entozoaires ; 

Les entozoaires après.les animaux dans lesquels ils vivent ; 

Les entophytes après les plantes qu’ils envahissent ; 

Les fleurs avant les abeilles; 

Les insectes suceurs après les animaux aux dépens desquels 
ils vivent; 

Le gui après le chêne. 

Voilà ce que nous pouvons conjecturer; mais ce sont là des 
résultats. Comment ont-ils été obtenus? comment a débuté ce 
principe de vie commun à tous les êtres? comment la nature 
morte a-t-elle pu engendrer la nature vivante? Une force nou- 
velle s’est manifestée ; elle a réuni des molécules inorganiques 
et les a douées de propriétés étrangères à leur nature, et il en 
est résulté des organes chargés d’accroître l'individu et de re- 
produire l’espèce; elle a donné l'instinct, le mouvement, la 
volonté, et permis le libre exercice de l'intelligence. Cette 
force, d’où émane-t-elle? Deux opinions, — deux hypothèses, 
devrions-nous dire, — sont en présence pour expliquer le 
merveilleux phénomène de la création : l’une est d’accord 
avec la Genèse, l’autre s’en éloigne; la première admet la for- 
mation des êtres, tout d’une pièce, suivant leur espèce; la 
deuxième la suppose progressive et confiée à l’action des 
siècles. 

Faisons d’abord remarquer que ces deux systèmes ne sont en 
rien contradictoires, puisqu'ils aboutissent tous deux au surna- 
turel. Toutefois, il peut sembler que la création, qui fait au- 


tant de types que d’espèces, demande un plus grand effort 
d'action que celle qui confie au temps l'évolution lente et 
successive d’un petit nombre de types qui s'élèvent peu à peu 
en dignité, autant sous le rapport de la complication des or- 
ganes que sous celui des fonctions qui leur sont dévolues. Mais 
que la nature ait opéré avec lenteur ou avec rapidité, la diffi- 
culté d’explication est toujours la même, car, dans les deux 
cas, nous sommes en présence de la matière inerte et infé- 
conde ayant produit le mouvement et la fécondité. 

D'un côté, quoi de plus difficile que de supposer le chêne, 
le palmier, la baleine, le cachalot, l'éléphant, l'homme enfin 
sortis de la terre comme d’une matrice; et, d’un autre 
côté, comment accepter pour point de départ de la création 
un prototype unique d’où seraient dérivés tous les êtres 
à la suite de modifications sans nombre? Ne sera-t-on pas 
en droit de se demander d’où il provient et comment il a 
pu être doué de la faculté de remplir ce rôle créateur? Les 
germes qui continuent l’espèce ne renferment qu’un seul em- 
bryon, et ce germe universel les aurait contenus tous, puisque 
les êtres, malgré la différence de formes et d’aptitudes, en 
seraient dérivés. Enfin, ceci admis, par combien de métamor- 
phoses ces productions organiques des deux règnes pour parve- 
nir jusqu’à nous, n’auraient-elles pas dû passer, et cependant 
comment en expliquer une seule? De quelle manière la respi- 
ration cutanée, qui sans doute a précédé les autres, est-elle 
devenue branchiale, puis pulmonaire, puis trachéenne, chez 
des êtres qui n’étaient point faits, comme les batraciens par 
exemple, pour passer de l’une à l'autre, et, dans ce grand 
travail dont on laisse au temps toute la responsabilité, com- 
ment les organismes primitivement hermaphrodites ont-ils pu 
devenir unisexuels, se scindant, en quelque sorte, en deux 
parts. Ce dualisme, que Kant regardait comme un abime pour 
la raison humaine, n’a-t-il pas nécessité, sinon une double 
création, du moins un double effort modificateur dont les 
résultats ont été de séparer l’espèce en deux moitiés sembla- 
bles l’une à l’autre par les divers appareils qui soutiennent 
la vie individuelle et différente, quant aux organes de repro- 
duction, qui ne peuvent rien s'ils n’agissent simultanément? 


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D'où il suivrait que les animaux et les végétaux unisexuels 
seraient tous incomplets, chaque sexe ayant des parties qui 
manquent à l’autre. Que de faits inexpliqués! que d’obscuri- 
tés! que de chemins sans issue ! 


II, 


Parmi les difficultés sans nombre que soulève la grande 
question de l’apparition de la vie à la surface du globe, l’une 
des plus embarrassantes concerne le nombre des centres d’é- 
volution qu’il convient d'admettre. N’en existe-t-il qu’un seul, 
en existe-t-il plusieurs, et, dans cette dernière hypothèse, 
ont-ils été contemporains? 

Étant donné un même âge de la terre, les probabilités sont 
certainement en faveur de la pluralité des centres. Quant à 
savoir si même alors ils datent de la même époque, rien n’est 
plus incertain, la science ne nous fournissant pas assez de do- 
cuments positifs pour en décider; mais on peut dire, relative- 
ment au nombre des centres de création, dans le sens du dar- 
winisme, que, quand la terre fut devenue propre à permettre 
l’évolution de la vie, toute la surface dut jouir de cette mer- 
veilleuse prérogative. Tous les changements qu’elle a subis se 
sont toujours généralisés. La croûte terrestre s’est solidifiée 
partout en même temps; les eaux douces ou salées, ainsi que 
l'air atmosphérique, avaient de l’un à l’autre pôle une compo- 
sition et des qualités pareilles. Sans doute, certaines espèces 
devaient être, comme aujourd’hui, condamnées à la stérilité ; 
cependant il ne pouvait y avoir aucun point qui fût privilégié. 
L'opinion génésiaque peut admettre un centre unique, mais 
non le système darwinien, qui fait intervenir uniquement 
l’action des forces naturelles. Or, voici où ce système nous 
conduit et quelles sont les conséquences qui découlent de la 
pluralité des centres, à laquelle il faut bien s’arrêter. 

Plusieurs centres supposent plusieurs germes dans un même 
centre. Si la création d’un seul type est un fait inexplicable et 
en dehors des lois qui régissent la physique du globe, que 
dirons-nous de cette immensité de types qui tous auront donné 


+ 


lieu par leur naissance à autant de faits miraculeux? Croire 
que ces types, nés dans des milieux différents, auront été sem- 
blables, n’est pas possible. La terre entière aura donc été le 
théâtre de cette création à long terme qui n’aura formé les 
êtres que pour les transformer? Ainsi, tandis qu’autour de 
nous tout paraît stable, tout au contraire serait mobile et in- 
certain; le hasard régirait la nature vivante; il n’y aurait 
d’autre loi que la métamorphose, et elle ne serait soumise à 
aucune règle. Dans le système de M. Darwin, il faut conclure 
de ce qu’on ne voit pas à ce qu’on voit, tandis qu’il semble 
seulement logique de conclure de ce qu’on voit à ce qu’on ne 
saurait voir. Voilà pourquoi je ne puis accepter le darwinisme, 
tout en admirant les idées neuves et hardies sur lesquelles 
s'appuie le savant fondateur de ce système. 

Cette multitude de métamorphoses, regardées comme évi- 
dentes, sont autant de petits miracles tout aussi difficiles à 
croire au point de vue scientifique que le grand œuvre de la 
création biblique. S’il m'est impossible de comprendre com- 
ment les grands animaux et les grandes plantes ont pu arriver 
jusqu’à nous avec les formes qui les différencient, il ne me 
l'est pas moins de chercher l’origine du baobab, du cèdre, du 
palmier, de la baleine, du phoque, du singe ou même de 
l'homme, à travers les changements successifs d’un type pri- 
mordial ayant pu passer avec le temps de la simplicité la plus 
grande à la structure la plus compliquée. Disons-le, la matière 
n’a pas agi par elle seule, elle a obéi. Expliquez l’immensité 
des plantes et des animaux par dix, cent, mille, dix mille 
types; faites intervenir, pour les modifier, autant de siècles 
que vous admettrez de types, et vous ne m’aurez rendu 
compte ni de la forme, ni de la vie, ni de l'instinct, ni de l’in- 
telligence. 

M. Darwin ne se prononce pas sur la question relative au 
nombre des centres de création ; mais il pense que chaque es- 
pèce en a un qui lui est propre. Si les individus qui composent 
cette espèce occupent aujourd’hui de grands territoires, c’est 
qu'ils ont émigré. Comment, en irradiant, ont-ils pu vivre 
dans des milieux différents de ceux pour lesquels ils étaient 
faits? C’est là ce qui peut sembler extraordinaire et ce qu'il 


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aurait fallu prouver. Avant de se transformer, n’auraient-ils pas 
dû mourir? 

Si M. Darwin reconnaît un centre spécial pour l’espèce, à 
plus forte raison doit-il en admettre un pour le prototype; cela 
accepté, le voilà en dehors du vraisemblable, s’il est bien vrai, 


comme tout semble le prouver, que les qualités prolifiques de 
la terre n’ont point été localisées, mais universalisées. 


En acceptant l’hypothèse d’un type unique, comment com- 
prendre qu’il ait pu se développer? Pour se rendre compte de 
cette évolution, il faudra attribuer à ce type, père de toute la 
nature vivante, des propriétés plus ou moins comparables à 
celles dont jouissent les animaux et les plantes gemmipares. Il 
se sera successivement séparé de lui des types modifiables de 
second, de troisième, de quatrième ordre, lesquels à leur tour 
auront produit d’autres organismes, les uns et les autres tou- 
jours plus compliqués, méconnaissables à la suite d’une sorte 
de gestation multiséculaire. Ainsi variés à l'infini, quoique 
sortant de la même souche, ces types, toujours provisoires, 
auront peuplé la terre; mais la physionomie que les plantes 
lui avaient primitivement imposée n’est plus celle d’aujour- 
d’hui, comme celle d’aujourd’hui ne sera plus celle qu’elle 
revêtira dans les siècles futurs ; les animaux eux-mêmes, cha- 
cun’selon leur espèce, ne doivent garder leurs formes que 
pour un temps : tout a changé, tout change, tout ou presque 
tout changera. 


Pour mieux confirmer la variabilité des formes, on indique 
un certain nombre d’animaux arrêtés dans leur développe- 
ment ou en voie de transformation, et l’on fait voir qu’il existe 
des mammifères, des oiseaux, des reptiles, des insectes qui 
n’ont pas d’une manière complète les caractères de l’ordre 
auquel on les rattache. On les regarde comme des ébauches, 
etl’on va jusqu’à dire qu’ils sont embryonnaires : les grands 
pachydermes, les amphibies et les cétacés, l’autruche, le ca- 
soar, l’aptéryx, l’orvet, etc., seraient dans ce cas. Sans aller 
aussi loin, il est permis de décider que si, d’une part, tout ce 
qui vit aujourd’hui est dans des conditions qui suffisent à l’es- 
pèce, elles ne sont pas aussi favorables les unes que les autres, 


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et l’on décide que le temps devra leur donner ce qui leur 
manque. 

Ces sortes de lacunes ne sont pas rares. Certains animaux 
privés d’armes et de moyens de fuir sont entourés d’ennemis 
redoutables. Parmi les mammifères, l’unau, le paresseux, le 
guanuco et même l’hippopotame, seulement défendu par sa 
masse, sont dans ce cas; parmi les oiseaux, le manchot, le 
pingouin et d’autres espèces stupides, sachant à peine voler, 
et, parmi les sauriens et les batraciens, le caméléon et la sala- 
mandre. La torpeur dans laquelle tombent les grands serpents, 
quand ils digèrent, les livre sans défense aux insultes des ani- 
maux les moins redoutables. La caille, poussée par un invin- 
cible besoin de traverser les mers, tombe et meurt dans les 
flots, au-dessus desquels son aile, qui n’est pas faite pour un 
vol prolongé, ne peut la soutenir. Les lemmings, s’ils émi- 
grent, sont dévorés par les oiseaux de proie, et cependant ils 
ne font aucun effort pour fuir. Ne semble-t-il pas que, s'ils 
étaient plus agiles, ils se trouveraient, relativement à eux, 
dans de meilleures conditions ? Cepaines plantes ont des sexes 
séparés ; ne ait-il pas mieux qu’elles eussent des fleurs 
hermaphrodites? Il serait facile de multiplier ces exem- 
ples; aussi ne doutons-nous pas que certains animaux, ceux 
mêmes qui appartenaient à notre cataclysme, n’aient disparu 
par insuffisance de moyens de résistance aux causes de des- 
_truction qui les entouraient. On peut citer entre 
dronte, oiseau lourd, aux formes grossières et seuleme 
chées, incomplétement couvert de plumes, ne pouvan: 
ni courir. Il vivait à l’île Bourbon, et on l’y cherche aujour- 
d’hui vainement. 


Pense-t-on que les cornes démesurément longues qui char- 
gent la tête de certains ruminants leur soient utiles? que les 
pattes inégales du kanguroo et des gerboises remplissent aussi 
bien leur office que si elles étaient de même dimension? que 
la longueur démesurée des phalanges de l’aïe-aïe de Mada- 
gascar, la roideur du cou de la girafe, soient un avantage pour 
ces animaux? et voudrait-on méconnaître que le lion, le tigre, 
_ le loup, le renard, le cheval, ont été mieux dotés? L’exubé- 
— rance des plumes du ménure-lyre, de l’épimaque, de l'oiseau de 


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14 


paradis, de la veuve, du tyran à ventre jaune; la grosseur du 
bec du calao et du toucan, ainsi que la singulière conforma- 
tion du bec du flamant et celle du bec-en-ciseaux, ne laissent- 
ils de place qu’à l’admiration, et n'est-il pas possible de décider 
que les rapaces et les passereaux ont été plus généreusement 
traités? 

Si des oiseaux nous passons aux reptiles, que penser de l'or- 
vet fragile comme le verre, du tridactyle, de l’amphiuma, du 
chalcide, du chirote et de la sirène, avec leurs pattes rudimen- 
taires? La disproportion des mandibules dans le machæra, la 
situation des yeux de l’uranoscope, la forme bizarre du corps, 
des raies, sont-elles un bien, et soutiendra-t-on que la carpe, 
l’esturgeon, le brochet ou le saumon n’ont pas été placés dans 


‘des conditions meilleures? I1 y a plus, le rapprochement'des 


sexes qui régit la durée de l'espèce, ne présente-t-il pas des 
difficultés évidentes? La direction du pénis, les papilles dont 
il est parfois couvert, la férocité des femelles dans les ara- 
chnides, la consistance solide du pollen dansles orchidées, tout 
cela est-il avantageux? Sans doute, ces défauts d'harmonie ne 
sont pas des obstacles insurmontables, puisque nous voyons se 
reprodüire les êtres chez lesquels on les observe ; cependant 
ils permettent de croire que certaines espèces encore plus mal 
dotées ont dû cesser de vivre, incapables de résister aux causes 
de destruction qui étaient en elles ou autour d’elles, et nous 


5 en avons trouvé dans le dronte un exemple presque contem- 


porain. 

L'homme lui-même, avec sa peau nue, exposé aux injures 
de l'air, privé d'armes naturelles, ne sachant ni courir, ni 
nager, ni grimper, n’a-t-il rien à désirer? 

Cette inégale répartition des avantages physiques capables 
d’assurer le maintien de l’espèce dispose à penser que la na- 
ture, alors qu’elle exerçait sa puissance créatrice dans toute sa 
plénitude, a jeté à profusion sur le sol et dans les eaux des 
productions étranges qui n’étaient pas dans des conditions suf- 
fisamment favorables pour se perpétuer, celles-ci désarmées 
en présence d’ennemis redoutables, celles-là gigantesques et 
voraces, condamnées à périr d’inanition: Peu à peu ces . 
monstres ont disparu; ce qui pouvait durer a vécu et vit en- 


ua. ÉD ous, 


core. Une sorte d'épuration s’est opérée, et c’est là ce qui ex. ! 
plique comment on voit certaines espèces d'animaux n'avoir 
juste dans leur organisation que ce qu’il faut pour résister aux 
causes défavorables qui sont en elles; elles vivent, mais lewr 
existence est précaire et constamment menacée. 

Des compensations, qui pourtant ne donnent pas à tous les 4 
êtres une complète égalité dans les avantages, ont été accor- &. 
dées. Ainsi, plus les cornes sont volumineuses, plus aussi elles 
ont de légèreté. Pourtant, si la nature a diminué l’inconvé. © 
nient du poids, elle a laissé le volume toujours gênant. La M 
queue du kanguroo, grosse et roide, permet à l’animal de res. 
ter indéfiniment accroupi; elle lui sert dans le saut, et, 
comme les bonds se succèdent avec une extrême rapidité, ils 
équivalent à la course la plus accélérée. Mais cet animal n’en # 
est pas moins hétéroclite ou anomal; la disproportion des “ 
membres antérieurs et postérieurs est disharmonique et en " 
dehors du plan du squelette : c’est une monstruosité. Quoique 
le bec énorme du calao rhinocéros et celui des toucans soient $ 
creusés de larges sinus destinés à en diminuer le poids, ils M 
n’en sont pas moins un embarras pour ces oiseaux, obligés de 
renverser la tête sur le dos pour trouver le sommeil. La 
marche et le vol, si faciles d'ordinaire, en sont entravés. Les 
oiseaux des tropiques, chargés de plumes trop abondantes, 
laissent aux vents une si large prise, qu’ils ne peuvent diriger 
leurs mouvements; jetés contre les arbres et contre les ro- 
chers, ils sont écrasés par le choc. Le caméléon, le plus lent « 
peut-être, dans ses mouvements, de tous les vertébrés, lance 
avec la rapidité d’un projectile sa langue gluante sur les in- 
sectes qui sont à sa portée. Cet avantage ne le met pas à l'abri 
de diètes prolongées qui le feraient mourir si les besoins de 
son estomac étaient plus impérieux. 

Au reste, ces imperfections sont si peu de chose pour qui 
étend ses observations à l’ensemble des choses créées, qu’elles 
peuvent être comptées pour rien : elles se bornent à de sim- 
ples arrêts de développement et à l’hypertrophie des produc- 
tions épidermoïdes qui couvrent le corps de la plupart des 
animaux. Nous les avons signalées pour constater que l’impul- 
sion créatrice a pu dépasser le but, ou bien ne pas l’atteindre 


| 


DR PONNNIRS 


PART. A” 


complétement, et nous n’en parlons que pour indiquer com- 
ment le règne organique a pu subir une sorte de sélection 
naturelle sans qu’il soit besoin d’invoquer le secours du darwi- 


nisme. 


LIL. — MILIEUX D'HABITATION DES ÊTRES VIVANTS. 
I. 


Les plantes et les animaux dépendent de la terre, qui four- 
nit les éléments inorganiques sur lesquels s’appuie la vie : 
chaux, silice, magnésie, alumine, soufre, phosphore, fer, 
manganèse, etc. C’est d’elle et de l'air que nous tirons les ma- 
tériaux qui servent à notre accroissement, ainsi que les ali 
ments qui nous nourrissent. Nous sommes, en quelque sorte 
les parasites de la terre, comme les ténias, les bothriocéphales, 
les ascarides sont les nôtres. 

Il est facile de voir que la terre et ses annexes ont été dis- 
posées pour permettre l’évolution de la vie. L’harmonie qui 
existe entre les êtres organisés et le milieu où ils vivent est 
parfaite. Qu'elle s’interrompe en un seul point, et ils devront 
disparaître. Pour qu’ils pussent se perpétuer, il fallait que Vair 
ambiant convint à tous ; que cet air pénétrât le sol et qu’il vint 
se mêler aux couches superficielles des eaux douces ou salées. 
Il fallait que la lumière fût ce qu’elle est : trop diffuse, les vé- 
gétaux se fussent étiolés ; trop vive, ils auraient été surexcités. 
Ïl fallait des alternatives de pluie et de sécheresse; des terrains 
humides et des terrains secs: une salure médiocre de l’eau des 
mers; un sol composé de particules faciles à pénétrer. Tout 
cela existe, et les vues providentielles peuvent facilement en 
être déduites. Si ces conditions eussent été différentes, il y au- 
rait une autre nature organique. Telle que la terre existe, elle 
se prête d’une manière merveilleuse au développement des 
êtres vivants. Qu’une lagune se forme et persiste, qu’un coin 
de terre émerge du sein des eaux, et presque aussitôt appa- 
raissent des animaux et des plantes. Ces dernières surtout sont 
envahissantes et s'emparent du sol, sans rien laisser d’inoc- 
cupé. Le sable des déserts et celui des rivages, les moindres 
anfractuosités des rochers, les troncs d’arbres jeunes ou vieux, 


7 | 


se couvrent de plantes, et il suffit du moindre espace laissé 
libre pour qu’elles puissent prospérer. 

Lorsque la végétation des plantes ligneuses vient à cesser 
sur les hautes montagnes, la végétation des herbes continue. 
Si, par delà la limite des neiges éternelles, un roc coupé à pic 
laisse à nu ses pans perpendiculaires, les lichens et les mousses 
s’y établissent et de petites plantes viennent y fleurir. Si le 
sommet du Mont-Blanc pouvait se dénuder, il se couvrirait de 
verdure. 

Mais tous les lieux ne conviennent ni à toutes les plantes, ni à 
tous les animaux. A chacun son habitation, à chacun son cli- 
mat, à chacun le milieu hors duquel il ne saurait vivre. 

La terre a trois océans : un central, le feu; un extérieur, la 
mer; un aérien, l'air. La densité de ces océans diminue du 
centre à la circonférence, atmosphère comprise. Tous ont 
leurs tempêtes : l’océan de feu ne se révèle à nous que par 
des désastres, et il communique avec le sol par la bouche des 
volcans; l’océan des eaux s’émeut de la violence des vents, et 
plus grands sont les troubles de l'air, plus violentes sont les 
tempêtes qui agitent la mer. 

Mais ces troubles momentanés profitent à la nature orga- 
nique : l’eau de la mer et celle des lacs se saturent d'air, et les 
animaux à branchies, ceux mêmes qui vivent à de grandes 
profondeurs, respirent plus aisément. Les rivières dont le 
cours est rapide et qui descendent des montagnes s’aèrent aussi 
dans leur trajet avant d’arriver dans la plaine, et l’eau ac- 
quiert des qualités vivifiantes qu’elle n’aurait pas sans cela. 
Enfin les vents, s'ils soufflent sans trop de violence, renou- 
vellent les couches inférieures de l’atmosphère, la purifient et 
activent la nutrition des plantes en favorisant la transpiration, 
qui appelle des racines vers les feuilles de nouveaux sucs nour- 
riciers. 

Quoique d’ordinaire les plantes et les animaux soient divi- 
sés en aquatiques et en terrestres, tous sont aériens, puisqu'il 
faut, comme condition essentielle de la vie, que l’air inter- 
vienne, soit directement, soit à l’état de mélange avec l’eau. 

L’air a partout la même composition ; il semblerait donc au 
premier abord que les animaux et les plantes pourraient vivre 


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également bien sous toutes les latitudes et dans tous les lieux 
possibles. Il n’en est rien : les plaines, suivant la nature miné- 
ralogique des terrains et l’abondance des eaux, dont l’écoule- 
ment est plus ou moins rapide, s’émaillent de plantes diffé- 
rentes et nourrissent des animaux spéciaux. Les prés, les bois, 
les forêts, les marais, les terrains calcaires ou siliceux, ont 
leurs hôtes, confinés dans des stations particulières, leur pa- 
trie, à l'exclusion de toute autre. 

On sait que les montagnes sont partagées en zones caracté- 
risées par des climats de plus en plus froids quand on se rap- 
proche davantage des sommets. Une nature toute spéciale 
frappe les yeux, et, pour la caractériser, on dit qu’elle est al- 
pine. Quelques plantes et quelques animaux appartiennent 
tout à la fois à la montagne et à la plaine; mais c’est une ex- 
ception, l’accès des terrains inférieurs étant d'ordinaire inter- 
dit au plus grand nombre. La différence de composition qui 
existe entre les eaux douces et les eaux salées suffit pour faire 
à chacun d’eux un monde organique absolument différent dans 
les formes, la manière de vivre et la composition chimique. 
Qu'un lac soit aussi grand ou même plus grand qu’une Cas- 
pienne, et il ne produira ni fucus iodifères, ni madrépores aux 
formes étranges, ni polypes aux longs bras, ni ces robustes 
crustacés, hôtes exclusifs des mers. Ces productions consti- 
tuent, sinon un autre règne, du moins une nature l’une à 
l’autre étrangère. 

L’eau douce même, suivant qu’elle est torrentueuse ou pai- 
sible, ne nourrit plus les mêmes animaux et ne pare plus ses 
rives des mêmes plantes. 

La mer, quoiqu’elle garde le même niveau et qu’elle ait 
partout la même composition, est diversement peuplée, suivant 
la différence des latitudes. Ce n’est pas tout : les couches su- 
perficielles et les couches profondes ne sont pas habitées par 
les mêmes êtres. Le fond de l’eau est le lieu de prédilection 
des organismes qui n’ont besoin que de très-peu d’air et de 
très-peu de lumière : telssont les poissons serpentiformes, qui 
trouvent leur nourriture dans la vase des bas-fonds ; plus haut 
stationnent les poissons, qui, pour chasser, ont besoin de plus 
de lumière, et, près de la surface de l’eau, ceux qui éprou- 


vent le besoin de se mettre le plus complétement qu'ils le 
peuvent en rapport avec l'atmosphère. Les premiers pour- 
raient être assimilés aux animaux de plaine, les autres aux 
animaux de montagne, et ces populations, quoique de même 
organisation, vivent absolument isolées les unes des autres. 

Ainsi, pour séparer les animaux et les plantes, interviennent 
la différence des terrains, la composition des eaux, l'altitude 
des montagnes; ce n’est pas tout, à ces causes si puissantes 
s'ajoute encore l'influence des climats et celle des latitudes. 

Les organismes des deux règnes ne peuvent pas tous sup- 
porter les basses températures, lors même que dans l'été la 
chaleur s’élèverait d’une manière considérable. Le terme de la 
congélation est, pour beaucoup de plantes et d’animaux, le 
terme de la vie, et d’une manière d’autant plus certaine, que 
le froid est plus intense. De là cette désignation de climats 
chauds et de climats froids. Lorsque le thermomètre ne des- 
cend jamais au-dessous de zéro, que la lumière et les ténè-. 
bres sont également réparties, la vie animale et végétale 
n’éprouve aucune interruption sensible. Si à cette tempéra- 
ture, constamment modérée, vient s’ajouter un agent de plus, 
l’eau à l’état de vapeur, les plantes et les animaux seront dans 
l’état le plus prospère et pourront acquérir des dimensions 
colossales. Là vivront les bombax, les baobabs, les éléphants 
et les rhinocéros. Les herbes disparaïtront pour ne laisser de 
place qu’aux arbres, sur le tronc desquels elles seront forcées 
de s'établir, faute mieux. 

Dans ces parties privilégiées de la terre, l'équateur et les 
tropiques, les faunes et les flores pourront s’enrichir de pro- 
ductions charmantes qui allient à l’extrême délicatesse des 
formes une durée que n’abrége point le froid des hivers. 
Tandis que dans la zone tempérée cette durée ne sera le par- 
tage que des créations robustes, tout ce que la nature pro- 
duira de plantes ou d’animaux délicats ne pourra résister au 
froid de l’hiver. 

L'influence des climats est si marquée, qu’en France, pays 
d’une étendue relativement médiocre, on a dû reconnaître 
deux régions : l’une septentrionale, l’autre méridionale : les 
chênes et les oliviers. ” 


— 33 — 


indépendamment des causes appréciables qui séparent les 
plantes et les animaux, suivant leurs stations et leurs habita- 
tions, il en est d’autres dont la puissance est invincible, et qui 
sont inconnues. 

Admettons, ce qui arrive en effet, que R arbres de deux 
pays croissent dans des conditions en apparence absolument 

areilles, même altitude, même température, même terrain, 
même état hygrométrique de l'air, et l’on verra que l’acclima- 
tation réciproque de ces arbres, exilés du sol natal, ne sera 
pas toujours possible lorsque ces pays seront séparés par de 
très-grandes distances. Il semble que peu après avoir com- 
mencé à se développer, la terre leur parle un langage inconnu, 
auquel ils ne sauraient s’habituer, et l’on pourrait croire qu’ils 
sont frappés de nostalgie. Ce que je dis des arbres s’entend 
surtout des animaux. 

Ainsi, dans un même pays, les animaux et les plantes sont 
-parqués dans certains lieux dont ils ne peuvent s’écarter: c’est 
un sol natal ; s’ils sont là, c’est qu’ils ne sauraient être ailleurs. 
Faut-il croire que primitivement ces êtres, particulièrement 
les plantes, pouvaient vivre également partout, et que la 
nature des terrains les ayant influencés, ils se seraient en 
quelque sorte appropriés au lieu où le hasard les aurait jetés 
pour devenir ensuite impuissants à vivre ailleurs. Mais alors ne 
peut-on pas se demander comment ils ont pu d’abord y vivre, 
puisqu'ils n’y étaient pas façonnés, et comment aujourd’hui 
on ne voit plus se reproduire de pareils phénomènes. Habiter 
tel lieu plutôt que tel autre est une manière particulière de se 
nourrir, et rien n’est plus caractéristique. Une plante qui vit 
dans les sables ne se nourrit que de la rosée qui tombe du ciel 
et de l’air atmosphérique qu’elle absorbe ; les plantes des 
bords de la mer aiment la soude; les graminées, la silice; les 
crucifères, les terrains azotés; les champignons ne prospèrent 
que dans les endroits abrités; les bruyères, que dans les lieux 
découverts : à celles-ci une eau abondante, à celles-là seule- 
ment l’humidité de l'air. Ce sont des caractères qui, sans pou- 
voir entrer dans les descriptions, ne font pas moins partie de 
la nature intime de l’être chez lequel on les observe, et ils 
lui appartiennent au même titre que la forme. 

FÉE. 3 


me Dre A 


Nous venons de parler des stations, c’est-à-dire du lieu natal] 
des plantes et des animaux; il nous reste à parler des habita- 
tions, c’est-à-dire de la patrie. Pour bien faire comprendre la 
valeur de ces termes, il nous suffira de dire que la station des 
nymphéas est l’eau, et que l'habitation du nymphéa à fleurs 
blanches est l’Europe. | 

Lorsque les anciens reconnaissaient quatre éléments, s'ils 
ne faisaient pas preuve de science, du moins se montraient- 
ils observateurs. Sans le feu ou le calorique, sans l’eau qui 
assouplit et nourrit les organes, sans l'air qui les pénètre et 
leur cède ses principes constituants, sans la terre qui leur 
fournit les éléments matériels qui forment la masse et don- 
nent la consistance, la vie n’eût pas été possible. 

Sur toute la surface du globe, et dans les plus grandes pro- 
fondeurs des mers, ces agents de la vie exercent leur puis- 
sance, mais avec des intensités différentes, d’où résultent pour 
les productions des deux règnes des conditions qui ne sont pas 
les mêmes pour toutes; celles-ci ayant ou n’ayant pas la durée, 
celles-là ayant ou n’ayant pas la force, refusant à ceux-ci la 
beauté pour la donner à d’autres. 
= Nous ne discuterons pas ici la valeur absolue de ce mot. 
Rigoureusement parlant, la beauté est toute de convention, et 
chaque être est doué de celle qui lui est propre, sans avoir 
rien à envier à aucun autre; s’il changeait, il deviendrait autre 
chose que ce qu’il est, et ne serait plus ce qu’il doit être. Pour- 
tant les idées que nous nous sommes faites du beau et du laid 
en histoire naturelle et en esthétique font partie désormais de 
notre manière de voir et de sentir; il faut les prendre telles 
qu’elles sont admises; d’ailleurs les impressions que nos sens 
nous transmettent et que notre intelligence apprécie nous per- 
mettent d’en juger sainement, et de dire pourquoi telle chose 
nous plaît et non telle autre. 

La beauté des formes, la vivacité des couleurs, la suavité des 
parfums, la majesté du port, peuvent se produire sous toutes 


— 35 — 


jes latitudes, mais avec plus d'éclat dans certaines parties de 


Ja terre que dans d’autres. C'est là ce que nous allons exposer 


brièvement. 
La terre peut être comparée à deux montagnes unies base 


contre base. Ce point de jonction imaginaire se trouverait à 
l'équateur; les tropiques en seraient les premiers versants, 
les zones tempérées les versants supérieurs, les pôles le sommet. 
L’équateur deviendrait la plaine, et recevrait durant le jour 
l'influence d’une lumière toujours pure et d’une température 
constamment égale ; les grands cours d’eau laisseraient déga- 
ger dans l'air une humidité sans cesse renouvelée, et les froids 
y seraient inconnus : les régions tropicales jouiraient des mêmes 
avantages avec une chaleur plus vive et des eaux moins abon- 
dantes. Dans ces contrées, où l’homme n’a que faiblement 
encore exercé son industrie, qui change les climats à son pro- 
fit et au préjudice des êtres organisés dont il tire parti, très- 
souvent en les modifiant, la nature étale tout son luxe. Les 
mammifères y revêtent des poils soyeux, les oiseaux des plumes 
magnifiques ; les poissons même, qui ne reçoivent l'influence 
des agents étrangers que d’une manière indirecte, sont cou- 
verts d’écailles qui le disputent en éclat aux plus riches mé- 
taux. Les coquilles y acquièrent une délicatesse infinie; les 
insectes ressemblent à des pierres précieuses ; les papillons ont 
l’envergure des oiseaux ; les oiseaux sont des fleurs vivantes, 
les fleurs des oiseaux qui ont déployé leurs ailes. Non-seule- 
ment la nature équatoriale et tropicale donne aux êtres vivants 
des formes charmantes et de riches habits, mais elle leur 
accorde encore la force, la taille, l’agilité et la durée. Qui dira 
la prodigieuse variété de formes des plantes, l’élégance des 
lianes, la majesté des grands arbres, la beauté sans pareille 
des fleurs, leurs nuances infinies, la suavité de leurs aromes! 
Heureuse et fécende nature, dont il faudrait que l'homme se 
montrât plus digne. 

Les zones tempérées sont loin d’être deshéritées de belles 
productions, mais elles n’atteignent pas à la même magni- 
ficence. La main de l’homme, en adoucissant l’âpreté du sol 
vierge, en a changé la physionomie ; c’est une nature presque 
partout civilisée. Pourtant çà et là se montre-t-elle encore 


LA 
_ 


indépendante, mais sans pourtant jamais rivaliser avec les 
sites du nouveau monde. Dans les hautes montagnes de l’Es- 
pagne, Pyrénées et Sierra-Nevada, dans cette grande ossature 
qui forme l’épaisse chaîne qui sépare la France de l'Italie, 
dans le Tyrol et ailleurs encore, le pittoresque atteint au gran- 
diose ; les Alpes, qui couronnent leur tête de neiges éternelles 
et de glaciers, sont belles, mais d’une beauté imposante et 
terible. Le chamois les visite, et leurs versants se parent de 
jolies fleurs qui sont loin toutefois d’égaler en éclat et en 
variété lesproductions naturelles des tropiques etde l’équateur. 

En s’élevant très-haut sur les zones glaciales de l’un et de 
autre hémisphère, la nature s’appauvrit peu à peu. Quel- 
ques oiseaux ichthyophages chargés de graisse, des amphi- 
bies, l’ours polaire, le bœuf musqué, les grands cétacés qui 
cherchent un refuge au milieu des glaces, voilà les animaux ; 
plusieurs espèces de lichens et quelques petites plantes fri- 
leuses qui s’attachent à la paroi des rochers, voilà les plantes ; 
ajoutons à cette liste, pour la compléter, les Esquimaux, épars 
sur des espaces immenses qui s’étendent stériles sous un ciel 
inclément. Au sommet de ces deux pôles, que les navigateurs 
n’ont pu encore atteindre, tout est glacé, et la vie, comme sur 
la cime du Mont-Blanc, a trouvé les limites de sa puissance 
créatrice. 

Sur les hautes montagnes de l’Europe tempérée, on retrouve 
les pôles, mais nulle part dans les plaines, les tropiques ou 
Péquateur. 

La lumière et la chaleur sont distribuées à toute la terre, 
quoique très-inégalement. Il est rare que le brouillard et les 
nuages viennent voiler dans les régions équatoriales les rayons 
du soleil, tandis que la zone tempérée a ce grave inconvé- 
nient d’être nuageuse et brumeuse. Une lumière toujours pure 
excite d’une manière constamment égale la nature vivante, et 
elle peut enfanter ses plus riches trésors sans que l’excès du 
froid ou celui de l’humidité puisse y faire obstacle. Le calo- 
rique, s’il est en excès, suspend la vie; mais le froid, s’il est 
intense, l’éteint tout à fait sous son souffle glacé. Ce n’est pas 
par le degré auquel s’élève en été le thermomètre, qu’il faut 
juger des effets de la chaleur, mais bien par son plus grand 


ff 


abaissement en hiver. Il fait plus chaud en Russie pendant 
l'été qu’en France, mais il fait beaucoup plus froid en hiver; 
c’est pourquoi nous avons sur notre sol des productions refu- 
sées à la Russie. C’est ce qui arrive, et par les mêmes causes, 
pour les deux régions nord et sud de l’Espagne, de l'Italie et 
de la France. 

L’élévation au-dessus du niveau de la mer vient à son tour 
influer sur la nature vivante. La pression de l’air est moins 
forte au fur et à mesure qu’on s'élève davantage sur les mon- 
tagnes, et l'air est tout à la fois plus pur et plus froid. 

Tout ce que nous venons de dire, indique que, suivant la 
pature des climats, il doit y avoir des faunes et des flores diffé- 
rentes ; d’où résultent des manières d’être tellement particu- 
lières, que les limites de ces habitations deviennent, sauf un 
très-petit nombre de cas, absolument infranchissables. 

Les animaux transportés de l’équateur ou des tropiques dans 
notre climat s’en accommodent très-mal : il n’est pas possible 
d'y faire vivre les oiseaux-mouches; les singes y meurent 
phthisiques. Nous ne pouvons conserver les plantes vivaces et 
ligneuses du Mexique, du Cap ou de la Nouvelle-Hollande, 
qu'avec des soins infinis et une température artificielle : elles 
fleurissent souvent dans nos serres, mais n’y fructifient presque 
jamais. 

Les êtres vivants des deux règnes ont donc une patrie pour 
laquelle ils sont faits; ils ne peuvent impunément la quitter. 
Si cela arrive, c’est pour eux un exil, et l’on sait que les exilés 
ne vivent que peu de temps. 

Rien ne démontre mieux la puissance des lieux sur les 
organismes que ce qui est arrivé à quelques plantes d'Europe 
introduites dans nos colonies : si elles n’ont pas été changées 
dans leurs caractères spécifiques, elles y ont du moins acquis 
des proportions absolument différentes ; beaucoup sont deve- 
nues stériles, et leurs fruits, quand ils ont pu mûrir, ont perdu 
la saveur qui leur est propre. 

ll ne serait pas difficile d’indiquer sur le globe des centres 
de création assez bien circonscrits pour qu’on puisse les 
reconnaître, sinon sur les frontières, du moins au centre. 
Quelques naturalistes en ont compté jusqu’à vingt-quatre; 


er. 
nous ne savons pas si ce nombre est rigoureux. Cependant il 
est bien vrai que la Nouvelle-Hollande, où vit l’Australien; le 
cap de Bonne-Espérance, patrie du Hottentot; l’est des mon- 
tagnes Rocheuses, qu’habite l’Aztèque ou Mexicain ; les bords 
du Mississippi et du fleuve Saint-Laurent, où sont établis les 
Peaux rouges; le Brésil, l’Inde gangétique et quelques autres 
contrées, ont des faunes et des flores spéciales. Doit-on admettre 
que dans ces centres, et dans d’autres que nous pourrions indi- 
quer, les types, partout modifiés, proviennent les uns des autres 
par sélection naturelle? Nous ne le pensons pas. Quels qu’aient 
été les grands changements qui se sont opérés sur la terre, il 
y à toujours eu un équateur et des pôles, des climats chauds 
et des climats froids, et pour les êtres vivants des aptitudes qui 
leur ont rendu possible ou impossible de vivre ou de ne pas 
vivre dans tels ou tels lieux. Les ossements fossiles qui gisent à 
Montmartre et ailleurs appartiennent à des animaux qui ne 
pourraient aujourd’hui vivre en France, et les fougères qui 
ont laissé leurs empreintes sur les schistes houillers de Valen- 
ciennes ou de Mons demanderaient, pour se développer, un 
tout autre climat que celui du nord de la France ou du sud de 
la Belgique. 

L'influence des climats est si grande à nos yeux, qu’il pour- 
rait suffire du déplacement des pôles pour faire périr, sans 
autre cause, les êtres vivants qui auraient à supporter cette 
transition, sauf peut-être quelques exceptions qui appartien- 
draient plutôt à la vie aquatique qu’à la vie terrestre. 

Admettons, avec quelques auteurs modernes, qu’il n’y ait eu 
que des changements lents, s’opérant pendant une très-longue 
suite de siècles, sans secousses, abandonnant le règne orga- 
nique à ses propres forces, plantes et animaux pouvant vivre 
sous toutes les latitudes et dans tous les terrains, et l’on se 
demandera comment ils ont pu perdre cette prérogative pour 
occuper des cases distinctes sur cet immense échiquier. Est-ce 
une épuration qui n’aurait laissé dans les pays froids que ceux 
qui étaient assez robustes pour y vivre? Mais comment cette 
épuration eût-elle pu s’opérer, puisqu'ils y étaient nés et qu'ils 
s’y étaient, pendant un temps du moins, reproduits? En ad- 
mettant cette extinction par cause de froid, ne faudrait-il pas 


RER RS 


retrouver dans les pays chauds tous les animaux des pays 
froids, la chaleur favorisant la vie au lieu d’en abréger la 
durée ? 

Pour sortir de ces difficultés insurmontables et rester, sinon 
dans le vrai, du moins dans le possible, il faut admettre que 
les plantes et les animaux ont été créés pour le lieu où nous 
les voyons vivre aujourd’hui. 

Les plantes des montagnes y resteront toujours, celles de la 
plaine ne les escaladeront pas. Le moineaudes neiges (Fringilla 
nivalis) ne viendra jamais nicher dans nos villes; le nénuphar 
jaune ne quittera pas l’eau pour le sable, ni la truite des ruis- 
seaux pour les grands fleuves. Nous ne verrons point en Eu- 
rope les colibris voltiger sur nos fleurs, ni notre chardonneret 
s'attaquer aux immortelles du cap de Bonne-Espérance; le 
tronc de nos arbres ne se revêtira jamais d’orchidées ni de 
broméliacées, non plus que les baobabs africains de lierre et 
de chèvrefeuille. 

En voyant les plantes et les animaux complétement séparés 
par la qualité des terrains, la nature des eaux, l'élévation des 
montagnes au-dessus des mers, la différence des climats, on 
doit croire que la sélection n’a pas pu produire des aptitudes 
si diverses, et que d’autres causes plus puissantes ont dû inter- 
venir. C’est là ce qu’il conviendra d’examiner bientôt. 


IV.— PERMANENCE DES FORMES SPÉCIFIQUES DANS L'ORDRE NATUREL. 


$ 1. — De l'espèce. 


L'espèce est une réunion d'individus ayant une origine com- 
mune, destinés à produire des êtres qui leur ressembleront, 
comme ils ressemblent à leurs parents, et toujours ainsi pen- 
dant une durée de temps dont le terme peut nous paraître in- 
connu. C’est le présent ayant derrière lui le passé et devant 
lui l'avenir. 

Si nous disons que les individus d’une même espèce se res- 
semblent, cela ne veut pas dire qu’ils ne soient séparés les 
uns des autres par des nuances; mais ces modifications légères 
n’altèrent pas d’une manière sensible le type spécifique. 

La nature organique est essentiellement conservatrice; ce- 


PS 


pendant elle ne procède pas en faisant des calques. Si elle tient 
peu de compte de la taille, du poids, de la force ; si elle peut 
varier le réseau vasculaire des organes foliacés, la dimension 
des feuilles, ainsi que le nombre des fleurs; si elle peut don- 
ner aux animaux des poils plus ou moins abondants, des 
cornes plus ou moins longues, etc., elle maintient chez les 
plantes la forme générale de la fleur, la situation des étamines, 
la direction de l’embryon, et chez les animaux la durée de la 
gestation, le mode de nutrition, en un mot, les tendances ha- 
bituelles de la vie. Cette loi de permanence se retrouve jusque 
dans le règne .inorganique : les sels forment des cristaux qui, 
tout en différant de dimensions, conservent les formes géo- 
métriques propres à chacun d’eux; c’est là leur spécificité. Le 
dimorphisme lui-même est réglé, puisqu'il résulte de circon- 
stances invariables et connues. 

L’individu étant une création destinée à vivre isolément, à 
agir pour son compte, à mourir à ses heures, à avoir une exis- 
tence indépendante, en un mot, constituant une personnalité, 
ne devait pas être rigoureusement moulé sur ses congénères, 
quoiqu'il dût leur ressembler par le fonctionnement des 
organes importants. 

Sous le rapport de la structure extérieure, les individus 
d’une même espèce font osciller la forme typique, et lui font 
subir des écarts qui peuvent être représentés par un angle 
dont cependant l'ouverture est déterminée; de ces nuances de 
forme résulte la physionomie générale de l'espèce, toujours 
distincte et parfaitement reconnaissable. C’est encore, si l’on 
veut, un pendule toujours mû par la même force, qui s’écarte 
de la perpendiculaire pour y revenir et s’en écarter de nou- 
veau. Si ces nuances n’existaient pas, si certains individus 
n'étaient pas doués de qualités qui n’existent pas chez d’autres, 
la sélection artificielle, dont nous reconnaissons la puissance, 
ne serait pas possible. 

C’est dans ces différences que consiste ce que nous pourrions 
nommer la variété individuelle, qui n’agit en aucune manière 
sur les types, et qui ne saurait ni les altérer, ni moins encore 
les remplacer. L'espèce, dans les individus qui la composent, 
peut être comparée à une nation constituée d'hommes dont 


I PE 


aus CR ns 


aucun ne ressemble absolument aux autres; les générations, 
en se succédant, reproduisent les mêmes nuances individuelles, 
et la physionomie nationale se conserve sans rien perdre du 
caractère qui la distingue. 

Mais il arrive, quoique bien rarement, que le type spécifique 
produit des individus qui s’en écartent d’une manière plus 
considérable, et qui peuvent continuer par des générations 
successives les modifications qu’ils ont reçues. On a alors, non 
plus la variété individuelle, mais la variété spécifique ou la race. 
Lorsque le changement s'opère chez les plantes, il peut s’expli- 
quer par le terrain qui s’est modifié, par le climat qui a 
changé, par l’air qui n’est plus dans les mêmes conditions 
hygrométriques ; s’il a lieu chez les animaux, il a pour causes, 
entre autres, une perturbation dans les habitudes de la vie, 
un éloignement volontaire des lieux où l’espèce s’était can- 
tonnée de temps immémorial, un changement forcé dans le 
régime habituel, etc. L’hybridité a pu même jouer un rôle et 
créer des métis indéfiniment féconds, et cependant, même 
alors, comme cette déviation aux lois générales n’a lieu 
qu'entre des espèces très-voisines, les produits qui en résultent 
font toujours reconnaître le type producteur originel. 

Il est parmi les plantes et les animaux des espèces plus mo- 
difiables les unes que les autres. Les genres Cenomyce, Hieracium, 
Viola, Rubus, Rosa, parmi les végétaux; les genres Chien et 
Pigeon parmi les animaux, en fournissent des preuves écla- 
tantes, et nous pourrions en indiquer d’autres. Il est bien diffi- 
cile de croire à la validité de deux mille espèces de mouches, 
à celle de trente ou quarante mille espèces de coléoptères, 
aux quinze ou dix-huit cents espèces d’agarics. Les faunes et 
les flores décrivent bien plus de formes qu’il n’y a de véritables 
types spécifiques ; il fallait pourtant en tenir compte, autre- 
ment {out aurait été dans la confusion : d’ailleurs, une fois les 
races établies, comment les rattacher avec certitude à la 
souche originelle ? 

Ces variations auxquelles nous croyons, quoique d’une ma- 
nière très-limitée, ne sont pas le résultat de ce que l’on veut 
entendre par la sélection. 

Nous pourrions ne pas trouver ce mot d’une parfaite justesse 


ER 7 De 


lorsqu'on l’attribue à la nature. L'homme choisit et procède : 
véritablement par sélection; c’est un art, et il a su le créer. 
Mais comment pourrait-on dire que la nature fait des choix, 
tandis qu’elle est soumise à des lois qu’elle exécute aveuglé- 
ment? Il faut discerner pour choisir, et elle ne discerne rien, 
D'ailleurs, si la chose était possible, on ne voit pas qu’elle le 
fasse. Les modifications de l’espèce ne tendent pas à améliorer 
et à diriger les êtres vivants dans des voies de perfectionne- 
ment. Il est des races faibles et des races fortes, les unes qui 
semblent déchoir, et les autres qui semblent s'élever. C’est ce 
double effet qui maintient l'espèce. D'ailleurs, que peut-on 
comprendre par le mot perfectionnement en dehors de l’huma- 
nité? Que pourraient gagner les plantes en se transformant, 
elles dont les formes sont si variées et si élégantes? Et les ani- 
maux qui se reproduisent et se perpétuent, ne donnent-ils pas 
la preuve que, si tout en eux n’est pas parfait, dans le sens ab- 
_solu du mot, tout du moins l’est assez pour les faire vivre? 

Nous venons d'indiquer quelques genres polymorphiques ; 
mais combien n’en existe-t-il pas d’immuables? Si tous étaient 
mobiles dans leurs formes, l'harmonie serait détruite, et dans 
ce pêle-mêle tout serait méconnaissable, et cependant les types 
ainsi modifiés ne seraient pas changés : les Cenomyce seraient 
toujours des lichens dendroïdes, les Hieracium des chicoracées, 
les Viola des violariées, les pigeons des espèces du genre Co- 
lumba, etc. La natyye maintient, telle est la loi qui subordonne 
ses productions. 

Le système qui soutient la mutabilité des espèces, et qui 
fait dériver les types d’une souche commune, répond aux ob- 
jections en alléguant l’action du temps. Qui peut savoir, dit-on, 
l'étendue des changements que doivent déterminer, non pas 
cinq siècles, mais cent, mais mille et plus encore ? Il est cer- 
tain que nul ne le saurait dire. Si l’action du temps est telle, il 
faudrait le prouver. Lorsqu'on défend l’immutabilité de l’es- 
pèce, encore a-t-on quelques faits à invoquer. Ce que les 
siècles auraient produit ne serait pas un simple changement 
de forme, de taille ou de durée, il s'agirait d’une véritable 
métamorphose, puisque trois ou quatre types pour chacun des 
règnes auraient suffi pour enfanter tous les autres. Si l’on accor- 


$. 


| 


_règnes paraissent absolument identiques, 


ml 


dait cela, il faudrait admettre que ces changements, avant de 
devenir complets, ont été progressifs, et que, pour constater 
cette évolution, il pourrait suffire d’un nombre assez restreint 
de siècles; or, il n’en est rien. Les momies d'hommes, de chats, - 
d'oiseaux, qui datent de plus de vingt siècles, n’offrent aucune 
différence avec les hommes et les animaux d’à présent, et il 
n’en est pas autrement des animaux et des plantes représentés 
sur les monuments ninivites ou hindous. L’olivier, le safran, le 
nard, les céréales, le figuier, le sycomore, l’amandier, le gre- 
nadier, et tant d’autres plantes mentionnées dans les écrits 
bibliques, se trouvent encore en Palestine sans qu’elles aient 
subi le moindre changement. Les flores et les faunes peuvent 
perdre ou gagner en nombre d'espèces; mais celles qui per- 
sistent dans un pays y conservent leurs caractères d’une ma- 
nière durable. 


$ 2. — Unité de type. 


I. 


La nature organique, malgré la prodigieuse variété des 
formes actuelles, dériverait, ainsi le voudrait le darwinisme, 
de la métamorphose lente et successive d’un type peut-être 
unique. Quel pourrait être ce prototype? La cellule?.… 
Certes, ce serait aller bien loin. Quoiqu'il existe des organismes 
unicellulaires parmi les algues, et que beaucoup d’infusoires 
semblent être dans ce cas, on peut dire que le caractère de la 
cellule est d’en créer d’autres et de donner à ces aggloméra- 
tions des propriétés qu’elle ne pourrait avoir étant isolée. Exa- 
minées soigneusement à la vue simple ou même avec les in- 
struments amplifiants les plus puissants, les cellules des deux 

k cependant on ne 
peut supposer qu’il en soit ainsi. Il suffit, pour constater leur 
individualité, de savoir que, par leur réunion, elles acquièrent 
des propriétés différentes. Si nous ne pouvons toujours nous en 
convaincre par les sens, au moins pouvons-nous avec certitude 
nous aider du raisonnement pour en décider. 

Les cellules, par leur association, forment des membranes, 
et chacune a sa manière de vivre et ses propriétés distinctes ; 


* 


RS + Vu 


elles donnent au muscle la contractilité, à la fibre la résis- 
tance, au nerf la sensibilité; la plante leur doit l’élasticité, la 
souplesse, l’excitabilité. L’embryon animal et l'embryon végé- 
tal, auxquels la nature a commis le pouvoir de reproduire 
l'espèce, ont pour principe initial la cellule. Il n’en est pas 
autrement du pollen, de l’anthère dans laquelle il se constitue, 
du stigmate sur lequel il agit. L’œuf des plus grands animaux, 
de même que celui des plus petits, l’ovule du chêne, aussi bien 
que l’ovule de la plus modeste graminée, ont la cellule pour 
origine première. 

Le développement, ou, si l’on veut, la germination d’une 
cellule peut-elle donner lieu à des organismes différents, sui- 
vant la nature des milieux où s’opère son évolution? C’est là 
ce que nous n’osons décider. Si l’on se prononce pour l’affir- 
mative, il serait possible de comprendre comment cette molé- 
cule vivante aurait pu se prêter à la vie terrestre et à la vie 
aquatique. Nous reviendrons sur ce sujet, qui n’admet que des 
hypothèses pour explication; mais tel est l'intérêt qui s’y 
attache, que les hypothèses même sont permises. 

Lorsque nous jetons nos regards sur un être organisé, nous 
ne voyons qu’une association savamment ordonnée de tissu 
cellulaire, modifié à l'infini. Plus il est extérieur, moins les 
modifications sont profondes; dans les parties intérieures des 
plantes et des animaux, il est presque méconnaissable. 

Non-seulement la cellule paraît douée de propriétés diffé- 
rentes, suivant la nature des organes qu’elle concourt à for- 
mer et suivant le rôle qu’ils doivent remplir, mais, en outre, 
chaque espèce a les siennes, qui ne sont pas identiques avec 
celles de l'espèce la plus voisine. C’est là ce qui rend compte 
de limpossibilité de la transfusion du sang entre espèces diffé- 
rentes. La composition chimique, variable au moins dans la 
quantité des principes constituants, ferait seule obstacle, si les 
globules, qui ne sont autre chose que des cellules, ayant une 
forme et un calibre déterminés, n’intervenaient pour la rendre 
* impraticable ; il n’en est pas autrement de l’action des gra- 
nules du pollen sur le stigmate : et voilà ce qui explique com- 
bien sont rares les hybrides, et, en raison d’obstacles d’une 
autre nature, la rareté non moins grande des mulets, ainsi 


| 


ÉRNON T R 


que l'impossibilité où ils se trouvent de transmettre la faculté 
reproductrice. 

Ainsi donc il pourrait y avoir autant de cellules différentes 
qu'il y à d'organismes, tout être vivant conservant sa spécifi- 
cité jusque dans l'intimité de ses organes élémentaires. La 
manière dont les cellules se combinent donne la forme et la 
manière de vivre; elles constituent par leur association — 
d'où résultent des propriétés différentes — ces merveilleux 
appareils qui donnent la vue, l'audition, l’olfaction, la gustation, 
la sensibilité, en un mot, tout ce qui permet à la plante et à 
l'animal d'accomplir leurs destinées. 

Si l’on voulait, acceptant la théorie de M. Darwin dans toute 
sa rigueur, croire que la nature organique tire son origine 
d'un seul type, il faudrait désigner la cellule. Mais s’il est 
vrai que toutes celles qui forment la masse des êtres vivants 
sont représentées par autant d’espèces qu’il y a d'organisations 
distinctes, il s’ensuivrait qu’il ne faudrait pas une seule cellule 
mère, mais autant de cellules qu’il y aurait d’espèces de 
plantes et d'animaux. Or, il serait aussi difficile de comprendre 
cette immensité de cellules différentes comme origine de la 
nature vivante qu’il l’est aujourd’hui de s’expliquer l’appari- 
tion sur la terre des organismes aussi nombreux que variés qui 
la peuplent, et qu’on suppose avoir été formés de toutes pièces. 
Le miracle est exactement le même, et l’on rentre à pleines 
voiles dans la Genèse. 

Ces cellules, en se comportant comme éléments de forma- 
tion des êtres, auraient été de véritables ovules qui se seraient 
développés, les uns sans enveloppes séminales, les autres sans 
utérus. Mais d’où aurait pu provenir la fécondité dont elles 
eussent été douées? quel pouvoir mystérieux aurait agi sur 
elles? Voilà ce que personne ne saurait dire ni faire com- 
prendre. 

L’hétérogénie ne cherche pas à prouver que rien produit 
quelque chose, mais que la matière organique, ou en d’autres 
termes les cellules ayant appartenu à des organismes d’un 
ordre supérieur, frappées de mort, jouissent d’une vie particu- 


_lière qui leur permet de se comporter comme des germes et 


de produire ainsi de nouvelles formes organiques. Libre à qui 


PE - 


voudra de ne pas accepter ce système; mais nul ne pourra se 
refuser de croire qu’à son début la création, lors même qu’elle 
aurait eu la cellule pour prototype, a dû la créer, tandis que 
les hétérogénistes se contentent d’étendre ses propriétés et de 
croire possible que, détachée d’une membrane qui a vécu, 
elle puisse se comporter comme germe. 

De la spécificité bien établie de la cellule, ne faudra-t-il pas 
déduire l'impossibilité de la métamorphose d’une plante en 
une autre plante, d’un animal en un autre animal? car non- 
seulement la forme aurait été changée, mais même la nature 
intime des organes élémentaires. Ce serait admettre une véri- 
table métamorphose. Une forme serait détruite pour en créer 
une autre, comme le phénix qui renaissait de ses cendres tou- 
jours plus jeune et toujours plus beau. Il ne semble pas que la 
nature procède ainsi; elle est soumise au mouvement, mais 
ce mouvement est réglé dans son action : c’est une loi. 


IL. 


Nous reconnaissons volontiers que tous les êtres vivants ont 
entre eux des rapports d'organisation qui les unissent, sinon 
toujours par la forme, du moins par la manière de vivre. 

Ce qu'ils ont de commun, c’est un pouvoir de résistance qui 
s’oppose pendant un temps à la disjonction des cellules élémen- 
taires,—base des organes, — maintenues unies par une force 
particulière qualifiée de vitale. Quoiqu’elle n’ait pas une durée 
indéfinie, comme l'attraction qui s'oppose à la séparation des 
molécules inorganiques, dont l’ensemble forme l’individualité 
minérale, elle résiste comme elle. Aussi longtemps que l'être 
vit, il met obstacle par les actes fonctionnels des organes à la 
séparation de ses éléments constitutifs; il meurt si la force 
chimique l'emporte sur la force vitale, et ce que la nature 
avait prêté, elle le reprend. 

Tous les êtres vivants ont, sinon dans les parties extérieures 
qui les protégent, du moins dans leurs organes sous-jacents à 
l’épiderme, une certaine souplesse due à l’intermixtion, dans 
toutes leurs parties, d’une quantité d’eau plus ou moins consi- 


— #7 —— 


dérable. Végétaux ou animaux naissent, s’accroissent et se re- 
produisent en vertu d’acles qui tendent au même but, quoique 
avec des moyens différents. Si tous ont besoin d’eau, tous 
aussi ont besoin d’air. Mais faut-il conclure de ces rapports 
fonctionnels qu’il n’existe pour tous qu’un type, et ne vau- 
drait-il pas mieux se contenter de reconnaitre que leurs desti- 
nées seules sont pareilles : naître pour vivre, et vivre pour 
mourir ? 

Pour qu’il n’y eût qu’un seul type, il faudrait qu’il n’y eût 
qu'une seule espèce de plante et qu’un seul animal pour s’en 
repaître ; or, comme les deux règnes sont variés à l'infini dans 
les formes extérieures et dans la constitution élémentaire des 
organes qui composent leur masse; comme ils vivent dans des 
milieux pour lesquels ils ont été façonnés, et que leurs habi- 
tudes, leurs instincts, leur intelligence diffèrent, nous ne 
voyons plus seulement un type, mais une foule de types, et 
nous déduisons de leur manière diverse d’être une place dis- 
tincte dans la création. Nous admettons qu’ils puissent dispa- 
raitre, nous ne comprenons pas aussi bien qu’ils puissent 


changer. 


IE. 


On reconnaît généralement, en zoologie, comme base de 
classification, quatre embranchements, et deux seulement en 
botanique. Serait-ce là les trois ou quatre types que veut bien 
admettre le système ? Mais combien n’en existe-t-il pas d’autres! 
En ce qui concerne seulement les vertébrés, peut-on se refuser 
de reconnaître un type distinct dans chacun des ordres, mam- 
mifères, oiseaux, reptiles et poissons. De ce que certains mam- 
mifères volent, et exceptionnellement de ce que l’ornitho- 
rhynque et l’échidné ont des mâchoires façonnées en bec, 
sont-ce des motifs suffisants pour croire qu’ils indiquent une 
transition des mammifères aux oiseaux? De ce que ceux-ci ont 
des pieds écailleux, un cou très-long, qui souvent ondule 
comme le corps d’un reptile, en déduira-t-on qu'ils ont 
quelque chose en eux qui les rapproche des serpents, et que 
peut-être ils en dérivent? De ce que les gobies et les blennies 


nés me ie 

peuvent quitter l’eau momentanément pour s'élever sur les 
écorces moussues, sont-ils pour cela des animaux terrestres et 
grimpeurs? L’anguille, qui rampe plutôt qu’elle ne nage, est- 
elle proche parente de la couleuvre, quoique l’une respire 
avec des branchies et l’autre avec des poumons? Où trouver les 
rapports qui uniraient les mollusques aux vertébrés? Serait-ce 
parce que les uns, suivant qu’ils sont terrestres ou aquatiques, 
respirent avec des poumons, comme les mammifères, les 
oiseaux et les reptiles, et avec des branchies, comine les pois- 
sons? Quoi de plus différent de tous les autres embranchement, 
que les articulés, et parmi ceux-ci quoi de plus distinct que 
les insectes et les arachnides, que les crustacés et les aptères, 
quoique tous aient le corps et les membres articulés et un 
système nerveux ganglionnaire? Et les rayonnés, les coraux, 
les madrépores, les éponges, à quoi se rattachent-ils? Enfin ce 
monde invisible, les infusoires, à quoi, pour la plupart, res- 
semblent-ils? 

Cherchons seulement les types dans les mammifères, com- 
bien n’en devra-t-on pas reconnaître ! Les chéiroptères, les 
marsupiaux, l'éléphant, le cheval, le bœuf, la plupart des 
édentés à langue extensible, la baleine, le cachalot, ne sont- 
ils pas des types nettement caractérisés? 

Si du règne animal nous jetons un coup d’œil sur le règne 
végétal, il ne nous sera pas difficile de conclure dans le même 
sens : fucus et champignons, mousse et lichen, lis et palmier, 
bambou et chêne, gui et nénuphar ! Tant de formes heurtées, 
tant de manières de vivre, tant d’aptitudes ou d’habitudes dif- 
férentes, pourraient-elles appartenir à des créations lentement 
façonnées et sorties d’un même moule, seulement modifié ? 
D'ailleurs, comment établir les filiations? Prenons pour exemple 
de cette extrême difficulté une créature ambiguë, le lamentin. 
A bien voir, quoiqu'il puisse vivre dans l’eau, nager comme un 
poisson, et qu’il soit pourvu de nageoires, il a sa place parmi 
les animaux terrestres. C’est sur le rivage de la mer qu’il 
se nourrit, s’il est herbivore; c’est là qu’il se repose, qu’il doit 
s’accoupler, qu'il allaite ses petits. Le fera-t-on dériver d’un 
mammifère terrestre? alors lequel choisir? Si tout change pour 
se perfectionner, d’où est-il sorti? Son corps pisciforme devien- 


— L90 — 2 


dra-t-il propre à la vie terrestre? Ses jambes et ses bras, si 
prodigieusement raccourcis, sont-ils destinés à s’allonger, et 
ses nageoires à se métamorphoser en pieds propres à la 
marche? Changera-t-il les fucus pour l'herbe des prairies, ou 
les poissons pour la gazelle ou le lièvre? Admettons que le 
temps produise ces merveilles, qu’aura-t-il gagné? Rien; il 
aura perdu. Le temps pourra le modifier, diminuer ou bien 
augmenter sa taille, changer la couleur de son pelage, sans 
pour cela en faire autre chose qu’un amphibie. Est-il destiné 
à devenir un cétacé? Non, sans doute, car ce serait évidem- 
ment déchoir, puisqu'il perdrait une faculté, celle de sortir de 
la mer. 

Mème difficulté pour l’hippopotame, le rhinocéros, l’élé- 
phant, le tapir et une foule d’autres. La sélection, dites-vous, 
perfectionne. Il faudrait expliquer ce qu’on entend par le mot 
perfectionnement. Tous les animaux actuellement vivants 
n’ont-ils pas la perfection propre à chaque espèce, et ne sont- 
ils pas merveilleusement appropriés à la nature des milieux 
dans lesquels ils vivent? Le singe, s’il devient marcheur, 
sera-t-il amélioré? Le lion, le tigre, le cheval, l'aigle, le con- 
dor, le cygne, le caïiman, le crocodile, la tortue, le requin, 
l'esturgeon, n'ont-ils pas toute la perfection possible? Chan- 
gez-les, et ils seront déchus. L’argonaute, l’escargot, le ho- 
mard, la langouste, l’abeille, la mouche, les araignées fileuses, 
le scorpion, n’ont-ils pas en eux tout ce qu’il faut pour vivre 
et reproduire leur race? En est-il autrement des plantes ? le 
champignon, la mousse, le lichen, les fougères, les palmiers, 
les bananiers, nos saules, nos chênes, nos hêtres, ne sont-ils pas 
parfaits, chacun dans son espèce? La rose, le lis, la violette 
au parfum si doux, le jasmin, qui le lui dispute en suavité, 
ont-ils besoin de qualités nouvelles? A l’homme de modifier, 
pour en tirer le meilleur parti, les plantes et les animaux qui 
peuvent s’y prêter ; à la nature de résister à son industrie, et 
de maintenir les types en leur conservant les caractères qui 
les distinguent les uns des autres. 

L'homme lui-même, pour progresser, n’a qu’à rester ce 
qu’il est; son corps gardera sa forme, et son intelligence le 
caractère qui lui est propre. Supposer une créature humaine 

FÉE. . & 


es. BÈ 


plus parfaite, sortie de nous, ne semble possible, ni même 
nécessaire. Nous n’avons pas reçu nos priviléges par droit de 
naissance, ils ont une source plus élevée. Ils sont notre con- 
quête ; c’est l’œuvre du temps et des efforts heureux que nous 
tentons chaque jour dans la voie du progrès. 


IV. 


Le fameux axiome : Natura non facit saltus, équivaut à dire 
que tous les êtres forment une chaîne non interrompue qui les 
unit les uns aux autres par des transitions insensibles et gra- 
duées. On peut, jusqu’à un certain point, comprendre que cet 
enchainement existe en effet; mais il n’est pas toujours pos- 
sible d’en réunir tous les chainons, et souvent on les cherche 
sans pouvoir les trouver. Les personnes qui constatent ces 
lacunes disent, non sans quelque vraisemblance, que les 
anneaux manquant reposent dans les couches du globe, au- 
dessous de la surface actuelle de la terre. 

Les caractères qui unissent les êtres vivants, quels sont-ils? 
Si l’on voulait descendre jusqu'aux parties élémentaires des 
organes, sans avoir égard à la manière dont ils fonctionnent, 
et sans se préoccuper de la forme, on devrait aboutir néces- 
sairement à la cellule, et déjà nous en avons fait la remarque ; 
mais, sans nier précisément qu’il en soit ainsi, on se contente 
de chercher des rapports d'ensemble, afin d’établir dans le 
règne organique une série continue également satisfaisante 
dans toutes ses parties. : 

Nous voyons bien que les vertébrés, — pour ne parler que 
de cet embranchement, le premier de tous, — ont en commun 
une colonne vertébrale, base du squelette, un axe cérébro- 
spinal, des côtes et presque universellement des appendices 
destinés à la locomotion ; mais la manière de vivre est si diffé- 
rente et si bien appropriée aux milieux d'habitation, les tégu- 
ments extérieurs sont si variés, que les ordres de cette divi- 
sion primaire semblent n’appartenir qu’à eux-mêmes : et l’on 
se demande alors, sans trouver une réponse satisfaisante, par 


— Di — 


quels caractères les mammifères sont unis aux poissons ou aux 
reptiles, les oiseaux aux mammifères, les poissons aux oiseaux, 
et l’on ne peut se dispenser de constater que les types mam- 
mifère, oiseau, reptile et poisson sont parfaitement isolés. 
Ce sont bien des vertébrés, et si c’est par là qu’ils s’unissent 
les uns aux autres, plusieurs caractères, dont il est inutile de 
démontrer l'importance, les séparent. Les animaux à poils, à 
plumes, à écailles, n’ont qu’une parenté de convention. Rien 
ne rapproche intimement les mammifères des oiseaux, ni 
lornithorhynque, ni l’échidné; la chauve-souris qui vole, le 
phoque qui nage, l’autruche et le casoar qui courent, n’en 
sont pas moins des mammifères et des oiseaux. La dissimili- 
tude ne fait que se prononcer davantage, si nous passons des 
vertébrés aux mollusques, et des mollusques aux articulés, les 
uns privés de squelette, les autres avec un squelette extérieur 
dont toutes les parties sont mobiles. Et que dirons-nous des 
rayonnés, animaux composés, et des infusoires, si variés de 
forme ? Quelle place leur donnera-t-on dans la série animale ? 
Disons-le, le mot règne, étant de pure convention, peut être 
diversement interprété, et l’on pourrait entendre dire, sans 
être en droit de s’étonner : le règne des vertébrés, des mol- 
lusques, des articulés, et, pour les plantes, le règne des fucus, 
des champignons, des fougères, des palmiers, des conifères; 
et cela avec d’autant plus de raison, que si ces êtres, si diver- 
sement organisés, ont en commun la vie, ils vivent de cent 
manières différentes. Ne sont-ils pas terrestres, aquatiques, 
pulmonés, branchiens, trachéens, carnassiers, herbivores, 
suceurs, vivipares, ovipares, ovovivipares, gemmipares? Le 
sang n’est-il pas froid, chaud, rouge, rosé? Les sucs des plantes 
n’ont-ils pas une constitution chimique infiniment variée? Ces 
dissemblances ne permettent pas toujours de souder ensemble 
les nombreux anneaux de la chaîne des êtres, et cependant il 
faudrait qu’il fût possible d’en comprendre la continuité, autre- 
ment le système des types réduits, comme géniteurs de toutes 
les formes végétales et animales, pécherait par sa base. 
Considéré sous le rapport psychique, l’homme lui-même 
est séparé par un abime des mammifères, auquel cependant 
le rattache son organisation physique. N’est-il pas doué d’une 


EE. Ro 


intelligence indéfiniment progressive, qui fait sa dignité et 
qui lui révèle la grandeur de ses destinées ? 

Plusieurs naturalistes éminents ont inféré de cette loi du 
progrès, à laquelle seul entre tous les animaux l’homme est 
soumis, qu’il doit constituer un règne à part. Il est bien diffi- 
cile d'admettre une séparation aussi radicale. Les caractères 
physiques déterminent seuls la place que doivent occuper les 
êtres dans chacun des embranchements. Or, qui oserait nier 
que l’homme ne soit un mammifère? Peut-être pourrait-on 
accorder les exigences de l’histoire naturelle avec celles de la 
métaphysique, en mettant l'homme tout à fait en dehors des 
classifications. Cette séparation n’aurait rien d’illogique. N’est- 
il pas le point de départ de toute science? l'être auquel 
tout se rattache, le seul qui comprend, juge et apprécie? 

Quoi que puissent dire les partisans de la progression indé- 
finie des types, jamais aucune espèce d’animal ne viendra se 
fondre ou se confondre avec l’homme, et l’on peut à bon droit 
s'étonner qu’on ait pu sérieusement écrire que nous sortions 
de la même souche que les singes ; qu’ils étaient nos cousins 
germains ou même nos grands parents. Les siècles, disent cer- 
tains naturalistes, ayant perfectionné le singe, il s’est lente- 
ment métamorphosé en homme. Dans cette opinion, la mé- 
tamorphose des formes se serait étendue à l'intelligence ; or, 
si l’une semble difficile, l’autre parait absolument impossible. 

La forme du singe ne lui a pas été donnée sans intention ; 
elle s’harmonise avec sa manière de vivre, qui est toute spé- 
ciale : c’est le seul mammifère de grande taille qui soit arbo- 
ricole. Ses longs bras, ses longues jambes, ses pouces opposa- 
bles, la souplesse de ses articulations, ce corps si agile et ces 
membres si flexibles, conviennent tout à fait à ses habitudes 
d’acrobate ; il court sans peine sur les arbres : on croirait que 
c’est pour lui qu’aurait été inventé le mot gambader. Forcez 
cet animal à marcher, et le voilà gèné comme le chien savant 
qui danse sur les pattes de derrière. Et ce serait de cet animal 
dont les idées sont aussi mobiles que les gestes, que nous pour- 
rions dériver ! Que le gorille ait des pouces à peine opposables 
aux pieds de derrière, qu’il passe ses nuits à terre, qu’il marche 
moins mal que les autres quadrumanes, qu’il les dépasse en 


puissance musculaire et en stature ; ce ne sera pas pour nous 
une raison de croire que jamais il puisse devenir un homme, 
çar ce qu'il a d'intelligence ne le distingue en rien des autres 
mammifères. Pour croire à cette descendance de l’homme 
par le singe, il faut sortir de toute vraisemblance ; supposer 
que la vie arboricole lui aura déplu; que las de courir sur les 
arbres, il ait pu juger que le séjour de la plaine valait mieux, 
et qu’il fallait, quittant des habitudes justifiées par l’organisa- 
tion, s’essayer à la marche, lui, ses petits et leur lignée. Cette 
résolution, suivie d’effet, aura rendu les pieds moins mala- 
droits; les pouces, dont le système musculaire se sera modifié, 
p’auront plus été opposables qu’aux mains ; les mollets et les 
muscles fessiers se seront prononcés davantage, afin de rendre 
la station verticale plus facile. La face aura pris le caractère et 
le calme de la physionomie humaine; plus de nez aplati, plus 
de museau prognathe, plus de grimaces, plus de gambades ! 
Tout le reste s’en sera suivi, armes, abri contre les intem- 
péries de l'air, provisions pour prévenir les disettes, langage 
sans lequel ne saurait être formé le lien de famille, moralité 
des actes, conscience, intelligence toujours en progrès; et le 
singe, ainsi métamorphosé, après avoir changé le fruit pour la 
chair, sera devenu l’un des ancêtres de Newton, de Leibnitz 
et de Descartes. Ne croyons pas à de semblables merveilles ; 
rien n’a pu se passer ainsi. Les animaux ont leur lot et nous 
avons le nôtre ; ils resteront ce qu’ils sont et nous progresse- 
rons toujours. Quoique notre intelligence puisse se communi- 
quer par l'éducation à nos animaux domestiques, ce n’est qu’un 
pâle reflet de la vive lumière qui nous éclaire, et l'individu ne 
peut en faire profiter l’espèce. L’épanouissement progressif de 
cette merveilleuse faculté nous sépare chaque jour davantage 
des animaux. Ils ne marchent pas, et nous marchons toujours. 
Le Juif errant personnifie l'humanité, elle ne doit plus s’ar- 
rêter. C’est là ce qui nous fait douter de la valeur absolue de 
l'axiome Natura non facit saltus : s’il est soutenable au point de 
vue de l’homme physique, il ne l’est plus s’il s’agit de l’homme 
moral. Mais si l’intelligence humaine a été refusée aux ani- 
maux, il ne faut pas croire qu’ils n’en aient pas une qui leur 
soit propre et qui n’est pas la même pour tous. Sans vouloir 


sun fÈ = 


ouvrir une discussion sur l’âme des bêtes, âme qui serait aussi 
différente de la nôtre que leur intelligence diffère de notre 
intelligence, il faudra pourtant convenir qu’il y a chez les ani- 
maux des qualités immatérielles dont le pouvoir mystérieux 
règle les actes de la vie. Ils sont de ce côté aussi distincts les 
uns des autres que par le côté corporel. Admettre qu’ils chan- 
gent, c’est supposer qu’ils changent aussi bien sous le rapport 
matériel que sous le rapport psychique. Outre que nous ne 
voyons pas bien la nécessité de ces changements d'état, nous 
refusons de croire qu’ils puissent agir sûr l'intelligence et la 
rendre perfectible, de stationnaire qu’elle était. Or, c’est là ce 
qui arriverait si les animaux devenaient plus intelligents sous 
une forme plus parfaite. Nous attribuons à l’espèce une grande 
puissance de résistance à l’action du temps. Ce qu’elle produit 
se borne à des modifications légères qui n’atteignent pas le 
type dans son essence, et cette permanence d'état s'étend à 
l’homme pour le rendre immuable sous le rapport physique. 

Que les êtres vivants aient entre eux des analogies, qu’ils 
forment une longue série qui unit les organismes simples aux 
organismes composés, personne ne pourrait le nier. Vus par 
un certain côté, ils sont donc analogiques. Pour être un animal, 
il faut pouvoir se déplacer à l’aide d’organes locomoteurs, avoir 
en soi les moyens de réparer les pertes quotidiennes qu’en- 
traine la vie; il faut respirer, éprouver des sensations, se 
mettre en rapport avec des individus de son espèce pour re- 
produire sa race. Pour être plante, il faut absorber les liquides 
et les gaz, se les approprier en les décomposant ; recevoir l’in- 
fluence de l'air et de la lumière, se laisser pénétrer par le 
calorique, se reproduire à l’aide de germes ; mais, malgré la 
diversité des formes, animaux et plantes devant naître, s’ac- 
croître, se reproduire et mourir, ne sauraient être compléte- 
ment isolés, puisque tous ont des destinées communes et que 
tous parcourent les mêmes phases d’existence. 

Dire de deux êtres organisés qu’ils vivent, c’est donc indi- 
quer une parenté et constater des rapports d'organisation; de 
sorte que par ce côté nous pouvons admettre comme rigou- 
reusement vrai Faxiome : Natura non facit saltus, mais en le 
paraphrasant, et en disant que la nature, qui eniploie toujours 


. 
= 


ER 


Jes mêmes éléments pour donner la vie, ne varie que la forme : 
si bien que deux êtres étant donnés, quelque séparés qu'ils 
soient en apparence par la structure extérieure, il est permis 
de décider qu’ils se ressemblent encore plus qu’ils ne diffè- 
rent. Mais ces analogies fonctionnelles n’empêchent pas la 
permanence du type spécifique. Ce qui va suivre est destiné 
à le prouver, en montrant combien sont nombreux et variés 
les caractères sur lesquels ce type est basé, caractères qui 
déterminent les habitudes et la manière de vivre. 


V. — PARTICULARITÉS DE LA VIE DES PLANTES ET DES ANIMAUX QUI 
SEMBLENT REMONTER A L'ORIGINE DES ESPÈCES ET LES RENDRE 
IMMUABLES. 


$S 1. — Agents de locomotion. 


La locomotion n’est pas seulement le pouvoir, mais aussi la 
volonté de changer de place; c’est dans l'exercice libre de 
cette faculté, refusée aux plantes, que réside surtout la dignité 
du règne animal. Il était indipensable qu’elle fût accordée aux 
animaux, car elle est pour eux une condition d’existence. Les 
deux principales nécessités de la vie, l’alimentation et la re- 
production, ne pouvaient être satisfaites sur place. Il faut que 
les aliments soient en rapport avec l’organisation de chaque 
animal, et que le concours des deux sexes ait lieu pour opérer 
le grand œuvre de la reproduction. Comment ces fonctions 
conservatrices de l’individu et de l’espèce eussent-elles pu s’ac- 
complir sans s’aider de la locomotion? Les plantes se nourris- 
sent et se multiplient sans quitter le sol où elles vivent atta- 
chées, aussi sont-elles hermaphrodites, et seulement par 
exception unisexuelles. Les conditions dans lesquelles elles se 
trouvent sont trop bien connues et les séparent trop complé- 
tement des animaux pour qu’il soit besoin de les exposer ici. 
Tous les actes qu’elles accomplissent s’opèrent à leur insu sans 
qu’elles y participent par la volonté, tandis que les animaux, 
quoique poussés fatalement vers les actes qui soutiennent la vie 


sus EG. 


ou qui la perpétuent, ne les accomplissent pas sans que la 
volonté y ait une part, quelque légère qu'elle soit. 

On peut trouver les extrêmes de la puissance locomotrice 
dans le vol de l'aigle qui fend les airs, et dans le mouvement 
très-restreint des mollusques attachés aux rochers, réduits 
uniquement à ouvrir et à fermer leur coquille. 

Les agents à l’aide desquels les animaux se déplacent sont 
extrêèmementnombreux ; les plus résistants, ceux qui agissent 
avec le plus de puissance, ont été attribués aux animaux ter- 
restres, et nous en avons donné ailleurs les raisons : ils mar- 
chent, volent, rampent, grimpent et sautent. Les animaux 
aquatiques, qui n’ont pas besoin de varier autant le mode de 
locomotion, nagent et rampent, car on ne peut raisonnable- 
ment regarder comme vol l’élan que prennent certains poissons 
qui s’élancent hors de l’eau pour y retomber presque aussitôt, 

Chacun de ces modes de locomotion résulte de modifications 
particulières du squelette, ou de la souplesse que peut acqué- 
rir, soit la colonne vertébrale, soit le corps tout entier des ani- 
maux articulés. Nous allons successivement les indiquer, et 
nous ferons voir que ce n’est pas au hasard qu’elles sont dues, 
puisqu'il en résulte des aptitudes et des facultés différentes. 
L’embranchement des vertébrés présente les plus considérables. 

Parmi les mammifères, l’homme est le seul qui soit orga- 
nisé pour la marche à station verticale, et son pied, Le plus long 
et le plus large de tous, relativement à sa taille, la lui rend 
facile. On doit voir en lui un plantigrade, cependant il n’ap- 
puie sur le sol que le talon et l'extrémité interne du méta- 
tarse. 

Pour la marche bipède et quadrupède, il faut que les arti- 
culations soient maintenues par des ligaments solides qui 
cèdent et résistent sans trop de roideur ou sans trop de mol- 
lesse. C’est là ce qui n’a pas lieu chez les quadrumanes. La 
souplesse excessive des articulations, avantageuse pour la vie 
arboricole, est défavorable pour la marche ; aussi doit-on dire 
qu’ils ne marchent pas, mais qu’ils gambadent. Le pouce qui 
est opposable aux mains de derrière rendrait seul la marche 
extrêmement difficile. 

Les pieds de l'ours rivalisent en largeur et en longueur avec 

" Dep 


Ÿ 


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se EE = 


ceux de l’honmme, ce qui explique la facilité avec laquelle il se 
tient debout ; mais cette large base de sustentation ne lui per- 
met pas cependant de garder longtemps la station verticale, 
c’est soutenu sur ses quatre pattes qu’il se déplace pour mar- 
cher et courir. 

Les meilleurs marcheurs sont les digitigrades. Les carnas- 
siers s'appuient sur quatre ou cinq doigts ; l'éléphant, sur trois ; 
le cerf et le bœuf, sur deux ; le cheval sur un doigt unique : il 
est monodactyle. Un assez grand nombre de carnassiers, à 
doigts armés d'ongles crochus, sont grimpeurs. Tous les ani- 
maux marcheurs peuvent sauter : tels sont surtout les kangu- 
roos, les gerboises, l’hélamys, le néotome de la Floride et le 
gerboa. Le saut chez eux n’est pas le résultat de la volonté, 
mais une nécessité de l’organisation. Les membres thoraci- 
ques, les bras, ne sont pas en rapport de dimension avec les 
membres postérieurs ; ces animaux, posés sur les quatre pattes, 
ont le corps incliné en avant et la tête presque à niveau du 
sol, ce qui rend la marche extrêmement difficile, aussi n’a- 
t-elle lieu que dans l’état de calme ; aussitôt qu’ils redoutentun 
danger, ils s’élancent, bondissent et disparaissent. Sont-ils en 
repos, ils s’accroupissent et s'appuient sur leur queue, qui est 
très-longue et très-robuste. Lorsque la nature a déshérité un 
animal sur quelque point, elle l'en récompense sur un autre. 

Les modifications les plus profondes que subissent les agents 
de locomotion chez les mammifères sont celles qui, en leur 
interdisant la marche, leur donnent le vol et la natation. 

Une classe tout entière de mammifères, les chiroptères, a 
des ailes formées de membranes attachées aux bras, aux avant- 
bras et aux doigts, dont les phalanges ont une longueur extra- 
ordinaire ; elles s'étendent jusqu'aux membres inférieurs, aux- 
quels elles vont s'attacher. On trouve parmi les marsupiaux 
un exemple de cette organisation curieuse, le phalangier vo- 
lant, et un autre parmi les rongeurs, le polatouche ; mais la 
palme du vol, parmi les mammifères, Papartient de droit aux 
chiroptères. 

Une élongation considérable des phalanges, qui pourtant ne 
sont pas unies entre elles par des membranes, se remarque 
chez l’aye-aye, animal frugivore de Madagascar. Il peut em- 

Le * 


— 58 — 


brasser les troncs dans une grande portion de leur circonfé. 
rence, et s'élever dans la cime, soutenu par ses longs doigts, 
aussi haut qu’il le veut. Ici la longueur extraordinaire des pha- 
langes supplée à l'absence d’ongles crochus dont les doigts de 
l'animal sont dépourvus. 

Il existe des mammifères nageurs et marcheurs : les castors, 
la loutre, les hydromys, l’ornithorhynque et l’échidné; ils ont 
les doigts palmés, et cette disposition sert à la natation sans 
nuire à la marche. Les cétacés amphibies sont d’excellents 
nageurs ; s’ils atterrissent, ils se traînent sur le sol sans cher- 
cher à s'éloigner du rivage. Ce ne sont pas seulement les doigts 
qui sont modifiés chez ces animaux, mais le corps tout entier, 
devenu pisciforme. L'organisation des cétacés marins est modi- 
fiée d’une manière encore plus profonde, quoiqu’elle tende au 
même but. 

Ce n’est point au hasard qu'ont été réglées les dimensions 
des organes locomoteurs chez les mammifères. On sait pour- 
quoi la girafe a des jambes si grandes, et pourquoi les gazelles, 
les cerfs, les chevaux, en ont d’aussi déliées et d’aussi favora- 
bles à la course : sans elles, ces herbivores, créés sans armes, 
ne pourraient échapper à la dent des grands carnassiers. 
Les longs bras et les longues jambes des quadrumanes leur 
permettent de saisir des branches, qui sans cela ne seraient 
pas à leur portée ; aussi quand ils se déplacent, croirait-on 
qu’ils courent. À ces moyens puissants de locomotion vient 
s'ajouter une queue prenante pour les singes du nouveau con- 
tinent. / 

Les oiseaux volent, nagent, courent, sautent et grimpent 
comme les mammifères, mais leur organisation les destine sur- 
tout à se servir de leurs ailes. Les rapaces et les insectivores 
ont la supériorité du vol; les échassiers sont marcheurs, les 
palmipèdes nageurs, et les DR méritent le nom sous 
lequel on les désigne. 

Les oiseaux ont quatre doigts : trois doigts en avant et un 
en arrière, le pouce, ou deux en avant et deux en arrière, le 
pouce et le doigt externe. Destinés presque tous à percher, il 
fallait que les doigts fussent disposés sur deux plans, afin de 
pouvoir, en se repliant, saisir la branche sur laquelle ils cher- 


À 


es ss 


chent un appui. Il est digne de remarque que le doigt posté- 
rieur ou pouce n’existe pas ou n’existe qu’à l’état rudimentaire 
chez beaucoup d’échassiers ou de palmipèdes qui ne perchent 
pas. Chez les viseaux grimpeurs, le pied a deux doigts anté- 
rieurs et deux doigts postérieurs, afin d’équilibrer les forces qui 
sont ainsi réparties également, soit que l'oiseau monte, soit 
qu'il descende. Les doigts sont totalement unis par des mem- 
branes dans les vrais palmipèdes et incomplétement dans les 
lobipèdes à doigts festonnés. Les tarses, en général assez courts 
chez les oiseaux nageurs, sont de médiocre longueur chez les 
oiseaux de proie, ainsi que chez les passereaux, et gigantesques 
chez un grand nombre d’échassiers. 

Les ongles sont des instruments de préhension ou de défense 
donnés aux oiseaux et aux carnassiers ; ce n’est donc pas ici le 
lieu d'en parler. Nous ne dirons rien non plus des particula- 
rités d'organisation de l'aile plumeuse ; il devra suffire au sujet 
que nous traitons, de faire remarquer que plus elle est étendue, 
plus le volest rapide et soutenu. Les rapaces et les insectivores, 
qui fendent l’air avec une vitesse que rien n'’égale, sont, sous 
ce rapport, les mieux doués de tous. Beaucoup d’oiseaux volent 
pour le seul plaisir de voler; c’est une sorte de gymnastique 
qui leur plaît. Les échassiers et les palmipèdes, sauf la fré- 
gate et quelques oiseaux totipalmes, quoique très-capables de 
soutenir un vol prolongé, ne volent que pour changer de climat 
et pour trouver une nourriture plus abondante. Quelques oi- 
seaux lourds ne se servent de leurs ailes que pour s’aider dans 
la course : tels sont l’autruche et le nandou. 

Le nom donné aux reptiles indique leur genre de locomo- 
tion ; beaucoup en effet rampent, mais non tous, à beaucoup 
près. Les ophidiens sont, sous ce rapport, les véritables rep- 
tiles. On reconnait les tortues amphibies à la conformation de 
leurs pieds ; elles nagent avec la plus grande facilité, tandis 
qu'à terre elles ont une allure lente qui est passée en pro- 
verbe. Les petits sauriens courent très-vite, même sur les pans 
presque perpendiculaires des rochers, et cependant d’une ma- 
nière sinueuse, comme s'ils rampaient ; les grands sauriens 
courent aussi, mais en ligne droite, ce qui permet de les 
éviter. Parmi les animaux qui composent cet ordre, se trou- 


ET 1e 


vent quelques espèces organisées pour voler, mais d’un vo] 
lourd et peu soutenu: tels sont le dragon frangé et le dragon 
de Java. La reptation des serpents, quelle que rapide qu’elle 
soit parfois, ne saurait égaler en vitesse la course des mam- 
mifères. Certaines espèces glissent sur l’eau avec une mer- 
veilleuse facilité. 

Les batraciens nagent et marchent d’une manière pénible, 
en trainant lourdement le ventre, à peine soutenu par des 
pattes mal articulées. 

Si l’aile a été donnée pour le vol, les nageoires l'ont été 
pour la natation : il n’en est pas de plus parfaites que celles des 
poissons. Elles résultent de l'allongement et de l’écartement 
des phalanges, que des membranes unissent entre elles. Les 
nageoires pectorales sont des bras, les ventrales des jambes. 
La colonne vertébrale, dans une partie de son étendue, fournit 
des apophyses qui s’élèvent sur le dos comme de longues 
crêtes et constituent la nageoire dorsale, tandis que l’extré- 
mité de cette même colonne, épanouie en éventail, forme la 
nageoire caudale, principal agent de déplacement, A tout cet 
appareil viennent s’ajouter souvent une nageoire anale et une 
vessie natatoire, laquelle, par pression, diminue ou augmente 
le poids de l’animal ; s’il l’a dilate, il monte, et descend s’il l’a 
contracte. Quelques poissons privés de cette vessie natatoire 
peuvent introduire à volonté de l'air par l’anus. C’est une ma- 
nière de suppléer à l’absence de l'appareil hydrostatique qui 
leur manque et que possèdent les autres. Dans les dactylo- 
ptères ou poissons volants, les nageoires pectorales deviennent 
de véritables ailes qui soutiennent en l’air ces singuliers pois- 
sons aussi longtemps qu’elles conservent leur humidité. On 
sait que les poissons qui vivent en haute mer ont les nageoires 
beaucoup plus robustes que celles des poissons de rivage. Les 
poissons qui en sont entièrement privés, ou qui n’en ont que 
de rudimentaires, les lamproies et les anguilles, se déplacent 
par une sorte de reptation. 

Que dirons-nous de la locomotion des mollusques ? Les es- 
pèces terrestres rampent, et, en rampant, peuvent s’élever jus- 
qu’au sommet des arbres, favorisés par la matière visqueuse 
qui englue leur corps et qui les soutient. Les espèces aquati- 


Dre 


ues sont aussi très-souvent rampantes ; quand elles nagent, 
et c’est le plus petit nombre, elles ont pour appareil de nata- 
tion des lobes attachés à leur pied abdominal, ou des nageoires 

Jacées aux deux côtés de la bouche, en manière d’ailes. Les 
céphalopodes ont pour se déplacer un tube locomoteur hydro- 
statique. 

Les insectes sont peut-être, de tous les animaux, ceux chez 
lesquels la locomotion est le plus variée. Ils ont six pattes pour 
Ja marche, deux ou quaire ailes pour le vol, des pattes dispo- 
sées en rames ou en nageoires pour la natation. Les appareils 
qui leur facilitent le saut agissent avec une puissance si 
grande, qu'ils peuvent faire franchir aux insectes qui les pos- 
sèdent jusqu’à deux cents fois la longueur totale de leur corps. 
Les orthoptères marchent et sautent, les diptères peuvent in- 
définiment soutenir le vol. 

L'ampleur des ailes est toujours en rapport avec la grosseur 
de l'insecte. Généralement la délicatesse des formes appartient 
aux diptères ; les coléoptères sont surtout bizarres. Certains in- 
sectes peuvent marcher sur les plafonds, soutenus unique- 
ment par leurs pattes dont les tarses sont garnis de crochets 
et de ventouses. 

Les crustacés nagent et marchent, et c’est en conséquence 
de ce mode de locomotion qu’ils sont organisés. Les arachnides 
marchent, portés sur des pattes, si longues chez certaines es- 
pèces, qu’elles en sont gènées. Les annélides rampent ou na- 
gent, suivant qu’ils sont aquatiques ou terrestres. Le mode de 
locomotion des sangsues, hors de l’eau, peut être comparé au 
trajet qu’exécuterait un compas ouvert sur le papier, dont on 
ferait alternativement marcher les pointes, représentées par 
les deux extrémités du corps de l’animal. Les rayonnés nagent 
ou rampent. Les acalèphes hydrostatiques siphonophores se 
déplacent au moyen de vessies aériennes, qu’ils ont la faculté 
de remplir ou de vider d’air. Suivant qu’elles se vident ou 
qu’elles se remplissent, la densité de l’animal est changée, et 
il peut descendre au fond de l’eau ou remonter à la surface. 
Les grands mollusques et les polypes ont des tentacules pour 
agents de locomotion. 

Qui ne serait frappé des modifications nombreuses que pré- 


— 69 — 


sentent les agents auxquels les animaux doivent la faculté de 
se déplacer, et qui ne se verra forcé de conclure qu'elles re- 
montent pour chacun d'eux à l’origine de la création, puisque 
c’est de leur seule permanence que résulte leur manière d’être. 
Si la sélection naturelle opérait ainsi qu'on le prétend, elle 
agirait en sens contraire des lois naturelles. 

A bien voir, il n’y a que quatre modes de locomotion : Ja 
marche, le vol, la natation et la reptation. Le saut n'appar- 
tient exclusivement à aucun animal, et vient s'ajouter à Ja 
marche comme moyen de salut ; la course elle-même n’est 
qu’une marche accélérée ; grimper, c’est marcher, et tout ani- 
mal qui grimpe peut en outre marcher, sauter, voler ou 
ramper. 

La marche appartient surtout aux mammifères, le vol aux 
oiseaux, la natation aux poissons, la reptation aux reptiles et 
aux annélides. 

Le mammifère, pour être dans les conditions les plus par- 
faites de son organisation, doit être terrestre et marcheur, Or 
donc, le castor, l’hippopotame, les phoques, qui vivent dans 
l’eau et sur la terre, non-seulement ne sont pas plus parfaits 
que les autres, mais au contraire ils le sont moins. Ainsi 
donc, s’il fallait les ranger à la suite des mammifères terres- 
tres d’après leur degré de perfection apparente, ils devraient 
être ainsi énumérés : hippopotame, amphibies, cétacés. Et en 
effet ceux qui présentent les modifications les plus profondes 
et qui s’éloignent le plus du vrai type mammifère, sont les 
cétacés et les amphibies au corps pisciforme, les marsupiaux 
à double parturition, les ornithorhynques et les échidnés aux 
-pieds palmés, ayant un bec au lieu de mâchoires. 

Le vol a pour agent l’aile plumeuse ; les oiseaux, parmi les 
vertébrés, en sont seuls pourvus. Ainsi, plus l'aile sera capable 
de servir le vol, plus l'oiseau sera oiseau. Les nageurs, qui 
n’appartiennent au domaine de l’air que par intervalles; l’au- 
truche, le castor, le nandou, qui courent et ne volent pas ; les 
pingouins, le manchot, avec leurs ailes impuissantes à quitter 
le rivage ; l’aptéryx, qui n’a point d’ailes du tout, sont des oi- 
seaux moins parfaits que les autres. Voilà pourquoi les rapaces 
et les insectivores doivent être placés en tête de la série. 


— 63-— 


La natation demande la vie aquatique et des nageoires ; au- 
trement, nager et ramper sont une seule et même chose. II 
faut des nageoires pectorales, ventrales et caudales. En dépit 
des caractères qui les unissent aux autres espèces à corps 
eylindroïde, ceux auxquels manquent des nageoires ou qui 
. n’en ont que de petites, s’éloignent du type poisson pour se 
rapprocher du type reptile. 

La reptation chez les vertébrés n’appartient en réalité qu’aux 
ophidiens, animaux terrestres totalement privés de membres. 
Les tortues, les sauriens et les batraciens peuvent marcher; 
Jeur allure tient tout à la fois de la reptation et de la marche, 
sans être précisément l’une et l’autre. La reptation des pois- 
sons cylindroïdes ne diffère de la reptation terrestre que par la 
nature des milieux où elle s'opère. 

La reptation des animaux articulés n’a pas lieu d’après le 
même système que celui d’après lequel rampent les ophidiens : 
chez les reptiles, c’est une simple flexion des vertèbres ; chez 
les annélides, une contraction et une élongation alternatives 
des pièces qui constituent le squelette extérieur. 

Les insectes sont évidemment destinés au vol; ceux qui 
n’ont pas d’ailes s’écartent du type général. Il est facile de 
comprendre que les aptères, par exemple, étant privés des 
appareils locomoteurs dont sont doués les autres ordres, se 
trouvent dans des conditions évidentes d’infériorité. De même 
que la supériorité du vol place les oiseaux en première ligne 
parmi les oiseaux, de même les insectes qui volent le mieux 
doivent être mis au premier rang parmi les insectes: ainsi les 
hyménoptères et les diptères viennent avant les coléoptères, 
ceux-ci avant les névroptères et les hémiptères, qui sont 
les derniers de la série sous le rapport de la perfection 
du vol. 

Mais ce ne sont pas là des imperfections, ce ne sont que des 
nuances. Tout ce qui dure par une reproduction continuée 
pendant des siècles a ses raisons d’être, et bien audacieux se- 
rait celui qui déciderait que ces légères déviations au plan 
général sont destinées, dans la suite des temps, à disparaître. 
Un caractère de durée indéfinie semble empreint sur tout ce 
qui existe, et la nature ne saurait procéder par des retouches, 


mes ME ai 


comme le peintre qui termine un tableau, ou comme l’écri. 
vain qui fait un errata après avoir relu son livre. ’ 


$ 2. — Vie nocturne. " 


# 


On donne le nom de vie nocturne à cette manière particu- 
lière de vivre qui donne l’activité pendant la nuit et le repos 
pendant le jour. Les deux règnes en fournissent des exemples 
nombreux; mais ils sont bien plus saisissants chez les animaux 
que chez les plantes. 

8 
I. — De la vie nocturne chez les plantes. 
, 3 

Les plantes soumises à la Yie nocturne revêtent une physio- 
nomie particulière. On a donné à leurs fleurs l’épithète de 
tristes, à cause des teintes de la corolle, qui sont ternes. Ces * 
fleurs, inodores pendant le jour, dégagent leurs parfums la 
nuit, et, quelle que soit la famille à laquelle elles appar- 
tiennent, ce parfum, très-suave et analogue à la vanille, est 
toujours le même pour toutes. Chez les plantes nocturnes, la 
fécondation s'opère la nuit, ce qui ne leur est pas exclusif. 

Il existe aussi des fleurs crépusculaires : la belle-de-nuit, le 
Convolvulus tricolor, en sont des exemples remarquables. Même 
parmi les fleurs qui ne sont ni nocturnes ni crépusculaires, il 
en est un bon nombre qui ne sont odorantes “que quand le 
soleil est sous l’horizon; l’air, plus chargé d’humidité le soir 
et la nuit que le jour, empêche la diffusion trop rapide des 
effluves aromatiques, et l’abaissement de la température con- 
court au même résultat, La chaleur, si elle est trop vive, fait 
perdre à la plante plus qu’elle ne gagne, et la vie n’a plus la 
même activité. 

Sans avoir un sommeil comparable à celui des animaux, 
l’absence de la lumière impressionne les plantes d’une ma- 
nière très-marquée. Chez beaucoup d’entre elles, le pétiole de 
la feuille s’élève ou s’abaisse ; les folioles se dressent et s’ap- 
pliquent les unes contre les autres, tantôt par la lame supé- 


L 


Éd ie 


rieure, tantôt par la lame inférieure. Le pédoncule de la fleur 
se comporte comme le pétiole, et Les enveloppes florales, calice 
et corolle, comme les feuilles, d’une manière même plus - 
marquée, en raison de la délicatesse des tissus et de la facilité 


avec laquelle ils sont impressionnés par les grands excitateurs 
# de la vie. Toutefois, en exécutant ces mouvements, les plantes 


obéissent à des lois physiologiques qui sont en elles sans que 
Jeur structure extérieure puisse en donner l'explication; seu- 
lement, on comprend, en voyant certaines de leurs parties 
articulées, qu’elles sont destinées à se mouvoir, et d’une ma- 
pière d'autant plus marquée, que les articulations sont plus 
nombreuses et mieux conformées. 

# Aller plus loin sur ce terrain serait sortir de notre sujet. 
Nous nous bornerons à faire remarquer que les plantes diurnes, 
les-plantes nocturnes et les plantes crépusculaires forment 
trois catégories ou groupes distincts qui ne sauraient procéder 
les uns des autres par sélection naturelle ou artificielle, les 


s propriétés physiologiques ayant une fixité, une persistance, 


une ténacité qui dépasse infiniment tout ce qu’on peut attendre 
de la stabilité des formes spécifiques extérieures. 


II. — De la vie nocturne chez les animaux. 
* 4 

Les animaux soumis aux habitudes nocturnes se font recon- 
paitre à certaines particularités organiques qui en expliquent 
la nécessité Melle est, entre autres, l'impossibilité de supporter 
la lumière. L’œil a donc été modifié; mais il est pour eux des 
compensalions sans lesquelles ils n’auraient pu se perpétuer. 
C’est ce que nous allons faire voir en passant en revue les 
divers embranchements du règne animal et leurs subdivisions, 
dans lesquels se trouvent des animaux nocturnes. 

Îl existe des singes nocturnes qui dorment le jour et veillent 
la nuit. Cette circonstance explique comment il se fait que les 
habitudes des nyctipithèques et des nycticèbes soient si peu 
connues. Ce ne sont pas des singes anthropomorphes, qui 
tous, comme l’homme, sont diurnes, mais de simples 
quadrumanes, ordre qu’il est permis de regarder comme peu 

FÉE, 5° 


ss: QE ion 


naturel, tant leurs formes sont variées et différentes des 
nôtres. Chez les singes nocturnes, la conformation des yeux 
varie, et la pupille n’est pas toujours linéaire; mais, quelle 
qu’elle soit, l'œil ne peut supporter la lumière. Les chiro- 
gales et les loris sont dans ce cas. Les singes diurnes, comme 
certains oiseaux, semblent redoubler d’activité le soir, et ils 
saluent le coucher du soleil par une pétulance plus grande et 
des cris plus perçants. 

Les chiroptères, sauf très-peu d’exceptions, sont nocturnes; 
aucun de ceux de l’ancien continent n’est diurne. Ils volent 
très-vite, et, pour compenser le peu d’ampleur des poumons, 
ils ont des ailes membraneuses bien plus étendues que celles 
des oiseaux, dont les poumons pénètrent jusque dans les os. Les 
chiroptères fendent l’air sans qu’on puisse les entendre, et, pro- 
tégés par la rapidité de leur vol, ils chassent aux insectes avec 
autant d’impunité que de profit. Ces singuliers animaux, isolés 
de tous les autres par l’organisation et par les habitudes, ont 
cependant eñ commun avec les singes des mamelles pectorales. 
Farmi les mammifères nocturnes insectivores, se trouve le 
fourmilier tamanoir. Le loup, les blaireaux, les martres, le re- 
nard, les fouines, les belettes, les rats, ne sont nocturnes que 
par nécessité ; ils redoutent l’homme et ne se montrent que la 
nuit. Les véritables carnassiers nocturnes se trouvent parmi les 
digitigrades à pupille très-étroite et très-contractile. Le yagoua- 
roundi, le jaguar, l’hyène, le tigre, le lion, en un mot tous les 
chats, sont dans ce cas. 

La domesticité a modifié les habitudes de notre chat domes- 
tique : diurne par éducation, il est nocturne par organisation. 
La nuit, il se livre à la chasse et révèle par ses cris formidables 
l’ardeur de ses amours; le jour, il est dormeur. 

Les amphibies sont diurnes, ainsi que les cétacés, les rumi- 
nants, les pachydermes à trompe et les chevaux. Ainsi, quoi- 
que d’une manière inégale, les mammifères se partagent en 
diurnes et en nocturnes, avec des traits mé seer se et des 

* habitudes différentes. 

La vie nocturne s'accompagne d’une marche rapide et lé- 
gère chez les mammifères, d'un vol silencieux chez les 
oiseaux, et chez les uns et les autres d’un œil dont la pupille, 


ss ÉT 2 


facilement dilatable, puisse rassembler les moindres rayons 
Jumineux. C’est là ce qui fait différer les yeux nocturnes des 
yeux diurnes ; il faut très-peu de lumière aux uns et beaucoup 
de lumière aux autres, mais elle est nécessaire dans les deux 
catégories. Si l’obscurité était absolue, les yeux, quelle que fût 
leur conformation, ne sauraient rien voir. 

Ce qui vient d’être dit des mammifères, relativement à leur 
manière de vivre, s'étend aux oiseaux : il en existe aussi de 
diurnes, de crépusculaires et de nocturnes. Les nocturnes sont 
presque exclusivement des rapaces. Dans la saison des amours, 

lusieurs oiseaux chantent près de leur couvée sans être pour 
cela véritablement nocturnes. C’est pour chasser que les ra- 
paces ont été modifiés dans leurs plumes, qui sont duveteuses, 
molles et très-amples, et dans leurs yeux, qui sont énormes et 
doués d'une pupille presque linéaire à l’état de contraction : 
on croirait voir un œil de chat enchâssé dans une tête d’oi- 
seau. Ils volent en silence, et leur vue perce à travers le feuil- 
Jage. Quand ils rasent la terre, malgré la rapidité de leur vol, 
aucune proie ne leur échappe. L'apparition de ces tristes 
oiseaux est si inopinée, qu’elle glace d’effroi ceux devant les- 
quels ils apparaissent à l’improviste. Les hiboux, les chouettes, 
les chats-huants, ne vivent que la nuit, et la lumière les impor- 
tune. 3 

Les reptiles sont tous diurnes quant à l’organisation ; en gé- 
néral ils ont besoin de la lumière solaire pour jouir de toute 
leur activité. Les serpents chassent aux nids et aux oiseaux 
pendant la nuit. Ils agissent ainsi pour avoir plus d’impunité, 
et n’appartiennent pas pour cela à la vie nocturne. 

La vie des poissons, étant une chasse perpétuelle, n’a toute 
sa plénitude d’action que pendant le jour; cependant ils n’é- 
prouvent pas tous un égal besoin de lumière. Les uns la 
cherchent à la surface de l’eau, les autres la fuient jusque dans 
les couches profondes; quelques-uns même se cachent dans la 
vase : tels sont les poissons serpentiformes. Il ne parait pas 
que ces tendances soient justifiées par des modifications orga- 
niques. Les grands nageurs sont les plus disposés à se mettre 
en rapport avec la lumière ; ceux qui nagent moins bien ou qui 
ne se déplacent que par reptation sont dans des conditions 


— 68 — 


opposées : les premiers sont véritablement aquatiques, les se- 
conds se rapprochent davantage des animaux terrestres. Aussi 
en est-il quelques-uns qui ‘peuvent vivre dans les herbes hu- 
mides pendant un temps assez long. 

Beaucoup de mollusques ont des habitudes nocturnes sans 
présenter rien de particulier dans leur organisation. Ils sont 
donc tous diurnes; mais c’est la nuit surtout qu'ils se repais- 
sent. Pour ces animaux apathiques, la nuit, du reste, et le 
jour diffèrent bien peu. 

Les crustacés et les annélides ne donnent lieu à aucune con- 
sidération qui se rapporte au sujet que nous traitons. Parmi 
les arachnides, le sarcopte de la gale est évidemment noc- 
turne. Quant aux insectes, ils présentent, comme les mammi- 
fères et les oiseaux, tous les genres de vie. 

Il en est donc de diurnes, de crépusculaires et de noc- 
turnes, les uns à yeux lisses, les autres à yeux à facettes. Rien 
dans leur organisation ne semble trahir leurs habitudes, rien 
ne paraît les expliquer. Parmi les hémiptères nocturnes, se 
trouve la punaise domestique, à ailes rudimentaires. Beaucoup 
d’espèces de coléoptères ont une vie nocturne. Les ortho- 
ptères sont diurnes, ainsi que les névroptères et les hyméno- 
ptères. Parmi les lépidoptères, les papillons proprement dits 
sont diurnes; les phalènes, nocturnes; les sphinx, crépuscu- 
laires. Les cousins, qui font exception parmi les diptères, sont 
tout à la fois diurnes et nocturnes. Le reste du règne animal 
ne donne lieu à aucune remarque qui se rattache à notre 
sujet. 

Et maintenant voici ce qu’il faut conclure de ce qui vient 
d’ètre dit. Les animaux et les plantes se partagent, par la 
manière dont agit sur eux la lumière, en deux grandes catégo- 
ries : les diurnes et les nocturnes, les uns héliophiles, les 
autres héliophobes. Dans les premiers entrent de droit les 
crépusculaires, qui n’apparaissent ou ne fleurissent qu'après le 
coucher du soleil. 

On peut facilement comprendre qu’un animal diurne puisse 
veiller la nuit et se mettre en chasse s’il a faim; mais on ne 
comprendra plus qu'un animal nocturne puisse devenir 
diurne, quelque besoin qu’il en eût, puisque son œil ne peut 


ss. 10% 


supporter la lumière. Tous les yeux s’accommodent de la nuit, 
sauf à voir peu, mais non du jour, quand l’organisation s’y 
oppose. Lorsqu'une faculté physiologique fait défaut et que 
l'organe du sens qui en donne la jouissance la refuse, cette 
lacune ne peut être comblée ni par la sélection naturelle ni 
par la sélection artificielle. Ce qui tient à l’essence même de 
la vie est immuable, ne craignons pas de le redire. 

La nature vivante ne se repose jamais. Lorsque l’activité 
diurne cesse, l’activité nocturne commence. A peine le soleil 
a-t-il disparu sous l'horizon que les chiroptères, ces hiron- 
delles de la nuit, prennent leur vol et chassent aux insectes. 
Peu après le cri des chouettes se fait entendre, et les mulots, 
ainsi que les petits oiseaux, ceux qui perchent bas, tombent 
sous le tranchant de leur bec. Les fouines, les belettes, les 
martres, s’approchent de nos poulaillers; les serpents glissent 
sur les herbes et s’élèvent sur les arbres pour s'emparer des 
couveuses et de leurs petits. Les gros coléoptères, les insectes 
suceurs, les mollusques avec ou sans coquilles, s’attaquent aux 
plantes et aux animaux. Cet immense repas ne s’interrompt 
que dans l'intérêt de la reproduction; c’est alors que les ani- 
maux s’accouplent et que les plantes se fécondent. Beaucoup 
de victimes ont péri; mais le jour vient qui répare les pertes 
de la nuit. Maintenir l’équilibre numérique des êtres vivants, 
garder à tous une place, quoiqu’elle soit toujours menacée, tel 
est le but de la nature. Sel 

A peine l’aube a-t-elle jeté ses lueurs incertaines sur la 2rre 
que l’on voit disparaître les déprédateurs nocturnes. C’es' par 
des chants d’oiseaux, c’est-à-dire par des concerts, que pré- 
lude la vie diurne ; sans doute, les luttes recommenceron*, mais 
du moins il y aura plus de loyauté dans l'attaque et plus d’é- 
nergie dans la défense (1). 


$ 3. — Sommeil. 


Le sommeil est aussi nécessaire à la vie que l’alimentation ; 


(4) Les animaux nocturnes, mammifères et oiseaux, courent bien moins de dangers 
que les diurnes; mais ils sont bien moins nombreux, et en général pullulent bien 
moins. , 

LL] 


Le ne 


peut-être même ce besoin est-il encore plus impérieux et 
peut-on supporter moins longtemps celte privation. 

Dans la veille, la vie est tout action; la puissance nerveuse, 
comme toutes les forces, s’épuise, et le repos devient néces- 
saire. Ce repos, c’est le sommeil, une sorte de mort avec ré- 
surrection de chaque jour. L'animal endormi oublie jusqu’au 
soin de sa propre conservation. L’œil ne voit plus, l’oreille 
n’entend rien, les muscles sont détendus, et chez l’homme le 
cerveau n’a plus que des idées confuses. Lorsque cet état a 
duré plus ou moins, suivant les diverses espèces d’animaux, le 
réveil arrive, et les forces sont réparées jusqu’à nouvel épui- 
sement et nouveau sommeil. 

Nous n’avons à considérer le sommeil que chez les mammi- 
fères et les oiseaux, non que les reptiles et les poissons ne 
dorment pas, mais parce que le sommeil ne donne lieu chez 
eux à aucune particularité digne d’être notée. Les serpents se 
roulent en cercle, et, comme ils n’ont point de paupière, ils 
cachent leur tête dans un repli de leur corps; les tortues se 
contentent de rentrer la leur dans la carapace. Même pendant 
le repos des nuits, les poissons nageurs ne sont pas absolument 
immobiles, et leurs nageoires les maintiennent en équilibre, 
Pour tout le reste des animaux, mollusques, insectes et rayon- 
nés, le sommeil m’est autre chose que l’immobilité. 

Nous avons parlé des animaux diurnes et des animaux noc- 
turnes, c’était dire implicitement qu’il existe un sommeil de 
jour et un sommeil de nuit. On peut reconnaître aussi deux 
genres de sommeil quant à la durée : le sommeil intermittent 
ou à courte période, et le sommeil continu ou de longue du- 
rée. Le premier est celui auquel les animaux se livrént quoti- 
diennement ; le second, qui dure plusieurs mois, est une sorte 
de torpeur ou d’engourdissement qui a fait donner aux ani- 
maux chez lesquels on l’observe l’épithète d’hibernants. L’hi- 
bernance est inconnue chez les oiseaux, rare chez les mam- 
mifères, et presque universelle chez les reptiles, surtout dans 
les climats froids ou même tempérés. 

Pour goûter ce long repos, les mammifères se blottissent, 
roulés en boule, dans des trous, avec quelques provisions. Tous 
ceux qui cèdent à ce genre de sommeil sont frugivores. Une 


JU — 


seule exception peut être signalée, elle concerne les chiro- 
ptères, qui s’accrochent par les pieds de derrière et demeurent 
immobiles, la tête en bas, pendant de longs mois. Les reptiles 
dans l’hibernance se cachent dans la vase ; les mollusques se 
réfugient dans des trous, et ceux qui ont une coquille sécrètent 
une matière calcaire qui en ferme exactement l'ouverture. 

Les insectes qui prolongent leur vie au delà d’une année 
cherchent aussi des retraites pour l’hibernance ; ils s’engour- 
dissent et sont incapables de voler ou même de marcher. 

Les causes de ce sommeil d’hiver s’expliquent par l’abaisse- 
ment de la température, qui ralentit la circulation et ne laisse 
plus à l'animal qu'une vie privée de toute énergie. La nature, 
en faisant des animaux frugivores et granivores, a dû leur 
donner l'instinct des approvisionnements; mais, comme les 
fruits ou les graines qu’ils accumulent sont insuffisants pour 
les nourrir, elle a voulu qu’ils fussent dormeurs. Si les or- 
ganes locomoteurs des oiseaux, principalement les insecti- 
vores, n’avaient pu les transporter des régions froides dans les 
régions chaudes, il aurait fallu, pour se perpétuer, qu’ils 
fussent hibernants. se 

Lorsque la chaleur de l’été a desséché, sous les tropiques, 
rivières et marais, les grands reptiles, notamment les caimans, 
restent enterrés dans la vase et deviennent torpides. On peut 
les tuer impunément pendant ce sommeil forcé. Beaucoup 
d'animaux condamnés à de longues diètes se livrent au som- 
meil pour tromper la faim. La même chose arrive, dit-on, 
aux Boschimens, cette race d'hommes abrutie et dégradée ; 
mais l'emploi de ce moyen n’est, bien entendu. que tempo- 
raire. 

Les plantes vivaces, par leurs bulbes et leurs tubercules, et 
les arbres, par leurs bourgeons aériens, sont essentiellement 
hibernants. Dans le désert de Bahia, au Brésil, où se trouvent 
des arbres à feuilles caduques, celles-ci ne se développent que 
s'il pleut. Or, il se passe quelquefois deux ou même trois ans 
sans qu’une goutte d’eau tombe du ciel, et aussi longtemps 
que dure cette sécheresse, les bourgeons qui ne s'ouvrent pas 
se comportent comme s’ils étaient à l’état d’hibernance. 

Le sommeil quotidien, étudié chez les mammifères et chez 


SU. 


les oiseaux, donne lieu à quelques remarques intéressantes. 

Le premier acte du sommeil, chez la plupart des animaux, 
est une sorte de fatigue de l’œil, qui ne peut plus supporter la 
lumière. Les yeux se ferment, et le sens dont ils sont l'organe 
se repose. Pourtant il est des mammifères ruminants, pachy- 
dermes et rongeurs, dont l'œil reste ouvert pendant le som- 
meil; cependant il est naturel d'admettre que la perception 
des objets n’a plus lieu, et cette particularité ne doit pas nous 
surprendre, puisque l'oreille, quoique toujours ouverte, cesse à 
son tour dans le sommeil de percevoir les sons. Mais, comme 
le sens de l’ouïe est la principale sauvegarde de l’animal, tout 
bruit qui s'ajoute aux bruits auxquels l'oreille est habituée 
provoque le réveil. La plupart des mammifères se couchent 
pour dormir; les proboscidiens dorment debout, et très-souvent 
même les chevaux. Les quadrumanes, qui tomberaient en 
s’endormant, rapprochent les branches des arbres, les entre- 
lacent, et cette hutte toute primitive leur fait trouver partout 
un point d'appui. Parmi eux, il en est qui se couchent, et 
d’autres qui restent assis, principalement les espèces à fesses 
calleuses. Les amphibies ne dorment qu’à terre ; les cétacés 
s'élèvent à la surface de l’eau, qui les berce doucement. 
Beaucoup de rongeurs dorment dans des nids d’herbes et de 
mousses, entre autres ceux qui ont des terriers. La position 
que prennent les mammifères quand ils s’endorment n’a rien 
qui soit déterminé par l’organisation, à l'exception des chi- 
roptères, suspendus par un doigt courbé en crochet qui se dé- 
tache es ailes. 

Les oiseaux offrent plus de variété dans la position qu’ils 
prennent pendant le sommeil. On peut, sous ce rapport, les 
diviser en percheurs et en non percheurs; les uns passent les 
nuits sur les arbres, les autres à terre, debout sur leurs pattes 
ou couchés sur le ventre, les ailes repliées dans la position des 
couveuses. 

Les oiseaux percheurs, soit dans la veille, soit dans le som- 
meil, peuvent se tenir sur les branches les plus faibles sans 
tomber; un muscle de la cuisse, dont le tendon passe par- 
dessus le genou, s’étend jusque suriles doigts et les rapproche 
du tarse. L'action de ce muscle est d'autant plus énergique 


in 


que le genou se plie davantage. Il suffit que le corps pèse sur 
les jambes pour que les doigts embrassent fortement la branche 
qui sert à percher. Ce mécanisme, aussi simple que merveil- 
Jeux, n’agit pas sur les oiseaux qui dorment à terre, et si chez 
eux ce muscle existe, il n’est qu’à l’état rudimentaire. 

Les échassiers, cinquième ordre des oiseaux, renferment 
des genres assez disparates. Il s’en trouve bon nombre qui ont 
la singulière faculté de se tenir debout le jour pendant des 
heures entières, et toute la nuit durant le sommeil. Cette station 
est pour eux du repos. Voici ce qui la rend possible : une pe- 
tite rainure reçoit le condyle externe du fémur, et un liga- 
ment latéral, qui se déplace par le poids seul de l'oiseau, main- 
tient la jambe immobile et inflexible aussi longtemps que 
l'animal ne se déplace pas. On compare la manière dont les 
os de la jambe se replient sur le fémur au jeu de la lame et 
du manche d’un couteau à ressort, ou à la manière dont agit 
VS d’un cabriolet destinée à le tenir ouvert ou fermé. 

Parmi les oiseaux percheurs, se trouvent les calaos et les 
toucans, qui, pour trouver le sommeil, s’affaissent sur eux- 
mêmes, étendent leur bec devant eux, ou bien le rejettent sur 
le dos pour mieux en supporter le poids. 

Beaucoup d'oiseaux, surtout les passereaux, les gallinacés, 
les palmipèdes, dorment la têle sous l’aile, le bec plus ou 
moins tourné vers la queue. Quelques oiseaux à plumage 
abondant infléchissent leur cou et cachent leur tête dans les 
plumes de la gorge. Ces diverses manœuvres ont pour but 
de mettre l’œil à l’abri de la lumière, et de préserver la tête de 
l’action du vent et du froid extérieur. 

On voit, par ce qui vient d’être dit, que, pour le sommeil, de 
même que pour toutes les autres fonctions animales, il existe des 
particularités d'organisation qui donnent certaines aptitudes ou 
qui les refusent : telles sont celles qui permettent de rester à l’état 
de suspension, la tête en bas, pour un temps plus ou moins 
long, comme les chauves-souris; de pouvoir se maintenir sans 
tomber sur les branches pendant le sommeil, comme les 
oiseaux percheurs, ou de rester debout, immobile, sans fa- 
tigue, comme un très-grand nombre d’échassiers. Ces parti- 
cularités, et nous sommes loin d'indiquer toutes celles qui se 


à per NE ie 


rattachent au sommeil, viennent de plus en plus démontrer la 
difficulté matérielle qui s’oppose à la mutation des espèces 

À - ; , 
bien plus stables qu’on ne voudrait le croire. Ce qui va suivre 


en fourhira d’autres preuves non moins convaincantes. 
* 


$S #. — Nutrition. 


Deux nécessités de la vie organique, la nutrition et la re. 
production, se partagent, quoique d’une manière inégale, la 
durée de l'existence fonctionnelle des êtres vivants. Ils se nour- 
rissent dès leur naissance, tandis que, pour se reproduire, il 
faut que les organes y soient préparés, et cette époque, que 
suit de près le terme de l’accroissement, est une sorte de crise 
qui souvent est le terme de la vie : une foule d'insectes et de 
plantes en fournissent des exemples. 

Chez les animaux, les principales fonctions sont localisées ; 
chez les plantes, les seuls organes reproducteurs ont un siége 
spécial. Elles se nourrissent par toute leur surface, — qui est 
absorbante, — de gaz et de matières solubles dans l’eau. Fixées 
au sol, elles ne peuvent aller à la recherche des aliments des- 
tinés à les accroître ; aussi en sont-elles de toutes parts entou- 
rées, aussi bien à l’air libre que dans le sein de la terre. C’est 
passivement qu’elles se nourrissent, sans nul effort et sans 
connaître la satiété. Les animaux, au contraire, libres dans 
leurs mouvements, doués d'organes spéciaux pour la préhen- 
sion des aliments et la manducation, sont constamment occu- 
pés du soin de se nourrir. Tandis que les plantes veulent des 
gaz et de l’eau presque pure, les animaux ne s’approprient 
que des corps solides ou mous, et des liquides saturés de molé- 
cules assimilables. 

Quoique les plantes se nourrissent toutes en apparence de la 
même manière, la spécificité n’en existe pas moins dans les 
résultats. L’assimilation est tellement distincte, que toutes ont 
une constitution différente et que les principes immédiats va- 
rient à l'infini. Les genres Cinchona, Cephelis, Papaver, Vera- 
trum, Aloe, Fucus, sont aussi bien caractérisés par la quinine, 
la cinchonine, l’émétine, la morphine, la vératrine, l’aloès, 


se TN 22 


liode, que par les caractères purement botaniques ; la méta- 
morphose des formes en devient donc plus difficile. 

Chez les animaux, les agents qui favorisent la nutrition sont 
appropriés merveilleusement à la nature des aliments, et ces 
aliments s'étendent à la nature organique tout entière : corps 
vivants et corps privés de vie, lait, œufs, chairs, os, feuilles, 
bourgeons, bois, fleurs, fruits, semences, fécule, sucre, tout 
est mis à profit, et la variété des mets est en rapport avec la 
prodigieuse étendue de la table et le nombre presque infini 
des convives. Mais pour utiliser ces substances, si différentes 
de nature, il fallait des instruments qui le permissent, et c’est 
là ce qui fait de la plupart des espèces des créations distinctes. 
Le rapport qui existe entre les aliments et les animaux qui se 
les approprient est si parfait, qu’il est permis de croire qu’ils 
sont de temps immémorial une conséquence les uns des autres, 
et que la création n’a tant diversifié la nature des aliments 
que pour diversifier en même temps la forme des êtres aux- 
quels ils étaient destinés. La grande variété de produits ex- 
plique la grande variété des appareils qui devaient les utiliser. 
Non-seulement la bouche a été modifiée dans toutes ses par- 
ties, mais l'appareil digestif tout entier a dû subir des modifi- 
cations profondes. 

Il fut un temps, assez court peut-être, où il n’y eut sur la 
terre que des herbivores : c’était l’âge d’or de la nature orga- 
nique; mais les animaux fussent devenus trop nombreux, et, 
pour mettre des bornes à cette multiplication exagérée, les 
carnassiers furent créés. 

On trouve des herbivores parmi les mammifères, les mol- 
lusques et les insectes, plus rarement parmi les crustacés, et 
très-exceptionnellement parmi les oiseaux, les poissons et les 
chéloniens. Les mammifères herbivores sont caractérisés par 
des dents molaires à surface large, marquée de deux doubles 
croissants, par un estomac simple ou multiple,et par des intes- 
tins fort longs. S'ils sont polygastres, ils ruminent ; quelques- 
uns vivent de racines et même de bulbes qu’ils déterrent 
avec des canines, comme le porte-musc; avec des ongles, 
comme le diplostome des bords du Mississipi ; avec un groin, 
comme le sanglier. Tout le monde connaît l’usage que l'élé- 


SE 


phant fait de sa trompe, organe précieux qui n’a aucun r'ap- 
port avec le nez du tapir, animal rapproché à tort de l'élé- 
phant, avec lequel il n’a aucun rapport véritable. 

Les mammifères herbivores ne se nourrissent pas indistine. 
tement de toutes les plantes. Certains amphibies ne paissent 
que les fucus, et de ce côté, comme de bien d’autres, ils dif- 
fèrent tout à fait des herbivores terrestres. On ne pourrait 
nourrir ceux-ci avec les plantes marines, ni les phoques avec 
l'herbe des prairies. Il est probable que le lichen, fourrage 
des rennes, ne serait pas du goût des bœufs ou des cerfs. Ainsi 
tout est spécial, tout est séparé, tout est créé dans une inten- 
tion providentielle qui se révèle par l’organisation et les habi- 
tudes de la vie. 

Les harmonies qui existent entre les insectes et les plantes 
sont tellement nombreuses, qu’on peut dire, sans craindre d’être 
contredit, que la vie des uns est, dans certains cas, subordon. 
née à celle des autres. Ce qui le prouve, entre autres, c’est 
qu'ils sont pour les végétaux à sexes séparés de puissants 
agents de fécondation, et souvent les seuls. A voir les prodi- 
gieuses modifications de la bouche de ces curieux animaux et 
les instruments de toutes sortes, scies, lames tranchantes, 
cisailles, etc., dont ils sont armés, si la nourriture doit être 
solide, tandis qu’elle est réduite à un seul suçoir, si l’alimen- 
tation doit être liquide, qui ne constaterait l’existence de 
causes finales qui soumettent la nature et la maintiennent in- 
variable? 
- Les frugivores et les granivores se trouvent surtout parmi 
les oiseaux; les singes se nourrissent de fruits, mais ils ont 
pour auxiliaires de ce mode d’alimentation les racines et les 
tiges succulentes; parfois même la nécessité les fait omnivores, 
et c’est avec l’homme un nouveau trait analogique. On recon- 
naît facilement à l'inspection du bec si les oiseaux ouvrent les 
graines, ou s’ils les avalent entières. Les gallinacés et les pi- 
geons sont dans cette dernière catégorie. Beaucoup sont poly- 

tres, et ce que ne peut faire le bec, le gésier s’en charge ; 
cependant beaucoup de graines échappent à cette trituration, 
circonstance très-favorable à la dissémination des graines, 
dont les oiseaux sont les agents les plus actifs. Les passereaux 


ont un bec délié, et cependant robuste. Se sont-ils emparés 
d'une graine, quelque petite qu’elle soit, ils la mettent sur sa 
face dorsale, l’ouvrent et mangent l’amande. Il faut, pour 
qu'ils se nourrissent, recommencer souvent cette opération ; 
aussi leurs repas durent-ils toute la journée. Les perroquets, 
dont la patte est un instrument de préhension, sont, parmi les 
oiseaux, de très-habiles granivores. 

Les animaux carnassiers se trouvent presque exclusivement 
parmi les mammifères et les oiseaux. Ce sont des chasseurs 
infatigables qui passent d'ordinaire d’une longue diète à des 
écarts formidables de régime. Puissamment armés, agiles, 
robustes, richement vêtus, ils deviennent, par le droit du plus 
fort, les tyrans redoutés des cantons qu’ils habitent. Chez eux, 
les sentiments affectifs pour la race sont très-développés chez 
les femelles et presque nuls, au contraire, chez les mâles ; les 
oiseaux de proie seuls font exception. 

Les insectivores appartiennent à plusieurs ordres de verté- 
brés, mammifères et oiseaux. Parmi les premiers, se trouvent 
les hérissons, les tenrecs, les taupes, les condylures, le four- 
milier, tous remarquables par la bizarrerie de leurs formes et 
la singularité de leurs habitudes. Dans les derniers, se rangent 
l'hirondelle, le gobe-mouches, la bergeronnette, le rossignol. 
Beaucoup de reptiles vivent d’insectes; quelques poissons en 
sont avides. Tous ces animaux avalent leur proie vivante. 

L'organisation de la bouche sépare complétement les ani- 
maux qui vivent de matières solides de ceux qui s’alimentent 
exclusivement de liquides. On leur a donné le nom de suceurs. 
Peu de mammifères appartiennent à cette catégorie, et il faut 
les chercher parmi les chiroptères. 

Les colibris, véritables oiseaux-papillons, tant les teintes 
métalliques de leurs plumes ont d’éclat et de légèreté, se nour- 
rissent du suc nectaréen des fleurs, et peut-être aussi des petits 
insectes qui vivent dans les corolles. Ils ont une langue effilée, 
partagée au sommet en deux longs tubes déliés, organes de 
succion. 

On connaît un nombre si considérable de poissons suceurs, 
qu’ils forment dans la méthode ichthyologique de Cuvier la 
première famille de la première classe des chondroptérygiens : 


— 78 — 


tels sont la lamproie, l’ammocète et le gastrobranche, pois- 
sons sans opercules, dont les lèvres forment un cercle entier 
autour de la bouche, qui est concave. Cette organisation rap- 
pelle celle de l’appareil de succion de certains vers à sang 
rouge. 

Ce mode d'alimentation, très-rare chez les crustacés, est 
bien plus généralisé chez les insectes, témoin les lépidoptè- 
res, les hémiptères, les diplères surtout et les aptères, parmi 
lesquels Fhomme compte plus d’un ennemi. Les hirudinées, 
et en général les vers intestinaux, sont des animaux suceurs. 

Un mode d'alimentation tout spécial et très-extraordinaire 
est celui qui appartient en propre aux mollusques attachés 
sur les rochers. Ils n’ont ni mâchoires ni dents, et se nour- 
rissent des molécules organiques et des animaux microscopi- 
ques que leur apporte le flot, quand leur coquille est béante. 1] 
n’est pas moins singulier de voir le ver de terre avaler la terre 
végétale, qui se dépouille pendant son trajet, à travers le tube 
intestinal, des parties assimilables qu’elle renferme : c’est ainsi 
qu’ils épuisent le terreau et qu'ils nuisent à l'horticulture. 

L'homme est-il véritablement omnivore? Ce point d’histoire 
naturelle est difficile à éclaircir. Et d’abord, est-il carnassier? 
Rien ne le démontre : il n’a ni canines puissantes ni ongles ré- 
tractiles, comme les chats. Est-il organisé pour être carni- 
vore? Nous ne le croyons pas davantage : sa bouche n’a qu’une 
ouverture très-médiocre et ne se prolonge pas en museau. Ce 
n’est pas pour lui un instrument de préhension, et les dents 
qui la garnissent ne sauraient en faire un ossifrage. Qu'il 
puisse vivre exclusivement de végétaux, personne n’en doute, 
tandis qu’il n’est pas prouvé que les chairs seules soient ca- 
pables de le faire vivre. Les Esquimaux sont, il est vrai, ich- 
thyophages, et les Fuégiens vivent de mollusques ; mais ici la 
nécessité a fait loi, et l’habitude a prévalu sur les instincts 
naturels. Pour manger les chairs, il faut qu’elles soient déna- 
turées par la cuisson et par les assaisonnements. La vue du 
sang nous est odieuse, et nos dents, le voulussions-nous, ne 
sauraient diviser les chairs crues. 11 nous semble que l’homme 
doit prendre place parmi les vertébrés qui vivent aux dépens 
du règne végétal : fruits, racines féculentes, semences émul- 


— 79 = 


sives. Les animaux carnassiers et carnivores, toujours préoc- 
cupés du soin d’assurer leur nourriture, s’isolent les uns des 
autres et vivent séparés ; tandis que les herbivores, qui trouvent 
partout les aliments qui conviennent à leur organisation, se 


‘ réunissent par troupes, et l’homme possède comme eux, et 


au plus häut point, ce même instinct de sociabilité. Serait-il 
impossible de ne pas voir ici l’indice d’une diététique dont le 
règne végétal ferait tous les frais? 

Il ne faut pas observer longtemps pour se convaincre qu’il 
n’est pas une seule plante, un seul animal, un seul produit 
des deux règnes qui ne serve à l’alimentation des êtres vivants. 

Quoique cachées dans la terre, les racines n’échappent pas 
pour cela à la dent des animaux; les tiges jeunes encore 
tombent avec les feuilles et les bourgeons sous la mandibule 
des insectes; une classe tout entière de coléoptères se nourrit 
de bois, et a reçu, en raison de ce mode d’alimentation, le 
nom de æylophages. L’épiderme de toutes les parties foliacées 
est entamé par les larves. Les gallinsectes y introduisent, à 
’aide de leur pondoir, des œufs accompagnés d’une matière 
irritante qui donne lieu à l’évolution de ces productions 
bizarres connues sous le nom de galles, habitations parfaite- 
ment disposées, où les larves qui éclosent, bien abritées, 
trouvent tout à la fois une sécurité parfaite et une abondante 
nourriture. Les bourgeons, les écorces, les fruits, les semences, 
ont des animaux spéciaux qui les dévorent; il n’est pas jus- 
qu’au pollen qui ne soit attaqué par des insectes si petits, que 
l'œil peut à peine en déterminer la forme. Les produits végé- 
taux à leur tour, sucs nectaréens, matières céreuses, exsuda- 
tions de toute sorte, nourrissent une foule de petits animaux. 
Une famille tout entière de diptères vit aux dépens des champi- 
gnons, qu'entame aussi la dent des mollusques. Le blé 
de nos greniers devient la proie des charançons. Nos pro- 
visions les plus précieuses ont pour dévastateurs plusieurs es- 
pèces de rongeurs; nos herbiers sont visités par des ptines et 
des anthrènes , redoutables par leur nombre plutôt que par 
leur taille. 

Les animaux, à leur tour, nourrissent les animaux ; tandis 
que leurs débris enrichissent la terre, dans laquelle les plantes 


PAGE 2 A 


puisent les éléments de leur accroissement. L’organi e 
nourrit l’organisme. Il est des carnassiers pour les airs 
vivantes, des carnivores pour les chairs mortes. Les animaux 
que la force etAltaille protégent servent à nourrir de leur 
sang les insectes suceurs. L’éléphant ne parvient à se SOUs- . 
traire à leurs piqüres qu'en se couvrant de vase, -le renne 
qu’en se réfugiant sur les hauteurs, l’homme qu'en se frottant 
de graisses et en consentant à vivre dans la fumée. Mais que 
dirons-nous des parasites, et même des parasites de parasites? 
Ne prenons que l’homme pour exemple : les ricins, la puce 
pénétrante, le sarcopte, les poux, s’attaquent à l’épiderme ou 
pénètrent dans le derme; les entozoaires habitent toutes les 
parties de son corps : estomac, intestins, foie, œil, muscles; on 
les trouve partout, et jusque dans les veines et dans le cer- 
veau, On connait des parasiles pour la tête, pour le pubis, 
pour les pieds. La même chose peut se dire des autres ani- 
maux. C’est ainsi que la vie soutient la vie, et qu’une même 
loi se confirme par deux effets différents et en apparence op- 
posés : conserver et détruire. 

En présence des modifications organiques qui s’adaptent si 
parfaitement à la diététique des animaux, comment invoquer 
le hasard, comment confier à la variabilité, qui n’est soumise 
à aucune règle fixe, le développement des êtres vivants? Quoi 
de plus complétement séparés que les herbivores monogastres 
et polygastres, que les herbivores qui paissent l'herbe des prai- 
ries et les amphibies qui vivent exclusivement de plantes ma- 
rines? Quoi de plus distincts par l’organisation que les ani- 

” maux broyeurs et les animaux suceurs, que ceux dont la 
bouche est puissamment armée sde dents ir 
canines et de dents molaires, tandis que d’autres n’on 
langue extensible pour appareil de préhension et de mandu- 
cation? Par quelles transitions auraient donc pu passer tant 
d'organisations spéciales, si nombreuses que, pour indiquer 

seulement les principales, il faudrait ée re de gros “unes 
On ne le devine pas. Ce qui frappe nos yeux comme résultat 
de la création laisse peu de place à des 

“après avoir étudié le résultat et proclamé ce qu’il y a 
diose, on ne pourrait dire comment et pourq uoi | l s’e 

. “+ 


, de £ 


é 


— 81 — 


» 
Peut-être alors serait-il sage de se contenter d’apprécier 


effets sans trop se préoccuper des causes. 
LEE, 


$ 5. — Reproduction. 


Si le mode d’alimentation, la nature des substances nutri- 
tives et la diversité des agents chargés d’en permettre l’usage 
fortifient l'opinion qui | 4 la permanence des types, la 
reproduction, à son tour, vient confirmer ces données et leur 
prêter une incontestable vraisemblance. Il pourrait, jusqu’à 
certain point, suffire de tout ce qui précède pour fixer les in- 
certitudes; cependant, ici comme dans les meilleures causes, 
la surabondance des preuves est indispensable. Nous allons 
donc rappeler de nouveaux faits, et la reproduction va nous 
les fournir. Voyons d’abord le règne végétal. 

Il est pour les plantes, impuissantes à quitter le lieu où 
elles ont pris naissance, une circonstance exceptionnelle, vé- 
ritable déviation aux lois qui régissent la nature végétale : elles 
sont parfois unisexuelles et ne peuvent être fécondées que par 
le pollen qui leur arrive à travers les airs. Peut-être serions- 
nous moins frappés des inconvénients d’une pareille anomalie, 
si la terre était aujourd’hui dans les conditions où elle se trou- 
vait autrefois. Les plantes à sexes séparés vivaient les mâles à 
côté des femelles, et les unions offraient moins de difficultés 
que de nos jours, où l’on voit que l'industrie humaine les a 
sép les unes des autres, Quoi qu’il en soit, cette disjonc- 
tion des sexes est, un fait considérable qui fait deux "catégories 
de plantes qui ne sauraient changer leurs caractères pour de- 
venir hermaphrodites ou unisexuelles, tant elles sont bien or- 
ganisées pour être et rester telles qu’elles se montrent à nous. 
s Végétaux, soumis en apparence d’une manière passive à 
Ja es agents extérieurs pour tout ce qui se rapporte à la 


nutrition, se nn d des animaux dans la 
É ER fonctionnent les organes générateurs et dans les 

ésultats des actes accomplis : irritabilité des étamines, jets de 
es attachés par des cordons ombilicaux à des pla- 


CRÉÉ 6 
Éd 0 à 


ss: DR Lui 


centaires, embryons entourés pendant leur formation d’une 
sorte de liqueur amniotique; quoi de plus analogique ? 

Les caractères typiques tirés des organes générateurs, quoi- 
que souvent d’une très-grande petitesse, sont parfaitement 
distincts et très-diversifiés : enveloppes florales qui semblent 
se jouer de la forme; étamines plus ou moins nombreuses 
chargées d’anthères, gorgées d’un pollen en apparence hétéro. 
morphe et en réalité soumis à des formes déterminées; Ovaires 
plus ou moins riches en ovules ; fruits de toutes grosseurs, de 
toutes couleurs, de toute consistance ; embryons prenant 
toutes les directions possibles et merveilleusement disposés 
pour cette sorte d’incubation terrestre, à laquelle nous don- 
nons le nom de germination, fonction pleine de mystères qui 
prélude à la vie végétale par la nutrition, pour ne se terminer 
qu'à la maturation des graines; et pendant cette longue évo- 
lution, que de particularités curieuses! que de phénomènes 
inexpliqués! C’est la vallisnérie, plante monoïique dont les 
fleurs mâles, attachées près du collet de la racine, brisent leur 
pédoncule pour s’élever à la surface de l’eau et se mettre en 
contact avec les fleurs femelles; l’utriculaire, dont la densité 
varie suivant les besoins de la fécondation; l’arachide et la 
gesse amphicarpe, qui enterrent leurs fruits; les euphorbia- 
cées, qui lancent au loin leurs graines pour les disséminer ; les 
érables, dont les fruits sont ailés; les valérianées et les synan- 
thérées, qui couronnent leurs akènes d’aigrettes plumeuses, 
Ge sont enfin les agames, qualifiés peut-être à tort de végétaux 
inférieurs, qui préludent à la vie par des anthéridies mobiles 
remplissant le rôle d’agents fécondateurs. Combien d’autres 
modifications organiques passons-nous sous silence qui spécia- 
lisent les types et révèlent les grands desseins de la Provi- 
dence! 

Dans le règne végétal, tout s’opère sur place; mais, chez 
les animaux qui peuvent changer de lieu, notamment chez 
les animaux terrestres, il fallait que les producteurs s’intéres- 
sassent à leurs produits : de là cette nécessité de sentiments 
affectifs destinés à protéger la race. C’est par là surtout que le 
règne animal l’emporte sur le règne végétal. Les mammi- 
fères, les insectes, et par-dessus tout les oiseaux, offrent des 


—— S3 — 


témoignages éclatants de cet attachement sans bornes des pa- 
rents pour leur progéniture, et c’est là ce qui les rapproche 
de nous. Ces sentiments s’éteignent-ils, les animaux sont véri- 
tablement inférieurs; ils n’éprouvent qu’un besoin, celui du 
rapprochement des sexes; encore n’a-t-il lieu, chez les pois- 
sons, qu’à titre très-exceptionnel. 

Sous le rapport de la génération, les mammifères se par- 
tagent très-naturellement en monodelphes, et en didelphes ou 
marsupiaux, que l’on regarde comme moins parfaits que les 
autres, la double parturition dont ils offrent le singulier 
exemple étant jugée anomale. Pourtant il ne serait pas juste 
de mettre cette particularité au nombre des arrêts de dévelop- 
pement, puisqu’au lieu d’une matrice, il s’en trouve deux, une 
intérieure, qui n’a aucun caractère particulier, et une exté: 
rieure, la poche marsupiale, soutenue par un os qui n’existe 
que chez ces animaux. Non-seulement la vie des nouveau-nés 
n’est pas compromise par suite de cette organisation, mais 
encore elle n’en est que mieux assurée, et la tendresse des 
mères n’en paraît que plus vive. 

Parmi les animaux, ce qui tend à séparer les mammifères 
sous le rapport générateur, c’est principalement le nombre et 
la situation des mamelles ; l’os pénial des chiens, les papilles 
qui chargent le pénis des chats ; la menstruation prouvée chez 
les quadrumanes et annoncée comme réelle chez les grands 
chiroptères ; la durée si variable de la gestation, les époques 
de rut; l’état dans lequel naissent les petits, tantôt aveugles et 
tantôt clairvoyants, tantôt semblables à des avortons, faibles et 
endormis, tantôt debout dès leur naissance, parfaitement 
éveillés et capables de suivre leur mère. 

Les diverses espèces d'oiseaux, caractérisés, par la forme 
extérieure et les modifications auxquelles est soumis le tube 
digestif, le sont aussi par la manière dont sont construits les 
nids, par l’époque de la ponte, la durée de l’incubation, le 
nombre des œufs ; la vestiture des petits, couverts de plumes 
ou seulement de duvet, capables ou non, en naissant, de 
pourvoir à leur nourriture. 

Les sentiments affectifs pour la race, si développés chez les 
mammifères, et surtout chez les oiseaux, sont presque nuls 


— 856 — 


chez les reptiles. Parmi ceux qui ont une vie terrestre, il en 
est quelques-uns dont la sollicitude est évidente : ils mettent 
leurs œufs en lieu sûr, et le serpent molure les porte avec lui 
dans les replis de son corps. Les tortues les recouvrent de 
sable. Les œufs en chapelet des batraciens ne sont pour les 
mères l’objet d'aucun soin particulier. Le pipa seul recueille 
les siens ; ils éclosent sur son dos, de sorte que, sans avoir de 
poche marsupiale, il se comporte comme la sarigue et le 
kanguroo. Les poissons, encore peu connus sous le rapport 
générateur, sont ovipares et très-rarement ovovivipares; ils se 
contentent presque tous de déposer le frai dans des eaux tran- 
quilles. C’est en raison de cet abandon et de la nécessité de 
pourvoir au maintien de la race que les œufs sont en si grand 
nombre et les laitances si riches en zoospermes. Les mol- 
lusques, animaux apathiques, ne fournissent aucun fait qui soit 
caractéristique pour l’espèce en ce qui concerne l’acte géné- 
rateur et ses résultats. L 

Pour retrouver la sollicitude pour la race, il faut descendre 
jusqu'aux articulés, et surtout étudier les mœurs des insectes, 
Chaque espèce a un lieu d'élection pour y déposer ses œufs, 
que des tarières, capables de percer les corps les plus durs, 
introduisent dans les couches corticales, dans les bois, dans le 
tissu des feuilles et jusque dans le corps des animaux. Les in- 
stincts maternels vont si loin, que certaines larves nées de 
mères qui ont péri trouvent près d’elles des substances desti- 
nées à les nourrir, déposées par les pondeuses en prévision de 
l’éclosion des œufs. Beaucoup d’observateurs ont étudié la vie 
de ces petits animaux ; certes, ils savent comment ils agissent, 
savent-ils bien ce qui les fait agir? m2 : 

Indépendamment de la reproduction sexuelle, il existe en- 
core un mode tout spécial de multiplication qui n’est pas rare 
chez les plantes, et qui est assez fréquent chez les zoophytes. 
Ils produisent des gemmes qui continuent l'espèce sans la mo- 
difier. Les êtres qui présentent ces phénomènes peuvent aussi 
se reproduire par des œufs et par des graines. Nous ne faisons 
qu’effleurer cette partie du sujet que nous traitons, malgré 
tout ce qu’il offre de curieux, et nous nous croyons-maintenant 
suffisamment autorisé à demander à la sélection naturelle le 


— 85 — 


secret de tant de merveilles, sur lesquelles la science n’a pas 
encore dit son dernier mot. 


$ 6. — Les animaux doués d'instincls spéciaux et d'intelligence 
ont un appareil qui en permet le développement. 


Les animaux, séparés les uns des autres par la structure des 
organes et souvent même par la manière dont ces organes 
fonctionnent, le sont aussi par un côté immatériel : par les 
instincts et par l'intelligence qui lui sert de guide, Tout ce que 
nous savons de leur histoire les isole, les spécialise, en un mot 
fait de chacun d’eux des créations distinctes, n’ayant de rap- 
port avec les autres êtres que pour les éviter ou les combattre. 

C’est surtout par ce côté immatériel qu'ils ont une vie 
propre ; doués d’habitudes différentes, ils vivent pour eux, et 
les espèces se succèdent sans se modifier. Le cercle dans 
lequel ils sont renfermés ne saurait être franchi, et le type 
reste immuable. 

Expliquer par la variabilité des formes extérieures la diver- 
sité des instincts me semble impossible. La sélection naturelle 
ne produit rien de déterminé; elle n’est pas une loi, mais un 
accident. La méfiance, la jalousie, la ruse, la curiosité, le 
courage, ne s’éveillent que chez les animaux, primitivement 
organisés pour céder à ces passions presque humaines. Il en 
est d’autres encore plus extraordinaires qui sont en germe et 
que l'éducation parvient à développer. Elle les élève au-dessus 
de leur condition, mais c’est à nous seuls qu'ils doivent ce 
perfectionnement. Nous les faisons reconnaissants, soumis, 
dévoués, affectueux, désireux de plaire, affligés de n’avoir pu 
réussir. Or, ces En cle tes sans qu’il soit besoin 
pour cela que la sélection naturelle intervienne pour changer 
la forme. x . 

Les animaux doués d'intelligence ou d’instincts spéciaux ont 
un instrument qui leur en permet le développement. Cet in- 
strument a-t-il précédé l'usage auquel il est destiné? s’est-il 
perfectionné ou développé par l’exércice? Nous ne le pensons 
pas. L’instrument et l'usage que l’animal en a su faire sont 


4 


Ho ED 


contemporains de sa création; ils remontent au berceau de 
l'espèce. Supposez que la trompe de l'éléphant ait été trop 
courte et de trop faible diamètre ; que la langue du fourmilier 
n'ait pas été dès l’origine suffisamment extensible et ils 
n'auraient pu se perpétuer. Le castor, le caméléon, les araj- 
gnées fileuses et une foule d’autres animaux n’existent que 
sous la condition d’être aujourd’hui ce qu’ils ont été toujours. 
lis ne pouvaient attendre les appareils qui leur servent à rem- 
plir les actes principaux de la vie. C’est faute d’avoir été dans 
ces conditions que certaines espèces ont dû disparaitre. Main- 
tenant l’épuration est faite et les conditions d’existence défini- 
tivement réglées. 

On peut apprécier à la première vue le degré d’instinet et 
l'étendue de l'intelligence des animaux en consultant cer- 
taines particularités de leur organisation extérieure. En voyant 
l’hippopotame, le rhinocéros, le bœuf, le tapir, il est facile 
de deviner qu'ils sont dans l'impossibilité d'accomplir, en de- 
hors des actes ordinaires de la vie, rien de considérable, Les 
sabots sur lesquels ils appuient le corps ne sont qu’une simple 
base de sustentation; chez eux, les membres antérieurs et 
postérieurs servent uniquement à la locomotion. Dans l’at- 
taque et dans la défense, ils agissent surtout par leur masse. 

L’éléphant est bien plus lourd, et ses articulations ne se 
prêtent que difficilement à la flexion; mais il a sa trompe, et 
ce merveilleux instrument lui permet d'accomplir une foule 
d'actes difficiles, interdits à la plupart des animaux. C’est pour 
lui un câble vivant, une massue, un bras terminé par un doigt 
mobile, un siphon. Il l’allonge et la raccourcit, l’élève et l'a- 
baisse, la roïdit ou la recourbe. Sans faire agir le corps, il en 
fait le ministre de ses volontés; il s’en sert pour se nourrir, 
pour se désaltérer, pour se défendre. Elle est le siége du tou- 
cher et de lodorat. Sans l’habileté avec laquelle il en use, 
l’homme ne pourrait tirer un parti considérable de cet animal, 
qui, s’il n’est pas un domestique soumis, est du moins un 
captif intelligent. 

A voir la queue écailleuse du castor, ses doigts palmés et 
ses fortes incisives, qui ne devinerait qu’il est maçon et char- 
pentier, et qu’il doit faire ses constructions dans l’eau ? Les 


= ff = 


singes ävec leurs mains et leurs queues prenantes n’annioncerit- 
ils pas des animaux destinés à vivre sur les arbres? Ils ont ue 
forme humaine, quoique dégradée, et doivent avoir des gestes 
analogues à ceux de l’homme, dont ils sont la caricature. 

L'abolition complète d’instruments propres à venir en aide 
à l'intelligence est manifeste chez les amphibies, surtout chez 
les cétacés, réduits à la condition des poissons, avec des mem- 
bres postérieurs et antérieurs cachés dans le corps ou logés 
dans d’épaisses mitaines. Leur cerveau, aussi volumineux que 
celui des mammifères terrestres, ne saurait fonctionner, 
n'ayant pas d’agents au profit desquels il puisse le faire. 

Les mammifères, l’homme excepté, sont-ils bien en 
moyenne les êtres les mieux doués de tous les vertébrés? Les 
naturalisteS ne paraissent pas en douter. Quant à nous, nous 
leur trouvons des rivaux dans les oiseaux : riche vêtement, 
forme élégante, agilité des mouvements, vue perçante, vol ra- 
pide, rien ne leur manque, et ces dons physiques ne sont pas 
les seuls. Ils ont au plus haut point les sentiments affectifs, 
notamment une sollicitude pour les petits qui peut servir de 
modèle. Cet amour va jusqu’au dévouement : créés timides, ils 
deviennent intrépides aussitôt qu’il s’agit de défendre leur 
couvée, et l’on connaît d’eux des actes qui feraient croire que 
la pitié pour les souffrances d'individus étrangers même à leur 
race ne leur est pas toujours étrangère. Ils s’avertissent par 
des cris d’alarmes de l’approche du danger. Chacun sait l’his- 
toire de ces hirondelles qui coupèrent avec leur bec le fil qui 
retenait captive l’une d’elles, accrochée au fronton du palais 
de l’Institut. Réduire à l'instinct la construction des nids est un 
jugement hasardé; l'intelligence y prend part, et pour l’em- 
placement choisi et pour les matériaux employés. Le nid est 
une habitation, un réduit, un fort souvent inaccessible; c’est 
là que, sur un lit de mousse, de crin, de laine et de duvet, 
repose la nichée. Que par la pensée on se représente père, 
mère, enfants, serrés, sans se gêner, les uns contre les autres, 
goûtant avec pleine sécurité un doux sommeil quise prolonge 
jusqu’à l’aurore, dont les premières lueurs, saluées par des 
chants joyeux, donnent le signal de quitter la plume oiseuse pour 
recommencer, au profit de la jeune famille, une vie de solli- 


Po 


citude et d’amour, et l’on aura un tableau de bonheur capable 
d’émouvoir jusqu’à l’indifférence même ! 

Quels instruments la nature a-t-elle donné aux oiseaux pour 
remplir tous les actes de leur vie? Un bec; c’est une arme 
pour l'attaque et pour la défense, un instrument de préhen- 
sion pour s'emparer de la graine qui nourrit et du fêtu qui 
doit entrer dans la composition du nid. C’est une pince, une 
aiguille, un poinçon, une tarière, un tamis, une passoire, un 
dégorgeoir, une truelle; ce sont aussi des ciseaux. Les pattes 
viennent en aide au bec, mais non toujours; d’ordinaire il 
suffit à tout. Les naturalistes disent que les oiseaux sont infé- 
rieurs aux mammifères, parce qu'ils sont ovipares et que le 
développement de l’embryon s’opère en dehors du corps de la 
mère ; ils ajoutent qu'ils n’ont qu’un seul orifice pour la sortie 
de l’œuf et celle des excréments; que le cerveau est lisse et 
privé de corps calleux. Qu'importe cette prétendue infériorité, 
si les actes de la vie dénotent une supériorité incontestable 
d'intelligence, et si les sentiments affectifs sont d’une nature 
élevée, car, à bien voir, c’est par ce côté que les animaux se 
rapprochent de nous et que parfois même ils nous dépassent? 
Ces sentiments n’appartiennent-ils qu’à l’instinct? Nous n’ose- 
rions le soutenir, tant il semble que l'intelligence doive inter- 
venir. Toujours est-il démontré que l'affection pour la race et 
le rapprochement des sexes disparaissent dans les animaux 
inférieurs, au point de ne plus offrir de traces : tels sont les 
mollusques, les entozoaires et les rayonnés. Malgré l’activité 
de leurs mouvements, les poissons ne s’élèvent guère, sous le 
rapport des sentiments affectifs et de l'intelligence, au-dessus 
des animaux des classes inférieures; mais la nature ne pouvait 
leur donner ce qui leur était inutile. Vivant plongés dans un 
milieu facile à pénétrer, toujours chassant, toujours chassés, 
dévorant et et dévorés, la facilité de déplacement leur suffisait. 
Js ont une vie aventureuse, mais non difficile. 

Les reptiles, sauf très-peu d’exceptions, ne leur sont guère 
supérieurs. Les tortues, essentiellement torpides, auraient de- 

puis longtemps disparu du globe si elles n’étaient protégées 
. par leur carapace. Elles s’accouplent et mettent leurs œufs en 
lieu sûr; hors de là, elles n’ont rien qui les place au-dessus 


9 de 


des poissons. Parmi les sauriens, il en est qui, sans avoir plus 
d'intelligence que les poissons, sont loin d’avoir leur agilité. 
Le caméléon, qui se déplace si rarement et avec tant de len- 
teur, a une queue prenante, et pour grimper des doigts dispo- 
sés comme ceux des perroquets ; il est didactyle. On sait que 
sa langue est un organe de préhension qu’il peut lancer sur 
les insectes dont il fait sa proie. Ces particularités curieuses 
p’appartiennent qu’à l'instinct. Les serpents ne sont pas mieux 
traités sous le rapport de l'intelligence : ce sont de simples 
colonnes vertébrales mobiles, des espèces de cylindres ambu- 
lants, forme avantageuse à l’animal et qui lui fait trouver par- 
tout de faciles refuges pour échapper au danger. Les ophidiens 
les moins déchus se tiennent patiemment en embuscade pour 
attendre et atteindre leur proie. Privés de membres et n’agis- 
sant qu'avec la têle, ils ne sauraient accomplir aucun acte 
important. Mieux traités par la nature, ces dangereux animaux 
nuiraient bien plus. Quant aux batraciens, l'instinct de conser- 
vation et de reproduction, les seuls qui soient en eux ne sont 
que très-faiblement développés. 

Les mollusques englués d’une épaisse viscosité, lents dans 
leurs mouvements, soit qu'ils se traînent sur la terre, soit qu’ils 
rampent au fond des eaux, n’ont aucun appareil qui puisse 
favoriser des actes intelligents. 

Les instincts se relèvent dans les articulés, les annélides 
exceptés, et ils touchent à l’intelligence dans certaines espèces 
d’arachnides et d’insectes. Les crustacés n’ont guère que les 
qualités du chasseur. Ce sont d’impitoyables gloutons, uni- 
quement occupés du soin d’assouvir, sans y parvenir jamais, 
les besoins sans cesse renaissants de leur estomac. C’est pour 
cela que la nature les a si puissamment armés; mais si les 
pinces servent à s’assurer une proie, elles sont impropres à 
remplir tout autre acte de la vie, à l’exception de quelques 
espèces qui s’en servent pour creuser des terriers. Les arach- 
nides, et surtout les insectes, sont pourvus d'instruments appro- 
priés aux actes nombreux et variés qu'ils doivent accomplir. 
Instruments de construction, de récolte, de préhention, armes 
pour le combat, tout leur a été prodigué ; ils mordent, ils tail- 
lent, ils déchirent, rien ne leur résiste; les bois les plus durs, 


Roc: Arc 


les métaux mêmes sont entamés par les mandibules de ces 
petits êtres; réduits dans leurs dimensions, il se rendent redou- 
tables par le nombre. Les travaux qu’ils exécutent sont parfois 
considérables, et les résultats qu’ils obtiennent d’un long labeur 
sont tantôt profitables et tantôt nuisibles à l’homme. On sait 
beaucoup de choses concernant leur histoire, et cependant 
elle est restée très-obscure dans beaucoup de points, non par 
le manque d’observateurs, mais par la petitesse des êtres et 
par la difficulté de les suivre dans tous les actes de leur vie; 
sauf la taille, si pourtant la‘taille est une preuve d'importance, 
ils n’ont rien à envier aux grands animaux. La nature s’est 
complue à leur donner la richesse des téguments et la beanté 
des formes ; indépendamment de leurs armes, ils ont encore 
des appareils venimeux comme les serpents, avec un venin 
capable de causer de vives souffrances, sinon la mort. 

Le degré d'importance que nous accordons aux choses se 
règle trop souvent sur la dimension; il en résulte nécessaire- 
ment de fausses appréciations. Si nous pouvions un instant 
avoir des veux télescopiques, et qu’ils fussent dirigés sur les 
objets que nous voyons mal ou incomplétement, nos jugements 
seraient plus sûrs et plus équitables. Si nous contemplions du 
sommet d’une montagne les manœuvres d’une armée, nous 
ne verrions plus que de petits points noirs qui sembleraient se 
mouvoir sans but connu, ce ne serait plus qu’une fourmillière. 
Que sont, à très-grande distance, les rivières, les lacs, les 
villes les plus considérables, tout se confond, rien n’est distinct. 
La même chose arrive si nous regardons les petits animaux ; 
nous ne saurions bien les juger. Pour apprécier leur impor- 
tance, et l’élever au niveau de celle que nous accordons à la 
taille, qu’il nous soit donné de pouvoir les regarder en les gros- 
sissant, cent, deux cents, cinq cents fois, non dans les détails 
de leur organisation, mais dans l’ensemble de leurs travaux, 
ét nous verrons régner l’ordre où l’ordre ne paraissait pas 
exister. La fourmillière deviendra une ville avec ses rues, ses 
ponts, ses chaussées, ses maisons, et les citoyens qui l’habite- 
ront nous sembleront sans doute soumis, dans leurs actes, à des 
règles que sanctiennera la raison. Avec nos yeux, à l’action 
desquels échappent les petites choses, nous les voyons déjà 


— 91 — 


prévoyantes, actives, persévérantes; elles montrent la plus 
vive sollicitude pour leurs œufs, elles s’entraident et paraissent 
se comprendre. Que serait-ce donc si nous pouvions être dans 
le secret de toutes leurs actions ? Les fourmis s’agitent sur un 
petit espace et nous sur un grand. Aussi pouvons-nous dire avec 
Sénèque : Quid illis et nobis interest, nisi exigui mensura corpus- 
culi? Nous ne savons pas plus ce que sont les fourmis que les 
fourmis ne savent ce que nous sommes. Dieu, qui a donné 
l'intelligence, ne l’a pas proportionnée à la masse, et l’on peut 
tenir pour certain que si le cheval ou le bœuf sont plus gros 
que les abeilles et les fourmis, celles-ci l’emportent pour 
l'étendue des instincts et celle de l'intelligence. Appréciés par 
ce côté, ces petits animaux devraient occuper une place élevée, 
en sens inverse de leur masse. 

Les rayonnés sont séparés des arachnides et des insectes 
par un intervalle immense. Beaucoup d’entre eux sont des 
agrégations d'animaux opérant aveuglément dans un but com- 
mun, pour créer des constructions souvent élégantes auxquelles 
ils ne prennent individuellement qu’une très-faible part. Des 
myriades d'ouvriers concourent à élever l’édifice. Chacun 
d’eux s'occupe activement de son labeur, mais l'architecte sur 
le plan duquel ils travaillent ne les a pas mis dans le secret 
de son œuvre. 

Le cinquième embranchement, si pourtant il peut être con- 
stitué, renfermerait les infusoires, Ce mundus invisibilis que 
nous à fait découvrir le microscope. Leur organisation, simple 
d'ordinaire, laquelle parfois se complique, ne permet pas 
même alots de rien conclure de ce qui pourrait être en eux 
instinct ou intelligence. Malgré ce que nous en ont dit certains 
micrographes, leur histoire intime est pour nous un livre 
fermé. 

Nous n’irons pas plus loin, ayant voulu seulement établir 
qu’il existe un rapport évident entre l’organisation physique 
et l'étendue de l'intelligence ou celle des instincts, faculté qu’il 
est bien difficile de séparer nettement l’une de l’autre. 

Pour classer les animaux et leur donner un rang, il faut 
apprécier leurs actes et constater la présence des instruments 
qui permettent de les accomplir. Lorsque la nature n’a pas 


— 92 — 


voulu que l'intelligence se manifestât, elle en a rendu impos- 
sible le développement. De même que dans l’ordre social il 
existe parmi les êtres vivants des riches et des pauvres, mais 
point de déshérités. La part dévolue à certains animaux peut 
être légère, toutefois la nature ne la fait pas attendre; ses voies 
sont bien plus rapides et bien moins incertaines que celles 
dans lesquelles le darwinisme fait passer les organismes lente. 
ment façonnés pour remplir leurs destinées, telles qu’elles se 
révèlent à nos yeux. 


$S 7.— Durée de la vie. 


Sous le rapport de la durée naturelle de la vie, les animaux 
et les plantes sont très-inégalement partagés; ce terme fatal 
n’est en rapport ni avec la taille, ni avec le temps plus ou 
moins long de l'accroissement. IL est de fort petites plantes 
qui sont vivaces, et de très-grandes herbes qui sont annuelles, 
Les oiseaux, qui, en général parviennent à toute leur crois- 
sance, dès le commencement de la deuxième année, vivent 
quinze à vingt fois plus; le cheval, sept à huit fois seulement. 
Le chat, quoique plus petit que le chien, vit aussi longtemps. 
Les données relatives à la durée de la vie sont très-incertaines 
pour la plupart des animaux qui sont à l’état sauvage, et ce 
que nous savons, à cet égard, de nos animaux domestiques ne 
permet pas toujours de conclure des uns aux autres. 

L’épithète d’éphémère, appliquée à certaines plantes, veut 
dire seulement que leur vie est courte. La drave printanière 
germe, s'accroît, fleurit et fructifie en quelques semaines, on 
pourrait citer parmi les champignons une brièveté d’existence 
encore plus courte. Ce qui est vraiment éphémère, c’est la 
fleur ; parmi les plantes grasses, la magnifique fleur du grand- 
cierge, Cactus grandiflorus, la plus belle de toutes les fleurs 
nocturnes, s’épanouit après le coucher du soleil, et devient 
méconnaissable au lever de l’aurore. 

Quand on dit des plantes qu’elles sont annuelles, on 
s'exprime d’une manière qui n’est pas très-rigoureuse, car 
leur durée dépasse rarement six mois. L’illustre De Candolle a 


— 93 — 


fait adopter en botanique, pour les plantes annuelles, le nom 
de monocarpiennes, qui exprime qu’elles ne donnent de 
fruits qu’une seule fois. En passant d’un pays chaud dans un 
pays tempéré, une plante ligneuse peut devenir herbacée, par 
exemple, le ricin; mais jamais, que je sache, une plante her- 
bacée ne devient ligneuse en passant des climats tempérés 
dans les climats chauds. Les horticulteurs parviennent à faire 
durer la vie de quelques plantes annuelles au delà des termes 
ordinaires, et de les métamorphoser en plantes ligneuses, tel 
est, entre autres, le réséda odorant. Mais ces déviations à 
l'ordre naturel, outre qu’elles sont infiniment rares, ne dé- 
truisent pas cette vérité, savoir : que chaque plante vit un 
temps si bien déterminé qu’on ne saurait comprendre com- 
ment elle pourrait jamais d’herbacée devenir ligneuse ou 
d’annuelle vivace. Ce sont des conditions typiques. 

Suivant la manière de considérer les plantes, on peut leur 
reconnaître une durée ou plus courte ou plus longue, ou 
même ne voir en elles que des productions annuelles. En 
disant de certains arbres qu'ils ont vécu quatre, six, huit, 
dix siècles ou même davantage, on dit vrai; mais si l’on songe 
que la fleuraisou est annuelle, et qu’elle se développe sur des 
rameaux nés de bourgeons annuels, on pourra conclure que 
chaque année le tronc sert de support à une production nou- 
velle tellement distincte que les couches ligneuses et corticales 
qui résultent du développement de cette herbe peuvent être 
regardées comme indépendantes les unes des autres, faisant 
du tronc un faisceau de tiges, formé d’autant de parties que 
l’herbe annuelle s’est régénérée de fois. La même organisation 
se retrouve dans le stipe des palmiers, quoique les fibres 
ligneuses ne soient pas disposées par couches, de sorte que 
tout végétal qui vit plus de deux ans ne serait pas un être 
simple, mais bien plutôt multiple, à la manière de certains 
zoophytes. Les arbres nous donneraient ainsi l’image réelle 
d’un rajeunissement qui peut se continuer durant des siècles. 
C’est ce qui explique cette longévité prodigieuse de certains 
végétaux, dont les animaux les plus favorisés, sous ce rapport, 
ne nous offrent aucun exemple. 

De même que les plantes, les animaux ont une durée très- 


ss PME 


inégale. Certains insectes, surtout les mäles, sont véritable. 
ment éphémères, et ils meurent après avoir reproduit leur 
race. Mais la durée des plus petits insectes à métamorphoses 
ne se mesure pas à celle de l’animal parfait, qui vit très-peu, 
tandis que la larve, au contraire, et les nymphes vivent assez 
longtemps. Le nom d’éphémères n'est donc pas juste de tout 
point. 

Sous le rapport de la durée de la vie, il faut reconnaître des 
animaux monogénistes, qui ne produisent qu’une fois, et polyge- 
nistes, qui produisent plusieurs fois. Tous les vertébrés et les 
mollusques sont polygénistes, les articulés et les rayonnés plu- 
tôt monogénistes que polygénistes. Nous avons parlé des pre- 
miers, qui meurent dans la même année ; les autres s’accouplent 
plusieurs fois pendant leur vie, et à des époques déterminées 
pour chacun d’eux pendant une série d’années plus ou moins 
longue, qui est à peu près la même pour chaque espèce. Ces 
animaux polygénistes ont-ils perdu la faculté procréatrice, ils 
ne meurent pas toujours pour cela; cependant leur rôle est 
terminé, et ils sont physiologiquement morts. Cette nullité 
du rôle reproducteur serait, à bien voir, le terme naturel de 
la vie. 

Il existe des plantes bisannuelles, et celles-là même ne vivent 
pas plus d’une année, seulement elles vivent pendant les der- 
niers mois de l’une et les premiers mois de l’autre. Sous ce 
rapport, on peut dire que beaucoup d'insectes sont dans des 
conditions pareilles. Les œufs pondus en été ou en automne 
peuvent éclore et produire des larves, et celles-ci passer tout 
l'hiver à l’état de nymphes, pour ne donner qu’au printemps 
l'insecte parfait. L’état de nymphe est une sorte de torpeur qui 
diffère de l’hibernance ordinaire en ce que l’animal se com- 
plète sous ses enveloppes pour définitivement se constituer. 
Tous les insectes ne passent pas ainsi d’une année à l'autre, 
et beaucoup de ces petits animaux pondent des œufs qui éclo- 
sent à l’état de larve, et se changent en insecte parfait dans le 
cours d’une seule saison. Il y a donc des insectes annuels et 
des insectes bisannuels. Les moins nombreux sont les insectes 
vivaces; les coléoptères, quelques hémiptères, plusieurs hymé- 
noptères, et un assez grand nombre de parasites. Les crusta- 


2 0 


cés, les annélides, les arachnides, les rayonnés sont en géné- 
ral vivaces; les infusoires, éphémères. 

Au reste, on ne sait pas d’une manière précise combien de 
temps vivent une foule d'animaux, et des conjectures seules 
sont possibles. La durée naturelle de la vie dépend de cer- 
taines qualités physiques qui la prolongent ou l’abrègent. Des 
téguments extérieurs résistants sont avantageux; une consis- 
tance trop molle, un désavantage. Beaucoup d'animaux suc- 
combent moins encore par le résultat de leur faiblesse que 
par la rigueur des saisons, mais ce n’est pas là la mort natu- 
relle, et nous n’en dirons rien. 

On croit, sans en avoir les preuves, que la baleine vit plu- 
sieurs siècles, que l’éléphant dépasse cent ans, que le cerf peut 
vivre quarante ans, etle cheval vingt-cinq à trente ; les chiens, 
quelque soit leur taille, ne dépassent guère douze à quatorze. 
Les petits mammifères vivent très-peu. Leur accroissement est 
extrêmement rapide, et comme ils pullulent beaucoup, ils 
deviendraient aussi nombreux que les cousins qui volent par 
nuées. Beaucoup meurent de faim; d’autres, en hiver, sont 
noyés dans leurs terriers. É | 

Les oiseaux vivent plus longtemps que la plupart des mam- 
mifères. Les perroquets atteignent jusqu’à quarante ans, et 
l'on cite des exemples d’une longévité double. Les perruches 
vont jusqu’à vingt-cinq ans. On a des exemples de linottes qui 
ont été conservées à l’état d’esclavage au delà de quinze ans, 
et des serins qui ont dépassé cet âge. Quoique ces exemples 
de la grande longévité des oiseaux soient peu nombreux, ils 
suffisent pour démontrer qu’elle varie suivant les espèces, et 
qu’elle est bien supérieure à la durée de l'accroissement. 
Sous les tropiques, la vie des colibris et des oiseaux-mouches 
doit être extrêmement courte, ils vivent trop pour vivre long- 
temps. 

On ne sait rien des reptiles sous ce rapport. Il semble que 
l'accroissement en grosseur des tortues, des serpents et des 
grands sauriens soit indéfini. Si aucun accident ne survient, il 
est probable que l'existence de ces animaux doit être fort 
longue. La vie en eux n’est guère active, et comme ils dépen- 
sent peu ils peuvent dépenser longtemps. 


— 96 — 


Les poissons, comme les grands reptiles, semblent s’accroitre 
indéfiniment; c’est, du moins, ce qui semble prouvé pour 
plusieurs d’entre eux, notamment pour la carpe et le brochet, 
et c’est là un indice de grande longévité. 

La carpe peut vivre un temps extraordinaire, cent, cent 
cinquante, deux cents ans et même davantage. Cette longue 
durée esten rapport avec le poids qu’elle acquiert, 38, 40, 
45 et jusqu’à 70 livres. Le brochet est, sous ce rapport, le 
rival de la carpe. Un individu de cette espèce était long 
de 19 pieds, du poids de 350 livres, et âgé de deux cent 
soixante-sept ans, suivant l'inscription de l’anneau de cuivre 
doré qu’il portait; il consacrait la date de 1262, et avait été 
pêché en 1497 à Kaiserslautern. D’autres poissons, sans doute, 
doivent aussi vivre très-longtemps, mais on ne sait rien de 
positif à cet égard. Les squales, entre autres, sont si robustes 


qu'il est permis de croire pour eux à une longévité très-pro- 


longée. + Pa 

Nous n’avons rien à dire sur la durée de la vie des mollus- 
ques. Les testacés vivent, sans doute, plus longtemps que les 
mollusques privés de coquilles. Chez les huîtres, les hélices et 
autres mollusques testacés, on pourrait compter les années au 
nombre des zones et des tours de spire de leurs coquilles, mais 
ce.ne serait qu’une donnée tout à fait approximative. 

Les crustacés qui reproduisent les organes locomoteurs, s'ils 
les perdent accidentellement, vivent probablement assez long- 
temps ; il en doit être ainsi dés annélides aquatiques; la faci- 
lité avec laquelle ils peuvent supporter les plus longues diètes, 
indice certain d’une vie peu active, semble disposer à le 
croire. Il en est, sans doute, ainsi des arachnides et des ento- 
zoaires, qui vivent plus d’un an. Les rayonnés ont une longé- 
vité moins limitée, et l’on peut supposer que les grands polypes 
sont dans le même cas. 

Ainsi il nous semble prouvé, contre l'opinion admise géné- 
ralement, que la durée de la vie n’est pas en rapport avec 
celle de l’accroissement; qu’elle est indépendante de l’organi- 
sation, et que les animaux à respiration branchienne vivent 
plus longtemps que les animaux à respiration pulmonaire, et 
rs jar conséquent, il faut attribuer à la vie aquatique une 


£ 


= 972 


plus longue durée qu’à la vie terrestre. De plus, il est prouvé 
que les vertébrés, dont le sang est rouge, vivent plus longtemps 
que les mollusques et les autres animaux dont le sang est 
blanc ou seulement rosé. Disons encore que si les végétaux 
arborescents paraissent vivre plus longtemps que les plus gros 
vertébrés, c’est qu’ils se continuent en se régénérant. 

Comme on le voit, tout ce qui ressort de l'étude des idio- 
syncrasies, au lieu de rapprocher les types, les sépare et 
s’oppose aux effets de la sélection naturelle, sur laquelle est 
principalement établie la théorie des types, telle qu’elle est 


présentée dans toute la rigueur des lois qu’elle s’efforce 
d'établir. æ 


VI. — CAUSES QUI PEUVENT AGIR SUR L’ESPÈCE ET LA MODIFIER. 


1. — Concurrence vitale. 


La concurrence vitale n’est autre chose que l'instinct de 
conservation considéré à l’état actif et dans ses résultats sur 
l’ensemble de la nature vivante. La vie est une lutte de tous 
les instants, et beaucoup y succombent. Les vainqueurs sont 
les forts et les rusés, ceux qui ont les armes les plus puissantes, 
ou ceux qui, servis par des agents de locomotion d’une grande 
puissance, savent se soustraire aux dangers par la fuite. 

Les conséquences qui résultent pour chaque être de la 
nécessité d'assurer à tout prix sa conservation sont faciles à 
comprendre. La terre est un immense champ de bataille qui 
cependant a ses limites. Là tombent par millions les combat- 
tants, Fe Les l’action qu’ils exercent les uns sur les autres, 
tantôt a nature des milieux qu’ils habitent, et qui sont 
sou énérales de la physique du globe. 

Le térntal de ces causes défavorables qui agissent sur les 
plantes et sur les animaux doit nécessairement en réduire le 
nombre, et maintenir cet équilibre que nous avons qualifié 
ailleurs de balance numérique des êtres vivants, tout y con- 
court, mais d’une manière inconsciente, et si l’atmosphère 
devient favorable ou défavorable à la vie, ce n’est ni pour la 
servir, ni pour nuire à son évolution. 

FÉE. 7 


Die 


La nature produit des germes à profusion, et bien plus chez 
les plantes qui sont passives, et ne peuvent se conserver par 
elles-mêmes, que chez les animaux qui connaissent instincti- 
vement le danger, et qui ont des organes de locomotion, pieds, 
ailes, nageoires, pour le conjurer. 

Ce nombre de germes est souvent si grand que, chez un 
seul individu, qui semblerait ne devoir revivre que dans deux 
ou trois individus de son éspèce, il dépasse, comme produits 
de la fécondation d’une seule année, jusqu’à cent et deux cent 
mille œufs ou graines. Dans le règne animal, cet excès de 
fécondité s’observe principalement, — et nous pourrions dire 
presque nniquement, — parmi les ovipares, et chez ceux-ci 
parmi les ovipares aquatiques. Moins les instincts affectifs 
pour la race sont développés, et plus aussi sont nombreux les 
germes reproducteurs; abandonnés à eux-mêmes, ils sont 
exposés à des chances de destruction dont la nature a compris 
toute l’étendue ; les poissons nous présentent un exemple 
remarquable de cette sage prévision. 

Lorsque les animaux vivipares et ovipares sont terrestres, 
ils étendent sur leurs petits et sur leurs œufs, qui sont une 
partie d'eux-mêmes, l'instinct de conservation, sauve-garde 
de l'espèce. 

Chez les plantes, rien de pareil ne peut arriver; cependant 
on pourrait trouver des traces de cette sollicitude, aveugle 
sans doute, mais évidente dans ses effets. Nous nous conten- 
terons d’en citer un seul exemple. Lorsque la fécondation de 
l'ovaire de la pistache de terre, Arachys hypogæa, s’est effec- 
tuée, le pédicelle du fruit, qui était dressé, se recourbe, s’al- 
longe, se raidit et s'enfonce dans la terre avec le légume 
auquel il servait de support. Ce n’est pas là le seul fait curieux 
de ce genre qui soit connu, et nous pourrions en citer d’autres. 
Les jeunes fruits, sans quitter la plante mère, s’abritent contre 
la lumière, comme s’ils accomplissaient le premier acte de la 
germination, qui demande l'obscurité. Telle est la prodigieuse 
fécondité des plantes que souvent une seule anthère produit 
plus de pollen qu’il n’en faudrait pour féconder des millions 
d’ovaires, quoique destinés à une seule fleur, et cette fleur 
peut produire assez de graines pour couvrir la terre entière au 


ue 0 us 


bout d’un très-petit nombre de générations, en admettant 
qu’elles pussent toutes se développer, ce qui ne peut être. 
Il n’en serait pas autrement de la plupart des insectes. Si tous 
leurs œufs pouvaient éclore, l'air et les eaux ne pourraient 
plus les contenir. 

La concurrence vitale vient au secours des espèces en rédui- 
sant le nombre des individus, elle empêche qu'aucune d’elles 
ne soit dominante, toutes devant avoir une place au soleil. 

La concurrence vitale a pour auxiliaires, ou, pour parler 
plus exactement, pour agents principaux le débordement des 
rivières, les tempêtes, les longues pluies, les vents impétueux, 
l'élévation ou l’abaissement des moyennes thermométriques. 
Ces causes agissent-elles toutes dans des intentions providen- 
tielles? sont-elles dans le plan général de la nature? Voilà ce 
qu'on ne saurait dire. Comme elles ne sévissent pas partout 
également, il en résulte une répartition différente des charges 
attachées à la vie, et par conséquent une distribution inégale 
dans chaque contrée du nombre des êtres vivants; ainsi, pour 
ne parler que des effets de la température, nous rappellerons 
qu'il est des lieux où elle est constamment bénigne : aussi 
sont-ils plus peuplés que les autres, et peuplés de plus d’ani- 
maux délicats. Toute la terre est soumise à l’action du soleil, 
mais il la réchauffe d’une manière très-inégale et avec une 
durée différente. Il fallait bien que les êtres vivants s’accom- 
modassent de ces températures, Ceux qui n’ont pu le faire ont 
disparu ou bien ont émigré. 

La concurrence vitale, ou, si mieux l’on aime, la balance 
numérique des êtres vivants a pour résultats : 

4° D’assurer le maintien de l’espèce en s’opposant à la mul- 
tiplication trop exagérée des individus. 

2° De les forcer, par la nécessité de l’alimentation, à s’éloi- 
gner de leur lieu de naissance. 

__ 8° D’éteindre certaines espèces incapables de résister aux 
causes de destruction qui ont agi sur elles. 

4° Et enfin de permettre aux espèces conservées de devenir 
plus robustes en modifiant le prototype spécifique ou primor- 
dial, qui conserve néanmoins ses caractères fondamentaux. 

Les causes de destruction qui agissent sur les individus sont 


— 100 — 


extrêmement nombreuses ; une foule de plantes et d'animaux 
meurent avant de compléter leur accroissement ; la famine les 
tue, et ils sont dévorés par d’autres animaux; les longues 
pluies, les sécheresses prolongées, les grands froids, les cha- 
leurs prolongées sont autant de causes de mort. 

Pour échapper à la famine, beaucoup sontobligés d’irradier ; 
quelques-uns émigrent, et ces déplacements ajoutent singu- 
lièrement aux chances de destruction. Cependant c’est ainsi 
que les survivants peuvent s’acclimater, et passer, par des 
transitions ménagées, du nord au sud ou du sud au nord, peut- 
être même est-ce ainsi que les plantes peuvent vivre dans des 
terrains autres que ceux pour lesquels ils étaient primitivement 
faits. 

La concurrence vitale a dû éteindre de nombreuses espèces 
par simple inanition. Les sauriens antédiluviens pourraient fort 
bien être morts de faim, leurs dimensions énormes faisant 
supposer un appétit formidable très-difficile à satisfaire. 

La vie des animaux aquatiques semble mieux assurée que 
celle des animaux terrestres, bien plus exposés à l’action 
brusque des changements atmosphériques. La concurrence 
vitale n’aurait donc pas sur tous la même puissance. C’est 
pour cela vraisemblablement que, pour réduire numérique- 
ment les poissons, il a fallu leur donner un estomac qui digère 
vile et qui digère toujours. 

Il n’est pas de loi plus impérieuse, plus nécessaire, d’une 
application plus fréquente que celle qui préside à la concur- 
rence vitale. Elle date des premiers jours du monde, et durera 
aussi longtemps que la nature organique elle-même. « Crois- 
sez et multipliez, aurait pu dire le créateur aux nouveaux 
hôtes de la terre, c’est-à-dire conservez-vous, agissez comme 
si vous deviez durer à l'exclusion de tous les autres êtres. 
Mais comme chaque espèce fera de même, la lutte sera géné- 
rale, et l’équilibre se maintiendra; vous aurez tous la faculté 
de l'attaque et celle de la défense ; vous serez tantôt vainqueurs 
et tantôt vaincus. À ceux qui n’auront pas la force, je donne- 
rai la prudence; les forts seront audacieux, les faibles timides, 
je rendrai leurs pieds agiles, et ils auront des ailes et des na- 
geoires. Croissez et multipliez. Voilà la terre, elle est à vous, 


— 101 — 


je vous ai donné la vie, mais la vie est un comba, com- 
battez! » 

Et la lutte a commencé. Pour compenser ses pertes, la 
nature a vouiu que les petits animaux eussent une fécondité 
en rapport avec les dangers qu’ils devaient courir. Ils purent 
se creuser des terriers, se cacher dans les troncs d’arbres, et 
chercher des retraites jusque dans les fissures des rochers les 
plus abruptes. Mais ne voulant les sauve-garder qu’à demi, 
elle a donné à leurs ennemis l'instinct de la ruse, et les a 
rendus patients dans l’embuscade. Ainsi se maintient l'espèce 
dans des limites qu’elle est impuissante à franchir : ainsi les 
animaux qui auraient pu, en se multipliant trop, se faire 
envahisseurs, se sont trouvés restreints en nombre par les 
changements de saisons, les inondations, les brusques chan- 
gements de température, etc., et la balance numérique n’a 
penché en faveur d’aucune espèce, l'homme excepté. 

D’autres causes de destruction existent encore pour les ani- 
maux, du moins pour plusieurs d’entre eux : les stations chan- 
gent incessamment ; les marais se solidifient, et les animaux 
qui y vivaient meurent; certaines contrées se desséchent et 
deviennent arides, les montagnes dénudées, privées des forêts 
qui servaient de lieu de refuge aux animaux, ne peuvent plus 
les protéger, et ils s’en exilent. L'homme, ce puissant modi- 
ficateur de la vie, change à son tour la nature des terrains, il 
envahit l’espace, et repousse jusque dans les déserts les fauves, 
s’il en est qui échappent au plomb meurtrier ; non-seulement 
il agit sur les animaux sauvages, mais aussi sur sa propre 
espèce, dont il ampute et dessèche les rameaux les moins 
vigoureux. 

La face de la terre n’a plus cette sauvage majesté des pre- 
miers temps de la création. Elle a été conquise, et ses domi- 
nateurs en ont adouci les traits, sans toutefois lui ôter ses 
charmes. Si elle était abandonnée à elle-même, toutes choses 
redeviendraient ce qu’elles étaient autrefois : les animaux 
reprendraient leur place ; les plantes seraient bientôt mai- 
tresses du sol; il]y aurait en Europe des savanes, des forêts 
vierges, des fleuves capricieux dont les eaux ne seraient plus 
contenues par des digues. Personne ne reverra ce tableau des 


— 102 — 


premiers âges du monde, la nature est enchainée, et ses 
chaines seront de plus en plus solidement rivées. En donnant 
l'intelligence à l’homme, Dieu a voulu qu'il s’en servit, non 
pour gâter la nature, mais pour l’embellir. On admire un 
paysage alpestre, la vue d’un glacier, d’une cascade, d’une 
montagne aux sommets nuageux, mais on aime à contempler 
des champs soigneusement cultivés, la rivière qui coule dou- 
cement au milieu d’une riche canrpagne, les parterres émail- 
lés de fleurs, le pampre d’une vigne étagée sur le coteau, le 
verger dont les arbres sont couverts de fruits, la forêt sillonnée 
de sentiers tracés par la main de l’homme. On a gâté la na- 
ture, dites-vous; moi je soutiens qu’elle est embellie ; si l’on 
en jugeait autrement, il faudrait décider que la beauté du sau- 
vage l’emporte sur celle de l’homme civilisé, ce qu’on ne sau- 
rait admettre. La beauté, pour être parée, n’en est pas moins 
la beauté, et d’ailleurs, malgré les travaux infatigables des 
pionniers sans nombre qui défrichent le sol et changent inces- 
samment l’antique physionomie de la terre, il est encore çà 
et là des pages de ce grand livre de la nature très-capables 
. d’exciter l’admiration de ceux qui savent y lire. Il ne faut que 
les chercher, et on les trouve. 


2, — De la sélection naturelle et artificielle. 


Le mot sélection artificielle, appliqué à l’agriculture et à 
l'horticulture, semble d’une grande justesse, puisqu'il s’agit de 
diriger la reproduction dans un but que détermine le choix 
pour créer des races ou les continuer, en ne faisant procréer 
entre eux que les animaux doués de certaines qualités, ou en 
ne faisant germer que les graines les plus robustes pour avoir 
les géants, ou les plus petites pour avoir les nains. La sélection 
est un art qui s’aide de la diététique ou des engrais; elle a ses 
regles comme l’hygiène, à laquelle elle se rattache par des 
points de contact nombreux. Chacun connaît tout ce qu’elle 
produit de merveilles ; elle donne la taille, l’'embonpoint, et 
jusqu’à des aptitudes particulières : chevaux de course, tau- 


— 103 — > 


reaux de combat, chiens de chasse. Mais, pour conserver les 
races qu’elle a créées, il faut qu’elles se reproduisent entre 
elles; autrement la nature revient au type. Lx sélection artifi- 
cielle modifie l’espèce, elle ne la change pas. Elle fait des 
bœufs sans cornes qui sont toujours des bœufs, des porcs ense- 
velis dans le tissu cellulaire qui sont toujours des porcs, des 
poires monstrueuses qui sont toujours des poires, des froments 
à épis rameux qui sont toujours des froments. Si les produits 
de cette industrie, qui souvent ne sont autre chose que de 
-véritables monstruosités, étaient transférés dans une contrée 
parfaitement isolée, sans qu’on eût à craindre le mélange du 
sang, la race produite pourrait se conserver; encore serait-ce 
trop s’avancer que d’assigner une durée indéfinie à cette race 
artificielle, toujours disposée à revenir à l’état normal. 

Nous avons déjà fait remarquer ailleurs que ces mots sélec- 
tion naturelle personnifiaient la nature et lui prêtaient un vou- 
loir et des intentions qu’elle ne saurait avoir. Sans doute, elle 
est intelligente, mais d’une autre manière que l’homme, et 
quand elle opère, le but vers lequel elle tend ne nous est pas 
parfaitement connu. Est-ce pour perfectionner l'espèce? est-ce 
pour la changer? C’est là ce qu’il convient d'examiner. 

Qu'il n’y ait eu qu’une création ou qu’il y en ait eu plu- 
sieurs, il est certain, pour les deux cas, que, parmi les êtres 
anciennement créés, un grand nombre a disparu, tantôt par 
des causes qui étaient en eux, tantôt par des causes exté- 
rieures. Est-ce là une sélection? Non, sans doute. Est-ce une 
épuüration? Pas davantage. L'espèce a péri, parce que les cir- 
constances dans lesquelles elle s’est trouvée fortuitement 
étaient défavorables et qu’elles l’ont emporté sur la résistance ; 
mais il n’était pas dans ses destinées qu’il en fût ainsi. La 
durée des êtres vivants dépend des milieux qu’ils habitent : si 
la nature des terrains change et que leur organisation les y 
retienne, ils doivent mourir. Que l’on admette pour tous les 
individus constituant l’espèce une habitation étroitement 
localisée ; que le sol, de marécageux qu’il était, devienne sec, 
ou sec d’humide, et aussitôt la nature organique devra chan- 
ger. Lorsque les mers se sont déplacées, que les marais se sont 
desséchés, que les terrains se sont élevés ou abaissés au-des- 


— 104 — 


sous de leur niveau ordinaire, que de vastes forèts ont été 
détruites ou formées, il en est résulté une grande perturbation 
au préjudice des animaux et des plantes, et il s’en est souvent 
suivi leur extinction totale. Les grands reptiles, dont les di- 
mensions nous étonnent, les fougères gigantesques, ne pou- 
vaient se perpétuer que sous l'empire de certaines conditions ; 
étaient-ellés changées, ils se trouvaient en péril de mort, 

Ces changements ne sauraient être attribués à la sélection 
naturelle, et ce qui s’est passé et peut se passer encore n’a 
pour cause que les lois ordinaires de la physique du globe, qui 
s’exercent et se continuent sans aucune préoccupation de la 
vie. C’est ainsi que dut être brisée dans plusieurs de ses parties 
cette chaîne qui lie les êtres les uns aux autres, en laissant 
cependant distincts les anneaux qui la composent. 

La sélection naturelle aurait pour objet, non-seulement de 
perfectionner l'espèce, mais aussi de la métamorphoser, ce 
qu’il faut bien admettre dans le système de la création à types 
numériquement réduits. Ce serait comme un flot qui porterait 
toujours la nature organique en avant. Mais où veut-on la faire 
aboutir? Sera-ce à l'homme, singe perfectionné, comme” le 
singe lui-même serait un quadrupède plantigrade amélioré, et 
toujours ainsi? Et l’homme lui-même, dont on abaisse ainsi 
l'origine, que deviendra-t-il? Sortira-t-il de lui un autre 
homme plus parfait physiquement? Rien n’est plus difficile à 
croire. 

Je lis dans la traduction de l’ouvrage de M. Darwin (p. 680), 
qu’il est bien plus satisfait de regarder les êtres, non plus 
comme des créations spéciales, mais comme la descendance 
“en ligne directe d'êtres qui véeurent longtemps avant que les 
premières couches du système silurien fussent déposées. Ils lui 
semblent tout à coup anoblis, et ils le seraient bien moins, 
continue-t-il, en supposant une création distincte pour chacun 
d’eux. Cette opinion diffère de la mienne à certains égards. Je 
crois que les êtres vivants ont été créés sur un même plan ; 
c’est là leur seule parenté. Admettre pour le mollusque, le 
reptile, le poisson, l'oiseau, le mammifère, le fucus, la prêle, 
le palmier, le bambou, la plante bulbeuse, l'herbe et l'arbre, 
nne même origine, me semble tout aussi difficile à com- 


» 


prendre que leur apparition de toutes pièces sur la terre. La. 
création spontanée est sans doute un fait miraculeux; mais la 
métamorphose des espèces, qui donne lieu à des formes si 
heurtées, accompagnées d’aptitudes si différentes, ne le lui 
cède guère. C’est le temps, dites-vous, qui a produit ces mer- 
veilles. Que ne peut-on pas attendre d’une action qui s'exerce 
pendant des millions d’années?... Que répondre à cela? Que 
c’est une hypothèse, et que nul ne saurait dire ce qui peut ad- 
venir, non pas en ce sens que le temps ne change rien, mais 
par ce côté bien plus sérieux, que, s’il a le pouvoir de détruire, 
il ne semble pas qu'il ait celui de transformer. 

Les plus anciens monuments historiques, les momies, les 
débris humains qui remontent aux époques antéhistoriques, 
la forme des espèces de coquilles, qui appartiennent tout à ia 
fois au diluvium et à la formation actuelle, semblent démon- 
trer la persistance des formes spécifiques, et substituer ainsi la 
réalité à l'hypothèse. 

Je lis encore dans l'ouvrage de M. Darwin qu'aucun cata- 
clysme n’a désolé le monde entier; que jamais la succession 
régulière des générations n’a été interrompue ; qu’ilest permisde 
compter avec toute confiance sur un avenir d’une incalculable 
durée, et que l'élection naturelle, organisant seulement pour 
le bien de chaque individu, tout don physique et intellectuel, 
tendra à progresser vers la perfection. Peut-être est-ce s’avan- 
cer beaucoup trop de déclarer qu'aucun cataclysme n’a désolé 
le monde; toutefois, cela füt-il vrai, il ne faudrait rien en 
conclure qui soit relatif à la métamorphose des espèces, mais 
y trouver seulement la preuve que la création n’a pas été in- 
terrompue à la fois sur tous les points du globe. Et pourtant 
mème, ceci admis, il resterait encore à se demander com- 
ment il se fait que les couches fossilifères profondes (cam- 
brienne, silurienne, dévonienne, carbonifère, permienne, ju- 
rassique), renferment toutes des organismes spéciaux, inconnus 
les uns aux autres. Quel fait pourrait prouver d’une manière 
plus décisive la pluralité des créations? Sans doute, c’est une 
grande et noble idée que de faire progresser la nature orga- 
nique vers la perfection; mais si je comprends que l’homme, 
de son naturel progressif, puisse tendre vers la perfection, je 


— 106 — 


ne vois pas bien quel pourrait être le perfectionnement des 
végétaux ni celui de la plupart des animaux. Les plantes uni- 
sexuelles deviendront-elles hermaphrodites? auront-elles un 
-système nerveux et la conscience de leur existence ? Les fleurs 
seront-elles plus belles et les arbres plus majestueux? 
Les animaux deviendront-ils tous intelligents? les instincts 
sanguinaires s’éteindront-ils? les imperfections de forme dis- 
paraîtront-elles? Le kanguroo pourra-t-il courir avec ses 
jambes, harmonisées dans leurs dimensions? L’autruche 
pourrat-elle voler, le serpent marcher au lieu de ramper? 
Les mollusques cesseront-ils d’être apathiques? Voilà ce qui 
devient difficile à croire.’ Tout ici-bas est si bien coordonné, 
les plantes et les animaux sont si bien appropriés à leur ma- 
nière d’être, que, si l’on peut croire à des modifications, on ne 
saurait affirmer qu’elles agiront dans le sens d’un perfection- 
nement indéfini, malgré la concurrence vitale, quoique, dans 
certains cas, la variété puisse remplacer l'espèce. Mais le type 
se conservera toujours : le mollusque restera mollusque ; l'a- 
beille, abeille; la mousse ne deviendra pas un champignon, et 
le chêne ne cessera pas de porter des glands. 
Si l’on voulait accepter les espérances de M. Darwin, le 
temps produirait des formes sans nombre de plus en plus 
belles, de plus en plus merveilleuses, par une évolution sans 
fin, et cette phrase ne laisse aucun doute sur les croyances de 
cet auteur éminent. La nature actuelle étale plus de richesses 
que n’en peut contempler l'œil humain, et telle est sa beauté, 
qu’il ne nous semble pas possible d’obtenir d’elle mieux que ce 
qu’elle nous accorde aujourd’hui. En voyant cette immensité 
de fleurs qui s’épanouissent en nuances infinies; cette variété 
prodigieuse de couleurs, de parfums, de qualités si diverses ; 
en voyant cètte multitude d'animaux si bien organisés pour la 
marche, le vol, la natation, pour la vie terrestre et la vie 
aquatique, pour l'alimentation végétale ou animale, solide ou 
liquide, et tant de puissance de vie chez les êtres les plus 
faibles, je me demande ce qui pourrait être ajouté aux mer- 
veilles que j'admire et que je trouve à chaque pas. 
Mais il y a plus : serait-il bien vrai que, depuis l’apparition 
de la vie, les organismes ont gagné en beauté? Disons d’a- 


— 107 — 


bord, avant d'aller plus loin, que, si nous connaissons bien les 
êtres vivants de notre époque, il n’en est pas de même de ceux 
qui ont laissé dans les diverses couches du globe des témoi- 
gnages de leur existence. Les organismes délicats ont été dé- 
truits, et rien n’est plus difficile que de comparer ce qui vit 
aujourd’hui avec ce qui ne vit plus. Si nous pouvions le faire, 
nous verrions sans doute que nous n’avons gagné ni en beauté 
ni en variété de formes. Peut-être même constaterait-on que, 
sur certains points, nous avons plutôt perdu que gagné. Les 
madrépores, les coquilles et les crustacés fossiles sont plus : 
compliqués de structure que les nôtres; les poissons antédilu- 
viens n’ont rien qui les rende inférieurs aux poissons de nos 
mers et de nos rivières. Les reptiles se présentent avec des 
formes plus variées, et F’iguanodon avait trois fois au moins la 
longueur de nos plus grands sauriens. Nos autruches sont des 
naines à côté des æpyornis et des palapteryxæ des anciens ter- 
rains ; et les pachydermes qui jadis peuplaient le globe ne 
pouvaient être inférieurs en instincts à ceux qui vivent aujour- 
d’hui, et ils avaient sur ceux-ci la supériorité de la taille et 
celle des moyens de défense. 

Peu d’insectes ont été trouvés; cependant ceux qui ont été 
reconnus pour tels, — névroptères et orthoptères, — avaient 
des ailes d’une délicatesse infinie. En ce qui concerne le règne 
végétal, que sont nos prêles, nos lycopodes, nos fougères, à 
côté des genres éteints qui se rapportent à ces familles? En 
quoi les cycadées, les conifères, les anonacées observées dans 
des couches plus ou moins profondes, diffèrent-elles des 
nôtres? Quelles sont donc les qualités nouvelles, taille, forme, 
beauté, qui puissent nous donner la supériorité sur les produc- 
tions fossiles des deux règnes? Que serait-ce si nous connais- 
sions mieux les anciennes faunes et les anciennes flores? 


Combien il est difficile d'admettre, avec M. Darwin, qu’un 
jour la nature vivante sera si bien modifiée, qu’il ne restera 
plus rien des formes actuelles, et que celles qui seront repro- 
duites leur seront supérieures dans l’ensemble de leurs formes 
et la perfection de leurs organes. Quel résultat merveilleux de 
ce polymorphisme, et de quelle puissance de transformation 


— 108 — 


aura été doté ce progéniteur unique, père de toute la nature 
vivante ! 

L'opinion qui soutient l’origine des êtres par types réduits 
se rend compte de la création de la manière suivante. Un 
prototype, ayant été formé, aurait produit par divergence ou 
bifurcation deux rameaux pour chacun des deux règnes; ces 
types d’ordres secondaires auraient formé d’autres types, par 
exemple ceux que nous connaissons comme embranchements, 
et toujours ainsi pour arriver aux classes, aux ordres et aux 
genres, non brusquement, mais en vertu du temps et par des 
transitions ménagées. La nature n’eût rien fait de stable, et ce 
provisoire durerait encore, L'œuvre des siècles aurait pour 
résultat de perfectionner les êtres vivants. Les modifications 
produites seraient toujours avantageuses aux organismes chez 
lesquels ces changements d’état s’opéreraient. 

Deux causes agiraient dans ce sens : la sélection naturelle 
et la concurrence vitale, c’est-à-dire la lutte des forts contre 
les faibles, ces derniers devant disparaître par insuffisance 
dans les moyens de résistance. Ces résultats ne sont pas très- 
évidents à nos yeux, en raison de la lenteur avec laquelle ils 
se produisent. Nous vivons trop peu pour qu’il nous soit pos- 
sible de les apprécier. 

La nature vivante, dit toujours M. Darwin, a changé, elle 
change, elle changera. S'il nous était permis de revivre dans 
quelques centaines de siècles, nous lui trouverions une autre 
physionomie; à peine verrions-nous quelques espèces de 
plantes et d'animaux ayant pu échapper à ces métamorphoses. 

Comment, continue-t-il, se sont opérées et comment s’o- 
pèrent encore ces transformations? Par l'espèce, qui forme 
des races destinées à la remplacer, parce qu’elles sont plus 
robustes, moins imparfaites, en un mot améliorées. Si une 
plante ou un animal produit accidentellement des individus 
modifiés en mieux, aussitôt la sélection s’en empare. Toute 
modification, si elle est avantageuse, ajoute à la résistance 
vitale; l'être qui en a été doté résiste donc : il vit, non pour 
rester tel qu’il a été modifié, mais pour se modifier encore, 
former des races de races, et toujours ainsi, de manière à s’é- 
loigner de plus en plus du type primitif; si bien que, de dé- 


— 109 — 


viations en déviations, il devient méconnaissable. Dans ce 
mouvement ascensionnel, il peut parcourir une longue route 
et devenir, suivant l’acception scientifique, une espèce, cette 
espèce un genre, et ce genre, l’action modificatrice continuant, 
mériter de passer dans un ordre et dans une classe qui le sé- 
parent, par un intervalle immense, du type dont il est sorti, 
toute parenté entre les fils et la mère ayant disparu. 

Que devient l'espèce de laquelle sont nées toutes ces 
formes? Elle peut continuer à vivre, et accidentellement aussi 
se modifier pour constituer d’autres races qui divergeront à 
leur tour et revêtiront des caractères spéciaux. Ainsi, plus de 
causes finales : des circonstances accidentelles, la nature livrée 
au hasard. Nous n’en jugerons pas ainsi : tout ce qui se passe sur 
la terre est le résultat de lois; si elles paraissent changer, c’est 
uniquement que nous n’en connaissons pas toute la portée. Ce 
qui arrive par hasard peut se manifester une ou deux fois, 
mais non de telle sorte que la nature organique y soit soumise. 

Examinons la sélection dans les effets qu’elle peut produire 
sur les plantes et les animaux. 

Les plantes fixées au sol sont, plus que les animaux, sou- 
mises à l’action de la concurrence vitale. Quoiqu’elles aient 
souvent des agents de dissémination, — ailes et aigrettes, — 
elles tombent dans des terrains déjà occupés, dans des terrains 
incultes, dans l’eau, sur des pierrailles, etc. Dans ce trajet, 
elles deviennent souvent la proie des oiseaux granivores; de 
plus, quand elles s'arrêtent sur une terre qui leur convient, 
elles restent à la surface et ne germent pas. La concurrence 
vitale s’exerce par les plantes vivaces au préjudice des plantes 
annuelles, et par les plantes ligneuses au préjudice des plantes 
vivaces. La durée est ici victorieuse. plantes annuelles 
n’ont qu’une possession temporaire du terrain; il appartient à 
celles dont la vie se prolonge. Voilà ce qui limite le nombre 
des végétaux. La privation d’agents de locomotion rend assez 
difficile l’action de la sélection naturelle ; elle est en sens in- 
verse de la durée, c’est-à-dire qu’elle semble plus facile pour 
les plantes annuelles que pour les autres, en raison de la rapi- 
dité avec laquelle se succèdent les générations. C’est par le 
pollen que s’opèrent les modifications et que peuvent se former 


7 
:. $ 


— 410 — 


des races, fl favorise des croisements qui se perpétuent; ce ne 
sont, à vrai dire, que des variations et non des hybrides pro- 
prement dits. De même qu’il existe parmi les animaux des 
espèces plus flexibles les unes que les autres, — chien, pi- 
geon, — de même il existe des espèces de plantes qui se 
prêtent plus que les autres à la variation. C'est donc la graine 
modifiée par l’action d'un pollen étranger qui ferait dévier 
l'espèce et qui l’éloignerait du type primitif. Sans nul doute, il 
existe dans les flores un grand nombre de formes qui ne sont 
que des divergences de types primordiaux. Pour s'en con- 
vaincre, il suffit de constater que, dans certaines familles, les 
genres sont plus faiblement unis que dans d’autres : tels sont 
les labiées, les crucifères, les chicoracées, les lichens. 

Les arbres, d’ailleurs bien moins nombreux en espèces que 
les herbes, se prêtent aussi difficilement aux variations, et 
ceux de nos forêts gardent tous leur caractère aussi bien sous 
les tropiques que dans nos climats. Si nous considérons l'arbre 
comme produisant une herbe annuelle, il devrait arriver à ses 
fleurs ce qui arrive à celles des plantes herbacées : elles pour- 
raient former des variations. On n’en connaît que bien peu 
d'exemples dans l’ordre naturel. Comme les arbres des forêts 
vivent par groupes, et que souvent une seule essence couvre 
d'immenses territoires, les graines produites restent confinées 
et ne trouvent guère de terrain où elles puissent germer. La 
sélection naturelle peut avoir une action plus marquée 
sur les végétaux cellulaires, surtout par la différence d’ac- 
tion des milieux où croissent ces plantes. Pourtant, malgré 
l’extrôme délicatesse de leurs formes, elles conservent très- 
bien leur individualité, et, si on ne la trouve pas toujours dans 
les organes de nutrition, on peut facilement s'assurer qu’elle 
existe dans les organes reproducteurs, variés à l'infini. 

Comment comprendre que le règne végétal se modifie et se 


‘perfectionne? Sera-ce en perdant l'irrégularité de forme de 


certaines fleurs? Mais ne serait-ce pas leur enlever ce qui 
en fait le charme? Que peuvent-elles perdre? que peuvent- 
‘elles gagner? Si les siècles agissent sur les plantes, ils en 
feront autre chose, sans faire mieux. Supposez qu’elles soient 
toutes robüstes et de même port, avec des fleurs également 


— AU — 


belles, toutes régulières, toutes richement parées de splen- 
dides couleurs, exhalant toutes de suaves parfums; ôtez même, 
si vous le voulez, les épines aux buissons; ne faites qu’un 
splendide parterre de la terre entière, et vous aurez perdu ce 
qui en fait le charme : le contraste. 

Ainsi, nous ne pouvons comprendre, en ce qui regarde le 
règne végétal, que la sélection naturelle soit avantageuse et 
qu’elle puisse ajouter à sa beauté. Sans nier d’une manière 
absolue l'existence de races nouvelles qui se sont élevées à la 
dignité d’espèce, nous n’hésitons pas à regarder ces modifica- 
tions comme étant beaucoup trop rares pour changer la phy- 
.sionomie de la nature végétale, sauf les révolutions du globe, 
qui ne permettent plus de savoir ce qui pourrait advenir. 

La sélection naturelle s’exerce bien plus difficilement sur le 
règne animal que sur le règne végétal. Les animaux sont plus. 
indépendants que les plantes; ils peuvent se déplacer pour 
chercher les milieux qui leur conviennent le plus. Presque 
toujours les sexes sont séparés. Si le mâle est modifié et que la 
femelle ne le soit pas, la variation ne se reproduira qu’impar- 
faitement, ou même ne se reproduira pas du tout. Voilà pour 
la première génération. Mais pour la deuxième que deviendra- 
t-elle? Trouvera-t-on dés géniteurs offrant le même caractère 
modifié pour le continuer? Si lé hasard les produit, se ren- 
contreront-ils? On ne peut raisonnablement le supposer. 

. Les modifications qui perfectionnent sont-elles seules, et ne 
doit-on pas croire qu'il en est qui agissent en sens contraire ? 
Supposez que celles-ci prévalent, et l'espèce devrait dégéné- 
rer, puis disparaître, appauvrie par une suite, également acci- 
dentelle, de races toujours plus faibles procréant entre elles. 
Sans doute, en raison de la convenance plus ou moins bien 
appropriée aux besoins des individus, il peut arriver qu’elles 
gagnent en force et en beauté; mais, soit qu’elles perdent, soit 
qu’elles gagnent, il ne peut en résulter aucun changement 
considérable dans le type spécifique. Ici l’espèce est plus vi- 
goureuse et là plus délicate ; ce qu’elle gagne d’un côté, elle le 
perd de l’autre, et la moyenne reste la même. C’est comme 
la rivière qui change son niveau sans quitter ses bords. Ce que 
nous savons de la nature nous démontre que métamorphoser 


— 112 — 


une espèce, c’est la mettre hors du cadre pour léquel elle était 
faite, c’est la détruire. 

M. Darwin étend le pouvoir de la sélection naturelle jus- 
qu'aux instincts. Ce serait d’abord une qualité accidentelle et 
individuelle qui deviendrait héréditaires il en serait de l’in- 

‘Stinct, qui est insaisissable, comme des modifications de 
forme, qui sont matérielles. Ne devrait-on pas aussi se deman- 
der que, si les qualités se transmettent par sélection naturelle, 
les défauts se lransmettent aussi; toutefois défauts et qualités, 
pour se fixer dans l'espèce, doivent éprouver par la sélection 
naturelle les mêmes entraves que celles dont nous avons parlé 
à propos des caractères physiques, lesquelles résultent de la 
difficulté de réunir des géniteurs ayant pour les reproduire 
des qualités ou des défauts pareils. Le mâle vigoureux s’accou- 
plera à une femelle délicate, le mâle courageux à une femelle 
timide, et le produit reviendra à la moyenne de force ou de 
courage. 

L'instinct est aveugle, et M. Janet (Revue des deux mondes, 
4 décembre 1863), auquel on doit un article plein d'intérêt 
sur le darwinisme, fait remarquer avec raison que les nécro- 
phores placent des cadavres à côté de leurs œufs pour nourrir 
les larves qui doivent éclore, quoiqu’ils ne doivent pas les 
voir. Les pompilies font de même, quoiqu’ils soient herbivores 
et leurs larves carnassières. L'instinct sépare les animaux au- 
tant que la structure extérieure. Tout, chez les êtres vivants, 
concourt à isoler l'individu. 

- M. Darwin fait voir que la sélection artificielle est parfois 
inconsciente, ce qui équivaut à dire que l’espèce peut se modi- 
fier d'elle-même. Les cultivateurs et les horticulteurs disent 
alors qu’ils ont gagné une variété, et ils peuvent la perpétuer; 
mais les animaux et les plantes qui font gagner ces variétés ne 
sont pas à l’état sauvage, et l’on sait que la domesticité les 
dispose aux variations. 

- On dit que si les milieux ne changent pas, la sélection natu- 
relle ne change pas non plus; c’est dire implicitement qu’elle 
est impossible dans les mers, les lacs et les grands fleuves, sur 
les hautes montagnes et dans les sables destinés à se conserver 
tels qu’ils existent aujourd’hui, et conséquemment à laisser 


— 113 — : 


tels qu’ils sont les organismes qui s'accothmodent de cés dis 
vérs milieux d'habitation, 

Tout est mouvement sur la terre et dans l'univers tout en- 
tier, Est-ce vers le progrès que nous marchons? Cette loi est 
en nous sans doute; "mais nous seuls pouvons l’interpréter. 
Abandonné à lui-même, le globe terrestre aurait une autre 
physionomie, L'homme y perdrait, et beaucoup d'animaux y 
gagneraient des eaux plus abondantes, des forêts plus vastes, 
des refuges plus sûrs. S'ils pouvaient répondre et qu’on les 
interrogeât, ce que nous nommerions désordre, ils le qualifies 
raient de ès; ce mot est d’acception humaine. Le seul 
progrès qui soit incontestable est celui de notre intelligence. 

Les lois qui régissent la matière ne s'étendent à la nature 
organique que dans quelques détails de la vie, et non dans l’en- 
semble. L’attraction donne lieu à des phénomènes qui abouz. 
tissent à la stabilité, la vie à des phénomènes qui conduisent 
à la mort; encore est-il permis de faire remarquer que les 
germes se succèdent, de sorte que la mort n’est, à vrai dire, 
qu’une sorte de rénovation, 

Ce qui semble commun à la vie organique et inorganique, 
c’est de donner lieu à une évolution sans terme; mais les con- 
ditions de durée sont diverses : la matière n’a pas besoin des 
plantes et des animaux pour se perpétuer, tandis que ceux-ci 
lui empruntent les bases sur lesquelles s’appuie la vie. Ils en 
dépendent donc par leur masse; mais l’arrangement des mo- 
lécules qui la constituent est soumise à des lois d'une portée 
bien plus élevée, dont, malgré tous nos efforts, nous ne pou: 
vons saisir l'étendue, 


VII. — ConNcLuSsION, 


En terminant cette étude, tout à la fois peut-être et trop 
longue et trop courte, il semble convenable de résumer notre 
opinion sur le darwinisme. Nous le ferons en peu de mots. 

Ce système, de même que tous ceux à l’aide desquels on a 
tenté d’expliquer la création, aboutit au merveilleux. Le 
nombre des germes admis n’y fait rien, On peut le limiter au 

FÉE. 8 


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* 


ra 


sg! — A1k — 
point de ne reconnaitre qu’un seul protolype, sans pour cela 
sortir de l'hypothèse. N’aura-t-on pas toujours à se demander 


d’où il provient, et par quelle prérogative il a pu devenir le 


. père de la nature organique, si diverse de la matière, régie 


par les seules forces physiques ? 
… Il semble que la création génésiaque, qui aurait formé les 
êtres vivants de toutes pièces, en les subordonnant les uns aux 
autres, se serait manifestée avec plus de grandeur, et que le 
miracle opéré aurait été plus surprenant, nous dirions même 
plus difficile à effectuer, si l’on ne réfléchissait que tout ce qui 
s'éloigne de l’ordre naturel admet un égal degré d’impossibi- 
lité. Le darwinisme décompose le miracle, et croit ainsi, le 
rendant plus facile, satisfaire aux exigences de la raison, tandis 
qu’il ajoute aux difficultés en multipliant les faits merveilleux, 

i restent sans explication raisonnable. 

. Dans ce système le rôle principal est dévolu au temps; or, 
comme sa durée est infinie, la manière dont il agirait n’aurait 
point de terme possible. Peu de changements par siècle, mais 
beaucoup de siècles. Quelque légères que soient les modifica- 
ion l’origine, il suffit qu’elles se continuent pour trans- 
former complétement l'organisme qui en est le siége. Ainsi, le 
monde organique n’aurait rien de fixe, tout y serait provisoire 
et en progrès ; tout marcherait vers ufbut qui ne serait jamais 
atteint. | 

La création génésiaque serait terminée et désormais confiée 
aux êtres créés, tandis que la création darwinienne se continue- 
rait par sélection naturelle. Les espèces produites ne le seraient 
qu’à titre provisoire, et, comme les larves, attendraient du 
“temps une métamorphose qui ne serait jamais définitive. 

Nous avons combattu ces idées et cherché à prouver que les 
espèces ont plus de fixité dans leurs formes que ne leur en 
accorde M. Darwin, non que le monde organique nè soit mo- 
difiable en aucune manière, mais uniquement dans des termes 
tels que les types semblent immuables dans leurs caractères 
fondamentaux. 

En somme, et pour conclure, nous dirons que, pour nous, 
le darwinisme est une hypothèse ingénieuse qui laisse au mer- 
veilleux une place aussi grande que celle qu'il occupe dans Ja 


— 115 — < d 


création selon la N” L'apparition des êtres vivants à la 
surface de la terre est un fait en dehors de toute appréciation 
humaine. Est-ce à dire que le livre de M. Darwin ne mérite 
pas d’être profondément médité? Telle n’est certes pas notre . 
opinion. De pareils travaux jettent une vive lumièré sur l’his- 
toire naturelle, qu’ils enrichissent de faits nouveaux, habile- 
ment groupés. Les vérités à la recherche desquelles on se 
livre ne sont pas toujours celles que l’on découvre; mais il 
suffit que ce soit des vérités pour qu’on applaudisse à ceux qui 
les découvrent, de quelque manière qu’ils les aient trouvées. 


C4 
M7 


. 
TABLE DES MATIÈRES 
« 
2 Là 

INTRODUCTION. ............ pes Ne QU er PE Et dits 3 
I. Développement des êtres vivants à la surface de la terre... 8 
If, HIT, Milieux d'habitation des êtres vivants. ............,. 29 
IV. Permanence des formes spécifiques dans l’ordre naturel. .,.. 39 
& 4 De l'espèce... ». 5. eur svrte sos «BD 
$ 2. Unité de LS à oO ES D CRETE Cas PSE OPEN 43 


Y. Particularités de la vie des plantes et des animaux qui sem- 
blent remonter à l’origine des espèces et les rendre 


HUB DIN De Te eo à 0 ne dE) TU ee 55 

$ 1. Agents de locomotion................ RE 55 
$ 2. Vie nocturne......... OS ET PS CIEE La ME 64 
4, De la vie nocturne chez les plantes..... Ses OA 

+ 2. De la vie nocturne chez les animaux. ...... 300 

$ 3. Sommeil... ....... sons CENSE CAMP RER 69 
COR. 74 
$ 5. Reproduction.............. M TRES de PE à | 


$ 6. Les animaux doués d’instincts spéciaux et d’intelli- 
gence ont un appareil qui en permet le dévelop- 


DONON Es de Pr NOR Et, 85 

S:7. Durée de la vie. ............ NES TN SH 002 

VI. Le qui peuvent agir sur l’espèce et la modifier. . PR : | 
4. Concurrence vitale,... ...... st ER Be ds 7 

2. De la sélection naturelle et artificielle... ... 102 

VII, Conclusion........,. DUR CAD CN OUE MP La ses ve SOUS 


PS