LES ZEMMOUR
ESSAI D'HISTOIRE TRIBALE
L'itude dont nous commencons la publication a ite" prisentie
comme these complimentaire pour le doctorat es lettres a la Faculte"
des Lettres et Sciences Humaines de Paris, en 1960, sous le titre
Histoire d'un groupement berbere, les Zemmour. Elle n'avait jamais
iti publiie. La these principale de M. Marcel Lesne, qui a pour titre
Evolution d'un groupement berbere, les Zemmour, a ete imprimde
par I'Ecole du Livre, a Rabat, en 1959. (Note de la Redaction.)
INTRODUCTION
Au d£but du xx e siecle, un groupe puissant de tribus berbero-
phones illustre, par des actes d'hostilit<* ou de brigandage, sa pre-
sence turbulente aux portes de Rabat et de Meknes. D'humeur guer-
riere, tout impr6gn6s des souvenirs de la rude vie en montagne menee
par leurs peres, encore exalted par une recente victoire sur la puis-
sante tribu des Bni-Ahsene qu'ils repoussent pas & pas depuis des
generations, les Zemmour font du bled siba une reality vivante j us-
que sous les murs de Sale\ Aucun Stranger ne traverse leur territoire
sans s'assurer, contre paiement, la protection coutumiere ou mezrag;
le Sultan lui-meme contourne la for6t de la Mamora, ravie par les
Zemmour aux Rni-Ahsene, et longe la cote pour se diriger vers Mek-
nes. Hostiles aux strangers certes, mais aussi profondement divi-
sees et en proie k des luttes intestines sans cesse renaissantes, les
tribus Zemmour apportent ainsi, dans les plaines arabisees, l'ardeur
guerriere et la rudesse des mceurs de la montagne berbere, jusqu'ii
l'intervention francaise et le r6tablissement de l'autorite centrale.
Les tribus Zemmour comptent k l'6poque plus de 12 000 tentes
groupant environ 60 000 personnes 1 . Par leurs coutumes berberes de-
1. Chiffre approximatif, cf. Villes et tribus du Maroc, t. Ill, 1920, p. 188.
Actuellement les Zemmour comptent 137 000 ressortissants. Les tribus Ait-Amar
d'Oulmfes, d'origine zai'ane, rattachees administrativenient aux Zemmour apres
le Protectorat francais, ne sont pas etudiees ici.
112 MARCEL LBSNE
meurees k peu pres intactes, par leur type physique assez differencie,
par leur rude valeur guerriere et leur genre de vie semi-nomade et
pastoral rappelant celui de la montagne, les tribus Zemmour accu-
sent une tres forte personnalite d'ensemble qui apparait aux yeux
des gens les moins avertis, m6me encore de nos jours. Pourtant, cette
grande Confederation comprend de tres nombreux groupements inter-
nes assez particularisms ; le tableau de commandement dresse apres des
decades d'administration r6guliere donne une idee imparfaite de
la multiplicite des groupements. Huit grandes tribus ou sous-confe-
derations : Bni-Hakem, Haouderrane, Ait-Ouribele, A'it-Jbel-Doum,
Messarhra, Kabliyine, A'it-Zekri (A'it-Belkassem, A'it-Ouahi, A'it-Abbou)
et Bni-Ameur (Aiit-Ali-ou-Lahsene, Kotbiyine, Mzourfa, Khzazna, Hej-
jama) ainsi que deux tribus de chorja composent une mosa'ique de
populations conscientes a la fois de leur origine particuliere et de leur
appartenance k la Grande Confederation Zemmour. Une etude plus
pouss6e de ces groupements fait ressortir une diversite d'origine
toujours plus accusee. Des lors, d61aissant les habituelles explications
biologiques ou patronymiques, il faut rechercher ailleurs la clef d'une
structure qui allie si curieusement la cohesion de l'ensemble au par-
ticularisme forcene des formations internes.
Plus qu'une origine g6ographique commune, qui n'est aucunement
certaine, ni meme probable, ce sont les aventures venues ensemble et
le genre de vie impose par les conditions historiques et geographiques
qui contribuerent a rassembler et unir les tribus de la Confederation
Zemmour. Les recherches entreprises dans ce sens peuvent paraitre
t6m6raires, car la coutume en pays Imazirhene reste purement orale
et la vie sous la tente ne favorise guere la conservation de documents
ecrits. Mais le mouvement SE-NO, qui ebranla tant de populations au
Maroc, a laisse des traces profondes dans la tradition orale, et aussi
dans les pays traverses, si bien que le lent cheminement des Zemmour
vers les plaines atlantiques peut etre, non point etabli avec certitude,
mais esquisse avec l'espoir de degager plus qu'une hypothese.
C'est sous le regne de Moul ay-Ismail que les Zemmour apparais-
sent dans l'histoire. Les recits des chroniqueurs leur assignent alors
un role de premier plan dans la politique berbere menee par ce sou-
verain et il devient possible de localiser, en utilisant divers documents,
ainsi que les donnees de la tradition orale pour les periodes plus
recentes, les divers habitats occupes par les tribus. Certes, la vie pro-
fonde des populations nous echappe toujours, mais les relations d'un
groupement aussi important que les Zemmour avec la dynastie ou les
autres confederations et tribus apparaissent hautement significatives
LES ZEMMOUR 113
des 6poques et des lieux successifs ou elles se situent. Tour a tour
tribus makhzen, tribus simplement fideles a la dynastie, tribus revol-
t6es, tribus periodiquement soumises et tribus en siba, les Zemmour
illustrent les 6tapes de l'histoire de la dynastie alaouite, jusqu'a
Moulay-Abdelaziz et Moulay-Hafid. Leur mouvement en direction du
NO aurait pu etre celui des autoes tribus demeur£es dans le Moyen
Atlas, si l'intervention franchise n'avait arrets la coulee des popula-
tions berberophones vers les plaines atlantiques en immobilisant les
Zemmour, tribus de pointe, aux lisieres de la Mamora qu'ils venaient
d'arracher de haute lutte aux arabes Bni-Ahsene.
Chapitre I
DIVERSITE DES COMPOSANTES
DE LA CONFEDERATION ZEMMOUR
I. — L'ancetre eponyme
a) Le lien Mologique : explication insuffisante.
On tenterait volontiers, par besoin de logique interne et d'unit£,
par habitude aussi, de rechercher k travers les textes ou les legendes,
l'existence d'un ancetre commun, d'un heros dont les Zemmour tout
entiers se considereraient, plus ou moins, comme les descendants par
le sang. Mais il serai t tout a fait £tonnant, de prime abord, qu'un
ensemble de tribus reunissant actuellement plus de cent trente mille
individus puisse se reclamer d'un ancetre commun, meme fictif.
Aussi bien, meme pour les tribus, plus fortement coh6rentes que
les confederations, l'h^terogenGite des elements divers qui les compo-
sent interdit d'accepter comme explication essentielle au groupement,
voire comme explication valable, l'unite biologique par le sang, qu'elle
soit directe ou qu'elle fasse appel a. la fiction de l'adoption. « Par le
fait meme que les populations sont imparfaitement fixers au sol,
6crivent A. Bernard et, M. Lacroix, les indigenes d'une meme tribu
ont beaucoup moins de chances de descendre d'un auteur commun que
114 MARCEL. LBSNE
les habitants d'un meme village de France » 2 . La croyance en un
ancetre eponyme traduit certes la conception de l'union par le sang.
Mais la tribu, groupe deja plus d6velopp£ que le clan, rassemble des
elements d'origine tres diverses. « Elle ne se developpe pas seulement
par intussusception mais aussi par juxtaposition ... la tribu s'est
formee a la fois par le developpement familial et par l'agregation
d'elements strangers » 2 . E. Doutte 3 a egalement constats, apres avoir
etudie les populations de Figuig, l'impossibilite' d'accepter l'explica-
tion de la structure tribale par la consanguinity : « C'est k tort,
ecrit-il, qu'on se represente les divisions des tribus sous la forme d'un
arbre genealogique. Les divisions des groupes actuels de populations
constituent generalement, non des rameaux issus d'une meme souche,
mais des greffes apportees sur un pied primitif parfois impossible
a discerner ».
b) Le terme Zemmour : ses obscurites.
Peut-on trouver pour- la Confederation des Zemmour quelque essai
d'explication, autre que biologique, au groupement des tribus ? Le
terme de Zemmour semble derive" du berbere Azemmour. Ce mot, £crit
E. Laoust, « d6signe l'oleaster dans le Sud du Maroc, et l'arbre cultiv6
dans le Rif, les Kabylies ... etc. II apparait d'une antiquite deja
respectable si on en juge par ce fait qu'il s'est fix£ comme toponyme
dans les regions ou le berbere n'est plus parle" : Zemmora en Algene,
Azemmour petite ville du littoral marocain » 4 . Bien que se ref^rant
a un arbre fort commun au Maroc, ce mot se revele peu utilise dans
Fonomastique marocaine. II existe un vaste plateau saharien, au S.E.
du Maroc, appele" plateau des Zemmour, ce qui, avec la ville d'Azem-
mour r6duit a peu d'exemples l'emploi g^ographique du terme. Quel-
ques groupements humains font aussi appel k ce mot : Bni-Zemmour
qui constituent au S. O. de Casablanca une confederation de tribus
arabopliones dont Boujad est le plus gros centre, et les Oulad Zem-
mour, petite fraction de la tribu des Bni-Bou-Yahi installee dans le
Haut Msoun, aux environs de Sakka. Rien ne permet 6videmment
d'effectuer un rapprochement quelconque entre ces noms de lieux
et nos tribus Zemmour; de mSine l'absence totale de rapports et de
2. A. Bernard et M. Lacroix, L'evolution da nomadisme en Algirie, Alger,
1906, p. 278.
3. E. Doutte, Figuig. Notes et impressions, 1903, p. 186.
4. E. Laoust, Mots et choses berberes, Paris, 1920, p. 447.
LES ZEMMOUR 115
souvenirs communs entre Bni-Zemmour et Zemmour ne semble pas
devoir permettre de retenir l'affirmation du Cheikh Zemmouri 5 , qui
les cite comme freres de race; en outre, les trois groupes : Zemmour,
Bni-Zemmour, Oulad-Zemmour sont respectivement classes comme
berbere, arabe et zenete 6 . La rarete d'emploi du generique Zemmour,
ainsi que le fait de le voir pourtant designer des groupements eloignes
les uns des autres par la langue, la situation g6ographique et l'absence
de tout lien historique ou de tout souvenir commun, ne permettent
pas de conclure a une explication linguistique valable pour nos seuls
Zemmour : Vazemmour est un arbre trop repandu an Maroc pour
que, s'il constitue un embleme possible de groupement, il puisse etre
reserve" seulement a quelques ensembles. Cependant, se r6ferant a
l'arbre rustique et vigoureux, les legendes locales essaient d'expliquer
l'appellation de Zemmour :
On raconte que Sidi-Boubker, cherif des Ait-Mguild, ren-
contra un jour deux hommes de regions differentes et leur posa quel-
ques questions. « Quelle est la chose la plus amere dans le corps
humain ? » demanda-t-il a l'un d'eux. Le cherif r£pondit lui-meme
a sa question en disant : « C'est la bile (ez4). Eh bien, ta tribu s'appel-
lera d6sormais Ezayane (Za'ian ou Izayan) car vous serez tou jours,
par l'aide de Dieu, comme ce liquide, amers et d^testables. Et toi,
dit Sidi-Boubker en s'adressant a l'autre, quel est l'arbre de ta region
dont le bois est tres dur ? « C'est azemour, repondit l'homme aussi-
tot ». « Eh bien, mon fils, dit le cherif, ta tribu s'appellera des aujour-
d'hui Zemmour et vous serez semblables k ce bois, toujours ro-
bustes » 7 .
Une explication voisine a cours en tribu Khzazna : installation
des tribus dans une region couverte d'oliviers sauvages aurait donn6
leur nom aux Zemmour. Mais dans ce domaine des explications patro-
nymiques, le folklore subit l'influence des conteurs publics qui, a
l'aide de rapprochements, de subtilites phonetiques, de legers indices,
s'efforcent de batir de toutes pieces des legendes flatteuses ou de jus-
tifier des parentis enviables.
5. G. Salmon, L'opuscule du Cheikh Zemmouri sur les Chorfa et les tribus
du Maroc, Archives Marocaines, t. II, pp. 282-3 (la mention faite est redig^e
comme suit : « Tribus des Bni-Zemmour apparentdes aux Bni Zemmour
Chleuhs »).
6. Liste des confederations, des tribus et des principales fractions du Maroc.
Direction des Affaires Indigenes, 1936.
7. Informateur : Mohammed-Ben-H., Messarhra (Ait Ounzar), 1952. E.
Laoust cite une hypothese linguistique faisant ddriver azemmour de ezmer
« Stre fort et puissant ». Cette anecdote evoque un tel rapprochement.
116 MARCEL LBSNE
Ibn Khaldoun ne nous est non plus d'aucun secours dans la
recherche de lettres de noblesse pour les Zemmour. Peut-etre ces
derniers descendent-ils de Zemmer, fils d'Aurigh, lui-meme fils de
Magher, fils de Bernes, fils de Berr ? lis appartiendraient en ce cas
& la branche des Berberes Branes 8 . Mais rien d'autre eVidemment
qu'une ressemblance de nom ne peut permettre un rapprochement. Ibn
Khaldoun cite ailleurs des Bni Zemmor, parmi les Nefouca 9 , habitant
aux environs de Tripoli; les Nefouca, descendants de Nefous, fils de
Zeddjik, fils de Madghis-el-Abter, fils de Berr relevent de la branche
des Berberes Botr. Telles sont les indications historiques les plus
lointaines, trop v agues et surtout sans continuite avec les epoques
plus rapproch6es pour qu'une hypothese puisse etre £chafaudee 10 .
Ibn Khaldoun « auquel une certaine geniality non moins que le pri-
vilege de la traduction ont confere une sorte de tutelle sur l'historio-
graphie europeenne » n , reste, en ce qui nous concerne, une reference
obligatoire et de bon ton, mais n'apporte aucune lumiere sur l'origine
des Zemmour.
c) Les legendes genealogiques : insuffisances et contradictions.
Ni la traduction orale faisant de l'olivier sauvage Fembleme des
qualites zemmouries, ni ce qu'on ne peut appeler en definitive qu'une
coincidence de noms dans l'Histoire des Berberes, n'offrent d'explica-
tion valable. La presque totalite des ressortissants Zemmour, des qu'ils
sont appeles a vivre a l'exterieur des limites de leur territoire, ajou-
tent a leur nom l'expression distinctive ez-zemmouri ; mais les legen-
des genealogiques, au demeurant peu nombreuses et peu connues, ne
mentionnent jamais le mot Zemmour.
La legende la plus courante veut que les Zemmour descendent
8. Ibn Khaldoun, Histoire des Berberes, Trad, de Slane, Alger, 1852, p. 170.
9. Ibn Khaldoun, Ibid., p. 226 : « Les Nefouca, descendants de Nefous, for-
maient une des grandes tribus de la race berbere. lis se repartissaient ensuite
en plusieurs branches telles que les Beni Zemmor, les Bni Meskour et les
Matou$a. Ces grandes families habitaient les environs de Tripoli ainsi que les
localites voisines ».
10. El Berki signale une trlbu Bni-Zemmour pres du Jbel Nefouca entre
Tripoli et Kairouan (Description de I'Afrique Septentrionale, Trad, de Slane,
Alger, 1913, p. 25).
11. J. Berque, Qu'est-ce qu'une tribu Nord-Africaine ? in Eventail de I'his-
toire vioante, t. I, Paris, 1953, p. 256.
LES ZEMMOUR 117
de cinq freres, fils d'un certain Aissa. Chacun d'eux aurait fond6
une tribu qui continue a se r6clamer de son ancetre 12 :
Lahsene-ou-Aissa les Ait-Abbou
Belkassem-ou- Aissa les A'it-Belkassem
Houder-ou-A'issa les Haouderrane
Mimoun-ou-A'issa les Ait-ilimoun
Haddou-ou-Aissa dit Harami ou
Messarhani-ou- Aissa les Messarhra
La tradition ajoute que les cinq freres nc purent jamais s'en-
tendre et que les families, puis les tribus, se separerent et prirent le
nom de chacun d'eux, au lieu de s'appeler toutes Ait- Aissa. Les autres
tribus : Kabliyine, Ait-Ouribele, puis les Bni-Hakem et Bni-Ameur
qui font maintenant partie des Zemmour, auraient rejoint plus tard
les cinq groupements primitifs. Si on ne peut accorder a cette 16-
gende que la valeur de tous les essais d'explication de ce genre, du
moins nous renseigne-t-elle sur la presence d'un noyau qui serait
authentique, sur l'arrivee d'autres tribus dans le groupement, sur l'in-
corporation plus tardive des ensembles tribaux Bni-Hakem et Bni-
Ameur.
Mais un autre nom, moins connu des strangers, jamais mentionne'
dans les nombreuses 6tudes 6tablies par les Officiers de Renseigne-
ments et les Controleurs Civils, d&dgne les memes populations zem-
mouries : celui d'A'it-Zouggouatt. G. Marcy 13 voit dans ce terme
le vrai nom berbere des Zemmour. En tribu, la m£me explication pre-
vaut et le fait m£me que cette appellation apparaisse peu usitee a
Pexteneur, semble indiquer soit un emploi restreint aux seuls Zem-
mour soit un terme non representatif de l'ensemble des membres de
la confederation. Selon la legende 14 , Zouggoua, chef guerrier c61ebre
par sa bravoure, se serait illustr6 lors de la lutte menee contre les
Bni-Ahsene qui occupaient autrefois le territoire aujourd'hui deVolu
aux Zemmour.
« A la tete d'un groupement valeureux, Zouggoua arriva ainsi
pres d'Ouljete-es-Soltane et trouva une vieille forteresse delaissee
(Kasbete-harira) : il y laissa quelqu'un pour le repr^senter. Ainsi pro-
c6da-t-il au cours de chaque avance, lors de sa poursuite victorieuse
12. Legende recueillie par Mohammed-Ben-H., Messarhra (Bni-Ounzar), 1951.
Egalement mentionnde par M. Fresneau dans Contribution a une monographic
de tribu : les Kabliyine, 1948, Arch. Direction de l'Interieur, Rabat.
13. G. Marcy, Le Droit coutumier Zemmour, Alger, 1949, p. 4.
14. Informateur Mohamed-Ben-H..., Messarhra )Bni Ounzar), 1950.
118 MARCEL LESNE
de l'ennemi : a chaque endroit conquis, Zouggoua installait un ou
deux membres de sa famille. Et a chaque fois qu'on leur demandait
quelle £tait leur tribu, ils repondaient : A'it-Zouggouatt. Tous les Zem-
mouris deacendent de la famille de Zouggoua ».
Cette legende n'offre cependant pas une explication satisfaisante.
Certes, la lutte contre les Bni-Ahsene fut la grande epopee des Zem-
mour et elle impr6gne tous les souvenirs des anciens, mais elle ne
s'est deroulee qu'a partir du xvin e siecle seulement dans la region
indiquee par la legende. Or, un document in6dit 15 signale qu'a la fin
du xvir 3 siecle, les Zemmour se subdivisent en A'it-Zouggouatt et en
A'it-Hakoum. La legende du guerrier valeureux doit etre consideree,
soit comme une justification a posteriori d'une appellation dont l'ori-
gine se trouve oubliee, soit comme le rajeunissement d'une ancienne
explication patronymique qui avait perdu de sa substance et de sa
precision.
La fiction g£n6alogique, pourtant apte a recouvrir une vari6t6
extreme d'origines, ignore ainsi le mot Zemmour et n'offre que des
explications imparfaites, ou manifestement contradietoires, d'un aussi
vaste groupement. Personne ne sait plus pourquoi les diverses tribus
se disent Zemmour. Cela n'est pas pour etonner : deja. la tribu elle-
meme n'a pas la cohesion, l'unit6 solide qui caracterise la famille
berbere, et elle epuise souvent des tresors d'ingeniosite pour mainte-
nir le mythe de la consanguinity ; plus encore que la tribu, la confede-
ration apparait comme un groupement essentiellement politique,
dont la cohesion tout exterieure recouvre une heterogeneity profonde
et indiscutee. Des lors, nous ne pouvons esperer trouver de souvenirs
precis que dans le cadre d'unit6s plus petites.
II. — Heterogeneity des populations zemmour
La diversity ethnique des tribus Zemmour a ete remarquee par
G. Marcy 16 qui 6crit : « On y releve la presence d'elements apparte-
nant aux trois branches nomades du peuple arabo-berbere, qui ont tour
a tour occupe la scene historique du Maghreb : Sanhaja nombreux
surtout dans les fractions Sud et qui se rattachent au rameau epony-
15. Liste des tribus Zemmour, obligeamment communique^ par G. S. Colin,
directeur d'etudes a l'lnstitut des Hautes Etudes Marocaines a Rabat.
16. G. Marcy, Le droit coutumier Zemmour, p. 4. Nous retenons ici, non le
raisonnement etiologique, mais la constatation d'une diversity ethnique.
LES ZEMMOUR 119
mique des Alt Zoulit; ZSnetes plus ou moms arabises dont certains
portent encore le nom d'illustres ancetres (Ijanaten); Arabes enfin,
plus ou moins berberises, et surtout repartis vers les basses plaines
qui jalonnent la route de Rabat a, Meknes (Beni Amer) ». On peut
en effet, des que l'on examine de plus pres tribus ou fractions, relever
des origines extremement diverges, non seulement conserves par la
tradition orale, mais illustr£es par des souvenirs g£ographiques pre-
cis; parfois meme des relations, maintenues malgr£ les distances ou
l'anciennete" de la vie commune, attestent de la vivacite" des senti-
ments de parent6.
a) La tradition juive.
L'origine juive de certaines fractions reste toujours difficile a
retrouver, par suite du voile qu'elles jettent sur la conversion de
leurs ai'eux, de crainte de perdre quelque prestige. Les A'it-Makhlouf,
petite fraction des A'it-Ouribele, passent en tribu pour &tre des juifs
islamists, sans doute a cause de leur nom, mais s'en dependent ou 6vi-
tent d'aborder le probleme de leur origine 17 . Par contre les A'it-Babou-
te, des Bni-Hakem, ont garde" un souvenir tres net de leur conversion.
La 16gende raconte que trois bijoutiers juifs furent convertis k
1' Islam par Sidi-Mohammed-Ben-Mbarek, patron des Zaer 18 . Le fils de
ce saint, sejournant a Fes, 6tait entre" en discussion avec de savants
lettr6s : « Ton p£re n'est pas un saint, lui dirent-ils, il passe son
temps a. la chasse et k la peche ». De retour chez son pere, le fils ne
manqua pas de lui rapporter les propos tenus devant lui. « C'est bon,
rSpondit son pere, dis-leur de venir et je leur prouverai mon pouvoir ».
Les docteurs de Fes arrives, un repas leur est d'abord servi. « Qu'avez-
vous dit k mon fils ? declare ensuite Si-Mohammed-Ben-Mbarek ». Et
une discussion anim6e s'engage alors. Puis Sidi Mohammed s'exalte :
« Que voulez-vous que je fasse ? Voulez-vous voir la Kaaba ici-meme
et accomplir ainsi votre p£lerinage ? » Aussitot il agite le pan de son
burnous, les montagnes s'6cartent, et la Kaaba apparait. Trois juifs
qui se trouvaient pres de la, avec leurs petites tentes de commer-
cants, 6blouis par le prodige, adorerent aussitdt le vrai Dieu et son
17. Dans l'Opuscule du Cheikh Zemmouri (G. Salmon, Arch. Mar., t. II,
p. 262) a propos de chorfa, nous pouvons lire « Al-Hassan, surnomme Makhlouf,
dans la tribu des Zemmour chleuh qui appellent ses descendants Ouled El-
Hassan ».
18. Informateur Abdeslam-Ben-A..., -el-Hakmaoui, Ait-Baboute, douar Ait-
Slimane, 1953.
120 MAKCEL LESNE
Prophete. « Vous serez mes serviteurs » leur (lit Sidi-Mohammed-Ben-
Mbarek. C'est ainsi que les trois bijoutiers se fixerent aupres du saint,
prosp6rerent grace a sa « baraka » et fonderent les trois douars A'it-
Baboute : les Ait-Slimane, les A'it-Ikko-ou-Hajjou, les Ait-Brahim. De-
puis, chaque annee, en Octobre et en Mars, les A'it-Baboute vont en
p&erinage faire leurs devotions sur le tombeau de leur patron, au-
jourd'hui en pays Bou-Hassoussene 19 .
Selon V. Loubignac 20 , Sidi-Mohammed-Ben-Mbarek, contemporain
du Sultan Aboul-Abbas-Ahmed-el-Mansour, appartient comme Moulay-
Bouazza au groupe de saints berberes auxquels on prete des miracles,
emprunt^s a l'histoire religieuse, qui les integrent ainsi dans l'Islam;
« s'il ne peut ressusciter les morts, 6crit-il a son propos, il conversa
du moins avec Pun d'eux ». Mohammed-el-Kadiri 21 , donne aussi du
« cheikh Abou Abd Allah Mohammed ben Moubarak Az-Zari, enterre"
a Taswat, en 1006 (J. 0. 1957) », disciple du « Sayyidi Abou-Amar-el-
Marrakchi », une image a laquelle s'accorde tout a fait la 16gende
A'it-Baboute. « II avait des moments d'exhub6rante surexcitation
mystique et accomplissait des prodiges Gblouissants..., il comblait de
ses bienfaits tous ceux qui venaient a lui ou qui passaient par sa
demeure. C'Stait neanmoins un illettr6; il avait dans sa jeunesse
voulu se livrer a l'6tude de la science a Meknes-ez-Zitoun, mais il en
avait 6t6 dissuade par le Prophete (que Dieu r6pande sur lui ses
benedictions et lui accorde le salut) qui, un soir, lui etait apparu en
songe et lui avait dit : « Tu n'etudieras point ; mais va ! tu es cepen-
dant un cheikh ». La tradition A'it-Baboute met aussi, nous l'avons
vu, l'accent sur le caractere d'ignorance et de pouvoir surnaturel du
saint berbere. Ce serait done vers la fin du xvi e siecle que les A'it-
Baboute adopterent la religion islamique ; ils se trouvaient sans doute
a cette epoque dans la region du Fourhal bien avant que le reste des
Zemmour y parvienne et y sont rested pres de deux siecles. Nul doute
que cette permanence vivifiante aupres du tombeau sacre" et la renom-
m6e du thaumaturge n'aient permis aux A'it-Baboute de continuer
a f^ter un 6v6nement qui, sans cela, comme pour beaucoup de juifs
islamises, serait tombe" dans Poubli.
19. Un groupe de chorfa comprenant 160 families environ (600 personnes)
appelees Mbarkiyine, habite aujourd'hui le petit centre de Sidi-Mohammed-Ben-
Mbarek; le saint est decede au 17" siecle. (Fiche de tribu des Bou-Hassoussene,
mise a jour en 1953. Anonyme). Le marabout se trouve a 25 km environ au
S. E. de Moulay-Bouazza.
20. V. Loubignac, Un saint berbere, Moulay-Bouazza, Hespiris, 1944, pp. 15
k 34.
21. Arch. Mar., t. XXI (Trad. Graulle), 1913, pp. 102-108.
LES ZEMMOUR 121
b) La tradition arabe,
Beaucoup de tribus, fractions ou douars, se reclament de la
quality de chorfa; dans ce domaine, les Zemmour ne sauraient non
plus echapper a. la regie gen£rale. Beaucoup seraient en peine de
justifier leurs dires, fut-ce par des dahirs reconnaissant en eux d'au-
thentiques descendants du Prophete. Mais Pessentiel n'est-il pas
qu'ils passent pour tels aux yeux des autres ?
« Les chorfa ou pretendus tels, peut-on lire dans les documents
publies par la Mission Scientifique du Maroc 22 , sont repartis en
trois groupements dans la circonscription de Khmissete et en cinq
douars dans celle de Tedderss; dans celle de Tiflete, ils forment trois
agglomerations :
Khmissete :
Tribu des Ait-Yadine
Fraction des A'it-Sibeur-Arab
Ait-El-Mejdoub, Ait-Khaled et Ait-Ben-Hammadi, fractions
des Ait-Ouribele.
Tedderss :
Douar des A'it-El-Alem (Moualine-Gour, Bni-IIakem)
Douar des A'it-El-Alem (A'it-Haddou-Ben-Hassine)
Maarif (Ait-Achrine, Haouderrane)
Ait-Atta (A'it-Bou-Meksa)
Ouled-Sidi-Cheikh (Ait-Bou-Meksa).
Tiflete :
Tribu des Ouled-Bou-Yahya
Oulad-Sidi-El-Arbi, El-Khiyati (Kotbiyine)
Oulad-Sidi-El-Khandour-El-Mbarki (Hejjama).
De tous ces « chorfa », les Ait-Yadine, les Ait-El-Mejdoub et les
A'it-Bou-Yahia passent pour §tre authentiques ; ils descendraient de
Moulay Idriss du Zerehoun : les A'it-Bou-Yahya d^tiendraient des
dahirs attestant l'authenticit6 de leur genealogie... » 23 .
22. Vit. Trib., Rabat et sa Region, t. Ill, Paris, 1920, pp. 224-225.
23. Malgre" de nombreuses demarches et l'appui de fqihs pourtant bien
introduits en milieu Ai't-Bou-Yahya, les documents, s'ils existent, sont restes
caches dans les coffres et meme la simple filiation ou les principaux reperes de
l'arbre gdnealogique font l'objet du m^me secret. De mauvaises langues Zem-
mouries prdtendent que l'ancetre des Alt-Bou-Yahia ne serait qu'un juif tres
lettr6, converti a l'lslam. Le douar Ai't-Ikhlef prdtend que son fondateur est
venu de la region de Tlemcen.
122 MARCEL LBSNB
Les A'it-Yadine constituent surement le groupement le plus
important et le moins contests j leur quality de chorfa leur a
perm is de jouer tres souvent le role d'arbitres ou de conciliateurs
lorsque des rivalites opposaient entre elles certaines tribus des Zem-
mour. Une copie du dahir reconnaissant aux A'it-Yadine leur glo-
rieuse ascendance serait entre les mains du khalifa Mohammed-Ben-
Si-Ali, qui refuserait de s'en dessaisir, refus occasionnant des que-
relies frequentes en tribu; le premier dahir remonterait a l'epoque
du « Sultan noir », c'est-a-dire du Sultan me>inide Abou-El-Hassan 24 .
Diverges 16gendes, contradictoires pour certains details, se rapportent
a l'arrivee des A'it-Yadine en tribu Zemmour.
« Pour eViter une violente attaque des Bni-Ahsene 25 , les Ait-
Zouggouatt furent obliges de decamper et de quitter a la hate l'em-
placement qu'occupent maintenant les A'it-Yadine, laissant derriere
eux un paralytique, oubliS dans la precipitation du depart. Ayant
apergu l'infirme, Sidi-Yadine, encore inconnu en tribu, lui demanda
de se lever et de suivre les siens :
— « Je ne peux pas, repondit le paralytique.
— Je sais, mais leve-toi quand meme, ajouta Sidi-Yadine ».
L'homme se leva aussitot. Dans sa joie melee d'6tonnement, il
remercia l'inconnu et lui demanda son nom. Le thaumaturge repondit :
« Je m'appelle Sidi-Yadine; n'oublie pas de le dire a ta tribu ». Infor-
med du miracle, les Ait-Zouggouatt construisirent un mausolee en
l'honneur du ch6rif, a Fendroit meme ou il se produisit. Plus tard, les
descendants de Sidi-Yadine vinrent chez les Zemmour, acheterent des
terrains pres du mausolee de leur ancetre et s'installerent d6finitive-
ment.
II existe cependant une autre version, 16gerement diff6rente.
L'homme enterr6 dans la koubba consacr^e au saint, s'appellerait Si-
Ben-Thami et fut, non pas cherif, mais simplement un protege" de Sidi-
Yadine. Ce dernier serait enterre" « a Moulouya, dans les Bni-Mguild,
Ait Kessou, Ait Moussa, Ai Haddou » :
« Si Ben-Thami 6tait atteint de paralysie aux jambes. Un jour
sa tribu fut obligee de s'enfuir devant l'invasion d'une autre tribu
Zemmour. N 'ayant pu suivre les siens, Si-Ben-Thami fit appel a Sidi-
Yadine pour le proteger contre l'ennemi. Le saint, connu de tous
24. Renseignements recueillis aupres de Moulay-H..., le plus age des chorfa
Ait-Yadine, 1952.
25. Legende recueillie aupres de Moulay-B..., -Ali-Yadini, chef de la jemaa
des Ait-Yadine au tribunal coutumier des Zemmour (70 ans), 1952.
LES ZBMMOUR 123
les Zemmour, venait percevoir la ziara. « Leve-toi et suis les tiens,
dit-il, mais auparavant sache que tu es mon representant ici. Ta
famille est la notre. Tu diras en outre a ta tribu que Sidi-Yadine, qui
t'a gueri, voudrait qu'it ta mort tu sois enterre a cet endroit » .
L'infirme s'apercut alors qu'il pouvait marcher et rejoiguit les siens.
De retour sur leur territoire, les habitants £difierent un tas de pierres
la ou le miracle avait eu lieu, en signe de reconnaissance. Plus tard, k
sa mort, Si-Ben-Thami fut enterrS au meme endroit ».
Ce recit semble inftechi vers la glorification d'une famille, celle
de FinformatPur, justement petit-fils de Ben-Thami; mais la trame
g6n6rale reste k peu pres la meme.
Les Ait-Yadine, etrangers, se seraient done, selon la 16gende,
installed dans le pays poste>ieurement k sa conquete par les Zem-
mour 28 . lis entretenaient d6jit des relations avec les Zemmour et
habitaient la haute Moulouya a cette 6poque. De nos jours encore, des
peUerinages individuels ont lieu regulierement au pays d'origine; il
faut au pelerin environ 6 a 8 jours pour se rendre, k dos de mulet,
sur la tombe de Sidi-Yadine, en passant par El-Hajeb et Azrou; le
tombeau se trouve au douar Ait-Messaoud (Bni-Mguild) k un kilometre
environ au sud de Bou-Mia, petit village situ6 sur la riviere Bou-Mia,
affluent de la Moulouya 27 . Les Ait-Yadine se considerent comme cou-
sins directs des « A'it-Ouezzane », appel^s encore « Dar Dmana » 28 ,
e'est-a-dire des fils de Moulay-Abdeslam qui fut chef des chorfa Ta'i-
biyine-Thamiyine d'Ouezzane, de 1850 k 1892. lis revendiquent la
gen^alogie suivante :
Sidi-Yadine, Ben-Mohammed, Bnou-Afa, Ben-Lyazid, Ben-Benais-
sa, Ben-Brahim, Ben-Younous, Ben-Slimane (frere Idriss I er ) Ben-
Abdallah, Ben-Omar, Ben-Hassan-El-Basti, Ben-Hassan-El-Motoni,
Ben-Ali, gendre du Prophete.
lis appartiendraient done au groupe des Idrissides Sole'imaniens,
descendants du frere d'Idriss P r , qui regnerent sur Tlemcen et furent
deiaits vers 921 par Messala-Ben-Habbous, chef des Miknassa et gou-
verneur de Tahert, au service des Fatimides, lors de sa deuxieme expe-
dition contre les Idrissides 29 . La tradition orale affirme aussi que
26. Nous verrons plus loin que 1850 est la date a partir de laquelle on peut
considerer les Zemmour comme installed dans leur territoire.
27. Informateur Houceine-N..., Souk Jemaa des Ait-Yadine, 1951.
28. Informateur Mohammed-Ben-H..., Messarhra (Ait Ounzar), renseigne-
ments recueillis aupres de Si Hammou, chdrif Ait Yadine, 1952.
29. Henri Terrasse, Histoire du Maroc, Casablanca, 1949, t. I, pp. 180 a 184.
124 MARCEL LESNE
les A'it-Yadine viennent d'Ait-el-Hout, pres de Tlemcen 30 , ce qui
confirmerait leur appartenance nominale aux « cliorfa d'Ain-el-Hout,
descendants du cherif Sidy-Sole'iman-ben-Abdallah-el-Kamel dont le
fils fut proclame" a A'in-el-Hout, a 8 km au nord de Tlemcen » 31 . Les
A'it-Yadine jouissent d'une grande d6f6rence en tribu, ou on leur pro-
digue les titres de Sidi, Moulay, Lalla...; leur parler, fortement in-
fluence" par le dialecte des Ait-Serhrouchene 32 , rend plus plausible
encore leur origine 6trangere, que Ton peut situer avec vraisemblance
en Haute Moulouya.
Les Ait-Sidi-Lahsene qui occuperent pendant longtemps les hau-
teurs de Tafoudeit, zone traditionnelle de parcours et haut lieu de la
resistance zemmourie au pouvoir central en pSriode de siba, se pr6-
tendent egalement d'origine arabe. lis constituent une petite fraction
de la grande tribu des Haouderrane. lis d6tiennent un certain nombre
de dahirs, dont la liste fut dressSe en 1921 33 .
« Liste des dahirs cherifiens anciens en possession des Ait Sidi
Lahsene des Zemmour.
1° — Dahir au Sceau de Moulay-Ismail date" de Djoumada II
de l'an 1100 prescrivant de traiter avec honneur et respect les Ouled-
Sidi-Lahsene-Ben-Mansour de la branche d'Ain-El-Leuh, les exemp-
tant de contributions et d'impositions et les autorisant a verser les
impots zekkat et dchour a leur chef spirituel, supSrieur des Mrabtines
et Zaouias du Maroc.
2° — Dahir du meme Sultan en date du 16 choual 1109 ordon-
nant que ces memes chorfa soient honores et respectes et qu'il ne soit
port6 aucune atteinte k leurs coutumes et traditions.
3° — Dahir du meme Souverain dat6 du 16 Djoumad prescri-
vant que les chorfa Si-Ahmed et Si-Ibrahim petit-fils du saint Si-
Lahsene-Ben-Mansour des environs d'Am-El-Leuh soient honores et
respectes, et qu'au contraire de la masse, il ne soit rien exige d'eux,
conformement & la tradition.
4° — Dahir du Sceau de Moulay- Abdallah -El- Alaoui date du 12
30. Serge Dersy, Les Zemmour et la foret de la Mamora, C.H.E.A.M., 1952,
Archives de la Direction de l'Interieur.
31. G. Salmon, Les Bdadoua, Arch. Mar., t. II, Paris, 1904, p. 360-361.
32. Communication orale de M. A. Roux, directeur d'etudes a l'lnstitut des
Hautes etudes marocaines a Rabat, 1956.
33. Annexe n° 4 au Proces-verbal de la reunion du Conseil de Tutelle des
Collectivites au Tafoudeit, en date du 16 decembre 1921. Archives du Service
des Collectivity, Rabat.
LES ZEMMOUK 125
de Rebi El Aouel 1143 ordonnant que ces chorfa petits-fils du saint
Si-Lahsene-Ben-Mansour, de la descendance de Sidi-Rebbi-Yacoub de
Selouane, soient honoris et respectes, affranchis de toute redevance,
et autoris6s a verser leur achour et zekkat k leurs foqara.
5° — Dahir du meme Sultan dat6 du 19 Ramadan 1143 portant
meme ordonnance.
6° — Dahir du Sceau du Sultan Si-Mohammed-Ben-Abdallah,
en date du 23 Redjeb 1171 prescrivant que les chorfa soient honores
et respectes et. qu'ils soient autorises a continuer leurs traditions,
protection des pauvres, enseignement et bienfaisanee, dans leur zaouia
sise au sein de la tribu des Zemmour.
7° — Dahir du meme Sultan dat6 du 24 Chaabane 1202 portant
ordonnance ft l'adresse du Ca'id Belqacem-Bouziane aux fins d'execu-
tion des dispositions des Dahirs Cherifiens ci-dessus pris en faveur
des chorfa Oulad-Sidi-Lahsene-Ben-Mansour, Oulad-Sidi-Rebbi-Yacoub.
8° — Dahir au Sceau du Sultan Moulay-El-Yazid-Ben-Moham-
med-Ben-Abdallah portant meme ordonnance du dit Cai'd Bouziane
en date du 13 Ramadan 1204.
9° — Dahir du Sultan Sidi-Mohommed-Ben-Abderrahmane dat6
du Redjeb 1286 prescrivant d'honorer les Ouled-Sidi-Lahsene-Ben-
Mansour demeurant a cette date entre les Zemmour et les Za'ians et
originaires d'A'in-El-Leuh et enjoignant qu'il ne soit porte" aucune
atteinte k leurs coutumes traditionnclles.
10° — Dahir de Moulay-Hassan en date du 27 Redjeb 1202 por-
tant meme ordonnance que ci-dessus 34 ».
L'influence des A'it-SidiLahsene apparait extr6mement faible en
pays Zemmour; ils connurent meme d'ameres vicissitudes et leurs
voisins les obligerent plusieurs fois a fuir le Tafoude'it.
34. L'un de ces dahirs mentionne Selouane comme lieu d'origine du fon-
dateur de la dynastie des chorfa Ai't-Sidi-Lahsene des Zemmour. Faut-il y voir
le Selouane qui se trouve au Sud de Melilla, dans la basse vallee de l'Oued
Gaoud et conclure alors a une probable origine idrisside solei'manienne ? Apres
leur defaite par les Fatimides, en effet, les descendants de Solei'man, frere
d'Idriss I er , furent chasses de Tlemcen et des ports de la cote oranaise, et
repousses vers le Maroc Oriental et Melilla. Faut-il au contraire penser a une
erreur de traduction — impossible a verifier en l'absence de l'original qui n'a
pu etre retrouve — et lire Senoual, region situee au Sud de Bekrite, dans le
Moyen Atlas ? Cette derniere hypothese apparait infiniment plus probable
que la precedente, les Zemmour ayant parcouru la region de Senoual fin 17*-
debut 18« siecle.
126 MARCEL LESNE
Les Ait-Sibeur-Arab portent dans leur nom meme la trace de leur
origine 6trangere. lis pr6tendent venir de Miliana, et en cela, se
distinguent d6ja des A'it-Jbel-Doum, sous-conf6d6ration qui les en-
globe, dont les fractions ne se souviennent que de la region de Tigrigra
(haute vallee de l'Oued Beht, pres d'Azrou). Les Ait-Sibeur-Imazir-
hene, leurs voisins immMiats, d^clarent avoir appartenu autrefois
a. la tribu A'it-Helli, des Ai't-Jbel-Doum ; d6tach.es de la tribu mere
par suite d'un diff6rend, ils firent appel a ce groupement arabe pour
se renforcer et maintenir ainsi leurs droits de culture et de parcours.
Un certain nombre d' Ait-Sibeur-Arab se pr6tendent chorfa, designent
un naqib et dSclarent appartenir a. la confrerie des Bdadoua 35 . Les
termes de Bdadoua et de Melaina semblent, selon Michaux-Bellaire,
designer la m&ne cat^gorie de gens pr^tendant descendre de Sidi-
Ahmed-Ben-Youssef 3e ; il existait par exemple, dans la vallee du Se-
bou, en tribu Oulad-Mhammed, un douar Melaina, tres connu des
habitants du Rharb et point de depart d'une 6tude de G. Salmon
sur les Bdadoua 37 , qui lisaient le Coran, mais pratiquaient la religion
musulmane de facon particuliere, sans s'imposer le jeune. Les Ait-
Sibeur-Arab et leurs Bdadoua apparaissent pourtant musulmans or-
thodoxes, observent le jeune du Ramadan et ne se distinguent en
rien des autres fractions voisines. Cependant, les Bdadoua constituent
effectivement une secte heretique des Youssef iyine ; en effet « le docte
cheikh, Pami du Tres-Haut, Ahmad-Ben-Youssef-El-Miliani, habitant
Miliana entre Alger et Tlemcen » 3S , disciple du Cheikh Ahmed-Zerrouk,
fut un grand cheikh soufiste et de nombreux disciples lui attri-
buerent raeme la quality de prophete; mort en 931 Hg (1524-1525
J. C.) son tombeau est devenu un lieu de pelerinage venere' ; mais un
des disciples de Ahmed-Ben-Youssef, Ibn-Abdallah, embrassa le mani-
ch^isme et pratiqua le rite des Abbahiyida ; cette h^resie se d6veloppa
meme du vivant du saint.
En fait, les confusions sont nombreuses : portant le nom d'une
secte h6r6tique (Bdadoua) er66e par un disciple dissident de Ahmed-
Ben-Youssef-El-Miliani, les « Melaina » des Ait-Sibeur-Arab, comme
ceux du Rharb, s'attribuent une origine cherifienne et pr^tendent des-
cendre du Prophete par Sidi-Ahmed-Ben-Youssef lui-m6me : genealo-
35. Informateur Mohammed-Ben-L..., Ait Mimoun (Ait-Jbel-Doum), 1955.
36. Michaux-Bellaire, Les Musulmans d'Algerie au Maroc, Arch. Mar., t. XI,
Paris, 1907, pp. 7-8.
37. G. Salmon, Les Bdadoua, Arch. Mar., t. II, Paris, 1904, pp. 358-363.
38. Ibn Askar, Daouhat en-nachir..., Arch. Mar., t. XIX, trad. Graulle, Paris,
1913, pp. 214-215.
LES ZEMMOUR 127
gie fantaisiste, ce dernier ne s'6tant jamais cite" comme cherif 39 . Si,
comme dans la plupart de ces cas analogues, aucune certitude ne peut
§tre accord6e a l'afflrmation intSressee d'une origine arabe, il est
permis de conclure a une origine etrangere et r6cente, post6rieure a
1' installation des Zemmour dans leur territoire actuel. La tradition
rapporte que les Mela'ina quitterent l'Alg6rie au moment de la con-
quete frangaise et que le Sultan du Maroc leur aurait donn6 des
terres chez les Zemmour et dans d'autres tribus 39 . L'arriv6e des
Francais au Maroc les fit de nouveau partir en dissidence et les
Mela'ina des Zemmour, sous la conduite de leur cherif Moulay-Dahad,
se trouvaient en 1917 a Khenifra et k Kasbah-Bni-Mellal 40 . Leur re-
tour en tribu Ait-Sibeur a 6t£ tres tardif.
Une autre fraction des Bni-IIakem, les Ait-Bou-Hekki comporte
aussi des adeptes de Moulay-Miliana, c'est-a-dire de Sidi-Youssef-El-
Miliani-Er-Rachid. En partie berb6rophones, les Ait-Bou-Hekki se pr6-
tendent d'origine arabe; mais il semble que seuls les liens religieux
particuliers, qui les distinguent des autres fractions, motivent cette
affirmation. lis entretiennent des relations tres suivies avec les Bni-
Khirane, tribu arabophone des environs d'Oued-Zem, et pratiquent
souvent, de concert, le pelerinage a Miliana. Deux journeys de marche
seulement separent les deux groupements et les Bni-Khirane viennent
souvent chercher femme chez les Ait-Bou-Hekki; mais les deux tribus
se savent d'origine ethnique diff6rente et les rencontres aupres du
tombeau de leur patron apparaissent seules a l'origine de leurs rela-
tions. Le p61erinage confere un prestige tres grand k ceux qui l'accom-
plissent 41 ; il durait autrefois un an ou deux, a pied et k dos de mulet ;
le car et le train ont abr£g6 ces delais, sans require le m6rite du
voyage : k son retour, le p61erin est capable de manger du feu et la
demonstration se fait en tribu au cours de certaines stances, accom-
pagn6es de danses 42 .
39. Vil. Trib., Rabat et sa region, t. Ill, Paris, 1920, p. 288.
40. G. Klein, Etude inedite, juin 1919, communique^ par l'auteur, ancien
officier interprete dans les Zemmour.
41. Le vieillard des Ait-Bou-Hekki qui nous a communique ces renseigne-
ments a fait lui-m£me plusieurs fois le pdlerinage a pied en passant par
Khmissete-Fes-Taza-Tlemcen-T£mouchent-Mostaganem-Miliana (1952).
42. E. Dermenghen (Le culte des saints dans Ulslam Maghribin, Paris, 1954,
pp. 223-252), consacre de nombreuses pages a Sidi-Ahmed-Ben-Youssef, et aux
Bdadoua; il signale ^galement la spdcialitd d'avaleurs de feu attribute a ces
derniers.
— G. Drague (Esquisse d'histoire religieuse du Maroc, Cahiers de I'Afrique
et de I'Asie, Paris, 1951, p. 75) d£crit rapidemeut cet ordre de Youssefiyine.
— Dans une notice sur les Bni-Khirane, non dat^e, on peut lire que les
128 MARCEL LESNE
La veneration accordee par un groupe k un ordre religieux ne
permet aucunement de conclure k son origine 6trangere; le cas
des Ait-Bou-IIekki, apparait inoins net que celui des Ait-Sibeur-Arab
ou l'apport exterieur a du etre important. Mais ici encore subsiste
la conviction de constituer un groupement a part au sein de la tribu :
a une epoque impossible a determiner, des elements venus de l'Est, ont
constitue une petite cellule particulariste, sinon impregn6 fortement
un groupement preexistant.
Les Ait-Mejdoub , de l'importante tribu des Ait-Ouribele, appar-
tienncnt k la branche des Ait-Serhrouchene, et le souvenir de leur
appartenance k ce groupement humain reste tres vif chez les Ait-
Serhrouchene d'Immouzere-du-Kandar 43 ,
Les Ait-Serhrouchene, berberes zenetes, dont le berceau est le jbel
Tichchoukt, dans la haute vallee du Guigou, se considerent tous comme
chorfa, issus de Moulay-Ali-Ben-Amer-Ben-Yahya-Ben-Idriss II. « Tous
les Ait-Serhrouchene, dit-on, sont cherifs, c'est-a-dire descendants du
Prophete..., rapporte E. Destaing 44 . Tous sont respectes et craints
dans la region; on les considere tous, riches, pauvres ou faibles d'esprit
comme gens dou£s d'un pouvoir surnaturel... Les mceurs et les coutu-
mes des Ait-Serhrouchene ne permettent guere en effet de les diffe-
rencier nettement de leurs voisins berberes. Et cependant, par leur
langue, ils nous paraissent se rattacher aux Zenetes du nord de la
Berberie. Si leur parler s'est bien d6fendu contre l'invasion d'616-
ments appartenant au dialecte des Brabers, la raison en est peut-etre
dans le fait que les Ait-Seghrouchen depuis le chef de la zaouya jus-
qu'au plus humble mendiant jouissent pour la plupart de la quality
de ch6rif, que, par suite ils sont craints et respectes dans la region.
Ils ont sans doute interet a conserver toute son originalite a leur lan-
gage qui atteste, a, premiere audition, de leur qualite d'Ait-Seghrou-
chene et de cherif ».
II n'est done pas 6tonnant de voir la fraction A'it-Mejdoub, d6ta-
ch6e en pays Zemmour, revendiquer la quality de chorfa et aussi
Bni-Khirane se disent Berberes sauf la fraction Bni-Mansour. Elle aurait pour
ancetre un chretien converti de Miliana, dont un descendant a donne son nom
a la fraction. Un des fils de Mansour, Si-Ahmed-Moulay-Miliani aurait son tom-
beau a Miliana et un descendant de Si-Ahmed se serait fixe chez les Bni-Khirane
il y a tr6s longtemps. Ce dernier detail paralt dvidemment plus vraisemblable.
(Arch. D. I.).
43. Fiche de tribu des Ait-Serhrouchene (Annexe du Kandar) ou sont enu-
meres tous les groupements Ait-Serhrouchene du Maroc. (Arch. D. I.).
44. E. Destainc, Etude sur les dialectes berberes des A'it-Seghrouchene
(Moyen Atlas Marocain), Paris, 1920, preface, pages 3 a 88.
LES ZEMMOUR 129
la tribu Ait-Ouribele impregnee de rapports avec les Ait-Serhrou-
chene. Le cherif Sidi-Belkassem-Ben-Gouttiya par exemple, d'origine
A'it-Serhrouchene, enterr£ non loin de Khmissete en fraction A'it-
Haddou des Ait-Ouribele, est le descendant de Sidi-Mohammed-Ame-
ziane dont le tombeau se trouve chez les A'it-Serhrouchene d'lmmou-
zere-du-Kandar. Moulay-El-Mostafa et Sidi-Mohammed, les deux fils
de Sidi-Belkassem pereoivent encore regulierement la ziara. en
tribu Ait-Ouribele 45 , II demeure neanmoins impossible de determiner
la date d'incorporation des A'it-Mejdoub a la confederation des Zem-
mour.
Les A'it-Serhrouchene ont gard6 le souvenir des evenements qui
obligerent Moulay-Ali, le ch£rif idrisside, a se r£fugier au Jbel Tich-
choukt; leur dispersion remonterait selon la tradition au regne de
l'Emir MousHa-Ben-Ali-El-Ana 46 ; ce dernier aurait decided d'aneantir
les descendants de Moulay-Idriss, ce qui expliquerait leur disper-
sion et l'absence de liaison entre les divers groupements 47 . Les A'it-
Serhrouchene du Kandar, selon la tradition auraient quitte le Tich-
ehoukt il y a environ 250 ans et occupe le Kandar, apres les A'it-
Ouallal, les Ait- Ayy ache et la fraction Khomra des Bni-Ahsene 48 . Au-
cune indication, a partir de donn£es aussi generates et d'6venements
remontant au xvnr 3 siecle, ne nous permet d'apporter quelque lumiere
sur Tarrivee des A'it-Mejdoub chez les Zemmour.
Comme beaucoup de tribus berberes, les Zemmour comprennent
des groupements se considerant comme descendants du Prophete et
jouissant ainsi, plus ou moins d'ailleurs, d'une consideration qui, la
plupart du temps, constitue une reconnaissance de fait, a d^faut de
droit, de leur pr6tendue origine arabe. La presque totality des chorfa
en pays Zemmour se disent Idrissides ; ils sont berberophones et par-
fois fortement influences par le dialecte ou le rayonnement A'it-Serh-
rouchene. L'etude, voire l'approche, de tels groupements s'avere diffi-
cile, car ils pr6ferent, le plus souvent, etre accepted tels qu'ils se
45. Informateur E..., Mohammed, Khmissete, 1955.
46. Fiche de tribu des Ai't-Serhrouchene. (Arch. D. I.)
47. Cette dispersion se situe vers le debut du 10* siecle. L'Emir Moussa-Ben-
Abilafia, chef des Miknassa du Maroc, nomme gouverneur du Nord marocain
par les Fatimides, obtint la deposition des Idrissides de Fes.
48. Cf. Fiche de trihu Ait-Serhrouchene en ce qui concerne la date et les
khemra. (Arch. D. I.). — E. Destaing, Elude sur le dialecte berbere des A'it-
Seghrouchene, p. 64, au sujet des Ait-Ouallal et des Alt-Ayyache.
130 MARCEL LESNB
pretendent et ne rien devoiler du secret de leur origine, surtout & un
stranger. Sont-ils des rameaux authentiques d'autres formations tri-
bales ? A-t-il suffi de l'arrivee de quelques saints personnages plus
ou moins authentiques, pour qu'un groupement tout entier s'6rige,
sous leur banniere, en descendants du Prophete ? Autant de ques-
tions auxquelles il demeure difficile de repondre. Nous avons cepen-
dant examine quelques cas; ils nous font soupgonner 1 'extreme diver-
site" des contacts et des origines, l'histoire tribale apparaissant tou-
jours tres liee a celle des contraries et des chorfa.
c) Les apports des autres groupement s oeroeres.
Les BniAmeur, appel^s parfois aussi A'it-Amar et que G. Marcy 49
qualifie « d'arabes plus ou moins berb6ris6s » se considerent comme
etroitement apparentes aux Za'ians. Les premieres enquetes ethnogra-
phiques effect uees au d6but du Protectorat franc, ais faisaient d'ailleurs
ressortir cette appartenance des diverges tribus installees au nord
du Pays Zemmour (Ait-Ali-ou-Lahsene, Kotbiyine, Mzourfa, Khzazna,
et Hejjama) a la grande confederation za'iane 50 . La tradition orale
explique ainsi la separation intervenue il y a tres longtemps 51 :
« Les A'it-Amar, des Za'ians, occupaient autrefois une partie du
territoire oil se trouvent de nos jours Bni-Hakem et Haouderrane.
Ils comprenaient les Iazzabene ou transhumants, et les Ait-Nzel ou
sedentaires. Ces derniers avaient plants leurs tentes sur un terrain
appele" Fcddanc-El-Bcgra, prcs du marabout dc Sidi-Amar, non loin
de l'Oued Tanouberte. Les Iazzabene transhumaient dans la region
d'Oulmes occupee maintenant par les Ait-Hattem. En hiver, les
deux fractions se retrouvaient a Sidi-Amar. Les jeunes gens se li-
vraient k plusieurs jeux; ils aimaient en particulier le tioamayine 52 :
deux camps se formaient sur un terrain de 150 enjambees de long en-
viron; cliaque joueur edifiait avec cinq ou six pierres une murette
servant de cible; on tirait ensuite au sort pour savoir qui, le premier,
pourrait lancer les pierres atin de d6truire l'ouvrage adverse. A la
suite d'un malentendu, ne de la malhonnetet6 d'un joueur, une dis-
pute s'eleva entre les jeunes gens; les adultes s'y melerent et elle
49. G. Marcy, Le Droit coutumier Zemmour, p. 4.
50. Vil. Trib., t. Ill, pp. 212-213 (Rabat et sa region).
51. Informateur Abdeslam-ben-A..., El-Hakmaoui, Bni Hakem (Ait Baboute),
1953.
52. Jeu a rapprocher de celui de>.rit par Claverie (Qaehhou) dans « Jeux
berberes», Hespdris, 1928, t. Ill, pp. 401-403.
LES ZEMMOUR 131
degenera aussitot en lutte sanglante. De nombreux morts et blesses
resterent sur le terrain. A la suite de cette bataille, les Iazzabene
retournerent dans la region d'Oulmes ou ils s'installerent tt demeure :
ce sont les A'it-Amar d'Oulmes; les Ait-Xzel resterent quelque temps
sur place, puis prirent la direction du nord et du nord-ouest : ce
sont les Ait-Ainar (ou Bni-Ameur) de la Mamora ».
De tels disaccords entre fractions d'une meme tribu, separ6es
par des genres de vie differents, ont du se produire maintes fois; les
poussees d'elements nouvellement arrives et desireux de se faire une
place ne manquent pas d'ailleurs d'accelerer certains departs ou
certaines scissions 53 . Les Ait-Ainar d'Oulmes demeurent encore de
nos jours convaincus que les Bni-Ameur de la Mamora leur sont appa-
rentes 54 . Les Khzazna (Bni-Ameur) se disent aussi descendants de
Sidi-Bou-Khezzane-Bou-Zouggouatt dont le tombeau se trouve en
pays Zaian 55 . Une tradition tres forte assigne done une origine zaiane
aux Bni-Ameur; nous verrons plus loin, k la suite de quelles viscissi-
tudes les Bni-Ameur vinrent s'installer en foret de la Mamora, en
tete de la Confederation Zemmour 56 .
Les Ait-Ouahi, des Ait-Zekri, se savent issus des Ait-Ouahi ins-
talled aux environs d'A'in-El-Leuh en tribu Bni-Mguild.
Selon la tradition 57 , trois freres (Larbi, Slimane, Ichchi) et deux
soeurs auraient quitt6 les Ait-Ouahi d'A'in-El-Leuh pour des raisons
personnelles et se seraient incorpor^s aux Zemmour. Les deux scours se
marierent respectivement avec Haddou et Mellouk originaires des
Abda. Ces cinq hommes, formant & l'origine une seule famille dont la
prosperity fut tres grande, fonderent les cinq groupements actuels
des Ait-Ouahi des Zemmour : les Ait-Haddou, les Ait-Mellouk, les Ait-
Ichchi, les Ait-Larbi et les A'it-Slimane. Les Ai-Larbi gardent encore
53. Le Capitaine Mohtier (L'Annexe de Moulay-Bouazza 1915, Arch. D. I.),
attribue au mouvement de repli vers le nord de la tribu Bni-Hakem (Zemmour),
coincee entre les Zaer et les Ai't-Sgougou, l'avance des Elements Zai'ans A'it-
Amar. Ces derniers vinrent se fixer a Boukhalkhal, au Ment, a Mserser puis a
Oulmes, € precedes par un autre groupe de Bni-Amar qui est alle s'installer k
Tiflete, formant actuellement le groupe Bni-Ameur des Zemmour.
54. Informateur : Hamadi-Ben-Larbi-Derqaoui (tribu Mzourfa), qui a s£-
journe quelques temps a Oulmes, 1949.
55. Informateur : Mohammed Zelmat-Khzazna, 1950.
56. Des explications patronymiques diverses — et savantes — ont cours en
tribu : le terme de Bni-Ameur par exemple viendrait de l'arabe « aammer »
(emplir), car les Bni-Ameur ont rempli, en avant des tribus Zemmour, le vide
cause par le depart des Bni-Ahsene.
57. Inf. Caid Bou-Driss Ben-Chaboune, des Ait Zkri (95 a 100 ans), 1949.
132 MARCEL LESNE
des relations de parente avec la famille de leur ancetre, habitant aux
environs de Safi.
La legende des cinq foyers originaux vaut sans doute ce que
vaut ce genre d'explication fonde sur la fecondite des anc6tres;
mais le souvenir d'une parents commune persiste §galement chez
les A'it-Ouahi d'A'm-El-Leuh oil, selon les anciens, « des A'it-Ouahi
qui seraient leurs freres font partie de la Confederation des Zem-
mour » 58 . II y a une dizaine d'annees encore, des Aleves originaires des
Zemmour et poursuivant leurs etudes au College d'Azrou rendaient
visitc a des parents installes depuis toujours en pays A'it-Ouahi d'A'in-
El-Leuh 59 . Par contre les A'it-Ouahi des Zemmour se dependent d'une
parente quelconque avec d'autres Ait-Ouahi, en particulier ceux de
la region d'Oulmes, pourtant plus proches. Au demeurant ce senti-
ment de parente entre les deux groupes appartenant aux Zemmour et
aux Bni-Mguild ne se traduit pas par des relations particulieres 60 .
Les AU-Ouribele 61 , reputes chez les Zemmour, autrefois pour leur
ardeur guerriere, aujourd'hui pour leur turbulence, se pr6tendent des-
cendants de la celebre tribu des Aoureba qui accueillit Moulay-Idriss
lors de son arrivee au Maroc, et plus particulierement de la fraction
a laquelle appartenait Lalla-Kenza, mere d'Idriss II. Aucune legende
particuliere, aucune explication g^nealogique quelconque, ne vient
justifier cette tranquille assurance d'etre Aoureba et de descendre
de Abd-el-Mjid l'Aouribi, pere de Lalla-Kenza. Une certaine similitude
de nom, un attachement tres marqu6 aux chorfa idrissides contri-
buent k renforcer cette croyance profonde, vivified par la presence de
fractions se reclamant elles-memes d'Idriss I er : A'it-Ben-Hammadi,
A'it-Mejdoub... La legende suivante, alliant l'explication linguistique
a l'affirmation d'authenticite circule en fraction Khammouja :
Moulay-Idriss demanda aux chefs de la tribu de se convertir a
l'lslam. Ceux-ci lui repondirent : « Laisse nous d'abord le temps de
58. Fiche de tribu des Ait-Ouahi, Cercle d'Azrou, Annexe d'Ai'n-El-Leuh
(Arch. D. I.).
59. Informateur Mohammed-Bel..., Kabliyine (A'it-Bougrine), 1949.
60. J. Dabencens (Les Ait Abdi du Moyen Atlas... Les Cahiers d'Outre-
Mer, avril-juin 1951, p. 110) situe en 1905 le depart vers les Zemmour d'une
fraction Ait-Ouahi des Ait-Abdi. Une date aussi recente eut laisse un souvenir
plus vif en tribu. Sous Sidi-Mohammed-Ben-Abderrahmane, un caid Ouahioui
fut investi en pays Zemmour. Les Ait-Ouahi des Zemmour semblent s'etre
incorpores aux Zemmour vers 1850, au moment de l'installation de ces derniers
sur le plateau de Khmissete.
61. Informateurs : E..., Mohammed, Khmissete, 1954. Khalifa T..., des Ait-
Ouribele, 1953.
LES ZEMMODR 133
reflechir ! « Moulay-Idriss les renvoya chez eux en leur disant : « Allez
r6flechir puis revenez ». (En arabe : « Khammou ou jiou » - d'ou kham-
raouja). C'est ainsi que la tribu s'appela Khammou ja des sa conver-
sion par Moulay Idriss.
Certains Aoureblis, se rendant compte de l'impossibilite d'appor-
ter des preuves k leurs dires, meme sous forme de contes ou de 16-
gendes, precisent cependant que la tradition le veut ainsi et qu'elle
les fait egalement venir de l'Est.
Les Ijanatene, fraction des Haouderrane, semblent meriter de
facon plus sure l'epithete de Z6nete; en milieu Haouderrane, ils
apparaissent un peu a. part, comme d'ailleurs les Ait-Ouribele au re-
gard des autres tribus 62 . G. Marcy 63 signale l'origine zenete tres nette
de cette fraction. Les Ijanatene se pretendent descendants d'un saint
du Tafilalelt, lieu d'origine de leur groupe, appele Sidi-Jana 64 . Ibn
Khaldoun donne, a. propos des Zenetes, une explication phon6tique
s'accordant au nom par ailleurs si caracteristique de notre fraction :
« ...il faut savoir que Zanata derive de Djana, nom prop re qui d6signe
l'ancdtre de cette tribu, savoir Djana, ftls de Yahya, le meme qui
figure dans leur g£n6alogie. Or, quand ce peuple veut convertir un
nom propre en nom gen&ique il lui ajoute un t k la fin; de cette
facon ils ont form6 Djanat; et pour donner a. ce nom, qui est au sin-
gulier, toute la comprehension dont il est susceptible, ils y ajoutent
un n (signe du pluriel berbere) de sorte qu'il devient Djanaten. Le dj
de ce mot qui tient le miliu entre le dj et le ch (c'est-^-dire le ) fran-
(jais) et auquel l'orcille per^oit une sorte de sifflement » 85 .
Les A'it-Ayache, autre fraction des Houderrane, attribuent leur
appellation au Ari-ou-Ayache, ou jbel Ayachi, montagne du Grand
Atlas aupres de laquelle ils habitaient autrefois 00 . Ils .se rattachent
ethniquement, sans ambiguity aucune, k la grande tribu des A'it-
Ayache qui fit partie autrefois de la Confederation des A'it-Idrassene,
puis des A*it-Yafelmane 67 .
On sait que cette tribu, par suite de sa de'faite k Sidi-Ayad-El-
Aouli contre les Ait-Izdeg et les Bni-Mguild, puis d'une deportation
62. Pour un fellah des Ait-Bou-Chlifene par exemple, rencontrer un Ijana-
tene sur le chemin du souk peut porter malheur.
63. G. Marcy, Le Droit coutumier Zemmour, p. 4.
64. Informateur, Ali-Bou-Driss, Ijanatene, 1949.
65 Ibn Khaldoun, Histoire des Berberes, trad, de Slane, p. 190.
66. Informateur Mohammed-ou-Sai'd, Haouderrane (A'it-Ayache), 1949.
67. Notice sur les Ait Morghad, Lt. Lecomte, juin 1930, Capitaine Nomdedeu,
1' Annexe d'Assoul, 1953 (Arch. D. I.)
134 MARCEL LESNE
au sud de Fes par Moulay-Slimane, s'est fractionnee en plusieurs 616-
ments 68 . Les Ait-Ayache des Haouderrane se souviennent tr&s bien de
leur parents avec les Ait-Ayache Fassi et ceux des Bni-Mguild ; une
dispute serait a 1'origine de leur depart. Nous verrons plus loin qu'ils
n'ont pas oublie les lieux successifs par lesquels ils sont passes. lis
n'entretiennent actuellement aucun rapport avec leurs freres de race.
Les Kabliyine ne peuvent fournir aucune explication sur leur
origine. Ils gardent le souvenir tres net et tres repandu parmi leurs
fractions, d'etre venus du « Sahara », c'est-a-dire du Tafilalet :
chassis par la famine ou par la guerre ils auraient quitt6 cette region
pour aboutir dans le pays de Khmissete apres un long cheminement
qui dura plusieurs generations 69 . On raconte egalement que sous Mou-
lay-Hassan, un certain nombre de guerriers Kabliyine, participant a
la harka levee contre les tribus du Tafilalelt, furent accueillis et
h6berg6s par leurs freres de race rest6s dans la region 70 . Au d6but du
Protectorat francais, des emissaires partis du Tafilalelt, alors non
soumis, seraient raeme venus proposer a certains de leur parents Ka-
bliyine des partages relatifs a des terrains poss6d6s en commun :
les anciens proprietaries refuserent alors de faire acte de propri6t6,
de crainte de voir leur tribu refoul6e au Tafilalelt. Beaucoup de Ka-
Miyine pr6tendent aussi que presque tous les noms de leurs fractions
se retrouvent aux environs de Sidi-Bou-Yacoub, dans le Haut Rh6ris ;
M. Fresneau 69 6tablit meme, dans une monographic, un tableau com-
parant les noms de fractions A'it-Youb (Ait Merrhad) et ceux des
douars A'it-Qessou (Kabliyine) ; cette communaute de nom ne cons-
titue pas une preuve, mais elle n'est pas passee inaper9ue des Kabliyine
qui pensent ainsi localiser leur lieu d'origine. Convaincus de venir
du sud, les Kabliyine restent cependant tres troubles par leur nom.
Aqcbli (pi. Iqebliyine) signifie couramment personne du Sud, saha-
rien, au teint noir. Or les Kabliyine des Zemmour sont blancs.
Mais ce qui trouble nos Kabliyine trouve une explication dans
68. Notice sur les Ait-Ayache, anonyme, non datee. (Arch. D. I.).
— Note sur les Ait-Ayache, Laize, Officier interprete, 1917. (Arch. D.I.)
— A. Le Chatelier, Notes sur les villes et tribus du Maroc en 1890, t. I,
Paris, 1902, p. 61.
— Ras Moulouya, par Bouverot, chef de bataillon, 1919 (Arch. D. I.). —
Notice sur la banlieu de Fes, Capitaine Tarrit, 1913 (Arch. D. I.)
69. Fresneau, Contribution a une monographie de tribu :les Qabliyine
(Arch. D.I.), et informateurs cites ci-dessous.
70. Inf. B..., Mohamed; fraction Ai't-Yacoub, douar Ait-Cherki Houcine-S...;
fraction Ai't-Bougrinc, douar Ai't-Ouahi B... -Omar; fraction Ait-Bouziane, douar
Alt-Abdallah Mohammed-Bel...; fraction Ait-Bougrine, douar Ahmed-ou-Said.
LES ZEMMOUR 135
le Sud. E. Laoust 71 6tudiant les populations du Sud, d6crit longue-
ment les iqebliyine, c'est-&-dire les gens du Sud par excellence, les
sahariens, les metis de blancs et de noirs, fixes depuis des siecles dans
le sud, constituant une sorte d'humanite" inf£rieure (Touati-Filali-
Draoui) et dont le domaine comporte tout ce qui touche a la terre et
k l'eau. II ajoute cependant : « A un degre" moindre de m6pris social,
vivent k leur cote" des Qebbala Imellalen, c'est-a-dire « Qebbala blancs »
d'origine et de caracteres ethniques tres diff&rents, il est vrai. Les
hommes sees et robustes ne se distinguent guere des Imazirhene dont
ils portent d'ailleurs le costume... On les eonsid£re comme les popu-
lations les plus anciennes fixers au pays, i*6parties dans les hautes
valines des deux versants du Haut Atlas, que les invasions ont sub-
merges sans les an6antir ». Visitant le pays en 1884, de Foucauld 72
avait d6ja. constats la presence de ces qebbala dans le district du Gers ;
frappe" des affinity raciales de ces populations avec leurs domina-
teurs, il attribue au mot qebbala une signification uniquement sociale :
« C'est en approchant de l'Oued Ziz que j'ai entendu ce nom pour la
premiere fois. II est employe" sur tout le cours du Ziz et dans le bassin
sup6rieur de la Moulouya. II ne designe point une race, mais l'6tat
d'une partie de la population. Une portion des Imazirhene s6den-
taires de cette contr^e a 6t6 r6duite par des tribus voisines k l'&tat
de tributaires : ce sont ces tributaires qu'on appelle qebbala. Ils sont
presque tous chellaha, de meme race par consequent et de meme cou-
leur que la plupart de leurs dominateurs. Par extension, on d6signe
quelquefois sous le nom de Qebbala, des Chellaha s6dentaires me'me
independants, lorsque ces chellaha vivent isol6s, sans aucun lien avec
personne. Ainsi les chellaha du Gh£ris et de quelques autres oasis,
sont souvent dits Qebbala, bien que libres ». Le lieutenant Lecomte 73
voit dans les populations « Ikeblyn Imellalen » des ilots de peuple-
ments appartenant k la race des plus anciens habitants du Haut- Atlas,
groupes d'individus s6dentaris6s dans les vallees, ayant r6sist6 aux in-
vasions ultirieures d'autres races, et pour lesquels l'attachement au
sol fut plus fort que les liens du groupe ethnique, « Les gens installes
au d6but de notre ere, 6crit-il, sont appel6s par les berberes « Ikeblyn
Imellalen », e'est-ii-dire litt6ralement « les strangers k la tribu (Keb-
bala) blancs », par opposition aux kebbalas noirs ». La tradition,
l'examen linguistique des noms, le raisonnement, conduisent le Lieu-
71. E. Laoust, L'habitation chez les transhumants du Maroc Central, Hes-
peris, VI, 1935, p. 253.
72. De Foucauld, Reconnaissance du Maroc, Paris, 1888, p. 349.
73. Lieutenant Lecomte, Les Ait-Morghad, 1930. (Arch. D.I.).
136 MARCEL LESNE
tenant Lecomte k classer les « Iguerrouan », les « Izerouan » les « Ime-
louan », tribus actuellement dispersees dans le Maroc mais dont on
retrouve les traces un peu partout dans le Sud, parmi les « Ikeblyn
Imellalen ». Ces populations anciennes auraient 6t6 assimilees par
les premiers envahisseurs sanhajas au moment ou ces derniers se
sont installers dans le pays, avant d'etre submerges par les nomades
Zenetes. « Ce sont eux qui, en arrivant, trouvant des habitants Stran-
gers k leur race, les appelerent les « Strangers k la tribu ».
La tradition d'une origine saharienne, l'appellation de Kabliyine,
un certain souci de souligner la clarte de leur teint, le particularisme
de cette puissante tribu Zemmour, permettent d'avancer l'hypothese
d'une parents de nos Kabliyine avec les « Ikeblyn Imelladen » du Sud.
Des exemples nombreux la rendent vraisemblable. Les Guerouane,
installers au S. O. de Meknes, voisins immediats des Kabliyine, sont
issus de l'ancienne tribu Iguerrouane, composee d' « Ikeblin Immella-
len », qui occupa au x e siecle, les regions du Regg et du Tafilalelt, puis
le Haut Ziz et le Haut Guir; avant l'arrivee des Francuis, les rela-
tions entre les ilots restants et le gros de la tribu Staient d'ailleurs
frequentes. Des Imelouane, qui ont laissS des traces dans le bassin
du Rheris et du Todrha en Moulouya, ksour « d'etrangers blancs »
au milieu des autres populations, se trouvent actuellement au nord de
Meknes. II n'est done pas interdit de penser que les Kabliyine des
Zemmour sont issus de ces populations anciennes du Sud.
D'autres Ikeblyn, les plus sedentarises sans doute, ont fait autre-
fois acte de soumission aupres de certaines fractions des tribus en-
vahissant le pays; ils ont ainsi acquis droit de citS et ont pu rester
sur le sol qu'ils preieraient au lien tribal. C'est ainsi par exemple que
les « Ikeblyn », s'Stant soumis autrefois a differentes fractions A'it-
Morrhad, reprSsentent maintenant la plupart de celles-ci; ils sont
devenus Ait-Youb 74 , A'it-Ameur ou Gouhai, Ait-Irbiben..., etc. 75 . La
plupart des Studes sur les tribus de la region mentionnent l'existence
« d'Strangers blancs » s'incorporant ainsi dans les groupement nou-
veaux 76 . La persistance de leur appellation fait penser que les Kablyine
des Zemmour etaient k Porigine un noyau moins sedentaire « d'Stran-
gers blancs » qui, par force ou par inclinaison, a quitte le territoire
74. Fraction oil une similitude tres grande de noms de sous-fractions avec
ceux de douars Kabliyine avait 6t6 relevde par Fresneau.
75. Fiche de tribu des Ai't-Morrhad d'Ifferh, Annexe de Tinjdad. (Arch. D.I.).
76. Fiche de tribu des Ait-Haddidou, Lt de Kerautem. Fiches des tribus du
Bureau de Rich, Capitaine Gervaisy. Fiches des tribus de la circonscription de
Goulmima, Capitaine Rueff et Capitaine Jouandon. Fiches des tribus de Bou-
denib, Capitaine Le Corbeiller. (Arch. D. I.)
LES ZEMMOUR 137
de ses anc&tres et a garde dans son nom la trace de son origine parti-
culiere 77 .
Un autre fait rend cette hypothese plus vraisemblable encore.
La tradition locale, rapporte le Lieutenant Lecomte a propos de cer-
tains groupements « Ikeblyn Immellalen » dans le Sud marocain,
raeonte « que les Izekkalen, les Ait-Snan, les Igheddouan constituent
la descendance d'une chretienne appeiee « Taouaibt ». Cette consta-
tation conduit l'auteur a, etudier les traces du juda'isme ou du chris-
tianisme qui auraient impregn6 ces anciens occupants du sud avant
lour islamination, et a citer la legende, conserv^e en tribu A'it-Morrhad,
qui montre bien le mepris gard6 par ces derniers pour les premiers s£-
dentaires, longtemps Chretiens ou juifs : « Chacun a un ancetre, un
jed. Chorfa, berabers en ont un, meme les kebala noirs dont l'ancetre
est Sidi Blal. Mais les kebala blancs n'ont pour ancetre qu'un
ane ». X'est-il pas curieux de constater que les Kabliyine se font sou-
vent appeler « araou-n-troumite » (enfants de la chrGtienne) par les
autres tribus Zemmour ?
d) Extreme diver site dcs composantes ethniques.
Beaucoup de tribus et de fractions Zemmour ont conscience d'une
origine particuliere. A en croire les traditions rapport6es a. propos
de quelques cas particuliers, la Confederation des Zemmour a recxi
en son sein des elements appartenant aux grandes confederations po-
litiques berberes : aux A'it-Ou-Malou (par les Bni-Ameur ou Za'ians),
aux A'it-Idrassene (par les Ait-Ayache). Ordinairement classes parmi
les Berberes Sanhaja, les Zemmour comptent aussi des groupements
Zenetes, k tel point que certains Zemmouris affirment que la majorite
des tribus est d'origine Zenete 78 . Personne ne trouve etrange qu'une
tribu s'authentifie aux Berberes Branes Aoureba, qu'une fraction se
proclame d'origine Zenete. II n'est pas exclu non plus de voir dans
la tribu des Kabliyine des descendants plus ou moins directs de popu-
lations instaliees dans les regions du sud anterieurement aux pre-
mieres invasions des Sanhaja. La presence de groupements pretendus
chorfa ajoute encore a. la diversite des apports exterieurs.
Les Zemmour reunissent en fait des repr6sentants des grands
77. Signalons a titre d'exemple de permanence patronymique, qu'une frac-
tion « Iqebline » existe dans les Marmoucha ; elle serait issue d'un fqih Zem-
mouri de nom inconnu, qui serait venu se fixer dans les Marmoucha (Fiche des
tribus des Marmoucha, Arch. D. I.)
78. Cai'd Bou-Driss Ben-Chaboun des Ait-Zekri, 1949.
L38 MARCEL LESNE
groupements ethniques traditionnels et ne sauraient pr6tendre k la
puret<§ de leur race. Trop de groupes se r6clament d'une origine 6tran-
gere ou sont vi'aiment venus d'ailleurs pour que cette pretention puisse
etre formulae par eux.
1) Les petits groupes sociaux
Le m6me particularisme se retronve aussi marquS au niveau des
groupes sociaux plus restreints (douar, famille). Chacun s'ingfoiie a
mettre en relief une origine particuliere et nettement distincte.
Les Ait-Talha par exeraple, de la tribu des A'it-Abbou, tirent leur
nom de Ali-Ben-Talha, garde de la suite d'un Sultan (dont on ne se
souvient plus d'ailleurs), qui d6serta son camp et s'installa en tribu
A'it-Abbou; il jouissait d'une estime particuliere et sa situation so-
ciale 6tait presque celle d'un ch£rif ; il re§ut beaucoup de dons, devint
prospere et 61argit sa clientele qui forma ainsi la sous-fraction des
Ait-Talha 79 .
Les habitants du douar Ait-Ben-Ch6rif, fraction des A'it-Ahmed-
ou-Yacoub, tribu Kabliyine, invoquent la 16gende suivante :
« Nous sommes les descendants d'un homme qui vivait mise>a-
blement au milieu d'un douar qui le meprisait. II ne poss6dait qu'une
pauvre petite tente et un peu de ble" dans une peau de mouton cousue.
Un jour, un ehe>if vint k passer et demanda en vain Fhospitalit6 aux
gens du douar. Notre pere, seul, l'invita chez lui; sa femme moulait
le bl6 pour le repas; le ch6rif s'approcha et se mit k trier les grains.
La femme s'apercut bientot que le tas de farine augmentait alors que
la quantity de bl6 restait constante. Elle remit le ble" dans le sac
et se mit k preparer le couscous. Le voyageur ordonna qu'on en pr6-
parttt beaucoup et qu'on invitat tous ceux du douar. Ces derniers
se moquerent de l'offre, hesiterent, puis finirent par accepter. lis fu-
rent rassastes de couscous et de mechoui. Le ch£rif ne dit pas un mot
et durant la veillee s'occupa k preparer des attaches de toutes sortes;
il les donna a son hote et lui conseilla d'acheter d6sormais tous les
animaux qu'on viendrait lui presenter sans s'inqui^ter du prix. Le
lendemain, une troupe de chameliers arriva devant la tente et demanda
a notre ancetre d'acheter les animaux. II aceepta, bien que n'ayant
pas l'argent necessaire, et les invita a passer la nuit sous sa tente.
79. Informateur : Haddou-Bel-H..., tribu Ait-Abbou. Fraction Ait-Talha,
1951.
LES ZEMMOUR 139
A l'aube, tout le monde avait disparu, mais les chameaux 6taient
restes. Ainsi, chaque jour, il recevait des troupeaux de moutons, de
chevres, de boeufs et en une semaine devint l'homme le plus riche du
douar. Le cherif lui accorda, en plus, la baraka ; on suivait
desormais ses conseils, on le consid&rait comme la personne la plus
importante du douar et m&me de toute la fraction. II eut des enfants
qui devinrent aussi tres riches et fond&rent un douar, sous le nom
d'A'it-Ben-Cherif. Notre groupement a toujours 6te" le plus riche, le
plus important, le mieux eonsidere. On y choisissait des ca'ids, des
chioukh, des membres de la jemaa. Depuis l'arrivee des Francais,
six ca'ids du meme douar se sont succecle\ Le caid Benaissa en
est le dernier » 80 .
2) Les individus
L'origine individuelle de ceux qui se sont integr^s aux tribus
Zemmour ne tombe pas dans l'oubli. Tr&s souvent des Doukkala, Abda,
Chaou'ia, obliges de quitter le bled Makhzen, pour fuir les exactions
de leur caid, se cacher k la suite d'un crime commis, 6chapper a une
vengeance, se reiugiaient chez les Zemmour. Des Zemmouris eux-
memes changeaient parfois de clan, surtout a la suite d'un mefait
ou de repr^sailles caus6es par le crime d'un parent.
lis arrivaient g6neralement seuls, avec ou sans bagages se ren-
daient aupres d'un chef de tente ais£, se plagaient sous son mezrag
(protection) en lui offrant un mouton en sacrifice (dehiha) et obte-
naient ainsi le droit de vivre en pays Zemmour. Leur protecteur les
employait alors comme bergers ou comme khammes. Beaucoup d'etran-
gers ont r£ussi a se faire une situation matSrielle prospere. Certains,
par contrat d'amazzal 81 operent avec une fille berbere une sorte de
mariage infe>ieur, od ils sont en r^alite" des associes r6muner£s par
l'octroi d'une compagne et d'une part d6termin6e des r^coltes, moyen-
nant des prestations de travail; au bout d'un certain delai, fixe" k
l'avance et g6n£ralement inferieur k dix ans, ils peuvent devenir
veritablement chefs de foyer et obtenir ainsi droit de cite. D'autres
campent sur des terres mortes, avec l'accord des riverains, et les vivi-
fient; parfois ils reussissent m&me a acheter les parcelles et a s'ins-
80. Informateur : L...-Mohammed, tribu Kablyine, fraction Ait-Ahmed-ou-
Yacoub, 1950.
81. G. Marcy, Le Droit coutumier Zemmour, pp. 38 et 39, 268 et 269.
140 MARCEL LESNE
taller 82 . Lore des mouvements de fractions on des departs collectifs
beaucoup de families restent sur place et finissent par s'int6grer k
la nouvelle fraction occupante. La region de Dayet-er-Boumi, au
cceur du pays Zemmour, offre un exemple tres net de ce ph6nomene 83 ;
les terres appartenaient a l'origine aux Ait-Belkassem qui s'en des-
saisirent peu a pen, a la suite d'une periode de famine et surtout par
suite d'un d6placement de la tribu vers l'ouest. D6j& au milieu d'eux
se trouvaient des propri^taires d'origine 6trangeres, venus s'installer
depuis tres longtemps et considered k la longue comme membres de
la tribu. Peu a peu des Ijanatene et des Ait-Izzi (Haouderrane) ayant
achet6 petit k petit une grande partie des terrains, finirent par englo-
ber des families Ait-Belkassem qui n'avaient pas vendu, ou raerae
certains fellahs Ait-Ouahi (Alt Zekri) ayant eux aussi achet6 aux Ait-
Belkassem. II s'ensuivit une extreme imbrication des propri6t6s dans
une region peu a peu grignotee par d'autres tribus. Ainsi changent
d'6tiquette tribale, apres de longues annees d'appartenance nominale
a un autre groupe ethnique, un certain nombre de families attaches
au sol.
Des esclaves 6galement p6n6traient en pays Zemmour, amends par
des Cherarda ou des Hasnaouis s'ils avaient 6t4 achet6s it F6s ou k
Meknes, par des Chaoui'a ou des Doukkala s'ils provenaient de Marra-
kech ou du Sud; certains finissaient par frtre affranchis par leur
maitre, apres criee sur le souk : « il n'y a de Dieu que Dieu et Moham-
med est son Prophete; l'esclave de un tel est devenu le fils de un tel » 84 .
Said-el-Abd (Said l'esclave) par exemple, vole" tout petit dans les
Doukkala, est arrive" dans les Ijanatene sous Moulay-Abderrahmane,
ou il fut achete* par le cheik Kessou-Ould-El-IIaj et adopts ensuite par
son maitre.
Tous ces strangers ne se fondaient pas imm§diatement dans
leur nouvelle communaut6, surtout s'ils n'Staient pas Imazirhene;
leur situation morale mettait longtemps k devenir satisfaisante. « Ad-
mis dans la jema& au bout d'un certain temps, ils y conservaient
le silence par d£f£renee naturelle pour les Imazirhene. Mais ils avaient
quelquefois voix consultative dans les d£bats. Des generations ont pu
se succ6der et leur denouement s'affermir en maints barouds,
les 6gards que Ton a pour eux sont semblables k eeux que Ton montre
82. Beaucoup de Doukkala occupaient des terres au Bled Msellette (Tribu
Ai't-Belkassem), dont la propriety etait contestee entre differentes fractions,
juste avant le Protectorat.
83. P.V. de la reunion du Conseil de Tutelle des Collectivites a Dayete-er-
Roumi, mai 1925, Archives du Service des Collectivites, Rabat.
LES ZEMMOUR 141
aux autres membres de la cite, et eependant on n'oublie pas leur
origine » ecrivait G. Klein en 1919 84 . A eette epoque par exemple, le
ca'id Hamida des A'it-Ali-ou-Lahsene jouissait d'tine situation mat6-
rielle et morale preponderante, mais chacun savait que son pere El-
Mati venait des Chaoui'a et avait ete engage comme berger par le
Zemmouri Ainor-Ould-Zaiani (fils de la Za'iane), qui donna sa sceur
en mariage k son client chaoui. Le ca'id 6tait doublement stranger par
son pere et par sa mere. Les exemples d'assimilations d'etrangers
abondent dans tous les douars ou fractions et le nom patronymique
garde la trace de leur origine. Certains chefs Zemmouris, dont les
fonctions permettent de porter des jugeinents d'ensemble, n'h6sitent
pas a affirmer que les Zemmour comprennent une tres forte pro-
portion d'etrangers 85 .
Depuis la Confederation jusqu'au douar, des groupes ou des indi-
vidus sont strangers ou revendiquent une origine particuliere. En
penetrant parini la complexity des differents groupes sociaux, on
reste surpris par une apparente contradiction, qui constitue cepen-
dant la regie en matiere d'organisation tribale : la conviction d'avoir
une origine particuliere jointe k la conscience d'appartenir k un
groupement plus vaste ; « Lk ou il y a des legendes genealogiques
pour expliquer l'ensemble, ecrit J. Berque 86 , deux systemes coexis-
tent, sans apparemment g£ner le citoyen. Siinultanement il professe
le rattachement k 1'ancGtre general, et l'ascendance differente assi-
gnee par la tradition k sa famille. II invoque, selon l'occasion l'une
ou l'autre lignee. De fait, la plupart des tribus agregent des elements
venus de tous les horizons, et en tout cas venus « d'ailleurs ». Cette
contradiction entre la personnalit6 collective et l'origine des cellules
qui la composent est ventablement une loi du genre ».
L'6tude de quelques cas concrets nous a permis de soupconner
l'extreme diversity des composantes ethniques des populations Zem-
mour. II ne saurait etre question de relier aux fractions ou aux
tribus etrangeres les groupements Zemmour qui en portent le nom;
les interesses eux-memes s'en dependent; les Ait-Ouahi des Zemmour
par exemple se reconnaissent parents de ceux des Bni-Mguild mais au-
cunement de ceux d'Oulmes ou des Ait-Mezri (Ait Morrhad) ; de meme
A'it-Oumnassef des Kabliyine et A'it-Oumnassef desHaouderrane s'igno-
rent absolument et repoussent toute idee de lien. De nombreux cas de
84. G. Klein, etude inedite, 1919.
85. Un quart selon le ca'id Bou-Driss-Ben-Chaboune, des Ait-Zekri, 1949.
86. J. Behqce, Qu'est-ce qu'uue tribu Nord-Africaine ? in Eventail de I'his-
toire vivante, pp. 264-265.
142 MARCEL LESNB
similitude patronymique pourraient etre cites; aussi bien, comme
l'a dit E. F. Gautier 87 « on trouve n'importe ou, n'importe quel nom
de tribu ». La fiction genealogique n'eclaire rien; l'explication histo-
rique peut paraitre insuffisante; « l'hypothese qui peuple le pays de
groupes pSregrinants, vertigineusement mobiles et vagabonds, mais
obstines a. garder leur etat-civil est k peine plus satisfaisante que celle
qui invoque Pa'ieul fecond a la progeniture disseminee » ecrit J. Ber-
que 88 . Et il ajoute : « Lk ou la tradition indigene voit une g6netique
k enjambements geographiques, et la recherche moderne la resultante
complexe de deplacements du pass6, on pourrait §tre tent6 de voir
seulement le jeu de mutations verbales ». Mais les Zemmour viennent
de tres loin et la fluidite des formations sociales n'interdit pas d'accep-
ter l'adjonction d'61ements strangers plus ou moins importants; le
lent mouvement des Zemmour vers le N.O. du Maroc et leur histoire
mouvementee ont certainement favoris6 les apports exterieurs, ainsi
que nous le verrons plus loin. La multiplicity des « emblemes ono-
mastiques » 89 traduit la multiplicity des contacts et des melanges;
peut-on imaginer d'ailleurs une recherche ou un choix arbitraires des
appellations ? Un fait, une parents fictive ou reelle, une origine, un
souvenir motivent l'emploi d'un signe patronymique special; mais
les groupements se dispersent, grossissent, se scindent et le nom
reparait ailleurs, aussi souvent decerne par les autres que delibere-
ment voulu tel; ainsi l'embleme ne reste plus le pavilion authentique
du contenu social qu'il symbolise.
III. — Les particularismes interdisent tout groupement
POLITIQUE DURABLE
Les tribu s n'ont pas la cohesion, l'unite solide qui caracterisent
la famille berbere traditionnelle : « l'agregation de families qu'on
designe sous le nom de tribu, ecrivent A. Bernard et M. Lacroix 90 ,
peut etre consideree comme l'unite politique, c'est-a-dire comme respon-
sable des actes exte>ieurs des membres de la collectivite vis-a-vis des
agglomerations voisines. La tribu sera l'unit6 politique des indigenes,
comme la famille est l'unit6 sociale ». La confederation ne peut, entre
ces ensembles deja tres h£terogenes, que maintenir des liens assez
87. E. F. Gautier, Le passe de I'Afrique du Nord, 1942, p. 358.
88. J. Berque, ibid.
89. La formule est de J. Berque
90. A. Bernard et M. Lacroix, L'tvolution du nomadisme en Algerie, Alger,
1916, p. 297.
LES ZEMMOUR 143
laches, apparaissant en cas de dangers exterieurs, mais n'excluant
nullement des clans rivaux a l'intei-ieur meme du cadre qu'elle offre.
Un fonctionnaire bien place pour sentir les effets du particularisme
tribal en pays Zemmour 01 , a pu ecrire, en preface k une etude sur le
droit coutumier Zemmour, ces lignes en contradiction avec la v£rite
historique, mais traduisant bien la diversite et l'individualisme des
populations Zemmour : « Nous croyons devoir prevenir des l'abord que
nous n'employons ce terine de confederation que pour faciliter la desi-
gnation d'ensemble des diverses tribus dont nous entendons etudier
le domaine judiciaire. Car en fait leur reunion n'a ete obtenue qu'arti-
ftciellement a la faveur d'un deeoupage administratif de l'Empire
ch^rifien qui a suivi les operations de pacification » 92 . Les contacts
journaliers avec les depositaires des coutumes et traditions tribales
que sont les membres des tribunaux coutumiers, pendant de nom-
breuses annees, n'ont pas permis a l'auteur de ces lignes de sentir un
lien entre les tribus, ni de determiner l'entite de la confederation :
« il est difficilement admissible, ajoute-t-il, pour quiconque a pu mesu-
rer le gout des Zemmour pour 1'independance, que plusieurs tribus
aient accepte de se soumettre a un chef commun ». Ici encore, l'his-
toire contredit cette affirmation : nous la retenons surtout parce
qu'elle traduit le sentiment de diversite que ressent tout observateur
en contact avec la Confederation Zemmour. Deja, de Segonzac avait
remarque la nature pulverulente des grands ensembles berberes : « je
n'ai rencontre, ecrit-il, aucun Berbri capable d'enum6rer les fractions
de sa tribu ; a plus forte raison les braber ignorent-ils leurs voisins » 93 .
Des liens existent cependant entre les tribus, mais ils offrent des
caracteres tres speciaux.
1) Les alliances entre tribus restcnt impregnees de particularisme.
L'examen des relations reeiproques entre les diverses tribus de
la Confederation Zemmour ne fait que mettre en relief leur individua-
lisme. ainsi que l'extreme fluidity de ces groupements politiques. « Les
tribus sont d'humeur independante, ecrit fort justement E. Aubin 94 ,
91. Considerations sur les tribunaux coutumiers dans la Confederation
des tribus berberes Zemmour, C.H.E.A.M., 1952.
92. Seuls les Ai"t-Amar d'Oulmes ont ete ainsi rattachds artificiellement
aux Zemmour; ils ne sont pas etudies ici, pour cette raison d'ailleurs. Le ratta-
chement des Bni-Ameur aux Zemmour s'est opere" avant l'arriv£e des Francais.
83. De Segonzac, Voyages au Maroc, Paris, 1903, p. 291.
94. E. Aubin, Le Maroc d'aujourd'hui, Paris, 1904, p. 109.
144 MARCEL LESNE
aussi bien entre elles que vis-a-vis du Makhzen; si elles se rapprochent
les unes des autres, c'est par de simples ententes locales, et il est tres
rare qu'un interet collectif en rassemble un certain nombre ».
a) La tata.
En pays Zemmour, comme dans la plupart des tribus berberes du
Maroc Central, existent des alliances intertribales a caractere magico-
religieux, appel6es pactes de tata ou tada 05 , qui se concluaient k Fori-
gine par le proc6d6 symbolique de la colactation. G. Marcy a consacre
des pages definitives aux pactes de tata, destines essentiellement a.
recr6er des liens ethniques artificiels entre des groupes sociaux, par
imitation magique du phenomene de la parents maternelle. Les pactes
anciens, scelles par la ceremonie du lait (couscous arrose du lait de
femmes et mange en conimun, ^change d'enfants au sein maternel pen-
dant la duree de la ceremonie) cousacrent une fraternite totale, concr6-
tisee par un nombre different de cojureurs lors de la prestation de
serments judiciaires collectif s. Ceux conclus apres la ceremonie des
babouches (babouches des membres de chaque fraction reunies en deux
tas differents, puis sorties une k une simultan6ment de facon a lier
entre eux les deux proprietaires) apparaissent moins marquees du
caractere sacre" qui entoure, au demeurant, tous les pactes de tata;
ils s'apparentent plutot a une sorte de mezrag collectif (protection)
et constituent une forme att£nu£e du pacte original de colactation.
Pactes de non-agression et d'amitie r6ciproque, les tatas creent,
protegees par le caractere sacre de l'engagement, des zones protegees
ou les fractions alliees ne courent aucun risque. Le souci du bon voisi-
nage, le d6sir d'etre assure de la securite des troupeaux envoyes sou-
vent tres loins des terrains de culture ou le gros de la tribu pr6fere
rester, Finteret tout personnel de trouver chez la tribu voisine un
repondant en cas de prestation de serment, un ami ou un conseiller
pour toutes les affaires de vol ou les litiges de voisinage, un refuge en
cas de malheur, ont assure a la coutume du tata une vigueur excep-
tionnelle.
95. Au sujet de la tata, voir :
— La tata, Capitaine Coursimault, A. B., vol. 2, Paris, 1917, pp. 261-264.
— G. Marcy, L'allianee par colactation chez les Berberes du Maroc Central
Actes du IT* Congres... 1936, E. 112, pp. 957-973.
— E. Westermark, Ce're'monies du mariage au Maroc, Paris, 1921, p. 54-55.
— Capitaine Spillmann, Les Ait Atta du Sahara et la pacification du Haut
Dra, Rabat, 1936, pp. 50-52.
— Suroon, F.squisse de Droit coutumier Berbere Marocain, Rabat, 1936,
pp. 124-126.
LES ZEMMOUR 145
Mais ces pactes sont uniquement bilateraux; la tata entre une
meme fraction et deux autres fractions n'entraine aucune obligation
entre ces dernieres. Ces alliances ne peuvent done fed6rer un ensemble '
de groupes sociaux car chacun d'eux ne s'inquiete que de ses alliances
personnelles. Les tribus s'allient parfois par la tata avec des tribus
ou fractions voisines, etrangeres a la confederation, lorsque leurs inte-
rests vitaux l'exigent; tout autour de la Confederation Zemmour se
creent ainsi des liens intertribaux moins frequents qu'a l'inteneur,
mais assez nombreux. Les Kabliyine par exemple, outre leurs alliances
avec les A'it-Ouribele, les Ait-Yadine et quelques fractions TTaouder-
raen, ont conclu des pactes de tata avec les Oueld-Alouane des Sehoul,
ou les Maasa des Bni-Ahsene 96 . Parfois meme des fractions d'une
meme tribu se lient entre elles par de tels pactes, comme si la cohabi-
tation au sein d'une meme tribu avait besoin d'etre protegee par des
liens speciaux; les fractions Ait-Ichcho et Ai't-Ahmed-ou-Yacoub d'une
part, les Ait-Hammou-Srhir et les Ait-Kessou d'autre part, toutes
quatre des Kabliyine, ont ainsi etabli leurs rapports sur des bases k
caractere sacre. De par la nature meme des engagements visant a creep
une neutrality bienveillante, eviter tout ce qui pourrait blesser un lien
sacre\ assurer le respect des personnes et des biens, les pactes de tata
constituent moins des elements fede>ateurs, que l'expression d'un par-
ticularisme vivace et expansif, desireux de se reserver des zones sans
embuches. Leur multiplicite a 1'interieur de la confederation et leur
existence au sein d'une meme tribu, montrent que les interests locaux
et les particularismes ne s'accommodent que des seuls liens politique^
que I'on reconnait habituellement k la confederation ou a la tribu.
b) Les alliances guerrieres.
Les alliances guerrieres, essentiellement temporaires, gardent
l'empreinte du meme particularisme. « Lorsqu'une fraction engag^e
d6sire contracter une alliance, elle enverra les plus anciens de sa
jemad trouver la fraction recherch6e, a laquelle des dehibas (sacrifices
de moutons) sont offertes. Si les propositions sont acceptees, un bur-
nous est remis aux d616gu6s qui l'emportent en gage de l'alliance
conclue. La meme ceremonie recommence dans toutes les tribus dont
on sollicite le concours. Puis une assemblee generale des notables
a lieu; des imagharene (chefs de guerre) sont nommes pour diriger
96. Cf. M. Lesne, Evolution d'un groupement berbere : les Zemmour, Rabat,
Ecole du Livre, 1959, pp. 58-69, ou Ton trouvera une etude complete du reseau
des tatas en pays Zemmour.
10
146 MARCEL L-ESNE
l'ensemble des operations, le plus ancien recoit en depot tous les
burnous remis par les tribus entries dans le r6seau d'alliances. L'hon-
neur de chacune d'elles est ainsi engage" et une trahison individuelle
entraine la flGtrissure de toute la fraction » * 7 . La ligue guerriere ainsi
cr66e se constitue par des pactes bilateraux entre la fraction ou la
tribu demanderesse et les fractions ou tribus qui consentent k lui
apporter leur aide; elle disparait avec le conflit qui l'a cr66e; sa
r6apparition en cas de nouveau conflit n'est pas automatique.
Des treVes peuvent aussi survenir entre tribus en guerre, surtout
a l'epoque des moissons : « A cet effet, chacune des jemads choisit
dans le camp adverse un notable qui assumera la charge de garant
contre tout acte hostile de ses freres (moul el mezrag) 08 ». Ici encore,
repr6sent6 par son garant, le groupement social intervient directement
et de facon particuliere dans la conclusion d r une treVe qui peut certes
interesser plusieurs autres fractions ou tribus r6unies en ligue tem-
poraire, mais se traite tou jours de groupement a groupement.
*
* *
Les n6cessites de la vie quotidienne aboutissent a la creation de
zones amies et sacr6es; la guerre impose des alliances entre differents
groupements; la trSve intervenant entre les combats se personnifie
par la nomination d'un moul el mezrag, mais les obligations ou les
liens ainsi crees restent toujours bilateraux, bien que reussissant &
embrasser des ensembles. Kien ne peut mieux illustrer les particula-
rismes int6rieurs de la Confederation Zemmour.
2) Les groupements politiques internes determinent
des ensembles aux contours variables.
A Fint6rieur de la confederation, les groupements s'ordonnent en
masses d'importance variable selon les 6poques. A la suite d'un d6sac-
cord, par int6r£t. par crainte, par affinite, des fractions plus ou moins
importantes quittent leur tribu pour entrer dans une autre. Les A'it-
Izzi et les Ijanatene par exemple, appartenaient autrefois aux Ait-
97. Capitaine Querleux, Les Zemmour, A.B., vol. I, fasc. 2, Paris, 1915,
p. 48 et 49.
98. G. Klein, Etude citee, 1919.
LES ZEMMOUR 147
Jbel-Doum avant de devenir des fractions Haouderrane ". Les Hej-
jama, petite tribu des environs de Tiflete, sont en realite" une fraction
Kotbiyine qui habitait autrefois les environs de Sidi-Mohammed-
Cherif, et qui, a la suite d'un disaccord relatif a un mariage, s'est
separ6e de la tribu 10 °. Les Ait-Mejdoub, venant des Haouderrane,
s'incorporerent aux Ait-Ouribele, volontairement, apres la pacifi-
cation 101 .
Un document datant du 17° siecle donne, pour les Zemmour,
l'organisation intSrieure suivante, que nous reproduisons dans la
transcription communiquee par Monsieur G. S. Colin 102 .
Megdur = Zemmur.
Les Zemmur se subdivisent en Ait Zeggat et en Ait Hkem.
a) Ait Zeggat = Itgal, Ait Mimum, Ait Lahsen ben 'Isa, Ihuderran,
Ait Zekri, Ait Uribel, Ihammuden.
Les Itgal se subdivisent en Ait Siber, Ait Mahluf, Mestegra, Ait
Wertindi, Ait Dawud, Yeqbiten.
b) Ait Hkem = Ait Hammad, Ait Wabud, Ait Mimum, Ait Isa, Imsi-
siten, Ait Zago, er Kub'.
La plupart des noms des tribus cities existent encore dans les
Zemmour ; deja- a cette 6poque, Ait-Zarho, Imchichitene, Ait-Baboute
appartenaient aux Bni-Hakem. Parmi la branche Ait-Zouggouatt,
nous retrouvons les Ait-Zekri, les Ait-Ouribele, les Haouderrane, les
Ait-Sibeur, les Messarhra. Les A'it-Lahsen-Ben-Aissa ^voquent la
16gende des cinq freres Aissa qui circule encore en tribu. Ainsi,
s'affirme une certaine permanence des emblemes onomastiques ; mais
l'importance des masses a vari6; Ait-Zarho et Imchichitene ne sont
plus que des fractions sans importance; les Ait-Sibeur apparaissent de
nos jours quantity negligeable aupres des Ait-Ouribele. Sans recher-
cher d'hypoth6tiques comparaisons avec les tribus Zemmour que nous
connaissons aujourd'hui, constatons simplement l'existence de deux
sous-groupes distincts, et l'importance des Bni-Hakem dans cet
ensemble. Et k ce propos, il est remarquable de constater que les
auteurs marocains citent toujours Zemmour et Bni-Hakem, mettant
ainsi en relief le caractere particulier de ce dernier groupement 103 .
99. Informateur : Caid Bou-Driss-Ben-Chaboune (Ait Zekri), 1949.
100. Informateur : El-Rhazi-Ben-H... (Ait-Ali-ou-Lahsene).
101. Notice sur l'annexe de Maaziz, Lt. Compain, juin 1912. (Arch. D. I.)
102. G. S. Colin, Extrait in£dit de L'Uqnum de Abd-er-Rahmane el Fassi,
obligeamment communique par M. G. S. Colin.
103. Voir 3« partie.
148 MARCEL LESNE
Les divisions ultSrieures apparaissent influences directement par
le systeme des khoms applique par le Makhzen pour faciliter la levee
des impots. Les traditions imprecises offrent des classifications contra-
dictoires. Sous Moulay-Slimane et au debut du regne de Moulay-
Abderrahmane, les Zemmour s'articulaient ainsi 104 :
1) A'it-Zekri (Ait-Belkassem, Ait-Abbou, A'it-Ouribele, Ait-Ouahi,
Kabliyine)
Bni-Ameur : Ait-Feska (Ait-Ali-ou-Lahsene, Khzazna, Ait-Bou-
Yabya)
A'it-Affane (Kotbiyine, Mzourfa, Hejjama).
2) Messarhra
3) A'it-Jbel-Doum (A'it-Mimoun, Ait-Sibeur, Ait-Hammou-Boule-
mane, Ait-Helli)
4) Haouderrane (Ait-Achrine, Ait-Rebiane, Dehbibene, Ait-Ikko)
5) Bni-Hakem
Un autre groupement, obtenu sans doute par syntbese de divers
renseignements, articule ainsi les tribus Zemmour, vers la fin du
19 e siecle 104 :
1) A'it-Zekri
2) Haouderrane ainsi que Messarhra, Ait Sibeur, A'it-Mimoun.
3) Bni-Hakem
4) Bni-Ameur
5) Ait-Bou-Yahya et A'it-Yadine.
Les trois premiers groupes comprennent les tribus les plus an-
ciennes, les autres les tribus nouvellement incorporees.
Certaines appellations, autrefois tres vivaces, ne sont plus prati-
quees que par quelques anciens et il apparait difficile de dessiner les
contours des ensembles qu'elles recouvrent; les documents 6tablis
il y a une quarantaine d'annees r^velent egalement des contradictions,
Les A'it-Achrine, A'it-Reba'ine, Dehbibene et A'it-Ikko constituaient
autrefois les Haouderrane tout entiers ; le « Souk-Sebt des A'it-Ikko »
reste de nos jours la trace d'un important sous-groupement dont le
nom subsiste pour une petite fraction passed en tribu Ait-Ouribele. La
tribu Haouderrane se presentait ainsi autrefois, d'apr&s un document
dresse en 1921 105 :
Dehbibene : Ait-Hennou-Addi, A'it-Ayache, Ait-Hammou-Idir, Ait-
Affi, Ait-Sidi-Lahsene.
104. Vil. Trib., Rabat et sa region, t. Ill, p. 212.
105. Proces-verbal de la reunion du Conseil de Tutelle des Collectivites du
Tafoudeit (16 dec. 1921), Archives du Service des Collectivites, Rabat.
LES ZEMMOUR 149
AU-Achrine : A'it-Maarif, A'it-Chao, A'it-Izzi, Ijanatene.
AU-Rebahve : A'it-Bou-Chlifene, Ait- Alia.
A'it-Ikko : A'it-Oumnassef, Ait-Ikhlef, Ait-Zbair, A'it-Luasri.
Un tel tableau ne pourrait plus etre dress6 de nos jours meme en
faisant appel aux souvenirs des anciens; on raconte seulement qu'au
cours d'une bataille contre les Bni-Ahsene, dans le Tafoudeit, ou fut
d^f ait le Caid Hasnaoui, un groupe eut 20 tues et l'autre 40 ; en sou-
venir de ce deuil, ils s'appelerent respectivement Ait-Achrine et Ait-
Reba'ine.
Le nom d'A'it-Jbel-Doum (les fils de la montagne du palmier nain)
semble d'introduction assez r6cente, post6rieure a l'occupation de la
haute vallee du Beht, ou les fractions se souviennent toutes d'avoir
v6cu, mais seulement sous leur propre nom de fraction.
D'autres denominations datant surement de l'installation des
Zemmour dans leur habitat actuel semblent tomber dans l'oubli :
Moualine Gour (Maitres du Gour, petite hauteur en pays Beni-
Hakem) qui comprenaient : A'it-Baboute, A'it-Zarho, Bni-Zoulite, Im-
chichitene 106 .
Ahl-el-Oued (gens de l'oued) groupant Messarhra, Ait-Sibeur, A'it-
Mimou 107 , installes le long du Beht et constituant un groupement de
guerre contre les Bni-Ahsene.
Le tableau de commandement des Zemmour, depuis la pacifica-
tion, s'il conserve le cadre des grandes tribus telles qu'elles se pre^sen-
taient a la fin de la siba, a tenu compte d'autres considerations que
celles des liens ethniques et ne saurait etre invoquS en t^moignage.
Mais la plasticity des ensembles apparait telle que semblables d6cou-
pages ont du se produire autrefois, notamment lors du partage des
tribus en khoms, sans affecter la vie profonde de chaque groupement.
La succession des alliances, le pouvoir des chefs, le hasard des
batailles a constamment remis en cause l'articulation int^rieure des
tribus au sein des groupements temporaires, des fractions au sein des
tribus. M les rares documents, ni la memoire des hommes ne peuvent
retracer les multiples enchevetrements des groupements au cours d'une
histoire mouvementee.
106. Vil. Trib., t. Ill, Rabat et sa Region.
107. Lieutenant Mortier, Rapport sur la question Beni Hassan, Zemmour,
Mamora, 1913, Archives Contr61e Civil Tiflete.
150 MARCEL LBSNB
3) Ego'isme et luttes entre les fractions traduisent un individualisme
fondamental.
Chaque groupement lutte pour conserver son existence : lutte
contre la nature, lutte contre les hommes. Par-dessus tout il veut
maintenir son independance, gage de la survie de la collectivity affir-
mer son particularisme, voire imposer sa force quand il le peut.
L'ego'isme et l'apret6 succedent k 1 'entente commune des que le danger
est pass£, ou le butin conquis.
Les causes de desordre sont multiples. Le manquement aux obli-
gations du mezrag entrame aussitot des represailles sanglantes.
« Un jour une caravane de mulets transportant des grains aehetes
par un Slaoui dans les tribus centrales des Zemmour 6tait sous le
« mezrag » d'un indigene des Ait-Bou-Yahya. Leur convoi avant
d'atteindre les Sehoul fut assail li par quelques gens des Ait-Ali-ou-
Lahsene. Le pacte d'alliance qui existait entre les Ait-Bou-Yahya et
les A'it-Ali-ou-Lahsene fut rompu de ce fait. Les cavaliers des deux
tribus sauterent en selle pour se rencontrer dans un combat. II y eut
vingt tues chez les A'it-Ali-ou-Lahsene et vingt-cinq du cote" Ait-Bou-
Yahya » 108 .
Des qu'un meurtre a §t6 commis, tous les gens du clan du meur-
trier se tiennent sur leurs gardes car les represailles peuvent les
atteindre; tres souvent, lorsque le meurtre a touche un membre d'une
fraction voisine, tout le groupement du criminel doit decamper preci-
pitamment; l'affaire peut s'arranger par le paiement du prix du sang
{diya) mais elle risque parfois de prendre de grandes proportions :
quelques annees avant l'arrivee des troupes franchises, les Khzazna,
A'it-Bou-Yahya, Ait-Ali-ou-Lahsene, A'it-Belkassem, A'it-Ouahi, Ait-
Abbou, Bni-ITakem et Haouderrane d'une part, Kabliyine, Mzourfa,
Hejjama, Ait-Ouribele, Kotbiyine, A'it-Yadine et Messarhra d'autre
part sont ainsi entr6s en lutte au sujet d'un meurtre commis entre
Kotbiyine et A'it-Ali-ou-Lahsene, par suite des Gbranlements successifs
causes par la rupture des pactes d'alliance. Les rapts de femmes, les
refus de restituer le montant d'un vol dScouvert, les contestations de
terrains offrent sans cesse des occasions de discordes. « Les querelles
de parti, §crit le capitaine Querleux 109 , sont le fond m6me de l'ame
108. G. Klein, Etude inedite, 1919.
109. Capitaine Querleux, Les Zemmour, Arch. Berb., vol. I, fasc. 2, 1915,
pp. 46-47.
LES ZEMMOUR 151
berb&re et les Zemmour au caractere hargneux et vindicatif ne pou-
vaient manquer k cette tradition. Aussi tout 6tait matiere a discus-
sion, et les incidents les plus futiles, toujours considerablement grossis,
engendraient des disputes interminables, chacun prenant fait et cause
pour ses freres, sans meme rechercher la cause du conflit et le cdt6
du droit. II se formait ainsi dans la fraction deux partis hostiles,
grouped autour de deux individualites qui prenaient la querelle k leur
compte et entraient en lutte. Frequemment des fractions voisines inter-
venaient k leur tour dans l'incident, se rangeaient dans Fun ou l'autre
des groupements adverses, et la guerre ensanglantait toute la tribu ».
L'histoire r6cente des A'it-Sidi-Lahsene off re un bel exemple de
ce genre de discorde. Cette petite tribu, dont les membres se disent
chorfa idrissides, occupait, apres avoir sejournS au Tafoude'it, un
terrain octroy^ par le Makhzen et situe dans la region de Zimeri, entre
les Ait-Belkassem et les Haouderrane. Ayant un jour tu6 des ressor-
tissants de la tribu arabe Hosse'ine, ils quitterent Zimri pour revenir
au Tafoudeit avec l'accord des autres tribus, en reconnaissance de
l'aide apportee autrefois lors de la conquete du pays sur les Bni-
Ahsene et sans doute a cause de leur reputation de chorfa. Vers Fan
1299 de FHejire, a la suite d'une famine, ils entrerent en lutte avec
leurs voisins : un Haouderrane fut un jour pille" par un A'it-Hammou-
ou-Boulemane et demande le mezrag des A'it-Sidi-Lahsene ; ceux-ci
intervinrent aupres des Ait-Hammou-ou-Boulemane pour obtenir la
restitution des objets vol6s; ces derniers, avec Fappui des Ait-Ikko,
refuserent, et une lutte sanglante s'ensuivit. Vaincus, les A'it-Sidi-
Lahsene se r^fugierent alors au bled Sidi-Larbi, en pays Haouderrane,
chez le Cheikh Omar, a Femplacement qu'ils occupent encore aujour-
d'hui. Apres une absence d'une douzaine d'ann6es, ils revinrent au
Tafoude'it qui 6tait rest6 inoccup^ par craintes des repr6sailles. Ils y
s6journerent jusqu'a une autre ann6e marquee par une grande famine
(dam smida, Fannee de la semoule, vers 1905-1906); aux environs de
cette epoque, ils tuerent un ressortissant des Ait-Ikko. L'arbitrage du
Sid de Boujad, demande par les parents de la victime, ne fut pas
eeoute. II en resulta une lutte violente, k la suite de laquelle les A'it-
Sidi-Lahsene abandonnerent une troisieme fois le Tafoude'it.
Cette petite tribu, installee sur un terrain de parcours particu-
lierement estim6, en bordure de la tribu Haouderrane, ne pouvait en
effet que register difficilement a ses voisins no . Elle oscilla done entre
110. Procis- verbal de la reunion du Conseil de Tutelle des Collectivitds au
Tafoudeit, 1921, Arch, du Service des Collectivites, Rabat.
152 MARCEL LESNE
deux habitats legitimes, sans pouvoir les eonserver entierement de
fagon simultanee 1U .
Les difficultes economiques, les famines si terribles qu'on les tait
par superstition, exacerbent les rivalites des clans. Une famine atroce
sevit en 1895 chez les Bni-Hakem 112 ; son souvenir reste grave dans la
memoire de ceux qui, en f ants a l'epoque, ont pu en rechapper. Une
bataille venait d 'avoir lieu entre Ait- Alia, A'it-Mhammed, Ait-Bou-
Guimel, Ait-Zarho et Bni-Zoulite d'une part, Ait-Bou-Meksa, Ait-Bou-
Hekki et Imchicliitene dautre part; les Zaer, Zaian et Haouderrane
avaient fait des incursions dans le pays; les semailles de 1892-1893,
genres par les escarmouches, donnerent une r6colte assez honorable,
mais pillee par les Haouderrane venus & la suite d'une harka du
Sultan qui parcourait le pays pour recolter l'impot. Labours peu
importants en 1893-1894, degats commis par les animaux des fractions
voisines, secheresse, firent qu'en 1894 aucune reserve de grains n'exis-
tait pour les futures semailles. L'hiver 1894-1895 fut si pluvieux que
les rares parcelles ensemencees furent envahies par les mauvaises
herbes qui depasserent la taille d'un homme et Stoufferent les cer&iles.
La famine toucha d'abord les pauvres qui vendirent leur betail, par-
tirent en exil comme bergers et laboureurs dans les autres fractions;
enfants et vieillards moururent tres nombreux sur place. Puis 1'en-
semble de la population fut en proie a la famine. Les tribus voisines,
loin de les aider, et connaissant aussi des difficulty, interdisent alors
l'intrusion de tentes etrangeres. Les A'it-Alla et les A'it-Mhammed,
tribus montagnardes, supportent mieux la famine et s'approprient le
b6tail de leurs voisins r6duits k une horde de gens affames. Les Ait-
Bou-Guimel s'isolent et echappent a. la mort grace a quelques silos bien
caches et bien g6r6s. Ait-Zarho, Ait-Bou-Meksa, Ait-Baboute, Bni-
Zoulite et le douar Ait-Bouzid des Ait-Mhammed sont particulierement
eprouv6s. Le douar A'it-Ali-ou-Amar, des Ait-Zarho, passe de 60 a
3 tentes (aujourd'hui 9) ; le douar Ait-Ikko-ou-Hajjou des Ait-Baboute
ne compte plus que 9 tentes sur les 120 d'autrefois (aujourd'hui 20) :
installed aupres d'Ain-Bou-Fekrane ou certaines herbes, cardes et
mauves, pouvaient encore dtre mangees, les affames devorerent jus-
qu'aux tortues et les malheureux furent retrouves momifi^s, a la fin du
printemps 1895, par des refugi&s venant des Zaer.
Dans de si horribles circonstances, lorsque la solidarity d'homme
111. Revenue au Tafoudeit, la tribu gardait toujours des ressortissants sur
ses terrains pres de Sidi-Larbi, qu'elle avait achetes.
112. La grande famine de 1895 chez les Bni-Hakem, M. Prefol, 1950. (Arch.
D.I.)
LES ZEMMOUR 153
a homme ne peut meme plus jouer, lorsque des parents en exode et
a bout de forces sont obliges d'abandouner leurs enfants en route,
dans des enclos d'epineux « a la garde de Dieu » mais en realite a. la
dent des chiens, les fractions, d6jk rivales en temps ordinaire, se
livrent k de nombreux actes d'hostilites : crimes, vols et spoliations.
Apres cette annee oil « les chiens mangerent les hommes » sans que
ceux-ci aient meme la force de se defendre, les douars ne revinrent
k la vie qu'apres le retour de quelques adolescents refugies chez les
Zaer ou les Zaian, engages comme bergers ou comme laboureurs. Cette
famine nous montre un cas extreme, celui de la dissolution entiere des
liens entre fractions d'une meme tribu; mais elle resulte de leur
manque de solidarity de leurs luttes intestines, de leur ego'isme, de
l'absence de toute notion d'int6ret general. Les conditions de vie de
ces tribus semi-nomades, faute de pouvoir centralisateur fort, ne
peuvent eVidemment qu'aboutir k la cr&ttion de groupes tres res-
traints, tres mobiles, oil la solidarity interne joue de facon automa-
tique, essayant de sauver leur existence, au prix d'apres luttes avec
leurs voisins. La coutume elle-meme enregistre les differents etats de
relations entre les groupements; elle distingue, dans le nombre de
cojureurs exiges pour prefer serment, le bled khaoua (region de confra-
ternity), le bled tata (region faisant l'objet d'un pacte bilateral), le
bled mczrag (region devenue neutre par la nomination d'un moul
el mezrag, garant de la s6curite) 113 ; le pays Zemmour n'est done pas
la grande patrie de tous les Zemmouris, mais un agr6gat de cantons
occup6s par des groupements divers et individualises.
Conclusion
Cette approche du pays Zemmour nous laisse le sentiment d'une
infinie diversity et d'une structure molSculaire souvent instable. Al-
liances guerrieres, ententes pour la protection des personnes et le
libre passage, pactes d'amitie" et de non-agression k caractere magico-
religieux, assurent a. Tinterieur de la confederation et des tribus une
certaine cohesion compatible avec la liberty totale des groupes qui y
participent. De grandes masses d'allure administrative s'ordonnent en
fonction des donn£es de l'histoire et des apports nouveaux; mais, a.
Pint6rieur d'elles, s'affirment des rivalit6s et se constituent des grou-
pements; leurs contours restent fluctuants; elles s'accroissent on
113. G. Klein, Etude inedite, 1919.
154 MARCEL LESNB
s'amenuisent selou les epoques par l'apport ou le depart de fractions
nouvelles.
Des lors reparait la meme interrogation : quel est, non pas le
ciment, mais le lien qui unit malgr6 tout cet ensemble ? Les Zemmour
n'ont ni ancetres communs, ni fiction genealogique d'ensemble; ils
constituent un melange de populations diverges, issues des groupe-
ments berberes traditionnellement distingu6s. L'organisation int6-
rieure des tribus, dans la periode historique la plus proche de nous,
met en Evidence un particularisme exacerb6 par Pabsence d'un pou-
voir exterieur de coercition. Comme dans toutes les soci6tes de ce
genre, sentiment d'exception personnelle et conscience d'appartenir a
un groupement plus vaste coexistent sans dechirement apparent des
consciences. Que le lien biologique soit une fiction dont on se contente
en tribu avec un manque Evident de rigueur logique, que des fractions
ou des tribus soient venues s'incorporer aux rameaux primitifs, que
certains groupements aient proliferS, que d'autres se soient amenui-
ses ou aient disparu, qu'il n'existe peut-etre dans leur retour de cer-
taines appellations qu'un jeu purement verbal; tout cela nous sem-
ble vrai en meme temps. Malgr6 les forces particularistes toujours
latentes, qui se sont donn6 libre cours a la fin du xix e et au d£but du
xx" siecle, la Confederation des Zemmour a plusieurs siecles d'existen-
ce; malgr6 ses divisions elle a assure la survivance des tribus qui la
composent; sa cohesion, si faible qu'elle apparaisse, lui a permis ce-
pendant de conserver sans effritement une position dangereuse en
tete de la poussee berbe>ophone vers les plaines atlantiques; elle
demeure nettement distincte par la coutume et les mceurs de ses voi-
sins Zaer, Za'ian, Guerrouane et e>idemment Bni-Ahsene. En fait, ce
sont l'aventure commune surtout, et un meme genre de vie, qui ont
consolid£ le groupement berbere des Zemmour, en depit d'une plas-
ticity interieure qui donne bien du mal aux amateurs de genealogie.
(A 8uivre.)
Marcel LESNE
Conservatoire national des Arts et Metiers,
Paris
LES ZEMMOUR
ESSAI D'HISTOIRE TRIBALE
(suite)
Chapitre II
MOUVEMENT DES TRIBUS ZEMMOUR
VERS LES PLAINES ATLANTIQUES,
DU DESERT A LA FORET DE LA MAMORA
Les souvenirs des Zemmour sont formels : si quelques groupe-
ments evoquent l'Est, si d'autres ne se rappellent i-ien d'autre que
l'Oued Tigrigra (haute Valine de l'Oued Beht), la plupart des tribus,
par la bouche des anciens, assignent le Sud et plus specialement le
Tafilalet comme lieu d'origine des Zemmour. Tres vagues ou allant
parfois jusqu'au rappel tres pr6cis des differents lieux successivement
occup6s, ces souvenirs restent sou vent entretenus par des relations
d'ordre religieux, tres sp^cifiques, avec des collectivites demeur^es
dans ces regions. La diversity des populations Zemmour ne nous
permet pas de leur attribuer une origine geographique ou historique
commune; les deux grandes voies traditionnelles de penetration, par
le Sud et par l'Est, ont contribue" selon les epoques dans des propor-
tions variables, a l'apport d'elements differents. II semble bien cepen-
dant que les tribus venues du Sud marocain aient constitu§ l'impor-
tant noyau d'origine de la Confederation des Zemmour.
I. — LE MOUVEMENT GENERAL S.E.-NO. DES POPULATIONS DU MAROC
1) Sa realite
La montee lente mais continue des populations du Maroc pr6-
saharien vers les plaines atlantiques constitue un phenomene commun
98 M. LESNE
k de nombreuses tribus. Les Zemmour ne font pas exception dans ce
domaine et ils se distinguent seulement des autres tribus par leur
position avancee.
Cette avance seculaire correspond a un mouvement general de
circulation au Maroc, 6tabli entre la zone seche et la zone humide du
pays. II s'agit la, selon H. Terrasse, d'un « fait essentiel de l'histoire
marocaine ». En effet, « presque sans arret, on a assiste a la lente
poussee ou au patient cheminement de petits groupes, de families et
meme d'individus d6sireux de s'installer au pays des belles r6coltes.
A travers toute l'histoire marocaine, on sent un courant de popula-
tions d'une direction moyenne S.E.-N.O. » 114 . Ce mouvement se fait
sentir meme dans les tribus s&lentarisees depuis longtemps. J. Ber-
que, dans son ouvrage sur les Seksawa, note egalement cette vocation
vers le Nord 115 : « l'immense maporite des ikhs composant les Sek-
sawa d'aujourd'hui proviennent bel et bien d'immigrants, et non pas
du lignage authentique, bien que celui-ci soit represents encore et
ben6ficie d'hommages de 16gitimit6 mystique et immobiliere. Cette
immigration vient du Sud... Du Sud, les Seksawa tirent leur matiere,
leur substance. Mais leur vocation historique, tout comme celle des
groupes qui les alimentent, les attire vers le Nord». E. Laoust
demontre aussi que la tente des transhumants du Moyen Atlas, qui
demeurait il y a quarante ans encore la seule habitation des Zem-
mour, « est le type fondamental des regions steppiques et pr6saha-
riennes », et que « sa presence dans la haute montagne est en oppo-
sition avec les exigences du climat» 116 ; l'^tude linguistique des
termes designant les diff^rentes parties de la tente assigne en effet
k cette derniere une origine bedouine indiscutable, empruntee sans
doute par les Z6netes, aux nomades arabes, cette « demeure ideale
du pasteur de la steppe et du Sahara » fut adaptee aux rigueurs du
climat montagnard par les tribus du Moyen-Atlas, notamment par
l'introduction de Yatnechchou, natte de protection placed tout autour
de l'habitacle. L'histoire n'explique-t-elle pas aussi, pour E. Laoust,
cette origine saharienne de la tente ? « Les grandes tribus transhu-
mantes sont en effet d'origine saharienne et c'est par le Sahara que
doit en partie s'expliquer leur histoire. Elles n'occupent leur habitat
actuel que depuis un temps relativement court. Les pistes du Sud sont
encore toutes jalonn6es du souvenir de leur passage ne .
114. H. Terrasse, Histoire du Maroc, t. I, p. 13.
115. J. Berque, Structures sociales du Haut Atlas, pp. 70-71.
116. E. Laoust, L'habitation chez les transhumants du Maroc Central,
Hesperis, VI, 1935, p. 292.
LBS ZEMMOUR, ESSAI d'hISTOIRE TRIBALE 99
Les exemples ne manquent guere. Les Zaer 117 voisins immediate
des Zemmour sont d'authentiques arabes Maaqil, d'origine yemenite
qui, apres diverges peregrinations a travers PAfrique du Nord, dans
les Hauts Plateaux et sur la bordure septentrionale du Sahara,
parvinrent jusqu'au versant sud du Grand Atlas Marocain ; ils pour-
suivirent vraiseniblablement leur route vers le Nord 'X travers le
Grand et le Moyen Atlas; L6on L'Africain 118 les signale dans la plaine
d'Adekhsan (pres de Khenifra) ; le tombeau de leur saint national,
Sidi-Mohammed-Ben-Mbarek se trouve pres de Moulay-Bouazza, der-
niere etape avant leur arrivee dans la region de Rabat. Les Gu6-
rouane, installs a l'Ouest de Meknes et voisins des Zemmour, appar-
tiennent sans doute a Pune des plus anciennes populations du Sud
marocain, « On pretend, 6crit le Lt. Lecomte, que les Iguerouane
habitaient avant le 10 e siecle les regions du Tafilalet et du Reg.
Chasses probablement par Abou-Beker PAlmoravide, ils sont deportes
plus au Xord (Haut Rheris, Haut Ziz et Haut Guir). On conserve le
souvenir de cette epoque de servitude par le chemin de PAmerz Gue-
roual (remarquer la transformation du N en L) qui s'eleve dans la
falaise du Jbel Mijdider et qu'ils furent obliges de construire » m .
Leur depart vers le Nord date de 1650 environ : ils gagnent ensuite
la region de Meknes, apres avoir occupe le Tigrigra et les environs
d'Ifrane. Sous le regne de Moulay-Ismail, ils brigandaient encore
dans le Haut Ziz sur la route de Sijilmassa 12 °. Les A'it-Youssi, selon
leur propre tradition, auraient v6cu dans la region de la Haute Mou-
louya et de PAyachi, avant d'habiter la region de Sefrou 121 . Les Ait
Ouallal des Bni-Mtir, sont d'origine A'it-Atta du Sahara, ainsi que
Pattestent les souvenirs de ces populations 122 . La tribu des Bni-Mtir
vient egalement du Sahara; elle v6cut ensuite de longues annees sur
les rives de POued Guigou, fonda les villes d'Allil et de Talilt puis,
chass^e par les A'it-Youssi et les Bni-Mguild, elle s'etablit sur les
pentes Nord du Moyen Atlas... » 123 ; selon le Lt. Lecomte, « les Aiit-
Ndir (nom berbere de cette tribu) ont laiss6 des leurs a Sidi-Bou-Kil
dans le Haut Ziz. Ceux-ci, deguis6s sous Petiquette de chorfa, ont des
117. V. Loubignac, Textes arabes des Zaer, Introduction.
118. L£on FAfricain, Description de VAfrique, £d. Shefer, t. II, p. 211.
119. Lieutenant Lecomte, Les Ait Morghad, 1930, Arch. D.I.
120. Kitab el Istiqsa, Arch. Mar., t. IX, 1906, p. 119.
121. J. Berque, Al Yousi, pp. 8-9.
122. Cne Spillmann, Les A'it-Atta du Sahara et la pacification du Haut Drd,
76.
123. de Segonzac, Voyages au Maroc, p. 105.
100
M. LESNE
rapports frequents bien etablis avec les A'it-Ndir d'El-Hajeb » 124 .
Les Bni-Ahsene, arabes nomades, ont aborde le Maroc exterieur au 12 e
siecle, comme les Zaer; au 16° siecle, ils poussent en ete leurs trou-
peaux jusqu'a la route du Tafilalet a Fes, entre Missour et Almis du
Guigou; au 17 e siecle, ils progressent vers le N.O. dans la region
d'Annoceur et de Sefrou, pour aboutir enfin dans la foret de la Ma-
mora et la plaine du Rliarb 125 . Les Za'ian, selon des manuscrits trouves
a la zaou'ia de Sidi-Bou-Kil, nomadisaient autrefois, vers Tan 395 de
PHegire (1004) dans la plaine d'Ikhf Aman, au S.O. de l'Oued Mzizel,
affluent du Ziz : dans la meme region, au sud d'Agoudim, existe encore
une colline dite Taourirt n'Izayan 128 . Le dialecte za'ian traduit d'ail-
leurs la diversite des apports ou des aventures et ,selon V. Loubignac,
il « apparait compose de divers elements zenetes, rifains, chleuhs et
soussiens; sa position geographique explique ce melange, mais il
n'est pas jusqu'au touareg qui ne presente avec lui des analogies
frappantes... » 127 .
Bni-Ahsene, Zaer, Guerouane, Za'ian, les quatre grandes tribus
entourant les Zemmour, ainsi que les Bni-Mtir et les autres popula-
tions du Moyen Atlas, vivaient autrefois dans le Maroc presaharien.
Les Zemmour ne peuvent manquer d'avoir connu un destin analogue.
2) Causes de ce mouvemcnt
Ce mouvement de populations, important et continu, obelt & une
serie de causes diverses mais concourantes.
a) Pauvrete et surpeuplement du Sud.
Les causes les plus frequemment invoqu£es r6sultent des condi-
tions de vie offertes par les diffe>ents territoires ainsi abandonnes.
« Toutes les regions desertiques, 6crit H. Terrasse 128 , sont periodi-
quement surpeupl^es; elles sont habitees par des races vigoureuses et
prolifiques auxquelles elles n'offrent que des possibility d'existence
limitees : les oasis ont des ressources strictement mesur6es, tandis
124. Contacts toujours etroits de nos jours (Notice sur les conferences reli-
gieuses, zaouias et sanctuaires en pays Bni Mtir, Arch. D.I.).
125. G.S. Colin, Origine arabe des grands mouvements de populations
berberes dans le Moyen Atlas, Hesperis, t. XXV, 1938, p. 265.
126. Lt Lecomte, Les Ait Morghad.
127. V. Loubignac, Etude sur le diale.cte, berbere des Za'ian est des Ait
Sgougou, Paris, 1924, p. 5.
128. H. Terrasse, Histoire du Maroc, t. I, p.217.
LES ZEMMOUR, ESSAI d'hISTOIRE TRIBALE 101
que la rarete des terrains de parcours et les irregularity du climat
reduisent le developpement des troupeaux. Un moment vient ou le
d6sert a trop d'habitants : bon gr6, mal gr6, une partie des forces
humaines qu'il recele doivent chercher un exutoire ». L'assechement
progressif dn Sahara, trop peu sensible pendant la periode historique,
n'a sans doute pas influence profondement et de facon continue les
dures conditions de vie des pasteurs nomades; mais des p£riodes de
secheresse, prenant Failure de catastrophes, mettent parfois en p§ril
l'existence des populations du Sud. Parmi di verses causes ayant deter-
mine le depart des Guerouane vers le Nord, le Lt Lecomte 129 signale
une famine causee par le manque d'eau, qui dura dix annees et s'ag-
grava d'une 6pid6mie violente ; la legende qui rapporte ces faits men-
tionne egalement une invasion de scorpions et de serpents lances par
Sidi-Bou-Yacoub pour punir les populations d'un affront qu'elles lui
auraient fait 130 . L6on l'Africain 131 cite Egalement l'abondance £ton-
nante des serpents dans cette region, serpents il est vrai « tant
plaisants et domestiques qu'ils vont par les maisons, non autrement
que les petits chiens et chats ». La secheresse, la famine, des catas-
tropes, ont du ainsi, au cours de Phistoire, provoquer des departs
vers des regions moins d6sh6rit6es et la tradition a conserve le sou-
venir de ces ann6es terribles.
Relais snr la route du Nord, la montagne joue ainsi un role
important et dominateur : alimented par les populations du Sud, elle
fut toujours un reservoir d'hommes et d'6nergies. Contrairement au
theme qui fait d'elle un terrain de refoulement des berberes des
plaines, chassis par les arabes envahisseurs, e'est de la montagne
que descendent vers les plaines cotieres, soit par vagues violentes, soit
par infiltrations, les tribus pleines de vitality et d'ardeur guerriere.
« Qu'il y ait Ik, £crit J. C616rier 132 , un phenomene psychologique en
quelque sorte par l'ascendant belliqueux de pasteurs semi-nomades
sur des cultivateurs sedentaires, des loups affames sur des chiens
129. Lieutenant Lecomte, Les Ait Morghad.
130. Un manuscrit de Si Naceri, cite par le Lieutenant de la Chapelle,
raconte que lorsque Sidi-Bou-Yacoub, suivant la chamelle dont Parret devait
indiquer lc lieu de son sejour, fixe par le Prophete, arriva au sud d'Assoul, il
se heurta a Popposition des Ai't-Immour; par un premier miracle il leur acheta
des terrains avec des cailloux transformed en or et en argent; par un second
miracle, il changea ceux-ci en scorpions et serpents (Lt. de la Chapelle. Le
Sultan Moulay Ismail et les Berberes Sanhaja du Maroc Central, Arch. Mar. t.
XXVIII, 1931, p. 38).
131. Ldon L'Africain, Description de I'Afrique, t. II, p 376.
132. J. Celerier, La Montagne au Maroc. Essai de definition et de classi-
fication, Hesperis, XXV, 1938, pp. 108-181.
102 M. LESNB
repus, ou un ph£nomene physiologique par les conditions plus saines
de l'atmosphere montagnarde favorisant l'exc6dent des naissances,
c'est un fait que les plaines et les villes ont 6t6 constamment repeu-
plees par des emigrants venus de la montagne, sans qu'on pergoive
aussi clairement des courants de retour ». Mais la pluie, les vents, la
neige, les rigueurs du climat imposent aux pasteurs des steppes, qui
ont peu a peu gagne* les hautes valines de la montagne, des 6preuves
difflciles que la n£cessit6 de partir fait affronter mais qui off rent un
nouveau motif aux peregrinations.
Aux mobiles de depart que constituent les dures conditions de
vie offertes par le d&sert ou la montagne a leurs habitants, s'ajou-
tent l'attrait des plaines, l'appat des paturages toujours verts, la
douceur du climat atlantique. Cet attrait, l'homme du Sud ne le
ressent pas au depart; le mouvement qui a 6branl6 les tribus du Maroc
Central a dur-6 plusieurs siecles et si une nostalgie de bien-etre peut
bercer longtemps un peuple, elle explique difficilement le lent chemi-
nement des tribus. Mais celles qui, descendues avec leurs troupeaux
sur les hauteurs plus faibles dominant les plaines, doivent revenir
camper dans leurs rudes vallees, eprouvent ineVitablement le desir
naturel de profiter eux aussi des belles moissons. Maurice Le Glay 133
exprime ce sentiment dans une page impr£gnee d'une rude po6sie :
« Mais il est de bonnes heures aussi, par exemple, lorsque les vagues
successives de nomades en retour d'hivernage couronnent les crates
au revers Sud de l'Atlas Moyen. Devant eux ondulent les formes
rndes et coniques des volcans 6teints dont le ruissellement a models
les contours, poli les scories et rendu g6ne>euses les terres acides.
Puis cela meurt dans la grande, pauvre et malheureuse valine caillou-
teuse, la Moulouya chere a tous malgre" sa tristesse, parce qu'elle fut
dans les ages la premiere 6tape des foules affamees venues du desert
vers le Maghreb et la vie. Et, au dela, formant l'horizon, aussi loin
que l'homme peut voir, du levant au couchant, le Grand Atlas dresse
sa chaine altiere, bordee de granit rose qui se fond en violet dans le
ciel bleu... Et tous ceux qui n'ont pu trouver place au banquet des
terres moghrebines, les tard-venus, que le printemps ramene au gite
ancestral, s'eparpillent, retrouvent le coin coutumier et vite, vite, se
mettent a gratter le sol avare dont le grain peut-etre les aidera a
repartir encore et toujours vers la terre toujours refusee ».
133. Maurice Le Glay, Les Pasteurs, Paris, i<*W. pp. 32-33.
LES ZEMMOUR, ESSAI d'hISTOIRE TRIBALB 103
b) Le genre de vie des tribus pastorales.
Dans des zones fondamentalement impropres aux cultures, l'acti-
vite' pastorale des tribus, favoris6e 6galement par les conditions poli-
tiques generates, impose aux populations d'incessants cheminements.
Le pasteur croit toujours trouver dans l'extension de ses zones de
parcours la solution aux difficulty qui se pr6sentent k lui. Victime
d'un concept d'infinit6, la vie pastorale apparait comme une inces-
sante conquete de l'herbe. Entre la fixation dans des cantons particu-
lierement riches et la vie nomade des steppes, existent plusieurs
manieres de vivre et, selon les ressources de leur territoire, les tribus
accordent la priority a l'une ou l'autre des activity agricole ou
pastorale : dans ce cas leur existence suppose Foscillation entre des
regions complementaires. Les tribus s'adonnant enticement ou par-
tiellement a F61evage procedent done a des defacements propices a
la d6couverte d'horizons nouveaux.
L'organisation interne des groupements traduit les conditions
6conomiques de leur existence. Ainsi que le notent Bernard et La-
croix 134 , « frequemment, dans une meme tribu, une fraction est plus
ou moins s6dentaire parce qu'elle a plus de terrains de cultures, et
une autre plutot nomade parce qu'elle a plus de troupeaux et de
piiturages. Ou bien, dans une meme fraction, un douar ou meme un
certain nombre de families sont plutot nomades, d'autres douars et
families 6tant s6dentaires ». Segonzac 135 observe chez les Bni-Mguild
la presence, tres diversified geographiquement, de nomades et de
s&Ientaires; chaque fraction possede une partie des trois domaines
agricoles des Bni-Mguild (les hautes valines de l'Oued Guigou, de
l'Oued Tigrigra (Beht) et de la Moulouya) et envoie pasteurs, buche-
rons et charbonniers en montagne. De Foucault s'6tonne de la pre-
sence de deux grands groupements Ait Serrhouchene, 1'un s&lentaire
sur le versant slid du Moyen Atlas, Fautre nomade sur le versant
nord du Grand Atlas 136 . De tels exemples peuvent 6tre multiplies k
l'infini. Les tribus adoptent des formations diluees de pasteurs pour
quelques unes de leurs parties ; les troupeaux gravitent assez loin des
terrains de culture, accompagn£s de cavaliers lorsque la situation
l'exige. Les pointes avanc£es des pasteurs constituent d'in6puisables
sources de conflits; il suffit qu'une tribu envoie ses troupeaux quel-
134. Bernard et Lacroix, L'ioolution du nomadisme en Algirie, Paris, 1908,
p. 75.
135. Segonzac, Voyages au Maroc, p. 120.
136. de Foucault, Reconnaissance au Maroc, p. 383.
104 M. LESNE
ques annecs de suite dans une region pour qu'elle la considere frapp6e
d'un droit d'occupation. La vie pastorale facilite done la mobility, la
fluidity la dispersion d'une partie des populations qui se consa-
crent aussi, par ailleurs, a l'agriculture.
Les 6v6nements finissent parfois par s6parer les deux elements
de la tribu dont les activites apparaissent pourtant complementaires.
Les pasteurs font preuve de plus de cohesion sociale ; leur solidarite"
se renforce constamment par Pobligation de faire face aux perils
divers qui les attendent dans des zones de parcours aux limites sou-
vent impresses et a la possession fr6quemment contested. Les s6den-
taires par contre, restent plus attaches au sol, surtout s'il est fertile
et si, l'anciennete de l'occupation aidant, ils y ont construit des
habitations. Pour reprendre l'expression de Bernard et Lacroix, cer-
taines fractions dans une tribu, certains douars dans une fraction,
certaines families dans un douar, se sont ainsi attaches fortement
au sol. Si un mouvement de population intervient, si une poussSe
force la tribu a rechercher un autre habitat, l'esprit de clan predo-
mine chez les premiers qui abandonnent la region et lui sacrifient
tout; chez les seconds, l'attachement au terrain finit parfois par
l'emporter et, au prix de sacrifices d'all£geance aux nouveaux venus,
ils se maintiennent sur le sol qu'ils vivifient depuis des generations.
Les A'it-Mouli installed entre l'Oued Aguersif et l'Oued Ansegmir,
vivant aujourd'hui davantage de l'agriculture que de l'elevage, se sont
separes de leurs freres nomades au d6but du 19 e siecle 137 : « a cette
epoque toute la tribu 6tait fix£e sur les rives de la Moulouya mais
elle ne tarda pas a se disperser. Les transhumants devenant chaque
annee de plus en plus nombreux, un jour leur nombre leur permit de
s'installer d6finitivement dans l'Azarhar d'Ai'n-El-Leuh. Ce fut alors
une veritable Emigration, la majorite quittant la Moulouya et n'y
laissant que deux fractions que nous y trouvons actuellement ». 138 .
Segonzac 139 retrouva ainsi dans la vallee de la Moulouya, pres de
l'Oued Ouizerte, une fraction Bni-Ahsene, demeur6e en arriere-garde
dans cette region et habitant un des trois ksour qui composent
Ouizerte. « Trop faibles pour se defendre contre leurs puissants voi-
sins, ecrit-il, ils ont du se placer sous la protection des Oulad-Khaoua
qui les ran^onnent a merci et leur interdisent d'aller rejoindre la
portion principale de leur tribu ». Ces freres des Bni-Ahsene de la
137. Les Ait Mouli nomadisaient avant leur arrivee en Moulouya, dans la
haute vallee de l'Oudrhas.
138. Fiche de tribu des Ait Mouli, Cercle d'ltzer, 1923, Arch. D.I.
139. Segonzac, Reconnaissance du Maroc, pp. 186-187.
LES ZEMM0UR, ESSAI d'hISTOIRE TRIBALE 105
Mamora se livrent a l'agriculture, et, dit Segonzac, « leurs jardins...
s'etendent sur une large bande; les vergers sont charmants : ce sont
des oasis d'arbres fruitiers ». Gerhard Rohlfs, autre voyageur, retrou-
va ainsi en 1864, au ksar Ait Hamara, sur la rive gauche de la Haute
Moulouya, a une trentaine de kilometres du jbel Ayachi, des descen-
dants d'arabes Bni-Ahsene dont la tribu avait 6t6 chass6e de ces lieux
par les Bni-Mtir, eux-memes repousses ensuite par les Bni-Mguild 14 °.
Demeures en pays devenu stranger, les fractions ou les douars
ayant sollicite le droit de cite" et c£de~ a la force, conservent, plus que
les partants, le souvenir des liens anciens. Ainsi s'explique la persis-
tance de certains ilots dans des couloirs d'invasion, accroch6s a leurs
terres, incorpores dans les tribus arrivantes mais gardant longtemps
encore le sentiment de leur particularisme. On ne peut d'ailleurs
concevoir qu'une tribu quitte un habitat en laissant derriere une
place nette, ou que l'envahisseur fasse table rase de toute occupation
anterieure du pays conquis : la coutume berbere offre trop de possi-
bilites de transactions pour ne pas laisser place k des arrangements
ou chacun trouve son profit. Le genre de vie des tribus nomades ou
semi-pastorales explique t\ la fois la vocation aux grands espaces
complementaires 141 et le melange sSculaire des populations.
c) Causes politiques.
I/aridite" et le surpeuplement des regions du Sud, la vie pasto-
rale, favorisent les departs et les glissements de populations. Mais il
faut rechercher ailleurs certaines causes plus directes, susceptibles de
declencher des ebranlements dans l'equilibre dynamique 6tabli par
les liommes entre la steppe et les hautes vallees de 1 'Atlas, entre la
montagne et les basses vallees. G.S. Colin 142 a demontre" l'origine
arabe des grands mouvements des populations berberes du Moyen
Atlas. Jusqu'au 10 e siecle, explique-t-il, des Zenetes venant soit du
Maghreb Central, soit de l'lfriqiya, soit de Tripolitaine sont parvenus
140. Gerhard Rohles, Tagebuch seiner Reise durch Morocco nach Tuat,
1865, pp. 165-166. « Die Bewchner des Dorfes nahmen uns sich sehr gastfrei auf,
weil sie, wie sie sagten, sich freuten Araber beherbergen zu konnen, indem sie
selbst Arabischen Ursprungs, Abkommlinge des Bni Hassen, sei'en, die vor etwa
60 jahren von hier vertrieben worden waren. »
141. Marmol, I'Afrique, 1667, trad. Perrot d'Ablancourt, t. Ill, p. 308, rap-
porte que les Bni Ahsen cultivant entre Almis du Guigou et Missour (la vallee
sortant du Cunai'gel Gherben plus exactement) et menant leurs troupeaux en
montagne, allaicnt cependant encore « aux deserts ». L'aire de leurs deplace-
ments se situe done entre la Haute Moulouya et les steppes presahariennes.
142. G. S. Colin, Origine arabe..., Hesperis, XXV, 1938, p. 266.
106 M. LESNE
dans le Maroc du Nord. Beaucoup se flxent comme s6dentaires sur
les pentes du Moyen Atlas, dans l'hinterland de Fes et le Tadla. Mais
les populations de la partie centrale du massif restent en majority
des Sanhajas. Le mouvement almoravide apporte alors des pertur-
bations dans le Maroc pr6saharien 148 , entraine la destruction de
petits centres z6netes, foyers d'arabisation et centres de resistance
k la poussee Sanhaja. Et surtout, l'arrivee des arabes Maaqil au 13 e
si&cle, grands nomades venus d'Arabie a travers l'Egypte, la Tripo-
litaine, la zone saharienne du Maghreb Central, cr6e un fait nouveau
et essentiel. Confined dans les regions pr6sahariennes tant que les
Almohades et les M6rinides restent puissants, iraposant alors leur
tutelle aux sMentaires et leur protection payante aux caravaniers,
la decadence Merinide leur permet de s'engager dans le Moyen Atlas,
k la recherche sans doute de paturages d'6te\ Nous avons vu pr6c6-
demment comment Bni-Ahsene et Zaer parvinrent ainsi a la fin du
16 e siecle, les premiers, dans la r6gion d'Annoceur et Sefrou, les
seconds, depuis le Tigrigra jusqu'aux environs de Moulay-Bouazza.
« Les Ma'qil, 6crit G.S. Colin, avaient ainsi fraye" un chemin a tra-
vers les populations Berberes sanhajiennes du Moyen Atlas et cr£e"
un vide. D'autres tribus, berberes cette fois, vont s'engager sur leurs
traces et les Ma'qil vont devenir victimes de l'avalanche qu'ils ont
provoqu£e » 142 . Le Moyen Atlas, qui n'a jou£ aucun role politique dans
l'histoire du Maroc jusqu'au 16 e siecle va done poser un probleme
vital pour la dynastie alaouite : le maintien dans la montagne des
tribus transhumantes ou semi-nomades, prStes a d^valer dans la plaine
et a imiter les Maaqil.
L'influence de la Zaouia de Dila m6rite 6galement d'etre 6vo-
qu6e. AppuyGe sur les A'it-Idrassene qui nomadisaient vers la Haute
Moulouya, le Haut Guigou et le Haut Oum-er-Rebia, la zaouia de
Dila a provoque" la cristallisation de la vieille haine contre les Arabes,
soutiens du Makhzen saadien, attise" le d6sir de s'emparer de terres
fertiles et cr66 un vaste mouvement de revolte auquel une importante
partie du pays peut s'offrir comme champ d'action. En effet, Sidi-
Mohammed El-Haj-Ed-Dila'i fit reconnaitre son autorite" par Fes,
Meknes, le Tadla; ses troupes saccagerent meme la region entre Sal6
et Casablanca et il y chereha un port ouvert au commerce pour
s'approvisionner. A l'apogee de sa puissance, au milieu du 17 e siecle,
la zaouia de Dila se fait obelr au Maroc Central et dans une partie
du S.E. marocain; son autorite" s'exerce sur le Moyen et le Haut
143. Cf. le depart des Guerouane et des Ai't-Immour qui habitaient le Tafi-
lalet et le Haut-Rheris (Lieutenant Lecomte, Histoire des Ait Morghad, 1930).
LBS ZEMMOUR, ESSAI d'hISTOIUE TRIBALE 107
Atlas, sur les regions de F6s, de Mekn6s, de Sale et du Rharb, et
jusqu'aux abords du Tafilalet. Le reve des Dila'ites a certainement
agite les tribus sanhajiennes qui leur preterent leur concours. La
conquete de nouveaux territoires leur a paru chose possible et les
expeditions guerrieres lointaines ont ebranie un equilibre des tribus,
toujours plutot subi qu'accepte 144 .
La politique des premiers Alaouites, loin de calmer le d6s£qui-
libre provoqu6 par les Maaqil, va au contraire accentuer l'instabilite
de toute la coulee de populations qui s'engage au Sud en direction
du Nord. Parallelement a la construction d'un cordon de forteresses
destin6 a maintenir les populations du Moyen Atlas, Moulay-Isma'il
procede a l'installation de tribus d6vou6es a la cause de la dynastie
et preiev£es dans le Sud.
Le d£placement de tribus n'etait pas chose nouvelle; celles-ci ne
font que jouir temporairement d'un sol qui appartient au Coraman-
deur des Croyants et les Sultans ont eu frequemment recours a ce
proc6de" pour eviter la contagion de leurs r£voltes et maintenir les
autres dans l'obeissance, par la menace 145 . Mais Moulay-Isma'il 1'uti-
lisa de facon systematique. Se referant a un manuscrit trouve" a
Tamgrout, le Lt de la Chapelle 146 analyse ainsi la politique de ce
souverain : « Mouley-Ismail parait avoir use largement de cette m§-
thode de commandement. Mais il semble qu'il Fait applique" ici d'une
facon tout k fait nouvelle : allant au devant des migrations pe>io-
diques des Sahariens sur le versant Nord, il les disciplina pour les
utiliser a ses fins. C'est en pays insoumis que, directement ou par
l'intermediaire d'un marabout gagne a sa cause, il alia chercher de
nouveaux allies. De la il les repartit en un long cordage au voisinage
de ses avants-postes, depuis le S.O. de Bni-Mellal jusqu'a la Haute
Moulouya ; apres les avoir dispenses de tout impot il les chargea de
doubler le role defensif de ses garnisons. Ce fait, qui n'est cite par
aucun texte, n'est pas niable : les fractions nominees sont encore
aujourd'hui toutes en place et plusieurs d'entre elles ont conserve le
144. G. Drague, Esquisse d'histoire religieuse du Maroc, Cahiers de VAfri-
qxie et de I'Asie, Paris, 1951, pp. 127-138.
145. Les Merinides ont utilise les tribus Khlot et Soflan; les Saadiens ont
utilise des tribus Maaqil et les ont souvent opposees aux tribus hilaliennes du
« guich » Merinide. Les Ai't-Immour furent deplaces par Moulay-Isma'il et
transports partie dans le Rharb, partie dans le Haouz de Marrakech. D'autres
tribus ont ete transportees pour servir la dynastie : les Cherarda autour de
Fes, les Khlot dans le Rharb, les Ai't-Youssi pour garder la route du Tafilalet
a Fes... etc.
146. Lieutenant de la Chapelle, Le Sultan Moulay-Ismall et les Berberes
Sanhaja du Maroc Central, Arc. Mar., t. XXVIII, 1931, pp. 28-29.
108 M. LBSNE
souvenir de leurs Emigrations ». C'est ainsi que les Ait-Haddidou,
Ait-Morrhad, A'it-Atta, Ait-Alouane, Ait-Bouzid du Sahara, Mhamid
du Dra, Arabes du Sahara et du Tafilalet sont installs le long de la
montagne et que les Ait-Haddidou et les Ait-Morrhad stationnent
meme dans la region de Meknes et en pays Guerouane. « Vous donne-
rez chacune une fraction pour venir en aide & Moulay-Ismail-Ben-
Ali » aurait dit a. Pepoque Sidi-Bou-Yacoub aux tribus du Sud : les
deplacements ainsi op6r£s dans un but de police vont pour beaucoup
au devant du d6sir des populations d'emigrer vers le Nord, ils ne
calment un mouvement qu'en declenchant chez d'autrcs tribus l'envic
de s'6branler a leur tour.
Le r£ve des Dilaites. la percee des Maaqil, la politique alaouite
pratiquant le deplacement des tribus issues des zones pr6sahariennes,
apportent dans l'ensemble des tribus berberes du Haut-Atlas Central
et du Moyen Atlas, une perturbation telle que seule Parrivee des
Francais arretera, au 20 e sieele, un mouvement vers le Nord aussi
profond et aussi continu.
**
*
Les circonstances politiques ont motive" Pacc616ration d'un ph£-
nomene dont les causes profondes resident dans la pauvrete" du Sud
et son surpeuplement principalement provoque par les invasions
venues de l'Est. La vie pastorale a favorise" les grandes oscillations
des tribus et attire les populations des zones rudes vers les douceurs
de l'Azarhar et les plaines atlantiques; les tribus placees en tete ont
mis ainsi sept et huit siecles pour parvenir au terme d'un deplace-
ment fatalement impose par des forces a la recherche d'un equilibre,
entre un pole de dispersion aride et la zone d'attraction atlantique.
Tantot poussees, tantot poussant, les tribus se succeclent aux passages
obliges de la montagne laissant parfois ga et la des ilots accroehes
au sol. Les premiers arrives re\sistent contre la pouss6e de ceux qui
les suivent. Aussi chaque vague est-elle l'ennemie de celle du Nord et
de celle du Sud et le mouvement ne s'accomplit pas sans luttes s6v£res
ou de penibles accommodations.
Les Zemmour ont connu ce destin et obei a la meme fatal ite\
II. — Le cheminement des zemmour vers le nord
Si l'on tient compte du lieu et du moment oil apparaissent les
Zemmour, leur histoire les rattache aux Sanhaja auxquels ils appar-
LES ZEMMOUR, ESSAI D'HISTOIRE TRIBALE 109
tiennent selon tout probability. Cependant, Zemmour et Za'ian, en
tete de la coulee sanhaja vers le Nord, ont une origine qui demeure
assez obscure. Vers la fin du 10 e siecle en effet, date k laquelle on les
signale dans le Maroc presaharien, la distinction entre Zenetes et
Sanhaja sahariens, tous deux grands nomades, s'avere bien difficile
et l'epoque vers laquelle les Zenetes ont 6te remplac6s par d'autres
Sanhaja, bien imprecise. Aussi bien, ne cherchons pas k integrer les
Zemmour dans un systeme explicatif d'ensemble 147 : l'insuffisance
des donnees historiques et l'h£terogeneite des tribus rendaient une
telle classification k la fois hypoth6tique et purement nominale.
1) Maroc presaharien et H<mt Atlas Central
Dans des etudes consacrees aux tribus du Sud Marocain et se
basant sur les traditions des populations locales, divers auteurs signa-
lent le passage des Zemmour dans le jbel Sarhro. On pourrait parfois
douter des affirmations emanant de tribus d^placees, et relatives k
leur ancien pays; mais combien apparaissent plus surs les souvenirs
qu'elles ont laisses sur place : noms de lieux, noms de pistes, construc-
tions... Ces particularites sont conserves par les nouveaux occupants
et souvent pieusement maintenues par le substrat ethnique pr£c6dent.
Le Cne Spillmann 148 note que « les Guerouane, les Bni-Ahsene,
et les Zemmour, actuellement installes dans la region de Meknes et
dans le Rharb, occupaient autrefois le Sarhro ou ils ont 6t6 rem-
plac6s par les A'it-Atta ». Le lieutenant Beaurpere 149 observe egale-
ment que le Sarhro « a ete autrefois habite par les Merwan et les
Zemmour qui, ne pouvant plus y vivre, l'ont abandonne pour des terres
plus fertiles ». A F6poque, les Zemmour exploitaient sans doute les
ressources des vallees, poussaient leurs troupeaux dans les steppes
semi-d6sertiques k la recherche de paturages dont P6tendue devait
compenser la faible valeur, et passaient l'6t6 dans les massifs mon-
tagneux du Sarhro.
Un manuscrit trouve a Sidi-Bou-Kil, dans le Haut Ziz, signale le
passage des Zemmour, suivis des Zaian, au sud de l'Oued-Mzizel vers
147. Systeme que J. Berque trouve par trop commode (Qu'est-ce qu'une tribu
nord-africaine, p. 266), in Eventail de I'Histoire vivante, p. 266.
148. Capitaine G. Spillmann, Les A'it-Atta du Sahara et la pacification du
Haut Drda, p. 36.
149. Lieutenant Beaurpere, Note provisoire sur la vallee du Todrha, de
rimider et du Sarhro Oriental, Vil. Trib., vol. IX. Tribus Berheres, t. II, Paris :
1931, p. 236.
110 M. LBSNE
Fan 365 de H6gire (1004) 150 ; certaines fractions Ait-Atta les suivent,
qui constitueront plus tard les Ait-Atta-Oumalou ; puis une partie
des A'it-Idrassene, apres avoir quitte" le Todrha, atteint le Haut Ziz
et le Haut Rheris en Fan 430 de FHegire (A'it-Ndir, A'it-Youssi, Mjatt,
A'it-Ihand, A'it-Ayache, A'it-Ouafella) 151 . Ainsi done, vers le 10 e et le
ll e siecle, les Zemmour nomadisant dans les steppes pr^sahariennes,
remontent Fet6 les hautes valines sahariennes de FAtlas pour assurer
de Fherbe k leurs troupeaux. On trouvera encore au 16 e siecle, a
Tazrouft, pres de Sidi-Hamza, ilots laiss6s par les tribus nomades,
des Zemmour ainsi que des Ichkir, des Ait-Lias, des A'it-Saddene des
A'it-Ayache et les juifs islamises 152 .
De nos jours encore, le souvenir de ces regions persiste dans les
mernoires de quelques anciens. Les A'it-Bou-Chlifene, fraction des
Haouderrane, citent FAmdrhouss et la region de Sidi-bou-Yacoub
comme lieux les plus anciennement occup6s par eux 153 . Les Ijanatene,
6galement Haouderrane, se souviennent du Tafilalet, du Todrha et de
Tinerhir. La fraction A'it-Ayache attribue a Sidi-Bou-Yacoub lui-
meme un miracle qui sauva la vie a la tribu : « Poursuivis un jour
par leurs ennemis, les A'it-Ayache arriverent au bord d'un oued en
crue impossible a franchir; le « cherif » prit un baton de fenouil et
frappa le fleuve; aussitot, les eaux s'Scarterent, laissant paser les
A'it-Ayache; apres la traversed, le baton retire", les eaux se remirent
a couler empechant les poursuivants de rejoindre la tribu prot6g6e
du « cherif » 154 .
Cette legende attribute a Sidi-Bou-Yacoub confirmerait, s'il en
6tait besoin, la presence des A'it-Ayache dans le Haut-Ziz, signalee
par le manuscrit de Sidi-Bou-Kil.
Les tribus A'it-Ali-ou-Lahsene et Khzazna, Zemmour nominati-
vement, mais d'origine za'iane, offrent un bel exemple de persistance
de certaines relations d'ordre religieux conclues a F6poque ou les
Za'ian vivaient dans le Sud. Chaque ann6e des Smissaires des « chorf a »
Rhaziyine viennent percevoir la « ziara » en pays Zemmour et cer-
tains se sont meme installed a demeure dans le petit centre de Sidi-
Allal-el-Bahraoui (Monod) 155 . Quelques membres de la tribu ont aussi
effectu6 des pelerinages a Sidi-El-Rhazi-Abou-El-Kassem, pres de
150. Lieutenant Lecomte, Les AU Morghad.
151. A'it-Ayache et Ait-Yafelmane, a l'epoque contemporaine, appartiennent
k la confederation des Ai't-Yafelmane.
153. Informateur Haddou Sma'in, des Ait-Bou-Chlifene, 1956.
154. Informateur : Mohamed-Ben-S..., Ait Ayache, Douar Ali, 1950.
155. Informateur El-Rhazi-Beu-H..., Ait-Ali-ou-Lashene, 1954.
LES ZEMMOUR, ESSAI D'HISTOIRE TRIBALE 111
Tinnjdad, dans le Ferkla (Haut Rheris). Des A'it-Belkassem, des Ait-
Zekri, autres tribus Zemmour d'origine ethnique differente des pre-
cedentes, entretiennent egalement des relations suivies avec les chorfa
Rhaziyine 15ft . Cette confrerie des Rhaziyine, fondee par Sidi-Abou-El-
Hassan-El-Kassem-El-Rhazi, eleve du Cheikh Si-Ahmed-Ben-Youssef-
El--Miliani, n'eut qu'une influence geographique tres restreinte 1B7 .
Depont et Coppolani 158 ecrivent a ce sujet que « cette corporation ne
prit jamais un grand developpement et doit etre considered comme
une chapelle sans influence reelle et non comme une confrerie comple-
tement organises ». Son rayonnement local semble pourtant plus
considerable. Le Capitaine Spillmann 159 mentionne une zaouia Sidi-
El-Rhazi a Boumalne du Dades, une autre dans le Tafilalet. Le Cha-
telier 160 , Studiant les tribus de cette derniere region, note l'influence
tres grande de Sidi-El-Rhazi dans le district d'El-Rhorfa ; a Ksar
Taboubekert l61 ecrit-il, se trouve « la zaouia de Sidi-El-Ghazi Bel-
gacem, fondateur de la confrerie des Ra'ine tres repandue dans l'oued
Dra, chez les Za'ian, Bni Mtir, Bni-Mguild, Skouar, Ahl Tizimi ».
G. Drague 162 recense en 1951 987 adeptes de cette confrerie, la plu-
part habitant la region du Tafilalet et fait observer que cet ordre, se
trouve en pleine decadence en 1647, date a laquelle l'ordre des Nasi-
riyine se substitue progressivement aux Rhaziyine. II s'agit done,
d'une confrerie a zone d'influence restreinte et dont l'essor tout local
se situe au lG e siecle et au d6but du 17 e siecle. Le passage des Zem-
mour dans la region penetree par l'influence des Rhaziyine nous fait
penser que les liens religieux ont ete" conclus h. l'epoque, hypothese
confirmee par le peu de dynamisme de cette confrerie. On peut suppo-
ser qu'& ce moment des fractions Zemmour se trouvaient encore dans
le Maroc presaharien sans cependant conclure a une presence globale
de la confederation, puisqu'aussi bjen les Rhaziyine ne Font pas in-
fluenc6e entierement.
156. Ajoutons aussi des Guerouane d'Agourai', des Ai't-Youssi du Guigou
et d'El-Hamraam, des Ait-Affane d'Oulmes, des Arabes es-Sebbah de Rabat
(dont le gros de la tribu se trouve au Tafilalet), des Ai't-Bouarif de Khenifra.
157. Le Commandant Rinn (Marabouts et Khouans, p. 274) fixe a 1526
(Hg. 932-933) la creation de cet ordre.
158. Depont et Coppolani, Les confreries religieuses musulmanes, Alger,
1897, p. 468. Comme toutes les confreries, les Rhaziyine comptent une zaouia
a Fes.
159. Capitaine Spillmann, Les Ait Atta du Sahara..., pp. 69 et 70.
160. Le Chatelier, Note sur les villes et tribus du Maroc en 1830, t. I, p. 47.
161. Taboubekert est aujourd'hui une sorte de couvent ou vivent 20 adeptes
de la confrdrie.
162.G. Drague, Esquisse d'histoire religieuse du Maroc, Cahiers de VAfrique
et de I'Asie, pp. 120-187-190-277.
112
M. LBSNE
Dans leui- marche vers le Nord, deux routes de part et d'autre
du Jbel Ayachi s'offraient aux tribus Zemmour. La presence de cer-
tains de leurs elements dans la region de Sidi-Hamza pourrait faire
penser que les Zemmour emprunterent la grande route du Talrhemt,
a laquelle menent les vallees de l'oued Mzizel et de l'Oued Sidi-Hamza
aux environs de Rich; mais rien ne permet de penser que les Zemmour
utiliserent la route des dattes du Tafilalet, parcourue par les commer-
cants et les pelerins. Par contre, certains souvenirs surtout en tribu
Haouderrane et Bni-Hakem, laisseraient supposer que les Zemmour
franchirent les passes du Haut Atlas a. l'Ouest du Jbel Ayachi, par
la trouee de Tounftte.
Les A'it-Bou-Chlifene 163 (Haouderrane) se souviennent parfaite-
ment de l'Assif Melloul, region extr&mement importante en liaison
tres facile avec la Moulouya et aussi la vallee du Ziz, etape toute
naturelle entre les deux versants Sud et Nord du Grand Atlas : « On
savait depuis longtemps, ecirvait J. Celerier en 1927, sans en bien
comprendre la raison, le role important que jouait cette riviere dans
la circulation indigene entre le versant saharien et le versant atlan-
tique. Cette riviere est constitute par deux sections a angle droit,
une sup6rieure longitudinale et parallele & l'Oued el Abid, une inf£-
rieure transversale et perpendiculaire au fleuve principal. Celle-ci
forme une gorge 6troite et profonde ; mais quand on a atteint le sillon
superieur, on se trouve dans une large vallee d'ou l'on gagne sans
grande difficult^ les affluents du Ziz et du Rheris... » 164 . Apres etre
passes par ce croisement de routes S.E.-N.O. et S.O.-N.E. que consti-
tue la vallee de l'Assif Melloul, les A'it-Bou-Chlifene franchirent le col
de Tizi M'Saf et passerent par Agoudim, sur la haute vallee de l'Oued
Ansegmir 165 . Les Bni-Zoulite, des Bni-Hakem se souviennent etre
venus de la region de Tounfite, passage principal vers la haute Mou-
louya et la route du Tazreft 16S .
L'epoque vers la quelle, s'avan§ant au dela du versant saharien et
franchissant les passes, les Zemmour aboutirent au versant atlan-
tique du Haut Atlas, ne peut etre 6valu6e qu'approximativement. Les
Maaqil au 16 e siecle poussaient encore leurs troupeaux dans le Moyen
Atlas, en partant de la Moulouya... On peut done situer vers la fin
163. Informateur Haddou S..., Ait-Bou-Chlifene, 1954.
164. J. Celerier, L' Atlas et la circulation au Maroc, Hespiris, 1927, pp. 447-
498.
165. Informateur Abdelkader-Ben-B..., Ait-Baboute (Bni Hakem), 1953.
166. lis pretendent qu'une fraction Ai't-Moussa, parente de leur douar
Ait-Moussa, est restee en ces lieux.
LES ZEMMOUR; ESSAI D'HISTOIRE TRIBALE 113
du 16 e siecle l'arrivee des Zemmour en vue de la Haute Moulouya, au
moment ou les Bni-Ahsene et les Zaer qui les precedent effectuerent
un nouveau bond en avant vers FAzarhar.
2) Haute Moulouya et Moyen Atlas
Feu de souvenirs encore sur le segour des Zemmour en Haute
Moulouya, les A'it-Bou-Chlifene citent Arhbalou-N'Serdane et Kerrou-
chene. Les Ait-Ayyache se souviennent, outre du Ari-Ayaehi qui do-
mine leur histoire, de la region de « Milouya » (entre Bou-Mia et
Midelt), puis d'ltzere. Les A'it-Ouahi sont passes a Azerzou. Les Ija-
natene mentionnent la region de « Mia-n-Tarhda-ou-n-Tarhda (pres de
FOued Fellate, affluent de l'Oum-er-Rbia) et de Tabekrite (Bekrite).
La tradition vent d'ailleurs que Bni-Hakem et Haouderrane aient
v6cu autrefois dans la region de Mia-n-Tarhda-ou-n-Tarhda 167 .
Les rapports entre les Zemmour et les « chorfa » Ait Yadine
(d'Ain-el-Hout) datent tres vraisemblablement de cette 6poque. Pres
de Bou Mia en effet repose le cherif qui etablit son influence sur les
tribus Zemmour, et dont les 6missaires continuerent a. recueillir la
« ziara » en territoire Zemmour jusqu'au jour ou ils s'y fixerent eux-
memes.
La Haute Moulouya, l'oued Aguersif, Bou-Mia, semblent avoir
constitue au 17 e siecle et pendant de longues ann6es, le pole d'attache
des Zemmour. A la fin du 17* siecle, lorsque Moulay Ismail eut charge
le Ca'id des Zemmour et des Bni-Hakem d'une mission offensive contre
les populations du Moyen et du Haut Atlas 168 , c'est a Ain-Choua que
Ali-Ben-Ichchou, leur chef, concentra ses troupes; F. de la Chapelle
rapproche le nom de cette source de « Talat Ouchoua'ou », un des
ruisseaux qui forment 1' Aguersif, au nord de Bou-Mia 169 .
Segonzac 1T0 campant chez les A'it-Mouli et decrivant le systeme
hydraulique de la region, parle de « l'Assif Aguersif qui vient du
Moyen Atlas ou il prend sa source chez les Zemmour, dans la fraction
des Ait Yadine aux pieds du Ari Bou Safou ». Affirmation contraire
aux faits historiqu.es puisque, k cette date, les Zemmour occupaient
deyk leur territoire entre Meknes et Rabat. Persistance d'un souvenir
167. Informateur R... Mohammed, Ait-Bou-Chlifene (Haouderrane), 1956.
168. Kitab el Istiqca, Arch. Mar., t. IX, p. 108.
169. Lieutenant de la Chapelle, Lc Sultan Moulay Ismail et les Berberes
Sanhaja du Maroc Central, Arch. Mar., t. XXVIII, p. 32, 4.
170. Segonzac, Voyage au Maroc, p. 164.
114 M. LESNE
ancien ? Presence encore recente des Ait-Yadine qui ne rejoignirent
les Zemmour qu'apres l'installation definitive de ces derniers ? Cette
derniere hypothese, qui s'accorde avec l'arrivee tardive et bien connue
des chorfa Ait-Yadine en pays Zemmour nous semble preferable.
La Haute Moulouya, consideree comme une zone complementaire
par les gens du Haut-Atlas, ne constitue jamais qu'un point d'atta-
che, une base de depart des troupeaux vers les pentes N.O. du Moyen
Atlas, vers l'Azarhar. R. Raynal a mis en evidence le caractere de
zone d'habitat temporaire et de cantonnement saisonnier offert par
la Haute Moulouya aux differentes populations qui Font occupe m .
Parvenus dans cette zone ingrate et rude, premiere 6tape apres la
haute montagne, les Zemmour ne peuvent qu'ob6ir aux donnees geo-
graphiques et aux imperatifs de leur 6conomie pastorale. La tra-
dition veut d'ailleurs que dans les premiers temps de la dynastie
alaouite, la tribu Zemmour se soit installed sur le territoire actuel
des Bni-Mguild 172 , c'est-a-dire depuis la Haute Moulouya jusqu'aux
contreforts vallonnes du Moyen Atlas 173 . Lors de la grande expe-
dition de Moulay-Ismail contre les Berberes du Fazaz, les tribus
Zemmour furent les premieres a faire leur soumission, ce qui indique
une position avancee, en tete des tribus du Moyen Atlas 174 . G.S. Co-
lin situe apres Moulay-Ismail la date d'occupation de la region d'Ain-
El-Leuh et d'Azrou par les Zemmour 175 ; il semble en effet que les
Zemmour n'aient jamais beaucoup depass6, sous Moulay-Ismail, la
ligne de Kasbahs ceinturant le Moyen Atlas.
Le sejour des tribus Zemmour dans le Moyen Atlas a laisse de
vifs souvenirs chez la plupart d'entre elles, mais les anciens se rap-
pellent plutot leur installation en bordure du Moyen Atlas, face a
l'Azarhar, que leurs mouvements a travers le massif lui-meme. Les
tribus occupant aujourd'hui le centre et l'ouest du pays Zemmour
evoquent presque toutes la plaine du Tigrigra (haute vallee de l'Oued
Beht) ainsi que la region d'Ain-El-Leuh ; recemment encore un ressor-
tissant des Ait Ouribele a retrouve des parents demeures depuis
plusieurs generations dans la vallee de l'Adarouch, affluent du
171. R. Raynal, La terre et 1'homme en Haute Moulouya, Hesperis, 1952,
pp. 487 a 500.
172. Vil. Trib., Rabat et sa region, t. Ill, 1920, p. 190.
173. L'etude de J. Celerier « La transhumance dans le Moyen Atlas »,
Hesperis, pp. 53 a 59, permet d'imaginer, par r£f6rence au present, qu'elles
furent a Fepoque les conditions de vie des Zemmour.
174. Kitab el Istiqga, Arch. Mar., t. IX, p. 108.
175- G.S. Colin, Origine arabe, Hesperis, XXV, 1938.
LES ZEMMOUR, ESSAI D'HISTOIRE TRIBALE 115
Tigrigra 176 . Les Ait-Ouribele honorent encore le marabout de Sidi-
Mohammed-Ben-Amor, pres d'Agoura'i 177 , ainsi que certaiues fractions
d'origine Bni-Ahsene incorporates dans les Zemmour : les Ait-Larbi-
ou-Ali, des Khouaoura (Kotbiyine) 178 et certains Zahna des Ait-
Abbou 179 . Les Hejjama se souviennent de Timhadit, d'A'in-El-Leuh,
d'Azrou 180 . Les A'it-Ouahi se disent detaches des A'it-Ouahi d'A'in-El-
Leuh 181 . Les Ait-Bou-Chlifene passerent de Arhbalou N-Serdane a.
Kerrouchene, Khenifra puis Aguelmouss, pres du plateau du Ment 182 .
Les A'it-Baboute conservent de nos jours des relations avec des parents
habitant Souk-Jemaa de Mrirt; leurs silos se trouvaient tradition-
nellement a Tachenrhoute pres du Ment 183 , endroit particulierement
sec et bien expos6 ; en pays A'it-Baboute, on cite le cas de Mouloud-
ben-A'issaoua, du douar Ait-Slimane, qui a quitt£ r6ceininent Souk-
Jemaa de Mrirt ou sa famille habitait depuis toujours, pour rejoindre
sa tribu. Les A'it-Sidi-Lahsene, nous Pavons vu, sont chorja d'A'in-El-
Leuh et cette origine est attestee par des dahirs de l'epoque.
Les Ait-Bou-Meksa, des Bni-Hakem, appel^s autrefois Bni-Atta,
se souviennent de leur sSjour pres d'A'in-El-Leuh. lis continuent de
nos jours a ven6rer le tombeau de Sidi-Haroun pres d'A'in-El-Leuh,
qu'ils atteignent a travers la montagne d'Oulmes apres trois jours
de voyage a dos de mulets 184 .
Les Mzourfa, qui sont d'origine za'iane (Bni-Ameur des Zemmour)
se souviennent parfaitement de la region de Tigrigra ; chose curieuse,
ils declarent venir aussi d'un lieu plus lointain dit « kaf rhorab », « la
grotte du corbeau » 18r> ; et Leon L'Africain 186 signalait autrefois la
presence des Bni-Ahsene dans le « Gunaig el Gherben », ou « Khaneq
el Ghorban » qui en est le diminutif, c'est-a-dire « la gorge » ou « le
d6fil6 des corbeaux ». Masignon situe ce lieu entre Sefrou et le
Cers 187 , G. S. Colin entre Missour et Almis du Guigou. C61erier cepen-
dant l'identifie avec le col de Recifa (cluse de l'oued Atchane), sur
176. Khalifa T..., des Ait-Ouribele, 1952.
177. Informateur Mohammed-Ben-H..., Khmissete, 1954.
178. Informateur Mohammed-Ben-L..., Kabliyine, 1953.
179. Informateur Haddou-Bel-H..., Ai't-Abbou, 1955.
180. Informateur Hamida-Mchettete, Hejjama (ne vers 1860).
181. Informateur Cai'd Bou-Driss-Ben-Chaboune, Ait-Ouahi, 1952.
182. Informateur Haddou-S..., Ait-Bou-Chlifene, 1955.
183. Informateur Si-Abdeslam-Ben-A..., Ai't-Raboute, 1955.
184. Informateur R..., Mohammed, Ait-Bou-Chlifene (Haouderrane), 1956.
185. Hammadi-Ben-Larbi-D..., Mzourfa, Douar Ait-Amar, 1953.
186. L^on 1'Africain, Description de VAfrique, II, pp. 370-371.
187. Massignon, Le Maroc, Tableau ge"ographique d'apres Le"on L'Africain,
Alger, 1906, pp. 257-260.
116 M. LESNE
la route historique de Fes a Sijilmassa, par Sefrou, Annoceur, Enjil
et Ksabi 188 . Les Bni-Ahsene ont emprunte' ce repaire de corneilles et
de corbeaux, caracte>is6 de nos jours encore par la presence nombreuse
de ces oiseaux; mais ni les Za'ian, ni les Zemmour ne semblent avoir
suivi, pour remonter vers le Nord, la route traditionnelle de Fes a
Sijilmassa; au contraire, les souvenirs recueillis se localisent plutot
autour de la route du Tazreft, d'ltzere a Azrou par le Trik Adjir, plus
penible, coupee par la neige, mais plus favorable aux defilements des
pasteurs 189 . La permanence d'un tel souvenir en tribu Mzourfa peut
s'expliquer par la presence d'ilots Bni-Ahsene incorpores dans cette
tribu lors de l'occupation du pays (« bled khalia ») abandonne" par les
populations Bni-Ahsene chassees vers le Nord.
Les souvenirs des Zemmour se localisent sur la carte en deux
zones principales, nettement distinctes. La haute vallee de l'Oued
Beht (0. Tigrigra, region d' Azrou et d'A'in-El-Leuh), demeure pr6sente
dans la memoire de la plupart des tribus occupant le centre, le nord
et Test de Factuel pays Zemmour. Par contre, les tribus du Sud se
souviennent plus particulierement de la haute vallee de l'Oum-er-
Rbia et des affluents superieurs du Bou-Regreg (oued Ksiksou - oued
Guennour).
Quelques fractions, nous Pavons vu, font preuve de souvenirs
geographiquement plus lointains se situant dans le Haut-Atlas ou
dans la Haute Moulouya : il s'agit sans doute de populations incorpo-
rees plus tardivement aux Zemmour, ayant acompli plus rapidement
que les autres les differentes etapes du cheminement S. N. suivi par
la confederation. La partie Ouest du Moyen-Atlas, comprise entre
Azrou et Bekrite, semble bien constituer pour la majority des tribus
Zemmour, l'habitat incontestable de leurs ancetres, occupe assez long-
temps pour que, bien souvent, dans la memoire pourtant fidele des
vieillards, toute trace des pays post^rieurement traverses se soit
effaced devant son dominant souvenir.
Pendant de nombreuses annees, les Zemmour ont deplace tentes et
troupeaux dans un pays s'£talant sur 50 a 80 kilometres du Nord au
Sud. Le Tigrigra fut sans doute un de leurs greniers et ce pays reste
dans les memoires un lieu beni, presque une terre promise. Parvenus
dans l'Azarhar 180 , zone ou s'estompent les reliefs et ou les paturages
188. Celerier, L'Atlas et la circulation au Maroc, Hesperis, VII, 1927,
p. 489.
189. Cette route constitue l'axe N. S. de la tribu Bni-Mguild et les Zemmour
occupaient autrefois cet emplacement.
190. Apres la mort de Moulay-Ismail, au debut du xvm e siecle.
LES ZEMMOUR, BSSAI d'hISTOIRE TRIBALE 117
restent tou jours abondants, les Zemmour voient a leurs pieds les
plaines riches, porteuses de belles moissons. Le pays qu'ils occupent
permet des avances faciles dans les vallees 6troites des torrents qui
s'elancent vers les plaines; les hauts plateaux boises favorisent la
dilution de formations et les infiltrations. Attires par l'appat des
moissons, favorises par la nature du terrain, pousses par les tribus qui
les suivent et pour lesquelles l'Azarhar constitue un but ardemment
convoite, les Zemmour vont de nouveau reprendre leur ancienne
migration.
II. — La march e vers l'ouest
1) Les etapes vers la ptmne
a) Position au debut du xix e siecle.
Fin du xviii* siecle, debut du xix e siecle, divers auteurs situent
les Zemmour au S.O. de Meknes, c'est-a-dire en avant de leur ancienne
position, occupee maintenant par les Bni-Mguild.
Jackson 1!)1 localise sur une carte « les Zemure Shelleh » au
S.O. de Meknes et les « Beni-Hassan » de part et d'autre du Bou-
Regreg. Cette affirmation est ainsi rapportee par E. Renou 192 :
« Jackson place une petite ville de Zemure-Shelleh a 12 ou 14 kilo-
metres au Sud un peu Ouest de Meknes, sur la rive droite d'une riviere
qui va se joindre, a POuest de cette ville, a celle qui la baigne. On
reconnait, dans le nom de cette ville, celui de Chelleuh, nom des
families berberes du Maroc; le premier est probablement Zemmour ».
Jackson veut-il designer l'Oued Rdom rejoignant, au N.O. de Meknes,
l'Oued Boufekrane qui traverse la ville ? Ou s'agit-il de la region occu-
pee aujourd'hui par les Mjatt, drainee a l'Ouest par le r6seau des
affluents de l'Oued-El-Kel et vers le N.O. par un petit affluent de
TOued Frah, lui-meme affluent de l'Oued Boufekrane ? E. Renou
reprend d'ailleurs a son propre compte l'affirmation de Jackson,
mais de fa<,'on assez vague, en 6crivant « qu'on trouve meme aux envi-
rons de Fes et de Meknes des Chelleah non m61ang6s, tels que les A"it-
Immeur dans le Zerhoum et les Zemmour un peu au sud de Meknes ».
191. James Grey Jackson, An account of the Empire of Morocco, London,
1809.
192. E. Renou, Description geographique de I'Empire du Maroc, Paris, 1846,
pp. 257 et 377.
118 M. L.ESNE
Chenier 193 place sur sa carte la province des Bni-Ahsene imm<§-
diatement a l'Ouest de Meknes, englobant le Sebou jusqu'a son embou-
chure et tout le bassin du Bou Regreg depuis son confluent avec
l'Oued Grou : c'est-a-dire s\ peu pres le territoire actuel des Zemmour ;
par contre il cite les « Timour, le long du Moyen Atlas, depuis Mique-
nez jusqu'a Tedla ». L, Massignon 194 identifie comme Zemmour le
Timour de Chenier.
On peut done considerer que, au detmt du xvnr* siecle les Zem-
mour se trouvaient encore au S.O. de Meknes, dominant les hautes
vallees des bassins sup6rieurs du Bou Regreg et du Beht, alors que les
Bni-Ahsene occupaient les bassins moyens et infe>ieurs de ces deux
fleuves. Pousses par les Bni-Mguild, les Zemmour se trouvent dans
l'obligation de bousculer les Bni-Ahsene.
b) Le mouvement des Bni-Hakem.
Installes au Sud des Zemmour proprement dits, les Bni-Hakem
semblent avoir plus particulierement suivi les vallees de l'Oued
Guennour et du Ksiksou. lis se heurtent d'abord aux Zaer installes
sur le plateau du Ment, dans la region d'Aguelmouss ; ceux-ci aban-
donnent cette region et se replient jusqu'a Moulay-Bouazza « sans
depasser le lieu dit Bir-El-Hakemaoui pres du Fourhal » 195 . Les
Bni-Hakem conservent le souvenir de ces pays; Ait-Baboute et Bni-
Zoulite cachaient leurs grains k Tachenrhoute ; les premiers reve-
rent encore Sidi-Mohammed-Ben-Mbarek, Saint national des Zaer, et
en-deca de Moulay-Bouazza se trouvaient leurs terrains de culture
(Jnanat ATt-Sidi-Bou-Abed). Thomas Pellow, renegat anglais, signale
aussi que, sous Moulay-Abdallah, il participe a une expedition contre
les Its-Hacam (Ait-Hakem), pres du Ment, non loin de la montagne
de « Ceedeboazzo Multerria » (Sidi-Bouazza). Les Bni-Hakem parcou-
raient d6ja cette region vers 1760 196 .
Ensuite une forte poussee des Za'ian va rejeter les Bni-Hakem
au-dela du bassin du Grou et les diriger vers les vallees du Ksikou et
du Guennour qu'ils vont utiliser pour progresser en direction d'Oul-
193. L. de Chenier, Recherches historiques sur les Maures et Histoire de
/'Empire du Maroc, Paris, 1787 (Carte debut tome III et pp. 56, 101, 563).
194. L. Massignon, Le Maroc. Tableau gdographique d'aprks Lion VAfricain,
p. 145.
195. Capitaine Mortier, l'Annexe de Moulay Bouazza, 1915, Arch. D.I.
196. Adventures of Thomas Pellow, London, 1890, p. 189. La note (1) qui
assimile Itchacam a Itchuzzan et Ait Hassan, au has de la page citde ci-dessus
nous . parait erronee.
LES ZEMMOUR, ESSAI d'hISTOIRE TRIBAL.E 119
mes. Les Zaer, contenus au Nord par les Bni-Hakem, bouscul^s par
les Zaian, vont se diriger vers les plateaux qu'ils occupent actuelle-
ment : ainsi l'une des premieres tribus Maaquil parvenues dans la
region atlantique se trouve 6cartee du ehemin des Zemmour et les
Bni-Hakem vont glisser le long d'elle pour occuper leur emplacement
actuel. Le ehemin des Bni-Hakem n'apparait pas pour autant degage.
lis passerent pres d'Oulmes, ou ils laisserent d'ailleurs des souvenirs :
Tadjourout par exemple, sur le plateau d'Oulm&s, appartenait aux
A'it-El-Alem fixes aujourd'hui pres de Maaziz 197 . Mais ils rencontre-
rentrent les Sehoul, les Hosse'ine et les Amcur, tribus arabophones
installees dans le pays et qu'ils vont repousser jusqu'a la cote, aid&s
en cela par leurs voisins Haouderrane. Pendant un certain temps
egalement, des tribus za'ianes A'it-Amar qui avaient r£ussi lors de
la pouss6e des Zaian a peu6trer dans la region d'Oulmes puis a remon-
ter dans la region de l'Oued Tanouberte, se trouverent egalement
devant les Bni-Hakem, mais la pression des Haouderrane les amena
a se diriger vers l'Ouest, en Pays Zaer. Les Sehoul ont laiss£ beau-
coup de traces dans la region : le marabout de Sidi-Moussa pres de
El-Harcha, le jnan Touir qui tire son nom de la fraction Bni-Touir
des Sahoul, le lieu-dit Zabouj-Ben-Khouda (olivier sauvage) 198 , le
silo « mers kebbal » en pays Haouderrane (Ouled-Ali) ainsi que la
plupart des jardins de la vallee de Bou-Regreg ou ne subsistent plus
d'ailleurs que des epineux. On peut encore apercevoir, au lieu-dit
Bab-Araeur au nord du jbel Gour, un ancien jardin des Sehoule avec
la trace du puits et des seguias d'irrigation. Les Sehoul se souviennent
parfaitement de leur ancien habitat; un ressortissant Aiit-Baboute 199 ,
allant a Sal 6 acheter du sucre, un peu avant le Protectorat, s'est vu
reprocher par un Spicier originaire des Sehoul, l'occupation par les
Bni-Hakem des terrains appartenant k sa tribu.
Les Bni-Hakem ont atteint leur emplacement d^finitif dans la
seconde moiti6 du xix e siecle, la tradition voulant que les Sehoul aient
quitte le pays k la suite d'une grande famine (1870-1880). Cette impor-
tante tribu, toujours cit6e avec les Zemmour par les auteurs maro-
cains, done assez particularise* et puissante, semble avoir toujours
oecupe la partie sud de l'ensemble Zemmour. Les Bni-Hakem ne se
souviennent que du « jbel », mot qui revient sans cesse dans les rex-its
197. Abes, Les Izayans d'Oulmes, Arch. Berb., 1915-1916, vol. I, fascicule 4.
198. Informateur Mohammed-Ben-L..., Kabliyine, 1953.
199. Abdeslam-Ben-A..., Ait-Baboute (Bni-Hakem). Les Sehoul cultivaient
beaucoup de pasteques dans ces jardins et ont gardd la reputation de l'excel-
lence de ces produits.
120 M. LESNE
des anciens. Attribuent-ils a ce terme le meme sens que les Za'ians ?
Selon V. Loubignac 200 et Pillant 201 en effet, les Za'ians designent
par « jbel » la partie montagneuse de leur habitat, interdite Phiver
par le froid, et situee sur la rive gauche de FOum-er-Rebia, alors que
l'Azarhar est la region plus tempered s'etalant vers le N.O., de F autre
cote de FOum-er-Rebia. II semble bien que les Bni-Hakem n'aient fait
que glisser sur les pentes Sud de FAzarhar, sans aller au-dela de
Mrirt et de El Hamman, occupant successivement le Tendra, le Ment,
le Fourhal, le Mserser, le Plateau d'Oulmes, et le Zguite, Par contre
les autres tribus Zemmour se r£pandaient dans tout F'Azarhar jusqu'a
El-Hajeb et Agoura'i. Les Bni-Hakem, encore impr6gn6s de nos jours
d'habitudes pastorales et montagnardes, se savent gens du « jbel »
et non de FAzarhar 202 .
c) Le mouvement des autres tribus Zemmour.
Les autres tribus Zemmour ont plus particulierement affaire aux
Bni-Ahsene. La region d'Agourai a 6t6 longtemps le champ de bataille
ou combattaient tour a tour les tribus Ait-Ndir (Bni-Mtir), Gue-
rouane, A'it-Mguild, Za'ian et Zemmour qui voulaient chacune r&server
a. ses troupeaux les pentes herbeuses de ses conf ins 203 ; mais elle fut
sans doute pour les Zemmour Fextreme pointe de leur avance en direc-
tion du Nord. On les signale pour la premiere fois en 1784 a. FOuest
de FOued Beht; c'est a, cette date en effet que, pour fuir Fexp6dition
de Sidi Mohammed-Ben- Abdallah, ils se r6fugierent dans le Tafou
de'it 204 . Du Tigrigra et de FAdarouch, hautes vallees du bassin sup6-
rieur du Beht, les Zemmour pouvaient facilement descendre la vallee
et utiliser ainsi une voie de penetration remarquable 205 . La tradition
rapporte que le Sultan, venu k leur rencontre pour emp6cher Finfil-
tration, aurait 6t6 d^fait pres d'une « oulja » (plaine d'alluvions dans
la boucle d'un cours d'eau), devenue depuis FOuljete-es-Soltane.
200. V. Loubignac, Etude sur le dialecte berbere des Zaer, p. 1.
201. Pillant, Notes contributives k l'dtude de la Confederation Za'ian,
^Irch. Berb., 1919-1920, p. 91.
202. Le lieu dit « Mia-n-Tarhda-ou-n-Tarhda » non loin des sources de
rOum-Er-Rbia, semble etre le centre de cette region montagneuse.
203. Abes, Les Ai't-Ndhir (Bni-Mtir). Monographie d'une tribu berbere, Arch.
Berb., 1917, p. 165.
204. Kitab el Istiqga, Arch. Mar., vol. IX, p. 335.
205. Les Kabliyine seraient passes a Achmech (au sud du territoire actuel
des Ai't-Jbel-Doum).
Fresneau, Contribution a une monographie de tribu, les Qabliyin, 1948,
Arch. D. I.
LES ZEMMOUR, ESSAI D'HISTOIRE TRIBALE 121
Les Hauteurs du Tafoudeit auraient 6t6 ravies aux Bni-Ahsene,
grace a une ruse guerriere dont le souvenir reste vivace : les Haou-
derrane allumerent la nuit un grand feu pour faire croire a leur
venue; les Bni-Ahsene, surpris et croyant avoir affaire a un ennemi
nombreux, abandonnerent le Tafoudeit; lors de la bataille qui suivit
cette attaque deux groupes Haouderrane perdirent respectivement
40 et 20 tu6s, et s'appelerent depuis A'it-Rabaine et Ait-Achrine.
Le Tafoudeit conquis, l'Oued Berrejline, dernier obstacle avant l'arri-
vee sur le Bas Plateau, fut facilement traversed
On peut considerer que les Zemmour occupent le plateau situe
au Sud de la Mamora, depuis le debut du xix e siecle. En 1843 en
effet, le Sultan Moulay-Abd-er-Rahmane et ses troupes pillent les
Zemmour tout autour de leur campement, installe a. Khmissete 206 . Les
Ait-Zekri et les Kabliyine semblent avoir jou6 cette fois un role prin-
cipal, sous la condiute du caid El-Rhazi; ils chassent les Bni-Ahsene
de la Kasbah construite dans le pays occup6 aujourd'hui par les Ait-
Abbou (Souk-Sebt-des Ait-Abbou) puis « s'installent entre l'Oued
Beht et l'Oued Bir Charef, Daiet er Roumi et l'Oued Berrejline 207 ; les
Messarhra et les Haouderrane les d^bordent au Xord et au Sud et
s'installent dans les territoires oil ils se trouvent encore aujourd'hui 208 .
Le caid fit construire sa maison sur l'Oued Tfaouti, a quelques kilo-
metres au Nord de Khmissete 209 . Les Bni-Ahsene, d6possed6s d'une
partie de leurs terres de cultures et dangereusement exposes aux
coups des Zemmour, abandonnerent la region comprise entre l'Oued
Bir-Charef et l'Oued Fouarate pour s'enfoncer dans la Mamora et la
deborder au Nord.
Autant que l'on puisse se hasarder a sch^matiser des pouss6es
aussi diluees et aussi fertiles en perturbations locales, sans autres
renseignements que ceux conserves par la memoire des hommes, il
semble que la migration des Zemmour ait suivi deux directions g£n6-
rales :
— un mouvement issu de la region comprise entre Khenifra et
Mrirt, d'abord orients vers l'Ouest jusqu'au Fourhal, puis vers le
N.O., dans le sens g6n6ral des vallees de l'Oued Ksiksou et de l'Oued
Ouennour (Ilaut Rou-Regreg) ;
20G. Voir plus loin.
207. Lieutenant Mortier, Rapport sur la question Bni-Hassen, Zemmour,
Mamora, 1913, Arch. Controle Civil Tiflete.
208. Selon une notice du Capitaine Clerdouet, 1916, les Haouderrane propre-
ment dits isoles de leurs freres Messarhra, Ait-Mimoun ct Ait-Sibeur, par les
Ait-Ouribele et le Tafoudeit, se seraient alors sdpares definitivement.
209. Les ruines en sont encore visibles actuellement.
122 M. LBSNE
— un mouvement de part et d'autre de la valine du Beht, parti
de l'Adarouch et du Tigrigra pour aboutir au Tafoudeit; la, tandis
que les A'it-Zekri (suivis des A'it-Ouribele) se portent en avant et au
centre, les Haouderrane se rapprochent des Bni-Hakem et les Mes-
sarhra s'installent au Nord des A'it-Zekri; les Ait-Jbel-Doum restent
sur la rive droite du Beht.
A eette date, la zone situee a 1'Ouest et au Nord de Tiflete, reste
inoccupee.
2) Arrwee des Bni-Ameur
En 6tudiant la progression des Bni-Hakem, vers leur territoire
d^finitif, nous avons vu qu'un groupement Zaian, les Ait-Amar, avait
reussi a atteindre la region d'Oulmes et a pousser jusqu'a la valine
du Tanouberte, sans doute soumis lui-meme a la pression des Alt-
Sgougou. La legende, que nous avons rapportee pr£c6demment, evoque
une scission dans ce groupement et l'attribue a un different entre
deux fractions de la population, l'une s6dentaire, l'autre transhu-
mante 210 . Une partie des Ait-Amar reste done dans la region d'Oulmes
et l'autre finit par traverser le Bou-Regreg et s'engager chez les Zaer.
II est probable que, ayant reussi a s'infiltrer entre Bni-Hakem et
Haouderrane, les Ait-Amar, places en tete, se virent separes des
leurs par les Haouderrane qui, apres la conquete du Tafoudeit, se
resserrerent vers leurs voisins et occuperent la region de l'Oued
Tanouberte 2U .
Les A'itAmar qui passerent en pays Zaer connurent des sorts
differents 212 . Ait-Ali-ou-Lahsene et Khzazna s'appelaient encore k
Tepoque A'ft-Feska, Kotbiyine et Mzourfa (ainsi que Hojjama, frac-
tion detachee des Kotbiyine) Ait-Affane : deux appellations aujour-
d'hui presque oubliees, mais demeurant encore vivaces chez les Ait-
Amar demeurSs a Oulmes. Les Ait-Feska s'installerent aux environs
de Souk-el-Had des Ouled-Mimoun (La Jacqueline), le long de l'Oued
Mnijel et de l'Oued Grou. Les Ait-Affane allerent camper entre Sidi-
Yahya des Zaer et Sidi-Ben-Slimane des Ziada, e'est-a-dire jusqu'en
Chaou'ia, au sud de Boulhaut. Les Zaer, inquiets de cette presence
210. Voir plus haut.
211. Cependant, les Bni-Ameur actuels se souviennent, outre de la region
d'Oulmes, de la valine du Tigrigra. lis semblent avoir eu une existence mou-
vementee; on les trouve souvent en avant des tribus Zemmour.
212. Informateur El-Rhazi-Ben-H..., Ait-Ali-ou-Lahsene, 1954.
LES ZEMMOUR, ESSAI D J HISTOIRE TRIBALE 123
d'616ments zaians, et d£sireux de les integral* davantage dans leur
communaut6, exigerent d'eux une alliance solide. lis epouserent les
filles des tentes A'it-Amar et exigerent des hommes le serment de ne
pas quitter la region, ou plutot, selon la formule employee, de « n'en-
lever pas meme un piquet de tente ». Au bout d'un certain temps, les
A'it-Feska voulurent revenir en pays Imazirhene, tout pres d'eux
d'ailleurs, de l'autre cote" du Bou Regreg. Une annee, prenant pour
pretexte la coutume de cSlegrer la f&te du printemps, ils in v iterant
leurs soeurs et leurs filles, mariees a des Zaer, aux rejouissances
organisers a eet effet. Ils profiterent de Fobscurit6 pour d6camper et,
afin de respecter leur serment, couperent les cordes des tentes et
laisserent en terre les piquets; ils r&issirent ainsi a s'enfuir, en lais-
sant cependant sur place les enfants issus de meres zaianes et gard6s
dans les tentes paternelles.
Les A'it-Feska revinrent done en pays berbere et occuperent le
« bled Khalia », le terrain demeui*6 vide au sud de la M&mora, apres
le depart des Bni-Ahsene qui ne pouvaient plus en assurer la defense.
Leur exil en pays Zaer fut d'assez courte dur6e et, assez proches du
pays Zemmour, ils r£ussirent a garder leur langue et leurs cou-
tumes. De nos jours encore, ils continuent ;\ honorer Sidi-El-Rhazi,
culte qu'ils partagent avec la souche mere des A'it-Amar d'Oulmes 213 .
Ils pass^rent par Ouljete-es-Soltane (preis du Souk-el-Arba& des
Sehoul), Aguibete-ez-Ziar, Moulay-Idriss-Arhbal, Sidi-Mahmoud. Ils
s'installerent devant les A'it-Zekri, dans le pays (« bled Khalia »)
occup6 actuellement par les Ait-Bou-Yahya, les Hejjama et les
A'it-Belkassem. Les A'it-Feska se souviennent parfaitement des lieux
qu'ils occuperent a. l'epoque : Bir-Charef, O. Belkouche, Ai'n-Nejjam,
0. El-Hamma; Sidi-Bou-Msafer, Talha-Dguig, Bir-ed-Doukkali, Ai'n-
Jorf, O. El-Arjate 214 .
L'installation des A'it-Feska ne se fit pas sans difficulty, car
les A'it-Zekri accueillirent mal ces nouveaux arrives qui se plagaient
au-devant d'eux. Mais le cai'd de l'epoque, El-Rhazi, plus clairvoyant
et plus fin politique, 6tait favorable aux nouvelles tribus. II r6unit un
jour sa « jemaa » pour discuter de cette question :
213. Voir plus haut.
214. Informateur Md Z..., des Khzazna (douar Ai'n-Ben-Aissa) et El-Rhazi-
Ben-H..., des Ai't-Ali-ou-Lahsene (tous ces lieux figurent sur la carte au
1/100 000). Le pere de notre informateur El-Rhazi-Ben-H..., poss^dait encore
un champ pres de Ai'n-Nejjam, vendu il y a 40 ans environ. A noter aussi la
presence d'un collectif Ai't-Ali-ou-Lahsene dans cette zone (Hamert-er-Ras).
124 M. LESNE
« Ce jour-lit, dit la legende 215 , la tempete faisait rage. Ne reus-
sissant pas a convaincre ses freres, Si Ahmed fit relever les cotes de
la tente et leur tint alors ce langage :
« Si vous voulez etre a l'abri du vent, il vous faut interposer cette
muraille entre lui et vous; pour nous, Berberes, les Zaer, les Sehoul,
les Ameur, les Bni-Ahsene, Arabes, representent la tempete mena-
cante; si vous voulez vous garder de leurs atteintes, laissez done les
Bni-Ameur s'interposer entre vous et eux; ils seront pour nous une
muraille protectrice ». Ces paroles furent ecoutees, les Bni-Ameur
reconnurent l'autorit6 de Si- Ahmed-El Rhazi, s'incorporant ainsi a
la Confederation des Zemmour.
Les Ai't-Affane (Kotbiyine, Mzourfa) finirent par rejoindre leurs
freres A'it-Feska. Enfonces plus profond§ment en pays Zaer, eloignes
plus longtemps du pays berbere que les A'it-Feska, les « Affanis »
s'arabiserent et perdirent l'usage du berbere. De meme, ils oublierent
le culte de Sidi-El-Rhazi pratique par leurs aneetres. Mais ils revin-
rent en pays Imazirhene, occuperent eux aussi le « bled khalia», et
se pla§erent entre les Ait-Ali-ou-Lahsene et les Khazna. La fraction
Oulad-Sai'd, des Hejjama (eux-memes detaches des Kotbiyine), cons-
titue un souvenir vivant de leur passage en pays Sehoul, avant leur
arrivee au « bled Khalia » : elle passe pour descendre d'esclaves de
Sidi-Abdelaziz-Ben-Slimane, dont le tombeau se trouve chez les
Sehoul 216 .
Ainsi, le « bled Khalia », finit par aspirer deux groupements
d'origine berbere, disperses en pays Zaer, et se peupler de nouvelles
tribus pastorales, se joignant aux Ait-Zekri, face k la for£t de la
Mamora 217 .
3) La conquete de la Mamora
La plaine conquise ne suffisait pas aux Zemmour, habitues & la
vie pastorale et se sentant a l'6troit sur leurs terres. Toute proche,
la Mamora offrait des paturages reput&s, des vallees herbeuses et bien
215. Citec par lc Lieutenant Mortier, rapportee ejjalement en 1954 par le
cai'd Bou-Driss-Ben-Chaboune, cai'd des Zekri qui l'avait lui-meme racontee au
Lieutenant Mortier en 1913, quarante annees plus t6t.
216. Vil. trib., Rabat et sa region, t. Ill, p. 190.
217. Pour le paragraphe suivant : cf. Lieutenant Mortier, Rapport sur la
question Bni Hassan, Zemmour, Mamora, 1913, et renseignements recueillis
aupres de multiples informateurs. Les lieux cites figurent sur la carte I.G.N.
au 1/100 000.
LES ZE.MMOUR, ESSAI D'HISTOIRE TRIBALE 125
arrosecs, un couvert pour les animaux pendant la saison froide. Aussi
les Zemmour eurent-ils bientot pour but de s'approprier cette immense
foret-parc, en complement aux terres nouvellement oecupees, afin de
reprendre le rythme altern£ des defacements de troupeaux. De conti-
nuelles escarmouches les opposent des lors aux Bni-Ahsene 218, 219 .
a) Action k l'Ouest.
Les Bni-Ahsene, perdant peu & peu du terrain, d6ciderent un jour
de porter un coup d'arret k l'avance des Zcmmour et se liguerent avec
les Zaer, les Sehoul et les Ameur, quelques ann6es avant la mort du
Sultan Moulay-Hassan. Toutes les tribus Zemmour, faisant taire leurs
querelles intestines, rassemblent alors leurs forces et envoient leur
contingent de cavaliers a la « harka » commune, qui se constitue
sur la rive gauche de l'Oued El-Arjate, vers 1892, apres les labours.
La rencontre eut lieu sur l'Oued-El-Arjate et les Zemmour battirent
completement leurs adversaires. Sehoul et Zaer traverserent le Bou
Regreg jusqu'ik. FOued El-Haba, pres du Souk-el-Tleta des Sehoul ; les
Ameur et les Bni-Ahsene se refugierent sous les murs de Sale. Desor-
mais Zaer et Sehoul ne prirent plus part aux combats et les Ameur
rejoignirent leur pays. Les BniAhsene evacuerent totalement la for§t
et se tinrent au Nord d'une ligne Sidi-Ayache, Mechra-er-Remla (sen-
siblement la route de K£nitra a Sidi-Yahya du Rharb). La harka
Zemmour des tribus de l'Oued Beht (Messarhra, A'it-Sibeur, A'it-Mi-
moun) rentra chez elle et les autres cavaliers occuperent la valine
du Fouarate jusqu'^. El-IIammane, puis camperent sur l'Oued Tiflete
aux environs de Sidi-Abderahmane.
b) Actions au centre.
Une seconde offensive des Bni-Ahsene produisit une nouvelle
rencontre a Dar- Salem; battus cette fois encore, ils laisserent une
soixantaine de morts dans les jardins de l'Oued Tiflete et reculerent
jusqu'& Sidi-Yahya du Rharb, poursuivis par les Zemmour. Ces der-
niers profiterent de leur victoire pour s'installer sur TOued Touirzate,
entre Ai'n-Assou et Dayete-Touarfa, rejoints aussitot par la harka des
218. P. Boudy, dans Economie Forestiere Nord-Africaine, t. Ill, p. 113, se
basant sur la chronologie annulaire, situe de 1850 a 1860, periode humide,
la regeneration de la foret de la Mamora, favorisee en outre par la reduction
du paturage resultant de la lutte entre Bni-Ahsene et Zemmour.
219. A noter aussi que Jacob Schaudt (Voyage au Maioc, Lacruix trad.,
Alger, 1906, p. 12) signale qu'en 1880 la foret de la Mamora appartient « au
pays des Zemmour non soumis a Moulay-Hassan ».
126 M. LESNE
Ahl-el-Oued, de nouveau accourue. Les Bni-Ahsene se replient alors
sur le Beht.
Une nouvelle tentative des Bni-Ahsene declenche une offensive
vigoureuse des Zemmour qui bousculent leurs ennenmis et les pour-
suivent jusqu'a Lalla-Itto. Les Zemmour et Bni-Ahsene, respecti-
vement sur le Touirzate et le Beht, s'observent. « A quelque temps
de la, les Zemmour ayant appris qu'un gros campement Bni-Ahsene
s'6tait install^ k M'zouk, ils d£ciderent de l'enlever. Laissant leurs
tentes sur le Touirzate, ils partirent une belle nuit et, k la pointe du
jour, sans avoir 6te 6vent6s, tomberent sur les douars, s'emparerent
des tentes ou les brulerent, emmenerent un grand nombre de femmes
et des provisions de toutes sortes. Apres ce d£sastre, les Bni-Ahsene
se reiugierent sur la rive droite du Beht ».
c) Actions a l'Est.
La treve des moissons terminee, les labours 6tant a peine com-
mences, le ca'id Slimane, des Messarhra, provoque une nouvelle
« harka », reunit les contingents pres de Sidi-Moussa-el-Harati et
descend la valine du Beht. La « harka » rencontre les Bni-Ahsene en
amont du confluent de l'Oued Merdja. « Le baroud dura trois jours
cons6cutifs qui furent trois jours de victoire pour les Zemmour; le
premier jour ils arreterent l'offensive a Sidi-Boulbane (un peu au
sud de Si-Mohammed-Chleuh) ; le second jour, ils d6busqu6rent les
Bni-Ahsene de Dar-Bel-Hamri dont ils devasterent les contrees, les
jardins et les silos; le troisieme jour ils continuerent leur poursuite
jusqu'a. l'emplacement du Souk-el-Arbaa des Ouled-Yahya (Sidi-Sli-
mane). A la suite de cette d£faite, les Bni-Ahsene s'enfuirent jusqu'au
Rdom puis d6ciderent de s'incliner devant la force; ils envoyerent
alors des targuiba (sacrifices de taureaux) aux Zemmour qui rentre-
rent chez eux. Pendant longtemps les Bni-Ahsene n'oserent plus ins-
taller leurs douars au Sud de la ligne Kenitra-Lalla-Itto.
Ayant vaincu leurs ennemis a l'Ouest, au Centre, puis a l'Est, les
Zemmour se considerent desormais comme maitres de la foret. Les
Bni-Ameur demeurerent au Nord de la Confederation en avant des
Ait-Zekri et furent un peu considered comme les regisseurs de la for£t ;
devenus moualin el-rhaba (maitres de la foret) ils occuperent done la
Mamora en permanence et eurent le privilege de labourer les clai-
rieres et les vallees, tandis que les autres tribus y envoyaient seule-
ment leurs troupeaux, sauf les Messarhra qui garderent un morceau
de foret. Proteges contre un retour offensif des Bni-Ahsene, assures
LES ZEMMOUR, ESSAI D'hISTOIRE TRIBALE 127
d'etre aceueillis en foret par des amis, les tribus Zemmour conservent
en toute tranquilite leurs terrains de culture sur le plateau. Les Bni-
Ameur s'organisent peu a peu en fore"t, face aux Bni-Ahsene, eta-
blissent des limites plus ou moins respecters ou plus ou moins definies,
entretiennent des rapports variables selon les tribus. C'est a. l'aube
de ce nouvel equilibre des forces et de l'6conomie Zemmour que se
produit rintervention franchise.
4) Aspects de ces mouvements
a) Lenteur relative.
Apres un sejour d'une cinquantaine d'ann6es dans le Moyen Atlas
Central, les Zemmour ont mis presque un siecle pour parvenir sur le
plateau des Khmissdte. Trente annees d'escarmourches incessantes et
quelques ann6es de combats d6cisifs leur permettent de s'approprier
les parcours qui leur font dSfaut et de conqu6rir la Mamora. Pour
avancer de 150 kilometres environ k vol d'oiseau, les Zemmour connu-
rent presque un sieicle et denii de peregrinations diverses. Cette lenteur
relative dans l'avance exclut toute idee d'invasion massive, sous
forme d'armee en marche. Les actions violentes ont certes joue un
grand role et les derniers Episodes de l'installation des Zemmour en
Mamora offrent une image de conflits arm6s importants. Mais les
tribus n'ont jamais d'objectif s lointains ni de plans a longue 6cheance ;
dans ces societes mol6culaires, les d&sirs sont a port6e immediate :
la possibility d'utiliser ou de garder un canton herbeux, l'attrait d'un
butin bien visible, l'assouvissement d'une vengeance, la reparation
d'un meurtre ou d'un affront. La lutte pour la conservation du petit
groupe, dans une nature physique et sociale hostile, a domine" la vie
des Zemmour, comme celle de toutes les tribus pastorales et transhu-
mantes. Leur avance a §te une longue fluctuation ou des pouss6es ont
ete donn6es ou reyues, mais oil les raids ont etc" a courte echelle.
b) Formes de la progression.
La vie transhumante ou semi-nomade exige non seulement des
mouvements entre des zones complementaires d'agriculture et d'ele-
vage, mais aussi une extreme dilution des groupements sociaux.
Chacun d'eux exercant une double activit6 a dominante plus ou
moins agricole, selon les lieux et les temps, ne peut occuper simulta-
nement ses deux autres aires d'activite; il compense alors par la
128 M. LESNE
cohesion interne du groupe Pabsenee de liens avec le sol et, par la
mobilite, Pimpossibilite de s'6taler. Ainsi des cellules coherentes se
deplacent constamment a Pinterieur d'un ensemble plus lache, fac-
teurs terms d'instabilitS, createurs de lentes avances.
Au d6but du Protectorat, les A'it-Baboute, fraction peu impor-
tante des Bni-Hakem et comptant a l'epoque 65 tentes, possedaient a
30 kilometres au Sud de leur emplacement un lieu de campement
appele « bled skhroun », et des terrains de culture a Moulay-Idriss-
Arhbal, k plus de 50 kilometres de ce dernier. Les fractions voisines
Bni-Zoulite et Imchichitene possedaient 6galement semblables terrains
Eloign 6s, abandonn6s depuis le Protectorat par suite de la fixation
des tribus a Pemplacement principal. Pareil etirement des aires d'acti-
vite" agricole et pastorale facilite a la fois les conflits locaux et les
progressions. La seule ressource du pasteur manquant d'herbe pour ses
betes est de les pousser en avant; des habitudes de pacage se credent
ainsi peu a peu et apres quelques ann6es le droit d'usage tend a
devenir un droit d'occupation.
Les pointes pastorales avancees s'accompagnent par contre, assez
longtemps d'une stabilite relative des terrains de culture et des em-
placements de silos. On ne les quitte que sous la pression d'autres
groupes plus forts, ou lorsque de meilleures terres ont 6te conquises
ou acquises ; mais on cherche a les garder le plus longtemps possible.
Un meme lieu demeure en fait occupe plus longtemps qu'une 6tude
chronologique des avances ne le laisserait supposer. « A'in-Skhroun »
par exemple fut une pointe avanc£e des A'it-Baboute lorsque ceux-ci
se trouvaient aux environs de Moulay-Bouazza, une journ^e de cheval
seulement s^parant les deux endroits; mais ce terrain continua a etre
exploit6 meme apres Pinstallation de la fraction au Nord de Tedderss :
une journee de cheval separait la aussi le nouveau campement du
bled « Ain-Skhroun ». Des etapes interm^diaires facilitent d'ailleurs
eette « marche de perroquet ». Les A'it-Babout passerent ainsi par les
clairieres suivantes, 6chelonnees le long des vallees : El-Oulija, Ez-
Zguite, Khammali, Fatna-El-Kbira et Fatna-Es-Srhira ; arrives sur
leur emplacement actuel, ils pousserent aussitot jusqu'a Moulay-
Idriss-Arhbal. II semble que ce lent cheminement ait constitu6 le
mode normal d'avance, soutenu a Poccasion par des batailles menses
pour consolider une petite conquete plutot que pour faire table rase
du territoire a envahir. Les grandes batailles de coalition gen6rale
pour la possession de la Mamora ne sont point intervenues lors de
Parrivee des Zemmour devant la for£t, mais trente ann6es plus tard
apres des infiltrations, des escarmouches et de lentes appropriations
LES ZEMMOUR, ESSAI d'hISTOIRE TRIBALE 129
de parcours; elles furent plutot des operations de nettoyage et de
consolidation que des actions de conquete au sens propre du terme.
Et, en general, au cours de leur lent cheminement, les Zemmour ont
laiss6 ca et la des ilots, emmene parfois d'autre clans nomades et
recueilli des families ou des individus; mais ils ont aussi trouve" sur
place, puis assimile, des populations qui demanderent leur protection.
Ces substrats ethniques demeurent cependant difficiles a d^celer, et
les plus recemment incorpores se trouvent en pays Bni-Ameur de la
Mamora.
Lors de la conquete de la Mamora, de nombreux Bni-Ahsene
furent faits prisonniers et gardes comme otages; beaucoup furent
autorises, moyennant un sacrifice d'allegeance a demeurer avec leurs
families au sein des tribus Zemmour victorieuses, en particulier chez
les Mzourfa, les A'it-Ouribele, les Aiit-Abbou. C'est ainsi que l'on
trouve tres souvent des descendants des Zahna (Bni-Ahsene) parmi
les fractions Ait-Ben-Moussa, A'it-Mirnoun et Ait-Hammou-Idir, des
Mzourfa. Aussi, Mzourfa et Bni-Ahsene fr&uientent-ils regulierement
les « moussems » de Sidi-Larbi-El-Bouhali et de Sidi-Ameur-Riahi,
saints d'origine Bni-Ahsene, dont les tombeaux se trouvent en pays
devenu Mzourfa. De meme un grand nombre de pelerins originaires
de ces tribus se rendent chaque annee sur la tombe de Sidi-Moham-
med-Ben-Amor situee aux environs d'Agourai, pres de Meknes. La
fraction Ait-Amar par exemple, en tribu Mzourfa, fut fondle par
Amar-el-Miloudi, dont la famille se trouvait a l'6poque dans le Rharb,
pres du Souk-El-Had des Oulad-Jelloul (llad-Kourt). Sept foyers im-
portants composent actuellement la descendance de cet ancetre :
Oulad Fakir-Derquaoui, Oulad-Kassem-Rharbaoui, Oulad-Si-Boussel-
ham, Oulad-Lekbir-ben-Zohra, Oulad-Jelloul, Oulad-Hadhoum et Ou-
lad-ben-Miloud ; un seul d'entre eux, par des manages, garde des
relations avec l'ancienne famille du Rharb. La raison pour laquelle
Amar-El-Miloudi s'est install^ en pays Zemmour demeure myst6-
rieuse ; personne ne se souvient ni de son arrived, ni de son existence :
cas typique d'un ressortissant Bni-Ahsene demeur6 sur place, ayant
gard6 de son vivant des rapports avec sa famille et dont les descen-
dants se trouvent peu a peu assimiles par les nouveaux occupants
Mzourfa 220 .
II y eut pourtant des guerres de conquete, surtout lorsqu'appa-
raissait un d6sequilibre de forces ou que le groupement se sentait
incapable de register a la pression qui s'exergait derriere lui : plutot
220. Informateur Larbi..., Mzourfa, 1958.
130 M. LBSNE
que d'etre « mange », il pr6f£rait alors essayer de « manger » lea
autres. En general, apres une avanee de la sorte, les fractions gardent
a peu pres la m§me position les unes par rapport aux autres. Aussi
loin qu'ils se souviennent, les A'it-Baboute ont toujours campe\ eomme
ils le font aujourd'hui, entre deux fractions Bni-Zoulite. TJne fraction,
un groupe de dollars, une tribu decrochent-ils un jour pour occuper
un territoire deja pen6tr6 ou r£cemment conquis, peu apres leurs
anciens voisins s'ajustent de nouveau au dispositif ainsi cr£e" et
reprennent peu a peu leurs anciennes positions reciproques. Les
Imchichitene par exemple, bien que demeures les derniers sur leurs
anciens terrains finirent par revenir en tete de la tribu Bni-Hakem,
position traditionnelle de leur fraction. Mais cette tendance n'exclut
aucunement ni les departs volontaires de fractions, ni les penibles
accommodements, ni les rivalites.
c) Les difficiles installations.
Eefoulements partiels et lentes infiltrations laissent en place un
substrat ethnique, quelques ilots de populations qui s'integrent peu
k peu aux nouveaux venus. L'achat permet aussi de r^gulariser cer-
taines actions de force, de donner un caractere juridique normal a
l'exercice d'une violence 221 . Mais les nouveaux equilibres interieurs
apres un ebranlement important, s'etablissent difficilement.
Les A'it-Sidi-Lahsene, nous Pavons vu pr6c6demment, connurent
la region de Zimeri et le Tafoude'it avant de s'installer d£finitivement
pres de Sidi-Larbi. Les A'it-Belkassem, apres la conquete de la Ma-
mora, purement occuper l'ancien « bled khalia » a l'Ouest de Tiflete,
oil les Bni-Ameur avaient sejourne' quelque temps; mais ils durent a
titre de compensation accepter les troupeaux Haouderrane et Ait
Zekri. On trouva des terrains pour installer A'it-Bou-Yahya et A'it-
221. Tout au cours de I'liistoirc, pareilles traditions ont etc de regie. Le
lieutenant Lecomte (les Ait Morghad, 1930, Arch. D. I.) rapporte que, au
xix # siecle, les Ait-Haddidou venus de l'lmedkhas a l'Asif Melloul, puis a
El-Borj et Amougueur chasserent les Ai't-Yahia de l'Oued Tazarine, les A'it-
Ayache de l'Oued Ait-Yacoub, mais achet^rent Tahiant aux Hamzaouia. A Ifferh,
palmeraie occupee par les Iqeblin, viennent s'installer deux fractions Ait-
Morrhad : elles achetent des terrains et construisent un ksar; plus tard assi-
milant les anciens occupants qui font acte d'all^geance aupres d'eux, Irbiben
et Ait-Youb occupent entierement le pays (Fiche de tribu des Ait Morrhad
d'Ifferh, Annexe de Tinjdad, Lieutenant Leblond). De nos jours, des ressor-
tissants Ait Ouribele et Kabliyine, des Zemmour, achetent des terrains en pays
Ait-Hattem (region d'Oulmes) afin de pouvoir envoyer leurs troupeaux en
foret, ce qui finit par inquieter les autorites locales. J. Berque releve aussi
les memes phenomenes chez les Seksaoua (Structures Sociales du Haut-Atlas).
LES ZEMMOUR, ESSAI D'HISTOIRE TRIBALE 131
Yadine, tribus « chorfa » amies. Mais les Ait-Abbou par exemple
eurent du mal a placer leurs tentes et de nos jours encore ils souffrent
de l'exiguit£ de leur territoire ; apres £tre passes par Sfassif, ils sem-
blent avoir 6t6 disperses en plusieurs troncons; l'un d'eux trouva
refuge vers le Nord, un autre s'installa pres de Dayete-er-Roumi
mais fut ehasse - par les Ait-Ouribele. Ils s'installerent enfin pres de
Bir-Charef, leur habitat actuel, mais cette fixation ne peut s'op^rer
qu'apres une reVolte des Ait-Zekri contre la puissante tribu Kabliyine
qui avait donn6 le caid Rhazi a la Confederation Zemmour (1875). Les
Kabliyine qui poussaient a 1'epoque jusqu'a Bir-Charef abandonne-
rent peu $L peu cette zone ou pourtant le caid Rhazi avait fix£ sa
demeure. Tout cela se fit a la fois par force, par suite de transactions
immobilizes ou d'alliances entre families Kabliyine demeurees sur
place et families Ait-Abbou occupantes, et se termina par la conclu-
sion d'un pacte de « tata » entre les deux tribus 222 . Dans bien des cas
d'ailleurs, Pinfluence conciliatrice des « chorfa » Ait-Yadine ou des
envoyes de « Dar-Dmana » (Ouezzana) permirent aux tribus rivales
d'utiliser pleinement les capacites transactionnelles de la coutume
berbere.
L'occupation d'un pays regie peut-6tre les conflits avec l'ennemi
que Ton vient de chasser : c'est alors que s'exacerbent les rivalit^s
internes et que le difficile equilibre interieur commence a se chercher,
non sans luttes, pendant de nombreuses annees.
Conclusion
Voici done les Zemmour parvenus a proximity de l'Oc6an et les
brouillards nocturnes couvrent de ros^e les premieres tentes, avan-
c6es a une vingtaine de kilometres de la cote. Dix siecles plus tot, le
sable du d6sert s'infiltrait sous les toiles de leurs demeures et depuis
cette date la rude vie de la montagne a modele et tremp6 la race des
guerriers Zemmour.
222. La Fiche de tribu des Ait-Mouli rapporte un bel exemple de transac-
tion forcee. Ait-Mouli et Ait-Oumnassef voisinaient dans l'Azarhar. Un jour, ces
derniers tuerent 7 Ait-Mouli et s'enfuirent en Haute Moulouya par crainte
des represailles. Les Ait-Mouli occuperent aussitdt les terrains ainsi delaisses.
Quelques mois plus tard, trois Ait-Oumnassef venaient proposer la vente de ces
terres a la Jemaa Ait-Mouli, pour un prix ridicule. C'est ainsi que fut conclue
la paix
132 M. LESNE
lis ont ainsi accompli le trajet complet entre le d&sert, pole de
dispersion, et la plaine atlantique, pole d'attraction, entre la zone
seche et la zone humide. Et chacune des Stapes parconrues si lente-
ment repr^sente de s£culaires oscillations entre des regions aux
vocations diff6rentes dans les hautes valines de 1' Atlas; la Moulonya
les a gardes longtemps mais les a habitues a sillonner les hauteurs
mamelonnees de FAzarhar; de la ils eprouverent le d6sir de s'asseoir
au banquet des plaines ou des plateaux cer6aliers; chasses des hau-
teurs ou ils gardaient leurs troupeaux, ils s'approprierent la foret de
la Mamora afin de garder le rythme de leurs oscillations saisonnieres
ancestrales, entre les terres de culture et les zones de parcours.
Mais ces mouvements ne s'accomplirent pas sans souffrances et
sans luttes. Chaque tribu tantot poussant, tantot poussee, ennemie a
la fois de celle qui la precede et de celle qui la suit, s'est trace" p6ni-
blement son chemin. La politique du Makhzen s'applique a les opposer
davantage encore entre elles et a jouer de leurs rivalites naturelles.
Placees a la pointe de la poussee berbSrophone issue du Moyen Atlas,
les tribus Zemmour ont 6t6 ainsi amenSes a participer au jeu politique
et guerrier de la dynastie regnante.
(a suivre)
Marcel LESNE
Conservatoire National
des Arts et Metiers, Paris
LES ZEMMOUR
ESSAI D'HISTOIRE TRIBALE
(suite et fin)
CHAP1TRE III
LES ZEMMOUR ET LE MAKHZEN ALAOUITE
Jusqu'au 17 c siecle, inalgre son importance economique, le Moyen
Atlas n'a joue aucun role politique. II fallut l'avalanche des tribus
Sanhaja vers les plaines du Nord-Ouest, deelenchee par les tribus
Maaqil, Zaer et Bni-Ahsene, pour placer cette region au premier
plan des preoccupations du Makhzen 223 . Les Zemmour, en tete de
cette poussee des tribus berberes, se trouvent amends par les cir-
constances k jouer un role politique important, lorsque la dynastie
alaouite essaiera d'enrayer le mouvement de la montagne berbere.
Avant cette date, les Zemmour passent inapercris et Ton pour-
rait meme douter de leur existence si des textes ne mentionnaient
leur s6jour dans le Maroc presaharien du xi e siecle. lis partagerent
anonymement le sort des hommes de leur race et de leur epoque.
Cependant, lorsque les tribus des deux versants de 1' Atlas Central
et du Moyen Atlas se rangerent sous l'autorite d'Abd-El-Moumen,
les Zemmour semblent deja connaitre un destin different, puisque
leur nom ne figure pas sur les listes des tribus Sanhaja du midi et
Sanhaja de l'ombre ainsi ralliees a la cause almohade 224 .
La meme obscurity, ou la meme vocation des Zemmour a un
destin deja. differencie, regne au d6but de la monarchic filalienne.
On ne peut en effet affirmer que lex Zemmour aient apporte leur
souniission ou leur concours aux marabouts de Dila. A la fin de la
223. J. Berque (Al-Youssi, p. 134, n. 1) souligne la place importante prise
par les populations du Moyen Atlas dans la scconde moitie du XVII* sifecle.
224. Levi-Phoven(;al, Documents inedits d'histoire Almohade. Paris, 1028,
p. 69.
32 M. LESNE
dynastie saadienne cependant, Mohainined, successeur de Abou-Beker,
le fondateur de la zaou'ia, avait r£ussi a etendre son influence sur
les Berberes transhumants du Moyen Atlas et de la Moulouya; il
est possible que les Zemmour se soient trouves dans la zone d'in-
fluence de la zaou'ia de Dila, toute puissante a l'epoque. Mais les
tribus sur lesquelles les Dila'ites exercerent leur autorite furent
surtout les Ait-Ouafella, les A'it-Ouallal, les Ait-Iinmour, les Mjatt,
les A'it-Ayacke, les Imelouane, les Ait-Ndir (Bni-Mtir), c'est-a-dire
les tribus constituant pour la plupart la grande Confederation des Ait-
Idrassene 225 . Or les Zemmour ne firent jamais partie de ce groupe-
ment de tribus. Peut-on invoquer le patriotisme berbere comme mo-
bile suffisant pour assurer l'adhesion des Zemmour a la politique
de la Zaou'ia de Dila ? Ici encore la chose apparait possible; mais
la solidarity berbere ne joue pas automatiquement, ni surtout au-
dela d'une certaine importance numerique des groupements. Et deja
les Zemmour, dans leur position d'avant-garde, connaissent des
difficultes et des problemes ignores de leurs freres restes en mon-
tagne; leurs interets ne coincident plus guere avec ceux des tribus
qui les poussent au devant des « harkas » chGrifiennes. C'est pourquoi
il n'apparait guere possible d'emettre une hypothese quelconque
concernant l'attitude prise par les Zemmour lors de la tentative
dila'ite visant a recreer une nouvelle hegemonie berbere. En tout cas,
c'est du cot6 de la dynastie alaouite que nous trouverons les Zem-
mour apres la chute de la zaou'ia de Dila.
I. Les Zemmouk au service de Moulay-Ismail
Moulay-Ismail lutta avec perseverance contre le Moyen Atlas
et l'Atlas Central, bastion de la puissance sanhajienne, encore
menacante meme apres la destruction de Dila par Moulay-Rachid.
II s'efforya de contenir les tribus de la montagne par une serie de
campagnes et la construction de forteresses avancees. Les populations
en bordure de la montagne se trouvent done dans une situation
difficile; leur position particulierement vulnerable les expose aux
coups des troupes du Makhzen; elles ressentent profondement dans
leur economic pastorale 1 'impossibility de pousser leurs troupeaux
vers les paturages d'hiver du versant Ouest du Moyen Atlas; un
renversement des courants de transhumanee ou de semi-nomadisme
225. G. Drague, Esquisse d'histoire religieuse du Maroc, Cahiers de VAfrique
et de VAsie, II, 1951, pp. 127-149.
LES ZEMMOUR, ESSAI D'HISTOIRE TRIBALE 33
s'avere impossible, par suite de la pouss6e des tribus de l'arriere,
dej& k l'6troit dans les hautes terres de la Moulouya. Aussi se
trouvent-elles dans l'obligation de composer pour ne pas p6rir.
1°) Soumission.
Les Zemmour campaient au debut de la dynastie alaouite, dans
la partie du pays occup6e actuellement par les Bni-Mguild, c'est-
ji-dire le territoire s'6tendant depuis Azrou — A'in-El-Leuh jusqu'a,
la Haute Moulouya et les contreforts Ouest du Jbel Ayachi. Dej&
les Ait Idrassene, refoul6s jusqu'au pied du Jbel Ayachi, puis
bloqu6s par les garnisons de Moulay-Isma'il, avaient du demander
leur soumission, remettre leurs armes et leurs chevaux, soigner des
troupeaux pour le compte du Sultan 226 . Aussi l'attitude des Zem-
mour, moins enfoncSs encore que les A'it-Idrassene k l'interieur du
pays, n'est-elle pas surprenante, lors de la grande expedition de 1688
(H. 1099) entreprise par le sultan contre les habitants du Fazaz.
Les premieres tribus qui vinrent lui apporter leur soumission furent
en effet les Zemmour et les Bni-Hakem ; cette attitude permit k leur
chef Ba-Ichchou-El-Kebli d'etre confirm^ dans ses fonctions de caid
par Moulay-Isma'il. Ba-Ichchou fit meme preuve de zele puisque, non
seulement il livra les armes et les chevaux de ses guerriers, mais
alia jusqu'a ramasser leur argent et le remettre au Sultan qui se
trouvait k ce moment la dans la plaine d'Adekhsan. « 6 notre maitre,
repondit-il k Moulay-Isma'il qui s'Stonnait de ce zele, si vous voulez
garder leurs interets et les vdtres, et si vous leur voulez du bien, je
n'ai pas fait autre chose pous vous et pour eux. Mais si vous vous
conduisez autrement a leur 6gard, ils vous lasseront et se lasseront
eux-memes. Pour moi, je me suis borne" a les purifier des biens illi-
cites afin qu'ils s'occupent dorenavant de posseder des biens licites,
qui enrichissent et qui am£liorent » 227 . Sachant se r6signer a l'in6vi-
table, le caid des Zemmour proposait ainsi plus que la soumission et
esperait tirer parti d'une situation imposSe par la force.
226. Kitab el Istiqqa, Arch. Mar., IX, 1906, pp. 87-88.
227. Kitab el Istiqca, Arch. Mar., t. IX, p. 93. Ez-Zaiani. Ettordjman-el-
Moarib, Le Maroc de 1631 d. 1812, Trad. Houdas, p. 42, donne une version
legerement differente : « Sire, j'ai fait cela dans votre interfit et dans le leur,
car si vous vous conduisez autrement a leur <5gard, ils vous lasseraient. En
agissant ainsi, vous les purifiez seulement du mal et ils s'occuperont d'agri-
culture et d'elevage; les bons sentiments grandiront chez eux et ils se mon-
treront plus vifs».
34 M. LESNB
2°) Cooperation.
Ba-Ichchou-el-Kebli, originaire de la fraction A'it-Ichchou des
Kabliyine (Zemmour) 228 , maintint jusqu'a sa mort (1692), les tribus
Zemmour et Bni-Hakem dans l'ob6issance au Sultan 229 . Son fils
Abou-1-Hassan-Ali-Ben-Ichchou recut de Moulay-Ismail le commande-
ment de ces memes tribus. Avec lui commence l'extraordinaire for-
tune de eette famille dont le destin connut des p^riodes extremement
brillantes.
En 1693 (H. 1104), lors de l'expgdition de Moulay-Sma'il contre
les Berberes Ait-Oumalou, A'it-Yafelmane et Ait-Isri, Ali-Ben-Ich-
chou recoit le commandement d'une des trois colonnes destinies &
investir la montagne berbere. Les Zemmour ne sont d'ailleurs pas
les seuls a se trouver contre leurs freres : les Ait-Immour, apparte-
nant a la Confederation des A'it-Idrassene, sous le commandement
du caid Ali-ou-Barka, exposes eux aussi aux coups du Makhzen et
ne pouvant compter sur l'appui des tribus berberes de l'Atlas Cen-
tral pour lui register, se trouvent dans l'obligation de se soumettre
et de participer a Paction de Moulay-Ismail. Mais Ali-Ben-Ichchou,
qui jouit de la confiance du souverain, se voit confier un r61e parti-
culierement important. II concentre ses troupes a Ain-Choua 2S0 et
recoit les contingents du Todrha, du Ferkla, du Rheriss et des Arabes
Sebbah du Tafilalelt, lev6s sur l'ordre de Moulay-Ismail. En outre,
l'artillerie imperiale trainee par des esclaves Chretiens, rejoint ega-
lement les troupes rassemblees en Haute Moulouya. Effray6s par le
bruit des canons auquel ils n'6taient pas habitues, les Berberes se
heurterent dans leur fuite aux troupes du Sultan qui les taillerent
en pieces, et subirent une deroute complete. « Les hommes furent
tues, 6crit En-Nasiri avec emphase, les femmes et les enfants faits
prisonniers; les effets pilles; les animaux, les bestiaux enlev6s; les
chevaux et les armes pris comme butin. Le combat et le pillage du-
rerent trois jours pendant lesquels les soldats allerent rechercher
les Braber §a et la, dans les ravins et les vallees, et les faire sortir
des grottes et des cavernes » 231 . Les trois chefs de colonne 232 les
228. Vil. Trib., Rabat et sa region, t. Ill, p. 190.
229. Le caid Ba-Ichchou serait enterre a El-Menzel.
230. Bou-mia, en Haute Moulouya, selon F. de la Chapelxe.
231. EI Istiqca, Arch. Mar., IX, p. 109.
232. Khenifra devient sous Moulay-Ismail une base d'operations et le
point de depart de colonnes vers la montagne; de la en effet il est plus facile
d'atteindre les hautes valines par l'Oum-er-Rbia oppose au Guigou, par 1'Oued-
el-Abid oppose" a la Haute Moulouya, alors que par Azrou il faut couper
perpendiculairement les vallees.
LBS ZEMMOUR, ESSAI D'HISTOIRE TRIBALE 35
ca'ids Msahel, Ali-Ben-Ichchou et Ali-Ben Barka, sur l'ordre de
Moulay-Ismail rassemblerent, dit la chronique, plus de 30 000 fusils,
10 000 chevaux et 12 000 betes, qu'ils apporterent a leur maitre 233 .
Depourvus d'armes et de chevaux, les Berberes de la montagne sont
ainsi r6duits au calme et a l'obelssance, pour quelque temps. Le
Sultan decide alors de chatier les Guerouane qui brigandaient dans
le Ziz, entre la Moulouja et le Kheneg, sur la route de Fes a Sijil-
massa. « II convoqua Ali-Ben-Ichchou, poursuit En-Nasiri, lui donna
10 000 cavaliers et lui dit : « je ne veux plus te revoir tant que tu
ne seras pas tombe" sur les Gu6rouane et que tu ne m'auras pas ap-
porte" autant de tetes qu'il y en a ici m ». Le ca'id des Zemmour partit
aussitot (1694) avec ses cavaliers et ex6cuta parfaitement les ordres
de son maitre, puisqu'il rapporta autant de testes que FexpeMition
pr6c6dente avait permis de rassembler. II avait, pour ce faire, us6
a la fois de bravoure et de ruse; les Guerouane, vaincus et ayant
subi de lourdes pertes se disperserent dans la montagne, frustrant
ainsi leur vainqueur des gages de sa victoire; Ali-Ben-Ichchou fit
alors annoncer dans toutes les valines que quiconque donnerait asile
a un Gu6rouani serait mis a mort et que celui qui apporterait une
tete de Guerouani recevrait 10 metqals. « Tous les Guerouani, ecrit
En-Nasiri, eurent la tete couple par ceux chez qui ils s'6taient r6fugies
et les tetes furent apportees a Ali-Ben-Achchou. Les recherches conti-
nuerent dans les maisons et dans les tentes, jusqu'a ce qu'il eut
atteint le nombre de t&tes qu'il lui fallait. II donna seulement un
mitsqal aux gens qui lui apportaient une tftte et en rapporta lui-
m§me 12 000 au Sultan » 235 . Ainsi collect^es, les t6tes furent rappor-
t6es a Meknes et accroch6es a c6t6 des autres sur les remparts de la
ville.
Ali-Ben-Ichchou regut la recompense de ses services. Toutes les
tribus nouvellement soumises, Ait-ou-Malou, Ait Yafelmane, furent
encadrees par des ca'ids Makhzen et placets sous son autorite\ Le chef
233. A la suite de cette action, Ali-Ben-Ichchou, selon En-Nasiri (Kitab el
Istiqga, p. 109) aurait requ une garnison de mille cavaliers Zemmour pour la
forteresse de Tichghalin, commandant le pays Ait-Oumalou. Ez-Zai'ani (Ettord-
jman el Moarib. Trad. Houdas, p. 46) par contre, mentionne que Ali-Ben-Barka
avec mille cavaliers Ait Immour, se fixa a Tichghallin entre les Ait-Oumalou et
les Ait-Yafelman.
234. Kitab el Istiqca, Arch. Mar., IX, p. 119.
235. Base du syst^me monetaire marocain, le metqal vaut dix onces oukia;
au temps de Moulay-Ismail le douro valant 5 onces et demi, le metqal dqui-
valait done a 1 douro et demi environ. Sous le rfcgne de Moulay-Abdelaziz,
le douro valait 14 metqals (Michaux-Bellaire, Compte rendu du Congres de
l'Afrique du Nord, Arch. Mar., I, 1908, p. 699).
36 M. L.ESNK
Zemmouri commande ainsi a tout le Moyen Atlas et la Haute
Moulouya.
3°) Puissance du cmd Ali-Ben-Ichchou
Le ca'id Zemmouri possedait une residence dans le quartier dit
« M&linet-er-Riyad », la ville des jardins, a Meknes, ou tous les
grands de l'Empire faisaient edifier leur demeure. Elle contenait,
d'apres En-Nasiri 236 « vingt-quatre enceintes commandees par une
seule porte ». Les palais ainsi construits dans cette partie de la ville
constituaient souvent, en effet, de veritables quartiers et chacun
poss6dait sa propre mosqu6e.
Ali-Ben-Ichchou ne semble pas avoir 6te" seulement un puissant
gouverneur, le Sultan lui confiait aussi des missions importantes.
J. B. Estelle, dans ses memoires, rapporte un fait precis qui temoigne
de la confiance du Sultan et de l'importance du personnage; lors du
siege de Ceuta, en 1695, par les troupes de Moulay-Ismail, une place
d'armes avait 6te conquise par Ali-Ben-Abdallah, leur capitaine,
lorsque « les Espagnols deux heures apres, firent une sortie de Seaute"
et chasserent les dits Mores de cette dite place d'armes avec une
perte tres considerable de Mores, ce qui a extremement abattu le
cceur du Boy et l'a fait rSsoudre d'envoyer un de ses premiers
alca'ids nomm6 Hally ben Ichou au dit Seaute, afin de voir l'6tat de
cette place. Et en assure qu'iceluy a ordre de faire lever le siege et
d'amener avec lui l'alcald Hally ben Adalla a Miquenez » 237 .
Non seulement envoye extraordinaire et tout puissant, mais
encore super-intendant des batiments, tel nous le demerit Pidou de St.
Olon dans l'Etat Present, sous le nom, d^form^, de Aly ben Jehou 238 :
« II y a encore un autre officier qui est comme le sur-intendant des
batiments, il s'appelle Aly ben Jehou; il a ^inspection et le soin de
tous ceux que le roy fait faire a Miquenez, il en est si occup6 qu'il
passe quelquefois des semaines entieres sans voir son maitre et bien
lui en prend d'etre riche pour supporter l'extreme depense de tous
les mat§riaux, tant du dehors que du dedans, qu'il est oblige de
fournir pour ces ouvrages; il est vrai aussi que son gouvernement
qui contient tout le pais qui se trouve depuis Miquenez jusqu'a
236. Kitab el Istiq$a, Arch. Mar., IX, p. 189.
237. Memoires de J. B. Estelle (21 avril-21 septembre 1695), Sources ine-
dites de I'Histoire du Maroc. Dynastie fllalienne, IV, p. 353.
238. Pidou de St-Olon, Etat present de l'Empire du Maroc (1694), pp. 121,
122, 123 (et note (1), p. 155, indiquant qu'il faut voir Ali-Ben-Ichchou sous
ce nom de Ben- Jehou).
LES ZEMMOUR, ESSAI d'hISTOIRE TRIBALE 37
Tremcen est d'une grande 6tendue et d'un grand rapport, je suis
cependant persuade, quelle que soit son 6conomie, vu les depenses
sans bornes auxquelles cet emploi le soumet, que la subsistance est
tout le profit qu'il en retire an bout de Fan; il peut avoir 48 ans, il
est moulatre et d'une grande et belle taille ; il a l'oeil vif, l'esprit aise -
et les manures assez douces ; les esclaves qui le voient tons les jours
disent qu'il est bon homme et s'en louent fort, mais comme il s'adonne
enticement a son emploi, il ne se mele aucunement des affaires de
l'etat».
Le caid Ali-Ben-Ichchou n'a pourtant laisse" aucun souvenir en
pays Zemmour : les vieux Zemmouris ignorent totalement le nom
de ce puissant personnage qui commanda leur tribu 23S) . Trop grande
aneiennete' des faits ? Manque de contacts & l'epoque entre les tri-
bus nomades et leur chef devenu grand commis citadin ? C'est a
l'6tranger, en pays Bni-Yazrha, pres de Fes, que nous trouvons le
souvenir le plus vif du caid Ali-Ben-Ichchou. El-Menzel fut en effet
le lieu de residence prefe>e de ce personnage; il l'avait choisi sans
donte pour mieux surveiller la route de F&s a Sijilmassa. Tous les
batiments importants de cette agglomeration seraient, selon la
tradition locale, l'oeuvre de Ali-Ben-Ichchou. Son ancienne demeure
existe encore, remani^e depuis et presque en ruines : de Ik il aper-
cevait, dit-on, tout ce qui se passait aux environs; les collecteurs
d'impots convergeaient vers elle avec leurs mules chargees de pieces
d'or ou d'argent et pen£traient, yeux band6s, dans ses immenses
souterrains pour y deposer les fruits de 1' « achour » et du « zakat ■».
Une vieille 16gende pretend que ces souterrains existent toujours et
certains habitants ont meme percii le bruit des douros entass6s la
depuis des siecles; mais personne cependant n'essaie d'y penelrer,
depuis qu'un imprudent fut frapp£ de folie apres en avoir viol6
l'entr^c. Ali-Ben-Tchchou aurait egalement cr66 de vastes jardins,
consolid6s par des remparts de soutenement encore debout de nos
jours, et agrement6 sa residence d'un bassin dont le sol £tait cons-
titn6 par de la terre battue, impregnee d'huile et d'ceufs pour la
rondre impermeable 240 . Ali-Ben Tchchou possedait d'immenses pro-
pri6tes dont les titres figurent encore dans les archives des Habous a
El-Menzel ; a, sa mort il 16gua sa bibliotheque comprenant en parti-
culier des ORUvres de Sidi-El-Bokkari, k la mosquee d'El-Menzel oil
239. II existe de multiples fractions ou douars Ait-Ichchou, mais on ne
saurait tirer aucune conclusion de ce fait, le nom de Ichchou £tant tres
rdpandu au Maroc.
240. Ce bassin aurait 6t& coml)16 assez r^cemment et se trouvait tout pres
de l'ecole musulmane ^difi£e depuis quelques decades.
38 M. LBSNB
elles se trouvent encore. II a laiss6 dans le pays la reputation d'un
puissant seigneur jointe a celle d'un grand constructeur ; il voulait,
dit-on, r§unir Mrila a Meknes par une muraille continue; les gens
de Mrila (Bni-Alaham) tirent leur nom, selon la 16gende, de la
punition inflig6e aux macons defaillants que Ton enterrait dans les
murailles m^me, au milieu du pise. (« Bni-Alihim », « construit sur
eux ») ; sur le Sebou, a Mellaha, on montre encore les restes d'un
barrage de retenue en terre, ainsi que des oliviers, vestiges d'une
ancienne plantation prospdre. A une quinzaine de kilometres au S.E.
d'El-Menzel, au douar Tarhit, le tombeau de Si-Boujida, un des 7
enfants de Ben-Ichchou, possede la propriete de gu6rir les maladies
de peau; dans le m§me douar, il y a sept ou huit generations, a la
suite d'une discorde, un certain nombre de families quitterent la
region et demanderent asile aux Zemmour; ces derniers leur don-
nerent une parcelle de for£t a defricher aux environs de Tizitine
(territoire occupe" actuellement par les Ait-Jbel-Doum, des Zemmour).
Nous retrouvons aujourd'hui leurs descendants en tribu Haouderrane
oil ils constituent la petite fraction Bni-Yazrha, visit6e saisonnie-
rement au moment de la moisson par des travailleurs venus de la
region d'El-Menzel 241 .
Une autre tradition, en contradiction avec ce qui pr£c£de veut
que Ali-Ben-Ichchou soit arrive seul, comme simple fqih, pour en-
seigner le Coran a la Kelaa d'El-Menzel, avant d'etre nomme
cald 242 . En outre, les Bni-Yazrha d'El-Menzel ne manquent pas de
rcvendiquer comme l'un des leurs, le grand caid « Ali Ben-Moham-
med-Ben-Ichchou-Saddouki-Yasri » 243 . Sa mere et son pere sont
enterres sous la Koubba de Sidi-Abdelouahad, a la Kelaa des Ouled-
Abdelaziz, a El-Menzel. Sur l'une des tombes, face a l'entr^e on peut
lire : « Louange a Dieu. Cette tombe est celle de la m&re du caid Ben-
Ichchou, que Dieu protege, la nominee Fatma-Bent-Mohammed-Bent-
Srhir-El-Makemi d£c6dee, puisse Dieu la recevoir au sein de la mise-
ricorde ainsi que tous les musulmans — en l'annee 1093 de l'Hegire ».
La tombe voisine porte cette inscription : « Louange h. Dieu. Cette
tombe est celle du pere du caid Ali-Ben-Ichchou, le nomme Sidi-
Mohammed-Ben-Ichchou-Sadeki-El-Yazrhi que Dieu le protege — de-
cede en Pan 1074 de l'Hegire » 244 .
241. Informateur : Aoudjite-Ah., El-Menzel, 1956.
242. Informateur : Moulay-Ali-L..., El-Menzel, 1956.
243. Fiche de tribu des Bni-Yasra, Capitaine Ducret, mise a jour en 1947,
Arch. D. I.
244. La l£gende veut que ce dernier ait 6te tu6 au cours d'une campagne
de Moulay-Ismail contre les Turcs et son corps ramend a El-Menzel.
LES ZEMMOUR, ESSAI d'hISTOIRE TRIBALE 39
Le ca'id Ali-Ben-Ichchou n'a cependant laiss6 a El-Menzel, que
des traces personnelles et les Bni-Yazrha n'ont eu, a l'epoque, aucun
contact avec les Zemmour, dont l'habitat se situait fort loin de cette
region. M la legende, ni les chroniqueurs ne nous renseignent sur
la vie profonde des tribus, et nous ne savons rien d'autre sur les
Zemmour, que la fortune de leur ca'id, sftrement impost d'ailleurs
et devenu presque Stranger a ses contribules. La collaboration des
Zemmour avec le Makhzen leur vaut une p£riode de relative tran-
quillity; ils peuvent exploiter a leur guise les paturages d'6t6 ou
d'hiver sur les deux versants du massif et cultiver leurs terrains sans
crainte de voir leurs r6coltes razziSes. Devenus tribu Makhzen et
616ment indispensable au maintien d'un Squilibre politique prScaire,
les Zemmour retirent des avantages certains de leur attitude. Pour
l'instant, la poussSe des tribus de la montagne se trouve arrestee;
mais les Zemmour n'en gardent pas moins une position exposed, a la
fois envi6e et dangereuse.
II. — Les Zemmour, force de d^sordre (1727-1790)
La situation de force laissee apres la mort de Moulay-Ismail ne
reglait gu&re le probleme des Berberes de la montagne. DSsarme's,
d6sunis et affaiblis pour quelque temps, ils ne tarderont guere k
proflter des discussions, des dSsordres, des luttes intestines qui
affaiblissent le pouvoir central. « Les tribus berberes parvenues au
contact des plaines, ecrit H. Terrasse 245 , vont participer aux luttes
des successeurs de Moulay-Ismail et soutenir certains pr6tendants ».
Les Zemmour, occupant une position-cl6 dans le dispositif des tribus
de la montagne vont. participer au jeu sanglant des forces de dSsordre,
constitutes par les pr6tendants au trone, les « abids », les tribus
« guicb » et les tribus berberes.
1°) Rupture de la collaboration avec le Makhzen
Des le d6but de son regne Moulay-Ahmed-Ad-Dehbi (1727-1728),
ainsi nomine" par les « abids », le « guich » et le Makhzen, it cause
de ses largesses, fit arr£ter et exScuter tous ceux qui avaient 6t6 les
collaborateurs de son pere et les piliers de sa politique. Ali-Ben-Ich-
chou-El-Kebli, cai'd des Zemmour et chef de la montagne berbere sou-
245. H. Terrasse, Histoire du Maroc, II, 1949, p. 281.
4:0 M. LESNE
mise, fut ex6cut6, ainsi que le caid de Fes, Mohammed-ou-Ali, et d'au-
tres personnages puissants.
Selon le Kitab-el-Istiqga 246 , Ali-Ben-Ichchou aurait persuade le
Sultan d'egorger Mohammed-ou-Ali, incarc^re" au moment de son ave-
nement mais « Dieu fit tomber cet intrigant dans les mains du Sultan
qui le fit mettre & mort, lui donnant ainsi une recompense analogue
a sa conduite ». Le pr^texte est peut-etre vrai; mais il semble bien
que ce fut sous l'influence des « abids » que le nouveau Sultan donna
l'ordre d'ex6cuter les principaux chefs de l'Empire.
A El-Menzel, la 16gende attribue la mort de Ali-Ben-Ichchou au
Sultan Moulay-Ismail lui-meme 247 .
« Au cours d'un voyage a Meknes, le caid avait enlev6 une des
filles de sod maitre, et l'avait instance dans une petite maison, au mi-
lieu d'un grand verger plants de pommiers. Averti de cette offense, le
Sultan depe^ha des cavaliers pour ramener a Meknes sa fille et Ali-
Ben-Ichchou. Mais ce dernier, tenu au courant de l'exp6dition, tua
et enterra la fille du Sultan et fit, en une nuit, demolir la maison,
arracher les pommiers, labourer et semer du bl6, si bien que les
cavaliers ne trouverent rien a l'endroit indiqu6 248 . Deconcert6s, ces
derniers n'oserent emmener le ca'id. Mais un cherif convoqua Ali-
Ben-Ichchou a Meknes, aupres de Moulay-Ismail. Presse* d'avouer,
battu, Ali-Ben-Ichchou, ne voulut rien dire, ni a propos de la jeune
fille, ni k propos de l'argent de l'Etat. Un juif vint alors demander
au Sultan la permission de faire avouer le caid ; il enduisit son talon
de savon mou, fit deshabiller et coucher le ca'id par terre et se mit
k lui tourner sur le ventre, en appuyant sur son talon. Apres trois
tours, il lui demanda oii se trouvait l'argent : « Si tu n'avais pas
fait un troisieme tour, r6pondit le ca'id, j'aurais indiqu6 au Sultan
oil se trouvent d'importants tresors, mais a present il est trop tard,
mes intestins sont arrach6s et je vais mourir ». Le Sultan, regrettant
alors d'avoir fait tuer un caid aussi courageux lui demanda pardon :
Ali-Ben-Ichchou le lui accorda a condition d'etre enterr6 derri&re le
futur tombeau de son maitre. C'est pour cela que Ali-Ben-Ichchou
repose a Meknes pr&s de la tombe de Moulay-Ismail-Ben-Ali ».
Cette legende attribue a Moulay-Ismail, seule figure dominante
de l'epoque, l'arrestation puis la mise a mort du caid des Zemmour,
en agrementant l'episode d'une histoire d'enlevement et de tre\sors
246. Kitab el lstiqca, Arch. Mar., IX, p. 157.
247. Informateur Moulay-Ali-L..., El-Menzel, 1956.
248. Ce verger s'appelle aujourd'hui : Jnana Lamzouri.
LES ZEMMOUR, ESSAI d'hISTOIRE TRIBALE 41
caches. Ce fait n'est pas pour 6tonner, Moulay-Ahmed-Ab-Dehbi
n'ayant regne que deux ann^es, alors que Ali-Ben-Ichchou et Moulay-
Ismail dominaient depuis longtemps l'horizon imm6diat et lointain
des Bni-Yazrha.
La suppression des grands commis de Moulay-Ismail provoqua
immSdiatement l'anarchie : « Des qu'ils furent tu6s, dit le Kitab-el-
Istiq§a 249 , les sujets ne sentirent plus le poids de leur autorit6 et se
virent d6barrass£s de ceux qui mettaient un obstacle entre eux et les
desordres, et qui les punissaient pour leurs mauvaises actions. Les
Berberes surtout, sur lesquels pesait un joug d'airain, le secouerent
des qu'Ali-Ben-Ichchou fut mort et, achetant des chevaux et des
armes, revinrent a leurs anciens egarements ». Les Zemmour retrou-
vent ainsi leurs anciens problemes : exposes aux coups des tribus de
la plaine qui r£sistent k la descente des populations de la montagne,
pouss6s par les tribus berberes peu soucieuses de l'int6ret general
et ne pensant qu'a s'emparer des terres plus fertiles poss6d6es par
leurs freres de race, les Zemmour doivent composer tour a tour avec
differents ennemis. Des cette 6poque, un nouvel ^branlement des tribus
de la montagne commence a. se faire sentir.
Nous retrouvons en 1727-1728 (Hg. 1140) un membre de la famille
de Ben-Ichchou, proche parent ou fils de l'ancien ca'id, Mohammed-
ou-Ali-Ben-Iehchou, dans un role assez trouble, tres different en
tout cas de celui de bon serviteur du Makhzen. Les Oudai'as en
effet, pourtant tribu « guich », pillent le marche^ du jeudi k Fes,
sous l'instigation, semble-t-il, de Mohammed-ou-Ali-Ben Ichchou 25 °.
Ce dernier arrete meme les membres d'une d^l^gation « d'oulema »
et de « chorfa » venus porter plainte aupres du Sultan, avant meme
qu'elle puisse parvenir au palais. La revolte de Fes contre les
Oudaias ne put, selon le Kitaib el Istiqqa, etre calm6e qu'apres la
liberation de cette delegation conduite par le frere du Sultan, Al-
Mostadi, venu de Meknes avec un groupe de « chorfa » de cette
ville.
Les Zemmour cedent done au mouvement d'anarchie qui se
de>eloppe et, vis6s par les « abids » qui font du Sultan leur docile
instrument, se dressent contre l'autorit6 royale en se rapprochant
des Oudaias, en fomentant des troubles et en intervenant aux portes
memes de Meknes. Mais, ainsi que le note IT. Terrasse 251 , le pays
249. Kitab el Istiqqa, A. M., IX, p. 161.
250. Ez-Zaiani, Trad. Houdas, Le Maroc..., p. 57, affirme ce fait; le Kitab
el Istiqga ne le mentionne pas.
251. H. Terrasse, Histoire du Maroc, II, p. 280.
42 M. LESNE
n'est pas hostile a la dynastie, et les Zemmour, qui ont servi Moulay-
Isma'il pendant plusieurs decades, encore moins que les autres tribus.
Parmi les souverains 6ph6meres qui se suc6derent pendant la p6riode
d'anarchie alaouite, ils semblent avoir prSfere" Moulay-Abdallah.
2°) Les Zemmour soutiennent Moulay-Abdallah
a) Les caids Zemmour a. Fes.
Moulay-Abdallah se fit remarquer des le d6but de son premier
regne par sa cruaut6 et la haine qu'il nourrissait contre Fes et ses
habitants, haine si vive et si Strange que l'auteur du Kitab el Istiqga
se declare « persuade qu'un diable k forme humaine avait pris pos-
session de ce Sultan et l'excitait contre les gens de Fes » 252 . C'est au
service de ce sentiment que nous trouvons de nouveau les grands
chefs Zemmouris.
Ez-Zaiani 253 mentionne qu'en 1732 (Hg. 1144), Moulay Abdallah
se sert de Abderrazak-ou-Ali-Ben-Ichchou dans sa rancune et ses
vexations contre F&s. Arrive" dans la ville, ce dernier fit arrester les
negociants, p6n6tra dans leurs boutiques et r6ussit ainsi a reunir
une somme considerable (100 000 dinars) dont le Sultan se d^clara
satisfait. Mais lorsque les negociants accompagnerent Abderrazak
devant le souverain pour remettre 1' argent, la somme fut declaree
insuffisante et on les jeta en prison.
Plus efficace dans sa cruaute apparait la conduite de Mohammed-
ou-Ali-Ben-Ichehou-Ez-Zemmouri-El-Kebli nomme gouverneur de Fes
par Moulay-Abdallah, en 1733-1734 (Hg. 1146) 254 . II agissait certes
selon les ordres de son maitre : « Prends l'argent de ces gens la...
ne leur laisse rien; ce n'est que l'argent qui les a rendus tellement
orgueilleux qu'ils m^prisent le pouvoir ». La m§thode employee par
le Zemmouri revele une maitrise rare dans l'art de depouiller une
ville entiere. Mais laissons parler le chroniqueur : « Mohammed-
Ben-Ali s'installa, a son arrivee a Fes, dans la maison de Bou-Ali-
Arrousi a El-Mahdi, II d§signa pour chaque quartier des espions
252. Kitab el Istiqga, Arch. Mar,, IX, p. 178.
253. Ez-Zaiani, Trad. Houdas, Le Maroc..., p. 71.
254. Kitab el Istiqga, Arch. Mar., IX, p. 185 a 188. Au sujet de la nomination
du cai'd, voir A. Bel « Un dahir cherifien du Sultan Abdallah, fils de Moulay-
Ismai'l » (Journal asiatique, mars-avril 1917, p. 283 a 290). Un dahir de mars
1734, renouvelant pour les Ouled Hammou certains privileges de tribu «guich»,
indique : « Nous ordonnons egalement a notre serviteur, le Qald Mohammed
ou Ali-I-Ichchi de leur donner les memes marques de consideration » (p. 288).
LES ZEMMOUR, ESSAI D'HISTOIRE TRIBALE 43
connaissant tres bien les gens ais6s avec mission de les lui amener.
Quand ils furent r6unis chez lui, il les fit mettre en prison. Ensuite,
il imposa a la population d'abord 500 000 mitsqals : chaque nego-
ciant ou propri6taire devait contribuer au paiement de ce chiffre
par des sommes variant entre 1 000 et 10 000 mitsqals. Quand il se
mit a percevoir cette imposition, ceux qui montrerent peu d'empres-
sement a payer furent batonnes et mis en prison ; quant a ceux qui
s'enfuirent, il emprisonna soit leur fils, soit leur femme, soit leur
frere ; il arriva ainsi a se faire verser la somme tout entiere. Ce fut
ensuite le tour des artisans, des ouvriers d'industrie et de propriS-
taires de terrains en dehors de la ville, entre autres de laboureurs :
ceux-ci durent payer une forte somme pour laquelle la part contri-
butive de chacun variait de 100 a 1 000 mitsquals. De cette facjon il
n'y eut personne dans la ville qui n'eut 6t6 taxe\ II se produisit alors
un grand exode des habitants vers les campagnes, les bourgades et
les montagnes : des gens allerent meme jusqu'au Soudan, a Tunis,
en Egypte et en Syrie. II ne resta plus a Fes que les femmes, les
enfants et les miserables. Ceux qui avaient 6t6 emprisonnes s'en-
fuyaient eux-m£mes des qu'ils avaient la liberty, sans s'occuper de
leur famille et de leurs biens ». La part 6tant faite a l'exageration et
au style, la m6thode de Mohammed-ou-ALi-Ben-Ichchou parait nean-
moins particulierement efficace. Pendant plus d'un an il recueillit et
envoya au Sultan tout l'argent qu'il prit. II quitta precipitamment
Fes la nuit lorsqu'il apprit la fuite de Moulay-Abdallah et alia se
r6fugier dans le Zerchoum.
Aussi ne faut-il pas s'Stonner de la consternation et du d6sarroi
des « chorfa » et « oulema » de F6s lorsque, au d6but du second
regne de Moulay-Abdallah, apr6s avoir assists au massacre des dele-
gations de Fes et de Meknes venues au devant du Sultan, ils apprirent
que ce dernier leur donnait de nouveau comme gouverneur Mohammed-
Ben- Ali-Ben-Ichchou : « ils s'en retournerent effray£s du sort qui les
attendait » 2{55 .
b) Les Zemmour pour Moulay-Abdallah, eontre les Bni-Ahsene.
Zemmour et Alt-Idrassene continuent a apporter un concours
souvent tres pr£eieux a Moulay-Abdallah qui profite de la rivalit£ les
opposant aux A'it-ou-Malou. A la fin de son second regne, apres la pro-
clamation de Moulay-Mohammed-Ben-Arbiya (1736-1738), c'est chez
les Ai't-Tdrassene que se reiugia Moulay-Abdallah, d'ou il dirigeait
255. Kitab el Istiqca, Arch. Mar., IX, p. 196.
44 M. LESNB
ses expeditions contre Meknes. Pendant tout le regne de Moulay-Al-
Mostadi (1738-1740) il organisa le brigandage des Berberes « qui
ravagerent le territoire des Oudaias, pillerent leurs troupeaux,
saccagerent ensuite sur les routes, d6trousserent tous ceux qu'ils
rencontrerent, en sorte qu'il devint impossible de voyager dans cette
contrite » 256 . Apr&s son troisieme regne, sous Moulay-Zin-Al-
Abidin (1745), Moulay-Abdallah quittant precipitamment Ras-el-Ma,
choisit encore de se r^fugier en pays Berb&re. Enfin, pendant son
quatrieme regne, il leve des troupes berberes contre le pr£tendant
Al-Mostadi et les « abids », troupes dont la vue seule suffit k le
f aire fuir. « Le Sultan, dit le Kitab-el-Istiqga 257 , arriva, amenant
a. sa suite des contingents berberes pris parmi les tribus des Zemmour,
Bni-Hkim, Gu6rouane, Ait-Idrassene, Ait-Oumalou en nombre si
considerable que le createur seul aurait pu les compter : la richesse
de leur costume et la force de leurs armes Staient de nature a.
rejouir l'ami et k faire du mal a l'ennemi ».
De tous les pr6tendants an trone de Moulay-Ismail, les Zemmour
n'ont soutenu que Moulay-Abdallah. Leur fidelity dynastique etit pu
se manifester en favour d'autres princes, car Moulay-Abdallah n'Stait
pas une personnalit6 particulierement attachante. Mais il s'appuyait
sur les Berberes contre les « abids », et ces derniers recevaient fr6-
quemment l'appui des arabes Bni-Ahsene. Une importante garnison
d' « abids », cr€6e par Moulay-Ismall, se trouvait d'ailleurs en pays
Bni-Ahsene, a Mechra-er-Remla 258 . Or les Bni-Ahsene, de langue et
de coutnmes difterentes, constituaient pour les Zemmour l'obstacle
essentiel leur interdisant l'acc^s des plaines atlantiques et les
obligeant k register aux autres tribus berberes qui, sans cesse, les
poussaient vers Favant. Aussi, le soutien constant accord^ a Moulay-
Abdallah apparait-il dirig6 pi u tot contre les Bni-Ahsene que destin6
k la realisation des ambitions du prince. Leur politique de soutien a
Moulay-Abdallah permet aux Zemmour d'obtenir un affaiblissement
de la puissante tribu Maauil qui les a pr6c£d6s dans leur marche
vers le N. O. En effet, Moulay-Abdallah avait con^u une grande haine
contre les Bni-Ahsene depuis qu'ils avaient envahi, avec les « abids »
256. Ez-Zaiani, Trad. Houdas, Le Maroc..., p. 85.
257. Kitab el Istiqga, Arch. Mar., IX, p. 217.
258. H. Terrasse, Histoire du Maroc, II, p. 256, situe ce depot central
pres de Sidi Slimane; Mechra-er-Remla se trouve plus exactement pres de
Sidi Yahya du Rharb, un peu en amont de l'oued Tiflete, et de nombreuses
mines subsistent encore en un lieu appele Bled Mahalla, situe entre Sidi-Yahya
et la lisiere de la mamora (Cf. Justinard, La Rihla du Marabout de Tasaft,
Paris, 1940, p. 51, note 1.
LES ZEMMOUR, ESSAI d'hISTOIRE TRIBALE 45
et sous le commandement d'El-Mostadi, la residence royale de Meknes,
et s'6taient rendus coupables « d'actes monstrueux comme d'enlever
femmes et enfants » 259 . Aussi, lorsque Al-Mostadi souleva de nouveau
les Bni-Ahsene, et attaqua Moulay-Abdallah a son retour d'exp6dition
contre Errifi, « tout l'effort fut dirige contre les Bni-Ahsene qui
perdirent plus de 1 000 hommes tues, et se virent enlever environ
5 000 chevaux et un noinbre d'armes aussi considerable », alors que
les « abids » furent seulement depouilles. « Cette bataille aneantit
la puissance des Bni-Ahsene » 2C0 . Mais la haine du Sultan ne tarit
point apres cette victoire; il pardonna aux « abids » venus lui deman-
der l'aman, mais se declara decide a exterminer les Bni-Ahsene
ainsi que les autres partisans d'Al-Mostadi. Quelque temps plus
tard, alors que Al-Mostadi etait parmi eux et qu'ils faisaient la
sieste, il r6ussit k surprendre par derriere les Bni-Ahsene et a leur
infliger une nouvelle d^faite. « Avant qu'ils eussent le temps de se
reconnaitre, 6crit le chroniqueur 261 , les cavaliers fouillerent leurs
tentes, chasserent devant eux leurs bestiaux et leurs moutons et
pillerent leurs effets et tout ce qu'ils poss6daient. Les Bni-Ahsene
se disperserent dans toutes les directions, les soldats se partagerent
les prisonniers. Alors les Bni-Ahsene revinrent en toute hate demander
pardon au Sultan qui ordonna de les laisser tranquilles, leur rendit
leurs prisonniers et leur laissa leurs chevaux ». L'ecrasement des
Bni-Ahsene permit tres certainement aux Zemmour d'amorcer un
mouvement vers le N.O. Les Bni-Ahsene eux-memes semblent orienter
leurs regards vers le Rharb, car k la fin du regne de Moulay-Abdallah,
ils se plaignirent des gens du Rharb, qui, traversant leur pays avaient
attaqu£ et pille leurs campements (Hg. 1146) : le Sultan leur permit
alors de se jeter sur eux et leur envoya meme des contingents pour
les aider 262 . Ainsi la marche en avant des tribus berberes, contenue
par Moulay-Isma'il, recommence apres trente ann6es d'anarchie et
de luttes entre les forces hostiles, berberes, tribus « guich », « abids »,
soutenant les princes favorables a leurs int6rets.
3°) Declin de la fidelite a la dynastic.
Vers la fin du regne de Moulay-Abdallah, les Zemmour ne
jouent plus le role de premier plan qui leur 6tait jusqu'ici devolu.
Les Ait Idrassene, avec leur caid Mohammed-ou-Aziz, ainsi que les
259. Kitab el Istiqga, Arch. Mar., IX, p. 225.
260. Ibid., p. 229.
261-262. Kitab el Istiqga, Arch. Mar., IX, p. 230-231.
46 M. LESNE
Guerouane et les A'it-Oumalou se situent de plus en plus en avant
de la scene politique. Les Zemmour se sont-ils affaiblis au cours
des luttes epuisantes qu'ils durent soutenir a la fois contre les
Arabes et contre les tribus Berberes ? Ou bien les grands chefs
politiques leur font-ils defaut ? II semble plutdt qu'une nouvelle
situation g6ographique ait modine" la distribution des forces. A
cette 6poque ou, dit le Kitab et Istiqga, « les Berberes poss6-
daient des terrains de culture dans les environs de Meknes » 263 ,
les Zemmour avaient esquisse un deplacement vers l'Ouest,
laissant aux A'it-Idrassene et aux Guerouane l'occupation d'un
pays qui leur confere aussitot une grande importance «ur
P6chiquier des tribus. La figure de Mohammed-ou-Aziz prend de
plus en plus de relief et, dans les recits pleins de luttes enchev&tr6es,
d'accords et de disaccords entre « abids », Berberes et Oudaias, son
nom revient toujours maintenant sous la plume des chroniqueurs.
Le Sultan fut m&me oblige 1 de lui acheter les services des Berberes
en lui faisant remettre d'importantes sommes d'argent 264 . Sa mort
revela son importance, puisqu'elle fut le signal de luttes entre Gue-
rouane et A'it-Idrassene, que le Sultan put faire cesser en imposant
Ould-Mohammed-ou-Aziz, fils du grand caid A'it-Idrassene.
Cette ellipse progressive des Zemmour s'accompagne d'un affai-
blissement de leur fidelity envers Moulay-Abdallah. Le Sultan lui-
m6me, fatigue" des luttes entre « abids » et berberes, ne voulait-il
pas « mettre face a face ce bouc noir et ce b61ier blanc » et laisser
p6rir l'un d'eux ?
Sous le regne de Sidi Mohammed-Ben-Abdallah les rapports des
Zemmour avec le Makhzen se degradent peu a peu. Au retour d'un
voyage a Marrakch, Sidi Mohammed-Ben-Abdallah, chatie la fraction
A'it-Sibeur des Zemmour en la pillant et en la diss6minant 265 .
La famille des Ichchou tombe en disgrace 266 et le commandement
263. Kitab el Istiqga, ibid., p. 234.
264. Ez-Zaiani, trad. Houdas, Le Maroc..., p. 117.
265. Kitab el Istiqga, ibid., p. 291.
266. Nous les retrouvons plus tard et en d'autres lieux. Une partie des
Ichchou a emigre dans le Rharb et s'est installed dans la fraction Aroua des
Bni-Malek. Vers 1823, le Rharb tout entier 6tait gouvern6 par le caid
Mohammed-Ren-Ichchou-el-Malki (ou El-Aroui) ; il « a laisse dans le Rharb
la reputation de sa puissance considerable et de son excessive severite. Sa
famille existe encore, elle habite aujourd'hui sur la rive droite de l'Ouerrha,
a. l'Ouest du gue de Mechra el Bacha, vis-a-vis de l'endroit ou se trouvait la
maison du dernier caid Mohammed-Ben-Ichchou sous le regne de Moulay-
Sliman ». (Vil. et Trib. Rabat et sa region, IV, p. 35, et III, p. 213). « La karia
Ichchou, d'apres E. Biarnay, colon a Khemichet (Notes historiques mises a
jour par M. Biarnay et aimablement communiques par l'auteur), est devenue
LES ZEMMOUR, ESSAI d'hISTOIRE TRIBALE 47
des Zemmour et des Bni-Hakem passe a Belkassem-Ez-Zemmouri.
Desireux cependant de s'appuyer sur certaines tribus berberes, et
espe>ant tirer de ce ca'id les m£mes services que Moulay-Isma'il sut
obtenir de Ali-Ben-Ichchou, Sidi Mohammed-Ben-Abdallah confie le
commandement des A'it-Oumalou au nouveau ca'id des Zemmour. Mais
Belkassem-Ez-Zemmouri, repouss6 par les A'it-Oumalou, ne put exercer
ses fonctions; le Sultan d6cida alors de soutenir son ca'id qui, malgr6
les renforts recus de ses contributes Zemmour et Bni-Hakem, avait
du se replier de l'autre cot6 de l'Oum-er-Kebia. Soit par incapacity,
soit volontairenient, Belkassem Ez-Zemmouri conseilla une manoeuvre
qui amena le Sultan a se trouver completement isole" avec la colonne
qu'il commandait aux environs de Adekhsan (Khenifra) ; « il fut
convaincu du mauvais conseil qu'on lui avait donne et il ne douta
plus qu'il s'6tait rendu coupable d'avoir conduit aveuglement les
musulmans a une deiaite » 2er . Ce n'est qu'en se reconciliant avec les
Zaer et en apaisant les Ait-Isri que le Sultan parvint a rejoindre
Meknes et a sauver son armee. A peine arrived il fit arreter Belkassem-
Ez-Zemmouri, et lui confisqua ses biens. II nomma Ould-Mohammed-
ou-Aziz gouverneur des Zemmour et des Bni-ITakem. Ainsi se termina
la tentative de collaboration du Makhzen avec les Zemmour.
La disgrace du ca'id Belkassem fut suivie d'une periode sur
laquelle les chroniqueurs restent silencieux. II est probable que la
nomination de Ould-Moliammed-ou-Aziz ne fut pas accepted, en raison
meme des circonstances qui l'avaient impose a la tribu. Les tribus
se soumettent toujours difficilement aux ordres de caids strangers et,
depuis longtemps tribus makhzen et dominatrices, les Zemmour
durent ressentir terriblement l'humiliation qui leur fut infligee.
En 1784 (Hg 1198), le Sultan dirigea une expedition contre les
Zemmour et les Bni-Hakem qui s'infiltraient le long du Beht en
direction du N.O. Selon la chronique, les Zemmour se r6fugierent
au Tafoude'it oti ils se fortifierent; le Sultan partit alors pour
Marrakech laissant sur place Ait-Idrassene et Guerouane pour les
guetter et les surprendre ; tromp6s par le depart de la « harka »
par erosion l'emplacement de la ferme de M. Barthe-Garcia-Sahel de Segonzac
situ£e entre les Oulad Said et les Ouled Hamar en face de Bou R'aneffe, en
aval de Sidi Moussa, a 2 km sud». II est permis egalement de voir le ca'id
Ben Ichchou dans le Bacha ben Hissour cite par Joseph de Rochette a propos
de son voyage dans le Rharb en 1825 (Joseph de Rochette, Relation d'un
voyageur & Fez en 1825, (Memoires et documents publies par la societe
savoisienne d'Histoire et d'Archeologie, XXVI, Chambdry, 1887)). J. Berque a
bien voulu signaler, a ce propos, qu'il a connu aux Oulad-Lahsen (Bni-Malek
du Sud), des descendants du caid, tu£ a la bataille de 1'Isly.
267. Kitab el Istiqca, ibid., p. 323.
48 M. LESNB
cherifienne, les Zemmour sortirent alors de leur retraite et furent
razzies, disperses et reduits « a aller tendre la main dans les
tribus » 268 . La tradition orale en pays Zemmour 269 vent, au contraire,
que les troupes du Sultan aient ete defaites sur une « oulja » du
Beht, voisine du Tafoude'it, appel6e depuis Ouljete-es-Soltane, et
qu'elles se soient repliees sur Meknes.
Pendant cette p6riode ou le role d'arbitre passe peu a pen aux
mains des Guerouane et des A'it-Idrassene, les Zemmour gagnent
lentement leur territoire et ont deja conquis les hauteurs du Tafou-
de'it, forteresse naturelle qui leur servira d6sormais de refuge en cas
d'invasion.
lis se tournent maintenant davantage vers les Bni-Ahsene et
delaissent les luttes contre leurs freres de la Montagne. Ait-Idrassene
et Guerouane jouent le role ingrat qui fut le leur sous le regne de
Moulay-I small et pendant les trente annees de troubles qui suivirent.
Les Zemmour subissent les contre-coups de la politique imperiale
d'equilibre entre les diverses tribus berberes; mais, quoique plus
vuln^rables parce qu'arrives en plaine, il se d6tachent du sort de
la dynastie dont ils furent autrefois un des plus fermes soutiens.
III. — Les Zemmour et la revolte berbere (1790-1822)
Les Bni-Ahsene en avant, les Guerouane et surtout les A'it-
Idrassene en arriere, restent les principaux ennemis des Zemmour.
Les Ait-Idrassene imposent aux Zemmour un ca'id 6tranger et sou-
tiennent periodiquement un Makhzen qui les empeche de refouler les
Bni-Ahsene et les maintient dans les contreforts du Moyen Atlas,
en vue des plateaux cerealiers. Aussi, au fur et k mesure qu'ils s'en
eloignent, les Zemmour eprouvent-ils un regain de solidarity pour
les tribus berberes A'it-Oumalou encore enfoncSes dans la montagne
et qui les aident indirectement par leur action contre les A'it-Idrassene
et le Makhzen; accrochSs longtemps dans l'Azarhar en depit de la
poussee des tribus Sanhaja, ils semblent maintenant d6sirer une
acceleration de leur mouvement en avant, vers la plaine qu'ils ont
sous les yeux.
268. Kitab el Istiqga, ibid., p. 335-336.
269. G. Klein, Etude in6dite...
LEGENDE
Limite de la confederation des
Zemmour
^.Mouvement des tribus etrangeres
_ Mouvement des tribus Zemmour
30Km
INSTALLATION DES ZEMMOUR
SUR LEUR TERRITOIRE ACTUEL
p^
LES ZKMM0UR, ESSAI d'hISTOIRE TRIBALE 49
1°) Premiers signes de revolte : « I'affwire d'Azrou ».
En 1810, lors d'une action des A'it-Idrassene et des Guerouane
contre les A'it-Oumalou, les Guerouane trahissent les Ait-Idrassene
qui subirent ainsi une grave dSfaite. Les troupes du Sultan envoyees
en renfort furent §galement battues. Une nouvelle armee, composed
de contingents arabes ou berberes demeures fideles, se dirige vers
Azrou sous la direction du Sultan Moulay-Slimane. Une manoeuvre
du Sultan qui revient sur ses pas et s'attaque aux A'it-Youssi fait
croire a un aveu de faiblesse ; encourages, Guerouane et Ait-Oumalou
dispersent alors les troupes imp6riales et le Sultan ne dut son salut
qu'a la protection des A'it-Idrassene. Cette dSfaite imperiale connue,
nous dit le chroniqueur 270 , sous le nom de « affaire d'Azrou », pr6-
sente des caracteres qui la distinguent beaucoup de certains revers
imposes aux troupes du Makhzen.
Un des motifs essentiels de l'attitude des tribus berberes fut
leur opposition au caid impost Mohammed-ou-Aziz ; et ceci nous fait
croire k la participation des Zemmour que ne mentionne cependant
pas le chroniqueur. Mais l'obstination du Sultan a maintenir un
gouverneur dSteste" par ses sujets ne suffit pas a. justifier une flambee
de revolte aussi vigoureuse et aussi soudaine; il faut y voir egale-
ment Paction de la famille maraboutique des Amhaouch qui essaie
de grouper a son profit les forces des tribus berberes 270M «. La
dynastie alaouite avait jusqu'ici toujours joue" des particularismes
tribaux; lors de l'affaire dAzrou, une cristallisation semble pour-
tant s'op£rer autour des notions de langue et de coutumes qui appa-
rent, autant que le genre de vie, populations berb6rophones et arabo-
phones, populations de la montagne et populations des plaines :
« Le service que venaient de rendre les Berberes fideles au Sultan
excita la jalousie des Arabes qui n'avaient pu se rendre utiles.
Des qu'un Berbere s'approchait de leur camp, ils l'appreliendaient
et le tuaient, disant qu'il n'y avait aucune difference entre les
Berberes... ».
270. Kitab el Istiqca, ibid, p. 27 a 30.
270 *'*. De\ja en 1770, Mohammed-ou-Naceur, des Imhiouach, soutenait les
pretentions de Moulay-Yazid contre son pere, Sidi Mohammed-ben-Abdallah et
en fut r£compensd a l'avenement de Moulay-Yazid par des dons d'argent.
(Michaux-Bellaire, Note sur les Amhaouch, Arch. Berb., ann£e 1917, p. 213).
50 M. LESNE
2°) Revolte des Zemmour contre Moulay-Slvrmne : Vaffaire des
Zmm (1818) 27 ° * r .
En 1818, les Zemmour participent avec des contingents leves
dans tout le Maroc, a une expedition entreprise contre les Ait-
Oumalou. Les troupes foulent bien les terrains de culture de ces
derniers dans la plaine d'Adekhsan, mais lors des combats qui sui-
virent cette action, « la mort frappa seulement les Arabes, tandis
que les Berberes n'6taient pas touches » . Cette entente entre les
Berberes des deux camps opposes fut l'ceuvre de Mohammed-El-Rhazi,
caid des Zemmour.
El-Rhazi avait en effet remarque" que le Sultan, au cours des
engagements precedents, n'avait fait marcher que les Berberes et il
le soupgonna de vouloir les faire battre les uns contre les autres.
II se rapprocha des Za'ian : « II n'y a pas de difference entre vous
et nous. S'il y a rencontre, nous tirerons k blanc les uns sur les
autres » leur dit-il. Aussi, n'y eut-il aucune victime dans les deux
camps berberes.
Le lendemain, les Berberes regurent l'ordre de ne pas monter
a cheval, le Sultan voulant eprouver les Arabes et se rendre compte
de leur valeur guerriere. Mais au milieu de la journee, les Berberes
monterent en selle, se ruerent sur les Arabes « par devant et par
derriere, les tuerent et les depouillerent ». « Je les vis au moment
oil ils se mirent en selle, rapporte un temoin. De quelque cot6 que
je regardasse, je ne voyais que du rouge, tant etait considerable
le nombre de selles de leurs chevaux. Les Berberes se mirent ensuite
a s'appeler a grands cris, et, se dirigeant avec leurs 6tendards du cote"
du champ de bataille, ils allerent en criant derriere les Arabes qui
6taient aux prises avec l'ennemi ».
Selon une opinion rapport6e par l'auteur du Kitab el Istiqqa,
la defection des Zemmour eut pour origine la jalousie ressentie par
Mohammed-El-Rhazi, pourtant tres 6coute" du Makhzen, envers le
caid des Ait-Idrassene, El-Hassen-ben-Hammou-ou-Aziz qui, bien
qu'ayant une situation moins 61ev6e, avait su s'acquerir la faveur du
fils du Sultan, Moulay-Ibrahim. El-Rhazi aurait alors manoeuvre de
facon a faire croire a une retraite et conduit ainsi les troupes impe-
riales a la defaite. Que ce soit par solidarity berbere ou par jalousie,
ou peut-etre a cause de ces deux sentiments k la fois, les Zemmour
renverserent le sort des armes et Moulay-Slimane, capture" par les
270 '■"■. Kitab el lstiqca, Arch. Mar., X, p. 51 k 63.
LES ZEMMOUR, ESSAI d'hISTOIRE TRIBALE 51
Bni-Mguild, ne dut son salut qu'k sa quality de «che>if». Le
Sultan voit ainsi son prestige d6chu, son autorit6 mise en cause par
les Berberes et Bou-Beker-Aniahouch qui les inspire, son fils mor-
tellement blessed Cette victoire de Lenda (6 km au Nord de El-Kebab,
dans la vallee du Serou, affluent de gauche de POum-er-Rebia) 271 ,
amorce un renouveau de l'influence des Zemmour qui s'exerce cette
fois contre la personne du Sultan.
3°) Les Zemmour participent a la revolte beroere de Amhaouch.
La repression entreprise par Moulay-Slimane ne fit qu'augmenter
le sentiment de revolte des tribus de la montagne. Le sultan attira
par des cadeaux une d616gation de 700 notables qu'il emprisonna;
il fit arreter tous les Berberes sur les marches de Fes et de Sefrou.
Prenant partie pour leurs freres emprisonn6s, les Berberes, conduits
par leur « dejjal » Bou-Bkeur-Amahouch assiegerent Meknes. « lis
se coalis£rent tous et ne formerent plus qu'un seul parti contre qui-
conque parlait l'arabe dans le Magrib » 272 . Les Zemmour sont k
1 'avant-garde de la lutte.
En 1820, les gens de Fes excedes par les pillages des Oudaias et
croyant a une abdication du Sultan, appelerent les ca'ids Berberes
pour leur demander leur appui. Mohammed-El-Rhazi arrive bientdt
avec des cavaliers Zemmour et Bni-Hakem, ainsi que El-Hassan-Ben-
Hammou-ou-Aziz-El-Mtiri, chef des A'it-Idrassene. lis choisissent
comme Sultan un flls de Moulay-Yazid, Moulay-Brahim-Ben-Yazid.
Parmi les personnages assistant k la « be'ia », se trouvaient le che>if
Sidi-El-Hajj-Larbi-El-Ouazzani, chef de la confr6rie Ouezzaniyine,
Moulay-Larbi-Derqaoui, chef de la confrerie derqaouiya « qui avait
parmi ses plus fideles disciples Ben-El-Rhazi-Ez-Zemmouri lequel
etait alors chef des Berberes et dirigeait ces affaires avec Ben ou Aziz ;
Bou Bkeur- Amhaouch assistait egalement a cette cSremonie » 273 . Le
chroniqueur rapporte que Moulay-Ibrahim refusa les offres qui lui
furent faites, mais qu'il accepta lorsqu'il se rendit compte que le
pouvoir risquait de passer a une autre famille. Sidi-El-Hajj-Larbi-
El-Ouazzani et Moulay-Larbi-Derkaoui 6taient en effet de lign^e
271. G. Drague, Esquisse..., ibid., p. 89. G. Drague voit dans la « khotba »
de Moulay-Slimane d'inspiration ouahabite, lue dans toutes les mosqu^es des
villes et consid<5r£e comme une declaration de guerre par l'dldment mara-
boutique, la cause profonde de la revolte de 1818 qui faillit balayer la dynastie.
272. Kitab el Istiqca, Arch. Mar., X., p. 54.
273. Ibid.
52 M. LESNE
idrisside; Bou-Beker-Amhaouch lui-meme pr6tendait a cette noble
origine et la r6volte risquait de prendre le caractere d'un mouvement
idrisside dirige contre la dynastie alaouite 274 . Les Zemmour tres
p6n6tr6s par les chorja idrissides et influences par l'appartenance
de leur caid a la confr£rie Derkaouiya offraient une grande permea-
bility aux tentatives antidynastiques du mouvement.
El-Rhazi et ses cavaliers Zemmour participerent aux expeditions
menses contre les villes du Nord et qui aboutirent au pillage des
magasins du Sultan et du mellah de T6touan. Les soldats « trou-
verent, dit-on, un si grand nombre de fanegues, de doublons et de
boundouqi que Ben-El-Rhazi Ez-Zemmouri et les autres chefs des
envahisseurs ne donnaient plus a leurs gens que des boundouqi, ce
qui accrut encore le nombre de ceux qui se joignirent k eux » 275 .
Apres la mort du Sultan, ce fut encore El-Rhazi et les partisans de
Bou-Beker-Amhaouch qui forcerent les habitants de T6touan k
accepter le nouveau Sultan d6sign6 par eux, Moulay-Sa'id-ben-Yazid,
frere du precedent. L'intermede des Sultans d6sign6s par les tribus
reVoltees se traduit en fait par le pillage du Nord Marocain.
Personnage principal de la rebellion berbere, avec le caid des
A'it-Idrassene, El-Rhazi-Ez-Zemmouri va cependant, par son attitude,
detruire le mouvement qu'il avait en grande partie inspire. Le chef
de la confr6rie Derkaouiyia, le cheik Moulay-Larbi ayant 6t6 fait
prisonnier par les Ouda'ias, au moment de la proclamation de Moulay-
Brahim par les Berberes, ses fils allerent trouver El-Rhazi, affili6 a
la confr6rie et le supplierent de travailler k l'elargissement de leur
pere. Bou-Bekeur-Amahouch et El-Rhazi conclurent alors un armis-
tice avec Moulay-Slimane qui garde cependant le cheikh en quality
d'otage. Le nouveau Sultan Moulay-Abderrahmane se montrant mieux
dispose que son pere en faveur des grandes confreries religieuses,
El-Rhazi, pour sauver la vie de son chef religieux, accepta de se
soumettre et vint, accompagne des principaux notables de sa tribu,
lui apporter des presents et son serment d'aliegeance. Cette defection
entraina celle des Ait-Idrassene et des Guerouane qui, croyant a une
trahison, s'empresserent aussitot d'apporter leur serment de fidelite.
El-Rhazi fut regu avec une particuliere bienveillance ; le Sultan « en
fit son conseiller le plus intime : il ne prit aucune decision sans le
conseiller et lui accorda la liberte du cheikh Abou-Abdallah-Ed-
Derqaoui » .
274. G. Drague, Esquisse..., ibid., p. 254.
275. Kitab el Istiqga, Arch. Mar., X., p. 75.
LES ZEMMOUR, ESSAI d'hISTOIRE TRIBALE 53
La fortune de El-Rhazi fut au d6but a la mesure de l'importance
de son geste. Moulay-Abderrahmane le maria a une des concubines de
son oncle, fille du caid Omar-ben-Bou-Setta, gouverneur de Marrakeeh
sous Moulay-Sliinane, ce qui accrut le prestige du caid Zemmouri.
Mais la rancune du Sultan contre El-Rhazi 6tait demeuree tres
vive et, le calme revenu dans son empire, il s'empresse de le faire
arrSter a Marrakeeh puis emprisonner k Mogador oil il mourut
en 1825. Le Kitab el Istiqga attribue a une trop grande familiarity
du caid la cause de sa disgrace; un coup de feu tir6 par un garde
lui fit penser que le Sultan en voulait a sa vie, et ses propos et ses
menaces amenerent ce dernier k l'arreter. Mais Moulay-Abderrahmane
voulait en fait affermir son autorit6 par des exemples et supprimer
un des principaux artisans de la revolte des berberes Sanhaja du
Moyen Atlas.
Ainsi s'acheve une periode pendant laquelle les Zemmour ont
pass6 de l'hostilit6 latente a la rerolte ouverte contre le Makhzen.
Sous la conduite de leur caid El-Rhazi, ils jouerent un role important
au cours d'un soulevement puisant son inspiration et ses forces dans
un mouvement de r6volte maraboutique et de solidarity berbere, et
dirig6 contre un pouvoir central affaibli. La double decadence des
abid et du guich, sensible deja sous le regne de Sidi-Mohammed-ben-
Abdallah, permit k ce mouvement de prendre une ampleur dangereuse
pour la dynastie. Mais les Zemmour reviennent sous l'ob£issance
nominale du Sultan. Au cours des troubles, ils ont pu progresser
dans la plaine et atteindre les environs de Dayete-er-Roumi 270 . Un
instant entraines par un caid ambitieux et galvanises par la voix
des marabouts, les Zemmour doivent maintenant affronter les pro-
blemes propres aux tribus de la plaine.
IV. — Les Zemmour et le bled Siba
Le caid El-Rhazi disparu, le lien si tardivement renou6 entre
les Zemmour et le pouvoir central va se rompre k nouveau. A cette
27G. Petit lac pres de Khmissete. La tradition attribue a El-Haj-Ahmed-
Ben-Rhazi-El-Kebli la conqutHe du territoire actuel de la tribu; il aurait ete
reconnu par Sidi-Mohammed-Ben-Abderrahmane en 1859 et commandait les
Ai't-Zekri, Kabliyine et Ait-Ouribele; on lui attribue aussi la construction
d'une grande maison sur l'Oued Tfaouti (Oued Mrislate) en pays Ait-Abbou
ainsi que la fameuse allegorie de la tempfitc lors de Farrivdc des Bni-Ameur
en pays Zemmour. II est impossible d'identifier ce caid avec celui de PIstiqca,
mort en 1825.
54 M. LESNE
date, il leur restait a conquerir la foret de la Mamora pour occuper
leur territoire actuel. Mais leur position continue a demeurer tres
vulnerable.
Aux yeux du Makhzen, les Zemmour restent une tribu puissante
et guerriere, genante par sa presence dans la plaine, mais sans aucune
utility dans la politique traditionnelle de verrouillage du Moyen
Atlas. Les Zemmour eux-memes, d£ja mal compris des populations
de la montagne lorsqu'ils se trouvaient sur le versant ouest du Moyen
Atlas, ne peuvent pas compter sur la solidarity des tribus Sanhaja.
En outre, ils s'avancent ma in ten ant en plein coeur d'un pays
traditionnellement makhzen. Les Bni-Ahsene au Nord, les Ameur et
les Sehoul au N.O., les Zaer au S.O. sont des voisins arabes, qui se
re>oltent parfois contre le pouvoir central et les levies d'imp6ts mais
qui, sauf dans les ann6es precedant l'intervention franchise, restent
nominalement soumises au Sultan. Sous Moulay-Abderrahmane, Zaer
et Bni-Ahsene furent r6unis sous le commandement du ca'id Driss-
Bel-Rhazi-Bel-Amri, des Beni-Ahsene; puis Mohammed-Ben-Ichchou
gouverna le Rharb tout entier. Si l'on excepte, en 1849, la revolte des
Ameur de Sal6 et des Zaer, qui vinrent assieger Rabat et Sal6, le
Rharb resta constamment soumis. Sous Moulay-Slimane, apres une
pe>iode de dislocation des grands commandements un regroupement
des Bni-Ahsene interviendra sous la direction du caiid Mohammed-
El-Gueddari. D'ailleurs, la plupart des tribus du Rharb reconnaissent
spontan&nent le nouveau Sultan. Les Zemmour se trouvent done
dans un pays de langue et de continues differentes, soumis au Makhzen
et organise" en fonction de cette ob&ssance.
D'autre part, les Zemmour sont installes a la fois sur la ligne
d'6tapes vers le Sud, qui longe les massifs montagneux au contact
de la plaine, et sur la route de Rabat-Fes par le Sud de la Mamora
et Meknes. Le Makhzen attachant evidemment beaucoup d'importance
a la surety de ses communications inteh'ieures ne peut tol6rer d'entra-
ves sans r6agir aussitdt. La profonde coupure du Beht, l'appui des
contreforts montagneux du Moyen Atlas permettent cependant aux
tribus Zemmour de s'accrocher avec vigueur tt leur territoire.
PrivSs d'un ca'id prestigieux, environn6s de tribus soumises,
installed dans une region de transition, tels apparaissent les Zemmour
au d6but du regne de Moulay-Abderrahmane.
LES ZEMMOUR, BSSAI d'hISTOIRE TRIBALE 55
1°) Les Zemmour periodiquement chaties et soumis (1822-189/f).
a) Emiettement du bloc Zemmour.
Aucun chef d'envergure ne semble avoir pris la succession du
caid El-Rhazi. Au contraire Fere des grands commandements appar-
tient definitivement au passe. Selon le Lt. Mortier 277 a la mort de
El-Rhazi, tous les Zemmour reconnurent Fautorite du caid Ech-Cherif
de la tribu des Kabliyine egalement (Fraction A'it-Ahmed-ou-Yacoub).
lis resterent encore groupes en un commandement unique sous le
successeur de ce dernier, Djilali-Ould-Mbarek, des Ait-Belkassem.
Ensuite, selon la tradition, le bloc Zemmour se s6para en cinq tron-
cons, avec des caids autonomes :
Ait-Zekri, caid Si-El-Rhazi. des Ait Abbou ;
Bni-Ameur, caid Hassan, des Khzazna ;
Haouderrane, caid Ben-Toumi ;
Messarhra, caid Hammadi-Ben-Hammou ;
Bni-Hakem, caid Bel-Abbes.
Selon le C ne Querleux 278 , les Zemmour se scinderent en deux
d£s la mort de El-Rhazi ; un premier groupe, comprenant le « Khoms »
des Ait-Zekri, fut commande par le caid Djilali-Ben-Mbarek des
Ait-Belkassem, un deuxieme groupement comprenant les quatre autres
« khoms », resta sous les ordres du caid Toumi, des Ait-Sibeur.
Ces deux versions contradictoires, bas6es sur les souvenirs des
anciens recueillis plus d'un demi-siecle apres les 6v6nements, s'accor-
dent sur une donn^e parti culierement importante : la division des
Zemmour en « khoms », c'est-k-dire un partage traditionnellement
op6r6 par le Makhzen en vue de percevoir les impots. Le temps n'est
plus on le caid des Zemmour discutait d'6gal a 6gal avec le prince ;
les tribus sont organisees interieurement en fonction du paiement
de l'impot. Un tel 6tat de faits n'a pu etre impose que par la force.
b) Les expeditions punitives de Moulay-Abderrahmane.
Nous voyons encore les Zemmour participer, avec les Oudaias,
les Ait-Idrassene, les Bni-Ahsene. les Bni-Malek et les Sefiane, & la
« harka » lanc6e par Moulay-Abderrahmane contre les Cherarda,
dresses contre le Khalifa de Marrakech 278 . Mais bientot, en revolte
eux-memes, les Zemmour furent l'objet d'exp6ditions punitives.
277. Lieutenant Mortier, Rapport sur la question Bni-Ahsene, Zemmour,
Mamora, 1913.
278. Capitaine Querleux, Les Zemmour, Arch. Berb., I, fas. 2, 1915, p. 23.
279. Kitab el Istiqca, Arch. Mar., X, p. 124-25.
56 M. LESNB
Tout d'abord, sous le prStexte que la region Zemmour 6tait
infestee de coupeurs de route, le Sultan Moulay-Abderrahmane rendit
les calds Zemmour responsables. Djilali-Ben-Mbarek, des A'it-Bel-
kassem fut saisi et envoye" en prison a Mogador; pre>enu a temps,
Toumi, des A'it-Sibeur, plus enfoncS dans le pays, reussit a s'enfuir
chez les Bni-Ahsene 280 . Puis en 1843 (Hg 1259) Moulay-Abderrahmane
vint lui-m£me razzier « la tribu des Zemmour Echchleuh qui avait,
dit le Kitab el Istiqga, depasse* toutes limites dans ses exc&s et dans
la terreur qu'elle repandait parmi les serviteurs de Dieu et du
pays » 281 . Dans une lettre adress6e a son fils, le Khalifa Sidi-
Mohammed 282 , le Sultan precise que cette action a 6t6 entreprise
apres maints avertissements prealables, apr&s m6me que leurs r£-
coltes eussent 6te" foulees et leurs provisions confisquees, car les
Zemmour, confiants dans leur force, ne voulaient pas composer;
harcel6s par des incursions successives, soumis au pillage et a l'in-
cendie, les Zemmour se retrancherent dans les hauteurs puis com-
mencement a chercher refuge dans les tribus voisines. II se soumi-
rent enfin et durent solliciter le pardon du souverain. A la suite de
cette expedition, trois gouverneurs furent nomm6s, une contribution
importante lev6e (50 000 metqals) et un contingent de 200 hommes
fourni a la « harka » cherifienne, comme il sied aux tribus soumises.
Dix ans plus tard, les Zemmour sont de nouveau razzies par le
Sultan. Moulay-Abderrahmane mena l'affaire conjointement avec
son fils, khalifa de Marrakech, qui, apres une action punitive dans
le Tadla, campe pres de Sale\ « II partit le lendemain, 6crit le chroni-
queur 283 , et passa la nuit a Sidi-Allal-El-Bahraoui (actuel centre
de Monod). II demeura la deux jours, puis se remit en route et
alia camper a Tiflet (Tifiete) ou il resta quelques jours. Apres cela,
il s'avanga jusqu'a Dar-Bel-Khazi (sur l'Oued Tfaouti, affluent du
Mrislate). Pendant ce temps, le Sultan avait quitt6 Meknes et, fixant
son camp a Elkhamissat (Khmissete), il avait d6ja dirigS plusieurs
attaques sur les Zemmour qui s'6taient retranch£s dans les montagnes.
II avait pille" leurs biens et d6vast6 leurs cultures et meme leurs ar-
bres ». Malgr6 cette attaque convergente minutieusement prGparee, les
Zemmour r6fugies sur les hauteurs du Tafoudeit 284 resist£rent aux
troupes du Sultan qui ne purent les en d61oger.
280. Capitaine Querleux, ibid., p. 23.
281-282. Kitab el Istiqga, Arch. Mar n X, p. 163 et 164.
283. Kitab el Istiqga, ibid., p. 189 a 192.
284. « Au sein de montagnes voilees de nuages et donnant presque la
main aux etoiles » selon le Kitab.
LES ZEMMOUR, ESSAI d'hISTOIRE TRIBALE 57
« II n'y a personne qui ignore la malice des Zemmour : elle est
plus noire que la nuit et assez forte pour &tre compared a un torrent »,
avait 6crit le Sultan 285 . Pour les require, les expeditions se succe-
dent a intervalles reguliers. Chaque ann6e le Sultan et son Khalifa
se donnaient rendez-vous chez les Zemmour et faisaient ravager les
cultures et les biens par les soldats. Ces actions punitives dur^rent
jusqu'jl la mort de Moulay-Abderrahmane, qui survint au cours de
l'une d'elle, et affaiblirent considerablement les Zemmour. Elles ont
laisse* un souvenir tres vif en tribu, particulierement chez les A'it-
Zekri installs sur le plateau de Tiflete et de Khmissete. Le caid Bou-
Driss des A'ft-Zekri (presque centenaire en 1955) se souvient que
deux de ses oncles, au service du Sultan en quality de « moul-es-strom-
bia » et « moul-el-Belrha » 286 , furent k l'epoque retenus comme
otages; leur famille, pour obtenir leur liberation, dut envoyer au
Sultan 25 chamelles blanches portant chacune quatre past^ques,
en signe de soumission. On se souvient 6galement qu'en 1859 un
contingent de troupes cherifiennes a 6te" 6cras6 par les cavaliers
Zemmour sur 1'Oue.d Berrejline 287 . Moulay-Abderrahmane avait,
dit-on, jure" d'incendier les recoltes des Zemmour pendant sept annees
de suite; voici comment la tradition perp^tue le souvenir de sa mort
en pays Zemmour 288 .
« Trois ann6es de suite, le Sultan traversa notre pays; chaque
fois les r6coltes furent brulees. C'est a peine si nous avions le temps
de nous r£fugier dans la montagne et d'6viter le pillage de nos
biens. La quatri&me fois, se rendant de Rabat a Fes, Moulay-Adber-
rahmane s'6tait arrete" comme de coutume a Si-Allal-El-Bahraoui et
a Tiflete. De Khmissete, il s'appretait a envoyer les gens de sa
« mehalla » sur les divers points de notre territoire pour accomplir
les destructions annuelles lorsque nos amis les « chorfa » d'Ouezzane
voulurent intervenir aupr£s de lui en notre faveur. Comme ils s'ap-
prochaient de la tente imperiale pour adresser leur requite, le
Sultan les apercut et devina la raison de leur visite. II les arr6ta
du geste avant m£me qu'il eussent parle" et leur dit ces seules
paroles : « Si c'est le pardon des Zemmour que vous demandez, votre
requite est inutile ». Les « chorfa » n'os&rent insister et se reti-
rement. Mais un jeune fils du « cherif » qui avait pu s'approcher de
285. Kitab el Istiqqa, Arch. Mar., X, p. 190.
286. Moul-el-strombia, « Maltre des coussins » et moul-el-behha « maitre
des babouches », sortes de chambellans.
287. Fiche des tribus du Bureau du Cercle Khmissete, 1953.
288. Recit de AIlal-EI-Kedal, des Hejjama, rapports par G. Klein (£tude
cit£e). Le caid Bou-Driss rapporte egalement le mSme rdcit des £v£nements.
58 M. LBSNE
Moulay-Abderrahmane pendant la courte audience, l'avait pince
si adroitement a l'epaule que le Sultan ne s'en 6tait point apercu.
Cependant, des le lendemain, la meurtrissure infectee 6tait invaliie
par leg vers et Moulay-Abderrahmane gravement malade, donna
l'ordre de rentrer imm6diatement. La « mehalla » se remit en marche,
le Sultan restait invisible dans sa chaise a. porteur. A Meknes seule-
ment on apprit sa mort. Sans doute 6tait-il mort en route, mais
comme toujours en pareil cas, la nouvelle en av r ait 6t6 tenue cachee
pour 6viter la panique ».
c) Les Zemmour amends i\ composer avec Sidi-Mohammed-Ben-Abder-
rahmane et Moulay-Hassan.
Fatigues de la lutte, les Zemmour profiterent de l'avenement de
Sidi-Mohammed-Ben-Abderrahmane pour tenter un rapprochement et
obtenir l'arret des expeditions punitives. Cette bonne volonte" pouvait
d'autant mieux se manifester qu'elle s'exercait contre des tribus enne-
mies ou rivales. Le nouveau Sultan habitait Marrakech et, voulant
rejoindre sa capitale, fut arrete apres Kabat, par les Bni-Ahsene;
les cavaliers Zemmour l'escorterent jusqu'a Fes dont les portes
furent forcees 289 . Puis, lorsque les Bni-Ahsene, les Gu6rouane, les
Bni-Mtir, les Mjate, bloquerent Meknes et voulurent piller la ville,
les Zemmour en prot6gerent les habitants, sur l'invitation de Sidi-
Mohammed-Ben-Abderrahmane, jusqu'au retour & l'ordre normal.
Le Sultan, selon la tradition, vint lui meme les remercier a Meknes.
En recompense, il libera le ca'id Djilali-Ben-Mbarek emprisonn6
naguere a Mogador par son pere. Les Zemmour rentrerent alors en
tribu et d6signerent certains d'entre eux qui recurent l'investiture
de ca'id; les premiers furent El-Hajj-Rezzouk-El-Ouahioui (Ai't-
Ouahi), Mohammed-ou-Cn6rif (Kabliyine), Ould-Toumi-es-Sibeurni
(Moualin Beht, c'est-a-dire Messarhra et Ait Jbel Doum) ; par la
suite d'autres cards furent nommes, chaque tribu voulant le sien.
Mais les Zemmour ne deviennent pas pour autant des tribus verita-
blement soumises; tout en les considerant comme tribus makhzen,
le Sultan transige avec eux et leur laisse comme prerogative la liberty
de vivre selon leur loi coutumiere. Les Zemmour conservent done
leur particularisme et ni les « caids » ni le « chraa » ne viennent
influencer « l'orf » berbere.
Le regne de Moulay-Hassan marque pour les Zemmour une p6-
riode de paix relative et de soumission partielle. Seuls les Bni-
289. Capitaine Querleux, Les Zemmour, Arch. Berb., Vol. I, 1915, p. 23.
LES ZEMMOUR, ESSAI d'hISTOIRE TRIBALE 59
Hakem adoss6s aux contreforts du Moyen Atlas refuserent de recon-
naitre le Sultan; ils furent mis & la raison par les autres Zemmour
eux-memes 290 . Moulay-Hassan, au cours de ses tourneys de pacifica-
tion traversa le territoire des Zemmour en 1877. Ces derniers, dit
la chronique « se rendirent humblement et modestement aupres de
lui et chercherent a gagner sa bienveillance par leurs presents et
leur « mouna ». Ils consentirent a payer le tribut et a fournir les
contingents qu'il leur imposa » 2!>1 . Le Sultan fut accuelli par Brahim-
El-Kebli, qui avait r6ussi a s'imposer aux Kabliyine, aux Ait-Yadine
et aux Ait-Ouribele ; le ca'id interceda en faveur des Ait-Ouribele,
partis en dissidence au Tafoudeit, r6unit les fonds de la ran^on exig6e
et subvint aux frais d'entretien de la « mehalla » cherifienne 292 .
La m£me soumission et la meme obeissance se manifesterent quel-
ques annees plus tard lors d'un nouveau passage du Sultan : des
deputations en costumes de fetes, avec leur 6tendards, apporterent
de Fargent et des mets tout le long du parcours 293 .
Cependant, malgre" ces preuves de soumission, l'adh6sion des
Zemmour n'6tait pas totale et des tribus partaient en dissidence.
Quedenfeldt 294 rapporte un incident qui montre l'existence d'un
etat d'esprit de resistance au Makhzen. Au cours de cette campagne
de 1877, en effet, un officier de la Mission Militaire franchise du
Maroc, le Cne Schmidt, fut tue" par les Zemmour. Fort imprudem-
ment, cet officier s'6tait eloigne" du quartier g6n6ral pour aller
p6cher h, l'Oued Beht. Tl fut attaque - par une petite troupe de cava-
liers Zemmour qui le ligoterent, lui passcrent une corde autour
du con et, assujetissant celle-ci a la selle d'un cheval, l'emmenerent
avec eux, puis abandonnerent le corps apres deux heures d'un galop
assez vif. Mais la politique de presence de Moulay-Hassan en pays
Zemmour, par l'envoi presque annuel de contingents de cavaliers
succ£dant aux expeditions punitives de Sidi-Mohammed-Ben-Abder-
rahmane, aboutit presque en fin de regne, a transformer les Zemmour
en tribus soumises. Les Zemmour ne peuvent en effet resister ind6-
finiment k un Makhzen fort et tout proche. L'action des Sultans
aboutit a. substituer proviso! rem en t a un bled « siba » en puissance
un bled makhzen automatiquement remis en cause des que la force
s'eloigne.
290. Kitab el Istiqqa, Arch. Mar., X, p. 317.
291. Kitab el Istiqqa, ibid., p. 310, 316 et 317.
292. Fiche des tribus du Bureau du Ccrcle de Khmissete.
293. Kitab el Istiqqa, Arch. Mar., X, p. 310, 316, 317.
294. Quedenfeldt, Mitteilungen aus Marokko, 1889, p. 2 et 3.
60 M. LBSNE
L'impdt, en effet, signe de soumission, voire de servitude et
d'humiliation, semble avoir 6te" paye" de facon plus qu'irreguliere. El-
Bhazi an temps de Moulay-Slimane et de Moulay-Abderrahmane,
avait fait r6partir les terres conquises sur les Bni-Ahsene; ayant
ainsi distribue" tous les terrains par tente et selon le nombre de
« zoujas » 205 poss£d£es, El-Rhazi nxait tous les ans le taux d'impo-
sition, que le sol ait 6t£ cultive" on non. Apres sa mort, il ne fut plus
question de payer l'impdt sauf temporairement an moment des recon-
ciliations passag^res avec le Makhzen. Sous le regne de Sidi-Moham-
med Ben-Abderrahmane et de Moul ay-Hassan, le Makhzen, profltant
des bonnes relations, envoyait chaque annee un repr^sentant, soit
le « caid mia » 296 Mbarek-Ben-Oheikh-Eeh-Cheradi, soit le « caid
mia » Mohammed Ez-Zirari. « Les collecteurs arrivaient avec une
centaine de selles et passaient en tribu pour recueillir 1' « achour »
dont le versement leur 6tait fait, non en espece, mais en bewail.
Chaqne « jemaa » offrait une bete, un cheval, un bcenf, une vache, des
moutons... la plupart du temps l'offrande e"tait achetee a credit, au
moment du passage du « nadir », par les notables de la fraction qui
circulaient ensuite de tente en tente pour se faire rembourser. Cet
impdt n'avait rien d'£crasant. Chacun donnait ce quMl voulait et
dans la population, les ames g£nereuses n'6taient guere nom-
breuses ». Les Ait-Bou-Yahya, les Ait-Yadine et les Ait-Mejdoub
etaient exon£re>, faveur due a leur origine cherifienne; ils se conten-
taient d'envoyer chaque annee une chamelle au Sultan, en signe
d'attachement a sa personne 297 .
Depuis la mort de El-Rhazi, les Zemmour ont perdu l'attitude
offensive contre le Makhzen qu'ils avaient adoptee lors de la reVolte
maraboutique. Exposes aux coups, ils ne peuvent que register, en se
refugiant dans le Sud de leur pays, et s'accommoder de 1'ineVitable.
Sidi-Mohammed-Ben-Abderrahmane les martela sans arrSt afin de
maintenir la liberte" de ses communications. Sous Moul ay-Hassan,
les Zemmour semblent vouloir composer davantage et, malgr6 des
resistances, se soumettre un peu plus regulierement aux obligations
de l'impdt.
295. Attelage de 2 betes avec charrue.
296. Caid commandant 100 guerriers.
297. G. Klein, Etude inedite, 1919.
LES ZEMMOUR, ESSAI D'mSTOIRE TUIBALE 61
2°) La 8iU (1894-1911)
a) Etat du pays Zeminour a la fin du regne de Moulay-Hassan.
Malgre la presence presque annuelle, vers la fin du regne, des
« harkas » ch^rifiennes qui sont toujours une lourde charge pour
l'6conomie locale, le pays Zemmour connait une certaine prosperity.
De Foucauld 298 se declare frappe" par la richesse de la region situSe
aux environs de Souk-El-Tleta des Zemmour (Khmissete) ; cultures,
ruisseaux, beaux dollars, frais jardins, ont fait donner a ce pays le
surnom de « Doukkala du Rharb ». Plus de 30 tentes sont dress6es
sur le souk, oii l'on trouve des grains, des betes de somme, du b6tail,
des cotonnades, de l'huile, du sucre, du the" et des monceaux de fruits
superbes, surtout de raisins apport6s par les douars voisins. Un
douar proche du Souk-el-Arbaa des Zemmour (Camp Bataille) produit
la meme impression de richesse : belles et grandes tentes, un ou deux
chevaux de selle aupres de la plupart d'entre elles, femmes occupies
a tisser... La region ainsi d6crite par de Foucauld est de nos jours
encore la plus prospere du pays Zemmour; mais l'6conomie agricole
des Zemmour avait pu a l'6poque se d6velopper, apres la relache des
expeditions punitives de Moulay-Abderrahmane.
Le Sultan jouit d'un prestige religieux incontestable. Le ch6ri-
fisme, profond^ment implante dans Fame marocaine, explique chez
les Zemmour l'attitude a la fois hostile au Makhzen et la soumission
a la personne sacr6e du Sultan. L'anecdote suivante illustre bien ce
double sentiment :
La reine d'Angleterre avait offert a Moulay- Hassan par l'inter-
m&liaire de Sir William Kirby Green, un magnifique elephant des
Indes, muni d'un siege-selle garni de clous d'or. Le Sultan tres fier
de cette bete, et pour la montrer a. son peuple, qui s'6crasait pour voir
passer le monstre, avait pris l'habitude de s'en faire suivre lorsqu'il
se rendait le vendredi a la priere. II fut un jour surpris et quelque
peu alarm6 par la tem6rite" des trois chefs Zemmour, venus a Fes
solliciter une audience qui fut accorded; ils d6clarerent avoir 6te"
d61egu6s pour prier le Sultan d'envoyer chez eux les collecteurs
d'impots et pour offrir en menie temps leur soumission. Ils dirent,
qu'enrichis apres trois ans de rebellion, ils se repentaient mainte-
nant de leur conduite et voulaient s'acquitter du tribut du au Sultan.
Ils ajouterent une requete a cette offre surprenante : ils avaient vu
l'61ephant, ils en parleraient a leurs freres qui jamais ne voudraient
298. Ch. de Foucauld, Reconnaissance au Maroc (1883-1884), p. 42 et 43.
62 M. LESNE
croire que le Sultan se faisait suivre par un chien de taille plus
grande que six mules fondues ensemble; ils demandaient done que
la bete sacree accompagne les collecteurs d'impots. Si forte soit-
elle, elle croulerait sous le poids des richesses qu'elle rapporterait.
Le Sultan aquiesga d'abord, puis se ravisant, fit remarquer que la
bete etait de sante" delicate et qu'il serait heureux de Penvoyer le
prin temps suivant chez les Zemmour fideles. En attendant, il leur
confiait la selle, dont la taille suffirait a convaincre les contribuables
des trois caids que ces derniers ne mentaient pas. Une escorte com-
mandee par un ca'id accompagna les trois Zemmour et fut chargee
de veiller sur la selle sacree. Jamais plus on n'en entendit parler. La
selle fut installee dans une tente mosquee des Zemmour ou elle jouit
de la faculty de gu£rir. Quant au tribut promis, il n'atteignit jamais
la cour de F&s 2 ".
A la fin du regne de Moulay-Hassan, les levees d'impots restent
laborieuses. Stephen Bonsai 300 signale dans sa description du Maroc,
que les Zemmour (avec les Zaer et les Bni-Ahsene) tuent les collec-
teurs d'impots et pillent les caravanes du Sultan qui trouve, apres
vingt ans de combats ininterrompus, que les deux tiers des habitants
ie son royaume ne lui ob&ssent pas. Recemment encore, rapporte-
t-il, les Zemmour et les Zaer mirent en fuite les troupes du Sultan
qui lui-meme, ne dut son salut qu'en chevauchant en toute hate vers
Rabat, dix-huit heures de suite 301 .
La richesse du pays Zemmour et la valeur de ses guerriers per-
mettraient cependant aux tribus de mieux r&sister encore a l'impot,
si leurs populations presentaient un front uni. Mais aucun chef ne
reussit plus a grouper sous son autorit6 l'ensemble des tribus Zem-
mour. Chaque groupement veut un ca'id autonome pour d£fendre
uniquement ses propres interets. En 1875, les Ait-Zekri se liberent
d^finitivement de Pautorit6 des caids originaires des Kabliyine, tribu
ayant fourni beaucoup de chefs a la confederation tout entiere, puis
299. Cette anecdote est rapportee dans L. Coufourier, Chronique de la
vie de Moulay-Hassan, 1906, p. 382, en note. L'61ephant etait blanc (offert en
1891) s'appelait Stoke, mesurait 9 pieds et pesait 4 tonnes. L'arrivee des Chefs
Zemmour se serait produite alors que le Sultan campait en pays Zemmour.
G. Klein signale que la tradition Zemmour a garde le souvenir de « l'annee
de l'elephant » (aam-el-fil).
300. Stephen Bonsal, Morocco as it is, 1893, p. 60 et 65.
301. Quedenfeldt, Division et repartition de la population berbere au
Maroc (1888-1889), p. 50, indique les tribus Zemmour comme nominalement
soumises. D'apres lui, le bled makhzen comprend des tribus soumises ou des
tribus nominalement soumises. II note £galement l'existence d'ecoles de vol
chez les Zemmour, avec exercices pratiques.
LES ZEMMOUR, E8SAI D'HISTOIRE TRIBALE 63
au « khoms » Ait-Zekri ; ils se placent, avec les A'it-Belkassem et les
A'it-Ouribele .sous Fautorite" du caid Mohammed-Ben-Chaboun-El-
Ouahioui. En 1880, les A'it-Belkassem deviennent independants avec
le ca'id Bouazza-Ould-Immas. Vers 1890, les A'it-Ouribele, avec le
caid Driss-ou-Kaho se apparent aussi des Ait-Zekri. La possession du
Souk-el-Tleta oppose entre 1885 et 1890, les A'it-Ouribele et les
Kabliyine, et met en querelle presque toutes les tribus Zemmour 302 .
Les Kabliyine, qui passent pour avoir toujours et6 une tribu
Makhzen, perdent de leur importance au fur et a mesure que leurs
ca'ids voient leur autorite diseutee par le reste des Zemmour. « Au
temps du caid El-Rhazi, il suffisait a ce dernier d'envoyer un seul
messager lorsqu'il voulait arreter quelqu'un, meme dans une frac-
tion 61oign6e. L'interesse' se lavait, s'habillait et venait se presenter
tout seul au ca'id tant 6tait grande son autorite » 303 . Apres sa mort,
les Kabliyine durent c6der peu a peu aux Ait-Abbou le territoire
qu'ils occupaient autour de la maison d'El-Rhazi, sur l'Oued Mrislate.
Le fils du grand caid, Ahmed, ne lui succ6da que quelques mois avant
de d6missionner ; Mhammed-Ech-Cherif-El-Kabli, son parent, quoique
agr6e par le Sultan, est depose par les Kabliyine eux-memes au bout
de quelques annees. C'est sous le commandement de Ben-Ch&rif
cousin du precedent, que les Ait-Zekri se soulevent en 1875. Enfin
sous Moulay-Hassan, Brahim-El-Kebli, homme 6nergique et respects
imposa encore son autorit6 aux A'it-Yadine et aux A'it-Ouribele,
mais pour peu de temps. Les petits commandements se multiplient.
En 1892 par exemple, les tribus suivantes avaient chacune leur ca'id :
Ait-Ali-ou-Lahsene (Makroud), Kotbiyine (Moussa), Mzourfa (Idriss),
Ait-Abbou (El-Rhazi), Ait-Ouahi (El-Hassan), Ait-Belkassem (Moham-
med-el-Idiri), Haouderrane (Mekhennter), Messarhra (Slimane), A'it-
Ouribele (Raho), Kabliyine (Ould-Si-Brahim-El-Houcine)... 304 . Cer-
tains ca'ids rGussirent a faire ratifier leur nomination et obtinrent
des dahirs d'investiture. La seule entreprise commune de l'6poque
reste la conquete de la Mamora, men6e avec une entente remarquable
par toutes les tribus Zemmour; il s'agissait la d'une rencontre de
tous leurs int6rets vitaux, concretised par l'existence d'une riche
zone de parcours, a portee de la main, et tellement n£cessaire & leur
subsistance que chaque tribu se trouvait engaged jusque dans ses
forces vives. Mais les Zemmour, pour realiser de grandes choses out
302. Fiches des tribus du Bureau du Cercle de Khemissete, 1953.
303. Informateur Mohammed-Ben-L..., Kabliyine, 1952..
304. Lieutenant Mortier, Rapport sur la question Bni-Ahsene, Zemmour,
Mamora, 1913.
G4 M. LESNE
toujours eu besoin de chefs energiques sachant faire taire les parti-
cularismes. L'ere des grands ca'ids est close et les evenements donnent
raison a une prophdtie de Sidi-Abderrahmane-el-Mejdoub, contem-
porain de Moulay-Ismail, que tout Zemmouri connait encore aujour-
hui :
Le Pays des Zemmour est une grande aire,
Les fourches n'en arrivent pas a bout !
Les Zemmour ne se deregleront
Que si leurs chefs redeviennent des enfants.
**
*
Ebranles par les coups du pouvoir central, les Zemmour font
partie de cette zone intermecliaire entre les tribus Makhzen carac-
t^risees par le double fait de payer l'impdt et de fournir des contin-
gents armes, et les tribus insoumises qui gardent leurs hommes et
leur argent. lis ont acquis une reputation de turbulence et de
cruaut6 et les voyageurs h6sitent & traverser leur territoire 305 .
Profltant des faiblesses du pouvoir central, apres des ann6es d'escar-
mouches contre les Bni-Ahsene, ils conquierent la Mamora vers la
fin du regne de Moulay-Hassan. L'insoumission des Zemmour, cons-
tamment reprimee, ne demande qu'k se g6n6raliser et l'emiettement
des commandements acc£lere l'instauration de l'anarchie interne.
b) Le pouvoir central.
Que ce soit par paresse et manque de labeur selon H. Terrasse 306 ,
que ce soit par grande na'ivetS ainsi que 1'affirme A. Ayache 307 , le
Sultan Abdelaziz ne sut pas maintenir l'autorite' imperiale au degr6
ou l'avait eleven son pere. Les convoitises des pays europeens, la
revolte du rogui Bou-Hamara ont disloqu6 le pouvoir du Makhzen
et permis a l'anarchie, difficilement contenue, de s'6tendre.
Peut-on dire que les Zemmour participerent k ce que A. Ayache
appelle la resistance du peuple marocain 308 , ou a une revolte de
305. En 1883, lorsqu'il voulut traverser le pays Zemmour, Foucauld obtient
des renseignements decourageants : les Zemmour « etaient des tribus sauvages
dans lesquelles il est impossible de voyager » (p. 19). Jules Erckmann signale
que « pour aller de Rabat a Fes avec un seul cavalier d'escorte, il convient
d'eviter les Zemmour » et cette tribu est quelquefois difficile a traverser
(Le Maroc Moderne, 1885).
306. H. Terrasse, Histoire du Maroc, II, p. 361.
307. A. Ayache, Le Maroc, 1956, p. 56 et 67.
308. A. Ayache, Le Maroc, 1956, p. 56-67.
LES ZEMMOUR, ESSAI d'hISTOIRE TRIBALE 65
caractere national contre Abdelaziz et les etrangers ? Le meurtre du
Cne Schmidt, en 1877, fut plutot un coup de main occasionnel contre
un Stranger qui aidait, par sa connaissance de Fartillerie, la
« mehalla » cherifienne a les combattre. E. Aubin 309 signale bien
Fattitude hostile du contingent Zemmour envers les Europeans, en
1903; « le contingent Zemmour, ecrit-il, camp6 sous les murs de Fes
el Djedid, pen6trait de force au Dar El Makhzen, y reclamait des
fusils, pillait plusieurs boutiques du bazar et prodiguait les injures
aux Europeans qui entraient ou sortaient par Bab Es Segma. Un
jour meme quelques berberes plus excites s'amuserent a saisir leurs
fusils et a faire mine de me coucher en joue, quand nous passions
a cheval sur les bords de l'oued Fes ». Mais rien ne permet de voir
dans cette attitude autre chose qu'une xenophobie habituelle aux
tribus vivant sur elles-memes et irritees par les innovations fan-
taisistes du Sultan.
Les « mehallas » ne sont plus l'instrument puissant d'autre-
f ois. W. B. Harris 310 rapporte avec amusement la pittoresque bataille
que la « harka » de Moulay- Abdelaziz livra aux Zemmour en 1902,
lors de son voyage de Fes a Rabat ; il y eut ce jour la plus de combats
dans le camp imperial que contre les Zemmour. Ceux-ci s'6taient pla-
ces derriere un profond ravin (sans doute la vallee de l'oued
Berrejline) sans desir aucun de tenir la vallee ou leurs qualites de
cavaliers ne pouvaient les servir, et disposes k attendre l'armee en
plaine. Apres quelques dScharges de canons et des rafales de mitrail-
leuses, un regiment de Doukkala, parti k Fassaut, s'arr§te k mi-
chemin de la pente adverse et commence a piller les silos d'un
douar; les soldats retirent leurs pantalons, en nouent les jambes
et les remplissent de grain. Le second regiment d'Abda, envoy6 pour
les pousser, echange quelques coups de feu avec les premiers, puis,
apres un compromis sans doute, se charge aussi de bl6 et d'orge.
« Je ne pourrais jamais oublier, ajoute "W. B. Harris le spectacle
de ces troupes peinant dans la dure montee, suant et soufflant, v£tus
de la tunique ecarlate avec un panneau de chemise passant sous la
veste, et rien de plus ; et au sommet du ravin, le Sultan furieux, et
toute la cour, au milieu de Farmee, impuissante k changer le cours
des 6v6nements ». Aussi, le lendemain, sur la route du retour, la
« harka » fut-elle harcelee et sa route semee de cadavres. Une telle
armee, indiscipline et vivant de rapines, ne pouvait plus imposer
309. E. Aubin, Le Maroc d'aujourd'hui, 1904, p. 365.
310. W.B Harris, Le Maroc disparu, Trad. Oudinot, 1929, p. 66-67.
66 M. LESNE
aux tribus la volonte du Sultan. L'intercession des « chorfa » d'Ouez-
zane amena seule les Zemmour a se soumettre en 1902.
Les Zemmour tantot pretent leur concours au Sultan, tantot
l'abandonnent ou se tournent contre lui, au gre" de leur int6ret mo-
mentan6 ou d'une inexplicable fantaisie. Les agitations int6rieures
interdisent le libre passage au Sultan; le Makhzen doit emprunter
la route du Nord, par les Bni-Ahsene, pour aller de Kabat a Meknes ;
il eprouve beaucoup de difficulty dans ses relations entre Marrakech
et Fes. Quelques personnalit6s tiennent cependant a entretenir des
relations avec Sidi-Abdelaziz ; elles vont en cachette a la capitale
et en rapportent des lettres d'investiture en quality de ca'id. Mais
personne n'est d'humeur a souffrir d'intempestifs actes d'autorita-
risme. Les nouveaux dignitaires, d'ailleurs, se contentent de la pos-
session de leur titre honorifique et ont le bon gout de ne pas songer
autrement a exercer des fonctions officielles : chacun est « ca'id de
sa tente » et en tire orgueil 3n . Sollicites par les « chorfa » d'Ouez-
zane, pour lutter contre Bou-Hamara, les Zemmour respondent k
l'appel des lettres du Sultan, lues sur les souks, et levent des « har-
kas » qui partent sous le commandement de Sidi-Taibi, che>if d'Ouez-
zane et grand ami des Zemmour. E. Aubin a demerit 312 la mauvaise
impression que fit sur les Fassis leur enthousiasme d6sordonn6 et
bruyant lors de la presentation du Sultan a la fete de l'AId-el-Kebir.
Mais les Zemmour tirent profit de la situation; les ca'ids usent de
subterfuges, se pretent des hommes mutuellement pour les presenter
et toucher de l'argent 313 . Apres un engagement au cours duquel les
Zemmour subissent des pertes sensibles, ils demandent a rentrer
temporairement chez eux en emportant leurs armes; le Makhzen fait
mine de register mais les Zemmour menacent alors de ne plus revenir.
lis partent done chez eux, avec 4 000 fusils Gras 314 .
Les Zemmour donnerent la un mauvais exemple et les autres
tribus descendent de la montagne pour avoir des armes; les Bni-
Ahsene r6clament et percoivent 1 600 fusils. Les Zemmour reviennent
a la charge, envahissent les Saiss, campent au bord de l'Oued Fes,
« cassent » le souk du jeudi et enlevent bceufs, moutons, vStements
et argent. Au retour ils essaient de piller Meknes dont les portes
311. G. Klein, Etude inedite, 1919.
312. E. Aubin, Le Maroc d'aujourd'hui, p. 142.
313. En 1919, l'ex-caid Ben-Achir des Kabliyine, montrait encore des pieces
d'or gagn^es par son pere, alors ca'id, rapportees apres l'affaire de Bou Hamara
(Selon G. Klein).
314. E. Aubin, ibid., p. 415, et aussi L. Arnaud, Au temps des Mehallas,
1952, p. 185 et 186.
LBS ZEMMOUR, ESSAI D'HISTOIRE TRIBALE 67
se ferment a leur arrivee, puis rencontrent les Bni-Mtir qui essaient
de prelever sur eux une part de leur riche butin; ils perdent alors
30 hommes, 20 chevaux et 70 fusils. Le Sultan ayant envoye 1 un
« cherif » kettani et un « cherif » ouazzani pour les ramener k la
« harka » imperiale, beaucoup acceptent mais portent plainte contre
les Bni-Mtir, qui, moins puissants que les Zemmour, doivent payer
500 douros pour le prix du sang 315 .
Le pouvoir central se revelant incapable de s'imposer aux tribus,
les Zemmour adoptent une position tres libre vis-&-vis du Sultan et
lui obelssenl inoinentan6inent apres avoir lutle contre lui jusqu'en
1902. D'ailleurs, ainsi que l'^crit « l'anonyme de F&s » qui compare
Moulay-Hassan sans cesse en voyage k Sidi-Abdelaziz confine^ dans
son palais, « l'aigle vit dans les airs et habite les deserts, tandis
que le coq erre autour des maisons. La force de l'aigle lui confere
un pouvoir absolu; mais le coq, que peut-il faire sinon effrayer les
poules quand il chante ? » 316 . II convient en outre de remarquer
que la participation des Zemmour k la « harka » contre Bou-Hamara
semble avoir et6 pour eux plutot une occasion de piller et d'obtenir
des armes que la manifestation d'un ferme soutien a Sidi-Abdelaziz.
c) La « siba » des Zemmour.
Aussi bien, le « bled siba » se trouve favoris6 par rapport au
« bled makhzen », triste region, ecrit Foucauld, « ou le gouvernement
fait payer cher au peuple une security qu'il ne lui donne pas; ou,
entre les voleurs et le caid, riches et pauvres n'ont point de repit,
ok l'autorit6 ne protege personne, menace les biens de tous; ok
FEtat encaisse toujours sans jamais faire une depense pour le bien
du pays; ok la justice se vend, ok l'injustice s'achete, ou le travail
ne profite pas... » 317 . Les Zemmour preferent la dissidence; un com-
bat de temps en temps coute moins cher en hommes et en argent
que les versements incessants au Makhzen. Si la tribu ne culbute pas
la « harka » ch6rifienne, celle-ci s'installe en tribu, pille autour de
son campement, envoie quelques pointes sans trop oser s'avancer;
on fait alors appel aux « chorfas » qui r^ussisent generalement k
trouver des solutions de compromis honorables pour tous. Tout
compte fait, lorsque le pouvoir central, affaibli, ne peut porter de
coups bien violents, la « siba » se revele avantageuse : on 6chappe
315. E. Aubin, ibid., p. 423 a 426.
316. L. Coufourier, Chroniques de la vie de Moulay-Hassan, Arch. Mar.,
XIII, p. 311.
317. Foucauld, Reconnaissance au Maroc, p. 40 et 41.
68 M. LESNE
a l'impot regulier, on recueille des benefices substantiels pour les
appuis momentanes au Makhzen, on peut piller les tribus plus faibles
ou les riches citadins, et le Makhzen manifeste des 6gards k ceux qui
peuvent lui register. L'interet et l'amour de la liberte font aussi pen-
cher les tribus vers la recherche de Findependance tribale lorsque le
Makhzen s'affaiblit.
L'insoumission des Zemmour a. tout ce qui n'est pas la loi du
groupe se manifeste, nous l'avons vu, par la dSsinvolture adoptee
vis-a-vis du Makhzen mais non par une hostilite combative. Elle se
traduit par des menaces constantes contre les villes les plus proches ;
des cavaliers Zemmour pillent les boutiques et les bazars de Meknes
en 1902; prenant pretexte d'un meurtre, ils ravagent egalement le
march6 de Sale, concurrences ici par les Zaer qui enlevent des cara-
vanes aux portes meme de Eabat; les juifs de Sale obtiennent
d'ailleurs de faire murer la porte « Bab-el-Khemis », a l'est du Mellah,
par crainte de leurs incursions 318 . Le pillage s'exerce aussi vis-a-vis
des tribus voisines qui redoutent la force des Zemmour; Zaer et
Za'ian d'un cote, Zemmour de l'autre, se respectent relativement car
ils se craignent ; mais les Zemmour imposent leur volont6 aux Sehoul,
Ameur et Bni-Ahsene 319 . Ed. Doutte" 320 notait ainsi en 1901 la
situation rSciproque de ces tribus. « Souvent les Zemmour poussent
les incursions chez les Bni-Ahsene, tombant a l'improviste sur les
douars pour leur enlever leurs troupeaux et vider leurs silos. II y
a deux ou trois mois a peine, nous dit-on, la guerre ensan giant ait-
encore tout le pays que nous traversons et les gens des tribus ou
nous passons en ce moment ont dfi acheter une treve pour la dur6e de
l'6t6, afin de pouvoir moissonner leurs recoltes. Ils l'ont pay6e, dit-on,
au prix de six cents douros, c'est-a-dire trois mille francs : c'est
ainsi que plus riches et plus vuln6rables que les Zemmour, les Bni-
Ahsene n'ont jamais fini de leur acheter la paix ».
Dans leur concision, les caracteristiques de chaque tribu consi-
gnees en 1916 par le Cne Clerdouet dans un bulletin statistique 321 ,
demeurent particulierement eloquentes. Si les Kabliyine sont plus
318. VU. et Trib., Rabat et sa region, I, p. 195.
311). Etudiant les consequences du droit de fuite des femmes Zemmour
en tribu etrangere, G. Klein (Etude inedite, 1919) observe qu'en temps de
paix chez les Sehoul, Bni-Ahsene et Ameur, les fugitives sont toujours rendues,
par crainte de represailles, et qu'en temps de guerre la decouverte d'une fugitive
amenait sa perte et celle du douar qui l'abritait. Par contre, en pays Zaer ou
Za'ian, la ferame etait toujours perdue, car la montagne est dangereuse.
320, Ed, Doutte, En tribu, Paris, 1914, p. 410.
321. Capitaine Clerdouet, Renseignements statistiques sur les Zemmour,
1916 (Arch. D. I.).
LES ZEMMOUR, ESSAI D'HISTOIRE TRIBALE 69
riches et ont tendance a se rapproehei* du Makhzen, les A'it-Ouribele
manifestent les memes goGts de pillage et de brigandage; les Ait-Bel-
kassem prouvent leurs instincts guerriers par leurs expeditions contre
les Sehoul et les Bni-Ahsene, avec les Kotbiyine; les Messarhra sont
en guerre continuelle avec les Bni-Ahsene et les Guerouane; les
Ait-Mimoun entretiennent quelques relations avec le Makhzen mais
s'opposent constamment aux Gue>ouane; les Ait-Sibeur, tres ind6-
pendants, luttent contre les Bni-Mtir et les Gu6rouane; les Haouder-
rcme ont des differends constants avec les Bni-Mtir, Bni-Mguild,
Za'ian, Bni-IIakem; ces derniers enfin combattent tres souvent leurs
voisins Zaer et Za'ian.
Parall61ement aux brigandages expansifs, le pays Zemmour se
ferine aux courants venant de Pexterieur. Les tribus tiennent la
route de Rabat a Meknes, ouverte autrefois par Moulay-Ismail, et
ne la laissent emprunter par le Makhzen qu'avec repugnance et non
sans opposition armee. Moulay-Abdelaziz tenta l'aventure en 1902;
mais il n'osa pas attaquer les Zemmour, comme tou jours refugi6s
au Tafoudeit, et laissa negocier une treve par les « chorfa »
d'Ouezzane. Pour aller a Rabat ou a Marrakech, un devour par le
Nord, en plaine Bni-Ahsene puis par la cote, s'impose a toute cara-
vane ou toute «harka». Les individus isol6s peuvent traverser le
pays, mais en se pliant aux coutumes; le voyageur doit se procurer
la protection coutuiniere ou « mezrag » et il la trouve presque tou-
jours, contre redevance; dans les moments de calme, un seul zem-
mouri suffit pour faire traverser le pays, des Sehoul jusqu'aux
Guerouane ; en periode de trouble le voyageur doit changer de garant
pour chacune des tribus zemmouries traversed. La protection du
« mezrag » se reVele cependant tres efficace car les transgressions a
la coutume sont reglees par les armes et tous les freres du pro-
tecteur .se considercnt comme engages. La protection d'un « ch6rif »,
surtout s'il appartient ;\ la maison d'Ouezzane, constitue une garan-
tie suppl^mentaire mais ne dispense pas le voyageur du « mezrag ».
En « siba », les tribus et meme les fractions se conduisent abso-
lument comme de petites republiques autonomes, k Pint6rieur des-
quelles d'autres cellules plus petites jouissent d'une ind^pendance
jalousement preservee; les « jemaas » comprennent en principe tous
les repr^sentants de la collectivity, mais en r^alit6 des anciens, qui,
par leur age, leur fortune, leurs vertus, leur connaissance de la loi
coutumiere jouissent d'une situation pr6pond6rante. L'autorite" se
trouve done entre les mains de quelques families puissantes. Les
« jemaas » ne sont aucunement des organ ismes regulitirement cons-
70 M. L-ESNE
titu6s par des mandataires et siegeant a des epoques fixees; elles ne
se reunissent qu'apres £chec des transactions entre parties interess^es ;
elles ne constituent aucunement les unes par rapport aux autres,
des degres de juridietion et s'excluent entre elles : lorsqu'une « jemaa »
de fraction a rendu une sentence, elle devient ex6cutoire et il ne
peut 6tre fait appel k la « jemaa » de tribu. En p6riode de « siba »,
les « jemaas » n'ont guere l'occasion d'affirmer leur autorite" dans
des services d'administration int6rieure. La tente familiale, vivant
en 6conomie fermee, fait preuve d'une solide ind6pendance politique
et 6chappe pratiquement aux groupements supra-familiaux.
En periode de guerre, apres decision des « jemaas » de fraction
ou de tribu, un « amrhar » est d6sign6, qui repartit les contributions
a fournir et dirige les combats. Les pouvoirs de Y « amrhar »
s'exercent uniquement en fonction des combats a soutenir. Aussitot
investi, il fait designer par chaque « jemaa » de fraction un « refad »,
garant responsable de ses freres dans l'execution des ordres qui
seront donnas, les r6unit et leur communique ses directives. Chaque
« refad » repartit entre ses freres, selon leurs richesses, la contri-
bution de guerre qui lui a £te" indiquee; dans le delai fixe" par
«l'amrhar», chacun doit se procurer, qui un cheval, qui un fusil,
qui une selle... Le jour du rassemblement, tout le monde se trouve
ainsi prepare" au combat, les d£faillances tres rares 6tant sanctionnSes
par le blame public, de tres fortes amendes ou les confiscations des
troupeaux. Certains « amrhars » prenaient ainsi de l'autorite" ; on
raconte qu'ft un moment donn£, chez les Bni-Hakem, un certain
« amrhar » exigeait l'execution sans d61ai de ses ordres. En cas
d'insoumission ou de retard, il montait a cheval, se portait au devant
du troupeau du recalcitrant, sortait son poignard et se mettait a
egorger ses moutons jusqu'a ce qu'on lui crie grace 322 .
Beaucoup r^ussissent k se faire delivrer des certificats d'inves-
titure, mais leur autorit6 reste nulle et ils n'ont de caid que le titre.
« Une des difficulty s6rieuses auxquelles on se heurte, notait le
chef d'annexe de Maaziz en 1918, aussi bien dans l'organisation des
tribus ralliees que dans les pourparlers avec celles qui sont insou-
mises, reside dans la p£nurie de personnages r6ellement influents » 82S .
En 1911, J. Ladreit de Lacharri&re, qui suivait la colonne Ditte
penetrant en pays Zemmour, exprimait ainsi l'impression de vide
politique 824 : « aucune organisation fixe n'existant chez les Zemmour,
322. G. Klein, Etude in6dite, 1919.
323. Note sur 1' Annexe de Maaziz, Lieutenant Compain, 1912. Arch. D. I.
324. Notes de J. Ladreit de la Charriere, L'Afrique fran^aise, 1911, n° 7,
p. 279.
LES ZEMMOUR, ESSAI D'HISTOIRB TRIBALE 71
aucun personnage n'etant invest! d'une autorite autre que celle qu'il
peut acquerir par son courage ou son habilet6, il s'ensuit qu'on ne
sait pas tres exactement ce que repr6sentent les individus qui vien-
nent demander V « aman » et immoler le taureau de «targuiba».
Quelle est l'autorite' de ces gens ? Font-ils partie du cof le plus
puissant ou de l'opposition ? Sont-ce des gens de bonne foi ou des
malins qui se preparent des voies vers des caidats futurs ?... Selon
le proverbe local, « chaque homme vaut ce que vaut son fusil ».
Aucune base ne s'offre pour entreprendre des pourparlers et on
marche un peu vers l'inconnu ».
Ainsi l'autorite toute Active des caids, l'autorite irreguliere des
« jemaas » qui tranchent des litiges plus qu'elles n'administrent,
assurent Pindependance totale, jusqu'il la limite de cohesion, des
plus petits groupements ou microcosmes communautaires, indispen-
sables dans un pays ou l'homme isol6 ne peut se concevoir. Aucun
impdt, sauf celui qu'un chef de guerre momentan^ment d6sign6
repartit entre les tentes avec l'accord de tous. Aucune corvee en
nature, les prestations de travail restant toujours volontaires et
1'entraide passagere, entre families ou douars, assurant la main-
d'ceuvre aux rares periodes de pointe. Aucune p6nalit6 en temps de
paix, autre que le paiement de la « diya » (prix du sang) en cas de
meurtre, ainsi que les remboursements de vol ou reglements de
dommages que les particuliers poursuivent entre eux ou avec l'appui
de la « jemaa ». Aucune prestation pour les travaux d'utilite" publique
qui n'existcnt pratiquement pas ; les fonctions m£mes de « rekkass »
(courriers) en temps de guerre sont assurees par des cavaliers b6n6-
voles. Aucune taxe sur le commerce ou pour les f£tes. Le principe
de la liberty individuelle domine toute la vie publique, sans restriction
aucune en vue du bien public, sans Pexistence d'une notion quel-
conque d'Etat. En contrepartie, la crainte de represailles sanglantes
ou la disapprobation publique demeurent les garants de l'ordre.
Un fusil ne pese jamais lourd pour venger un crime, punir l'adultere,
ch&tier une trahison; aussi les crimes ne sont-ils pas toujours aussi
nombreux qu'on pourrait le penser; mais le caractere collectif de la
responsabilit6 et le jeu des alliances rendent meurtrieres les repre-
sailles et les actions de force. Le systeme des garants 325 « moul el
mezrag » en cas d'accord entre tribus, « douars » pour les trans-
actions immobilieres, permet d'att^nuer la loi de fer des actions
collectives; aussi le manquement a la parole est-il un crime, et la
325. amesay en berbere.
72 M. LESNE
fidelity aux engagements une vertu en honneur chez les Zemmour.
Une premiere punition, d'usage courant, consiste k couper les che-
veux de la femme du par jure; parfois la reprobation prend l'aspect
d'un anatheme public.
Seddik-Ben-Assila, des Ait-Abbou, a la suite d'un conflit qui
avait oppose entre elles nombre de tribus, avait ete choisi comme
« moul el mezrag » par les Mzourfa. Quelque temps apres, des freres
de Seddik-Ben-Assila attaquaient des moissonneurs Mzourfa. Sur
deux souks consecutifs des Ait-Abbou, une banniere noire flotta au
vent et, en se croisant sur le marched, les gens se disaient : « Ceci est
le drapeau de Seddik-Ben-Assila » (Alam-Seddik). Le jour du troisieme
souk, on creusa une fosse, et on 6difia un tombeau avec des pierres
surmontees de chiffons noirs. Ceux qui passaient demandaient qui
6tait enterr6 la. On leur repondait : « c'est \k la tombe de Seddik-
Ben-Assila ». Et tous crachaient a terre en maudissant le traitre 326 .
La meme reprobation s'attachait au cavalier peureux : les femmes
munies de pots de henn6 aspergeaient de teinture les vetements des
fuyards ; on coupait la queue de leur cheval ; « on les traitait de
juifs aussi souvent que possible; les bergers gardant leur troupeau
ou les femmes ecrasant le ble chantaient leur honte » 327 .
Ainsi, liberty individuelle, respect de la parole, contrainte collec-
tive s'allient en p6riode de « siba » pour assurer un equilibre entre
les exigences diverses de la vie sociale et l'amour de l'independance.
L'emiettement des structures sociales, a l'interieur d'un cadre
tribal ou confederal, peut etre pousse jusqu'a l'extreme lorsque les
populations ne sont pas inscrites au sol. Au lieu de former des douars
attaches a leurs arbres, a leurs habitations, a leurs terres, les clans
adoptent la forme de molecules egoistement ferm6es, a la limite d'une
cohesion necessaire a leur survie, se defendant autant par le mouve-
ment et la fluidity que par les armes. Aussi les appetits, les interests
s'opposent-ils souvent les uns aux autres, ajoutant des causes de
conflit a celles inh6rentes a la structure d'une soci6t6, poussant au
supreme degre l'amour de l'independance et la haine de l'autorite\
Ici encore existent des barrieres, combien insuffisantes mais replies
et utiles, aux innombrables occasions de conflits : les pactes de
« tata », les ententes provisoires, les « mezrags » collectifs... Les
« chorfa » interviennent Sgalement pour amener les adversaires k
composition, pour fixer le montant des « diyas » contestees, aboutir
326. Anecdote rapportee par G. Klein.
327. G. Klein, Etude citee, 1919.
LES ZEMMOUR, ESSAI D'HISTOIRE TRIBALE 73
k une reconciliation ; generalement ils r6ussissent a ramener le calme
et la paix et, en cela, leur influence tres r£elle s'av^re plus efficace
que celle du Makhzen qui se contente trop souvent d'opposer les tribus
entre elles, et d'imposer un simple systeme fiscal et militaire. Mais
l'anarchie perpetuelle ne se concilie pas avec la paix. Pour beaucoup
de jeunes d'ailleurs, la guerre ou les actes de brigandage constituent,
comme la fantasia ou la chasse, de v6ritables sports ou peuvent se
dSployer leurs qualites de force et de bravoure. Et si les risques,
l'emprisonnement ou la mort attendent parfois les combattants, en
revanche combien de chances de pillage, de vol, d'enrichissement !
Ainsi se d6veloppe un etat d'esprit guerrier, preferant le hasard
plein de possibilites k la certitude de la m£diocrite\
Les Zemmour sont ainsi parvenus au stade extreme de Involution
generalement constate en « bled siba ». Une attitude generate plutot
defensive qu'offensive k P6gard du Makhzen caracterise le compor-
tement de la Confederation qui consent parfois a participer aux
actions guerridres du Makhzen; mais les Zemmour se refusent abso-
lument k payer l'impot et se protegent jalousement contre Petranger.
Chaque groupement, chaque clan veille sur son independance et pr6-
fere, aux vastes ensembles organises, une cohesion limitee au petit
groupe.
II n'y a point Ik de mouvement deiiberement hostile contre un,
systeme, mais evolution normale due a Pabsence de cadres territoriaux
anciens ou de cadres administratifs fermes. L'anarchie ou l'agitation
s'6tablissent spontan6ment, commc dcs ph6nomenes presque physiques,
dans une societe sans autres liens qu'une desu6te fiction g6nealo-
gique ou une communaute generale d'existence, sans inscription au sol.
4°) U intervention franqaise
328
Les troupes franchises trouverent les Zemmour dans cet etat
d'anarchie, de brigandage, de luttes intestines, pousse it un degre
tel qu'un sursaut collectif et immediat apparaissait impossible. Des
cavaliers Zemmour attaquerent, k partir de K6nitra, la colonne
Moinier qui se portait au secours de Fes (mai 1911) et combattirent
aux cotes des Bni-Ahsene k Lalla-Itto, Dayete-Aicha et Mechra-Bou-
Derra; les 11 et 24 mai, en compagnie des Zaer, des Sehoul et des
328. ViL, trib., Rabat et sa region, III, p. 109-110. L'Afrique frangaise,
1911, n° 7, pp. 269-277, 278, 279; n° 9, p. 345. Renseiqnements Coloniaux et
documents, publies par le Comite de l'Afrique frangaise n° 8, 1936 (liste
chronologique des combats livres de 1907 a 1934), pp. 128-129.
74 M. LESNE
Bni-Ahsene, ils prirent a parti entre Sale" et K6nitra, les convois qui
suivaient la colonne et le general Gouraud dispersa un fort grou-
pement de cavaliers pres de Mechra-Bou-Derra. C'est en 1912 cepen-
dant que cessa pratiquement l'ind6pendance des Zemmour; l'ouver-
ture d'une nouvelle route d'Stapes entre Sal£ et Meknes a travels
les Zemmour 6tant d£cide"e, la colonne Ditte partie de Rabat rencontra
le 8 juillet la colonne Moinier partie de F&s. Sur la route ainsi
ouverte furent cr6£s les postes de Camp-Monod (Si Allal-el-Bahraoui),
Tiflete, Khmissete, Souk-El-Arbaa (Camp Bataille). Une sene d'op6-
rations au sud de cette ligne, entreprise par le general Moinier,
A
aboutit a la creation des postes de Maaziz et de Sidi-El-Arbi destines
k couvrir la route. Ann de couper son acces aux dissidents, le general
Ditte pen6tra dans le Tafoude'it, apres un violent combat entre les
Zaians, a Ouljete-es-Soltane,
La r6voIte de Fes, le 17 juillet, provoquant un soulevement
general des tribus, un regroupement des forces oblige le comman-
dement k evacuer le Tafoude'it ; de v^ritables « harkas » zemmour
parcourent alors le pays soumis, avec la complicite des tribus, et
poussent k travers la Mamora jusqu'aux Bni-Ahsene. Apres une s6rie
d'op6rations contre les Zaer, le general Blondlat installe un poste a
Tedderss, sur les terrains de culture des Bni-Hakem, qui ne devaient
se soumettre qu'au printemps 1913. Enfin, un groupe mobile sur-
veille la frontiere Nord de la Mamora, afin d'emp£cher les attaques
contre les chantiers de la voie ferree,
Apres un hiver assez calme, une colonne commanded par le
Lt-Colonel Coudein parcourt du 25 avril au 10 mai 1913 toute la
region montagneuse des Zemmour, de POued Beht au Bou Regreg.
Rejet£s sur le plateau d'Oulmes, les dissidents Zemmour et Za'ian
furent battus le 21 mai. C'est en octobre 1913 que les dissidents
Zemmour firent leur soumission et la pacification fut complete k
partir de cette date; mais des tentes et certaines fractions resterent
cependant en dissidence et leurs biens furent confisqu6s. Les postes
de Sidi-El-Arbi, Maaziz et Tafoude'it furent alors supprim6s.
L'intervention 6trangere met ainsi fin k une peViode de troubles
et a un 6tat d'insoumission totale au pouvoir central.
*
Conclusion
La situation geographique des tribus et le degre" de puissance
du pouvoir central ont determine les rapports des Zemmour avec
LES ZEMMOUR, ESSAI d'HISTOIRE TRIBALE 75
un Makhzen alaouite constamment pr6occup6 d'opposer entre eux,
pour les dominer, les differents grouperaents tribaux du royaume. Mais
les Zemmour n'ont jamais marque d'hostilite a. la personne meme des
souverains, tant le cherifisme demeurait puissant parmi eux; en
outre, malgre certaines p^riodes critiques, leur fidelity a. la dynastie
ne fut jamais prise en defaut et le spectacle des dernieres ann6es
de la « siba » ne permet aucunement de conclure a un etat de revolte
contre la dynastie ou la personne du souverain.
A certaines epoques, les Zemmour accusent une grande sensi-
bility aux affinites de langue, de coutumes, de genres de vie qui
caracterisent les tribus berbSrophones du Moyen Atlas. Mais la
defense de leurs inter£ts vitaux les fait souvent se dresser contre les
tribus les plus proches d'eux-memes. Cependant, le particularisme
berbere, si souvent invoque, se retrouve au cours de toutes les stapes
de leur histoire et leur souci constant demeure d'6chapper a. l'impot
et de preserver leur independance tribale.
L'intervention francaise se produit au moment oil Famour de la
liberty, le souci d'une independance jalousement conserv6e k tout
prix, avaient conduit k la desagregation de la Confederation et des
tribus, d6chirees entre elles et revoltees contre l'impot et les contrain-
tes. Devenues inorganisees, fatigu£es de l'exces de liberty qui impose
des conditions de vie pr£caires et dangereuses, les tribus Zemmour
ne peuvent alors que lancer, sans espoir, des groupes de cavaliers
au-devant des colonnes franchises : conclusion sans grande gloire
apportee k plus de deux siecles d'histoire mouvement6e, au cours
desquels les chefs Zemmouris avaient domine" la montagne berbere,
soutenu le Makhzen, puis contribue k ebranler le trdne et finalement
apporte l'ind6pendance tribale aux portes de la capitale.
CONCLUSION
Groupement essentiellement politique, la Confederation des
Zemmour rassemble des populations d'origines tr£s differentes. La
fiction gen6alogique, pourtant apte k recouvrir la grande variete des
diversites tribales, n'offre que des explications imparfaites ou contra-
dictoires. L'heterogeneite profonde des composantes se manifeste dans
les traditions et les souvenirs, qui allient de facon curieuse un sen-
timent d'exception personnelle et la conscience d'appartenir k un
ensemble plus vaste. Une certaine cohesion interne, obtenue par des
76 M. LBSNE
pactes d'amitie ou des alliances passageres, laisse cependant aux
divers groupements une liberte totale qui permet le jeu sans cesse
renouveie de leurs rivalites. Cependant, malgre les forces particu-
laristes, la Confederation des Zemmour a plusieurs siecles d'existence;
elle a reussi a maintenir groupees les tribus diverses qui la com-
posent; elle a su s'imposer aux puissants groupements voisins. Un
meme genre de vie et surtout une longue aventure commune ont, au
cours de l'histoire, consolide le vaste ensemble des Zemmour.
En effet, ob&ssant k la lente montee et au patient cheminement
des habitants du Maroc pr^saharien d^sireux de s'installer au pays
des belles r6coltes, les Zemmour ont accompli au cours d'une dizaine
de siecles, le trajet complet entre la zone seche et la zone humide
du Maroc, suivant la direction moyenne S.E.-N.O. d'un courant de
populations senti a travers toute Phistoire marocaine. Le rythme
oscillant des deplacements pastoraux, les pouss^es subies ou donn6es,
conduisirent leurs ancetres des steppes sahariennes aux hautes vallees
de l'Atlas, du versant nord de ces montagnes k la Haute Moulouya,
de cette valine caillouteuse qui fut longtemps leur point d'attache,
aux pentes herbeuses de l'Azarhar. Installers depuis un siecle a peine
sur le plateau de Khemissete, deja parvenus apres la conquete de la
Mamora aux environs de Kenitra (Port-Lyautey)), les Zemmour
auraient et6 bientot amenes, lorsque se produisit l'intervention fran-
chise, a refouler les Bni-Ahsene au-dela de l'Oued Sebou et a ouvrir
le chemin du Rharb aux tribus berberes, devalant des hautes vallees
vers les plaines atlantiques et les riches cites.
En tete de la pouss6e berberophone issue de l'Atlas Central et
du Moyen Atlas, les Zemmour ont joue un rdle important sous le
regne de Moulay-Ismail, apres leur soumission aux armies du Makhzen,
en apportant leur concours au Sultan alaouite. Tar suite, la situation
geographique des tribus et le degre d'autorite du pouvoir central
apporterent des changement dans l'attitude de la Confederation
qui, peu a peu, affirma son particularisme vis-a-vis du Makhzen.
Dans ce coin de terre de plus en plus anachronique qu'etait devenu
le Maroc, les Zemmour se sont progressivement replies sur eux-memes
et se taillerent une vie independante ; comme pour le Maroc « cette
farouche volonte" d'isolement aurait pu aller de pair avec l'6tablisse-
ment d'un bon 6quilibre interne » 32fl , mais seuls les « chorfa »
r^ussissaient a apaiser les luttes intestines d'une confederation autre-
fois unie, et devenue un amalgame de tribus et de fractions. Le
329. Ch. A. Julien, Histoire de I'Afrique du Nord, 2* edition, 1952, II, p. 247.
LES ZEMMOUR, ESSAI D'HISTOIRE TKIBALE 77
rayonnement de la puissance des Zemmour s'est eteint peu a peu et
le fractionnement des groupes a 6t6 toute solidity a 1 'ensemble. Et
ainsi, les fieres tribus makhzen que furent les Zemmour a l'aube de
la dynastie alaouite, s'installent au debut du xx e siecle dans une
« siba » tumultueuse et sterile aux portes memes de Rabat.
L'arret du mouvement millenaire vers le N.O., la pacification
imposee par l'occupation etrangere, vont favoriser la fixation au sol
des tribus qui avaient conserve leurs anciens rythmes d'existence,
et ouvrir aux populations encore tout impregnates des rudes mceurs
montagnardes Faeces a la vie moderne. Le repliement sur soi accom-
pagne d'un 6miettement des structures sociales, Fhostilite" agressive
a toute contrainte venue de Fexterieur, qui caracterisaient le « bled
siba », ont pu faire croire a un particularisme devenu ennemi de
la dynastie, alors que ce particularisme s'exprimait non seulement
a Pinterieur du bloc berbSrophone mais aussi au sein meme de la
confederation. Desormais installees dans des limites territoriales pre-
cises, soumises a Faction evolutive du nouveau pouvoir central,
influencees par la civilisation arabe citadine, p6n6trees par les stran-
gers, les tribus Zemmour se trouvent exposes, au debut du xx e sie-
cle, a Faction de concepts nouveaux et de forces destructives de tout
exces de particularisme. Mais les Zemmour ont de tout temps par-
ticip6 au grand jeu de la politique du pays et sont restes perm&ibles
aux idees d'ensemble; comme toutes les soci6t6s moghrebines, ils ont
garde, selon Fexpression de J. Berque 33 °, « Fambition du g6n6ral,
et comme sa nostalgie ». Le nouvel etat de fait qui affecte le ph6no-
mene tribal des Zemmour ne semble pas devoir empecher le jeu des
« immenses virtualit6s » qui, depuis des siecles, agitent les soci6t6s
de ce genre.
Marcel LESNE
Conservatoire National
des Arts et Metiers, Paris
330. J. Berque, Qu'est-ce qu'une tribu Nord-Africaine ? in Eventail de
I'Histoire viuante, 1953, p. 270.
78
M. LESNE
APPENDICE
LlSTE DES PRINCIPAUX GROUPEMENTS INTERNES
Ait Ali-ou-Lahsene
El Mhatmiyine
A'it-Malek
Kotbiyine
A'it-Rhanem
Jbel-Ait-Kessou
Ait-Moussa-ou-Ameur
Mzourfa
Ait-Ben-Moussa
Ait-A'issa-ou-Kessou
A'it-Mimoun
A'it-Bouazza-ou-Saad
A'it-Hammou-Idir
Khzazna
Ait-Kessou
Ait-Ali-ben-Khezzane
A'it-Aissa
Ait-Abdennebi
Messarhra
A'it-Ouallal
Houadif
Ait-Moussi
A'it-Mehdi
A'it-Belkassem
A'it-Bou-Yahya
Hejjama
Ait-Ouahi
A. ali-ou-Lah'sen
El-Mh'at'miyin
A. Malek
Qot'biyin
A. Ghanem
Jbel A. Qessu
A. Musa-ou-'amer
Mzurfa
A. Ben-Musa
A. e isa-ou-Qessu
A. Mimun
A. Bu e azza-ou-Sa c d
A. H'amu- Idir
Khzazna
A. Qessu
A. 'ali-ben-Khezzan
A. e isa
A. 'abd-en-nbi
Messeghra
A. Wallal
H'wadif
A. Musi
A. Mehdi
A. Belqasem
A. Bou-Yah'ya
H'ejjama
A. Wah'i
LES ZEMMOUR, ESSAI d'hISTOIRE TRIBALE
79
A'it-Abbou
Ait-Ali
Ait-Hmidane
A'it-Yadine
Chmarkha
Ait-Malek
Ait-Techfine
Khettatene
A. c abbu
A. 'ali
A. H'midan
A. Yadin
Chmarkha
A. Malek
A. Techfin
Ikhet'at'en
Kabliyine
Ait-Oumnassef
Ait-Larbi
Qebliyin
A. Oumnagef
A. I/arbi
Ait-Ouribele
A'it-Guennoun
A'it-el-Kellali
A'it-Moussa-ou-Brahim
Ait-Ikko
A'it-Boho
A'it-Haddou-ou-Sa'id
Ait-Akki
Ait-Slimane
Ait-Khaled
A'it-Fraiche
A'it-Mejdoub
Ait-Haddou-ou-Brahim
A. Oftribel
A. Gennftn
A. el-Qellali
A. Mfisa-oft-Brahim
A. Iku
A. Btihu
A. H'addu-oft-S'id
A. 'akki
A. Sliman
A. Khaled
A. le Fraich
A. el-Mejdtlb
A. H'addu-oii-Brahim
A'it-Jbel-Doum
A'it-Sibeur-Imazirhene
A'it-Sibeur-Arab
Ait-Megzar
A'it-Atmane
A'it-Soumeur
Ait-Helli-Tirss
Ait-Helli-el-Rhaba
Serrhina-Ikouzene
Serrhina-Njara
Ait-Bou-Kessou
Aiit-Zbair
Alt-Aidane
A'it-Hammou-Boulmane
A. Jbel-Dftm
A. Sibern-Imazighen (ou Siber)
A. Sibern-la- e rab
A. Megzar
A. 'atman
A. Sftmer
A. H'alli-Tirs
A. H'alli-1-Ghaba
Serghina-Ikfizen
Serghina-Injarn
A. Boft-qessu
A. Zbair
A. I'idan
A. H'ammu-Bulman
80
M. LESNB
Haouderrane
Ait-Alla
A'it-Maarif
A'it-Chao
A'it-Izzi
A'it-Bou-Chlifene
Ijanatene
Ait-Hennou-Addi
Ait-Sidi-Lahsene
Ait-Affi
Ait-Ayaehe
Ait-Hani mou-Idi r
Ait-Zbair
Ait-Ikhlef
Ait-Laasri
Ait-Oumnassef
Bni-Yazrha
Bni-Hakem
Imchichitene
Bni-Zoulite
Ait-Baboute
Ait-Zarho
Ait-Bou-Meksa
Ait-Bou-Hekki
Ait-Bou-Guimel
Ait-Alla
Ait-Mhammed
H'uderran
A. 'alia
A. Ma'rif
A. Ch'u
A. Izzi
A. Boti-IcMifen
Ijanaten
A. Hennu-'addi
A. Sidi-Lah'sen
A. 'affi
A. 'ayach
A. H'ammu-Idir
A. Zbair
A. Ikhlef
A. l- e asri
A. Oumna§ef
Bi-Yazgha
Bni-H'kem
Imchicliiten
Bi-Ztilit
A. Babtit
A, Zagho
A. Boti-Meksa
A. Bou-H'eqi
A. Boti-Gimel
A. 'alia
A. Mh'amed