Jfranz jfi^szt's
J^riefe.
Gesammelt und herausgegeben
von
La Mara.
Dritter Band.
Briefe an eine Freundin,
r \sO
Leipzig
an eine Freundin.
Herausgegeben
von
La Mara.
Leipzig
Das Becht der Ubersetzung ist Torbelialten.
Der vorliegende dritte Band der Brief e Franz Liszt's
zeigt, den beiden ersten zu Weihnachten vergangenen
Jahres von mir herausgegebenen Banden verglichen, einen
anderen Charakter. Ihm fehlt die Mannigfaltigkeit der
Person en, an die sich die Kundgebungen des Meisters
richten, und somit zugleich die Fiille wechselnder Reflexe,
welche auf jene fallt. Einer einzigen Personlichkeit,
einer Freundin nur theilt Liszt sich hier mit; aber diese
Mittheilungen gewinnen dafiir an intimem Reiz. 31 Jahre
von Liszt's Leben umfassend, beginnen sie mit dem April
des Jahres 1855 — das ist um die Zeit, da Liszt als
Componist grosser Orchester-und Vocalwerke hervortrat —
und enden im Juli 1886, wenige Wochen vor seinem
Tode. Sie begleiten den grossen Kiinstler demnach
nahezu durch seine voile zweite Lebenshalfte und geben
von seinem aussern und innern Dasein, von seinem Er-
leben und Schafifen, seinem Denken und Empfinden be-
redte Kunde.
Am mittheilsamsten ist seine Feder naturgemass inner-
halb der ersten Jahre, wo sie sich mit der Unmittelbar-
keit von Tagebuchaufzeichnungen ausstromt. So gern
Liszt sonst meidet, von dem zu sprechen, was ihm das
Herz beschwert, hier weicht er ihm nicht immer aus.
Manches Echo der Kiimmernisse und Kampfe, welche die
Losung der Ehe der Fiirstin Wittgenstein und die er-
strebte Vereinigung mit ihr mit sich brachte, wird in
diesen Briefen vernehmlich. Allmalig legen sie sich
i
— VI —
grossere Zuriickhaltung auf, ohne dass die Aufrichtigkeit
der Freundin gegeniiber Einbusse litte. Nur einmal
yerstummt der Briefwechsel fiir langere Zeit. Zwischen
dem 12. Mai 1869 und dem 14. August 1878 enthalt die
Correspondenz , wie sie mir im Original vorliegt und in
ihrer Gesammtheit in meinen Besitz tibergegangen ist,
keine Zeile. Vielleicht verirrten sich einzelne Briefe aus
jener Zeit in andre Hand, wie dies mit drei Schreiben
friiheren Datums geschah, die mir der Eigenthumer, Herr
Alfred Bovet in Valentigney, fur gegenwartige Samm-
lung gfitig zur Verfiigung stellte.
Wer aber war, so fragt man, die Empfangerin?
Im Jahre 1853 kam Madame X. — der Name thut
nichts zur Sache — nach Weimar, und Liszt gewahrte
ihr die Gunst seiner Unterweisung, ohne dass gie das
Clavierspiel als Beruf auBzuuben gedachte. Sie verweilte
bis zum April 1855, urn kurz nach Liszt's Namenstag
(2. April) iiber Paris zu ihren Angehorigeu nach Brussel
zuriickzukehren, Dunkel und ungewiss — die Briefe sagen
es deutlich — lag ihre Zukunft dazumal yor ihr. Sie
plante voriibergehend, durch Clavierunterricht ihren und
ihrer zwei Sonne Lebensunterhalt zti gewinnen, betheiligte
sich aber bald am Berufe ihres Vaters bei diplomatischen
Missionen, wie bei Redaction politischer Zeitschriften.
Ihre Beziehungen setzten sie in den Stand, Liszt iiber
Constellationen und Vorkommnisse der europaischen Politik
zu berichten, noch bevor dieselben ofifentliches Gemein-
gut geworden waren. Wie Liszt ihr Vertrauen erwiderte
und ihr seine Freundschaft lebenslang bewahrte, dessen
sind diese Briefe ein Zeugniss.
Leipzig, 22. October 1893,
an Liszt's Geburtstag.
La Mara.
°1
1
c
II
La Mara, Liszt-Briefe. III.
i
1.
Mercredi, 11 Avril [1855 Weimar], 8 heures du soir.
C. m'apporte votre lettre. Elle me trouve seul a la maison
— tout le monde e*tant alle* au theatre .... Merci de ce
que vous me dites et ne me dites pas; seulement ne craignez
pas de m'en dire trop long et 6crivez-moi a tort et a travers
sans redaction ni style .... comme si nous causions aupres
de ce poe'le ou je m'e*tais arrange une ottomane d'un bucher 1
A notre dernier soir j'^tais remonte" ou plutdt retombe* chez
vous sans savoir comment ni pourquoi. Quelques minutes
apres je me suis souvenu que je voulais emporter cette guir-
lande dont vous avez entoure* mon m6daillon le jour de ma
fSte. L' avez- vous emportee? quelle y reste attached meme
alors qu'elle sera toute dess£ch£e. — II est aussi reste* chez
vous un gros foulard jaune. Je n'y penserais certainement
pas, si un souvenir particulier ne s'y rattachait. C'est Wagner
qui me l'a donne* a Zurich il y a deux ans, un jour que je
pleurais a chaudes larmes en musiquant avec lui. Gardez done
cette vilaine piece jaune! —
Que d'obscurites me viennent maintenant par ces deux
fenStres, ou je vous ai vue si sou vent ! — Hier j'y ai aperc.u
un visage de femme quelconque — ce doit Stre quelque nou-
velle locataire. Elle partagera l'affection que vous savez que
je porte deja au propri&aire ! ....
Comme j'ai gagne un refroidissement d^finitif qui m'oblige
a tousser etc., je garderai ma chambre pendant trois ou quatre
jours pour me soigner officiellement.
1*
M me Patersi 1 ) m'^crivait hier qu'en effet vous lui faisiez
Veffet d'une femme charmante, comme il lui avait 6t6 dit.
Je vous sais gv6 de votre sympathie pour Cosimette 2 ).
Elle 6tait si malingre et si ch6tive dans son enfance que je
lui faisais des passe-droits de sentiment sur sa soeur ain6e — et
je crois qu'au fond j'ai gard£ plus de faible pour elle. L'une
et 1' autre sont de bonnes natures, tres bien 61ev6es (grace
a M me Patersi). . — . 3 )
Je vous remercie d'avoir 6t6 voir ma m&re. Vous l'aurez
trouve'e comme je vous l'ai dit — sans ressemblance avec son
fils — mais excellente de coeur, et s'arrangeant de la vie telle
quelle, ce que je n'ai jamais su ni voulu.
J'ai tant et tant de choses a vous dire que malgre' ma paresse
^pistolaire je vous e'crirai beaucoup. Je crains seulement que
vous nayez de la peine a lire mon horrible Venture. Mais
vous vous habituerez, aussi bien qu'& suivre le de'cousu, ou
si vous voulez un mot plus noble, le vol de mes impressions.
Pour ne pas vous faire attendre je vais faire jeter cette lettre
a la poste et vous e*crirai domain k la meme adresse. Quand
vous saurez a quoi vous en tenir de vos projets, 6crivez-moi,
et plus au long que cette fois. Votre coeur ne vous trompe
point — je ne vous ai point quittee — et ne changerai point
pour vous.
Avant-hier apres le premier acte de » Genevieve^*) je suis
monte' a la »Wolfsschluclita 5 ), ou j'ai retrouvg Meyerbeer qui
est venu de Gotha par curiosity voir cet ouvrage. II m'a dit
qu'il reviendrait passer un jour ou deux avec moi vers la fin
du mois de Mai, avant de se rendre a Londres, ou on pre-
pare YEtoile du Nord. Hier matin il est reparti pour Berlin.
Je vous parlerai de Genevieve demain et puisque vous avez
rencontre' Alex. Potocki qui est certainement une des plus
1) Die Erzieherin der Ttfchter Liszt's in Paris.
2) Liszt's Tochter Cosima.
loyales natures qui soient sous la calotte des cieux, je vous
raconterai quelques anecdotes qui vous feront rire.
A. A. (devinez-vous ?)
2.
12 Avril 55.
Avez-vous vu les Guizot a Paris? Parlez-nien. L' Equi-
libre europSen est-il prGt pour l'impression ? Donnez-m'en aussi
des nouvelles. Quoique je ne trouve plus le temps ni de lire
ni de relire, je ne manquerai pas de faire connaissance avec
YEquilibre aussitdt qu'il aura paru. —
Je voulais vous parler de Genevieve, mais j'ai la t6te telle-
ment cass£e de musique aujourd'hui qu'autre chose me vient
plus a propos — m6me Saphir 1 ) qui m'a fait un bout de
visite tout a Theure et qui fait mine de passer une semaine
ici, car il attend sa fille qui ne peut arriver que dans quel-
ques jours a cause d'une indisposition. Le gouvernement
autrichien Fay ant nomme" commissaire (ou je ne sais quoi)
a l'exposition de Paris, il doit s'y rendre a la fin de ce mois
pour remplir ses fonctions officielles. Entre autres droleries
il m'a raconte' qu'Alexandre Dumas pere venait de traduire
et de publier (sur du papier bleu) le premier volume des oeu-
vres completes de Saphir en les rendant encore beaucoup plus
completes par les ajoutements et ajustements qu'il y a pra-
tiques, ce dont l'auteur original parait fort enchants. II parait
qu'il y aura bientOt une douzaine de volumes comme suite a
ce premier. Dumas n'a pas appris trois mots d'allemand —
mais on ne s'embarrasse pas de si peu — et les gens de qua-
lite* savent tout sans rien apprendre. /
Peu avant de quitter Vienne, Saphir rencontra Rubinstein
qu'il avait assez mal traite* dans son journal. Notre ami
Van II 2 ) lui dit: »Sie sind hart gegen mich verfahren«. —
1) Der Wiener Humorist und Satyriker (1795—1858).
2) Scherzname Liszt's fur Rubinstein, wegen dessen Ahnlich-
keit mit Ludwig van Beethoven.
»Das liegt in der Natur der Edelsteine <r. — »Deswegen nehme
ich es Ihnen auch nicht flbel als Rubinstein. «
Dans sa »Vorlesunger qui anra lieu demain soir an theatre
Saphir traitera les » questions orientalesc de l'amour et du
mariage. —
Puisque me voila de retour an theatre, revenons a Gene-
vieve. Yous savez que je prSffcre meme les sottises des gens
d'esprit k l'esprit des sots, et que tels dtfauts me sont plus
agrgables que telles quality. En ce sens il y a des ouvrages
manqu£s qui ont beaucoup plus de valeur que d'autres trfcs
bien r6ussis et florisBants de succ&s. Genevieve est au pre-
mier rang parmi les premiers et conservera une signification
propre dans le dlveloppement de l'oplra allemand. Depuis
plusieurs ann£es c'est devenu une plainte stereotype a propos
d'operas nouveaux que de se rtfcrier contre le livret. II est
singulier que Schumann qui avait si bien critique d'autres
livrets ait donn£ quasi dans le m€me panneau. Ce sujet de-
vait 6tre traits c l£gendairement avec ce je ne sais quoi de
tendre et d'exquis, propre aux imaginations catholiques. 11
fallait surtout que l'616ment premier du Drame musical sans
lequel tout le reste devient superflu, la passion n'y manquat
pas. La musique ne pent absolument pas sen passer. Elle
est son nerf vital, plus encore que Targent pour la guerre.
C'est ce nerf qui a sauv£ Weber et lui fait une place a part
parmi les compositeurs allemands de son £poque, qui se sont
laiss£ embiSrer par une manie de savoir apparent et de classi-
cisme r£trospectif. Chez Schumann la passion arrive rarement
a ces moments d'expansion ardente ou elle fleurit instantan^-
ment dans d'autres cceurs ; on dirait qu'elle se contracte dans
le sien et lui donne des crampes — und dann summt und brummt
er so dahin, wie ein specifisch musikalisches Spinnrad.
Ce nonobstant c'est un musicien qu'il faut grandement
compter, et qu'il est n£cessaire de bien 6tudier si Ton veut
savoir a quoi s'en tenir sur ce qui se fait de plus distingue
et de meilleur depuis une douzaine d'ann£es. Joachim me
C'est quelque chose et m€me beaucoup — mais pas le tout
de Tart qui doit aspirer a plus que le tout, — car il est
la tangente de l'infini, la source vive qui, comme* 1' amour,
rejaillit jusqu'a la vie 6ternelle.
Je n'ai pu travailler que p^niblement tous ces jours-ci,
et me sens fort oppress^. Je ne vous parle ni de mes
tristesses du dedans ni de mes ennuis du dehors. Que cette
reserve ne vous empgche pas de me parler des vdtres, quels
qu'ils soient. Vous pouvez etre certaine de me trouver au
ton. . — . A. A.
Ecrivez-moi bientdt et largement.
Je vous conterai les anecdotes sur Alexandre dans ma tr&s
prochaine lettre.
S'il y a des mots oubligs dans mes lettres vous y suppl£-
erez — car je ne veux pas me relire. Suppl^ez aussi a tout ce
qui y manque et que je ne sais pas dire, moins encore dcrire.
3.
Mardi, 17 Avril (6 heures du matin).
Fra Angelico! Tes beaux anges avec leurs ondes de
chevelure blonde quand les reverrai-je? 1 ) —
Ces trois derniers jours je rn'&ais ent6t6 a travailler d'ar-
rache-pied a ma Messe et suis presqu'au bout du Credo, ce
qui est plus de deux tiers de l'ouvrage, les 4 autres morceaux
as trouvant presque faits dans ma t§te. Ces choses doivent
Stre comme le Christ » gentium, non factuma\ — II sera curieux
de voir quelle impression cela produira; et je vous en parlerai
avec ma sinc&ite* habituelle. L'dpoque de Vinauguration de
la basilique de Gran nest pas encore positivement fixSe, et
les demises nouvelles il serait possible que la solennitS
ait d6jk lieu en J a j n . De toute maniere ] e tacherai d^tre
Berlioz fait exe'cuter par 900 mttsiciens son Te Deum la
veille de Fouverture de l'exposition (30 Avril) a 8* Eustache.
Si par hasard vous dtiez encore aux environs de Paris, tachez
d'y aller et donnez-m'en des nonvelles.
Jai fait de frequents soliloques en compagnie de Xamulette
avec la croix brodle en perles bleues, blanches, rouges et
or. Vous ne sanriez imaginer combien ce souvenir m'est cher
et pre*cieux. J'y rattache tonte une 6chelle de Jacob de pen-
se*es et de recueillements que les anges de Fra Beato Angelica
montent et descendent.
Dimanche matin.
Je n'ai pas continue' a vous e'er ire, sans pour cela discon-
tinuer a vous dire toutes sortes de choses. II me tardait
d'avoir de tes nouvelles — enfin hier un peu avant le theatre
C. m'apporte votre douce lettre. Tu sais bien que je ne veux
pas t'€tre une gene — ainsi ne m'e*cris que quand tu en
trouveras le temps — mais 6cris-moi toujours ainsi, d'abon-
dance de coeur.
Ta journe'e de Versailles m'a mis du baume dans Fame
et je te demande en grace de ne pas me frustrer du moindre
bout de ce que tu nommes ta sentimentality allemande et blonde,
Je te prie bien de ne pas t'excuser de me donner ce dont je
veux et ce qui est selon mon coeur. Ainsi tu m'enverras des
violettes dess6ch£es, n'est-ce pas? et ne te feras pas scrupule
de m'gerire parfois des niaiseries que je te rendrai avec usure.
A quelque minute qu'une de ces niaiseries vienne me trouver,
elle est certaine de rencontrer une mar£e montante de niaiseries
analogues dans mon coeur. . — .
Mais parlons plutdt de YEquilibre europeen *) et du Publiciste 2 ).
Le programme que vous m'avez envoye* fait la part suffi-
samment large aux id£es et aux chances que les e>6nements
ameneront ne*cessairement. II a meme une remarquable hau-
teur et inde'pendance d' allure, et qui me plait beaucoup. La
— 9 —
cipe dea nationality « et les engagements inevitables des cabi-
nets de 1' autre. La Pologne, l'ltalie et la Hongrie, sans
parler de l'Allemagne, ne peuvent gu&re §tre traitees comme les
choeurs des anciens operas, destines a chanter a un moment
donn6 leur perp6tuel refrain de liberta ou felicita, et les com-
plications survenant il faudra dire bona sera, soit an Basilio
des nationality, soit a celni des gouvernements 6tablis.
En attendant, le point capital pour le journal, c'est assnrd-
ment le capital qu'on lui fournira, et si cette question est bien
regime, votre pfcre a assez d'exp^rience et de dexterity pour
faire marcher la chose du mieux qu'il se pourra. L'equilibre
en lui-meme est un principe assez 61astique, et les ^quilibristes
ont souvent beau jeu pour toute sorte de cabrioles et de cul-
butes. Le mot sur la bureaucratic: » S'il y a des peuples
qui s'&iolent par le boudoir, il y en a d'autres qui s'h^bfctent
par la bureaucratie« est tr&s bien frapp6 — et ce qui suit:
»l'6poque actuelle est remarquable par le disaccord qui existe
entre les Society et les Institutions qui les rggissent«, resume
parfaitement a mon sens la situation g£n£rale. Reste a savoir
comment on parviendra a 6tablir un autre ordre de choses
sans compromettre gravement VEquilibre en question — et pour
m'£clairer la-dessus je lirai avec toute l'attention dont je
suis capable le Publiciste que je vous prie de m'envoyer r6-
gulifcrement. . — .
Je ne veux pas manquer cette poste. Adieu done et merci.
4.
4 Mai Vendredi 55.
Un tel accablement a pes6 sur moi ces huit derniers jours
qu'il me semblait comme impossible de continuer a vivre. Et
pourtant j'ai un projet quoiquil ne se r^alisera probablement
pas. II y a le 33 me Festival musical RWnan le 27, 28 et
29 Mai (les trois jours de la Pentecdte) a Dusseldorf. On y
execute »la Cr6ation«, une Symphonic de Hiller et le »Paradis
et la P6rk de Schumann. Hiller dirige ce festival et la Lind
y chante. Je pourrai m'arranger de fa$on a y venir.
— 10 —
Mon voyage de Hongrie aura lieu vers la mi-Aout et
Inauguration de la cathgdrale de Gran paratt fixle pour les
premiers jours de Septembre, toutefois rien n'est trfcs positive-
ment fixe* encore. J'ai entierement termini la partition de
ma Messe k laquelle je pourrais mettre comme epigraphe
»Laboravi in gemitu meo.... Sana me, Domine, quoniam
conturbata sunt ossa meat.
Je te benis. — A. A.
5.
5 Mai 55.
Tout ce qui me tient a cceur je vous l'ai dit dans mes
trois lignes d'hier. Pour aujourd'hui je continue mes cau-
series sur le premier sujet ou objet venu.
Dans le Discours de TEmpereur au Lord-maire je note trois
phrases.
1° sDepuis Tabolition de l'esclavage jusqu'aux vceux pour
I 1 amelioration du sort des contrSes de l'Europe* (sort des contrees
est ici un mot pour un autre — en pendant de Tabolition de
l'esclavage il aurait fallu raffranchissement du Prolitarxat —
mais ce mot est mal sonnant et evidemment 1'Empereur a du
pr£fe*rer choisir un mot vague indiquant quasi la meme
pens^e).
2° »Non settlement la France et TAngleterre possedent
d' incomparable s ressources, mais surtout, et c'est la leur im-
mense avantage, elles sont a la tete de toutes les idSes g&nireuses.
Les regards de ceux qui souffrent se tournent instinctivement
vers F Occident. «
Cela est noblement dit. II s'agit seulement de ne pas le
d^mentir en pratique — mais en tout cas il y a une singuliere
difference entre ce langage et celui des harangues usuelles
d'autres souverains, et le d£savantage n'est certainement pas
du c6te* du plus nouveau venu. II y a depuis 89 jusqu'a
— 11 —
blague (et je ne disconviens pas que ce ne soit assez juste
parfois), mais ce nonobstant il exerce un prestige actif sur
l'Europe.
En fait de phrase, la conclusion du Discours : »Le spectacle
imposant qu'offre l'Angleterre, ou la vertii sur le trdne dirige
les destinies du pays sous l'empire d'une liberty sans danger
pour sa grandeurs est un veritable chef-d'oeuvre dans ce genre.
Tout s'y trouve dans 1'espace le plus resserrd possible. La
vertu pour la reine, les destinies du pays, et Y empire de la
libertt, sans danger pour sa grandeur. Impossible de mieux
dire, et les vers dor6s de Pythagore ne sont que des gros
sous en comparaison de ce superbe Napoleon d'or. x
Lisez-vous la Presse? II y a eu (le 23 Avril, je crois)
un premier article intitule ^Questions k examiner« de Peyrat,
si je ne me trompe, ou YEquiUbre se trouve assez mal men6.
Eflfectivement YEquilibre est un peu comme la raison de Mon-
taigne un pot a deux anses, et il sera toujours fort difficile de
l'6tablir entre les loups et les moutons. Si ce num6ro vous
tombe sous la main, lisez cet article qui contient plusieurs
donnges aussi justes que peu nouvelles. Dans les num£ros
du 2 et 3 Mai la Presse donne des articles sur Lord Palmer-
ston qui entaillent vivement ce personnage et d&nasquent assez
bien par des dates et des faits positifs la croquemitainerie dont
on est convenu de l'affubler. —
Madame Sand k l'»histoire de sa vie« continue ses incur-
sions ravageuses contre les croyances et les pratiques catholi-
ques. Je ne serais pas surpris si cela lui valait des apostrophes
peu agrdables dans les conferences de l'Assomption ou de la
Madeleine. Elles ne les auraient pas plus voltes que M me de
Metternich son diadfeme en diamants. En parlant de l'lmi-
tation elle hasarde cette phrase: »Ce livre sublime et stupide
k la fois peut bien faire des saints, mais ne fera jamais un
homme.ff (Je cite de memoir e, mais assez exactement.)
Reste k savoir ce que Ton entend par Saint et par Homme 1
et sur ce dernier je doute que Ton s'entende jamais! — M r
de Lamennais disait k mon sens plus justement des Prisons
de Silvio Pellico : aC'est la moiti6 d'un chf£tienl«
— 12 —
Pins loin, an r£cit de la mort de la grand 1 mere, Madame
Sand introduit un archeveque, qui est peint k la maniere de
certains tableaux de Murillo (le mendiant a la recherche de
ses puces par exemple). Les cure's inviteront probablement
leurs ouailles k se d&abonner de la Presse, et on ne saurait
les en blamer.
Puisque je vous parle de journaux, je dois vous informer
que notre journal officiel de Weymar changera de redaction
k partir du premier Octobre. Les n^gociations avec Bieder-
mann 1 ) (qui va publier le second volume de sa »Cultur-
geschichtea dont on fait un s6rieux eloge) ont heureusement
abouti et c'est lui qui remplacera avantageusement, comme il
est a pre'sumer, Mangoldt. Biedermann a beaucoup d'exp6-
rience du journalisme, par la redaction de VAUgemeine Leip-
ziger (Brockhaus) qu'il a eue quelque temps, et d'autres feuilles
dont j'oublie le nom. II faisait partie du Parlement de Franc-
fort et depuis professait a F University de Leipzig. On a
sense'ment consider comme non advenus ici quelques antece-
dents politiques qui ne le maintenaient pas en bonne odeur
li Dresde, et je crois qu'en somme c'est une bonne acquisition
que fait Weymar.
Notre Cour attend le Roi et la Reine de Saxe le 20. II
y aura un grand concert dans cette salle k colonnes ou vous
etes venue un matin k la repetition de Berlioz — et le 25
je partirai peut-6tre pour Dusseldorf.
Veuillez donner ordre a la poste de Bruxelles pour que
vos lettres vous soient expedites a votre nouvelle adresse, car
je vous 6crirai encore ces jours-ci, puisque tu as la patience
de de"chiffrer mes lettres. Mais comment me demandes-tu si
je t'accorde la permission de m^crire plus souvent? Seule-
ment je ne veux pas que tu te fatigues k m'teire, et tu auras
souvent tant d' ennuis que je me ferais conscience d'y aj outer
en t'imposant une obligation quelconque. Mais de grace e'cris-
moi aussi souvent que l'ide*e t'en viendra et sois bien rassure~e
— 13 —
Extrait de la Presse du l r et 3 Mai.
(Lord Palmers ton.)
Lord P. a disappoints tout le monde ; nous ajoutons qu'il
n a trompe personne, et que si on s'est trompe sur son compte,
c'est qu'on Pa bien voulu.
Le parti absolntiste a invents pour les besoins de sa poli-
tique un Palmerston revolutionnaire qui n'a jamais exists ; ce
parti democratique a eu la naivete 4 de prendre l'invention au
serieux et, ce qu'il y a de singulier, c'est quelle a rSussi en
Angleterre presqu'aussi bien que sur le continent. Cette mysti-
fication a dure* plus de vingt ans.
(Suivent les dates depuis 1807.)
En Angleterre dans toutes les luttes de boxeurs il y a un
president, assis dans un fauteuil et tenant k la main une
bouteille de wiskey, qu'il distribue aux combattants pour les
re'conforter. On Tappelle Bottleholder .
En 1848 .... une deputation populaire se pre*senta Down-
ing Street. Elle allait demander a Lord Palmerston de soutenir
les Italiens insurgSs. Le ministre Taccueillit avec sa gracieu-
sete ordinaire et, apres s'Stre excuse* de ne pas reveler le
secret des nSgociations diplomatiques, il ajouta: »Mais vous
pouvez £tre tranquilles, vous savez que je suis le Bottleholder
de la revolution. « »Oui«, rSpondit un des membres de la
deputation, »mais jusqu'ici il n'y a jamais rien eu dans la
bouteillea.
(Dans ce m€me genre beaucoup de Princes sont aussi pro-
tectees nSs et e*claire*s des beaux-arts . . .
les Bottlebolders !)
6.
7 Mai 55.
J'ai passS cette denriere semaine k me mettre au pair .
de ma correspondance (que j'avais complement mise de cdte
pour terminer ma Messe) et il m'a fallu ecrire une douzaine
de lettres, ce qui fait k peu pres les deux tiers de ma t&che.
Aussitdt que le troisieme tiers sera expedie je me remettrai
— 14 —
a barbouiller des notes, et ferai d'abord la Partition de Piano
de ma Messe et ensuite je reprendrai les Chceurs dn Promethee
de Herder qu'il faut que je remanie en plnsienrs endroits
avant de les donner a l'impression. Je les ferai paraitre
anssi a l'entrle de l'hiver prochain et j'imagine quils ne
feront pas mauvaise figure, car dlciddment ils ne sont pas
pins manvais qu'il ne faut. Comme il y en a hnit (0 cyanides,
Tritons, Dryades, Moissonneurs, Vendangeurs, » unterirdische
6eister« zweierlei Gattungen und ein Musen-Chor, zu Ehren
der Menschheit als Schluss), j'aurai besoin de 6 a 7 semaines
an moins pour r^crire, comme il est n£cessaire, la partition
de piano en entier, et l'autre partition a plus de moiti6.
Dans Fintervalle j'irai pour deux jours a Leipzig la veille de
l'Ascension (16 Mai). Le 17 on ex^cutera k l'Eglise catho-
lique mon Ave Maria et le 26 au soir je serai probablement
a Dusseldorf.
Cette pauvre M me Patersi a 6t6 vraiment sous le coup
du Te Deum de Berlioz, et inherit qu'elle ajoutera d&ormais
a sa pri&re: »Prdservez-nous, Seigneur, de la peste, de la
guerre, de la famine, — et des Te Deums de Berliozd De
son cot6 lui est enchants de l'ex^cution et de l'impression de
cet ouvrage, et me dit que son choeur de quelques centaines
d'enfants a chants comme un millier d'artistes, et les autres
5 on 6 cents artistes executants et chanteurs comme un seul
enfant. »Mon oeuvre«, ajoute-t-il, »est venue au monde comme
Richard III avec des dents, mais sans bosse, et il a mordu
au coeur du public 1«
Avant-hier j'ai eu la visite d'un brave et digne musicien
qui n'a pas encore r^ussi a mordre au coeur du public, Gra-
dener de Hambourg 1 ). Je crois me rappeler t'avoir engag^e
a pratiquer quelque d6vouement a son endroit — mais tu n'en
voulais pas entendre parler, tant le Trio que Hans avait
jou6 k son concert t'avait laiss£ une impression ineffa^able.
Ce Trio n'en est moins une oeuvre tr&s soigneusement faite,
et qui ne manque mSme pas de sentiment — seulement c'est
— 15 —
tine nature de sentiment qui se contraete plutot qu'elle ne
s'lpanche ; et je comprends ais£ment que tu n'y aies pas pris
gout. Pour ma part, j'ai fait mon metier d? essay eur de mu-
sique en eonscience avec Gr&dener et nous avons pass6 plu-
sieurs heures hier k parcourir avec lui son Trio, son Quatuor,
sa Sonate etc. etc. en nous promettant de continuer aujourd'-
Bui. Mais comme il est d'une productivity relativement assez
mode^e, et qu'il n'a que des mappes de manuscrits, et non
pas des caissons et fourgons comme notre ami Rubinstein, je
suppose que nous arriverons ais&nent k bout ce soir. — A
propos de Rubinstein, son persisches Lied : »0 wenn es doch
immer so bliebeU fait litte>alement fureur k Vienne, ce qui
semble indiquer le prolongement du statu quo politique.
L'autre jour M me la Grande -Duchesse k laquelle ces »12
persische Lieder« sont d6di£s, en a chants plusieurs d'une
maniere charmante, et je suis persuade' que si quelque chan-
teur un tant soit peu en vogue les adoptait ils auraient par-
tout le meme succes qu'& Vienne. Oela doit plaire k tout le
monde comme de petits p&t£s aux huitres, quoique pour ma
part je ne me livre guere k l'excfcs de souhaiter »dass es
immer so bliebeU —
Pre"sentez mes hommages k Augustine que je remercie
beaucoup du bon souvenir qu'elle me garde. Qui sait, peut-
§tre m'apparaitra-t-elle comme Peri au Festival de Dusseldorf
(ou Ton exdcutera »le Paradis et la P6ri« de Schumann).
A. A.
7.
7 Mai 55, 3 heures de l'apr^s-midi.
Je t'ai 6crit ce matin — et suis aI16 mettre moi-m6me k la poste
(ce qui par parenthfcse ne m^tait pas encore arrive k Wey-
mar ni ailleurs, je crois — mais ce que j'ai dejk pratique' plusieurs
fois depuis huit jours) — ensuite j'ai fait une visite k la
Bade-Anstalt chez Pruckner *) pour re voir ton piano — je l'ai
rouvert avec
1) Liszt's Schiiler, jetzt Professor am Stuttgarter Conservatorium.
— 16 —
ftp ii 7 *| i
— 1 r~ y *fr * ft* j
et puis en rentrant vers 1 henre G. me remet ta lettre non
raisonnable, datee da 4 Mai 1 henre dn matin.
Merci, mon donx Fra JBeato, de m'avoir 6crit apres nne
longne journle de travail, d'explications, de combinaisons et
de — stlriles projets a 1 henre dn matin — mais de grice, et en
Thonnenr des beaux anges de Fra Angelico, soigne-toi et ne
me meurs pas! — Tn craches le sang, me dis-tn — et tousses
davantage qu'k Weymar — »qu'est-ce que de voust? —
Tn me demandes des nouvelles de ma maladie chroniqne ;
fil le vilain mot que celui de chromqw dont je me suis servi.
II ne s'agit pas de cela vraiment. — Bayle appelle quelque
part Torgueil une maladie sacrle. Cette expression m'avait bean-
coup frappe* autrefois et m'est rested enfonce*e dans la memoire.
Mais il est nne maladie plus que sacrle : divine — celle que les
anges de Fra Angelico chantent et dansent — elle n'a qu'un
me*decin — le Christ — un seul remede — la vie gternelle. La
» noblesse de coeur«, dont tu me dis tres justement que N61ida
a manque* n'en est que 1' ombre — parfois thdatrale.
Tiens done parole, Agnes, et sois »ce qu'il y a de meil-
leuroi et prions que Dieu nous agr£e comme des autels fumants.
Franz L.
8.
14 Mai 55. (6 heures du matin.)
Voici la lettre d'invitation officielie 1 ).
Je re'pondrai ce matin affirmativement an Comity et a
1) Aus dem Adagio der Sonate pathetique von Beethoven.
2) Zum DUsseldorfer Musikfest.
— 17 —
Hiller en demandant a ce dernier qu'il veuiile bien me retenir
une chambre a nn hotel qaelconque et refnser en mon nom
l'hospitalite* que telle on telle personne de la ville serait plus
on moins disposee a me faire. . — .
8 heures.
Depuis 4 ou 5 jours la chambre de Rubinstein a i'Alten-
burg est habitue par un jeune litterateur francais, qui m'avait
deja fait visite a la fin de Y6t6 deraier, M r Armand Baschet.
M r Fortoul lui a donne* une mission litteraire pour l'AUe-
magne, et Vienne inclusivement. II est comme il faut d'habi-
tudes et de manieres et fera probablement un bon bout de
chemin dans la presse d'ici a peu. En automne il publiera
un yolume sur Balzac, intitule* Balzac et son temps, qui con-
tiendra des documents assez interessants, et peu apres il fera
parattre un livre sur la Hongrie.
II m'a racontl entre autres anecdotes parisiennes plusieurs
mots d' Alexandre Dumas fils dont je vous citerai ceux-ci.
Son pere le sermonnant un jour sur quelques peccadillos
d'inconduite, il lui r^pondit: »Jusqu'ici votre exemple m'avait
plutdt servi d'excuse que d'enseignement. «
Quelqu'un s'informant des armes que prendrait l'auteur
des »Impressions de Voyage « qui venait de dtfcouvrir ses
parchemins du Marquisat de la Pailleterie, le fils s 7 empresse
de trancher la difficulty en declarant qu'il fallait beaucoup de
gueule sur peu d'or — ajoutant que »pour faire croire au
luxe de son train de maison et de son personnel de domes-
tiques, son pere finira par se mettre lui-m&ne derriere son
cabriolet en guise de negre.a —
On m 7 annonce Hackl&nder que j'ai deja entrevu ce matin
et qui m'a parte de toi. II publie ses oeuvres completes (une
vingtaine de petits volumes chez Krabbe a Stuttgart) et a pris
la redaction d'une nouvelle revue allemande qu'il espere mettre
sur un bon pied: »das Hausblatta a Stuttgart. Comme il
partira domain matin il faut que je m'occupe un peu de lui
ce soir et le conduirai a notre club.
Quelque bien que tu me fasses en me repltant plusieurs
choses que je ne sais pas assez te dire, tant elles sont vraies
La Mara, Liszt-Briefe. III. 2
— 18 —
et veridiques, je te supplie de ne pas veiller pour m'ecrire
et d' avoir soin de ta sante. Je ne veux pas etre une charge
ou un surcroit de peines pour toi. Ainsi ne m'ecris que les
jours oil tu n'auras pas trop d'autres besognes. Parle -moi
un pen des conversations de ton p&re et de ses affaires. Ecris-
moi betement au besoin — je t'en donne assez bien l'exemple,
ce me semble. A. A.
9.
Leipzig, 16 Mai [1855]. (Hotel de Baviere.)
Le changement de lieu n'entratne pas de changement dans
mes idees, comme tu vois, et je pense a toi toujours et par-
tout. — Comme je crois te Pavoir deja dit, on doit executer
mon Ave Maria domain (jour de 1' Ascension) a l'Eglise catho-
lique, et j ai tenu a faire la politesse de ma visite au per-
sonnel chantant que jai trouve dans les meilleures dispositions
ce matin a la repetition. Ce morceau a quelques difficult^
dintonation et d'accentuation, inconvdnients qu'offrent la plu-
part de mes ouvrages, — mais pour Stre juste il faudrait, ce
me semble, mettre aussi la moitie du tort sur le compte des
chanteurs et executants lesquels sont tantdt trop mous, tantot
trop durs, et manquent d'ordinaire (aussi bien que les carac-
teres) a la fois de douceur et de fermete. II y a une espece
de badigeon en mnsique que je ne puis supporter et qui n'est
que dun trop frequent usage en tous pays. Berlioz qui
dans son Romio et Juliette a deja place* ce charmant aver-
tissement: »Le public en general n'a point d'imagination, par
consequent les ouvrages qui s'adressent surtout a V imagination «
etc., me disait qu'il etait fort tente d'ajouter a la nouvelle
edition de son Faust une petite note en ces termes: »Les
chanteurs et les executants sont pries de ne pas faire comme
d habitude le contraire des intentions de l'auteur. « — Chaque
transformation notable de la composition a amene des modi-
fications particulifcres dans Vexecution. Or l'execution a au-
jourd'hui un sensible progrfcs a faire (surtout dans le sens
du rythme et du coloris) pour ne pas interpreter a faux
les idees et les sentiments dont nous sommes pleins. Ce
— 19 —
progres s'accomplira n^cessairement peu a pen, et les Zukunfts-
Musiker finiront par avoir leur personnel d 7 ex£cutants tout
aussi bien que Haydn et Mozart, Gluck, Rossini et Verdi. —
En attendant, M Ue Clauss *) s'est marine avec M r Szarvady, ces
jours derniers a Londres. Cet £poux lui convient fort bien,
sauf quelques difficulty de passe-port (qui finiront probable-
ment par etre aplanies); car Szarvady a 6t6 quelque chose
comme un des secretaires de Kossuth en 48 et 49 et oblig6
d'&nigrer aprfcs la debacle. II y a plusieurs anndes qu'il
est tres amourenx de la Clauss et qu'il chante ses louanges
dans les jonrnaux allemands et frangais sur tons les tons.
C'est une trfes bonne fa^on de pr&uder a la vie conjugale
par laquelle on se trouve quasi compromis vis-a-vis du public
et oblige de faire bonne contenance de son bonheur. Szarvady
a aussi public, il y a deux ou trois ans, deux volumes si je ne
me trompe, sur la France (en allemand) et prend assez mine
de faire un bout de chemin dans le journalisme pour arriver
ailleurs probablement. Le journalisme est une sorte de voi-
turement par lequel on est conduit ou ^conduit partout. Pour
beaucoup d'dcrivains ce n'est qu'un omnibus; d 7 autres s'en
servent comme d'un tilbury; d'autres encore comme des voi-
tures de d&n&iagement etc. etc. (II vous sera ais6 de suivre
ma comparaison et de parcourir les vari£t6s de l'espfcce des
voitures depuis le coucou jusqu'au waggon.)
Hacklander me disait modestement en me parlant de ses
»Hausblatter« qu'il r£dige depuis le commencement de cette
ann£e et qui ont d£ja r^ussi, a ce qu'il parait, a gagner pres
de deux milla abonn^s: » C'est une espfcce de Revue des deux
Mondes« et Baschet me raconta qua la fenetre du bureau de
redaction de cette noble m£nag&re »des deux Mondesi il avait
vu dernifcrement une grande pancarte avec l'inscription d'usage
» Boutique a louer«. —
Votre mot sur le mot de M r de Metternich a Drouin de
L/huys que vous qualifiez si justement de compliment mal-
honnete m'a beaucoup diverti. Evidemment il n'y a place en
1) Die ausgezeichnete, in Paris lebende Pianistin.
2*
— 20 —
France que pour un seul homme d'etat qui est lui-m6me
TEtat — S. M. Louis Napoleon. Puisque vous avez la t6te
si farcie de politique, parlez-m'en quelque fois et soyez per-
suadge que je ne me ferai pas faute duplication pour arri-
ver a quelqu'intelligence des combinaisons de TEquilibre euro-
pden dont quelques-unes, je vous Favoue, m'ont paru jusqu'i-
ci plus mystijimtes que mystdrieuses. Que devient le » Journal
du Norda? Le Publiciste prend-il sa place ou Men aura-t-il
a compter avec lui? —
La partition des Choeurs du Prom£th6e de Herder, qu'il
me faut rgcrire en entier pour la publication, me prendra de
cinq a six semaines de travail. C'est une besogne assez
ingrate, mais que je tiens a faire aussi bien que j'en suis
capable. II ne suffit pas de faire; il faudrait r6ussir a
parfaire — m£thode que j'ai recommandge a Rubinstein qui ne
s en prgoccupe pas beaucoup d'ordinaire. II vient de m'£crire
quelques lignes de Munich et me dit qu'il passera V€t€ a Biebe-
rich ou il a d6ja fait une assez longue villeggiatura l'annge
dernier e. II est possible qu'il vienne a Dusseldorf, ou il y aura
une masse de gens de ma connaissance.
J'embrasse tes mains et prie les anges de Fra Beato de
te conduire.
10.
Jeudi matin 6 heures. [Diisseldorf, 31. Mai 1855.]
Je te dis encore ces derniers mots dans cette meme
chambre 1 ). En revenant a la maison vers 5 heures hier j'ai
pris possession de ton appartement d'ou je n'ai pas bouge'
jusqu'a 9 heures.
Dans la matinee on a fait de la musique chez M m$ Schu-
mann. Elle a joue* la Sonate (en r6 mineur) de Schumann
— 21 —
symphoniques (un des premiers et des bons ouvrages de
Schumann); ponr ma part j'ai du m'exdcuter aussi, malgr£ le
pen d'envie que j'en avais, et aprfcs beaucoup d'insistances
j'ai c6d£ pour ne pas d^sobliger M™ Schumann, et leur ai jou<$
la Fantaisie chromatique de Bach. Ensuite nous sommes
allds diner avec Joachim, Brahms, Wasielewski *) et Ltlhrss 2 )
chez un Confiseur-Restaurant, et ce n'est que vers 5 heures
que Herrmann m'a remis ta lettre qui m'a fait un bien extreme,
car j'ai pu pleurer abondamment.
Ce matin les oiseaux qui nichent dans les arbres du Mus6e
en face, m'ont r£veill£ par une esp&ce de »Trauergesang<*.
Dans une heure je pars pour Cassel avec David 3 ) et Ltlhrss
( jeune compositeur qui habite Berlin, on il a fait, il y a deux
ans, ce qu'on appelle un bon manage, et que j'ai toujours
assez gout6 pour ses bonnes fasons). David me racontait hier
soir que Weber avait l'habitude d'^crire presque toujours la
m€me maxime sur les albums: »Beharrlichkeit fflhrt an's Ziel«,
et qu'il poss£dait aussi cet autographe de l'auteur du »Frei-
schfltza. Rossini pratique une m&hode analogue, mais plus
compliqu^e. II a certainement compost une centaine de ver-
sions musicales diff&rentes, 6parpill6es a travers 1' Europe sur
quantity d' albums, pour ces vers de Mdtastase:
»Mi lagner6 tacendo
della mia sorte amara,
ma ch'io non t'ami, o cara,
non lo sperar di me!«
Le premier vers m'a toujours sembld une allusion ironique
k la manie des albums (» Mi lagnero tacendo «) avec laquelle
pour ma part j'ai rompu en visifcre depuis nombre d'annges
en refusant imperturbablement aux amateurs dalbwmnations,
comme les appelle Berlioz, ma signature.
1) Der bekannte Masikschriftsteller und Schumann-Biograph.
2) Carl L., SchUler Mendelssohn's.
3) Der beriihmte Geiger und Concertmeister in Leipzig (1810
—1873).
— 22 —
Cassel, Vendredi matin, 1 Juin.
Avant de partir j'ai rouvert le Dante et en ai relu le
dernier chant (33 me du Paradis) qui termine par ces 3 vers:
Ma gia volgeva il raio desiro e 1 velle,
Si come ruota, cbe igualmente e moss a,
L'amor, che muove '1 sole e l'altre stelle.
J'ai fait route en causant avec mes deux compagnons de
voyage, David et Ltihrss. Dans la soiree nous sommes allds
a la Wilhelmshfthe et en revenant a l'h6tel du roi de Prusse
nous avons fait 3 rubber de Whist. Spohr que nous avons
revu pendant notre diner n'avait pas sa soiree libre et ne
semble pas tres empresse* de nous faire les honneurs de Cassel,
comme nous le m^ritons; en consequence nous partirons ce
matin a 1 1 heures et demie, et a 6 heures je serai a FAlten-
burg. Spohr est un excellent et digne homme, bieder und
tfichtig; il a maintenant quelque soixante - quinze ans — et
de tons les musiciens de sa periode je Festime comme le
plus valable et le meilleur de beaucoup. Sa double carriere
de virtuose et de compositeur est egalement honorable; mais
elles ont manque* Tune et Fautre de cet element de Fextraordi-
naire qui est tout simplement le ge*nie. II a e*crit un grand
nombre d'ouvrages, de tout genre, — Operas, Symphonies,
Quatuors, Trios, Concertos, Sonates, Oratorios, Lieder etc.
Les plus connus sont parmi les operas »Jessonda« et » Faust «
— et dans ses Symphonies »Die Weihe der T5ne« , alrdisches
und G5ttliches«. En fait d'Oratorio je connais de lui »la
Chute de Babylone« et »Die letzten Dinge«. C'est un pa-
triarche de Tart — mais non plus un prophet e, ni un apotre.
Entre autres merites il a eu celui de s'interesser aux ouvrages
de Wagner et a fait donner ici plusieurs fois le »Fliegende
Hollander avant qu'on ne songeat a monter cet ouvrage ailleurs.
David me raconta qu'il a ecrit aussi une espece de Concerto
rip. Vinlnn intitule »Sr>nst. und ifttzt«. fliontant one le Jetzt se
— 23 —
Mercredi soir je re$us a Dusseldorf une lettre de M me
d'Agoult d un ton assez adouci, avec son ancien cachet »in
alta solitudine«, a l'entonr d'un rhododendron qu'elle a fait
faire a Geneve. Elle m'engage beaucoup a venir pour 48 heures
a Paris, pour m' entendre avec elle sur les arrangements a
prendre relativement aux enfants dans le cas que M me Patersi
viendrait a leur manquer. Je me priverai de ce voyage quoi-
qu'elle m'assure a la fin de sa lettre que je ne »regretterai
pas d' avoir consacre' ce court espace de temps a des affections
vives et profondes« et lui r^pondrai de Weymar.
Avant le voyage de Hongrie je ne quitterai point Weymar.
On y attend la G de Duchesse Olga et la Princesse de Prusse
apres-demain — et dans une huitaine de jours j'espere que
je pourrai me remettre a mon travail sans ddsemparer. Je
tiens a terminer la partition des Choeurs du Prome'thee (ce
qui est une besogne de cinq a six semaines) pour entre-
prendre de suite apres le Dante — que je veux finir en 55.
A. A.
11.
Mardi 4 Juin 55.
Voila trois jours que je cherche a t'6crire sans y r^ussir.
Je suis revenu harass^ de fatigue et courbature' Vendredi
vers 5 heures de Tapres-midi avec mes deux compagnons de
voyage que tu connais. Les nouvelles que j'ai trouv^es de
Madame Patersi ne me laissent que peu d'espoir de la con-
server. II faut que j'avise a d'autres arrangements pour mes
filles, et comme je ne veux pas pour plusieurs raisons les
e'tablir chez leur mere, je les changerai probabiement d'air et
les ferai venir en Allemagne — peut-6tre ^ Dreade on a
Berlin.
Le Grand Due m'a trouve* si mauvaise mine hier soir qu'il
m'a engage' a passer quelque temps a la catapagne. II m'a
— 24 —
nne repetition de 5 heures da »Tannhauser« qn'on donnera ce
soir en l'honneur de la Princesse de Prnsse que j'ai eu grand
plaisir a revoir. Depuis nne donzaine d'annees elle a con-
stamment marque nne grande bienveillance pour moi et ne
semble pas disposee a changer. 8a fille (pour laquelle il est
question d ? nn mariage avee le Prince-regent de Bade — on nn
prince anglais?) est charmante. Hans 1 ) lui a donne* quelqnes
lecons de piano a Berlin et elle m'a tres joliment joue hier
matin un de mes Lieder:
»Der Du von dem ^limrael bist
Sttsser Friede, komm in meine Brust. —
Ach, ich bin des Treibens miide!« . — .
J'ai un tas de lettres a ecrire avant de me remettre an
travail de mon Promethee. On m'a envoys' de Paris qnel-
ques numeros de la »Revue contemporaine« avec l'article de
M r Ouizot uNos mScomptes et nos esperancesa, et un autre de
Ponmartin sur les M&noires de Madame Sand. Dans ce der-
nier, fort dur pour l'auteur de Lelia, il y a nn passage assez
drdle. »Apres les hableries intarissables de l'auteur des ,Mous-
quetaires', apres les fatuites bouffonnes du Bourgeois de Paris,
on pensait que rien n'etait plus possible; eh Men! Ton se
trompait, il y avait encore nn pas a faire, et M me Sand vient
de s'en acquitter a la stupefaction generate. II y avait Pecri-
vain, 1' artiste, la femme celebre, annoncant a grand bruit ses
Memoires, et se croyant le droit et le pouvoir d'interesser ses
lecteurs en lenr faisant l'histoire de sa vie ... . avant sa
naissance.«
Et plus loin il rapproche ces Memoires »d J avant berceam
des M^mo ires ct outre tombe. Le fait est que de publier neuf
volumes d'Mstoire de sa vie et au neuvieme n'en €tre arrive
qu'a l'age de 7 arts pent paraitre un peu singulier, mais Im-
plication qu'en donne M r de Ponmartin, (developpant la these
de XherediU d> organisation que M me Sand met en avant) par
— 25 —
les moeurs dissolues de »Marie Rainteau, dame de l'op^ra,
8' appelant de son nom de guerre Mademoiselle Verrieres/ une
des innombrables victimes da marshal de Saxe et arriere-
grandmere de M me Sand et d' Antoinette - Victoire - Sophie
Delaborde livr6e dans sa jeunesse a des hasards effrayantsa,
ne l'autorisent a revendiquer nne origine popniaire.
On en etes-vous de vos affaires? Ma pens^e vous suit
constamment a travers ces de'dales de pourparlers et d'ex-
pectatives si bien que j'en suis peut-etre plus agit6 que vous-
m&ne. Apr&s tout »une seule chose est n£cessaire« — Suivons
done plutot Marie que Marthe —
Cceur nobyh coeur immobile.
A. A.
12.
Gotha — Stadt Altenburg, Dimanche 10 Juin, minuit.
»Tes autels, Seigneur, tes autelsU ....
C'est dans ces memea chambres que je te lisais, il y a
3 mois, le magnifique passage des Soirdes de S* P^tersbourg
sur les Psaumes. Toute mon &me respirait a ce moment, et
ce soir ta lettre est venue m'apporter comme le parfum de
cette heure de tressaillement. Je t'en supplie, sois parfois
ainsi »deraisonnable enfant«, on comme tu voudras l'appeler;
6cris-moi ce qui te passe par le coeur et fais de moi ton
»confessionnal(c comme tu dis si bien. Tes larmes sont belles,
pures et saintes 1 Je ne puis fen dire plus; 6coute-moi cepen-
dant, et laisse les rayons de mon amitie' se r^pandre et p£n6-
trer comme un baume dans les plus profonds replis de ton
&me. —
Je vais t'expliquer comment je me trouve a Gotha. Rietschei
vient de passer deux jours a Weymar pour terminer le buste
en marbre de la Princesse Marie qui est un chef-d'oeuvre. II
ddsirait voir les peintures de Schwind a la Wartburg, et nous
nous sommes mis en route en matin nmir Eisenach avec Preller
— 26 —
sommes revenus pour nniter k Gotha, et j'ai profits de la
premifcre demi-heure de liberty pour ddcacheter ta lettre.
Demain matin nous repartons pour Weymar ou Ton redonne
le Tannh&user le soir. Certes je t'ai cherch^e du regard et du
coeur It cette place que tu te rappelles, et je ne tfexag&re rien
en te disant que tu ne me quittes point I — Bussenius a ter-
mini la Biographie dont tu as les 2 premieres livraisons 1 ) .
II voudrait te faire parvenir le tout, mais il me faudrait ton
adresse exaete ; car probablement il chargera le Baron Jossika
qui habite Bruxelles de te la remettre. Jossika est un roman-
cier d'un renom distingue ; sa conduite politique durant les
dv&iements de Hongrie a 6i6 des plus honorables; il a tenu
bon jusqu'au bout quoique la moderation de ses opinions an-
t&ieures semblat lui indiquer et lui faciliter une ligne plus
prudente. Depuis quelques ann£es il vit retire k Bruxelles
avec sa femme qui est £galement de bonne naissance et entiere-
ment ddvoude a son mari. Si tu as occasion de faire sa
connaissance, parle-lui la langue famili&re aux esprits et aux
caracteres de cette trempe. Plusieurs de ses romans ont acquis
une grande popularity en Hongrie, et ont 6t6 traduits en alle-
mand et en francais.
Bussenius a eu de grosses affaires sur le bras, mais s'en
est tire*, comme je l'esp&ais, a son honneur et a vantage. II
vient d'acheter une maison a Gotha et k partir du mois de
Juillet commencera son nouvel dtablissement avec son nom,
sa raison sociale et individuelle. Quand il publiera cet automne
meine gesammelten Schriften, je t'en ferai adresser un ex-
emplaire 2 ) .
Wagner m'a dcrit une longue lettre ce matin sur le Dante.
Le canard que plusieurs journaux ont reproduit sur son depart
1) Kleine Biographie Liszt's, die Bussenius, ein in Gotha lebeu-
— 27 —
precipite de Londres est a peu pr&s de la m6me grosseur que
celui par lequel on annonce mon depart pour l'Am&ique.
Wagner restera tranquillement a Londres jusqu'a la fin des
concerts de la Soci£t6 philharmoniqne (jusqu'au 26 courant),
et ponr ma part il va sans dire que je ne quitte point
Weymar.
D'aprfcs les dernifcres nouvelles M me Patersi va un peu mieux ;
mais je n'ose gufere espdrer dans la dur^e de son rdtablisse-
ment a cet age, et tr&s probablement j^tablirai mes filles a
Dresde chez M me Ritter 1 ), dans laquelle j'ai une entifcre con-
fiance et qui ne me refusera pas ce trfcs grand service. C'est
une femme d'un caractfcre extr^mement respectable, d'un esprit
judicieux et cultiv^, — et mes filles trouveront toute s6curit€
et suffisamment d'agr£ment dans sa maison. Daniel restera
encore une ann^e au Lyc6e Bonaparte ou il continue ses etudes
avec beaucoup de succ6s — et plus tard je verrai si je ne
trouverai pas moyen de le faire entrer a l'Ecole polytechnique.
Le moment de mon depart pour la Hongrie est encore
incertain et il serait mSme possible que ce voyage se trouve
ajourn^ par le fait de quelques circonstances qui peuvent venir
a la traverse. Mais de toute fa$on j'irai a Zurich dans quel-
ques mois, car je l'ai positivement promis a Wagner, qui sera
rentr6 dans ses foyers d'exil^ a la fin de ce mois.
Avez-vous entendu parler de E. Fflrster a Munich 2 ) ?
C'est un homme bien m£ritant qui a 3pous6 la fille de Jean
Paul et vit d'ordinaire a Munich. Son y>HandbucM pour Alle-
magne et Tltalie est trfcs rdpandu. II publiera prochainement
un gros in- folio sur Fra Beato Angelico da Fiesole, avec une
quantity de gravures d'apr&s les dessins qu'il a faits en Italie,
ou il a aussi traduit en 8 volumes le Vasari qui a paru chez
Cotta. La Princesse Ta beaucoup vu a Munich, et depuis
quelques jours il a pris ses quartiers a l'Altenburg oil il
compte passer une couple de semaines. J© vais assez souvent
— 28 —
lui tenir compagnie pendant qu'il dessine iin groupe d'anges
d'aprfcs Fiesole.
»Espere, enfanta et sois b&iie! — Ne te plains pas trop
de l'incertitude de ton sort; qnelque pdnible qu'elle soit, il
te restera tonjours dans mon coeur de quoi reposer ta t€te.
13.
Ettersburg — Jeudi 14 Jnin, 7 heures du soir.
J'ai dinS ici aujourd'hui chez le G d Due avec Fflrster dont
je t'ai parte dans ma derni&re lettre, et Monseigneur nous
ayant congddi^s jusqu'au th6 j'en profite pour jaser avec Voire
Altesse S^renissime — ou Tristissime, comme moi. Qu'ai-je
a vous dire, a travers tant de silences qui p&sent sur ma
destin^e ? » And if it was lightning , I would speak ! « dit
Childe Harold Quand ce volume te tombera sous la main
relis ce passage du 3 me chant, que j'ai pris pour 3pigraphe
d'un morceau passablement con/us, qui a paru dernifcrement
dans le l r volume de mes vAnntes de Pelerinage* (Suisse) et
qui pourrait me valoir peut-6tre une modeste place au »Par-
nasso confusoa que le brave Mdtastase rSvait jadis, et que nous
avons singulifcrement agrandi depuisl 1 ) —
En fait de confusion je viens d'en commettre une de belle
sorte. Au moment de me mettre en voiture a Weymar on
me remet une dep6che t61£graphique pour M me la 6 de Duchesse.
Elle 6tait restee tranquillement dans ma poche jusqu'a ce mo-
ment ou j'apprends par hasard par le m6decin de S. A. R.
qu'on etait fort inquiet de n'avoir pas encore reQU des nou-
velles de Berlin etc. etc. Or j'ai du m'excuser du mieux que
j'ai pu. . — .
Par ce que je t^crivais de Gotha tu auras vu que nous
nous 6tions rencontres. Bussenius t'enverra probablement
— 29 —
beaucoup mienx r^ussi que je n'y comptais. Ge pauvre
Bussenius tousse horriblement et crache le sang. Alfred
Meissner 1 ) qui vient de passer deux jours a Weymar me dit
qu'il y a fort a craindre que B. ne puisse pas vivre au dela
de cette ann£e — mais j' imagine qu'il se trompe et que B. a
assez de nerf de volont6 ponr se faire meme une espfcce de
sant6 quelconque.
Quelqu'abus qui puisse en r^sulter, je te renouvelle ma
priere de m'^crire quand et comme bon te semblera.
D'ici a quelquos jours j'espfcre que je pourrai me remettre
au travail. Jen ai grand besoin, car je sens que je me con-
somme ainsi.
Pourras-tu aller a la campagne, reprendre ton piano, rever
et lire? — Tu me dis que ce serait le bonbeur. Oui, a la
manure dont l a d^fini Ducis je crois: »un malheur plus ou
moins consoled; mais le bonheur stable nest possible que par
le renoncement le plus entier et le plus absolu — tel que les
Saints Font pratique — tel que lamour a ses moments d'exal-
tation supreme le comprend! —
14.
[19. od. 20. Juni 1855.]
Tu me connais assez pour savoir que je ne suis pas artiste
(dans l'acception courante du mot) au point d'etre absolument
prive* de bon sens dans les choses de la vie r^elle et positive.
Parle -moi done k coeur ouvert et laisse-moi ainsi au moins
quelque possibility de t'aider.
J'attends ta prochaine lettre pour t'dcrire plus a loisir.
Depuis mon retour de Dusseldorf je n'ai pas encore pu gagner
une heure de tranquillity, et le mois de Juillet s'annonce assez
mal pour moi. Lundi prochain j'irai a Jena oil Ton ex^cutera
ma Messe, (celle qui est dejk publico chez Hartel depuis deux
— 30 —
ans) Mardi a 4 heures. Je t'e'crirai probablement apres la
r6p6tition.
sEspere, enfant « — et porte ta tete a la hauteur de ton
coeur. A. A.
P. S. En r£sum£: e'puiser les combinaisons B., e*crire a
M. etc. — et puis voir quel parti tu devras prendre pour ton
propre compte — et en attendant ne point prendre des vessies
pour des lanternes, et pratiquer le moins longtemps possible
l'e'quilibre europe'en a St. P., quelqu' indiffSrente que puisse Stre
cette eirconstance si on est de force a la porter. Pour toi
il faut que tu restes a Bruxelles et qua tu emploies ton temps
a lire et a £crire — et a faire plus ample connaissance
avec cet ange gardien que tu me dis t'apparaftre — et ne te
tromperas pas I —
15.
Mercredi 5 Juillet [1855].
Je partirai probablement demain matin pour Dresde et ne
puis t'e'crire que deux mots aujourd'hui. Voici aussi quelques
lignes sur la Messe exe'cute'e a Jena qui ont paru dans notre
Sonntags-Blatt. Elles constatent l'impression ge'ndrale qui,
comme je te l'ai dit, a 6t6 tres favorable.
Depuis Samedi je me suis remis au travail, ce qui est
mon seul moyen d'e'quilibre. A la fin du mois j'espere en
avoir a peu pres fini de mes Choeurs du Promtfthe'e — et
vers la mi-Aout je tUcherai de commencer le Dante.
Je t'6crirai en tout cas de Dresde et rdpondrai a tes gron-
deries. Ne te laisse point abattre et t^che de te maintenir
telle que tu dois etre et que je te veux.
16.
Station de chemin de fer a Halle — 6 heures —
Samedi 7 Juillet.
— 31 —
nuent de psalmodies an fond de mon coeur . . . mais tn sais
qne j'ai pour maxime qu'il fant etouffer et ggorger certaines
emotions, et ne tenir aucnn compte de ce je ne sais qnoi qui
est le fond de notre vie m&ne!
Tu ne peux imaginer combien je m'afflige de ne pouvoir
t'etre bon a rien! Quelque gr&ce que tu mettes a me gronder
des quelques mots qui me sont £chapp& a ce sujet dans ma
derniere lettre, je ne veux pas que tu te meprennes sur mon
sentiment en pensant que je mdconnais le tien. Ce besoin
d'etre quelque chose a quelqu'un est une blessure de ma jeunesse
qui ne s'est jamais cicatrised. II y a une belle lettre sur ce
theme dans Weriher qui commence, si je ne me trompe, ainsi:
»Je me briserais volontiers le cr&ne« . . . etc. et je me sou-
viens que la premiere fois que je l'ai lue, il y a 25 ans, je
fondis en larmes et en inondai tout le livre. Mais ne par-
Ions ni demotions ni de larmes — et sachons du moins taire
ce que nous souffrons et subissons! —
Je suis parti avant-hier soir pour Dresde et dans pen
d'heures je serai de retour a Weymar. Tu connais le motif
de cette excursion — et probablement M me Bitter acceptera
de garder mes filles chez elle durant un an ou deux — apres
quoi il est presumable qu'elles se marieront. L 1 atmosphere
de Paris leur devient de plus en plus malsaine. (Leur mere
par parenthese vient de publier dans la Revue contemporaine
du mois dernier, je crois, un assez long fragment tire* d'une
histoire de Hollande qu'on annonce, intitule* »Pouvoir et Liberty.
Si par hasard vous allez au cabinet de lecture, demandez ce
num^ro de la Revue contemporaine. La signature litt6raire
de M me d'A. est comme vous savez Daniel Stern.) D' autre
part je ne puis ni ne veux garder mes filles sous mon toit
de l'Altenburg. Seulement je crois qu'il leur seraA* favorable
de passer quelque temps en Allemagne — et Dresde ou Berlin
me paraissent les villes les plus indiqu^es k c et effet pour
elles. Je ne leur ai encore rien dit de ce projet e * ne * es
en instruirai qu'alors aue je les reverrau POnr eviter toute
— 32 —
moins le superflu en ce genre — si n£cessaire qu'il soit
ailleursl —
A propos de superflu je viens de lire dans un numdro
du Journal de Leipzig que j'ai achet£ en wagon, l'annonce
du Journal du Nord paraissant a Brnxelles a partir du 1 T Juil-
let 1 ). Comme il est enti&rement dans les eaux de la N£va,
je suis surpris que votre pfcre n'y soit pas m%\6. Peut-6tre
la chose pourrait-elle s'arranger avec M r C. a moins qu'on
ne soit d£cid6 de ce c6tS a laisser votre pfcre noyS — ce qui
ne serait pas impossible, mais ce dont je ne puis pas juger,
n'ayant pas de donn6e a cet 6gard.
Puisque tu l'exiges, je t'envoie encore un compte-rendu
de 1' execution de ma Messe a Jena — sans scrupule de Taug-
mentation du port de lettres. En revenant a Weymar je ferai
mettre a la poste un exemplaire de la Biographie de Busse-
nius ou tu trouveras plusieurs choses qui t'amuseront.
»Tout cela n'empSche pas que je ne sois horriblement
triste« — et pourtant j'attends et j'espfcre. — Je ne sais
quel po&te a dit : »Tesp^rance m&ne a des portes closes«
— mais comment l'amour et la foi n'auraient-ils pas des
clefs magiques pour ouvrir ces portes? — Sachons surtout
ne pas nous abandonner, ne pas nous trahir nous-mSme —
le reste nous sera donn6 par-dessus le march6«.
Pardonne, — sois douce et compatissante (»ce qu'il y a
de meillenr«) pour moi — et laisse-moi te b6nir, Agnfcsl —
17.
Dimanche matin, 15 Juillet 55.
Je te remercie, Agnes, de n'avoir pas attendu une nou-
velle lettre pour m'dcrire, et te b^nis de me parler si douce-
ment de moi-m&ne. Je souffre beaucoup, tout en ne cessant
— 33 —
Ce que tu me dis de ta tante m'a vivement 6mu. Oui,
tu as raison, »la vie nest qu'un long et amer suicide «, et la
foi seule, mais une foi ardente, positive, celle qui transplante
les montagnes, transforme ce suicide en sacrifice et redout ainsi
lumineusement toute dnigme, toute d^faillance. Par elle seule
chacune de nos moindres actions, et jusqu'a nos pensdes les
plus secretes acquierent une valeur 6ternelle, un prix infini,
et je ne sais quel parfum, quelle sonority inconnus au monde.
Prions done, enfant! — Prions Dieu qu'il nous accorde
cette foi qui sauve et sait consoler ceux qui pleurentl —
Depuis hier soir je suis reste* seul a l'Altenburg. La
Princesse et sa fille sont allies passer quelques jours a Berlin
pour visiter le Mus6e, l'atelier de Ranch etc. Je les ai beau-
coup engagers a faire cette excursion, car Weymar leur oflfre
peu d'agre'ments en ce moment. II s'agit simplement de pa-
tenter et de perse>erer — mais cela n'est point gai. Heureuse-
ment en ce dernier temps la curiosity et Vint^ret passionne*
que la Princesse prend aux oeuvres d'art (Peinture, Sculpture,
Architecture) s'est assez reveille* chez elle, et comme elle n'a
pas 6t6 a Berlin depuis une vingtaine d'anndes, elle trouvera
ais^ment moyen d' employer son temps d'une maniere agr6able
et instructive en ce sens. J'espere qu'elle y trouvera Kaul-
bach (avec lequel je suis assez lie* d'autrefois) , Rauch et
peut-6tre m6me M r de Humboldt. Cela lui vaudra mieux que
des promenades dans notre Pare ou de stdriles correspondances.
II est possible aussi qu'un e'tablissement a Berlin s'arrange.
pour mes filles. La question de Tappartement rend la com-
binaison de Dresde impossible jusqu'au printemps prochain,
et je ne voudrais pas tant tarder a les faire de*guerpir de
Paris, qui ne leur vaut rien dans les conditions donne*es. . — .
En consequence il est de mon devoir d'aviser a ce qui sera
utile et profitable a mes filles qui trouveront de meilleures
chances a se marier en Allemagne qu'en France, ou mes
relations sont trop d&endues pour que je puisse influer d'une
maniere avantageuse sur leur sort a venir . — .
Martha Sabinin 1 ) a fait une course a Stuttgart chez une
1) Schtilerin Liszt's, ging spacer als Musiklehrerin der Gross-
La Mara, Liszt-Briefe. III. 3
— 34 —
de ses parentes, je crois, ou elle restera plusieurs semaines.
Elle profitera aussi de cette occasion pour passer quelques
jours a Baden. Le soir de son depart j'ai soup£ chez elle —
elle avait pris votre place et nous avons pour la premiere
fois un peu parl6 de vous. Malgre mon excessive suscepti-
bility sur certaines personnes, je t'avoue quelle s'est tirde de
cette gpreuve a son avantage. Je ne lui ai point cache que
je ne te mettais pas dans la categoric des personnes dont le
nom commence par un S ou un K — et a sa mani&re elle
me parut partager ma predilection pour votre illustre per-
sonne, si bien que je vous engage a cultiver un peu vos
relations avec elle, par correspondance. Martha a non seule-
ment du bon sens (ce qui est le sens droit des choses), mais
encore une certaine d&icatesse de creur et d'aperception qui
me plait chez elle. A son retour elle ira quelques semaines
au Venusberg chez son amie Tony Hopfgarten. Tes reflexions
sur le profit qu'il y aurait lieu de tirer de ce s6jour m'ont
amuse.
Aprfcs une demi-journee d'interruption j'ajoute encore quel-
ques mots a cette lettre. Peut-^tre irai-je pour quelques
jours a Paris, mais en tout cas je ne manquerai pas a la
promesse que j'ai donnge a Wagner de lui faire une visite
dune dizaine de jours, a la fin de Septembre. Mon voyage
de Hongrie sera probablement assez indefiniment ajourn£, car
les travaux de construction de la cath£drale de Gran ne seront
pas achev£s aussitdt qu'on 1' avait presume.
Tache done de patienter et de te maintenir. Ecris-moi
ce que tu lis, et comment tu arranges tes journ6es, — et
donne une amicale poign£e de main a Augustine de ma part,
en lui disant combien je Penvie de vous servir de compagne
dans vos tristesses et vos chagrins.
— 35 —
18.
21 Juillet 55.
Vous voici done encore malade, panvre chere enfant! et
je ne puis pas davantage contre ce mal physique que contre
tant d'autres souffrances qui tiennent votre existence comme en
suspens! — J'en reviens toujours a cette plainte e'ternelle sur
cette impnissance oil nous sommes les nns pour les autres que
la distance rend encore plus amere!
La Princesse se plait beaucoup a Berlin ou elle a pris
d'excellentes relations avec plusieurs notability et illustrations
contemporaines, Olfers, Kaulbach, Marx, Varnhagen et M r de
Humboldt qu'elle voit fre'quemment. Autrefois j'e'tais assez \\6
avec Kaulbach dont l'esprit et la maniere d'etre me plaisent
beaucoup. D'apres ce que la Princesse m'toit, il viendra
passer quelques semaines a Weymar et y fera le portrait de la
pease Marie dans le courant de cet 6t6. Je serai tres charm6 de
le revoir et suis persuade* que nous nous entendrons et nous irons
a merveille. Sa veine de causticity et d'ironie tient a sa su-
periority m≠ par cela elle a quelque chose de genereux
(comme on dit »un vice ginSreuxa) et d'eleve* qu'il est ais6
de distingner de la m£disance et de la moquerie ordinaires,
herbes parasites qui poussent sur le sol de l'envie et des pas-
sions mesquines. Je ne connais de lui que quelques cartons,
mais la Princesse m'e'erit qn'en cela comme en d'autres choses
il se tranche tres avantageusement des autres peintres alle-
mands, que ses fresques sont supe'rieures a ses cartons, tandis
que chez la plupart de ses collegues e'est l'inverse comme on
l'a justement remarque\
Depuis Mercredi Hans de Btilow est chez moi a TAlten-
burg. Vous savez que je I'aime comme un fils. II m a joue*
plusieurs morceaux de sa composition que je ne connaissais
pas et qui me paraissent charmants, entre autres une Reverie
fantastique et une Mazurka. Domain il partira pour Copen-
hague ou il passera ses vacances. Les cours du Conservatoire
de Berlin ne commenceront qu'en Septembre. — J'ai aussi
accepts ce matin un nouvel eleve age* de 13 ans et demi,
3*
— 36 —
nomm6 Tausig (de Varsovie). Das ist ein ganz tausiger Kerl
que je crois destine a faire an chemin extraordinaire d'ici a
2 on 3 ans. II joue ddja toute chose d'une fagon £tonnante
et compose des morceaux tont a fait piquants. Son pfcre est
professeur de piano a Varsovie et, contre l'ordinaire des papas
d'enfants prodiges, fort sens£. Le bonhomme restera a Wey-
mar pendant deux ans et vons en entendrez parler pins tard.
Martha Sabinin a fait furore a Stuttgart, ou elle a jou6
plusieurs fois chez la 6 de Duchesse Olga qui s'est montr£e tr&s
aimable pour elle. Dans quelques jours elle ira a Baden. Si
vons en avez le loisir teivez-lui quelques lignes.
Dans ta prochaine lettre cite-moi quelqnes vers de la
traduction de L[amennais] du Dante. Je n'ai pas encore pu me
procurer ce volnme que j'ai demands k Leipzig il y a d6ja
une quinzaine de jours.
Je resterai probablement encore une semaine seul a l'Alten-
bnrg — et aprfcs le depart de Hans me remettrai a mon tra-
vail du matin an soir. — T&che de gugrir — ton 6criture
se ressent visiblement de la fifcvre — mais tu peux me faire
le meme compliment sur la mienne — seulement je suis plus
coutumier de ce fait qne d'autres, et somme toute, m'en ac-
commode tant bien que mal — jusqu'a un certain point ou
je me mets a chanter ton refrain »Tont cela n'empeche
pas« etc.
Avant Septembre je ne puis pas faire de projet. Ou
seras-tn alors? Quelles nouvelles esp&res-tu? Parle -m' en
aussitdt que tu sauras qnelqne chose de positif, ce qni ne sera
peut-6tre pas de sitdt, car les affaires de ce genre tratnent
fort en longueur. Es-tu d6cid6e a attendre tout ce temps a
Bruxelles, et y trouves-tu quelqu'avantage? — II vaut sans
doute mieux se tenir tranquille que de remuer inutilement.
Enfin je compte snr ton bon sens et esp&re que tu sauras
assez t'aider pour que Dien t'aide a sortir d^finitivement de
tous ces embarras. En attendant garde bon courage et bon
espoir. Tu devines les interminables choses que mon coeur
te dit pour te persuader a prendre patience.
A. R. Agn&s.
— 37 —
Mes filles seront d&finitivement etablies k B. chez M me de
Bffllow] cet automne.
19.
28 Juillet 55.
•Faccepte le Dante — envoyez-le-moi d'Ems ou Francfort
(sous bande). Merci des citations que vous m'en faites dans
votre lettre. »Le moment qui nous vainquiH est beau — il
faut seulement faire en sorte que ce soit vraiment une belle
victoire et pas une d^faite.
Voici pour vos menus plaisirs de voyage — que votre
ange gardien vous accompagne et vous conduisel —
Je resterai jusqu'au 5 Aout seul k TAltenburg. D'ici k
quinze jours j'esp&re avoir fini a peu pr£s la composition du
Psaume 13: »Herr, wie lange willst Du meiner so gar ver-
gessen? — Wie lange verbirgst Du Dein Antlitz vor mir?
Wie lange soli ich sorgen in meiner Seele und mich angstigen
in meinem Herzen t&glich? Wie lange soil sich mein Feind
tiber mich erheben? Schaue doch und erhflre michU etc.
J'ai suspendu la partition de mes Chceurs de Promethde
pour 6crire ce Psaume qui m'est venu d'abondance de cceur.
A bientdt A.
20.
Samedi 4 Aout 55.
Heureux voyage donc> et meilleur retourl Je suis bien
d£sireux d'apprendre le r^sultat de votre entrevue avec M.
S'il est positivement favorable 6crivez-moi deux lignes de
suite.
II y a quelques jours M me Kal[ergi] 6tait encore a Ems
— mais d'apres une lettre de Martha S[abinin] (de Bade),
elle doit y arriver aujourd'hui. Vous ai-je dit que Martha
avait un grand succes a Stuttgart ou elle a joud trois ou
quatre fois en petit comity chez la G de Duchesse Olga? —
Je me suis aussi un peu occupy de votre cousin Charles
et l'ai trfcs particulikrement recommand^ au Prince Youssoupow
— 38 —
(Nicolas) qui possfcde une chapelle de 50 musiciens a Peters-
bourg, et cherche un pianiste qui soit en meme temps assez
musicien pour £crire des accompagnements, corriger des fautes
d'harmonie et au besoin diriger des concerts.
Cette position conviendrait beaucoup a Charles, et je suis
persuade* qull r^ussirait parfaitement a Petersbourg s'il s'y
insiallait d'abord sur le patronage de Youssoupow.
Aussit6t que celui-ci m'aura ecrit de Francfort, j'infor-
merai Charles de cette proposition, et peut-6tre la chose
pourra-t-elle s'arranger. Y. a fait assez parler de lui en
dernier lieu par suite de sa liaison avec Pepita — ce qui
ne l'empgche pas, a ce qu'il paratt, de jouer du violon et de
publier m&ne des morceaux de sa composition chez Schott et
Hofmeister. II m'a fait personnellement une assez bonne
impression, malgre" mon peu de gout pour les richards.
Un de mes anciens amis (qui n'a pas cet inconvenient),
Beurmann, r6dacteur en chef du Journal de Francfort, est venu
passer une couple de jours a Weymar. Votre pere l'avait
precede a la redaction du J. d. F., et il m'en a parl6 assez
au long, pr&endant entre autres choses que X. *) sMtait ruine
pour sa famille, et en particulier en Fhonneur de sa fille, ce
que j'ai naturellement cru sur parole.
Sans voir en noir, je crains bien que la position de votre
p&re ne soit gravement endommage*e dans 1' opinion des per-
sonnes qui seraient a m&ne de le tirer d'affaire et quli ne
rencontre de grandes difficulty avant de remettre le pied
dans r&rier gouvernemental. II faudra probablement que
vous vous mettiez en peine de remplir votre role de »femme
a sorU, comme je vous ai intitulee un soir, et que vous sachiez
determiner le votre. La Boh&me politique n'a m€me pas a
la longue les avantage de la Boh&me artiste .... mais vos
reflexions sont faites et tres bien faites a ce sujet.
A Toeuvre done s'il se peut; le plus tdt sera le mieux.
Encore une fois, bon voyage — et promptes nouvelles. II
1) X. oder M r de X, dessen in den Briefen haufig gedacht wird,
ist der Vater der Adressatin.
— 39 —
n'y a pas d'inconvfoient k ce que vous n'ayez pas vu M. k
Bruxelles. Vous aurez probablement plus de chance k ren-
contrer le moment opportnn qui vous est n6cessaire k Ems.
La Princesse reviendra apres-demain de Berlin ou elle
a vu et pratique plusieurs hommes plus que distingugs (Kaul-
bach, Ranch et Humboldt). Cette diversion lui aura fait du
bien et rafraichi son esprit.
Merci de ce que vous me dites de votre petite soci^te de
Fra Beato k Bruxelles.
Que Dieu te conduise, Agnfcsl
21.
15 Aout 55.
Le Dante est sur ma table k manuscrits dans la chambre
bleue que vous avez entrevue un instant. J'espfcre que dans
une huitaine de jours je serai plus libre de mon temps et
ponrrai lire avec un peu de suite. M me de Bfilow a passe
deux jours ici. Elle me ram&nera mes deux filles et le gargon
Lundi ou Mardi prochain et je garderai mes enfants pendant
une quinzaine de jours k l'Altenburg — apres quoi j'aviserai
k l'gtablissement ulterieur de mes filles.
La P S8e est revenue fort satisfaite de ses explorations
artistiques de Berlin — elle a rapporte* entre autres une belle
esquisse de la »Hunnenschlacht« de Kaulbach — et je suis
fort tent£ de faire une composition musicale d'apr&s cette es-
quisse. II s'entend que ce ne sera pas un Solo de Guitar e
et qu'il s'agira de mettre une bonne portion de cuivres en
mouvement. Mais pour le moment il faut que je termine
d'abord mon Psaume par une £clatante p£roraison fugu6e.
»Ich will dem Herrn singen, dass Er so wohl an mir thutU
et il me faut encore trois ou quatre jours de travail ininter-
rompu pour cela.
Cornelius ^ a fait une nouvelle Messe. Elle sera ex^cutee
— 40 —
est toujours f<8t£e ici par une Messe en musique, sur la de-
mande et aux frais de la Legation de France. Cet ouvrage
qull a £crit en moins de quinze jours lui a parfaitement
reussi et fera un tres bon effet. Le 15 Aout c'est aussi la
fete de la Princesse Marie. Sa mere lni a fait un magnifique
cadeau aujourd'hui par les cartons des peintures de Schwind
a la Wartburg. Comme il arrive souvent aux peintres alle-
mands que leurs cartons sont superieurs a leurs tableaux, c'est
aussi le cas pour ces sept auvres de misSricorde de S te Eli-
sabeth.
La Princesse Marie possede un tres noble co3ur et une
intelligence singulierement droite et perspicace; c'est la un
tre*sor que »les vers ne rongent point « et sur lequel la malice
des hommes n 7 a point de prise. —
»A sotte question point de reponse«, serais-je tente* de vous
dire, si je ne tenais a eviter meme Papparence d'une durete
avec vous! Mais vraiment, puisque vous renouvelez votre
question au sujet de l'ennui suppose que me causeraient vos
lettres, je dois vous signifier que ce genre de questions et de
suppositions fait partie du style pensionnaire dont nous n'avons
que faire. Ainsi vous voila bien et dument rabronee; vous
ne recommencerez done plus.
Je vous quitte pour aller a la repetition de Cornelius, car
j'ai accepts de diriger sa Messe domain. Merci encore du
Dante. Aussitot que je serai de*barrasse* de plusieurs ennuis
que me tiennent a la gorge, je vous 6crirai plus au long.
22.
Mercredi 22 Aout, 4 heures.
La Princesse et sa fille sont parties Samedi pour Paris ou elles
passeront trois semaines a peu pres. A leur retour elles traverse-
ront Bruxelles, et s'y arrSteront assez pour visiter quelques ateliers.
Les explorations artistiques que la Princesse a faites a Berlin
l'ayant remise tres en veine de voir et de gouter les beaux ta-
bleaux, je l'engagerai a s'arrSter deux jours au Musee d'Anvers ou
— 41 —
Ton peat le mieux contempler toute la hauteur et vigueur du
g6me de Rubens. De Ik on ira passer quelques heures k
Bruges, charmant joyau de ville, et du 15 au 20 Sept. je
suppose qu'on sera de retour ici. — Pour ma part je ne
quitterai point Weymar avant la fin Novembre, Wagner m'ayant
prie de diffSrer jusque-lk ma visite k Zurich k cause de Fin-
disposition obligSe d'une de ses amies qui ne sera d£barrass6e
de ses couches que vers la fin d'Octobre. C'est une tr&s
aimable jeune femme et que Wagner tient particulierement a
associer k nos causeries esth&iques.
En attendant je remplirai de notes un certain nombre de
feuilles de papier de musique — et songerai creux le reste
du temps.
Mes deux filles et mon fils Daniel (qui s'est de nouveau
distingu6 an concours de cette ann6e) sont arrives hier sous la
garde de M me de Btllow. Mes filles m'ont trfcs gentiment parld
de votre visite rue Casimir P^rier. Je reviendrai sur ce cha-
pitre avec elles apr&s en avoir 6puisd quelques autres pr6-
alablement. Elles ne manquent ni d'esprit ni d'intelligence,
et j'espfcre qu'elles tourneront k bien — sans se retourner
apres. Elles ont assez de perspicacity et de rebondissement,
joints k une pointe de malice juvenile et vive qui leur sied.
Je les garderai pendant une dizaine de jours avant de les
exp&lier k Berlin. On me propose deux partis pour Blandine,
dont probablement aucun ne lui conviendra.
Cornelius (qui n'est pas sur les rangs) part ce soir pour
Bemhards Hutte ou il restera jusqu'k la fin d'Octobre chez
sa mere.
Henselt a pass£ la journe'e d'hier et cette matinee avec
moi. Le restant de V€t€ il habitera son chateau de Gersdorf
en Sil6sie ou sa femme demeure toute l'ann£e — et k la fin
d'Octobre il retourne k P&ersbourg. L'anne'e prochaine je lui
ai promis de lui faire un bout de visite k Gersdorf. Cette
terre n'est qu'& 4 heures de distance de Dresde, et il paratt
qu'ii s'y est confortablement arrange — c'est-k-dire sa femme
pour laquelle il en a fait Pacquisition moyennant une cinquan-
taine de milliers d^cus.
— 42 —
Je ne m'expiique pas comment vous n'avez pas vu M. a
Ems. La Princesse Latonr Pa vu a la promenade le Di-
manche 12 Aout, et m'assure qu'il n'a quitte Ems que le
13 ou 14.
Apr&s avoir accompagnd la Princesse jusqu'a Eisenach
(Samedi) je suis all6 a WilhelmBthal qu'habite maintenant M me
la 6 de Duchesse r£gnante, en quality de »Strohwittwe«. Je
me suis permis de lui tenir compagnie tant bien que mal jus-
qu'a Lundi matin — et le m€me soir me suis arr£t6 quelques
heures chez le Due de Goburg a Reinhardsbrunn, en passant
par Gotha, ou j'ai fait quelques promenades solitaires dans la
chambre de la uStadt Alteriburg« y dont vous vous souvenez.
Comment va M r George? 1 ) Embrassez-le pour moi et donnez-
moi de ses nouvelles.
Sans warietas* , ni y>delectas«\
23.
Dimanche 26 Aout 55.
Les lignes que je vous ai Veritas avant-hier £taient toutes
remplies de departs et d'arriv^es de visiteurs . . . . et a tant
d'autres tristesses se joint pour moi celle de vous parler d'or-
dinaire de choses si indiff&rentes. Mon coeur est surplein de
choses que je ne puis ni ne dois dire. »J'ai quitttf le d6sir
et pass6 l'esp£rance.«
Mes filles me prennent les deux tiers de mes journ^es.
Ce sont de gentilles jeunes personnes, intelligentes, vives et
meme un peu reniflantes. Elles tiennent a la fois de papa
et de maman. Des deux ou trois partis convenables et avan-
tageux qui s'offrent pour Blandine elle paralt ne vouloir
d'aucun. L'&ablissement de Berlin ne leur soucit pas beau-
coup non plus, quoique ce soit ce qu'il y ait de plus sens6
et d'avantageux pour elles a faire. M me de Billow est dans
les meilleures donn£es de caract&re, d 'habitudes, de culture
d'esprit et de position pour remplir la tache que je lui ai
1) Sohn der Adressatin.
— 43 —
confine. Aussi j'espere qu'apr&s les avoir envoy£es dument
promener a tons les trente six mille diables avec leur rGvasse-
ries et leurs arguments empruntes a la folle dn logis (ce qni
s'est d6ja fait a plnsienrs reprises dnrant ces trois jonrs) elles
finiront par acqu6rir nne conviction enti&re de la sinc6rit£ et
sagesse de ma sollicitnde ponr elles, et s'associeront de coenr
a mes intentions; car elles ont an grand fond de tendresse
ponr moi.
Voila le mois de Septembre qni vient — mais je ne puis
bonger d'ici ma visite a Wagner est remise jusqu'a
la fin de Novembre, comme je vons l'ai 6crit.
Quelle rgponse avez-vous de M. ? A Ems il s'est beau-
coup occupy de plusieurs dames am&icaines et Ton parlait
de son mariage avec Tune d 'elles.
Les nouvelles que me donne la Princesse de Paris sont
excellentes. Scheffer fait le portrait de la Princesse Marie
— et je n'attends leur retour que vers la mi-Septembre.
A. A.
24.
. — . J'esp&re qu'au mois de Novembre je vous retrouverai
quelqne part. II n'est pas surprenant que M. ne vous ait
pas r£pondu de suite, et je regrette seulement que vous ne
l'ayez pas vu. Les projets interrompus de votre p&re sont
au-dessus de tonte explication; Dieu venille qu'il sorte de
cette bagarre — un de mes croissants chagrins est d$ me
trouver dans Timpossibilit^ de vous prater une assistance
s&ieuse et decisive.
Les nouvelles que je regois de Paris sont bonnes. Pour
mes fillettes il s'offre plusieurs partis trfcs sortables et meme
avantageux, mais elles sont d'une recalcitrance £tonnante, et
je dois me borner a les traiter de prgcieuses ridicules, en
les laissant faire a leur gr6. II leur faudrait pour mari
quelque chose comme un Beethoven ou Raphael-iVaioi / —
Excusez du peu! — En attendant qu'elles deviennent plus
raisonnables je les envoie promener avec Miss Anderson a
— 44 —
Tieffurt, Belvedere, Ettersburg etc. — Vous ai-je £crit que
cette petite s£quelle s'6tait d^clar^e en pleine »tapageocratie« y
nouvelle invention de gouvernement (de leur cru) dont ils
tempfcrent les inconv£nients par cette maxime fort sage, grave-
ment £nonc£e par mon fils: »Morale bien ordonnle commence
par soi-m&neU —
Dans une hnitaine de jours je compte expldier les fillettes
k Berlin pour y faire leurs reflexions et travailler un pen
leur piano avec Hans. Peut-6tre finiront-elles par bien s'ar-
ranger, car elles ne manquent ni d'esprit ni de perspicacity.
Bussenius publiera dans quelques jours une Biographic de
Wagner que je vous enverrai avec la mienne qui a paru
dans le meme format. Cela vous remettra sur la voie de
quelques-unes de mes conversations de Weymar. L 'autre soir
j ai abondamment et doucement pleur£ en regardant un mer-
veilleux arc-en-ciel qui m'a suivi du Garlsplatz jusqu'au coin
de la Erfurter Strasse.
Impossible de vous 6crire davantage aujourd'hui — je
suis trop souvent interrompu par vingt gens au moins —
mais je vous reparlerai un jour tout au long de cet arc-en-
ciel qui correspond k un moment unique dans ma vie —
rappelez-le-moi quand nous nous reverrons.
30 Aout.
25.
Mardi 11 Sept. 55.
Je ne puis helas! que vous £crire des choses indiffSrentes ;
mais peut-etre ne vous est-ii pas indifferent que je vous les
derive. II faut supporter ce quon ne peut ni empecher ni
changer — et je souffre incessamment de ne pouvoir all6ger
le lourd fardeau que vous avez k porter ! Quelle issue entre-
voir k votre malheureuse situation? Mon cceur se serre dans
un navrement inexprimable k la pens£e des mauvaises chances
qui vous circonviennent. »Espfcre pourtant, enfant! « — cette
— 45 —
savons resistor a nos d^faillances et nous affermir dans la
douceur et Phumilite du creur que le Christ nous a r6vel£es.
Vous me parlez de votre projet de donner des logons.
Serait-ce a Bruxelles? — En ce cas, je vous engagerai
d'aller trouver M me Pleyel *) de ma part et de lui parler sans
reticence de votre position. Elle pourrait vous Gtre utile, vous
reeommander a Fdtis 2 ) — et si vous d^sirez, je vous enverrai
quelques lignes pour ce dernier comme aussi pour M me Pleyel.
Je vous ai suffisamment parte de M me Pleyel, pour Stre dis-
pense d'entrer dans plus de details a son sujet. Je me tiens
seulement a ce qui est l'essentiel pour le moment, et me per-
suade qu elle ne me refusera pas une preuve d'amitie qui con-
tribuerait a vous tirer un pen d'embarras. Refl£chissez-y et
parlez-m'en dans votre prochaine lettre.
Mes filles sont maintenant £tablies a Berlin chez M me de
Billow, flans leur fera travailler le piano, et selon toute
apparence elles arriveront assez promptement a un tr&s joli
degr£ de talent, car elles sont d£ja assez avanc6es, et ont
beaucoup entendu de bonne musique. L'ain^e n'a positivement
voulu d'aucun des trois partis (trfcs sortables et qui me con-
venaient parfaitement) qui lui ont 6t6 proposes. On verra si
de nouveaux candidats rencontreront plus de chances. L'une
et Tautre ont beaucoup d'esprit — et nonobstant une certaine
vaguerie d'imagination et de sensibility, ce sont de bonnes et
droites natures. Quant a mon fils, il s'annonce a merveille;
il a de la candeur sans manquer de fermet6, et il est a pr£-
sumer qu'il maintiendra un assez harmonieux 6quilibre dans
le d6veloppement de ses facult£s — peu ordinaires d'ailleurs.
II y a trfcs longtemps que je n'ai lu la l^gende de Hugo
et vous savez que je jouis d'une detestable m^moire. Quand
vous trouverez quelque chose qui vous plait vous me ferez
plaisir de m'en parler avec plus de detail, comme vous avez
1) Auserezeichnfitft Pianistin nnd frattin des bekac n ^ C!r.~:er
— 46 —
fait pour le Dante par exemple. Je n'ai plus gufcre le temps
ni de lire ni m€me de retire, comme disait M r Royer Collard 1 )
a V. Hugo (pr^tendant ne pas connattre les ouvrages de
rillustre chef de l'^cole romantique) quand celui-ci vint lui
demander sa voix lors de sa presentation au fauteuil acadl-
mique. »Je ne lis pins, je ne fais que retires est, si je ne
me trompe, la version exacte de la rlponse de M r Royer
Collard. Si done vous voulez pour votre bonne part contri-
buer a me preserver de rh£b&tement dans lequel je risque
d'etre plongti par mes ennuis quotidians et par mon travail
de composition qui m'absorbe d'ann£e en ann£e davantage,
vous ferez une bonne cbuvto dont je vous serai reconnaissant.
La Princesse ne reviendra ici que vers le 24 Septembre.
Je comptais profiter de ce mois pour £crire plusieurs choses
qui encombrent ma tete — mais mon temps a 6t£ tellement
pris par mes enfants, et tant d'autres obligations accessoires
sont venues a la traverse que je n'ai litt£ralement rien fait
— ce qui m'est insupportable. 2 )
26.
22 Sept. 55. Weymar.
Si la certitude de trouver dans un autre cceur du moins
un ^cho a toutes vos souffrances vous est de quelque douceur,
croyez bien qu'elle ne sera jamais trouble ! — Je m'interdis
toute parole oiseuse a ce sujet, car d'une part je ne sais pas
dire certaines choses comme j'en aurais besoin, et de l'autre
je me suis fait une habitude de ne parler tfdbondance de
coeur qu'en musique qui est comme ma langue maternelle.
. — .En D^cembre probablement j'irai pour une dizaine
de jours a Berlin oil j'aurai a dinger le cinquifcme des 6
concerts de »rOrchester-Verein«, dont je vous joins le pro-
gramme general. J'y ferai exdeuter deux de mes Po€mes
— Ai-
de Piano. En Octobre j'aurai une commission analogue a
remplir a Brunswik — et pour No61 jlrai trouver Wagner
a Ztirich, si dlci la il ne se pr&ente pas quelqu'obstacle ma-
jeur a ce voyage.
Votre idee de Stuttgart me parait excellente et je ne
sais pourquoi j'ai plus d'espoir quelle tourne a bien que les
prgc&lentes. Quand il y aura un rdsultat, informez-men de
suite.
Pour ma part je n'ai jamais imaging que les circonstances
vous obligeraient a vous frayer une carri&re de professeur
de piano — et meme aujourd'hui cela ne m'entre gu&re dans
Pesprit. Si pourtant il devait en etre ainsi, il y aurait bien
a r^fl^chir si vous n'auriez pas plus d'avantage a choisir une
autre ville que Bruxelles — a d£faut de Paris (on il y a
plusieurs points d'interrogationsj peut-6tre Berlin, ou meme
Hambourg vous offriraient d'assez bonnes chances, ce me
semble. — Quoi que vous dgoidiez j'ai confiance dans votre
bon sens qui est un des charmes de votre esprit et de votre
caract&re.
La Princesse se plait beaucoup a Paris et ne reviendra
que dans une huitaine de jours. J'ai tr&s mal employ^ tout
ce mois a m'occuper d'une quantity des choses auxquelles je
ne devrais avoir rien a faire. Si du moins il me reussissait
d'etre bon a quelque chose ou a quelqu'un! — Cela me
compenserait d'etre mauvais et ennuyeux a moi-m£mel —
Avant de me mettre a mon Dante, il faut que j derive
deux morceaux pour orgue qui me prendront assez de temps.
Mercredi prochain Sach Winterberger *) jouera ma Fantaisie
et Fugue sur le Choral du PropKete a Merseburg pour In-
auguration d'un orgue magnifique (qui a coftte pres de 10 000
Thalers) et sur lequel ce morceau fait un effet prodigieux.
Cela m'a donng l'idde d'toire deux autres morceaux du m6me
calibre. Je vous en 6crirai. Kaulbach devant venir ici en
Octobre, je tiens a ne pas tarder avec ma vHunnenschlachU
1) Schiller Liszt's, vortrefflicher Clavier- und Orgelvirtuos (geb.
1834), lebt als Componist seit Jahren in Leipzig.
— 48 —
(qui fera suite de mes Poemes symphoniques et uue sorte de
pendant au f Mazeppa c ) — de sorte que le Dante sera ma
besogne d'hiver.
Fasse le ciel que vous sortiez bientdt de votre purgatoire
de Bruxelles, ou ma pens£e vous visite si souvent.
Embrassez M r George pour moi et soyez bien raffermie
dans le sentiment inalterable que vous garde F. L.
Mes filles se plaisent suffisamment a Berlin et s'harmonient
parfaitement avec M me de Btllow.
Par la meme poste je vous envoie le petit volume de
Bussenius.
27.
Mardi 25 Sept.
Voici quelques mots pour M me P[leyel]; vous ajouterez
verbalement le reste. L'autre lettre avec le contenu vous sera
envoy^e apres-demain (par la poste de Jeudi soir) ; ce n'est
pas sans quelqu'embarras quo je suis parvenu a me la pro-
curer.
Si comme il est probable vous vous d^cidez a rester a
Bruxeiles et a y donner des legons, je pourrai vous faire par-
venir dans le courant d'Octobre deux ou trois lettres de re-
commandation qui vous serviront.
Ecrivez-moi un petit compte-rendu de votre visite a M me
P. ; je ne demanderai les autres lettres qu'aprfcs avoir 6t6 in-
form^ par vous sur la determination que vous prendrez.
Que votre bon ange vous conduise!
28.
7 Octobre 55.
— 49 —
M me Pleyel a donn6 un concert a Paris, il y a une dizaine
de jours, dans lequel elle a produit sa fille comme cantatrice,
et jou£ pour son propre compte toute sorte de morceaux,
entre autres aussi »les Patineurs« J ) qui ont 6X6 biss^s deux fois.
Je garde encore quelques doutes sur votre etablissement a
Bruxelles, en quality de professeur. 8i pourtant vous finissez
par vous decider a prendre ce parti, je vous engage a le
maintenir durant quelque temps — et je tacherai poco a poco
de vous trouver quelques recommandations utiles. F6th doit
venir a Weymar a Piques pour y produire ses Concerts histori-
ques, et a ce moment il me sera assez ais£ de lui parler mieux
de vous que tfautres ne le feront en attendant. Litolff 2 ) aussi
est personnellement \\6 avec une fraction de Faristocratie beige
— et je lui demanderai une ou deux lettres en votre honneur
quand je le reverrai a Brunswik ou j'irai d'aujourd'hui en
huit. Le concert que je dois y diriger est fix£ au 18 cou-
rant et il faut que je sois la 3 ou 4 jours avant pour les
repetitions.
Si pas avant, 6crivez-moi poste restante Brunswik de fa£on
que votre lettre m'y trouve entre le 15 et le 18.
La Princesse est de retour depuis avant-hier — et je
n'ai pas le temps de vous £crire plus au long.
A. A.
29.
Brunswik, 19 Octobre 55.
Enfin voila une bonne nouvelle — et mon nouvei art de
divination a l'aide de gilets rouges ne m'avait pas tromp£. Ce
certain gilet va 6tre particulifcrement 6\ev6 en faveur et en
dignity par cette heureuse coincidence.
Selon vos instructions je vous ai 6crit quelques mots poste
restante Cologne, qui vous pr^venaient de mon excursion a
1) Aus dem »Propheten«, von Liszt bearbeitet.
2) Der geniale Pianist und Componist (1818 — 1891), der zu
jener Zeit als Musikverleger in Braunschweig lebte, als welcher er
die bekannte Collection Litolff begrtindete.
La Mara, Liszt-Briefe. III. 4
— 50 —
Bmnswik, ou je viens de passer quatre ou 5 jours. Ci-joint
un programme da concert que j'ai dirig£ hier soir et qui en
somme m a donn£ quelque satisfaction par la remarquable
execution de la chapelle et ses bonnes dispositions k mon
£gard — dont je prendrai peut-etre occasion plus tard de
tirer profit plus au long. La musique devient tellement ma
seconde nature qu'elle fait quasi disparaftre la premiere. —
Dans le courant de cet hiver j'aurai plusieurs courses de pro-
pagande k faire — k Berlin d'abord, ou je ferai ex^cuter cinq
de mes morceaux (au commencement de Dgcembre) k un des
concerts de YOrcAester-Verein de Stern — puis k Leipzig etc.
Mais parlons de vous. Avez-vous dgcid&nent choisi
Bruxelles pour votre nouvel ^tablissement et maintenez-vous
votre determination professorale? — S'il en est ainsi je de-
manderai k Litolff de me donner une lettre de recommandation
en votre honneur pour M me Prisse. Je l'ai connue avant son
mariage k Gand et revue un instant k Bruxelles il y a dix-huit
mois. Elle joue tr&s joliment du piano et s'occupe de musi-
que avec passion. Son mari est officier d'ordonnance ou
aide-de-camp du Roi et parfaitement en position de vous servir.
Ecrivez-moi si vous conservez votre nom de Weymar ou si
vous reprenez celui de votre pfcre. II est trfcs possible aussi
que M me Kalergi passe quelques mois k Bruxelles et je ne
manquerai pas de vous recommander de nouveau k elle quand
je la verrai, ce qui sera probablement avant la fin de Fannie.
Votre dialogue avec S. M. W. est charmant et je vous
remercie de prendre ainsi courageusement fait et cause pour
la Zukunfts-Musik. Elle vous le rend avec usure, je vous
le certifie, en ma personnel —
Au moment ou je vous teivais ces lignes Litolff chez
lequel je demeure est entr£ dans ma chambre — et j ai longue-
ment parte de vous avec lui.
Voici ce dont je suis convenu avec lui. Dans le cas que
vous restiez a Bruxelles ecrtvez-lui en fran9ais sans retard
quelques lignes (k Fadresse de Bmnswik), pour lui dire que
— 51 —
a Bruxelles. Je suis persuade que ces lettres ponrront vous
€tre utiles. Comme c'est un homme de cceur, parlez-lui un
peu affectueusement — donnez-lui votre adresse — et rendez-
moi compte du r&ultat subsequent. A. A.
30.
30 Oct. 55.
Combien longtemps depuis que je ne vous ai ecrit! — A
mon retour de Brunswik j'ai trouve ici quelques lignes de
vous, par lesquelles vous me faites part de vos ajournements
du professorat. «Ty souscris bien volontiers et quand cette
question se posera de nouveau, vous engage encore une fois
a bien r^ftechir si d'autres villes que Bruxelles ne vous offri-
raient pas de beaucoup meilleures chances, comme je suis
tente de le croire. Ce nonobstant vous me ferez plaisir
d^crire sans retard quelques mots aimables a Litolff, qui a
ete plein de provenance et de bons procOdOs en cette circon-
stance, et pourrait en cas de besoin vous etre assez utile a
Bruxelles, ou ses relations avec plusieurs personnes influentes
de la society sont bien etablies. Si par hasard vous finissiez
par y demeurer quelque temps, ce a quoi je ne voudrais pas
prendre la responsabilite de vous engager particulifcrement, je
vous engage aussi d^crire deux mots au Marquis de Ferrifcres
Levager a Stuttgart qui pourrait vous donner quelques lettres
pour la legation de France d'abord. (Le Comte Lallemand y
est l r Secretaire et vous trouveriez en lui un homme parfaite-
ment distingue, z£l£ catholique d'une assez rare instruction,
et presque de mes amis.) Mais a vue de pays je crois en-
tifcrement comme vous que Londres, Paris — ou m§me Berlin,
si ce n'est Stuttgart, vous vaudrait beaucoup mleux. Martha
Sabinin retourne dans cette derni&re ville, oil un de sea
cousins occupe aupres de la G^ 6 Duchesse Olga la meme po-
sition que son p6re ici auprfcs de M me la G de Duchesse dou—
airiere. Elle a deja 6t6 parfaitement accueillie par la G d <*
— 52 —
une sorte de secret, et je ne vous en parle qu'en confidence.
Vou8 pourriez lui ecrire dans le courant de cette semaine pour
lui donner de vos nouvelles, iesquelles, grace an Ciel et a
voire intelligence, sont assez bonnes ponr le quart d'heure.
Je voiis enverrai par la poste de domain nn exemplaire
imprime' dn »Festspiel«, intitule' »Des Meisters Waltencr 1 ) qui
a ete represente avec un enorme succes a l'Altenburg le jour
de ma f§te, le 22 Octobre, et qui doit ne'cessairement faire
partie de votre petit muse*e dont vous me parlez. Ce »Fest-
spiela est l'evenement de la semaine a Weymar, et la Cour
et la ville en retentissent. Le soir de la representation il y
avait nne centaine d'invites a la maison — et mon absence
de Brunswik a parfaitement servi ponr garder le mystere des
repetitions et pr^paratifs.
En m€me temps vous recevrez aussi une piece de vers de
notre ami Cornelius qui a ete imprimee en l'honneur du »Neu
Weymar Verein« ou elle a 6t6 d'abord prodnite a un souper
splendide qne ces Messieurs m'ont arrange pour le lendemaiu
de ma fete, comme »Nachfeier<r.
La date de mon voyage a Berlin n'est pas encore fix^e
— mais je suppose que je partirai d'ici les derniers jours de
Novembre et que le concert de Stern que je dirigerai aura
lieu dans la premiere semaine de Decembre. Je compte passer
de dix a douze jours a Berlin, et vous ecrirai aussitdt que
j'aurai re^ des nouvelles positives de Stern. Vers Noel
j'irai a Zftrich — et peut-Gtre a mon retour m'arrgterai-je
24 beures a Stuttgart, pour y faire l'emplette d'un petit orgue
de Schiedmayer dont j'ai besoin pour notre theatre. Cette
fabrique d'orgues ou plutdt d'harmoniums (a l'instar de celle
d' Alexandre a Paris) est tres recommandable ; les instruments
sont tres bien construits et a bon compte. . — .
Que Dieu vous garde et vous conduisel
1) Von Gustav Steinacker.
— 53 —
31.
22 D^cembre 55.
Sei mir ge - griisst !
4 i-
&
Vous connaissez ce Lied de Schubert? — II fait pendant
a notre mesure de l'Etude de Chopin, que vulgairement on
£crirait ainsi:
* ± ±
m
ce qui pourtant ne serait pas cela du tout, car cette mesure
(comme d'autres choses de plus longue durde) n'a sa veritable
valeur que par ce qui precede et ce qui suit.
Merci de vos bonnes lignes de Stuttgart qui m'ont fait
an extreme plaisir.
Je ne suis presque pas sorti depuis votre depart 2 ), et
passe mon temps a rgpondre a toute sorte de lettres, et quand
je puis gagner une heure de liberty, a preparer une 2 de
edition de mes Lieder dont les 6 premiers paraitront assez
1) As-dur-Etude, Nr. 10 aus op. 10.
2) Die Adressatin war inzwischen wieder in Weimar gewesen.
— 54 —
prochainement'chez Schlesinger a Berlin. Ils'y trouve entre
autres un: »Freudvoll und leidvoll, gedankenvoll sein« — et
le »Fichtenbaum« de Heine:
ȣr traumt von einer Palme,
Die fern im Morgenland
Einsam und schweigend trauert
An brennender Felsenwand!*
Hier il y avait un petit concert dans les appartements de
M me la G 4e Duchesse. Aux diverses questions qui m'ont ete*
faites, >,si j'avais 6t6 content de mon sejour a Berlina, je
re'ponds toujours: » Suffisamment I tres suffisamment U Quel-
qu'un me disait, en fait de nouveaute, que je revenais con-
vert de lauriers. »En salade — et mel^s de chardons«, lui
re'pondis-je 1 ). J'ai aussi cite* la Xenie de Goethe:
»Sollen dich die Dohlen nicht nmschrein,
Musst nicht Knopf auf dem Kirchthurm sein!«
Et anssi:
»Ich hatte 's gern euch reclit gemacht,
Es ware aber nichts geworden.«
Du reste il paralt qu'on est convenn d'admettre mon con-
cert de Berlin comme un grand succes — et on m' assure que
la Kreuzzeitung a fait en dernier lieu un article dans ce sens,
que je n'ai pas encore lu.
Mon voyage a Vienne est maintenant decide* et je vous
informer ai des cir Constances accessoires en attendant que je
puisse vous 6crire.
Ici tout est reste* sur le m£me pied. Notre club du Neu-
Weymar continue son petit train comme devant, et notre st-
ance de Lundi, qui devait etre tres orageuse n a amene' aucun
trouble sensible. De la Wilhelmstrasse 2 ) il ne m'est parvenu
aucune nouvelle. En fait d' strangers nous possesions main-
tenant M r Tausig (pere) de Varsovie, et le Comte Kamienski
(neveu de la Princesse) dont je vous ai deja parte et qui
est tout a fait un charmant gar$on, plein d'esprit et de
1) Liszt's Compositiouen hatten in Berlin einen Misserfolg erlebt.
2) Wohnung von Liszt's Ttfchtern in Berlin.
— 55 —
moyens. II pretend que sa cousine H. avait quelques visees
sur M r Hans — mais cela me parait une pure m^disance.
Berlioz s'est annonc£ pour le commencement de F^vrier.
Le Cellini sera repr&ente le 16, et le 17 il dirigera de nou-
veau un concert de Cour que je lui arrangerai. Quelques
jours aprfcs Johanna Wagner donnera ses trois representations.
Quand vous aurez une demi-heure de libre, 6crivez une
lettre interessante a la Princesse.
Encore merci de votre lettre — et ne tardez pas trop a
me r^crire.
32,
2 Janvier 56.
Voici une version musicale du Lied que vous me citez:
j)Anfangs wollt' ich fast verzagen« *) . Je l'ai £crite pour vous
hier. C'est une maniere de correspondance qui m'est plus
naturelle avec vous que toute autre. Si 1'abondance des ff
ne vous moleste pas, vous jouerez tout a fait a mon gr6 cet
opuscule — et le chanterez m6me de la voix de l'&me.
Votre lettre a la Princesse est a merveille et nous nous
sommes fort divertis de la maxime: »Quand les gouverneurs
font ce qu'ils doivent, les gouvern^s ne font pas ce qu'ils
veulent.«
De la Wilhelmstrasse on m'a 6crit deux lettres pleines
d' expression de coeur sur notre revoir de l'ann£e 6coul£e.
Ici rien de nouveau nest survenu. Dans une dfzaine de
jours je vous 6crirai plus au long.
II est possible que je parte d'ici le 10 ou 11 de ce mois.
33.
Berlin, hotel Brandenburg, 8 Janv. 56.
. — . On m'apporte une lettre de Weymar — ce sont
quelques mots d'une tendresse et d* amour infinis. —
J^tais venu ici hier sur l'invitation de M r de Httlsen pour
1) Gesammelte Lieder, Heft III. Leipzig, Kahnt.
— 56 —
assister a la premi&re representation da Tannhauser qui a eu
lien hier soir. L'ex6cution etait satisfaisante dans son en-
semble, et la mise en sc&ne admirable. Gropius a fait vraiment
des ceuvres d'art de ses. decorations de la grotte de Venus,
comme du paysage de la Wartburg, et la salle de la Wart-
burg a ete copiee avec une complete exactitude d'aprfcs i'ordre
du Roi sur les plans de la restauration actuelle avec tons les
drapeaux historiques, appartenant aux families et aux contrees,
telle enfin que nous la verrons l'ann£e procbaine sur les lieux.
On a fait une depense de 800 ecus pour les si&ges seulement
destines aux seigneurs et aux Minnesinger. Je n'ai jamais
rien vu de cette noble splendeur. La Wagner ! ) etait superbe
comme Elisabeth — une sainte divinement vaincue par l'amour 1
— Le public sans comprendre tout ce dont il s'agissait a
pourtant senti confinement que cela devait etre beau et grand.
On a beaucoup applaudi et la queue d'opposition qui ne pou-
vait faire defaut servira plus tard de zero au chiffre du
succ&s. J'envoie une dep^che teiegraphique a Wagner: »Vor-
treffliche Vorstellung, wundervolle Inscenirung, entschiedener
Beifall. Gluck zu!«2)
Samedi soir je pars pour Vienne ou j'arriverai Lundi ou
Mardi matin. Adressez Poste restante, Vienne.
Puisque vous vous occupez de politique, lisez les »30 Lettres
d'un Veteran russe de l'ann6e 1812« ? pubises par Ostavief ou
of (un volume in -8°) — c'est ce que je connais de plus
distingu^ dans le sens russe. L'auteur en est le Prince
Wassinski (pfcre du Secretaire de la Legation de Carlsruhe)
qui me portait beaucoup de bienveillance autrefois — et que
j'ai revu encore assez derni&rement a Weymar. II avait fait
durant mon sdjour a Petersbourg un charmant quatrain russe
sur mon nom qui signifie feuille en russe. Que Dieu me
donne la force d'y inscrire ma foi, mon espoir et mon
amour 1 —
. — . Nous ceiebrons aujourd'hui le 26 me anniversaire de
A\ T 1 TIT I-*. 1 1 -rrr
I
— 57 —
la naissance de M r Hans, et j ai invito une douzaine de per-
sonnes a cet effet. Probablement je serai oblige de rester
jusqu'a demain soir, car le Comte R[edern] vient de me dire
que 8[a] MfajestS] e'tait dans la gracieuse intention de me
recevoir demain ; ce dont je ne pnis lni €tre que tres recon-
naissant. A. A.
34.
Vienne, 18 Janvier 1856. (Kaiserin von Oesterreich.)
. — . Je crois vous avoir dit dans mes lignes de Berlin
que j ai du y prolonger mon sejour de 48 heures pour me
rendre a la gracieuse invitation du Hoi qui dans cette cir-
constance a 6t€ de nouveau d'une parfaite amabilitS pour
moi. Le surlendemain de la l re representation du Tannhauser
(Mardi 8 Janvier) il y avait un grand concert au chateau
(im weissen Saal, avec plus de 2 000 bougies, et de 1200 a
1 500 invite's) auquel j'ai assists comme spectateur, sans
participer au programme.
Entre autres morceaux on y a execute une Ouverture du
Comte Redern, le Finale de Loreley de* Mendelssohn, et
Taubert a jou£ fort mecliocsement le l r morceau du Concerto
en mi b de Beethoven. Entre les deux parties du concert
8. M. m'a fait l'honneur de s'entretenir quelques minutes avec
moi et m'a compliments de la maniere la plus spirituellement
affable sur mon Tasse dans lequel il a en particulier relevS
la scene de Cour. L'occasion donnSe je dis au Roi que mon
intention e'tait de revenir assez prochainement a Berlin; »car
apres avoir passablement travaillS ces 3 dernieres annexes il
mlmporterait de volatiliser un peu mes produitsa. jJe com-
prendsa, me r6pondit-il avec un a propos frappant, »il vous
faut maintenant des chemineesa — et cet entretien in est une
assurance que le Roi daignera me continuer les bontSs qu'il
a toujours eues pour moi et dont je lui suis rests, comme vous
savez, tres sincerement reconnaissant.
La veille de mon depart mes deux filles sont venues me
trouver a l'improviste a Thdtel Brandenburg pour me de-
— 58 —
mander avec beaucoup d'insistance de les emmener a Weymar
pour un jour ou deux. Je me suis rendu a leurs prieres et
les ai conduites a Weymar, oil elles devaient rester jusqu'a
la fin de cette semaine pour retourner a Berlin avec M me de
Bttlow qui est venue les chercher avant-hier apres avoir fait
une visite a sa sceur M me Frege a Leipzig. La Princesse a
€t€ fort surprise de cette demonstration tout a fait inattendue
et les a accueillies avec toute l'affection vraiment matemelle
qu'elle n'a cesse* de leur porter. . — .
Sur toutes les questions qui tiennent aux interets et aux
calculs de ce monde je suis d'un indiffSrentisme absolu — et
a cet egard le mot de la princesse Belgiojoso »vous vivez
comme si vous gtiez immortek, est parfaitement juste. Mais
comme jusqu'a present cette meHhode ne m'a pas plus mal
r£ussi qu'a d'autres la me*tbode contraire, je me tiens a la
mienne comme a la plus naturelle et la moins sujette a des
inconvgnients snbs£quents.
A mon retour a Weymar j'y ai trouve* Dawison. C'est
un grand artiste et il y a de i'affimt6 entre sa virtuosity et
la mienne. II cr£e en reproduisant. Sa conception du role
de Hamlet est tout a fait neuve. II ne le prend pas comme
un songe creux, succombant sous le poids de sa mission,
ainsi qu'on est convenu de l'envisager depuis la thgorie de
Goethe (dans Wilhelm Meister), mais bien comme un prince
intelligent, entreprenant, a hautes vis£es politiques, qui attend
le moment propice pour accomplir sa vengeance et toucher
a la fois au but de son ambition en se faisant couronner a
la place de son oncle. Ce dernier r£sultat ne pouvait e>i-
demment pas €tre atteint dans les 24 heures — et les pro-
visions m£nag£es par Shakespeare au role de Hamlet, ses
intelligences et negotiations avec l'Angleterre, clairement
denonc£es a la fin du drame, jnstifient pleinement, a mon sens,
la conception de Dawison, n en d^plaise a M r de Goethe et
aux esth&iqueurs de la routine. Du mgme coup Dawison
tranche aussi tres affirmativement la question de savoir si
— 59 —
d'elle imp^rieusement le vin de l'amour, et ne se contente
pas du petit lait. II veut en etre compris, sans se soumettre a
I obligation de s'expliquer. De cette fagon c'est Ophelia qui
correspond a la notion g6n6ralement rlpandue dn caractere de
Hamlet; c'est elle qui est 6cras£e sous sa mission par son
impuissance d 'aimer Hamlet comme il lui faut gtre aim6,
et sa folie n'est que le decrescendo d'un sentiment dont l'in-
consistance ne lui permet pas de se maintenir dans la region
de Hamlet.
Voici deux jours que je campe a l'bdtel de la »Eaiserin
von Oesterreicb« ou mes cbambres sont encombr6es de visiteurs
depuis 9 beures du matin. Les 2 grands concerts que je
dois diriger auront lieu le 27 et 28. Je repartirai le lende-
main pour Weymar. Malgrg mon antipathie contre la photo-
graphic je remplirai votre commission et vous enverrai un
M r Blanc en gris. Si l'image se ressent un peu de l'humeur
noire qui lui est habituelle — la ressemblance n'y perdra pas.
Restez-moi douce, bonne et enti&re telle que j'ai la fai-
blesse de vouloir que vous soyez pour moi, et devinez le
reste selon votre habitude. Si vous en avez le temps 6crivez-
moi plus souvent maintenant. On me trouve ici (contraire-
ment a Berlin) tr&s bonne mine, mais je me sens plein d'en-
nuis et de fatigue — mais vous n'anrez pas a vous plaindre
de moil A. A.
35.
Prague, 3 Fdvrier 56.
Vos lignes de Cologne me sont parvenues quelques heures
avant mon depart de Vienne. Pardonnez-moi de ne pas vous
avoir 6crit plus tot; ce n'est certes pas faute de penser a
vousl Du matin au soir et jusqu'assez avant dans la nuit
toutes mes heures 6taient prises et d£pec£es par une masse
de visites a recevoir, de musique a entendre, de politesses a
remplir, d'ennuis a subir, sans compter la s£rie obligatoire des
diners et soupers. En somme ce sdjour de Vienne, tout en
me fatigant beaucoup, m a, je crois, assez bien rgussi. Nonob-
— 60 —
slant let * borus * services que qaelqaes-uns de mes tres honoris
eollegues out eherehe a me rendre, les deux concerts da 27
et 2S Janvier dont se eomposait la Mozart- Feier ant en le
eomplet faeces, et les eloges offieiels qui in en out 6te"
faita expriment parfaftement rimpresdon genermle. Le Bourg-
mestre, la Municipality et le Fest-Comite se sent condnits on
Be pent mieiix a mon egard — et je rapporte pour enriehir
rarmoire da cabinet vert de FAltenburg on baton de mesure
avec cette inscription: Die Stadt Wien dem Dirigenten der
Mozart- Frier* etc., et la cooronne de laorier qui ornait le baste
colossal de Mozart dorant l'execution des deax concerts, la-
qoelle m'a £te* remise par le Boorgmestre et le President da
Comity. La grande salle de la Bedoate fraicnement decode
et splendidement illuminee avait on tres bel aspect. Plosieors
jours a Tayance il ytait impossible de se procurer des billets.
Leurs Majestes rEmpereur et l'lmperatrice y assistaient et
rensemble de l'execution musicale par on personnel de pins de
500 Itait tres satisfaisant. Je vous enverrai de Weymar (on
j'arriverai apres-demain soir) qnelques comptes-rendus imprimis
avec larticle que j'ai public a mon arrivee a Vienne sur cette
fete, qui me sert de preparation a la solennite* de Gran, et
de transition generate a ma position d'a present. Quoiqae tres
fort partisan de ce qu'on se plait a nommer »Zukunfts-Musik«
je n'entends pas tout a fait que nous devions etre ajournes
aux calendes grecques!
Avant mon depart j'ai fait une visite a M* de Bach l ) qui
m'a recu avec une bienveillance marquSe — et probablement
a mon retour a Vienne (lors de mon voyage a Gran) j'aurai
occasion de le revoir plusieurs fois. II a la trempe et les
allures d'intelligence appropriee a notre epoque, et autant que
j'en puis juger, a la distance ou je me trouve place, il sait
maintenir le veritable sens du gouvernement meme a travers
les expedients de transition , ce qui est le fait (Tune grande
capacity politique. D'apres ce qui m'a e*te* dit il prend un
intergt effectif aux choses d'intelligence — et je conserve de
1) Damals Osterreichischer Minister des Innern.
— 61 —
cette demi-heure d'entretien avec lui une haute opinion de sa
sagacity et de son coup d'oeil.
J'ai revn aussi le Prince M[etternich] ; mais a mon regret
n'ai pu me rendre a son invitation pour diner, car il y avait
le meme jour le diner que le Bourgmestre donnait au Fest-
Comite fet si je ne me trompe a moi en particulier), auquel
j'etais oblige* d'assister d'office. Le Prince est parfaitement
conserve* et maintenant son statu quo meme apres les derange-
ments qu'a 6prouv£s cehii de V Europe, s'occupant toujours avec
nne souveraine lucidity de toutes choses, sans en excepter
celles »dont d'autres ne s'occupent pas«r, comme il me le di-
sait a propos des M6moires de M me Sand, qu'il m'a assure*
avoir lu depuis la premiere ligne jusqu'a la derniere. II m'a
raconte* aussi nne anecdote assez curieuse sur VOuverture de
SSmiramide 1 ) composed presque dans son salon, lors du Con-
gres de V6rone, en reminiscence du »Volkslied : Freut euch
des Lebensv, qu'un officier avait chants devant Rossini sur la
demande du Prince qui affectionnait particulierement cette
melodie comme souvenir de jeunesse, a peu pres comme M me
la Duchesse d'AngoulSme celle de ce vieil air:
»Le premier pas se fait sans qu'on y pense,
Craint-on jamais ce qu'on ne connait pas?«
Puisque me voila en train de chansons et de vieux airs,
je vous dirai que j'ai fait la connaissance d'une jeune femme
charmante, la Comtesse Nako, qui joue les airs bohgmiens
(Zigeuner-Weisen) d'une maniere ravissante, avec la passion
et le genie qui leur sont propres. Elle entretient aussi a ses
frais une petite troupe d'artistes boh^miens (dans le Banat)
qu'elle a produite dernierement a Meyerbeer; lors de mon
arrived ils e*taient deja repartis, mais je n'ai pas eu lieu de
les regretter, car a elle seule M me Nako vaut une legion de
Zigeuner. En outre elle s'occupe assez se*rieusement et non
sans succes de peinture, et j'ai vu d'elle plusieurs tetes d' etudes
et portraits (a Fhuile) qui m'ont paru bien rtassis. En un
mot c'est une lionne qui a de plus que ses devancieres un
1) Von Rossini.
— 62 —
sens assez prononce* de Tart. Elle a 6t6 a Paris V6i4 dernier
(ou elle a assez connu M me Ealergi) et y retournera ce prin-
temps en passant par Brnxelles.
En fait d'anciennes connaissances j'ai revu le Prince et
la Princesse Paul Esterbazy (chez lesquels j'ai dine" il y a huit
jours) , le Prince Fritz Schwarzenberg qui est toujours demenre*
nn exemplaire a part d'honneur cbevaleresque et d'esprit
grand seigneurial, le Comte Scblick qu'on a surnomme' non
sans jnstesse le Bayard de l'arme'e autrichienne, la Comtesse
Banffy (n6e Baronne de Schilling — Kusse) que j'avais revue
Y6t6 dernier a Weymar et cbez laqnelle j'ai retrouve' le Baron
Jossika, la Duobesse d'Anerenza, et la Princesse Khevenhttller
(la soenr de Felix Lichnowsky) dont la fille est la rose prin-
tanniere de la mode de eette saison — jeune personne de
16 ans qu'au bal on regarde avant toutes les autres et qui
est vraiment tres gracieuse.
Dresden, 4 Fe"vrier.
J'ai e'W interrompu par la visite d'une ex -jeune per-
sonne qu'on regarde aussi avant d'autres — Tune des deux
incomparables Baronesses E. ! — J'ai 6t6 les voir dans le cou-
rant de la journe*e et me souvenant que vous les aviez connues
a Carlsbad, je leur ai demands de me parler de vous, ce
qu'elles ont fait avec les meilleurs eloges de vos charmes,
agrdments et qualitea. M me Schachten, le G d Due de Weymar,
Lady Villers (chez laquelle vous n'avez mis aucun empresse-
ment a faire visite) et le Roi de Grece ont naturellement
figure dans ce r^cit de votre sejour a Carlsbad, ou vous avez
laisse* le souvenir d'une femme d'un esprit charmant, aussi
elegante au dehors par ses toilettes que r£serv6e de manieres
et pos^e de caractere. Je leur ai parte de vos mois de soli-
tude et d'dtudes de piano a Weymar (en vantant votre talent
de pianiste) ainsi que de notre rencontre inopinge a Berlin,
mais en leur laissant ignorer votre sejour actuel, quoiqu'elles
m'aient assez mis sur la voie en me racontant que deja a
Carlsbad on vous attribuait une partie des memoires et articles
de votre pere et que des personnes bien informers assuraient
— 63 —
que le per sod d age au gilet rouge vous avait attached a son
service diplomatique, circon stance que j'ai entierement ignores.
II y a aussi a Prague un M r Fiedler qui vous a vue a Ham-
bourg et leur a parte de vous.
Apres avoir entendu un acte de Don Juan je me suis
remis en wagon et suis arrive' cette nuit a 4 heures. C'est
la seconde nuit que je passe en chemin de fer — et a mon
extreme fatigue d ? esprit et de cceur se joint une lassitude
dans tons les membres qui ne contribue pas a me rendre plus
gai. Oblige' de m'arrSter ici (ou j'ai a arranger un concert
pour le mois prochain) et quelques heures a Leipzig, je ne
serai de retour a Weymar que dans la soiree de domain —
a peu pres en meme temps que vous reviendrez a Bruxelles.
Je n'ai pas oubli6 M r Oris ; settlement comme ce n'est que
la veille de mon depart de Vienne que j'ai rempli votre com-
mission, Tdpreuve vous sera envoy^e de Weymar.
Apres-demain, Mercredi j'irai k Gotha pour assister au
concert de Berlioz. On y ex^cutera YEnfance du Christ — et
je vous e'crirai quelques mots en rentrant a Thdtel de la
»Stadt Altenburga. —
Je n'ai eu de nouvelles des enfants que par la Princesse
et vous depuis mon depart de Weymar. Votre opinion sur
mes filles s'accorde parfaitement avec la sienne.
Faites mes salutations et amide's a M r George.
36.
[Weimar] Lundi, 25 F^vrier 56.
N'ayez pas d'inqui&ude sur moi — je vais, me porte
et me supporte — »aber fragt mich. nur nicht wie!« — en
attendant le printemps ou j'espere travailler et respirer de
nouveau.
— 64 —
I'ivttc de mi predilection! qui a fait bier de noarean aalle
eomble, malgre' tout ce qn'en disent les juges eompetents et
incompetent*. Depuis six henres jusqn'a oue hemes da soir,
le public a tioufft et -admire — et i li fii de la represen-
tation je me suis permis de dire a 8. A- R. la Prineesse de
Prusse: *Ces sortes d ? oeuvres peuvent tres bien se passer de
lavantage dTamuser les gens.*
Litolff qui a passe' trois oh qnatre jours ehez moi apres
*e* triomphes de Gotha, on il a fait execnter ses Ouvertures
de Robespierre et des Girondins a la representation du drame
de son ex-ami Griepenkerl »Dantons Todt) et joue* son 4 me Con-
certo symphoniqne, &6d\6 an Dne de Gotba, a renonyele* Fes-
eapade de Rubinstein I'annee derniere, et s'est enfni de Weymar
la nnit avant Lohengrin, comme Rubinstein avant le concert
de Berlioz. Quant a ce dernier il a tenu bon cette fois et
a ecoute' Lohengrin d un bout a l'antre. J'ai resume* a la
Prineesse en rentrant l'impression qne B. a ene de ce mer-
veillenx ouvrage, en lni disant qn'il le tenait dans nne
estime et affection analogues a cello qn'lpronve NSlida pour la
Jendi procbain on ex£cutera la Damnation de Faust de
Berlioz sons sa direction, et je vons ecris ces deux mots dn
cammerino da theatre, ou je viens de faire rep^ter les choeurs
pour abreger la besogne de Berlioz. Inde'pendamment de ces
ennuis de repetitions et de representations au theatre il j a
eu trois ou qnatre concerts a la Cour depuis mon retour etc. etc.
Dans quelques jours un jeune compositeur de talent, ex-
cellent pianiste et de manieres parfaitement comme il faut vons
portera quelques mots de moi. II se nomme M r Lassen 1 ),
appartient k une famille tres aisee de Bruxelles et a obtenn
autrefois le premier prix de composition an Conservatoire de
Bruxelles, ce qui lni a donne* occasion de voyager en Italie
et en ALlemagne. II m'a apporte* une partition d'opera qni
contient des choses cbarmantes et tout a fait distingu£es.
1) Liszt's Nachfolger als Weiuiar'scher Hofcapellmeister, be-
kanntlioh einer der hervorragendsten Lied ercomponis ten der Gegen-
wart, sohrieb Musik zu den »Nibelungen«, » Faust « u. A.
— 65 —
Kecevez-le bien, comme venant de Weymar — ou il avait
d^ja pass6 quelques jours autrefois, avant vons.
On ne m'a pas encore envoys de Vienne la photographie
promise; probablement elle aura trfcs mal r^ussi, car j'ai
toujours eu un certain gnignon avec les photographes. Je
tacherai pourtant d'aviser a ce qu'un M r Gris sortable vous
parvienne.
Pendant une quinzaine de jours encore je ne m'appartiens
a aucune heure de la journ^e — et'je n'ai que le temps de
vous dire ce que vous avez devin6 depuis longtemps et ne
changera point. A. A.
37.
Samedi 1 Mars (aprfcs 1' execution du Faust de Berlioz).
M 1 Lassen, qui vous remettra ces lignes, vient de passer
une huitaine de jours a Weymar, oil il m'a fait part de son
op^ra (en 4 actes) qui est un ouvrage Scrit d'un bon style
et avec bon gout. Permettez-moi, Madame, de vous recom-
mander 1'auteur en sa double quality d'artiste distingu^ et
d'homme comme il faut. II vous portera des nouvelles fraiches
de Weymar, qui, j'espfcre, continuent d'avoir pour vous quel-
qu'int&'6t, et vous dira combien nous avons tous gard6 un
excellent souvenir de votre passage ici.
Mille hommages et amities. F. Liszt.
38.
Quelle joie m'a fait votre derni&re lettre (avec Textrait du
livre de L. 1 }, et combien j'aurais voulu vous le dire tout de
suite ! Hier je suis all6 a Jena et comptais vous gcrire un
pen au long entre le diner et le concert — mais la r6p6-
tition s'est prolongge jusque vers 3 heures et a 5 heures il
a fallu recommencer. On a du reste trfcs bien execute mon
Festgesang »an die KUnstlera, le meme qui a eu les honneurs
1) Der Name ist unleserlicb.
La Mara, Liszt-Briefe. in.
5
— 66 —
d une chute si triomphale a Carlsruhe, il y a deux ans, et
qui jouit d'une renomm£e si execrable aupres des coryphees
enrou6s, asthmatiques et eacochimes du parti de l'opposition
contre la »Zuknnfts-Musik«. Ces braves gens ne sauraient
s'accommoder d'une expression 6nergique et austere des strophes
de Schiller. »Die Menschheits-Wtirdea est du chinois pour eux,
et ils ne comprennent guere comment il se fait qu'on leur
dise se*rieusement :
»Erhebet euch mit ktihnem Fliigel
Hoch tiber euern Zeitenlauf,
Fern dammre schon in eurem Spiegel
Das kommende Jahrhundert auf!«
Aussi se sont-ils rtfvolte's, comme atteints d'une morsure
sanglante a ces vers:
»Von ihrer Zeit verstossen, fltichte
Die ernste Wahrheit zum Gedichte
Und fiude Schutz in der Kamttnen Chor
Und racbe sich mit Siegesklange
An des Verfolgers feigem Ohr! —
La Princesse a compare* ma composition des strophes de
Schiller a une des Sibylles de Michel Ange — et en la re*enten-
dant hier il m'a semble* modestement que cette comparaison
n'dtait pas absolument d6nu6e de justesse.
Vous me demandez des nouvelles de mes Beatitudes et du
Dante. H&as! il se passera bien encore 6 semaines avant
que je ne puisse m'y mettre tout de bon. J'ai passablement
a faire avec les £preuves de mes Poemes symphoniques et
publierai en sus deux ou trois cahiers de Lieder que je tiens
a beaucoup soigner.
Avez-vous vu Lassen? Continuerez-vous de demeurer a
Bruxelles et avez-vous trouve' la maison que vous ambitionnez
(entre cour et jardin) ?
Quand vous aurez une heure de libre allez a r atelier de
Wiertz *) sur lequel Lassen vous donnera toute sorte de details.
1) Der berlihmte belgische Historienmaler (1806— -1865).
— 67 —
II parait que l'individu est tout aussi singulier et extraordi-
naire que ses oeuvres.
Le Vendredi saint j'irai a Leipzig pour entendre la Passion
de Bach, et le Dimanche de Piques a Gotha oil Ton repr^sente
Tony } qui est a mon sens Pouvrage le mieux r^ussi du Due.
Pour cette fois je t&cherai de gagner une heure pour vous
£erire de Gotha — mais n'attendez pas jusque la pour me
donner signe de vie. Vos lettres me sont douces et chores,
et e'est comme une bonne action que vous faites de songer
a moi, car je suis mortellement triste et iassd de toute chose !
11 Mars 56 (a l'Erbprinz). A. A.
Pohl 1 ) donne aprfcs-demain une petite pifcee en un acte
»Musikalische Leiden«; si cela ne tombe pas lourdement je
vous 1'enverrai.
39.
[Marz oder April 1856.]
Ecrivez-moi ce qui vous occupe et comment vous vous etes
arrang6e. M r de X. est-il a Londres? Pensez-vous venir plus
tard a Weymar? — Beurmann que j'ai vu a Francfort m'a
assure que M r de X. dtait de la redaction du Nord, mais je
suppose que e'est une esp&ce de myst&re.
Veuillez vous charger de mes amities pour M r George
ainsi que de mes meilleurs souvenirs pour Augustine. Lassen
m'a fait un peu de chagrin en me disant que vous n'avez pas
de piano. Tranquillisez-moi aussi sur Inexactitude de l'adresse
que je mets a cette lettre, car je crains les mgfaits de la
poste.
Priez pour moi et que Dieu vous protege et vous garde!
_____ A - A '
1) Richard Pohl, Musikschriftsteller Liszt -Wagner'scher Eich-
tung, damals in Weimar, jetzt in Baden-Baden lebend.
5*
— 68 —
40.
[April 1856.]
Je comptais vous ecrire de Gotha ou j'etais all6 hier pour
assister a un concert de Raff qui a fait exdcuter plusieurs
de ses compositions que vous connaissez assez pour ne plus
vous en souvenir beaucoup; mais en revenant du theatre j'ai
6t6 pris d un sommeil de plomb et je me suis jete tout habilie
sur le lit, songeant a quelque rSve evanoui. A trois heures
du matin j'etais de retour ici — et les frissonnements des
arbres qui cement l'Altenburg m'ont redit les fragments epars
de ce meme reve.
Ici tout est a peu prfcs comme autrefois. Je me suis
remis au travail, et ne bouge presque pas de la maison. La
semaine pass^e il y a eu une assez brillante representation
des Huguenots avec Formes, et pour la f6te de M me la Grande
Duchesse j'ai fait monter 1 due Foscari de Verdi qui ont
charme cette majority du public laquelle en tout pays restera
toujours trfcs sensible aux platitudes recr^pises de sentimen-
tality, et aux vulgarites enlumin^es d'un semblant de passion.
Ce n'est pas a dire que je trouve cet ouvrage plus mauvais
% que d'autres qui font partie du repertoire habituel, et je suis
fort loin de contester ses merites relatifs a Verdi, qui est
bien en ligne directe 1'heritier de Donizetti et meme de Bel-
lini; mais toute cette ecole de composition est en pleine de-
composition a mon sens, aussi bien que 1'ecole frangaise
representee par les noms populaires a Topera comique, et
j'appliquerai volontiers a 1'une comme a l'autre le vers de
Goethe a propos de la »Batt im KellemesU:
»Ha, sie pfeift auf dem letzten Loch,
Als hatt' sie Lieb im Leibe!«
Du ridicule au sublime il peut aussi n'y avoir qu'un pas
quand on cause avec vous, Madame. Laissez-moi done vous
parler du cours familier de litterature de Lamartine, et vous
engager a lire la premiere livraison qui vient de paraitre.
Dans le numero de la Presse du 10 Avril que je viens de
parcourir, il s'en trouve quelques citations qui m'ont paru
— 69 —
admirables, comme par exemple: »Je d£fie Caton lui-meme
d'avoir en plus que moi la sati6t6 da temps. «
Je vous recommande aussi comme curiosite* les Lettres
d'Horace Vernet publie'es e'galement par la Presse (8 et 10
Avril). Elles contiennent des mots tres surprenants sur l'Em-
pereur Nicolas, dont Vernet dit entre autres: »I1 a tout ce
qu'il faut pour se faire aimer des gens qui n'ont pas besoin
de lui ; mais pour peu qu'il ait a exercer sur vous la moindre
autorite^ c'est l'homme le plus dur que j'ai jamais rencontre*.
II est vrai qu'en fait de discipline il lui est impossible d'etre
autrement. Les Russes de toutes les classes sont tellement
enclins a la paresse qu'il n'y a que la crainte qui puisse les
maintenir. Quand un Russe ne tremble pas, c'est le plus
l&che de tous les hommes.<c
Et plus loin:
»Voila comme tout s' arrange en Russie: on laboure sans
savoir ce qu'on re'coltera ; on accroche des oranges a un sapin
et Ton croit avoir des fruits.a
Quand vous aurez un moment de libre donnez-moi de
vos nouvelles. A. A.
Nelida 1 ) ira a Berlin dans quelques jours.
41.
23 Avril (Cam[erino] d[u] Theatre]).
J'ai toujours les m6mes choses a vous dire par les memes
silences. Mon coeur se brise et se consume incessamment
dans je ne sais quelle attente infinie.
Ces jours derniers j'ai beaucoup travaille* et suis tout pres
de terminer mon Enfer' 1 ) — mais il faudra que je le fasse
essayer pour savoir a peu pres a quoi m'en tenir, car il y a
tant de bufera dans ma t<He que je ne m'y reconnais plus.
H^las non, je n'irai pas au Festival de Dusseldorf cette
fois. Le Mardi de la Pentecote nous aurons un concert d'or-
1) Die Grafin dAgoult.
2) Der erste Satz der Dante-Symphonie.
— 68 —
40.
[April IS5G.]
as Scrire de Gotha oil jYtaia alltS liier pour
ert de Raff qui a fait exe cuter pluaieurs
3 que vous connaissez assez pour ne plus
eaucoup; mais en revenaut du theatre j'ai
eil de plomb et je me auis jete tout babul
t a quelque reve 6vanoui* A trois heures
e retour ici — et les frUsonnements des
l'Altenburg m'ont redit les fragments epars
peu pres comme autrefois. Je me sols
t ne bouge presque pas de la maison. La
t a eu une assez brillante repre'seotation
Formes, et pour la fete de M mB la Grande
monter 1 due Foscari de Verdi qui ont
ite* du public laquelle en tout pays resterm
ble aux platitudes recr^pises de sentimen—
strites enlumine'es d'un seniblant de passion,
re que je trouve cet ouvrage plus mattrais
nt partie du repertoire habit uel, et je suia
iter ses myites relatifs h Verdi, qui est
>te rh^ritier de Donizetti et meme de Bel*
tte 6cole de composition eat en pleine
t sens, aussi bien que Feeole franchise
3 noms populaires k l opdra comiquc, et
iers a Tune comme a Y autre le vers de
B la »jRat? im Kellerne&ft :
e pfeift auf dem letzteu Loch,
tt' sie Lieb im Leibeh
sublime il peut aussi riy avoir qj£
ee vous, Madame. Laissez-moi
— 69 —
admirables, comme par exemple: *>Je drfie Cuton | u i- m « i
devoir en plus qne moi la satie'te dn temps.*
Je yobs recommande anssi comme euri<»iiv ]<•$ L ( ft r<
d'Horace Veraet publiees egalemeDt par la JVes>e s ot ,
Avril). Elles contiennent des mots tres SDrprcnaxits sur ] i: m
pereur Nicolas, dont Vernet dit eotre antra : ,1] a tent o<
qnil tod pour se faire aimer des g^ns qui d out pas booia
de M. maia pour peu qnil ait a eiercer sur vo D > ]« mr.ii) J re
aicarJK. ^dtltomme le plus dnr que j'ai jamais n-Dc-<.nin:.
II est to <?i*a to *e discipKoc il Ini e>t iinjK.ssii#j e d rire
unremot- I«4 Bases de toctes les classes soot 1<-I|. -n,,.,,,
en*ii» a k^ansa* n? a qne la eraiuie qui pui^
maiattfirr- ^iamL na ^ n<? trem^e pa?, c<m J* j,]^
Et plus .
WoiIa wtt vi^or* a Rn^aie: on labour* «aji#
sayoir ce T*»i«Ka m de* oran^^? a nn *j^,; a
et Yon croii a^vj to* imj
Qaaiid vwb sam m naman: 4b dona*! - ilo] d*-
Jai toujour* les mt»es i y m ^
silences. Mon cceui Vrist «t »
dans je ne sais quelle atieate iifak.
Ces 30m dendera ] ai beaae^p too* / tt
de terminer mon Ea/er* - nijac * * *
essayei pour ura^fc pen ffcim ^ **
tan* de ' ' <*« . . ^ - J» ),
— 70 —
gue k Merseburg pour lequel j'ai 6crit line nouvelle Fugue
que Winterberger exe"cutera. II faudra que j'y assiste et je
passerai probablement une couple de jours k Merseburg comme
l'annge derniere.
Vers la fin de Mai on annonce aussi un Festival musical
k Magdeburg et il serait possible que j'y aille. Aussitdt que
la date sera fixe'e je vous en informerai. Si vous n'avez pas
d'affaires presse'es k ce moment, vous pourriez peut-6tre venir.
Lundi procbain Johanna Wagner viendra ici et chantera
Iphige'nie (en Aulide), Orpbe*e et Romto dans le courant de
la semaine. Du reste rien ne se passe ici, pour moi du
moms, qui me passe si complement de ce qui se passe.
Hoffmann 1 ) a des projets de Bruxelles qu'il exe'cutera
le mois procbain. II pretend avoir des recberches k faire k
la Bibliotheque, mais de fait j'imagine que c'est pour trouver
de meilleur cidre qu'on ne pent s'en procurer ici qu'il se
mettra en route, — car, chose incroyable, ^excellent homme s'est
pris dune passion de'termine'e pour le cidre.
Les nouvelles qui me parviennent de Berlin sont bonnes.
Hans vient de m'e'crire une lettre pleine de coeur pour me de-
mander de'finitivement Cosima en mariage. Le manage pourra
encore avoir lieu cet automne. . — .
YoWk qu'on vient me chercher — et je continuerai k
e*crire un autre jour. Ceci est seulement pour vous dire qu'il
n'y a rien de change*. A. A.
42.
Merseburg, 12 Mai [56],
Ne vous effrayez pas de ce gros paquet. C'est M r Blanc
devenu plus gris qui fait tout cet embarrasl La photographie
de Vienne ne m'a pas 6t6 envoy^e et celle qu'on d^bite k
Weymar me de'plait — j'ai done pris le parti de faire photo-
gi'aphier le m^daillon de Rietschel, lequel du reste aura bientot
les honneurs d'une reduction par la gaivanoplastiaue aue ie
- 71 —
An lieu (Taller k Dusseldorf pour le Mnsikfest me voici
depuis hier soir k Merseburg qui possfcde un orgue vraiment
tres remarquable, tel qu'il ne s'en rencontre que trfcs peu de
comparables en Europe. De plus le vieux Dome d'ici est
d'une admirable sonority et Alex. Winterberger prend tout k
fait les allures d un organiste hors ligne. U manoeuvre des
pieds comme d'antres ne savent pas le faire des mains, et
cette seeurite dans le maniement du clavier de pedale donne
k son jeu une ampleur et un grandiose que je n'ai pas
encore rencontre, quoique j'ai entendu les organistes les plus
renommes.
Btllow est venu me trouver ici cette nuit et restera jus-
qu'& apr&s-demain. Comme je vous l'ai ecrit, le mariage se
fera probablement k la fin de cette annde.
Johanna Wagner a fait furore k Weymar la semaine der-
niere — et m^ritait complement son succes (trfes en dehors
de nos coutumes locales) dans les roles d'Orph£e et de Clytem-
nestre de Gluck. Le veritable milieu de son talent de canta-
trice' et de tragedienne, c'est la declamation lyrique dont les
ouvrages de Gluck nous ont laiss6 le modele accompli. Le
registre de sa voix ne lui permet malheureusement qu'un tres
petit nombre de rdles, car elle ne peut gufcre attaquer simple-
ment et sans precaution pr£alable les notes indispensables
dans presque tons les roles. De loin en loin elle re'ussit bien
k faire parader en passant un la ou un si* ; mais de fait elle
ne dgpasse pas commodement le fa } et son registre est celui
du Contre Alto du mi au mi RT) — ; mais dans cette
octave et demie — du la au mi
sa voix
est d'un volume et d'une portee admirable. Ses plus beaux
rdles sont Orphee, Clytemnestre (dans l'lphigenie en Aulide),
Tancrede, Romeo que je ne puis plus supporter. Cette musi-
que me faisant l'effet nauseabond de la vieille pommade. Au
— 72 —
commencement de Jain elle d^butera dans l'Orph^e k Londres
au Theatre de Sa Majesty que Lumley rouvre cette saison.
Le Musikfest de Magdeburg est annonc^ pour le 11 Juin
— je vous 6crirai encore si je puis y aller. Du reste mes
projets d'e'te' sont fort casaniers jusqu'a la mi-Aout du moins,
ou je ferai probablement le voyage de Zurich, et de \k me
rendrai par Stuttgart et Munich en Hongrie.
M r de X. rencontrera N. k Kissingen, je suppose que vous
avez 6t6 avertie du voyage du giht k Paris.
La Princesse vous a £crit dernierement en vous proposant
de venir a Weymar. N'&oignez pas tout k fait cette id6e,
qui pourrait se r^aliser plus tard.
Puisque je vous ai tant parte d'Orph^e aujourd'hui j'en-
veloppe M r Gris dans une pifcce de vers de Pohl, qui vous a
peut-6tre 6t6 dtfk envoyde lors du 2 Avrii. D'autre part le
barometre n'est guere a la louange pour moi et je pr^vois
une assez forte pluie battante de la critique k l'occasion de
la publication de mes Poemes symphoniques dont 6 num&ros
(Orph^e, Mazeppa, Preludes, Tasse, Promdth^e, Festklange)
viennent de paraitre. O'est le commencement de ma prise de
possession d'une carri&re, oil bon gr£ mal gr£ il me faut faire
un grand bout de chemin. Dans trois ans la preuve sera
fournie. En attendant je patienterai, ne serait-ce que pour
justifier le reproche que me faisait la P ce8se Belgiojoso Dde
vivre comme si j^tais immortek! —
Pour vous, tres chere, vous savez que je suis plus malade
qu'immortel, mais ne me plaignez pasl A. A.
Quand vous aurez un moment 6crivez a Martha. Elle
vient de donner un concert tres brillant dans lequel Johanna
Wagner a chante\ Martha s'est trfcs bien tir^e du Septuor de
Hummel dont la dimension fit faire au Comte Beust cette
reflexion judicieuse »qu'ii fallait que l'auteur ait consacre toute
sa vie a la confection d'une oeuvre de pareille dure'e«.
Martha a ce m&ne concert a aussi joue* les Preludes avec
fironsart 1 ) et un Nocturne de Chopin. Son pere, son frfcre
1; Liszt's Sohiiler, der gegenwKrtige Generalintendant des Wei-
— 73 —
et Tine de ses soeurs accompagnent M me la 6 de Duchesse Marie
Paulowna k P6tersbourg. Ce voyage est fixe* k la fin du mois
prochain.
43.
»Manibus o date lilia plenisU
II m'a 6t6 impossible de vous derive ces huit derniers jours.
A Magdeburg il m'a fallu me meler activement du »Musik-
festor, Litolff £tant tombd subitement malade. La cbose n'en
a pas 6t6 plus mal pour cela, j'imagine, et je crois m&ne
qu'on m'a assez loue* pour la direction de- la 9 me Symphonie
qui a marche* k merveille avec un choeur de femmes (com-
post des socidtds de chant de Brunswik et Magdeburg ex-
cellentissime, et un orchestra tres nombreux etc.) dont une
douzaine de membres appartenaient aux notabilites contempo-
raines. — Quelques beures apres (Dimanche) j'dtais rappeld
a Weymar en Thonneur de S. M. l'lmpdratrice douairifcre de
Russie, qui a toujours €t€ fort bienveillante pour moi et parais-
sait aussi s'accommpder cette fois de m' entendre. J'ai done
passd la nuit en chemin de fer pour arriver a temps au
Belvedere. Le lendemain il y a eu le Tannh&user — et
depuis je n'ai fait que travailler a la seconde partie de mon
Dante qui est maintenant terming* dans ma tete ; et que j'aurai
fini d'dcrire a la fin de la semaine.
Cet apr&s-midi je suis venu k Merseburg pour repasser
quelques morceaux d'orgue avec Winterberger dont je vous ai
ddja parte. C'est un artiste de premier ordre comme orga-
niste, et il ne tardera pas beaucoup k acqudrir la reputation
qu'il mdrite. Avant de retourner k Weymar, j'ai voulu vous
dire bonsoir — et me voici comme stupide de n'avoir rien
It vous dire.
marer Hoftheaters, der sich als ausgezeichneter Pianist und fein-
sinniger Componist in der Oeffentlichkeit einftihrte.
— 74 —
8 va
Wissen Sie, was das heisst? Oui, sans doute; mais moi
je ne sais plus, was .das mit mir heissen soil, tellement la
maladie m'envahit le corps et Pame.
Pardonnez-moi d'etre si sot et si monotone dans ma sottise
— quelquefois je me figure pourtant qu'il se dlcouvrira un
sens a tout cela quelque jour.
Probablement je n'irai pas en Hongrie, mais bien en Suisse
vers la mi-Aofit. Je tacherai de venir vous faire un bout de
visite a ce moment si vous n'etes pas trop loin.
Ecrivez-moi un peu plus au long si vous pouvez.
Merseburg, 23 Juin 56.
44.
Voici bien des jours que je ne sais rien de vous; n'im-
porte, je devine — et eompte sur la reciprocity. Mes projets
de voyage restent toujours en suspens, par suite du g&chis
qui s'est fait a Gran, a laquelle occasion mes compatriotes se
sont du reste admirablement conduits, tellement qu'en Alle-
magne on n'aurait jamais song£ a rien de pareil. Quand cet
incident sera parvenu a une conclusion je vous le raconterai
in extenso. En attendant je ne sais pas encore si mon voyage
aura lieu ou non, et n'aurai de nouvelles dgcisives a ce sujet
qu'a la fin de cette semaine. Les journaux de Pest et de
Bude sont unanimes pour r^clamer energiquement ma presence
et l'exgcution de ma Messe lors de ^inauguration du Dome de
Gran au 31 Aout prochain, et il est presumable qu'on finira
I
}
\
— 75 — |
i
sentiment national. Si tel est le cas je serai da cot6 de
Stuttgart vers le 10 ou 12 Septembre pour me rendre a
Zurich, on je devrai aller en tout cas. Seulement si mon
voyage de Hongrie manque, j'avancerai le moment de ma
visite a Wagner, et d'ici a une dizaine de jours je vous don-
nerai des nouvelles plus positives.
Mes filles sont ici depuis une semaine. Elles iront pro-
chainement a Paris pour faire leur r6v6rence a leur mere.
Elles sont tr&s gentilles, plutdt embellies et assez en bonne
veine de Ion sens. Dans l'acception que nous donnons au bon
sens, comme la demeure des bons sentiments.
Alfred Meissner dont je vous ai parld vient de publier un
volume biographique sur Heine qui se lit agr^ablement et
contient plusieurs choses d'un int6r6t attachant. Dans un billet
de Heine, dat£ de Janvier 56 a une amoureuse attard^e, il
y a ces mots que je vous copie:
»Werde ich dich morgen sehen? Eine weinerliche Stim-
mung tiberwaltigt mich. Mein Herz gShnt spasmatisch. Diese
bdillements sind unertr&glich. . . .
Tiefster Jammer, dein Name ist H. Heine. «
et quelques semaines avant sa mort il 6crivait a la m£me per-
sonne en anglais : »My brain is full of madness and my heart
is full of sorrow, a
A propos d'anglais je vous cite encore une drdlerie du
^Musical World <c qui appelle Johanna Wagner »a sixfoot child
with the golden locks « I —
15 Juillet. A. A.
Saluez la statue de Beethoven de ma parti
Ce matin la P cesse vous a 6crit a l'adresse que vous lui
avez donn^e dans votre derni&re lettre. Faites r^clamer sa
lettre nPoste restante Bonnn.
— 76 —
45. 1 )
Mon voyage de Hongrie est officieilement d6cid6 depuis
3 ou 4 jours, et je partirai d ? ici Jeudi prochain 7 Aout.
Veuillez me r^pondre avant mon depart ou j'aurai a vous
adresser.
^inauguration de la cath£drale de Gran aura lieu le 3 1 Aout.
Les eveques de Hongrie, plusieurs cardinaux et S. M. l'Em-
pereur avec tout le Ministfcre etc. y assisteront. — Vous
aurez tr&s prochainement de mes nouvelles plus au long, et
si par hasard votre sdjour du cot£ de Mannheim se prolongeait,
je viendrai vous y voir vers la mi-Septembre a mon retour
de Hongrie avant d'aller a Zurich.
M me de Billow et Hans sont ici depuis une huitaine de
jours et j'ai exp£di£ mes filles a Paris sous la conduite de
M lle Riese (dont vous vous souvenez) qui reviendra, je pense,
seule pour sa part aprfcs-demain par ici. Mes filles ont pass6
par Strasbourg et demeureront chez leur grand-mbre a Paris,
attendu que la maman n'a pas de place. . — . La P cesse et
sa fille ont €t€ vraiment admirables pour elles.
A la garde de Dieu done! —
H y a plus de 12 ans, on autographia sous mon portrait
ces vers de Byron:
»Here's a sigh to those who love me,
And a smile to those who hate;
And whatever sky's above me,
Here's a heart for every fate!«
Je sentais d£ja alors tres pleinement que mon lot et mon
partage 6taient tout autres que celui des sentiments de famille,
de la propria, de l^tablissement etc. etc. — et nee n J est pas
pour mon plaisirm que j'entends ou fais de la musique etc. etc. etc.
31 Juillet 56. A. R. A.
Ecrivez-moi de suite en deux mots ou je devrai
— 77 —
46.
Voici une petite vue de Gran x ) qui est depuis des siecles
la metropole du catholicisme en Hongrie. La solennite de la
consecration de cette basilique aura lieu le 31 courant. L'Em-
pereur et quatre Archiducs arriveront la veille au soir avec
une suite de 60 dignitaires et hauts fonctionnaires et quatre
cardinaux, sept ou huit archevSques, et une quarantaine d'evS-
ques s'y trouveront reunis. Si vous en £tes curieuse je vous
enverrai le re*cit detailie de cette grande c6r£monie qui d'apres
le programme durera plus de 6 heures (depuis Vfe du matin
jusqu'a 2 heures).
Par suite d'une sotte vanite* blessee d'un de mes anciens
amis qui r£clamait pour son oeuvre les honneurs de l'execution
a ce jour, celle de ma Messe se trouvait compromise; mais
a cette nouvelle il s'est eieve une protestation teliement
energique et unanime dans tons les journaux allemands et
hongrois de Pest et de Bude, les musiciens et tout ce qui a
id^e d'un piano, (Tun violon ou d'une note de musique, et
meme beaucoup de ceux qui n'ont fait qu'entendre parler de
ces choses ont te'moigne' dune maniere si eclatante de leur
sympathie pour moi que l'opposition (laquelle se trouve reduite
a un individu, plus son ombre) qui, il y a 3 semaines, avait
reussi a persuader a Son Eminence le Cardinal Archeveque-
Prince Primat de Hongrie, que ma Messe durerait 3 heures
et occasionnerait des frais exorbitants, en consideration de
quoi il avait ete decide qu'on choisirait un autre ouvrage que
le mien, — l'opposition, dis-je, a ete teliement honnie et con-
spuee a chaque jour et presqu'a chaque heure pendant deux
semaines dans les journaux, les salons, les cafes, au theatre
et a l'Eglise, qu'elle m'a valu a Tavance un triomphe pres-
que sans exemple. II est maintenant avere et hors de con-
teste que je fais partie integrante de la fierte nationale, et
a mon entree hier soir dans la loge de llntendance au
theatre hongrois, le public m'a applaudi chaleureusement. II
1] Namlich eine Abbildung auf dem Briefbogen.
— 73 —
faudrait que je fosse un terrible imbecile poor ne pas faire
fcoonear a one position si exeeptionnellement farorable, et
malgre* quelqnes difficultes qui ne manqueront pas de se pre-
senter je taeherai de bien prendre pied et raeine. Dans le
eosrant de la semaine j'anrai nne demi - domaine de repe^-
titions a faire, ear il faut que j'exeree separement les solis,
le ehceor et rorehestre; ear dans les eirconstances donnees
je ne pouvais charger personne de me preparer la besogne
(aussi ai-je expressement demands qu'il ne soit pas essaye
one note de mon cenvre). De tontes fagons je eompte sur nne
belle execution et nne grande impression — le »saneio tpirito*
g'y manifestera ! — et probablement on me eommandera nne
nourelle Messe pour qnelqne elremonie analogue.
Votre lettre m'est exactement parvenue nne heure avant
mon depart de Weymar. Je ne me snis arrete que quelqnes
henres a Prague et nne demi-journe'e a Yienne. A Prague
Dreyschock 1 ) m'avait arrange nn diner avec plusieurs per-
sonnes distingules et qui ont de l'intlret pour moi. II n'est
pas impossible que je retourne pour quelqnes jours a Prague ;
on j a le projet de c616brer a l'imitation de Weymar eine
Wagner-Woche , en repr&entant dans la m£me semaine les
3 operas de Wagner vers la mi-Septembre. Si ce projet n est
pas recule* je m'y rendrai. Pragne occupe nne position assez
singuliere dans les annales de la musique. Apres les de*boires
que Mozart eut a Vienne a l'occasion de ses Noces de Figaro,
auxquelles les Viennois preTeraient je ne sais plus quel ou-
vrage parfaitement oublie depuis*) il rencontra a Prague un
chaleureux accueil et de vives sympathies. »C'est pour
Prague que j'ai 6crit mon Don Juan! a disait-il; c'est la aussi
pour le couronnement de l'Empereur qu'il fit representor pour
la premiere fois sa Clemenza di Tito. A ce sujet je vous
raconterai une anecdote qur n'a 6t6 enregistre'e par aucun
biographe, mais qui m'a 6t6 garantie comme authentique.
i; Der als brillanter Claviervirtuos geltende Alexander Drey-
schoek (1818—1869).
2) Eb war »Una cosa rara« yon Martin.
— 79 —
Apres le premier acte de la »Clemenza di Tito« S. M. quitte
le theatre: le Directeur arrive tout effar6 communiquer cette
d^sastreuse nouvelle a Mozart, qui du haut de sa conscience
d'homme de genie lui re*pond a brflle-pourpoint : »Um so
besser, da haben wir einen Esel weniger im Theater k Je
suis loin d'approuver de pareils propos; mais parfois ils me
reviennent en m&noire quand j'entends des anes non couronn^s
trancher sur des choses dont ils n'ont pas la moindre idee.
Durant son voyage en Allemagne dans les ann£es 40 c'est
encore a Prague que Berlioz rencontra le plus d'enthousiasme,
et voici maintenant qu'une notable partie du public temoigne
d'un gotit assez eleve* pour pr£f£rer Lohengrin meme au
Tannhttuser. C'est done un phenom&ne assez curieux a ob-
server de plus prfes pour quelqu'un de ma sorte.
Hans apres avoir passe* une douzaine de jours a Weymar
a pris le chemin de Baden-Baden ou il comptait rester deux
on [trois] semaines (Berlioz y dirigera, je crois, un concert le
16 Aofit).
Peut-6tre la fantaisie vous prendra-t-elle de faire un
bout de visite a M me de Billow . Vous y trouverez aussi
d'autres connaissances de Weymar — comme M me Pohl etc.
J'ai e*crit a M me Kal[ergi] pour lui recommander tr&s parti-
culi&rement Hans, et lui ai demand^ de me faire savoir si
elie sera a Baden vers le 20 Septembre, en lui annoncant
ma visite pour ce moment. Je doute que le Prince G. par-
vienne a se deTaire du corps diplomatique compost d'dmes
subtiles, 6ther£es et f&ninines, et je ne suppose meme pas
qu'il gagnerait quoi que ce soit a proedder avec brutality a
cet £gard. La diplomatic en crinoline vaut tout autant au
moins que celle du paletot — elles continueront de s'entrai-
der rdciproquement a travers les changements de costume
et de personnages, et quant a M me Kal. je doute qu'elle se
laisse ddbouter m&ne par le Prince 6.
En vous notant Baden j'indique que mes projets de Suisse
ne sont pas changes. Jusqu'au l er Septembre adressez-moi
Pest (Ungarn) Hdtel zur Kdnigin von England, oil je jouis de
ma fenetre d 7 une vue trfes grandiose sur le Danube, la ville
— 80 —
et les montagnes de Bade. Je me leve de bonne heure pour
avoir un tant soit peu le loisir de faire des songes creux ! —
A. A.
13 Aout 56 (K6nigin von England).
Ecrivez-moi tout an long et comme l'ide'o en viendra.
47.
Vienne, 16 Sept. 56.
Vos provisions se sont r^alise'es — et ces dernieres semaines
m'ont donne* une abondante moisson de sympathies. Dans
quelques jours je vous enverrai les nume'ros suivants du Journal
de Vienne pour vous tenir au courant des choses exterieures,
et quand nous nous reverrons je vous raconterai ce que vous
voudrez du reste. En resume' je note deux points: D'une part
j'ai acquis cette pleine conscience que la t&che que je remplis
en ce monde fait partie int£grante de la gloire nation ale.
(C'est dans ce sens que l'archevSque d'Udine m'a salue' du titre
de » gloria della Ungheria« — ce qui me met fort au large
pour etre ad libitum modestement fier ou fierement modeste.)
Et de l'autre j'ai pris se'rieusement position comme compositeur
religieux et catholique. Or c'est \k un champ illimite' pour
Tart et que je me sens la vocation de cultiver vigoureusement.
Pour Tanne'e prochaine j'e'crirai une nouvelle Messe qui sera
exe'cutee k Ealosca ou ParchevSque fait^des travaux de restau-
ration d^glise fort considerables, qui seront termineV Y6t6
prochain, et Fannie 58 j'en e*crirai une troisieme pour quelque
circonstance analogue.
La fraction intelligente du clerge* m'a de suite adopts,
apres la premiere execution de ma Messe, et le nombre de
mes adherents enthousiastes parmi les eccle'siastiques va en
augmentant. Le fait est, je crois pouvoir le dire en bonne
conscience et pleine modestie, que parmi les compositeurs qui
me sont connus il n'en est aucun qui ait un sentiment aussi
intense et profond de la musique religieuse que votre tres
humble serviteur. De plus mes anciennes et nouvelles etudes
de Palestrina, Lassus jusqu & Bach et Beethoven, qui sont les
— 81 —
cimes de Tart catholique 1 ) me donnent un grand appoint,
et j'ai pleine confiance que dans trois ou quatre ans j'aurai
pris entierement possession da domaine spiritnel de la musique
d'eglise qui depuis une vingtaine d'anne'es n'est occupy que
par des me'diocrite's a la douzaine, lesquelles k la v&ite' ne
manqueront pas de me reprocher de ne pas faire de la musi-
que religieuse — ce qui serait vrai, si leurs ouvrages de pa-
cotille et de pre'tintaille pouvaient compter comme teiles. Lk
comme ailleurs il s'agit de aremonter aux fondements«, comme
dit Lacordaire, et de p£n£trer k ces sources vives qui rejail-
lissent jusqu'a la Tie eternelle.
Apres que ma Messe avait exe*cut£e trois fois k Pest, devant
un auditoire de quelques milliers, une fois k Gran ou toute Te'glise
avait les yeux fixe*s sur le chceur, j*ai fait chanter ma premiere
Messe (pour voix d'hommes, seulement avec accompagnement
d'orgue), publide a Leipzig chez Hartel, k la c£r£monie de la
consecration de la Herminen-Kapelle k Pest qui a 6t6 e>ige*e en
me*moire de l'Archiduchesse dSfunte, Hermine, fille du Palatin
Joseph et soeur de l'Archiduc Etienne. C'est le Cardinal Prince
Primat de Hongrie qui officiait. Le m&ne soir, 8 Septembre,
il y avait un grand concert au theatre que j'ai dirige*. Le pre-
mier nume*ro du programme £tait »les Preludes « et le dernier la
» Hungarian (Nr. 3 et 9 de mesPoemes symphoniques). Les Pre-
ludes « ont du etre joutfs deux fois, les applaudissements de
la salle ne cessant pas, et k la » Hungarian il y a eu mieux
que des applaudissements ■ — femmes et hommes pleuraient!
Le soir de mon arrived ici avant-hier Strauss a fait ex^cuter
au »Volksgarten« en mon honneur trois morceaux de » Lohengrin «
et Marche finale de mon »Mazeppa« 2 ) . Ce dernier morceau
ainsi que deux des morceaux de »Lohengrin« ont 6t6 biss6s.
Samedi (20 Sept.) je pars pour Prague oil Ton ex^cutera
ma Messe de Gran le Dimanche 28, jour de la S* Venceslas,
patron de la Boheme, dans l^glise du Dome. C'est le Cardinal
Prince Schwarzenberg qui officiera.
— S2 —
Eerrrez-soi a Fragut jnsqau 25. Ten le 2 Oetobre je
*erai de retcwr a Weymar; mais bY resterai qme den on
troii jour*. La Priacesse et sa fiHe rout eu Suisse, je les
aeeompagnerai joKju a Stuttgart ou je marrtterai uu pen, et
le? rejoindrai apse* une Lnitaine a Zurich.
Que!* font vos projets d hirer? resterex-Tous a Bruxelles?
M r de X. est-il parti pour P. ? Vers la fin d' Oetobre je ren-
trerai a Weymar et me remettrai a mon travail qui, j espere,
ne sera pa* trop interrompu dnrant 1'hiver. — Blandine reste
a Paris anpres de aa mere, et Cosima revient a Berlin. Mon
iiti Daniel a obtenn nn prix dTionneur, eomme vous l'avez
appris par leg journaux, et a ete eomplimente par les pins
illustres personnages. II prendra son dipldme de baehelier
en Deeembre prochain, apres qnoi je lni ferai faire probable*
ment son droit a Heidelberg on Bonn.
Priez ponr moi et restez-moi donee et comprehensive, so wie
ich es inniglich ffthle. A. A.
48.
Gotha, 30 Janvier 57.
Quel que longtemps qu'il y ait que nons ne nons soyons
dcrit , ma pensle n'a pas desappris la votre. Hier avant de
venir a Gotha, on a recu de vos nouvelles, assez semblables
a celles que m'avait donn6es Lassen. Celui-ci passera pro-
bablement trois mois a Weymar, car la mise en scene de son
ouvrage donnera lieu a des modifications dans le texte et la
partition. L'ouvrage se nommera »Landgraf Lud wig's Brant-
fahrt«; la scene se passera en partie a la Wartburg et en
partie en Hongrie — et moyennant ces changements je m'attends
a un aucch. Comme vous le savez, je prends un intgr&t tres
amical a Tauteur et ferai ce qui dependra de moi pour con-
tribuer a la rdussite de Fouvrage qui a la lecture m'a fait
une tros bonne impression 1 ).
1) Diese ungedruckt gebliebene Oper Lassen's kaui 1857 in
Wohnar zur Aufflihrung, und Lassen wurde 1858 daselbst Musik-
director.
— 83 —
Pendant trois mois j'ai 6t6 trfcs fortement incommode, pro-
bablement par suite des fatigues et des voyages assez brus-
ques de Thiver et de V6t6 dernier. J'ai 6t6 oblige de passer
pres de 6 semaines au lit, et ce n'est que depuis une quin-
zaine de jours qu'il m'a 6t6 possible de me remettre serieuse-
ment & mon travail. En premier lieu je me suis occup6 de
la derni&re revision de ma Messe de Gran qui sera publiee
par la Typograpbie imperiale de Vienne et qu'il a fallu faire
recopier en entier a cause des eiargissements, ameliorations
et facilitements pour Tex^cution que j'y ai pratiques. Telle
que la voila, ma conscience d'artiste et de chretien en est
ddifi^e, et je crois que cette ceuvre se maintiendra inebran-
lable contre le flot d'expectorations de la critique, auquel
aucun de mes ouvrages ne saurait ecbapper de mon vivant.
Du reste je n'ai pas trop a me plaindre — car je suis beau-
coup plus attaque que m^connu, et je compte deja plusieurs
ralUSs parmi mes antagonistes d' autrefois, et des plus capables.
J'ai re$u toute sorte d'invitations pour l'execution de mes
Poemes symphoniques (de Vienne, de la Hollaude, du Rhin, etc.) ;
mais il ne me convient guere de beaucoup courir le monde
en ce moment, et tiens avant tout k ne pas trop retarder
rachevement de plusieurs ouvrages commences; en consequence
de quoi j'ai 6crit un certain nombre de lettres d' excuses, et
t&cherai de ne pas bouger de Thiver. Vers la mi-Fevrier
j'aurai t ermine' la vHunnenschlacht* d'apres Kaulbach, et pour
Piques, indie Idealev. (Sympbonie en trois parties). Le 12Fevrier
je dirigerai probablement a Leipzig (au Gewandbaus) Dies
Preiudes« et ©Mazeppaa 1 ), et pour la Pentecdte le Comity du
vNiederrheinische Musikfesfa a Aix-la-Chapelle m'a offert la
direction de ses 3 concerts. Le programme que ces Messieurs
avaient determine me paraissant manquer d'a propos, je m'y
suis refuse — mais il ne serait pas impossible qu'on se ravise,
et dans ce cas je serais oblige d 7 y aller.
A Weymar tout reste a peu pres sur l'ancien pied, et
nous nous preparons seulcment a faire un peu de bruit pour
1) Es geschah am 26. Februar.
6*
— 84 —
le 3 Septembre pour le Jubile de Charles Auguste. A ce
moment on inaugurera l'admirable groupe de Schiller et Goethe
models par Rietschel, et le Grand Due fera ce qui se ponrra
pour donner de l'eclat a ces fetes. II m a meme parte de la
mise en oeuvre definitive de mon plan de la Fondation-Goethe 1 ) .
Vedremo 1
Martha Sabinin est a Petersbourg et Bronsart a Paris.
Je me snis beancoup attache a ce dernier qui a acquis un
veritable talent d' execution et compost un Trio que j'estime
comme un des meilleurs qu'on ait ecrit en ce genre, et tr&s
superieur par exemple aux Trios d Kubinstein. Je presume
que Bronsart fera un trfcs bon chemin; car il a du tact, de
la mesure, beaucoup de talent, et un caractere ferme et
distingue avec des formes avantageuses. Le concert qu'il a
donne au theatre avant son depart de Weymar a parfaitement
r6ussi et il a laisse le meilleur souvenir.
La sympathie et l'int£r£t que Wagner porte a mes ouvrages
symphoniques m'a ete une grande joie. Je ne m'attendais pas
a ce qu'ils lui aillent a ce point et de tous points. Avez-
vous appris qu'avant mon depart de Suisse (mi-Novembre)
Wagner et moi nous avons dirige un grand concert a S* Gallen,
ou j'ai fait executer en son honneur »Orphee« et ales Preludes*?
On avait reuni a cet effet un orchestre considerable et excellent,
et ces choses ont produit une grande sensation, non amoindrie
par la critique (cette fois trfcs favorable) du lendemain.
A Munich je me suis beaucoup lie avec Eaulbach avec
lequel j'avais eu autrefois deja des relations fort amicales.
C'est un grand artiste au grand complete et que les pierres
amassees sur son chemin ne font ni trebucher ni tomber. On
a ete injuste pour lui a Fexposition de Paris, car il m6ritait
le superlatif des distinctions, et comme l'a tr&s bien dit Maxime
Du Camp dans son livre sur Fexposition, si Ton avait donne
suite a la premiere idee proposee, de decerner une medaille
unique a l'artiste qui a le plus merite de Tart par le genie
et importance de ses ouvrages, c'est a Eaulbach qu'elle
1) Siehe ,Liszt's Gesammelte Schriften. Bd. V.
— 85 —
revenait de droit. Je lui d6dierai la »Hunnenschlacht«, et il
m'a promis de venir passer quelques jours a Weymar dans
le courant de ce printemps.
Wagner a achev6 la partition du ^Rheingold* et de la
vWalkfirea que j'ai parcourues avec lui — c'est sublime! II
travaille maintenant au yunge Siepfiied* et a la fin de l'ann^e
je pense qu'il aura termine ^Siegfried's Todk et sera ainsi
arrive au terme de cette tache inouie d une tetralogie de drames
lyriques. En 59 j'espfcre que les 4 ouvrages seront repr&entes
en quatre soirees cons£cutives, et je m'emploierai de mon
mieux a lui faciliter cette 3norme entreprise *).
49.
. — .A mon avis c'est 6tre sourd et aveugle que de ne
pas reconnaitre (comme je Tai dit a la P cesse Ch. de Prusse
derni&rement, qui m'adressait des questions a brule-pourpoint
sur ce sujet) en Louis Napoleon la t§te et le bras, ou si vous
aimez mieux, le pouvoir executif d'une grande nation, accom-
plissant rdsolument le destin d'une grande £poque 2 ).
Avez-vous remarqu£ comme detail le don fait par ddcret
(sur la liste civile) de 60 000 francs aux di verses associations
d'artistes (fondles par M r Taylor) a la naissance du Prince
imperial? Je vous demande un peu a quel souverain l'id^e
serait-elle venue de s'occuper particuli&rement des auteurs dra-
matiques, des peintres, des acteurs, et meme des musiciens, a
pareil jour? — C'est un trait de gdnie qui m'a beaucoup
frapp6. Quelqu'insignifiant que puisse paraitre ce fait aux
vhommes graves et sirieuxa, il temoigne selon moi d'une haute
intelligence gouvemementale.
Un de mes anciens amis de Stuttgart, Dingelstedt, m'a
1) Schluss des Briefes fehlt.
2) Die Leser der ersten Bande yon Liszt's Briefen erinnern sich
wol seiner an Schwarmerei grenzenden Verehrung, jaUeberschatzung
Napoleon's III. in dem Urtheil, das er nach dessen Tode Uber ihn
fallte (Bd. IL, Nr. 120). Vielfaltige Belege dafUr bieten auch die
vorliegenden Briefe.
— 86 —
fait un bout de visite a Weymar. II ne serait pas impossible
qu'on le chargeat de llntendance de notre the'&tre. Le Grand
Due est assez fortement indispose et depuis huit jours oblige
de garder le lit. Dimanche je compte aller a Gotha pour y
entendre Tony (la seconde e'toile dans la constellation des
oeuvres dramatiques du Due, qui selon l'ordre de creation se
rangent ainsi : Zaire, Tony, Casilda et Santa Chiara). Formes
(la basse- taille) chantera le r61e principal. A. A.
Vendredi saint. Leipzig (hdtel de Pologne).
Ce soir on execute a l^glise de S* Thomas la Passion
de Bach.
50.
Ces lignes sont en retard — comme tout ce que je puis
vous e'erire et vous dire. LThirondelle et l'e'clair le seraient
egalement! — Votre lettre m'est parvenue hier soir et m'a
verse' un baume de parfums dans le coeur. La Princesse
Marie m'avait 6crit votre visite a TAltenburg. Merci de ce
que vous dites de la ma lade l ) a un autre plus malade. Merci de
votre tendresse, de votre bont6 et de toute cette grace de
simplicity et de poesie inne'e qui me captive. Ecrivez-moi
encore avant de quitter Weymar. Toute ma vie est attache'e
a ce coin de terre et j'espere y trouver le dernier et su-
preme bien = une mort calme et resplendissante des ardeurs
de la foi.
Depuis mon depart mes journeys s'e'coulent dans le vide
— et vous savez que les choses ext6rieures ne m'occupent qu'a
la surface. Or je n'ai m6me pas emporte de papier de
musique, sachant a l'avance que je n'aurai pas le temps
d'gerire 2 ) .
Ma sante est assez bonne. On ne me trouve pas mauvaise
mine et je vous promets de me manager. M r Suermondt
— 87 —
affectueuse bienveillance. Sa femme est une des filles de
Goqueril. II y a un fils de 16 ans et 5 autres enfants que
je n'ai pas encore entrevus et qui se trouvent probablement
a leur maison de campagne. Suermondt qui ne s'occupe
qu'en dilettante d'affaires a tr&s fort le gout des tableaux et
poss&de une magnifique Madone de Murillo, de beaux por-
traits de Velasquez, Rubens etc. Dans trois jours j' attends
la Milde 1 ) et la Pohl 2 ) qui seront £galement logics dans la
maison, et auxquelles j'ai naturellement laiss£ les chambres
les plus 616gantes.
Toutes les dispositions prises pour le Musikfest sont ex-
cellentes et les dispositions morales d'une forte majority du
Comity a mon 6gard de meme. Je compte sur une r^ussite.
La salle de spectacle, construite par Schinkel, est parfaite d'a-
coustique et d'aspect. Elle a le seul d^faut d'etre un peu
petite pour la circonstance — mais ce n'est pas un mauvais
ddfaut; car il y a moins d'inconv£nient a refuser des billets
qu'a en garder de reste. En fait d^trangers qui ont retenu
des loges on m'a nommd James Rothschild et la Comtesse
d'Outremont (veuve du grand -p6re de notre G de Duchesse).
— Ci-joint le programme prtfalable. Si cela vous intdresse
je vous enverrai a Bamberg le petit volume de texte avec
les programmes qui ne seront publics que dans quelques
jours.
En attendant les harcelements des repetitions qui pren-
dront leur train d&s Mardi prochain, je passe quelques heures
de la matinee a lire de YesthStique, ce en quoi je ne vous
engage pas a m'imiter. Vous en saurez assez long de cette
science oscillante et encombr6e de formules parasites sans
recourir au charabia des £coles philosophiques — simplement
en vous regardant dans le miroir a votre toilette. Mais si
vous faites usage du livre que je vous ai donn£, j'en aurai
une grande joie. La traduction de G. se ressent malheu-
1) Die sehr poetische Primadonna der Weimarer Hofoper.
2) Die Harfenvirtuosin der Weimarer Hofcapelle, Gattin Rich.
Pohl's.
— 88 —
reusement tres fort des d£s a vantages de la langue francaise
pour laquelle la grande poesie est presqu'une chose contre
nature. Elle est bien parfois comme la chauve-souris de la
fable, et montre tantot ses ailes ; tan tot ses pattes; mais ses
ailes ne rayonnent pas, et ses pattes n'ont pas les bonds du
tigre, si ce n est dans quelques ecrivains hors ligne, comme
Pascal par exemple, Joseph de Maistre, Lamennais. Le brave
G. avec les meilleures intentions du monde illumine souvent
des chandelles de sa verbosfte la lumiere inn6e du Verbe;
mais ne nous laissons pas arreter par toutes ces insuffisances,
ces enveloppes, ces obscurites, et le deplorable change qu'on
peut prendre sur tout ce qui s'appelle verite en ce monde,
et collons indissolublement notre ame au Verbe, jusque sur la
croix, pour nous allaiter dans les larmes et le sang de re-
demption et d'immortalite".
23 Mai 57. Aix-la-Chapelle.
51.
Vendredi, 5 Juin [1857].
Voici ma tache d'Aix termine'e, et pour le dire tout bonne-
ment, le succes a depasse de beaucoup mon attente. II est
a peu pres sly6y6 et de notoriete publique dans ces contrdes
que je sais compter jusqu'a 4 et meme jusqu'a 6, dans les
mesures de 6 /4- Tout] le] personnel chantant et executant
(environ 600 individus) m'a suivi avec elan et docilite* des
l'abord, malgre toutes les preventions qu'on avait repandues
contre moi. Aussi les trois concerts ont marche* a merveille,
avec salle comble et sympathique, meme aux repetitions. La
Milde a eu un succes immense, ainsi que vous le verrez par
la Gazette de Cologne — entierement sous Tinfluence de ma
partie adverse — ; et, chose plus surprenante, mes Festklange
ont ete bien accueillis, au point qu'on m'a demande de les
faire repeter au troisieme concert Quant a Berlioz, il m'a
ete physiquement et moralement impossible de donner YEnfance
du Christ en entier, et j'ai du me borner a la seconde partie
— 89 —
(»La fuite en Egypte«), pour £viter le scandale qu'on avait
pr6par£. La maladie de Dalle Aste m'est venue fort en aide,
car il n'y aurait pas eu moyen de faire chanter la partie de
H£rode par un remplaQant dans les dispositions malveiilantes
qui dominaient a regard de Vouvrage de Berlioz. C'est a
peine qu'on s'est r£sign£ a £couter la »Fuite en Egypte«, qui
• en somme a pourtant produit une bonne impression.
A la fin du 3 me concert on a fait pleuvoir des bouquets
et des exemplaires d'une poe'sie que je vous envoie ci-jointe.
L'auteur est un po&te fort accr£dit£ ici et je puis assurer
sans outrecuidance que cette piece de vers exprime le senti-
ment de la tr&s grande majority du public. A la prochaine
fete musicale qui aura lieu dans 3 ans, il est tres probable
que je serai nomme' a runanimite* par le comity, et plus en
mesure de me mettre au large que cela n'a pu etre le cas
cette fois.
Pohl va publier une brochure dans laquelle il rgunira
toutes les pieces relatives a ce Musikfest, et que je vous en-
verrai *) .
Berlioz a repondu par des excuses a l'invitation du Comity,
et F^tis a €i€ emp^che* de venir par l'arrivde du Grand Due
Constantin a Bruxelles. En revanche, Hiller et les Directeurs
de musique de Dusseldorf et des villes environnantes ont 6t6
presents, et je sals parfaitement a quoi m'en tenir sur leur
compte.
Mais voici bien autre chose. Parmi les auditeurs de ces
trois jours se trouvaient plusieurs Beiges, entre autres le
Directeur de la musique de S te Gudule qui m'a propose de
faire executor ma Messe lors des ceremonies de mariage qui
auront lieu en Juillet, je crois. Je ne saurai d^finitivement
si ce projet tient qu'apres mon retour a Weymar et vous en
£crirai aussitdt. A moins d'empechement majeur, j'espere que
vous serez de retour a Bruxelles quand j'y viendrai, si tant
est que la chose puisse s'arranger aussitdt.
J'ai fait ici la connaissance du r6v£rend P&re Roh qui est
1) Sie blieb ungeschrieben.
— 90 —
une des bonnes tStes de la Compagnie de Jesus et un pr£-
dicateur tout a fait remarquable. Le sermon qu'il a tenu le
jour de la Pentecdte sur Vapostolicite de l'Eglise 6tait forte-
ment none* et d'une eloquence pleine d'habilete\ Ses missions
dans la Westphalie, le Badois etc. lui ont valu une grande
reputation qu'il me semble bien mlriter. II y a aussi a Aix, %
a la grande salle de l'hdtel de Ville, des fresques d'une grande *
valeur de composition, peintes par Rethel. Malheureusement
Rethel qui a a peine 40 ans est devenu fou avant d'avoir pu
achever sa tache, et on a 6t6 oblige de faire peindre d'apres
ses cartons par un de ses amis et Aleves les trois ou quatre
pans de murailles qu'il a dfi laisser vides. Kehren tachera
de faire en sorte qu'il ne reste pas le plus petit coin de mur
blanc, si Dieu lui prete vie et assistance! —
Demain matin, Samedi, je partirai avec Billow (qui a ad-
mirablement joue*), Bronsart et Winterberger pour Wesel et
passerai la nuit chez le pere de Bronsart qui commando la
forteresse. Bronsart a assez envie d'essayer s'il ne trouverait
pas a bien s'^tablir pour quelques anne*es a Bruxelles. II va
sans dire que je vous prie de faire ce que vous pouvez pour
lui 6tre utile.
Dimanche soir ou Lundi je serai de retour a Weymar.
* Dites-moi exactement ou je dois vous adresser ; car il est tres
possible que mon voyage de Bruxelles s' arrange pour le moment
des noces au mois de Juiliet.
Priez pour moi — et ne vous lassez point de mes de*fauts
et de mes afflictions! A. A.
52.
Ettersburg, 13 Juin 57.
Revenu Lundi a 4 heures du matin a l'Altenburg j'ai
— 91 —
tain que l'incommodite* qui me tient aux jambes et me fait
boiter n*est plus qu'une maladie d^piderme. Avant la fin
du mois je serai completement remis.
II ne in'est point parvenu de nouvelles de Bruxelles jus-
qu'a present et je presume que la chose aura rencontre quel-
que difficulty, je ne sais laquelle. Le »Nord« contient un
excellent feuilleton sur le Musikfesi d'Aix, signe* T., ou des
£paules roses et blanches — je suppose celles de M me Hiller
— assaisonnent d'une fa$on piquante la critique musicaie.
En revanche notre ami Hiller dtfmontre plus qu'a Ttfvidence
en trois ou quatre lettres dans la Gazette de Cologne que
tout mon savoir-faire musical consiste a plaire aux dames et
a me faire bien voir a la cour comme a la ville. Quant a
composer ou diriger — Nennil —
Comme je vous l'ai dit, j'ai tres fort les gros et mfone
les tres gros bataillons des journaux contre moi — mais il
est assez douteux que la victoire soit de leur cdt£, et il me
parait assez probable que dans peu d'ann£es le personnel de
la critique musicaie se modifiera assez sensiblement, et que
plusieurs des grands journaux qui nous sont hostiles main-
tenant, feront imperceptiblement une conversion a gauche. 11
n'y a qu'a laisser aller tout bonnement les choses pour cela,
sans jamais recourir aux mauvais moyens, trop souvent em-
ployes pour n'etre pas usds, et a se montrer tel qu'on est =
droit, loyal, convaincu et perse"v£rant — et, s'il se peut, pas
plus b§te qu'autrui.
La convalescence de la Princesse continue avec une extreme
lenteur.
Vers la fin de cette semaine on ex£cutera au Stadthaus
»le Paradis et la P£ri« de Schumann. Nonobstant sa mono-
tonie et une certaine »Hausbackenheit« dans la partie d^cla-
matoire, c'est u.n bel et noble ouvrage. Demain nous aurons
pour la cloture de l'ope*ra de cette saison le »Tannhauser«
avec nouveaux decors et costumes, et le 24, jour de fete du
Grand Due, la »Temp£te« de Shakespeare, arrange pour la
scfcne par Dingelstedt avec musique ratiss^e par Taubert, pour
la cldture du theatre qui ne rouvrira que le 4 Septembre>
— 92 -
avec le Festspiel en 1'honneur du jubil6 de Charles Auguste
et mon Concert.
Aussitot que je pourrai me remettre au travail je terminerai
les »Ideale« et puis il faudra que je fasse quelques menues
besognes pour les fetes de Septembre. (Marche et strophes
pour choeur). Je reserve pour Tautomne les *>Beatitudes« y et
la »>S te Elisabeth*. Je me sens un grand attrait pour cette
oeuvre a laquelle je me mettrai de tout coeur. Le livret
tegendaire qu'Otto Roquette m'a prepare* me laisse beaucoup
de marge, et j'espere r^ussir a y maintenir l'int£r€t et la pie'te
de Tart sans monotonie, ni tension, ni futility.
Dans son petit opuscule »von der Macht des Gemttths,
durch den blosen Vorsatz seiner krankhaften Geftthle Meister
zu sein« Kant parle des »Selbstqu&ler« (»Heautontimorumenos«) ,
pour lesquels il n'y a pas de remede. Joseph de Maistre
emploie aussi ce mot barbare et expressivement interminable
comme la chose qu'il signifie dans les Soirees de 8* P^ters-
bourg, et je pourrai sans exage*ration m'en servir comme de
signature. A. A.
53.
Dimanche 5 Juillet 57.
Rapportez-moi quelques bounces de l'air des montagnes;
en ^change je vous jouerai une me'lodie qui me plaisait autre-
fois, intituled »Sehnsucht nach dem Rigi« composed par un
de mes homonymes (Anton Liste). Par hasard j'en ai juste-
ment fait connaissance sur le piano qui se trouve a l'auberge
du Righi, de maniere qu'elle est reste'e indissolublement li^e
aux 18 lacs qu'on est cense* voir a la fois du haut du grand
plateau, et que vous aurez eu le bon esprit de voir, sans
qu'il en manque un seul pour vous faire fete. —
Je regrette que vous n'ayez pas fait un bout de visite a
Wagner. M me de Stael disait qu'elle ne se d^rangerait guere
pour le Mont blanc — mais bien volontiers pour un individu
qui en vaudrait la peine. II est vrai qu'elle pre7drait son
— 93 —
ruisseau de la rue de Bac a toutes les beautes alpestres.
On pent 6tre d'un autre sentiment sans dgroger.
Me voici tout prfcs d'achever d^crire les »Ideale«, qui
m'obsfcdent depuis une semaine. Je les avais d£ja fort avanc^s
lors de votre s^jour ici ; mais n'ai pu m'y remettre qu'en
tout dernier lieu, car j'ai 6t6 oblige de soigner mes sottes
jambes a mon retour d'Aix, en gardant le lit jusqu'a la fin
du mois dernier. Main tenant je suis tout a fait sur pied en
ne boitant que trfcs teg&rement — et la malade commence a
se lever une demi-heure par jour.
Le mariage de Cosima aura lieu d'ici a un mois. J'irai
a Berlin vers le 15 de ce mois pour divers arrangements a
cette fin. M me d'Agoult et Blandine sont en Suisse et comp-
tent faire un voyage en Italie. Blandine a pass6 quelques
mois a Nonnenwerth en 43 avec sa mfcre et moi. J'y trai-
nais tant bien que mal mes jours jusqu'au soir et n'ai Con-
serve de ces contr^es qu'un souvenir qui refleurit pour moi
maintenant dans la » Gazette de Cologne «, avec cette difference
que je me divertis davantage de ce genre d' impressions que
de celles que je subissais alors. En ceci du moins Vamitie*)
a plus de charme que Pamourl —
Je ne vous en souhaite pas moins la tres bienvenue a
votre retour, et vous demande d'aller voir a mon intention
la Appolinariskirche (a une demi-heure de Rolandseck) a Re-
magen. Ce sont a 'mon sens les plus belles fresques de Tart
religieux de notre temps. Le crucifiement et la grande Ma-
done de Deger me vont a coeur. Priez-y pour moi!
Je n'ai point de nouvelles de Bruxelles; probablement il
s'y sera trouv£ quelqu'amt qui aura pris soin de me rendre
service. Ce nonobstant je presume qu'on ex^cutera ma Messe
a quelque beau jour, et que je vous revernai en automne.
A. A.
1) Anspielung auf Hiller's sogenannte Freundschaft fiir Liszt.
— 94 —
54.
Mardi 12 Aout 57. Aix-la-Chapelle.
C'est encore d'Aix que je vous 6cris ces mots. Le m6-
decin a exigS que je prenne au moins 21 bains, et quoiqu'k
contre-coeur je me suis soumis k la prescription. Tout en
glissant, les heures m'ont souvent pes6 ici, et je n'avais
gufcre besoin de nouvelle confirmation pour savoir a quoi
m'en tenir sur l'incurabilite de ma maladie. Dimanche Winter-
berger et Hahn (de Rotterdam) et Bronsart sont yenus passer
quelques jours avec moi. Depuis leur depart je ne suis
presque pas sorti, afin de terminer la t&che que je me suis
donn^e pour les fStes de Septembre a Weymar, et qui s'est
augmented d'une podsie de Cornelius (dont je vous envoie ci-
aprfcs l 1 original). La composition m'en a, j'imagine, bien r£us-
si, et le motif choral de la Marche 6crite pour le G d Due
m'a servi excellemment de point d'appui pour ce Volkslied.
Pour plus d'usage j'ai 6t6 oblige de l'teire deux fois; une
premiere version pour Choeurs d'hommes (avec accompagne-
ment d'une douzaine d'instruments en cuivre) qui pourra 6tre
chantge en plein air, h Inauguration des monuments ou pen-
dant la marche du cortege, et une seconde version pour ChcBur
et Soli, hommes et femmes, avec accompagnement de grand
Orchestre, varid k chaque strophe, et commentant le sens da
texte, qu'on exdcutera probablement deux soirs de suite au
theatre. Le tout fait & peu pres une vingtaine de pages de
grande partition, auxquelles j'ai travail^ d'arrache-pied.
En fait de livres j'ai lu Fabiola du Cardinal Wiseman *) qui
pfcche par une certaine roideur de bien, peu compatible avec
le naturel et l'abandon qui sont la vie et 1'attrait du roman.
Aussi ne vous engagerai-je pas a le lire, quoique la seconde
heroine soit votre patronne (8 te Agnes), et qu'une partie de
Foffice de la Sainte s'y retrouve. Mais s'il vous tombe sous
la main un petit volume de la collection Hetzel, intitule
» Esprit de Champfort«, parcourez-le. J'y ai rencontrg des
1) London 1855.
— 95 —
mots fort piquants et quelques pens^es d'une vigoureuse sa-
gacity — comme celles-ci entre cent autres:
»Les courtisans sont des pauvres enrichis par la mendi-
city. « —
»En g^n^ral le public ne pent s'Slever quk des ide^s
basses. a —
»On est heureux on malheureux par nne foule de choses
qui ne paraissent pas, qui ne se disent pas, et qu'on ne peut
dire. «
Pour ma lecture en route j'emporte le Jules C6sar de
Lamartine que je lirai alternativement avec la fin de Fabiola.
Apres- demain matin je serai a Weymar et deux ou trois
jours apres k Berlin d'oii je vous dcrirai. Ne me r^pondez
qu'apres mon retour de Berlin vers la fin de ce mois.
Que fait 1'inventeur de Bouya Bouya 1 )? Embrassez-le
pour moi. A. A.
55.
Jeudi 13 Aotit 57. Aix.
Les propositions Nord me paraissent fort tentantes, sur-
tout par le contrat de dix ans. Si vous acceptez, je m'a-
bonnerai au journal et le lirai avec toute la conscience que
mettait M r de Metternich k lire celui qu'il r£digeait lui-m€me
sous vos inspirations k Londres. Un pen de Bouya Bouya
dans la grande et la petite redaction ne ferait pas de mal au
Nord — et vous rdussiriez ais^ment k y fourrer la dose con-
venable.
Dans une heure je quitte Aix et vous redemande de ne
m'ecrire que vers la fin du mois k mon retour de Berlin, d'oii
je vous donnerai encore de mes tres monotones nouvelles.
A. A.
56.
En apprenant le malheureux accident de Bouya, je me
suis senti comme deux fois loin de vous; aussi ne cess^-je
1) Der kleine Sohn der Adressatin.
— 96 —
>
point de prendre ma part de vos chagrins, tout en esperant
que le medecin, en vous promettant son prochain et complet
retablissement, ne se sera pas trompg.
Tout mon temps est pris maintenant par les repetitions
et preparations du concert du 5 Septembre (Samedi) , dont je
vous enverrai le programme. Nous aurons quantitativement
et qualitativement un renfort trfcs considerable pour notre or-
chestre ce soir-la, et je compte sur une execution splendide,
telle qu'on n'en a pas encore entendu de pareille a Weymar.
En attendant, le Volkslied de Cornelius a eu un plein succes
de cour et de ville.
Cosima a ete mariee a l'Eglise de S te Hedwig de Berlin
le 18 Aout, et m'a accompagne le m&ne soir jusqu'ici avec
Hans. Le jeune couple ne s'est pas arrSte a Weymar et a
continue droit son chemin pour Baden et de la a Berne et
Zurich. Je les attends ici a leur retour vers la mi -Sep-
tembre.
La visite de votre pere me sera et nous sera trfcs agreable.
Dans votre prochaine lettre a la Princesse vous pourriez lui
en toucher deux mots.
Si 1' affaire du »Nord« se conclut, informez-m'en aussi, afin
que je me procure le journal par Maltitz.
Puisque vous £tes desireuse d'avoir des nouvelles de ma
maladie, je vous dirai que je suis assez bien remis sur mes
jambes, par suite des bains d'Aix, et qu'on me trouve en
general bonne mine. A. A.
Je vous ecris ces deux mots de l'hotel de Russie et vous
donnerai des nouvelles des fetes au commencement de la se-
maine prochaine.
31 Aout 57.
57.
Wilhelmsthal, 14 Sept. 57.
J'espfcre qu'a cette heure votre cher Bouya est entifcrement
remis et que vous 6tes rentree dans le calme de votre vie
habituelle. Vous avez bien assez de soucis a porter d'ailleurs
pour que du moins ils vous soient epargnes du cdte de votre
— 97 —
enfant, que je me suis habitue' a voir comme une joie et un
adoucissement dans votre interieur. II serait difficile d'ima-
giner un garcon d'une organisation plus franche et plus nor-
male, et vous avez tout lieu de vous attendre a toute sorte
de satisfactions maternelles de sa part.
A l'Altenburg, la paix et le train habituel ^occupations,
de lectures et de relations sont revenus. La sante* de la
Princesse va s'ameliorant, et quoique boitante encore assez
fortement, elle a pu prendre sa part des f6tes de Septembre,
en assistant a Inauguration du monument de Goethe et
Schiller, ainsi qu'aux representations th££trales illustrdes a cette
occasion par Dawison, Devrient, M Uea Seebach et Fuhr, et
enfin au concert du 5 Septembre dont le programme £tait
entierement fourni par des compositions de ma facon. L'exd-
cution en 6tait admirable, et je n'ai qu'a me louer de Faccueil
qui a 6t6 fait a la Symphonic de Faust, au Quatuor vocal
»Ueber alien Gipfeln istRuha, qu'on a bisse\ au Choeur »An
die Ktinstlera etc. Nous avions pour ce soir plus que double*
notre personnel habituel d'orchestre, en y associant des artistes
de premier ordre, venus de Leipzig, Berlin, Meiningen, Son-
dershausen, tels que David, Bott, Ulrich, le Quatuor des
jeunes Mtlller etc. etc., et le choeur d'hommes s'&evait a une
centaine d'individus. Litolff et Raff se trouvaient parmi les
musiciens-auditeurs rdunis en assez grand nombre pour assister
a cette* demonstration tres categorique de la »Zukunfts-Musik<r.
Le dernier, en ami prudent, me donna quasi le conseil de ne
pas faire tort a ma sante* en poussant mon activity laborieuse
a l'excesl
Le Volkslied de Cornelius qui a d'abord 6t6 execute* en
chceur le 3 Septembre, pr6c6dant la pose de la premiere pierre
du monument de Charles Auguste par le G d Due, et le len-
demaina Inauguration de la statue de Wieland, a 6t6 r6-
ex6cut6 a la fin du concert (le 5) et paraitra en 4 Editions
a la fois, dont je vous enverrai 2 (celle pour piano seul et
celle pour une voix) dans le courant d'Octobre. — Le 7 No-
— OS —
et la Symphonic da Dante. Durant le careme j irai proba-
Mement a Yienne pour y dinger la Messe de Gran.
Bfllow et sa femme viendront me voir a Weymar dans une
dizaine de jours. Cosima n a pins tronrd sa mere en Suisse
et Blandine vient de m'ecrire de Florence pour me demander
de* nouvelles de sa soeur. Pour le moment le jenne menage
s'est Itabli chez Wagner & Zurich qui lenr fait la plus amicale
hospitality dans 8a villa qui est eharmante, dit-on.
Si comrne je Fespere M r de X. nous fait Thonneur de sa
visite k Weymar j'en serai tres charme". et je yous prie de
bien 1'assurer de mes sentiments respeetueusement devoues.
A. A.
Soyez sans inquietude sur ma maladie. C'est dit et fait
une fois pour toutes.
58.
20 Octobre,
Je me consume. Toute mon ame n'est que langueur et
mes journees passent dans un immutable accabiement. Yos
ligneH dliier m'ont 6t6 une douce surprise — pardonnez-moi
de vous avoir laiss^e si longtemps sans vous donner de mes
nouvelles. Je dfoapprends de parler, et encore plus d'Scrire.
II m'a 6t6 impossible de me remettre a mon travail durant
tout ce mois, ce qui me rend fort discord. Si inutiles que
soient les choses que je fais, eiles servent du moins a me
maintenir un peu en equilibre, ou du moins a me le per-
suader.
Les Bttlow ont passe* quelques semaines avec moi, et Hans
est encore a TAltenburg, laissant a sa femme le soin de pr6-
paror les quartiers d'hiver a Berlin, ce dont Cosima se tirera
fort bien; car elle devient une jeune femme toat k fait sensee,
alerte et me*me pratique. — Quelques journaux, a ce qu'il
pavatt, ont annonce" le mariage de Blandine avec M r Emile
Ollivier (avocat au barreau de Paris) l ) . Je ne connais pas
1) Unter Napoleon III. Minister, ist er auch als Schriftsteller
vielfaoh hervorgetreten.
— 99 —
encore mon gendre presume*; mais on m'en a dit grand bien
sous le rapport dn caractere comme du talent, et il m'a 6crit
nne lettre parfaitement intelligente et convenable, pour me
demander mon consentement a ce que le mariage ait lieu le
21 Octobre a Florence, avant sa rentrde a Paris. Probable-
ment je recevrai une d^peche tel^graphique dans la journe*e
de demain, qui m'annoncera ce nouvel 6v6nement de famiile
— et aux vacances de Paques le jenne couple viendra me
faire sa visite ici.
J'ai 6t6 vivement contrarie* du silence de B[ach], j'aurais tant
voulu vous rendre au moins ce 16ger service ! Peut-6tre en trou-
verai-je quelqu'occasion plus tard, en me rendant a Vienne,
ce qui sera au commencement de Mars prochain. Veuillez
bien dire a votre pere combien je suis chagrin 6 de cette de-
ception, a laquelle je n'avais pas lieu de m'attendre; car
comme je vous Tai dit, B. me porte quelques dispositions
bienveillantes, et je t&cherai de les mettre a profit a ma pre-
miere entrevue avec lui, en fixant son attention sur Tobjet
de la lettre qu'il a laiss£e sans r£ponse.
Je vous 6crirai dans une huitaine de jours de Dresde.
Si par ha sard vous aviez quelque chose de presse* a me dire
avant, faites-le par rinterm^diaire de la Princesse. Le l r No-
vembre je partirai pour Dresde, oil je resterai une dizaine
de jours. La Princesse et sa fille y viendront le 4, et le
concert avec Prome'th^e et le Dante aura lieu le 7.
Pour le quart d'heure tout TAltenburg est sens dessus
dessous en l'honneur des pr^paratifs de fSte qu'on fait pour
le 22 Octobre 1 ). Je ne sais rien de ce qui se trame, quoi-
que toute la ville en soit informed et fait partie du complot.
A. A.
1) Liszt's Geburtstag wurde auf der Altenburg durch Auffdh-
rung eines Festspiels gefeiert, bei dem die Adressatin selbst mit-
wirkte.
7*
— 100 —
59.
Dresde, hdtel de Saxe — 2 Novembre.
Je veux esp^rer que vous n'avez pas tarde* a vous remettre
de Tindisposition dont M r de X. me parle dans sa derniere
lettre. Remerciez-le bien affectueusement pour moi de la
bienveillance qu'il me porte et assurez-le une fois de plus de
tout le regret que j'^prouve de n'avoir pas re'ussi a le servir,
comme je l'aurais tant d6sir6, par mon intermediate aupres
de B. II m'est parvenu de ce dernier, il y a quelques jours,
des compliments qui sont comme une r^ponse indirecte, mais
malheureusement insuffisante, a ma lettre. Si comme il est
probable, je retourne a V. au mois de Mars, je verrai s'il ne
s'ouvre pas quelque nouvelle chance..
Blandine s'est marine le soir du 22 Octobre a Florence et
doit etre de retour a Paris maintenant. Ollivier plaide une
affaire assez importante contre Berryer. D'apres plusieurs
lettres qui me parviennent a son sujet, j'ai tout lieu de croire
qu'il se fera une tres belle position au barreau et peut-£tre
aussi comme homme politique, quoique ce dernier point soit
toujours assez chanceux en France. Ce qu'il y a de certain,
c'est que les deux epoux sont tres enamoured Tun et l'autre;
j'ai done ainsi la satisfaction de savoir que mes deux filles se
sont marines selon leur coeur, tout en faisant des manages
parfaitement raisonnables.
Les Bttiow viendront ici pour le concert du 7 Novembre,
qui prend assez la mine de bien rdussir, vu que le personnel
executant y apporte les meilleures dispositions. II est possible
aussi que la critique me soit moins hostile cette fois que de
coutume. En tout cas je n'en continuerai pas moins mon
chemin, toutes mes reflexions 6tant faites, et je les crois bien
faites a cet e'gard. Je vous parlerai de mon Dante quand je
I'aurai entendu ici. Vous savez que je le d6die a Wagner,
ce qui vous indique que je n'ai pas mauvaise opinion de
l'ouvrage.
H&asl notre vie n'est qu'une gamme ind£finie de soupirs
— 101 —
et de pleura. Prions Dieu qu'il b£nisse nos souffrances et
nous fasse participer par elles k sa v6rit6 et k son amour 1 —
Vers le 12 je serai de retour k Weymar.
Lassen va publier ces 6 Lieder qu'il m'a dgdtes — le vdtre
»Ich weir in tiefer Einsamkeit« y compris. Je les trouve
admirablement r^ussis — en particulier le vdtre. A. A.
60.
2 D£c. 57.
Un pofcte allemand (le C te Auersperg 1 ) a 3crit »Die Ni-
belungen im Frack«. J'y pourrais ais^ment faire un pendant
avec un »Job en paletot« , moins la maladie et le fumier
pourtant, a moins qu'on ne prenne pour tel le milieu social
dans lequel il faut bien, bon gr6 mal gr6, se mouvoir; mais
cette comparaison pgcherait par un manque de charity sinon
par un manque de justesse.
Yous avez done 6t6 malade durant le temps que j'ai pass£
a Dresde. Comment vous sentez-vous maintenant? Ne souffrez-
yous pas du froid dans votre nouvel etablissement? Combien
je voudrais §tre la, comme dans votre logis du Carls-Platz,
assis sur le panier a bucherl
En revenant ici, ii y a une huitaine de jours, j'ai pris la
resolution de n'en pas bouger de tout Fhiver, jusqu'a la mi-
Mars oil je serai probablement oblige d'aller a Yienne pour
l'ex^cution de ma Messe qui aura lieu le 26 Mars. J'ai
d'assez bonnes nouvelles de Daniel qui fait mine de se distin-
guer a 1' University de Vienne comme auparavant au Lycde
Napoleon. Cosima de son cot6 s'arrange fort bien a Berlin
et prend les allures d'une femme d'ordre et de bon sens.
Mon ancienne predilection pour elle se maintient — je l'ai
revue pendant quelques jours a Dresde (avec son mari) et
me promets de lui rendre cette visite dans le courant de l'hiver
k Berlin. Je pense aussi que mon nouveau gendre Ollivier
viendra ici apr&s Noel. De toutes parts il me revient de
1) Anastasius Griin (1806—1876).
— 102 —
grands eioges de son talent et de son caract&re, de mani&re
que j'ai tout a fait lieu de me trouver fort satisfait de la
determination un pen prompte de Blandine.
Tout ceci n'est que pour vous dire que je suis encore de
ce bas monde, fort surpris et moins charme d'ordinaire de iny
attarder ainsi et puis encore pour vous r£p£ter sans mots
ce que vous ne devez pas oublier. A. A.
61.
♦ — . Rien de nouveau a l'horizon de PAltenburg. Bron-
sart que j'affectionne beaucoup, comme vous savez, viendra
passer quelques jours avec moi au commencement de la se-
maine prochaine, et Cornelius re viendra pour plus longtemps
avec son opera terminS *) le jour de Pan.
Je vous enverrai par Martha ou Lassen quelques imprimis
a la fois qui vous amuseront, je pense.
Au theatre on remonte YAlceste de Gluck; plus tard
viendront le Rienzi de Wagner, Comala de Sobolewski (l re
representation a Weymar) et aussi le % Cellini 2 ) dont j'ai pro-
pose la reprise prochaine.
En Fevrier nous executerons aussi T Oratorio de Rubin-
stein TiLe Paradis perdue dans la seconde partie duquel Ru-
binstein a 6t6 oblige de refaire la CrSation — ce qui ne
laissera pas que de servir de pierre d'achoppement pour les
vieux habitues du chaos, de la vegetation, de la lumiere et
des moutons de Haydn! Van II vient de me faire la tr&s
aimable surprise de me dedier sa seconde Symphonic »l 7 Ocean«
qui a paru en partition a Leipzig, oil la dedicace ach&vera
de compromettre l'ouvrage et l'auteur.
Je fais de sinceres voeux pour rentier retablissement de
notre bon Bouya et vous prie de me rappeler affectueusement au
souvenir de M r de X., qui, j'espfcre, se sera debarrasse des
1) »Der Barbier von Bagdad «.
2) Liszt hatte die 1838 in Paris ausgepfiffene Berlioz'sche Oper
schon 1852 auf der Weimarer Biihne erfolgreich eingeftihrt.
— 103 —
incommodes d'un hdte de fort bonne compagnie, il est vrai,
mais non moins d£sagr6able pour cela.
L'Archiduc Etienne se trouve ici pour une quinzaine de
jours. II a d'anciennes et amicales relations avec le G d Due
et la G de Duchesse. Pour ma part je ne pense pas que je
profile de cette occasion pour le revoir.
9 D^cembre 57. A. A.
62.
Voici bien des jours que je n'ai pu vous dire un seul
mot. — Au premier Janvier ma fiile Blandine m'est venue
avec son mari. J'ai 6t6 content de tons deux, et je leur
rendrai leur visite dans le courant de Tanne'e It Paris, en
passant par Bruxelles. J'espere que j'y retrouverai Bouya
Bouya en pleine efflorescence.
Du reste rien de change* ici. Dans quelques semaines
(apres le 18 Fe'vrier) il y aura peut-6tre du nouveau par
rapport a la position exte'rieure que j'envisage toujours de
m€me, ni en rose, ni en noir, mais tres en gris.
Lassen vous a-t-il 6crit et envoys deux nume*ros des »An-
regungena *)? Savez-vous qu'il a transpire ici une assez singu-
liere nouvelie : celle de votre mariage avec L. ? Cela m'est revenu
de troisieme ou quatrieme oreille. Si cela devait me valoir
le plaisir de vous revoir, j'en serais tout-a-fait d'avis —
mais il ne s'agit 6videmment pas de mon avis en cela.
Votre ancien appartement chez les Weber est habits par
une Comtesse Merveldt (ne'e Bismarck), qui debute ce soir
dans le r61e de Fiammina. Le P ce Ptlckler m'a e^crit une
lettre charmante pour me la recommander. En lui faisant
ma visite hier j'ai pu remarquer le changement qu'elle a in-
troduit dans le mobilier et Tarrangement de l'appartement.
Ce mot du Dante »come corpo morto cade«! me revient
aussi en me'moire ! !
30 Janvier 58. P. L.
1) Monatschrift, von Brendel gegriindet.
— 104 —
63.
Prague, 13 Mars 58.
Demain soir je partirai pour Vienne, hdtel de YImperatrice
d*Autriche.
Les deux grandes executions de ma Messe (avec un per-
sonnel de 300 dans la grande salle de la Redonte) sont fixers
a Lnndi et Mardi 22 et 23 Mars. Nonobstant les crispations
que mes osuvres causent a la critique, qui s'est fait le porte-
voix d'une coalition d' envies, de coleres et d'ignorances volon-
taires et involontaires a mon sujet, je ne doute pas que cette
Messe ne produise une impression extraordinaire, et ne con-
tribue a fortifier ma position, que tant de gens s'occupent a
rendre intenable.
A Prague j'ai fait un. pas tres sensible dans Topinion du
public. Le concert de Jeudi a re'ussi d'un bout a Pautre,
tres an dela de mon attente. Les Ideale ont 6t6 applaudis a
plusieurs reprises et le Dante a souleve* comme un transport
d f admiration. Le ton de la critique locale a e*te* ostensible- .
ment modifie" par l'impression de Vauditoire, et sans pr€cis6-
ment encore viser mon passeport pour rimmortalite* , on me
concede pourtant certaines prerogatives, dont je profiterai avec
ou sans permission. Demain matin, je dirigerai le Tasse dans
un concert donne* par le Conservatoire d'ici ; cette ceuvre parait
avoir obtenu a Tavance grace aupres des jugeurs, qui d' ordi-
naire ne s'accommodent pas bien a Fide*e qu'on pourrait bien
se passer d'eux, et marcher son chemin tout droit.
Bronsart publiera dans deux ou trois jours une brochure
tres spirituelle et taillant dans le vif de la question musicale,
intituled »Musikalische Pflichtena, in Beantwortung der »Musi-
kalischen Leidena der Augsburger« AllgemeinenZeitunga. Yous
aurez sans doute lu les expectorations de M r de W. (Wol-
zogen) dans ce journal, qui sont comme la creme de la creme
des coleres de nos adversaires. Malgre~ le grand nombre de
leurs troupes et leur bonne volonte' tres avou^e de nous ^eraser
net, ils se sentent tout pres d'etre rdduits aux abois — car
la poudre leur manque. sHatte die gute (I) Eritik nicht so
— 105 —
lange vornehm zu der neuen Propaganda geschwiegen (disent-
ils), so ware aus der Maus nicht der Elephant geworden.« —
Ergo — nach dem Todtschweigen kommt das Todtschlagen ;
da das erstere nichts gentltzt, soli das andere helfen. Vedremo
— en attendant je crois qu'il n'y a pas lieu de s'en effrayer.
Pardon de ces betes de digressions a propos de choses
qui au fond m'occupent trfcs pen, quoique je sois force d'en
parler souvent, et merci des bonnes nouvelles que vous me
donnez de la tempirature de St. et du Nord. Je voudrais
tant qu'a defaut de bonheur vous ayez du moins quelque paix
et tranquillity en partage. Puisse Dieu vous l'accorder bientot!
A. A.
Je ne reviendrai a Weymar que vers la mi-Avril. La
Princesse passera la semaine prochaine a Berlin.
64.
A bord du bateau a vapeur Junon, de Vienne a Pest,
31 Mars 58.
Non certes, vous ne vous trompez pas, je ne puis guerir
de ma maladie. A certains moments toutes mes fibres et
toutes mes veines en sont envahies; je souffre d'une soif in-
extinguible, dont la pri&re meme augmente Fardeur. Ce senti-
ment de l'impossible se fait, a ce qu'il parait, jour dans mes
ouvrages, et un de mes compatriotes, en entendant ma Messe
disait: »Cette musique est religieuse au point de convertir
Satan lui-meme !« Ce qu'on appelle le succ&s a 6t6 tr&s au
dela de mon attente aux deux executions du 22 et 23 Mars
— et meme la critique, qui ne peut faire autrement que de
se montrer hostile a mes tentatives, s'est tenue pour obligee de
garder quelques reserves en ma favour. La petite note que
vous avez vue dans la Gazette d' Augsburg vient d'un individu
que j'ai fait mettre plusieurs fois a la porte et qui a juge a
propos de se venger de cette fagon. Du reste, une bonne
partie de la presse de Vienne, nonobstant les precedents con-
traires, a fait mon eioge, et mes quelques amis sont tres
assures de la victoire.
— 106 —
Vous avez re§u, n'est-ce pas, la brochure de Zellner 1 )
avec celle de Bronsart, et le Commentaire de la Symphonie
du Dante? 2 )
Je ne saurais vous dire combien le genre de Tie, que je suis
oblig6 de mener en dehors de Weymar, me devient de plus en
plus insupportable. Toujours parler a une quantit6 de gens,
auxquels pour la plupart du temps je n'ai rien a dire, m'ac-
commoder aux b§tises et aux fansset6s d'usage, faire et rece-
voir incessamment des visites, ddpenser un tas d' argent pour
le plaisir de s'ennuyer mortellement, quel risible tourment!
Aussi disais-je hier que je portais envie a mon cocher, qui
du moins avait cet avantage incontestable sur moi de rester
sur le si&ge en v&itable philosophe, tandis que je suis livr6
aux assujetissements de la vie du monde, a laquelle je ne me
sens plus appropri^ en aucune fa$on.
Je ne resterai que tr&s pen de jours a Pest, ou je vais
uniquement dans le but de faire une visite a mes quatre
chanteurs (qui ont bien voulu se d£ranger pendant huit jours
et venir chanter ma Messe a Vienne). Sans leur concours,
F execution de la Messe devenait impossible, attendu que le
Comte Lanckoronsky avait refus6 aux chanteurs du theatre la
permission d'y participer. On attribue ce proc&te pen bien-
veillant a une susceptibility peu digne des hauts personnages
qui Fauraient marquee, a ce qu'on dit — voici a quel propos.
Lors de mon dernier s^jour a Vienne, il y a 2 ans en-
viron, une personne peu qualifi£e a cet effet s'informa aupr&s
de moi, si j'6tais dans l'intention de me faire entendre a un
concert de Cour. Je rdpondis naturellement que depuis dix
ans je ne donnais plus de concerts, et par consequent ne
faisais plus partie de la cattfgorie des artistes qu'on invite
aux concerts de la Cour. Ceci fut pris en mauvaise part et
bien a tort — car si Leurs Majestes m'avaient fait demander
de m'entendre en petit comity et sans autres collogues (qui
ne sont plus des collogues pour moi], j'aurais certainement
1) IJber die Graner Messe.
2) Von Richard Pohl.
— 107 —
fait preuve d'ob^dience en ma quality de tr&s humble sujet de
la monarchic, et de cette manure satisfait tant bien que mal
a leur curiosity ; mais exiger de moi que je continue de faire
un metier, auquel j'ai renonc£ depuis de longues ann6es sans
exception aucune, devait me paraitre doublement d6plac6, et
par rapport a la Cour et par rapport k moi. Comme il
arrive d'ordinaire, que celui envers lequel on a eu quelque
tort en est encore puni par-dessus le march6, le C te Lancko-
ronsky a profits de la premiere circonstance qui s'est pre-
sentee, pour me faire ressentir les effets de cette justice
distributive, fort en usage dans les hautes regions.
Pour cette fois-ci je n'ai point fait visite k M r de Metter-
nich, trouvant plus simple de ne pas incommoder son Altesse
de mon humble personne. Son fils Richard m'ayant ignore
durant mon dernier sdjour de Dresde, il m'a sembl6 prudent
de ne pas marquer trop d'empressement.
En revanche je me suis pr&ente chez 8a Majeste, pour
la remercier de 1' Edition qui se fait de ma Messe a, Umpri-
merie imp. et roy., et ^assurer de vive voix, »dass ich es
mir in meinem kfinstlerischen Streben angelegen sein lasse,
dem Lande, dem ich angehftrig verbleibe, Ehre zu bringen«.
Aller en Egypte et ne point voir les pyramides serait un
nonsens ; de meme il ne serait pas permis de passer quelques
jours & Prague sans visiter les K. J'y ai passe une soiree
tout a fait originale et charmante, dont je vous raconterai
les details, quand nous nous reverrons. L'une des deux soeurs
est percluse, mais 1' autre encore pleine de mouvement et
d'accortise. Pour cette soiree leur salon 6tait encombrS par
les plus jolies jeunes personnes de la haute society de Prague
(les Lobkowitz, Auersperg etc.), et j'ai fini par declarer a
M Ue K. qu'elle 6tait tellement extraordinaire pour sa part,
que bon gr6 malgr£ il fallait bien qu'on fit quelque chose
d'extraordinaire en son honneur — sur quoi j'ai jou6 sans
dter mes gants le y>Sehnsuchts-Walzer<i k la satisfaction g6n6rale.
Tausig m'a rejoint a Prague et restera avec moi jusqu'a
mon retour a Weymar, ou je le ramfcnerai vers le 15 ou
20 d'Avril. Apr&s Pest je passerai encore trois ou quatre
— 108 —
jours a Vienne, autant a Prague, et une huitaine a Lowenberg
en Sil&ie cbez le Prince Hohenzollern-Hechingen. Si vous
en avez le temps, r^pondez-moi de suite et adressez Vienne,
hStel de VImperatrice Elisabeth. C'est Orosse 1 ) qui depuis un
mois compose tout mon personnel de service.
Laissez-moi vous dire encore que je suis charme* d'ap-
prendre que vous vous 6tes reprise a jouer du piano, et meme
que vous donnez quelques lemons. Vous savez que j ai tou-
jour s goute' votre talent de pianiste et je ne voudrais pas que
vous l'abandonniez tout a fait. La musique n'est certes pas
un art tfagrbnent pour moi — mais elle comble un vide, qui
sans elle reste b£ant dans Fame.
Quand vous viendrez a Weymar je vous demanderai de
me jouer plusieurs cboses que je ne veux plus entendre par
autrui.
A bientot done! et puis il serait possible que je vous
retrouve a Bruxelles, ou il est question de 1' execution de ma
Messe le 18 Juillet. Je vous dirai en Mai ce qui en ad-
viendra. A. A.
' 65.
Prague, 21 Avril 58.
A Pest comme a Vienne j'ai &t€ retenu plus longtemps
que je ne pensais, malgre' la hate inte'rieure qui m'aiguillonne
de rentrer a l'Altenburg et d'y reprendre ma t&che. Le
travail est non seulement la loi de notre existence, il en est
encore le de'dommagement et une sorte de compensation plus
haute.
Ma Messe a 6t6 exgcut£e deux fois a Pest, dans la salle
du Muse'e et a Pe*glise principale de la ville, durant 1' office
divin. Je ne comptais nullement sur ces executions, qui n'ont
eu lieu que sur le de^sir tres ge'ne'ralement exprime* de toute
la ville. Voici une feuille que j'ai coupe*e en votre intention,
1) Posaunist der Weimarer Hofcapelle, war Liszt besonders
anhanglich und begleitete ihn zuweilen auf Reisen.
— 109 —
on vous trouverez un extrait de ce qui a 6t6 dit a la fois
de plus sense et de plus favorable sur cet ouvrage. Le Mon-
sieur, comme vous l'appelez, de la Gazette d' Augsburg qui
vous a remis en m6moire un passage d'Obermann, n'est autre
qu'un nomme K. II a sdjourne* assez longtemps k Weymar
autrefois, et apr&s qu'il m'avait ecrit une cinquantaine de
lettres, dedie un volume de Poesies hongroises, traduites par
lui (avec la pi&ce de Vflrtfsmarty sur moi qui est trfcs ceifcbre
et r^pandue en Hongrie) , j'ai ete oblige de le mettre decide-
ment k la porte, il y a deux ans environ, et de lui declarer
que les portes servaient encore plus k faire sortir certaines
gens qu'a les faire entrer. Libre k lui de continuer son
metier; j'ai eu des amis plus rapproches, qui ne se sont pas
mieux conduits a mon egard; cela ne me cause done aucune
surprise et ne m'empSchera pas d'aller mon chemin. L'im-
portance et la force de ces sortes de gens git surtout dans
la peur qu'on s'en fait; tr&s k tort selon moi, car je crois k
la v^rite du proverbe italien »*7 tempo e galanfuomou.
Votre propagande avec M r de Richter m'a diverti. Serieu-
sement parlant, je ne crois pas k la possibility d'une traduction
et d'une execution suffisante du Tannhauser en fran§ais; et
e'est dans ce sens nggatif que j'ai repondu k quelques lettres
et demandes d'information qui me sont parfois venues de
Paris et de Bruxelles. Dans l'interSt de Wagner il est k
desirer qu'on se borne k l'Ouverture et k la Marche du Tann-
hauser, qui sont dejk ex£cut£es par toutes les musiques mili-
taires, et k moins de circonstances tout k fait exceptionnelles,
il est an moins prudent de ne pas aviser k une represen-
tation des ouvrages de Wagner dans une autre langue que
Fallemand. Songez qu'a Paris par exemple on n'est pas en-
core parvenu k gouter ou digger Fidelio; qu'il a fallu at-
tendre plus d'un quart de sifccle apr£s la mort de Weber
pour y donner ObSron (au Theatre lyrique encore!), et qu'&
Texception du Freischiitz sous le titre Robin des Bois, aucun
ouvrage allemand n'a pu trouver place au repertoire. Martha
de Flotow qui y a obtenu du succ&s derailment, n'a pas
rdussi quoiqu 7 allemand 7 mais parce que frangais et vient k l'appui
— 110 —
de ma donne*e. On pourrait appliquer a cet onvrage le mot
d'un domestique d'un gentilhomme hongrois, nomme* Palotsay,
qui affectait l'exage*ration des manieres anglaises: »Solch'
einen Englander wie meinen Herrn hab' ich in London nie ge-
sehen 1 «
Dn reste je ne vois nullement la ne'cessite' de faire
voyager sur tons les chemins de fer et bateaux a vapour les
belles partitions. Notre gout et notre savoir en Allemagne
n'ont qu'a s'^purer, a s'ennoblir, a se fixer davantage avant
que nous nous mettions en quete des bravos de nos voisins.
Les Symphonies de Beethoven n'ont 6te* applaudies a Paris
qu'apres la mort de Beethoven; l'Ouverttire du Songe (?une
nuit (Pete a fait fiasco au Conservatoire de Paris (j'y 6tais),
il y a quel que vingt-cinq ans, et du vivant de Mendelssohn
on n'y a pas execute* une seule note de sa composition 1 ).
Les exemples de ce genre abondent et prouvent a la fois
deux choses tres certaines, c'est que le public n'est infaillible
qu'en toute derniere instance , et que chaque auteur tombe*
n'est pas pour cela en droit de se tenir pour un Beethoven
ou un Mendelssohn!
Vous voyez que malgre* votre cruautS de ne pas vouloir
me promettre de jouer du piano a Weymar, je n ? en bavarde
pas moms musique avec vous. Si nous en trouvons le loisir,
je vous relirai occasionnellement le chapitre XX des Parerga
und Paralipomena (2 d volume) de Schopenhauer, qui contient
a mon sens ce qui a e^e* pense* et dit de plus ferme ftber
Urtheil, Kritik, Beifall und Ruhm.
Ce soir je partirai pour Ldwenberg (SiWsie), ou je passerai
une huitaine de jours chez le Prince Hohenzollern-Hechingen.
1) Hier irrt Liszt. Mendelssohn's Reisebriefen zufolge wurde
die Sommernachtstraum-Ouverture in Gegenwart des Componisten
am 19. Febr. 1832 zuerst in einem Conservatoire-Concert aufgefiihrt,
um dieselbe Zeit auch das A-moll-Quartett. — Reissmann spricht
in seiner Mendelssohn-Biographie (3. Aufl. Leipzig, 1893) auch von
— in —
Probablement Btilow y viendra sur Finvitation du Prince, et
je le reconduirai jusqu'a Berlin, ou je ne m'arrSterai que
qnelqnes heures pour embrasser Cosette. Le 3 ou 4 Mai an
plus tard je serai de retour a Weymar, et avant je vous
6crirai encore deux mots de L6wenberg.
Merci de vous Stre souvenue du Psaume. »Schaue doch
und erhflre michla est le cri 7 qui retentit et se module in-
cessamment dans mon ame. Esp^rons, espe*rons avec ferveur
et humilite* — le Dieu des faibles et des opprime*s sera notre
delivrance !
Amities a George.
66.
H&asl Je n'ai que ce mot, qui est le moins mot
possible a vous dire I Je ne bougerai point d'ici, si ce n'est
peut-6tre pour aller passer trois ou quatre jours a Prague,
lors des fetes du Conservatoire dans la premiere quinzaine
de Juillet. Avant de quitter Fribourg e"crivez-moi un mot
pour que je sache ou vous chercher. Lassen qui part pour
Bruxelles dans une huitaine de jours, vous y verra a votre
retour. La supposition dont je vous ai parle* dans quelque
lettre, il y a des mois de cela, continue de s'accrgditer —
et je vous dirai que je souhaiterais qu'elle se realise ; car de
cette facon j'aurais chance de vous voir plus sou vent! . — .
Puissiez-vous bientot me donner de bonnes nouvelles de
votre courrier de P. et du Messire an gilet rouge! Je de*sire
si vivement qu'il vous arrive quelque contentement de pres
ou de loinl
Un numero man quant encore pour faire la douzaine de
mes poe'mes symphoniques (car le Faust et le Dante sont a
part), je viens de flanquer un Hamlet. Nous Tavons essaye*
hier a l'orchestre. Je n J en suis pas me'content — il restera
tel quel, blenae, enfi^vr^, suspendu entre le ciel et la terre,
captif de son doute et de son irresolution! —
Pour l'hiver (59) je voudrais avoir termine* Y Elisabeth, a
laquelle je travaille maintenant. II y aura a pen pres pour
— 112 —
deux heures et demie de musique, ce qui me fait pour an
moins 6 mois de besogne. Le texte qu'Otto Roquette m'a
fait, me semble trfcs bien r6ussi, et il y aura plusieurs mor-
ceaux agr Sables,
Martha Sabinin, qui est revenue ces jours derniers, est
encore tout attrist^e de la mort de don fr&re. Elle a pass6
la soiree d'hier a l'Altenburg, mais je la trouve beauconp
plus m&ancolique depuis son voyage qu'avant.
M me Kalergi nous a fait une visite de 48 heures dernifcre-
ment. Elle avait passS l'hiver a Varsovie, allait a Paris, et
reviendra a Baden a la fin Juillet. Hans est engage par Be-
nazet pour 2 concerts a Baden, le l r et 8 Juillet. Sa femme
ira l'y rejoindre, et ils passeront ensuite quelques semaines
a Zurich, ou M me d'Agoult doit se rencontrer avec eux. —
Cornelius qui a tr&s heureusement achevg son op^ra comique
(»le Barbier de Bagdad «), s'£tablira prochainement a Munich,
on son frere est fix6 comme professeur d'histoire depuis un
an. Au commencement de la saison th£&trale (en Octobre)
nous donnerons son ouvrage. Vous Tentendrez, j'espfcre.
Une bonne poign^e de mains a George! Jusqu'a Octobre!
Samedi 26 Juin 58.
Allez quelquefois a la Cathddrale.
67.
Salzburg, 8 Octobre 58.
Que vous dire, si ce n'est ce que vous savez ddjal
Depuis six semaines je suis en route. Je m'^tais d'abord
arr6t6 quelques jours a Munich. Puis on a 6t6 dans le Tyrol
— a lnsbruck, dans VOetz-Thal — et ensuite, chassis par le
mauvais temps, nous sommes revenns a Munich, ou j'ai assists
aux fStes artistiques de Texposition de peinture et a celles
du 7 centifcme Jubite de la ville. Depuis hier je suis reste
seul a Salzburg, et dans nne dizaine de jours je serai de
retour a Weymar. J'esp&re y avoir de vos nouvelles par
Lassen. Peut-Stre pourriez-vous venir a Weymar dans le
— 113 —
courant de cet automne, comme vous me Faviez promis. Si-
non, je tacherai de m'arranger de fagon a passer par Bruxelles
le printemps prochain. On en 6tes-vous de vos projets et de
vos affaires? Ayons confiance en Dieu, qui ne trompe jamais,
et faisons de notre mieux pour ne pas nous tromper nous-
m&nesl
Bien a vous F. L.
Vous apprendrez par les journaux que Kaulbach, avec le-
quel je me suis encore plus li6 d'amiti6 durant ee s6jour a
Munich, vient de faire un admirable portrait en pied de votre
tr&s humble serviteur. Pour ma part il m'a 6t6 impossible
de travailler depuis prfcs de deux mois, et je sonpire aprfcs
mon papier de musique et le repos de ma chambre bleue.
68.
Meiningen, 7 D&sembre 58.
Je viens de passer une couple de jours a Coburg (chez
Monseigneur). La premiere representation d'un nouvel op6ra
(en 5 actes cette fois), intitule » Diane de Solange« de la
composition de S. A. R. a eu lieu Dimanche et, comme de
raison, a pleinement r£ussi. Le Due avait r6uni a cette oc-
casion plusieurs intendants et quelques c^l^britds litt£raires
(Puttlitz, Tempeltey etc.); on par tie double figurait Dingelstedt.
M'Kticken, l'auteur de la tr&s c&fcbre »Larme« (die Thr&ne!),
s'y trouvait aussi et me raconta (ce que je savais du reste)
qu'on donnerait tr&s prochainement le aTannh&usera a Stutt-
gart, malgrd qu'un haut personnage soit cens6 avoir dit, il y
a quelque temps: »Von einem solchen Lumpen braucht man
keine Musik zn horenU — Je ne presume pas qu'on ait
change d'avis depuis — mais les ouvrages de Wagner font
non seulement du bruit, mais bel et bien recette partout. Par
— 114 —
tout k fait devenu un pont aux dries sur tous les theatres
d'AUemagne sans exception main tenant.
Meiningen est devenu une station du chemin de fer entre
Eisenach et Coburg. Je m'y suis arrete" hier pour faire visite
an Prince he>6ditaire (qui vient de se remarier avec une
jeune personne fort aimable: la Princesse de Hohenlohe-
Langenburg), avec lequel j'ai pris des relations agreables.
Ma journe"e s'est passe*e entre un diner chez son pere et une
soiree en petit comit6 chez lui.
Dans 5 heures je serai de retour a Weymar. M me Viardot-
Garcia chantera Norma Dimanche 1 ). L'op^ra de Cornelius,
dont je fais grand cas sous le rapport musical, sera donne*
dans le courant de la semaine prochaine. Lassen est sur le
point de terminer son » Frauenlob « ; mais je doute qu'il puisse
dejk §tre repre*sent6 cet hiver, car notre repertoire est tres
encombre\ Cependant je t&cherai qu'il se rencontre quelque
bonne chance, sur laquelle il ne faut jamais compter, tout en
s'arrangeant de facon a ce qu'elle survienne, et en cette cir-
constance je voudrais donner a Lassen une nouvelle preuve
du tres amical interSt que je lui conserve. . — .
Le grand e>6nement de notre petite ville est pour cet
hiver le remue-mdnage qu'y fait Dingelstedt, tant par sa ma*
niere d'administrer le theatre (fort profitable a la caisse du
Grand Due jusqu'ici) que par ses VorUsungen au profit de la
Schiller-Stiftung. Nous avons eu deja plusieurs tempetes dans
notre verre d'eau et il y a apparence que les orages conti-
nueront leur train — mais en somme Dingelstedt, qui ne s'est
pas encore brouille* avec moi, malgre* la bonne envie qu'en
avait la ville, se tire fort bien d'affaire. Dawison, Auerbach
et Palleske (le nouveau biographe de Schiller — lisez occa-
sionnellement ses deux volumes »Schiilers Lebena, qui se
recommandent par d'excellentes quality de pens6e et de style)
sont venus fort a propos a l'aide de Dingelstedt, et la Gazette
d 7 Augsburg vous tiendra au courant de ces choses.
— 115 —
Mon Dante et la Messe de Gran paraitront an Janvier,
et j'ai de la besogne par-dessus les oreilles pour cet hiver.
Je vous en parlerai la prochaine fois.
Pour aujourd'hui je voulais settlement vous dire que je
suis encore de ce monde, sans trop savoir pourquoi; car ma
pens6e et mon coeur hantent des regions peu connues d'antrui,
et si Ton me demandait ce que fai? je serais fort embarrass^
de ripondre. A. A.
Wagner est tou jours a Venise. II travaille a son Tristan
qui sera pr6t pour Piques. Les nouvelles fort diverses que
donnent sur lui les journaux ne sont que des canards.
69.
Je viens vous demander une grace: celle de me donner
de vos nouvelles et de me dire comment vous allez de sant£,
de disposition d'esprit et d'humeur?
Jusqu'au 29 de ce mois je resterai ici, Madame la 6 de Du-
chesse m'ayant demand^ de m'occuper d'un programme pour
la calibration du jour de fete de son neveu, l'Empereur de
Russie (29 Avril). Le lendemain je partirai pour Lflwenberg
(en Silisie), um sehr herzlieh aufzuwarten dem Fursten Hohen-
zoilern, et de 1& je reviendrai a Leipzig, ou il y aura un bout
de besogne musicale a faire les premiers jours de Juin («Ton-
ktlnstler-Ver&ammlungff , concert et execution de ma Messe etc.)
La Princesse est partie avec sa fille pour Munich avant-
hier. Kaulbach peint le portrait de la Princesse Marie, ce
qui est comme une faveur d'amitie' exceptionnelle, car mon
illustre ami se mSle encore moins de portraits que je ne me
m€le de jouer du piano (ce que je ne fais pourtant guere),
et a refuse plusieurs augustes commandes en ce genre.
Quels sont vos projets d'gte? Soit en Septembre, soit en
Ddcembre, le nouvel ouvrage de Wagner : Tristan und Isolde
sera donnd a Carlsruhe, et il est probable qu'il obtiendra la
permission d'entrer et de sojourner temporairement dans le
Duch£ de Bade, pour diriger les premieres representations.
Je m'y rendrai immanquablement a ce moment et compte meme
s*
— 116 —
aller voir Wagner avant cela a Lucerne (oil il est revenu —
le gouvernement de Saxe ayant fait des reclamations contre
son s£jour a Venise, a oe qu'on dit).
Je ne vous parle pas de plusieurs on dit et on imprime,
car je suppose que vous n'avez pas plus attache cr&race au
bruit des journaux qui me fait aller a Paris (oil je n'ai que
faire), qu'a celui par lequel je me serais brouUie avec la ville
et la cour d'ici.
Rien n'est change dans ma position, qui a Texterieur va
plutot en s'ameiiorant qu'en s'empirant; aussi me plais-je a
considerer mon voyage a Paris de par les journaux comme un
progrfcs ; car autrefois on me faisait sans plus de fagon voyager
en Amerique — et croyez bien que je reste trfcs invariablement
tel quel, comme vous me savez par cceur.
18 Avril 59. P. L.
70.
Dimanche de Paques [1859].
Je ne tarderai certes pas a vous dire merci de cceur pour
votre lettre qui vient de m'Stre remise (a mon retour de
Leipzig). Vous avez bien fait de ne point me parler plus
tot de cet incident, mais quand nous nous reverrons je vous
prierai de m'en parler plus expiicitement. . — .
Jusqu'a Vendredi votre lettre me trouvera encore ici, si
vous me r£pondez courrier par courrier. Samedi matin je
compte partir pour L&wenberg, d'oil il serait possible que je
me rende a Vienne pour 48 heures. S. M. l'Empereur a
daigne me temoigner une favour tr&s exceptionnelle, en me
dlcorant de la Couronne de fer, et il me sera peut-6tre in-
dique que j'aille faire mes remerctments en personne.
La Princesse prolongera son sljour a Munich de plusieurs
semaines.
Quoique ce soit beaucoup de besogne pour vous je suis
fort aise de vous savoir en triple correspondance. Les ohoses
— 117 —
brigade commands par son pfcre, et plusieurs antres de mes
amis se battront de ci et de la.
Mille amities a George, et encore tres tendrement merci.
Hans Btllow vient devoir un succfcs tres decide* a son
concert a Paris et s'est mis fort en chemin de continuer de
la sorte.
71.
Ldwenberg, 1 Mai 59.
Vos dernieres lettres m'ont singuli&rement touchy, et croyez
bien que je demeure tres invariablement le meme pour vous.
Comprenez-moi et soyez indulgente comme par le passeM —
Je passerai a peu pres la semaine ici chez le P CG Hohen-
zollern, qui a ton jours 6t6 dune bienveillance tres affectueuse
pour moi. II est fort souffrant (d'une maladie trfcs bien ported,
il est vrai, — la goutte) depuis plusieurs mois et ne bouge
presqne pas de son lit; mais cela ne l'empgcbe pas d'avoir
l'esprit tout a fait dispos et reveille, et surtout de prendre
un vif interSt au remue-m6nage musical, qui continue d'aller
son train.
Bronsart demeure avec moi ici, en attendant qu'il aille
rejoindre le regiment de son pere, car il a une irresistible
envie de sentir un peu Todeur de la poudre, ce qui pourra
aise'ment se faire pour le moment. Votre nouvelle de 1' alliance
russo-frangaise parcourt tons les journaux, et le ton qu'avait
pris le Journal de 8* Petersbourg, ainsi que le Nord depuis
quelque temps, j pr^parait. Ce n^anmoins il y a toute sorte
d'£ventualit£s et de versatility a pr6voir dans cette alliance
d'une intimity fort suspecte. Un de mes amis r£sumait assez
spirituellement la question du moment en ces termes:
»Un monarque absolu (Louis Napoleon) fait intervenir un
autre monarque encore plus absolu (l'Empereur de Russie),
pour obliger un troisieme monarque tres absolu egalement
(VEmpereur d'Autriche) de donner — des institutions libSraks
a l'ltalie. Au fond il s'agit de tout autre chose que de la
pe'ninsule et de sa constitution; et l'homme malade et le
— 118 —
traitement a lui faire subir ont pousse* la partie an point oil
elle en est.«
Si vous savez quelques nonvelles curieuses, mandez-les-
moi. Jnsqu'au 7 adressez LOwenberg, Sil&ie chez S. A. le
Prince de Hohenzollern.
II est probable que je ferai une on deux excursions dans
les environs (en particulier a Breslau, ou Damrosch 1 ) prepare
un grand concert pour le 9). Vers le 12 je serai de retour
a Weymar, ou je ne m'arreterai que quelques jours, a moins
que les e*ve*nements ne nous obligent a remettre a plus tard
notre assembUe constituante a Leipzig, dont Martha vous a
parle*. Je ne vous invite pas pour ce moment, car je pour-
rais a peine vous y voir, e*tant oblige de m'occuper de miile
choses et gens.
Vous ne me dites pas si vous avez conserve* les deux ou
trois Aleves dont vous m'avez parle* autrefois. Je presume
que oui. Pour ma part je suis tres fatigue* d'enseigner ce
que de fait on n'apprend pas — et c'est la justement ce qui
importe par-dessus tout en fait de musique. Aussi fais-je
tres fort la sourde oreille a Tendroit des jeunes pianistes des
deux sexes, qui s'annoncent en foule chez moi, et pour le
moment j'ai r£duit ma petite bande a 4 ou 5 dont une jeune
personne, qui vient de faire un certain effet a Paris, M Uc
Ingeborg Stark (de Pe*tersbourg) . Elle a de quoi faire du
chemin.
Vous avez tort de me supposer un manque de mgmoire,
qui dans ce cas serait un racornissement de coeur. La mesure
enharmonique de l'Etude de Chopin vibre toujours dans mon
souvenir, comme aussi je ne saurais oublier tout ce qui se
rattache a ces trop courtes heures de votre passage a Weymar.
A revoir done, j'espere vers la fin de F6te\ F. L.
Puisque je vous ai parle* de musique, je ne veux pas
— 119 —
composer de tres belles choses dans son second op£ra
(Frauenlob).
72.
Breslau, 11 Mai 59.
II y a comme nne rose*e de larmes dans vos paroles, dont
le charme persnasif p^netre dans la plus morne region de mon
amel Quelque triste et dfoourage' que je sois depuis
longtemps de Finutilite* des meillenrs sentiments, que les ne*ces-
sit6s de 1'existence rendent captifs, comment ne resterai-je
pas sons le joug de votre douceur, qni ne se lasse point dans
ses ing^nieux stratagemes de consolation et de rass6re*nements? —
Les quelques jours que je viens de passer chez le P c6 de
Hohenzollern ont 6t6 fort tranquilles. Par sa premiere femme
(D sse de Leuchtenberg) le P ce est assez proclie parent de Lonis
Napoleon et le voyait autrefois k Hechingen (ou L. N. £tait
venu encore faire sa visite comme si de rien n'^tait, l'avant-
veille de ce qu'on nommait »l'attentat<( de Strassburgj. Une
melodie favorite de FEmpereur e'tait alors la cabaletta du Duo
de S^miramis entre Arsace et Assur, et le P ce m'assnra qu'il
la lui avait entendu chanter plusieurs fois avec beaucoup
d'entrain :
1 tp\
Va! va, su -
per - bo, va, su
iper - bo !
(H y a beaucoup de gloria et de trionfo dans le texte vers
la fin!)
Votre anecdote sur la conversation de M r Lenor 1 ) avec
Pie IX est on ne pent plus amusante, quoique F authenticity
m'en paraisse un pen suspecte. Je suis du reste parfaitement
de votre avis pour ce qui est de la situation politique prdsente,
dans laquelle Louis Napoleon ne fait que mettre en action son
programme des alde'es napole*oniennes(c, publie* il y a une
1) Der undeutlich geschriebene Name scheint abgekiirzt.
vingtaine d'annles. En parcourant dernierement les quatre
volumes de ses ceuvres, j'y ai trouve* aussi une traduction des
»Ideale« de Schiller qu'il envoy a a sa mere de Hamm. En
traitant le meme sujet musicalement, j'ai €t€ conduit a le com-
pleter, car il me r6pugnait de m'en tenir a la »Besch&ftigung,
Die zu dem Bau der Ewigkeiten
Zwar Sandkorn nur fdr Sandkoni reicht,«
et il m'a semble' que je pouvais sans contresens m'aventurer
jusqu'a Vapothe'ose de llde'al. Vers la fin de la partition vous
lirez cette note:
»Das Festhalten und dabei die unauf haltsame Beth&tigung
4es Ideals ist unsers Lebens h&chster Zweck. In diesem Sinne
erlaubte ich mir, das Schiller'sche Oedicht zu erg&nzen durch
die jubelnd bekr&ftigende Wiederaufnahme der in dem ersten
Satz vorausgegangenen Motive als Schluss-Apotheose.«
En Juin paraitront les arrangements a 4 mains de 3 de
mes Poe'mes symphoniques. Je vous les enverrai par Schott.
Voiei le programme de Leipzig qui, si les eveuements
politiques ne m'obligent a un ajournement jusqu'a l'hiver
prochain, me donnera beaucoup de besogne.
Aussit6t de retour a Weymar, j'en de'ciderai. Dans le
cas affirmatif il faudra que je m'&ablisse a poste fixe a
Leipzig des le 18 de ce mois. Demain soir je serai rentre* a
FAltenburg.
73.
20 Aout [1859], Weymar.
Un e*ve*nement d'importance majeure pour notre vie a trois
de TAltenburg survient. C'est encore un demi-secret que je
vous confie. La P 0e88e Marie se marie avec le P c6 Constantin
Hohenlohe - Schillingsfttrst (frere cadet du Due de Ratibor),
major et aide-de-camp de l'Empereur d'Autriche. C'est un
homme de pres de trente ans, de sentiments parfaitement
comme il faut et tres bien ne' a tous e'gards. II a fait la
premiere campagne d'ltalie en 48 et a bien rempli son ser-
— 121 —
vice cette fois auprfcs de PEmpereur a Magenta et Solferino.
Son attachement pour la P ceS8a Marie est d'une entifcre since-
rite, et je suis persuade quelle trouvera dans cette union
toutes les chances et garanties de bonheur desirables. Le
mariage se fera ici, pen apres que l'agrement indispensable
des deux Empereurs sera obtenu, probablement au commen-
cement d'Octobre 1 ). D'ici la je ne pourrai pas quitter Wey-
mar, et j'ai du, a mon grand regret, contremander a Wagner
la visite que je m'etais promis de lui faire a Lucerne a la
fin de ce mois. Wagner sera probablement deja en route
pour Paris, ou il compte s'etablir pour quelque temps. (Test
ce qu'il y a de plus simple et de moins couteux pour lui
dans les circonstances donnees, et je l'y avais deja engage
l'anhee derniere, alors qu'il allait a Venise. II vient de ter-
miner son Tristan et Isolde (3 actes) qu'il est fort question
de representer en premier lieu a Carlsruhe en Decembre. J'y
serai sans doute, mais si cette representation se trouvait
retards, je tacherai de rejoindre Wagner a Paris pour quel-
ques jours, et dans ce cas passerai par Bruxelles.
Berlioz et M me Viardot viennent de m'inviter tr&s amicale-
ment a assister au Festival de Bade le 29 de ce mois. M me
Viardot y chantera le grand Duo du nouvel opera de Berlioz
les Troy ens 2 ). (Cet ouvrage est aussi entierement acheve
maintenant, mais n'a que pen de chance de representation
prochaine a Paris, a cause de la singulifcre position de Ber-
lioz vis-a-vis ou plutdt opposite, comme on dit en anglais, le
grand Opera.) On* me dit merveille de ce Duo que j'aurais
grand' envie d'entendre, mais cela ne suffira pas pour me
faire bouger.
En attendant ma vie se passe a travailler, a songer et a
prier. Je viens de terminer deux Psaumes : »Der Herr ist
mein Hirt« (traduction allemande de Herder) et celui si connu
1) Die Vermahlung erfolgte am 15. October 1859.
2) Bei ihrem ersten Erscheinen auf dem Pariser Theatre lyrique,
4. Nov. 1863, vielfach bekampft, erlebte die Oper nachmals (1869)
in Moskau und neuerdings in Carlsruhe unter Mottl, desgleichen
in Mtinchen, eine sehr erfolgreiche Wiederauferstehung.
— 122 —
»An den Wassern zu Babylon «. J'ai aussi passablement
agrandi et mieux proportion^ le Psaume 13 : »Herr, wie
lange willst Du meiner vergesseir?« que je publierai cet hiver,
en m&ne temps que la Lggende de S te Elisabeth que j'aurai
achev^e pour NoSl.
Je yous enverrai prochainement a Bruxelles mon volume
sur les Bo/iSmiens 1 ) qui vient de paraitre a Paris, avec 1'ar-
rangement a 4 mains de trois de mes asymphonische Dich-
tungen«. Vous trouverez ais^ment un partner pour le jouer. . — .
Cornelius est toujours a Vienne et a le projet d'y £tablir
cet hiver une sorte de nouveau Conservatoire, pour lequel il
voudrait gagner le concours de Bronsart et quelques autres
de l'^cole tres nouvelle.
Hans von* Btllow travaille trfes ardemment a son op^ra
» Merlin « et s'est enferm^ a Berlin (ce qui rime) a cette Jin.
J'attends beaucoup de lui; il a ce qu'il faut pour produire
un trfcs bel ouvrage. Son voyage de Paris de l'hiver dernier
lui a parfaitement r&issi, et il y retournera au printemps.
J'aurai a vous parler de tout autre chose qui m'int^resse
davantage — ce sera pour une autre fois. Pour aujord'hui
je voulais simplement vous donner signe de vie et d'invaria-
bilite. F. L.
74.
Merci de vos lignes et de 1'envoi de la photographie de
Wagner. Le petit buste de notre ami est constamment sur
ma table a 6crire. J'y ajouterai maintenant 1'image dont je
vous suis d'abord redevable, car comme il me l'6crit c'est
grace a vous qu'il peut disposer d'un second exemplaire.
La Princesse est partie pour Rome il y a une dizaine de
jours. La grande affaire de sa vie et de son cceur a enfra
trouv6 la solution favorable et legitime, qui aurait 6t6 obtenue
dix am plus tdt sans les pitoyables intrigues. Depuis deux
1) In deutscher Ubersetzung Band VI der Ges. Schriften.
— 123 —
mois la ntdlite de son mariage avec le P ce N[icolas] Wpttgen-
stein] a 6t6 r^gulifcrement prononc^e par les consistoires catho-
liques de Rnssie, dont cette question relive, et contresign£e
par FarchevSque m£tropolitain de P^tersbourg. Tout est done
a eet 6gard dans le plus parfait ordre, tel qu'elle le d£sirait.
Ce qui suivra depend de certaines convenances, qu'il n'y a
pas lieu de heurter on de ntfgliger maintenant. *)
Je comptais venir pour une couple de jours a Bruxelles
ce printemps, mais diverses obligations m'ont empech£ de
bouger d'ici. J'y resterai probablement tout Y6t6, car je doute
que la P cesae puisse revenir avant la mi-Juillet — et en
son absence je suis de garde a l'Altenburg. Quels sont vos
projets aprfcs Kreuznach? II serait trfcs aimable a vous de
m'en informer. Peut-Stre vous arrSterez- vous dans quelque
parage pas trop £loign6 de Weymar ou je pourrais vous re-
joindre et vous dire combien je vous demeure tr&s veritable-
ment affectionn£, reconnaissant et d£vou6.
28 Mai 60. F. Liszt.
75.
Une absence de plusieurs jours porte la faute du retard
de ces lignes, qui par elles-memes ont encore un plus grand
tort — celui d'ajourner le moment ou je pourrais me rendre pres
de vous. D'ici au 15 Juillet je ne quitterai point Weymar,
et si par hasard il survenait quelque changement, je vous en
informerai.
La photographic est ravissante ; dans son mutisme incolore
elle exprime pourtant un pen de cette grace intelligente et
diapr^e dont le charme est si irresistible chez l'original.
Merci mille fois de me l'avoir envoy^e ! . — .
• 1) Ausfuhrlichere Mittheilungen tiber die Vorkommnisse, die
Liszt's Vermahlung mit der Fiirstin schliesslich vereitelten, siehe:
aLiszt und die Fiirstin Wittgenstein von La Mara«, Miinchener
»Allgemeine Zeitung« vom 22. October 1893.
— 124 —
Le portrait de Wagner m'a fait trfcs grand plaiair. (Test
certainement le meilleur qui existe et je me reserve de le
faire multiplier par la gravure, quand une bonne occasion se
presenter a. En attendant les journaux annoncent la premi&re
representation du Tannhauser a Paris pour la fin de cette
ann£e. C'est un trait de bon gout de la part de TEmpereur
d'avoir commands cette representation — mais je crains fort
qu'il n'en revienne a Wagner quantity d' ennuis et de tracas,
qu'il aura de la peine a supporter simplement. A mon sens
Rienzi (avec quelques modifications et retranchements) s'adap-
tait mieux que le Tannhauser aux habitudes du personnel et
du public de POp^ra de Paris, qui n'admettront pas volontiers
que la guerre des chanteurs a la Wartburg se passe sans
chansons. Ce point a d£ja fait difficult^ pour quelques esth£-
tiqueurs allemands! Quoi qu'il en advienne, je suis bien aise
que Wagner reentende son oeuvre ; car pour lui c'etait un
jeune de Trappiste qu'il ne pouvait endurer plus longtemps
que d'etre priv6 de cette r^sonnance de son g^nie.
Vous a-t-il communique quelques fragments de Tristan et
des Nibelungmt II les chante a sa mani&re, qui est entrat-
nante et subjugue. Quant a l'ceuvre meme, je Fadmire comme
la plus sublime manifestation de Tart.
Si vous avez la grace de m'^crire, adressez simplement
Weymar.
A vous F. L.
19 Juin 60, Weymar.
76.
Votre proposition r^pond a ce que j'esp&rais; elle est ac-
cepts avec acclamation. Vers le 12 Juillet vous recevrez
quelques lignes (a l'Etoile d'or de Bonn).
A un moment perdu envoyez-moi le programme de votre
concert de ce soir.
T~ ~ J~ 1 A _ A 1 n /.. «... 1 TTT
— 125 —
charmer dn moins, la m&ne, oil il est impossible de rtyarer.
— Je vous remercie pour ma part de l'affection que vous
portez a Wagner et vous demande de ne pas vous laisser
dlcourager par ses lamentables rebuffades. II a un lourd
boulet k trainer!
A bientdt done.
Mercredi 27 Juin 60. F. L.
77.
La triste nouvelle d'un malheureux accident arrive* a ma
mere — les me'decins constatent une fracture profonde du col
du fe^nur — me faisait craindre que j'aurais a me rendre a Paris
aujourd'hui on domain. D'apres ce que mMcrit ma fille par
le courrier de ce matin il n'y a point de danger imminent ; car
henreusement la fievre ne s'en est pas melde, et Fexcellente
constitution de ma mere la soutient dans un e'quilibre assez
satisfaisant. Elle sera condamne'e a une longue immobility,
car la situation de la fracture interdit la pose de tout appareil,
et ce nest qu'a une immobility prolonged qu'on pent demander
Tespoir d'une gue'rison.
Pour le moment je ne partirai done point et resterai a
Weymar, oil, toute reflexion faite, il me semble qu'il serait le
plus simple que vous repreniez un pen vos quartiers a l'hdtel
de Knssie. Toutes vos connaissances sont en ville'ggiatura ou
aux eaux — vous risquez done l'ennui de ma soci^te" exclusive.
Permettez-moi d'esp£rer que vous le trouverez supportable.
Mille respect ueux et de'votionne's hommages.
14 Juillet 60. F. L.
78.
II est des beures qui ne s'enchatnent point et qu'on ne
pent renouer k d'autres. Leur sillon lumineux nous apparait
— t26 —
de leur insuffler une jennesse immortelle. Ainsi de Francesca
et dlsolde.
Merci de votre envoi de la brochure sur Sze'chenyi.
C'e'tait nn homme d un grand sens, d'une prodigieuse activite
et d un g6nie pratique, conscient des exigences de son temps
et de son pays. II a rendu d'immenses services k la Hongrie,
ou il jouissait tegitimement d'une popularity sans £gale jus-
qu'au moment auquel Kossuth prit le dessus par son parlage
et entratna la nation entiere dans une fausse voie. Nous
n'en sommes malheureusement pas sortis pour le moment actuel,
et je ne pre>ois guere de bons r£sultats de cette fievre chaude
de patriotisme exclusif, qui ne fait que semer le vent pour
recueillir la tempStel — Si Ton avait suivi 1'exemple et la
m^thode de Sze'chenyi avec consequence et loyaute", la Hongrie
serait certainement forte et florissante aujourd'hui; je crains
qu'il ne soit trop tard maintenant pour y revenir. Cet e*tat
des choses peut assur^ment convenir a dautres — mais ceux
d entre nous qui aiment sincerement leur pays s'en affligent au
plus profond de Fame! —
Pour ce qui est de Tauteur de la brochure, M r K. j'ai eu le
d&avantage de le connaltre plus qu'il ne pouvait m'etre agreeable.
C'est tout simplement ce qu'on appelle un gueux (ou mieux
ein Lump en all em and). Ce nonobstant et probablement a
cause de cela, il nest pas sans quelqu'influence dans la presse
et correspond entre autres avec la Gazette d 7 Augsburg. II
a beaucoup voyage* en Angleterre, en France et en Allemagne.
Son principal me>ite est d'avoir public un certain nombre de
traductions des poetes et prosateurs hongrois les plus renomme's
(Petflfy, VdrSsmarty etc.) et d'^crire force lettres a une foule
de gens plus ou moins celebres. Son veritable nom est B.
II l'a magyarise* sans parvenir a le rendre plus honorable.
En 48 il a sejourn£ assez longtemps a Weymar, en quality
d' agent de Kossuth soi-disant, et je me suis int£ress£ a lui,
parce que j'esp^rais qu'il parviendrait a amender sa vie par une
sdrieuse application au travail. Je m'£tais trompe" — et il m'a
recompense' des quelques bons services que je lui ai rendus, par
toute sorte de vilfoies ostensibles et cach6es. Je vous dis ceci
— 127 —
comme renseignement, car il est tres possible qu'il vous ar-
rive quelque beau matin, je ne sais ou, et s'intitule mon ami
intime. . — .
A mon retonr ici j'ai trouve* un mot tres aimable de M me
Kalergi, date* de Bruxelles, en r6ponse k mes lignes de re-
merciment pour sa gracieusetl positive et effieace k l'endroit
de la souscription des concerts de Wagner. Elle est k Paris
maintenant, revient k Baden par Lucerne le 15 Aout et
compte rentrer k Varsovie un mois apr&s.
Les nouvelles que je re£ois de ma mere continuent, Dieu
merci, k etre satisfaisantes. Blandine espere qu'on pourra la
transporter chez elle a la fin d'Aout. Je suis trfcs aise de cet
arrangement. A I'&ge de ma m&re il est bon qu'elle ne de-
meure pas seule, et comme non seulement ma fille, mais aussi
mon gendre Ollivier lui portent une sincere et vive affection,
elle se trouvera au mieux dans leur maison.
Si vous prolongez votre sejour a Bonn, ne voulez-vous
pas toire un mot a Hiller, en 1'engageant k venir vous voir?
Depuis Aix nous n'avons plus gu&re k nous revoir — mais je
n'en appr^cie pas moins toutes ses bonnes et agrlables qua-
lity, et m'imagine qu'il pourrait vous etre de quelque res-
source durant votre vill^ggiatura rh6nane.
Parmi mes collegues en musique c'est certainement un des
plus sortables et des mieux dou^s.
Je vous renverrai la brochure Sz^chenyi k Bruxelles a
moins que vous n'en ayez besom avant.
Au demeurant, je demeure tres enticement votre tres
affectionne* serviteur \
25 Juillet 60. Weymar. F. L.
79.
On me laisse toujours dans le meme vague par rapport a
ce que j'aurai k faire et k devenir cet automne, et l'hiver
prochain. Aussitdt le moment de me decider venu, je vous
en informerai. Les compromis et les tergiversations ne sont
pas de mon gout et je n'en accepterai point. Si pourtant on
— 128 —
vent me les imposer, je partirai trfcs simplement d'ici et aviserai
an rest*.
Qu'en est-il de la nouvelle de la grace accordle a Wagner?
C'est un journal de Prague » Bohemian, qui Fa rgpandue en
premier lien, ce qui parait assez strange ; car puisqn'ii s'agit
d'nn acte officiel dn Roi de Saxe, c'6tait anx journaux de
Dresde a nous en informer. La Gazette d' Augsburg confirme
a pen pres »im allgemeinen« ce qne la Bohemia avait mande*.
Je ne veux point £crire a Wagner a ce sujet, mais si vous
saviez qnelque chose de plus precis, je vous prie de me le
commnniqner.
Voici le Lied qne vons voulez bien me demander. Depnis
nne dizaine de jonrs je ne bonge pas de ma chambre et
travaille a nn nouveau Psanme : »Coeli enarrant gloriam Dei«,
dont Fintonation m ; a jailli dn cceur. Quand je l'aurai terming
j'irai passer nne couple de jonrs chez ma fille Cosima a
Berlin. — D'apres la derni&re lettre qui me parvient de Rome,
je n'attends la Princesse qn'en Septembre 1 ).
Votre commission pour Erard sera faite et je dirai qu'on
vons derive directement. Pardonnez-moi devoir un pen tard£;
mais je pensais tronver nn intermediate qni rendrait la chose
encore plus commode, et avais d'abord l'intention d'envoyer
Belloni chez M me Erard. Reflexion faite il est plus simple
qne j'gerive.
D'ou pent vous venir nn scrnpnle snr ce que vons me dites?
Toutes vos lettres sont d'nn charme extreme. Je m'y laisse
aller enticement et vous demande seulement indulgence pour
la sgcheresse et l'insipidite des miennes.
Dn reste vons me comprenez et devinez si bien qne je
n'ai qu'a me taire et a demeurer votre tr&s hnmblement
affectionne* et d^vone*
7 Aont 60. Weymar. F. L.
1 \ r*;«. l:«u tic x — < oai\ t» — r
— 129 —
Au moment de former, votre lettre du 6 Aout me par-
vient. Merci grandement de la citation M., qui est pour moi
d'un tr&s vif intSrGt. Lors m6me que mes opinions politiques
auraient le d£savantage de diflferer des vdtres, je me flatte
nSanmoins que nous nous entendons sur le fond des choses.
ConcSdez-moi seulement que Louis Napoleon est un grand
homme, a la taille de son Spoque, et le reste s'arrangera,
n'importe comment, ainsi que dit Sa Majesty dans sa lettre a
Persigny. A ce propos il y a un joli mot dans le Courrier
de Dimanche du 5 Aout: nCe nHmporte comment a du Stre
arrach£ a t expansion imp^riale par les preoccupations p^nibles
de p&iibles pressentiments.« — Mais dans le m&ne numSro
il est question d'un ordre du jour du Mardchal Magnan qui
gourmande les suicides assez frequents, a ce qu'il parait, dans
Tarm^e, et rappelle que Napoleon I. avait deja dit a sa garde :
»Un soldat doit savoir vaincre la douleur et la mSlancolie des
passions^ — Napoleon III n'y succombera pas, il faut resp^rer.
Puisque j'ai parte d'opinions politiques et fait des citations,
je vais me citer moi-meme.
En 42, S. M. l'Empereur Nicolas daignait dire de votre
tr&s humble serviteur : »Quant a ses cheveux et a ses opinions
politiques, je ne les goute point.« — Ce a quoi je me per-
mis de r^pondre a la personne, qui m'avait obligeamment rap-
ports ce propos: »Je n'accorde a personne le droit de me
traiter en imbecile, pas m6me a l'Empereur Nicolas. Or tant
que je n'aurai pas au moins trois cent milie hommes pour faire
connaitre mes opinions politiques, je m'en abstiendrai — et
c'est a tort qu'on m'en prSte.cc 1 )
80.
Voila bien des jours ScoulSs sans que je vous aie ecrit.
Je ne vous dirai rien des tristesses et des ennuis qui les ont
remplis pour moi. Vous avez suffisamment de ce bagage pour
votre propre compte! — Du reste je suis dans la ro^me ?T, ~
— 130 —
qu'alors que je vous ai vue. La Princesse ne reviendra que
vers la fin de ce mois, et ce n'est qu'alors que je me fixer ai.
II y a je ne sais quel mauvais sort attache a nos entre-
vues avec Wagner. II me donna rendez-vous pour le Lundi
13 Aout a Soden. Cela m'etait impossible — et je lui teie-
graphie que je viendrai le Jeudi 16. II me repond qu'il est
oblige de faire sa cour a la P cesse de Prusse a Bade et me demaude
de le rejoindre la aussitot, car il devait etre de retour a Paris le
Samedi ou Dimanche! — A part mon antipathie contre les
vilieggiaturas aquatiques et Baden en particulier, ou en cette
saison je ne puis sans grossifcrete echapper a quantity de
relations obligees, je vous avoue que la perspective de revoir
Wagner dans Tentre-temps de ses audiences chez la P ce88e d.
P., le Grand Due de Bade etc. avec raccompagnement inevi-
table des visiteurs de toute esp&ce, me seduisit peu — et je
lui ai en consequence ecrit que je l'approuvais fort de ne
pas n£gliger de remercier Leurs Altesses de la bienveillance
qu'elles lui ont toujours t£moign£e, et qui par la suite pourra
devenir encore plus profitable pour lui; tout en remettant
pour ma part a un meilleur moment notre rendez-vous manque
pour cette fois. Depuis lors je n'ai plus eu de ses nouvelles,
excepts par votre bonne lettre. Merci de la citation du
passage relatif au Tannhauser: comme vous je crains bien
aussi que notre glorieux ami ne se fasse passablement illusion
sur la nature de ses chances de succ&s a l'Opera de Paris.
II y a en lui quelque chose d'inconciliable avec les us et
coutnmes tr&s tyranniques de la scfene frangaise, et je doute
qu'il r^ussisse a leur imposer dfcs l'abord la tyrannie de son
genie. Quant a ti'ouver un berceau germanique pour Tristan,
je crois qu'il faudra qu'il se resigne a attendre que la repre-
sentation du Tannhauser a Paris soit pass£e. L' incident de
Carlsruhe a r£pandu une panique generale parmi les chanteurs
et cantatrices en Allemagne et Ton ne cesse de r£p£ter que'
— 131 —
fort de lui preparer ici les repetitions de Tristan, de maniere
a ce qu'il ne soit pas mecontent. Nous verrons plus tard ce
qu'il y aura a faire — et si d'autres scenes pins considerables
n'osent decidement pas s'aventurer, je lui reserve toujours
la notre, comme pis-aller.
Pendant les 5 jours que j'ai passes a Berlin (du 23 au
28 Aout) chez ma fille, nous avons de nouveau parcouru avee
Hans la partition de Tristan. C'est merveilleusement beau
d'un bout k l'autre, et je ne connais rien, qui se puisse com-
parer pour l'intensite d' accents, le sublime de r emotion.
A propos de choses extraordinaires, avez-vous entendu
parler du poeme Merlin Venchanteur qu'Edgar Quinet vient de
publier? — Jen ai lu une analyse fort eiogieuse dans le
Courrier du Dimanche, qui me donne envie de connattre
rouvrage que j'ai fait venir.
Un petit volume que j'ai relu avec deiice, c'est Champfort
(Maximes, Pens^es etc., pubises par Stahl, Collection Hetzel).
Si vous ne le connaissez deja, parcourez-le. On ne saurait
avoir de 1' esprit de meilleure sorte qu'il n'y en a la, a foison.
Entre cent autres, voici une pensee tres persuasive:
»Tout homme qui a 40 ans n'est pas misanthrope n'a
jamais aime les hommes.a
Quand vous reverrez ma fille Cosima (a laquelle j'ai beau-
coup parie de vous derniferement) , elle vous plaira. C'est une
rare et belle nature, et d'un grand charme de spontaneite.
Avez-vous appris par les journaux que je viens d'etre
nomme officier de la Legion d'honneur? Quelque lourdaud
demandait en allemand au Comte Mulinen (maintenant charge
d'affaires de France ici) pour quel motif ce temoignage de la
bienveillance de Sa Majeste m'etait accorde, ce a quoi il
repondit: »Weil der Herr Dr. Liszt eben Liszt ist.«
Malgre le desagrement que j'en eprouve, il faut que je
vou« mande encore que notre petit arrangement avec M me
Erard ne pent se faire maintenant, et il faut que je l'ajourne
jnsqu'a mon voyage k Paris. La clause du premier paiement
de 500 francs 6 mois apies l'envoi de instrument a mauvais
air et nous la modifierons. Ne m'en voulez pas, je vous
9*
— 132 —
supplie, de ce petit fiasco qui me contrarie fort, et ne retirez
pas votre indulgente bonte et affection a votre tr&s inutile,
mais trfcs sincfcrement attache serviteur
7 Sept. 60. Weymar. F. L.
81.
Je ne suis revenu que cette nuit d'une excursion a Son-
dershausen, ou j'ai passe une couple de jours en l'honneur
de la chapelle vraiment remarquable, qui se trouve rel£gu£e
dans ce coin de principaute. Merci de votre lettre toute
charmante et bonne. Vos informations politiques m'interessent
et le r£cit de la promenade aquatique avec chaussons de liege
a S* A. m'a beaucoup diverti. Soit dit en passant, les an-
tecedents de M r de Gallifet ne sont pas de nature a rassurer
particulifcrement sur la placidity de sa contenance envers un
galant, qu§l qull soit. Vous vous souvenez qn'il y a pen de
mois M r de 6. apostropha en ces termes le W^ is de Lauriston
(en plein theatre du Vaudeville, ou Lauriston lorgnait un
peu ostensiblement M me de G.), de manifcre a Gtre entendu
de tout le public: »Monsieur le General de Lauriston, vous
etes un f . . . coch . . .« II s'en suivit naturellement un duel
des plus acharn£s, recommence a plusieurs reprises . . . et
prealablement Gallifet avait pris soin d'apposer le sceau d'un
soufflet donne a Lauriston a son injure rimee — et peu de
temps aprfcs se trouvant de la suite de l'Empereur N. a
Baden, il chercha querelle a un des aides-de-camp du Prince
Regent, a propos d'Allemand et d'Allemagne, se rangeant fort
explicitement a Favis de cet ami de Champfort, qui au retour
d'un voyage en ce pays-ci disait : »I1 n'y a rien au monde a
quoi je me sens moins propre qu'a 6tre un Allemand.« Cette
altercation de Baden n'a pu etre etouffee que sur l'ordre ex-
pr&s et direct de l'Empereur; mais dans la circonstance dont
ii s'agit un pareil ordre ne suffirait peut-Stre pas. —
Wagner m'a ecrit une longue et excellente lettre qui m'a
fait grand bien. Je craignais qu'il n'ait pris de travers mes
excuses au sujet du rendez-vous de Baden. II n'en est rien
— 133 —
heureusement, et nous voici parfaitement comme nous devons
etre Tun pour Tautre. Je me plais a imagiuer que vous y
avez contribue* pour une bonne part, et vous en remercie de
tout coeur. Voici du reste sa lettre, que je vous prie de me
renvoyer — elle vous d^dommagera de rinsipidite* de ma
correspondance. De fait je ne puis encore vous dire quoi que
ce soit sur moi aujourd'hui, vivant au jour le jour aussi rS-
sigm que risolu par rapport k ce qui suivra.
Mon voyage k Paris n'est pas si improbable qu'il parai-
trait. Si en attendant vous voulez bien avoir la gracieusete*
de continuer k me raconter quelques-unes de ces histoires
»que vous racontez si admir able men t«, vous me ferez un ties
grand plaisir — et ce sera d'autant plus ggnereux a vous
que je n'ai pas de qaoi vous r^ciproquer.
Puis-je me permettre de vous charger d'une petite com-
mission? Je Tose k peine depuis que j'ai si mal rempli la
votre ; pourtant si vous trouvez sous la main le pamphlet de
Mirecourt sur Napoleon, veuillez me l'envoyer sous bande.
Je n'ai pu me le procurer qu'en allemand a Berlin, ce qui
ne fait pas l'affaire de la personne a laquelle je 1'ai promis;
car pour ma part vous pensez bien que je ne lis guere de
ces choses-lk! —
Btilow vient de publier un premier article sur les Lieder
de Lassen. Je vous Tenverrai avec le second la semaine
prochaine. II vient en outre de faire un tres bon arrange-
ment de TOuverture du Tannh&user a 4 mains, qui paraitra
bientdt ainsi que la partition de piano du Tristan.
On assure que le Cardinal Antonelli a dit tout derniere-
ment ce mot : »I1 faut etre imm^diatement supdrieur a toutes
choses, et savoir se dominer quand on a doming les autres«,
— reste k savoir maintenant de quelle maniere il joindra la
pratique k la th£orie.
Mille tendres respects et hommages de votre incurable et
invalide F. L.
25 Sept 60. Weymar.
Votre recommandation aux Debats pour W. lui deviendra sans
— 134 —
derate tr&s profitable lors meme que pendant quelque temps on
jugerait a propos de garder l'expectative.
82.
. — . Pardonnez-moi de ne pas vous parler d'autre chose ati-
jourd'hui puisque je vous ai parte de la seule chose, sur laquelle
je ne m'exprime qu'avec deux personnes (inevitables) et tr&s
laconiqnement d'habitude .... et laissez-moi simplement vous
remercier de votre excellente lettre, comme aussi du petit
courrier politique, aussi admirable que de coutume. Tant que
cela ne vous ennuiera pas trop, permettez-moi d ; user et
d'abuser de votre bonte a cet £gard. Sans compter que je
vis passablement en dehors du monde et que par consequent
je ne sais des €v6nements que ce qu'en disent les journaux
(quand il m'arrive de les lire, ce que je fais pen reguli&rement) ,
vous etes a beaucoup meilleure source d'information ; et puis
compliments a part, ii me semble que je saisis mieux le sens
des choses lorsque vous voulez bien prendre la peine de me
Pexpliquer.
Le secret de M m6 K. sera parfaitement gardd, quoique je
Paie su d'autre part encore. Elle m'a dcrit derni&rement quel-
ques tr&s aimables lignes de V., en me disant qu'elle sera a
P&ersbourg dans huit jours.
Je suis charm£ que vous soyez ddja en possession du piano
d'Erard. Puiss6-je venir Tessayer bientdt!
8 Nov. 60. F. L.
83.
Je me sentais d6ja passablement enftevrS alors que je vous
£crivais derniferement, et depuis je n'ai presque pas quittl le
— 135 —
train de me faire toute sorte de reproches de vous avoir 6crit
de si tristes choses 1 ). Vous me r£pondez avec tant de dou-
ceur et d'affection que je m'en sens tout p6n£tr£, et comme
le pauvre petit bticheron qui a inspire k George un si bon
sentiment de compassion et un si charmant mouvement de
g£n£rosit£, je me dis aussi »AUons.doncI« — et mes fagots
me semblent meme lagers! — Cet incident du bucheron me
touche profond&nent ; il me restera en m&noire, comme un
de ces navrants tableaux que le coeur seul peut peindre.
H61asl ni les mots ne savent dire, ni les couleurs exprimer,
ni les sons chanter le dernier sanglot de nos Amotions. C'est
un secret entre 1' amour et Dieul
Vous me parlez de Weymar, oil le 22 Octobre dernier on
a fait un Fackehug en mon honneur, qui a mis toute la ville
en £moi, k la suite de quoi le Gemeinde-Rath m'a nomm£ a
I 1 unanimity Ehrenburger de cette ville. (Par parenth&se, il y
a une vingtaine d'ann£es que pareil honneur m'avait 6t6 d£-
cernd par les Gemeinder&the de Pest, Oedenburg et Jena.)
Cela n'empSche pas que je ne vous donne parfaitement raison de
me trouver comme d£pay&6 ici; car gvidemment il m'y manque
le point d'appui n£cessaire. Tontefois si je suis reste a Wey-
mar une douzaine d'ann£es, j'y ai 6t6 soutenu par un senti-
ment qui ne manquait pas de noblesse, — l'honneur, la
dignity, le grand caract&re d'une femme a sauvegarder contre
d'inf&mes persecutions — et de plus, une grande id£e: celle
du renouvellement de la Musique par son alliance plus intime
avec la Po&ie; un d^veloppement plus libre, et pour ainsi
dire, plus adequat a l'esprit de ce temps — m'a toujours tenu
en haleine. Cette id^e malgr6 ^opposition qu'elle a rencontr^e
et les entraves qu'on lui suscite de toutes parts, n'a pas laiss6
que de cheminer un peu. Quoi que Ton fasse elle triomphera
invinciblement, car elle fait partie intSgrante de la somme
des iddes justes et vraies de notre dpoque, et ce m'est une
1) In Bezug auf die Erschwerung seiner geplanten Vermahlung
mit der Fiirstin.
— 136 —
consolation de l'avoir servie loyalement, avec conscience et
desinteressement. Si lors de ma fixation ici en 48, j'avais
voulu me rattacher au parti posthume en musique, m'associer
k son bypocrisie, caresser ses prejuges etc., rien ne m'etait
pins facile par mes liaisons pr£c6dentes avec les principaux
gros bonnets de ce bord. J'y aurais certainement gagne a
l'exterieur en consideration et en agrements; les memes jour-
naux qui ont pris k charge de me dire force sottises et in*
jures m'auraient vante et c6Ubv6 k Penvi, sans que je me
donne grande peine pour cela. On aurait volontiers innocents
quelques peccadilles de ma jeunesse, pour louer et relever de
toutes mani&res le zSlateur des bonnes et saines traditions de-
puis Palestrina jusqu'k Mendelssohn. Mais tel ne devait pas
etre mon lot; ma conviction etait trop sincere, ma foi dans
le present et l'avenir de Part trop ardente et trop positive
k la fois, pour que je puisse m'accommoder des vaines for-
mules d'objurgation de nos pseudo-classiques qui s'evertuent
a crier que Tart se perd, que Fart est perdu.
Les flots de l'esprit ne sont pas comme ceux de la mer;
il ne leur a pas ete dit: »vous irez jusqu'ici, et pas plus
loin«; tout au contraire: » l'esprit souffle ou il veut«, et Tart
de ce si&cle a son mot a dire, tout aussi bien que celui des
sifccles precedents — et il le dira infailliblement.
Toutefois je ne me suis jamais dissimuie que ma position
etait des plus difficiles, et ma t&che fort ingrate, pour de longues
ann£es au moins. Wagner ayant si vaillamment innove et
accompli de si admirables chefs-d'oeuvre, mon premier soin
devait 6tre de conquerir k ces chefs-d'oeuvre une fixite qui
se racine dans le sol allemand, alors que lui etait exile de
sa patrie et que tous les grands et petits theatres d'Ailemagne
craignaient de risquer son nom sur une affiche. Quatre ou
cinq annees cfentetement, si vous voulez, de ma part out suffi
— 137 —
ne sais quel accoudement impossible qui serait oomme la
pifcce de drap neuf sur le vieil habit, ou le vin nouvean
dans les vieilles tonnes .... Mais il s'agit de bien autre chose
encore, en v^rite, — et je tiens a justifier 1' inscription que
Wagner m a mise sons son portrait : » Du weisst, wie das werden
wirdU Aussi n'aurai-je point de rel&che tant que je vivrai.
Je ne sais pourquoi je me suis mis a vous parler de
choses que vous savez au moins tout aussi bien que moi. Ne
ponvant me livrer a la »manie des voyages* (par laquelle
M r de Talleyrand expliquait a M r Lazareff la campagne de
Russie de Napoleon I.), il parait que je suis pris de celle
de bavarder avec vous. C'est votre mot sur mon entourage
de » cretins « a Weymar, qui m'a remis sur la piste de mes
petits faits et gestes de ceans. Comme je vous l'ai dit cet
6t6, il est possible que j'y reste, mais assez probable que je
qnitterai.
Avez-vous lu dans les journaux que TEmpereur a envoys
le Grand Cordon de la Legion d'honneur au Grand Due? La
Gazette d' Augsburg du Dimanche 11 Nov. contenait une note
pen gallicane a ce snjet »aus Thtiringenct. Le Grand Due
a r£ciproqu6 par le Grand Cordon de son ordre du Faucon
que M r de Pourtalfcs, Ministre de Prusse a Paris, est cbargd
de remettre a Napoleon.
Je me fais vraiment conscience d'abuser de votre longa-
nimity en acceptant la continuation de vos courriers politiques
— et cependant je ferais un gros mensonge si je vous disais
qu'ils ne me sont pas trfcs agrdables. En particulier les nou-
velles du genre de celles de la compagnie anglaise du chemin
de fer a Naples (avec la prime de fusils pour Kossuth) m'interes-
sent vivement. Les journaux commencent a en parler
maintenant, mais trfes vaguement. Le Courrier du Dimanche
que je reflois me semble etre a assez bonne source d'infor-
mation de Tetranger. Dans le dernier numdro, 1 1 Novembre,
il y a une correspond ance de Wilna assez piquante, et j'ap-
prends d'autre part que la soci6t6 polonaise a fait a Wilna
comme a Varsovie acte d'abstention et d'absence, non seule-
ment par ses anciens gouts d'opposition, mais aussi sur quel-
— 138 —
ques mots assez significatifs, dits en passant aux Tnileries.
Vous le saviez sans donte.
Pardonnez-moi la naivete de vous envoyer par la m€me
poste » Weimar's Festgruss an Franz Liszt<r, il me semble
qu'il doit avoir sa petite place dans le boudoir dont vous
m'avez parl£. Voulez-vous quelques petits morceaux a 4 mains,
que j'ai publics dans l'entre-temps : »Kflnstler-Festzug zur
Schillerfeier 59 a, »Fest-Marsch naeh Motiven des Herzogs
Ernst von Coburg«, » Goethe -Marschir? Dites-moi comment
vous les faire parvenir — par Schott peut-6tre?
J'espere que l'6tat de sante* de Madame votre mere ne
vous donne plus d'inqui&ude.
Ma mere est en bonne voie de convalescence et a bien
supports son trajet en une sorte de litiere de la rue Penthie-
vre a la rue S* Guillaume, ou elle est maintenant e*tablie chez
ma fille, Madame Ollivier. Elle m'e'crit que Wagner a 6t6
quelque temps allite' par une fievre nerveuse. Savez-vous sa
nouvelle adresse? Eorivez-la-moi.
Embrassez tendrement George pour sa bonne action de la
part de votre tres vivement affectionne' et reconnaissant ser-
viteur F. Liszt.
16 Novembre 60.
Je ne relis jamais mes lettres a vous — s'il y a des mots
oublie's ou re'pe'te's vous y aviserez.
84.
[2. December I860. 1 )]
Votre lettre m'est parvenue une heure avant de partir pour
Berlin, ou je viens de passer trois jours en l'honneur de ma
petite-ftllQ. Elle a e'te' baptisde (par le Dom- Kaplan catholique
Fischer, qui remplit par interim les fonctions du Probst non
encore nomine*) dans la maison de ma fille (Anhalter Strasse 1 1),
Samedi a 4 heures. O'est dans ces m£mes appartements que
1) Das dem Brief fehlende Datum konnte nach einem vom sel-
ben Tage stammenden Schreiben Liszt's an Wagner (»Briefwechsel
zwischen Wagner und Liszt « II, Nr. 311) bestimmt werden.
t
— 139 —
j'ai vu mourir mon fils Daniel, il y a on an 1 ). En me'moire
de r affection que Cosima lui portait, elle a nomme' sa fille
Daniela, y ajoutant encore le nom de Senta qui correspond
pour elle k un type ide'al de la femme. L f association de ces
deux noms Daniela-Senta, harmonieusement strange, paraissait
encore pins singuliere k travers les prieres latines dn rite
baptismal. C'est la soeur de Hans, Isa, et moi qui avons
rempli 1' office de parrains.
Je n'ai presqne pas qnitte' ma fille dnrant ces trois jours
et ne me suis mis en frais de visite que pour Redern, le
Prince Latonr et Meyerbeer. (Ces trois personnages demeurent
Tun k cdtd de Tantre — Pariser Platz. Vous savez que TEm-
perenr a acquis an prix de 400 000 Thalers un h6tel pour
l'Ambassade de France — Pariser Platz. Le British Hotel
en est tout pres.) Ce dernier me dit qu'il avait deux operas
enticement terminus dans son portefeuille, et un troisieme
tres avance\ La nouvelle des journaux que la fameuse Africaine
sera donne'e de suite apres le Tannh&user k l'Ope'ra de Paris
ne m'a pas €ti confirmee par Tillustrissimo maestro — au
contraire il semble »pr6f£rer attendre.« (Vous vous souvenez
de ce charmant axiome du Quisinier par/ait : » le lapin demande
k Stre 6corehe* vif — le lievre prifhre attendreU)
Wagner vient de m'dcrire quelques lignes. II n'est pas
encore remis de sa maladie qui par alt avoir 6t6 assez se'rieuse.
Le nume'ro de sa maison n'est pas 9, mais 3, rue d'Aumale.
Je lui e'crirai ce soir, et lui enverrai un exemplaire de son
»Nibelungen-Ring« qu'il me demande. II vent publier cette
gr&nde ceuvre (le texte settlement), dont je ne sais comment
il ne lui reste pas un seul exemplaire. On en avait tire' 2 ou
3 cents exemplaires, mais qui n'ont jamais 6t6 dans le commerce.
Billow ira k Paris pour la l re representation du Tann-
hftuser — et j'espere y 6tre avant
1) Liszt's selten begabter, zu scbtfnsten Hoffnttngen berechtigen-
der Sobn, der in Wien juristischen Studien oblag, starb, 20 Jabre
alt, am 13. Dec. 1859 im Hause seiner Sch wester in Berlin in seines
Vaters Armen.
— 140 —
Vous recevrez par Schott les brimborions dont je vous ai
parld (a 2 et a 4 mains). J'ai chargd l'eMiteur de l'expddi-
tion, et a cette occasion il eut l'amabilite de me dire que ces
morceaux se vendaient passablement.
A Berlin M lle Jenny Meyer (une belle voix de Mezzo-
Soprano) vient de cbanter »Mignon« avec un sneers de Bis(\),
ce qui fera aussi vendre quelques exemplaires ! —
Avez-vous le temps de lire un volume de 200 pages (qui
contient une foule de citations classiques tres intgressantes),
intitule* Richard Wagner und das Musik- Drama von Franz
Mtlller (Regierungsrath in Weymar),? Je vous lenvoie. II
n'est pas douteux que Wagner n'en sera gu&re content. A
une seconde Edition je me reserve de faire retrancher un tiers
des citations, et de modifier quelques passages d une tournure
un peu provinciale.
Pour faire snite a vos courriers politiques (dont j'ai com-
munique* quelques passages k ma fille et Hans, qui en ont
6t6 ravis), dites-moi ce qu'on pense du changement ministeriel
en France, et du r&ablissement d'un regime liberal. A ce
sujet rEmpereur aurait dit: »Je n'ai jamais eu l'intention de
prendre ses liberty h la France — je les ai seulement em-
prunteesA (En d' autre s termes, je prendrai la liberty de donner
la liberty a la France quand elle sera mure pour cela.)
Votre combinaison des Debats pour Wagner est admirable
— pourvu que notre ami sache un tant soit peu comment
s'y prendre! —
Quand vous verrez M me de Coudenhoven, veuillez me
rendre le service de lui demander a quelle adresse on dcrit
maintenant a sa mere. Elle doit etre a Petersbourg, mais je
voudrais avoir toute s6curit6 que ma lettre lui parvienne.
La Princesse ne quittera pas Home de si tot. N'est-ce pas
M r de Montefiori qui represente la France k Bruxelles? C'est
un, cousin et ami de M r de Mulinen, que je continue de voir
ties souvent — et qui tranche singulierement sur mon
»entourage de cr£tins«. Son pere a 6t€ quelque trente ans
Ministre de Wartenberg — a Paris en dernier lieu. M r de X.
en sait surement long sur son compte. Voici une petite
— 141 —
anecdote. A la representation gala a TOp^ra aprfcs la revo-
lution de Juillet on chanta la Marseillaise. Tonte la salle se
leva a la strophe fameuse. — Mulinen senl resta assis. Le
parterre se mit a tapager. vLibertt des opinions k cria ou
plutdt cracha Mulinen sans bonger.
85.
17 Ddcembre 60.
Je suis reste enfoui sous un monceau de notes (non diplo-
matiques) toute cette dernifcre semaine. A la publication de
mes Lieder (dont je vous enverrai, ou plutdt apporterai le
7 me cahier) doit s'ajouter celle d'une douzaine de Manner-
Chorgesange, et je tenais a finir cette besogne avant NoSl.
Un de mes amis l ) m'^crivait au sujet de ces morceaux : »Wir
erwarten von Ihnen Manner-Chorgesange, welche Bierbruder
zu HalbgGttern umwandelnl«
Soyez indulgente et pardonnez-moi de ne pas vous avoir
remercie de suite de votre bonne, cbarmante et trfcs gracieuse
lettre. Je me suis pavane, comme de raison, a bon endroit
du courrier politique. Le retour de rimp^ratrice semble du
reste mettre un peu en defaut Texactitude de votre corres-
pondant. Mais qu'a cela ne tienne. M§me pour la vSrite
il faut distinguer la vdritd vraie des autres — a combien plus
forte raison ne faut-il pas laisser de la marge aux nouvelles
du genre de celles que vous avez la bonte de me communi-
querl Aussi continuerai-je de vous prier avidement de me
distribuer de temps en temps cette manne, dont mes rScentes
appetences politiques m'ont rendu si friand. Dans le ^village-
risidencea (»Residenz-Dorf«) que j'habite, il ne se passe rien,
et par consequent il ne se dit rien. II sera done ttfea chari-
table k vous de venir un peu a mon secours, afin que je ne
tourne pas trop ostensiblement au »cretinisme«l —
— 142 —
vous dirai verbaiement, si vous me le permettrez, sons pen.
Avant la mi-Janvier j'irai k Paris par Bruxelles. Puissiez-
vous k ce moment ne pas 6tre trop absorbed par vos imquil-
tudes filiates — et vous rel&cher un peu de vos devoirs
maternels que vous aecomplissez avec une ttaacite* exem-
plaire! —
Veuillez m'indiquer l'hdtel le plus rapproche* de votre
maison, car k 1' exception de F&is, que je dois consulter sur
quelques sources poudrtoses (qui serviront k mon travail de
Liturgie catholique), je compte bien ne voir personne autre que
votre Gr^ce serenissime, de laquelle je demeure tres invariable-
ment le tres humble et tres affectionne' serviteur
F. Liszt.
P. S. Wagner vient de m'e'crire quelques lignes. II est
encore fort soufFrant et me dit qu'il lui a e*te* impossible de
corriger les 6preuves du vRheingokk, qui parattra chez Schott
procbainement. A propos de Schott, je vous ai fait parvenir
par l^diteur Schuberth (Leipzig-Hamburg) les morceaux k
quatre maius dont je vous ai parte. R^clamez-les de Schott.
Voulez-vous que je vous envoie les »Quatre Po'emes d'optras*
de Wagner?
86.
Mon voyage de Paris est retards d'un mois, et ce n'est
que vers le 20 Fevrier que je serai k Bruxelles. Avant de
m'en aller d'ici j'ai plusieurs grosses choses k preparer pour
rimpression , ce qui me donne k faire par-dessus la t£te.
M me de Bttlow est k rAltenburg depuis une dizaine de jours;
— pardonnez-moi de ne pas vous avoir derit plus to% mais
comme j'6tais assez incertain sur ce que je ferai, je ne voulais
pas vous parler de ce que je ne savais guere moi-m€me. N«
— 143 —
annonce la l re representation da Tannhauser pour la mi-
Fevrier ; mais j'imagine qu'il y aura comme de coutume quelqu'a-
journement.
Entre nous soit dit, j'ai demands au G d Due la decoration
(du Faucon) pour Wagner, apres la representation du Rienzi
ici, a Noel. Monseigneur y semblait assez bien dispose. Au
risque meme d'un fiasco du Tannhauser a Paris, il me paraissait
bienseant que cette marque d'attention parvint a Wagner de
Weymar maintenant. Si c'est en pure perte, cela ne prouve
point que je me sois trompei —
Ne mavez-vous pas dit que vous voyez les M. a Bruxelles?
Comme il est fort lie avec Mulinen, j'irai probablement le
voir — a moins que les journ6es ne soient beaucoup plus
courtes dans vos contrees qu'ailleurs. Vous me renseignerez
sur ce point de l'astronomie.
Quand vous en trouverez le loisir, vous me ferez un grand
plaisir de continuer le courrier politique.
Avez-vous recu la musique a 4 mains par Schott? — 8i
non, je vous ferai faire une seconde expedition.
Tres a vous de sinceres hommages et affection
17 Janvier 61. Weymar. F. L.
87.
Vous 6tes vraiment d'une admirable bonte de m'ecrire ainsi
in extenso au milieu de vos chagrins et tribulations de famille.
Si mes vceux sont inutiles et mes remerciments insignifiants,
vous savez qu'ils proviennent du moins d'une sincere et vive
affection.
Je ne sais comment j'imaginais que vous aviez des rapports
frequents avec les M. ; mais puisqu'il en est autrement, je
n'aurai garde de m'y fourrer. Le souci de beaucoup de gens
a savoir ou on passera la soiree, m'a toujours ete inconnu,
et ce n est pas a Bruxelles qu'il me viendra 1 — II me faudra
travailier d'arrache-pied pour venir a bout de mes paperasses
d'ici au 15 Fevrier, et comme je vous 1'ai deja ecrit, le 16
j'irai chez le Prince Hohenzollern (a Ldwenberg) et le 19 je
devrai 6tre a Leipzig. Ce n'est done que la derniere semaine
de Fevrier que je ferai la connaissance de votre Erard.
Ma fille Cosima m'a quitte il y a 4 jours, apres en avoir
passe* une quinzaine ici. Elle serait tres charmee de vous
retrouver, et je me plais a croire que sa personnaliti assez
tranche^ vous serait agreeable. Sa petite fille (que nous appe-
lons plaisamment Cosma a cause de ses protuberances du cerveau
singulierement saillantes, qui lui donnent au berceau je ne
sais quel air de drdlatique ressemblance avec M r de Hum-
boldt) continue le systeme d'allaitement au biberon. Cosima
avait commence' par la nourrir, mais elle gagna une assez
forte maladie au bout de quelques jours, et le medecin et
M me de Bulow et Hans se sont absolument opposes a ce qu'elle
donnat suite a un zele de maternite qu'elle n'etait pas de
force a supporter. Pardon de ces details que je n'aurais
certainement pas songe a vous relator, si vous ne me les
demandiez expressement.
Hans ira a Paris pour la l re representation du Tannh&user,
dont les repetitions semblent devoir se prolonger au-dela du
terme indique d'abord. On raconte ici toute sorte de choses
peu agreables pour Wagner au sujet du desarroi dans lequel
cette nouvelle musique met les chanteurs et les musiciens
d'orchestre; mais je suppose qu'il y a au moins passable-
ment d'exageration dans ces on-dit Du reste ce n'est jamais
sans peine et sans vives contestations que les ceuvres nou-
velles d'une importance majeure sont par venues a prendre
leur rang. Gluck et Spontini a Paris, Mozart et Beethoven
en Allemagne ont rencontre des difficultes analogues a celles
de Wagner, et Handel a failli jeter tout bonnement une prima
donna par la fenStre, la Diva ayant declare sa musique in-
chan table. Cest le cas de se rappeler 1' adage de Salomon:
»Rien de nouveau sous le soleil«.
A propos de choses musicales, ne me prenez pas pour un
grossier, je vous supplie, si je me permets de trouver votre
bienveillante intention de persuader a F. de faire executer
quelqu'une de mes choses ni plus ni moins qu'absurde! A
la verite il m'a fait lui-m6me une proposition de ce genre,
— 145 —
et k plusieurs reprises, de la maniere la plus obligeante - —
mais je suis bien determine* k me hdter ires Imtement k eet
egard .... Si ce chapitre vous increase, je vous commu-
niquerai les demises de la position que je prends «t main-
tiendrai, quand nous nous reverrons.
Votre charmante anecdote Polignac- Mires m'avait 6t6 racon-
t£e, mais d'une facon beaucoup moins £l£gante. La version
que j'entendis attribuait k M r Mires exclusivement ce propos
fort spirituel: »J'ai da sang pour trois, de par la grace da
trots pour cent, a
Encore nne fois merci de tout cceur pour votre lettre et
tres invariablement bien k vous
24 Janvier 61. F. L.
88.
Je suis mortellement triste — et ne puis rien dire, ni
rien entendre 1 ). La priere seule me soulage par moments,
mais h&asl je ne sais plus prier avec beaucoup de continuity
quelqu'imperieux que soit le besoin que j'en ressens. Que
Dieu me fasse la grace de traverser cette crise morale et que
la lumiere de sa misdricorde reluise dans mes t^nebres ....
Ce matin Lassen est venu me voir. Nous n'avons parte
que de choses qui me sont devennes passablement dtrang&res
— pourtant j'ai e*te* pris tout k coup d'une telle desolation,
que je n'ai pu retenir de grosses larmes. Pardonnez-moi de
vous fatiguer de semblables inutility 1 Vous avez 6t6 souvent
douce et bonne pour moi, et je me laisse aller k vous parler
comme si vous eliez la pr^sente — ce qui, je vous assure,
ne m'arrive guere avec d'autres.
La consultation des me*decins a Berlin a 6t6 moins deTa-
vorable que je n'avais lieu de le craindre. C'est la cure du
petit lait (»Molken-Cur«) qui est d'abord ordonne*e k Cosima.
Vers la mi-Mai elle ira a Reichenhall a cette fin,
1) Ausser den unablassigen Kampfen, die ihm und der Ftirstin
das Leben ersohwerten, machte ibm die ernste Erkrankung seiner
Tochter Gosima grosse Sorge.
La Mara, Liszt-Briefe. III. 10
— 14G —
SHI se trouvait quelque pretexts — quelqu'un a recom-
mandei 4 , un journal on iih livre a envoyer — je serais bien
aise que vous e*criviez a Cosima* Nous avons souvent parle*
de vvqus a son dernier sejour ici, et si elle avait su comment
s'y prendre, vous auriez deja re9U une lettre d'elle. Son
adresse est H, Anhalter Strasse, Berlin. Je vous envoie ci-
joiiit un ^chantillon de son style, qui me parait assez remar-
quable, pour parler modestement. Ses faculty d' intelligence
se sont ties de>elopp£es ces dernieres anndes, et je lui crois
tout a fait l'^toffe dune femme extraordinaire. Elle 6crit
avec tine rare facility au courant de la plume et de la pens£e.
Remettez la lettre ci-jointe sons enveloppe, car je tiens a la
garder, . — .
Vous ai-je parle* du Livre de Job par Isa'ie, retrouvt, r6-
tabli dans son integrity et traduit litte*ralement par Pierre
Leroux? On m'en a envoye* seulement la preface, qui m'a
rendu singulierement de'sirenx de connaitre 1'ouvrage. Plus
que jamais je me sens d'aillenrs en disposition de relire ce
merveilleux livre. Je vous en parlerai quand je le connattrai.
En attendant il est surprenant que Leroux ait pu faire une
semblable de*couverte. Selon lui, a partir du 3 me cbapitre,
iln'y a que transpositions, interpolations, sens dessus dessous
et embrouillamini syste*matiques dans la version de la Vulgata
et les diverses traductions que nous posse*dons; la Cabale et
les rabbins ayant a dessein fait tous leurs efforts pour en
rendre le sens inintelligible. Leroux affirme qu'a 1' exception
des trente versets des 2 premiers chapitres, il n'y a pas un
verset sur cent dans toutes les traductions qui ont paru, qui
n'offre un faux sens ou un contre-sens.
Je ne vous parle plus de mon voyage a Paris qui est in-
d^finiment ajourne*.
Les nouvelles que je regois de Rome sont bonnes.
Quand vous trouverez un moment, ^crivez-moi quelques
lignes.
21 Mars 61. F. L.
Ne m'aviez-vous pas demande un petit autographe musical?
Est-il encore temps de vous l'envoyer?
— 147 —
89.
[Wol zwischen Ende M&rz und
Mitte April 1861 geschrieben.]
Vos »Psylles« et Vos »Nasamoniens« (renouveies d'Herodote)
sont admirablement trouves. Sans trop examiner jusqufc quel
point les Piemontais sont aptes a. joner nn role semblable It celui
des Nasamoniens, et quelle difference notoire il y aurait k
etablir entre la campagne »contre le vent du midi«, entre-
prise par les braves Psylles et la defense au moins fort le-
gitime du gouvernement temporel du S* Siege, 1' apologue est
d'une si frappante originality que je m'y laisse prendre. Seule-
ment si tant est que les choses tournent dans le sens que
vous preVoyez, je serais presque tente de vous dire comme
Voltaire a Frederic le Grand: »T&chez, Sire, de n'avoir pas
tant raisonU
Je vous epargne toute complainte sur les tristes jours que
vous venez de passer; vous savez que les miens n'ont pas 6t6
roses. Heureusement il y a beaucoup de mieux aussi dans
1'etat de Cosima. . — .
Voici deux bribes autographes ; s'il en faut davantage vous
n'avez qu'k commander. Je ne sais si je vous ai joue le
» Fragment cr de la Symphonie i>Ce qyllon entend sur la mon~
tagne*;*) cela a un caractere de priere recueillie, qui ne vous
deplaira peut-Stre pas. Quant au motif des Ideate, vous le
connaissez de reste.
11 me tient fort k coeur de reprendre ma correspondance
avec Wagner, suspendue depuis plus de 3 mois. Certes,
personne plus que moi ne pent lui §tre devout (comme on dit
banalement). Je voudrais seulement de facon on d'autre lui
rendre quelques bons services; mais malheureusement les
moyens qu'il faudrait pour cela ne sont guere k ma disposi-
tion II a absolument besoin de beaucoup d' argent; ou en
prendre? . — .
II est question d'un voyage en Allemagne de Wagner dans
1) Symphonische Dichtung von Liszt.
10*
— 148 —
Ie but d'organiser un grand festival, auquel on repr&enterait
Tristan sous sa direction. Carlsruhe serait designee de prefe-
rence a ioute Autre ville pour re'aliser ce projet, le Grand Due
et la G de Duchesse 6tant toujours restes fort bienveillants pour
Wagner, et tree admirateurs de son genie. Aussi Hans a son
recent sejour a Carlsruhe en a longuement parie avec Leurs
Attesses. II faudra voir ce qui en resultant. De mon cdte
j« t&che de determiner le G d Due de Weymar a inviter
Wagner a donner egalement sous sa direction le Tristan dans
le courant de la saison the&trale prochaine, et la dernie-re
fois que j'en entretins Monseigneur il y paraissait assez dis-
pose*. Seulement il me sera difficile d'obtenir un honorake
pour Wagner, qui corresponde a son d&ir — car la depense
qu'exigera la representation du Tristan sera deja tenement
considerable que lea largesses du G d Due xte s'etendront pas
beaucoup au dela.
Tout ce train musical, the&tral, editorial etc. etc. m'est
tres penible, et je m'en chagrine souvent a l'exces pour autrui,
Wagner surtout, sans pouvoir y remedier.
L'e'chauflfoure'e de Tannh&user a Paris ] ) ne simplifie pas
la situation ailleurs — toutefois on tiendra bon juaq'u'au
bout sans broncher et Dieu aidant le baubergeon se fera
maille a maille.
La legende de la belle et pure fontaine (dans le diocese
d'Uzes) qui changeait de place lorsqu'on y jetait de l'eau sale,
me ravit. Yous souvient-ii qu'en entendant certaine musique
ici, vous avez ressenti une impression analogue?
Je baisc vos deux blanches mains avec le plus tendre
respect. F. L.
90.
Esculape en personne n'aurait pu mieux faire que d'ordflnner
Kdsen a George. Comment va le cher enfant? Je le saurai
1) Wagner's Werk war bekanntlich am 13. Marz 1861 in der
Pariser Op6ra einer feindlicben Partei zum Opfer gefallen.
— 149 —
au juste dans une dizaine de jours, en venant vous faire ma
visite a Bruxelles. Mardi prochain (30 Avrilj je pars d'ici.
Quelques emplettes a faire me retiendront a Francfort une
couple de jours, et il me fandra aussi passer plusieurs heures
a Mayence (chez Scbott). Yeuillez done faire accorder votre
Erard pour Dimanche (5 Mai) .... D'apres votre recommanda-
tion je m'6tablirai a l'hotel Bellevue.
En ce moment Grosse (qui m'accompagne anssi a Bruxelles)
m'apporte votre courrier. Mille et mille graces de votre
admirable patienee et de l'abondante provision de renseigne-
ments que vous avez la bonte* de me fomrnir. Je no penae
pas qn'on en finisse de sitdt avec Rome; la barque de S*
Pierre poesede une foree de resistance a nulle autre pareiUe,
et TEmpereur est trop sage pour s'aventurer plus loin dans
une entreprise, dont les consequences £branleraient sa propre
autorite\ Du reste, qui peut savoir ou nous allons? —
Si par hasard vous aviez quelque cbose de presse* a me
communiquer, adressez hotel d'Angleterre, Francfort sur Mein.
Ty serai Mardi soir. Le Comte Mulinen, dont je vous ai
parley part avec sa femme et ses deux enfants avee le meme
train qne moi. Comme il a aussi quelques affaires a* Franc-
fort et a Bruxelles, nous sommes eonvenus que nous nous
arrangerons a l'amiable durant tout ce trajet, jusqu'a Paris.
Cosima a accompagne' son mari a Schwerin, il j a buit
jours — mais je presume qu'eiie est maintenant de retour a
Berlin et qu'elle vous aura deja ecrit. A la fin de Mai elle
ira faire sa cure a Reichenhall, ou je lui ai promis de la
rejoindre, et vers le 25 Juin je compte 6tre de retour ici.
A bientdt done — et encore merci de tout coeur pour
votre derniere lettre, qui augmente encore le poids de men
insolvabilite* vis-a-vis de vous.
25 Avril 61. F. L.
J'ai repris ma correspondance avec Wagner, interrompue
depuis trois mois — mais n'ai pas encore regu sa r^ponse.
— 150 —
91.
On me remet vos bonnes lignes et j'ai hate de vous dire
que j'accepte k coeur joie votre invitation pour Dimanche. Si
mes calcals sont exacts, je dois arriver meme quelques heures
avant que vous ne pr&umez, et il serai t tres gracieux k vous
de me r ^server dej& une demi-heure dans la matinee de Di-
manche.
Cosima m'^crit quelle a 6t6 ravie du present que vous
lui avez envoy 6. Elle l'a trouv6 a son retour de Schwerin
et ne tardera pas k vous en remercier.
Veuillez bien rappeler affectueusement au bienveillant sou-
venir de M r de X. votre tres respectueux et affectionne' serviteur
Mercredi, 1 Mai 61. Francfort. F. Liszt.
92.
[Paris. Zweite Maihftlfte 1861.]
Vos bonnes lignes du 8 et 15 Mai me sont exact em en t
parvenues, ainsi que la lettre d'un amateur d'autographes, M r
Powell (auquel je r£pondrai prochainement) , qui a eu le bon
esprit de m'adresser rue Belliavd. M r de X. etant parti pour
Londres, je me plais k croire que son indisposition n'a et6
que passagere et que notre excellent docteur n'aura pas eu
de trop grands efforts de science a faire en cette circonstance.
Ma mere supporte avec une patience exemplaire et une
parfaite e'galite' d'humeur son triste e'tat. C'est k peine si
elle re'ussit k se lever, ou plutot k se faire lever de son lit
pour se mettre sur un fauteuil, et probablement elle sera con-
damne'e aux be*quilles pour le reste de ses jours. Ma fille et
son mari sont admirables de soins et de deference affectueuse
pour elle. J'en suis vraiment touch e et y vois comme une
benediction de la Providence pour mes bons vouloirs, lesquels
meme k travels beaucoup de sottises ne m'ont jamais fait
entierement deTaut. Gr&ce k cet etablissement de ma mere
chez les Ollivier, je suis completement rassnre sur une even-
— 151 —
tualite" qui a la longue doit arriver for cement. Helasl (comme
dit M r de Vigny) qu'est-ce qu'un monde, ou Ton arrive avec
Vespoir de voir mourir son pere et sa mere!
Les photographies dont je vous suis redevable seront les
bienvenaes. Si vous vous en de'clarez satisfaite/ elles sont
ne'cessairement tres bien re'ussies; car je me flatte que vous
etes plus difficile en ce qui concerne ma triste figure, que je
ri'ai droit de Petre moi-meme. Demain matin je dois poser
chez M r Salomon, sculpteur et photographe en renom ici —
et vous apporterai ce nouvel exemplaire de ma facon, si elle
vient bien. J'y joindrai un relief photographie de Chopin que
Salomon m'a promis.
Mes relations avec mon gendre Ollivier que je connaissais
a peine, se sont 6tablies sur le meilleur pied d'intimit£. Cost
une nature a la fois integre, intelligente et passionne'e —
de plus, il a un charmant et rare sentiment de la musique ....
ce qui veut dire qu'il goute la mienne. Entre autres il a pris
en affection particuliere la phrase du Dante que vous con*
naissez.
Wagner sera de retour dans 4 ou 5 jours. — II a laisse*
quelques lignes pour moi avant de partir — le meme jour
que j'arrivais ici.
M r de Mulinen avec lequel je m'e'tais 6tabli dans une
petite maison meuble'e tres proprette, rue Castellane 5, s'en
est retourne' a Francfort avant -hier soir. II a, je crois,
obtenu ce qu'il de'sirait au ministere, un peu plus vite qu'il
n'y comptait. Son frere est toujours (l r secretaire et charge*
d'affaires par interim) a TAmbassade d'Autriche. J'ai dine*
avec lui en petit comit6 Lundi dernier chez les Metternich.
Gounod avait apporte* la partition de son »Faust«, et je lui
ai fait les honneurs de sa Valse pour dessert, la grande
satisfaction de l'auditoire.
11 est question de ramasser une assez bonne petite somme
pour Wagner, moyennant la representation de Tannhauser ou
Lohengrin sur toutes les scenes de l'Allemagne a son benefice.
Berlin donnera le branle, et les autres suivront. Cette idde
pratique est due a Timaginative de Pourtales, ou Hatzfeld,
— 152 —
— on de la P ces86 Metternich — ou mSme de la Reiue de
Prusse et de je ne sais qui encore. «Ty abonde potir ma
part — et il s'agit seulement de faire toueher a Wagner le
r&nltat.
Quant k notre ami Berlioz, il est trfes abattu et eaamerg.
Ses Troyens sont remis anx calendes greeques, et il ne par*
vient gu&re k se remettre de sa femme. Quel jeugl
Ce soir je dfcerai chez Gounod, et domain ehez Rossini,
qui m'a accueilli trfcs paternellement. Quoiqu'il pr£tende
n'avoir plus ni cheveux, ni dents, ni jambes, il conserve tou-
jours fort bonne mine et tout son esprit. II paraft qtfil a
compost plusieurs morceaux de piano intitules vbeurre frakit,
vpois cJUchesa et »pois verts « , t> macaroni a etc. Je les dlgusterai
domain soir.
Si je suis pr6sent£ k Sa Majesty ce sera par l'intermldiaire
de Metternich.
Vers la fin de la semaine proehaine je dirai k Grosse de
faire mes paquets. Vous recevrez de mes nouvelfos avant.
Bien tout k vous de coeur F. L.
Adressez les photographies rue Castellane, 5.
93.
II m'e&t impossible de fixer le jour de mon depart d*ici
— probablement ce sera Samedi ou Dimanche soir — en
tout cas vous recevrez un mot de moi 24 heurea avast mon
axrivge k Bmxelles.
Veuillez avoir la bont6 de remercier Monsieur de X. de
son tr&s aimable billet, auquel j'ai 6t6 fort sensible. Les
photographies me sont exactement parvenues et me semblent
trfes bien r Pussies. Je vous en apporterai plusienrs autres
faites ici, pour votre collection.
Bien k vous F. L.
28 Mai.
— 153 —
94.
Je ne re'ussis pas a m'en slier d'iei, ou j^ai tant et tant
d'anciennes connaiastances auxquelles se sont aj outers quelques
nouvelles.
Lundi je dinerai chez les Duebatel, et Mardi chez M me
de Rothschild (a Boulogie). Mercredi je voudrais passer
quelques heures avec ma mfcre et Bland ine, de maniere que
je ne serai que Jeudi a Brnxelles. S'il y avait changement,
je vous en informerai.
L'Empereur m'a tres graciensement nomme' Commandeur
de la Legion d'honneur.
Bien a vous F. L.
Jetidi seir — 30 Mai.
Je n'oublie pas vos autographes de Rossini et Berlioz.
95.
Wilhelmsthal, 20 Aout [1861],
Wagner m'a fait une veritable joie en passant une dizaine
de jours avee moi k FA It en burg. Le snrlendemain de son
depart eette maison a 6t6 ferrn^e et scel&e (11 A out). J'ai
encore pass^ 4 on 5 jours a YErbprinz pour achever le re-
glement de quelques comptes etc., et le Samedi 17 j'ai quitte"
Weymar pour un assez long temps.
Le Comte Benst m'ayant fixe le Dimanche pour Wilhelms-
thal, je me suis d'abord pr&ente" a Reinhardsbrunn. TAP de
Gotha est on ne pent mieux en e'quilibre d'esprit et d'humeur.
Je ne lui ai jamais vu aussi bonne mine, ni plus d'entrain.
Comme il s'entend de soi, il se rend anx manoeuvres du Rbin
— et s'y fera certainement remarquer.
II a parn dernierement (Broekhans, Leipzig) la 3 me edition
d'une brochure intitule »Der Herzog yon Gotha and sein
Volk(f von Edaard Sehmid t- Weiss enf els, suivie d'une iettre dn
Due. Si cela ponvait vous interesser je vons l'enverrai. Mais
d'abord veuillez me faire parvenir celle »/abriqueea rue Bel-
liard — et cela a ma nouvelle adresse : chez S. A. le Prince
— 154 —
Hohcnzollern k Lflwenberg (preussiscli Schlesien). J'y arriverai
apr&s-demain soir et y passerai une quinzaine de jours au moins.
Merci de renvoi de la brochure sur le discours de Deak,
dont la donn£e principale me semble parfaitement juste.
Ici j'ai eu l'honneur de rencontrer le Comte de Paris et
le Due de Chartres. lis sont venus faire visite k leur oncle
et tante, le 6 d Due et la 6 de Duchesse, accompagn£s da
C* 6 de Montgazon, G6ne>al Frollenveau, Capitaine Morlieu,
et s'en retournent demain en Angleterre. Le Due de Gotha
me disait, il y a trois jours, que le temps n'dtait pas favo-
rable k la musique — le serait-il davantage aux pr&endante?
Je n'en sais rien.
A propos de musique, avez-vous remarqu£ 1' article du 12
Aout sur la TonMnstler -Versammlung dans la Gazette d' Augs-
burg (Allgemeine Zeitung)? II coincide avec ce que je vous
disais k Kflsen. Comme vous recevez ce journal je vous en-
gage k rechercher ce numdro.
Wagner est reparti avec ma fille M me Ollivier qui est all£e
voir sa sceur Cosima, et qu'il a accompagnde jusqu'& Reichen-
hall. Je n'en ai pas de nouvelles depuis, mais il doit €tre en
train de faire renter k Vienne son Tristan dont il m'a an-
noncg la l re representation pour Octobre. Peut-Stre y serai-je.
En attendant je vais passer quelques semaines k Lowen-
berg — de Ik j'irai k Vienne ou j'ai encore quelques affaires
a r£gler. Je m'y occuperai de celle du terrain de Bonn que
j'ai remis aux mains de mon cousin, et dont je ne puis vous
donner des nouvelles que de Vienne.
Ecrivez-moi bientdt k LDwenberg.
Voici une petite photographic faite d'aprea la grande de
Salomon. J'ai remis la votre k M Uo Nicolas qui est repartie
pour la Russie.
Veuillez presenter mes tres affectueux compliments a M r
J3 . V J i i .
— 155 —
Wiertz a-t-il publie son catalogue? Envoy ez-le-moi avec
votre brochure.
Bien a yous de coeur F. L.
96.
Quoique je ne saurais me vanter d' avoir bien employ £
mon temps, ce dernier mois a passe tr&s rapidement. En
quittant Weymar, je ne savais trop ce que je deviendrai zu-
ndchst — et ne suis pas beaucoup plus avanc£ maintenant.
La tres aimable, et je puis meme dire, amicale hospital] te
du Prince Hohenzollern m'a retenu depuis trois semaines ici,
ou ma fille Cosima est venue me retrouver, et vient de passer
quelques jours. En me quittant elle m'a fait promettre que
je lui rendrai sa visite a Berlin, et comme elle me tyrannise,
et que je fais a pen pr&s tout ce que bon lui semble, j'irai
a Berlin aprfcs-demain pour y rester probablement jusqu'au
jour de sa f6te (27 Sept. S t8 Cdme et Damien).
La nouvelle dont vous me parlez est une nouvelle des
journaux. A ce sujet je vous r^pfcterai que je ne veux plus
ni rien croire, ni rien ddcroire. Quand il y aura quelque
chose de dgfinitif, je vous en informerai. Vous savez que
depuis plusieurs mois d6ja il n'y a plus aucun obstacle reli-
gieux a ce que cette nouvelle soit confirmee par le fait —
mais des raisons de convenance et de provision pourront n6-
cessiter un ajournement inddfini. — Voila pourquoi je ne
vous en parlerai que quand il y aura lieu. Sans etre aucune-
ment port6 a faire du mystfcre, ma vie entire s'dtant, pour
ainsi dire, jou6e a cartes dgconvertes, je suis pourtant en
cette circonstauce oblige a me taire plus qu'il ne m'est agr£-
able, vu les nombreux fils qui y sont enchevStr^s. —
Vous ai-je dit qu'avant mon depart de Weymar le G d Due
m'a nomm£ Ohambellan? Cela simplifie ma petite position en
cette ville, ou je ne trouverai moyen d'exercer quelqu' influence
qu'en 6tant directement avoud et un pen appuy6 par la Cour.
II est du reste entendu que je passerai au moins une annee
au loin — et j'h^site encore pour mon ^tablissement d'hiver
— 156 —
entre 1* Midi de 1* France (8* Tropes, chez les OlKvier, qui
sont 111 trfcs bien niches aux bords de la M6diterranrfe dans
un site qu'on dit ravissant) et Athene*, o& j'ai envie de
m'adonner aux Studes classiquesl — Je me deeiderai quand
j'aurai vu 8 t Tropez, a la fin de ce mois, comptant aller en
droite ligne de Berlin k Marseille.
En fait de nouveile politique il y en a une trfcs grosse
sua* le tapis = la toute fratehe entente eordiale de l'Angle-
terre avee la Russie. En savez-vous quelques details?
A Pdtersbourg il paralt qu'on murmure eontre le gaspHlage
entretenn par l'&ablissement et le fonetionnement de huit eovrs
= ceUgs des trots Grands-Dues, des quatre Grandes Duchesses
et de FEmpereur. Abondance de Mens ne nuit pas, disent
les una — et les autres impendent nil ne fant d'excea en
rien«.
La date du 18> Octobre (anmiversaire de la bataille de
Leipzig), ehois&e pwur le couronnement k Kftnigsberg est assez
demonstrative. Un officier prussien m*observa que*e'£tait une
r^ponse indireete a la manoeuvre ( de la bataille d'Auerst&dt
que PEmpereur Napoleon a fait exe*cwter Fan dernier an eamp
de Chalone — mais a mon seas il n'y a point de parity
moins encore de proportion entre ces deux choses. Les plus
coneiliants donnent pour raison de date du 18 Oetofere, fixde
pour le eouronnement k Kftnigsberg, FanniveTsaire de la nais-
sance du prince berdditaire de Prusse. II en sera ee qu'on
voudra.
Merci du petit extrait que tous avez eu la bonte* de me
faire dn 4 m6 volume des M^moires de W Guizot. Le terme
employ 6 par Giizot: » pendant notre commune retraite k Lon-
dres en 48 « est d'une d&ieatesse charmante; et le dogma-
tisme du P ce Metternicb, affirmant que ^jamais l'erreur n'a
appreehe' de sen esprit « encadre bien ee persosnage, tenement
eait dans le jus de ses certitudes 1 —
Dans le diseours de Sebmerling j'ai retreuvl avee plaiaar
la these de voire brochure sur Deak. II me semble qu'on
y jb /
s_ a. . 9* V
A '6 ' -rt^ : X
97.
Voire Mustque est entendue; elle r£soune souvent dans
mon &me.
Pas n'est besoin de voos dire qu'il n'y a guere en moi
grand changement, mains encore d'oubli. Seulement ma vie
s'ordonne plus simplement — et la piete* catholique de mon
enfance est devenue un sentiment rdgnlier et re'gulateur.
Pour un certain nombre de personnes la pie*t^ consiste k
bruler ce qu'on a adore\ Je suis loin de les bl&mer — mais
pour ma part j'incline et chercherai plutot k consacrer ce que
j'ai aims', et si vous me passez cette comparaison du tres
gran* au tres petit, je dirai qu'en cela je suis la m^thode
constamment usitde k Rome pour les monuments chr&iens.
Les magnifiques colonnes de S te Marie des Anges ne provien-
nent-elies pas des thermes de Dioclgtien, et le bronze du
Pantheon n'a-t-il pas trouvg son emploi dans le baldaquin de
l'autel de S* Pierre ? — On n'en finirait pas d'e'nume'rer de sem-
blables transformations ; car k chaque pas ici on est frappd par
les concordances du plan divin entre ce qui a 6t6 et ce qui
est et sera. Aussi je m' attache singulierement a Rome, ou
j'espfcre laisser mes os, et r^pete avec S 1 Bernard: »Ibi aer
purior, ecelum apertius, familiarior Deus!«
Puisque la Gazette d 7 Augsburg vous a appris ma demeure,
je vous envoie une petite photographie de la Madonna del
Rosario, ou j'habite le premier 6tage — travaillant et priant.
Vous avez change* de logis aussi. Ecrivez-moi sans mu-
slque, ou en sont vos affaires et preoccupations, et donnez-
L a Mara, Liszt-Briefe. III. 1 1
- 162 —
moi des nouvelles de M r de X. et de George et Charles qui
commencent a devenir de beaux messieurs. Je serais curieux
au surplus de connaitre votre point de vue sur les 6v£nements
politiques du Nord. Mes relations etant trfcs restreintes, je
ne sais que ce qu'en dit le Monitenr, auquel je me suis
abonn£ par conviction persistante, et deux ou trois journaux
que je lis de temps a autre. Si done vous daignez continuer
un peu vos illustres fonctions habituelles a mon benefice, je
vous serai trfcs oblige. Pour securite complete je vous prie
de prendre l'ennui de faire recommander les lettres a la poste,
de manifere a ce que je sois avis£ de leur arriv£e par un
petit bulletin prlalable, de la m€me fa$on que vous 1'avez
deja fait pour vos belles notes.
A bientot davantage. F. L.
30 Aotit [1863]. Monte Mario, Madonna del Bosario.
L'hiver dernier je rencontrais de loin en loin M r Kolb
(charge d'affaires de Wurtemberg) qui professe la plus haute
consideration pour M r de X., et m'assurait avoir beaucoup
appris de lui.
98.
Je suis en avance aujourd'hui, mais vous ne m'en voudrez
pas de vous tenir un peu compagnie a Ostende, oil vous
trouverez plus de loisirs qu'a Bruxelles. A vrai dire, je ne
m'explique gufere que vous vous laissiez prendre a je ne sais
quelle inquietude a mon sujet. Je ne suis, heias! que trop
monotone, par nature et par reflexion. Le temps des diver-
sions serait d'ailleurs pass^ pour moi, et si tant est que je
doive encore procurer quelque surprise a mes amis, il est a
esp£rer que ce ne sera jamais un mdcompte. Ghassez done
tons les blue devils d'alentour du » Monsieur Blanc « — et
laissez-moi vous remercier de coeur de vos lignes et des deux
photographies tres reussies, die mir manches schftn Getraumte
und Erlebte vergegenwartigen 1 Pour grossir encore votre
collection, beaucoup trop nombreuse deja, des portraits de
mon maigre personnage, voici deux photographies faites ici:
— 163 —
1'une d'apres un buste en marbre d'un sculpteur conrlandais,
M r Sax, et l'autre tout bonnement en bourgeois. Durant les
premiers mois de mon sejour k Rome, je m'etais pertinemment
refuse* It affronter une centieme fois l'op^ration de la photo-
graphic ; mais bientot un pari k discretion que j'ai malencon-
treusement perdu avec une tres aimable dame russe — Ma-
dame Milutine — m'a oblige de renoncer It ma prudente
abstention, et It i'heure qu'il est, mes images circulent par
douzaine, vu la tres flatteuse Emulation de messieurs les
photographes. Au surplus, chose plus etonnante, ma figure
a servi de pretexte k un second buste remarquablement
modeie par une muse It la fois poete, peintre, sculpteur,
anglaise, grande cantatrice et marine avec un banquier aussi
consider que considerable — Madame Cholmley. Si la poste-
rity ne prend pas la peine de s'apercevoir de mon existence,
du moins les contemporains n'ignoreront pas mon nez! —
J'accepte avec reconnaissance votre promesse de continuer
vos courriers d'autrefois; cependant je ne voudrais pas pousser
rindiscrdtion trop loin, ni aj outer un excedent de fatigue k
vos occupations habituelles. Convenons done que vous m'geri-
rez k peu pres une fois par mois ce qui se passe, et afin
que les lettres m'arrivent surement, veuillez bien toujonrs
les munir des cachets exig6s pour les lettres chargies. (Bei-
l&ufig gesagt, sprechen Sie mir auch von gewissen Dingen,
falls derartige vorkommen sollten, nur andeutungsweise — k
demi mot, par £gard envers la censure.) Quant It present,
mon domestique etant oblige de retirer les lettres It la poste,
il convient egalement de ne pas attirer l'attention par leur
volume .... pardon de ces details superflus 1 —
En echange de vos richesses de correspondance, je n'ai
malheureusement rien d'interessant k vous offrir ; ce sera done
une pure generosite de votre part, et que je recevrai comme
telle. Ma raison d'etre k Rome consistant en une seule per-
sonne, et celle-ci ne se jpaelant que peu du monde, je me
concentre sur quelques points fixes de sentiment, d'etutfe et
de travail. Jai acheve Yete dernier mon Oratorio d'Elisabeth
et passablement avance en dernier lieu celui du Christ que
11*
— 164 —
j'espere terminer avail t Paques. Aecessoirement mon bagage
de catalogue s'est augments de plusieurs morceaux de piano,
dn Cantiqne de S* Francis, et de l'arrangement des 8 Sym-
phonies de Beethoven, qni m'a €t€ demande* par H&rtel pour
sa nonvelie et splendide Edition des ceuvres completes de Beet-
hoven.
Parmi mes quelques relations, je vous nomme Monseignenr
Bonaparte, M** Nardi, et le Baron Felix Meyendorff, comme
lea voyant moins rarement que d'autres. M& 1 " Bonaparte vit
extrdmement retire^ ne va jamais dans le monde, et se desin-
vite meme chez ses freres quand il y a d'autres personnes
que les membres de sa famille. C'est nn pr&at d'une tres
sincere pi&£, d'une instruction 6tendue, et dun esprit des
plus fins et jndicienx. La sympathie bienveillante qu il me
tdmoigne, ainsi que son admiration a l'nnisson de la mienne
pour son cousin m'attachent beanconp a loi. On aura bean
faire et dire contre l'Empereur, il restera le grand homme
d'une grande £poque. — Nardi qni n'est pas absolument de
cet avis, a pris le contrepied de M* r Bonaparte et se montre
beauconp dans les salons diplomatiques et antres. 11 a figure*
dernierement an congres de Malines; en avez-vous entendu
parler? — Meyendorff (neveu de l'ambassadeur a Berlin et
Vienne) a passe' de Stuttgart a Rome en quality de premier
secretaire d'Ambassade. II a, ce me semble, tout ce quil
faut pour faire naturellement excellente carriere. Sa femme
(une des fi lies du Prince Gortschakoff de Yarsovie) joint a
beaucoup d'autres agrgments celui dun talent fort original
sur le piano.
Merci encore une fois de votre lettre. Soyez entierement
rassur^e sur le bon emploi de votre temps, quand vous vou-
drez Men m'6crire, et ne me soupconnez plus d'etre autre-
ment que je ne suis et serai toujours — c'est-a-dire
votre tout affectionne' et d^voud serviteur
F. Liszt.
(Monte Mario, Madonna del Rosario.)
19 September 63.
(Adresse: via di Mare, par Marseille.)
— 165 —
99.
Je suis tout confus den appeler encore a votre indulgence.
Plus vous voulez bien m'en assurer et moins je voudrais y
recourir. »Apres les reproches quoi de plus inutile que les
excuses?* dit quelque part Daniel Stern. N6anmoins, puis-
que vous ne me faites pas de reproche, permettez- moi de
m'excuser d'etre rest6 si longtemps sans vous remercier de
votre tres charmante et ravissante lettre, a laquelle vient se
joindre ce matin une seconde de meme nature. (Ich fuhle
das besser, als ich es zu sagen vermagl) De grace, ne me
punissez pas en me retirant vos gracieuses lib^ralitea. J y
corresponds, vous le savez, par une intime reconnaissance ....
trop intime meme, puisque je ne sais pas vous l'exprimer
comme il faudrait .... mais non moins vive et veritable pour
cela. Le fait est que depuis trois semaines tout mon temps
a 6t6 pris par une masse de petits devoirs plus pdnibles a
remplir que les gros. Je vous en 6pargne la fastidieuse e'nume'-
ration, et me borne a vous dire que je n'ai pu e'crire une
seule note dans Fintervalle de vos deux lettres, abstinence qui
commence a me fatiguer singulierement le cerveau.
Le Pere Theiner a 6t6 charmd du message que je lui ai
fait de votre part et vous conserve le souvenir le plus cor-
dialement affectionne\ II m'a parle' avec tendresse de vos
tendresses re'ciproques a Londres, alors que vous Itiez deja
line grande personne de 6 ans! et avec admiration des pro-
digieuses faculte's d'intelligence de M r de X. Une affaire im-
port ante obligea le R. P. Theiner a se rendre a Paris le
18 Octobre et l'y retient encore. II s'agit d'une immense
publication catholique, dont la direction lui est confine, exi-
geant un capital de 500 000 francs, tout assure 4 a l'avance.
Aussitdt qu'il sera de retour — avant la fin de ce mois —
j'obtiendrai de lui le chapelet que vous d6sirez et vous l'en-
verrai par une prochaine occasion de Paris. Ce petit objet
de devotion vous rappellera ainsi une amitie' d'enfance en
meme temps que les mois de re'clusion et de musique que
vous avez passe* a Weimar.
9
— 166 —
En ee moment on n'est occupe* a Rome que dn manage
de M T de Kisselew avec une beauts fort en renom, Donna
Francesca Torlonia (n£e Ruspoli — veuve sans enfants depuis
plusieurs ann^es). Ind6pendamment de la position sociale du
nouveau couple, la question des manages mixtes et des diffi-
cult^ qui y sont attaches ont une bonne part dans la cu-
riosity indiscrete du public. La Dame est partie de nuit,
Mardi dernier a l'improviste pour Terni, ou son frfcre vient
a sa rencontre pour la conduire a Paris ; le Monsieur quittera
Rome la semaine prochaine Le manage sera ceiebre* a
la chapelle grecque de Paris en premier lieu; ensuite dans
quelque ^glise catholique d'Allemagne ou de Suisse. On assure
que M r de Kisselew ne sera plus autorise" a revenir a Rome en
quality de Ministre de Russie apres la ce>e*monie matrimoniale,
et il parait meme que le S* Pere s en serait exprim6 dans ce
sens a 1' audience du Prince Latour qui remit ses lettres de
rappel.
M r de Meyendorff, que je vois assez sonvent, se trouverait
ainsi par intSrim charge* des affaires de la Legation. M r
Moukhanoff (secretaire de l'Ambassade russe a Constantinople)
me dit hier soir que son frere passerait probablement une
couple de mois ici cet hiver, avee sa femme (M me Ealergi).
J'attends aussi tres procbainement une autre illustration sociale
et artistique — la P** 886 Marcelline Czartoryska *) .
Pour ne pas manquer la poste directe par le bateau qui
ne part qu'une fois par semaine, je remets a un autre jour
d'autres menus details. Merci encore mille fois du courtier
(dont j'espere la continuation) et de tout ce que vous voulez
bien dire a
votre tout de>otionne* serviteur F. L.
Rome,Samedi 7 Nov. 63.
(Monte Mario — Madonna del Rosario.)
1) Einstmalige Schiilerin Chopin's.
— 167 —
100.
Comment reciproquer ? Que faire ou que dire pour corres-
ponds k tant de gr&ce, de bont£, de patience, de charme
et d' esprit? Yous me condamnez force'ment a une sorte d'in-
gratitude, quelqu'aversion que le mot seul m'inspirel Puissiez-
vous du moins ressentir quelque douceur k me dispenser ainsi
vos largesses, et soyez tres assured que je m'entends mieux
k recevoir qtik donner ou rendre. Le beau merite, n'est-ce
pas? mais il y a de votre faute s'il ne m'en reste pas d'autre
k r£clamer. Toutefois yous me feriez tort de supposer que
j'ai d&appris notre petite cabalistique enfantine du KarU-
Hatz 1 ). L'apparition ne s'est pas ^vanouie; — je vous vois
et vous entends toujours de m£me. A cet endroit mon coeur
ne vieillit pas; malgre' les ombres qui s'y sont amasse'es de-
puis, le double chiflre 2 ) garde pleinement sa magie lumineuse.
tTen appelle k votre vprteomption* pour ne pas me contre-
dire .... et nous continuerons ce chapitre quand nous nous
reverrons — l'ann^e prochaine. Deux obligations de diverse
sorte me d&ermineront probablement k m'absenter de Rome ce
printemps ; je n'en parle guere encore et vous prie de m'imiter
snr ce point; mais quand le moment sera venu, je vous aver-
tirai. Du reste , je vous l'ai d6jk dit , l'idioayncrasie contre
les voyages est k l'6tat chronique chez moi. A quoi bon se
trimbaler? Madame de S6vign6 avait bien raison de dire »qu'a
moins d'etre ambassadrice il ne fallait pas remuer ses os«.
Or je suis rdsolu k laisser les miens id, sans leur plus im-
poser d'inutiles fatigues.
Le Pere Theiner a rempli votre d£sir en obtenant la Bene-
diction du Saint Pere pour votre chapelet. Je vous l'enverrai
par la premiere occasion et y joindrai une assez bonne gra-
vure de Pie IX (avec une inscription autographic^) auxquels
vous trouverez une bonne place dans votre salon. Chapelet
1) D. h. wahrend der musikalischen Studien der EmpfUngerin
in Weimar.
2) Wol das A. A., mit dem Liszt seine Briefe unterschrieb.
- 168 —
et portrait vous parviendront par M r Franchomme (rami de
Chopin), qui est venu a Rome pour faire visite a la P ce8Se
Marcelline Czartoryska et re tour n era a Paris pour le jour de
Pan. Quand vous les aurez re^us (ou meme avant) dcrivez
un mot au R. P. Theiner que je lui remettrai. II est tres
occupy maintenant de la nouvelte Edition du Barmiw x ) avec
les continuateurs, y compris Theiner lui-meme, qui sera pu-
blic a Paris et formera de 40 a 50 volumes in-4°I — En
outre il continue ses in-folios des » Vetera Monumenta histo-
rica« et prepare un b we volume de Documents tres eurieux
sur la Pologne, pour ne pas laisser chdmer la Typographie
vaticane qu'il a e'tablie en-dessous de sa tourelle, jadis babite'e
par Galilee. Pour se garer da vantage encore des visiteurs
et derangements inopportuns, ii viendra vers Noel passer
6 semaines au casino des Peres de l'Oratoire, tout a fait
de'sert en hiver, et contigu a la Madonna del Rosario. Nous
nous arranger oils de facon a diner en tete a tete quotidienne-
ment, et si vous daignez me continuer vos courriers, .ils four-
niront notre plus beau dessert intellectuel.
Quoique vous ne soyez pas assez au point de vue de
Fenthousiasme (qui a mon sens est celui de justice) pour
TEmpereur Napoleon, vos informations n'en sont pas moins
tres bien prises II me semble settlement que vous mettez
par trop TAutriche au pied du mur des sacrifices. Oester-
reich ist ziih, und man kann es nicht entbehren — ergo, il
faudra toujours, bon gre* mal gre, compter avec elle, ce a quoi
elle trouvera indubitablement son compte. On ne sait cela
mieux nulle part qu'aux Tuileries, et »le plus nouveau des
souverains« (comme M r Drouyn de L'huys qualifie N[apol6on] III
dans sa derniere depSche a M r de Cador) n'aura garde de s'y
me'prendre! —
En complimentant TEmpereur d'un plagiat S* Simonien,
M r Gue'roult s'est peut-6tre un peu trop avance* dans la forme
1) Rouiischer Kirchenhistoriker (1538—1607), einer der ersten
Schtiler des heil. Philipp von Neri, nach dessen Tod Superior der
von ihm gestifteten Congregation, nachmals Cardinal und papst-
licher Bibliothekar.
— 169 —
(je ne connais de son article que ce que vous m'en dites); mais
pour le fond il ne se trompe guere. Le Globe, devenu pen
apres la revolution de Juillet journal de la doctrine de S*
Simon, contenait efFectivement . differ ents modeles de lettres
li adresser aux souverains de l'Europe pour les convier k des
fins, assez analogues a celles que semble se proposer la lettre
de Napoleon; seulement »Duo cum faciunt idem, non est
idem et on s'en aper$oit j usque dans les tours du langage
qui dans le nouveau document n'est pas moins admirable que
le reste. Au risque de vous paraitre encore tres naif, je
vous avouerai que j'ai meilleure opinion de Futility pratique
de certaines ide^es prechSes autrefois par les disciples de S*
Simon, qu'il n'est d'usage de le dire dans les salons des
hommes d'Stat (vocable tres a la mode maintenant). »L' ame-
lioration morale, intellectuelle et physique de la classe la
plus nombreuse et la plus pauvre«, Sexploitation pacifique
du globe «, *la science associe'e a l'industrie, Fart relte au
culte« et la fameuse repartition »selon la capacity « ne me
paraissent pas de simples fantaisies vides de sens. Mais vous
me direz que je n'ai pas voix au chapitre, et je ne voudrais
pas trop me basarder a disputer avec votre sagesse, lors
meme que je la croirais un peu trop inclined vers le pole
nord. )>Attendons done les e>£nements « , comme dit le S l
Pere, et prions que le Dieu de patience et de consolation
nous fasse la grace d'etre unis de sentiment et d' affection les
uns avec les autres, selon 1' esprit de J£sus- Christ I —
II se fait k Bruxelles une correspondance diplomatique
autographiee, qu'on envoie sous forme de lettre aux » hommes
d'etat « et a ceux qui doivent en prendre la mine. Je suppose
que M r de X. est au fait des secrets de cet atelier ^infor-
mations. Parlez-m'en, et meme, si cela ne vous occasionne
pas trop de derangement, envoyez-moi un 6chantillon de ses
produits.
Voila notre ami M r de Ferrieres a Bruxelles. L'avez-vous
revu? — M r Moukhanoff (secretaire de l'Ambassade russe a
Constantinople), avec qui j'ai joue^ dernifcrement a deux pianos
la 9 me Symphonie de Beethoven et ma »divina Commedia«, me
— 170 —
dit que sa nouvelle belle-Boeur, Madame Kalergi, viendra
passer line couple de semaines dans le courant de cet hiver
a Rome. On parle aussi de M r Titof, en remplacement de
M r de Kisselew, dont le mariage avec Donna Francesca Tor-
Ionia ne fait pas augurer le retour.
M me de Btllow me donne d'excellentes nouvelles du succes
de la Soci6t6 de Concerts (sous le patronage du P ce Hohen-
zollern), fondle et dirige'e par son mari. La Kreuz-Zeitung
s'est aventure'e a en faire l'&oge sans trop de restrictions, et
le reste de la presse de Berlin »tend sinon la patte du moins
la queue «, comme me 1' e'er it Cosima, qui m'apprend aussi que
Wagner s'en retournera bientdt a Pe'tersbourg pour essayer
d'y faire une seconde moisson de roubles. A propos de
P6tersbourg, la Soci^te* philharmonique m'a invito re'eemment
a diriger deux de ses concerts dans la saison du Careme
prochain, oii Ton exe'euterait plusieurs de mes ouvrages tn-
comprisl N'en ddplaise a M r de Voltaire, ce n'est pas »du
Nord que me viendra la lumierea, si tant est quil doive
m'en arriver un rayon de quelque part, avant de mourir.
Aussi ai-je rgpondu a Messieurs de la Philharmonic de Pe'ters-
bourg, que je m'entetais a rester tranquille dans mon coin,
sauf a y travailler de devenir de plus en plus incompris.
Je vais faire venir le volume »Tristesses humaines« que
je vous remercie de me recommander, et dont je n'avais pas
entendu parler jusqu'ici. Si dans ces pages la trace de vos
tristesses se retrouve, je les aimer ai.
Mille amities a George et Charles, et bien tout a vous
6 Ddeembre 63 [Rome]. F. L.
101.
Je ne vous ai plus reparlS de mon voyage, vu I'inde'cision
dans laquelle je me trouvais sur le moment ou je me mettrais
en route. Ce n'est que ces derniers jours que j'ai pu fixer
mon depart d'ici pour la mi-Aout. Mon absence de Rome
s'e'tendra de quatre a six semaines. Durant ce temps il me
— 171 —
faut aller : d'abord a 8* Tropez — prier sur la tombe de ma
fille Blandine 1 ) — ; de la a Carlsruhe, assister a la 3 me »Ton-
kiinstler-Versammlung« , dont les concerts seront dirig^s par
M r de Btllow et auront lieu a la fin d'Aout. Vous vous rap-
pelez la part active que je prenais a la l 16 »Tonkttnstler-
Versammlung« en 59 a Leipzig, comme a la 2 de en Aofit 61
a Weimar. En bonne conscience je ne saurais meme a pre-
sent me refuser a l'insistance extreme de mes quelques amis,
qui par leurs efforts et leur denouement exemplaire tachent
de consolider et augmenter le peu de Bien musical que j'ai
essayti de pratiquer en Allemagne pendant les douze anne'es
de ma direction de la chapelle de Weimar. La tendance et
le but de »rAllgemeine Deutsche Musik-Verein« sont excellents ;
plusieurs de ses membres comptent parmi Felite des artistes,
professeurs, critiques, compositeurs et £crivains de 1' Allemagne;
le Grand Due de Weimar a accepts le titre de »Protecteur«
du Verein; — sans plus d' Enumeration il semblerait done qu'ii
n'y aurait qua aller en avant, et a etre franc du collier.
Cependant il reste beaucoup a faire pour aboutir a quelques
rEsultats effectifs, et j'ai promis de m'y employer cette fois
encore, sauf a ne point rEussir.
Apres Carlsruhe j'irai passer une semaine a Weimar et
peut-£tre a Wilhelmsthal ou a la Wartburg, si mon gracieux
maitre daigne me faire un gracieux accneil .... et a la mi-
Septembre je m'arrSterai quelques jours chez ma mere a Paris,
d'oil je reviendrai ici.
J'espere que vous voudrez bien me faire savoir a Carls-
ruhe, ou je pourrai vous entrevoir dans la premiere quinzaine
de Septembre. Avant de m'embarquer je vous e'erirai mon
adresse.
Comment vous remercier du petit chef-d'oeuvre sous forme
d'un dialogue avec Lord P., qui m'est parvenu hier? J'en
ai fait profiler une couple de mes connaissances, qui ont 6t6
presqu'aussi ravies que moi de » Donna Germania tournant
comme Galathe'e le dos a l'Autriche« .... du vpapillon r6ti«,
1) Madame Ollivier war im November 1862 gestorben.
— 172 —
et des charmes de Londres, » where yon are never glad or
sorry for ten minutes together «, tandis que »in the country
you are the one and the other for weeks a) — Je comprends
la /aim valle (mot noble pour frugale) de vos »six affamdsa,
et vous suis d'autant plus reconnaissant de prendre la peine
de me faire participer aux somptueuses ripailles que lenr
fournit votre correspondance. Mon chauvinisme a l'endroit
dun personnage que vous avez mainte raison de ne pas ap-
pr^cier a sa juste et trfes haute valeur ne fait aucun tort a
mon admiration pour la savante strategic diplomatique de ses
voisins, dont vous d£crivez d'une fa9on a la fois charmante
et precise les tours et les detours.
A propos de diplomatic, voici un mot touchant de Pie IX.
Un eccl^siastique fransais se propose de publier les actes di-
plomatiques du Saidt Sifcge durant ces dern&res ann£es. II
demande a cet effet 1'autorisation et les communications rela-
tives au Saint Pere, qui lui rdpondit, en montrant de la
main le crucifix plac6 sur sa table: »Ecco tutta la mia
diplomazia !«
L'e*tat de sante du Pape est beaucoup plus satisfaisant que
les journaux annexes ne le pr^ ten dent. Les m^decins les
plus comp£tents, italiens, fran^ais et allemands, sont d'accord
pour pronostiquer qu'il soutiendra la reputation de longe>ite
acquise dans sa famiile.
On pr6te un mot drdlatique a M* r de M^rode, qui du reste
est fort riche de son propre fond en ce genre. Le Baron
d'Ideville (secretaire de l'Ambassade de France) a pris en
gofit V auto-portraiture de ses amis et connaissances. La mdthode
en est fort simple et consiste a poser une quinzaine de ques-
tions, comme: »Quel est votre poete favori?* » Votre prosa-
teur?« » Quelle fleur« — »quel gouvernement aimez-vous?«
» Quelle* occupations prSferez-vousI « A cette dernifcre M&* de
M6rode aurait r^pondu, dit-on: t>Toutes } a ceile de F occupation
frangaise a Rome 1 « —
Avez-vous entendu parler de la lettre du Roi de Baviere
— 173 —
naire que la partition de Lohengrin. Autrefois on disait:
joC'est beau comme le Cid!«
Je Tai copide a votre intention et vous 1'envoie en y
joignant le programme non moins miraculeux de tout ce qu'on
verra et entendra de Wagner a Munich de 1864 a 1872! —
II y a plus de deux ans que je n'ai eu de nouvelles di-
rectes de Wagner; mais comme le voila heureux, je m'en
rljouis et le tiens pour parfaitement quitte envers moi.
Merci encore — et a bientot !
17 Juin 64. F. L.
Mille amities a George et Charles.
P. S. Si vous pouvez me procurer le Programme raisonne
des oeuvres de Wiertz (pardon de ne pas bien savoir l'ortho-
graphe de ce nom!) qu'il a public a Bruxelles, vous m'obli-
gerez beaucoup. Adressez-le-moi sous bande, ou mieux encore,
apportez-le-moi en Septembre, ou vous me direz.
Rem&iyi 1 ) a pass6 6 semaines ici. Son talent a remar-
quablement grandi. Cost maintenant un artiste de la plus
haute vol6e.
102.
II faudrait etre plus que mal appris et malotru pour ne
pas prendre un vif int6r6t a vos courriers diplomatiques.
Gontinuez done a m'en favoriser, avec la parfaite certitude
de me faire un grand plaisir de friandise intellectuelle, et en
sachant bien que je les re9ois comme une liberalite amabilissime
de votre part. Elle est dautant plus delicate que je suis
moins en mesure de vous fournir du rechange pour vos illus-
tres et augustes correspondances. Autrefois je me faisais
scrupule de vous oc^asionner ce surcroit de peine — mais
je m'aper^is qu'on s'habitue tr&s doucement au rdle de pa-
rasite, quand la table est exquise, et ne m'embarrasse pas de
Tlcot, auquel ma pauvret6 ne me permettrait gufcre de pr£-
1) Der beriihmte ungarische Geigenvirtuos (geb. 1830).
— 174 —
tendre. D'ailleurs vohs maniez avec une telle virtuosity le
clavier des incidents politiques, qu'on se figure que vous devez
vous y complaire. II n'en est rien probablement, car dans
Implication r adage » qu'on aime a faire ce qu'on fait trfes
biene est d'ordinaire fautif.
Votre expose de la crise actuelle en Angleterre. et de
1'endurance de Lord Pal. est frappant. La situation n'a rien
de flatteur pour le chef du cabinet — toutefois le gouverne-
ment n'en est pas r^duit, de beaucoup s'en faut »a £pouser
la scBur de sa veuve « (plaisanterie ravissante que je vous
remercie de m' avoir racont£e), et »01d England a continuera
de chanter son jo Rule Britannia «, meme a travers la r^forme
electorate qui menace a 1' horizon . . . Le grand jour viendra
plus tard et d'ici la il n'y a qu'a se bien preparer 1 II s'agira
aussi de quelques *trente-six gateaux a a partager, mais ils
couteront plus de 6 centimes chaque et adeux francs seized
ne suffiront pas. . — .
Passons a des choses plus humbles .et plus civilesl
La »Tonk1instler-Versammlungor dont je vous ai parte est
fix^e au 22 Aout et se prolongera jusqu'au 28 a Carlsruhe.
Si j'ai bien compris votre itin&aire, vous serez a Stuttgart
au commencement d'Aout. Veuillez done bien m'£crire deux
lignes a Carlsruhe (ou j'arriverai le 18 Aout et resterai jus-
qu'au 28), pour que je sache quand et ou il vous convient
le mieux de me rencontrer. Apres Carlsruhe j'irai passer
une quinzaine de jours a Weimar; a la mi-Septembre je re-
verrai ma mfcre a Paris et compte 6tre de retour ici au com-
mencement d'Octobre.
Jusqu'au 10 Aout adressez Rome. Je ne me m€le nulle-
ment de fixer le point g^ographique, ou je vous reverrai, et
me confie enticement a votre bon ge*nie la-dessus.
Si vous avez de bonnes nouvelles a me donner de votre
voyage a Stuttgart, parlez-m'en. Ici rien ne se passe, si ce
n'est que Rome ne passe point. Le S* Pere a retards la
villeggiatura que les m^decins lui conseillent et ne quittera,
dit-on, le Vatican, que pour une quinzaine de jours a la fin
du mois.
— 175 —
Contrairement a mes habitudes — qui deviennent de prin-
cipe in^branlables — je me suis enr61£ a deux excursions
dans les environs; et la semaine passde j'ai fait visite a M* r
Hohenlohe a la Villa d'Este (a Tivoli) qu'il est en train de
restaurer brjllamment et que son propri£taire , le Due de
Mod&ne, lui a c6d£e pour sa vie durant.
M* r Hohenlohe m'a parte de M r de X.
Merci mille fois de l'envoi du catalogue du Musde de Wiertz.
A en croire l'auteur Wiertz serait a la fois THercuie et
l'Apollon de la peinture. En tout cas son oeuvre tient du
prodige et la hauteur de son caract&re tranche dans le vif.
An revoir et comme toujours bien a vous F. L.
16 Juillet 64 (Madonna del Rosarioj.
103.
Ce n'est que tout dernierement que j'ai appris que les
tristes provisions, dont vous m'aviez entretenu a Caiisruhe ne
se sont r£alis£es, h&as! que trop tdt! 1 ) De quelque peu que
je sois dans votre vie, ce n'est pas aux jours de donleur que
j'en resterai absent. Accordez-moi done ma part d'ami dans
vos tristesses et acceptez ma pri&re pour celle que vous
pleurez !
Quand vous aurez repris vos habitudes, j'esp&re que vous
m'6crirez.
Je passerai tout l'hiver ici, et autant que possible en r£-
clusion dans ces chambres. Vers la' fin d'Avril il est probable
que je serai oblige de retourner a Paris pour trois semaines.
Veuillez me rappeler tr&s affectueusement au souvenir de
M r de X. et faire mes amities a George et Charles.
Bien a vous
Rome, 25 Octobre 64. F. Liszt.
Les cinq cachets deviennent superflus. Adressez tout
bonnement Madonna del Rosario. Monte Mario.
Le P re Theiner est gravement malade.
1) Die Mutter der Adressatin war gestorben.
— 176 —
104.
18 Nov. 64.
En vous dcrivant j'6prouve a pen pres le sentiment dont
voua vous plaigniez alors que vous aviez a me jouer du piano.
Que vous dire que vous ne sachiez mieux dire? Heureusement
vous voulez bien supplier a ce qui me manque d'habilete
d 1 expression et lire mes lignes comme j'dcoutais autrefois vos
Sonates de Beethoven. Si cette comparaison vous semble pax
trop vaniteuse de ma part, vous en trouverez une mienx
approprile a mon insuffisance.
George a une trfcs bonne id£e de se mettre au violon.
Pour pen qu'il y prenne plaisir je vous engage a ne pas Ten
dissuader. Si rigoureusement parlant, on pent mieux employer
son temps qu'a faire de la musique, on pent aussi le passer
plus mal. Sans €tre un Paganini, George tirera bon profit
de son petit talent — ne serait-ce qu'aux soirees dansantes,
ou le violon est indispensable pour satisfaire a la formule
consacr6e: »il y aura un violon !«
Ci -joint les , timbres - postes romains pour George — j*y
ajoute les meilleures photographies du S* P£re et du Cardinal
Antonelli.
Merci de votre g6n£rosit6, qui me vaut un si int£ressant
courrier politique. Les faits beiges me sont particul&rement
bien venus. Veuillez les continuer quand il y aura lieu —
et aussi me dire quelque chose du President de la Chambre
(dont le nom commence par Van . ). Je me suis trouvg
fort sot l'autre soir de ne rien savoir sur ce personnage, pas
meme son nom.
En fait de »chiachiere« (mot qui se traduirait mieux par
babil que par cancan) on raconte ici que le Pape aurait dit a
M r de Sartiges: aPuisque votre Empereur va diner avec
FEmnereur de Russie. il Dourrait bien venir une autre fois
— 177 —
Je regrette que lea prairies des T. et T. soient encore
tellement *6maiU6es de fleurs«. Quand quelque chose de plus
fructueux y poussera, je vous prie de m'en informer.
Cosima doit prendre son domicile k Munich du 15 au 20
de ce mois. J'attends de ses nouvelles. Si elle m'apprend
quelque chose qui puisse vous int&esser, je vous le commu-
niquerai.
Un mien ami de coeur, le P ce Marcellino a 6crit de tou-
chantes lignes sur mon #Ave Maria « que je vous envoie.
Vous y reconnaitrez le style des Fioretti de 8* Francois. II
serait doux de faire de la musique si elle 6tait souvent £cout6e
de la sorte! — Du reste je n'ai gu&re k me plaindre, et
dois me compter parmi les plus et les mieux favoris6s.
Bien k vous
F. L.
105.
8 te Agnfcs n'a pas 6t6 oubltee ce 21 Janvier. J'ai pass6
toute cette journ6e seul dans ma chambre, sans visite ni di-
version aucune. Votre bonne lettre m'est arrivge le lende-
main. L'accord enharmonique de Chopin que vous me citez
vibre toujours dans mon ame, et parfois les voix des anges
de Fra Beato s'y joignent
Mes compositions actuelles sont:
A. Une Messe (a capella — sans accompagnement) que je
me propose de dgdier au S* Pfcre. Elle sera terming dans
une quinzaine de jours 1 ).
B. La revision d'un gros travail liturgique, contenant les
offices de l'dglise de toute Fannie en Chant Grggorien, harmo-
nises k 4 parties. C'est un pr^lat romain qui a fait ce tra-
vail et k mon avis on ne pouvait mieux y r^ussir; car il
De se mele ni roideur ni fadaise ou faux gout k la gravity
simple et onctueuse du texte. L'auteur a employ^ plusieurs
ann£es k parfaire son ouvrage et m'a charge de pourvoir k
1) Missa choralis. Leipzig, Kahnt
La Mara, Liszt- Briefe. III.
12
— 178 —
la publication — ce qui [necessite divers soins prealables de
copie, de corrections et d'arrangements, dont jaurais a m'oc-
cuper le reste de cette annee et an dela.
Le Gomte Van der Straten merite tout eloge, et je me
rejouis sincerement da bon rlsultat de ses demarches. Esp£-
rons que l'affaire i>Mertilasn finira par abontir heareusement
anssi. Meme sur l'echiquier les » tours « se meuvent an pea
loardement; a pins forte raison vos tonrs de Ratisbonne.
Mais comme elles disposent d un certain terrain, il vaut Men
la peine de patienter.
Pnisqne nons en sommes a Iquivoquer sur les noms pro-
pres, je vous dirai que je n'ai nulle inquietude des confe-
rences de l'Empereur avec vVAbbS Langi*, qu'on assure de-
venir plus dangereuses apres l'Ency clique. Ma confiance en
I'incomparable personnage se maintient aussi inebranlable que
mon admiration . . . depuis quinze ans.
Passons a Munich. L'enthousiasme du Roi pour Wagner
est toujours] au m€me diapason — c'est-a-dire phenomenal,
quasi miraculeux. L'architecte Semper a 6t6 charge de faire
le plan du nouveau theatre qui sera construit expres (et selon
les indications de Wagner) pour la representation des Nibe-
lungen. Le Roi fait peindre un Nibelungen-Gang dans une
des galeries qui conduisent a ses appartements ; il a de plus
commande une Galerie Wagner, qui se composera dune dou-
zaine de peintures des principales scenes de Tannhftuser,
Lohengrin, fliegende Hollander etc., et fait publier par ordre
les oeuvres litteraires completes de Wagner, y compris ses
articles de journaux et autres ^lucubrations d'autrefois.
Tristan et Isolde sera represente probablement au mois de
Mai prochain (avec Schnorr et sa femme, Mitterwurzer et
Beck) et cela sous forme de repetition au theatre de la Re-
sidence devant un public invite. Cette idee de Wagner a
convenu au Roi, qui, dit-on, s'est montre sensible a lespece
de froideur avec laquelle a ete accueilli le » fliegende Hol-
lander « (qu'on n'a donne qu'une couple de fois).
— 179 —
trfes bien venir. M toe de Btilow, de qui je tiens ces nou-
velles authentiques, n'en a malheurensement pas de satisfai-
santes h me donner snr la sante de Hans. Les m^decins lui
ordonnent un repos presqu'absolu pour cet hirer .... Si vous
passez a Munich, ne manquez pas de les voir. lis demeu-
rent Luitpold-Strasse 15.
Parmi mes nouvelles connaissances d'ici je vous nomme
le P ce et la P C68se Caraman Chimay. J*ai plaisir k musiquer
avec eux, ce dont ils ne s'ennuient point. Les affaires diplo-
matiques du Prince (secretaire de la Legation de Belgique &
Rome) ne l'empgchent pas de cultiver son talent de violon;
aussi r£ussit-il parfaitement a faire honneur a ses maitres,
Blriot et Vieuxtemps. Quant a sa femme (n6e Montesquiou),
elle joue du piano a pen prfcs a la manifere de votre »Glanz-
periode« musicale de Weimar.
Les Montessui viennent d'arriver. Je les rencontrerai chez
la P cesse Czartoryska.
Merci de votre courrier. J'attends le m^moire que vous
avez la bonte de me promettre. M r de X. a-t-il parcouru
la brochure de Janssen (Francfort) »Kussland und Polen*?
— Cette question n'en finit pas non plus, comme l'affaire
»M6ndlas«.
Tout a vous de coeur
26 Janvier 65. F. L.
Le R. P. Theiner est passablement r^tabli, et vient quelque-
fois promener dans le jardin contigu a celui de mon curd de
la Madonna del Rosario.
106.
Je suis presque honteux de vous envoyer la bagatelle que
vous me demandez, surtout en retour du M&norandum, d'un
int&rSt si considerable que vous avez eu f extreme bonte de
me communiquer. Tout en gardant quelques reserves sur
l'imminence de l'avfoement ddmocratique, et de la situation
qui devra s'ensuivre — reserves qui tiennent sans doute a mon
ignorance et mon manque de pratique des affaires — je crois
12*
— 180 —
avec vous que »la foi nous sauvera de la servitude «, et an
pea plas qae vous, qu'&, travers le cours des sieves l'eglise
possedera toujours »sa puissance des traditions « en manifestant
»sa vertu des transformations^ selon qu'il y aura lieu.
Je suppose que c'est en particulier au Roi L. qae votre
Memorandum s'adressait. L'avez-vous envoye ailleors? Veuillez
me le dire I
Pour revenir h nos petites miseres de point d'orgue, j'ai
t&che de vous rendre aussi commode qae possible cette espece
de dentelle. Si vous en desirez ane plus compliquec, voas
l'aurez de suite.
N'oubliez pas que j'accepte comme one faveur des plus
amicales la continuation de vos courtiers, et ne tardez pas k
m'approvisionner de nouveaa. A defaut d'aatre plaisir, vons
y prendrez en bonne conscience celui d'une rentable gen^ro-
site, et dont je vons snis vivement reconnaissant.
Bien & vous
14 Fevrier 65. F> L.
107.
Je crois que vous ne serez gnere surprise de Faccom-
plissement d'une resolution prise depuis quelque temps dejli,
mais dont j'ai prefere n'informer que les trois personnes ab-
solument indispensables quelques jours auparavant,
Mardi dernier, 26 Avril, fete de 8* Marc FEvangeiiste,
je suis entre dans I'etat ecciesiastique, en recevant les ordres
mineurs dans la chapelle de M* r Hohenlohe (Archeveque
d'Edesse) au Vatican. Le S* Pere a daigne* me recevoir le
meme jour, et j 'habit e maintenant an Vatican an fort joli
appartement attenant k celui de M* r Hohenlohe que je me
propose de servir en fidele acolyte. II a 6t6 poar moi, en
tout ceci, d'une bonte parfaitement delicate et comprehensive.
La reconnaissance m'est done aussi douce qn'obligatoire.'
Dans une huitaine de jours je reprendrai mon travail
musical en continuant mon Oratorio du Christ (que j'ai 6t6
force d'interrompre k mi-chemin), et probablement k la fin
— 181 —
de Jnfllet j'irai It Pest, oil on executera ma *L£gende de S te
Elisabeth «. A mon retour ici je passerai par Munich (an
commencement de Septembre) et j'espere que vous ne serez
pas trop loin de la, de maniere a nous revoir nne couple de
jonrs. En attendant, je vous prie de m'6crire comme aupa-
ravant — mais afin que vos lettres m'arrivent plus prompte-
ment, veuillez y ajouter une seconde enveloppe a l'adresse
de » Monsieur Fortunato Salvagnia (mon valet de chambre) 89
Via del Babuino, Rome 1 ).
Quand vous n'aurez pas quelque chose de tres excep-
tionnel a me communiquer, il devient superfln de recommander
vos lettres, et un seul cachet suffit.
Rappelez-moi affeetueusement au bienveillant souvenir de
M r de X., et dites a mes amis George et Charles qu'ils n au-
ront pas a s'effrayer de me revoir en soutane — d'autant
moins qu'on me fait generalement le compliment de dire que
je la porte comme si je n'avais jamais portl d'autre v^tement.
Le fait est que je m y sens complement a 1'aise, et autant
heureux qu'il m'est donne* de Fetre.
»Deus charitas est, et qui manet in eharitate, in Deo
manet, et Deus in eo«l
Bien a vous
1 Mai 65. Vatican. F. Liszt.
Le P re Theiner a entrepris nn petit voyage a Naples.
Quand il sera revenu il est convenu que je lui demanderai a
dfner une fois par semaine.
Je vois quelquefois les Montessui et souvent les Caraman-
Chimay.
108.
Rien de plus doux, de plus tendrement aimant que vo>tx^
lettre. Je vous en remercie par les plus religieuses emotioi^g
de mon coeur. Laissez-moi espe'rer que la pense'e qui y ox*g
— 182 —
sans vous pricker, car il me sterait maL de prendre cet office
vis-k-vis de personne, et avec vous il serait d£plac£ jusqu'su
ridicule, attendu que vous en savez pins long que votre cur6,
malheureusement pour vousl — Vous n'avez besoin que d'une
chose: c'est la simple affirmation du Beau que vous sentez
si vivement. Elle vous donnera la pleine possession du Bien
que vous avez tant m^ritel —
Parlons tout de suite de M r George. Si effectivement il
montre un gotit et des dispositions prononc£es pour la musique,
il ne faut pas le contrarier. Malgre* mon pen d'illusion snr
les agr^ments de la carrifere artistique, je me ferais conscience
d'en d^tourner, quand la probability de s'y distinguer se ren-
contre. Pour George je vous engage seulement h ne pas
interrompre trop tdt d'autres etudes, de maniere & ce qu'il
apprenne bien ce qu'il faut pour faire de tons points honneur
k sa mere, par son instruction et son Education. Plus que
jamais 11 est n£cessaire aujourd'hui que Partiste soit double'
d'un homme d'intelligence , et sache un certain nombre de
choses en dehors de la pratique de son art. II ne suffit pas
d'etre un bon me'ne'trier, et on ne r^ussit meme plus k cela
si on neglige de garnir sa cervelle comme il convient.
A l^gard du professeur vous ne pouvez faire de meilleur
choix que M r Leonard *) . J'en parlais hier an Prince Chimay
(qui joue du violon avec gout et distinction); il me r£p£ta
ce que j'avais deja entendu d'ailleurs snr la parfaite 6cole
de Leonard et les excellents rtfsultats de ses le9ons. Vous
ferez done bien de lui confier George au plus tdt, en incul-
quant k Thieve qu 7 on ne vient pas au monde pour s'amuser,
et que pour bien faire, comme pour bien vivre, il faut mettre
sa passion dans l'accomplissement de son devoir.
Quand George sera plus avanc6, pr$tez-le-moi pour un
peu de temps. Je tacherai de lui faciliter la connaissance
— 183 —
Puisque vous voilk .de la meilleure fa$on tr&s au conrant
des affaires Langrand Dumonceau, je me permettrai de vous
prier de me renseigner occasionnellement an sujet du dernier
emprnnt pontifical. Monseignenr Danielik (chanoine-^veque)
qne je connais de Peat et que j'ai souvent vn ici, £tait vena
k Rome l'ann6e demise avec plnsienrs Beiges, pour n6gocier
de la part de L. D. cet emprnnt snr leqnel il m'intdresse
d'aeqn6rir des notions precises. S'il existe nn imprime qni
pnisse me satisfaire, veniilez me Penvoyer aussi.
M me de Montessni a fait nne excursion k Snbiaco (avec
les Montebello) et je ne l'ai pas revue depuis votre lettre.
Elle parait prendre Rome en affection, et compte y passer
l'hiver prochain. Quant au remplacement de M r de Sartiges
par Montessni, on n'en a fait que parler dans quelques salons
— et cela se bornera Ik probablement.
Merci de votre g£n6reuse promesse de me continuer de
loin en loin les faveurs de vos courriers; je les accepte avec
pleine reconnaissance.
Bien k vous
19 Mai 65. F. Liszt.
109.
J'aurais k vous sermonner snr le » sentiment de crainte
vague mais r£elle« dont vous me parlez dans vos derni&res
lignes et qu'il s J en tend que je ne puis admettre dans aucun
cas ; — toutefois comme il est bon de se sermonner soi-m&ne
avant autrui et que dans ce cas j'ai 6videmment p€che pas:
omission, je vous tiens quitte — sans g£n6rosit£ aucune —
et vous prie tout simplement d'excuser mon long silence.
Durant les mois de Join et Juillet j'ai du me preparer k mon
examen (des ordrea mineurs) que j'ai convenablement pass6
avant mon depart. Arrivd k Pest le 8 Aout il ne me restait
plus un moment pour ailleurs, et a vrai dire , la t&che que
j'avais k y remplir n'dtait pas petite. II s'agissait de mener
k bien trois grands concerts avec un personnel d'ex£cutants
et chanteurs de 500 individus en une quinzaine de jours.
Le 15 Aout a eu lieu la premiere execution de l'Elisabeth et
— 184 —
le 22 la seoonde. Dans I'entretemps le 17 a en lien le con-
cert des compositeurs hongrois: Erkel, Mossonyi, Volkmann etc.,
auquel j'ai dirigtf ma Symphonic dn Dante (qui par paren-
th£se a prodnit nne telle sensation que j'ai fait recommencer
tonte la premifere partie, de r Episode de la Francesca jnsqu'fr
la fin) et ma nouvelle version ponr orchestre de la Marche
de Rakoczy. A chacnn de ces concerts il y avak salle comble
de 1500 a 2000 anditenrs. Enfin le 29 Aoflt, en guise de
remerctment an public, j'ai donn£ nn dernier concert avec
Remlnyi et Billow (celui-ci jona admirablement nne de mes
Rhapsodies hongroises ponr terminer), dont le programme se
composait de 4 morceaux de piano ex£cut£s par votre tres
humble serviteur (mon S* Francois marchant sur les flots, et
la Predication aux oiseaux, TAve Maria romain et le Cantique
d'amour des Harmonies podtiques et religieuses), deux morceanx
de Rem^nyi et le num£ro final de Bttlow. La recette de ce
concert s'est glev^e a une quinzaine de mille francs, distribu£s
a divers institutions de bienfaisance, hormis les 5000 des-
tines en premier lien a la construction de la nouvelle £glise
de .Leopoldstadt a Pest. Les 4 concerts ont en lien dans le
meme local : la grande salle de la redoute, nouvellement con-
struite.
Hans et Cosima ont pass£ tout ce temps avec moi et m'ont
accompagng a Gran, ou nous sommes rested 24 heures chez
Son Eminence le Cardinal Primat, et a Szegszard chez nn de
mes anciens amis, le Baron Augusz, qui sous le ministere
Bach a jou£ un rdle important en Hongrie, comme President
de la Vice-Stattkalterei. II nous a fait la plus cordiale et
brillante hospitality pendant une semaine (du 2 a 8 Septembre) ,
apres quoi les Btllows sont retourn6s a Munich par Vienne,
et fnoi j'ai repris la route directe par terre (sans passer par
Vienne) de Venise, Bologne, Florence a Rome. Avant de
quitter Pest, on me dit que l'lnddpendance beige (N° dn
7 Septembre, si je ne me trompe) a public une lettre de
— 185 —
Bfllow avait 6crit pr^c^demment trois articles trfcs remarquabies
(eonime il sait les icrire) sur le m€me sujet, et qui contiennent
une analyse dtftaillde de F Oratorio de 8 te Elisabeth. lis ont
para en hongrois et en allemand dans les journanx de Pest,
et le journal de Brendel (*Neue Zeitsohrift fttr Mosiker) les a
reproduits dans le courant de ce mois (Septembre). Si vous
avez le temps de les lire, Schott vous les prStera on vous
les procurera aisdment. Demandez anssi de Schott mon »Hymne
du Pape« qui vient de parattre chez Bote et Bock, Berlin, a
2 et a 4 mains. Vous les dlchiffrerez sans peine.
Depnis 4 jours je suis reinstall 6 au Vatican chez M**
Hohenlohe que la ville et la cour s'obstine a complimenter
par avance sur sa nomination de cardinal .... au prochain
eonsistoire, en D6cembre. Le S* Pere est revenu en parfai-
tissime sante de la villeggiatura de Castel Gandolfo. II y a
rumeur de quelques changements qui s'eftectueraient avant le
nouvel an ; comme aussi de la calibration solennelle du jubill
de 18 sifecles de la chaire de S* Pierre a Rome, en 1866.
Je me remettrai au plus tot a mon travail et tacherai
d'avaqcer mon » Christ «, qui exige encore de 6 a 8 mois
d'application soutenue.
Les bonnes nouvelles que vous me donnez de la prosperity
des entreprises T. et L.G. D. me font grand plaisir et je
vous prie de continuer a me tenir un pen au courant.
Mille amities a George et Charles et tr&s invariablement
bien a vous
Vatican, 24 Sept. 65. F. L.
P. S. Parlez-moi de la brochure de M r Dechamps.
Si possible je ne bougerai pas d'ici de tout Phiver. L'ete*
prochain j'irai en Allemagne.
110.
Vous etes indulgente jusqu'a la g^n^rosite. Cela tourne
bien a ma confusion ; j'accepte pourtant .... heureux de me voir
aussi bdnignement puni. Que votre sainte patronne, dont c'est
aujourd'hui la fdte, vous en recompense!
Le memorandum que vous avez la bonte" de me commu-
— 186 —
niquer est fait de main de maitre. II faut avoir longtemps
pratique le manage des gouvernements et aide leur y>fabrique<*
pour les juger avec un tel discernement. En fait de raisons,
on n'en saurait produire de plus favorables k l'autonomie de
la Belgique: mais c'est Ik un de ees articles de foi politique
dont le nombre des fid&les decidera en fin de compte. Lea
intents et les passions ne se plient gufcre aux scrupules des
traites etablis et prennent le baut bont des Ivenements.
Vons demandez ce qui en est de la petite catastrophe de
Wagner k Munich. Elle s'explique par beaucoup de froisse-
ments, de preventions, de malveillances, de rancunes locales
et autres, auxquelles les imprudences p6euniaires de W. ont
malheureusement pr§te un lustre de loyaute et de devoue-
ment envers le Roi. Affubler maintenant Wagner d'un role
politique semble un bizarre caprice du sort: il en p&tira ce-
pendant quelqu'innooent qu'il soit sur ce point : et Montesquieu
avait bien raison de dire que si on l'accusait d'avoir vote les
tours de Notre Dame il s'enfuirait k toutes jambes. Le moyen
de parler raison k ceux qui ne veulent pas entendre ! . . . . Ce
qu'il y aurait de plus f&cheux dans ce deplorable incident
serait si Sa Majesty se laissait detourner de ses belles inten-
tions par rapport k la representation des Nibehmgen de Wagner.
Plus que toute autre, cette immense ceuvre mdrite de fixer
une royale bienveillance, car elle necessite des depenses et
des soins que le train habituel des theatres ne comporte pas.
C'est une conception gigantesque et sublime: il importe k
l'honneur de Tart allemand qu'elle soit connue: puisse le Roi
de Bavifcre se donner la gloire d'y pourvoir! —
Depuis quatre ans ma correspondance avec Wagner a
cesse. Peut-6tre le reverrai-je k Paris, ou j'arriverai les
premiers jours de Mars. La Messe (de Gran) sera executee
le 15 Mars k S* Eustache, et peu apres il est probable que
plusieurs de mes pogmes symphoniques se produiront k quel-
que concert qui n'est pas encore fixe.
Je vous envoie deux articles de YOsservatore romano sur
— 187 -
Vous ne me parlez point de vous. Je vous prie de r6-
parer cet oubli bientdt. Veuillez me rappeler affectueusement
an souvenir de M r de X. Mes eordiales amities k George et
Charles. J'esp&re les revoir ce printemps, aprfcs lenr premiere
communion.
Trfes invariablement, bien a vous
21 Janvier 66. F. L,
Je n'irai point a Londres — et il n'est gu&re question
de m'envoyer a Bruxelles. Pour Paris je compte y passer
six semaines — du 5 Mars au 15 Avril. Bon souvenir a
M r Leonard.
111.
Au proehain Consistoire, le 22 Juin, seront nommfo Car-
dinaux; Monseigneur de Hohenlohe, I'ArchevGque de Dublin,
M* r Matteucci et Consolini, et le Pfere Bilio, Barnabite. On
disait que M* 1 Lucien Bonaparte serait pourpr£ en meme temps
— mais cela n'est pas certain. Pour succtfder k W? Hohen-
lohe comme grand aumdnier de Sa Sainted, M* r de M^rode
est ddsignri. Selon d 7 autres informations Mdrode serait 6\qy6
k la dignity de Patriarche — ou a celle de Vice-Camerlingue
que remplissait M** Matteucci.
Par suite de sa promotion au Cardinalat M&* de Hohenlohe
quitte le Vatican et en attendant qu'il trouve un palais a sa
convenance habitera l'appartement cardinalice a XAmma (pr6-
cddemment habits par les Cardinaux Schwarzenberg, Reisach,
Rauscher etc.). Pour ma tres humble part, je retournerai
simplement dans mon ermitage du Monte Mario a la Madonna
del Rosario, oil j'ai pass6 prfcs de deux ann£es, de 62 a 64.
Fortunato est en train d'op6rer mon d&n6nagement, et d&s
aprfes-demain je serai r&nstalte la-haut. J'y continuerai mon
Oratorio »le Christ « que j'espere terminer vers Nofil, et tk-
cherai d'apprendre suffisamment de latin et de th^ologie pour
bien passer mon examen du Sousdiaconat dana 18 mois. Par
bonheur un pretre d'une rare distinction de coeur et d'intelli-
gence, professeur au S6minaire de S* Pierre et a la Propa-
— 188 —
gande, Don Antonio Solfanelli, vent bien so charger de mon
instruction eccllsiastique. C'est un veritable ami pour moi*
Le Pfcre Theiner et M ** de Hohenlohe auxqnels j'ai transmis
les compliments de M r de X. me chargent de leurs affectneux.
remerciments et souvenirs. La sant£ da Pfcre Theiner est
assez bien remise. II passera les mois de chalenr aux envi-
rons de Civita vecchia.
Je n'ai pas de nouvelles r6centes de Mnnich. Apres les
representations de Lohengrin et Tannh&user que Hans fait
Itudier et remonter k neuf sons sa direction, d'apr&s le dfoir
du Roi et selon les indications de Wagner, Hans et Oosima
&'6tabliront pour quelques semaines avec les enfants pres de
Lucerne (campagne Triebschen). Wagner y est depuis une
couple de mois. —
Yous devez 6tre aocabl£e de besogne maintenant. Quand
vous aurez le temps de m'6crire, soyez certaine du grand
plaisir que vous me ferez, comme de mon invariable et bien
de'voue'e amiti£.
8 Juin 66. F. L.
Leonard vous a-t-il rapports ma grande photographie
d'Erwin que j'ai remise au Grand hotel, k votre adresse? —
112.
Depnis plus de deux mois je n'avais pas re$u une ligne
de vous. Geci soit dit sans nul reproche et simplement pour
expliquer que je ne suis pas en retard, comme vous le pensez.
La nouvelle donn£e par quelques journaux relativement k mon
Oratorio du Christ n'est qu'& moitie' exacte. J'ai bien termini
enfin cet ouvrage, aprfes y avoir travaille' une couple d'anntas ;
— mais quant k son execution, je n'ai nulle id£e ni quand
ni ou elle aura lieu. Paris n'est gufere un terrain d'Oratorio;
ce genre n'y est presque pas cultiv£ et ne trouverait peut-
Stre pas k s'y faire place comme en Angleterre et en Alle-
— 189 —
fakement convenable et profitable a d'autres compositeurs ne
s'adapte plus a ma position. Organiser des concerts, par
exemple, rechercher ies moyens de produire mes ouvrages,
accepter les demi-bienveillances de certaines propositions me
sont choses absolument interdites. Ainsi, a force de me
tronver en dehors des chemias battus, ii est probable que je
ne ferai aucun chemin. Qu'a cela ne tienne; mon parti est
pris — et de longue main. Tant que dura mon activity
exterienre k Weimar, je m'interessais a ce que plusieurs de
mes ouvrages soient executes — car j'avais besoin de les
entendre pour m'en rendre compte, et c'etait bien plus a cette
fin que pour les produire au public que je m'en occupais.
Du reste, vous le savez, ce n'est jamais sans invitation tr&B
splciale et categorique, que j'ai consenti a les faire entendre soit
a Weimar m6me, soit dans une vingtaine d'autres villes d'Alle-
magne, dont il m'importait de connaitre et d experimenter les
diffSrents orchestres. Maintenant mon experience est acquise,
et je la tiens comme suffisante pour ecrire avec une enti&re
security. Aussi me plais-je a professor un desinteressement
complet du sort de mes compositions. Si elles valent quelque
chose, on s en apercevra toujours assez a temps, sans que je
m'inqui&te d'autre chose que de les ecrire de mon mieux.
V Elisabeth etait terming en Mai 62 — et n'a ete executee
qu'en Aotit 65, pour la premi&re fois a Pest. Je ne publierai
la partition que dans un an. Le Christ peut attendre davan-
tage; jusqu'apr&s ma mort peut-etre. II n'a pas a courir les
marches et a mendier de vulgaires applaudissements I —
Malgre le gros temps qui menace a Fhorjzon politique de
Rome, je resterai ici. Pour ne pas contrarier quelques per-
sonnes qui me sont affecti onuses, j'ai quitte pour l'hiver mon
gtte de predilection a la Madonna del Rosario, et depuis le
jour de S te Cecile, 22 Novembre, j'habite un magnifique
appartement, plus magnifiquement sitae encore, au beau milieu
du Forum, en face du palais des Cesars, expose en plein so-
leil, a Santa Francesca Eomana avec sa tour. Cette eglise est
desservie par quelques religieux olivetains (en blanc), qui
demeurent de 1'autre cdte de la maison. Mon nouvel appar-
— 190 —
tement a 6t6 autrefois occupy par le Cardinal Piccolomini.
J'ai laissl un de mes deux pianos et quelques meubles a la
Madonna del Rosario, ou je rentrerai an prin temps.
A la Galerie dantesqne on rep&te la Symphonie heroYque
de Beethoven. Ce sera une nouveaut£ ponr Rome. Sgambati
dirigera l'ex6cution. C'est nn veritable et rare artiste que oe
Sgambati 1 ). II tient a. la fois de Bronsart et de Tansig.
Quel singulier me'lange, n'est-ce pas, pour un Italien pur sang,
qui de plus a d'aussi beaux yeux que ceux du Roi de Ba-
viere. Aprfcs YErdica on re~ex6cutera (une troisi&me ou 4 me
fois) ma Symphonie dantesqne, laquelle jouit d'une sorte de
popularity ici! Personne moins que moi n'eut imagine' pareille
bizarrerie dn sort — mais c'est un fait!
Quand vous m'e'crirez, adressez comme de coutume, ou
simplement Rome. (»Comm deur Abbe* L.«)
II me parait donteux que Joachim se fixe a Bruxelles.
Si pourtant cela arrivait vous pourriez avec pleine confiance
et certitude lui remettre George. Dites mille tendres choses
aux deux confirmSs.
Des nouvelles de Vienne m'inte'resseraient ; mais de gr&ce,
ne fatiguez pas votre chere cervelle quand vous m'e'crirez;
et surtout soyez persuade'e au mperlatif de Tinvariabilite' de
votre sincere ami et serviteur
24 Nov. 66. F. Liszt.
113.
Cette fois, si les apparences ne trompaient, je devrais
m'accuser du pire des vices: Fingratitude. Votre derniere
lettre m'a non seulement beaucoup interesse*, mais encore elle
m'a rendu service. Gr&ce a vous je suis au clair de cette
situation, des plus embrouille*es en Autriche, et au besoin
je pourrais m6me prendre un certain air connaisseur quand
on m'en parle. Je ne m'explique point comment j'ai tant
— 191 —
differe a vous remercier de votre aimable generosite a me
communiquer des parcelles de votre savoir consomme. La
faute en est surtout a l'hiver qui me condamne toujours au
sterile va-et-vient <Tune foule d'obligations proches. Sans
frequenter le monde — car je ne vais ni au bal, ni au
theatre, ni aux grandes soirees, — je me trouve cependant
en relation avec tant de monde, que je ne sais comment y
suffire. Peut-etre finirai-je par m'etablir a Subiaco ou Assise,
ce qui serait fort a mon goflt.
Cet ete, au mois d'Aotit je reviendrai en Thuringe. Le
6 d Duc de Weimar m'invite a la fete jubilaire, en l'honneur
du 800 me anniversaire de la fondation de la Wartburg. On
y executera ma Legende de 8 te Elisabeth, qui jusqu'ici a ren-
contre un heureux sort a Pest, Munich, Prague — si bien que
des amis, pleins d'impartialite, me font un compliment rela-
tivement flatteur, en assurant qu elle ne ressemble point a
mes c&uvres precedentes et n'incommode nullement les oreilles.
Voici le programme d'un concert historique qui fait quel-
que sensation ici. Vous y verrez mon Psaume » Super flumina
Babylonis« en docte et illustre compagnie. De plus, le vaillant
directeur de ce programme a tenu a y joindre un petit com-
mentaire, oil je ne suis traits ni en »jeune compositeur a ni
en pourfendeur des rfcgles de Tart. Par contre on pourra se
donner ce double plaisir a Bruxelles a Foccasion du Mephisto-
Waher, que vous me dites qu'on y entendra prochainement.
L'expectative ne m'en soucit guere, et je m'en chagrinerais
m§me si a regard de la propagation de mes choses je ne
m'exercais resolument a la pratique de cette singuliere vertti
que les R. P. Jesuites nomment »la sainte indifference a.
Depuis longtemps il m'est demontre que j'aurais encore plus
tort de pretendre aux succfcs simples et faciles, qu'on ne me
fait tort en me les refusant. Au risque de passer pour into-
lerablement otgueilleux, je crois que Yentendement de certain e
musique exige une intelligence et un sens moral plus eieves,
plus eduques, plus af fines parmi les artistes et les auditeurs,
qu'on ne les rencontre d'ordinaire. La predominance des
habitudes grossi&res, des preventions, des inepties et malignites
— 192 —
de toute sorte et sous les plus diverses formes, p£dantes ou
triviales, bouffies on 6tourdies — est encore excessive dams
le monde musical. Pent-6tre diminuera-t-elle petit k petit,
et peut-6tre aussi trouverai-je alors mon public. Je ne le
cherche point, et n'ai pins guere le temps de l'attendre.
»Hei mihil habitavi cum habitantibns Cedar ; mnltnm incola
fuit anima meal a
Avant mon voyage d'AUemagne (an mois d'Aofit) je ne
qnitterai pas Rome. On y est passablement tranquille et
j'entends dire anx gens les mienx informe's que cette tran-
quillity continuera.
Voudriez-vous bien me renseigner snr l'affaire Langrsnd
Dnmonceau que vons posse*dez surement ati bont de votre petit
doigt? M r de X. est-il tonjours du conseil d'administration?
Rappelez-moi cordialement a son souvenir et dites k George
et k Charles qne je lenr reste tout affectionne*.
14 Fevrier 67. P. Liszt.
114.
Orftce et ge*nerosite* vons sont familieres. Ce n'est point
une decouverte que je fais, mais un simple remerciment. J 7 y
ajoute mes sinceres voeux pour la bonne r^ussite de votre
voyage a Paris et le casement de George et Charles. Si vous
avez un moment de libre, peut-etre ferez-vous connaissance
avec M r Ollivier (29, rue S* Guillaume). Je lni ai beaucoup
parle" de vous le printemps dernier, et vous n'aurez qu'k vons
nommer pour Stre tres accueillie.
La Presse musicale annonce le concert de Leonard ponr
le 19 Mars. Vous y serez et me ferez le plaisir de m'eft
parler. Au dire des journaux Joachim et Wilhelmj (que nous
avons entendus k Amsterdam) auraient tellement saccag6 la
foret de lauriers qu'il n'en resterait plus feuille ponr les violons
— 193 —
indispensable au de>eloppement des organisations vigoureuses*
A un des derniers concerts da Gewandhaus ou Ton a applandi
Tansig avec transport, on s'est donne' le plaisir de siffler ma
pauvre wGretchena 1 ). Qu'a cela ne tienne — et si Ton veut
se donner le m6me plaisir avec le Mephisto-Walzer a Bruxelles,
et d'autres choses ailleurs, je n'en serai pas plus chagrins' ni
incommode'. Comme Velasquez, a r occasion de sa statue 2 )
de je ne sais quel roi d'Espagne, se contenta, pour toute re^
ponse a ses detract eurs, de signer la statue de son nom, je
n'ai d'autre pretention pour mon ceuvre que de l'avoir faite.
Pour pen que cette comparaison vous paraisse baroque,
je prendrai vite ma revanche en protestant contre celle que
vous inventez entre Macaulay et Lachner. Vous faut-il ab-
solument un historien en parallele avec Lachner? Prenez M r
Capefigue: entre ces deux mGme me'diocrite' d'iddes, m6me
habilete' de phras^ologie commune et manque de style
Toujours merci de vos charmants courriers — et invari-
ablement
bien a vous
25 Fe>rier 67. F. L.
115.
Le vague ou je suis encore sur mon voyage en Hongrie
m'a priv6 du plaisir de vous remercier plus t6t de votre,
amicale et charmante lettre. Depuis six semaines je n'ai
meme pas 6crit a Cosima, comptant sortir de ce vague. Le,
couronnement 3 ) 6tait annonc£ pour les premiers jours de
Mai — puis recule* a la fin de ce mois. Maintenant on parle,
du 2, 10, 12 ou 16 Juin — mais tant est que je ne sais
1) Zweiter Satz der Faust-Symphonie, die in neuerer Zeit in
Leipzig, Dresden, Berlin, Mttnchen etc. mit Begeisterung gehort
wird.
2} Soli wol Portrait heiCen.
3) Die KrBnung Kaiser Franz Josefs von Osterreich zum Konig
von Ungarn, fttr die Liszt seine Messe schrieb. Die Anfftihrung
erfolgte am 8. Juni 1867.
La Mara, Liszt-Briefe. HL 13
— 194 —
rien de positif. dependant il parait probable qne ma Messe
da oonronnement (qne j'ai e*crite en tonte bate avant Paques)
sera exe*out6e, et qu'un de ces qnatre matins je devrai me
mettre en route ponr Buda-Pest. Des qne j'en serai avise*
je vons dcrirai.
En attendant, la rentre*e de Btllow a Munich avec titre
et fonctions dgfinies de Maitre de Cbapelle de la Gour est
chose excellente. Je m'en rejouis, et ceux qui prennent nn
veritable inte'rgt a Tart auront raison d'y apnlaudir. Lea
semailles de Weimar leveront a Munich. Prochainement
Billow organisera le nouveau Conservatoire, qu'il dirigera de
facon a raviver et 6duquer d'autres conservatoires ; en Octobre
les ))Mei&ter singer <l seront represented pour cdtebrer le mariage
dn Roi; et enfin le fameox theatre des Nibelungen, qu'on
traite encore de mytbe a plaisanteries, se construira bel et bien *).
N'est-ce pas admirable que le jeune roi, qu'aucun de
nons ne connaissait, fasse ainsi de son propre chef, r£solu-
ment et ge"nereusement, ce qui est a faire? Beaucoup de gens
Pen empecheraient volontiers, il est vrai; mais en fin de
compte serait-ce aux invalides a prlvaloir? ....
»Confundantur et convertantur retrorSum omnes qui oderunt
Sion I a
Je suis charme* que vous ayez fait bonne connaissance
avec M r Ollivier ; mais de gr&ce, n'allez pas le gater par vos
amabilitds. Si jamais vous veniez a lui persuader qu'il »ne
pourra jamais s' entendre avec le chef de l'6tat«, j'en aurais
un veritable chagrin. J'espere tout le contraire et ne doute
point qu'Ollivier s'en trouverait mieux. Quoi que j'entende
dire, mon opinion sur ce chef de l'6tat ne varie pas depuis
une quinzaine d' annexes, et mon admiration pour son gou-
vernement personnel va grandissant. II me repugnait de voir •
Napoleon par le petit bout de la lorgnette diplomatique. A
Rome comme ailleurs je proteste e'nergiquement contre les
1) Die Meistersinger kamen bekanntlich erst am 21. Juni 1868
— 195 —
mesquines et fausses id6es qu'on ne se lasse pas de colporter
dans divers salons et journaux sur ce grand homme et trfcs
grand souverain — tellement extraordinaire que 1'histoire n'e»
compte que tres pen k lui comparer. Le gdnie de Napoleon III
c'est l^qnilibre des necessitate politiques avec la somme des
progrfcs possibles en ce si&cle. Merci encore de votre lettre,
avec prtere de cod tinner, nonobstant mon incorrigible Na-
pol6onisme. Bien k vous
29 Mai 67. • F, Xj.
P. 8. C'est k Herbeck, Directeur de la Socidttf phil-
harmonique de Vienne, on k Brendel k Leipzig, que M r Samuel l )
anrait k demander le Reiter-Marsch de Schubert 2 ).
116.
Quels que soient les avantages et agr&nents de la rne de
la Lot, je suppose que vous vous trouverez mieux encore k
Paris. George et Charles se chargeront du principal — et
le reste s'ajoutera ais&nent. Vous me ferez grand plaisir en
me tenant un pen an courant de votre nouvel arrangement
d'existence, qui me semble un progr&s de la bonne sorte. Si
j'avais su oil vous adresser, je vous aurais £crit d&s mon re-
tour ici (premier Novembre). Les premieres semaines d'Ao&t
je les ai passes dans mes anciennes chambres de l'Altenburg;
puis j'ai 6t6 k la » Tonkiinstler- Versammlunpu k Meiningen
(laquelle par parenthese a mieux r6ussi que les pr^cddentes;
on pent mSme dire qu'il y a eu cette fois un succes effeotif
pour la nouvelle dcole, dont les coryphees commenoent k se
faire passablement vieux!) et le 28 Aoftt la Ligende de St*
Elisabeth a 6t6 ex^cutee au jubild de la Wartburg. Ollivier
y assistait et pourra vous en donner des nouvelles. Avant
d'aller a Munich je me suis arrets une quinzaine de jours
chez mes gracieuses Altesses de Weimar k Wilhelmsthal, [et
1) Damals Dirigent der Briisseler » Concerts populaires«, jetzt
Director des Genter Conservatoriums.
2) Von Liszt instrumentirt.
13*
— 196 —
ce n'est que vers la fin Septembre que j'ai revu les Billows,
lis m'ont retenu pour le 22 Octobre que je comptais feter
silencieusement a Rome. M roe Kalergi (Moukhanoff) est venue
anssi a cette date a Munich. II parait quelle est dans un
triste £tat au physique, obligee a marcher sur b^quilles et a
prendre de Topium a forte dose; mais au spirituel je la trouve
plus que jamais ravissante et enchanteresse, tellement qu'il
m'a fallu un certain effort pour me detacher de Tombre de
ses b^quiiles
Entre Wilhelmsthal et Munich j'ai fait une excursion d une
huitaine de jours avec notre ami Pohl, qui dtait venu me
rejoindre a Stuttgart et m'a accompagntf jusqu'a Bale — et
Lucerne, oil je suis reste uire demi-journ^e chez Wagner (a
sa campagne de Triebschen). L'avez-vous revu a Paris a son
dernier passage? — Etiez-vous a la Messe de Beethoven a
8* Eustache avec M r Leonard, qui a jou6 le solo de violon?
Qui hantez et fr^quentez-vous a Paris? —
Pour moi il est temps de me claquemurer, car j'ai quasi
perdu toute mon ann6e a courir, d'abord a Pest (pour le
couronnement) et ensuite en Thuringe en l'honneur de la Ton-
ktinstler-Versammlung et de S te Elisabeth. D'ailleurs mon
humeur sociable d'autrefois s'affaisse singuli&rement, et pen de
visages me sont agr^ables a rencontrer. Je resterai tranquille-
ment a Rome toute cette ann6e. Yous ai-je dit. que j'avais
un nouveau logis (plus pompeux que celui de la Madonna del
Rosario, ou je referai peut-etre ma villeggiatura &'6t6) au
beau milieu du Forum, vis a vis des mines du palais des
Ce'sars, entre la basiiique de Constantin, Tare de Titus et le
Colisde, en plein temple de Vgnus et Rome, a Santa Francesca
Romana, enfin? — r. Du reste, quand vous me ferez l'amitM
de m'^crire, il n'y a besoin d'autre adresse que mon nom.
En parfaite monotonie, bien cordialement a vous
. 8 Ddcembre.67. P. L.
117.
Les journaux m'apprennent le succes de M r Leonard.
C'est un succes de famille pour vous, en attendant que M r
— 197 —
George moissonne ses propres lauriers. II s'entend de soi que
si je puis lui 6tre bon a quelque chose, vous n'avez qu'i
disposer de moi. D'ordinaire je me flatte de n'avoir pas la
main malheureuse dans ce genre de menus services que vous
me demandez. Probablement je passerai quelques mois en
Allemagne Tanne'e prochaine (69). On verra albrs ce qu'il
conviendra de faire pour M r George.
La reputation de M r Damcke 1 ) est fort considerable en
Allemagne comme a Paris. Puisque vous lui avez insinud
bonne opinion sur mon compte, veuillez aussi lui transmettrd
mes meilleurs remerciments. II est tres lie avec mes anciens
amis M r et Madame Kreutzer dont je vous engage beaucoup
a faire la connaissance 2 ).
La vravissantea personnalite que je vous nommais l'autre
jour pretend que mes amis »s'aiment entre eux, en moi« —
et que cette affection continue aussi en mon absence. Je
lui sais un gr6 extreme de cette de*couverte ; loin de nier
mon »ravissement«, je rencherirais volontiers sur les epithetes
louangeuses a l'adresse de M me Kalergi. Du reste vous savez
votre ressemblance avec elle; lors du Festival de Dtlsseldorf
le public vous prenait constamment Tune pour 1' autre, tene-
ment qu'un soir elle me dit: »Vons vous occupez fort de
mon sostehi
Pour revenir a M r Damcke, comment se peut-il qne vous, si
au fait des illustrations de Stuttgart, vous n'ayez pu le ren-
seigner sur M r Hallberger, proprietaire du journal illustre* le
plus re*pandu: »t)ber Land und Meer«, editeur des oeuvres
du Prince Ptlckler-Muskau et des oeuvres classiques de Mozart,
Beethoven etc. etc. — en un mot, un editeur tres cossu,
possedant maisons de ville et maisons de campagne. Evidem-
ment la mesquinerie de la somme qu'il doit a M r Damcke ex-
plique seule le retard de Faequittement. En b£n£ficiant de
1) Componist, Pianist, Dirigent und Lehrer (1812 — 1875), friiher
in Potsdam, dann Petersburg, seit 1862 in Paris lebend.
2) L6on Kreutzer, Componist und Kritiker in Paris (1817—1868),
Neffe des Violinisten Rudolf Kreutzer, dem Beethoven seine grosse
Geigensonate op. 47 widmete. . :
— 198 —
grosses sommes, Hallberger aura oublid cette petite misfcre de
cent francs! —
Vous rendriez grand service k Y. Z. en lui donnant quel-
ques bons conseils, precis et pratiques. II a da talent, de
la noblesse d'&me, des aspirations de grand artiste; mais ses
reveries lui jouent de mauvais tours, et je ne sais quelle
gaucherie sentimentale, toute germanique, entrave son chemin.
Deux ou trois fois il a 6t6 sur le point de prendre une ex-
cellente position. A Amsterdam et a Vienne les succ&s ne
lui ont pas manqu£, et il ne d^pendait que de lui d'en mieux
profiter. La veritable mesure de ses moyens et des choses
lui dchappe souvent. II voudrait avancer par bondissements ;
Mas! jusqu'a present il est plutot en de9a qu'au dela des
r&ultats que je d&irais pour lui. Ne croyez-vous pas qu'il
ferait bien de mettre sa fille en pension? Peut-6tre pourrez-
vous l'aider a prendre ce parti, qui me semble le plus rai-
sonnable dans sa situation, peu propice aux soins ostensibles
de l'£ducation paternelle. Mieux que d'autres vous saurez le
persuader avec douceur et sagesse.
Donnez-moi bientot de vos bonnes nouvelles. Je prie
pour vous et les vdtres et vous reste invariablement d£voue.
10 Janvier 68 — Rome. F. L.
Je crois vous avoir d£ja dit que je ne quitterai pas Rome
cette ann£e. Le corps diplomatique s'est renouveld ici de
M* de Pyk (Belgique), Sigmund (Bavifcre) et du Comte Cri-
velli. Les connaissez-vous?
118.
Un semblant de d&obligeance envers vous me peine, et
j'ai horreur du moindre brin de couardise. Pourtant je
n'oserais me risquer a ^crire a D., vu les caquets qui pour-
raient s'ensuivre et me retomber sur le nez a Rome, ou il
me faut excider en precautions pour me garer des charitables
interpretations.
Du reste pour vous il n'y a certes mil besoin de recom-
mandation auprfcs de D. S'il est a m§me de vous rendre ser-
— 199 —
vice, il le fera de suite, car personne an monde de plus
obligeant que lui. II est aussi prodigue de bons offices que
d'esprit et d' imagination. Ecrivez-lui tout bonnement, sans
interme'diaire quelconque, et je garantis que l'inouie persua-
sion de votre style aura son plein effet.
Sax doit etre ravi de r approbation que vous accordez a
mon buste. Je voudrais surtout ressembler a ce que vous
m'en dites. Savez-vous' quels ouvrages Sax a fait a Paris?
re'ussit-il a se caser? Mas ! ce n'est pas chose simple que
de s'arranger passablement en ce monde I J&doute que Y. Z.
y parvienne de sitdt, a moins qu'il ne gagne plus de mesure
et de fixite' dans ses iddes. Jusqu'ici il a plus manque' de
profiter des bonnes occasions qu'elles ne lui ont fait de7aut.
J'ai lu avec plaisir la Sonate pour Piano et Violon (d6-
die'e a M r George) de Bonewitz 1 ). II y a du talent, de la
distinction et du charme dans cette oeuvre, dont je vous prie
de complimenter Fauteur de ma part. Remerciez aussi les
Kreutzer d'avoir 6cout6 le Tasse*) avec sympathie; ma mu-
si que n'en rencontre pas sou vent. Je n'ai ni a me vanter
ni a me plaindre de cela — mais simplement a travailler de
mon mieux, sans me pr£occuper du reste.
Quelle ide'e vous prend de me parler de I'exe'cution du
Mazeppa*) chez Pasdeloupl Je compte bien qu'il n'en sera
rien, car dans la situation actuelle des choses il n'y aurait
que disagreements pour tout le monde, et pour moi en par-
ticulier. Avec mes 56 ans je ne saurais me ranger parmi les
jeunes compositeurs, et je ne suis pas assez mort pour qu'on
s'occupe sirieusement de mes ouvrages a Paris. Vous me ra-
contez que M r de Beust se flatte d'etre compris par son
matou et le premier venu dans la rue; je n'ai pas de tels
avantages, et mon public se r£duit a un X que je ne cherche
nullement a digager. Bien a vous
6 Mars 68. F. Liszt.
1) Geb. 1839, in Ltittich gebildet als Clavierspieler und Com-
ponist, lebte wechselnd in Amerika, Deutschland, Paris, Wien,
zuletzt London. >
2) u. 3) Symphonische Dichtungen Liszt's.
— 200 —
119.
Je vous complimente sur votre nouvel gtablissement. Du
Carl jiugust Plaiz a la rue de la Loi il y avait un progres
sensible; mais le boulevard Hausmann vaut mieux encore,
car en somme Paris vous convient plus que toute autre ville.
vProspere procedev.
Pour ma part je reste enfoui d&ns les ruines du Forum
li Santa Francesca JRomana. C'est tout Topposite du boule-
vard Hausmann et du Venusberg, quoique de mes fenStres
on voie un simulacre de plantations d'arbres en guise de boule-
vard, et que les vieux restes du temple de V3nus et Rome
encadrent mon logis. Les strangers sont 6merveilles de ce
point de vne qui embrasse du Capitole au ColisSe un pro-
digieux amas de monuments et de ruines, le palais des C£-
sars, Tare de Titus, la basilique de Constantin etc. etc. —
dont l'usufruit quotidien ne me coute qu'un loyer de 1500
francs par an. M r de Girardin dit que »Rome sent le mort«
et j'y deviens un peu paralytique. Malgrg les chaleurs, je
ne voudrais pas bouger de V6t6, qui est pour moi la bonne
saison a, cause de la diminution des visiteurs. Le Pfcre Theiner
m'invite cordialement de l'accompagner k Ischia, apr&s la S*
Pierre, et le Cardinal Hohenlohe me propose une villeggiatura
a sa Villa d'Este (k Tivoli). Je ne sais si ma paresse de
mouvement ne Temportera pas.
Bravo M r Langrand! Son Guarnerius est au mieux placd
et je me rdjouis d'entendre M r George sur un si bel instru-
ment. Ce sera probablement a. Weimar (ou k Munich si
vous le prdf^rez), Paris £tant compl&tement en dehors de
mon programme. Comme je vous l'ai dit, une ancienne re-
connaissance envers le G d Due et la G de Duchesse de Wei-
mar m'engage k remplir leur d6sir en passant quelque temps
pr.$s d'eux Tann^e prochaine. Cela me parait de mon devoir;
par consequent je n'h^site point. II s'entend de soi que je
ne reprendrai pas a, Weimar le service de chapelle que vous
m'avez vu faire. J'y vivrai en retraite et m'exempterai de
toutes les obligations de visites et cdr£monies oiseuses. Ma
— 201 —
seule ambition consiste a me passer tranquillement de la
plupart des choses et des gens, ce qui est bien moins difficile
que de s'y aocommoder.
On m^crit de Munich que la l re representation des
»Meistersinger<r aura lieu le 21 de ce mois. Vous me de-
mandez mon opinion sur cette ceuvre ; ne la savez-vous done
pas d&ja? Tenez pour certain que les Meistersinger sbnt un
chef-d'oeuvre, »un gran capo d' opera «, comme disent les
Italiens. 8i j'avais un livre a faire sur Wagner, je prendrais
volontiers pour 6pigraphe ce mot de Victor Hugo au sujet
de Shakespeare : »J'admire tout — j'admire comme un^e brutes
Les seules reserves que je garde ne portent nullement sur
l'integralite du g^nie de Wagner, mais bien sur les facultes
intellectives du public.
Merci de vos renseignements de Vienne. Je rencontre
quelquefois M r de Meysenbug, que je connais un pen d'an-
cienne date. La perte du Comte Crivelli m'est personnellement
trfcs sensible. II me voulait du bien, et n'avait pas oublig
nos relations amicales a Lisbonne (en 1845). Vous trouverez
le Baron Ottenfels (conseiller de FAmbassade d'Autriche a
Borne depuis 8 ou 10 ans) Ministre en Suisse. Sa belle-s<&ur>
la Duchesse Castiglione - Colonna (qui signe ses ceuvres de
sculpture Marcello) vient de faire ici une charmante statue
d'une petite fille, sa nifcee, M lle d' Ottenfels. Je vois assez
souvent M me Colonna, partout et toujours fort entourde
d'hommages.
Donnez-moi des nouvelles de Sax — : et demandez-lui
s'il a dans son atelier de Paris ma statuette. Je lui deman-
derai de Foffrir a son coll&gue M me Colonna-Marcello, a la-
quelle j'en ai parte. *
II me souvient que vous £tiez en grande amitite avec
Disraeli. Croyez-vous qu'il r^ussisse a tenir sa place?
13 Juin 68. Bien tout a vous F. Liszt.
120.
Voila de belles vacances pour George et Charles. Vous
aurez pris la meilleure part du plaisir que vous leur donniez,
— 202 —
et je me figure qu'en voyage voire ressemblez assez a ces
mamans, qui ne vont au bal que pour y conduire leurs filles,
et finissent par danser de bon coeur elles-m€mes. Tanto
meglio.
J'ai pass£ ces deux derniers mois a tenir compagnie k
un de mes plus chers amis. II relevait d'une grave maladie
et prttendait se faire besoin de moi. Nous avons commence
par un pfclerinage a la Madonna deUa Stdla, site sauvage
avec une chapelle taillge dans le roc, ou le grand-pfcre de
moa ami — l'abb6 Solfanelli — est mort a quelque quatre-
vingts ans, comme ermite. Apr&s, nous allames a Assise et
Lorette, en nous arretant une couple de jours a Fabriano
chea son pfcre, excellent pretre. Enfin son oncle, le Comte
Fenili, nous fit la plus charmante hospitality du 14 Juillet
au 30 A out, a Grotta Mare, aux bords de l'Adriatique.
Notre principale occupation de coeur et d'esprit consistait a
dire ensemble notre Brdviaire, tantdt sur la plage, tantdt
dans quelque verger de citronniers et d' or angers que nous
trouvions en chemin.
Revenu a Rome le l r Septembre, j'y resterai jusqu'a Noel
et partirai les premiers jours de Janvier pour Weimar. Le
Grand-Due m'e'erit qu'il me fait arranger un logis dans le
pare 1 ). J'esp&re y passer plus tranquiUement cet hiver que
le prudent au Forum, devenu quasi insupportable par Tex*
c&lant des visiteurs de tons pays qui encombraient mes
chambres.
Vous expliquer la qwnte du grand homme a Lucerne
serait difficile. Attribuons-la aux fr£qnentes bourrasques du
lac, et passons. Les pratiques de la civility puerile et hon-
nSte ne sont obligatoires que pour les gens m^diocres. Wagner
a d'autres martels en tSte; il cr£e des chefs-d'oeuvre, des
montagnes de diamant. Rien d'6tonnant qu'un tel nopifexa
— 203 —
passage. Beaucoup s'en plaigrient, mais a tort, ce me
semble.
L'article a sensation de Girardin n est pas tsangUmU, car
il vise a faux. Napoleon pent en rire dans sa moustache et
demeure un tout »<dtroche«. Autant vaudrait donner an soleil
le titre de Men intenHotmSt qu'a Lui. Mon opinion sur ce
point ne varie pas depnis 18 ans, et je vous suspecte de la
partager an fond, qnoique par gtat vons disiez le contraire.
« — Vive Napoleon le Vtctorieux \
Entendrons^nous M r George cet hiver?
Bien a vous F. L.
16 Sept. 68. Rome.
121.
[October oder November 1868.]
»Non licet omnibus adire Corinthumcr, et en sus, le gout
des voyages me manque absolument. Voici sept ans que
j'habite Rome, sans aller voir Naples que je ne connais que
par descriptions, tableaux, photographies. A moins de raison
n^cessaire pourquoi me trainer de9a dela? Or, depuis la
mort de ma pauvre ch&re mere, rien ne me ramene a Paris,
ou je n'ai plus que faire l ) . Ce n'est pas a dire que je d6-
pr£cie le moins du monde les grandes et merveilleuses choses
qu'on y voit, entend, admire; tout au contraire, je confesse
ma passion chauvine pour Paris — surtout le Paris imperial
d'a present — et me plairais mieux a vivre la qu'ailleurs,
si le sort n'en avait d£cid£ autrement. Du reste, la plupart
de mes amis parisiens 6tant plus voyageurs que moi, nous
pouvons fort bien nous rencontrer par dela les boulevards,
ce que vous me prouverez bientdt, j'espfcre.
Afin d'£chapper a 1' exorbitance des menues obligations de
la civility puerile et honnSte, je me suis retire pour quelques
semaines a la Villa d'Este. Tivoli compte 7 mille habitants,
1) Wenige Monate vor seinem Tode kehrte er gleichwol noch
einmal dahin zurfick, urn daselbst unvergleichliche Triumphe auch
als Componist zu ernten.
— 204 —
dit-on, mais je n'en vois gufcre, excepts k l^glise des Fran-
ciscains. Cette mani&re d' existence segregata me convient an
mieux «t je la continuerai, n'importe l'endroit, le reste de
mes jours. A la fin D6cembre j'irai droit k Weimar (par
le Brenner); trois mois snffiront k me mettre en rfcgle avec
mes devoirs germaniques, apr&s quoi je reviendrai ici en
Avril.
Permettez-moi de vous demander un service d'amitte, et
dites-moi si Madame Krentzer a re$u ma lettre adressle a
Ville d'Avray? Quoique mon long 61oignement de Paris ait
assez d^tendu mes relations avec L3on et sa femme, je leur
ai toujours gardd d'intimes sentiments d'aflfection et estime,
qui seraient certainement devenus plus effectifs a proximity.
II n'y a que M r de X. et vous, qui sachiez vivre en ubi-
quistes. Quelle prodigieuse navette diplomatique de Bruxelles
a Constantinople, Prague, Londres, P^tersbourg, Paris, Viennel
Je vous f&icite sincfcrement de tons vos succes, en particulier
de Tinstallation au palais Batthyani. Elle constate Timpor-
tance de la position de M r de X. et j'y applaudis avec un
pen d'^goisme, me flattant que lors de votre voyage k Vienne
cet biver, vous vous arrSterez un pen a Weimar avec M r
George et son Stradivarius. Votre visite me sera nn r^gal
spirituel, et davantage.
Bien a vous F. L.
Villa d'Este.
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122.
M'est avis que vous avez toujours raison, Madame. Je
serai tr6s charm6 de vous revoir avec M r George k Vienne,
ou j'arriverai certainement quelques jours avant l'exdcution
de I' Elisabeth, fix£e au 4 Avril. Mon sdjour ne se prolongera
pas au dela d'une quinzaine, et avant la fin d' Avril je compte
etre de retour k Rome.
Joseph Servais dont vous me demandez des nouvelles est
un charmant violonoelliste, fort en train de devenir un artiste
des plus remarquables. On Pappr<3cie beauconp ici et il ne
chdme pas de musique. Lui et son frfere Franz sont de ma
petite chapelle intime y tous les Dimanches matin 1 ). Franz est
trfcs heureusement dou6 pour la composition. Ses six Lieder
(intitules »r&me en fleura — poesies de V. Hugo) me plai-
sent.
Connaissez - vous la B ne de Pirch (n6e P cetJ8e Tour et
Taxis 2 )), femme du Ministre de Prusse & Weimar? Je la vois
fr£quemment.
Mille affectueux souvenirs, et k revoir a Vienne.
1) Liszt veranstaltete damals noch seine durch lange Jahre
fortgesetzten, beriihmten sonntagigen Matin6en, in denen man ihn
selbst zu bewundern Gelegenheit fand, wShrend hervorragende
GSste und seine besten Schiller das Programm vervollstfindigten.
2) Auf »Tour et Taxis « bezieht sich wol auch die Bemerkung
betreffs der »Regensburger Thtirme« in dem Briefe Nr. 105.
Bien a vous
Weimar, 19 Fdvrier 69.
F. Liszt.
— 208 —
123.
Pour rejoindre encore M r de Btllow a Ratisbonne et assister
an concert qu'il y a donn6 au b^ndfice dn denier de S t Pierre,
j'ai du quitter Vienne pr£cipitamment, quatre ou cinq jours
plus tdt que je ne comptais. Veuillez avoir la bont£ de
m'excuser auprfcs de M r de X. de n^tre pas revenu le voir,
et le remercier de son affability. (Test lui qui m'a conduit
chez le C te Beust 1 ) et je regrette d'avoir 6t€ emp£ch6 par
d'autres invitations obligatoires de me retrouver dans ce meme
palais avec M r de X., qui en est une des cariatidesl —
Aprfcs Ratisbonne j'ai pass£ une quinzaine de jours a Pest
(du 21 Avril au 4 Mai) ; les deux concerts a la grande salle
de redoute avec la Messe du couronnement , la Symphonie
dantesque et la » Hungarian ont parfaitement rdussi.
Avant-hier je suis rentr£ a Santa Francesca Roman a.
Si vous avez encore l'id£e de venir ici cette ann£e, ne la
realisez pas au mois d'Aout, car j'irai probablement alors a
Munich, ou Ton annonce le » Rheingoldn pour la fete du Roi
(25 Aout) 2 ). Jusque-la je reste a Rome et y reviendrai en
Septembre achever un gros ouvrage musical qui m'occupera
Tautomne et Thiver prochains.
A propos d'ouvrage musical, je vous prierai de faire
comprendre doucement a M r B. quil m'est impossible d'ad-
mirer sa » fiancee de Messine«. II croit certainement avoir
6crit un chef-d'oeuvre; puisse-t-il en Stre ainsi; je serai
charmg de me tromper, mais a mon avis cette partition
est pleine de vide, et ne saurait rencontrer aucune chance
de succes au theatre, Ne voulant pas lui dire ce que j'en
pense, de peur de le blesser sans lui rendre service, je me
1) Der damalige tfsterreichische Minister des Auswartigen und
Reichskanzler.
2) Liszt fand sich thatsachlich zur bestimmten Zeit in Miin-
chen ein; doch erst nach wiederholtem Aufschub, am 22. Septem-
ber, erfolgte die erste Darstellung des »Rheingold«, und zwar, da
Biilow inzwischen den Hofcapellmeisterstab in Mtinchen nieder-
gelegt hatte, unter Leitung Wtillner's.
— 209 —
suis born6 k la lui faire restituer simplement par le Comte
Seilern, qui a bien voulu lui rapporter aussi son Trio et
Quatuor. Comme je comptai3 vous revoir k Vienne, j'avais
emportS ce lourd paquet de Weimar. Maintenant je n'ai
d'autre conseil k donner k B. que de mieux s'y prendre
tine autre fois. Son Trio ne manque pas d'un certain m6-
rite; mieux vaut cependant qu'il le garde dans son tiroir, et
pour ma part je ne me risquerai point k patroner des ceuvres
d'un style raide et flasque, tout ensemble. II pourra prendre
sa revanche fort naturelle contre ma sinc£rit£, en declarant
-que tous mes ouvrages sont pitoyables — ce qui du reste
est Topinion de la grande critique et de beaucoup de mes
bonnes connaissances, auxquelles je serais tr&s obligg de ne
plus m'imposer l'ennui de leur fr^quentation.
Vos recommandations ont rendu bon service k Y. Z., et
j'espfcre qu'il remontera k flots Thiver prochain k Vienne. Je
lui garde ma vieille affection et desire sincfcrement qu'il par-
vienne k s'estimer ce qu'il vaut, afin de se faire appr^cier
de m£me.
Mille bonnes choses k vos fils et bien k vous F. L.
Home, 12 Mai 69.
Ci -joint deux mots pour B., que je vous prie de lui
remettre en les accompagnant du commentaire le plus bien-
veillant possible.
124.
Chfcre bienveillante,
Quand vous avez la bontd de vous charger de quelcon-
que chose, on est sur qu'elle sera faite de la manifcre la plus
parfaite.
Merci de votre obligeante information sur la nouvelle in-
vention friande des p&t£s de foie dMcrevisses. Veuillez faire
exp^dier la terrine en suspens mi-Novembre k Fadresse de
Madame la Baronne de Meyendorff (n6e Princesse Gortscha-
koff), Weimar. Auparavant en Septembre, je vous enverrai
de Rome les pieux objets que vous attendez. Tout n^goce.
La Mara, Lidzt-Briefe. III. 14
— 210 —
avec vous devient 6gotste de ma part, car il tourne toujours
a mon avantage spirituel.
Prochainement M r Louis Coenen (d' Amsterdam) vous re-
mettra mea deux mots de recommandation. Son talent de
pianiste est des plus solidement distingu&. Pensionnaire da
Roi des Pays-Bas, Vice-directeur des concerts au chateau
du Loo, Coenen cheminera Men a Paris, ou il a rencontr6
Fhiver pass£ votre fils George. En choses mnsicales les
rapports de ces deux Messieurs artistes seront ais£s et agr6-
ables.
Votre trfcs cordialement &6vou6 vieux serviteur
14 Aoftt 78 — Weimar. F. Liszt.
Dans quinze jours je serai a Rome. Adressez » Hotel de
Rome, Corsoff.
125.
Voici le chapelet bdni par le Saint Pfcre; un de mes
jeunes amis vous le porte. M r Ettore Pinelli est le chef du
Quatuor romain, mand£ par le gouvernement italien a Fex-
position de Paris; il y donnera prochainement plusieurs st-
ances au Trocad&o et vous prendrez plaisir a l'entendre 1 ).
J'ai parl6 a Pinelli, fort en renom ici comme violon, professeur
au nouveau Lyc6e de S ie C^cile, et directeur d'orchestre, du
Concerto et du Traits d'harmonie du cher George. Ces deux
Messieurs feront ais&nent bonne connaissance. Pour completer
ma recommandation de Pinelli, j'ajoute qu'il a travail^ quel-
que temps avec Joachim a Berlin et gotite le plus parfait
bonheur conjugal aupr&s de sa jeune femme qui l'accompagne
a Paris.
Je vous ai pri£e de retarder renvoi friand (pour Weimar)
jusqu'en Novembre, car la destinataire passera tout le mois
— 211 —
Les articles politiques de George m'interessent; et votre
photographie de Salomon me serait une faveur.
Sans variability, votre tres cordialement ddvoue'
Kome, 12 Sept. 78. F. Liszt.
La Princesse Wittgenstein vous garde affectuenx souvenir.
Ce soir je rentre a la Villa tfEste (Tivoli).
Mon pied a terre a Rome, ou je reviens pour quelques
jours chaque mois, reste :
»Via de' Greci, 43 '«. Le plus commode est de m'adres-
ser la.
126.
Chere bienveillante,
Transformons Fintrouvable »pate de foie d'£crevisses« en
vDanicheffoL — drame d'Alex. Dumas, dont je me suis permis,
la semaine passed, de vous demander le prompt envoi, a Ma-
dame la Princesse Wittgenstein, Via del Babuino 89, Rome.
Peut-6tre le fameux pat£ d'^crevisses, pompeusement an-
nonce* dans les journaux, se d£couvrira-t-il plus tard; sa
destination est Weimar (pour un entre-acte des deux Faust de
Goethe 1 ) avec musique de Lassen) » Vous me l'exp^dierez lk,
lors de mon retour, en Avril. NB. nulle terrine de Stras-
bourg ou du Perigord ne saurait prdtendre a remplacer la
susnomme'e, qui seule possede Tirre'sistible attrait de l'inconnu.
Notre Cavaliere Consolo 2 ) m'a parle* de la decoration
espagnole d^cerne'e a votre fils, et je vous felicite bien cor-
dialement de ce que votre charmant esprit appelle »un baton
de marshal et de vieillesse«. Le Baron Visconti me disait
encore re*cemment combien S. M. la Reine Isabelle elait gra-
cieuse, affable, gdn^reuse, foncierement bonne et sans nulle
aigreur.
1) In Otto Devrient's Btihnenbearbeitung.
2) Violinist und Componist orientalischer Symphonien und
Phantasien etc. , der, in Tunis geboren, nach ausgebreiteten Reisen
in Europa nnd Amerika, in Florenz lebt. Er besuchte Liszt wieder-
holt in Weimar.
14*
— 212 —
Veuillez avoir la bonte* de dire au Vicomte Walsh et an
Commandeur les affectueux remerctments de votre bien de>oue*
vieux serviteur F. Liszt.
30 De'cembre 78. (ViUa d'Este.)
127.
Chere bienveillante amie,
Vos dernieres lignes ne me sont parvenues a Rome que
la veille de mon depart. Alors la P ces8e Wittgenstein e'tait
encore assez souffrante.
Le bon accneil que vous avez fait an Quatuor it alien, per-
sonnifie' dans le Cavaliere Pinelli, m'encourage a vous recom-
mander denx jennes artistes hongrois, qui ont deja obtenn
du succes a Paris. Le pianiste, M r Agghazy 1 ), a travailli
avec moi,- et le violon, M r Huber 2 ), avec son pere (excellent
professeur) et ensuite avec Joachim. Je compte snr les deux
ponr angmenter le bon renom artistiqne de mes compatriotes.
Si lenr talent vous paralt ripondre a Popinion distinguie que
j'en ai, vous m'obligerez de parler d'eux favorablement au
Comte Beust, auquel je me serais permis de les recommander,
n'e'tait-ce mon embarras d'icrire a de hauts personnages.
A Vienne, pour la calibration pr&iminaire des noces d'ar-
gent de Leurs Majestes, la » Gesellschaft der Musikfreunde «
m'a demands de diriger la Messe de Gran le 8 Avril. Par
exception, j'accepte.
Comme de longue coutume, je serai a Weimar pendant
plusieurs mois — de la mi-Avril jusqu'a la fin de Juillet,
cette anne*e. Je n'ose pas vous inviter a y revenir, mais si
vous. en aviez l'idie, ce serait tres charmant.
Veuillez dire mes vieilles amities a votre pere et mes
affectueux compliments a vos fils.
Votre tres respectueusement affectionne* F. Liszt.
14 Fe>rier 79 — Budapest.
1) Jetzt Professor an der Landes-Musikacademie in Budapest.
— 213 —
128.
Chfcre bienveillante amie,
Consolo malade et peu console me communique vos der-
nieres lignes. J'y rdponds en vous j)riant de mettre aux
pieds de S. M. la Reine Isabelle ma trfcs humble recon-
naissance de son gracieux souvenir. L'ingratitude ne sera
jamais mon fait. D'autres n'ont qu'a en perp&uer la vilaine
et banale pratique.
Veuillez avoir la bonte de dire a la C tesse M[ercy] d'A[r-
genteau] 1 ) que son rayon d' enchanter esse po6sie me reluit
tou jours.
Sincferes hommages. F. Liszt.
14 Mai 80 — Weimar.
Si vous acceptez que je vous ennuie de quelques com-
missions de livres a m'exp^dier, je vous en dcrirai.
Pour C. je crains d'avoir a lui donner un conseil utile qui
le contrariera et le blessera presque: celui de retourner en
Turquie, a cause du climat premierement, et aussi parce qu'il
lui sera plus aise' de se caser la qu'ailleurs. Les maladies
content cher, et d'ordinaire la composition de Concertos et
Fantaisies symphoniques ne rapporte pas d'argent, a moins
d'etre executes en public avec succes plusieurs fois. Voila
le hie pour C, auquel sa nervosity fait obstacle.
Aprfcs-demain j'irai a Baden-Baden pour la »Tonkttnstler-
Versammlunge, qui dure 4 ou 5 jours. De la fin Mai jus-
qu'en Juillet je reste ici et retourne ensuite a Rome.
129.
Trfcs chfcre amie, •
Un douloureux vide se fait dans votre existence. Du so-
lide et bienfaisant lien de la pi6t6 filiale vous ne gardez d6-
sormais que le souvenir d'une longue intimite et active colla-
1) Bekannte Vorkampferin ftir die neurussische Musikschule;
sie vertauschte nach dem Tod ihres Gatten (1888) ihre belgische
Heimat mit Petersburg, wo sie im November 1890 starb.
— 214 —
boration, admirablement intelligente, fid&le et d6vou6e. Cest
le rayon lnmineux et consolant de votre noble coenr. Le
vaste et trfcs experiments savoir politique de votre pfere 6tait de
grand renom. II y a 30 ans de cela, an diplomate de haute
situation me disait: nQuand on veut se renseigner sur quel-
conque question obscure, embrouill6e, gpineuse de la diplomatic
du passS et du present, il faut s'adresser a X.«
8es MSmoires sont-ils publics en en tier? Je crois vous
avoir d&ja demands d'inscrire mon nom parmi les souscrip-
teurs, et vous prie de m'envoyer les volumes ici, Budapest:
j'y resterai jusqu'au commencement d'Avril et retonrnerai
ensuite a Weimar.
Autre question, non indiscrete. Yos relations avec Sa
trfcs gracieuse Majesty trfcs catholique, la Reine Isabelle, se
continuent-elles? Veuillez bien m'en Scrire le pied et le pli
actuels.
A Madame la Comtesse Louisa de Mercy-Argenteau je
vous prie de dire mes trfes humbles excuses. Ma r£ponse a
la question quelle m'adressait Y6t6 dernier ne pouvait gu&re
la satisfaire, et je me suis abstenu de bavarder par lettres.
On a dit de Madame Mercy qu'elle Stait a la fois Lyre et
Muse. Parfaitement vrai : mais son projet tend a un but non
lyrique .... de realisation difficultueuse , quoique possible
sous certaines conditions qu'il s'agirait de fixer opportunement.
A cet 6gard votre conseil pourrait la bien servir. Lui prou-
ver en toute circonstance mon sincere et resp^ctueux dSvoue-
ment reste mon devoir.
Cordial souvenir a vos fils George et Charles de votre
trfcs affectionnS vieux serviteur
^ 12 FSvrier 82 — Budapest. F. Liszt.
130.
H61as! les difficult^ qui prSoccupent maintenant Madame
M. d'A. sont fort malais£es a surmonter. Personne plus que
moi ne lui souhaite bonne chance; pendant les quelques se-
maines ou je la voyais a Paris (en F^vrier, Mars 66) elle
— 215 —
s'est toujours montree noble, genereuse, ravissante, quasi in-
spire ; par consequent je n'aurais d'autres pieiTes que des
diamants a lui jeter. Toutefois je partage entifcrement votre
judicieuse opinion sur le gachis matrimonial que vise M™ 6 M.
Le positivisms moral de la haute compagnie contre lequel ses
singuliers calculs positifs s'aheurtent lui fera tenace resis-
tance, et je ne me trouve pas en situation pour la servir
selon mon gr£ .... Expliquez-lui cela le plus doucement
possible.
Mon cordial souvenir a George et Charles. Quand
George publiera quelqu' article de majeure importance, vous
m'obligerez de me l'envoyer sous bande. Beaucoup de jour-
naux parisiens se trouvent ici au cercle fran§ais dont je suis
membre, non assidu, car je sors le moins possible.
Merci de coeur, et constante ami tie.
17 Fdvrier 82, Budapest. F. Liszt.
Bulow a passe 3 jours ici et donne un superbe concert.
Somme toute, l'ensemble de ses facultes et talents le place
au premier rang de Fextraordinaire. Vous savez que sa
chapelle de Meiningen, dont il est a la fois l'intendant, l'in-
venteur et le chef actif, a fait recemment des merveilles. A
Berlin 9 concerts surpleins, avec acclamation ; a Hambourg,
Leipzig et ailleurs m£me succ&s, qui tient du prodige et
continuera moyennant la capacity hors ligne de Bulow.
Munkacsy 1 ) est arrive hier a Budapest. On le fStera
magnifiquement de toute manure, m6me par un splendide bal
costume, donne en son honneur au »Kflnstler-Haus«, nouveau
batiment contigu a l'Academie royale hongroise de musique
qu'habite votre bien devoue serviteur F. L.
131.
[1882 oder 1883.]
Chere bienveillante amie,
Votre lettre me touche et me charme. Gardez-moi votre
precieuse amitie et disposez de la mienne, inalterable. Avec
1) Der in Paris lebende beriihmte ungarische Maler.
— 216 —
vous point de vbrodo Ixmgoa a craindre. Vous comprenez et
dites les choses sur un rythme admirable: mieux que Raff,
un peu interloqul apr&s son concert a Weimar de votre com-
pliment: » Weiss ich, was das bedeutet?«
La publication des Mlmoires de votre pfere ne perdra pas
au retard, puisque vous les r&ligerez. George vous sera un
bon collaborates. Nulle fiert6 plus noble et juste que celle
qui vous autorise a dire de vos fils: *J'en ai fait des hommes«.
Votre » position exceptionnellea r^sulte de votre intelligence
tr&s exceptionnelle.
Si je revenais a Paris, je vous prierais de me presenter
de nouveau a la Reine Isabelle que je nai vue qu'a un con-
cert de Cour a Madrid, en 1845. La trfes gracieuse bont6
que Sa Majesty daigna me tdmoigner alors me reste en
m^moire reconnaissante *) .
132.
22 Mai 86 — Weimar.
Tr&s chfcre amie,
Lassen me communique votre charmante lettre avec la
citation du Marlchal Mac Mahon: a Que d'eauU Pour les
incroyables concerts de Rubinstein disons : xQue de beau!«
Ne le chicanons point sur quelques singularity, que son ex-
traordinaire talent comportel
A mon retour ici j'ai revu ma fille. Je serai a Bay-
reuth le 3 Juillet aux noces de ma petite -fille, Daniela
de Btllow, avec W Thode — un parangon de myites et
quality, dit-on.
Du 5 au 18 Juillet mes excellents amis Munkacsy m'h^ber-
geront dans leur brillant chateau de Colpach (Luxembourg) —
et du 20 Juillet jusqu'au 23 Aoftt j'assisterai au cycle com-
plet des representations de Parsifal et Tristan.
Bien a vous
1? T iai»t
133.
Grand Duch6 de Luxembourg,
7 Juillet 86.
Votre derniere lettre, trfcs chfcre amie, m'a charmd. Deux
ou trois personnes auxquelles je me suis permis d'en montrer
j»la digression politique « ont 6t6 frappees de Tadmirable
justesse et perspicacity de votre esprit.
L'expulsion des Princes me rgpugne comme une mesure
de pratique monarchique surann^e, par consequent tres anti-
re^publicaine.
L'affaiblissement de mes yeux m'empeche encore d'6crire.
Demain je dicterai quelques lignes, r^sumant ma conversation
avec Madame Wagner a M r Wilder 1 ). Elle s'en tient a la
traduction de Nuitter 2 ) du Lohengrin, que fera prochainement
reprgsenter a Paris, au theatre de l'Eden, M r Lamoureux.
Pour les ouvrages subs£quents, Madame Wagner se reserve
le droit de choisir entre les traductions. Je n'ai pu contester
son droit, mais aurais pr6f£r6 mander k Wilder un plus agitable
result at.
Cordialement affectionn^ devouement. F. Liszt.
Comme a Paris, les Munkacsy sont e'tablis princierement
k Colpach. «Py ai retrouve' mon tr&3 gracieux et bienveillant
protecteur et ami — depuis 25 anndes — le Cardinal Haynald.
Le mariage de Daniela de Bfllow avec M r Thode s'est
conclu sous les plus heureux auspices, Dimanche dernier a
Bayreuth. Par son remarquable ouvrage sur 8* Francois
d'Assise et son influence sur les arts pendant la periode de
la renaissance, Thode s'est acquis un rang distingue' parmi
les » Kunsthistoriker « d'Allemagne.
Madame de Munkacsy me charge de vous dire ses affec-
tueux compliments.
Veuillez bien dire a vos fils George et Charles mon cordial
souvenir.
Damit enden die Briefe Liszt's an eine Freundin. Noeh
nicht vier Wochen spfiter, naehdem jener letzte Brief ge-
schrieben wurde, hatte der grofle Kflnstler nnd Mensch anf-
gehOrt zn sein.
Namenregister.
Agghazy Nr. 127.
Agoult d% Grafln 7, 10, 16, 47, 53, 57, 66.
Siehe auch Nelida und Daniel Stern.
Alexandre 30.
Ander 96.
Anderson, Miss 24.
Anerenza, Herzogin 35.
Angelico, Fra, da Fiesole 12.
Angouleme, Herzogin 35.
Antonelli, Card. 81, 104.
Auerbach, Berth. 68.
Auersperg, Ant. Graf 59, 60.
, Prinzessin 64.
Augusz, Baron 109.
Bach, J. 8. 10, 38, 47, 49, 108.
, Minister v. 35, 58.
Baden, Grossherzog (Prinz- Regent) 11,
80, 81, 89.
Grossherzogin 89.
Balzac 8.
Banffy, Grafin 35.
Baronius 100.
Baschet, Arm and 8, 9.
Bayern, Konig Ludwig II. 101, 103, 110,
111, 112, 115.
Bayle 7.
Beck 105.
Beethoven 24, 34, 44, 47, 65, 87, 98, 100,
104, 108, 116.
Belgien, Konig von 29.
Belgiojoso, Furstin 34, 42.
Bellini 40.
Belloni 79.
Benazet 66.
Beriot, de 105.
u«»i;^„ o c a Q 1ft 91 3* Qft Ad Ki
Biedermann, Prof. 5.
Bilio, Pater 111.
Bonaparte, Lucian 98, 111.
Bonewitz 118.
Bote und Bock 109.
Brahms 10.
Brendel 109, 115.
Brockhaus 5.
Bronsart, H. v. 42, 48, 51, 54, 61, 63, 64,
70, 71, 112.
Bulow, H. v., 6, 11, 18, 24, 25, 26, 31,
33, 41, 42, 45, 46, 51, 56, 57, 58, 59,
60, 65, 66, 70, 73, 80, 81, 84, 87, 89,
90, 96, 100, 101, 105, 109, 111, 115, 116,
123, 130.
, Fran v. (Mutter) 18, 21, 22, 23, 25,
26, 34, 45, 46.
, Frau Cos. v., 56, 57, 58, 59, 60, 65,
66, 79, 80, 84, 86, 87, 88, 90, 91, 95, 96,
100, 101, 104, 105, 109, 111, 115, 116.
Siehe auch Cos. Liszt und Frau Cos.
Wagner.
, Daniela v. 84, 87, 132, 133.
, Isa v. 84.
Bussenius 12, 13, 16, 24, 26.
Byron, Lord 45.
Cador, de 100.
Capefigue 114.
Ca.raman-Chimay, Fiirst und Furstin 105,
107, 1*6.
Castiglione-Colonna, Herzogin (Marcello)
119.
Cato 40.
Champfort 80, 81.
Chartres, Herzog v. 95.
rtr. . , 1 — -r QQ
•
— 220 —
Coenen, Louis 124.
Collard, E. 25.
Consolini, Msgr. 111.
Consolo, F. 126.
Coqueril 50.
Cornelius, Peter 21, 22, 30, 54, 56, 57,
61, 66, 68, 73, 105.
Cotta 12.
Coudenhoven, de 84.
Crivelli, Graf 117, 119.
Czartoryska, Fiirstin Marc. 99, 100, 105.
Dalle Aste 51.
Dam eke 117.
Danielik, Msgr. 108.
Dante 10, 12, 18, 20, 21, 62.
David, Ferd. 10, 57.
Dawison 34, 57, 68.
Deak 95, 96.
Dechauips 109.
Deger 53.
Delaborde 11.
Devrient 57.
Dingelstedt 49, 52, 68.
Disraeli 119.
Donizetti 40.
Dreyschock, Alex. 46.
Drouyn de I/huis 9, 100.
Du Camp 48.
Duchatel 91.
Ducis 13.
Dumas, Alex. (Vater) 2, 8, 126.
, (Sohn) 8.
Dumonceau 108, 113.
Erard 79. 82.
, Mad. 79, 80.
Erkel 109.
Erwin 111.
Esterhazy, Furst und Fiirstin Paul 35.
Fenili, Graf 120.
Ferrieres, Marquis de 30, 100.
F^tis 25, 28, 51, 85.
Fiedler 35.
Fischer, Domcaplan 84.
Flotow, Fr. v. 65.
Forster, Ernst 12, 13.
Formes 40.
Fortoul 8.
Franchomme 100.
Frege 34.
Friedrich d«r ^
Girardin, de 119, 120.
Gluck 9, 42, 61, 87.
Goethe 11, 31, 34, 40, 48, 57, 126.
Gortschakoff, Fiirstin 125.
Gounod 92.
Gradener 6.
Griechenland, Konig v. 35.
Griepenkerl 36.
Gropius 33.
Grosse 64, 90, 92.
Gueroult 100.
Guizot 2, 11, 96.
Hacklander 8, 9.
Handel 87.
Hartel 14, 47, 98.
Hahn 54.
Hallberger 117.
Hatzfeld, Graf 92.
Haydn 9, 61.
Haynald, Card. 133.
Heine, Heinr. 31, 44.
Henselt, Adolf 22.
Herbeck 115.
Herder 6, 9, 73.
Herrmann 10.
Hetzel 54, 80.
Hiller, Ferd. 4, 8, 51, 52. 78.
, Frau 51.
Hoffmann v. Fallersleben 41.
Hofmeister 20.
Hobenlohe-SchiUingsfurst, Prins Const.
73.
, Card. 102, 107, 109, 110, 119.
Hohenlohe-Langenburg, Prins 68.
Hohenzollern-Hechingen, Furst 64, 65,
69, 71, 72, 87, 95, 96, 100.
Holland, Konig von 124.
Hopfgarten, T. 17.
Huber (Hubay) 127.
Hiilsen, v. 32.
Hugo, Victor 25, 119, 122.
Humboldt, A. v. 17, 18, 20, 87.
Hummel 42.
Ideville, d* 101.
Janssen 105.
Joachim, Jos. 2, 10, 114, 125, 127.
Jossika, Baron 12, 35.
Kalergi, Mad. 20. 29, 35, 46. 66, 78, 82.
— 221 —
Kehren 51.
Khevenhiiller, Fiirstin 35.
Kisselew, y. 99, 100.
Kolb 97.
Kossuth 9, 78, $3.
Krabbe 8.
Kreutzer, Leon und Fraa 117, 118, 121.
Kiicken 68.
Lacbner 114.
Lacordaire 47.
Lallemand, Graf 30.
Lamartine 5, 40, 54.
Lamennais, F. de 5, 18, 50.
Lamoureux 133.
Lanckoronsky, Graf 64.
Langrand 108, 113, 119.
Lassen 36, 37, 33, 48, 59, 61, 62, 66,. 68,
71, 81, 88, 126.
Lassus, Orl. 47.
Latour, Fiirstin 22.
, Fiirst 84, 99.
Lauriston, Marquis 81.
Lazareff 83.
Leonard 108, 110, 111, 114, 116, 117.
Lenor 72.
Leroux, Pierre 88.
Lichnowsky, Fiirst Felix 35.
Lind, Jenny 4.
Liste, Anton 53.
Liszt (Mutter) 45, 76, 83, 92, 94, 120.
, Blandine 11, 12, 16, 18, 21, 22, 23,
24, 25, 34, 45, 47, 53, 57, 58, 59. Siehe
Had. Ollivier.
Cosima 1, 11, 12, 16, 18, 21, 22, 23,
24, 25, 34, 41, 45, 47, 53, 56. Siehe
Frau C. v. Biilow und Frau Wagner.
, Daniel 12, 21, 22, 24, 47, 84.
Litolff 28, 29, 30, 36, 43, 57.
Lobkowitz, Prinzessin 64.
Liihrs 10.
Lumley 42.
Hacaulay 114.
Mac Mahon 132.
Magnan, M arsenal I 79.
Maistre, Jos. de 50, 52.
Maltitz 56.
Mangoldt 5.
Marcellino, Fiirst 104.
Marx 18.
Matteucci, Msgr. 111.
Meiningen, Erbprinz v. 68.
Meissner, Alfred 13, 44.
Mendelssohn 34, 65, 88.
Mercy-Argenteau, Grafln 12S, 129, 130.
Me>ode, de 101, 111.
Merveldt, Grafln 62.
Metastasio 10, 13.
Metternich, Fiirst Clemens 9, 35, 55, 64,
96.
, Fflrstin 5.
, Fiirst Richard 84, 92. .
, Fiirstin Pauline 92. .
Meyendorff, Bar. 98.
, Baronin 98, 124.
Meyer, Jenny 84.
Meyerbeer 1, 35, 64. .
Meysenbug, Baron 119.
Michel Angelo 38.
Mtlde, Rosa v. 50, 51.
Milutine 98.
Mirecourt 81.
Mires 87.
Mitterwurzer 105.
Montebello 108.
Monteflori, de 84.
Montesquieu 110.
Montesquiou 105.
Montessui 105, 107, 108.
Montguzon, Graf 95.
Morlieu 95.
Mogsonyi 103.
Moukhanoff, v. 99, 100. .
, Frau v. 99, 116. Siehe Mad. Kale rgi.
Mozart 9, 35, 46, 87.
Muller, Franz 84.
, Gebruder 57.
Mulinen, Graf 80, 84, 86, 90, 92.
Murillo 5, 50.
Mankacsy 130, 132,. 133.
Nako, Grafln 35.
Napoleon I. 79, 83.
III. 5, 9, 49, 71, 72, 79, 80, 81, 83,
84, 94, 96, 100, 115, 120.
, Louis, Prinz 49.
Nelida (Grafln d'Agoult) 7, 36, 40.
Nicolas 95.
Nardi, Msgr. 98.
Nuitter 133.
Obermann 65.
Oesterreich, Kaiser Franz Josef 35, 45,
46, 64, 70, 71, 127.
, Kaiserin 35, 64, 127.
, Erzherzogin Hermine 47.
, Erzherzog Stefan 47, 61.
, Erzherzog Josef 47.
Olfers 18.
Ollivier, Emile 58, 59, 60, 62, 78, 92,
114, 115, 116.
, Mid. 60, 62, 78, 83, 92, 94, 95, 96,
101. Siehe Blandine Liszt.
Ottenfels, Biron 119.
Outremont, d\ Grafln 60.
— 222 —
Paganini 104.
Palestrina 47, 83.
Palleske 68.
Palmerston, Lord 15, 102.
Palotsay 65.
Paris, Graf v. 95.
Pascal 50.
Pasdeloup 118.
Patersi 1, 6, 10, 11, 12.
Pellico, Silvio 5.
Pepita 20.
Persigny 79.
Petofy 78.
Prackner, D. 7.
Peyrat 5.
Piccolomini, Card. 112.
Pinelli, Ettore 125, 127.
Pirch, Baronin 122.
Pius IX., Papst 72, 99, 100, 101, 102,
104, 105, 107, 109.
Pleyel, Mad. 25, 27, 28.
Pohl, Richard 38, 42, 51, 116.
, Jeanne 46, 50.
Polignac 87.
Ponmartin 11.
Potocki, Alex. 1.
Pourtales, Graf 83, 92.
Powell 92.
Preller 12.
Preussen, Prinzessin von 10, 11, 36, 80.
, Konig von 33, 34, 96.
, Konigin Augusta 92.
, Prinzessin Carl 48.
, Prinzessin Luise 11.
Prisse 29.
Piickler, Furst 62, 117.
Putlitz, G. zu 68.
Pyk, de 117.
Quinet, Edgar 80.
Baff 40, 57, 131.
Rainteau 11.
Rauch 17, 20.
Rauscher, Card. 111.
Redern, Graf 33, 34, 84.
Reisach, Cardinal 111.
Rem^nyi 101, 109.
Rethel 51.
Richter, Jean Paul 12.
, von 65.
Rietschel 12, 42, 48.
Riese, Clara 45.
Ritter, Frau 12, 16.
Rothschild, Mad. de 94.
Rubens 22, 50.
Russland, Kaiser Kikolans von 40, 79.
, Kaiser Alexander II. 69, 71.
, Kaiserin verw. 43.
, Grossfurst Const&ntin 51.
Sabinin, Martha v. 17, 18, 20, 30, 42, 48,
61, 66, 71.
Sachsen, Konig von 5, 79.
, Konigin von 5.
Salomon 93, 95, 125.
Salvagni, Port. 107.
Samuel 115.
Sand, George 5, 11, 35.
Saphir 2.
Sartiges, de 104, 108.
Sax 98, 118.
Schachten, Mad. 35.
Scheffer, Ary 23.
Schiedmayer 30.
Schiller 38, 48, 57, 68, 72.
Schinkel 50.
Schlesinger 3t.
Schlick, Graf 35.
Schmerling 96.
Schmidt-Weissenfels 95.
Schnorr v. Carolsfeld und Frau 105.
Schopenhauer 65.
8chott 20, 72, 83, 84, 85, 109.
Schubert, Franz 31, 115.
Schuberth 85.
Schumann, Robert 2, 4, 6, 10, 52.
, Clara 10.
Schwarzenberg, Furst Fritz 35.
, Cardinal 47, 111.
Schwind, M. v. 12, 21.
Sgambati 112.
Seebach, Marie 57.
Seilem, Graf 423.
Semper 105.
Servais, Josef 122.
, Franz 122.
Sevigne, Mad. de 100.
Shakespeare 34, 52, 119.
Sigmund 117.
Simon, Saint 100.
Sobolewski 61.
Solfanelli, Don 111. 120.
Spanien, Konigin Isabella 126, 128, 129,
131.
Spohr, L. 10.
Spontini 87.
Stael, Mad. de 53, 80.
— 223 —
Strauss, Joh. 47.
Suermondt 50.
Szarv&dy 9.
Szechenyi, Graf 78.
Talleyrand, Furst 83.
Taubert 34, 62.
Tausig, Carl 18, 64, 93, 96, 112, 114.
, Vater 18, 31.
Taylor 40.
Tempeltey 68.
Theiner, Pater 99, 100, 103, 105, 107, 111,
119.
Thode 132, 133.
Titof 100.
Torlonia, Donna 99, 100.
TJlrich 57.
Yarnhagen 18.
Vasari 12.
Velasquez 50, 114.
Verdi 9, 40.
Vernet, Horace 40.
Verrieres 11.
Viardot-Garcia 68, 73.
Vieuxtemps 105.
Vigny, Alfred de 92.
Villers, Lady 35.
Visconti, Baron 126.
Volkmann, R. 109.
Voltaire 89, 100.
Vorosmarty 178.
Wagner, Richard 1, 10, 12, 17, 22, 23, 24,
44, 4G, 48, 53, 57, 59, 65, 68, 69, 73, 74,
75, 76, 78, 79, 80, 81, 83, 84, 85, 86, 87,
89, 90, 92, 93, 95, 100, 101, 105, 110,
111, 116, 119, 120.
Wagner, Frau Cosima 133.
, Johanna 31, 33, 41, 42, 44.
Walsh, Vicomte 126.
Wasielewski, y. 19.
Wassinski, Graf 33.
Weber, C. M. v. 2, 10, 65.
Weber 62.
Weimar, Grossherzog von, Carl August
48, 52, 57.
, Grossherzogin Maria Paulowna 42,
50.
, Grossherzog Carl Alexander 11, 13,
48, 49, 52, 54, 57, 61, 68, 83, 86, 89,
95, 96, 101, 112, 119, 120.
, Grossherzogin 6, 13, 22, 31, 36, 40,
50, 61, 69, 95, 116, 119.
Wieland 57.
Wiertz 38, 95, 101, 102.
Wilder, Victor 133.
Wilhelmj 114.
Winterberger 26, 41, 42, 43, 51, 54.
Wiseman, Card. 54.
Wittgenstein, Furstin Caroline 12, 17,
18, 20, 21, 22, 23, 25, 26, 28, 31, 34,
36, 38, 42, 45, 47, 52, 56, 57, 58, 63,
69, 70, 74, 80, 84, 98, 125, 126, 127.
, Furst Nikolaus 74.
, Prinzess Marie 12, 17, 18, 21, 22,
23, 45, 47, 50, 58, 69, 73.
Wolzogen, Alfred v. 63.
Wiirttemberg, Grossherzogin Olga 10, 18,
20, 30.
Youssoupoff, Furst 20.
Zellner, L. A. 64.