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Full text of "Histoire des dogmes dans l'antiquité chrétienne [microform]"

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Bibliothèque de l'enseignement de l'histoire ecclésiastique 



HISTOIRE DES DOGMES 



DANS 



L'ANTIQUITE CHRÉTIENNE 



PAR 



J. TIXERONT 



r t 



LA THEOLOGIE ANTENIGEENNE 



ONZIÈME ÉDITION 



PAEIS 

LIBRAIRIE LECOFFRE 
J. GABALDA et Fils. Éditeurs 

RUE BONAPARTE, 90 
1^0 



Bibliothèque 
de ï enseignement deTbistoire eeelésiâstique 



La " Bibliothèque de l'enseignement de l'histoire 
ecclésiastique ", inaugurée en 1897, réalise lentement, 
mais perse véramment, son programme qui était de re- 
prendre, avec les seules ressources de l'initiative pri- 
vée, le projet confié jadis par Léon XIII aux cardinaux 
de Luca, Pitra et Hergenroether, à la suite de la lettre 
pontificale sur les études historiques, — savoir la com- 
position d'une « Histoire ecclésiastique universelle, mise 
au point des progrès de la critique de notre temps ». 

La matière a été distribuée en ime série de sujets 
capitaux, chacun devant constituer un volume indé- 
pendant, chaque volume confié à un savant sous sa 
propre responsabilité. On n'a pas eu l'intention de 
faire œuvre pédagogique et de publier des manuels 
analogues à ceux de l'enseignement secondaire, ni 
davantage œuvre de vulgarisation au service de ce que 
l'on est convenu d'appeler le grand public; il y avait 
une œuvre plus urgente à faire en matière d'histoire 
ecclésiastique, une œuvre de haut enseignement. 



Le succès incontesté des volumes publiés jusqu'ic 
a prouvé que ce programme répondait au désir de bien 
des maîtres et de bien des étudiants de l'enseignement 
supérieur français, autant que de bien des membres 
du clergé et de l'élite des catholiques. 



Li!S origines ■ÀA-catHQttcismes 
Liè'chriiltianismeiset'rëmpite romain^.. 

Les-égliSes du monde romairt. . 
Dès anetennes^ •litterattir.es cB'étiénnesii. 

DàitMôlÔgie>anciênne.., 
[^HrisUfutiionSiaaçiéiine&^ë^iî'É^jse^. 
LëségUMS^<iiim0nde.bmîbàtsei.--' lies églises du 

L'église byzantine. r—nÊfat,^pni^^caL 
Ltaréfdrme dû XJ^sièclé.--^-I^:saeer.doceiet KEmpitttii 

Ws'toMe -.de lii,,/ormatiôn dû dr.oii canonique^ ■■ 
Latlittératt!tre-ee.clé$icistijqt\e, diu moym^âg^,;. 

Ua^ihMlQg^éMmoxenÂ^i^.rr-Iisjinsiitutiûnsd^.là, chrétienté . 

L*iÊ0iieiet:l'I^ienti.i<m^^moxfi^-^'^§''- 

Ltl^îiest-lêrSiiim-^iëM ^^ Bônifdce>V>rn:â Mmtiiuy:.. 

VJE^gli:se.,àClà',fiA^dûm<^^.âgf, . 

Laj-é/ot-me.ij'fotestaatei ■ — J^fconcile^^de J^'ente^ , 

WèglbieetVOnmtfdep^i'.le<JC¥f^siè.àle.., 

Lathéologie catholique depuis U.XVJ^sièclei. 

Le protestantisme. depuis. la^rRSéfamtet 

L'expansionrdei'é>gUseidépuislèX¥4v$ièclér 

LlÉglise etAes.gouvemementsr.^àneieHiirégime. 

llÉ'gUseiet lesTémlUtionsipQliti^uesi 1 789^11 870). 

L'Église saniemporainej 



ft- 



Bibliotljèqne de renseignement de T^istoire ecclésiastlqae 

Volumes parus : 

Le Christianisme et l'Empire romain, de Néron à Théo - 
dose, par Paul Allard. 9° édition. 1 vol. in-12 12 fr. » 

Histoire des Dogmes, par M. J. Tixeroxt, doyen de la 
Faculté catholique de théologie de Lyon. 3 volumes. 

— I. La théologie anténicéenne. Onzième édition. 
1 volume in-12 18 fr. » 

— II. De saint Athanase à saint Augustin (318-430). 
Huitième édition. 1 vol. in-12 15 fr. » 

— III. La fin de l'âge patristique (430-800). Septième 
édition. 1 vol. in-12 18 fr. « 

Anciennes Littératures chrétiennes : I. La Littérature 
grecque, par M^' Pierre Batiffol. Quatrième édition. Epuisé. 

Anciennes Littératures chrétiennes : La Littéra- 
ture syriaque, par M. Rubens Duval. 3" édition. Epuisé. 

L'Afrique chrétienne, car Dom H. Leclercq, Bénédictin de 
Farnborough. Deuxième édition. Épuisé. 

L'Espagne chrétienne, par Dom H. Leclercq, Bénédictin de 
Farnborough. Deuxième édition. Épuisé. 

L'Angleterre chrétienne avant les Normands, par Dom 
Fernand Cabrol, abbé de Farnborough. Deuxième édition. 
1 vol. in-12 12 fr. « 

Les Chrétientés celtiques, par Dom Gougaud, Bénédictin 
de Farnborough. Deuxième édition. 1 vol. in-12. . 12 fr. » 

Le Christianisme dans l'Empire perse, sous la dynas- 
tie Sassanide (224-632), par M. J. Laubort, docteur en théo- 
logie et docteur es lettres. 2" édition. 1 vol. in-12. 12 fr. » 

L'Égliëe byzantine, de 527 à 847, par le R. Père Pargoire, 
des Augustins de l'Assomption. 3° édition. 1 vol. in-12 12 fr. » 

L'Église et l'Orient au Moyen Age : les Croisades, par 
M. Louis Bréhier, professeur d'histoire à l'Université de Cîer- 
mont-Ferrand. Cinquième édition. 1 vol. in-12 15 fr. » 

Les Papes du XI" siècle et la Chrétienté, par M. Jules 
Gay, professeur à l'Université de Lille. 1 vol. in-12. 24 fr. » 

Les Papes d'Avignon (1303-1370), par M. G. Mollat, profes- 
seur à l'Université de Strasbourg. Smème édition. 1 volume in- 
12 15 fr. .. 

Le Grand Schisme d'Occident, par M. L. Salembier. 
Cinquième édition. 1 vol. in-12 12 fr. » 

L'Église romaine et les Origines de la Renaissance, 
par M. Jean Guiraud. Cinquième édition. 1 vol. in-12. 12 fr. » 

Les origines du Schisme ang;Iican (1509-1571), par M. J. 
Trésal. Troisième édition. 1 vol. in-12 12 fr. » 

Histoire politique des protestants français (1715-1794), 
par M. Joseph Dedieu, docteur es lettres. 2 vol. in-12. 30 fr. » 

L'Église de France sous le Consulat et l'Empire (1800- 
1814), par M. G. Constant, docteur es lettres, professeur à 
l'Institut catholique de Paris. 1 vol. in-12 24 fr. » 

Jypographie Firmin-Didot et C"=. — Paris. — 1930. 



Bibliothèque 
de renseignement de l'histoire eeelésiastique 

HISTOIRE DES DOGMES 

DANS 

L'ANTIQUITÉ CHRÉTIENNE 

I 

LA THEOLOGIE ANTÉNICÉENNE 



L^ 







IMPRiMAiïUR 

Xugduhi, die 30" junii 1914. 



t H. L, Gard. SEVIN, 



IMPRIMATUR 



Parisiis, die 17" julii 1914. 
E. THOMAS, 



Bibliothèque de l'enseignement de l'histoire ecolési astique 



HISTOIRE DES DOGMES 



DANS 



L'ANTIQUITÉ CHRÉTIENNE 



PA& 



J/^TIXERONT 



LA THÉOLOGIE ANTÉNIGÉENNE 



ONZIEME EDITION 



PARIS 

LIBRAIRIE LECOFFRE 

J. GABALDA et Fils, Éditeurs 

RUE BONAPARTE, 90 

1930 



942500 



AYANT-PROPOS 



Ce volume est le premier d'une Histoire des 
dogmes dans l'antiquité chrétienne qui devait, 
dans le principe, être complète en un seul volume, 
mais que l'importance et l'abondance des matières 
ont obligé à diviser en trois parties. L'empresse- 
ment que l'on a mis à réclamer ce premier volume 
m'a décidé à ne pas attendre, pour le faire impri- 
mer, que les autres fussent prêts. Il traite d'ail- 
leurs d'une période nettement délimitée, et consti- 
tue un tout, à la rigueur, indépendant. 

La méthode adoptée dans sa composition est la 
méthode que j'appelle plus loin synthétique : c'est- 
à-dire que j'ai suivi généralement et le plus pos- 
sible l'ordre des temps, en exposant à la fois toute 
la doctrine d'une période déterminée de la vie de 
l'Eglise, et en menant de front, pour ainsi dire, 
l'histoire de tous les dogmes. Cette méthode a, je 
le sais, l'inconvénient de contraindre les théolo- 
giens — qui désirent au contraire posséder sur un 



xn AVANT-PROPOS. 

sujet déterminé les textes groupés ensemble — à 
parcourir, pour trouver ces textes, le volume entier. 
Mais, outre que cet inconvénient est inévitable, si 
l'on ne veut pas procéder par monographies déta- 
chées, j'y ai remédié, dans une bonne mesure, en 
plaçant à la fin du volume une table analytique qui 
permettra d'étaWiiTieBu^ijtdîeFt^Mpa, sur tel ou tel 
point de doctrine, là suite des témoignages et de 
l'enseignement des trois premiers siècles. 

Quelques personûes auraient souhaité que les 
textes cités le fussent toujours d'après les Patrolo- 
gies grecque^et latine de Migne^ et. ayec.l^ndi«a- 
tion de la page ou de* là. colonne qji'ils-accM^ïxtii. 
G'èst un assujettissement que je n'ai p^SiCrjidievoi]^- 
m'iinp^oser. Bour utiles et ipj'écieuses q^tsoient Je&., 
édifions de Migne, elles ne sont j^as>touJ9tUiES;drréT 
procKablës ni même suffisantes, et rindicatioji^ des,, 
pages est J)ïèn,suj).erfliie^ dès. que les. ouvr-g^pacités. 
sont .divisés en. numéros, assez courts . On trjojjvem, 
d'ailleurs cette indication chaque • fois^ qiCell^^ sej^a^ 
vraiment nécessaire ou^.utile. . 

Une note^ pjacée au début. d©s. cha^tnBS^u4ès 
paragraphes., énumérera. les j9"incipjaux«.trKv:a»Xr. 
relatifs à l'auteur , ou au rsulçtdoat'il a'i^ii,. IL a^Ra^ 
aisé de , compléter, ces. lis;fces en^consjjJtajïtAef Bé^- 
pertoire de$i sources.. hi$.tançues dji^mo(j0^,âgey, 
BioMbliogfapJiie^ dje.M..Ul]^^Âe..Gh0yalier,. etrlà^ 
Geschichtedçr altkirchlichen LMemtun'àeM>x^ 
Bardenhewer. l'en, ai., exclu, géoéralemfijitv et^açiufi 
excep,tipn, les ,ouyr.ag^&unvp^u anciens, Jes siiBi|xJl<^si 



AVANT-PROPOS. xni 

articles de revues, et les articles ausfi des diction- 
naires qui sont naturellement toujours à consulter, 
tels que le Dictionnaire de théologie catholique^ 
le Kirchenlexikon, la Realencyklopàdie flir pro- 
testantische Théologie und Kirche, le Dictionary 
of Christian Biography^ etc. Je me suis seulement 
montré un peu plus large pour les travaux français. 
Quant aux histoires des dogmes proprement dites, 
les plus importantes et les plus connues sont signa- 
lées au § 3 de l'Introduction. 

La lecture de ces écrits, ou du moins de quelques- 
uns d'entre eux, m'a été évidemment fort utile; 
mais elle n'a jamais été pour moi qu'un préliminaire 
à l'inspection des textes eux-mêmes. Quel que soit 
le jugement qu'il en porte et qu'elles lui semblent 
exactes ou erronées, le lecteur de ce volume est 
donc assuré que les analyses et les appréciations 
qu'il y trouvera reposent sur un examen personnel 
et direct des documents. C'est à eux, en définitive, 
qu'il en faut toujours revenir et c'est à faciliter 
leur étude que ce livre est surtout destiné. On ne 
verra donc pas dans ces pages un ouvrage complet 
et se suffisant à lui seul, mais bien un instrument 
pour des travaux ultérieurs, et un- guide dans 
l'étude des monuments doctrinaux que nous a trans- 
mis l'antiquité chrétienne. 

Lyon, décembre 190^ 



AVERTISSEMENT 

POUR LA SEPTIÈME ÉDITION 



La septième édition de ce volume que je présente 
au public a été entièrement réimprimée, et offre 
avec les éditions précédentes des différences no- 
tables. 

Une première différence — et c'est la principale 
— consiste en ce que, au lieu de parcourir succes- 
sivement les divers auteurs pour en exposer la 
doctrine, comme je l'avais fait dans la première 
édition et les suivantes, j'ai pris ici pour point de 
départies doctrines elles-mêmes, pour en montrer 
l'expression dans les auteurs ou documents d'une 
période déterminée. Je n'ai fait d'exception que 
pour les écrivains sacrés, dont il fallait respecter 
le texte et la personnalité, et pour Clément 
d'Alexandrie et Origène, dont les systèmes origi- 
naux rentraient mal dans le cadre commun. Cette 
nouvelle disposition, en introduisant dans ce pre- 
mier volume la méthode adoptée pour les deux sui- 
vants, remédiera, je l'espère, à l'émiettement de 



XVI AVERTISSEMENT. ' 

l'exposé doctrinal qui résultait de la méthode sui- 
vie, et mettra plus en relief la continuité de la tra- 
dition chrétienne. Elle fera que ce volume aura 
moins le caractère d'un manuel de patristique, et 
davantage, ce qui est juste, celui d'une histoire du 
dogme. La ta^^ .pÇft -^ ,ç^p4iÇcations dans le 
même sens. 

Un seÇ(q3|^4,.p^J5^ngçjRQ5e^tf3p)0|1l^ §,^^,çette édi- 
tion a été d'adoucir certains jugements portés sur 
la manière dont quelques écrivains du ii° ou même 
du III® siècle présentaient en particulier leur doc- 
trine trinitaire. Bien qu'il faille, en effet, main- 

^m¥>h w^mm<%wim Fm^ i^m ji]f^^i]^i^djjL^iie- 

théories incompatibles avec le dogme tel qu'jl fi réiié 
mf^th 1^ jBRWy^r -ï^rMie^tJ^SÇ.tfîlili^fçii^vmçtOHt 

,gu^4 il ?,\^gi% .^'ajit^îjr^ tvp^ m^^m^ii M ^m^ 

.4p^t. iromp<li0 :^u'ji]is,poïjr^î4y^e9Jif 4^i}& Jiav^çs 
^îçplmtiQft8., 9;^ss4,fJ,§4'étj,V)C^i?^9^^ 

,cofl^JL4^ça^î9,|^^ jm-ofljt-,ftra^ ^ ip^çjçppçîi;?!- ,^ïï^„Wi 
mm plus i^ypraJ?le ,>Qçri^|v§^;Ç^pç^ssfpnç, go^i^cl^gs 

.doji^t 4l8.^fti§ftt.^jj,f»Jp\^f. 



LA THÉOLOGIE ANTÉNICÉENNE 



^ 



INTRODUCTION 



§ 1. — Notion de l'histoire des dogmes, son objet 
et ses limites. 

La signification fondamentale du mot dogme, 86'{\j.(f., 
est celle d'un ordre, d'un décret, d'une doctrine qui 
s'impose. Saint Luc l'emploie pour désigner l'édit 
d'Auguste relatif au recensement de l'empire {Lue. ii, 
1), et on le trouve avec un sens analogue dans les Actes, 
XVI, 4; XVII, 7; Ephes., ii, 15; Coloss., ii, 14. D'autre 
part, Cicéron écrit : Sapientiae vero quid futur um est? 
Quaeneque de seipsa dubitare débet, negue de suis de- 
cretîs quae philosophi vocant S()YfJi.axa, quorum nullum 
sine scelere prodi poterit ' . Il s'agit ici de doctrines 
philosophiques que l'intelligence doit accepter. Ç'^st 
à cette dernière signification que se rattache l'accep- 
tion ecclésiastique du mot. Marcel d'Ancyre, vers 335, 
fera encore entrer dans le dogme les lois de la mo- 
rale chrétienne ^ ; mais un peu plus tard, Grégoire de 
Nysse réservera l'expression pour désigner proprement 

1. Académiques, liv. Il, 9. 

2. EosÊBE, Contra Marcell., I, 4; P. G., XXIV, 7S6, G. 

LA THÉOLOGIE ANTÉNICÉENNE. —T. I. 1 



2 . LA THÉOLOGIE ANTÉNIOÉENNE. 

l'objet de la foi chrétienne : « Le Christ divise en deux 
[parties] la discipline chrétienne, la partie morale et 
l'exactitude des dogmes'. » 

Ce idernier usage a prévalu. Un dogme siesl donc une 
vérité révélée et définie comme telle par l'Eglise, une 
vérité dont l'acceptation s'impose à la foi du chrétien. 
Le dogme ou les dogmes, c'est i'en^emblB des vérités 
ainsi iîévélées et définies. 

A prendre les choses à la rigueur, le dogfne chrétien 
se distingue de la. doctrine chrétienne. Le premier sup- 
pose une intervention «xplicite 4e l'Eglise se pronon- 
çant sur un point déterminé de la doctrine; la seconde 
embrasse un champ un peu plus vaste : elle comprend 
non seulement les dogmes définis, mais de plus les en- 
seignements qui sont d'une prédication ordinaire «t 
courante, avec l'approbation certaine du magistère. 

Les dogmes ont la prétention de n'être que la tra- 
duction en des formules techniques, en un langage net 
et précis, des données de la révélation, des enseigne- 
ments de l'Écriture ou de la Tradition chrétienne pri- 
mitive. Entre les enseignements de Jésus-Christ ou de 
saint Paul et ceux du concile de Nicée ou du concile de 
Trente, il n'y a certes pas ressemblance verbale, mais 
il y a équivalence, il y a identité de fond. Ceux-ci ne 
font que reproduire les premiers. C'est ce qu'affirme 
l'Eglise catholique. La question se, pose néanmoins : 
comment de l'Evafigile et de saint Paul ou de saint 
Clément est-on venu aux formules deKicée ou à la pro- 
fession de foi de Pie IV? Quelle marche a suivie la pen- 
sée chrétienne dans cette évolution qui Ta conduite 
ainsi des éléments primordiaux de sa doctrine à l'épa-: 
nouissement de sa théologie ? Quelles ont été ses étapes 

1. Epist. 24; P. G., XL VI, 1089, A : Aiatpet (éXpioToç) eîç Wot'iv t«3v 
Xpiffttavwv TtoXiTîîav, sîç xe to ^Qixàv (iépoç xocî et; tyiv tûv ivypi'Zùi-i 
ixpÉêEtav. 



INTRODUCTION. 3 

dans cette voie? Quels entràîn'einents ou quels arrêts, 
quelles hésitations y a-t-eil« suMs? Quelles cïTCons- 
tances ont menacé de l'en faire dévîeT, ^t quelles dé- 
viations en eîFet se sont produites dans certaines parties 
de la conamunauté Chrétienne? Par quels hommes et 
par quels adtes ce progrès s^est-il accompli, et quelles 
idées dîrBCtrices, quels principes dominants en ^nt dé- 
terminé le cours ?C'œtà ces questions que =doit répon- 
dre VHhtoireâes dogftves. L^histoîre des dogmes a donc 
pour objet d« nous exposer le travail intime de la pen- 
sée chrétienne sur les données primitives de la 
Révélation, travail par lequel elle en prend une plus 
complète possession, elle les éclaire, ites féconde, les 
développe, et les coordonné enfin en un système har- 
monieux et savant, sans en altérer cependant la subs- 
tance — c'est l'affirmation catholique, — et sans en 
modifier le fond doctrinal. •// 

Il est aisé de voir par là que l'histoire des dogmes 
n'est qu'une partie détachée de l'histoire ecclésiastique. 
Cette histoire en effet doit raconter la vie de l'Église, 
sa vie -intérieure comme sa vie extérieure, la vie de sa 
croyance et de sa foi par eonséquent et les vicissitudes 
que cette vie a traversées, comme la vie et les vicissi- 
tudes de ses institutions, de son culte, comme les progrès 
de son apostolat el, les événements qui^)nt marqué ses 
relations avec les puissances humaines. Croire et en- 
seigner la Tërité est pour éette Église le premier des 
biens comme la premièTe des fonctions. Une Histoire 
de rÉglise tant soit peu digne de ce nom né saurait 
donc négliger l'histoire de son enseî^nemenl et de sa 
foi, rhîstoire de ses dogmes. 

11 importe ■maîhteiaant de distinguer l'histoire des 
dogmes des stnences ïhéologîques qui •offrent avec elle 
quèlqwe rapport. 



4 LA THÉOLOGIE ANTÉNIOÉENNE. 

On a mis plus haut une différence entre le dogme 
chrétien et la doctrine chrétienne, celle-ci étant plus 
étendue que celui-là. Par conséquent, une histoire des 
dogmes n'est pas tout à fait une histoire de la doctrine 
chrétienne. En pratique cependant, il faut à peu près 
les confondre, une histoire de la doctrine chrétiennne 
comprenant nécessairement l'histoire des dogmes, et 
celle-ci, à son tour, ne pouvant présenter un tableau 
historique complet des enseignements de l'Église, si 
l'on en exclut ceux de ces enseignements qui n'ont 
pas été l'objet de décisions solennelles. 

En revanche, il faut nettement distinguer de l'histoire 
des dogmes Yhistoire de la théologie^ cette dernière 
s'appliquant à exposer non seulement le progrès des 
doctrines définies ou généralement reçues dans l'É- 
glise, mais aussi la naissance et le développement des 
systèmes et des vues propres aux théologiens particu- 
liers. Elle comporte d'ailleurs sur la vie, les œuvres 
et la méthode de ces théologiens des détails dans les- 
quels l'histoire des dogmes ne saurait entrer. 

On ne confondra pas davantage l'histoire des dogmes 
avec la Théologie positive non plus qu'avec la Patrolo- 
gie ou la Patristique. La théologie positive est cette 
science qui établit la vérité des dogmes chrétiens par 
les témoignages précis de l'Écriture et de la Tradition, 
mais sans en suivre d'ailleurs le développement à tra- 
vers les siècles : la démonstration y tient plus de place 
que l'histoire. Quant à la patrologie et à la patristique, 
«lies s'occupent uniquement l'une et l'autre de ces écri- 
vains qu'on appelle les Pères de l'Église. La première 
étudie leur vie, catalogue l«urs ouvrages, en discute 
l'authenticité, en mentionne les éditions, en un mot 
considère ces ouvrages surtout par le dehors; la pa- 
tristique en examine et en expose la doctrine, en révèle 
les trésors. Toute» deux sont, à la vérité, des sciences 



INTRODUCTION. fî 

subsidiaires, des auxiliaires indispensables de l'his- 
toire des dogmes ; mais celle-ci déborde évidemment 
le cadre où elles s'enferment. A côté des Pères, l'his- 
toire des dogmes consulte d'autres monuments de la 
croyance chrétienne, symboles, liturgies, décrets des 
conciles, monuments figurés, etc. Par delà l'époque 
patrîstique, elle poursuit jusqu'à nos jours l'évolution 
de la pensée religieuse. Elle constitue donc bien une 
science à part, d'un objet bien défini et d'un domaine- 
nettement limité. 

Il est aisé, ce semble, grâce à ces distinctions, de se 
faire une idée juste de ce qu'est l'histoire des dogmes. 
11 est plus difficile de dire à quel moment précis il la- 
faut faire commencer, et dans quelle mesure elle com- 
prend ou exclut l'histoire de la Révélation elle-même. 
Les dogmes, en effet, n'étant, suivant l'enseignement 
catholique, que la révélation réduite en formules, leur 
origine première c'est l'acte ou la série des actes révé- 
lateurs, et leur substance, leur état premier, ce sont 
les enseignements de l'Ancien Testament, ceux de 
Jésus-Christ et des apôtres, c'est la théologie de l'An- 
cien et du Nouveau Testament. Une histoire complète 
des dogmes devrait donc comprendre et une histoire 
de la révélation, et un exposé de cette théologie. Mais 
c'est là, on le comprend, un champ immense et où des- 
sciences spéciales se sont déjà installées. Le mieux 
est de n'y point eiitrer ou d'y entrer le moins possible. 
C'est le travail de la pensée chrétienne sur les données 
premières de la révélation et l'intelligence de plus en 
plus complète qu'elle en a acquise que cette histoire 
doit surtout exposer. En conséquence, elle se conten- 
tera, pour marquer le terminus a quo du processus 
qu'elle veut décrire, d'un précis des enseignements de 
Jésus et des apôtres tels qu'ils sont rapportés dans le 
Nouveau Testament. D'autre part, et afin de noter les 



d LA THÉQfcôCada AJSÏÉNfiDÉENNE. 

CQaditiana> mà^&ïivi&s^ dans. le^peEes La psensées cJaré- 
ticanfr a; eôBaoBteacô et, pjaiiPsuiAîL aorii tuavail, etlesia- 
fliiieniceâ extésmiii&& (pii se sMtt. e-xencées ou qutoat 
gji SbCisa&ECjeî! &«£ eUâ- eût dehors de^.la Révsélatioa,, L'his- 
toire, daa dogmes desvra doaaaer uiaa idéei du miLku 
EeUgieux,; philosophique et moral ©.ît ce tiravail s'est 
aceompli, et signaler les doctrines étEsagèEes profes- 
sées ajito-ur des, premiera chrétiens. Gette double inr 
troductioBr suffica.poua3 BattacheE l'histoiBe.dea dogmes 
à l'histoire de leur origine, sans préjjiugser d'ailleurs 
les proh^èmes multiples et. délicats, ^m s3uièveBt;ees 
queatiojas^, et saal à recouEii;, pouxpluSî ample informé, 
aux. Quvrages.^ùi eni traitent^'» 



i. N-'éormttt ]^s ua liyre;<Se Uiéologienî^^it'exposejai ^as ici laithéorle 
du développement des dogmes telle que la. conçoivent les catholiques 
■ou les protestants. Oir peut voir sur ce- sujet- Viscekt-deLébiîîs, €ùm- 
monitoxiuml, 23', jP.. i>, L,^ 6eî-€S9ç Newhaît, ^n-: cssoy on: tAc dteeer 
lopment of Christian doctrine, 2» édit., Londres,. 1ST8, et sa critique 
par J.-B. MozLEYi Theory ofàevelopment) a criticism afDi'^Newman's 
Essay tl»79>; Dk. e*. Babbi^, La vie da; dogme. eathoUq^ue,, Paris, 1888; 
îi. MoniLLo, El.prog/esso ea la Reoelacion christiana, Roma,. 1913, et 
les nombreux artîdies parus sur ce sujet- dans les^ direrses revue», 
notamment c^a. ée^lt'.o&.fitibUioiuasois dans lau Revue. pràiliq/ijuiidiaffa- 
logétîque, 1908; — Quelq.ues réflexions suffiront pour notr& faut. L'his- 
toire des dogmes suppose que ces dtjgrmes ont passé par certaines 
Ticissdtadiesv, qu'ils ont été soumis à; certaine! développements! ou. ac> 
croissemeatSj.car les cboses seules qui vivent et se modifient, onb une 
histoire. L'existieirce même de ces vicissîlutfes- n'est pas- douteuse, etil 
suffit d'ousTirles veux pourtes: conalate^, L,'iHipoirtanfr estîdt'eafixBr-lfes 
caractères et les résultats, d'en; marquer les limites, les causes et: les 
lois, en un motdedéflnirdansiqueile mesure la substance des dogures 
est atteinte paœ cett&éT»lation. La q.aest}.OQ. peut^se tisaiter: oi^ paiïla 
jnéthode tfiêorique, a priori, en parlant de ce que l'Église enseigne, sui 
Hmmntabilité substactieilé- du dogme, orx a postisriori:, par la méthode 
imtoifiquei.en lexnieillaati Ie& tcsuitats) qpia.xévèle an« Qtud«; atteaU»« 
des faits. Cette dernière méthode est celle naturellement que sulvrs 
l'historien. Les auteura protestants et rationaFiates affil-mant quîeàetes. 
a conduits à cette: conidusiaa que; les donnée» prisiitiiv^ de la4Ré,%élatii)!i] 
chrétienne n'ont pas seulement été scientiGqueinent exposées et d.4 
veloppéesparlfe dogme ultérieur, mais bien 8ubslantierienren*^alté*ées 
ètmodiâèea. Veir^djaisv eeseusiw ia déclaration; deK,; llzssschy.Bt'és^is 
de l'histaire. des dogmes, inXraàuciion, p.,x.,Toutantrcs,,ojï.Ie sait^soni 
les conclusions atrsquclîes arriva Ne^vmair, encore anglican, fc la sùile 
■des mêotesi redierehes histbiiques, et qulil a< ooasjgoées ésesàmn fse 



INTMOJDUCTIOX 



g 2. — SouKces. de^ l'histoire des. dogmes. Dlv^irses- 
méthodes qu'on "sr peut suivre. Ses divisions. 

II n'est presque pas de branchel^ de la littérature chré- 
tienne qui ne doive ou ne puisse être mise a contribu- 
tion pour une Êfstoire des dogmes. Au premier rang 
toutefois, il faut mentionner les sources mêmes du 
dogme, l'Ecriture et les enseignements oraux de Jésus- 
Christ et des apôtres consignés dans les documents 
ultérieurs, puis les symboles, professions de foi, défi- 
nitions deS: conoiles et des papes, qui en ont fixé la 
portée et précisé le sens i puis les écrits des Pères et 
des anciens auteurs ecclésiastiques, et, pour une pé- 
riode moins reculée, ceux des théolbgiens. Les décrets 
canoniques et disciplinaires, les prières et les chants 
liturgiques, les inscriptions' et les monuments fi^gurés 
donneront souvent des indications précieuses sur les 
croyances intimes de rÉglise à une époque déterminée; 
les livres apocryphes et les ouvrages des hérétiques en 
fourniront la contrefaçon ou la contre-partie. L'histoire 
eGclésias-tique éclairera le milieu où ces croyances se 
sont déveroppées, et en produira souvent, dans les faits 
qu elle raconte, des- attestations pîus frappanfes que 
les textes eux-mêmes. Enfin,, et sans prétendre tout 



meus JBTssd^i mentioioné pluahauL Les catholiques les onl, en j^artie, 
adoptées, rajouferal seulement qu'il s'en faut de beaucoup que la 
lliéoriëiditdiffTelbppeinttiedéad9gïaes^ bteniqflôi trës^étudèéeide- nos 
jours*: aoit compUttemeiit achçYée;. On. s'en, est^ tpap tenv généralement 
à des formules vasûes',, à dfe simples coniparafiTons (l'enfant qui dfevitent 
bomme, lë-âayaâ^qùi dewKEtJDS asbee^ ete.);i)isafnsamm«at''prâ(}«8a^ear 
la questionià lAq^e^|e il faux donner une. céponaeteclmiquc et adéquate 
est cellé-ci : Dans qUels cas une idée ou une doctrine, ràppoifUëeà ttiïe 
autre iSée sa k- uit& autj«< doettinèv it'eiK estrelié qu'uif siâptè d^e- 
lappement, et dans quels' cas en est-elle une aU'ération' ou^un&tîrans- 
formation subslantieilè? On peut bien apporter, pour la résolidre, des 
principes gën.éajïiO'X';- inàis^ ili est^ éf idefit^ 4ue éfiaque» ea»i pMticttlittr 
<n;qi^ utt «xatnoa sgéici^. 



8 LA THÉOLOGIE ANTÉNICÉENNE. 

énumérer, il sera absolument nécessaire de connaîtra 
les idées phi] osophiques et religieuses dominantes aux 
divers âges de l'Église, si l'on veut se rendre compte 
des courants qui ont pu agir sur la pensée chrétienne, 
des influences sous lesquelles elle a évolué, et saisir la 
portée des formules dogmatiques dont la langue phi- 
losophique est un des éléments. 






Quant à la méthode à adopter dans l'histoire des 
dogmes, on en peut concevoir deux différentes. Ou bien 
l'on étudie l'histoire générale des dogmes en suivant 
l'ordre des temps, et en exposant l'idée que chaque 
époque et chaque auteur principal s'est faite de l'en- 
semble et des divers points de la doctrine chrétienne : 
c'est la méthode que j'appellerai synthétique. Ou bien 
on prend en particulier un dogme ou un groupe de 
dogmes se rapportant à un même objet — le dogme 
trinitaire par exemple — , et l'on en suit la formule 
et le développement pendant une période déterminée, 
et, si l'on veut, depuis les origines jusqu'à nos jours : 
c'est la méthode analytique. Elle permet de mieux 
approfondir l'histoire de chaque dogme isolément, et 
d'en mieux apercevoir la marche , mais elle a l'incon- 
vénient de ne présenter qae des monographies déta- 
chées, et de n'offrir des systèmes des grands théolo- 
giens — d'un Origène ou d'un Augustin — que les 
disiecta menibra incapables de nous initier à leurs vues 
intimes et plus générales. Historiquement, d'ailleurs, 
si parfois quelques dogmes ont paru seuls retenir un 
assez long temps l'attention de l'Église, les autres 
n'ont pas été pour cela entièrement négligés. La pre- 
mière méthode — synthétique — a donc l'avantage d'é- 



ISTRODUCTIOB 9» 

tre plus conforme à l'histoire objective et concrète ; 
elle permet aussi de mieux marquer les idées et les 
croyances dominantes à certaines époques, d'indiquer 
la liaison et la subordination des doctrines les unes vis- 
à-vis des autres, de présenter les vues d'ensemble des 
écrivains dont on parle. Ces avantages l'ont généra- 
lement fait préférer par les plus récents auteurs, et 
c'est celle que nous adopterons ici. Remarquons seu- 
lement qu'entre les deux méthodes des combinaisons^ 
intermédiaires sont possibles et même souvent néces- 
saires. Il n'y a en tout ceci rien d'absolu. 



* 



L'histoire des dogmes commence avec la prédica- 
tion de Jésus-Christ et s'étend jusqu'à nos jours, car 
de nos jours encore la doctrine chrétienne se fixe et. 
s'éclaire. Dans ces dix-neuf siècles toutefois, il est 
aisé de distinguer, comme dans l'histoire de l'Eglise 
en général, trois périodes bien distinctes. La première 
comprend les huit premiers siècles environ : elle se 
ferme, en Orient, sur la controverse des images et sur 
saint Jean Damascène (-f- vers 750) ; en Occident, sur 
la condamnation de l'adoptianisme espagnol, dernier 
écho des controverses christologiques, et sur le nom 
d'Alcuin [j- 804). C'est l'époque de la mise en formule,, 
de la discussian et de la définition des dogmes fonda- 
mentaux, la Trinité, l'Incarnation en Orient, en Occi- 
dent le péché, la grâce, l'Église. — La seconde périodo 
commence avec Charlemagne ou même un peu avant, 
et embrasse tout le moyen âge jusqu'à la Réforme et 
au concile de Trente. L'Église grecque n'y fait presque 
aucune figure : toute l'activité semble concentrée dans- 
l'Église latine. Un immense travail de systématisation 

1. 



10 LA THÉOLOGIE. ANTENICEENNE. 

reGueille. dans Ja tradition; les éléments^ éofitrinaiix,, et 
les fond daûs une synthèse, puissante^ en s'aidant dies 
•données pliilosopliiqueS;SurtQutde l'Acistotélisme.G'ejst 
l'âge, des SommeSy^ de la théologie, des, sacEements, de 
-celle des, indulgences., des dévotions secondaiEesv et 
aussi de celle de la hiérarchie et du pouv.o.ir dans l'E,- 
^lise. — Avec le Protestantisme etïe cotuciie de Trente 
:s'ouvre Tine. troisième; période.. Pendant q_ue le premier 
prétend revenir aux. enseignements primitifs, en faisant 
■de l'Écriture l'unique source doctrinale, et de la foi 
l'unique principe delà justification, le. second consacre 
en grande partie l'œuvre du moyen âge, et commence 
contre le naturalisme débordant déjà dans la Renais- 
sance la lutte qui se continuera dans les siècles sui- 
vants. Ce n'est plus désormais tel ou tel dogme qui est 
en pu,, c'est l'existence de l'Église cjomme autorité 
•enseignante ou même d'un dogme défini (protesLan- 
4,isme libéral) ;. c'est l'existence du surnaturel et de la 
Révélation (rationalisme); c'est la croyance en Dieu, 
•c'est la valeur de la raison humaine (athéisme, subjec- 
tivisme) qui sont attaquées. Si, durant cette période, 
le dogme s'est développé — et il s'est en effet déve- 
loppé, — il s'est surtout défendu. L'apologie, sous ses 
diverses formes, y a tenu la première place. 

De cette histoire des dogmes ainsi divisée le présent 
volume n'étudiera que le commencement jusqu'au con- 
cile de Nieée (325) : deux autres volumes pousseront 
l'exposé jusqu'à Charlemagne. 



1 3. — Les principaux travaux d'histoire des dogmes. 

L'histoire des dogmes, dans sa forme actuelle, ne 
date que d'un siècle. Les anciens hëréséologues, saint 
Jrénée, les Philosophoumena, le Pseudo-Tertullien, 



saint %ighaiie,^ Philastrius» Thépdcyjftt, etc.j ^sj. les 
K&tociens oeclésiastvctuejs, Etisèbe^ e;t_sçs.cojç^ii.uate,urs, 
ojat sans doute laissé des matéria,ux; pQuan r.histp^mde 
la, doctrine dims les. crémiers siè,cle$, mais, ils n^'ont 
jamais songé à récrire. Ajii moyen, âge, l'idéfi, même 
d'un développement, dans^ le dogme s.embje, s'être, obs- 
curcie. L'ignorance où l'on était 4^s œuvres dei^ plus 
a.nciens Pères, le mélange, de, ceS; œuvres avep d'autj:^es 
écrits apocrj^jyhes mis.au courant des décisions^ cpnci- 
liairQS postérieurej^ ay^fè^i^ndoxmi tout soupçon, sur 
ce gpint. il fallut la Réforme d'uj^p.'fartj^ de, l'ajitfe 
l'admiçabîe tçayâil çatri^.t,iijijie d^édftipu,» d^. çé.xi,sipn 
et de triage accompli par les grands érudits des, x^vif , 
xvii" et xyiii* iMèples pour rempttro^ en, li^mière, Xq- fait 
signalé par Yincent de/Lérins au y®, et ram.ener sur ce 
fait ^attention des» th,éolpg^iens.. L'argument, fojijàA- 
mental du. Protestantisme, cftntre le dogme catholkju,e 
reprochait à. ce dogme d'être relativement nouyesiu, 
d'àypir été ignoré de rÉcriture et cies. Pères : A^b. initip 
non fuit sic. Un examen mjnutieupq de la, d^optrine 4e 
l'antiquité devenait nécessaire,. 11 fut réalîisjé.en France, 
avec u^ne compétence hors Ij^ne,^ par le jçsij^ite Petsya 
{De the^ologicis dogmatibusy 1643-1650) ^ et u^ peu p^u^ 
tard gïir l'oratorien Xbpmassip^ {'f'heQjpgipadfi^nifaftfii,, 
. 1680-168Q)'. Petau reste un maitjre q^ii^'il ^aii^4ç^ t4^p^s 
consulter. En niêmes temps, pa,raiss,ait, à ÀÇQist^rdam 
l'ouyrage d'un écos^i^, ipfeft for^^çs^ ^. Çp^s^. [Im^VM- 
iiones historico-theologicae, 1645), destiné à montrer 
l'harmonie de la doctrine réfprmée ayec l'anci^enne 
prthodoxie ; puis celui de. Gippjç'.gçs. Bb^Us {{Jtefçn^^ç, ^^- 
caenae fidei, 1685-1688), où il défendait cpntçç les 
Socîniens \^ cypyance tjçipita,irf^, e,t çitti%Qu#it yi»y,§jaft§i^t 
i'e;xégèse de Petau. 

Quelque place que ^înt 4ai,9.^ pes çg.iiyçe^ l'M^tpiîÇ des 
éftoMaes, elles n'étaient |ias eependai^t. à^ p^pppeme^t 



12 LA THÉOLOGIE ANTENICEENNE. 

parler des histoires du dogme. C'est en Allemagne que 
parurent les premiers essais portant ce titre, et c'est 
l'Allemagne protestante surtout qui lésa depuis multi- 
pliés. On peut grouper autour de six noms l'ensemble 
des travaux qu'elle a produits sur ce sujet. 

Le premier est celui de W. Mùnscher, de Marburg 
(-{-1814)*. Cet auteur avait été précédé par S. G. Lange 
dont l'ouvrage 2 était resté inachevé, et son Histoire 
fut suivie d'une série de manuels sans influence sur les 
progrès de la science. Mùnscher lui-même était trop 
rationaliste pour avoir, malgré sa profonde érudition, 
l'intelligence vraie du Christianisme et de son dévelop- 
pement. 

Après Mùnscher il faut nommer Neander ^, et les 
auteurs qui dépendent de Schleiermacher, entre au- 
tres Baumgarten-Grusius (f 1843)-* et F. K. Meier (-f- 
1841) ^. La tendance est déjà meilleure et plus conser- 
vatrice. Le livre de Meier dénote dans son auteur une 
vue juste de la méthode à suivre : les matériaux y sont 
bien choisis et disposés avec soin. 

Mais Hegel a paru, et, sous l'influence de sa philo- 
sophie, une nouvelle conception se produit de l'évolu- 
tion du dogme. Elle est représentée par F. Christian 
Baur (-{- 1860) et son école. Outre diverses études con- 
sacrées aux dogmes de la Trinité, de l'Incarnation et 
de la Rédemption, Baur donne un manuel et des 
lectures d'histoire des dogmes^. Il ne voit plus, comme 



1. Handbuch der christlichen Dogmengeschichte, 1797-1809; Lehrbuch 
der christlichen Dogmengeschichte, 1811. 
i. Ausfûhrliche Geschichte der Dogmen, 1796, 

3. Allgemeine Geschichte des Christentums, 1823 et suiv.; Dogmen- 
geschichte, ce dernier ouvrage publié par Jacobi, en 18S7. 

4. Lehrbuch der christlichen Dogmengeschichte, 1831 et suiv.; Corn- 
pendium der christlichen Dogmengeschichte, 1840 et 1846. 

5. Lehrbuch der Dogmengeschichte, 18i0. 

6. Lehrbuch den hristlichen Dogmengeschichte, 1847 ; Vorlesungen 
iber die christlichen Dogmengeschichte, éditées en 1863-1868. 



INTRODUCTION. lî 

Bauragarten-Crusius et Meier, dans les modifications 
subies par le dogme, l'effet de causes parliculières, 
locales et temporaires: il y voit l'effet delà loi géné- 
rale qui entraîne toutes les doctrines à travers les 
vicissitudes de la thèse, de l'antithèse et de la synthèse. 
Son système eut, à un moment, un succès énorme : il 
est aujourd'hui bien abandonné. 

Une réaction se produisit qui prit à cœur de justifier, 
par l'histoire, le Luthéranisme confessionnel et les 
dogmes fondamentaux du christianisme. L'auteur le 
plus en vue en fut Thomasius (f 1875) ^ Thomasius 
admet en principe l'autorité de l'Église et celle de 
l'Écriture, et montre, en conséquence, le bien-fondé 
des premières définitions conciliaires. Mais il continue, 
avec assez peu de logique, en prétendant que la hié- 
rarchie avait engagé, au moyen âge, la doctrine dans 
une fausse voie d'où la Réforme a dû la tirer. A cette' 
même orthodoxie luthérienne appartiennent Kliefoth^, 
Schmid3 et Kahnis (f 1888) ^ 

L'influence de Baur fut remplacée par celle deRitschl 
{■f 1889). Ritschl n'a écrit lui-même sur l'histoire des 
dogmes que des études de méthode et des travaux dé- 
tachés : mais il a fortement contribué à faire disparaître 
des manuels la division en histoire générale (méthode 
synthétique) et histoire particulière (méthode analy- 
tique) des dogmes, adoptée presque généralement 
jusqu'à lui, et a attiré l'attention sur le rôle que la phi- 
losophie grecque avait joué dans la constitution du 
dogme chrétien. C'est à lui que se rattache F. Nitzsch^. 

C'est à lui encore que l'on peut rattacher, dans une 

1. Die chrisUiche Dogmengeschichte, 1874-1876, éditée à nouveau par 
B0NWET8CH et Seeberg, 1886 et 1889. 

2. Einleitung in die Dogmengeschichte, 1839, 

3. Lehrbuch cier Dogmcfigeschichte, 1859. 

4. Der Kirchenglaube historisch genetisch dargestellt, 1864. 
». Grundriss der christlichen Dogmengeschichte, 1870. 



14 LA THÉOLOGIE AKTÉSICÉBNNE. 

çertainyemesurerduinoins, les ouvragea deM. Ad.Har- 
naçk*. L'idée q^ai les domijQe est q;ue <c le dogme, dans 
sa conception et son, développement, est Fœuvre de 
l'esprit grec sur le terrain de î'Evangile » , a,utrement 
dit, qju'il est le produit, de, la, pÈilbsopliié grecçiie- tra- 
vaillant sur les données éyangétiques. L'auteur a ppEté 
au service de cette thèse sa rare connaissance de iTan- 
cienne littérature chrétienne, mais aussi une disposition 
trop peu contenue au paradoxe : il s'^en faut bien que 
tout soit acceptable dans ses conclusions. Depuis, 
plusieurs traités ont paru qui. méritent une mention : 
je citerai ceux de F^ Loofs -,. d'une érudition, très 
sûre, de R. Seoberg ^, écrit dans un esprit ço.nseçv^- 
leur, et le mafluel plus çqurt de N. Bonwetsch ^. 

L'Allemagne eatholique a été moins féconde en his- 
toires générales du. dogme,, et s'est plutôt occupée d'é- 
tudes détachées. Il' faut cependant, signaler le manuel de 
Klee^,et celui, moins conii.u,, de Zobl(i 865). L'ouvrage 
le plus complet est celui de X. Schwane^; niais on trouve, 
dans les vues, Ijisto.riques dont Kuhfla.semé sSiDogma- 
■tique"^., des oJ?seryations peut-être plus pénétrantes 
«ncojce. Bach, a donné, en 1873,, une bonne histoiiie des 
dogmes au mo^en âge^,. et K. "WerQer dtes tray^^ux 

i^ Lehrbuehder'Bfogmengeachichte, Fxeibiirg: im> Breisgaa, iS8&l£90; 
4? éditioQ, ig09-19U). GrtJfi<t»:t«« der Dogm^nge^qhiçfit^, 3« ^itiqn, 
1898; traduct. française sous le titre de Précis de l'histoire des Dogmes, 
pacifi, 1398;. 

2. LeUfac^r^zjnm StvAiunkd^ DogmengescMchtfi, Halle, <889;4t? 04^;., 
4906, ■ ' 

Z. Lehrbuehder Dogm&igeschicUlei/Ëv\aiîi%eiL, 189S. et sulv; ; ai^i' édit. 
■t.. l et JI,, Leipzig, iSOMQlO; Grundriss der Dogm,en3eschicht.e, 1900,, 2» 
-édit., 1903. 

i. Grundriss den Bogmengesckiehte, MùacheB, 1909. 

5. Lehrbuch der Dogmengeschichie, 1837 et suiv., traduit en français 
:Sou.a le titre, d^ Manusl d^, l'histoire des Pogpnes:^ par, l'abb^ hiawre 
,1832. ■ ' ' " ' 

G. Dogmengeschichte, 4362 et. suiv. ; 2.« édit., ^892 et sniV» ; tf aduct. 
française par l'abbé A. Degeut, i9û3.-1904. 
7. Dcuxi,4oiei éd-» 1839. 
5. Die Dogm&/ig,esçhichtfi, d^. kathçlischen iliUeîc^leirs, i8i.73r!lft75. 



étendus? sttf saiot, Tiiomi^s, 4'Àqpift> e^t la. Scolasti(jae * . 
La France n'atgrod^it jus(ju'içi a»cume histoire, com- 
plète des dogjEoes;^. 3ossiJie,t,. qyi^eu rQcqasion^ dans 
ses coritroYeFse&aveeJiirie», et Richja^d Simon ^, d'exa- 
miner les. difficultés que présente 1^ doctrine de cer- 
tains Pèresi l'a fait danA un eaprit quii semble écarter 
l'idée même d'un progrès dogmatique.. On trouve 
quelques boniûes indications dans YHistoire des Sa- 
crements de Dom Cliardoîi (1745) ; mais il faut venir 
j:usqu'à M?^ Ginoulhiaa pour rencontrer une œuyçe 
qui^ afeorde franclieinQAt le su|et qui nous occupe. Son 
Histmre du, dogme aOrthoUque pendant, les. trois pre- 
miers siècles de l'Église^ est restée inachevée, puis- 
qu'elle ne traite que de Dieu el de la Trinité ; l'analyse 
y; est poussée à l'excès^,, et l'exégèse a'e.n montre par- 
fois timide ; mais l'érudition de l'auteur s'y manifeste 
profonde et consciencieuse, l'exposé en est clair et ju.- 
dicieux, le ton excellent. On lit encore avec intérêt 
et profit les Etudes sur les Pères âes^ trois premiers 
siècles, de M^' Freppely bien que l'exposé en soit lâche 
et la critique arriérée. Le P. de Régnon a publié, sur 
la sainte Trinibé, des Études de théologie positive 
(1892-1896) restées inachevées, mais qui sont un des 
bons ouvrages de théologie historique de ces derniers 
temps. On ajoutera à cette liste plusieurs des écrits 
de Me-- Batiffol, de MM. Fourrât, Rivière, d'Alès, Le- 
breton et autres, ainsi que nombre d'articles du Dic- 
tionnaire de Théologie catholique d'abord entrepris 
par l'abbé Vacant. 

1. Thomas von Aqmno, 1859; Die Scholastik des spâteren Mittelal- 
ters, iS8l et suiv. 

2. Je parle des catholiques ; car les protestants en ont donné quelques- 
unes. La plus connue est celle de Fr. Bonifas, Histoire des dogmes de 
l'Église chrétienne, Paris, 1889. 

3. Avertissements aux prolestants; Défense de la Tradition, 
A. Paris, 1852; 2« édit., Paris, 1866. 



16 LA THEOLOGIE ANTENICEENNB. 

En Italie il faut mentionner les leçons du P. Semeria, 
barnabite, sur les origines chrétiennes^. 

L'Angleterre a tardé plus que l'Allemagne à s'occu- 
per de l'histoire des dogmes. Mais, en 1845, parut un 
livre destiné à faire époque, c'est VEssai sur le déve- 
loppement de la doctrine chrétienne, de J. H. New- 
man. Ce n'est pas une histoire des dogmes, c'en est 
l'introduction ou la préface, pleine de vues profondes 
et d'aperçus originaux. L'auteur se convertit au catho- 
licisme en l'écrivant. Depuis, les protestants de langue 
anglaise ont surtout traduit les histoires du dogme 
allemandes, mais ils en ont relativement peu produit 
eux-mêmes. Signalons cependant celle de l'américain 
Shedd^, écrite au point de vue calviniste, la synthèse 
modérée et bien informée de G. P. Fischer^, et plus 
récemment la judicieuse Introduction de M. Bethune- 
Baker''. 

i. Notamment Dogma, gerarchia e eulto nella chiesa primitiva, 
Roma, 1902; traduit en français par F. Richermoz, Dogme, hiérarchie et 
culte dans l'Église primitive, Paris, 1906. 

2. Hisiory of Christian doctrine, 3» édit., 1883. 

3. Hislorij of Christian doctrine, Edinbur^h, 1896. 

4. An introduction to the early hisiory of Christian doctrine to the 
time of the council of Chalcedon, London, 1903. 



CHAPITRE PREMIER 



DES DOCTRINES RELIGIEUSES, PHILOSOPHIQUES ET MO- 
RALES,. AU MILIEU DESQUELLES LE DOGME CHaÉTIlCN 
EST NÉ, Et s'est d'aBORD DÉVELOPPÉ. 



La source immédiate du dogme chrétien, c'est la 
prédication de Jésus-Christ et des apôtres. Mais celte 
prédication n'est pas tombée d'abord dans des cerveaux 
vides, ni ne s'est adressée à un monde neuf. En Pa- 
lestine, où elle fut premièrement reçue, dans le monde 
gréco-romain qu'elle atteignit ensuite, des doctrines, 
des systèmes régnaient, des institutions et des usages 
-existaient depuis plus ou moins longtemps, avec les- 
quels le nouvel enseignement se trouva de suite en 
contact. Ceux mêmes qui l'adoptèrent et le répandi- 
rent avaient été formés, enfants, d'après ces usages et 
sur ces doctrines, ils avaient grandi au milieu de ces 
institutions, et il est naturel dès lors de penser que 
quelque chose a pu s'en glisser dans leurs conceptions 
et leurs formules du Christianisme. Une histoire du 
dogme doit donc débuter par un aperçu des idées et 
des systèmes dominants tant chez les Juifs que dans le 
monde gréco-romain au moment de l'apparition de 
Jésus-Christ, et jusqu'au milieu du n^ siècle. Cet 
aperçu est nécessaire pour marquer l'influence que ces 

17 



18 LA. THÉOLOGIE ANTÉNICÉEfWSE. 

éléments ont eue ou pu avoir sur la première expres- 
sion de la doctrine chrétienne. 



^ 1. — Ija religion et la philosophie gréco-romaines 
à l'époque de Jésus-Christ et jusqu'au xuilieu du 
IP siècle 1. 



Au moment où, Jésus-Christ vint an monde, un re- 
nouveau religieux était en train de se produire dans 
le monde gréco-romain, qui, tout en fortifiant l'atta- 
chement aux rites officiels ^ suscitait dans. les âmes des 
aspirations vers des formes de culte plus person^Ues 
et plus efficaces, pensait-on, qne n'étaient les Gérëmo- 
nies anciennes. Cette renaissance était, en partie, 
l'œuvre d'Auguste (30 av. J.-C, — 14 ap. J.-C), ja- 
loux d'abriter son pouvoir sou& le respect (ja'inspkent 
toujours les traditions dupasse. Elle était aassii el sm?- 
tout l'œuvre des cireoiastancesî nouAîelles où se te^tivait 
la société. Les barrières entre les peuples tombant^les 
nationalités se mêlaient ^^pkisiejîLplus;; les. ordres et 
les classes de: citoyens s'effaçaient; sous l'absobitisme 
grandissant: la liberté se fcêsait rare,^ liaî fortone deve- 
nait incertaine,, laj vie même se sentait menacée. Toute 
la ma^se du peuple était pauvre, affamée j^ et ceux qm 
posi^daieat la- riehesse en; avaàent teifementabusé pedc 



i. À consattep r 6. BoissrsRv La reHlfioiv romaine ^ Auguste aux An- 
ionins, PariSi;*" édit., 1892. C. MAnisA^iXes mo«aïisle&^ sousf Veanffire m' 
main, Paris, 186»; S" édit., 1886. Révu-le, La religion à-Rome sous les 
Sévères, Ptois, iSgff. Hatchv Jfte influence ef^gveeftidéasanfd'usagesi^on 
■the Christian diitrck,_ London, 7.° édit., 1898. îaABQeAtîDTjfioMft/scfteSiaaÉ»- 
verwaltung, vol. Ill, Das Sacralwesen, Leipzig, 1878. Zellea, Die Phi- 
losophie- der Grieeken:, part, lli; 3« édite, L'elpzig, ISSf. Il^nmor, 
Die aniike JS^i^t'A:^ Leipzig-, 1887. A. UAi>KAeK,.i)ieMt««tûa utid. Misbrev- 
tung des Chrislentums in den ersten dreiJahrhunderten, Leipzig, 190C. 
F. GusosT, Les^ religions! orientales' dans l&^pagmvième romain, Paris, ■ 
1;90T; Les myslèr&tde Mithr-a^^ édit,,Parifiv.l5J2.,Sur l*s livreB-berméf 
iiques, voir L. Ménard,. Rérmès trismégiàte, Paris, 1910. 



LE MIUEU GKÉCO-B0M*M ET JUIF. fô 

Leurs plaisirs, cpi© le dégoût les avaât enfi© 6iiva]n&; 
et_^qu'ils sfî«liaitaîent presse qu'une^ forée éivsm'gèTe 
vînt, les areaeher aux. jeuissanees qtt]|fe étaient inea- 
pables de; quitter (i'ea3C-naêm€ffii.,B'aistrè part, lapMfo- 
sophie, impopulaire àRome jusqu'au-teiïïpsde Gîcér&n 
(f 43 av. J.-C.), y avaife^coiM^SL aAsaclto droit de cité, 
et y faisait entendre dés; eaiseigœm'ents plus; sévères. 
Les cultes, orientiaux, en s'avançant vers F Occident, 
réveillaient) partouty sur leur passage, un sentiment re- 
ligieux, intense^ r ils ouvraient; à la piété des horizons 
nouveaux,, et lui offraient des prati^ttes et des émotions 
troublantes) sans doutai mais coFFespoadant cependant 
à des besoins profonds et. d-'autant' plïis forte qu'ils 
étaient plus mal définis. 

Un des premiers résultats de cet état de choses fut l'es- 
pèce de syncrétisme religieux qui tendit à fondre en une 
toutes les religions nationales^ à id^ïtifier eittre eux les 
panthéons des, vaincus et des: vainqueurs, à ne plus re- 
présenter même les dilifférentsdieux quecomîne'desattri- 
buts personnifîé&d'uttdieu unique^ eomiaef des manifes- 
tations de lafarcejplastiquetUBiiYerseUa qui p^étraifr et 
gpuvernait.le moade. Les lettrési acqeptiaîeïtt eetta der- 
nière coBceptkMSs, ei;Iie. peiq)Ie, tout ea restant fidèle au 
polythéisme, et au culte des dieuae. dfetiî^stsî, n'y répu- 
gnait pasi Biem. pluis. Il s'en: faut bièai d'iaitteurs^ que l'on 
se fît des dieuxridée transcendantei cpe nous: avons du 
Dieu unique, elquerleimotâsôçeût-ï» signification res- 
treinte et exclusive qjje nous lui donnons^^^ . L'essence 
divine^ était regardée eomim& vms^i, msàsi comme dïvisr» 
ble, et commimifiable.. De: cette essence étaient' faits le» 
dieuxide la^nïythâlôgie, keuEeusLebimmiGœtels ; mais^d» 

gom. in Psalm.^ dans pitra» Analecla, II„437.;,CicÉRQS,.I>e- le0bvÀ, n, H : 
« Qnmtam quidem aniraos îmmoriales esse, sed fortiutn boQ.oramqae 
dâviaoB, »., V..H!4Kue»i. hahrb. dex DQ., I, p* 138,. note 4. 



20 LA. THÉOLOGIE ANTÉNICÉEKNE. 

cette essence était faite aussi Tâme des héros- et des 
hommes les plus vertueux : il y avait en eux un génie 
qui devait leur survivre et prendre, après leur mort, 
place définitive au rang des dieux. L'apothéose des 
grands ancêtres d'abord, puis des hommes \eh plus con- 
sidérables, étendue ensuite par 1^ flatterie à tous les 
empereurs, n'a donc rien qui doive nous étonner. Il 
fut entendu même, dans chaque famille, que ses mem- 
bres disparus étaient remontes vers les dieux d'où ils 
étaient descendus. A plus forte raison ne répugnait-on 
pas à l'idée de l'apparition des dieux sur la terre. L'op- 
position que cette idée avait rencontrée d'abord chez 
les esprits forts tamba peu à peu : au temps des An- 
tonins elle avait conquis une partie de , ses adver- 
saires. 

L'immortalité de l'âme était, partant, une doctrine 
généralement reçue à .cette époque, sauf de l'école 
épicurienne. L'âme, à sa sortie du corps, était jugée 
et associée aux dieux si elle avait pratiqué la justice) 
punie avec les méchants si elle avait été méchante 
elle-même. L'Elysée ou le Tartare l'attendait. On ima- 
ginait cependant quelquefois un troisième séjour pour 
certains coupables dont les fautes semblaient tenir 
du malheur plus que de la perversité. Mais du reste, à 
parties vieilles données de la mythologie, on ne savait, 
sur la nature du bonheur ou des supplices d'outre- 
tombe, rien de précis ni de certain. Les doctrines, de 
Pythagore, en introduisant l'idée de la métempsychose, 
axaient brouillé quelque peu les anciennes traditions 
sur l'éternelle durée de la félicité élyséenne. Virgile, 
écho fidèle des croyances de son temps, nous a lais^s'é 
de cette félicité deux descriptions successives qui ne 
s'accordent pas. Dans l'une, le bonheur dès héros et 
des justes es t^ s ans ombre et sans fin : c'est la concep- 
tion vulgaire. Dans la seconde apparaît la pensée de 



LE MILIEU GRECO-ROMAIN ET JUIF. 21 

l'expiation : toutes les âmes, même celles des bons, 
doivent, pendant mille ans, expier plus ou moins sé- 
vèrement les souillures contractées pendant leur vie 
sur la terre ; après quoi elles boivent l'oubli au fleuve 
Létlié , et sont renvoyées ^ns le monde pour y com- 
mencer une nouvelle exret^îe. C'est la conception 
pythagoricienne qui s'est juxtaposée à la première, 
sans la détruire. 

Tels étaient les principaux éléments doctrinaux — 
assez pauvres, on le sent — qui composaient sous Au- 
guste et un peu après lui, le paganisme classique. Ils 
pouvaient suffire à fonder un culte officiel : ils ne suffi- 
saient pas à étancher la soif de certitude et d'émotions 
mystiques qui, de plus en plus, tourmentait certaines 
âmes. Le sentiment religieux, que l'empereur s'était 
efforcé de réveiller, se détourna plutôt de ces formes 
vieillies pour s'adresser à des cultes aussi vieux d'ail- 
leurs, mais qui, pour cette société, étaient nouveaux, 
parce qu'ils lui étaient étrangers. Ce n'est pas que les 
cultes orientaux présentassent un enseignement théo- 
rique plus complet et plus sûr ; mais ils prétendaient, 
par des initiations mystérieuses et des pratiques 
inconnues jusqu'ici, justifier le fidèle de ses fautes, et 
le faire entrer dans une communion intime avec la 
divinité. Or cette société, du reste si corrompue, pa- 
raît avoir vivement ressenti le besoin de l'expiation, 
et aspiré au commerce avec le ciel. On vit donc les 
femmes surtout, gagnées par la gravité et l'austérité 
autant que par les prédications des prêtres d'Isis ou 
de la Déesse syrienne, jeûner rigoureusement, prendre 
des bains d'eau glacée, se priver de tels ou tels aliments 
impurs, s'infliger des pénitences et des macérations, 
se préparer aux fêtes des dieux en gardant une con- 
tinence sévère. En certaines circonstances plus solen- 
nelles, on célébrait le taurobole, sacrifice expiatoire 



22 LA T¥LÈQm>GflE ^IRTÈmOÈEi^mï. 

par -exeellenee, ©ù le sang 4e fa "victiàie ■venait p^irifier 
de leurs fautes et « Té^nérer pour ^éternité » ceux 
qu'il devait arroser^ . Ces p-ratiques étaient accompa- 
gnées ou suivies d'imtiatioBB, où il semblait que l'au- 
delà fût "révélé à l'iiailTié, et que le dieu se montrât à lui 
dans ses mystères. De tousses cultes, celui qui devait 
devenir le plus populaire après les Antonins, mais 
qui apparaît déjà à Rome vers la fin de la République, 
est celui de Milhra. Mithra est un médiateur et un 
rédempteur-, il a une îiiérarcMe, un saCT-îfice, un 
baptême «^t une «ène : finilié mange un morceau 
de pain et boit à «n calice d'eau^. Les Pères verront 
là une contrefaçon diabolique du christianisme'^. En 
tout cas, ce que le païen recherche dans toutes ces 
cérémonies, c'est cela même que l'âme chrétienne 
trouvera dans l'Évaiagile et dans ses institutions, le 
pardon des fautes commises, la purification non pas 
légale et rituelle, mais réelle et intérieure, le salut, la 
vie éternelle. 

Un lien plus intime tendait donc à s'établir entre la 
religion et la morale individuelle, la première n'étant 
plus une institution d'Etat, dont les magistrats étaient 
les prêtres; et dont la décence publique limitait toutes 
les prescriptions, mais un ensemble de sentiments per- 
sonnels, où chacun devait puiser le courage de ré- 
former sa conduite et de refréner ses passions. Pour 
cette œuvre de rénovation toutefois, le sentiment reli- 
gieux fut puissamment aide, surtout dans les classes 
éclairées, par la philosophie. 

Dans son enseignement métaphysique, ceîle-cî était, 
depuis longtemps, en pleine décadence. Chacune des 

1. Taurobolio crioboHoque in asternum renatus [Corpus inscript, la- 
lin., VI, 510). La première mention du taurobole se trouve dans une 
inscription de Naptes, de l'an 133 ap. î.-G. 

2. S. Justin, / Apol., lxvi, 4. 

3. 5. Justin, iiid. ; Diaîog. c. Tryph., LXX. 



LE ÏÏIILIED GRÉCO-ROMAIN ET JUIF. 23 

grandes écoles pythagoricienne, platonicienne, aristoté- 
licienne, épicuTÎenne, stoïcienne comptait encore des 
représentants, mais qui se caractérisaient plutôt par ce 
qui restait dominant dans leur système que par ce qu'iî 
s'y trouvait d'exclusif. Des rapprochements et des con- 
cessions de plus en plus fréquents tendaient à effacer 
les divergences et à fondre en une les diverses théories 
de Dieu et du monde. L'Académie s'était déjà, avec 
Arcésilas [f 240 av. 5.-C.), alliée au Pyrrhonisme : elle 
persévéra dans sa philosophie du vraisemblable avec 
Garnéade (f 129 av. 3.-C.), Philon de Larisse [•\- vers 
80 av. J.-C.) le maître de Cicéron, Antîochus d'Asca- 
lon (-f- 68 av. J.-C.) et Cicéron lui-même (-f- 43 av. J,- 
C). Mais elle s'allia surtout au stoïcisme. La méta- 
physique stoïcienne était fort simple. Il n'y a point 
d'esprit pur : tout est corps plus ou moins grossier. 
L'esprit, corps plus ténu, n'est autre que Dieu, qui, 
comme un feu subtil, un éther éternel, une force im- 
manente et cachée répandue dans le monde, le pénètrCj 
le meut, le gouverne, est son âme. De Dieu est sortie 
la matière, qui, après lui avoir servi de vêtement, doit 
de nouveau s'y absorber un jour. De lui aussi sor- 
tent toutes les forces de la nature, l'esprit même de 
l'homme ^ Il est dans le monde le principe et la source 
dé toute activité et de toute énergie, non parce qu'illa 
donne ou la crée du dehors^ mais parce qu'elle est lui- 
même, ou émane, au sens strict, de lui. Il est donc, par 
excellence, le.XoY^'? <r-rc£p(Aaxiy.o(;, la raison séminale de 
l'univers. Cet univers, ille gouverne par des lois îm'- 
muables, ses propres lois à lui, car il s'identifie aveu 
le Destin et Tordre fa:tal du monde ; raisonnable d^ ail- 
leurs, parfait, exempt de tout mal, père de toutes 



111, 1, p. 136, noie 3. 



24 LA THÉOLOGIE ANTÉNICÉENNE. 

choses ^. Rien ne semblait, de prime abord, plus 
éloigné que ce panthéisme matérialiste et que ce con- 
cept d'un Dieu immanent, de l'idée transcendante que 
Platon s'était faite de Dieu, et de l'opposition qu'il 
avait mise entre Dieu et la nature, surtout entre la 
matière et Dieu. Mais il y avait, dans Platon, un élé- 
ment de conciliation. 11 admettait une àme du monde, 
d'où étaient sorties les âmes des astres, lesquelles, en 
se divisant, avaient formé à leur tour les âmes des 
hommes et des animaux ^. Dans cette âme était inséré 
le vouç divin, l'Intelligence, inférieure à l'idée du Bien 
qu'était Dieu lui-même, mais supérieure à l'âme ^. Or 
nous voyons déjà que le neveu de Platon, Speusippe, 
identifiait l'Intelligence divine avec l'âme du monde, 
tandis que certains stoïciens, comme Boethus (vers 
150 av. J.-C), regardaient Dieu non plus comme im- 
manent, mais comme extérieur au monde qu'il régit ^. — 
D'autre part, on trouve des péripatéticiens du i^' siècle 
avant J.-C, comme l'auteur du Ilepl xocjjiou, qui distin- 
guent de Dieu sa puissance (Suvaixtç), et nous représen- 
tent celle-ci comme pénétrant le monde, à la manière 
dont Dieu, suivant les stoïciens, le pénètre et l'anime ^. 
Même tendance syncrétiste du côté des pythagoriciens. 
La vérité est que la philosophie se désintéressait de 
plus en plus de la spéculation pure, pour porter sur la 
morale tout son effort. Le contact qu'elle prit avec 
l'esprit occidental et romain ne pouvait que la confir- 
mer dans cette orientation. 

Là, sur le terrain pratique, il est juste de dire que 
tous les systèmes se rencontraient, même ceux qui, 
comme le stoïcisme et l'épicurisme, paraissaient les 

1. Zeller, op. cit., ni, i, p. 139, note 1. 

S. Fouillée, La philosophie de Platon, If, 203, 204. 

3. Ibid., pp. 193, 112, 16». 

4. Zeller, op. cit., W, 1, p. SS4. 
«. Zeujcr, op. cit., ni, 1, p.6i0. 



LE MILIEU GRÉCO-ROMAIN ET JUIF. 25 

plus opposés. Mais c'est le stoïcisme évidemment qui 
donna le ton, et dont s'inspirèrent même ceux que 
leurs idées en métaphysique devaient en éloigner. Lu- 
crèce (98-54 av. J.-C.) nous propose des leçons de 
vertu qu'assurément on n'aurait point attendues de lui. 
Cicéron, dont les préférences sont évidemment pour le 
platonisme, expose cependant plutôt la morale de 
Zenon et du Portique. Nous la retrouvons plus com- 
plète et plus pure, bien qu'un peu adoucie, dans Sé- 
nèque (3 av. J.-C. — 65 ap. J.-C), le meilleur sans 
doute des philosophes que Rome ait produits ; rude et 
âpre dans Épictète (40?-117? ap. J.-C), méditative et 
repliée sur elle-même dans Marc-Aurèle (121-180)./ 

Cette morale, quand elle nous parle de nos devoirs 
envers Dieu, emploie du reste un langage bien diffé- 
rent de celui du stoïcisme spéculatif. Ici Dieu est la 
force divine animant le monde, le monde lui-même, la 
Nature, le Destin, la Fortune. Quand viennent les pré- 
ceptes moraux, ce Dieu prend vie, se personnifie, 
devient juge, providence et père : Prope est a te Deus, 
tecum est, intiis est... Sacer intra nos spîritus sedet 
malorum bonorumque nostrovum ohservator et cu- 
stos... ipse nos tractât ^. — Deus ad homines venit, 
iimno quod est propius, in homines venit; nulla sine 
Dec mens bona est ^. — More optimorum parentum 
qui maledictis suorum infantium adrident, non ces- 
sant di bénéficia congerere... unam potentiam sor- 
titi, prodesse ^. La première de toutes les vertus est 
donc de se livrer à Dieu, d'accepter sans murmurer 
sa volonté, car c'est un ami, un père qui nous aime 
d'un amour fort. Il nous faut l'aimer nous aussi et lui 
être reconnaissant de ses bienfaits. Ce n'est pas assez : 

1. Epist., XLI, 2. 

2. Epist., LXXni, 46. 

a. De beneficiis, YII, 31, 4. 



26 LA THiaiJOGîl AWTBNICÉENNB. 

il nous faut le prier, car il entend nos supplîcatlon&,. 
et est sensible à nos misères. Ce sont les paroles et le& 
conseils de Sénèque, *ce qui ne l'eTapêGhe pas, quand 
la théorie reprend le dessus, d'égaler son sage idéal à 
Dieu, de le déciarermême, par certai»s côtés, supé- 
rieur à Dieu ■* , d'assurer qu'il n'a rien à demander à 
Dieu, ni rien à en craindre. 

En même temps cependant, Sénêque recommande 
vis-à-vis de soi-miême une austérité discrète qui, sans 
avoir rien de singulier à l'extérieur, conserve à Tâme 
sa vigueur et son énergie. On usera modérément des 
richesses; on fera des abstinences volontaires, afin de 
tenir le corps asservi ; on méprisera les honneurs et 
les -dignités comme des choses qui ne nous rendent 
pas meilleurs ; on réprimera les mouvements trop vifs 
des passions. 11 est cependant des émotions que Ton ne 
saurait ne pas éprouver et qu'il faut permettre, la 
douleur et les larmes, par exemple, en présence d'un 
grand deuil. Mais qu'on se souvienne bien que le 
corps est la prison de l'âme, quMl l'appesantit et la 
contraint, qu'elle doit, par conséquent, continuelle- 
ment combattre ses appétits, et même être capable de 
se défaire de lui, si elle le juge nécessaire. 

Mais ce qu'il y a de pins frappant pent-être dans 
cette nouvelle morede, c'est l'idée de la fraternité uni- 
verselle proclamée entre les hommes et celle d'un 
amour, on peut même dire d'une charité, qui doit les 
atteindre tous. On sent ici que des barrières sont en 
train de tomber, dont la chute modifiera peu à peu la 
nature des rapports entre les hommes. Non seulement 
Sénèque demande que Ton soit lii^ral et hienfaisant, 
que l'on nourrisse l'affamé, que l'on secoure l'égaré ou 
l'indigent, que l'on rachète l'esclave, et que l'on donne 

1. Epiit., LUI, n. 



LE MILIEU 6£aSCO-ROMAI]Si ET J8J1F. 27 

la sépulture au cadavre du criiaifiel, maà& eneai?© il 
veut que l'on ne distingue; pas eatre eeux à q«i l'on^fait 
dubien^queL'Qttxegarde resclayeGQmme son pcochain, 
et que nos ennemis mêmes, ne soient pas exclus de nos 
bienfaits : H&minibu& pj'QdJ&s&e. naturm me ùibet, et 
servi liberi ne suai hi^ iagenui an. libertinL.. quid. l'e- 
fertP Ubicumque hama est,, ibi beneficii lacus est*'. 
— Si deos... imitaris. dxu et ingratis. benef.ci&, nom 
et sceJeratis sol oritur ^ . 

Ce sont là de beaux, enseignements, et l'on eonçoit 
que beaucoup de. chrétiens aient cru, à partie du 
IV* siècle, que Sénèque les avait reçus da saint Paul*. 
Cependant, quand on va au. fond de toute cette philo- 
sophie^ et que l'on en considère toutes, les affirma- 
tions, on ne trouve plus qu'elle cadre, aussi bien avec 
les préceptes et surtout avec l'esprit de l'Évangile. 
Mais il importe de remarquer d'autre part quie ces 
leçons ne restaient pas, autant qu'on pourrait le 
penser, à l'usage exclusif de la haute; société det L'em- 
pire. A coté des philosophes qui, comme Cicéron, 
Sénèque ou, Carnutua^, écrivaient et parlaient pour les 
patriciens, il y avait des pliiiosop^es prêdiLeateurs, 
comme Papirius Fabianus et plus tard Bion, GhEy-»- 
sostome (vers SO^-ll&X vivant de la. vie dui peupla, qui 
s'adressaient à la. foule dans les théâtres ou. au. coin 
des ruest et qui l'ùiitiaient^ dans la mesure doi^ elle 
était capable de l'être» à e^s fortes doctrines. 

L'aperçu, que l'on vient de^ lire se rapporte à la philo- 
sophie et à la morale païennes aui moment d& la prédis 
cation des apôtres^ Mais, à mesure que; ffon avalise 
vers la fin du i" siècle, et surtout ajo, ii^ siècle, on vait 



1. £c vita beatOr. 24> 

2. De beneftcUs, VIIiSô, 1. 

3. Il n^ a.â^âilleofs rien (te fondé dans Topinion qui va»t Mlèqae en 
rap port aro* saifit Paul. 



28 LA. THÉOLOGIE ANTÉNICÉEÎS'NE. 

cette philosophie prendre une teinte dé plus en plus 
religieuse, s'allier de plus en plus étroitement à la reli- 
gion, jusqu'à ce que, avec le néoplatonisme, elle aille 
se perdre même dans le mysticisme et Ja contempla- 
tion. Chez Épictète, il n'est plus question, suivant le 
langage du Portique, de vivre conformément à la na- 
ture [secundum natu7'am suam vivere; — sequere 
naturam), il s'agit de se conformer « à la loi de Dieu », 
d'avoir sans cesse Dieu devant les yeux de l'esprit, 
pour l'adorer, le prier et se soumettre à lui. Marc-Au- 
rèle est, un dévot qui n'omet aucun sacrifice et qui se 
réclame de tous les cultes. Le stoïcisme fait d'ailleurs 
tous ses efforts pour donner une explication ration- 
nelle et d'après ses principes de la mythologie. Jupi- 
ter devient l'âme du monde, le feu ou l'éther primitif; 
les dieux ne sont que des personnifications des diverses 
forces émanées de lui. Les fables les plus obscènes sont 
représentées comme des façons d'exprimer des phéno- 
mènes naturels ; les oracles et les aruspices sont ap- 
prouvés. Plutarque de Chéronée (vers 50-138) imagine 
un système qu'Apulée (vers 120-195) vulgarisera chez 
les Romains, et qui rend compte de toutes les croyances 
du polythéisme en même temps qu'il en justifie toutes 
les pratiques. Entre le Dieu suprême (ovtwç ov) et le 
monde se meuvent les démons ou génies, les uns bons, 
organes de la Providence et des révélations divines, 
les autres mauvais, fantasques et légers, qui sont les 
auteurs des sottises ou des turpitudes que la mytho- 
logie attribue à certains dieux. 11 faut cependant, con- 
tinue Apulée, les honorer tous, soit pour reconnaître 
leurs bienfaits, soit pour détourner leur colère, et ren- 
dre à chacun d'eux le culte qu'il désire et tel qu'il le 
désire. — Et pendant que le stoïcisme et le platonisme 
se rapprochent ainsi de la religion populaire, un nou- 
veau pythagorisme vient, à son tour, pousser les âmes 



LE MILIEU GRÉCO-ROMAIN ET JUIF. 29 

dans les voies de rascétisme et du renoncement. Sex- 
tius de Rome, qui vivait peu après Cicéron, recom- 
mandait déjà l'abstinence des viandes. Sotion (i*"" siècle 
après J.-G.) renouvelle cette recommandation. Un re^ 
gain d'actualité se fait autour de la vieille légende de 
Pythagore. Ses disciples prônent la continence et le 
célibat, imposent des purifications et des baptêmes, 
établissent un choix des aliments. En même temps ils 
s'adonnent aux sciences occultes, et attribuent aux 
nombres une influence secrète. Nous touchons ici non 
plus seulement aux mystères des religions orientales, 
mais à la gymnosophistique et à la magie. 

Tel était, dans le monde païen de Rome et de la Grèce, 
l'état religieux, philosophique et moral, aux temps qui 
virent la prédication évangélique et le premier établis- 
sement de l'Église. Je n'ai relevé que les traits par où 
ce paganisme se rapprochait du nouvel enseignement, 
et se portait, pour ainsi dire, au-devant de lui : il en 
était beaucoup plus par où il s'en éloignait. En ré- 
sumé, deux mots pourraient exprimer cet état d'âme : 
c'était la confusion, l'incertitude, et en même temps une 
aspiration à la certitude et à la lumière. Les doctri- 
nes métaphysiques, base de tout le reste, étaient flot- 
tantes; on n'était sûr ni de ce qu'était Dieu, ni de ce 
qu'était l'âme et de ce qu'elle deviendrait, et par là se 
trouvaient, pour une bonne part, énervés les aphoris- 
mes moraux que la saine raison d'un Cicéron ou d'un 
Sénèque avait su découvrir. Mais beaucoup d'âmes 
voulaient être fixées, et s'adressaient pour cela où elles 
pouvaient, aux mystères, aux songes, à la magie. Ce- 
pendant, au-dessus de ce chaos des idées, une chose 
s'élevait, respectée de tous, l'unité politique et la puis- 
sante organisation de l'Empire. Si cette unité constitua 
plus tard un danger pour le christianisme, en armant, 
contre lui la plus forte et la plus vaste administration. 

2. 



30 LA THÉÔtOGIE AKÏlISiei&S^liË. 

f ui se soit Yne, elle Q&rh d'abord à som espsnrâoit mue 
singulière fkcilité^ ea raêine temps; qu'elle présentait 
uû admirahlfi modMe de la cobésion qui devait régner 
dans l'Église. Et la liberté de fonder, dans eet im- 
mense eorps, des callèges, des a^oeiatioos privées 
d'un caractère plus ou moins religieux, peFinit encore 
aux partisans du: noiuveau cuMe de s'éfabMr sans brait 
dans le droit de tous^ et d'y trouver {d'as d'une fois un 
sefuge quand la persécotion vint à sévir. 



I 2. — Les doctrines^ religieuses et xaorales des Juils 
au moment de la venue de Jésus-Christ. Le ju- 
daïsme palestinien. 

Depuis la mort d'Alexandre le Grand (â23 av. J.-C.) 
et même depuis la captivité de Babylone, les Juifs ont 
commencé à former deux groupes' bien distincts r le 
groupe palestinien^ composé de ceux qui Iiabitaient 
dans le pays de leurs ancêtres,^ et qui se rattachaient 
immédiatement à Jérusalem et au temple, et les Juifs 
de la dispersion [Diaspora), établis d'^abord dans la 
région eupbratésienne, puis un peu partout dans les 
contrées helléniques, massés surtout à Alexandrie, et 
depuis la coaquéte romaine, nombreux aussi dans les 
pays latins et à Rome. Ces deux groupes présentent, 
au point de vue. qui nous occupe, une physionomie très 
différente, et il convient de les étudier à part ^. 

i; ôatrou-vera àzii&Vi.'BQ£s&vx,Bie.ReUgiond£sJvÂ^nVt*ms'im'Tieu'tes- 
tamentlichen Zeitallery 2° édiL (BerliH,.lâQ6),i l'énuxQt'ratioa. des, grinci- 
paux travaux sur celte question. Je ne mentionne ici que les plus ré 
cents et les plus imporlania: S/EaB&KS.vtrGeseMcMvdlefjédâch'en^ FeZSes 
imiZ&ilaUer Jesu. ChristU Leipzi^ff,*" édit.,490l-t^0â^ tom..!!. A. Schka-e- 
TER, Israëïs Geschichtë von Alexander dem Grossen bés Hadrian, Calw 
ŒQdî SiBttgarti,'B9(H.JfenTzaiA!iH, LefirBuçkOes neutestiœmoiwlMchew TReeG}»- 
gie, Freihuig. ira. EreÈsgau, 2? cdit.» dOll. DÂiMAH, jDta Wovta^ desUyl^g- 
zîg, 1898". J. ViRSEs, Histoire des idées messianiques depuis Alexandre 
^isqjûm l'empffreurBaarùeny'Bairïs, iSli^ViRimuoKifrTfie fewii^Mè^ecfAy 



LE MILIEU afiËjQO-B0MÂiQE EX JIEF. SI 

Si l'on part delà fin delà caplivitéfeû ôâ"? sni. i.-C), 
on doit diviser en cinq péricwies- rhdstQijre; ésb |>eiiple 
juif en Palestine i l'^la ^i^ioée persane qaà s'étend 
jusqu'en 330i %vo^ue où Alexandre se rend définitive- 
ment maître diL pays;, 2° la fiésioàB. greeque^ é& 330 à 
165 ; 3p à cette derni^e date le patriottsBae EeiigLenx 
se soulève contre la tyrannie et la persécution d'An- 
tiochus. Épiplianc, et les Maecltahées ïeeonepiièrent 
pendant un siècle (165-63), pour leur patrie, Time demi- 
indépendance : c'est la période asmonéenne;. 4"* mais la 
division éclate parmi les princes asmonéena ; appelépar 
Aristohule, Pompée s'empare de Jérusalem (63 av. J.- 
C), et y laisse Hyrcan comme ethnarque dans le vasse- 
lage de Rome : e'est la période j'omaine;. 5° eJle dure 
sous cette forme jusqu'en Fan 37 av. J.-C. seulement, 
époque où le fils d'Antipater, Hérode, reconnu roi 
par les Romains, fonde la dynastie des princes de son 
nom (37 av. J.-C. — 100 ap. J.-C). 

Pendant ces six siècles, les Juifs de Palestine se trou- 
vèrent successivement sous l'influence de la civilisation 
persane et de la civilisation grecque. La première dé- 
teignit certainement sur eux : on a reconnu cependant 
qu'au point de vue qui nous occupe, cette influence ne 
pouvait être constatée que dans les trois domaines de 
l'angélologie, de la démonologie et de l'eschatologie, 
et que, là même, le judaïsme n^avait pas précisément 
emprunté des doctrines étrangères, mais avait été plu- 
tôt excité et stimulé à développer ses propres germes 
doctrinaux. L'originalité juive- n'eut donc pas trop à 
souffrir du contact iranien. Plus redoutable fut celui 



i8"7; R. H. CHARLES, A critical hislory 0/ the doctrine of a future life 
in Jsraet, m Judaîsm, and in Christianity, London, 1899. M.-J. La- 
«HASGEr Le mesaicmisme chez les Jtiif&^ Paris^ 1909. J, Feltek, Neutesta- 
mentliche Zeitgeschichte, Ratisbonne, 1910. On consultera aussi ulile- 
ment plusieurs articles de la Revue biblique et des divers Sictîonnai- 
tes as la Bible récemment parus. 



32 LA THÉOLOGIE ANTÉNICÉENNE. 

de l'hellénisme. Celui-ci avait une autre force d'expan- 
sion et de pénétration que la civilisation persane. Pen- 
dant trois siècles et demi avant Jésus- Christ, il enserra 
la nation juive, s'établit au milieu d'elle, et la força j 
malgré qu'elle en eût, à entrer avec lui en perpétuels 
rapports. Sous peine de sortir de leur pays ou de re- 
noncer à toute vie sociale, les Juifs durent nécessaire- 
ment, et dans une certaine mesure, s'helléniser. Mais 
plus la masse de la nation se sentit envahir, dans sa 
vie extérieure et publique, par l'influence étrangère, 
plus elle s'appliqua, avec une âpre et jalouse intransi- 
geance, à s'en garder dans sa vie religieuse, et à main- 
tenir intacts ses croyances et son culte, ses pratiques 
et ses usages, son privilège de race choisie de Dieu et 
séparée des Gentils. A mesure que le temps marcha, 
on s'attacha davantage à la lettre de la Loi : c'est l'é- 
poque des interprètes, des scribes, des scoliastes de 
tout genre. Comme les rapports avec les païens don- 
naient lieu à de perpétuelles difficultés sur le sens des 
prescriptions légales, une casuistique énorme par sa 
masse, étroite et formaliste dans son esprit, s'efforça 
de les résoudre, et, au besoin, de compléter la Loi. 
C'est ce qui devint et ce que l'on nomma plus tard la 
Halakha, la tradition qui passe d'une génération à 
l'autre. En même temps, et pour fortifier les espéran- 
ces patriotiques et religieuses, on commentait les par- 
ties historiques et prophétiques dès Livres saints ; on 
eit expliquait les préceptes moraux contenus dans les 
livres gnomiques, et on recueillait avec soin les tradi- 
tions et les récits plus ou moins légendaires dont l'ima- 
gination avait enguirlandé l'histoire authentique d'Is- 
raël. De ce travail sortit VAgadah ou Idi Haggadahcçii 
fait le sujet des Midraschim, et remplit plus du tiers 
du Talmud de Babylone. 
Ces recueils contiennent assurément des informations 



LE MILIEU GRÉCO-ROMAIN ET JUIF. 33 

très précieuses pour la connaissance exacte des temps 
qui ont précédé immédiatement la venue de Jésus- 
Christ, mais il n'est pas toujours aisé ni possible, faute 
d'indications chronologiques, de dégager ces informa- 
tions ni d'en profiter. Aussi est-ce surtout en nous ap- 
puyant sur lalittérature judéo-palestinienne contempo- 
raine, c'est-à-dire sur les écrits composés de l'an 200 
avant Jésus-Christ à l'an 100 après Jésus-Christ, etqui 
appartiennent en grande partie à l'Agadah, que nous 
pouvons retracer un tableau des doctrines religieuses 
et morales des Juifs de Palestine à cette époque. 

Ces écrits sont de deux sortes, les canoniques et les 
apocryphes. Parmi les premiers, plus connus, il faut 
mentionner l'Ecclésiastique, le premier livre des Mac- 
chabées', ceuxde Judith et de Tobie, et peut-être, sui- 
vant beaucoup d'auteurs, le livre de Daniel. Les prin- 
cipaux d'entre les apocryphes sont : 1° Le Livre 
d'Enoch, dont les chapitres i-xxxvi et lxxii-cv remon- 
tent aux années 133-100 avant Jésus-Christ, tandis 
que les chapitres xxxvii-lxxi ne sont pas plus an-- 
ciens que l'an 37 avant Jésus-Christ. Les fragments 
noachides, interpolés dans les chapitres xxxvii-lxxi, 
et comprenant de plus les chapitres cvi et cvii, sont 
encore plus récents sans qu'on puisse leur fixer une 
date. — 2° Les 18 Psaumes de Salomon (peu après 
ran63 av. J.-C). — 3° L'assomption de Moyse (pre- 
mières années de l'ère chrétienne). — 4° Le qua- 
trième Livre d'Esdras (81-96 ap. J.-C.). — 5° Le Livre 
des Jubilés {i^^ siècle de l'ère chrétienne). — 6° ,I/A- 
pocalypse de Baruch (70 ap. J.-C— 150). — 7° Le 
Livre des secrets d'Enoch, au plus tard de la fin du 
i""* ou des premières années du ii^ siècle après Jésus- 
Christ. — 8° Le Testament des douze patriarches, m- 

i- L'auteur du deuxième livre des Macchabées parait avoir été un 
Juif lielléniste, bien qu'il ait écrit en Palestine. 



34 ëAl HHÉQLQGIE ÂNTÉNIGÉENNE. 

teupolé par- tes eJar^ôHSi klaûm. du;.!**^ cai au eommienr 
eemeat d!a ii® siècle ap^ès iésussï-ChEÉst, — 9^ L'Apoca- 
lypse HAb'pahamiy siitéEiemjœ aa milieu db n* siècle 
de; FèreiebiPétieQii©^ — %^?Les P^avaUpom.ène& de Jéy 
némUy iBteppolés sett vt siècle afccèst Jésus-Cbpist, 
KDai» «teaattki feoid est plas aneiiœnB. — Jil^ Z/e Mmrtyre 
d^Isœùe^ éerii. esasa^toi^to dcmt il est diffîieile; d'indiquer 
Bâige pBé€ii& ^ ^ 

Ce qui ressort de cette lifeiératinre, c'est, a^aatë^nt:, le 
easactèpe moiSiOtliéiste da pesple. qiQie mixm étudions. Il 
fut un temps où la dfepasitien à l'idoIâÉcie était,, chez 
liai, très forte» a« retous <fe l'exil, elieifadtplaee à une 
horreur posar t«iït ee qui tiestau paganisme:. En même 
t^mps^ la tEanscendaitee de: I>ièa s'affirme : son nom, 
toujoaiîs ineffable,, est remplaoé. par des équivalents 
qui tous exprimentsa grand^up. et sasamYeraineté; l'ex- 
pression « Père » est relatiYeiïï«n.t race. ïiefs; seathrapo- 
monphismes. sont expliqués^ adetïtel®;: les attrihats di- 
vins sont plus distinctement analysés.^ Entee. ceux-ci 
on insiste sur la sainteté^ ^a tant qu'elle iiBfiique'la sé- 
paration de toute impureté physique ou morale : la 
conséquence s'en fait sentir dans les evwfanee» escha^ 
tologîques suc les puEifications dernières. 

Y a-t-il trace, à cette époiqueetdans e® miMéu pales- 
tônien, d'one (toctcine trinitaire au moins en germe? — 
En goïme, peut-èt^ey mais encore bien obscure. En ce 

1. lirègae naturellement une assez grande divergence, entre les .au 
teurs sur les dates à attribuer à ces ccrfts : j*af indiqué cènes que donne 
SoiUEKER, Geschîekta «Se* jfMessftc» Voîhes, t. IH, àqai jaieavoie pont 
plus de détails sur l'origine et les éditions de ces Qu\rages. Laplupart 
de ces apocryphes sont réunis dans la/ traduetîoB de Kadtzsch, Di& 
ApolsryphA». itnd Pseudepi§frapken des aiten. TesktmentSî^^ t» 11, Lerpzigr, 
1900. — Y. aussi F. Martin, Le livre d'Hénoch^ Paris,. 1906. — Nous sa.- 
-rons- d'ailleurs: qu'outre ceux qui nous ont été conservés, cTautres 
édâla du Htéme genre ont circulé qiiL o»t eonxpIèlsraeAt ou, i^estfae 
complètement péri. Nommons entre autres une Prière de Joseph dont 
âiiigsxBe a ei£é das: fragraents. Un. leemnem, t. IIi, eap. 9S, LoffiOïatzsch 
ï, m). 



LE MILIB0 ?&fiîBe©-R<l®iiJN ET JUIF. 35 

qai ■Gonoe'rae le .Saint-.E«pnit, il «e semble ;pas que les 
idées y aient prog^ressé sur «e que noias trouvons dans 
les livres j^us anciens. Les mentions de l'Esprit^deDieu 
sont .rares, et comme un écho plntôt affaibli de «e que 
nous donne la littérature autérieure. Quant au V'crbe,. 
on ne peut -nier que la tendance à persoïmifier la Sa- 
gesse 4e Dieu, -déjà îmaaaifeste dans les Pro^ei'bes {yîu, 
ix),me seTetrQ-\3.vieûasisVEcciésiasiiqu'e{i, xxiv). Pre- 
mière-née de J^ieu, eréée avant les siècles, cette sagesse 
a assisté Dieu dans la création et l'organisation du 
monde : ■elle a un roleicosmique; elle a également -un 
rôle moral : elle est l'inspiTatrice de toutes les vertus 
et la source delà vie' (xxiv, jaflss//?2). Cette personnifi- 
cation se .rencontâ?e encore dans les deux ouvrages mis 
sous le Mnom d'Enocli * . D'autre part, les Jnifs s'étaient, 
depuis loiagtBmps, habitués à considérer le Verbe ou 
k Parole de Dieu comme une puissance émanée de lui 
sans doute, mais ayant enifuda^e sorte une existence 
distincte et propre. Cett'e conception, qui revient daes 
V Apocalypse de Baruoh (iLvi, 4) et dans le quatrième 
livre d'Esdras (vi, 43), facilitait l'explication des an- 
thropomopphismes Mbliques, en rejetant sur un être 
intermédiaire ce que ceux-ci psouvaient offrir de cho- 
quant, etnous voyons les Targ^oms — dont la rédaction 
n'a été achevée qn'au rv« siècle, mais dont les éléments 
sont piiïs anciens — en user largement. La Memrâ 
(parole) ytieiat la palace de Dien, chaque fois qu'il est 
question d^une œuvre cud extra, cvéaXion, manifestation, 
révélation. 

A défant d'enseignemeiïts ultérieurs toutefois, on 
pourrait ne voir dans cette façon de parler qu'une 
prosopopée hardie, et la preuve qu'il ne faut pas pren- 
dre ici les mots trop à la lettre, c'est que d'autres 

4. lÉnopA.XLll,!, % \etc\Livre des Secrets â' Enoch, XXX,» et XXXIII, 

4 (recension A). . - - ■ : 



36 LA THEOLOGIE ANTENIOEENNÈ. 

attributs de Dieu avaient été déjà l'objet de personni- 
fications analogues, bien que moins précises : ainsi 
sa gloire ^ son nom^jSa face^. Dans le Talmud, la 
Scliekinâ (la gloire de Dieu) remplit exactement le 
même rôle que dans les Targams la Memrâ ; dans la 
Mischna, composée vers l'an 200 après Jésus- Christ, 
le sujet immédiat des théophanies est le Metatrôn 
(f/.eTàepovo(;?), le premier des esprits, sans quel'on puisse 
dire au juste à quelle époque remontent ces concep- 
tions. 

Mais une idée importante qui se fait jour à ce mo- 
ment est celle de la préexistence de certaines personnes 
ou de certains objets plus considérables, que leur 
apparition dans le monde ne fait que manifester et 
extérieurement révéler (çavepoûaôai). Sans doute, tout 
est toujours présent à Dieu dont l'éternité ne connaît 
ni passé ni futur, et en ce sens, il est vrai que tout 
préexiste dans la science qu'il en a. Cependant, aux 
personnes qui devaient lui tenir de plus près, qui 
devaient, une fois dans le monde, être le sujet de ses 
prédilections ou l'instrument de ses desseins, aux 
objets et aux institutions se rapportant à son culte il 
semble que l'on accordât quelque chose de plus. 
C'était une préexistence dont on ne définissait pas 
rigoureusement le caractère, dont nous ne saurions 
dire si elle était simplement idéale ou objective et 
concrète, mais qui n'appartenait sûrement pas à tous 
les êtres indistinctement^. Peut-être cette idée avait- 
elle son fondement dans l'Exode, xxv, 40 : Inspice et 
fac secundum exemplar quod tibi in monte monstra- 



1. £rod., XXIV, 16, 17; XXIII, 18 22; Jsate, XL, 5; Ezech., HI, 23, etc. 
fi. Isaîe, ilX, 19; Ps. CI, 16; Exod.., XXHI, 21, etc. 

3. Exod., XXXIII, U ; Déliter., V, 37; Lament., IV, 16. 

4. Dauian (Die Worte Jesu, 2iS) nie cependant que ce fût là un 
principe de la philosophie juive à cette époque. 



LE MILIEU GRÉCO-ROMAIN ET JUIF. 37 

tum est. Toujours est-il qu'au moment dont nous par- 
lons, nous la trouvons appliquée à Jérusalem, au tem- 
ple, à la Loi, et aussi à certaines personnes, à Moyse 
et aux patriarches, Abraham, Isaac et Jacob ^. Nous 
verrons qu'elle fut, et naturellement, appliquée au 
Messie. 

Cette doctrine d'ailleurs se concilie très bien avec la 
doctrine de Dieu créateur de l'univers, que la cons- 
cience juive maintient énergiquement {Ecclî., i, 8). 
Les premiers objets de cette création, ce sont les anges. 
Durant la période post-exilienne, l'angélologie s'était 
beaucoup développée chez les Juifs. A l'époque où 
nous sommes, ce développement n'est pas très sensible 
dans les livres canoniques, mais dans les apocryphes, 
l'imagination s'est donné libre carrière. Les anges, 
en nombre incalculable, sont les intermédiaires des 
communications divines. Ils ont une hiérarchie et des 
chefs : sept d'entre eux se tiennent constamment devant 
Dieu. Les principaux sont connus, Michael, Gabriel, 
Raphaël, Uriel^. Ils sont préposés aux divers pays et 
luttent contre les puissances ennemies ; ils sont égale- 
ment préposés aux éléments ^. Tous les anges cepen- 
dant ne sont pas restés fidèles à Dieu. Une croyance 
très en vogue rattache au récit de la Genèse (vi, 2-4) 
la chute de ceux qui sont tombés : c'est la luxure qui 
les a perdus"*. Ces anges déchus ont aussi des chefs 
sur le nom desquels les traditions se mêlent un peu, 
Azazel, Semiaza, Mastema ou Satan, Béliar ^. Bien 
qu'ils soient liés dans les enfers, ces mauvais anges ne 

i. Apoc. de Daruch, IV, 3; Midrasch Bereschith rabba. Vin, 2; Assompt. 
de Moyse, I, 14; Prière de Joseph, ap. Origène, In loann., II, 2S (Lonim., 
I, 147). 

2. Tobie, XII, 15; Dan., X, 13; Vm, 16; Enoch, IX, 1; Vf Esdr., V, 20. 

3. Daniel, X, 13, 20, 21; XII, 1; Jub., II, 3. 

4. Jub., V, a-11; Ênoc/i, VI-XVI ; Apoc. de Bar., LVI, 12, 13. 

5. Enoch, vni, 1; IX, 6; VI, 7; Jub., X, 8; XVII, 16; X, 11; Testant, 
des douze pair., siméon, S; Levi, 19, etc. 

LA THÉOLOGIE ANTÉmCÉENNE. — T. 1. 3 



38 LA THÉOLOGIE ANTÉNICÉENNE. 

laissent pas que de nous porter au mal : mais ce sont 
surtout les enfants procréés par eux, les démons, qui 
remplissent ce rôle '. 

Après les anges, l'homme. La doctrine juive sur sa 
nature avait toujours été assez sommaire et concrète, 
et elle l'était encore au temps de Jésus-Christ. On 
savait seulement qu'il y avait en lui deux éléments, et 
qu'il ne périssait pas tout entier à la mort. Ce qui 
occupait bien davantage, c'était la situation résultant 
pour lui de son inclination au mal, et le secours qu'il 
pouvait tirer de l'observation de la Loi. Bien des 
traits nous montrent que saint Paul n'a pas été le pre- 
mier à réfléchir sur ces problèmes, et à se demander 
quelle est, dans l'œuvre du salut, la part de l'homme 
et la part de Dieu. La faiblesse de l'homme était pro- 
fondément sentie, l'universalité du péché reconnue 
sans hésitation ^. Cette faiblesse était représentée 
comme un héritage d'Adam, aussi bien que la mort 
elle-même : tu qiild fecisti, Adam? Si enim tu pec- 
easti non est facluin solius tuus casus, sedet nostrum 
qui ex te adveniinus [IV Esdr.j vu, 118) ^. L'auteur, 
on le voit, côtoie ici la doctrine du péché originel. La 
conséquence qu'il tire est qu'il eût mieux valu pour 
l'homme ne pas naître, et que plus heureux sont les 
animaux qui ne redoutent ni jugement ni tourment 
après la mort (vu, 116-126; 65-69). La perte toutefois 
n'est pas fatale, et chacun de nous reste, en définitive, 
l'arbitre de son sort ; Adam n'a agi que pour son 
compte, chacun de nous est l'Adam de son âme*. Qu'y 



1. Enoch, XV, 8-XVI, 4; Jub., X, 1 sqq. Cf. Hackspill, dans la Revue 
bibl., 1902, p. S27 suiv. 

2. Quis enim est de praesentibus qui non peccavit, vel quis natorum 
qui non praeterivit sponsionem tuam? [IV Esdras, VII, 46, 48; Enoch, 
XV, 4; Apoc. de Bar., XLVIII, i-l-iS). 

3. Cf. IV Esdras, lU, 2i, 22; Apec, de Bar., XXXIII, 4; XLVIII, 42. 

4. Non est ergo Adam causa nisi animae suae tantum, nos vero uniis- 



LE MILIEU GRÉCO-ROMAIN ET JUIF. 39 

a-t-il donc à faire? Observer la Loi; c'est par ses 
œuvres que l'homme se sauve ^ . Mais cette Loi, nous 
savons combien la casuistique des docteurs l'avait 
rendue pesante et compliquée, combien la voie du salut 
paraissait étroite, et c'est pourquoi, en même temps 
que le Juif pieux et sincère croyait, sans hésiter, que 
le grand nombre sera damné, il multipliait ses péni- 
tences et ses austérités ^, et finissait par en appeler à 
la miséricorde de Dieu, comme à l'unique ressource 
qui lui restât dans cette extrémité : In hoc enim ad- 
nuniiabitur iusticia tua et bonitas tua, domine, cum 
f}iisertus faeris eis qui non habent substantiam ope- 
rum bonorum {IV Esdras,- vui, 36); car il se sentait 
perdu entre son impuissance à observer toate la Loi, 
et cette Loi qui demeurait inflexible devant sa fai- 
blesse : Nos quidem qui legem accepimus peccante^. 
peribimus, et cor nostrum quod suscepit eam; na/n lex 
non périt, sed permanet in suo honore {IV Esdr., ix, 
36, 37, cf. 28-37). Ne croirait-on pas entendre saint 
Paul {Rom., vu)? 

Quel sera le- sort des hommes après la mort? Déjà 
Daniel, dans le fameux passage xii, 1-3, avait parlé 
de la résurrection qui attendait, au dernier jour, les 
bons et les mauvais d'entre son peuple, ceux-ci pour 
le châtiment, ceux-là pour la récompense. Mais il ne 
s'agit, en cet endroit, que du jugement dernier. Josèpho 
nous dit d'autre part {De bello iud., ii, 8, 11) que les 
Esséniens admettaient que les âmes sont immortelle- 
ment heureuses ou malheureuses immédiatement 



quisque fuit animaesuae Adam (Apoc. de Bar., LIV, 19; cf. IV Esdr., 
Viir, S6). 

i. Tobie, I, 1-12; IV Esdr., VU, 20-24, 72; Apoc. de Bar., U, 7. La foi- 
cependant est nécessaire : on la met à côté des œuvres, ou même sur 
le même pied qu'elles {Enoch, XLYI, 7; LXHI, 5, 7; IV Esdr., XHJ, 23, 
ÏX, 7). 

2. IV Esdr., VU, 47; VIU, 3; IX, 24; Apoc, de Bar., XX, 5; XXI, 1. 



40 LA THÉOLOGIE ANTÉNICÉENNE. 

après la mort. C'était là certainement une doctrine 
étrangère qui ne leur venait pas du judaïsme. La vraie 
expression de la pensée juive se trouve dans le Livre 
d'Enoch, le quatrième livre d'Esdras, et celui des 
Jubilés ^ : ils annoncent un châtiment ou un* bonheur 
provisoire, en attendant la rétribution définitive et la 
venue du grand juge. 

C'est à cette sentence dernière qu'en appelle tou- 
jours, à ce moment, le Juif fidèle et opprimé par les 
ennemis qui insultent à sa foi et à ses espérances 
Plus les moyens humains de restauration religieuse et 
nationale lui échappent, plus ardemment il se tourne 
vers la suprême justice qui doit rendre à chacun 
peuples et individus, suivant ses œuvres, plus s'exalte 
son attente du Messie qui doit établir le règne de 
Dieu et remettre tout en ordre. L'idée du Messie est 
intimement liée, dans les esprits, aux événements de 
la fin du monde. Comment les choses se passeront- 
elles et quel plan y sera suivi, c'est sur quoi on n'est 
pas d'accord. Les uns placent le règne du Messie avant, 
les autres après le jugement et la consommation finale. 
Qaoi qu'il en soit, il est temps de considérer de plus 
près ces doctrines, dont le dogme chrétien devait si 
largement préciser et spiritualiser les traits. 

On cherchera dans les apocryphes surtout et 
presque exclusivement les idées dominantes alors 
sur le Messie. J'ai déjà observé qu'ils lui attribuent la 
préexistence : « J'en vis un dont la tête était chargée 
de jours... et près de lui était un autre [personnage] 
dont l'aspect était celui d'un homme, et sa figure était 
pleine de grâce, comme celle d'un ange saint [Enoch, 
XLvi, 1)... Avant que le soleil et les signes fussent 
créés, avant que les étoiles du ciel fussent faites, son 

1. Enoch, XYIII, 1-6, 14-16; XXII, 1-9, 11-13; X, 4-6, 12; IV Esdr., V!I, 
^ 7o-l01; Jm6., XXIII, 31. 



LE MILIEU GRÉCO-ROMAIN ET JUIF. 41 

nom fut nommé devant le Seigneur des esprits... Et 
c'est pourquoi il a été choisi et caché devant lui avant 
que le monde ne fût créé, et jusque dans l'éternité » 
[Ibid.j xLviii, 3-6). Ces expressions cependant sont 
assez vagues, et il est remarquable que les livres ou 
les passages qui nous les présentent sont peut-être 
ou même sûrement postérieurs à la venue de Jésus- 
Christ. 

D'autre part, le Messie nous est donné comme l'élu, 
le Fils de l'homme, le Fils de David, le Christ, le 
Christ du Seigneur, le Fils de Dieu^ L'idée qu'on 
nous en suggère partout est celle d'un prince, le prince 
spécial du peuple juif, qui viendra établir sur la terre 
un royaume idéal où Dieu sera servi comme il le dé- 
sire. Quelquefois, il apparaît comme le vengeur des 
droits de Dieu et l'exterminateur des impies : c'est un 
Messie guerrier qui porte l'épée et qui brise les na- 
tions, ou bien qui détruit ses ennemis d'un mot de 
sa bouche, par la puissance de la vérité et de la loi, 
et gouverne le peuple par sa sainteté et sa justice^. 
Dans ce cas, son règne précède la lin du monde et 
souvent n'est que temporaire^. D'autres fois, Dieu 
lui-même se charge de venger sa propre cause. Le 
jugement a lieu d'abord; les méchants sont punis, 
puis le Messie apparaît : il règne éternellement sur 
un Israël transfiguré avec une Jérusalem nouvelle 
pour capitale"*. D'autres fois enfin, comme dans les 

1. Enoch, XLV, 3 et passim; XLVI, 5^4, etc.; CV, 2; IV Esdras, IV, 32 
(traduct. syriaque); VII, 29; XIII, 3-2; XIV, 9; Ps. de Salom., XYII, 23, 
30; XVIII, 6, 8. 

2. Ps. de Salom., XVII, 23-41; Apoc. de Baruch, XXXIX, 7-XL, 2; 
LXXII; IVEsdr., XIII, 37, 38, 49. 

3. Ps. de SaL, XVII, XVIII; Enoch, XCI, 13-15; Apoc. de Bar., XL, 3; 
LXXIV, 2. Le quatrième livre d'Esdras lui donne 400 ans de durée; les 
Secrets d'Enoch (qui ne nomment pourtant pas ic Messie) lui en don- 
nent 1000 (XXXII, 2-XXXIII, 2). 

4. Enoch, XC, 87. 



42 LA THÉOLOGIE ANTÉNICEENNE. 

chapitres des Similitudes dans Enoch (xxxvii-lxx), 
le Messie est tout ensemble juge, exécuteur et roi 
éternel. C'est la plus haute conception de son rôle qui 
se rencontre dans cette littérature, celle où on nous 
le montre le plus magnifique et le plus grand. 

Cette grandeur toutefois ne dépasse jamais la gran- 
deur de l'être créé : elle atteint tout au plus à celle 
d'un être surnaturel, jamais à la grandeur divine : le 
commun des Juifs n'a pas rêvé d'un Messie qui fut 
Dieu^ Il n'a pas rêvé davantage, à celte époque, d'un 
Messie expiateur et souffrant. Dans le quatrième livre 
d'Esdras (viï, 29), le Christ meurt sans doute, mais 
d'une mort naturelle, comme un homme qui disparaît, 
son rôle fini. On a bien signalé çà et là, dans les docu- 
ments postérieurs, des passages qui supposeraient que 
les Juifs ont eu, au moment qui nous occupe, quelque 
vue de la satisfaction douloureuse du Messie : mais 
ces indices sont faibles et peu concluants. Il est mani- 
feste, par le langage des évangélistes, que le courant 
des idées n'allait pas dans ce sens 2. 

Ce que nous venons de rapporter des croyances 
messianiques nous renseigne déjà en partie sur l'es- 
chatologie palestinienne au temps de Jésus-Christ. 
Les systèmes eschatologiques des apocryphes peuvent 
se ramener à deux types fondamentaux, qui ont pour 
base la durée plus ou moins longue, éternelle ou tem- 
poraire, attribuée au règne du Messie. Dans le premier, 
la venue du Messie coïncide avec la fin du monde ; à 
son avènement les méchants se coalisent contre lui ; il 
les défait ; le jugement général a lieu : les -méchants 
sont châtiés ; les bons triomphent éternellement avec 
le Messie. Dans le second, le règne du Messie s'a- 

\. s. JosTiN, Dial. c. Tryi^h., XLIX, 1. 

2. Matlh., XVI, 22; Luc, XVIII, 3i; XXIV, 21; loan., XII, 34; V. Scnû- 
KER, Gesch. desjûd. Volk., II (3« éd.), p. 533-536. 



LE MILIEU GRECO-ROMAIN ET JUIF. 43 

cliève avant la fin du monde. Après avoir vaincu ses 
ennemis, il gouverne un certain temps le peuple des 
justes, puis l'univers est transformé, les morts res- 
suscitent et sont jugés ; chacun reçoit sa récompense 
ou sa peine : l'éternité commence. Comme on le voit, 
dans les deux systèmes les éléments sont identi- 
ques, et ne diiïèrent que par l'arrangement. On y 
trouve, à en considérer le détail : 1* Les signes avant- 
coureurs de la catastrophe finale, bouleversement de 
la nature et renversement de ses lois, phénomènes ter- 
rifiants, guerres, famines, angoisse universelle, etc. *^ 

— 2° La venue d'Élie qui doit tout rétablir, dÎTroxaTa- 
(jTr^ffst Ttàvra {Matth.,xvii, 10, 11; Marc, ïx, 10-12; cf. 
Eccli., xLviii, 10). — 3° L'avènement du Messie dans 
les conditions que nous avons dites, précédant, accom- 
pagnant ou suivant le jugement et la consommation 
dernière. — 4° La coalition des impies contre lui, sous 
la conduite d'un chef qui n'est pas nommé, mais que 
les documents chrétiens appelleront l'Antéchrist-. — 
5° La défaite et l'écrasement des coalisés, tantôt par 
Dieu lui-même, tantôt et plus souvent par le Messie^, 

— 6° Le règne messianique avec une Jérusalem nou- 
velle, purgée des idolâtres qui la souillaient'', ou 
même descendue du ciel.^ ; avec tout le peuple juif — 
même les morts — rassemblé de sa dispersion^ ; avec 
Dieu pour chef suprême et roi absolu (pa<7t>v£ta toîî 
Beoû) ' ; avec sa prospérité sans mélange, sa paix pro- 

1. IV Esdr., V, 1-13; vr, 20-24, etc.; /m6., XXHI, 13-22; Apoc. de Bar., 
XXVII ; XLVIII, 31-41, etc. 

2. ly Esdr., XIII, 33 sqq.; Enoch, XC, 16; Apoc. de Bar., XL, 

3. Enoch, XC, 18-19; Assompt. de Moyse, X, 3, 7; Ps. de Salom., XVII, 

27, 39; Apoc. de Bai:, XXXIX, 7-XL, 2, etc.; IV Esdr,, XII, 32, 33; XIII,2-, 

28, 37, 38. 

•4. Ps. de Salom., XVII, 23, 33. 

5. Enoch, un, G; IV Esdr., VII, 26; cf. Gala ., Vf, 26; Hebr., Xîî, 22^ 
Apoc, m, 12; XXI, 2, 10. 

6. Ps. de Salom., XI, 3 sqq. ; XVII, 28 ; IV Esdr., XIII, 33-47. 

7. Ps. de Salom., XVII, 1, 4, 38, 51; Assompl. de Moyse, X, 1, 3. 



44 LA THÉOLOGIE ANTÉNICEENNE. 

fonde, ses joies et sa félicité parfaites*. — 7° La trans- 
formation du monde par la consomption de ce que 
l'ancien avait de corruptible et de morteP. — 8° La 
résurrection des morts. C'est un des points sur les- 
quels la croyance s'est le plus développée. Au ii^ siècle 
avant Jésus-Christ, on ne mettait en avant que la 
résurrection des Israélites seuls ou même des seuls jus- 
tes, pour prendre part au règne du Messie. Plus tard on 
marqua une résurrection générale^. — 9° Le jugement 
dernier. Dans l'hypothèse d'un règne du Messie pré- 
cédant la fin du monde, un premier jugement a lieu 
quand le Messie détruit et condamne les ennemis li- 
gués contre lui. Mais nous sommes au jugement der- 
nier. Sauf dans Enoch (xli, 9; lxix, 27, etc.), où ce 
rôle est dévolu au Messie, Dieu lui-même nous est 
donné comme le juge du monde, et son examen 
porte sur toutes les actions humaines inscrites au 
livre du ciel'*. — 10° Le sort final des hommes. Con- 
séquemraent à la sentence divine, les bons sont récom- 
pensés, les méchants punis. On a vu plus haut qu'im- 
médiatement après leur mort, une rétribution provisoire 
atteignait déjà les justes et les impies : le jugement 
dernier la transformera en état définitif. Les méchants 
seront précipités dans le feu, dans la géhenne^, où ils 
resteront éternellement. Josèphe nous dit positivement 
que telle était la croyance des Pharisiens. On ne pourra 
prier ni intercéder les uns pour les autres®. Quant aux 

1. Enoch, X, 16-XI; Apoc. de Bar., XXIX, 5-8; LXXIII, 2-7; Ps. de Sal., 
XVII, 28, 29, 36, 48, etc. 

2. IV Esdr., VII, 30, 31 ; Apoc. de Bar., LXXIY, 2, 3. 

3. Apoc. de Bar., L; LI; IV Esdr., VU, 32, 37; Testam. des douze 
pair.. Benjamin, 10. 

4. IV Esdr., VU, 33 sqq.; Enoch, XCVIII, 7, 8; CIV, 7; Testam. des 
douze pair., Aser, 7. 

». IV Esdr., VII, 36, 38, 84; Apoc. de Baruch, XLIV, 15. 
6. Josèphe, De bello iud., II, 8, 14; Antiq., XVIII, 1, 3; Testam. des 
douze patr., Zabulon, 10; Aser, 7; IV Esdr., VII, 105. 



LE MILIEU GRÉCO-ROMAIN ET JUIF. 45 

élus, ils seront reçus dans le paradis, dans un lieu 
élevé où ils verront la majesté de Dieu et de ses anges. 
Leur face resplendira comme le soleil : ils vivront éter- 
nellement ' . 

Voici donc les idées religieuses dominantes chez 
les Juifs de Palestine au moment de la venue de 
Jésus-Christ. Ce n'est pas à dire qu'elles fussent ab- 
solument reçues de tous, et l'on trouve sur certaines 
d'entre elles des divergences sérieuses. Nous savons 
notamment — observation importante — • que les 
Sadducéens, le haut clergé de Jérusalem et ses 
partisans, se séparaient des Pharisiens et du gros de 
la nation, et repoussaient les commentaires explicatifs 
de la Loi, aussi bien que beaucoup des prescriptions 
qu'on y avait ajoutées. Ils allaient plus loin, et 
niaient l'existence des esprits, des anges, et la ré- 
surrection de la chair 2. Leur attitude vis-à-vis des 
païens était plutôt conciliante, et le désir de maintenir 
leur influence, de jouir en paix de leur fortune, les en- 
gageait dans bien des compromissions. Mais, en 
somme, ils ne représentaient pas la masse du peuplé. 
Celui-ci se groupait autour des Pharisiens, qui per- 
sonnifiaient à ses yeux la pureté de la doctrine et l'idéal 
de la morale judéo-palestinienne. 



§ 3. — Le judaïsme alexandrin et de la Diaspora. 

Philon. 



En dehors delà Palestine, les Juifs, depuis Alexandre, 
et encore plus depuis Ptolémée, fils de Lagus (319 av. 
J.-C), se trouvaient nombreux surtout à Alexandrie. 

1. IV Esdr., Vn, 36-38. 95-98; Apoc. de Bar., LI, 3, 7-li; Ass. de 
Mo se, X, 9, 10. 
a. Actes, xxni, 8. 

3. 



46 LA THEOLOGIE ANTENICÉENNE. 

Là, leur activité intellectuelle fut considérable et ils en- 
trèrent en contact plus intime avec l'hellénisme. Aussi 
est-ce là que s'accusent davantage les caractères 
propres au judaïsme de la Diaspora, et est-ce presque 
exclusivement par les écrits venus de l'Egypte que 
nous les connaissons. On ne sera donc pas surpris 
que les lignes suivantes envisagent principalement 
le judaïsme hellénique, tel qu'il se présentait à Alexan- 
drie. 

Le premier soin des Juifs, en s'établissantdans cette 
ville, avait été d'apprendre le grec. Ils oublièrent si 
bien l'hébreu qu'une traduction de la Bible leur devint 
bientôt nécessaire. Mais apprendre et parler le grec, 
c'était pénétrerdans la littérature, dans la philosophie, 
dans les conceptions, dans le génie grecs, dans la ci- 
vilisation, l'esprit que cette langue représente, dans 
tout ce qui a fait de la race grecque la maîtresse et 
l'éducatrice de l'ancien monde classique. Quelle atti- 
tude allaient prendre les Juifs vis-à-vis de ce monde 
nouveau pour eux? Allaient-ils, comme leurs frères de 
Palestine, se renfermer dans leur Loi, et renouveler sur 
les païens et leurs spéculations les anathèmes des pro- 
phètes, ou bien allaient-ils chercher un terrain de con- 
ciliation qui sauvegarderait tout ensemble leurs 
intérêts et leur foi? 

Ils s'arrêtèrent à ce dernier parti, le seul possible 
d'ailleurs pour eux, vu l'éloignement où ils se trou- 
vaient de leur patrie et de tout centre religieux. 
Le système adopté, et dont nous avons dans Philon 
l'expression complète, peut se ramener aux points sui- 
vants : 1° Le Juif i"este Juif; Israël est le peuple choisi, 
possédant dans les livres de l'Ancien Testament la vé- 
rité religieuse complète et pure : cette vérité reposant 
sur deux dogmes fondamentaux, le monothéisme et 
l'immortalité de l'âme. 2° De cette vérité le paganisme 



LE MILIEU GRÉCO-SOSiAItf ET lUIF. 43 

a'est cependant pas entièrement sevré. Soit par une 
tradition orale, soit par des emprunts aux Livres sacrés 
des Juifs, ses plus grands philosophes, Pythagore, 
Platon et les autres, ont connu, en partie du moins, la 
vraie doctrine sur Dieu, la Providence, l'homme. 
3° Dès lors rien ne s'oppose à ce que, d'une part, les 
Grecs adoptent les enseignements bibliques, comme 
complément, et parfois rectification de leur philoso- 
phie, ni à ce que, d'autre part, les Juifs adoptent les 
spéculations, d'ailleurs conformes à leur Lof, que le 
génie grec a multipliées dans le domaine de la méta- 
physique, de la psychologie et de la morale, ces spé- 
culations dérivant, en dernière analyse, de cette révé- 
lation dont les Juifs possèdent les premiers monuments. 
4° Toutefois, comme les mythes grecs paraissent bien 
étranges à des esprits juifs, la philosophie et l'histoire 
juives bien pauvres et bien étroites à des esprits grecs, 
il faut montrer le vrai contenu des uns et des autres, 
ne voir dans les fables grecques que l'idée relig-ieuse et 
morale qu'elles ont mise en action, et savoir trouver, 
sous les simples récits de la Bible, toutes les idées, 
philosophiques et religieuses que Dieu a voulu y ca- 
cher. Il faut éteindre les premières et féconder les 
seconds, ne voir ici et là que des allégories. C'est le 
principe de la méthode allégorique appliquée à l'in- 
terprétation de l'Ecriture, et dont la fortune, chez les 
Alexandrins, devait être portée si haut. Les faits ra- 
contés par la Bible sont quelquefois historiques,' 
d'autres fois non : ils ne sont que des symboles. En 
tout cas, il importe peu : ce qui importe, c'est de dé- 
gager de ces récits l'idée qu'ils contiennent, l'ensei- 
gnement qui s'y cache et que Dieu a voulu nous 
inculquer en les faisant écrire. 5° Et ainsi dans la 
pensée des Juifs alexandrins, le rapprochement se 
fera entre le judaïsme et l'hellénisme : celui-ci, sans 



48 LA THÉOLOGIE ANTÉNICÉENNE. 

cesser d'être une philosophie, deviendra une religion 
parce qu'il adoptera le principe surnaturel de la 
Révélation, avec les conséquences qui en découlent; le 
judaïsme, sans cesser d'être une religion, deviendra 
une philosophie, parce qu'il recherchera par la raison, 
sous la Lettre révélée, les doctrines rationnelles qu'elle 
recouvre. ,^ : 

Trois points nous frappent dans ce programme. 
!• Le peu d'importance qu'on y donne aux cérémo- 
nies légales, quelques-uns les proclamant indifféren- 
tes, d'autres, comme Philon, pensant qu'elles étaient 
utiles pour une meilleure intelligence de la Loi, et 
qu'il les fallait conserver. 2° Le caractère universa- 
liste qu'y prend la religion juive : elle cesse d'être 
un culte national pour devenir la religion de tous. 
3* Le peu de place qti'y tient l'idée du Messie : à 
l'image d'un Messie personnel se substitue celle de 
l'ère messianique, le triomphe d'une doctrine ou d'un 
peuple à celui d'un individu déterminé. 

C'est là le cadre du système religieux judéo-alexan- 
drin. Mais, en dehors de cette, conception générale, 
il est des particularités doctrinales qu'il faut signaler. 
Elles se présentent soit dans les livres canoniques, 
écrits par des Juifs hellénistes, soit dans les livres 
authentiques ou apocryphes restés en dehors du canon. 
Parmi les premiers, il faut nommer la traduction 
grecque des Septante, commencée au iii* siècle, ache- 
vée vers le milieu du ii« siècle avant J.-C, le Livre de 
la Sagesse, le Deuxième livre des Macchabées, et 
peut-être les additions deutéro-canoniques à'Esther 
et de Danielj ainsi que la seconde partie du Livre de 
Baruch; parmi les autres, mentionnons le Troisième 
et le Quatrième livre des Macchabées, la Lettre 
du Pseudo-Aristée, les Oracles sibyllins dans leurs 
plus anciennes parties, VApocalypse anonyme édi- 



LE MILIEU GREGO-ROMAIN ET JUIF. 49 

tée par M. G. Steindorff ^ les Fragments d'Aris- 
tobule, les écrits de Philon et de Josèphe^. 

La doctrine fondamentale de ces ouvrages concorde 
généralement avec celle des livres palestiniens : elle 
s'en distingue cependant par certains traits. Ainsi, 
le soin y paraît plus grand d'éviter ou d'expliquer les 
anthropomorphismes quand on parle de Dieu. On y 
trouve la personnification de la Sagesse, mais plus 
accentuée encore que dans les Proverbes eiV Ecclésias- 
tique. Aristobule (Eusèbe, Praep. evang., xrii, 12, 5) 
cite comme vers d'Orphée ce passage : « Le Verbe 
ancien luit avant le monde; mais il subsiste par soi 
et tout subsiste par lui : il circule partout, et aucun 
des mortels ne le voit, mais lui nous voit tous deux. » 
La Sagesse est décrite, au livre qui porte ce nom 
(vii-xi), en des termes qui reviendront sous les plumes 
chrétiennes écrivant du Verbe ou de l'Esprit-Saint 
(v, surtout VII, 25. 26). Emanée de Dieu, elle en a les 
attributs (vu, 22, 23); elle est mise en parallèle ou 



1. Dte Apokalypse des Elias, eine unbekannte Apokalypse, und Bruch 
stûcke der Sophonias-Apokalypse, Leipzig, 1899. L'éditeur la daterait des 
environs de l'an 100 avant J.-C. 

2. On trouvera le tableau complet de la littérature judéo-hellénique, 
avec indication des dates et des éditions, dans Schiiiier, Gesch. des jûd. 
Volk,, III. Kaotzsch {Die Apokr. und Pseudep. des A. T., II) donne la 
plus grande partie des apocryphes. Les deux fragments plus impor- 
tants d'Ari&to ule sont dans Ecsèbe, Praepar. evang., VIII, 10; XIII, 12. 
Les parties juives plus anciennes des Oracles sibyllins sont les sui- 
vantes : liv. II r, 97-8i8 (145-117 av. J.-C); 36-92 (vers 40-30 av. J.-C); les 
84 vers cités par Théophile d'Antioehe (Ad Aufolyc.,îl, 36, Otto, VIII, 164), 
et qui devaient former le début du livre III; le livre IV en entier (vers 
80 ap. J.-C), et la majeure partie du livre V (fin du i»'' siècle ap. J.-C). 
Entre les éditions signalées par Schilrer on consultera, pour ce dernier 
ouvrage, celle de J. Geffcken, 1902. — Des vers fabriqués par des Juifs 
et attribués aux plus anciens poètes grecs, Orphée, Hésiode, Homère, 
Linus, Eschyle etc., ont aussi circulé dès le m» siècle avant J.-C, qui 
confirmaient les enseignements et les récits de Moyse. On les trouve 
cités par Aristobule et aussi par les Pères de l'Église, Clément d'Alexan- 
drie, le pseudo-Justin {Cohortatio ad Graeeos, De monarchia). Ces faux 
cadrent bien avec ce que nous avons dit sur la prétention de fair* 
dériver de la Bible les traditions grecques. 



50 LA THÉCTLOGIE ANTENICEENNE. 

identifiée avec l'Esprit-Saint (ix, 17) ; elle exerce le 
rôle de démiurgpe (ix, 2, 9), mais elle a aussi et surtout 
un rôle moral (viii, 4-8; x, xi). Ces détails nous mon- 
trent — chose importante à remarquer — que, bien 
avant Philon, flottaient à Alexandrie des doctrines 
relatives au Logos qu'il a développées, mais qu'il n'a 
point inventées. 

Dans l'homme, l'âme est nettement distinguée du 
corps; elle lui est opposée et souffre plutôt de son 
union avec lui * : c'est le dualisme grec. Mais cette 
âme est immortelle; non pas seulement celle des jus- 
tes : on comprendrait difficilement le beau tableau du 
chapitre v de la Sagesse, si l'auteur n'admettait pas 
l'immortalité de celle des impies. Toutes les âmes doi- 
vent donc survivre pour recevoir la récompense ou le 
châtiment qui leur est dû 2. 

L'eschatologie est dans l'ensemble plus simple dans 
la littérature judéo-hellénique que dans la palesti- 
nienne. Il faut mettre à^part les Livres sibyllins dont le 
caractère exigeait naturellement des descriptions plus 
imagées. Leur plus ancien auteur connaît les maux 
qui doivent précéder la fin du monde et la venue du 
Messie (m, 796-806; 632-651), le règne de ce Messie 
victorieux et pacificateur (m, 652-660), la ligue formée 
contre lui et son peuple par les méchants princes 
(m, 660-668), la défaite des coalisés et leur écrasement 
par Dieu lui-même (m, 669-697), la domination défi- 
nitive et éternelle (? m, 767-784) du Messie son en- 
voyé (in, 712-731 ; 744-758 etc^). Dans les autres écrits, 
nous l'avons déjà remarqué, les espérances propre- 
ment messianiques ont généralement passé au second 
plan. Non qu'elles aient été totalement oubliées : on 

\, Sap., Vliï, 19, 20; IX, iS. 

2. Sap., III, 1-8; Vf, 2, 10-18 ; V, 1-24. Apocalypse anonyme, Steuidorit, 
op. cit., pp. Oid (2), 150 (S), 182 (10). 



LE MILIEU GRECO-ROMAIN ET JUIF. 5t 

en trouve des souvenirs dans Philon, dans.ïe deuxième 
livre des Macchabées et peut-être dans Josèphe ^ ; mais 
le sort des âmes après la mort et à la fin des temps 
semble avoir attiré surtout l'attention. Josèphe - a- 
admis peut-être, avec les Pharisiens, un état provi- 
soire pour les âmes justes ôtco y^Qowç, en attendant la 
résurrection, et l'on connaît le fameux passage du 
deuxième livre des Macchabées (xii, 42-45) sur la- 
prière pour les morts ^. L'idée dominante toutefois 
dans le judaïsme hellénique est celle d'une rétribu- 
tion immédiate, à la sortie de la vie. Tous nos témoins 
s'accordent, en tout cas, pour déclarer éternels et 
les récompenses des bons et les châtiments des mé- 
chants*'. 

Quant à la résurrection des corps, bien que la phi- 
losophie grecque, et surtout platonicienne lui fût en 
général opposée, elle est, en ce qui regarde les justes 
du moins, formellement enseignée dans le deuxième 
livre des Macchabées (^^I, 9, 11, 14, 23; xii, 43, 44). 

C'est dans Philon ^, on l'a déjà dit, que prend son 
expression définitive le sj'^stème qui doit rapprocher 
le judaïsme et l'hellénisme. En lui les deux courants 
de la pensée antique viennent réellement se confondre. 

4. Philon, De exécrât, 8-9; Depraem. et poen., 13-20; Il Macch., 11^ 
18; Josèphe, Antîq., lY, 6, 5, 

2. Antiquités, XVni, 1,3. 

3. Voir aussi Apocalypse anonyme, pp. 134, 153 (15-17). 

4. PniLON, De Cherub., 1; De exécrât., 6; Josèphe, Anlig., XVni, 1, 3;, 
De bell. iud., II,'8, 14; Sap.,lli, 4; IV, 2, 16; IV Macch., IX. 9;, XII, 12;. 
XV, 3; XVII, 3. 

3. Sur PJiiloD Toir l'énorme littérature donnée par ScHùnEti, Gesch.. 
des jûd, Wolk., III. On trouvera de bons résumés de sa doctrine dans- 
Zeller, Die Philos, der Griechen, III, S, 353 sqq.; Sciiûrer, loc cit. 
Edersheim, dans le Dictionary of Christian biography, lY, 317 sqq.. 
C'est à ces auteurs que je renvoie pour le détail des références. On 
peut aussi, en français, consulter spécialement E. Herriôt, Philon le- 
Juif, Paris, 1898; etE. Bréhier, Les idées philosophiques et religieuses^ 
de Philon d'Alexandrie, Paris, 1908. 



52 LA THÉOLOGIE ANTÉNlCEENlNÊ. 

Philon est un croyant et un philosophe, mais autant, 
pour le moins, un philosophe qu'un croyant. J'ai déjà 
signalé, à l'occasion, quelques-unes de ses doctrines. 
Voici les principales entre les autres. 

Dieu y paraît plus concret que dans Platon (ô wv), 
mais l'auteur le conçoit d'une façon analogue. De ce 
Dieu on ne saurait rien affirmer de limité ni même de 
précis, car toute précision est une limite, toute pro- 
priété une exclusion. Il est sans doute éternel, immua- 
ble, simple, libre et indépendant; mais mieux vaut 
dire simplement qu'il est (lyw eîfii ô ôv — (5) [xôvto TtpôffédTi 
10 eTvxi), car en réalité il est airoioç, sans qualité, sans 
propriété. 

Comment ce Dieu placé si haut pourra-t-il créer et 
communiquer avec le fini? Comment celui-ci pourra- 
t-il venir de l'infini, le mal venir de Dieu? C'était le 
grand problème qui troublait la philosophie platoni- 
cienne. Philon essaie de le résoudre en combinant, ou 
plutôt en mêlant — car son système manque essentiel- 
lement d'unité — en mêlant, dis-je, ensemble le con- 
cept platonicien des idées, le concept stoïcien de l'âme, 
force immanente au monde, la croyance grecque sur 
les démons et l'enseignement biblique sur les anges. 
En Dieu sont les idées d'après lesquelles il forme- le 
monde; mais ces idées sont en même temps des forces : 
il y a la puissance créatrice [creativa, deus), qui en- 
gendre la puissance bienfaisante {heneficd) et la puis- 
sance royale [regia, dominus) dont dépend la puissance 
législative [legislativa, pe/'cusswa). Philon en nomme 
d'autres ; il en compte plus ou moins, et en soi elles 
sont innombrables. Ces idées-forces sont les intermé- 
diaires de l'action de Dieu sur le monde, les XoYot par 
où il opère : la Bible les appelle des anges, la philo- 
sophie des- démons. Mais comme elles ne possédaient 
ni toute la science ni toute la sainteté de Dieu, elles 



LE MILIEU GRECO-ROMAIN ET JUIF. 58 

n'ont pu mettre dans leur œuvre la perfection dont 
elles manquaient : de là l'imperfection et le mal dans 
le monde ' . 

Ces idées-forces sont-elles réellement distinctes de 
Dieu? Il le faut, si l'on ne veut pas que Dieu lui-même 
communique avec le fini et soit l'auteur du mal. Il ne 
le faut pas, si l'on veut que, par elles, le fini participe 
de l'infini et en vienne. Et si d'ailleurs elles sont finies, 
le problème qui se posait pour le monde se pose aussi 
pour elles. Philon, qui voulait maintenir l'origine divine 
du monde, mais l'origine seulement médiate, ne pou- 
vait donc faire à la question, on le sent, de réponse 
précise. Aussi le voit-on constamment osciller, sur ce 
point, entre l'affirmative et la négative, sans qu'il soit 
possible de trouver chez lui une doctrine fixe. Suivant 
les besoins du système, les puissances divines se per- 
sonnifient et prennent corps, ou bien s'évanouissent 
dans l'essence de Dieu : rien n'est défini dans leur 
état. 

L'ensemble de ces puissances constitue le Verbe 
(Xoyoç) : il en est la source à la fois et la synthèse. Venu 
de « Celui qui dit » , il est le principe des puissances 
créatrice et bienfaisante, royale et législative, mais il 
en est aussi la somme et la combinaison (auvoSoç, xpôtat;). 
Dès lors, il offre comme elles un double aspect. Vis-à- 
vis de la création, il représente Dieu, dont il est 
l'image et la force active. 11 est son noin, son om- 
bre, son premier-né (uîoç wpwto'Yovoç, 7cpe<y6uT«Toç 6eoû), 
son image, son empreinte, sa copie (eîxtov, yapaxxrlp, 
àTTEtxovierfiia), par conséquent un autre Dieu, un second 
Dieu (Itepoç ôeoç, SeuTepoç ôeo'ç) ; il est la réflexion, la pen- 

■1. « L'homme étant disposé de telle sorte que souvent il pèche, Dieu 
a fait coopérer à sa création les puissances diverses, afin que, dans 
1 homme, ce qu'il y a de bien seul se rapportât à lui. Il n'était pas bien- 
séant que dans l'ûme de l'homme Dieu traçât le chemin au vice » {Decon 
fusione linguarum, 35). 



54 LA THÉOLOGIE ANTÉNIOÉEiN'NE. 

sée projetée de Dieu (tvvota, Biavor,(iiç) ; il est le principe, 
l'ange le plus ancien, l'archange à nom multiple, le 
prophète, l'interprète de Dieu. Mais, d'autre part, le 
Verbe, vis-à-vis de Dieu, représentelemondeetl'homme 
dont il est l'archétype et qui, par lui, se trouve parti- 
ciper de Dieu. Il est donc l'homme par excellence fait 
à l'image de Dieu (ô xar' eîxo'va àvôptriTro? ) : « L'homme 
sensible a été créé à l'image d'un homme intelligible, 
incorporel, qui est le Verbe de Dieu '. » « Le monde 
intelligible est composé d'idées, paradigmes incorpo- 
rels », et le Verbe est le soleil paradigme (viXioc 
Tzapi^ziyiKa), l'archétype delà cause («pysTUTroç tou aîiiou). 
Et de même que par le Verbe Dieu crée et gouverne le 
monde, de même le monde, par le Verbe, rend à Dieu 
ses devoirs et implore sa grâce : le Verbe est le grand- 
prêtre, le suppliant du monde (àpj^ispsu;, îxsV/iç), Il n'est 
donc pas simplement un médiateur physique : il semble 
qu'il exerce une médiation religieuse et morale 2. 

Ce verbe est-il personnel et distinct de Dieu? Pas 
plus que pour les Puissances divines, Philon ne répond 
ici clairement. Il semble affirmer et nier tour à tour, 
et la raison de ces incertitudes est toujours la même. 
Au fond le concept philonien du Logos est contradic- 
toire. Il faut qu'un être soit Dieu ou créature, fini ou 
infini. Philon cherche entre ces deux extrêmes un 
moyen terme : il nous dit que le Verbe n'est « ni inen- 
gendré comme Dieu, ni engendré comme nous, mais 
quelque chose d'intermédiaire^» ; mais c'est là une 



i. Quaest. et solut. in Gènes., I, 4. 

2. . Le Logos sépare et unit à la fois Dieu et l'âme : il est, d'une 
part, une borne limite, une frontière entre le sensible et la divinité. 
D'autre part, en tant que prière et culte, il est auprès de Dieu notre 
supplication; comme grand prêtre, il prie pour le monde entier dont 
il est revêtu comme d'un habit » (Breuier, op. cit., p. i04). 

3. OÛTî àyÉvv/jTcç w; ô 6îb; ûv, oûtî ytwfixbi; tbç \)\uX<;, àWà [iéffoç 
xcôv ây.ptûv Quis rerum divinarum haeres, 12J. 



LE MILIEU GRECO-ROMAIN ET JUIF. 5& 

formule, une simple affirmation, l'expédient desespéré 
de la raison en face du mystère de la création, des re- 
lations du fini et de rinfmi. 

Il faut donc bien se garder de confondre le Verbe- 
pliilonienavec le Verbe chrétien, le Vez'be de saint Jean. 
Si l'appellation est identique, les concepts diffèrent. 
Jamais Philon n'a mis son Verbe en rapport avec le 
Messie; jamais il n'a eu ni n'aurait pu avoir l'idée de 
l'Incarnation. Son Verbe est avant tout une force dé- 
miurgique, cosmique, un être liturgique, vague, ce 
n'est pas un Dieu révélateur et rédempteur ^ . A plus- 
forte raison ne doit-on pas chercher dans le Juif 
alexandrin l'idée de la Trinité chrétienne. Les textes- 
où l'on a cru la voir — par exemple De Abj-ahamo, 
24 — ont un tout autre sens que celui qu'on leur- 
prêle. 

Dieu crée donc, d'après Philon, par son Verbe et ses- 
Puissances. Créer n'est peut-être pas tout à fait le mot 
qui conviendrait, car il semble bien que Philon axi- 
mette, coéternelle à Dieu, une matière première (uXt), 
oiiota) informe, sans rien de positif ni de bon, source de 
l'imperfection et du mal. Dans cette matière Dieu in- 
troduit un élément divin, le vouç, la forme et la vie^. 
dans la mesure dont chaque être est capable de la re- 
cevoir. 

Le premier objet de cette création, ce sont les anges, 
ils remplissent l'air. Les uns, dans les sphères supé- 
rieures, sont uniquement occupés du service de Dieu ; 
d'autres, qui se trouvaient plus près delà terre, se sont 
unis à des corps et sont devenus lésâmes des hommes.- 
Les démons ne sont que de mauvaises âmes. Partici- 

i. On trouve souvent dans Philon la distinction dn >.dyoi; èvoiâôatoç. 
et du ).(ÎYOç Kpoq3opiy.6; pour rendre le rapport de la pensée exprimce- 
à la pensée intérieure, mais nulle part l'application n'en est faite au- 
Xdyoç divin. 



56 LA THEOLOGIE ANTÉNICEENNE. 

pant ainsi à ce que le corps a de grossier et de sensuel, 
les âmes se propagent, comme lui, par génération ; 
toutefois l'intelligence (voûç), « l'âme de l'âme », vient 
de Dieu. Philon, on le voit, admet la préexistence au 
moins des premières âmes, et la trichotomie. 

Le corps, de même que la matière dont il est formé, 
est essentiellement mauvais : c'est la prison qui en- 
ferme l'esprit, le cadavre que celui-ci traîne avec soi 
(vexpocpopouffa). Par le seul fait de son contact avec l'âme, 
le corps la souille et la porte au péché. Personne, dans 
sa vie, n'évite ce péché, du moins s'il marche sans 
autre appui que soi {èl lau-coïï) . Philon ne semble pas 
cependant avoir une idée, au moins distincte, de la 
tache originelle. 

Avec de pareilles vues, il ne pouvait être, en morale, 
que stoïcien : il l'est en effet. Bien vivre est le but de 
toute science et de toute étude : la morale est de toute 
la philosophie la partie la plus importante. Il faut donc 
renoncer au plaisir sensuel, mener une vie aussi simple 
et aussi austère que possible. Mais Philon n'a pas 
l'orgueil des stoïciens : il ne croit pas que l'homme 
puisse de lui-même pratiquer la vertu : c'est Dieu qui 
la donne et la fait croître en l'âme : être vertueux, c'est 
se rapprocher de Dieu. Et enfin — nous touchons ici 
au point culminant du système philonien — cette as- 
cèse, cet exercice de l'âme, aussi bien que les études 
auxquelles elle se livre, n'ont qu'un but, la conduire 
graduellement à la contemplation directe de Dieu, à 
l'extase. Nous ne connaissons Dieu ordinairement que 
par ses œuvres, et dans les attributs dont ces œuvres 
offrent le reflet. L'extase nous affranchit des raisonue- 
ments, nous conduit par delà les attributs, plus haut 
que le Logos lui-même, jusqu'à l'essence divine dont 
nous saisissons l'ineffable unité. C'est la vision intui- 
tive transportée, pour un instant, sur la terre. 



LE MILIEU GRÉCO-ROMAIN ET JUIF. 57 

On constate combien Philon s'éloigne ici de ce qui 
sera la conception chrétienne du salut. De rédemption, 
de satisfaction, il n'est pas question pour lui. L'extase 
n'est que le dernier effort de l'intelligence en quête de 
Dieu : c'est le partage d'une élite, des philosophes, 
des savants. 



Voilà dans quel milieu moral et religieux fut prê- 
chée et se développa d'abord la doctrine chrétienne. 
Il n'était pas possible, nous l'avons dit, que ce milieu 
n'influât pas sur la façon dont les premières générations 
chrétiennes se représentèrent, et traduisirent elles- 
mêmes aux générations suivantes l'enseignement 
révélé. L'influence du judaïsme palestinien fut natu- 
rellement la première à s'exercer, puisque c'est en 
Palestine que fut fondée l'Église. Elle est sensible dans 
les synoptiques, dans certaines interprétations, cer- 
tains procédés logiques de saint Paul, un peu faits 
pour nous dérouter : elle est sensible encore dans l'es- 
chatologie chrétienne : le millénarisme n'est qu'un 
legs malheureux du judaïsme à Papias et à d'autres. 
Cette influence immédiate du judaïsme palestinien ne 
dépassa guère toutefois le début du n® siècle. A ce 
moment le christianisme rompit définitivement avec 
lui : il avait, et depuis longtemps, atteint le monde 
gréco-romain, et s'adressait à des hommes qui avaient 
en tête autre chose que la Loi et ses commentaires. 
L'influence du judaïsme hellénique fut plus durable. 
Comme il était, en définitive, le pont qui reliait les 
deux civilisations, il servit au christianisme d'inter- 
médiaire pour aborder le paganisme. Plus tard aussi, 
les procédés d'exégèse et les conceptions du judaïsme 
alexandrin déteignirent fortement sur la plus grande 



58 LA THÉOLOGIE ANTÉNICBENNE. 

école de théologie des trois premiers siècles, celle de 
Clément et d'Origène. Quant à l'hellénisme propre- 
ment, dit, c'est par sa philosophie principalement et 
par tout l'ensemble de sa culture qu'il agit sur la 
doctrine chrétienne. A partir des apologistes surtout, 
on se mit à repenser en grec l'évangile palestinien, 
je veux dire que l'on jeta dans un moule grec, que 
l'on enferma dans les formes, dans les catégories de la 
pensée gréco-romaine la matière révélée ; que l'on se 
mit à la concevoir et à en raisonner suivant les ma- 
nières de concevoir et de raisonner des Grecs. L'es- 
prit grec était curieux : de nouvelles questions surgi- 
rent; il aimait à définir, il voulait une exactitude 
rigoureuse : on se mit à définir, on visa à une ingou- 
reuse acribie. Par une assimilation lente, ce qu'il y 
avait de largement humain, de profondément pensé ou 
de finement analysé dans la morale, dans la méta- 
physique grecque passa dans la doctrine évangélique 
pour en féconder et en relier les enseignements. Assu- 
rément tout ne fut pas sain dans cette influence de 
l'hellénisme, et le dogme chrétien dut, pour se conser- 
ver pur, livrer plus d'un combat. Mais, au demeurant 
et dans l'ensemble, rien ne fut plus heureux que cette 
action. Jamais le christianisme n'eût conquis le monde, 
et ne fût devenu une religion universelle, s'il ne s'était 
«oulé dans la seule forme de pensée qui pût alors et 
qui puisse encore prétendi'e à l'universalité, la forme 
hellénique. Jamais il n'aurait supprimé, au point de 
vue religieux, la distinction des Grecs et des Barba- 
res, des Juifs et des Gentils, s'il était resté juif d'al- 
lure, et s'il n'avait acquis, au contact du génie grec, 
une souplesse qui lui permît d'atteindre tous les esprits 
et toutes les âmes. 

La grosse question est seulement de savoir dans 
quelle mesure la doctrine chrétienne primitive s'est 



LE MILIEU GRECO-ROMAIN ET JUIF. 69 

"* 

trouvée modifiée par son alliance avec la philosophie 
et la culture grecques, et si le contenu même de la 
révélation n'en a pas été altéré. Les dogmes, dans la 
forme nouvelle que leur a donnée la théologie en s'ai- 
dant de notions étrangères, sont-ils bien restés l'équi- 
valent doctrinal de la prédication évangélique et apos- 
tolique qu'ils prétendent traduire : l'équivalent, dis-je, 
sans exclure les développements légitimes dont cette 
prédication contenait les germes? L'hellénisme s'est-il 
borné à fournir aux Pères et aux conciles des exci- 
tants et des moules pour leur pensée, des termes et 
des formules pour leur enseignement, ou bien a-t-il 
pénétré au cœur même de cet enseignement pour y 
introduire des notions inconciliables avec lui ? Les 
chrétiens d'aujourd'hui, en un mot, croient-ils toujours 
en Jésus et en Paul, ou bien en Aristote et en Platon : 
sont-ils chrétiens ou grecs? C'est le problème que 
Vhistoire des dogmes doit aider à résoudre, mais 
dont la solution par la seule. histoire, on le comprend, 
demande infiniment de délicatesse d'analyse et de rec . 
titude d'appréciation! 



CHAPITRE II 



LE PREMIER ETAT DU DOGME CHRETIEN. LA PREDICATION 
DE JÉSUS ET DES APOTRES K 



Quelles qu'aient été les influences qui se sont exer- 
cées plus tard sur le développement de la doctrine 
chrétienne, ce développement est toujours parti de la 
prédication de Jésus-Christ et des apôtres. Cette pré- 
dication est la vraie source immédiate du dogme chré- 
tien ; c'est là que nous le trouvons en son premier état 
et dans sa forme native. 

L'enseignement de Jésus-Christ et des apôtres nous 
est connu par le Nouveau Testament. Non pas que 
nous soyons assurés de posséder dans les écrits du 
Nouveau Testament tout cet enseignement. Œuvres 
d'édificalion et souvent de circonstance, ils n'ont pas 
la prétention d'être des exposés didactiques et complets 
de la doctrine du Maître et de ses disciples. La pre- 
mière et la seconde génération chrétiennes ont dû 
recevoir sur certains points des indications qui n'ont 

i. c'est ce qu'on appelle improprement la « Théologie du Nouveau 
Testament ». On trouvera dans G.-B. Stevens, The Theology of the New 
Testament-, p. 593, i'énuméralion des principaux travaux complets sur 
celte matière. Les plus connus et les plus récents sont ceux de B. Weiss, 
Lchrbuch der bibliichen Theol. des N. T., T édit., Berlin, 1903; J.Holtz- 
MANx, Lehrbuch der neutestamentl. Theol., 2" édit., Leipzig, 19H; J. 
BovoN, Théologie du Nouveau Testament, 2» édit., Lausanne, 1902 et 
suiv. ; Weikei., Di'bl. Theol. des N. T.; et Stevens lui-même, op. cit., 
Eciinburgh, iSO.i. 



L'ENSEIGNEMENT DE JESUS ET DES APOTRES. 61 

point trouvé place dans nos livres canoniques. Des 
paroles ont été citées comme venant de Notfe-Seigneur, 
que ces livres n'ont point rapportées. On en a çà et là 
relevé quelques-unes; mais elles sont généralement 
trop peu importantes et d'ailleurs trop faiblement 
attestées pour qu'il soit nécessaire d'en tenir compte. 
Pratiquement, c'est avec le Nouveau Testament seul 
que nous devons reconstituer dans ce volume le dogme 
chrétien dans sa première forme. 

Ici toutefois, des distinctions s'imposent déjà. Bien 
que l'antiquité, en effet, n'ait mis aucune différence d'au- 
torité entre les enseignements de Jésus-Christ et ceux 
des apôtres, et que ceux-ci n'apparaissent que comme 
l'écho et la prolongation de ceux-là, il n'en est pas 
moins vrai qu'entre la prédication de Jésus-Christ et 
la fin de la période strictement apostolique il s'est 
écoulé de nombreuses années — deux tiers de siècle 
environ, — pendant lesquelles la doctrine du Maître a 
été soumise à la réflexion et a pu recevoir des dé- 
veloppements importants. On a toujours admis qu'à 
l'enseignement personnel de Jésus les apôtres, organes 
eux-mêmes du Saint-Esprit, avaient pu apporter des 
compléments doctrinaux ou autres, le supposant 
comme base première et nécessaire et s'harmonisant 
d'ailleurs parfaitement avec lui * . La Révélation évan- 
gélique ne s'est close qu'à la mort du dernier apôtre ; 
et si donc nous voulons donner de son contenu un 
exposé historiquement fidèle, nous devons en dis- 
tinguer, dans la mesure du possible, les manifestations 

1. CeUe observalion est imporlante : elle va à rassurer les théologiens 
qui auraient des répugnances à admettre que l'enseisnement apos- 
tolique a été, sur certains points, plus complet et plus étendu que 
celui de Jésus-Christ. Les apôtres ont expliqué l'enseignement du 
Maître; ils ont développé et mis en relief ce que celui-ci n'avait fait 
qu'indiquer ou insinuer. Mais leurs explications étaient autorisées, 
comme les paroles qu'elles commentaient, et ont, pour nous, la même 
valeur. loan., XYl, 13, 14. 

4 



62 LA THEOLOGIE AiMTÉNICÉENN.E. 

successives, et ne point présenter pêle-mêle des élé- 
ments d'âge différent. " 

On peut compter cinq de ces manifestations : i° L'en- 
seignement pex'sonnel de Jésus-Chi'ist ; — 2° L'ensei- 
gnement des apôtres avant l'apparition de saint Paul ; 
— 3° L'enseignement de saint Paul; — 4" Celui des 
apôtres après saint Paul; — 5° Celui de saint Jean. 
Cette division est aisée à justifier, et sauf pour les 
parties 2 et 4 que l'on peut réunir dans un simple 
aperçu comme est le nôtre, elle s'impose. Nous allons 
donc la suivre. 



§ i. — L'enseignement personnel de Jésns-GJirist 
d'après les Synoptiques. 

C'est dans l'Evangila que se trouve rapporté Teii- 
seignement personnel de Jésus-Christ. Les synop- 
tiques nous en livrent la teneur ordinaire, et dans 
une rédaction qui en reproduit sans doute de plus près 
la forme première. Le quatrième évangile nous en a 
peut-être conservé certaines révélations plus profondes 
et, en toute hypothèse, a traduit déjà en une autre 
langue plus qu'il n'a rendu littéralement les discours 
du Maître. Ces deux sources cependant peuvent et 
doivent être utilisées si l'on veut aboutir à un exposé 
exact et complet ^ . On évitera seulement de mêler Içurs 

1. Deux questions se présentent ici que je ne saurais discuter, mais 
dans lesquelles, naturellement, je devais prendre parti. Premièrement, 
les discoui'S rapportés par le quatrième évangile comme discours de 
Jésus-Christ peuvent-ils être considérés comme représentant, en défini- 
tive, sa prédication, et partant, peuvent-ils être utilisés pour exposer 
l'enseignement du Maître? Voir, pour la solution afflrmative, J. Bovon, 
Théologie du Nouv- Testam., I, 2« édit., p. 162 sqq. ; F. Godet, Com- 
mentaire sîir l'évang.de saint Jean, I, 4« édit., Neueiiatel, 1902, p. 138 
sqq.; Batiffol, Six leçons swr les Évangiles, Paris, 1897, p. 123 sqq-; 
Stevens, Thç Theology ofthe New Testam., p. 176; E. Jacquier, Histoire 
des liv7-es du N. T., IV, p. 229 et suiv. — DeuxièmemçRt, dans les sj^nop- 



L'ENSEIGNEMENT DE JÉSUS ET DES APOTRES. 63 

témoignages, car le ton et le point de vue en sont si 
différents qu'on aurait bien de la peine à les fondre en 
un tout harmonique ^ . 

L'idée centrale de l'enseignement de Jésus d'après 
les synoptiques, idée à laquelle on peut le ramener 
tout entier, est celle du Royaume de Dieu. Les Juifs 
connaissaient le mot ^, et depuis longtemps attendaient 
la chose. Jean-Baptiste avait annoncé que ce royaume 
n'était pas loin (Mt., m, 2) : Jésus déclare qu'avec lui 
il est venu ou du moins il s'est approché (ecpôacEv, 
Mt., xii, 28). 

Qu'est-ce que ce royaume? L'expression 8«ciX£{a toïï 
Qeou, employée exclusivement par saint Marc et saint 
Luc, est équivalente à l'expression paoïXet'a rôîv oùpavcov 
de saint Matthieu ; mais elle serait mieux traduite par 
règne que par royaume de Dieu, car pasO^ai'a désigne 
originairement la domination même, le droit de direc- 
tion que l'on exerce, et seulement par dérivation et 
secondairement le domaine où s'exerce ce pouvoir et 
les sujets qu'il atteint. 

tiques eux-mêmes, tout en reconnaissant leur fidélité d'ensemble, n'y 
a-t-il pas lieu de Taire un départ, et de distinguer ce qui vient réelle- 
ment du Sauveur en personne de ce qu'un développement ultérieur — 
mais antérieur à leur rédaction — de l'enseignement apostolique ou de 
la pensée ciirétienne lui a fait attribuer? Plusieurs auteurs récents 
ont en effet tenté d'opérer ce partage. Mais, à supposer même qu'il soit 
possible et légitime (ce qui est fort contestable), nous ne saurions l'en- 
treprendre ici, et il ne conduirait en somme pour notre but à aucun 
résnltat appréciable, puisque même les auteurs rationalistes admettent 
généralement que la doctrine transmise par les synoptiques est bien, 
sauf peut-ôtre en quelques détails, la doctrine originale de Jésus. Voir 
là-dessus B. Weiss, Lehrbiich der biblisch. Theol., §§ ■10, H; Lagranck, 
iîeuMe biblique, 4903, p. 299, 300; Rose, Études sur les évangiles, 2* édit., 
Paris, 1902. 

!.. Outre les ouvrages généraux signalés plus haut, voir la littérature 
spéciale dans Steveks,op. cit., p. S9i, et Boyon, op. cit., I, 389, note d, 
et 402, note 3. On ajoutera P. BA.TiFFot, L'enseignement de Jésus d'après 
les évang. sygnopt., T éd., Paris, 1910. — {UU = saint Matthieu ; Me. = 
saint Marc, Le. = saint Luc). 

2. Sapient., X, 10; Ps. de Salom., XYII, 4. 



64 LA THÉOLOGIE ANTÉMCÉENNE. 

Notons immédiatement que ce règne de Dieu, qui 
sera aussi — on le verra — celui de Jésus-Christ, ne 
doit rien avoir de politique et de terrestre. Jésus 
corrige ici la pensée juive et repousse la: conception 
d'une domination temporelle, telle que ses contempo- 
rains l'attendaient. A César ce qui est à César, à Dieu 
ce qui est à Dieu (Mt., xxii, 15-22; Me, xii, 13-17; 
Le, XX, 21-26). Le Christ n'est pas juge des intérêts 
humains (Le, xii, 14) : il n'est pas venu pour com- 
mander mais pour servir , et pour donner sa vie en 
rançon pour un grand nombre (Mt., xx, 28), pour 
sauver ce qui périssait (Mt., xviii, 11), 

Le caractère spirituel du royaume de Dieu est en- 
core accentué par ce fait que Jésus l'oppose non aux 
royaumes temporels, mais à celui de Satan. Le langage 
du Sauveur sur les anges et les démons est générale- 
ment conforme à ce que nous avons vu qu'étaient les 
croyances contemporaines. Les anges sont des créa- 
tures habitant le ciel, où ils voient Dieu, et à qui les 
convoitises charnelles sont inconnues (Mt., xviii, 10; 
Me, XII, 25). Supérieurs aux hommes, mais inférieurs 
au Fils qu'ils accompagnent, qu'ils servent et dont ils 
dépendent (Mt., iv, 11; xvi, 27; xxvi, 53; Me, xiii, 
32), ils seront, au jour du jugement, les exécuteurs de 
la justice divine (Mt., xiii, 49) ; en attendant, plusieurs 
sont les anges des petits enfants (Mt., xviii, 10). 
Mais, à côté de ces bons anges, il en est de mauvais, 
le diable et ses anges (Mt., xxv, 41). Ce sont des es- 
prits (Le, X, 20), mais des esprits immondes (Mt., xir, 
43; Le, xi, 24), dont les uns sont plus méchants que 
les autres, qui s'efforcent de perdre les hommes, et qui, 
chassés, habitent dans les déserts jusqu'à ce qu'ils 
soient en force pour une nouvelle, invasion (Mt., xii, 
43-45; Le, xi, 24-26). Jésus leur parle, les expulse 
par sa parole (Mt., viii, 32; Me, i, 25) et donne à ses 



L'ENSEIGNEMENT DE JÉSUS ET DES APOTRES. 66 

disciples le pouvoir d'en faire autant (Mt., x, 8). Il 
distingue nettement cette expulsion des démons des 
cures miraculeuses de malades qu'il accomplit et que 
ses disciples accompliront (Mt., x, 8; Le, xiir, 32). 

Or, ces esprits ont un chef, 6 (laTavaç, l'adversaire, 
ô Sii^têoXoç, le calomniateur, qui les représente tous (Mt„ 
xii, 26; Me, IV, 15; Le, x, 18), et que Jésus semble 
identifier avec Beelzeboul (Mt., xii, 24-27; Le, xi, 18, 
19). Satan est le prince d'un royaume (Mt., xii, 26; 
Le, XI, 18) qui s'oppose précisément au royaume de 
Dieu. 11 est par excellence l'ennemi, h I^Opoç (Le, x, 
19) : c'est lui qui sème l'ivraie dans le champ du père 
de famille (Mt., xiii, 39), qui enlève la bonne semence 
des âmes en qui elle est tombée (Le, viii, 12), qui 
s'efforcé*^d'ébranler les apôtres, ministres du royaume 
(Le, xxii, 31). Aussi, entre le diable et ses anges, d'un 
côté, et le Sauveur, de l'autre, la lutte est-elle inces- 
sante, et Jésus donne précisément le fait qu'il chasse 
les démons en la vertu de Dieu comme la preuve que 
le règne de Dieu est venu (Mt., xii, 28; Le, xi, 20), 

Si donc la prédication de Jésus-Christ n'exclut pas 
l'idée eschatologique d'un règne de Dieu par la jus- 
tice et la vérité sur une terre renouvelée à la fin des 
temps, elle exclut du moins la conception étroite et 
humaine que s'en faisaient les Juifs. Le caractère 
indiqué du nouveau royaume est celui d'un royaume 
spirituel. Examinons-en de plus près chaque élément. 

Le roi de ce royaume évidemment c'est Dieu, puis- 
qu'il s'agit delapa(jt>6{a tou eeoîî (Mt., vi, 9-10; xiii, 43; 
xxvi, 29). Or Dieu, ^ans l'enseignement de Jésus, ce 
n'est plus seulement Dieu, c'est le Père, son Père à lui 
(Mt., XI, 17), le Père de ses disciples (Mt., v, 16 45; 
VI, 1, 4, 6, etc.), de tous les sujets du royaume, dont 
la bonté s'étend même sur les ingrats et les méchants 
(Mt,, V, 45). Bien que cette paternité de Dieu ne fût 

4. 



66 LÀ THÉOLOGIE ANTENICEENNE. 

pas inconnue, de l'Ancien Testament, elle prend dans 
la bouche de Jésus une signification plus intime, plus 
douce. — Mais, en dehors de "Dieu, le royaume des 
cieux comporte un autre roi, Jésus lui-même (Mt., xxv, 
31,34, 40; Le, xxiii, 2, 3). Qu'est-ce que ce roi, et 
quelle idée J ésus nous donne-t-il de sa propre personne ? 

Il se présente comme le Messie, ô ipiaxôç : c'est un 
titre que d'autres lui donnent, mais qu'en deux occa- 
sions du moins il accepte positivement (Mt., xvi, 16, 
17; Me, XIV, 61, 62). Toute sa conduite d'ailleurs 
parle en ce sens. Il n'ignore pas que, dans la pensée 
des Juifs, le royaume de Dieu doit paraître avec le Mes- 
sie (Me, XI, 10), et il déclare qu'avec lui, Jésus, ce 
royaume est venu (Mt. , xii, 28 ; Le. , xi, 20). Quand Jean- 
Baptiste lui envoie demander s'il est Celui qui doit 
venir, il fait observer pour toute réponse qu'il opère 
les signes annoncés par les prophètes pour la venue du 
Messie (Mt., xi, 3-5; Le, vu, 19-23; cf. Isaïe, xxxv, 
5, 6). La conscience messianique de Jésus ne fait aucun 
doute. 

Deux titres traduisent encore cette messianité dans 
es synoptiques. C'est le titre àé Fils de l'homme que 
Jésus adopte presque constamment pour se désigner 
lui-même'', titre équivalant pour lui à celui de Messie, 
mais qui gaze l'idée du triomphe temporel attachée à 
cette dernière appellation, et qui accentue, au con- 
traire, la communauté d'origine du Sauveur avec les 
hommes, sa faiblesse apparente, sa mission de souf- 
frances et d'expiation, condition nécessaire de sa glo- 
rification future. 

C'est ensuite le titre de Fils de Dieu (ô uîoç tou 6eou); 
Le sens messianique de cette appellation n'est pas dou- 
teux dans la bouche. des Juifs et des disciples (Mt., 

1. On le trouve 31 fois dans saint Matthieu, 18 fois dans saint Marc, 
26 fois dans saint Luc. 



L'ENSEIGNEMENT DE JÉSUS ET BES APOTRES. 67 

XIV, 33; XVI, 16; xxvi, 63; xxvii, 40; Me, xiv, 61; Le, 
XXII, 70), et probablement aussi dans celle des démons 
(Mt,, vin, 29, etc. ; Le, iv, 3, 6). Bien que Jésus ne se 
soit jamais donné à lui-même le nom entier, il l'a ac- 
cepté cependant'(Mt., XVI, 16, 17; xxvi, 63, 64; Me, 
xiv, 61, 62; Le, xxii, 70), et s'est deux fois au moins 
— d'après les synoptiques — désigné comme « le 
Fils », ô uîo; (Mt., XI, 27; Me, xiii, 32; Le, x, 22). 
Surtout, il a constamment appelé Dieu son Père (Mt., 
XI, 25-27; Me, viii, 38; Le, xxiii, 34, etc.). Mais ici 
une question se présente. Jésus entend-il, parce terme, 
exprimer simplement sa messianité, marquer une filia- 
tion morale, la relation particulière d'amour qui existe 
entre lui, Messie, et Dieu, filiation de même nature, 
bien que d'un degré supérieur, que celle qui existe 
entre Dieu et les disciples ; ou bien étend-il plus loin 
et plus haut la portée de cette appellation, et s'attri- 
bue-t-il en l'adoptant une vraie filiation divine au sens 
métaphysique du mot, par conséquent une nature 
supérieure à l'essence créée? 

Pour un problème si considérable, les synoptiques 
seuls ne nous fournissent peut-être pas les éléments 
d'une solution adéquate et absolue. De sérieux indices 
cependant démontrent que la prédication de Jésus,. 
telle qu'ils l'exposent, si elle ne comprenait pas l'af- 
firmation explicite de sa divinité, l'insinuait cependant 
et en anticipait, pour ainsi dire, la pleine révélation. 
Ainsi, entre le Fils qu'il est et les hommes, Jésus- 
Christ met les anges (Me, xni, 32); dans ce rapport de 
filiation qu'il établit entre le Père et lui, il s'isole dé ses. 
disciples et du reste du monde : il dit « mon Père «^ 
et « votre Père » , mais non « notre Père » ; il est 1» 
fils, l'héritier naturel dumaître de la vigne (ô xXïipovou.o;), 
les prophètes et les autres envoyés de Dieu n'étaient 
que des serviteurs (Me, xii, i-12); entre le Père et lui 



«8 LA THÉOLOGIE ANTÉNICBBNNE. 

il existe une relation absolument unique et transcen- 
dante de réciprocité et d'égalité : personne ne connaît 
le Fils si ce n'est le Père, et personne ne connaît le 
Père si ce n'est le Fils, et ceux à qui le Fils l'a révélé 
(Mt., XI, 27; Le, x, 22) : enfin l'énigme proposée par 
Jésus aux Pharisiens à propos du Christ, fils et pour- 
tant seigneur de David, n'est pas soluble autrement 
qu'en admettant que, pour lui, le Christ doit être 
d'une nature supérieure à celle de David (Mt., xxii, 
41-46; Me, xii, 35-37; Le, xx, 41-44). 

Jésus s'annonce donc comme le Messie, le Fils de 
Dieu, le fondateur du royaume. Sa mission est de 
chercher et de sauver ce qui avait péri (Le, xix, 10), 
de donner sa vie comme rançon (Xurpov) pour un grand 
nombre (Mt., xx, 28; Me, x, 45). Il faut qu'il souffre 
beaucoup, qu'il soit rejeté des prêtres et des scribes, 
qu'il meure et qu'il ressuscite (Me, vu i, 31). Il a un 
baptême dont il doit être baptisé (Le, xii, 50). Son 
«ang est le sang de la nouvelle alliance, qui est ré- 
pandu pour plusieurs pour la rémission des péchés 
(Mt., XXVI, 28 ; Me,xiv, 24 ; Le, xxii, 20). Jésus donne 
ainsi à sa mort une signification de salut : elle est 
le moyen de notre rédemption, l'acte qui opère notre 
délivrance. 

Or, à cette délivrance, à son royaume le Sauveur 
appelle tous les hommes. Bien que son ministère per- 
sonnel doive se borner aux brebis .perdues d'Israël 
(Mt., XV, 24), il l'étend cependant, à l'occasion, à d'au- 
tres qu'à elles (Mt., viii, 5-13; xv, 28), etbien qu'il dé- 
clare que l'évangélisation doit commencer par les Juifs 
(Mt., X, 5, 6), il déclare aussi que beaucoup viendront* 
de l'Orient et de l'Occident qui se reposeront avec les 
patriarches dans le royaume des cieux (Mt., viii, 11). 
Les disciples sont le sel de la terre, la lumière du monde 
(Mt., v, 13, 14); le champ ensemencé du père de fa- 



L'ENSEIGNEMENT DE JESUS ET DBS APOTRES. 69 

mille est le monde (Mt., xiii, 38); les apôtres doivent 
évangéliser toutes les nations (Mt., xxviii, 19), toute 
créature (Me, xvi, 15) ; la bonne nouvelle doit être, 
avant la consommation, répandue dans tout l'univers, 
en témoignage à tous les peuples (Mt., xxiv, 14 ; Me, 
xiii, 10) : Jésus est universaliste. 

Mais, cependant, si tous les hommes sont appelés à 
faire partie du royaume de Dieu, ils n'y entrent et sur- 
tout ils n'y appartiennent pleinement que moyennant 
certaines conditions. Entre ces conditions il faut mettre 
la pénitence, le changement de cœur (fxETavoia, Mt., iv, 
17; Me, I, 15; Le, v, 32), car les hommes sont pé- 
cheurs (Mt., VI, 12; Le, xiii, 1-5); puis la foi [izlanq], 
on doit croire au message divin (Me, i, 15 ; xvi, 16; 
Le, XVI II, 8), et avoir le courage de le confesser (Me, 
VIII, 38; IX, 26); il faut mettre aussi l'adhésion à la 
personne de Jésus-Christ, car il n'est pas seulement 
un docteur qui enseigne, il est un médiateur en qui Ton 
est sauvé (Mt., vu, 22, 23; x, 32-39; xxv, 40, 45). 
Ajoutons-y la fidélité à faire la volonté du Père céleste 
(Mt., VII, 21), l'humilité, la docilité simple comme 
celle des petits enfants à qui il est nécessaire de ressem- 
bler (Mt., XVIII, 3, 4; XIX, 15; Me, x, 14, 15 ; Le, xviii, 
16, 17). C'est aux pauvres en esprit, aux doux, à ceux 
qui pleurent, aux miséricordieux, aux purs, aux paci- 
fiques, aux persécutés du monde pour le bon droit 
qu'appartient le royaume des cieux (Mt., v, 3-12). 
C'est aux violents aussi, c'est-à-dire aux énergiques et 
aux résolus, car il veut é*.re emporté de haute lutte 
(Mt., XI, 12). Et enfin, condition qui résume les autres, 
la justice (oix«ioauvïi,Mt., v, 6, 20), qui comprend d'une 
manière générale l'accomplissement de tous les devoirs 
envers Dieu, envers le prochain et envers soi-même. 

Quant à l'ancienne Loi, Jésus semble en donner par- 
fois l'observation comme nécessaire, et maintenir inté- 



70 LA THÉOLOGIE ÂNTÉiXICÉËiS'NË, 

gralemerif le mosaïsiïie (Mt., v, 17-19, 13, 24; xxiii, 2, 
3, 23; XXIV, 20). 11 est clair cependant qu'il en spiritua- 
lise raccomplissemeut et en rend l'interprétation plus 
libre (Mt., xii, 1-5,8, 10-13; xxïïi, 26; Le, xiiï,15,16); 
qu'il met bien au-dessUs des œuvres extérieures les 
dispositions intimes de l'àmeet la pratique des vertus 
(Mt., XII, 7; XXIII, 23); qu'il regarde enfin celte Loi 
comme précaire et caduque en bien des points. Il n'ac- 
cepte pas certaines souillures qu'elle décrétait (M t., 
XV, 11, 17-20) ; au dispositif du talion il oppose le pré- 
cepte du pardon des injures (Mt,, v, 38-41), condamne 
le divorce permis par Moyse (Mt., v, 31, 32; xix, 3-9 ; 
Me, X, 2-12), déclare qu'à Jean-Baptiste s'arrêtent la 
Loi et les Prophètes (Le, xvi, 16), se donne lui-même 
comme plus grand que le temple (Mt., xii, 6), et an- 
nonce la destruction de ce temple (Me, xiii, 2) dont la 
ruine ne peut qu'entraîner bien des changements dans 
les cérémonies rituelles. 

A ces anciennes prescriptions, Jésus, dans la vie chré- 
tienne, substitue par un rappel vigoureux (car il était 
déjà dans la Loi) le grand commandement de l'amour 
de Dieu et des hommes (Mt., xxii, 37-40). La mesure 
de la charité, ce sont les sacrifices qu'elle nous inspire 
(Mt.jV, 45, 46; Le, xiv, 12-14), et c'est pourquoi elle 
ne doitpas nous faire aimer seulement nos frères (Mt., 
V, 22-24), mais aussi nos ennemis et nos persécuteurs, 
à l'imitation du Père céleste qui fait luire son soleil sur 
les bons et les méchants (Mt., v, 44, 45). Elle nous fait 
les secourir (Le, x, 30-37), leur pardonner (Mt., xvni, 
21, 22), supporter leurs injures (Mt., v, 39), consentir à 
leurs plus déraisonnables demandes (Mt., v, 40, 41). 
C'est à cette condition que les enfants du royaume se^ 
ront parfaits comme Dieu même (Mt., v, 48). 

Ajoutons à cela l'exhortation à la prière persévérante 
(Le, XVIII, 1), des insinuations discrètes sur la supé- 



L'ENSEI(îlNEME;NT de JÊSÇS et PES APOTRES. 71 

riorité du célibat et de la chasteté (Mt-, xix, 12), sur le 
mérite de la pauvreté volontaire et sa nécessité pour la 
perfection (Mt., xix, 21. 23), sur la séparation de la fa- 
mille et des proches (Mt., xix, 27-30; Le, xiv, 2G), et 
l'on aura quelque idée bien incomplète de la morale 
qu'a prêchée Jésus-Christ. 

Enlapratiquant, on devient sujet duroyaume de Dieu, 
on le /■ecozï(Mc., x, 15) d'une façon plus ou moins com- 
plète, suivant qu'on la pratiqueplus ou moins complète- 
ment. Jésus, en effet, n'envisage pas le royaume de Dieu 
exclusivement sous sa signification eschatologique, 
comme un état qui s'établira à la fin des temps ; il l'an- 
nonce comme s'établissant dès ici-bas dans le monde 
(Le, XVII, 20-21) et dans le cœur de chaque croyant en 
particulier. Le mot a dans sa bouche à la fois un sens 
eschatologique, un sens actuel et un sens individuel et 
intime. Au preroier sens et dans sa consommation, le 
royaume de Dieu ne doit comprendre que des justes 
(Mt., xin, 43; xxv, 34, 41); dans le second sens et en 
tant qu'existant sur la terre, il contient un mélange de 
bons et de mauvais, et de bons et de mauvais à des 
degrés divers (Mt., xiii, 19-30, 37-43, 47-50; xxv, 
1-13, 31-46); au troisième sens, ceux-là seulement le 
reçoivent et le possèdent en eux qui en réalisent les 
conditions (Me, xii, 34). 

Or ceci nous amène à une nouvelle question. Ces 
membres du royaume de Dieu sur la terre, quel que 
soit du reste leur état intérieur, vivront-ils, au point de 
vue religieux, isolés les uus des autres et reliés à Dieu 
eeul, ou formeront-ils une société? Jésus veut qu'ils 
forment une société : la padiXsta tou ôeoïï sera une IxxXïjuia 
(Mt., XVI, 18; xvïn, 17), Jésus en crée le noyau en 
constituant le collège apostolique. Cette église est 
établie inébr^inkble sur Pierre comme sur son fonde- 
ment. A lui sont données les clefs du royaume : il lie 



72 LA THEOLOGIE ANTÉWCEÉNNE. 

et délie sur la terre, et ses décisions sont ratifiées dans 
le ciel (Mt., xvi, 18, 19). Les apôtres reçoivent un 
pouvoir analogue (Mt., xviii, 18) : ils enseigneront, 
baptiseront, et on les écoutera comme Jésus lui-même 
(Mt., xxviii, 19; Le, x, 16). Cette situation doctrinale 
s'harmonise très bien avec la modestie recommandée 
aux maîtres et l'obligation de servir, posée comme 
devoir fondamental de quiconque détient l'autorité 
(Mt., XXIII, 8-10; XX, 25-27). 

Les apôtres donneront le baptême au nom du Père, 
du Fils et du Saint-Esprit (Mt., xxviii, 19) ; ce baptême 
est nécessaire au salut (Me, xvi, 16). A côté de ce 
rite se place le repas eucharistique. Jésus donne aux 
apôtres sa chair à manger et son sang à boire, en 
leur recommandant de répéter ceci en mémoire de lui 
(Mt.,xxvi, 26-29; Me, xiv, 22-24; Le, xxii, 17-20). 

C'est dans la formule du baptême que nous apparaît 
plus clairement dans l'enseignement de Jésus-Christ 
— si l'on s'en tient aux synoptiques — la personne du 
Saint-Esprit. Elle ne reçoit, en dehors de là, qu'un 
relief à peine supérieur à celui que lui donne l'Ancien 
Testament (voyez cependant Mt., xii, 32 ; Me, xiii, 11 ; 
Le, XII, 10, 12). 

Voilà donc, largement tracées, les conditions du 
royaume de Dieu sur la terre. Mais ce royaume n'est 
lui-même que la préparation du royaume futur et dé- 
finitif qui s'établira à la fin du monde. C'est vers cet 
avenir que regardaient toujours, avec un espoir mêlé 
de terreur, les Juifs contemporains de Jésus-Christ. 
Quel était son enseignement à lui, sur ce point ca- 
pital? 

Il ne diffère pas, en somnae, sensiblement des doc- 
trines ambiantes, si l'on retranche de celles-ci l'idée 
d'une domination temporelle et temporaire du Messie, 
et si l'on en modifie le caractère matérialiste et étroit. 



L'ENSEIGNEMENT DE JESUS ET DES APOTRES. 73 

Jésus enseigne, immédiatement après la mort, une ré- 
tribution au moins provisoire pour les justes et les 
méchants. Dans la parabole du mauvais riche (Le, xvi. 
19-31), celui-ci descend dans l'hadès (sv tw à'5r,), tandis 
que Lazare repose dans le sein d'Abraham. Le premier 
souffre du feu et de la soif qui le dévore : le second est 
dans la joie. Entre eux règne un gouffre infranchis- 
sable qui ne les empêche cependant pas absolument de 
se voir et de s'entendre. Quant qm paradis que Jésus 
pi'omet au bon larron (Le, xxiii, 43), il exprime, sous 
une autre forme, la félicité de l'autre vie. 

Mais, si le Sauveur est fort réservé sur l'état des 
hommes immédiatement après la mort, en revanche il 
s'est expliqué sur ce qui attend le monde au dernier 
jour. 

La catastrophe finale sera précédée de signes avant- 
coureurs, ràp)^:Jiû)Sivtov(Mt.,xxiv, 6-14; Me, xin,7-13; 
Le, XXI, 9-19) : il y aura des guerres, des pestes, des 
famines, des tremblements de terre; les disciples 
seront haïs, persécutés, trahis, battus et mis à mort. 
Puis viendra la 9Xt(|/iç (aeycxXy), la grande tribulation 
(Mt., XXIV, 15-28; Me, xiii, 14-23; Le, xxi, 20-24); 
on verra l'abomination de la désolation dans le lieu 
saint; les maux seront tels qu'il n'y en eut jamais de 
semblables depuis le commencement du monde. Enfin 
éclatera la crise dernière (tb téXoç, Mt., xxiv, 29-31; 
Me, XIII, 24-27; Le, XXI, 25-28) :1e soleil s'obscurcira, 
la lune ne donnera plus de lumière, les étoiles tom- 
beront, les vertus du ciel seront ébranlées, et subite- 
ment, comme la foudre (Mt., xxiv, 27), le Fils de 
l'homme apparaîtra sur les nuées, plein de gloire et de 
majesté (cf. Mt., xxvi, 64; Me, xiv, 62; Lc.,xxii, 68). 
Il enverra ses anges avec des trompettes rassembler 
non seulement les justes, mais généralement l'univer- 
salité des peuples (Mt., xxv, 32). Tous les morts res- 

Ui TBéOLOGIB ANTÉNICÉENNE — T. I. 5 



74 LA THÉOLOGIE ANTÉNfCÊENNE. 

susciteront (cf. Mt., v, 29, 30 r x, 28; xxu, 23-33; Mo., 
xir, 18-27'; Le, xiv, i4; xx, 27-40), et le jug-ement 
commencera ; jugement présidé par le Fîls de l'hoinme 
lui-même (Mt., xxv, 32, 33;,xvi, 17), qui atteindra 
chaque homme en particulier (Mt., xvi, 27; xxri, 1-14), 
pour s'étendre à toutes ses œuvres (Mt., xiii, 41 ; xxr, 
35-45). 

C'est sur ses œuvres en eJBPet que chacun sera jugé, 
et non sur sa nationalité ou son extérieur religieux 
(Mt., xxv, 34-45; vu, 21-27; viii, 11, 12; Le, xiii, 
25-30). La sentence sera infiniment consolante pour les 
justes. Semblables aux anges (Mt., xxii, 30; Me, xii, 
25; Le, XX, 36), ils vivront de la vie éternelle (Mt., 
xxv,. 46; Le, xx, 36), dans la contemplation de Dieu 
(Mt., V, 8). Leur état est comparé à un festin de noces 
(Mt., XXII, 2-14; xxv, 10) : les élus sont couchés sur 
des lits de repos avec les patriarches (Mt,, viii, 11), ou 
encore sont assis sur des trônes (Mt., xrx, 28; Le, 
XXII, 30); ils resplendissent comme des soleils (Mt., 
XIII, 43). Leur félicité cependant a un caractère nette- 
ment spirituel. Le mot capital ici est vie éternelle 
(Mt., XX, 46; Me, x, 17; Le, x, 24) souvent employé 
comme équivalent de possession complète du royaume 
de Dieu (Mt., xxv, 34, 46). Nulle part il n'est snpposé 
que l'expression « éternelle » ne doive pas être en- 
tendue au sens strict : au contraire, Jésns dît positi- 
vement que les justes ne pourront plus mourir (Le, 
XX, 36). 

En revanche, le sort des méchants sera terrible : 
c'est l'aTtwÀeta opposée à la vie (Mt., vir, 13, 14). On 
pourrait y voit la destruction, mais autre est la pensée 
de Jésus. Les méchants rejetés dé lui (Mt., xxv, 41; 
Le, XIII, 27) seront précipttésd'an^ la géhenne, y££'vv« 
(Mt., V, 22, 29, 30; Me, ix:, 42-, 46), dans une géhenne 
de"feu(Mt., v, 22), dans le feu éfernelfMt., xxv, 41; 



L'ENSEIGNEMENT' DE: JÉSUS ET DIS APOTRES. 7S 

Me, IX, 42), dans un lieu: de ténèbres cependant ôtiril 
y aura des pleurs et des grincements de dents (Mt., 
viir, 12; XXV, 30; Le, xiir, 28). Là ils souffriront éter- 
nellement : leur feu ne s'éteindra point, leur ver ne 
mourra point (Mt., xxv, 41, 46; Me, ix, 42-47). 

Quel sera le rapport du châtimeut ou de la récom- 
pense aux œuvres qui les ont mérités? Le châtiment 
sera proportionné à la malice de chaque coupable 
suivant ses dispositions et ses lumières (Mt., xi, 22-24; 
XII, 41, 42; Le, XII, 47, 48), car il sera plus demandé 
à qui aura plus reçu. Quant à la récompense, elle est 
quelquefois représentée comme égale pour tous dt 
comme une grâce (Mt., xxv, 14-23; xx, 1-16), mais 
d'autres fois aussi comme proportionnelle aux mérites 
(Le, XIX, 12-19). Cette contradiction n'est pas inso- 
luble si l'on remarque, d'une part, que la récompense 
est elle-même d'un si haut prix qu'elle surpasse l'exi- 
gence des mérites et est véritablement gratuite (cf. 
Le, VI, 38) et, d'autre part, qu'en raison do son excel- 
lence même, toutes les nuances de mérite semblent 
disparaître devant elle. Ces nuances cependant ne 
sont point effacées, et un ordre existera entre les sujets 
du royaume des cieux (Mt., v, 19). 

Reste la question du jour et de l'heure de la fin du 
monde. On n'ignore pas combien il est difficile de tirer 
des synoptiques une idée claire de l'enseignement de 
Jésus sur ce point. Les contemporains, nous l'avons 
vu, rattachaient la crise eschatologique à la venue du 
Messie, et il est avéré que, pendant un certain temps, 
les disciples et les premiers chrétiens attendirent 
comme prochain^ le second avènement (la par-ousie) 
dû Christ. Quant au Sauveur lui-même, tantôt il paraît 
raunoncer comme imminent (Mt., x, 23; xvi, 27, 28-; 
XXIV, 34; Me, viii, 39; xiii, 30; Le, ix, 26, 27; xxi, 
32) ; tantôt, au contrairev indéfiniment le retarder. En 



7e LA THÉOLOGIE ANTÉNICÉENNE. 

ce dernier sens semblent dirigés les paraboles (Mt.^ 
XIII, 31, 32; XXIV, 48-50; xxv, 5-14) et aussi quelque- 
fois le discours direct : la fin ne doit venir que lorsque- 
l'Evangile aura été prêché dans le inonde entier (Mt., 
XXIV, 14; Me, XIII, 10). On a émis, pour expliquer ces 
oppositions, diverses hypothèses qu'il serait trop long 
d'examiner ici * . Ce qui est clair, c'est que Jésus n'a 
voulu renseigner ni ses apôtres ni nous sur le moment 
de sa parousie (Mt., xxiv, 36; Me, xiii, 32). Il a an- 
noncé seulement qu'elle nous surprendrait (Le, xn, 
40), et c'est pourquoi nous devons veiller : Vigilate 
(Mt., XXIV, 42, 44; xxv, 13; Le, xii, 37-40). 



§ 2. — L'enseignement de Jésus-Christ 
d'après saint Jean. 

Ouvrons maintenant le quatrième évangile. L'idée 
et le nom du royaume de Dieu n'en sont pas absents 
(m, 3, 5), mais on ne les trouve que rarement, et c'est 
une autre forme d'idée, une autre terminologie qui 
s'offre à nous. Le royaume de Dieu a fait place à la 
vie, à la vie éternelle qui nous est apportée. Dans les 
synoptiques, Jésus avait parlé surtout de son minis- 
tère et de nous : ici, il parle beaucoup de lui-même et 
de ses rapports avec son Père; dans les synoptiques,, 
il avait si peu accentué l'idée de sa médiation, qu'on a 
pu nier qu'on l'y trouvât : ici, on la rencontre à chaque 
pas ; et enfin la doctrine du Saint-Esprit prend tout à 



1. La meilleure estpeul-êlre celle quivoitdans le royaumede Dieuun 
concept complexe, marquaut à la fols une ère de justice et une ère de 
bonheur. Comme ère de justice, le royaume de Dieu a été en effet an- 
nonce par Jésus-Clirist comme tout proche et venu avec lui; comme 
ère de bonheur, il ne devait apparaître complet qu'après de longs siè- 
tlc-i. Celte distinciion n'a pas d'abord été saisie clairement par les pre- 
m'wTs, chrétiens : l'expérience devait les eu instruire. 



L'ENSEIGNEMENT DE JÉSUS ET DES APOTRES. 77 

<joup un développement considérable, tandis que le 
drame eschatologique disparaît devant une conception 
plus intime et plus spiritualiste du jugement divin. 

« Dieu est esprit, et c'est en esprit et en vérité qu'il 
le faut adorer » (iv, 24). Cette première parole brise 
le particularisme juif, et insinue déjà la direction du 
nouvel enseignement. « Dieu a tant aimé Je monde 
qu'il a donné son Fils unique afin que quiconque croit 
en lui ne périsse point, mais qu'il ait la vie éternelle » 
(il, 16). L'amour de Dieu pour les hommes a quelque 
chose de plus passionné, de plus personnel que ce que 
nous avons trouvé jusqu'ici. Dieu est Père, mais avant 
tout Père de Jésus-Christ, et c'est on le sacrifiant qu'il 
témoigne qu'il est aussi le nôtre. 

Si, dans les synoptiques, en effet, Jésus se met à 
part de ses disciples dans ses rapports avec le Père, 
cette attitude est encore bien plus marquée en saint 
Jean. Il se déclare le Fils de Dieu (v, 28; ix, 35-37, 
etc.), le Fils par excellence (m, 16, 35; v, 19-22, etc.) ; 
il y a, par distinction de tout le reste, le Père et le Fils 
(m, 35, 36-, V, 19-22). Entre ce Père et ce Fils les re- 
lations sont intimes : le Père est la source de l'être et 
de l'action du Fils (v, 19, 26) ; il fait les œuvres dans 
le Fils; le Père et le Fils se connaissent (x, 15; cf. viii, 
55), s'aiment réciproquement (v, 20; xiv, 31; xv, 9) ; 
ils demeurent l'un dans l'autre (vni, 29; xiv, 10, 11), 
ils ne sont qu'un, h (x, 30; jvii, 11, 21, 22). Ce qui 
est à l'un est aussi à l'autre (xvii, 10), et, comme le 
Père a la vie en lui-même, il a donné au Fils d'avoir 
également la vie en soi (v, 26). Aussi voir ou rejeter 
le Fils, c'est voir ou rejeter le Père (viii, 19; xiv, 9; 
XV, 21-24) : on leur doit rendre honneur semblable 
(v, 23). 

Le Fils cependant préexistait à son apparition dans 
le monde : Jésus était avant Abraham (viii, 58), il était 



78 -LA a;iIÉ0LO&iE ANTBNICÉENNE. 

^glorifié auprès du Père avant que le monde existât 
(xvir, 5) ; c'est du oiel qu'il vient et ;au ciel qu'il re- 
tourne (vi, 62; cf. 33-, 51) : car le Père, qui est rplus 
grand que lui (xiv, 28), Ta envoyé dans le monde (m, 
16) pour y remplir une mission (v, 36; xiv, 31; xv, 
10, etc.), pour y parler, pour y juger, jpour y agir aussi 
en son nom (viii, 26 ; x, 32, 37). 

Toutefois l'objet propre de 'la mission d« Jésus n'est 
pas déjuger le monde, mais de le sauver (m, 17; cf. 
IV, 42), de lui donner la vie éternelle : c'est l'idée qui 
revient constamment (ni, 16, 36; jv, 14, etc.). Jésus 
est la vie (xiv, 6), et il vient pour nous la communiquer 
abondamment (x, 10). Il est la lumières aussi et il vient 
pour éclairer le monde (m, 19; viii, 12; xii, 46), pour 
lui faire connaître Dieu, car connaître Dieu et son Fils 
Jésus-Christ, c'est la vie éternelle {xvii, 2, 3). A ce 
ministère de doctrine s'ajoute uin ministère de souf- 
france obscurément annoncé, Jésus doit donner sa 
chair pour la vie du monde (vi, 51) ; il est le bon pas- 
teur qui meurt pour son troupeau (x, 11, 18) : c'est 
l'ordre du Père (x, 18). 

Comment recevoir cette lumière, communier à cette 
vie, profiter de cette rédemption qui nous sont oSfe rie s? 
Em. nous attachant à la personne de Jésus, en ne faisant 
qu'un avec lui. Jésus est uni au Père, nous devons être 
unis à Jésus pour être unis à Dieu ' c'est toute l'cco- 
:n,omie du salut, il ôst^a lumière qui conduit à la vie 
(viii, 12; XII, 46), la porte du barcaii par loù il faut 
casser (x, 7, 9), le bon pastenj dont il faut être la 
brebis (x, 11, 14), bien;plus le cep dont nous sommes 
les branches, de qui seul nous pouvons recevoir la sève 
surnaturelle, en qui seul nous pouvons po:rter des 
fruits (xv, 1-7). D'où la nécessité pour nous ûe de- 
meurer dans son amour comme il demeure dans 
l'amour de son Père (xv, 7-10). Après cela, les autres 



L'ENSEIGNEMENT BE JÉSUS £3" SES iiPOTRES. 79 

conditions du salut sont celles à peu près -que V&n 
ti'ouve chez les synoptiques ; jenaitre dB l'eau et de 
l'Esprit (m, 3-7), croire en la -parole du Sauveur (jo, 
16; V, 24; vi, 40-47), manger sa ehair et boire son «an:g 
(VI, 52, 59). 

Semblable également est l'idée qui nous est donnée 
de l'Église et de son organisation (xiii, 20; xvii, 18;; 
XX, 23; icxi, 15-17); mais une doctrine qui se trouve 
puissamment mise en lumière à cette occasion -est celle 
du Saint-Esprit. Il est nettement distingué du Père «t 
du Fils (xiv, 16, 26; xvi, 7, 13-15) : il procède (IxTropsuE- 
■zaï) du premier (xv, .26), mais il leçoit i^a^Mvti) du se- 
cond (xvi, 14, 15) ce qu'il diraet annoncera aux apôtres 
(xvi, 13^ 14; .XIV, 26); et cela parce que tout ce qui^est 
au Père est aussi au Fais (xvi, 15). L'un -et l'antre l'en- 
voient (xïv, 16, 26 ; XV, 2ô; xvi, 7), mais il n'«n est pas 
séparé, car âe Père et .le Fils l'accompagnent dans -sa 
descente dan"s les fidèles (xiv, 23). C'est l'Esprit de vé- 
rité (xav, ±ê^ 17;; xv, 26, etc.), dont le rôle est de ren- 
dre témoignage à J;ésus-Christ, c-est-à^dire de con- 
firmer intérieurement :S0n easedg-nement -(xv, 26), d'en 
donner aux iapôtreslapleine intelligence, -et s'il le iwaït, 
l'explication nécessaire (xi V, 26.; xvi, 13). Avec ces-apô- 
tres il restera éteimellement (xiv, 16, 17) : «n revanchiO 
le monde ne peut le Tecevoir (xiv, 17), et il témoigne 
contre Le jmonde (xvi, 8-11), car ce "monde, à 'qui le 
Christ est étranger (viii, 23; xvm, -36), -haït Jésos- 
Christ et son Église (xv, 18-23) , et le Sauveur n'a pas 
prié pour lui (xvii, 9). 

Bien que tous les hommes en effet soient, en prin- 
cipe, appelés à devenir les enfants de Dieu (x, 16; xi, 
52 ; xHj 32), tous ne répondent pas à son appel. Cette 
infidélité était prédite (xti, 37-40) ; elle est la consé- 
quence des conseils divins, car nul ne vient à Jésus s'il 
n'est tiré par le Père (vi, 44), et celui-ci n'a donné ;à 



eo LA THÉOLOGIE ANTENICÉBNNË. 

son Fils qu'un certain nombre d'hommes (xvii, 6) ; elle 
est la conséquence aussi de la malice humaine. On re- 
pousse la lumière parce qu'on veut mal agir (m, 19-2i), 
parce qu'on veut faire sa propre volonté et se confier 
en soi-même (vu, 17, 18; ix, 41). 

Ce rejet de la lumière amène le jugement. Le Sau- 
veur maintient à ce mot son sens originel : c'est un 
triage, une ségrégation : « En ceci consiste le jugement 
que la lumière étant venue dans le monde, les hommes 
ont mieux aimé les ténèbres que la lumière, parce que 
leurs œuvres étaient mauvaises » (m, 19). Ainsi, le ju- 
gement commence dès l'instant que l'on refuse de rece- 
voir Jésus- Christ. Celui qui ne croit pas est déjà jugé 
par son incrédulité même (m, 18) : il n'a pas besoin 
d'un juge extérieur; son endurcissement et la parole 
qu'il a méprisée suffiront à faire éclater au dernier jour 
l'état de séparation où il s'est mis (xii, 48). En ce sens, 
celui qui croit n'est pas jugé (m, 18; v, 24). Et ainsi il 
est vrai que Jésus n'est pas venu pour juger (m, 17 ; 
«I, 47; cf. viii, 15), parce que les méchants se jugent, 
se ségrègent eux-mêmes : et d'autre part il est vrai 
qu'il est venu pour juger, parce que son avènement a 
été l'occasion du triage qui s'est opéré entre ceux qui 
veulent et ceux qui ne veulent pas voir (ix, 39). 
. Ce premier jugement intérieur et caché n'empêche 
pas qu'il ne doive y en avoir un autre, général et écla- 
tant, présidé par le Fils, à la fin du monde. A sa voix 
tous ressusciteront, les bons pour la vie, les méchants 
pour le jugement (v, 28, 29). Cette résurrection des 
bons paraît être spécialement due à l'influence de Jé- 
sus-Christ (vi, 39, 40, 44), à ce qu'ils auront mangé sa 
chair et bu son sang {vi, 54). Quant au sort des uns et 
des autres, il ne sera en définitive que le développe- 
ment goûté et ressenti de ce qui était déjà ici-bas : pour 
les justes l'épanouissement de la vie qu'ils possédaient 



, L'ENSEIGNEMENT DE JÉSUS ET DES APOTRES. 81 

en vertu de leur union avec le Christ (vi, 47; xiv, 3), 
pour les méchants la mort et la colère de Dieu perma» 
nente sur eux (m, 36; cf. viii, 24). 

On voit assez, sans qu'il soit nécessaire d'insister, 
combien le ton de ce dernier exposé diffère de celui des 
synoptiques; mais on chercherait vainement entre eux 
une opposition proprement dite. 11 y a tantôt prolonga- 
tion des lignes, tantôt transposition ou diversité, mais 
non point contradiction. Le royaume de Dieu, sous le 
nom de vie éternelle, est devenu quelque chose de plus 
intime et plus personnel ; de même, le jugement n'est 
plus seulement un événement futur, il commence dans 
la conscience. D'autre part, les relations de nature du 
Fils avec le Père, sa divinité, son caractère de média- 
teur nécessaire, la doctrine du Saint-Esprit ont été mis 
en relief. Tout cela ne sort pas du cadre de la pensée de 
Jésus, et doit en être considéré comme l'écho ou l'in- 
terprétation fidèle. 

§ 3. — L'enseignement de saint Faul>. 

Entre Jésus-Christ et saint Paul, dont la première 
épître aux Thessaloniciens, la plus ancienne, suivant 
plusieurs, de celles que nous possédons, est de l'an 
53 environ, plus de vingt ans se sont écoulés pendant 
lesquels les apôtres ont prêché, quelques-uns même 
d'entre eux ont peut-être écrit. Nous grouperons un peu 
plus loin tout ce qui concerne leur enseignement. Il 
flous faut présentement exposer celui de saint Paul. 

C'est dans ses épîtres naturellement ^ et drir.;2 cnel- 

1. Outre les ouvrages généraux indiqués plus haut, voir la littéra- 
ture spéciale dans Stevens, op. cit., p. K94. Jacquier, Histoire des livres 
du Nouveau Testament, I. F. Prai, La théol. de saint Paul, Paris, 4907, 
1912. 

*» On traitera seulement a part de VÉpître aux Hébreux, qui repro- 

5. 



82 LA THÉOLOCrE ANTENIGEEWNE. 

ques discours rapportés dans les Actes qa! on le tponrvé. 
'On est d'accord pour aidmettr© que cet enseignement 
forme un tout organique, et qu'il se développe, sous la 
plume de l'apÔtre, sinon dans un ordre extérieurement 
méthodique, du moins suivant un principe rigoureu- 
sement suivi. Mais quel est ce principe ? C'est sur quoi 
on ne s^entend guère. Dans son système chrétien, 
saint Paul part-il de l'idée qu'il se fait de Dieu, du 
Christ ou de Thomme? Sa doctrine est-eîle théocentri- 
que, christoeen trique ou anthropocentrique ?Toutes ces 
diverses solutions ont été proposées, et ont pu l'être 
avec des apparences de raison. Si puissante et si tme 
est la conception de l'apôtre que, quel que soit le point 
où il se place et qu'il envisage actuellement, il sait y 
ramener tout son enseignement, et donner rillusion 
que là est vraiment le centre de ses pensées. Cette 
question n'a d'ailleurs pour nous qu'une importance 
secondaire. Nous devons surtout montrer en quoi la 
doctrine de saint Paul développe celle de Jésus-Christ; 
son côté objectif nous intéresse plus que la façon 
dont elle a été conçue : et dès lors nous n'avons pas 
à en rechercher précisément la déduction subjective. 
Un expose qui, partant de Dieu, suit en quelque sorte 
son action dans le monde, et se déroule avec l'histoire 
de l'humanité, paraît assez bien représenter le mouve- 
ment de la pensée' de l'apôtre, et propre à en dire 
rapidement le contenu. 

Pour saint Paul, comme pour Jésus, Dieu est un 
Père : il l'était déjà par la création ; il le devient encore 
plus par la rédemption. Le cri Ahba, Pèreî est le cri 
qui jaillit en nous sous l'action de l'Esprit du Fils qui 

duitsaus doute la doctrine de saint Paul, mais doat on ne le croit pas 
généralement Fauteur immédiat. — Pour les références de ce paragraphe 
R. = Romains; I, II Cor. = I, H Corîntliiens; G. = Calâtes; E. = Éphé- 
siens; Ph. = Pliilippiens; Col. = Colossiens; J, 11 1h. = I, II Thessalo- 
nicieus; I, II Tim. = I, II Timothëe; Tit. = Tite. 



L'ENSEIfiNEMENT ©E JÉSUS .ET BES APOTRES. 88 

noas^stxioinmuiiiqué (R., vui, 15, 29; G., av, 5, 6; E., 
j, 4, ,5). Mais «n même tempa, ce Dieu est «n souverain 
dont l'absolu domaine ^st pleinement et rudement af- 
fî-rmé. C'est le Dieu de Job contre qui il Ji'y (a pas -à ^dis- 
cuter ,: sa volonté est sa loi et nc^re loi : il faut s'ineli- 
ner et adorer (R,, ix, 14-:21; 1 Tim., i, 17:; vi, 15, 16).. 
Un seul dessein occupe cette volonté dès Tinstaiït 
qu'elle sort d'elle-même pour agir au dehors : préparer 
le salut des élus : c'est un dessein d'amour. La créal-ioa 
et la rédemption ne seront que des moyens successifs 
de le réaliser (R., viii, 28; E., i, 4, 5; ijj, 11 ; II Tim,, t^ 
9). Laxîréation est une première révélation de Dieu (R,, 

I, .20), l'Incarnation en est une seconde. Ainsi, saint 
Paul marque l'unité de l'histoire et la maintiendra mal- 
gré l'opposition de l'Evangile et de la Loi, 

En sortant des mains de Dieu, l'homme «tait êroit. 
L'étroite relation de la chair et du péché, que l'apôtre 
accentuera, n'est point une relation essentielle et abso- 
lue. La chair n'est pas nécessairement rmauvaise : c'est 
par la transgression (îtapaTnrwfjia) du premier homme que 
le péché, le mal est entré dans le monde (R., v, 12-19). 
Ce péché, saint Paul le personnifie en quelque sorte, le 
présente comme une réalité objective et vivante. Une 
puissance nouvelle (^ a,ur.apT(a) apparaît, que la généra- 
tion propage dans les enfants d'Adam suivant la chair 
(R., V, 12, 18, 19). Ce n'est pas l'acte du péché, la trans- 
gression elle-même (irapaSacnç, TrapdtTCTWfjLa, R., v, 14, 15 ; 

II, 23; G., VI, 1) : c'en est ia conséquence, et c'est aussi 
le principe qui le produit, la pente qui y^entraîne, d'^n 
mot la concupiscence. Le péché habite en l'homme.", 
il exerce sur lui une invincible tyrannie (R., vu, 5,^^ 
15, 19, 20) i il est pour lui une loi inéluctable (R., n^ïi, 
21, 2-3); l'homme est l'esclave du péché (TOitpa[i£voç ttih 
T^v «(zapriav, R., vu, 14).. 

Le péché a son siège immédiat «dans la chair {aiç%).. 



84 LA THÉOLOGIE ANTÉNICÉENNE. 

Par la chair il ne faut pas entendre le corps (ffto|*«), 
mais la substance du corps en tant qu'elle est le prin- 
cipe des convoitises qui nous portent au mal, ces con- 
voitises elles-mêmes, l'homme tout entier, l'âme en 
tant qu'elle les suit et y conforme sa vie morale. Et 
ainsi saint Paul nous parle d'une prudence, d'une vo- 
lonté, d'un esprit de la chair, d'homme charnel (^pôw)}*», 
eAïlfxa, vouç TÎiç ffapx^ç, R., viii, 6; vii, 15; E., ii, 3; Col., 
II, 18). Cette chair est une chair de péché, le corps un 
corps de péché (R., vi, 6; viii, 3]. 

Le péché a pour fruit la mort; par lui elle a été 
introduite dans le monde (R., v, 12, 14, 15, 17; vi, 23). 

Veilà donc la situation faite à l'homme par la trans- 
gression d'Adam : elle l'a rendu pécheur, a corrompu 
sa nature, l'a conduit à la mort. Dans cette extrémité, 
quelles ressources lui restent? Aucune. Sans doute, 
son esprit voit encore le bien, le devoir, et ce que 
saint Paul nomme l'homme intérieur l'aime et s'y com- 
plaît, mais d'une volonté impuissante (R., vu, 15-22). 
La Loi elle-même ne lui sera d'aucun secours, bien plus 
elle deviendra pour lui une occasion de ruine. Car la 
Loi, ^en soi, est juste et sainte; elle est spirituelle 
(TCv«0(xaTt)coç) et exprime la volonté de Dieu (R., vu, 12, 
14) : mais l'homme, lui, est charnel (aapxivoç, R., vu, 14), 
et en lui montrant son devoir sans lui donner la force 
de l'accomplir, la Loi ne fait que le rendre plus cou- 
pable. Sans la Loi, le péché était mort, il n'était pas 
connu comme tel ni imputé (R., m, 20 ; v, 13 ; vu, 7, 8) : 
avec elle il revit, se multiplie et pousse partout ses 
rejetons funestes (R., vu, 9, 11, 13). Si bien que le rôle 
de la Loi a été, en quelque sorte, de faire abonder l'ini- 
quité pour épuiser le péché par sa fécondité même 
(R.. V, 20; G., m, 19). Mais en ce faisant, elle a tué 
l'homme devenu, pour ses transgressions, passible du 
châtiment (R., vu, 11; G., m, 10). 



L'ENSEIGNEMENT DE JESUS ET DES APOTRES. 85 

Ainsi, juif ou païen, vivant sous la seule loi natu- 
relle ou sous la loi mosaïque, l'homme était perdu sans 
l'intervention divine. Heureusement pour lui, voici, en 
face du péché, une autre puissance qui se dresse, la 
Justice de Dieu (-^ StxaioauvT] Gsou, R., m, 21, 22), non 
pas cet attribut qui juge et qui châtie, mais la sainteté 
de Dieu, son exemption de toute tache et de toute 
souillure morale, justice qu'il communique, et par 
laquelle il rend justes ceux qui croient en Jésus (eîç to 
rivai aÙTov Sixàiov, xol Sixaioïïvxa xov Ix itidTsoîç 'Ir|Cou, R., m, 
26).. 

Cette justice de Dieu, voulant ainsi se communi- 
quer, met en mouvement la grâce, c'est-à-dire la 
bonté et la tendresse de Dieu à notre égard (R., v, 20, 
21), bonté dont l'éternel dessein est notre salut et 
celui de tous les hommes (E., i, 4; I Tim., n, 3,, 4), et 
le premier gage qu'elle nous donne de sa bienveillance, 
c'est la promesse. 

La promesse du Messie faite à Abraham, voilà en 
effet, dans le passé, le vrai secours donné à l'homme. 
Ce n'est pas Moyse et sa Loi, laquelle, on l'a vu, a 
été une -occasion de péché, qui sont la vraie antici- 
pation de Jésus-Christ et de sa grâce, c'est Abraham 
et la promesse qu'il a reçue (G., m, 6-18). Les vrais 
fidèles, les vrais Israélites ne sont pas les Juifs selon 
la chair, c'est-à-dire les sujets delà Loi, mais bien ceux 
qui croient, comme Abraham, en la promesse, et qui 
sont les héritiers de sa foi (R., ix, 6-8; G., iv, 28). 
Seulement, de même que l'enfant, bien qu'il soit, en 
principe, maître de sa fortune, est cependant traité en 
esclave jusqu'à son émancipation, ainsi les enfants 
spirituels d'Abraham ont été placés sous la Loi jusqu'à 
ce que l'Evangile leur apportât l'affranchissement et 
la jouissance de leurs droits de fils (G., m, 29; iv, 
1-7,22-31). 



86 LA. THÉOLOGIE ÂNTENIGÉEKNE. 

Cet affranchis sèment sera l'œxavre de Jesus-Christ. 
lésus-Clirist apparaît comme la seconde «t suprême 
manifestation (le la bonté de Dieu à notre ég^rd , le vrai 
objet delà promesse (G., tu, 16). îl-est de notre race et 
de notre sang (R., i, 3 ; O., iv, 4), puisqu'il doit nous 
représenter et nous être substitué. .Mais, s'il -est homme 
et a pris chair, il n'a cependant pas connu le péché 
:R., VIII, 3; ilGoT., V, 21). Gomme homme, il occupe 
d^ ailleurs un rang à part : Il est le second Adam, îe 
nouvel homme. Le premier, qui était de la terre, était 
terrestre (Ix yr-ç x°ïxoç) : le second est du ciel, et par 
conséquent céleste (iTrouptsEvioç) ; et de même que notre 
naissance nous faisait, comme A.dam, x'^'*''^''» ainsi notre 
naissance spirituelle dans le ChTisluous rend, comme 
lui, ^TCoupavioi (1 Cor., Tcv, 47-49). Ges expressions 
ÈTToupavioç, il oùpavou se rapportent _pTebâbieinent à l'ori- 
gine du Sauveur. Mais, du reste, la concepMon de 
saint Paul s'élève bien plus haut. 11 suppose claire- 
ment la préexistenee de Jésus-Christ (G. , t.v, k; II Cor., 
viiî, 9); il lui attribue nn rôle dans la création (Col., 

I, 15-17; I Cor., vni, 6). Jésus n'-est pas Fils de Dieu 
seulement comme les justes de Pancienne Loi, il est 
le propre Fils de Dieu (ïôtoç, R., vm, 32); il -est le 
Seigneur (xupio;), le seul Seigneur comme ^le Père est 
le seul Dieu (i Cor., viii, 6) ; son nom doit être invo- 
qué et tout genou il échir devant lui {I Cor., i, 2; Ph,, 

II, 9-11); l'auteur n'hésit-e pas à lui appliquer des 
textes de l'Ancien Testament écrits de Dieu -même 
(R., X, 11-13 ; I Cor., X, 9 ; F., iv, 8). Et enfin la doctrine 
de l'apôtre atteint sa dernière expression dans le 
fameux passage de l'-épître aux Phflippiens (ii, 6, 7), 
qui -proclame Jésus-Oirtst préexistant Iv [xop©?; Osou, et 
égala Dieu {ha 6sw). Rien ne prouve non plus d'une 
façon tant soit peu concluante que le ^fleoç de î'épître 
aux Romains (ix, 5) ne se rapporte pas à Jésus-Christ; 



L'ENSEIGNEMEST DE JESUS ET BBS APOTRES. 8T 

et si l'on objecte qu'en tout cas. l'apôtre sul^ordonne 
le Christ au Père (ï Cor., xv, 28; xi, 3), il est aisé de 
répondre que cette subordination est ministériélie, 
non esseniielle, et que précisément dans le passage 
de la première épître aux Corinthiens, xi, 3, le paral- 
lélisme entre l'homme et la femme, d'une part, et 'D-ieu 
et le Christ, de l'autre, n'est gardé que s'il y a enti'fr 
ceux-ci identité de nature. 

Pour saint Paul, Jésus-Christ est .donc à la fois 
réelleinent homme €t, au sens absolu, vrai Fils d& 
Dieu. Son rôle est de nous sauver, ou plutôt d'être,, 
entre les mains de Dieu, l'instrument de notre sahit,^ 
car c'est Dieu qui, dans le Christ, se réconcilie le 
monde (H Cor., v, 19). Pour cela Jésus-Christ devient 
notre représentant, nous est substitué. Lui-même sans 
péché, il a été fait péché pour nous, afin que mourant 
avec lui et en lui, nous devenions en lui justice de 
Dieu (R., VI, 6, 8; II Cor., v,- 14, 15, 21). Parce qu'il 
nous r/^présente, il est notre viefcime ; sa mort est le 
prix de notre rançon, un moyen de propitiation (Tijj.-ii, 
IXauTTiptov) auquel nous participons, étant contenus en 
lui (R., III, 25; vi, 6; I Cor., vi, 20; G., m, 13; Ë., 
1, 7). Ce qui n'empêche pas que la grâce et la rédemp- 
tion ne soient, en principe et de la part de Dieu^ 
spontanées et gratuites, puisque l'incarnation et la 
mort de Jésus-Christ sont elles-mêmes la plus grande 
de toutes les grâces (R., v, 8; E., i, 3-6; ii, 4-7). 

La mort de Jésus-Christ est ainsi la clef de toute 
l'œuvre du relèvement, et l'on comprend pourquoi 
saint Paul ne veut connaître que Jésus crucifié (I Cor.,. 
H, 2). Le péché, crucifié en Jésus, meurt aussi en nou& 
puisque nous étions renfermés en Jésus (R., vi, 6-15). 
C'est la partie négative de la justification : la partie 
positive va maintenant se développer. Comme nous 
somme s morts au péché avec Jésus-Christ et en lui,, 



^8 LA THÉOLOGIE ANTENIOÉENNE. 

de même nous ressuscitons avec lui et en lui à une vie 
nouvelle (R., vi, 4, 5, 8, 11; iv, 25). Le second Adam 
^st esprit vivifîcateur (I Cor., xv, 45; II Cor., m, 17); 
et comme le premier Adam nous avait communiqué le 
péché et la mort, ainsi le second nous communique sa 
justice et sa vie (R., v, 15-21; G., ii, 20), c'est-à-dire 
cette justice et cette sainteté de Dieu qu'il possédait, 
et dont la vie nouvelle qu'il a prise en sortant du tom- 
beau est le symbole (R., vi, 4-11 ; iv, 25). 

Comment s'opère cette communication? La géné- 

.ration naturelle, on l'a vu, transmet à ses descendants 

le péché d'Adam; le baptême et la foi nous trans- 

^fusent la vie de Jésus. Par le baptême nous sommes 

- co-ensevelis avec Jésus-Christ dans la mort : nous 
jnourons au péché, puis nous ressuscitons avec lui 

(R., VI, 3-8; cf. E., ii, 5-6; G., m, 27). Par la foi, qui 
nous incorpore au Sauveur, nous entrons en commu- 

■ nion de sa justice et de ses mérites (R., m, 22-25; 

.IX, 30-33; G., ii, 16, 20; m, 2, 5-12, 23-27). Cette foi, 
^^emarquons-le bien, n'est pas une simple adhésion 

- de l'esprit : elle implique, d'après saint Paul, la tradi- 
tion totale à Dieu de l'homme, de son activité et de son 
cœur (R., i, 5; vi, 16, 17; x, 10, 16, 17; G., ii, 20; 
I Th., II, 12-13). Elle ne s'oppose pas aux œuvres en 
général, mais aux œuvres d'où la foi est absente et 
que l'on regarderait comme le principe de la justifica- 
tion et du salut (R., ix, 31, 32; G., ii, 16; m, 2, 5, 
.10-12). 

Le péché avait son principe et son siège dans la 

■chair : la vie nouvelle que nous apporte la rédemption 

a comme siège et principe l'Esprit (Tcveufta). Le mot, 

• outre la signification générale qui l'oppose à chair, 

péché, légalisme outré, présente, dans saint Paul, des 

jiuances qu'il n'est pas toujours aisé de distinguer. 

.Ainsi, dans certains cas, il semble désigner l'âme ou 



L'ENSEIGNEMENT DE JESUS ET DES APOTRES. 89 

3'homme lui-même, en tant qu'il est sous l'influence de 
l'Esprit de Dieu et aspire aux choses d'en haut (R.,viii, 
4-10; G., V, 16; cf. I Cor., ii, 14, 15). Plus souvent, il 
désigne l'Esprit de Dieu agissant en l'homme. Cet 
Esprit est la source de la grâce et des charismes 
(1 Cor., xii, 3-11); il habite dans nos corps et les con- 
sacre (I Cor., III, 16; vi, 19); unjouril les ressuscitera 
(R., VIII, 11); il opère aussi et surtout dans l'âme en 
lui communiquant une vie nouvelle (R., viii, 10), en 
étant pour elle le gage que Dieu lui donne de sa filia- 
tion divine (R., viii, 14-16; II Cor., i, 22; v, 5; G., 
IV, 6). Mais en outre, il est plusieurs passages où il 
est clair que l'Esprit ne désigne plus une opération de 
Dieu en général, mais ime personne déterminée, la 
personne du Saint-Esprit. L'Esprit-Saint aide notre 
faiblesse, prie en nous (R., viii, 26, 27), rend témoi- 
gnage que nous sommes les enfants de Dieu (R., viii, 
16). Il est en Dieu et connaît ses secrets (I Cor., ii, 11) ; 
il est aussi en nous qui devenons ses temples (I Cor., 
m, 16; VI, 19). On le distingue du Père et du Fils 
(R., viii, 11), Esprit à la fois de Dieu et du Christ (R., 
VIII, 9), envoyé par le premier, mais appartenant au 
second (G., iv, 6). Et c'est ainsi que, sans exposer 
expressément de doctrine sur la Trinité, saint Paul 
suppose toujours que ces noms de Père, Fils, Esprit 
sont entendus de ses lecteurs comme désignant trois 
termes divins dont il ne précise pas rigoureusement le 
rapport, mais qu'il associe dans une formule de béné- 
diction que l'on peut appeler trinitaire (II Cor. , xiii, 13). 
Tous les hommes cependant ne reçoivent pas l'Esprit 
et n'obéissent pas à l'Évangile (R., x, 16) : il y a des 
ennemis de là croix de Jésus-Christ, dont la fin est la 
ruine (Ph., m, 18, 19). C'est le mystère de la prédesti- 
nation. Saint Paul l'envisage intrépidement, et en 
maintient avec force les deux éléments : d'une part, la 



90 LA THÉOLOGIE ANTÉNICÉENNE. 

souveraine indépendance de Dieu qui sauve qui il Teut, 
et, enfin de compte, parce qu'ilie veutfR., ix, 14, 29); 
de l'autre, la liberté de l'homme qui ne se perd que 
par sa faute et son incrédulité (R., ix, 30-33 ; x, 14-21). 
Mais, du reste, il ne l'explique pas et il ne sent pas 
le besoin de l'expliquer, puisque, aussi bien, la gloire 
de Dieu se trouve manifestée dans la perte des uns 
eomme par le salut des autres (R., ix, 20-23). 

Quant aux fidèles qui reçoivent l'Évangile' et vivent 
de l'Esprit, ils forment l'Église. Les chTétiens étanî; 
les membres de Jésus-Christ, l'Église est son coi-ps, 
un corps dont ilestlatéte (R., xii, 4, 5; rCor.,xn,27; 
E., r, 22, 23; v, 23; Col., i, 18; ii, 19). C'est lui qui en 
maintient l'unité, qui en développe les organes (E., iv, 
15, 16). A son tour, elle est le complément, rachève- 
mentde Jésus-Christ, «on plérôme (7rXr,pwaa,E., i, 23). 
L'Esprit de vérité, qui demeure en elle, en fait la 
colonne de la vérité (1 Tim., ni, 15); il y divise Jes 
minislères et les fonctions (I Cor., xii, 4-11, 28-31) : 
mais tous ces ministères viennent d'un seul et même 
Esprit en qui nous avons été baptisés, et qui nous 
rend uns en lui (ICor,, xii, 13). 

Dans cette Eglise universelle cependant, saint Paul, 
principalement dans ses épîtres pastorales, dîsting'ue 
des communautés particulières auxquelles il donne 
également le nom -d'Églises, et, entre les memhres de 
ces églises, des épiscopes et des diacres (Ph.j i, 1) de 
qui il requiert certaines vertus (I Tim., ni, 1-13). H 
parle également de -presbytres qui président (I Tim., 
V, 17, 19), et qu^il coïifond, en partie du moins, avec 
les épiscopes (Tit., i, 5-9]. Il doit y en avoir dans 
chaque ville, dont la mission soit d^exhorter, de prê- 
clier la saine doctrine, et de reprendre les récalci- 
trants (Tit., 1, 5, 9; 1 Tim., v, 17). Un certain nombre 
de ces presbytres, sinon tous, sont donc en iriême 



L'ENSEIGNEMENT DE JESUS iET ©ES APOTRES. m 

temps didascales, et les .ministères dont moBS venons 
de parler ne doivent pascompletement.se distinguer 
de jceux que saint Paul énumère dans llépître aux 
Épliésiens, iv, 11 : « Il (Jésus-Christ) a établi les uns 
apôtres, les autres prophètes, les autres évangélistes, 
les autres pasteurs -et 'docteurs pour le perfectionne- 
ment des saints, etc. » Parfois les presby très .sont réunis 
en un corps, le pi^esbyterium, qui impose les mains 
pour conférer certains ministères (I Tim., iv, 14). 
Mais du reste, ra;pôtre recommande à Timothée de 
garder pur le dépôt des vérités qu'il lui a confiées 
(I Tim., VI, 20; II Tim., j, 13, 14), et de se choisir des 
collaborateui's fidèles pour en instruire les autres (II 
Tim., II, 2). Il {s'atiribue à lui-même et il reconnaît à 
Timothée et à Tite le^di'oitde juger et de condamner 
en matière de foi <it de discipline (I Tim., i, 19; v, 19, 
20; VI, 3-5; II Tim., ii, 16-19 ;jv, 2-4; Tit., m, 10, 11; 
I Cor., V, 1-5). 

Entreles rites qui s'accomplissent dans lesiréunions 
chrétiennes, outre le baptême, saint Paul mentionne 
la cène du .Seigneur, dont il rapporte Finstitution 
sensiblement comme le troisième évangile fl Cor. , xi, 
20-34). L'Eucharistie est lOiCorps et le sang de Jésus- 
Christ : elle représente sa mort, et celui qui la reçoit 
indignement mange et boit son jugement. Dans un 
autre passage (I Cor., x, 16-21), ce même rite est rap- 
proché de la manducation des viandes immolées aux 
idoles. Sa relation avec le sacrifice de la croix, déjà 
indiquée (I Cor., xi, 25, 2ô)^ est mise ;ainsi plus en 
relief. 

Le mariage est le:symbeleide l'union de Jésus-Christ 
et de son Eglise. L'épouse est le corps de l'époux, 
comme l'Église est le coirps de Jésus- Christ (E., v, 25- 
32). Dès lors le mariage -.est indissoluble : c'est le pré- 
cepte du Seigneur (I Cor., vu, 1,0., 11) ; la mort seule 



'92 LA THÉOLOGIE ANTENICEENNE. 

pourra le rompre (R., vu, 2, 3; I Cor., vu, 39). 
L'unique exception faite est en faveur du conjoint 
fidèle avec qui l'infidèle refuse de cohabiter (1 Cor., 
VII, 12-16). Quant à<la continence et àla virginité, Paul, 
pas plus que son maître, n'en fait un précepte : il la 
conseille seulement comme préférable à l'état du ma- 
riage quand Dieu y appelle (I Cor., vii, 7, 25-38). L'état 
-de viduité est, de même, préférable aux secondes noces, 
bien que celles-ci soient permises (I Cor., vu, 39-40). 
Cependant, à travers tout cet enseignement, on voit 
repasser de temps à autre cette préoccupation du juge- 
ment et de la fin des choses que la prédication de Jésus 
avait si fortement inculquée : Paul, lui aussi, avait 
prêché le royaume de Dieu (Act., xix, 9 ; xx, 25 ; xxviii, 
-31), et il n'ignorait pas que ce royaume ne serait con- 
sommé qu'avec le second avènement du Christ. Quand 
aurait lieu cette consommation? Traduisant sur ce 
point l'opinion commune de son temps, l'apôtre, quand 
il écrivit ses premières épîtres, la représentait comme 
prochaine (I Th., iv, 14-16; cf. II Th., ii, 2-5) : « Le 
îtemps est court », s'éçrie-t-il, il faut user du monde 
comme n'en usant pas, car sa figure passe (I Cor., vu, 
29-31). En même temps cependant, il répète qu'avant la 
,parousie suprême doit être révélé l'homme de péché, le 
«fils de perdition (ô àvôpcoTroç tîjç àvof^iaç, ô utoç TÎjç àitwXetaç), 
qui s'élèvera contre Dieu et contre son règne. Or le 
mystère d'iniquité s'accomplit déjà : cependant l'anté- 
christ est encore entravé : il y a une puissance 
(Ô xaTÉ/tov?) qui l'arrête jusqu'à ce qu'elle disparaisse 
elle-même et lui laisse le champ libre (II Th., u, 3-11). 
Puis, à mesure qu'il avance dans sa carrière, la pensée 
de l'apôtre s'éclaire et se complète. Au lieu de porter 
son regard directement sur la fin des temps, il l'ar- 
vète sur la fin de chaque homme en particulier et sur 
•la sienne propre. La crainte d'être dépouillés de nos 



L'ENSEIGNEMENT DE JÉSUS ET DES APOTRES. 9î- 

corps et d'être trouvés nus nous trouble sans doute, 
mais il y faut consentir, puisque nous sommes par là 
réunis au Seigneur (II Cor., v, 1-8). Quant à lui, il 
sait, lorsqu'il écrit pour la seconde fois à Timothée, 
que sa dissolution n'est pas éloignée (II Tim., iv, 6, 7), 
mais cette mort lui sera un gain puisqu'elle le mettra 
avec le Christ (Ph., i, 21-23). Saint Paul croit donc 
qu'immédiatement après cette vie il jouira de la vue et 
de la société du Sauveur, et il étend cette espérance 
à tous les fidèles (II Cor., v, 1-8). 

11 n'a pas oublié cependant cette fin des temps, dont 
il n'ose plus marquer l'époque précise, mais dont il 
connaît, soit par la catéchèse évangélique, soit par la 
tradition juive, les circonstances. L'avènement du 
Christ sera précédé, il l'a dit, de l'apparition d'un fils 
de perdition qui viendra séduire les peuples, et se 
substituer, autant qu'il le pourra, à Dieu (II Th., ii, 
3-il). Puis, à son tour, le Seigneur descendra du ciel, 
à la voix de l'archange et au bruit de la trompette 
(I Th., IV, 15; I, 10). L'antéchrist sera exterminé 
(11 Th., II, 8). Les morts ressusciteront. Il semblerait, 
d'après les principes de l'apôtre, que cette résurrection 
ne dût convenir qu'aux justes, puisqu'elle est le fruit 
delà rédemption (I Cor., xv, 21-23) et la conséquence 
de l'habitation en eux du Saint-Esprit (R., viii, 11; 
cf. I Cor., XV, 23; Ph., m, 11; I Th., iv, 14-16). Saint 
Paul cependant l'étènd à tous, justes et pécheurs (Act., 
XXIV, 15; II Cor., v, 10; cf. I Cor., xv, 21-22). Seule- 
ment, dans les premiers, elle sera accompagnée d'une 
transfiguration et transformation de leur corps (I Cor., 
XV, 35-54). Suivra le jugement dernier. C'est Jésus- 
Christ qui y présidera (II Cor., v, 10; II Tim., iv, 1), 
bien que ce soit le jugement de Dieu, Dieu jugeant 
par le Christ (R., ii, 5, 6, 16). Mais les fidèles siégeront 
aussi comme juges (I Cor., vi, 2, 3), encore qu'ils doi- 



9t Lit THÉOLOGIE ANTÉNIGÉENNE. 

vent être jugés comme le reste des hommes: (Act., 
XVII, 31; II Gor., v, 10) et comme les anges (I Cor,, v-i, 
3). La sentence de ce tribunal décernera à chacun sui 
vant ses œuvres, suivant sa culpabilité, ou son mérite 
(R., II, 5-13). L'apôtre suppose clairement en effet, 
dans les bons, un mérite proprement dit, quoiqu'il 
n'ignore pas que ce mérite est, en même temps, un 
don du ciel (R., xi, 35; Ph., ir, 13). Outre la transfigu- 
ration de leur corps, les justes recevront donc, pour 
leur fidélité, l'entrée dans la . gloire: des enfanta de 
Dieu (R. , V, 2 ; viir, 30) : leur filiation: sera parfaite- 
ment révélée (R., viii, 19; cf. GoL, iir, 4). Réunis à 
Jésus-Christ, ils hériteront avec lui-, du royaume du 
Père (R., viir, 17) : ils pesséderoiîli la vie étemelle 
{R., II, 7; V, 21; G., vi, 8^ etc.). Saint Paul continue 
ici son parallèle : morts avec JésusrChrist, ressuscites 
avec lui, les justes sont glorifias avec lui et partagent 
sa souveraineté. Quant au sort; des méchants, ce sera 
un sort de colère, de tribulation et d'angoisse, de 
mort et de destruction (R., ii, 5, 8, 9; vi, 21 ; I Th., i, 
10; Ph., m, 19). Le Seigneur et sa vertu viendront sur 
eus avec un feu vengeur (II Th. , i, 7-9). Leurs peines, 
aussi bien que la félicité des justes, seront éternelles 
(R., II, 7; V, 21; vi, 23; I Gor., ix, 25; G., vi, 8; 
I Th., IV, 6; 1 Tim., 1, 16;vr,12.; Tit., i, 2). G'estenvain 
que l'on a cherché dans saint Paul l'idée' d'une restau- 
ration finale : elle ne s'y trouve pas. 

Reste le dernier acte de cette suprême tragédie. La 
mort, le dernier adversaire de Jésus-Christ, a été dé- 
truite par la résurrection (I Cor., xv, 26., 54, 55). Le 
Glirist, ayant achevé son œuvre et soumis tous ses 
ennemis, livre à son tour son royaume et sa royauté à 
son Père et se soumet à lui. Dieu est tout en tous 
(I Cor;, XV, 24-28). 

R est aisé de voir,, par ce simple résumé, quels dé- 



L'ENSEIGNEMENT DE JESUS ET DES APOTRES. 95 

veloppements a reçus de saint Paul l'enseignement de 
Jésus-Christ.. C'est évidemment sur la partie anthro- 
pologique et sotériologique de cet enseignement, sur 
le rôle du^ Christ dans l'œuvre de la rédemption que 
l'apôtre a porté son attention. Il a mis dans un relief 
puissant, par une analyse impitoyable de la corruption 
humaine, le caractère: universel du péché et l'absolue 
nécessité d'une restauration déjà esquissés dans l'É- 
vangile^ Jésus-Christ; avait fait entendre que la Loi 
mosaïque n'était que provisoire : Saint Faul en définit 
de plus près la fonction dans le passé et la déchéance 
actuelle. Aux affirmations- du Sauveur sur la dignité 
de sa personne, il- ajoute des traits qui annoncent, s'ils- 
ne la rejoignent pas absolument, la théologie johan- 
nique. Il crée, pour ainsi dire, toute la théorie dé la 
doctrine; de la Rédemption. Sur- l'Église aussi et son 
organisation intérieure, il apporte, dans- les épitres 
pastorales, des renseignements nouveaux. 11 n'est pas 
jusqu'à son eschatologie qui ne sôit d'une note plus 
claire que celle des synoptiques. 

Toutefois, il faut bien remarquer que-, dans tous ces 
développements, saint Paul" se rattache étroitement à 
Jésus^Christ, et a'a d'autre but que; d'expliquer îa 
pensée- du Maître. Quand^ it donne des- conseils en son 
nom personnel, il a bien soin de les distinguer des 
préceptes du Seigneur (1 Cor;, vu, 12v 15). Si Ton 
trouve rareinent cette distinction, c'est qu'en effet il 
se borne d'ordinaire; à répéter- l'enseignement qu'une 
révélation direct© lui avait livré {&., i, 11, 12). H îe 
répète, disons^nous', mais en le marquant de son em- 
preiutei etnon pas; comme une leçon apprise de mé- 
moire etiroidement reproduite, mais comme une doc- 
trine qu-'iL avait- vécue-,, qm'it s'était assimilée, et dont 
son cœur comme, son imtelli/gence avaient amoureuse- 
ment fouiEé les- profeHdeaars, 



06 LA THEOLOGIE ANTÉNICÉENNE. 

L'Épître aux Hébreux doit être, comme je l'ai re- 
marqué, et à cause de son origine, examinée à part 
des épîtres de saint Paul. Le but de l'auteur, dans cet 
écrit, est de déterminer ses correspondants à rester 
inébranlables dans la croyance qu'ils ont embrassée, 
en les détournant d'un retour possible au judaïsme. 
Pour y atteindre, il s'efforce d'établir la supériorité de 
la nouvelle économie par une comparaison de la per- 
sonne, des fonctions et de l'œuvre de Jésus-Christ 
avec la personne, les fonctions et l'œuvre des pro- 
mulgateurs et des ministres de l'ancienne Loi; 
d'où il conclut à la fermeté de foi et d'espérance 
qu'il faut garder dans la vie chrétienne. C'est donc 
surtout une christologie et une sotériologio qu'il 
expose. 

Jésus, dans sa manifestation terrestre, est sans doute 
vraiment homme, de notre race et de la tribu de Juda 
(il, 14; VII, 14), semblable à nous hormis le péché, et 
par conséquent capable de compatir à nos maux (ii, 
17; IV, 15; vu, 26), fidèle, pieux et obéissant envers 
Dieu (m, 1, 2; v, 7, 8), mais cette apparence n'est pas 
tout Jésus. Il est encore le Fils, le premier-né, l'héri- 
tier universel, supérieur aux anges qui doivent l'adorer, 
ràTrauyaoTfjia T^ç SoÇt]? xa\ ^J^paxt^p x^ç uTCOdTdcewç auTOU (tou 
Oeoû), sans commencement et devant vivre toujours. 
C'est par lui que le monde a été créé et qu'il est con- 
servé : il est Dieu (i, 1-12; m, 6; vu, 3, 8, 16, 28). 
Impossible de rapporter au Christ glorifié après la 
résurrection tous ces traits : quelques-uns regardent 
forcément le Christ préexistant. Et si une influence 
philonienne est ici possible, la doctrine de l'Incarnation , 
qui apparaît dès le deuxième verset de l'épître (cf. x, 
5), et la théorie de la Rédemption qui la remplit mon- 
trent que l'auteur a complètement modifié et précisé 
le concept flottant et principalement cosmologique de 



L'ENSEIGNEMENT DE JÉSUS ET DES APOTRES. 95 

Philon. Sa pensée se rapproche visiblement du prologue 
rlu quatrième évangile. 

Le Fils de Dieu cependant est devenu notre prêtre. 
Le. sacerdoce juif n'avait, comme toute la Loi dont il 
était le centre, qu'un caractère provisoire (vu, 11, 12, 
18, 19) ; il devait être transféré. Notre nouveau pontife, 
c'est Jésus-Christ (iv, 14). Médiateur de la nouvelle 
alliance (ix, 15; xii, 24), il est prêtre appelé de Dieu 
(iv, 5, 6, 10), prêtre à la ressemblance de Melchisédec 
(vi, 20-vir, 17; v, 10), supérieur aux prêtres du Lévi- 
tismo (vu, 1-11, 20-28), innocent et sans tache (vu, 26- 
28), éternel et unique (vu, 23, 24). 

La victime qu'offre ce prêtre est lui-même (x, 7- 
10; VII, 27; ix, 11-15, 28), et il lui suffit de l'offrir une 
fois tant ce sacrifice est efficace (vu, 27; ix, 12; x, 10,. 
12, 14). Par ce seul acte il nous rachète (Xorptoaiç, ix, 
12, 15), nous purifie non plus de nos souillures légales,, 
comme faisaient les rites anciens, mais de nos péchés 
(i, 3; IX, 14, 28; x, 22); arrosés de son sang nous- 
sommes intérieurement sanctifiés (xii, 24; xiii, 12), 
affranchis de l'empire du démon (ii, 14), capables de 
nous approcher du trône de la miséricorde et mis en 
possession des biens de la grâce (x, 9; iv, 6; xii, 22- 
24). Ce sacrifice est d'ailleurs offert pour tous les- 
hommes (ii, 9; v, 9; ix, 28); son efficacité embrasse 
tous les temps (ix, 25, 26) ; bien plus, accompli sur la 
terre, il se perpétue dans le sanctuaire du ciel où notre 
grand-prêtre a pénétré, portant entre les mains son 
propre sang, et où. il continue d'intercéder pour nous 
(ix, 11, 12, 24; VII, 25). 

Puis donc que Jésus-Christ est ainsi le médiateur 
de la nouvelle alliance, nous devons avoir confiance 
en lai (x, 19, 23), et, pour aller à Dieu, nous approcher 
de notre Sauveur avec une (oi pleine (x, 21-22). L'au- 
teur de l'Épître définit clairement ce qu'il entend par 

6 



98 LA THÉOLOGIE ANTÉNIGÉENNÈ. 

la foi. 11 en fait avant tout un acte de l'intelligence, 
l'assurance certaine des choses à espérer, la conviction 
de ce que l'on ne voit pas (xi, I). La loi a été le prin- 
cipe de tous les iiéroïsmes que nous admirons dans 
l'histoire d'Israël (xr). Que l'on se garde bien de renier 
celle que l'on a reçue de Jésus-Christj car il est impos- 
sible que ceux qui ont rejeté, après les avoir connus, 
la lumière et le don de Dieu soient renouvelés par la 
pénitence, crucifiant en eux et tournant en dérision le 
Fils de Dieu (vi. 4-8) ; passage qui ne signifie pas que 
la voie du retour et du pardon est irrévocablement 
fermée au pécheur ou même au renégat, mais seule- 
ment qu'ils ne trouveront point le salut en dehors de 
Jésus-Christ, et tant qu'ilis s'obstineront à le mécon- 
naître. 

La foi et la confiance sont donc les deux vertus que 
recommande surtout l'Epitre aux Hébreux. Mais les 
autres, le courage, la fidélité à l'Eglise, la persévérance 
ne sont pas exclues, non plus que les devoirs de la vie 
domestique et sociale (vi, 10, 12; x, 25, 32-36; xii, 2- 
4; XIII, 1-7). Un des grands motifs de les pratiquer, 
c'est le jugement futur. Tous doivent le subir après 
avoir passé par la mort (ix, 27). Le moment est proche 
où le Christ apparaîtra pour sauver ceux qui l'atten- 
dent (ix, 28; XI, 37). Alors les bons recevront leur ré- 
compense; ils jouiront du repos, du royaume, d'une 
patrie céleste, de la céleste Jérusalem (iv, 3, 10; x, 35 ; 
XI, 16; XII, 22, 23, 28). Leur bonheur sera sans fin (v, 
9; IX, 12, 15; xri, 28) ; tandis que la perte des méchants 
sera épouvantable dans le feu qui les consumera (x, 27, 
31, 39). L'auteur mentionne, au chapitre vi, 2, la résur- 
rection de la chair, mais sans en préciser autrement 
les conditions. 



L'ENSKIGNEMENÏ DE JÉSUS 3ET ©ES APOTRES. 99 



§ 4. — L'enseignement dès apôtres en deliors 
de saint Pa-al et de sadnt Jean '. 



Nous avons, sous ce titre, à résumer la doctrine 
d'abord des discours que les Actes des Apôtres met- 
tent dans leur bouche aux premiers jours qui suivirent 
la Pentecôte, puis des épîtres qui ne sont attribuées ni 
à saint Jean ni à saint Paul. On doit même y joindre 
les Evangiles et les Actes pour leurs parties narratives, 
car, dans ces parties, ils traduisent surtout la foi de 
ceux qui les ont écrits. 

Comme il est impossible de trouver dans cet en- 
semble de documents une idée centrale commune, force 
nous est de suivre un plan conventionnel, à l'occasion 
duquel on insistera, quand cela paraîtra nécessaire, 
sur les vues particulières à tel ou tel d'entre eux ^. 

On n'y rencontre rien sar la Trinité en général qui 
rencbérisse sur l'enseignement de Jésus et de saint 
Paul. Les trois personnes sont clairement distinguées 
dans le récit du baptême de Jésus surtout par saint 
Luc (Mt., m, 16, 17; Me, i, 10, 11; Le, m, 21, 22). 

DuSaint-Espritilest souvent question. LesÉvangé- 
listes marquent sa coopération à la naissance miracu- 
leuse de Jésus (Mt., T, 20; Le, I, 35), et sa descente 
sur lui au moment de son baptême (v. supra). Les 
Actes nous disent comment, promis pai' le Sauveur aux 
apôtres (i, 4; cf. Le, xxiv, 49), il est venu en effet sur 
eux.au jour de la Pentecôte (ii, 4; cf. 17., 18). Son rôle 
est de fortifier la foi (vi, 5), de donner la sagesse (vi, 3), 
de guider les disciples dans leur ministère (viii, 29), 

1. Outre les oavrages généraux signalés plus haut, voir la littérature 
spéciale dans Steyeks, op. cit., p. 398. 

2. Pour les références de ce paragraphe, A. = Actes; I, II P. = I, II 
Pétri; Jac. = Jacques; Jud. = Jude. 



100 LA THÉOLOGIE ANTENICÉENNE. 

d'inspirer les nouveaux prophètes (xi, 28 ; xiii, 9) comme 
il a inspiré les anciens (vu, 51), d'accorder le don des 
langues (ii, 4; x, 44-47). Il est, d'après saint Pierre, le 
principe de la grâce et de la sanctification des fidèles 
.(I P., I, 2) ; lui mentir, c'est mentir à Dieu (A., v, 34), 

Les discours rapportés par les Actes présentent 
Je plus ancien exemple d'une apologétique chrétienne 
fondée sur le caractère de Jésus-Christ. Elle est fort 
simple, et se borne à démontrer que Jésus est le Mes- 
sie promis. Il est le prophète annoncé par Moyse, le 
serviteur de Dieu, IcTraïç Osoïï d'Isaïe (A., m, 13, 22-26; 
IV, 27; cf. 25) ; il a réalisé les prophéties (viii, 32 sqq.); 
sa mort même était prédite ; il est la pierre d'angle 
rejetée dont parle le Psaume cxvii, 22 (iv, 11 ; cf. 25-28), 
letrahidontparle le Psaume Lxviii, 26 (i, 16, 20); toute 
sa passion avait été décrite d'avance et s'est déroulée 
comme elle le devait (ii, 23; m, 18; iv, 27, 28). David 
avait annoncé sa résurrection au Psaume xv, 10 (m, 
15; IV, 10; v, 30; x, 40), aussi bien que son ascension 
et son exaltation au ciel, au Psaume cix, 1 (ii, 33-3G). 

Du sacrifice de Jésus-Christ, il n'est presque rien 
dit. La première épître de saint Pierre contient cepen- 
dant l'idée de la substitutio vicaria (ii, 24) et de notre 
rédemption par le sang du Sauveur (i, 18, 19). En re- 
vanche, le fait de sa résurrection occupe dans le pre- 
mier enseignement apostolique une place prépondé- 
rante : c'est qu'il est pour les Juifs la preuve décisive 
de sa qualité de Messie. Après être descendu aux en- 
fers pour y prêcher aux esprits des morts (IP., m, 19, 
^0 ; IV, 6), le Christ ressuscité monte à la droite de son 
Père (Me, xvi, 19). Là il doit régner éternellement 
(II P., I, 11; cf. Le, I, 32, 33), car Dieu l'a fait 
Christ glorieux et Seig'neur (A., ii, 36). Le nom de 
Rûpioç devient son nom, s'appose à celui de Jésus (A., 
tjci, 23, 24; i, 21, cf. 24; iv, 29;'ll P., i, 2, 8, 11, 14, 16); 



L'ENSEIGNEMENT DE JÉSUS ET DES APOTRES 101 

Jésus est le seul dominateur et Seigneur (Jud., 4, 8) ; 
on lui applique les textes écrits de Dieu même dans 
l'Ancien Testament (A., ii, 20, 21 ; vir, 59) et on l'adore 
(Mt., XXVIII, 9, 17). 

La loi est la condition du salut, et les apôtres, en 
même temps qu'ils exigent le repentir, exigent que 
l'on croie à leur parole (A., ii, 38, 41 ; m, 19; v, 31; 
VIII, 12, 14, 22). — On n'ignore pas, à ce propos, 
quelle opposition on a voulu trouver entre les vues de 
saint Paul sur la justification par la foi et celles de 
saint Jacques. Cette opposition n'existe point. Pas plus 
que saint Paul n'attribue la justification à une foi pu- 
rement spéculative, qui ne serait point accompagnée 
d'une disposition intérieure d'obéissance et de charité, 
saint Jacques ne l'attribue à des œuvres que la foi et 
la charité ne vivifieraient point. Toute la doctrine de 
celui-ci se trouve condensée au chapitre ii, verset 22, 
de son Epître : la foi d'Abraham concourait à ses œu- 
vres, et s'est trouvée, par elles, portée à la perfection. 
11 n'y a de vraie foi que celle qui nous fait agir ; l'autre 
est morte et inutile. Ce n'est donc pas la foi isolée et 
théorique qui nous sauve, pas plus que les œuvres sans 
la foi, mais bien la foi accompagnée des œuvres (Jac, 
II, 14-26). — Quanta la loi mosaïque, des divergences 
d'opinion se produisirent d'abord dans l'Eglise primi- 
tive sur la valeur obligatoire qu'elle devait conserver 
vis-à-vis des Gentils. Ceux-ci commençaient à se con- 
vertir : àAntioche, ils formaient déjà une communauté 
indépendante (A., xi, 20-26). Ces gentils, devenus 
chrétiens, seraient -ils soumis aux prescriptions légales 
du judaïsme (A., xv, 5-11)? Pierre trancha la question 
par la négative (A., xv, 7-11) : il avait reçu des indi- 
<;ations divines à l'occasion du centurion Cornélius (A., 
X, 10-20, 28, 34, 35, 44-48). Jacques se prononça dans 
le même sens (A., xv, 13-20). Toutes les incertitudes 

c 



•^ 



102 : ^A. THÉOLOGIE ANTÉNICÉENNE. 

cependant ne.furent pas levées, et l'on se demanda no- 
tamment si les convertis du judaïsme pouvaient, au 
mépris de la loi, frayer avec les fidèles venus du paga- 
nisme. On trouve un écho de ces scrupules dansl'Épî- 
tre aux Galates (ii, 11-14). Pierre, qui tenait pour la 
légitimité de ces rapports, eut cependant un moment 
de faiblesse, et en fut repris par saint Paul. Ce n'est 
que plus tard que l'Epître aux Hébreux proclama la 
déchéance définitive de la loi ancienne et son rempla- 
cement par la nouvelle. 

Quant au reste de la morale chrétienne, il serait 
trop long, on le conçoit, d'en relever tous les traits dans 
cette littérature en grande partie parénétique. On y 
recommande la soumission aux pouvoirs cwils et aux 
maîtres immédiats, si l'on est serviteur (I P., ii, 13, 
14, 18), la prière confiante (Jac, i, 6). Saint Jacques 
prohibe l'abus du serment (Jac, v, 12); il reproduit 
(Jac, i^ 14, 15) la lignée concupiscencej péché, mort 
que Ton trouve dans saint Paul. L'énergique réproba- 
tion de celui-ci contre la chair reparaît également dans 
saint Jude (23), qui regarde le corps comme une tu- 
nique souillée qu'il faut haïr. Les Actes signalent la 
pratique du jeûne dans l'Eglise (xiii, 2, 3;,xiv, 22). 

L'Église, c'est le nom en effet que les Actes, qui en 
sont la plus ancienne histoire, donnent à la réunion des 
premiers fidèles (v, 11 ; viii, 1-3). Entre ceux-ci règne 
d'abord une sorte de communauté de biens, mais que 
la seule charité spontanée inspire et maintient (A., ii, 
44, 45 ; V, 3, 4). De plus, dans ce peuple chrétien, qui 
généralement forme un sacerdoce saint, un sacerdoce 
royal (îepaTsufxa aytov, paatXsiov îepaTeu(ji.a) qui doit offrir 
des victimes spirituelles (I P., ii, 5, 9), il existe une 
hiérarchie. Les apôtres se réservent, comme fonctions 
propres, la prière et la Siaxovia toïï Xoyou (A.,vi-, 2, 4). 
Pierre apparaît manifestement comme le premier 



L'ENSEIGNEMENT DE JÉSUS EF BES Al'OTRES. 103 

d'entre eux (A., i, 13, 15; ii, 14, 3.7; m, 6, 12; iv, 8; 
V, 3,29; xy, 7). Ils imposent les mains aux diacres et 
aux nouveaux convertis (A., viii, 17). Au-dessous d'eux, 
on trouve dans chaque communauté les TcpeçSuxepoi, 
qui doivent gouverner le trx)upeau qui leur est confié 
(A., XI, 30; XIV, 22; xv, 2, 6, 22, 23; xvi,4; xxi, 18; 
I P., V, 1, 2). Les presbytres ont, avec les apôtres, 
.décidé ce qu'il convenait d'exiger dans la question des 
observances légales, et, avec eux, présenté leur dé- 
cision comme^celle de l'Esprit-Saint (A., xv, 6, 22, 28). 
Puis., dans l'Église de Jérusalem, se montrent les dia- 
cres, institués par la prière et l'imposition des mains, 
dont la fonction est d'abord de s'occuper des pau- 
vres (A., VI, 1-6), mais que l'on voit, dans la suite, 
discuter contre les Juifs, baptiser et prêcher (A., vi, 9; 
viii, 38, 40). A Antioche, on rencontre des prophètes 
et des didascales qui imposent Ibs mains à Paul et 
Barnabe (A., xiii, 1, 3). Enfin il est question de vemepoi, 
veavi'ffxoi, dont on ignore s'ils remplissaient des minis- 
tères précis, et qui doivent être soumis aux presbytres 
(A., V, 6, 10; IP., V, 5). 

C'est par le baptême que l'on entre dans l'Église 
(A., II, 41; X, -47, 48). Il est, avec la pénitence, la con- 
dition du salut (A., II, 38). Il suppose la foi (A., viii, 
36-38), et se donne au nom de Jésus-Christ (Itci to> 
ôvpixaTi, ey tw ovdfjiaTt, eîç to ^vo,ua toïï xupiou 'lïjaou, A., ii, 
38; X, 48; viii, 16) ^ Son effet est de remettre les pé- 
chés (A., Il, 38 ; cf. X, 43), de nous purifier de nos fautes 
par le sang de Jésus-Christ dont il est une aspersion 
(1 P., I, 2; III, 18-21). 

Le baptême est ordinairement suivi de l'imposition 
des mains pour la communication du Saint-Esprit 
(A., VIII, 17, 19; XIX, 5, 6) : cette effusion se produit 

1. Ce qui ne veut pas dire nécessairement que ce fût là la formule 
baptismale. 



504 LA. THÉOLOGIE ANTENICÉENXE. 

toutefois en dehors du rite, et est souvent accompa- 
gnée du don des langues et de charismes divers (A., x, 
44-46; XIX, 6). Puis, dans la communauté chrétienne, 
on célèbre la fraction du pain (A.., ii, 42, 46; xx, 11). 
Quant aux apôtres de la seconde génération, Paul et 
Barnabe, et aux diacres, c'est, comme on l'a dit, par 
Timposition des mains et la prière soit des premiers 
apôtres, soit des prophètes et des didascales, qu'ils re- 
çoivent leur mission (A., vi, 6 ;xiii, 1-3), 

Enfin, à ces rites il faut ajouter celui que saint Jac- 
ques recommande en cas d'infirmité. Un fidèle est-il 
malade? On introduira les presbytres de l'Église qui 
prieront sur lui en l'oignant d'huile au nom du Sei- 
gneur. Cette prière confiante soulagera le malade, et 
s'il est dans le péché, ses péchés lui seront remis 
(Jac, V, 14, 15). 

Reste à examiner la doctrine eschatologique de nos 
documents. Elle ne diffère pas sensiblement de celle de 
Jésus ou de saint Paul, mais il est difficile d'en lier les 
éléments. Bien qu'il règne de l'incertitude relative- 
ment à l'époque précise de la fin du monde, et que la 
deuxième épître de saint Pierre fasse entendre qu'elle 
€st peut-être fort éloignée (II P., m, 8, 9), toutefois 
le sentiment dominant chez les fidèles est qu'elle est 
proche et qu'il s'y faut préparer (A., ii, 15, 21; I P., 
ïv, 7; Jac, v, 8, 9), Avec le Messie les derniers temps 
sont venus (A., ii, 16, 17), et cette pensée doit effrayer 
les méchants et fortifier les bons (Jac, v, 1-9). Ces 
derniers temps seront marqués par l'apparition de doc- 
teurs de mensonge, de sectes perdues, niant le Sei- 
gneur Jésus, et se livrant à la corruption de leur cœur 
(II P., II, 1-3, 12, 20; m, 3, 4). Mais Dieu, qui juge les 
vivants et les morts, et qui a déjà puni dans l'enfer les 
mauvais anges (II P., ii, 4), rendra à chacun selon ses 
«ouvres (I P., iv, 5). Les bons jouiront de la vie éter- 



L'ENSEIGNEMENT DE JESUS ET DES APOTRES. 105 

nelle (I P., m, 22; Jud., 21). Tantôt leur sort est re- 
présenté comme un héritage (1 P., i, 4; Jac, ii, 5), 
tantôt c'est une récompense, la couronne de vie donnée 
à ceux qui ont courageusement souffert (Jac, i, 12). 
Ce bonheur des justes sera sans fin (I P., i, 4 ; m, 22). 
Au contraire les méchants disparaîtront (I P., iv, 18), 
seront perdus (àTcwXeia, II P., m, 7); ils seront châtiés 
par le feu qui les dévorera à l'exemple de Sodomè et de 
Gomorrhe (Il P., ii, 6; Jud., 7, 8). Alors une confla- 
gration générale dissoudra la terre, les cieux actuels et 
les éléments, et de nouveaux cieux, une nouvelle terre, 
où habitera la justice, apparaîtront : c'est l'objet de 
notre attente (11 P., m, 7-13). 



§ 5. — L'enseignement de saint Jean ^ 

C'est avoir exposé déjà, du moins en partie, l'ensei- 
gnement de saint Jean que d'avoir exposé celui de 
Jésus d'après le quatrième évangile, car le disciple 
s'est si bien pénétré des discours du Maître qu'il les a 
faits siens par la manière dont il les rapporte : nous 
entendons à la fois le Sauveur et le disciple. Mais, 
ces discours mis à part, il reste comme sources de la 
doctrine strictement johannique, outre les parties nar- 
ratives de l'Évangile, les épîtres attribuées à l'apôtre 
et l'Apocalypse. En raison de leur caractère, il est à 
propos de présenter d'abord et à part les enseigne- 
ments de l'Apocalypse. Ils tiennent encore au judaïsme 
■et à ses formes malgré l'esprit nouveau et les échap- 
pées mystiques qui s'y rencontrent. 



i. Outre les ouvrages généraux mentionnés plus haut, voir la littéra- 
ture spéciale dans Stevess, op. cil., pp. 593, 596. On y ajoutera Tii. Cal- 
mes, L'évangile selon saint Jean, Paris, 1904. E. Jacquier, Histoire des 
livres du N. T., t. IV, Paris, 1008. 



i06 LA THÉQLOGiE ANTEKIQÉENDîE. 

C'est autour de la christologie et de l'eschatologie 
que se groupent surtout- ces enseigEements. Dieu et 
. ses anges y sont toutefois l'objet aussi d'une attention 
particulière. Ce n'est pas camnie Père que Dieu est 
envisagé : c'est dans ses attributs de majesté et de 
toute-puissance. Il est l'Éternel, l'alpha et l'oméga,, le 
principe et la fm,le premier et le dernier (i, 8; xxi, 
6; xxii, i3), ■jtavToxpaTi.jp (i, 8 ; ly, 8, etc.), créateur de 
l'univers ;par sa seule volonté (iv, 11 ; x, 6 ; xiv, 7). — 
A côté de lui est Jésus-^Christ. L'Apocalypse lui main- 
tient sans doute un rôle subordonné par rapport au 
Père (i, 1; II, 26, 27) ; mais elle l'élève d'ailleui's bien 
haut dans la gloire de son iriomphe, et finit par l'as- 
socier complètement au Père dans quelques-uns des 
attributs qu'elle lui prête, et dans les hommages 
qu'elle lui fait rendre. Ainsi le Fils de l'homme est 
juge et Seigneur (i, 16, 20), prince des rois de la terre, 
Seigneur des seigneurs et roi des rois (i, 5 ; xvii, 14). 
S'il est le témoin fidèle et l'Amen (i, 5 ; m, 4, 14), le 
premier -né d'entre les morts et celui qui tient les clefs 
de la mort et de l'enfer (i, 5, 18), le principe de la 
créature de Dieu (^ àpj^^Ji tyîç jc-rfaswç toî» Oeoû, m, 14), il est 
■aussi, comme le Père, le premier et le dernier (ô irpS-co; 
xai h Iff/ctToç, I, 17; II, 8), associé à Dieu dans la même 
louange et les' mêmes honneurs (v, 12, 13), sans cesse 
rapproché de lui et joint à lui (vi, 16; vu, 9, 10; xi, 
15 ; XII, 10 ; xiv, 4; xxi, 22; xxii, 3). 

C'est sous la figure d'un agneau immolé que Jésus- 
/hrist est apparu au voyant; par cet agneau, par son 
sang nous avons été rachetés d'une rédemption qui a 
été universelle (v, 9; cf. xiv, 4; v, 2 ; xi, 6). Dans son 
sang il a lavé nos péchés (i, 5 ; vu, 14 ; xxii, 14). La 
mort de Jésus-Christ est ainsi désignée comme la con- 
dition de notre- réconciliation et comme le principe du 
salut. 



L'ENSEIGNEMEiNT BB JÉSUS^ Eï DES- ADGTRES. 107 

Puis, au-dessous de Jésus-Christ, on trouve les 
anges. Ils jouent, dans l'Apocalypse, comme ordînai- 
remenb dans ce genr^ d'écrits, un rôle considérable et 
qu'il est inutile d'analyser en détail. Mais il faut donner 
une mention spéciale aux sept esprits (TrveufjiaTa) qui 
sont devant le trône de Dieu (i, 4), et qui sont identi- 
fiés aux sept lampes qui brûlent devant le trône (iv, 5| 
et aux sept yeux de l'Agneau (v, 6). Au i, 4, 5, ils sont 
nommés entre Dieu et Jésus-Christ, et il semble que 
chacun d'eux^ successivement parle dans les lettres en- 
voyées aux Églises (ii, 7, 11, 17, 29; m, 6, 13, 22). 
D'autre part, il est question de l'Esprit qui parle (xiv, 
13) et qui, avec l'Epouse, soupire après la venue de 
Jésus (xxii, 17). Peut-être avons-nous, dans ces sept 
esprits, une personnification symbolique de l'action 
multiforme du Saint-Esprit, et, dans l'ensemble de 
ces passages, une ébauche de la pneumatologie johan- 
nique [loan., xiv-xvi). 

En face des bons. anges apparaît le démon. L'auteur 
le présente sous la forme d'un dragon (xii, 3 ; cf. 9) : 
c'est l'ancien serpent (de la Genèse) appelé le diable 
et Satan, qui séduit le monde entier (xii, 9). Antago- 
niste dé Dieu, il à, lui aussi, ses anges (xii, 7, 9), un 
trône (ii, 13), une synagogue (ii, 9 ; m, 9), une doctrine 
avec ses mystères (ïà SaGia tùu SaravS, ir, 14). Yaincu par 
Michel et ses anges et précipité du ciel (xii, 7, 8), il a: 
fait la guerre aux enfants de Dieu, et se trouve aidé' 
dans cette œuvre par les deux bêtes, personnification 
de l'iniquité corruptrice et persécutrice (xiii, 1-17). 

Dieu et sa justice doivent triompher cependant, et 
ce triomphe constituera la fin des choses. Les vi- 
sions^ eschatologiques de Patmos contiennent beaucoup 
d'éléments et d'imagés empruntés aux apocalypses 
juives circulant au moment de sa composition, et, à 
ce point de vue, sont pea originales. Mais, d'autre. 



lOS LA THÉOLOGIE AiSTENlCEENNE. 

part, elles ont eu trop d'influence sur reschatologie 
ecclésiastique postérieure pour qu'on les puisse né- 
gliger. Il est donc à propos d'en marquer au moins la 
suite. 

Au commencement se place la chute de la Babylone 
homicide et persécutrice des saints : c'est la première 
victoire de l'Agneau (xvir, xviiij, dont les noces sont 
venues et dont l'épouse se prépare (xix, 7, 9). Puis le 
Verbe de Dieu apparaît, à cheval, en guerrier, sa 
robe tachée de sang, et traînant à sa suite les armées 
du ciel (xix, 11-15). Contre lui s'assemblent la bête, 
le faux prophète, les rois et les puissants, ennemis de 
son règne, avec leurs troupes (xix, 17-19). La bête et 
le faux prophète sont saisis et jetés vivants dans un 
étang de feu et de soufre ; les autres sont tués et leurs 
chairs dévorées par les oiseaux du ciel (xix, 17, 18, 
20, 21) ; Satan est enchaîné et relégué pour mille ans 
dans l'abîme (xx, 1-3). 

Alors alieu une première résurrection pour les justes 
seuls. Ils reviennent à la vie, et, avec le Christ dont ils 
sont les prêtres, régnent pendant mille ans (xx, 
4-6). 

Ce règne de mille ans est suivi d'une nouA^elle 
épreuve. Satan, momentanément délivré de son cachot, 
séduit les nations des quatre coins de la terre, et en- 
semble ils viennent assiéger la cité sainte (xx, 7-8; 
cf. 3). Mais alors Dieu intervient lui-même. Le feu du 
ciel dévore les révoltés ; Satan va rejoindre la bête et 
le faux prophète dans l'étang de feu et de soufre pour 
y être, avec eux, tourmenté aux siècles des siècles 
(xx, 9, 10), et une seconde résurrection, générale 
celle-ci, suivie d'un jugement également général 
(xx, 12, 13), prépare le triomphe définitif de la jus- 
tice. C'est sur ses œuvres (xaxà Ta epYa) écrites aux 
livres du ciel que chacun sera jugé (xx, 12, 13; ii, 23;, 



L'ENSEIGNEMENT DE JÉSUS ET DES APOTRES. 109 

XXII, 12). La conséquence de ce jugement, c'est pour 
« la mort » et pour « l'enfer », c'est pour quiconque 
n'est pas inscrit au livre de vie « la seconde mort » , 
c'est-à-dîre la condamnation à l'étang de feu et de 
soufre qui a déjà recueilli la bête, le faux prophète et 
le dragon (xx, 14, 15;xxi, 8). Là, tombent les lâches, 
les incrédules, les abominables, les meurtriers, les 
impudiques, les enchanteurs, les idolâtres et tous les 
menteurs (xxi, 8; cf. xxii, 15). Le châtiment est d'ail- 
leurs analogue aux crimes commis (xvi, 6; xiii, 10; 
II, 20-23; xviii, 6, 7); mais de plus il est éternel 
(xx, 10) : il n'est, nulle part, question de restauration, 
d'aTTOxaTâffTaffiç. 

Pour les justes, au contraire, une nouvelle terre et 
de nouveaux cieux sont créés, car les anciens ont 
disparu (xxi, 1; cf. xx, 11). Une Jérusalem nouvelle, 
l'épouse de l'Agneau, descend des cieux, magnifique 
et splendidement parée. On en donne la description 
(xxi, 11-27). C'est rÉgiise triomphante, la p-xailda. -zoZ 
ÔEoïï définitive dans laquelle les saints régneront éter- 
nellement avec Dieu et contempleront sa face (xxi, 3, 
4; XXII, 4, 5). 

Venons maintenant à la doctrine de l'évangile et des 
épîtres de saint Jean ^ . 

« Dieu est lumière, et il n'y a point en lui de ténè- 
bres » (I J., I-, 5). « Dieu est amour » (1 J., iv, 8, 16). 
Ce sont les deux définitions de Dieu que donne saint 
Jean, et qui vont à nous le représenter comme le 
principe de toute pureté, de toute sainteté et de toute 
vie, car les ténèbres, pour l'apôtre, c'est le mal (I J., 
I, 6, 7). Or l'amour de Dieu à notre égard a paru sur- 
tout en ceci qu'il a envoyé dans le monde son Fils 

1. L'Évangile est cité par la simple indication du chapitre et des ver- 
sets. Pour les Épîtres, I, II J. = l, Il loannis. 

LA THÉOLOGIE ANTÉNICÉENNB. — T. I. 7 



110 LA THEOLOGIE ANTENiCEENNE. 

unique afin qu'en lui nouis eussions la vie (I J., iv, 9). 
— Qui est ce Fils unique"? C'est le Fils simplettient et 
par excellence (I J., ii, 22-24), le Monogène (i, 14, 18) : 
c'est Ife Verbe. Le terme <ie î^oyoç — il ise thrave €éju 
dans l'Apocalypse — est emprunté âireetem^ènt du in- 
directement à la Jthilosophie jDlatbnicîenae ^ nèfeim- 
ment à Philoh ; mais l'apôtre l'emplit d'ïim sfens (p!\\ 
ne comportait pas, et le Verbe devieiit uilè |)èrsonne 
qu'il n'était pas d'abord. Jésus-Christ «st doïiélé=vrai 
Verbe, le Verbe créateur, parquitout a étéMt (i, 3), 
le Verbe révélateur, lumière dii monde (i, 9), le Verbe 
qui, dès le commencement (iv «px?), -était auprès de 
Dieu (irpoç xbv es(îv), dans le sein du Père, et qui était 
Dieu (i, 1, 2, 18), mais qui s'est încafnë et est venu au 
monde dans une chair véritable fi, 14; î J,, rv, 2, 3; 
V, 1, 6-8, 12; Il J., 7-12). 

Son œuvre ici-bas a été de Tiousf^ communiquer la vie 
qui est en lui (I J., r, 2 ; ni, 14; v, 11, 20), et par con- 
séquent d'abord d'effacer nos péchéis, de dissoudi^e en 
nous les œuvres du diable (ï J., m, 5, 8). C'est pour 
cela que Jésus a dû inoùrîr non seulemeiit pour la iia- 
tion d'Israël, mais pour tous les enfants de Dieu dis- 
persés (xi,Bl, 52), aÏÏnd'ètre propitîatioii (îX'aff[xo;) pour 
nos péchés et de nous purifier par son san|f (ï J., i, 7; 
II, 2 ; IV, 10). 

Le moiide cepéiidant n'a pas correspbndu à cette 
grâce dii Père par Jésus-Christ. Le riïonde, en saiiit 
Jean, est quelquefois l'ensemble sitapleinéhi dès cho- 
ses créées (i, ^, 10),plus sôttvéhtTéiisèmbî'e des forces 
qui s'opposéiit sur la terre au règne de Dieu. Ce monde 
est tout entrer dansleinaî (I J., v, 19), et tout 6e qu'on 
y trouve n'e'st qu'orgueil et cotivoîtîse (ï J., li, 1*6). II a 
pour ceuvrè propice lé péché, l'ihiqTiité '('avoiifà, IJ., m, i; 
V, i7).Le;|>éché ici n'est ,pas la Iransgressioa. passagère 
de la volonté de DiéTi : c'est Fétat <l'<)p?po'sitlon habi- 



L'ENSEIGNEMENT DE JÉSUS ET DES APOTRES. Itt 

tuelle à ses lois : «t voilà pourquoi ^elui qui est né de 
Dieu et qui en garde la filiation ne pèche point et ne 
saurait pécher (U., m, 9, 10; v, 18), non plus que ce- 
lui qui demeure en Jésus-Christ (ï J.., in, 6). D'autre 
part cependant, l'apôtre distingue des péchés qui sont 
et des péchés qui ne sont pas ad mortem (upà; ôavaTov,. 
\}\ îtpbç ôocvaTov", I J., V, 16, 17). Pour les premiers on 
ne doit point intercéder ; pour ks seconds on peut le 
faire, et la vie sera accordée. C'est pour ces derniers 
sans doute que saint Jean nous dit que nous avons au- 
près du Père un avocat, Jésus- Christ (I J-, ii, 1). 

Le soin <ies vrais chrétiens sera donc de détester le 
monde et d'en triompher par la foi (I J., ii, 15; v, 4, 5), 
mais d'ailleurs de se sanctifier sur le modèle de Dieu 
même, afin de lui devenir semblables, et de pouvoir, 
quand il se révélera, le contempler tel qu'il est (xaôojç 

£<TTtV, I J., III, 2, 3). 

La brève esquisse de la théologie johannique que 
l'on vient de lire doit être complétée, |e l'ai déjà ob- 
servé, par ce qui a été dit de l'enseignement de Jésus- 
Christ d'après le quatrième évangile. Cette théologie 
de saint Jean marque le point culminant de la révéla- 
tion religieuse dans le Nouveau Testament. Dans les 
synoptiques, la parole de Jésus se trouve conditionnée 
par la qualité de ses auditeurs, et deit partir le plus 
souvent des idées familières à la pensée juive. Elle 
étend sans doute infiniment ces idées, mais sans en 
modifier les contours au point qu'elles deviennent 
étrangères à ceux qui l'écoutent. Saint Paul brise déjà 
en partie le moule palestinien de cette première ca- 
téchèse. Apôtre des Gentils et de la Diaspora, il doit 
accommoder cette catéchèse anx Juifs hellénistes et 
aux Grecs, et 4oiBC en effacer ou atténiaer les traits 
qui la lenr rendraient inintelligibie. Mais dans saint 
Jean (je parie de l'Évangile et des Épttres) ce Gravai] 



412 LA THÉOLOGIE ANTÉNICEENNË, 

est poussé bien plus loin. Au moment où il écrit, l'É- 
glise a débordé au large les contrées qui l'ont vue naî- 
tre, et de nouveaux modes de concevoir et de parler 
s'imposent à elle, si elle veut être comprise et accep- 
tée. Quelques arrangements de détail ne suffiraient 
pas : c'est toute une traduction et une interprétation 
des données doctrinales synoptiques qiii s'imposent. 
Il faut rompre définitivement avec le particularisme et 
le symbolisme juifs, pour proclamer l'universalité de 
la religion de l'Evangile et aller au fond des di\ànes 
réalités qu'il contient, sortir des tâtonnements pour 
révéler dans leur infinie grandeur l'amour de Dieu 
et la dignité de Jésus-Christ. Dieu est Esprit, et c'est 
en esprit qu'il le faut adorer. Le Messie des Juifs, 
l'Oint du Seigneur est le Verbe de Dieu, Dieu éternel 
comme le Père, incarné et fait homme. Le salut qu'il 
apporte, c'est la vie même de Dieu qu'il vient nous 
communiquer, et qui doit, si nous la développons en 
nous, nous rendre semblables au Père et capables 
de le voir tel qu'il est. Voilà, en raccourci, l'exposé 
que saint Jean fait de la prédication du Maître, et qui 
doit être désormais l'expression de la foi nouvelle. 
L'antiquité a surnommé le disciple que Jésus aimait 
le Théologien. Elle ne s'est pas trompée : saint Jean 
^ — écrivain inspiré d'ailleurs et organe de la révéla- 
tion divine ^ — est en effet un des premiers., et, sans 
doute, le plus grand théologien de l'Église. 



3 6. — Résumé et synthèse. 

Dans les paragraphes précédents, nous avons suivi 
l'un après l'autre, pour en dégager la doctrine, les écrits 
du Nouveau Testament. Essayons dans celui-ci de ré- 
sumer en quelques mots ces enseignements. 



L'ENSEIGNEMENT DE JESUS ET DES APOTRES. US" 

Dieu est le principe et la fin de tout, l'alpha et l'o- 
méga, tout-puissant, créateur de l'univers. Il est esprit, 
et c'est en esprit qu'il le faut adorer. Mais de plus il 
est père, père singulièrement de Jésus-Christ ; le père 
aussi des disciples de Jésus et même de tous le» 
hommes dont il veut la sanctification et le salut. 

A côté du Père est le Fils : sauf en quelques pas- 
sages, on le considère rarement en dehors de l'incar- 
nation. Jésus-Christ est le Fils de Dieu, son Fils par- 
excellence, propre. Fils unique. Monogène, adoré, 
exalté comme le Père, auteur immédiat de la création,, 
préexistant au monde, et qui, dans cette préexistence, 
était dans la forme de Dieu, égal à Dieu, Verbe de^ 
Dieu, Dieu; car le Verbe était Dieu. 

Puis, avec le Père et le Fils, nous trouvons l'Esprit- 
Saint, nettement distingué de l'un et de l'autre. Bien- 
qu'il ne soit nulle part — sauf peut-être dans Actesy \, 
34 — explicitement nommé Dieu, les qualités qu'on 
lui donne et les fonctions qu'on lui attribue supposent. 
manifestement qu'il possède la nature divine. Procé- 
dant du Père et recevant du Fils, pénétrant les secrets- 
de Dieu, il est le principe sanctificateur des fidèles et- 
l'auteur des charismes, l'inspirateur des prophètes et- 
le directeur de toute l'activité apostolique. 

Ainsi, sans exposer précisément une théorie trini- 
taire, Jésus d'abord, puis saint Paul et les apôtres en- 
seignent clairement l'existence d'une trinité, de trois 
termes distincts en Dieu, que la formule baptismale^ 
met sur le même pied : le Père, le Fils et le Saint- 
Esprit. 

Les anges sont les premières créatures de Dieu^ 
Parmi eux, les bons, infériears au Fils, sont les mi- 
nistres de ses volontés. Ils contemplent Dieu et igno- 
rent les convoitises charnelles ; quelques-uns sont los^ 
anges des petits enfants. Mais tous les anges n'ont. 



«i LA XBÉOEOGIE ANTÉNKÎÉENNE. 

pas conservé leur dignité; les rebelles à Dieu ont été 
précipités dans les enfers avec leur chef, Satan, l'ad- 
■versairejrennemi; et avec lui, ils s'efforcent de perdre 
les hommes et d'élever leur propre règne contre celai 
4e Dieu. 

Leur première victime, c'est Adam. Par Adam, par 
sa transgression,, le péché est entré dans le monde, et, 
avec le péché, la mort qui en est la sanction. La eharr 
«'est corrompue, et, comme un venin, la concupis- 
cence et le péché ont passé, par la génération, dans 
toute la postérité àvt premier homme. La raison et la 
Loi ont été impuissantes à guérir l'humanité déchue. 
Il y fallait quelque chose de plus grand : Dieu, qui 
^vait créé l'homme, pouvait soûl le sauver. 

Le moyen de ce salut, c'est l'incarnation. Le Verbe 
4e Dieu, le Monogène qui était dans le sein du Père, 
se fait chair ; il naît d'une vierge. Sans cesser d'être 
Dieu, il devient homme, de notre race et de la semence 
de David selon la chair : il prend toutes nos faiblesses, 
hormis le péché. Il est le second Adam, venu du ciel, 
en qui nous sommes tous contenus, comme nous l'é- 
tions dans le premier. Et c'est pourquoi, de même que 
nous étions tous morts dans le premier Adam, nous 
sommes tous vivifiés dans le second. Substitué à nous 
•et nous représentant, il 'meurt sur la croix, paie notre 
rançon, apaise la justice de Dieu, lui offre, comme 
notre pontife, la victime expiatoire qui est lui-même 
Toutes les formes sous lesquelles la théologie posté- 
rieure orthodoxe représentera la rédemption se trou- 
vent déjà dans le Nouveau Testament. 

La rédemption de Jésus-Christ est universelle. De- 
vant Dieu il n'y a plus désormais ni juifs ni gentils, ni 
grecs, ni barbares : il n'y a que des hommes qui ac- 
ceptent ou rejettent le message divin et le saint qui 
leur est offert. Ceux qui l'acceptent, qui adhèrent à 



L'ENSElCiNlîMENT DE JÉSUS EX DES APOTRES. 115 

Jésus-Çhrist forment. l'Eglise. L'Eglise a été étaWie 
par Jésus-Christ,, qui en a créé le. premier noyau en 
réunissant les apôtres et en groupant déjà autftur 
d'eux un certain nombre de fidèles. De cette Église 
les apôtres seront les chefs,, et Jésus leur donne, avec 
leur missiQn,K le pouvoir d'enseigner, d'ordonner, de 
baptiser, de çeniettre les péchés, ftlais,. entre, les. apô- 
tres, Pierre sera le premier ; c'est, sur lui camme sur 
un roc que l'Église est bât.ie, et c'est lui qui détient les 
clefs de la cité sainte. 

Mystiquement, l'Église est l'épQvisje, çt le coi'ps de 
Jésus-Chi*ist,. sou extension; et son conaplément sur la 
terre. )511e est la colonne, de la vérité. Matériellement 
et dans sa signifiçîatiQn la ^lu,s étendue, elle est la so- 
ciété nouvelle forpiée par Vt^ûsemble des; Eglises. parti- 
culières, établies dans les ç.entres qui ont reçu l'Évan- 
gile. Be çettie Église le^ Actes des apôitres, et les 
épîtçe^ surtqut de saint P^ul npjis mettent sous les 
■yjexisi. l'organisation et la vie pendant ses cinquante 
premières sninées. Les; apôtres ei^.ont le soin généraL 
et résolvent ppuy éUçiS les difficulté^ pratiques qui en- 
traventla prenûère évangélisatiqn. lUla détachent peu 
à peu du jiuLdaïam^ qui l'enserre. Sous eux et institués 
par eux» de§ ap^ptres et^ 4i^Çiples di^ secpn^ prdre, 
Barnabe, Timpthée, Titpt gte;. s'pçcupent plus spieiar 
iement, et ppijr ur^ temp^ du lïjpins, de régioBis^ pu 
groupes d'ggligQS. Uij ceptai]^ npn^lpre d'Églises p^pt^r 
çulièresont, po^çl^s goiiverapr, 4es chefs aîixqu^ls pn 
dpniie in4istinçtemept l& nom dtjmaitmQi qx^ TtpsaSi^Tgpcit, 
et dês. diacre^, Ptjis vienneiit le?, ministres et pré4if?a^: 
teurs itinérants, apôtres, évangélistes, didasp^l^i^, ejt. 
le§ fîd^ies àotté.^ de ciiarismps, prophèteSnL glpssplales, 
interprétées, thérapeutp^, exorcistes, etc. gi; tout cgts,^ 
le principe 4'awtprité, qui partage lee; men^bre^ ^çi 
l'Égij^ en g9iiy€!rja§Lnts et gpuyernés, f^§§ign|iijts et 



116 LA THÉOLOGIE ANÏÉNICÉENNE. 

enseignés, est nettement formulé. La doctrine an- 
noncée par les apôtres et leurs délégués n'est pas une 
philosophie qu'on discute : c'est un dépôt que le pré- 
dicateur doit transmettre, une catéchèse qu'il impose, 
et que l'on ne saurait contredire sans être anathème. 
Des règlements sont établis qu'il faut respecter, des 
exclusions même de l'Eglise sont portées qui punis- 
sent les plus grandes fautes. Chaque Eglise parlicu- 
lière, communiquant d'ailleurs avec les autres Eglises, 
forme une petite société distincte qui a sa hiérarchie, 
son culte, ses réunions spéciales. 

On devient chrétien par le baptême conféré au nom 
du Père et du Fils et du Saint-Esprit, ou même peut- 
être dans quelques Églises et pour quelque temps, 
au nom du Seigneur Jésus. L'effusion du Saint-Esprit, 
obtenue par l'imposition des mains des apôtres, com- 
plète cette initiation. Dans les assemblées des fidèles, 
la prédication de la parole est suivie de la fraction du 
pain, rappel de la mort du Sauveur. L'eucharistie est 
h corps et le sang de Jésus-Christ : c'est avec une 
conscience pure qu'il s'en faut approcher. Si l'on a 
failli, la pénitence est possible, et les apôtres ont pré- 
cisément reçu le pouvoir de remettre les péchés. 
L'onction de l'huile, accompagnée de prières, par les 
presbytres soulage le chrétien malade, et efFacc encore 
ses péchés s'il en est besoin. Par l'imposition des 
mains, les apôtres et les presbytres se créent des col- 
laborateurs et ordonnent des diacres. Le mariage 
chrétien lui-même, déclaré indissoluble, est chose 
sainte ; il est l'image de l'union de Jésus-Christ avec 
son Eglise. 

Toute la morale de la Loi nouvelle peut se résumer 
dans l'amour de Dieu et du prochain. C'est le pré- 
cepte proclamé à nouveau par la bouche de Jésus- 
Christ et répété par saint Paul et saint Jean. Mais cet 



L'ENSEIGNEMENT DE JÉSUS ET DES APOTRES. 117" 

amour ne doit pas rester purement spéculatif; la foi'^ 
en Jésus ne doit pas rester oisive : il faut qu'elle se 
traduise par les œuvres et par l'observation des com- 
mandements. La foi sans les œuvres serait inutile, 
comme sans la foi les œuvres seraient stériles. De" 
plus, aux préceptes s'ajoutent les conseils : invitation 
à la pratique de la continence, de la pauvreté volon- - 
taire, du renoncement total au monde pour suivre le - 
Christ. On peut, sans aller jusque-là, « entrer dans la. 
vie » , mais non point « être parfait » . 

En observant les commandements et les conseils,, 
l'homme mérite vraiment la récompense promise par - 
Dieu, encore que cette récompense soit, par ailleurs, 
une grâce et un don. En n'observant pas les comman- 
dements, il se rend passible de châtiment. Une pre-- 
mière rétribution suit immédiatement la mort : une- 
autre plus solennelle est réservée pour la fin du monde. 
Quand viendra la fin du monde? Jésus-Christ n'ayant 
pas voulu nous en instruire, il est naturel que l'an- - 
cienne croyance juive, qui liait la fin du monde à la 
venue du Messie, ait persisté quelque temps chez 
beaucoup de nouveaux convertis. Quant aux autres- 
éléments eschatologiques, ils sont nets et fermes : la 
résurrection générale des morts; le jugement pro- 
noncé par Jésus-Christ; la damnation éternelle des- 
méchants dans le feu; le bonheur éternel aussi des 
justes dans la société de Dieu et des anges; la con-- 
sommation et la rénovation du vieux monde. C'est le - 
triomphe final de Dieu et de son règne. 

Tels sont, esquissés à grands traits, les enseigne- 
ments de Jésus et de ses apôtres, consignés dans le& 
livres du Nouveau Testament. On a dit souvent que 
ces écrits n'étaient pas, sauf en quelques parties, des - 
traités doctrinaux. Et l'on a raison en effet, si l'on veut 
signifier par là qu'ils ne sont point des exposés didac- - 

7. 



118 LA THÉOLOGIE ANTENiCEENNE. 

tiques et méthodiquemeat raisonnes. Mais on aurait 
tort d'ailleurs de croire que la doctrine, que le dogme 
en est absent ou y est rare : le résumé qui précède 
le montre assez. L'Eglise clirétienne devait y trouver 
toute la substance de son enseignement, et l'inépui- 
sable objet de ses réflexions et de ses éludes. 



CHAPITRE III 

LE DOGMJB CHHBTIEN DANS LES PERES APOSTOLIQUES;*. 



31. — Aperçu prélizainaire. lies spurces de la foi. 
Écriture, tradition. 



On donne le nom de Pères apostoliques aux écri- 
vains ecclésiastiques qui ont paru à la fin du i" ou 
dans la première moitié du 11® siècle, et dont quelques- 
uns ont reçu des apôtres ou de leurs disciples immé- 
diats l'enseignement qu'ils nous transmettent. Ecri- 
vains non proprement inspirés, et inférieurs en vues 
profondes anx auteurs du Nouveau Testament,. ils sont 
inférieurs aussi, en richesse doctrinale et en puissance 
de réflexion, à ceux qui les ont suivis eux-mêmes. Ce 
sont de simples témoins de la croyance beaucoup plus 
que des théologiens. Si l'on excepte saint Ignace, génie 

1 . Le bat de ce trayail étant d'exposer la doctrine de» auteurs dont 
nous parlons, et non die raeonter leur vie et leur œuvre, on n'y cher- 
chera aucune notice biographique ou bibliographique proprement dite. 
Les renseignements de ce genre, que nous supposons acquis, doivent 
elle demandés aux auteurs de patrologies et aux historiens de Tan- 
cienue Ultératuie ecclésiastique, Nirsghl, Fessier-Jcnghann, Bardkh- 

IIKWF.R, BATIJfFOL, HARî?ACK, K5t)CES, KUliaiWCUEH, EERHARD, EbERT, TixEROST 

elc. (lîn voir la liste, avec le titre exact de leurs ouvrages, dass Bar- 
UKNJiE^VER, G.çsckiehle dçr alikivcMichen Literatur, lom. I, FreiBurg- 
i- B., 2« édit., i913i p. 11 sqqj. Q» se contentera ici, popi ebaqne au- 
teur exftmiftc, de signailer l'édition citée dans ce volamey et les éludes 
les meilleures elles plus récentes sur sa théologie. v -, ; 

U9 



120 LA THÉOLOGIE ANTÉNICÉENNE. 

plus personnel, leur haute valeur >^ent surtout de leur 
antiquité. Leurs œuvres appartiennent d'ailleurs prin- 
cipalement à la littérature parénétique. Elles ne sont 
souvent que des écrits de circonstance, des lettres sur 
des thèmes religieux et chrétiens, mais qui n'ont à 
aucun degré la prétention d'en traiter d'une façon di- 
dactique et complète. 

Ces Pères apostoliques sont au nombre de huit ' , 
que l'on peut ranger, au point de vue géographique, 
dans l'ordre suivant : à Rome, la première épître de 
saint Clément (93-97) 2, et le Pasteur d'Hermas (vers 
140-155)^; à Rome ou à Corinthe, l'homélie appelée^ 
deuxième épître de saint Clément (vers 150) ^ ; à An- 



1. L'édition citée pour tous ces écrits est la seconde de Funk, Patres 
apostolici, Tiibingen, 1901 ; mais on pourra se servir aussi des éditions 
séparées parues dans les Textes et documents de la collection Hesimer 
et Lejay. Ces éditions sont accompagnées d'une traduction française et 
précédées, en forme d'introductions, d'études très sérieuses sur chaque 
ouvrage, que je signale ici une fois pour toutes. — Aux écrits indiqués- 
dans le texte on peut ajouter, si l'on veut, les Odes de Salomon, sur 
le caractère desquelles les critiques ne sont pas complètement d'accord, 
les uns en faisant une œuvre orthodoxe, d'autres y voyant une compo- 
sition docéte ou gnostique. L'ouvrage daterait de 80 à 120 (Harnack) ou 
de 100 à 120 (BatilTol). Édition J. Labourt et P. Batiffol, Les Odes de 
Salomon, trad. franc, et introd. historique, Paris, 1911. 

2. Travaux : A. Briill, Der erstc Briefdes Clemens von Rom, Freiburg, 
1882. Wrede, Vntersuchungen 'dber den ersten Clemensbrief, G&ttingen, 
1891. G. Courtois, L'Épître de Clément de Rome, Montauban, 1894. Banc, 
Studien ûber den Clemensbrief, Theolog. Studien und Kritiken, vol. 
LXXI, 1898. i. Gregg, The epislle of saint Clément, London, 1899. A. 
ScHERER, Der erste Clemensbrief an die Corinther, Regensburg, 1902. 
R. SouM, Kirchenrecht, I, Leipzig, 1892. 

3. Travaux : Th. Zahn, Der Hirl des Hermas untersucht, Gotha, 1868. 
Ad. Link, Christi Person und If'erk im Hirten des Hermas, Marburg, 
1888. A. RiBAGNAC, La Christologie du Pasteur d'Hermas, Paris, 1887. 
E. HuCKSTADT, Der Lehrbegriff des Hirten, Anklam, 1887. P. Batiffol, 
Hermas et le problème moral au second siècle, dans les Études d'his- 
toire et de théologie positive, 3« édit., Paris, 1904. A. Baumeister, Dit 
Ethik des Pastor Hermae, Freiburg imBr., 1912. A. d'Aiès, L'Èdit de Cal- 
{ts<e, Paris, 1914. 

4. Travaux : Hacemann, Ueber den zweiten Briefdes Klemens von Rom^ 
dans la Theolog. Quartalschrift, tom. XLIII, 1861. A. Harnack, Ueber 
den sogn. zweiten Brief des Klemens an die Korinther, dans la Zeit- 
schr. fur Kirchengesehichte, lom. 1, 1876-1877. 



LE DOGME DANS LES PERES APOSTOLIQUES. 121 

tioche et le long des côtes de l'Asie Mineure, les sept 
épîtres de saint Ignace (107-117) * ; à Smyrne, l'épître- 
de saint Polycarpe et son Martyinum (ce dernier de 
155-156) ; à Hiérapolis en Phrygie, les fragments de 
Papias (vers 1 50) ; en Palestine peut-être, la Doctrine 
des douze apôtres (dans i a forme actuelle des années 
131-160 suivant Harnack, mais, au moins dans sou 
ensemble, de la fin du i^'' siècle d'après Funk, Zahn et 
Batiffol) 2 ; enfin en Egypte probablement, l'épître (apo- 
cryphe) de saint Barnabe (130-131 d'après Harnack) ^. 

La source à laquelle ces documents vont puiser leur 
enseignement et l'autorité sur laquelle ils prétendent 
l'asseoir, c'est d'abord l'Ancien Testament. Il est pour 
eux l'Ecriture par excellence (^ YP^T'λ y^YP""^"^"') "*! 1* 

\. Travaux : Tu. Zws, Ignatius von Anticchien, Gotha, 1873. Th.. 
DnEHEn, S. Ignatii episcopi Antiockeni de Christo Deo docbnna, Sigma- 
ringa;, 1877. H. de Genouillac, L'Église Aa-étienne au temps de S. Ignace 
d'Ant., Paris, 1907. J. Nirschl, Die Théologie des hl. Ignatius, Mainz,, 
1880. J. RÉVILLE, Étude sur les origines de l'Épiscopat, Paris, 1891. Von, 
DER GoLTz, Ignatius von Antiochien als Christ und Theologe, Leipzig, 
1894. E. Bruston, Ignace d'Antioche, ses épîtres, sa vie, sa théologie, 
Paris, 1897. M, Rackl, Die Christologie des heil. Ignatius von Antio- 
chien, Freiburg im Br., 1914, — Sur l'épitre aax Romains en particulier : 
A. Harnack, Die Zeugnis des Ignatius ûber das Ansehen des rômischen/ 
Gemeinde, dans les Sitzungsber. der k. preuss. Akad. der Vissensch. 
zu Berlin, 1896. J. Chapman, S. Ignace d'Antioche et l'Église romaine, 
dans la Revue bénédict., lom. Xiïl, 1896. F. X. Funk, Der Primat der- 
rômischen Kirche nach Ignatius und Irenaeus, dans ses Kirchenge- 
schichtl. Abhandl. und Untersuch., tom. I, Paderborn, 1897 

2. Travaux : 0. Knoop, Der dogmatische Inhall der Atôa^ï) twv Sw— 
Ssxa iTZOGXÔlbay, Posen, 1888. C. Taylor, An essay on the theology of' 
the Didache, Cambridge, 1889. E. Jacquier, La doctrine des douze apô- 
tres et ses enseignements, Paris, 1891. N. Biesexthal, Die urchristliche 
Kirche in Lehre und Leben nach der AiSa-/^ t. S. a., Insterburg, 1893^ 
G. Moe, Die Apostellehre und der Dekalog im Unlerrichte der alten 
Kirche, Giiterslo!], 1896. 

3. Travaux : 0. Braoksîierger, Der aposlel Sarnabas, sein Leben und 
der ihm beigelegie Bricfe, Mainz, 1876. P. Ladeuze, L'épitre de Barnabe,^ 
Louvain, 1900. Ph. Haeuser, Dei' Bamabasbrief neu unteisucht und new 
erklaert, Paderborn, 191-2. 

4. I Clem., IV, 1; XXXIX, 3; XXXV, 7, etc.; Icnat., Magnes., XII, etc. t. 
Bark., IV, 7. 



122 LÀ THÉOLOGIE ANTÉWCBENNÊ. 

parole sainte (è âytoç Mfoç) K Mais une autorité égale 
est attribuée aux paroles de Jésus-Christ^, et saint 
Ignace, mettant l'Évangile sur le même pied que les 
Prophètes, le cite aussi sous la rubrique yé'fçaTnm 
[Philad., Yiii, 2; cf: Smyrn.j vu, 2). Quant aux apô- 
tres, saint Ignace encore les considère comme les 
maîtres de la croyance de l'Eglise, le preshyterium du 
Père éternel auquel il faut rester attaché^. La Doc- 
trine des apôtres s'intitule AiSax*^ xupi'ou Sià TÔiv SwSExa 
a7co5ToX(i>v, et l'on trouve dans les ouvrages que nous 
examinons des citations plus ou moins claires de 
presque tous les écrits apostoliques du Nouveau Tes- 
tament. Ce n'est pas à dire que leurs auteurs eussent 
dès lors un canon arrêté du Nouveau Testament -r— 
nous rencontrons au contraire chez eux quelques cita- 
tions d'apocryphes quoique en très petit nombre'', — 
mais c'est à dire qu'ils regardaient la parole des apô- 
tres, aussi bien que celle de Jésus-Christ, là où ils 
pensaient la posséder, comme une autorité décisive 
établissant irréfragablement la doctrine et la foi. 

Cette parole des apôtres, on croyait d'ailleurs la re- 
trouver ou du moins en retrouver l'écho ailleurs que 
dans les documents écrits. On sait que Papias, à côté 
ou même au-dessus de la tradition écrite, mettait la 
tradition orale de ceux qui avaient conversé avec les 
apôtres et les anciens^. Plusieurs des citations faites 
par les Pères apostoliques ne viennent pas de nos li- 
vres canoniques " : les éléments leur en avaient peut- 

1. I Clem., xni, 3. 

2. rÉYpautai (Bar:<., IV, 14); êTÉpa yfaçTi (II- Clem., 11, 4); èvTaî; ^ça- 
çat; EtpyiTai (Polyc, Philipp., XIî, 1). 

3. Magn., VI, I; TralL, H, 2; l\\, t, 3; Rom., IV, 3, etc. 

-s. Évangile des Égyptiens dans 11 Clem., IV, 5; V, 4; XII, 2; Doctrine 
de Pierre (?) dans saint îgnace, Smyrn., III, 2. 

■S. ICcsÊBE, Hist. eccL, lil, ;-;!), 4. 

(î. l'ar exemple, I Clem., XfH, 2; cf. Hermas, Similit. VIII, 8, I; II 
Clem., VIII, 5; Bahx., VI, Ki. 



LE DOGSKi DAWS LES PÈRES APOSTOLIQUES. 123 

être été traasmis de mémoire. Enfin l'idée d'une auto- 
rité doctrinale ecclésiastique, d'un enseignement 
vivant, plus libre et plus souple que la parole simple- 
ment rapportée de Jésus^Christ et des apôtres, mais 
s'imposant comme elle, cette idée, qui nous est ap- 
parue déjà dans les épîtres pastorales de ssdnt Paul 
surtoutj se retrouve dans saint Ignace, et peut-être 
même dans saint Clément. Celui-ci en appelle à « la 
glorieuse et vénérable règle de notre tradition » (/ 
Clem.j VII, 2) ; et le premier ne permet pas plus de se 
séparer de l'évêque que de se séparer de Dieu, de 
Jésus-Christ et des apôtres [Trall., vi, 1-vii, 1). « Fils 
de vérité, fuyez la division et les mauvaises doctrines : 
là où est le pasteur, suivez-le comme des brebis » 
[Philad., II, 1; cf. Ephes.j iii, 2; iv, 1). 

Ainsi donc l'Ancien Testament, y compris quelques 
apocryphes, la parole et les écrits de Jésus-Christ et 
des apôtres, la tradition orale, un ou deux documents 
apocryphes du Nouveau Testament, l'enseignement de 
l'évêque, voilà à quelles sources s'alimente la doctrine 
des Pères apostoliques. 

Quelle est cette doctrine ? 



S 2. — La Tiinité, Jésus-Christ, la rédemption. 

« Avant tout, crois qu'il n'y a qu'un Dieu, qui a tout 
créé et consommé, et a fait de rien toutes choses pour 
qu'elles existassent. » C'est ainsi que débute le pre- 
mier Mandatum du Pasteur^ ; et l'unité de Dieu était, 
en effet, la première vérité à proclamer contre les 
païens. 

Elle n'excluait pas dans l'esprit des chrétiens la plu- 

1. s. Ignace, Magn., VIII, 2. 



124 LA THÉOLOGIE ANTENICEENNE. 

ralité des termes en Dieu : et c'est pourquoi nous re- 
trouvons dans nos auteurs les formules trinitaires du 
Nouveau Testament ^ On remarquera surtout celles de 
saint Clément et de saint Polycarpe. Le premier donne 
au chapitre lviii, 2 un exemple de serment : Z^ yàp 6 
ôsbç, xa\ Ç9) ô xupioç 'iTjffoïïçXpiatàç xai xo TCveïïaa -h ocyiov v] Te 
irtariç xai fj ekmç twv Ix)v£xtwv, oti xtX. Si l'on rapproche 
cette façon de parler de celle de l'Ancien Testament, 
Çî) Kupioç {I Reg., XIV, 39; xx, 3, etc.), on voit que pour 
Clément Kupio; équivaut à ô ôso'ç, 6 xuptoç 'Ir,(jouç, to 7tv£ïï(jLa 
To ayiov, ces trois termes étant mis sur le même plan, 
et invoqués ensemble comme garants de la parole 
Jurée 2. A son tour, saint Polycarpe, sur le point de 
mourir, termine sa prière en glorifiant le Père par le 
Fils, mais avec le Fils et avec le Saint-Esprit : Si' o& 
(TcaiSoç) col cùv aÙTW xai TïveofxaTi àytio So?a xtX. ^. 

Nous reviendrons tout à l'heure sur la personne de 
Jésus-Christ. En dehors des passages que nous avons 
signalés et de ceux d'Hermas que nous indiquerons 
plus loin, il est peu question dans nos documents de 
la personne du Saint-Esprit. Saint Clément se con- 
tente de répéter après les apôtres que c'est par cet 
Esprit qu'ont parlé les écrivains sacrés (vin, 1; xlv, 
2) ; qu'il a été l'organe de Jésus-Christ s'exprimant 
dans l'Ancien Testament (xxii, 1, suiv,), et il ajoute 
que c'est par ce même Esprit (Sià xou àytou TrveuiAairoç) que 
lui, Clément, a écrit son épître (lxiii, 2)''. 

Cela suffit à déclarer les attributs divins du Saint- 
Esprit. Mais, sur Jésus-Christ, les affirmations soni 

1. 1 Clem., XLVI, 6;LVII, 2; S. Ignace, Eph., IX, i- Magn., xm, i{ 
Martyr. PoL, XIV, 3;Dtdachè, VU, i, 3; Odes de Salomon, XIX, 2, 3{ 
XXIU, 20. 

2. On trouve une formule semblable dans L'assomption d'Isate, III, 
13. 

3. Martyr, PoL, XIV, 3. 

4. L'ode XIX de Salomon met nettement en relief la personnalité dn 
Saint-Esprit. 



LE DOGME DANS LES PJÈRES APOSTOLIQUES. 12& 

plus explicites, et c'est en propres termes que, à la 
suite de saint Jean et de saint Paul, on le proclame- 
Dieu, S'il reçoit souvent, dans les formules liturgi- 
ques, le nom de iraîç ôeoû ^, on le nomme plus souvent 
uïo; ôeoî;. Saint Ciément, citant VEpître aux Hébreux 
(r, 3-13), l'élève au-dessus des anges, et le représente; 
comme la splendeur de la majesté divine, engendré de- 
Dieu, assis à sa droite (xxxvi, 2-5). 11 l'appellerait même 
Dieu (Traô-4,aaTa auToïï, scilic ôeou , ii, 1), à s'en tenir à 
la leçon du plus ancien manuscrit, Y Alexandrinus, du 
v= siècle^. Mais si ce mot n'a pas été écrit par saint 
Clément à propos de Jésus-Christ, il l'a été certaine- 
ment quelques années plus tard par saint Ignace, 
Saint Ignace connaît la doctrine du Logos johannique : 
Jésus-Christ, dit-il, est le Logos de Dieu sorti du si- 
lence pour manifester le Père (Xo'yo; àiro ffiy^ç TcpoeXôwv)^. 
Au nom de Logos toutefois l'évêque d'Antioche préfère 
celui de Jésus-Christ. Jésus-Christ « était avant le& 
siècles auprès du Père » [Magn., vr, !)■''; il est Dieu 
(6soç Tïjffouç xpi<îToç, Trall.y vu, 1), le Dieu (tov ôeo'v) qui 
rend sages les fidèles [Smyrn., i, 1) : il est notre Dieu 
(ô ÔEoç -/iixtov, Ephes., Inscript.; xv, 3; xviii, 2; Rom., 
Inscript.; m, 3; Polyc, vm, 3), le Dieu d'Ignace (xou 
ÔEou [Acu, Rom., vr, 3); son sang est le sang de Dieu (Iv 
al'aa-i- fieou, Eph., I, 1); il s'est ressuscité lui-même- 
[Smyj'Ti., II, 1)^. « Frères, s'écrie à son tour, au début 

i. I Clem., LIX, 2-i; Martyr. Pol., XIV, 1, 3;xx, 2; Didache, IX, 2, 3;, 
X, 2, 3. 

2. C'est la leçon adoptée par M. Harnack. Le manuscrit de Constanli- 
nople et les versions latine et syriaque donnent aÙToû = ^ptatoû. 

3. Magn., VIII, 2. Il ne s'agit pas ici de la génération éternelle du. 
Fils, mais de sa mission ad extra. 

4. Sur la préexistence de Jésus-Christ, cf. Odes de Salomon, XXVllï^ 
IS, 16 : « Ils cherchèrent ma mort et ne réussirent pas, parce que j'étais 
plus ancien que leur mémoire : en vain, ils se ruèrent sur moi ceux: 
qui me poursuivaient; c'est en vain qu'ils cherchèrent à anéantir le 
souvenir de celui qui existait avant eux. » Et cf. VII, 4. 

K. Rapprocher de ces textes de saint Ignace les aveux des chrétiens- 



126 LA THÉOLOGffi AÎPIÉNEeEiaSHE. 

de soû lioniélie, Fauteup de la Secunda démentis, il 
f-aiit eonsidéreF Jésus-Christ comme Dieu; comme le 
juge des vivants et des morts^ » ; et de fait, il cite au 
chapitre rx,, 5, avec l'annonce Xc/ei S ôeo;, la parole de 
Jésus dans saint Luc (vi, 32, 35). Poly carpe glorifie le 
Fils avec le Père et veut qu'on l'adore^; et le Pseudo- 
Barnabe, qui lui fait adresser par le Père au commen- 
cement les paroles : Faison& l'homme à notre image, 
est si bien convaincu de sa filiation divine transcen- 
dante qu'il ne veut pas qu'on le nomme fils de l'homme 
et fils de David (v, 5; vi, 12; xii, 10, 11). 

Dans ce concert toutefois on s'est demandé si Her- 
mas ne jetait pas une note discordante, et s'il n'était 
pas lui-même un précurseur des adoptianistes de la 
fin du II' siècle qui, nous le verrons, refusaient à Jésus- 
Christ la divinité réelle et vraie. Les textes qui ont 
donné lieu à cette difficulté se trouvent dans la Simili- 
tude v, chapitres 2, 5 et G, dont il faut rapprocher la 
Similitude ix, 1,1; 12, 1, 3. Certains auteurs (Harnack, 
Loofs, Funk) les interprètent en ce sens qu'Hermas, 
confondant le Saint-Esprit — troisième personne de la 
Trinité — avec le Fils de Dieu — r deuxième personne 
— (ô Si uîo? TO uveûfita to ayiov lariv, Simil. v, 5, 2), n'a VU 
en Jésus-Christ qu'un homme, ou, comme il dit, une 
chair en qui cet Esprit a habité (xaTcjSxtffev 6 ôeoç elç rfoépxpc, 
Simil. y, 6, 5). Dès lors, Hermas n'aurait admis, anté- 
rieurement à cette inhabitation, que deux termes en 
Dieu, le Père et le Saint-Esprit : Jésus-Christ ne se- 
rait pas vraiment Dieu ; et c'est seulement par la glo- 

rapportés par Pline le Jeune, dans sa lettre à Traj^B [EpiiL, X, 97), 
écrite vers H2-H3, qu'iLronî coutume 66 se réunip à ub joiir lise pour 
chanter un. hymne au Christ comme à «n J)ieu, • cavxrteiiQvte. Christo 
quasi Deo dicere secum invicem ». 

i. 'AôeÀçol oOtwç hzl vi(A«; çpoveïy Ttepi 'Iïi<n>y Xpicroû ùi% îtçpi Beoù, 
d)î i;Epi xpiTO'j twntùv xat VcV.otSv. 

2. Martyr. PoL, XIV, 3; XVII^ 3. 



LE DOGME DANS LES: PERES APOSTOLIQUES. 127 

rification de sa chair, entrée en partieipation de l'E^- 
prit-Saint et de l'héritage de Dieu [Simil. v, 6, 6), que 
serait constituée une sorte de trinité divine. Mais c'est 
là une explication bien invraisemblable. Qu'un auteur, 
même d'un esprit peu spéculatif, vivant au milieu du 
II® siècle et dans le commerce du clergé romain, ait 
pu igQorer à ce point la foi primordiale consignée 
dans la formule baptismale, et confondre le Fils avec 
le Saint-Esprit paraît chose impossible. Le langage 
d'Hermas est assurément fort confus, mais cependant 
on voit clairement qu'il met d'abord en jeu trois per- 
sonnes, le Père, le Saint-Esprit qui est représenté 
dans la parabole par le fils (ô Se uîoç to •jTveuijt.a to Syiov 
EffTiv), et le serviteur « qui est le Fils de Dieu » (o 51 
SoïïXoç ôuîoç Toïï 6eou Icrriv, v,. 5, 2). Cet esprit que Dieu a 
fait habiter dans la chair n'est pas le Saint-Esprit, 
mais le Fils préexistant qui est un esprit saint, et 
dont Hermas écrit précisément qn'il est antérieur à 
toute créature, et auteur lui-même de la création en 
même temps que conseiller du Père dans cet acte^ 

La désignation du Fils par l'expression 7rveu(xa doit 
d'autant moins nous étonner que nous la rencontrons 
ailleurs. Le Christ « étant d'abord esprit est devenu 
chair », écrit la Seeunda démentis, ôv ^h to itpwTov 
Ttvsîifjia lyÉvÊTo aap^ (ix, 6). La chair était un voile néces^ 
saire, car les hommes n'auraient pu directement con» 
templer le Fils préexistant, eux qui ne sauraient fixer 
le soleil, œuvre de ses mains^. Cette manifestation 
humaine de Dieu (Oeou àvOpwTttvwç «pavepwiJiévou) constitue 
l'oîjtovofAia^. Entre tous les Pères apostoliques, saint 



1. Simil, y, 6, 8; IX, 12, 2. Sur cette interprétation Toir R. Seeberg, 
Lehrb. der DG.^ I, 97 suiv. 

*. Ps.-Barnabé^ V, 6, 10. 

8. S. IGH., Eph., XVin, 2; XIX, 31; cf. P.s.-Barnabé, tynw èv capxi 
?i*vipw9|{c (XO, 10). 



128 ' LA THEOLOGIE ANTENICÉENKE. 

Ignace s'est étendu sur les conditions de cette « éco- 
nomie ». Le docétisme, signalé déjà par saint Jean, 
menaçait la vraie foi, niant la réalité de l'humanité de- 
Jésus et sa descendance davidique, et partant la ma- 
ternité vraie de Marie. Déjà saint Clément avait remar- 
qué que Jésus-Christ vient d'Abraham xaxà ffapx» 
(xxxii, 2). Ignace écarte absolument les conceptions 
qui ne maintiendraient pas à Jésus-Christ sa descen- 
dance davidique, qui n'en feraient pas un homme 
comme nous, de notre race [Rom., vu, 3; Eph., xix, 
3; XX, 2; Smyrn., i, 1) : il affirnle la maternité vraie 
et absolue de Marie : Jésus est Ix Mapt'aç xal èx Ocoîî 
[Eph., VII, 2), ysy^^'^lî^^^ov àXviôwç h. TcapOsvou [Smj/7'n., I, 
1) ; mais il maintient aussi énergiquement la virginité 
de la mère dans sa conception [Eph., vu, 2; xviii, 2; 
Smyrn., i, 1). La virginité de Marie, son enfantement 
et la mort de Jésus-Christ ont été cachés au prince de 
ce monde : ils constituent les trois mystères de la pré- 
dication préparés dans le silence de Dieu [Eph., xix, 

1). 
Puis, continuant de poursuivre les faux docteurs qui 

transforment en une simple apparence l'humanité du 
Sauveur : Jésus-Christ, écrit saint Ignace, est « vrai- 
ment (àXrjôwç) sorti de la race de David selon la chair... 
vraiment né d'une vierge... il a été vraiment percé de 
clous pour nous dans sa chair sous Ponce-Pilate et 
Hérode le tétrarque » [Smyrn., i, 1, 2). « 11 a vraiment 
soufifert comme il s'est vraiment ressuscité lui-même, 
et non pas ainsi que le disent certains incrédules [qui 
prétendent] qu'il a souffert seulement en apparence 
(to âoxetv), eux-mêmes ne vivant qu'en apparence » 
[Smyrn., ii). Et cette chair, Jésus-Christ ne s'en est 
pas dépouillé après sa résurrection : « Je sais, déclare 
Ignace, qu'après sa résurrection, Jésus-Christ a été 
en chair, et je crois qu'il l'est [encore]. Et quand il 



LE DOGME DANS LES PERES APOSTOLIQUES. 129 

vint à ceux qui étaient avec Pierre, il leur dit : Prenez, 
palpez-moi, et voyez que je ne suis pas un génie sans 
corps. Et aussitôt ils le touchèrent, et ils crurent, 
s'étant mêlés à sa chair et à son esprit... Et après la 
résurrection, il mangea et but avec eux, comme étant 
corporel, bien qu'il fût spirituellement uni à son Père » 
iSmyrn.y iii)^. 

Nos auteurs ont donc clairement enseigné et la divi- 
nité et l'humanité du Sauveur ; mais saint Ignace est 
ici encore particulièrement explicite, parce qu'il lui 
assigne à la fois et par opposition des attributs hu- 
mains et des attributs divins. Deux passages ont sur- 
tout, à ce point de vue, attiré l'attention des critiques. 

Le premier est dans l'Epître aux Ephésiens, vir, 2 ; 
« Il n'y a qu'un seul médecin corporel et spirituel, en- 
gendré et inengendré, devenu Dieu dans la chair, dans 
la mort vie véritable, de Marie et de Dieu, d'abord pas- 
sible et alors impassible, Jésus-Christ Notre-Sei- 
gneur^. » 

Le second est dans l'épître à Polycarpe, m, 2 : 
ce Attends celui qui est au-dessus de tout moment, l'in- 
temporel, l'invisible, à cause de nous visible, l'impal- 
pable, l'impassible, à cause de nous passible, qui a 
souffert de toute façon à cause de nous^. » 

On a voulu (Harnack, Bruston) infirmer le témoi- 
gnage de ces textes en laveur de la divinité de Jésus- 
Christ, en rapportant les attributs opposés qu'ils 



1. Voir des déclarations semblables chez S. Polycarpe, VU, i. Les Odes 
de Salonion marquent nettement la naissance de Jésus ex Maria, et sa 
conception virginale (XIX, 4-10; XXVIII, 44). 

2. Eïî laxpd; ècix'.v, ffapxt-AÔç te xai irveujxaTtxô;, yevvï]Tàç xat i'^éwn- 
xoç, èv ffflcpxt yevotisvo; osé?, âv ôavaT^f) Çw/; àXïiôiv:^, xat êx Mapla; y.al 
éx 6eoû, iipwTov TiaOriTÔ; xait^TE àTt«6ïiç, 'IviffO-j; XpKrxôç ô xiipio; vijiwv. 

3. Tôv Onàp xavpôv jipoaSdxa, xbv &xpovov, tôv àdpaxov, tov 8i' rijxâç 
ôpaxov, TOV àiî;T)).à(pYiTOV, TÔV àTiaOïj, tôv S;' •^{iâç waOïiTÔv, Tov xaxà 
TCccvxa tpôiîov Si" i^{iâç OTTOfiiEcvavTa, 



130 LA THÉOLOGIE ANTÉNICÈENJSS. 

mentionnent non à -deux éléments, divin et humain, 
existant simultanément en Jésus-Christ, mais à deux 
états successifs du Sauveur. Dans la pensée d'Ignace, 
Jésus-Christ, d'abord pur homme, serait devenu Dieu, 
et aurait acquis les attributs divins dans sa glorifica- 
tion. Mais les raisons apportées de celte interpré- 
tation ne sont ni convaincantes ni même toujours 
recevables. Si l'on songe que la préexistence de Jésus- 
Christ aussi bien que sa divinité pendant sa vie ter- 
restre ne font aucun doute pour saint Ignace {M agn., 
VI, 1; Epk.j I, 1; XIX, 3), le sens général de ces textes 
ne paraîtra pas douteux : l'évéque d'Antioche attribue 
ici au Sauveur simultanément les qualités de l'homme 
et du Dieu. 

Quel était le but de la venue de Jésus-Christ? Sous 
les multiples expressions dont ils se servent, l'idée de 
nos auteurs est la même : Jésus-Christ venait nous 
sauver, nous faire connaître Dieu, nous délivrer de nos 
péchés, détruire la mort et nous rendre la vie. Com- 
ment? Par l'effusion de son sang, par sa propre mort. 
Jiésus-Chrisfc, dit saint Ignace, qui est la pensée et la 
sentence du Père (-cou îtixt^oç -q yv^I*"*!)? la bouche véridi- 
que par laquelle il s'exprime [Eph., m, 2; Rom., 
VIII, 2), est devenu pour nous la connaissance de Dieu 
el noire unique docteur (toû 6eou pSaiç, Eph,, xvii, 2; 
XV, 1; Magn.y ix, 1). Mais, de plus, ilméditait, en se 
manifestant humainement, d'abolir ia mort et de la 
remplacer par la nouveauté de la vie éternelle [Eph., 
xiix, 3). La cause -de la mort, c'est Je péché : c'est 
pourquoi Jésus-Christ saint, se substituant à nous, a 
porté nos péchés sur la croix, est mort, lui innocent, 
pour les pécheurs ^ . « Il a donné son sang pour nous. . . 
et sa chair poui* notre chair, et son âme pour nos 

1. s, PoLYC, I, 2; YIII, 1; Marij/r/'^oî., XVlî,«. 



LE DOGME DéNS LES PEMIS M»OSTOLIQUES. 131 

âmeis *;, » P.oiatife éterael, iiamntenaiït glorifié à la 
droite de son iPère^j il a livré sa chair à la destrirction 
en l'oiïrant en saerifice (îr^oaç^peiv, ôuffta) ; il nous a as- 
pergés de son sang ^. Par là bous avons été purifiés 
de nos péchés''; nous avons été rachetés (XnJtpwtîi;) ^ ; 
la mort a été détruite, ia Tésurrection des morts assu- 
rée, laviereconquise ^ ; et un peuplemouveau, un peuple 
saint a été enfanté, héritier des promesses à la place 
de la nation juive '^. Jésus qui est « la Porte du Père 
par laquelle entrent Abraham, et ïsaac et Jacob et 
les prophètes et les apôtres- de TÉglise », est le mé- 
diateur par qui le monde vient au Père, si bien qu'en 
définitive, « le christianisme n'a pas cru au judaïsme, 
mais le judaïsme au chrktianisme, dans lequel sont 
réunis tous ceux qui croient en IMeu^ ». On ne saurait 
eîcprimer plus énergiquement que ne ie fait Ignace 
dans ces deux passages et l'unité du plâin salvifiquie de 
Dieii depuis le commencement du monde, <^ la pïace 
centi*ale qu'y occupe Jésus -Christ. 

S 3. — L'Église et la Mérarchîe. Xt'Églîsé romaine ^. 

Le peuple nouveau qui succède ainsi au peuple juif 
dans les prédilections divines constitue rÉglise chré- 

1. I Clem., XLIX, 6; cf. xxxr,6. 

â. J Cîeîn., l/XîV; s. ï»0CTe., XIï,^; MAn^r. Pal., XIV, 3; B. Ign., 
Pàilad., IX, d. 

3. Ps.-Barnabé, V, Ï; VIÏ, 3, S. 

4. ÈEftMAS, 'Sïmil. V,'6, % 3; Ps.-Bars., V, i. 

5. I Ctem.j XII, 7; Ps.-Baus., XIV, 6. I^s idées de réâemptioB du 
poché et de tançon sont compïêtement absentes des Odes de Salo- 
mon. 

6. S. les., Eph., I, 1 ; Magn., IX» i ; Ps.-SAfts., va, 2; Secunda Clem>, 
XX, 8; cf.I, 7. 

7. Ps.-Barn., IV, 7, 8; XIII, XIV, 4-G. 

«. S. 3CN^ tPgf&ïd.viX, 1; il/as«7i--,X, 3. 

^. Sur ce i^àîagjapbè, toît spécialeàiieat P. Batïffol, \Éfeîdes â'A-w<. 
et de théai:q)0»itiV9, 4™ 'sérié, 3«-étMt., Paris, 498*; VÈgUse ii^issaMe 



^32 LA THEOLOGIE ANTENICEENiSE. 

4ienne. Dans le Nouveau Testament, l'Eglise est con- 
sidérée tantôt sous un aspect mystique, comme l'é- 
pouse et le corps de Jésus-Christ, comme l'assemblée 
des saints choisis par Dieu en Jésus-Christ avant la 
constitution du monde [Eph., i, 4, 22, 23; v, 23, 29); 
tantôt sous un aspect plus positif, comme la société 
des fidèles gouvernée par une hiérarchie et soumise à 
des règles précises. Le premier point de vue se retrouve 
<ians Hermas. L'Église, dit-il, a été créée la première 
(TrdcvTiov irpwTV] IxTiaôr,} ; c'est pour elle que le monde 
-existe {Vis. ir, 4, 1; cf. Vis. i, 1, 6), et dans son am- 
pleur elle comprend et les croyants de la terre et les 
^lus du ciel ( Vis. m, 5, 1). A son tour, la Secunda dé- 
mentis, dans un passage curieux et d'une interpréta- 
tion difficile (xiv, 1-5), — le texte est peut-être cor- 
rompu, — parle de l'Eglise première, de l'Eglise 
•vivante comme d'un être spirituel {^v yàp TrvEufxanxT^), 
-créé avant le soleil et la lune, et qui a apparu à la fin 
des temps dans la chair môme de Jésus-Christ. Cet 
allégorisme s'explique si l'on se reporte aux textes 
indiqués de saint Paul. 

Mais ce point de vue n'est pas celui auquel se tien- 
nent généralement nos auteurs. Clément, Ignace, 
Polycarpe sont des évéques qui ont affaire à des com- 
munautés concrètes, dont la bonne discipline attire 
d'abord leur attention. 

Remarquons d'abord que, sous leur plume, le mot 
Eglise s'applique également auxEglises locales, exis- 
tant dans chaque ville, et à l'Église universelle, à 
l'ensemble formé par ces groupements particuliers 
reliés entre eux par les rapports de foi, de charité et 
-d'assistance mutuelle. A cet ensemble Ignace le pre- 

et le catholicisme, 6» édit., Paris, 1909; L. Ducbesne, Histoire ancienne 
de l'Église. I, Paris, 1906; A. Miciiiels, L'origine de Vépiscopat, hon- 
'^Train, 1900; H. Brcders, Die Verfassung der Kirche, Mayence, 



LE DOGME DANS LES PERES APOSTOLIQUES. 133 

mier et plus tard le Martyrium Polycarpi donnent 
l'épithète de catholique : « Que là où paraît Tévêque, 
là se trouve la multitude, de même que là où est Jésus- 
Christ, là est l'Église catholique » [Smyrn., viii, 8). 
Cette épithète ici ne différencie pas l'Eglise orthodoxe 
des sectes hérétiques ou schismatiques : elle garde sa 
signification radicale et ancienne à' univeiselle, totale, 
par opposition à partielle et locale. La relation du 
martyre de saint Polycarpe est adressée « à toutes les 
chrétientés en tout lieu de la sainte Église catholi- 
que » ; et il est dit que Polycarpe, avant de mourir, 
a prié « pour toute l'Église catholique dans le monde 
habité^ ». Mais au chapitre xvi, 2 de ce même docu- 
ment, le mot catholique, appliqué à l'Église particulière 
de Smyrne, ne retient plus évidemment sa significa- 
tion û!universel : il équivaut à légitime) orthodoxe, et 
oppose l'Église dont Polycarpe était évêque (luicyxoTroç 
Tvjç Iv ^IfAupv-ji xaôoXvxYÎç ixxXyieria;) aux conventicules héré- 
tiques qui pouvaient exister à Smyrne. Quel rapport 
entre ces deux sens ? C'est que ces conventicules, es- 
sentiellement particularistes, n'étaient point reliés à 
ceux des autres villes, tandis que la communauté or- 
thodoxe de Smyrne se fondait pour ainsi dire dans 
l'unité de la grande Église dont elle était une partie, 
et en recevait le qualificatif. — Cette grande Église 
du reste n'était pas seulement catholique en fait, comme 
étant l'ensemble des Églises particulières déjà exis- 
tantes : elle devait en droit être et devenir catholique 
par sa diffusion dans le monde entier; car Jésus est 
mort pour tous les hommes, et le Christ, « par sa ré- 
surrection, a élevé dans les siècles l'étendard pour les 
saints et pour ses fidèles, aussi bien parmi les juifs que 
parmi les Gentils, dans l'unique corps de son Église^ ». 

1. Martyr. Pol., Inscript. ; VIII, I ; cf. XIX, 2, 
-2. S, Ignace, Smyrn., I, 2. 



134 LA THÉOLOGIE ANTÉNJGÉEKNE. 

Et l'Eglise ne doit pas seulement être catholique. : 
elle sera et elle est indéfectible dans sa doctrine, le 
Christ, observe saint Ignace, ayant été oint de parfums 
sur la tête [Matlh., xxvi, 7), afin de lui communiquer 
cette incorruptibilité {Epk., xvii, 1). 

Nous voici donc, comme dans les épîtres de saint 
Paul, en présence d'Églises organisées, gouvernées, 
formant des sociétés locales et, par leur union, une plus 
grande société universelle. Comment sont adminis- 
trées ces communautés? Notons d'abord le soin <\ue 
prend saint Clément de faire remarquer aux Corin- 
thiens que le ministère des apôtres n'est point un 
charisme transitoire, destiné à disparaître avec eux, 
mais une institution établie par la volonté de Dieu, et 
dont les apôtres ont eux-mêmes assuré la perpétuité. 

« Les apôtres nous ont été dépêchés comme messagers 
de la bonne nouvelle par le Seigneur Jésus-Christ. Jésus- 
Christ a été envoyé par Dieu. Le Christ vient donc de Dieu, 
et les apôtres viennent du Christ : ces deux choses décou- 
lent en bel ordre de la volonté de Dieu... Prêchant à travers 
les villes et les campagnes, ils (les apôtres) éprouvèrent 
dans le Saint-Esprit leurs prémisses, et les instituèrent 
comme épiscopes et comme diacres des futurs croyants » 
(xLii, 1, 2, 4). 

Puis : 

ï Dans leur prescience parfiaite de l'avenir, ils instituè- 
rent ceux que nous avons dits, et ensuite portèrent cette 
règle qu'après leur mort, d'autres hommes éprouvés succé- 
deraient à leur ministère. Ceux qui ont été ainsi mis en 
charge par les apôtres ou plus tard par d'autres person- 
nages -éminents avec l'approbation de toute l'Église, qui 
ont servi d'une façon irréprochable le troupeau du Christ,, . 
nous ne croyons pas juste de les rejeter du ministère » 
(xLiv, 2, 3). 

Les ministres ainsi institués ont un pouvoir de gou- 



LE DOGME DANS LES PÈRES APOSTOLIQUES. 135 

vernement et de direction^ nous le dirons plus ample- 
ment tout à rheure; mais ils ont aussi un pouvoir 
d'ordre; ils exercent des fonctions liturgiques. Les 
épiscopes dont Clément de Rome plaide la cause 
auprès des Corinthiens avaient saintement et sans 
reproche offert à Dieu les dons de Fassemblée {Mok 
Trpo(j6VEYxovT«ç xà Swpa^ XLiv, 4). D.ftson côté, la Didachè, 
<jui vieat de parler (xiv) de l'office dominical, de îa 
fraction du pain qui s'y accomplit et du sacrifice qu'on 
y célèbre, continue : « Elisez-vous donc des épiscopes 
et des diacres du Seigneur » (xv, 1). Elle considère 
par conséqueM ces épiscopes et ces diacres comme 
les ministres de celte fraction du pain et de ce sacri- 
fice '. 

Saint Ignace est le premier auteur chez qui se trouve 
nettement marquée la hiérarchie à. trois degrés, évêque, 
prêtres, diacres, et î'épiscopat unitaire ou monar- 
chique, c'est-à-dire la suprématie de l' évêque et, dans 
«haque église, d'urt seul évêque sur le corps des 
prêtres (le presbyterium] et les diacres. Cette situa- 
tion, dont nous constatons Texistence entre les années 
100-120= en Syrie et dans la province d'Asie, à Ephè^e, 
à Magnésie, à Tralles, à Smyrne était générale au rai- 
lieu du 11^ siècle. Mais l'on s'est demandé si elle re- 
montait aux apôtres et par suite de quelles circons- 
tances le pouvoir de l'évêque s'était élevé ainsi au- 
dessus de celui des prêtres. 

En fait, et si nous consultons les écrits des autres 
Pères apostoliques en dehors de saint Ignace, il semble 
que les catégories des ministres de r&\'angile, confor- 
mément à ce que nous avons vu dans les épîtres de 
saint Paul et dans les A des, aient été dans- certaines 
Églises, et à la fin du i" et au commencement du 

1. Et cf. S.- Ignace, Smyrn., YIIF, i, 2. 



I3fi LA THEOLOGIE ANTENICÉKNNE, 

II* siècle, à la fois plus nombreuses et moins nette- 
ment différenciées qu'elles le furent plus tard. La liste 
la plus complète est donnée par la Didachè, qui énu- 
mère les apôtres, les prophètes, les didascales, les 
épiscopes, les diacres. Elle ne nomme pas les pres- 
bytres qui se retrouvent chez Clément, Hermas, la 
Secunda Clementis et Polycarpe. Mais de ce qu'elle 
dit des apôtres, des prophètes et des didascales (xi, 
XI II), il s'ensuit évidemment que ces trois catégories 
de personnes n'entraient point dans la hiérarchie sé- 
dentaire et fixe qui dirigeait les Églises locales, et 
devaient en subir le contrôle. Les apôtres (distincts 
des Douze) étaient des missionnaires toujours en route, 
et qui ne pouvaient séjourner dans les communautés 
qu'un jour ou deux (xi, 5). 11 n'y avait pas partout des 
prophètes (xiii, 4), et le didascale lui-même devait 
subir une épreuve avant d'être autorisé à enseigner 
(xi, 1, 2). Restent donc les épiscopes, les presbytres 
et les diacres : c'est le schéma hiérarchique donné par 
saint Ignace. Seulement, tandis que celui-ci distingue 
nettement les évêques et, dans chaque Église, l'évoque 
unique, des prêtres, nos autres documents omettent 
de nommer ou les épiscopes * ou les presbytres 2, ou 
bien paraissent confondre les prêtres avec les évêques 
en donnant aux uns et aux nutres indifféremment le 
nom d' épiscopes ou 4e presbytres ^. Les Églises, dans 
ces temps reculés, n'étaient-elies donc gouvernées que 
par un collège de prêtres ou par un collège d'évêques 
égaux entre eux? 
Observons avant tout que l'emploi indifférent de» 



1. Secunda Clementis. 

2. La Didaché. 

3. /CZem., XLIV, 1, 4,5. C'est la môme confusion que nous avons 
constatée chez saint Paul {v. ci-dessus, p. 90). Les deux mots èitioxonot 
et TrpeffSyTepoi désignent indifféremment les mêmes personnages. 



LB DOGME DANS LES PERES APOSTOLIQUES. 137 

mots presbytres et épiscopes pour désigner les mêmes 
personnes n'implique pas qu'entre ces personnes il 
n'existât aucune distinction de dignité ou de pouvoir. 
Ces mots n'ont pas eu d'abord le sens technique et 
exclusif qu'on leur a attribué plus tard ^ . D'autre part, 
il est infiniment vraisemblable en effet que beaucoup 
d'Églises, dans les premiers temps, n'ont pas eu, pour 
les gouverner, un évêque attitré. Dans ces chrétientés 
de nouveaux convertis à peine dégrossis, peu nom- 
breuses, on n'eût pas aisément trouvé des sujets ca- 
pables d'exercer à eux seuls la charge épiscopale. Les 
apôtres et leurs successeurs immédiats ont dû souvent 
s'en réserver la direction supérieure, et se contenter 
d'y établir des presbytres chargés de remplir les fonc- 
tions de l'instruction et du culte, et de maintenir la dis- 
cipline reconnue. C'est, à ce qu'il semble, la situation 
qui se révèle dans les cas de Tite et de Timothée régis- 
sant les Eglises de Crète et d'Asie, et sans y voir une 
loi générale, on peut croire qu'ils se sont reproduits 
fréquemment ailleurs. Cet état de choses cependant 
n'était pas universel : l'épiscopat à Jérusalem, Antioche, 
Athènes, Alexandrie, Rome, remonte aux apôtres. De 
plus il ne devait pas durer et, au fur et à mesure que 
le champ de l'apostolat s'étendit, que les chrétientés 
devinrent plus fortes et les fidèles plus affermis dans 
la foi. une transformation s'opéra qui fit apparaître 
dans chaque Eglise un évêque; un évêque tenant la 
place de l'apôtre ou du successeur des apôtres qui 
avait jusque-là dirigé cette Eglise, et possédant ses 
pouvoirs. C'est dans le sein du preshyierium. naturel- 
lement que cet évêque fut choisi : de primus inter 
pares peut-être, il devint supérieur à ses frères. Le 
changement se fit sans secousse : aucun souvenir de 

1. Dans S. Clément, les presbytres de xxi, 6 et peut-être de lvii, 1 ne 
sont pas des prêtres : ce sont les anciens de la communauté. 

8. 



138 Lit TBÉOJLOGIB ARTEKKîEJBKNÈr. 

erise ne s'est conservé. Le lan^ge ne se m^odifia tjne 
lentement, et l'on put continuer quelque temps de 
compter le nouvel évêque, parmi les Ttpe«€uTspoi, comme 
©n avait donné longtemps à ceux-ci. le nen^ à'Iwîaxowau 

Ainsi donc la succession Mérarchique est voulue de 
Dieu et est l'œuvre des apôtres. Les membres de cette 
Mérarchie ne: gouvernent pas seulement : ils ont xm. 
pouvoir d'ardre-^ Et. cette hiérarchie comprend dans 
chaque Eglise un évêque,. des prêtres, des: diaecesi. La 
conséquence est que les simples fidèles doivent ci1mîs> 
sance aux ministres ainsi établis. C'est la eonclssîon 
que tire saint Clément du principe qu'il a posé. Itfaut 
se soumettre aux hégoumènes (i, 3), aux guides de 
nos âmes (Lxni, 1), aux presbytres (xlvii, 6; lit, 2);; 
il y a grand péché à les priver, sans; qu'ils y aient donné 
cause, de l'exercice de leur charge, comme ont fait 
certains Corinthiens (xtrv, 3, 4, 6; xlvif, 6), et l'on 
doit, au contraire, les honorer (i, 3 ; cf. iir , 3). Clément 
veut que, dans l'Eglise, règne une discipline aussi 
ferme que la discipline militaire (xxxvii, 2, 3).^ Ces 
recommandations sont répétées par la Biâaehe (xv, 
1, 2), par la Secunda démentis (xvri, &) et par saint 
Poiycarpe (v, 3) ; mais saint Ignace y est revenu avec 
une singulière insistance. 

On a dit quelquefois que les épîtres de saint Ignace 
sont un plaidoyer pour l'épiscopat monarchique. Non : 
mais elles sont un plaidoyer pour l'unité des Églises 
menacée par le schisme, L'évêque d'Antioche sent le 
géril que les coteries et les hérésies font courir aux 
Églises d'Asie Mineure, et il adjure celles-ci de se 
serrer autour de l'évêque, du presbyterium et des 
diacres, comme autour du centre de l'unité. Très sou- 
vent (voir surtout Philad., iv], il considère ces trois 
ordres comme formant, vis-à-vis des fidèles, un tout, 
la partie dirigeante de l'Église^ à qui il faut rester 



LE DOGME DANS LE& PÈHES APOSTOLIQUES. 139 

sotmiis;m;ais plusieurs lois aussi, il détaehe tantôt les 
deux premiers, degrés [Epk^y ii, 2; xx, 2; Magn., ii, 
PU,, i; îm/Z-^-xiii, 2), tantôt le premier seulement 
comme- représentant dans l'Eglise l'autorité à laquelle 
tous; doivent, obéir, même les, prêtres : «; H convient que 
vous soyez du même avis que l'évéque,. ce que vous 
laites, car votse mémorable' presbytej'ium, digne de 
Dieu, est attaché à l'évêque comme les cordes à la 
lyre » [Eph.^viy. 1). « Il ne convient pas que vous abu- 
siez de l'âge de votre évêque, mais bien, en considé- 
ration de la puissance de Dieu le Père, que vous lui 
témoigniez toute espèce de respect, comme j'ai appris 
que font les saints prêtres : car ils: n'abusent pas de 
sa jeunesse dans: cette haute position, mais, prudents 
en Dieu, ils se soumettent à lui, ou plutôt non à lui, 
mais au Père de Jésus-Christ,, à l'évêque de tous » 
[Magn., III, 1; cf. Tr'alLy x», 2).. L'évêque est le centre 
de l'Église : là où il est doit être aussi la communauté, 
comme là où est Jésus-Christ là est l'Église [Smi/rn., 
VIII, 2; cf. Smyrn., xi, 1; Polyc.j iv, 1). Dans cette 
trinité hiérarchique, évêque^ presbyterium, diacres, 
l'évêque tient la place de Dieu le Père, les prêtres re- 
présentent le collège des apôtres, les diacres représen- 
tent Jésus-Christ \Magn., vi, 1 ; TralL, m, 1 ; Smyi-n., 
viii, 1), disposition qui paraît surprenante d'abord, 
mais qui s'explique si l'on remarque que l'auteur con- 
sidère Jésus -Christ comme le ministre (§taxava;);du Père, 
et les diacres comme exerçant la Staxovia 'Irjaoti Xpioxpû 
[Magn.yXi:; 1). Saint Ignace est d'ailleurs très clair sur 
i'infériorité des diacres par rapport aux prêtres {Magn., 
h) : il les nomme toujours en troisième lieu. 

Quels- sont les devoirs des fidèles vis-à-vis de ces 
-directeurs de l'Eglise? Au fond il n'y en a qu'un : leur 
pester uni de sentiment, dé foi, d'obéissance. Ignace ne 
suppose pas qu'il soit jamais permis de se séparer de 



140 LA THÉOLOGIE ANTÉNICÉENNE. 

l'autorité dans ses vues ou sa conduite : il faut être 
soumis àTévêque. au presbyterium, aux diacres [Eph., 
II, 2; V, 3; xx, 2; Magn., ii, m, 1; vi, 1, 2; xiii, 2; 
Trall.^ Il, 1, 2; xiii, 2; PJiilad., vii, 1; Smyrn., vin, 
1; Polyc, VI, 1) : il ne faut rien faire sans eux dans 
l'Église {TralL, ii, 2; vu, 2; Philad.^ vu, 2; Smyrn., 
VIII, 1; Polyc, IV, 1). Plus particulièrement, Jésus- 
Christ étant la sentence du Père, et les évêques qui 
vivent sur toute la terre étant dans la doctrine de Jésus- 
Christ (£v 'lyjcou XpiffTou Yvtf>fJt.y)), il convient de partager 
la doctrine de l'évêque [Eph., m, 2; iv, i). C'est en 
ne se séparant pas de Jésus-Christ, de l'évêque et des 
préceptes des apôtres que l'on se nourrira de l'aliment 
chrétien, et que l'on s'abstiendra de l'herbe étrangère 
qui est l'hérésie {TralL, vi, 1-vii, 1). Puis, ceux qui 
sont de Dieu et de Jésus-Christ sont avec l'évêque : les 
schismatiques n'hériteront pas du royaume des cieux 
{Philad.j III, 2, 3). — Et comme l'évêque est le centre 
doctrinal et disciplinaire, il est aussi le centre liturgi- 
que de l'Eglise : « Que cette eucharistie soit tenue 
pour légitime (peêai'a) qui se fait sous l'évêque ou sous 
celui à qui il l'a accordé. . . Il n'est permis, sans l'évêquCy 
ni de baptiser, ni de faire l'agape [ou l'eucharistie) : ce 
qu'il approuve est ce qui plaît à Dieu, afin que tout 
ce qui se fait soit ferme et valide » (Smyrn., viii, 1, 2). 
L'unité de chaque Église particulière est garantie 
par le groupement des fidèles autour de leurs pasteurs 
et surtout de l'évêque. Et l'unité de l'Église univer» 
selle, sera-t-eile garantie simplement par les rela< 
tions de charité commune qui régnent entre les chré- 
tientés locales ? Y a-t-il entre les Églises une Église 
supérieure qui soit le centre de leur unité, et qui ait 
autorité pour maintenir l'unité de la foi et de la dis- 
cipline? Pierre a été par Notre-Seigneur établi le fon- 
dement et le porte-clefs de l'Eglise : l'Église de Rome 



LE DOGxME DANS LES PÈRES APOSTOLIQUES. 141 

qu'il a fondée et où Clément et Ignace savent qu'il a 
prêché et qu'il est mort\ a-t-elle hérité de sa préé- 
minence, et trouvons-nous dans nos auteurs quelque 
indice qu'ils ont reconnu ce fait? 

On peut dire que l'épître de saint Clément est à elle 
seule une preuve qu'à Rome on en avait conscience. 
Des troubles ont éclaté dans l'Église de Corinthe, où 
un parti de jeunes a dépossédé de leur ministère les 
presbytres qui la gouvernaient. Ces presbytres ont-ils 
recouru à Rome pour se faire rendre justice? Nous 
l'ignorons. Ce serait le premier et un bien remarquable 
exemple d'appel à Rome. En tout cas, l'Église de Rome 
a appris le conflit et, par son évêque, elle intervient, il 
presse, il supplie les délinquants de se repentir; mais 
il commande aussi et requiei't l'obéissance à ce qu'il a 
écrit dans le Saint-Esprit (nx, 1; lxiii, 2, 3). « Soit 
que l'on considère en lui-même cet acte spontané de 
l'Église romaine, écrit M*^' Duchesne, soit que l'on pèse 
les termes de la lettre, on ne peut échapper à cette 
impression que, dès la fin du premier siècle de notre 
ère, une cinquantaine d'années après sa fondation, 
cette église se sentait déjà en possession de l'autorité 
supérieure, exceptionnelle, qu'elle ne cessera de reven- 
diquer plus tard. L'apôtre Jean vivait encore à Éphèse 
au temps où Clément écrivait. On ne voit pas trace 
d'intervention, ni de lui, ni de son entourage. Et pour- 
tant les communications étaient plus faciles entre 
Éphèse et Corinthe qu'entre Corinthe et Rome. Mais 
quel accueil les Corinthiens firent-ils aux exhortations 
et aux envoyés de l'Église romaine? Un accueil si par- 
fait, que la lettre de Clément passa chez eux presque 
au rang des écritures sacrées. Soixante-dix ans plus 
tard, on la lisait encore, le dimanche, dans l'assena* 

1. IClem., cf. V, 3, 4 avec Vf, 1; S. Igm., Rom., IV, 3* 



142 LA TSEOLGGIE AîSTÉNiCÊENNE. 

blée des fidèles. Rome avait commandé : on îni avait 
obéi'. » 

Vingt ans environ après cette lettre, saint Ignace, 
lui aussi, paraît bien attril>uer à TEglise de Rome une 
autorité à part. Dans Tinscription de son épitre aux 
Romains, non seulement il multiplie, en feveur de leur 
Église, les termes laudatifSj mais il la désigne comme 
présidant dans le lieu du pays des Romains (rinç xaà 
7rfoxàâr,Tai lï T(57ta> )r^wpCou 'Pciûfxai(»>v), comms dignement 
ehaste et présidente de la charité (àçioaYvoç x«t Tzpoxa^- 

utévyj -urfi ayctTnjç). 

Quelle est la portée de ces expressions? — Obser- 
vons que, dans; le premier texte, les mots tv tôtto) xtX. 
n'indiquent pas les limites de la présidence de l'Eglise 
romaine, mais le lieu où elle est établie et s'exerce : 
TtpoxaOïiTai est au mode absolu : il n'est question à cette 
époque ni de patriarcat romain ni d'Eglises suffra- 
gantes : l'Église de Ronae préside, et le siège de cette 
présidence c'est la. ville de Rome, h xcVw yjffpio\j 'Pw- 
{taiwv. D'autre part, l'expression àyÔTt-ti du second pas- 
sage pourrait fort bien désigner la fratenàté ebrétienne 
en général, les chrétiens eux-mêmes. Quatre fois au 
moinff dans, saint Ignace le mot est pris dans ce sens 
concret ( Ti'alL, xïii, 1 ; Rom., ix,. 3 ; Philad., xr, 2 ; 
SmT/rn., XII, 1), et il est bien probable qu'il l'est aussi 
dans Rom., ix, i. Naiws aurions donc ici un; témoignage 
en faveur de la primauté romaine, mai& san& qu'I- 
gnace explique d'ailleurs quelle en est la nature ni à 
quoi il la rattache 2. 



*. Eglise séparées, Paris, 4896, p. ±i&, *a7. 

2. «c Si le martyr s'était adressé à l'évéque de Rome, ces présidences 
pourraientétre interprétées comme locales : dans son église, c'est tou- 
jOTirs l'éTêque qui préside. Iffais ici il ne s'agrît pas de l'évéque, il s'agit 
de réb'lise. A quoi préside l'Église romaine ? A d'autres églises dans une 
circonscription déterminée? Mais Ignace n'a pas l'idée d'ime limitation 
de ce genre. D'ailleurs^ y aiiait-it alors en Italie des communaotéschré- 



LE DOGME DAÏÇS LES PERES APOSTOLIQUES. i'a 



S 4. — Les rites et le culte chrétiens. 

Le rite de l'initiation chrétienne par lequel on deve- 
nait membre de l'Église était le baptême régulière- 
ment suivi de la collation du Saint-Esprit et de l'eu- 
cbaristie. La tour mystique montrée à Hermas, et qui 
représente l'Eglise, est édifiée sur les eaux ; et à la 
question du voyant qui demande l'explication de ce 
fait, l'Église elle-même répond que c'est par l'eau que 
la vie des croyants est sauvée et sera sauvée*. Hermas 
regarde le baptême comme tellement nécessaire pour 
entrer dans le royaume de Dieu qu'il a fallu, dit-il, que 
les apôtres elles docteurs, prédicateurs de l'ÉvaDgile, 
descendissent aux enfers pour instruire et baptiser les 
justes de l'ancienne Loi déjà morls^. La Didachè est 
extrêmement précise sur le rite de son administration, 
et le mieux «st de transcrire ce qu'elle en dit : 

VIL Pour le baptême, donnez-le de la manière suivante: 
après avoir enseigné tout ^îe qui précède, « baptisez au nom 
du Père et du Fils et du Saint-Esprit »^ dans l'eau courante. 
[2] S'il n'y a pas d'eau vive, qu'on baptise dans «ne aufre 
eau, et à défaut d'eau froide, dans de l'eau chaude. [3] Si 
tu n'as (assez) ni de l'une ni de l'autre, verse trois fois de 
l'eau sur la tête « au nom -du Père et du Fils et du Saint- 
Esprit ». [4] Que le baptisant, le baptisé et d'autres per- 
sonnes qui le pourraient, jeûnent avant le baptême; du 



tiennes distinctes, dans leur organisation, de la communauté romaine.. 
Le sens le plus naturel de ce langage, c'est que TÉglise romaine pré- 
side à l'ensemble des églises. Comme l'éVéque préside dans son église 
aux œuvres de charité, ainsi l'Église romaine préside à ces mêmes œu- 
vres dans la chrétienté tout entière » (L. Duchesne, op. cit., p. 127, 128). 

1. Vis. m, 3, 5, 6; cf. Simil. ix, 16, 1, 2. 

2. Simil. IX, 16, 3-7. Sans parler du martyre, Hermas insinue peut-être 
aussi l'efficacité du baptême de désir, Fis. m, 7, S, 6; cf. S^TO^i. tu, 6, 6; 
8, 3 ; d'Alès, op. cit., p. 63, 6i, note. 



140 LA THÉOLOGIE ANTÉNICÉENNE. 

Tautorité dans ses vues ou sa conduite : il faut être 
soumis à Tévèque. au presbyterium, aux diacres [Eph., 
II, 2: V, 3: xx, 2; Magn., ii, m, 1; vi, 1, 2; -xiir, 2; 
TralL, H, Ij 2: xiii, 2; Philad., vu, 1; Smyrn., viiij 
l: Pohjc, VI, 1) : il ne faut rien faire sans eux dans 
l'Église [TralL, ir, 2; vu, 2; Philad., vu, 2; Smyrn.y 
vin, i: Polyc, iv, 1). Plus particulièrement, Jésus- 
Christ étant la sentence du Père, et les évêques qui 
vivent sur toute la terre étant dans la doctrine de Jésus- 
Christ ,£v 'Ir,(7ou XpioTou YvtofjLïî), il convient de partager 
la doclrine de Tévêque [Eph., m, 2; iv, 1). C'est en 
ne se séparant pas de Jésus-Christ, de l'évéque et des 
préceptes des apôtres que l'on se nourrira de l'aliment 
chrétien, et que l'on s'abstiendra de l'herbe étrangère 
(\vÀ est l'hérésie {TralL, vi, 1-vii, 1). Puis, ceux qui 
sont de Dieu et de Jésus-Christ sont avec l'évéque : les 
schismatiques n'hériteront pas An royaume des cieux 
Philad., m, 2, 3). — Et comme l'évéque est le centre 
doctrinal et disciplinaire, il est aussi le centre liturgi- 
que de l'Eglise : « Que cette eucharistie soit tenue 
pour légitime (SEoaîa) qui se fait sous l'évéque ou sous 
celui à qui il l'a accordé. . . Il n'est permis, sans l'évêquCy 
ni de baptiser, ni de faire l'agape [ou l'eucharistie) : ce 
qu'il approuve est ce qui piait à Dieu, afin que tout 
ce qui se fait soit ferme et valide » [Smyrn., \iu, 1, 2). 
L'unité de chaque Eglise particulière est garantie 
par le groupement des fidèles autour de leurs pasteurs 
et surtout de l'évéque. Et l'unité de l'Église univer< 
selle, sera-t-elle garantie simplement par les rela< 
tiens de charité commune qui régnent entre les chré- 
tientés locales ? Y a-t-il entre les Églises une Église 
supérieure qui soit le centre de leur unité, et qui ait 
autorité pour maintenir l'unité de la foi et de la dis- 
cipline? Pierre a été par Notre-Seigneur établi le fon- 
dement et le porte-clefs de l'Eglise : l'Église de Rome 



LE DOGME DANS LES PÈRES APOSTOLIQUES. 141 

qu'il a fondée et où Clément et Ignace savent qu'il a 
prêché et qu'il est mort^, a-t-elle hérité de sa préé- 
minence, et trouvons-nous dans nos auteurs quelque 
indice qu'ils ont reconnu ce fait? 

On peut dire que l'épître de saint Clément est à elle 
seule une preuve qu'à Rome on en avait conscience. 
Des troubles ont éclaté dans l'Église de Corinthe, où 
un parti de jeunes a dépossédé de leur ministère les 
presbytres qui la gouvernaient. Ces presbytres ont-ils 
recouru à Rome pour se faire rendre justice? Nous 
l'ignorons. Ce serait le premier et un bien remarquable 
exemple d'appel à Rome. En tout cas, l'Église de Rome 
a appris le conflit et, par son évéque, elle intervient, il 
presse, il supplie les délinquants de se repentir; mais 
il commande aussi et requiert l'obéissance à ce qu'il a 
écrit dans le Saint-Esprit (lix, 1; lxiii, 2, 3). « Soit 
que l'on considère en lui-même cet acte spontané de 
l'Eglise romaine, écrit M*''" Duchesne, soit que l'on pèse 
les termes de la lettre, on ne peut échapper à cette 
impression que, dès la fin du premier siècle de notre 
ère, une cinquantaine d'années après sa fondation, 
cette église se sentait déjà en possession de l'autorité 
supérieure, exceptionnelle, qu'elle ne cessera de reven- 
diquer plus tard. L'apôtre Jean vivait encore à Ephèse 
au temps où Clément écrivait. On ne voit pas trace 
d'intervention, ni de lui, ni de son entourage. Et pour- 
tant les communications étaient plus faciles entre 
Éphèse et Corinthe qu'entre Corinthe et Rome. Mais 
quel accueil les Corinthiens firent-ils aux exhortations 
et aux envoyés de l'Église romaine? Un accueil si par- 
fait, que la lettre de Clément passa chez eux presque 
au rang des écritures sacrées. Soixante-dix ans plus 
tard, on la lisait encore, le dimanche, dans l'assena* 

i. I Clem., cf. V, 3, 4 avec VI, 1 ; S. Igh., Rom.^ Vf, S» 



142 LA THEOLOGIE ARTÉNIGÊENNE. 

blée des fidèles. Rome avait commandé : on Itii avait 
obéi'. » 

Vingt ans environ après cette lettre, saint Ignace, 
lui aussi, paraît bien attribuer à FÉglise de Rome une 
autorité à part. Dans lïnscription de son épître aux 
Romains, non seulement il multiplie, en fiaveur de leur 
Église, les termes laudatife^ mais il la désigne comme 
présidant dans le lieu du pays des Romains (viTt; xat 
7rpoxà9r,Tat Iv xâizoi -/^triptou 'Poafxotioiv), comme dignement 
ebaste et présidente de la charité [â^iôoL'fvoç xorl 7rpoxa6ï]- 
ut-évr} TTfi ayccTTTiç). 

Quelle est la portée de ces expressions? — Obser- 
vons que, dans; le premier texte, les mots Iv to'ttw xtX. 
n'indiquent pas les limites de la présidence de l'Eglise 
romaine, mais le lieu où elle est établie et s'exerce : 
itpoxaÔT^Tat est au mode absolu : il n'est question à cette 
époque ni de patriarcat romain ni d'Eglises sufFra- 
gantes : l'Eglise de Rome préside, et le siège de cette 
présidence, c'est la. ville de Rome, è* "zôittù yjfip'wyj 'Pw- 
{iaiwv. D'autre part, l'expression àyiicri du second pas- 
sage pourrait fort bien désigner la Iratemité chrétienne 
en général, les chrétiens eux-mêmes. Qïiatre fois au 
moins dans saint Igna<3e le mot est pris dans ce sens 
concret ( Tr-alL, xrii, 1 ; Rom. y ix, 3 ; Philad.j xr, 2 ; 
Smyi^n., xii, 1), et il est bien probable qu'il l'est aussi 
dans Rom. y ix, i. Nous aurions donc ici un témoignage 
en faveur de la primauté romaine, mais sans qu'I- 
gnace explique d'ailleurs quelle en est la nature ni à 
quoi il la rattache 2. 



*. Eglises séparées, Paris, i896, p. 12&, 127. 

SL <c si le martyr s'était adressé à l'évéque de Rome, ces présidences 
pourraient être interprétées comme locales : dans son église, c'est tou- 
jonrs révéque qni présidé. Mais ici il ne s'agit pas de l'évêque, il s'agit 
de l'église. A quoi préside l'Église romaine ? A d'autres églises dans une 
circonscription déterminée? Mais Ignace n'a pas l'idée d'une limitation 
de ce genre. D'ailleurB^ y a^vait-iV alors en Kalie des communautés chré- 



LE DOGME DA1>ÎS LES PERES APOSTOLIQUES. l'iî 



S 4. — Les rites et le culte chrétiens. 

Le rite de rinitiation chrétienne par lequel on deve- 
nait membre de l'Eglise était le baptême régulière- 
ment suivi de la collation du Saint-Esprit et de l'eu- 
charistie. La tour mystique montrée à Herraas, et qui 
représente rÉglîse, est édifiée sur les eaux ; et à la 
question du voyant qui demande l'explication de ce 
fait, l'Église elle-même répond que c'est par l'eau que 
la vie des croyants est sauvée et sera sauvée ^ Hermas 
regarde le baptême comme tellement nécessaire pour 
entrer dans le royaume de Dieu qu'il a fallu, dit-il, que 
les apôtres elles docteurs, prédicateurs de l'Evangile, 
descendissent aux enfers pour instruire et baptiser les 
justes de l'ancienne Loi déjà morts 2. La Didachè est 
extrêmement précise sur le rite de son administration, 
et le mieux est de transcrire ce qu'elle en dit : 

VIL Pour le baptême, donnez-le de Ja manière suivante: 
après avoir enseigné tout -ce qui précède, « baptisez au nom 
du Père et du fils et du Saint-Esprit >^ dans l'eau courante, 
[2] S'il n'y a pas d'eau vive, qu'on baptise dans une aufre 
eau, et à défaut d'eau froide, dans de l'eau chaude. [3] Si 
tu n'as (assez) ni de l'une ni de l'autre, verse trois fois de 
l'eau sur la tête < au nom^u Père et du Fils et du Saint- 
Esprit ». [4] Que le baptisant, le baptisé et d'autres per- 
sonnes qui le pourraient, jeûnent avant le baptême; du 



tiennes distinctes, dans leur organisation, de la communauté romaine.. 
Le sens le plus naturel de ce langage, c'est que l'Église romaine pré- 
side à l'ensemble des églises. Comme l'éVéque préside dans son église 
aux œuvres de cliarité, ainsi l'Église romaine préside à ces mêmes œu- 
vres dans la chrétienté tout entière » (L. Ducheske, op. cit., p. 127, 128), 

A. Vis. m, 3, 5, 6; cf. Simil. ix, 16, 1, 2. 

2. Simil. is, 16, 0-7. Sans parler du martyre, Hermas insinue peut-être 
aussi l'efficacité du baptême de désir. Vis. m, 7, 5,6; cf. Stmî7, vn,6, 6; 
8, 3 ; d'Alès, op. cit., p. 63, 6ï, note. 



144 LA THÉOLOGIE ANTÉSICÉEJNNE. 

moins au baptisé ordonne qu'il jeune un jour ou deux au- 
paravant'. 

Ainsi conféré le baptême est un sceau , ou plutôt le 
sceau par excellence, -^ scpcayt? oOv to SSo^p iaûw, le sceau 
du Fils de Dieu qu'il imprime sur le baptisé, sceau 
qu'il faut conserver net et intact, que le péché brise et 
détruit, mais que la pénitence peut réparer-. Son effet 
propre est l'àpEcriç twv âaapTiwv : c'est de nous faire 
mourir à notre vie antérieure pour nous faire vivre à 
une vie nouvelle : le baptisé descend mort dans l'eau 
et en sort vivant'^. « Nous descendons dans l'eau rem- 
plis de péchés et de souillures, dit le Pseudo-Barnabe, 
et nous en sortons portant des fruits, possédant dans 
le cœur la crainte, et, dans l'esprit, l'espérance en 
Jésus » (xi, 11 ; cf. 1, 8). Et voulant donner un peu plus 
loin (xYi, 8, 9) une idée de cette vie nouvelle à laquelle 
le baptême nous engendre, il écrit : 

« Par la rémission des péchés que nous recevons et l'es- 
poir dans le nom [du Seigneur] nous devenons nouveaux, 
derechef intégralement créés. C'est pourquoi Dieu habite 
vraiment en nous, daos notre habitacle. Comment? Sa pa- 
role de foi, sa vocation, sa promesse, la sagesse des com- 
mandements, les préceptes de la doctrine, lui-même pro- 
pliétisant en nous, lui-même demeurant en nous, nous 
ouvrant à nous, qui sommes livrés à la mort, la porte du 
temple, c'est-à-dire la bouche, nous donne la pénitence et 
nous introduit dans le temple incorruptible. » 

1. On remarquera que la Didachè, qui note ici explicitement que le 
b?;!tûnie est administre au nom des trois personnes divines, parle ce- 
pendant de ceux qui sont baptisés eîç ôvo[ia xupîou (ix, 5) : preuve qu'elle 
ne voit pas dans ces derniers mots la formule propre du rite- Hermas 
dit de même eU tô ôvofta toû xuptou {Vis. m, 7, 3). 

2. Heiîmas, Simil. vni, e, 3; ix, IC, 3, 4; Secunda Clem,, vi, 9; vu, 6; 
Yi;i, 6. Sur le nom de czsixyk donné au baptême, voir F. J. DŒLCEn, 
Shpragis, Paderborn, 19U, H Abschnitt. 

3. Ps.-Baknabé, XI, 1; xvi, 8; Hermas, Simil. ix, 16, 2-7; Mand., iv, 3, 
î-3; 4, 4. 



LE DOGME DANS LES PÈRES APOSTOLIQUES. 145 

On a vu plus haut^ que saint Clément çarle des 
offrandes présentées par les préposés de l'Eglise au 
nom du peuple chrétien (xliv, 4). Ailleurs, il fait ma- 
nifestement allusion à la synaxe qui réunissait les 
fidèles pour le service liturgique, £7r\ to aôxb auva^^OévTsç 
(xxxiv, 7). Voici que la Didachè va nous décrire cette 
synaxe : 

XIV. Réunissez-vous le jour dominical du Seigneur, rom- 
pez le pain et rendez grâces, après avoir d'abord confessé 
vos péchés, afin que votre sacrifice soit pur. [2] Celui qui a 
un différend avec son compagnon ne doit pas se joindre à 
vous avant de s'être réconcilié, de peur de profaner votre 
sacrifice, [3] car voici ce qu'a dit le Seigneur : « Qu'en tout, 
lieu et en tout temps, on m'offre un sacrifice pur; car je 
suis un grand roi, dit le Seigneur, et mon nom est admi- 
rable parmi les nations ». XV. Ainsi donc, élisez- vous des 
évêques et des diacres dignes du Seigneur, des hommes 
doux, désintéressés, véridiques et éprouvés; car ils rem- 
plissent eux aussi, près de vous, le ministère des prophètes 
et des docteurs. 

La réunion a lieu le dimanche. On y rompt le pain ^ 
c'est-à-dire on y célèbre l'eucharistie et on y com- 
munie : car c'est le sens consacré de cette expression 
dans les plus anciens documents chrétiens ^. Et cette 
cérémonie est regardée comme un sacrifice, ôuji'a : le 
rappel du texte de saint Matthieu, v, 23, 24 ; xv, 11-20, 
et de celui de Malachie (i, 11, 14), classique en cette 
matière, ne laisse aucun doute sur ce point. Voilà 
pourquoi il faut être pur et s'être réconcilié avec ses 
ennemis pour prendre part à ce sacrifice. Mais d'ail - 

1. Sur cette question de l'eucharistie voir spécialement P. Batiffol, 
L'Eucharistie, la présence réelle et la transsubstantiation, 5« édit., Pa- 
ris, 1913. 

2. I Corinth., x, 16; Aot.,ii, 42, 46; xx, 7; S. ICN., Ephes., xx, 3. Voir 
ce geste représenté dan» la peinture de la Capella greca contempo- 
raine de nos documents (J. Wilpebt, Fractio pania, Paris, 1896, plan- 
clie XJU-XIY). 

LA THÉOLOGIE ANTÉmCÉENNB. — T. I. 9 



MC LA THÉOLOGIE ANTÉNICÉENNE. 

leurs cette liturgie du sacrifice n'est pas confiée à tous 
indistinctement : elle est réservée aux épiscopes et 
aux diacres : « Ainsi donc, élisez-vous, etc. ». 

Dans ce passage, la Didachè n'a rien dit des prières 
qui accompagnaient le sacrifice. Elle en avait donné 
quelque chose aux chapitres ix et x. Certains auteurs 
ont été surpris de n'y pas voir rappeler les paroles de 
l'institution de l'eucharistie, et ont conclu que les 
prières rapportées dans ces deux chapitres ou du 
moins dans le chapitre ix étaient seulement des priè- 
res d'action de grâces (eù/apia-i'a) pour l'agape, et 
analogues à celles qui étaient prononcées dans les 
» repas semi-liturgiques des Juifs'. Mais le caractère 
proprement eucharistique de ces prières ne paraîl 
pas douteux; et c'est bien de cette façon que les a 
entendues la tradition subséquente. Seulement, ce ne 
sont point les prières de la consécration : ce sont, au 
chapitre ix, des prières qui devaient la précéder ou 
la suivre, et, au chapitre x, des prières qui suivaient 
la communion (lASTà Se to l[ji.TrXyiaGr)vai). Remarquons 
qu'au chapitre ix, 3, 4, il est question du pain rompu 
(to xXaafjia ) : nous connaissons le sens de cette expres- 
sion. Le pain et le vin sur lesquels l'eucharistie a été 
faite, le pain et le vin eucharisties prennent déjà le nom 
Ôl eucharistie au verset 5 ; et de cette eucharistie il est 
spécifié que les baptisés seuls doivent en manger et en 
boire, car c'est à ce sujet que le Seigneur a dit : « Ne 
donnez pas ce qui est saint aux chiens ». L'eucharistie 
est donc la nourriture réservée aux chrétiens,un ali- 
ment saint. Le texte du chapitre x ajoute encore à ces 
indications, car il oppose à la nourriture et à la boisson 
communes octroyées à tous les hommes l'aliment et le 
breuvage spirituels (uvsoiJiatixriv TpaçT-jv xai tcotov, 3) don- 

1. Voir ici l'introduction de Hemmer à son édition de la Doctrine 
des apôtres, Les Pères apostoliques, I, Paris, 1907, p. xliv et suiv. 



LE DOGME DANS LES PERES APOSTOLIQUES. 147 

nés aux chrétiens par Jésus-Christ, aliment et breu- 
vage que les saints peuvent seuls recevoir : « Si quel- 
qu'un est saint, qu'il vienne! Si quelqu'un ne l'est pas, 
qu'il fasse pénitence! » (6). On ne saurait expliquer 
de l'agape de pareilles expressions. 

Ce qu'est exactement cette eucharistie, saint Ignace 
va nous le dire en termes explicites. Si familière était 
à l'évêque d'Antioche la pensée de l'eucharistie que 
souvent il emprunte à ce mystère ses images et ses 
façons de parler, sans l'avoir d'ailleurs directement en 
vue. C'est le cas peut être du passage de l'épître aux 
Romains, vu, 3, et plus encore de celui de l'épître 
aux Tralliens, viii, 1^. Mais ailleurs il l'aborde direc- 
tement. Mettant en garde les Éphésiens contre les 
docètesj il écrit : 

« Ils s'abstiennent de l'eucharistie et de la prière, parce 
qu'ils ne confessent pas que l'eucharistie est la chair de 
notre Sauveur Jésus-Christ, la chair qui a souffert pour 
nos péchés, la chair que le Père dans sa bonté a ressuscitée. 
Eux donc qui contredisent le don de Dieu meurent dans 
leurs discussions. Il aurait mieux valu pour eux aimer pour 
aussi ressusciter 2. » 

La pensée est claire. Les docètes, qui niaient la réa- 
lité de l'humanité de Jésus-Christ, ne pouvaient en 
effet croire que l'eucharistie fût réellement son corps- 
Or c'est précisément cette réalité, cette équation du 
corps de Jésus-Christ et de l'eucharistie que saint 
Ignace affirme contre eux ^. En niant le don de Dieu, 

i. Rom., viii 3 : « Je n'ai nul goût pour un aliment de corruption, 
ni pour les plaisirs de cette vie. Je veux le pain de Dieu, ce qui est la 
chair de Jésus-Christ, né de la semence de David, et pour breuvage je 
Veux son sang, ce qui est un incorruptible amour •• Trall., vui, !.. 
« Créez-vous à nouveau vous-mêmes dans la foi, ce qui est la chair du 
Seigneur, et dans l'amour, ce qui est le sang de Jésus-Christ ». 

2. Ephes., vu, 1.5 

3. Remarquons seulement que le mot eOj^apiffTta désigne encore ic' 



148 LA THEOLOGIE A.MENICÊENNE. 

les docètes trouvaient la mort; de plus, en s'éloignant 
de la synaxe commune et en tenant des conventiculei 
schismstiques, ils s'attaquaient à l'unité de l'Eglise. 
Au contraire, Ignace montre dans l'eucharistie, pour 
chaque fidèle, le principe de l'immortalité et, pour 
l'Église, le principe de l'unité et de la concorde. 

« Appliquez-vous à avoir une [seule] eucharistie, car \:ne 
est la chair de Notre-Seigneur Jésus-Christ, et un le calice 
pour l'unité de son sang, un l'autel, comme un l'évêque avec 
le presbyterium et les diacres '. » — « Puisse Dieu me ré- 
véler que tous et chacun ensemble par la grâce pour le 
nom [chrétien] vous vous assemblez en une foi en Jésus- 
Christ, qui selon la chair est de la race de David, fils de 
l'homme et fils de Dieu, et que vous obéissez à l'évêque 
et au presbyterium d'un cœur intrépide, rompant un pain 
unique, qui est remède d'immortalité, antidote contre la 
mort, pour la vie en Jésus-Christ à jamais^. » 

Ici nous trouvons encore le pain rompu (eva àpTov 
xXwvTEç), mais le pain et le calice sont mis en rapport 
avec l'autel et avec l'évêque, le presbyterium et les 
diacres. Ignace vise la liturgie du sacrifice dont l'au- 
tel est le centre et l'évêque le ministre principal. Il y 
revient plus clairement s'il se peut dans la lettre aux 
Smyrniotes, viii, 1, 2 : 

« Que personne sans l'évêque ne fasse rien de ce qui se 
rapporte à l'église. L'eucharistie doit être seule estimée 
valide (peâaîa), qui est [faite] sous [la présidence dej l'évê- 
que ou par celui qu'il en a chargé. Que là où se montre 
l'évêque, là soit le peuple, comme là où est le Christ Jésus, 



les éléments consacrés; et qu'en présentant, ainsi qu'il le fait, l'eucha- 
ristie comme cette chair t qui a souffert et que le Père, dans sa bonté, 
a ressuscitée », l'évêque d'Antioche enseigne très nettement l'identité 
du corps eucharistique et du corps historique du Christ. 

1. Philad., lY. 

2. Ephes., XX, 3. 



LE DOGME DANS LES PERES APOSTOLIQUES. 149 

là est l'Église catholique. Défense, sans l'évêque, soit de 
baptiser, soit de faire agape \ » 

Nous résumerons donc ainsi les données des Pères 
apostoliques sur l'eucharislie. L'eucharistie est un ali- 
ment saint, spirituel qui ne se donne qu'aux chrétiens, 
aux purs. Elle est le corps et le sang' historique de 
Jésus-Christ, principe d'immortalité pour ceux qui 
la reçoivent; symbole et principe d'unité pour l'Église 
entière. Et elle n'est pas seulement un aliment : la 
liturgie eucharistique constitue un sacrifice dont l'évê- 
que, les prêtres et les diacres sont les ministres, et qui 
ne doit être offert que sous la présidence et le con- 
trôle de l'évêque. 

Nos documents, en dehors d'Hermas, n'ont pas 
traité ex professa le sujet de la pénitence. Il s'y 
trouve cependant quelques indications utiles à relever. 

On a remarqué que la Didachè mentionne par deux 
fois une confession des péchés (£^oaoXoYr,o7j) dont elle ne 
précise pas la forme, mais qui avait un certain ca- 
ractère officiel, car elle se faisait dans l'église, Iv lYy.\rr 
fft'a (iv, 14 ; XIV, 1). L'épître de Barnabe (xix, 12) réi- 
tère cette même recommandation de confesser ses 
péchés, d'après les Deux 9oies. A son tour, saint Clé- 
ment considère la confession de ses péchés (l'exo- 
mologèse) comme une partie de la pénitence (li, 3 ; cf. 
LU, 1), et la Secunda démentis exhorte les fidèles à 
ne pas différer leur pénitence après la mort, à un temps 
« où nous ne pouvons confesser [nos péchés] ou en 
faire pénitence « (l$ofjioXoYi^<iaffôai r) [/sTaToelv, viii, 3). La 
pénitence, d'après ces auteurs, inclut donc un certain 
aveu des fautes commises. 

1. 'Ay«i1^ jtoteTv. Il ne s'agit pas de l'agape, mais de l'eucliarislie. 
Plus haut, le mot §e6aia doit se prendre au sens moral, valide = légi- 
time. 



150 LA THÉOLOGIE ANTÉNÎCÉENNE. 

Quant à la pénitence elle-même, il est manifeste 
qu'en ces temps reculés, on la considère comme offerte 
à tous les hommes, païens ou chrétiens, et comme ca- 
pable, si elle est sincère, de leur obtenir le pardon 
de Dieu et de l'Église. Dieu désire que tous ses bien- 
aimés (les chrétiens) fassent pénitence''. Il faut prier 
pour tous les hommes : pour tous il y a IXtcU ixeTavoîaç^. 
Ignace met en garde les Philadelphiens contre les héré- 
tiques et les schismatiques ; néanmoins si ceux-ci font 
pénitence et reviennent à l'unité de l'Eglise et à la 
communion de l'évéque, Dieu leur pardonnera et les 
recevra comme siens (m, 2; viii, 1). Valons était un 
prêtre déchu, venu avec sa femme peut-être à l'idolâ- 
trie par l'avarice : saint Polycarpe toutefois leur 
souhaite une vraie pénitence et engage les Philip- 
piens âi les considérer comme des membres malades 
et errants qu'il faut tâcher de ramener et de guérir 
(xi, 1, 2, 4)3. 11 exhorte les presbytres à se montrer, 
dans leur ministère, bons, miséricordieux ^ lents à 
croire le mal, indulgents envers les pécheurs, car 
tous, hélas! nous sommes débiteurs envers la jus- 
tice de Dieu (vi, 1). Nous voilà bien loin des rigueurs 
du montanisme et de Novatien. 

A côté de ces indications sommaires cependant, 
nous avons dans le Pasteur d'Hermas un livre qui a 
directement pour objet la pénitence, et dont le but est 
de signaler, avec les défaillances qui se produisaient 
alors dans l'Église, le remède qui doit les guérir. Les 
idées de l'auteur ne sont pas toujours facOes à dégager 
de la forme apocalyptique sous laquelle il les pré- 
sente, et il faut renoncer à trouver chez lui un système 

1. 1 Clem., viii, 5; ui, 1. 

2. S. IGN., Eph., X, 1. 

3. Sicutpassibilia membra et errantia eos revacat&ut omnium ve- 
ttrum corpus salvelis (le grec manque ; Zahn a traduit par àvaicoàeccrôe) : 
la réconciliation se fera bien avec l'Église comme avec Dieu. 



LE DOGME DANS LES PÈRES APOSTOLIQUES. 151 

lié et suivi d'assertions dogmatiques sur le sujet qu'il 
traite, li a trop négligé surtout de dire quelle part re- 
venait à l'Eglise dans l'administration de la pénitence. 
Malgré ces lacunes, son témoignage doit être analysé 
avec soin. 

C'est de la pénitence qui se fait avant le baptême 
qu'il s'agit exclusivement ou du moins principalement 
dans la Vision m. 2-7. La tour mystique, qui est l'E- 
glise, se construit, et il n'y peut entrer que des pierres 
appropriées, c'est-à-dire des catéchumènes bien dis- 
posés., ayant renoncé à leurs vices antérieurs. 

■Il n'en est pas de même au Mandatum iv, 1, 8r, 
3, et aux Similitudes viii et ix, 3-9; 13; 14; 18 et sui- 
vants. Dans cette dernière parabole, nous voyons des 
pierres qui avaient d'abord été reçues dans la tour et 
qui sn sont rejetées [Simil. ix, 3, 5). Comme la suite 
l'expose, ces pierres sont le symbole des chrétiens 
prévaricateurs. Quelles étaient leurs fautes? 

Hermas donne par deux fois le tableau suivi des 
désordres qu'il veut flétrir : une première fois dans la 
Similitude vin, 6-10, une seconde fois dans la Simili- 
tude IX, 19-31, Au moment où il rédige son livre, 
la persécution a déjà sévi, et, à côté des martyrs qui 
ont vaillamment confessé leur foi, on trouve des apos- 
tats qui non seulement l'ont reniée, mais ont blasphémé 
et se sont faits les délateurs de leurs frères. D'autres 
ont apostasie simplement par intérêt, par trop d'at- 
tache à leurs biens temporels. Puis ce sont des doc- 
teurs de mensonge, des hypocrites qui enseignent 
l'erreur; des riches et des puissants qui, sans renon- 
cer à leurs croyances, mènent, au milieu des païens, 
une vie toute païenne ; des fidèles détracteurs, brouil- 
lons, formant des coteries; des ambitieux pleins d'eux- 
mêmes, téméraires; des pécheurs qui subissent l'en- 
traînement des pa.ssions; bref, toute une série de 



152 LA THÉOLOGIE ANTENICEENNE. 

défaillances, et qui ne se rencontraient pas seulement 
dans les simples chrétiens, mais aussi dans les mem- 
bres dirigeants de la communauté [Simil. ix, 26, 2 ; 
Vis. II, 2, 6). Tous ces maux s'expliquent, d'après 
Hermas, parla St^l/u^i'a, l'hésitation, le partage de l'âme 
entre deux croyances ou deux lignes de conduite ; car 
l'auteur ne donne pas toujours à ce mot, qui revient 
souvent sous sa plume, exactement la même signifi- 
cation : mais la Sn}/u/ia implique toujours, en défini- 
tive, une absence de convictions fortes. 

On trouve donc des pécheurs dans l'Eglise, on y 
trouve même des apostats. Peuvent-ils faire péni- 
tence, et existe-t-il pour eux un pardon ? Hermas a ouï 
dire par certains didascales qu'il n'y en a pas, et que 
l'unique pénitence accordée au chrétien est celle qu'il 
fait au baptême, quand il reçoit la rémission de ses 
péchés passés [Mandat, iv, 3, 1) : c'est l'erreur que 
soutiendront plus tard quelques montanistes et qui 
comptait peut-être déjà des partisans (irapa tivwv SiSa- 
erjcaXoDv). Au contraire, d'autres faux docteurs aux idées 
relâchées, et qu'Hermas accuse d'importer des doc- 
trines étrangères, persuadaient aux pécheurs qu'ils 
n'avaient pas besoin de pénitence [Simil. viii, 6, 5). 
Hermas repousse ces opinions extrêmes. D'une part, 
il déclare la pénitence nécessaire : elle seule peut 
sauver le pécheur [Simil. viii, 8, 4, 5; 9, 4; 11, 3); 
d'autre part, il la déclare possible et efficace [Si- 
mil. vm, 6, 3 ; 11, 3). Voyons de plus près dans quelles 
conditions. 

D'abord, Hermas accorde la pénitence, c'est-à-dire 
la possibilité du pardon à toutes les catégories dé pé- 
cheurs, pourvu qu'ils se convertissent sincèrement. On 
pourrait croire qu'il fait une exception pour les apos- 
tats blasphémateurs et délateurs de leurs frères : il 
les déclare une race scélérate et qui a péri à Dieu 



LE DOGME DANS LES PÈRES APOSTOLIQUES. 16S 

pour toujours (eîç téXoç, Simil. viii, 6, 4; ix, 19, 1; cf. 
Simil. VI, 2, 3, 4). Cependant, il y a là probablement 
l'expression d'une expérience faite plutôt que l'énoncé 
d'un principe. Les verges qui représentent les apostats 
blasphémateurs ont été, comme les autres, plantées 
et arrosées par le Pasteur, et, comme les autres, celui 
qui les a faites voulait qu'elles reverdissent [Simil. 
VIII, 2, 8, 9). 11 n'a donc tenu qu'à leur endurcissement 
que ces malheureux soient restés dans la mort. Les 
renégats jusqu'à l'idolâtrie, eux, peuvent obtenir leur 
pardon [Simil. ix, 21, 3, 4); et de fait les enfants 
d'Hermas, qui avaient blasphémé le Seigneur, trahi 
leurs parents et qui s'étaient souillés d'impudicités, 
ont obtenu le leur [Vis. ii, 2, 2-4). 11 est expressément 
recommandé au conjoint dont le mari ou la femme est 
tombé dans l'adultère de ne pas se remarier afin de 
laisser au coupable la possibilité du retour, puisque 
« en ces matières la pénitence est possible » (Juvatai 
yàp £v Toïç TOiouTotç [xeTavoia sTvai, Mand. IV, 1, 4-11). 

Le second point qui est clair encore dans l'ensei- 
gnement d'Hermas, c'est que la pénitence n'est accor- 
dée qu'une seule fois après le baptême à chaque pé- 
cheur [Mand. iv, 3, 4-6). On sait que telle a été la dis- 
cipline de l'Eglise dans les premiers siècles, et nous 
en trouvons ici la première attestation. Mais il s'agit 
évidemment de la pénitence officielle et publique admi- 
nistrée par l'Eglise. Hermas écrit sans doute qu'au 
pécheur qui ne se repent que pour retomber encore 
et recommencer à se repentir, la pénitence ne sert de 
rien [ibld., 6) : toutefois, en ajoutant qu'«un tel homme 
arrivera difficilement à la vie (SuffxôXwç yàp Çi^ae-rai), 
il marque qu'il ne faut pas absolument désespérer du 
pardon divin ^ . La miséricorde de Dieu ne repousse ja- 

1. Sur le sens da mot Su(txô>.(oç chez Hermas, voir d'Alès, op. cil., 
p. 80 et suiv. 



154 LA THÉOLOGIE ÀNTÉStÉTÉÊN^E, 

mais — Hermas le répète souvent — le cœur vraiment 
contrit. 

Bien que notre auteur ne le dise pas expressément, 
il est donc certain que la péiîitence dont il parle n'est 
pas simplement affaire entre le pécheur et I>ieu, 
qu'elle offre le caractère d'une discipline ecclésiastique. 
L^Église est partout présente dans son livre j les péni- 
tents sontde nouveaureçus dans l'Église aprèsen avoir 
été expulsés: et c'est à l'Église organisée, aux chefs 
mêmes de celte Église qu'Hermas doit communiquer ses 
révélations ( Vis. ii, 2, 6 ; 4, 2, 3 ; m, 8, 9-il ; 9, 7-10). 

On s'est demandé seulement si la pénitence prêchée 
parHermas, celte pénitence accordée une fois à chaqne 
pécheur, avait dans sa pensée le caractère d'une insti- 
tution lixe, permanente dans l'Église, ou bien si elle 
n'était qu'une faveur exceptionnelle, une sorte de ju- 
bilé octroyé seulement pour les fautes commises jus- 
qu'au moment où il écrit, et sur lequel les chrétiens 
qui faîlirraient dans la suite ne devaient point comp- 
ter. Alors, en effet, qu'Hermas au i/a/z^. iv, 3, 6, pose 
en principe que le chrétien baptisé qui tombe dans le 
péché peut faire pénitence une fois ([/.s-à t>,v xX^<tiv 
Ixsfvviv T7]V (^.eyaXriv xal (je[JLVr,v lav tiç... aj^apT/'cv], p.to:v [Ks-zd- 
votav e/ei), il proteste quelques lignes plus haut (3-4) 
que « ceux qui viennent maintenant d'embrasser la 
foi, de même que ceux qui l'embrasseront dans la 
suite, ne seront point admis à faire pénitence de leurs 
péchés : ils n'auront que le pardon des péchés anté- 
rieurs [à leur baptême]. Mais pour ceux qui ont été 
appelés avant ces derniers temps, le Seigneur a ins- 
titué une pénitence », Et des déclarations toutes sem- 
blables, plus énergiques dans leur forme, se retrou- 
vent Vis. II, 2, 4, 5, 8, et Simil. ix, 26, 6^ 

1. « Au sujet de ses élus, le Maître l'a juré pai- sa gloire : si, passé 



LE DOGME DANS LES PERES APOSTOLIQUES. 155 

Sur l'interprétation de ces texies, les critiques se 
sont divisés. Les uns ont pensé qu'Hermas, soit pour 
ne pas heurter de front un rigorisme puissant à son 
époque, soit parce qu'il croyait imminente la fin du 
monde, soit même pour quelque opportunité dont la 
nature nous écliappe, a en effet limité la possibilité de 
la pénitence aux seuls chrétiens qui avaient prévariqué 
avant l'accomplissement de sa mission. Le principe 
qu'il pose au M and. iv, 3, 6, doit s'entendre avec les 
restrictions qu'il a formulées lui-même dans les phra- 
ses précédentes et ailleurs. — D'autres critiques pen- 
sent au coiiti'aire qu'il ne faut pas prendre ces restric- 
tiojis à la lettre, et qu'on doit maintenir au principe 
émis sa force absolue. Hermas croit vraiment et veut dire 
que tout chrétien de n'importe quelle époque, pécheur 
après son baptême, peut et pourra faire pénitence une 
fois. Seulement, comme il craint que les futurs chré- 
tiens n'abusent de cette déclaration, il l'obscurcit en 
usant 4'un langage économique, et proteste qu'ils ne 
doivent pas compter sur cette faveur. 11 approuve 
même ce que disent certains didascales, qu'il n'existe 
pas d'autre pénitence que celle qui précède le bap- 
tême {Mand. iv, 3, 1, 2). Ces restrictions n'ont rien 
de dogmatique ni de doctrinal : il n'y faut voir que des 
artifices de langage plus ou moins heureux, imaginés 
par un apôtre qui veut écarter des chrétiens la tenta- 
tion même du mal, et qui ne craint pas, pour y par- 
venir, d'outrer ses expressions. 



ce jour, ils pèchent encore, il n'y a plus pour eux de salut; pour les 
justes, en être t, la pénitence a une limite; pour tous les saints, les 
jours de la pénitence touchent à leur terme; quant aux Gentils, ils 
ont jusqu'au dernier jour pour làirc pénitence » {,Vis. n, 2, S,). — <. ce 
que je dis là ne s'applique pas aux jours à venir.; qu'on n'aille donc 
plus renier le Seigneur et recourir à la pénitence! Car il n'y a plus 
de salut pom- quiconque désoTmais xenira-a ^son Maître » i..Simit. rx^ 
26, 6). 



156 LA THEOLOGIE AKTENICEENSB. " 

De ces deux opinions on ne saurait nier que la pre- 
mière est mieux en harmonie avec les textes et plus 
respectueuse du caractère d'Hermas. Mais du reste, 
entre les deux, le choix importe assez peu au point de 
vue qui nous occupe, puisque, en définitive, nous 
sommes assurés que les restrictions apportées par 
Ilermas, si elles sont réelles, n'ont aucune attache 
dans la tradition et n'ont pas été motivées par des con- 
sidérations doctrinales ^ On peut même ajouter que 
ces restrictions, il les a faites à regret, car toute son 
œuvre est pénétrée du sentiment de l'indulgence di- 
vine'^, et il lui arrive à lui-même de ne pas prendre à 
la rigueur les règles qu'il avait déjà posées^. Bon in- 
dice qu'il faut regarder dans le Pasteur l'esprit plus 
que la lettre, et ne pas interpréter trop étroitement les 
passages contraires en apparence à la coutume de l'É- 
glise. 

Et maintenant comment doit se faire, en pratique, la 
pénitence? — J'ai déjà dit qu'Hermas, malheureuse- 
ment, ne parle pas distinctement des exercices rituels 
qu'elle comportait : il parle surtout des dispositions 
qu'elle suppose et des effets qu'elle produit en 
l'homme. La pénitence commence par le repentir, par 
un changement des sentiments intimes : elle est une 
{AETavota [Simil. VII, 4), et ce repentir s'accompagne na- 
turellement d'un aveu des péchés commis, l^ojjLoXoyïiffiç. 

I. Il semble qu'Hermas soit particulièrement indigné de la làclieté 
avec laquelle certains chrétiens ont aposlasié dans la précédente per- 
sécution. Il veut bien que l'on pardonne à ces chrétiens pusillanimes, 
mais son esprit se révolte contre la pensée d'amnistier de nouvelles 
déraillances. Voir surtout les deux passages indiqués, Vis. ii, 2, 2, 4, 
S, 8; Simil. rx, 26, 6; et aussi le sarcasme de Vis. n, 3, 4. 

a. Voir Mandat, iv, 3, 4, o ; ix, 3. 

3. C'est le cas de Simil. ix, 4, 2. L'auteur avait fixé comme terme 
ultime pour faire pénitence le moment de sa prédication ou l'appari- 
tion de son livre. Orici, la construction de la tour, c'est-à-dire de l'Église, 
est suspendue, et un délai est accordé aux pécheurs pour faire péni- 
tence. 



LE DOGME DANS LES PÈRES APOSTOLIQUES. 157 

Hermas mentionne assez souvent cette confession des 
péchés et la pratique lui-même ^ Toutefois, elle paraît 
toujours chez lui un acte de dévotion privée, un aveu 
fait à Dieu. Le changement intérieur cependant ne 
suffit pas : il faut que le converti de cœur subisse en- 
core les peines que ses fautes ont méritées, crucifie son 
âme et son corps : « Tu t'imagines donc que les pé- 
chés des pénitents sont remis sur-le-champ? Pas du 
tout. Le pénitent doit soumettre lui-même son âme à 
la souffrance, pratiquer dans toute sa conduite une 
profonde humilité et souffrir toute sorte de tribula- 
tions » [Simil. vu, 4)^. Un tarif même est donné : une 
heure de plaisir défendu se rachète par trente jours 
de pénitenc-e, et un jour (douze heures) par une année 
[Simil. VI, 4). Un ange du châtiment est préposé aux 
coupables, qui est chargé de leur faire expier leurs 
prévarications [Simil. vi, 2, 5; 3, 1-5). A ces condi- 
tions le pécheur reçoit enfin son pardon ou plutôt sa 
guérison {ladiç)^. C'est Dieu qui en est l'auteur pre- 
mier''. Mais le pénitent, qui peut désormais espérer 
de vivre, ne saurait vivre effectivement que moyen- 
nant un changement complet de conduite et une pra- 
tique exacte des commandements : « Que mes pré- 
ceptes soient la règle de votre conduite, et vous vivrez 
pour Dieu » [Simil. vi, 1, 3, 4). 

On a vu ci-dessus qu'Hermas traite du cas d'adultère 

1. Vis. I, i, 3; m, 1, 5; Mand. x, 3, 2; Simil. n, S; ix, 23, 4. 

3. Hermas a consacré à décrire cette expiation les Similitudes vi-et 

3. C'est l'expression technique. Tandis qu'Hermas emploie le mot 
êçsffi; àtiapttwv pour désigner la rémission des péchés faite au bap- 
tême {Mand. iv, 1, 2, 3), il désigne toujours (sauf Mand. iv, U, 4) la ré- 
mission des péchés commis après le baptême par le mot tadtç [Vis. 
I, 1, 9; Mand. iv, 1, H; xii, 6, 2; Simil. v, 7, 3, i; vu, 4; viii, H, 3; ix, 
83, 5; 28, S). 

4. Mand. iv, 1, M ; Simil. v, 7, 3, 4 ; vu, 4. 



158 LA THÉOLOGIE ANTÉlNIGÉENNE. 

dans le mariage. Le mari, dit-il, qui a connaissance 
de l'infidélité de sa femme ne doit plus cohabiter aivec 
elle, sinon il participe à son péché ; mais il ne doit pas 
non plus se remarier, sans quoi il deviendrait adul- 
tère lui-même. Que si la femme revient à résipiscence, 
il doit la recevoir. Et il faut dire la même chose de la 
femme par rapport au mari [Mand. iv, 1, 4-10). 
Hermas n'autorise donc pas le divorce proprement dit 
pour cause d'adultère. Et la raison qu'il en donne, 
c'est que le repentir du coupable est possible et que 
l'autre conjoint ne doit rien faire qui y soit un obstacle : 
« Si l'on vous a défendu à tous, hommes ou femmes, 
de vous remarier, c'est qu'en ces matières la péni- 
tence est possible ». 

L'auteur du Pasteur avait donc conscience de la 
transformation que le droit évangélique avait fait subir 
au mariage. Avant lui, saint Ignace avait déjà posé 
en principe que le mariage des chrétiens est placé 
sous la surveillance de l'Église : « Il convient que les 
époux et les épouses contractent leur union avec l'ap- 
probation de l'évêque (^ETa fvwjxrjç tou iTCiaxoTTou), afin que 
le mariage soit selon le Seigneur et non suivant la 
passion » [Polyc.y v, 2). 

Signalons enfin, en terminant ce paragraphe, les 
chapitres xvii et xviii du Martyriiim Polyearpi^ rela- 
tifs aux reliques de l'évêque de Smyrne. On y voit 
clairement marqués : 1° La différence entre le culte 
rendu à Jésus-Christ (dsSeffQat, TrpoaxuvoîîfAsv) et l'amour 
que l'on porte aux saints et à leurs reliques («yktcwijiev) ; 
— 2° Le soin de recueillir les restes des martyrs et les 
honneurs qu'on leur rend ; — 3° Enfin la célébration 
du dies natalis des confesseurs de la foi, et la joie que 
donne le souvenir de leur triomphe. 



LE DOGME DÀ^S LES PÈRES APOSTOLIQUE?. «9 



S 5- — Morale. Fins dernières 

Le 11^ siècle, ainsi que nous allons le dire bientôt, ne 
connut pas seulement des erreurs dogmatiques : il en 
connut aussi de morales que l'Eglise dut condamner : 
et il ne sera pas inutile de constater comment elles se 
trouvaient par avance contredites par sa tradition. 

On a vu plus haut comment les deux points de vue 
de saint Paul et de saint Jacques attribuant la justifi- 
cation et le salut, l'un principalement à la foi, l'autre 
principalement aux œuvres, loin de s'exclure, se 
complètent mutuellement et s'harmonisent. C'est 
bien ainsi que l'a compris saint Clément qui, tantôt 
avance que nous ne sommes pas justifiés par nos 
œuvres mais par la foi en laquelle Dieu, dès le com- 
mencement, a justifié tous les hommes ("xxxii, 3, 4), 
tantôt, venant à la pratique, insiste au contraire sur la 
nécessité des bonnes oeuvres et des actes vertueux 
(xxxiii, 1; XXXV, 2; cf. xxxi). Saint Polycarpe l'a com- 
pris de la même façon (comp. i, 3 avec u, 2; v, 2). Il 
ne suffît donc pas de croire pour être sauvé : « Celui 
qui accomplira ces [préceptes du Seigneur], écrit le 
Pseudo-Barnaïié, sera glorifié au royaume de Dieu : 
celui qui s'en éloignera périra avec ses œuvres. De là 
la résurrection, de là la rétribution » (dvTaTCoooiJia. xxi, 
1; cf. IV, 12; xix, 11). Les bonnes œuvres sont une 
compensation (àvTifjitcôia) que nous donnons à Jésus- 
Christ pour ce qu'il a fait pour nous^ 

Entre ces bonnes œuvres cependant Hermas dis- 
tingue nettement de celles qui sont obligatoires celles, 
qui sont de simple conseil et « au delà du précepte » 

i. Secunda Cleni., i, 3, o; m, 3, 4; iv, 3; v, 1, 6, etc. 



160 LA THÉOLOGIE ANTENICÉENNE. 

(IxT^ç TY,ç IvToX^ç Tou ôeoû, Simil. V, 3, 2-3). L'observation 
des préceptes s'impose absolument : sans elle impos- 
possible d'avoir la vie ni d'hériter des promesses 
divines ^ . Le mot d'ordre est qu'il faut « garder imma- 
culé le sceau » (tripiiffaTe tV o"f(>(XYiS«)2j c'est-à-dire la 
grâce du baptême. Comment? En fuyant les désordres 
et en pratiquant les vertus indiqués dans le petit caté- 
chisme moral des Deux voies, que l'auteur de la Di- 
dachè a mis en tête de son livre (i-vi)^. On évitera 
donc de souiller sa chair, puisque, en le faisant, c'est 
à l'Eglise, au Christ qu'on s'attaque''. On excitera en 
soi la foi, l'espérance, la charité, éléments de toute la 
justice^, a la foi et l'amour de Jésus-Christ qui sont le 
commencement et la fin de la vie », et dont « toutes les 
autres choses découlent pour la bonne conduite^ ». 
Puis on s'appliquera aux vertus d'humilité, de dou- 
ceur, d'obéissance, de support et de charité mutuelle, 
gardiennes de la paix et de l'union dans les commu- 
nautés chrétiennes"^. On vivra dans la simplicité, l'in- 
nocence et la pureté, disposition éminemment agréable 
à Dieu*. 

Saint Ignace a profondément, suivant sa coutume, 
caractérisé cette vie chrétienne comme la vie de Jésus 
en nous. Jésus est notre vie, non seulement en ce sens 
qu'il nous a apporté la vie éternelle, mais en ce sens 
que, demeurant personnellement en nous, il est en 
nous principe véritable et indéfectible de vie (xo iSi«- 



1. Simil. I, 7; vi, 1; x, 2, 4, etc. 

2. Sec. Clem., viir, 6; cf. vu, 6. 

3. Cf. PS.-BlRNAnÉ, XIX-XXI. 

4. Sec. Clem., xv, 3, 4; cf. Herbus, Simil. V, 6, S< 

B. S. POLYC, III, 2, 3. 

6. S. IGK., Ephes., XIV, i ; cf. Smyrn., vi, 1. 

7. I Clem., xLix. 

5. Herhas, Simil. ix, 24; 29, 1-3. 



LE DOGME DANS LES PÈRES APOSTOLIQUES. 161 

eU To àXr,ôivov ^îîv, Eph.j m. 2; xi, 1; Magn., i, 2; cf. 
XV ; Smyrn., iv, 1; cf. Trall., ix, 2). Il habite en nous 
el nous sommes ses temples : il est notre Dieu en 
nous [Eph., XV, 3; cf. Magn., xii, xiv; Rom., vi, 3). 
De là le nom de Oeo^o'poç qu'Ignace prend pour lui- 
même dans le titre de ses épîtres, et les épithètes de 
ôeocpopoi, vao'iopoi, ^piaxocpopoi, àyio'fopoi qu'il donne aux 
Éphésiens (ix, 2); de là l'union qu'il souhaite aux 
Églises avec la chair et l'esprit de Jésus-Christ, avec 
le Père et Jésus [Magn., i, 2). 

A ces exhortations d'un caractère un peu général 
se joint l'indication de quelques œuvres spécialement 
recommandées. Entre les œuvres de pénitence Hermas 
place le jeûne [Vis. m, 1, 2) '. Toutefois il le faut bien 
comprendre, car ce n'est pas le jeûne purement ma- 
tériel qui plaît à Dieu, mais avant tout l'éloignement 
du mal [Simil. v, 1). Ce jeûne d'ailleurs doit être 
tourné en aumône [Simil. v, 3, 7), L'aumône est en 
effet présentée par la Secunda démentis comme 
l'œuvre de pénitence et l'allégement par excellence du 
péché (xouçicixoc ajxapTi'aç) : elle vaut mieux que le jeûne 
qui lui-même est préférable à la prière (xvi, 4). 

Quant aux œuvres de surérogation, nous trouvons 
surtout conseillée la continence sous toutes ses formes. 
Hermas, qui permet les secondes noces, leur préfère 
la viduité bien observée [Mand. iv, 4, 1, 2). Lui-même 
est un continent, un encratite ('EpfAa; 6 ly^paxiiç, Vis. i, 
2, 4; cf. n, 3, 2) — expression qu'il ne faut pas prendre 
au sens péjoratif, — et il vivra désormais avec sa 
femme comme avec une sœur [Vis. ii, 2, 3; 3, 1). « Si 
quelqu'un, écrit Ignace, peut demeurer dans la chas- 
teté pour honorer la chair du Seigneur, qu'il y de- 
meure, mais sans orgueil » [Polyc, v, 2). 

1. La Didacbè indique déjà comme jours de jeûne le mercredi et le 
vendredi (vm, -1). 



162 LA THÉGLOGIB ANTENiCEENNB. 

La froide analyse que nous venons de faire montre 
bien le bel équilibre que la morale chrétienne gardait 
dans ces temps primitifs chez les auteurs avoués par 
l'Église : elle ne révèle pas l'intensité de vie chrétienne 
qui s'y faisait jour parfois, et qui soulevait au-dessus 
d elles-mêmes les âmes des martyrs et des saints. C'est 
en lisant les épîtres de saint Ignace qu'on en prend la 
plus juste idée. On connaît sur son amour pour les 
sonfîrances et sa soif du martyre les passages classi- 
ques de sa lettre aux Tralliens (iv, 1, 2) et surtout de 
sa lettre aux Romains (iv, 1; v, 2, 3 et passim)', mais 
son désir d'être réuni à Dieu lui inspire aussi de temps 
à autre des accents d'un mysticisme passionné : « Mon 
amour est crucifié, et il n'y a point en moi de feu pour 
la matière; mais il y a une eau vive et parlante qui me 
dit : Viens au Père! » [Rom., vu, 2). 

Un des grands motifs mis en avant par nos auteurs 
pour engager les fidèles à pratiquer leurs devoirs et 
à faire pénitence, c'est le jugement final et la récom- 
pense ou le châtiment que leur conduite leur vaudra. 
Conformément à une croyance qui persistera long- 
temps, Hermas pense que ]a fin du monde est proche 
{Vis, III, 8, 9). Le Psèudo-Barnabé, tout en parais- 
sant partager ce sentiment (iv, 3; xxi, 3; cf. vu, 8, 24), 
donne des calculs précis au chapitre xv, 4-9. Les six 
jours de la création représentent six mille ans, car un 
jour du Seigneur est de mille ans (cf. Ps. xc, 4 ; II Pétri, 
m, 8). Le monde doit donc durer 6000 ans, dont la 
majeure partie est déjà écoulée. Le septième jour, 
c'est-à-dire au commencement du septième millénaire, 
apparaîtra le Fils de Dieu : il détruira le temps de 
l'impie (tov xaipov xou àvofxou) — entendons de l'Antéchrist 
— et jugera les méchants (cf. vu, 2). Ce sera le repos. 
Tout étant renouvelé, les justes sanctifieront le septième 



LE DOGME DANS LES PERES APOSTOLIQUES. 163 

millénaire avec le Christ. Mais ce sabbat lui-même ne 
sera qu'une préparation au Jmitième jour, qui mar- 
quera le commencement d'un monde nouveau» 

Nous trouvons ici formulée la croyance millénariste, 
dont nous aurons à reparler, et à laquelle on sait que 
Papias donnait l'expression la plus naïvement réaliste ' . 
Il est remarquable toutefois que les documents qui la 
présentent sont des moins autorisés parmi ceux que 
nous étudions. Les autres ont simplement reproduit 
l'eschatologie de l'Évangile, celle de saint Paul et des 
apôtres. 

L'heure de la venue du Seigneur est incertaine, mais 
elle sera précédée de l'apparition de l'Antéchrist 
« comme fils de Dieu » et du scandale d'un grand 
nombre ^. Alors les morts ressusciteront. On sait que 
ce dogme était un de ceux que les docètes et le gnos- 
ticisme naissant repoussaient, et c'est pourquoi nous 
le trouvons longuement démontré chez saint Clément 
(xxiv-xxvi, 3), et énergiquement affirmé par la Secunda 
démentis (xi, 1, 4), saint Ignace ( Trall.y ix, 2) et saint 
Pôlycarpe (vu, 1, 2; Martyr., xiv, 2). « Celui qui nie 
la résurrection et le jugement, écrit l'évêque de Smyrne, 
est le premier-né de Satan ^. » 

Le jugement discernera les bonsd'avec les méchants, 
et démêlera la confusion dans laquelle ils vivent ici- 
bas^. Dieu traitera chacun suivant ses œuvres^. Le 
sort des réprouvés sera terrible. Les impénitents, les 
pécheurs, les païens, les désobéissants, les faux doc- 
teurs seront jetés au feu éternel (eU to Tuûp to affSeaxov) ; 



1. s. IKÉNÉE, Adv. haeres v, 33, 3 et suiv.; Eusèbe, H. E.,m, 39, 42 

2. Didachè, \\i, l-S ; Hermas, Vis. iv, 2, 5 ; 3, 6. 

3. La Didachè (xvi, 6, 7) paraît rcslrcindre la résurrection aux justes 
mais elic parle probablement de la résurreclion ad vitam. 

4. I Clem., xxviii, 1; Hermas, Simil. la; iv, 1-3); Sec Clem., xvir, 4-1, 
XVIII, 2; S. PoLYc, VII, i, 2. 

8. / Clem., XXXIV, 3. 



164 LA THÉOLOGIE AMÉNICÉENNE. 

leurs supplices seront sans fin; ils mourront eîç xéXo;. 
Quiconque, ne connaissant pas Dieu, aura fait le mal 
sera jugé £?ç OavaTov ; mais quiconque l'aura fait, con- 
naissant Dieu, sera doublement puni et périra éternel 
lement (à7ro0avoïïffT«i Et? tov «twva) ^ . Ce ne sera cepen- 
dant pas le sort général, et Hermas croit plutôt que 
la majorité des chrétiens qu'il a sous les yeux sera 
sauvée {Si?nil. viii, 1, 16). Comme le châtiment des 
méchants a été proportionné à leurs crimes, de même 
la récompense des justes est mesurée à leurs peines. 
Car leurs bonnes œuvres sont des dépôts qu'ils retrou- 
veront 2. Cette récompense est « la vie dans l'immor- 
talité », Wh h àôavafft'a ^, l'incorruptibilité et la vie éter- 
nelle, TO Ô£{xa âîpôapoia xai X,wt\ aîtovioç''. Ils VOnt aU lieu 
saint (eîç TOV aytov tottov), et quand viendra l'inspection 
du royaume de Dieu, ils seront manifestés^. Ils vi- 
vront avec les anges ^ et jouiront du repos du royaume. 
Leur bonheur sera sans mélange et sans fin : ce sera 
la couronne de leurs souffrances et de leurs travaux, le 
salaire ([xkjOôv) de leur fermeté dans le bien''. 

Voilà ce que les textes nous apprennent de la doc- 
trine professée dans l'Eglise chrétienne entre les 
années 90-150. Rappelons-nous cependant que nos 
textes ne disent pas tout, il s'en faut, et, en consé- 
quence, que cette doctrine a dû être bien plus touffue 
qu'ils ne permettent de l'exposer. 



i. Hermas, Vis. m, 7, 2; Mand.xu, 2, 3; Simil. iv, 4; ix, 18, 2; S. Ign., 
Eph., XVI, 2; Martyr. Pohjc, ii, 3; xi, 2; Sec. Clem., vi, 7; vu, 6; sv, 3; 
xvn, S, 7; Ps.-Barn., xxi, 1. 

2. S. iGK., Pûlyc, I, 3 ; VI, 2. 

3. I Clem., xxxY, 2; cf. xxxvi, 2; Hermas, Vis. ii, .'2, 3; iv, 3, 8; Ps.- 
Barn., VIII, S. 

4. S. Ign., Polyc, ii, 3. 
b. I Clem., y, 1 ; l, 3. 

6. Hermas, Vis. ii, 2, 7 ; Simil. vu, 27, 3. 

7. Sec. Clem., v, 3; vii, 2, 3; xi, 5; xix, 4; xx, 2. 



LE DOGME DANS LES PÈRES APOSTOLIQUES. 165 



S 6- — Les symboles de foi^. 

Cette étude de l'état de la théologie dans la première 
moitié du n* siècle, pour être moins incomplète, demande 
que nous ajoutions quelques mots sur les symboles de 
foi reconnus à cette époque. 

'1 est naturel qu'il ait existé de très bonne heure une 
formule courte, aisée à retenir, qui résumât l'enseigne- 
ment des apôtres et des catéchistes, et que l'on fît répe- 
ter aux candidats avant de les admettre au baptême. 
On a voulu en voir des vestiges dans / Coj\y xV, 3,4; / 
Tim., VI, 13; // Tim., ii, 2, 8; iv, 1. Mais plus dignes 
d'attention sont les passages que l'on relève dans un 
certain nombre d'écrivains du n^ siècle, et qui parais- 
sent être des traces de symbole, ou rappeler du moins 
des formules fixes de la prédication et de la foi chré- 
tiennes. 

Tels sont, pour l'Orient d'abord, les textes d'Origène, 

1, Travaux : Caspari, Quellen zur Geschichte des Taufsymbols, Chris- 
tiania, 1866. C. A. SwAiNSOX, The nicene and Apostles' creed, Lontlon, 
187b. J. R. LuMBY, The history of the Creeds, 2° édit., London, 1880. C. A. 
Hecrtley, a history of the carlier formularics of faith of the western 
and eastern Churches, London, 1892. Tii. Zahn, Das a2)OStolische Symbo- 
lum, eîne Skizze seiner Geschichte und sine Prufung seines Inhalls, 2» 
édit., Erlangen, 1893. S. BaCimeu, Das apostolische Glaiibensbekennlniss. 
Seine Geschichte wid sein Inhalt, Mainz, 1893. Cl. Blume, Das aposto- 
lische Glaubensbekenntniss. Ein apologetisch-geschichlliche Sludie, 
Freiburg, 1893. Kattenbusch, Das apostolische Symbol, Leipzig, 1894, A. 
Haunack, Das apostolische Glaubensbekenntniss. Ein geschichtlicher 
Berieht nebst einem Nachwort, 27= édit., Berlin, 1894. J. Kukze, Glau- 
bensregel, Heilige Schrift und Taufbekenntniss, Leipzig, 1899. A. E. 
BURN, An introduction to the Creeds and to the Te Deum, London, 1899. 
H. B. SwETE, The Apostles' Creed, its relation io primitive Chistianity, 
3« édit., Cambridge, 1899, E. Vacandaud, Les origines du Symbole des 
Apôtres, dans la Revue des questions historiques, tom. LXYI, 1899. G. 
Sanday, Récent research on the origin of the Creed, dans Journal of 
theolog. Studies, tom. 1, 1900. Me Giffert, The Apostles' Creed, New-York, 
1902. A. Seeberg, Das Evangelium Christi, Leipzig, 1905. P. Batiffol, 
article Apôtres {Symbole des) dans le Dictionnaire de Théologit cathO' 
liaua tome I. 



166 LA THÉOLOGIE ANTENïCÉENNfi. 

du presbyterium de Smyrne, d'Aristide, de saint Ignace 
réunis et reproduits par Hahn dans sa Bibliothek der 
Symbole^, §§ 1, 2, 4, 8. Plusieurs auteurs en ont conclu 
que, dès ces temps reculés, l'Orient possédait un sym- 
bole à peu près fixe, et ils ont ajouté que ce symbole, 
usité dès le commencement du ii" ou même à la fin du 
1^"^ siècle, notamment en Asie Mineure, était passé de là 
à Rome pour y devenir la formule du symbole dit des 
apôtres, ou du moins pour influer sur sa rédaction. Mais 
cette théorie est loin d'avoir conquis tous les suffrages. 
Entre autres arguments, on a fait valoir contre elle le 
fait que les confessions de foi orientales, antérieures , 
au concile de Nicée, que nous possédons — celles de 
saint Grégoire le Thaumaturge, d'Arius, d'Alexandre 
d'Alexandrie, du De recta in Deum fide (Hahn, §§ 14, i5, 
185-186) — présentent au contraire entre elles une di- 
versité d'agencement qui reste inexplicable dans l'hy- 
pothèse d'un type fondamental commun. Ce n'est qu'à 
partir du concile de Nicée que les symboles orientaux 
offrent dans leur composition la même ordonnance, or- 
donnance qui rappelle celle du symbole des apôtres : 
preuve que ce symbole, loin d'avoir été exporté de l'O- 
rient à Rome, a été plutôt importé de Rome en Orient 
lors des grands débats suscités par l'arianisme. 

N'y avait-il donc, au n^ et au m* siècle, aucune 
formule baptismale généralement adoptée? — Si, et 
l'on a signalé, comme ayant dû probablement servir 
alors à la redditio symboU^ une courte formule dont on 
trouve la trace dans la XIX^ catéchèse de saint Cyrille 
de Jérusalem, et que l'on peut ramener aux termes sui- 
vant : Uiffxeuw eîç... TtaTspa, xa\ etç tov utôv, xal stç to Tvvsufjia 
TO ^'yiov, xal d<i êv pa7rrtff(Ji.a (xsTavoiaf; etç tt<p£<riv àaaptiwv. 

En Occident, les choses sont beaucoup plus claires. 

•i. k. Hahn, Bibliothek der Symbole und Olaubensregeln der alien Kir- 
he, 3" édit., Breslau, 1897. 



LE DOGME DANS LES PÈRES APOSTOLIQUES. 167 

Dès le milieu du ii® siècle, nous rencontrons une l'or- 
mule fixe que l'on a appelée le symbole des apôtres, et 
qui n'est autre chose que le symbole baptismal de l'É- 
glise romaine ^ 

Le plus ancien texte grec que nous en ayons est ce- 
lui que Marcel d'Ancyre a reproduit dans sa lettre au 
pape Jules, et qui date de 337 environ^; le plus ancien 
texte latin est contenu dans une Explanatio symholi ad 
initiandos qui se trouve parmi les œuvres de Maxime 
de Turin, mais que l'on a attribuée à saint Ambroise 
(f 397 ; Habn, § 34) ; — dans celle de saint Nicéta de Re- 
mesiana au v® siècle (Hahn, § 40) ; — ou encore dans le 
CommentariusinsymbolumaposlolorumàQ^u?\ii{\QTS 
400; Hahn, § 36). Rufin témoigne^ que l'Eglise do Rome 
avait, dès le principe, conservé ce texte sans change- 
ment, tandis que les diverses Églises (d'Occident) y 
avaient fait des additions. Ce dernier renseignement 
est confirmé par les faits (cf. Hahn, §§ 37 sqq.). 

Au, lY* siècle, vers 337, la formule du symbole ro- 
main était donc arrêtée ; mais du iv^ siècle, nous pou- 
vons remonter immédiatement à la fin du n% car Ter- 
tuUien, dans son Advei-sus Praxean (2), dans son -De 
praescriptione haereticoriim (13), et surtout dans son 
De çelandis ç^irginibus {!), nous donne, sous le nom 
de régula fidei, manifestement quant au fond, à Tordre 
et même à la forme, le symbole des apôtres tel que Rufîn 
le connaîtra plus tard (Hahn, §7). 

Que si maintenant on veutitenir compte des rappro- 
chements que l'on peut établir entre cette formule et 
certains textes de saint Justin et de saint Irénée — 
deux occidentaux d'adoption — qui semblent en repro- 

1. s. Irénée, Adv. haeres., i, 9, 4 : OCtw Sèxal ô tôv xavovatîj; à),-/;- 
6£:aç àxXivrj Iv âauTw v.aTsxwv, ôv Stà toO paTtTv^jjiaToç eï/ïj^je. 

2. S. ÉpiPHANE, liaeres., lxxii, 3; Malus, § H. 

3. Op. cit.', P. L., XXI, 339. 



168 LA THÉOLOGIE ANTÉNICÉENKE. 

duire quelque chose (Hahn, §§ 3, 5) ; si l'on remarque le 
style lapidaire et la brièveté ferme de sa rédaction, l'ab- 
sence dans son énoncé de toute allusion aux hérésies 
dominantes au ii^ siècle, on admettra sans difficulté que 
le symbole romain est contemporain au moins de saint 
Justin, ou même on le reportera plus haut encore vers 
le commencement du ii^ siècle. 

Quelle en était, à cette époque, la teneur exacte? On 
ne peut la déterminer qu'approximativement, en s'ai- 
dant des textes postérieurs, mais en écartant avec soin 
de ces textes tout ce qui n'est point accepté ni appuyé 
par les auteurs plus anciens. Cette méthode a conduit 
au texte suivant : Uiartîibi eiç [Iva] Qeov « TtaTÉpa » iravTo- 
xodcTopa, xal sîç 'Iviffoïïv XptffTOv tov utôv auToïï tov xupiov fjp.wv, 
Tov Y£vvr,9svTa Ix Tcapôivou, tov èni Dovtiou IIiXdtTOu ctau- 

pO)Ô£VTa, TY) TplTV) ^ifASp» ^VKffTOtVTa Ix VEXpCOV, àvaêoCVTa SIC TOÙÇ 

oupavovç, xaS-i^uevov Iv SeÇia xou Ttatpôç, oôsv Ip^eToct xptvat 
Cwvraç Koà VExpouç, xal elçTO -nveuf^a ayiov. 

Dans ce texte, le mot eva, effacé depuis, est primitif : 
on suppose qu'il disparut lorsque se produisit l'hérésie 
monarcliienne qu'il paraissait favoriser. C'est à cette 
occasion aussi, pensent quelques critiques, que l'on 
ajouta îraTÉpa, afin de marquer plus nettement la 
distinction du Père et du Fils. Mais cette dernière 
hypothèse est fort contestable, narépa est probable- 
ment primitif comme Iva et ne désigne pas seulement 
la personne du Père, mais affirme aussi l'universelle 
paternité de Dieu comme créateur. 



CHAPITRE IV 



LES PREMIERES DEFORMATIONS DU DOGME CHRETIEN. 
LES HÉRÉSIES DU H^ SIECLE. 



Le christianisme est sorti du judaïsme et s'est ré- 
pandu dans le monde païen. II s'est donc successive- 
ment, ou même simultanément dans le principe, trouvé 
en contact avec les doctrines et les idées juives et 
païennes. D'une part, sa rupture d'avec le judaïsme ne 
se fit pas sans déchirement. Beaucoup de nouveaux 
convertis de cette religion conservèrent à la Loi un 
attachement qui causa d'abord bien des embarras et, 
plus tard, en fit verser un certain nombre complètement 
dans l'erreur : ce sont les judéo-chrétiens. D'autre 
part, parmi les païens qui accueillirent le christia- 
nisme, plusieurs, qui avaient goûté à la philosophie et 
cherché à pénétrer le secret du monde et de la vie, ne 
se contentèrent pas de traduire en une langue plus sa- 
vante la révélation évangélique : ils la firent entrer de 
force dans des systèmes tout faits, et lui imposèrent 
un sens auquel répugnaient toutes ses données : ce 
sont les gnostique's. Ces deux formes de l'erreur, le 
judéo-christianisme et le gnosticisme, résultat du 
double milieu où l'Évangile est né et s'est développé, 
ont rempli tout le second siècle. Bien plus, on les re- 
trouve en formation dès la période proprement apos- 

10 



170 LA THEOLOGIE ANTENICEENNE. 

tolique. Ordinairement divisées, elles se sont quelque- 
fois, et surtout au début, étroitement unies. Elles 
représentent, vis-à-vis du christianisme normal, et en 
sens différent, deux tendances extrêmes qu'il a dû com- 
battre; vis-à-vis de son dogme, deux hérésies qui en 
ont faussé l'intelligence. Le moment est venu dé les 
étudier. Le montanisrae et le millénarisme, que nous 
leur adjoignons dans ce chapitre, ne sauraient en 
être considérés comm« des branches ou rejetons pro- 
prement dits : ils tiennent cependant dans une certaine 
mesure, et le dernier surtout, au judéo-christianisme 
par leur eschatologie. 



S 1. — Le judéo-christianisrae contemporain 
de saint Paul^. 



L'erreur judéo-chrétienne est naturellement la pre- 
mière que nous rencontrons dans l'histoire. Toutefois, 
du vivant des apôtres et dans leurs écrits, elle se pré- 
sente déjà à nous sous deux formes : l'une exclusive- 
ment juive, le judéo-christianisme proprement dit, l'au- 
tre déjà mélangée d'éléments philosophiques étrangers, 
gnosticisme judaïsant dont nous constatons l'existence 
surtout dans la province d'Asie. Nous en traiterons 
successivement. 

Jésus avait dit que son ministère personnel se limi- 
tait aux brebis d'Israël qui avaient péri {Matth., x, 6), 
et c'est aux seuls Juifs en effet qu'avait d'abord été 
prêché l'Evangile. Devait-il l'être" aussi aux Gentils? 
On sait comment une série de circonstances providen- 

1. Duchesse, Histoire ancienne de l'Eglise, I, ch. ni. Ligutfoot, Dis 
serlations on (he apostolic âge, London, 1892. Les commentaires sui 
les écrits utilisés. 



LES HÉRÉSIES DU II" SIÈCLE. 171 

tielles ou miraculeuses amenèrent les apôtres à trancher 
la question par l'affirmative ' . Des répugnances à cette 
solution se produisirent cependant, on le voit, chez les 
fidèles circoncis de Jérusalem 2. L'opposition aug- 
menta^ quand il s'agit de savoir si l'on dispenserait 
des observances légales les nouveaux convertis du 
paganisme. Un parti judaïsant, que nous trouvons à 
l'œuvre d^is les Actes (xv, 1, 2, cf. 24), se prononça 
énergiquement contre la dispense. Des hommes sans 
mission — de faux frères, dit saint Paul ((3a/., 11, 4) — 
arrivèrent de la Judée à Antioche, et Jetèrent le trou- 
ble dans la communauté, en affirmant que, sans la cir- 
concision, les païens devenus fidèles ne pouvaient se 
sauver. La réunion de Jérusalem [Act., xv, 5-34) leur 
donna tort. Us ne se découragèrent pas. Une troisième 
fois, ils s'efforcèrent de conserver au moins l'essentiel 
de la Loi en interdisant le mélange des chrétiens cir- 
concis et incirconcis, et en maintenant pour les pre- 
miers les barrières qui devaient les isoler des seconds. 
Des hiérosolymites de l'entourage de Jacques (tivAç. 
i-Ko laxwêou), dit saint Paul, vinrent à Antioche, et, 
leur présence intimidant l'apôtre Pierre, celui-ci 
consentit à une dissimulation malheureuse. Paul l'en 
reprit : c'est ce qu'on a appelé le conflit d' Antioche 
[Gal.,n, 11-14). 

Ici Jacques est nommé. Ce Jacques est-il l'apôtre, le 
fils d'Alphée? Nous n'en sommes pas sûrs. Était-ce lui 
qui avait envoyé les hiérosolymites? Saint Paul ne le dit 
pas. En tout cas, il n'y aurait rien de surprenant à ce que 
ce vieillard qui, si l'on en croit saint Epiphane ^, devait 
avoir alors de 85 à 88 ans, et qui n'était jamais sorti 
de son milieu palestinien, ne se fût pas exactement 

1. Actes, vu, o-7, 26-40; x; xi, 20, ai. 

2. Actes, XI, 1-3, 20-2-2. 

3. Havres., l'xxviu, 14. 



172 LA THÉOLOGIE ANTÉNICEENNE. 

rendu compte de la situation à Antioche, et eût Jugé les 
choses un peu différemment de Pierre et de Paul. Mais 
ce qui est certain, ce qui reste acquis, c'est qu'il existe 
à Jérusalem un parti qui travaille à maintenir autant 
qu'il le peut, au sein du christianisme, les observances 
juives, un parti judéo-chrétien non seulement d'origine 
mais de doctrine et de tendances. 

Il regardait saint Paul comme son grand ennemi. 
Aussi le voyons-nous s'appliquer à traverser les mis- 
sions de l'apôtre et à ruiner partout son autorité. A 
Corinthe, il organise une coterie, le parti du Christ, 
dont saint Paul dit peu de chose dans sa première épî- 
tre aux Corinthiens (i, 12, 13), mais dont il parle lon- 
guement dans la seconde (x, 7-xii). Ce sont, à ce qu'il 
nous apprend, des Juifs, des enfants d'Abraham, qui se 
glorifient de leur nationalité et dans leur chair (xi, 18, 
22), et qui opposent à son ministère celui des apôtres 
par excellence (xi, 5; xii, 11). Saint Paul ne rapporte 
rien de précis sur leur doctrine, mais il les traite sans 
détour de faux apôtres, d'ouvriers trompeurs déguisés 
en apôtres du Christ (xi, 13). — Chez les Galates, les 
mêmes imposteurs obtiennent plus de succès : poussant 
à la pratique delà loi [Gai., iv, 21 ; v, 1-4). ils fontadop- 
terla circoncision [Gai., v, 2-6 ; vi, 12-15) et observer 
les jours, les mois, les temps et les années {Gai., iv, 
9, 10). Il faut que saint Paul intervienne avec la 
sévérité que l'on sait. — Puis, lorsque à la Pentecôte de 
58, il revient à Jérusalem après sa troisième mission, 
les frères sans doute se réjouissent, mais une question 
cependant préoccupe les anciens réunis chez Jacques. 
Ils représentent à l'apôtre qu'il est accusé de détour- 
ner les Juifs convertis de l'observation de la Loi, tandis 
que ceux de Jérusalem sont zélés pour son accomplis- 
sement. Ils lui conseillent donc de se montrer, lui 
aussi, fidèle à ses prescriptions pour détruire la calom- 



LES HÉRÉSIES DU W SIÈbLE. 173 

nie [Act., xxr, 17-24). On connaît la suite. Saint Paul 
captif arrive à Rome, mais ses adversaires ne l'aban- 
donnent pas, et il se plaindra plus tard qu'il en est qui 
prêchent sans doute le Christ, mais dans la pensée de 
lui susciter quelque tribulation dans ses liens [Phi- 
lipp., I, 15-17). 

Voilà le parti judéo-chrétien dont le centre est à 
Jérusalem. Entre ceux qui le composent il a dû exister 
très certainement des nuances profondes : elles s'ac- 
centueront encore au ii^siècleoù nous les retrouverons. 
Il faiit maintenant tourner nos regards vers la province 
d'Asie. 



§ 2. — Les coxaxaenceixients du gnosticisxne 
judaïsant. — Les Nicolaïtes. — Gérinthe'. 

Les premières formes de l'erreur dans la province 
d'Asie nous sont connues par cinq groupes de docu- 
ments : l'épître de saint Paul aux Colossiens, les épî- 
tres pastorales (l'épître à ïite visant spécialement la 
Crète), la deuxième épître de saint Pierre et l'épître 
de saint Jude ^, les épîtres et l'Apocalypse de saint 
Jean, enfin les épîtres de saint Ignace et de saint 
Polycarpe qui rattachent au Nouveau Testament l'his- 
toire ecclésiastique proprement dite. 

Dan^ l'épître aux Colossiens, écrite pendant sa 
captivité (58-63?), saint Paul parle explicitement de 
fausses doctrines qui tentent de s'introduire dans leur 
Église : « Prenez garde que personne ne fasse de 



1. DccuEssE, Eisl. anc. de l'Église, I, chap. vi, et les autres ouvrages 
indiqués pour le § 1. 

2. liien que les auteurs soient fort divisés sur l'origine, la date et 
les destinataires de ces deux documents, j'ai cru pouvoir, à l'exemple de 
M*' Duchesiie (Origines chrétiennes, p. 46), Jes rapprocher des épîtres 
pastorales, avec lesquelles ils offrent des relations. 

10. 



m LA THIOLDGÎÉ ANt'lNlGËÈNNE. 

VOUS une proîé par là philQSQfjhlé et par une vaiïi'e 
tromperie, s'appuyaiit sur la tfaditiôii des hôïnmôs, 
sur les rudiments du monde et non surle Christ* (li, 8)» 
Ces erreurs, en effet, tendaient probablement à râfeais^ 
se^ Jésus-Christ et à lui préférer lés anges : ceux-ei 
sont l'objet d'un culte spécial (ij:, 18); et c'est pour- 
quoi l'apôtre s'applique à relever la dignité du Sau- 
veur, et à le présenter comme le principe et la cause 
finale de la création (i, 15-17; cf. 18-20; ii, 9-iO; cf. 
Eph.j VI, 12). On n'ignore pas que les âftges jouaient 
un grand rôle dans la théologie juive ; mais de plus 
— trait caractéristique — les docteurs combattus par 
saint Paul prescrivaient un choix des aliments, fai- 
saient observer des nouvelles lunes, des fêtes et des 
sabbals (ii, 16, 20-22). Ils enseignaient une humilité 
(•uaTTEivocppocruvri) et un mépris du corps qui n'étaient pas 
dans l'ordre (ii, 18, 23). Peut-être faut-il y ajouter la 
circoncision dont il est question au chapitre ii, il. Quoi 
qu'il en soit, il ne saurait y avoir de doute : l'erreur si- 
gnalée était judaïsante. 

Les épîtres pastorales, écrites un peu plus tard, la 
décrivent en termes plus précis et plus forts, soit que 
l'erreur elle-même eût progressé, soit que saint Paul, 
s'adressant à des disciples, se «entît plus à l'aise 
pour la juger. En tout cas, il en nomme les chefs, 
Hyménée, Alexandre le fondeur, Philète (/ Tim., i, 
20; // Tim.j ii, 17; iv, 4). Ses partisans se recrutent 
parmi les circoncis dont beaucoup sont « des gens 
rebelles, de vains discoureurs et des séducteurs aux- 
quels il faut fermer la bouche » [TU., i, 10, 11). Quant 
à leur doctrine, elle consiste avant tout en discussions 
sans fm sur d'interminables généalogies, en contes 
ridicules [I Tim., i, 4; iv, 7); on s'y amuse de ques- 
tions oiseuses; on s'y querelle sur les mots, sur le sens 
delà Loi (/ Tim., vï, 3^5; // Tim., n, 14; Tit., m, 9); 



LîiS HÉRÉSIES DU IV SIÈCLE. 175 

on y prône des fables juives, des traditions humaines 
{Tit.yi,i3^ 14) : ce sont des blasphèmes, des doctrines 
dé démons (/ Tùn., i, 20; iv, 1). Plus spécialement, la 
Loi y est fort exaltée, et ceux qui la vantent veulent 
passer pour en être les docteurs (/ Tim., i, 7). On y 
interdit certains aliments, et on y prohibe le mariage 
[I Tim., IV, 3). On affirme que la résurrection est déjà 
faite, c'est-à-dire, sans doute, qu'il n'y a qu'une résur- 
rection purement spirituelle (// TVw., II, 17, 18). Les 
mœurs des hérétiqia^ d'ailleurs ne valent pas mieux 
que leurs théories. Ces faux docteurs ne recherchent 
que le gain (/ Tùn.j vi, 5- 10; Tit.j i, 11); sous des 
apparences de piété ils ont tous les vices (// Trm., 
III, 1-5). Ils séduisent les femmes, toujours curieuses 
[II Tim., m, 6-7), et à cause d'eux peut-être plusieurs 
jeunes veuves se sont détournées pour suivre Satan 
(/ Tim., V, 15). « Ils font profession de connaître Dieu, 
mais ii« le r^ïiient parleurs œuvres, étant abominables, 
rebelles et incapables de toute bonne action » [Tit.y 
I, 15-16). 

Dans ce tableau énergique, il est aisé de recoïmaître 
une doctrine qui est bien un mélange de judaïsme et 
de gnose commençante. La prohibition du mariage 
et la négation de la résurrection de la chair ne sont 
pas des traits juifs : ils viennent d'une autre philoso- 
phie'^. 

Ce sont des erreurs analogues que nous trouvons 
dépeintes dans la seconde épître de saint Pierre et 
dans l'épître de Jude. Les hérétiques que ces docu- 
ments nous dénoncent offrent avec ceux des Pastorales 

\. En revanche, c'est à tort que certains auteurs ont voulu voir, dans 
les interminables généalogies dont il est question, les généalogies 
d'éons des-gnostiqûes, et en ont conclu à la non-authenticité des épitres 
pastorales. Il s'agit ici probablement des généalogies patriarcales fa- 
buleuses que l'on trouve dans cerlains apocryphes juifs. V. E. Jacquier, 
Histoire des liv7-es du N^Uwau Testament, I, 3^ édit., p. 373. 



176 LA THÉOLOGIE ANTÉNICÉENNE. 

des ressemblances évidentes, bien qu'on ne remarque 
pas qu'ils fussent judaïsants. D'abord ces hérétiques, 
nous dit-on, c renient notre seul maître et Seigneur Jé- 
sus-Christ » [Jud., 4) ; ils méprisent Vaiitorité, xupioTrjç 
(// Petjn.j II, 10; Jude, 8), mot qu'il faut peut-être 
traduire au sens concret par « le Seigneur ». Ensuite, 
ils injurient les gloires (SoÇaç où Tpéaouaiv pXaar^vKJioïïvTeç, 
II Pétri, II, 11 ; Jude, 8), c'est-à-dire probablement les 
esprits supérieurs qu'ils engagent dans leurs combi- 
naisons mythiques, dans les fables habilement conçues 
dont il est question // Pétri, i, 16. Enfin, ils nient le 
jugement et l'avènement du Seigneur [II Pétri, m, 3-7). 
Quant à leurs mœurs, elles sont infâmes. La cupidité, 
le mensonge, l'amour de la bonne chère, l'arrogance, 
la passion des coteries sont leurs moindres défauts 
II Pétri, 11,3, 11, 13; Jude, 11, 16, 19). Ce sont des 
théoriciens du vice qui ne rêvent qu'impureté, et, 
blasphémant ce qu'ils ignorent, se corrompent comme 
des brutes dans ce qu'ils savent naturellement (// 
Pétri, u, 10, 13, 14; Jude, 4, 10). Malheur à eux, car 
les plus terribles châtiments leur sont réservés [Jude, 
11)! 

Tournons-nous maintenant du côté de saint Jean, 
Ici encore l'obscurité règne sur le lieu de composition, 
la date et les destinataires de ses deux premières épî- 
tres, les seules qui intéressent nos recherches. Il est 
probable cependant qu'elles appartiennent à la der- 
nière période de la vie de l'apôtre et ont été écrites à 
Éphèse, la première pour les Eglises voisines, la 
seconde pour quelque personne ou Église particu- 
lière. Quoi qu'il en soit, saint Jean déclare tout net 
qu'il existe, au moment où il parle, plusieurs anté- 
christs, sortis des rangs des chrétiens (/ Joa., ii, 18- 
19). Ces hérétiques nient que Jésus soit le Christ, qu'il 
«oit le Fils, et dès lors ne possèdent pas le Père [IJoa., 



LES HÉRÉSIES DU II" SIECLE. 177 

II, 22, 23; IV, 3, 15). Ils nient aussi que Jésus-Christ 
soitvenu en chair [IJoa., iv, 2, 3). Le Sauveur ne serait 
donc, d'après eux, qu'un esprit supérieur qui ne serait 
ni le Fils, ni le Christ, et qui n'aurait eu de corps 
qu'en apparence ; ou même plus simplement, Jésus ne 
serait qu'un homme, et il faudrait écarter toute idée 
d'incarnation d'un Fils ou Christ de Dieu. Ce serait 
ou le docétisme ou l'ébionisme, en tout cas, la néga- 
tion de la divinité propre de Jésus-Christ. — De leur 
morale l'apôtre ne dit rien. 

L'Apocalypse, à son tour, s'élève, d'une part, contre 
une catégorie de gens qui se disent juifs et qui ne 
le sont pas, mais qui forment une synagogue de Satan 
(il, 9; III, 9), — d'autre part, contre une secte qu'elle 
appelle des nicolaïtes, et dont elle signale l'existence 
dans les Églises de Pergame et de Thyatire (ii, 14-16, 
20-25). Ces nicolaïtes ont une doctrine, les profondeurs 
de Satan [xà. pa6éa toïï DaTavS), comme ils disent eux- 
mêmes, mais surtout ils enseignent rimpudicité(Tropv£ia), 
et que l'on peut manger les viandes immolées aux 
idoles (il, 14, 15, 20). Faut-il confondre ces deux grou- 
pes, les nicolaïtes et la synagogue de Satan? C'est peu 
probable, le dernier paraissant plutôt composé de 
juifs non chrétiens. En tout cas, l'histoire des nico- 
laïtes n'est pas finie avec saint Jean. Saint Irénée, qui 
résume les données de l'Apocalypse par les mots 
indiscrète viçunt\ ajoutent qu'ils avaient, avant Cé- 
rinthe, distingué le démiurge du Dieu suprême, et 
les appelle un « fragment de la fausse gnose ». Ter- 
tullienles rapproche descaïnites de son temps 2. Pour 
les auteurs qui dépendent de saint Hippolyte, à savoir 



i. Adv. haer., i, 26, 3; cf. Clément d'Alex., Strom., 11, 20 (P. G., VIII, 
1061) ; Tertullien, Adv. Marcion., 1, 29; les Philosophoumena, vii, 36; 
le Pseudo-Ignace, Trall-, xi, 2; Philad,, vi, 6. 

2. De praescript. haeretic, 33. 



178 LA THÉOLOGIE ANTÉNICEENNB. 

p 

le Pseudo-Tertullien, Philastrius et saint Epiphane', 
le système nieolaïte qu'ils exposent est un système 
ophite qui n'est sûrement pas primitif. 

D'où venait à ces hérétiques le nom qu'ils por- 
taient? Saint Irénée le fait dériver du diaere Nicolas 
[Act.j VI, 5) qui aurait été leur fondateur^. Gléinent 
d'Alexandrie ne nie pas cette relation, mais il l'explique 
par un malentendu. Nicolas, dont la vie dians le ma- 
riage était exemplaire, aurait souvent répété comme 
maxime et dans un sens encratite qu'il fallait abuser 
de sa chair (Tcwpaj^pi^ffaoOat t^ aapxf), c'est-à-dire la 
mortifier, ce que ses disciples auraient entendu au con- 
traire d'une licence absolue à lui accorder. De là 
leur immoralité^. 

Au souvenir de saint Jean se rattache encore le 
souvenir de Cérinthe, avec qui, au dire de saint Irénée'', 
l'apôtre se serait trouvé en contact à Éphèse. Nous 
n'avons pas sur lui de témoignage contemporain. 11 
semble avoir été originaire d'Egypte et juif de nais- 
sance, ou du moins et d'abord de religion. Plus tard, 
il vint en Asie et y rencontra saint Jean. Son système, 
tel que saint Irénée l'exposait à la fin du ii® siècle ^, 
est le suivant. Au sommet des choses, un Dieu su- 
prême ; bien au-dessous de lui, un démiurge qui ignore 
le Dieu suprême, et qui crée le monde. Jésus naît 
comme les enfants ordinaires, du commerce de Joseph 
et de Marie; seulement, il est supérieur aux autres 



- 1. Pseudo-Teutuluen, j4cîî). omnes haeres.,o; Philastrids, De hacre- 
tibus, 33; S. Epiphane, Haeres. xxv, xxvi. 

2 Adv. haeres., i, 26, 3, 

3 Stromates, m, 4 (P. G., VIII, HS9) ; cf. Eusèbe, H. E., m, 2Î). Ce n'est 
que plus tard que l'on distingua le diacre Nicolas du fondateur des 
nicolaïtes (Cassien, Collât., xvm, 16). 

4. Adv. haeres., m, 3, 4 (grec dans Eusèbe. //. E., iv, 14, 6). 

5. Adv. haer.i i, 26, l, reproduit exactement par les Philosoiihou- 
mena, vn, 33, et avec quelques additions et variantes, par le Pseudo- 
Tkrtulliem, 10; Philastrius, 36; S. ÉPiPHANEi Haer. xxvni. 



LES HERESIES DU II" SIÈCLE. 179 

hommes en justice, en prudence, en sagesse. Après 
son baptême, un être céleste, le Christ, venu d'auprès 
du Dieu suprême, descend sur lui sous la forme d'une 
colombe. 11 se trouve alors capable d'annoncer le Père 
suprême, inconnu jusque-là, et de faire des miracles. 
Mais, à la fin, le Christ, qui, comme être spirituel 
(TcveufiiaTuô;), ne pouvait souffrir, abandonne Jésus. 
Celui-ci meurt donc et ressuscite seul. — Saint Irénée 
ne dit rien de la morale de Cérinthe. Philastrius et 
saint Epiphane la représentent comme nettement ju- 
daïsante. Il aurait admis la Loi en partie, la circon- 
cision et le sabbat. Il rejetait saint Paul, les Actes des 
Apôtres, et entre les évangiles ne conservait que celui 
de saint Matthieu dont il retranchait encore la gënéa-* 
logie de Jésus-Christ. Le prêtre Caius et Denys d'A- 
lexandrie l'accusent formellement d'avoir enseigné un 
millénarisme grossier ^ . 

Le mélange de gnose et de judaïsme est évident 
dans le système de Cérinthe ainsi exposé; mais il se- 
rait téméraire d'affirmer que nous trouvons bien, dans 
Philastrius et saint Epiphane ou même dans saint 
Irénée, ses vues originales etpersonneiies. Enrcvanche, 
les épîtres de saint Ignace et de saint Polycarpe nous 
livrent, sur les erreurs qui avaient cours dans la 
province d'Asie au commencement du ii« siècle, le té- 
moignage de contemporains, et ce témoignage est 
précieux. 

La doctrine des faux docteurs est qualifiée par sain 
Ignace d'hétérodoxie (ItepoSoÇia); d'herbe étrangère 
qu'il faut éviter^. Eux-mêmes sont des trompeurs qui 
parlent sans doute de Jésus-Christ, mais qui prônent 
le judaïsme, le sabbat, des pratiques surannées 3. De 

1. EusÈBE, E.E.., III, 28, 2, 4, 3; cf. vu, 23, 3. 

2. i?p/i., VII, 1; Magn., viii, 1; T^'alL, vi, 1. 

3. Trall., vi, 2; Magn., vui, 1 ; ix, 1 ; x, 2, 3 ; Philad., vi, 1 



180 LA THEOLOGIE ANTElNICEENNE. 

plus, ils sont docètes :ils n'admettent pas la réalité delà 
chair et des mystères du Sauveur^. Conséquemment, 
ils s'abstiennent de l'Eucharistie qu'ils ne croient pas 
être la chair du Seigneur 2, et nient la résurrection aussi 
bien quelejugementfutur^. Deleur morale saint Ignace 
ne dit rien de précis, sinon qu'ils n'ont aucune charité 
pour les pauvres et les indigents, et qu'ils sont d'in- 
corrigibles fauteurs de coteries et de schismes-''. 
Ailleurs, il les traite de loups hypocrites qui captivent 
les fidèles par une volupté mauvaise (viSov^ xaxîî, Phi- 
lad., II, 1), et il recommande à ceux-ci de garder leur 
chair comme le temple de Dieu [ib., vu, 2). Faut-il 
voir dans ces paroles une allusion à l'immoralité des 
hérétiques? — Nous ne savons. 

En tout cas l'impression générale qui se dégage de 
cette étude est claire. L'hérésie, telle qu'elle est 
dépeinte dans la seconde moitié du i" et au com- 
mencement du II" siècle par saint Paul, saint Ignace 
et saint Poly carpe, associe, en Asie Mineure, le ju- 
daïsme à des conceptions gnostiques. Gérinthe nous 
présente le même caractère. Quant aux écrits de saint 
Jean, à la seconde épître de saint Pierre et à celle 
de saint Jude, ils ne mentionnent pas, du moins 
expressément, dans la fausse doctrine qu'ils stigmati- 
sent, la tendance judaïsante, mais, outre que des di- 
vergences ont dû naturellement se produire, il ne faut 
pas oublier que, pour les deux derniers documents sur- 
tout, nous ne connaissons pas au juste quel pays habi- 
taient ceux à qui ils s'adressent et de qui ils parlent. 

i. Trall., IX, x; Smyrn., i-vi; Poltc, vu, 1. 

2. Smyrn., vu, 1. 

3. PoLYC, vu, 1; cf. S. Ion., Smyrn., yii,i-i. 

4. Smyrn., vi, 2; viii; Eph., y, 2, 3; Magn., iv, 1; Philad., 11, 1 ; m, 2, 
8 ; IV, 4 ; etc. 



LES HÉRÉSIES DU II" SIÈCLE. 18 1 



§ 3. — Le judéo-christianisme au II" siècle', 

Ona vu comment, dans l'Église chrétienne de Jéru- 
salem, avait existé -dès le principe un parti fortement 
attaché aux observances légales, et jaloux d'en main- 
tenir la pratique, au moins pour les juifs convertis. Les 
événements qui précédèrent la ruine de la ville par 
Titus en 70, eurent pour effet de renforcer cette ten- 
dance fâcheuse. Dès l'an 68, les chrétiens, abandon- 
nant Jérusalem, se réfugièrent au. delà du Jourdain, 
dans le royaume d' Agrippa II, à Pella, d'où ils rayon- 
nèrent peu à peu dans les régions adjacentes. Là, dans 
l'isolement où ils se trouvèrent, leur particularisme 
étroit ne fit qu'augmenter. Là aussi des divergences 
doctrinales se produisirent bientôt entre eux qui les 
partagèrent en plusieurs groupes moins nettement 
tranchés, il est vrai, que cet exposé ne le fera paraître, 
mais qu'il est possible cependant de distinguer. 

Il y eut d'abord un groupe nazaréen, conservant, 
avec un grand attachement à la Loi et à ses prescrip- 
tions, l'essentiel de la foi chrétienne, et un groupe 
ébionite qui versa complètement dans l'hérésie. J'a- 
dopte pour plus de clarté ces dénominations pour dé- 
signer les deux parties de l'ancienne Eglise hiérosoly- 

d. DucHESNE, Hist. anc. de VÈgl., I, chap. ix. Hilgenfeld, Die Ketzer- 
(jeschicMe des Urchrislentums, Leipzig, d884. Hilgenfeld, Judentum 
und Judenchristentum, Leipziy, 1886. Lucius, Essenismus in seinem 
Verhâllniss zum Judenlhum, Strassburg, 1881. J. Lakgen, Die Kle- 
mensromane, Ihre Entstehung und ihre Tendenzen aufs neuc unter- 
sucht, Gotlia, 1890. G. BioG, The Clémentine Homilies. Stiidia biblica et 
ecclesiastica, II, Oxford, 1890. F. W.Bussell, The purpose of the loorld- 
process and the problem of the evil as explained in the Clémentine 
and Lactanlian writings : Studia bibl. et eccles., IV, Oxford, 1896. 
H. WAiTz, Die Pseudoklementinen Homilien und Rekognitionen, Leip- 
zig, 1904. G. HoENNicKE, Dos Judenchristentum im I. und 2. Jahr- 
hund., Berlin, 1908. 

LA THÉOLOGIE ANTÉNICÉKNNE. 11 



182 LA THEOLOtSlË ANTENiCEENiNE. 

mite, bien qu'en pratique on en brouillât l'emploi'. 
Puis, parmi les ébionites, un certain nombre se trouva 
en contact avec les èsséiliens. et de ce contact naquit 
— au commencement du ii'* siècle peut-être — la 
nuance d'ébionisme qui est représentée par lés àfpo- 
cryphes clémentins au iii^ siècle, et décrite par sâinl 
Epiphanèau iv^iJHaeres. xix). Enfin sur ce fond d'ébio- 
nisme éssénièn se détache encore la secte particulière 
des elkasaïtes. 

Ainsi, autant qu'il est permis d'en juger, l'ancienne 
Église de Jérusalem se serait décomposée 'an début 
du 11^ siècle d'abord en nazaréens et ébioniteB; puis 
de ces derniers seraient venus lés ébionites esséniens 
dont les elkasaïtes seraient une branchfe spédàle. 

Quelle était la doctrine de ces divers groupes ? 

Il ne semble pas qtie, sauf par leur attachement 
exagéré à la Loi, et par une conception sans doute trop 
étroite de rÉvangile en général, les nazaréens aient 
différé, dans leurs croyances, des autres Églises hellé- 
niques. Saint Jérôme, qui les connut à Bérée (Alep), 
déclare à saint Augustin, dans sa lettré cxir, 13, « qu'ils 
croient au Christ, Fils de Dieu, né de la Vierge Marie, 
qui a soufiEért sous Ponce-Pilate, est ress'uscité, en qui 
nous croyons aussi >>. Il ajoute, il est vrai, qFu'éh vou- 
lant être à la fois JTiîfs et chrétiens lis ne sont iii l'un ni 
l'autre : dum çolutit et iudaèi éWé et chrîstîani, hec 
iiidaei sunt nec christiani; mais ce qui les empêche 
d'être chrétiens c'èstùniquement leur obstiïiàtîbh à vivre 
à la juive; car le même saint Jérôme témoigne ailleurs 
qu'ils ne repoussaient pas l'àpôtre PauP. ^^ Remontons 

i. s. JÉRÔME, Epist.iSAl, ad Augustinum, 13. Cf. Harnack, Lehrb. der 
DG., I, p. 323, texte et note 2. 

2. In Isaîdin, lib.III, «àp. ix, i (P. L., XXIV, 125). Ces nazaréens pa- 
raÎEfsènt bien être ceux dont parle saint 'Épiphané, ffaer. xxix, 1, 7-9. 
Bien qu'il déclare qu'iJssontjûifsetpsis autre cliose(7), les détails qu'il 
donne prouvent le contraire. 



LES HERESIES DU il" SIECLE. 183 

pins haut. Il semble bien qu'Hégésippe, l'auteur des 
Mémoires, a été un clirétien de ce groupe ' . Or, il en- 
treprend, vers 150j un voyage en Occident et se met en 
rapport avec un grand nombre d'évêques, notamment 
avec ceux de Corinthe et de Rome : il examine la 
doctrine qu'on enseigne dans les Églises et il la trouve 
conforme à la sienne, « conforme à ce que prêchent la 
Loi, les Prophètes et le Seigneur- ». Si l'on remarque 
maintenant qu'au moment où écrivait Hégésippe (vers 
180), saint Irénée représentait la secte ébionite comme 
absolument hérétique^, il faut bien convenir que tous 
les judéo-chrétiens n'en faisaient pas partie. — Enfin, 
dans son Dialogue avec Tryphon (xlvii), saint Justin 
parle de chrétiens qui acceptent tout l'Evangile, mais 
qui restent attachés à la loi de Moïse. Il croit, pour lui, 
qu'ils pourront se sauver et qu'on doit les regarder 
comme des frères avec qui on est en communion, pourvu 
qu'ils ne prétendent pas imposer aux chrétiens de la 
Grcntilité ces mêmes observances. Ce sentiment, ajoute- 
t-il, n'est pas, il est vrai, celui de tout le monde, et cer- 
tains chrétiens ne se mêlent point à eux. Puis, au 
numéro xlviii, notre auteur mentionne encore des juifs 
d'origine (xivèç àTcb toïï ôfxgTÉpou ysycoç"^) qui admettent la 
messianité de Jésus, mais non sa divinité, opinion, 
contintie-t-il, que je ne saurais partager non plus que 
la masse de ceux qui sont avec moi. 

Ces Juifs sont-ils les mêmes que les chrétiens dont il 
a parlé au numéro précédent? Non, sans doute. En 
tout cas, il paraît bien certain qu'il a existé, au ii« siè- 

1. EI.SÈBE, Hist. eccles., IV, 22, 7; cf. S. Jérôme, In Ezechielem, lib. IV, 
cap. XYi, 13 (P. L., XXV, 137). 

2. EnsÈBE, Hist. eccles., IV, 22, 1-4. 

3. Âdv. haeres., I, 26, 2. 

4. C'est bien vijjletcpou qu'il faut lire et non pas, comme ;porlent les 
éditions de Maran et d'Otto, Y|[jisT£pou (Harnack, Lehrb. Her DGr.,1, p. 320, 
note 1). 



18i LA THEOLOGIE ANTÉNICEENiNE. 

cle et jusqu'à la fin du iv= où saint Jérôme les a connus, 
des judéo-chrétiens orthodoxes dont toute l'erreur a 
consisté dans leur obstination à pratiquer la loi mosaï- 
que. Ce sont ceux que nous appelons nazaréens. 

A côté d'eux il faut mettre les ébionites ^ On ne 
sait au juste d'où leur est venu ce nom, et les au- 
teurs anciens varient beaucoup dans la façon de l'ex- 
pliquer. La meilleure et la plus naturelle est celle qui 
l'interprète par la pauvreté effective [ebion en hébreu 
signifie pauvre) de la communauté chrétienne émigrée 
et établie au delà du Jourdain. 

Leur doctrine, telle qu'elle se dégage de l'ensemble 
de nos sources, était la suivante : il y a un Dieu unique 
créateur et maître du monde. Jésus-Christ n'est qu'un 
homme (^j^iÀoç avôpojTTo;) né du commerce de Joseph et 
de Marie. Eusèbe témoigne cependant que plusieurs 
d'entre eux admettaient sa naissance virginale 2. Par 
son observation scrupuleuse de la Loi Jésus a été 
justifié et est devenu le Christ, chacun d'ailleurs pou- 
vant le devenir de la même façon. Aussi cette loi, les 
ébionites en gardent-ils fidèlement toutes les ordonnan- 
ces, la circoncision, le sabbat, et ils assurent que cette 
fidélité est nécessaire au salut. D'autre part, ils se ser- 
vent exclusivement de l'évangile de saint Matthieu, de 
l'évangile des Hébreux, et repoussent saint Paul comme 
un apostat, lui et ses épîtres. Mais ils solennisent, 
comme les chrétiens, le dimanche en mémoire de la 
résurrection de' Jésus-Christ. Saint Irénée ajoute (i, 
26, 2) qu'ils expliquaient les prophéties curiosius, c'est- 



1. Sources : Hégésippe dans Eusèbe, Hist. cccles., IV, 22, -i-T. S. Iriinke, 
Adv. haer., I, 26, 2; m, 21, 2; V, i, 3. Oiucèse, Contra Celsum, ii, î ; v, 
61; In Gènes,, m, 5; In Matlh., xvi, 12. Pseudo-Tertclliex, m. Piii- 
lASTRius, 37. Tertullien, De praescrift., 33. Philosophoumena, vis, Si. 
Eusèbe, Hist. eccl., \ll, 27; VI, 17. 

2. Hist. eccl., III, 27, 2; cf. YI. 17. 



LES HÉRÉSIES DU II" SIÈCLE. 185 

à-dire probablement en y mêlant des subtilités rabbi- 
niques ou des traditions secrètes. 

C'est vers l'an 100 ou même un peu plus tôt que 
les ébionites entrèrent en contact avec les essé- 
niens '. Ceux-ci nous sont connus par Philon, Josèphe 
et Pline l'Ancien 2. On peut les représenter en général 
comme des Juifs à qui la pureté rituelle et légale ne 
suffit pas, et qui, rebutés peut-être par les désordres 
qu'ils avaient vus régner dans le haut clergé de Jérusa- 
lem pendant les deux derniers siècles avant Jésus- 
Christ, s'étaient peu à peu éloignés du temple et de ses 
sacrifices pour mener à part une vie plus parfaite. De 
leurs rapports avec les ébionites naquit cette nuance 
d'ébionisme nommé l'ébionisme essénien. 

Nos sources pour le bien connaître, ne sont pas de 
premier ordre ^, et il est bon de se le rappeler en 
lisant l'exposé suivant tiré surtout des Homélies 
clémentines. Dieu est un (n, 15); il a une forme, 
une configuration ({it-opcpriv xai (ixvi(Jt.a), des membres, mais 
non pour l'usage (ou Sià jçp^aiv, xvii, 7-9). C'est lui qui 



i. Voir sur eus SchDrer, Geschichte des jûdisch. Volkes, II, p. S56 sqq. 

2. Philon, Quod omnis probiis sit liber, 12, 13 ; et un fragment recueilli 
par EusÈBE, Praepar. evang., viu, 11. Josèphe, De bello iud., II, 8, 2-13; 
Antiquités, XIII, 5, 9; XV, 10, 4, 5; XVIII, 1, 5. Pline l'Anc, Hist. natur., 
V, 17. Les autres sources, Philosophoumena, Porphyre, Eusèbe, S. Épi- 
piiane, dépendent des premières ou sont de peu de valeur. 

3. Il y en a deux surtout : A. Le groupe dit des Romans clémentins 
sortis de la secte, mais retouchés dans la suite et qui ne remontentpas, 
dans l'ensemble, au delà du ni° siècle. Ils comprennent : l» Les Homé- 
lies au nombre de vingt, précédées d'une Épitre de Pierre à Jacques, de 
ia Coniettatio (ôia(x,apTup[a) de Jacques, et d'une lettre de Clément au 
même; 2» Les Récognitions, en dix livres; 3° Deux Epilome grecs des 
Homélies en deux rédactions différentes; 4° Deux ^pz^owie arabes des 
Homélies et des Récognitions; 3" Une compilation syriaque des Homé- 
lies et des Récognitions. De ces ouvrages ce sont les Homélies qui 
représentent le plus ancien état de la doctrine. — B. Saist Épiphane, 
Ilaer. xxx. Il nommo ces hérétiques ébionites, et mêle à son exposé ce 
qui regarde Elkasaï; mais ce sont bien les ébionites csséniens qu'il a 
en vue. — L'édition citée pour les Homélies et les Récognitions est 
celle de la Patrologie grecque de Migne, I, II. 



186 LA THÉOLOGIE ANTENICÉEWNE. 

a tout fait (ii, 15) ^ suivant une loi qui oppose les êtres 
deux à deux {Sv/oiç xai IvavTiw;, lï, 15, 33), et de telle sorte 
qu'encore que les éléments et les êtres bons aient élé 
créés les premiers et les mauvais ensuite, nous connais- 
sons et éprouvons d'abord les mauvais et après eux seu- 
lement les bons (u, 16). Ainsi, pour les hommes, Caïn 
a paru avant Abel, Ismaël avant Isaae, Esaû avant 
Jacob, Aaron (mauvais parce que sacrificateur) av^nt 
Moïse, Jean-Baptiste, le fils de la femme [ùiter natos 
piulienim)^ avant Jésus-Christ, le Fils de l'homme, 
Simon le magicien avant saint Pierre, et, à la fin, l'an- 
téehrist paraîtra avant le Christ (ir, 16, 17) ^. 

D'après cette loi, il existe, depuis le commencement 
du monde, deux séries parallèles de prophètes, les uns 
véridiques, les autres menteurs, les uns venus d'Adam 
le premier prophète — dont on nie la chute (m, 21), 
— les autres dérivés d'Eve, inférieure à Adam et 
créée après lui (m, 22). Ceux-ci cependant se mon- 
trent les premiers, et réclament la foi en leur parole 
(jii, 23) \ mais ils ne sauraient être que trompeurs, puis- 
qu'ils représentent l'élément féminin (tu, 27). Ce sont 
eux qui ont introduit les sacrifices sanglants et les 
guerres (figurés par la menstruation) , le polythéisme 
et l'erreur (m, 24). Les prophètes qui dépendent 
d'Adam au contraire ont paru en second lieu, mais 
ils méritent confiance, et, à parler plus exactement, il 
n'a existé depuis le commencement du monde en réalité 
qu'un seul prophète qui a paru d'abord en Adam,- et 
qui « changeant de nom et de forme, parcourt le siècle 

1. Ailleurs cependant (XVII, 9), les Homélies présentent de Dieu et du 
monde une conception panthéiste. 

2. Cf. Récognitions, Vin, 61, qui ont remplacé Aaron par les ma- 
giciens de l'Egypte, et Jean-Baptiste par le tentateur, peut-être aussi 
saint Paul {Homél., II, i') par la nation des Gentils en général. Il est 
certain, en efTet, que saint Paul est attaqué dans les Homélies sous le 
masque de Simon le Magicien (XVlî, 13-1'J). Le chapitre 19 est très di- 
rect. 



LES HÉRÉSIES DU m SÏÈCLE. 187 

jusqu'à ee qu'ayant atteint son temps, oint par la mi- 
séricorde de Dieu, à cause de ses labeurs, il jo.uisse 
pour toujours du repos » (m, 20 ; ci. Récognitions., ii, 
22). 

Ce prophète s^est manifesté en J.ésiis- Christ. GeliAirçi 
ne fait ainsi que continuer l'œuvre d'Adam et de Moïse : 
son rôle est uniquement d'enseigner. Les. Homélies 
présentent (xvi, 12), sur les rapports de la sagesse et 
de Dieu, un système d'extension et de contraction 
(rxTaffiç, oucTToXvi) qui rappelle celui de Sabellius tel 
qu'on le décrivait au iv" siècle. En tout cas, Jésus, 
bien que Fils de Dieu, n'csè pas Dieu (xvt, 15). D'abord, 
il ne s'esfc pas lui-même dit Dieu; puis le propre du 
Père est d'être inengendré, celui du Fils d'être en- 
gendré : or on ne saurait comparer l'engendré à l'iiien- 
gendré : celui-ci est nécessairement unique (xvi, 16, 
17). C'est de l'arianisme pur'. 

Ces données dogmatiques se complètent par l'af- 
firmation de la liberté humaine (x, 4; xi, 8; Réçagnit., 
m, 22), de l'immortalité de l'âme (xi, 11; xvi. 16), 
d'une rétribution divine qui traitera chacun suivant ses 
œuvres (ii, 3.6) et qui infligera notamment à l'âme des 
impies le supplice éternel du feu (xi, 11). 

La partie cultuelle et morale est un mélange d'essé- 
nisme et de judaïsme. La Contestatio. de Jacques adfuet 
le baptême et la circoncision (1) : les Homélies pres- 
crivent le bain au moins une fois le jour [Hom., ix, 23; 
X, 26; siv, 1; Récogn., iv, 3; v, 36), et recommandent 
le régime végétarien [Hom., viii, 15; xii, 6; xv, 7). Le 
mariage précoce est obligatoire pour éviter l'adultère 
et la fornication [Hom., m, 68; Epist. Clem. ad Ja- 
cob., 7). Au contraire, les sacrifices saHglants sont 
condamnés [Hom., iii, 24, 26). 

1. Nous soflimes évidemment ici en présence d'ipterpolations plus 
récentes. 



188 LA THEOLOGIE ANTËNICEENNE. 

L'exposé doctrinal des romans clémentins se retrouve 
en partie dans saint Épiphane [Haer. xxx) dont la re- 
lation présente quelques autres traits intéressants. Pour 
les ébionites, nous dit-il, le Christ et le démon ont été 
tous deux établis de Dieu : au démon appartient l'em- 
pire du monde actuel; au Christ celui du monde 
futur (16). Jésus n'est qu'un homme né dans les cir- 
constances ordinaires (2, 14, 16, 17, 34), mais sur 
qui le Christ est descendu (14). Le Christ est ou bien 
un esprit supérieur créé, qui a paru d'abord en Adam 
et dans les patriarches et finalement en Jésus, ou 
bien l'Esprit-Saint lui-même (3, 13, 16), et c'est lui 
qui. venant sur Jésus à son baptême, a prononcé les 
paroles : « Tu es mon Fils bien-aimé » (13, 16). Jésus- 
Christ est un prophète de vérité : par contre tous les 
prophètes entre Moïse et lui, David, Isaïe etc., sont 
des imposteurs (18). Quant aux Livres sacrés, ces hé- 
rétiques rejettent une partie du Pentateuque, notam- 
ment ce qui regarde l'usage des viandes et des sacri- 
fices (18), ne reçoivent, en fait d'évangiles, que celui 
de saint Matthieu, qu'ils appellent xaxà 'Eêpai'ouç et dont 
ils ont altéré le texte (3, 13, 14, 18, 22), et regardent 
saint Paul comme un menteur et un fourbe (16). En 
revanche, ils se servent de certaines IIspioSoi IIsTpou, 
ouvrage prétendu de Clément, et d'Actes (apocryphes) 
des apôtres (15, 16). 

Leurs pratiques religieuses sont décrites par saint 
Epiphane sensiblement comme dans les documents 
clémentins. Initiés par le baptême, ils célèbrent chaque 
année les saints mystères avec du pain azyme et de 
l'eau (16). Ils ont conservé les observances juives, le 
sabbat, la circoncision, etc. (2) et possèdent même des 
prêtres et des princes de la synagogue (18) : ils rejet- 
tent cependant les sacrifices (16). Ils se baignent 
fréquemment et au moins chaque jour (2, 15, 17), 



LES HERESIES DU IP SIECLE. 189 

s'abstiennent de la chair des animaux (15), mais con- 
damnent la continence et la virginité (2) : chez eux 
le mariage est plus hâtif qu'il ne conviendrait, et le di- 
vorce est permis (18). 

Ces exposés ne laissent aucun doute sur le carac- 
tère mélangé de la doctrine dont nous parlons. Les 
ablutions fréquentes, la répudiation des sacrifices sont 
des traits esséniens. D'autre part, nos trois sources, 
Philon, Josèphe et Pline, s'accordent à dire que les 
esséniens ne se mariaient pas et que la secte s'entre- 
tenait uniquement par l'adoption ou l'initiation de 
personnes adultes ^ Il semble donc juste d'admet- 
tre que nous avons ici une combinaison d'éléments 
esséniens, juifs et chrétiens : c'est l'ébionisme essé- 
nien. 

Sur ce fond commun d'ébionisme essénien se dé- 
tache la doctrine elkasaïte, sans que l'on puisse déter- 
miner d'une façon précise ce qu'elle y a ajouté, et si 
ses partisans formaient bien une secte à part ou n'é- 
taient pas simplement un groupe d'ébionites esséniens 
plus spécialement dévots à Elkasaï. Ce dernier nom 
a même fourni matière à bien des conjectures^. La 
plus probable est celle qui y voit la transcription des 
mots hébreux Héil-Kesaï « force cachée ». Le person- 
nage à qui on le donne a-t-il existé? On en a douté, 
mais sans raison péreinptoire^. 

La secte est connue par Origène (Eusèbe, H. E.y 
VI, 38) et saint Épiphane {Haer. xxix, xxx, liii\ 
en Orient, en Occident par les Philosophoumena 

i. Cependant Josèphe signale à l'Orient une fraction de la secte où 
l'on se mariait, et où même on prenait les femmes à l'essai pour trois 
ans (De bello iud.. If, 8, 13). 

2. Il est écrit par les auteurs de diverses façons : 'HX-/aaaî {Philo- 
ioplioumena), 'Il).£aC (S. Épiphane). Origène dit 'E),xeffaiTaî, 

3. Sur Elkasaï, voir l'étude très fouillée mais un peu aventureuse de 
W. BiUMDT, Elchasai, Leipzig, 1912. 

11. 



190 LA THÉOLOGIE AKTENICEENNE. 

(ix, 13-17). Ceux-ci nous racontent que, sous Caîliste, un 
certain Alcibiade tenta d'introduire à Rome ia doc- 
trine elkasaïto. Cette doctrine, contenue dans le livre 
d'Elkasaï, avait été révélée par un ange gigantesque 
appelé le Fils àe Dieu, ayant à ses «ôtés un ange fe- 
melle, l'Esprit-Saint, de dimensions analogues ^ Ei- 
ka«aï la promulgua la troisième année de Trajan 
(= 100). Elle consistait essentiellement dans la pré- 
dication d'un nouveau ' baptême distinct de celui de 
Jésus, qui devait remettre tous les péchés même les 
plus énormes dès qu'on le recevait av€c foi en la nou- 
velle révélation. Le baptisé était plongé dans l'eau 
tout habillé et invoquait, pendant la cérémonie, les 
sept témoins, à savoir le ciel, l'eau, les esprits saints, 
ïcs anges de la prière, l'huile, le sel et le pain. A 
cela se mêlaient des formules magiques, des incan- 
tations bizarres, des prédictions de l'avenir, des dis- 
tinctions de jours fastes et néfastes, des combinaisons 
de nombres, tout rattirail de l'astrologie. Les obser- 
vances de la Loi juive étaient d'ailleurs maintenues, 
entre autres la circoncision. Quant à Jésus, on le re- 
gardait comme né à la façon ordinaire, d'un commerce 
charnel, mais, suivant les doctrines de la métem- 
psycose, sa naissance de Marie n'avait été qu'une 
renaissance, oar il avait passé successivement et déjà 
dans plusieurs corps et vécu sous d'autres noms. Les 
Philosophoumena remarquent que les elkasaïtes gar 
daient secrètes leurs croyances. 

Ces renseignements, les premiers en date que nous 
possédions, sont confirmés par Origène et par saint 
Epiphane. Le premier ajoute que les hérétiques reje- 



\. Le fait que le mot hébreu rouah, « esprit », est du féminin a con- 
duit un certain nombre de sectes à regarder le Saint-Esprit comme nn 
4lre femelle. Voir le fragment de l'Évangile des Hébreux cité par Ori- 
gène, In leremiam, hom. XY, 4, Lomm., XV, 284. 



LES HERESIES DU IP SIÈCLE. 191 

talent une partie des Écritures, l'autorité des apôtres, 
et permettaient, en cas de nécessité, de renier le 
Christ des lèvres pourvu qu'on ne le fît pas do cœur. 
Les détails spéciaux fournis par saint Epipliane re- 
présentent la secte comme une simple variété de 
l'ébionisme essénien. Les disciples d'Elkasaï, conti- 
nue-t-il, sont proprement les Sampséens (ffàf;.(|;aîoi, solai- 
res)^ qui ne sont en réalité ni Juifs, ni chrétiens, ni 
Gentils. 

De cet exposé il résulte que certaines doctrines 
pythagoriciennes avaient pénétré dans l'ébionisme essé- 
nien, et s'étaient coulées, avec l'elkasaïsme, dans ses 
croyances. Les Philosophoumena le remarquent posi- 
tivement (rx, 14), Ainsi, si nous ne trouvons pas le 
pythagorisme au commencement de l'essénisme, nous 
le trouvons à la fin, et celui-ci ne s'était pas amélioré 
sous l'influence des doctrines qui l'entouraient. 

D'autre part, cette étude montre le peu de place 
qu'en somme le judéo-christianisme a occupé dans 
l'histoire du christianisme primitif, et le peu d'ac- 
tion qu'il a exercé sur le développement de son 
dogme. Le coup droit et précis que saint Paul lui 
avait porté, la supériorité numérique presque im- 
médiatement acquise par les fidèles de la gentilité 
réduisirent très vite à néant ses prétentions. Il put 
troubler quelque temps l'Eglise, nécessiter des pro- 
testations comme celle d'Ignace et du Pseudo-Barnabe, 
mais il ne put sérieusement ni l'inquiéter ni l'entra- 
ver. Contre l'idée -universaliste chrétienne, soutenue 
par les forces de la philosophie grecque que les apo- 
logistes allaient bientôt mettre à son service, le 
judaïsme, pauvre métaphysicien, était bien trop faible 

1. Ainsi noTïiraés sans doute parce que les esséniens auxquels ils 
tenaient invoquaient ou semblaient invoquer le soleil à son lever 
(JosÈPHE, De bello tud., II, 8, 5). 



192 LA THÉOLOGIE ANTÉNICÉENNE. 

pour lutter avec avantage. Aussi voyons-nous les 
colonies transjordanéennes de l'Eglise de Jérusalem 
se perdre rapidement dans l'obscurité de sectes étran- 
ges, et ce qui reste fidèle à l'essentiel du christianisme 
devenir au iv^ siècle plutôt un objet de curiosité pour 
saint Jérôme et saint Épiphane qu'objet d'étude sé- 
rieuse. La situation traditionnelle des nazaréens au- 
rait pourtant, ce semble, mérité autre chose, car, en 
définitive, ils dérivaient du noyau tout primitif de 
la chrétienté naissante. Mais leur petit nombre les 
fit négliger : ils n'étaient plus, dans la grande Église, 
qu'un îlot perdu, un groupe imperceptible que ses 
singularités seules signalaient à l'attention. 

§ 4. Le gnosticisme 1. 
On donne le nom de gnosticisme à toute une collec- 

1. Sources : i° Les écrits et fragments d'écrits gnosliques : l'Épître de 
Ptolémée à Flora (S. Épiphane, Haer., xxxiir, 3 sq., cf. P. G., VII, 1281 
sq.); la Pislis sophia; le Livre du grand Logos ou Livre de Jeu, et un 
autre ouvrage sans litre dans les papyrus de Bruce (édit. C. Schmibt, 
Koptisch-GnosHsche Schriflen, I, Leipzig, 190S). La collection des frag- 
ments se trouve dans Grade, Spicileginm, II; Massuet, P. G.,\ll, 1263 sq. ; 
HiLGENFELD, Die Kctzêrgcschichte des Ùrchristeiitums, Leipzig, 1884. 
Voir aussi Clément d'Alexanduie, Excerpta Theodoli. — 2° Les cata- 
logues et réfutations d'iicrésies : S. Irénée, Adversus haereses libri V 
S. HippoLYTE, Syntagma conlra omnes haereses, ouvrage perdu, mais 
qui est représenté par Psecdo-Tertullien, Liber adversus omnes haere- 
ses; PniLASTRius, De haeresibus liber, et S. Épiphane, Panaria; Philoso- 
phoumena sive Haeresium omnium confutatio (édit. Cruice); Adaman- 
Tius, De recta in Deum fide. Il y faut ajouter les traités particuliers ou 
renseignements de Clément d'Alexandrie, Origéne, Tertullien, Eusèbe et 
autres Instoriens ecclésiastiques, et de plus Ptoxis, IIpô; toù; yviodxixoyç, 
dans les Ennéades. 

Travaux : Ducuesne, Hist. anc. de l'Égl., I, chap. xi. Lipshjs, Der Gnos- 
Hcismus, sein Wesen, Ursprung und Entwicklungsgang, Leipzig, 1860. 
Mansei,, The gnostic hérésies, London, 1875. Hoffmane, Die Gnosis nach 
Tendenz und Organisation, Breslau, 1881. Hilgenfeld, Die Ketzerge- 
schichte des Urchristentums, Leipzig, 1884. E. de Paye, Gnostiques et 
gnosticisme, Paris, 1923. E. Bcomaiuti, Lo gnosticisme, Ronia, 1907. — 
Pour la littérature particulière à chaque secte, voir Bardenhewer, Ge- 
%ehichte der altkirchlichen Liter.,1, p. 34a sqq. 



LES HEllÉSlES DU II" SIÈCLE. 193= 

lion de systèmes nés de bonne heure au ii» siècle, dont 
plusieurs ont survécu jusqu'au v« et au delà, et qui 
représentent dans leur ensemble un effort ou de la 
pensée philosophique pour absorber le christianisme 
et le transformer en une simple philosophie religieuse, 
ou de la pensée religieuse pour lui trouver un sens 
plus profond que ne comportait la simplicité de l'Évan- 
gile, et le transformer en une mystagogie d'initiations 
et de rêves. Dans les deux cas, c'était une science plus 
haute (Yvwffi;) qui prétendait se substituer à la foi com- 
mune et ordinaire (jciff-rtç). Le gnostique était censé 
comprendre sa foi et en avoir percé le mystère. 

Si le christianisme en effet apportait aux grands pro- 
blèmes qu'agitait l'esprit humain une solution autori- 
sée, il ne prétendait pas donner de ces problèmes eux- 
mêmes une explication proprement dite. Il y avait 
donc, même admises les données chrétiennes, place 
pour des recherches ultérieures dont elles formeraient 
la base, et dont une philosophie claire et pondérée 
pouvait être l'instrument. C'est la gnose chrétienne 
telle que l'ont comprise Clément d'Alexandrie et Ori- 
gène. Malheureusement, au lieu de cette philosophie 
réservée qui n'est que la raison en acte, les gnostiques 
usèrent, pour élucider leur foi, d'un platonisme dégé- 
néré qui tournait au panthéisme et d'un néo-pythago- 
risme superstitieux qui tournait à la magie. Puis, afm 
d'utiliser pour le même but ce que les religions an- 
ciennes leur paraissaient avoir de bon, ils empruntèrent 
aux mystères païens, fort en vogue, commeon sait, au 
II* siècle, le secret de leurs rites et de leurs initiations,^ 
ou transportèrent dans l'enseigement de l'Eglise les 
doctrines théogoniques et cosmogoniques de l'Egypte, 
de la Chaldée, de la Perse et peut-être même de 
l'Inde connues à Alexandrie et en Syrie. A tous ces 
éléments de mauvais aloi vint s'ajouter une exégèse 



19 i LA THÉOLOGIE ANTÉNICBENNE, 

allégorisante à outrance avec sa méthode décevante et 
ses interprétations fantaisistes. Dès lors, libre cours 
fut donné à l'imagination et l'on vit trop souvent 
de ces combinaisons indiscrètes, où l'Évangile était 
engagé, sortir des systèmes étranges, compliqués, 
monstrueux, dont on a peine à croire qu'ils aient pu 
tenir dans des cerveaux raisonnables, ou qu'ils aient 
pu être sérieusement proposés, admis et défendus. 

Ces bizarreries cependant ne doivent point nous don- 
ner le change sur l'importance des problèmes auxquels 
la gnose s'attaquait, ni sur la vigueur que quelques- 
uns de ses maîtres ont apportée dans leur étude. « Ea- 
dem materia apud haereticos et philosophas volutatur : 
iidem retractatus implicantur : Unde malum et qua 
in re? Unde home et quomodo, et quod maxime Valen- 
tinus proposuit : undeDeus? » C'est ainsi que Tertul- 
lien^ résume les questions que les hérétiques vou- 
laient éclaircir. Il ne s'agissait de rien moins que de 
dire ce qu'est Dieu, ce qu'est l'homme et d'où il vient; 
pourquoi le mal? Puis, dans les systèmes gnostiques 
eux-mêmes, nous devons distinguer avec soin ce qui 
fait le fond de leur enseignement des images sous les- 
quelles cet enseignement était proposé, et des récits 
plus ou moins symboliques dans lesquels on l'envelop- 
pait. Ces images et ces récits, qui avaient leur place 
surtout dans le service liturgique, ne tenaient pas aux 
entrailles de la doctrine : ils étaient beaucoup plus flot- 
tants, et traités avec une certaine liberté. 

Voilà donc ce que se proposait le gnosticisme, et les 
moyens qu'il a mis» en œuvre pour y parvenir. Les 
sources dont nous disposons pour le connaître lui- 
même sont de valeur très inégale. Les écrits gnostiques, 
la première autorité à consulter naturellement, ont 

i. De praescript.,T', cf. Clément d'Alexandrie, Excerptaex Theodoto, 
78. 



• LES BÉRÉSIES DU II' 'SmOhE. 195 

presque entièrement disparu. C'est à peine si quatre 
ou cinq pièces ;entières se sont conservées en dehors 
des citations et 'fragments, parfois assez longs, que les 
lîéréséologaes ont insérés dans leurs ouvrages''. Le 
cata^togue héréséologique de saint Justin est perdu el 
l'on désespère de le reconstituer. A l'époque de «aint 
Irénée, le premier en date dont nous ayons lés écrits 
contre le gnosticisme, celui-ci avait déjà évolué, et il 
-est à croire que l'évêque de Lyon, malgré les docu- 
ments antérieurs dont il a profité (voir surtout Aâç. 
haer.j i, 22-27), a dépeint l'erreur à sa naissa=nce 
avec bien des traits qni ne s'y sont dessinés que plus 
tard. Le SyntagmaAe saint Hippoly te peut sans doirte 
être retrouvé assez exactement dans les trois auteurs 

— le Pseudo-Tertullien, 'PMlastrius et saint Epiphane 

— qui y ©■nt puisé, mais enfin nous n'avons plus le 
texte même; et quant aux documents analysés par les 
Philosophoumena, ces documents — s'ils sont autlien- 
tiques — ne remontent vraisemblablement pas plus 
haut que le commencement du iii^ ou la fin du ii"^ siècle. 
Nous ne disons rien des renseignements fournis par 
Origène et TertuUien. Ceux de Clément d'Alexandrie 
sont plus près des sources et à ce titre plus précieux. 

De cette revue il suit que nous ne sommes pas 
parfaitement au clair sur ce qu'ont été au juste les 
systèmes gnostiques des cinquante premières années — 
de l'an 120 à l'an 170 environ — et sur la doctrine pré- 
cise qu'ont professée ceux qui les ont d'abord émis. Ce, 
qui semble seulement résulter de l'étude de nos 
sources est ceci : c'est que nous devons distinguer 
dans riiistoire du gnosticisme deux périodes. La pre- 
mière comprend le ii^ siècle. Le gnosticisme, dont les 

\. HvvnKACK, Geschichte der altchrislliclien Liter., Die Ueberlïefer., 
pages 432 sqq., 918; Bardenhewer, Gesch. der aUkirchlichen Liter. 
I, pages 345 sqq. 



196. LA THEOLOGIE ANTENICEENNE. 

racines s'aperçoivent déjà, nous l'avons dit, dans les 
écrits de saint Paul, y apparaît à l'époque d'Hadrien et 
d'Antonin (117-161) avec Ménandre, Saturnin, Basilide, 
Valentin, Carpocrate, et se développe régulièrement 
jusqu'à la fin. Cette première phase est caractérisée 
— au moins dans les commencements — par la supé- 
riorité intellectuelle et souvent morale de ceux qui éta 
blissent les sectes, par la tendance plus philosophique 
des systèmes, par la distinction plus nettement tran- 
chée des écoles. Puis, au commencement du iii^ siècle, 
s'ouvre une seconde période. De nouvelles sectes ap- 
paraissent et pullulent avec des noms étranges, fon- 
dées par des hommes inconnus ou médiocres. Leurs 
systèmes absorbent peu à peu les grandes théories 
de l'âge précédent, mais tendent d'ailleurs à se rap- 
procher entre eux, de façon à n'être plus que des 
variétés dans un fond de doctrine commune. En même 
temps l'élément philosophique cède la place à l'élément 
purement religieux ou encore théurgique. Au lieu de 
raisonner, on s'appuie sur des révélations — les apo- 
cryphes foisonnent — ; au lieu d'instruire, on multiplie 
les rites et les cérémonies mystérieuses. La tenue mo- 
rale n'y gagne pas, et certaines sectes y descendent à 
l'extrême infamie. Aussi font-elles secret de leur en- 
seignement et dissimulent-elles leur existence même. 
Seul un hasard heureux les a souvent fait connaître. 
Quant à une classification des systèmes gnostiques, 
peut-être offrent-ils un ensemble trop complexe et 
d'ailleurs trop imparfaitement connu pour qu'il soit 
possible d'en donner une satisfaisante. On n'y a pas, 
en tout cas, encore réussi, et celles que Ton a proposées 
diffèrent nécessairement suivant le point de vue au- 
quel les auteurs se sont placés. La plus suivie 
se met au point de vue géographique et partage 
les systèmes en deux grandes catégories : ceux qui 



LES HERESIES DU II" SIECLE. 197 

viennent de Syrie et qui ont emprunté aux religions 
syrienne, clialdéenne et perse : ils composent la gnose 
syrienne dont les principaux représentants sont Simon 
le magicien, Ménandre, Saturnin, les ophites de 
saint Irénée, les caïnites et Justin. La seconde caté- 
gorie embrasse les systèmes qui sont nés sur le sol 
et ont emprunté à la religion de l'ancienne Egypte : 
c'est la gnose alexandrine à laquelle il faut rapporter 
Basilide, Valentin et ses disciples (Ptolémée, Héra- 
cléon pour l'école italique; Théodote, Marcus, Se- 
cundus, Axionicus pour l'école orientale), Carpocrate 
et Epiplianc, les docètes, et les ophites alexandrins 
(uaasséniens, pérates, sethiens, etc.). Le marcionisrae, 
souvent donné comme une branche de la gnose, pré- 
sente une physionomie spéciale et doit être traité à 
part. 

De ce grand nombre de systèmes plus ou moins heu- 
reusement construits on n'attend pas que nous donnions 
ici une analyse détaillée : travail fastidieux et peu 
nécessaire que les proportions do ce volume ne per- 
mettent pas de réaliser. Mieux vaut en noter les doc- 
trines principales et caractéristiques, en signalant, 
quand il y aura lieu, les divergences plus importantes. 

Le Dieu suprême est généralement conçu comme 
unique. Au milieu des êtres divins qui l'entourent, 
qu'ils émanent ou non de lui, il apparaît le seul de 
son rang^ Dans quelques systèmes — par exemple 
celui des ophites de saint Irénée — on retrouve des 
traces évidentes de la Trinité chrétienne. Le premier 
principe y comprend le Père (le premier homme), le 
Fils (Ennoia,le second homme), et le Saint-Esprit con- 
sidéré comme être féminin 2. 

Ce premier principe. Dieu suprême, Père de toutes 

\. Ptolemaei ad Floram epistula, P. G., VII, 1289. 
2. Adv. haeres., I, 30, 4. 



198 LA THEOLOGIE ANTENIGEENNE. 

choses, est inconnu du monde inférieur, souvent même 
des êtres qui rapproelient de plus près. On tend à en 
faire une abstraction (^uôoç, ô oùx oiv ôso'ç) : c'est un raf- 
finement du platonisme ou un emprunt aux vieilles 
cosmogonies qui voient dans le chaos et l'aMme, c'est- 
à-dire dans le néant de la lumière et de l'ordre, la 
source du cosmos. 

Entre le Dieu suprême et le monde inférieur se 
place un monde supra-sensible, divin, g-énéralement 
émane du premier principe, et qui doit combler la dis- 
tance entre l'infini et le fini, l'absolu et le relatif, et ex- 
pliquer la création. On l'appelle le pléréme, l'ogdoadc. 
Il est composé tantôt d'êtres qui semblent bien réels 
et concrets, comme dans la gnose syrienne en gé- 
néral, tantôt, comme dans les systèmes de Simon et 
de Valentin, d'abstractions, de passions personnifiées 
présentées deux à deux comme éiémenls masculin et fé- 
minin, formant des syzygies : voïï(;eteTn'voia,çtoviietovo{/.a, 
ou bien l'Esprit et la Yérité, le Verbe et la Vie, etc. 
Entre les éons ainsi mentionnés il faut, distinguer 
l'éon Christ ou Jésus, qui descendra plus tard sur le 
Rédempteur ^ 

C'est d'un ou de plusieurs de ces éons inférieurs au 
Père universel que vient la création^. La matière et 
l'esprit en effet ne sont pas conçus comme deux 
formes diverses, inégales en perfection, de l'être, mais 
comme deux formes contrai^ictoires, s'exeluant en 
quelque sorte l'une l'autre. L'esprit est bon, la matière 
est mauvaise : elle est le fxvi ov : elle ne peut donc être 
l'œuvre de Dieu qui est excellemment esprit. Le dé- 
miurge se trouve dès lors forcément distingué de Dieu : 
l'homme et le monde viennent d'un être subalterne. De 
là à regarder ce démiurge comme un être mauvais la 

i. s. IitÉxÉE, Adv. haeres., i, 2, G. 

2. Ptolem. ad Flor. epist., P. G., VII, 1289^ 



LES HÉRÉSIES DU IV SIECLE. 199 

pente était naturelle, et beaucoup de gnostiques l'ont 
suivie. 

Or ce démiurge, la Bible nous en assure, est le 
Dieu des Juifs, l'auteur de la loi mosaïque, Consé- 
quemment, ce Dieu est un génie malfaisant et sa loi 
lui ressemble : il la faut mépriser et lui résister à lui- 
même. Cette conclusion, que tirent plus ou moins 
explicitement plusieurs sectes, s'appuie encore sur le 
sentiment confus qu'a la gnose du caractère exclusif 
et étroit du judaïsme et de l'opposition qui existe entre 
l'hellénisme, sa philosophie et l'Ancien Testament. Ce- 
lui-ci ne représente qu'une religion particulière et rela- 
tive, et le gnosticisme rêve de religion définitive et 
absolue. Mais, du même coup, cette conclusion 
rompt l'unité de l'histoire. Si la création et la Loi sont 
mauvaises, la Rédemption ne vient pas parfaire la pre- 
mière, mais la détruire, le christianisme ne continue 
pas la seconde, il la contredit. Il y a opposition entre 
l'Ancien et le Nouveau Testament. C'est l'affirmation 
dumarcionisme, mais que l'on trouve formulée ailleurs. 
La gnose est, dans son ensemble, antijuive. 

Cependant, dans la création tout n'est pas mauvais.. 
A l'insu du démiurge, le Père suprême ou quelque 
autre esprit supérieur y a laissé tomber une étincelle, 
un rayon, un parfum du monde suprasensible, du 
royaume du premier être. Ce germe divin s'est répandu 
plus ou moins dans les créatures. 11 y soulîre de son 
contact avec la matière, de son emprisonnement dans 
les éléments grossiers auxquels il est mêlé, et d'autant 
plus que le démiurge le persécute comme étranger à 
son œuvre, et cherche à le détruire. 

C'est de la présence ou de l'absence de cette étin- 
celle de vie dans les individus que résulte la division 
du genre humain en catégories distinctes et fermées, 
^chez lesquelles le salut est moins une affaire d'initia- 



200 LA THÉOLOGIE ANTÉNICÉENNE. 

tive libre et personnelle que la conséquence d'une con- 
dition première dont on ne saurait s'affranchir. Il y a 
trois classes d'hommes, les spirituels ou pneumatiques, 
les psychiques et les hyliques ou matériels, TrveufxaTty.oi, 
'huyiy.oi, ôXtxoi ou ff(.3|j(.aTixo( ^ Dans les premiers l'élément 
divin domine : ils ne sauraient mal faire, leur salut 
est assuré. Dans les seconds il y a équilibre entre les 
éléments bons et mauvais : ils peuvent, à leur gré, bien 
ou mal agir, se sauver ou se perdre. Dans les derniers 
la matière l'emporte et par conséquent le vice : ils sont 
irrémédiablement condamnés. Les premiers sont les 
gnostiques ; les seconds les chrétiens ordinaires ; dans 
les troisièmes sont compris les païens et les juifs. 

La chute primordiale, on le comprend, est précisé- 
ment l'emprisonnement de l'étincelle de lumière et de 
vie dans la matière. La Rédemption, par conséquent, 
consistera essentiellement dans la délivrance de cet 
élément divin et dans son retour au principe d'où il est 
sorti. C'est pour opérer cette délivrance qu'est envoyé 
le Sauveur. 

Sur la personne de Jésus-Christ les systèmes gnos- 
tiques présentent trois conceptions distinctes, mais 
dont deux au moins ne s'excluent pas ou même se ren- 
contrent dans les mêmes auteurs. 

Carpocrate et Justin le gnostique regardent le Sau- 
veur comme un pur homme, supérieur aux autres seu- 
lement en justice et en saintelé. Leur sentiment forme 
exception. Le dualisme constitue l'expression la plus 
ordinaire, et, l'on peut dire, caractéristique de la chris- 
tologie gnostique ^. Le Sauveur est composé de deux 

1. Saint Irésée, Adv. haer., i, 7, î>; Tertullien, Adv. Yalentinianos, 
29. Quelques sectes, celles de Saturnin par exemple, n'admettaient que 
deux classes. 

2. M. Harnack {Lehrb.dei- DG., I, p. 280, note 1) a très bien observé 
que ce qui caractérise la christologie gnostique ce n'est pas le docé- 
tisme, comme on le croit souvent, mais bien le dualisme, c'est-à-dire la 



LES HÉRÉSIES DU IP SIÈCLE. 201 

êtres, l'un terrestre, humain, l'autre divin, céleste qui 
s'unit accidentellement au premier pour opérer en lui et 
sous son couvert la Rédemption, Tel est l'enseignement 
de l'école valentinienne en général. 

A ce dualisme vient s'ajouter souvent le docétisme. 
Des deux éléments qui composent Jésus-Christ l'élé- 
ment humain n'est qu'apparent. On trouve là une con- 
séquence de l'opposition entre l'esprit et la matière, du 
caractère essentiellement mauvais de celle-ci. Puis- 
qu'elle est mauvaise en soi et incapable de salut, là 
matière ne saurait entrer comme partie intégrante du 
Rédempteur ni concourir à son œuvre. Le Christ cé- 
leste n'en prend que l'apparence, apparence même qu'il 
abandonne quand il remonte au lieu d'où il est venu. 
Souvent ce docétisme est absolu comme dans Simon, 
Saturnin, les basilidiens de saint Irénée; d'autres 
fois il est partiel seulement et ne nie que l'origine ter- 
restre du corps de Jésus. Ce corps n'a pas été pris de 
la matière ordinaire ; il descend du ciel et n'a fait que 
passer par Marie, Bik Mapi'aç ; c'est le système de Ma- 
rinus et d'Apelles. 

Le Sauveur tel que le concevaient les gnostiques 
avait d'ailleurs d'autant moins besoin d'un corps réel 
que ce n'est pas, d'après eux, par ses souffrances et 
par sa mort que s'opère la Rédemption, mais bien par 
la science, par la gnose. Connaître le Père inconnu 
jusque-là, pénétrer dans les mystères delà secte, croire 
à ses traditions secrètes, interpréter comme elle les 
récits évangéliques et les phénomènes de la nature, 
participer à ses rites, tel est le salut que Jésus nous 
a apporté * . Les gnostiques sont des intellectuels au 



distinction énergique de deux natures ou mieux de deux personnes 
en Jésus-Christ. 

i. S. Irénée, Adv. haeres., i, 15,2; Pkilosophoumena, v, 10; Pistisso- 
phia, cap. i, 83, 96, 97; Livre de Jeu, cap. 42. 



202 LA THEOLOGIE ANTÉNKÉENNE. 

mauvais sens du mot: la science, ou ce qu'ils décorent 
de ce nom, est pour eux l'équivalent de la vertu ou 
plutôt la dopasse : c'est par la connaissance et non par 
l'effort delà volonté que se gagne le royaume des cieux. 

Appuyée sUr les vues spéculatives que nous venons 
de résumer, la morale des gnostiqués présentait deux 
tendances bien différentes. Clément d'Alexandrie déjà 
divisait leurs sectes en ascétiques et licencieuses^, 
les unes et les autres partant également du caractère 
essentiellement mauvais de la matière. Car de ce prin- 
cipe admis les unes concluaient qu'il la fallait maltrai- 
ter, les autres qu'il la fallait souiller, et qu'incapable de 
tout bien , ses actes étaient indifférents. Le déterminisme 
inéluctable prêché par certains docteurs favorisait, il 
faut l'avouer, ce dernier parti, et aussi vit^on plusieurs 
écoles, dont les premiers maîtres avaient été austères 
ou corrects, glisser plus tard dans une immoi'alité ré- 
voltante. Les héréséologues ont] pu quelquefois, il est 
vrai, exagérer ce reproche, et Ton ne trouve pas tou-- 
jours la confirmation de leurs dires dans les fragments 
gnostiqués qui nous restent. Mais ces fragments ce- 
pendant ne sont pas toujours irréprochables à cet égard, 
et il faut bien convenir d'ailleurs que ce ne sont point 
là des choses que l'on étale dans les livres, et dont 
on donne volontiers le secret par écrit. 

Quant à l'eschatologie, elle constituait un des points 
sur lesquels la gnose se séparait le plus profondément 
du christianisme orthodoxe. De résurrection de la chair 
il ne pouvait être question ^. Le jugement était déjà 
porté pour un gi-ahd nombre d'hommes et s'iexécu'tait 
tous les jours. D'autre part, le Christ était définitive- 
ment et pour jamais remonté vers le Père suprême : il 
n'y avait donc pas à attendre de parou&ie'. La crise der- 

A. Sti'dmates, m, S, P. G., VIÏÏ, 1144. 

2. Voir la règle de foi d'ApeUes àaàs S. ÉPiraAKE, Saer. xuv^ 2, 



LES HËUÉSIES DU H" SIÈCLE. 2Ôà 

nfère était Buppriméé : il sôïnble plutôt que le moiîdfe dût 
flair par l'éptiisement, le démiurge étant im|)uissaiît à 
alimenter sa vie, et par le retrait successif des parcelles 
de lumière supérieure répandues dans la créatiôtî. 
13 'après le syst^èmô de Valéntin, un feû général viendra, 
àii mx)ment voului, dévorer l'uïiivers matériel et aVeè 
lui les hyliques incapables de salut. 

Reste à dire un mot du culte gnostique. Il ne pouvait 
se faire que là gnose^ issue en partie des religions 
orientales, et ise rapprochant, par sa doctrine ésoté- 
rique, <ies mystères dû pag-aiiisme, ne présentât pas 
dans son cuite des traces de cette double parenté. 
Aussi troùvôïiB-mous chez elle tout un système d'initia- 
tions, de sacrements, de purifications, de formules ma- 
giques, de combinaisons de nombres, de divinations 
astrologiques, d'amulettes et de porte-bonheur qui 
rappellent parfois ce qu'il y a de plus saint dans le chris- 
tianisme, mais qui, le plus souvent, dérivent de la 
plus grossière superstition, ou même ne sont que 
des formes de la plus révoltante brutalité. 

Plusieurs de ces pratiques et de ces rites nous sont 
connus. Saint Irénée signale le mariage - spirituel, 
des baptêmes accompagnés de formules hébraïques, des 
onctions de bannie faites aux mourants avec un mé- 
lange d'eau et d'huile, la marque au fer roiige derrière 
l'oreille droite, les prophéties, les prétendus miracles 
rendait sensible le chângeinent opéré dans lès saints 
mystères ^ . Ailleurs ïiotiis ïéncontroBB les chants et les 
hymnes mystiques ^ lé triple baptême dô l'eau, du feu 
et de l'Esprit, une Eticharistie répugnante ', des invoca^ 
tiens baroques, l'emploi d'images singulières, de des- 
sins symbôliqueis, de médailles et de pierres gravées 

*. Adv. haeres., i, 13, 2, 3; 21, 3, 3; 23, 6; cf. Eoskbe, H. E., lY, 7, 7. 

2. Philosophoumena, v, 10. 

3. Pistis Sophia, cap. 147; S. ËPiphank, ifàer. xvn, *. 



204 LA THÉOLOGIE ANTÉNIÇÊEJNNE. 

de figures bizarres. Tout cet appareil, imaginé sou- 
vent par des docteurs de second ordi*e, en imposait au 
vulgaire et lui rendait sensible la présence du divin. 
Incapable qu'il était de comprendre les théories com- 
pliquées d'un Ptolémée ou d'un Basilide, il s'attachait 
d'autant plus fortement à ces pratiques, où il pensait 
trouver le salut et le pardon des péchés que ces hautes 
doctrines étaient censées contenir. 

Ainsi entendue, la gnose constitua certainement pour 
l'Église un péril considérable. Plusieurs des hommes 
qui la dirigeaient étaient, nous l'avons dit, d'une péné- 
tration peu ordinaire, capables de vues synthétiques, 
éloquents, offrant d'ailleurs dans leur vie une régularité 
morale ou même une austérité chrétienne qui augmen- 
tait leur autorité. A l'Église ces hommes venaient offrir 
précisément ce qui lui manquait encore, une concep- 
tion d'ensemble de l'histoire et de l'œuvre du salut, 
une philosophie du christianisme et de ses rapports 
avec le judaïsme et le paganisme, une intelligence plus 
profonde de sa foi. Il est vrai qu'ici, en prétendant 
éclairer cette foi, la gnose la détruisait. Sur presque 
tous les points fondamentaux, sur l'identité de Dieu et 
du démiurge, sur la liaison des deux Testaments, sur 
l'universalité de la Rédemption, l'unité personnelle de 
Jésus-Christ et le caractère réel et sensible de sa ma- 
nifestation, sur la valeur de son sacrifice, sur la résur- 
rection de la chair et nos fins dernières, sur la nature 
même du décalogue, elle se trouvait en contradiction 
avec l'Evangile ; elle ruinait sa simplicité etsophistiquait 
son enseignement. Elle n'était, comme on l'a dit, que la 
sécularisation aiguë du christianisme \ une philoso- 
phie substituée à la révélation, une tentative du paga- 
nisme pour continuer de vivre sous le couvert de l'E- 

1. Harnack, I^ehrb. der DQ., h P- 250. 



LES HÉRÉSIES DU 11" SIÈCLE. 205 

glise. Mais néanmoins, cet étrange alliage habile- 
ment présenté à des esprits curieux et insuffisamment 
affermis ne pouvait que leur offrir infiniment d'attraits. 
On le vit bien à la vogue qu'obtint le gnosticisme, aux 
efforts que sa défaite nécessita de la part des contro- 
versistes, et au soin que mit l'Église à anéantir, autant 
qu'elle le put, son souvenir et sa littérature. 

La lutte contre la gnose fut en effet la grande affaire 
doctrinale de l'Église au ii^ siècle. Or il est remar- 
quable, observe très justement M^"" Ducbesne', qu'à 
ses raisonnements et à ses rêveries savantes l'É- 
glise n'opposa, pas un système tout fait, une synthèse 
rationnelle de sa foi, une théologie proprement dite — 
cette théologie n'existait pas encore — : elle opposa 
sa tradition, non pas précisément et d'abord sa tra- 
dition doctrinale, mais sa tradition hiérarchique. Les 
successeurs des apôtres sont seuls qualifiés pour nous 
enseigner la vérité : c'est à eux qu'il faut s'adresser 
pour la connaître. Et parce que l'Eglise de Rome est 
l'Église principale avec laquelle toutes les autres doi- 
vent s'accorder, sa tradition suffit à convaincre d'er- 
reur tous ceux qui ne pensent pas comme elle ou qui 
ne viennent pas d'elle. Voilà l'argument très simple, 
plus pratique que théorique, que saint Irénée a fait 
valoir contre la gnose, et cet argument s'est trouvé, 
dès ce moment, assez fort pour en triompher. Sans 
secousses, sans conciles, et sans aucune de ces solen- 
nelles condamnations qui, dans les siècles suivants, 
firent en un jour justice de l'erreur, « l'Église se dé- 
barrassa de la gnose peu à peu, sans crise, par le 
simple mouvement vital qui, dans un corps sain, suffît 
à éliminer les germes des maladies avant quelles or- 
ganes essentiels en soient atteints » . 

•I. Origines chrétiennes, pp. 168, 169. 

12 



20b LA THEOLOGIE ANTENICEEiNNE. 

Ajoutons du reste que si la gnose constitua pour 
l'Église un danger des plus graves, elle ne laissa pas, 
par d'autres côtés, que de lui être utile. Non seulement 
les défenseurs de l'orthodoxie apprirent de leurs ad- 
versaires plus d'une vérité en les combattant, et virent 
s'élargir leur propre point de vue, mais la controverse 
mit en circulation une quantité de termes, ouata, ôjadou- 
axo^, ÔTTOffiaffiç, TrpoêoXvi, etc., dont la théologie profita, et 
dont elle eut à déterminer exactement le sens. C'est 
dans ces débats que sa langue commença à se former, 
et qu'on sentit pour la première fois la nécessité de lui 
donner plus de fermeté et de rigueur. 

§ 5. — Le marcionisme '. 

On rangeait autrefois Marcion parmi les gnostiques : 
appréciation fort contestable, car Marcion n'est pas 
mû dans ses recherches par le même intérêt théo- 
rique que les gnostiques : son système n'offre rien des 
spéculations et des rêveries que les leurs présentent, 
et si l'on y trouve des traits qui semblent l'en rappro- 
cher, on peut croire qu'ils viennent non de Marcion 
lui-même mais du syrien Cerdon que Marcion connut 
à Rome et qui fut quelque temps son maître (vers 
138-139) 2. Aussi en traitons-nous à part. 

1. Sources : S. Justin, J Apologie, xxvi; lvui; Dialog,, xxxv. S. Irénée, 
Adv. haer., I, 27, 2-4; in, 4, 3; H, 9; 12, 12; 13; 14. ïertl'llien, Adv. 
Marcionetn libri quinque i De carne Chrisli ; Adv. Eerrnogenem. I'seubo- 
Teutulliex, n. PiiiLASTRius, 4o. Saist Épiphane, Haer. xui. Philoso- 
phoumena, VU, 29-31; X, 19. Adamantils, De recta in Deum fide, I, II. 
EzNiG DE GoGUP, Réfutation des sectes (v« siècle). — Travaux : Du- 
cuESNE, Hist. «ne. de l'Église, I, chap. xi. Hilgenfeld, Die Ketzerge- 
schichte des Urchristentums, Leipzig, 1884. Harnack, De Apellis gnosi 
monarchica, Lipsiae, 1874. Meyboom, Marcion en de Marcionielen, Lei- 
den, 18Ê8. G. Krueger, Marcion und die Marcioniten dans Realenc. fur 
prot. Th. und K., 1903, t. XII. 

2. Sur Cerdon, Yoir S. Irénée, Adv. haer., l, 27, 1; III, 4, 3; Pseudo- 



LES HÉRÉSIES DU 11° SIECLE. 2û7 

Marcion a été avant tout frappé de l'opposition 
des deux Testaments, de la Loi et de l'Evangile K 
On ne met pas, répétait-il, le vin nouveau dans les 
vieilles outres ni «ne pièce neuve à un vieil habit-. 
Dès lors, comment FEglise et ses écrivains depuis les 
apôtres, et y compris les apôtres, se sont-ils obstinés 
à rattacher le Nouveau Testament à l'Ancien, la grâce 
à la Lai, le christianisme au judaïsme? Marcion n'y 
voit qu'une explication : la méprise universelle dans 
laquelle tous sont tombés, sauf saint Paul. Car saint 
Paul seul a signalé, dans l'épître aux Galates, ces doc- 
teurs judaïsants qui corrompent l'Evangile en y vou- 
lant mêler la Loi. II a donc été l'homme suscité de 
Dieu pour rétablir le vrai sens du christianisme faussé 
par les Douze. Encore a-t-on depuis altéré ses écrits, et 
faut-il les expurger des erreurs qu'on y a introduites *'. 

Qu'est-ce en effet que la Loi ancienne? Une loi juste 
sans doute, mais seulement juste, et d'ailleurs sévère, 
dure, inflexible. L'Evangile, au contraire, n'est que 
bonté, amour, liberté. Deux économies si opposées 
ne sauraient avoir le même auteur; et en conséquence, 
la gnose aidant, Marcion admet deux principes, deux 
dieux : l'un créateur du monde et législateur de l'An- 
cien Testament, non pas mauvais en soi. mais rigou- 
reux, inconstant, connaissant uniquement la justice et 
la force, de qui viennent toutes les. souffrances de l'hu- 
manité; l'autre, supérieur au premier, révélé par Jé- 
sus, bon, miséricordieux, plein de douceur''. Bien que 

Tf.rtullies, XC; Philastrius, 44; S. Épiphane, Eaer. \u, ces trois der- 
niers moins sûrs. 

■f. Separalio leyis et evanfjelii proprium et principale opus estMar- 
cionis (l'Ei-.Ti-LL., Adv. Marclonem, I, 19). '- 

5. S. Kpipu., llaer. xuf, 2. 

3. S. f!!F.x., Adv. haer., 1, 27, 2; HI, 2, 2; Tep.tull., Adv. Marcion., 
I, 20; iV, 3. 

4. S. luEX., Adv. haer.,\, 27, 2; ïertuli.., Adf. Marc, l, 6; II, 20-26j 
etc.; AuAjîASnus, 1, lO-S!.'. 



208 LA THÉOLOGIE ANTENICEENNE. 

le monde ne le regardât pas, puisque ce monde n'était 
pas son œuvre, il a voulu néanmoins, par pitié, le se- 
courir ^ . 

C'est en Jésus-Christ et par Jésus-Christ que se ma- 
nifeste le Dieu suprême. Jésus-Christ est l'Esprit 
sauveur [Spir'itus salutaris) ^. Quel est au juste son rap- 
port avec Dieu? Marcion ne le définit pas rigoureuse- 
ment : ordinairement il identifie Dieu et Jésus ^. En 
tout cas, Jésus ne réalise nullement les traits du Messie 
donnés par l'Ancien Testament; il n'a rien du guerrier 
annoncé qui devait établir le règne du Dieu juste''. Son 
corps d'ailleurs n'a été qu'apparent; il n'a rien em- 
prunté à l'œuvre du démiurge — ledocétisme est strict^ 

— ; il n'a pas même passé par Marie comme par un canal ; 
brusquement, la quinzième année de Tibère, le Christ 
a paru en Judée, sans avoir semblé naître et grandir*'. 
Sa prédication a été une perpétuelle contradiction de 
la Loi, des Prophètes, de toute l'économie du dé- 
miurge ''. Aussi ce dernier ne lui pardonne-t-il pas, non 
plus que ses partisans. Jésus est saisi et crucifié. Chose 
singulière ! Marcion qui enseignait le docétisme accorde 

— sur l'autorité de saint Paul sans doute — à la mort de 
Jésus une signification et une valeur particulières pour 
notre Rédemption. Le Dieu bon nous achète du dé- 
miurge^. Puis le Sauveur descend aux enfers afin d'y 
prêcher l'Évangile et d'y annoncer le salut. Mais les 
justes de l'ancienne loi, Abel, Enoch, Noé, etc., le sup- 
posant envoyé par ce démiurge qui les a si souvent 

1. Tertlll., Adv, Marc, I, M. 

2. Ibid., I, lO. 

3. Ibid., I, H, -14 ; n, 27; m, 9; IV, 7. 

4. Ibid., m, 12-23. 

5. Ibid., ni, 8-11. 

6. S. IdEN., Adv. haer., I, 27, 2; Tertuh.., Adv. Marc, l, \9; IV, 6. 

7. S. IREN., Adv. haer., I, 27, 2; Tertuix., Adv, Marc, IV, 23-27; Ada- 
MAKTIUS, I, 10-20. 

8. TEiiTULL., Adv. Marc, V. 



LEri HÉRÉSIES DU II' SIECLE. 209 

tentés, ne répondent pas à son appel. Seuls les mé- 
chants, Caïn, les Sodomites, les Égyptiens écoutent 
sa parole, et sortent avec lui des enfers * . 

La prédication de Jésus-Christ devait être con- 
tinuée sur la terre par les apôtres, mais, on l'a dit, 
ils ne l'ont point comprise : elle n'a trouvé d'interprète 
véridique que saint Paul. En y adhérant nous sommes 
justifiés et faits enfants de Dieu 2; il s'y joint tou- 
tefois, en pratique, une morale sévère. Marcion don- 
nait l'exemple de l'austérité [sanctissi/nus magister^), 
et imposait à ses disciples un ascétisme rigoureux, 
l'abstention des plaisirs, la mortification de la chair, 
la privation de certains aliments, et surtout la conti- 
nence et le célibat. Ils devaient vivre auvraXa^Trcopot jcal 
ffuufjLi(iou,u.evot, commlserones et coodihiles dans le 
monde, et souffrir courageusement le martyre, s'il le 
fallait '. A cette condition seulement, ils éviteraient le 
feu du démiurge qui, à la fin des temps, dévorera ceux 
qui se perdent — et c'est le plus grand nombre^. Ici, 
Marcion tronquait nécessairement l'eschatologie chré- 
tienne : la résurrection de la chair, la parousie, le ju- 
gement proprement dit étaient supprimés. Le Dieu 
bon ne punissait pas précisément les méchants : il les 
écartait simplement de lui, et ceux-ci retombaient dès 
lors en la puissance du démiurge qui les châtiait^. 

Telle était la doctrine de Marcion. Elle était accom- 
pagnée, on l'a vu, d'une critique hardie de l'histoire 
des origines chrétiennes et des écrits apostoliques. 



1. s. IRÉNÉE, Adv. haer., I, 27, 3. 
a. Adamastius, II, 2, 6. 

3. Tertull., De praeserijd., 30. 

4. Tertull., Adv. Marc, I, 14, 19, 28; IV, 9, H, etc., 36; Philosophou- 
mena, VII, 29. 

5. Tertull., Adv. Marc, I, 24, 2*. 

6. S. IRÉN., Adv. haer., I, 27, 3 ; Tertbll., Adv. Marc, 1, 27 ; Adamantius 
II, 4-8. 

12. 



210 LA THÉOLOGIE ANTENICÉENNE. 

Marcion repoussait l'exégèse allégorique, et par là 
même tout l'Ancien Testament dont elle lui semblait 
pouvoir seule justifier l'économie. Du nouveau Testa- 
ment il conservait seulement l'évangile de saint Luc, 
dont il retranchait cependant la généalogie du Sauveur 
et où il pratiquait de nombreuses coupures ' , et dix épî- 
trcs de saint Paul (les Pastorales et l'épître aux Hébreux 
exclues) dans lesquelles il supprimait également ce qui 
était à ses yeux des interpolations postérieures. Enfin, 
1 avait composé lui-même des Antithèses ^ où il avait 
mis en relief les oppositions delà Loi et de l'Évangile, 
de la Nature et de la Grâce, du Dieu juste et du Dieu 
bon, et qui, jointes aux épîtres de saint Paul et à 
l'évangile mutilé de saint Luc, constituaient les livres 
autorisés, le canon du marcionisme. 

Ainsi équipé à la légère, celui-ci se répandit rapide- 
ment et fit des recrues en grand nombre 3. La sévérité 
même de sa morale lui valut des partisans en un temps 
où la juste mesure en cette matière n'était pas tou- 
jours aperçue. Marcion, du reste, était un esprit or- 
ganisateur et pratique. Chassé de l'Eglise, il fonda 
lui-même ouvertement des églises indépendantes, 
avec une hiérarchie calquée sur celle des communautés 
orthodoxes''. Elles eurent leurs martyrs^, et témoi- 
gnèrent d'une force peu ordinaire de résistance aussi 
bien aux tentatives des missionnaires catholiques 



i. s. IRÉN., Adv. haer., I, 27, 2; Tertoll., Adv. Marc, IV, 2, 3, 4. Mar- 
cion l'appelait simplement evaYyé/.iov Kuptou : on lui donnait aussi le 
nom 6'Évangile de Marcion. La meilleure restitution qu'on en ait laite, 
aussi bien que de son Apostolicum, est celle de Zahn, Geschichie des 
neutest. Kanons, II, 2, pp. 409-529 ; cf. I, 2, pp. 585-718. 

2. 'AvTi8É(jei: ; Tertull., Adv. Marc, I, 19; II, 2S, 29; IV, 1, 4, 6; Phi. 
losùph., VII, 30. On en a un essai de restitution par A. Hahîj. Antithèses 
Marcionis gnostici, Uegiomonti, 1823. 

3. S. Justin, I Apolog., xxvi, Lvin. 

4. Tep.tdll., Adv. Marc, IV, 5; De praescrip., 41, 

5. Eus., H. E-, lY, 13, 4, G; Y, IG, 21 ;vi^, 12; De martyr Palaest., X, 2. 



LES HÉRÉSIES DU II» SIECLE. 21! 

qu'aux violences des persécuteurs ^ Quelques-unes 
semblent avoir subsisté jusqu'au x^ siècle. 

Des divisions doctrinales ne tardèrent pas d'ailleurs 
à s'introduire parmi les disciples de Marcion, surtout 
à propos du nombre des premiers principes, mais sans 
affaiblir beaucoup la puissance d'action de l'iiérésie'. 
Nous connaissons un certain nombre de ces disciples, 
Potitus, Basiliscus efc Syneros signalés par Rhodon ^ ; 
Prépon qui, comme Syneros, admettait trois principes 
des choses, un bon, un mauvais et un juste tenant le 
milieu entre les deux autres ^; Hermogènes réfuté par 
Théophile d'AntiocIie et TertuUien ; Lucanus, dont le 
même TertuUien dit qu'il enseignait la résurrection 
d'jin tiers élément qui n'était ni le corps ni l'âme''; 
l'auteur du livre de Leucius Charinus, docèto absolu ^ ; 
d'autres encore indiqués par les Philosophoumena 
(x, 19) et partisans de quatre premiers principes, 
àvaôdv, oi'xaiov, Trovr,pov, uXr,. Théodoret y ajoute Pitho et 
Blastus (ce dernier à tort probablement) ^ ; saint Epi- 
phane y ajoute Théodotion'^, et saint Jérôme Ambroise ^ 
devenu plus tard l'ami d'Origène. Mais de tous le plus 
fameux et celui qui succéda vraiment à Marcion fut 
Apelles. 

Son histoire est donnée par TertuUien ". Nous 
apprenons qu' Apelles ayant rencontré, à son retour 
d'Alexandrie à Rome, une certaine vierge appelée Phi- 
lomène qui se disait inspirée, celie-cilui dicta ses Révè- 



\. EusÈcE, Vila ConsL, IIî, 64; TnÉODor.ET, Epist. CXin, CXLV. 

2. EusÈr.E, H. E., V, 13, 3-4. 

3. Philosophoumena, VII, 31 (éd. Cruice, p. 382). 

4. TiancLi.îKN, De resurreclione carnis, 2. 

5. PiioTius, Biblioth., cod. 114; cf. DîcHonary of christ, biogr., I, 
p. 870; III, p. "OJ. 

6. Eaerelicarum fabularum cotnpendîum, I, 25. 

7. De mensuris et ponderibus, 17. 

8. De viris illustribus, o6. 

9. De praescripl., 30; Ds carne Christi, 6. 



2fi LA THÉOLOGIE ANTÉNICÉENNE. 

lations (<pav£pw<r£tç) ' , et qu'il composa lui-même des 
Syllogismes (<ruXXoYiff{xoi). Saint Ambroise a conservé 
quelques fragments de ce dernier ouvrage 2. 

La modification principale qu'Apelles apporta au 
système de son maître fut de le ramener du dualisme 
au monisme. Il n'admit qu'un seul premier principe, 
qui n'est cependant pas le créateur de ce monde ^. Ce 
créateur est un ange de feu, venu lui-même du Dieu 
suprême : c'est le Dieu d'Israël et le nôtre ^. Il n'a 
créé que les corps ; mais à ces corps il a lié des âmes 
préexistantes. Les âmes ont un sexe défini qu'elles 
communiquent aux corps ^. Le reste du système re- 
produisait sensiblement celui de Marcion : le docé- 
tisme y était atténué®, mais la négation de la résur- 
rection de la chair et la prohibition du mariage étaient 
maintenues^, la Loi et les prophéties écartées comme 
l'œuvre d'un esprit mauvais ^. Apelles semble d'ail- 
leurs avoir été, au point de vue doctrinal, d'assez facile 
composition. Pour lui, la confiance dans le Crucifié et 
la pratique de la vertu étaient, après tout, l'essentiel s. 
Il restait bien, à cet égard, le disciple de Marcion, ab- 
solument opposé à l'intellectualisme gnostique. 

1. Teutull., De praescripL, 30, 6; Philosopfioumena, X, 20; Rhodon, 
dans EusÈBE, B. E., V, 13, 2. 

2. Pseudo-Tertcll,, 19; S. Ambroise, De paradiso, V, VI, VII, etc. 

3. Rhodon dans Evstws,H.E., V, 13, 2, 6; Tertcll., De praescripL, 3*. 
Les Philosophoumena (X, 20) offrent ici des conrusions qui s'expliquent 
aisément par ce que nous disons dans le texte. 

4. Tertdll., De praescripU, Z^; De anima,^. 

5. Tertdll., Deresurreelione carnis,S; De anima, i3, 36. 

6. Tertdll., Adv. Marc., III, 11; De carne Ghristi, 1,6; Philosoph., X 
20; Pseudo-Tertull., 19. 

7. Tertdll., De praescripL, 33 ; Pseudo-Tertcill., 19. 

8. Rhodon, ap. EusÈBE, H. E., V, 13, 2, 9. 

9. Rhodon, ap. Eosèbe, H. E., V, 43, S, 



LES HÉRÉSIES DU II' SIÈCLE. 213 



6. — Tatien et les encratites >. 

Au marcionisme il faut rattacher Tatien et les en- 
cratites. Bien que saint Irénée parle de Tatien à pro- 
pos des encratites, et ajoute qu'il a enseigné une doc- 
trine d'un caractère propre (tStov yapaxTÎjpa SiSatrxaXe^ou 
ouveffTTQffaTo), il ne dit cependant pas explicitement qu'il 
ait fondé la secte : il l'accuse seulement d'avoir nié le 
salut d'Adam, condamné le mariage comme une forni- 
cation et admis, à l'instar de Valentin, des séries 
d'éons. Clément d'Alexandrie parle aussi de sa répu- 
diation du mariage et rappelle son livre (perdu) FI s pi 
TouxaTatov aojxvipa xaTapTt(j[/.oïï. Les héréséologues posté- 
rieurs ont reproduit à peu près les renseignements de 
saint Irénée, et il est donc possible qu'Eusèbe [H. E., 
IV, 28) et saint Épipliane [Haer. xj.vi, 1) aient donné à 
ces renseignements plus de précision que de droit, 
quand ils ont affirmé que Tatien passait pour le fon- 
dateur des encratites ou même Tétait certainement, 
d'autant plus que saint Irénée, au même endroit, rat- 
tache les encratites à Saturnin et à Marcion. 

Il est en effet plus probable que les hérétiques 
connus sous le nom d'encratites ou continents n'ont 
jamais formé une secte séparée et indépendante. 
Ce nom, semble-t-il, a été donné à l'ensemble des 
chrétiens dont l'austérité était fondée non seulement 
sur le désir de pratiquer une vie plus parfaite, mais sur 
des théories relatives au caractère plus ou moins essen- 
tiellement mauvais de la matière, comme œuvre d'un 

l. Suurces : S. Irénée, Adv. haer.,I, 28, I. Clément d'Alex., Stroma- 
les, m, d3. Philosophoumena, VIII, 16, 20; X, 18. Pseudo-Teutullien, SW. 
PiiiLASTRius, 48, 72, 84. S. Kpipiune, Haer. xlvi, xlvh. Ecsèbe, R. E., 
IV, 28; 20. — Travaux : M. Ledermann, Examen des hérésies de Tatien, 
Strasbourg, 1845. Hilgenfeld, Die Ketzei^geschichte des Urehristentums' 
Leipzig, I83i. 



214 LA THÉOLOGIE àNTÉNICÉEKSE. 

Dieu imparfait ou mécliant. Clément d'Alexandrie a 
rapporté, dans ses Stromates ' , plusieurs passages d'un 
livre de Julius Cassianus Tuspi lYxpaTet'a;, v] Trspi euvouj^ta? 
qui prohibait absolument le mariage. Saint Irénée qui, 
comme nous l'avons dit, fait descendre les encr^iites 
de Saturnin et de Marcion, les accuse ■d'enseigner la 
damnation d'Adam et l'abstention du mariage et de la 
eliair des animaux. Les Philosophoumena (viii, 20) 
ajoutent que, sur Dieu et Jésus-Christ, ils étaient d'ac- 
cord avec l'Eglise, preuve qu'il s'agissait, pour beau- 
coup d'entre eux, d'une question purement pratique. 
Philastrius (72) leur donnepourchef Aerius, mais carac- 
térise de même leur doctrine. Quant aux abstinents 
dont il parle au chapitre 84., ils doivent évidemment 
être rapprochés des encrati tes dont ils partagent Jes 
erreurs. Eusèbe., après .avoir reproduit la notice de 
saint Irénée, mentionne une secte de sévériens, issus 
d'un certain Sévère qui aurait renchéri encore sur l'héré- 
sie de Tatien [H.. E.^ iv,.29, 4, 5). Mais c'est bien plutôt 
aux judéo-chrétiens, d'après les détails qu'il fournit, 
qu'il les faudrait rattacher. Par contre, la description 
de saint Epipliane [Haer. xlvil, 1) fait penser que les 
encratites dont .il s'occupe avaient fusionné avec des 
restes de ^nostiques et de manichéens. 

Ainsi, pendant que certains esprits, attirés par les 
questions spéculatives de la nature de Dieu, de l'origine 
du monde et du mal, se jetaient dans les rêves de 
la gnose, d'autres, s'appliquant à la question du salut 
de l'homme, en cherchaient la solution exclusivement 
dans l'attitude de la vie morale, mais tombaient eux 
aussi dans des exagérations évidentes. Ce n'était pas, 
à leur avis, la science qui nous sauve : Marcion et 
les encratites la reléguaient au second plan et Apelles 

1. Slromates, lu, 13, li. 



LÈS HERESIES DU W SIECLE, 215 

n'avait cure de l'orthodoxie : le salut vient des œuvres, 
et, entre les œuvres, les plus difficiles s'imposent comme 
de rigueur. Contre cette dernière assertion l'Eglise dut 
préciser en quoi consiste l'austérité lég-itime et en quoi 
l'encratisme défendu. Dans lalettredes Églises de Lyon 
et de Vienne sur les martyrs de 177, nous voyons un des 
confesseurs, Alcibiade, qui ne vivait ordinairement que 
de pain et d'eau, être repris par Attale à la suite d'une 
révélation, et se soumettre à ses avertissements *. 

§ 7. — Le montanisme^. Les alog-es. 

Le montanisme n'est plus, comme le judéo-christia- 
nisme et la gnose, le résultat d'un effort de la philoso- 
phie et des religions du dehors pour retenir le ehristfa- 
nlsme dans les cadres deFAncien Testament ou le trans- 
former plus ou moins en elles-mêmes : c'est une lutte 

1. EusÈBE, Hist. eccles., V, 3, 2, 3. 

2 Sources : Les plus anciennes sont les documents mentionnés ou 
cites parEusèbc. Menlionnés : Les lettres des martyrs de Lyon de 117 
aux Églises d'Asie et de Phrygie et au pape Êleuticère, et la lettre 
où les chrétiens de la Gaule formulaient leur avis sur la question mon- 
tau!ste(iî. E., V, 3, 4). Un écrit d'Apollinaire d'Hiérapolis (ff. E., V. 19, 
i ; id, i). Un écrit de Miltiade rieplToû \i.i\ SeTv upof :^T7}v àv è%ezé.(ju Xa/aîv 
{H. E., V, 17). Cilés : Une lettre de Sérapion d'Antioche (v. SOD) à Caricus 
et Ponticus [H.E.,y,i9). Un ouvrage d'Apollonius d'Ephèse (F. E., '\\ 
18). L'ouvrage d'ua anonyme à Abercius Marcellus, écrit vers l'an 214 
{H. E., Y, 16). — Après cela, TeetulueNt De corana niilitis;De fuga in 
perseculione; De exhorialîone casiitatis; De virginibus velandis; i)< 
monogamia; Deieiunio adversuspsifchtcoa ; De pvdicitia. Ses septIiTfes 
De exstasi sont perdus (cf. S.Jérosie, De viris illustr., 24, 40,53). 
PsEUDO-TrRTLLLiEN, 21. PHiLASTRius, 49. S. ÉPiPHANE, ïcl bien renseigné e1 
qui a puisé à une source ancienne,^ l'ouvrage de Miltiade à ce qu'il 
semble, Ifoer.,xLviii, xeix. Le&PAî7osojpAo«m<«e, VIII, 19; X,2S. Okigène, 
In epislolam ad Titum (Lomm., V, 291). Didyîie, De Trinilate, m, 41. S. 
JÉRÔME, Epist. XLl. iHÉOBeRET, Bacretic. fabtd. eompendium^ ni, 2. 

Travaux: Dochesne, Hist. anc. de l'Ègl.,Ir chap. xv. Hilgenfeld, Dm 
KetzergescMcMe des Urchristenlums, Leipzig, 188», pp. 560-601. G. N. 
Ba:^^YETSCH, Die Gesehichte des Montmvîsmus, Erlangen, 188t. W. Belck, 
Geschichte des Monlani&nius, sein- Enlstehungsuraaehe&f etc., Leipzig^ 
1883. P. de Labriolle, La crise montaniste, Fribourg et Paris, 1913. Lei 
sources de l'histoire du montanisme,Tnbo\xpg et Paris, 1913. 



216 LA. THEOLOGIE ANTÊNICEENNE. 

domestique d'éléments intérieurs à l'Église : c'est pro- 
prement une hérésie. Dans la crise gnostique, il s'était 
agi de savoir qui devait diriger la foi et la conduite des 
fidèles, delà spéculation représentée par la gnose et ses 
docteurs ou de l'enseignement traditionnel représenté 
par la catéchèse ecclésiastique et parlesévêques. Dans 
la crise montaniste, la question est de savoir d'abord si 
l'économie de grâce apportée par Jésus-Christ et reçue 
par les apôtres estl'économi e dernière et définitive, ou 
s'il ne doit point y en avoir une plus parfaite due à 
l'effusion spéciale du Saint-Esprit sur de nouveaux 
prophètes ; et conséqucmment, si les successeurs des 
apôtres, les évêques, restent souverainement préposés 
à la direction doctrinale et morale de l'Eglise, ou si, à 
côté et au-dessus d'eux, cette direction ne revient pas 
à ces prophètes immédiatement inspirés de Dieu. L'au- 
torité doctrinale et hiérarchique de l'Église avait dû 
premièrement se défendre contre les prétentions de la 
spéculation : elle doit se défendre maintenant contre 
celles de l'inspiration privée. 

Bien que la chronologie en demeure quelque peu 
incertaine, on connaît assez bien les origines du mou- 
vement montaniste. C'est probablement aux environs 
de l'an 172 qu'un certain Montan, nouveau converti du 
bourg d'Ardabau, dans la Mysie phrygienne, commence 
à éprouver des transports et des extases et à proférer 
des discours qui le font passer aux yeux des uns pour 
possédé, pour inspiré aux yeux des autres . Deux femmes , 
Priscilla et Maximilla, s'attachent à lui et présentent 
bientôt les mênies troubles étranges. L'agitation gagne 
la Phrygie (-Si xaxà ^puya; aipsaiç). Les foules accourent 
dans la plaine située entre Pépuze et Tymium, où doit 
descendre incessamment la céleste Jérusalem. Là, les 
assemblées se tiennent et les saints mystères se célèbrent 
en plein air : on y est témoin de phénomènes extraordi- 



LES HÉRÉSIES DU IP SIECLE. 217 

naires d'extase et de lévitation. Comme la fin du monde 
est proche, chacun vend ses biens ou les met en com- 
mun pour les besoins des frères. L'enthousiasme est 
à son comble. 

Quelle était donc la doctrine qui le motivait? Au 
fond, le montanisme fut plutôt, au début surtout, un 
mouvement, une sorte de revival spirituel et excessif 
qu'un système défini. La morale y tenait plus de place 
que la spéculation. Cependant les nouveaux prophètes, 
Montan et ses acolytes, prétendaient être entre les 
mains de l'Esprit ce qu'est la lyre entre les mains du 
musicien; l'homme dormait, mais l'Esprit veillait: c'est 
Dieu qui parlait en son nom propre j le prophète ne fai- 
sait que prêter ses organes. On voyait dans cette inspi- 
ration l'effusion du Paraclet annoncée par le Sauveur et 
relatée en saint Jean (xiv, 16, etc.). Quelques-uns 
même, distinguant entre le Paraclet et le Saint- 
Esprit, affirmaient que ce dernier seul était des- 
cendu sur les apôtres, tandis que le premier, réservé 
à Montan, enseignait par son entremise une doctrine 
supérieure à celle de Jésus-Christ. 

Non pas que le symbole chrétien dût être corrigé 
par la nouvelle révélation. Tertullien, montaniste, 
soutient au contraire qu'elle le confirme; mais elle 
mettait fin à certaines indulgences que Jésus-Christ 
avait cru devoir laisser encore subsister ' . Ainsi les 
secondes noces étaient prohibées et, au début, peut- 
être même les premières; de nouvelles fêtes, des 
jeûnes plus fréquents étaient introduits. Outre le ca- 
rême, on admettait deux périodes de xérophagie pen- 



1. Tertuluen, De monogamia, % 3, 14. De virgin. vel., i. Regnavit 
duritia cordis usque ad Ckriscum; regnaverit infirmitas carnis usque 
ad Paracletum. Nova lex abstulit repudiutn {habuit quod auferret), 
nova prophetta secundum matrimonium, non minus repudium prio- 
ris [De monog., 14). 

LA THÉOLOGIE ANTËNICÉENNE. — T. I. 13 



ai» LA THÉOLOGIE Aî(î!ÉNIGÉERÎtE. 

àamt lesqndlfes on^neînawgeait'qiie'^desïfliiaïewfcs secs 
etdesiradines. Mais «ce qui îdomiîïait-totft^t'donîïait à 
tout fe reste sa sîg-QÎfîcâtioTi et sa ^orce, c'était 4a 
croyance à l'imminence de la parousic et 'du mUle" 
nîum. Le'Giarigrt, allait 'bieiîtôt descendre ipour 'rêgsier 
sur sonjpeuple :>il fallait se préparer 4 'Oét 'événement 
par xm-détadheoneîat universel. 

îPënéferéS'Ûe 'ceCte cjonviotion et ia^d^nts au prosély- 
tisme, les 'montanistesîfirenten Orïerit^'esprog'rèB ra- 
pides «t réçRandipent leurs -ienFeurjs âass ^la 'prwinoe 
d'A.si'e,5danî!'la '©g^latie<,et «urtoutdan^ la 'Phryg^ie ©îù 
l'on s'efforça de les cantonner. I^armi les premiers^qra 
se distinguèreiït dans 'la -secte, MDn dite un certain Mci- 
biade, qui 'paraît l'avoir gouvernée après Monlan; un 
prétendu corifesêseur de la *fdi, Théïïïison, •^«ïteu'r 
d'une épître î)lasp'hématoire ^contre -le 'Seigneur 'et les 
apôtres autlièntiqu-es; un -voleur, Mexanâre, dont 'le 
dossier existait encore 'à 'Éphèee, et -un naïf 'et un con- 
vaincu, Théôéote, qui;se%aa, drt-oai, dans une expé- 
rience de lévrtsrtion, O^e mond© «ataplirygien -ëtait, 
comme on le voit, compose •d'ëlëmerits ^oiï -mêlés. 
Puis, vers '200-207, 'nous -trouvons les -motitanistes -ëta- 
hlmk Romeet ayant àieur tôteî^roclus"' et izEschme.La 
divrsion'netsH'da 'pas à éclater eritre eux à 'l'occasion 
de la coirtroverse monarchienne, et î'wn-eut les m^onta- 
m&ie^ kata T^rocï'um^i\e& 'montamstes kata Aesvfn- 
nem. Mais ^ ce 'mamertt^îà -m'ème (vers '202)', ^la •s'ecte 
fît une -conquête- de ^ennep t)rdi'e 'dans -la perserane de 
TertuUien'^. Sous -son influence, «elle •^s'organisa 'en 



i. EusÈBE, H. E., II, 23, 6, 7; III, 28, 2; 31, 4; cf. YI, 20, 3. C'est pro- 
bablement le même que Tertullien nomme Proculus {Adv. Valenli- 
wianxjs, ;8). 

2. Le Teôactear'deïla Bassiv^^SiS. .Penjyeiuae et FelicMatïs -^ ététcer- 
tainement, ûvi vaussi, !BOus.'l'nïfli»eDce des iioîiv«lles ipropîtélies; à 
qo'êile date-fixactemeiït? NouSiWgaoroits.SHais^onîn'eii «aurait ;:conciure 
au montanisme des martyres elles-mêmes. 



LES HERESIES Mî II» SIÈCLE. 219 

Aêcicpie, ^t les scènes étranges -que l'on avait vues 
en Pbrygie se reproduisirent dan« les nonvelles com- 
mu'naHtés, Tertuîlien en donne dans son traité De 
anima (9) un spécimen intéressant, 

L'Église cependant ne s'abandonna pas, et s'efforça 
iTQmédiatement de repousser l'attaque et de réduire 
l'erreur. En Orient, de saîiïts évêques cherchèrent à 
ramener les égarés «t de vigoureux apologistes îan- 
cècent krars réfutations. Eusëbe a connu ou cité les 
ouvrages d'Apollinaire- d'HîeîrapdHs, de Mîltiade, <ie 
Sérapîon -d'Ântiodhe, d'Apollonius, et enfin d'un ano- 
nyme qui écrivait treize ans après la mort de Maximlîlaj 
e'est-à-dîre vers 211, et dont îl a conservé des 'frag- 
ments précieux. En même temps, plusieurs conciles 
des -évêques de Fhrygie et des environs se réunirent. 
On «n mentionne un à Iconium où il fut décidé que 
Ton renouvellerait le ^bap^ême des montanistes qui se 
convertiraient ^, -et un autre à Synnada^. Tous deux 
ont dû se teniîr «ntre l'es années 230-235. 

En Occident, les premiers écrits connus relatifs 
au montanîsme sont les lettres dres martyrs lyonnais 
de 177 aux frères d'Asie et au pape Éleuthère envoj^ées, 
dit Eusèfoe, t^ç t»v lKJtX.7)<Kwv eîpi^vT]? l'vsxev, pour tâcher 
d'amener la paix. Cette expression a fait penser à 
quelques-uns — et les protestants l'ont souvent ré- 
pété"** — que les .auteur^ .de ces lettres étaicint favo- 
ra;bl©s aux montanistes. 'Non pas précisément; car 
Eusèb® ajoute gu'iai peu plus tard ces documents 
foirent produits jpaT les 'chrétiens de Gaule, lorsqu'ils 
donnèrent sur la question leur jugement, un jugement 
« pieux et très 'Orthodoxe ('Eucéêv) xai ôpOoSoloTecTriv) ». 



i. Epist. Fîrmilîani ad Cyprîanwn {Cijjp:ianiEpisl.LXXV, 7, édit. 
Hurtel}. 
•2. EcsÈBE, fi. 2?.,TII,"7,'5. 
3. HARNA.CK, Lehrb. der DG., I, p. 428. 



220 LA THEOLOGIE ANTESIGÊENNE. 

Or, comment auraient-ils mis en avant des écrits qui 
auraient contredit leur sentiment? Les mots eîpr^vr.ç 
£vey.£v n'ont donc pas le sens et la portée qu'on leur 
attribue. Quanta Eleuthère, bien que saisi de la ques- 
tion, il ne paraît pas, non plus que son successeur Vic- 
tor, l'avoir tranchée définitivement. Elle le fut par Zé- 
phyrin qui, ignorant d'abord du véritable état des 
choses, puis renseigné par le monarchien Praxeas, put 
arrêter à temps les lettres de communion déjà expé- 
diées aux églises montanistes ^ . 

Tous ces écrits et ces mesures, s'ils n'arrêtèrent pas 
immédiatement le mouvement montaniste, limitèrent 
du moins sa diffusion et ses progrès. En Afrique, la 
secte s'étendit peu : elle avait presque entièrement 
disparu vers 370 et elle s'évanouit tout à fait au temps 
de saint Augustin 2. En Orient, sa vie fut plus tenace; 
elle eut ses martyrs, dont elle faisait grand état^. Les 
rigueurs de Constantin et de Théodose ne réussirent 
pas à l'extirper, et Sozomène témoigne que les mon- 
tanistes étaient encore fort nombreux de son temps"*. 
Ils ne semblent pas avoir survécu au vi* siècle. 

1. Tertullien, Adv. Praxean, \. 

2. Saint Optât, Contra Parmenianum, I, 9. Saint Augustin, De hae- 
resibuSjSG. 

3. EusÈBE, H. E., V. 16, 20-22. — Dans certaines Églises raltacliées au 
monlanisme, un oracle de Quinlilla ou de Priscilla donna lieu à d'é- 
tranges coutumes. La prophétesse avait vu en songe le Christ, sous 
forme de femme, descendre vers elle et lui communiquer la sagesse. 
On en conclut que les femmes pouvaient, comme les hommes, entrer 
dans le clergé et exercer les fonctions liturgiques. Sept vierges habil- 
lées de blanc se présentaient à l'assemblée avec des lampes allumées, 
et, comme violemment agitées par le Saint-Esprit, exhortaient le 
peuple à la pénitence (S. Épiphake, Haer.xux, i, 2). — Les montanistes 
furent accusés au iv« siècle d'immoler un enfant dont on tirait le sang 
dans les saints mystères (Philastrius, 49; S. Épiph., Ilaer. xlvui, 14). 
S. Jérôme, qui rapporte cette accusation (Epist. .XLI, 4), n'y veut pas 
croire, et rien en effet ne la justifie. 

4. Hist. eccles., II, 32. Il remarque ailleurs (YII, 18) qu'une de leurs 
particularités était de célébrer toujours la fête de Pâques le huitième 
jour des ides d'avril ou le dimanche suivant, si ce jour n'était pas 
un dimanche. 



LES HERESIES DU IP SIÈCLE. 22t 

Une réaction, qui donna dans l'erreur opposée à la 
leur, paraît d'ailleurs s'être produite contre eux, en 
Asie Mineure, presque aussitôt après leurs premiers 
éclats. Saint Irénée {Adf^. Haer., m, 11, 9) connaît des 
gens qui, pour ne pas admettre les manifestations du 
Saint-Esprit,repoussentrévangilede saint Jean où cette 
effusion est annoncée. En rapprochant ce texte des 
données de saint Épiphane {Haer. li) et de Philastrius 
(60), on incline à voir dans ces dissidents les aloges, 
dont l'origine remonterait ainsi aux années 170-180 ^ . 

Ce que rapporte d'eux saint Epipliane est fort 
simple 2, Ils rejettent l'Évangile et l'Apocalypse de 
saint Jean et attribuent ces deux livres à Cérinthe, 
prétendant qu'ils ne sont pas dignes d'être reçus dans 
l'Église (3) ; dès lors ils rejettent aussi le Logos prêché 
par l'apôtre (3, 18), et à cause de cela méritent Lien le 
nom d'aXoyoi [sans raison, 3). Saint Épiphane ne sup- 
pose pas cependant que l'éloignement qu'ils montrent 
pour le terme Xo'yoç entraîne chez eux la négation de la 
personne du Fils — au contraire, il témoigne qu'ils 
sont généralement d'accord avec l'Église — ; ni même 
que leur refus de reconnaître le quatrième évangile et 
l'Apocalypse vienne d'un esprit anti-montaniste : on 
tire cette dernière conclusion plutôt de la comparaison 
de sa notice avec le passage de saint Irénée. 

Par contre, cet esprit semble très clair dans le cas 
du prêtre Caius qui, un peu plus tard, vers l'an 210, 

i. Sources : S. Irénée, Adv. haer., m, 11, 9. Philastrius, GO. S. Épi- 
phane, Haer. li. Ecsèbe, H. E., ni, 28, 1. — Travaux : Zahn, Geschickte 
des neutestamentl. Kanons, I, 2SÎ0-262. Harnack, Dos Neuc Teslament 
um das Jahr 200, Freiburg i. B., 1889. Corssen, Monarchianische Pro- 
loge zur den vier Evangelien, Leipzig, 1896. Rose, Aloges asiates et ro- 
mains, dans la Revue biblique, t. IV, 1897. Les ouvrages sur le monta- 
nisme. 

2. Saint Épiphanea dû puiser ses renseignements dans le Syntagma 
de saint Hippolyte, et dans un autre ouvrage, probablement du même 
auteur, spécialement dirigé contre les aloges (Harïsack, Lehrb. der 
DG., I, p. 708, note 1). 



222 LA THÉOLOGIE ANTJBiSJGÉENNE. 

rejetaeit ûCrR pas. l'Évangile mais rApoeaiypse de saint 
J«an, ea-F c'est daaîs un êani eoûlre les aatonitanistea 
qu'il av^it S&r mule cettei opinion ' . 

On ne saurait, en tout cas,, s'aulopiseu de« ces faits 
pour aSiEmer que la Ganoniciiié du quatrième évangile 
n'était pas encore reconnue vers; les années 17G-180. 
Pour rA.poGaly:ps% la. q^uestion esfcurtpeu difféïeiii» : 
on n'ignore pas que ce livra,, reçu, diepais longtemps 
alors eu Occideuit,, eut quelicpe peine à eatrer défîni- 
t^ivement dans le canon des Églises grecques 2. 

§ 8. — Le miUiénaiisme s. 

C'est ici le lieu de. dire un mot de cette erueur fort 
répandue aux ut" et ui^ siècles,- mais qui n,'dut jamais le 
caraeJère d'ua euseigiiement fixe et autorisé. 

Le. millénarisme est un legs du. judaïsme. Les iuife 
atten4aient, comme on. le sait, un. règne- temporel du 
Messie àont on. fixait quelquefois la durée à 1000- ans. 
Jésus n'ayant pas; réalisé cette, attente à son, premier 
avènement,, heanicoup. de chrétiens, ea reportèirent 
l'objet au; second. Le Fils de l'homme glorieux, devait 
descendre sur la terre,, régner pendant mille- ans. avec 
les justes sur une Jérusalem renouvelée ; après quoi 
viendraient, la résurrection générale,, le. jugement et 
la fm des choses, la félicité éternelle des élus, l'éter- 
nelle damnation des impies. Cette opinion, remarquons^, 
le bien, supposait que la rétribution qui suivait la 
niort n'était que pro\T:soire, la rétribution définitive 
étant réservée après le jugement dernier. 

1„ ECSBBE, R. E., ni, 28, 1; cf; II, 23). 6. 

2,. EcsKBE, H. E., m, ih dT;.2'3„t.>i; YH,. 25», 

3. Atzberger, Geschich'e der chrisllichen Eschatologie innerhalUder 
vûrmcânischen 2ci<'i,,l"Eeiburiïim;B., 1896. Teauy, Riblic Apoealyptics, 
.KevY-York, 1898. Y. EnstoNi, Les phases- suceessives de- l's7-reur nuilUna- 
TîsJeKdans \& Revue des Questions. hi&iQriqjues,A. LXX;, 190U Guy, Le 
millénarisme dans ses origines el son développeijmnt, Hajsis, 100* 



EB9= HBRBSIIS DH' II"' SliiGLB: 223 

C'é'sttà pauippès' oê qiii' s& lit dans FApocalypse', et 
M nejfôuRpïis- douter^ que-lfe^ raillënarisme' ne^ doive- en 
gTaadfe^partxe. à cet' ou'vra'ge^ inte^préfé^ d'une- iaçon 
tmp'élToitë; là' ËiveuY' dbnl? iP jouit; Gert^ihs^ caîbuls, 
Msésî sut loi? dbnnées Biîjirqueff, et f&ant. Ifes; %es' du 
nrand'ef et îeuT'eBnsonmrfFtion', n-y fÙTent -pas non'pllis 
probabiteHient? éfpaîngers. 

Cépintlie) le- prenïier', est" accusé pac le? prêlreCaius 
e1^pa«?*IDefnyB-d'AltexànxiH(3' d^avoiï' sant'eniïle'miirëna- 
pisnïev et eïî dbnnant aux' jbuinsaïfcies' dif mMenîum 
lêupsens'^feîpîus gFossiep^ Mua tleard- les^ raontanistes 
en flren* fe' sujet. hafeitueL ^éf^le^rs prédicaîiioas^. 

Mais en dehors de ces doeteups- pliiS" eru' m'oins^ sus^ 
peetSj nous 16» voyHDns ffceaepté par- dfes dcrivaiiis; dont 
i^OiPtlïejdbxie' n?eB<f point' db'utefffsç' : Pâpfaset rEfpître 
d3g'Bfe:ma;MèGfa* i£- a dëjâ' éM- question; saint Justin 
qui en* éeafptff, dé par F^utopâë-d'è saiiif Eue (xx; -35, 
W\\ Ifes jouâs'sancB»' sexireifes-', maisi d-afllfeurs- ihvo- 
qtFe; ponp-en éFtaMlr Féxifffence, les- textes d*Fsaïè et 
dë^ FApeealypse ^; saint' Irëhée^ qui l'hdbpte avec 
empressenrent eomme* un argument eontre- l'es- gnos^ 
ti'ques' en fiàfveiH" db^ la- résurreefîbtr (fe- la- cftair,. et 
traite feufl uniment d^Haeretibos senstcs- m- se Kaèen- 
iî&5 eeaîc qui' pensent que les^ âm«s ë&s jusUfôs remon- 
tent) inïm^diàtbnïent vers- Dîbu' après- la mortel II est 
ppoËa'bie q«e' le miîléharism'e prévalait surtout dans 
l'i^Èsie^ant^rienre oiî s'était Conserve^plii-s vif' Ie= souve- 
nii?, dé' saint Jean'. Saint Irenée en' venait, et lés'monta- 
nistes n'en étaient pas loin. Oa y peut, rattacfc,er 
Metfeoàius. d'Olym.pe'' efe ApoUinaii?^ dé Laudicéc^^. 



1. EusEBE, ff. 2?"., nr, 28, 2, 4, S; VH, 2S^ 3. 

2. Dialogue, LXXX, LXSXi: 

3. Adv. haeres., V, 28-3G, 

4. Banquet, IX, S. 

5. S. Basile, Epist. CCLXIII, 4. 



224 LA THÉOLOGIE ANTENICEENNB. 

L'Egypte n'échappa pas complètement à l'erreur. 
Dans la première moitié du m® siècle, nous y trouvons 
celle-ci soutenue par un évêque, Népos, sous sa forme 
la moins spiritualisée, dans un ouvrage intitulé 'EXeyx.o; 
àXXr/YopicrTwv, et par un certain Coracion ayant avec 
lui des Églises entières ^ Quant au reste de l'Afrique, 
l'autorité de Tertullien contribua probablement à l'y 
répandre et à l'y maintenir. Elle s'étale tout au long 
dans les poèmes de Commodien^ et, au commence- 
ment du iv^ siècle, dans les Institutions divines de 
Lactance^. En Styrie, vers la même époque, l'évêque 
Victorin de Pettau (-]- 303), au rapport de saint Jé- 
rôme'', la professait aussi. 

II s'en faut cependant que l'opinion millénariste 
pût être donnée comme l'enseignement de l'Église, et 
nous voyons de bonne heure de vigoureuses protesta- 
tions s'élever contre elle. Saint Justin ne fait pas dif- 
ficulté d'avouer que beaucoup de chrétiens orthodoxes 
ne l'admettent pas^, et saint Irénée le suppose aussi, 
car les gens qu'il Q,ovûb?i\ piitantuj^, dit-il, 7'ecte cre- 
didisse [Adv. haer., v, 31, 1). Au début du iii^ siècle, 
le prêtre Caius en est, à Rome, l'adversaire décidé*, et 
Origène^ commence contre elle une campagne que 
son disciple, saint Denys d'Alexandrie, mènera avec 
entrain^. Le grand allégoriste n'était pas embarrassé 
pour expliquer les passages de l'Ecriture qu'on lui 
pouvait objecter, et il avait bientôt fait de traiter d'es- 
claves de la lettre [solius litterae discipuli) et de ju- 

\. EusÈBE, H. E., VIJ^ 2i. 

2. Carmen apologetîcum, vers 975 sqq. ; Jnslrucliones, II, 3, 39. 

3. Institut, divinae, vii, 22, 2i. 

4. De viris illustr., 18. 

5. Ilo)>Xoùç 5' a^ xai lûv v/jç xaOapâç xat sûcreêoûç Svtwv yfiKnicfviây 
■yvw{J.Yi; TOÛTO \s.ri YvwpiÇeiv [Dialog., lxxx). 

6. EusÈBE, H. E., III, 28, 1, 2. 

7. De principiis, ii, 2 sqq. 

8. EusÈBE, H. E., VIII, 24; 23. 



LES HERESIES DU II» SIÈCLE. 225 

daïsants {iudaico aiitem quodam sensu scripturas di- 
çmas intellegeiites) ceux qui s'en troublaient. Quant 
à Denys, il allait plus loin encore, et, pour enlever à 
Népos et à Coracion leur appui le plus sûr, il n'hési- 
tait pas, à la suite d'une critique hardie, mais partiale, 
à déclarer que l'Apocalypse ne pouvait être l'œuvre de 
l'apôtre saint Jean. 

Le millénarisme ne survécut pas au v» siècle. En 
Orient, les Gappadociens, disciples d'Origène, jetèrent 
dans la balance, contre lui, le poids de leur autorité- 
En Occident, saint Augustin qui l'avait, il l'avoue, 
quelque temps professé lui-même, en sapa les fonde- 
ments en donnant de l'Apocalypse une explication 
orthodoxe qui voyait dans le royaume du Christ 
l'Église de là terrée L'erreur s'évanouit peu à peu 
pour ne reparaître qu'au moyen âge dans quelques 
sectes d'illuminés. 

L'Église, en somme, s'en préoccupa assez peu, et 
elle ne paraît pas y avoir vu jamais un danger bien 
grand. Issu du judaïsme, le millénarisme partagea le 
sort effacé de tout ce qui y tenait. La clarté avec la- 
quelle il paraissait conLenu dans l'Apocalypse contri- 
bua sans doute à le faire admettre ou tolérer d'abord 
d'un grand nombre, et le montanisme lui ménagea, 
chez ses partisans, un regain de faveur. Mais le 
courant qui entraînait les esprits de plus en plus loin 
des conceptions juives, l'habitude d'interpréter plus 
librement ou même d'une façon allégorique les Écri- 
tures, l'obscurité dont on comprit mieux que l'Apoca- 
lypse était enveloppée en détournèrent assez vite les 
esprits réfléchis, et les ramenèrent à une conception 
plus spiritualiste et plus simple de l'eschatologie chré- 
tienne. 

\. De civitate Dei, xx, 7 sqq. Il avait été précédé par le donatiste 
Tyconius, vers 380. 

13. 



CHAPITRE. V 



V.k TLlîTTE D0CTHIN:41-.B CONTRE LE PAGANtSME. 
l' APOLOGIE' AU 11^ SIECLE. 

§ 1. — Aperçu, général, sur les apologistes.^v 

On dpnae,, dans. la haute ajalâquité: eGclésiasIdquGi I« 
nom d'apologistes à ce groupe d'écrmains qui, au ii^'oœ 
même au ni^ siècle, s'efforcèrent, de justi€ep les dire- 
tiens des crimes qpae la m'alveîMaîice et les préjugé^; 
leur imputaient, d'obtenir pour eux; la; tolérance el?: 
l'équitable application des loijs, de montrer que la doc- 
trine; qu'ils, professaient! méritaitJ'attention', le respect;. 
If adiîésion des. espititsi réfléchis.. 

Entendu ainsi dans un sens restreint^ le nom d'apo^- 
l^giates convient à^ une quinzaine d'écrivains environ,, 
mais dont plusieursvne méritentiqu!unesim>plementiGnv 
pa^ee que leurs ouvrais ont eirtièrement: ou presque' 
eniièremenfc péri... Tels Qttadratus;(v6rs 1^25-126)^ Arisi.^ 
ton.{l-35-1^5)', Rhodon. (avant 17^vMiltiiide(v.ers fôO), 
Apollinaire d'Hiérapolis (160-17.6),. Mëliton (f75-i^8Q). 

1. Sur les apologistes au w sièclo- en général,, voifi G.., Scbmi.tt, J?î< 
Apologie der drei ersten Jahrhunderle im Hisloi'isck-systematisdien' 
Darstellung, Malnz, 1890. h. Lacvibr, La méthode apologétique des: Bà'esi 
dans les trois 2^reniiers siècles, Paris, I90j, J. Rivière, Saint Justin cl 
les anologisles du second, siècle, Parig, 190.7. W.JJ. Çaasla«s, The, ea^hj 
Christian Apologists, l.omlon, J9H. A. Poech, Les apologistes g^'ecs. dn( 
IP siècle de notre ère, Paris, 1912, 

226 



, C'A;Ï>OÊOX5IE AH- Iir SIÈCLE^ 227 

Les» seules qtie BOïiBjpuisaiQns^étudierriioi) soBfc ^; jf^A^is» 
tidfer, Apologi» à Antomn le Pieux (13B(-tâf)i*^ — 
2R'saiiitJugtin^:P/'e/nzè??e A/jtf^a§îfe (150*i55')!;:J>ôa^^»E8 
AipolùgMf (^50-160); Dialogue' avec. Tr^pfvan'y, paiSié 
peiai appèsilaipKeimièïtû apoJogifô^et probablement iajyaat 
161.2; — - 3?' Taiàen,. Qi^cutioadi Snxwcasy Vieosi M'ô^; — 
4^ Atbétiag&re' SuppUiaaiio pjw Ghmsîianis- (il76'l'.7Sf ^ 
B&resuiTeetiione- mo.Huùnum'^ \. — -5° Théophile.- ^.àm^ 
tioohe,. -Au? Amtolycunv liiri. tnes^ (IS^?- 182)1^7. — 
&> VÉpW-eià Di&gnète (11?* siècle' probablemeM!);'':y: — 



1-. Édit. J; RïNDBtlfARRiset J-.AimiTAGE^ROBîNSOîj; The- apologu ofAris- 
tides on behalf of the Chris lians, Texts und Studi33,A, 11,. Gânïbrldge} 
1891 et 1S93.— Tra-raux : M. Pica-rd, L'apologie d'Arisàidei »£6ris,: 1892. 
E'. HORÀ, ÏÏhfefswshurtgen ûbir die Apaîàgie dés Arislîdes, Karlsbad, 
1898;- 

2. Édit. L. PAUTiGSY et G. Archambault, Paris, 1904j 1909. — Tcavaux. 
C." Sémisch; Justin der Martyrer, Bf eslafu, 1840; 1*842." ST. von Engelhardt, 
Bas.' 6tiristenium< Jmstvns- djes MaTtyrsrs,< Erlsmgen^lffï8; Al- STAjîflUï^' 
Justin der Martyrer, Leipzig, 18S0. W. Fleuming, Zur Beurteilungi des< 
ChristentumsrJustïns- des Martyrers, l'.efpzig, 1S93: r.-ar. Pfaettisch, JDer 
Einfbass^Blatot^ avifi dirTheologie jiistins dés'MartC,. Paderborû, igiOi 
A.BÉRY, S.>Jiistin,,sa vie et, sa doc/rine, Paris, ,191 u A.,w. F. Blusi, 
THe apologies afjm^nmartgr, Cam'firi-dge'; l9ft. M.-J. L'agrange, S.Vms- 
frsK4* Paid^. 19WA. San les pajats particuiieiis.deUaJttiiéoibgfe' de' saint 
JAistin, voir- les tnavaux énumérés par Bardehhewer,.- G«scA* dsp alU 
èHristl'. LrlèT.,.!, p. SBO' et sUiv. 

. 3. iàit: (ino-;,G(irp:ai}Bii, \V, l-'^'édît. «831. — Tiiavaux) : H.-Av Danielv 
TaUanus der Âpologet,.'Ra.\\e, 1837. B. Ponschab, Tatians Redean, die 
Griechén, Mâtt'en, iBîfe". A. Poècit, Retrhërch'es sur le' Discours aux Grecs 
dS'Tatiètit. Pairts(,..t903'.. J . Mmv^si^TatvDi^AntHroptOogiie) TatianSi,- MQus- 
ler,,190fr. , 

4: Édit. Otrtr, Op.-cit% Vît, i^- édït:, tSSX — Travaux : L. Arnould, D 
Apologia Athenagorae, Paris, 1898. J. Geffcken, Zwei griechiachen Apo- 
logeien, Lëi0zig5»l9fl.7. F. SeaBBRra<î, JDiePhilos-dphi^ dès A'ihonefçforas ^ 
Beclin,. 1882. Ku Fb!.. BAnERi,.i)te'.LeArff des Aihe)xag.orviS>vùn Gctte&Ein^ 
heit utidi DreieîTvigkeit,, Bauiberg, 1903. j;. Lr.HMatîîs; BL» Auf^rstehungs^- 
teftjîft des Aihetiagoras<,. l^eipzig-, 1890- E. GHAUDtHUKïJ, Etude, sur W 
Ilepl àvaffTàaetùç-d'At/iénag'ore, Lyon, 1903. 

S,. Édifi OtrOf OP' cit^i VIH, l'^* édit.r 1881. — TiiAVAfux; : 0. GLAcsen, 
Bi^i Théologie: dès. Theaphiius-:voi»A<nt',y ZeitSchr. fi wissènsch^ TheoL, 
1903. A. PoMBiRiCH, Des Apologeten Theophilus-von A. Gbties'imd Lo^- 
5'0sfe/wis;.Leipzigi, 1904» . 

6. Édit. FuNK, Patres apostolieiyï^ ^01% — i:ta.-^a.^X: }. îiKxt^viE, Bvr- 
Brief an Diognetos, Leipzig, l88ivL,TiAï>F(teDs-rAeî ^islle^ fo- Dicgnetiis, 
London, 1908. 



228 LA. THÉOLOGIE ANTENICEENNE. 

7° Minucius Félix, Octavius (180-fin du ii* siècle pro- 
bablement) ^ ; — 8° TertuUien, Apologeticum (proba- 
blement automne de 197) ^ ; — 9° Hermias, Irrisiogen- 
tlliuin philosophorum (m® siècle?)^ ; — 10° enfin plu- 
sieurs ouvrages attribués à saint Justin, mais dont 
les trois premiers du moins ne sont pas de lui : un npoç 
"EXXTjvaç que M. Harnack met entre les années 180-240; 
un Aôyoç Trapaiv6Tixoç -jupo; "EXXïivaç, qui appartiendrait, 
suivant Bardenliewer, à la môme époque ; un Ilêpl 6eoû 
[i.ovapj(^îaç, peut-être du iii^ siècle, et un Oept àvaorTaarewç, 
de 150-180, connu de TertuUien et de saint Irénée, et 
dont plusieurs critiques cependant refusent la pater- 
nité à saint Justin''. 

Or, le but de ces apologistes, dans leurs écrits pro- 
prement de défense religieuse, est naturellement et 
surtout de disculper le christianisme, de le présenter 
comme une doctrine inoffensive, respectueuse de Tordre 
établi et des situations acquises^, conforme d'ailleurs 
à la raison dont elle confirme et complète les don- 
nées. Ils sont dès lors amenés à en exposer de préfé- 
rence les dogmes naturels, les enseignements qui con- 
cordent avec ceux des grandes écoles de philosophie 
spiritualiste, l'unité de Dieu, l'immortalité future, la 
loi morale et sa sanction dans une autre vie, ou, s'ils 
parlent de ses mystères, c'est pour montrer qu'ils ne 
diffèrent pas, autant qu'on le pourrait penser, de cer- 

1. Patr. lat., III — Travaux s P. de Félicb, Étude sur l'Octavius de 
Minucius Félix, Blois, 1880. G. Boissieh, La fin du paganisme, I, Paris, 
1891. P. Monceaux, Histoire littér.de V Afrique chrétienne,!, Paris, 1901. 
G. B. Bertoldi, m. Minuzio Felice e suo dialogo « Ottavio », Roma, 
1908. 

2. Édit. (Khlkr, Lipsiae, 1SS3, tom. I. — Travaux : J. P. Waltzing, 
L'apologétique de TertuUien, Louvain,19iO. R. Heisze, Tertullians Apo- 
logeticum, Leipzig, 1910. 

3. Édit. Otto, Op. cit., IX, l'« édit., 1872. — Travaux : A. Frhr v. di 
Pauli, Die Irrisio des Hermias, Paderborn, 1907. 

4. Édit. Otto, Op. cit., III, 8« édit., 1879. 

5. Voir VÉpître à Diognite, V, 1-6. 



L'APOLOGIE AU IV SIECLE. 223 

taines croyances du paganisme. Dans ces conditions, 
leur christianisme prend l'aspect d'une sagesse hu- 
maine très haute ou d'une religion épurée qui se rap- 
proche par certains côtés des religions connues. Mais 
il s'en faut bien qu'un pareil concept corresponde 
à toute leur pensée. Nous savons que leur symbole 
contenait autre chose. Il comprenait notamment des 
vérités d'ordre spécifiquement surnaturel et chré- 
tien, que l'on retrouve soit dans ceux de leurs écrits 
qui sont destinés aux fidèles, soit encore dans leurs 
apologies aux païens et aux juifs, car il leur arrive, 
même dans ces derniers ouvrages, de révéler leur foi 
tout entière. Les apologistes ne sont donc pas unique- 
ment des philosophes, ils sont des croyants, et rien ne 
serait plus décevant que de vouloir, de leur silence, 
conclure à leur ignorance de certains mystères. Ce si- 
lence en général s'explique trop bien pour qu'on en 
puisse tirer un argument contre eux. 

Cela n'empêche pas que nous ne devions, pour les 
étudier, distinguer les deux points de vue, et les consi- 
dérer successivement comme défenseurs et comme doc- 
teurs de la foi. C'est sous le premier aspect exclusi- 
vement que nous les considérons dans ce chapitre, 
renvoyant au suivant d'examiner leur théologie. 



§ 2. — L'apologétique des apologistes, et leur 
conception de la révélation. 



La tâche des apologistes comme tels, nous l'avons 
remarqué, était double : ils voulaient, d'une part, dis- 
culper le christianisme et obtenir pour lui la tolé- 
rance; de l'autre, en montrer le bien-fondé et lui ga- 
gner des adhérents. 

Le premier point était affaire de constatation et 



239 LATJCGCiEa€Ifi^AN-3?ÉSreÉM^'5îE. 

de diseuHsicai; juràiâïpie. Oti< ajectisait' les- ôhi^étiefns- d'à- 
thâsme' et &kMpiéls&,- de n'hdorer aueuiï; dieu: ef def 
mépriser ceux Ss- V empire, paT' conséquent d'être? ea 
révolte c©iitEe i'aatomté des lois:, coufÊtMes- d© lèse- 
majesté de TerapeiFeur et dû peuple; Oïl les; accusait 
eoEoire. d'infanticidet et d'antÎKiapophagie^ d& festins de 
THyesfe;. de terpittrdeSj d'inxiestes infâmes, d'unions 
rappelant celle; d^GBdipe;^.. A ces calomnies on ne pou- 
vait répondre^ que* par di" énergiques;^ déffégationS) eif en 
en; appelant aux? faits. Noïi^ pépétèreiït les apolc^stes?, 
pouF n'adorer pas les' dieux et les idoles du pa^arasnïe', 
les chrétiens ne sont pas^ des athées= et dfest g-ens^ sans 
religion. Ils ne- sont- pas les; ennemis dê^ l'empire', eu» 
qui, rejetant d'aiilïîurs toute; ambition ts^restre, prien* 
pour sa? prospérité' et pour Ife salutà^yempereuns,. eux, 
dont, le loyalisme est absolu^ et, qur^,, en:- tà'suvaiilla'nt à» 
f®rmeî" des hommes vertueux, travaiJien* da méja^ 
coup à fournir à l'État ses 'meiHeursîcitoyeïrs^.. Quan* 
aux crimes et aux: infamies! dont oni Tersf accuse^, la 
pureté de leurs? nsosuîJs; en générall, leur, aveipsions des; 
spectacles: et^ des^jeux du' cirque! suffisent à- les^ eai l^ir- 
ver' : e'est bien plutôt aux païens que Ihn dev-rait re»- 
procher pareilles- horreurs K 

Ces crimes,- d'ailleuits, rien:n^leffa=étai)iis riisn-Oût 
pas même fait l'objet d'une enquête ; et l'on est donc in- 
juste quand l'on condamne les chrétiens uniquement 
sur Ifeur nx)m-, leur qualfté' dfe' chrétiens^, san"^ preuve 
de leur culpabilité, sans leur accorder ce que l'on ne 



i'. Ce" sontlfefS'troikcOiefk d'acCuBallbïïS qaé iësùvùB-jahé'asgttee rl'pia 

2. Si JUSTIN, I Apol., VI, IX, xi-xiii; Tatien, 4; Athénagore, Supplie, 
4^0i, W; TËÉbpmiiKv i; 3-T>' MiN«c«j§, 3â^' t^tcaiEiJ,- lOi" 14, m, 3bi3S; 38i 

3. S. Justin, I Apol., xv-xvii, xxvii, xxix; Tatiek-, 2S^^iaîaÉift,-i;«ïJpi.j,32i 
33; TnÉOPHiLK,, m, 3, i^;.Ep. à.Diogn.,.y,.l-i6; vi; Mmuaiis, 28-31; TÉit^ 
tCi.MENS ^- % 9.- 



pe&sepas aux autres, accusés, ledroifcde se d^fèîHli?e 
et; de prouver leuE rnraoeence/v 

Cette première partie de la défense! diesapoî-ogist'eSj 
qweique: intéressaiiite qu'elle sott»- n'est pas cependairt 
celle qui imparte le plus; à natre: sujet. Nous voulions 
ici savoir suctout sous quel jour^ ils ont présfeiïté- le 
ehanst-iaBisme à leurs adversaires, eC ©ommenï ils oat 
envisagé ses rap^ports avec la philosopMe et les aufres 
religions en cours. 

La philosopMe était, au; 11? siècle, le meilfeu'P eî 
mèmelet seul terraini commun- où pusseM se rencontrer 
les gens édairês,, ée quelque^ reMgioH qu'ils vinssent. 
Tous les<. aftOîlogistes; cependairt' ne gardèrent pas à 
soa égard, la même attitude. Encore que TatBêwv. Tèr- 
tullien et Hermiaa ne condamnent pas généralement- 
toute philosophie, mais seulement cette- science or- 
gueilleuae< qui repousse Dieu, et. se croit capable de 
résoudre seule' les. pitoblèmesH de notre; origine et de' 
notre destinée, on, ne: saurait nier qu!ils ne lui sont 
pas favorables!, et qu'ils prennent à baibuer les phi- 
losophes uia plaisir excessif^ Les autres ap©î)ogistes', 
philosophes- euxrmêniies! avanè d'être; chrétijsns et 
demeurés ; tais aprèsi leur conversioB, ont, aa contraire, 
plus volontifiESi invoqué T'autorité de la: philosophie^, et: 
se sont efforcés de montrer que: la religion^ nouvelle 
était pour Le fondd'accordavee elle. Geluè qui aie plus 
largement comprisf et exposé ©atte harmonie est saint 
Justin. 

Il com-menee par poser en- principe que le* cbristrai~ 
ndsme est une. philosophie,, la. seule sâre et utilev et 
qu'en l'embrassant on est et on reste philosophe : Tau- 



li. a*>IiSMîri F.Apol.,.n; Mstsi, Supplù:i,.t, 2; TERTOuaEN-, 2,. 3.. 
t. Tatien, 1-3; Tertullien, 46; Hermias, tout entier. 



232 LA THEOLOGIE ANTENICEENNE. 

S^ xal Sià TàuTK çiXoaocpoç lyto [Dial.j viii, 1, 2)*, Entre la 
doctrine chrétienne en effet et l'enseignement des meil- 
leures écoles philosophiques il existe une ressemblance 
ou même une identité que l'on ne saurait méconnaître. 
Les différences qui les séparent sont des nuances plutôt 
que des oppositions (// ApoL, xiii), La foi n'affirme 
sur bien des points que ce qu'ont professé Platon, Mé- 
nandre, les stoïciens; seulement elle l'affirme plus plei- 
nement et avec une autorité divine ; et elle ne se con- 
tente pas de l'affirmer, elle le démontre 2, 

Quelle explication donner de cette ressemblance? 
Saint Justin en indique deux. La première qu'il a trou- 
vée déjà dans les Juifs alexandrins, et que les autres 
apologistes ont accueillie à sa suite, est que les phi- 
losophes ont connu les livres de l'Ancien Testament, 
et y ont puisé les vérités qu'ils nous transmettent^. 
La seconde dont il est bien l'auteur, est que le Logos 
divin, qui a apparu à l'origine du christianisme sous 
la forme humaine, a de fait toujours agi et s'est con- 
tinuellement manifesté dans le monde. Chez les Juifs, 
il s'est montré dans les théophanies, il a parlé par les 
prophètes et enseigné par les écrivains sacrés. Chez les 
païens, il a parlé. aussi et enseigné par les philoso- 
phes. Ceux-ci sans doute ne l'ont possédé que partiel- 
lement (xaTà pipoç), et c'est pourquoi ils ont commis 
des erreurs, et ne sont arrivés qu'avec peine à la lu- 
mière (Si' eupÉcew; xat ôswpi'a;) ; mais enfin la semence 
du Verbe, le Verbe séminal (ffTrépfjia tou Xo'you, {yTrepp-a- 
Tixoç 6eïoç Xo'yoç), déposé d'ailleurs dès le principe dans 
toute intelligence humaine, était en eux, et c'est grâce 



1. Tatien (35) appelle de même la doctrine chrétienne 'h x«9' tjjaôcî 
pipêapo; ptXocoçta. 

2. Mei<(5vt«>; xaî 6c!w; -/.at fiôvoi (xet' ànoÔEcfewç {I ApoL, xx). 

3. lApol., XLiv, 8, 9; Lix; Tatien, 40 ; Théophile, h, 37, 38; MiNUCins, 34; 
Tertuluen, 47 



L'APOLOGIE AU IP SIÈCLE. 233 

à son secours qu'ils ont pu découvrir les vérités qu'ils 
ont proclamées et dont il était pour ainsi dire le parent 
(cruYYevEç). Aussi ne saurait-il y avoir d'opposition entre 
la philosophie et le christianisme. Tous ceux qui ont 
vécu avec le Logos sont chrétiens, quand bien même, 
durant leur vie, on les aurait jugés athées. Tels, chez 
les Grecs, Socrate et Heraclite, chez les barbares, 
Abraham, Ananias, Azarias et les autres. Tout ce qui 
s'est dit de bon et de juste dans le monde entier appar- 
tient aux chrétiens : "Ooa oûv 7r«pà Traai y.aX55; £tpr,-cai 
/)(ji.5)V Twv ypKJtiavwv IffTl ' . 

On voit assez la largeur d'une^ pareille doctrine, 
qui fait rentrer la philosophie dans le christianisme, 
et semble présenter Jésus- Christ comme continuant 
simplement et couronnant l'œuvre de Socrate^. Est- 
ce donc que saint Justin ne met entre la philosophie 
et la religion révélée qu'une différence de degré dans la 
manifestation de la même vérité, et pense-t-il réellement 
que les philosophes ont été, au sens propre, bien que 
dans une mesure restreinte, inspirés de Dieu? Nous 
ne le croyons pas. Bien qu'il ne s'exprime nulle part 
en effet d'une façon absolument claire, et qu'il paraisse 
çà et là parler du (r7rsp[/.axixoi; lôyoç comme du Verbe per- 
sonnel et incréé ^, il est plus probable qu'il ne désigne 
en définitive par ce mot que la raison humaine, dériva- 
tion de la sagesse éternelle, mais elle-même créée et 
finie. Car il remarque, nous l'avons dit, que cette se- 
mence du Verbe a été déposée dans toute l'espèce hu- 
maine'', et « autre chose, observe-t-il, est la semence 
et l'image d'un être communiquée suivant les forces 
[de celui qui la reçoit], autre chose cet être lui-même 



1. II Apol., xiii, vni, x; I Apol., xlvi, 3, 4. 

2. lApoL, V, 3, 4 

3. I Apol., XLVI, 3, 4 II Apol., xin. 

4. II Apol., VIII, 1-3. 



23S LA. THÉ(KL©!S1B ANmSïGÉENiNE. 

dontj paî? sar gn-âGe^ ©a' reçoit lat cdmmuoieatHïni efela 

Ot,. eatte haage dd- YerBe a; permis sansr doute- aux 
philoaopJ&e&des dieconOTtr des; vérités impoBtanteH, maâs 
aoaï pas aivee: la: sûreté et la plénitude. quUl eût fiaiki?. 
Les» pMiosojjîies se sœat. tcorapés; qïutel^piefoia,. sQŒïeat 
HTjêaîKe, soife parée: qu'ils ne possédaienfe qu'iHïpacfai-fee- 
rment le IJog'OBi,.. soit pœcce qwe- le démon, ejMaeïïïb des 
hommeiai,. les aindaidïts en. erreur;. Rifcis-avesE lia ¥eEhe 
incamé'- la pleine lumière est- venu© :: il n'y a) donc pas 
lieu de s'attarder à une philosophie' inGomîpl'ète;, àu®e 
demii-vérité qui n'a; ds'aiiJeurs^ jamais été: capatleî d'é- 
eMiTHr' le- peuple et de le ms^ralfeer : c'estle-cfti»istia>- 
nâsanie^ q«.'iliÉaait embrasiser'^'. 

itinsiv tout es- reie'o«aïaissiaii*.TEne' valeur 'à> la-. Baisen 
emtandj.qne paEtïcipati©iii plus^oui moiîEfô-imiiiiïédJiatè <te 
la.fiaisoni dmne,. saMfe Jùstisî? en. revenait, en dteï'nièr-e 
analyse^ à la. tkèse'. de îaf nêcessiCé morale de' la^ révîé^- 
latiomÊeMSîtiï^e'se^ trouvait Gonfenaée^pai? le tableau 
lamentaMfe qïie présentai* Flii^oire du. paganisme;- 

CetCe- histoire en effet était eelle d'e= toMesilés afesuTi- 
diiési et' é& toutes les turpitudes': la' mythwlogie, si on 
prenïtilj à la- lettre' ee qu'elle racontait- des' dieux, était 
une' école dammcvalité. l-es apolbgistess on le com- 
prendi n'ont- pas manqué de- relever ee' poin* de vue 
et de- le faire A^loir co-nltre leurs"- ad v-ersaires* ; mais^ilfe" 
ont p'^ussé' plus loin, et ont'Ghe3?Ghé'd^où étaient venus 
dans le monde le'pxil-f Bbéisme et ridolâtWe. Ils^ eff trou'- 
vent 1^ cause morale- dans les sirtifices du démon. C'est 
le= démon qui, pourpeïvertiîrf&amme, le détacher de 
Wiëu et scTasservip; s^'est efforcé? d^e se Mpe» passer 



1. îî Apol., xin, 6. Cf. PuEcH,. Les- apctVogi^tes. grecs,. p^. 71' et-suPvi 

2. I Apol., XIV, 1 ; Liv; lxiv; II ApoL, x, xiii. 

3. Aristide, 8-13; S. Justin, // Apoli, siv, 2; TÂTiEîf, £1, ^V Athtén.- 
SuppL, 20-21; ThéophilEj i, 9; m, 3, 8; Mikucius, 22* TfenTttciKîf, 2i. 



fagPSSiCJGTïE,' AiEE IP SîïïlËÈEU, 235 

M-m^^e- pear dreiiv II; a'esi Mottï éans lesi staiiies et 
glissé sous les images; ilt ss'esit emparé desdjevTQS^. a 
fait pal|titer, les entpaîlles- des \ricitimes, a; dirigé l&vol 
des oiseauiX, pendus des oarades menteurs,. efc s'est attifré 
ainsi les adj9i!a4ions sous le eoavert des idoles: dont il 
inspirait le calte; :: « Aienîul'antui? [daeEaHD'n'es]i diviaiita- 
tem, écBit Tertullien, émn feantuit dàviaationem '..» — 
Quant à l'ocigine liistca^icfiie du pag-sanism-e,, bieu qn;© 
les apologistes eonnaissent la théoiîiief qui voit daiars 
les dietasdies- personnificationsi des farcies de ki mtture!^, 
il&- s'apré*ent> plutôt à celle: q^i Les regarde eoEcmie des 
hommes^ faaaaeiïx de FaMiquité, qiue- Fon, a konorés 
comme- des dieuîx tantèl pouu' leurs mésites ott; l^ais 
seirv*i<5esv tantôt. et plos sœu^eaiifepauirie^rsvices^.- 

Mais-l6S.ap!©i©gisrt,es ne visaient pas Siettil«ment dans 
leurs écrits Les paifeaas^, ils visaient aaissi les Juifs. 
A ceux-ci revenait une large parti de responsabô- 
lité- dan» la perséciiiLti©Qi eonitre les cbcêtfeiïs, canx ils 
avaient contiùbué- à repandce les calomsa-ies; que' l'oa 
répétait sur eus^ et. iîst eoatinuaienit su les poursuivBe 
de leurs^ accusatàcoïs; et de leuir haiae)''v D'ailieurs^ 
en s^a4ressant aux Jurfe,. les apol'ogfetes; complé- 
taient leur démonstration de la vérité chrétienne. 
Contre l'es païens^, ils établissaient l'absurdité du po- 
lythéisme et le caractère élevé et essentiellement 
bienfaisant du christianisme. En prenant simplement 
les Livres saints comme livres de la plus haute anti- 
quité, ils allaient même plus loin et, au nom des 
prophéties, revendiquaient pour la religion nouvelle 

1. Tertullien, 22; Tatie.n, 12, 16-18; S. Justin, I Apol., liv, lxiv; Minu- 
cius, 27. 

2. A.RI3TIDE, 3-6, 13; Athénagore, Supplie, 22; Tertullien, Ad nationes, 
II, 1 ; Hermus, 6. 

3. Athénagore, Suppl., 28-30; Théophile, i, 10; ii, 2; m, 3, 8; Minucics, 
21,23; Tertullien, 10, 11. 

4. S. Justin, Dial., xyi, 4; xvii, 1, 3; cvni, 2, 3; I Apol., xxxi, S, 6; 
XXXVI, 3. 



236 LA. THÉOLOGIE ANTÉNICÉENNE. 

le droit à la croyance. L'accord de ces prophéties avec 
les événements prouvait leur divinité, et par contre- 
coup celle du christianisme. C'est le raisonnement 
qu'avait développé saint Justin dans sa première Apo- 
logie (xxx-Liii). Mais, dans la polémique contre les 
Juifs, cet argument acquérait une nouvelle force, parce 
que, les deux partis admettant que les prophètes 
avaient écrit xiv^aavxoç auxoî»? xou ôei'ou Ttveu[jt.aToç ^ , l'auto- 
rité de ces prophètes suflisait à trancher le débat. Or 
elle se trouvait en tout favorable au christianisme. 
Voilà ce qu'expose longuement le Dialogue avec Try- 
phon (lxiii, suiv.) où l'auteur met en relief les circons- 
tances des prophéties réalisées. — Toute cette argu- 
mentation de saint Justin est forte dans son ensemble, 
mais combien lâche souvent et insuffisante dans le 
détail au regard de nos exigences actuelles, il est à 
peine besoin de le remarquer. 

Ainsi, les écrits des Juifs contiennent la vérité chré- 
tienne : ils sont nôtres plus qu'ils ne sont à eux. Avec 
la nouvelle économie l'ancienne Loi qui l'avait préparée 
a pris fin : elle est abrogée : Israël n'est plus le peuple 
de Dieu : l'Israël spirituel, ce sont les chrétiens^. 

4. Atiiéxagore, Supplie, 0; S. Justin, I ApoL, xxxi, 1; xxxvi, 1, 2. 
2. S. Justin, Dial-, m, xxix, xliii Ep. à Diogn., iv. 



CHAPITRE VI 



LA LUTTE DOCTHINALE CONTRE l'hÉRÉSIE ET LES COM- 
MENGEJIENTS DE LA THÉOLOGIE SPECULATIVE. l'eN- 
SEIGEMENT CHRÉTIEN DANS LA SECONDE MOITIÉ DU 
11^ SIÈCLE. 



§ 1. — Introduction patrologique. 

Les apologistes, avons-nous remarqué ci-dessus, ne 
sont pas seulement des philosophes qui voient dans le 
christianisme l'expression la plus haute de l'idée reli- 
gieuse : ce sont des croyants, professant une foi posi- 
tive, ayant un symbole; et ce symbole quelques-uns 
d'entre eux l'ont défendu contre l'hérésie naissante, en 
même temps qu'ils revendiquaient contre le paganisme 
les droits de la liberté chrétienne. Dans ce chapitre 
nous voudrions exposer les articles de ce symbole, 
mais en faisant rentrer cet exposé dans une étude gé- 
nérale de l'enseignement chrétien dans la seconde 
moitié du ii* siècle, et par conséquent aussi des auteurs 
qui, en dehors des apologistes, ont fleuri à cette 
époque. 

De ces auteurs le plus considérable est saint Irénée^ 

1. L'édition citée est celle de D. Massuet dans P. G., VU. — Travaux : 
Fr. BoEHRiNGER, /rcnacws derBischop von Lugdunum, S'édit., Stuttgart, 
1873. A. DCFOURCQ, Saint Irénée, Paris, 1904. F. 11. Montgomery Hitchcock, 

237 



238 LA THÉOLOGIE ANTÉNICBENNE. 

C'est un asiate : il appartient, par son origine, à ce 
groupe d'écrivains de l'Asie Mineure dont les vues 
tliéologiques offrent entre elles assez de ressemblance 
pour qu'on ait pu parler d'une école asiatique, qui a 
compté des noms célèbres, mais dontles écrits se sont 
malheureusement presque entièrement perdus : Mé- 
liton, évêque de SardeSj Apollinaire d'Hiérapolis, 
Rhodon, Miltiade, ApoTlomus, radversaire du mon- 
tanisme, d'autres encore. De Méliton on possède 
quelques fra^gments qui ne do-ivent pas être ia^àgïés :"». 
Mais seul, saini Irénée a laissé plusieurs jouvrages^en 
tiers. Sooi grand tpaité Comtre les hénésies — pins 
complètement "EXcyyoi; xa'i àvarpOTry, t^ç i|/euôcovu^4oy yvwotwç 
— composé entreles années 176-199, lui a valu le pre- 
mier rang entre les Pèi-es antignos tiques. L'ouvrage 
est dirigé spécialement conatre le valentinianisme de 
Ptolémée. Toutefois, il formule des principes généraux 
qui -portent plus i-oin <q\x.Q cette polémique jyarticuiîère, 
et qnd l'ont fait regarder de tout temps coimme la ré- 
futation anticipée «ie toutes 4es hérésies. A -eété de 
V Aévers-us haereses, et ptosléj'ie'Ur wi trodsième Ibfva 
de -eette réfutation, nous 'pouvons 'eite*" <Haiairffl.f|!eiïant la 

InetifiiCAis of LugU., .a .sltid^/ of ihh. teaching, CamJbridgfi, i9l&. En. 
X. Fu>-K, Der Primat der rômischenKirche, nachj^natïus uniirenaeus, 
d&mleB Kirchenffcsc^ichtl. Abhandl.und Wn-àarstich., t.T, *897. A.*HA-r.- 
KACK, Das Zeugnis des l3\enae.vs ûb&r das Ansiehi&n -.dier rômischen ,Kii- 
cKe, dans les Sitzungsber. der k. preuss. Akad. der Wissen.zu Ber.lin, 
1893. J. -CHAPMiHî, ^Letémioignngp-dx'sevmtli'èniéeenfaveitrde-laj^i- 
îtkaulé romaiive, daoïe ila &avv£ bén^dictme, t. .SB, 4)893. â. <CfcaiEftiitE«!K, 
S. Irénée et le canon du Nouveau Testament, Louvain, J896. J. Kusze, 
BieGottesle^n'e de^ Irenaeivs, l(érpî!Sg,*1891.:L.Î)racKER, Des M. -Irenaeus 
Cba^stologie, CGitàngen, 4843. 1. KjsaasRR, §• lœnaeus 4e ^m<t* sancli- 
ficante, Wirceburgi, 1863. G. Molv.itz, De àvaxe!pa,XaiM(Tea); m Irenaeî 
theologia polesta'.e, Dresdae, 187*. L. Hopfenjiùller, S. Irenaeus de Eu- 
ckardecbia, BaniBjprgae i^(Sl. ai.S£nua»MEB, iSkie iEsvliafalfW'ie degfnenaeûs 
dans les Studien und Kritiken, tom. XXXVI, 1863. E. Klebba, Die anthro- 
pologie des hl. Irenaeus, Munster in W., 1894. P. Batiffol, L'Église . nais- 
sante et le caifioli-ctsme, Paris,, -1999. 

l.tàil.OTTO, Corpus apdi<rgetamm,TS.. yoîr J}. T^oma's, Mélito von 
Sardes, Osnabrùck, 1893. 



LE DOGME DA^S iL^ \SEOÛN©E .'MOITIÉ ©U Jî« SIECLE. 839 

Dèmoji'SlraUmw, de Ha prédication apos(to.liqfue,j iretcou- 
vée îCH ■arménien ^ , <et qoii mi fait d'ailieiars ^ue a-epc©- 
duke ies vïies .do:g»matiques exposées déjà parPaiiiieiir. 
Ces ^ues nîétaient jpas nouyelfes. Les idées îmaîtreases 
d'iKénôe «ur la .ti^diti^a suEtoiut ay.aaent «Je ;éœàsBs 
avant hii, et, ^presque ien même 'temps qu'Jffénise^ îHé- 
gésippe les -faifiait 'valoir dans ses Mém.air^es. .Mais «mil 
ne -leur aivait donné autant é& -^m&iûom. et ide .Tseiief 
que llévêque ide -Lyon» 

Dune, tous les apolojgistes du deuxiième siècle, et 
spécialement Justin, Tatien, Aftliénagoife, Tàëo- 
pliile^, piis iesP;èf©s antigaostiqiies «e* .spédalemenè 
saint ïriénéeiôt Méliton, tels soni les lâuteuns =dont nous, 
allons ici -étudier la. doctrine. 



§ 2. — Les sources de la foi. L'Église romaine. 

Les apologistes jqgai'den.t ^o^mmé également ins- 
pirés leslayj"es..de.rAflacien.ejt duJNlouveau Testament, 
et accordent à ^ceuxTci, sans les mettre p'eut-êire sw le 
même pied, une autorjlé identique ;à \celle .des jsre- 
miejs. .C'ejst lie Verhe dr\''4n., ddt saint Justin, qui a. -ma. 
les prophètes^; mais ia jnaj^ole .de P^ul, Kemarque 
Théophile, tejst aussi la iparole. de Dieu (lOeloç ^yoî» twi, 
14, cf. 13), et un même Esprit de Dieu a parlé par tous 
les TtveujAaxocpo'pQi (uij 12)^ Ils 0J3tt été comme la iouche 
par .où si is'eflit aeaopBimé, la lyite dont il la fait vibrer le 
cordes". 



1. Édit. Ter-Hekerttschian et Erwand IER-JiIIî!AssLVNT^ Des hfiil.lre. 
naeus Schrift zum Erweise der aposlolïschen Verkûndigung, EU 
èrUost^ii'^ -xoSj 'Aupaxoliv-ov- XTifi^-ï^iatos, JUeipz., 1S07. PaLr. onenL, Xil. 

,2. L?<5tu4edea'efitulU.en.estjejiV;Oj.ée plusJoia. 

.4. S, rJusxiN, I.-4poL, xarni, ;!,; A-h9élir,Suiipi„i9.\.Cohorlatio.ad Gen^ 
aies, 8. 



240 LA. THÉOLOGIE ANTÉNICEENNE. 

Saint Trénée ne s'exprime pas autrement. Précisé- 
ment à l'époque ou il composait son grand ouvrage, 
le canon du Nouveau Testament venait de se fixer 
d'une façon ferme et dans un sens exclusif, soit à 
Rome, soit dans l'Asie Mineure ou même à Alexandrie K 
Ce n'est pas qu'il n'y eût çà et là, et sur tel ou tel 
livre, des hésitations, — saint Irénée lui-même parle 
comme d'Ecritures inspirées du Pasteiw d'Hermas et 
peut-être deVÉpître de saint Clément (iv, 20, 2; m, 
3,' 3) ^ — , mais le principe était posé et les limites 
étaient dans l'ensemble nettement tracées. On voit 
par ses écrits que l'évêque de Lyon possédait les livres 
du Nouveau Testament rangés en une collection qui 
s'opposait à celle des livres de l'Ancien Testament; 
et cette collection elle-même comprenait, d'une part, 
les évangiles, ou plutôt l'évangile tétramorphe — le 
le nombre quatre étant absolument sacré —^, et de 
l'autre les àrzoaxokwâ, qui désignent les écrits des apô- 
tres et le reste du Nouveau Testament. Saint Irénée 
cite ou connaît tous les livres du canon actuel, sauf 
VÉpître à Philé?non qu'il ne cite pas, et la deuxième 
Epître de saint Pierre qpi'il a peut-être ignorée. \JE~ 
pitre aux Hébreux est la seule dont il ait rejeté l'au- 
torité, bien qu'il l'ait connue et même citée ^. 

Or les Écritures, déclare Irénée, sont parfaites 



1. Ce serait ici le lieu d'étudier le canon de Muratori, qui apparaît à 
peu près à ce moment. On en trouvera le texte et le commentaire dans 
E. Jacquier, Le Nouveau Testament dans l'Église chrétienne, II, Paris, 
1913, p. 189 et suiv. 

2. Ses expressions ne prouvent cependant pas qu'il les regardât 
comme canoniques (Hahnack, Lehrb. der DG., I, 374, note 1). — Quand 
romTage de S. Irénée n'est pas expressément désigné, il s'agit toujours 
ici do l'Adve7'sus haereses. 

3. PuoTius, Bîbl., cod. 232; cf. Adv.haer., n, 30, 9; Ecsèbe, H. E.,\, 
26. Voir sur tout ceci A. Loisy, Histoire du canon du Nouveau Testa- 
ment, Paris, 1891, pp. 103 suiv. Th. Zahn, Grundriss der Geschichte des 
neutestamenllichen Kanons, Leipzig, 4901, *« édit., 1904. E. jACQBiF.n, 
op. cit., p. 178 et suiv. 



LE DOGME DANS LA SECONDE MOITIE DU II" SIECLE. 241 

« puisqu'elles ont été dictées par le Verbe de Dieu et 
son Esprit » (ii, 28, 2); les quatre Evangiles en parti- 
culier décident de la foi et sont la norme de la vérité 
(m, 1). Et néanmoins ce n'est pas à l'Écriture, en 
dernière analyse, qu'il en faut appeler contre les 
gnostiques, — d'abord parce qu'ils ont répandu eux- 
mêmes une masse d'œuvres apocryphes qu'ils pré- 
tendent inspirées (i, 20, 1) ; — ensuite, parce que 
lisant les Écritures authentiques sans amour de la 
vérité, ils n'en sont pas convaincus (m, 11, 7); — en- 
fin, parce qu'ils les interprètent à leur fantaisie (ii, 10, 
2, 3; III, 12, 7; 21, 3) et soulèvent contre elles d'inces- 
santes difficultés (m, 2, 1). Contre ces incorrigibles 
ergoteurs il faut s'appuyer sur une règle de foi plus 
simple. Celte règle de foi est le symbole, le xavwv 
T^ç àXyiôetaç àxXiv^ç que chacun a reçu au baptême (i, 9, 4), 
que l'on peut bien plus ou moins parfaitement com- 
prendre et expliquer, mais que l'on ne saurait changer 
(i, 10, 3). 

Où se trouve ce symbole? — Dans l'Eglise. Dans 
l'Église on en trouve la formule, et l'on trouve aussi 
la vraie foi dont il est le résumé et la prédication 
fidèle qui l'explique; dans l'Église qui a reçu ces 
choses, par une succession ininterrompue de ses j)as- 
teurs, des apôtres eux-mêmes ; dans l'ensemble des 
Églises-mères qui peuvent montrer le catalogue de 
leurs évêques remontant jusqu'aux origines chré- 
tiennes; dans l'enseignement des pasteurs actuels à 
qui sont parvenues, par tradition, les vérités qu'ils 
nous prêchent et qui, par le charisma veritatis cer- 
tum dont ils jouissent, conservent intégralement le 
dépôt de ces vérités divines. C'est à eux que doit 
s'adresser quiconque veut s'en informer d'une façon 
certaine; à eux qu'il faut demander l'explication dili- 
gente et exacte des Écritures (m, 3, 1,4; iv, 26, 2, 

M 



242 LA THÉOLOGIE ANTÉNÏCÊENNÉ. 

5; IV, 33, 8; dî. iv, 32, 1; iv, 26, 5). Totïte k vérité 
religieuse a ëtë par les apôtres cdnfïëe à rÉglise. 
L'Église a reçu, pouT la garder et la répaMte «ans 
erreur, les arriies de î'incorru^tiMlit'é, feSaiM-Ksprit : 
c'est donc d'elle, de la prédication 4e fe^ ^véqu^s 
qu'il la faut recevoir, et il est înûlîle de là (jfeèixhfeï^ 
ailleurs : « Tantae igitur ostensiofies <Mm *sint, neii 
oportet adlrac quaerere apud alios v^itatem quam 
facile est ab Ecclesîa sumere, euiïi apôStoli ^uai^ in 
depositorium dives plenissime in eam coatuleriïit 
omnia quae sunt veritails, uti omnîs quîcumque velit 
sumat ex ea petum vitae » (m, 4, 1). « Hoc enim Ec* 
clesiae creditum est Dei munus, queiîiadmodum ad 
inspirationem pla^màtioni, ad hoc tit ottinia wiemlsï-a 
percîpîentia viviiicentur, et in eo disposita est côm- 
municatio Clifistî, id est Spiritus saïictus, atrha in- 
corruptelae et confirmatio fidei îiostrae, et scala 
ascensionîs in Deum... Ul)i enim Ecclesia ibi et Spi- 
ritus Dei, et ubi Spiritus Dei illic Ecclesia et oftinis 
gratia j Spiritus autem reritas » (m, 24, i ; cf. v, 
20, 1). 

Le critère dernier de la vérité se trouve donc dans 
l'enseignement de l'Église; et dès lors, pour décider 
entre hérétiques et orthodoxes, il faut Voir quel est 
l'enseignement des Églises particulières qui compo- 
sent ï'Eglîse universelle, et plus spécialement decèÊes 
qui remontent, par la succession de leurs pasteUrs, jus- 
qu'aux apôtres (m, 3, 1)^ Mais, comnae il serait trop 
long de les parcourir toutes, îî suffira d'exiaminer quel 
est l'enseignement de l'Église de Rome. Avec elle en 

i. Cette idée de l'accord doc.trîaal des égUses particulièrea et de la 
succession ininterrompue des pasteurs comme preuves de la vérité se 
trouve déjà daos Hégésippe. Au cours de son voyagea Rome, il s'est 
plu à constater que tous les éwéques -qu'il a vus professent la anême 
doctrine, et, à Rome, il a établi la succession épjscopale jusqu'à Anicet 
(Eusèbe, H. E., Vf, SS, 1-3). 



LE DOGME Ih^lSSîMSJBeONDBMOlIIÉDBI.II* SIÈCLE. 2«3 

effet, àeause de sa primauté prépondérairtie;, il:ést néces- 
saire que toutes les autres s'accordent. En- eHe. et par 
elle les fidèles partout disperaés, ont eonseirviéi la tea^ 
dition venue des apôtres : « Sed quoniam valde longum 
est in hoc tali volumine omnium ecclesiarum enume- 
rare successiones, maxiinae et antiquissimae et omni- 
bus cognitae, a gloriosis duobus apostolis Petro et 
Paulo Romaeî fundatae et constitutae- Eceîèsfae<, eam 
quam habet ab apostolis ti»adi*ii0®em et annuntiata'm 
hominibus fîdem per successiones episcoporum per«- 
venientem- usque ad nos indicante», eonfundîmus 
onanes eos qui, quoquoi modo», vel per sibi pïacentia, 
vel ^amam gloriam^ vel per coecitatem et malams sen?- 
tentàam, praeiterqjiam oportet coliigunt. Adhanc enim 
Eed^Lamipropterpotentiorem' principalitateiB^ neeresse 
est; 6Hœmei8H! eonvenipe Ecclesiamy hoc est* e&a^ qui sant 
U!ndt(jGie. fidèles,. in: qua sempter abbis-qm stmt* undfilqŒe 
e®ns®!E>îailia, es^; eau qns& est ab apostolr« tradi</K)» » 
(il*, 3.V 2:)^.. 

Telte esi, brièTremenfe résumée j la* suite du fem€fux 
témoignagecd© sadntî frénée sur î'aut^orrté doctrinaie; de 
l'Église^ en général et de HÉglise romaine enpar{ii3ui- 
lier. Cette: asutorité est infaillible .•: elle est î'apanag'e' des 
évêques, et a pour condition matérielle qu« ces évêques 
soieiair rattsachés aux apôtres; par une suGcession inin- 
teirrompue : mads elle est, e» demiëre analyse-, le fait 
de i'Esprit de; vérité myant daajs- l'Église, et garantis- 
sant rinté^cifcé Je saifèi et Einerraoce d© sea enseigne- 
menls. 

1. Pour l'explication de cette dernière phrase, voir Batiffol, L'Église 
naissante, p. £50. Certains critiques font rapporter m qua à l'Église 
noniailoci, dfàuttesii à omnemiEcclesiam. r Ib résultat flnal estlemême. 
— On a proposé récemment «te corriger le second qui sunti imdique 
par qui ibi praefuerunt oiu,quelquai ebose d?é<juivalent(Dom;Morin), ou 
jiATqidsiint undecim (d'Herbigny), ou même on a supposé; une- faute 
du traducteur : mais letexie piiut; très Uien: sîiiiterprétei;' tel quHl est 
{hxKDE:uiKV!&R, AUkircht. £itercFÉ:,.I,:p., iWi note i}^ 



244 LA THÉOLOGIE ANTÉNICÉENNE. 

L'Eglise interprète des Ecritures et l'Ecriture inter- 
prétée par l'Eglise, la tradition vivante du magistère, 
voilà donc, pour Irénée, la grande règle de foi ^ . 



8 3. — Dieu et la Trinité. 

Les apologistes donnent plus à la philosophie : cela 
entrait dans leur plan ; saint Irénée donne plus à la 
révélation; et ces tendances se trahissent dès qu'ils 
parlent de Dieu. Les apologistes s'élèvent à sa connais- 
sance par l'argument de causalité 2, par l'argument 
téléologique ^ : ils le conçoivent comme transcen- 
dant et infiniment supérieur à ce que nous en pou- 
vons écrire ou penser: « Ideo sic eum aestimamus dura 
inaestimabilem dicimus... Aufer additamenta nominum 
et perspicies eius claritatem ''' ». Pour saint Irénée, 
Dieu est aussi transcendant, et quelques perfections que 
nous proclamions en lui, il reste toujours ineffable : 
« Est autem et super haec et propter haec ineffabilis » 
(11, 3, 3, 4; cf. 8; i, 12, 2); mais nous ne sommes vrai- 
ment en état de le connaître dans sa nature que par la 
révélation qu'il nous fait de lui-même par son Verbe 
(iv,6, 4, 5; 20, 4, 5). 

L'erreur capitale de la gnose était la distinction du 
Dieu suprême d'avec le créateur, la distinction du 
Dieu de l'Ancien Testament d'avec celui du Nouveau, 
du Dieu juste d'avec le Dieu bon. Il est certain que 
saint Justin, dans son ouvrage perdu contre les héré- 
sies, réfutait cette erreur^. Quant à saint Irénée, il af- 

1. Les apologistes, naturellement, ont moins parlé de la tradition. 
Voir cependant S. Justin, î ApoL, Lxr, 9 ; lxvi, 3. 

2. AuiSTiDE, i ; Tatien, 4, S ; Théophile, i, 3, 7. 

3. MiNUCIUS, 17-19. 

4. MiNDCiDS, 18 ; AuiSTiDE, i ; S. Justin, / Apol., lxi, H. 
h. S. Justin, I Apol., xxvi, S ; S. Irénée, iv, 6, 2. 



LE DOGME DANS LA SECONDE MOITIÉ DU II* SIÈCLE. 245 

firme avec force que le Dieu suprême, l'unique Dieu 
est le créateur, le démiurge (ii, 1, 1; m, 9-15, etc.), qu'il 
est à la fois le Dieu de l'Ancien et du Nouveau Testa- 
ment, le Dieu à la ifois juste et bon (m, 9-15; 25, 1-4; 
IV, 9-15) *. On croit sans doute apercevoir dans la na- 
ture des dissonances et des désordres ; en réalité, tout 
y est consonant et harmonieux (ii, 25, 2). 

Il n'y a qu'un Dieu : nos auteurs le répètent contre 
les païens ^. En Dieu cependant ils distinguent trois 
termes, le Père, le Verbe ou le Fils et l'Esprit-Saint ^. 
Nous reviendrons sur ce point. Le Père possède la 
divinité excellemment et dans sa source, 6 ovtwç ôso'ç ■', 
Il est le principal créateur qui a tiré le monde du 
néant (IÇ oùx 5vtwv) ^. Si nos auteurs attribuent la créa 
tion au Verbe, ce n'est pas précisément, comme on l'a 
dit, parce qu'elle répugne à la transcendance du Père, 
et parce que celui-ci a besoin d'un intermédiaire pour 
atteindre le contingent et le fini : c'est parce qu'ils ont 
lu dans l'évangile de saint Jean (i, 3) que tout a été 
fait par le Verbe (Sià Xdyoy) comme organe du Père ^. 
En saint Jean, le Verbe leur est apparu comme le prin- 
cipe immédiat de la création (i, 3) et de la révélation 
(i, 18). Ils y ont vu une preuve péremptoire contre la 



i. Et cf. Démonstr., 4, 8, 99. 

2. S. Justin, DiaL, xi, 1; Tatiejj, S; Athén., Suppl., 4; Théophile, ni, 9; 
MiNccius, 18, 19. La. Démonstration de S. Irénée (4) semble contenir une 
allusion au passage du Pasteur d'Hermas {Mandat. 1} sur l'unité d« 
Bieu. 

3. S. Justin, I Apol., vi, xiu, 1-3; Athén., Suppl., 12, 14; Théophile, i, 7; 
II, 15, 18; S. Irénée, i, 10,1; iv, 20, i, 3; 7, 4, etc. 

4. S. Justin, I A^joJ., xiii, 3. 

8. Théophile, ii, 10; S. Justin, I Apol., lxiv; DiaL, xi, i; Tatien, 5; 
Athén., Suppl,, 4. S. Justin parle, il est vrai, en un passoge de la pre- 
mière Apologie, X, 2 (cf. Lix, lxvii, ^), d'une oiisaiîisîition du monde 
ê; àyiopçou Q\'/\i, qui ne serait pas une création, mais il ne prend pas 
cette opinion à son compte. 

6. Voir, pour saint Justin en particulier, A. Puech, Les apologistes 
grec», p. 103, et les références qu'il indique; J Apol., viii, 2; xni, 1, 4; 
II Apol., VJ, 1,2. 

14. 



gnoge de l'^armoasier des deux ordres àeila cïréatioa et 
de la rédemption, puisque le Verbe révélateui? et Ré- 
dempteuE du Nouveau Testament est aussiMe Verbe- 
créateUiT dei l'A.iaoien. Rien, ne caidipait mieux avec- les 
besoins de Ie,ui? polémique. . 

Sur le Verbi©^ la doctrine des apologistesy et sartou* 
des principaux d'entre eues, saine Justin;,. Tatien, Athé- 
nagore, TliéopMle, a. soulevé des; difficultés. A c)Ôté 
d'affirmatioas très claires, elle offre des expressions 
obscures,; et dont l'interprétation a divisé les criti- 
ques. Nous: allons d'abord l'exaaniner- à part. 

Ils enseignent d'abord nettement, que le Verbe est 
Dieu. Les chapitres lvi à lxii du Dialogue avec 
Trpphon sont tout eiitiQTs consacrés' à établie qu'à côté 
duDieu suprrêrae, il y a un autre Dieu qui n'est pas un 
ange mais vraiment Dieu, 650c x^JjeTxai, xal 6soç- iazi xa\ 
îazan [hYUî, 9). Tatien nonitmeUe Saint-Esprit le mi- 
nistre du Dieu souffrant (13).. Les ekcétienss écrit Athé- 
nagore, croient à Dieu .le Père, et au Fils Dieu; et au 
Saint-Esprit (10) ; et Théopbile conclut toute sa dé- 
monstration du rôle du Verbe dans la création par ces 
mots : (t Le Verbe est donc Dieu et engendré de Dieu » 
(w, 22). 

De plus, le Verbe est préexistant et antérieur à toute 
créature : il est Dieu avant la création?, irpà Ttotv^tfewç 
xffffpiou ovTa ôeôv^ Lui-même, par conséquent,, n'est pas 
une créature, xTtfffxa ou noirifi». Si on lui applique^ sou- 
vent le texte des Proverbes, viii, 22, Kupioç eKTiffs [xe — 
par exemple saint Justin, Dialogue, lxi, 3 —, qut 
mettait en relief son rôle créateur, c'est à la condition 
de ne point trop presser le terme IxTitre. Le mot le plus^ 
fréquemment employé pour marquer son mode d'ôri< 



1. s. JdstiS, Dial., lvi, iO; xtvia, 2; lxi, 1; TatiéRj »;■ Athén., Supph^, 
10; Théophile, ii, 10, 22. 



LE DOGME DA,NS^ LA SECONDE MOÏTDI DU «« SIÈCLE. %V1. 

giiie est Yfvvw.^ Le Vepbe n^est pasi. faitç m; cj!éé : il 
est: engendré. Et étanit ainsil engendcé,. il= e:s:t. Fils de 
Dieu. Le Verbe, qui sera plus; tai'd Jfésîusr-CkriiSJb,, est le 
Fils de Dieu, le senl qui soit fil& proprement : 'O Se 
oîoç.lxsîvou (ôgou)j. ô'fjiovoç XsYojjievoç xuptô)çuto^, oX^o; irpô twv 
irptïjffaTOJV, xai auvàv xai y&vvbyjxz-vDtÇlI Apol..,y, vr, 3 \I ApoL, 
XXIII, 2.)., 

Dès lors, et en vertu de cette génération, le Fils est 
distinct dii Përe . Cettedistintïtion estmise plus ou moins 
en relief chez lès apologistes' : saint Justin y insiste 
vivement. Le Fils est autre par rapport au Dieu créa- 
teur, autre par le nombre, bien que-d*accord avec lui- : 
îkt^ci- IffTi TOÎJ' Ttàvxa TTor^travToç ôeoûy à"ptô(*5y Jclya), è^k- ou 
YvtSfAï) (Z);a/., Lvii 11). Ilne-s'en distingue pas seulement 
parlé nom, comme là lumière se distingue du soleîî, 
mafe il^ est' mimériquement quelque chose d'autre : 
ipi%r]ï Itepo'v rt lorri {Bial., cxxviw, 4). Tatien et AtÈé- 
nagorec usent d'^expressions^ équîva:lentes ^ , et l'on con- 
naît ïa célèbre^ distinction du léyoç Iv^tàffetoç et dli ^oyoç 
Trpoïltîrpixo'ç de TMophile- d' Antioelie, îe premier- qui l'ait 
appliiquée au Verbe divin (ir, 2^)'. 

Est'-ce donc que par cette génération le Fils se trouve 
sépare du Père, qnie celui-ei soit privé de son Verbe» 
ou que sa substance soit partagée? Nullement. 

Le Verbe^ écrit Tatien ,^ « provient d'une distribution, non 
dfune. division. Ce q,ui est divisé est retranché de ce dont 
il est divisé, mais ce qui est distribué suppose une dispen- 
satfon volontaire, et ne produit aucun déMut dans ce dont 
il est tiré. Car, de même qu'une seule torche sert à allu- 
mer plusieurs feux et que la lumière de la. première torche 



1. s. Jdstin, D-iai.,. lxi» 1* 3;, I Apol.yXxn, 2; xxiit,. 2; j;J^^qZ., vi,.3j 
■fAïlEN, Si 7;. Athén., Siispl,, 10; Théophile, ii» 1,0, 22. Talien est cepen- 
dan.t moins décisif ; mais le jugement de Bardenbewer sur lui (AUldrckl. 
ivter.,.!:. 269) me paraît beaucoup trop sévère. Je persiste à croire que 
iî Diisu, souffrant an. chapitre 13 est bien le Verbe incarné. 

2. Tatien, 5; Athén., Suppl., 10. 



248 LA. THÉOLOGIE ANTÉNICÉENNE. 

n'est pas diminuée parce que d'autres torches y ont été allu- 
mées, ainsi le Logos, en sortant de la puissance du Père, 
ne priva pas de Logos celui qui l'avait engendré (ou-/. ccXoyov 
T:sr.oif\y.z tov YETevvTjjcoTa). Moi-même, par exemple, je vous 
parle et vous m'entendez, et moi qui m'adresse à vous, je 
ne suis pas privé de mon logos, parce qu'il se transmet de 
moi à vous ; mais, en émettant ma parole, je me propose 
d'organiser la matière confuse qui est en vous r (5) *. 

Voilà exactement ce que répète saint Justin [Dlal.j 
Lxi, 2; cxxviii, 4) et ce que supposent Athénagore 
[Suppl.j 10) et Théophile (ii, 22). On trouve là l'origine 
du çwç ex (pwToç de Nicée. 

Ainsi, suivant les apologistes, le Verbe est vraiment 
Dieu, Fils de Dieu, engendré de lui et par conséquent 
de sa substance, réellement distinct, mais non séparé 
du Père. C'est tout le fond de la définition de Nicée, et 
il suffirait, pour l'obtenir, d'appliquer à ces données 
une terminologie précise. On exagère donc singulière- 
ment tout au moins, quand on présente, comme on l'a 
fait quelquefois, nos auteurs comme des arianisants 2. 
Il ne faut pas méconnaître cependant que quelques- 
unes de leurs expressions ont pu donner prétexte à 
ces accusations; et ce sont ces difficultés que nous 
devons maintenant examiner. 

La première porte sur le moment que les apologistes 
paraissent attribuer à la génération du Fils ^. Quel- 
ques-uns de leurs textes, dit-on, nous représentent le 

1. La traduction de ce morceau est celle de H. Puech, Recherches sur 
le Discours aux Grecs de Tatien. 

2. On sait que, pour Tatien, l'accusation.est ancienne. Voir les scolies 
du vas. 174 reproduites par Otto, Corpus apologet., VI, p. 20, note 1. — 
Petau lui-même a certainement dépassé la mesure dans son De Trù 
nitate, lib. I, cap. m. 

3. Bien qu'il y ait des nuances à établir entre eux, et que le langage 
d'Atliénagore» par exemple, soit bien plus correct que celui de Tatien, 
on peut, je crois, traiter des quatre apologistes grecs à la fois relative- 
ment à la question qui nous occupe. C'est, au fond, la même idée que 
l'on retrouve ciiez tous, et qu'on retrouvera plus tard chez TertulUen 
et saint Hippolyte. 



LE DOGME DANS LA SECONDE MOITIÉ DU îl« SIÈCLE. :^49 

Verbe comme engendré sans doute antérieurement à 
la création, mais pour la création, et conséquemment 
à la résolution formée par Dieu de créer. Sa généra- 
tion est ainsi l'effet d'un acte libre, l'effet do la volonté 
de Dieu, et, si l'on ne peut dire qu'elle s'est produite 
dans le temps, on ne saurait dire non plus qu'elle est 
éternelle. Antérieurement à cet acte générateur, le 
Verbe existait évidemment, mais comme simple attri- 
but, comme raison immanente (Xoyix^ Suva[xiç) de Dieu 
— lequel n'a jamais été dtXoyoç — , non comme per- 
sonne distincte. C'est la génération qui le tire de cet 
état d'impersonnalité pour en faire un autre relative- 
ment au Père. 

Cette doctrine a reçu le nom de doctrine de la géné- 
ration temporelle ; et sur elle s'en greffe une seconde 
qui donne lieu à une nouvelle difficulté. C'est celle de 
la subordination du Fils par rapport au Père. Le Fils 
est le ministre du Père : « Il n'a jamais fait que ce que 
le Créateur du monde, au-dessus de qui il n'est point 
d'autre Dieu, a voulu qu'il fit et qu'il dît ». « Il est sous 
les ordres du Père, et préside à l'exécution de ses 
desseins » . Il est Dieu et Seigneur « sous le Créateur 
de tout ^ ». Bien plus, il possède, pour entrer en con- 
tact avec le fini et le contingent, une aptitude que ne 
possède pas le Père. Celui-ci, Dieu incommensurable 
et transcendant, ne saurait ni apparaître surJa terre 
ni être présent en un lieu déterminé : et aussi ne sau- 
rait-on lui rapporter les théophanies de l'Ancien Tes- 
tament. Mais le Verbe, lui, peut se manifester, être 
vu, contenu dans un lieu ; et c'est de lui en effet qu'il 
est question dans les récits bibliques sur les appari- 
tions divines ^. 



\. s. Justin, Liai,, lvi, 4, 11 ; lx, 2, 5 ; lxi, 1 ; cxxvi, S ; cxxvii, 4 ; 1 Apoh, 
XIII, 3, 4. 
2. S. JcsTiK, Dial., «, 2; cxxvn; Théophile, n, 32. 



25e LA THEOLQGI^ AmTÉNIOEENI^JB;. 

Bft laveur de la doctiine de la génération tei»pQreHe, 
OU' a eité surtout s^aint Justin;, // ApoL, vi, d-, I^ial., 
Lxi, 1; Lxii, 4; Tatien,. 5; AXhéxi2,govQy SxippL, llO; 
Théophile, ii, 10, 22. Celui de tous qui l'a le Hiie;ujx 
exprimée et qui a le plus clairement t]?a<Juit la pensée 
commune est Théophile d' Antioehe, ^, Go^paarant le 
Verbe à la fois à la parole humaine et à J'eafanfi engen- 
dré, il le représente enfermé; de toute éternité; dans le 
sein dui Père (5i« ipav-Tog hhéâmm. --^ Iv Toî(î,tjSwvç,(T-TrX«Y3(MW(; 
lvSia6eiiov;|v xapSiûf 6eou), et là son conseiller ((jyjiiaouXov.), 
parce qu'il est son intelligence et sa sagesse (voî^y >m 
«ppovïifftv). Puis^ lorsrque Dieu veut créer, ce Verhe est 
proféré comme une parole qui, d'intérieure, devient 
extérieure (l$spsu^/.Evoç, [ôeoç]) ; il sort du sein; de. Dieu 
cojQttme l'enfant du sein de sa mère, (touxov tovXqyom [Osqs] 
Iyçvvjjœïv. wppijiioftxov), pour être l'exécuteur des desseias 
du Père. — Or ^ces textes prouvent bien en elfet que^ 
d'après les apologistes, une modalité aouvelle s'est 
manifestée dans l'état du. Logos au moment, de lacréar 
tion et pour la création;: mais il est clair auvssi que ce 
changement d'état ne fait pas passer le Verbe du* nonr- 
être à l'être, de^^ l'existen©©; impersonnelle! à rexiistence 
personnelle. Avant d'être ainsi proféré, d'être çnfanté 
au dehors, ou, comme préfèrent dire Tatien et Athé- 
nagore,, avant de s'avancer (TrpoTrrjSa, 7tpoç)k6(&v!) piour 
créer, le Verbe existait déj.à, et à l'état persoj)i3,el^. 11 

1. M. Puech remarque très bien, en effet, que Théophile ne propose 
pas sa distinction A^ycir svStdôsToç et Xrfyoç upoçiapty.ô; conmie une 
nouyegmtè, ni comme une rectification, ni même CQmflive; \|\ie pr,ôets3on 
aux théories antérieures, et qu'il est fort possible, probable même que 
ces deux- termes techniques aient été enrployés avétnt lui, à Antiodie 
tout ail QiftiBS. « L'çrnpioï dje»: deux terme?! CQtB^I^n:içnt<tire$i Vsrb^ 
intérieur et Verbe proféré, n'ajojite donc rien en réalité à ce. que nous 
apprenaient déjà les premiers apologistes » {^Les- apologistes grecs, 
p. 222-225). 

% T^iieu semble- l'affirmef positivement dans.uu teste qtie plusieurs 
critiques ont jugé interpolé, parce qu'il est embarrassé et lourd,, mais 
qui cependant s'explique fort bien : Êùv oûtô. (6eû) Sià ?>«Y,"'^?;8uvàfiLew; 



LE DOGME DATSS l SÉCrôNtoE M^OÏttË 'ÛU il* SIÈCLE. 2^1 

vivait dans le sein du Père. Séûlemfent de trétte "^î^ 
lés apoloig-istés rie se sont pas occupés : ils tf en coïi- 
naissërit rien, sinon ^^ûe le Verbe y étiit le côiïsèîïlêTr 
du Père. Lès mots ^oyixvt Biiy«fXiç, vooç, ^poVvjmç, dont 
usent Tàlien et Théôpliile pour désignèrle Yprbe avant 
sa proîatîon rie prouvent pas, malgré lètiT fotltnë 
abstraite, qu'ils 1« cbnçusseùt cortimé alors itripèT- 
sonnel, car ces mêmes mots Ou d'autres analogtiBS, 
Xoyixr) Suvafjtiç, âHça, SuvajjLiç u^iïxou, àoç^a seraient aUSsî, 
cbez nos auteurs, à le désigner après sa prolatiori et 
dans son état sûrement personnel '.On ri'eû peut doric 
rien conclure contre la personnalité du Verbe riôri 
proféré. 

Reste cependant Tobjection qui vient de l'emploi du 
mot génération. Sî la prolatiori dU Verbe pour là 
création ne louclie pas, pour àirisi dire, k S'où étire 
intime et ne constitue qu'une relation extérieure nou- 
velle, pourquoi saint Justin et Théophile la rèprèseri- 
tent-ils comme une génération, ou plutôt coiûîùe là 
génération du Verbe? On en peut donner plusieurs 
raisons. D'aboïd, parce que ces auteurs trouvent Uûé 
ressemblance entre l'acte par lequel le Verbe est èictè- 
riorisé en quelque sorte et manifesté au dehors, et 
celui par lequel l'enfant est proprement mis au moridé. 
Ensuite, parce que la mission créatrice du Fils est 
pour eux comme un prolongement et urie suite dé éà 
génération, comme un aspect particulier de cet acte. 
Et enfin, parce qUe les apologistes voient surtout, 
«inon ©xeliiisivement, dans le Verbe l'organe de la 
créâtioû et de la tëvéiâtion, et ne i'èri^îsâ'g'ènt paï 



«ûtàçjcai ô)âto;v'35^»êv!«ràTa,ûftÉ(it»tfrE <8)v Bt wir aussi Athénagorb, 
*0, p. 46. 

, 1. S. Justin, Dial., txi, d, 3-, ixii, 4; THÉopmtE, h» 10, p. 80; Sfâ,,p. iiS, 
Comparez ici le symbole de S. Grégoire le Thaumaturge, iliHN, Bièîiô- 



252 LA THÉOLOGIE ANTÉNlCÉEiNNE. 

conséquent, lui et tout ce qui le concerne, que dans 
ses rapports avec le monde créé. C'est pour cela qu'ils 
rapportent à la création même sa génération éternelle, 
comme si le Verbe n'avait été engendré que pour être 
créateur. Le Père éternel, remarque saint Justin^, en 
prononçant au baptême de Jésus : Tu es mon fils, je 
Vai engendré au^ourdhid, a témoigné que, pour les 
hommes, la naissance du Fils date du moment où ils 
en ont été instruits. Les apologistes ont parlé de même. 
Dans leur langage, la génération du Fils ne date pour 
le monde que du moment où elle lui devient connais- 
sable. 

On comprend dès lors que saint Justin et Tatien 
fassent de la volonté et de la puissance du Père le 
principe de la génération du Fils ^ ; car il est vrai que 
cette génération, en tant qu'elle comprend la mis- 
sion de créer, est une œuvre de la volonté et de la 
puissance du Père. Mais, par là même aussi, se trouve 
éclaircie la difficulté relative à la subordination du 
Fils. Cette subordination ne vient pas d'une infério- 
rité de nature, car les apologistes supposent mani- 
festement que la nature du Fils est identique à celle 
du Père^. C'est une subordination qui tient à l'origine 
du Verbe, le Fils étant ôtto tôv uarépa parce qu'il est 
(XTcb Toïï TraTpoç : qui tient surtout à son rôle ministériel 
dans l'œuvre de la création et de la révélation. Le Père 



1. Dial., Lxxxviii, 8. Cf. S. Ikf.née, Démonstration, 43. 

2. S, Justin, Dial., lxi, 1; cxxvii, 4; cxxvui, 4; Tatiek, 5. 

3. S. Justin, Dial., cxxviii, 4; Athén., Suppl., dO. Évidemment les apo- 
logistes ne connaissent pas le mot consubstantiel , mais leur doctrine 
sur cepoint résulte 1° de ce qu'ils fontdériver le Fils p.ar génération 
2° de ce qu'ils remarquent que cette génération ne se fait pas par division 
de la substance du Père (où xarà àTroToptriv, «b; à7ro;i.epiÇo{j.£VY)? tîjç -coù 
TraTpôçoûffîaç). Les passages cités plus haut de saint Justin, ëTepo;... 
àpie{ji(3 \éyiù, à)Aà ou yvwjjLij — àpt6|xw HTspévTt, ne vont pas contre celte 
conclusion, parce que, dans ces passages, il ■veut surtout prouver que le 
Verbe se distingue personnellement du Père. 



LE DOGME DANS LA SECONDE MOITIÉ DU W SIÈCLE. 253 

crée et se révèle par le Fils ; et celui-ci apparaît donc 
comme l'instrument du Père dans ces deux actes, donc 
comme l'exécuteur de ses volontés et dans un rôle su- 
bordonné. Seulement — et ceci répond aux derniers 
textes allégués de saint Justin et de Théophile — , si 
le Verbe seul entre ainsi en contact immédiat avec le 
fini, et se montre en un lieu déterminé ; si on lui at- 
tribue à lui seul les théophanies, ce n'est pas qu'on lui 
suppose une nature différente de celle du Père : c'est 
simplement parce que l'économie divine a voulu en 
fait que les choses soient ainsi. « Tout a été fait par 
le Verbe (Sià îvoyou)... Personne n'a vu 4e Père : le Fils 
unique qui est dans le sein du Père l'a révélé » [loan., 
1, 3, 18). Voilà ce qu'atteste l'Évangile. Les apolo- 
gistes partent de là et en concluent que, dans l'éco- 
nomie divine actuelle, le Père est invisible, qu'il n'ap- 
paraît pas et ne se montre pas dans un lieu déterminé ; 
que le Verbe seul apparaît,parle et agit « en la personne 
du Père ». Ils ne fondent donc pas cette différence entre 
le Père et le Verbe sur une impossibilité métaphysique, 
pour le Père, d'apparaître à cause de sa transcendance, 
et sur une possibilité, pour le Fils, d'apparaître à cause 
de sa non-transcendance : ils tirent simplement la con- 
séquence des faits qu'ils ont appris par l'Ecriture, et 
qui correspondent évidemment à un plan spécial de 
Dieu^. 

Telle est, sur le Verbe, la doctrine des apologistes : 
celle de saint Irénée, plus sobre, a prêté à moins de 
difficultés. Il s'est d'ailleurs peu occupé du Verbe en 
dehors de l'incarnation. Homme de tradition, ayant à 
lutter contre des adversaires qui multipliaient les sys- 
tèmes sur les générations et les opérations divines 
ad intra, il s'enferme dans la doctrine pure et s'inter- 



1. C'est à peu près la conclusion dt H. Puecb, op. cit., p. 101, lOB. 

LA THÉOLOGIR ANTÉNIGÉENNI. — T. I. 15 



254 LA THÉOLOGIE ANTÉKIOÉENNE, 

dit toute spéculation. Au nom dé Vei^èè il préfère gé- 
néralement celui de Fils. 

Le Fils est Dieu, vraiment Dieu (in, 6, 1, 2). Gomme 
plus tard saint Athanase, saint Irénée Voit daiis dette 
divinité ùiie condition de la Rédemption telle qu'il la 
conçoit. Ge Fils identique au Verbe (ii, 28, 6 ; iir, 18, 
2; cf. m, 16,6) est engendré par le Père (ii, 28, 6), êl 
cette génération est éternelle : « Sèmpér autefti eoexi- 
stens Filius Patri » (ii, 30,. 9). « Non enim infectus es, o 
homo, neque semper coexistetis Deo sicut proprium 
ejus Yerbum » (ii, 25, 3; cf. m, 18, 1) ^ Ainsi Irénée 
repousse la doctrine de la génération temporelle : il ne 
veut ni de la, projection au dehors (Trpoêo)^^) des gnosti^ 
ques ni des théories ahalogtieè. A la question : com- 
ment le Fils est-il né? il répond simplement que le 
Père et le Fils seuls le savent^ et que les gens qui 
prétendent donner sur cela des explications, et qui as- 
similent la |)rolation du Verbe à celle de la parole hu- 
maine n'ont pas le sens commun : « Non suiït compotes 
sui. — Quasi ipsi obstetricaverint ! » (ii, 28, 6; cf. ii, 
13, 8). 

Saint Irénée attribue, sans doute, comme les apolo- 
gistes, la création au Fils : le Fils est la « main de 
Dieu » par laquelle celui-ci crée (iv, 20, 1 ; v, 6, 1). 
Néaiimoins il insiste plutôt sur son rôle de révélateur. 
Le Fils est dans le Père et le Père est en lui (m, 6, 2; 
IV, 4, 2) : « Invisibilè êtenim Filii Patér, visibile èfutém 
Patris Filius » (v, 6, 6). « Agnitio ehim Patris est Filii 
manifestàtiô » (iv, 6, 3). G'estpârlé Fils qiièlePère èM 
connu. Par lui il se manifesté d'abord aux âbgés et au^ 
vertus célestes dès le commencement et ^vant la «réa- 
tie^du monde, puis aux hommes (ii, 50j 9; iVj 6, 5, 7; 
IV, 7, 3; ivv -20, 7). 

1 . ^Cf . Mmtinh1ra%\oni 40^ 30, "43}, '47* 



LE DOGME DANS LA SECONDE MOITIE DU II" SIÈCLE. 255- 

Est-ce à dire que l'existence du Fils en tant que 
Fils est conditionnée, chez saint Irénée, par la volonté 
du Père de se révéler * ? Notre auteur n'a certainement 
jamais pensé à cette question. Pour lui le Fils est « le 
visible » du Père, de même que le Père est « l'invi- 
sible » du Fils; et sans doute le Père a toujours été 
essentiellement visible et connaissable : par conséquent 
le Fils a toujours et essentiellement existé : il est 
éternel comme le Père. — D'autre part, on trouve 
sans doute dans VAdi^ersus haereses quelques expres- 
sions subordinatiennes : le Fils a reçu la souveraineté 
de son Père (m, 6, 1 ; v, 18, 3) ; il est porté par le 
Père avec la création, « car il n'existe qu'un seul Dieu 
Père au-dessus de tous i> (v, 18, 2) ; mais saint Irénée 
ne fait guère que répéter ici les expressions des Évan- 
giles et de saint Paul, et l'on ne saurait éviter un 
certain subordinatianisme verbal dès que l'on admet 
le Père comme source de la Trinité. 

Dans la représentation philosophique que les apo- 
logistes se sont faite des rapports du Père et du Fils, 
et du rôle du Verbe dans le monde, observe M. Har- 
nack^, il n'y a point de place pour la personne du 
Saint-Esprit. Sans doute j mais les apologistes, ne 
l'oublions pas, n'empruntent pas leur dogme à la phi- 
losophie. Ils connaissent donc l'Esprit-Saint, l'Es- 
prit prophétique, l'image et la similitude de Dieu 
(Osoîi sixàv xai ô(ji,oi(û(Ti<;), comme une portion de Dieu (Ôsou^ 
(Aoïpav), le diacre du Dieu, souffrant (Stdbcovoç -cou neTiovôoxoç 
6sou) 3. On a accusé Athénagore de n'avoir pas assezdis- 
tingué le Saint-Esprit du Père ;. et il est vrai qu'il en fait 
un écoulement (àTtoppoia) de Dieu, et qu'il établit entre 
eux le même rapport qu'entre la lumière et le feu, entre 

d. avRSAfiK, Lehrb. der D&., 1, 58*, 58a. 

î. Lehrb. der DG.,I,S8i, 

3. S. Justin, J Apoi., VI, 2; XIII, 3; XiiiffiN, 1,.12v434 



256 LA THÉOLOGIE ANTÉNICÉENNE. 

le rayon et le soleil ^ , rapport que saint Justin précisé- 
ment jugeait insuffisant pour marquer la distinction 
réelle des personnes [Dlal., cxxviii, 3, 4). Mais ces dif- 
ficultés, dont il est impossible d'ailleurs de mesurer 
exactement la portée, ne sauraient prévaloir contre les 
textes formels où Athénagore, à côté du Père et du Fils, 
nommeTEsprit-Saintcomme troisième terme au même 
titre que les deux autres, et, bien plus, remarque que 
si ces trois termes sont unis dans la [puissance, ils se 
distinguent par le rang : T^fjv Iv t^ Ivwaei Suva(jitv, xal ttjv 
Iv T^ tâÇei 8iaipeffiv2. — Un reproche analogue — celui 
de confondre l'Esprit-Saint avec le Verbe — a de 
même été adressé par Petau^ à Théophile d'Antioche. 
11 se fonde sur ce que Théophile donne à l'un et à 
l'autre le nom de Sagesse (ao»ia), et leur attribue in- 
différemment l'inspiration des prophètes''. Mais l'ob- 
jection n'est pas plus décisive ; car Théophile, en d'au- 
tres passages (i, 7, 11, 18), énumère les trois termes 
ôso;, Xo'yo;, do-^iia et, au livre ii, 15, dit expressément — 
il est le premier à employer le mot — qu'ils consti- 
tuent unetrinité (xpiaç). 

Pas plus que les apologistes, saintlrénéenedonneau 
Saint-Esprit dans ses ouvrages — et ce conformément 
à l'Écriture — le nom de Dieu (iv, Préf., 4; iv, 1, 1). 
Mais, du reste, il le représente comme éternel (àéwaov, 
v, 12, 2), existant aviprès de Dieu « ante omnem con- 
stitutionem », et procédant de lui au commencement 
de ses voies d'après les Proverbes, viii, 22 (iv, 20, 3). 

Par rapport au Père, le Saint-Esprit est sa sagesse 
(lY, 20, 3 eipassim)^ siL/îguratio[i\,l,k]^ : ils sont, le 

i. Suppl., iO, 24. 
s. Suppl., 10, 12, 24. 

3. De Trinitate, lib. I, cap. m, 6. 

4. Ad Aulol., comparez ii, 10, IS avec ii, 22, et ii, 10 avec ii, 30, 33. 

». A moins qu'il ne s'agisse ici du Saint-Esprit image du Fils. Voir 
la note de D- Massuet sur ce passage. 



LE DOGME DANS LA SECONDE MOITIÉ DU II* SIÈCLE. 257 

Fils et lui, les « deux mains » par lesquelles Dieu a 
créé et formé l'homme (iv, Préf., 4; iv, 20, 1; v, 6, 1). 
Par rapport à l'Église, le Saint-Esprit est la vérité, 
la grâce, un gage d'immortalité, un principe d'union 
avec Dieu que le Christ lui a communiqué. Il lui est 
intimement uni, et donne à ses sacrements leur effica- 
cité et leur vertu (m, 17, 2 ; m, 24, 1 ; v, 8, 1 ; cf. iv, 
33,7)'. 

On trouve donc, pour conclure, dans les écrivains 
de la seconde moitié du ii^ siècle, l'ébauche d'une doc- 
trine trinitaire. Celui qui l'a le mieux résumée, et qui 
a marqué le mieux l'unité à la fois et la distinction des 
personnes est Athénagore. Les chrétiens, remarque- 
t-il, connaissent « un Dieu et son Verbe, quelle est l'u- 
nion du Fils avec le Père, quelle est la communication 
du Père avec le Fils, ce qu'est l'Esprit, quelle est l'union 
et la distinction de ceux qui sont ainsi unis, l'Esprit, 
le Fils, le Père » [Supplie. j 12). « Le Père et le Fils ne 
font qu'un : Le Fils est dans le Père, le Père dans le 
Fils dans l'unité et la puissance de l'Esprit... Comment, 
après cela, ne pas s'étonner d'entendre appeler athées 
des gens qui affirment un Dieu Père, un Fils Dieu, un 
Esprit-Saint, et qui montrent leur puissance dans 
l'unité et leur distinction par le rang » [Supplie, 10) ? 

§ 4 — Les anges, l'homme, la chute. 

Les premières créatures de Dieu sont les anges, 
créés intelligents et libres 2. Athénagore [SuppL, 10) 
en fait les ministres de Dieu pour le gouvernement du 
monde. Dans un passage bien connu (/ ^/?o/., vi, 2),. 

1. Pour plus de détails, voir H. B. Swete, The holy Spirii in the an- 
dent Church, London, 1912, Part I, v. 

2. Tatien, 7; S. JusTi», Dial., lxxxvih, S; S. Irénée, Démonstr., 9. Sur 
l'angclôlogie des apologistes, voir Fr. K^d^ts, Die Engellehre der grie- 
chischen Apologeten de» zweilen Jahrhundert, Paderborn, 1914. 



;25S LA THEGLOGfE ANTE1SICEENXE. 

saint Justin les nomme entre le Fris et le Saint-Es- 
prit. Mais outre que le passage est unique, cet ordre 
s'explique par la remarque du saint docteur que le nom 
d'ange a souvent été donné au Fils, et par le but qu'il 
«e propose, qui est simplement d'établir que les élire- 
tiens ne sont pas des athées. Le texte prouve en tant 
<^s que les anges étaient alors l'objet d'un cuî'le 
(ffeôoueôa xai Tcpotntuvoïïuev). Plusieurs de ces anges n'é- 
taient pas restés dans la voie droite. Les ims avaient 
péclié avec les filles des hommes ; d'autres s'étaient 
readus coupables de divers méfaits'. Entre tous, le 
diable ou Satan est îe plus pervers, l'ennemi spécial 
de Dieu, l'auteur de la chute d'Adam^. 

La démonologie tient dans Tœuvre des apologistes 
nnc place considéraMe, et leur sert. notamment, comme 
on l'a remarqué déjà, à expliquer en partie l'origine et 
les méfaits du paganisme. Tout en offrant des traits 
communs avec la démonolog'ie des auteurs païens, elle 
reste, dans ses données essentielles, fondée sur î'Écri- 
ture et spécifiquement chrétienne^. 

D-ans l'homme les apologistes distinguent deux élé- 
ments, l'âme et le corps. On a même accusé saint Justin, 
sur le chapitre 10 d-u fragment De resurrecîione, d'en 
distinguer trois, car il y -écrit queie corps est la maison 
de l'âme, l'âme celle de l'esprit : oTxoç yàp to <rw(xa ^vyr.ç., 
irveuLtaxoç Si 4'"Z''i o^^oî* L'ensemble de ses osuvrages le 
représente cependant plutôt comme dichotomiste''. Le 
Ttvzv^a. dont il iest ici question nr'est pas l'âme raison- 
nable, le voûç, c'est f)lutôt l'Esprit de J>ieu, principe de 
Tie surnaturelle. On a de même ol)servé que les apolo- 
g-istes enigénéralj'Ctien particulier saint Justin relèvent 

i^ s. JCSTIN, II ApoL, V, 'S-Gj Athén., Stqjp'l., 24. 

2. S. Justin, I Apol., xxviii, 1; Dial., cm, 5, G; Athén., Sv^pl., 24. 

3. V. PuECB, pp.jctï., p. l'iS, des, 190. 

-4, De -resun-^ctione, 7, -«,•9; I Apôl., viii,4î 'II AjjôL, x, i;'Dtàl., cv, 
3, 4, S. 



LE DOGME DANS LA SECONDE MOIÏ^IË DU II» SIÈCLE. 259 

bien haut la liberté humaine^ et font peu de part à la 
grAce. iCette attitude s :explique par les néeessités de 
la poiéBEiiquG et par la philosapliie dont ils s'inspirent. 
11 n'tist paç vrai d'ailleurs que la dqetcine de la grâce 
n'oc<îupe aucune place, surtout dans les ouvrages 4c 
saint Justin. 11 suppose en maint endroit la nécessité 
du secours divine. 

Sur l'immortalité de l'âme le langage des apolo- 
gistes n'est pas uniforme. Tandis que VÊpUr.e à D.io- 
gnèiç et Athénagore parlent de l'âme comme natiwel- 
lement immortelle^, saint Justin et Tatien répugnent 
à cette expression. Identifiant l'immoctalité naturelle 
av,ec réternlté ou l'immortalité imparticipép, saint Justin 
observe que l'être immortel par nature est aussi à^iv- 
vrjnroi;, ce qui ne convient qu'à Dieu; que l'âme hum^ue 
n'est pas la vie en soi, maïs participe à Içi vie, d'qù il 
conclut qu'elle n'est ipimortelle .que par la volqnté de 
Dieu, lequel donne rimmûrtalité à l'âme juste comin© 
une récompense, et l'impose à l'âme pécheresse comme 
un châtiment *. Tatien (13) est d'un avis analogue. 
Quant à Théophile, après avoir remarqué que beau- 
coup regardent l'âme comme imiHi,ortd[le parce qu'elle 
est un souffle de vie, il se retourne vers la question de 
l'immortalité de l'homme d'après la Bible. L'homme, 
dès le principe, devait être immortel on m^^tel suivant 
qu'il obéirait ou .désobéirait à Dieu. 11 a désqi(éi ei est 
.idevenu mortel. Mais Dieu, par miséricorde, lui offre 

1. s. Justin, I 4pol., xxv.iii, 3; xliii; lxi, 7-ip; II Apol., xjy, 2; Dial., 
iisxxvui,;*, S'jCii,^; Gxu,-1 ; Tatien, 7; TnÉopiiiLE, II, 37. 
. .2. jT ^fil., ,x,.4;,LXi,^,, ffi,4?i; 1,^7,4.3; II ^oZ., x, 2, 5, 7 ; Pffil., ?wji, 
•6; xcv; exix. 

3. Diogn., vu, 8; Athén., passim. 

4. Dial., V, VI. Dans ce dernier passage, saint Justin réfute l'argument 
de Platon danslePAèdrc. Saint Irénéc (11, 34) reproduit le raisonnement 
de Justin sur l'âme qui participe seulement » ,1a .vie {41; mais tout l'en- 

.;S.einblp;dtej534loptrW©3tfli»eux pimenté. L'âme e&t sans doute immor- 
telle par la yoÎJ?n.t,é jle .D-ieu, principede toute perfecllon, jnais. «Ile n'en 
est pas moins immortelle, bien qu'elle ait cpmmençé;id'être. 



260 LA THEOLOGIE ANTÉNICEENNE. 

encore la vie qu'il peut mériter en observant la loi * . 
Si les apologistes insistent tant sur l'existence de la 
liberté humaine, c'est, nous l'avons dit, par opposition 
au gnosticisme qui niait cette liberté, et pour expli- 
quer dans le monde la présence du mal. Saint Irénée, 
amené à traiter contre les mêmes gnostiques ce pro- 
blème de l'existence du mal, en trouve aussi la solution 
dans la liberté humaine, mais il invoque en plus la 
chute originelle 2. L'homme n'est naturellement et né- 
cessairement ni bon ni mauvais : il est libre, et par là 
sujet à récompense et à châtiment (iv, 37, 1-3 ; iv, 3, 3 ; 
IV, 41, 2). D'autre part, sa condition même d'être créé 
empêchait qu'il ne fût parfait dès le principe : c'est par 
l'obéissance qu'il devait se rapprocher de son créateur 
et parvenir peu à peu à la perfection et à l'immortalité 
(iv, 38, 1, 3). Au lieu de cela malheureusement, Adam 
transgressa la volonté de Dieu, et avec lui nous tous 
qui étions contenus en lui. L'évêque de Lyon est 
formel : il établit entre Adam et Jésus-Christ un pa- 
rallèle rigoureux. En Adam nous avons tous désobéi, 
et c'est pourquoi nous avons tous été châtiés : nais- 
sant de lui, nous méritons la mort : en Jésus-Christ 
nous avons tous obéi jusqu'à la mort, et renaissant de 
lui nous héritons la vie : 'Ev [xèv yàp tw TrptoTo) 'AB^y. 
7rpo(j£xd<{/a(ji.ev, (fj) TtoiTiffavxsç «ùtou (tou ôeoû) t-Jjv IvtoXtiv ev Bk 
TÔ) Seuxépa) 'ÂSàjji àTroxaTY))vXàYï][jisv, u7r)]j(ooi fxeypt 6av«T0u ys- 
vo[ji.evoi (v, 16, 3). « Percussus est homo initio in Adam 
inoboediens (v, 34, 2)... ut quemadmodum per priorem 
generationem mortem haereditavimus, sic per genera- 
tionem hanc (Christi) haereditaremus vitam » (v, 1, 3; 
V, 12, 3; v, 14, 1, 3)3. 



i. Ad Auloh, II, 19, 27; cf. 24. 

S. Ce dogme n'est pas d'ailleurs inconnu de» apologistes. Voir Théo* 
PHiLE, II, AI, 23; S. Justin, / Apol., lxi, 10; Dial., lxxxvhi, 4. 
3. Et cf. Démonstr., 17, 31, 37. 



LE DOGME DANS LA. SECONDE MOITIÉ DU II" SIECLE. 26E 



S 5. — Christologie et sotériologie. 

L'homme s'étant perdu, Dieu, continue saint Irénée,. 
a travaillé à le sauver mais progressivement, et en le 
donnant successivement les quatre testaments d'Adam 
à Noé, de Noé à Moyse, de Moyse à Jésus-Christ, et le 
nouveau par Notre-Seigneur (m, il, 8; iv, 9, 3). Bien 
que les deux premiers ne continssent que les préceptes 
naturels [naturalia legis), quiconque les pratiquait 
était justifié (iv, 13, 1; cf. iv, 15, 1; iv, 16, 3). Le troi- 
sième fut une loi de servitude, mais de servitude en- 
vers Dieu, qui conduisait au Christ (iv, 15, 1 ; iv, 12,. 
5). L'Evangile est la loi d'amour et de liberté (iv, 12, 
2, 5; IV, 13, 2), loi universelle qui impose plus à croire 
et plus à pratiquer, mais qui apporte aussi plus de 
grâce et plus de joie (iv, 9, 2; 11, 3 ; 28, 2). 

Nous arrivons ainsi à Jésus-Christ. 

La christologie ne rentrait pas dans le cadre de la 
discussion des apologistes contre les païens. Aussi 
est-elle chez eux fort pauvre, si l'on excepte saint 
Justin. Aristide se contente de résumer l'histoire de 
Jésus-Christ d'après l'Évangile ^ Tatien n'a que deux 
mots, le premier, déjà cité, où il est question du Dieu 
souffrant (13); le second qui désigne Jésus-Christ 
comme 6eov Iv avGpwTco-j {xopcp^j (21). L'Épître à Diognète 
connaît également le Sauveur comme Dieu (vu, 4, 8, 9), 
fils propre et unique de Dieu (ix, 2; x, 2), qui étant 
Verbe toujours est devenu Fils aujourd'hui (xi, 4, 5). Ce 
Verbe s'est fait homme parmi les hommes (vu, 4), nous- 
a appris à connaître Dieu (viii, 1) et nous a sauvés, parce 
qu'en lui seul juste l'iniquité d'un grand nombre a été- 



1. Texte syriaque, 2; texte grec, IS. 

16. 



262 LA. THÉOLOGIE iVî^TÉNJCÉENNE. 

cachée : « O douce substitution [& TÎj; -^luxeicK; àvTaXXay^ç)! 
s'écrie l'auteur, ô impénétrable invention ! ô bienfaits 
inespérés, que l'iniquité d'un grand nombre soit cachée 
dans un seul juste, et que la justice d'un seul justifie 
un grand nombre de pédh«ursî « ^(ax, 5^. 

Dans saint Justin «t:saint ïrénée la chrîstologie Bt la 
sotériologie sont exposées avec plus d'ampleur. En 
voici les traits essentiels'^ . 

Au débat , Taffirmalsion énergique contre la gnxDse 
que Jésms-ChristTéd^m'pteur est le même que le Verbe 
créateur; qu'il est le Fils de Dieu, le Verbe incarné 
(aapxoTroir,teiç), le Verbe devenu homme^. Il était corps 
et logos et âme (cwfjta xai Xoyoç xat ^vyyi)^. Dieu s'est 'fait 
homme, remarque saint ïrénée, parce que bous ne pou- 
vions parvenir àl'immorta;lité et à rîncorruptîbiîité qu a 
la condition q\ie celui qui est riramartalité et rincor- 
Euptibilité par essence s'unît à notre nature, et par là 
même à l'humanité tout entière dent nous sommes les 
membres, et qu'il a récapitulée en lui. 'Cest la doc- 
trine de l'àvaxE'faXaiWir; chère à l'évêque de Lyon'*, et 
que Méliton de Sardes a atissi connue'^. En consé- 
quence le corps et le sang de Jésus-Christ ont été 
téels-^; il a eu, comme nous, une âme h-umaine'^; il a 



il. V. L. Feder, Jusims des Martyrers Lehre von Jésus ChristiiStTréi- 
Burg im Br-, 190C. 

2. S. 3CSTIN. Contra Marcioncin,ap. Ïrénée, iv, 6,.2; I ApoL,,y, 4; xxhi, 
2;-xxxu, 10;xLVi, 2, ÎJ; II ApoL, vi, 3-5; Dî'a?., xtv, 4^ xlvhi, 2, 3, etc. 

3. II ApoL, x, 1. 

4. m, 16, 6; 18, 1, 7; 19, 1; Bémonstr., 6, 31. 

5. Fragment XUI. Elle se trouve d'ailleurs déjà dans saint Paul. 

6. S. Justin, I ÂpoL, xxxii, 10; S- IaÉNÉE,.iii, 48, 6, 7; 22, 2, 3, etc. 

7. S. IRÉNÉE, lu, 22, 1, 2; V, 1, 1; 14, 3; Méliton, fragm. VI; cf. EnsÈBK, 
S. £., V, 28, S — OnaaccHsé saint Justin (Semisch, Reander), en 8*8?- 
puyantsur la deuxième Apologie, x, 1 (v. supra), de D'avoir pas admin 
en Jésus-Christ d'âme raisonnable, et d'en avoir fait remplir les fonc- 
tions par le Verbe. Mais, outre que dans ce passage, le îaint docteur 
peut avoir donné au mot «j'ux^ un sens plus large que celui d'âme ani- 
male, l'accusation vient échouer contre le texte du Dialogue (cv, 3, S), 
où le Sauveur est représenté rendant sur la croix son •Jweû{jLa,iet priant 



. LE DOGME JDAÎSg i^ *SE€10KiDE iML01ï?IE DU II» SIÈCLE. 263 

éié jDLpjtEe fFjèiîe, iàe aotce araee, de ilai?aGe ée Hacéhet 
d^Abnaàiaiiii, forméide la anême matière que sous^. Sa 
ifta^ss^ice (SafliS ^«ute, ;au iCOBtraire ^de la riolre, a lété 
HViçgiijale -^.saLat.s^ustincet saint Jpénée en donnent une 
<d.ém,pnptj5atiQn eniopme? ^TTï-, .mais iLa passé: d'ailleurs 
-p^ff imi§ les âges )0t éaiiis -les rétalts : « iper omnem 
^yepij jaetaiteHi ;»., spassihle, itenté, .souffpant, éprouvant 
rnOfS do,uleur.Siet nosipassions hiûniïêtes,-j&iijet/àl'a>peur 
.etîà!laii8^n,1i6^.. 

.T-oute/oift, ^n di^anarË, îhomsne, le Yeïbe n'a tpas 
.aessérdtâtre iDiau, tetiil in'ayait rpass àesoin .de lîeffusion 
.du .;êainl-^spiât spour !e.Qm.plél.er ih&s dons .qui ôtaieçÉ^ 
.en<lui^. iLes aatoms ^qu'iiil -affeçus setiip'al ceçoit iiidi<pieî5t 
qiUe ^é&ïbS-GJjristifiSit:à :la>îdis iDieUifit liomme. .Gofnme 
Jipmme, jil je^t le Juste -par exceUenee ; :1 est jaussi ile 
pçêtiîe ^Leçnel >de Dieu tét înotre jprêtre^^» Il ?a fallu, 
aj oute fsaint Irénée, -. que le .'S aitveur fut réallem€nt-«t à 
la fois £)ieu iet /homme pour .être jnédiateur entee le 
ciel :# laitpcffe, ppur ,vamcne le démon et pourjle vvain- 
Qpe justement (m, 18, 7). Etic'est pourquoi il -a. eu une 
double naissance : il i:a été komme pour être .tenté, 
Verbe 'posu^r <ètre iglorifié (jiii, dâ, 2, 3; cf. m, 16, -3) : 
x< , SecuBidiïim iid quod Mecbam iDei liomo erat. . . secun:- 
(iumlioç.rrequieso<^at;S.pîmtus,lDei s;uper eum...iseciÉBr- 
dum autem quad J^mis i&saiX, non iseeundum giopiam 
jiidicabat, ,neque rsecunda/m loquelam arguebat j» (ki, 
9, 3). iN;Qus ^totuc}ions ici àjaidoctrine des deux -natures^ 

pour que son âme ne tombât pas, «omme les nôtres, au ,pouvDir des 
pjiissances infernales. On y peut joindre celui du chapitre i/Xxii, '4:suf 
la^descente ,de Jé5US:Cbri3t aux enfers. 

1. S. Justin, I .Apoi., xxxii, 13, li; DiaZ., xuu, 1; S. Irénée, m,',19, 3; 22, 
%.'S; Démonstr., Sj. 

2. S. Justin, I Apol., xxxni; Dial., xlui, lxvi; S. Irénée, m, 22, 1, 4-10; 
cf. Démonstr., 3-2. 

î3. S.jqsiiiN, i:L4pol..,'\xx,i,i'î ; -Mal,, .ijxxxvni, 5, ;8; .xeix.; jGin,;6^ ;.ex&Y, 

4,5. 

4. S. Justin, Dial., lxxxvh, 2, 3; lxxxviii, 1, i4, 8. 

5. S. Justin, Dial., xyii.„;3;îX0VIj1; cu,;'5, .7,;.cx,'^;>(iatY,\a,:v»;.«a3i?i,»l,«8. 



^6i LA THÉOLOGIE ANTÉNICÉENNE. 

Méliton, si le fragment vi est authentique, — et il n'y 
a aucune raison décisive d'en douter — , a été le pre- 
mier à la formuler explicitement : ôeoç ^àp 3>v ôjaou ts xal 
avOptOTCo; téXetoç ô aùtoç (•^^pic'co;) tkç 8uo «ôtoîî oOoiaç iTTiffTtoiraTfl 
^[aTv. Mais d'autre part, nos auteurs, et par la façon 
dont ils parlent, et par l'emploi qu'ils font de la com- 
munication des idiomes, montrent assez qu'ils n'ad- 
mettent en Jésus-Christ qu'une seule personne. « Ipse 
enim vere salvavit ; ipse est Verbum Dei, ipse unige- 
nitus a Pâtre Christus lesus Dominus noster ». « Ipsum 
Verbum Dei incarnatum suspensum est super li- 
gnum »^ Saint Irénée. va même plus loin et, man- 
quant du terme technique pour traduire l'union hypos- 
tatique, il la désigne parfois comme une commistio, 
un mélange de Dieu et de l'humanité 2. Mais il ne faut 
voir là qu'une impropriété de langage que corrige son 
enseignement ferme des deux natures. Les expres- 
sions communio Dei et hominis, evojoiç xou Xoyou tou 
6eou Ttpàçxo itXàcfAa aù-cou, employées ailleurs (iv, 20, 4; 
33, 11; cf. III, 16, 6; 19, 1), sont plus près du mystère, 
bien qu'elles n'en disent pas tout le contenu. 

La sotériologie de saint Justin est moins développée 
que sa christologie. Il serait exagéré cependant de 
dire, ainsi qu'on l'a fait, que l'idée de l'expiation et de 
la substitutio vicaria ne se rencontre pas du tout dans 
ses ouvrages. Non seulement le saint docteur répète 
que Jésus-Christ a soutlert pour nous, pour nous ra- 
cheter^, mais il remarque que tous les hommes étant 
soumis à la malédiction pour leurs péchés, le Père a 
voulu que son Christ reçût en lui les malédictions de 
tous. Non que ce Christ ait été maudit de Dieu en 



. 1. s. Irénée, iu,16, 9; v, 18, 1; cf. m, 9, 3; 19,2, 3; Méliton, frstgm. VII, 
Mil, XIV, XYI. 
». lY, 20, 4; Démonstr., 41. 
- i. 7 Apol., LXiii, 10, 16; Dial., ui, 1 ; cxxxiv, S, 



LE DOGME DANS LA SECONDE MOITIÉ DU II» SIÈCLE. 265 

effet, mais c'est nous qui l'étions, et il a souffert pour 
le genre humain*. L'auteur observe encore ^ue la 
mort est la conséquence du péché, que Jésus-Christ 
Ta soufferte cependant non pour lui, mais pour les 
hommes'' ; d'où il suit bien que le Sauveur a pris sur 
lui la peine du péché et a détruit par là et le péché et 
la mort. 

Quant à saint Irénée, il expose d'abord cette théorie 
mystique de la Rédemption, qui voit dans le fait même 
de l'Incarnation un premier moyen de notre réparation. 
Le Verbe incarné récapitulait en lui, nous l'avons vu, 
l'humanité tout entière, et devenait pour elle un nouvel 
Adam, un nouveau chef en qui elle recouvrait ce qu'elle 
avait autrefois perdu dans le premier. « Quando in- 
carnatus est et homo factus, longam hominum expo- 
sitionem in se recapitulavit, in compendio nobis salu- 
tem praestans, ut quod perdideramus in Adam, id est 
secundum imaginera et similitudinem esse Dei, hoc in 
Christo lesu reciperemus » (m, 18, 1; m, 21, 10; 
V, 23, 2). Jésus nous représentait tous collectivement 
et individuellement, et dès lors, par l'Incarnation 
même qui nous faisait en lui communier à l'immor- 
talité et à l'incorruptibilité du Verbe, l'œuvre de 
notre rédemption et de notre réintégration était déjà 
commencée (m, 9, 1 ; m, 18, 7). Cependant elle n'était 
pas complète : car une rédemption ainsi conçue au- 
rait bien réparé les suites du péché, la corruption 
et la mort; mais le péché lui-même n'eût pas été 
expié. Le Christ, notre représentant, devait apaiser la 
colère de Dieu; et c'est pourquoi l'évêque de Lyon 
passe à la doctrine classique de notre rachat par 
l'expiation de Jésus-Christ. Comme le péché est avant 
tout une désobéissance, saint Irénée insiste d'abord 

1. Dial., xcv, 2. 
3. Dial., Lxxxvin, 4. 



266 LA IIlÉQIi06iB.tt'SWEN.iGÉËK&^. 

sur l'.iobéi'Ssaaoe de Jésus- Christ «omme sur'l'aote ré- 
parateur du pécfaé : <( iProp'ïtians quidem pr© 3qoMs 
Patrem in qaem peecaveramus, jBts^nostram intîboe- 
dientiam per suam oboedientiam eoîisolatus » (v, 17, 
1,; III, 18, 6, '7). Mais il en vient ensuite à ses souf- 
frances, à sonljeûne (v, 21, 2) ^t surtpirt à son agonie 
et à sa mort sur la croix. Le sang de Jésus-Ghtist est 
le prix dont il nous «, ^rachetés, a Verbum potens et 
homo verus sanguine suo rationabiliter redimensnos, 
redemptionem semetipsutn^edit pro his qui in capti- 
vitatem ducti sunt » '(v, 1, '1: v, ^2, 1 ; df, 'Vjlô, 3). -Sa 
mort a ^té un ^sacrifice pour notre rédemption : "Iva 
xocl 5 ÔEoç'eôooxîiorT) . . . tov HStov (xovoyevvj x«i «Y«îtï]Tov ùtov^uat'av 
Tcapeffj^etveiç XuTpwciV r,u£.x4ç)ot.\i (iv, 5, '4). 

:Et saint Justin et ^saint Irénée mettent donc dans 'la 
-mort de Jésus-Ghrist la cau-se pisincîpale et décisive 
de notre rédemption. Quant à ila théorie des droits du 
démon, c'est-à-dire à cette théorie qui considère le 
sang de Jésus-Ghrist comme une rançon payée au 
démon, et moyennant laquelle celui-ci a renoncé au 
juste empire qu'ill exerçait sur nous depuis le premier 
•péché, elle ne se trouve pas, quoi qu'on en ait dit, dans 
saint îrénée ■". -L'évêque de Lyon a seulement fréquem- 
ment insisté sur ce fait que, aux divers moments de 
l'œuATC rédemptrice, incarnation, tentation, mort de 
-Jésus-Christ, ]>ieu a observé, même vis-à-vis du dé- 
'mon, des convenances supérieures qui tenaient à son 
plan salviiîque. 'C'est ainsi qu'it a voiilu que 'le démon , 
vainqueur de Thomme, fût vaincu à son 'tour parum 
Dieu devenu 'homme; que Jésus-Christ rachetât par 
son sang un bien détenu par le démon, encore que ce 
bien appartînt à Dieu, et que le démon l'eût itijuste- 

1. Voir J. Rivière, La doctrine de saint Irénée sur le rôle du dé' 
mon dans la Rédemption {Bulletin d'anc, littérature et d[archéèl. 
chrétiennes, 1911, p. 169, suiv.). 



LE DOGME DANS M. SECONDE afîtlDIÉ DU II' SIECLE. 267 

meut aijBurpé^ Les mots 'Stmwç, iiiste, dont se sert 
aamt Irénée, ne signifient pas qu'il y a eu entre I>ieu 
et le démon exercice de justice commutalive, mais seu- 
lement que Dieu n'a pas voulu user de son droit ab- 
solu, et arracher par la violence même ce qui lui avait 
été violemment arraché. 

Notons enfin la part que nos deux auteurs, saint 
Justin et saint Irénée, attribuent dans la rédemption à 
la vierge Marie, et qu'on se plaira, après eux, à mettre 
de plusen plus enr^lief^. Le parallélisme est rigoureux 
entre Adamet Eve, d'une part, Jésus-Christ et Marie, de 
l'autre. Eve, encore vierge, a accueilli la parole du 
serpent, et elle a enfanté la désobéissance et la mort : 
M^rie, vierge, a accueilli la parole de l'ange, et a 
enfanté celui qui est notre salut. La désobéissance 
suggérée par le serpent a été réparée par la même 
voie qui lui avait d'abord donné naissance^. Et saint 
Irénée plus précis ajoute : 

< Quemadmodum illa (Eva) vicum quidemhabens Adam, 
virgo tamenexsistens,.. inoboediens facta, et sibi, et uni- 
verso generihumano causa facta est mortis : sic et Maria, 
habens praedestinatum virum, ^et tamen virgo, oboediens 
et sibi et universo generi humano causa ïacta est salutis... 
Sic aulem et Evae inoboedientiae nodus solutionem acce- 
pit ^er oboedientiam Maria^e. iQuod enim alligavit virgp 
Eva per increduUtatem^ hoc vicgo Jlaria solvit per fi- 
dem*. » 

Quant aux effets de la -rédemption, saint Irénée les 
a signalés en plusieurs passages de ses écrits : c'est la 
défaite du démon justement vaincu, notre réconcilia- 



1. Adv. haer., v, -21, i,;2, 3;.v, i, i ; 2, 1 ; iv,.37, 3. 

2. Voir E. Neubert, Marte dans l'Église anténicêenne, Paris, 1903, 
^. 238, suiv. 

3. Saint Justin, Dial., c, 4, 5. 

4. Adv. haer., m, 22, 4; v, 19, 1; Démonstr., 83 



268 LA THÉOLOGIE ANTÊNICÉENNE. 

tion avec Dieu, l'image de Dieu restaurée en nous, la 
filiation divine, mais surtout l'immortalité et la vie 
incorruptible reçues en Jésus-Christ et par lui (m, 18, 
7 ; m, 19, 1 ; m, 23, 1, 7 ; m, 24, 1 ; iv, 14, 1 ; v, 1, 1 ; 
V, 12, 6; V, 14, 1, 3; V, 16, 2, 3). 



8 6. — Les mystères chrétiens. 

« L'unique moyen d'obtenir la rémission de nos pé- 
chés et d'espérer l'héritage des biens promis, dit saint 
Justin à Tryphon, est de reconnaître le Christ et, 
après avoir été lavés par ce baptême de la rémission 
des péchés, qu'Isaïe a prêché, de passer sans péché le 
reste de votre vie^ » Ce baptême, saint Justin en 
avait décrit le rite dans sa première apologie (sur- 
tout Lxi). Il était précédé de l'instruction et de la 
profession de foi des catéchumènes et de leur pro- 
messe de vivre selon la doctrine chrétienne (2). Puis 
les catéchumènes priaient, jeûnaient, faisaient péni- 
tence avec la communauté entière (3). Cette' prépara- 
tion terminée, ils étaient plongés dans l'eau « au nom 
de Dieu le Père et maître de toutes choses, et de Jé- 
sus-Christ notre Sauveur, et du Saint-Esprit » (3, 10, 
13). Ce baptême est nécessaire, continue notre au- 
teur, car le Christ a dit : « Si vous ne renaissez, cous 
n'entrerez point dans le royaume des deux » (4). Or 
cette renaissance s'accomplit précisément dans le bain 
de la régénération. Dans notre première génération 
en effet, « nous venons au monde avec des habitudes 
mauvaises et des inclinations perverses » , qui ne tar« 
dent pas à nous entraîner au péché. Mais le baptême 
répare ce double mal. Il est tô ÛTrsp àcpsaeojç àjjiap-ciwv 

\. Dial., XLiv, 4 



LE DOGME DANS LA SECONDE MOITIE DU II" SIECLE. 269 

xaWtç àvaYsvvviffiv Xouxpov (lxvi, i). Il efface d'abord nos 
péchés passés, et poussant plus avant son effet, nous 
renouvelle et nous consacre à Dieu (lxi, 1) ; il fait de 
nous les enfants « de l'élection et de la science » (10) ; 
il est une illumination (çtoTicpioi;), « parce que ceux qui 
reçoivent cette doctrine ont l'esprit illuminé » (12). 
En même temps, il est le rite initiateur qui introduit 
dans l'Eglise chrétienne (lxvi, 1). 

Nos autres auteurs se sont moins étendus sur le 
baptême que saint Justin. Théophile d'Antioche ce- 
pendant note aussi que le baptême opère, avec la ré- 
mission des péchés, une régénération (iraXiYYsvsai'a, ir, 
16). Même enseignement dans saint Irénée : le bap- 
tême administré au nom des trois personnes divines 
est un sceau, une palingénésie*. Il donne le Saint- 
Esprit (m, 17, 2). Le saint docteur suppose formelle- 
ment qu'on le confère aux petits enfants (ii, 22, 4). 

L'appellation ffçpayfç appliquée au baptême est, 
comme on le sait, un héritage des Pères apostoli- 
ques. Elle se retrouve dans l'inscription d'Abercius, 
qui est, au plus tard, de la fin du ii^ siècle : Xaôv 
â' elSov Ixeî XafJiTTpàv acppaYêtoav l^^ovTa. 

Sur l'eucharistie 2 et le service divin, on connaît la 
précieuse description qu'a laissée saint Justin dans su 
première Apologie, lxv-lxvh, et qu'il a complétée dans 
\q Dialogue avec Trî/phon,y.i.i, lxx, gxvii. A côté du 
sens d'action de grâces, et du sens actif de consé- 
cration [èiiycipiaûtt Tou apTou xat toîî TtotYipiou, DiaL, 
ex VII, 1), le mot eô^^apiuxia a aussi le sens de pain et 
vin consacrés : i\ Tpo^-/) autï] xaXeÏTai Trap' r)[Awv eÙ5(api(jTta 

[ApoL, LXVI, 1). De cette eucharistie donc la matière 



\. Démonstr., 3. 

a. Voir ici P. BxTiFfOL, L'Eucharistie, 5* édit., Paris, 1913. 



270 LA THÉOLOGHÎ AîsiTiiNl^EEKNE. 

est le pain et le vin mêlé d'eau ^ Le président de 
l'assemblée (ô TcposdTwç) les eueliaristie « par un dis- 
cours de prière qui vient de Jésus-Christ » (Si' e^x^î 
Xo'you toïï TCap' aÛToïï), c'est-ài-dire parles paroles mêmes 
de rinstitution que saint Justin rapporte dans la phrase 
suivante {ApoL, lxvï, 2, 3). Dès lors, on ne prend pas 
« ces choses comme du pain vulgaire ou comme un 
breuvage vulgaire, mais, do la manière dont, fait 
chair par le Verbe de Dieu, Jésus^Ghrist notre Sau- 
veur eut une chair et du sang pour notre salut, ainsi 
aussi l'aliment eucharistie par un discours de prière 
qui vient de lui -r- aliment dont notre sang et nos 
chairs sont nourris en vue de la transformation — est 
la chair et le sang de ce Jésus fait chair, ainsi n<î)us 
l'a-t-on enseigné » [ib., 2). Le pain et le vin sont donc 
devenus le corps et le sang de Jésus--Chms!t, corps et 
sang aussi véritables et physiques que le corps et le 
sang de son incarnation, corps et sang matériels qui 
nourrissent notre sang et nos chairs. En conséquence, 
« il n'est permis à personne de prendre part à cet 
aliment sinon à celui qui croit vrai ce que nouâ ensei- 
gnons, et qui a été baptisé du baptême de la rémission 
des pécliés et de la nouvelle naissance, et qui vit 
comme -le Christ a enseigné » [3., 1). Ce dernier mot 
marque la pureté nécessaire pour communier. Mais, 
en principe, reucharisitie est distribuée à «tous len 
frères présents jau sjervice liturgique, et envoyée aux 
absents par les diacres [Apol.j lxvii, 5). Un des effets 
de cette manducation est la transformation indiquée 
par l'apologiste, 1^ % (Tpasp^ç) «T[a« xai adlpxei; xaTa (jiexa- 
6oXr,v TpççovTKt ^jxôiv, c'est-à^dire le principe 4'immor- 

1. C'est à tort que M. Harnack a soutenu que saint Justin n'admet- 
tait pas le vin comme matière de rEucliarislie [Brot und Wasser die 
euchastischen Elemente bei Justin, dans Texte imd Unters., VH, 2, 
Leipzig, 1891). Cf. Scheiwiler, Die Elemente der Eucharistie in den 
erstendrei J^rhunderteriiMsinz, 4903. 



LE DOGME DANS LA SECONDE MOITIÉ DU IP SIÈCLE. 271 

telité qu'elle dépose en nos corps. Saint Justin ajoute 
que la célébration des mystèries a lieu le dimanche : 
elle est accMJmpa^ée de prières, de l'action de grâces 
du célébrant, du haiser de paix, de la lecture des Mé- 
moires des apôtres où des écrits des prophètes, de 
rinstruetion et exhortation du président de l'assem- 
blée (idenfclque au célébrant), et enfin des offrandes 
des fidèles pour les indigents et les pauvres. 

Dans les chapitres indiqués du Dialogue, saint Jus- 
tin, argumentant contre Tryphon, met surtout en relief 
le caractère -sacrificiel de l'eucharistie. Il en trouve la 
figure anticipée dans l'offrande de farine prescrite par 
le Lévitique, xiv, 10; et il le voit annoncé dans les 
prophéties de Màlachie, i, 10-12, et d'Isaïe, xxxni, 
13-19. L'eucharistie, c'est-à-dire le pain et le vin con- 
sacrés sont un sacrifice (6u<rta), que Jésus-Christ a 
ordonné d'offrir en souvenir de sa passion et de son 
sang (elç «vàftvsqff.tv toj TraOouç — eiç àvau.v?i(jiv tou «tjjLàTOî 
aÙTOu — Bt ^ .(îTpotpîj) xa\ toû Trdcôoyç S -rtércovôs Si' auto'bç ô mo^ 
TOU sou (^éfx,ys(]Tat) : sacrifice qui est offert dans le monde 
entier et le -seul que Dieu agrée. 

Dispersée -un peu partout dans son grand ouvrage 
contre les hérésies, ia doctrine eucharistique de saint 
Irénée n'est pas moins ferme que celle de saint Justin. 
Lui ;aussi rapporte l'in'Strtution de l'euGharistie par 
Notre- Seigneur^ et comnacnce déjà à affirmer l'identité 
du pain et du vin consacrés et du corps et eu sang de 
Jésus-Christ (iv^ 17, 5). Cette identité est toaj ours 
affirmée comme une chose acquise (iv, 31, 2; v, 2, 3, 
22);, tellement acquise et tellement reçue même des 
adversaire^ que i'évêque de Ljon ne craint pas d'y 
appuyer son argumentation contre les gnostiques. 
Geux-ei ne veulent pas que Jésus-Christ soit le Fils 
du Créateur, parce que Je Père n'est pas le Créateur. 
Mais alors, demande Irénée, comment admettent-ils 



272 LA THÉOLOGIE ANTÉNICÉENNE. 

que le pain eucharistie est le corps du Seigneur, et le 
calice le calice de son sang? (iv, 18, 4). Ce pain et ce 
vin n'appartiennent pas au Sauveur, mais au démiurge : 
il n'a pas le droit de les faire siens : « Quomodo autem 
iuste Dominus, si alterius Patris exsistit, huius con- 
ditionis quae est secundum nos accipiens panem suum 
corpus esse confitebatur, et temperamentum calicis 
suumsanguinemconfirmavit? » (iv, 33, 2; v, 2, 22). Les 
gnostiques enseignent que la chair se dissout dans la 
corruption et ne ressuscite pas. Peut- on dire cela de 
la chair « qui est nourrie du corps du Seigneur et de 
son sang? Qu'ils changent donc d'opinion, ou qu'ils 
s'abstiennent d'offrir ce que l'on vient de dire » (iv, 
18, 5). Si la chair n'est pas capable d'immortalité, 
« neque calix eucharistiae communicatio sanguinis eius 
(Christi) est, neque panis quem frangimus communi- 
catio corporis eius est » (v, 2, 2, 3). 

Nul doute sur le réalisme d'Irénée : le pain et le 
vin eucharisties sont vraiment le corps et le sang de 
Jésus-Christ. Comment acquièrent-ils ce nouvel être? 
Par une invocation, une parole de Dieu qui les fait 
devenir ce corps et ce sang : « Quand donc lecalice 
[de vin] mêlé [d'eau] et le pain reçoivent la parole de 
Dieu et qu'ils deviennent l'eucharistie, [c'est-à-dire] le 
corps du Christ... ^ ». Et un peu plus bas : le pain et 
le vin « recevant la parole de Dieu deviennent l'eu- 
charistie, ce qui est le corps et le sang du Christ ^ ». 
Et ailleurs : « De même que le pain qui est de la terre, 



1. V, 2, 3 : "Onors ouv xat tô «expa^iÉvov TiOTr,ptov xal6 ysY^vàç àptoç 
litiSÉxeTai Tov iôyov Toy ôsoû, xal yivexai (•/)) EC/apiaxia ffû[iaxPKiTo3. 
Le sens du texte n'est pas douteux. Ms^ Batiffol propose He supprimer 
% et de sous-entendre, après eûxftpH'tta, les mots onsp ïsx'., comme 
dans le texte suivant, car on ne peut dire que l'eucharislie devient le 
corps du Christ. 

2. npoffXa[i6av6[JtEva tôv Xôyov toû 6eoû eOx*pi<rtta '{i-ifzw., iitep ^«ri 
ffwjia xaî atp.a tou Xpioîoû. 



LE DOGME DANS LA SECONDE MOITIE DU II" SIÈCLE. 273 

recevant Tinvocation de Dieu, n'est plus un pain com- 
mun, mais l'eucharistie, composée par deux éléments, 
l'un terrestre, l'autre céleste, de même nos corps rece- 
vant l'eucharistie ne sont plus corruptibles, ayant l'es- 
pérance de la résurrection pour l'éternité ^ ». 11 se 
produit donc, en vertu de la parole de Dieu, de la 
prière liturgique, dans le pain et le vin une conversion 
qui les fait devenir, être le corps et le sang de Jésus- 
Christ. Et cela physiquement, car Irénée remarque 
que de cette eucharistie la substance de notre chair 
est nourrie et augmentée^. Et cette eucharistie, saint 
Irénée dit qu'elle est composée de deux éléments, l'un 
terrestre, l'autre céleste, non pas dans le sens d'une 
consubstantiation, puisque les éléments sont devenus 
le corps et le sang de Jésus-Christ, mais ou bien dans 
le sens des apparences extérieures et de la réalité in- 
terne, ou mieux en ce sens que l'eucharistie contient 
et l'humanité et la divinité du Sauveur. 

Le caractère sacrificiel de l'eucharistie a trouvé éga- 
lement en saint Irénée un témoin formel. Après avoir 
refait le récit de l'institution, il ajoute que par là Jésus- 
Christ « novi testament! novam docuit oblationem, 
quam Ecclesia ab apostolis accipiens in universo mundo 
offert Deo, ei qui alimenta nobis praestat », et il rap- 

i. IV, 18, 5 : 'Q; ■yàp ànb -YÎiî apxo; iipO(ï)iaji6avôiJ.£vo; -riiv ÉxxXrjcriv xoù 
Geoù oOxÉTi xotvb; âpto; ÈaTiv, à),X' eùxaptaita, èx 5iJ0 TtpayiiàTtùv 
cyvcffTïixuïa, èntYeîou te xal oûpavtou, oûici) xtX. Le mot êy.x>.Yi(riç, et 
ailleurs, à propos des prestiges de Marcus (i, 13, 2), le mot /éyoç t^; 
èitixAriffetûi; employés par saint Irénée, ont fait croire à quelques auteurs 
que la liturgie de l'évêque de Lyon contenait déjà lépiclése. C'est à 
tort : ces mots n'ont ic; que le sens général d'invocation, prière. 
S. Irénée est dans la tradition de Justin. I.e >.ôyo; toû Geoû qui con- 
vertit le pain et le vin, c'est très probablement les paroles de l'institu- 
tion, quoique l'expression puisse, à la rigueur, s'entendre de toute la 
prière liturgique. — Sur la doctrine eucharistique des gnostiques, 
V. Batiffol, op. cit., p. 189. 

2. V, 2, 3 : Èx TOÛ TCOTYipîou aÙToO S èfftt xô al[jt.a aÙTOû xpéçETat, xal êx 
toû âpTou, 6 iffTi TÔ ffâ[tK ocùxoû aO^exai. 



274 LA THÉOLOGIE ANTÉx\lCÉEiN«É. 

pèlie le texte classique de Mâlacliie, i, iQ\ 11. Ce sacri- 
fice est pur et agréable à Dieu (iv, 17, S»; 18, 1). 

En dehors de saint Justin et de saint Irénée, les 
auteurs conservés de la seconde moitié du ri^ siècle 
n'ont point parlé de reuch'aristie. Mais il faut men- 
tionner, outre les indicalions très claires des monu- 
ments figurés dont il a été déjà cfuestion ' ^ les deux 
inscriptions de Pectorius d'Auiun et d'Abereius d'Hié- 
rapolis qui contiennent à ce mystère des allusions évi- 
dentes. On sait que, dès la haute antiquité, le poisson 
était regardé comme le symbole^ du Christ, le mot 
l/p<k se composant des premières lettres des mots 
'r/i<?ouc XpKTtôç ÔEOu utoç ffWTï]p. OîT dâHS Ics premicFs vers 
de l'inscription de Pectorius, écrits, semble-t-il, à la 
fin du 11^ siècle, après une mention dti baptême, nous 
lisons : 

« Ami, refais ton âme aux flots éternels de la sagesse 
qui donne les trésors. Reçois l'aliment doux comme le miel 
dû Sauveur des saints. Mange à ta faim : tu tiens le poisson 
dans tes mains*. » 

Et dans celle d'Abereius : 

« Partout la foi était mon guide, et partout elle m'a donné 
en nourriture l'Î^Oiis de la source^, le grand, le pur que la 
Vierge immaculée a péché el olïre à manger aux amis; 
elle a aussi du vin délicieux mélangé d'eau qu*elle donne 
avec le pain ^. » 

Il suffit de rapprocher ces mots de la description 
donnée par saint Justin potir en comprendre tout le 
sens. 



1. V. J. WiLPERT, f radio panis. 

2. Cf. J. Jalabert, art. Epigraphie dans le Dictionnaire apologétique 
l*i5, 1446, 

3. Sur celte inscription voir J. WrLPEiiTr op^ dU, p. 9Sy stiiv* 



LE DOGME DANS LA SECONDE MOITIE DU ir SIÈCLE. 275 

Sur la pénitence et les ecxercicéis extérieurs qu'elle 
comportait, la période que nous étudions ne ^omie 
que peu de renseigaemêiits, assez cependant pour nous 
apprendre, comme l'a fait Hêrmàs, que Dieu et l'Église 
ne repoussent jamais les |)écheurs, et que l'Église 
intervenait dans l'action de la pénitence et la réconci- 
liation des pénitents. Les déclarations de saint Justin 
sont très générales et proclament simplement rinfinité 
de la miséricorde de Dieu, disposé à sauver tous les 
coupables repentants et à leur pardonner ^ . Plus pré- 
cises sont les Gonciusions que l'on peut tirer de cer- 
tains faits : des essais de pénitence de l'hérétique 
Cerdon, par exemple ^ ; de la pénitence accordée à 
Marcion et dont il ne put profiter ^; de la réconciliation 
à l'Église de l'hérétique Natalius''; de celle des apos- 
tats repentants de Lyon en 177 ^. « Dans sa lettre à 
l'Église d'Amastris et à celles du Pont, écrit Eusèbe^, 
Denys (de Corinthe)... donÉte plusieurs avis sur le ma^ 
riage et la continence, et engage ses correspondcïnts 
à recevoir les pécheurs repentants de n'importe quelle 
faute que ce soit, une faute ordinaire ou même le 
péché d'hérésie. » 

Cet avis de Denys était évidemment aussi celui de 
saint Irénée. L'évêque de Lyon, en effet, ne se contente 
pas de déclarer que Dieu donne la vie à ceux qui sont 
ex |7.£T«voiaç, comme aux ajustés qui ont persévéré (i, 10, 
1) : il suppose manifestement que les marcionites et 
les vâléntiniens qu'il coiïîbat seront sauvés s'ils font 



1. Diah^TaJvii, 4, 6; cxu, 2. (Ja ne Saurait tlën côncturé de Dial., 
xuv, 4. 

3. S. Irénée, Adv. haer., m, 4, 3. 
3. 'f MtttitiEN, i)e ^ràèScr-ïii^, ^. 

4. EusÈBE, Hist. eccl., Y, 28, 10-12. 

5. T^ èxx>.ïi<Tta; lïpoffeTÉÔTjaav, Eusèbb, Hist. .eecl., V, 4, il r '32-35, i5- 
48; 2,6-8. 

6. EcsÈBE, Hist. eccl., IV, 23, 6. Denys vivait et éctiVilt "vers l'ait iio. 



276 LA THÉOLOGIE ANTENICEBNNE. 

pénitence (ui, 14, 4); et il dit que, de fait, beaucoup 
dliérétiques rentrèrent dans l'Eglise à la voix de Po- 
l^^carpe, quand celui-ci vint à Rome sous Anicet (1115 3, 
4). Toutefois, les indications les plus précises sont 
celles que l'on trouve au livre I, chapitres 6 et 13 de 
VAdf>e7'sus haereses, à propos des femmes séduites 
par les gnostiques, et qui avaient perdu dans leur 
commerce leur vertu avec leur foi. Les chrétiens ne 
les abandonnèrent pas et s'efforcèrent de les ramener 
à la vérité et au bien (13, 5j. Beaucoup y revinrent en 
effet, et saint Irénée nous les montre confessant leurs 
fautes et passant leur vie dans l'exomologèse publique 
(xov ^TravT» ypovov l^op.oXoYOUfAévif] — £tç (favEpôv I^ojjloXoyouv, 
13, 5, 7) ; tandis que d'autres, désespérant de la vie de 
Dieu, se retiraient complètement de l'Église, et que 
d'autres encore ne prenaient aucun parti. Saint Irénée, 
à la vérité, ne dit pas expressément que les pénitentes 
aient été réconciliées au moins à la fin de leur vie ; mais 
on peut le conclure de l'ensemble de sa doctrine. 

Le mariage a attiré l'attention de nos auteurs sur- 
tout au point de vue polémique, contre les païens et 
contre les hérétiques. Parmi ces derniers, quelques- 
uns, comme Tatien et les encratites, condamnaient 
absolument le mariage', d'autres, comme les monta- 
nistes, ou exagéraient l'obligation de la continence, ou 
prohibaient les secondes noces. Les païens, de leur 
côté, reprochaient aux chrétiens des promiscuités ré- 
voltantes. Contre les premiers, nos auteurs affirment 
nettement l'honnêteté du mariage : le condamner, 
c'est indirectement blâmer le créateur qui a fait les 
sexes différents pour la propagation du genre humain^. 

1. On sait combien ce thème revient souvent dans les actes apocrj- 
phes des apôtres, par exemple dans ceux de saint Thomas. 
3. S. Irénée, i, B8, 1. 



LE DOGME DANS LA SECONDE MOITIÉ DU II' SIECLE. 277 

Contre les montanistes, ils font remarquer que la con- 
tinence parfaite, si glorieuse qu'elle soit, ne saurait 
être la vocation commune ni imposée à tous indistinc- 
tement'. Mais d'autre part, et pour réfuter les calom- 
nies païennes, ils relèvent la réserve que gardent les 
chrétiens dans la vie conjugale. Les chrétiens n'usent 
du mariage que pour avoir des enfants : ils ne regar- 
dent comme permises ni la polygamie simultanée, ni 
les secondes noces après le divorce 2. Quant aux se- 
condes noces après la mort du premier conjoint, on 
sait qu'Athénagore, sans les condamner absolument, 
les voit de mauvais œil. Elles ne sont d'après lui qu'un 
honnête concubinage (euTrpsTc^ç [noiyeict] , et celui qui y 
convole n'est qu'un fornicateur occulte ((Aoiyô; Tcapa- 
KexaXu(A(jiévo!;)2. L'idéal chrétien c'est la monogamie 
(piovoY«[i!.i« TYipEÎTat)''. Athénagore ajoute du reste que les 
chrétiens suivent dans leurs mariages « les lois qu'ils 
ontétablies » (toù; ôç' ^fjaSv TeOeipiévoui; vou.ouç)^, différentes 
des lois civiles, et qui régissaient déjà les unions des 
fidèles. 

S 7. — Eschatologie. Conclusion. 

Il y a, remarque saint Justin, deux avènements de 
Jésus-Christ annoncés par les prophètes, l'un dans 

1. c'était J'objet probablement de la lettre de Denys de Corinthe aux 
églises du Pont dont il a été question ci-dessus, et où il donnait plu- 
sieurs avis uepî fiiioM xai «Y^eiaî. C'était sûrement celui de sa lettre 
aux habitants de Cnosos (Eusèbe, //. E., IV, 23, 6, 7). 

2. Athén., Suppl., 33; S. Justin, Dial., cxli, 4; I Apoli, xv, 5. C'est en 
ce dernier sens que plusieurs critiques entendent ce passage de l'Apo- 
logie (cf. xv, 3). Mais d'ailleurs, saint Justin approuve la conduite d'une 
femme chrétienne qui avait divorcé avec son mari païen incontinent 
(// ApoU, II, 1-7). 

3. Suppl., 33. On remarquera les deux adjectifs, qui corrigent ce que 
jxot^eCa, (Loixô; disent de trop. 

4. Théopbile, m, 15. 
b. Suppl., 33. 

16 



278 ' LA IHÈOL&mE ANTÉNieÉlriKK. 

l'humilité de l'incaï-nation, l'autre ésma la glorre avec 
l'armée des anges ^. En attendaiat ce second avène- 
ment, les âmes des justes, habitant, suivant saint Iré- 
née, un lieu invisible, aspirent après la résurrection 
de leurs corps et leur comparution devant le Seigneur, 
deux mystères cjui, précédés de l'apparition et de la 
défaite de l'antéchrist, se produiront quand le monde 
aura duré 6000 ans^. 

Des questions eschatologiques, deux surtout rete- 
naient l'attention au moment où nous sommes, bien 
qu'à des degrés différents. La première était celle de 
la résurrection de la chair contre les païens et les 
gnostiques. On sait que saint Justin et Athénagore ont 
composé sur ce sujet chacun un traité pour établir le 
dogme et réfuter les objections quion y faisait. Les 
autres apologistes, Tatien (13), Théophile (ii, 14, 15), 
Minucius Félix (34) ne manquent pas non plus d'affir- 
mer la croyance chrétienne. Quant à saint Irénée qui 
y revient souvent contre les gnostiques, il prouve la 
résurrection des corps par la résurrection même de 
Jésus-Christ (v, 31, 2), par l'habitation du Saint-Esprit 
en nous (v, 13,. 4), par la nature de l'eucharistie (v, 2, 
3; IV, 18, 5; cf. Démonstr.j 42). 

La seconde question était celle du millenium.. Saint 
Justin et saint Irénée admettent tous deux, après la 
résurrection, un règne des justes sur la terre avec 
Jésus-Christ pendant mille ans 3. L'un et l'autre ce- 

1. I Âpol., LU, 3; Dial., xlix, 2; ex, 2. 

2. V, 31, 2. L'eschatologie de saint Irénée est, dans l'ensemble, d'une 
noie archaïque prononcée; il y suit trop littéralement l'Apocalypse. 

3. S.^ JusTD', Dial; Lxxx, lxxxi; S. Irksée, y, 3î-35. II faut remarquer 
cfue saint Irénée admet deux résurrections, une première pour les 
justes seuls, une seconde, qui est générafe, après le millenium réYoIu. 
Cette cioyance à la résurrection et au millenium, écrit M, Puech {op. 
cit., p. 130) à j>rop&9 de saint JBstifr, • m<nitre à quel point il se faisait 
uue règle de puiser désormais ses opinions aniqitemeBt daas l'Écri- 
ture, combien il était détaché de la philosophie..^ Ici est la vréritable 
pierre de touche ». 



LE DOGME DANS LA SECONDE MOITIÉ DU Il« SIÈCLE. 27,9 

peaiilant, comme on l'a ci-âess-ES remarqué, tout en 
étant fermement attacliés à celte opinion, avonent que 
beaucoup de chrétiens orthodoxes no la partag^ent pas ; 
et de fait nous ne la trouvons pas enseignée chez nos 
autres auteurs. ' 

La résurrection générale des corps, qui fera repa- 
raître chacun dans sa propre chair ' , sera donc suivie 
du jugement 2. Éternel sera lé supplice des méchants 
dans le feu qui tourmentera et leur corps et leur âme^. 
Étemel aussi le bonheur des élus dans la vue et la 
possession de Dieu^. Cette possession toutefois ne 
sera pas égale en tous, car il y a dans la maison du 
Père différentes demeures, et les uns seront reçus an 
ciel, d'autres habiteront le paradis, d'autres enfin la 
Jérusalem renouvelée^. Le monde actuel périra dans 
un embrasement général^. Puis, à son tour, la mort 
sera détruite, et le Fils à. qui le Père a tout soumis se 
soumettant lui-même au Père, Dieu sera tout en tous 
(d'après 7(70/7/1 f/î., xv, 24-28) ^ 

Concluons ce chapitre en remarquant que saint Iré- 
née ferme comraie une première période ée l'histoire 
du dogme. Avec lui finit cette théologie qui ne fait 
guère que rapporter les données primitives scriptu- 
raires ou traditionnelles, et qui ne s'avance au delà 
que par occasion et d'une allure timide. Il en est 
lui-même le fidèle et le plus complet représentant. 



1. s. Ir.KNÉE, II, 33, 3; 34, 1. 

2. ID., V, 3-2, 1. 

3. S. Justin, I Apol., vm, 4; xxviii, 1; DiaL, xlv, 4; cxx, 5; cxxx, 2; 
Tatien, S; Misucius, 3a; Ep. à Diogn.,x,'î; S. Irésée, iv, 28, 2; 40, 1, 2; v, 
28, i. 

4. S.Jlstin, Dial., xlv, 4; cxx, 5; S. Ibénée, iv, 28, 2; 31, 2; SS, 1; t, 
36, 1,2. 

5. S. InÉNÉE, V, 36, 2. 

6. S. JusTiîi, II Apol., VII, 2, 3; Miisucius, 34. 

7. S. IRÉNÉE, V, 36, -i. 



280 LA THÉOLOGIE ANTENICEENNB. 

Homme, par excellence, de tradition, il s'interdit sys- 
tématiquement de spéculer et de rien ajouter à ce 
qu'il pense être la foi. Mais d'ailleurs cette foi nous 
apparaît déjà dans son œuvre avec toutes ses affirma- 
tions, ou du moins avec tous les germes qui se déve- 
lopperont plus tard. En Occident, ce développement 
se fera graduellement et sans secousses, et la théologie 
n'y perdra jamais le caractère de science éminemment 
traditionnelle que saint Irénée lui a imprimé. Si elle 
ne tient pas de l'évéque de Lyon ses formules et sa 
langue technique — que Tertullien lui donnera, — elle 
tiendra de lui tout le fond de ses enseignements et — 
chose en un sens plus importante — le sentiment 
de la voie d'autorité dans laquelle elle doit conduire 
ses recherches et réaliser ses progrès. En Orient, ce 
développement sera plus rapide et en quelque sorte su- 
bit. Un homme va paraître qui, partant lui aussi des 
données de la tradition, en brisera les cadres et ten- 
tera, émule des gnostiques, d'écrire à lui seul une ex- 
plication scientifique et orthodoxe du christianisme. 
Œuvre grandiose mais prématurée, dont l'influence 
sera immense, mais dont plusieurs éléments devront 
être plus tard abandonnés, comme les ébauches d'un 
esprit plus vaste que sûr, comme les parties ruineuses 
d'un édifice trop hâtivement construit. 



CHAPITRE VII 



LES PREMIERS GRANDS SYSTEMES THEOLOGIQUES EN 
ORIENT. CLÉMENT d'alEXANDRIE ET ORIGÈNE. 



S !■ — Clément d'Alexandrie i. 

C'est dans l'Eglise d'Alexandrie que se produisit, à 
la fin du II® et au commencement du iii« siècle, l'effort 

1. Les textes ont été vérifiés sur l'édition 0. Staeiili-, Leipzig, 1905- 
1909, mais, pour la commodité du lecteur, j'ai indiqué, au bas des pages, 
l'édition Potter, Clementis alexandrini opéra quae exstant omnia, 
Oxford, 1715, dans P. G., Vlll, IX. Le tome VIII contient la Cohortatio, 
le Pédagogue et les quatre premiers Stromates; le tome IX contient lea 
autres ouvrages. Comme les divisions sont généralement longues, j'ai 
cité partout la colonne de la Palrologîe grecque. — Travaux : J. Kaye, 
Soyne account of the writings and opinions of Clément of Alexandria, 
London, 1833, 2» édit., 1890. Ch. Bigg, The Christian Platonists of 
Alexandria, Oxford, 1886. E. de Faye, Clément d'Alexandrie, Paris, 3» 
éd., 1906. J. Patrick, Clément of Alexandria, Edinburgh, 1914. H. Kutter, 
Daa Christentum des Klemens von Alexandrien, Schiveizerische theolog. 
Zeitschrift, XYI, 1899. p. Ziegert, Zwei Abhandlungen ûber T. Flav. 
Klemens Alexandrinus, Heidelberg, 1894. A. X\tL, Der Logos, Geschichte 
seiner Enlwicklung..., Il, Leipzig, 1899. G. Th. Hillen, Clementis 
Alexandrini de SS. Eucharistia doctrina, Warendorpii, 1861. W de Loss 
Love, Clément of Alexandria not an after-death probationist or uni- 
versalist, dans la Bibliotheca sacra, octob. 1888. G. Anrich, Rlemens, 
und Origenes als Begrûnder der Lehre von Fegfeuer, Tùbingen, 1902. 
Markgraf, Klemens von Alexandrien als asketischer Schriftsteller, 
dans la Zeitschr. f. Kirchengesch., XXII, 1901. W. Capitaine, Die Moral 
des Clemens von Alexandrien, Paderborn, 1903. W. Wagner, Der Christ 
und die Welt nach Clemens von Alexandrien, Gôttingen, 1903. P. Dausch, 
Das neutestamenlliche Schriflkanon und Klemens von Alexandrien, 
Freiburg im Br., 1894. Kutter, Klemens Al. und das Neue Testament, 
Giessen, 1897. P. Battifol, L'Église naissante et le catholicisme, Paris, 
1909. 

16. 



282 LA THÉOLOGIE ANTÉNICEENNE. 

dont je viens de parler, et qui créa véritablement la 
théologie systématique. De cette Eglise nous ne con- 
naissons jusqu'à cette époque que la liste de ses évo- 
ques. Mais tout à coup, vers 180, son école catéché- 
tique jette un éclat incomparable et devient le foyer 
des plus intéressants et des plus féconds travaux. 

Le premier nom qui l'ait illustré est celui de Pantène. 
Pantène n'a guère laissé qu'un souvenir très respecté * . 
H eut pour successeur Clément, d'abord son disciple, 
qui pendant une douzaine d'années, de 190 à 202 ou 203, 
dirigea seul on avec son maître le Didascalée. 

Les trois grands traités qui restent de Clément 
V Exhortation aux Grecs, \q Pédagogue et les Stroma- 
tes sont comme les trois parties d'une œuvre unique 
mais restée inachevée. Us forment avec le Quis diyes 
sàlçetur et ce qui a survécu des Hypotijposes surtout 
dans les Adumhrationes in episîulas canoîiicas, la 
source principale où l'on doit étudier la théologie de 
leur auteur. 

Pour comprendre cette théologie, il faut se rappeler 
que Clément est à la fois profondément chrétien et ré* 
solument philosophe. On n'a pas toujours assez remar- 
qué le premier trait. Non seulement la piété chrétienne 
de Clément s'é^nche parfois en admirables effusions 2, 
mais il reconnaît hautement l'autoiité des anciens et 
delà tradition del'Église, et proteste qull s'y veut at- 
tacher: « Celui-là, dit-il, cesse d'être homme de Dieu 
et fidèle au Seigneur, quia regimbé contre la tradition 
ecclésiastique et s'est lais-sé aller aux opiDions des hé- 
résies humaines^. » D'autre part, son goût, et l'iJiipeut 

t. EcsJnîE, Uist. ecclés., V, iO. 

=2. Par e:cemple Cohort.,^, XII. 

3. Slromat., Vïï, 16, col. 532. Voir aussi Strom.,ï, i, col. 700, 701 ; VTI, 
*6, col. 54S. On trouvera dans Harnack, Gesch. der allchrivtlîvîh. hiter., 
Di'C UeberHeferung, pp. ^1 sqq., la liste des citations que fait Clé- 
ment des paroles des TtpEtJDTJTspoi. 



CLE&tËST D'MMXmDRlE ET -ORiGENE. 233 

dire sûn eBthousiasme pour la piiilosophie est bien 
connu. Observons seulement que par pliilosopMe il 
n'entend pas le système de telle ou telle école, mais gé- 
néralement l'ensemble des doctrines qui easeignent la 
justice et la piété, dont chaque école fournit sa part ^ 
Clément est un éclectique. Platon et Pythagore sont 
ses maîtres favoris : après eux, Zenon et Aristote. Il 
exclut seulemeaitÉpicure et les sophistes 2. Cette phi- 
losophie, pense-t-il, a rempli dans le passé un rôle pro- 
videntiel : « Elle conduisait les Grecs au Christ comme 
la Loi y conduisait les Hébreux. » Elle leur avait été 
donnée « comme un testament à leur usage qui devait 
leur servir de degré pour s'élever à la philosophie selon 
le Christ^ ». Non pas qu'elle ait une origine aussi im- 
médiatement divine que la Tévélation : elle ne vient 
pas de Dieu essentiellement, directement (xa-rà TrpovjYo-j- 
[jiEvov), mais seulement indirectement et par voie de 
conséquence (xaxàlTcaxoXouÔTina), soit parce qu'elle a été 
puisée en grande partie dans les livres de l'Ancien Tes- 
tament connus des païens, soit parce que la raison qui 
la crée et l'orgaiiise est elle-même un don de Dieu *. 
En tout cas, son rôle actuel est d'être l'auxiliaire de 
la foi dans l'étude que celle-ci fait de ses propres pro- 
fondeurs : elle doit aider cette foi à s'édiiier en gnose. 
Et sans doute les doctrines de la philosophie n'ajoutent 
rien à la lumière des vérités chrétiennes : mais sa mé- 
thode et sa dialectique disciplinent l'esprit, et le gui- 
dent dans ses recherches du vrai, dans ses efforts vers 
le bien, dans son apostolat pour disséminer le bien et 
le vrai ^. 



1. Strom., I, 7, col. 132. 

«. Sirom., I, «, col. 737; Strom., I, i, col. 688; V, 14, col. 173; VI, 8, 

coi.saa. 

A. Sirom., 1, S, col. 717 ; VI, 8, col. 288, 289 ; VI, 8, COl. 261 ; VI, 17, col. 392^ 

». Sirom-, I, 5, col. 717; V, 14-, VI, 2. 

*. Cahort., XI, col. 229; XII, col. 237 saîT.; Sirom., I, 20, col. «13, 816; 



284 LA THEOLOGIE ANTENICEENNE. 

En définissant ainsi le rôle actuel de la philosophie, 
Clément définissait sa propre entreprise : creuser, au 
moyen de la philosophie, plus avant dans la foi, trans- 
former celle-ci en une science, la révélation en une théo- 
logie. Seulement, pendant que les pseudo-gnostiques, 
comme il les nomme, avaient, sous couleur du même 
dessein, substitué leurs rêveries à la foi, Clément 
voulait, lui, que cette foi restât la base (ôe|j.éXioç) de tout 
l'édifice. Il n'admettait pas qu'on s'écartât jamais des 
principes qu'elle posait, des faits qu'elle avait cons- 
tatés, que l'on portât même l'investigation (Çv^tï)<jiç) sur 
certaines vérités exclusivement réservées à son do- 
maine. Dans ces conditions, pensait-il, la science de 
la révélation ne sera pas une science humaine, d'es- 
prit propre, mais une science divine et réglée par l'É- 
glise ^ . 

Rien de plus juste que ces vues de Clément d'A- 
lexandrie, et, si l'on doit regretter quelque chose, c'est 
qu'il ne les ait pas lui-même toujours strictement sui- 
vies. Il tend déjà à s'en éloigner par l'abus qu'il fait 
de la méthode allégorique dans l'interprétation de 
l'Écriture. Cette Écriture est sans doute pour lui la 
voie sûre de la vraie religion : il en reconnaît sans 
hésiter l'inspiration (OeoTtvsuffToi)^, et range dans son 
canon sensiblement les mêmes livres que nous ^ ; mais 



y, li, col. 203; YI, 17, col. 380, 381, 385; I, 6, col. 7i!8; I, î), col. 740. 
Voir ici Y. Pascal, La foi et la raison dans Clément d'Alexandrie^ 
Montdidier, 1901. 

1. Slrom., Il, 2, col. 940; V, 1, col. 12-13; VII, 10, col. «7; VII, 16, col. 
544; Paed., I, 6, col. 280 suiv. 

2. Cohort., VII, col. 488, 189; VIII, col. 192, 193; Strom., I, 21, col.8S3; 
Vlli 16; Paed., I, 6, col. 308. 

3. II connaît tous les livres du Nouveau Testament sauf la deuxième 
épître de saint Pierre, la troisième de saint Jean, et peut-être celle de 
saint Jacques qu'il semljle bleu citer cependant {Strom., VI, 18, col. 
397). Quant aux apocryphes et aux anciens écrits qu'il cite comme des 
autorités ou même comme y\ Ypaçi^ (la Didachè par exemple, Strom., I, 
20, col. 817), il est difficile de définir exactement la valeur qu'il leur 



OLEMËiNT D'ALEXANDRIE ET ORIGENE. 285 

il adopte en exégèse les principes de Philon. Il les 
applique avec une entière désinvolture à l'Ancien Tes- 
tament, dont les faits, sous sa plume, deviennent des 
symboles : vis-à-vis du Nouveau Testament il se mon- 
tre ordinairement plus réservée On peut voir au 
VI' livre des Stromates (15 et 16, col. 356 suiv.), com- 
ment il s'explique sur la nature et la nécessité de cet 
allégorisme. 

L'Écriture, l'enseignement de l'Eglise et des an- 
ciens, la philosophie, voilà donc, d'après Clément, 
les trois facteurs élémentaires de la théologie. Quelle 
doctrine en a-t-il composée? 

Une doctrine où les deux éléments, rationnel et divin, 
ont laissé simultanément leurs traces, et qui juxtapose 
souvent plutôt qu'elle ne fond ce qui lui vient de ces 
deux sources. 

Le Dieu de Clément est le Dieu des chrétiens sans 
doute, Dieu réel et concret, éminemment saint et bon, 
qui veille sur les hommes et qui veut leur salut-; 
mais aussi un Dieu conçu à la mode platonicienne, 
absolument transcendant. Car il est au-dessus du monde 
entier, de toute cause et de la pensée elle-même, au- 
dessus de l'Un et de la Monade ^. 

Dans ce Dieu unique notre auteur compte trois ter- 
mes. On a mis en doute qu'il les distinguât hypostati- 
quement. L'affirmative cependant n'est pas douteuse : 
Clément découvre la Trinité jusque dans Platon ''. 

accorde. Son canon n'était sans doute pas parfaitement limité. Voir B. 
Jacquier, Le Nouveau Testament dans l'Église chrétienne, I, p. 227, saiy. 

1. Voir cependant son explication de I Corinth., ui, 2, dans Paed, 
I, 0, col. 29. 

2. Slrom., II, a, col. 936; V, 10, col. 101; vn, 12, col. 496-497; V, 1, 
col. 16; YI, 17, col. 388, suiv.; Cohort. X; Paed., r, 9, col. 3S3, 336 ; II, 10 
col. 517. 

3 Paed., I, 8, col. 336; Strom., Y, 10, col. 100; V, H, col. 108, 109; V, 
*, col. 121, 1-24; VII, 1, col. 401. 

Paed., I, 2, 6, co!. 280, 300; III, 12, col. 680, C8I ; Strom., V, 14, col. 
156 VI, 7, col. 280; Qmîs d»t)M5oit>e<Mr, 34, col.640. 



2S6 LA JUÉOLOGiE ÂNTÉNICÉENNË. 

Le second terme de cette Trinité est le Logos. 
D'après Photius [Bihl., cod. 10&), Clément aurait ad- 
mis deux êtres de ce nom,ïin Logos du Père, etiui se- 
cond qui serait le Fils, mais dont ni l'un ni l'autre ne 
se serait proprement incarné, l'incarnation ne conve- 
nant qu'aune Suvafxt'çTtsTOu ôeoîî olov «Troppoia tou Xoyou «ùtou, 
à une sorte de troisième logos émané du premier. 
Mais il est probable que Photius s'est mépris. Clément 
a seulement distingué entre la raison divine imma- 
nente, attribut du Père, et le Logos personnel qui est 
le Fils. 

Or de celui-ci notre auteur affirme immédiatement 
sa génération éternelle : c'est un point que l'école d'A- 
lexandrie met fortement en relief. Cette génératiom n'a 
pas seulement précédé la création : elle n'a pas eu de 
commencement (àvapyoç), car le Père n'est Père qu'à la 
condition d'avoir un Fils ^ : « Cum enim dicit [loan- 
nesj //0/Z.5 I, 1) Quod erat ah initio^ generationew 
tangit sineprincipio filii cumpaù^e simul essiantis ^. » 
Le Verbe s'est avant^ (jrpoEXôwv) sans doute au moment 
et comme aiiteur immédiat de la création ; mais ce fait 
n'implique pas ea lui deux états ; il n'a ,pas subi de 
irpoÇoXv] ^ . 

. Ainsi jaé éterjtellem«nt du P^re, le Logos lui est 
semblable, vraiment Dieu comme lui : ô cpavepojTaxoç 
avTioç Oêoç, ô Tt{) ^îo-jroTrj<) tSîv oXwv I^kjioÔciç'* : toujours pré- 
sent partôiît, nulle part contenu, il est tout intelligence, 
il voit tout, entend tout, sait tout, gouverne tout^. 
Ses attributs sont les mêmes que ceux du Père : le 
Père est dans le Fils et réciproquement : on leur 
adresse à tous deux des prières : ils ne sont qu'un 

\, s front., VII, 3, col. 409, 412; V, i, col. 9. 
a. AdumbsationeB, P. G., IX, col. 73i; STAEaLBS,III, |). aïO. 
3 Strom., V, 3, col. 33; VII, 2, col. 408. 
. 4. Cohori., X, «ol. 226. 
5. Strom., VII, 2, col. 408. 



GLÉMEm' D'ALEXANDRIE ET ORTGKSE. 287 

même Dieu^. Clément pousse si loin l'expression de 
leur unité qu'il semble toucher parfois au modalisme^. 

Et cependant on a cru apercevoir dans ses çEruvres 
des traces de subordinatianisme. Car il n'adopte pas 
seulement vis-à-vis du Fils les appellations que Philon 
donnait au Verbe, mais il déclare que la nature (<pu<m) 
du Fils est la plus proche de celui qui est seul tout- 
puissant, que le Fils peut être démontre et connu, 
tandis que le Père n'est ni connaissahle ni démon- 
trable^. Bien plus, à en croire Pho tins*, Clément au- 
rait compté le Fils parmi les créatures; et il est vrai 
que, dans les ouvrages de Clément, on trouve à ce 
sujet quelques expressions impropres^. Elles peuvent 
s'expliquer cependant et ne détruisent pas l'impres- 
sion qui résulte de l'ensemble de sa doctrine. Il est 
fort douteux qu'il ait été vraiment subordînatien. 

De l'Esprit-Saint notre docteur ne dit rien de spécial 
et qui ne se rencontre déjà dans FÉcriture*. A signa- 
ler seulement le passage où fl nomme le Fils et le 
Saint-Esprit « primitivae virtutes ac primo creatae, 
immobiles existentes secundum substantiam^ », 

Le Verbe est, comme on l'a vu, l'agent immédiat 
de la création. Clément entend cette création au sens 
strict : ni l'esprit ni la matière ne sont étemels^; il 



i. "Ev yàp a[i(pw, é ôsôç {Paed., I, 8, col. 325); Paed., 1,7, col. 31-2-, 
ni, 42, col. 680, 6»l; Strom., V, 6, col. 6î>; Vn, i% col. 500, SOi. 

2. Paed., I, 8, col. 333, 336. 

3. Strom., VII, 2, col. 498; IV, 23, col. -1360. 

4. Codex 109. RuOii d'Aquilée signale aussi dans l'oeuvre de Clément 
des passages daas ce sens; mais il les strppose interpolés (Epilogus in 
Apologetîc. S. Pamphili, édit. d'Origène de Lommatzscïi, XXV, 387). 

5. Strom., Y, 14, col. 132; YI, 7, col. 2-78; Adumbratianes, col. 733, 
736. 

6. Cohorf., VIII, col. 18», 18^; Strom., ÏY, 26, col. 1373; VH, 2, col. 413i 
VII, 14, col. 351, etc. 

7. Admnbraiiones, col. 735, 736. Staehlik, IH» p. 211. Le maXweatae 
ne doit pas s'entendre au sens strict. 

8. Strom., V,li, col. 136, 140. 



288 LA THÉOLOGIE ANTÉNICÉENNE. 

ne semble pas même avoir enseigné, comme plus tard 
Origène, une préexistence des âmes'. Mais, en re- 
vanche, il est trichotomiste. L'homme possède en lui 
deux âmes, l'une charnelle et sensible (aapxixov Trveïï|ji.«), 
l'autre raisonnable et dirigeante (XoytffTixov xai ^fEir-oyinôv) , 
qui n'est pas engendrée avec le corps 2. A celle-ci 
appartient la liberté, car Dieu a voulu que l'homme 
contribuât à se sauver lui-même : -^{xaç Bï èl f,(Awv aù-rwv 
6ouX«ai owÇecOai^ . 

Ni le corps n'est essentiellement mauvais, ni l'âme 
essentiellement bonne : le péché est donc notre fait, 
mais un fait qui nous est naturel et commun : le Logos 
seul est sans péché '. Du péché originel Clément ne 
parle nulle part explicitement. Il connaît sans doute la 
désobéissance de nos premiers parents, et paraît sup- 
poser que leur faute a consisté en partie à s'unir par 
le mariage plus tôt que Dieu ne le leur avait permis. Il 
admet encore qu'A.dam a donné aux hommes par son 
péché un exemple qu'ils n'imitent que trop ; que nous 
avons été viciés par sa faute; mais il ne précise pas 
davantage son enseignement ^. 

C'est pour nous délivrer du péché que le Verbe s'est 
incarné^. Bien que notre auteur, préoccupé de la 
connaissance de Dieu apportée par Jésus-Christ, envi- 
sage surtout en celui-ci l'élément divin et invisible de 
son être, il n'ignore pas cependant ni ne méconnaît son 
humanité, ni le rôle qu'elle a joué dans l'œuvre du salut. 



1. Strom., m, 13, col. U93; IV, 26, col. 1373-1377. Voir cependant 
Quis dives salvetur,S3, col. 640; Strom., vn, 2, col. 413. 

2. Strom., VI, 6, col. 273 ; VI, 16, col. 360. 

3. Strom., VI, 12, col. 317 ; VI, 16, col. 360; IV, 21, col. 1341 ; II, 15, col. 
1000; VII, 7, col. 4G8. 

4. Strom., II, 13, col. 1000, 1004; IV, 26, col. 1373, d377; Paed., HI, 12, 
col. 672; cLCohort., XI, col. 228. 

fJ. Strom., III, 17, col. 1205; III, 14, col. 1193, 1196; Cohort., XI, col. 
aaS; Adumbr. in epist. ludae, col 733. 
6. Cohort., XI, col. 228, 229. 



CLÉMENT D'ALEXANDRIE ET ORIGENE. 289 

Le Verbe s'est donc incarné, s'est engendré en quel- 
que sorte lui-même dans son incarnation, est né de 
David, d'une vierge : le Verbe incarné est Jésus- 
Christ : ô Xo'yo; ô XpuTTo';^. , 

Photius a accusé Clément de docétisme^. L'accusa- 
tion n'est que partiellement vraie. Clément repousse 
au contraire le docétisme proprement dit : il admet 
en Jésus-Christ un corps réel, un sang matériel, une 
humanité passible^; mais il pense que son corps était 
affranchi des nécessités ordinaires et naturelles du 
boire et du manger, et son âme des mouvements des 
passions (àTtaôriç TTjv '^ux^v), de la tristesse et de la 
joie. Il rapporte même, sans la désapprouver, une 
tradition qui représentait la chair du Sauveur comme 
impalpable et n'offrant au toucher aucune résistance'*. 
" En somme, notre auteur reconnaît bien en Jésus- 
Christ deux natures : l'unique Logos est à la fois Dieu 
et homme : '0 Xoyoç, ô (aovo; ajjicpo), ôeoçTS xal avôpojiroç : il 
est l'Homme-Dieu (ô àvôptoTtoç 6eoç) qui nous est utile et 
comme Dieu et comme homme ^. Mais, d'autre part. 
Clément le regarde évidemment comme une seule per- 
sonne dont la personnalité réside dans le Verbe. Les 
exemples de communication d'idiomes sont fréquents 
dans ses œuvres, et il suppose que l'union hyposta- 
tique a persévéré même pendant le triduum mortis : 
« Le Verbe vivant et enseveli avec le Christ est exalté 
avec Dieu^. » 

1. Cohort., I, col. 60, 6l ; XI, col. 228, 229; Strom., V, 3, col. 33; V, U, 
col. 161; Paed., I, 6, col. 300; ni, i, col. 556. 

2. Biblioth., cod. 109. 

3. Strom., III, 17, col. 1203, 1208; VI, 9, col. 292; VII, 17, col. 533, 
V,6, col. 58; Paed., 1,2, col. 252; 1,6, col. 301; 11,-2, col. 409; III, 1, col- 
557; Quis dives salvetur, 37, col. 641. 

4. Strom., VI, 9, col. 292; cf. III, 17, col. 1161, 1164; Paed., I, 2, col. 
232; Adumbrat. in I loann., 1, 1, col. 733; Staehlin, III, p. 210. 

3, Cohort., I, col. 61 ; Paed., III, 1, col. 557 ; I, 3, col. 237 ; cf. 1, 2, col. 252. 
6. Cohort., II, col. 97; Paed., I, 5, col. 277, 280; I, 6, col. 301 ; Cohort.^ 
X, col. 224. 

LA THÉOLOGIE ANTÉNICÉENNE. — T. !• 17 



230 LA THÉOLOGIE AOTÉNICÉENNE. 

Quant à l'œuvre de Jésus-Christ, elle est pour Clé- 
ment une œuvre de révélation et d'enseignement : 
Jésus-Christ est notre docteur et notre maître, notre 
vrai pédagogue * . Mais elle est aussi une œuvre de ré- 
demption et de réconciliation. Jésus-Christ a donné 
son âme pour chacun de nous : il est notre rançon 
(XuTpov lotoTov IttiSiSouç); il est propitiation pour nos 
péchés (îXaff(jio; }, victime immolée (6Xo>cap7ro)aa, ôvîfxa) 
dont le sang nous rachète et nous réconcilie avec Dieu"^. 

A ce salut qu'il a apporté Jésus-Christ nous appelle 
tous; à nous de lui répondre ^ On lui répond d'abord 
par la foi. Qu'est-ce que la foi? Clément en parle 
souvent, mais n'en donne nulle part une définition 
précise. 11 la considère comme étant, en général, 
une appréciation favorable et une admission antici- 
pée de ce qui sera l'objet d'une intelligente compré- 
hension. Puis, appliquant celte notion aux vérités re- 
ligieuses, il en tire l'idée de la foi proprement dite"*. 
De la foi, ajoute-t-il, naissent l'espérance, qui est l'at- 
tente de la possession du bien, la crainte et la pénitence 
qui nous conduisent à la charité et à la science (ifâiz-fi 
x«l f^bicsKi) ^. La foi ainsi entendue est '.«jxùç eiç conripiav 
xat SuvafjLtç stç Çor/jv attovtov, mais .elle ne doit point se sépa- 
rer de l'accomplissement des divins commandements ; 
et, si elle suffit au salut, elle n'est cependant que le 
commencement de la connaissance de Dieu et de la 
perfection chrétienne. Au-dessus d'elle se place la 
gnose ^. 

1. Cohort^XIy col. 229, 232; xn, col. 240; Paed., I, 6, col. 280; Strom., 
VII, 10, col. 480. 

3. Quis dives salvelur, 37; Paed., III, 12. col. 677; Strom., V,H, col. 
408 ; Cohort., X, col. 228. 

3. Strom., II, 6, col. S60, 961. 

4. Strom., II, 6, col. 964; II, 12, col. 992; II, 2, col. 940. 

5. Strom., Il, 6, col. 961, 963. 

6. Strom., II, 6, col. 961 ; II, 12, col. 992 ; V, 1, col. 2i ; VI, 14 ,col. 329; 
Paed., l, 6, col. 283. 



CLÉMENT D'ALEXANDRIE ET ORiGÈiSE. 291 

Nous touchons ici à l'un des points les plus impor- 
tants de la doctrine de Clément d'Alexandrie. Nul 
doute qu'il n'ait divisé les chrétiens en deux catégories, 
ceux qui se contentent de la foi commune (xoivi^ Trt'ffTtç) ? 
et ceux qui s'élèvent jusqu'à la gnose ; mais il a d'ail- 1 
leurs expressément condamné l'erreur qui regarderait 
cette division comme la conséquence d'une différence 
de nature entre les hommes*. Loin de s'exclure, ces 
deux états sont au contraire intimement joints. La > 
gnose suppose la foi, et la foi contient en germe la 1 
gnose, puisqu'elle en est le fondement, et que la vie de 
charité, qui est celle du gnostique, n'est que le déve- 
loppement de la vie de foi qui est celle du simple 
croyant ^. 

Qu'est-ce donc au juste que le gnostique chrétien? 
Clément en a tracé en plusieurs endroits, notamment 
au Stromate vii^ (10-14), un portrait idéal où il est aisé de 
relever deux traits principaux. D'abord le gnostique a 
une connaissance et comme une intuition des vérités 
que la foi nous fait admettre sans nous en révéler le con- 
tenu : il a l'intelligence [ima-z-^u.-/]) de Dieu et à.es choses / 
divines en général, de l'homme, de sa nature, de la 
vertu, du souverain bien, de l'univers et de son ori- 
gine : les (? grands mystères », dont les petits ne sont 
qu'une préparation, lui sont révélés ^. Puis, le gnos- 
tique mène une vie parfaite, caractérisée par la pra- / 
tique de deux vertus, l'une stoïcienne, l'autre chré- 
tienne. La première est l'insensibilité (dTra&sia) : le 



1. Paed.y 1, 6, col. 288, 293. 

2. Paed., I, 6, -col. 280 suîv. « Ne l'oublions jamais, pour Clément, 
cette superstructure exégétique a pour base la foi contenue dans fa 
tradition ecclésiastique. L'enseignement du Ciirist est vraiment l'uni- 
que et nécessaire fondement, et il n'y a de gnose recerable que celle 
que Clément appelle èxxXYiata'jTixri yvôctç » (Batiffol, L'Égl. naiss., 
p. 311). 

3. Strom., V, H, col. 108; VI, 8, col. 289; VI, 10, col. 300; VII, 8, col. 421. 



292 LA THÉOLOGIE ANTÉNICÉENNE. 

gnostique a déraciné en lui toute passion, tout désir, 
tout le sensible de sa nature : aussi n'a-t-il que faire 
des vertus inférieures nécessaires pour la lutte; il est 
inébranlable aux événements et inaccessible aux émo- 
tions : c'est le philosophe idéal du Portique^. La se- 
conde vertu est la charité {àfâizri) : elle est comme le 
principe qui dirige et féconde toute la vie du gnostique. 
La charité le fait souffrir pour l'Eglise et travailler 
à la conversion des âmes ; lui fait aimer ses ennemis, 
pardonner les injures et endurer le martyre. Le 
gnostique prie sans cesse et partout, et sa prière 
est parfaite, soumise qu'elle est toujours à la volonté 
de Dieu 2. 

En somme, dans la foi et la gnose, comme il est aisé 
de s'en rendre compte. Clément a simplement marqué 
les deux degrés de la vie chrétienne, celui de la vie 
commune, et celui de la perfection. Son originalité a 
consisté, d'une part, à introduire dans l'idée de la per- 
fection Télément intellectuel et platonicien de la con- 
naissance, — le gnostique est parfait en doctrine et 
en conduite, — et, de l'autre, à introduire dans son 
élément moral la pratique de la vertu stoïcienne de 
l'apathie. On saisit ici sur le fait les deux influences, 
philosophique et chrétienne, qui se sont exercées sur 
son esprit, et qui se sont traduites dans son enseigne- 
ment. 

Ainsi attiré vers les problèmes de la vie intérieure, 
intellectuelle et morale des chrétiens. Clément s'est 
relativement moins occupé du côté extérieur de l'É- 
glise, de son organisation hiérarchique et de ses rites, 
beaucoup plus cependant qu'on ne l'a dit quelque- 
fois. Il a surtout fortement opposé l'Eglise, la plus 

i. Slrom., VI, 9, coL 292 suiv. 

2. Strotn., I, 2, col. 709; IV, 4, col. 122>, 1228; IV, 9, COl. i28i, 1283 ; Vïl, 
i, col. 405; VU, 7, col. 449, 456; VII, 9, Col. 477; VII, 12, col. 496 501. 



CLEMENT D'ALEXANDRIE ET ORIGENE. 293 

ancienne Église, l'Église fondée par les apôtres, aux 
schismes et aux hérésies qui déchirent son unité et 
troublent sa foi^. Ces hérésies enseignent autre chose 
que n'ont enseigné nos pères ; mais « nous devenons 
parfaits (dans la connaissance) quand nous sommes 
l'Église, avec le Christ pour chef ^ ». Les païens sont 
dans l'ignorance, ceux qui suivent les hérésies sont 
dans l'opinion (otT^aEi), l'Église la véridique est dans 
la science (Itukttviixyi) 3. Et c'est pourquoi, tandis que les 
hérésies ont erré, c'est « dans la vérité unique et dans 
la vieille Église qu'est la gnose la plus exacte et l'hé- 
résie réellement la meilleure ■* ». Hors de cette Église 
il n'y a ni baptême légitime, ni martyre profitable, ni 
salut possible ^. D'autre part. Clément partage nette- 
ment les fidèles de l'Église en clercs et laïcs, et parmi 
les premiers distingue les évêques, les prêtres et les 
diacres ^. Le Quis dives saluetur fournit même, en 
faveur de la primauté de saint Pierre, un texte clas- 
sique : cet apôtre est « l'élu, le choisi, le premier des 
disciples (ô TrpwToç twv [jr.aO-/iTwv) pour qui seul, avec lui- 
même, le Sauveur a payé le tribut ' ». 

Le baptême est une nouvelle naissance (àvaY£vv/]aii;), 
nous fait enfants de Dieu, parfaits, immortels : c'est un 
sceau (fftppaYÎç), une illumination ((pt6Ti(T(ji.a) , un bain (XouTpov) 
qui efface les péchés et les peines qui leur sont dues^. 

L'eucharistie suit le baptême. Clément a été présenté, 

4. Paed., I, 5, col. 269; Strom., VII, 17. 

2. Paed., I, 5, col, £09, 272. 

3. Strom., Vir, 46, col. 540. 

4. Strom., VII, 45, col. 328. Le mot aïpETiç est pris évidemment ici au 
sens de choix doctrinal. 

5. Strom., I, 19, col. 613; IV, 9, col. 1281; IV, 12, col. 1293; Paed., II, 
10, col. 529. 

6. Paed., III, 11, col. 677; Strom., III, 12, col. 1180, 1189; VI, 13, col. 
328. 

7. Quis dives salvetur, 21, col. 625. 

8. Paed.jl, 6, col. 280, 281; Strom., II, 13, col. 996; Quis dives salv., 
39, coL 644. 



294 LA THÉOLOGIE ANTÉNICÉENNE. 

par la critique protestante en général, comme n'ad- 
mettant pas la présence réelle et substantielle du corps 
et du sang de Jésus-Christ dans Teucharistie. Et il est 
vrai que l'habitude d'allégoriser dont il ne se défend 
pas assez a pu, dans une certaine mesure, faire pren- 
dre le change sur sa vraie pensée. Mais c'est une 
méprise K Clément rapproche l'eucharistie du baptême, 
et condamne les hérétiques (encratites) qui ne se ser- 
vaient que de pain et d'eau pour la -Trpocçopa eucharis- 
tique ^. D'après ses textes, le pain et le vin, aliment 
sanctifié, offerts par Melchisédec, étaient la figure de 
l'eucharistie ^ ; cette eucharistie ne peut être reçue que 
par ceux qui en sont dignes ^. Le Christ donne au 
chrétien du pain qui est lui-même, et celui qui y goûte 
ne fait plus l'expérience de la mort; chaque jour aussi 
le Christ se donne au chrétien en breuvage d'immor- 
talité^. « Boire le sang de Jésus c'est participer à l'in- 
corruptibilité du Seigneur... Le mélange des deux, 
savoir du vin et du Verbe, est appelé eucharistie, grâce 
vénérable et belle. Ceux qui, selon la foi, y participent 
sont sanctifiés corps et âme, la volonté du Père mêlant 
mystérieusement le divin mélange, l'homme à l'Esprit 
et au Verbe ^. » Tout ce langage montre bien, encore que 
l'expression en soit parfois rudimentaire, que Clément 
ne méconnaît pas, pour parler comme lui, le canon 
eucharistique de l'Église'. Les autres passages, où il 
présente la connaissance plus parfaite du Sauveur et 

1. Voir ici P. Batiffol, L'Eucharistie, S* édit,, p. 248 et suiv. 

2. S«J-om., I, 49, col. 8!^. 

R. Strom., IV, 2.", col. 1369. 

4. Strom., I, 1, col. 692. 

5. Quis dives salveiur, 23, col. 628; Staehlin, III, 173 : 'Eyw (le Christ) 
ffou xposeO;, âptov èitau-ov gi^îou;, o5 Yeu<râiJ.£voî oûSel; êxi %€ïpa.H 
OavâTO'J ).a[j.oâv£i, v.ai îroaa y.aO' -/ialpav ÈvStSoùç àSavaffta;. 

6. Paed; II, 2, col. 409. 412. L'Esprit ici est la divinité même du Verbe, 
comme l'indique le contexte. 

7. Strom., I, 19, col. 813. 



CLÉMENT D'ALEXANDRIE ET ORIGÈNE. 295 

sa doctrine comme .un pain et un vin, comme la chair 
et le sang de Jésus, reproduisent en partie le langage 
des faux gnostiques, et n'ont aucun rapport avec l'eu- 
charistie 1. 

Clément d'Alexandrie paraît comprendre la pénitence 
à peu près comme Hermas. Après avoir rapporté les 
paroles du Pasteur sur l'unique pénitence possible 
après le baptême, il s'efforce de montrer qu'elle doit 
suffire, et quel désordre ce serait de la répéter sou- 
vent^. Il ne s'agit ici, bien entendu, que de la pénitence 
officielle, car les châtiments que Dieu envoie au chré- 
tien pécheur ont d'ailleurs, observe-t-il, pour but de 
l'amender, et Dieu est toujours prêt à accueillir le pé- 
cheur 3. Remarquons en outre que l'Eglise d'Alexan- 
drie ne paraît pas avoir connu, au temps de Clément, 
de réserve par rapport à la réconciliation des homi- 
cides. Cela résulte de l'histoire du jeune homme con- 
verti par saint Jean, rapportée par notre auteur dans le 
Quis dives salvetur, 42. 

Clément a-t-il jamais composé l'écrit Ilepl àvaorTacewç 
qu'il annonçait dans son Pédagogue (i, 6, col. 305 ; ii, 
10, col. 521) ? Nous l'ignorons. Il est certain seulement 
que dans les ouvrages qui restent de lui il enseigne 
ou suppose la résurrection de la chair'*. Sur le mille- 
nium son silence est complet. Mais il admet que les 
âmes pécheresses seront, après la mort, sanctifiées 
(éyiaÇsiv) par un feu intelligent, et que les scélérats 
seront punis également par le feu^. Le châtiment de 

\. Voir, par exemple, Paed.., I, 5, col. 268; II, 3, col. 424; Qids dives 
salvelur, 29, col. 633, 636. Au Paed., I, 6, coi. 301, plusieurs auteurs ce- 
pendamt voient l'eucharistie. 

2. Slrom., U, i3, col. 993, 996. 

3. Strom., IV, a4, col. -1363; Quis dives salv., 38, 39, col. 644, Staehlin, 
m, 18S. 

4. Paed., I, 6, col. 284 j I, 4, col. 260. 

8. Strom., VII, 6, col. 449; V, 14, coL, 133. C'est rindice d'une croyanc« 
au purgatoire. 



296 LA THÉOLOGIE ANTÉNICÉENNE. 

ces derniers sera-t-il éternel? Il ne le dit pas assez 
nettement. Au Stromate vu, 2 (col. 416), les peines dont 
parle Clément, et qui suivent le jugement définitif, 
forcent les délinquants au repentir. Cette même idée 
revient au chapitre 12 (col. 508); et au chapitre 16 
(col. 541), l'auteur émet le principe que Dieu ne punit 
pas, mais corrige seulement, c'est-à-dire que tout 
châtiment de sa part est médicinal ^ . Si l'on songe 
qu'Origène, pour conclure à Vapocatastasis, devait 
partir du même principe, il y a des chances pour que 
Clément l'ait entendu de la même façon. 

Quoi qu'il en soit, notre docteur ajoute que, de leur 
côté, les élus seront reçus dans une des trois de- 
meures signifiées par les chiffres trente, soixante, 
cent de la parabole de la semence {Matth,, xiii, 8) ^. Au 
gnostique seul est donné ce que l'œil n'a pas vu, ce 
que l'oreille n'a pas entendu, ce qui n'est pas monté 
au cœur de l'homme. Il entrera dans la demeure de 
Dieu, pour le contempler dans une lumière immuable 
et éternelle ^. 



S 2. — Origène*. 

L'Orient n'a pas connu de théologien qui ait exercé 
une influence plus profonde qu'Origène. Homme vrai- 



1. Cf. Strom., YI, 14, col. 329, 332, 

2. Strom., YI, 14, co!. 33T; IV, 18, col. 1321. 

3. Slrom., IV, 18, col. 1321; VU, 10, col. 481; YH, 11, COl. 496. 

4. L'édition citée est celle de Delaroe-Lommatzsch, Berolini, 1831-1848. 
Mais là où les textes sont plus dilïîciîes à trouver, j'ai noté, avec le 
looie et la page de Lommatzsch, le lome et la colonne de la Patroîogie 
grecque de Migne (XI-XVII). — Travaux : Huet, Oriyeniana, Rouen, 
1668. E. R. Redepenning, Origenes, Bonn, 1841-1846. F. Prat, Origène, 
l'aris, 1907. J. Denis, De la philosophie d'Origène, Paris, 1884. Ch. Bigg, 
The Christian Plalonists of Alexandria, Oxford, 1886. L. Atzberger, 
Geschichte der chrisllichen Eschatologie innerhalb àer vornic&nischen 
Zeit, Freiburg im Breisgau, 1896. W. Fairweather, Origen and greeck 



CLEMENT D'ALEXANDRIE ET ORIGENE. 297 

ment universel et qui a possédé toute la science de son 
temps, bien qu'il n'en ait pas fouillé également toutes 
les parties, âme essentiellement droite et sincère, 
esprit hardi, regardant toujours la difficulté bien en 
face et ne la dissimulant jamais, sachant douter et 
n'imposant pas son opinion dans les questions qu'il 
croyait libres, capable de synthèse et de vues d'en- 
semble bien que son érudition fût prodigieuse dans les 
détails, il a été, dit Bigg^, « le premier grand profes- 
seur, le premier grand prédicateur, le premier grand 
écrivain en matière de spiritualité, le premier grand 
commentateur, le premier grand dogmaticien » qu'ait 
eu l'Église. Grand philosophe il ne l'a pas été. Il a 
connu très bien toutes les philosophies de l'antiquité 
et s'en est servi ; mais il n'a été lui-même à ce point de 
vue ni original ni créateur 2. 

C'est dans le IlEpi àp^wv, écrit en 228-231, qu'Origène 
s'est efforcé de résumer et de réduire en système toute 
sa doctrine : ce livre est comme la première somme que 
l'Eglise ait connue. L'intention de l'auteur a été d'y 

patrislîc theology, New-York, 1901. F. Harreii, Die Trinitâtslehre des 
Kirclienlehrers Origenes, Regensburg, I80S. Ksittel, Des Origenes Lehre 
von der Menschwerdung des Sohnes Golles, dans la Theolog. Quarlal- 
.schr-, tom. LIV, 13"2. M.Lang, Ueber der Leiblichkeit des Vernunftwesen 
bei Origenes, Leipzis, 1892. C. Klein, Die Freiheitslehre des Origenes, 
Strassburg, iS9i. G. Capitaine, De Origenis ethica,Uona.st. Gneslph., 1898. 
G- AsRiCH, Kleviens und Origenes als Begrànder der Lehre von Fegfeuer, 
'riibingen, 1902. G. Bordes, L'apologétique d'Origène d'après le Contra 
Celsum, Caliors, 1900. A. Zoellig, Die Inspirationslehre des Origenet, 
Freiburg im Br., 1C02. 

i. The Christian Platonists of Alexandria, p. H5. 

2. Origène a eu de grands admfrateurs et de grands ennemis, et, à 
part quelques points sur lesquels ils s'accordent, les critiques ont tou- 
jours été partagés dans le jugement qu'ils portent sur ses doctrines. 
Ce désaccord, qui a commencé du vivant de l'auteur, persévère encore. 
De nos jours, Bardenhewer, par exemple, se montre sévère à son en- 
droit et s'appuie volontiers sur saint Jérôme. Le P. Prat, au contraire, 
l'excuse le plus souvent en s'appuyant sur les tsxles. Les textes, en 
effet, pourraient trancher la question :mais nous ne les avons pas tous, 
et l'on sait qu'un certain nombre de ceux que nous possédons ont été 
corrigés. 

17. 



298 LA THEOLOGIE ANTENICÉENNE. 

donner, en dehors de toute polémique, une synthèse 
de nos croyances : « ... sériera quamdam et corpus ex 
horum omnium ratione perfîcere, ut manifestis et 
necessariis assertionibus de singulis quibusque quid 
sit in vero rimetur, et unum, ut disimus, corpus 
officiât' ». A côté du De principiis, ii faut signaler, 
comme sources principales de la théologie d'Origène, 
ses Commentarii in Evangelium loannis (228-238), le 
Contra Celsum (246-248) et le De Oratione (233-234). 
La base de cette théologie, nous déclare-t-il, est la 
prédication ecclésiastique, le symbole tel que l'Ég-lise 
le développe et l'explique, car dans la multiplicité des 
opinions et des erreurs qui surgissent de toutes parts, 
c'est là qu'il faut chercher la vérité 2. Quel est cet en- 
seignement de l'Eglise? Origène l'expose au livre 
premier du De principiis (Praef., 4-10). Il y distingue 
des doctrines certaines, unanimement professées et 
prêchées, et d'autres qui ne sont pas énoncées « mani- 
festa praedicatione ». Parmi les premières il faut 
mettre un Dieu unique, créateur, auteur des deux Tes- 
taments, juste et bon à la fois; — Jésus-Christ né du 
Père avant toute créature, et son ministre dans la 
création. Dieu lui-même, qui s'est fait homme et s'est 
incarné tout en restant Dieu, qui a pris un corps sem- 
blable au nôtre, mais qui est né de la Vierge et du 
Saint-Esprit ; qui est vraiment né, a vraiment souffert, 



\. De princip., I, Praef., 40. A part quelques fragments conservés en 
grec, nous n'avons raall'.eureuseinent du De principiis qu'une traduc- 
tion latine faite par Ruiin en 398, et où-celui-ci s'est elforcé de pallier 
ce que le texte original oifrait d'incorrect surtout au point de vue Irini- 
taire. Une traduction latine littérale de saint Jérôme a presque entière- 
ment péri. 

2. « Cum multi sint qui se putant sentire quae Christi sunt, et nonnuUi 
eorum diversa a prioribus sentiant, servetur vero ecclesiastica praedi- 
catio per successionis ordinem ab apostolis tradiia et usquead pracsens 
in ccclesiis permanens; illa sola credcnda est veritas quae in nullo ab 
ecclesiastica et apostolica discordât traditione • {De princ, I, praef., 2)- 



CLEMENT D'ALEXANDRIE ET ORIGENE. 299 

qui est vraiment mort, ressuscité et monté au ciel; — 
le Saint-Esprit, associé en honneur et en dignité an 
Père et au Fils, inspirateur de l'Ancien et du Nouveau 
Testament (4). Puis l'âme, son immortalité, la récom- 
pense ou le châtiment « igni aeterno » qui lui est des- 
tiné après la mort suivant ses œuvres ; la résurrection 
du corps, la liberté humaine, la lutte de l'âme contre 
le diable et ses anges (5); l'existence par conséquent 
de ce diable et de ses anges (6). 11 y faut ajouter la 
création du monde, son commencement dans le 
temps, sa ruine future (7) ; l'inspiration des Écritures 
et le fait qu'elles ont un double sens, apparent et secret 
(spirituel, 8) ; enfin l'existence des bons anges dont Dieu 
emploie les services pour le salut des hommes (10). — 
Au contraire, parmi les questions qui ne sont pas pleine- 
ment élucidées Origène mentionne les suivantes : le 
Saint-Esprit est-il engendré ou non (saint Jérôme a 
traduit « est-il fait ou non ») ? Est-il ou non lui aussi 
Fils de Dieu (4) ? L'âme vient-elle « ex seminis traduce » 
ou autrement (5) ? Les démons sont-ils des anges dé- 
chus (6)? Qu'y avait-il avant le monde actuel et qu'y 
aura-t-il après lui (7) ? Dieu et les esprits sont-ils àdcojAaTa 
et dans quel sens(8, 9)? Quand les anges ont-ils été 
créés, que sont-ils et quel est leur état? Enfin les astres 
sont-ils ou non animés (10) ? 

Cette double énumération est instructive, et la dis- 
tinction faite par Origène des vérités définitivement 
acquises et de celles au sujet desquelles on discute 
encore est capitale. Les premières, remarque-t-il , sont 
les vérités que les apôtres ont jugé nécessaire d'en- 
seigner manifestement à tous, « etiam his qui pigriores 
erga inquisitionem divinae scientiae videbantur » ; les 
autres sont celles dont ils ont abandonné la recherche 
aux « studiosiores », « qui Spiritus dona excellentia 
mererentur etpraecipue sermonis sapientiae et scientiae 



300 LA THÉOLOGIE ANTÉNICÉENNE. 

gratiam per ipsum Spiritum sanctum percepissent » (i, 
Praef., 3). De certaines choses ils ont dit « quia sint », 
ce qui suffit aux simples fidèles, laissant aux plus 
zélés le soin de trouver « quomodo aut unde sint » 
[ibid.]. Dans ce domaine s'exercera la sagacité du 
théologien et de l'exégète. 

L'enseignement de l'Eglise, en effet, doit être justifié 
et complété soit par l'Écriture soit par une saine phi- 
losophie'. L'Écriture sainte est la première source de 
la théologie : l'Écriture, c'est-à-dire les paroles de 
Jésus-Christ, non pas seulement celles qu'il a pro- 
noncées étant homme, mais encore celles que, Verbe 
de Dieu, il a prononcées par Moyse et les prophètes ^. 
Origène est en effet le théologien par excellence de 
l'Écriture : c'est toujours elle qu'il s'efforce d'expli- 
quer, sur elle qu'il s'appuie, à elle qu'il demande ses 
solutions, et l'on sait quels immenses travaux il avait 
entrepris sur le texte sacré. 

Or cette Ecriture, continue- t-il, contient un triple 
sens, correspondant àla composition même de l'homme : 
un sens somatique ou littéral, un sens psychique ou 
moral, un sens pneumatique ou spirituel. Le premier 
est le « communis et historialis intellectus » : il suffit 
pour l'édification des « simpliciores» ; le second est pour 
l'édification de ceux qui progressent; enfin le troi- 
sième, « lex spiritualis », est pour l'édification des^par- 
faits^. Ces deux derniers sens ne se distinguent pas 
toujours aisément l'un de l'autre. On voit cependant 
d'une manière générale et par les exemples que donne 
Origène, que le sens psychique ou moral est celui qui 
s'applique aux relations de l'âme individuelle et par- 

•1. De princip., I, Praef., 10. 

2. De princip., I, Praef., i. 

3. De princip., IV, H ; cf. In Levitic, hom. V, i, Lom.,IX, 239; P. G., 
XU, 447. 



CLÉMENT D'ALEXANDRIE ET ORIGÈNE. 301 

ticulière avec Dieu et la loi morale ; tandis que le sens 
spirituel a une portée plus vaste, et s'applique aux 
mystères, à l'Eglise universelle et à son histoire, au 
monde à venir et au ciel. 

Est-ce à dire que tous les passages de l'Écriture 
sont susceptibles d'être expliqués dans ce triple sens? 
Non : et il en est notamment que Ton ne saurait en- 
tendre dans le sens littéral^ . Dieu les a jetés en quelque 
sorte sous nos pas pour nous faire souvenir que les 
Livres saints ont une signification plus haute. Ces pas- 
sages ne se rencontrent pas seulement dans l'Ancien 
Testament ; les évangiles et les écrits apostoliques en 
contiennent aussi. Origène en donne des exemples ; 
mais il se défend d'ailleurs de réduire ainsi à néant le 
sens historique et littéral de l'Ecriture ; car ces cas, 
ajoute-i-il, ne sont évidemment que des exceptions : 
« A nobis evidenter decernitur in quam plurimis ser- 
vari et posse et oportere historiae veritatem^. » 

Comment justifiait-il cet allégorisme? — D'abord 
par l'impossibilité pratique de prendre à la lettre cer- 
tains récits de l'Écriture; ensuite par l'autorité et 
l'exemple de saint PauP; mais il se le justifiait à lui- 
même par une raison plus générale, à savoir que toute 
la nature visible n'est au fond qu'un immense sym- 
bole du monde invisible, et chaque individu la repré- 
sentation d'une idée ou d'un fait suprasensiblc*. De 
même que l'homme a été créé à l'image de Dieu, ainsi 
chaque être l'a été comme l'image d'une réalité supé- 
rieure. La foule, incapable d'atteindre à ces réalités, 



1. 11 faut dire, à la décharge d'Origène, qu'il entend souvent le mot 
littéral dans un sens beaucoup plus étroit que nous. V. Bardenhewer, 
Geseh. der altchr. Lit., n, 125. 

2. De princ, IV, 15-19. 

3. De princ, IV, 13. 

4. In Çantic. canticor., lib. ni, vers. 9, Lom., XV, 48; P. G., XIII, 
Ï73, 174; In Levit., hom. V, 1, Lom., IX, 239; P. G., XII, 447. 



302 LA THEOLOGIE ANTÉNICEENNE. 

doit accepter les symboles qui la mettent indirecte- 
ment en rapport avec elles ; mais il appartient au chré- 
tien parfait de traverser ces figures et d'aller jusqu'aux 
mystères qu'elles recouvrent. 

Conception très haute, on le voit, mais extrêmement 
dangereuse; car elle permettait d'écarter, sous pré- 
texte de sens plus profond, la lettre des Écritures, 
d'en conserver ou d'en sacrifier, à son gré, la partie 
historique, et finalement de substituer sa fantaisie à 
la règle de la foi. 

La seconde source où devait puiser Origène pour 
expliquer et féconder l'enseignement ecclésiastique, 
est la philosophie, toute espèce de philosophie, car 
Origène, comme Clément, repoussait seulement les 
systèmes qui nient Dieu et la Providence ^ Il admettait 
que les philosophes ont appris par révélation quelques- 
unes au moins des belles choses qu'ils ont dites, qu'ils 
sont souvent d'accord avec la loi de Dieu 2, que celle- 
ci complète leurs affirmations ; mais il est moins en- 
thousiaste pour eux que ne l'était Clément. Il les cite 
moins souvent, et leur reproche d'avoir commis des 
erreurs, toléré l'idolâtrie, de ne s'être adressés qu'à une 
élite, et d'avoir manqué d'autorité pour instruire les 
âmes^. Il a senti, semblc-t-il, l'inanité des efforts 
tentés avant lui pour tirer de la philosophie la corro- 
boration ou l'éclaircissement des dogmes, et aussi 
travaille-t-ii à se pénétrer de ses méthodes et de son 
esprit plutôt qu'il ne fait état de ses enseignements. 
C'est par là qu'Origène est profondément philosophe : 
par la tournure de son esprit inquiet et chercheur, 
par son amour de la spéculation, par la hardiesse 



1. s. Gr.ÉGOiRË LE TOAUMATURGE, l7i Origeii. orat. panegyr., 13j iii 

2. Contra Cels.,y, 3; In Gènes., hom. XIV, 3. 

3. C. Cels., Y, 43î VU, 47; VI, 2; In Gènes., hom. XTV, 3; S. Grég. ie 
Thaumat., In Orig. orat. paneg., 14. 



CLÉMENT D'ALEXANDRIE ET ORIGÈNE. 303 

avec laquelle il ose raisonner même dans les pro- 
blèmes surnaturels ; et par là s'explique ce jugement 
de Porphyre qu'Origène vivait en chrétien, mais qu'il 
pensait en grec, et qu'il avait introduit les idées grec- 
ques dans les mythes des autres peuples ^ . 

Car d'ailleurs on se tromperait en croyant que les 
c'onclusions proprement dogmatiques d'Origène ont 
été sérieusement influencées par la philosophie parti- 
culière qu'il avait étudiée. Bien qu'élève, vers 210, 
d'Ammonius Saccas, le fondateur de l'école néo-pla- 
tonicienne, et condisciple de Plotin, l'auteur des Ën- 
néades, notre auteur n'est pas, à vrai dire, néoplato- 
nicien. Il a plus reçu du milieu général des idées que 
d'un système portant un nom ; et si la philosophie pla- 
tonicienne, telle qu'elle était comprise à Alexandrie 
au début du iii^ siècle, a déteint sur lui, c'est qu'il en 
a surtout apprécié les tendances et l'esprit plus qu'il 
n'en a adopté les doctrines^. 

Tels sont les principes qui ont guidé Origène dans 
l'exposé de sa théologie. On va voir comment il les a 
mis en œuvre. 

Son Dieu, comme celui de Clément, est le Dieu 
quelque peu abstrait du platonisme. 11 est iTrIxetva t^ç 
oùcrîaç, ex omni parte fxova;, et ut ita dicam Ivaç... in- 
comprehensibilis, inaéstimabilis, impassibilis, dTcpoa- 
Serjç ^. L'homme cependant peut naturellement le con- 
naître, et dans la mesure où il s'affranchit de la 
matière''. Cette monade est d'ailleurs Tpiaç ou tri- 



1. EcsÈBE, Hist. eccles., VI, 19, 7. 

2. Harnack, Lehrb. der DG., I, 8-23 suiv. N'oublions pas que le néo- 
platonisme ne se constitua que plus tard en corps de doctrine, et que 
les Ennéades de Plotin, qui en sont comme le manuel, ne parurent 
qu'en 2C9, seize ans après la mort d'Origène. 

3. <J. Cals., VI, 64; In loann., XIX, 1, Lom., II, 149-, P. G., XIV, 533; 
Deprincip., 1, 1, S, 6; II, 4, 4; III, 5, 2. 

4. Deprinc, I, 1, 7. 



^04 LA THÉOLOGIE ANTÉNICÉENNE. 

jiitas : elle contient trois hypostases, le Père, le Fils 
et l'Esprit-Saint ' . 

Le second terme de cette trinité est donc le Verbe 
ou le Fils. Il est bien remarquable qu'Origène, vou- 
lant en traiter, part du Verbe incarné, de Jésus- 
Christ, tel que le présente le symbole. Sa doctrine 
peut, du reste, se résumer en trois mots : le Verbe est 
Dieu et distinct du Père, éternellement engendré, con- 
substantiel au Père. 

Rappelons d'abord qu'Origène avait connu le moda- 
lisme à Rome, et ne cessa de le combattre en affirmant 
la distinction réelle du Fils d'avec le Père. 11 y a des 
gens, dit-il, qui regardent le Père et le Fils comme 
n'étant pas numériquement distincts (àpiQ^x^), mais 
comme étant un, ev, oô (;ovov oôaia èXkh. xai &7roxEi,uév({), et 
comme divers seulement xaxa Tivaç iTrivotaç, oô xaTa 
&7ro'(jTa(jtv2. Origène enseigne au contraire que etepoç 
xa6' ôuoxei{/,evov Iffxiv & uièç tou Trarpo;; qu'il y a Suo uiro- 
uTocffeiç, 8uo 17) uTToaTaffEt 7rpaY(J!.aTa ^. 

Or le Fils, ainsi réellement distinct du Père, n'est 
pas créé, mais engendré, et de toute éternité. Ce der- 
nier point est un de ceux qu'Origène a le mieux mis 
en relief : « Non enim dicimus, sicut haeretici putant, 
partem aliquam substantiae Dei in filium versam, aut 
-ex nuUis substantibus filium procreatum a pâtre, id 
est extra substantiam suam, ut fuerit aliquando quando 

1. 'HuEïç [lévioi Y£ Tpeï; Cinoffxàc-eiç Treiôdfxevot Tuy^âveiv, tov îtaTe'pa, 
y.al Tûv utov, v.cà lo àyiov Trveûfxa %x\. In loann.. Il, 6 (Lom., 1, 109, HO; 
P. G., XIV, 128); VI, 17 (Lom., I, 227; P. G., XIV, 2o7); In Isaiam, hom. 
-I, 4; IV, 1. 

2. In loann., X, 21 (Lom., I, 350; P. G., XIV, 376) ; II, 2 (Lom.,I, 92; 
P. G., XIV, 108, 109). 

3. De oratione, IS; C. Cels., VIII, 12. Sur le sens des mots ouata. 
OiîôoT'itCTi;, ùr.:.7teC|i£vov, Trpôuwjrov dans Origène, voir Prat, Origène, 
p. i'.'.) e* suiv. Origène n'oppose pas direclement (in6axaoii à oOaia, 
mais il a certainement préparé le triomphe de la terminologie cappa- 
•docienne. 



CLEMENT D'ALEXANDRIE ET ORIGENE. 305 

non fuerit, sed abscisso omni sensu corporeo, ex in- 
visibili et incorporeo Verbum et sapientiam genitam 
dicimus absque ulla corporali passione, velut si volun- 
ias procédât a mente ^ » Et réfutant d'avance Arius, il 
va répétant que « non erat quando (Filius) non erat » : 
car le Fils, remarque-t-il, est la splendeur de la lu- 
mière éternelle, et la lumière resplendit nécessaire- 
ment toujours 2. 

Comment se fait cette génération ? Origène vient de 
le dire. Le Fils n'est pas une partie de la substance du 
Père : celui-ci n'a pas détaché de lui son Fils en l'en- 
gendrant, car le Fils n'est pas une prolation (icpoêoXïi^). 
Bien plus, cette génération n'est pas un acte qui ait 
un commencement et une fin : c'est un acte éternel et 
continu comme l'éclat de la lumière qui luit toujours : 
aei YcvvScTai ô (jioT^jp ôtto tou TraTpo'ç. Il ne faut même pas 
parler de temps ni d'éternité, car la Trinité est au- 
dessus de tout cela''. 

Ainsi engendré de la substance du Père, le Fils est 
Dieu non en vertu d'une participation extrinsèque 
(xaTà(/.eTouffiav), mais essentiellement : xaT' ouaiav iaxï 
ÔEoç^ : il est de la substance du Père, il lui est ôfjLoouatoç. 
Le terme se trouve dans Origène, si la traduction sui- 
vante est exacte : 

« Sic et sapientia ex Deo procedens ex ipsa substantia 
Dei generatur. Sic nihilominus et secundum similitudinem 

1. De princip., IV, 28. 

2. In Epist. ad Rom., I, S, Loin,, VI, 22, 23; P. G., XIV, 848, 849; In 
Bpisl. ad Hebr. fragm., Lom., V, 297; P. G., XIV, ■1307. 

3. De princip., IV, 28; hi lerein., liom. IX, 4, Lom., XV, 212; P. G., 
xni, 387; cf. De princ, I, 2, 6; In loann., I, 23, Lom., I, 50; P. G., 
XIV, 65. 

4. Inlerem., hom. IX, 4, Lom., XV, 212; P. G., XHI, 337; Deprinc, IV, 
28. 

5. Selecta in Psahnos, hom. XIII, 134. Il est, comme le Père, aûxo- 
o-oçia, aÙToStxaioffuvY), aù-coaÀr,6£ta, aÙToêaffiXsCa {In Malth., XIV, 7, 
Lom., III, 283; P. G., XIII, H97; cf. In loann., l, 27). 



306 LA THÉOLOGIE ANTÉNICÉENiNE. 

corporalis aporrhoeae esse dicitur aporrhoea gloriae omni- 
potentis pura et sincera. Quae utraeque similitudines ma- 
nifestissime ostendunt communionem substantiae esse filio 
eum pâtre. Aporrhoea enim ôfxooijdtoç videtur, id est unius 
substantiae cum illo corpore ex qiio est vel aporrhoea vel 
vapor^ » 

Origène exclut absolument ici l'anoméisme. Si l'on 
remarque qu'il exclut également plus haut tout par- 
tage de la substance du Père et toute 7cpogoX-4, on en 
conclura (Ju'il admet le consubstantiel strict. 

Au nombre des questions que l'enseignement de 
l'Église n'avait pas tranchées, Origène mettait, on s'en 
souvient, celle du mode de procession du Saint-Esprit : 
Utriim {Spù'itus Sanctus) natus an innatus ^ , çel filius 
etiam Dei ipse habendus sit nec ne. Ce qui le préoc- 
cupe ici n'est pas de savoir si le Saint-Esprit est créé : 
car sur ce point la prédication de l'Eglise n'était pas 
muette, et Origène lui-même n'a jamais sérieusement 
hésité. 11 se plaint qu'il y ait des gens « minora quam 
dignum est de eius (Spiritus) divinitate sentientes » ; il 
ajoute que tout a été fait si ce n'est la nature du Père, 
du Fils et de l'Esprit-Saint, que l'on ne trouve nulle 
part que le Saint-Esprit soit « factura vel creatura » ; 
qu'il est éternel, qu'il ne passe pas de l'ignorance à la 
science, qu'il est associé aux honneurs et à la dignité 
du Père et du Fils et qu'il est saint comme eux^. Enfin 

1. In Epist. ad Hebr. fragm., Lom., V, 299, 100 et XXIV, 338, 3S9; P. 
G., XIV, 1308. Le texte est cité par Pampuile, Apol. pro Origène, Lom., 
XXIV, 3S8. 

2. C'est la traduction de Rufin soit dans le Periarchon, soit dans l'A- 
pologie de Pamphile. S. Jérôme a traduit « utrum factus sit an infec- 
tus ». Le grec devait porter ^ewriTÔ; ^ àyévvïiTOi; ou bien yevyjtôi; i[ 
àyéviTTo;. Le sens étymologique est ditrérent; mais on constate par les 
manuscrits que ces mots s'interchangeaient fréquemment, et qu'on 
les prenait souvent l'un j)our l'autre. Il semble bien, par ce qui va êlre 
dit, que Rufin a mieux traduit ici la pensée d'Origène. 

3. De prîncip., I, praef., 4; I, 3, 3; I, 3, 4; II, 2, 1; II, 7, 3; lY, 
28 ; V, 33 ; In Isaiam, tiom. IV, 1. 



CLÉMENT D'ALEXANDRIE ET ORIGÈNE. 307 

notre auteur a pu être cité par saint Basile comme un 
témoin du dogme contre les pneumatomaques ^ . Mais 
Origène était arrêté par cette affirmation de saint Jean 
que tout a été produit par le moyen du Verbe (Sta), et 
par conséquent par le Père comme auteur principal 
(uTCo). Le Saint-Esprit aurait-il été ainsi produit? Si 
on le nie, il faut dire quele Saint-Esprit est àys^v/iToç. Or 
ce qualificatif ne convient qu'au Père. On doit donc 
confesser « conformément à la piété et à la vérité, que 
tout ayant été produit par le Verbe (oia), le Saint-Es- 
prit est le plus digne et le premier en rang de tous les 
êtres produits par le Père (ôtto) par le moyen du 
Christ ». Et Origène voit dans cette dérivation seule- 
ment médiate du Saint-Esprit du Père, un des carac- 
tères qui différencient son mode de procession de celui 
du Fils. Celui-ci est immédiatement engendré par le 
Père. Le Saint-Esprit vient du Père par le Fils, qui 
lui communique, avec l'être, la sagesse, l'intelligence, 
la justice, etc.; mais il n'est pas pour autant engen- 
dré proprement par le Fils, car la qualité de celui-ci 
d'être Monogène exclut dans la ti-inité toute autre 
filiation ^. C'est la solution à pe# près que donnera 
plus tard saint Grégoire de Nysse. 

Jusqu'ici rien que de correct dans la doctrine trini- 
taire d'Origène. Et cependant l'on sait que saint Épi- 
phane, saint Jérôme, Théophile d'Alexandrie et plus 
tard Justinien l'ont violemment accusé de subordonner 
le Fils au Père etle Saint-Esprit au Fils, et même d'avoir 
été le précurseur des ariens. Ce dernier reproche doit 
être immédiatement écarté ; car il est remarquable que 
les ariens purs n'ont jamais songé à se réclamer d'Ori- 
gène, ou même l'ont attaqué ; et les textes qu'on pourrait 

1. Saint Basile (De Spiritu Sancio, XXIX, 73) cite Inloan., VI, 17, Loin., 
I, 227 ; P. G., XIV, 257. 

2. In loann., Il, 6, Lom. I, 108-110, P. G., XIV, 123-129. 



308 LA THÉOLOGIE ANTÉNICEENNE. 

invoquer pour appuyer ce reproche n'ont vraiment pas 
la portée qu'on leur voudrait donner ^ . L'accusation de 
subordinatianisme est plus sérieuse ; et il est bien cer- 
tain que plusieurs passages des écrits d'Origène ont 
besoin, pour paraître orthodoxes, d'être interprétés 
avec indulgence. Ainsi, le Verbe, dit-il, n'est pas ô ôso'ç 
ni «utoQeo'ç, mais âsôç, Seurspoç ôeo'ç : il n'est pas, comme le 
Père, auToayaôov, àirXwç àyoL^ôq, dcTrapaXXàxTWç (XYaOo;, mais 
seulement atxàv àYaToOïiTo;^ ; il n'est pas absolument 
simple, mais, occupant le milieu entre l'un et le mul- 
tiple, il contient les idées du Père, les types des êtres 
réalisables [cÙGr-ruxa 9ewpr,{jt.aTwv) ^ : il ne connaît pas le 
Père aussi bien qu'il en est connu, et la gloire qu'il en 
reçoit est plus grande que celle qu'il lui rend''. Pareil- 
lement, son action est moins étendue : elle ne s'exerce 
que sur les êtres raisonnables (lui [xova th. Xoyixà)^. 
Bref, il est Dieu, mais sous le Père (ôeov xaxk xov tc5v 
-SXwv Oeov xal Tra-cepa) ^. — Aussi ne doit-on point lui adres- 
ser purement et absolument ses prières. On les lui 
adresse, car il est Dieu, mais afin que, comme pontife, 
il les présente au Père'^. Quant au Saint-Esprit, il est, 
lui aussi, inférieur ai^Père et au Fils ^. Sa sphère d'ac- 
tion est moins étendue que la leur. Celle du Père s'étend 
à tous les êtres, celle du Fils à toutes les créatures in- 
telligentes, celle du Saint-Esprit seulement aux justes : 
ÊTi Se '^TTOv TO TTveujAa TO âyiov Itti fAOvou; Toi)? uyiouç Siïxvou- 

1. KTÎffa; {In loann., I, 22, Lom. I, 40; P. G., XIV, 56); TipcffêûxaTOv 
■TrâvTMv TMV STi(Jt,toupYï]u.âTMV (C. Cels., V, 3"). 

2. C. Cels., V, 39; De princ, I, 2, 13; cf. In loann., VI, 23. 

3. In loann., II, 12; I, 22, Loin., I, 41, 42; P. G., XtV, 56. 

4. De prmc.IV, 33 ;J» loann., XXXII, 18, Lom., II, 473; P. G., XIY,821. 

5. De princ, I, 3,8; cf. I, 3, 8. 

6. C. Ce;*., II, 9; VI, 60. 

7. C. Cels,, V, 4: VIN, 13, 26; De orat.,U, 15. 

•8. In loann., II, 6, Lom., 1, 113; P. G., XIV, 132. 

-9. De princip., l, 3, 5; cf. I, 3, 8. 1 



CLÉMENT D'ALEXANDRIE ET ORIGÈNE. 309 

Il serait trop long, on le comprend, de discuter ici tous 
ces passages et ceux qu'on leur pourrait adjoindre^. 
Mais on n'appuiera pas sur eux un jugement trop sé- 
vère pour l'orthodoxie trinitaire d'Origène, si l'on 
remarque que plusieurs peuvent très bien s'expliquer, 
et sans beaucoup d'effort, d'une façon acceptable; que 
l'incorrection des autres vient plutôt des termes em- 
ployés qu'elle ne tient à la pensée de l'auteur ; qu'il est 
juste enfin, dans le doute, de le faire bénéficier de ses 
déclarations fermes et précises, formulées ailleurs. 
Tous les critiques ont remarqué que, avant le concile 
de Nicée, le langage théologique sur la Trinité était 
imparfait. Celui d'Origène, qui écrivait beaucoup et 
vite, est meilleur que celui de ses devanciers sous cer- 
tains rapports, mais ne pouvait être sans défaut. Dési- 
reux de maintenir contre les modalistes la distinction 
réelle des personnes divines, tout occupé de fournir 
l'explication de textes scripturaires embarrassants, 
engagé à fond dans des discussions épineuses, il lui 
arrive de ne voir devant lui que la vérité particulière 
qu'il veut établir, et de parler comme si elle était la 
vérité totale. Ajoutons qu'il s'est plaint lui-même que 
certains de ses ouvrages eussent "été falsifiés parles 
hérétiques, ou même eussent été publiés par des zéla- 
teurs indiscrets avant qu'il y eût mis la dernière main^. 
Ce sont là des circonstances qui, si elles ne le justifient 
pas complètement, atténuent singulièrement la gravité 
des accusations portées contre lui. 

Nous avons vu qu'Origène, en proclamant l'éternelle 
génération du Verbe, avait anticipé nettement la défi- 
nition nicéenne. On a voulu diminuer son mérite, en 



1. On en trouvera un bon nombre discutés dans F. Prat, Origène, 
p. 50 et Euiv. 

2. RuFiN, De adiilter. libror. Origenis, P. L., XYII, 626 ; S. Jérôme, 
Epist. LXXXIV, 10. 



310 LA THEOLOGIE ANTÉNICEENNE. 

remarquant qu'admettant la création ab aeterno, il 
devait tout naturellement admettre aussi la génération 
éternelle du Logos. Cela est vrai : mais pourtant, 
entre ces deux éternités, celle des créatures et celle du 
Fils, Origène met une différence profonde : 

« Haec enim sola Trinitas est quae omnem sensum 
intellegentiae non solum temporalis verum etiam aeter- 
nalis excedit. Caetera vero quae sunt extra Trinitatem in 
saeculis et in temporibus metienda sunt s. — « Sempiter- 
num vel aeternum proprie dicitur quod neque initium ut 
esset habuit, neque cessare unquam potest esse quod est. 
Hoc autem designatur apud loannem cum dicit quoniam 
Deus lux est. Splendor autem lucis eius sapientia sua est, 
non solum secundum quod lux est, sed et secundum quod 
sempiterna lux est, ita ut aeternus et aeternitatis splendor 
sit sapientia sua, Quod si intègre intellegatur, manifeste 
déclarât quia subsistentia Filii ab ipso Pâtre descendit, sed 
non temporaliter neque ab ullo alio initio, nisi, ut diximus, 
ab ipso Deo ^. » 

Je viens de dire qu'Origène a admis la création ah 
aeterno. C'est un des reproches qu'on lui a faits et qui 
est justifié. L'éternité de la toute-puissance divine lui 
paraît inconciliable avec l'hypothèse d'une durée où 
rien n'aurait existé que Dieu, car la toute-puissance 
ne se conçoit qu'à la condition de s'exercer effective- 
ment sur des êtres réels 2. Des créatures ont donc dû 
toujours exister. Lesquelles? Avant tout des esprits 
(vouç), mais pas des esprits tellement purs cependant 
qu'ils ne fussent unis à des corps éthérés et subtils. 
Car, malgré qu'il trahisse quelque hésitation, notre 
auteur ne pense pas qu'en dehors de la Trinité il puisse 
exister un esprit absolument dégagé de toute matière 
et sans corps ^. 

1. De princip., I, 2, 11 ; IV, 28; cf. II, 9, 2, 

2. De princip., I, 2, 10; cf. III, S, 3, 4. 

3. De princip., I, 6, Il ; II, 2, i, 2; IV, 33, traduct. de S. Jérôme. 



CLÉMENT D'ALEXANDRIE ET ORIGENE. 311 

Ces esprits ont tous été créés égaux en facultés et 
en dons, toutefois ils ont été créés libres. Nous touchons 
ici à l'une des conceptions les plus hardies d'Origène. 

Il avait été frappé de la diversité des conditions physi- 
ques et morales, des aptitudes et des qualités que 
nous remarquons dans le monde ; mais au lieu d'en 
appeler, pour l'expliquer, à la libre volonté de Dieu, 
il en demande l'explication à la liberté créée. Tous 
les esprits avaient été créés égaux, mais, libres, 
ils n'ont pas tous été également fidèles à Dieu, et de 
là sont nées les différences que nous constatons entre 
les êtres intelligents. C'est leur chute, leur xaTaSoV/î, 
qui est proprement la source de l'état actuel de l'uni- 
vers ^ Car, de ces esprits, les uns sont devenus les 
anges, les vertus célestes avec leur hiérarchie, leurs 
degrés et leurs fonctions proportionnés à leur mérite ; 
les autres, se revêtant de matière lumineuse, sont de- 
venus le soleil, la lune et les étoiles ; d'autres encore, 
refroidis par leur éloignement de Dieu, sont devenus 
les âmes des hommes {^^yri, de 4"JX,"' refroidi?') ; d'au- 
tres enfin sont devenus les démons avec leur corps 
plus subtil que celui des hommes, plus lourd que 
celui des anges 2, Mais, de même que le jeu de la li- 
berté a modifié le plan divin primitif et créé l'ordre 
actuel, aussi est-il capable de changer derechef 
et indéfiniment cet ordre. Les esprits peuvent, en 
faisant le bien ou le mal, s'élever ou descendre dans 
l'échelle des êtres, les âmes reconquérir par leur vertu 
l'état d'esprits qu'elles ont perdu, et d'une manière 
générale, un nouveau monde peut commencer après 
la consommation de celui-ci^. 



i. De princip., I, 9, 6 ; lï, 9, S, 6; lU, o, i. 

2. De princip., ï, 8, 1, 2, 4; II, 8, 3 (trad. de S. Jé.rô.'ïîe) ; n, i, l-i; I, 
Praef , 8; ni, 3, 4; C. Cels., I, 3-2, S3; In loann., l, 17. 

3. De princip., lî, 8, 3; UI, C, 3 (trad. de S. Jérôme); cf. C. Ce?s., IV, 



312 LA THEOLOGIE ANTENICÉENNE. 

Le mal a donc été introduit dans le monde par la li- 
berté créée; et bien que la présence de ce mal ne 
brise pas l'harmonie du cosmos et ne soit pas un ar- 
gument contre la bonté de Dieu qui en sait tirer le 
bien, le mal existe ^ Un péché ou même des péchés 
ont été commis par les esprits et les âmes humaines 
avant l'ordre actuel des choses. Est-ce là le péché 
originel? Nous allons voir qu'Origène le met proba- 
blement ailleurs; mais remarquons, en attendant, qu'il 
est très afïirmatif sur le fait que tous les hommes 
sont pécheurs, même l'enfant d'un jour. 11 invoque 
le texte de Job, xiv, 4, 5, d'après les Septante : 
Ti'ç Y^cp xaOapoçIffTat aizo ^utto'j, àXX' ouâeiç, làv )ta\ (Aia rifjspa 
ô pCoç auToû Itci TTfi Y^'îj 6t explique par là le baptême des 
enfants « pro remissione peccatorum », « secundum 
ccclesiae observantiam ^ ». S'agit-il maintenant de dire 
en quoi consiste cette tare et quelle en est l'origine, 
ses hésitations commencent. Dans son commentaire 
sur l'épître aux Romains (v, 9), Origène semble faire 
consister le péché originel dans la faute que les 
âmes ont commise avant leur descente sur la terre, 
alors qu'elles étaient esprits; mais ailleurs et plus 
communément il incline vers une autre hypothèse. 11 
remarque que le mot ^uvro; du Livre de Job désigne 
non pas un péché proprement dit, mais générale- 
ment une souillure : « neque enim id ipsum signifi- 
cant sordes atque peccata^ », Or il est certain que 
toute âme, par le fait seul qu'elle s'unit à un corps, et 

69. Toute cette théorie d'Origène sur les âmes et leur cliute est une de 
ses erreurs qu'il est impossible de pallier. Il faut seulement remarquer 
qu'il ne la présente pas comme un dogme arrêté, mais comme un essai 
d'explication que les théologiens peuvent discuter. 
i. De princip.,ll, 9, 6; C. Cels., IV, 70, 5i; In Numéros, hom. XIV, 2. 

2. In Matth., X, 23; In Levit., VllI, 3 (Loin., IX, 318; P. G., XII, 490): 
Li cpisl. ad Rom., V, 9 (Lom., VI, 397; P. G., XIV, 1043, 1044); /nZ.»- 
cam, hom. XIV (Lom., V, 135; P. G., XIII, 183-4). 

3. In Lucam, hom. XIY, Lom., V, 134; P. G., XIII, 1834. 



CLÉMENT D'ALEXANDRIE ET ORIGENE. 313^ 

dans celte union même, contracte une souillure : 
« Quaecumque anima in carne nascitur iniquitatis et 
peccati sorde poUuitur^ » Tout enfant apporte donc 
en naissant cette souiJJure, et c'est en elle qu'Origène 
est disposé à voir le péché d'origine. Mainte- 
nant, d'où vient que la chair souille ainsi l'âme qui 
s'unit à elle? Notre auteur en indique la cause quand 
il remarque qu'Adam n'ayant commencé à engendrer 
qu'après son péché, notre corps par lui-même est un 
corps de péché, et encore, que tous les hommes se 
trouvant contenus dans les flancs d'Adam vivant dans 
l'Éden, ils ont tous été avec lui et en lui (cum ipso et 
in ipso) expulsés du paradis terrestre, c'est-à-dire 
subissent tous les suites du péché d'Adam ^. Origène 
nous présente ainsi une théorie bien près d'être suffi- 
sante du péché originel : il en fournit, en toute hypo- 
thèse, les éléments, quoiqu'il ne les ait pas assez 
rapprochés ni liés ensemble. 

Mais si la souillure native est un fait universel, il faut 
malheureusement constater aussi comme un fait uni- 
versel que l'homme suit ses mauvaises inclinations, et 
commet journellement le mal : irpoç to àfjLap-ravstv -KEm- 
xaixsv 3. Sous l'influence de la concupiscence, des mau- 
vais exemples et du démon, le péché s'enracine, se 
multiplie et envahit tout en nous''. 

C'est pour expier ce péché que Jésus-Christ est venu 
au monde. Son âme, créée dès le principe avec les au- 
tres esprits, était seule restée absolument fidèle à Dieu, 
et, unie d'abord moralement au Logos par son libre 

1. In Levitic, vm, 3; InLucam, hom. XIV, Lom., V,13i; P. G., XIJI, 
1334; C. Cela., VU, SO. 

2. In Rom., y, 9 (Lom., VI, 397; P. G., XIV, 4047) ; V, 1 (Lom., VI, 326; 
P. G., XiV, 1009, 1010). 

3. C. Cels., III, 66; III, 62; In Roman., I, 1, Lom., VI, 14; P. G., XIV, 
840. 

4. Deprincip.,m, 2, 2; C. Cels., III, 69. 

18 



314 LA THÉOLOGIE ANTEWECEENNE. 

choix, elle avait vu cette union se transformer, par une 
longue habitude éa bien, en une seconde nature et 
acquérir une immuable fixité ^ Pour nous sauver, le 
Logos s'unit plus- intimement à cette âme, et par l'in- 
termédiaire de l'âme ^, s'unit à un corps, mais à un 
corps beau et parfait, puisque chaque âme a le corps 
qu'elle a mérité et qui convient au rôle qu'elle doit 
remplir^. Jésus naît d'une vierge; sa naissance est 
réelle; il prend nos faiblesses, nos infirmités, notre 
passibilité ; il accepte nos passions légitimes et tout ce 
qui est de rame raisonnable-'. Le docétisme aussi 
bien que l'apollinarisme futur sont écartés par Ori- 
gène, encore qu'il retienne du premier quelques restes 
insignifiants qui ne méritent pas- d'être relevés^. 

Jésus-Christ est, et reste donc vraiment homme dans 
l'Incarnation ; d'autre part, le Verbe n'y change pas non 
plus, ne perd rien de ce qu'il était : ir, ouata (jlsvwv 
Xo'yoç •» : il s'ensuit que dans le Sauveur il. y a deux na- 
tures : il est Dreii et homme, Deus^ homo : « Aliud est 
in Christo deitatis eius natura, quod est unigenitus 
filius Patris, et alia humana natura quam in novissimis 
temporibus pro dispensatione suscepit '^. » Mais s'il y 
a deux natures, il n'y a qu'un seul être :; « Carie Verbe 
de Dieu, surtout après la dispensation, est devenu un 
(É'v) avec l'âme et le corps de Jésus. » Jésus est auvôexov 
Ti x.p^[xa ^, S'efforçant de définir de plus près cette 
union, Origène la compare à celle du fer et du feu dans 

1. De princip., H, 6, 8, 6. 

2. De princip., Il, G, 3. 

3. C. Cels., VJ, 7.S-77; 1,32, 33. 

4. C. Cels., I, 34, 35, 37, 69; II, 69; III, 23; II, 23; I, 66; II, 9; De prin- 
cip., IV, 31. 

5. C. Cels., VI, 77; II, 64, 63; cf. III, 41, 48. 

6. C. Cels., IV, 13; VU, 17;YIII, 42; Inloann., XXVIII, 14, Lom. 11,334; 
P. G., XIV, 720. 

7. De princip., I, 2, 1 ; II, 6, 2, 3; C. Cels., VII, 17. 

8. C. Cels., II, 9 ; I, 66. 



CLÉMENT D'ALEXANDRIE ET ORIGÈNE. 315 

le ier rougi, et ajoute (d'ailleurs que le corps et l'âme 
ne sont pas seulement associés au Verbe (xoivwvta), 
mais lui sont joinls par une union et un mélange (évwcrst 
x«l âvaxpdcffsi) qui les a rendus participants de la divinité 
et les a transformés en Dieu (eiç 6£ov [AerotgsêTixévai) * . 
Eaq)ressions trop fortes évidemment, et qui doivent se 
corriger par ce qui est dit plus haut, mais qui montrent 
l'idée <jue l'auteur se fait, et qu'il essaie de traduire, de 
l'unité de Jésus-Christ. Il la traduit encore'par la com- 
munication des idiomes dont il n'use pas seulement, 
mais dont il a été le premier ùformuler la loi et à mon- 
trer, dans l'union hypostatique, la raison d'être ^. 

L'œuvre terrestre du Christ a été envisagée par 
Origène à peu près sous tous ses aspects, et il a eu 
l'occasion, dans ses immenses commentaires, d'en 
mettre en lumière tous les résultats, Jésus-Christ est 
notre législateur, le Moyse de la nouvelle loi : il a 
paru comme le docteur des justes, comme le médecin 
des pécheurs, comme un modèle de perfection dont 
l'imitation nous conduit à la participation de la vie 
divine^; mais il a paru surtout comme notre rédemp- 
teur et la victime pour nos péchés ''. 

Origène a conçu sous une double forme l'acte libé- 
rateur 'de Jésus-Christ. Dans un certain nombre de 
passages, il y voit une rédemption, un rachat propre- 
ment dit. Par le péché nous avons été livrés au démon, 
nous sommes devenus ses esclaves au sens antique, 
sa propriété. Pour nous racheter, Jésus-Christ donne 
au démon sa propre vie, son âme, lui-même comme 
notre rançon, le prix dont il nous paie (àvTdt)iXay(Aa) : 

1. C- Cels., III, 41; De princip., II, 6, 6. 

2. De princip., If, C, 3; IV 31. 

3. C. Cels., ni, 7; IV, 22, 3-2; II, 52, 75; III, 62; I, 63; VIII, 17, 56; De 
princip., IV, 31. 

4. Sur la sotériologie d'Origcne, voir J. Rivièbï:, Le dogme de la Ré- 
demption, Paris, -1903, p. 133-141, 377-381. 



316 LA THÉOLOGIE ANTÉNICÉENNE. 

« A qui [Jésus] a-t-il donné son âme en rançon pour 
un grand nombre? Pas à Dieu assurément. Ne serait- 
ce donc pas au malin [esprit]? Car celui-ci était maître 
de nous jusqu'à ce que pour nous la rançon lui fût li- 
vrée, à savoir l'âme de Jésus ^. » C'est la théorie juri- 
dique des droits du démon sous sa forme la moins 
heureuse. — Puis à côté et parallèlement, notre au- 
teur développe la théorie de la suhstitutio vicaria et 
du sacrifice propitiatoire. Jésus-Christ s'est substitué 
à nous : il est notre chef moral qui a pris sur lui nos 
péchés : « Peccata generis humani imposuit super 
caput suum : ipse (lesus) est enim caput corporis 
«cclesiae suae^. » Portant ainsi nos péchés, il a souf- 
fert pour nous librement et parce qu'il l'a voulu ^. Yrai 
prêtre, il a offert à son Père un vrai sacrifice de pro- 
pitiation dont il est lui-même la victime : « quo scilicet 
per hostiam sui corporis propitium hominibus faceret 
Deum... secundum hoc ergo quod hostia est, profu- 
sione sanguinis sui propitiatio efficitur in co quod dat 
Temissionem praecedentium delictorum'' ». Ainsi Dieu 
et le démon ont reçu chacun ce qui leur était dû. 

Cette rédemption de Jésus a été universelle; non 
•seulement tous les hommes, jusqu'à la fin du monde, 
trouvent en lui leur sauveur, mais sa vertu dépasse 
les bornes de notre terre : elle s'étend à tous les êtres 
raisonnables quels qu'ils soient qui ont besoin d'être 
•rachetés : ou [^.ôvov &irèp àvôpwTCtov ('It,(Toui;} àicéOavev, àXXà 
«ai uTièp Twv XotTTwv XoYixSiv^. 

1. In Matth., XVI, 8 (Lom., IV, ST; P. G., XUI, 1397); XII, 28; C. Cels., 
I, 31; In Rom., IV, H (Lom., VI, 308; P. G., XIV, 1000); In Exod., M, 9 
(Lom., IX, 68; P. G., XII, 3i6); Eschort. ad martyr., 12; C. Cels., Vllf, 
27, 54, 64. 

2. In Levit., liom. I, 3; In loann., XXVIII, 14, Lom., II, 353; P. G., 
XIV, 720, 721. 

3. C. Cels., l, 54; II, 44; VII, 57. 

4. In Epist. ad Rom., HI, 8, Lom., VI, 205, 213; P. G., XIV, 94G, 950; 
■cf. In Numéros, hoiD. XXIV, l.Lom., X, 292, 293, suiv.; P.G.,xn,7.-)6,7.'i7. 

5. In loann., I, 40, Lom., I, 79; P. G., XIV, 93 ; Iti Matth., XllI, 8, Lom., 



CLÉMENT D'ALEXANDRIE ET ORIGÈNE. 317 

11 appartient à la liberté humaine de mettre à profit 
cette rédemption que Jésus nous a apportée. On a vu 
avec quelle énergie Origène affirme l'existence de cette 
liberté, et comment il la rend responsable même de 
notre situation actuelle. Le péché ne l'a pas sup- 
primée : c'est librement que nous allons à Dieu ou que 
nous nous perdons. Non pas que nous puissions nous 
passer, dans nos bonnes œuvres, du secours de Dieu : 
la grâce en est, au contraire, le principe indispensable; 
mais cependant tout dépend de nous comme tout 
dépend d'elle : Dieu et l'homme doivent travailler 
ensemble. Le grand docteur a trouvé, pour exprimer 
cette union nécessaire, des formules définitives et que 
l'on croirait de plus tardive époque : « E duobus unus 
effici débet intellectus, id est, ut neque quae in nostro 
arbitrio sunt putemus sine adiutorio Dei effici posse, 
neque ea quae in manu Dei sunt putemus absque nostris 
actibus et studiis et proposito consummari*. » 

Ainsi, la foi elle-même vient de Dieu (ouvàfxei tiv\ ôei'a) ; 
mais elle ne se conçoit qu'accompagnée de bonnes 
œuvres et de la pratique des vertus qu'elle inspire. 
C'est à cette condition seulement qu'elle nous justifie^. 
Et cependant, même alors, elle n'est aux yeux d'Ori- 
gène que le degré inférieur de la vie chrétienne. Au- 
dessus de la foi il y a la science (yvôlaiç), car « suivant 

m, 227; p. G., Xin, 1116; De princîp., III, S, 6; C. Ceîs., VU, 17. C'est ce 
qui a fait accuser Origène d'avoir enseigné que Jésus était mort pour 
les démons. 

1. De princip., II[, i, 2-2. Et encore : « Non sufficit ad perficiendam 
salutem sola voluntas humana, nec idoneus est mortalis cursus ad 
consequenda caelestia et ad capiendam palmam suprcmae vocationis 
IJei in Christo lesu, nisi liaec ipsa voluntas nostra bona, promptumque 
propositum et quaecumque illa in nobis esse potest industrie divino 
vel iuvetur vel muniatur auxilio... ita etiam nostra perfectio non qui- 
dem nobis cessantibus et otiosis efficitur, nec tamen consummatio 
eius nobis, sed Dec, qui est pvima et praecipua causa operis adscri- 
betur « (De princip., IIL 1, 18). 

2. C. Cels., Ylll, 53, III, 69- "'t, '2; Li loann., XIX, 6, Lom,, II, 190; 
P. G., XIV, 569; In Levit., II, 4; XII, 3; Lom., IX, 389; P. G , XII, 662. 

18. 



318 LA THÉOLOGIE ANTËNIGEENNE. 

notre doctrine aussi, il est bien mieux d'être con- 
vaincu de nos dogmes par la raison et la science que 
par la simple foi^ ». Le disciple de Clément a recueilli 
ici la doctrine de son maître. Avec moins d'insistance, 
il partage comme lui les chrétiens en deux classes, et, 
comme lui, introduit dans le concept du gnostique un 
élément ascétique et moral rigoureux. Celui-ci prati- 
quera la continence et la virginité, la séparation du 
monde et la retraite 2. 

Origène toutefois, nous l'avons déjà remarqué, ma- 
nifeste partout des préoccupations plus ecclésiasti- 
ques, si l'on peut parler ainsi, que celles de Clément; 
et c'est pourquoi ses renseignements sur le christia- 
nisme pratique et sur le culte sont plus abondants et 
plus précis. L'Église, nous dit-il, est la cité de Dieu'. 
En dehors d'elle, il n'y a pas de salufc possible "*. 
Le baptême reniet les péchés, tout péché ^; et comme 
les petits enfants eux-mêmes sont pécheurs, l'Église 
le leur administre, selon qu'elle en a reçu la tradition 
des apôtres^. Le martyre ou baptême de sang peut le 
suppléer cependant, et même est supérieur au baptême 
d'eau '^. 

Mais le baptisé peut retomber dans le péché : quels 
remèdes lui reste-t-il alors? Origène en énumère six 
qui le peuvent guérir, le martyre, l'aumône, le par- 
don des torts qu'il a subis, le zèle pour la conversion 

1. C. CeU., I, 13; In MaWi., XH, IS, Lom., III, 1S8, 139; P. G., XIII, 
1017. 

2. C. Gels., I, 2G; VII, 48; VIII, bS; J»Xeuf<., XI, 1. 

3. C. Cels., III, 30. Sur l'ecclésiologie d'Origène, voir P. Batiffol, L'É- 
glise naissante, p. 358 et suiv. 

4. » Nemo seipsum decipiat : extra hanc domum, id est, extra Ecclcsiam 
nemo salvatnr. Nam si quis foris exierit, mortis suae ipse fit reus • (/» 
libr, lesu Nave. hom. I!I, o, Lom., XI, 34; P. G., XII, 841, 842). 

5. Inloann., VI, 17, Lom., 1,227; P.G., XIV, 237; In MaUh.,xy ,-2^, etc. 

6. In Rom., Y, 9, Lom., YI, 397; P. G., XIV, 1047; In Lucam, kom. XIV, 
Lom., V, 135 ; P. G., XIII, 183b ; In Levit., VIII, 3. 

7. Exhort. ad martyr., 30, 34, 50 



OLÉMfiNT D'ALEXANDRIE ET ORIGENK. 319 

des pécheurs, l'amour de Dieu et enfin la pénitence'. 
Sa doctrine sur ce dernier point est fort riche el inlé- 
ressante à étudier'*, 

Origène affirme d'abord nettement le pouvoir de lier 
et de délier qui appartient « à ceux qui président dans 
l'Eglise », le pouvoir des clefs que revendiquent les 
évêques^. La première démarche du pécheur qui veut 
se réconcilier doit être de leur confesser ses fautes : 
« cum non erubescit (peccator) sacerdoti Domini indi- 
care peccatum suum et quaerere medieinam'' ». « Con- 
sequens enim est ut... etiam ministri et sacerdotes 
ecclesiae peccata populi accipiant, et ipsi, imitan- 
tes magistrum, remissionem peccatorum populo tri- 
buant^. » Seulement — et ceci est important — Origène 
suppose que cette confession se fait d'abord en secret, 
et que ce n'est pas nécessairement l'évêque qui la 
reçoit. Le texte de la deuxième homélie sur le Psaume 
XXXVII est ici capital : 

« Quonidm iniquitatem meampronuntio. Pronuntiationem 
Iniquitatis, id est confessionem peccati frequentius diximus. 
Vide ergo quid edocet nos scriptura divina, quia oportet 
peccatum non celare intrinsecus... Taiitummodo circum- 
spice diligentius oui debeas confiteri peccatum tuum.Proba 

1. InLeviiic, II, 4, Lom.,IX, 191; P. G., XII, 418. 

2. Sur la pénitence dans Origène, voir A. d'âlès, L'Édit de Calliste, 
Paris, 1914, p. 232 et suiv., et les auteurs qu'il indique p. 233-257. 

3. In ludices, homil. II, 5 (Lom., XI, 2'J4; P. G., XII, 961); Jn Matth., 
tom. XII, 14 (Lom., m, 156; P. G., XIIT, 101-2-1013). A propos de ce der- 
nier passage, on s'est demandé si Origène ne faisait pas de la rectitude 
de vie dans les évêques et pasteurs la condition de la validité des sacre- 
ments qu'ils administraient : « S'il est lui-même lié des liens de ses 
fautes, dit Origène en parlant de l'évêque, c'est en vain qu'il lie et délie ». 
^'affirmative est soutenue par plusieurs auteurs (HoU, Poschmann). 
D'autres n'osent aller jusqu'à tirer cette conséquence. 

4. In Levitic.,.11, 4; Lom., IX, 192, 193; P. G., XII, 418. 

8. In Levitic, V, 3, Lom., IX, 2i6; P. G., XII, 451. Cf. In Lucam, homil. 
XYII (Lom., V, 150; P. G., XIII, 1846); InNumer., homil. X,l (Lom., X, 
96; P. G., XII, 637, 638); InPsalm. XXXVI, homil. I, 8 (Lom., XII, 163, 
166;P. G.,XII, 1328). 



320 LA THEOLOGIE ANTENICEENNE. 

prius medicum, cui debeas causam languoris exponere, qui 
sciât infirmari cum infirmante, flere cum flente, qui con- 
dolendi et compatiendi noverit disciplinam, ut ita demum, 
si quid ille dixerit, qui se prius et eruditum medicum os- 
"tenderit et misericordem, si quid consilii dederit, facias et 
sequaris, si intellexerit et praeviderit talem esse languorem 
-tuum qui in conventu totius ecclesiae exponi debeat et cu- 
rari, ex quo fortassis et ceteri aedificari poterunt, et tu ipse 
facile sanari, multa hoc deliberatione, et satis perito medici 
illius consilio procurandum est*. » 

Le confesseur, qui peut être un simple prêtre, puis- 
que le pénitent doit le choisir, reçoit l'aveu secret du 
pénitent et décide s'il y a lieu à pénitence publique. 

Tous les péchés en effet doivent être expiés par les 
larmes et les macérations 2, mais tous ne doivent pas 
^tre traités de Ja même façon. Origène distingue entre 
Jes fautes mortelles ordinaires [eulpae mortales) et 
les crimina mortalia (Tupoç ôavaxov), à savoir l'idolâtrie, 
l'adultère et la fornication et l'homicide volontaire^. 
Des premières* on peut toujours recevoir la pénitence 



d. InPsalm. XXXVII, homil. II, 6,Lom., xn,266,267; P. G., XU,1386. 
Le P. B. Kurtscheid {Das Beichtsîegel, Freiburg im Br., 1912, p. 6-9) croit 
■que, dans ce texte et dans celui de l'Iiomolie VIII, 10 sur le Lévitique 
(Lom., IX, 328, 329; P. G., XII, 502), Origène demande pour certains 
péchés la confession publique. Mais non. Le texte de l'homélie VIII, 10 
peut parfaitement s'entendre de la pénitence (ou satisfaction) publique 
-ou plénière, qu'il ne faut pas confondre avec la confession publique. 
Quant au texte sur le psaume, il dit le contraire. Car Origène y sup- 
-pose évidemment deux aveux. Le premier, l'aveu proprement sacra- 
mentel, est secret : le second aveu (gui in conventu totius ecclesiae 
exponi debeat), à supposer qu'il ne s'agisse pas d'un simple aveu vir- 
tuel impliqué dans le fait de la pénitence publique, n'est plus l'aveu 
-sacramentel : c'est une partie de la pénitence. Voir ce que j'ai écrit 
à ce sujet dans ma petite brochure, Le sacrement de Pénitence dans 
l'antiquité chrétienne, Paris, 1914, p. SH, 36 (Collecl. Science et Reli- 
gion). 

2. Sur cette expiation voir les détails donnés par Origène, In Levit.y 
II, 4, Lom., IX, 193, 194; P.O., XII, 418. 

3. In Levit., XY, 2 (Lom., IX, 424, 423 ; P. G., XII, 860, 861) ; De oratione, 
i» (Lom., XVII, 241, 243; P. G., XI, 528, 829). 

4. Origène en indique vaguement la nature : la faute mortelle est 



CLÉMENT D'ALEXANDRIE ET ORIGÈNE. 321 

et obtenir le pardon : « Ista vero communia (crimina) 
quae fréquenter incurrimus semper paenitentiam reci- 
piunt et sine intermissione redimuntur^ ». La péni- 
tence pour ces fautes est probablement privée ou 
secrète et, semble-t-il, renouvelable 2. Pour les crimina 
mortalia Origène leur accorde la pénitence, mais une 
seule pénitence (ecclésiastique) possible : « Quod et si 
aliquis est qui forte praeventus est in huiuscemodi 
peccatis (ad mortem), admonitus nunc verbo Dei ad 
auxilium confugiat paenitentiae, ut si semel admisit 
secundo non faciat, aut si et secundo aut etiam tertio 
praeventus est, ultra non addat^ ». « In gravioribus 
enim criminibus semel tantum paenitentiae concedi- 
tur locus"'. » D'autre part, c'est à ces fautes évidem- 
ment, au moins quand elles ont un caractère public et 
scandaleux, que notre auteur réserve la pénitence pu- 
blique dont il a été question ci-dessus. Les simples 
fautes mortelles seront donc expiées privément et 
pourront être plusieurs fois pardonnées : les pécliés 
ad mortem devront être en principe publiquement 
expiés et ne pourront être pardonnes (par l'Église) 
qu'une fois^. 

celle « quae non in crimine morlall, non in blasphemia lidei... sed vel 
in sermonis vel in morum vitio consistât » (In Levit., XY, 2). 
i. In Levitic, XV, 2. Lom., IX, 423; P. G., Xir, 5G1. 

2. C'est ia conclusion qui résulte de l'opposilion des mots semel et 
semper qui caractérisent dans la même phrase, le premier la pénitence 
des crimina mortalia, le second celle des ciilpae mortales. ■< In gra- 
vioribus enim criminibus semel tantum paenitentiae conceditur locus : 
ista vero communia, quae fréquenter incurrimus, semper paeniten- 
tiam recipiunt, et sine intermissione redimuntur. » 

3. In Levilic, XI, 2, Lom., IX, 380, 381 ; P. G., XII, 533. 

4. In Levitic, XV, 2, Lom., IX, 425; P. G., XII, 561. 

5. Cette formule me paraît assez bien résumer la pensée d'Origène. 
Dans le détail, certains textes prêtent à difficulté. Ainsi dans In loan., 
11,6 (Lom., 1, 1H;P. G., XIV, 129) et XXVIII, 13 (Lom., II, 344; P. G., XIV, 
713), Origène parait nier généralement la rémissibilité des pécliés 
commis par les chrétiens; mais il s'agit là évidemment de ràçE^tç 
âiiapTiôJv, de ce mode de rémission f;icile, propre au baptême. Ailleurs, 
In Matth., Co7nmentar. séries, iM aoro., v, 17, 18; P. G., XIII, 1763) 



322 LA. THÉOLOGIE ilNTENICEENNE. 

Les mêmes raisons qui ont fait accuser Clément 
d'Alexandrie de n'admettre dans l'eucharistie qu'une 
présence spirituelle et en vertu du corps et du sang de 
Jésus-Christ ont fait accuser Origène d'une erreur sem- 
blable. A qui cependant voudra bien faire dans ses 
écrits le départ de ce qui est langage littéral et de ce 
qui est interprétation allégorique sa doctrine eucha- 
ristique apparaîtra sinon complète et toujours heureu- 
sement exprimée, du moins exacte et conforme au 
fond à celle de Justin et d'Irénée^ 

Origène enseigne en effet qu'au chrétien qui monte 
au cénacle avec Jésus-Christ pour fêter la Pâque, 
celui-ci « donne le calice de la nouvelle alliance, il 
lui donne aussi le pain de l'eulogie : il lui donne son 
corps et son sang'^ » ; que nous mangeons les pains 
offerts avec action de grâces et prières ([xst' tif/açiG-ziac 
xai sùy^^ç... irpooraYOfAsvouç) et qui « sont devenus corps 
par la prière, quelque chose de saint et qui sanctifie 
ceux qui en usent avec un sain propos^ ». Il loue les 

et De oratione, 28 (Lom., XVII, 241, 243; P. G., XI, 528, 529), il semble 
nier la rémissibilité par l'Église des péchés ad mortem, et en particu- 
lier de l'apostasie consciente et formelle. A ces passages cependant on 
peut opposer, outre ceux qui ont été cités dans le texte, les suivants ; 
Z»Leoa.,VIH,10(Lom.,IX, 3-28,329 ;P, G., XïJ, SOS); In Psalm, XXXVII, 
homil.1,1 (Lom., XII, 239; P. G., XII, 1370, 1371) ; In lerem., homil. XIX, 
9 (Lom., XV, 382-384; P. G., XIIï, .^21) ; In loan., XXVIII, 6 (Lom., II, 322- 
32i; P. G., XIV, 696); C. Celsum, III, 51, où Origène suppose ou dit 
expressément que les péchés contre Dieu et contre la foi, les péchés 
de la chair, fornicatioa et inceste, l'apostasie des chrétiens, peuvent 
être et sont pardonnes par l'Église. Un seul texte, à vrai dire, celui du 
De oratione, 28, ne paraît pas avoir reçu jusqu'ici d'explication directe 
pleinement satisfaisante; mais en supposant même qu'il traduise, 
dans sa signification obvie, la pensée d'Origène, ce texte, écrit en 232- 
236, ne traduirait pas sa pensée définitive, puisque tous les autres — 
sauf peut-être In loan., XXVIII, 6 — lui sont postéi4eurs en date. 

1. Sur la doctrine eucharistique d'Origène, voir P. B&tiffol, L'Eitcha- 
ristie, p. 262 et suiv. et les auteurs qu'il cite. 

2. In lerem., homil. XIX, 13, édit Klostermakn, p. 169. Le texte de 
Delarue et de Lommatzsch est défectueux. 

3. "ApxQu; è(i8io|x.ev ffûjia -yavoiiÉvouç Sià t^v €Ù%rjv, ayiôv ti xai 
k'H.éXjau Toùç jieTà v>yio^î irpoOéffew; œOTfj) xpwîxévouç (C. Celsum, VIII, 33). 



CLÉMENÏ I>'ALEXANi>RIE ET ORIGÈNE. S23 

fidèles qui, ayant reçu dans leurs maitis le corps du 
Christ dans les saints mystères, veillent avec toute 
espèce de précaution et de vénération à ce que rien 
n'en tombe à terre par leur négligence ^ Gé n'est pas 
assez, et c'est à leur pureté intérieure surtout qu'Ori- 
gène supplie les chrétiens qui communient de veiller. 
Il faut être sain pour recevoir le pain et le calice du 
Seigneur, sinon l'on devient infirm'e et somnolent 2. Il 
en est qui imitent le crime de Judas, et qui trahissent 
les frères « avec qui ils se sont assis à la même table 
du corps du Christ, et ont bu fréqiiemmenli au même 
[calice] de son sang^ »'. A quoi songent-ils donc? 

« ludicium Dei parvipendis, et commonentem te eccle- 
siam despicis? Couimunicare non times corpus Chn'sti 
accedens ad eucharistiam, quasi mundus et purus, quasi 
nihil in te sit indignum, et in his omnibus putas, quod 
effugias iudicium Dei? Non recordaris illud quod scriptum 
est, quia propterea in vobis infirmi, et aegri et dormiunt 
mulîi. Quare multi infirmi? Quoniam non se ipsos diiudi- 
cant, neque se ipsos examinant, nec inteWegunt quid est 
communicare ecclesiae, velquid est accedere ad tanta et 
tam eximia sacramenta* ». 

Voilà sur l'eucharistie la foi de l'Eglise, la croyance 
plus commune (xoivOTspa Tcepl xv;? Bvyjxçiia-ziac; exSo}(7i) ^ que 
professent les simples fidèles et qu'Origène professe 
lui-même. Le pain et le vin sanctifiés « par la parole 
de Dieu et par l'invocation » (oià Xoyou Osoù xa\ Ivteû^ewç)^ 
deviennent le corps et le sang de Jésus-Christ, aliment 



1. In Exodum, homil. xni, 3, Lom., IX, 156; P. G., XIII, 391. 

2. InMatth., tom. X, 2S, Lom., III, 66; P. G., XIII, 904. Cf. Selecta in 
Ezcchicl.yMli 23, Lom., XIV, 202; P. G., XIII, 793. 

3. In Matth., Comvientar. séries, 82, Lom., IV, 413 ; P. G., XIU, 1732. 
' 4. In Psalm.-XXXVn, homil. Il, G, Lom., Xli, 2G8 ; P. G., XIII, 1386. 

n. In loan., XXXII, IG (Preuscuex, 24), Lom., II, 489. 
6. In Matth., XI, 14, Lom., lU, 106; P. G., XIII, 918; 



324 LA THÉOLOGIE ANTÉNICÉENNE. 

saint qui sanctifie celui qui les reçoit avec un cœur 
pur. Qu'après cela Origène, en d'autres passages de 
ses œuvres, use de termes obscurs pour distinguer 
dans l'eucharistie ce qui est sensible (to ôXtxo'v), de ce 
qui est typique, symbolique, sacramentel (to tuttikov), 
de ce qui est produit par la parole prononcée sur le 
pain^ ; qu'il insiste peut-être trop sur le rôle des dis- 
positions du communiant dans l'efficacité du sacre- 
ment-, cela n'efface pas ce qu'il a écrit ailleurs et qui 
complète ce qu'il écrit ici. Surtout, qu'il allégorise, et 
présente le pain et le vin comme des figures de la doc- 
trine de Jésus-Christ^; que les mots corps et sang du 
Sauveur désignent pour lui, par métaphore, la parole 
et l'enseignement du Sauveur^; qu'il ajoute que, en 
un sens, nous buvons le sang du Christ quand nous 
recevons cet enseignement, de même que nous buvons, 
quand nous lisons leurs épîtres, le sang des apôtres ^, 
toutes ces interprétations, fondées ou non et qui sont 
de la gnose chrétienne, n'intéressent pas le dogme 
eucharistique lui-même. Et Origène y retire si peu ses 
affirmations précédentes qu'il les réitère même quand 
il laisse le plus carrière à sa fantaisie. Nous buvons 
le sang du Christ en recevant son enseignement, 
mais d'abord et avant tout au sens réel, « sacramen- 
torura ritu ^ » ; Jésus- Christ a donné à la cène le pain 
et le vin comme symbole de sa parole, mais d'abord il 
avait confessé que le pain était son corps et que le vin 
était son sang, et les apôtres y ont mangé le corps du 

1. In Matlh., XI, U, Lom., HI, 107; P. G., XIII, 918. 

2. Li loan., XXXII, 16 (Preuschen, 24), J.oni., II, 4S8. 

3. In Matlh. Commentar. séries, SS, Lom., IV, 416, 417; P. G., XIII, 
731, 1733. 

4. In Levit., liomil. VII, 5, Lom., IX, 303, 306; P. G., XII, 487; In Nt^ 
meros, liomil. XXIII, 6, Lom., X, 284, 285; P. G., XII, 7.;2. 

5. In Nu77ieros, homil. XVI, 0, Lom., X, 199, 200; P. G., XII, 70i;I>e ora- 
tione, 27, Lom., XYII, 203 et suiv. 

6. In Numéros, homil. XVI, 9, Lom., X, 199. 



CLÉMENT D'ALEXANDRIE ET ORIGENE. 325 

Verbe ^. L'allégorie, on le voit, se superpose à la lettre 
sans la détruire; la gnose respecte la foi, même dans 
ses plus hardies spéculations. 

Ajoutons qu'Ôrigène regarde le service eucharisti- 
que comme un vrai sacrifice : les autels chrétiens ne 
sont plus inondés du sang* des animaux, ils sont con- 
sacrés par le sang précieux de Jésus-Christ, « pretioso 
sanguine Christi consecrari^ ». 

Il nous reste à traiter de l'eschatologie d'Origène. 
C'est, on le sait, une des parties de sa doctrine qui 
lui ont valu le plus de critiques et ont attiré sur sa 
mémoire le plus d'anathèmes : il faut donc l'étudier 
de près. 

La vie future constitue pour Origène « l'Évangile 
éternel », c'est-à-dire la pleine révélation, la pleine lu- 
mière^. Les justes sontles premiers à qui elle convienne. 
Cependant, lorsqu'ils meurent, ils ne vont pas géné- 
ralement tout droit au ciel. Ils se rendent au Paradis, 
c'est-à-dire dans un lieu souterrain, « in quodam eru- 
ditionis loco », où leur purification s'achève par un 
baptême de feu'*. Tous viennent à ce baptême, mais 
tous n'en souffrent pas également, et s'il en était qui 
n'eussent rien à expier et qui fussent parfaits, ils le 
traverseraient sans en souffrir^. Ainsi baptisés, les 
justes montent de sphère en sphère, toujours plus purs 
et plus éclairés sur les secrets de la nature et sur les 
mystères de Dieu, jusqu'à ce qu'ils soient réunis au 
Christ 6. 



1. In Matth. Commentar. séries, 83, 86. 

2. In librum lesu Nave, II, i ; VIII, 6; X, 3; In ludices, III, 2, Loua., 
XI, 237; P. G., XIII, 962, 963.' 

3. De princip., IV, 23; In Rom., I, 4, Lom., YI, 20; P. G., XIV, 847. 

4. De princip., II, 41, 6; In Luc, hom. XXIV. 

5. In Psalm. XXXVI, hom. 111,1, Lom., XII. 181, 182; In LeviL, IX, 8 
In Luc, hom. XIV, Lom., V, 136. Il est à peine besoin de remarquer 
que cette doctrine n'est au fond que celle du Purgatoire. 

6. De princip., II, H, 6, 7. 

LA THCOLOGIR ANTÉMCÉENNB, — T.. I. 19 



326 LA THEOLOGIE AiSTÉNICÉENNE. 

Origène condamne le miUénarism« et repousse la 
métempsychose ' . En \in passage du De principiis, 
semble mettre en doute si les élus auront un corps au 
cieP. Mais ailleurs et habituellement, il enseigne, et 
très fermement, la résurrection de la cbair^. Dans le 
nouveau corps, la matière première sera sans doute 
différente de celle de l'ancien, Car dans le corps cette 
matière se renouvelle sans cesse. Mais, de même que, 
pendant la vie, le corps de Pierre reste individuelle- 
ment le même, encore que les éléments en soient 
changés, parce que la forme corporelle qui le caracté- 
rise persiste à travers ces changements*, de même, à 
la résurrection, cette même forme corporelle qui infor- 
mait l'ancienne matière, étant reprise par l'âme et 
informant la nouvelle matière, le corps ressuscité sera 
individuellement le même que l'ancien. Le principe 
individuant en effet est la forme corporelle, to slSoç to 
ffw{y.aTiKov. Elle peut se comparer à la virtualité sémi- 
nale qui asservit les molécules et se crée un organisme 
déterminé : et c'est par elle qu'est maintenue l'iden- 
tité du corps ressuscité. Cette identité n'exclut pas 
d'ailleurs une différence dans les propriétés acciden- 
telles du corps avant et après la résurrection. Le corps 
ressuscité des justes sera changé en mieux (Itti to 
xpstTTov {A£T«êcc?vXov), ct sera doué de qualités qui varie- 
ront suivant les mérites de chacun^. 

1. Deprincip., il, 11, 2, 3; C. Gels., Vin, 30 ; In Rom., V, 1, Lom., YI, 
336; P. G., XIV, 1010. 

2. Deprincip., 111,6, 1, trad. de saint Jérôme ; cf. Il, 3, 7; et S.Jé- 
rôme, Epist. CXXIV, 5, 7. 

3. C. Celsum,V, 18, 22; In Malth., XVII, 29, Loin. IV, ui suiv. ; P. G., 
Xllt, 1S63; et le fragment sur t Corinth., XV, 23, cité par Piut, Ori- 
gène, p. 88. 

5. Sélecla in Psalmos, In Psalra. I, 5 (Lom., XI,- 387-389; P, G., XII, 
1093; et mieux l'édition de Meliiodius d'Olympe par Bonwetsch, J, 
p. 91-95); De jirincipiis, U, 10, 3; III, 6, 4, 6. — Malgré quelques textes 
qui sembleraient insinuer que l'humanité de Jésus-Christ, après sa. 



CLÉMENT D'ALEXANDRIE ET ORIGÈNE. 327 

Quant aux méchants, ils subiijont le tourment du 
feu, mais non pas d'un feu préparé d'avance et commun 
à tous. Le feu qui les dévorera sera propre à chacun 
d'eux et naîtra de leurs péchés mêmes, du remords 
qu'ils en concevront, à peu près comme le feu de la 
fièvre naît des mauvaises humeurs accumulées dans 
l'organisme ^ — Ces peines seront-elles éternelles? 
Grave question sur laquelle Origène semble parfois 
hésiter à se prononcer 2. Au De principiisj i, 6, 3, 
il n'ose affirmer que tous les mauvais anges revien- 
dront tôt ou tard à Dieu. Il écrit dans son Commen- 
taire sur l'EpUre aux Romains, qu'au contraire des 
Juifs, Lucifer ne se convertira pas même à la fin des 
temps ^. Mais, sauf ces exceptions, et généralement 
dans ses ouvrages, Origène enseigne rdcTtoxaTocaTaciK;, 
la restitution finale de toutes les créatures intelligentes 
dans l'amitié de Dieu. Toutes ne jouiront pas sans 
doute du même bonheur — il y a dans la maison du 
Père diverses demeures"*, — mais toutes y viendront. 
L'Écriture, remarque-t-il, ne contredit pas ce senti- 
ment^ : elle l'appuie plutôt^. Si parfois elle semble 



résurrectitin, a été absorbée dans sa divinité (/» Lucam, homii. XX IX^ 
Lom., V, 197; P. G,, Xin, 1873; In lerem., homil. XV, 6, Lom., XV, 
•288; P. G., xni, 436; In loan., XXXII, 17, Lom., II, 463; P. G., XIY, 813;. 
De principiis, II, 11, 6), Origène ne suppose pas au fond dans cette 
humanité une transformation plus radicale que celle qu'il attribue 
ici au corps des simples fidèles. C'est une transformation xaxà itoiÔTTiTa 
(C. Gelsum, III, 41). 
U~De princip., H, 10, 4. 

2. In loann,, XXVIH, 7, Lom., II, 32S, 326; J». G., XIV, 697; In lerem.r 
liom., XVIII, 15, Lom., XV, 333, 354; P. G., XIII, 497, 50a 

3. Lom., VII, 247; P. G., XIV, 11«5. 

4. In Librum lesu Nave, XXV, 4; In Numéros, XXI, i;In Luc, hom 
III; hom, XYII.Lom., V, 451 ; P. G:, XIII, 48i7; In Levit., lioin. XIV, 3, 
Lom., IX, 415; P. G., XII, 555; J» Matlh., X,.S. 

5. In Escod., hom. YI, 13; Bb princip., II, 3, 5; Origène pensait que 
l'expression « in saecula sseculorum » pouvait désigner une <lurée luiie.. 

6. On trouvera dans HuET,'Ori;g'«»mna,lib. II, qu.ll, n°20(Lom., XXllI, 
203suiv.;P.6.,XYn, 103<)),etdansBiGiG, Tàe Christian Platonisis, p. 230,. 
uQle 1, la liste des textes de rilcriture invoqués par Origène. 



328 LA THEOLOGIE ANTENlCElilNNE. 

présenter comme éternels les supplices des méchants, 
c'est afin' d'effrayer les pécheurs, de les ramener dans 
la voie droite, et l'on peut toujours, avec de l'atten- 
tion, démêler le vrai sens de ses textes ^ Mais d'ail- 
leurs, il faut poser en principe que Dieu ne châtie 
que pour corriger, et que sa plus grande colère ne se 
propose que l'amendement des coupables. Comme le 
médecin qui use du fer et du feu pour traiter certaines 
maladies invétérées, ainsi Dieu emploie le feu del'enfer 
pour guérir le pécheur impénitent : « Ex quo utique 
intellegitur quod furor vinclictae Dei ad purgationem 
profîcit animarum... Ea poena quae per ignem inferni 
diciturpro adiutorio intellegitur adhiberi ^. » Toutes les 
âmes, tous les êtres intelligents dévoyés rentreront 
donc tôt ou tard dans l'amitié de Dieu. L'évolution 
sera longue, immensément longue pour quelques-uns, 
mais un temps viendra où Dieu sera tout en tous. 
La dernière ennemie, la mort, sera détruite, le corps 
sera spiritualisé, le monde matériel transformé, et il 
n'y aura plus dans l'univers que paix et concorde^. 
Cet état sera-t-il au moins définitif, et la liberté créée 
s'y reposera-t-elle sans retour de ses agitations? Logi- 
quement, et puisque l'exercice de cette liberté persiste, 



1. C. CeU., y, 15; cf. VI, 72. 

2. De princip., U, 10, 6; C. Cela., V, 15. 

3. € In hune ergo statum omnem hanc nostram substantiam corpo- 
ralem putandum est perducendam, tune cum omnia restituentur ut 
unum sinl, et cum Deus fuerit omnia in omnibus. Quod tamen non ad 
subitum fîeri, sed paulatim et per partes intellegendum est, infînitis et 
immensis labentibus saeculis, cum sensim et per singulos emendatio 
fuerit et correctio prosecuta, praecurrentibus aliis, et velociori cursu 
ad summa tendentibus, aliis vero proximo quoque spatio iosequenti- 
bus, tum deinde aliis longe posterius, et sic per mullos et inuumeros 
ordines proDcientium, acDeo se ex inimicis reconciliantium, perveni- 
tur usque ad novissimum inimicum qui dicilur mors ut etiam ipse de- 
struatur, nec ullra sit inimicus. Cum ergo restitutae fûerint omnes ra- 
tionabiles animae in huiusmodi statum, tune natora etiam huius 
corporis nostri in spiritualis corporis gloriaœ perducetur » {Deprincip., 
m, 6, 6; 1,6, 4). 



CLEMENT D'ALEXANDRIE ET ORIGENE. 329 

il semble que non, et qu'une déchéance restera toujours 
possible. C'est le reproche que saint Jérôme adressait 
au système d'Origène * , et qui trouve un appui dans le 
texte du De principiis où celui-ci nous représente les 
âmes comme capables de passer indéfiniment du bien 
au mal et du mal au bien ^. Ailleurs cependant, Origène 
affirme que, par la volonté de Dieu, les volontés créées 
seront fixées dans le bien, et que ce dernier état sera 
immuable : « In quo statu etiam permanere semper 
et immutabiliter Creatoris voluntate est credendum, 
fidem rei faciente sententia apostoli dicentis : Domum 
habemus non manu factam aeternam in caelis ^. » 

Tel est en résumé le système théologique d'Origène. 
Etabli sur des prémisses excellentes, mais dans les- 
quelles l'esprit puissant de son auteur n'a pu se conte- 
nir, il présente, avec une foule de vues profondes et 
justes, des conjectures téméraires etdes assertions inac- 
ceptables. C'est le fleuve débordé qui, dans l'abondance 
de ses eaux, roule à la fois le limon qui féconde et le 
sable qui rend stérile. Mais heureuse ou funeste, les 
théologiens de l'antiquité jusqu'à saint Augustin en Oc- 
cident, et même après en Orient, ont à peu près tous subi 
directement ou indirectement l'influence du grand 
alexandrin ; ils ont souvent accepté ses principes et 
développé ses idées. Même ceux qui l'ont combattu se 
sont servis des armes qu'il leur fournissait. Il suffit 
de comparer sa synthèse doctrinale avec celle d'Irénée 
pour voir quel progrès en étendue elle constituait sur 
cette dernière, mais il suffirait aussi de la comparer à 
celles ou plutôt aux synthèses partielles que l'on a 
tentées dans la suite, pour voir combien celles-ci lui 

1. Epîst. ad Avitum, 3 (P. L., XXII, 1061). 

2. De prîncip., III, 1, 21 ; III, 6, 3, trad. de saint Jérôme. 

3. De princip., III, 6, 6..Enlre l'idée du retour définitif de la créalurfr 
à Dieu et celle de la possibilité pour la liberté de changer indéfiniment^ 
il y a, comme on l'a remarqué, contradiction. 



830 LA THEOLOGIE ANTÉNICÉENNE. 

sont redevables. Athanase et les Cappadociens ont 
trouvé dans Origène des arguments pour le consubs- 
tantiel, et les Ëusébiens des arguments en faveur du 
subordinatianisme. Apollinaire s'est vu réfuté d'avance 
par son affirmation si énergique de l'existence en Jésus- 
Christd'une âme libre. Mais, en revanche, la théologie 
grecque n'a jamais défini aussi strictement que la latine 
la théorie de la satisfaction du Christ rédempteur 
qu'Origène avait négligée. Ses opinions sur la préexis- 
tence des âmes, sur la spiritualité des corps ressuscites, 
sur Yapocatastasis ont soulevé plus tard des tempêtes 
dont sa mémoire a souffert, mais elles avaient, à la 
fin du iv^ siècle, gagné bien des partisans. Ainsi reçu 
ou discuté, condamné ou suivi, mais toujours exploité 
même par ceux qui l'ont contredit, Origène est resté le 
vrai fondateur de la théologie scientifique grecque. 
L'Église d'Orient n'a pas compté d'explorateur, et, si 
l'on peut ainsi parler, de pionnier théologique plus 
hardi, ni de plus riche semeur d'idées. Si parmi ces 
idées, comme parmi celles de Clément, quelques-unes 
n'ont pu être reçues de l'Eglise, on ne saurait cepen- 
dant en conclure, comme on l'a fait, que le christia- 
nisme des deux grands alexandrins était, dans son 
ensemble, d'un type différent du christianisme occi- 
dental. 



CHAPITRE VIII 

APERÇU GÉNÉRAL SUR LA THEOLOGIE EN OCCJOENT 
PENDANT LE III® ET AU DÉBUT SU IY° SIECLE. 

S 1. •— Les Pères et écrivains ecclésiastiques. 

Pendant' qu'en Orient la théologie prenait tout son 
essor dans les travaux de Clément d'Alexandrie et 
d'Origène, elle s'élaborait aussi en Occident dans des- 
œuvres de moindre envergure et d'un horizon plus res- 
treint, mais d'une langue singulièrement ferme et ar- 
rêtée. Saint Irénée, on l'a dit, avait donné à cette théo- 
logie son fond doctrinal et comme l'esprit qui la devait 
animer; Tertullien allait fixer ses formules ; Novatien 
écrira son premier manuel. 

Jusqu'à la fin du ii* siècle, cette théologie avait parlé 
gréa, et, si l'on pouvait observer déjà chez les écrivains 
d'origine occidentale une tournure d'esprit plus posi- 
tive et des préoccupations plus pratiques que chez les 
orientaux, au moins les uns et les autres s'exprimaient- 
ils dans le même idiome. Mais, à cette époque, nne 
séparation se produit ' le latin conquiert droit de cité 
dana l^ çlirîstianisme, et en quelques années, devient 
la langue thêoiogique de l'Occident : saint Hîppolyte 
sera le dernier docteur romain enseignant en grec. Il 
y aura désormais deux théologies, l'une grecque, 

331 



332 LA THÉOLOGIE ANTENIOÉENNE. 

l'autre latine, unies dans la doctrine, mais chacune 
parlant sa langue et portant la frappe du génie parti- 
culier des deux grandes divisions de l'Église. 

Les auteurs de l'Église latine du m* et du début du 
iv^ siècle forment géographiquement trois catégories : 
les africains, les romains, et ceux qui ne rentrent pas 
dans un de ces deux groupes. De ces derniers il n'y a 
ici que peu de chose à dire. Le Pannonien Victorin de 
Petavio (Pettau), qui mourut martyr dans la persécu- 
tion de Dioclétien, avait écrit sur plusieurs livres de 
l'Écriture des commentaires dans lesquels il s'inspirait 
d'Origène, et où saint Jérôme trouvait plus de bonne 
volonté que d'érudition profonde. Il en reste des mor- 
ceaux assez importants, surtout du commentaire sur 
l'Apocalypse'. Le Gaulois Reticius, évéque d'Autun, 
qui assista à des conciles tenus en 313 et 314, n'a équi- 
valemment rien laissé ; et l'on ne doit pas trop regret- 
ter, si l'on en croit saint Jérôme, la perte de son 
commentaire sur le Cantique, mais peut-être faut-il 
regretter davantage celui de son grand ouvrage contre 
les Novatiens^. 

Ce n'est pas en Gaule et en Pannonie, en tout cas, 
qu'il faut chercher les premiers grands représentants 
de la théologie latine. Nous les trouvons d'abord en 
Afrique, et celui qui peut le plus justement passer pour 
son fondateur est aussi le premier en date que nous 
rencontrons : c'est Tertullien (dont les écrits vont de 
197 à 222)3. 

1. Patrologie latine, V, et J. Haussleiter, Theolog. Literalurblatt, 
XVI (1893), p. 193-199. Cf. deux articles de D. Morin, Victorin et le ca- 
non de Muratori, et Victorin et le fragment chronologique d'Alexan- 
dre de Jérusalem [Journal of theolog. Studies, VII (1906). L. Atzberger, 
Geschichte der chrisll. Eschatologie, Freiburg im Br., 1896, p. 566-573. 

2. S. JÉRÔME, Episl. XXXYII; cf. V, 2; De vir. illuslr., 8'i. 

3. L'édition citée est celle de Fr. (Hïuler, Q. S. F. Tertulliani quae 
supersunt omnia, Lipsiae, 1853, 1854. — Travaux : E. Noeldechen, Ter- 
tullian, Gotlia, 1890. P. Monceaux, Histoire littéraire de l'Afrique chré- 



LES THEOLOGIENS OCCIDENTAUX DU IIP SIÈCLE. 333= 

On connaît assez, sans qu'il soit nécessaire de le re- 
dire, quelle était la nature de son esprit, âpre, vigou- 
reux, singulièrement souple et puissant, mais man- 
quant de la mesure qui maintient dans les vues justes 
et qui trace les voies réalisables. Philosophe, Tertul- 
lien ne l'était à aucun degré : la spéculation lui restait 
étrangère, et il n'a considéré la révélation chrétienne 
ni comme une lumière nouvelle qui vient élargir nos 
horizons intellectuels, ni comme un ensemble de véri- 
tés qui sollicite nos investigations. Mais il a possédé au 
plus haut point le sens juridique. C'était un avocat qui 
voyait avant tout dans le christianisme un fait et une 
loi. Le fait, il fallait l'établir et le comprendre : la loi, 
il fallait l'interpréter et surtout l'observer. Dieu est, à. 
notre égard, un maître et un créancier : nous sommas- 
ses sujets et ses débiteurs. Il est donc juste, pour dé- 
terminer nos rapports avec lui, — c'est-à-dire notre- 
attitude, nos rapports religieux, — d'appliquer les- 
principes des législations humaines, et de porter dans 
cette application la rigueur qui préside à la détermina- 
tion de nos dettes et de nos droits civils : question 
de passif et d'actif qui se peut traiter avec l'exactitude- 
des opérations de commerce. 



tienne, tom. I, Tertullien et le^ origines, Paris, 1901. H. Leclercq,. 
L'Afrique chrétienne, I, Paris, 1904. A. d'Alès, La théologie de Tertul- 
lien, Paris, 1903. G. Caucanas, Tertullien et le Monlanisme, Genève, 
1876. G. EsSER, Die Seelenlehre Tertullians, Paderborn, 1893. G. 
SCHELOWSKY, Dev Apoloçet Tertullianus in seinem Verhûltnis zu der- 
griechisch-rômischen Philosophie, Leipzig, 1901. E. F. Scuulze, Elemente 
einer Theodicee bai Tertullian, dans la Zeitschr. fur wissenschafll. 
Théologie, XLIII, 1900. M. Winkler, Der Tradilionsbegriff des Urchris- 
tentums bis Tertullian, Miinchen, 1897. J. Stiei, Die Gottes und Lo- 
gos Lehre TeriwiJians, Gôttingen. 1899. J. Kolderg, Verfassung, Rultus. 
und Disziplin der christlichen Kirche nach der Schriften Terlul- 
lians, Braunsberg, 1886. Fr. Nielsen, Terlullians Ethik. Afhandling, 
Schoaberg, 1879. K. H. Wirth, Der « Verdienst » Degi-iff in der christli- 
chen Kirche, I, Leipzig, 1892. Gh. Giignebert, Tertullien, étude sur se*, 
sentiments à l'égard de l'empire et de la société civile, Paris, 1901. 
J. TuRHEL, Tertullien, Paris, ICOi. 

19. 



334 LA THÉOLOGIE ANTBNICÉENNE. 

Une pareille conception, on le comprend, ne laisse au- 
cune place, dans lafoi religieuse, à l'intuition mystique, 
à l'expérience directe et intime, à l'effusion du cœur 
et à l'abandon de l'âme à Dieu : et aussi la théologie 
latine s'en serait-elle trouvée complètement desséchée, 
si d'autres influences — celle de saint Augustin surtout 
— n'avaient, au rv* et au v" siècle, corrigé ce qu'elle 
présentait d'excessif. Mais, en revanche, elle était 
singulièrement propre à donner à la langue théolo- 
gique de la fermeté et de la précision, et ce n'est pas le 
moindre service que Tertullien a rendu à cette théo- 
logie que de lui avoir fourni ainsi, dès le principe, une 
terminologie presque arrêtée, et un certain nombre de 
formules définitives. La langue théologique latine est 
vraiment sa création. Venu le premier, et lui-même 
écrivain supérieur, il a su plier à des idées nouvelles, 
et quelques-unes bien abstraites, un idiome synthé- 
tique et rebelle. S'il en a négligé les règles et constam- 
ment violé la pureté, il en a du moins enrichi le voca- 
bulaire et élargi les cadres. Il lui a fait traduire des 
sentiments jusqu'alors inconnus, et l'a ainsi rendu 
capable de devenir en Occident, et pour longtemps, le 
moyen d'expression ordinaire et partout reçu de la foi 
chrétienne. 

Cependant et malgré les g^ands dons de son esprit, 
Tertullien — qui mourut dans le schisme — ne pou- 
vait être un guide sûr pour les chrétiens. Ce guide, 
l'Afrique le connut dans saint Cyprien (né vers l'an 210, 
martyrisé le 14 septembre 258) ^ 

1. L'édition citée est celle de G. Hartel, S. Thascî Caecili Cypriàni 
opéra onim'a, Vindobonae, 1868-1871. — Travaux :P. Mo^•cEAux, Histoire 
liiléraire de l'Afrique chrétienne, It, Paris, 1902. Saint Cyprien, Paris, 
l'jli. H. Leclercq, L'Afrique chrétienne, I, Paris, 1904. E. Wh. Benson, 
Cyprian, his life, his times, hts work, London, 1897. A. d'Alès, La théo- 
loyie de S. Cyprien, Paris, 1922. 0. Ritschl, Cyprian von Karlha^o 
und die Verfassung der Kirche, GOllingcn, 188S. J. Delarochelle, L'idée 
de l'Église dans saint Cyprien dans la Revue d'Hist. et de Littér. reli- 



LES THÉOLOGIENS OCGIBINTAUX DU IIP SIECLE. 335 

Saint Gyprien n'est pas un spéculatif ni proprement 
un théologien : de t<îutes les notions tliéologiques, il 
n'y a guère que l'idée de l'Eglise qu'il ait un peu appro- 
fondie : encore n'y est-il pas complètement original. Il 
est avant tout, je viens de le remarquer, un homme de 
gouvernement et d'action, un évêque du type que re- 
produiront saint Ambroise et saint Léon, entrant dans 
les difiBcultés doctrinales seulement dans la mesure 
que requiert l'instruction de son peuple, et veillant 
avant tout à maintenir la paix dans les esprits, afin de 
tourner à la réforme intérieure toutes les énergies de 
l'âme. Bien qu'admirateur et disciple de Tertullien, il 
est aussi calme et aussi pondéré que son maître est 
excessif et violent. Son éloquence porte la toge et con- 
serve toujours quelque chose de solennel et de grave. 
Son influence néanmoins, et à cause même de cette 
possession forte et calme de soi, a été immense sur ses 
contemporains et dans toute l'ancienne église. Comme 
le siège de Rome était « le siège de Pierre », celui de 
Carthage était, au iv^ siècle, « le siège de Cyprien^ ». 
Rome et l'Occident se reconnaissaient dans ce génie 
pratique et cette habileté singulière à conduire les 
hommes. 

C'est en Afrique et à l'époque de saint Cyprien qu'il 
faut définitivement, ce semble, placer Commodien, « le 
mendiant du Christ », qui écrivait entre 251-258 2. 

gieuses, 1, 1896. K. H. Wiuth, Der Verdîenst Begriff in der christlichen 
Kirche, II, Der Verdienst Begriff bei Cyprian, Leipzig, 1901. P. Batiffol, 
L'Église naissante et le catholicisme, Paris, 1909. 

1. S. OPTAT, II, 10. 

2. ÉdLt. B. DoMBART, Commodt<int carmina, Vindobonae, 1881. — 'ira- 
vaux : G. BoissiEU. La fin du paganisme^ II, Paris, 1891. P. Monxeaux, 
Hist, littér. de l'Afr. chrétienne, III, Paris, 190S, J. Dcrel, Commodien, 
Paris, 1912. I»., Les Instructions de Commodien, trad. et comment., 
Paris, 1912. H. Brewer, Kommodian von Gaza, Paderborn, i90i6. 
J. L, Jacobi, Kommodianus und die aWcirchl. Trinitâtslekre, dans Deut- 
sche Zeitschr. f.christl. Wissensch., IV, 1833. L. Atzderger, Gesch. der 
christl. Eschatologie, Freiburg im Br., 1896, p. S5î)-566. Sur l'âge où 



336 LA THÉOLOGIE ANTÉNICÉENNE. 

Gommodien est surtout un moraliste que Gennade 
présente comme assez peu instruit du christianisme ^ , 
et dont les façons de parler incorrectes, dans ses 
poèmes tout populaires, ne méritent pas qu'on leur 
accorde trop déportée. Lamême observation, d'ailleurs, 
s'applique à Arnobe'* et à Lactance. Tous deux, nés 
dans le paganisme, sont des laïcs convertis, d'une 
science théologique superficielle, d'autorité par consé- 
quent très faible, dont les œuvres retardent plutôt 
qu'elles n'avancent sur l'état général de la doctrine 
chrétienne à leur époque. Du premier il reste un Ad^ 
versus nationes, composé entre les années 304-310, 
destiné à réfuter les objections des païens et à les con- 
vaincre d'erreur : on n'y saurait chercher un exposé 
exprès et complet de la foi chrétienne. Quant à Lac- 
tance^, il est le type du philosophe et du rhéteur qui 
devient chrétien sans cesser d'être rhéteur et philo- 
sophe; qui croit sans doute, et de toute son âme, à la 
nouvelle doctrine, mais pour qui cette doctrine repré- 
sente un monothéisme et un spiritualisme élevés et 
épurés plutôt qu'elle n'est la religion des mystères de 
Jésus-Christ, de la rédemption et de la Croix. Dans son 
De opificio Dei (304), dans ses Dîvinae instituliones 
(305-310), Lactance, écrivain élégant et mesuré, n'a pas 

fleurit Commodien, voir d'Alès, Gommodien et son temps dans Recher- 
ches de science religieuse, 19H, n°» 5 et 6, et la biblio^aphie qu'il 
donne. 
d. De viris illuslr,, 13. 

2. L'édition citée est celle de P. L., t. V. — Travaux : P. Monce.\ux, 
Hist. littér. de l'Afrique chrét., in, Paris, 1905. K. B. FnANKE, Die Psy- 
chologie und Erirenntnislehre des Arnobius, Leipzij,', 1878. A. Rohricut, 
Die Seelenlehre des Arnobius, Hamburg, 1893. E. F. Scuclze, Das Uebel 
in der Welt nach die Lehre des Arnobius, lena, 1890. 

3. L'édition citée est celle de P. L., VI, VII. — Travaux : P. Monceaux, 
Histoire littér. de l'Afrique chrétienne, III, Paris, 1905. M. E. Heinig, 
Die Ethik des Laktanlius, Grimma, 1887. VK.tilxixjskCM, Die Psychologie 
des Firmianus Laktantius, Halle, 1889. P. G. riioTscuER, Des Apologeten 
Laktantius Verhâltniss zur griechischen Philosophie, Leipzig, 1898. 
R, PiCHON, Lactance, Paris, 1901. 



LES THÉOLOGIENS OCCIDENTAUX DU IIP SIÈCLE. 337 

pénétré jusqu'au vif du christianisme : il n'en a pas 
sondé les profondeurs ni compris intégralement les 
enseignements; et c'est pourquoi saint Jérôme écrira 
sur lui ce mot sévère : « Utinam tam nostra confirmare 
potuisset quam facile aliéna destruxit' ! » 

Des cinq écrivains de l'Afrique au iii^ siècle les deux 
premiers seuls sont donc, à notre point de vue, de pre- 
mière valeur^. A Rome, saint Hippolyte (170/175-235)^, 
comme Origène, semble tout embrasser dans son acti- 
vité encyclopédique, exégèse, apologie, dogmatique, 
morale, droit canonique, histoire et géographie sacrées, 
peut-être même poésie religieuse : mais il est connu 
surtout comme exégète. Ses commentaires sur l'Ecri- 
ture sainte ont été les premiers qu'ait lus l'Église, et 
ils ont mérité — non pour le génie et les connaissances 
techniques — mais pour la justesse des principes 
d'herméneutique qui les a inspirés, d'être préférés à 
ceux d'Origène. Comme théologien, nous ne pouvons 
que très imparfaitement le juger. La plupart de ses 
écrits didactiques ou polémiques ont péri. Rédigés en 
grec, ils n'ont exercé sur la formation de la langue 
thcologique latine aucune influence. Mais dans leur 

1. Epist. LVni, 10. On ne juge évidemment ici Laclance qu'au point 
de vue tliéologique. 

2. Outre ces cinq, quelques traités anonymes sont restés : nous les 
utiliserons en leur lieu. 

3. 1/édition citée est celle de FABRicrus dans P. G., X, pour le Con- 
tra Noetum; pour les Philosophoumena, celle de P. Cruice, Paris, 1860; 
pour les autres ouvrages, j'ai cité celles de N. Bom wetsch et de H. Achelis 
dans Die griechîschen christlichefi Schriftsteller, Leipzig, 1897. — Tra. 
vaux : Chr. Words\yorth, St Hippolytus and the church of Rome in the 
early partofthe third century, London, 1833, 2ecdit., 1880.J. Doellinger, 
Hippolytus und Kallistus, Uegensburg. 1833. L. ATznERCER, Geschichle 
der Chris tlichen Eschatologie innerhalb der vornicànischen Zeit, Frei- 
burg im Br., 1896, pp. 271-290. G. N. Bonwetsch, Studien zu den Kom- 
mentaren Hippolyts zum Buck Daniel und Hohenliede, Leipzig, 1897. H. 
AcÙELis, Hippolylsludien, Leipzig, 1897. A. n'khts, La théologie de saint 
Hippolyte, Paris, 1906. P. Flolrnoy, Search-light of St Hippolytus, Lon- 
don, 1900. K. J. Neumann, Hippolytus von Rom in seiner Stellung zu 
S<aat «nd Wei«, Leipzig, 1902. 



338 LA THÉOLOGIE ANTÉNI€ÉENNE. 

substance et dans leur méthode, on peut dire qu'ils ont 
marqué un progrès dans l'évolution de la pensée dire- 
tienne. Ils placent leur auteur pour ainsi dire à mi-che- 
min entre saint Irénée et Tertullien. Moins précis et 
moins ferme que ce dernier, il nous apparaît plus avancé 
et moins esclave de la lettre que l'évéque de Lyon. Mal- 
heureusement saint Hippol5i.e, dévoué cependant à 
l'Église, n'a pas su garder, vis-à-vis de l'autorité légi- 
time dans cette Eglise, la soumission qu'il devait : il a 
passé dans le schisme plusieurs années de sa vie ' . Sa 
gloire en a été obscurcie, et son génie y a perdu cer- 
tainement de sa fécondité et de sa naturelle influence. 
Au moins s'est-il reconnu au dernier moment et a-t-il 
racheté par le martyre sa longue défaillance. 

Le second docteur que nous rencontrons à Rome au 
III* siècle, Novatien (vers 248-257) ^, s'il a imité les er- 
reurs d'Hippolyte, n'apossédéniTétenduedeson savoir 
nilayariété de ses aptitudes. Disciple de Tertullien, il 
en a reproduitla doctrine et les expressions au point que 
saint Jérôme a pu dire qu'il l'avait résumé^. Novatien, 
dans les écrits qui nous restent de lui, n'offre donc rien 
de bien original. Mais ces écrits sont les premiers qui, 
à Rome, aient été rédigés en latin sur des matières 
théologiques. Le traitera Trinitate notamment, conçu 
comme une explication des vérités fondamentales du 

1. Dans les précédentes éditions de cet ouvrage je m'étais refusé à re- 
garder comme certain que saint Hippolyte fût identique à l'auteur des 
Philosophoumena. Mais il me semble impossible de maintenir celle po- 
sition en présence des preuves qui s'accumulent pour établir cette 
identité. Voir la question bien traitée dansD'AiÈs, La théologie de samt 
Hippolyte, Introduct., p. xxivetsuiv. 

2. L'édition citée est, pour le De Trinitate et le De cibis itidaicis, 
celle de P. L., MI ; pour les lettres, l'édition de saint Cyprien de G. Hak- 
TKL. — Travaux : H. JonnAN, Die Théologie àer nenentdeckten Predigten 
Novatians, Leipzig, 1902. On consultera aussi fort utilement l'édition du 
De Trinitate de W. Vorke Fausset, Cambridge, 4909. 

3. De viris illustr., 70. Le mot vise le De Trinitate de Novatien ; mais 
au lieu de résumé, saint Jérôme aurait plus exactement écrit développé 

V. P. i., III, col. 869, note 7). 



LES THÉOLOGIENS OCCIDENTAUX DU IIP SIÈCLE. S39 

Symbole, est composé avec un souci d'ordre et de mé- 
thode qui en a fait le modèle pour longtemps des ou- 
vrages du même genre. Il a exercé, par le fond et par 
la forme, une influence considérable sur la théologie 
romaine postérieure, et à ce titre on peut donner à son 
auteur rang parmi les initiateurs de la théologie occi- 
dentale. 

Parmi les auteurs proprement dits du m* siècle nous 
ne trouvons aucun pape. Plusieurs papes de cette épo- 
que cependant ont écrit des lettres qui ont été conser- 
vées en tout ou en partie*, et plusieurs ont joué, dans 
les débats théologiques dont il sera question ci-dessous, 
un tout premier rôle. Les noms de Victor (189-199), Zé- 
phyrin (199-217/218), Callisle (217/218-222/223], Pon- 
tien (230-235), Corneille (251-253), Lucius (253-254), 
Etienne (254-257), Xystell (257-258), Denys (259-268), 
Miltiade (311-314) reviendront dans ce que nous avons 
à dire des hérésies, des schismes et aussi des progrès 
de la foi qui ont marqué la période que nous étudions. 



§2. — Les sources de la foi, Écriture, tradition, 
philosopliie. 



Quelles sont, pour nos auteurs latins du iii^ siècle, les 
sources de la théologie, et comment s'en servent-ils? 

Au premier rang il faut mettre l'Ecriture. Le canon 
de l'Ancien Testament admis par saint Hippolyte et 
Tertuliien est celui des Septante, qui comprend les 
deutéro-canoniques. Les écrits du Nouveau Testa- 
ment forment aussi pour eux une collection : c'est 
Vinstrumentum novum (divisé en ev.angelicum ùistj'u- 
mentum et apostoUcum instrumentum) qui s'oppose à 

1. Voir Bardenhewbr, Geschichte der aUchrîstl. Liter., II, p. 374 et 
suiv. 



340 LA THÉOLOGIE ANTÉNICÉENNE. 

Vinstrumentiun vêtus ^ . Il inclut les Évangiles, les Actes 
des apôtres, treize épîtres de saint Paul (l'épître aux 
Hébreux exclue, bien qu'on la cite avec respect), les deux 
épîtres de saint Pierre, l'épître de saint Jacques, celle 
de saint Jude, deux de saint Jean et l'Apocalypse^. A 
cet instrumentum noviim la même autorité absolument 
est accordée qu'à l'ancien. L'Eglise romaine, déclare 
Tertullien, « legem et prophetas cum evangelicis et 
apostolicis litteris miscet : inde potatlidem^ ». Il ajoute 
que le Nouveau Testament présente même plus de lu- 
mières, car l'Évangile a éclairé la Loi, et ce qui n'était 
que figure pour les juifs est devenu réalité pour les 
chrétiens''. En tout cas, l'Écriture inspirée ne saurait 
se tromper, et ses enseignements s'imposent au fidèle"^. 
Quel usage en font nos auteurs, et comment l'inler- 
prètent-ils? — On sait que pour saint Cyprien l'Écriture 
est presque l'unique autorité qu'il fasse valoir. Les Testi- 
monia ad Quirinum et l'ouvrage Ad Fortunatum ne 
sont que des recueils de textes disposés sous les énoncés 
de certaines thèses qu'ils sont destinés à prouver et à 
développer. Tertullien et Novatien ne manquent jamais 
non plus de l'invoquer. L'exégèse des Africains est gé- 
néralement littérale et objective : s'ils font une part à 
l'allégorie, cette part est restreinte et mesurée^. Chez 
saint Hippolyte, cette part est plus large : il y a dans 
le génie du docteur romain quelque chose de mystique 
et d'élevé qui le porte aux sens spirituels et cachés, 



i. Tertoix., Adv. Hermog.i^O; De resurr. carnis, 33, 39, 40; cf. S. HiP- 
POL., De Antichr., LVHI; In Daniel., IV, 49, 

2. V. E. Jacquieb, Le Nouveau Testament dans l'Église chrétienne, I, 
p. 211-220; 282-28*. On sait que S. Hippolyte a soutenu contre Caïus que 
l'Apocalypse est l'œuvre de l'apôtre saint Jean. 

3. De praescr., 3C; cf. Adv. IJermog,iQ, 20. 

4. Tertull., Adv. Marc, IV, H ; V, Il ;S. IIippol., In Daniel., IV, 33. 

5. S. HippoL., /n Daniel., IV, 6; De Antichr.,!; cf. Eusèbe, Hist. eccl., 
V, 28, 18. 

6. Cf. Tertull., De resurrect. carnis, 21 



LES THÉOLOGIENS OCCIDENTAUX DU III» SIÈCLE. 341 

quelquefois subtils ^ Il est probable qu'il en était de 
même pour Victorin de Pettau dont l'exégèse, au dire 
de saint Jérôme, avait suivi celle d'Origène^. 

L'Écriture cependant ne doit point être interprétée 
d'après le sens privé et d'une façon nouvelle ^ : on y 
doit suivre la tradition. Bien plus, il ne faut pas, dit 
Tertullien, discuter avec les hérétiques sur l'Écriture. 
Ils l'ont altérée, et là où ils ne l'ont pas altérée, ils l'ex- 
pliquent à leur fantaisie, et l'on n'avance à rien'*. Il y a 
un moyen plus rapide et plus sûr de trancher la ques- 
tion entre eux et nous, c'est de chercher à qui d'eux ou 
de nous appartiennent les Ecritures, qui, d'eux ou de 
nous, a reçu par une légitime tradition la vraie foi ; car 
là où sera la vraie foi sera nécessairement la fidèle in- 
terprétation des Écritures^. Comment donc s'est trans- 
mise la vraie foi? Jésus-Christ, envoyé par le Père, a 
instruit lui-même ses apôtres ; les apôtres ont fondé des 
Églises auxquelles ils ont confié cet enseignement, et 
ces Églises-mères à leur tour ont essaimé et établi 
d'autres Églises auxquelles elles ont communiqué leur 
doctrine avec leur apostolicité. Voilà l'ordre suivi par 
l'économie divine dans la diffusion de la révélation. C'est 
donc là, c'est dans l'enseignement de ces Eglises apos- 
toliques ou dérivées d'elles, non dans celui des conven- 



1. V. surtout le commentaire sur le Cantique et la version allemande 
du texte grunnisien du même ouvrage. G. N. Bonwetsch, Eippolyts Kom- 
mentar zum Hohenlied, Leipzig, 1902. 

2. Epist. LXI, 2. 

3. S. HipPOL., De Antichr., IL 

4. Depraescr., 17. Sur ce traité de la Prescription, on peut lire l'in- 
troduction de M. de Labriolle à »on édition (CoUect. Textes et docu- 
ments), Paris, 1907, et M. Perroud, La prescription théologique d'après 
Tertullien, Montpellier, 1914. 

5. Depraescr. : « Ordo rerumdesiderabat illud prius proponi... quibus 
competat fides ipsa, cuius sint scripturae.aquo et perquos, et quando 
et quibus sit traditii disciplina qua Dunt christiani. Ubi enim appanerit 
esse veritatem disciplinae et Gdei christianae illic erit veritas scriptu- 
rarum et expositionam et omnium traditionum christianarum. » 



342 LA THÉOLOGIE ANTÉNICÉENNE. 

ticules hérétiques que se trouve la vraie foi, et toute 
doctrine en désaccord avec cet enseignement est néces- 
sairement fausse : 

« Si haec ita sunt, constat perinde omnem doctrinam 
quae cum illis.ecclesiis apostolicis matricibus. et origina- 
libus fidei conspiret verifati deputandam, id sine dubio 
tenentem quod ecclesiae ab apostolis, apostoli a Christo, 
Christus a Deo accepit, omnem vero doctrinam de men- 
dacio praeiudicandam quae sapiat contra veritatem eccle- 
siarum et apostolorum Christi et Dei*. > 

Or, pour les Africains et les fidèles voisins de l'Italie, 
l'Église-mère apostolique est celle de Rome, et il n'y 
a donc pour déterminer ce que l'on doit croire qu'à 
examiner ce qu'elle croit elle-même et ce qu'elle a 
enseigné à l'Afrique : « Si autem Italiae adiaces, liabes 
Romam unde nobis quoque auctoritas praesto est,.. 
Videamus quid didicerit, quid docuerit, cum afrieanis 
quoque ecclesiis contesserarit 2. » Par cet appel à 
l'Eglise et à l'antiquité, Tertullien ferme la bouche 
aux hérétiques et leur interdit même d'alléguer les 
Écritures en faveur de leur doctrine. Les Ecritures 
appartiennent à l'Eglise; elles sont son bien, non celui 
des hérétiques, et ils ne sont pas admis à les produire 
en preuve. C'est la praescriptio, mais qui n'est au 
fond, comme on le voit, qu'une forme de l'argument 
de tradition présenté parlrénée. 

« Si haec ita se habent... constat ratio propositi nostri 
definientis non esse admittendos haereticos ad ineundam 
de scripturis provoeationem, quos sine scripturis probamus 
ad scripturas non pertinere... Mea est possessio, olim pos- 
sideo, prior possîdeo, habeo origines fîrmas ab ipsls aucto- 
ribus quorum fuit res. Ego sum haeres apostolorum ', » 

1. Depraescr., 20, 2|. 
a. De praescy.i 36. 
3. De praescr., 37. 



LES TIJÉOLOGIENS OCCIDENTAUX DU IIP SIECLE. 343 

Plus tard, sans doute, Tertullien oubliera ces décla- 
rations, et il opposera à Tautorité de la tradition et de 
l'Higlise universelle, et de l'Eglise de Rome, l'autorité 
de l'inspiration privée et des charismes. Il invoquera 
la vérité contre la coutume et ne verra plus dans la 
nouveauté de la doctrine une marque certaine de l'hé- 
résie ^ Mais alors Tertullien sera sorti de Fliglise ou 
près d'en sortir. Saint Cyprien, lui aussi, alors que le 
pape Etienne invoquait la tradition de son Eglise, 
écrira, dans la controverse baptismale, qu'il faut non 
pas prescrire par la coutume, mais vaincre par la 
raison 2. Et cependant il n'est pas douteux que saint 
Cyprien, tout comme Tertullien catholique, n'ait re- 
gardé l'enseignement de l'Église, et plus particulière- 
ment des évêques sur qui l'Eglise est établie, comme 
la norme de la foi ^. N'enseigne-t-il pas que l'iigiise 
seule possède l'Esprit-Saint, et qu'elle est seule par 
conséquent dispensatrice de la vérité et de la grâce? 

Tertullien trouve l'enseignement de l'Eglise résumé 
dans le symbole — la régula fidei, la lex fidei, comme 
il dit dans son langage de juriste '• — dont il repro- 
duit la substance et, dans une certaine mesure, la for- 
mule^. Ce symbole ne saurait être soumis à discussion : 
au contraire de la discipline et des usages qui peuvent 
changer, il est immuable et irréformable ^. Même la 
nouvelle effusion du Paraclet commencée enMontanl'a 
respecté, bien qu'elle ait supprimé certaines indulgen- 
ces en matière de morale consenties par Jésus-Christ'. 

1. De Virgin. veL, i. 
8. Epist. LXXI, % 3. 

3. Voir Epist. LXIIf, i. 

4. De praescr., 13, d4; De virgin. veL, i. 

5. Tertullien a donné trois formules du contenu du symbole, De 
praescr., 13; De virgin. veL, 1; Adv. Prax., 2. C'est la seconde qui 
présente l'allure la phis simple, la plus liturgique. 

6. De virgin. vel, 1. 

7. Ibid.; De monog., 14. 



344 LA THÉOLOGIE ANTÉNICÉENNE. 

En dehors du svmbole, Tertullien admet les recher- 
ches et les conjectures là où subsiste l'obscurité ou 
l'incertitude; mais il y est généralement peu favorable. 
L'abus qu'en ont fait les hérétiques le rend défiant vis- 
à-vis des études qui vont à approfondir curieusement 
les Ecritures et la foi^ C'est dire qu'il n'a que peu 
de goût pour la philosophie. Il ne l'exclut pas toutefois 
entièrement des moyens qui peuvent établir ou corro- 
borer la vérité religieuse. Par moments, il constate 
que cette philosophie est d'accord avec le christianisme 
sur les vérités fondamentales du dogme et de la morale 
révélés, que certains de ses représentants ont pressenti 
et connu, vaguement du moins, le Logos, les anges et 
les démons, quelques autres de nos croyances encore ^ : 
« Seneca saepe noster ^ ! » que l'âme humaine est en 
quelque sorte naturellement préparée pour accueillir 
la parole divine''; et Tertullien estime, dans ces cas, 
la philosophie comme une alliée et une force bienfai- 
sante. Mais quand il remarque que les hérésies sont 
venues précisément de ce que leurs auteurs ont tenté 
une combinaison impossible entre les données de leur 
philosophie et celles de leur foi, de ce qu'ils ont voulu 
plier celle-ci aux raisonnements et aux systèmes hu- 
mains, alors il s'indigne et s'impatiente : « Adeo quid 
simile philosophus et christianus ? Graeciae discipulus 
et caeli? famae negotiator et vitae?... amicus et ini- 
micus erroris? veritatis interpolator et integrator et 
expressor, et furator ejus et custos^? » Les hérésies 

1. De praescr., 8-12, 44 : € Fides, inquit (Christus) tua te salvum fecit, 
non exercitalio scriplurarum. Fides in régula posita est : babet legem 
et salutem de observalione legis : exercitatio autem in curiositate con 
sistit, babens gloriam solum de peritiae studio. > 

2. Apologet., ûi, 22, 48. 

3. De anima, 20. 

4. Apolog., 17, 21; 46-48; De spectac, 2; De anima, 2; De ietHlAi^ 
animae, tout entier. 

5. Apolog., 46. 



LES THEOLOGIENS OCCIDENTAUX DU III" SIECLE. 345 

sont le fait de la philosophie * ; les philosophes sont les 
« patriarches des hérétiques ^ ». 

Saint Cyprien est, à ce point de vue, dans la ligne 
de Tertullien et, s'il se peut, plus radical encore. On 
a remarqué que l'œuvre de cet ancien rhéteur ne con- 
tenait pas une seule citation des auteurs profanes, tant 
il avait renoncé complètement à ses préoccupations 
antérieures. Il ne croit guère à la vertu des philoso- 
phes, et déclare que des philosophes aux chrétiens il 
y a très loin. C'est l'influence pernicieuse de la philo- 
sophie qui a conduit No vatien àla révolte et au schisme 3. 
Commodien non plus n'a rien d'un philosophe. Arnobe, 
par tempérament et par culture, l'est davantage. Il 
loue quelques-uns des anciens philosophes, et constate 
volontiers qu'ils ont entrevu certaines vérités princi- 
pales du christianisme^. Mais il les blâme d'avoir 
voulu tout ramener au niveau de la raison humaine, 
et cette raison il se plaît à l'humilier et à en exagérer 
l'impuissance ^. Lactance ne tombe pas dans cette 
exagération. Pour lui, la raison ne peut tout savoir, 
mais elle peut savoir quelque chose, et les anciens phi- 
losophes l'ont bien montré qui ont eu, les uns ou les 
autres, des vues justes sur les grands problèmes de la 
vie^. 11 est vrai qu'ils n'ont pas apporté des solutions 
toujours certaines, qu'ils ont manqué d'unanimité et 
se sont contredits d'école à école, que leur doctrine 
notamment n'a pas fait à Dieu une assez grande place, 
et qu'à cause de cela elle n'a eu sur la réforme des 
mœurs et n'a exercé sur la foule qu'une influence insi- 
gnifiante"^. Mais lé christianisme peut combler ces 

1. De praescr., 7; et cf. De anima, 23. 

2. De anima, 3. 

3. De bono patientiae, 2; Episl. LV, 16; LX, 3. 

4. Adv. nationes, II, H, 13, 44, 36, ; III, 1. 

5. Id., 11, H, 50, 58 

6. Inslit., m, 6, 1, 2. 

7. Insdt.j III, 15, S; 27, I, 3, 13; 28, 3, S. 



346 LA THÉOLOGIE ANTÉNICÉÊNNE. 

lacunes et remédier à ces défauts. Il peut résoudre les 
antinomies qui embarrassent la raison ; et Lactance, 
se rendant compte du besoin qui se fait sentir chez les 
lettrés païens de trouver un exposé du christianisme 
qui en fasse ressortir la valeur philosophique, entre- 
prend cet exposé, et écrit ses Institutions divines. 11 
ne se sert pas de la philosophie pour creuser le dogme 
et pour le traduire en termes techniques : il s'en sert 
plutôt pour mettre en évidence le côté rationnel de la 
doctrine chrétienne et l'accord qu'elle présente avec ce 
qui a étéjusque-là pensé de mieux dans tous les temps^ . 

Ainsi, après plus d'un siècle, l'africain Lactance en 
revenait, vis-à-vis de la philosophie, à l'attitude qui 
avait été celle de Minucius Félix. A Rome, saint Hip- 
polyte paraît n'avoir eu pour elle que de l'indifférence. 
Le premier livre des Philo sophoumena est consacré 
à décrire les systèmes des principaux philosophes de 
la Grèce. Manifestement, l'auteur les connaît mal et 
les estime fort peu. Il n'en parlé d'ailleurs que pour 
montrer que les hérétiques y ont puisé les principes 
de leurs erreurs : en quoi il a très peu réussi. En somme, 
saint Hippolyte, homme de l'Ecriture et de science 
purement ecclésiastique, n'a point donné de place à 
la philosophie dans ses préoccupations doctrinales. 

Concluons que la théologie occidentale du m^ siècle, 
fidèle à l'esprit de saint Iréiiée, a consulté surtout, 
pour s'édifier, l'Écriture inspirée et la tradition. Elle 
n'a donné à la spéculation rationnelle qu'une attention 
secondaire. 

Avant d'exposer en détail les enseignements de cette 
théologie, il est nécessaire de voir quelles controverses 
l'ont agitée à cette époque, et quels problèmes elle a 
dû plus particulièrement résoudre. 

1. Sur la philosophie dans Arnobe et Lactance, voir R. Pichon, Lac- 
lance, p. 49-57; 88-110. 



CHAPITRE IX 



LES CONTROVERSES CHRISTOLOGIQUBS ET TRINITAIRES EN 
OCCIDENT A LA FIN DU 11^ ET AU COMMENCEMENT DU 
III® SIÈCLE. 

Le christianisme regardait comme un dogme fonda- 
mental l'unité de Dieu, et ses docteurs avaient dû y 
insister contre le dualisme plus ou moins explicite 
de la g-nose. 11 admettait, d'autre part, comme non 
moins certaine la divinité de Jésus-Christ. Entre ces 
deux croyances une contradiction semblait exister qui 
ne pouvait manquer d'attirer de bonne heure l'attention 
des théologiens. Comment concilier la foi en un Dieu 
unique avec la foi en la divinité du Rédempteur? 
Commentne confesser qu'un seul Dieu, si ce Verbe que 
saint Justin si énergiquement dit être ^tspoç apiôfjiœ par 
rapport au Père, est lui-même Dieu? 

La difficulté en effet avait été aperçue très vite, et 
on se souvient que les apologistes s'étaient efforcés de 
la résoudre en remarquant que la présence de la 
nature divine dans le Fils est l'effet d'une commu- 
nication et d'une distribution, non d'une division. 
D'autres docteurs, signalés par saint Justin [Ùial.,. 
cxxviii), avaient adopté une autre solution. Ils ensei- 
gnaient que le Verbe était simplement une puissance 
(Suvaatç) de Dieu, inséparable de lui Comme la lumière 

347 



348 LA THÉOLOGIE ANTÉNICÉENNE. 

l'est du soleil, qu'il étendait hors de lui ou retirait à 
lui à sa volonté ' , et à laquelle on donnait diiïérents 
noms, ange, gloire, homme, logos, suivant la forme 
qu'elle prenait ou les fonctions que l'on considérait en 
elle. Ces docteurs étaient-ils chrétiens, où étaient-ce, 
comme le pense Otto 2, des juifs alexandrins? Nous 
l'ignorons. Saint Justin, en tout cas, repousse leur 
explication comme ne mettant entre le Père et le 
Verbe qu'une distinction purement nominale : et il est 
impossible en effet de n'être pas frappé de l'analogie 
qu'elle présente avec certains systèmes sabelliens du 
lY^ siècle. 

Elle fut reprise cependant moins de cinquante ans 
après saint Justin, mais en réaction d'une autre erreur 
qui l'avait précédée : la négation de la divinité de 
Jésus-Christ. 

Il s'est produit à ce propos dans l'histoire ecclésias- 
tique, et dans l'histoire des dogmes en particulier, une 
confusion qu'il faut dissiper en quelques mots. 

On a supposé que ces deux erreurs, la négation de 
la divinité de Jésus-Christ et le patripassianisme ou 
modalisme, étaient nées toutes deux de la préoccupa- 
tion de maintenir l'unité, la monarchie divine ^, et on 
leur a donné le nom commun de monarchianisme. 
Puis, pour les distinguer entre elles, ona surnommé la 
première monarchianisme dynamique, parce qu'elle 
n'admettait, comme présente en Jésus-Christ, que la 
puissance ou la grâce (Sovafxtç), et non l'essence même 
de Dieu (oC<r(a); tandis que l'on surnommait la seconde 
monarchianisme patripassien, parce qu'elle attribuait 
à Dieu en général ou au Père les souffrances de Jésus- 

1. Aûva{j,iv aùtoù npomr^SSv itoicT, hkI, Sxav ^ou>.Y;Tat, nà>iv &va- 
oTcXXci el; aÙTOv. 
3. Note 4, ad loc. cit., dans SOQ édition du Dialogue. 
3. Movatien semble confirmer cette manière de voir (De Trinitate,30). 



L'ADOPTIANISME ET LE PATRIPASSIANISME. 3i9 

Christ. Or, de ces dénominations, la dernière est his- 
toriquement exacte et avouée des contemporains. Mais 
jamais ceux-ci n'ont donné le nom de monarchianisme 
à l'hérésie de Théodote et d'Artémon, et surtout — 
chose plus importante — on ne voit nulle part que 
Théodote et Artémon aient été amenés à nier la divi- 
nité du Christ par le désir de sauvegarder l'unité, la 
monarchie divine. Cette monarchie stricte résultait 
sans doute de leur système, mais elle n'en a pas été la 
raison d'être, et c'est pourquoi le nom de monarchia- 
nisme ne lui convient pas ^ . M. Harnack a proposé de 
le remplacer par celui à^ adoptianisme. C'est la doc- 
trine qui fait de Jésus-Christ non le fils naturel, mais 
le fils adoptif de Dieu par la grâce. Cette appellation 
nous semble plus juste, et nous nous en servirons 
ici^. 

S *• — L'adoptianisme. 

L'adoptianisme s'est montré successivement dans 
deux centres assez éloignés l'un de l'autre, à Rome à 
la fin du II* siècle, et vers 260-270 à Antioche. Ces 
deux manifestations sont reliées entre elles par le nom 
d'Artémon, et la dernière, à son tour, a rattaché, par 
le lieu où elle s'est produite, l'adoptianisme à l'aria- 
nisme. Il sera question plus loin de l'adoptianisme à 
Antioche : nous nous occuperons exclusivement, dans 
ce paragraphe, de l'adoptianisme romain. 

Il eut pour premier auteur un riche corroyeur de 
Byzance nommé Théodote^, érudit et d'une éducation 

*. L'hérésie de Théodote n'est pas une hérésie trinitaire, comme 
celle de Noet, mais bien christologique. 

2. Elle a sans doute l'inconvénient de désigner déjà une hérésie es- 
pagnole du VIII' siècle, mais la confusion est facile à éviter, et puisqu'il 
f^ut toujours faire une distinction, celle-ci portera du moins sur un 
terme exact. 

3. Sources spéciales : S. Hippolyte, PhiUsophoumena, VU, 3S; x, 23; 

20 



650 LA THÉOLOGIE ANTENICÉENNE. 

soignée, qui, ayant apostasie dans une persécutionj 
vint à Rome pour y cacher sa honte. Il fut reconnu, 
et, pour se justifier, allégua qu'après tout, en reniant 
Jésus-Christ, il n'avait pas renié Dieu, mais seulement 
un homme ^. Pressé de s'expliquer, il développa sa 
doctrine et s'elîorça de l'appuyer sur des textes de 
l'Écriture dont saint Épiphane a conservé la liste et le 
commentaire. Cette doctrine est fort simple etrapportée 
substantiellement de la même façon par nos diverses 
sources. Sur la création, disent les Philosophoumena 
(vu, 35), Théodote admettait l'enseignement de l'É- 
glise. Mais d'après lui, Jésus n'était qu'un homme né 
d'une vierge, qui avait vécu plus religieusement 
{sùiîsésiîTaTov) que ses semblables. A son baptême dans 
le Jourdain, le Christ était descendu sur lui sous la 
figure d'une colombe, et lui avait communiqué les 
puissances {ouva}j(.£i(;) dont il avait besoin pour remplir 
sa mission. C'est pour cela qu'avant ce moment, il 
n'est pas, dans sa vie, question de miracles. Cette effu- 
sion du Christ, ainsi confondu avec l'Esprit- Saint, n'a- 
vait pas fait sans doute que Jésus devînt Dieu. Il l'était 
toutefois devenu, au dire de quelques théodotiens, 
après sa résurrection. 

Vers 190, Théodote fut excommunié par le pape 
Victor. 11 parvint cependant à maintenir son parti, et 
même à organiser à Rome une communauté schisma- 
tique. Recrutée dans un cercle étroit de lettrés et d'é- 
rudits, celle-ci ressembla plutôt à une école qu'à une 
église. Les études y étaient en honneur, mais — nous 
disent, il est vrai, des adversaires — avec une ten- 
dance rationaliste et positiviste marquée. Les auteurs 

IX, 3, 12; X, 27; Contra Noetum, 3, 4. Le traité contre Artémon cité par 
EiJsÈBE, H.E., V, 28. PiiiLASTRius, SO. S.ÉPiPHAME, Haer. Liv. Pseudo-Ter< 

TULLIES, 23. 

1. ©Eov âYt^ oOx Y)pvri<jâ(ji,iriv, àXXà âv9p(<ïTtov^pvïi(7à[j.ï)v(S.É«PH., Haer. 

LIV, 1). • . • 



L'ADOPTIANISME ET LE PATRIPASSIANISME. . 351 

préférés étaient Euclide, Aristote, Tliéopliraste, Ga- 
lien : des logiciens, des géomètres, des médecins. La 
méthode qiie l'on puisait dans leurs ouvrages était 
ensuite appliquée à l'explication des Écritures, D'in- 
terpréter celles-ci suivant la tradition et en conformité 
avec l'enseignement de l'Eglise on ne se souciait guère ; 
mais on se préoccupait d'en établir exactement le 
textCj et d'en ramener les exemplaires à la correction 
primitive, ce sur quoi d'ailleurs on ne parvenait pas à 
s'entendre. L'exégèse en était exclusivement gramma- 
ticale et littérale : elle se réduisait aux syllogismes 
<;onjonctifs ou disjonctifs qu'il était possible d'extraire 
d'un passage donné. 

Entre les théodotiens qui se distinguèrent dans ces 
exercices, le traité contre Artémon, qui donne ces dé- 
tails, signale Asclépias ou Asclépiodote, Hermopliile, 
Apollonius, auxquels il faut joindre sans doute un 
certain Natalius, qui fut quelque temps évêque du 
schisme sous Zéphyrin. Mais do tous les disciples du 
corroyeur, le plus connu est un second Théodote, sur- 
nommé le banquier, qui fonda la secte particulière des 
Melchisédéciens ^ . 

. Il partageait sur la personne de Jésus les erreurs de 
son maître, en y ajoutant sur celle de Melchisédec des 
spéculations bizarres- Celui-ci était plus grand que 
Jésus : il était la plus grande puissance (Siivau.iv xtva 
(xsYfo'cïiv), « la vertu céleste de la grâce principale », 
médiateur entre Dieu et les anges, et aussi, dit saint 
Épiphane (^aer. lv, 8), entre Dieu et nous (eîaaYWYsa), 
spirituel et Fils de Dieu (uveup-aTixoç xal wîoç ôsoïï). C'est 
pourquoi nous devons lui présenter nos offrandes, afin 

i. Sources spéciales : Phifosophoumena, VU, 36; X, 24. Le traité 
contre Artémon dansEusÈBE, H. E., V,28.PsEUDo-TERTnLLiEN, 24. Philas- 
TKius, 52. Saint Épiphane, Haer, lv. Eustathe d'Antioche, ap. F. Caval- 
LERA, s. Euslathii Antioch. in Lazarum... homilia christologica, 
Paris, 1908, p. xii-xiv. 



352 . LA THÉOLOGIE ANTÉNICÉENNE. 

qu'il les présente à son tour pour nous, et que par lui 
nous obtenions la vie. — Quelle était au juste la portée 
de ces expressions, il n'est pas aisé de le dire. Remar- 
quons seulement que le premier Théodote semble avoir 
confondu le Christ avec l'Esprit-Saint ; d'autre part 
nous voyons ici Melchisédec nommé — avec allusion à 
VEpître aux Hébreux (vu, 3) évidemment — fils de 
Dieu. Or, saint Epiphane {Haej\y/, 5, 7) nous apprend 
qu'un peu plus tard, Melchisédec était identifié par un 
Égyptien, Hiéracas, avec l'Esprit-Saint, et par certains 
chrétiens avec le Fils de Dieu qui serait apparu à 
Abraham ^ . D'étranges malentendus se sont évidemment 
produits ici qu'il suffit d'avoir signalés. 

Le dernier représentant de l'adoptianisme en Occi- 
dent fut Artémon ou Artémas. Nous ne savons guère 
sur lui que ce que nous apprend le traité contre son 
sys:tème cité par Eusèbe {H. E., v, 28). Il dut enseigner 
à Rome vers l'an 235 ou même plus tard, et est pré- 
senté par le troisième concile d'Antioche, tenu en 
266-269, comme le père en hérésie de Paul de Samo- 
sate, et vivant encore à cette époque [H. E., vu, 
30, 16, 17). Quant à ses relations avec l'école théo- 
dotienne, elles sont assez obscures. Théodote avait été 
condamné par le pape Victor vers 190. Or, Artémon 
prétendait que la doctrine qu'il prêchait lui-même avait 
été celle de l'Eglise romaine jusqu'à Zéphyrin exclu- 
sivement (199-218). Comment, s'il n'avait fait que con- 
tinuer et répéter Théodote, aurait-il pu émettre pareille 
assertion ? Il a donc vraisemblablement existé au moins 
une nuance entre les deux écoles ; mais nous ignorons 
en quoi elle consistait. On sait seulement qu' Artémon 
niait, lui aussi, la divinité de Jésus-Christ. 

1. Plusieurs auteurs en effet ont yu en Melchisédec une théophanio. 
Ceci explique qu'on l'ait identiOé avec le Fils ou le Saint-Esprit, et que 
Théodote l'ait proclamé plus grand que Jésus homme. 



L ADOPTIANISME ET LE PATBIPASSIANISME. 353 



S 2. — Le monarchianisxue patripassien ^ 

L'erreur adoptianiste n'avait, en somme, que fort 
peu troublé l'Occident : elle s'attaquait à une croyance 
trop bien établie pour qu'elle pût sérieusement l'ébran- 
ler. Il n'en fut pas de même du patripassianisme. La lutte 
qu'il souleva fut considérable autant par les person- 
nages qui y prirent part que par les intérêts enjeu. Elle 
eut d'ailleurs son prolongement en Orient, et y pro- 
voqua, nous le verrons plus loin, d'importants débats. 

Praxéas, d'après TertuUien, aurait le premier im- 
porté à Rome, ou plutôt en Afrique l'erreur patri- 
passienne. Ce qu'a été Praxéas nous l'ignorons abso- 
lument, et quelques-uns même (De Rossi, Hagemann) 
se sont demandé si on ne devait pas l'identifier avec 
Épigone ou Calliste. On a supposé avec plus de vrai- 
semblance que, venu à Rome sous Éleuthère ou Victor 
(vers 180-200), et ayant éclairé Zéphyrin sur le vrai 
caractère du montanisme, il était ensuite passé en 
Afrique où il développa sa doctrine. Là, il rencontra 
TertuUien qui le convainquit d'erreur et lui fit signer 
une rétractation. On expliquerait ainsi que son nom 
ne soit pas connu de saint Hippolyte. 

Saint Hippolyte, en effet, donne Noët comme le 
premier fauteur du monarchianisme, et met à Smyrne 
le berceau de l'hépésie. Deux fois mandé devant le 
presbyteriiim de cette ville pour s'expliquer sur ses 
propos scandaleux, Noët finit par les avouer et fut 
excommunié. Il ouvrit alors une école qui essaima 
bientôt. Cette affaire doit se placer entre les années 
180-200. 

1. Sources : TERTCttiEN, Adversus Praxean. Saint Hippolyte, Contra 
Noetum; PAi'tosopAoMJwenœ, IX, 7-12; X, 27. Pseodo-Tertl'llien, 23. Saint 
ÉPiPHANE, Eaer, vni] lxii. Philastrius, 53, S4 

20. 



354 LA THÉOLOGIE ANTÉNICÉENNE. 

Épigone apporta à Rome la doctrine patripassienne 
sous Zéphyrin ou un peu avant (vers 198-210). Il y 
forma un parti indépendant, et trouva dans Cléomène 
un disciple et un collaborateur précieux. Celui-ci devint 
chef de la secte jusqu'à ce que prévalurent chez elle le 
nom et la personne de Sabellius. A ce moment l'hérésie 
atteignit son plus grand développement, et la contro- 
verse battit son plein. On n'entendait, dit Tertullien ^ , 
que des gens qui parlaient de monarchie : a Monar- 
chiam, inquiunt, tenemus ! j) La communauté chrétienne 
en fut gravement troublée. 

Quelle était donc cette monarchie que prêchaient les 
novateurs, et quelle solution apportaient-ils au pro- 
blème trinitaire ? 

Nous avons du monarchianisme trois exposés, deux 
de saint Hippolyte, un de Tertullien, à peu près iden- 
tiques. Les hérétiques nous y apparaissent mus — saint 
Hippolyte le dit explicitement ^ — non seulement parle 
désir de sauvegarder l'imité divine, maisaiîssi — et cela 
explique en partie leur succès — par la volonté de 
maintenir la pleine diviaité de Jésus-Christ, ils n'y 
parviennent malheureusement qu'en sacrifiant la dis- 
tinction personnelle du Père et du Fils, -en faisant 
d'eux les deux aspects d'une même personne. 

Ce dernier point constitue l'article foudameatai du 
système : « Duos unniim voiunt esse ut idem pater et 
fÛius habeatur 2. m Dès losrs le Verbe n'existe pas à part 
soi : 'û. n'est qu'un autre nom du Père, un flalus vocis 
« vox et sonus oris... aer offensus... ceterum neseio 
quid ^' » ; le premier chapitre de saint Jean n'est qu'une 
allégorie : °ltoavvrj< juiv y^» XéfeiTiÔYov, aXV àXXo)? ^Xrç^<y^tl ^. 

i. Adv. Praxean, 3. 

2. Contra Noelum, i, 9. 

3. Adv. Praxean, S-, PhUosoph., IX, 10. 

4. Adv.P^'axcan, 7. 

5. Contra Noetum, 13. 



L'ADOPTIAKISME JST LE PATRIPASSIANISME. 355 

C'esl, en réalité, le Père qxii est descendu dans le sein 
de la Vierge, qui est né, et, en naissant, est devenu 
Fils, son propre Fils à soi, procédaut de lui-même *. 
C'est lui qui a souffert et qui est mort (palripassia- 
nîsme) ; lui qui s'est ressuscité ^, présentant en consé- 
quence, suivant qu'on le considère dfinsun état ou dans 
un autre, des attributs en apparence contradictoires, in- 
visible et visible, inconnaissable et coanaissable, incréé 
et créé, éternel et mortel, inengendré et engendré^. 

Ainsi entendue, la théorie est aussi simple que pos- 
sible. Il ne se pouvait cependant que, mis en face des 
textes qui établissent la distinction réelle du Père et du 
Fils, les modalistes n'essayassent pas, sans sacrifier le 
fond de leur enseignement, de les expliquer. Ils le fi- 
rent en déclarant qu'en Jésus-Christ le Fils c'est la 
chair, l'homme, Jésus, tandis que le Père c'est l'élémerrt 
divin uni à la chair, c'est le Christ : « ut aeque in una 
personautrumque distinguant patremetfilium, dicentes 
filium carnem esse, id est hominem, id est lesum, pa- 
trem autem spiritum, id est deum, id estChristum'*». 
D'où la formule qui excitait la bile de Tertullien : « Fi- 
lins sic quidem patitur, pater vero compatitur^. » 

Telle est l'erreur patripas sienne ou modaliste ensei- 
gnée à Rome par les monarchiens dans le premier 
quart du iii^ siècle. On avait supposé, jusqu'à la décou- 
verte des Philosophoutnena, que Sabellius personnel- 
lement avait vécu plus tard, et que son système différait 
un peu de celui-ci. Il n'en est rien. L'auteur des Philo- 



t. Philosoph., X, 10; X, 27; Adv. Praxean, 40 : « Ipse se sîbi filium 
fecit »;'l:l;«f. l,â. 

2. Contra Noelum, i, 3; Philosoph., IX, 10; Adv. Praxean,\ : c Ip- 
sum dicit patrem... passum = ; 2 : « Post tempus pater natus et pater 
passus • ; ds. 

3. Philosoph., IX, 10 ; Adv. Praa^ean, U, 13, 

4. Adv. Praxean, 27 ; Philosoph:, IX, ii (pp. 442, 443). 
8. Adv. Prax., 29. 



366 LA THÉOLOGIE ANÏÉiNICÉENNE. 

sophoumena, qui l'avait connu et fréquenté, en fait un 
contemporain de Zéphyrin et de Calliste, et ne signale 
entre son enseignement et celui de Cléomène aucune 
divergence. Mais, comme la secte sabellienne se main- 
tint dans l'Église au moins jusqu'au milieu du v® siècle, 
des modifications se produisirent peu à peu dans sa 
doctrine qui l'amenèrent à une forme plus compliquée 
et plus savante. C'est sous cette forme que le sabellia- 
nisme nous est présenté dans les réfutations qui en fu- 
rent faites au iv® siècle par Eusèbe, saint Athanase et 
saint Hilaire à l'occasion de Marcel d'Ancyre. Elle n'est 
pas la forme primitive, mais elle en dérive manifeste- 
ment. On en trouvera dans Me"" Duchesne un excellent 
exposé ^ 5 et nous aurons l'occasion d'y revenir. 



S 3. — L'opposition au monarchianiszne^. 

Lemonarchianismepatripassien se heurta, à Rome, à 
deux oppositions : une opposition d'école et une 
opposition officielle de l'autorité ecclésiastique. D'une 
part, des docteurs, manifestant une tendance toute con- 
traire à celle de l'hérésie, Tertullien, saint Hippolyte, 
réfutèrent avec vigueur et succès Praxéas, Epigone, 
Cléomène, Sabellius ; d'autre part, les papes Zéphyrin 
et Calliste intervinrent dans le débat pour condamner 
finalement la nouvelle erreur. 

Dire ici en détail la doctrine et les arguments que 
les premiers opposaient aux patripassiens serait anti- 
ciper sur l'exposé que nous devons faire un peu plus 
loin de leur enseignement^. Qu'il suffise de remar- 



i . Origines chrétiennes, chap. xviii, p. 282. 

2. Les ouvrages relatifs à cette question ont été signalés à propos 
de saint Hippolyte et des Philosophoumena, ci-dessus, p. 337, note 3. 

3. Voir le chapitre x. 



L'ADOPTIANISME ET LE PATRIPASSIANISME. 357 

quer que cet enseignement, tout en restant correct au 
fond, tendait cependant, par réaction, à exagérer la 
distinction du Père et du Fils, Pour réfuter l'erreur 
monarchianiste, saint Hippolyte et les siens inclinaient 
manifestement vers l'erreur contraire. 

Quant à l'opposition faite au monarchianisme par 
l'autorité ecclésiastique, elle demande à être étudiée 
avec soin. 

Si nous en croyions certains de nos documents, celte 
opposition n'aurait, au fond, jamais existé, et les 
évêques de Rome, Victor, Zéphyrin et Calliste auraient 
favorisé ou même professé l'hérésie. 

La chose, pour le pape Victor, est insinuée par Ter- 
tnl[ien{Adç.Praa;.j 1), et affirmée sans détour par l'au- 
teur du catalogue héréséologique qui termine le traité 
De praescriptione, — lePseudo-Tertullien, comme on le 
nomme communément: « Sedposthos (haereticos) om- 
nes etiam Praxeas quidam haeresim introduxit, quam 
Victorinus corroborare curavit » (25). 11 n'y a pas lieu 
cependant de s'arrêter longtemps à l'examen de cette 
accusation. Elle est très vague dans Tertullien, elle 
vient d'un anonyme dans le catalogue. La leçon même 
Victorinus ne désigne pas Victor si elle est exacte, et, 
si elle est une altération, il se peut qu'elle désigne 
Zéphyrin ^ Les Philosophoumena ne font aucun re- 
proche à Victor, et l'on comprendrait fort bien d'ail- 
leurs, qu'ayant reçu de Praxéas, dans l'affaire du mon- 
tanisme, un utile conseil, ce pape lui ait témoigné 
d'abord de la bienveillance, et ne Tait pas repris d'une 
erreur que l'hérétique n'a dû développer que plus tard. 
C'est assez pour qu'on écarte du débat qui va suivre 
le nom et la mémoire de Victor. 

Mais pour Zéphyrin et Calliste, les accusations des 

1. Voir l'annotation d'Oehler, dans son édition de Tertullien, II, p. 765, 



SÔ8 LA THÉOLOGIE ANTÉNICËENNJE. 

Philosophoitmena sont précises. Le premier, rapw 
portent'ils, favorisait l'iiérésie. Il permit d'abord d'al- 
ler entendre les nouveaux docteurs; puis il professa 
lui-même leur doctrine : « Je ne connais qu'un Dieu, 
disait-il, Jésus-Christ, eten dehors de lui aucun autre, 
qui est né et qui a souffert. Et il ajoutait : Ce n'est 
pas le Père qui est mort, mais le Fils : ce qui causait 
dans le peuple de continuelles disputes ^ . » 

Quant à Calliste, après nous avoir donné de sa vie 
antérieure un récit au moins tendancieux, l'auteur des 
Philosophoumena nous le montre, devenu le diacre 
de Zéphyrin, allant d'un parti à l'autre, paraissant 
être de l'avis de tout le monde, mais en réalité fa- 
vorable à l'erreur, pervertissant notamment Sabellius 
qu'il ramenait vers Cléomène. et traitant de dithéistes 
les docteurs orthodoxes^. 

Cependant, continue saint Hippoly te ^, Zéphyrin mou- 
rut (217) et Calliste lui succéda. Combattu par de puis- 
sants adversaires, étroitement surveillé et plus en vue 
que jamais, le nouveau pape sentit qu'il fallait rompre 
avec les patripassiens, et condamna Sabellius, Mais il 
n'était pas sincère, et comme Sabellius le poursuivait 
de ses reproches, il imagina une modification de son 
ancienne erreur. Suit l'exposé de ce monarchianisme 
modifié dont j'ai déjà donné une idée d'après Tertul- 
lien"*, et que M^ Duchesne ^ ramène aux points sui- 
vants : « 1° En dehors de l'incarnation, la différence 
entre le Père et le Fils est purement nominale. 2** L'in- 



A. Philosoph., IX, M : *E-^iy olôa Iva 6eôv Xpicrtov 'iTjffoûv, xal itXriV 
aùtoù ëtEpov où5Éva ytvrixbv %a\ 3ta8f,TOv. FIotè ôè Xéytov* oijr ô natrlp 
àrtiOavEV, à),).à ô vlôç, oûtwç âTtauoiîo-j tYjv cxàiiv èvTw Xat^ôie-rijor.GEv. 

2. Philosoph., IX, 11, 12; Contra Noet., 14; Tertuluen, Adv. Prax., 
3 : « Duos et tres (deos) iam iactitant a nobis praedicari. » 

3. Philos., IX, 11, 12. 

4. V. plus haut, p. 3o3. 

5. Origines chrétiennes, p. â86. 



L'ADOPTIANISME ET LE PATRIPASSIANISME. 359 

carnation est la raison de la différence réelle : dans 
Jésus-Clirist, l'élément visible et humain, c'est le Fils: 
l'élément invisible, et divin, c'est le Père. 3° L'union 
de ces deux éléments est assez intime pour qu'on affirme 
qu'ils ne forment qu'un seul être, pas assez pour que 
le Père, c'est-à-dire l'élément divin, ait souffert : il 
n'a fait que compatir. » 

Ces accusations contre Zépbyrin et Calliste reposent, 
observons-le bien, sur la seule autorité des Philoso- 
phoumenaj et l'antipape qu'a été leur auteur avait de 
bonnes raisons pour n'aimer ni Zépbyrin, qui avait 
fait la fortune de Calliste, ni surtout Calliste regardé 
comme pape légitime. Les formules reprochées au 
premier sont d'ailleurs trop peu explicites pour qu'on 
les puisse qualifier : en soi elles sont orthodoxes, et la 
seconde rejette formellement le patripassianisme ^ . 

Quant à Calliste, deux choses sont certaines : il a 
traité les partisans de l'école trinitaire de dithéistes, 
et il a condamné Sabellius ; mais il a seulement repris 
les premiers, il leur a montré le terme dernier de leur 
tendance — et cette tendance explique qu'il ait d'abord 
détourné d'eux Sabellius, — tandis qu'il a formellement 
ensuite condamné celui-ci. L'a-t-il fait par pure poli- 
tique, et â-t-il vraiment soutenu le système que lui 
^TéXeuiles PhilosophoumenaPli est bien remarquable 
que TertuUien, qui n'aimait pas Calliste et qui lui a 
reproché bien d'autres choses, ne l'en accuse pas. Le 
témoignage de l'auteur des Philosophoumena est isolé 
et c'est celui d'un ennemi personnel. 11 n'est corroboré 
par aucun vestige, qui soit resté dans la doctrine ro- 
maine du temps, d'un enseignement modaliste quel- 
conque. Dans ces conditions, on ne saurait l'accepter 

1. Remarquons bien en effet que les Philosophoumena ne reprochent 
pas à Zéphyria d'avoir soutenu le monarchianisme sous sa forme mo- 
diUée : celte modiGcalion ne s'est produite que plus tard. 



360 LA THÉOLOGIE ANTÉNICÉENNE. 

comme l'expression de la simple et pure vérité. Jus- 
qu'à nouvel ordre et en se basant uniquement sur les 
faits, Calliste doit être considéré comme orthodoxe. 

Le monarchianisme ne paraît pas d'ailleurs, après 
la condamnation dont il fut l'objet, avoir conservé à 
Rome ni en Occident des partisans bien nombreux. 
Saint Epiphane [Hae?\ lxii, 1) dit cependant qu'il y 
avait de son temps des sabelliens à Rome, et Maran- 
goni avait trouvé, en 1742, près du cubiculum de 
saint Calliste, une inscription semblant indiquer qu'il 
y avait là, au iv° siècle ou plus tôt, un lieu de sépul- 
ture pour les hérétiques*. Mais ces faits ne sont que 
des exceptions à une situation générale. C'est surtout 
en Orient et en Egypte que se conserva et se per- 
pétua le sabellianisme. 

1. L'inscription en mosaïque, accompagnée du monogramme cods- 
tanlinien, se trouvait auprès d une peinture représentant le Clirist 
entre saint Pierre et saint Paul. Elle portait : Qui et filius diceris elpa- 
ter inveniris. Cette inscription est perdue et l'on n'en a pas de repro- 
puction. 



CHAPITRE X 



LA. QUESTION PENITENTIELLE EN OCCIDENT AU 
III^ SIÈCLE. LE NOVATIANISME. 

S 1. La question pénitentielle à Rome sous Galliste <. 

En même temps que le sabellianisme troublait, à 
Rome, les pontificats de Zéphyrin et de Galliste, cer- 
taines mesures prises par ce dernier pape au sujet de 
la pénitence soulevaient contre lui l'opposition de 
Tertullien et d'Hippolyte. Nous voulons parler de ce 
qu'on appelle communément Védit de Galliste ^. 

Les données que nous avons recueillies jusqu'à la 
fin du II® siècle sur la pénitence se résument en ceci. 

1. Sources :Tertollien, De jjudicitm. S. Hippolyte, Philosopfiou'mena, 
IX, 12. — Travaux : E. Pueuschen, TertuUians Schriften De paenitentia 
und Depudicilia mit Rûcksicht auf Bussdisziplin untersucht, Giessen, 
18D0. E. ROLFFs, Das Indulgenz-Edikt des rômischen Bischofs Kallis 
Isritiseh untersucht, J-eipzig, 1893. Fr. X. Funk, Das Indulgenzedxkt des 
Papsies Kallisius, dans Quartalschr., tom. 88, lOOS. P. Batiffol, Études 
à^Histoire et de Théol. posit., S" éd., Paris, -1904. Id. L'édii de Calliste, 
d'après une conirov. récente, dans Bullel. de Littér. ecclés,, 1906. E. Va- 
CANDARD, Tertullien et les trois péchés irrémissibles, Revue du Cl. franc. 
19D7, p. 113-131. EssER, Die Bussschriften TertuUians... und dasindul- 
genzedikt des Papstes Kallistus, Bonn, 1904, Stefier, Die Bussdisziplin 
der abàndl. Kirche bis Kallistus, dans Zeitschr. f. katol. Theol., 
t. XXXI, 1907. A. 0'Alès, L'édit de Calliste, Paris, 1914. 

58. Tertullien, qui est le seul à mentionner expressément cet acte, ne 
donne pas le nom de son auteur. Mais on est à peu près unanime " à 
penser que cet auteur est un pape, et le pape Calliste. 

LA THÉOLOCIB ANTÉNICÉEMNE. 21 



362 LA THEOLOGIE ANTENICÉENNE. 

Il existe pour les pécheurs une seconde pénitence 
après le baptême. Cette pénitence comporte un aveu 
des fautes commises, et une expiation de ces mêmes 
fautes qui, en certains cas, est publique et de toute 
la vie : c'est l'exomologèse. Après cela, le coupable est 
réconcilié avec Dieu et avec l'Eglise. Exomologèse et 
réconciliation ne sont pas d'ailleurs affaire purement 
privée : elles ont un caractère canonique et discipli- 
naire : il y a dans FEg^iffe une institution de la Péni- 
tence. D'autre part, on ne trouve nulle part l'indice 
que certaiQiS péchés aient été: exclus é&' la ré'COBciiia- 
tion ecclésiastique.. Les; enlantsi impudiques et apos7 
tats d'Hermas, les femmes séduites parles marcosiens, 
les martyrs, d'abord renégats, de Lyon, ont reçu la 
paix aussi bien que les divers hérétiques ramenés à 
î'Égli&e par saint Polycarpe> 

Tout cela est certain., et cependant, jusqu'à cette 
époque, enveloppé souvent dans les textes plutôt que 
dît expressément et exposé d'une façon suivie. Surtout 
les détails manquent. Mais, dès le début du m* siècle, 
le sujet s'éclaire. L'editde Calliste et les critiques dont 
il a. été l'objet vont projeter, sur la question dalapéni- 
tencoi des lumières nouvelles. 

Ce décret, ou cette décision, de Calliste n'est connu 
que par TertuUien^, qui l'appelle ironiquement un 
ééit pérempt&irey et peuti-être par saint Hippolyte-, 
. dans les FàiTo&opkoumena,, ix,, 12. D' adirés TertuUien, 
il statuait d'abord et en substane© que désormais les 
fopnicateurs. et adultères seraîeni soumis à une péni- 
tence- seulem^ent temporaire ^ et o^fiehs sgb aceampli-sse^ 
ment, pourraient, comme les pécheur a ordinaires, être 
absolus: et péiotégrésï dans la c&mmiaiïicmï r « Aéimi 
quid'em peccatoribua, vel maxime eacne pollxrtia com- 
municatiooem, sed ad, praesens, restituendam sciiicel 
ex paenitentiae ambitu, ffecundum illam cleraentianj 



LA QUfiSTFQiS PÉiSITBNÏIELLE BNl OCCIDENT. 3^63 

dei- çiae ina^olt peecaliorisi paeînâbentiaTn c^ma mcpù- 
tem\ »■ C'est Callisfe lui-même qui leur danflaï^Fësb- 
soluldom d© leurs feutes : « Ego et moechiae et founiv. 
eatiûnis dellGta paemtenîtffia functis dimittO'* » ; éf s'il 
rappiGitait,. pjonir jiEstîierFoigip.oi't;UEfcitéi à& s» mesure, 
éïweBSBS raisons tiicées à& PÉeidtuîîe^ îl ailMgfoadt siiœ- 
plemenÉ, pour en établèc L'autoritév 1© pèavoïjr des 
clefs Bemis à saint Piecre et Gomnïuiaiqtïé à se» sue- 
cesseuESf : «< Srœpep hanc: ^petrassm aediiicaèo ecellesiram 
meam, tibi dabo claves regni caelegtrs, vel> qiKLeeuiBqaie 
ailli@av«mâ vel sûlvecia in teirra erunlalli^ata veï. solluta 
in-i ©aelfi»... Idcia'co p/raesumisr et aète dérivasse; ^qU- 
Y-eindi et.aLI%andii patestiatem,. id est ad. omaiem esém)- 
siana.' Pétri pr.opiai^iiiiaim'^-. »^ 

Le tém--04gnage: éè Teufcullien sur cette premi'èîîe 
dflS:p,®SBtibaj de! Fédit de C ai-liste; est GonfiiPmé par celui 
d'Bipp.olyte, dansa-; l-a cidtiqîagsr_g!éE©nale qae fait celui- 
ci des actesi du pape: : « he- pitemifôp.,. dit-il,. CaiHListe 
s'aivisa d'aaatQitisec la. volupté,, disant, qu'it Eemiettait à 
tou4ile!BiU5nde.4es péelaés. Quiefflnqjue: se. seraiit- laissé 
séduiTe.paF ucfautrcy poucvuî qu'il Mi» pépwftê chîiétiienj, 
ne. nendHait pas eomipte des. fautea qu'ili aurait mva.- 
miisesrs'iil recaupait à l'éGole: de Calltste^'v » 

Une seGondediapasition; de l'édit de (Cal&te, suiwaEt 
Tefitullienj,, aurait été d.e Eecûnnaître^ auix confeaseuits 
de la foi un pouvoir analogue de réconciliation. En 
quoi consistait au jiaHte cette facultés? Tectulâien. en 
paade^ com:iae; sd tes- raartycs pouvaient, sans- Fiaate»- 
vôntioitt: de-l'éwêqsi®,, afcsoudi'epimremjent; et sirap.iemen.t. 
le coupable et le réintégrer dans la communion °. Il 

\.J)ayfUàicUîait xwUj. 42* J'Indique ici',.ROUF. plusideîpréeisioUi.Uédit- 
tion DE Labriolle où les chapiterasQat di^visés;- eii:iiaméK)Si. 

3v Ici., xxfT,, 9., 
4»,2?Aj^os,„ISv lâ„pi.4â3ï 
S. De pudic, xxii, 1, 2, 6. 



364 LA THÉOLOGIE ANTÉNICÉENNE. 

serait cependant étrange qu'à Rome — où nous verrons 
que trente ans plus tard on refusait aux confesseurs 
presque toute qualité pour intervenir dans la réconci- 
liation des lapsi, — on- leur eût, sous Calliste, re- 
connu un privilège si considérable. Il faut sans doute 
ne pas entendre à la rigueur les paroles de Tertullien, 
et voir seulement, dans le pouvoir en question, la fa- 
culté de donner aux pécheurs des lettres de recom- 
mandation et de communion qui devaient recevoir la 
ratification de l'évêque. 

Enfin, si nous en croyons les Philosopkoumena, 
Calliste aurait pris, toujours sur le sujet de la péni- 
tence, une troisième disposition. « Il définit qu'un 
évêque tombé dans un péché même ad mortem ne 
devait pas être déposé » : eî iTricrxoTto; «[xaptoi ti, el xai 
Tcpoç ôavaxov, fxri SsTv xaTaTtôgcjôat (p. 444) ^. Mais ici encore 
le reproche est évidemment exagéré. La loi qui exi- 
geait que les clercs majeurs, coupables de fautes plus 
considérables, fussent déposés avant d'être soumis à 
la pénitence, puisqu'ils n'y pouvaient être soumis en 
gardant leur emploi, cette loi n'a pas été abrogée par 
Calliste, puisqu'elle a continué d'être en vigueur après 
lui. Peut-être quelque cas particulier s'est-il produit 
sous son pontificat, où l'on a cru pouvoir user d'in- 
dulgence. C'en serait assez pour expliquer l'imputa- 
tion qui lui est faite '^. 

Telles étaient donc, en matière pénitentielle, les 
mesures prises par Calliste entre les années 217-222. 
On vient de voir ce qu'il faut penser des deux dernières. 



1. Les Philosophoumena, au même endroit, reprochent à Calliste 
d'autres mesures fâcheuses; mais il est peu probable qu'elles aient été 
contenues dans l'acte visé par Tertullien. 

2. Une décrétale pseudoisidorienne {Epist. Calixtî, II, 20, Hinschius, 
p. 142) attribue seulement à Calliste une décision par laquelle il déclare 
que les évêques tombés peuvent, après avoir fait pénitence, être réta- 
blis dans leur ctiarge. 



LA QUESTION PÉiMTENTIELLE EN OCCIDENT. 365 

Mais la première soulève immédiatement une question. 
Calliste déclare que, pour lui, il remettra leurs péchés 
aux fornicateurs et aux adultères, après qu'ils en auront 
fait pénitence : « Ego et moechiae et fornicationis de- 
licta paenitentia functis dimitto. » Cette mesure a sus- 
cité des oppositions, et est présentée par TertuUien et 
Hippolyte comme une innovation. Est-ce donc qu'aupa- 
ravant ces péchés n'étaient pas remis par l'Eglise? 
C'est ce que paraît supposer en effet saint Hippolyte, et 
ce que TertuUien dit expressément. Au chapitre v, 14 du 
De pudicitia, il montre l'idolâtrie, l'adultère et l'homi- 
cide étroitement joints, formant un bloc, et soumis 
par l'Église au ' même traitement. Or, ce traitement 
est que les coupables de ces fautes doivent faire péni- 
tence sans doute, mais que les Eglises ne leur rendent 
pas la paix, c'est-à-dire ne leur remettent pas leurs 
fautes : « Hinc est quod neque idololatriae neque san- 
guini pax ab ecclesiis redditur » (xii, 5). Et Calliste est 
donc un inconséquent qui condamne définitivement 
l'idolâtre et l'homicide, et qui pardonne à l'adultère : 
« Idololatram quidem et homicidam semel damnas, 
moechum vero de medio excipis... Personae acceptio 
est, miserabiliores paenitentias reliquisti » (v, 14; 
XXII, 11, 12). A prendre ces affirmations à la lettre, on 
conclura qu'e.n effet c'était une discipline générale de 
l'Église, au moins en Occident, pour des raisons 
de prudence, et afin de maintenir élevé le niveau 
moral des communautés chrétiennes, de refuser le 
pardon aux idolâtres, aux adultères et aux homi- 
cides, et de les laisser s'arranger directement avec 
Dieu^. Mais peut-être n'est-on pas obligé d'aller 
jusque-là. Que certaines Églises, en Afrique surtout, 
peut-être sous la pression montaniste, aient pratiqué 
le rigorisme dont parle TertuUien, et cela, avant, ou 
1. C'est la conclusion de Funck, Batiffol, Vacandard et autres. 



même après V.éMt àe Galliste, Baini Cypriea l'affirme 
positivement au moins pour les adultères V, /^ Terfcul- 
lien, d'ailleurs, n'aiarait pu s'exprimer «om,îaîeiii'a fait, 
si la réalité l'eût universellement contredit. Les dé- 
clarations de Galliste non plus, à moins qu'elles ne 
soient une réponse à une eonsultation venae du deliors, 
ne s'expliqueraient pas si ce a-igorisme n'avait eu à 
Rome des partisans, et s'il n'avait existé dans le clergé, 
à ce point de vue, un certain partage des sentiments 
et de la conduite ^. Une pratique existait donc dans 
quelques Églises au début du iu^ siècle, et s'efforçait 
de s'établir en d'autres, qui refusait aux trois péchés 
capitaux Ja réconciliation ecclésiastique. Mais doit-on 
croire qu'elle était générale? Pour cela, il faudrait 
oublier qu'on n'en trouve aucune trace ou plutôt que 
l'on trouve trace de la pratique contraire dans les 
textes antérieurs à Galliste; que Tertullien lui-même 
n'en parle pas dans son De paenitenùia, composé entre 
les années 200-206, et qu'enfin le grand oontroversiste 
est coutumier, dans l'ardeur de ses polémiques, d'exa- 
gérations et d'inexactitudes qu'on est bien forcé sou- 
vent de corriger. Dans ces conditions on peut admettre 
que le rigorisme qu'il prône, au lieu d'être une loi 
universelle et fixe, n'était qu'une tendance et une pra- 
tique particulière et limitée ; et que le 4écret de Cal- 
liste, au lieu d'opérer un changement dans la disci- 
pline, n'était qu'un acte destiné à raffermir l'ancienne 
discipline, en tranchant des controverses et en mettant 
fin à des divergences fâcheuses ^. C'est là une opinion 
vraisemblable, et qui réduit sans doute l'importance 

1. Epist. IN, 21 : « Apud antecessores nostros quidam de episcopis- 
istic in provincfa nostra dandani paceni moechis non putaverunt, et 
in totum paenitentiae loemn contra adulteria cluscrunt. » 

2. Qu'on se rappelle les rigoristes dont parle Hermas et les sévérités- 
d'Hermas lui-même. l\ v avait des mantanistes à Rome sous Zéphyrin 
(El-s., R. E., U, 23, 6; Vi, 20, 3). 

3. C'est en substance la solution de d'Alès, Esser, Stufler, etc. 



LA QUJ^TSîBî ^ÉSrrBNiaE£)LE -EN OCCIDENT. «67 

de ila 'd'é©îsi0n paratifesate, mais qoi ai'en dieaâiaî^ ^as 
•la sigiaiEcalâon. CaMiBte, ea rééclarant qpa'ii abfsmidbait 
•l'es èm^Tiâiqmes après ma (oeiîtaia tesBips de pénîtEiïGe, 
prenait iw^tensneni^JÊt sagem'eiîLl;, sn ce qni hes .e©M;^5tte, 
ie psa^i de ii'iiidaigïe®Ge et îJDOitdaflîmaii les riigoristes. 
CeiLx-«â martuFdbliementîise ifarent pas <eaîmteate etpi^- 
4estèî«&iit. L^antipape flippoiyte présenta, japréis la 
mort de Galliste, cet?î)e dsàcision coirane la TuâiBie de Ja 
msQT^dàe 'chirétieîane. T<ertaE>lieaa., déjà montaflisie, ré- 
ipliqaa. sui^ite-'ctiamp et discuta., daaas île J}e pmdicitùa^ 
•laTalear 4e l'acte fycmtifical. La tMorie qu'il oppose 
à remseâgneMfent die CaiMste ^est 3a suâ-vanie ~ Jl iauît 
dfetiBgîaier deux«©itesd« péokés igraves, les iHfâ nx)n 
accpîtailm,, mmn ^d monÈem^ les aaJi^es icafdtalia, yad 
7ivo.item d'api^s saint Jeam [ilvomi.^ v-, 16)., ou .encore 
les .^éehfés ^à. nesont pas tdirecteaTient «t .cennx qui iSOHt 
ârrecteflient eonti« Dieu (ïi, 10, M-16; xki, 2, 15i).. Les 
premiers — dont il donne des exemples — peaavent être 
parda-Bmés par l'éréque (xwiii, 17; xix, 23-25) : ils 
T^èyent de âa disciplina, js'esl-à-dire du pouvoir ardi- 
îiaîre d'enseignement «t de gouvernem'ent, transmis 
par les apôtres à leua-s successeurs f{xxï, 1-3)- .Les 
seconds, qui coraprenaent ridolâtri©, J'adullàre et 
rhomicîde*, exigeirt, pour être irerais, ua pouvoir spé- 

i. ïTertuilien -énumère Irais fois principalement les rpéeltés capitaux 
ou irrémissibles. Dans VAdversus Marcionem, iv, 9, il parle de « septem- 
maculis capîtsaîam delrctorum... 'WoîlcflTitria, ijhfsp'lieraia, tioœidi'dî'o, 
adulterio, slx^pno, tfolso testinvodio, fraude >.. Au .De pvdicitia, six. Se, 
il cite « homicidiumn idololalria, fraus, negalio, Waspihemia utique et 
moech'ra et Ibrrricafro et si qaïa'ârfia ■vîo'labio'teïnpTi ©ei » ^(cf. AyroiOff., 
2; ^e spectoo., 8-, De xitUMaL, 4). An De pxidiciîia„ y,-:^H, 3-1j1;xsii, Hi 
Il réduit la liste à l'idolâtrie (ou apostasie), à radultcre et à l'homicide. 
Terlnffien «sl-il 'le créatcrur tJe cette trîîogîe qui Hiinîte à 'trois les ^é- 
«hos-otf WOTîlejn, cl qiie/l^Mse derait adopter? iC'est possible, £epen- 
dniil oii retrouve ce mcQi« groupe lernaii'e dans saint Irénée {Adv...haen., 
I, 6; 3) et suTlout dans sainl WppoKte (rragmeiït sur -les l^roverbes, 
édil. AcHELis, p. 163, XXI). Il se dégage d'ailleurs assez aisément des 
éniïînérartions précêflenlies ^de TerlTïniBB, ipaT l'^afeBion >êe praus <ët 
falsum testimonnim, dont la gravité peut n'être pas ^couBidérable.- 



368 LA THÉOLOGIE ANTÉNICÉENNE. 

cial, la jpoZestos, charisme extraordinaire et personnel, 
intransmissible, qui n'appartient point à l'Eglise hié- 
rarchique (xxi, 1-3, 5, 6). Or, ce charisme, Dieu pour- 
rait sans doute l'accorder à un fidèle en particulier, 
à un spirituel, qui alors remettrait, au nom de 
Dieu, les péchés ad mortem; mais, en fait, Dieu 
ne l'accorde point et ne veut point l'accorder de 
peur que cette facilité de pardon n'induise au péché 
(xxi, 7, 8, 14, 17). Quelle devra donc être la conduite 
du pécheur coupable de fautes ad mortem? 11 devra 
gémir, se lamenter, et par sa pénitence tâcher d'ob- 
tenir directement de Dieu sa réconciliation avec lui. 
L'Église ne le réconciliera pas ici-bas : le Christ qui 
vit dans cette Église n'intercédera pas pour lui. Mais 
sa pénitence ne sera pas pour cela inutile et vaine : 
en l'accomplissant, il jettera en Dieu les semences 
de son pardon et recevra un jour de lui la paix que 
l'Église ne lui aura pas rendue pendant sa vie : « Et 
si pacem hic non metit, apud dominum seminat. Nec 
amittit, sed praeparat fructum. Non vacabit ab emo- 
lumento, si non vacaverit ab officio » (m 3-6; i, 21; 
xviii, 13, 14, 17; XIX, 6, 25, 26, 28). 

TertuUien, comme on le voit, refusait en définitive 
à l'Église hiérarchique le pouvoir de remettre les 
péchés ad mortem. A plus forte raison, refusait- il 
aux martyrs le pouvoir de réconcilier les chrétiens 
coupables de ces crimes (xxii, 3-10). C'était l'hérésie 
après le schisme. Et cependant sa discussion de la 
mesure de Calliste est pour nous infiniment précieuse. 
Elle nous montre Calliste affirmant son pouvoir d'ab- 
soudre lui-même des plus grandes fautes, étendant 
ce privilège à toute Église en communion avec celle 
de Pierre [ad omnem ecclesiam Pétri propinquam]. 

Quant aux fondements scripturaires, on indique ilfa^^A., xv, 19; Ma-re, 
VII, SI ; / Corinth., v, 41 ; Apoc, xxi, 8; xxir. 15. 



LA QUESTION PÉNITENTIELLE EN OCCIDENT. 369 

et citant — c'est la première fois que nous trouvons 
ces témoignages invoqués à cet effet — et citant, 
dis-je, à Tappui de ses prétentions, les paroles dites 
par Notre-Seigneur à Pierre et aux apôtres sur le 
pouvoir des clefs et celui délier et de délier. Jusqu'ici, 
nos textes ne parlaient en général que d'une récon- 
ciliation avec l'Eglise. Nous voyons maintenant que 
cette formule vague recouvrait le fait plus concret 
d'une rémission du péché par l'évêque, et nous sa- 
vons que ce droit d'absoudre se fondait sur une 
exégèse précise des promesses faites aux apôtres et 
par eux à leurs successeurs. 

Malgré l'opposition de TertuUien et d'Hippolyte, 
la mesure de Calliste paraît avoir atteint son but. La 
résistance qu'elle rencontra en Afrique de la part de 
quelques évêques, si même il y en eut, se dissipa 
assez vite, car saint Cyprien en parle comme d'une 
chose passée. Les évêques d'Afrique, d'ailleurs, allaient 
se trouver en face de difficultés autrement plus graves, 
la question des lapsi et le schisme de Novatien. 



S 2. — La question pénitentielle en Afrique. 
Le novatianismei. 

Ces nouvelles difficultés furent occasionnées par la 
persécution de Dèce. Commencée au début de l'année 
250, elle provoqua dans l'Église d'Afrique de nom- 
breuses et lamentables défections. Beaucoup de chré- 

1. Sources : Les Lettres dé saint Cyprien, édit. Hartel. Le traité ano- 
nyme Ad Novatianum, dans l'édition de saint Cyprien d« Hartel, tom. 
III, ou P. L., III. — Travaux : Les travaux sur Novatien et sur saint 
Cyprien, et en particulier : C. Gôtz, Die Busslehre Cyprians, Kônigsberg, 
1895. K. MÛLLER, Die Bussinstîtution in Karlhago unler Cyprian, dans 
la Zeittchr. fur 'Kîrchengesch., XVI, 1898-1896. P. Batiffol, Eludes d'his- 
toire et de théologie positive, 3» édit., Paris, 1904. L. Chabalier, Les Lapsi 
dans l'Église d'Afrique au temps de saint Cyprien, Lyon, 4904. A. d'Alès. 
L'êdit de Callisie,, cli. x. 

21. 



370 LA THEOLOGIE ANTENICEENNE. 

tiens, obéissant aux ordres de l'empereur, sacrifièrent 
en effet aux idoles {sacrificati)\ d'autres, pour se cou- 
vrir, achetèrent à prix d'argent ou obtinrent de la 
complaisance de certains commissaires des certificats 
attestant qu'ils avaient sacrifié, bien qu'ils s'en fussent 
abstenus : on les appela libellatiques [libellatici). 

Cependant une détente ne tarda pas à se produire ,^ 
vers la fin de l'année 250, dans la rigueur des pour- 
suites. La tempête n'était pas encore complètement 
apaisée, que déjà les lapsi des diverses catégories assié- 
geaient les conl'esseurs et martyrs, pour obtenir d'eux 
des billets de communion [libelli pacis) qu'ils pussent 
présenter aux prêtres, afin d'être immédiatement ré- 
conciliés avec l'Eglise. Or, parmi les confesseurs, s'il 
en était d'admirables, il en était aussi d'équivoques et 
d'imprudents, distribuant sans discrétion les billets de 
réconciliation, et prétendant se substituer à l'évéque 
ou du moins lui forcer la main dans la conduite à gar- 
der vis-à-vis des apostats. 

C'est alors qu'intervint saint Cyprien. Éloigné de 
son Eglise par la persécution (250-printemps de 251), 
il continuait cependant à la gouverner par ses lettres. 
Deux questions se posaient à lui : premièrement, 
l'Eglise pouvait-elle et devait^elle absoudre les lapsi 
du crime d'apostasie, comme Calliste avait absous 
les adultères et les fornicateurs, et à quelles condi- 
tions ? Deuxièmement, quelle autorité et quel rôle re- 
venaient aux martyrs et aux confesseurs dans cette 
œuvre de réconciliation ? 

Dans les lettres écrites de son exil, saint Cyprien ne 
traite pas ex professa la première question : il en 
renvoie la solution complète à plus tard, au moment 
)ù la paix religieuse permettra de réfléchir et d'aviser*. 

1. Ep. XV. 



LA QUEST^ÔISî EÉiaïlENaïfiLLE EN OCCIDENT. :S71 

il laissa icepeiidani enSsp&vQir qnil regarde la réconDî- 
liation des lapsi comme possible et peut-être oppor- 
iAMie : il j-ecoiaamaHde aux prêtres et aux diacres -d'îen- 
iîretenir etde ré(diaTiilfer la cûnfîaiace des-ooupafeies daas 
la miséricorde de Dieu \. Bien plus, ii décide que si im 
iailli a re§u un billet de comm^mion des martyrs .et .«e 
4aN3uv>e en -danger de:mori, onlui fera faire, sans atlbejafdi\e 
le retour de l'évêque, l'exoaiologèse entre les maMis 
d'un iprêtr^a ou même, à défaut de ippèia-e^ d'un diaeire, 
•et -qu'jon M imposera la main, afin qu'il s;ieniîe à Dieu 
dans la paix que les martyrs ont demanidée pour lui K 
Mais ce que «aiint Cyprien ne vejict pas, ce qu'il pé- 
prouve-absolumeat, c'est que, sut la «impie recomman- 
dation des .martyiîs et la vue de leur ballet de r-econei- 
liation, sams pénitence préalalale, sans exomologèse et 
sans imposition de la main de l'évêque, on admette â.la 
commiunion lesla^^i bienipontants ^. Il voit là ^un abus 
qu'il ne «aurait tolérer. 

Q«£aat a-Hx droits des martj^rs (Csn teette affaipe, il )ne 
leur en reconnaît qu'un, celui «de. recommander à,r«yê- 
qae les .lapsz <et de sollieiter leur r-éintégrâtioe, naais 
sans poiivûir r^xi'gter ni, à plus fiarte raisoa, l'apérer 
eux-méaaaïes **. lEnoore vreut-il que dans leurs UbeUipads 
ils mentionnent non des [groupes de personnes eai bloc^ 
mais des persônnaes. distinctes, -désignées parleur ^nom^ 



i.-Ep. XYin, fi. 

St..Mp. XYin, à.. 

'3. « Tîam cuni in m'inorilius peccatis agant peccatores paenitenOam 
max> Ttenupore, et sectcmlum iftisciplinae 'orcHnem ad^exomtflogesim ye- 
iiiant, et per jnanus impositionem f^iscQpi si. cleri ius cammunicajio- 
nîs accipiant, nunc, crudo tempore, persecutlone atfhuc persévérante, 
nondum restituta ecclesiae ipsius pace, ad communicationem admittun- 
tur, et offertur nomine eorum, et nondum paenitentia acla, nondam 
exomologesi facta, nondum manu eis ab episcopo et cîero imposita,.eu- 
charistia illis dalur.cum scriptumsit: Qtti'EdeFilpaoïeiniaut'biheiiitca- 
licem Domini indigne reus erit corporis et sanguinis Doniiiïi'B'(£p. XSTI, 
2; cf. Bp. XY, 1). 

4. Sp. XY, 1; cf. XVII, 1. 



372 LA THÉOLOGIE ANTENICEENNE. 

et qui aient déjà fait une pénitence à peu près suffi- 
sante ^ . 

Ces décisions de l'évêque de Carthage, encore que 
provisoires, ne furent pas naturellement du goût de 
tous les intéressés. Certains confesseurs devinrent plus 
arrogants que jamais ^ ; les lapsi, réclamant leur ré- 
conciliation non plus comme une faveur, mais comme 
un droit, provoquèrent en quelques villes de véritables 
émeutes, et trouvèrent dans le clergé des complaisants 
qui accueillirent leurs prétentions ^. 11 fallut que saint- 
Cyprien rappelât qu'il appartient aux évêques de gou- 
verner l'Eglise-'. En même temps, il écrivit au clergé 
de Rome, alors privé d'évêque depuis le martyre de 
saint Fabien (20 janvier 250), pour lui exposer sa ma- 
nière de voir en cette question, et lui demander de l'ap- 
puyer en la partageant^. 

La réponse du clergé romain, rédigée par Novatien, 
fut telle que saint Cyprien la souhaitait. C'est la let- 
tre XXX ®. On y déclarait suivre à Rome, vis-à-vis des 
lapsi, une conduite analogue à celle de l'évêque de 
Carthage. On ne les abandonnait pas, mais on tâchait 
de leur faire comprendre la gravité de leur faute, et 
on exigeait d'eux la pénitence (6). Pour ceux qui étaient 
en danger de mort, après leur avoir fait faire autant 
que possible l'exomologèse, on venait à leur secours 
caute et sollicite, Deo ipso sciente quid de talibus fà- 
ciat, et qualiter iudicii sui examinet pondéra, nobis 
tamen anxie curantibus ut nec pronam nostram im- 
probi homines laudent facilitatem, nec vere paenitentes 
accusent nostram quasi duram crudelitatem » (8). Et 

4. Ep. XV, 4. 

2. Ep. xxjir. 

3. Ep. XVI, 1, 2; XX, 3; XXYII, 3; XXIX, i-3 ; XXXV. 

4. Ep. XXXIII, 1. 

8. Epp. XX, 3; XXVII. 
6. Cf. Ep. LV, 5. 



LA QUESTION PBNITENTIËLLE EN OCCIDENT. 373 

une autre lettre du même clergé nous dit qu'on les re- 
cevait à communion ^ Quant aux confesseurs ou 
martyrs, on leur refusait le droit de réconcilier eux- 
mêmes les lapsi^; tout au plus leur permettait-on de 
solliciter pour eux la paix. 

Novatien et ses collègues approuvaient donc, en 
somme, les vues de saint Cyprien ^. Elles furent solen- 
nellement consacrées par le concile qui se réunit à 
Carthage au mois d'avril 251, après le retour de l'é- 
vêque, et qui compta nombre de prélats ''. Les décisions 
furent les suivantes. On ne tiendrait aucun compte des 
libelli pacîs accordés parles martyrs, et le cas de cha- 
cun des lapsiseTQ.it examiné en particulier''. Il fallait 
distinguer les Ubellatici des sacrificati. Les premiers, 
moins coupables, seraient admis un à un à la réconci- 
liation ^. Les seconds devraient faire pénitence toute 
leur vie, mais ils seraient réconciliés à la mort, afin 
quUls s'en allassent avec la consolation de la paix et de 
la communion : « illis, sicut placuit, subvenitur' ». 
« Sacrificatis in exitu subveniri... cum solacio pacis et 
communicationis abscedit^. » Non que l'on voulût par 
là préjuger le jugement de Dieu : car lui-même appré- 
cierait si la pénitence a été suffisante et sincère, et 



i. Ep. Vm, S5. 
%. Ep. XXVI, 2. 

3. On peut remarquer seulement : 1» qu'il n'est pas question dans la 
lettre romaine de l'imposition de la main pour la réconciliation des 
lapsi, sans qu'on puisse d'ailleurs conclure de ce silence qu'elle n'eût 
pas lieu; 2» qu'on y montre moins de conGance qu'en Afrique en l'efû- 
cacité du pardon octroyé par l'Église (rappelons-nous que c'est Novatien, 
un rigoriste, qui a tenu la plume); 3» enfin qu'on y accorde moins 
d'importance au privilège des martyrs. 

4. Ep. LV, 6. 

5. Ep. LV, 6, 13, 11. 

6. Ep. LV, 14-17 : « examinatis causis sini^ulorum, libellaticos intérim 
admitti > {ibid., 17). 

7. Ep. LV, 13. 
8 Ep. LV, 17. 



374 LA THEOLOGIE ÀNTÉIN'îCÊENWB. 

confirmepait ou amenderait la sentence de l'Église*. 
Quant à ceux qui refuseraient d'accomplir l'exomolo- 
gèse, ils ne seraient pas réconciliés même à la mort, 
et quand même alors ils le demanderaient, parce qu'il 
est à croire que la crainte seule et non le repentir 
les ferait agir^. Enfin les clercs, évéques, prêtres ou. 
diacres lapsi seraient déposés, et réduits ainsi au. 
rang des laïcs, s'acquitteraient de la pénitence com- 
mune, sans espoir <ie recouvrer letir charge^ : décision ^ 
remarque saint Cyprien, qui avait été prise par le 
pape Cornélius et les évêques du monde entier*. 

Le concile qui décréta ces mesures fut clos en juin 
25i. Mais les mécontents n'avaient pas attendu ce 
moment pour s'organiser. Ils s'étaient groupes autour 
du prêtre Novat et du diacre Félicissime, to"ns deux fort 
opposés à saint Cyprien ^. Excommunié par lui ^, Novat 
se rendit à Rome et s'attacha au prêtre Novatien qui 
paraissait devoir succéder, comme évèque de Rome, au 
martyr Fabien. Son attente fut trompée : le cîioix 
des électetirs se porta sur Cornélius (5 mars 25i). 
Nûvatîen, aigri, rallia autour de lui quelques prêtres et 
une partie du peuple et des confesseurs ; Novat s'agita 
en sa faveur, et un scîîisme se produisit. Novatîen, 
consacré évêque par trois prélats dissidents, commença 
à organiser son église '^. 

11 semble, d'après les précédents, que le parti de 
Novâtien 4M, sous l'influence de iNovat, se prononcer 
pour uue indulgence YÏs-à-vis des lapsi plus large que 
eeliô de saint Cyprien et d-e son concile. Ce fut le con- 



1. Ep. LV, 18. 

2. Ep. LV, 23. 

3. Ep. I-XVII, C; cf. LIX, 10. 

'4. ¥!p. mm, e-, cf. isivskim, Mst. ecël, VI, «, *5. 
s. Ep. XJJ, i ; XLIII, i, 2; LU, 2; LIX, i, 9. 

6. Ep. XLII ; cf. XLI, 1. 

7. Ep. LY, 24. 



LA QUËÔTiÔH J^ESliaiNTIEDLE EN OCCIDENT. ST5 

traire qai arriva. NovaSâea a'srsât des ien'd^nœs rigoristes 
— on en trôRive ées traces dasas la lettre xxx écrite jyaT- 
lui — et il les fit prévaloir. H déclara qu'il étaii; illicite 
de eommmaiqaaei' avec les idolâtres, c'«st-à-dire les 
/a/?*/,' qu'il ne fallait pas iear accorder la pénitence, m,. 
s'ils en accomplissaient d'eux-mêmes les exercices^ 
leur octroyer le pardon même à la mort ^ ; que cette 
pénitence d'ailleurs était vaine et impuissante à les- 
sauver, attendu qu'il ne leur restait aucun espoir de 
paix et de miséricorde^. Ainsi Novatien enseignait que 
î'aposftasie était une faute que l'Église ne pouvait 
remettre, et que Dieu même, semble-t-iî, ne pardon- 
nait pas. Et cependant il ne paraît pas être revenu en 
arrière, ni avoir contesté la légitimité du pardon 
accordé aux moechi, puisque saint Gyprien en tire 
contre lui un argument dans sa lettre lv, 20, 26, 27. 

L'erreur de Novatien avait été condamnée d'avance 
au concile de Carthage : elle le fut de nouveau dans an 
concile de Rome tenu en l'automne de 251, et qui 
réunit, dit Eusèbe {HisL eccles., vi, 43, 2), soixante 
évêques. L'antipape fut excommunié. 

L'ensemble du monde chrétien, sauf de rares excep- 
tions, adhéra à cette condamnation ^. Mais Novatien 
travailla si bien qu'il parvint à se maintenir, et à fonder 
un peu partout des communautés chrétiennes partageant 
son erreur. Elles subsistèrent longtemps et vécurent 
côte à côte avec les communautés catholiques, possé- 
dant comme elles leur hiérarchie d'évêques, de prêtres 
et de diacres, partageant souvent leurs persécutions 
pour la foi, et n'en différant d'ailleurs que sur le point 
précis de la pénitence. 

1. Ep. LV, 22, 27, 
' 2. Ep. LV, 23; EusÈBE, Hist. eccL, VI, i3, i ; Traité anonyme Ad Nova- 
tianum, 12, 13. 

3. Saint Cyprien, Ep. LXYIII, 2 ; Eusèbe, Hist. eccl., VI, 44, 1 ; li6, 3, iy 
VII, S, 1. 



376 LA THEOLOGIE ANTENICÉENNE. 

Elles semblent du reste avoir bientôt poussé plus 
loin que Novatien lui-même les conséquences de son 
rigorisme. Novatien, on l'a vu, refusait le pardon aux 
lapsij mais il l'accordait aux fornicateurs et aux adul- 
tères. Un jour vint où, les persécutions ayant cessé ou 
étant suspendues, il ne se trouva plus d'apostats, et où 
le schisme, par conséquent, n'eut plus do raison d'être. 
On continua alors de le justifier en renforçant ses ten- 
dances, et en déclarant que tous les péchés admortem, 
y compris la fornication et le meurtre, échappaient au 
pouvoir de réconciliation de l'Église. C'est ce qui res- 
sort du traité De paenitentia (i, 2, 5 ; 3, 10) de saint 
Ambroise, des lettres de saint Pacien à Simpronianus ^ , 
des Quaestîones ex çeteri et novo Testamento du 
pseudo- Augustin 2. Saint Pacien ramène la doctrine 
des novatiens à ceci : « Quod post baptismum paeni- 
tere non liceat, quod mortale peccatum Ecclesia do- 
nare non possit, immo quod ipsa pereat recipiendo 
peccantes^. » Les témoignages de Philastrius [De 
haeresibus, 82), de saint Augustin [De haeresihus, 38), 
de Socrate [Hist. eccL, i, 10; vu, 25), de Théodore! 
[Haeretic. fahul., m, 5) et de saint Nil {Epist., lib. 
III, 243) sont concordants. 

Abstraction faite cependant des précieux détails qu'ils 
nous ont valus sur la discipline pénit^ntielle, deux avan- 
tages dogmatiques résultaient des conflits que nous 
venons d'exposer : d'une part, une conscience plus 
nette pour l'Eglise de son pouvoir de pardonner uni- 
versellement tous les péchés quels qu'ils fussent; 
d'autre part, la claire vue que la hiérarchie ecclésias- 
tique est seule dépositaire de ce pouvoir, et qu'elle ne 
relève que d'elle-même dans l'application qu'elle juge 

1. V. L., Xni, col. 1033. 

a. p. L., XXXV, col. 2307. 

3. Ep. ni, 1, p. L., xni, col. 1063. 



LA QUESTION PÉNITENTIELLE EN OCCIDENT. 377 

bon d'en faire. Cette hiérarchie avait déjà triomphé, 
dans l'affirmation de ses droits, des prétentions de la 
spéculation et de l'illuminisme incarnés dans les gnos- 
tiques et les montanistes ; elle triomphait maintenant 
des prétentions de la fausse sainteté représentée par 
certains confesseurs et par les rigoristes outrés. Saint 
Cyprien avait mis toute son énergie et toute sa science 
à assurer ce triomphe. Il n'allait pas être aussi heureux 
dans la q[uestion du baptême des hérétiques. 



CHAPITRE Xï 

LA CONTROVERSE BAPTISMALE'. 

11 est important de noter la façon toute pratique dont 
se posa la question de la valeur du baptême conféré 
par les hérétiques. Jusqu'au montanisme, les hérésies, 
si l'on excepte le marcionisme, n'avait point formé 
d'église indépendante. Elles se dissimulaient dans la 
grande Église, et leurs adeptes recevaient d'elle le 
baptême et l'initiation chrétienne. Que si, plus tard, 
ces adeptes abjuraient leurs erreurs et revenaient à la 
vraie foi, on les réconciliait par l'imposition des mains 
in paenitentiamj ou même par \^ consignatio ; c'est-à- 
dire, suivant plusieurs auteurs, par la confirmation ; 
mais leur baptême n'était pas renouvelé, puisque aussi 
bien ils l'avaient reçu de la vraie Église. 

Mais quand les hérésies marcionite, montaniste et 
autres eurent organisé des communautés à part, il ar- 
riva que l'Église catholique vit, de temps en temps, se 
présenter pour entrer dans son sein des convertis qui 
avaient été baptisés dans ces sectes, soit qu'ils y fussent 

1. Sources : Les Lettres de saint Cyprien et de Firmilien, édit. Hartel. 
Le Liher de rebaptismate, même édit., tom. lll. — Travaux: Les ouvra- 
ges généraux sur saint Cyprien, et de plus H. Grisar, Gyprians t Oppo- 
sitionskonzil • gegen Papst Stephan, dSins ISi Zeitschr. f. kalh. Theol., 
V, 1881. J. Ersst, Zur Auffassung Gyprians von der Ketzertaufe, ibid., 
XVII, 1893. A. d'àixs, La giiest. baptismale au temps de S. Gyprien, 190T. 

378 



né&, ;soit fqn'iiils y fassent earfaîés MrsfÉ&meni du ptaga- 
nisme. 

iGÉKMmsat 'dfiwaÈt-^Qn les itraiter ? Fïdlait-âl ccmsidërer 
leuT feaptèisBie caraMnae suffisant, idtrse contenter àleur 
égard de l'iniftCHsitiôn des mams'etésskai'sonsigmsttw'jiùVL 
bien ifallait-îl le Kegarder 'OoraaœL^ :mÉ\ lôt sr.emoifvïeileî' 
e-osMplèibemeairt .leur iaMatliQn ùhvêtieimei? 

C'est isewis (C£?t*e . foraine pi^atiqiifce, oîîiseï'v.ans-I^'biBn, 
qiiaeil'<on'ii3îtiaîmeQiéià discuter la valeiur flu àaptême dses 
kérétèques. Qtteîdeivait-ïMiiy'&î/îeA^âansiâouée, oetiteq^es- 
tion «ïvpfposadt -mte question Éfeèocîq'ae plïus gtéoéraie ■: 
la foi :du aniaaàstre {jm. an sujet) est-elle fl*equ(ïse iprour Ha 
Yaliditë et :*reffieaûité d£s «aecement-s? Mms îg© pd&t 
de vîue restatfeoujîoursii.l^arï'ière-plaîi : ;et .oelainoffis^ex- 
piique que saint 'Cyprien et ^ses pariisamB aient pia, 
comme (il semàle bien -qu'ils Fîmitifait, voirdan'steeute 
cette toontp.Disseffse naflie puî^e questimi discipldnaipe oa'dn- 
téressant pas .d'iiatégTité ide la lÊdi, -et ne 'galant pas 
que i'mEL «acr'ffîât !p;our elte l'^unité -de l'Église, «mt 
par .un sehisiaa«, soit paran'e exGOoaam.unîi'Gation. 

Quoi qu'il en soit, deux usa:ges.,pelativ,eïne!at:aT!i sujet 
qui nous occupe, se partageaient l'Église au milieu du 
ui^^èQle..LefpEejiïiier„iGelui de JR®aite, smvi 'égaleiaent 
à iCésarée de Paie^in© et proba'Mement àÂlexMidrie, 
âtàit de me pas renouveler le T>a|)tême des .bér,étïq(ae&, 
mais €e -se 'cont'entfer 'de l'imposition des mains et delà 
caasîgnatio '\] l'autre, celuide Cartkage et 'de il'jÂ)f«riqiie, 
suivi à Antiocbe et "àCésarée de Capjpaâoce, en.Cîlïcie, 
en Galatle-, en .-Ph\rygie et -dans las jprovinoes vijàsdBes , 
était 4e1)raiter-ce baptême com-me nnl eft de le réitérer. 
Nous sommes renseignés, pou-r Piome, par .les .^Mktëù- 
phoumena {ix, 12^ p, 446} ^ 'et par les affirmations du 

i. s. Gyprien, £?p.LXXIlI, 6. 

2. L'auteur nous dit que sous Calliste, pour Iatpre<mf&r.e foîs, dû osa 
rebaptiser. 



380 LA THÉOLOGIE ANTÉNICÉENNE. 

j)ape Etienne invoquant sans cesse la tradition de son 
Église ; pour Césarée de Palestine, par Eusèbe [Hist. 
eccl.j VII, cap. 2 et 3) qui qualifie simplement d'ancien 
usage celui qui a plus tard triomphé; pour Alexan- 
drie, par son évêque Denys, qui montre sans doute 
plus de modération que le pape, mais qui marche, en 
somme, de concert aveclui^. D'autre part, Tertullien 
regardait déjà comme invalide le baptême des héréti- 
ques 2, et saint Cyprien invoque à l'appui du même sen- 
timent les décisions du concile tenu sous un de ses 
prédécesseurs, Agrippinus^, vers l'an 198 environ'''. 
Pour Antioche et la Syrie, nous avons le témoignage 
des Constitutions apostoliques (vi, 15 ; cf. Canons 
apostoliques, 45-46), postérieures, il est vrai, -mais 
probablement ici non retouchées. Enfin Firmilien de 
Césarée (de Cappadoce) ^ nous dit assez quel était 
l'usage de son Église et celui des provinces voisines. 
Les conciles d'Iconium et de Synnada en Phrygie, 
tenus vers 230-245, et cités par Denys d'Alexandrie^, 
s'étaient prononcés l'un et l'autre contre la validité 
du baptême des hérétiques. 



i. Saint Jérôme (De viris illustr., 69) dit formellement que saint Denys 
d'Alexandrie était de l'avis de saint Cyprien. Mais ii est bien difficile 
de concilier cette assertion avec les fragments de Denys que nous a 
conservés Eusèbe, avec le rôle de conciliateur qu'il a voulu jouer en 
cette affaire, et avec, sa propre manière d'agir. Saint Basile, au con- 
traire, assure que saint Denys admettait le baptême des montanistes, ce 
dont il s'étonne {Epist. GLXXXYIII, can. 1, P. 6., XXXII, col. 664, 6S8). 
La question serait sûrement tranchée dans le sens d'un accord doc- 
trinal de Denys et d'Etienne, si le fragment (traduction syriaque) at. 
tribué à Denys et reproduit par Ch. Lett Feltoe (The lelters and other 
remains of Dionysius of Alexandria, pp. 48, 49) était authentique • 
mais cette authenticité est fort douteuse. 

2. De baptismo, 15 ; cf. Depudicitia, 19. 

3. S. Cyphien, Epp. LXXI, 4; LXXIII, 3, 

4. C'est la date adoptée par D. H. Leclercq, L'Afrique chrétienne, II, 
p. 344; cf. I, p. 32, et par P. Monceaux, Histoire littér. de l'Afr. chrét., 
II, pp. 19, 20. 

s. Epist. LXXV, 7, 19. 

6, Eusèbe, Hist. eccl,, VII, 7, S. 



LA CONTROVERSE BAPTISMALE. 381 

Tel était l'état des choses au moment où commença 
la querelle. En Afrique, malgré la coutume généra- 
lement établie, des scrupules se manifestaient un peu 
partout. Trois fois, dans l'année 255, saint Cyprien 
dut répondre à des consultations sur ce sujet'. Il 
le fit toujours en affirmant que les hérétiques et les 
schismatiques n'avaient aucun pouvoir de donner le 
baptême : « Dicimus omnes omnino haereticos et schis 
maticos nihil liabere potestatis ac iuris^. » Il sentait" 
cependant que l'opposition venait de Rome, et que 
1-usage romain était la grande objection qui travaillait 
les esprits. Pour en finir avec la résistance, il voulut 
provoquer une explication décisive. En mai 256, il réu- 
nit à Carthage un concile de 71 évêques, lui fit ap- 
prouver ses décisions, et écrivit au pape salettrcLxxii, 
dans laquelle il soutenait (3) le droit de chaque évêque 
de trancher en définitive cette question à sa guise. Il 
y avait joint ses lettres lxx et lxxi, cette dernière à 
Quintus. 

Le pape était alors Etienne (12 mai 254-2 août 257). 
Une certaine froideur régnait déjà entre saint Cyprien 
et lui, occasionnée par des dissentiments antérieurs. 
Le ton de la lettre de Cyprien et surtout la teneur de sa 
lettre lxxi, franchement blessante pour le pape, n'é- 
taient pas de nature à l'atténuer 3. Aussi, à en croire 

1. Epp. LXIX, LXX, LXXL 

2. Ep. LXIX, 1. 

3. Certains auteurs pensent et répètent que, si saint Cyprien s'est 
trompé pour le fond de la question, il a conservé cependant le beau 
rôle en cette affaire au point de vue des procédés. Peut-être seraieut 
ils moins tranchants s'ils remarquaient que, ne possédant pas la ré-- 
ponse du pape, nous ne connaissons en définitive ses procédés que 
par ses adversaires, saint Cyprien et Firmilien, Or, ce dernier, on le 
verra, est, dans sa lettre LXXV, d'une violence peu commune; et quant 
au premier, le fait d'envoyer à Etienne sa lettre à Quintus était de sa 
part au premier chef une maladresse, sinon une impertinence. C'est 
dans cette lettre (3), que saint Cyprien observe que saint Pierre ne re- 
vendiqua pns « insolemment et avec arrogance » pour lui la primauté ' 
allusion évidente aux prétentions du pape. 



382 LA. THÉ.QÊQGIE; ANTÉNirCÎEEKiSîL 

lau r.elatioa de EkmiLi^a. de- Césaréeê^ Éiâiesrmet fît-il aux 
enowîyés da G,ypi*ienla pIuamaiiiivais'acfiHeLl, etteaiita- 
t41. fort dur.eaneatL'évê.qitejdG'Gaaîthiaige.''. S'il rc&BQm- 
pit pas effiectivement, la communioiQj,, il menaça, du 
moins, de la.rom|)rû avec, les Églises d'Afpi'^e- et eeMes 
qpi suiyaientle.même:usag'^e-,>aiïi cas 04 ellea voudraient 
j^ pecsisteu^. N;oU(S. a' avons. cep-eHidant de aai réponse à 
saint. CypEieaq,a©[la. phrase; ppineipafe rappoEfeée', paar 
saint Gypirien lui-même. : «^ Siqiui eigo- ai q^àGumq^ 
haeresi veniant advas:^ nihil-.ii]oii)Q%^etiur nisi quiodi tcadi- 
tum' eatj.ufcmanus illis imponailflir in.paemiteaaibiam',. eum 
ipsi liaeretiei p:EopFie alter.UîtruBiis ad se venientes^ non 
bagitizeat,, se.d Goimmuniefinlj, tantUiOai^-.. ». 

Etienne évidejoament avait envisagé les^ choses autre- 
ment que l'évoque de Cartha.ge,, et, ©.à eelui-ei n'avait 
vu probablement qu'une question disciplinaire,, lie p/i?e^ 
mier avait, vu une questionsintéressantrintégrilié même 
de la. foi. On examineca plias loin lies aa?g?iment& que 
faisaient valoir les deux partis. Quoi qu'il en. soit,;, et 
pour aunpris qu'il.fùtj saint Cyparien mue peudit.pas con- 
tenance et fit fa ce à son advea?aadEe. Quelque. tempa>api?èa 
avoir reçu, la réponse, du pape, dana.L'été^ de 256,, iJi e& 
envoya, une copie, à l'évêque Pompeius, en L'accompa- 
gnant d'une,vive critique- G' es tla lettre, lxxiv. li y accu,- 
sait Etienne d'erreur : «• eîus errorenii denotahis. »{!.),,. 
relevait le « a quacumque haeresi » et le i^cum ipsihae- 
retici, etc. » de sa réponse (3), et ajoutait que leaéveques 
medewaiûïttpas seulement enseigner-, mais encore&'ins- 
truire et apprendre (10}. Puis» il réxmit, le î^'' septem?- 
bre; 256-, un eonicile d© 84 évêgiues- de l'Afriquej: de lai 
Kunridxe et de là Mauritanie^ qui unanimement ap.- 



i» LeZirre. de.Fmaiite»,; LXXV„2a. 

2.Lfitoecfe,2ri»Hiii.i^M,,I0CXy:,.234,Sfi»/en^iae;ej?iscopo»'ttOTvproaemiuffl 
EusÈBEj.JEtsi- eciJÎ.,, Vllj.b, 4». 
3. Ep. LXXIV, 1. 



pEQiwèreiat ses ééeiaians et sa eQndiiitffi* ; e& em^m ekeœ- 
clflia des; aUiances eBtOpifiiïfe. ScflMeâté par Im, l'êv/êgue 
de CésâiFée de Cappadbcfi,. Finmilieii,. Eeeommandable 
par ses- ■vFertaaet.saiscieBe®, lui écidwt pKDmr Im témoi- 
gEtei? qia'iiétaife, avisai bieaaiqTite ses ejoilltègmes.èe Phrygie, 
és'. GalaÈie^ ée- Cilicie. et des- provihe^ voisines, d'a.e>- 
«ordi avecs; le». Églises|i'AfrL^e paiir repousser le bap- 
têasiedea kêa'étiqaes.. C'estla Lettre exxv. Elle, est fart 
dure pour l&. pape qu'elle trambe; de scbdsmatique- et 
• d'hérétiqUie aa pi^emier ©liiiel : a Tu. haeretiîeis omnibus 
pedoE es » (23). a- Ille eai vere aehismiatlcus qui s.e, a 
eoiamuiiione eeeJesiastvcae ujaitatisi apostatami fecaciL 
D-wm enim putas: ©mnes a te abstiEteffi. posse, solum %& 
ab omnibus abstinuisti » (24). 

Ainsi ni C^rprien- ni Fimnilien- n'aeceptaient la déci- 
sàDu- du.pape;;lesÉgMs:ea d'Afrique efe de. Cappadoee^ 
sansivouloir Eompse-la coiaaiBaimoio3SLa\re0. Roiiae, se dres- 
saient eependant comtre elle dans mie attitude derésisr- 
tance. Que serait-il arrivé si Etienne a\îait.véeu.? On. ne 
le sauradtdirev Maisi Etienne- mourut le;2 aosït. 25>7. Son 
successeur Xystus, Il (3^ août 257-6 août: 2&8)„ tout, en 
maintenant l'usage de SioatiiglLse-,, ne crut, pas devoir, 
autant que son. prédlécesseuiE-, en piEesser l'acceptation 
par les. évêques dissidents,, et ceux qui l'entofUBaient 
partagèa-ent cet avis.. Tel était aussi l'avyis de. Denys 
d'Alexandrie;,, qui, d'aeeoi^l, casemblev pour le fond,, 
avec, Romfr, ne pensait pas qu'il fallût pour ûela négli- 
ger l'avis, deeoneiles impGH?tant& et se séparer de la moi- 
tié de l'Église» Il en avait déjà écrit au pape ÈMjèim@,^ i 
il eu écrivit à Xystus II ^ et à deux, prêtres romains^ 



i. Seivtenfi'aè episeoporum (Hàrtel, I, pp. 433 sqq.). H' y eut 87 votes, 
y compris celui de saint Cyprien et ceux de deux évêques vêtant par 
procureur. 

2. EusÈBE» fiis«..e/;d.,. Vllr 4; &„ 1,, 2'. 

3. EusÈBE, Hist^ eccl.,: VII, 3,, 3-6;; 9i. 



384 LA THEOLOGIE ANTENICEENNE. 

Denys et Pliilémon * , dont le premier devait bientôt 
devenir pape. L'affaire |en resta donc là pour le moment. 

Il est intéressant d'étudier les raisons mises en 
avant par l'un et l'autre parti dans cette question. 
Celles du parti rebaptisant sont aisées à relever dans 
les lettres de saint Cyprien et de Firmilien; celles 
du parti romain nous sont connues aussi, du moins 
assez bien, soit par la réfutation que saint Cyprien leur 
oppose, soit par un traité anonyme, le Liber de rehap- 
tismaie, écrit vraisemblablement aux environs de l'an 
256 par un évêque africain, mais partageant les vues du 
pape 2. Il est fâcheux toutefois que la réponse d'Etienne 
soit perdue : elle éclairerait peut-être plus d'un point 
obscur. 

Dans l'argumentation de saint Cyprien et de Firmi- 
lien, la confusion entre la validité et Vefficacité du 
baptême est complète. On ne suppose pas qu'un bap- 
tême qui ne remet pas immédiatement les péchés puisse 
être compté pour quelque chose. 

Or, que le baptême conféré par les hérétiques et les 
schismatiques soit incapable de remettre les péchés, 
c'est ce qui ressort de cette considération fondamentale 
souvent reproduite que la vraie Église seule peut opé- 
rer cette rémission; qu'en ell« seule se trouvent la 
grâce et les moyens de la communiquer ou de la rece- 
voir ; qu'elle est l'arche en dehors de laquelle il n'y a 
point de salut, la fontaine scellée à laquelle ceux du de- 
hors ne sauraient puiser; que les hérétiques et les 
schismatiques, étant hors de l'Église, ne sauraient par 
conséquent donner la grâce du baptême ni purifier les 
âmes^. Puis, ajoutait-on, le baptême est une génération 
des enfants de Dieu. Or l'hérésie n'est pas l'épouse de 

1. EnsÈBE, Hîst. eccZ., YII, S, 6; 7. 

2. V. P. MoxcEABx, Hist. lut. de l'Afrique ehrét., II, pp. 91-97. 

3. Epp. LXIX, 2, 3; LXXIII, 7, 10-12; LXXIV, U; LXXV, 11, 16. 



LA CO!«^OVERSE BAPTISMALE. 385 

Jésus-Christ; elle ne peut donc lui engendrer des en- 
fants ^ . Et d'ailleurs les adversaires accordent que les 
hérétiques sont incapables de communiquer l' Esprit- 
Saint, puisqu'ils reçoivent précisément dans l'Église, 
par le rite collateur du Saint-Esprit, ceux d^entre les 
dissidents qui se convertissent. Mais comment les hé- 
rétiques seraient-ils incapables de cette communication, 
si leur baptême remettait les péchés ? Car le Saint- 
Esprit est, en définitive, l'auteur de la rémission des 
péchés dans le baptême. L'Eglise, le Saint-Esprit, le 
vrai baptême sont trois termes étroitement liés et qui 
vont nécessairement ensemble 2. Et maintenant, autre 
ordre d'idées — celui-ci plus dangereux — , comment 
un ministre du sacrement qui n'a lui-même ni la vraie 
foi, ni la grâce, ni le Saint-Esprit pourrait-il en faire 
part aux autres? Gomment pourrait-il être le coopéra- 
teur de Dieu, étant son ennemi? « Quomodo autem 
mundare et sanctificare aquam potest qui ipse im- 
mundus est?... aut quomodo baptizans dare alteri 
remissionem peccatorum potest qui ipse sua peccata 
deponere extra ecclesiam non potest^? -o « Haereticum 
hominem sicut ordinare non licet, nec manum impo- 
nere, ita nec baptizare, nec quicquam sancte et spirita- 
liter gerere, quando alienus sit a spiritali et deifica 
sanctitate''. » Et de même, il faut considérer la foi du 
baptisé, lequel ne saurait recevoir la grâce donnée dans 
l'Église qu'à la condition de croire comme l'Église^. 
Que si enfin les adversaires invoquentl'usage de Rome, 
les Africains peuvent invoquer aussi le leur sanctionné 
depuis longtemps par le concile tenu sous Agrippinus ^. 

i. Epp. LXXIV, 6; LXXV, ii. 

2. Epp. LXIX, iO, 11 ; LXX, 3; LXXHl, 6; LXXIV, 4, S; LXXV, 8, 12. 

3. Epp. LXX, 1 ; LXIX, 8 ; LXXI, 1. 

4. Ep. LXXV, 7, 911. 

8. Ep. LXXIII, 4, 17, 18. 
6, Epp. LXXI, 4; LXXUI, 3. 

22 



Vii^dL^eeneÊèt, Ik «.- cansxmtado^ ^y, était tffi <ïeg pdh 
eipatix arg^amentg que fai'saft valoir le parti du pa:p"€f : 
(c MhiliiïfldrethW'iiisi quod ft'aditiïtïf est; tifïffainîg iîïîs 
impoûâtwr in pâ'efittentiaiïr^-. y>- C-ést celtii' ^e dféve- 
Ibppe'tout le L3et' éb /-eBaptUsmate : & Existimo' -ms 
non infi-rmam ratibneiu redtfidisse' cônstiethïdiîii)? cati- 
samL.qiïaïi'qti'am liaec caiîst£ettidof, eUfam: soïar, d'éliéi'Bt 
apiïd homiaes timorem Btei hatjentes et Èitmileff prate- 
cipuunï IbctiiH obtihere^ » {î9): Atissi' saftif Cyprien 
tantôt nie-t-it la valeur proËante de IW coutaiîie en 
général (« "Non- est autem de' constfetudme praescri- 
Lendiïflï, sed'rafione vineendum^ «j^ tantôt contesfe-f-il 
reri'gftie divfne elj apostolique de celle^ qu'on Itii' op- 
pose'^: 

Mais, outre cet ârgttment^ ïe parti romain en invo- 
quait d'autres. L'évéque d!e CTartliag-e reprocfiait au 
pgfpe de s'appuyer snrFexemp'îe des hérétiques quine 
rebaptisaient ptiitit leurs adeptes* : a son tour, ôtt Ikii 
feisait ôîkerver qu^en réitérant le baptême, iï ïttrftait 
les ffofvatién«= (^t, eux, le réitéraient aussi aux seeta- 
teurs qu'ils recrutaient ^l On ajoutaît qu'il ne feutJ p'as 
e'onsidférerHDa personne qui" bapttse, mais la fox du Bap- 
tisé <'';^ que samt' Pierre' et saint Jeani «"'a^âfent pas re- 
baptisé les èacmiaritaics'^; qu'exfgerùtï n-ouvemi bap- 
tême était dresser uiï obstacle àuretour des hérétiiqu'es®. 

i. ^p. LXXIV^ 1. On a A'oulu entendre ces mots en ee-sena qa'ilsien- 
jjoindraient d"e ne renotLVelerque ce que la trâd'ition di'tfdnne dé renou- 
veler, à savoi» Fikifpositicfnid'eMaœàin : «^ nîKîfiiiliiOvfetlfiSilisiVetc;' »\Ce 
n'est pas la signification que les contemporains ont donnée aumot inno- 
vetur (S. CïPRiETs', Ep. ÈXXIV, 2; cf. Ép. LXX, S; De tebâptïsmate, f). Le 
pape pose' un princi'ïJe gÊaéral : il fâut s'en tenir à l'itsâgô 6t; ne' rien 
innover. Or cet usage prescrit seulement l'imposition de la main. 
.2. Epp. LXXI, 3 ; LXXIH, 13, 23; LXXiV, 9; LXXV, 19. 

3. iJpiJ.-LXXIII, 13; LXXIY, 2, 3. 

4. Ep. txxiv, a. 

5. Ep. LXXIII, 2. 

6. Ep. LXXni, 4. 

7. Ep. LXXIII, 9. 
*8. Ep. LXXIII, 24. 



Mais surt©iït x)n insist'ait iswc la :puissanoe -des noms 
dkfeslnvoftt'ésjdajîts laifopmiâe baptismale, 'puissance 
qui ë'exerce indépendaîniiient de la foi ou 4e rlaidignité 
du 'Efifîmfetre ^ €e dernier argnoîmentiest pl<as^pai!iiei£liè'- 
rement mis -en ^relieff dans le Ijvber de ,ifeh^^ismœte.. 
L'auteur de cette œuvre, jconftise d'ailleurs «t mal axs* 
donuëe^, Commence A entrevoir 'la distinction «ntre la 
vtèlîS^Ué qW effloaoitè tiu TÎte ^baptismal. sPour uecewoir 
toute 'l'^ïlcftcité du èaptéme, obser;>?r0^t-.-fl, il faut 're- 
naître de J%au >et'de l'Esprit (2).:i(eBaïtre dei'Sisprit 
est, en-dé'finitive, Je ^principal, puisque la cérémonie de 
l'immersion est susceptible d'être «uppléée, cornsnefon 
le voit dans le martyi'e (11, 14, 15). >JE/n tout cas, ces 
deux choses peuvent être îsépaipées, iet l'une peut îalller 
sans l'autre (3, 4). C'est cet^ui arriveidans le baptême 
des ihéitétiques. L'immersitan y est faite au .nom <de 
Jésus. 'La -vertu de cette invocation, ;même ^daus ia 
bouebe d%n ^hérétique, est ;telie qu'elle 'CommeBisee 
Teeuvre d^ 'la génération, et que le ri^scn-a pas besoin 
d'être renouvdé (6, 7, 10, 12, 15). ®He ne s.uiffitipa« 
toutefois à la =oonsom®ier. Si'le bapjtisé «neurtîasvaiit de 
nevariir à la vraie foi, son baptême îoe .lui sert .de rien 
(6, 7, 1#), ou iplutot ©e sert jqu'à aggraver sa iCondara- 
naMon,; 'mais -s'il se convertit, dest -assez de compléter, 
par la epUatiop -du Saint-Esprit, la première céré- 
monie, pour ^^u'«lie 'Obtienne «on plein -et entier ;efiet 
(10; «f. 12, 15). 

La question, avons-nous dit, ne fut pas tranchée so^ 
lenneliement au iii^ siècle, et eepeudantla rpaixse'fît 
entre le successeur d'Etienne, Xystus II, et saint 
Cyprien^, entre le successeur deXys:t»s,lJ,:saiï3ttX>ejays, 

1. Epp. LXXIII, 4; LXXV, 9. 

'2. On en -trouvera -ane bonne analyse dans P. Monceaiec, Sitit. MU. de 
l'AfnQue chrét., jf, ,pp, =04-96, 

8. PbsTius, 'Gùprianivita, 14 ('Hartel, S. Cypriani OT^era, ill, ;p. ct) 
cf. Ep. LXXX, 1. 



388 LA THÉOLOGIE ANTENICÉENNE. 

et l'Église de Césarée de Cappadoce^ . L'Afrique, d'ail- 
leurs, ne tarda pas à se rallier à l'usage romain. Le con- 
cile d'Arles de 314, où se trouvaient nombre d'évêques 
africains, ordonna dans son canon 8 : « i>e Afris quod 
propria lege sua utuiitur ut rebaptizent, placuit ut, si 
ad Ecclesiam aliquis de haeresi venei'it, interrogent 
eum symbolum; et si perviderint eum in Pâtre et Filio 
et Spiritu sancio esse haptizatum, manus ei tantum 
imponatur ut accipiat Spiritum sanctum. Quod si in- 
terrogatus non responderit hanc Trinitatem, haptize- 
tur. » Au temps de saint Augustin, les orthodoxes 
n'éprouvaient plus de difficultés à ce sujet. 

En Orient, les hésitations furent plus longues. A la 
fin du iv° siècle, saint Basile témoigne qu'à Iconium on 
avait adopté les décisions romaines; mais pour lui, à 
Césarée, il suivait un usage contraire, bien qu'il fût 
disposé à transiger dans l'intérêt de la paix, et à re- 
connaître comme valide le baptême des simples schis- 
matiques^. Le concile de Nicée en Bithynie (325) admit 
les ordinations des novatiens (can. 8), mais il ordonna 
de rebaptiser les partisans de Paul de Samosate (can. 
19). Saint Athanase affirme cependant^ que ceux-ci 
baptisaient au nom de la Trinité, mais ils n'entendaient 
pas, dit-il, par le Père et le Fils, ce qu'entend l'Église : 
ils étaient hérétiques, et c'était assez pour qu'on re- 
poussât leur baptême. Et pour le même motif, il rejette 
lui-même le baptême des ariens en le déclarant vain et. 
inutile, xsvov xat à^uffiTsXEç''. 

Quant à Antioche et à la Syrie, les Constitutions 



1. s. BASILE, Epist. LXX, p. G., XXXU, 436. 

2. Epist. CXCIX, can, 47; Epist. CLXXXVIU, can. 1. 

3. Contra Arianos, n, 43. 

4. Contra Arianos, n, 42. 11 semble, d'après cela, que l'on n'admît 
point le baptême des hérétiques qui erraient sur la doctrine trinitaire. 
L'altération de leur -foi en ce point pouvait faire craindre aisément 
une altération de la formule -baptismale. 



LA CONTROVERSE BAPTISMALE. 389 

apostoliques, citées plus haut, prouvent qu'on y re- 
gardait encore, au iv® siècle, le baptême des hérétiques 
comme invalide. A Jérusalem, saint Cyrille témoigne 
de la même discipline dan» sa Procatéchèséj 7. 



22. 



CHAPITRE XII 

LA DOCTRINE CHRETIENNE EN OCCIDENT AU Ili" 
ET AU DÉBUT DU IV^ SIECLE. 

S 1. — Dieu et la Trinité. 

Les théologiens du iii^ siècle n'ont pas eu à prouver, 
à grands renforts d'arguments, l'existence de Dieu : 
cette existence, à leur époque, était moralement ad- 
mise de tous. Ils ont dû plutôt prouver l'existence 
d'un Dieu unique, et non pas seulement contre les 
païens, comme l'ont fait Tertullien, saint Cyprien, 
Arnobe, Lactance, mais encore contre les gnostiques 
plus ou moins dualistes, Marcîon, Hermogène, Va- 
lentin, que Tertullien a combattus et réfutés. 

Il n'y a qu'un seul Dieu. Et s'il en est ainsi, rien ne 
pourra lui être comparé : lui seul possède ce qui est 
de Dieu ^ Bien plus, il est transcendant et au-dessus 
de nos conceptions : « Maior est enim.Deus mente 
ipsa, nec cogitari possit quantus sit^. » 

Quelle est la nature de Dieu ? On a souvent — et 
saint Augustin en particulier ^ — relevé dans l'ensei- 

i. Tertdll., Adv. Hermog., 4. 

2. Nov\T., De Trinilate, 2, cf. 7; Arnobe, in, 19; Commodien, Carm. apol., 
yers 99 et suiv. 

3. Epis t. CXC, H. 
390 



LA Tmomow i^Tim av iii» jsièole. 39* 

gmv9^n%⧠TeptiîWJ^o sur la natune 4e Diieu cette sin- 
^il^fitê, qa^'il-mmbhen faire un être «ppporei : «Quis 
eoipa mg^hU àmm <jçppus esiS:e, ^tsi devis spiritus e&t? 
Spifitu^ enim çopp:iii§ swi g^mris in sjia effigie ^ » En 
mmé endroit eep^iwiani, et- ici mêHie, notre docteur 
aUfaie que JDieu est iSpirituel^. N'admettrait-ii donc, 
oomm^ les stoïciens, ^ntre le eorps et l'esprit qu'une^ 
dîfépençe de degré au point de vyie de la subtilité de 
la paaltièçe qui les constitue? La chose serait possible 
absolument; mais il est plus vraisemblable que Técri- 
yain ,a pris ici le mot corpus comme synonyme de 
suhstantia, la substance, ainsi qu'il l'explique lui- 
mêïmjç ailleurs, étant 1^ corps et le solide de l'être dont 
elle forme le fond ^. 

Niaus ayoos dit qi-dessus comment l'erreur patripas- 
sienne de Noet otde Sabellius avait été condamnée par 
Calliste, et nous aurons à dire un peu plus loin com- 
ment certaines expressions malsonnantes au sujet du 
Fils, écrites par le patriarcbe Denys d'Alexandrie, 
furent redressées par le pape Denys de Rome''. Ces 
déclar^ationa autorisées encadrent en quelque sorte les 
exposés de la doctrine tdnitaire qu'ont donnés 
saiut Hippoiyte, Tertnllien et Noyatien. Elles présen- 
tent l'enseignement officiel de l'Eglise à côté de celui 
de ses docteurs plus ou moins avoués. 

Le premier danger couru par le dogme trinitaire a» 
commencement du iii^ siècle était donc le modalisme. 
Indépendamment des premiers hérétiques qui l'ont en-, 
seîgné et propagé, on a cru en trouver des traces dans 



\. Adv. Prax.,^; cf. Ce eam&.Ghr., H. 

9. Par exemple Apolog., ai. 

3. Adv. Hermog., 33. C'est l'explication que donne saint Augustin. Bile- 
n'a pas satisfait tous les critiques ; mais ce qu'ils y ont ajouté ne la 
modifie pas sensiblement. TertuUien a toujours eu une tendance àt 
corporaliser les choses les plus spirituelles. 

4.' VQir ol'desaous, p. 482 et auiv. 



392 LA THÉOLOGIE ANTÉNICEENNE. 

le Carmen apologeticum de Commodien ^ Mais peut- 
être ne faut-il pas exiger trop de précision théologique 
dans cette poésie fruste et embarrassée. En tout cas, 
nos docteurs y ont formellement contredit. Ils n'y ont 
pas seulement contredit : ils ont exposé sur la Trinité, 
et en particulier sur la génération du Verbe, des vues 
positives et synthétiques. Certaines de leurs tendances 
et de leurs expressions inquiétèrent, nous l'avons dit 
ailleurs 2, l'autorité ecclésiastique qui leur en signala 
le danger. Dans l'ensemble cependant, ces vues cons- 
tituaient un progrès théologique considérable sur ce 
qu'on avait écrit au ii* siècle. 

Examinons d'abord ce qui regarde la génération 
du Fils et sa distinction d'avec le Père. 

C'est surtout aux chapitres 10 et 11 de son traité 
contre Noet, et au livre x, 33 des Philosophoumena, 
que saint Hippolyte s'explique sur cette question. Au 
commencement, dit-il, Dieu était seul ; mais cependant, 
tout en étant seul, il était multiple ([xovo; àv itoXùç ^v), 
car il n'était pas sans parole ni sans sagesse [ou-zt ykf 
dfXoyoç ouTe aaocpoç)^. Ce Dieu engendre d'abord par sa 
pensée le Verbe, non le verbe qui serait une simple 
voix, mais le Verbe qui est son raisonnement ou sa pa- 
role intérieure (IvSiâOeTov tou wavto; XoyiffiAov). Hippo- 
lyte insiste sur le caractère de génération qui est celui 
de l'acte divin. Le Verbe n'est pas de rien (l| «ùSevoç), 
comme le monde : il est, et lui seul. Il ovtuv, et le h 
dont il est {il o?) c'est le Père. Il est donc véritable- 
ment et proprement engendré (YewSv, àTcoYewa)^. 

1. Vers 91 et suiv. ; 277 et suiv. ; 363 et suiv.; 617 et suiv. ; et cf. 327 et 
BUÎT. ; 3S7, 414, 775 et suiv. — II y faut joindre le prologue monarchien 
sur saint Matthieu, d u m* siècle, dans Wordsworth and White, Novutn 
Testamentum D. N. I. C. latine secundum editionem S. Hieronymi, 
Pars I, Oxoniî, 1889-98, p. 16. 

2. V. ci-dessus, p. 336, suiv. 

3. Contra Noet., 10. 

*• ©sbç ).ÔYOV itpwTov IvvoYiOeîç ÙTtOYevv^, où Xoyov ûç çuv^^v, âXXt 



LA THÉOLOGIE LATINE AU IIP SIÈCLE. 393 

De cette façon, continue Hippolyte, il y eut un autre 
par rapport au Père (oSJtwç TraptffxaTo auTw eTepo;), non pas 
que l'on doive dire deux dieux, car le Verbe est « une 
lumière produite par une lumière, comme une eau qui 
sort d'une source, un rayon qui s'échappe du soleil... 
le Verbe est l'intelligence (voûç) qui, apparaissant dans 
le monde, s'est montrée comme Fils de Dieu^ ». 

De même que les apologistes grecs cependant, Hip- 
polyte met la génération du Verbe en rapport intime 
avec la création, la mission créatrice du Verbe étant 
en quelque sorte contenue dans sa génération, et cette 
génération n'étant connue du monde et n'existant pour 
lui que par la création. Le Verbe engendré est montré, 
s'avance (eSsiÇs, TrposXeetv) pour créer. C'est que, en 
vertu de sa génération, il a reçu et il porte en lui les 
idées conçues par l'esprit du Père, et il connaît aussi 
ses volontés. Il sera donc l'exécuteur de ses desseins 
et l'organe (IpYatïiv) de la création 2. 

Bien plus, les apologistes n'avaient rattaché à la 
génération du Verbe que la création, Hippolyte y 
rattache l'incarnation. Le Verbe est Fils puisqu'il est 
engendré, et c'est pourquoi Hippolyte le nomme f^ovo- 
Yevv^ç ; mais cependant cette filiation ne devient com- 
plète que par l'incarnation, qui y ajoute un nouveau 
titre et que le Père prévoyait déjà. Si donc Dieu a 
appelé le Verbe son Fils (absolument), c'est par pro- 
lepse, et parce qu'il le devait devenir un jour (...tov 
Xôyov Sv uîov 7tpoffï)YÔp£UE Sioe to [jlîXXêiv «utov Ysvéaôai) : « Sans 
la chair et considéré à part soi. le Verbe n'était pas 



èvSiâOeTov toû TravTo; XoYifffJiov. Toùtov {aôvov êÇ ôvtwv ÈYevva-Tè yàp fiv 
aÙToç ô Tiax^p ^v è| ou tô xoO Yevvïiôjjvat atTiov toîç ytvojjiÉvoi; )>6yo; ^v 
(Phil ., X, 33, p. SIS, S16). Le mot Travxo; ici désigne le Père, cf. Con- 
tra Noet.,ii. 

i. Contra Noet., li ; cf. 10. 

a. Contra Soet., 10; Philos., X, 33. 



304 jLA ?:HÉPLt>eiE A;«y:ÉNI6E^N^, 

FiJ[s .e.oiïip]ie.t, îîiçnque, jBjonogièjie, il fûi> V^ïk&^coxn- 
pl(3tV. « 

Venons îas^ijiteniaBt à l'exposé de larinêni^ doetrme 
diez XertwlHen. Teptullien l'avait es^ftispée ■déjà4âB& 
VApalftge.Ucum [^i) en i97:; ,iBa/is il I'^ aret^asTôiliée #t 
préiçis^e 4aBs VAdversu^ Pf^ioPfian coïïipfj^é -^Ptr^ 
213-225. C'est sîiptaTjt .d'^après ce idersniier ouvre^g^ 
qu'on e;? parjg iei, 

Pans le pRiacipe, écrit Tgrtiilliç^nj Wim estait .seîiil, 
seul en ce sens que rjen ii'existsit ^çn dehpy« de lui, qfup 
il p.yait.en lui pa. raison. :|Qette raisoïiles jQjpeçsriap|3ieJ.- 
îent ).oyûç, les ..Latins .^^rmp, mais plutpt ppwr îSJffîpli'' 
fier, iQfir la j'aison est comme lelond et la s.ubSitanpe d^ 
laparple, et la parole est la raison en exercice. .I^x^^is 
ne pouyons ^en ^ffet penser, ssais parjer intérieurement 
notre pensée, pi parler sans ^expjimpf ce que nous 
pensp^s. Ainsi |)ie]i aéeessairement pensant ppsséd&it 
nécessairement en lui une parole intérimaire qu'il p?o- 
dyiisait et gui était, par rapport k lui, unsecppid terme : 
« liahentem (Deum) in semetipsp prpincje rjatipaeffi, 
et in ratipne sprmpnejçn quem secundumase ,fa.c,epet 
a^itandp intra sp j> (5). 

.(^uand Dieu ypulut créerj il prpÇérg cpt^te parple iii^ 
térieure qui pontepait sg r=aispp pt .sps idées, ptp?ir plie 
futçréjérimivprs (6), JUp Vpjjxp, ca,cl}é jiisq.sie4,àpnPipUj^ 
réalise tPUt spn nom ; il devieiit ttçp ypj? et iuç spn 
lorsque jÇ)jpu dit ; Fiat luxï Cette prp],atipn pon§tir. 
tue la naissance parfaite à^ Verbe^ car aupArayajit U 
éjait ÎQVWP iço/iditus), porté dans les pntr^iJiçs dp 
Père : maintenant il est enfanté, il apparaît comme 
Fils : 

« Haeç est nativitas perfecta sermonis dura ex De;o pro- 
cedit, conditus ab eo priraum ad «ogitatum in nomine so- 

1. Contra Noet., 13. 



LA. TÔ'iïIfLÔGlE: Mîmô M' fft* SMfeCLB. 395 

ad' éflfeelunï, Curtiparàvet eeéelum âdevum Ulv;- é^iti^Jë- mm 
patrem sibi faciens de quo pfroced'eiïdttî ÛliaS- fâetas esfe, 
primogenitus, utante omnia genitus, etunigenitus, utsolus 
é3£l9e6'g^ni*iïg-, pFopiîie dî^'vixJva} cordiis ipsiuSj- secundhin 
(ptsài et pâter ïp'se testatiii! : EatuttavM cor rhevm-s&hnonem 
opbmmn-» C^) ^ 

QueMe est la. nature du Verbe ou. du Fils ainsi en?- 
genècé? Les hérétiques n'y veulent voir qu*un vain 
bpuit(ïDm.me est la garole humaine j « vox.etsonus oris 
et^j sicut gpammsftici tradunt, aer olTensus... ceterum 
neseio qi^ià et inane et incorporale »v Mais ce n'est pas 
cela^ Lei Verbe est un. esprit comme le Père dont il 
p.Foeèdfr eS (jui lui communique sa substance ^ :.il est 
ude personne distincte du. Père : « Quaecumque ergo 
substantia sermonis fuit Olam dico peiisonam, et illi 
namen- filii vindico', et dum filium agnosca, sécundum 
a pâtre deiendo » (.'7),.. 

A cette; 4©3tiûae on; reprochera peut-être de repro- 
duire la TrpoStfXvî valentinienne. C'est à tort. Valentin 
éloigne le&éon&piîolérés du Dieu suprême : les éans 
ïgn^rentee DieUyils en sontséparés- Mais le Fils ^ lui, 
connaît le. Pèrei; seul il le; connaît d'abord;, il en est 
distingué, non séparé ; car il est.toujour& eiLlulet avec 
lui. 11 estâù Père ce que la tig,e est àla. racine,, le fleu,ve 
à la souirce!,. le^rayoït ait soleil (8). Le soleil est dans le 
ïayeîa qm n'est qm'u^e eoctension de sa> substance : 

Ita dé spïritu spiritus et de D'eu Cfeu^, Ut lumen de lu- 
mine a'ccengum. Manet intégra et ïîrdeféetà raa^eriàe roa- 
frfx, etâf pïuTes' iïid'e traduees» qUàlifelSs: m-atueris : ita et 
quod de Deo profectum est Deus est et Deifêlius et unus 

1. Ç,L. ApalogeL, ai : • Hanc ex D'eo prolatum didicimus, etprolatione 
géfierât'um et ïd'ôirto lîliùl» Dei et BetfW cffCtiMi- eS' uttïtatte suBstan- 
tiae. 1 

2. Y. la note précédente. 



396 LA. THÉOLOGIE ANTÉNICÉENNE. 

ambo, Ita et de spiritu spiritus et de Deo Deus module 
alternum numerum, gradu, non statu fecit, et a matrice 
non recessit sed excessit*. » 

Passons enfin à l'exposé donné par Novatien dans 
son De Trînitate. Il est beaucoup plus simple. Avant 
le temps, toujours, le Père possède en lui, engendre 
le Fils. Bien que le Fils, conçu et né éternellement du 
Père, reste en lui, cette première naissance suffit pour 
que Dieu ait toujours été Père : « Hic ergo (Filius), 
cum sic genitus a Pâtre, semper est in Pâtre. Semper 
autem sic dico, ut non innatum sed natum probem... 
Semper enim in Pâtre, ne Pater non semper sit Pater » 
(31). Cette première génération toutefois doit recevoir 
un complément. Quand il le veut, c'est-à-dire au mo- 
ment de la création, Dieu profère son Verbe : celui-ci 
ne naît plus seulement, il procède ; il était dans le Père, 
il devient avec le Père : « Ex quo (Pâtre), quando ipse 
voluit, sermo Filius natus est... ; hic ergo, quando Pater 
voluit, processit ex Pâtre ; et qui in Pâtre fuit, processit 
ex Pâtre ; et qui in Pâtre fuit, quia ex Pâtre fuit, cum 
Pâtre postmodum fuit, quia ex Pâtre processit » (31). 

Ainsi né et sorti du Père, le Fils est une seconde 
personne, et comme tel, distinct de lui ( « secundam 
personam efficiens postPatrem, qua Filius », 31, col. 
950); mais d'ailleurs il est « substantia divina » (31, 
col. 950, A), Dieu, comme le Père (11-24,31). Entre eux 
il existe une « communie substantiae » (31, col. 952, B). 
Si le Père est antérieur au Fils, c'est seulement « qua 
Pater » (31, col. 949, B) ; de même que le Fils n'est une 
seconde personne après le Père que « qua Filius » (31, 
col. 950, A). 

Si maintenant nous comparons les trois exposés que 
nous venons de rapporter, il est aisé de voir en quoi 

1. Apoloqet., 21, 



LA THÉOLOGIE LATINE AU IIP SIECLE. 397 

ils se ressemblent, et aussi en quoi le langage de Ter- 
tuUien est plus précis que celui de saint Hippolyte, et 
celui de Novatien plus exact que celui de saint Hippo- 
lyte et de TertuUien. Tous trois admettent d'abord 
l'existence éternelle en Dieu du Logos. Son existence 
distincte, personnelle est toutefois plus faiblement mar- 
quée chez saint Hippolyte (fjiovoç wv iroXùç ^v) , plus nette- 
ment chez TertuUien [quein secundum a se facerei), 
absolument chez Novatien pour qui, dès ce premier 
instant, le Verbe se distingue de son principe comme 
un fils du père [ui non innatum sed natum prohern]. 
Par contre, TertuUien et saint Hippolyte ont mis en 
pleine évidence le caractère intellectuel de cette pre- 
mière production du Logos. — Cependant le moment 
de la création est arrivé. Nos trois auteurs considèrent 
qu'alors il se produit — suivant notre manière de con- 
cevoir — une modification complémentaire dans l'état 
extérieur du Logos. Mais elle apparaît moins profonde 
chez Novatien que chez TertuUien, moins profonde 
chez TertuUien que chez saint Hippolyte. Pour le pre- 
mier, elle est plutôt une procession ad extra, une mise 
en rapport du Fils avec le monde qu'il va créer [pro- 
cessit ex Patine) ; pour le second, elle est comme un 
complément de sa génération, un enfantement qui rend 
sa naissance parfaite en manifestant son activité [haec 
est nativitas perfecta seî^monis); pour le troisième, 
elle est une génération par laquelle il se montre pleine- 
ment iTspo; au Père. Saint Hippolyte et TertuUien se 
tiennent évidemment, pour le langage, plus près des 
apologistes grecs, et ce langage doit être interprété et 
justifié comme nous l'avons fait pour saint Justin et 
pour ThéophUe d'Antioche^ Le langage en quelque 
sorte matérialiste de TertuUien notamment ne doit pas 



i. Voir ci-dessus, p. 2S0 et suiv. 

LA. THÉOLOGIE ANTÉNICÉENNB. 



398 LA THÉOLOGIE ANTENIOÉENNE. 

faire illusion, et il n^s'agit, dans ce qu'il <lit, qued'unen- 
fantement et d'une prolation au sens métaphorique, 
puisque l'auteur remarque lui-même que le Verbe est 
toujours dans le Père et un en substance avec lui [S). -^ 
Enfin, pour nos trois écrivains, le Verbe :eBt identique 
au Fils ; mais, pour Novatien, il est Fils dès le principe ; 
pour Tertullien, il le devient complètement par son 
enfantement ; pour saint Hippolyte, cette filiation, com- 
mencée par la génération du Logos, ne s'épanoïiUt défi- 
nitivement que dans rincarnation en Jésus-Christ. ïl 
y a donc incontestablement progrès dans l'exposé dog- 
matique de saint Hippolyte à Novatien, et l'on peut 
raisonnablement penser que les admonestations du pape 
Calliste n'y ont pas été étrangères. Celui-ci faisait re* 
marquer à saint Hippolyte et à Tertullien le danger de 
dithéisme auquel conduisait telle ou telle de leurs façons 
de parler. Il était choqué du rapport chronologique 
trop intime que leur exposé paraissait établir entre la 
génération du Verbe et sa mission créatrice ', choqué 
d'entendre dire que le Père n'avait pas été toujours 
Père, et qu'il y eut un temps où le Fils n'était pas Fils ^ ; 
choqué encore de certaîneB conceptions bizarres d'Hip- 
polyte 2, ou d'expressions trop matérialistes de Ter- 



i. Ceci vise le passage de TertuUieQ, Adv. Hermogenam, S : « Quia et 
pater Deus est, et iudpx Deus est, îion idep tame-Q pater jet iudex geta- 
per quia Deus semper. Nam noc pater potuît esse ante filium, nec 
iudex ante delictum. Fait auleoi tempus cura et delictum et lilius non 
fuit, quod iudjcei» et qui patrem dominum faceret. » On s'est demandé 
s'il ne s'agirait pas ijci des fils adopUfs que sont les justes plutôt que 
du Fils par nature ; mais la teneur du chap. 18 rend cette interpréta- 
tion improbable. D'autre part, il nç Xaut pas entendre la f(?rn)ule çje 
Tertullien dans le sens où les ariens diront plus tard du Verbe 
Tjv ^OT? 2ï;e pùx ^v. Cette fojrrnuie chez lui « signifie seuiement qu'il y 
eut un lenîps où ie Verbe. nç s'était pas ïq,anjfepîé hors 4§ Dipu, ne 
pouvait être appelé le premier-né de toute création, n'avait pas acquis 
(c^OJplèteœeHt) ce iitre de Fils de Dieu qai est attafhé à sa révélalioB 
extérieure » (d'Alès, La théol. de Tertullien, p. 9S). 

2. Je pense ici à cette idée singulière avancée dans les Philoso- 
pkouniena, X, 33, p. 518, que si Dieu avait voulu faire l'homme Dieu 



LA THEOLOGIE LATINE AU IIP SIECLE. 39^ 

tuUien qui présentaient' le Père comme une masse 
substantielle dont le Fils était une partie. Il vit dans ce 
langage un péril, et, sans condamner ces docteurs, dont 
le fond et l'ensemble de l'enseignement était correct, 
il les avertit cependant. Novatien profita plus tard de 
ces avertissements : il corrigea ce que le langage de 
ses prédécesseurs avait de défectueux. Mais, tout en 
reconnaissant ces défauts, on serait injuste si l'on ne 
reconnaissait d'autre part avec quelle netteté ces doc- 
teurs se prononçaient sur l'éternité, la divinité, l'ori- 
gine du Verbe ex substantia^atris, sa distinction per- 
sonnelle d'avec lui, et son unité de nature avec le Père. 
Plus de cent ans d'avance, ils anticipaient vraiment les 
définitions de Nicée ^ 

Quel est leur témoignage sur la troisième personne 
de la Trinité, le Saint-Esprit? 

Saint Jérôme a accusé Lactance d'en ignorer la 
divine personne dans ses épîtres à Demetrianus — 
aujourd'hui perdues — et de le confondre tantôt avec 
le Père, tantôt avec le Fils ^. Ce sont des reproches 
dont il est actuellement impossible de vérifier la jus- 
tesse^, les ouvrages de Lactance qui nous sont par- 
venus ne contenant rien à ce sujet que l'on puisse re- 

(6eôv cre Troi^aai), il l'aurait pu : « l'exemple du Verbe te le prouve ». 
C'est un mot dit en passant, et dont il est diflicile de préciser le sens 
et la portée. 

1. Les données trinitaires de S. Cyprien peuvent être négligées tant 
elles sont maigres. Lactance dépend de ïertuUien, mais il simplifie 
son explication sur la question qui nous occupe. Le Verbe, esprit sem- 
blable au Père, est produit antérieurement à la création [Instit., II, 9, 
col. 294; cf. IV, 6, col. 641; 8, col. 466 suiv.). Sa naissance est inexpli- 
cable, mais cependant puisque, d'après les Écritures, il est la parole 
de Dieu, il a dû — par analogie — sortir de sa bouche comme une 
voix et un son ifiumvoce ac sono ex Dei are processit, lY, 8). Ce Verbe 
ainsi proféré ne fait pas qu'il y ait deux dieux : l'unité divine est sauve- 
gardée pas l'unité de substance et d'opérations dans le Père et le 
Fils (IX, 29). 

2. Epist. LXXXVIII, 7. 

3. Tout au plus peut-on remarquer que Lactance nomme volontiers le 
Verbe un esprit (II, 9, col. 294; IV, 8, col. 467). 



400 LA THÉOLOGIE ANTEMCÉENNE. 

lever. Un reproche analogue a été fait à Hippolyte : il 
n'aurait pas, suivant M. Harnack, regardé le Saint- 
Esprit comme une personne proprement dite. 11 
compte en effet en Dieu ■npôdôma. ouo, oixovo[ji.ia Se rpix/jv 
Tviv x"P''' "^^^ a.'^iov TCveuu.«Toç *. Le Saint-Esprit n'est donc 
pas pour lui un TipcacoTrov. — Il est vrai que notre 
auteur ne lui en donne pas explicitement le nom; 
mais il faut se souvenir qu'entre trinitaires et moda- 
listes la question portait uniquement sur la nature de 
la distinction existant entre le Père et le Fils : le 
Saint-Esprit restait en dehors de la controverse, et 
l'on ne sentait pas encore le besoin de préciser le lan- 
gage à son égard. Il a donc suffi à saint Hippolyte 
d'en parler comme d'un troisième terme numérique 
dont la présence complétait la trinité (xpiSç) ^. 11 le 
suppose d'ailleurs Dieu comme le Père et le Fils ^. 

Novatien suppose aussi cette divinité du Saint- 
Esprit. Bien qu'il ne le nomme nulle part Dieu expli- 
citement, il lui attribue une éternité divine et une vertu 
céleste, diviiia aeternitas, caelestis virtiis [De Trin., 
29) et le déclare illuminator rerum dwinarum (16). 
Sa place est entre le Fils de qui il reçoit et les créa- 
tures à qui il donne [ibid.]. 

Mais celui de nos auteurs qui a le mieux parlé du 
Saint-Esprit, à l'époque où nous sommes, est Tertul- 
lien. Traduisant d'un mot toute la tradition anté- 
rieure, le premier et le seul parmi les Pères jusqu'à 
saint Athanase, il a affirmé d'une façon expresse, 
claire et précise sa divinité. Montaniste au moment 
où il écrivait VAdf^ersus Praxean, il a énergiquement 
proclamé les grandeurs du Paraclet. Le Saint-Esprit 
est Dieu (13, 20), de la substance du Père (3, 4), un 

1. Contra Noet.,ii. 

2. Contra Noet., 8, U. 

3. Contra Noet., 8, i-2. 



LA THÉOLOGIE LATINE AU IIP SIECLE. 40i 

même Dieu avec le Père et le Fils (2). Il procède du 
Père par le Fils, û^ Pâtre per Filium (4), « a Deo et 
Filio sicut tertius a radice fructus a frutice, et tertius 
a fonte rivus aflumine, et tertius a sole apex ex radio » 
(8). 11 est le vicaire [vicaria vis) du Fils ^ docteur de 
toute vérité (2). 

Il y a donc trois termes en Dieu : le Père, le Fils et 
le Saint-Esprit. On vient de voir ce que nos auteurs 
ont dit de chacun d'eux* Tertullien le résume et le 
complète dans son traité contre Praxéas, en même 
temps qu'il esquisse un tableau vigoureux de leurs 
relations mutuelles et du mystère de la Trinité. 

Avant tout, remarque-t-il, il faut affirmer l'unité 
de Dieu (2) ; mais cette unité n'exclut pas une certaine 
économie. Le mot oîxovout'a ^ est cher à Tertullien (3) ; il 
indique, selon lui, qu'il y a en Dieu une dispensation, 
une communication de l'unité qui en fait découler une 
trinité : « unitatem in trinitatem disponit » (2). Cette 
dispensation ne divise pas l'unité, elle la distribue 
seulement; elle ne renverse pas la monarchie, elle 
l'organise. Quant aux nouveaux termes ainsi obtenus^ 
ce sont des substances spirituelles [suhstantivae resy 
26, cf. 7), comme des portions de la substance divine- 
totale [ex ipsius dei substantia — ut portio aliqua 
totius, 26, cf. 9); ce sont des personnes [illam dico 
personam, 7, et voir 11, 12, 13, 15, 18, 21, 23, 24, 27, 
31). Comme équivalent de persona, Tertullien dit 
aussi species, forma, gradus (2, 8). 

Ces trois personnes sont numériquement distincte»- 
entre elles. Contre les sabelliens, le grand africain a. 
établi cette vérité avec une abondance de textes et de 
raisons qui ne laissent rien à répliquer : « Duos quidem 
defmimus patrem et filium, et iam très cum spiritU) 

1. De praescript; 13. 

2. Cf. S. HippoLYTE, Contra Noet., 3, 4. 



402 LA THÉOLOGIE ANTENICEENNl. 

sancto secundum rationem oeconomiae quae facit 
numerum « (13, 2, 8, 12, 22, 25). Mais, d'autre part, 
on l'a vu, ces trois personnes sont Dieu : elles ont 
même nature, même substance, même étafc, même 
pouvoir, même vertu : « Et pater deus, et fîHus deus, 
et spiritus sanctus deus, et deus unusquisque » (13). 
« Très autem non statu, sed gradu, nec substantia, 
sed forma, nec potestate, sed specie, unius autem 
substantiae et unius status et unius potestatis » (2, 
•cf. 22). Elles ne sont pas itnus : « unus enîm sin- 
gularis numeri significatio videtur » (22); mais elles 
sont unum, parce qu'il y a entre elles unité de subs- 
tance : « Ego et Pater unum sumus, ad substantiae 
unitatem, non ad numeri singularitatem » (25). Et 
cette unité de substance, Tertullien ne la regarde 
pas comme simplement spécifique ou générique, mais 
comme numérique et absolue. Cela ressort, d'une 
part, de l'insistance avec laquelle il affirme qu'il y a 
entre le Père et le Fils distinction et distribution de 
l'unité mais non pas séparation et division (2, 3, 8, 9), 
et, de l'autre, de la façon dont il oppose constamment 
entre elles la trinité numérique des personnes et 
l'unité de la substance, l'unité de Dieu (2); car, dit-il, 
bien que le Père, le Fils et le Saint-Esprit soient Dieu, 
il n'y a qu'un seul unique Dieu (2, 13) : ils sont « une 
trinité d'une seule divinité * », et le Fils n'est Dieu que 
de l'unité du Père, deus ex unîtate patris^ . 

Tertullien a donc touché au consubstantieî propre- 
ment dit, et en a trouvé la formule dernière : « très per- 
sonae, una substantia ^ », celle qui restera la formule 

1. De pudicitia, 21;. 

2. Adv. Prax., 19; cf. 12, 18. 

3. 51, Harnack {Lehrb. der DG., II, p. 298 et suiv., note) a prétendu 
que Tertullien avait pris ces mots seulement dans leur sens juridique 
de personne morale et de fortune, biens possédés. Cette opinion n'est 
pas soutenable (v. Seeberg, Lehrb. der DG., I, 341, note 2). 



LA THÉOLOGIE LATINE AU lïl» SIECLE- 403 

de l'Église latine. Tel qu'il est et malgré les obscurités 
qui s'y trahissent, son exposé trinitaire, surtout cor- 
rigé par NovaEien, réalisait sur ce qui l'avait précédé 
vu progrès considérable. La foi de l'Eglise y recevait 
une expression juste et définitive *. 



% 2. — La création, les anges, l'honuue. 

La création du monde par Dieu est un des dogmes 
que Lactance a le plus heureusement défendus contre 
les philosophes païens^. Tertullien a dû le défendre 
surtout contre Hermogène et contre Marcion. Her- 



i. On a souvent reproché à nos auteurs d'avoir subordonné le Fils 
au Père et le Saint-Esprit au Père et au Fils. Toutes les raisons alléguées 
n'ont pas cependant la même valeur. Ainsi, on ne peut rien tirer de 
la simple afflrmation que le Père est plus grand que le Fils, et celui-ci 
plus grand que l'Esprit (Tertcll., Adv. Prax., 9; Novat., De Trin., 16, 
S7, 31), parce qu'il s'agit là de cette subordination personnelle qui 
résulte des processions divines; rien non plus du fait que le Fils 
obéit au Père et exécute ses ordres (S. Hippol., Phil., X, 33, p. S16; 
Tertoll., Adv. Prax., 3, 4; Novat., De Trinit., 61), parce qu'il s'agit ici 
d'une simple subordination niinislérielle, non de nature; rien enOn 
<le ce que le Père est donné comme invisible, le Fils comme visible 
et le sujet des théophames(TERTDLL., Ad». Prax., 14; Adv. Marc, il, 27 ; 
Novat., De Trin., 18, 19, 20, 31), parce que cette différence est fondée 
uniquement sur le fait que le Fils seul est apparu {loan., I, 18, et v 
ci-dessus, p. 253).— Moins défendables au premier abord sont les passages 
où Tertullien représente la substance du Fils comme une portion de 
celle du Père : « Pater enim tota substantia est, Filius vero derivatio 
totius et portio • [Adv. Prax., 9, l't, 26). Cependant il est clair que 
ces mots ne doivent point être pris à la lettre, et qu'il y faut voir 
surtout ime conséquence du langage tout matériel que l'auteur adopte 
pour parler de Dieu. Tertullien n'ignorait pas que la substance de 
Dieu est iadivisible [Apolog., 21), et que tout ce qui est au Père, en 
dehors de la paternité, a été communiqué au Fils (Adw. Prax., 33 
Adv. Marc, m, 6; IV, 23). — C'est plutôt dans Lactance [Inatit., 11, 8, 
col. 293 et suiv, ; cf. IV, 8, col. 467) que l'on trouverait des concepts 
vraiment répréhensibles. Au v* siècle cependant, la controverse 
arienne avait rendu les esprits très méticuleux à ce point de vue; et 
il est curieux de voir citer comme arianisants, dans le Conflietus 
Arnobii cathoUci et Serapionia {Patr. lat., LUI), des fragments du 
chapitre 31 du De Trinitate de Novatien. 

2.1nstit., I, 3; II, o, 9. 



404 LA THEOLOGIE ANTBNICEENNE. 

mogène prétendait que la matière est éternelle comme 
Dieu. Tertullien lui oppose qu'une matière éternelle 
serait dieu et indépendante de Dieu. Marcion admettait 
la création, mais l'attribuait au Dieu rigoureux de l'An- 
cien Testament, distinct du Père de Jésus-Christ. 
Tertullien lui oppose que la création est bonne, digne 
du Dieu bon : et contre les gnostiques il fait l'éloge 
de la matière et de la chair [De resurj-ectione carnis) . 
Dieu est donc créateur. Mais, comme on l'a dit plus 
haut, il crée par le Verbe (StocÀoyou). Celui-ci, tout plein 
des idées et des desseins du Père, les réalise ad extra. 
Est-il le seul à pouvoir créer ? Tertullien et Arnobe 
répondent par la négative. Le premier, dans un pas- 
sage fort confus ^ , semble admettre que les anges qui 
ont apparu aux hommes se sont créé ex nulla ma- 
teriale corps qu'ils ont revêtu. Le second, qui ne peut 
croire que Dieu soit l'auteur d'un être aussi chétif et 
vicieux qu'est notre âme, avance qu'elle est plutôt 
l'œuvre de puissances subordonnées dont on ne sau- 
rait exactement déterminer la nature 2. 

Les créatures les plus élevées sont les anges. Leur 
existence est attestée par l'Ancien et le Nouveau Tes- 
tament; mais les philosophes aussi et l'âme populaire 
admettent cette existence^. Le premier ange créé serait 
précisément, suivant Lactance, celui qui devait deve- 
nir le chef des mauvais anges, le diable *. 

Quelle est la nature des anges? Tertullien les pré- 
sente comme des esprits issus du souffle de Dieu, pos- 
sédant un corps subtil, igné°, qui se déplacent avec 
une prodigieuse rapidité {Omnis spiritus aies est]^ et 

1. De carne Christi, 6. 

2. II, 37, 39, SUiv., 46, 48, î>3, SS. 

3. Tertull., Apolog., 22 ; De testimonto animae, 3. 

4. Instit., II, 9, col. 294. 

5. Adv. Marc, II, 8; III, 9. 



LA THÉOLOGIE LATINE AU lll" SIÈCLE. 405^ 

agissent invisiblement sur les corps et les âmes ' . Ils- 
sont les ministres de Dieu et protègent spécialement- 
la première enfance 2. 

Cependant tous ces anges ne sont pas restés fidèles- 
à Dieu. Tertullien insinue, en un passage, que le pre- 
mier péché du diable fut un péché d'orgueil et de* 
jalousie vis-à-vis de l'homme^. Plus tard, il s'y joignit,. 
de la part de certains anges, un péché de luxure avec 
les filles des hommes (d'après Genèse, vi, 2)''. De ce 
commerce sont nés les démons proprement dits, plus- 
mauvais que les anges déchus, leurs pères, et qui ont 
pour chef le diable^. Toute leur activité et la sienne 
s'emploie au mal, à perdre les âmes et les corps, à- 
tromperies hommes et à favoriser le mensonge^. Ils 
sont les auteurs des opérations magiques. Mais, outre 
que Dieu lie dans une certaine mesure leur pouvoir, ils 
sont vaincus et chassés par les exorcismes chrétiens^ 
et, dans cette lutte qui se poursuit entre Dieu et Sa- 
tan, c'est Dieu qui aura le dernier mot'. 

Après les anges, l'homme. 

Si on en croyait Arnobe, l'origine de l'homme serait,, 
pour la raison, un problème insoluble, tant est grande 
sa misère physique et morale, tant il est impossible 
que Dieu ait fait un être si mauvais. L'âme en particu- 



1. Apolog.y 22. 

2. De anima, 3t.- 

3. De patientia, 5. Cf. Commodien, Carm. apol., vers 153, 1S4. 

4. Tertcll., Apol., 22; De cultu femin, 10. De même S. Cyprben, De- 
hab. virg., 14; Commodien, Instr., I, 3; Lactange, Instit., Il, 15. 

5. Tertbll., Apol., 22. 

6. Tertull., De anima, i<li;Apol., 23, 27; De pi'aescr., iO. 

7. Tertull., Apol, 23, 27, 32, 37, 46, etc.; Arnoiie, I, 43, 4.ï, SO, S6; 11,- 
35. Au lieu de voir, comme généralement les auteurs de celte époque, 
dans les dieu-x du paganisme, des héros divinisés ou de méchants dé- 
mons, Arnobe, par une conception singulière, y voit des dieux infé- 
rieurs, des génies créés par Dieu, immatériels et immortels, eu somme 
des anges d'un caractère à part (11,3, 3S, 36, 62; UI, 2, 3, 12; IV, 19). 

23. 



406 LA THÉOLOGIE ANTÉNIGBÈÎflVB. 

lier, nous l'avons dit pliis haut, serait, (î'après îui, 
l'œuvre de puissances inférieupes (ir, 14, 36-50) : elle 
ne serait précisément ni immortelle ni mortelle par 
nature (rr, 15-30), mais meâiae quaUtatis^ pouvant 
mériter l'immortalité par ses bonnes œuvres (if, 14, 
31-36). Arnobe est un pessimiste chez qui il ne faut 
pas chercher l'expression authentique de la foi. Tout 
autres sont les vues de TertuUien et de Lactance. L'un 
et l'autre se sont plu à nous montrer dans le corps 
humain l'ouvrage même de Dieu et l'objet de son amou- 
reuse sollicitude ^ A ce corps l'âme est intimement 
unie : « Vocabulum homo, écrit Tertulîien, consertarum 
substantrarum duarum quodam modo fîbula est, sub 
quo vocabulo non passunt esse nisi cohaerentes^. » 
Qu'est-ce que cette âme, d'où vient-elle, et quelle est 
sa destinée? — On sait que TertuUien a écrit sur ce 
sujet tout un traité, le De anima (sans compter le De 
censu animae, qui est perdu). Il y enseigne très nette- 
ment la corporéité de l'âme humaine'. C'est une doc- 
trine qu'il avait empruntée aux stoïciens, qu'il allègue '', 
et au médecin Soranos d'Éphëse dont il élève très haut 
l'autorité^. Mais il l'appuie aussi sur une singulière vi- 
sion d'une chrétienne montaniste, à qui une âme s'^était 
montrée « tenera et lucida et aerii coloris, et forma 
per omnia humana*' ». Malgré cela, il proclame Fâine 
simple et indivisible', immortelle entant qu'elle émane 
du souffle de Dieu^. TertuUien est dichotomiste'''; il 
rejette la préexistence des âmes aussi bien que la mé- 

i. Tertull., De resui: carnis,.G', Lactance, De opificio Dei. 

2. De resur. carnis, 40. 

3. Par exemple De anima, 9. 

4. De anima, 3. 

5. De anima, 6, 8, 14, 15, 23. 

6. De anima, 9. 

7. De anima, 10, 14, 22. 

8. De anima, 0. !), Mt. 52, 53;. Apolag.eL, 48; De resurrectione carnis, 
3. Cf. NovAi 1 ;■.:•:,. ive Trinit., 1, 25. 

9. De anima, 18. 



LA THÉOLOGIE LATINE AU IIP SIÈCLE. 407 

tempsychose^ ; mais il professe un traducianisme 
grossier : Tâme est semée comme le corps, et, comme 
lui, reçoit un sexe ^ ; et ainsi toutes les âmes étaient 
contenues en Adam de qui elles viennent^. 

Op Lactance rejette précisément ce traducianisme. 
Pour lui, chaque âme vient de Dieu immédiatement 
[De opificio Deiy 19, col. 73); elle n'existe pas avant le 
corps : elle naît en quelque sorte avec lui [Inslit., m, 
18, col. 40Ô). D'essence ignée (ii, 10, col. 310; 13, col. 
322), elle est immortelle (m, 18, col. 405, 406; 19; vu, 
12, 13) et susceptible pourtant de souffrir même après 
sa séparation d'avec le corps (vu, 20, col. 779 suiv. ; 
21). Le principe du péché ne gît pas en elle précisé- 
ment, il gît surtout dans les appétits du corps opposés 
aux aspirations de l'âme [De ira Dei, 19, col. 135, suiv.). 

Tertullien a affirmé très énergiquement la liberté 
humaine, et a trouvé dans le Jeu de cette liberté 
l'explication du mal moral et du péché ■*. Il l'a trouvée 
encore dans la déchéance de l'homme depuis la déso- 
béissance de notre premier père. Cette faute a entraîné 
pour toute la race humaine non seulement la mort, 
mais aussi de nouvelles fautes et leur châtiment : 
« Homo damnatur in mortem ob unius arbusculae deli- 
bationem, et exinde proficiunt delicta cum poenis, et 
pereunt iam omnes qui paradisi nuUam cespitem no- 
runt^ w. « Portavimus enim imaginem choici pèr 
collegium transgressionis, per consortium mortis, për 



1. De anima, 4, 24, 23-30, 31-33. 
3. De anima, 27, 36. 

3. De anima, 40. Tertullien résnme toute Sa doctrine dans cette défl- 
nition de l'âme : « Definimus animam dei ilatu natam, immôftaïéna, 
corporalem, effigiatam, substantia simplicem, de suo sâpientem, varie 
procedentem, liberam arbitrii, accidentiis obnoSiàm, pef ingénia niu- 
tabiiera, rationalem, dominatricem, divinatricem, ex una redântfâu- 
tem » (De animcc, 22). 

4. Adv.Mafc, II, Si 6, 7. 
h. Adi\Marc.,l,'2à. 



408 LA THÉOLOGIE ANTBNICEENNE. 

exilium paradisi * . » Elle a introduit dans l'âme, dans 
toutes les âmes, une souillure, une tare originelle, 
une pente au péché. Ici se manifeste dans la pensée 
de Tertullien une certaine imprécision, en ce sens 
que son analyse ne va pas jusqu'à distinguer net- 
tement le péché originel proprement dit des dé- 
sordres qui l'accompagnent. Mais il admet bien que 
toute âme naît souillée : « Ita omnis anima eo usque in 
Adam censetur donec in Christo recenseatur, tamdiu 
immunda quamdiu recenseatur ^ ». C'est notre nais- 
sance et notre descendance d'Adam qui nous en fait héri- 
ter ainsi la perversion et les justes peines : « Per quem 
(Satanam) homo a primordiis circumventus... exinde to- 
tum genus de suo semine infectum, suae etiam dam- 
nationis traducem fecit^. » Il y a, dans cette suite d'affir- 
mations, au moins une ébauche de théorie du péché 
originel à laquelle la théologie donnera plus tard son 
complément. Saint Augustin pourra citer Tertullien 
comme un précurseur. 

Cependant, on l'a déjà remarqué, d'après Tertullien, 
le péché d'origine et la concupiscence n'ont point 
détruit la liberté, et quelque inclination au mal que 
l'homme éprouve encore, il est responsable de ses 
actes"*. Mais il a besoin de la grâce pour faire le bien, 
car en dehors d'elle il n'y a qu'obscurité et impuis- 
sance^. Ce secours divin lui est d'ailleurs largement 
offert. Dieu appelle et attire tous les hommes au salut, 
à la pénitence^. Sans violenter leur libre arbitre, la 

i. De resur. carnis, 49. Comparez S. Cyprien, Epist. LXIV, S : à l'en- 
fant personnellement innocent sont remis dans le baptême « non pro- 
pria sed aliéna peccata ». 

2. De anima, 40 ; cf. 16, 41. 

3. De testim. animae, 3. 

4. Adv. Marc, II, 9, 10. 

K. Ad uxorem,!, 8; De anima, 21; S. Cyprjen, Ad Donat., 6. 
6. Terthll., De paenit., 2-5 ; S. Cyprien, Ad Donat,, 5 ; S. Hippol., De 
Xntiehr., in, lY. 



LA THÉOLOGIE LATINE AU IIP SIÈCLE. 409 

grâce soulève les âmes au-dessus d'elles-mêmes et leur 
assure la paix et le bonheur^. Saint Cy prient, qui 
avait éprouvé en lui-même ces merveilleux effets, en a 
laissé un tableau saisissant dans son discours Ad Do- 
natum. 

La grâce et la liberté concourent donc ensemble à 
nos bonnes œuvres : et de là vient que nous pouvons 
et mériter personnellement notre félicité et satisfaire 
pour nos fautes. Cette théorie du mérite et de la satis- 
faction, mise en relief surtout par TertuUien — on la 
retrouve ailleurs bien entendu — est peut-être, dans 
toute son œuvre, celle où se trahit le plus son esprit de 
juriste. Il a créé pour elle toute une terminologie qui a 
subsisté, et qui reste caractéristique de la théologie 
latine 2. Non pas que notre auteur méconnaisse, nous 
l'avons vu, la part de la grâce dans l'accomplissement 
des bonnes œuvres; mais, en dehors de cette considé- 
ration, les rapports entre Dieu et l'homme sont pré- 
sentés par lui comme des rapports de maître à serviteur 
et en entraînent les conséquences. Si nous agissons 
bien, nous méritons auprès de Dieu, nous méritons 
Dieu : « Omnes salutis in promerendoDeopetitores^. » 
« Quomodo multae mansiones apud patrem, si non pro 
varietate meritorum •* ? » Dieu devient notre débiteur .- 
« Bonum factum dcum habet debitorem, sicuti et ma- 
lum, quia iudex omnis remunerator est causae'. » La 
récompense est un prix : « eadem pretia quae et 
merces ^ » . Au contraire, par le péché, nous offensons 
Dieu et nous devenons ses débiteurs : mais nous de- 



i. Tertuh., De monog., 14; S. Cypr., Ad Donat., S, 6, U. 

2. Harnack, Lehrb. der DG., m, p. 16 et suiv., note 1. 

3. De paenitentia, 6. 

4. Scorpiace, 6; De oratione, 3, 4. Cf. No va tien : « praemia condigna 
et mérita poenarum » (De Trinit., i, col. 888). 

5. De paenitentia, 2; De eœhorl. caslit., 2. 
S. Scorpiace, 6. 



410 LA THÉOLOGIE ANTÉNICÉENNE. 

vons et nous pouvons lui satisfaire: « Offendisti, sed 
reconciliari adhuc potes, habes cui satisfacias et qui- 
dem volentem ^ . » On satisfait par la pénitence ^ : elle 
est une compensation que nous donnons à Dieu : 
« Quam porro ineptum quam paenitentiam non adim- 
plere, eiveniam delictorum sustinere? Hoc est pretium 
non exMbere, ad mercem manum emittere. Hoc enim 
pretio dominus veniam addicere institD.it; hoc paeni- 
tentiae compensatione redimendam proponit impu- 
nitatem^. » Inutile d'insister sur le caractère propre 
de ces expressions : elles sont bien représentatives du 
génie positif latin. 

S 3. — Christologle et sotériologie. 

Le péché d'origine demandait un rédempteur; la 
grâce et le pouvoir de mériter ne sont en l'homme 
que par Jésus-Christ. Nous allons donc étudier la 
christologie latine du iii^ siècle. Ici encore, le premier 
en date de nos auteurs, Tertullien, se trouve être le 
plus complet et le plus fouillé. 11 a découvert, en par- 
lant de la personne du Sauveur, le terme exact et la 
formule définitive. Son exposé christologique a tous 
les mérites de son exposé trinitaire sans en avoir les 
défauts. Aussi a-t-il été suivi de près par saint Cyprien * 
et Novatien. 

Les erreurs que les défenseurs de l'orthodoxie de- 
vaient combattre en cette matière étaient de plus d'une 
sorte. Outre l'adoptianisme, qui niait la divinité de 
Jésus-Christ ^, il y avait le docétisme sous ses diffé- 

1. De paemtentia, 7; cf. 10, H. 

2. De paenitentia, S; cf. De ieiunio, 3; De pitdicitia, 9, 13; De pa- 
iientia, 13. 

3. De paenitentia, 6; De patientia, iG; cf. Scorpiace, 6. 

4. Voir surtout les Testimonia ad Quirînum, II, i, 3, 6, 8-U, U. 

Si. Suivant M. Harnack, Lehrb. der DG., I, 718, cette erreur serait 



LA. THEOtOeîB LATI'PE W III" SIECLE. 411 

rentes formes : les uns, comme Mapcion, HiâBt la 
réalité même du corps de Jésus-Cbrist ; les autres 
en faisant un corps astral, comme ApeHes, ou même 
psychique et spirituel,, comme Valenfin : tous s' ac- 
cordant a nier; la naissance vraie du Rédompteur 
ea: Maria ^ puis le dualisme gnostique, précurseur 
du nestorianisme, et n'admettant, entre les deux élé- 
>iients dîvfn et humain, qu'une union factice et souvent 
transitoire. Il semble aussi que Tertuliien ait rencon- 
tré des gens qui voyaient dans l'iacarnation une 
transformation du Verbe en la chair, ou une fusion en 
une seule des deux natures unies. Enfin n'oublions 
pas cette forme de modalisme pour qui l'élément divin 
en Jésus' était le Père, et l'élément humain le Fils. — 
A toutes ces erreurs nos auteurs ont opposé des ar- 
guments précis. 

Le corps de Jésus- Christ, affirme Tertuliien, est 
réel, conçu et né comme le nôtre, comme le nôtre 
composé de chair et d'os*. En niant cette réalité, 
on nie d'un coup les souffrances et la mort du Sauveur, 
on transforme en une illusion toute Féconomie de la 
Rédemption, et cette conséquence arrache au grand 
polémiste un cri sublime ; « Parce unicae speî totius 
orbis 2' ! » — Le corps du Christ n'est pas d'ailleurs 
tin corps céleste : il est vraiment né^. Les anges qui 
ont apparu ont pu s'organiser des corps sidéraux : 

représentée dans le traité De monlibus Sina et Sion, qui se trouve 
parmi les spuria de saint Cyprien (Hartel, III) : Jésus serait l'homme, 
tandis que le Christ serait le Fils éternel ou le Saint-Esprit en l'homme : 
« Caro dominica a Deo pâtre lesu vocita est : Spiritus sanctus qui de 
caelo descendit Christus, id est unctus Der vivi Deo voeitus est, Spi- 
ritus carni mixtus lesus Christus • (4; cf. 13 : » Spiritus sanctus Dei 
filius »). Cette explication a été contestée (Seeberg, Lehrb. der DG., 
J, 469, note 2), et l'on trouve en efTet dans saint Cyprien [Quod idola non 
stnt dii, H) une expression analogue. 

1. De carne Chrisli, 1, 5, 9. 

2. De came Christi, S; Adv. Marcian., rw, & 

3. De carne Christi, 2. 



412 LA THÉOLOGIE ANTÉNICÉENNE. 

ils ne venaient pas pour mourir ; le Christ, venant 
pour mourir, devait aussi naître ^ . Il est donc né, 
et de la substance même de la Vierge, ex ea^. L'au- 
teur y insiste ', et ne craint pas, pour nous en con- 
vaincre, d'accumuler des détails d'un grossier réalisme. 
Bien plus, de peur que la naissance de Jésus-Christ 
ex Maria ne parût suspecte, s'il enseignait que la 
Vierge est restée vierge dans son enfantement [uté- 
rus clausus), il le nie sans hésitation : « Virgo quan- 
tum a viro ; non virgo quantum a partu... Itaque magis 
(vulva) patefacta est quia magis erat clausa. Utique 
magis non virgo dicenda est quam virgo ''. » — Jésus- 
Christ est ainsi de notre race, [IxjxoùxaO' ■^(jiôéç çupafxaToç, 
de notre oùtria ^. Et de même qu'il a pris notre corps, 
parce qu'il devait sauver ce corps ^, il a pris aussi notre 
âme spirituelle et intelligente {•^»'/y\^ àv0po)Tr{vyiv, XoyixtJjv 
Ss léfbi '. Il est donc homme parfait, partageant nos 
faiblesses, nos infirmités hormis le péché : il est le 
nouvel homme, le nouvel Adam^. 

Il est Dieu cependant. C'est un point que l'autorité 
ecclésiastique avait récemment défini en condamnant 
l'erreur théodotienne, et sur lequel la conscience 
chrétienne n'hésitait pas : « Tam enim scriptura etiam 
Deum annuntiat Christum quam etiam hominem ipsum 
annuntiat Deum, tam hominem descripsit lesum Chris- 

1. « Non vénérant mori; ideo nec nasci. At vero Cliristus mori missus 
aasci quoque necessario habuit ut mori posset » (De carne Chrîsti, 6 ; 
cf. 3; Adv. Marcion., ni, 9). 

2. Tout ceci se retrouve dans Novatien, De trin., 10; cf. S. Hippol., 
Contra Noet., 17, 18. Malgré quelques expressions impropres {homine 
simulaio, I, 61), Arnobe n'est pas docète. 

3. De came Chrisli, 19-21. 

4. De carne Chrisli, 23. 

5. S. Hippol., Philos., X, 33, p. 521; Novatien, De trin., 10. 

6. Tertull., De carne Chr., 14, \&; cf. 7. 

7. S. Hippol., Contra Noet., 17, 18; Tertull., De carne Chr., 10, 14. 
Ds resur. carnis, C3. 

8. Tertull., De resurr. carnis, S3; De carne Chr., 5, 9; S. Hippol; 
Contra Noet., 17, 18. 



LA THÉOLOGIE LATINE AU lll" SIÈCLE. 413 

tum quam etiam Deum quoque descripsit Christum 
Dominum K » Jésus-Christ est Dieu et homme, et dès 
lors la question se pose de la façon dont il faut con- 
cevoir l'union en lui du divin et de l'humain. 

Cette question, résolue dans la tradition antérieure, 
l'est de nouveau d'une façon très ferme. D'abord, la 
théologie latine du iii^ siècle maintient la permanence 
dans riiomme-Dieu de l'humanité et de la divinité, 
des deux natures comme on dira plus tard, des deux 
substances comme dit Tertullien^. Le Verbe ne s'est 
pas changé en l'homme ni en la chair ^ ; il n'y a pas 
eu entre eux une fusion, une combinaison qui aurait 
fait des deux une substance intermédiaire'*. Non, cha- 
cune des deux natures est restée ce qu'elle est. No- 
vatien appuie beaucoup sur cette dualité. Les expres- 
sions assumpsit carneiyij suscepit hominem, substan- 
tiani hominis induit^ etc. sont celles dont il se sert plus 
volontiers pour représenter l'Incarnation (13, 21, 22, 
23). Il est en défiance contre les formules qui attribuent 
à Dieu la mort et les souffrances de Jésus, et il a soin 



4. NovATiEN, De Trin., H, 17; Tertdll., De praescr., 10, 33; De carne 
Christi, 14, 18, etc.; Arxobe, ï, S3; Lactance, Insttt., IV, 13. Il y a de 
fortes raisons de croire que le traité anonyme contre Artémon cité par 
Eusèbe (voir ci-dessus, p. 330, Soi) est l'œuvre d'Hippolyte. 

2. Adv. Prax., 27 ; S . Hippol., Contra NoeL, 17 ; In psalm. II, 7, Achelis, 
p. 146. Remarquons que TerluUien emploie toujours, pour désigner la 
nature, le mot substantia. Dans la Trinité, una substantia, très par- 
sonae; en Jésus-Christ, una persona, duae substantiae. Le mot natura 
a chez lui un autre sens : il désigne les propriétés qui peuvent être 
communes à plusieurs substances différentes (De anima, 32). Cependant, 
V. plus bas. L'emploi de natura pour désigner les natures en Jésus 
Christ a eu tout cas été rare jusqu'au v siècle. 

3. S. Hippol. : oùxatà xpou^QV {Contra Noet., 17) ; Tertullien : . Trans- 
figuratusin carne, anindutus carnem? Imo indutus » (Adv. Prax., '21- 
De carne Chr., 3, 18). 

4. Tertull., Adv. Prax., 27. Il ne faut pas prendre à la rigueur, je crois, 
les mots de Lactance : « Deus et homo... mediam inter Deum et homi- 
nem substantiam gerens • [Instit., IV, 13). Lactance veut dire surtout 
que, par ses deux natures, Jésus-Christ est un médiateur naturel entre 
Dieu et l'homme (Cf. IV, 23:. 



414 LA THEOLOGIE ANTENICEENNE. 

de les préciser (25) : on sent qu'il est en garde contre 
des adversaires. Combattant les modalistes qui, en 
Jésus, confondent l'élément divin avec le Père et l'hu- 
manité avec le Fils, il remarque que l'homme en 
Jésus n'est pas Fils de Bien naturaliiery princip aliter , 
mais consequenter, c'est-à-dire conséquemment à 
son union avec le Verbe, que cette filiation est en lui 
quelque chose de feneratum, mutuatum (24) : ce qui 
ne signifie pas toutefois que Jésus-Christ en tant 
qu'homme n'est, d'après notre auteur, que le Fils 
adoptif de Dieu, mais seulement qu'il n'est son Fils 
qu'en vertu de l'union. 

L'humanité et la divinité gardent donc en Jésus- 
Christ leur nature propre : bien plus, chacune d'elles 
conserve ses opérations distinctes. C'est par avance 
énoncée la doctrine du concile de Chalcédoine et de 
saint Léon : 

« Sed quia substantiae ambae in statu suo quaeque dis- 
tincte agebant, ideo illis et operae et exitus sut occurre- 
runt< ». tt Quae proprietas conditionum divinae et humanae 
aequa utique naturae utriusque veritate dispuncta est, 
eadem fide et spirltas et carnis. Virtutes spiritum Dei, pas- 
siones camem hominis probaverunt^. » 

Mais alors quelle est leur union? Nos auteurs lui 
donnent les noms les plus divers. Saint Hippolyte 
l'appelle ffUY^""^":» [aiEiç^. Tertullien parle aussi de mé- 
lange : miscente in semetipso hominem et Deum *. 
Novatien la nomme une perinixtio, une annexio, une 
connexio et permixtio sociata, une transductio : Jésus 
est ex utroque connexus, contextus, concretus ^. Une 

i. Tertcll., Adv. Prax., 27. 

2. Tertcll., De carne ClirhLi, S. 

3. De Antichr., IV. 

4. Adv. Marc, H, 27, 

5. DeTriniL, IJ, 2i. 



LA THÉOLOGIE LATINE AU IIP SIÈCLE. 415 

idée domine cependant tons ces efforts vers l'expres- 
sion décisive, c'est que le même sujet est Dieu et 
homme, c'est qu'il y a en Jésus-Christ une personne 
unique ^ . Cette idée se traduit dans nos documents 
d'une façon irrécusable , par l'usage de la communication 
des idiomes : « Deus pusillus inventus est ut homo 
maximus fieret. Qui talem Deum dedignaris, nescio 
an ex fide credas Deum crucifîxum* ». « Nasci se 
Deus in utero patitur matris ^ ». « Deum talia passum, . 
Deus passibilis, virgine natus ^ ». Mais il était réservé 
à Tertullien de proclamer expressément cette unité 
hypostatique de Jésus-Christ, de donner au do^me sa 
formule définitive, celle qui restera celle de l'Eglise, 
una persona, duae substantiae ou natàrae : 

« Si et apostolus (Rom., i, 3) de utraque eius (Christi) 
substantia docet : Qui factus est, inquit, ex semine David, 
hic erit homo et filius hominis qui defînltus est fillus Dei 
secundum spiritum. Hic erit Deus et sermo Dei filius. Vide- 
mus duplicem statum non con.fusum, sed coniunctum in 
una persona, Deum et hominem lesura ^. » 

Et cependant saint Hippolyte en aura indiqué la 
raison profonde, en observant que cette unité per- 

1. s. HiPPOL., De Antichr., XXVI; Contra Noet., 6, 13, 14, 17, 18. H faut 
faire exception pour Arnobe, qui ne met entre le Verbe et l'homme en 
Jésus-Christ qu'un lien très léger et insuffisant (I,CO). Ainsi; il ne faut 
pas dire, à son avis, que le Christ est mort; ce n'est pas le Clirist, mais 
l'homme qu'il portait qui esl mort : Weu ne saurait mourir. Il n'est pas 
plus permf» de dire que le Glirist est mort qu'il ne l'aurait été de dire 
qu'Apollon était mort si la sibylle qu'il inspirait avait été tuée pendant 
son inspiration : « Sed more est hominis inleremplus? — Non ipse : 
neque enim cadère divinas in res potestmortia occasus... guis estergo 
visus in palibulo pondère, gwis mortuiis est? — Homo quem induerat 
et secum ipse portabat... Mors îHa, quam dîeiffs, assumpti hominis 
fuit, non- ipsius, gestaminis, non geslanlis, etc. » (1,62). 

2. Tertull., Adv. Marc, II, 27 ; Cf. Apolog., 21. 

3. Tertdll., De patientia, 3. 

4. CoMîFOMEN, Carm. apolog., vers 337, 414, 776. Cf. Lactance, Instit,, 
IV, 15, 30. On a expliqué ci-dessus la réserve de Novatien. 

5. Adv. Prax., 27. Sur le sens du mot status, voyez Adv. Prax., i 



416 LA THEOLOGIE ANTENICEENNE. 

sonneile de Jésus-Christ vient de ce que sa chair ne 
subsistait pas à part, en elle-même, mais dans le 
Verbe qui se l'était unie : OîJô' y) aàpl xaô' lauT-^v Biioi toïï 
XoyOu iiTToaTavai -^ouvaxo, Sià to Iv Xoyw ttjv ffutjTaaiv iysiM*. 

La mission du Verbe incarné était de nous sauver. 
Comment faut-il concevoir cette œuvre de salut? En 
général, nos auteurs ont peu approfondi cette ques- 
tion et n'en ont pas spécialement traité. Ils se sont 
contentés de redire sur cela la foi de l'Église, et de 
répéter les formules traditionnelles autour d'eux 2. 

Cependant, si l'on écarte les explications d'Arnobe 
et de Lactance, pour qui la mission salvifique de 
Jésus-Christ se résout uniquement ou du moins prin- 
cipalement en une mission d'enseignement par la 
parole et l'exemple 2, on peut remarquer que deux 
théories se font jour ; l'une dans saint Hippolyte, qui 
reproduit l'idée de saint Irénée sur la récapitulation 
de l'humanité en Jésus-Christ par l'incarnation; — 
l'autre dans saint Hippolyte encore, mais aussi dans 
Tertullien et saint Cyprien, qu^" trouve dans les souf- 
frances et la mort de Jésus-Ch-ilst le principe de notre 
régénération et de notre salut. 

D'abord, la théorie mystique. En se faisant 
homme, Jésus-Christ a voulu restaurer en lui-même 
l'Adam primitif sorti des mains de Dieu àvaTrXaffcrwv Si' 
ëauTou Tov 'ASafjL^. Par le péché, l'homme était devenu 
faible et corruptible ; mais voilà que le Verbe revêt 
dans le sein d'une vierge une chair innocente, « afin 
d'unir notre corps mortel à sa puissance, de mêler 
l'incorruptible au corruptible, le faible au fort, et de 



1. Contra Noet., 15. 

2. Voir ici J. Rivière, Le dogme de la Rédemption, Paris, 1905t 

3. Arnobe, I, 60-C4; Lactance, Instit., IV, 21-26. 

4. De Antichr., XXVI; cf. In Daniel., IV, 11, p. 214. 



LA THÉOLOGIE LATINE AU 111° SIECLE. 417 

sauver ainsi l'homme qui s'était perdu ^ ». Ce contact 
de la divinité avec notre humanité vivifie, sanctifie et 
guérit déjà notre nature. C'est bien la belle pensée de 
l'évêque de Lyon. 

Hippolyte toutefois, et avec lui TertuUien et 
saint Cyprien, ne la considèrent pas comme le dernier 
mot du mystère. Tertuliien le dit en propres termes : 
« Nec mors nostra dissolvi posset nisi Dominipassione, 
nec vita restitui sine resurrectione ipsius ^. » Il a donc 
fallu que Jésus-Christ mourût pour nous sauver. A cet 
effet, il s'est substitué à nous : « Non aspernatur Dei 
Filius carnem hominis induere, et cum peccator ipse 
non esset, aliéna peccata portare^ ». « Nos omnes 
portabat Christus qui et peccata nostra portabat''. » 
Dès lors, il est devenu malédiction pour nous : il a 
été compté parmi les pécheurs^. Chose singulière! 
Tertuliien, qui a si nettement parlé de la satisfaction 
que le pécheur doit à la justice de Dieu, n'a pas songé 
à mettre cette idée en valeur à propos de la mort de 
Jésus-Christ. Mais, en revanche, nous trouvons par- 
tout expliqué que cette mort est un sacrifice, et un 
sacrifice expiatoire. Librement, bien qu'obéissant à la 
mission du Père, le grand-prêtre Jésus-Christ s'est 
offert en sacrifice pour tous les peuples, est devenu 
agneau et victime pour nous tous : « Hune enim opor- 
tebat pro omnibus gentibus fîeri sacrificium... ipse 
etiam effectus est hostia per omnia pro omnibus 
nobis^. » Ce sacrifice nous rachète — le sang de 

1. De Antichr., IV. 

2. De baptismo, H. 

3. S. Cyprien, De bonopat., 6; Epist. LVni, 6. 

4. S. Cyprien, Epist. LXni, 13; et cf. De lapsis,iT, Tertou,., Depudic, 
22. 

5. Tertull., De fuga in persec, 12; Adv. Prax., 29. 

6. Tertull., Adv. ludaeos, 13, 14; Scorpiace, 7; Adv. Marc, III, 18; 
S. HippoL., In Daniel., IV, 21 ; In Genesim, XXIY, p. 60; S. Cyprien, 
Epist. LXni, 13. 



418 LA THÉOLOGIE ANTÉNICÉBNNE. 

Jésus-Christ est le prix du rachat, pretio sui sari" 
guinis^, — il nous purifie, nous vivifie en effaçant nos 
péchés et en détruisant notre mort. Il nous réconcilie 
avec Dieu et nous fait ses enfants^. « Humiliavit se 
(Christus) ut populum qui prius iacebat erigeret, vul- 
neratus est ut vulnera nostra curaret, mori sustinuit 
ut immortalitatem mortalibus exhiberet ^. » 



S 4. — L'ÉgUse. 

Aux Africains surtout revient l'honneur d'avoir mis 
particulièrement en lumière la doctrine' de l'Église. 
C'est que le schisme menaça chez eux plus qu'ailleurs 
l'unité et l'existence même des communautés chré- 
tiennes. Saint Cyprien, puis saint Optât et saint Au- 
gustin durent porter sur ce sujet l'effort de leurs écrits 
et de leur action. 

Considérée au point de vue mystique, l'Eglise est 
le corps de Jésus-Christ*, son épouse qui doit lui 
donner des enfants spirituels^; son épouse, et d'une 
certaine façon aussi sa mère, car sa mission est d'en- 
gendrer continuellement le Verbe dans les âmes^. 
Elle est le paradis terrestre tout rempli des fleurs et 
des fruits des vertus des saints ^. 

Considérée dans ses éléments concrets, l'Eglise de 
la terre, dit saint Cyprien, est la réunion de l'évêque 
et de son troupeau, de l'évêque, du clergé et des 

1. s. Cyprien, AdDemetr., 26; De orat. domin., 30; Tertcll., Defuga 
in persec, 12. 

2. S. HippoL., In Gènes., VII, p. 54; In Daniel., IV, 21; Tertdix., De 
pudic, G, 2-2; Adv. Marc, V, 17, 1»; S. Ctpries, Ad Fortun.,&; De opère 
et aleevi., 2, 26; Epist. LVIII, 6. 

3. S. Cypiue.n, De op. et eleem., 1. 

4. Tertull., Ado. Marc., Y, 18. 

5. S. Cypr., De cath. eccl. «niï., 4-6; Epist. LXXIY, 6, 

6. S. HiPPOL., De Anlichr., lxi. 
1. S. HippOL., In Daniel., 1, 17. 



LA THÉOLOGIE LATINE AU IIP SIECLE. 419 

fidèles ^ Elle est un corps hiérarchisé : « Corpus 
sumus, écrit TertuUien^, de conscientia religionis et 
disciplinae unitate et spei foedere. » Son rôle est 
d'être la dépositaire des biens célestes, de la vérité., 
de la grâce, des trésors que la rédemption a apportés, 
et en même temps du pouvoir sanctificateur de Jésus- 
Christ, en sorte qu'on ne les puisse trouver qu'en 
elle'. On sait que saint Cyprien a outré ce dernier 
point de vue dans la querelle des rebaptisants, mais 
son erreur n'était au fond que l'exagératioii d'une idée 
juste. Pour remplir ce rôle, l'Église est gardée par 
le Saint-Esprit « incorruptible et inviolée dans la sain- 
teté d'une perpétuelle virginité ^ » . Son enseignement 
ne saurait tromper. Et de là la nécessité de lui apparte- 
nir. Qui s'en sépare « vitam non tenet et salutem^ »;: 
qui la rejette rejette le Christ dont elle est l'épouse^ :; 
« Habere non potest Deum patrem qui Ecclesiam non 
habet matrem '^. » Elle est l'arche en laquelle seule 
on peut être sauvé et purifié ^. Lactance a résumé en 
deux phrases tous ces témoignages : 

« Sola igitur catholica Ecclesia est quae verum cultum 
retinet. Hic est fons veritatis, hoc domicilîum fidei, hoc 
tempium Dei quo si quis non intraverit, val a qiio si quis. 
exiverit a sp évitas ac salutis aeternae alienus est ^. > 

De cette Eglise ainsi conçue le caractère fonda- 
mental est l'unité. Saint Cyprien a écrit tout un. 



1. Epist. LXVI, 8 ; XXXIII, 1. 

2. Apolog., 39. 

3. S. Cypr., Epist. LXMII, 7, 10, H ; LXXI, 1. 

4. NoYATiEN, De Trin., 29, col. 946; cf. S. Hippol., De Antichr., LIX. 

5. S. Cypr., De cath. eccl. unit., 6; Epist, 1,XIX, 4. 

6. S. Cypr., Epist. III, 1. 

7. S. Cypr., De cath. eccl. unit,, 6. 

8. S. GwR.,Epist. LXIX, 2; LXXIV, H ; cf. la lettre de Firmilien, LXXV,. 
IS. 

9. Instit., IV, 30, col. 542. 



420 LA THÉOLOGIE ANTENICÉENNE. 

traité — le De catholicae ecclesiae unitate ^ — pour 
l'établir et s'en expliquer. La vraie Église, remarque- 
t-il, est unique, parce qu'il ne saurait y en avoir plu- 
sieurs 2, Mais surtout elle est intérieurement une, 
parce que, entre ses membres, pasteurs et fidèles, doit 
régner le lien de la commune foi, de la commune cha- 
rité, et aussi le lien de la soumission des fidèles aux 
pasteurs ^. Cette unité est figurée par la tunique sans 
couture de Jésus- Christ "^ ; par l'unité du pain et du 
vin eucharistiques composés de la multitude des grains 
de blé et des graines de raisin qui les ont produits ^ ; 
mais surtout elle est clairement signifiée par Notre- 
Seigneur établissant cette Église d'abord sur Pierre 
seul, et conférant premièrement à Pierre seul le pou- 
voir dont il devait ensuite investir les autres apôtres, 
afin de nous révéler par cet acte symbolique l'unité 
qu'il voulait dans son Église : « Super unum aedificat 
ecclesiam, et quamvis apostolis omnibus post resur- 
rectionem suamparem potestatemtribuat... tamen, ut 
unitatem manifestaret, unitatis eiusdem originem ab 
uno incipientem sua auctoritate disposuit... Exordium 
ab unitate proficiscitur, ut ecclesia Christi una mon- 
stretur ^. » Rejeter cette unité, c'est rejeter la foi, la 
foi du Père et du Fils, la loi de Dieu, le salut; c'est 
être étranger, profane, ennemi'^. Mais aux évéques 



1. Il ne faut cependant pas se méprendre sur l'objet de cet ouvrage. 
Le mot calholica est pris ici dans le sens d'orthodoxe. S. Cyprien ne 
s'occupe pas précisément dans ce traité de l'unité de l'Église univer- 
selle, mais plutôt de l'unité qui doit régner dans chaque église parti- 
culière. V. P. Batiffol, L'Église naissante, p., 427, noie 3, et p. 437, 
438. 

2. De cathol. eccl. unit., 4. 

3. De cathol. eccl. unit., 6, 8, 10, 12. 

4. De cathol. eccl. unit., 7. 

5. Epp. LXni, 13 ; LIX, S. 

6. De cathol. eccl. unit., 4; Epp. LXXIII, 7; LIX, 14. Ce raisonnement 
«st reproduit par l'auteur du De aleatoribus, 1 (Hartel, III, p. 93). 

t. De cath. eccl. unit., 4, 6. 



La théologie latine au III" SIÈCLE. 421 

surtout il convient de la conserver et de la maintenir 
entre eux, afin de montrer que l'épiscopat est un et 
indivis (« ut episcopatam quoque ipsum unum atque 
indivisum probemus^ »), que l'épiscopat de chaque 
évêque n'est qu'une participation du pouvoir donné 
d'abord au seul Pierre, comme chaque Église n'est 
qu'une extension de l'Église fondée d'abord sur lui; 
et aussi parce que de leur union entre eux et de l'union 
avec eux résulte l'unité de l'Église : « ... quando eccle- 
sia quae catholica una est scissa non sit neque divisa, 
sed sit utique connexa et cohaerentium sibi invicem 
sacerdotum glutino copulata ^ » . 

L'Église est une : elle est sainte aussi en ce sens 
que tout y est disposé et réglé pour procurer la bonne 
conduite et la sainteté des mœurs, et qu'en effet cette 
sainteté s'y trouve généralement pratiquée ^. Mais 
d'ailleurs elle est un corpus mîxtum qui contient des 
justes et des pécheurs, du bon grain et de l'ivraie, des 
éléments purs et impurs ^. On sait que le montanisme 
et le novatianisme émirent à ce sujet des prétentions 
rigoristes qui furent condamnées ^. L'Église a reçu le 
pouvoir de remettre les péchés, et c'est donc que 
parmi ses enfants il y aura des pécheurs. « Sciendum 
est, écrit Lactance, illam esse veram (Ecclesiam) in 
qua est confessio et paenitentia, quae peccata et vul- 
nera quibus subiecta est imbecillitas carnis salubriter 
curât ^. » 

Le titre de catholique est fréquemment attribué à 
l'Lglise par les écrivains latins du m^ siècle. 11 l'est 

1. De cath. eccl. unit., S;Epist. XLV, 3. 

2. EpisL, LXVI, 8. 

3. Tertull., De praeser., 43; S. Hippol., hi Daniel., I, 17. 

4. Cette conception de l'Église est précisément attribuée — et re- 
prochée — au pape Calliste par les Philosophoumena, IX, 12. 

5. Saint Hyppolyte, dans son schisme, les partageait aussi dans une 
certaine mesure. 

6. Instit., IV, 30, col. 543. 

2i 



422 LA THÉOLOGIE AÎSTÉNIOÉENNE. 

dans les deux sens que ce mot comporte, tantôt signi- 
fiant que la vraie Eglise est celle qui est partout ré- 
pandue ^ tantôt signifiant que la grande Église est 
seule à posséder la vraie doctrine. 

Enfin, nous avons vu ci-dessus que toute l'argu- 
mentation de Tertuliien et de saint Cyprien contre les 
hérétiques et les scliismatiques est fondée sur l'idée 
d'apostolicité de l'Église. Cette Église seule enseigne 
la vérité et peut se dire la vraie Eglise qui est re- 
liée aux apôtres par son origine, et n'est autre chose 
que l'Église de Pierre et des apôtres étendue et dila- 
tée. 

Tels sont les caractères de l'Église. Comment est- 
elle gouvernée? Saint Cyprien surtout va nous le 
dire. 

Cette Église, on l'a vu, comprend l'évêque, un clergé, 
des fidèles ; mais elle est établie sur les évêques, et ce 
sont eux qui la gouvernent et l'administrent : voilà 
le droit divin : « Inde per temporum et successionum 
vices episcoporum ordinatio et ecclesiae ratio decurrit 
ut ecclesia super episcopos constiluatur, et omnis actus 
ecclesiae per eosdem praepositos gubernetur... Cum 
hoc itadivina lege fundatum sit, miror, etc. 2, » Chaque 
Église particulière est comme ramassée dans son évê- 
que, si bien qu'en n'e'tant plus avec lui on n'est plus 
dans l'Église : « Unde scire debes episcopum in eccle- 
sia esse et ecclesiam in episcopo, et si qui cum episcopo 
non sit in ecclesia non esse^. » Les évêques sont les 
successeurs des apôtres : ceux-ci ont été les évêques 
d'autrefois, et les évêques actuels sont les apôtres de 
maintenant : « apostolos, id est episcopos^» ; et de 

i. Par exemple, Tertull., Depraescr., SIS, 30. 

2. Ep. XXXII!, 1; cf. Epp. JII, 3; XLVIH, 4; LV, 8; LXVI, 1, 8. 

S. Ep. LXYI, 8. 

4. Epp. III, 3; XLV, 3; cf. la Lettre de Firmilien, LXXV, 16 et les 

Senienliac episcoporum, 79. 



LA THÉOLOGIE LATLNE AU III» SIÈCLE. 423 

même que les apôtres ne formaient qu'un seul collège 
apostolique, de même qu'il n'y avait qu'un seul pouvoir 
d'apôtre participé de tous in solidiim, ainsi tous les 
évêques ensemble ne forment-ils qu'un seul corps, 
ainsi n'y a-t-il qu'un seul épiscopat auquel tous les 
membres de l'épiscopat participent : « Episcopatus 
unus est cuius a singulis in solidum pars tenetur* »; 
et si l'un d'eux vient à faillir, les autres doivent venir 
on aide à son troupeau *. 

Voilà comment saint Cyprien et ses contemporains 
conçoivent l'Eglise : ils la conçoivent comme une vaste 
société, une dans sa foi et gouvernée • par un sénat 
d'évêques formant un corps 3. Et maintenant assignent- 
ils à ces évêques un chef? Donnent-ils à ce Sénat une 
tête? Admettent-ils une autorité supérieure qui éta- 
blisse et conserve cette unité dont ils sont si jaloux ? 
Reconnaissent-ils, en un mot, à l'évêque de Rome une 
autorité de juridiction entre et sur ses collègues ? 

Il n'est pas douteux qu'à Rome on ait revendiqué 
cette priniauté. On se rappelle avec quelle vigueur le 
pape Victor, à la fin du ii^ siècle, avait agi dans la 
question de la Pâque, pour obtenir la soumission des 
Eglises d'Asie''. Avec plus de raison encore, dans l'af- 
faire des rebaptisants, le pape Etienne exigea, lui 
aussi, même contre des conciles nombreux et sous 
peine d'excommunication, l'obéissance. Il s'autorisa de 
sa qualité de successeur de saint Pierre et se posa en 

De cath. eccl. unit., 3 ; Epist. LXVÎII, 3. 
Epist. LXVIII, 3. 

3. Cf. Tertull., De baptismo, 17; Adv. Prax., 32, etc.; De aleaforibus, 
1-4. Dans Depudiciiia,H, on sait que Tertullien, montaniste, renversera 
ou du moins ébranlera cette conception hiérarchique de l'Église, et 
tendra à substituer au pouvoir de l'évêque le pouvoir du spirituel ou 
du prophète favorisé des communications du Paraclet. A côté et au-des- 
sus de VEcclesia numerus episcoporum il mettra rJ?cc?e*ea spirilus. Cest 
l'anarchie sous le nom d'inspiration privée. 

4. EcsÈBK, Hist. eccles,, V, 24, 9.Surlasignincation et l'importance de 
cet acte, voir J. Turmel, Histoire du dogme de la papauté, p. 74-80. 



424 LA THEOLOGIE ANTENICEENNE. 

évêque des évêques ^ . Ce sentiment d'autorité ne lui 
était pas personnel. Même privé de son évêque, le 
pape Fabien, le clergé de Rome écrit au clergé de 
Carthage sur un ton de commandement que n'ex- 
plique pas le seul fait que Rome est la capitale de 
l'empire 2. D'autre part, il est remarquable que c'est 
au pape Denys que les orthodoxes, choqués par la te- 
neur des lettres de leur évêque Denys d'Alexandrie, 
portèrent leurs plaintes vers 260 ^ ; et que l'empereur 
Aurélien, jugeant entre Domnus et Paul de Samosate 
pour savoir lequel des deux devait jouir des bâti- 
ments de l'église d'Antioche, « ordonna que la maison 
fût attribuée à ceux à qui les évêques d'Italie et de 
Rome l'avaient adjugée'' ». TertuUien ne saurait être 
invoqué sans doute comme un témoin de la primauté 
romaine pour les titres àe pontifex maximits et d'e- 
piscopus episcoporum qu'il donne par ironie à Cal- 
liste^, ni même pour l'éloge qu'il avait fait auparavant 
de l'Eglise de Rome, fondée par les glorieux apôtres 
Pierre et Paul ^. Il observe cependant que l'Église a 
été fondée sur Pierre comme sur un rocher, et que 
les clefs du ciel ont été remises à Pierre et par lui à 
l'Église \ 

Quant à saint Cyprien, on sait combien différemment 
amis et ennemis de la papauté ont interprété sa pensée, 
et comment quelques-uns en ont fait un tenant inté- 
gral de la primauté romaine et de ses conséquences^, 

1. s. Cypr., Bpts<. LXXi, 3; Sententiae episcoporum, Prooemium. Le 
mot episcopus episcoporum est de saint Cyprien, mais il traduit exac- 
tement l'attitude du pape. 

2. Correspondance de S. Cyprien, Epist, VIII, 2-3. 

3. Voir ci-dessous, p. 483. 

4. Edsèbe, Hist. eccles., VII, 30, 19. 

5. De pudic, i. 

6. De praescript., 36. 

7. Scorpiace, 10. 

8. Par exemple J. Ernst, Cyprian und das Papsttum, dans Der Ka- 
tholih, 19H, 1912. 



LA THÉOLOGIE LATINE AU IIP SIÈCLE. 425 

d'autres en ont fait un pur épiscopalien * . Mais il 
semble bien que la vérité soit entre ces deux extrê- 
mes. Car il est manifeste d'abord que saint Cyprien 
nejregarde pas le siège de Rome comme un siège or- 
dinaire. C'est le siège de Pierre, et les évéques de 
Rome sont les successeurs de Pierre 2. Or, sur Pierre, 
et sur Pierre seul l'Église a d'abord été fondée 3; et 
ce fait, on l'a vu, a une signification symbolique : il 
marque l'unité que Jésus-Christ a voulu qui régnât 
dans son Eglise, et dont l'Eglise de Rome se trouve 
être ainsi le centre et le point de départ. Voilà pour- 
quoi cette Eglise est l'Eglise principale d'où est sortie 
l'unité de l'épiscopat : « ad Pétri cathedram atque ad 
ecclesiam principalem unde unitas sacerdotalis exorta 
est-* »; celle dont la communion établit dans l'unité et 
la charité de l'Eglise catholique : « communicationem 
tuam, id est, catholicae ecclesiae unitatem pariter et 
caritatem^ ». 

Le centre de l'unité est à Rome ; la communion avec 



1. Par exemple H. Koch, Cyprian und der rômische Primat, Leipzig, 
1910. 

2. Ep. LV, 9. 

3. De cath. eccl. unit., 4; Epp. XLIir, S; LIX, 7; LXVI, 7; LXXI, 3; 
LXXIII, 7; cf. la Lettre de Firmilien, LXXV, 46. 

4. Ep. LIX, 14. 

5. Ep. XLVIII, 3. — On sait que certains manuscrits du De catholicae 
ecclesiae unitate offrent un texte qui, sans modifier le fond des décla- 
rations de saint Cyprien sur la dignité de l'Église romaine, leur donne 
cependant plus de relief et de force. Plusieurs critiques y ont vu des 
interpolations tendancieuses faites à l'instigation de Rome : is fecit cui 
prodest. D. Chapman, au contraire, a cru pouvoir attribuer ces varian- 
tes et additions à saint (Cyprien lui-même. Le texte dit pur serait celui 
qu'il aurait lu au concile de 2S1 ; le texte amendé serait celui qu'il en- 
Toya quelques rnois après aux confesseurs romains, et qu'il avait adapté 
à ses nouveaux lecteurs. M" Batiffol explique les choses un peu diffé- 
remment. Ce n'est là qu'une hypothèse, mais ingénieuse, et qui a rallié 
de sérieux suffrages. Voir J. Chapman, Les interpolations dans le traité 
de saint Cyprien sur l'unité de l'Église, dans la Revue bénédictine, 
t. XIX, XX, 1902, 1903. E. W. Watson, The interpolations in St Cyprian's 
De unitate ecclesiae, dans Journal of theol. Studies, tom. Y, 1904. P. Ba-c 
TiFFOL, L'Église naissante, p. 440-447. 

24, 



426 LA THÉOLOGIE ANTENICEENNB. 

ce centre constitue et manifeste l'unité de l'Église 
Mais Cyprien s'arrête là, ou, du moins, il ne tire pas, 
dans la querelle baptismale, les conséquences de ses 
principes. Pratiquement, il avait accordé à Etienne le 
droit d'intervenir dans les affaires de Gaule pour dé- 
poser l'évê que d'Arles, Marcianus, et en faire élire un 
autre à sa place * ; théoriquement il refuse à l'évêque 
de Rome tout pouvoir supérieur pour maintenir l'unité 
dont il est le centre et dont il tient les fils convergents. 
Cyprien insiste sur ce qu'il a dit, qu'encore que 
l'Église soit fondée sur Pierre, cependant tous les 
apôtres ont reçu même pouvoir que lui et même hon- 
neur : « Hoc erant utique et ceteri apostoli quod fuit 
Petrus, pari consortio praediti et honoris et potes ta- 
tis^. » Aussi, poursuit-il, Pierre — au contraire d'É- 
tienne — ne s'est pas attribué la primauté (« ut dice- 
retse primatum teaere » ), et n'a pas exigé des nouveaux 
venus, de saint Paul en particulier, l'obéissance'. 11 
n'existe pas dans l'Église d' « episcopus episcoporum » 
qui ait le droit d'imposer tyranniquement ses volontés 
à ses collègues. Chaque évêque gouverne en toute in- 
dépendance son diocèse, et ne rendra de comptes 
qu'à Dieu seul : il ne saurait être jugé par ses pairs 
non plus que les juger; tous doivent attendre le juge- 
ment de Jésus-Christ. Et c'est pourquoi, conclut saint 
Cyprien, il n'est pas permis, dans la question du bap- 
tême des hérétiques, de rompre la communion avec 
ceux qui ne sont pas de notre sentiment : 

« Neque enim quisquam nostrum episcapum. se episco- 
porum constituit, aut tyrannico terrore ad obsequendi 
necessitatem collegas suos adigit, quando habeat omnis 
episcopus pro licentia libertatis et potestatis suae arbi- 

1. Epist., Lxvni. 

2. De cath. eccl. unit., 4. 

3. Ep. LXXI, 3. 



LA THEOLOGIE LATINE AU ni" SIECLE. 427 

trium proprium, tamque iudicari ab alio non possit quam 
nec ipse possit alterum iudicare, sed expectemus univers! 
iudicium Domini nostrî lesu Christi *. 

Il est impossible, quoi qu'on fasse, d'effacer le sens 
de ces déclarations, et de croire que celui qui les a 
faites avait une idée claire et complète de la primauté 
pontificale. Elles étonnent de la part d'un homme si 
épris d'unité, et qui comprenait si bien les conditions 
d'un bon gouvernement. Peut-être, indépendamment 
des entraînements de la polémique, s'expliquent-elles, 
en partie du moins, par l'influence de Tertullien, que 
saint Gyprien avait beaucoup étudié, et par ce fait que 
notre auteur s'est préoccupé de l'unité de chaque 
église particulière, dont l'évêque est le centre, beau- 
coup plus que de l'unité de l'Eglise universelle. Ses 
actes d'ailleurs n'ont pas correspondu tout à fait à sa 
théorie, et l'on a remarqué avec raison qu'en centra- 
lisant, comme il l'a fait, entre ses mains, le gouver- 
nement 4e l'Eglise d'Afrique, et en préparant pour 
Carthage le titre de siège primatial, il avait donné à 
ses déclarations en faveur de Rome, centre de l'unité 
catholique, un commentaire pratique qui ne fut pas 
perdu, et qui contribua au groupement de plus en plus 
prononcé du monde chrétien autour du successeur de 
saint Pierre. En tout cas, c'est méconnaître absolu- 
ment la réalité que de prétendre, comme on l'a fait, 
que saint Gyprien est ici le porte-parole de tous 
ses contemporains, et qu'en lui nous entendons toute 
l'Église du iii^ siècle. Gette Église gardait et déve- 
loppait, sur le point qui nous occupe, la tradition de 
Glément, d'Ignace et d'Irénée. 

i. Sententiae episcoporum, prooem. Epp. LXXII, 3; LXXIII, 26. 



428 LA THÉOLOGIE ANTÉNICEENNE. 



S 5. — Les sacrexaents. L'initiation chrétienne >. 

On chercherait en vain, dans les auteurs latins du 
iii^ siècle, une théorie générale des sacrements. Les 
principes qu'ils ont énoncés en cette matière l'ont été 
par eux à propos des sacrements particuliers dont ils 
ont eu à parler; et c'est donc dans leurs traités spé- 
ciaux qu'il les faut découvrir. 

Tertullien et saint Cyprien ont employé le mot sa- 
cramentum dans des sens multiples, bien qu'apparen- 
tés entre eux; mais ils ont connu aussi le sens de 
sacrement, rite sanctificateur, qui signifie et produit la 
grâce 2. Le sacrement est le signe de la grâce, parce 
que le rite extérieur, l'ablution corporelle par exemple, 
est l'image de la purification intérieure de l'âme ^. Il 
en est l'agent producteur, parce que l'eau, sanctifiée 
par l'invocation du Saint-Esprit, jouit elle-même du 
pouvoir de purifier l'âme et de la sanctifier*. Il y a un 
parallélisme intime qu'explique l'union du corps et de 
l'âme entre ce qui se passe extérieurement et ce qui 
s'opère intérieurement dans l'administration du rite 
sacramentel. C'est par le corps que le signe sensible- 
atteint l'âme et y produit des effets spirituels ana- 
logues à ceux qu'il produit sur la chair. Ecouton» 
Tertullien : 



1. Sur ce point particulier, voir E. de Backer, Sacramentum, le mot 
et l'idée représentée par lui dans les œuvres de Tertullien, Louvain, 
1911. J.-B. PouKENS, Sacramentum dans les œuvres de saint Cyprien, 
Bulletin d'anc. Littér. et d'Arch. chrétiennes, II (1912), p. 27S-289. P;. 
PouRRAT, La théologie sacramentaire, 4® édit., Paris, 1910. 

2. Par exemple TERTui.L.,-De praescr., 40; De bapt., 1, 9; Adv. Marc.,. 
l, 14; S. Cypr., Epist. LXXII, 1 ; LXXHI, 20, 21, 22; Ad Demetr., 26. 

3. Tertull., De bapt., 4. 

4. Tep.tull., De bapt., 4 : a Supervenit enim statim spiritus de caelis 
et aquis superest, sanctificanseasdesemetipso, et ita sanciilicalae vim 
sanctificandi combibunt. » S. Cypr., De hab. virg., 23; Ep. LXIX, 15. 



LA THEOLOGIE LATINE AU III" SIECLE. 429 

« Caro salutis est cardo. De qua cum anima deo allegi- 
tur, ipsa est quae effîcit ut anima allegi possit. Scilicet caro 
abluiturut anima emaculetur; caro ungitur, ut anima con- 
secretur; caro signatur, ut et anima muniatiir; caro ma- 
nus impositione adumbratur, ut et anima spiritu illumine- 
tur ; caro corpore et sanguine Christi vescitur, ut et anima 
de deo saginetur*. » 

Tous les critiques ont remarqué la façon en quelque 
sorte matérielle dont TertuUien explique l'efficacité 
des sacrements, notamment du baptême et de la con- 
firmation, et qui tient en partie à son erreur sur la 
corporéité de l'âme ^. Cette erreur explique qu'il ait 
relativement peu développé le symbolisme du rite sa- 
cramentel et trop peu relevé l'importance des paroles 
qui accompagnent ce rite, de ce que nous appelons la 
forme. 11 sait bien cependant qu'elle opère, elle aussi, 
la rémission des péchés au baptême ^ : mais sa pensée 
va plutôt à regarder le baptême, à l'instar de l'eucha- 
ristie, comme un sacrement fixe et stable. Lorsque le 
prêtre invoque le Saint-Esprit et bénit les fonts, le 
Saint-Esprit descend dans l'eau et lui communique sa 
vertu sanctificatrice. L'eau s'en imprègne pour ainsi 
dire, et devient dès lors capable, quand on y plongera 
le baptisé en invoquant la Trinité sainte, d'effacer ses 
fautes et de le transformer en un homme nouveau. 
Dans cette conception, l'importance de la bénédiction 
de l'eau se trouve exagérée, et celle de l'invocation tri- 
nitaire fâcheusement diminuée. 

TertuUien et saint Cyprien donnent le nom de sa- 
crement au baptême, à la confirmation, à l'eucharistie 
et au mariage ''' ; mais ils savent aussi que la péni- 

1. De resurr. carnis, 8. 

2. Voir surtout De hapt., 4, 5, 8. Cf. de Backer, op. cit., p. 156, suiv. 

3. De bapt., 6 : « ablulione delictorum quam fldes impetrat obsignata 
in Patre et Filio et Spiritu sancto •. 

4. Par exemple Tertull., De bapl., 1; Adv. Marc, IV, 34; V, 18; De 



430 LA THÉOLOGIE ANTÉNICÉENNE. 

tence et l'ordre sanctifient ceux qui les reçoivent^. 

Le baptême est le sceau {a'fpay'n;, signaculum) qui 
témoigne de notre appartenance à Dieu et à Jésus- 
Christ-. Il s'administre au nom des trois personnes 
divines invoquées en même temps que le baptisé est 
plongé trois fois dans l'eau 3. L'eau sanctifiée dès l'o- 
rigine du monde par le Saint-Esprit [Gen., i, 2), de 
nouveau sanctifiée par le contact de la chair de Jésus- 
Christ dans son baptême, recevant encore en elle, par 
la bénédiction des fonts et l'épiclèse, le Saint-Esprit, 
est en effet l'élément propre où le chrétien prend nais- 
sance : à l'exemple de l'i^euç divin nous naissons dans 
l'eau''. Ce baptême d'eau est nécessaire au salut dans 
l'économie présente : le martyre ou baptême de sang 
peut cependant le suppléer ou même le restaurer en cas 
de chute ^. Son effet est d'abord de remettre les pé- 
chés, plus particulièrement le péché d'origine, et 
aussi de sanctifier l'homme, d'en faire le temple de 
Dieu ^. 

Communique-t-il le Saint-Esprit? Tertullien ne le 

praescr., 36, 40 ; De an ima, H ; De monog,, S ; S. Cypr . , Epist. LXIX, 12 ; 
LXXII, 1 ; LXXin, 21, 22. 

1. Tertullien mentionne [Adv. Afarc, V, 8) le donutn cwrcfionw, mais 
on n'y voit pas d'allusion à l'Extrâme-Onction. 

2. S. HiPPOL., De Anlichr., VI ; Tertcll., Despect., k, 24; De pud., 9. 

3. Tertiill., De bapt., 6; De corona, 3. En cas de maladie, on était 
baptisé par aîTusion. Ce Tut le cas de Novalien; mais on ne pouvait 
alors, en principe, entrer dans le clergé (Edsèbe, H. E., VI, 43, 14, 17). 

4. « Sed nos pisciculi secundum l)^6ijv nostrum lesum Christum in 
aqua nascimur, nec aliter quam in aqua permanendo salvi erimus » 
(Tertcll., De bapt., 1, 4, 9). 

5. Tertoll., De bapt., 12, 13, 16; S. Cypr., Ad Fortun., praef., 4; Ep. 
LXXIIIj 22. Le martyre est, d'après saint Cyprien, « in gratia maius, in po- 
testate sublimius ». On voit de plus que Tertullien accordait beaucoup 
au baptême de désir : « Fides intégra secura est de salute » {De 
bapt., 18). 

6. Tertull., De bapt., 1, 18; Adu. Marc, I, 28; S. Cypr., Ep. LXXIII, 
14; LxcTANCE, Inslit., III, 26, col. 432; cf. VIT, 5, col. 7S3; Commodien, 
Inslrucl., II, 5; Reticius, cité par S. Augcstiî), C. lulian.^ I» 3, 7; Op. 
imp., I, sa. 



LA THÉOLOGIE LATINE AU III' SIECLE. 431 

croyait pas : le baptême ne donne pas le Saint-Esprit, 
il prépare seulement le baptisé à le recevoir ^. Saint 
Gyprien, au contraire, se fondant sur ce que c'est le 
Saint-Esprit qui, en définitive, remet les péchés, 
pensait que le baptême confère le Saint-Esprit^. Cette 
contradiction disparaît si l'on remarque que TertuUien 
parlait de la communication personnelle et parfaite, saint 
Cyprien de la communication imparfaite de l'Esprit- 
Saint^. Nous avons dit plus haut la façon toute phy- 
sique dont TertuUien explique cette efficacité du 
baptême. Lui-même cependant obscurcit sa propre 
explication, quand il vient à parler de la péni- 
tence préparatoire au baptême, car il s'exprime comme 
si elle était la vraie cause de la rémission des péchés 
chez le baptisé^. Elle n'en est pas la cause, mais la 
condition nécessaire chez l'adulte. 

C'était un principe absolu que le baptême ne se don- 
nait qu'une fois, et l'on notait comme une monstruosité 
que certains hérétiques osassent le renouveler^. Mais 
ceci ne préjugeait pas la question du baptême conféré à 
ceux qui, déjà baptisés dans l'hérésie, revenaient à 
l'Église; car, nous l'avons vu, selon TertuUien^, saint 
Gyprien et leurs partisans, le baptême conféré par les 
hérétiques n'était pas seulement inefficace, il était 
inexistant. C'est ce que le pape Etienne et ceux qui 



4- De bapt., 6. 

2. Voir ci-dessus, p. 383 et De rebaptismale (Hartel, IH), 3, 4, iS. 
NovAïiEN, De Trin., 29 : « Hic est (spirilus) qui operatur ex aquis se- 
cundam nativitatem. » 

3. C'est la distinction que formulera plus tard saint Augustin, Sermo 
LXXI, 19. 

4. De paeniL,6 : »Nonicleo abluimur ut delinquere desinamus, sed 
quia desiimns, quia iam corde loti sumus. » 

5. Tertull., De bapt., iS; S. Hippol,, Philos., IX, 12, p. 4i6; VI, 4, A 
propos des trois baptêmes de Marcion, voir S. Épiphane, Haer. XhU, 3, 
et EzNiG, cité par d'Axès, La théol. de TeriuU., p. 336, note 2. 

6. De bapt., 15. TertuUien dit à cet endroit qu'il arait composé en 
grec un traité spécial sur ce sujet; cf. De pudic, 19. 



432 LA THÉOLOGIE ANTÉNICÉENNE. 

appuyaient sa tradition ne voulaient point admettre. 
Pour eux, Thérésie du ministre et du baptisé ne 
nuisait point à la validité du sacrement; et donc, 
en baptisant le converti à l'Église catholique, on re- 
nouvelait vraiment son baptême. 

A la suite d'Irénéeet d'Origène,Tertullien témoigne 
de l'usage de baptiser les enfants : mais il n'est pas 
favorable à cette coutume. Les enfants n'étant pas en- 
core instruits de la doctrine chrétienne, et leur persé- 
vérance surtout étant fort incertaine, mieux vaut, à 
son avis, attendre que l'âge écarte le danger de re- 
chute^. Ce n'est pas la pensée de saint Cj'prien. On 
doit, d'après lui, baptiser les enfants, et l'on n'est pas 
obligé pour cela d'attendre, comme pour la circonci- 
sion, le huitième jour. Par ce baptême les enfants re- 
çoivent la grâce aussi bien que les adultes, et d'autant 
mieux que n'ayant pas péché, et portant seulement, 
par leur naissance d'Adam, la contagion de l'ancienne 
mort, ils obtiennent le pardon non de leurs propres 
péchés, mais de péchés étrangers^. 

C'est à l'évêqae d'abord et. après lui et avec son 
agrément, aux prêtres et aux diacres qu'il apparte- 
nait de donner le baptême. Les simples laïcs le pou- 
vaient aussi, mais Tertullien exclut les femmes 3. On 
l'administrait surtout à Pâques et à la Pentecôte so- 
lennellement ; d'ailleurs tous les jours étaient regardés 
comme bons au point de vue de son efficacité : « Si de 
solemnitate interest, de gratia nihil refert'*. » 



i. De bapt., 18. 

2. S. C\PK., Epist. LXIV, 2, 8: € Quanto magis prohiberi non débet 
infans, qui recens natus nihil peccavit, nisi quodsecundum Adam car- 
naliter natus contagium mortis antiquae prima nativitate contraxil, qui 
ad remissam peccatorum accipiendam ïioc ipso facilius accedit quod 
il!î remittuntur non propria sed aliéna peccata. > 

;;. Teutull., De bapt., 17. 

4. Tertull., De bapt., 19. 



LA. THÉOLOGIE LATINE AU IIP SIÈCLE. 433 

L'immersion baptismale était suivie d'une onction 
faite avec le chrême sur la tête du baptisé^. Puis l'é- 
vêque, récitant une prière, imposait la main sur le 
nouveau chrétien et traçait sur son front le signaculum 
dominicum^ . L'onction était une cérémonie complé- 
mentaire du baptême, et signifiait que le baptisé était 
bien devenu, par ce sacrement, un autre Christ, oint, 
comme Jésus l'avait été du Saint-Esprit par son Père. 
Après ce rite seulement commençait proprement la 
cérémonie de la confirmation^. Celle-ci, à Rome et à 
Carthage, au m' siècle, ne comportait point d'onc- 
tion : elle comprenait seulement, en outre de la 
prière'', deux gestes : l'imposition de la main de l'é- 
vêque et un signe de croix fait sur le front du con- 
firmé : « Caro signatur, dit Tertullien, ut et anima 
muniatur, caro manus impositione adumbratur ut 
et anima spiritu illuminetur^. » L'effet de cette céré- 
monie était de faire descendre le Saint-Esprit dans 
le baptisé : « deinde manus imponitur, per benedic- 
tionem advocans et invitans Spiritum sanctum^. » 



1. Tertull., De bapt; 7; De resurr. carnis, 8; S. Cypr., Epist. LXX, 
2; S. HiPPOL., In Daniel., I, d6; cf. Canons d'Hippoi., éd. Duchesne, 434. 
De plus, on présentait au nouveau baptisé une coupe de lait et de miel 
mêlés (Tertull., De corona, 3 ; Adv. Marc, 1, 14). Les canons d'Hippo- 
lyte sont cités ici non comme une œuvre du m' siècle et authentique 
dans son état actuel, maisparce qu'elle a conservé, pense-t-on, de nom- 
breux traits de discipline romaine du iit" siècle. 

2. Tertull., De bapt.,8; De resurr. carnis, 8; S, Cypr., Ep. LXXni, 
9; Canons d'Hippol., 136-139. 

3. Sur ce qui suit, voir spécialement P. Galtier, La consignation à 
Carthage et à Rome, dans les Recherches de science religieuse, juillet 
1911. 

4. Les canons d'HippoIyte, 137, 138, donnent un texte de cette prière. 

5. De resurr. carnis, 8. 

6. Tertull., De bapt., 8; S. Ctpr., Epist. LXXIH, 9; Can. d'Hipp., loc. 
cit. Le pape Corneille, notant que Novatien n'a pas été « scellé « par 
l'évêque (toû té erippaYnxô^vai C»îcb toù ÈTrtffxÔTCoy), remarque qu'il n'a 
pu dès lors recevoir le Saint-Esprit (Eosèbe, H. .B.,YI,43, 15). Voir aussi 
S. HIPPOLTTE, De Antichr., LIX : 5i' o5 (TcvEÛiiaxoç) o-ypaytÇovTai ol 
lîidxeuovteç xû 6ttp (cf. Doïlger, Sphragis, p. 181-183). 

LA. THÉOLOGIE ANTÉn'CÉENNE.— T. I. 25 



434 LA THÉOLOGIE ÀÎSTÉNICÉESNE. 

Comme le jeu des doigts fait circuler l'air dans les 
orgues hydrauliques, explique Tertullien, ainsi Dieu, 
par la main du pontife, remplit de son Esprit cet 
orgue vivant qu'est l'homme ^ C'est à l'évêque en 
effet qu'il était réservé de donner la confirmation 2. 



S 6. — L'Eucharistie s. 

L'initiation chrétienne se terminait par l'admission 
des nouveaux chrétiens à l'eucharistie. Nous avons 
déjà constaté avec quelle fidélité la tradition, depuis 
lés premiers apôtres, regardait ce sacrement comme 
celui du vrai corps et du vrai sang de Jésus-Christ. 
Nous Talions constater de nouveau pour l'Eglise latine 
du m* siècle. Malheureusement l'Afrique seule parlera 
presque exclusivement ici. DeNovatien et d'Hippolyte 
il ne reste à peu près rien sur ce sujet : à peine, du 
dernier, quelques lambeaux de textes qai « donnent 
cependant l'impression d'un réalisme très ferme' ». 

Mais Tertullien et saint Cyprien s'expriment clai- 
rement, et il n'est pas douteux qu'en eux nous n'en- 
tendions tout l'occident. Pour le premier, l'Eucharistie 
est le corps et le sang du Christ dont la chair se 

1; De bapt., 8.. 

2. Voir le concile d'Elvlre (vers 300), can. 38, T7, Les canons d'Hippo- 
lyte, loc. cit., marquent bien en effet que la chrismation baptismale 
est fuiic par le prêtre {iiresbyter), mais que c'est l'évêque (episcopus) 
qui impose la main et consigne le confirmé. — Je n'examine pas ici 
la question de savoir si le rite qui servait à la réconciliation des hé- 
rétiques était la confirmation elle-même (S. Cypr., Hp. LXXni, 6). Le 
pape Etienne parle seulement d'imposition de la main in paenitentiam 
(ID., Ep. LXXIV, I). Voir plus loin au § 7. 

3. Voir ici surtout P. Batiffol, L'Eucharistie, la prés, réelle et la 
transsubslaniiation, Paris, 1913. 

•i. Voir les fragments sur Genèse, XLIX, 15; XXXVIII, 19; loan., XIX, 
34, dans Hippolytus Werke, I, 2, édlt. Achelis, p. 63, 96, 211. On sait, 
par saint Jérôme {Epist. LXXf, 6;, que saint Hlppolyte avait écrit « de 
euchaiistia an accipienda cotidie ». Quant à Novatien, il ne saurait 



LA T«ÉOLQ!Sffi Ï-AÏINE AU «I» SIÈCLE. m 

nourrit afin que l'âme soit engraissée de Dieu ^ ; que 
le prodigue reçoit à son retour dans la maison du Père 
céleste 2; que Jésus lui-même nous présente dans le 
pain qu'il nous do^W^^Î car ce corps est mis dan? la 
catégorie du pain''. Cependant il se trouve des fidèles 
à ce point jaloux d'observer le jeûne des joujrs de stct-^ 
tion, qu'ils renoncent ces jours-là à recevoir le corps 
du Seigneur et à assister aux prières du sacrifice. 
Que ne conservent-ils ce corps, quand on Va mis dans 
leur main, pour s'en nourrir quand l'heiire de manger 
sera venue ^! C'est ce que font les femmes chrétiennes 
des infidèles qui le prennent secrètement le mjitin 
avant tout autre aliment ^^ Voilà la foi de TertuUien; 
et l'on comprend dès lors son indignation contre les 
chrétiens oublieux qui, de cette même bouche dont ils 
ont prononcé Amen sur ce qui est saint {in sanctum), 
et loué Jésus-Christ, vont acclamer un gladiateur'^; 
encore plus contre les chrétiens et les clercs, fabricants 
d'idoles de leur métier, qui osent approcher du corps 
dn Seigneur ce^ mains qui out donné un corps aux 
démons ; qui osent, de ces mêmes mains, distribuer 
aux autres ce corps divin qu'ils ont souiHé. Eh quoi! 

être représepté que par le texte d\i P.e spectac\cliSy 5 (Hartel, III, 
p. 313); mais il est douteux que ce traité soit de lui. 

-1. De res'ùrr. carnis, 8 : « Caro cor pore et sanguine Christi vescitur 
ul et anima de Deo s?tginetur, » 

2. De pudic, 9 : « Opimitate dominici corporis vescitur, eucliarislia 
scilicet. » 

o. Adv. Marc, I, 14 : « Pîjnexn que ipsiira corpus suvim repraesentat. • 
Sur le sons du mot rcpraesenlare dans Tertuilîen, voir d'Alès, La théoL 
de Tertull., p. 330 et suiv. 

4. De oratione, 6 : « Tune quod et corpus eius in pane censetur : fîoc 
est corpus meum. » Sur la signiCcation àecensetur, voir d'Alès, op. oiK, 

363, 366. 

fi. De oratione, 19 : « Accepte corpore Domini et reservato utrumque 
sa'ivum est, et pai'tîGîpatio sacrificii etexecutio offlcii. » 

0. Ad uxorem, II, 3. Sur le texte « Calicis aut panis etiam nostri ali- 
quid decuti in terram anxie patiraur » {De carona, 3), voir i*. Batiffql, 
op. cit., p. 212. 

7. De speclaculis, 2S. 



436 LA THÉOLOGIE ANTÉNICÉENNE. 

{es juifs n'ont porté leurs mains qu'une fois sur Jésus- 
Christ : eux, c'est tous les jours qu'ils tourmentent 
le corps du Sauveur ^, 

Ce crime est au fond celui que saint Cyprien re- 
proche aux lapsi de la persécution de Dèce d'avoiï 
commis, et qu'il félicite les confesseurs d'avoir évité. 
Ceux-ci ont détourné « leurs bouches sanctifiées pai 
les aliments célestes, par le corps et le sang du Sei- 
g-neur, des contacts profanes et des restes du démon ^ ». 
Les lapsi impénitents, au contraire, à peine revenus 
des autels du démon où ils ont mangé des viandes 
immolées, « s'approchent du saint du Seigneur », 
veulent « ravir le corps du Seigneur » {Domlni corpus 
inçadunt], faire violence à son corps et à son sang 
iyis infertur corpori eius et sangidni) . Les mains et la 
bouche encore tout imprégnées de viandes impures, 
ces sacrilèges s'irritent de ce que les prêtres ne con- 
sentent pas à leur profanation 3. Ne se souviennent-ils 
donc pas des faits miraculeux par lesquels Dieu a té- 
moigné de son horreur pour ces communions indignes? 
De cette enfant à qui sa nourrice avait fait manger une 
bouchée de pain trempé dans le jus des viandes immo- 
lées aux idoles, et qui rejeta ensuite les gouttes du 
vin consacré [sanctificatus in Domini sanguine potus) 
que le diacre lui donna''; de cette femme qui, ayant 
sacrifié aux idoles, vit des flammes sortir de la cas- 
sette où elle tenait enfermée l'eucharistie, « le saint 
du Seigneur », pour l'empêcher d'y toucher^; de cet 

i. De idoloL, 7 : o ... eas manus admovere corpori domini, quae 
daemoniis corpora conférant... Pro scelus! Semel ludaei Cliristo ma- 
nus intulerunt, isli quotidie corpus eius lacessunt. » 

2. De laj.sis, 2. 

Id., io, -16, 22 : « Quod non statim Domini corpus înquinalia ma» 
nibus accipiat aut ore polluto Domini sanguinem bibat sacerdotibuf 
sacrilegus irascilur. » Même idée, Epist. XV, 1; XVI, 2; XVII, 2. 

4. De lapsis, 23. 

6. Id., 26. 



LA THÉOLOGIE LATINE AU IIP SIÈCLE. 437 

autre apostat qui, ayant voulu communier à la messe, 
ne trouva dans ses mains que de la cendre au lieu du 
sanctum Domini que le prêtre y avait déposé ^ ? 

Ces textes prouvent assez le réalisme de nos deux 
auteurs 2. Ce qui nous reste à dire ne fera d'ailleurs 
qu'y ajouter. 

Saint Cyprien a dû combattre la pratique singulière 
de quelques évéques africains qui, pour des raisons 
d'encratisme montaniste peut-être, ne versaient que 
de l'eau dans le calice pour la consécration. On les 
appelait des aquariens. Saint Cyprien a écrit toute 
une lettre, la lxiii^, pour rappeler que la matière né- 
cessaire de la consécration du calice est le vin trempé 
d'eau. S'il n'y a point de vin dans le calice, dit Cyprien, 
comment pourra-t-on y voir « le sang du Christ, par 
quoi nous avons été rachetés et vivifiés » (2) ? Le sacri- 
fice de Melchisédech offrant du pain et du vin était la 
figure du sacrifice eucharistique; et dans celui-ci donc 
Jésus-Christ offre du pain et du vin, « c'est-à-dire son 
corps et son sang » (4). Jésus-Christ est la grappe 
pressée dont le jus est « son sang que nous ne pour- 
rions boire, s'il n'avait d'abord été foulé lui-même » 
(7, 9, 11, 15). Mais, d'autre part, l'eau représente le 

1. De lapsis, 26. L'auteur du De speciaculis (Hartel, IH), que quelques 
auteurs croient être Novatien, dénonce aussi (;J) ce chrétien qui, au 
sortir de l'église, court au spectacle et, portant encore sur lui, comme 
il est d'usage, l'eucharistie, va mêler le corps de Jésus-Clirist aux corps 
impurs des courtisanes : « inter corpora obscoena nieretricum Christi 
sacruiii corpus... circumtulit ». 

a. Les deux passages de Tertullien, Adv. Marc, ni, 19 et iv, 40, con- 
traires, ce semble, à la présence réelle, s'expliquent aisément si l'on 
remarque que l'auteur voit, soit dans le pain même non eucharistique, 
soit dans les espèces du pain, la figure de la chair de Jésus-Christ, par 
allusion au texie de Jérémie (Xi, 19) qu'il commente longuement : 
« Venite coniiciamus lignum in panem eius, scilicet crucem in corpvs 
tins. » Il faut tenir compte aussi de l'hyperbate que présente peut-êfr»; 
le passage : « Acceptum panem et distributum discipulis corpus suum 
illum fecit, Hoc est corpus meum dicendo, id est figura corporis mei . 
(IV, 40}. Comparez i4du. Prax., 29 : « Dicendo : Christus morluus est, 
id est unctus, in quod unctum est morluum ostendit id est carnem. > 



438 LA TâËGLOGlË ANTÉNlCÉ^ÉNNlJ 

peuple chrétien, et il fatït donc que, dans le calice, 
l'eau soit mêlée au vin, autrement, s'il ne s'y trouvait 
que du vin, le sang de Jésus-Christ commencerait 
d'exister sans nous, et s'il ne s'y trouvait que de l'eau, 
nous y serions sans le Christ ^ Et l'on en peut dire 
autant de la farine et de l'eau qui entrent dans la 
composition du pain^ D'où l'évêqué dé Cartilage prend 
occasion d'inculquer cette idée, émise dans la Didacàè, 
que reucharistie est le symbole de l'unitc de l'Eglise, 
cette Église étant composée de fidèles incorporés au 
Christ et étroitement reliés entre eux, comme les élé- 
ments eucharistiques résultent de grains de blé et de 
graines de raisin fondus ensemble ^. Mais il est évident 
que ce symbolisme se surajoute à la réalité, et que le 
corps moral ainsi figuré n'exclut pas le corps et te 
sang véritables de Jésus-Christ présents sous les es 
pèces. 

Le pain, le vin trempé, voilà donc ce que nous appe- 
lons la matière du sacrement. Comment deviennent- 
ils le corps et le sang de Jésus-Christ? On a remarqué 
que TertuOien, qui a plusieurs fois défini le concept 
de conversion^, ne l'a pas appliqué à l'eucharistie. 
Cependant, il suppose évidemment cette conversion 
dans le texte de VAdversus Marcianem, iv, 40 : 
« Acceptum panem et distributum discipulis corpus 
suum illum fecit (Ghristus) Hoc est corpus meum di- 
cendo. » Les deux termes sont nettement marqués : le 
Christ fait le pain son corps par sa parole, autant dire 
qu'il le convertit en son corps ^. 



A. « Nam si vinum tantuni quis ofTert, sanguis Christi incipit esse sine 
nobis. Si vero aqua sit sola plebs incipit esse sine Christo » (13). 

2. Et cf. lË]nst. LXIX, 5. 

3. De carne Chr., 3; Adv. Prax., 27. 

4- « Transfiguratio autem inleremptio est pristini. Omne enim quod 
transfiguralUT in aliud desiîiii esse qnod fuerat et incipit esse quod 
non erat » (Adv. Prax., 27). Remarquer la «ynonymie de transflgurari 



LA THÉOLOGIE LATINE AU III" SIÈCLE. 439 

Or, ce corps de Jésus-Christ est saint, c'est un 
« aliment céleste » où est présente « la majesté di- 
vine » *, et nous avons vu qu'on n'en peut approcher 
avec un cœur et des mains souillés par l'apostasie et 
le contact des idoles. Mais pour des fautes moins graves 
aussi, les pécheurs doivent s'abstenir de le recevoir, 
s'en tenir momentanément écarlés^. Saint Cyprien 
toutefois insiste pour que cette abstention soit courte, 
« ne dum quis abstentus separatur a Christi corpore 
remaneat a sainte ». Il regarde l'eucharistie comme le 
pain quotidien que nous devons demander à Dieu de 
nous donner, et qu'en effet nous devons recevoir chaque 
jour tant que « nous sommes dans le Christ » . N'est- 
elle pas le « cibus salutis », le principe de la vie éter- 
nelle, du salut et de la sanctification ^ y Mais, plus par- 
ticulièrement, il veut qu'on la donne aux fidèles en 
temps de persécution. Alors ils ont besoin d'être 
armés, défendus, et le corps et le sang du Seigneur 
sont leur protection et leur force. Comment exhorter 
les /<x/7« pénitents à répandre leur sang pour leur foi, 
si on leur refusait dans le combat le sang de Jésus- 
Chi'ist? Et comment les préparer à boire le calice du 
martyre, si on ne les admettait d'abord à boire dans 
l'Église le calice du Seigneur par la communion ^ ? 

Saint Cyprien n'a nas envisagé l'eucharistie seule- 

ct de converti. Voir D. Wilmart, Transfigurare, dans le BuUet. d'anc. 
littér. et d'arcK. chrét., 19H, p. 282-292. 
i. S. Cypr., De lapsis, 2, 2S. 

2. S. Cypr., Epist. XVI, 2; XVII, 2; De domin. orat., 18. 

3. De domin. orat., 18. TertuUien paraît bien supposer, lui aussi, que 
la communion est quotidienne (De orat., 19; Ad uxor., Il, 5). L'usage 
d'emporter chez soi l'eucharistie facilitait singulièrement cette pratique. 

4. Epist. LVH, 2 : « Nam quomodo docemus aut provooamus eos in 
confessione nominis sanguinem suum fundere, si eismilitaturis Ghristi 
8aDg:ainem denegamus? Aut quomodo ad martyrii poculum idoneos 
facimus, si non eos prius ad bibendum in ecclesia poculum Domini 
iure communication is admittimus? » Cf. Epi&t. LVIl, 4et LYIII, 1. Se rap- 
peler la vision de Perpétue recevant la communion sous la flgure d'un 
morceau de fromage (Passio SS. Perpet. et Felicit., 4). 



MO LA THÉOLOGIE ANTÉNICÉENNE. 

ment comme un sacrement : il en a traité comme d'un 
sacrifice. On l'avait fait sans doute avant lui. Tertullien 
lui-même a parlé des « prières des sacrifices », de 
« l'autel » des chrétiens ; il a désigné la communion 
comme une « participation du sacrifice » ; il a noté que 
l'on offre ce sacrifice pour les défunts, et au jour anni- 
versaire des martyrs, et que, dans ce sacrifice, « le 
Christ est immolé » '. Mais saint Cyprien le premier 
a donné à cette doctrine tout son relief 2. J'omets les 
passages où il désigne le service divin par les mots 
oblatio, sacrificiuirij etc. ^. Le sacrifice eucharistique, 
dit-il, a été offert d'abord par Jésus-Christ, prêtre 
selon l'ordre et imitant le sacrifice de Melchisédec : 
il est maintenant offert, comme un sacrifice vrai et 
plein, par les prêtres humains agissant « vice Christi » , 
et répétant ce qu'a fait le Sauveur (« sacrificium verum 
et plénum » , « secundum quod ipsum Christum videat 
optulisse'' »). Ce sacrifice d'ailleurs est le même que 
celui de la croix, et nous présentons à Dieu, en le 
célébrant, la passion du Rédempteur : « passio est 
enim Domini sacrificium quod oiferimus^. » On l'offre 
pour les pécheurs pénitents et en leur nom ^ : on l'offre 
aussi pour les morts '^. 



S 7. — La pénitence. 

Nous avons dit plus haut, au chapitre x, quelles 
controverses avait soulevées, à Rome et en Afrique, 

1. De orat., 19; De corona, 3; De pudic, 9. 

2. Voir ici S. Renz, Die Geschichte des Messopfer-Begriffs, I, Freising, 
1901, p. 219, suiv. 

3. Par exem pie, Epist. XXXYII ; LXIII, 9 ; LXVI, 2 ; De cath. eccl. un il., 17. 

4. Epist. LXin, 4, 14. 

5. Epist. LXllI, 17 ; cf. îi, 9. 

6. Epist. XVI, 2; XVII, 2. 

7. Epist. I, 2. 



LA THEOLOGIE LATLNE AU IIP SIECLE. 441 

la question pénitentielle sous Calliste, Corneille et 
saint Cyprien. Le résultat avait été une affirmation 
plus solennelle par l'Eglise de son droit, en vertu du 
pouvoir d«s clefs, de soumettre les pécheurs à la pé- 
nitence et de leur pardonner toutes leurs fautes sans 
exception. Il nous faut maintenant examiner en détail 
les éléments de cette discipline pénitentielle, voir l'idée 
que l'on s'en faisait et tâcher d'en saisir, autant que 
possible, le fonctionnement. 

Dans son traité De paenitentia, Tertullien distingue 
deux sortes de pénitence, l'une préparatoire au bap- 
tême, l'autre qui s'accomplit après le baptême s'il est 
nécessaire. La première a pour but de purifier et d'af- 
fermir le catéchumène de façon à rendre durable 
l'effet du sacrement qu'il va recevoir (vi). Commencée 
dans la crainte, elle s'achève par l'amendement du 
pécheur, conséquence naturelle d'une vraie conver- 
sion (il, 1, 2). Régulièrement, cette première péni- 
tence devrait être la seule, le chrétien baptisé ne 
devant plus connaître de défaillances graves. Mal- 
heureusement ces défaillances se produisent : et c'est 
pourquoi Dieu a donné aux pécheurs une seconde 
planche de salut. « Une fois fermée la porte du par- 
don, une fois tiré le verrou du baptême, il a voulu qu'il 
y eût encore une ouverture : il a placé dans le vesti- 
bule (de l'église) une seconde pénitence pour qu'elle 
ouvre à ceux qui frapperaient » (vu, 10 ; xii, 9)^. Les 
menaces de Dieu aussi bien que les paraboles évangé- 
liques ne s'expliqueraient point sans cela (viii). 

Or, cette seconde pénitence ne s'accomplit paS 
seulement dans le cœur : elle comporte une série 



1. On remarquera le parallélisme établi déjà entre le baptême et la 
pénitence, et qui se continuera. La pénitence est un baptême labo- 
rieux. C'est une des preuves de sa qualité de sacrement. 

25. 



U2 LA THÉÛLOGIE ANTENICEENNE. 

d'actes extërieurs qui constituent l'exemologèse, et 
que TertullicB va décrire ' . 

Le premier est l'aveu que l'on est ;coi"upa)ble, la con- 
fession des péchés. Tertullien ne dit pas expressé- 
ment à qui elle iioit être faite 2; mais il ressort 
de tout son texte ici et dans le De pudicitià, que 
c'est à l'évêque ou à son délégué. L'expiation que 
le pénitent doit fournir en effet sdoit être détermi- 
née dans sa nature et sa durée d'après la nature 
et la gravité de ses fautes^. Or c'est à l'évêque 
qu'il appartient de fixer cette nature et cette durée, 
•puisque cette expiation est, au premier chef, une me- 
sure disciplinaire qui intéresse la communauté chré- 
tienne, et qui s'accomplit au milieu d'elle. >11 faut àonc 
que l'évêque soit, au préalable, informé des fautes 
qu'il doit punir. Le pénitent est un ^naïade ;: il faut 
qu'il découvre son mal s'il veut que l'Eglise le gué- 
risse^. En tout cas, saint Cyprien ne laisse aucun 
doute. Certains chrétiens, sans en venir à l'acte, 
avaient eu la pensée d'apostasier. Il s'agissait là d'un 
péché intérieur et secret : l'évêque de Carthage les 
presse de s'en accuser à l'évêque : « Qui quamvis 
nulle sacrificii aut libelli facinore constricti, quoniam 
tamen de hoc vel cogitaverunt, hoc ipsum aput sacer- 
dotes Dei dolenler et simpliciter confitentes exomo- 
logesim conscientiae faciant, animi sui ipondus expo- 
nant, etc. » Et un peu plus loin : « Gonfiteantur sin- 



1. IX, 1, 2 : « m non sola conscjentia proferatur sed aliquo etiam 
actu administretur. » 

2. De paen., Vill, 9. iLe passage • qua délictum^Dominocoilfitemur » 
(IX, 2) est en effet général et vague : tout aveu fait à l'évêque est, en 
définitive, fait à Dieu qu'il représente. 

3. De pudtc, XYIII, U. 

4. De paenit., X. Cette idée, qui devait adev.enir classique, se re- 
trouvedans Gommodien : « Tu si vulnus liabes altumimeditumque 
require » {Instr., H, 8). 



LA THEOLOGIE LATINE AU HP SIECLE. 445 

guli, quaeso vos, fratres, delictum saum, dum admitti 
confessiô eius potest, dum satisfaetio et remissio 
[facta] per sacerdotes apul Dominum grata est * . » 

Remarquons seulement que ni TertuUien ni saint 
Cyprien ne disent que cette confession sera publique^- 
L'expiation ou satisfaction le sera, et par là même la 
culpcdDilité du pécheur se trouvera, d'une certaine 
façon, rendue aussi publique — ce qui explique cer- 
taines expressions de nos auteurs^; — mais d'aveu 
proprement public il n'est pas question. 

L'expiation suit l'aveu des péeliés et constitue le 
second acte de la pénitence. L'évêque en détermine la 
nature et la durée. La justice comme la prudence, en 
effet, exigeaient que le traitement de tous les péchés 
ne fût pas le même. Aussi voyons-nous saint Cyprien 
et son concile distinguer entre les sacrificaU etg* les 
lilellaticiy et vouloir que l'on examine à part le cas 
de chacun des coupables'''. Il y a pour chaque espèce 
de fautes un « iustum tempus » de pénitence que le 
pécheur doit accomplir". Pour les sacrificaU, cette 

1. De lapsis, 28, 29. Cependant, à Rome, l'institutioa de prêtres pé- 
nitenciers, cliargés d'administrei' la pénitence, parait remonter au 
commencement du iv* siècle. « Hic (Jlarcelius), écrit le Liber ponli- 
ficalis (tora. I, p. 164)... XXV titulos in urbe Roma constituit quasi 
dioeceses, propter baptisraum et paenitentiani. » Le pape Marcel a 
régné de 304 à 309. 

2. On cite cependant un texte de TertuUien, De bajytismo, SO : • No- 
bis gratulanduiu est si nunc publiée conlitemur iniquitates aut turpi- 
tudiues noslras. » Mais la ieçon nunc est fort incertaine ; d'autres lui 
préfèrent non (v. d'Alès, La lliéol. de Tertull., p. 332, noie). H s'agit 
de la confession des catéchumènes avant le baptême. Or, on n'a nulle 
trace d'une confession publique et détaillée de leurs fautes faite par 
les catécliumènes. Le canon 103 d'Hippolyte porte au contruire : 
« Tune (catechumenus) confileatur episcopo, huic enim soii de ipso 
est impositum onus, ut episcopus eum approbet dignumque habeat 
qui fruatur mysteriis. » 

3. Tertull., De paen., X. Il est clair d'ailleurs que souvent, dans le 
cas d'apostasie ou de concubinage, le péché était public et connu 
d'avance. 

4. Epist. LV, 14-17 : « examinatis causis singulorum ^.Cî.Ep. LVII, 8. 

5. S. C-ïPU., Epist. XYI, 2. 



44i LA THÉOLOGIE ANTÉNICEENNE. 

pénitence devait durer toute la vie ^ . Le concile d'Arles 
de 314 (canon 14) décida qu'il en serait de même pour 
les auteurs d'accusations calomnieuses contre leurs 
frères. Quant aux actes qu'elle comportait, nos auteurs 
les ont plusieurs fois décrits. Le pénitent se prosterne 
et s'humilie, couche sur la cendre, néglige les soins 
de propreté, se nourrit de pain et d'eau, jeûne, pleure, 
« mugit », se livre nuit et jour à la prière 2. Consigné 
à la porte de l'église pendant le service divin, dans 
l'atrium ^, il se traîne aux pieds des prêtres, des con- 
fesseurs, des veuves, de tous les frères, afin de les 
supplier d'intercéder pour lui''. A ce compte, le cou- 
pable satisfait réellement à Dieu^ ; il apaise sa colère, 
éteint les feux de l'enfer dont il était menacé et com- 
mence l'œuvre de sa réintégration. Les prières et les 
lari^j^es des fidèles pour lui, qui sont les prières et les 
larmes du Christ, attirent sur lui le pardon divin ^. 

On a vu plus haut qu'en principe ce pardon était 
toujours accordé au moins au moment de la mort. La 
doctrine qui refusait à l'Eglise le pouvoir de remettre 
les trois péchés capitaux, ou même l'apostasie, fut 
condamnée comme une hérésie'^. Mais il ne faut pas 
confondre avec les hérésies montaniste et novaticnne 
un rigorisme pratique qui, sans nier le pouvoir de 

i. Encore cette mesure fut-elle adoucie en 252 : une nouvelle per- 
sécution s'annonçant, on réconcilia les sacrificati. Episl. LVII, 1. 

2. TEnTULL., De paen., IX, 3-5-, Novatiek, Epist. XXX, 8; S. Cypr., 
De lapsis, 36 ; Commodien, Instr., II, 8. 

3 Tertcll., De paen., VII, 10; De pud., I, 21; III, 5; Novatien, Epist. 
XXX, 6; S. CYPR., Epist. LXV, 5. Cf. d'Alès, Védît de Calliste, Ap- 
peud. II, Limea Ecclesiae, p. 409 et suiv. 

4. Tertull., De paen., IX, 4; De pud., XIII, 7. 

î>. Tertull., De j^aen., VII, 14; S. Cypr., Epist. XVI, 2 : • ...ut qui pos- 
suiit agentes paenitenliam veram Deo qua patrl et misericordi iam 
jjrecibus et operibus suis satisfacere, seducantur, etc. » Epist., XXXIII, 
:! : « ut tamen ad Dominum satisfactio ipsa admitti possit ». 

6. Tertull., De j.aenil., IX, 5, 6; X, 6, 

7. Sur le iiaitement de l'homicide, voir d'Alès, Ledit de Calliste, 
p. 350 et suiv. 



LA THÉOLOGIE LATINE AU IIP SIÈCLE. 445 

l'Eglise de remettre tous les péchés, en limitait l'exer- 
cice dans des cas exceptionnels, et, pour maintenir 
chez les fidèles une salutaire frayeur, allait quelque- 
fois jusqu'à refuser, même au dernier moment, la 
réconciliation et la communion ecclésiastique aux 
pécheurs coupables de certains péchés plus énormes et 
plus scandaleux. Saint Cyprien note que ce rigorisme 
fut pratiqué dans quelques Églises d'Afrique à l'égard 
des moechi^ ^ et le pape Calliste, nous l'avons dit, dut 
réagir, par son édit, contre cette tendance. Elle per- 
sista cependant en Espagne, où l'on voit le concile 
d'Elvire, vers 300, refuser la communion, c'est-à-dire 
— suivant l'interprétation plus probable — la réconci- 
liation à vingt catégories de pécheurs, coupables d'ho- 
micide, d'immoralité ou d'idolâtrie 2. Saint Cyprien et 
son concile avaient pris, on se le rappelle, la même 
décision vis-à-vis des lapsi qui, refusant de faire pé- 
nitence pendant leur vie, demanderaient la récon- 
ciliation seulement au moment de la mort^ ; et celte 
décision fut conservée par le concile d'Arles de 314, 
canon 22. Mais les canons d'Elvire s'expliquent par 
un rigorisme spécial à ce concile, et les autres cas 
sont des exceptions. Les pénitents sincères, placés 
dans les conditions voulues, étaient réconciliés lors- 
que était achevé leur temps d'épreuve *. 

Cette réconciliation avec l'Eglise et avec Dieu, cette 
rémission des péchés s'opérait par le ministère de 
l'évêque : « Ego et moechiae et fornicationis delicta 
paenitentia functis dimitto », avait écrit Calliste^; et 
même TertuUien montaniste ne conteste pas que l'É- 

i. Epist. LV, 21. 

a. Voir hefele-Leclercq, Histoire des Conciles, I, 1, 221 et suiv.; et 
cf. s'A LÈS, L'édit de Calliste, p. 376. 

3. Epist. LV, 23. 

4. Cf. Lactance, Instit., YI, 24, col. 722. 

a. Tertuu., Depudic, I, 6; cf. S. Hippol., Philos., IX, IS. 



446 LA THÉOLOGfE ANTÉNIOÉËNNE. 

glise et l'cvêque aient le pouvoir de remettre les pé- 
chés au moins non ad mortem. Le chrétien qui n'aura 
commis que des fautes légères, c'est-à-dire non capi- 
tales, pourra en obtenir le pardon de l'évêque, « le- 
vioribus deîictis veniam ab episcopo consequi pote- 
rit^ ». C'est par l'imposition delà main de l'évêque 
et du clergé que les pénitents, à Carthage et à Rome, 
sont reçus dans la communion de l'Eglise [per manus 
ùnpositionem episcopî et cleri ius communie ationîs ac- 
cipiant) ; ce sont les évéques qui peuvent leur accor- 
der la réconciliation [pei^ sacer dotes eîus [Deî) pacem 
posse concedi)-. Les simples prêtres cependant ne 
sont pas absolument exclus de ce ministère, et l'on 
sait que, en cas de nécessité urgente, saint Cyprien 
leur permettait, et même aux diacres, de faire faire 
aux lûpsi l'exomologèse, et de leur imposer la main 
in paenitentiam^ . Hors ce cas de nécessité, l'absolu- 
tion était donnée publiquement '', et probablement par 
une formule déprécatoire^. 



i. Depudic, XYIII, 17; XXI, 7; cf. Scorpiace, 10. Par ces leviora de- 
licla, il ne faut pas, en effet, entendre les péchés que nous appelons 
véniels, mais les péchés mortels non capitaux, tels que ceux dont 
TeituUien donne des exemples De pudîc, XIX, 24. 

2. S. Cypr., Epist. XYf, 1; LV, 29; Epist. S. Stephani ap. Cypr., 
Epist. LXXlV, i. Il y eut plus tard une imposition des mains de l'évê- 
que au pénitent au commencement du curriculum de la pénitence; 
mais cliez S. Élienne et S. Cyprien l'impositio manus in paenitontiam 
est celle qui clôt ce curriculum et absout le pénitent. Voir les textes 
réunis dans J. Behm, Die Handau/legung im Urchristentum, Leipzig, 
19i!, p. 91, note 3. — L'évoque anonyme auteur du De aleatoribus re- 
vendique le pouvoir t solvendi ac ligandi et curatione pecca'a dimit 
teudi • (1); et la prière donnée par les canons d'Hippolyte (17) pour la 
consécration de l'évcque mentionne expressément le pouvoir de remet- 
tre les pécfiés. 

3. Epist. XVIIl, 1; cf. Concile d'Elvire, can. 32. Sur ce ministère anor- 
mal des diacres, voir P. Laur.mn, De l'inlervenlion des laïques, des dia- 
cres et des abbesses dans l'administration de la pénitence, Paris, ISSÏ. 

4. C'est ce que supposent les textes dé S. Cyprien. Cf. Tertclliïn r 
• An melius est damnatum latere quam palam absolvi? » (De paen., 
X, 8). 

5. Comparez Tertull., De paen., X, 6 et Depudic, XIX, 23, 26. 



LA THIÉOLOGIE LATINE AU illl» SIÈCLE. '447 

L'effet de cette absolution était de remettre les pé- 
chés, de les guérir, de rej)lacer le chrétien dans l'état 
où il était avant sa chute. Le chrétien pardonné était 
reslitiitus : il avait recouvré par le ius communica- 
tionis ses droits dans l'Eglise et ses droits au royaume 
de Dieu ^ : la pénitence est un second haptême qui rend 
rinnocence à qui l'a perdue. 

Seulement, ce second baptême est le dernier que le 
pécheur .puisse recevoir. On ne peut, en effet, accom- 
plir qu'une seule fois la pénitence solennelle que nous 
venons de décrire : « Piget secundae, immo iam ulti- 
mae spéi sùbtexere menlionem... Collocavit in vesti- 
bulo paenitehtiam quae pulsantibus patefaciat, sed iam 
semel quia secundo; sed amplius nunquam quiapro- 
xime frustra 2. » Si donc le pécheur retombe après sa 
réconciliation, l'Église ne lui permettra .plus de recom- 
mencer le cursus de la pénitence officielle. Il ne devra 
pas désespérer de son pardon, mais c'est avec Dieu 
directement qu'il en devra traiter. 

D'un autre côté, il n'est question nulle part à cette 
époque, dans les documents latins qui nous restent, 
d'une pénitence privée plus simple, dont les exercices 
d'expiation n'auraient -pas eu la publicité et la rigueur 
de ceux que, nous avons mentionnés. Nous savons cepen- 
>dant.par Qrigène qu'une pénitence de ce genre existait 
à Gésarée, etil n'est pas impossible qu'elle ait existé en 
Occident^. Mais nous n'en avons aucune attestation^. 

1. Terthli,., De paen., YII, H, 12; vni, 4; cf. XII, 1, 9; LiCTANCE, in- 
stit., IV, SO; S. CïPR.j passim. 

2. Tertcll., De paen., VII, 2,10. C'est la discipline qui.persévéra dans 
l'Église jusqu'à la On pour-la pénitence solennelle. 

3.(0n comprend difficilement, par exemple, que de simples fautes de 
pensée même mortelles aient pu être soumises au'trailement dont parle 
Tei'tullien. Nos auteurs, quand ils décrivent la pénitence, ont en vue 
généralement des fautes très graves et scandaleuses. Voir ce que. dit 
Tertullien des delicta cotlidianae incursionis dans De pudic, XIX, '23, 
24. 

4. La question' de ^la pénitence- des clercs étant plus dû domaine de 



'448 LA THÉOLOGIE A.NÏÉNICÉENNE. 



8 8. — L'ordre et le mariage. 

La distinction dans l'Église des laïcs et des clercs 
: mettait à part l'un de l'autre la « plebs » et 1' « eccle- 
siaslicus » ou « sacerdotalis ordo ». On sait que Ter- 
tullien, devenu montaniste, finit par croire et répéter 
qu'au fond tout fidèle est vraiment prêtre^ et peut 
remplir les fonctions de prêtre, et qu'une loi seule de 
l'Église a réservé à quelques-uns ces fonctions^. Avant 
sa chute, il avait cependant marqué d'une façon plus 
nette la différence des deux vocations^. En tout cas, 
' l'idée que tous les chrétiens sont prêtres au sens strict 
du mot est une idée étrangère à la grande Église, et 
que l'on ne trouve plus dans les auteurs du m* siècle. 
Uordo sacerdotalis comprenait un certain nombre 
de degrés dont les plus élevés, unanimement attestés 
depuis l'origine, sont l'épiscopat, le presbytérat et le 
diaconat. Puis, un peu plus tard, les nécessités du 
culte et les besoins du ministère amenèrent l'Église à 
déléguer à des clercs inférieurs une partie des fonc- 



la discipline que de la théologie, je n'en dirai qu'un mot. Les clercs 
coupables de fautes capitales ou digames devaient être déposés; mais 
on ne leur imposait pas d'autre pénitence, et ils étaient immédiatement 
réduits à la communion laïque (S. Hippol., Philos., IX, 12; Tertull., De 
exhort. castit.,'1; S. Cyprien, Epist. LXY; LXVII, t, 6; L, 1; LU, 1; LIX, 
10; Lettre du concile de 2îi6 au pape Etienne, Epist. LXXn, 2; S. Cor- 

. HEiLLE, ap. Elsèbe, h, E., m, iS,iO; Conc. d'Elvire, can. 33; Conc. d'Ar- 
les, can. 43, 21). On trouve cependant des exceptions. Ainsi le prêtre 
Victor, tombé dans la persécution, a été soumis à la pénitence, puis 
rétabli dans ses fonctions. Saint Cyprien blâme le fait {Epist. LXIY, \). 

-Le prêtre Maxime a été rétabli sans pénitence {E})ist. XLIX, 2). D'autre 
part, le pape Corneille, non content de déposer les clercs lapsi et de 
leur interdire l'accès aux ordres supérieurs, leur impose une |)énitence 
plus ou moins longue avant de les recevoir à la communion laïque (S. 
Cypr., Epist. LXVII, 6). Le concile d'Elvire (can. 18, 63) refuse la récon- 
ciliation même à l'article de la mort aux clercs fornicateurs ou qui ont 

rîolêré l'adultère de leur femme. 

1. De exhort. cast., 7; De monog., 7, 12. 

2. De praescr., 32, 41; De bapt., 17; De virgin. vel., 9. 



LA THEOLOGIE LATINE A.U IIP SIECLE: 419 

lions diaconales et à créer des ordres mineurs. La 
lettre du pape Corneille à Fabius d'Antioche, qui est 
de 251, déclare qu'il y avait alors à Rome quarante- 
six prêtres, sept diacres, sept sous-diacres, quarante- 
deux acolytes, cinquante-deux exorcistes, lecteurs et 
portiers^. En Afrique, saint Cyprien, dans ses lettres, 
a mentionné également tous ces ordres, sauf celui des 
portiers. Ils existaient donc tous au plus tard au mi- 
lieu du m® siècle. Mais celui des lecteurs notamment 
était certainement plus ancien. A Carthage, les lec- 
teurs sont déjà signalés par Tertullien vers Tan 200^, 
et « la série de leurs épitaphes commence dès le deu- 
xième siècle, par des monuments probablement anté- 
rieurs à Tertullien ^ » , 

La cérémonie par laquelle étaient conférés les diffé- 
rents ordres est déjà appelée par Tertullien ordinatio'' . 
On sait qu'elle consistait d'abord, pour les trois pre- 
miers ordres, dans l'imposition de la main. C'est par 
l'imposition de la main que Novatien a été ordonné 
prêtre, par l'imposition de la main (yeipoôsaia) qu'il a 
été fait évêque^. C'est par l'imposition de la main 
aussi que Sabinus de Mérida et l'auteur, du De aleato- 
ribus ont reçu l'épiscopat^. Cette imposition de la 
main devait être accompagnée d'une prière dont le 
texte sûr ne nous est pas parvenu '^. On peut croire seu- 
lement qu'on y invoquait le Saint-Esprit sur l'ordi- 

1. EcsÈnE, Hist. eccl., YI, 43, H. 

2. Depraescr., a. 

3. L. DccHESNE, Origines du culte, p. 334. Voir d'autres mentions dans 
CoMMdDiEs, Instr., IF, 26; Lib. pontifie., I, ISS. Les canons d'Hippolyte 
ne nomment que les sous-diacres et les lecteurs (48, 49). 

4. De praescr.. Ai . 

5. Epist. Cornet, ad Fabium, ap. Eusèbe, H. E., VI, 43, 9, 17; Epist. 
ad Cyprian. XLIX, 1. 

6. S. CypK., Ep. LXVir, 5; De aleator., 3. Pour le diaconat, Toir les 
canons d'Hippolyte, 38. 

7. Les canons d'Hippolyte (3-42) donnent cependant deux textes plus 
récents. V. aussi la Tradition apostolique, dans Duchesne, Orig, du 
culte, 5» éd., p. r43 et suiv. 



450 LA THÉOLOGIE AiXTÉMCÉENNE. 

nand, car c'est le thème que présentent les textes pos- 
térieurs', et il est remarquable que l'auteur du De 
aleatoribus confond son caractère d'évèque avec la 
réception du Saint-Esprit : «c quoniam episcopium. id 
est Spiritum sanctum per impositionem raanus cordis 
excepimus hospitio » (3). 

Nous ne trouvons pas, pour les ordres inférieurs, 
l'imposition des mains : les canons d'Hippolyte l'ex- 
cluent même expressément : ils donnent comme rite 
de la création des lecteurs la porrection qui leur est 
faite du livre des évangiles (can. 48). 

Le ministre de l'ordination était toujours l'évéque. 
On connaît le mot de saint Jérôme traduisant la disci- 
pline ancienne : « Quid facit, excepta ordinatione, 
episcopus, quod presbyter non faciat^? » De fait, c'est 
révoque que nous voyons promouvoir les ministres 
inférieurs aussi bien que les diacres et les prêtres^. 
Quant à l'ordination des évêques, l'usage s'introduisit 
de bonne heure, et nous le trouvons au iii« siècle, que 
trois évêques y concourussent. Ce fut le cas de Nova^ 
tien^. En 314, le concile d'Arles (canon 20) exigeait 
aussi la présence de trois, ou même si possible de 
sept évêques. 

Quant aux conditions que devait réaliser le sujet de 
l'ordination, c'est-à-dire à la question des irrégularités, 
c'est une matière de discipline que les évêques et les 
conciles ou même l'usage avaient déjà réglée en partie ^. 
Nous ne saurions en traiter ici. 

i. Voir les textes indiqués ci-dessus. 

2. Bpi'st. CXLVI. On a cru quelquefois que le prêtre schismatique 
Novat avait ordonné diacre Félicissime (S. Cypr., Epîst. LU, 2). Saint Cy- 
prien ne dit pas précisément cela. Cf. Bekson, Cyprian, p. 116, note 4. 

3. S. CïPH., Epist. XXtX, XXXVllI, XXXIX, Xli. 

4. EusÈBE, Hist. eccl., VI, 43, 8, 9. Les canons d'Hippolyte (10) ne de- 
mandent qu'un évoque et un prêtre. 

5. Cf. S. HiPPOLYTE, Philos., IX, 12; EUSÈDE, H. E., VI, 43, 17; Conc. 
d'Elvire, can. 24^ 33, îM. 



LA THÉ0LOGIE ILÀTINE AU IIP SIÈCLE. 4SI. 

Les étades précédentes nous ont montré l'Égiise 
^'appliquant à détendre le mariage contre les attagues 
des gnostiques, «t à sanctifier l'umon des époux par 
ses bénédictions. Cette action ne iit que s'accrortrc 
au iii« siècle. TertuUien a dû défendre encore contre 
Marcion la bonté et l'honnêteté du mariage. Il l'a fait 
avec son entrain ordinaire (i, 29). Il avait déjà pro- 
clamera même vérité dans son écrit à sa .femme (t, 3). 
Le mariage est boii : bien plus ie mariage des chré- 
tiens est saint : il est la figure, -le «sacrement » de l'iu- 
nion de Jésus-Christ et de l'Église '. 

Saint -Hippolyte a accusé le pape Calliste d'avoir 
autorisé les femmes nobles à contracter avec des 
hommes de condition inférieure des unions qu'il dé- 
clarait légitimes, encore qu'elles fussent contractées 
par simple consentement mutuel, en dehors de la loi 
romaine, et probablement aussi à l'insu de l'tLglise K 
Si cette accusation est vraie, elle prouve que Calliste 
ne regardait pas comme nécessaires à la validité du 
mariage l'accomplissement des formalités civiles non 
plus que la bénédiction ecclésiastique. L'Église tenait 
cependant beaucoup à ce que les époux chrétiens con- 
tractassent leur union devant elle : « Pênes nos^^, écrit 
TertuUien dans le ^e pudicitïa (4), occultae quoque 
coniunctiones, id est non prius apud ecélesiam pro- 
fessae iuxta moechiam et fornicationem iudieari peri- 
clitantur. » On notera le periclitantur qui in'indique, 
après tout, qu'un simple risque. Mais il avait écrit 
déjà dans l'hymne magnifique où il a chanté le .bon- 
heuT des époux chrétiens : « Unde saffîciamus ad 
enarrandam felicitatem eius .matrimonii quod 'ecclesia 

i. Tertdll., De anima, H. 

2. Philos., IX, 12. Cf. d'Alès, La théol. de sainl Hippolifte, p. 36 et 5i- 
5G, 

3. Celte expression semble indiquer qu'il vise surtout les commu- 
nautés montanistes, 



À52 LA THEOLOGIE ANTEMCEENNE. 

conciliât, et confirmât oblatio et obsignat benedictio, 
angcli renuntiant, pater rato habet^ » L'Eglise scel- 
lait de sa bénédiction cette donation mutuelle des 
époux qu'elle avait peut-être conseillée et préparéo, 
et que consacraient encore l'offrande du saint sacrifice 
et le consentement divin. 

Cette union était-elle regardée comme absolument 
indissoluble, même en cas d'adultère? On sait que, en 
■dehors de l'Eglise romaine, certaines divergences per- 
sistèrent longtemps sur ce point, même en Occident. 
Il ne paraît pas douteux cependant que TertuUien ait 
considéré le divorce motivé par l'adultère comme une 
-simple séparation q'uoad torum, n'entraînant pas, 
■entre chrétiens, la rupture du lien conjugal, [puisqu'il 
-n'admettait même pas que le repudiuin concédé par 
-Moysc fût un vrai divorce quoad vinculum ^. Saint Cy- 
.prien se contente de reproduire ici la doctrine de saint 
Paul sur l'indissolubilité^. Mais le concile d'Elvire 
(canon 9) est très net. Il interdit à la femme qui a aban- 
donné son mari adultère tout nouveau mariage. Si elle 
se remarie, qMq ne pourra être réconciliée qu'après la 
mort de son premier époux. Au contraire, et probable- 
-ment en considération des préjugés régnants et des 
facilités que la loi civile accordait au mari, le concile 
-d'Arles de 314 (canon 10) n'ose absolument interdire à 
l'époux encore jeune, qui a dû renvoyer sa femme adul- 
tère, de se remarier. On lui conseillera fortement de 
ne pas le faire; mais s'il passe outre, aucune peine 
n'est portée contre lui. En revanche, on exigeait que 
Ja partie innocente cessât de cohabiter avec la partie 
-coupable'', et cette exi^jence était pour les clercs 



K. AA uxorem, II, 8. 

2. De palientia, 12; Adi\ Marc, IV, 34; De monog., 
■ 3. Testimonia, III, 90. 
4. Tertcll., Adv. Marc.,l\, 34; De patientia, 12. 



LA THÉOLOGIE LATINE AU III' SIECLE. .45» 

SOUS peine de refus d'absolution même à la mort ^ , 
Tertullicn catholique avait admis la légitimité des 
secondes noces, bien qu'il ne leur fût pas favorable^. 
Mais, à mesure qu'il inclina vers le montanisme, il leur 
devint plus hostile. Dans l'Antimarcion, composé en 
207-208, il invoque déjà, pour les condamner, l'autorité 
du Paraclet^. Dans le De exhortatione castitatis (1, 2, 
5), qui se place entre 208-211, il les proscrit comme 
une sorte d'adultère. Dans leZ)e monogamia (après 213), 
il se montre absolument intransigeant, et soutient que 
la nouvelle loi de l'Esprit a corrigé ici l'indulgence de 
l'Évangile (1, 2, 14). La mort même de l'un des époux 
ne rompt pas entre eux le lien conjugal, et le survivant 
qui se marie est toujours adultère (9).i 

L'Eglise ne suivit pas Tertullien dans cette voie. Les 
secondes noces furent sans doute et toujours interdites 
aux clercs ■*; mais elles restèrent permises aux laïcs ^. 
L'Église se préoccupa plutôt de parer, par des règle- 
ments, à l'immoralité ou aux inconvénients que pré- 
sentaient certains mariages, et de formuler déjà quel- 
ques empêchements au moins prohibants. Le cas le 
plus fréquent était celui d'une chrétienne épousant un 
infidèle. Les auteurs et les conciles sont unanimes à 
condamner ce genre d'unions^. Plus spécialement, le 
concile d'Elvire interdit aux chrétiennes d'épouser des 
hérétiques ou des Juifs (can. 16), et encore plus des 
prêtres païens (can. 17). Un veuf n'épousera pas sa 

i. Conc. d'Elvire, canon 65. C'est que le clerc était alors coupable de 
digaaiie. 

2. Ad uxorem, II, 4. 

3. Adv. Marc, I, 9. 

4. El encore semble-t-il qu'on ne tînt pas toujours à cette règle, 
surtout telle qu'on l'entendait (Tertull., De monog., 12; S. Hippol., 
PMI., IX, 12). Était en effet considéré comme digame le clerc qui avait 
épousé une veuve ou une femme qui avait perdu sa virginité. 

6. Conc. d'Elvire, can. 72; cf. can. 61, 66. 

5. Tehtull., Ad uxor., II, 3, 7 ; S. Cypr., Testim.t m» 62; Cône. d'Elvire, 
can. 15; Conc. d'Arles, can. U. 



454 LA THÉOLOGIE ANTÉ.MCÉENNE. 

belle-sœur ni sa bru (can. 61, 66). Les patents qui au- 
ront fianeé leurs enfants tiendront leur engagement, à 
moins d'une faute très grave chez l'un des enfants ; et 
si les fiancés ont eu commerce ensemble, on ne les sé- 
parera plus (can. 54). 

Enfin, citons du même concile d'Elvire le très impor- 
tant canon S3, le plus ancien texte qui fasse aux clercs 
majeurs une obligation de la continence totale : « Pla- 
çait in toium prohibere episcopisy presbyteris et diaco- 
nibus vel omnibus clericis positis in ministerio abs-^ 
tinere se a coniugibus suis et non generare filios : 
guicumque vero fecerit ab honore clericatus extermi- 
netur ^ » La continence était sans doute observée par 
beaucoup d'évêques et de prêtres : toutefois, s'il leur 
était défendu de se marier après leur ordination 2, il ne 
leur était pas défendu d'user du mariage antérieur à 
cette ordination. Le concile fait un pas de plus et pro- 
hibe ce commerce ultérieur. Le sentiment commençait 
à se faire jour qui voyait une incompatibilité entre les 
relations conjugales et le service de l'autel. Notre troi- 
sième siècle latin, comme les précédents d'ailleurs, 
mettait bien au-dessus de l'état du mariage celui de la 
virginité et de la continence 3. Les prélats espagnols 
d'Elvire ne trouvèrent point exagéré d'imposer au 
clergé d'aspirer au meilleur et de le pratiquer. 

4. La rédaction du canon est défectueuse; mais on voit ce qu'il veut 
dire. 

2. C'est un des reproches que les Philosophou7nena{lX, 12) font à Cal- 
liste de ne pas déposer les clercs qui se marient après leur ordination. 

3. Voir par exemple Tertull., Ad uxor., 1, 3 : S. Cypr., De hahilu vir- 
ginum; Lactakce, Insiit., Yl, 24, 37, et l'ouvrage anonyme De bonopudi- 
ciliae (Hartel, III). 



LA THÉOLOGIE LATINE AU lll» SIÈCLE. 455 



S 9. —Eschatologie'. 

Faisant suite à celle du ii^ siècle, l'eschatologie cliré- 
tienne latine du m® siècle continua de présenter, comme 
•elle, à côté de doctrines vraiment traditionnelles et uni- 
versellement acceptées, certaines vues exubérantes, 
que les auteurs postérieurs négligèrent ou même que 
l'Église condamna; mais qui, cliose remarquable, se 
rencontrent surtout chez les écrivains de moins d'au- 
torité. A ce point de vue, on pourrait partager en trois 
catégories les auteurs dont nous devons ici exposer 
l'enseignement. Saint Cyprien est absolument sobre et 
réservé : il s'en tient à la croyance certaine. Saint ilip- 
polyte et TertuUien s'avancent un peu plus loin : quel- 
ques-unes deleurs spéculations sont moins sûres. Enfin, 
dans Commodien, Lactance et Victorin de Pettau on 
trouve largement représentés le rêve millénariste et 
certaines traditions populaires sans garanties sé- 
rieuses. 

Les âmes, à la sortie du corps, subissent toutes un 
premier jugement. Bien qu'aucun de nos auteurs ne le 
signale expressément, il est cependant la condition 
nécessaire de la différence du sort qui est fait, après la 
mort, aux âmes des impies et à celles des justes, et 
que tous admettent. 

Saint Cyprien enseigne que ce sort est fixé immé- 
diatement, et qu'immédiatement aussi -^ sauf l'excep- 
tion du purgatoire — les élus entrent en possession de 
leur bonheur, et les réprouvés subissent leur châtiment 
définitif 2. Il n'a pas connu les siècles d'attente imposés 



d. Voir ici L. Atzberger, Geschichte âer christlichen Eschatologie, in- 
nerhalb der vornicaenischen Zeit, Freiburg im Br., 1898. 
2. Depatientia, 10; Demortal., 20, 26-, Epist. LYin, 3; LXXVI, 7, Cela 



456 LA THEOLOGIE ANTENICÉENNE. 

OU accordés aux uns et aux autres jusqu'au jugement 
général. TertuUien et l'auteur des Actes de sainte Per- 
pétue croient aussi que les martyrs entrent immédiate- 
ment au ciel ^ . Mais en dehors de là, nos auteurs pen- 
sent généralement qu'au sortir du corps, les âmes vont 
dans un lieu souterrain, aor,?, infèvnus, comprenant-trois 
parties : une inférieure, l'enfer proprement dit où des- 
cendront les réprouvés à la fin des temps ; deux supé- 
rieures, séparées l'une de l'autre. La première est des- 
tinée aux justes : c'est « le sein d'Abraham », où ils 
goûtent les prémices de leur félicité future; la seconde 
est la prison provisoire des réprouvés où ils commencent 
à subir leur châtiment : « Supplicia iam illic et refrige- 
ria »; « futuri iudicii praeiudicia sentientes ». Les uns 
et les autres attendent la résurrection de leur corps et 
le jugement dernier qui les précipitera dans l'enfer ou 
les fera entrer au cieP. 

Cependant, il est des élus qui, tout en étant en grâce 
avec Dieu, ont conservé des dettes envers sa justice et 
ontbesoin de purification. Ceux-là, remarque TertuUien, 
devront payer leur dette « usque ad novissimum qua- 
drantem », c'est-à-dire racheter, par un retard de leur 
résurrection, mêmeleursraoindrespéchés^. C'est, dans 
son fond, la doctrine du purgatoire. Absente de ce qui 
reste des œuvres de saint Hippoiyte, elle se retrouve 



nerempêche pas d'admettre une rétribution plus complète après la résur- 
rection des corps et à la On du monde (i)epa(ten<îa, 24; De hah.virg., 
17; De domin. orat., 32). 

1. Tertull., De anima, 55; ActaSS. Perpet. etFelicit., 11, 12. 

2. Les descriptions sont plus ou moins complètes ou diffèrent un peu. 
Tertull., De anima, 5S; Adv. Marc, IV, 34; S. Hippoh., Adv. Graecos, 
1 (P. G., X, 796-800, ou mieux K. Holl, Texte und Unters., XX, 2, 1899, 
p. 137-143) ; NovATiEN, De trinit., 1 ; Commodien, Instr., I, 27, 9; 1, 24, 19-20; 
Lactance, Instit., VU, 21, col. 802, 803 ; cf. IH, 29, 16; ViCTORiN, P. L., V, 
p. 3-29, 330. 

3. a Novissimum quadrantem modicum quoque delictuna mora resur- 
rectionis illic luendum interpretamur • (De anma, 58). Voir aussi »6id.. 
33 ; Adv. Marc, III, 25 ; De resurrect. carnis, 43. 



LA THEOLOGIE LATINE AU IIP SIECLE. 457 

dans saint Cyprien ^ et, sous la forme d'une vision gra- 
cieuse, dans les Actes de sainte Perpétue^. Mais là 
même où elle n'est pas expressément formulée, elle est 
supposée par l'usage de la prière pour les morts que 
mentionnent plusieurs de nos documents ^. 

On paraît avoir été généralement convaincu, au 
iii"^ siècle, que la fin du monde n'était pas éloignée. 
Suivant un allégorisme fort répandu, les six jours de 
la création représentaient les six mille ans que l'uni- 
vers devait durer. Jésus-Christ étant né environ en 
l'an 5500 de la création du monde, celui-ci ne devait 
pas aller au delà de deux ou trois cents ans"*. Sa fin 
sera annoncée par des bouleversements et des signes 
divers^. Élie et Jérémie reparaîtront sur la terre afin 
de raffermir la foi chancelante ^. De son côté, l'anté- 
christ, en qui plusieurs voyaient Néron ressuscité'', 
viendra faire la guerre aux saints, et perdre les âmes 
par sa tyrannie^. Il faudra que le Fils de l'homme des- 
cende pour vaincre l'impie. 

1, Epist. LV, 20 : « Allud est ad veniam stare, aliud ad gloriam perve- 
nire, aliud missum in carcerem non exire inde donec solvat novisst- 
mum quadrantem, aliud stalimfidei et virtutis accipere mercedem, aliud 
pro peccatis longo dolore cruciatum emundari et purgari diu igné, aliud 
peccata omnia passione purgasse, aliud deniquc pendere in die iudicii 
ad sententiam Domini, aliud statlm a Domino coronari. > 

2. Acla, 7, 8. La sainte ■voit son jeune frère Dinocrate, mort depuis 
quelque temps, d'abord hâve, triste, incapable de puiser dans un bas. 
sin l'eau qui pourrait calmer sa soif. Elle prie et se lamente pour lui; 
et elle le revoit joyeux, guéri, bien vêtu et buvant à satiété à l'eau du 
bassin. « Et intellexi translatum eum esse de poena. > 

3, Tertull., De anima, 51 ; Demonog.,\(i\ Acta S. Perpet., 7-, S. Gypr., 
Epist. I, 2; XXXIX, 3; Aknobe, IV, 36. 

4. S. HippOL., In Daniel., IY,23, 24; Commomen, Instr., I, 33, 6; II, 39, 
8; Lactance, Instit., VII, 14; 25; Victori\., col. 309. Cf. Tertull., ApoL, 
32; De cultu fem., 9; De monog., 7; De pudic, i ; S. Cypr., Quod idola^ 
H ; De mortal., 2, 23 ; De cath. eccl. un., 15 ; Epist. LYIIl, 2, etc. 

o. Voir par exemple Lactance, Instit*, Vil, 15. 

6. VICTORIN, col. 330, 334, 337. 

7. CoMMODiEN, Instr., 1, 41, 7 et sulv.; Carm. apol., vers 823 et suiv;^; 
VicTORiN, col. 338. Ce détail se trouve déjà dans les Livres sibyllins, 
IV, 117-12*; 137-139; cf. V, 93. 

8. Le personnage de l'antéchrist est biblique, et se retrouve par con- 

26 



458 LA. THEOLOGIE ANTEiN'IÇEENNE. 

Ici s'intercale le milteni.um. Conabattiie à Rome par 
le prêtre Caïus, méconnue par saint Hippolyte, Nova- 
tien, saint Cyprien, l'opinion qui attribue à Jésus- 
Christ, avant le jugement dernier, un règne de mille ans 
sur la terre en compagnie des éjus est acceptée de 
Tertullien, Commodien, Lactance, Victorin. Les trois 
derniers surtout en parlent en détail. L'antéchrist ou 
même les deux antéchrists vaincus ^ et leurs parti- 
sans en majorité détruits, une première résurrection 
et un premier jugement auront lieu, ne comprenant 
ni les idolâtres ni les impies notoires, c'est-rà-dire les 
renégats, mais uniquement ceux qui auront connu et 
professé la religion du vrai Dieu. Dieu les jugera par 
le feu : ils le traverseront tous; toutefois, les parfaits 
n'en souffriront point. Les pécheurs punis iront rejoins 
dre les impies, afin de souffrir avec eux dans les mêmes 
ténèbres. Quant aux élus, leur première récompense 
sera un règne de mille ans, avec le Christ, dans une 
Jérusalem renouvelée, règne dont on nous fait une des- 
cription toute réaliste. Passé cette période, le démon, 
qui avait été lié, sera de nouveau rendu à la liberté, 
et de nouveau soulèvera contre les justes ce qui est 
resté d'idolâtres. Dieu lui-même exterminera ces enne- 
mis de son nom ; et alors aura lieu pour les iniusti, 
c'est-à-dire pour les infidèles et les apostats, la résur- 
rection 2. 



Béquent chez lous. Cf. S. Cyprieî;, pour qui les hérétiques et les sctiis- 
maliques sont déjà la Ogure de l'antéchrist (fîpisi. JAIX, 1, 10, i\, 16, 
etc.), et pour qui l'antéclirist est essentiellement la contre-partie de 
Jétus-Christ {Epist.lXU, 2; LXXIV, 8); S. Hippol., De AniîcAr., YII, VIII, 
).; In Daniel., IV, 21; Lactakce, Instit,., YII, 17. 

i. Commodien et Lactance admettent en effet deux ppinces snço^a- 
sifs, ennemis de Jésus-Glirist (Carm. ci3oJ.,887etsuiv. ;Jns/i7.,vil,16, 17). 

2. L'exposé est fait surtout d'après Lactance, Instit., VII, 21, 22, 24, 26, 
(jui offre plus de précision et de suite. Voir Cojimqdien, Instr., II, i ; 
.S; 39; Carm. apoL, 941 et suiv, ; 979 et suiv, ; Y<CTQjtijr, çoJ. 3^0, SiJ ; 
liAussLF.iTER, p. lOo-lOS; pour Teutullies, voir Adv. Marc, III, 24; cf. 
Le anima, 53, SS; De spectac, 30. 



LA THîiOLGGIÈ LATINE AU IIÏ" SIÈCLE. 459 

Revenons au dogme. Celui de là réëutrectidn des 
corps est uniVèrSèlleniént enseigné et défendu contre 
les païens èl les gnostiquèS ^ . Tertullien lui â consacré 
deux traités, lé De carne Christij qui en établit le 
fondement, et le De resurrêctione Garnis. Cette résur- 
rection est nécessaire pour que l'homme soit récom- 
pensé où puni non pas seulement de ses intentions et 
dispositions intérieures, mais aussi de êès âctéë exté- 
rieurs et effectifs^. Aussi Sera-ce la cbàir même que 
nous aurons eue ici-bas qui ressuscitera avec ses Or- 
ganes et ses miémbres : « Resurgét igîtur caro, et 
quidem omnis, et quidem ipsa, et quidem intégra^. » 
Seulement, tandis que les corps des élus, tout en con- 
servant leur substance, deviendront sans défauts, im 
passibles, immortels, glorieux, semblables aux anges 
[demutatio), ceux des réprouvés conserveront leurs 
laideurs, leurs infirmités et leurs misères''. 

Suivra le jugement dernier, réservé à JésuS'^Ghrist, 
jugement qui confirmera et complétera la sentence du 
jugement particulier 5. Les réprouvés seront précipités 
dans l'enfer, dans la gêlienne. Les tourments qu'ils 
y subiront soUt représentés de diverses façons. Ce sont 
des ténèbres, des bourbiers sans fond, la rupture des 
membres sur la roue; c'est la faim et la soiî; c'est sur- 
tout le feu, flamma poenalisj inextinguihiles ignés''. 



1. s. HippoL., De Àntichr., LXY; In Daniel., II, 28; ÏV, 86; Noyatien, 
De Trîn., 10; S. Cypr., De domin. orat., 13; De mortal., 21; De hab. virg., 
il, etc. 

à. TERTtJLt., De resufr. carnis, 17. 

3. Tèrtcll., De t'csSurr. carnis, 63; cf. !i6, 60. 

4. S. HippOL., De resurrêctione (AchelIs, tôtn. 1,^, p. 254) ; Adv. Graècos, 
2, COI. 800; TertOLl., De resurr. carn., 57, 58, 6'2. 

5. S. HipPOL., De Antichr., LXIV; Tertull., De spect., 30; S. Cypr., De 
domin. ûrat, 23, â4, 32; Aà Demetr., 15, etc.; CoîIhodien, J>»s/r., H, 4; 
Lactance, Inslit., VII, 26; Victorik, col. 317, 321. 

6. S. HippoL., Adv. Graecos, 3, col. 801 ; Ti:\\.fvtt.,Apol., 48; De spectac, 
30; S. Cypr., De morlal., 14; Epist. II, 2; XXX, 7; LYIII, 10; LIX, 3; 
Arnobe, II, 14, 30; Commodien, Carm. apotog., 986. On trouve dans Ter- 



460 LA THÉOLOGIE ANTÉNICÉENNE. 

Les damnés y brûleront éternellement, car ce feu, tout 
en les dévorant, leur conférera l'immortalité : « in 
poena aeque ingis ignis, habentes ex ipsa natura eius 
divinamadministrationem immortalitatis * ». 11 les brû- 
lera et les refera : « et cremabit impios et recreabit^ ». 
Si l'on excepte Arnobe, que sa doctrine erronée sur 
la nature de l'âme a conduit à méconnaître l'éternité 
des peines (ii, 12, 33, 64), ce dogme est universelle- 
ment professé et enseigné. On pourrait multiplier les 
citations^. 

Quant aux justes, ils recevront une récompense p^- 
portionnée à leur mérite "'. Cette récompense sera le 
paradis, le royaume des cieux, « perpetuum praemium 
regni caelestis, refrigerium, aeternae sedes, convi- 
vium caeleste, gloria sempiterna, futura laelitia'' ». 
Saint Cyprien représente souvent l'entrée du chrétien 
au ciel comme un retour au paradis terrestre d'où 
l'homme a été exilé ^. L'élément principal de son bon- 
heur est la vue de Dieu et de Jésus-Christ'. « Perve- 
nire ad videndum Deum potes, dum Deum moribus 
et operibus promereris », écrit saint Cyprien^. Et de 
fait, il enseigne que les martyrs voient Dieu^, bien 
plus qu'ils jouissent des embrassements et du baiser 
du Seigneur [complexus et osculum Domint) auxquels 

TULLiEN, JDe spectac, 30 et dans le De laude marlyrii anonyme (iurtel, 
IIï) une description réaliste des tourments de l'enfer. 

\. Tertull., Apolog., 48. 

i. Lactance, Instit., Vif, 21 ; 26; V, 18. 

3. Outre les passages mentionnés, voir encore S. Cypr., Ad Demelr., 
9, 24; De mortal., 14; Decath. eccl. unit., 26; De lapsis, 7; Epist. LIX, 
13; LXXVI, 5; Lactasce, Instit., 1, 11; 19; IV, 1, 3; 4, 8; 25, 9, etc. 

h. S. Cyi'r,, De domin. orat., 23 ; De patientia, 4. 

3. S. Cypr., De opère et eleem., 21, 24; Epist. VI, 2; De mortal., 8, 
15, 22. 

G. Ad Demetr., 26; De opère et eleem., 22; De zelo, 18; Epi$t. LXXîII, 
10. 

7. S. Cypr., De mortal., S. 

8. De opère et eleem., 14. 

9. Epî'st. VI, 1, cf. 4; XXXVII, 3. 



LA THEOLOGIE LATINE AU III» SIECLE. 461 

nous devons aussi aspirera Comme la peine des mé- 
chants, ce bonheur des élus sera, bien entendu, éter- 
nel : il ne connaîtra pas de déclin 2. 

Telle est la doctrine des fins dernières que profes- 
sait le troisième siècle latin. Cette doctrine comprend, 
chez quelques auteurs, des éléments d'un archaïsme 
prononcé, et dont l'Eglise officielle se détournait déjà. 
En revanche, elle maintenait très fermement le dogme 
de la cessation de l'épreuve humaine à la mort et de 
l'éternité des peines qu'Origène et son école tendaient 
à oublier. 

i. Epist. XXXVII, 3. Cf. Acta SS. Perpet. et Pelic, 12 : « Introivimus 
cum admiratione et stetimus ante thronum, et quattuor angeli suble- 
vaverunt nos, et oscuiati sumus illum (Christum), et de manu sua 
traiecit nobis in fîiciem. » 

2. S. HiPPOL., De Antichr., LXYI; Adv. Graecos, 3, col. 801; Tertull., 
ApoL, 48; Arkpbe, II, C-2; Lactaxce, In$lit., VU, 26. 



.26. 



CHAPITRE XIII 



LfeS HERESiES OUIENTÀLF.S DE LA FIN DU 111° SIECLE. 



SI. — L'adoptiànisme de Paul dé Saïaaosatei. 

Avant de montrer comment l'œuvre d'Origène fut 
continuée après lui, et de faire un exposé synthétique 
de la théologie grecque depuis 250 environ jusqu'au 
concile de Nicée, il ne sera pas inutile de signaler les 
deux erreurs principales qui troublèrent l'Orient pen- 
dant cette période, l'adoptianisme de Paul de Samosate 
et le manichéisme. 

Paul de Samosate est connu surtout par VHistoire 
ecclésiastique d'Eusèbe (vir, 27-30). Elu vers 260 envi- 
ron comme successeur de Demetrianus sur le siège 
d'Antioche, il y donna bientôt, avec le scandale d'une 

1. Sources : Au premier rang, les fragments soit des écrits de Paul 
lui-même, soit du compte rendu de sa discussion avec Malchion, soit 
de la lettre synodale du concile d'Antioche qui le condamna, tous 
rassemblés dans Uoctii, Reliquiao sacrae, i" édit., ni, 286-307. Voir un 
autre fragment de la Disput'Uio dans Pitka, Analecta sacra, in, 600, 
601, et cf. Harnack, Lehrb. der DG-, I, p. 728, note l. — Au second rang, 
les renseignements qui nous sont fournis par les écrivains du iv" siè 
cle^ EusÈBEjHîsî. eccJ., VII, 27-30; S- Athasase, De synodis, 26. 43, 45, 51 ; 
Orat. contra Arian., II, 43; l'auteur (Didyme probablement) du Contra 
ApoUînarium, II, 3; S. HiLAmE, De synodis, 81, 86; S. Grégoire de Nysse, 
Antirrhetic. contra ApolL, IX; S. Basile, Epist. LU: S. Èpiphane, iTacr. 
LXV. — Travaux : A. Héville, La Chrislologie de Paul de Samosate, 
Biblioth. des Hautes Études, section des sciences religieuses, VU, Paris, 
1896. G. Bardt, Paul de Samosate, Louvain et Paris, 1923, 

/i68 



PAUL DE SaMOSATE. LE MANICHÉISME. 463 

fausse doctrine, celui d'une viie toute mondaine et d'un 
caractère hautain et violent. Trois conciles se réunirent 
contre lui à Antioche de 263 à 268. Les deux premiers, 
présidés par Firmilien de Césaree, restèrent sans 
résultat. Le troisième, tenu en 267 ou 268, excom- 
munia l'hérétique, et informa de sa sentence le pape 
et la catholicité par une lettre dont il est resté 
des fragments. Le principal auteur de la défaite de 
Paul dans cette dernière affaire fut un certain Mal- 
chion, ancien chef de l'école des sophistes, et prêtre 
alors derÉgiise d'Antioche, qui déjoua ses manœuvres 
et mit à nu ses erreurs. Paul, déposé, parvint cepen- 
dant à se maintenir en possession des bâtiments de 
l'Église, grâce à l'appui de la reine de Palmyre, Zé- 
nobie. En 272, sous Aurélien, il en fut définitivement 
chassé. 

Sa doctrine, sur laquelle nous sommés bien rensei- 
gnés, n'était que l'adoptianisme de Théodote et d'Ar- 
témon savamment présenté. Elle se résume en ceci : 
11 n'y a en Dieu qu'une seule personne (TtpocftûTrov ev *) ; 
en lui toutefois on peut distinguer une raison (Xo'yoç) et 
une sagesse (croçi'a). Cette raison et cette sagesse 
n'ont pas de subsistance propre : ce sont de simples 
facultés ou attributs (àvuTroffraToç) ^. Dieu, sans doute, 
profère de toute éternité son Verbe; il l'engendre, si 
on veut, et ainsi on peut appeler le Verbe Fils; mais 
le Verbe n'en reste pas moins impersonnel, comme 
la parole humaine^. 

Ce Verbe cependant, cette raison divine a agi dans 
Moyse, dans les prophètes, mais surtout et d'une 
manière toute singulière dans le fils de David'', en 



4. S. ÉPiPHANE, Haer. LXV, 3. 

2. S. ÉPiPDAîiE, Haer. LXV, 1, S. 

B. RouTH, l. c., 300 ; S. Épiphake, {. c, 3, 

4. ROOTH, 1. 1., 301, 311. 



464 LA THEOLOGIE ANTENIOEENNE. 

Jésus, né de la Vierge par l'opération du Saint-Es- 
prit ^ Jésus n'est qu'un homme" : il est « d'en bas » 
(xotTOiôev) 3, mais le Verbe l'a inspiré d'en haut (Iv auxw 
evÉTTVEuciev «vwOsv ô Xû'yoç) •*, et en l'inspirant il s'est uni à 
lui : union de pure action extérieure (s^toôev) ^, ou, si 
l'on préfère, d'habitation, le Logos impersonnel étant 
contenu en Jésus comme dans un temple (wç Iv vaw) <*, 
union qui est une simple auvD.euaiç'^, qui ne fait 
pas que Jésus soit Dieu en personne (aXXo; yap t'^tiv 
'Irjaouç XpiffTOç xal aXXo; b Xo'yoç) '', qui ne donne pas non 
plus au Verbe la personnalité qui lui manque, car il 
n'est pas une essence subsistant dans un corps (oùcrta 
oùffiwtjLÉvrj £v ffojfxaTt) ', mais seulement la raison de 
Dieu dont les lumières sont communiquées au jSls de 
Marie xa-à (j-aOriUiv xat u.eTou«Jiav — xaxà TuoioxviTa *°. 

Toutefois, grâce à cette communication, Jésus est un 
être unique et hors de pair ^K Oint par le Saint-Esprit 
dans son baptême, il a atteint la perfection morale^ 2. gon 
amour de Dieu est sans défaillance, sa volonté impec- 
cable, excellence bien supérieure, remarque Paul, à 
celle qui lui viendrait de la nature. En récompense de 
cette rectitude. Dieu lui a accordé le pouvoir de faire 
des miracles. Jésus-Christ triomphe du péché non 
seulement en lui, mais en nous : il nous rachète et 

1. ROCTH, l. c, 300. 

2. s. Épiphake, Le, 7; cf. i el Edsè»e, Jïisf. eccî., VU, 27, 2. 

.3. EUSKBE, Hist. eccL, VU, 30, 11, et cf. Vil, 27, 2; S. ÉPiPiiAHE, {. C, 7. 
A. S. ÉpiPHANE, l.c, 7; Contra Apollinar., H, 3. 

5. ROUTH, l. C, 311. 

0. KoUTii, l. c, 301; S. Épiphane, l. C, 1. 

7. r.ocTll, l. c. 32i. 

8. r.oL'TH, t. c, 301, et cf. 312; cf. Saint Épiphane, l.c.,T. 

9. ROUTH, L c, 312, 302. 

10. Roi:th, l. C, 311, 312. 

11. Paul parlait même d'une différence de constitution entre Jé»u»- 
Clirisl et nous (Routii, l. c, 311). 

12. Voir, pour ce qui suit, les fragments des Discours de Paul à Sabi- 
niis dans Rodtii, L c, 329, ou mieu'c dans F. Diekamp, Doclrina Palrum 
ae incarnat ione Verbi, Munster in W., 1907, p. 303 et suit. 



PAUL DE SAilOSATE. LE MANICHEISME. 465 

nous sauve, en même temps qu'il rend indissoluble son 
union avec Dieu. 

Alors se produit son apothéose. La pureté de sa 
vie aussi bien que ses souffrances lui valent un nom 
au-dessus de tout nom^; il est établi juge des vivants 
et des morts, revêtu de la dignité divine, si bien que 
nous pouvons l'appeler « Dieu né d'une vierge, Dieu 
manifesté de Nazareth », ôeov ex t9)<; TuapOévou, ôeov Ix 

Et c'est dans un sens analogue que nous pouvons 
parler aussi de sa préexistence : car Jésus ne préexis- 
tait point substantiellement et personnellement à sa 
naissance (oùat'a xal bitoa-zoLCii) ; mais il avait été prévu 
et prédestiné par Dieu, annoncé et prédit par les pro- 
phètes, et ainsi il existait d'une certaine façon dans 
les desseins de Dieu et les oracles qui l'annonçaient : 
TM [xèv Trpoopiff(ji.5) Ttpo altoviov ovTa ^. 

Tel est en résumé le système de Paul : nous recon- 
naissons sans peine l'adoptianisme. Entre les idées 
qui s'y font jour, il faut remarquer celle de la va- 
leur des actes personnels opposée à l'excellence ré- 
sultant de la seule nature. Ce qui vient de la nature 
n'a rien de méritoire ni de supérieur : c'est l'effort de 
la volonté, le mérite personnel qui fait la vraie gran- 
deur. Jésus n'est pas Dieu par nature : il est mieux 
que cela ; il l'est devenu par sa vertu. D'autre part, le 
système, par sa façon d'expliquer l'union de l'homme 
et du Verbe, préludait au nestorianisme. Les adver- 
saires de Paul l'aperçurent très bien, et cela lui valut 
d'être souvent nommé — et anathématisé — dans les 
controverses christologiques postérieures. 



1. Fragm. 3 à Sabinus. 

'i. Contra ApoUinarium, II, Z; cf. S. Grégoire de Nysse, Antirrht- 
ticon. IX ; S. Atuanask, De synodis, «», 26, lY. 
3. Contra Apollinar., II, 3. 



466 LÀ. THÉOLOGIE ANTÉNICËËNTSE. 

Les évèquès dû «ôncilé d'Aritiôôhe îjoûdàmnèï'ent 
cette façon de voir. Les fragments de leur lettre syno- 
dale conservés par Eusèbe ne touchent malheureuse- 
ment que fort peu au côté dogmatique de là question ^ . 
En revanche, un incident dé cette condamnation nous 
est connu, dont on né parla cpié plus tard, mais qui 
est du plus haut intérêt. Les semi-ariens réunis à 
Ancyre en 358 objectèrent à l'acceptation du mot 
ô;jLoou(iio; que le terme avait été repoussé pat lés Pères 
qui excommunièrent Paul dé Samosàté, comme ne 
convenant pas pour exprimer les rapports du Fils et 
du Père. Saint Athanase [De sijnodisy 43, 45), Saint Ba- 
sile {Epist. m, 1) et saint Hilaire [De spnodis, 81, 86) 
qui ont rapporté l'objection, ne semblent pas mettre 
en doute le fait allégué : ils prétendent seulement que 
les évêques du concile d'Antioche n'entendirent pas le 
terme ôaoouffioç dans le même ééns que les Pères de 
Nicée. D'après saint Athanase et saint Basile, Paul 
aurait fait à la divinité essentielle de Jésus- Christ 
l'objection suivante : Si Jésus-Christ n'est pas, 
d'homme qu'il était, devenu Dieu, il est ô{xoo^aic(; tw 
«arpt, et dès lors le Père et le Fils dérivent d'une 
même substance, antérieure à eux î c'est-à-dire, 
comme l'explique saint Hilaire, pour que Jésus-Christ 
soit SuLoouffioç au Père, il faut que Ce qu'il y a de divi- 
nité en lui soit quelque chose d'impersonnel, qui ne 
soit pas une autre ouoCa (dans le sens de personne, 
de subsistance) que le Père, autrement nous devrions 
les considérer l'un et l'autre comme dérivant d'une 
ou<Tis première à laquelle ils participeraient. Dan s ce rai- 
sonnement, oûffia équivalait, suivant la pensée de Pàul, 

1. Une autre leUre qui aurait été écrite par six évêques présents au 
concile, et que nous avons encore (RouTir, l. c, 289 suiv.), contient au 
contraire sur la divinité de Jéstts-Chrisl et contre les erreurs de Paul 
une profession de foi détaillée et documentée. Mais son authenlicitd 
est fort douteuse. 



PAUL DJE SAJVWSATE, Lp l^AÇ^IÇiJÉIgl^E. 467 

à &7roffTflKJK, et le ooncile rejeta ri^^Aoçuçioç ainsi entendu. 
Cette explication est plausible, cl'autant plus que les 
mots QÙçtof et ôjrQ(jT«ffiç ne reçurent que pliis tar(i leur 
significatioii trancliée et exclusive. 

Par l'intePiné^idre de Paul de Sampsçtte et de 
son contemporain, Lucien çt'Ar^tioclie, radoptianisjne 
rejoint rarianisme, Celiji-ci re^ieiidra l'idée fonda- 
mentale de la nen- divinité de JésusnChrist, mais il tran- 
sigera sur la personnalité du Logps, don^i il fera un être 
supérieur incarné e© Jésus, 



$2. — Le manichéisme ^ 

Le manichéisme n'est pas im systèpie chrétien ni 
proprement une hérésie, et il n'aurait aucun titre ^ 
une place dans une histoire des dogmes, sans les em-r 
prunts qu'il fit plus tard au christianisme et les nom- 

1. Sources : On a divisé en deux grandes catégories les sources qui 
peuvent servir à l'histoire de la doctrine manichéenne : les saurcei 
orientales et les sources grecques et latines. I. Les sources orientales, 
plus importantes, comprennent elles-mêmes : 1» Les sources mahomèla- 
nes : KiTAB-AL-FiumsT (vers 980), édit. G. Fluegel, Leipzig, 1871-72. Suaukast 
TANi (xii" siècle), Kitab-a.l-milal wan nuhal, édit. Qhreton, traduct. Tu, 
BxiRmi2C]^%R,Shahv<istani's Religions partheienundPhilosophenschulen^ 
Halle, 18oO-18Sl. G. Aboulfaradje (f 1286), Historia orientalis, édit. Po- 
cocke, Oxonlae, 1663-1672. Les renseignenients et extraits donnés par 
Tabari (x« siècle), Al-Biuunî (xi" siècle) et les autres. — 2" Les sources 
chrétiennes : S. Éphrem, surtout S. Ephraemi syri,.. opéra selecla, éd. 
OvEiiBEÇK, Oxford, 1863. EssiR, Uéfutat.iqn des diff'éretiles seçlçs, trad. 
par Le Vaillant de Florival, Paris, 1833. Eutychius, Chronique, édit. Po- 
cocke, Oxford, 16-28. TnÉODORE BARKosf, Éskolion (édit. Pogxon, Inscrip- 
tions mandaîtes, Paris, 1899), du ix" siècle, rr^ II, Sources grecques et 
latines ; Euspni:, Htst. eccl., \IJ, 31, Hegempkius, ÀctaArchelai (éd, Ç. H. 
Beesox, et P. G., X).Les réfutations signalées plus loin; les béréséolo- 
gistes, surtout S. Èpipux^e,- Ilaer. LXVI, et S. lExa Damascène, De haere- 
sibus, Dialogus contra Manichaeos ; 'Ç^OTivi, Biblioth., çod. 179; enGn 
les traités de S. Aur.rsTiN contre les manichéens. —Travaux : Beawso- 
RKK, Histoire critique de Manichèç et du Manichéisme, Amsterdam, 
i73i. Fluegel, Mani seine Lehre und seine Sçhriften, Leipzig, 1862. K. 
Kkssler, Mani, Forscùiungen ûber die manichqçisçhe Religion, BerliQ, 
.1389. F. B.0CH4T, SsM9i sur Md^i ej sa, doctrine, Çeftève, 1897. 



468 L.\ THÉOLOGIE ANTÉNICEENNE. 

breuses réfutations dont il fut l'objet de la parf des 
écrivains ecclésiastiques. 

11 est né en Orient, et a tiré exclusivement du paga- 
nisme ses doctrines fondamentales. Il dérive de la 
vieille religion naturaliste babylonienne et chaldéenne 
complétée par des éléments pris du parsisme et du 
mandaïsme. Or le mandaïsme était peut-être relié à 
l'elkasaïsme : certaines pratiques et idées chrétiennes y 
avaient en tout cas pénétré, et l'on peut supposer que, 
par cette voie indirecte, quelque chose du chris- 
tianisme s'est, dès le principe, glissé dans le sys- 
tème de Mani. Je dis qu'on peut le supposer, car 
le fait lui-même n'est pas établi. Quant au boud- 
dhisme, Baur lui accordait jadis, dans la formation 
du manichéisme, une influence considérable; on est 
bien plutôt disposé actuellement à regarder cette in- 
fluence comme nulle. 

Il est difficile d'ailleurs, au milieu de la multiplicité 
et des divergences de nos sources, de se faire une idée 
complète et sûre de la vie et de l'enseignement de 
Mani. Les grandes lignes seulement peuvent prétendre 
à l'exactitude. Mani dut venir au monde à Mardinu, 
au sud de Ctésiphon, vers les années 215-216, et fut 
élevé dans la secte des mugthasila ou baptistes, à la- 
quelle son père s'était agrégé. Mais plus tard, il reçut 
des révélations particulières, et se mit, en 242, à prê- 
cher son propre système en Babylonie, en Perse, dans 
le Turkestan et même dans l'Inde. Une conspiration 
des mages le perdit. Le roi de Perse Bahram I le fît 
saisir et décapiter à Dschundisabur, vers 276-277 ^ 

1. Le Fihrist attribue à Mani sept principaux ouvrages dont on trouve 
aussi la trace ailleurs. Ce sont, en syriaque : 1* Le Livre des mystères, 
les MavtxaîouiJLUffT/ipiade saint Épiphane {Haer. LXVI, 13; Acta Arche- 
lai, 62); 2° Le Livre des Géants; 3» Le livre des Règles pour les auditeurs, 
identique probablement àr^lpfslu/a/undamentt de saint Augustin, etau 
Kcça).aî(ov ^iSXiov des Acta Archelai (62) et de saint Épiphane; 4* La 



PAUL DE SAMOSATE. LE MANICHÉISME. 469 

Mani semble bien avoir proposé lui-même un corps 
complet de doctrine. En voici les traits principaux : 

Le fondement du système est le dualisme : il y a de 
toute éternité deux principes, ou plutôt deux royaumes 
opposés, celui de la Lumière et celui des Ténèbres, La 
Lumière est le bien à la fois physique et moral ; les 
Ténèbres sont le mal. Le royaume de la Lumière est 
gouverné par le Roi du Paradis de Lumière, Dieu : le 
royaume des Ténèbres n'a pas d'abord de chef; mais 
de ses éléments sort bientôt Satan, le diable primitiL 
Lternellement ces royaumes sont juxtaposés par leurs 
parties inférieure et supérieure, mais ne se mêlent 
pas. 

La confusion entre eux vient de Satan. Il se revêt 
des cinq éléments des Ténèbres, la fumée, la com- 
bustion, l'obscurité, le vent chaud, le brouillard, et 
attaque le royaume de la Lumière. Dieu, pour lui résis- 
ter, produit d'abord un éon, la Mère de la vie, et avec 
elle l'Homme primitif, qui, équipé des cinq éléments 
purs — le souffle léger, le vent, la lumière, l'eau et le 
feu — doit défendre les frontières du royaume. Dans 
cette lutte, l'Homme primitif est vaincu et fait pri- 
sonnier. H est délivré par Dieu lui-même ; mais dans 
les étreintes de Satan, les éléments purs se sont mé- 
langés avec les éléments ténébreux. Entre la Lumière 
et les Ténèbres est apparue une matière mixte. 

C'est de cette matière mixte que Dieu forme le monde 
actuel, dans le but de dégager peu à peu les éléments 

lettre au roi Sapor, Schâppûrâkân; S° Le Livre de la vivification, le 
même probablement que le 6Y)aaupôçdesaintÉpiphane (fl'aer LXVI, 13 
Acla Archel., 62) ou le Thésaurus vitae d'autres auteurs; 6» Là IIpaY(/-a- 
TEÎa; 1° enfin, en persan, une sorte d'évangile que les manichéens 
opposaient dans la suite aux évangiles chrétiens [Acta Archel., 62). 
D'autres ouvrages ou lettres sont encore cités, et il est certain que la 
littérature manichéenne issue du maître ou de ses disciples fut con- 
sidérable. La guerre que lui fit l'Église l'a fait presque entièrement 
disparaître. 

L4 THÉOLOGIE ANTÉNICÉENNB. — T. I. 27 



470 LA THEOLOGIE ANÏENÏCEENXE. 

lumineux qui y sont renfermés, et de les ramener enfin 
dans le royaume de la Lumière. Le soleil et la lune 
sont les instruments de cette délivrance : l'homme 
cependant doit la préparer. Dans l'iiomme, en effet, 
Satan et ses anges, qui l'ont créé ou procréé, ont con- 
centré principalement les éléments de la Lumière, ils 
les ont emprisonnés dans son corps comme dans un 
cachot, et ils ont placé auprès de lui la femme, la 
séduction sensuelle incarnée, afin de perpétuer, par la 
génération, cet emprisonnement. L'homme est donc 
composé de bien et de mal, et de sa <5onduite dépend 
la délivrance plus ou moins prompte, plus ou moins 
complète de ce qu'il y a en lui et même dans le monde 
de pur et de saint. Aussi est-il continuellement sollicité 
en sens contraire par les démons et par les anges. 
Les premiers le poussent au vice, à l'idolâtrie; les 
seconds l'instruisent de sa vraie nature et le mettent 
en garde contre les sens. Les anges ont envoyé les 
prophètes de la vraie doctrine, peut-être Zoroastre, 
le Bouddha, Jésus, mais surtout Mani « le Guide, 
l'Ambassadeur de la Lumière, le Paraclet ». .En 
croyant à ses enseignements et en accomplissant ses 
préceptes, on peut efficacement travailler au dégage- 
ment des éléments lumineux enfermés en soi et dans 
le monde, et parvenir par conséquent au salut. 

Quels sont ces préceptes ? En .général, ils isont Vex- 
pression d'une morale dualiste comme la théorie qui 
la fonde et de tendance ascétique. Le principe est que 
l'on doit s'abstenir *de tout plaisir sensuel. Le ma- 
nichéen parfait porte trois sceaux : le sîgnaculum oris, 
qui lui interdit les aliments impurs — la chair des ani- 
niaux, le vin, etc. — et les paroles obscènes; le sîgna- 
culum manus, qui lui interdit de toucher à certains 
objets en qui sont contenus les éléments des Ténèbres; 
le sîgnaculum sînus, qui lui défend les rapports sexuels, 



PAT3L DE SAMOSAT*;. LE MAJSieflÉISME. 474 

et par conséquent le -mariage. A ces prohibitions s'xi- 
joute toute une série de prescriptions niinutieuses, des 
jeûnes fréquents, des prières à ^lieiipe fixe pkisiuurs 
fois le jour, des ablutions, etc. 

Un ascétisme si rigoureuxet des pratiques si mulii- 
plie'es ne pouvaient évidemment convenir à la masse 
des croyants manichéens, et auraient compriOmis fata- 
lement la diffusion de la secte. Aussi n'étaient-ils obli- 
gatoires que pour ceux d'entre eux qui voulaient être 
parfaits, pour les « Élus » ou « Véridiques j>. Ceux-là 
seuls poussaient le respect de la vie universelleijusqu'à 
ne pas couper une herbe et à ne pas cueillir eux-m-êmes 
un fruit. En compensation, ils étaient, pendant leur 
vie, l'objet de l'admiration et des soins empressés des 
« Auditeurs », et pouvaient, après leur mort, prétendre 
au retour immédiat dans le Paradis de L«:mière. Quant 
aux simples « Auditeurs », ils devaient garder les dix 
commandements de Mani, éviter l'idolâtrie, le men- 
songe, l'avarice, le meurtre, l'adultère, le vol, les 
mauvais enseignements, la magie, le doute religieux 
et la mollesse. Leur vie, en somme, .ressemblait à celle 
de tout le monde; mais aussi devaient-dls, après leur 
mort, passer par toute une série de purifications, avant 
de rejoindre les Elus au lieu de leur repos ' . 

Ces -deux catégories de fidèles correspondent assez 
bien, on le T^it, aux moines et aux séculiers ; mais on 
dehors et au-dessus d'elles, l'église manichéenne pos- 
sédait une hiérarchie qui se ea;lqua plus tard sur la 
hiérarchie chrétienne. A sa tête se da-ouvaient les Doc- 
teurs ou Maîtres, ayant eux-mêmes un éb.^ : ils étaient, 



1. Quant aux incrédules et aux oijinichéens pécheurs, ils devaient, 
après 1.1 mort, errer jusqu'à la fin du raonde, pour être jetés ensuite 
dans i'enfcr- — BfiHiargiions qu'en Ibatfi liyjiotlièse, il n'y avait jamais 
de salut pour Je corps. Lorsque tous les éléments de Lumière en avalent 
été retirés, il était abandonné aux Téfièbres é'en il venait. 



472 LA THÉOLOGIE AKTÉNlCÉEiSNE. 

d'après saint Augustin, au nombre de douze; puis ve- 
naient les Administrateurs (fils de la science) au nombre 
de soixante-douze, toujours d'après saint Augustin; 
puis les Anciens ou Presbytres correspondant aux 
prêtres. Il y eut même, dans la suite, des diacres et des 
missionnaires. 

Quant au culte des manichéens, il paraît d'abord 
être resté fort simple, et n'avoir compris que des prières, 
hymnes, et expressions extérieures d'adoration. On ne 
voyait chez eux ni temples, ni autels, ni images. Leur 
fête principale était celle de la Chaire (pî).".»), célébrée 
au mois de mars en l'honneur de la mort de Mani. Ils 
ne tardèrent pas cependant à adopter certaines fêtes 
chrétiennes, comme celle de la Pentecôte, et des rites 
analogues au baptême et à l'eucharistie. Il se mêla — 
ont dit quelques auteurs — à cette dernière cérémonie 
des pratiques obscènes et révoltantes qui altérèrent 
singulièrement la pureté de vie primitive que le fonda- 
teur avait voulu inculquer. 

Ainsi constitué, le manichéisme parvint à conquérir 
une expansion considérable. En Orient, la secte, d'a- 
bord exilée par les persécutions au delà de l'Oxus, re- 
vint en Perse vers 661, pour émigrer de nouveau à Sa- 
markand et dans la Sogdiane au x" siècle et pénétrer 
dans le Thibet, l'Inde et la Chine. D'un autre côté; on 
la trouve au iv® et au v^ siècle en Arménie et dans la 
Cappadoce. Les hérésies paulicienne à la fin du vu* 
siècle et iconoclaste au viu^ propagèrent encore son 
influence. Des colonies d'Arméniens manichéens, trans- 
portés en Europe par les empereurs iconoclastes, im- 
plantèrent l'erreur en Bulgarie, en Macédoine, dans 
la Thrace et dans l'Épire, et la développèrent au sein 
de l'Eglise grecque sous îes noms d'euchites, enthou- 
siastes ou bogomiles. De là elle se répandit, par le 
moyen des missionnaires, en Italie, en France, en 



PAUL DE SAMOSATE. LE MANïOHÉISMli:. 47» 

Allemagne et en Angleterre, et y devint le principe 
des hérésies cathares et albigeoises. . 

D'autre part, le manichéisme avait pénétré directe- 
ment dans l'empire romain vers l'an 280. Au iv^ siècle, 
il était florissant en Afrique, et l'on sait que saint Au- 
gustin en fut, pendant neuf ans, l'adepte. La secte s'y 
maintint malgré les édits meurtriers publiés contre elle 
par Valentinien en 372, par Théodose en 381, et par Ho- 
norius en 407, et de là atteignit l'Espagne, l'Aquitaine 
et la Gaule. A Rome, elle s'était établie dès le iv^ siècle. 
Elle s'y fortifia encore au siècle suivant, lorsque ar- 
riva en Italie le flot des émigrés africains fuyant de- 
vant les Vandales, et y persévéra jusqu'au vu® siècle 
sous saint Grégoire. Les manichéens latins 'purent 
ainsi attendre les frères qui devaient leur arriver de- 
l'empire grec, afin de travailler avec eux à l'œuvre de 
propagande dont nous avons parlé. 

Cette diffusion de l'erreur cependant ne se fit pas 
sans luttes, et les écrivains ecclésiastiques opposèrent 
au manichéisme des réfutations vigoureuses. L'auteur 
du Tractatiis de placUis Manichaeoriun\ Alexandre 
de Lycopolis, à la fin du m** ou au début du iv® siècle, 
n'est probablement pas chrétien; mais Sérapion de 
Thmuis (f v. 358)2, xitus de Bostra (f v. 374)3, Geor- 
ges de Laodicée peut-être (-f- après 360) '', saint Basile '', 
Didyme l'aveugle^, Diodore de Tarse '^ ont composé- 
contre les manichéens des ouvrages dont plusieurs se- 

1. p. G., XVIU, p. 412. 

2. p. G., XL. 

3. p. DE Lagarde, Tt(i Boslreni contra Manichaeos libvi quatuor sy-- 
riace, Berolini, 1839. 

4. C'est l'opinion de Draeseke. L'ouvrage est dans P. de Lagaude, op.. 
cit. 

5. L'ouvrage est perdu. V. Saint Augustin, Contra luUanum, l, 16, P. 
L., XLIV, 630. 

6. P. G., XXXIX, 1083 sqq. 

7. L'ou^rrage est perdu, mais mentionné par Piiotius, Bibliolh., cod. 
83. 



474 LA THÉOLOGIE ANTÉNIGÉEîfNEv 

sont conservés, en toutou en partie. Saint Aingùstin en 
a, à lui seul, écrit une douzaine environ. 

De ces réfutations; l'une des plus anciennes et sans 
doute la plus pcecieuse est l'opuscule mîîtvlê Actadis- 
putationis s&neli Archeiai cum Manete^ . HëraclTen de 
Ghalcédoine désigne comme son auteur un certain 
Hegemonius dont nous ne savons rien de phis'. Dans 
ces Acta les renseignements intéressants abondent, 
et peut-être y a-t-on incorporé des' documents de îa 
première heure.. L'ouvrage appartient à la première 
moitié o» au milieu du. iv' siècle. 

En dekors de ses arguments- contre le manichéisme, 
plusieurs auteurs ont relevé, dans sa christologiè, le 
ton nestarien du chapitre 60*. Mani reproche à Arche- 
laus de faire de Jésus le Fils de Dieu par adoption et 
non par nature : « Erg-© per profèctum filîus videbitur 
et non per naturam » (59). A quoi Archelaus répond 
en distinguant le fils de Marie du Christ de Dieu qui 
est descendu sur lui : 

« Est enim qui de Maria natua est fîlius, qui totunï hoc 
quod magnum est voluit perferre certamen, lesus. Hic- est 
Christus der qui descendit super eum qui de Maria est... 
Gum resurrexissetab inféris, ad'sumptus estiHuc ubi Chris- 
tus filiusdeiregnabat... Spiritum qui de eaelis descenderat, 
per quem vox paterna testatur dicens : Hic est (iliu& meus 
dilectus, nuUus alius portare praevaluit, nisi qui ex. Maria 
natus est, super omnes sanctos lesus. > 

1. Ed. Beeson (1906). On n'en a, sauf quelques fragments en grec, 
qu'une version latine, qu'une récente découverte permettrait de dater 
des environs de l'an 400. V. Habnacr, Geschichteder alichristL Liter., 
Die Chronologie, U, pp. 548, o49. 

2. Photics, Biblioth., cod. 85; cf. Harnack, loc eit. 

3. P. G., X, ch. 50. 



CHAPITRE XIV 



LA TirEOt.OGiE EW ORIENT DEPUIS LA MORT d'oRIGENÉ 

jusqu'au concile de NICÉE. 



% 1. Introduction patrologîque. 

Il devient difficile, après Otigène' et jasqu'aii concile 
de Nicée, de suivre en Opientle développement général 
de la théologie. QueMe qae soit ïa causer dés laciines 
que présente rhistoire- littéraire à cette époque, lés 
écrits qui nous ont été conservés sont relativement 
rares et pour la plupart mutilés. N©us en connaissons 
un bon nombre seulement par les citations des auteurs 
postérieurs, et de ces citations trop courtes- on ne sau^ 
rait tirer que des renseignements iricoinplets. 

Si l'on tient compte ae rattitude qu'ils- ont observée 
vis-à-vis d'Origène, on- peut distribuer eh trois classes 
les auteurs et docum.ents tliéologiquesde cette période. 

Viennent d'abord les successeurs et disciples cE'Ori- 
gène, fidèles à son esprit et à ses méthodes. Héraclas, 
qui lui succéda immédiatement, n'a péut-êÉré rien 
composé; mais ractivité littéraire de Denys, diTecteuF 
du DidaseaJéc; puis évèque d'Alexandrie (248-26B), après 
lïéraclas, fut considérable. Noble caractère, esprit cul- 
tivé, dé beaucoup d'autorité et de mesure, qui eut à 
dire son avis sur toutes les graves questions qui agi- 



476 LA. THEOLOGIE AÎSÏÉNICËENNE. 

tèrent l'Eglise de son temps, Denys, qu'Eusèbe a déjà 
surnommé le Grand, présente avec saint Cyprien plus 
d'un point de ressemblance. Malheureusement, la pos- 
térité s'est montrée moins attentive que pour l'évêque 
de Carthage à conserver ses écrits. Sauf une ou deux 
pièces, on n'en possède que des fragments ^ . Infiniment 
plus réduit encore est ce qui reste des Hypotyposes de 
Théognoste (vers 264-280) ^ et des discours ou >vOy°' 
dePierius (vers 280-310) ^. Sans les analyses dePhotius, 
ces ouvrages seraient demeurés presque totalement 
inconnus. 

Héraclas, Denys, Théognoste, Pierius continuèrent 
à Alexandrie les leçons d'Origène. D'autres, sans lui 
succéder, furent ses admirateurs ou restèrent ses dis- 
ciples. Parmi eux, il faut mettre l'égyptien Hiéracas 
(vers 300), le premier auteur ecclésiastique connu qui 
ait écrit en copte, mais dont la doctrine renfermait plus 
d'une singularité-*. Puis, en Palestine, le martyr Pam- 
phile (-}- 309), élève de Pierius, qui écrivit en cinq livres 

i. Patrol. grecque, X. Les fragments de la correspondance des deux 
Denys sont cites d'après l'édition de saint Athanase de P. G., XXV, XXVI. 
Mais on se servira plus (•ommodéiiiciit pour le tout de l'édition de 
Cii. L. Feltoe, The lelters and olher remains of Dionysius of Alexan- 
dria, Cambridge, dOOi. — Travaux : Dittiucii, Dionysius der Grosse vo7i 
Alexandrien, Freiburg im Br., 1867. P. Morize, Denys d'Alexandrie, 
Élude d'histoire religieuse, Paris, 1881. H. Hagemas^, Die rômische 
Kirche und ihr Einfluss auf Disziplin und Dogma in den ersten drei 
Jahrhunderten, Freiburg ira Br., 1S64, Tir. Foerster, De doctrina et 
senlentiis Dionysti magni, episc. Alexandrini, Berolini, 1863. J. BuiiEL, 
Denys d'Alexandrie, Paris, 1910. 

2. Fragments dans P. G., X, 235 sqq. ; Routh, Reliquiae sacrae, 2« édit., 
40S-422; auxquels il faut ajouter Fr. Diekamp. Ein neues Fragment aus 
den Hypolyposen des Alexandriner Theognoslus, dans la Theol. Quar- 
talschr., LXXXIV, 1902, pp. 481-494. Phoïius, Biblioth., cod. 103. —Tra- 
vaux : L. B. Radford, Three teachers of Alexandria, Theognostiis, 
Pierius and Peter, Cfunbridge, l!)Of». 

3. Fragments dans P. G., X, 241-243, et C. de Boon, Neue Fragmente 
des Papias, Hegesippus und Pierius, Texte und Untersuch., V, 2, Leip- 
zig, 1888. Cf. Harxack, Gesch. der altchr. Liler., Die Veberlief., 
pp. 439,440. Photius, BibL, cod. 119. Voir L. B. IIadford, cp. cit. 

4. Sources : S. Épiphane, Haer. LXVII; LXIX, 7; LV, S. S. Athanase, 
De synodis, IC. 



LA THÉOLOGIE EN ORIENT DE 250 A 318. HT 

une Apologie d'Origène qu'Eusèbe compléta, et dont 
le premier livre seul s'est conservé dans une traduc- 
tion de Rufin ^ . Puis, plus loin, en Cappadoce et dans 
le Pont, l'évêque Firmilien de Césarée (-|- 268), auditeur- 
passager d'Origène et correspondant de saint Cyprien^ ; 
et surtout saint Grégoire le Thaumaturge (vers 213— 
270/275)3. On sait que le panégyrique d'Origène pro- 
noncé par Grégoire quittant l'école de Césarée est une 
des meilleures sources pour connaître la méthode du 
maître. Grégoire semblait devoir être un philosophe- 
et un spéculatif : les devoirs de sa charge pastorale le- 
forcèrent à être un apôtre, et sa foi en fit un saint à 
miracles. 

Jusque vers la fin du iii^ siècle, et sauf quelques 
ombres fugitives, la réputation d'orthodoxie d'Origène- 
ne paraît pas avoir beaucoup souffert. Mais, à ce mo- 
ment, des attaques directes se produisirent contre 
certaines de ses opinions. Elles vinrent de deux côtés- 
à la fois : d'Alexandrie même dont l'évêque Pierre- 
(vers 300-311)'' attaqua son erreur de la préexistence- 
des âmes et sa théorie de la résurrection des corps; — 
d'Olympe, en Lycie, dont l'évêque Methodius, martyr- 
en 311, se posa nettement en adversaire du grand doc- 
teur. Methodius n'est pas un esprit supérieur, mais 
c'est un esprit cultivé, curieux de philosophie et de- 
sciences naturelles, un chercheur consciencieux et un 

1. Voir le texte dans les œuvres d'Origène, Patr. gr., XVII, 321-616;: 
LOJIMATZSCII, XXIV, 263-412, 

2. Sa lettre à saint Cyprlen se trouve parmi les lettres de ce saint,, 
Epist. LXXY. 

3. L'édition citée est celle de P. G., X. Pour le Traité à Théopompe,. 
voir P. DE Lagarde, Analecia syriaca, Lipsiae, 1858 ou Pitra, Analecla 
sacra, IV, Paris, 1883. — Travaux : V. Ryssel, Gregorius Thaumaturgus, 
sein Leben und seine Scfij-iflen, Leipzig, ,1880. KcffiTSCHAu, Des Gregorios 
Thaumaturges Dankrede an Orîgenes, Freiburg im Br., 1894. 

4. L'édition citée est celle de P. G., XVIII; pour les fragments du traité 
De (a résurrection, celle de Pitra, Analecta sacra, Vf, 189-193, 426-439' 
V. L. B. IlADFor.D, op. cit. 

27. 



478 LA .THÉGLO&f li ANTENlGEEKKEi. 

polémiste siiLGère:^. un tkéolosgiea bien eampê ;dana la 
tradition et qui est, ensomoiejle preraiep de son temps, 
puisque ce temps n'en a pas compté de vrai^ment grand. 
Au- point de. vue négatif,, si l'on peat ainsi parler, ses 
tendances sont nettement antiorigénistes, noa qu'il 
n'ait appris beaucoup:; d'Origène, mais parcejqtt'il a 
sauvent retourné contre lui. ce qu.'iL en avait reçu: Au 
point de vue positif, il reproduit les idées et les-théories- 
chères à l'école asiatique. (Irénée, MélitosJL Debonaa 
heure toutefois, les & archaïsmes de pensée et d'expissri- 
sion» qui paraissaient dans, ses ombrages les? firenâ: 
délaisser du monde grec : on les a retrouvés en partie - 
dans des traductions slavonnes *. 

Enfin, en dehors des écrits des amis! ou des adver- 
saires d'Origène, nous aurons à eonsulter ici un -troi-- 
sième groupe de documents, formé de' compositions; 
anonymes que: l'influence d'Qri^èn&in'a pas touchés. 
Le premier est le dialogue Z)e recto in Deura fidff^j 
originaire de Syrie vers- l'an 300, et que le nom du; 
principal interlocuteur,. Adamantins, a fait de: bonn«: 
heure et à tort attribuer, à Origène. Les deu3ir autres^ 
syriens aussi probablement, sont des écrits, diseiplî-- 
naires de la seconde moitié du iiii^ siècle. : la Didascœ-- 
lie des apétres'^^ fort importante» dont il subsiste sens 
lement une traduction syriaqaeentièreet une traduction ; 



4. L'édition citée est, pour Le Banquet, celle de P. G., xvni ; pour le» 
autres ouvrages et fragmenls, celle de G. Nv Basvus^vscuyMetfiodiicsvon 
Ol'jmpus, I, Schriften, Erlangen und Leipzig, 4891. — Travaux: A, Pah^ 
Kaw, Methodius vcm-Olympos, Separatabdr. , Mainz, 1888. G. Fritschee, 
Methodiics von Olympus und seine Philosophie, Leipzig, 4879. -G. Caree,, 
S. Methodii Patarensis Gonixivium decem virffiniiniy Paris, 4890;. G; K. 
BoxwETSCH, Die Théologie d^Methadius: von Olympus, Berlin, 4903. 

2i Éditiou de W. H. vas de Samde Baicuyzen. Der Dialogdes Adamantius, 
Leipzig,~1901.: 

3. Je cite la-traduction française dei F. Nau; hi Bidascalie des douze 
apôtres, 2» édit., Paris^ 1942. — Travaux : AcaEUS= et Flemmksgj Die sy- 
risehe Didaskalia, Leipzig, 4904. M.' Yukû, La îiidascalie dès apétret, 
Langxes, 4906. 



LA XpÉOIWDPEjJ^- OMiÇiSïf Dmf25Q A 318. 479 

latine incomplète^;; et les>^ Ca/jions. e^alésimiùquesi -. des 
apôtres (Apostolische Kirchenordniing)]1. Ce sont, 

la iittéfiatiure Gano|îi,qji§ grecque. 



S 2. — Dieu et la Trinité. 

C'est à.lajrévëlati©B sang^doute-cfue nos anteiîinssi de- 
manident,, avai^titoutr; g^, <pi\il faiiLt;ad;mettre..sur Diaui 
Méajunoims^lefr nécessités: dejlapiolémdquei l'apjQ&r 

tolat,, Oïl mêmes lemr propre; inclination flear: ont parfois 
f ait.initroduir.e,'49«nsçkaiFs ouvrages; des- : considérationa 
d'une . cjouleur piiÀlosophiqu^ :tFès.'projQO,nfi.ée . Eusèbe? a 
citéi; d^.VApplogmc d^^r Qenys. et de= son.QuyBa'gelIspl 
ftufltewt des; Irpiginentst ojù- se?, trouvent* combattus l'ata- 
misme d'Epiçmre: et r,éternité de la , matière^ et- qui 
contiennent un-; intéj;essantrdévelopspemeint de. l'argu- 
ment téléplogj^iie. de l'e^atence et^de la providence de 
Dieu ? . Cet, argument, de .la- jujovidence lait aussi l'objet 
de l'ouvrage : de saint, Gafég^oire. le Tliaumaturge h 

Théo;pom.jie.Sm'lapassiid'lUÂ^i^'if^P^£^ 
Lev dialogue, De recta in, De^ni;/ide,s-.avaLneerÂéiàL dar-, 
vantagesur le terrain Gkrétie% en éiablissa# conitre» 
lesmarcionites. qu'il n'y; a (gi'uiL seul Dieu,, à la fois 
juste et bouj, créateur du, mçinde et , aiiteur,de& deux,- 
Testaments (vi, 4). 

Mïiis.tput rintérêt des . recberclieai théologiqu^ à,, 
répoqueset>ehez les auteurs que nous étudions se eon- 
centre natureHement;. sur. la, question. trinitaire et la= 
doctrine du Verbe. Quel était, à la veilte' dto confltt 



i. Éiiilion.F-: X^ FvTts.^ Doetrina diiodeoim^ apostclàrum-y Canories apo- 
stoîamim:ccc!cski&iicii,yCtc.,'Sùb'in{Sù'i\, WS%i. 

2; EusHBE, Pracp-, evana-, vn, 19-, X1V„2S,'27/-j.Feitob, p;-182,.suiv.i l'31, 
suiv. 



480 LA THÉOLOGiR ANTÉNICEENNE. 

arien, l'enseignement des églises orientales sur ces 
points capitaux? 

Ce que l'on peut constater d'abord à propos du 
Verbe, c'est, chez quelques auteurs, un certain ar- 
chaïsme ou certaines imprécisions de langage qu'on a 
plus tard relevées, mais qui ne doivent point trop nous 
surprendre chez les Pères antérieurs au concile de 
Nicée. Ainsi, saint Grégoire de Nysse et plus tard 
Photius ont cru découvrir chez Théognoste les germes 
de l'hérésie d'Eunomius sur la création du Verbe. Théo- 
gnoste aurait, à la suite d'Origène, qualifié le Fils de 
xxifffxa, et l'aurait subordonné au Père, en étendant 
son influence seulement aux êtres raisonnables, ).oYixa * , 
Le même Photius trouvait bien primitives certaines 
façons de s'exprimer qu'il rencontrait dansPierius^, et 
il n'expliquait les formules arianisantes de Methodius 
dans Le Banquet qu'en supposant que le texte de cet 
ouvrage a été altéré^. Saint Grégoire le Thauma- 
turge lui-même a dû être défendu par saint Basile, soit 
contre l'accusation de sabellianisme pour quelques 
phrases du Dialogue contre ^lien, soit contre l'ac- 
cusation d'adoptianisme . pour quelques appellations 
(xTicaa, Tto(7)u.a) données au Christ incarné, et que des 
esprits pointilleux jugeaient trop sévèrement'*. 

Tout ceci cependant au fond n'est guère troublant, 
et ne prouve pas que, dans l'esprit de ces auteurs, il ait 

\. s. Greg. Nyss., Conlra Eunom., \\\, Or. 3; Photius, Bibh, cod. 106. Ces 
jugements défavorables ont trouvé un écho dans la note qui précède 
le fragment des Hypotyposes édité par Diekamp : « A remarquer qu'en 
plusieurs autres [passages], cet auteur (Théognoste) émet des blasphè- 
mes sur le Fils de Dieu et sur le Saint-Esprit. » 

2. Biblioth., cod. 119. 

3. Bibliolh., cod. 237. 

4. Epist. CCX, S. Une des phrases dont se prévalaient les «abelliens 
disait tiaTÉpa xaî utbv èirivoiif [j.èvEÎvai 6ûo, ôjroffTâo-ei Se Iv. Saint Ba- 
sile répond que Grégoire, argumentant contre un païen, a employé cette 
faconde parler àywvtcrTtxwç, nonîôoy(j.aTt/.w;, insistant, comme de juste 
sur l'unité divine. 



LA THEOLOGIE EN ORIENT DE 250 A 318, 481 

existé sur la pleine divinité et éternité du Verbe une 
réelle obscurité. A l'époque de Photius, le formalisme 
littéraire avait atteint dans l'Église grecque son apogée, 
et l'on ne s'y rendait plus bien compte des difficultés 
qu'avaient rencontrées les anciens docteurs pour créer 
la langue théologique. On a de ce même Théognoste, 
accusé d'eunomianisme avant la lettre, un texte où il 
professe la provenance du Fils Ix tvjç toZ Tcarpl ^îjai'aç, 
sa ressemblance entière, exacte avec le Père selon la 
substance [iyoiv t^y ôjxoioTYjTa Tou iraTpoç xatà xriv oùaiav.,. 
TtXr'prj àxpiêîi), le Père ne subissant d'ailleurs aucune 
diminution par la génération du Fils K Photius assure 
que, malgré ses archaïsmes de langage, l'enseigne- 
ment de Pierius sur le Père et le Fils était exact. Me- 
thodius reconnaît formellement la pleine divinité du 
Verbe, Fils de Dieu « par qui tout a été fait^ », non 
pas fils adoptif, mais Fils éternel qui n'a jamais com- 
mencé et qui ne cessera jamais d'être Fils'; Verbe 
avant le temps, à qui l'on adresse des prières ■• . 
Saint Basile, qui a rapporté les reproches faits au 
Thaumaturge, a témoigné plusieurs fois de sa parfaite 
orthodoxie^. On en trouvera à la fin de ce paragra- 
phe une preuve convaincante. Ajoutons, en attendant, 
que celle d'Hiéracas est attestée par saint Epiphane ^ 
Arius opposait sa propre doctrine à celle d'Hiéracas, et 
lui reprochait de dire que le Fils était, par rapport au 
Père, Xuj^vov à-jro Xu7_vou, ^ wç Xay.7r«Sa sic oûo'^, OU, ainsi que 

1. Apud Atuanas., De decretis nie. synodî, 25; Diekabip loc. cit. 

2. De la sangsue, VII, 3. 

3. Convivium, YIII, 9. 

4. Conviv., m, 4; VU, 1; XI, 2; De la lèpre, XI, 4; De resurrect., III, 
23, U. 

5. Epist. XXVIII, 1, 2; CCIV, 2; CCVII, 4. 

6. Haer. LXYII, 2, 3. S. Epiphane témoigne aussi de l'orthodoxie de la 
Didascalie des apôtres {Haer. LXX, lO). L'accusation dé modalisme por- 
tée contre cet ouvrage ne repose sur rien de sérieux (Achelis, op. cit., 
p. 378). 

7. S. Athanase, De synodis, 16; S. Epiphane, Haer. LXIX, 7. 



4S2 LA TUfîOIiOGlE ANîENI«EEN«Ev 

saint Bilaire l'explique, que le Père- et le Fils^ étaient 
comme deux fliammes^ almentéès par- la m4me ttuile, 
la seconde cependant dérivée- de 1» premiëre^\ G'est 
bien l'unité de nature ; mais Arius, qui savait Fensei- 
gnementî d'Hiéraeas suspect à dfàutyes égard^ espé- 
rait, par cette' opposition, donner lé ckangesurle^ sien 
propre. Les sentiments de Pàmpllile sont connus, 
puisque son but est précisément dfe m-ontrer-qu'Ori- 
gène n'a pas eiré suc la divinité- et l'éternité du: Y'erbev 
Quant à l'auteur du dialogue^ De reeta- in Deumfi'd^, 
il est on- ne peut plus clair : il professe netfemenit sa 
foi au^ Verbe éternel et consubstantièl' : ireTcier-peuxa xal-Tov 
i\ aÙToû (9eoïï) Aoyov ôfxoouo-tov àzv ovTot (i, 2). LevY^rbe est 
Fils de Dieu par nature (xa^à çu«v)i par opposition* aux 
bommes quile sont par adoption (xaTa- Qfaiv, m, 9). 

Un fait d'ailleurs nous- révèle au mieux, sur notre 
sujet, l'intime conviction de la conscience clirétiénne à 
cette époque, en même" temps qu'il montre le pea'di'rm- 
portance- qu'il faut attribuer aux incorrections- de lan- 
gage signalées plus ha;ut : c'est ce- qu'on a appelé l'af- 
faire des deux. Denjrs, c'est-à-dire les- lèpres écrites 
par l'évêque de R'ome, Denys, et son homonyme d^A- 
lexandrie à propos d'accusations doctrinales dent" 
celui-ci: a^ait été l'objet. L'rncidfeBtj qui se^ produisit 
entre les années 259-261, est ou ne peut pkis-instructrf 
pour rhistoire des dogmes et demandé un exposé un 
peu détaillé. 

Le sabellianisme n'avait pu sérieusement se main- 
tenir en Occident après sa condamnation par Calloste. 
En Orient, sa vie fut plus longue. Origène avait; dû, 
en 244, ramener à la vérité l'évêque Bérylle de Bostra,- 
en Arabie'^. Celui-ci était-il proprement modalîste 
ou adoptianiste, il est difficile^ de le-déGidierabsolameîït 

1. s. IIiLAir.n, De Trinit , VI, o, 12. 

2. Evsèhe, Ilisl. eccl:, \">i 33-.. 



LA THÉQtOGMvErrrOfilENÏ DE 350 A; 318. 483? 

sur leseoTMttsrenseignementsid'EîiaèlDse; Il osait enseir 
gner-j: dit ^historien;, quevle Sauveur n'existait pas avanfc 
rincarnatioa dans- imèttEâ. propre, . et qu'il n'avait pas 
eu une: dMiiité à soi i mais s6iïJ«m.ent j la divinités du 
Père; renfermée; eK;. lui^ . Qmà qit'il ea ; soit, sousl'é^^ 
piscopat d'Héraclas;: puis &ÔUS; ceMi de Denya, onn© 
sait au juste à < las suite- âq: quelles influences, le sabeL- 
lianisme:se> répandit lajfgement eit Egypte et surtosit 
dans la Pentapole;?'. L'erjreur, biejftvque- prêeMe sous 
le nom de Sabellius^.a'êtmtpasî.tQutàïfaitj du moins, 
en apparence, lepatripassianisme tel que Sabellius? 
l'avait ppêelié à RûEses. Un- développement l'avait 
amenée au peu près à la forme suivante sosus laquelle: 
les? auteua?» du lv* siècle la décrivent, et . à laquelle; 
le nome é&jmoÂalisme «emblfe prapremept convenir^.. 

Dieu, monade simpleet indivisible?, est unepersonne:' 
unique : on le nomme.: uWTtônrtop,. Pèr&-Fils.|: msais eu-, 
tant qu'il . crée le mondes, il psend le; nom de^ Yerbeu 
Le Yerbe, c'est; Dieuiv- IViQ-rcK-rorpi samaniiestant par la 
création. Cette manifestation; dure -naturellemenit; aur 
tant que^ lemonde» et fait -due l'aspect Verbe; est! en 
Dieu permianent.: 

Or, à ce monde- ainsi créé la mojaade se révèlev dansi 
l'Ancien Testamemt, comme législateur : c'est le: Pèrei;; 
dans le Nouveau Testament, comme rédempteur pap 
l'Incarnation^: c^est le^Eils; et comme sauctificateur 
des âmes : c'est le SaintrEsprit., Mais ces trois états, 
successifs de la monade, ne constituent, pas des per- 

-1. Tèv awTîipx x«t y.uptov fi(f(ôv léyeiv to),[ji.wv {jl^ Trpoûyea-tâvai xat' 
î5t av oÙCTtaç TieptYpaçTiV repo T^i; eîc àv^^^wv. ou; ÈTtiôviaïaç-, (;,7]5è (a^^v eeoTYjTa 
tSîav ixeiv, àXX' èaTsoJxTey^^t^Évïr'a'i'r'p t'-'î''^v'rY,v«ocTptr/.^v (Etjsèbe, Hist^ 
eccl., Sï, 33, 1). Il ine semble plus probable que Bérylle était modaliste. 

2. S. Athanase, De sententia Dionysii, S. 

3. Les sources principales sont : Saint. Athahase, Ea^ositio fideif t; 
Oraiio conira.AriimoSi^mi3S;lV, 2, 3, 9, i3i \Sr n-, De synodis, i6; Di 
decretis nicaenae synodi. Saint Hilaire, De Trinitate,IY, 12:^ Saint Épi- 
phase, Haer. LXII. 



484 LA THÉOLOGIE ANTÉNICÉENNE, 

sonnes distinctes : ils sont seulement trois aspects, 
trois virtualités, trois modalités et comme trois noms 
du même être (wçelvwtlv jAia ÔTroffTacrsiTpeïç ovojjLKct'aç). Les 
sabelliens, continue saint Epiphane, apportaient ici, 
pour rendre leur pensée plus intelligible, la comparai- 
son du soleil : le Fils est comme la lumière, le Saint- 
Esprit la chaleur, le Père la forme orbiculaire de l'astre 
(tov Sï TraTe'pa auTov Eivai to sTSoç Tcaffïiç t^ç uTroffTaffsox;) ^ . 

De plus, remarquons -le bien, chacun de ces trois 
états est temporaire et transitoire. L'uîoTtaxojp cesse 
d'être Père dès qu'il s'incarne et devient Fils ; il cesse 
d'être Fils dès qu'il apparaît comme Saint-Esprit 2. Ce 
qui est Fils en Jésus-Christ, c'est l'humanité unie à 
Dieu: une fois l'union rompue, la filiation cesse d'exis- 
ter. Toutes ces transformations s'expliquaient par 
un double mouvement dans la monade d'expansion 
et de retrait, TrXa-cuafjiôç, auaxokri, qui en dilatait ou en 
concentrait l'action, et qu'on nommait la SiàXe^iç divine. 

Ainsi, cette forme de Sabellianisme se distinguait 
de l'ancien patripassianisme : 1° par le caractère tran- 
sitoire des divers TcpoffojTra : on ne pouvait plus dire que 
le Père avait souffert; 2° par l'introduction dans le 
sytème de la personne du Saint-Esprit, dont il n'était 
pas autrefois question; 3° par l'égalité établie entre 
les trois aspects, Père, Fils et Saint-Esprit. Le Père, 
comme tel, n'était plus la source de la Trinité : il de- 
venait une modalité secondaire et temporaire : l'erreur 
subordinatienne se trouvait ruinée par la base ^. 

Tel était le système, ou quelque chose d'approchant, 
qui se répandit en Egypte et dans la Pentapole sous 
l'épiscopat d'Héraclas et de Denys. Ce dernier écrivit, 

i. Salnt ÉPiPiiAKE, Haer. LXn, i. 

2. Saixt épiphane, Haer. LXII, 3, L'auteur de l'Or. 7F contra Arian., 
25, suppose au contraire que c'est le Père qui apparaît ainsi comme 
fils et Saint-Esprit, tout en restant Père. 

3. liAKNACK, Lehrb. der DG., I, 76a, 7U6. 



LA THÉOLOGIE EN ORlEiST DE 250 A 318. 485 

pour le réfuter, diverses lettres ' dont l'une entre autres 
adressée à Ammonius et Euphranor, deux évêques 
de la Pentapole, choqua par sa teneur les ortho- 
doxes d'Alexandrie. Denys fut dénoncé au pape son 
homonyme. Un échange de lettres s'ensuivit, vers 259- 
261, et le patriarche dut se justifier. On a conservé 
par saint Athanase, qui a composé un traité tout en- 
tier pour défendre la mémoire de son prédécesseur 2, 
et par saint Basile^, une partie malheureusement trop 
petite des pièces de cette affaire. Elle permet cepen- 
dant d'en saisir assez bien la physionomie, et d'ap- 
précier la position théologique des personnages en 
cause. 

Les accusations portées contre Denys d'Alexandrie 
étaient précises. On lui reprochait : d'avoir trop sé- 
paré et divisé le Fils d'avec le Père : Siatpstxal t;Laxpuv£i, 
xoà (xsptCei Tov uîàv àuo tqu lîaTpoç '' ; de nier l'éternelle 
paternité de Dieu et l'existence éternelle du Fils ": ow. 
àet r,v ô Osoç TtaTv^p* oôx à"-! y;v â uîoç.,. r^v ttots oxe oûx ^v, où 
Y«p cdciôc, lij-civ ^ ; de ne pas dire que le Christ est ôixooucioi; 
à Dieu ; wç où Xi^ovToç tov Xpicriov ôaoouffiov gïvai tw 9ew ® ; 
enfin de faire du Fils un simple fils adoptif, une créa- 
ture étrangère au Père par sa nature, et de se servir, 
pour exprimer leurs rapports, de comparaisons cho- 
quantes, telles que : le Père est le vigneron, le Fils est 
la vigne ; le Père est le charpentier, le Fils la barque 
qu'il a construite : Troivjaa xat Yevr,irov eîvat tov oîôv toîi ôeou, 
{/.T^TS Ss cpuffsi lotov, éXkoL ^£vov xa^' oùaîay aÙTOv eîvat xou TtaTpo'ç, 
&aTZ£p IffTiv ô yeojpYoç «poç tov «.[/.Tce'kov xat ô vauiurjYoç tcooî to 

i. EusÈBE, Hist. eccL, VIT, 26, 1. 

2. S. Atiia.nask, De sententia Dionysii; De decrelis nicaenae synodi, 
26 : De synodis. 

3. Episl. IX, 2; De Spiritu sanclo, 72. 

4. De senlentia Dionysii, 16. 

5. De sent. Dionys., \i. 

6. De sent. Dionys., 18. 



486 LA. THÉOLOGIE ANTÉNIGÉBNKE; 

cxdccpoç, xai Y^f wç Tzoir\[ia wv oux '^v Ttplv Y=vr]Tat '. Cette 
dernière phrase, tirée de la lettre à Eu|^hranor, conte- 
nait en somme tout l'arianisme. 

Il fallait aviser immédiatement. Denys de Rome, 
qui avait reçu l'accusation, le fît par deux lettres : 
l'une privée au patriarche, pour lui demander de se 
justifier; l'autre destinée à la publicité, et qui formu- 
lait ce que le pape pensait être Isi vraie doctrine. De 
cette dernière ,^ la plus importante, saint Athanasé a 
heureusement reproduit une partie dans son i><9 de- 
cretis nicaenae synodi, 26. 

Le pape y repoussait d'abord le sabellianisme, puis 
condamnait ceux qui divisent la monarchie divine eà 
trois hypostases et trois divinités séparées, en trois 
hypostases étrangères l'une à l'autre : elç TpElç SovapiEtç 
Ttvàç xai p.e(ji£pt<jp.évaç ÔTtoaTotcstç xaV ÔeoTYjTà; TpsTç... etçTpeïç 
uTToaracEiç Çévaç àXXiQXwv iravTaTrafft Xc}(wpt<7fiévaci 11 fâUt ait 
contraire, continuait-il, que la Trinité soit ramenée à 
l'unité, qu'elle soit ramassée et récapitulée, comme 
dans un faite, dans un qui est le Dieu de runivers : 
T^jV Oeiav TptaSa etç fva, wcrTrep sîç xopuçï]v Ttva (tov ôeov tSv 
5}.(oy TOV TravToxpaTopa Xeyoj) ffUvxeçaXatoucôoi te xa\ cuvayEaO'ài 
Ttaffa àvdtYx^^ Il condamnait ensuite l'erreur iritoléràblè 
— c'était son expression — de ceux qui font du Fiïff 
une créature, et qui supposent un temps où il n'étkit 
pas, et il concluait : « Ainsi donc j il ne faut pas di-' 
viser en trois divinités l'admirable et divine monade, 
ni diminuer par le mot de création la dignité et l'é- 
minente grandeur du Seigneur; mais il faut croire 
en Dieu le Père tout-puissant, et en Jésus-Christ son 
Fils, et au Saint-Esprit, et à l'union du Verbe avec le 
Dieu de l'univers, car le Père et moi, dit-il, ne som- 
mes qu'un, et Je suis dans le Père et le Père est en 

1. De sent. Dio7iys., 4. 



LA THÉOLOGIE ENr ORIENT DE= 250 A 318. 4S? 

moi. Ainsi sera sauvegardée et la Trioité divine et la 
sainte prédication de la monarehie. » 

Le pape se tenait ainsi à égale distance du sàbellia- 
nisme, du. trithéisme, et de l'arianisnie. De roftoou<noç 
il ne disait rien : le naot était nouveau, et si son col- 
lègue d'Alexandrie l'évitait, le pape, lui, ne vouiaife pas 
l'adopter. Rien non plus contre le subordinatîanisrae 
strictement entendu; mais l'erreur de la génératioEi 
temporelle du Fils était implicitement condiamnéev 
Sans distinguer entr& le Verbe intérieur et proféré, 
entre la conception et la naissance du Fils, saint Denys 
prononçait simplement de ée Fils, qu'il avait toujours 
existé,; bien qu'ilfût dan&le sein du Père : e! y&p YÉyevsv 
ô uîàç, ^v, o-îe oux. "t^' aeV Si^v sï f;& ev> tw ^Tcotrpi- Ittiv. 

Denys d'Alexandrie répondit am pape par deux let- 
tres. La première, écrito sur-le-cîiàmp., n'était qu/Tin^ 
ébauche d'apologie ^ ; la second©,, conaipoisée à loisir et 
intitulée 'EXsYpçxal à7ro5ioYt«, en quaiso- livres, présen- 
tait une justification en règle.. De celle-ci il est resté 
des fragments dont voici ranalysé. 

Le patriarche, s'y défend d'abord die- nier l'éternité' 
du Fils : loin de l"a nier, il l'affirmait au contraire, et il 
la prouvait par le même argument qa'Origène iDieit 
est la lumière éternelle, le. Fils est l'éGiat de cette lu- 
mière; or la lumière luit toujours : le Fils est- dono 
éternel comme Dieu : Où Y"P ^^ oxa ô ôsoiî. oux v^n 7caT-4p,., 
SvToçîoiîv otîwvCoo. Tou waTpoç, aîwvioç; S uXqc, laxiy cpcàç Iy: tpo^Toç- 
wv 2., Passant ensuite au reproche de rejeter la consubs^ 
tantialité du Père et du Fils, Denys observe que, sans 
doute,^ il lui était arrivé de se servir en passant (i? 
ETTiSpofx^ç) de certaines comparaisons impropres pour 
mettre en lumière les relations du Père et du Fils, 
mais qu'il avait insisté ailleurs sur d'autres mieux ac- 

1 . De sent. Dion., 18. 

2. De sent. Dion., Ib. 



488 LA. THÉOLOGIE ANTÉNICÉEKNE. 

commodées, comme celle des parents et des enfants, 
de la racine et de la plante, de la source et du fleuve. 
Que s'il n'avait pas employé le mot ofxoouatoç, ce n'était 
pas qu'il en repoussât le sens, mais c'était parce 
qu'il ne l'avait pas trouvé dans les Ecritures ^ . Puis re- 
prenant la comparaison de l'esprit et de la parole déjà 
proposée par saint Justin et Tertullien, il s'efforce de 
la préciser et de la corrig-er : « L'esprit, dit-il, produit 
la parole et se manifeste en elle : la parole révèle l'es- 
prit dans lequel elle est produite ; l'esprit est comme 
la parole immanente; la parole est l'esprit s' élançant 
au dehors... Ainsi l'esprit est comme le père de la pa- 
role et existe en elle ; la parole est comme la fille de 
l'esprit... Ils sont l'un dans l'autre bien qu'ils soient 
distincts l'un de l'autre : ils sont un quoiqu'ils soient 
deux (â'v eîfftv, ovTÊç Suo) : ainsi le Père et le Fils ont été 
dits être un et l'un dans l'autre (êv xal Iv àXX-4Xotç) ^. » — 
L'accusation de séparer et de diviser le Père d'avec le 
Fils et le Saint-Esprit n'avait pas plus de fondement; 
car « c'est ainsi, réplique le patriarche, que nous éten- 
dons en Trinité l'indivisible unité, et que nous rame- 
nons à l'unité la Trinité incapable de diminution » : 
OUTW if.lv viu.eïç Eiç T£ T'/jV TptotSa rJjV (jLOvaâa TtXaxuvoaêv àoiatpe- 
Tov, xai Trjv Tpiaoa TrbtXiv a[jLeio>T:ov eîç t^ [xovaoa auvxsœa- 
XaiouueOot^. Et quant à faire de Dieu le créateur du 
Fils (TTot/jTviv xai or,}i.ioupY°^)5 Denys protestait qu'il n'y 
avait jamais songé : Dieu est le Père non le créateur 
du Fils. Le mot Troir^r^ç est d'ailleurs susceptible d'un 
sens plus large : et c'est ainsi que les auteurs sont 
dits être les créateurs (TroirjTai) de leurs discours, bien 
qu'ils en soient réellement les pères ''. 



i. De sent. Dion., 18. 

2. Da seul. Dion., 23. 

3. De sep.t. Dion., 17. 

4. De sent. Dion., iJ, 21. 



LA THÉOLOGIE EN ORIENT DE 250 A 318. 489 

Telle est en résumé la défense que Denys d'Alexan- 
drie opposa à ses accusateurs. N'y avait-il en eflct 
dans son cas, comme il le prétend, que précipita- 
tion et négligences d'expressions? Probablement. Saint 
Athanase l'excuse, en disant qu'à l'exemple des apô- 
tres il a parlé xaT'oîxovo{^.tav, insistant sur la vérité qu'il 
voulait inculquer ^ Saint Basile est plus sévère ^. Quoi 
qu'il en soit, et s'il y avait eu défaillance passagère, le 
disciple d'Origène s'était rapidement ressaisi. Distinc- 
tion des personnes, unité, consubstantialité, circumin- 
session, génération du Verbe par l'intelligence, rien 
ne manquait à l'orthodoxie de sa doctrine. Il admettait 
sans doute trois hypostases, et il semble que ses ad- 
versaires ne fussent pas complètement d'accord avec 
lui sur la légitimité de cette expression ^ ; mais on 
ne voit pas que saint Denys de Rome l'ait rejetée. 
Ce dont le pape ne voulait pas, et que son collègue 
d'Alexandrie repoussait aussi bien que lui, c'était trois 
hypostases divisées et séparées l'une de l'autre. 

On a vu ci-dessus que le langage d'Origène sur le 
Saint-Esprit semble parfois défectueux, et que saint 
Jérôme notamment l'a vivement relevé. C'est pour 
l'avoir reproduit sans doute que ses successeurs, De- 
nys, Théognoste, Pierius ont été accusés à leur tour 
de rabaisser la personne du Saint-Esprit, de le subor- 
donner au Père et au Fils, de le ranger parmi les 
créatures sujettes "*. Comme nous n'avons plus les 
textes incriminés, il est difficile de juger de la valeur 
de ces accusations. Dans les deux fragments cités par 
saint Athanase dans son Epitre iv à Sérapion, 11, 
Théognoste, loin de rabaisser le Saint-Esprit, s'ap- 

1. De sent. Dion., 6-12. 

2. Epist. IX, 2. 

3. Saint Basile, De Spiritu sancto, 72. 

4. Pour Denys, voir S. Basile, De Spir. sancto, 73; Epist. IX, 2; poui 
Théognoste et Pierius, voir Phouds, Bibl., codd. 106, 119. 



490 LA THEOLOGIE ANTENIGEEX^'E. 

plique au contraire à montrer qu'on aurait tort do 
conclure à sa supériorité sur le Père et le- Fils de ce 
qu'il habite dans les parfaits, c'est-à-dire les chré- 
tiens baptisés, cl de ce que les péchés commis contre 
lui sont irrémissibles^. Saint Basile a tiré deDenys 
d'xilexandrie, en faveur de la divinité du Saint-Esprit, 
trois textes, qu'il a insérés dans son ouvrage^. D'au- 
tre part, les singularités reprochées à Hiéracas par 
saint Epipliane ne paraissent pas avoir atteint sa im 
en la divinité de l'Ësprit-Saint^, Pampliile consacre 
le chapitre IV du livre premier de son Apologie pour 
Origène à établir qu'Origène admettait que le Saint- 
Esprit est incapable de changements, qu'il n'est pas 
une créature, qu'il est égal au Père et au Fils et 
omniscient. C'est sa propre foi que Pamphile nous 
déclare ici. A. son tour, Methodius voit dans Je Saint- 
Esprit une ly.TCopEUTvi uTcdcTTaatç qui sort du Père comme 
Eve est sortie d'Adam-*, qui est de sa substance par 
conséquent. La Didascalie veut que l'on adore en- 
semble « Dieu [le Père] tout-puis s ant, et Jésus [son 
Fils] le Christ et le Saint-Esprit^ ». Enfin Adaman- 
tins, après avoir énoncé sa foi au Verbe consubstan- 
tiel, énonce aussi sa foi à rEsprit-Saint éternel : 
Tttffteuw Sa xaiTW àytco icvEufta-ci xw «et ovTt (i, 2). 

Il y avait donc sur la Trinité à la fin m® siècle, soit 
à Alexandrie, soit en Syrie, soit dans le Pont, un en- 
seignement orthodoxe et ferme. On le trouve résumé 



1. Cf. Radfoud, cp. cit., p. 36 et suiv. 

2. De Spir^ sanctn, "2. S. Basile assure que Firmilieo de Césarée 
professait égalemenl la divinité du Saint-Esprit dans des livres qu'il 
avait laissés et que nous n'avons plus {De Spir. sanclo, 74). 

3. S. Épiphane dit qu'Hicracas ne suivait pas sur la Trinité les sen- 
timents d'Orisènu et qu'il admettait que le Saint-Esprit est i*. na-rpo;. 
Mais il lui reiuoche d'avoir vu en Melcliisédec une théophanie de 
l'Esprit-Saint [Ilacr. I,XVn, 2, 3-, cf. LV, 5-). 

4. Fragment IV, sp. I!oxwetsch, 353. 

5. Chap. XXIV, ■l'i. 1, page 400. 



LA THÉOLOGIE ii;^ ORIENT JîE. 250 A 318. ^ 491 

d'une façon heureuse 4ans mie courte formule de foi 
de saint Grégoire le Thaiimaturge ^ <iont l'autlienti- 
cité paraît défînitivement étaèlie, et qui doit < remonter 
aux années 260-270. Le V.erbe y j&st dit 6soç ix &soïï... 
uios dÀyjfQivo; «Xt^ôivou uaipoç... xa\ dtStoç aïStoo :• i-e SaJnt- 
Esprit, ix Qeoïï TTjvSTcapîçiv^DV..,. sxkwvtoS utoS TeXsiîou TSjkeia, 
ÇwY) ÇtovTWv aixta : la Trilndté Tfftàç TeXeia, iSô^ï) xat àïSidx7]xi 
xal . pasiXeia ;p.7i (^epiÇouivï] :(jir,os TXTca}^X(W;piou(x.évj(]. Et i'au- 
teur conclut : « Il n'y a donc rien de créé ni de 
sujet dans la Trinité (ou-re oûv xtiotov ici, fi iSoîlXov iv t^ 
TpitxSi); il n'y a rien de surajiôuté, earame si, n'exislant 
pas d'abord, il était survenu pias tard. Le Fus n'a donc 
jamais manqué au Père ni l'iEsprit au Fils : cette même 
Trinité est toujours inMnuable et inaltérable, » ilme 
pareille formule, affirmant nettement, avec Ja. distiaic- 
tion dés personnes, leur éternité et leur égalité, l'im- 
mortalité et la perfection non seulement du Père, mais 
aussi du Fils et du Saint-Esprit, était contre l'aria- 
nisme une protestation d'avance victorieuse. 

3. — Création, incarnation, rédemption. 

JN[ous avons déjà si^na,lé la réfutation par JDenys 
d'Alexandrie de l'eaTeur p,h.ilosopbi.que qui fe,it la jna- 
tière éternelle. Tliéognoste, au dire de Photius lc,od. 
1Q6), ayaict repris eeftte ,réru,tation,^ui, Je fut .encore 
par l'ajpteur de l'A,damanti,us (vi, 4). Dj^u, enseigne 
Methodius, a créé le monde, et, bien qu'il le portât 
éternellement en lui en puissance, il ne l'a cependant 
créé que dans le temps ^. Thèse dirigée contre Qtî- 



genc. 



Ce monde est résumé dans l'homme, le miero- 



1. "Ey.0£<iK ■nîtJTewç, Haun, § 188. 

2. De libei-o arbitr., XXII, 9-H; i>tf oreatis,ilî, XI. 



49? LA THÉOLOGIE ANTÉNICEENNE. 

cosme * . L'homme est caractérisé par la liberté ^ ; il a 
été fait immortel et à l'image de Dieu : ô yàp Qeoç iy^-zinz 
Tov ivôpoJTTov ETTi aîp6ap(Ti«, xai Eixova tîîç t^taç àïSid'CYjXQç luoirp 
(T£V auTo'v — TO ÔeosiSÈç xa\ 6eoe(xeXov ^. 

L'homme est libre : c'est la vérité capitale qu'origé- 
nistes et antiorigénistes proclament contre le mani- 
chéisme naissant, et comme fondement de la morale. 
On se rappelle qu'Origène avait voulu trouver dans 
cette liberté l'explication même de l'inégalité des con- 
ditions humaines, et que cette idée l'avait conduit à 
l'hypothèse de la préexistence des âmes. C'est autour 
de cette hypothèse qu'amis et ennemis mènent la lutte 
pendant quelque temps après lui. Pierius semble avoir 
ici suivi Origène''; etPamphile ne croit pas que l'on 
puisse, pour cette opinion, taxer le maître d'hérésie, 
puisque, après tout, l'Eglise n'a rien défini sur ce 
point, et que les autres hypothèses sur l'origine de 
l'âme sont sujettes à d'inextricables difficultés^. La 
préexistence des âmes et leur insertion dans les corps 
par suite d'une faute commise par elles antérieure- 
ment à cette union est cependant combattue par Pierre 
d'Alexandrie dans son IIspl '^oyj^q ®, par l'auteur de 
l'Adamantius (v, 21) et par saint Methodius '^. Cette 
doctrine, selon Pierre, était une doctrine grecque, 
étrangère au christianisme ^. L'Église lui a donné 
raison. 

Mais alors d'où vient le mal et le péché? Le gnos- 
ticisme en faisait une nécessité de nature et le mani- 



i. Method., De resur., ir, 10, 2. 

2. Method., De lib. arbitr., XVI, 3, 7; De resur., 1, 38,8; 57, 6; Conviv., 

in, 17. 

3. Method., De resur., I, 3S, 8; 86, 2; 34, 3. 
A. PHOTins, J5i6J., cod. 419. 

5. Apol. pro Orîg., lib. I, cap. 9. 

6. P. G., XVIII, S20. 

7. De resur., I, 5S, 4. 

8. Haiinack, Gesch. der altchr. Litei\, Die Ueberl, p. 4i7. 



LA THEOLOGIE EN ORIENT DE 250 A 318. 493 

chéisme une sorte de substance. Adamantius combat 
cette erreur. Le mal moral n'existe pas en soi : c'est 
un accident, le fait de la liberté angélique ou humaine. 
Le bien essentiel n'en saurait être l'auteur ni le sujet : 
seul, le bien participé en est capable à cause de sa 
liberté imparfaite (m, 8-10, 13; iv, 10, 11; cf. i, 28). 
C'est aussi la réponse de Methodius ; mais il remarque 
bien qu'elle est incomplète. Le péché, œuvre de la 
liberté, tient aussi, par ses racines, à notre condition 
actuelle. La chair se trouve inclinée au mal depuis 
que le démon a soufflé en nous la corruption en fai- 
sant tomber Adam * . L'état de notre premier père nous 
a été transmis, et la lutte contre les penchants qui 
en viennent est pour nous un devoir qui ne cessera 
qu'avec la vie ^. 

Notre-Seigneur a été précisément envoyé pour nous 
aider dans cette lutte, « pour compléter lo pouvoir de 
la liberté humaine ^ » , mais d'abord pour nous rache- 
ter du péché. Le Verbe s'est fait homme (evavQpurtr'craç)^; 
il a pris de la Vierge Marie une chair terrestre, la chair 
d'Adam, une chair semblable à la nôtre puisqu'il de- 
vait sauver la nôtre, et parce qu'il convenait que le dé- 
mon fût vaincu par le même homme qu'il avait séduit^. 
Par cette incarnation, le Verbe ne s'est pas transformé 
en la chair : il ne s'est pas dépouillé de sa divi- 
nité^ : il s'est seulement uni intimement à une hu- 
manité (ffuvevtoiia; xai cuYxspâffaç) '^ , d'une union qui laisse 
subsister les deux natures : ©soç ^v ©udêi xal' yéyovev 
avôptOTTOç cpuffsi ', — 5vT0jç 6eov xaià 7rveïï[x.a xai ovxio; àvôpio^rov 

1. De lib. arbitr., XVU, 4, 5; XVIII, 4 et suiv.; De resur., 11,4, 3; 6, 2. 

2. De resur., I, 38, i ; 39., 5 ; 43, 2 et suiv. ; II, 4, 3 ; 6, 3. 

3. Didascalie, ch. XXVI, 17, 1. 

4. Methodius, Conviv.., I, 5; VIII, T; X, 2; Pierre, P. G., XVIII, 521. 

5. Methodius, Conuîu., III, 6;jDeresur.,II,8,7;ADAMANTius,IV,15;V, 3,9. 

6. Pierre, P. G., XVUI, 509; Adam., IY, 6. 

7. Method., Conviv., III, 5. 

«. Pierre, P. G., XVIII, 512, 521. 

28 



494 LA ÎÏÏÉOLOGIE ANTÉMCÉENNE. 

xa-rà uapxa 6jJLoXoYV]<nxvT£ç Xpiorrov'' . Et CBS deux Batures 

ont chacune leurs opérations^ et leur volonté^. Mais 
du reste l'unité et l'identité de personne avant et 
après rincarnation sont nettement affirmées i et le con- 
cile d'Eplièse a pu inToquer ici le témoignage ée î*ierre 
d'Alexandrie. C'est le Verbe qui est né daias le sein 
de Marie (yevojxsvov Iv (XT^Tpa), et qui s'y est fait chair 
par la volonté et la puissance de Dieu'''. « Celni qui est 
descendu est vraiment celui qui est remonté » , «Àr.ôtô^ 
yàp ô xaxaêài; aùtoç Iffxi xtxl 6 (xva€aç^ Son corps €st de- 
meuré réel après la résurrection aussi bien que dans 
la transfiguration®. 

En prenant ainsi notre nature, en devenant Homme- 
Dieu, le "Verbe incarné, remarque Methodius, récapi- 
tulait en lui toute l'humanité. Il est le second Adam, 
en qui celte humanité a été pétrie à nouveau, et, par 
son union avec le Verbe, restaurée déjà et renouv^e- 
lée '^. C'est le commencement du salut, mais seule- 
ment le commencement. Devenu notre représentant 
et s'étant chargé de nos péchés^, J ésus- Christ a souf- 



1. Adajuxt., V, U; cf. Method., Conviv., lll, 4. 

2. Adxm., V, 8. 

3. Denys, Feltoe, p. 233 et suiv., P. G., X, 1597, 1599; cf. Harnack, 
Gcsch. der allchr. Liler., Die Ueberl., p. 421. M. Feltoe, p. 230, émet des 
doutes sur l'authenticité du passage. 

4. PiEKRE, P. G., XYUI, 512. Le codex Baroccianus 142 attribue à 
Pierre un sermon Tiep^t Tîj; Ocotôxou. Il n'est pas sûr que ce fût là le 
litre exact de ce discours, encore que le mot OeoTÔxoç fût peut-être 
en usage dès cette époque. Néanmoins, un sermon ayant pour objet 
la Sainte Yicr^je, à la fin du ni" siècle, est chose remarquable. 

5. Adamastius, y, 7. Ce n'est pas à dire que l'expression ciiez cet au- 
tour scit toujours bien rigoureuse, encore que la pensée soit exacte. 
On s"yp. rçoit <jue la langue de la christologie n'est pas encore com- 
plètement élaborée. Voir par exemple V, 7 et 8. 

C. îlETuoD., De resur., lll, 7, 12; 12,3 et suiv. Encore un trait contre 
Origène, que l'on accusait de faire évanouir l'humanité de Jésus-Christ 
après la résurrection. 

7. Method., Conviv., lll, 3, 4, 5,8. Methodius pousse les choses si loin 
qu'il semble ideniifier le Christ avec la personne du premier Adam. 

8. Didascalie, ch. \III, 25, 9-12. 



LA THÉ03LO<iLE EN OiViESÏ DE 250 A 318. 495 

fect pour vmns et nous a purifiés de son sang ' . il 
nou& a rachetés par sa passion. On. se: souvient qu'O- 
rigène avait émis l'idée que le sang de Jésus-Ckrist 
avait été tin prix payé au démon pour la délivrance de 
nos âmes GaptiAîes. Adamantins repousse avec indi- 
gnation, cette idée : c'est un blasphème absurde, TroXXr, 
pXaoŒi7]ijLoç o-voMt ! Le SBUS de celte Xutçwœ^ est plutôt que 
Jésus-Christ nous a rachetés de l'esclavage du péché ; 
car, ayant commis le péché, nous étions devenus ses 
esclaves; seulement, ce rachat doit s'entendre méta- 
phoriquement (xaTaypvjCTTuwç), puisque d'ailleurs le 
Sauveur a repris la vie qu'il avail donnée pour nous 
(1,27). 

Ainsi, nous trouvons représentées dans la sotério- 
logie de celte époque les trois théories mystique, réa- 
liste et des droits du démon qui se rencontrent çà et là 
dans toute l'antiquité; mais la dernière n'y reçoit 
qu'une énergique réprobation. 

Quant aux effets de la rédemption, ils correspondent 
aux plaies que Jésus-Christ est venu guérir en nous ; 
c'est le pardon des péchés, la vérité, la grâce et l'im- 
mortalité, la résurrection de la chair^^. 

S 4. — L'Éçrlîse. l'initiation chrétienne, l'eucharistie 

L'œuvre de salut commencée et assurée par Jésus- 
Christ se réalise dans l'Eglise, son épouse, qui lui 
engendre continuellement des enfants, qui l'engendre 
lui, Christ et Verbe, dans le cœur des fidèles 3. 11 n'y 
a et il ne peut y avoir qu'une Église^, sainte, pure et 

1. Didasc, ibid. ; Method., De la ddstinclian des aliments, XI» 4; 
XY. 

2. Method., Conviv., vn. G; De resur., H, 18, 8; 24, 4; lU^as, 4, 6. 

3. Method., Conviv., ni, 8; YIII, li. 

4. Didasc, XXm, 5, S. 



496 LA THÉOLOGIE ANTÉNICÉENNE. 

immaculée^ ; catholique parce que ses membres sont 
répandus dans le monde entier, Sià to xaô' oXou xou xo'fffxou 
Etvat-; apostolique, parce que ses premiers chefs ont 
été les apôtres, et qu'elle en suit toujours la doctrine 
et les lois 3. Comme elle est la dépositaire de la vérité, 
quiconque s'éloigne d'elle tombe nécessairement dans 
l'erreur'. Malheur à qui méprise ses enseignements 
et devient hérétique^; mais malheur aussi à qui fo- 
mente des schismes et brise son unité. Dieu a montré 
dans l'Ancien Testament comment il traitera ces témé- 
raires*. 

Les écrits disciplinaires surtout nous montrent les 
membres de l'Église nettement partagés en clercs 
et laïcs, les diaconesses cependant tenant à la fois 
des deux ordres'. Le chef de la communauté chré- 
tienne est l'évêque. La Didascalie ne tarit pas sur ses 
prérogatives et sa dignité. 11 est la tète des fidèles (vi, 
14, 11), prince des prêtres, docteur et père après Dieu 
dont il tient la place (ix, 26, 4) ; à lui le droit et le 
devoir de prêcher et d'enseigner (v, 11), de reprendre 
et déjuger ceux qui pèchent (v, 11; vu, 18, 2, 3), de 
remettre les péchés (vu, 20, 9) ; c'est à lui qu'il appar- 
tient de consigner le baptisé, de donner le Saint-Esprit, 
de distribuer l'eucharistie (ix, 32, 4; 33, 2). Il com- 
mande aux prêtres et aux diacres, et sans lui on ne 
doit rien faire (iv, 1, 1; ix, 27, 1-3). Beaucoup de ces 
textes rappellent les épîLres de saint Ignace. 

On entre dans l'Eglise par le baptême. Le baptême 



1. Didasc, IX, 26, 1 ; XXIV, 14, 10. 

2. Adam., I, 8; Didasc, I, i>rol., i ; IX, 26, 1, etc. 

3. Didasc, I, prol. ; Can. eccîes., II. 

4. Adam., V, 28. 

5. Didasc, XXIII, i,i;S, 1, 2. 

6. Didasc, XXIII, 1, 2; 3, 7; 4, 1-4. 

7. Didasc, XV, 5; XVI, 12. 



LA THÉOLOGIE EN ORIENT DE 250 A 318. 497 

est le sceau, ffçpayîç, le sceau infrangible imprimé par 
Dieu sur le chrétien^ : c'est une illumination, (pojTtffuoç^ ; 
il est aussi l'achèvement de l'homme, teXeiwiiiç : le chré- 
tien est achevé, parfait^. La Didascalie décrit sans 
beaucoup de suite le rite du baptême en Syrie*. Le 
catéchumène recevait d'abord l'imposition des mains 
et une onction d'huile,, qui était faite sur les femmes 
par les diaconesses. Puis il était plongé dans l'eau 
pendant qu'on invoquait les noms divins, c'est-à-dire 
au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit. L'évêque 
ou, avec sa délégation, les prêtres et les diacres étaient 
les ministres ordinaires du baptême : les femmes, pas 
même les diaconesses, ne devaient le conférer^. L'eiîet 
du baptême est de remettre les péchés à celui qui le 
reçoit, de l'engendrer aune vie nouvelle, de lui donner 
le Saint-Esprit, d'en faire un autre Christ^. 

Il n'y a qu'un seul baptême qui ne peut se renou- 
veler \ Ce principe toutefois, comme on l'a remarqué 
ailleurs, ne tranchait pas immédiatement la question 
du renouvellement du baptême conféré par les héré- 
tiques. Nous avons dit ci-dessus la part que Denys 
d'Alexandrie et Firmilien de Césarée avaient prise 
dans la discussion de cette question entre Rome et 

1. Didasc, IX, 32, 4; XVI, 12, 3. 

2. Didasc, IX, i-2, 4. 

3. TiiÉOGNOSTE, P. G., X, 2iO, 2 il : Ta fil mveutia 5<ppaYtç àcxi tGv 
Te>.siou(jiévwv ; Didasc, X, 39, 6;Can. eccles., XII. 

4. Ch. XVI, 12, 2-3. 

5. Didasc, XV, 9, 1, 2; XVI, 1*, 3. Firmilien {Epist. LXXV, iO) note 
comme un scandale qu'une femme ait osé baptiser en employant les 
formules ofûcielles. 

6. Didasc, IX, 32, 4; 33, 2; XX, 9, 1, 4; XXIV, 14, 6; XXVI, 21, i, 4. 
METHonrus : "Otvwi; ëxaaTOç xôjv àv'wv, Tt3 (iexéx,£iv XptoToO, Xpioxà; 
YevvY]6^ {Conviv., YIII, 8, 0; De la sangsue, VIII, 2, 3; De la distinction 
des aliments, IV, 1). Malgré cela, suint Épiphane signale comme une 
singularité d'Hiéracas qu'il excluait du ciel les enfants baptisés morts 
a"¥ant d'avoir accompli des bonnes œuvres {Haer. LXYII, 2}. — Le mar- 
tyre, lui aussi, remet tous les péchés {Didasc, XX, 7, 27; 8; 9, 6). 

7. Didasc, XXIV, 12, 2. 

28. 



498 LA THÉOLOGIE ANTÉNICÉENNË. 

les Africains ^ Firmilien et les Églises de Cappadocc 
soutinrent le sentiment de saint Cyprien; Denys joua 
surtout un rôle de conciliation et de paix. 

Après avoir été baptisé et confirmé^, le nouveau 
chrétien était admis à la sainte eucharistie. L'eucha- 
ristie est le pain sanctifié par les invocations^, une 
nourriture sainte, à'Y^» fpoçvi, ou simplement « les choses 
saintes », xà icyia*, ou encore ta â-^iu-zm aYÎwv^ : mais, 
plus précisément, recevoir le pain et le calice c'est 
commimier, participer au corps et au sang de J ésus- 
Christ^; c'est toucher le corps et le sang du Christ, 
geste que l'on ne peut faire si l'on n'a pas reçu valide- 
ment le baptême et si l'on n'est pas pur de corps et 
d'esprit^. Le même Adamantius, qui s'exprime d'une 
façon si réaliste, dira sans doute, dans la même phrase, 
que le Christ a fait du pain et du breuvage les images, 
elxôvsç, de son corps et de son sang (iv, 6) ; \a,Dîdascalie 
pressera les fidèles d'offrir « l'eucharistie agréable, 
image du corps royal du Christ* » ; mais ces manières 
de parler que nous avons déjà rencontrées chez les 
Latins, et que nous rencontrerons encore chez les 
Grecs, ne supposent nullement que ceux qui les 

1. Voir ci-dessus, chap. XI. 

2. M. Funk {Didascalia et Constitut. apostol., I, p. 208, note) ne croit 
pas que dans la Didascalie XVI, 12, il soit fait allusion à la confirma- 
tion, parce que ronction et l'imposition des mains dont il y est question 
précédaient le baptême. 

3..Djdasc., XXVI, 22, 2. 

4. Denys, Feltoe, p. 58, 59, 103. 

5. Denys, Feltoe, p. 103. 

C- Adam., IV, 6; Denys, Feltoe, S8; Pierue d'AtEX., Epist. canonîca, 
can. YIII. 

7. Dexys, Feltoe, 103; Firmilien, Epist. LXXV, 21. 

8. xxvr, 22, 2. La traduction latine porte : « eam quae second um 
sîmilitudinem regalis corporis Ciiristi est acceptam eucharisliam 
oITerte » ; le grec correspondant des Constitutions apostoliques porte : 
Tr,v àvTiTUTtov ToO Pa!Ji>.£(ou o-w[JLaTOi; Xp'-atoù ôexT^v eù/apiaxiav {VI, 
30, 2). Le mot primitif devait être àvTÎTUTTov. 



LA THÉOLOGIE EN ORIENT DE 2n0 A 318. 499 

emploient sont des symbolistes. Elles marquent seu- 
lement le caractère sacramentel, le caractère de signe 
et de symbole qui convient dans l'eucharistie aux élé- 
ments sensibles. Le pain et le vin sont les figures, les 
antitypes du corps et du sang en quoi ils sont inté- 
rieurement transformés, et qui sont devenus nourriture 
et breuvage pour nous. 

C'est le Saint-Esprit qui est l'agent de cette sanc- 
tification^ ; et c'est pourquoi la Didascalie ne veut pas 
que les chrétiennes qui ont en elles l'Esprit-Saint 
s'abstiennent de l'eucharistie pendant leur crise men- 
suelle. Possédant en elles le Saint-Esprit, elles peu- 
vent participer aux œuvres de l'Esprit-Saint-. L'auteur 
de la lettre à Basilide était d'un avis différent^. En 
tout cas, outre la pureté générale du cœur, on exigeait 
spécialement du communiant qu'il pardonnât les 
injures et fût en paix avec ses frères^. A ce compte 
l'eucharistie est un principe de sanctification et remet 
les fautes de qui la reçoit. Elle peut même, en cas 
d'absolue nécessité, tenir lieu d'absolution et suppléer 
à la réconciliation ecclésiastique^. 

En même temps qu'elle est reconnue comme un sa- 
crement, l'eucharistie est regardée comme un sacrifice. 
La Didascalie en parle souvent, quoique assez briève- 
ment en ce sens, et dit qu'on TolTre pour les défunts : 

« Offrez l'eucharistie agréable... dans vos assemblées, 
dans vos cimetières, à la sortie de ceux qui meurent (aux 
enterrements, offrez) le pain sans tache fait dans le feu et 



i. Didasc, XXVI, 21, 2, 3. 

2. XXVI, 21, 2. L'auteur tient à réagir violemment contre les impu- 
retés légales du mosaïsme. 

3. r ELTOE, p. 102, 103. 

4. Didasc, XI, o3, 4. 

5. Voir dans Desys (Eusèbe, H. E., VI, 44; Feltoe, 19-21) l'histoire de 
la dernière communion de Sérapion. 



500 LA THÉOLOGIE ANTÉNICEEXNE. . 

sanctifié par les invocations. Priez et offrez (le sacrifice) 
sans hésitation aucune pour ceux qui dorment (les morts) ^ » 



S 5. — La pénitence, l'ordre, le mariage. 

On a vu plus haut qu'Origène avait émis sur la péni- 
tence une doctrine déjà détaillée et fort précise. Cette 
bonne semence ne fut pas perdue, et la crise nova- 
tienne, qui atteignit l'Orient comme l'Occident, la fit 
encore se développer. On peut distinguer dans cette 
question des principes généraux et des détails prati- 
ques qu'il sera utile, pour plus de clarté, d'étudier 
successivement. 

Le premier principe est le droit et le pouvoir de 
l'Église et, plus particulièrement, de l'évêque, déjuger 
les chrétiens pécheurs et de leur remettre leurs péchés. 
La Didascalie y revient à plusieurs fois : 

« Sache, ô évêque, que tu tiens la place de Dieu tout- 
puissant et que tu as le pouvoir de remettre les péchés ; 
car c'est à vous, évêques, qu'il a été dit : Tout ce que vous 
lierez sur la terre sera lié dans le ciel, et tout ce que vous dé- 
lierez sera délie. Ayant donc le pouvoir de délier, connais- 
toi toi-même » (vii, 18, 2, 3). « Toi donc, évêque, juge d'a- 
bord avec sévérité, puis plus tard, reçois le pécheur avec 
miséricorde et pitié, pourvu qu'il témoigne se repentir, ré- 
primande-le, pu'iis-le, persuade-le et purifie-le » (vi, 
13,4)2. 

Le second principe est que tout péché est rémissible 

i. XXVI, 22, 2. Voyez encore IX, 36, 4; XII, 57, 6; S8, 3; Canon, eccîes., 
XXV, XXVI; Fir.siiuEN, Epist. LXXV, iO. 

2. Et voyez encore V, 11; VI, 18, 1 ; VII, 20, 9; IX, 34, 4; S. Methodius, 
De la lèpre, YII, 4-7. Quelques expressions de Firmilien (Epist. LXXV, 4) 
paraissent supposer que l'évêque ne remet pas les péchés, et incite seu- 
lement les pénitents à satisfaire à Dieu. Nul doute cependant qu'en 
Cappadoce, comme ailleurs, les pénitents ne fussent réconcilies par 
révéquc. Firmilien veut dire sans doute que le pouvoir de l'évêque est 
seulement ministériel. 



LA TÎIEOLOGIE EN ORIENT DE 250 A 318. 501 

par l'évêque, pourvu que celui qui s'en est rendu cou- 
pable soit en état d'être pardonné. Tertullien, on s'en 
souvient, avait excepté de cette rémissibilité les trois 
péchés capitaux : même en Occident sa voix n'avait 
trouvé que peu d'écho. Mais, en Oiicnt, au moment 
où nous sommes, le novatianisme faisait échec aux dé- 
cisions de l'Église concernant les lapsi. L'évêque d'An- 
tioche, contemporain de Corneille, Fabius, inclinait vers 
le schisme^ ; les Eglises d'Asie Mineure et de Cappa- 
doceétaientprofondémenttroublées. Aussi voyons-nous, 
dans nos documents, les protestations se multiplier 
contre cette doctrine impitoyable qui condamnait 
les lapsi, même repentants, aux châtiments divins. 
Denys écrit à Fabius, à Novatien lui-même, pour tâcher 
de les ramener; à diverses personnes et Églises, pour 
les prémunir contre l'erreur-. 11 veut qu'on accueille 
avec bonté les pénitents et qu'on les réunisse aux 
autres fidèles ; qu'on absolve les malades bien dispo- 
sés en danger de mort, et, s'ils reviennent à la santé, 
que Ton tienne pour valide cette absolution^. Mêmes 
sentiments dans Firmilien'', mais surtout dans la Di- 
dascalie qui ne cesse de recommander de se défier des 
rigoristes et de pratiquer envers les pécheurs la dou- 
ceur et la miséricorde (vi, 12, 1; 14, 3, 10, 11; 15, 1, 
3; VII, 21). Au reste, dans aucun des documents disci- 
plinaires de cette époque, il n'est question de refus 
d'absolution. On y trouve bien que les meurtriers vo- 
lontaires et certains impudiques d'un genre spécial 
sont soumis à une pénitence qui dure toute la vie ^ ; mais 
nulle part il n'est réglé qu'ils ne seront pas absous. 



1. ECSÈBE, H. E., VI, 44, 1. 

2. EusÉBE, H. E., VI, 41 ; 4-2, s, 6 ; 44; 43; 46; VIII, 3. 

3. Feltoe, 60, 63, Ci. 

4. Epist. LXXV, 4. 

5. Concile d'Ancyre (314), can. 16, 17, 22. 



502 LA THEOLOGIE ANTEMCÉEiNNE. 

Pour l'apostasie, la pénitence prévue ne va pas au 
delà de dix ans ^ 

Voilà donc les principes :' l'évêque peut pardonner 
les péchés, et tous les péchés quels qu'ils soient. L'u- 
nique condition requise est que les coupahles ea fassent 
pénitence; et c'est pourquoi l'évêque a le devoir de 
les appeler, de les presser, de les amener à cette péni- 
tence 2. 

Comment, pratiquement, s'accomplit-elle,, et quels 
en sont les éléments? 

Très souvent, s'il s'agit de fautes publiques, l'é- 
vêque prendra l'initiative de réprimander les délin- 
quants et de les interroger sur leur conduite^. Mais, 
d'autres fois, le pécheur vient de lui-même confier à 
l'évêque l'état de son âme afin d'être guéri*. Dans le 
premier cas, on vient de le dire, la Didascalie veut que 
l'évêque, trouvant le pécheur dans l'église, lai adresse 
des reproches et le fasse mettre dehors. « Quand il 
sort dehors... qu'on l'interroge et qu'on le maintienne 
en dehors de l'église, puis, que l'on rentre et que l'on 
intercède pour lui... Alors, évêque, fais-le entrer et 
demande-lui s'il se repent; s'il est digne d'être reçu 
dans l'Église, impose-lui des jours de jeûne d'après 
son péché, deux semaines ou trois ou cinq ou sept, 
puis laisse-le aller » (vi, 16, 1,2). 

La pénitence proprement dite ou satisfaction suit 
donc l'aveu. Pour certaines fautes publiques elle était 
déterminée d'avance par des canons pénitentiels. On en 
a des exemples dans les lettres canoniques de saint 
Grégoiie le Thaumaturge, de Pierre d'Alexandrie et 
des conciles d'Ancyre (314) et deNcocésarée (314-325) 



i. Conc. d'Ancyre, can. 9. 

2. Dtdasc, VI, 13, 4; 16. 

3. Didasc, VI, 16, 1. 

4. Method., De la lèpre, VII, 4< 



LA THEOLOGIE EN ORIENT DE 250 A 318. 503 

Pour les autres fautes, elle était fixée par l'évêque sui- 
vant la culpabilité du pénitent. En général, la disci- 
pline de rOrient nous apparaît à ce point de vue plus 
douce que celle deFOccident, surtout que celle de l'Es- 
pagne, et les canons 21 et 23 du concile d'Ancyre 
montrent qu'on avait tendance encore à l'adoucira 
C'est dans l'épître canonique du Thaumaturge, qui 
date de 254-258 environ, que l'on rencontre mention- 
nées pour la première fois les quatre stations de la 
pénitence telle que la pratiquaient les Eglises du Pont 
et de la Cappadoce : la station des pleurants (Trpotr/cXauaiç)., 
qui restaient hors de l'église, à la porte; celle des 
auditeurs (àxpoaortç), qui se tenaient dans le vestibule 
intérieur, et sortaient après la prédication avec les caté- 
chumènes ; celle des prosternés (uTroTtroiaiç), placés sous 
le narthex, et qui sortaient aussi en même temps que 
les catéchumènes ; enfin celle des consistants (aû(rra<nç), 
qui assistaient avec les fidèles à tout le service divin, 
mais sans y communier. Cette communion aux saints 
mystères ({AsOsÇtç tSv âyiaaiixTtav] mettait fin à la péni- 
tence (canon 11). On a cru longtemps que ce type de 
pénitence avait été celui de toute FEglise. Il n'en est 
rien. C'était un type local que ni l'Eglise latine ni les 
Églises de Syrie et d'Egypte ne paraissent avoir connu. 
La Didascalie dit seulement que le pénitent devra 
sortir de l'église avec les catéchumènes, après la pré- 
dication, et n'assistera pas au service liturgique pro- 
prement dit (x, 39, 5, 6; 40, 1). Avec cela, il devra 
jeûner, prier, se lamenter, s'imposer les mortifica- 
tions ordinaires. Dans le cas des lapsi, nous voyons, 
à Alexandrie, les oonfesseurs intervenir en leur faveur 



1. Le canon 21 réduit à dix ans la pénitence des prostituées infanti- 
cides, qui auparavant était de toute la vie; le canon 23 réduit à tinq 
ans celle des homicides înTolontaires, qui antérieurement était de 
sept ans. 



504 LA THÉOLOGIE ANÏÉNICÉENNE. 

pour obtenir leur pardon, et cotte intervention était 
considérée comme légitime et efficace ^ 

La pénitence une fois accomplie et jugée suffisante, 
le pécheur était absous et réconcilié par l'évéque^. 
L'évêque lui imposait la main pendant que les fidèles 
priaient pour lui, et lui permettait d'assister désormais 
au service divin. La Didascalie remarque expressé-' 
ment que, par cette imposition de la main, qui est 
comme un second baptême, le pénitent recevait le 
Saint-Esprit, témoignage non équivoque de la purifi- 
cation intérieure qu'opérait l'absolution, et de son ca- 
ractère sacramentel^. 

On a déjà dit la place absolument centrale et pré- 
pondérante attribuée à l'évêque dans l'Eglise par les 
textes du iii^ siècle. Il est naturel dès lors que, à la 
suite de saint Paul, ils insistent aussi sur les garan- 
ties que devait présenter l'élu et sur les vertus dont il 
devait donner l'exemple ^ La Didascalie veut qu'il ait 
au moins cinquante ans; toutefois, en cas de nécessité, 
elle est moins exigeante : l'essentiel est qu'il possède 
les qualités de sa charge^. Il est bon, disent les Ca- 
nons ecclésiastiques (xvi), que l'évêque ne soit pas 
marié ; s'il l'est, qu'il soit au moins unius uxoris. L'é- 
vêque est désigné par l'assemblée locale, mais or- 



\, Denys, ap. EcsÈBE, H. E., VI, 42, 5, 6; Feltoe, p. 18. 

2. Methodius, De la lèpre, Vil, 6. 

3. « Puis, quaad l'un d'eux (des pécheurs) se sera couTerti et mon- 
trera des fruits de pénitence, rccevez-ic à la prière comme (on le fait^ 
jiour un païen. Comme donc tu baptises le païen pour le recevoir en- 
suite, de même tu imposeras la main à celui-ci, tandis que chacun 
priera pour lui, puis tu le feras entrer, et l'associeras à l'Église ; il 
aura cette imposition des mains en place du baptême, car soit par 
l'imposition des mains, soit par le baptême, on reçoit communication 
du Saint-Esprit ■> (X, 41, 1,2; voir encore VII, 17, 7). La traduction latine 
est concordante. 

4. Didascalie, IV, V; Can. eccles., XVI. 

5. Didasc, IV, 1, 1-5. 



LA THÉOLOGIE EN ORIENT DE 250 A 318. 505 

donné et établi, par l'imposition des mains, prêtre par 
excellence et chef dans le sacerdoce ^ 

Cependant, comme il serait impossible à l'évêque de 
suffire par lui seul à tout le ministère de l'Église, « il 
se fera des prêtres, ses conseillers et ses assesseurs, 
ainsi que des diacres et des sous-diacres autant qu'il en 
aura besoin ^ ». C'était un titre à être promu dans les 
rangs du clergé que d'avoir confessé sa foi dans la 
persécution^. En revanche, la digamie, le baptême des 
cliniques étaient des irrégularités qui normalement 
s'opposaient à cette promotion ^ De plus, un prêtre 
ou un diacre convaincus d'avoir commis, avant leur or- 
dination, un péché charnel grave devaient, le premier, 
cesser d'ojfîrir le saint sacrifice tout en continuant ses 
autres fonctions, le second ne remplir que les fonctions 
de l'ordre inférieur^. Cette disposition montre l'incom- 
patibilité que l'on sentait exister entre les rapports 
sexuels au moins illégitimes et le service de l'autel. En 
vertu du même sentiment, les prêtres et les diacres ne 
pouvaient se marier après leur ordination, bien qu'il 
leur fût permis d'user du mariage antérieurement con- 
tracté^. Et même encore ici, les Canons ecclésiastiques 
(xviii) émettent le vœu que les prêtres s'abstiennent 
dans une certaine mesure (-rpoTto) tivi) des relations 
conjugales. 

C'est par l'imposition des mains (/.eipoôsaia) qu'étaient 
conférés le presbytérat et le diaconat '^. Par leur ordre 

1. Didasc, lY, 1, 1; 2, 3; IX, 33, 3. 

2. Didasc, IX, 34, 3. 

3. Pierre d'Al., Epist. can., 14. 

4. Can. eccles., XX; Conc. de Néocésarée, can. 8, 12. 

b. Conc. de Néocésarée, can. 9, 10. Le concile remarque à cette occa- 
sion que « suivant l'opinion de beaucoup, les autres péchés (autres 
que l'impureté) sont éteints (àçiévat) par l'ordination sacerdotale » 
(can. 9). Remarquer le mot âepsfft; : les suites mêmes sont effacées. 
6. Conc. d'Ancyre, can. 10; Conc.de Néocés., can. 1. 
Conc.de Néocés., can. 9. 

LA THÉOIOr.IE ANTÉmCÉENNE. — T. ï. 29 



606 LA THÉOLOGIE ANTÉNICÉENSE. 

les prêtres étaient sans doute supérieurs aux diacres. 
Néanmoins ceux-ci, grâce à leur ministère plus actif, 
obtenaient souvent en fait une influence supérieure, 
dont témoignent les documents ^ . 

On vient de voir qu'après les diacres, la Didascalie 
mentionne les sous-diacres. C'est la première fois que 
l'on rencontre en Orient ce genre de ministres qui y 
fut fort peu connu ^ ; mais comme d'ailleurs la Didas- 
calie mentionne aussi les lecteurs (ix, 28, 5), on ne 
peut la soupçonner de confondre les deux ordres. Les 
lecteurs constituent en effet les seuls ministres infé- 
rieurs que possédât l'ensemble des Églises grecques à 
cette époque. Les Canons ecclésiastiques (i, xix) les 
nomment après les diacres. La Didascalie suppose 
qu'il n'y en avait pas partout (ix, 28, 5). En tout cas, 
nous n'avons aucune indication sur le rite de leur 
ordination. 

A la fin du iii^ siècle, il existait encore en Orient des 
sectes qui niaient la bonté morale du mariage, gnos- 
tiques attardés ou manichéens du début. La Didascalie 
les dénonce avec horreur (xxiîi, 10, 2; xxvi, 20). Leur 
négation dépendait d'un système dualiste qui regar- 
dait la matière comme mauvaise. Ce n'était pas le cas 
d'Hiéracas que saint Épiphane accuse d'avoir été un 
contempteur du mariage. Son point de vue était pure- 
ment religieux et chrétien. Hiéracas pensait que le 
mariage, permis sous l'ancienne Loi, ne l'était plus 
sous la nouvelle ; que cette prohibition était la grande 
nouveauté apportée par Jésus-Christ à la terre dans 
son incarnation; que la parole de saint Paul dans 
/ Corinih.j vu, 2, devait s'entendre d'une pure tolé- 

1, mda&C, IX, 27, 4-7; 28, 3-6; 30, 1 ; XI, 44, 2-4. 

2. La traduction latine est concordante : le» ComMiv.lwm apostoli- 
ques ont omis le passage. 



LA THÉOLOGIE EN ORIENT DE 250 A 318. 507 

rance, propter fornicationem, par crainte d'un plus 
grand mal; mais que, d'ailleurs, on ne pouvait, sans 
la continence, obtenir la vie ni entrer dans le royaume 
des cieux * . 

Ces erreurs et ce rigorisme furent repoussés par 
l'Eglise. La Didascalie insiste sur le caractère moral 
et saint du mariage. Les époux qui ont commerce entre 
eux sont et restent purs, et ils peuvent, sans purifica- 
tion, se présenter à l'église (xxvi, 22, 8, 10; xxii, 11, 
6 ; XXIV, 12, 1, 2). Saint Methodius regarde aussi le 
mariage comme légitime 2. En Orient cependant, les 
secondes noces, sans être prohibées, étaient généra- 
lement mal vues, surtout pour les femmes, et les 
digames étaient soumis à une pénitence^. Pour la 
Didascalie, les troisièmes noces sont une vraie pros- 
titution (xiv, 2, 2). 

Quant à la supériorité de l'état de continence sur 
celui du mariage, on sait que Methodius l'a magnifi- 
quement proclamée dans son Banquet des dix vierges. 
La virginité s'y trouve exaltée comme la plus belle 
des vertus, to xopuspatotaTOv xa\ [/.axaptov iTTtTî^SeyfJta ^, 
comme la vertu par excellence de Jésus-Christ 
l'àpj^^ntapôÉvoç^. 

se. — Les fins dernières. 

Pas plus que sur les autres points de la doctrine 
chrétienne, nous ne trouvons dans les auteurs que 
nous étudions ici d'exposé suivi et complet de la doc- 
trine des fins dernières. 

Quoi qu'il en soit des justes ordinaires, on regarde 

1. s. ÊPiPiîASE, Eaer. LXVII, 1, 2. 

2. Gonviv., n, 1, 2 ; m, 11 et suiv. 

3. Didasc, XIV, 1, 2; 3, i; Conc. deNéocésarée, can. 3, T. 

4. Conviv., VIU,1; vn, 3. 

5. Conviv., I, 5. 



508 LA THEOLOGIE ANTENICEENNE. 

comme certain que les martyrs jouissent, dès l'instau l 
de leur mort, de la vue de Dieu et de la compagnie du 
Christ. Ils deviennent les assesseurs du Christ, partici- 
pant à sa royauté et à sa judicature. Ils jugent avec lui' . 

La croyance que la durée du monde serait de six 
mille ans seulement, correspondant aux six jours de 
la création, paraît avoir été assez répandue^. Et comme 
on pensait, assez généralement aussi, que Jésus-Christ 
est né en l'an 5500 de la création 2, on en concluait 
que la fin du monde n'était pas très éloignée. Quant 
au septième jour, où Dieu se reposa, quelques auteurs 
y voyaient la figure des mille ans pendant lesquels 
Jésus-Christ, revenu du ciel, devait régner sur la terre 
avec les justes. Malgré l'opposition d'Origène, cette 
erreur s'était encore maintenue dans plusieurs Eglises 
de l'Egypte, et il fallut que Denys le Grand s'occupât 
de la déraciner •*. En" tout cas, elle fut ruinée dans 
Alexandrie, car on ne voit pas que Tévêque Pierre, 
qui combattit d'autres parties de la doctrine d'Ori- 
gène, l'ait attaqué sur celle-ci. Même attitude en 
Palestine : Pamphile n'a pas eu à défendre Origène 
de n'être pas millénariste. En revanche, Methodius, 
rattaché à l'école asiatique, s'est prononcé pour le 
millenium et a reproduit les vues de saint Irénée^. 

Une question plus importante était celle de la résur- 
rection de la chair. Indépendamment des païens, ce 
dogme était encore nié par les gnostiques et les mani- 
chéens ". Hiéracas lavait aussi repoussé'^, et Origène 
ne l'avait qu'incomplètement compris et interprété. 
Contre les premiers, la Didascalie dirige tout son 

d. Denys, ap. Eusèbe, E. E., VI, 42, S; Feltoe, p. 18. 

2. Methodius, Conviv., IX, i, 5; Didasc, XXVI, 18, 18. 

3. C'est la date adoptés par Jules Africain dans sa Chronographie. 

4. Voir ci-dessus, p. '23.%, 223 et Eusèbe, H. E., IV, 24. 

5. Conviv., IX, 1, o. La pensée de la Didascalie reste incertaine. 

6. Didasc, XXIII, 10, 1 ; XXVI, 20. 

7. S. ÉPiPHANE, Haer. LXYII, 1. 



LA THÉOLOGIE EN ORIENT DE 250 A 318. 509 

chapitre vingtième, dans lequel elle fait valoir, en 
faveur du dogme, l'Écriture, le témoignage de la 
Sibylle, la légende du phénix, la puissance de Dieu 
qui peut ressusciter ce qu'il a créé, et enfin l'exemple 
de Jésus-Christ ressuscité, gage de notre propre ré- 
surrection. Contre Origène, que Pamphile s'efforce 
de défendre ^ , Pierre d'Alexandrie et Methodius com- 
posent chacun un traité De la résurrection, où ils 
repoussent l'idée d'une résurrection purement spiri- 
tuelle et insistent sur l'identité matérielle du corps 
ressuscité avec le corps enseveli, la résurrection exi- 
geant, pour être telle, que cela même qui est mort 
revienne à la vie 2. Nous ressusciterons donc dans le 
corps même que nous possédons actuellement, avec 
toutes ses parties. Ce corps sera sans doute extérieu- 
rement changé et transfiguré : chez les élus, il res- 
suscitera en gloire de la vie éternelle ; mais il conser- 
vera son identité : il ne deviendra pas autre : oùy Ixôpoç 
Y£VO(7.£voç — oùx aXXoç Tuap' 8 Trécpuxe [ji.ETa6a)vXo[X£vo<;^. 

La résurrection des corps sera suivie du jugement 
dans lequel Dieu traitera chacun selon son mérite et 
ses œuvres''. Les réprouvés iront au feu éternel, au 
feu où ils seront brûlés et suppliciés pour toujours^. 
Le sort des élus, au contraire, sera la vie éternelle. Ils 
entreront dans une lumière de gloire qui les envelop- 
pera tous, mais fera briller surtout les martyrs d'un 
éclat spécial et plus magnifique®. 

\. Apologîa, cap. vu. Le chap. x défend Origène contre l'accusation 
d'avoir enseigné la migration des âmes. 

2. Method., De resurrecL, I, 49, 3, 4; 50, 1; m, 1, 1; 2, 2, 3; 3; 8, 7; 
12. 

3. Adamantius, V, i6, 24; Didasc, XX, 7, 1. 

4. Adam., I, 16; II, 5, 13; Can. eccles., I, XIV. 

5. Didasc, Vn, 21,8; XIX, 6, 7, 8; XX, 7, 8-ÎO; XXIII, 3, 7; XXVI, 20. 
Pamphile tâche ici de défendre Origène {Apoî., cap. viii), mais il ne le 
défend que contre l'accusation de nier l'existence même de tout châ- 
timent pour les pécheurs. 

6. Didasc, XX, 7. 18, 19, 23, 24. 



CHAPITRE XV 



LE BILAN DOCTRINAL ET THÉOLOGIQUE DE l'ÉGLISE 
A LA VEILLE DE l'aRIANISME. 



Le tableau qui va suivre n'a pas la prétention d'ex- 
poser tout ce que l'Église croyait ou enseignait au com- 
mencement du iv^ siècle : le but, plus modeste, est 
simplement de résumer les résultats de l'enquête .à 
laquelle nous nous sommes livrés dans ce volume, 
ou plutôt de marquer, aussi précisément que possible, 
le point de développement que les principales croyances 
chrétiennes avaient atteint, et auquel la théologie les 
avait poussées. 

L'autorité de l'Ecriture comme source et règle de la 
foi était universellement reconnue, et le canon du 
Nouveau Testament, s'il n'était pas complètement 
fixé et comptait encore des àvxiXeYoVev*, comprenait 
à peu près la totalité des livres que nous y trou- 
vons aujourd'hui. En exégèse, deux méthodes ex- 
trêmes s'étaient fait jour : l'une qui suivait les pro- 
cédés de Philon et d'Origène, et qui tendait à sacrifier 
la lettre à la doctrine ou au système : c'est l'allégo- 
risme ; l'autre qui n'étudiait dans l'Écriture que les 
syllabes et les mots, ou même le sens historique le plus 
étroit : c'est le littéralisme absolu. Il est bien remar- 
quable que celui-ciavait été cultivé surtout par les écoles 

510 



RÉSUMÉ ET SYNTHESE. 511 

qui avaient abouti à l'adoptianisine. Mais entre ces 
deux méthodes contraires, une troisième, même à 
Alexandrie, tendait à prévaloir qui voulait unir la 
doctrine à la lettre, et trouver dans la lettre l'expres- 
sion et la raison de la doctrine. On s'attachait au 
texte, mais on y voyait un ensemble de formules de la 
foi dont l'Église avait l'intelligence, autant que l'his- 
toire de la révélation divine faite à l'homme. 

La condamnation répétée du sabellianisme avait 
mis hors de cause la distinction réelle des termes di- 
vins de la Trinité. TertuUien leur avait déjà attribué 
le vocBhlé âe personne, et Origène celui d'uTro(j-ca<rt;, 
généralement accepté, mais dont l'emploi cependant 
ne devait devenir exclusif que plus tard. On croyait 
à la divinité du Verbe ou du Fils, conclue de la divi- 
nité de Jésus-Christ plutôt qu'affirmée directe- 
ment. Le Fils est né du Père : il n'est donc pas un 
xTi(T}jL« ni un Troirjuoi, mais bien de l'essence du Père, èx. 
T^ç ouffi'aç : l'équivalent de cette dernière expression 
est dans les apologistes et l'expression elle-même 
se rencontre après eux. Quelques obscurités de sur- 
face régnent encore cependant chez un petit nombre 
d'écrivains, qui tiennent surtout à l'état rudimentaire 
de leur Isoigue. En tout cas, le mot qui doit tout ter- 
miner, rôfAoouffioi; a déjà fait son apparition. Les Alexan- 
drins l'ont prononcé et Adamantius l'a écrit. Le con- 
cile d'Antioche, il est vrai, Vu. rejeté, mais seulement 
au sens sabellien. D'autre part, on ne lui donne peut- 
être pas immédiatement toute sa force; il faudra, 
pour en montrer toute la ioortée, qu'Athanase insiste 
sur l'unité divine. 

Quant à la personne du Saint-Esprit, elle reste à 
peu près en dehors de l'examen 'théologique. Dans 
le langage courant, on en parle comme d'une personne 
proprement divine. Puis, à la réflexion, quelques hé- 



512 LA THÉOLOGIE ANTRNICÉENNE. 

sitations se produisent peut-être dans l'école d'Ori- 
gène : simples scrupules de théoriciens que le reste 
de l'Église ne paraît pas avoir connus, et que l'autorité 
d'AtUanase dissipera d'un mot. C'est par le Fils que 
l'on rattache le Saint-Esprit au Père : la formule a 
Pâtre per FUium représentera bien cette conception. 

Des questions relatives à l'incarnation deux seule- 
ment ont été expressément traitées et résolues : celle 
de la divinité de Jésus-Christ contre les adoptianistes, 
et celle de la réalité de son humanité contre les do- 
cètes. Sur les autres points, si l'on excepte Tertullien 
dont les formules anticipent l'avenir, on n'a posé en- 
core que les prémisses des solutions, ou, quand on 
a énoncé les solutions, on l'a fait en dehors de toute 
polémique. Aucune difficulté ne s'est élevée sur l'exis- 
tence d'une âme humaine en Jésus-Christ : l'autorité 
d'Origène détruira plus tard ici les sophismes d'A- 
pollinaire. La croyance en l'unité de personne en 
Jésus-Christ est, on peut le dire, générale : elle 
se manifeste surtout par l'usage de la communica- 
tion des idiomes. D'autre part, en maintenant que 
le Sauveur est à la fois vraiment Dieu et vraiment 
homme, et qu'en devenant homme il n'a pas cessé 
d'être Dieu, les Pères écartent par avance les di- 
verses formes du monophysisme, et jettent les bases 
des définitions de Chalcédoine. La doctrine de l'unité 
personnelle et de la dualité des natures de Jésus-Christ 
est donc en substance reconnue et acceptée : seulement 
le langage n'y correspond pas toujours, et l'expression 
en manque parfois de rigueur et de fermeté. 

Jésus-Christ est venu pour nous sauver, pour nous 
racheter : on rattache à sa mort cette œuvre de 
rédemption et de salut. Le sang de Jésus-Christ est 
regardé comme le prix de notre rançon payé à la 
justice de Dieu : il y a déjà là une manière de 



RÉSUME ET SYNTHÈSE. 513 

satisfaction : mais une théorie plus profonde, déve- 
loppée de saint Paul, accentue cette dernière idée 
en nous montrant en Jésus-Christ le représentant de 
toute l'humanité expiant en son nom. C'est la théorie 
de notre récapitulation dans le Sauveur ou encore de 
sa mort considérée comme un sacrifice. 

La mariologie est presque toute renfermée jusqu'ici 
dans l'article du symbole « natus ex Maria virgine » . 
Saint Justin, saint Irénée et TertuUien y ajoutent l'idée 
d'une part qui revient à Marie dans l'œuvre de notre 
rédemption, comme une part revient à Eve dans celle 
de notre perte. L'angélologie n'a point reçu de pré- 
cision notable ; beaucoup d'écrivains continuent d'y 
suivre les interprétations juives à propos notamment 
de l'union des fils de Dieu avec les filles des hommes 
[Genèse, vi, 2). En revanche, le culte des saints, et en 
particulier des martyrs, est chose pratiquée et acquise. 

La théorie du péché originel est encore à faire ; mais 
on en possède les éléments, et si l'on n'a pas l'idée nette 
et explicite de ce qu'est en soi la faute héréditaire, on 
a du moins le sentiment d'une chute physique et mo- 
rale, conséquence de notre naissance d'Adam pécheur. 
Il faudra attendre saint Augustin pour entendre sur la 
grâce actuelle un enseignement un peu complet ; jusque- 
là, celui de l'Église se borne à l'affirmation générale 
du besoin que nous avons du secours de Dieu pour faire 
le bien, et aussi du devoir qui nous incombe de coo- 
pérer par nos œuvres à notre salut. TertuUien a vigou- 
reusement dessiné la théorie du mérite et de la satis- 
faction, et l'Occident se l'est appropriée : en Orient les 
choses sont moins avancées, et les rapports de Dieu et 
de l'homme sont déterminés d'une façon moins juridique 
et moins rigoureuse. 

Ce sont les Africains qui ont, avec saint Irénée, con- 
tribué le plus au développement de l'ecclésiologie. Il 

29. 



614 LA THÉOLOGIE ANTÉNICEENNE. 

est entendu depuis longtemps qu'il n'y a qu'une seule 
vraie Église au sein de laquelle on puisse être sauvé; 
que dans cette Eglise elle-même doit régner, avec 
l'unité des cœurs, l'unité de symbole et de foi; qu'un 
des caractères de cette Église est d'être catholique, 
c'est-à-dire répandue dans le monde entier. Cette 
Église possède la vérité, et jouit, pour la prêcher sûre- 
ment, de l'assistance du Saint-Esprit. Elle jouit aussi 
du pouvoir de remettre les péchés, tous les péchés, et 
l'exercice de ce pouvoir n'est limité que par elle- 
même. Le droit de sa hiérarchie est d'ailleurs, au début 
du iv° siècle, fermement établi et reconnu. Prêtre, 
docteur et législateur, l'évêque enseigne, gouverne et 
administre, en même temps qu'il préside à la liturgie. 
A l'évêque de Rome manifestement textes et faits attri- 
buent ou supposent une considération hors de pair et 
une autorité spéciale dont la nature et l'étendue ne sont 
pas cependant entièrement déterminées. 

On entre dans l'ÉgKse par l'initiation chrétienne, 
dont l'ensemble comprend le baptême, la confirmation 
ou consignation et l'eucharistie. La doctrine du bap- 
tême est à peu près achevée en ce qui concerne son 
rôle, ses effets, le sujet qui le reçoit, et les conditions 
où doit se trouver le ministre qui le confère au point de 
vue de la foi. Ici, malgré quelques dissidences qui se 
prolongeront, l'usage de Rome, dans la controverse 
baptismale, triomphe de celui de Carthage. La con- 
firmation ou consignation, bien que distinguée du bap- 
tême, ne se sépare guère normalement de lui ni dans le 
langage ni dans la pratique ; et quant à l'eucharistie, 
si nous trouvons qu'on nous la présente généralement 
et d'une façon nette comme étant, ea vertu d'une con- 
version, le corps et le sang de Jésus-Christ, rien ce- 
pendant n'est expliqué de la façon dont on conçoit 
cette préseace réelle de Jésus-Christ dans le sacre- 



RÉSUMÉ ET SYiN'FHÈSÈ. 515 

ment. Dès la plus haute antiquité, la liturgie eucharis- 
tique est regardée comme un sacrifice commémoràtif 
de la mort du Sauveur. C'est un sacrifice vrai et plein ; 
on l'offre, en dehors des jours fixes, au jour des nata- 
litia des martyrs ; on peut l'offrir pour les défunts. 

J'ai déjà parlé, à propos dé l'Église, de la pénitence 
et du pardon des péchés : les trois conditions de ce par- 
don, confession, expiation, absolution de l'évêque se 
trouvent déjà indiquées dans TertuUien et Origène. Sur 
les autres rites, extrême-onction et mariage, les docu- 
ments des trois premiers siècles se taisent ou s'éten- 
dent peu. Sur l'ordre, ils sont plus explicites, sans 
l'être beaucoup. L'ordre se confère par l'imposition 
des mains de l'évêque, ou des évêques, et du clergé. 
Au milieu du me siècle, les ordres inférieurs sont au 
complet : on en compté cinq en Occident, ceux de 
sous-diacre, d'acolythe, d'exorciste, de lecteur et de 
portier : en Orient, on connaît surtout les lecteurs. 

Dans la période qui nous a occupé, la morale des 
communautés chrétiennes n'a pas couru de moindres 
dangers que leur croyance, et peut-être ne sont-ce pas 
les théories laxistes qui l'ont le plus menacée. Le 
laxisme se dénonce lui-même : il en est autrement de 
l'encratisme et du rigorisme outré vers qui ces généra- 
tions fortes se sentaient naturellement attirées, comme 
vers les formes supérieures de la vertu. Le bon sens de 
l'Église a cependant fait justice de ces exagérations. 
La distinction a été posée des préceptes et des conseils ; 
et si l'accomplissement des premiers a été regardé 
comme une essentielle condition du salut, l'observation 
des seconds a été laissée à l'initiative des âmes plus 
généreuses. L'idéal chrétien ne s'est pas abaissé, mais 
on n'a imposé à personne de sortir, pour y atteindre, 
des voies communes. 

Les impuilsîons violentes vers les voies extraordi- 



516 LA THEOLOGIE ANTENICEENNE. 

naires, qui résultaient, dans le principe, de l'attente 
d'un jugement imminent ou des menaces de mort au 
milieu desquelles on vivait, s'étaient, du reste, singu- 
lièrement atténuées au début du iv^ siècle, alors que la 
parousie ne semblait plus si proche, et que l'édit de 
Milan paraissait avoir clos l'ère des persécutions. A ce 
moment, les calculs d'un Lactance et d'un Commodien 
sur la fin du monde ne troublaient que peu de gens, et 
les rêves millénaristes avaient perdu beaucoup de 
partisans parmi les chrétiens instruits. L'autorité hié- 
rarchique les laissait peu à peu tomber. On n'était pas 
entièrement d'accord sur le point de savoir quand aurait 
lieu, après la mort, la rétribution définitive. En re- 
vanche, la résurrection delà chair était universellement 
admise : seulement, l'école d'Origène l'entendait dans 
un sens contre lequel on commençait à protester éner- 
giquement. Sa théorie de V apocatastasis, contraire, il 
faut le remarquer, à toute la tradition antérieure et 
contemporaine, n'avait pas encore conquis de sym- 
pathies notables, et. ne devait trouver que plus tard 
un écho chez quelques écrivains de l'Église. Jusqu'ici 
on s'en tenait aux anciennes affirmations d'un enfer 
éternel destiné aux pécheurs, et d'une vie sans fin dans 
la société de Dieu qui serait la récompense des justes. 
Ce résumé de l'état de la doctrine théologique à la 
veille de l'arianisme nous montre donc l'Église fixée 
sur les bases de sa croyance, et, en somme, prête, 
quand il le faudra, à en définir les grandes lignes. 
L'organe de ces définitions devait être sa hiérarchie, 
et c'est parce que les prérogatives de cette hiérarchie 
sont reconnues, que l'Eglise pourra imposer ses déci- 
sions et dissiper les attaques dont elles seront l'objet. 
Malheureusement, cette hiérarchie elle-même se 
trouvera souvent divisée, et les rivalités de personnes 
autant que les divergences doctrinales prolongeront 



RÉSUMÉ ET SYNTHÈSE. 517 

outre mesure des débats qu'une discussion sincère 
aurait pu clore en quelques heures. Mais au moins ces 
débats, en se prolongeant, seront-ils l'occasion d'un 
éclaircissement plus complet de la révélation évangé- 
lique, et d'un progrès plus sensible de la société chré- 
tienne dans l'intelligence de sa foi. 



TABLE ANALYTIQUE 



AberoiuB. — Son témoignage sur le baptême, 269; l'eucha- 
ristie, 274. 

Actes de sainte Perpétue. — Témoignage de ces Actes sur 
l'eucharistie, 439, note 3; sur le sort de l'âme des martyrs 
après la mort, 4S6 ; le purgatoire, 457 ; la béatitude du ciel, 
461, note 1. 

Adamantius ou le dialogue De recta in Deum fide, 478. Son 
enseignement sur Dieu, 479; le Verbe, 482; le Saint-Esprit, 
490; la création, 491; la préexistence des âmes, 492; le mal et 
son origine, 493; Jésus<!hrist, 493, 494; la rédemption, 495; 
l'Église, 496; l'eucharistie, 498; la résurrection de la chair, 
509 ; le jugement, 509. 

Adoptianisme, dans Hermas, 126, 127. L'adoptianismeàRonje, 
ses fauteurs, sa doctrine, 349, suiv. L'adoptianisme dans le 
traité De monlibus Sina et Sion, 410, note 5. L'adoptianisme 
de Paul de Samosate, ^2, suiv. 

Agadah ou Haggadah, 32. 

Allégorisme. — Son origine chez les juifs alexandrins, 47. Son 
emploi par Clément d'Alexandrie, 285; par Origène, ^1, 302» 
par S. Hippolyte et Victorln de Pettau, 340, 341. 

Aloges. — Leur doctrine, 221. 

Ame. — Doctrine du paganisme gréco-romain, 20; du judaïsme 
palestinien, 38; du judaïsme hellénique, 50; de Philon, 55, 
56 ; d'Apelles, 212 ; des apologistes et de S. Irénée, 258, 259 ; 
de Clément d'Al., 288; d'Origène, 311-313; de TertuUien, No- 
"vatien, Amobe, Lactance, 405-407; de Pierius, Pamphile, 
Pierre d'Al., Methodîus, Adamantius, 492. — Ame de Jé- 
sus-Christ, chez S. Justin, S. Irénée, Méliton, 262; chez 
Origène, 313, 314; chez S. Hippolyte et TertuUien, 412. 

Angélologie. — Enseignement du judaïsme palestinien, 37," 



520 TABLE ANALYTIQUE. 

de Philon, 55; de Jésus-Christ, 64; de l'Apocalypse, 107; des 
apologistes, 257, 258; d'Origène, 311; de TertuUien et de Lac- 
tance, 404, 405 ; du manichéisme, 470. 

Antéchrist, dans le judaïsme palestinien, 43; dans S. Paul, 
92, 93; dans les Pères apostoliques, 162, 163; dans les auteurs 
latins du troisième siècle, 457, 458. 

Anthropologie. — Enseignement du judaïsme palestinien, 
38,39; du judaïsme hellénique, 50; de Philon, 56; de S. Paul, 
83, suiv. ; du gnosticisme, 199, 200; des apologistes, 258-260; 
de S. Irénée, 260; de Clément d'AL, 288; d'Origène, 311-313; 
des auteurs latins du troisième siècle, 405-409; du manichéisme, 
470; de Methodius et de la Didascalie, 492, 493. 

Apelies. -- Sa doctrine, 211, 212. 

Apocryphes (Livres) de l'Ancien Testament palestiniens, 
33, 34; judéo-helléniques, 48, 49. Apocryphes cités par les 
Pères apostoliques, 122. Apocryphes clémentins, 185, noie 3, 
188. Apocryphes gnostiques, 196. Apocryphes cités par Clé- 
ment d'Al., 284, note 3. 

Apologistes du n" siècle. — Notice patrologique, 226, suiv. ; 
leur défense du christianisme, 229, suiv. ; leur attitude vis-à- 
vis de la philosophie, 231, suiv.; leur explication de l'origine 
du paganisme, 234, 235; leur argumentation contre les juifs, 
234, 235; leur théologie, 239, suiv. Pour le détail, voir le nom 
de chacun d'eux. 

Aristide. — Son apologie, 227. Ce qu'il reproche au paganisme, 
et l'idée qu'il se fait des faux dieux, 234, 235. Son enseigne- 
ment sur Dieu, 244; Jésus-Christ, 261. 

Arnobe. — Son ouvrage, 336. Sa philosophie, 345. Son ensei- 
gnement sur Dieu, 390; la création, 404; les démons et les 
faux dieux, 405; l'origine de l'âme, 4Cfe, 406; Jésus-Christ, 4 k', 
note 2, 413, 415, note 1 ; la rédemption, 416; la prière pour les 
morts, 457; les supplices des réprouvés, 459; l'éternité des 
peines, 460, et des récompenses, 461. 

Artémon. — Son erreur adoptianiste, 352. 

Athénagore. — Ses ouvrages, 227. Sa défense du christia- 
nisme, 229,230; comment il explique l'origine du paganisme, 
234, 235. Son enseignement sur l'Écriture, 239; Dieu, 245; le 
Verbe, 245-253; le Sain^Esprit, 255, 256; la Trinité, 257; les 
anges, 257; les démons, 2^; l'àme, ^9; le mariage, 277; la 
résurrection des morts, 278. 

Baptême. — Enseignement de Jésus-Christ, 72, 79; de S. Paul, 
88, 91 ; des Actes, 103; des Pères apostoliques, 143, 144; des 
ébionites esséniens, 188; des elkasaïtes, 190; de S. Justin, 
de S. Irénée, de Théophile d'Antioche, d'Abercius, 268, 269; 
de Clément d'AL, 293; d'Origène, 318; des Pères latins du troi- 



TABLE ANALYTIQUE. 521 

sième siècle, 430, suiv. ; des auteurs grecs de la seconde moitié 
du troisième siècle, 496, suiv. - Baptême des hérétiques. 
Controverse sur sa valeur, et arguments des deux partis, 378 
et suiv. 
Barnabe (Pseudo-). — Son épître, 121. Son enseignement sur 
l'Écriture, 122; Jésus-Christ, 127; la rédemption, 131; la fin du 
judaïsme, 131 ; le baptême, 144 ; la confession, 149 ; la morale 
chrétienne, 160; la fin du monde et le millenium, 162, 163; les 
fins dernières, 164. 

Caius rejette l'Apocalypse de S. Jean, 221, 222; combat le mil- 
lénarisme, 221. 

Calliste. — Son attitude vis-à-vis du sabellianisme, 358, suiv. ; 
son édit pénitentiel, sa portée, 362, suiv. 11 reprend S. llippo- 
lyte et Tertullica, 398. Ses décisions sur le mariage, 451. 

Canons ecclésiastiques. — Origine et date, 478, 479. Leur 
enseignement sur l'Eglise, 496; le sacrifice eucharistique, 500; 
la hiérarchie et les ordres, 504, 505; le jugement, 509. 

Cérinthe. — Son S3'stème, 178, 179. On lui attribue faussement 
l'Apocalypse, 221. 

Chair. — Idée qu'en donne Philon, 56; saint Paul, 83, 84; 
saint Jude, 102; le gnosticisme, 198, 201, 202. 

Christolog-ie. — Enseignement de Jésus-Christ lui-même, 
66-68, 77, 78; de S. Paul, 86, 87; de l'épitre aux Hébreux, 96, 
97; des synoptiques, des Actes et de S. Pierre, 100; de S. Jean, 
106, 110; des Pères apostoliques, 124, suiv.; des nazaréens, 
182; des ébionites, 184, 187, 188; des elkasaïtes, 190; desgnos- 
tiques, 200, suiv.; des apologistes et de S. Irénée, 261, suiv.; 
de Méliton, 262, 264; de Clément d'Al., 288, 289; d'Origène, 
313-315; des adoptianistes romains, 350, suiv.; des Pères latins 
du troisième siècle, 410, suiv.; de Paul de Samosate, 463-465; 
des Ac(a Archelai, 474; des auteurs grecs de la seconde moitié 
du troisième siècle, 493, 494. 

Clément (Saint). — Son épître, 120. Son enseignement sur 
l'Écriture, 121, 122; la tradition, 123; la Trinité, 124; Jésus- 
Christ, 125, 128; la rédemption, 130, 131; l'origine' divine de 
la hiérarchie, 134; et son pouvoir liturgique, 135; les degrés 
de cette hiérarchie, 136, 137; la soumission qu'on lui doit, 
138; la primauté romaine, 141; la synaxe eucharistique, 145; 
la pénitence, 149, 150; la foi et les oeuvres, 159; les vertus 

• chrétiennes, 160; la résurrection des morts, 163; le jugement, 
163; la récompense des justes, 164. 

Clément d'Alexandrie. — Caractéristique générale, 282. 
Son enseignement sur le rôle de la philosophie, 283; de la foi, 
284; sur l'Écriture, 284, 285; Dieu, 285; la Trinité, 285; le 
Verbe, 286, 287; le Saint-Esprit, 287; la création, 287; l'homme 



522 TABLE ANALYTIQUE. 

et la chute originelle, 288; Jésus-Christ, 288, 289; la rédemp- 
tion, 290; la foi et la gnose chrétienne, 290-292; l'Église et la 
hiérarchie, 292, 293; le baptême, 293; l'eucharistie, 293-295; la 
pénitence, 295 ; la résurrection des corps, 295 ; le purgatoire, 
295; l'éternité des peines, 296; le bonheur du ciel, 296. 

Gommodien. — Son œuvre et son époque, 335, 336. Son en- 
seignement sur la Trinité, 392, 393; les démons, 405; l'unité 
personnelle de Jésus-Christ, 415; le baptême, 430; la pénitence, 
442, 444; les lecteurs, 449; la dilation de la rétribution, 456; 
la fin du monde, 457; l'antéehrist, 457; le millenium, 458; le 
jugement et les fins dernières, 459, 460. 

Confession des péchés, dans la Didachè, l'Épître de Bart 
nabéet saint Clément, 149; dans Hermas, 156, 157; danssain- 
Irénée, 276; dans Origène, 319, 320; dans TertuUien et saint 
Cyprien, 442, 443 ; dans Methodius et la Didascalie, 502. 

Confirmation, dans les Actes des apôtres, 103, 104; dans les 
Pères latins du troisième siècle, 433; dans la Didascalie, 498, 
note 2. 

Conseils évangéliques. — Enseignement de Jésus-Christ, 
70, 71 ; de S. Paul. 92 ; d'IIermas et de S. Ignace, 159, 161, 
162; de Clément d'Al., 291, 292; d'Origène, 318; des Pères latins 
du troisième siècle, 454; des Canons ecclésiastiques, 505; de 
Methodius, 507. 

Corneille (pape). — Il condamne le novatianisme, 375. Son 
témoignage sur la confirmation, 433, note 6; les ordres majeurs 
et mineurs, 449; l'ordination des évêques et des prêtres, 449. 

Création. — Enseignement du judaïsme palestinien, 37; de 
Philon, 52-55 ; du gnosticisme, 198, 199; d'Apelles, 212; des 
apologistes, 245, 251, 252; de S. Irénée, 254; de Clément d'Al., 
286, 2S7; d'Origène, 310; des Pères latins du troisième siècle, 
403, 404; du manichéisme, 469; de Denys d'Al., de Théognoste 
et de Methodius, 49ji!, 

Culte des martyrs et des reliques, 158; des anges, 258. 

Cyprien (Saint). — Caractéristique générale, 335. Son énisei- 
gnement sur l'Écriture, 340; la règle de foi, 343; la philoso- 
phie, 345; la Trinité, 399, note 1 ; les démons, 4(fe; le péché 
originel, 408; la grâce, 408, 409; Jésus-Christ, 410, 411; la 
rédemption, 416-418; l'Église, 418-423; la primauté romaine, 
^4-427 ; les sacrements, 428, 429 ; le;baptême, 430-432 ; la valeur 
du baptême des hérétiques, 380-387; la confirmation,- 483, 
434; l'eucharistie, 436^0; la pénitence, 443-448; cf. 370-375; 
les ordres et l'ordination, 448-450; le mariage, 452, 453; la 
supériorité du célibat, 454; le sort des âmes immédiatement 
après la mort, 455; le purgatoire, 456, 457; la fin du monde, 
457; l'antéehrist, 458; la résurrection de la chair, 459; le juge- 
ment et les fins dernières, 459-461. 



TABLE ANALYTIQUE. 523 

De aleatoribus. — Enseignement de cet ouvrage sur l'unité 
de l'Église, 420, note 6; sur le pouvoir de gouvernement des 
évêques, 423; sur leur pouvoir de remettre les péchés, 446, 
note 2; sur le rite de l'ordination des évêques et les effets de 
cette ordination, 449, 450. 

Démonologie du'judaïsme palestinien, 37, 38; de Philon, 55 ; de 
Jésus-Christ, 64, 65; de S. Jean, 107; des apologistes, 258; 
d'Origène, 311; des Pères latins du troisième siècle, 405; du 
manichéisme, 469, 470. 

Denys (Saint), pape. — Il reçoit l'accusation contre Denys 
d'Alexandrie, 485. — Sa doctrine trinitaire, 486, 487, 489. Sa 
conduite dans l'affalre-des rebaptisants, 387, 388. 

Denys d'Alexandrie. — Caractéristique générale, 475, 476. 
Son enseignement sur Dieu, 479; le Verbe, 482-489; le Saint- 
Esprit, 490; la création, 491; Jésus-Christ, 494; la valeur du 
baptême des hérétiques, 380, 498; l'eucharistie, 498, 499; la 
pénitence, 501, 503, 504; le sort des martyrs immédiatement 
après la mort, 508 ; le millenium, 508. 

Descente de Jésus-Christ aux enfers. — Enseignement de 
S. Pierre, 100; de Marcion, 208; de S. Justin, 262, note 7. 

Didascalie des apôtres. — Date et origine, 478. Son enseigne- 
ment sur le Fils, 481, note 6; le Saint-Esprit et la Trinité, 490; 
Jésus-Christ, 493; la rédemption, 494, 495; l'Église, 495, 496; 
la prééminence de révêque,496; le baptême, 497 ; l'eucharistie, 
498-500; la pénitence, 500-504; les ordres et l'ordinatïon, 504- 
506; le mariage, 506, 507; la fin prochaine du monde et le 
millenium, 508; la résurrection delà chair, 508, 509; les fins 
dernières, 509. 

Dieu. — Doctrine sur Dieu du paganisme classique, 19; du stoï- 
cisme, 21, 25; du judaïsme palestinien, 34; du judaïsme hel- 
lénique, 49; de Philon, 52; de Jésus-Christ, 65, 77; de S. Paul, 
82, 83; de S. Jean, 106, 109; d'Hermas et de S. Ignace, 123; 
des ébionites, 184, 185; du gnosticisme, 197, 198; de Marcion, 
207; d'Apelles, 212; des apologistes et de S. Ircnée, 244, 245; 
de Clément d'Al., 285; d'Origène, 303; des Pères latins du 
ni* siècle et surtout de TertuUien, 390, 391 ; du manichéisme, 
469; de Denys d'Alex., de S. Grégoire le Thaum. et de l'Ada- 
mantius, 479. 

Divinité de Jésus-Christ. — Enseignement de Jésus-Christ 
lui-même, 67, 68, 77; de S. Paul, 86; de l'épître aux Hébreux, 
96; de S. Jean, 106, 110; des Pères apostoliques, 124, suiv.; des 
ébionites, 184, 187, 188; des gnostiques, 200,201; de Marcion, 
208 ; des apologistes, 261, suiv. ; de S. Irénée et de Méliton, 
^-264; de Clément d'Al., 289; d'Origène, 314, suiv.; des adop- 
tianistes romains, 350, 351 ; des modalistes, 354, 355 ; des Pèi'es 
latins du m* siècle, 412-416; de Paul de Samosate, 464, 465. 



524 TABLE ANALYTIQUE. 

des Acla Archelai, 474; des auteurs grecs de la seconde moitié 
du iii« siècle, 493, suiv. 

Docétisrae, réfuté par S. Ignace, 128, 147; S. Polycarpe, 129, 
iiote 1. Docétisme asiatique, 176, 177, 180; gnostique, 201; 
deMarcion, 208; d'Apelles, 212; de Clément d'AL, 289. Sa ré- 
futation par Tertullien, 410-412. 

Doctrine des douze apôtres. — Origine et date, 121. Son 
enseignement sur le Nouveau Testament, 122; la Trinité, 124; 
Jésus-Christ, 125; la hiérarchie, 135, 136, 138; le baptême, 143, 
144; l'eucharistie, 145-147; la pénitence, 149; la morale chré- 
tienne, 160; le jeûne, 161, note 1; l'antéchrist, 163; la résur- 
rection des morts, 163, note 3. 

Dogme. — Signification du mot, 1 ; ce qu'est le dogme, 2. Dé- 
veloppement du dogme, 6, note 1. Histoire des dogmes, voyez 
ce titre. 

Ébionisme, Ébionites. — Leur doctrine, 184. Ébionites 
esséniens, 185, suiv. 

Ecciôsiologie, Église. — Enseignement de Jésus-Christ, 71, 
72, 79; de S. Paul, 90; des Actes des apôtres, 102; des Pères 
apostoliques, 131, suiv. ; de S. Irénée et d'Hégésippe, 241, suiv. ; 
de Clément d'Al.,292, 293; d'Origène, 318; des Pères latins du 
ni" siècle, 418, suiv. ; des auteurs grecs de la deuxième moitié 
du m" siècle, 495, suiv. — Église roxaaine, voir Primauté. 

Écrit\ire sainte. — Canon, autorité, interprétation des Écri- 
tures selon les Pères apostoliques, 121, 122; Marcion, 207, 209, 
210; les apologistes et S. Irénée, 239-241; Clément d'Al., 284, 
285; Origène, 300-302; les Pères latins du m° siècle, 339-341. 

Elkasaïtes. — Leur doctrine, 189, suiv. 

Encratisme, Bncratites. — L'encratisme d'Hermas, 161. Les 
encratites, 213, suiv. L'encratisme d'Hiéracas, 506. 

Épître à Diognète. — Sa date, 227. Sa défense du christiar 
nisme, 230. Elle proclame l'abrogation du judaïsme, 236. Son 
enseignement sur Jésus-Christ, 261 ; la rédemption, 261, 262 ; 
les fins dernières, 279. 

Épître (Seconde) de Saint Clément, 120. Sa doctrine sur 
l'Écriture, 122; sur Jésus-Christ, 125, 126; la rédemption, 131; 
l'Église, 132; la hiérarchie, 136; le baptême, 144; la pénitence, 
149; les bonnes œuvres, 159; la pureté, 160; l'aumône, 161; le 
jugement et les fins dernières, 163, 164. 

Eschatologie. — Enseignement du judaïsme palestinien, 42, 
suiv. ; du judaïsme hellénique, 50, 51 ; de Jésus-Christ, 72, suiv. ; 
de S. Paul, 92, suiv.; des apôtres en dehors de S. Paul et de 
S. Jean, 104, 105; de S. Jean, 107-109; des Pères apostoliques, 
162, suiv.; des gnostiques, 202,203; de Marcion, 209; du mil- 
lénarisme, 222; des apologistes et de S. Irénée, 277-279; de 



TABLE ANALYTIQUE. 525 

Clément d' Al., 295, 296; d'Origène, 325-329; des Pères latins du 
111° siècle, 455, suiv.; du manichéisme, 471; des auteurs grecs 
de la deuxième moitié du iii° sièe\e, 507, suiv. 

Esprit (Saint-). — Enseignement sur le Saint-Esprit du ju- 
daïsme palestinien, 35; de Jésus-Christ, 72, 79; de S. Paul, 88, 
89; des synoptiques, des Actes et de S. Pierre, 99, 100; de 
S, Jean, 107; des Pères apostoliques, 124; des elkasaïtes, 190; 
des montanistes, 217; des apologistes et de S. Irénce, 255-257; 
de Clément d' Al., 287; d'Origène, 306, 307; des Pères latins du 
m* siècle, 399-401; des auteurs grecs de la seconde moitié du 
m" siècle, 489-491. 

Esséniens, 185. 

Éternité des peines. — Enseignement du paganisme classi- 
que, 20, 21; du judaïsme palestinien, 44; du judaïsme hellé- 
nique, 51; de Jésus-Christ, 74, 75, 81; de S. Paul, 94; de 
S. Pierre et de S. Jude, 105; de S. Jean, 108, 109; des Pères 
apostoliques, 163, 164; des homélies clémentines, 187; des apo- 
logistes et de S. Irénée, 279; de Clément d'Al., 295, 296; d'Ori- 
gène, 327, 328; des Pères latins du ur siècle, 459, 460; de la 
Didascalie, 509. 

Etienne (Saint), pape. — Il soutient la valeur du baptême 
donné par les hérétiques, 379, suiv.; raisons qu'il fait valoir, 
386, 387. Il revendique la primauté, 423. Comment il entend 
l'imposition des mains in paenitentiam, 446, note 2; cf. 434, 
note 2. 

Eucharistie. ■— Enseignement eucharistique de Jésus-Chi-ist, 
72; de S. Paul, 91 ; des Actes des apôtres, 104; des Pères apos- 
toliques, 145-149," de S. Justin, 269-271; de S. Irénée, 271-274; 
d'Abereius et de Peetorius, 274; de Clément d'Al., 293-295; 
d'Origène, 322-325; de Novatien et de S. Ilippolyte, 434; de 

. Tertullien et de S. Cyprien, 434-440; des auteurs grecs de la 
seconde moitié du iii° siècle, 49S-500. 

Évêque, épiscopat. — Enseignement de S. Paul, 90; de S. Clé- 
ment, 134; de la Didachè, 135; de S. Ignace, 138-140. Origine 
de l'épiscopat unitaire et monarchique, 135-138. Enseignement 
de S. Irénée, 241-243; de Clément d'Alex., 293; de S. Cyprien, 
422, 423; de la Didascalie et des Canons ecclésiastiques, 504, 
505. 

Extrême -Onction, dans S. Jacques, 104. 

Filiation divine de Jésus-Christ. — Voyez Chrlstologie. 

Firmilien. — 11 préside deux conciles contre Paul de Samosate, 
463. Son enseignement sur le Saint-Esprit, 490, note 2 ; sur la 
primauté romaine, 383; sur la valeur du baptême des héréti- 
ques, 283, suiv. ; sur le pouvoir des femmes de baptiser, 497, 
note 5; l'eucharistie, 498, 500; la pénitence, 500, note 2, 501. 



526 TABLE ANALYTIQUE. 

Foi. — Enseignement de Jésus-Christ, 69; de S. Paul, 88; de 
répitre aux Hébreux, 97, 98; de S. Jacques, 101 ; de S. Clément 
et de S. Polycarpe, 159; de Mareion et d'Apelles, 212; de Clé- 
ment d'Al., 290; d'Origène, 317. La foi et la gnose d'après Clé- 
ment d'Al., 283, 284; Origène, 317, 318. — Règle de foi. 
Enseignement de Jésus-Christ, 72; de S. Paul, 91; des Pères 
apostoliques, 121-123, 139, 140; de S. Iréûée, 240-243; de Clément 
d'Al., 293; d'Origène, 298; de TertuUien et de S. Cyprien, 341- 
343. 



CJénération temporelle du Verbe. — Dans quelle mesure 
cette erreur peut être attribuée aux apologistes, 248-253; à 
S. Hippolyte, TertuUien, Novatien, 392-399; à Lactance, 403, 
note 1. 

Gnosticisme, gnostique. — Gnosticisme judaïsant dans 
l'épître aux Colossiens, 173, 174; dans les épîtres pastorales, 
174, 175; dans les épîtres de S. Ignace, 179, 180. Origines du 
gnosticisme dans la deuxième épître de S. Pierre et celle de 
S. Jude, 175, 176; dans les épîtres de S. Jean et dans l'Apoca- 
lypse, 176, 177. Le gnosticisme païen au ii* siècle, origine, doc- 
trines et formes diverses, 192, suiv. — Le gnostique chrétien 
d'après Clément d'Al., 291, 292; d'après Origène, 318. 

Grâce. —Enseignement de Philon, 56; de S. Paul, 85; du Pseudo- 
Barnabe, 144; de S. Ignace, 160, 161; de S. Justin, 259; d'Ori- 
gène, 317; de TertuUien, S. Cyprien, S. Hippolyte, 408, 409; 
de la Didascalie, 493. 

Grégoire le Thaumaturge (Saint). — Ses ouvrages, 477. 
Son enseignement sur Dieu et la providence, 479; le Verbe, 

480, 481 ; la Trinité, 491 ; les stations pénitentielles, 503. 

Halakha, 32. 

Hegemonius. — Sa réfutation du manichéisme, 474; sa doc- 
trine nestorianisante, 474. 

Hégésippe. — Judéo-chrétien orthodoxe, 183. Son idée de la 
tradition, 242, note 1. 

Hermas. — Son livre Le Pasteur, 120. Son enseignement sur 
Dieu et la création, 123; Jésus-Christ, 126, 127; la rédemption, 
131; l'Église, 132; la hiérarchie, 136; le baptême, 143, 144; la 
pénitence, 150-157; le mariage, 157, 158; les préceptes et les 
conseils, les vertus chrétiennes, 159, 160; le jeûne et l'au- 
mône, 161 ; la continence, 161 ; l'antéchrist, le jugement et les 
fins dernières, 163, 164, 

Hermias. — Son apologie, 228. Il bafoue les philosophes, 231. 

Hiéracas. — Ses ouvrages, 476. Son enseignement sur le Fils, 

481, 482; le Saint-Esprit, 490, note 3; la nécessité absolue des 



TABLE ANALYTIQUE. 527 

bonnes œuvres, 497, note 6; le mariage, 506, 507,- la résurrec- 
tion de la chair, 508. 

Hiérarcliie ecclésiastiqae, dans saint Paul, 90, 91; dans 
les Actes des apôtres, 102, 103; chez les Pères apostoliques, 
134-140; chez Clément d'AL, 293; chez les auteurs latins du 
ni» siècle, 418-423, 448, 449; dans la DidascaUe, 49o, 504-506. 

Hippol3rte (Saint). — Caractéristique générale, 337, 338, Son 
enseignement sur l'Écriture, 3^^, 341; sur la philosophie, 346; 
sur le Verbe, 392-394, 396599; le Saint-Esprit, 400; la Trinité, 
401, 403, note 1; la grâce, 408; Jésus-Christ, 412-416; la ré- 
demption, 416-418; l'Église, 418, 419, 421; le baptême, 430, 
431; la confirmation, 433; l'eucharistie, 434; la pénitence, 
448; les ordres, 450; le mariage,-451, 453, 454; le sort des âmes 
immédiatement après la mort, 456; la fin prochaine du 
monde, 457; l'antéchrisc, 457, 458; la résurrection de la chair, 
459; le jugement et les fins dernières, 459, 461. S. Hippolyte 
schismatique : ses accusations contre Zéphyrin et Calliste, 
357, suiv., 363, 364, 451, 454, note % — Canons d'Hippo- 
lyte. Leur caractère, 433, note 1. Leur témoignage sur le 
baptême, 433; la confirmation, 433, 434; les ordres et l'ordina- 
tion, 449, 450. 

Histoire des dogmes. — Ce que c'est, 2, 3. En quoi elle dif- 
fère de l'histoire de la théologie, 4; de la théologie positive, 
4; de la patrologie et de la patristique, 4, 5. Quand faut-il la 
faire commencer? 5, 6. Sources de l'histoire des dogmes, 7, 8. 
Diverses méthodes qu'on y peut suivre, 8, 9. Ses divisions, 9, 
10. Principaux travaux sur l'histoire des dogmes, 10-16. 

Ignace (Saint). — Ses épîtres, 121. Son enseignement sur l'É- 
criture, 121, 122; le magistère ecclésiastique, 123; la Trinité 
124; Jésus-Christ, 1^, 127-130; la rédemption, 131; l'Église', 
132-134; la hiérarchie, 135, 136, 138-140; la primauté romaine' 
142; l'eucharistie, 147, 148; la pénitence, 150; le mariage, 
158; la vie et les vertus chrétiennes, 160, 161; le martyre, 162; 
la résurrection des morts, 163; les fins dernières, 164. 

Incarnation. — Voyez Ghristologie. 

Indissolubilité du mariage, d'après Jésus-Christ, 70; S. Paul, 
91, 92; Hermas, 157, 158; les ébionites esséniens, 189; AthériJ.- 
gore et S. Justin, 277; TertuUien, 452; S. Cyprien, 452; les 
conciles d'Elvire et d'Arles, 452. 

ïrénée (Saint). — Caractéristique générale, 237-239, 279, 280. 
Son enseignement sur l'Écriture, 241, 242; la règle de foi et 
l'autorité de l'Église, 241-243; Dieu, 244, 245; le Verbe ou Fils, 
253-255; le Saint-Esprit, 256, 257; les anges, 257; l'âme, 259, 
note 4; le péché originel, 260; la loi mosaïque, 261; Jésus- 
Christ, 262-264; la rédemption, 265-267; Marie corédemptrice, 



528 TABLE ANALYTIQUE. 

267; le baptême, 269; l'eucharistie, 271-274; la pénitence, 275, 
276; le mariage, 276; la rétribution immédiate après la mort, 
278; la résurrection des morts, 278; le millenium, 278, 279; le 
jugement et les Ans dei-nières, 279. 

Judéo-chrétiens, contemporains de S. Paul, 171, suiv. ; au 
n* siècle, 181 et suiv. Voir Nazaréens, Ébionites, Ébioni- 
tes esséniens, Elkasaïtes. 

Jugement dernier. — Enseignement du judaïsme palestinien, 
44; de Jésus-Christ, 74, 80; de S. Paul, 93, 94; de 1 epître aux 
Hébreux, 98; de S. Pierre, 104; de S. Jean, 108, 109; des Pères 
apostoliques, 163; des gnostiques, 202; des apologistes et de 
S. Irénée, 279; des Pères latins du m" siècle, 459; d'Adaman- 
tius et des Canons ecclésiastiques, 509. 

Justin (Saint). — Ses ouvrages, 227. Comment il défend le 
christianisme, 229, 230; présente les rapports du christianisme 
et de la philosophie, 231-234; explique l'origine du paganisme, 
234, 235; argumente contre les Juifs, 235, 236. Son enseigne- 
ment sur l'Écriture, 236, 239; la tradition, 244, note 1; Dieu, 
244; la Trinité, le Verbe, sa génération, sa subordination, 245- 
253; le Saint-Esprit, 255; les anges, 257, 258; les démons, 258; 
l'homme, l'âme, la grâce, le péché originel, 258-260; Jésus- 
Christ, 262, 263; la rédemption, 264, 265; Marie corédemptrice, 
267; le baptême, 268, 269; l'eucharistie, 269-271; la pénitence, 
275; le mariage, 277; la résurrection delà chair, 278; le mille- 
nium, 223, 224, 278; les fins dernières, 279. 

Lactance. — Caractéristique générale, 336, 337. Sa philosophie, 
345, 346. Son enseignement sur le Verbe, 399, note 1 ; le Saint- 
Esprit, 399. Son subordinatianisme, 403, note 1. Son enseigne- 
ment sur la création, 403; les anges, 404; les démons, 405; 
l'homme et l'âme, 406, 407; Jésus-Christ, 413, 415; Ja rédemp- 
tion, 416; l'Église, 419, 421; le baptême, 430; la pénitence, 445; 
la supériorité de la continence, 454; le sort des âmes après la 
mort, 456; la fin prochaine du monde, 457; l'antéchrist et le 
millenium, 457, 458; le jugement et les fins dernières, 459-461. 

Lapsi. — Comment sont traités les lapsi lyonnais de 177, 275- 
Diverses classes de lapsi africains, 369, 370. Comment on les 
traite en Afrique, 370, suiv. Comment on traite les lapsi à 
Rome, 372. Comment les traite le novatianisme, 374, 375. Com- 
ment on les traite en Orient dans la seconde moitié du ni« siè- 
cle, 501. 

Liber de rebaptismate. — Sa doctrine sur la valeur du 
baptême des hérétiques et les arguments dont il l'appuie, 384, 
386, 387, 431. 

Loi ancienne. — Dans quelle mesure elle est obligatoire : en- 



TABLE ANALYTIQUE. 629 

seignement du judaïsme palestinien, 38, 39; du judaïsme hel- 
lénique, 48; de Jésus-Christ, 69, 70; de l'épître aux Hébreux, 
96, 102; de S. Pierre et de S. Jacques, 101, 102; des judaïsants 
de Jérusalem, 171, 172; des gnostiques judaïsants, 174, 175; 
de Cérinthe, 179; des nazaréens, 183; des ébionites, 184; des 
ébionites esséniens, 186-189; des elkasaïtes, 19Q> — Caractère 
et rôle de l'ancienne Loi d'après S. Paul, 84, 85. Opposition de 
la Loi et de l'Évangile d'après Marcion, 207. 

Magistère ecclésiastique. — Voir Foi, Règle de foi. 

Manichéisme. — Son origine, 467, 468; son fondateui', 468; 
doctrine spéculative et morale, 469-471; hiérarchie et culte, 
471,472; diffusion, 472, 473; réfutations du manichéisme, 473, 
474. 

Marcion et le znarcionisme, 206 et suiv.; les disciples et 
successeurs de Marcion, 211, 212. 

Mariage. — Enseignement de Jésus-Christ, 70; de S. Paul, 91, 
92; d'Hermas et de S. Ignace, 157, 158; des gnostiques judaï- 
sants, 175; des ébionites esséniens, 187, 189; de Marcion, 209; 
d'Apelles, 212; de Tatien, 213; des encratites, 214; des monta- 
nistes, 217 ; des apologistes, de S. Jrénée et de Denys de Co- 
rinthe, 276, 277; des Pères latins du m" siècle, 451, suiv.; du 
manichéisme, 470, 471; d'Hiéracas, 506, 507; des auteui's grecs 
de la seconde moitié du m" siècle, 506, 507. — Indissolubilité 
du mariage, voir ce mot. — Secondes noces, 217, 277,453, 
507. 

îiîxriologie. — Virginité de Marie, dans les synoptiques, 99; 
S. Ignace, 128; saint Justin et saint Irénée, 263; Origène, 298, 
314; Théodote, 350. Négation de sa virginité in partit par Ter- 
tuUien, 412. Marie corédemptrice dans S. Justin et S. Irénée, 
267. Sermon de Pierre d'Al. sur Marie mère de Dieu, 494, 
note 4. 

Martyre. — Le martyre supplée le baptêoie, 143; enseigne- 
ment d'Origène, 318; de TerfcuUien et de S. Cyprien, 430; de 
la Didascalie, 497, note 6. 

Martyrs. — Leur pouvoir de réconciliation, 363, 364, 371, 373. 
503, 504. Les martyrs entrent au ciel immédiatement après 
leur mort, 456, 507, 508. Culte des martyrs, voir Culte. 

Melchisédec, regardé comme une théophanie, 351, 352, 490, 
note 3. 

Melchisédéciens. — Leur erreur, 351, 352. 

Méliton. — Son apologie perdue, 226. Fragments de ses ou- 
vrages, 238. Sa doctrine de la récapitulation, 262; sur les deux 
natures en Jésus-Christ, 264. 

Mérite. — Enseignement de Jésus-Christ, 75; de S. Paul, 
94; de S. Jacques, 101; des Pères apostoliques, 159; de Ter- 

30 



530 TABLE ANALYTIQUE. 

tuUien et deNovatien, 409, 410; de l'Adamantius et des Canons 
ecclésiastiques, 509. 

Messie. — L'idée du Messie dans le judaïsme palestinien, 40, 
suiv.; dans le judaïsme hellénique, 48. Jésus-Christ se donne 
comme le Messie, 66, 67. Démonstration de sa qualité de 
Messie dans iss Actes, 100 ; par S. Justin, 235, 236. 

Métempsyclaose, dans le paganisme classique, 20; dans l'é- 
bionisme essénien, 186, 187; dans l'elkasaïsme, 190; condam- 
née par Origène, 326. 

Methodius (Saint). — Ses ouvrages et caractéristique géné- 
rale, 477, 478. Son enseignement sur le Fils, 480, 481; le 
Saint-Esprit, 490; la création, 491 ; l'homme et la préexistence 
des âmes, 492; le péché et la chute originelle, 493; Jésus- 
Christ, 493, 494; la rédemption, 494, 495; l'Église, 495; le 
baptême, 497; la pénitence, 500, 502, 503; le mariage et la 
virginité, 507; la fin du monde et le millenium, 508; la ré- 
surrection de la chair, 509. 

Millénarisme, dans le judaïsme palestinien, 41, 43; dans 
l'Apocalypse, 108; dans le Pseudo-Barnabe et Papias, 162, 163; 
Cérinthe, 179; le montanisme, 218; S. Justin et S. Irénée, 
278, 279; TertuUien, Commodien, Lactance, Victorin, 458; 
Methodius, 508. La doctrine millénariste, ses tenants et ses 
opposants, 222-225. 

Minucius Félix. — Son apologie, 228. Sa justification du 
christianisme, 230; son attitude vis-à-vis de la philosophie, 
231, 232; ses attaques vis-à-vis du paganisme, 234; comment 
il en explique l'origine, 235. Son enseignement sur Dieu, 244, 
245; la résurrection des morts, 278; les fins dernières, 279. 

Modalisme, dans les homélies clémentines, 187; ses origines 
d'après S. Justin, 347, 348; modalisme de Bérylle de Bostra, 
482, 483; sa forme au ni» siècle dans la Pentapole, 483, 484; 
modalisme de Commodien, 391, 392. Voir le titre suivant. 

Monarchianisxue patripassien. — Ses fauteui'S, sa doctrine, 
363, suiv.; opposition qui lui fut faite, 356, suiv. 

Montan et le montanisme. — Doctrine, diffusion, adversaires 
du montanisme, 215, suiv. 

Morale. — Enseignement moral des stoïciens et de Sénèque, 
24-27; d'Epictète, 28; de Philon, 56; de Jésus-Christ, 69, suiv.; 
des apôtres, 101, suiv. ; des Pères apostoliques, 159, suiv. ; des 
gnostiques, 202; de Marcion, 209. 

Nazaréens, judéo-chrétiens, 181-184. 

Nicolaïtes. — Leurs erreurs, 177; leur origine, 178. 

Noet. — Son histoire et son erreur, 353. 

Novatianisme. — Origine, erreur, diffusion, 374-376. 

Novatien. — Caractéristique générale, 338. Sa philosophie, 



TABLE ANALYTIQUE. 531 

345- Son enseignement sur Dieu, 390; le Verbe, 396-399; le 
Saint-Esprit, 400; l'égalité des personnes divines, 403, note 1; 
l'àme, 406; le mérite, 409; Jésus-Christ, 411-414; l'Église, 419; 
le baptême, 431 ; l'eucharistie, 437; la pénitence, 444, cf. 372, 
373; le sort immédiat des âmes après la mort, 456; la résur- 
rection de la chair, 459. Novatien schismatique et hérétic(ue, 
374-376. 

Odes de Salomon. — Date et caractère, 120, note 1. Leur té- 
moignage sur la Trinité et le Saint-Esprit, 124, notes 1, 4; la 
préexistence de Jésus-Christ, 125, note 4 ; sa naissance ex Ma- 
ria et sa conception virginale, 129, note 1. 

Œuvres (Bonnes). — Leur nécessité pour le salut : enseigne- 
ment de Jésus-Christ, 74; de S. Paul, 88; de S. Jacques, 101 
des Pères apostoliques, 159; des gnostiques, 201 ; de Marcionî 
et d'Apelles, 212; d'Origène, 317; de Tertullien etdejyovatien, 
409, 410; d'Hiéracas, 497, note 6. 

OMOOVSIOS. — Le mot dans Origène, 305, 306; rejeté par un 
concile d'Antioche, 466. L' Adamantins l'emploie, 482. On re- 
proche à Denys d'Al. de ne pas l'employer, 485, 488. 

Ordination, Ordres. — Ordres majeurs, dans S. Paul, 90, 91 ; 
les Actes, 102, 103; les Pères apostoliques, 135, 136; Clément 
d'Al., 2^; Origène, 319; les Pères latins du m" siècle, 448; 
les auteurs grecs de la seconde moitié du m» siècle, 504, 
505. — Ordres mineurs, dans l'Église latine au ni° siècle, 
448, 449; dans l'iiglise grecque à la même époque, 505, 506. 
— Rite de l'ordination, dans S. Paul, 91, dans les Actes, 104; 
en Occident, 449, 450; en Orient, 504-506. — Caractère sacra- 
mentel de l'ordinalion, 429, 430, 505, note 5. 

Origène. — Caractéristique générale, 296, 297. Son enseigne- 
ment sur les vérités définies et non définies, 298-300; l'Écriture, 
300^02; la philosophie et son rôle, 302, 303; Dieu, 303; la 
Trinité, 303, 304; le Verbe, 304-306; le Saint-Esprit, 306, 307. 
Reproche de subordinatianisme, 307-309. Son enseignement sur 
la création, 310; la préexistence des âmes, 310, 311; le péché 
originel, 312, 313; Jésus-Christ et l'incarnation, 313-315; la 
rédemption, 315, 316; la grâce, 317; la foi et la gnose, 317, 318; 
l'Église, 318; le baptême et le martyre, 318; la pénitence, 318- 
321; l'eucharistie, 322-325; le purgatoire, 325; la résurrection 
de la chair, 326; l'éternité des peines et la restitution univer- 
selle, 327-329. Influence d'Origène, 329, 330. 

Paganisme gréco-romain au moment de la venue de Jésus - 
Christ. État de ses croyances et de sa morale, 18, suiv. Origine 
du polythéisme d'après les apologistes, 234, 235. 

Pamphile. — Son apologie d'Origène, 476, 477. Ses sentiments 



532 TABLE ANALYTIQUE. 

sur le Verbe, 482; le Saint-Esprit, 490; la préexistence des 
âmes, 492; le millenium, 508; la résurrection de la chair, 509; 
l'éternité des peines, 509. 

Papias. — Son estime de la tradition orale, 122. Son milléna- 
..risme, 163. 

Patripassianisme. — Voir Monarchianisiue patripas- 
sien. 

Paul de Samosate. — Ses erreurs, sa condamnation, 462, 
suiv. 

Péché. — Enseignement du judaïsme palestinien, 38; de Jésus- 
Ciirist, 69; de S. Paul, 83, 84; de S. Jean, 110, 111; des apolo- 
gistes et de S. Irénée, 260; d'Origène, 312,313; de Tertullien 
407; de l'Adamantius et de Methodius, 492, 493. Péchés ad 
mortem et non ad mortem, dans S. Jean, 111 ; Origène, 320, 321 ; 
Tertullien, 367, 368; le novatianisme, 375, 376. — Péché ori- 
ginel. Enseignement du judaïsme palestinien, 38; de S. Paul, 
83, 84; des apologistes et de S. Irénée, 260; de Clément d'Al., 
288; d'Origène, 312, 313; de Tertullien et de S. Cyprien, 407, 
408, 432; de Methodius, 493. 

Pectorius. — Témoignage de son inscription sur l'eucharistie, 
274. 

Pénitence, dans l'enseignement de Jésus-Christ, 69; de l'épître 
aux Hébreux, 98; dans les Pères apostoliques, et surtout Her- 
mas, 149, suiv.; dans la- seconde moitié du ii° siècle, et 
surtout dans S. Irénée, 275, 276; dans Clément d'Alexandrie, 
295; Origène, 318-321. La question pénitentieile à Rome sous 
Calliste, erreur de Tertullien, 361 et suiv. La question péni- 
tentieile en Afrique, erreur novatienne, 370-377. La discipline 
pénitentieile au ni° siècle en Occident, 440-447; en Orient, 
50D-504. 

Philon. — Sa doctrine, 51, suiv. 

Philosophie. — État de la philosophie à la venue de Jésus- 
Christ, 22, suiv. ; son alliance avec la religion au i"' et au 
11° siècle, 27, suiv. Comment la philosophie est considérée par 
les apologistes et surtout S. Justin, 231, suiv.; Clément 
d'Al., 282-284; Origène, 302,303; les Pères latins du m» siècle, 
344-346; Denys d'Al. et S. Grégoire le Thaumaturge, 479. 

Pierius. — Ses ouvrages, 476. Son enseignement sur le Père et 
le Fils, 480, 481 ; le Saint-Esprit, 489; la préexistence des âmes, 
492. 

Pierre d'Alexandrie (Saint). — Ses ouvrages, 477. Son 
enseignement sur la préexistence des âmes, 492; Jésus-Christ, 
493, 494; l'eucharistie, 498; la pénitence, 502; l'ordre, 505; la 
résurrection de la chair, 509. 

Polycarpe (Saint). — Son épître, 121. Son enseignement sur 
l'Ecriture, 122; la Trinité» 124; Jésus-Christ, 126, 129, note 1: la 



TABLE ANALYTIQUE. 533 

rédemption, 130, 131 ; la hiérarchie, 136, 138; la pénitence, 150; 
les bonnes oeuvres, 159; les vertus chrétiennes, 160; la résur- 
rection des morts, 163; le jugement, 163. 

Polycarpi (Martyiium). — Date, 121. Son enseignement sur 
la Trinité, 124; Jésus-Christ, 125, 126; la rédemption, 130, 131; 
l'Église, 133; le culte des martyrs et de leurs reliques, 158; le 
supplice des réprouvés, 164, 

Praxéas. — Il renseigne Zéphyrin sur le vrai caractère du 
montanisme, 220, 353. Son erreur et sa réfutation par Tertul- 
lien, 353. 

Prédestination. — Enseignement de Jésus-Christ, 80; de S. 
Paul, 89, 90; des gnostiques, 199, 200. 

Préexistence. — Idée de la préexistence dans le judaïsme 
palestinien, 36; appliquée au Messie, 40, 41. Jésus s'est déclai-é 
préexistant au monde, 77, 78. S. Paul l'a déclaré tel, 86; de 
môme l'épître aux Hébreux, 96; saint Ignace, 130. 

Prescription (Argument de), dans Tertullien, 341 , 342. 

Prière pour les morts, dans le judaïsme hellénique, 51; 
chez les Pères latins du troisième siècle, 440, 457; chez les 
auteurs grecs de la seconde moitié du troisième siècle, 499, 
500. 

Primauté d« saint Pierre, dans les synoptiques, 71; les 
Actes, 102, 103; Clément d'Al., 293; Tertullien, 424; S. Cyprien, 
425. — Primauté romaine, dans S. Clément, 141 ; S. Ignace, 
142; S. Irénée, 242, 243; chez les papes et à Rome, 423, 424; 
dans Tertullien et S. Cyprien, 424, suiv. 

Purgatoire. — Enseignement de Clément d'Al., 295 ; d'Ori- 
gène, 325; de Tertullien, de S. Cyprien, des Actes de sainte 
Perpétue, 456, 457. 

Récapitulation (Doctrine de la) dans S. Paul, 87, suiv. ; 
S. Irénée et Méliton, 262, 265; S. Hippolyte, 416, 417; Metho- 
dlus, 494. 

Rédemption. Voir Sotériologie. 

Règn* ou Royaume de Dieu, dans le judaïsme palestinien 
43; l'enseignement personnel de Jésus-Christ, 63, suiv., 76; 
de S. Paul, 92. 

Résurrection des morts. — Enseignement du judaïsme 
palestinien, 39, 43, 44; du judaïsme hellénique, 51; de Jésus- 
Christ, 73, 74, 80; de S. Paul, 93; de l'épître aux Hébreux, 98; 
de S. Jean, 108; des Pères apostoliques, 163; des apologistes 
et d« S. Irénée, 278; d« Clément d'Al., 295; d'Origène, 326; des 
Pères latins du troisièm» siècle, 459 ; des Pères grecs de la 
seconde moitié du troisième siècle, 508, 509. Ce dogme nié par 
csrtains gnostiques primitifs, 175; par les gnostiques de 
S. Ignace, 180; par les gnostiques du deuxième siècle, 202; 

30. 



534 TABm ANALYTIQUI. 

Marcion, 209; Apeiles, 212; les manichéens, 471, note 1; Hié- 
racas, 508, 
Reticius. — Ses ouvrages, 23SL Son témoignage sur le péché 
originel et le baptême, 430. 



Sabellius, Sabellianismc^Yoir lIedali8me,Monarchia- 

nisme. 
Saoardooe de Jésus-Christ, dans l'épître aux Hébreux, 97 ; les 

Pères apostoliques, 131 ; Orlgène, 316 ; les Pères latins du 

troisième siècle, 417, 440- 
Saorement. — Le mot daiut Tertullien et S. Cyprien, 428; 

comment Tertulliea conçoit 1« sacrement, 428, 4S9; quels sont 

les sacrements, 429. 
Satisfaction, dans TertuUien, 409, 410, 417; S. Cyprien, 444, 

note 5. 
Sotériologie. — Enseignement de Jésus-Christ, 68, 78; de 

S. Paul, 87, 88; de l'épître aux Hébreux, 97; de S. Pierre, 

100; de S. Jean, 106, 110; des Pères apostoliques, 130, 131; 

des gnostiques, 201; de Marcion, 208; de S. Justin et de 

S. Irénée, 264-267; de Clément d'Âl., 290; d'Origène, 315,316; 

des Pères latins du troisième siècle, 416, suiy. ; des Pères 

grecs de la seconde moitié du troisième siècle, 494, 495. 
Stoïcisme. — Son enseignement métaphysique, 23 ; moral, 25, 

suiv. 
Subordinatianisnxe, dans S. Paul, 87; les apologistes, 249, 

252, 253; S. Irénée, 255 ; Clément d'Al., 287; Origène, 308,309; 

TertuUien, S. Hippolyte, Novatien, Lactance, 403, note 1; 

Théognoste, Pierius, Methodius, 480, 481, 489, 490; Denys 

d'Al., 485, 487-490. 
S3rxahole de foi, en Orient, 165, 166 ; en Occident, le symbole 

des apôtres, 166-168. Le symbole, règle de foi, 241, 343. 



Tatien. — Son apologie, 227. Comment il défend le christia- 
nisme, 230; bafoue les philosophes, 231; attaque le paganisme, 
234; explique son origine, 234, 235. Son enseignement sur 
Dieu, 244, 245; le Verbe, 245-253; les anges, 257; les démons, 
258; la liberté humaine, 259; l'immortalité de l'âme, 259; Jé- 
eus-Christ, 201; h. résurrection des morts, 278; le châtiment 
des réprouvés, 279. Tatien hérétique, 213, 276. 

Tertullien. — Caractéristique générale, 333, 334. Son ensei- 
gnement sur l'Écriture, 339, 340; la tradition, 341-343; le 
symbole, 348; la philosophie, 344; Dieu, ^0, 39L; le Verbe, 
394-399; le Saint-Esprit, 400, 401 ; la Trinité, 401-403; la créa- 
tion, 402, 404; les anges et les démons, 404, 4fô; l'homme et 



TABLE ANALYTIQUE. 535 

l'âme, 406, 407; le péché originel, 407, 408 ; la grâce, 408, 409; 
le mérite et la satisfaction, 409, 410; Jésus-Christ et l'incar- 
nation, 411-415; la rédemption, 417-418; l'Église, 418, 419, 421, 
423; les sacrements, -^8-430; le baptême, 430-432;. la conflrma- 
tion, 433,434; l'eucharistie, 434-440; la pénitence, 441-447; cf. 
362-369 ; les ordres et l'ordination, 448, 449 ; le mariage, 451- 
453; le sort immédiat des âmes après la mort, 456; le purga- 
toire, 456; la fin du monde, 457 ; le millenium, 458; la résurrec- 
tion delà chair, 459; le jugement et les fins dernières, 459-461. 

Théodote, lecorroyeur. — Son erreur, et l'école qu'il fonde, 
349-351. — Théodote, le banquier, ses erreurs, 351, 352. 

Théognoste. — Ses ouvrages, 476. Sa doctrine sur le Verbe, 
.480, 481; sur le Saint-Esprit, 489, 490; la création, 491; le 
baptême, 497' 

Théophile d'Antioche. — Son ouvrage, 227. Comment il dé- 
fend la religion chrétienne, 230; présente les rapports de la 
philosophie et du christianisme, 232; note l'immoralité du 
paganisme et l'invention des faux dieux, 234, 235. Son ensei- 
gnement sur l'Écriture, 239; Dieu, 244, 245 ; le Verbe, 245-253; 
le Saint-Esprit, 256; l'âme et l'homme, 259, 260; la chute ori- 
ginelle, 260, note 2; le baptême, 269; le mariage, 277; la ré- 
surrection des morts, 278. 

Trinité. — Enseignement du judaïsme palestinien, 34, 35; du 
judaïsme hellénique, 49, 50; de Jésus-Christ, 72, 77-79; de 
S. Paul, 89; des synoptiques, 99; des Pères apostoliques, 123, 
124, 126, 127; des gnostiques, 197; des apologistes et de S. Iré- 
née, 245-257; de Clément d'Aï., 285-287; d'Origène, 303-310; 
des modalistes, 353, suiv., 482-484; des Pères latins du troi- 
sième siècle, 391-403; des Pères grecs de la seconde moitié du 
troisième siècle, 479-491. 



Verbe. — Doctrine sur le Verbe dans le judaïsme palestinien, 
35; le judaïsme hellénique, 49; Philon, 52-55; S. Jean, 110; 
S. Ignace, 125; les aloges, 221; les apologistes, 245-253; S. Iré- 
née, 253-255; Clément d'AL, 286, 287 ; Origène, 304-310 ; les pre- 
miers modalistes, 347, 348; les patripassiens, 354; Commo- 
dien, 391, 392; S. Hippolyte, Tertuliien, Novatien, 392-399; 
Lactance, 399, note 1 ; Paul de Samosate, 463-465 ; les Pères 
grecs de la seconde moitié du troisième siècle, 480-489, 491; 
les modalistes orientaux, 482-484. 

Victor, pape. — Il condamne l'adoptianisme, 350. A-t-il favorisé 
le patripassianisme ? 357. Il exige, dans la question de la Pâque, 
la soumission des Églises d'Asie, 423. 

Vîotorin de Pettau. — Ses ouvrages, 332. Son enseignement 
sur l'état des âmes immédiatement après la mort, 456; la fin 



536 TABLE ANALYTIQUE. 

prochaine du monde, 457; l'antéchrist et le millenîum, 457, 
458; le jugement dernier, 459. 

Zéphyrin condamne le montanisme, 220; a-t-il favorisé lespa- 
tripassiens? 357-359. 



TABLE DES MATIÈRES 



Pages 

Avant-propos xi 

Avertissement pour la septième édition xv 

INTRODUCTION 

S 1. Notion de l'histoire des dogmes, son objet et ses limi- 
tes I 

S 2. Sources de l'histoire des dogmes. Diverses méthodes 
qu'on y peut suivre. Ses divisions 7 

S 3. Les principaux travaux d'histoire des dogmes 10 

CHAPITRE PREMIER 

DES DOCTRINES RELIGIEUSES, PHILOSOPHIf^UES ET MORALES, AU 

MILIEU DESQUELLES LE DOGME CHRÉTIEN EST NÉ ET S'eST 

d'abord DÉVELOPPÉ. 

8 1. La religion et la philosophie gréco-romaines à l'épo- 
que de Jésus-Christ et jusqu'au milieu du n' siècle 18 

S 2. Les doctrines religieuses et morales des Juifs au mo- 
ment de la venue de Jésus-Christ. Le judaïsme palesti- 
nien ' 30 

S 3. Le judaïsme alexandrin, et de la Diaspora. Philon. .. . 45 

CHAPITRE II 

LE PREMIER ÉTAT DU DOGME CHRÉTIEN. LA PRÉDICATION DE JÉSUS 
ET DES APOTRES. 

g L L'enseignement personnel de Jésus-Christ d'après les 

synoptiques 62 

S 2. L'enseignement de Jésus-Christ d'après saint Jean... 76 

S 3. L'enseignement de saint Paul 81 

S 4. L'enseignement des apôtres en dehors de saint Paul et 

de saint Jean < 99 



538 TABLE DES MATIÈRES. 

Pages. 

S 5. L'enseignement de saint Jean 105 

S G. Résumé et synthèse 112 

CHAPITRE m 

LE DOGME CHRÉTIEN DANS LES PÈRES APOSTOLIQUES. 

S 1. Aperçu préliminaire. Les sources de la foi, Écriture, 

tradition 119 

S 2. La Trinité, Jésus-Christ, la rédemption. 123 

S 3. L'Église et la hiérarchie. L'Église romaine 131 

§ 4. Les rites et le culte chrétiens 143 

S 5. Morale. Fins dernières 159 

S 6. Les symboles de foi , 165 

CHAPITRE lY 

LES PREMIÈRES DÉFORMATIONS DU DOGME CHRÉTIEN. LES HÉRÉSIES 

DU II» SIÈCLE. 

S 1. Le judéo-christianisme contemporain de saint Paul. . 170 
S 2. Les commencements du gnosticisme judaïsant. Les 

nicolaïtes. Cérinthe 173 

S 3. Le judéo-christianisme au ii° siècle 181 

S 4. Le gnosticisme 192 

S 5. Le marcionisrae 206 

S 6. Tatien et les encratites -. 213 

S 7. Le montanisme. Les aloges • » . 215 

S 8. Le millénarisme 222 

CHAPITRE V 

LA LUTTE DOCTRINALE CONTRE LE PAGANISME. L'APOLOGIE AU II* SIÈCLE. 

S 1. Aperçu général sur les apologistes 226 

S 2. L'apologétique des apologistes et leur conception de la 
révélation 229 

CHAPITRE VI 

LA LUTTE DOCTRINALE CONTRE l'hÉRÉSIE ET LES COMMENCEMENTS 

DE ÏJi. THÉOLOGIE SPÉCULATIVE. l'enSEIGNEMENT CHRÉTIEN DANS 

LA SECONDE MOITIÉ DU Tl" SIÈCLE. 

S 1. Introduction patrologique. 237 



TABLE DES MATIERES. 539 

Pages. 

S 2. Les sources de la foi. L'Église romaine 239 

S 3. Dieu et la Trinité 244 

S 4. Les anges, l'Jiomme, la eliute 257 

S 5. Christologie et sotériologie 261 

S 6. Les mystères chrétiens 208 

S 7. Eschatologie. Conclusion 277 



CHAPITRE VII 

LES PREMIERS GRANDS SYSTÈMES THÉOLOGIQUES EN ORIENT. 
CLÉMENT d' ALEXANDRIE ET OKIGÈNE. 

S 1. Clément d'Alexandrie 231 

S 2. Origène 290 

CHAPITRE Vni 

APERÇU GÉNÉRAL DE LA THÉOLOGIE EN OCCIDENT PENDANT LE 
IIl' ET AU DÉBUT DU iV SIÈCLE. 

S 1. Les Pères et écrivains ecclésiastiques 331 

S 2. Les sources de la foi, Écriture, tradition, philosophie. 339 

CHAPITRE IX 

LES CONTROVERSES CHRISTOLOGIQUES ET TRINITAIRES EN OCCIDENT 
A LA FIN DU H" ET AU COMMENCEMENT DU III» SIÈCLE. 

S 1. L'adoptianisme 3 19 

S 2. Le monarchianisme patripassien 353 

S 3. L'opposition au monarchianisme 356 

CHAPITRE X 

LA QUESTION PÉNITENTIELLE EN OCCIDENT AU 111° SIÈCLE. 
LE NOVATIANISME. 

S 1- La question pénitentielle à Rome son s Galliste 361 

S 2. La question pénitentielle en Afrique. Le novatianisme, 369 

CHAPITRE XI 

1A CONTROVERSE BAPTISMALE. • 378 



i40 TABLE DES MATIÈRES. 



CHAPITRE XII 

LA DOCTRINE CHRÉTIENNE EN OCCIDENT AU III' ET AD 
DÉBUT DU IV' SIÈCLE. 

rages" 

S 1. Dieu et la Trinité 390 

S 2. La création, les anges, l'homme 403 

§ 3. Christologie et sotériologie 410 

S 4. L'Église 418 

S 5. Les sacrements. L'initiation chrétienne 428 

S 6. L'eucharistie 434 

S 7. La pénitence 440 

S 8. L'ordre et le mariage 448 

§ 9. Eschatologie 455 

CHAPITRE XHI 

LES HÉRÉSIES ORIENTALES DE LA FIN DU III® SIÈCLE, 

S 1. L'acloptianisme de Paul de Samosate 462 

S 2. Le manichéisme 407 

CHAPITRE XIV 

LA THÉOLOGIE EN ORIENT DEPUIS LA MORT d'ORIGÈNE JUSQU'AU 
CONCILE DE NICÉE. 

S 1. Introduction patrologique 47b 

§ 2. Dieu et la Trinité 479 

S 3. Création, incarnation, rédemption 491 

S 4. L'Église, l'initiation chrétienne, l'eucharistie 495 

§ 5. La pénitence, l'ordre, le mariage 500 

S 6. Les fins dernières 507 

CHAPITRE XV 

LE BILAN DOCTRINAL ET THÉOLOGIQUE DE l'ÉGLISE A LA VEILLE DE 

l'arianisme 510 

Table analytique 519 



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catholiques. Sixième édition. 1 volume in-12.... 15 fr. » 

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Bibliothèque de l'enseignement de l'histoire ecclésiastique 



HrSTOIRE DES DOGMES 



DANS 



L'ANTIQUITÉ CHRÉTIENNE 



PAR 



J. TiXERONT 



II 



DE SAINT ATHANASE A SAINT AUGUSTIN 

(318-430) 



HUITIEME EDITION 



PAEIS 

LIBRAIRIE VICTOR LECOFFRE 
J. GABALDA, Éditeur 



EUE BONAPARTE, 90 



1924 



Bibliothèque 
de ï enseignement de l'histoire eeclésiastique 



La " Bibliothèque de l'enseignement de l'histoire 
ecclésiastique ", inaugurée en 1897, réalise lentement, 
mais persévéramment, son programme qui était de re- 
prendre, avec les seules ressourcés de l'initiative pri- 
vée, le projet confié jadis par Léon XIII aux cardinaux 
de Luca, Pitra et Hergenrœther, à la suite de la lettre 
pontificale sur les études historiques, — savoir la com- 
position d'une « Histoire ecclésiastique universelle, mise 
au point des progrès de la critique de notre temps ». 

La matière a été distribuée en une série de sujets 
capitaux, chacun devant constituer un volume indé- 
pendant, chaque volume confié à un savant sous sa 
propre responsabilité. On n'a pas eu l'intention de 
faire œuvre pédagogique et de publier des manuels 
analogues à ceux de l'enseignement secondaire, ni 
davantage oeuvre de vulgarisation au service de ce que 
l'on est convenu d'appeler le grand public : il y avait 
une œuvre plus urgente à faire en matière d'histoire 
ecclésiastique, une œuvre de haut enseignement. 



Le succès incontesté des volumes publiés jusqu'ici 
nous a prouvé que ce programme répondait au désir de 
bien des maîtres et de bien des étudiants de l'enseigne- 
ment supérieur français, autant que de bien des 
membres du clergé et de l'élite des catholiques. 



Bibliothèque de l'enseignement^de l'iiistoire eoQiésiastiqwi 



Les origines du catholicisme. 
Le christianisme et l'empire romain. 

Les églises du monde romain. 
Les anciennes littératures chrétiennes. 

La théologie ancienne. 

Les institutions anciennes de VÉglise. 

Les églises du monde barbare . — Les églises du monde syrien. 

L'église byi^antîne. — L'Etat pontifical. 

La réforme du XI" siècle. — Le sacerdoce et l'Empire. 

Histoire de la formation du droit canonique. 

La littérature ecclésiastique du moyen âge. 

La théologie du moyen âge. — Les institutions de la chrétien té 

L'Église et l'Orient au moyen âge. 

L'Église et le Saint-Siège de Boniface VIII à Martin V. 

L'Église à la fin du moyen âge. 

La réforme protestante. — Le concile de Trente. 

L'Église et l'Orient depuis le XV* siècle. 

La théologie catholique depuis le XVI" siècle. 

Le protestantisme depuis la Réforme. 

L'expansion de l'Église depuis le XVI" siècle. 

L'Église et les gouvernements d'ancien régime. 

L'Église et les révolutions politiques {ij8g-i8jo). 

L'Église contemporaine. 



Bibliotlièque de l'enseignement de rï(istoire ecclésiastique 

Volumes parus : 

Le Christianisme et l'Empire romain , de Néron à 
Théodose, par M. Paul Allard. Huitième édition. 1 vol. 
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Histoire des Dogmes, par M. J. Tixeront, doyen de la 
Faculté catholique de théologie de Lyon. Trois volumes. 

— I. La théologie anténlcéenne. Neuvième édition. 1 vol. 
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— II. De saint Athanase à saint Augustin (318-430). 
Septième édition. 1 vol. in-12 10 fr. 

— III. La fin de l'âge pàtristique (430-800). Cinquième 
édition. 1 vol. in-12 10 fr. 

Anciennes Littératures chrétiennes : I. La Littéra- 
ture grecque, par M^' Pierre Batiffol. Quatrième édition. 
Epuisé. 

Anciennes Littératures chrétiennes : II. La Littéra- 
ture syriaque, par M. Rubans Duval. Troisième édition. 
1 vol, in-12 ." 10 fr. 

L'Afriq[ue chrétienne, par Dom H. Leclercq, Bénédictin de 
Farnborough. Deuxième édition. Épuisé. 

L'Espagne chrétienne.par Dom H. Leclercq, Bénédictin de 
Farnborough. Deuxième édition. 1 vol. in-12 10 fr. 

L'Angleterre chrétienne avant les Normands, par Dom 

Fernand Cabrol, abbé de Farnborough. Deuxième édition. 
1 vol. in-12 . 10 fr. 

Les Chrétientés celtiques, par Dom Gougaud, Bénédictin 
de Farnborough. Deuxième édition. 1 vol. in-12. . , 10 fr. 

Le Christianisme dans l'Empire perse, sous la dynas- 
tie Sassanide (224-632), par M. J. Labourt, docteur en 
•théologie et docteur es lettres. Deuxième édition. 1 volume 
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L'Église byzantine, de 527 à 847, par le R. PèrePARGoiRE, 
des Augustins de l'Assomption. Troisième édition. 1 volume 
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L'Église et l'Orient au Moyen Age : les Croisades, par 

RI. Louis Bréhier, professeur d'histoire à l'Université de 
CleTvaont-'FeTrasidi. Quatrième édition. 1 vol. in-12.. . 10 fr. 

Les Papes d'Avignon (1305-1378), par G. Mollat, professeur à 
l'Université de Strasbourg, ^uainème ecïi^io». 1 vol. in-12. 10 fr 

Le Grand Schisme d'Occident, par M. L. Salembier. 
Cinquième édition. 1 vol. in-12 10 fr. 

L'Église romaine et les Origines de la Renaissance, 

par M. Jean Guiraud. Cinquième édition. 1 vol. in-12. 10 fr. 

Les Origines du Schisme anglican (1509-1571), par M. J- 

Trî!;sal. Troisième édition. 1 vol. in-12 10 fr- 

TYPOGRAPHIE FIRinK-DIDOÏ ET C'". — PAIUS. 



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de l'enseignement deThistoire eoGlêsiastique 



HISTOIRE DES DOGMES 

DANS 

L'ANTIQUITÉ CHRÉTIENNE 

II 

DE SAINT ATHANASE A SAINT AUGUSTIN 
(318-340) 



NIHIL OBSTAT 



A. AUBONNET, 
censor depui. 



IMPRIMATUR 

Le 30 novembre 1908 
en la fête de S. André, apôtre. 



f Pierre Card. COULLIÉ, 
Arch. de Lyon et de Vienne. 



IMPRIMATUR 

Parisiis, die 4 decembris 1908. 
P. PAGES, 

V. g. 



Bibliothèque de l'enseignement de l'histoire ecclésiastique 



HISTOIRE DES DOGMES 



DANS 



L'ANTIQUITÉ CHRÉTIENNE 



PAR 

J/TIXERONT 



II 
DE SAINT ATHANASE A SAINT AUGUSTIN 

(318-430) 

HUITIÈME ÉDITION 



PAEIS 

LIBRAIRIE VICTOR LECOFFRE 
J. GABALDA, Éditeur 

RUE BONAPAETE, 90 
1924 







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AVANT-PROPOS 



L'objet de ce volume est de conduire l'histoire 
des dogmes dans l'antiquité chrétienne depuis saint 
Athanase jusqu'à la mort de saint Augustin. 

La date de 430, adoptée ici comme point de cou- 
pure entre les tomes deuxième et troisième de cette 
étude, offrait de multiples avantages qu'il est inu- 
tile d'énumérer. Elle présente l'inconvénient de 
séparer de l'histoire des controverses pélagiennes 
celle des disputes semi-pélagiennes qui en sont la 
continuation et dont saint Augustin a vu les com- 
mencements. A cet inconvénient je n'ai trouvé nul 
remède. Admettre dans le présent volume l'hiàtoire 
du semi-pélagianisme eût été le grossir démesuré- 
ment. C'eût été aussi anticiper de près d'un siècle 
sur l'ordre chronologique auquel il y a des raisons 
de rester fidèle. Le plus simple est que le lecteur 
veuille bien considérer le futur volume — quand il 
l'aura entre mains — comme faisant étroitement 
suite à celui-ci, et prendre la peine de s'y reporter 
quand la chose sera nécessaire. 



viii AVANT-PROPOS. 

Les principes qui ont dirigé la composition de la 
Théologie anténicéenne ont aussi présidé à celle 
du présent ouvrage. J'ai procédé par tableaux d'en- 
semble, et, après avoir traité des controverses spé- 
ciales soit à l'Orient soit à l'Occident, décrit, en 
deux chapitres généraux, l'état des doctrines chré- 
tiennes au IV® siècle, soit dans l'Église grecque, 
soit dans l'Eglise latine, en prenant pour point 
de départ ces doctrines elles-mêmes. Exception a 
été faite seulement pour les Pères syriens, isolés 
dans leur langue, et pour saint Augustin qu'il 
fallait mettre hors cadre. La table analytique des 
matières tiendra compte de cette di-sposition. Rédi- 
gée en partie double, elle permettra, pour la période 
qui va de 318 à 430, ou de reconstruire l'enseigne- 
ment total de chaque écrivain sur les divers points 
de la théologie, ou de retrouver l'expression de 
chaque point de la doctrine dans les écrivains qui 
en ont traité. 

Lyon, janvier 1909. 



HISTOIRE DES DOGMES 

DE SAINT ATHANASE A SAWT AUGUSTIN 



INTRODUCTION 



Avec le iv^ siècle commence, dans l'histoire des 
dogmes, ce que l'on est convenu d'appeler la période 
des grandes controverses. L'Église cependant avait 
connu, avant l'arianisme, des conflits doctrinaux im- 
portants qui avaient agité sa foi : même au milieu des 
persécutions, nous l'avons vu, l'esprit chrétien n'est 
pas resté inactif. Mais ces controverses, si l'on excepte 
celle du gnosticisme, n'avaient pas provoqué de ces 
troubles profonds qui bouleversent pour longtemps 
une société; elles n'avaient pas occasionné de ces 
grandes réunions d'évêques si fréquentes depuis, et 
groupant au même lieu la moitié de l'Église. Empê- 
chée par sa situation vis-à-vis de l'État et par la pé- 
nurie de ses ressources de manifester sa puissance 
d'enseignement dans des assemblées plénières — aux- 
quelles d'ailleurs on ne paraît pas avoir songé, — c'est 
par l'autorité de son magistère quotidien, renforcée 
parfois de celle de conciles régionaux, que cette Église 

HISTOIUE DES DOGMES. — II. 1 






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AVANT-PROPOS 



L'objet de ce volume est de conduire l'histoire 
des dogmes dans l'antiquité chrétienne depuis saint 
Athanase jusqu'à la mort de saint Augustin. 

La date de 430, adoptée ici comme point de cou- 
pure entre les tomes deuxième et troisième de cette 
étude, offrait de multiples avantages qu'il est inu- 
tile d'énumérer. Elle présente l'inconvénient de 
séparer de l'histoire des controverses pélagiennes 
celle des disputes semi-pélagiennes qui en sont la 
continuation et dont saint Augustin a vu les com- 
mencements. A cet inconvénient je n'ai trouvé nul 
remède. Admettre dans le présent volume l'histoire 
du semi-pélagianisme eût été le grossir démesuré- 
ment. C'eût été aussi anticiper de près d'un siècle 
sur l'ordre chronologique auquel il y a des raisons 
de rester fidèle. Le plus simple est que le lecteur 
veuille bien considérer le futur volume — quand il 
l'aura entre mains — comme faisant étroitement 
suite à celui-ci, et prendre la peine de s'y reporter 
quand la chose sera nécessaire. 



Tiii AVANT-PROPOS. 

Les principes qui ont dirigé la composition de la 
Théologie anténicéenne ont aussi présidé à celle 
du présent ouvrage. J'ai procédé par tableaux d'en- 
semble, et, après avoir traité des controverses spé- 
ciales soit à FOrient soit à l'Occident, décrit, en 
deux chapitres généraux, l'état des doctrines chré- 
tiennes au IV® siècle, soit dans l'Église grecque, 
soit dans l'Eglise latine, en prenant pour point 
de départ ces doctrines elles-mêmes. Exception a 
été faite seulement pour les Pères syriens, isolés 
dans leur langue, et pour saint Augustin qu.'il 
fallait mettre hors cadre. La table analytique des 
matières tiendra compte de cette disposition. Rédi- 
gée en partie double, elle permettra, pour la période 
qui va de 318 à 430, ou de reconstruire l'enseigne- 
ment total de chaque écrivain sur les divers points 
de la théologie, ou de retrouver l'expression de 
chaque point de la doctrine dans les écrivains qui 
en ont traité. 

Lyon, Janvier 1909; 



HISTOIRE DES DOGMES 

DE SAINT ATHANASE A SAINT AUGUSTIN 



INTRODUCTION 



Avec le iv^ siècle commence, dans l'histoire des 
dogmes, ce que l'on est convenu d'appeler la période 
des grandes controverses. L'Église cependant avait 
connu, avant l'arianisme, des conflits doctrinaux im- 
portants qui avaient agité sa foi : même au milieu des 
persécutions, nous l'avons vu, l'esprit chrétien n'est 
pas resté inactif. Mais ces controverses, si l'on excepte 
celle du gnosticisme, n'avaient pas provoqué de ces 
troubles profonds qui bouleversent pour longtemps 
une société; elles n'avaient pas occasionné de ces 
grandes réunions d'évéques si fréquentes depuis, et 
groupant au même lieu la moitié de l'Eglise. Empê- 
chée par sa situation vis-à-vis de l'État et par la pé- 
nurie de ses ressources de manifester sa puissance 
d'enseignement dans des assemblées plénières — aux- 
quelles d'ailleurs on ne paraît pas avoir songé, — c'est 
par l'autorité de son magistère quotidien, renforcée 
parfois de celle de conciles régionaux, que cette Église 

HISTOIRE DES DOGMES. — II. 1 



2 HISTOIRE DES DOGMES. 

avait éliminé de son sein les erreurs qui cherchaient à 
s'y glisser, et tracé aux fidèles la ligne de leur croyance. 
Après la paix de Constantin, cet état de choses fut 
modifié. L'existence et la vie matérielle de la société 
chrétienne étant désormais assurées, le cauchemar des 
persécutions définitivement écarté dans l'empire, cer- 
tains esprits se portèrent, chez les Grecs surtout, avec 
une curiosité avide à l'examen de leurs croyances reli- 
gieuses, et, continuant l'œuvre commencée par les 
alexandrins, s'efforcèrent de découvrir de plus en plus, 
dans la langue et les concepts abstraits de la philoso- 
phie, des concepts et des formules capables de traduire 
les données de leur foi. Or il était impossible que, dans 
ce travail, il ne se produisît pas des méprises, qu'il ne 
s'y énonçât pas des contre-vérités, et d'autant plus 
dangereuses qu'elles étaient le fait d'hommes plus ins- 
truits ou plus influents. C'est ce qu'on a appelé les 
grandes hérésies : grandes non seulement par leur ob- 
jet, mais surtout par les mouvements qu'elles ont sus- 
cités, les déchirements qu'elles ont occasionnés, par 
les champions qui se sont mêlés à ces querelles, par les 
écrits qu'elles ont provoqués et les décisions qui les ont 
closes. A ces hérésies en effet l'Eglise n'opposa plus 
seulement l'autorité de son magistère ordinaire : elle 
opposa la force de ses évêques assemblés et de ses 
conciles. De leurs décisions et des études qui les ont 
préparées ou suivies les dogmes trinitaire et christo-« 
logique, le dogme de la grâce sont sortis presque en- 
tièrement définis et achevés; d'autres, moins impor- 
tants, en ont été singulièrement précisés et éclaircis. 

Mais, par là même que le dogme se définissait, une 
sélection se fit dans les opinions ayant cours jusque-là, 
et beaucoup d'interprétations tombèrent qui s'étaient 
jusqu'alors produites sans obstacle. Pendant trois 
cents ans, une première poussée de recherches doc- 



INTRODUCTION. 3 

trinales avait multiplié dans tous les sens les aperçus 
et les solutions. Au iv® siècle, on commence à émonder 
cette végétation folle, et à retrancher ou mieux à lais- 
ser mourir les opinions reconnues caduques. Le dogme 
se resserre en se formulant. Ce n'est pas que l'on ne re- 
trouve — et plus fréquemment qu'on ne le croit d'or- 
dinaire — même dans les écrivains de cette époque, 
des restes des incertitudes et des bégaiements de l'é- 
poque précédente. Mais on constate en eux une certaine 
maturité d'esprit chrétien qui n'a plus rien de l'en- 
fance, une certaine fermeté qui leur fait envisager les 
problèmes nouveaux avec une sérénité et une confiance 
toute viriles. Ces écrivains sont bien par excellence 
des Pères de l'Eglise, comme on a commencé à les 
désigner dès le v® siècle. Hommes en grand nombre 
de haute culture et de haute sainteté, ils ont vraiment 
nourri l'Église de leur doctrine et de leurs enseigne- 
ments. Aucune époque de son histoire n'égale à ce 
point de vue celle qui va du iv^ au milieu du v*^ siècle, 
de saint Athanase à saint Léon. Dans les siècles sui- 
vants, l'originalité décroît, et d'autres courants vien- 
nent d'ailleurs solliciter là dialectique chrétienne. La 
vérité cependant trouve toujours des défenseurs, et la 
tradition des Basile et des Augustin ne reste jamais 
sans quelques représentants. La tâche de ceux-ci est 
d'achever l'œuvre des maîtres, et ils s'y emploient 
avec ardeur sinon toujours avec éclat. Leurs efforts, 
en tout cas, méritent qu'on les apprécie et que l'on 
reconnaisse le complément de lumières qu'ils ont ap- 
porté aux solutions de leurs devanciers. 

Ce volume et le suivant vont étudier, au point de 
vue de l'histoire des dogmes, cette époque des Pères, 
cette période des grandes hérésies. 11 n'en est pas de 
plus importante, ni peut-être de plus mouvementée. 



CHAPITRE PREMIER 



APERÇU GENERAL SUR LA THEOLOGIE GRECQUE 
AU IV® SIÈCLE. 



§ 1. — Les écoles et les personnes. 

Géographiquement; les Pères grecs du iv® siècle 
forment quatre groupes distincts. 

Le premier groupe est le groupe alexandrin : il com- 
prend, avec l'évêque Alexandre, saint Athanase, Di- 
dyme l'aveugle et quelques autres écrivains, tels que 
Sérapion et Macaire d'Alexandrie. 

Le second est le groupe palestinien. Saint Cyrille de 
Jérusalem en est comme le centre : mais on lui peut 
rapporter Thistorien Eusèbe de Césarée, et l'évêque de 
Constantia, saint Epipliane, né tout près d'Eleuthéro- 
polis. 

Plus au nord, nous trouvons le groupe des antio- 
chéniens, Eustathe d'Antioclie, puis Diodore de Tarse, 
Théodore de Mopsueste, saint Jean Chrysostome. 
Sauf le premier, ils ne prennent, comme évêques, 
qu'une faible part aux controverses trinitaires, mais 
l'importance de Diodore et de Théodore sera grande 
dans les questions christologiques que soulèvera le 
siècle suivant. 

Enfin, le quatrième groupe est celui des cappado- 



LES PÈRES GRECS DU IV' SIÈCLE. 5 

ciens, saint Basile, les deux Grégoire de Nazianze et 
de Nysse, et l'évêque d'Iconium, Amphiloque. 

Telle est la distribution géographique. Mais le fait 
seul que, dans cette nomenclature, le nom d'Eusèbe se 
trouve rapproché de celui de saint Epiphane, montre 
assez que nous en devons adopter une autre, si nous 
voulons tenir compte des tendances intellectuelles et 
théologiques de nos auteurs. A ce point de vue, deux 
écoles se dessinent d'abord dont les divergences s'ac- 
centueront par la suite, l'école d'Alexandrie et l'école 
d'Antioche. Athanase (v. 295-373) ne représente qu'im- 
parfaitement la première. Bien qu'il plaide pour Ori- 
gène et Denys d'Alexandrie, et que ses deux traités de 
jeunesse Contra gentes et Oratio de incarnatione 
Verbi trahissent l'influence d'Origène, saint Athanase 
se porte de préférence, autant par inclination d'un 
g'énie tout positif que par nécessité de controverse, 
vers une action théologique où la spéculation pure a 
peu de part, mais où la rigueur de la pensée et la pré- 
cision des termes jouent un rôle capital. Ce grand 
lutteur n'est pas, autant qu'on l'a dit, l'esclave ou 
l'inflexible champion d'un mot : c'est, au contraire, un 
génie très souple qui voit les idées sous les mots et 
qui excelle, au besoin, à manier les hommes comme 
les idées. Esprit net plutôt qu'étendu, ennemi des équi- 
voques, d'une logique droite et ferme, il est surtout 
un caractère. De là sa haute autorité, et l'ardente 
vénération ou la haine furieuse dont il a été l'objet ^ . 

i. Les œuvres de saint Athanase sont citées ici d'après l'édition de la 
Patrologîe grecque, t. XXV-XXVni. On trouvera dans Loofs, Leitfaden 
zum Studium der Dogmengeschickte, 4« édit., p. 237, note 2, la cliro- 
nologie des œuvres de saint Athanase. Indépendamment des écrits 
reconnus depuis longtemps comme n'étant pas authentiques (par 
exemple le Contra Apollinarium), M. Loofs écarte VOratio IV* contra 
arianos, leSermo maiordefide, le traité sur Matthieu, xi, 27 et l'Expo- 
sitio fidei. — Travaux : H. Voigt, Die Lehre des Athanasius von Alexan- 
drien, Bremen, 1861. L. Atzberger, Die Logosîehre des hl. Athanasius, 



6 HISTOIRE DES DOGMES. 

Le vrai continuateur à Alexandrie de l'œuvre d'Ori- 
gène au iv^ siècle est, Didyme l'aveugle (-|- y. 395) *. 
Son nom se trouve joint à celui de son maître dans les 
condamnations portées par les sixième et septième 
eonciles, généraux^. D'autre part, nous savons par 
saint Jérôme ^ qu'il avait écrit sur le nspV àpywv de brefs 
commentaires, où il s'efforçait d'interpréter dans un 
sens orthodoxe les erreurs d'Origène sur la Trinité. 
Le même saint Jérôme * cite de lui une réponse à Rufin 
d'où il appert que Didyme, comme Origène, admettait 
et que les âmes ont préexisté, et qu'elles ont péché 
dans cet état, et que leur union subséquente à des 
corps est une punition de cette faute. De ces erreurs 
toutefois c'est à peine si on trouve des traces incer- 
taines dans les ouvrages de Didyme qui ont survécu^. 
Ce qu'on y admire plutôt, est l'étonnante et quelque 
peu tumultueuse érudition scripturaire qu'il y déploie. 
Dans le De Trinitate et le De Spiritu Sancto, les textes 
succèdent aux textes sans répit, traités parfois avec 
profondeur, mais souvent aussi avec un dogmatisme 
arrêté qui les tourne sans autre façon à ses vues. 

Des alexandrins et de leur école il faut rapprocher 
d'abord Eusèbe de Césarée (v. 265-340), l'auteur, de 
concert avec Pamphile, de V Apologie pour Origène. 

Mûnchen, 1880. A. Pell, Die Lehre des hl. Alhanasius von der Sûndeund 
Erlosung, Passau, 1889. H. Straeter, Die Erlosungslehre des hl. Atha- 
nasîus, Freiburg im Br., 1894. F. LAUCHEax, Die Lehre des hl. Alhana- 
sius des Grosseii, Leipzig, 1893. A. Stuelcken, Athanasiana, Leipzig, 189t). 
K. Hoss, Studien ûber das Schrifttum und die Théologie des Alhana- 
sius, Freiburg im Br., 1899. K. BoaNiiAEUSER, Die Vergottungslehre des 
Alhanasius und Jokannes Damascenus, Gùtersloli, 1903. F. Cavallera, 
Saint Athanase, Paris, 1908. G. Baudy, Saint Athanase, Paris,. 1914. 

1. (œuvres dans P. G., XXXIX. — Travaux : J. Leipoldt, Didymus der 
B'inde von Al., Leipzig, 1005. G. Bardy, Didyme l'Aveugle, Paris, 1910. 

2. lîlANSi, CoUect. concilior., XI, 633 et XHl, 311. 

3. Apologia adversus libros Rufini, lî, 16. 

4. Id., III, 28 ; cf. I, 6. 

5. V. Enarralio in epist. S. Pétri primam, I, 1 (col. 17S5); 1, 12 (col. 
1739); m,.22:(coL 1770). 



LES PÈRES GRECS DU IV SIECLE. 7 

Origène avait passé une partie de sa vie et avait tenu 
école à Césarée, et l'influence de son enseignement, 
fortifiée par la présence de Pamphile, le disciple de 
Pierius, fut toujours très grande en Palestine. On le 
vit bien dans les controverses origénistes postérieures. 
La curiosité d'Eùsèbe se sentait d'ailleurs naturelle- 
ment attirée par l'immense érudition du grand alexan- 
drin, et son esprit théologique, qui fut toujours incer- 
tain et timide, s'accommodait des contradictions qui 
se rencontraient dans l'œuvre du maître. Son œuvre à 
lui fut surtout historique et apologétique. Il ne se 
trouva à l'aise dans la controverse dogmatique que 
dans ses réfutations de Marcel d'Ancyre. 

Des alexandrins encore il faut rapprocher les cappa- 
dociens. Saint Basile et saint Grégoire de Nazianze ont 
écrit la Philocalie, recueil des meilleurs passages d'O- 
rigène, et, s'ils n'ont point adopté ses doctrines com- 
promettantes , ils se sont du moins pénétrés de son 
esprit, et ont partagé sa belle confiance dans le rôle 
réservé à la raison dans l'éclaircissement et l'exposé 
des vérités de la foi. L'un et l'autre ont été nourris des 
littérateurs et des philosophes grecs. Mais saint Basile 
(v. 331-379), homme avant tout de gouvernement et 
d'action, esprit d'ailleurs plus fort et plus positif, en a 
moins subi ou moins trahi l'influence. Elle paraît da- 
vantage dans saint Grégoire de Nazianze (v. 330-390), 
caractère un peu faible et inconstant, penseur peu ori- 
ginal, mais le théologien orateur par excellence, d'une 
clarté merveilleuse, sachant mettre à la portée des plus 
humbles intelligences les plus hauts mystères de la foi. 
Quant à saint Grégoire deNysse (évêque en 371, mort 
V. 395), c'est proprement un philosophe et un origé- 
niste. Il ne saurait faire un pas sans disserter, et s'il 
n'a pas suivi Origène dans ses plus graves erreurs, il 
en a cependant retenu assez pour qu'il soit impossible, 



8 HISTOIRE DES DOGMES. 

en deux ou trois points, de pallier ses écarts. Il était, 
contre les eunomiens ergoteurs, l'adversaire qu'il fal- 
lait ; mais en lui le bel équilibre qui existait chez son 
frère Basile est rompu : l'éloquence devient rhétorique ; 
la philosophie prend le pas sur la révélation, et le rai- 
sonnement à outrance obscurcit de temps à autre, plus 
qu'il ne les sert, les données de la foi * . 

Les cappadociens forment comme un moyen terme 
entre l'école d'Alexandrie, dont ils dépendent cepen- 
dant davantage, et l'école d'Antioche. Celle-ci regarde, 
en exégèse, l'interprétation littérale comme à peu 
près seule admissible; elle incline, dans sa doctrine 
christologique , à séparer en Jésus-Christ l'élément 
humain de l'élément divin; dans sa doctrine de la 
grâce, à maintenir la spontanéité et l'autonomie de la 
liberté humaine vis-à-vis de l'action de Dieu. Ces 
tendances se trahissent déjà dans ce qui nous reste 



1. Les cappadociens sont cités ici d'après les éditions de la P. G., 
saint Basile, t. XXIX-XXXII ; saint Grégoire de Nazianze, t. XXXV-XXXVni ; 
saint Grégoire de Nysse, t. XLIV-XLVI; Amphiloque, l. XXX, et pour ce 
dernier, joindre K. Holl, op. infr. cit., qui a édité une septième lio- 
mélie. - Travaux : Sur saint Basile, W. Klose, Ein Beitrag zur Kirchen- 
geschichté, Basilius der Grosse nach seinem Leben und seine Lehre, 
Straslund, 183S. E. Scholl, Die Lehre des M. Basilius von der Gnade, 
Freiburg im Br., 4881. A. Kranich, Der hl. Basilius in seiner Stellung 
zum Filioque, Braunsberg, 1881. P. Allard, Saint Basile, Paris, 1899. — 
Sur saint Grégoire de Nazianze, A. Benoît, Saint Grégoire de Naz., sa 
vie, ses œuvres et son époque, 2* édit., Paris, 1883. G. Ullmann, Gregorius 
von Nazianz der Theologe, 2» édit.. Gotha, 1866. K. Hoemmer, Des hl. 
Gregàr von Nazianz des Theologen Lehre von der Gnade, Kempten, 
1890. — Sur saint Grégoire de Nysse, J. B. Auphauser, Die Heilslehre 
des hl. Gregor von Nyssa, Mùnchen, 1910. A. Kkampf, Der Urzustand 
des Menschen nach der Lehre des hl. Gregor von Nyssa, Wûrzburg, 
4809. F. HiLT, Des hl. Gregor von Nyssa Lehre vont Menschen, Kôln, 1890. 
F. DiEKAMP, Die Gotteslehre des hl. Gregor von Nyssa, Munster, 1896. 
W. VOLLERT, Die Lehre Gregors von Nyssa vom Guten und Bôsen, 
Leipzig, 189T. — Sur Amphiloque, K. Holl, Amphilochius von Ikonium 
in seinem Verhâltnis zu den grossen Kappadoziern, Tiibingen, 1904. 
L. Saltet, La théologie d' Amphiloque, dans le Bulletin de littérature 
ecclésiastique, 1905, pp. 121-127. 6. Ficke», Amphilochiana, V partie, 
Leipzig, 1906. 



LES PERES GRECS DU IV SIECLE. 9 

des œuvres d'Eustathe d'Antioche {+ 337)^ : elles 
s'étalent à l'aise dans celles de Diodore de Tarse (évê- 
que V. 378, mort v. 393) et surtout de Théodore de 
Mopsuesté (évéque en 392, mort en 428) ^. Elles ne sont 
pas absentes non plus des homélies de saint Jean Chry- 
sostome (344-407), le disciple de Diodore et l'ami de 
Théodore. Heureusement, les nécessités de son minis- 
tère de prédicateur et le caractère tout pratique de sa 
parole ont éloigné le grand orateur des spéculations 
dogmatiques, et lui ont fait tempérer ce qu'il y avait 
d'excessif dans les principes de son ami et de son 
maître. Homéliste plus que théologien , et moins théo- 
ricien que moraliste, saint Chrysostome n'occupe d'ail- 
leurs dans l'histoire des dogmes qu'une place secon- 
daire, bien inférieure à celle que lui a attribuée dans 
l'histoire de l'éloquence chrétienne l'admiration de ses 
contemporains et de tous les âges ^. 

Saint Cyrille de Jérusalem (v. 315 -j- 386) et saint 
Épiphane (évêque en 367, mort en 403) sont restés en 
dehors de cette classification. S'il fallait assigner une 
place au premier, c'est évidemment près des cappado- 
ciens qu'il le faudrait mettre, dans ce milieu qui tient 



1. Œuvres dans P. G., t. XVIII. — Travaux : A. Jahn, Des hl. Eusta- 
thios Erzbisch, v. Antîoch. Beurtheilung des Origenes, Leipzig, 1886. 
F. Cavallera, s. Eustathii • In Lazarum , Mariam et Martham » 
homilia christologica, Paris, 1903. L. Saltet, Le schisme d'Antioche au 
IV" siècle, et Une prétendue homélie d'Eustathe, daas le Bulletin de 
littér. ecclésiastique, 1906, pp. 120 et suiv. et 212 et suiv. 

2. Comme ces deux auteurs sont les vrais précurseurs et fondateurs 
du nestorianisme, je renverrai au volume suivant ce qui regarde l'ex- 
posé de leur cliristologie. Tliéodore appartient du reste plutôt au v« siècle. 

3. Saint Jean Chrysostome est ciié ici d'après l'édilion de la P. G., 
i. XLVII-LXIV. On trouvera plus loin, page 131, un tableau des écrits que 
i'ai cités et qui permettra de les retrouver aisément. — Travaux : 
rh. FdRSTER, Chrysostomus in seinem Verhâltniss zur antioehenischen 
Schule, Gotha, 1869. P. Galtier, S. Jean Chrysostome et la confession, dans 
les Recherches de science relig., I, II (19Ï0, 1911). Ei.ser, Der hl. Chrysosto- 
mus und die Philosophie, dans Theolog. QuarioiscAri/^ t. LXXVI, 1894. 
A. '^KZGVE., Die Eucharisticlehre des hl. Joh. Chrysost., Strassburg, 1900. 

1. 



10 HISTOIRE DES DOGMES. 

à la fois d'Antioche et d'Alexandrie, plus d'Alexandrie 
que d'Antioche. Mais ses vingt-quatre catéchèses, son 
principal ouvrage, ne lui ont guère donné l'occasion de 
pousser à fond sa théologie. Nicéen timide que l'ôfiooii- 
ffwç effraie — il l'évite formellement dans ses catéchèses 
— et qui a horreur des controverses — il a cependant 
réfuté énergiquement les manichéens et Marcel d'An- 
cyre, — il se livre plus volontiers à des développements 
instructifs et pieux sur des sujets moins ardus. L'esprit 
éprouve un vrai repos à parcourir, au milieu de la lit- 
térature de bataille du iv^ siècle, ces pages d'une beauté 
si calme, écrites en un style tempéré et précis, mais 
qui ne manque ni de souplesse ni d'émotion vraie ^ 

Quant à saint Épiphane, il ne veut être d'aucune 
école, mais orthodoxe simplement et au sens le plus 
étroit. Cela même toutefois l'arme contre toutes les 
hérésies ou ce qu'il croit tel, et fait de lui un infatiga- 
ble polémiste. Il a combattu les ariens, les apollina- 
ristes ; il a soutenu d'abord Paulin contre Mélèee et a 
poursuivi de ses arguments des erreurs qu'il est pres- 
que seul à nous faire connaître ; mais surtout il a atta- 
qué Origène, à ses yeux le principe et l'auteur de 
toutes les hérésies de son temps. Son zèle souvent l'a 
emporté trop loin et l'a entraîné à des fautes dont il 
n'a pas eu conscience. Saint Epiphane n'est pas un 
théologien original : il craindrait de l'être; souvent il 
n'a visé qu'à reproduire, en une langue diffuse et en 
d'interminables dissertations, les vues d'Athanase et 
des Cappadociens. Homme d'église par-dessus tout, 
il a tenu à justifier toutes les coutumes de cette Eglise, 

i. s. Cyrille est cité ici d'après l'édition de la P. G., t. XXXIII. — Tra- 
vaux : J. Mader, Der hl. Cyrillus, Bischof von Jérusalem, in seinem 
Leben und seinen Schriften, Einsiedeln, 1891. J. Mabqcardt, S. Cyrilli 
hîerosolymitani de contentionibus et plaeitis arîanorum sententia, 
Braunsberg, 1881. Id., S. Cyrillus liierosolym. bat>tismi, chrisiJiatis, 
eucharistîae mysteriorum interpres, Leipzig:, 1882. 



LES PÈRES GREGS DU IV" SIÈCLE. 11 

et a travaillé notamment à développer les tendances 
ascétiques qui commençaient à prendre corps un peu 
partout dans les institutions monastiques. Mais si saint 
Épiphane n'est pas un penseur personnel, il est un au- 
teur érudit, et, à cause de cela, apporte, sur plus d'un 
point, une contribution précieuse à l'histoire des idées 
chrétiennes du iv^ siècle. Ajoutons que, grâce à ses 
rapports avec l'Occident, certaines conceptions ou cou- 
tumes latines ont fait par lui leur entrée dans l'Église 
grecque à laquelle il appartenait'. 

Tels sont les principaux écrivains grecs du iv^ siè- 
cle dont nous aurons ici à étudier la doctrine ; nombre 
d'autres cependant seront nommés que nous nous abs- 
tenons de caractériser plus au long, et pour lesquels 
on voudra bien recourir aux ouvrages de patrologie. 

§ 2. — La doctrine sur les sources de la foi. 

Bien que les auteurs ecclésiastiques du iv^ siècle ne 
soient pas absolument d'accord entre eux sur le canon 
du Nouveau et de l'Ancien Testament, et que certains 
excluent du catalogue des livres inspirés des ouvrages 
acceptés par d'autres 2, ces auteurs sont unanimes ce- 
pendant à regarder l'inspiration, là où ils l'admettent, 
comme une action de Dieu parlant et s'exprimant par 
les écrivains sacrés. Ces écrivains sont ôeonvEucroi, 
6£0'^opotj[xevoi^ ; leurs paroles sont les paroles mêmes du 
Saint-Esprit, toîî HveufAotToç xoû àyiov pv^aara''. 



1. Saint Épiphane est ci(é ici d'après l'édition de la P. G., t. XLI- 
XLlii. — Travaux : B. Eberhard, Die Betheilung des Epiphanius am 
Streite ûljer Origenes, Trier, 18S9. J. Martin, Saint Epiphane, dans les 
Annal, de phil. cJir., CLV, CI. VI (1907-1908). 

2. V. EusÈDE, Hisl. eccL, III, 23; Tli, Zahn, Einleitung in das N. T. 

3. Athan., Conlra génies, 1; Basil., In Hexaemer., VI, 11; Grec, kyss., 
Contra Eunomium, VII (P. G., XLV, 744). 

4. CIIUYSOST., In Genesim, liom. XV, 1. 



12 HISTOIRE DES DOGMES. 

En quoi consiste précisément cette inspiration ? Quand 
elle atteint son plus haut degré, chez les prophètes par 
exemple, Théodore de Mopsueste pense qu'elle est 
un état d'extase dans lequel le prophète, ses sens 
étant fermés à la terre, reçoit en lui des impressions 
spirituelles des choses à venir ou cachées. Le prophète 
traduit ces impressions par les mots voir, entendre, 
comme si des tableaux sensibles lui étaient présentés 
ou des paroles sensibles lui étaient dites, mais d'ail- 
leurs tout se passe dans son intelligence^. On sait, 
d'autre part, que le même Théodore n'accordait aux 
Proverbes et peut-être à l'Ecclésiaste, qu'une inspira- 
tion de second ordre, V esprit de prudence, très différent 
de l'extase du prophète 2. Saint Jean Chrysostome, qui 
a touché le même sujet, semble parfois représenter 
l'inspiration comme un envahissement total par le 
Saint-Esprit des facultés de l'écrivain, envahissement 
qui réduirait celui-ci à un état purement passif ^ ; mais 
ce n'est pas l'idée qu'il s'en fait d'ordinaire. 11 met 
précisément cette différence entre la prophétie et la 
divination païenne, que le. devin ou la pythonisse sont 
passifs et hors d'eux-mêmes, tandis que le prophète 
reste maître de soi et conscient de ce qu'il annonce^. 
Il maintient à l'auteur humain, dans la composition 
des Livres saints, une part qui explique les différences 
ou même les divergences que présentent ces livres. 
Théoriquement, saint Chrysostome semble admettre 
que ces divergences peuvent être réelles bien que lé- 
gères; pratiquement, il s'efforce de montrer qu'elles 
ne sont qu'apparentes^. 

1. In Nahum, 1, 1 (P. G., LXVI, 402) ; In Abdiam, i {ibid., 407) ; In Za- 
chariam, I, 9-12 (ib., 507, tilO). 

2. P. G., LXVI, 697. 

3. In psalm. XLIY, 1. 

4. In I Corinth., liom. XXIX, 1. 
6. In Matih., ho m. I, 2. 



LES PÈRES GRECS DU IV SIÈCLE. 13 

Quant à la méthode d'interprétation de l'Écriture, 
on sait assez que l'école d'Alexandrie inclinait vers 
celle qui admet largement le sens spirituel ou même 
purement allégorique, tandis que l'école d'Antioche — 
nous l'avons dit — tenait avant tout pour le sens litté- 
ral et historique. La première est représentée, au 
iv° siècle, surtout par saint Grégoire de Nysse^; la 
seconde par saint Basile, qui repousse nettement le 
pur allégorisme ou symbolisme^, et principalement 
par les antiochéniens. Eusèbe rapporte de Dorothée, 
l'un des premiers maîtres de l'école exégétique d'An- 
tioche, qu'il interprétait l'Écriture [AETpiwç, avec me- 
sure^. L'évêque Eustathe a laissé, sur le sujet de la 
pythonisse, un petit traité d'un caractère antialiégo- 
rique prononcé. Socrate a dit de Diodore de Tarse 
(ju'il s'appliquait uniquement à la lettre des Saintes 
Ecritures, négligeant leur sens spirituel : ({/tXtJi t^ Ypa{*- 
[Aaxi Twv ôeiwv Ttpoal/cov ypatpSvj tàç ôewptai; aôxwv IxTpeTcofJie- 
voç-*. Théodore de Mopsueste est assez connu pour son 
littéralisme rigide, et quant à saint Jean Chrysostome, 
s'il est moins exclusif que son ami et, en sa qualité 
d'orateur et ^e moraliste, admet une certaine mesure 
d'allégorie et d'applications figurées, il n'en déclare 
pas moins préférer, et il pratique en effet une exégèse 
plus sévère et moins capricieuse : 'Eyà Se ours xaurviv 
à-tijAdtCd) tV £^vÎYvi<riv (l'exégèse allégorique) xal ttiv érépav 
àXïiôeffTSpav elvai çri[/.i^. 

Cependant, (juoi qu'il en soit de ces diverses ten- 
dances, tous nos auteurs s'accordent à voir dans l'H- 
criture la première source où il faut aller puiser la 

i. In cantiea canlicorum, prooemium {P. G., XLIV, "ïoS sqq.); Contra 
Eunomium, VU (P. G., XLV, 744). 

2. In hexaemeron, IX, i. 

3. Eist. eccl., Vn, 3-3, 2, 3. 

4. Hist. eccl., VI, 13. 

K. In Isaîam, cap. I, 22, n» 7 ; V, 7, n» 3. 



14 HISTOIRE DES DOGMES. 

foi. A prendre à la lettre certaines de leurs déclara- 
tions, il semblerait même que, à leur gré, c'est assez 
des Livres saints pour nous enseigner ce que nous 
devons croire. « Les Ecritures saintes et inspirées, dit 
saint Athanase, suffisent à la définition de la vérité* ». 
Elles sont plus aptes que les autres écrits à édifier la 
foi, et il faut donc les lire^. « N'attends pas un autre 
maître, déclare saint Clirysostome ; tu possèdes les 
paroles de Dieu, nul ne t'instruira comme elles^ ». Et 
saint Basile expose qu'en effet rÉcriture doit être juge 
quand il s'agit de trancher entre des coutumes ou des 
traditions dissemblables*. La raison très simple qu'en 
apporte saint Épiphane est que l'Ecriture ne saurait 
errer : irKvra yip «XrjOeuei ^ ôei» Ypa'f>i^> Mais on se trom- 
perait si l'on pensait que les Pères grecs du iv^ siècle 
excluent par là une autre source d'information plus 
accessible aux humbles. Ces Pères ont le sentiment un 
peu confus d'un développement qui s'accomplit à leur 
époque dans la théologie ecclésiastique^. Des dogmes 
sont mis en lumière — celui de la divinité du Saint- 
Esprit par exemple, — des formules sont adoptées — 
comme l'ôu-oQuaioç, — des usages liturgiques et rituels 
prévalent et se multiplient dont l'Écriture ne fait nulle 
mention, ou qu'elle n'enseigne que d'une façon incom- 
plète et obscure. Il faut cependant les justifier contre 
les adversaires, et cette nécessité amène nos auteurs à 
insister, plus qu'on ne l'a fait jusqu'à eux, sur un en- 
seignement, une tradition orale distincte de l'Écriture 
et parvenue des apôtres jusqu'à nous. C'est la TrapâSooriç 

4. Contra gentes, i. 

2. Epist. ad episc. JEgypti et Libyae, i'f Desynodîa,6; De decreiis, 32. 

3. In Coloss., hom. IX, l. 

4. Ejnst. CLXXXIX, 3. 

5. Ancoraius, 13. 

G. Voyez le passage très explicite de Saiîît Grégoire de Naz., Oral. 
XXXr, 26, 27. 



LES PERES GRECS DU IV SIECLE. 15 

ocYpaçoç Twv àTcoffToXwv, Twv TtaTspcov dont les apôtres et 
leurs successeurs se sont servis pour nous transmettre 
ce qu'ils n'ont point confié à l'Écriture. Saint Chryso- 
stome la mentionne ' comme saint Épiphane*, comme 
les cappadociens^. Cette tradition orale offre les mê- 
mes garanties de vérité que l'rLcriture. Les hérétiques 
la rejettent : ils ont tort^'. Elle est à|io7ri(yToç, déclare 
saint Chrysostome : TrapaSoffiç laTt, y.-/\Skv TrXéov Çtitei^. Et 
saint Grégoire de Nysse : « 11 suffit, pour démontrer 
notre affirmation, que nous ayons [en notre faveur] la 
tradition des Pères parvenue jusqu'à nous comme une 
sorte d'héritage qui nous a été transmis par les saints 
successeurs et héritiers des apôtres^ ». 

Cette tradition orale ne se confond pas encore, pour 
les Pères grecs du iv® siècle, avec le magistère ordi- 
naire de l'Eglise. Cependant, on trouve déjà dans saint 
Épiphane une idée qui conduira pratiquement à cette 
identification. Il remarque que cette tradition, les héré- 
tiques ne l'ont point reçue et ne la conservent point : 
seule, l'Église l'a reçue et la transmet. Il en conclut 
que l'enseignement et les décisions de l'Église suffi- 
sent à établir la vérité ^. Si tous nos auteurs ne font pas 
le même raisonnement, ils en admettent tous au moins 
la conclusion. Le droit de l'Église à trancher les con- 
troverses, à condamner l'erreur, à décider de la foi, 
son infaillibilité dans l'exercice de ce droit sont pour 
eux des principes reconnus, indiscutables, et toute l'his- 
teire des controverses et des conciles du iv^ siècle se- 

1. In acta apostolor., hom. I, l; In II Thessalon., hom. iy,.2; cf. J» 
epist. ad Philipp., hom. III, 4. 

2. Eaer. LXI, 6; LXXV, 8.- 

3. Basil., Epist. CCXLIII, 2; De Spiritu Sanclo, 16, 22, 2o, 66, 67, 71, 77.. 
Gheg. Naz., Or. XXXI, 12; Greg. Nïss., Contra Eimomium, IV, col. 633» 

4. Basil., De Spiritu Sancto, 23, 60, 67, 71, 

5. In II Thessalon., hom. IV, 2. 

6. Contra Eunomium, IV, col. 633. 

7. Eaer. LXI, 6; Ancoratus, 63. 



16 HISTOIRE DES DOGMES. 

rait absolument inexplicable si on ne les supposait ad- 
mis en effet de la généralité des évêques. Saint Cyrille 
de Jérusalem veut qu'on reçoive de l'Église même le 
■canon des Écritures % et il ajoute que, comme beaucoup 
de chrétiens se trouvent, par suite de leur ignorance 
ou de leurs occupations, dans l'impossibilité d'étudier 
les Écritures pour s'en assimiler la doctrine, cette 
Église a concentré cette doctrine en un symbole de foi 
qu'il faut religieusement retenir et conserver, car elle 
enseigne sans défaillance (àveXciTcw;) le dogme qu'il est 
utile aux hommes de connaître 2. Saint Chrysostome 
s'exprime au fond de même sur cette infaillibilité 3; et 
quant à saint Epiphane, c'est avec un vrai lyrisme 
qu'il célèbre les beautés de cette Église, unique épouse 
du Fils de Dieu, vierge, sainte, immaculée, qui a gardé 
absolument pur (à^pavctoç) l'enseignement des apôtres, 
qui a conservé par sa vérité la foi, l'espérance, le sa- 
lut, autorité souveraine dont la croyance ancienne suffit 
à établir ce qu'il faut croire : Outw yàp SoÇaÇei ^ ayi'a toû 
■ôeou IxxXîjffîa oltzo twv àvéxaQsv ^ . 

Sur cette question de principe nulle difficulté. Les 
difficultés commençaient quand on se demandait par 
quels organes, en dehors des symboles reconnus, 
s'exprimait cette foi de l'Église, et quelle était, en par- 
ticulier, la mesure d'autorité que l'on devait accorder 
aux conciles. La distinction des conciles généraux et 
des conciles particuliers n'était pas faite en Orient, 
ou, si le mot d'oecuménique y était connu, on n'avait 
pas explicitement déterminé quelles conditions étaient 
requises et suffisantes pour qu'un concile fût réelle- 
ment tel. Rien n'établit notamment que l'avis du pape 

d. Catech. IV, 33. 

2. Catech. V, 12; XVIII, 23. 

3. In epist. ad Timolh., hom. XI, ■!. 

4. Ancor., C3, 82, 118, 119; Expositio fidei cathoL, 2, 6, 7; Hacr. 
XXXI, 33. 



LES PÈRES GRECS DU IV SIÈCLE. 17 

Sylvestre ait été pris pour la tenue du concile de Ni- 
cée, et quant au concile de Conslantinople de 381, le 
pape n'y fut même pas convoqué. Le nombre et sur- 
tout la valeur personnelle des évêques présents déci- 
daient de l'autorité du concile, et si celui de Nicée en 
conquit très vite une irréfragable et hors de pair, il le 
dut sans aucun doute à la sainteté et à la science de 
plusieurs de ses membres,- au grand nombre des pré- 
lats qui y siégèrent, et aussi à la présence de l'em- 
pereur qui en sanctionna les décrets. Saint Basile 
n'hésite pas à dire que ce n'est pas « sans être mus 
par le Saint-Esprit » que les 318 Pères ont parlée 
Cette expression est très forte; cependant elle ne 
précise rien. — Quant à l'autorité des docteurs ou 
évêques pris isolément, on commence, au iv® siècle, à 
en faire état dans les discussions, et l'on voit saint 
Athanase et saint Basile invoquer le témoignage 
d'Origène et de ses successeurs dans les controverses 
arienne et macédonienne. Ce n'est toutefois qu'au 
siècle suivant, que l'argument tiré des Pères prit 
toute sa force et reçut sa définitive consécration. 

Reste à examiner quelle attitude les Pères grecs du 
IV® siècle ont observée vis-à-vis de la philosophie, et 
quelle part ils ont attribuée à cette science dans la mise 
en œuvre et l'explication des données de la foi. Gar- 
dons-nous d'abord de conclure que cette part a été fort 
grande, de ce fait que les mots entrés dans les formu- 
les théologiqueSj oùffia, ÔTroaTàdiç, cpufftç, etc. sont des 
mots d'origine philosophique. Ils ont sans doute une 
origine philosophique; mais ils étaient, en somme, 
tombés dans le domaine commun à tous les esprits 
cultivés, et, en les adoptant, les Pères ne leur ont point 
donné d'autre sens que celui qui leur était générale- 

1. Epist. cxiv. 



18 HISTOIRE DES DOGMES. 

ment reconnu, ni n'ont prétendu, en aucune façon, lé- 
gitimer les théories philo soptiiques auxquelles ils se 
rattachaient. D'autre part, il est vrai que le souci de 
présenter la foi chrétienne comme une doctrine cohé- 
rente et conforme, bien que les dépassant, aux postu- 
lats de la raison, le souci de découvrir le côté ration- 
nel des données chrétiennes est visible dans les traités 
de jeunesse de saint Athanase et dans les écrits des 
cappadociens. Saint Chrysostome s'y est aussi appli- 
qué, mais surtout pour montrer comment cette même 
foi satisfait les besoins du cœur. C'est là, si l'on veut, 
de la philosophie, mais une philosophie qui ne part 
point d'xm système, et qui se confond avec l'effort de 
la raison cherchant à comprendre et à mieux pénétrer 
la foi. De philosophie proprement dite, de métaphysi- 
que et de dialectique soutenue, on n'en trouve que 
dans le traité de saint Basile contre Eunomius^, et 
dans saint Grégoire de Nysse qui en abuse un peu 
partout. Précisément parce que les ariens, les ano- 
méens et les manichéens s'appuyaient sur la philoso- 
phie, les orthodoxes s'en défiaient, et saint Grégoire 
de Nazianze allait jusqu'à dire que son introduction 
dans l'Église était comparable à une plaie d'Egypte^. 
Mais, d'autre part, il fallait, pour réfuter ces mêmes 
hérétiques, que les Pères les suivissent sur leur ter- 
rain, et détruisissent leurs arguments par des ar- 
guments analogues à ceux qu'ils produisaient. C'est 
ce qu'ils font à l'occasion, sans prétendre par là écrire 
précisément une métaphysique ou une méthodologie 
de leurs croyances. 

■~4. Saint Basile a écrit en plus un Sermo de legendîs librîa gentilium 
(P. G., XXXI, K6i sqq.), OÙ il recommande la lecture d'Homère et de 
quelques philosophes. 
2. Orat. XXXU, 23. 



CHAPITRE II 



LES HERESIES TRINITAIRES DU IV' SIECLE. DEFINI- 
TION DE LA CONSUBSTANTIALITÉ DU FILS ET DU SAINT- 
ESPRIT. 



§ 1. — La doctrine d'Arius*. 

Cette théologie grecque du iv^ siècle dont on vient 
d'indiquer brièvement les principes, les sources et les 
méthodes, allait, dès le premier quart de ce siècle, en- 
trer en conflit avec l'hérésie sur un point fondamental 
du dogme chrétien, la question de la divinité vraie et 
pleine du Verbe, et par conséquent de Jésus-Christ. 

Jusqu'ici l'Église avait plusieurs fois affirmé, contre 

1. Les sources spéciales pour l'exposé de la doctrine d'Arius seront 
données pins loin. D'autre part, il n'entre pas dans le cadre de ce livre 
de raconter en détail l'histoire proprement dite de l'arianisme. Sur 
cette hérésie en général on consultera les anciens historiens de l'Eglise, 
Eusêbe, Socrate, Sozomène, Théodoret, Gélase de Cyzique, saint Epi- 
phane, Philostorge, Sulpice Sévère; puis les écrivains contemporains 
qui l'ont combattue, saint Athanase, saint Hilaire, les Cappadociens, 
Didyme, saint Jérôme, saint Ambroise. — Les travaux abondent. Les 
notices des éditions bénédictines et les recherches de Tillemont sont 
toujours à consulter, et forment une base très solide. Comme ou.vrage& 
plus récents on doit indiquer : J. S. Newman, The arians of the fourth 
Cenlnry, 4" édit., London, 1876. W. Kôlling, Geschichte der arianischen 
Haeresie, Giitersloh,- 1874-1883. H. M. Gwatklv, Studîes of arîanism, 
Cambridge, 1882, 2» édit., 1900. Id., The arian controversy, London, 1889, 
4"> édit.; 1898. P. Snellmasf, Der Anfang der arianischen Streites, Hel- 
singfors, 1904. L. Duchesne^ Histoire ancienne de l'Eglise, t. Il, Paris, 
1907. S. RocALA, Die Anfânge des arianischen Streites untersucht, Pa- 
derborn, 1907. 



20 HISTOIRE DES DOGMES. 

les adoptianistes, sa croyance en la divinité de Jésus- 
Christ. D'autre part cependant, un système, dont nous 
suirons la trace depuis saint Justin et les apologistes 
jusqu'à Origène et Lactance, enseignait, parallèlement 
à sa divinité, une subordination, du Fils, comme Dieu, 
au Père. Le Fils est Dieu, réellement Dieu, mais il est 
inférieur au Père. Entre ces deux propositions, si on les 
prend à la rigueur, il y a contradiction. Si le Fils est 
vraiment et essentiellement Dieu, il est l'être suprême, 
et n'est par conséquent inférieur à rien ni à personne : 
s'il est vraiment inférieur au Père, il n'est plus l'être 
suprême, il n'est plus Dieu. L'école subordinatienne 
croyait pourtant qu'il fallait maintenir ensemble ces 
deux affirmations, si l'on ne voulait pas compromettre 
la monarchie divine et introduire dans le monde plu- 
sieurs principes premiers. Mais l'arianisme allait forcer 
les théologiens à regarder les choses de plus près et 
à se prononcer entre la divinité pleine et absolue ou 
consubstantialité du Fils, et sa subordination essen- 
tielle ou sa création. Arius et les ariens purs se pro- 
nonceront pour la création du Fils; Athanase et les 
nicéens pour sa consubstantialité. Toutefois, entre ces 
deux partis extrêmes et seuls logiques, une masse 
d'évêques indolents et conservateurs de mauvais aloi, 
ou bien esprits timides et plus érudits que penseurs, 
trouveront mieux de rester dans la confusion, et ne 
voudront ni du consubstantiel ni de l'arianisme. Ils for- 
meront la grande armée des eusébiens, homéens, ho- 
moiousiens, semi- ariens, quel que soit le nom qu'on 
leur donne. Entre ces trois partis une lutte s'enga- 
gera qui remplira, en Orient, environ les deux tiers du 
iv« siècle, depuis l'an 318 jusqu'à l'an 382 ou 383. 
A en croire saint Epiphane ^ , l'arianisme aurait eu 

1. Haer. LXXVI, 3. 



LES HÉRÉSIES TRINITAIRES DU IV SIÈCLE. 21 

pour auteurs premiers Origène et Lucien d'Antioche. 
C'est une opinion au moins fort discutable en ce qui 
regarde Origène, mais exacte en ce qui concerne Lu- 
cien. Lucien \ né peut-être lui-même à Samosate et 
élevé à Edesse, était, vers l'an 260, le compagnon de 
l'évêque d'Antioche, Paul de Samosate. Celui-ci fut, 
comme on sait, condamné pour hétérodoxie en 267 ou 
268, et, pendant les discussions que souleva son pro- 
cès, Lucien paraît avoir été soupçonné de partager ses 
erreurs. Toujours est-il qu'il vécut excommunié sous 
les trois évêques successeurs de Paul, Domnus, Ti- 
maeus et Cyrille, s'occupant de critique biblique et 
d'exégèse. Sous l'épiscopat de Tyrannus, il fut récon- 
cilié avec l'Église. En 312, dans la persécution de Dio- 
clétien, il mourut martyr et fut honoré comme un saint. 
Des œuvres de Lucien il ne reste que peu de chose 2. 
Le concile eusébien d'Antioche de 341 lui attribua un 
symbole dont saint Athanase a conservé le texte ^ et 
duquel toute précision dogmatique est soigneusement 
écartée; mais l'authenticité en est fort douteuse. Il n'en 
demeure pas moins certain que Lucien — d'une façon 
plus ou moins consciente — a été le vrai père de l'a- 
rianisme. Les ariens de la première heure et les plus 
en vue ont été presque tous ses disciples et se récla- 
ment de lui. Écrivant à Eusèbe de Nicomédie, Arius 
appelle son correspondant son cher coUucianiste (auX- 
XouxtaviffTdc) ■*, et Philostorge a laissé sur cette relation 
entre Lucien et l'arianisme des indications non équi- 
voques ^. 

i. Sources particulières : Suidas, sub verbo Lucianus. Edsèbe, Hîst. 
eccl, vm, 13, 2; IX, 6, 3. Une lettre d'Alexandre d'Alexandrie dans Théo. 
DORi,T, Hist. eccl., I, 3, Saint Epiphake, Haer. XLIII, i ; LXIX, 6; LXXYI, 3; 
Ancoralus, 33. 

2. Le tout est réuni dans Routh, Reliquiae sacrae, 2« édit.> IV, 1-17. 

3. De synodis, 23; Socrate, Hist. eccl., II, 10. 

4. Saint Epiphane, Haer. LXIX, 6; cf. LXXVI, 3. 

5. Hist. eccl., II, 14, IS; III, 15. 



22 HISTOIRE DES DOGMES. 

Nous ne connaissons pas en détail la doctrine de 
Lucien ; mais on peut aisément comprendre, s'il favori- 
sait plus ou moins ouvertement l'adoptianisme, que 
ses disciples, enjoignant à cette théorie la notion d'un 
lo^os personnel inférieur à Dieu et vivant en Jésus- 
Christ, aient glissé tout naturellement dansl'arianisme. 

Celui qui devait donner son nom à cette dernière 
hérésie était né en Libye ou même à Alexandrie, vers 
l'an 256, et, devenu prêtre, se trouvait, en 313, spécia- 
lement affecté par l'évêque Alexandre à la direction de 
l'église de Baucalis. De mœurs graves et d'un exté- 
rieur imposant, d'une conversation affable et attirante, 
esprit brillant et souple, mais d'ailleurs vain et entêté, 
rompu à la dialectique aristotélicienne et aux détours 
du syllogisme, Arius avait tout ce qu'il fallait pour se 
concilier à la fois les ignorants et les savants. On va 
voir dans quelle mesure il y réussit. 

Les historiens ne s'accordent pas sur l'occasion qui 
fit éclater ses sentiments intimes. Il semble, d'après 
Socrate, que Tévêque d'Alexandrie, Alexandre, ait 
réuni de temps à autre chez lui le clergé de la ville 
pour lui donner quelques directions doctrinales et dis- 
ciplinaires. Dans une de ces réunions, tenue vers l'an 
318, Alexandre ayant parlé de la trinité des personnes 
divines et de l'unité qui existe entre elles, Arius pensa 
découvrir dans ses paroles le sabellianisme, et contre- 
dit vivement l'évêque, en ajoutant que le Fils n'avait 
pas toujours existé, et avait été tiré du néants D'au- 
tres historiens ont raconté la chose de façon un peu 
différente 2. Quoi qu'il en soit, on crut d'abord pos- 
sible d'étouffer l'affaire et de ramener Arius par des 
voies de douceur. Ce fut en vain. Arius songeait bien 

i. SocKATE, His t. eccl., I, S. 

2. SozoMÈNE, IHst. eccles., I, 15 ; Théodoret, Hist. eecl., I, 1 ; Saint Épi- 
PHASE, Haer. LXIX, 3. 



LES HÉRÉSIES TRINITAIRES DU IV SIECLE. 23 

plutôt à se créer des partisans. Il gagna en effet à 
lui deux évêques, Theonas et Secundus, et quelques 
diacres. Un premier concile, qui compta cent évêques 
de l'Egypte et de la Libye, et se tint à Alexandrie 
en l'an 320 ou 321, l'excommunia. Il put cependant 
se maintenir quelque temps encore dans la ville et 
y continuer son ministère; mais, à la suite d'une 
nouvelle assemblée du clergé alexandrin et maréoti- 
que, dans laquelle Alexandre fit souscrire son Epi- 
stula encyclica, Arius] dut s'exiler. Retiré d'abord en 
Palestine, puis à Nicomédie, il y écrivit sa Thalîe et 
des chants populaires propres à disséminer ses er- 
reurs. La controverse s'engagea un peu partout en 
Orient autour des questions soulevées. D'une part, 
Alexandre ne laissa pas sans réponse les plaintes qu'A- 
rius répandait contre lui, et adressa à l'ensemble des 
évêques, et plus particulièrement peut-être aux évê- 
ques de Thrace son Epistula ad Alexandrum con- 
stantinopolitanum où il remettait les choses au point. 
D'autre part, au rapport de Socrate ^ , un synode se 
serait réuni vers cette époque (322-324), et aurait pris 
fait et cause pour Arius. La confusion croissait tou- 
jours. Constantin, qui venait de triompher de Lici- 
nins (323), et qui désirait ramener la paix dans l'É- 
glise comme dans l'Etat, pensa d'abord qu'un accord 
était possible entre les deux partis moyennant quel- 
ques concessions mutuelles, et écrivit dans ce sens à 
Alexandre une lettre qu'Eusèbe a conservée 2. Sa teneur 
montre assez que l'empereur ne comprenait rien à la 
gravité du problème- La lettre fut portée par Hosius 
de Cordoue qui devait d'ailleurs s'offrir comme média- 
teur. Hosius ne réussit pas à faire entrer Alexandre 



\. Eist. eccl., I, 18, 

2. Vila Constantini, II, 64-72; cf. Socrate, Eist. eccl., I, 7. 



24 " HISTOIRE DES DOGMES. 

dans les vues de Constantin : peut-être même déjà les 
deux évêques se mirent-ils d'accord pour condamner 
Arius. Les troubles augmentant, Constantin — sur le 
conseil d'Hosius, on peut le croire — résolut de con- 
voquer un concile général. Ce fut celui de Nicée. 

Avant d'en aborder l'histoire, nous devons dire 
d'une façon précise : 1" quelle était la doctrine d' Arius ; 
2° quel enseignement lui opposait l'évêque Alexandre. 

Nous sommes parfaitement renseignés au moins sur 
les grandes lignes du système d'Arius ; car les sources 
pour le connaître ne manquent pas, et, bien que l'hé- 
résiarque n'ait pas laissé d'exposé didactique de ses 
idées, ses affirmations — ou ses négations — sont 
suffisamment nettes, et ses conceptions assez enchaî- 
nées pour qu'on en puisse suivre aisément la tramée 
La reconstitution qu'on va lire est basée exclusive- 
ment sur ce qui reste de ses ouvrages. 

Dieu est unique : il est seul inengendré, éternel, 
sans principe, vraiment Dieu. Ce Dieu absolu ne sau- 
rait communiquer son être, sa substance, soit parce 
qu'une pareille communication ou génération suppose- 
rait qu'il est composé, divisible, muable, et, en somme, 
corps, ce qu'il n'est pas ; soit parce qu'un Dieu engen- 
dré ou produit par communication de substance serait 

1. Les sources principales pour connaître la doctrine d'Arius sont : 
o Les écrits mêmes d'Arius : a) sa lettre à Eusèbe de Nicomédie con- 
servée par saint Épiphane, Haer. LXIX, 6, et par Tliéodoret, Hist. eccl., 
I, 4; b) sa lettre à Alexandre d'Alexandrie conservée par saint Athanase, 
t>e synodis, 16, et par saint Épiphane, fl^aer, LXIX, 7, 8; c) les fragments 
de la Thalie conservés par saint Athanase, Contra arianos, Or. i, s, 
3, 9; De synodis, 15; d) la profession de foi d'Arius à Constantin con- 
servée par Socrate, Hist. eccl., I, 26, et Sozomène, Hist eccl., n, 27; 
e) enfin les citations textuelles reproduites par saint Athanase, Epist. en- 
cycl. ad episcop. Mgypti, 12, et De sentejitia Dionysii, 23. — 2» Les 
exposés de la doctrine d'Arius faits par ses premiers opposants, notam- 
ment par saint Alexandre, Epislula encyclica, 3, reproduite par Socrate, 
Hist. eccl., I, 6, saint Athanase et les autres. — 3» Enfin les renseigne- 
ments fournis par les historiens, Socrate, Sozomène, saint Épiphane, 
Philostorge, etc. 



LES HÉRÉSIES TRINITAIRES DU IV SIÈCLE. 2& 

une contradiction dans les termes, Dieu étant par dé- 
finition «yivvïiToç. Il faut donc absolument condamner 
les expressions qui supposent cette communication ou 
génération, telles que TcpoêoXi], (jiépoç èyLoovatov, "kiyyov àizo 
Xiyiyou. Tout ce qui est en dehors du Dieu unique est 
créé, créé ex nihilo par la volonté de Dieu *. 

Ce Dieu donc a voulu produire le monde. Pour ce 
faire, il a préalablement créé, pour être l'instrument de 
la création, un être supérieur, celui que nous appelons 
Verbe ^. Le Verbe est intermédiaire entre Dieu et le 
monde. Bien qu'il ne soit pas Dieu, il n'entre pas ce- 
pendant dans le système du monde : il est avant les 
créatures proprement dites, avant le temps et avant 
les siècles (aypovwç, itpà atcovtov), car ceux-ci ne' com- 
mencent qu'avec le monde, et ont, comme lui, le Verbe 
pour auteur immédiat. Mais le Verbe n'est pas éternel 
(àiSioç ri ffuvatStoç), car il n'a pas toujours été : il y a eu 
un moment de la durée — non du temps — où il n'était 
pas ; il a passé du non-être à l'être : ^v itote Sts. oux ^v, 
xa\ oux ^v repiv YsvviTai, àXX' àpyYjv toîî XTtÇeffOai t<s'/j, xai 
auTOç''. 

Le Verbe est donc vraiment créé [l\ oùx ovtwv yî'yovê) : 
il n'est pas de la substance de Dieu, mais existe par la 
volonté de Dieu''. Arius emploie sans doute, pour mar- 
quer l'opération qui fait exister le Verbe, l'expression 
YÊvViQffavTa, lYevvYjffev, yswïiOeiç : mais, outre que le mot 
YÊvvïiTo'ç n'avait pas encore le sens exclusif qu'on lui 
donna plus tard et se confondait souvent avec le mot 

1. Epist. ad Alexandrum {De synodis, 16). 

2. Thalie (C arianos. Or- I, 5). Le sophiste arien Asterius justifiait 
cette création préalable du Verbe par cette considération que le monde 
n'aurait pu porter le poids de l'action directe de Dieu : (i,yi éSuvaTO -rà 
Xomà XTt(T[j.aTa tÎ); àxpaTOU x^tpôç xoû aYSVVT^Tou êpYaasav PacfTaÇai 
(Atuanase, De decretis, 8). 

3. Thalie (C. arianos. Or. I, S); Epist. ad Alex. (De synodis, 16); 
cf. Epist. ad Euseb. (Epiphane, Haer. LXIX, 6). 

4. Ibid. 



26 HISTOIRE DES DOGMES. 

Y6'vv)Toç^, l'hérésiarque ne laisse aucun doute sur la 
façon dont il l'entend. Dès lors, le Verbe n'est pas fils 
naturel mais seulement adoptif (xaTa x^P'^) de Dieu qui 
l'a adopté en prévision de ses mérites. Il n'est pas vrai- 
ment Dieu (ôsoç àXY)6ivoç), mais seulement dans le sens 
où l'Écriture appelle ainsi les justes, car il est d'ail- 
leurs étranger et dissemblable en tout à la substance 
et à la personnalité du Père (àXXoTpio; (^iv xal àvofAoïo; 
xaxà iravTa t^ç toïï Traxpoi; ouaiaç xa\ {Sio'tïjtoç)^. Bien qu'on 
le nomme Verbe et Sagesse, ces attributs ne lui con- 
viennent qu'autant qu'il participe à la sagesse et à la 
raison incréées qui sont en Dieu. En soi, il est une des 
multiples puissances créées dont Dieu se sert, une 
cause seconde comme le criquet et la sauterelle, agents 
des volontés divines^. 

Les conséquences de ces prémisses sont claires. 
Créature, le Verbe est soumis à Dieu : il ne le connaît 
et ne se connaît lui-même qu'imparfaitement ; par na- 
ture il est changeant et faillible (TpeTUToç) ^. Dans sa lettre 
à Alexandre ^, Arius paraît sans doute affirmer l'immu- 
tabilité morale du Verbe ; mais on voit, par d'autres 
passages, qu'il s'agit seulement d'une impeccabilité de 
fait due à l'effort de sa volonté libre. Dieu a prévu cette 
droiture de volonté, et en ce sens uniquement on peut 
dire qu'il a fait le Verbe immuable et impeccable^. 

Créature, le Verbe n'est pourtant pas une créature 
comme les autres : c'est une créature parfaite (xTi'arfxa 
Toîî 9eou TgXeiov) : Dieu peut bien produire une créature 

1. Sur celte question voir Harsack, Lehrb. der DG.^ H, p. 196, note 3, 
et Petid, De Trinitate, lib. V, cap. i ; et cf. Atiianase, De synodîs, 46. 

2. Thalie (De synodis, 13; C. arian., Or. I, i>, G). 

3. Thalie (fi. arian.. Or. I, S). 

4. Epist. ad Alexandr. [De synodis, 16); Thalie {De synodis, 15; C. 
arian., Or, I, 5, 6). 

5. De synodis, 16. 

6. Cf. Epist. ad Alex. (De synodis, 16); Epist. ad Eusebium. 



LES HÉRÉSIES TRINITAIRES DU IV= SIÈCLE. 27 

qui soit égale au Logos, mais non qui lui soit supé- 
rieure. Le Logos d'ailleurs a toujours crû en grâces et 
en mérites : il s'est développé, et s'est ainsi rendu digne 
delà gloire, des hommages et du nom même de Dieu 
que le Père et l'Église lui ont attribués * . 

Quant à son rôle ad extra, il a consisté, comme nous 
l'avons dit, à être l'agent immédiat de la création. II a 
consisté aussi à être l'agent de la rédemption. Pour 
cela le Verbe s'est incarné. La doctrine de Lucien 
d'Antioche, préludant à celle d'Apollinaire, était que 
le Verbe avait pris un corps sans âme («•}u;(ov) 2. Les 
fragments qui ont survécu des œuvres d'Arius ne con- 
tiennent rien sur ce point précis, mais on sait par les 
auteurs que tel était aussi son enseignement^. Ce fut 
certainement celui de sa secte et des anoméens posté- 
rieurs ''. Cet enseignement cadrait du reste avec l'en- 
semble du système et servait à l'étayer, puisque, si le 
Verbe est en soi passible et changeant, il peut dans le 
corps tenir la place et remplir le rôle de l'âme, et qu'il 
devient loisible dès lors de rejeter sur lui les émotions 
et les faiblesses attribuées par l'Écriture à l'humanité 
de Jésus. 

Sur le Saint-Esprit les fragments d'Arius sont peu 
exi3licites. Il en admet l'hypostase comme formant 



\. Epist. ad Alex. (De synodis, 16) ; Thalie (De synodis, 13 ; C. aria- 
iios, Or. I, S) ; Epist. ad Euseb. 

2. Epiphane, Ancoralus, 33. 

3. Contra Apollinarîum, II, 3; Théodoret, Haeretic. fabul., V, H ; un 
fragment attribué à samt Atiianase, P. G., XKVr, 1292. 

4. EusTATHE d'Antioche (P. G., XVIII, 689); Contra Apollinar., 1, 13; Epi- 
phane, Haer. LXIX, 19; Gkeg. Naz., Epist. Cl. Dans l'Exposé de foi qu'il 
présentaà Théodose en 383 (Socrate, H. E., VII, 12), et que Valois a repro- 
duit dans ses notes à Socrate, V, 10 (P. G., LXVII, 589), Eunomius aflirme 
cependant (est-ce palinodie?) que Jésus-Ciirist a pris une humanité 
composée de corps et d'âme l<\iMyij non pas voCç). En revanche, le sym- 
bole d'Eudoxius de Gonstantinople est formel : (japxoOsvTa , oùx èvav- 
bçtan-ficravxoi, outs y^P '^^'/Ji^ àvBpwnîvYjv àveîXvjçev [6 >.ôyo;] (Caspari, 
Quellen, IV, p. 176 et suiv. Cf, Harnack, Lehrb. der DG,, II, p. 321, note 3). 



28 HISTOIRE DES DOGMES. 

avec le Père et le Fils une trinité. Mais le Saint-Esprit 
est, d'après lui, infiniment éloigné, séparé des deux au- 
tres personnes : il leur est étranger par l'essence : il ne 
possède ni même substance ni même gloire ^ Arius en 
faisait probablement une créature du Fils. Ce point de sa 
doctrine resta toutefois dans, l'ombre jusqu'au moment 
où il fut mis en évidence par l'hérésie macédonienne. 

Tel était, dans ses traits principaux, le système 
d'Arius. Ce système reposait tout entier sur cette con- 
ception que Dieu est absolument transcendant, unique, 
incapable de se communiquer autrement que par voie 
de création. Au point de vue philosophique, l'hérésiar- 
que et ses sectateurs se rattachaient à Aristote, à sa 
méthode et à sa dialectique^. Mais ils s'eiforçaient de 
donner à leurs erreurs une base scripturaire en rap- 
jîelant les textes qui attribuent à Jésus-Christ ou au 
Fils une infériorité, des passions, des infirmités, l'igno- 
rance même de certaines choses ^. Ils entendaient tous 
ces textes du Verbe et y voyaient des preuves de sa 
condition d'être créé. 

On remarquera que la doctrine d'Arius a été, pour 
ainsi dire, parfaite dès le principe, et n'a point subi de 
développement. Si plus tard les anoméens l'ont étayée 
-de plus d'arguments, ils ne l'ont pas précisément am- 
plifiée. Après le concile de Nicée, les eusébiens la mo- 
difièrent, mais pour l'atténuer. Quant à ceux qui l'ac- 
ceptèrent d'abord, Eusèbe de Nicomédie, Eusèbe de 
Césarée, Athanase d'Anazarbus, Georges prêtre d'A- 



1. Thalie {G. arian., Or. 1,6', De synodis, Vô), 

2. Epiphane, Haer. LXIX,69; LXXVI, 2. Greg. Nyss., Contra Eunomium, 
l {P. G. XLV, 26o); Philostorge, U. E., III, S. 

3. Didyme l'aveugle a consacré à la discussion de ces textes le livre III 
de son De trinilale. On en trouvera l'énumération dans J. Tdrmel, 
histoire de la théologie positive,!, Paris, 1004, p. 27, et plus complète- 
ment dans Bethuse-Baker, An introduction to the early hislory of 
Christian doctrine, p. 161, 162, texte et note. 



LES HERESIES TRINITAIRES DU IV SIECLE. 29 

lexandrie, Asterius de Cappadoce, des citations faites 
par saint Athanase^ prouvent qu'ils la professaient 
telle qu'Arius l'avait émise. Peut-être devrait-on ce- 
pendant excepter l'évêque de Césarée dont la pensée 
semble avoir été plus flottante- 
Quel enseignement opposait à cette doctrine le pa- 
triarche d'Alexandrie, Alexandre? Il importe, on le 
conçoit, de le savoir, si l'on veut connaître exactement 
ce que pensait de la question en litige l'orthodoxie 
grecque à ce moment précis qui va de 320 à 325. Or 
nous sommes assez bien renseignés sur les sentiments 
d'Alexandre par les deux lettres dont il a été plus haut 
question. L'une est VEpistula encyclica conservée par 
Socrate [H. E.^ i, 6); l'autre, qui porte l'inscription 
douteuse Epistula ad Alexandrum constantinopoli- 
tanum, est probablement aussi une lettre encyclique. 
Elle se trouve reproduite dans Théodoret [H. E., i, 3)^. 
Le patriarche, dans ces deux documents, montre qu'il 
comprend parfaitement l'importance de la crise arienne 
et le danger qu'elle fait courir à l'essence même du 
christianisme. Mais d'ailleurs il discute peu : il ensei- 
gne et décide, et déclare qu'il ne faut pas essayer 
d'expliquer ces mystères. 

h' Epistula encyclica est la plus courte. Après un bon 
résumé des erreurs d'Arius (3), le patriarche affirme, 
en s'appuyant sur l'Écriture, l'éternité du Fils, sa non- 
création, sa ressemblance au Père en substance, son 
immutabilité (4). Si le Fils, ajoute-t-il, n'était pas 
éternel, le Père se serait trouvé à un moment aXoyo; xal 
àffO'|>oç, ce qu'on ne saurait concevoir. Le Fils est élé- 
ment intime, essentiel de l'être du Père. Au n° 5 il est 

1. De synodis, 17-19. 

2. L'une et l'autre sont imprimées à part dans P. G., XVni, S72 suiv., 
S48 suiv. 

2. 



30 HISTOIRE DES DOGMES. 

dit que le Fils eoniiaît parfaitement le Père : Sicut 
novit me Pater et ego agnosco Patrem [ïoan. x, 15). 

UEpistula ad Alexandrum est plus complète : elle 
présente une réfutation en règle de l'arianisme et un 
exposé précis de la doctrine d'Alexandre. Voici cette 
doctrine. 

Le Fils n'est pas ex nihilo; il n'est pas de la nature 
des choses faites et créées (4). Il n'y a pas eu de mo- 
ment où il n'était pas : ouxa ^v itoTe ote oùx ^v (4, 6) : le 
Père a toujours été Père ; ce serait le détruire que de 
supposer qu'il n'a pas toujours eu avec lui son Fils qui 
est sa splendeur et son image (7). Ils sont, le Fils et 
lui, inséparables (àXXviXoiv «^(^toptffTa itpaYffcaTa 8uo) : on ne 
peut, même par la pensée, imaginer entre eux un in- 
tervalle quelconque (4), Le Fils est immuable, parfait 
dès le principe; il ne saurait progresser ni devenir 
meilleur ; à plus forte raison ne saurait-il faillir (7) ; car 
du reste il est fils par nature et non par adoption (8), 
image parfaite du Père (àuapaXXaxTo; elxtov) . Qui honore 
le Fils honore le Père, et réciproquement (9). 

Cependant, bien qu' étroitement unis, le Père et le 
Fils sont distincts : le Père seul est inengendré, âYévvyj- 
To;, le Fils ne l'est pas (4). Les ariens en concluent que 
celui-ci est une créature ; mais ils se trompent. Entre 
le Père inengendré et les créatures, il y a la nature du 
Fils unique engendrée de l'être même du Père, et par 
laquelle il fait sortir l'univers du néant : ôç {xefftTsuoyffa 
cpufftç [xovoyevJiç Si' \c, Ta oXa s^ oùjc ovtwv eTcoiriaev 5 icat'Jip tou 
0soù Xoyou, \ 1^ aùtou tou ovtoç Tratpôç yeY^vvriTat (11). Voilà 
ce que l'on peut dire : quant à percer le mystère de 
cette génération, il y faut renoncer (5). 

Au n° 12, Alexandre donne un symbole de foi, vrai- 
semblablement celui de son église expliqué et déve- 
loppé. Il y insiste sur la distinction du Père et du Fils. 
En nous servant des mots ^v, aei, upo atwvwv, pour quali- 



LES HÉRÉSIES TRINITAIRES DU IV SIECLE. 81 

fier l'existence du Fils, dit-il, nous ne voulons pas faire 
entendre qu'il est d-ï-évvvjTo; : il ne l'est pas, et c'est en 
cela, mais en cela seulement qu'il est inférieur au Père : 
[Aovw Tw «Yevviirw Xenro(ji£vov Ixsivoo. Il faut conserver au 
Père sa dignité 'propre (oixeiov d?iw{A«) : il n'a pas de 
principe et n'est pas produit ; mais il faut aussi rendre 
au Fils l'honneur qui lui convient (Tr,v apfxoÇouorav Ttfxv^v). 

Le symbole se termine par la confession de l'Esprit- 
Saint qui a inspiré les prophètes et les apôtres; de 
l'Église, de la résurrection des morts, de l'incarna- 
tion de Jésus-Christ Ix tyîç ôeotokou Mapiaç, des princi- 
paux événements de sa vie, de sa mort et de son triom- 
phe (12). 

Cet exposé de la foi chrétienne sur la question sou - 
levée par Arius ne manque, quoi qu'on en ait dit^, ni 
de netteté ni de force. Alexandre était très explicite 
sur la non-création, sur l'éternité, sur la divinité du 
Fils, ce qui était, en somme, tout l'objet du débat. Il 
marquait très exactement en quoi et dans quelle me- 
sure on pouvait dire le Fils inférieur au Père ((xovw tJS 
ayevvîÎT<{)). Si l'ôfjLoouff'.oç ne paraissait pas encore, l'Ix t^ç 
oufftaç se rencontrait presque équivalemment dans la 
formule e? «uxou tou ovroç Tuarpoç, Le mystère n'était sans 
doute pas expliqué, mais il était, en définitive, exac- 
tement formulé et présenté dans ses lignes principales. 
Ce n'était pas si peu de chose. 

§ 3. — Le concile de Nicée^. 
Le concile dont il a été question plus haut fut con- 

1. Haknack, LeArû. der DG., II, 207. 

2. Sources : Avant tout le symbole, les caaons et le décret synodal 
du concile. Puis Saint Athanase, surtout De decretis Nicaenae synodi 
(v.3Sl) QlEpistula adAfros (v. 389) ; Eusèbe, Vita Constantini ; Socrate, 
SozoMÈïïE, Théodoret, B.BFIN dans leurs Histoires ecclésiastiques, et GÉ- 
LASE DE Cyzique dans son Histoire du concile de Nicée. — Travaux : les 



^2 fflSTOlRE DES DOGMES. 

voqué par Constantin* à Nicée, en Bithynie. ' Trois 
cent dix-huit évêques environ ^ s'y réunirent, presque 
tous orientaux. Les occidentaux se réduisaient à Ho- 
sius de Cordoue, aux deux prêtres Vitus et Vincent, re- 
présentants du pape Sylvestre, à Cécilien de Carthage, 
Marc de Calabre et Domnus de Stridon. Après les 
deux patriarches, Alexandre d'Alexandrie et Eustathe 
d'Antioche, les évêques les plus en vue étaient le mé- 
tropolitain de Césarée en Cappadoce, Leontius, et les 
deux Eusèbe de Nicomédie et de Césarée. Le diacre 
A-thanase avait accompagné son évêque Alexandre. 

Le concile dut s'ouvrir vers le milieu de juin pour 
se clôturer au milieu de juillet 325. Il ne fît probable- 
ment point rédiger de procès-verbaux de ses séances ; 
et ainsi les moyens nous manquent de suivre exacte- 
jnent le progrès de ses discussions. Nous ne pouvons 
•que très sommairement en reconstituer la physiono- 
•mie. 

Des sortes de conférences préliminaires précédèrent, 
-semble-t-il, les nremières sessions de l'assemblée. Les 
partisans d'Arius s'y déclarèrent. Ils étaient, au témoi- 
gnage de Rufin, dix-sept en tout^. Puis le concile fut 
-solennellement ouvert par Constantin. Il est probable 
qu'Hosius le présida, assisté des deux prêtres Titus 
et Vincent. Quoi qu'il en soit, les débats étant com- 

mcmes que sur l'arianisme en général, et Hefele, Histoire des con 
ciles, 2» édit., traduct. franc., tom. I, 1. 

1. Le sixième concile général (680), dans sa dix-huitième session 
(3IAXSI, Coll, conc, t. XI, col. 661), a aifirmé que le concile de Nicée 
fut convoqué par Constantin et le pape Sylvestre agissant de concert. 
TCe témoignage est bien tardif. Les expressions de Rufin (ex sacerdotum 
senlentia, H. E., I, 1) et de Sulpice Sévère {Hisl. sacra, II, 53) font 
plutôt penser à des conseils que Constantin aurait pris d'Hosius ou 

■^'Eusèbe de Nicomédie par exemple. 

2. Ce chiffre, qui devint bientôt traditionnel, n'est qu'approxinaatif. 
-Voir EusÈDE, Vila Constant., III, 8; Athanase, Htstorîa ariahorum, 66 
.Apologia contra arianos, 23, 23; De synodis, 43; De decretis, 3. 

3. Ui^oria eccles., I, S; cf. Socrate, Hist eccl,, I, 8. 



LES HERESIES TRINITAIRES DU IV» SIECLE. 33 

mencés, et la discussion s'échaufifant entre ariens et 
orthodoxes, on vit rapidement se former un tiers-parti, 
à qui Athanase donne le nom d'eusébien (oî mp\ Eùaéêiov), 
dont le but était de sauver l'arianisme en adoucissant 
ses formules et surtout d'éviter des déclarations dog- 
matiques trop catégoriques et trop nettes. Le chef en 
était Eusèbe de Nicomédie, un des prélats les plus 
intelligents et les plus adroits, mais un des plus ambi- 
tieux et des moins consciencieux de son temps. Eusèbe 
de Césarée y siégeait aussi, toutefois avec une attitude 
plus réservée. 

Un premier symbole fut proposé par l'évêque de Ni- 
comédie * . On le repoussa comme trop favorable aux 
ariens. Un second, qui était peut-être le symbole bap- 
tismal de l'église de Césarée, fut proposé par son 
évêque, Eusèbe 2. Le Verbe y était dit « Dieu de Dieu, 
lumière de lumière, vie de vie, Fils unique, premier-né 
de toute créature, engendré du Père avant tous les 
siècles, par qui tout a été fait ». Une pareille formule 
n'eût rien décidé. Constantin, cependant, au dired'Eu- 
sèbe, s'en serait contenté, à la condition d'y introduire 
le mot ôfjioouffioç. Mais les orthodoxes furent plus exi- 
geants. Tout en acceptant le symbole d'Eusèbe, ils 
voulurent en préciser les termes. On pensa d'abord à 
déclarer que le Verbe est de Dieu (Ix tou 6eoû), la vertu 
vraie de Dieu, l'image du Père, parfaitement semblable 
au Père, immuable et toujours sans division dans le 
Père : mais on s'aperçut que les ariens trouvaient 
moyen de ramener ces expressions à leur sentiment ; 
et l'on s'arrêta enfin aux mots Ix t^ç ouci'aç xoîî TtaToo; et 

■1. TnÉODORET, Hist. eccl., I, 7 combiné avec Saint Ambroise, De fide, 
m, 7. L'ordre de ce qui suit est d'ailleurs hypothétique : on ne parvient 
pas à recoustituer sûrement la suite de la discussion. 

2. En voir la teneur dans la lettre d'Eusèbe à son église (Socrate, 
Hist. eccl., I, 8) et dans Tuéodoret, Hist. eccl., I, 11. Habn, Bibliolek 
àer Symbole, 3» édit., § 188. 



34 HISTOIRE DES DOGMES. 

ôfjioouffioç comme ne donnant lieu à aucune ambiguïté ^ . 

Ils ne furent pas adoptés sans difficulté ^. Les eusé- 
biens objectaient que ces mots ramenaient le système 
émanatiste des gnostiques et supposaient Dieu un 
être matériel ; que l'ôft^ouffioç surtout était sabellien ; 
qu'en tout cas ces termes ne se trouvaient pas dans 
l'Ecriture. On répondit à ces objections et l'on passa 
outre. Le symbole d'Eusèbe fut corrigé dans ce sens. 
On y ajouta un anathématisme pour condamner expres- 
sément les blasphèmes d'Arius ; et l'on obtint la for- 
mule suivante^, qui fut souscrite, après quelque résis- 
tance, partons les évêques présents sauf deux, Tlieonas 
de la Marmarique et Secundus de Ptolemaïs : 

nioTEuojAEV EÎçsva Ôeov TraxÉpa TravTOxpaTopa, itavtwv ôpatwv te 
xal àopocTOjv TcoiYjX'/iv. Rai Eiç evet xupiov 'Ivjdoïïv XpiffTOV tov uîov tou 
ôeoû, YEVVTiôe'vTa ex toïï Ttarpoç {aovoyevï), toutestiv Ix t7)ç oùaïaç 
Toî» Trarpôç, Oeov ex ôeoû, cptoç ex cpwtoç, Oeov àXvjQivov Ix 6êou 
àXr,6ivou, yEvvrjôévTa ou TroMQÔevTa, ô,u.oouffiov "zb) Tra-tpi, Si' 06 xà 
■TTavxa lyEVExo, -zé. te Iv tS oupavw xai xà Iv x^ Y?i''^°v ^'' ^(JJ^aç 
xoùi; àvôpwTîOUç xai Bik x^v -^(/.ExÉpav ffwxvjpiav xaxeXôo'vxa xal 
ffapxtoôivxa, IvavôptOTTiicavxa, Ttaôo'vxa, xai àvaorxavxa x^ xpi'xy) 
fj[X£pa, àveXôovxa eîç oupavoûç, xai Ipyôfxsvov xpTvai Çwvrai; x«i 
vîxpouç. Kai eiç xo ayiov Trvsufxa. Tobç Ss XÉyovxaç" ïjv Ttoxs Sxe 
oùx '^v, xal icplv Y£VVY)Q^vai oux TjV, xai oxi 1^ oox Ôvxwv èy-vexo, 
7] 1^ Ixépaç u7roarxaar£(«)ç ?i oùcriaç cpdcffxovxaç elvai, -^ xxicrxov ^ 
xpETtxov V) aXXotwxov xov uîov xoïï 6eoïï, àva6e[/,axiÇ5i ■i\ xaOoXiX'J) 
IxxXyjffta. 

Dans cette formule, remarquons d'abord que l'ex- 
pression uto'ç a remplacé l'expression Xo'yo; d'Eusèbe. La 
première est plus évangélique, et, en l'adoptant, on 
s'éloignait davantage de la conception hellénique de 

d. Athanase, De decretis, 19, 20; Epist. Ad afros, S, 6. 

2. Atiianase, De decretis, 21-24; Théodouei-, Flist. ceci., I, 11. 

3. Le texle est donné par Eusèbe dans la lettre à son église (Socrate, 
Hisl. eccL, I, 8), par saint Allianase, Epist. ad lovianum, 3 et d'autres 
auteurs. V. Haux, Bibliotek, § 142. 



. LES HÉRÉSIES TRINITAIRES DU IV" SIECLE. 35 

Verbe. Le sens de Ysvvïiôévta se trouve précisé par l'op- 
position oô TToiïiÔEvxo, et surtout par l'explication TouTÉcTiv 
ex xrjçoiKjfaç tou 7c«Tpoç. Ces derniers mots allaient direc- 
tement contre la prétention arienne qui faisait le Fils 
étranger à la substance du Père et de Dieu (isvoç xotx' ou-^ 
crtav), et qui voyait en lui un effet de la volonté du Père 
(ôêXvifjiaTi xai pouX^) ^ , Saint Athanase tenait beaucoup 
à cette explication comme impliquant forcément 
rô[jioouffioi;2, 0.^^ aXviôtvov Ix Oeoïï «Xïiôivou était une affir- 
mation de la divinité du Fils vraie et au sens le plus 
étroit. Suit I'Sjaoouuiov t!^ Traxpi. On pense généralement 
que ce mot fameux a été intercalé dans le symbole sur 
le conseil d'Hosius^, et n'est que la simple traduc-^ 
tion du terme consubstantialis dont la doctrine de 
Tertullien avait, depuis longtemps, acclimaté l'usage 
en Occident. Non pas que l'Eglise grecque l'eût 
jusqu'ici ignoré. Le terme éjxoouaioç avait été employé 
par les gnostiques, par Origène et l'Adamantius, par 
les alexandrins dans l'affaire des deux Denys. Mais 
l'espèce de réprobation dont il avait été l'objet de la 
part du troisième concile d'Antioche, tenu contre 
Paul de Samosate, l'avait rendu suspect; et l'on s'ex- 
pliquerait difficilement que des Grecs eussent pris 
l'initiative d'en faire le mot de passe de l'orthodoxie. 
Saint Athanase lui-même n'y tenait pas autant qu'on 
l'a dit; et, bien qu'il l'ait cru la meilleure et la plus 
opportune expression de la foi contre les ariens, il ne 
voulait pas — dans un ouvrage de conciliation il est 
vrai — condamner absolument ceux qui repoussaient 
seulement le mot, si d'ailleurs ils en acceptaient le 
sens et la chose ''. Or le sens du mot èfjiooucrtoç est que 

1. Sur ce dernier point, voir plus bas la doctrine de saint Athanase. 

2. De synodis, 41. 

3. cf. Athanase, Historia ariunorum, 42; Théodoret, Hiat. eceh, I, H, 

4. De synodis, 41. 



36 HISTOIRE DES DOGMES. 

le Fils a la même essence, la même substance, le 
même être intime que le Père. Oûai'a désigne ce qu'il 
y a dans l'être de premier et de plus fondamental : il 
s'oppose aux caractères individuels et accidentels, 
aux <ru{jiêeêï}xÔTa qui viennent sy surajouter. De cette 
oùffia — il s'agit de l'oùffia concrète — le concile af- 
firme qu'elle est la même numériquement (ôfxoç) dans 
le Père et dans le Fils : car c'est bien jusque-là que 
le concile est allé, bien qu'il n'ait pas fait là-dessus de 
déclaration explicite. Suivant les Pères, dit saint Atha- 
nase, le Fils doit être xaôtov tt} ôjxotwffsi ex tou Tratpo; ^. 

Ce sont là, dans le symbole, les expressions qui por- 
tent. Quant à l'anathématisme qui suit, on y remar- 
quera l'équivalence admise par le concile des mots omia 
et ÔTOsTaffiç. Pendant longtemps encore en effet, et jus- 
que vers 362-370, les deux mots furent pris à peu près 
indifféremment l'un pour l'autre. L'autorité d'Origène, 
qui avait employé ^maxaaiq dans le sens de personne, 
n'avait pas suffi à rendre ce sens exclusif. Et en droit, 
d'ailleurs, uTroffTauiç reproduisait exactement le sub- 
stantia des Latins. Oùdta était platonicien; ÔTCOffTadtç 
était stoïcien ; mais la signification fondamentede était 
la même ^. 



§ 3. — Réaction eusébienne de 335 à 337. 
Marcel d'Ancyre et Photin. 

Constantin avait bien espéré que les décisions de 
Nicée ramèneraient dans l'empire la paix religieuse. 

1. De deeretis, 20. L'explication de rô[xooû(Tioç donnée par Eusèbe 
dans la lettre à son église (Socrate, Hist. eccl., I, 8; Théodoret, Hist. 
eccl.,l, H) n'est que l'échappatoire d'un homme embarrassé :Ie mot a 
une tout autre portée que celle qu'il lui accorde. 

2. V. BExanNE-BAKER, An introduction, etc., p. 233 et suiv. The mea- 
ning ofhomoousios in the Constanlinopolitan creed, Cambridge, 1901. 
p. 74 et suiv. 



LES HÉRÉSIES ÏMJSITAIRES DU IV' SIÈCLE. 37 

A.rius et les deux évêques réfracta ires , Secundus et 
Theonas, avaient été exilés. Quelque temps après, 
Eusèbe de Nicomédie et Théognis de Nicée le furent 
aussi pour avoir favorisé les ariens d'Alexandrie '. 
Mais l'empereur manquait de la persévérance néces- 
saire pour assurer l'œuvre de la pacification. Circon- 
venu par sa sœur Constantîa, arienne, il rappela d'exil, 
en 328, Eusèbe et Théognis, et peu après — en 329 ou 
330 peut être, -^ sur une profession de foi absolument 
insuffisante 2 , Arius lui-même. Entre temps l'évêque 
d'Alexandrie,^ Alexandre, mourait, et on lui donnait, le 
8 juin 328, Athanase comme successeur. L'orthodoxie 
avait trouvé en Egypte son défenseur inébranlable. 

Cependant les eusébiens s'étaient ressaisis. Contre 
les définitions de Nicée un grand parti se forma, com- 
posé d'éléments passablement hétérogènes, mais reliés 
entre eux, comme dans tous les partis d'opposition, 
par cette opposition même. Les ariens purs y étaient en 
petit nombre : ne se sentant pas en force, ils se dissi- 
mulaient dans le gros de la troupe. Les indifférents, 
c'est-à-dire les ambitieux et les politiques , tenaient la 
tête; mais on y trouvait surtout beaucoup de prélats 
d'une doctrine indécise , origénistes et subordinatiens 
par éducation, redoutant par-dessus tout le sabellia- 
nisme qu'ils croyaient voir dans l'homoousios, théolo- 
giens médiocres à qui les termes clairs et les précisions 
faisaient peur. Ce sont eux qui libelleront cette inter- 
minable série de formules de foi demi-ariennes et demi- 
orthodoxes dont il faudra parler, formules qui ne 
satisferont naturellement ni les orthodoxes ni les ariens. 

Tant que vécut Constantin, la question doctrinale ne 
fut cependant pas directement agitée. Les eusébieris 
parurent respecter l'œuvre de Nicée : ils cherchèrent 

i. Théodoret, Hist. eccL, 1, 19; Sozomèxe, Hist. eccL, II, 51. 
2. La voir dans Sockate, Hist. eccl., I, 26. 

HISTOIRE DES DOGMES. — U. " â 



38 HISTOffil DES DOGMES. 

seulement à en perdre les défenseurs. En 33Û, ils dé- 
posèrent Eustatlie, l'évêque d' Antioche, très opposé à 
leurs vues. En 336, à la suite d'accusations plusieurs 
fois renouvelées, ils firent exiler Athanase à Trêves. 
Malheureusement pour l'orthodoxie, un incident théolo- 
gique se produisit à ce moment qui semhla justifier 
toutes leurs préventions contre l'homoousios et les ni- 
céens en général. Je veux parler des erreurs de Mar- 
cel d'Ancyre. 

Marcel, évêque d'Ancyre ^ , était un nicéen ardent qui, 
vers 335, afin de réfuter les écrits du sophiste Asterius 
de Cappadoce en faveur de l'arianisme, composa lui- 
même un ouvrage — on en ignore le titre — dont 
Eusèhe et saint Epiphane ont conservé de nombreux 
fragments. Les eusébiens crurent y découvrir le sabel- 
lianisme compliqué d'adoptianisme. Rien ne pouvait 
les choquer davantage. Réunis à Constantinople , ils 
déposèrent Marc^ en 335 2. Eusèbe de Césarée, chargé 
de réfuter son livre, écrivit à cette occasion le Contra 
Marcellum et le De ecclesiastica theologia, sources 
principales par où nous connaissons la doctrine de 
l'évêque d'Ancyre. 

Quelle était cette doctrine? — Avant tout, observe 
Marcel, il faut affirmer l'unité de Dieu; il faut poser la 
monade d'où découlera la triade, car il est impossible, 
si l'on pose d'abord trois hypo5tases, de les ramener 



1. Sources : Avant fout, les fragments de son livre donnés par Eu- 
sèbe fit saint Epipliane, et qu'on trouvera tons réunis dans Eusébvus 
Werke, Bd IV, édit. E. Klostermann, Leipzig, 1906, pp. 183-213. Je cite 
ces fragmenls par leur numéro d'ordre dan^ cette édition, mais en no- 
tant entre parenllièse leur numéro d'ordre dans l'édition deHETicERG, 
Marcellîana, Gôltingen, 1794. Les autres sources sont Eosèbe,, Contra 
Marcellum et De ecclesiastica theologia. Saint Epiphane, ffaer. LXXII. 
— Travaux : Th. Zahn, Marcellus von Ancyra, Gotlia, 1867. F. Loofs, 
Die Trinitâtslehre Marcells v. Ancyra und ihr Verhâltnîs zur alteren 
Tradition, dans l&s Comptes rendus de l'Académie de BerJm,1902. 

2, SoGRATE, Hist. eccles., I, 36. 



LES HÉRÉSIES TRINITAIRES DU IV SIÈCLE. 3-) 

à i'tinitë^ Dieu e^ une monade îndî'visible, un seul 
irpofftoTcov : il n'est pas trois hypostases^. La pluralité 
introduite en Dieu aussi bien que l'infériorité du Logos 
par rapport à Dieu sont la suite d'infiltrations païennes 
et'aussi des erreurs d'Origène^. 

En Dieu eependant existe le Ver^be. Marcel ne dit 
pas le Fils, car il déclare que le nom de Fils, comme 
ceux d'image, ■Christ, Jésus, Vie, Voie, etc. , se rapporte 
Tiniquement au Verbe incarné^'. Le Verbe aorapxoç n'est 
pas Fils , il est simplement Verbe ; et de ce Verbe 
l'Ecriture nous dit trois choses. Premièrement qu'il 
était au commencement, Iv ipyri' J^our signifier qu'il 
était dans le Père enpùissance (SuvàfAEi). Deuxièmement 
qu'il était irpoçTov ôeov, pour marquer qu'il était auprès 
de Dieu en énergie active (IvepYei'a), et qu'ail a tout créé 
lui-même. Enfin elle nous dit que le Verbe était Dieu, 
pour nous apprendre que la divinité n'est pas divisée, 
puisque le Verbe était en Dieu et que Dieu était dans 
le Verbe ^. Ainsi le Verbe est éternel, consubstantiel 
(ô[jiootj(7toi;, otÙToouartoç) à Dieu®. On ne voit pas distinc- 
tement qu'il fût une personne. 

Cependant la monade veut créer : le Verbe s'avance 
(TcposXôwv, IxTcopsuETai) pour être l'auteur delà création : 
il devient une Ivépyeia SpaatixTi '^ : c'est la première éco- 
nomie. La seconde a lieu lors de l'incarnation. La di- 
vinité toujours s'étend par son opération et habite 
dans une humanité réelle complète : « Si l'on consi- 
dère l'Esprit seul, le Verbe paraîtra avec raison être 
un et identique avec Dieu ; mais si l'on ajoute « selon 

i. Fragm. 66 (60). 

2. Fragm. 76, 77 (67, 68). 

3. Fragm. 8S (75), 37 (32), 88 (78). 

4. Fragm. 4-7 (4-7), 42 (36), 48 (42), 91 (43), 109 (38). 

5. Fragm. S2 (47). 

6. Fragm. 97 (86). 

7. Fragm. 121 (108), 67 (60), 60 (S4), etc. 



40 HISTOIRE DES DOGMES. 

la chair » qui appartient au Sauveur, la divinité paraît 
s'être étendue par la seule opération (IvepYsta ^ ôéo'triç 
[jiovï] irXaTuvÊffôai Soxeï), de sorte que la monade est vrai- 
ment et avec raison indivisible ^ . » Le principe de 
l'activité en Jésus-Christ est dans cette Ivép^sia divine : 
c'est elle qui meut la chair et lui fait opérer ce que 
raconte l'évangile^. 

Par cette union, le Verbe, de Verbe simplement qu'il 
était, devient Fils. 11 n'y a pas quatre cents ans accom- 
plis, disait Marcel, que le Verbe est devenu Fils de 
Dieu, premier-né des créatures et roi ^. En lui toute 
la création était récapitulée (àvaneçaXaiwffaaOai)-', et 
l'homme pécheur, dont la nature se trouvait ainsi unie 
au Verbe, devenait à son tour, par cette affinité, fils 
adoptif de Dieu, incorruptible et immortel ^. C'est 
pour cela que le Verbe avait pris chair. Marcel hési- 
tait toutefois à accorder à la chair prise par le Verbe 
une existence et une union avec lui indéfinies. En soi, 
disait-il, la chair ne saurait convenir à Dieu, et encore 
que par la résurrection elle ait acquis l'immortalité, 
elle n'est pas pour autant devenue plus digne de Dieu, 
lequel est au-dessus de l'immortalité. On peut donc 
croire que, après la parousie, le Verbe se dépouillera 
de son humanité et rentrera en Dieu comme il y était 
avant la création (d'après I Corinth., xv, 28), Que de- 
viendra cette humanité? Nous l'ignorons, puisque 
l'Ecriture ne le dit pas^. 

Quant au Saint-Esprit, dont l'action constituait une 
troisième économie, Marcel en traitait sensiblement 
comme du Verbe. Jusqu'au moment de l'insulïlatiefn 

1. Fragm. 71 (62). 

2. Edsède, Contra MarcelL, n, 4 (P. G., XXIY, 821). 

3. Fragm. Idb (iO-2). 

4. Fragm. 6 (6). 

5. Fragm. 41 (34), 110 (58). 

6. Fragm. 117-121 (104-108). 



LES HÉRÉSIES TRINITAIRES DU IV' SIÈCLE. 4t 

sur les apôtres [loan.^ xx, 22), le Saint-Esprit était 
contenu dans le Verbe et le Père^. Mais, à ce moment, 
il se faisait, comme parle Théodoret^, une extension 
de l'extension (îcapÉxTaffiç -c^ç TtapExxKdswç), et la monade 
se dilatait en trinité (•?) [iovàç çatvs-rai TcXaTuvo|xÉvif) êIç 
rpiâSa)^. Le Saint-Esprit vient d'ailleurs du Père et du 
Fils, car autrement on n'expliquerait pas comment 
saint Jean a pu dire (xv, 2Q\ xvi, 14, 15) que le Saint- 
Esprit procède du Père et reçoit du Fils '' . 

Telle était, dans. ses grandes lignes, la doctrine de 
Marcel. Nous sommes moins bien renseignés sur celle 
de son disciple Photin, évêque de Sirmium^, que nous 
voyons condamné avec lui par les eusébiens dès 344, 
et séparément par les orthodoxes dès 345, D'après 
Photin, Dieu est une seule hypostase ; mais il a en lui 
sa raison; il est XoYOTcaxwp^. En tant qu'intérieure, cette 
raison est IvStâôsxoç ; en tant qu'agissante, elle devient 
Tcpoçopixoç, et cette prolation constitue en Dieu une 
première extension (îr)kaTucr,aoç)'. Le Saint-Esprit en 
est une seconde. 

Par l'incarnation, le Verbe devient Fils. A en croire 
saint Epiphane^, Photin aurait présenté l'incarnation 
comme une conversion du Verbe en la chair [zh irapxoc 
|jiera6eéXvj{jiÉvov), mais c'est une erreur de l'évêque de 
Constantia. Photin regardait Jésus, né miraculeuse- 
ment de la Vierge et du Saint-Esprit, simplement 



l.Fragm. 70 (8i). 

2. lïaerelîc. fabul. comp., II, 10. 

3. Fagm. 67 (60). 

4. Fragm. 67 (60). 

B, Sources : Saint Êpipha-ne, Haer. LXXI. Les écrits de saint Athanase^ 
de saint Hilaire et des liistoriens ecclésiastiques, Socrate et Sozomène» 
et les décrets des conciles qui ont condamné Photin. 

6. NESTonitis, ap. Loofs, Nestoriana, p. 30», 300. 

7. Formule maorostiche, V, VI (Hahn, Biblioten, § 159); Formule do 
premier synode do Birmîum. YI, VIII (Hah», } leO). 

8. Jlaer, LXXI, s. 



42; HISTOIRE, DE& DOGMES. 

comme un homme, qui avait mérité par ses vertus 
d'être uni intérieurement au Verbe, et de; devenir ainsi 
fils adoptif de Dieu^'. Puisque le Verbe n'acquérait 
pas, par cette union, la personnalité qui Lui manquait 
d'abord, le système, on le voit, revenait absolument à 
celui de Paul de Samosate. 

Aussi n'y eut-il aucune difficulté entre eusébiens et 
orthodoxes sur la façon dont on devait apprécier les 
opinions de Photin, et les deux partis s'accordèrent à 
les condamner. Mais l'hétérodoxie de Marcel n'était 
pas aussi évidente. M. Loofs-ne le juge pas sabellien, 
et rattache plutôt sa doctrine trinitaire à celle de 
l'école asiatique antérieure à saint Irénée^. Aux adver- 
saires qui l'accusaient de revenir au paulianisme, en 
faisant de Jésus-Christ un homme en qui avait opéré 
rivÉpYeiac SpaffxixYi, Marcel répondait en leur renvoyant 
leur accusation, et en affirmant que toute la divinité 
avait habité en Marie (jwjAaTixtôç^. Il insistait aussi sur 
le- lien intime (cuvwffiç) et permanent qui. rattachait, en 
Jésus, le Verbe à la chair, par opposition à l'action 
transitoire et extérieure exercée par le Verbe dans 
les patriarches et prophètes de l'ancienne Loi''. 
D'autre part, ses spéculations sur la cessation du 
règne du Christ avec la parousie n'étaient,, en somme, 
que des hypothèses dont il ne garantissait pas la certi- 
tude ; et enfin, et surtout, il faut. bien le dire, son lan- 
gage était si peu précis qu'il se prêtait aisément à des 
interprétations très différentes. 

Aussi, pendant que les eusébiens le condamnaient, 
les nicéens et Athanase le défendirent. Lui-même ne 
s'abandonna pas^, et, banni de son diocèse pour la se- 

1. Vigilii Tapsensis Contra arianosdialogus, I, 4 (P. L., LXII, 182).. 

2. Leitfaden z. Studium der DG., i" édit., p. 2i5. 

3. Fragm. 16 (13). 

4. EusÈBE, Contra Marcellum, II, -4. 



LES HÉRÉSIES TRINITAIRES DU IV' SIECLE. 43 

conde fois, en 338, il se rendit auprès du pape Jules, à 
qui il présenta une formule de foi quB nous avons 
encore, et qu'il faisait suivre du symbole baptismal 
romain'. Bien qii'ilinsistât beaucoup sur l'unité divine, 
Marcel en somme y dissimulait, ou peut-être y rétrac- 
tait ses vues antérieures,, et y confessait, en tout cas, 
le cuius regni non erit finis.. Le pape et le concile de 
Rome de 341, envisageant tout au point de vue trini- 
taire et nicéen, jug'èrent suffisantes ses explications et 
le déclarèrent orthodoxe 2. II fut également reconnu 
tel en 343 par le concile de Sardique, qui fit lire son 
livre en entier, et crut trouver que ce que les eusébiens 
lui reprochaient comme des erreurs positives n'était, 
dans la pensée de l'auteur, que des essais d'explica- 
tions n'offrant rien de définitif 3. Plus tard cependant, 
et surtout après l'apparition de Photin, les nicéens 
devinrent plus froids à l'égard de Marcel, et saint 
Athanase en particulier, s'il ne se sépara pas absolu- 
ment de sa communion, ne le tint pas pour complète- 
ment innocent"^. Les Cappadoclens lui furent beaucoup 
plus sévères^. En somme, il est fâcheux que le parti 
orthodoxe ait cru devoir le soutenir sans exiger de lui 
au préalable une répudiation précise et explicite des 
erreurs qu'on lui reprochait. Cette attitude fit le jeu 
des eusébiens, en leur permettant d'englober dans la 
même réprobation Marcel et ses amis. 
Mais revenons à la suite des événements. 



1. FragDO. d29. Saint Épiphane, Eaer. LXXn, 2, 3. 

2. Voir la lettre du pape aux orientaux dans Saint kîVimK%^, Âpolo- 
gia contra arianos, 32. 

3. Athanase, Apologia contra arianos, 47. 

4. SAINT HiLAiRE, F}'agm. II, 21 ; Saint Épiphane, Haer. LXXII, ♦. 

5. Saint Basile, Epist. LXIX, 2; cf. Ejoist. CCLXIII, 5. 



44 HISTOIRE DES DOGMES. 



§ 4. — Les conciles et les formules de foi 
de 337 à 350. 

Constantin était mort le 22 mai 337, laissant l'empire 
à ses trois fils. Constantin le jeune eut l'Espagne, la 
Gaule et la Bretagne; Constance gouverna l'Orient, 
et à Constant échurent l'Italie et l'Afrique. Les évê- 
ques exilés furent rappelés, et Athanase rentra à 
Alexandrie (23 novembre 338). Mais en Constance les 
eusébiens avaient trouvé l'homme qu'il leur fallait, un 
empereur possédé de la manie de dogmatiser, d'ail- 
leurs versatile et facile à influencer. Privé de son siège 
et menacé dans sa vie, Athanase, le 19 mars 340, dut 
fuir précipitamment et se réfugier à Rome. Il s'y 
trouvait en sûreté sous la protection du pape Jules et 
du jeune Constant qui, cette année même, vainqueur 
de son frère Constantin, était devenu maître de tout 
l'Occident sauf la Thrace. Un concile de cinquante 
évêques se tint à Rome en octobre 341, auquel les 
eusébiens, qui l'avaient d'abord demandé, refusèrent 
de se rendre, et qui reconnut les droits d' Athanase et 
de Marcel d'Ancyre. Le pape informa de ces décisions 
les eusébiens^ tout en se plaignant que l'affaire d'un 
patriarche d'Alexandrie eût été instruite et tranchée 
en Orient sans qu'on lui eût préalablement écrit à lui, 
évéque de Rome, « comme c'est l'usage ^ ». 

Mais les eusébiens, qui n'avaient pas le temps de 
venir au concile de Rome, trouvaient le temps d'en tenir 
d'autres en Orient. En 341, mai-septembre, ils célébrè- 
rent celui d'Antioche m encaeniis. Il adopta trois for- 
mules de foi, commencement de cette série de sym- 

i. Voir la lettre du pape dans Athanase, Apologia contra arianos, 
21-3S 
2. M., 3o. 



LES HERESIES TRINITAIRES DU IV* SIECLE 45 

boles qui vont se multiplier pendant vingt ans, et qui 
se distinguent en général par les deux traits suivants : 
1» Ils taisent ou, quelquefois, écartent l'Sjjioouffto; ; 2° ils 
condamnent l'arianisme pur. Ils flottent ainsi entre 
l'erreur et l'orthodoxie, se rapprochant plus ou moins 
de l'une ou de l'autre, suivant la fraction du parti pré- 
pondérante dans le concile. Ils n'énoncent pas tou- 
jours l'erreur ; mais ils ne proclament pas la pleine 
vérité : ils pèchent surtout par insufBsance et prétéri- 
tion. 

Les trois formules du concile in encaeniis ont été 
conservées par saint Athanase. La première^ est dog- 
matiquement insignifiante. A remarquer seulement 
contre Marcel l'affirmation du règne éternel du Christ, 
affirmation qui reviendra fréquemment dans les autres 
formules. La deuxième- est celle que l'on a vu attri- 
buer à Lucien d'Antioche. Elle est dirigée surtout 
contre les sabelliens. Saint Hilaire s'en montre satis- 
fait^, et elle est, en effet, assez nette sur la divinité du 

Fils qu'elle déclare 6ïov Ix ôeoîi... arpSTiTov te xa\ àvaX- 
Xat'ojxov TÎjç ÔEoxYiTo; oùffaiç tz xal pouXïjç xai SuvdcfJtetoç xaî So'Çyjç 
Toïï irarpoç àTrapaXXaxTov eîxova, et très Catégorique sur 
son éternité. Des termes de la trinité elle énonçait 
qu'ils sont t^ (xâv ÔTrocrTaffei Tpta, t^ Se <70[/.cp(ovia ev, La 
troisième formule*, proposée par Theophronius de 
Tyane, vise directement Marcel d'Ancyre, et proclame 
le Fils 6eov têXeiov ex ôeou TsXstou, xal ovTa irpoç xov 9êov bv 
5irocfTâaEi, 

Une quatrième formule^ est cependant attribuée à 
ce même concile d'Antioche, dont on ne saurait dire si 



1. Athanase, De synodis, 22; Sochate, Hist. eccl., II, 10; Haiix, § 133. 

2. Atuasase, De synodis, 23; Socrate, Si'st. eccl., Il, 10; Hahs, § iSi. 

3. IIilaire, De synodis, 31-33. 

4. Athanase, De synodis, 24 ; Hahn, § 155. 

5. Athanase, De synodis, 25; Socrate, Hist. eccl., II, 18; Hahx, § 156. 

3. 



46 HISTOIRE DES DOGMES. 

«Ile est son œuvre ou seulement celle des quatre évo- 
ques qu'il députa, à Constant. Elle condamne nette- 
ment à la fois le marcellianisme et l'arianisme pur. La 
partie positive est fort vague. Cette formule fut remise 
à Constant par les quatre députés : à cela se borna 
leur ambassade. 

Pendant ce temps, Eusèbe de Nicomédie qui, de- 
puis 339, s'était installé évêque de Constantinople, 
mourait (fin de 441), et sa mort devenait l'occasion 
dans cette dernière ville de troubles violents. Sur les 
conseils du pape, d'Hosius et d'Athanase, Constant 
s'entendit avec son frère Constance pour la convoca- 
tion d'un grand concile qui travaillerait à ramener la 
paix. Ce fut celui de Sardique (343) ^ 

Le concile fut présidé par Hosius. Après lui signè- 
rent les deux légats du pape, Archidamus et Philoxène. 
Les orthodoxes, pour la moitié occidentaux propre- 
ment ditSj se trouvèrent environ quatre-vingts, et parmi 
eux Athanaseet Marcel d'Ancyre. Les dissidents — on 
ne peut plus les appeler eusébiens — étaient un peu 
moins nombreux. Leurs chefs étaient Acace de Césa- 
rée de Palestine, Basile d'Ancyre, Maris de Chalcédoine 
et les deux évêques Ursace de Singidunum et Valons 
de Mursa. Ne se sentant pas en force, ils refusèrent, 
sous un prétexte de procédure, de siéger avec le con- 
cile et se retirèrent à Philippopolis, où ils adoptèrent 
une nouvelle profession.de foi ^. C'était la quatrième 
d'Antioche portée à Constant , à laquelle on avait 
ajouté un second anathématisme contre les sabelliens 
et ceux qui prétendent que le Père n'a.pas engendré le 
Fils par sa volonté (o& pouKff=i oùSè BA-i^aei). 

i. Ou peut-être fin de 342. 

2. HiLAiRE, De synodis, 34; Fragment III, 29; Hahn, § 158; Le grec ori- 
ginal de l'addition s'est conse^** p»r 1» ^rmule macrostiche. V. plus 
bas. 



LES HÉRÉSIES TRINITMRES DU IV SIÈCLE. 47 

Cependant le concile légitime de Sardique ne laissait 
pas que de se tenir. Il rétablit sur leurs sièges Atha- 
nase et Marcel, déposa Acace de Césarée, Georges de 
Laodicée, Ursace et Valens, et fit vingt canons. Il y fut 
question de promulguer une nouvelle profession de foi 
en supplément de celle de Nicée jugée incomplète. 
Théodoret en a conservé le texte '. Elle proclamait 
[Aiav eTvKi uTtôffTaffiv, "Î^vkùtoIoÎ «Içiexixoi QÙalav- Ttpoffayoçievovai, 
Tou ■nwTpèç x«V Too uîou xaV xoïï àyt'ou 7rveu{ji«Toç, mais ajoutait 
d'ailleurs que le Père n'est pas le Fils, ni le Fils le 
Père. Le mot uTrocrToccriç est regardé évidemment ici 
comme l'équivalent de substantia^ . Mais, étant donnée 
la disposition des dissidents à l'employer dans le sens 
de personne^ , l'adoption de la formule proposée eût 
encore embrouillé les questions et aigri les esprits^ Le 
concile eut la sagesse de s'en abstenir. 

Ses décisions furent communiquées à Constance. 
Celui-ci, comprenant qu'il fallait ménager Constant, 
répondit à cette communication par une ambassade de 
deux évêques à son frère et aux latins. Elle apportait 
une nouvelle formule de foi, préparée probablement 
dans un concile d'Antioche tenu en 345, et à laquelle 
on a donné, à cause de sa longueur, le surnom de ma- 
crostiche (jjiaxpôcrTi^^oç, à longues lignes)''*. Elle comprcr 
nait : a) la quatrième formule d'Antioche; b) l'addition 
de Philippopolis ; c) des explications six ou sept fois 
plus longues que ces deux textes. Le Fils y était pro- 
clamé de l'Iiypostase du Père (m). Dieu parfait et vrai 
par nature (0eov xarà çuiuiv téXeiov eîvai xai àXy)6-^, rv), 
joint sans intervalle («(xesixeuTtoç xal àStadTattùç) au Père, 

1. Hist. eccL, ïl, 6; Hahn, § 137. 

2. Paulin d'Antioche soutiendra également plus tard |J.(a viTtodTaffiç 
(S. Basile, Epist. CCXIVj3); et cf. saint Jérôme, Epist. XV, 3; Athanase, 
Tomus ad Antiochenos, 5. 

3. Voyez plus haut la troisième formule d'Antioche. 

4. Atiianase, De synodis, 26; Hahn, § 159. 



48 HISTOIRE DES DOGMES. 

et ayant avec lui une seule dignité divine, Iv tîjç ôeoTyjTo; 
àîtwjxa (ix), mais d'ailleurs subordonné à lui, engendré 
par lui spontanément et volontairement (Ixouatojç xal 
eOsXovtviv, vin). On condamnait Paul de Samosate, Mar- 
cel, Photin, les patripassiens et les sabeliiens. 

En somme, si l'on excepte l'omission de rôi/oou(7to; et 
la note subordinatienne , cette formule marquait un 
progrès vers l'entente doctrinale. L'année suivante, le 
21 octobre 346, Atbanase put rentrer à Alexandrie. 
Une sorte de lassitude s'emparait des partis. Athanase 
semblait disposé à sacrifier Marcel, à la suite de l'éclat 
et de la condamnation de Photin. L'apaisement allait 
peut-être se faire peu à peu, lorsque, en janvier 450, 
Constant mourut. Cet événement, qui donnait tout 
l'empire à Contance, doublait les forces des dissidents. 

§ 5. — Divisions du parti antinicéen. 
Triomphe des acaciens. 

Ils se hâtèrent d'en profiter. En 351 ils tinrent un 
concile à Sirmium : une nouvelle formule en sortit, la 
septième de la sériel Elle se composait de la qua- 
trième formule d'Antioche et de vingt-sept anathéma- 
tismes, dont le premier reproduisait l'addition de Phi- 
lippopolis. L'esprit en est sensiblement celui de la 
formule macrostiche, mais elle visait plus spécialement 
l'erreur de Photin, et s'occupait plus explicitement du 
Saint-Esprit, dont on prononçait qu'il n'est pas le 
Dieu inengendré, qu'il se distingue réellement du Fils, 
qu'il n'est pas une partie (tJiépoç) du Père ou du Fils 
(xx-xxii). 

Puis les menées contre Athanase recommencèrent. 
Libère, le nouveau pape (17 mai 352), chercha en vain 

4. Athanase, De synodis, 27; Socrate, Hist. ceci., Il, 30; Haun, § 160. 



LES HÉRÉSIES TI»Ni'»'-^IR>=iS DU IV SIÈCLE. 49- 

àle défendre. Trahi par ses légats au concile d'Arles 
(354), il vit encore, au concile de Milan (355), la violence 
des ariens triompher de la conscience des évêques. 
Athanase condamné, traqué dans son église, s'enfuit le 
9 février 356, pendant qu'Hilaire, exilé à la suite du 
synode de Béziers (356), prenait de son côté le chemin 
de l'Asie et de la Phrygie. 

Le parti de l'opposition antinicéenne semblait défi- 
nitivement vainqueur. Mais les éléments qui le compo- 
saient, on l'a déjà remarqué, étaient, au fond, peu 
homogènes. Unis pour l'attaque, les. antinicéens se 
dissocièrent dans le triomphe, et formèrent trois 
groupes correspondant aux tendances doctrinales qui 
les divisaient. 

Le premier était celui des ariens purs ou plutôt ren- 
forcés, ayant pour chefs Aetius, Eunomius et Eudoxius 
de Constantinople. Ce dernier était surtout un suffisant 
et un impudent : les deux autres étaient des logiciens 
pour qui la théologie se réduisait à une dialectique ^ , 
Leur système, que nous. connaissons assez bien grâce 
à ce qui reste de leurs écrits et aux réfutations dont ils 
furent l'objet ^, revenait à ceci : Dieu est l'être essen- 
tiellement simple et un (tô ov) ; par essence il est inen- 
gendré et improduit (àylwriTov). Parce qu'il est infini- 
ment simple et peu compréhensif , il est parfaitement 
intelligible et compréhensible : Je connais Dieu, disait 
Eunomius, aussi bien qu'il se connaît lui-même'. Mais- 
parce qu'il est essentiellement improduit, tout ce qui 

d. Théodoret, Haeretîc. fabul. compendium, IV, 3. 

2. Les saurces sont : 1° il propositions d'Aetius, dans saint Épiphane, 
Haer. LXXVI, H. aoi/'ExOsaiç uîcteco; d'Eunomius présenté à Théodose,, 
dans les notes de Valois à Socrale, Hisl. eccl., V, 10. S» L'Apologétique 
du même auteur (P. G., XXX, 833). i" Les traités contre Eunomius de- 
saint Basile et de saint Grégoire de Nysse, et saint Epiphane, ITaer. LXXVI. 

3. SocRàTE, Hist. eccl, IV, 7; cf. TsÉananaT, Hœret. fabul., IV, 3; Ba- 
sil., Epist. CCXXXV. 



60 HIST0IRE; DES DOGMES- 

est engendré ou produit de quelque façonne saurait 
être Dieu : cela ne peut être ni ôficoucriov, ni SyMoiaiov, 
ni même o{aoiov à Dieu : cela est nécessairement IÇ Ixspaç 

oùffiaç, àvofjLOioV'. 

Le Fils, puisqu'il est engendré — c'est-à-dire, au. 
sens d'Eunomius, créé, — oiîre donc tout au plus avec 
le Père une ressemblance morale ^, mais ne lui est pas 
semblable dans son être physique : il est àvofjioioi;. Tout 
son privilège consiste à être l'œuvre immédiate de 
Dieu, tandis que les autres créatures, l'Esprit-Saint 
y compris^, sont l'œuvre du Fils. C'est en ce sens qu'il 
estxTt<7[jLa Toîi àxTi'ffTOu, où}( wç ev TÔiv XTi(J[xaTOJV, 7roir)[xa toû 

On donna à ce premier groupe le nom d'aétiens, 
eunomiens, anoméens, exoucontiens, hétérousiastes. 

A l'opposé des anoméens, se forma autour de. Basile 
d'Ancyre (ot TrepV BaffiXeiov) le groupe des évêques à qu- 
l'on donna, et à qui convient, proprement le nom de 
semi-ariens (-/ifAtdpetot)» Le mot qui, pour eux, tradui- 
sait le mieux les rapports du Fils et du Père était 
èjjLoiouaioç, lequel marquait plus nettement qu'ôfjiooufftoç,, 
pensaient-ils, la distinction des deux personnes, et 
laissait du reste aux plus avancés du parti la facilité 
de sous-entendre la subordination du Fils. Plusieurs 
des membres de ce groupe — saint Cyrille de Jérusa- 
lem lui appartint longtemps^ — étaient, au fond, 
orthodoxes, mais se défiaient d'Athanase et de ses for- 
mules. D'autres, un peu plus tard, vers 360, nièrent 
la divinité du Saint-Esprit. Le nom de semi-ariens dé- 



1. Aetius, prop. IV; Eunomios, Apolog^U, 26. 

2. EUKOMios, Apolog., 24 ; Confessio ftdei, 3. 

3. EuKOiiics, Apolog., 28; Basil., Contra Eunomîum, II, 33. 

4. EcKOiiius^ AjpoZog.,,28. 

o. On ne trouve jamais l'qioQUffio; dans ses Catéchèses, mais bien 
ÔpLoioç -/.aià Tràvxa, èv Trâcriv (IV, 7 ; XI, 4). Cf. Socrate, Hist. ecc?.,.V, 8.. 



LES HÉRÉSiBS^ TRINITA1RE& DU IV SIÈCLE. 51 

signe, à partir de celte époque,, des^ gens^ qui pen- 
saient juste, ou peu s'en faut, sur la personne du: Fils, 
mais qui se séparaient, sur la personne du Saint-Es- 
prit, de la doctrine de l'Église^. 

Enfin, entre ces deux groupes, se glissa bientôt un 
tiers-parti ayant à sa tête Acace de Césarée, parti 
tout politique, qui voulait maintenir la concentration 
antinicéenne en évitant toute précision, dans les for- 
mules. Son mot de ralliement était ojadioç. Le Fils était 
ofjtoioç Tcaxpl xaxà Taç YP^^KÇ) expression assez vague, pen- 
sait-on, pour ne choquer personne. Aux théologiens 
de ce parti on donna le nom d'acaciens ou de homéens. 

C'est entre ces trois groupes anoméen, semi-arien, 
iioméen, que la question va se débattre jusqu'à la fin 
du règne de Constance (361). 

La. division commença par un éclat des anoméens. 
En 357, Constance étant à Sirmium, quelques évéques 
s'y rencontrèrent d'une hétérodoxie plus marquée, 
Ursace et Valens, Potamius de Lisbonne, Germinius 
de Sirmium. Ils rédigèrent en latin une formule de foi 
qu'Hilaire appelle du nom qui lui est resté, un blas- 
phème 2. On y rejetait r&.uoouffio; et rôpt-otoustoç; on y 
déclarait le Fils incontestablement inférieur au Père 
en. honneur, en dignité, en majesté, et soumis à lui. 
Le Saint-Esprit était dit être par le Fils : Paracletus 
autem Spii^itus per Filium est. C'est la deuxième 
formule de Sirmium. 

Hosius, presque centenaire, fut contraint de la sous- 
crire, et elle fut acceptée dans un synode. d.'Antioche, 
en 358, par Eudoxius et Acace^. Mais les évêques de 

1. V. le premier canon du concile général de 381 : t^v (aip^civ) tûv 

2. En voir le texte dans Hilaire, De synodis, 11 ; Haiin, § 161 ; grec 
dans Athanase, De synodis, 28. 

3. SozoMÈNE, Hist. eccl., Vf, 12, 15. 



52 HISTOIRE DES DOGMES. 

Gaule la repoussèrent, et presque immédiatement une 
énergique protestation s'éleva du côté des semi-ariens 
réunis à Ancyre peu avant Pâques 358. De cette réu- 
nion peu nombreuse sortit un long manifeste doctri- 
nal en deux parties ^ . La première déclarait que l'idée 
seule de paternité emportait la ressemblance en subs- 
tance du fils avec le père; que le Verbe est Fils au 
sens naturel du mot, et par conséquent n'est pas 
créé (3); que la notion même de Fils se ramène, dans 
ce qu'elle a de plus essentiel, à la similitude avec le 
Père (4) ; que le Fils est donc semblable au Père en 
substance, ofxoioç xaT* oucri'av, xaTàrJjv ôsoTV)Ta (5, 8, 9). La 
seconde partie comprenait dix-neuf anathématismes 
balancés deux à deux de manière à frapper tantôt 
l'anoméisme, tantôt le sabellianisme. Le dernier con- 
damnait l'ôfxoouffioç : Ka\ et tiç l^ouaicç xal oùaiot Hyti^j tov 
TraTEpa Tratipa toïï uîou, ôfxoouaiov Se -^ TauTOOuaiov ^lyot tov utov 
Tw irarpt, àvaôefxa îcxtà. L'opposition de cet anatbéma- 
tisme au précédent, qui condamne Eunomius, et l'iden- 
tification de Taurooucriov et d'ôfjio&uffiov montrent assez bien 
que les rédacteurs du document voyaient dans ce dernier 
mot une expression sabellienne. 

Bien que tout ne soit pas clair dans ce manifeste, et 
bien qu'il fût loin, notamment, d'affirmer le consubstan- 
tiel strict, il marquait cependant une orientation évidente 
du groupe semi-arien vers l'orthodoxie, et le séparait 
nettement d'Eudoxius et de ses amis. L'écrit, apporté 
à Sirmium, retourna Constance déjà gagné aux ano- 
méens. Sur son ordre, un concile — . le troisième — se 
réunit à Sirmium cette année 358, mais il ne rédigea 
pas de nouveau symbole : il adopta seulement, comme 
l'expression de sa foi, un groupe de documents : 1° le 



1. Le voir dans Saint Épiphane, Haer. LXXIII, 2-H. Uaun (§ 162) n'a re- 
produit que les anathématismes. 



LES HÉRÉSIES TRINITAIRES DU IV SIÈCLE. - 5a 

concile d'Antioche contre Paul de Samosate; 2° la 
deuxième formule d'Antioche de 341, dite formule de 
Lucien; 3° la première formule de Sirmium, compre- 
nant elle-même la quatrième d'Antioche et les vingt- 
sept anathématismes contre Photin. 

C'est à ce moment que se place ce que l'on a appelé 
la chute du pape Libère. Depuis 355, il vivait exilé à 
Bérée, et avait été remplacé à Rome par l'antipape 
Félix IL Obtenir, même par la violence, son adhésion 
au parti antinicéen était évidemment une victoire su- 
prême à laquelle Constance ne pouvait que tenir beau- 
coup, que les semi-ariens, le groupe alors le plus en 
faveur, ne pouvait qu'ardemment souhaiter. Cette sa- 
tisfaction leur fut donnée par une ou même deux si- 
gnatures arrachées au pape, l'une à Bérée en 357, 
l'autre plus sûrement à Sirmium en 358 ^ Par cet actCr 
il abandonnait Athanase, entrait en communion avec 
les dissidents, et acceptait une ou plusieurs formules 
de foi assurément non hérétiques, mais dont l'ôuLDoudio; 
était absent. Les formules signées par lui à Sirmium 
étaient vraisemblablement celles qu'avait adoptées 
le concile qui venait de s'y tenir. Sozomène observe 
cependant que, pour mieux préciser sa pensée sur ce 

i. Les autorités sont Satst Athanase, Historia arianorum ad mona^ 
c/ios, 41; Apologia contra arianos, 89; Saint Hilaiiie, Contra Constan- 
tium, ii ; Saint Jérôme, Chronique, 380-383 ; De viris ilhtstribus, 9T. 
Quiint aux lettres de Libère citées dans Saint Hilaiue, Fragm. VI, 5-H, 
l'authenticité n'en est pas certaine. Plusieurs auteurs — entre autres 
Ks^ DucuESNE (Histoire ancienne de l'Église, II, p. 281 suiv.) — admet- 
tent, comme je l'ai insinué, non pas une mais deux signatures, et celte 
conclusion s'appuie sur les lettres de Libère dont je viens de parier et 
sur le témoignage de Sozomène, Hist. eccl., IV, is. — Il est à remarquer 
d'ailleurs que, dans le milieu romain, la réputation de Libère ne paraît 
pas avoir soufîert de ces incidents. Voir, à ce sujet, la lettre d'Anas- 
tase I à Venerlus de Milan, écrite en 400-401, dontj. van den Ghein a 
donné une édition critique dans la Revue d'histoire et de littéraHire 
religieuses, t. IV (1899), p. 1-12. L'auteur, qui avait dû connaître person- 
nellement Libère, le compare à Eusèbe de Verceil et à Ililaire, et ne 
suppose pas qu'il ait jamais failli. 



54 HISTOIRE DES DOGMES 

point, et pour répondre aux insinuations de certains 
évêques anoméens, Libère déclara, dans sa profes- 
sion de- foi, qu'il regardait comme étrangers à. l'Eglise 
ceux qui affirmaient que le Fils n'est paS; semblable au- 
Père en substance et en. tout, (x^ xar'' oùijiav xal xorrà 

7t«VTa SfJlOlOV''. 

La victoire de Basile d^A-ncyre semblait complète. 
Il eut le tort d'abord d'en abuser, en faisant exiler en 
masse les; anoméens et. surtout leurs eliefs Aetius, 
Eunomius et Eudoxius, et ensuite de voulûic la, faire 
consacrer par un grand concile. Un retard se produi- 
sit dans la fixation du lieu et dé la date de cette as- 
semblée : les anoméens, imitant la manœuvre des 
premiers ariens qui, après le concile deNicée, s'étaient 
transformés en eusébiens, se transformèrent en aca- 
ciens ou homéens, et prévinrent contre Basile l'esprit 
de Constance. Celui-ci décida qufil y aurait, deux conr 
ciles, Fun à Rimini pour l'Occident, l'autre, pouu 
l'Orient, à Séleucie, et que chacun \ies conciles lui 
expédierait dix délégués pour lui apporter ses déci- 
sions. En attendant, et avant de quitter Sirmium, les 
évêques présents s'entendirent sur une- formule de foi 
— la troisième de Sirmium et là onzième de la série — 
qui devait être une formule de conciliation, et servir de 
base aux délibérations de deux conciles^. On y procla- 
mait le Fils « engendré impassiblement de Dieu avant 
tous les siècles, et avant tout commencement, et avant 
tout temps concevable... semblable, suivant l'es Écri- 
tures, au Père qui l'engendre ». On interdisait désor- 
mais l'emploi du mot oùoia à propos de Dieu, comme 
incompris des peuples et étranger aux: Écritures ; mais 

i. SozOMÈNE, Hist: eccl., rv, iS. 

2. La voir dans Saint Atitanase, De synodis, 16, 17; Socrate, Hist. 
eccles., II, 37; Hahn, § 163. Cette formule était l'œuvre de Marc d'Aré- 
thuse. 



: ■ 



LES HERESIES TMNITAIRES DU IV SIECLE. 55 

OD; ajoutailf que le Fils était semblable au; Père xa-rà 
TwtvT», comme les saintes Ecritaresi le disent et l'en- 
seignent. 

Le22'œiai 359i, tous les évêques présents à Sirmium 
signèrent eette formule; mais divers incidents, rap- 
portés par saint Epipliane^ , montrent bien que, au 
fond, ils n'étaient pas d'accord. Valons tenta, en sous- 
crivant, d'escamoter le xocxà itavTa. Basile d'Ancyre, au 
contraire, y insista fortement en expliquant que ce 
mot signifiait que le Fils est semblable au Père non 
seulement en volouté, mais en hypostase,, en subsis- 
tance et en: être: {/.axà. t^qv ÔJro'(îT«<nv, xal xaïà t^v OTrapItv, 
xat xaxi to sîvat), et en déclarant étranger à l'Eglise 
catholique quiconque dirait que le Fils est semblable 
au Père seulement en quelque chose (xafa.Tt) ^. 

La formule ainsi souscrite fut portée à Rimini par 
Valons. Il trouva- les évêques déjà réunis au nombre de 
plus de quatre cents, dont quatre-vingts environ anti- 
nicéens. Restitutus de Carthage présidait^. La majo- 
rité rejeta la formule présentée par Valons, déclara le 
symbole de Nicée suffisant et maintint l'usage du mot 
substance*. Mais les dissidents, ne se voyant pas en 
nombre, avaient tenu conciliabule à part^. Leurs dix 
députés arrivèrent en même temps que ceux du vrai 
concile auprès de Constance. Constance, prévenu, fit 
enjoindre aux pères de Rimini de ne se point séparer 

1. Haer. LXXIII, 22. 

2. C'est à ce moment probablement que Basile d'Ancyre, pour s'ex- 
pliquer à fond et pour masquer sa défaite, publia le mémoire que saint 
Epiphane reproduit à la suite de la déclaration d'Ancyre {Haer. LXXin, 
12-22). On lira avec fruit sur ce mémoire aussi bien que sur la décla- 
ration, les articles de M. Hxsuevr, L'homoiousianisme dans ses rapports 
avec l'orthodoxie, dans Ja Revue d'histoire ecclésiastique, t. LY (1903), 
surtout p. 200-206< 

3. Le pape ne fut pas représenté, peut-être parce que Constance ne 
voulut pas trancher la ques tion entre Libère et Félix II. 

4. HiLAiRE, Fragm. VII, 3. 

5. SuLPicE SÉVÈRE, Historia sacra, II, 41 



56 HISTOIRE DES DOGMES. 

avant d'avoir reçu sa réponse, contraignit, par la vio- 
lence et la ruse, leurs députés à signer, à Nice, en 
Thrace, une formule — la douzième de la série ^ — 
qui reproduisait en majeure partie la troisième de 
Sirmium, mais d'où le xaxà irâvTa avait disparu, et où 
le terme .[A{a ÔTOffTadiç se trouvait proscrit aussi bien 
que celui d'oùata, et, par la ruse et la violence encore, 
obtint que cette formule fût signée des évêques 'pré- 
sents à Rimini^. Vingt d'entre eux cependant résis- 
tèrent jusqu'au bout, et ne donnèrent leur signature 
que moyennant certaines additions qui condamnaient 
l'arianisme. Mais Valens en glissa une ambiguë, dé- 
clarant que « le Fils n'est pas une créature comme les 
autres créatures ». On ne vit pas le piège, et Valens 
ayant d'ailleurs solennellement déclaré qu'il n'était 
pas arien, on se sépara, chaque parti croyant l'avoir 
emporté, les ariens à cause du symbole, les orthodoxes 
à cause des additions^. 

A Séleucie, les choses ne se passèrent pas mieux. 
Les semi-ariens s'y trouvaient en majorité, et saint 
Hilaire, qui était présent, n'hésita pas à communiquer 
avec eux. On repoussa les blasphèmes d'Eudoxius, et 
l'on refusa d'adopter une profession de foi d'Acace, 
dans laquelle il rejetait à la fois l'ôuDouaio;, l'ôfjLoiouctoç 
et l'àvofAoïo;, et s'en tenait à l'^fAoïoç*. On souscrivit 
seulement à l'une des formules d'Antioche de 341^. 
Sur ce, le concile fut déclaré dissous par le questeur 
Leonas, et dix députés furent envoyés à Constance. 



1. La voir dans Athanase, Ue synodîs, 30; Théodoret, Rist. eccles., II, 
21 ; Hahn, § 164. 

2. HiLAïKE, Fragm. IX; Sulpice Sévèiie, Hist. sacra. II, 43. 

3. Saint Jékome, Dialog. contra luciferianos, 18; Sl-lpice Sévèee, 
Hist. sacra, II, 44. 

4. Y. la* formule dans Socrate, Hist. eecles. If, 40; Hahk, § 163. 

K. Hilaire, Contra Constantium imperatorem, 13, 12; Socrate, Eisl, 
eccles., II, 39. 



LES HÉRÉSIES TRINITAIRES DU IV^ SIÈCLE. 57 

Mais les acaciens intervinrent encore, et, à la suite de 
discussions et d'intrigues de tout genre, les députés 
de Séleucie finirent par signer la formule de Nice, 
augmentée des additions des vingt évêques de Rimini 
(359)^. C'était le triomphe des acaciens. Ils le consa- 
crèrent par un synode tenu à Constantinople en 360, 
déposèrent les chefs semi-ariens, Basile d'Ancyre, 
Cyrille de Jérusalem et beaucoup d'autres, introni- 
sèrent Eudoxius à Constantinople et Eunomius à 
Cyzique, et firent signer de force la formule de Nice 
dans les provinces. L'univers, suivant l'expression de 
saint Jérôme, pouvait se croire arien. 

§ 6. — Les pneuiaatomaqnes. 

Il ne l'était pas cependant, et la mort de Constance, 
survenue l'année suivante (3 novembre 361), allait 
précisément marquer le commencement du retour à 
l'orthodoxie. Mais à la question des rapports du Père 
et du Fils une autre venait justement de se joindre, 
celle de la divinité du Saint-Esprit et de ses rapports 
avec les deux autres personnes. Le problème était bien 
un problème trinitaire. 

Arius et Eunomius, on l'a vu, regardaient le Saint- 
Esprit comme une créature du Fils : toutefois, ce 
côté de leur doctrine était jusqu'ici resté dans l'ombre. 
Vers 359-360, il émerge en deux points géographiques 
à la fois. Athanase s'est retiré au désert : il y reçoit 
des lettres de Sérapion, l'évêque de Thmuis, l'infor- 
mant qu'un certain nombre de fidèles ou de pasteurs, 
détestant d'ailleurs l'impiété d' Arius sur le Fils, con- 
servent sur le Saint-Esprit des sentiments erronés. 

1. HiLAiRE, Contra Const. imper., 15 ; Sozomène, Hist. eccîes., IV, 23 ; 
Sdlpice Sévère, Ilist. sacra, II, 43. 



58 HISTOIRE DES DOGMES. 

Ils en font une créature, un des esprits serviteurs, ne 
différant des anges que parie degré : XsyovTCDv «ùto (to 
a.*[ioy irveûf/.a) [a^ {aovov XTi<7(Ji«, «X'Xà xal twv Xsnoupyixtov itvsu- 
jJKXTtov Iv aÙTO igTvat, xcà j3a6{AS fAOVOV auTO Sia<pepsiv tîSv àyyé- 
Xtùv^. Pour réfuter cette erreur, Athanase écrit ses 
lettres I, ni, iv à Sérapion. Il y nomme les nouveaux 
hérétiques tropicistes (TpoTcixoi), parce quHls expliquent 
par des métaphores ou tropes les paroles de l'Écriture 
qui vont contre leur sentiment. 

Au même moment, ou peut-être un peu avant^, des 
évêques du parti homoiousien ou semi-arien se pro- 
nonçaient aussi contre la divinité du Saint-Esprit, et 
ne craignaient pas de le présenter comme un serviteur 
semblable aux anges ^. Leur doctrine se répandit ra- 
pidement à Constantinople, dans la Thrace, la Bitliy- 
nie, l'Heilespont et les provinces voisines. Tous les 
semi-ariens ne radoptèrent pas d'abord : elle devint 
toutefois si commune parmi eux que le nom de semi- 
ariens devint, entre 360 et 380, synonyme de -pneuma- 
tomaques. On appela encore ceux-ci macédoniens, du 
nom de l'ancien évêque de Constantinople^, ou mara- 
thoniens, du nom de l'évêque de Nicomédie, Mara- 
thonius, un de leurs chefs. 



i. Athakase, Epist. ad. Serapionem, 1, 1. 

2. On ne voit pas que le mouvement signalé par Sérapion en Egypte 
ait procédé de l'éclat des semi^riens. Il semble plutôt lui avoir été 
parallèle. 

3. SocRATE, Hist. eccLy II, 4S; Sozomène, Hist. eccL, IV, 27 ; Saint Basile, 
JEpist, CCLI, 4; Théodoret, Hist. eccL, II, S. 

4. Il est peu probable que Macedonius personnellement Ait enseigné 
cette doctrine. 



LES HÉRÉSIES TRINITAIRES DP I-V SIÈCLE. 59 

§ 7. — La reataucation nicéenne 
et le -second concile général. 

Tel était l'état des choses et des esprits au moment 
de la mort de Constance. OjOBciellement, l'acacianisme, 
c'est-à-dire l'imprécision doctrinale, avait le dessus ; 
une nouvelle erreur, celle des pneumatomaques, faisait 
son apparition ^ et divisait les semi-ariens, alliés pos- 
sibles des orthodoxes. Le nouvel empereur, Julien, ne 
tardait pas d'ailleurs à se déclarer contre le christia- 
nisme. La situation ne pouvait être plus fâcheuse. 
Cependant le mal était moindre qu'il ne paraissait. 
L'Occident n'avait pas été sérieusement entamé par 
l'hérésie : en Orient, les partis étaient lassés, et les 
semi-ariens, notamment, s'étaient trouvés, par leur 
défaite, rejetés du côté des nicéens, leur seul recours 
contre leurs adversaires de gauche. L'arianisme tirait 
sa grande force de la faveur inapériale : cet appui venant 
à lui manquer, on le vit rapidement décliner et dispa- 
raître de l'empire. 

11 ne saurait être question de raconter ici en détail 
l'histoire de cette décadence et de la restauration paral- 
lèle de l'orthodoxie, fruit surtout de l'action persévé- 
rante, du zèle patient et magnanime d'Athanase et de 
ses amis : il suffira d'en noter les étapes principales. 

En Occident, on vient de le dire, la tâche était rela- 
tivement aisée. En 360, un concile de Paris, sans réprou- 
ver l'ôixoiouffioç, susceptible d'un bon sens, se prononçait 
pour rôfADouatoî, et condamnait en même temps le sabel- 
lianisme'^. En Italie, Hilaire,, qui s'y était rendu , et 
Eusèbe de Verceil , malgré les entraves que leur sus- 

1. Il faudrait signaler aussi l'apoUinarisme qui se montre au même 
moment : on en parlera plus loin. 

2. Hilaire, Fragm. XI, 1-4. 



fiO HISTOIRE DES DOGMES. 

citait l'intransigeance des lucifériens% travaillèrent 
avec succès à la réconciliation des évêques faillis, à qui 
ils demandèrent, pour toute condition de réhabilita- 
tion, la reconnaissance du symbole de Nicée et la con- 
damnation de l'arianisme. Bientôt l'évêque de Milan, 
Auxence, se trouva isolé dans son hérésie. A Rome, 
en particulier, quatre conciles successivement tenus 
sous Damase, le successeur de Libère, en 369, 376, 
377, 380, renouvelèrent les décisions de Nicée, défini- 
rent la divinité et la consubstantialité du Saint-Esprit, 
et condamnèrent — avec Apollinaire — les sabelliens, 
les ariens et les macédoniens^. En Pannonie, Ursace 
et Valens persistèrent dans l'erreur, mais Germinius 
de Sirmium souscrivit, en 366, à rojjioioç xaxà TtâvTa ^. 

En Orient, l'œuvre de relèvement et de réconcilia- 
tion était plus ardue et plus délicate. Elle s'accomplit 
cependant à travers mille contrariétés. Athanase, dès 
359, avait tendu, dans son traité De synodis, la main 
aux dissidents, en les assurant qu'il ne voulait pas dis- 
puter sur les mots, mais sur les idées qui le séparaient 
d'eux. Rentré à Alexandrie, le 22 février 362, il y 
tenait, cette même année, un concile important, dont 
il rédigea la lettre synodale , le Tomus ad Antioche- 
nos. Le concile décida qu'on n'exigerait des arianisants, 
pour être réconciliés, que la reconnaissance du concile 
de Nicée et le rejet de l'arianisme; condamna ceux qui 
prétendaient « que le Saint-Esprit est une créature et 
séparé delà substance du Christ'' » ; et refusa de se pro- 

1. On appelait ainsi le parti schismatique de Lucirer de Caglian, qui 
se refusait à toute communication avec les évèques compromis dans 
l'arianisme et à toute indulgence et pardon à leur égard. 

2. Damasi epist. I, II, fragm. 1-3 (P. L.i XIII, 347 suiv.) ; Sozomène, Sisl. 
ceci., Vf, 23; Théodoret, Hist. eccl., II, 17. Peut-être faut-il rapporter au 
concile de 380 la Confessio fidei catholicae de Damase, P. 1,.,'XIII, 338; 
Hahn, § 271. Cf. TnÉODOUET, Hist. eccl., V, 11. 

3. HiLAiRE, Fragm. XIII-KY. 

4. Tomus acC''Antioch., 3. 



LES HÉRÉSIES TRINITÀIRES DU IV SIECLE. 64 

noncer entre ceux qui disaient y.ia &irô(7Taffi<; et ceux qui 
disaient Tpeîç STroaToéoretç en parlant de Dieu, puisque 
d'ailleurs ils étaient d'accord sur le fond de la doc- 
trine ^ Le tomus, envoyé à Antioche, reçut la signature 
de l'évêque Paulin. Un second concile, en 363, proclama 
encore la foi de Nicée et la divinité du Saint-Esprit^. 
En 373, le 2 mai, Athanase mourait, et recevait pour 
successeur l'évêque Pierre. 

A Antioche, la question doctrinale se compliquait 
d'une compétition de personnes qui prolongea long- 
temps la confusion. Mélèce, arien indécis , établi pa- 
triarche par Constance en 361, se prononça presque 
immédiatement pour rôjxoiouaio;, puis, en 363, souscrivit 
avec vingt-sept évéques, dont Acace de Césarée, au 
concile de Nicée, en ajoutant qu'ils recevaient Vb^oaù- 
ffioç parce qu'on leur avait expliqué qu'il équivalait à 
l'ex trfi oôfftaç tou Traxpoç et à oaoïoç xa-c' oôff(av ^. En 379, 

dans un grand concile de cent cinquante-trois évêques 
à Antioche , nouveau pas définitif. Mélèce signa, avec 
les évêques de sa province, une adhésion pure et 
simple aux formulaires romains'*. Malheureusement, 
les antécédents ariens du patriarche l'avaient, dès le 
principe, rendu suspect aux orthodoxes rigides, et 
ceux-ci avaient, depuis 362, reçu pour évêque, sacré par 
Lucifer de Cagliari, un de leurs prêtres, Paulin. Pau- 
lin fut soutenu par Rome et Alexandrie, Mélèce parles 
Orientaux, et l'église d' Antioche, malgré l'accord doc- 
trinal des deux partis, ne retrouva l'unité qu'au siècle 
suivant. 

Ce fut surtout à Constantinople et dans la péninsule 
de l'Asie Mineure que le retour fut long et difficile. A 

i. Tomus ad Antiochenos, S, 6. 

2. Athanase, EjjîsL ad lovianum, 4. 

3. SocRATE, Hist. eccl., in, 25. 

i. V. DccHESNE, Hist. anc. de l'Église, H, p. 421, note 2. 



62 HISTOIBE IDES iDOGMES. 1 

Cottsfcantmople , les ariens restèrent absolument les 
maîtres jusqu'en 379, année où saint Grégoire de Na- 
zianze vint s'y installer dans le petit oratoire de l'Anas- 
tasis , et prononça ses célèbres discours théologiques 
isur la Trinité. Mais, en 380, Théodose rendit les églises 
aux orthodoxes, et en 381, fit tenir dans cette ville le 
second concile général. — Dans l'Asie Mineure, le re- 
lèvement fut, en gra:nde partie, l'œuvre de saint Basile.: 
il avait cependant commencé avant son épiscopat. Dès 
364, un concile de semi-ariens, réunis à Lampsaque, 
avait condamné la formule de Nice^ et était revenu à 
l'ofiotoç xaï' oùffiav. Il avait espéré l'approbation de l'em- 
pereur Valens. Repoussés par lui, ses délégués allèrent 
■trouver le pape Libère, Sur leur assurance que, à leurs 
yeux, ôfjiotouffto; équivalait à ôjjioouffioi;^ le ;pape les reçut ; 
et les délégués souscrivirent le symbole de Nicée avec 
celte observation qu'ils regardaient l'expression ôjxoou- 
(jioç comme ayant été choisie h^iv^c, xal eùasêSç pour tra- 
duire la foi de l'Église ^ . La lettre du pape qu'ils em- 
portèrent en le quittant, et qui accordait la communion 
aux soixante-quatre évêques leurs commettants, fut 
reçue avec joie au synode de Tyane, en Gappadoce 
(367) 2, il se produisit cependant des protestations en 
Carie ^. 

A peine élu évêque en 370, saint BasOe, devenu 
le chef effectif de l'épiscopat oriental, par suite du 
schisme d'Antioche et de l'arianisme régnant à Cons- 
tantinople, se tourna vers Atlianase d'abord, puis 
vers le pape, pour en obtenir un appui moral et des 
décisions fermes, capables de dissiper les préjugés 
et de concilier les esprits. Il désirait surtout que l'on 

1. SOCRATE, Ei&L eccL, IV, 12. 

2. SocRATE, Hist. eccL, IV, 12; SczoHÈrjE, Hist. eccL, VI, 11, 12. 

3. SozoMÈ.NE, Hist. eccl., VI, 12. Cependant V. Duchesse, Hist. anc. de 
l'Eglise, II, p. 430, note. 



LES HERESIES TRINITAIRES DU IV SIECLE. 63 

condamnât ràpoUinarisme , et que l'on reconnut la 
légitimité de Mélèce. Ses ambassades obtinrent un 
résultat partiel. En 377, une lettre de Damase con- 
damna Apollinaire', déposa Timotliée, son disciple, 
et définit encore la divinité du Saint-Esprit^. De- 
vant Finlassable patience de saint Basile et les dé- 
clarations de rOccid'ent, les résistances faiblirent peu 
à peu, les préjugés s'atténuèrent. L'avènement de Tliéo- 
dose (379) apporta à l'orthodoxie la faveur impériale : 
on sentit que le dénouement était proche. 

Il eut lieu deux ans plus tard. Théodose, dans 
l'édit publié en 380, après son baptême, avait déclaré 
d'abord' s'en tenir à la foi de Damase et de Pierre 
d'Alexandrie^. Arrivé en Orient, il comprit que ces 
deux noms ne pouvaient que froisser les susceptibi- 
lités die tous ces orientaux, orthodoxes sans doute, 
mais irrités au fond contre Alexandrie et Rome dont 
il fallait bien reconnaître la victoire. Aussi le pape 
ne fùt-il pas invité au concile de Constantinople dé 
381". Cent quatre-vingt-six évêques seulement s'y 
trouvèrent, dont trente-six pneumatomaques sous la 
conduite d'Eleusius de Cyzique. Le concile fut pré- 
sidé par Mélèce d'abord, puis par saint Grégoire de 
Nazianze comme évêque de Constantinople, puis par 
son successeur. Nectaire. Les pneumatomaques, in- 
vités à abjurer leur erreur, se retirèrent du concile^. 
Celui-ci passa outre et rédigea un xdfxoç, c'est-à-dire 
un exposé détaillé de la doctrine trinitaire. Cet écrit 
est perdu; mais il s'en est conservé peut-être la subs- 
tance dans le premier canon du concile dont voici 
la teneur ; « La profession de foi des trois cent dix- 
huit Pères réunis à Nîcée en Bithynie ne doit pas 

i. Damasi Epist. vn, H, fragm. 2 et 3. 

2. En voir le texte dans Harnack, Lehrb. der DG., n, p. 272, note 4. 

3. SocRATE, Hist. eccl., V, 8. 



64 HISTOmE DES DOGMES. 

être abrogée : elle doit conserver toute sa force, et 
l'on doit anathématiser toute hérésie, et en particu- 
lier celle des eunomiens ou anoméens, et celle des 
ariens ou eudoxiens, et celle des semi-ariens ou pneu- 
matomaques, et celle des sabelliens, des marcelliens, 
et celle des photiniens et celle des apollinaristes^. » 

Outre les quatre canons certainement authentiques 
du concile, on lui attribua, dès 451 en Orient, vers 
530 en Occident, un symbole reproduisant à peu près 
— il omet EX zrfi oùffîaç Tou TraTDoç — et complétant ce- 
lui deNicée^. C'est le symbole encore en usage dans 
la liturgie latine. Mais, comme on en trouve déjà le 
texte dans VAncoratus de saint Epiphane (119), écrit 
en 374, et comme, d'ailleurs, le passage qui concerne 
le Saint-Esprit (auv7rpoax-dvou{/.£vov xal (TOvSo5aÇo[xevov) est 
encore loin des définitions précises du concile de 381, 
on doit conclure que ce symbole n'est point l'œuvre 
de ce dernier concile. Il est certain qu'il représente 
un remaniement du symbole usité vers le milieu du 
iv^ siècle à Jérusalem, tel qu'on le dégage des caté- 
chèses de saint Cyrille^, mais sans qu'on puisse dé- 
cider s'il est proprement le symbole de Jérusalem, 
ou celui de Constantia, ou celui de quelque autre 
église. 

Le 3.0 juillet 381, Théodose confirma les décisions 
du concile, qui furent ratifiées encore par deux autres 
conciles tenus à Constantinople en 382 et 383 et un 
concile de Rome en 382. Le concile de 381 fut lui- 
même reconnu comme œcuménique en Orient -vers 
451, en Occident au vi^ siècle. L'accord était fait sur 
la foi. • On a prétendu (Harnack, Loofs) qu'il ne 
l'avait été qu'à la faveur d'un malentendu ou d'une 

i. Hefele, Histoire des conciles, 2= édit. trad. franc., II, 1, p. 20. 

2. Haon, § U%. 

3. Cf. Patrologie grecque, XXXIII, 533. 



LES HÉRÉSIES TRINITAIRES htr "r. — ^ -o» 

équivoque, et que les Pères de Constantinople avaient 
compris la formule de Nicée et surtout l'ôjtoouffioç au- 
trement que ceux de Nicée, et dans le sens semi-arien 
de r6{xotouffio;. C'est une question sur laquelle on re- 
viendra à propos des Cappadociens, dont l'influence 
ici fut décisive. Mais, quoi qu'il en soit, si l'accord 
existait dans les croyances et les formules, les cœurs 
restaient aigris et blessés. Le concile et Théodose 
l'avaient bien montré par le soin de tenir le pape à 
l'écart de l'assemblée, par le choix de Mélèce comme 
président du concile, par les deuxième et quatrième 
canons dirigés, au fond, contre le patriarche d'Alexan- 
drie, surtout par le troisième canon qui donnait le 
second rang, après le siège de Rome, au siège de 
Constantinople, parce que c'était celui de la nouvelle 
Rome. Des semences de schisme germaient déjà au 
fond des âmes, et la jeune Constantinople se dressait 
à côté de la vieille métropole de l'Occident, en at- 
tendant qu'elle se dressât contre elle. 

Les événements que je viens de résumer mirent 
fin, dans l'empire officiel, à l'hérésie arienne. Mais, 
chez les peuples barbares où elle avait pénétré, elle 
survécut longtemps encore, et donna lieu, de la part 
des écrivains orthodoxes, à une polémique qui dura 
jusqu'au vi^ et au vu® siècle. Vers 400, on trouvait 
encore dans l'empire des Goths ariens, devenus tels 
par l'apostolat d'Ulphilas (évêque en 341). Les Visi- 
goths qui envahirent l'Italie, puis la Gaule méridio- 
nale et l'Espagne, restèrent officiellement ariens jus- 
qu'au concile de Tolède de 589 ; les Suèves jusqu'en 
550 ou même un peu plus tard. En Italie, la puis- 
sance des Ostrogoths ariens ne fut détruite qu'en 554. 
Les Lombards ne se convertirent que vers 671, les 
Burgondes qu'en 517, et c'est en 533 seulement que 
fut brisée, en Afrique, la domination des Vandales 

4. 



^^ wiST^ïRE^^OES DOGMES. 

hérétiques et persécuteurs. Il y eut donc pendant 
deux siècles encore une littérature antiarienne, mais 
dont le thème d'ailleurs ne renchérit guère sur les 
idées et la doctrine développées par les premiers 
champions de l'orthodoxie. Ce sont ces idées et cette 
doctrine qu'il faut maintenant étudier de plus près 
dans leurs sources les plus anciennes 



CHAPITRE III 

LUTTE BOCTRINALE CONTRE l'aRIANISMÉ ET LE MACE- 
DONIANISME. l'oRTHODOXIE TRINITAÏRE GRECQUE AU 
IV^ SIÈCLE. 

§ 1. — La doctrine trinitaire de saint Athanase. 

Lalutte doctrinale des orthodoxes contre l'arianisme 
fut menée successivement par deux groupes de polé- 
mistes qui se suivirent de près sans se confondre. 
Dans le premier il faut mettre, chez les Grecs saint 
Athanase, et chez les Latins saint Hilaire. Le second 
groupe comprend surtout les Cappadociens, saint 
Basile et les deux Grégoire, auxquels se sont joints 
des théologiens de moindre importance comme Didyme 
l'aveugle et saint Epiphane. Le premier groupe pré- 
cise les idées et élabore la doctrine : le second fixe 
définitivement la terminologie et conclut la discussion. 
Nous parlerons exclusivement d'abord de saint Atha- 
nase. 

Arius était parti, dans sa théorie du Logos et de ses 
relations avec Dieu, de l'idée de la transcendance di- 
vine et de la création. Saint Athanase part de l'idée de 
rédemption. Pour Arius, Dieu ne peut communiquer 
sa substance; et donc le Logos, puisqu'il est produit, 
ne saurait être Dieu. Pour saint Athanase, le Verbe 
incarné est, avant tout, rédempteur. Par cette rédemp- 



68 HISTOIRE, DES DOGMES 

lion l'honime est divinisé et devient enfant de Dieu. 
Elle s'accomplit par une association* de notre nature 
à la nature divine dans la personne de Jésus-Christ. 
Celui-ci est donc réellement Dieu, car il ne peut nous 
diviniser et nous élever à la filiation divine, même 
adoptive, qu'à la condition d'être lui-même, réellement 
et par nature, Dieu et Fils de Dieu. C'est l'argument 
qu'Athanase répétera sans cesse : « Si [le Verbe] était, 
lui aussi, par participation, et non pas en soi la di- 
vinité et l'image substantielle du Père, il ne pourrait 
pas diviniser [les autres], puisque lui-même serait 
divinisé <• » Par ce simple changement de point de vue, 
la conception philosophique Verbe s'efface devant celle 
de Fils : le rôle démiurgique du Logos n'est plus la 
raison qui explique sa personnalité divine. Athanase 
maintient sans doute que, en fait, le Fils a été l'organe 
de la création^; mais, en principe et absolument, 
ajoute-t-il, cela n'était pas nécessaire. Car si Dieu ne 
pouvait lui-même créer immédiatement, le Verbe, qui 
est de même nature que le Père, ne le pourrait pas 
non plus ; et si le Verbe est créé, Dieu, qui l'a créé, 
pouvait donc créer immédiatement par lui-même^. 

Ces principes généraux suffisent à marquer l'orien- 
tation de la théologie d'Athanase. 

Dieu est un : il est une monade indivisible ; il n'y a 
qu'un principe, une monarchie suprême ((Jitav àpyriv 
otSafxev)'*. D'autre part, nous savons que le Fils est 
réellement distinct du Père^. Dès lors, faut-il exclure le 
Fils de la substance divine pour maintenir l'unité de 

i. "OOev el 7]v èx (iSTOUffCa; xal aùxô;, xat [iri II aÙToy oùffiwSriç 
Seôtt,; -/.aX dv.ùiv toû uarpè;, oOx àv éÔEOTrohiae, OeoTîotoufiîvo; y.al 
eeÙTÔç (De synodis, 51; Cont. arianos, 1, 16," 39; H, 69). 

2. De decrelis, 30 ; C. arianos, II, 40. 

3. C. arianos, II, 24. 23, 

4. C. arianos, III, lî>. 

5. C arianos, III, 4. 



M DOCTRINE TRINITAIRE GRECQUE AU IV SIECLE. 69 

Dieu, OU doit-on l'y faire rentrer pour maintenir sa 
divinité; et dans ce dernier cas, comment expliquer 
que l'unité divine n'est pas rompue? Tout le mystère 
à éclaircir est là. 

Pas plus qu'Arius, Athanase ne conçoit un Verbe de 
nature intermédiaire qui, conformément à la concep- 
tion philonienne, ne serait ni Dieu ni créature. Entre 
la créature et Dieu il y a un gouffre; mais, au lieu 
qu'Arius met le Logos sur le côté du gouffre qui touche 
à la création, Athanase le met résolument du côté de 
Dieu. Le Verbe n'est pas créé : il est engendré. En- 
gendrer est produire une image parfaite de soi, et com- 
muniquer tout ce qui est en soi, sa substance, sa na- 
ture, sa gloire ; et c'est ainsi que le Père produit le Fils. 

Cette génération est-elle volontaire de la part de 
Dieu? — Oui et non. Oui, en ce sens qu'elle n'est pas 
contre sa volonté, et qu'elle ne lui est pas imposée par 
une loi supérieure. Non, en ce sens qu'elle n'est pas 
le résultat de sa volonté délibérante et libre. Le Père 
veut et aime nécessairement le Fils comme il se veut 
et s'aime lui-même, et il l'engendre donc à la fois né- 
cessairement et volontiers ^ 

Dès lors, cette génération est éternelle. Le Père a 
toujours été Père, et le nom même de Père implique 
l'existence du Fils; car c'est dans l'acception largo 
seulement que Dieu est le Père des créatures 2. Et ici 
reviennent les comparaisons coutumières de l'école 
d'Alexandrie, de la lumière qui ne peut que luire, et 
de la source qui ne peut que couler. Éternellement 
donc existe celui qui est l'image, la réflexion, la splen- 
deur du Père, Dieu de Dieu, sans f>^ii le Père serait 

aco:po; xai aXoyoç^. 

i. C. arianos, 1, 16; HI, 62, 66. 

2, C. arianos. II, 41 ; ni, 6 ; De decretis, 30. 

3 C. armnos, I, 14, 23, 27; III, 6C; De decretis, 12, IS. 



70 HISTOIRE DES DOGMES. 

Ainsi éternellement engendré, le Fils, en consé- 
quence, est de la substance du Père, Ix t^; ouaiaç toïï 
Ttarpoç. Athanase tient essentiellement à cett« expres- 
sion de Nicée, qui est la condamnation des blasphèmes 
d'Arius^. Mais, pour être de là sulrstaneedu Père, le 
Fils n'est pas une portion du Père : la substance du 
Père n'a pas été divisée, comme it arrive dans la géné- 
ration humaine : « Dieu étant indivisible', est indivisi' 
blement et impassiblement Père du Fils^. » 

Et de là Athanase tire deux conclusions : la première, 
que le Fils possède en soi toute la- substance du Père, 
puisque cette substance lui étant communiquée, et ne 
pouvant d'ailleurs se partager, lui est nécessairement 
donnée tout entière^, La seconde, qu'il ne peut y avoir 
qu'un seul Fils, puisqu'il épuise à lui seul la fécondité 
dtt Père '' . Ces deux conclusions ruinent par la base le 
subordinatianisme : le Fils est tout ce qu'est le Père, 
sauf que l'un est engendrant, l'autre engendré. Elles 
entraînent au contraire le consubstantiel : le Fils est 
b[i.oo6(sioq au Père. Athanase repousse l'expression ojxoioç, 
d'abord parce qu'elle ne désigne qu'une ressemblance 
accidentelle et extérieure, et qu'elle peut s'appliquer 
à des êtres d'espèce différente, comme le chien et le 
loup, l'étain et l'argent : puis parce qu'elle n'indique 
pas que l'être semblable vient de celui à qui il res- 
semble^. Le mot qui exprime la ressemblance dé nature 
est ôf^o^uT^ç. L'expression ôfxoioufftoç est donc un mot 
mal fait; car dire d'une chose qu'elle est ojtoioç x«t' où- 

1. De decretis, 19, 23; De synodis, 41, 48. 

2. De decretis, 11; cf. C. arianos, 1, 28. 

3. Oùx èx (lÉpoyî ôè yj tr^ Oeôttitoç y.opcpi}, àW.à to irXrjpM(jia xîi; toû 
ïrarpô; 6e(5Tï5TÔ; èa-zi tô Etvai toù vitoù, y.ai ô)>o; Ôeô; èttiv 6 uîo; (C. aria- 
nos, 111,6; I, 16; II, 24). 

4. De decretis, 11 : 'AtîXoù; ôè ôv (© îtaTrip) tï^v çûaiv, Ivèç xotl t*ôvou 
TOÙ yîoij îrar^p inxi.. 

5. De synodis, 41, S3. 



LA DOCTRINE XftlNITAIRE GRECQUE AU IV SIÈCLE. 71 

ffiav à une autre, c'est parler de sa substance comme 
si elle était un simple attribut ou accident ; c'est, en 
tout cas, déclarer que cette substance est participée (èx 
{xsTouffta;) ^ . Que si l'on veut absolument employer celte 
formule — et Athanase lui-<même s'y est quelquefois 
plié^ — au moins doit-on ajouter Ix tîiç oôoriaç, et insister 
sur l'unité qu'oixoioç semble détruire ^. Le mot Sfxoouffioç 
évite ces inconvénients, car il marque à la fois et que 
les deux êtres auxquels on rapplique ont même subs- 
tance, et que l'un des deux tire son origine de l'antre^. 
Bien qu'il ne faille pas être l'esclave des mots, mais 
voir plutôt le sens qu'on leur donne, les Pères de Nicée 
ont cependant bien fait d'introduire celui-ci dans la 
langue de l'Eglise : ils n'en pouvaient imaginer de 
meilleur ^. 

Dans quel sens précis saint Athanase l'entend-il? 
On a insinué que l'ayant d'abord entendu au sens strict 
d'une unité numérique de substance du Père et du Fils, 
l'évêque d'Alexandrie s'était départi vers la fin de sa 
vie, et depuis 359, de celte rigueur, et, sans en avoir 
conscience, avait rapproché le sens d'ôfjioouffioç de celui 
d'ô(ji.owu(Tioç^. Il y a là une erreur. Dans le De synodis, 
composé en 359, et qui est nn écrit de conciliation, 
saint Athanase fait sans d^ute des avances aux semi- 
ariens, en leur montrant que leurs principes, s'ils les 
suivent jusqu'au bout, les conduisent au consubstan- 
tiel : il déclare que les orthodoxes regarderont moins 
à leuis formules qu'au fond de leur doctrine ;• mais 
d'ailleurs il ne sacrifie rien de ce que Nicée a défini^ et 

1. De synodis, 53. 

2. De decretiSi 20; De synodis, 4S. 

3. De synodis, 41. 

4. De synodis, 41. 

5. De synodis, 41. 

6. GuMUERus, Die homousianische Partei bis zum Tode des Konstan- 
tius, Leipzig, 1900, p. 162 siiiv. Harnack, Lehrb, der DG~, II, p. 2Gi. 



72 HISTOIRE DES DOGMES. 

de ce qui est l'entière vérité. Il a écrit dans VOratio m 
que, si le Fils est, comme rejeton, sTepoç au Père, il 
est, comme Dieu, -cwtov avec lui ; « que le Père et le 
Fils sont un par la possession et la propriété de la 
nature, et par l'identité de la même unique divinité » 
(t^ TauTOT»]Ti TV)? [xiScç ôeôiriToç) ; qu'il faut admettre entre 
eux xaÙTor/ita tî]? Ôeotyjtoç, tV 5è IvoTïjTa -triç oùffCaç (3, 4). 
Les mêmes expressions reviennent dans le De decretis^ 
23, 24. L'auteur ne les rétracte pas dans le De synodis. 
Il y déclare, au contraire, qu'en parlant de la substance, 
on doit parler de TauTo-cv]? et non pas d'ôfjtot()Tï]ç^53 : ainsi 
TaoTÔx7]ç Tï]? oùffîaç est l'équivalent d'ôfxoouffia ') ; que c'est 
une nécessité de croire à l'unité du Père et du Fils 
quant à la substance : xaTot xV ouatav voeïv xai ,t^v uîou xal 
irarpoç IvoxifjTa — ouaia ?v iativ autoç (ô Xoyoç) xai ô y^vv^^ffaç 
auTov Tta-riîp (48) ; et enfin qu'il n'y a pas dans la géné- 
ration du Père division de la substance comme dans 
celle des hommes : le Père communique son essence 
tout entière (41). M. Loofs va plus loin. Saint Athanase, 
à son avis, s'est d'autant plus attaché au sens nicéen 
de rô(jioouffioç qu'il a plus avancé en âge : ce qu'il est 
difficile de démêler dans ses derniers écrits, ce n'est 
pas l'unité de Dieu, mais la trinité des personnes di- 
vines 2. 

On a, dans ce qui précède, les grandes lignes de la 
doctrine de saint Athanase sur le Fils. L'idée qui la 
domine, et dont on peut dire qu'il tire tout, est que le 
Verbe est Fils, et Fils de Dieu. On ne doit jamais sé- 
parer le Fils du Père pour tâcher de le connaître iso- 



t. Or remarquons que précisément la réunion des semi-ariens d'An- 
eyre de 358 avait condamné, dans son xix" anathématisme, le xauxooû- 
ctov comme I'ôhooutiov. 

2. F. LooFs, Leitfaden zum Studium der DG., i" cdit., p. 2il. Cf. 
G. RASNEun, L'homoiousianisme dans ses rapports avec l'orlhodoxiet 
Revue d'hist. ecclésiast., lY (1903), p. 426-431. 



LA DOCTRINE TRINITAIRE GRECQUE AU IV SIÈCLE. 73 

lénaent : il en est inséparable*. Image et reflet substan- 
tiels du Père, on ne peut savoir ce qu'il est autrement 
qu'en le rapprochant du principe qui l'engendre, et 
qui se reproduit en lui. Fils, il est distinct numérique- 
ment du Père ; mais Fils, il est de même substance que 
le Père ; et il est la même substance absolument que 
le Père, parce que cette substance, que lui est commu- 
niquée, étant Dieu , ne saurait être ni divisée ni dimi- 
nuée. C'est avec une intrépidité sereine qu'Athanase 
énonce ces incompréhensibles mystères, dont son intel- 
ligence ne cherche pas à percer les ombres, mais qu'il 
perçoit comme la conséquence inéluctable des données 
les plus certaines de la révélation. 

La doctrine du Saint-Esprit ne lui doit guère moins 
que celle du Fils. On la trouve exposée surtout dans 
ses lettres à Sérapion i, m, iv. Le saint docteur y éta- 
blit la divinité du Saint-Esprit sur l'Écriture (i, 4-6, 
26), sur la prédication et la tradition ecclésiastique 
(i, 28), sur l'action même du Saint-Esprit dans nos 
âmes. Le principe sanctificateur ne saurait être de 
même nature que ceux qu'il sanctifie ; l'Esprit vivifica- 
teur des créatures ne saurait être -une créature (i, 23). 
Si l'Esprit-Saint nous divinise, nous rend participants, 
par son habitation en nous, de la nature divine, il est 
donc lui-même Dieu par essence : Aià toïïto yàp xat Iv 
oTç yive-cat (xo TtveûfAa) o&toi ôsoTroiouvTai' eî 8k ôsottoisî, oôjt 
«(AcpiêoXov oTi •}) TOUTOU cpuoTiç ôeoîî IffTi (i, 24). Et 11 y a du 
reste une preuve plus simple, c'est que, la Trinité étant 
homogène, si le Saint-Esprit, comme il est constant, 
en fait partie, il n'est pas créé, il est Dieu, de même 
substance que le Père et le Fils ; il leur est b^oovaioz 
(i, 2, 17, 20, 27). 

Cependant la prétention des tropicîstes de rejeter 

4. C. arianos, ra, 28. 

HISTOIRE DES DOGMES. — n. 5 



71 HISTOIRE DES DOGMES. 

la divittité du Saint-Esprit, tout en admettant celle du 
Fils, amène Athanase à examiner lés rapports du Fils 
et du Saint-Esprit. Et d'abord TEsprit-Saint est TEsprit 
du Fils, sa « puissance sanctificatrice et illuminatrice, 
laquelle est dite procéder du Père (Ix TraTpoç Ixiropeue- 
o9ai), parce que le Fils, qui vient du Père, la fait bril- 
ler, l'envoie et la donne » (I, 20). Bien plus, comme le 
Fils est le propre de la substance du Père, de même 
l'Esprit, qui est dans le Fils et en qui est le Fils, est le 
propre du Fils : « Si le Fils, parce qu'il est du Père, 
est le propre de sa substance, c'est une nécessité que 
l'Esprit, qui est dit être de Dieu, soit aussi en subs- 
tance le propre du Fils » (iStov Eivat xax' oôffiav rotî utou, 
I, 25, 20, 21; cf. m, 2). L'Esprit-Saint est donc propre- 
ment, et dans son être intime, l'Esprit du Fils, son 
souffle, dans une dépendance étroite de lui. Ce qu'il 
possède, c'est cela même du Fils : â iyti (xb TtvEîJfxa) toû 
uîoû IffTiv (m, 1). L'auteur se rapproche de l'idée que 
TEsprit reçoit son être du Fils. Il y touche tout à fait 
quand il note que l'Esprit- Saint reçoit du Fils, et qu'il 
n'est pas le lien qui rattache le Fils au Père, mais qu'au 
contraire, existant lui-même dans le Verbe, il se trouve, 
par lui, être en Dieu ^ . « De même que le Fils dit : 
Tout ce qui est au Père est à moi, ainsi nous trouve- 
rons que tout cela est dans l'Esprit par le Fils : raura 
TTavxa Sià xoîî utoî» eôpv^ffOfjiev ovta xal Iv tIj) irveufxaTi » (lii, 1). 
Avecla personne du Saint-Esprit, la Trinité se trouve 
achevée et complète^. Cette Trinité, comme les termes 
qui la composent, est éternelle : elle ne s'est pas faite 
successivement, et il n'y a pas eu de moment où elle 
ne fût parfaite et entière. Elle ne se compose pas non 
plus d'éléments hétérogènes et d'une gloire inégale : 



i. C. arianos, III, 24; Epist. ad Serapion. III, 5. 
2. Epist. ad Serapion. I, 2S. 



LA. DOCTRINE TRINITAIRE GRECQUE AU IV' SIÈCLE. 76 

Mv) Y£v°'™ • Oùx laTi Y6Vï)T^ •?! Tpiàî" àïX àiSioç xal |ji.ia ôeô- 
r/iç IffUv Iv TpiaSi, xal [xia So^a tÎ]? àyiKÇ TpibcSoç * . — Tvjç 
àyiaç TpiaSoç (xia :^ ôeo-cyjç xai TCtaxiç laxiv ^. 

La. doctrine trinitaire d'Athanase allait devenir celle 
de l'Eglise grecque. Avant d'en venir là, elle devait 
cependant recevoir, soit dans sa terminologie, soit dans 
sa théorie des personnes divines et de leurs relations, 
de sérieux compléments. C'est encore au Père seul que 
saint Athanase applique par excellence le nom de Dieu : 
Iv T^ l>cxXyi<yt(j eîç ôsoç xvipudcrsTai, ô toû Xoyou Tcar^ips. De 
plus,; bien qu'il n'ait pas condamné , au concile d'A- 
lexandrie de 362, ceux qui disaient fxfa oùai'a, xpeïç utto- 
ffràuetç, il a personnellement, jusqu'à la fin de sa vie, 
confondu les deux termes oùoria et ùnôaxacK;^. Il écrira 
même, vers 369, dans VEpistula ad Afros, 4 : 'H Si 
ÔTTOffTaffiç ouffta IffTi, xal oùSsv àXXo ffvjijiaivofjisvov îyj.\ ^ aÔTO 
•to ov. Comme il évite, d'autre part, l'emploi du mot 
TTpoatoTtov, il s'ensuit qu'il ne possède aucun terme pour 
désigner la personne. Il n'a pas du reste étudié ce qui 
constitue en soi les personnes divines, ni comment elles 
se distinguent et s'opposent entre elles, ni comment 
nous pouvons, par de lointaines analogies, nous re- 
présenter les opérations mystérieuses qui les font être. 
Polémiste toujours dans l'arène, Athanase n'a eu ni le 
loisir ni sans doute le goût de traiter ces questions de 
haute philosophie religieuse. Son enseignement trini- 
taire est donc incomplet : il sera complété en grande 
partie par les Cappadociens. 



1. C arianos,.!, 18. 

2. Epist. ad Serapion. 1, 16. 

3. Epist. ad Epicietum, 9. 

i. De decretiSfSJ ; De synodis, M; TomtiBad^Antioch., 6. En revanche, 
il distingue ouata de çùoiç. Ce dernier mot marqne l'ensemble des pro. 
priétés et qualités de la substance, qui découlent d'elle. De là l'expres- 
sion xatà t:^v oûffîav xai xaià x^v çùffiv, par exemple C. arianos, I, 
29; De synodis,^-,. Tomus ad Antiochenos,6. 



76 HISTOIRE DES DOGMES. 



§ 2. — La doctrine trinitaire des Cappadociens. 

Le rôle principal des Cappadociens, au point de 
vue trinitaire, a donc été de ramener à l'Eglise le parti 
des semi-ariens, et de fixer la terminologie grecque 
orthodoxe. Ils se trouvaient préparés à le remplir par 
ces circonstances qu'ils étaient, à des degrés divers, 
des disciples d'Origène, et qu'ils vivaient au milieu 
des dissidents dont ils devaient faire la conquête. 
Mais ces circonstances même, qui les rapprochaient 
de leurs adversaires, ont donné occasion, contre eux, 
dans ces derniers temps, à des accusations de flé- 
chissement doctrinal que nous devrons examiner. On 
les a présentés comme des néo-nicéens qu'il fallait 
soigneusement distinguer des nicéens primitifs, Atha- 
nase, Eustathe, Hosius, et dont la pensée n'était qu'en 
apparence et dans les formules d'accord avec la leur. 

On a déjà dit qu'Athanase et les Pères du concile 
de Nicée avaient confondu le sens d'oùff(a et d'ô-reosTactç. 
Ils avaient en cela suivi les Occidentaux, pour qui 
ÔTroffTaffiç se trouvait être la traduction littérale de sub- 
stantiaK Les ariens et semi-ariens, au contraire, et les 
disciples d'Origène, d'accord avec leur maître, don- 
naient à ÔTcoffTttfftç le sens de personne, et regardaient 
l'expression fxia uitod-cadiç comme une formule sabel- 
lienne. Ce n'était là sans doute qu'une question de 
mots , mais qu'il importait souverainement de résoudre 
enfin, pour écarter les malentendus. 

Qu'est-ce que l'ouata, et qu'est-ce que l'ÔTrocrTaffiç? Ces 
deux mots disent-ils la même chose; et si non, en 
quoi diffèrent les objets qu'ils signifient? 



1. On peut voir dans les lettres de saint Jérôme XV et xvn quelles dif- 
ficultés soulevait pour les Occidentaux la formule tpeîç ÛTtOGtàffst;. 



LA DOCTRINE TRINITAIRE GRECQUE AU IV SIECLE. 77 

Saint Basile aborde directement le problème dans 
sa lettre xxxviii à Grégoire de Nysse. L'oùat'a est ce 
qui est commun dans les individus de même espèce 
(to jtoivov), qu'ils possèdent tous également, et qui 
fait qu'on les désigne tous sous un même vocable, 
sans en désigner aucun en particulier (2) *. Mais cette 
oôffi'a ne saurait exister réellement qu'à la condition 
d'être complétée par des caractères individuants qui 
la déterminent. Ces caractères reçoivent différents 
noms : on les appelle iSiOTïjTeç, î8tW{Jt,aTa, îStaÇovxa aïjpîa, 
Î8ta Yvwp{(7ijLaTa, )(^apaxTY)pe;, (jiopçKÎ (3, 4)^. Si l'on ajoute 
ces caractères individuants à l'ouai'a, on a l'uTtoirTaciç. 
L'hypostase est l'individu déterminé, existant à part, 
qui comprend et possède Voùaia, mais s'oppose à elle 
comme le propre au commun, le particulier au géné- 
rique : OOffia Se xal uTTOffxaffiç, écrit saint Basile, TauTr,v 
By£i T^v Stoçopàv •^v iyei to xoivov Trpèç to xaÔ' exaff-tov, olov 
u); iysi TO ÇSov Trpoç tov Seïva avôpwTtov^. Et encore : « L'hy- 
postase n'est pas la notion indéfinie de la substance 
qui ne trouve aucun siège fixe, à cause de la géné- 
ralité de la chose signifiée, mais bien ce qui restreint 
et circonscrit dans un certain être, par des particu- 
larités apparentes, le commun et l'indéterminé^. » 

Cette définition de saint Basile, remarquons-le, n'est 
pas suffisamment poussée, et elle paraît trop identi- 
fier l'hypostase avec la substance individuelle, l'indi- 
vidu, et faire des caractères individuants le constitu- 
tif delà personne. Néanmoins le mot capital s'y trouve, 
le to xaô' ExaffTov qu'il suffira d'approfondir pour avoir 



i. A la prendre en soi, saint Basile la définit, dans son Adversus Eu- 
nomium, i, 10, aOxà tb elvat. En Dieu c'est l'être intime par opposition 
à ses attributs (ipûai;) et à ses modes personnels (Onôcrcaatç). 

2. Cf. Adv. Eunomium, II, 28. 

3. Epist. CCXXXVI, 6. 

4. Epist. XXXVIII, 3. 



78 HÏSÎX)IRS DES DOGMES. 

de l'hypostase une notion complète. L'oum'a divine n'est 
pas en soi une hypostase, parce que, bien qu'indi- 
viduelle, elle n'existe pas à part soi, mais bien dans 
les personnes à qui «lie est commune. Les personnes 
divines, au contraire, «'opposant les unes aux autres, 
ont une existence propre qui ne permet pas de les 
confondre; et rien n'est commun entre elles que 
l'oô(rfa. Elles sont, suivant l'expression de saint Gré- 
goire de Nazianze, « complètes, subsistant à part soi, 
et distinguées par le nombre, bien que non distinctes 
par la divinité » : [xt'av tputrtv Iv rpitrlv îSioTyjffi, vospaïç, 
TEXs((xtç, x«6' laoTaç ôçecTWffatç, àpiôjJiS StaipsToTç x«l où Siaipe- 

Les Cappadociens se prononcèrent donc nettement 
en faveur de la distinction origéniste d'oôuiot et d'ÔTrô- 
ffTKfftç, et firent prévaloir leur sentiment. À l'égard de 
TrpoffWTtov, Basile se montra plus réservé : il ne voulait 
pas que l'on considérât ce mot comme équivalent 
d'ôiroffTatnç, une hypostase unique pouvant remplir trois 
rôles, oomme le prétendaient les salDelliens^. Gré- 
goire île Nazianze, au contraire, permettait de l'em- 
ployer en parlant de la Trinité, pourvu qu'on en écar- 
tât le sens de simple personnage de tragédie ou de 
comédie^. 

Il y a donc en Dieu trois bypostases dont chacnne 
s'oppose aux deux autres par ses caractères propres. 
Saint Grégoire de Nazianze indique comme étant ces 
caractères dyawTiffta, -yevvifjçfe ou fevviijffi; et IxTcopeuffiç ou 
IxTrepivj/i;"*. Saint Basile est d'accord avec lui ponr les 
deux premiers^; pour le troisième, nos auteurs s'en- 
tendent moins. Saint Basile donne comme le Yvojpurti- 

1. Omïïo XXXni, 16. 

2. Epist. CCXXXVI, 6. 

3. Oratio XUI, 16. 

4. Oratio XXV, 16; XXIX, 2; XXXI, 29, 

K. Epist. XXXVUI, 4-6; CXXV, 3; Homilia XV, 2. 



LA DOCTRINE TRINITAIRE GRECQUE AU IV SIÈCLE. 79 

xov ffïifAeîov du Saint-Esprit d'être connu après le Fils 
et avec lui et de tenir sa substance du Père^ ; saint 
Grégoire de Nysse de venir du Père par le Fils 2. Mais 
Grégoire de Nazianze avoue d'ailleurs qu'il nous est 
impossible de marquer précisément en quoi rixTropeuaiç 
du Saint-Esprit diffère de la génération du Fils 3. 11 
est certain seulement que les caractères distinctifs 
des personnes divines, les notions se rattachent à leur 
origine et à leur opposition entre elles''. Et c'est en 
ce sens, écrit saint Basile, que nous disons que le Père 
est plus grand que le Fils, non qu'il le soit par nature, 
mais parce que nous concevons idéalement le principe 
comme supérieur à ce qui en découle^. 

Cette primauté du Père est énergiquement conser- 
vée et proclamée dans la théologie cappadocienne. Le 
Père est le principe de la Trinité, le lien qui en fait 
l'unité par la communication de sa nature ® : il est Tn\-{-l\^ 
«PX'Ij «iTi« T^ç ÔEOTVjToç, To aiTiov, xupiwç ôsoç ; Ics deux 
autres termes sont alxiaxà, et se ramènent au Père "^ , 

Le Fils est éternellement engendré du Père, non 
pas fait par le dehors, mais né de sa substance, sans 
division de cette substance, comme une lumière qui 
sort parfaite du foyer resié mtact *. Il lui est consubs- 
tantiel. 

\. Epîst. XXXVIII, 4. 

2. Quod non sint très dii (P. G., XLV ,133). Cf. Basil, Adv. Eunomium, 

m, 6. 

3. Oratio XXXIX, 12; XXIII, 11 ; XXXI, 8. 

4. Basil., Adv. Eunomium, I, lo; Greg. Naz., Orofi'o XXXI, 9; Greg. 
Nyss., Quod non sint très dii (P. G., XLV, 133). 

5. Adv. Eunomium, 1,20. 

6. Il est à remarquer que les Cappadociens, bien qu'ils ne confon- 
dent pas les deux mots oùcta etçûatç, emploient plus volontiers, en 
parlant de Dieu, «pùeriç qu'oùfft'a. C'est parce que, à rencontre des euno- 
miens, ils regardent l'être intime de Dieu comme inaccessible et incom- 
préhensible. Cf. Basil., Adv. Eunomium, 1, 13, 14. 

7. Greg. Niz., Oraiio XLII, iS; XX, 7; G&eg. Nyss., De eommunibua no- 
tiombus (P. G., XLV, 180). 

8. Basil., Homilia XXIV, 4 



80 HISTOIRE DES DOGMES. 

Quant au Saint-Esprit, saint Basile et saint Gré- 
goire de Nysse lui ont consacré chacun un traité 
spécial, saint Grégoire de Nazianze a prononcé sur 
lui son discours xxxi. Par un scrupule tout de po- 
litique, et pour ne pas heurter de front les adversai- 
res qu'il voulait ramener, saint Basile, dans son traité 
De Spiritu Sàncto, tout en prouvant d'un bout à l'au- 
tre la divinité du Saint-Esprit, a évité de le nommer 
Dieu^. Mais ailleurs, il est sorti de cette réserve. 
Bien que le troisième en ordre, le Saint-Esprit, dit- 
il, a la même essence que le Père et le Fils : il doit 
donc être compté avec eux (auvapiOpisîffQat), et non pas 
au-dessous d'eux (uitapiôjiiETffôai) ; il doit être honoré 
avec eux, et non pas comme leur inférieur; il est 
ôfxooufftoç au Père et au Fils; il est Dieu^. Grégoire de 
Nysse répète cette doctrine de son frère ^; Grégoire 
de Nazianze la revêt de toutes les grâces de son élo- 
quence. En arrivant à Constantinople, en 379, il 
avait trouvé, sur la question du Saint-Esprit, tout un 
chaos d'opinions erronées^. Il ne se dissimule pas 
les obstacles à vaincre pour les dissiper, et généra- 
lement les difficultés que trouve l'orateur à parler du 
Saint-Esprit, par suite du silence relatif que l'Écri- 
ture a gardé sur ce sujet. Grégoire explique ce silence 
par un progrès économique de la révélation. L'Ancien 
Testament a fait surtout connaître le Père ; le Nou- 
veau a manifesté le Fils, mais n'a parlé du Saint- 
Esprit qu'obscurément (ÔTréSsi^e). Cet Esprit-Saint qui 
habite en nous se révèle maintenant lui-même d'une 

1. Il en fut bl&nié par les orthodoxes rigides, et saint Grégoire de 
Nazianze dut le justifier (Oral. XLr, 6; XLIII, 68). 

2. Adv. Eunomium, ni, 1; De Spiritu Sancto, 41-47, 88-64, 71-73; 
Epist. VIII, 2, 3, 10, U. 

3. Voii- son traité De Spiritu Sancto adv. pneumatomachos, P. G., XLV, 
4301 suiv. 

4. Oraiio XXXI, S. 



LA DOCTRINE TRINITAIRE GRECQUE AU IV' SIECLE. 81 

façon plus claire. Ainsi la Trinité se dévoile par de- 
grés, et un progrès de lumière se fait dans l'Église ^ 
— « Quoi donc? l'Esprit-Saint est-il Dieu? — Assu- 
rément. — Quoi donc, consubstantiel? — Oui, puis- 
qu'il est Dieu^. » C'est la proposition que le saint 
docteur s'efforce d'établir dans tout son discours, et 
pour la démonstration de laquelle il se plaît à invo- 
quer surtout l'expérience chrétienne de ses auditeurs. 
Le Saint-Esprit nous déifie dans le baptême : il est 
donc adorable ; et, s'il est adorable, comment n'est-il 
pas Dieu'? 

On exposera un peu plus loin la pensée des Cappa- 
dociens sur la question spéciale de la procession du 
Saint-Esprit. De ce qui vient d'être dit il résulte qu'ils 
admettent en Dieu trois personnes, réellement dis- 
tinctes, toutes trois Dieu, consubstantielles entre elles. 
Ils ajoutent qu'il y a entre elles unité de substance, 
d'opération, de volonté, de connaissance, d'action^; 
qu'elles sont également adorables , et que l'une n'est 
pas inférieure aux autres, parce qu'il n'y a pas en Dieu 
de plus et de moins ^ : *£v Ta xpc'a t9î ôeor/jn, xal to Iv Tp(« 

TKÎÇ tStOTyjfftV^. 

Mais ici précisément, on nous arrête. Les Cappado- 
ciens admettent la consubstanlialité du Père, du Fils 
et du Saint-Esprit : cela est vrai, nous dit-on, en ap- 
parence, mais, en réalité, ils ne donnent pas à ôfxoouatoç 
le même sens que Nicée et Athanase. Ces néo-nicéens 
sont des disciples d'Origène, qui ont vécu au milieu 



4. Oratio XXXI, 26, 27. 

2. Oratio XXXI, dO : ti o5v ; 6ebç to îiveûjia; — Ilâvu ye. — x\ o5v, 
ôjiooOffiov ; — EIttep 6e6ç. 

3. Oratio XXXI, 28. 

4. GnEG. Naz., Oratio X, 7; et v. infra. 

5. Basil., Epist. LU, 2; GnEO. Naz., Oratio XXXI, 9, 40, 44, 28; XXIX, 2, 

6. Grec. Naz., Oratio XXXI, 9; cf. Oratio XXVIII, 34; XXXIX, il, 12; 
Basil., Epist. XXXVIII, 4; Grec. Nyss., Oratio cateehetica, 4. 

5. 



82 HISTOIRE DES B06MES. 

des semi-ariens et ont frayé avec eux, qui ont voulu les 
ramener à i'x)rlhodoxie, et qui, pour cela — ils y étaient 
déjà portés par leur formation théologique — ont in- 
fléchi au sens d'ôfioiouorioç rô[jioou<rioç primitif. Ils ont fart 
consacrer sans doute, par le concile de Gonstantinople 
de 381, le mot choisi par le concile de Nicée ; mais sous 
ce mot, «'est au fond la conception de Basile d'Ancyre 
qui a triomphé. Les Cappadociens, et avec eux l'Église 
grecque qui les a suivis, sont des semi-aTiens qui 
parlent nicéen ^ . 

A cette façon de voir opposons d'abord une observa- 
tion générale. Le mystère de la Trinité est le mystère 
d'un Dieu en trois personnes, d'une nature identique 
existant en trois typostases réellement distinctes. La 
difficulté, ou plutôt rimpossibilité pour nous de com- 
prendre cette unité dans cette pluralité , ou cette plu- 
ralité dans cette unité, constitue tout le mystère. Et 
dès lors, il est inévitable, si l'on pose d'abord l'unité de 
la substance, qu'on ait de la peine à expliquer ensuite 
la trinité des personnes et qu'on paraisse la sacrifier, 
et, au contraire, si l'on pose d'abord la trinité des per- 
sonnes, qu'on ait ensuite de la peine à expliquer l'unité 
de substance et qu'on paraisse la sacrifier à son tour. 
Dans le premier cas, on semble pencher vers le sabel- 
lianisme, dans le second cas, vers le trithéisme. Au 
point de vue qui nous occupe, toute la différence, à 
partir du iv^ siècle, entre la théologie occidentale et la 
ihéologie grecque est là. La première insiste sur l'u- 
nité substantielle divine et la pose d'abord. Avant tout, 

i. C'est l'opinion formulée par Hartsack, Lehrb. der DG., Il, 261 
suiv. ; LooFs, Leitfaden, V édit., p. 2S7 suiv. ; Seeberg, Lehrb. der DG., 
I, p. 187, suiv.; GvfATiuN, Studîes of Arianism, 2° édit., p. 247, 270. KUe 
a été réfutée par J. F. Bethune-Baker, The meaning of homoousios in 
the Constantinopolitan Creed {Texls and Studîes), Cambridge, 1901. 
V. aussi G. Basneur, L'homoiousianisme dans ses rapports avec l'or- 
thodoxie, dans la Revue d^histoire ecclésiastique, t. IV, 1903. 



LA DOCTRINE TRINITAîBE GRECQUE AU IV SIÈCLE. 88 

il y a un seul Dieu, une seule substance divine, laquelle 
subsiste en trois personnes. La formule de Nicée, qui 
vient en réalité des Latins, consacre cette façon de con- 
cevoir le dogme. Lathéologie grecque, au contraire,.in- 
fluencée par Origène, se préoccupe*de sauvegarder la 
distinction des personnes et les pose d'abord. Il n'y a 
pas de substance divine concrète, distincte du Père, du 
Fils et du Saint-Esprit, et plus ancienne qu'eux : il y 
a un Père, un Fils et un Saint-Esprit lesquels ont 
même substance. Existe-t-il, entre ces deux conceptions 
dogmatiques, une vraie opposition? — Non : toutes 
deux sont vraies, mais l'une et l'autre ne le sont qu'à 
la condition de n'être pas exclusives, c'est-à-dire, au 
fond, de reconnaître le mystère, et de ne verser ni dans 
le sabellianisme ni dans le tritliéisme. 11 importe donc 
assez peu, en définitive, à l'orthodoxie de nos auteurs, 
qu'ils s'attachent à telle ou telle façon de présenter la 
doctrine trinitaire, pourvu qu'ils maintiennent énergi- 
quement et l'unité numérique de substance en Dieu, 
c'est-à-dire l'unité de Dieu ' , et la distinction réelle des 
trois personnes divines. Seulement, il était naturel que 
les premiers nicéens appuyassent sur la première vé^ 
rite, compromise par Arius et les eusébiens, et les néo- 
nicéens sur la seconde, complément nécessaire de la 
première et réclamée par les semi-ariens. Cela ne 

1. C'est ce que ne faisaient pas les semi-ariens; et s'ils ont pu s'illu- 
sionner sur les conséquences de leur système, il est inutile que nous 
partagions cette illusion : râ(JLotoû(Tco; conduit inévitablement au tri- 
théisme. 'Oixotoc dénote une ressemblance, non une identité numéri- 
que. Si donc le Fils n'est pas, quant à sa substance concrète et à son 
être intime en tant que Dieu, ô[i6; avec le Père, mais seulement 2[jLotoç, 
il est clair que la divinité concrète et l'être intime du Fils ne sont pas 
identiquement la divinité concrète et l'être intime du Père. Le Père et 
le Fils sont numériquement distincts comme dieux, de même qu'ils le 
sont comme hypostases : il y a deux dieux. Qu'on se rappelle le pas- 
sage du document semi-arien reproduit par saint Epiphane, Haer. 
LXxm, n, 18 : OO TayTÔv 8è àXX' ôyioiov Sidu lô TtvsûfAa '6 èortv é 
ulbç oùx ÊffTiv Q KaT:^p. 



84 HISTOIRE DES DOGMES. 

prouve pas que les uns et les autres aient méconnu la 
vérité qu'ils rejetaient au second plan, ni que les Gap- 
padociens aient été trithéistes, pas plus qu'Athanase 
et Eustathe sabelliens. 

Car d'ailleurs les Cappadociens , tout comme les 
premiers nicéens, ont affirmé de toutes leurs forces 
l'unité numérique de Dieu et l'identité de la substance 
divine concrète dans les trois personnes de la Trinité. 
« Ne confesse qu'une seule owata dans les deux (le Père 
et le Fils), afin de ne point tomber dans le poly- 
théisme ^ ». « De même que le Père est substance, le 
Fils substance, substance le Saint-Esprit, et qu'il n'y 
a pas trois substances, de même le Père est Dieu, le 
Fils est Dieu, le Saint-Esprit est Dieu, et il n'y a pas 
trois dieux. Car Dieu est un et le même, puisqu'il n'y 
a qu'une substance et la même, bien que chacune des 
personnes soit dite substance subsistante et Dieu^. » 
Manifestement ici, l'unité numérique de l'eùffta est 
donnée comme la condition du monothéisme, et op- 
posée à la distinction des personnes. 

Pour saint Basile en particulier, il est bien vrai qu'il 
a accepté, dans sa lettre ix, 3, l'Saoïo; xaT' oudiav, à la 
condition qu'on y ajoute (XTrapaXXâxTwç, c'est-à-dire sans 
aucune différence; mais c'est parce qu'il regardait, 
dans ce cas, l'expression totale comme équivalant à 
ô|xoou(iioç, auquel il donne d'ailleurs la préférence^. II 
a dit également que les personnes humaines, parce 
qu'elles ont une oùaia (abstraite) commune, sont ôfjiootJ- 
6101 ■•. Mais il n'entend plus l'ôfAoouffioç de cette unité 

1. Basil., Romilia XXrv, 3. 

2. Greg. Nyss., De communibus notionibus, P. G., XLV, 177. 

3. l/arsuinent que l'on a voulu tirer, contre notre thèse, des let- 
tres CCCLXI-CCCLXIV de saint Basile n'a aucune valeur : ces lettres sont 
apocryphes (Bethune-Baker, Op. cil., p. 38, note 2; G. Voisin, L'apollU 
tiarisme, p. 237, suiv.; Lietzmann, Apollinaris von Laodicea, p. 20, 21). 

4. Epist. XXXVIII, 2. 



LA DOCTRINE TRINITAIRE GRECQUE AU IV SIÈCLE. 85 

abstraite et générique quand il s'agit de Dieu. Il re- 
pousse, au contraire, absolument la conception d'une 
essence supérieure à laquelle participeraient le Père 
et le Fils. Le Père, comme premier principe de la Tri- 
nité, communique au Fils sa propre substance, mais 
pleinement et sans division ^ Dans sa lettre xxxviii, 
à saint Grégoire de Nysse, Basile insiste sur l'unité de 
nature des trois personnes divines. Il règne entre elles 
une communauté parfaite (riva aovsyyî xa\ àSiasTuaaTov 
xoivwvi'av); l'esprit ne saurait concevoir entre elles 
aucun espace ni aucun vide ; leur substance forme un 
tout continu qu'aucune fissure n'interrompt. Qui sai- 
sit, par l'intelligence, le Père saisit aussi le Fils, et, 
avec le Fils, l' Esprit-Saint; et qui comprend l'Esprit- 
Saint comprend aussi ceux dont il est l'Esprit. Ils sont 
comme une chaîne dont les anneaux sont indissolubles, 
comme l'arc-en-ciel dont les couleurs sont tellement 
fondues qu'il est impossible de dire où l'une commence 
et finit. Le Père est semblable au corps dont on ne 
peut isoler la forme, qui est le Fils, que par l'abstrac- 
tion (4, 5, 7). Dans sa lettre clxxxix, 6, le saint doc- 
teur entreprend de prouver, par l'identité de leur 
action, l'unité de nature des trois personnes divines : 
àvocYX."/! tîi tauTOTYiTi T^ç IvspYEtaç To ^voifjilvov 1:9)5 fuffewç 
ffuX^oyîCeffôai. Il le fait au n" 7, et au n" 8 il conclut : « Si 
le mot divinité exprime l'action, comme nous disons 
que l'action du Père, du Fils et du Saint-Esprit est 
une ([lîa), aussi nous disons que leur divinité, est une 
({Aiav (pa|ji£v elvai t^v ÔEoryjTot). Si, comme c'est l'opinion 
du plus grand nombre, le nom de divinité désigne la 
nature, comme il n'y a aucune diversité de nature, nous 
affirmerons avec justice que la sainte Trinité est d'une 
seule divinité (fjt.(«ç ôeoti^to;). » Et dans sa lettre viir, 3 : 

1. Eomilia XXIV, 4. 



86 aiOTOIRE DES BOGMES, 

« Pour nous, selon la parole de Térité, nous ne disons 
le Fris ni semblable ni dissemblable au Père, car l'un 
et l'autre répugnent également. Semblable et dissem- 
blalDle se disent des qualités [accidentelles], et Dieu 
n'en a pas. Mais, confessant l'identité de nature 
(■rauTOTV)Ta t^ç cpuaewç), nous admettons 1'Ô[jloou(twç, et nous 
évitons d'ajouter [par composition] au Père qui est 
Dieu en substance le Fils engendré, Dieu aussi en 
substance : car c'est là ce que signifie l'ôfjLooooio;. » Et 
encore : « Le Père est un Dieu, le Fils est un Dieu, 
mais ils ne sont pas deux dieux, parce que le Fils est 
[comme Dieu] identique au Père (lueiS^ -cautoTirixa l/jn 6 
uioç irpoç Tov Ttatépu)... Nous confessons le Père et le Fils, 
mais leur substance identique (to Sa xr,? oùfftaç TaÙTov)^. » 
Il est difficile d'être plus catégorique que l'est saint 
Basile dans ces derniers textes, sur l'unité numérique 
de la substance du Père et du Fils, unité signifiée par 
rôfjLoouffioç. Cette première constatation forme déjà un 
préjugé en faveur de saint Grégoire de Nysse, toujours 
jaloux de marcher sur les traces de son frère. Son cas 
toutefois se trouve compliqué par un platonisme exa- 
géré qui semble compromettre d'abord l'orthodoxie 
de son enseignement 2. Mais ce n'est qu'une apparence. 
Il remarque que la vertu ou puissance par laquelle les 
trois personnes divines agissent est une et non pas 
triple ([xt'a IffTt xxà oô^l Tpei;), parce qu'elles n'agissent 
pas indépendamment l'une de l'autre, contrairement à 

1- Hmnilia XXIV, 3, 4. 

2. Dans le Quod non sint très dii (col. 117 suiv.), il prétend que, de 
même que nous disons un Dieu et non pas trois dieux, parce que 
l'oûffîa des trois personnes est une, nous devrions dire logiquement 
que Pierre, Paul et Barnabe sont un homme et non pas trois hommes, 
puisque leur ouuia est commune. L'évêque de Nysse ne remarque pas 
que l'oùffta divine ne peut être que concrète, tandis que l'oûcCa 
humaine peut être abstraite ou concrète. Or celle-ci est commune 
entre les hommes en tant qu'abstraite, et le mot homme, terme con- 
cret, la désigne au contraire comme concrète. 



LA. DOCTRINE TRINITAIRE GRECQUE AU IV" SIECLE. 87 

ce qui se passe en trois hommes qui produisent le 
même effets II observe que la caractéristique du 
christianisme est de se tenir à égale distance du ju- 
daïsme et du polythéisme, rejetant de celui-là l'unicité 
de la personne divine, et de celui-ci la pluralité des 
dieux, pour maintenir l'indivision et l'unité numérique 
de la divinité 2. Et enfin, il insiste sur ce que Voài^ia 
divine n'est pas partagée ni distribuée entre les TcpôutoTta, 
de façon à ce qu'il y ait trois oôffiai comme il y a trois 
TTpoffioTta^. Manifestement, saint Grégoire de Nysse ne 
pense pas à l'oùaia abstraite, mais à la substance con- 
crète et vivante des trois personnes. 

Quant à saint Grégoire de Nazianze, nul doute qu'il 
n'ait pris rô(Jioou5ioç au sens strict d'une identité abso- 
lue de substance. Dans son discours xxxi, 15, 16, il 
réfute l'oty'ection qui veut conclure de la trinité des 
personnes au trithéisme, car, disait-on, l'unité divine 
païenne n'excluait pas le polythéisme; l'unité du genre 
humain n'empêche pas qu'il n'jexiste une multitude 
d'hommes divers. Mais ce sont là, répond-il, de& 
unités de convention : l'unité divine des païens n'était 
qu'une unité hiérarchique ; celle du genre humain n'a 
de réalité que dans notre esprit (iTrivota) : il en va au- 
trement de l'unité des personnes en Dieu : « Chacune 
des personnes est aussi une avec celle qui la joint 
qu'elle est une arvec elle-même, à cause de l'identité de 
substance et de pouvoir (xw TauTw x^; oùotaç xa\ t% 5uv«- 
[jiewç), » Le Fils est, vis-à-vis du Père, xauxèv xar' oôcrîav ^. 
Le Père, le Fils et le Saint-Esprit sont distincts par le 
nombre, mais non par la divinité (àpi6(Aw Siaipexaïç, xaV 
où SiaipExaîç ÔEOTïjxi)^. 11 y a diversité quant au nombre,. 

1. Quod non sint très dii, c6l. 12b-129. 

2. Oratio eatechetica, 1, 3 ; Quod non sint i?'es dii, col. 132, 133. 

3. De communibus notionibus, P. G., XLV, 177. 

4. Oralio XXX, 20. 
&. Oralio XXXni, 16. 



S8 HISTOIRE DES DOGMES 

mais non partage de substance ' . Et enfin la formule 
déjà citée : *Ev ta Tpia -crj OeoxKixi, xal to Iv xpia Taïç ISiott)- 

On exagère donc singulièrement quelques difficultés 
de détail, pour ne rien dire de plus, quand oii présente 
les Cappadociens comme professant, au fond, le semi- 
arianisme. Non, les Cappadociens sont bien des ni- 
céens authentiques, continuateurs d'Athanase. La foi 
qu'ils ont fait triompher à Constantinople est bien 
celle qui avait été définie en 325. Cette foi est devenue 
«elle de l'Église grecque. En Dieu trois hypostases, 
une seule substance, un seul Dieu : les trois hyposta- 
ses incluses, en quelque sorte, l'une dans l'autre (cir- 
cumincession), et n'ayant qu'une même action, comme 
une même connaissance et une même volonté ; égales 
d'ailleurs et également adorables : le Père inengendré, 
source de la Trinité, le Fils éternellement engendré, 
le Saint-Esprit éternellement procédant du Père par 
le Fils : les trois personnes consubstantielles : telles 
sont les grandes lignes de la doctrine à laquelle les 
siècles suivants n'ajouteront que des compléments 
d'importancesecondaire.Onentrouvedéjàquelques-uns 
dans saint Grégoire de Nazianze. Son discours xxiii, 
6, 8, il, présente sur la fécondité intime de Dieu com- 
parée à son action ad extra, sur les rapports qui exis- 
tent entre les personnes divines et les 'facultés humai- 
nes (voïïç, Xo'yoç, TcvEUfxa), des considérations que le saint 
docteur ne produit qu'avec défiance, sachant combien 
ces rapprochements sont inadéquats et propres à nous 
induire en erreur^, mais que la théologie postérieure 
reprendra et développera abondamment. 

Dans ce raccourci de la doctrine trinitaire des Cap- 

1. Oralio XXIX, 2. 

2. Oratio XXXI, 9. 

3. Oratio XXXI, 31-33. 



LA DOCTRINE TRINITAIRE GRECQUE AU IV' SIECLE. 89 

padociens qui vient d'être donné, il est un point toute- 
fois dont j'ai jusqu'ici différé l'examen, et dont il est 
nécessaire maintenant de traiter à part, puisqu'il devait 
continuer d'exercer la sagacité des théologiens et sou- 
lever des controverses ardentes : il s'agit de la proces- 
sion du Saint-Esprit. 



§ 3. — La question spéciale de la procession 
du Saint-Esprits 

Que xC Saint-Esprit procède du Père, c'est une vé- 
rité que l'Eglise grecque avait toujours admise, et 
qu'elle reconnaissait clairement au iv* siècle. Le Père 
est la source de la Trinité, et par conséquent le prin- 
cipe des autres personnes. Mais on pouvait se deman- 
der — et on l'avait déjà fait — si un rôle et quel rôle 
revient au Fils dans cette production. Et ce rôle pou- 
vait d'ailleurs être conçu de diverses façons, ou comme 
celui d'un simple intermédiaire par lequel la substance 
du Père, communiquée au Fils, se communique au 
Saint-Esprit — à peu .près comme un canal, recevant 
l'eau de la source, la transmet au réservoir où elle se 
déverse ; — ou bien comme' celui d'un principe dyna- 
mique, participant à la fécondité active du Père, et 
produisant, avec lui et sous lui, l'Esprit-Saint. 

On a vu plus haut que saint Athanase admet visible- 
ment la conception générale qui fait venir immédiate- 
ment du Fils l'être du Saint-Esprit. L'idée de saint 
Cyrille de Jérusalem n'est pas différente : « Le Père 
donne au Fils, et le Fils communique au Saint-Esprit : 
Ilax^p {jièv Siotdoiv uiÇ xal vîo; {ji.sxa8(Soûffiv aYÎw TcveujJLati^. » 

i. Y. Th. Schermann, Die Gotlheît des heiligen Geisles nach den grie- 
chischen Vâtern des IV Jahrhunderten, Freiburg im Br., 1901. 
2. Catéchèse XYI, 2i. 



90 HISTOIRE DES DOGMES. 

Saint Basile précise un peu ces raes sans leur impri- 
mer cependant rien de définitif. Le Saint-^Esprit vient 
du Père; il est comme le souffle de sa bouche *; mais 
aussi « la bonté native, et la sainteté naturelle, et la 
dignité royale émanent du Père par le Monogène sur 
l'Esprit (ejc iraTpoç Sià toù (xovoyevoûç) ^ ». Ce -Fils rattache 
seul l'Esprit au Père^. La relation qu'a le Fils avec 
le Père, le Saint-Esprit l'a avec le Fils : 'Si? toivovexe' 
6 utoç irpoç Tov Trarépa , oStw Trpoç tov uîov xo irv£ÏÏ[/.a''. Il est 
l'Esprit du Fils, son Esprit propre (tâiov), en qui le 
Fils opère toUt^. 

Saint Grégoire de Nazianze ne dit presque rien de 
la question. Orateur qui expose le dogme, il s'en tient 
aux points définis. Le Saint-Esprit procède du Père 
(IxTcopsusTai). Parce qu'il procède de lui, il n'est pas 
le Père; et parce qu'il procède, il n'est pas né, il 
n'est pas le Fils. En quoi consiste précisément cette 
procession, nous l'ignorons. Que les adversaires di- 
sent d'abord ce qu'est r.aYsvvT.o-ta du Père, et on leur 
dira ce que sont la Y£vvYi<itç du Fils et rixTropeuanç du 
Saint-Esprit^. — Quant aux rapports d'origine du 
Fils et du Saint-Esprit, le saint docteur n'en parle 
presque pas. 

Il en va autrement de saint Grégoire de Nysse. A la 
fin de son petit traité Quod non sînt très dWy il re- 
marque que ce qui fait la distinction des personnes 
dans la Trinité, c'est leur origine, l'une étant cause 
(to aiTiov), les deux autres causées (rb «itiztov). Toute- 
fois, celles qui sont causées ne le sont pas delà même 

1. De Spîrilu Sancto, 46, 38 ; cf. Epist. XXXVm, 4, 

2. -De Spiritu Sancto, 47. 

3. Id., 45. 

4. Id., 43. 

5. Epist.X^xym, 4. 

6. Oratio XXXI, 7, 8. 

7. P. G., XLV, col. 133. 



LA DOCTRINE TRJNITAIRE GRECQUE AU IV SIÈCLE. 9.1 

façon, car l'une l'est immédiatement {Trpo(r£j(,w;) par le 
Père, tandis que l'autre est causée par l'intermédiaire 
de celle qui l'est immédiatement (Sià toîJ Trpoffej^Sç Ix toïï 
TcpwTou) ; et « ainsi il n'est pas douteux que le Fils reste 
Fils unique, et il n'est pas douteux non plus que l'Es- 
prit vienne du Père, le Fils intermédiaire gardant sa 
qualité de Fils unique, et n'empêchant pas l'Esprit 
d'avoir avec le Père sa relation naturelle ». C'est exac- 
tement l'idée que l'auteur a reproduite dans son traité 
De Spiritu Sancto, 3. Il y compare le Père, le Fils et 
le Saint-Esprit à trois flambeaux, dont le premier 
communique sa lumière au second, et par lui allume le 
troisième ^ . Dans ces passages, saint Grégoire suppose 
manifestement que le Fils est, dans la production du 
Saint-Esprit, comme un instrument du Père, un ins- 
trument qui agit sans doute en la vertu que le Père lui 
a communiquée, mais qui agit cependant réellement; 
et c'est pourquoi il observe avec insistance que cette 
causalité communiquée ne nuit pas à la causalité du 
Père, et ne l'empêcbe pas d'être le principe premier du 
Saint-Esprit. 

Cette doctrine de saint Grégoire de Nysse restera 
en définitive celle de l'Eglise grecque, bien que certains 
auteurs lui doivent donner pîas de corps et de relief. 
Dans son traité De Trinitate, Didyme l'aveugle reste 
sur l'affirmation que le Saint-Esprit « procède <3u Père 
et reste dans le Fils divinement» (i, 31, col. 425). 11 
ajoute cependant que le Saint-Esprit est l'image du 
FUs, comme celui-ci l'est du Père (ii, 5, col. 504); 
qu'il est l'Esprit du Fils, du Verbe, du Sauveur {i, 18, 
col. .S48; H, 6, col. 556; m, 1, col. 780). Mais dans le 
traité i)e Spiritu Sancto — dont nous n'avons, il faut 

!• Alrc'av Se toû TptTou çwtoç (i7to8w[i.£Ta eîvai xrfj •jtpwtrjv çXdY*) Èx 
îiaSooewç 8tà toû fiéaou tô ètxpov èÇâçasav. P. G., XLY, 1308 



•98 HISTOIRE DES DOGMES. 

le remarquer, qu'une traduction latine faite par saint 
Jérôme, — Tauteur énonce manifestement la doctrine 
de la procession ex Filio : ' . 

« Non loquetur (Spiritus Sanctus) a semetipso : hoc est non 
sine me, et sine meo et Patris arbitrio, quia inseparabUis a mea 
et Patris est voluntate, quia non ex se est sed ex Pâtre et me 
est, hoc enim ipsum quod subsistit et loquitur a Pâtre et meilli 
est » (34). « Spiritus quoque Sanctus qui est Spiritus veritatis, 
Spiritusque sapientiae, non potest, Filio loquente, audire quae 
nescit, cum hoc ipsum sit quod profertur a Filio, id est proce- 
dens a veritate, consolator manans de consolatore, Deus de Deo, 
Spiritus veritatis procedens » (36). « Neque enim quid aliud est 
Filius exceptis his quae ei dantur a Pâtre, neque alia substantia 
•est Spiritus Sancti praeterid quod daturei a Filio » (37; cf. 38). 

Est-ce aux Latins que saint Épiphane a emprunté sa 
doctrine sur la procession du Saint-Esprit? Il est 
possible, car il s'est trouvé fréquemment en relation 
avec eux. Toujours est-il qu'il enseigne sans aucun 
doute que le Saint-Esprit est produit par le Père et le 
Fils; et, bien qu'il ait évité, en parlant des relations 
du Fils et du Saint-Esprit, le mot IxiropeuETai — que 
l'Ecriture n'emploie pas — il tient clairement pour la 
doctrine que ce mot exprime. Les textes abondent. 
Dans VAncoratus, « le Saint-Esprit n'est pas fils, mais 
de la substance même du Père et du Fils » (Ix x^ç «ôtîî; 
-oôffiaç TuaTpbç xai utou, 7). Il est représenté Iv luac^ Traxpoç 
xai uîoî;, Ix Toîi uarpoç xai toû utou (8). Il est Dieu Ix Traxpoç 
aol uîoû (9). « Le Christ est cru être du Père, Dieu de 
Dieu : le Saint-Esprit est du Christ, ou des deux, 
«omme dit le Christ : // procède du Père et il recevra 
de moi » (67, 70, 73). Le Père est le foyer (owç SXoç), 
le Fils tpîôç SX çwToç ; le Saint-Esprit cpwç xpiTov xapà Trarpoç 
xai uîoû (71)^. Comme il y a des fils d'adoption, il y a 

l. Et cf. Raer. LXXIV, 8. 



LA DOCTRINE TRINETAIRÉ GRECQUE AU IV SIECLE. 93 

aussi des esprits adoptifs et de vocation; « mais 
seul, l'Esprit- Saint est appelé, [comme venant] du 
Père et du Fils {àm> itarpoç xal uîoîi), Esprit de vérité, 
et Esprit de Dieu, et Esprit du Christ, et Esprit de 
grâce » (72). Même langage dans l'ouvrage sur les 
hérésies. Là aussi on lit : ex Tcarpoç Bè IxTropeuojjiEvov 
x«i Tou uîou XafJiêavov, oux «XXotptov iraTpoç xal oîou, «XXà 
ex TT); «uT^ç oôffiaç, Ix tÎ]? aùt^ç ôeoTiqToç, ex itaipoç xal oîoû 
IvuTtôoTatov àei nveufta Sl^iov... icveufxa XpiffTOÏÏ, 7uveu|Jia TcaTpoç 

(lxii, 4). Et encore. Dieu est toute vie, le Fils est K^A èx 
Çtoîiç; mais Dieu est esprit aussi, et le Saint-Esprit 
est icveupia Ttap' àfjicpoTéptov, ■rcveïïjjia Ix TtveufjiaToç (lxxiv, 7). 
Dans ces textes, qu'on veuille bien le remarquer, la 
particule Sidc disparaît, et le Saint-Esprit est dit venir 
du Père et du Fils. L'auteur maintient seulement la 
distinction du rôle des deux spirateurs par rapport à 
la production du Saint-Esprit par l'emploi des deux 
expressions Ixitopsuerat et Xapiêavei. 

On ne se trompera donc pas en affirmant que, daris 
le dernier quart du iv® siècle, la théologie grecque est 
franchement orientée vers la doctrine du Filioque, et 
que quelques-uns de ses représentants l'admettent 
expressément. Nous voyons en même temps cette doc- 
trine se produire dans saint Grégoire de Nysse sous 
une forme qui met plus en relief la fécondité principale 
du Père, et, dans saint Epiphane, sous une autre 
forme qui se rapproche davantage de la conception 
latine. Ces deux formes ne s'excluent pas; mais on 
constatera plus 'loin que l'Eglise grecque s'est ralliée 
de préférence à la forme cappadocienne : celle-ci se 
trouvait plus en harmonie avec sa conception générale 
de la Trinité. 



CHAPITRE IV 



l heresie christologiqxjb au iv® siecle, 
l'apollinarisme. 



§ 1. — La doctrine d'Apollinaire et de ses disciples^, 

La controverse trinitaire entrait à peine dans sa 
dernière période, lorsque Apollinaire vint orienter la 
pensée chrétienne vers un nouveau problème qui de- 
vait l'occuper plusieurs siècles, le problème christo- 
log-ique. 

Évêque de Laodicée de Syrie dès 362 ou même 360, 
Apollinaire le jeune a soutenu, avec Athanase et les 
Cappadociens, le bon combat contre l'arianisme, et il 
a passé, de son temps, pour un des meilleurs et des 
plus pénétrants théologiens qu'ait eus TÉglise. Il mé- 
rite cette réputation au moins par la vigueur et la 
netteté avec lesquelles il pose les questions,, et les 

i. Sources : Les écrits dogmatiques d'Apollinaire et de ses disciples, 
cités d'après l'édition de H. Lietzmann, Apollinaris von Laodicea-, und 
seine Schuîe, I, Tûbingen, 1904. L'anonyme Contra ApolUnarium (373- 
377), P. G., XXVI, 1903 BUiv. Saint Epiphane, Haer. LXXVIL Saint Gré- 
goire DE Hysse, Aniirrheticus adversus ApolUnarium (P. 6.,.XLV) ; Ad. 
Theophilum xarà 'AiroXXivapJou (iôid!.). Saint Basile,. Epist. CXXIX,, 
CCLXIII. Saint Grégoire de Nazianze, Epist. CI, CII, CCIL TiiÉODORET, 
Eranistes, Dial. V; Haeretic. fabul. compendium,iy, 8. Saint Vincent 
DE LÉiiiNs, Commonitorium, 12. Les histoires de Socrate et de Sozomène, 
et les actes des conciles depuis 362. — Travaux : J. Dkaeseke, Apollîna- 
rios von Laodicea, Leipzig, 1892. G. Voisin, L'Apollinarisme, Louvain, 
1901. H. Lietzmann, op. cit 



L'APOLLINARISME. 95 

résout biea ou mal. Sauf les nombreux fragments re- 
produits dans les chaînes ou. les écrits de ses adver- 
saires,, on avait cru longtemps perdus ses ouvrages 
dogmatiques. On en a retrouvé récemment plusieurs 
dissimulés de bonne heure par ses disciples sous les 
noms vénérés d'Athanase, du pape Jules, de Grégoire 
le Thaumaturge, afin de les soustraire à la destruction. 
Ces ouvrages sont naturellement la première source, à 
consulter pour connaître ses vrais sentiments. Mais en 
dehors de ces documents, les œuvres de ses contem- 
porains, les Cappadociens, saint Epiphane, l'auteur du 
Contra Apoilinarium attribué à saint Athanase, celles 
de Théodoret, de Soerate, de Sozomène, les actes des 
conciles du iv^ et du v^ siècle fournissent encore sur 
lui des renseignements d'incontestable valeur. Et c'est 
ainsi que nous pouvons nous représenter assez bien les 
vues christologiques d'Apollinaire dans la deuxième 
moitié du iv® siècle. 

Comment a-t-il été amené à les formuler? Il semble 
que ce soit paropposition à cellesde Diodore de Tarse, 
le chef alors de l'école d'Antioche ^ , et le précurseur, 
comme oa sait, de Nestorius. Le père d'Apollinaire, 
celui qu'on nommait Apollinaire l'ancien, venait d'A- 
lexandrie, et l'on s'explique dès lors dans ces questions 
l'attitude dé son fils, bien que celui-ci fût évêque de 
Laodicée et voisin d'Antioche. Apollinaire est avant 
tout soucieux, et cela dans un intérêt sotériologique, 
d'établir et de maintenir la parfaite unité de Jésus- 
Christ. Un Dieu seul pouvait nous sauver ; l'homme y 
était impuissant tant à cause de l'infériorité de sa na- 
ture qu'à cause du caractère faillible de sa volonté 2. Il 

1. Il reste d'Apollinaire des fragments de deux ouvrages contre Dio- 
dore (LiETZMANN, pp. 235-242; cf. p. 142 et suiv.). 

2 Fragm. 93 : Où Sûvatat awÇetv xbv xôff[;.ov ô âvôpwTroç (lévwv xai 
TV'^ow^ TÛv àv6pci&na>v çOopfi (i7iox£t[Jievoi;. 



96 HISTOIRE DES DOGMES. 

fallait donc qu'un Dieu naquît, souffrît, mourût pour 
nous ; mais cela ne pouvait être qu'à la condition que 
la divinité et l'humanité en Jésus-Christ Défissent qu'un, 
ne formassent qu'une seule nature, opérant à la fois et 
les œuvres humaines et les œuvres divines. 

Tels sont les principes. Venons maintenant à l'ap- 
plication. Cette unité, requise en Jésus-Christ, se peut- 
elle concevoir si l'on suppose que le Verbe prend, dans 
l'incarnation, une humanité complète, s'associe un 
homme, comme disait Diodore? Non : deux êtres com- 
plets en soi ne sauraient devenir un : Hùo TÉXeia Iv ysvé- 
ffOai où Suvatai ^ . Si Dieu parfait s'associe un homme par- 
fait (téXeio; TsXeiw), il y a deux Fils de Dieu, l'un par 
nature (cpu^ei), l'autre adoptif (ôetoç) ^ : il y a deux TrposwTca, 
Dieu et l'homme qu'il a pris ^; on tombe dans l'erreur 
des paulianistes qui distinguent ce Dieu et cet homme 
comme aXXoç et aXXoç-', qui ne voient en Jésus-Christ 
qu'un homme Ivôeo; ^. Nous n'avons plus incarnation 
proprement dite, mais seulement juxtaposition de Dieu 
et d'un homme ^, d'une personne qui est adorable et 
d'une autre qui ne l'est pas '^. 

L'humanité prise par le Verbe n'était donc pas et ne 
pouvait pas être complète. Quel élément faut-il en re- 
trancher? Évidemment celui qui compromettait l'unité 
du tout et l'œuvre même de la rédemption, l'âme intel- 
ligente et libre. Car, s'il existe dans le même être deux 
principes intelligents et libres, il est fatal que ces deux 
principes entrent en conflit et suivent chacun leur di- 
rection propre^. Bien plus, là où il y a raisonnement 

1. Contra Apollinarium, I, 2. 

2. Fragm. 81. 

3. Fragm. 67. 

4. Epist. ad Dionysium, i, Lietzm., p. 237. 

5. Fragm. 14. 

6. Fragm. 92. 

7. Fragm. 9. 

8. Fragm. 2 : 'ASuvaxovyàp 5ùo vospà xat Oe^yitixà Iv t^ Si^a xaTOi- 



L'APOLLINARISME. 97 

humain il y a nécessairement péché : àSuvaxov SI lortv Iv 
ÀoYtffjAOïç àvÔpwTTivoiç &\jL«pTlav yi.il eîvat^. La chair avait 
besoin d'être unie à un esprit immuable (arpeuTo;) que 
le défaut de prescience ne lui assujétît pas , mais qui 
pût, sans violence, harmoniser la chair avec lui-même 2. 
Et, d'autre part, on ne saurait admettre que l'huma- 
nité de Jésus-Christ, libre d'abord, ait perdu sa liberté 
par son union avec le Verbe, car le créateur ne détruit 
pas la nature qui est son œuvre '. 

La conclusion s'impose donc : le Verbe n'a pas pris 
une nature humaine complète : il n'en a pas pris l'âme 
intelligente et libre. Il paraît bien même qu'Apollinaire, 
dichotomiste, niât d'abord l'existence en Jésus- Christ 
de toute âme même animale. Socrate * dit positivement 
que ce fut sa doctrine première. Mais plus tard, en 
tout cas avant 374, l'évêque de Laodicée modifia ce point 
de son enseignement, et, devenu trichotomiste ^, dé- 
clara que l'humanité de Jésus-Christ se composait d'un 
corps {ffâ)(xa) et d'une âme animale ('l'wx^), le Verbe lui- 
même étant son voîJi; et son 7tveî5[*a : « Le Christ, écrit-il, 
ayant Dieu pountveufxa, c'est-à-dire pour voïïç, avec une 
^\>y;fi et un corps, est à bon droit appelé homme du 
ciel ^. » Le Verbe ne s'est donc pas uni une âme hu- 
maine : il s'est uni seulement la semence d'Abraham ; et 
de ce rejeton d'Abraham il est lui-même l'esprit'^. 

La première conséquence de cette façon de voir est 
que l'incarnation n'est pas une IvavôpwTrViciç mais une 



«eïv, tva {lïi To ETEpov xa-rà toû ixépoM àvutrrpaTeuîixai, 8tà trfi ol- 
xstaç ôeXT^ffewç xat èvepyetaç. Et v. fragm. ISO. 

1. Contra ApolUnarium, H, 6, 8 ; I, 2. 

2. Fragm. 76. 

3. Fragm. 87. 

4. Hist. eceî., II, 46; RuFiN, Hist. eccl., II, SO. 
8. Fragm. 88; cf. fragm. 23 et 89. 

6. Fragm. 25. 

7. Fragm. 2; Tbéodoret, Eaeret. fabul. comp., IV, 8. 

6 



98 HISTOIRE DES DOGMES. 

càpxwciç : Jésus-Christ est 6eo; oapxwôeiç ^ ; son humanité 
n'est pas consubstantielle; à la nôtre ^ ; il n'y a pas entre 
elles deux ô(Aoou(Tia, il y a seulement ôjiioitofAa ^. Apollinaire 
sans doute, et plus tard ses disciples prétendirent bien 
maintenir le mot dlôjjLooufft*'* ; mais ils l'appliquaient uni- 
quement à la partie corporelle et animale de notre 
humanité et de celle du Sauveur. 

La seconde conséquence est que nous sommes sauvés 
par la chair de Jésus-Christ unie au Yerbe, mais d'ail- 
leurs sans mérite de sa part, puisqu'elle n'est ni libre 
ni capable de vertu''. Apollinaire admet, au fond, le 
principe qu'on lui objectera souvent, à savoir que cela 
seul est racheté qui a été pris par le Yerbe. Aussi ex- 
plique-t-il par la mort de Jésus- Christ le salut de notre 
chair; mais, peur l'âme, il déclare qu'elle se sauvera 
en imitant les exemples de Jésus-Christ et en devenant 
semblable àlui^. C'était une mauvaise défaite. 

Une troisième conséquence du système apoUinariste, 
et la principale puisque tout le système avait été édi- 
fié pour elle, c'est l'unité de nature en Jésus-Christ. Si 
le Verbe est uni à la chair comme l'âme l'est au corps, 
il n'y a donc en Jésus- Christ ni deux personnes ni 
même deux natures (ou Suo TrpouwTca, ouSà Suo cpucetç) '^, mais 
une seule nature ((Jiia çuo-tç) et une seule substance 
{(jita oôffi'a) 8. La chair n'est pas quelque chose d'adven- 
tice et de surajouté (iTrixTrixoç) à la divinité : elle lui est 
ffuvoucriwfxévTi xaV (rufx^uToç^. Ici toutefois, il: faut regarder 

1. 'H xaTà [lépo; TtîffTt;, 30, Lietzm., p. 178 et passiîn. On trouve ce- 
pendant, bien que rarement; ôeô; èvavflpMn^caç. 

2. Cf. Greg. Nyss., Aniirrheiicus, 33. 

3. Fragm. 69. 

4. De unione, 8, Lietzm., p. 188. 

5. Fragm. 76. 

6. Fragm. 74. 

7. 'H xarà f^ipoç 7rC<T«;, 31, Lietzm., p. 179.. 

8. Fragm. 117, 119. 

9. Fragm. 36. 



L'APOLL-INARISME, 5J9 

les choses de plus près. La pensée d'Apollinaire n'est 
pas qu'il y a eu transformation de l'une des deux na- 
tures en l'autre ni que les deux se sont fusionnées en 
une nature nouvelle : il écrit au contraire : çoorei ptâv ôsov 
x«\ «puffsi «vGpwTTOv Tàv xupiov Xiyojjisv"' ; mais, d'après lui, le 
Verbe, nature complète en soi avant l'incarnation, s'unit 
par l'incarnation un corps qui « ne constitue point une 
nature par lui-même; car il ne vit point par lui-même, 
et l'on ne peut le séparer du Verbe qui le vivifie ^ ». La 
nature divine ofaapxoç du Verbe devient ffeffapxwpvv) : elle 
était simple d'abord, elle devient ffuvOeTo;, cruYxpaTo; : il 
n'y a pas nature nouvelle autre^ mais nature ancienne 
existant autrement par l'adjonction d'un élément nou- 
veau. De là les formules dont la première deviendra 
plus tard si célèbre : Mt'a cpoo-iç tou ôeoîî Xoyou o-ecrapxwfxévï] ' 
— 'O aÔToç (XptffTOç) Iv {jiovoTïjTt ffoyxpaTou «pocetoç &£Ïx^<; cs- 
ffapxwjAlvviç''. Apollinaire recourt fréquemment, pour 
faire comprendre sa pensée, à l'union de l'âme et du 
corps. Cette comparaison aide en effet à concevoir com- 
ment la divinité et le corps ne forment qu'une même 
nature, bien qu'ils restent distincts ; mais elle ne serait 
adéquate que si l'on supposait l'âme préexistante, na- 
ture complète en soi, et n'ayant nul besoin pour sub- 
sister du corps auquel elle est unie. 

De l'unité de nature Apollinaire concluait légitime- 
ment à l'unité du terme de nos adorations en Jésus- 
Christ, et à l'unité de cette adoration : {xt'av «pufftv roZ 
Osoîî Xoyou <reffapxto[ji,Évï]v xa\ Trpo(TXUVoufJiivï]v [xerà tt)!; capxoç 
«uTou {jLi5 •jrpoffxuv7i<jet '^ ; il concluait légitimement à la 
communication des idiomes ®; mais il concluait surtout 

1. Fragm. 149. 

2. Epist. ad Dionysium, 8, Lietzm., p. 259. 

3. Ad lovianum, 1, Lietzm., p. 231. 

4. Fragm. 9, p. 206. 

5. Ad lovianum, i, Lietzm., p. 231 ; Fragm. 119, p. 236. 

6. L'Epist. ad lovianum et le traité De unione s'occupent surtout de 



100 HISTOIRE DES DOGMES. 

à l'unité en Jésus-Christ de volonté et d'opération : le 
monothélisme sortait déjà du monophysisme. On a. vu 
plus haut qu'il ne regardait pas comme possible. la 
coexistence en un même être de deux principes d'acti- 
vité libre. Aussi « nous confessons, dit-il, le Christ 
un, et, en vertu de cette unité, nous adorons en lui 
une seule nature, une seule volonté, une seule opéra- 
tion » (fi{av ai Ivo; «utoïï ttjv te 'çuatv, xa\ tïIv OeXvjdiv, xal 
x^jv Ivlpystav itpoffxuvoïïfxev) * . Cette activité et cette volonté 
résident dans le Verbe ; il est le moteur (to xivouv) ; la 
«hair est l'organe et le mobile (opYavov), et ainsi du mo- 
teur et du mobile résulte un seul être opérateur ; Outw 
Y^tp ev ÇSov Ix xivoufJiÉvou xal xiVïiTtxoïï cuvierTato, xal ow Suo 
}i ex Sôo TeXet'ojv xal «uToxtvîÎTwv^. Cette théorie aristotéli- 
cienne du moteur et du mobile appliquée au Verbe 
incarné resta célèbre chez les disciples d'Apollinaire. 
L'un d'eux, Julien, écrivant à Polémon, lui rappelait 
avec orgueil que leur maître avait été le premier et le 
seul à expliquer par ce moyen le mystère jusqu'ici 
caché à tous^. 

Telles sont les erreurs fondamentales d'Apollinaire : 
l'unité de nature et partant d'activité, l'absence en Jé- 
sus-Christ d'une âme intelligente et libre. Ces erreurs 
ont entraîné des erreurs secondaires, mais elles ont 
aussi donné aux adversaires du laodicéen l'occasion 
de lui en imputer certaines autres qu'il ne paraît pas 
avoir soutenues et dont il faut dire un mot. Ces mé- 
prises s'expliquent par les audaces et les ambiguïtés 
de langage de l'hérésiarque, et par ce fait que, de son 
vivant même, sa doctrine ne fut pas interprétée d'une 



cette question. Pouf l'emploi de Oeotôxoi; en particulier \.Ad lovianum, 
i (p. 251) ; De ftde et incamatione, 3, 6 (pp. 198, 198). 

1. Fragm. 131, p. 248. 

2. Fragm. 107, 117 (pp. 232, 23S). 

3. LiETZM., p. 277. 



L'APOLLINARISME. 101 

façon uniforme par tous ses disciples. On voit, par la 
lettre de saint Athanase à npictète (2) * , quelles con- 
fusions se produisaient à cet égard ; et saint Épiphane 
[Haer. lxxvii, 2, cf. 33) , qui écrivait vers 377 , a 
bien soin de nous prévenir qu'il n'accepte pas comme 
d'Apollinaire toutes les opinions qu'on lui prête. 

Ainsi, il n'est pas vrai que l'évêque de Laodicée ait 
enseigné la préexistence de la chair de Jésus-Christ, 
qu'il lui ait assigné une origine céleste, qu'il ait consi- 
déré la Vierge seulement comme un canal par où cette 
chair a passé, qu'il ait regardé l'état de l'incarnation 
comme éternel et la naissance du Sauveur comme une 
simple manifestation d'un mystère permanent. Les 
textes sur lesquels se fonde saint Grégoire de Nysse^ 
pour formuler ces accusations, et notamment le frag- 
ment 32, n'ont pas le sens qu'il leur donne et se doi- 
vent entendre dans la rigueur du système apollina- 
riste. Apollinaire, en particulier, affirme expressément 
que le Fils de Dieu est Ix yu^aixoç xa-coc capxa^. 

Il en est de même de l'accusation de théopaschisme, 
portée contre notre auteur également par saint Gré- 
goire de Nysse'*. Apollinaire attribuait sans doute au 
Christ Dieu la mort de son humanité : Aùtoç ô ôeoç aTrÉ- 
0ave, disait-il, car la mort d'un homme ne peut détruire 
la mort^. Mais, en ce faisant, il poussait seulement à 
l'extrême la théorie de la communication des idiomes, 
et restait dans la logique de son système. La nature 
unique du Verbe incarné était impassible en elle-même. 



1. p. G., XXYI, 1049 suiv. La lettre est de 371 environ. On y revien- 
dra plus loin. 

2. Anlirrheticus, 12, 13, 13, 18, 24-26. Cf. Gueg. Naz., Epist. CGII, et 
SozoMÈNE, Hist eccl., YI, 27. 

3. Ad Dionysium, 7, Lietzm., p. 259. 

4. Anlirrheticus, S, cf. 51; Giie'':. Naz., Epist. CCH; Sozomène, Hist. 
eecl., VI, 27. 

5. Fragm. 9S, p. 229. 

6, 



102 HISTOIRE DES DOGMES. 

mais passible comme C76<rapxw(ji.lvri. Les orthodoxes ne 
parlent pas autrement de l'unique personne du Verbe 
qu'ils admettent dans le Christ. 

Et il en faut dire autant de l'accusation de subordi- 
natianisme^ Apollinaire, nous le savons, était un ni- 
céen ardent; mais l'union exagérée qu'il croyait exis- 
ter entre le Verbe et la chair, si elle exaltait celle-ci, 
semblait au contraire rabaisser celui-là. Elle inspirait 
à l'évêque de Laodicée des phrases comme la suivante : 
« Le Christ est médiateur entre Dieu et l'homme : il 
n'est donc ni tout homme ni tout Dieu, mais un mé- 
lange de Dieu et de l'homme ^ » ; elle l'amenait à at- 
tribuer au Verbe les passions et les infirmités de la 
chair; et c'en était assez pour que des adversaires 
prévenus pussent le croire entaché de semi-aria- 
nisme. 

Quant au reproche qu'on lui a fait d'être milléna- 
riste, et d'un millénarisme légaliste et grossier, saint 
Épiphane, qui ménage beaucoup la personne d'Apol- 
linaire, refuse, à la vérité, de le croire établi^, mais 
saint Basile et saint Grégoire de Nazianze le formulent 
expressément, et il cadre assez bien avec le caractère 
littéral de l'exégèse d'Apollinaire'', pour qu'on le juge 
légitime. 

L'exposé qui précède peut donner quelque idée de la 
doctrine de l'évêque de Laodicée. Nous verrons bien- 
tôt comment l'Eglise officielle l'accueillit. Ce que nous 
devons dire, en attendant, c'est que, grâce à sa répu- 
tation de science, le maître groupa rapidement autour 
de lui des disciples nombreux. Saint Basile témoigne 



i. Greg. Naz., Epist. CI, 16; Greg. Nyss., Anlirrheticus, 26; Théodoret, 
Haeret fabul., IV, 8. 

2. Fragm. 413, p. 234. 

3. Haer. LXXVII, 37. 

4. Basil., Epist. CCLXIII, 4; CCLXy, 2; Grec. Naz., Epist. Cil, 4. 



L'APOLLINARISMË. 103 

que peu de lecteurs de ses écrits résistèrent à son in- 
fluence, et saint Épiphane assure que ses sectateurs 
troublèrent grandement l'Orient de leurs opinions er- 
ronées ^ . 

Tous ces disciples ne comprirent pas cependant de 
la même façon l'enseignement du maître. 

Le premier document en date que nous ayons sur 
l'apoUinarisme, le Tomus ad Antiochenos (362), men- 
tionne simplement, au n"> 7, la doctrine d'Apollinaire 
sur l'absence d'âme en Jésus-Christ; mais, dans l'ap- 
probation qu'il a donnée à ce document, Paulin d'An- 
tioche, au n"* 11, parle de gens impies qui soutiennent 
que le Verbe a subi, dans l'incarnation, un changement, 
une [jLeTa6o>.vi. Plus explicite est la lettre d'Athanase à 
Épictète, écrite vers l'an 371. Des commentaires 
(ôjrouLVTifjiaTa), c'est-à-dire des écrits évidemment apol- 
linaristes, au moins pour la plupart, ont été répandus 
parmi les fidèles de Gorinthe et y ont suscité des trou- 
bles. L'évêque Épictète en envoie la collection à saint 
Athanase, afin qu'il lui en dise son avis. Celui-ci les 
rejette avec horreur, et, dans sa réponse, en résume 
ainsi qu'il suit les erreurs au n° 2 : 

Quel enfer a osé dire que le corps né de Marie fût consubs- 
tantiel (ditoouo-ioç) à la divinité du Verbe, ou que le Verbe se fût 
transformé en chair, en os, en cheveux, en tout le corps, et qu'il 
fût déchu de sa propre nature? Qui a jamais entendu dire dans 
l'Église, ou parmi les chrétiens, que le Seigneur ait eu un corps 
en apparence et non en nature (ÔéffEt xal où çuast)? Qui a été 
assez impie pour dire et pour penser que la divinité elle-même, 
consubstantielle au Père, a été circoncise et, de parfaite, est 
devenue imparfaite, et que ce qui a été attaché à la croix était 
non le corps, mais lasubstance même de la Sagesse créatrice? Qui, 
entendant affirmer que le Verbe n'a pas pris son corps passible 
de Marie, mais se l'est formé de sa propre substance, regarde- 

1. Basil., Epist. CCLXIII, 4; Épiphane, Haer. LXXYII, 2. 



404 HISTOIRE DES DOGMES. 

rait comme chrétien celui qui dirait ces choses? Qui donc a in- 
venté cette absurde impiété, ou à qui est-il venu à l'esprit de 
dire qu'affirmer que le corps du Seigneur vient de Marie, c'est 
admettre en Dieu non une trinité mais une quaternité, comme 
si, par là, côux qui pensent ainsi voulaient dire que la chair 
prise de Marie et revêtue par le Sauveur est de l'essence de la 
Trinité? D'où encore est venu à quelques-uns de proférer cette 
impiété, toute semblable aux précédentes, que le corps n'est pas 
plus récent que la divinité du Verbe, mais lui est en tout coé- 
ternel, parce qu'il est formé de la substance de la Sagesse? 
-Comment des hommes qu'on appelle chrétiens osent-ils douter 
que le Seigneur qui est sorti de Marie soit par nature et par 
essence le Fils de Dieu, et, selon la chair, de la semence de Da- 
vid et de la chair de sainte Marie? Il en est donc qui ont été 
assez téméraires pour dire que le Christ qui a souffert dans sa 
«hair, et qui a été crucifié, n'est pas Seigneur et sauveur, et 
Dieu, et Fils du Père? Comment veulent être appelés chrétiens 
ceux qui disent que le Verbe est descendu dans un homme 
saint comme sur un prophète, et qu'il n'est pas devenu homme, 
en prenant un corps en Marie, mais qu'autre est le Christ, au- 
tre est le Verbe de Dieu, Fils de Dieu avant Marie et avant les 
jsiècles? Ou comment peuvent être chrétiens ceux qui préten- 
dent qu'autre est le Fils et autre le Verbe de Dieu? 



On remarquera que, à la suite des erreurs mono- 
physites signalées par saint Atlianase dans la première 
partie de ce texte, se trouvent signalées des erreurs 
nestoriennes et adoptianistes. Il ne s'ensuit pas que, 
dans la collection adressée au patriarche par Épictète, 
se trouvassent des écrits de doctrine nestorienne. 
Atlianase a pu lire ces opinions précisément énoncées 
'^t réfutées dans les documents apoUinaristes. 

Quoi qu'il en soit, on voit ici la diversité de concep- 
tions bizarres qui se greffaient déjà, vers 371, sur l'en- 
seignement d'Apollinaire. Ces mêmes conceptions 
sont relevées, vers 373-377, par l'auteur des deux 
livres Contra Apollinarium^ avec la remarque, d'ail- 
leurs, que les dissidents ne s'accordent pas entre 
eux. Elles sont relevées encore, vers 377, par saint 



L'APOLLINARISME. 105 

Épiphane, qui les avait entendues de la bouche 
même des hérétiques. Les uns, dit-il [Haer. lxxvii, 
2), allaient jusqu'à prétendre que le Christ avait ap- 
porté son corps du ciel. D'autres niaient qu'il eût pris 
une âme; d'autres n'hésitaient pas à affirmer que le 
corps du Christ était consubstantiel à la divinité. Plus 
loin, l'évêque de Constantia mentionne encore d'autres 
erreurs. Quelques disciples d'Apollinaire voulaient 
que la divinité elle-même du Christ eût souffert (Ty,v 
auTou ôeoT/iTa ueTCovôoTav, 33); d'autres que Marie, après 
la naissance de Jésus, eût eu commerce avec saint 
Joseph (37). Le millénarisme devait avoir aussi parmi 
eux des partisans, puisque saint Épiphane prend la 
peine de les réfuter sur ce point (37). Enfin le saint 
docteur insiste sur la manie de tous ces raisonneurs 
d'agiter, à propos de la personne du Christ, des ques- 
tions puériles ou inconvenantes (15 et suiv.). La basse 
scolastique avait déjà trouvé ses précurseurs. 

Que si nous sortons maintenant de ces généralités 
pour venir aux personnes et aux écoles définies, nous 
trouvons, comme un des premiers disciples d'Apolli- 
naire et des plus fidèles à la doctrine du maître, 
l'évêque Vitalis ou Vitalius (BixaXioç ou Oùi-caXioç). 
D'abord prêtre d'Antioche, il fut appelé à Rome, vers 
375, pour répondre aux accusations portées contre lui, 
et ne réussit qu'imparfaitement à se justifier. De re- 
tour à Antioche, il déclara ouvertement ses opinions, 
fut ordonné évêque des dissidents, et eut peu après, 
vers 376', avec saint Epiphane, la conférence que 
celui-ci a rapportée [Haer. lxxvii, 21-25). Vitalis 
y confessa que Jésus-Christ était homme parfait, né 
réellement de la Vierge, qu'il avait une âme («l'ox.'!^), 

1. Lietzmann place cette entrevue avant le voyage de Rome, en 374 
<p. 15, 16). 



106 HISTOIRE DES DOGMES. 

mais non pas l'entendement humain (vouv). Il fut de 
bonne heure condamné par Damase, peut-être au con- 
cile de Rome de 377 ^ On a de lui un fragment d'un 
ouvrage sur la foi 2. 

Après Vitalis, les plus connus des disciples d'Apol- 
linaire nous apparaissent divisés en deux écoles, celle 
des synousiastes et celle des modérés. 

Les premiers tirent rigoureusement les conséquences 
de l'enseignement d'Apollinaire, ne craignant pas de 
heurter les usages de la langue de l'Eglise, et de 
parler avec mépris de ses docteurs autorisés, Atha- 
nase, les Gappadociens,-les papes. Avec l'unité absolue 
de volonté et de principe actif, ils prêchent l'unité de 
substance et de nature en Jésus-Christ, auvou^twaiç. La 
chair est consubstantielle à la divinité, non pas en ce 
sens — qu'on leur a quelquefois imputé — que l'un des 
deux éléments a été transformé en l'autre, ou que de la 
fusion des deux est résultée une seule substance, mais 
en ce sens que « la chair du Seigneur participe aux 
noms et propriétés du Verbe sans cesser d'4tre chair, 
même dans l'union, sans que sa propre nature soit 
changée; de même que le Verbe participe aux noms 
et propriétés de la chair tout en restant Verbe et Dieu 
dans l'incarnation, et sans <|u'î! soît changé en !a na- 
ture du corps^ ». Ramenée à ces proportions, la duvou- 
aitasiç implique sans doute l'unité de nature et de subs- 
tance en Jésus-Christ, mais non pas les énormités que 
l'on pourrait d'abord supposer. Aussi les synousiastes 
étaient-ils les plus nombreux parmi les disciples 
d' Apollinaire. Leur premier chef avait été un certain 
Timothée qui, d'abord recommandé par Athanase et 



1. Grkg. Naz., Epiât. Cil, 6, 
i. LiETZM., p. 273. 

3. Timothée, IIpô; '0[ji<5viov, ap. Lietzm., p. 278 



L'APOLLINARISME 107 

bien reçu à Rome, devint plus tard évêque de Béryte, 
mais dans la suite fut déposé par Damase au synode 
romain de 377, et finalement exilé en Thrace, vers 388. 
Il reste de ses ouvrages quelques fragments^. Son 
autorité d: ailleurs fut en partie effacée, de son vivant 
même, par Gellé de son disciple Polémon, défenseur 
fougueux du monophysisme^. Puis,, après ces deux 
chefs^nous connaissons encore, dans la même fraction 
d'apoUinaristes, quelques personnages secondaires : 
Julien, qui était en relations épistolaires avec Polémon, 
l'évéque Jobius, Eunomius de Bérée, en Thrace. D'eux 
aussi on a conservé quelques lignes^. 

L'autre parti apollinariste, le parti modéré, rejetai! 
le langage violent des synousiastes, ne voulait poini 
que l'on parlât de consubstantialité entre la chair de 
Jésus-Christ et sa divinité, citait avec éloge les doc- 
teurs catholiques, tout en s'ingéniant à les tirer à lui, 
et, loin de les exagérer, s'efforçait d'effacer, en paroles 
du moins,, les différences entre la doctrine orthodoxe 
et celle d'Apollinaire. Ses fauteurs tenaient cependant 
pour l'absence d'une âme intelligente et pour l'unité 
de nature en Jésus-Christ, mais en expliquant cette 
unité au fond comme une simple unité de personne. 
Les représentants les plus connus de cette fraction 
modérée sont Valentin, qui semble avoir été, en 
Egypte, le chef du parti, et un évêque Homonius, qui 
se déclara énergiquement contre Timothée*. 

Ges- controverses paraissent avoir divisé les disciples 
d'Apollinaire vers les années 390-400. Un peu plus 



1. LiETZM., p. 277-286. 

2. V. ce qui reste de ses écrits dans Lietzu., p. 273-276; et cf. Pnoiius, 
Codex ^0. 

3. Lietzu., pp^ 276, 277, 286. 

4. V. ce qui reste des écrits de Valenlin dans Lietzm., p. 287-291 ; et 
quelques paroles d'Homonius dans Adversus fraudes apoUinaristarum, 
P. G., LXXXYI 6ts, 1960. 



108 HISTOIRE DES DOGMES. 

tard, en 428-429, saint Augustin, dans son traité De 
dono perseverantiae, Q7, distinguait trois sortes 
d'apoUinaristes : ceux qui n'admettaient en Jésus- 
Christ l'existence d'aucune âme; ceux qui niaient 
seulement en lui l'existence d'une âme intelligente ; et 
enfin ceux qui prétendaient que sa chair n'avait pas 
été prise de la Vierge, mais venait d'une conversion 
du Verbe en la chair. Ce passage, toutefois, ne signifie 
pas que, au temps de saint Augustin, il existât de fait 
trois fractions du parti apoUinariste. L'auteur repro- 
duit seulement ici un renseignement dérivé de saint 
Epiphane sur les erreurs des dissidents en général. 
Il n'exista jamais, en réalité, que deux partis ou plu- 
tôt deux tendances parmi les disciples de l'hérésiarque, 
celle des synousiastes et celle des modérés. 

§ 2. — Condamnation de l'apollinarisme. 

L'histoire de l'apoUinarisme est intimement liée 
avec celle de la dernière période de la controverse 
arienne, et les mêmes assemblées conciliaires ont sou- 
vent condamné les deux hérésies. M. Lietzmann fixe 
à l'an 352 le commencement du mouvement apoUina- 
riste ■• ; mais on n'en saisit la première manifestation 
qu'en 362, au concile d'Alexandrie. Là, au milieu des 
discussions sur l'arianisme, un débat s'élève entre 
quelques membres du concile qui s'accusent mutuelle- 
ment, les uns de séparer en Jésus l'homme du Verbe, 
les autres de n'admettre en lui qu'un corps sans âme 
et sans intelligence. On finit cependant par s'entendre, 
et, sous la pression du concile, les deux partis, re- 
poussant d'ailleurs ce qui sera plus tard le nestoria- 
nisme, professèrent que « le Seigneur n'avait pas eu 

1, Op. cit., XIV. 



L'APOLLINARISME. 109 

un corps sans âme, sans sentiment et sans intelligence 
(àt{/u}(ov, ouS' avatffôïjTov ouS' avoviTov) : car il n'était pas 
possible que le Seigneur s'étant fait homme pour nous, 
son corps fût sans esprit (àvôïiTov), et ce n'est pas seule- 
ment le salut du corps, mais aussi celui de l'âme ('j'ux'î) 



». 



que le Yerbe a opéré en lui 

Ces deux partis qui s'accusent ainsi mutuellement 
sont évidemment des représentants de l'école d'An- 
tioche et des disciples d'Apollinaire. Mais d'Apollinaire 
lui-même il n'est pas question. Même silence dans la 
lettre d'Athanase à Epictète, vers 371, et dans les deux 
livres Contra Apollinarium de 373-377. Malgré les 
écrits d'Apollinaire, comme sa Lettre à Jovien (vers 
363) ou sa Lettre à Sérapion (vers 371), qui ont dû ré- 
véler ses sentiments, on ignore ou l'on veut ignorer 
qu'il professe, à l'endroit de l'incarnation, des doctrines 
erronées. Le grand crédit dont il jouit, sa grande ré- 
putation de vertu et de science détournent de lui les 
accusations. Cependant, en 375, des bruits fâcheux 
circulent sur son disciple Vitalis, prêtre d'Antioche, 
qui désire entrer dans la communion de l'évêque Pau- 
lin. Vitalis vient à Rome pour se justifier auprès de 
Damase, et présente à celui-ci une profession de foi qui 
condamne les tendances extrêmes de l'apollinarisme, 
mais dissimule encore l'essentiel de l'erreur 2. Damase 
y est trompé d'abord, puis, mieux informé, exige, par 
l'intermédiaire de Paulin, que Vitalis confesse que le 
Fils de Dieu a pris « corpus^ anùnam, sensum, id est 
integrum Adam, et, ut expressius dicam, îotum vete- 
rem nostrum sine peccat'o hominem^ ». Vitalis s'y 
refuse, et est sacré par Apollinaire évêque d'Antioche 
pour ses partisans (376). Timothée, un autre disciple 

1. Tomus ad Antiochenos, 7. 

2. Voir ce qu'il en reste dans Lietzmaxn, 273 

3. P. L., xm, col. 336. 

HISTOIRE DES DOGMES. — H. 7 



110 HISTOIRE DES DOGMES. 

d'Apollinaire, est peu après élevé de même au siège de 
Bér}i,e. C'est la rupture complète. 

A partir de ce moment, Apollinaire ne dissimule 
plus. Il est dénoncé comme hérétique, en 377, par saint 
Épiphane avec douleur dans son ouvrage sur les hé- 
résies (lxxvii), par saint Basile avec sévérité dans sa 
lettre cclxiii aux occidentaux. La condamnation ne 
se fit pas attendre. En 377, un concile se tint à Rome 
sous Damase : Apollinaire et Timothée furent dépo- 
sés et leur doctrine fut réprouvée ^ . Le décret de Da- 
mase formulait déjà l'argument fondamental que l'on 
devait opposer à cette doctrine : « Quod si utique im- 
perfectus homo susceptus est, imperfectum Dei munus 
est, imperfecta nostra salus, quia non est totus homo 
salvatus. » 

La sentence du pape fut reçue et confirmée en 378 
par un concile d'Alexandrie, et en 379 par un concile 
d'Antioche ^. Le concile œcuménique de Constantinople 
la ratifia en 381. Parmi les hérétiques condamnés par 
son premier canon, on trouve les apoUinaristes^. En 
382, nouveau concile à Rome : il fut suivi presque im- 
médiatement de l'envoi par Damase à Paulin de la cé- 
lèbre Confessio fidei catholicae^ dont le septième 
anathématisme était dirigé contre les erreurs d'Apolli- 
naire. 

En même temps, l'autorité séculière — elle se nom- 
mait alors Théodose — intervint pour réprimer les 
hérésies en général, et en particulier celle des apoUi- 
naristes. Une série de décrets (383, 384, 388) ^ interdit 
à ceux-ci de s'assembler au dedans ou en dehors des 

1. Damasi Epist. H, fragni. H; cf. Epist. VII, P. L., XIII, 3S2, 371. 

2. Rdfin, Hist. écoles., II, 20; P. L., XIII, 333. 

3. Y. plus haut, p. 63, 64. 

4. P. L., XIII, 3S8; Hahn, § 199. 

5. P. L., XIII, 536. 



L'APOLLINARISME. 111 

villes, chassa leurs évêques, prêtres et ministres de 
Constantinople, leur défendit d'ordonner des évêques, 
et déposa ceux qu'ils possédaient déjà. Ces rigueurs 
n'empêchèrent pas la secte de subsister. Dans le cou- 
rant du v^ siècle cependant, elle perdit son existence 
distincte. Une partie, composée surtout des modérés, 
revint à l'Eglise catholique, tout en conservant des 
sentiments peu orthodoxes ^ ; les autres se fondirent 
dans la grande hérésie eutychienne et monophysite 
dont Apollinaire avait été le précurseur 2. 



> THÉODORET, Hist. eeclés., V, 3, 

2. V Voisin, L'apollinarisme, p. 129 et suiv. 



CHAPITRE V 



LUTTE DOCTRINALE CONTRE l'aPOLLINARISME. 
LA CHRISTOLOGIB GRECQUE DU IV® SIECLE. 



Apollinaire ne fut pas condamné seulement par l'au- 
torité ecclésiastique, il fut combattu par des adver- 
saires dans des ouvrages que nous avons déjà eu l'oc- 
casion de mentionner, le Contra Apollinarium du 
pseudo-Athanase , VAntirrheticus de saint Grégoire de 
Nysse, plusieurs lettres de saint Grégoire de Nazianze, 
les Héi'ésies de saint Epiphane, pour ne nommer que 
les plus considérables. On contesta les principes sur 
lesquels il s'appuyait, ceux-ci par exemple que deux 
êtres complets n'en pouvaient former un troisième ^ 
que l'on ne saurait concevoir l'existence, dans le même 
individu, de deux principes libres ^j que la présence 
d'une liberté humaine en Jésus -Christ entraînerait 
forcément en lui le péché 3. On critiqua la valeur des 
preuves scripturaires qu'il mettait en avanf*; surtout 
on montra que, dans son système, l'incarnation, la 
rédemption, la mort même et la résurrection de Jésus- 
Christ devenaient inexplicables. La théorie, imaginée 



1. Greg. Nyss., Anlirrhet., 39. 

2. Grec. Kyss., Anlirrhet., 43. 

3. Contra ApoUmar., lî, -13; cf. II, 19. 

4. Greg. Naz., Epist. CI (P. G., XXXVII, 190); Contra ApoUinar., II, 1. 



LA CHRISTOLOGIB GRECQUE DU IV SIÈCLE. 113 

dans un intérêt sotériologique, ruinait précisément par 
la base la sotériologie chrétienne. Nous aurons l'occa- 
sion de revenir sur les diverses parties de cette argu- 
mentation dans le cours de l'exposé qu'il faut main- 
tenant entreprendre de la christologie grecque au 
iv* siècle^. 

De même qu'il n'est pas indifférent, dans l'étude du 
dogme trinitaire, de partir d'abord de l'unité de subs- 
tance divine pour expliquer ensuite la trinité des per- 
sonnes, ou de partir de la trinité des personnes divines 
pour en montrer ensuite l'unité substantielle, de même 
il n'est pas indifférent, dans l'étude du dogme christo- 
logique, de partir de l'unique personne du Verbe ou 
do partir des deux natures divine et humaine en Jésus- 
Christ. Le second procédé était manifestement celui de 
l'école d'Antioche, et il aboutit, si l'on n'y prend garde, 
au nestorianisme ; le premier était celui de l'école d'A- 
lexandrie, et il tend naturellement au monophysisme. 
Mais on peut écarter, par des correctifs, ces consé- 
quences extrêmes. Nous en avons un exemple dans 
saint Athanase^. 

Tout occupé du Verbe divin et de sa consubstantia- 
lité avec le Père, il n'est pas surprenant que le pa- 
triarche d'Alexandrie le place en tête de son enseigne- 
ment christologique. 

Le Verbe a eu pitié de nous et, pour nous sauver, il 
est descendu du ciel et s'est fait semblable à nous. 
C'est pour cela qu'il est appelé l'homme céleste, et 
encore le premier-né de toute créature et entre ses 
frères'. Mais, en prenant une chair semblable à la nôtre, 

1. J'ai déjà prérenu que cet exposé laissera yolontairement de côté 
les théories de Diodore de Tarse, qui seront rattachées au mouvement 
nestorien. 

2. Voir G. Voisin, La doctrine christologique de saint Athanase, dans 
la Revue d'histoire ecclésiastique, t. 1 (190O), p. 226 et suiv. 

3. Oratio de incarnatione, 8; Cont. arianos, I, 44; II, 52, 62 



114 HISTOIRE DES DOGMES. 

le Verbe n'a rien perdu de ses attributs ni de leur exer- 
cice : « La chair n'a pas apporté d'ignominie au Verbe, 
à Dieu ne plaise! elle a été plutôt glorifiée par lui. Le 
Fils existant dans la forme de Dieu, en prenant la forme 
de serviteur, n'a pas été diminué dans sa divinité ^ . » Il 
n'était pas tellement renfermé dans le corps qu'il ne 
fût ailleurs : il ne mouvait pas si exclusivement ce corps 
que le monde fût privé de son action. La chair ne li- 
mitait ni son omniprésence ni sa toute- puissance^.; 

La xévœfftç n'a donc été qu'extérieure. Considérons 
maintenant l'humanité prise par le Verbe. Les Pères 
grecs du iv* siècle ont bien dû, puisque le docétisme 
réapparaissait ou plutôt était encore, çà et là, soutenu, 
continuer d'affirmer la réalité de la chair du Sauveur : 
ils ont dû sartout, contre certaines divagations apolli- 
naristes, affirmer que cette chair tirait son origine ex 
Maria^ qu'elle était consubstantielle à la nôtre ^. Con- 
substantialité nécessaire, remarque saint Basile, sinon 
« nous qui étions morts en Adam nous n'aurions pas 
été vivifiés dans le Christ, et ce qui était tombé n'au- 
rait pas été relevé, et ce qui était brisé n'aurait pas 
été restauré, et ce que le mensonge du serpent avait 
éloigné de Dieu ne lui aurait pas été réuni ^ ». 

Mais cette raison ne vaut pas seulement pour la 
chair de Jésus-Christ, elle vaut pour son humanité 
tout entière : l'humanité que le Verbe devait sauver, 
et par conséquent qu'il devait prendre, c'était la nôtre : 
c'était une humanité composée, comme la nôtre, d'un 
corps et d'ime âme intelligente créée. L'existence de 
cette âme en Jésus-Christ était niée par Apollinaire : 

\. Ad Adelphium, 4. 

2. Or. de incarn., 17; Contra arian., I, 42. 

3. Athan., Ad Epictetum, S, 7; Cyrill. Hier., Catech. xn, 3, 13, 23, 
24, 31, 33; Chrysost., In loann., homil. XI, 2; LXni, 1, 2; Amphiloque, 
fragm. X. 

4. Epist. CCLXI, 2 



LA CHRISTOLOGIE GRECQUE DU IV SIÈCLE. 115 

c'est à en établir la réalité qiie se sont portés les efforts 
de ses adversaires. Le principe sotériologique mis en 
avant pour cette démonstration se résume en cette 
sentence lapidaire de saint Grégoire de Nsizianze : To 
yàp àîrpoffXvj'jrTOV àOspaTfsoTov 8 Se y5vwTat tw ÔsS toïïto xa\ 
ffto^sTai ^ . Cela seul est guéri qui est pris par le Verbe ; 
cela seul est sauvé qui est uni à Dieu. Pourquoi? Non 
seulement parce que l'œuvre du relèvement et de la 
purification* commence dans l'incarnation même, par 
le contact que notre corps et notre âme y prennent 
avec la sainteté et l'immortalité incréées, mais parce 
que, suivant la remarque du Contra Apollinarium 
(I, 17), Jésus ne devait pas donner en rançon un autre 
pour un autre (^-repov àvô' Irépou), mais bien « corps pour 
corps, âme pour âme, et complète subsistance pour 
tout l'homme ». Puis donc que le Verbe était venu 
sauver l'âme aussi bien que le corps, il était nécessaire 
qu'il prît une âme intelligente, sans quoi notre salut 
eût été incomplet. 

C'est la preuve fondamentale. Mais on en tire d'au- 
tres de l'Écriture [Matlh., xxvi, 41; Luc, xxii, 42; 
loann., xi, 33; xii, 27)^; on en fait valoir encore 
d'autres prises de la satisfaction et des mérites de Jé- 
sus-Christ, car sans âme et sans liberté, comment 
Jésus-Christ aurait-il pu mériter et satisfaire ^ ? — ou 
même déduites de considérations métaphysiques, Ori- 
gène avait déjà enseigné que le Verbe s'était uni au 
corps par l'intermédiaire de l'âme, dont la nature se 
rapproche davantage de la sienne. Les deux Grégoire 
reprennent cette idée, et en concluent qu'une âme 
humaine a été nécessaire au Christ pour que l'incar- 
nation pût s'accomplir : « L'esprit s'unit à l'esprit 

1. Ei^ist. CI, col. 181. 

2. Greg. Nyss., Antirrhet., 32; Contra Apollin., I, IS, 16. 

3. Greg. Nyss., Antirrhet., 41. 



116 HISTOIRE DES DOGMES. 

& ■ 

comme au plus proche [par nature] et au plus voisin, 
et par lui à la chair, [l'esprit] étant ainsi intermédiaire 
entre la divinité et la matière ^. » 

Jésus-Christ est donc homme parfait (avÔpwTroç «'- 
Tistoç) : conséquemment il est sujet, sauf le péché, à 
toutes nos infirmités, à toutes nos faiblesses, à tous 
nos besoins. Il a pris to ôfAotoTcaôéç^; il a gardé, suivant 
l'expression de Didyme, toutes les suites de l'incarna- 
tion : Ttaaav t^; Ivavôptojriio'EW; àxoXouôtav çuXocttwv ^. Saint 
Athanase, Didyme, saint Cyrille de Jérusalem sont ici 
d'accord avec saint Chrysostome et les Cappado- 
ciens^. Nous ne trouvons pas encore, à cette époque, 
la tendance à idéaliser l'humanité de Jésus- Christ qui 
se fera jour plus tard. Mais si Jésus-Christ partage les 
faiblesses humaines qui sont le fait du corps et de la 
partie affective de l'âme, partage-t-il aussi nos fai- 
blesses intellectuelles, et, s'il n'est pas sujet à l'erreur 
proprement dite, n'est-il pas sujet à l'ignorance en 

1. Grkg. Naz., Epîst, CI, col. 188; cf. Or. I, 33, 42; Grec. Nyss., An- 
tirrhet., 41. Sur l'existence, en Jésûs-Clirist, d'une âme raisonnable, 
voir encore Ecstathe d'Antioche (P. G., XVni, 68S, 689, 694) ; Didyme, De 
trinitale, in, 4, 21, col. 829, 904; Èpipuane, AncoratuSf 33-33, 76-80. — 
Une difGculté a été soulevée à propos de saint Athanase que l'on a ac- 
cusé d'avoir, avant le concile d'Alexandrie de 362, méconnu en Jésus- 
Christ la présence d'une âme humaine. Et il est vrai que l'on ne trouve 
point, dans les œuvres du saint docteur antérieures à cette date, de 
témoignage explicite sur ce point; mais si l'on remarque que, d'une 
part, il admet la réalité en Jésus-Christ de toutes les émotions, de 
tous les sentiments de crainte, de tristesse marqués dans l'évangile, la 
réalité de sa croissance en grâce et en sagesse, la réalité de son igno- 
rance en tant qu'homme vis-à-vis du jour du jugement, la réalité de 
sa sanctification par le Saint-Esprit, et que, d'autre part, il repousse 
absolument le système des ariens qui présentaient le Verbe comme le 
sujet de ces passions, de celte croissance, de cette ignorance, de cette 
sancti G cation, il faut bien conclure que saint Athanase reconnaissait 
en Jésus-Christ une âme raisonnable, sujet de ces diverses affections. 
V. Contra arianos, III, 38-40 ; 43 ; Kl-38, et cf. Ad Epictetum, 7. 

2. Cyril. Hier., Catech. XII, i4. 

3. De trinil., III, 21, col. 901. 

4. Athan., Or. de incarn., 8; Contra arianos, II, 69; III, 34, 56; Basil., 
Epist. CCLXI, 3; Grec. Naz., Or. XXX, 3; Epiphan., Ancorat.f 33; CaRY- 
80ST., Inloann., homil. XI, 2; LXIII, 1, 2; LXYII, i, 2. 



LA CHRISTOLOGIE GRECQUE DU IV SIECLE. 117 

tant qu'homme * ? Cette question n'avait pas été jus- 
qu'ici traitée par les Pères. Les ariens furent les 
premiers à la poser et à la résoudre. Ils admirent en 
Jésus-Christ une ignorance réelle, et en conclurent 
que le Verbe n'était pas Dieu puisque, dans leur sys- 
tème, il tenait en Jésus-Christ la place de l'âme. Leurs 
appuis scripturaires étaient surtout Marc, xiii, 32; 
Matthieu, xxiv, 36; Luc, ii, 52, et les divers pas- 
sages où Jésus-Christ questionne, s'étonne ou paraît 
surpris. 

Les Pères grecs du iv^ siècle, à leur tour, firent à 
cette question deux réponses différentes. Les uns, 
comme saint Athanase et saint Grégoire de Nysse, ad- 
mettent en Jésus-Christ homme une ignorance réelle, 
mais rejettent d'ailleurs la conclusion des ariens. Les 
autres, sans exclure absolument cette explication, in- 
terprètent plus volontiers les faits allégués par une 
ignorance économique, Jésus-Christ déclarant ignorer 
ce qu'il ne jugeait pas opportun de nous révéler, ou 
ne manifestant que progressivement et suivant les 
circonstances les lumières qui étaient en lui. 

Athanase s'occupe du texte de Marc, xiii, 32, dans 
le Contra arianos, m, 43-46. Le texte est le suivant : 
« Pour ce qui est de ce jour et de cette heure, nul ne 
les connaît, ni les anges du ciel, ni le Fils, mais le 
Père seul ». Athanase rapporte d'abord l'objection des 
ariens, puis il continue : « Pour nous qui aimons le 
Christ et qui le portons en nous, reconnaissons que 
ce n'est pas le Verbe ignorant en tant que Verbe qui 
a dit : « Je ne sais » , car il savait, mais en tant que 
découvrant son humanité, parce que c'est le propre 
de l'homme d'ignorer, et que ce Verbe avait revêtu 
une chair ignorante, dans laquelle il disait, en tant 

1. Sur cette question, voir C Gore, Dissertations on subjects con- 
nected with, the incarnation, London, 189S. 



118 HISTOIRE DES DOGMES. 

qu'homme : « Je ne sais ■» (45). Et plus brièvement : 
tb; fjièv XoYo; ^i\iM<j/.e\, âç 8k otvôpwTtoç (xYvosT (43, et cf. Ad 
Serapionem, ii, 9). Il est vrai que, au numéro 47, 
Athanase paraît revenir sur son opinion. Il compare 
le Je ne sais de Notre- Seigneur avec celui de saint 
Paul (II Corinth.^ xii, 2) qui savait cependant comment 
il avait été ravi au ciel. Mais l'auteur veut simplement 
confirmer sa solution par un a fortiori, en faisant 
remarquer que l'on pourrait, à la rigueur, ne pas 
prendre à la lettre l'ignorance du Fils : car, au nu- 
méro 48, il revient à sa première affirmation, et ajoute 
que Jésus-Christ n'a pas menti en disant, en tant , 
qu'homme : Je ne sais : Oute lij/guffato touto eîprixàç (àvôpio- " 
Ttivwç Y«p eîîTÊV, àç avÔpwTroî, Oôx oTSa). 

Saint Athanase résout de même l'objection tirée 
par les ariens des questions que pose Jésus-Christ. Le 
fait de questionner, répond-il, n'implique pas qu'on 
ignore ce que l'on demande ; et si l'on veut que Jésus- 
Christ ait réellement ignoré l'objet de ses questions, 
c'est à l'humanité, et non au Verbe, qu'il faut rap- 
porter cette ignorance^. Et quant au progrès en sa- 
gesse dont il est question dans saint Luc, ii, 52, le 
saint docteur ne fait aucune difficulté d'admettre que, 
en effet, ce progrès s'est accompli en Jésus en tant 
qu'homme : « La Sagesse, en tant que Sagesse, n'a 
pas progressé en soi-même, mais l'élément humain [th 
àvôpwTcivov) a progressé en sagesse^. » 

Cette dernière interprétation est celle de saint Gré- 
goire de Nysse. Jésus-Christ, comme Dieu, était la 
Sagesse même, mais, comme homme, il a reçu la sa- 
gesse par participation (Ix {aêtox^ç), et de même que le 
corps se développe graduellement jusqu'à croissance 
complète par la nourriture, aussi l'esprit acçtuiert par 

1. Contra arianos, III, 37. 

2. Contra arianos, III, s* ; et cf. S2-s*, 



LA CHRISTOLOGIE GRECQUE DU IV SIECLE. 119 

l'exercice (Si' àax-riaeiûti) le sommet de la sagesse^. Dans 
Y Antirrheticus, 24, Grégoire affirme simplement que 
c'est à l'humanité qu'il faut attribuer l'ignorance in- 
diquée dans Marc, xiii, 32, 

Voici donc une première catégorie d'auteurs qui ne 
font nulle difficulté d'attribuer à Jésus-Christ homme 
une ignorance réelle 2, un progrès en sagesse réel. Les 
autres sont moins catégoriques ou même d'une autre 
opinion. Saint Basile, sans désavouer l'interprétation 
de saint Athanase sur Marc, xiii, 32, préfère cepen- 
dant la suivante : le Père seul connaît, comme pre- 
mier principe de la Trinité, le jour et l'heure du ju- 
gement; le Fils et le Saint-Esprit ne les connaissent 
que par communication du Père : ils ne les connaî- 
traient pas si le Père ne les leur révélait en les produi- 
sant 3. Saint Grégoire de Nazianze'' rapporte les deux 
explications, sans se prononcer sur celle qu'il adopte, 
mais il est possible qu'il entende, par l'humanité 
ignorante de Jésus-Christ dont il parle, l'humanité 
abstraite, prise en soi, non telle qu'elle se trouvait de 
fait dans le Sauveur s. Amphiloque ^ et Didyme repro- 
duisent également l'interprétation préférée de saint 
Basile : mais, après avoir comparé le texte de saint 
Matthieu, xxiv, 36, avec celui de saint Marc, xiii, 32, 
Didyme se prononce pour une ignorance économique ; 

1. Antirrhel., 28; cf. 14. 

2. Remarquons que la distinction entre la science infuse et la 
science expérimentale n'est pas encore faite. Cependant voyez plus 
bas, à propos de saint Epiphane. 

3. Epist. CGXXXYI, 1, 2. Saint Basile paraît admettre du reste en 
Jésus-Christ homme un progrès réel en sagesse et en grâce (îôid., 1). 

4. Or. xxx, iS, 16. 

5. C'est en ce sens qu'Eulogius d'Alexandrie (Photius, Cod. 230. 
P. G., GUI, 1084) et saint Jean Damascène [De flde orthodoxa, III, 21) ont 
interprété les paroles de saint Grégoire. Nous aurions ici les premiers 
linéaments de la distinction que devait poser plus tard saint Grégoire 
le Grand : le Christ ignore ex humanttate, mais non in humanitale. 

6. Fragm. VI; cf. VIII. 



-120 HISTOIRE DES DOGMES. 

&[jt,Tv oùv, «p7jff\v, (XYvow, "cvî àXTiOetot oux ôy^ow^. C'est aussi 
l'opinion de saint Jean Chrysostome^, et c'est à peu 
près celle de saint Épiphane. Bien que celui-ci ne re- 
pousse pas absolument l'idée que l'ignorance puisse 
être reportée sur l'humanité, il préfère expliquer le 
passage de saint Marc d'une ignorance économique 
ou même expérimentale ^. 

La divergence que nous constatons entre les Pères 
à propos.de la science humaine de Jésus-Christ n'existe 
plus dès qu'il s'agit de sa sainteté parfaite. Saint 
Athanase en a spécialement traité dans son premier 
discours contre les ariens. Jésus-Christ est non seule- 
ment impeccable (51), mais il a été spécialement sanc- 
tifié, oint par le Saint-Esprit, comme le prouvent les 
textes de saint Luc, m, 21, 22, de saint Jean, xvii, 
19, d'Isaïe, lxi, 1, du psaume xliv, 8. Cette sancti- 
fication, le Sauveur, en tant que Dieu, se l'est donnée, 
à lui-même en tant qu'homme, mais il se l'est donnée 
afin que nous fussions nous-mêmes sanctifiés : la gratta 
capitis n'est pas séparée en Jésus de la gratta untonts : 
«uTOç lauTov ttYiaÇeij îva ^[Aetç Iv Trj àXr,6eta àYtaa9w[jt,ev (46, 
47). 

Ainsi l'humanité prise par le Verbe est complète 
dans ses éléments physiques ; si elle a été sanctifiée 
par son union avec lui, elle a conservé du moins sa 
passibilité et ses faiblesses. Mais est-elle, dans cette 
union, restée elle-même, nature distincte de la nature 
du Verbe ? N'a-t-elle rien perdu de son être ; n'a-t-elle 
pas été transformée dans cet acte qui l'a jointe au 
Verbe? Et comment devons-nous concevoir le lien qui 
les fait un, elle et lui? C'est le problème qu'Apollinaire 
avait résolu par le monophysisme, et auquel les Pères 

4. De trinit., m, 22, col. 917, 920. 

2. In Matthaeum, homil. LXXVII, 1, 2. 

3. AncoratuSt 82, 38, 78; cf. Haer. LXIX, 43 4T. 



LA CHRISTOLOGIE GRECQUE DU IV SIÈCLE. 12Î' 

du IV* siècle devaient, à leur tour, donner une réponse. 

Cette réponse, ils ne la donnent pas explicite, pré- 
cise, dans les termes qui seront consacrés par les con- 
ciles du V® siècle : manifestement il leur manque des 
définitions nettes et une langue arrêtée. Mais on peut 
dire qu'ils en donnent les prémisses et, si l'on peut 
parler ainsi, toute la matière. Leurs idées sont en avant 
sur leurs formules et, s'ils ne s'expriment pas toujours- 
correctement, ils pensent au moins toujours juste. 

Une idée d'abord qu'ils repoussent unanimement, et 
cela d'accord avec Apollinaire, c'est qu'il y ait eu, 
dans l'incarnation, conversion de l'un des deux élé- 
ments en l'autre, ou fusion de l'humanité et de la divi- 
nité pour constituer une troisième nature. Les deux 
'adverbes àtpsTtTwç, dauf/yztai se trouvent déjà dans Di- 
dyme l'aveugle ^ Saint Epipliane dit de même que le- 
Verbe, en s'incârnant, n'a pas changé de nature (fx^- 
Tpairelç Tr,v (pufftv)^ ; saint Chrysostome qu'il ne s'est pas 
transformé en la chair, et que l'incarnation n'a com- 
porté ni confusion ni disparition des substances (où- 
ffUYj(,u<iewç ysvo[;l£v/;<; oàSi àîpavtorjjtou tSv oôaiwv) ^. Athanase^ 
et Didyme étaient poussés à maintenir cette distinc- 
tion réelle entre la divinité et l'humanité après l'union 
par les nécessités de la controverse arienne, les Cap- 
padociens et Èpiphane par celles de la controverse- 
apollinariste. Aussi maintiennent-ils que, après l'u- 
nion, le Sauveur est Dieu et homme, qu'il y. a en 
lui deux formes (ixopçat, Suo icpifi/.ixxa.)^, deux natures- 
(çuffÊtç [>.h Y^p Suo, ôeoç xal avOpwTroç), autre chose et autre 
chose {âXko xoà aX>o)^ ; « Distinguez-moi les natures- 

1. De trinitate, m, 6, coL 844; m, 21, coL 901; HI, 13, col. 861. 

2. Ancoratus, 75. 

3. In loann., homil. XI, 2. 

4. Athan., Fragm., P. G., XXVI, -1236, 1237. 

5. Grég. Naz., Epist. CI, coL ISO; Or. II, 23; Épipuane, Ancoratus 
116, 117. 



122 HISTOIRE DES DOGMES- 

(xàç tpuffsiç), écrira Amphiloque, celle de Dieu et celle de 
rhomme; car Jésus-Christ n'est pas, par une chute, 
de Dieu devenu homme, ni, par un progrès, d'homme 
devenu Dieu*. » Et encore : « Jésus-Christ a gardé en 
lui (après la résurrection) la propriété, sans confusion, 
des deux natures hétérogènes (xSv ouo «puastov t5v iTepou- 
ffîwv àffuyj^oTov T^v tSiôxYiTa) ^. » Il a pris, dit Epiphane, 
« avec la divinité l'humanité » (ol)v t^ Qeotyiti Xaêàv tV 
àvOpwTOTïiTa) 3. En conséquence, Didyme comptera en 
Jésus- Christ deux volontés, la divine et l'humaine'*. 

Le monophysisme est donc écarté d'avance, mais le 
nestorianisme l'est aussi, car, si l'on excepte l'école 
d'Antioche, où l'unité intime de Jésus-Christ est con- 
çue d'une façon plus lâche, le sens profond de cette 
unité personnelle existe manifestement chez les alexan- 
drins et les cappadociens, et la lecture des écrits d'A- 
pollinaire n'a pas été pour le diminuer. « Autre (^Tepo?) 
n'était pas le Fils de Dieu qui était avant Abraham, 
écrit Athanase, et autre {exepoç) celui qui était après 
Abraham; autre celui qui a ressuscité Lazare, autre 
celui qui questionnait sur Lazare, mais c'était le même 
(ô aÔToç ^v) qui, en tant qu'homme, demandait : Où gît 
Lazare, et qui, en tant que Dieu, le ressuscitait, le 
même qui, corporellement et en tant qu'homme, cra- 
chait, et qui, divinement et en tant que Fils de Dieu, 
ouvrait les yeux de l'aveugle-né ; qui souffrait dans la 
chair, comme l'a dit Pierre, et qui, comme Dieu, ou- 
vrait les tombeaux et ressuscitait les morts ^. » Didyme 
pense de même : « Nous ne croyons pas qu'autre (aX- 
Xov) est le Fils qui est du Père et autre (xat àXXov) celui 



i. Fi-agm. xn; cf. fragm. Il, VU, XI. 

2. Fragm. IX. 

3. Ancoratus, 73. 

4. De triniU, III, 12, col. 860. 

S Tomus ad antiochenos, 7; De sententia Dionysii, 9. 



LA CHRISTOLOGIB GRECQUE DU IV SIÈCLE. 123 

qui est devenu chair et a été crucifié^. » De même 
Cyrille de Jérusalem'^; de même saint Épiphane (eïç, 
ou Suo)^ et Amphiloque''. Quant à saint Grégoire de 
Nazianze, après avoir, dans ses discours ii, 23 et 
XXXVII, 2, affirmé l'unité physique (l'v) de Jésus- 
Christ^, il a touché, dans un passage célèbre, à la for- 
mule définitive, et a marqué d'une façon précise la 
différence qui sépare, au point de vue qui nous occupe, 
le mystère de l'incarnation de celui de la trinité : « Il 
y a en lui (Jésus-Christ) deux natures; il est Dieu et 
homme, puisqu'il est âme et corps : mais il n'y a pas 
deux fils ni deux dieux... Et s'il faut parler en peu de 
mots : autre et autre sont les [éléments] dont est le 
Sauveur — car l'invisible n'est pas ce qu'est le visible, 
ni l'éternel ce qu'est le temporel — , mais [le Sauveur], 
lui, n'est pas un autre et un autre, loin de là! Car les 
deux [éléments] sont un par l'union. Dieu devenant 
homme ou l'homme devenant Dieu, ou quelle que soit 
l'expression que l'on adopte. Je dis autre et autre, 
contrairement à ce qui existe dans la Trinité. Car là il 
y a un autre et un autre, pour que nous ne confondions 
pas les hypostases, mais non pas autre et autre; car 
les trois sont un et identiques par la divinité^. » Enfin 



1. De trinitate, III, 6, col. 844; De Spir. Sancto, 52; cf. Enarr. in 
epîst. Pétri primam, II, 23, col. 1768; Enarr. in epist. I loann., IV, 
13, col. 1800, 1801. 

2. Cat. XII, 4. 

3. Ancoraius, 120. 

4. Oratio I in Christi natal., 4, 6; Orat. V in diem sabbati sancti, 
2; Fragw. III. 

5. Et voyez Carmen de vita sua, vers 633 suiv. (P. G., XXXVII, 1073, 
1074). 

6. Epist. CI, col. 180 : *ûff£i; (Jièv yà? Sûo 9eàî xal àvBptojroî, èicsl 
xal 'if-ofj^ %aX cw^ta' mIqX Se ou 8ùq, oCSè ôeo:'... Kal el Seï ffuvTÔfitoc 
VtwEtv, à»,o (lèv xal â^Xo "cà èf 5v ô <7wtï)P (etirep \j-t\ tauTÔv tô àôpa- 
Tov T(p ôpaTtp, xal TÔ â^povov tw ûitb jrpôvov), oùx àX).oç 8è xaî àXXoç' 
V-^ YÉvotTO. Ta yàp àfiçÔTepa êv t^ cuyxpàffeij 6eoû (iàv IvavOpwTnîaav- 
Toç, àvOpwTiou 8à OewôévTOç, i\ ottwç âv xiç ôvonàffeis. hé^tù 6à aXXo 



124 HISTOIRE DES DOGMES. 

saint Grégoire de Nysse afQrme, lui aussi, qu'en Jésus- 
Christ il n'y a pas aXXo; et sTepoç, mais êv TrpoffojTcov '. 

La conséquence première de cette unité personnelle 
du Christ dans la dualité des éléments qui le com- 
posent, c'est la communication des idiomes. Origène 
en avait ébauché la théorie : les Pères grecs du iv^ siè- 
cle reprennent cette théorie ou la consacrent par l'u- 
sage qu'ils en font. Athanase répond, dans sa lettre à 
A-delphius (3), au reproche d'idolâtrie fait par certaines 
gens contre ceux qui adoraient la chair de Jésus- 
Christ : « Nous n'adorons pas la créature, écrit- il,... 
nous adorons le Verbe de Dieu, Seigneur de la créa- 
tion, fait chair. La chair, sans doute, est une créature, 
si on la considère à part (xaô' lauTT^v), mais elle est de- 
venue le corps de Dieu. Et nous n'adorons pas ce corps 
à part et en le séparant du Verbe (xaô' lauTo Stapouvre; 
«XTO Tou Xo'you), ni, voulant adorer le Verbe, nous ne le 
séparons pas de sa chair; mais sachant, comme nous 
l'avons dit déjà, que le Verbe s'est fait chair , nous le 
reconnaissons comme Dieu et existant dans la chair. » 
Saint Grégoire de Nysse est encore plus explicite. 
Répondant à ceux qui accusent les catholiques d'ad- 
mettre deux Christs et deux Seigneurs, il expose com- 
ment les propriétés, actions ou passions exclusivement 
attribuables à l'un des éléments du Christ, si on prend 
ceux-ci in abstracto, peuvent et doivent s'attribuer à 
l'autre élément ou au tout, dès qu'on prend ces élé- 
ments dans l'union, in concreto. « La chair considérée 
à part soi (xaô' lau-n^v) est ce que la raison et les sens 
en saisissent, mais, mélangée au divin, elle ne reste 
plus dans ses bornes et dans ses propriétés : elle est 

Y.aX 'éXi<o e(ntaXiv ^ hz\ tîj; TptàSo; £-/ei. 'Exeï [aIv yàp âXXo; xaî cOi).o; 
ïva {JLY] ta; {utoffTaaEii; ffuYXÉw{i,ev oùx aXXo 6è xat âXXo, ëv yàp xà xpta 
xaî taviTÔv T^ âedTriTt. 
1. Contra Eunomium, V, col. 697. 



LA. CHRISTOLOGIE GRECQUE DU IV SIÈCLE. 125- 

élevée à ce qui la domine et lui est supérieur. Néan- 
moins, il reste que l'on peut considérer distinctement 
les propriétés de la chair et celles de la divinité, tant 
qu'on les considère l'une et l'autre en soi (I©' lauTwv), 
comme lorsqu'on dit : Le Verbe était avant les siècles ; 
la chair a été faite à la fin des temps... Ce sont là de& 
choses claires, quand bien même on n'expliquerait pas 
en paroles que les plaies sont du serviteur en qui est 
le Seigneur, et que les honneurs sont du Seigneur au- 
tour duquel est le serviteur ; de sorte que par la con- 
nexion et le lien naturel (SiJt tyjv oruvaçeiâv xe x«i GUf;.cpuiav), 
les deux choses (les plaies et les honneurs) deviennent 
communes à chaque élément, le Seigneur recevant en- 
lui les meurtrissures du serviteur, et le serviteur étant 
glorifié de l'honneur rendu au Seigneur. Et c'est pour- 
quoi on parle de la croix du Seigneur de gloire, et toute 
langue confesse que le Seigneur Jésus-Christ est dans 
la gloire de Dieu.le Père ^ » 

Une seconde conséquence de l'unité personnelle de 
Jésus-Christ est la maternité divine de Marie. Alexan- 
dre d'Alexandrie et Apollinaire avaient usé du mot 
ôeoToxo; ; Didyme ^ et saint Épiphane ^ n'hésitent pas non 
plus à l'employer; mais les textes classiques se trou- 
vent dans saint Grégoire de Nazianze : « Si quelqu'un 
n'accepte pas sainte Marie pour mère de Dieu, il est 
séparé de la divinité"*. » Marie est la Virgo deîpara- 
(ôeoTOXov napôÉvov) ^. 

Distinction réelle de la divinité et de l'humanité en 
Jésus-Christ, unité intime de sa personne qui permet 

1. Conira Eunomium, V, col. 703; cf. 697. Greg. Naz., Or. XXXVUI,. 
13. 

2. De trinit., I, 31, col. 421 ; II, 4, col. 481 ; III, 41, col. 488. 

3. Ancoratus, 75. 

4- Et Ttî où èsoT^xov T»jv àyiav Mapîav {pito).a|i6âvei, y.wpf; è<rti ttjç- 
8eÔTïiT0î {Epist. CI, col. 177). 
S. Grec. Naz., Or. XXIX, 4. 



126 HISTOIRE DES DOGMES. 

de lui attribuer les propriétés, passions et affections de 
l'un et l'autre élément; maternité divine de Marie, 
voilà des faits, ou, si l'on préfère, des vérités tradi- 
tionnelles dont les Pères grecs du iv^ siècle ont la 
conscience claire. Il en faut ajouter une autre, que 
saint Athanase a mise surtout en lumière, c'est que, en 
Jésus-Christ, le principe hégémonique ou de l'unique 
personnalité est dans le Verbe. La doctrine est celle-ci : 
le Verbe d'abord adapxo; a pris la chair; mais ce Verbe, 
en s'incarnant, n'a pas changé, n'a rien acquis dans 
son être intime : il est resté le même (ô tuoiôc,) qu'il était 
auparavant. « Il n'a, dit Athanase, rien reçu de nous 
qui pût le perfectionner, car le Verbe de Dieu est sans 
défaut, il est complet : c'est nous qui avons été par lui 
perfectionnés ^ . » L'hypostase qu'il était est donc de- 
meurée telle qu'elle existait, et c'est dans l'humanité 
qu'il faut chercher les modalités nouvelles qui autori- 
sent à parler d'un seul fils, d'un seul Jésus-Christ, 
d'une seule personne concrète. 

Pénétrer dans ces modalités et les expliquer, c'eût 
été pénétrer au cœur même du mystère et l'expliquer 
autant qu'il se peut; c'eût été révéler la nature intime 
du lien qui unissait, en Jésus-Christ, Dieu et l'homme. 
La juste mesure des termes et la précision rigoureuse 
de la doctrine manquaient trop à nos auteurs, nous le 
verrons bientôt, pour qu'ils pussent mener complète- 
ment à bien ce travail, qui ne devait plus être l'œuvre 
de simples témoins de la tradition, mais de théolo- 
giens exercés, et raisonnant sur la tradition. On trouve 
néanmoins chez eux des idées heureuses et qui devien- 
dront classiques. Saint Athanase, par exemple, conçoit 
l'union des éléments en Jésus-Christ sous la forme 
d'une appropriation de la nature humaine par le Verbe : 

1. Contra arianos, I, 43. 



LA CimiSTOLOGIE GRECQUE DU IV SIECLE. 127 

le Verbe ne s'est pas changé au corps, mais il a fait 
sien le corps et ce qui était du corps : îSiottoisïto 
xà Toïï (TWfjiaTo; ïSia, ôç lauToîi, 6 Xoyoç ô àctofxaTOç. Le COrps 
n'était pas le Verbe mais il était le corps du Verbe ^ 
Il n'était donc pas sui iurisy et c'est pourquoi on 
attribue au Verbe les progrès et les développements 
de ce corps, parce que c'était son corps (Sià tV Trpoç 
■tb ff(o[/.a tSioTTiTa)^. La chair était divinement portée 
par le Verbe : fj oh^\ OsoipopETxai Iv t5J Xoyw^. Saint Gré- 
goire de Nazianze, à son tour, remarque que, dans 
l'union, l'élément humain a été d'une certaine façon 
divinisé par l'élément divin : to {xèv Mtàat, 10 Se lôewôïi ■*. 
Ce sont là des conceptions justes ; mais généralement, 
je le répète, dès que, sortant du domaine des idées et 
des faits traditionnels, nous cherchons, dans nos au- 
teurs, des formules précises et une attitude absolument 
arrêtée sur le sujet qui nous occupe, nous constatons 
combien leurs spéculations sont encore incomplètes et 
combien leur langue est inexpérimentée. 

On l'a pu voir déjà par quelques-uns des textes 
cités. Les expressions qui servent à marquer l'union 
du Verbe et de l'humanité sont quelquefois indiffé- 
rentes, mais elles offrent souvent une couleur tantôt 
nestorienne, tantôt monophysite. Ainsi Athanase dira 
de l'humanité qu'elle est olxoç, vaoç, opY«vov, Ivfiufjia, (jtoXtî, 
irepiêoXni^ de la divinité; saint Cyrille de Jérusalem 
qu'elle en est le vêtement et le voile XévTtov, xaTaTtsT(xff[jia^. 
On peut relever — et on l'a fait — dans saint Gré- 
goire de Nazianze, deux séries parallèles d'expressions 

1. Ad Epîctetum, 6. 

2. Contra arianos, in, S4, S3, 86. 

3. Contra arianos, m, M. 

4. Or. XXXVIII, 13. 

5. Contra arianos, III, 34, 52; Ad Epict., 2, 4, 10; Ad Adelphium 3, 
4; Oral, de incarn., 42, 43, 44; Fragm., P. G., XXVI, 1240, 

6. Catech. XII, 1, 26. 



128 HISTOIRE DES DOGMES. 

qui indiqueraient des tendances absolument opposées. 
S'il dit, en parlant de Jésus-Christ, quelquefois eTçi, 
qui est correct, il dira aussi fréquemment Iv, qui ne 
l'est plus. Jésus-Christ est Iv ii (2{x^oîv, êv èx. zm Bùo^. 
L'union est [Jti^tç, xpatnç, a\)fKpa.ai<i^ , termes qui seront 
plus tard jugés sévèrement, comme impliquant l'euty- 
chianisme. Mais, d'autre part, on a noté, dans ses 
discours théologiques, bien des tournures qui, prises 
à la rigueur, supposeraient entre les deux éléments 
du Christ une union simplement morale •'. Le cas est 
absolument le même pour saint Grégoire de Nysse. 
Lui aussi paraît, en certains passages, distinguer deux 
personnes en Jésus-Christ : l'homme, dans le Sauveur, 
est un tabernacle où le Verbe habite ; la divinité est 
dans celui qui souffre ^. Cependant la tendance mono- 
physite est plus marquée et parfois inquiétante. Il faut 
se rappeler que saint Grégoire de Nysse est un dis- 
ciple fervent d'Origène, et que celui-ci paraît avoir 
admis une certaine transformation de l'humanité en la 
divinité après la glorification du Sauveur. Le terme 
dont saint Grégoire se sert le plus souvent, pour 
marquer l'union des deux éléments en Jésus-Christ, 
est celui d'àvocxpaaiç, qui s'emploie pour désigner le 
mélange des liquides et la diminution de leurs pro- 
priétés l'un par l'autre [temperatio] ^. Ainsi, il écrira : 
« Nous disons que le corps par lequel il (le Christ) a 
enduré la souffrance, mêlé à la nature divine (tvî ôei'a 
«puseixaTaxpaôév), est devenu, par ce mélange, ce qu'était 

1. Or. XXIX, 19. 

2. Or. II, 23; XXXVII, 2; XXXVIII, 13; Epist. CI, col. 180. 

3. Or. Il, 23; XXX, 3; XXXVIH, 13; Epist. CI, col. 180. 

4. Or. XXIX, 18, 19; XXX, 1, 7, 8, l), 10, 12, 13, 21. Cf. A. J. Mason, The 
five iheotogical orations of Gregory of Nazianzus, Cambridge, 1899, 
Introduction, pp. xvi-xix. 

5. Contra Eunomium, V, col. 700, 703; Antirrhet., S4. 

6. Contra Eunom., Y, col. 693, 697, 703, 708 ; Antirrhet., 42. Cf. Petau, 
De incarn., lib. III, cap. ii. 8, 9, 17. 



LA CHRISTOLOGIB GRECQUE DU IV SIÈCLE. 129 

la nature qui a pris ce corps. Tant s'en faut que nous 
ayons une mince idée du Dieu Fils unique que, s'il a 
pris, pour l'amour el le salut de l'homme, quelque 
chose de la nature inférieure, nous croyions que cela 
a été transformé ((AeTaicetroi^côai) en ce qui est divin et 
immortel ^ » Cette idée sera encore accentuée un peu 
plus loin : « Dans les mélanges matériels (cwfAaxixwv 
àvaxpdcffstov), quand l'un des éléments excède l'autre do 
beaucoup, il arrive que le plus faible est entièrement 
transformé (tcocvtwç {A£T«TCoi£ï<79ai) dans le plus considé- 
rable. C'est ce que nous apprenons sagement de la 
parole mystique de la voix de Pierre, à savoir que 
l'humilité de celui qui a été crucifié par sa faiblesse 
— or la faiblesse démontre la chair, comme nous 
l'avons entendu à propos du Seigneur — cette humi- 
lité, dis-je, par le mélange avec l'infini et l'immensité 
du bien, n'est pas demeurée dans ses bornes parti- 
culières et ses propriétés (Iv toîç iStoiç {xérpoiç xal iSitoi^auiv), 
mais a été élevée par la droite de Dieu et, au lieu de 
servante, est devenue Christ-roi, au lieu d'inférieure, 
Très-Haut, au lieu d'homme, Dieu 2. » Ces derniers 
mots semblent indiquer qu'il s'agit ici de l'humanité 
glorifiée. La chose est plus probable encore pour un 
passage de V Antirrheticus où l'auteur, comparant 
l'humanité à une goutte de vinaigre qui tomberait 
dans la mer et serait absorbée dans ses eaux, la repré- 
sente « transformée en la mer d'incorruptibilité » et 
a changée, avec tout ce qui avait paru alors selon la 
chair, en la nature divine et immortelle », n'offrant 
plus « ni pesanteur, ni l'orme, ni couleur, ni résistance, 
ni mollesse, ni circonscription de la quantité, ni rien 
de ce que l'on a pu voir alors, le mélange avec le divin 



i.. ContrcC Eunom., V, col. 693. 

2. Contra Eunom., V, col. 697, 700, 703. 



130 HISTOIRE DES DOGMES. 

ayant élevé aax propriétés divines l'humilité de la 
nature charnelle ^ » . 

Quant à saint Jean Chrysostome, il est naturel que 
nous trouvions chez lui un écho des doctrines antio- 
chéniennes qu'il avait dû connaître à l'école de Dio- 
dore. Heureusement, son génie tout pratique l'a retenu 
à temps sur la pente de ces dangereuses spéculations. 
Dans sa onzième homélie sur saint Jean (2), où il s'oc- 
cupe de la relation des deux natures en Jésus-Christ, 
il explique par \habitant in nobis le Verhum caro 
factum est qui précède. L'humanité est la tente («jjcïivV)) ^ 
de la divinité : il n'y a donc ni confusion ni disparition 
des substances ; mais cependant xî) évwffei xa\ tî} (ruvaçeto; 
h Iffxiv 6 ôeôç Xoyoç xat ^ cap^. Comment s'est faite cette 
unité ? Inutile de le chercher : le Christ seul le sait : 
To Se oTTWç, (A:Ji CviTSf lyévETO yàp tb; oTSev aùxo;. C'est tout ce 
que Chrysostome peut nous dire «ur cet ineffable et 
insondable mystère. 

Ces observations montrent bien que, si les Pères 
grecs de la fin du iv^ siècle avaient puisé dans le sens 
catholique et l'enseignement traditionnel assez de 
lumière pour repousser et condamner l'apollinarisme, 
ils n'avaient pas encore assez mûri leurs idées ni affiné 
leur langage pour donner au problème christologique 
une solution absolument satisfaisante et définitive. Des 
obscurités existaient encore dans lesquelles tâton- 
naient les plus grands génies. Ces obscurités devaient 
se dissiper en partie au v® et au vi^ siècle, mais au 
prix de quelles luttes et de quels déchirements ! 



1. Antirrhet., 42; cf. Contra Eunomium, V, col. 708. 

2. cf. Jn psalm. XLIY, 2 : vaéç. 



OUVRAGES CITÉS 



DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME. 



Afin qu'il puisse retrouver plus aisément les textes 
de saint Chrysostome dont il va être question dans le 
chapitre suivant, on a dressé ici pour le lecteur une 
liste des ouvrages d'où ils sont tirés, avec l'indication 
des volumes de la Patrologie grecque de Migne qui 
contiennent ces ouvrages. Les commentaires de l'Écri- 
ture ont été d'abord mentionnés dans l'ordre des Li- 
vres Saints, puis les divers traités, homélies et dis- 
cours dans l'ordre alphabétique. 

P. G. 

In Genesim LUI, LIV 

In psalmos LV 

In Isaiam LVI 

In Matthaeum LVII, LVIII 

In loannem LIX 

In acta apostolorum LX 

In epist. ad Romanos LX 

In epist. I ad Corinthios LXI 

In epist. II ad Corinthios LXI 

In epist. ad Galatas LXI 

In epist. ad Ephesios LXII 

la epist. ad Philippenses LXII 

In epist. ad Colossenses LXII 

In epist. II ad Thessalonicenses LXII 

In epist. I ad Timothaeum LXII 

In epist. II ad Timothaeum LXII 

In epist. ad Hebraeos LXIII 

Ad populum antiochenum XLIX 



132 HISTOIRE DES DOGMES. 

Ad Theodorum lapsum XL VII 

Adversus ludaeos XLVIII 

De Anna LIV 

De baptismo Christi XLIX 

De beato Philogonio XLVIII 

De consolatione mortis LVI 

De consubstantiali contra anomoeos. . . XLVIII 

De cruce et latrone XLIX 

De Davide et Saule LIV 

De decem millia talentorum debitore... LI 

De incomprehensibili Dei natura XLVIII 

De laudibus sancti Pauli L 

De Lazaro XLVIII 

De libelle repudii LI 

De paenitentia XLIX 

De resurrectione mortuorum L 

De sacerdotio XLVIII 

De sancta Pentecoste L 

De sancto Meletio antiocheno L 

In ascensionem Domini L 

In eos qui pascha ieiunant XLVIII 

In illud « In faciem Petro restiti » LI 

In illud « Vidi Dominum » LVI 

In proditionem ludae XLIX 

In sanctum Eustathium antiochenum. . L 

In sanctum Romanum martyrem L 



CHAPITRE VI 

LA THÉOLOGIE GRECQUE DU IV^ SIECLE EN DEHORS 
DES QUESTIONS TRINITAIRES ET CHRISTOLOGIQUES. 



§ 1. — Angèlologie. 

Le moment n'était pas venu encore où la théologie 
grecque ferait aux anges une grande place dans ses 
spéculations. Tout entiers aux luttes présentes ou à 
l'instruction de leurs fidèles, les auteurs du iv^ siècle 
ne parlent des anges que par occasion. 

Les Cappadociens regardent les anges comme des 
créatures immortelles par participation de l'éternité 
de Dieu^, intelligentes et libres, mais qui, malgré 
leur perspicacité, ne sauraient comprendre la nature 
divine 2. Les anges sont-ils des esprits purs? Saint 
Basile ne le pense pas : leur substance (oôfft'a) est, d'a- 
près lui, un souffle aérien ou un feu immatériel (àépiov 
TTveùfjia 7^ Ttup aùXov), et c'est pourquoi ils sont localisés 
et deviennent visibles à ceux qui sont dignes de les 
voir, dans la forme de leur propre corps (ev tSÎ sXSsi tSv 
oîxgtwv aÙTÔJv ffwijLaTwv) ^. Saint Grégoire de Nazianze 

1. Grec. Naz., Or. XXIX, 13; Greg. Nyss., Contra Eunom., YIII (P. G., 
XLY, 796, 797). 

2. Basil., De Spir. Sanclo, 38; Greg. Nyss., De oral, domin., IV (P. G., 
XLIV, lier;, il68); Contra Eunom., I, col. 4G1. 

3. De Spir. Sanclo, 38. Didyme admet aussi la corporéité des anges 
[De trin., II, 4, col. 481;. De même Macaire l'égvplien (Homél. IV, 9) 

8 



134 HISTOIRE DES DOGMES. 

refuse de se prononcer * ; mais saint Grégoire de Nysse 
paraît admettre franchement leur absolue spiritua- 
lité 2. Ce dernier sentiment est peut-être aussi celui de 
saint Chrysostome^. Bien qu'il déclare que les anges 
étant d'une nature supérieure à la nôtre, nous ne pou- 
vons connaître ce qu'ils sont jji.eTà àxpiée(aç*, il les pré- 
sente cependant comme des créatures sans corps 
(àcrtofjiaTOi; çuatç) qui n'ont pu avoir, avec les filles des 
hommes, les relations que certains leur attribuent sur 
une fausse interprétation de la Genèse, vi, 2". Ce 
n'est donc pas non plus leur propre substance qu'ils 
ont montrée quand ils ont apparu, car celle-ci est in- 
visible, mais seulement une forme extérieure, laquelle 
n'était qu'une chair apparente, non réelle (cuYxaTa- 
6a<jiç) ^. 

Les anges ont été, après leur création, élevés en 
grâce, car ils ne sont devenus saints que par l'action 
en eux du Saint-Esprit'. Cette première grâce toute- 
fois ne les a pas fixés dans le bien. Encore que moins 
susceptibles que nous ne sommes de pécher, ils étaient 
SuffxiviQToi, et non point àxivr^Toi. La preuve en est dans 
la chute de Lucifer et de ses compagnons ^ dont le 
péché a été l'envie ou l'orgueil ^. 

Par le fait de cette chute, nous devons désormais 

1. Or. XXVIII, 31 ; XXXVIII, 9. 

2. De Virgin., 4 (P. G., XLVI, 348); De orat. domin., or. IV, col. H68; 
Contra Eunom.,J, col. 34I;Xir, col. 1041; Orat. cat., 6 (P. G., XLV, 23). 

3. Je àiB peut-être, car la philosophie de ce temps distinguait entre 
corps et matière, matière épaisse et matière subtile. Je reviendrai ail- 
leurs sur ce point. 

4. De incomprehensibili Dei natura, homil. V, 3. 

5. In Gènes., homil. XXII, 2. 

6. In Gènes., homil. XXII, 2; De consubstantiali contra anomoeos, 
hom. VII, 6. 

7. Basil., De Spir. Sancto, 38; Epist. VIII, 10; Greg. Naz., Or. VI, 12, 
13. 

8. GnEG. Naz., Or. XXXVIII, 9; XLV, S; Gkeg. Nyss., Contra Eunom., I^ 
col. 333. 

9. Grec. Naz,, Or. XXXVIII, 9; Greg. Nvss., Or. catech., 6, col. 28. 



LA THÉOLOGIE GRECQUE DU IV SIECLE. 135 

distinguer entre les bons et les mauvais anges. Saint 
Chrysostome dépeint les bons anges remplissant l'air, 
habitant dans les églises, entourant l'autel et priant 
pour nous pendant l'oblation, présentant à Dieu le 
sang de son Fils et luttant en notre faveur contre les 
démons ^ A chaque juste d'ailleurs, et même à cha- 
que homme, à chaque église et à chaque nation a été 
donné un ange gardien qui les protège et inspire à 
ceux qu'il conduit de saintes pensées 2. Quant aux 
anges prévaricateurs, saint Cyrille de Jérusalem paraît 
supposer que quelques-uns d'entre eux ont obtenu 
leur pardon ^. Saint Epiphane divise les autres en deux 
catégories, ceux qui sont sur la terre et les démons, 
fils des ténèbres, qui sont sous terre ^. Saint Grégoire 
de Nazianze dit simplement que, précipités du ciel 
mais non anéantis, les mauvais anges font actuellement 
la guerre aux enfants de Dieu ^. 

§ 3. — Anthropologie. 

C'est contre le manichéisme surtout que les Pères 
grecs du iv^ siècle ont traité de la nature de l'homme 
et de son état présent. A voir la place que la réfutation 
du manichéisme occupe dans leurs œuvres, notam- 
ment chez ceux qui visent à l'instruction du peuple, 
il est bien évident qu'ils considéraient cette hérésie 
comme l'une des plus attirantes pour la faiblesse hu- 

1. In ascens. Domini homil., i ; De incompreh. Dei nat., homil. m, 7. 

2. Basil., In psaiwi. XXXII, S, vers. 7 (P. G., XXIX); Adv. Eunom., III, 
i; Epist. GCXXXVIII; Greg. Naz., Or. XLII, 9; Greg. Nyss., Be vita Moy- 
sis (P. G., XLIV, 337, 340); CimYsosï., In Matth., hom. LIX, 4; In epist. 
ad Coloss., hom.. III, 3; De laudib. sancti Pauli, hom. YII, init.; In acta 
apostol., hom. XXVI, 3. 

Catech., II, 10; et. Didtme, Enarr. in epist. s. Pétri primam, I, 1-2; 
III, 22 (col. nS9, 1770). 
à. Ancoralus, 72. 
S. Carmina, lib. I, sect. I, 7 (P. G., XXXVII, 413 suiv.). 



136 HISTOIRE DES DOGMES. 

maine, des plus dangereuses pour la morale évangé- 
lique. 

On a vu qu'Apollinaire distinguait réellement dans 
l'homme l'âme raisonnable (vouç) de l'âme animale 
(4'"X^)- ^® sentiment a été suivi par Didyme l'a- 
veugle S qui l'avait vraisemblablement pris d'Ori- 
gène : les autres Pères ou l'ont combattu, ou ont été 
simplement dichotomistes^. De l'union du corps et de 
l'âme résulte un léyiMv ÇSov résumant en lui les deux 
mondes supérieur et inférieur 3. Quelle-est l'origine de 
cette âme? Didyme, suivant encore ici les traces d'Ori- 
gène, regarde les âmes comme créées, mais comme 
préexistantes aux corps dans lesquels elles ont été en- 
fermées en punition de leurs fautes''. C'est une erreur 
que saint Grégoire de Nysse, malgré ses tendances 
origénistes, condamne formellement^. Lui-même tou- 
tefois incline au traducianisme, s'il ne le professe pas 
en termes clairs. Il affirme, avec raison, que l'âme 
est formée en même temps que le corps, puisque, dès 
le premier instant, elle le fait vivre ^ ; mais ailleurs, il 
ajoute que la semence humaine, pour se développer 
en fœtus et en enfant, ne reçoit rien du dehors (I^wOev)''. 
Saint Epiphane, qui admet que l'âme d'Adam a été 
créée, est assez embarrassé pour concilier son opinion 
avec le texte de la Genèse ; car il y est dit que cette 

i. De Spiritu Sancto, S4, SS, 59; cf. Be trin., III, 31, col. 936. 

2. Athan., Cont. génies, 26, 30, bien qu'il dislingue lui aussi virtuel- 
lement voue de 4'"X^> GREG. Nyss., De homin. opificio, 6; Chrysost., In 
epist. ad Roman., XIII, 2; In epist. ad Philipp., hom. VII, 2 ; In epist- 
I ad Corinth., hom. XIII, 3; Macar. Aegypt., Homil. VII, 8. 

3. Grec. Nyss., De homin. opificio, 8; Antirrhel., 33; Greg. Naz., 
Or. XXXVIII, 11 ; XLV, 7, 

4. Enarr. in epist. s. Pétri primam, 1, 1 (col. 1753); cf. Saint Jérôme, 
Apologia adv. libros Ru fini, III, 28. 

5. De anima et resurr. {P.' G., XLVI, col. 123, 128); Gyrill. Hier., 
Cat. IV, 19; Epipn., Ancoralus, 62. 

6. De anima et resurr., ibid. 

7 De hominis opificio, 29, col. 234. 



LA THEOLOGIE GRECQUE DU IV« SIECLE. 137 

âme a été insufflée par Dieu. Elle n'est pas cependant 
une partie de Dieu ([AÉpoç Qeoîî); elle ne lui est pas d'ail- 
leurs étrangère (àXXoTpiov -sou Iva/ucïfjxaToç) ; dès lors 
comment résoudre la contradiction ^ ? 

Un autre problème, plus important, était celui de 
l'état dans lequel ont été créés ou mis nos premiers 
parents, et de la part, dans cet état, de ce qui était dû 
à la nature et de ce qui la dépassait. Nos auteurs s'en 
sont occupés, mais de leurs affirmations on a bien de 
la peine à dégager une théorie une et précise. 

Saint Athanase en a traité surtout dans ses deux 
ouvrages de jeunesse, le Contra gentes et VOratio de 
ùicarnatione, dans lesquels l'inspiration platonicienne 
est manifeste. L'homme, dit-il, fut créé d'abord à l'i- 
mage de Dieu et du Verbe ^ : la connaissance et la 
pensée de sa propre éternité furent imprimées dans 
son âme; moyennant quoi sa destinée était de se sou- 
venir continuellement de Dieu, de conserver en soi son 
image, la grâce et la vertu du Verbe, et de vivre heu- 
reux et immortel dans la familiarité de son créateur. 
Car l'âme pure et dégagée des sens contemple le 
Verbe, et dans le Verbe le Père, et cette vue, qui la 
ravitj augmente naturellement ses désirs et son amour. 
Tel était l'état de nos premiers parents ^. 

De cet état — qui comprenait, ainsi qu'on le voit, la 
ressemblance avec Dieu, la rectitude de la volonté, 
l'illumination de l'intelligence, l'exemption des maux 
et de la mort — l'homme est déchu. Saint Athanase 
rattache clairement cette déchéance à la faute d'Adam "* . 

d. Ancoratus^^. Saint Epiphane n'est pas moins embarrassé pour 
dire au juste en quoi consiste en l'homme l'image de Dieu dont parle 
la Genèse (I, 26); elle n'est exclusivement, dil-il, ni dans le corps ni 
dans l'âme; elle ne consiste exclusivement ni dans la vertu ni dans la 
grâce du baptême (Ibid., S5, 30). 

2. Contra gentes, 2, 8; Or. de incam., 3. 

3. Contra gentes, 2; Or. de incam., 3, 5, U, 

4. Or. de incam., 3; C. arianos, II, tJI. 

8. 



138 HISTOIRE DES DOGMES. 

Son résultat a été de réduire l'homme à ce qu'il était 
par nature : 'H yàp Ttapaêaotç x^ç IvtoXtîç et? to xarà tpucriv 
aùxobç 67réffTp£cfiev * . Ainsi l'homme a perdu l'intégrité et 
l'immortalité du corps ; il a été soumis à la cpôopa, puis- 
que, par nature, il est mortel^; mais — et ici apparaît 
la confusion — non seulement il est resté, dans son 
âme, intelligent et immortel', mais il n'a perdu que 
progressivement, et à mesure qu'il s'est enfoncé dans 
les plaisirs sensuels, la connaissance de Dieu et la 
contemplation du Verbe : ce n'est que peu à peu que 
sa ressemblance avec Dieu s'est oblitérée ■*. Bien plus, 
cette ressemblance avec Dieu, cette contemplation du 
Verbe (toïï Xoyou 6£wpia), l'âme peut d'elle-même la 
recouvrer en rejetant le péché et en s'affranchissant 
des liens de la sensualité, car elle est à elle-même sa 
propre voie, et elle ne reçoit point du dehors la con- 
naissance et la compréhension du Dieu- Verbe ^. 

Dans ces derniers passages, saint Athanase semble 
clairement supposer que la ressemblance avec Dieu et 
la connaissance du Verbe sont choses naturelles à 
l'homme. Ailleurs, il s'exprime autrement : non seule- 
ment il les appelle une grâce (xapw), mais il regarde 
la ressemblance avec Dieu comme perdue par le péché 
et ne pouvant être rétablie que par l'incarnation. 
Celui-là seul qui est l'image par excellence de Dieu, 
Jésus-Christ, pouvait restaurer en l'homme la ressem- 
blance divine et lui faire ainsi connaître Dieu ^. 

Plus tard le langage de notre auteur acquerra en- 
core plus de fermeté. Distinguant l'acte créateur de 
l'acte par lequel Dieu nous adopte, il remarquera que 

i. Or. de incarn., 4. 

2. Or. de incarn.. S. 

3. Contra génies, 13, 31-3i. 

4. Contra gentes, 8. 

5. Contra gentes, 33, 34. 

6. Or. de incarn., S, 0, 7, 13, i4. 



LA THÉOLOGIE GRECQUE DU IV SIECLE. 139 

l'effet du premier est de nous donner notre nature, 
tandis que celui du second est de nous constituer dans 
la grâce ; que cette grâce de filiation résulte en nous 
seulement de ce fait que nous sommes la demeure 
du Verbe, vrai Fils de Dieu et son image, et de son 
Saint-Esprit ^ Saint Athanase cependant n'a pas ef- 
facé ce qu'il avait écrit d'abord : il s'est corrigé sans 
se rétracter. 

L'idée des Cappadociens ne diffère pas sensiblement, 
sur le sujet qui nous occupe, de celle de saint Atba- 
nase. Ils représentent l'état primitif de l'homme 
comme un état de béatitude caractérisé, d'un côté, par 
l'absence des souffrances et de la mort, de l'autre, par 
l'amour de Dieu et un commerce intime avec lui^ : ce 
sont les données scripturaires. Cet état était naturel 
(xaTà (fuffiv), mais il est difficile de déterminer la portée 
exacte de cette expression sous leur plume, et de 
dire s'ils entendaient par là un état strictement dû à 
l'homme, ou un état seulement convenable à sa nature, 
ou nécessaire hypothétiqueraent, et étant donnée sa 
destinée plus haute. Mentionnons cependant une spé- 
culation bien platonicienne de saint Grégoire de Nysse. 
Il voit, dans l'image de Dieu imprimée en l'homme, le 
cumul de toute sagesse et de toute vertu et, par- 
dessus tout, la liberté. Cette image n'a pas été impri- 
mée d'abord dans un individu particulier, mais dans 
la nature humaine générique, dans l'homme type 
réellement existant [réalisme]. Cet homme type n'avait 
point de sexe déterminé, et, dans le plan primitif de 
Dieu, les individus formés sur lui devaient se propager 
et se multiplier, comme les anges, par des voies in- 



1. C. arianos, II, S8, 59; in, 10. 

2. Basil., Homil. quod Deus non est auctor malorum, 6, 7; Greg. 
Naz., Or. XLV, 8; Greg. Nyss., Orat. calech., 6, 



140 HISTOIRE DES DOGMES. 

connues. La distinction des sexes n'a été décrétée par 
Dieu qu'en prévision de la chute*. 

On ne trouve, sur ce sujet de l'état de l'homme 
avant la déchéance, rien de particulier dans saint 
Cyrille de Jérusalem ni dans saint Epiphane ^. Saint 
Ghrysostome dépeint nos premiers parents comme 
immortels, impassibles, heureux, remplis de sagesse 
et environnés d'une gloire qui leur cachait leur nu- 
dité^. Il explique l'image de Dieu imprimée en eux 
de la domination et de la royauté de l'homme sur la 
création''. 

De cette félicité primitive Adam et Eve sont déchus 
par leur péché ; car c'est la liberté qui a introduit le 
mal dans le monde. Le mal n'est rien de positif ni de 
substantiel en soi : il n'est que la déviation de la vo- 
lonté s'écartant du but qu'elle doit atteindre^. En 
conséquence de cette première faute, l'homme immor- 
tel est devenu mortel ; impassible, il a été soumis aux 
misères et à la maladie ; son intelligence s,'est obscur- 
cie ; sa volonté s'est affaiblie : il a ressenti les entraî- 
nements de la concupiscence; il a perdu la vue de 
Dieu et s'est adonné à l'idolâtrie ; les rapports sociaux 
eux-mêmes ont été troublés ; la pauvreté et l'esclavage 
ont apparu comme des fruits de la violence et de l'iné- 
galité des conditions®. Ce sont les principaux traits 



i. De homînis opiflcio, 4G (col. 133), 17. Il est bon de remarquer que 
l'auteur ne propose généralement ces explications que comme des 
essais (5ià ffTojjaan&v Ttvwv). 

2. Celui-ci prend au sens absolument littéral les descriptions de la 
Genèse (Ancoratus, 61). 

3. Ad popul. antiochen., hom. XI, 2; In Genesim, hom. XVI, S; XVII, 
i, 2. 

4. In Genesim, liomil. XXI, 2; Ad popul. anttoch., hom. VII, 2, 

5. Basil., Homilia gtiod Deus non est auclor malorum, 3-7 ; Greg. 
Nïss., De anima et resurrect., col. 93; Greg. Naz., Or. XL, 48; Epipii., 
Haer. LXYI, 15. 

6. Greg. Naz., Or. XIX, 13, 14; XIV, 23; XXII, 13; XLV, 8, 12; Greg. 



LA THEOLOGIE GRECQUE DU IV" SIECLE. 141 

de la déchéance telle que la dépeignent les Pères grecs 
du IV* siècle. Maintenant vont-ils plus loin, et pensent- 
ils qu'Adam nous a transmis non seulement les mi- 
sères, peines de son péché, mais son péché lui-même? 
Croient-ils que, descendant de lui, nous ne naissons 
pas seulement malheureux, mais coupables? Admet- 
tent-ils, en un mot, le péché originel proprement dit? 
On sait comment Julien d'Eclane opposait plus tard à 
saint Augustin leur silence ou leur doctrine contraire 
sur cette question, et comment saint Augustin s'effor- 
çait à son tour de démontrer qu'ils témoignaient en sa 
faveur. Ni l'un ni l'autre, à vrai dire, n'avait complè- 
tement raison. Saint Athanase affirme que, « comme 
d'Adam pécheur le péché a passé dans tous les hommes 
(eiç -TtayTotç àvOpcûTCOuç e'^ôacrev -^ étxapxia), aussi, après que 
le Seigneur s'est fait homme et a vaincu le serpent, sa 
force s'est répandue dans tous les hommes * » . Didyme 
considère la chute comme l'ancien péché {-noXaia â[jLap- 
Tia) dont Jésus-Christ nous lavait par son baptême 
dans le Jourdain 2. Tous les enfants d'Adam le con- 
tractent par transmission (xaTot SiciiBoyr,v) : l'union 
charnelle des parents en est la condition; et c'est 
pourquoi Jésus, né d'une vierge, n'en a pas été at- 
teint^. Comme Didyme émel, au même endroit, l'idée 
que le mariage, dans l'Ancien Testament, n'allait pas 
sans faute (tôv -^dixQv afxapTriTixwç eî^ov), on peut sup- 
poser qu'il regardait, ainsi que le fera plus tard saint 
Augustin, la concupiscence comme étant de soi un 
péché chez les païens. 

Saint Augustin a cité de saint Basile l'homélie pre- 



Kyss., Or. catech., 6, col. 29; Chiiysost., Ad popul. antioch., hom. XI, 2; 
In Genesim, hom. XVII, 2 ; XVI, S, 6. 
i. C. arianos, I, 51. 

2. De trinitàle, II, 12, col. 684. 

3. Contra manichaeos, YIII, col. 1096. 



142 HISTOIRE DES DOGMES. 

mière sur le jeûne, 3*, où il est dit que, si Eve avait 
su jeûner, nous n'aurions pas à le faire. Plus concluant 
est le texte de VHomilia dicta tempore famis et sicci- 
tatis, 7 : « Payez pour le premier péché (t^v TrpwTOTUTrov 
«{AapT(av) en faisant largesse de nourriture; car de 
même qu'Adam, en mangeant à tort, a transmis le 
péché (t^v àfjiapTCav 7rapÉ7re{jt,|ev), ainsi nous abolissons 
[les effets] de la perfide nourriture en secourant la 
nécessité et la faim de notre frère 2. » 

Saint Augustin a de même cité plusieurs fois saint 
Grégoire de Nazianze comme témoin de la doctrine 
du péché originel, notamment ses discours xvi, 15; 
XXXVIII , 4 , 17 , et un autre passage que l'on ne trouve 
plus dans les œuvres conservées de saint Grégoire. 
Mais, si l'on excepte peut-être ce dernier texte et une 
expression du discours xix, 13, où l'auteur appelle 
nôtre le premier péché (t^ç TrpwTr,!; -^[jiwv tr^ç àjxapxiaç), 
saint Grégoire ne paraît pas avoir enseigné que notre 
âme ait été, au sens strict, souillée par le péché 
d'Adam. Il déclare que les enfants qui meurent avant 
le baptême sont sans péché (àrtovi^pouç), et ne seront ni 
récompensés ni châtiés parle juste juge^. Même doc- 
trine dans saint Grégoire de Nysse : lui aussi parle de 
déchéance, mais pas de souillure. Dans son traité De 
infantihus qui praemature moriuntur, il écrit que les 
âmes de ces enfants n'ont point de maladie dès le 
principe, qu'elles n'ont pas besoin de la santé qui vient 
de la purification ([a^ Sedfxsvov t9îç Ix tou xaTapôîjvai ôy'siaç), 
et qu'elles commenceront à jouir, dans la mesure de 
leur pouvoir, de la connaissance et de la participation 
de Dieu, vie naturelle de l'âme, jusqu'à ce que, par 
l'usage progressif de leur liberté, elles deviennent 



1. p. G., XXXI, 16S. 

2. p. G., XXXI, 324. 

3. Or. XL, 23. 



LA THÉOLOGIE GRECQUE DU IV SIÈCJ.E. 143 

capables de connaître Dieu davantage et d'en être 
participantes dans une plus large mesure ^. 

On peut négliger les brèves indications de saint 
Cyrille de Jérusalem sur notre sujet ^. Mais saint Chry- 
sostome mérite d'autant mieux de retenir notre atten- 
tion que son autorité a été plus disputée entre Julien 
d'Eclane et saint Augustin, et qu'il appartient à l'école 
d'Antioclie dont les tendances pélagiennes ne sont 
pas douteuses. Julien invoquait, pour nier que saint 
Chrysostome eût admis le péché d'origine, le texte 
d'une homélie Ad neophytos où le saint docteur disait 
que (t nous baptisons les enfants eux-mêmes, bien 
qu'ils n'aient point de péché qui les souille ^ ». A quoi 
l'évêque d'Hippone répondait qu'il s'agissait ici de 
péché actuel. On peut encore remarquer que saint 
Chrysostome déclare que les âmes des enfants ne sont 
pas pécheresses (Trovripai) ■* ; et il est singulier surtout 
que lui, si littéral dans son exégèse, explique le pecca- 
tores du texte de saint Paul, Romains , v, 19, non 
dans le sens de coupables, mais dans le sens d'hommes 
condamnés au supplice et à la mort^. D'autre part 
cependant, il est bien vrai que notre auteur établit un 
parallèle entre Adam et Jésus-Christ^, et paraît ail- 
leurs nous identifier avec Adam transgresseur^. 
Saint Augustin^ a même cité de lui le passage d'une 
homélie (perdue) où il aurait été question d'une « obli- 
gation paternelle écrite par Adam », d'un « commen- 
cement de dette que nous aurions augmenté par nos 



i. p. G., XLVr, 177, 180. 

2. Calech. XIU, 1, 2. 

3. AuGOST., Contra hilian., 1, 21, 22. 

4. In Malth., hom. XXVIII, 3. 

5. lû epist. ad Roman., X, 3. 

6. Ibid., X, 1. 

7. In loan., hom. XXXVI, 2; Adpopul, antiock., hom. XI S, 

8. Contra Iulian., I, 26. 



144 HISTOIRE DES DOGMES. 

péchés postérieurs » . Mais il faut avouer que tout ceci 
est fort peu explicite. En somme, si la croyance en 
une déchéance de l'humanité p^r suite de la faute 
d'Adam est incontestable chez tous nos écrivains grecs 
du IV® siècle, l'idée qu'ils se font de cette déchéance 
reste en deçà de la conception que l'on s'en fait à la 
même époque en Occident : elle est moins complète et 
moins précise. Il faut peut-être excepter le disciple 
d'Origène, Didyme, et expliquer que l'influence d'Ori- 
gène ne se soit pas en effet exercée plus fortement 
dans le même sens sur les Cappadociens par cette 
considération que ses affirmations sur la souillure 
originelle se trouvaient mêlées à son système de la 
préexistence des âmes. 

Il y a donc eu déchéance. A-t-elle atteint la nature 
libre de l'homme et sa capacité de bien faire, au point 
de les anéantir? L'aiBrmer serait aller à l' encontre 
directe de tous nos auteurs : car il n'est rien sur quoi 
ils insistent plus, contre le manichéisme, que la per- 
sistance en l'homme, même déchu, de la liberté et de 
la responsabilité de ses actes. On l'a déjà vu pour 
saint Âthanase. Les autres ne parlent pas autrement^ ; 
mais saint Chrysostome, en particulier, y revient cons- 
tamment comme à un point capital de la morale chré- 
tienne^. La liberté de l'homme est restée entière après 
la chute : le corps n'est pas devenu mauvais, ni con- 
traire et opposé à l'âme en principe ; la concupiscence 
n'est pas, en soi, une faute ni un péché ^. 

Est-ce à dire que l'homme, pour faire le bien, n'a 
pas besoin du secours de Dieu, qu'il peut se sauver 
lui-même? Cette difficile et délicate question — ques- 

1. Greg. Naz., Or, XVI, IS; Cyrill. hier., Catech. IV, 18-21; Épipuan., 
Haer. LXIV, 49. 

2. Par exemple, In Genesim, liom. XIX, 1 ; XX, 3. 
S. In epist. aà Rom., hom. Xlir, i , 2. 



LA THÉOLOGIE GRECQUE DU IV SIÈCLE. 145 

tion de la nécessité de la grâce — n'avait pas encore 
été posée en Orient, et il ne faut pas, dès lors, s'at- 
tendre à en trouver, dans les écrivains grecs du 
IV® siècle, une solution précise et de tout point irrépro- 
chable. On ne saurait cependant négliger les solutions 
même incomplètes qu'ils présentent. 

Nous les tenons surtout des Cappadociens et de 
saint Chrysostome. Sans nier que nous puissions de 
nous-mêmes faire quelque bien^, saint Basile affirme 
que du Saint-Esprit viennent aux âmes tous les secours 
dont elles ont besoin; que, sans lui, nul ne saurait 
prononcer une parole pour la défense de Jésus-Christ. 
Dieu, ajoute-t-il, nous aide dans le bien comme un sau- 
veteur aide un enfant à se maintenir sur l'eau. Que 
personne ne pense s'être sauvé de soi-même, car le 
salut ne vient pas de la puissance de l'homme, mais 
de la science et de la grâce de Dieu^. Saint Grégoire 
de Nysse parle à peu près de même, mais avec cette 
nuance importante qu'il semble requérir la grâce 
seulement pour l'action, non pour l'inclination au bien 
et le désir du bien 3. Saint Grégoire de Nazianze offre 
une doctrine plus ample. C'est surtout dans VOra- 
tio xxxvii, 13 et suiv. qu'il s'est occupé de fixer la 
part de la grâce et de l'activité humaine dans l'œuvre 
du salut. On en peut dégager ce qui suit : 1° Nous 
devons coopérer à la grâce : elle ne fait pas seule tout 
en nous : « Il faut que notre salut vienne de nous et de 
Dieu » (13)''. 2° La volonté libre a au moins une part 
dans le commencement de l'œuvre du salut. Dieu 

1. Remarquons ici qu'il ne faut pas toujours chercher dans ces auf'urs 
la distinction du bien moral naturel et du bien surnaturel. Us n'ont 
pas poussé aussi loin la précision. 

2. De Spiritu Sancto, 18, 53; Homil. in psaîm. XXIX, 2; in psalm. 
XXX II, 2. 

3. De 01-at. dominica, Or. IV (P. G., XLIY, 1163); De institulo chri- 
stiano (P. G., XLYI, 304). 

4. Cf. Or. II, 17. 

HISTOIRE DFS DOGHPS, — II. 9 



146 HISTOIRE DES DOGMES. 

donne à ceux qui sont dignes, et qui le sont devenus 
non seulement par le don du Père , mais par eux- 
mêmes (15). 3** L'auteur paraît même aller plus loin 
et attribuer parfois à la seule volonté libre le commen- 
cement de l'œuvre salutaire (21; cf. Or. xl, 27). 
Cependant, 4" la grâce de Dieu est toujours nécessaire 
pour faire le bien. 5" Bien plus, la bonne volonté elle- 
même (xà pouXfffÔai xaXSiç) vient de Dieu, et c'est pour- 
quoi l'apôtre attribue à celui-ci le tout de la bonne 
œuvre : « Non çolentis nec cui-rentis sed etiam mise- 
7'en.lis Dei » (13). 

L'enseignement de saint Chrysostome n'est pas, 
comme celui de saint Grégoire de Nazianze, concentré 
en un seul endroit de ses œuvres, mais il est plus 
étendu et plus riche. Il se ressent d'ailleurs naturelle- 
ment des préoccupations de l'auteur, avant tout prédi- 
cateur et moraliste, dont le rôle est de pousser ses 
auditeurs à l'effort personnel. Voici en quoi il se 
résume : 1" L'homme est capable, sans la grâce, d'ac- 
complir des actes bons d'une bonté naturelle : c'est la 
conséquence de la préservation intégrale de la liberté 
après la chute. 2° Il ne peut, sans la grâce, bien agir 
(xaTopeSicrai), accomplir des œuvres salutaires. Si Dieu 
ne nous avait appelés et attirés à lui, nous étions 
impuissants ^ 3° Cette grâce d'action paraît tellement 
nécessaire à saint Chrysostome qu'il lui attribue la 
principale part dans nos bonnes œuvres et dans notre 
sanctification^. 4° Mais cette grâce ne paralyse pas 
notre libre arbitre : elle coopère (ffU{;i.TrpàTTei), mais elle 
ne fait pas tout en nous; elle a dans nos œuvres la 
part principale, mais nous y sommes aussi pour quel- 



1. In Genesim, hom. XXV, 7; LVHI, S; In epist. ad Ephes., hom. I, 2; 
cf. In epist. ad Rom., hom. XIV, 7. 

2. In epist. ad Ro7n,, hom. XIX, 1 j In epist. ad Eebr., hom. XII, 3. 



LA THEOLOGIE GRECQUE DU IV SIÈCLE. 147 

que chose ^ 5* Maintenant, ce secours de Dieu, néces- 
saire quand nous voulons parfaire l'action, nous est-il 
aussi nécessaire pour désirer seulement de faire la 
bonne œuvre, pour nous y porter, pour la commencer? 
— Bien que notre auteur affirme, avec saint Paul, que 
Dieu opère en nous le vouloir et le parfaire et nous 
donne la propension de la volonté 2, cependant sa 
pensée d'ensemble est plutôt que nous commençons 
de nous-mêmes à désirer le bien, à nous y incliner, à 
le vouloir, et que Dieu fortifie cette volonté, ce désir, 
et nous donne de réaliser effectivement le bien^ 
6° Mais d'ailleurs la grâce est offerte à tous. Si les 
uns sont des vases de colère, d'autres des vases de 
miséricorde, cela vient de leur libre choix : àub Tcpoaips- 
cetoç ot)te(aç*. 7" La prédestination est consécutive à la 
prescience. Il y a en Dieu deux volontés : une première, 
qui est de sauver tous les hommes, même ceux qui 
pèchent; une seconde — qui résulte des prévisions 
divines — qui est de punir les pécheurs^. Yoilà pour 
la volonté de punir; mais, en d'autres passages, saint 
Chrysostome suppose également que les justes n'ont 
été prédestinés à la gloire, et même aux grâces spé- 
ciales dont Dieu les a favorisés, que conséquemment 
aux bonnes dispositions et au bon vouloir que Dieu a 
prévus en eux^. 

Ces aperçus de saint Grégoire de Nazianze et de 
saint Chrysostome diffèrent, en somme, assez notable- 
ment des conclusions auxquelles s'arrêtera saint Au- 
gustin, et les semi-pélagiens pourront s'autoriser en 

1. In epîst. ad Rom., hom. XIX, 1 ; XIV, 7. 

2. In epist. ad Philipp., hom. VIII, i, 2. 

3. In Genesim, hom. XXV, T, In epist. ad Hebr., hom. XII, 3 ; cf. In 
epist. ad Philipp., hom. vni, i, 2. 

4, In epist. ad Rom., hom. XVI, 9; XY, 1 ; XVIII, S. 

5. In epist. ad Ephea,, hom. I, 2. 

6. In epist. ad Rom-, hom. XYI, 5-8, 



148 HISTOIRE DES DOGMES. 

particulier de tel ou tel détail qu'ils présentent. Dans 
l'ensemble pourtant, nos deux auteurs maintiennent 
l'homme dans la dépendance de l'action divine, et font 
très large la part de la grâce dans le bien qu'il accom- 
plit. 

§ 3. — Sotériologie 1. 

Cette grâce dont l'homme avait besoin ne pouvait 
cependant qu'être le fruit d'une restauration de sa 
chute. Dieu allait-il relever l'homme tombé, et com- 
ment pouvait-on concevoir ce relèvement? Saint Atha- 
nase examine la question dans VOratîo de incarna- 
tione, 6-9. Trois solutions, observe-t-il, se présentaient, 
en dehors de l'incarnation. Ou bien Dieu pardonnerait 
purement et simplement à l'homme, et n'exécuterait 
pas l'arrêt de mort porté contre lui en cas de transgres- 
sion. Solution impossible, car Dieu ne peut mentir à 
sa parole. Ou bien Dieu laisserait l'homme périr, et la 
corruption (ç9opa) faire son œuvre dans le monde. Me- 
sure qui ne convenait guère mieux, parce que, ainsi, 
le plan de Dieu serait ruiné par la malice du démon, et 
l'on verrait disparaître de la terre l'être raisonnable , 
participant du Verbe (6). Ou bien enfin, Dieu exigerait 
de l'homme qu'il fît pénitence et lui remettrait sa faute. 
Et cette solution serait encore incomplète : car la pé- 
nitence, qui efface les péchés passés et préserve des 
péchés à venir, ne remédie pas à la corruption et à la 
mortalité, peine du péché et partie de notre nature : 
ouTE Se ^ [xsTavota àTTO twv xatà cpusiv àvay.aXsîxai (7). Un seul 

moyen restait donc : à savoir que le Verbe de Dieu, 
seul capable de tout restaurer parce qu'il avait tout 
créé, prît un corps humain, et livrât à la mort ce corps 

\. V. J. Rivière, Le dogme de la rédemption, Paris, 190S, chap. ix-xi. 
C. VA>' Crojibrcgce, De soleriologiae christ, prim. font., Lovanii, 1905. 



LA THÉOLOGIE GRECQUE DU IV SIÈCLE. 149 

pour tous les hommes (àvTl Tcàvriov). De cette façon, 
tous mourant pour ainsi dire en Jésus-Christ (wç fxâv 
«avTwv àTToOavovTtdv Iv aÔTÔi) , la sentence de mort portée 
par Dieu serait, d'une part, exécutée ; mais, d'autre 
part, Jésus-Christ revenant à la vie et la grâce de sa 
résurrection nous étant communiquée, Thomme se trou- 
verait affranchi à l'avenir de la loi de corruption qui 
pesait sur lui (7-9). 

Athanase conclut ainsi de la volonté rédemptrice de 
Dieu à la nécessité de l'incarnation et de la mort de 
Jésus-Christ. On verra que ce raisonnement est géné- 
ralement adopté par les Pères grecs du iv" siècle. Quant 
aux idées sotériologiques qu'ils émettent, elles ne 
sont, dans l'ensemble, ni systématiques ni exclusives. 
Quelques-uns d'entre eux seulement paraissent s'atta- 
cher de préférence à tel ou tel mode de concevoir et 
d'exposer le comment de la rédemption de Jésus. 

Ces conceptions peuvent se ramener à trois types, 
ou constituent, si l'on veut, trois théories différentes. 
C'est d'abord la théorie mystique ou physique, dans 
laquelle l'incarnation joue le rôle principal. La nature 
humaine est déchue ; le péché l'a souillée et l'a soumise 
à la mort ; mais elle est prise par le Verbe, et ce con- 
tact intime avec celui qui est la Sainteté et la Vie sub- 
stantielles la sanctifie et la vivifie elle-même. — Une se- 
conde théorie est dite réaliste, et, sans exclure la 
première, met l'accent sur les souffrances du Sauveur. 
L'homme pécheur doit, pour rentrer en grâce avec 
Dieu, expier ses fautes et satisfaire à la justice divine. 
Jésus-Christ se substitue à lui, à tous les hommes; pour 
acquitter cette dette. Par ses souffrances et sa mort, il 
paie notre dette envers Dieu, il nous rachète; il expie 
nos fautes en subissant le châtiment qui nous était dû ; 
il satisfait à la justice, il apaise la colère de Dieu et 
nous le rend favorable ; il offre, en un mot, à Dieu le 



150 fflSTOlRE DES DOGMES. 

sacrip.ee expiatoire et propitiatoire qui eflfece les pé- 
chés du monde. Toutes ces idées, plus ou moins com- 
plètement énoncées, ne font qu'exprimer les divers 
aspects de l'efficacité du sang de Jésus-Christ pour 
nous rendre l'amitié divine et nous délivrer de la mort. 
— Enfin, on peut distinguer la théorie que l'on a ap- 
pelée des droits du démons et qui n'est souvent qu'une 
façon un peu singulière et oratoire d'exposer l'idée de 
rachat. Par le péché nous sommes devenus la propriété 
de Satan qui ne nous lâchera que moyennant un juste 
prix. La vie et le sang de Jésus-Christ sont ce prix 
payé à Satan. Celui-ci s'empare, en effet, du Sauveur 
mais il ne peut retenir sa victime, sa rançon. Jésus- 
Christ ressuscité lui échappe et se délivre lui-même. 

Telles sont les trois formes principales sous les- 
quelles se sont présentées, dans l'antiquité surtout, les 
vues sotériologiques des Pères. Répétons que, chez 
ceux qui nous occupent ici, la première et la troisième, 
quand on les trouve dans leurs œuvres, n'excluent ja- 
mais la seconde, et qu'une efficacité spéciale est tou- 
jours attribuée par eux à la mort de Jésus-Christ. Ceci 
posé, on peut dire que saint Athanase et saint Grég'oire 
de Nysse représentent particulièrement la théorie mys- 
tique ou physique; Didyme, saint Cyrille de Jérusalem, 
saint Basile, saint Grégoire de Nazianze mais surtout 
saint Chrysostome la théorie réaliste; saint Grégoire 
de Nysse et, dans une certaine mesure , saint Basile la 
théorie des droits du démon. 

Saint Athanase se sert de la première, contre les 
ariens, pour démontrer la pleine divinité de Jésus- 
Christ. La restauration de notre nature, en effet, ne peut 
être, en définitive, qu'im retour à la vie divine et à la 
participation du Verbe concédées d'abord à l'humanité : 
c'est une ôeoTrofïjffiç. Cette divinisation comprend, avec 
la filiation divine et la ressemblance avec Dieu, l'im- 



LA THÉOLOGIE GRECQUE DU 1Y« SIECLE. 151 

mortalité du corps (acpOofpdta). Comment se réalisera- 
t-elle? Simplement par l'union de notre nature avec ce- 
lui qui est Dieu, propre Fils de Dieu, l'image parfaite 
de Dieu, la vie par essence. Car cette nature, à laquelle 
nous participons tous, se trouvant vivifiée et divinisée 
par cette union, nous, qui sommes concorporels (cuff- 
(jw(jt.oi) avec Jésus-Christ', nous trouvons par là même 
tous divinisés et vivifiés ; notre chair est, suivant l'ex- 
pression d'Athanase, verhifièe (XoyoOEtaïjç tîîç capxèç Ivt 
Tov Toîî ôeou Xo'yov)2. « [Le Verbe] est devenu homme, afin 
de nous faire dieux en lui ^ ». « Il s'est fait homme afin 
que nous devinssions dieux : il s'est rendu visible dans 
un corps, afin que nous reçussions la connaissance du 
Père invisible : il a souffert l'outrage des hommes afin 
que nous héritassions de l'immortalité''. » 

Dans cet exposé, Athanase paraît s'exprimer parfois 
comme si l'humanité du Christ n'avait pas été indivi- 
duelle, mais eût embrassé de fait celle de tous les 
hommes. Il ne faut voir là qu'un abus du langage pla- 
tonicien qu'on retrouve plus marqué encore chez saint 
Grégoire de Nysse. Dans son Oratio catechetica, celui- 
ci reprend, sous une forme absolument tangible, la théo- 
rie physique de la rédemption. EnJésus-Christles deux 
moitiés de notre nature, que la mort tend à dissocier, 
sont soudées à jamais (16) : « Dieu s'est mêlé avec ce 
que nous sommes, afin que, par ce mélange avec le di- 
vin, ce que nous sommes devînt divin » (25). Toute la 
îiature humaine était unie, et par conséquent nous tous 
étions en quelque façon, dans le Christ, unis à Dieu ; et 
ainsi, en ressuscitant son humanité, le Christ a ressus- 
cité toute l'humanité, tous les hommes (éfXov cuvavaçTiiawç 



\ . C. arianos, n, 61 ; I, 42. 

2. C. arianos, III, 33, 

3. Ad Adelphium, 4. 

4. Or. de incarna lione, Si, 



152 HISTOIRE DES DOGMES. 

Tov avOpwTTov), comme si toute la nature avait été c»n- 
centrée en un seul : xa6dt7rep tivo; ovto; Çœou Tracrj; tîjç «puçewç 
32)*. 

A côté dé cette théorie, on trouve cependant dans 
saint Athanase et saint Grégoire de Nysse, je l'ai dit, 
des expressions non équivoques de la théorie réaliste. 
Le premier déclare nettement que delà mort de Jésus 
nous vient l'immortalité, et que notre salut était im- 
possible autrement que parla croix^. Cette mort était 
le paiement d'une dette (IxttXtipou to ôg>eiXo(xevov Iv tS 6a- 
vocTw)^; elle était aussi un sacrifice (îeoeîov xa\ Oîîjjia)^. 
Pour détruire la malédiction qui pesait sur nous, Jé- 
sus-Christ a pris sur lui la malédiction. Non qu'il soit 
devenu lui-même malédiction et péché : « non ; mais 
il a pris notre malédiction ; il a porté nos péchés, et il 
les a portés dans son corps sur la croix ^ » . Des idées 
analogues se rencontrent dans saint Grégoire de 
Nysse^. 

Il faut cependant exposer plus en détail cette concep- 
tion d'après les auteurs qui la développent expressé- 
ment. Saint Basile et saint Ghrysostome mettent sur- 
tout en lumière, d'une part, la nécessité d'une expiation 
capable d'apaiser la justice divine et, d'autre part, 
l'impuissance de l'homme à fournir cette expiation. La 
raison qu'ils apportent de cette impuissance est que 
l'homme étant pécheur ne saurait être agréable à Dieu 
ni être lui-même une victime sainte et pure, propre à 

4. Voir des échos de celte même théorie dans saint Grégoire de Na- 
zîanze {Qrat. XXX, 6, 21), et saint Chrysoslome {Somil. in ascens. D. 
N. I. C, 2, 3). 

2. C. arianos, III, S8; Or. de incarn., 9, 26. 

3- Or. de incarn., 9; C. arianos, II, 63. 

4. Or. de incarn., 9; cf. Ad Epicleium, 6; Ad Adelphium, 6. 

5. C. arianos. H, 47; cf. III, 33; Ad Epietet., 8. 

6. C. Eunomium, V (P. G., XLV, 693), VI (col. 717), VII (col. 860) ; De 
perfccia christiani forma (P. G., XLVI, 361); De occursu Domini (P. 6., 
XLVI, 1161, H6S); Anlirrheticus, 21. 



LA THÉOLOGIE GRECQUE DU IV SIECLE. 153 

apaiser sa justice et à effacer les péchés du monde : 
« Il fallait, conclut saint Ghrysostome, la mort du Sei- 
gneur pour nous sauver'. » Lui seul, ajoute saint 
Basile, pouvait « offrir à Dieu une expiation (l^iXaafta) 
suffisante pour nous tous^. » 

Cette valeur d'expiation des actes et de la mort du 
Rédempteur, saint Cyrille de Jérusalem la tire surtout 
de la liberté de Jésiis-Christ dans son sacrifice^, mais 
aussi de la dignité de sa personne, point de vue nou- 
veau que nous n'avions pas jusqu'ici rencontré : «Il 
n'était pas petit celui qui est mort pour nous ; ce n'était 
pas une victime sans raison, ni un homme ordinaire, 
ni même un ange, mais le Dieu fait homme. L'injustice 
des pécheurs n'était pas aussi grande que la justice de 
celui qui est mort pour nous ; nous n'avions pas péché 
autant que valait la justice de celui qui, pour nous, a 
livré son âme''. » 

Nous ne pouvions donc pas nous sauver nous-mêmes, 
mais nous avons trouvé un sauveur, l'Homme-Dieu. 
Comment va-t-il accomplir ce salut? D'abord, en se 
substituant à nous. Comme un roi qui, voyant un bri- 
gand près de subir sa peine, envoie à la mort son fils 
unique et chéri, et transporte sur lui non seulement la 
mort mais la faute, ainsi Dieu fait pécheur et péché 
celui qui ne connaissait même pas le péché, loin de 
l'avoir commis. « Les hommes devaient être punis : 
Dieu ne les a pas punis; ils devaient périr : Dieu a 
donné son Fils à leur place (âvT Ixeîvwv). » La compa- 
raison et les paroles sont de saint Chrysostome ^, mais 

1. In epist. ad Rom., hom. IV, 3 ; In epist. I ad Corinth., hom. XXXYIII, 
2; In epist. ad Ilebr., hom. V, ii 

2. In psalm. XLVni, 4, 3; cf. Saint Epiphahe, Ancoralus, 93. 

3. Catech. XIII, 6. 

4. Catech. XIII, 33. 

8. In epist. II ad Corinth., hom. XI, 3-4; In epist. I ad Timoth,, 
boni. VII, 3 

9. 



iU HISTOIRE J)ES DOGMES. 

la pensée se retrouve dans Didyme, saint Basile, saint 
Cyrille de Jérusalem et surtout saint Grégoire de Na- 
zianze qui représente énergiquement Jésus-Christ 
s'appropriant, faisant sienne notre rébellion et deve- 
nant pour nous àoToafAapTi'a xai auTOXaTCicpa^. 

Cette substitution a sans doute été faite par le Père, 
mais elle a été librement et volontairement acceptée 
par Jésus-Christ^, et saint Chrysostome d'ailleurs nie 
expressément que le Père ait fait à son Fils un pré- 
cepte proprement dit de mourir^. Ceci posé, nous 
trouvons dans nos auteurs l'œuvre rédemptrice de Jé- 
sus-Christ représentée sous toutes les formes que nous 
avons signalées plus haut. Jésus-Clirist se donne et 
donne sa vie comme le prix (àvx^ÀuTpov) de notre rachat : 
il est notre rançon ''. Ayant pris sur lui nos péchés et 
nous portant en quelque sorte tous en lui, il expie, par 
ses souffrances et sa mort, nos iniquités : « Il nous a 
délivrés de la malédiction en devenant malédiction 
pour nous; il a subi pour nous une mort honteuse^. » 
Nous mourons tous et notre péché en lui. Jésus-Christ 
est une victime, et sa mort a été un sacrifice volontaire 
et véritable, un sacrifice expiatoire dans lequel le pé- 
ché a été crucifié avec celui qui l'avait pris sur soi^. 
Ce sacrifice était capable d'apaiser le Père et de nous 



1. DiDYM-, De trînit., III, 12, 21, col. 860, «04; Basil., Regulae fusius 
tractatae, Interrog. II, 4 (P. G., XXXI, 916); Cyrill. Hier., Catech. XIII, 
28; Greg. Naz., Or. XXX, S; XXXVII, 1. 

2. Cyrill. Hier., Catech. XIII, 6; Chrtsost., In epist. ad Gai., cap. 
III, 3. 

3. In loan., hom. LX, 2, 3. 

4. CïRiLL. Hier., Catech. XIII, 2; Didyme, De trtn., III, 21, col. 904, 
908; Greg. Naz., Or. I, S; cf. XXIX, 20; Basil., In psalm. XLVIII, S, 4; 
CuRYsosT., In Matlh., hom. LXV, 4. 

5. Basil., Regulae fusius tractatae, Interrog. II, 4. 

G. Greg. Naz., Or. XLV, 13; I, 7; IV, 68, 78; VI, 4; XXXVIU, 16; Gy- 
RiLL. Hier., Catech. XIII, 28; Epiph., Ancoratus, 6S; Haer. XLJI, 8; 
LXVI, 80; LXIX, 39; LXXVII, 33 ; Chrysost., In epist ad Coloss., hom. 
VI, 3; In epist. ad Gai,, cap. II, 8. 



LA THEOLOGIE GRECQUE DU IV SIÈCLE. 155 

le rendre propice ^ ; et, de fait, il a effacé nos péchés, 
il a aboli à la fois la faute et la peine et nous a récon- 
ciliés avec Dieu^. Et Didyme conclut : « Dans l'incar- 
nation est la médiation. Par elle, s'immolant ineffable- 
ment pour tout le genre humain, et s'offrant à son 
propre Père comme un parfum spirituel, [le Fils de 
Dieu] l'a apaisé, a éteint la mort imminente sur l'uni- 
versalité du genre humain, nous a détournés des idoles, 
nous a unis par la connaissance de Dieu, nous a rendu 
le paradis et ramenés au ciel, joignant, comme Dieu 
Seigneur, les choses terrestres aux célestes, rappro- 
chant ce qui était séparé, et restituant l'homme dans 
la grâce dont il était déchu 2. » 

Ajoutons seulement que, d'après le principe posé 
par saint Cyrille de Jérusalem, cette expiation et ré- 
demption, réalisée par Jésus-Christ, a été surabon- 
dante. Sa mort, en effet, étant celle d'un Homme-Dieu, 
« était largement équivalente à la ruine de tous^ », 
« Le Christ a payé plus que nous ne devions, autant 
que l'océan surpasse en grandeur une goutte d'eau ^. » 

Reste à parler de la troisième théorie sotériologique, 
celle des droits du démon, dont j'ai dit qu'elle était 
représentée par saint Basile et saint Grégoire de 
Nysse. Nul doute que l'un et l'autre ne l'aient emprun- 
tée à Origène, le premier à l'avoir expressément for- 
mulée. Mais il n'est pas moins curieux d'observer que, 
alors que saint Basile et son frère l'ont adoptée, saint 
Grégoire de Nazianze, élevé à la même école, la con- 
damne absolument. C'est, à ses yeux, un blasphème 
de dire que le démon a reçu une rançon de Dieu, et 

i. DiDYM., De trinit., ni, 27, col. 941; Chrtsost., In episl. ad Heb- 
hom. xvn, 1. 

2. CnivYsosT., In loan., hom. LXV, 1; De cruce et latrone, hom. I, 1 

3. De trinit., HI, 27, col. 9i'.. 

4. CiiRYSosT., In epist. ad Hebi-., hom. XVII, 2. 

5. Chhysost., In epist. ad Rom., hom. X, 2. 



156 HISTOIRE DES DOGMES. 

un Dieu en rançon^. Il est juste d'ailleurs de remar- 
quer que saint Basile suppose cette théorie plutôt 
qu'il ne l'enseigne directement : « Vous avez besoin 
d'une rédemption ; car vous avez perdu votre liberté, 
vaincus par le démon qui vous tient captifs, et qui 
ne vous lâchera que moyennant une rançon équivalente. 
Il faut que la rançon soit de même espèce, mais d'une 
valeur bien supérieure, si l'on veut que le tyran re- 
lâche volontairement ses captifs. Aussi un de vos 
frères ne pouvait nullement vous racheter... Ne cher- 
chez donc pas pour votre rédemption un frère, mais 
quelqu'un qui vous soit supérieur en nature, non un 
simple homme, mais l'Homme-Dieu, Jésus-Christ^. » 
Dans ce passage, l'idée d'une rançon à payer au 
démon est, comme on le voit, clairement énoncée. Mais 
la théorie est bien plus complètement et rigoureuse- 
ment exposée dans VOratio catechetica, 22-24, 26, de 
saint Grégoire de Nysse. Dieu est bon, dit-il, il est 
sage, mais il est juste. Or la justice exigeait que, 
puisque le démon nous avait acquis par le péché, nous 
ne lui fussions point arrachés par la force. Il avait 
droit à une rançon, et cette rançon, il est clair qu'il 
la voudrait supérieure en valeur à ceux qu'il rendrait à 
la liberté. L'Homme-Dieu est cette rançon. Il se fait 
un rachat synallagmatique ((TuvaXXaYîJi.aTix^ XijTpwaiç). Le 
démon, comme un poisson vorace qui ignore l'hame- 
çon, se jette, pour s'en emparer, sur l'homme Jésus 
qui lui est présenté. Il est pris à l'hameçon de la di- 
vinité. Le Christ agit suivant sa nature : il dissipe les 
ténèbres, détruit la mort, échappe au démon. Celui 
qui avait trompé l'homme — et c'est justice — est 
trompé à son tour. Mais il est trompé pour le bien de 



1. Orat. XLV, 22. 

2. In psalm. XLVIII, 3, 4. 



LA THEOLOGIE GRECQUE DU IV SIÈCLE. 157 

l'homme et le sien propre, puisque le démon — on le 
verra plus loin — doit profiter lui-même de la rédemp- 
tion. 

On peut voir aisément, par ce qui a été dit, que la 
théorie dite réaliste est, en somme, la plus commune 
dans l'enseignement théologique des Pères grecs du 
iv= siècle, et que les autres s'y joignent comme des 
sortes de compléments ou d'explications plus raffinées. 
Mais du reste, le fruit que nos auteurs assignent à 
cette rédemption est toujours le même. Elle doit nous 
remettre dans l'état dont nous sommes déchus, nous 
délivrer du péché et de la mort, nous rendre l'immor- 
talité et la grâce : elle doit nous diviniser. On a déjà, 
sur ce dernier point, entendu saint Athanase. Sa doc- 
trine est particulièrement riche. Il remarque que 
Jésus-Christ, recevant comme homme les dons divins, 
nous les a transmis; bien plus, il nous communique 
sa divinité, sa filiation divine par le don qu'il nous fait 
de son Esprit. Cet Esprit, qui est l'Esprit du Fils, nous 
rend enfants de Dieu, participants de Dieu {[i-itoyoi toïï 
ôeoû)^. Les Cappadociens ne parlent pas autrement^. 
Saint Cyrille de Jérusalem non plus : le but de l'incar- 
nation est de rendre l'humanité pécheresse participante 
de Dieu (ôeou xoivwvoç)^. Saint Chrysostome, bien qu'ap- 
partenant à l'école d'Antioche, ne fait pas exception. 
Tous les effets de la rédemption, qu'il décrit magni- 
fiquement, et qu'il déclare surpasser de beaucoup 
notre nature, se résument pour lui, comme pour ses 
contemporains, dans une divinisation de cette nature : 



i. C. arianos, I, KO, 88; III, 40; De decretis, 14; Ad Serapionem, I, 24, 
23, 29 ; ni, 3. 

2. Grec. Naz., Or. XXXIX, 17; Basil., De Spiritu Sancto, 23; Amphilo- 
en., Or. I in Christi natalcm, 4 : S-ifAixopipo; toï; 5ov>.otî ô SsaTtôtTiç 
yiy'^^- "■'^'^ oî SoùXoi yévwvrai aiîftjJLopçoi itdcXiv ÔEqj. 

3. Catech. XII, 15. 



158 HISTOIRE DES DOGMES. 

« Étant Fils de Dieu, Jésus-Christ est devenu fils de 
l'homme , afin de rendre fils de Dieu les enfants des 
hommes ^ » 

§ 4. — Ecclésiologie. 

La première condition pour participer aux fruits de 
la rédemption est d'être membre de l'Église, puisque 
en elle et par elle on devient membre de Jésus-Christ 
dont elle est le corps. Les Pères grecs du iv^ siècle, si 
l'on excepte saint Épiphane, ont, en général, peu 
parlé de l'Eglise ex professa, et plutôt supposé que 
développé les points doctrinaux qui la concernent. 
L'Eglise, dit saint Chrysostome, est l'épouse du Christ 
qui se l'est acquise par son sang. Sa première pro- 
priété est l'unité, et aussi le schisme, qui la divise, 
n'est pas rnoins coupable que l'hérésie qui altère sa 
foi. Puis, l'Église est catholique, c'est-à-dire répandue 
dans le monde entier; elle est indestructible et éter- 
nelle; elle est le fondement et la colonne de la vérité 2. 

De ce dernier privilège résultait la conséquence 
signalée plus haut et universellement admise, que 
l'autorité doctrinale de l'Église est infaillible, et que 
son enseignement commande la foi des fidèles. Contre 
les princes aussi qui s'ingèrent dans son gouverne- 
ment intérieur, et à qui les querelles ariennes et la 
servilité d'un trop grand nombre de prélats offrent 
toute occasion et facilité de s'imposer comme ses vrais 
chefs, des voix autorisées revendiquent l'indépendance 
du pouvoir ecclésiastique, et déterminent nettement 
le domaine des deux autorités, religieuse et séculière : 

i. In loan., hom. XI, l; In epist. ad Rom., hom. X, 2. 

2. Jn epist. ad Ephes., hom. XI, S; In epist. I ad Corinth. argumen- 
tum; In Matth., hom. LIV, 2; In illud « Vidi Doviinum », hom. IV, 2; 
Adv. ludaeos, Y, 2; Jn epist. I ad Timoth,, hom. XI, i. 



A THEOLOGIE GRECQUE DU IV SIECLE. 1^9 

« Autre est le domaine de la royauté, s'écrie saint 
Chrysostome, autre celui du sacerdoce; et celui-ci 
l'emporte sur celle-là... Le prince a pour fonction 
d'administrer les choses temporelles ; le droit du sacer- 
doce lui vient d'en haut. » Et plus loin : « Il ne t'est 
pas permis, ô roi, de brûler de l'encens sur le saint 
des saints : tu outrepasses les limites [de ton pouvoir] ; 
tu veux ce qui ne t'a pas été donné... Cela ne t'appar- 
tient pas, mais à moi ^ » 

Sur cette question, l'Orient est pleinement d'accord 
avec l'Occident. Un point plus délicat est de savoir si 
l'Égiise grecque de cette époque admet la primauté de 
l'Église romaine sur les autres églises en dehors du 
patriarchat romain, et attribue à l'évêque de Rome 
une juridiction supérieure même à celle de ses propres 
évêques et patriarches d'Alexandrie, de Constantino- 
pie et d'Antioche. 

Constatons d'abord que les faits primordiaux invo< 
qués par Rome comme fondement de son privilège, à 
savoir la primauté de saint Pierre, son apostolat et son 
martyre à Rome, sont admis des Grecs du iv^ siècle. 
N'insistons pas sur l'apostolat et le martyre : il suf- 
fît qu'Eusèbe les ait enregistrés dans son Histoire ^. La 
primauté de saint Pierre est aussi reconnue. Didyme, 
parlant pour les alexandrins, l'appelle le coryphée 
(xopoçaïoç), le chef (itpoxpiToç), celui qui occupe le pre- 
mier rang parmi les apôtres [h toc TrpwTeïa h to\ç àTco- 
(jToXotç lp)v) '. Les clefs du royaume ont été remises à 
Pierre, et il a reçu le pouvoir — et tous les autres par 
lui (xa\ TtavTeç Si' auToÎj) — de réconcilier les lapsi péni- 
tents''. Saint Epiphane, à son tour, le nomme le chef, 

1. In illud • Vîdi Domûiicm », hom. IV, 4, 5; Cf. Athan., Historia 
arianorum ad monachos, 52. 

2. Hist. eccles., II, i4; 2S. 

3. De trinit., I, 27, col. 4ûS; II, 18, col. 726; II, 10, col. 6iO. 

4. De trinit., I, 30, col 417. 



160 HISTOIRE DES DOGMES. 

le coryphée des apôtres, la pierre solide sur laquelle 
l'Église est établie, celui sur qui la foi inébranlable- 
ment repose (xaToc TuavTa y^? TpOTrov Iv aÛTw IffTspetôflïi ^i 
TTiffTiç), qui a reçu les clefs du ciel, qui délie sur la terre 
et lie dans les cieux^. Pour saint Basile, saint Pierre 
a été préposé à tous les autres disciples (irpoxpiOeCç) ; il 
a reçu les clefs du royaume 2. Mais surtout saint 
Chrysostome ne tarit pas sur les privilèges de l'apôtre. 
Saint Pierre est le premier, le coryphée, la bouche des 
apôtres, le prince des disciples, la base et le fonde- 
ment de rËglise, celui qui est préposé à l'univers 
entier et à qui le soin de tout le troupeau a été confié, 
dont saint Paul lui-même a reconnu sans hésiter la 
supériorité et le pouvoir^. Tous ces titres, dispersés 
dans les œuvres du grand orateur, se trouvent comme 
ramassés dans l'homélie In illud « Hoc scitote », 4 : 
'O oûv né-rpoç ô xopuçaïo; toîî yopdîj, to ax6[/.oi twv àîrodTÔXwv 
aitavTwv, i\ xeepaX"?! TÎ)ç cpaTptaç l}ietvT,ç, ô ttjÇ oîxouaévvjç à-TrotoTiç 
irpoffTaTTjç, ô ÔÊfjiéXioç t^ç 'ExxXrjaia;, ÔEpiAoç Ipaertf,!; toïï 
Xpiff-oî». 

Cette primauté de Pierre a-t-elle passé à ses suc- 
cesseurs? Nul doute, on le verra, qu'on en fût con- 
vaincu en Occident, à Rome en particulier, à cette 
époque. En Orient, on n'hésite pas non plus à recon- 
naître à l'Eglise romaine une incontestable préémi- 
nence qui lui donne le droit d'intervenir dans les débats 
des églises particulières, encore que la nature et les 
limites de cette prééminence ne soient pas toujours 

1. Aneoratus, 9, 34; Haer. LIX, 7, g. 

2. De iudicio Dei, 7 (P. G., XXXI, 672). 

3. De paenitentia, hom. HI, 4; In Matth., hom. XXII, 3; hom. LIV, 1; 
Exposilioin psalm. CXXIX, 2; In loan.y hom. XXIII, 3; In aeta apostoL, 
liom. XXII, 1; YI, 4; III, 3; In epist. ad Rom., liom. XXIX, 5; De decem 
milita talentorum debitore hom., 3 ; In epist. I ad Thessalon., hom. IX, 1 ; 
In illud « Vidi Dominum », hom. IV, 3; Adv. ludaeos hom. VIII, 3; 
In illud « In faciem Petro resliti • hom. 7, S; In epist. I ad Corinth., 
hom. ni, 1 ; XXXV, S. 



LA THÉOLOGIE GRECQUE DU IV» SIÈCLE. 161 

nettement déterminées, et que la source d'où elle 
émane ne soit pas toujours nettement perçue. Socrate 
et Sozomène, quand ils racontent les querelles arien- 
nes, rapportent comme une chose qui n'étonnait per- 
sonne les prétentions du pape Jules, que rien ne fût 
conclu sans son autorité dans les conciles orientaux^. 
Saint Grégoire de Nazianze, parlant au point de vue 
chrétien et ecclésiastique , nomme l'ancienne Rome la 
présidente de l'univers, xtiv Trpo'eSpov tSv oXojv^. Et si 
nous en venons aux faits, nous voyons les évoques 
condamnés par les conciles eusébiens, saint Atha- 
nase et Marcel d'Ancyre se réfugier auprès du pape 
Jules et en appeler à son jugement; les eusébiens ac- 
cepter d'abord que le pape en effet juge l'affaire après 
eux (aÙTOv 'lotîXiov, el pouXotro, xpixV '^^''^ia^oii)^, et, s'ils 
repoussent ensuite sa sentence, finir cependant par 
l'accepter, en 346, lorsque Athanase rentre à Alexan- 
drie. Un autre exemple d'appel à Rome se trouve dans 
le cas de saint Chrysostome. Le patriarche de Cons- 
tantinople, dans sa lettre première au pape Inno- 
cent (4), demande au pontife de déclarer par écrit que 
la sentence prononcée contre lui par le concile du 
patriarche d'Alexandrie, Théophile, est de nulle va- 
leur, que ses auteurs sont passibles des peines ecclé- 
siastiques, et que l'évêque de Rome le reçoit, lui, 
Chrysostome, dans sa communion. On sait du reste 
que le concile de Sardique, composé, il est vrai, en 
grande partie d'occidentaux, avait autorisé ces appels 
au siège apostolique dans ses canons 3 et 5. 

Le fait de la primauté romaine est donc admis au 
ïv* siècle dans l'Eglise grecque, encore que les germes 
du schisme futur commencent à s'y montrer. Le con- 

1. Socrate, Hiat. eccles., U, ?, 13, 17; Sozomène, Hist. eccles., ni, 8. 

2. Carmen de vita sua, vers 571 (P. G., XXXVII, 1068). 

3. Athan., Apologia contra arianos, 20. 



162 HISTOIRE DES DOGMES. 

cile de Constantinople lui-même, si mal disposé vis-à- 
vis de Rome, constate la chose dans le canon où il 
établit le patriarche de Constantinople comme un rival 
du pape, L'évêque de la nonvelle capitale jouira d'une 
prééminence d'honneur, mais après celui de l'ancienne 
Home (toc içpeoêeîa t^ç tija^ç (XETà tov Tr,ç 'Pto[jiyiç inlanoiçov). 

§ 5. — Les sacrements. Le baptême. 
La confirmation^. 

La divinisation, que nous avons dit plus haut être 
le fruit de la rédemption, n'eçt pas généralement pro- 
duite dans le chrétien par des voies purement spiri- 
tuelles et invisibles. L'homme étant corps et âme — 
c'est la pensée de saint Ghrysostome ^, — Dieu lui a 
donné « l'intelligible dans le sensible », c'est-à-dire la 
grâce dans des signes ou symboles visibles et pal- 
pables que nous appelons des sacrements. 

Les Pères grecs du iv^ siècle, bien qu'ils distin- 
guent, comme nous venons de le voir par saint Ghry- 
sostome, l'élément sensible de la grâce produite par 
le sacrement, et encore l'élément matériel du rite de 
la vertu qu'il acquiert par la bénédiction qui lui est 
donnée, ces Pères, dis-je, n'ont point fait la théorie 
générale des sacrements, pas plus qu'ils n'en ont fixé 
absolument la notion et le nombre. On trouve seulement 
groupés ensemble dans leurs œuvres, et notamment 
dans les catéchèses mystagogiques de saint Cyrille, 
les trois sacrements de l'initiation chrétienne, le bap- 
tême, la confirmation et l'eucharistie, noyau primitif 
que viendront grossir les rites analogues. Trois de 
ces rites sont nettement désignés comme imprimant 



1. V. p. Pourrit, La théologie sacramentaîre, Paris, 1905, 

2. In Malth., liom. LXXXII, 4. 



LA THEOLOGIE GRECQUE DU IV' SIECLE. 163 

au chrétien qui les reçoit un sceau, un caractère 
(ffçpaYt;), le baptême, la confirmation Bt l'ordre; mais 
ce caractère n'est pas encore complètement distingué 
de la grâce produite par le sacrement '. D'autre part, 
saint Ghrysostome est souvent revenu sur cette idée 
que, dans l'administration des saints mystères, Dieu 
ou Jésus-Ghrist est l'acteur principal, le prêtre n'est 
qu'un instrument : « Les dons que Dieu nous octroie 
ne sont pas tels qu'ils soient l'œuvre de la vertu sa- 
cerdotale ; le tout est l'œuvre de la grâce ; le prêtre ne 
fait qu'ouvrir la bouche : Dieu fait tout ; le prêtre ac- 
complit seulement un signe symbolique... L'oblation 
est la même, que ce soit celle de Paul ou de Pierre : 
c'est la même que le Christ a confiée aux apôtres, et 
que les prêtres accomplissent maintenant ; et celle-ci 
n'est pas moindre que celle-là, parce que ce ne sont 
pas les hommes qui sanctifient celle-ci, mais celui qui 
a sanctifié celle-là-. » De même pour le baptême : 
« Quand le prêtre baptise, ce n'est pas lui qui baptise, 
mais Dieu, dont l'invisible puissance tient la tête [du 
baptisé] ^ ». « Dieu n'impose pas les mains à tous, mais 
il agit par tous [les prêtres], même indignes, pour 
sauver le peuple [des fidèles] '^ . » Ces principes sont 
ceux-là même que saint Augustin développait, vers la 
même époque, contre le donatisme : ils proclament 
que la valeur des Sacrements est indépendante de la 
sainteté du ministre gui les confère, et acheminent la 
théologie sacraraentaire vers la doctrine de Y ex opère 
operato. 
Mais il faut venir au détail puisque, aussi bien, c'est 

1. Saint Cyrille de Jérusalem, celui qui a le plus complètement 
exposé la théorie du caractère, suppose qu'il n'est pas imprimé là où 
la grâce n'est pas donnée {Catech, I, 3). 

2. In epist. II ad Timoth., hom. îl, 4. 

3. In Matih., hom. L, 3; cf. In acta apostol., hom. XIV, 3. 

4. In epist. II ad Timoth., hom. II, 3. 



164 HISTOIRE DES DOGMES. 

à roccasion de sacrements particuliers que les Pères 
ont émis ces observations. 

Saint Grégoire de Nazianze distingue six espèces de 
baptême : 1° le baptême de Moyse, qui était in aqua et 
aussi in nube et in mari [I Corinth., x, 1, 2) : c'était 
une pure figure ; 2° Celui de Jean-Baptiste qui était in 
aqua et in paenitentiam; 3° Celui de Jésus qui, de 
plus, est iri spiritu (Iv TrveuaaTi); 4° Le baptême de 
sang, le martyre; 5" Le baptême de larmes, ou la pé- 
nitence après le baptême ; 6° Enfin le baptême de feu 
dans l'autre monde, plus dur encore et plus long, qui 
dévore la matière comme la paille, et consume la va- 
nité de toute iniquité ^ . La différence entre le baptême 
<ie saint Jean et celui de Jésus-Christ est donc mise 
en. ce que le premier est in paenitentiam seulement, 
tandis que, dans le second, le Saint-Esprit intervient. 
C'est l'opinion de saint Basile et de saint Cyrille de 
Jérusalem. Ils croient que le baptême de Jean remet- 
tait les péchés, mais que le baptême chrétien, de plus, 
nous fait enfants adoptifs de Dieu et nous confère le 
Saint-Esprit. Ces effets sont d'ailleurs symbolisés dans 
le baptême chrétien, car l'ensevelissement dans les 
«aux signifie la mort au péché du baptisé, tandis que 
l'Esprit lui communique la vie, lui rend la vie pre- 
mière que nous avons perdue 2. Autre est l'opinion de 
saint Chrysostome. Comparant ensemble le baptême 
des juifs, celui de saint Jean et celui de Notre-Sei- 
gneur, il déclare que le premier n'atteignait que le 
corps, que le second procurait la justification de l'âme 
seulement parce qu'il était accompagné d'une exhorta- 
tion à la pénitence [ex opère operantis), et que le der- 



1. Orat. XXXIX, i^, 19; cf. Basil-, De Spiritu Sancto, 33, 36. 

2. Basil., Homilia in sanctum baptismum, i (P. G., XXXI, 42S); De 
Spiritu Sancto, 33; Cyoill. Hier., Catech. III, 7, 14; XVII, 8; XX, 6. 



LA THÉOLOGIE GRECQUE DU IV SIECLE. 16S 

nier seul remet les péchés et confère le Saint-Esprit ^ 
Quoi qu'il en soit de la valeur du baptême johan- 
nique, l'usage tiniversel et non douteux de l'Eglise 
grecque au iv^ siècle était de baptiser au nom du Père 
et du Fils et du Saint-Esprit 2, Aussi déclare-t-on que 
ceux qui rangent le Saint-Esprit parmi les créatures 
rendent le baptême imparfait (àTEXIç)^. Saint Basile 
examine cependant si le baptême au nom du Christ, 
dont parle saint Paul, est valide, et il remarque que 
nommer le Christ c'est professer toute la Trinité ; car 
c'est nommer (implicitement) ,et le Père qui oint, et le 
Fils qui est oint, et le Saint-Esprit qui est l'onction. 
Que si ailleurs {Act., i, 5; Luc, m, 16) il est question 
du baptême dans le seul Esprit-Saint, ce baptême 
aussi est certainement parfait*. 

En dehors du martyre, nos auteurs proclament le 
baptême absolument nécessaire pour jouir du bonheur 
éternel ^. Saint Chrysostome ne fait pas même d'ex- 
ception pour les croyants qui meurent sans l'avoir 
reçu : il les déclare semblables aux infidèles, « hors 
des demeures royales avec ceux qui sont châtiés, qui 
sont condamnés » ; et il ne pense pas qu'on puisse les 
secourir par les prières et l'offrande du sacrifice ; l'au- 
mône seule faite à leur intention peut leur procurer 
quelque soulagement^. Saint Cyrille de Jérusalem va 
plus loin encore, et n'excepte pas ceux qui pratique- 
raient d'ailleurs les œuvres de vertu : à eux aussi le 
baptême "est absolument nécessaire pour entrer dans 
le royaume des cieux^. 

1. De baptismq Christi, 3; In Matth., hom. xn, 3. 

2. Athxn., Epist ad Serapîonem IV, ^2; De decretis, 31. 

3. BASIL., Homil. XXIV, S (P. G., XXXI, 609); Adv. Eunom., III, 5; De 
Spiritu Sanclo, 28; Greg. Nyss., Epist. V (P. G., XLYI, 1032). 

4. Basil., De Spiritu Sanclo, 28, 

5. Grec. Naz., Or. XL, 23; Cyrill. Hier., Catech. III, 10. 

6. In epist. ad Philipp., hom. III, 4. 

7. Catech. III, 4. 



166 HISTOIRE DES DOGMES. 

Quels sont les effets du baptême chrétien? Nous y 
avons déjà touché un peu plus haut, et nos auteurs, 
dans les discours spéciaux qu'ils ont consacrés à ce 
sujet, les ont magnifiquement développés ^ Il s'agit 
toujours de la rémission des péchés, de tous les pé- 
chés, de la grâce de l'adoption divine, de la réception 
du Saint-Esprit, de l'image de Dieu restaurée, de la 
transformation intérieure de l'homme, de la vie nou- 
velle et du principe d'immortalité communiqués : le 
baptême nous rend aufxfjiopa/ot toîî utoû tou Qeou 2. Mais, à 
côté de ces effets, on en trouve signalé un autre, 
mentionné, il est vrai, dès les temps apostoliques, 
mais auquel les Pères grecs du iv^ siècle donnent un 
relief spécial : c'est le caractère. Le baptême imprime 
un caractère (fftppaY^ç). Saint Cyrille de Jérusalem est 
le plus complet représentant de cette doctrine, que 
les autres d'ailleurs n'ignorent pas. Quelquefois le 
baptême lui-même est appelé ffspaYtç^, mais le plus 
souvent ce mot désigne un des effets du baptême : le 
Saint-Esprit marque l'âme (ff3>paY''^°^î (j^paYiCei) pendant 
que le baptême est administré"*. Cette marque est 
comparée à la circoncision, à un sceau qu'on imprime 
sur une cassette, au signe dont on marque les brebis 
ou dont on décore les soldats de la même armée pour 
qu'ils puissent se reconnaître entre eux ; au tau qui fut 
dessiné sur les portes des Israélites en Egypte ^. Elle 
est le signe distinctif du chrétien, ce à quoi les anges et 
les démons le reconnaissent comme tel, à quoi le juge 

1. V. par exemple Basil., Eomil. Xlll, Exhortatio ad sanct. baptism. 
[P. G., XXXI, 424 suiv.); Greg. Naz., Or. XL; Greg. Nyss., De baptismo 
(P. 6., XLVI, 416 suiv.); Cykill. Hier., Caiech. 111, XIX, XX. 

2. Cyrill. Hier., Catech. XXI, 1. 

3. Cyhii.l. Hier., Procatech., 16; Greg. Naz., Or. XL, 4, 15. 

4. CvRiLL. Hier., Catech. IV, 16; XVI, 2i; cf. Caiech. III, 4; XYII, 3S. 
o. CiiRYsosT., In epist. ad Ephes., hom. II, 2; In epîst. Il ad Corinth,, 

Iiom. III, 7; Basil., Homil. in sanctum baptism., 4; Greg. Naz., Or. 
XL, 4,15; Cyrill. Hier., Caiech. 1, 2; III, 12. 



LA THÉOLOGIE GRECQUE DU IV SIÈCLE. 167 

suprême lui-même le reconnaîtra un jour. Marque qui 
n'est pas matérielle, mais spirituelle (TCveuiAaTtxi^), sainte 
et salutaire (aYi'a, ffwTïjpiioSTj) *, merveilleuse, et surtout 
indestructible et indélébile (àxaTocXuToç, âvelaXtnnoç) ^. 
Ces derniers mots sont importants, car ils prouvent que 
saint Cyrille, qui ne distingue pas assez le caractère 
de la grâce du baptême pour vouloir que le caractère 
soit produit alors que la grâce %e l'est pas, l'en dis- 
tingue cependant assez pour affirmer la persistance du 
caractère même alors que la grâce de la régénération 
a été perdue par le péché. 

Comment ces effets du baptême sont-ils produits? 
Le fait que, d'une part, nos auteurs ne requièrent pas 
la sainteté dans le ministre qui le donne, et, d'autre 
part, acceptent le baptême des enfants^, indique qu'ils 
accordent au rite lui-même une efficacité objective 
pour la production de la grâce. D'où vient cette effi- 
cacité et comment s'exerce-t-elle ? Saint Cyrille de 
Jérusalem l'explique en ébauchant une théorie qu'il 
étendra au chrême de la confirmation et, dans un sens 
plus strict, au pain de l'eucharistie. Cyrille suppose 
que la bénédiction de l'eau baptismale par l'invocation 
(iTtt'xXTifftç) de la Trinité donne à cette eau le pouvoir de 
sanctifier (StJva(Aiv àYtoV/jToç). Cette eau bénite n'est pas 
de l'eau simplement (Xitov uSojp), mais de l'eau unie à 
l'Esprit-Saint dont l'action s'exerce en elle et par 
elle''. Cette théorie est acceptée en principe par saint 
Basile qui explique aussi par la présence de l'Esprit- 
Saint la vertu régénératrice de l'eau ^, et soutenue par 

i. Cykill. Hier., Catech. I, 3. 

2. Cyrill. Hier., Procatech., 16, 17. 

3. Saint Grégoire de Naziaiize {flr. XL, 28) veut qu'on baptise les 
nouveau-nés immédiatement s'ils sont en danger de mort, sinon qu'on 
attende environ l'âge de trois ans. 

4. Catech., lll, 3, 4. 

5. De Spir. Sanclo, 33; cf. Greg. Naz., Or. XL, 8, 



168 HISTOIRE DES DOGMES, 

l'euchologe de Sérapion. Dans la prière pour la béné- 
diction de l'eau baptismale que présente ce document 
(xix) S on demande' à Dieu de remplir les eaux de 
i'Esprit-Saint, d'y faire descendre son Verbe, et de 
transformer leur vertu génératrice afin qu'elles puissent 
produire des hommes spirituels 2. 

Reste la question de la valeur du baptême des héré- 
tiques. On a vu, dans le premier volume de cet ou- 
vrage, que les divergences à ce sujet n'avaient point 
cessé avec les démêlés du pape Etienne et de saint 
Cyprien, et que, en Orient surtout, les usages les plus 
divers s'étaient maintenus. Il n'est pas toujours aisé 
de voir clair dans la pensée de nos auteurs, dans 
l'impossibilité où l'on est de discerner s'ils repoussent 
le baptême de certains hérétiques, parce qu'ils sont 
hérétiques, ou parce qu'ils n'emploient pas, dans la 
collation du baptême, la formule trinitaire requise. 
A Alexandrie, il semble que la doctrine fût que les 
hérétiques qui n'erraient point en matière trinitaire 
baptisaient validement, les autres non. Athanase déclare 
pour cette raison absolument vain et inutile (TtavTsXwç 
xevov xat à^kuaiteXÉç — ouSèv eiX-/jiyoT£ç scrovTai) le baptême 
des ariens, des manichéens, des montanistes et des 
paulianistes ^. Didyme veut de même que l'on rebaptise 
les eunomiens et les montanistes : les premiers, dit-il, 
parce qu'ils ne pratiquent qu'une seule immersion, et 



d. Edit. FoNK. 

2. Yoilà pourquoi nos auteurs regardent presque comme indispen- 
sable à l'eflicacité du sacrement de baptême la bénédiction préalable 
de l'eau (Basil., De Spir. Sancto, 66; Grec. Nïss., De baptismo Chrisii, 
P. G., XLVI, 581; C\-RiLi,. Hier., Catech. III, 3). 

3. C. arianos, II, 42, 43. M. Saltet {Les réordinations, p. 45, 46) pense 
cependant qu'Athanase changea d'avis plus tard, probablement sous 
l'influence de l'Occident. Cf. Ad Sérapion. epist. I, 29, 30. — On sait 
que le canon 19 du concile de Nicée ordonne de rebaptiser les paulia- 
nistes qui se convertissaient. Saint Athanase affirme cependant (C. 
arianos, II, 43) que les paulianistes employaient la forme prescrite. 



LA THÉOLOGIE GRECQUE DU IV SIÈCLE. 16» 

prétendent qu'il faut baptiser seulement dans la mort 
du Seigneur; les seconds, parce qu'ils ne baptisent 
pas dans les trois hypostases divines, qu'ils confondent 
dans leur croyance'. A Jérusalem, Cyrille repousse 
uniformément le baptême de tous les hérétiques 2, 
pendant qu'Eusèbe de Gésarée regarde, au contraire, 
comme plus ancienne la tradition romaine', et que 
saint Epiphane ne veut pas que, en l'absence d'une 
décision de l'Eglise, on rebaptise même les ariens'*. 

Pour les Cappadociens, la nécessité de rebaptiser 
les hérétiques pouvait à peine faire un doute, tenus 
qu'ils étaient par la tradition de Firmilien de Gésarée. 
Saint Grégoire de Nazianze, comme je l'ai remarqué 
plus haut, ne requiert pas du ministre du baptême la 
sainteté : c'est assez qu'il ne soit pas ouvertement 
condamné et réprouvé par l'Eglise pour qu'on puisse 
recourir à son ministère ; mais saint Grégoire requiert 
qu'il ait la foi de l'Eglise 5. Saint Basile entre dans 
plus dé détails. Distinguant les hérétiques proprement 
dits, qui errent en matière de foi, des schismatiques 
qui se séparent de l'Eglise principalement sur la 
question de la pénitence (les novatiens), et des dissi- 
dents qui forment des conventicules à part, il regarde 
comme nul le baptême des premiers et ne les reçoit 
dans l'Eglise qu'avec un nouveau baptême. Tels sont 
les montanistes, les marcionites, les valentiniens et 
les manichéens. Quant aux novatiens, encratites, 
hydroparastates, etc., simples schismatiques ou con- 
venticulaires, saint Basile exprime l'idée que chaque 
église doit les traiter suivant la coutume ou tradition 

1. De trînît., II, IS, col. 720. 

2. Procatech., ^. De même, au iv° siècle, les Constitutions aposto- 
liques, VI, iS, et les Canons apostoliques, canon 69; cf. 46, 47. 

3. llisl. eccles., VII, 2. 

4. Expositio fidei catkol. 13. 

5. Or. XL, 26. 

10 



170 HISTOIRE DES DOGMES. 

locale, ou même suivant ce qui lui paraît plus oppor- 
tun. Pour lui, personnellement, il admet le baptême 
des novatiens, mais il repousse celui des encratites, 
des saccophores (ou hydroparastates) et des apotac- 
tîtes : toutefois, il ne veut pas imposer ses décisions ^ 

Immédiatement après le baptême se donnait la con- 
firmation : le baptisé sortant de l'eau recevait l'imposi- 
tion des mains de l'évêque^ et l'onction d'huile parfumée 
((Aupov) qui le faisaient parfait chrétien. Ces rites étaient 
comme un complément du baptême, et, à cause de 
cela, n'en étaient pas toujours nettement distingués. 
Un embarras du reste existait pour expliquer com' 
ment ils produisaient une grâce spéciale. On accordait 
en effet généralement que le baptême conférait le 
Saint-Esprit. Cette collation du Saint-Esprit dans le 
baptême était, d'après les Constitutions apostoliques 
(ni, 17, 1; VII, 22, 2), l'effet particulier de l'onction 
d'huile qui précédait l'immersion. On pouvait dès lors 
se demander quelle était bien la raison d'être de l'onc- 
tion d'huile parfumée qui la suivait. Malgré cela, 
plusieurs de nos auteurs ne manquent pas de la mettre 
en relief et d'en noter l'efficacité. Didyme la distingue 
clairement du baptême^, et saint Cyrille lui consacre 
une catéchèse à part (xxi). 

L'huile parfumée (fxupov, yj^'i<s\).v) qui devait servir à 
l'onction était préalablement bénite parl'évêque''. Dès 
lors ce n'était plus, d'après la théoi'ie de saint Cyrille, 

1. Epist. GLXXXVIII, can. 1 ; Epist. CXLIX, can. 47. 

2. Bien que ceUe cérémonie ne soit pas explicitement mentionnée 
par nos auteurs ni dans les sacramentaires, il est certain qu'elle était 
pratiquée dans les églises grecques. V. L. Bucues^'e, Origines du culte 
chrétien, p. 320, note 1 et p. 327, note 3. L'euciiologe de Sérapion y 
fait peut-être allusion (XXV, 1). V. la note de Funl£ in h. los. 

3. De Irinit., II, 14, col. 712; 11,13, col. 720. 

4. Voir une formule de cette bénédiction dans l'euchologe de Séra- 
pion, XXV. 



L\ THÉOLOGIE GRECQUE DU IV SIECLE. 171 

du chrême simple ((jiopov <|/iXov), mais, de même que le 
pain eucharistique devient par l'épiclèse le corps du 
Christ, ainsi le chrême, par l'invocation, était devenu 
« le charisme du Christ productif du Saint-Esprit, par 
la présence de sa divinité î) (Xptatou ^(^apwaa, xal [Ivêu- 
{Aatoç (Syiou, itapouffiot t^ç tx'utou ôsottjtoç, svepysTtxov yivo.uevov) V. 
Le Saint-Esprit est dans le chrême comme il est dans 
l'eau baptismale, et il agit en lui et par lui. Ainsi 
l'huile parfumée est l'antitype (àvTtTujrov) du Saint-Es- 
prit ^ : expression qui ne sig-nifîe pas — comme on peut 
le voir — qu'elle en est un simple symbole ou image, 
mais qu'elle le contient et constitue l'élément sous le- 
quel il exerce et cache son action. 

L'évêque seul, d'après Didyme, pouvait oindre les 
baptisés^. A Jérusalem, l'onction se faisait sur le front, 
aux oreilles, aux narines et à la poitrine^ La formule 
qui accompagnait ce geste, et qui est restée celle de 
l'Église grecque, est déjà donnée par saint Cyrille : 
ScppayU Swpe«<; Toïï lïvsufAaTOç àyiou^. 

Quel était l'eiîet propre du sacrement ainsi compris? 
Sa formule même indique qu'on le regardait comme Je 
rite collateur du Saint-Esprit. Celui-ci est, dans la 
doctrine de saint Athanase, une onction et un sceau 

()fpÏ!j{jt,a XsyeTai to ïlvsïïfJia acà eaxi ffçpaYi'ç) ®. Il venait donc, 
après le baptême, confirmer, parfaire, achever et sceller 

1. Gatecli. XXI, 3. 

2. Catech. XXI, 1. 

3. De irinit., II, 13, col. 721, A moins qu'il ne s'agisse ici de la béné- 
diction même du clirême : 'EnîtrxoTto? 6è (ji6vo; t^ àvwôev ^àpiTi 
xs)>eî TÔ XP''!**' I^s Constitutions apostoliques, qui permettent aux 
simples prêtres de baptiser, veulent aussi que ce soit l'évêque qui fasse 
sur les baptisés l'onction du chrême (III, 16, 4). Saint Chrysostome re- 
marque que seuls, les apôtres avaient, dans les premierâ temps, le pou 
voir de donner le Saint-Esprit par l'imposition des mains (In acta 
aposfoL, hom. XVIII, 3). 

4. Cykill. hier., Catech. XXI, 4. 

5. Catech. XVKI, 33. 

6. Epist. ud Serapionem I, 23. 



172 HISTOIRE DES DOGMES. 

pour ainsi dire la vie chrétienne acquise par le néo- 
phyte : il venait le fortifier et le rendre invincible aux 
attaques du démon ^ 

Pour la confirination, comme pour le baptême, le 
mot ffoppayi'ç est assez sauvent employé par nos auteurs. 
On l'a vu par la formule qui accompagne le rite. Saint 
Cyrille répète le mot ailleurs 2. L'onction chrismale 
est, d'après Didyme, ff^payU Xpis-rou Iv (ieTOTr(»)^. Dans 
l'euchologe de Sérapion (xxv, 2), les baptisés sont 
affermis par le sceau (ccppayiSi) de l'onction. Même façon 
de s'exprimer dans les Constitutions apostoliques (vu, 
22, 2). On en peut conclure que ces auteurs admet- 
taient que la confirmation, comme le baptême, imprime 
à celui qui la reçoit un caractère, et, en conséquence, 
ne saurait être renouvelée. Et sans doute, nous savons 
que les hérétiques initiés au christianisme dans l'hé- 
résie étaient, lorsqu'ils se convertissaient et que leur 
baptême était reconnu valable, reçus dans l'Eglise par 
le rite coUateur de l'Esprit- Saint, c'est-à-dire par la 
confirmation; mais c'est précisément parce qu'on ne 
croyait pas que les hérétiques possédassent la sainte 
chrismation et pussent conférer le Saint-Esprit ■•. 

§ 6. — L'eucharistie 5. 

Les textes eucharistiques fournis par nos auteurs 
sont fort abondants, et il serait fastidieux autant que 

1. Didyme, De trinit., II, 14, col. 712; Cyrill. Hier., Catech. III, d3; 
XXI, 4; Sacramentar. Serapionis, XXV, 2; Consliiut. apostol., III, 17, 1; 
VII, 22, 2. Dans ce dernier passage les Consliluiions ne regardent pas 
la confirmation comme nécessaire au salut. 

2. Catech. XVIII, 33; XXII, 7. 

3. De trinit., II, 14, col. 712. 

4. Didyme, De trinit., II, iS, col. 720. 

5. V. P. Batiffol, Études d'histoire et de théologie positive, 2" série, 
3* édit., Paris, 1906. G. Rauschex, Eucharistie und Busssakrament in 
den ersten sechs Jahrhunderten der Kirche, Freiburg im Br., 190S. 



LA THÉOLOGIE GRECQUE DU IV SIECLE. 173 

superflu de les indiquer tous. On peut, en général, les 
grouper en trois classes. Les uns se rapportent à la 
présence réelle de Jésus-Christ dans l'eucharislie, et 
énoncent le fait que, après la consécration ou l'épiclèse, 
le chrétien possède, dans le sacrement, le corps et le 
sang du Seigneur. Une seconde catégorie présente un 
essai d'explication de ce fait, et met en avant l'idée de 
conversion. Enfin un troisième groupe de textes vise 
plus spécialement le caractère sacrificiel du service 
liturgique. 

Disons donc d'abord que, sauf en quelques expres- 
sions ambiguës dont le sens peut aisément s'éclaircir, 
les Pères grecs du iv° siècle enseignent d'une façon 
très nette qu^ les éléments eucharistiques consacrés 
contiennent ou sont réellement le corps et le sang de 
Jésus-Christ. Dans ses Lettres festoies^ saint Athanase 
suppose, sans s'arrêter davantage à l'établir, cette 
vérité reconnue (m, 3-5; v, 1, 5; vu, 5, 6; xiii, 7); 
mais dans un fragment de sermon Adnuper baptizatos 
conservé par Eutychius de Constantinople, il s'ex- 
plique plus longuement' : « Tu verras les lévites ap- 
porter des pains et un calice de vin, et placer tout cela 
sur la table. Tant que les invocations et les prières ne 
sont pas commencées, il n'y a que du pain et du vin. 
Mais quand ont été prononcées les grandes et admi- 
rables prières, alors le pain devient corps et le vin 
devient sang de Notre-Seigneur Jésus- Christ. Venons 
à la célébration des mystères. Ce pain et ce vin, tant 
que les prières et les invocations n'ont pas eu lieu, sont 
simplement [du pain et du vin]. Mais quand les grandes 
prières et les saintes invocations ont été prononcées, 
le Verbe descend dans le pain et le vin, et le corps du 

\. P. G., XXVI, 1323. La traduction de ce passage, aussi bien que de 
tous les textes eucharistiques plus longs cités ici, est empruntée à 
M8' Baliffol, Op. cit. 

10. 



174 HISTOIRE DES DOGMES. 

Verbe est. » On a cité, il est vrai, en sens contraire et 
pour faire de saint Athanase un symboliste, le texte de 
sa lettre iv à Sérapion, 19; mais il est facile sinon 
d'en expliquer sûrement chaque terme, du moins d'en 
justifier la tendance et la signification générale- Saint 
Athanase veut prouver, dans tout ce passage, qu'il y a 
en Jésus-Christ deux éléments, l'un humain qui est le 
Fils de l'homme en la chair, l'autre divin à qui convient 
le nom d'Esprit. Pour ce faire, il montre Jésus-Christ 
promettant sans doute aux apôtres de leur donner son 
corps et son sang, le corps qu'il portait — et qui était 
son humanité, — mais de le leur donner en Dieu, en 
Esprit, comme un corps de Dieu, un corps céleste, une 
nourriture spirituelle (irvEUfxaTtxwç), capable d'être pour 
chacun une protection et un gage de résurrection pour 
la vie éternelle. 

Didyme l'aveugle est dans la même note réaliste 
qu'Athanase^ ; mais l'euchologe de Sérapion et les 
homélies de Macaire introduisent dans la doctrine 
eucharistique des termes nouveaux dont nous devons 
préciser la portée. Le premier, dans la formule d'a- 
namnèse qu'il présente , appelle le pain et le vin la 
ressemblance [by-oitaixa.] du corps et du sang du Mo- 
nogène (xiii, 12, 14), Macaire, dans son homélie xxvii, 
17, écrit que les prophètes et les rois ont ignoré 
« que dans l'Eglise est offert un pain et un vin figure 
(àvriTUTTov) de la chair et du sang du Christ : ceux 
qui participent à ce pain visible mangent spirituel- 
lement (TtveufAaTixtoç) la chair du Seigneur ». Le mot 
d'avTiTUTrov prononcé ici par Macaire pour exprimer la 
relation du pain et du vin eucharistiques avec le corps 
et le sang de Jésus-Christ, se retrouve dans saint 
Cyrille de Jérusalem'', dans saint Grégoire de Na- 

1. De trinil., ni, 21, col. 903 , II, 6, col. 5S7. 

2. Catech. XXIII, 20; cf. XXÎI, 3. 



LA THEOLO&IE GRECQUE DU IV° SIECLE. 175 

zianze^ dans saint Epiphane^, dans les Constitutions 
apostoliques '. 

Pour Juger de son sens précis, il faut d'abord ache- 
ver notre enquête sur ce que nos auteurs disent de la 
présence réelle de Jésus -Christ dans l'eucharistie. 
L'euchologe de Sérapion, après l'anamnèse dont il a 
été question, fait prononcer par le prêtre l'épiclèse qui 
suit : « Dieu de vérité, vienne ton Verbe saint sur ce 
pain pour que le pain devienne corps du Verbe (?va 
Ycvï)Tat ô d^pToç dwfjia toïï Aoyou), et sur ce calice, pour que 
le calice devienne sang de la vérité (?va YgvT.Toti xb ttotv]- 
piov aT(jia T^ç «XTiOeiaç). Et fais que tous ceux qui commu- 
nient reçoivent le remède de la vie » (xiii, 15; cf. xiv, 
2 ; XVI, 2, 3). Les passages sont nombreux dans les 
Constitutions apostoliques où il est simplement ques- 
tion, dans la forme ordinaire du langage liturgique, de 
l'offrande ou de la réception par les fidèles du corps et 
du sang du Seigneur *. Saint Basile, dans sa lettre 
cxiii, déclare bon et utile de communier tous les jours, 
c'est-à-dire « de participer au corps et au sang de 
Jésus-Christ » ; car c'est participer plus abondamment 
à la vie. A Gésarée, continue-t-il, on communie quatre 
fois par semaine, le dimanche, le mercredi, le vendredi 
et le samedi, et aux jours des mémoires des saints; 
mais à Alexandrie, chaque fidèle emporte chez soi la 
communion et s'en nourrit quand il veut. Saint Gré- 
goire de Nazianze exhorte les fidèles à manger et à 
boire sans honte et sans hésitation le corps et le sang 
de Jésus-Christ. Le prêtre qui célèbre attire le Verbe 
par sa parole et, par une division non sanglante, se 
servant de la voix comme d'un glaive, divise le corps 

1. Orat. vni, 18. 

2. Haer. LV, 6. 

3. V, 14, 7; VI, 30,2; VII, 25, 4. 

4. Constit. apostol, II, 33, 2; 87, 15, 21; Vm, 12, 39; 13, 13; 14, 2. 



176 HISTOIRE DES DOGMES. 

€t le sang du Seigneur ^ . Saint Grégoire de Nysse, on 
le verra, ne se contente pas d'affirmer la réalité du 
corps et du sang de Jésus-Christ dans l'eucharistie, il 
ébauche une théorie de la conversion. L'homme étant 
composé de corps et d'âme doit atteindre par ses deux 
éléments à la vie éternelle. L'âme y atteint par la foi; 
le corps ne pourra y atteindre qu'à la condition d'être 
uni par la manducation et l'assimilation au corps im- 
mortel et ressuscité de Jésus -Christ, seul antidote 
contre le poison dont le corps humain a été infecté, et 
qui transformera en lui ce corps mortel ; puisque d'ail- 
leurs un corps ne saurait être dans un autre autrement 
qu'en pénétrant comme nourriture et comme breuvage 
jusque dans les entrailles (oià ppwaeox; xai Tro'ffewç xoT; 
ffTrXflJyyvoiç xaTaîAiyvufAevov) ^. Quant aux textes de saint 
Cyrille de Jérusalem sur la présence réelle, ils sont 
classiques. On les trouve surtout dans le catéchèse 
XXII : 

« Lui-même donc (le Christ) aj'^ant déclaré et dit du pain : 
Ceci est mon corps, qui osera désormais douter? Et lui-même 
(le Christ) ayant déclaré et dit : Ceci est mon sang, qui osera 
jamais dire que ce n'est pas son sang? (1)... Donc avec une con- 
viction entière, participons comme au corps et au sang du Christ. 
Car dans la figure (èv tûtcw) du pain t'est donné le corps, et 
dans la figure du vin t'est donné le sang pour que tu deviennes, 
en participant au corps et au sang du Christ, concorporel et 
consanguin au Christ (au^aaipLo; xal aiva.i\i.Q<; aOToû). Ainsi nous 
devenons christophores, le corps du Christ et son sang se dis- 
tribuant dans nos membres (3)... Ne t'attache donc pas au pain 
et au vin simplement : selon l'affirmation du Seigneur, il y a là 
corps et sang du Christ. Les sens te présentent cela : que la loi 
te confirme. Ne juge pas la chose d'après le goût, mais sois con- 
vaincu invinciblement par la foi que tu es appelé [à participer] 
au corps et au sang du Christ (6)... Instruit de ces choses, et 
convaincu que le pain qui paraît n'est pas pain, bien que le 

i. Oral. XLV, 49; Epist. CLXXI 

2. Orat. catechet., 37; cf. In baptîsm. Christi (P. G., XLVI, 381). 



LA. THEOLOGIE GRECQUE DU IV SIECLE. 177 

goût t'en donne l'impression, mais le corps du Christ, et que le 
vin qui paraît n'est pas vin, bien que le goût le veuille, mais 
sang du Christ, rassure ton cœur, participe à ce pain comme à 
un [pain] spirituel » (9; et cf. xn, 1). 

Saint Cyrille, on le voit, met une différence entre le 
chrême de la confirmation et les éléments eucharisti- 
ques quant à l'action qu'exerce sur eux l'invocation du 
Saint-Esprit, bien qu'il paraisse ailleurs les égaler à ce 
point de vue^ Le chrême ne cesse pas d'être ce qu'il 
était; il reçoit seulement en lui l'Esprit-Saint pour le 
communiquer : les éléments eucharistiques, eux, ces- 
sent d'être ce qu'ils étaient ; le pain qui paraît n'est pas 
pain ; le vin qui paraît n'est pas vin : ils sont le corps 
et le sang du Christ. Et l'on s'explique dès lors plei- 
nement les précautions minutieuses pour n'en rien lais- 
ser perdre, et les sentiments de vénération profonde 
que Cyrille recommande aux communiants 2. C'est en 
adorant qu'il faut recevoir ces dons sublimes, mille fois 
plus précieux que l'or et les pierreries, qui doivent 
nous être plus chers que nos propres membres. 

Ainsi donc, ce sont des auteurs à n'en pas douter réa- 
listes , c'est-à-dire qui admettent que l'eucharistie est 
réellement le corps et le sang de Jésus-Christ, qui 
nomment cependant le pain et le vin ô[ji.otw|xa, àvTixuTTov 
de ce corps et de ce sang. Comment expliquer ces mots 
sous leur plume? Simplement en observant que, pour 
ces auteurs, le pain et le vin, dans leur être naturel, 
ou par une institution de Dieu ou de Jésus-Christ, sont 
déjà une figure, un symbole du corps et du sang du 
Sauveur ; que ces éléments deviennent en effet, par la 
consécration — et dans leurs espèces — les signes sen- 
sibles du Christ corporellement présent, l'enveloppe 



i. Catech. XXI, 3. 

2. Catech. XXHI, 21, 22. 



178 HISTOIRE DES DOGMES. 

réelle qui le contient et sous laquelle les fidèles le re- 
çoivent. Rappelons-nous la théorie de saint Cyrille sur 
le chrême de la confirmation, antitype du Saint-Esprit. 

Les mots ôfjiot'waa, àvrituTTov, bien que susceptibles 
d'unebonne interprétation, devaient cependant paraître 
moins exacts, et c'est pourquoi nous les trouvons ou 
omis ou implicitement condamnés par l'école littérale 
et rigoureuse d'Antioche. « [Le Christ], remarque 
Théodore de Mopsueste, n'a pas dit : Ceci est le sym- 
bole (ffuji.6oXov) de mon corps, et ceci [le symbole] de 
mon sangy mais Ceci est mon corps et mon sang; nous 
instruisant [par là] qu'il ne faut pas considérer la na- 
ture des oblata, mais que, par l'action de grâce qui 
est prononcée, il y a conversion (tAETaêàXXsoQai) au corps 
et au sang*. » Quant à saint Chrysostome, entraîné à 
la fois par ses principes d'exégèse et par son tempéra- 
ment d'orateur, il pousse le réalisme à un point que 
l'on trouve plutôt exagéré. Il semble que le fidèle broie 
réellement sous ses dents le corps de Jésus-Christ. 

Il interprète d'abord littéralement les paroles de la 
promesse {loan., vi, 51-56) ^ ; k Jésus-Christ ne s'est 
pas seulement donné à voir à ceux qui le désiraient, 
mais à toucher, à manger, à broyer entre les dents 
quant à sa chair, à assimiler : il a comblé tout désir ^. » 
Il ne veut pas que l'on explique le verset 64 — Verba 
quae ego locutus sum vobis spiritus et vita sunt — en 
ce sens que les paroles qui précèdent ne doivent pas 

1. In Matth., XXVI, 26 (P. G., LXVI, 713). Une remarque analogue se 
rencontre dans Macarius Magnes, contemporain de Théodore : Eixôtw; 
),aotbv (ô XpiffToç) âprov xal ïtoti^piov eine' Tûûtô laxi xh aSi]i6: [lou xat 
tè alfià {tou. Où Y*p xyjtoç fft&jtaxoç oOôè •cûtioç aiftaTo; ôç tive; Ip- 
paiJywSriffav irsTtojptojilvoi "cèv voOv, àWà. xaxà à^r,Oetav ffwjjia xat aT}>.a 
XpiffTov, ènei89| xb ff(3[jLa ànà y^ç, àTtô Y^Ç 8' ô apxoç ô[iio((ii}; xat ô oîvoç 
('ATTOXptxtxoç, m, 23, édit. Blondel, p. 103, 106). 

2. In loan., hom. XLVI, 2-4; hom. XLVH, 1. 

3. In loan., hom. XLYI, 3. 



LA THÉOLOGIE GRECQUE DU IV SIÈCLE. 179 

être prises à la lettre, mais bien en ce sens qu'elles se 
rapportent à la vie spirituelle et supérieure du chrétien. 
Caro non prçdest. quidquam : non pas que ce que Jé- 
sus-Christ a dit être sa chair ne soit pas sa chair ; mais 
parce qu'il ne s'agit pas ici d'une manducation pure- 
ment matérielle et capharnaïte ^ . — Même interpréta- 
tion littérale des paroles de rinstitution : 

« Rendons- nous à Dieu en tout, et ne lui opposons aucune 
difficulté quand même son affirmation paraîtrait contraire à 
nos raisoimements et à nos sens : que sa parole soit plus sou- 
veraine que nos raisonnements et que nos sens. Soyons ainsi 
devant les saints [mystères] ; n'ayons pas de regard seulement 
pour ce qui est sous nos yeux, mais ayons présentes les paroles 
du Christ. Son discours est infaillible, notre sens est faillible... 
Puis donc que le discours porte Ceci est mon corps, rendons- 
nous, croyons, voyons le corps avec les yeux de l'intelligence. Car 
le Christ ne nous a rien donné de sensible, mais dans les choses 
sensibles tout est intelligible... Combien qui disent : Je voudrais 
voir sa forme, son aspect, ses vêtements, ses chaussures. Mais 
voici que tu le vois [lui-même], tu le touches, tu le manges. Tu 
ne désires que voir ses vêtements ; mais il se donne lui-même à 
toi, non à voir seulement mais à toucher, à manger, à t'incor- 
porer2. » 

Et même réalisme encore dans le Commentaire du 
passage de saint Paul, / Corinth., x, 16 et suiv. Là, 
saint Chrysostome insiste encore davantage, s'il se 
peut, sur l'identité du corps eucharistique et du corps 
historique du Christ : 

Ce qui est dans le calice est cela même qui a coulé du côté 
[transpercé du Christ], et à cela nous participons... Ce que le 
Christ n'a pas souffert sur la croix, il le souffre pour toi dans 
l'oblation, et il consent à être rompu pour rassasier tous [les 
fidèles]... Quand le corps du Christ t'est présenté, dis-toi à 
toi-même... C'est ce corps qui, percé de clous et battu de verges, 

1. In loan., hom. XLVn, 2. 

2. In Matth., hom. LXXXII, 4. 



180 HISTOIRE DES DOGMES. 

n'a pas été la proie de la mort... C'est de ce corps ensanglanté, 
percé par la lance, qu'ont jailli les sources salutaires du sang et 
de l'eau par toute la terre... Et ce corps, il nous l'a donné à 
prendre [dans nos mains], à manger : geste d'amour infini » ! 

La pensée des Pères grecs du iv® siècle sur la pré- 
sence réelle du corps et du sang de Jésus- Christ dans 
l'Eucharistie n'est doiic pas douteuse, prise dans son 
ensemble. Comment conçoivent-ils que s'opère cette 
merveille? On a vu plus haut que Théodore de Mop- 
sueste parlait de conversion ((xeTaêoXii) : la même idée 
se retrouve dans saint Jean Chrysostome. Bien qu'il 
s'exprime en orateur plus qu'en spéculatif et qu'il 
n'approfondisse pas la question, il laisse clairement 
paraître sa pensée : 

Le Christ est présent; le même Christ qui jadis fit dresser 
la table [de la cène] a dressé pour vous celle-ci. Car ce n'est pas 
un homme qui fait que les oblata deviennent corps et sang du 
Christ (ô TTOtûv Ta itpoxet(iL£va YevéaÔat <;û(ia xat alfia XpiuToO), 
mais bien le Christ lui-même crucifié pour nous. Le prêtre est 
là qui le représente et prononce les solennelles paroles; mais 
c'est la puissance et la grâce de Dieu [qui opère]. Ceci est mon 
corps, dit-il. Cette parole transforme ((xeTappuOfxtÇet) les oblata.. . 
Celte parole n'a été dite qu'une fois [à la cène], et sur chaque 
table, dans les églises, depuis ce jour jusqu'aujourd'hui, jus- 
qu'au retour du Sauveur, elle opère le sacrifice parfait 2. 

Puis dans son homélie lxxxii sur saint IMatthieu, 
n° 5, reprenant la même idée, le grand orateur répète 
que les oblata ne sont pas sanctifiés par la puissance 
humaine du prêtre, mais par Jésus-Christ lui-même 
qui les sanctifie et les transforme : ô oà aYiaÇwv aura xal 
{XETaffxeuaCwv, aôxoç [6 XpiCToç]. 

Du reste, avant saint Chrysostome, la théorie de la 



\. In epist. I ad Corinth., hona. XXIV, 1, 2, 4. 
2. Jn proditionem ludae, I, 6. 



LA THÉOLOGIE GRECQUE DU IV SIECLE. 181 

conversion du pain et du vin au corps et au sang! de 
Jésus-Christ avait été ébauchée par saint Cyrille de 
Jérusalem d'abord, puis par saint Grégoire de Nysse. 

Le premier, pour expliquer le mystère eucharis- 
tique, fait appel à l'évangile : « Le Christ, jadis, a con- 
verti l'eau en vin qui ressemble au sang, à Cana en 
Galilée : et nous ne le croirons pas quand il change 
(uÊTaSaXtov) le vin en sang^? » C'est un miracle évidem- 
ment, mais plus croyable que celui de Cana, puisqu'il 
s'y agit du bien des âmes : « Nous prions le Dieu bon 
d'envoyer le Saint-Esprit sur les oblats afin qu'il fasse 
le pain corps du Christ et le vin sang du Christ; car 
il est vrai que ce qu'a touché l'Esprit-Saint est sanc- 
tifié et converti {(jLETaêÉêXyjTatj^. » Converti plus ou 
moins profondément, on l'a vu par le reste de la doc- 
trine dé Cyrille ^ ; mais ici la conversion va jusqu'à 
faire disparaître l'élément premier. L'auteur n'analyse 
pas sa pensée, mais la portée générale n'en est pas 
douteuse. Seulement, comme le changement dont il 
parle est tout intime et nullement apparent; comme le 
corps de Jésus-Christ, bien que réel, n'est pas vu sen- 
siblement, l'un et l'autre ne sont perçus que par la foi 
et restent dans le domaine des choses spirituelles qui 
s'adressent principalement à l'âme chrétienne ■*. Le 
corps est un pain spirituel, le sang un vin spirituel ^ : 
ils ne sont pas une nourriture commune, entraînée 
dans le courant de la digestion : ils sont une nourri- 
ture supersubstantielle (iTrioudio;), destinée à sustenter à 
la fois l'âme et le corps ^. 

C'est là une expression très simple, mais plutôt 

i. Catech. XXII, 2. 

2. Catecli. XXIII, 7; cf. XIX, 7. 

3. Et cf. Catech. XIX, 7. 

4. Catech. IV, 9. 
JJ. Id., IV, 8. 

6. Id., XXI If, dS. 

mSTOIRE DES DOGMES. — H. It 



182 HISTOIRE DES DOGMES. 

timide de la conversion eucharistique. L'explication 
de saint Grégoire de Nysse est plus scientifique et 
plus hardie. Après avoir énoncé, comme nous l'avons 
vu, dans VOratio catechetica, 37, le fait de la présence 
réelle, il pose nettement la question, et demande com- 
ment il peut se faire que cet unique, corps de Jésus- 
Christ, qui est distribué à des milliers de fidèles par 
toute la terre, soit donné tout entier à chacun de ceux 
qui le reçoivent, et reste cependant tout entier en 
lui-même, ne soit pas divisé? Grégoire l'explique par 
une conversion du pain et du vin au corps et au sang 
de Jésus -Christ. Pendant sa vie, Jésus-Christ alimen- 
tait son corps, mangeait et buvait; le pain se chan- 
geait en sa chair, le vin en son sang; l'aliment passait 
en la nature du corps {repoç toî» (TwfjiaTo; çwdiv jAeôiorTafjiévïiç). 
La même chose a lieu dans l'eucharistie : « Nous 
croyons que le pain sanctifié par le verbe de Dieu est 
converti au corps du Dieu Verbe » : tov tS Xo'ytj) toû ôsoî! 
ayiaÇofiEvov aprov sîç (j(0{Aa toîî ôeoû Aoyou [jieTaTtotsffôat Tti- 
(TTeuo[jt.ev ^ . Le pain est itpbç xo ffSjxa Sià toïï Xoyou jASTaTcoiou- 
(jiEvoç, suivant les paroles du Verbe : Ceci est mon 
corps. Seulement la fAeTaTCoi7](xiç, au lieu de se faire par 
le procédé d'assimilation lente (Stà Ppwcrêtoç xai uaffeuç), se 
fait instantanément, euOuç. Ce' que nous avons dit du 
pain doit se dire aussi du vin changé en sang ; et ainsi, 
par la vertu de la bénédiction, le Verbe transélémente 
en son corps la nature des éléments qui apparaissent 
aux yeux (x^ x^ç eùXoytaç Suva[jLgi Trpoç sxstvo cwjjia [xexa- 
axot^eioitiaç xwv (paivojjieviov xV tpuatv). Le résultat pour 
nous est que, par cette union au corps de Dieu, nous 
sommes divinisés, par cette communion à l'incorrup- 
tible, nous devenons incorruptibles. 

Dans tout ce raisonnement, on ne saurait mécon- 

1. L'édition de Migne porte mffxeuofAai : j'ai suivi celle de J. H. Sraw- 
LEY, The catechetical oratîon of Gregory of Nyssa, Cambridge, 1903» 



LA THEOLOGIE GRECQUE DU IV SIECLE. 183 

naître qu'il s'agit d'une conversion réelle. On a bien 
invoqué, pour le contester, que Grégoire employait 
ailleurs * les mots {ASTaTrotyiaiç, {jteTaoxaat^ {Astaaxoixsîwffiç 
dans le sens d'un simple changement moral; mais la 
comparaison qui est faite de la conversion eucharis- 
tique avec celle que subit l'aliment assimilé suffit à 
montrer l'insuffisance de cette explication. D'autre 
part, Grégoire ne parle sans doute pas de la conver- 
sion de l'oùffCa du pain et du vin r il parle de celle de 
leur-^puciç ou de leurs atoxitw; et quand il mentionne la 
conversion de la nourriture au: corps, il se contente de 
dire que cette nourriture est changée en la forme 
(eîSoç) et en la nature (<pu<ri«) du corps. On en a conclu ^ 
qu'il n'enseignait pas proprement la transsubstantia- 
tion mais une transformation des éléments eucharis- 
tiques, la matière restant la même et étant seulement 
informée par la forme corporelle du Christ. Ce sont 
là, à vrai dire, des précisions auxquelles notre auteur 
n'a point songé, et dont l'omission n'infirme point son 
témoignage. S'il ne s'est pas expliqué aussi complète- 
ment qu'on le fera plus tard, il n'en reste pas moins 
qu'il a nettement orienté la pensée chrétienne vers 
l'idée de transsubstantiation. Et quel exemple aurait-il 
donc pu trouver dans la nature de ce que représente 
ce mot? 

On a dû remarquer déjà que saint Cyrille de Jérusa- 
lem attribue la conversion eucharistique à l'épiclèse, 
ou invocation du Saint-Esprit sur les olîrandes^. C'est 
l'opinion commune chez les Grecs de cette époque, et 
on la retrouve dans saint Basile*, dans les Constitu- 
tions apostoliques (viii, 12, 36) et dans l'euchologe 

i. Par exemple, Orat.catech., 40; Epist. \\l (P. G., XLYI, 1021). 

2. Harnack, Lehrb. derDG., Il, p. -562. 

3. Calech. XXUI, 7; XKI, 3. V. F. Yar.vise, L'épiclèse eucharisliqucr 
Brignais, 1910. 

4. De Spiriiu Sancfo, 66. 



184 HISTOIRE DES DOGMES. 

de Sérapion (xiii, 15). Dans ce dernier document, il 
est remarquable que l'anamnèse, ou rappel des paroles 
de l'institution (xiii, 12-14), mentionne toujours le 
pain et le vin comme TôfxoCwjAa du corps et du sang. 
Dans l'épiclèse qui suit, seulement, le prêtre demande 
à Dieu d'envoyer « son Verbe saint sur ce pain, afin 
que le pain devienne corps du Verbe, et sur ce calice, 
afin que le calice devienne sang de la Vérité » . Saijat 
Chrysostome cependant fait exception : il attribue la 
conversion des oblata tantôt à l'épiclèse ^ , tantôt, dans 
les passages de lui cités plus haut, aux paroles de 
l'institution. 

On a dû remarquer aussi que nos auteurs voient 
dans l'eucharistie un sacrifice en même temps qu'un 
sacrement. Le service liturgique est un sacrifice^, un 
sacrifice pur, vivant, spirituel, non sanglant, parfait^. 
Gomme l'euchologe de Sérapion a appelé le pain la 
similitude du corps du Christ, aussi dit-il qu'on ^célè- 
bre, dans ce sacrifice, la similitude de la nïort (ô[jioi'w(Aa 
Tou ôavaTou) du même Christ (xiii, 13) ; et de même que 
Grégoire de Nazianze a nommé les éléments eucharis- 
tiques « les antitypes du précieux corps et du sang », 
aussi parle-t-il du sacrifice comme de « l'antitype des 
grands mystères », c'est-à-dire de la mort et de la 
passion du Sauveur •*. L'acte liturgique est mis ainsi 
en relation étroite avec la mort rédemptrice de Jésus- 
Christ. On y trouve, comme à la croix, une immola- 
tion mystique que le même Grégoire essaie de définir 
quand il parle de cette division non sanglante qui 

1. De sacerdolio, III, 4; VI, 4; De s. Pentec, hom. I, 4. 

2. Sérapion. sacramentar., XIII, \\ ; Constitut. aposlol., II, 57, 21 ; V 
19, 7; VIII, 12, 39; 46, H. ' 

3. DiDYME, De trinit., II, 7, col. 589; Cyrill. Hier., Catech. XXIII, 8, 
Chrysost., In s. Euslathium antiochenum, 2; De proditione ludae, 
hom. I, 6; Constitut. apostol., VIII, S, 7; 46, 15; cf. VIII, 46, 14. 

4. Orat. II, 95; cf. XVII, 12. 



LA THÉOLOGIE GRECQUE DU IV SIÈCLE. 185 

sépare le corps et le sang du Seigneur et dont l'ins- 
trument, « le glaive », est la parole du prêtre^. Mais 
l'auteur qui a le plus insisté sur l'identité des deux 
sacrifices de l'autel et du calvaire est saint Chrysos- 
tome. Il n'affirme pas seulement que le prêtre à l'autel 
est le ministre de Jésus-Christ, prêtre principal, dont 
les paroles opèrent le changement eucharistique^; il 
assure que le sacrifice de l'autel est le même que celui 
de la croix, ou plutôt n'en est que la commémoraison, 
puisque la victime est la même ^ ; et il représente tou- 
jours le Christ dans l'eucharistie comme dans l'état 
011 ce Christ se trouvait dans sa passion. Son sang est 
un sang versé ; son corps est percé de clous et battu 
de verges ; de son côté jaillissent le sang et l'eau ''. 

Les détails de la liturgie eucharistique en Egypte, 
à Jérusalem et en Syrie, à cette époque, nous sont con- 
nus par l'euchologe de Sérapion, la catéchèse xxiii 
de saint Cyrille et les Constitutions apostoliques 
(viii). Relevons-y seulement la commémoration des 
défunts qu'elle comportait^. Saint Athanase et saint 
Chrysostome ont particulièrement insisté sur la pureté 
de cœur requise pour la communion^, et le dernier 
sur l'union intime que cette communion met entre le 
Sauveur et le chrétien et entre les chrétiens eux- 
mêmes'^. 



IXMV To Çtçoç {Epist. CLXXI). 

2. In proditionem ludae, hom. I, 6; In Matth., hom. LXXXII, 5. 

3. In epist. ctd Hebr., hom. XVII, 3. 

4. In epist. I ad Corintk., liom. XXIV, 1, 2, 4. 

5. Cyrill. Hier., Catech. XXIII, 10; Sérapion. sacram., XIII, 17, 18; 
Constit. apostol., VIII, 12, 6. 

6. Athan., Epist. eortaticae, V, S; XIX, 8; Chrysost., In Matlh., h.oni. 
LXXXII, 4-6; De prodil. ludae, hom. I, 6. 

7. In epist. I ad Corinth., hom. XXIV. 2. 



186 HISTOIBB DES DOGMES. 

§ 7, — La pénitence^. L'ordre. Le mariage. 

Il est difficile de synthétiser en un corps complet la 
doctrine pénitentielle de l'Église grecque du iv' siècle, 
d'autant plus que les usages des églises particulières 
variaient ou ne nous sont qu'imparfaitement connus. 

Dans les lettres festales de saint Athanase, les exhor- 
tations à la pénitence comme préparation aux fêtes 
pascales tiennent, ainsi qu'il est juste, une place im- 
portante, mais ne nous renseignent pas sur la façon 
pratique dont se faisait cette pénitence. Tout au plus 
peut- on citer la lettre xix, 8, dans laquelle le saint 
docteur presse les fidèles de se préparer à la com- 
munion de Pâques paenitente aninio et confessione. 

Les Cappadociens sont plus explicites. Saint Gré- 
goire de Nazianze d'abord établit éloquemment, contre 
les novatiens, l'efficacité de la pénitence et la possibi- 
lité du pardon après le baptême^. Saint Grégoire de 
Nysse et surtout saint Basile précisent les choses. 
L'un et l'autre parlent de l'aveu qui doit être fait des 
fautes commises, au moins des fautes relativement 
graves, et dont saint Grégoire de Nysse essaie de 
donner une classification 3. Cet aveu qui, en certaines 
circonstances du moins, est certainement secret^, se 
fait à l'évêque seul peut-être (îepet) ^, ou, comme parle 
plus généralement saint Basile, à ceux à qui est con- 
fiée la dispensation des mystères de Dieu^. Les 

1. Voir 6. Radschen, Eucharistie und Busssakramenl in den ersten 
sechs Jahrhunderten der Kirche, Freiburg im Br., 1908. 

2. Orat. XXXIX, 17-19. 

3 Basil., In psalm. XXXII, 3 {P. G., XXIX, 332); Regulae brev. trac- 
tatae, Interrog. 229, 288; Greg. Nyss., Epist. canonica (P. G., XLV, 233; 
221 et suiv.). 

4. Basil., Epist. CXCIX, 34; Grec. Nyss., Epist. canon., col. 233. 

5. Greg. Nyss., loc. cit., col. 233. 

6. Regulae brev. tract., Interrog. 288. 



LA THEOLOGIE GRECQUE DU IV SIECLE. J87 

épreuves imposées aux pénitents variaient de durée, 
et se proportionnaient non seulement à la gravité de 
la faute, mais aussi à la ferveur de la pénitence ^ . Pour 
les apostats seulement l'épreuve durait toute la vie 
et la réconciliation n'avait lieu qu'à la mort 2. On sait 
que, dans les églises de Cappadoce, et cela depuis 
saint Grégoire le Thaumaturge^, l'expiation consistait 
en une ségrégation de l'assemblée chrétienne pendant 
le service liturgique. Il y avait quatre degrés de la 
pénitence : la TrpdopxXauctç, l'état des pleurants qui se 
tenaient en dehors de l'Église; ràxpoaaiç, celui des 
écoutants qui assistaient à la lecture de l'Ecriture 
sainte et à la prédication ; r&TrÔTtTafftç, celui des proster- 
nés qui assistaient à genoux à la prière; et enfin la 
ffufftaaiç, où les pénitents assistaient debout à tout 
l'office, mais sans participer à la communion. 

La situation de saint Jean Chrysostome, relative- 
ment à la question de la pénitence, fut un peu par- 
ticulière, et il est nécessaire de ne pas confondre, à ce 
point de vue, les deux périodes de son ministère à An- 
tioche et à Constantinople. Dans la première, on le 
voit affirmer que les prêtres ont le pouvoir de remet- 
tre les péchés, non pas de les déclarer remis, mais 
de les remettre proprement^ ; qu'il faut révéler au mé- 
decin ses blessures si l'on veut être guéri ^; que la 
confession efface les péchés, les efface entièrement^. 



J. BASIL., Epist. CCXVII, 74. 

2. Basil., Epist. CCXVII, 73; Greg. Nyss., Epist. canon., col. 223. 

3. Epist. canonica (P. Gf., X, 1020-10i8). On observera que le canon XI 
n'est pas authentique. 

4. i)e sacerâotio, III, 6. Remarquons qu'il cite, à cette occasion, le 
texte de saint Jacques, V, 14, lo : Infirmatur quis in vobia, etc. 

5. In Genesim, hom. XXX, 5. Ailleurs il paraît ne requérir que la con- 
fession à Dieu (De paenileniia, hom. Il, 1; III, 4; In Lazarum, hom. 
IV, 4). 

6. De Davide et Saule, hom. III, 2 ; In Matth., hom. YI, 5 ; De paenit. 
hom. Vni, 2; In Genesim, hom. V 2, 



188 HISTOIRE DES DOGMES. 

Aussi exhorte-t-il les pécheurs à se confesser, à faire 
lexomologèse avant de communiera 

Mais, arrivé à Constantinople, le nouvel évêque se 
trouva en face de circonstances spéciales. Socrate^ 
nous apprend que, depuis le schisme des novatiens, 
c'est-à-dire depuis 250 environ, les évêques — proba- 
blement de la Thrace seulement — avaient décidé qu'il 
y aurait désormais dans chaque église un prêtre à qui 
les pécheurs confesseraient leurs fautes commises après 
le baptême, et sous la surveillance de qui ils accompli- 
raient leurs exercices d'expiation. Cette institution 
subsista à Constantinople jusque vers l'an 391, époque 
à laquelle le scandale causé par la révélation d'une 
faute commise par une noble dame avec un diacre 
amena le patriarche Nectaire à supprimer non seule- 
ment l'office du prêtre pénitencier, mais encore proba- 
blement Fobligation pour les pécheurs d'accuser leurs 
fautes et d'en obtenir le pardon avant de s'approcher 
des saints mystères, chacun étant laissé à sa cons- 
cience pour savoir ce qu'il avait à faire ^. Cette mesure 
trop radicale, remarque Socrate vers 440, eut pour 
effet déplorable que beaucoup de chrétiens ne se sou- 
cièrent plus de faire pénitence avant de communier. 

Quelle fut l'attitude de saint Chrysostome dans ces 
conjonctures? Nous ne le savons pas absolument. Ce- 
pendant son homélie ix sur l'Épître aux Hébreux, 



1. In eos qui pascha ieiunant, 4. 

2. Hist. eccl., V, 19. 

3. Sozomène, qui reproduit Socrate en le commentant, ajoute que 
presque partout — c'est-à-dire dans l'Orient grec — - les évêques sui- 
virent l'exemple de Nectaire. La preuve cependant que ce témoignage 
doit s'entendre d'une partie restreinte de l'Orient grec est qu'Aslerius 
d'Amasée (On du iv« siècle] recommande au contraire aux fidèles de 
prendre un prêtre comme confident de leurs fautes et témoin de leur 
contrition [Homil. XIII, Adkortatio ad paenitentiam, P. G., XL, 300). 
Sur toute cette question, v. P. Batiffol, Éludes d'histoire et de théolo- 
gie positive, I, p. 149 el suiv. 



LA THÉOLOGIE GRECQUE DU IV» SIÈCLE. t89 

prêchée à Constantinopîe en 402, combinée avec les 
faits qui lui furent reprochés plus tard, peut jeter 
quelque jour sur ses sentiments à cette époque. Dans 
cette homélie (4), l'orateur, après avoir observé que 
la pénitence (uisTavoia) efface tous les péchés, expose 
comment il la faut faire. Elle comporte d'abord la con- 
damnation (xaTayvwcfiç) et la confession (l^aYopsuçiç) des 
péchés; puis l'humiliation et la contrition du cœur 
(auvTpiêr) xapStaç) ; puis les prières, les larmes, les au- 
mônes qui donnent à la pénitence son efBcacité et sa 
valeur, en un mot les bonnes œuvres satisfactoires. 11 
n'est point question d'absolution; mais, revenant au 
n" 5 sur l'examen et l'aveu des péchés, saint Chrysos- 
tome insiste sur la nécessité, pour le pécheur qui veut 
se corriger, de s'accuser en détail (xat' elSo?), de ne 
point se contenter de dire en général qu'il a péché, 
mais bien de dire Szi toSs xal x6Bs -^'i/aptov. 

Dans tout ce passage néanmoins, il n'est pas expres- 
sément question de prêtre ou d'évêque recevant l'aveu ; 
et même on ne voit pas clairement, au n<> 5, s'il s'agit 
d'un aveu proprement dit ou seulement d'un examen 
détaillé par lequel le pécheur se rend compte à lui- 
même de sa conduite. Mais d'autre part, nous savons 
qu'une des accusations portées contre saint Chrysos- 
lome au concile du Chêne fut qu'il autorisait, qu'il 
exhortait même les pénitents relaps à venir à lui pour 
être guéris aussi souvent qu'ils retomberaient dans 
leurs fautes^ ; et Socrate^ lui reproche en effet d'avoir, 
contre la décision des évêques qui n'autorisaient qu'une 
fois la pénitence pour les fautes commises après le 
baptême, permis cette pénitence aussi souvent qu'on 
le désirerait. En rapprochant les faits et les textes, on 



1. Mansi, Collect. concilior., III, 114S. 

2. Hist. eccL, VI, 2i. 

11. 



19C HISTOIRE DES DOGMES. 

peut conclure, pensons-nous, que, sans revenir vio- 
lemment sur la mesure ée Nectaire, saint Ghrysostome 
conserva sa doctrine d'Antioche et insista pour que le 
cursus de la pénitence fût repris tel qu'il se pratiquait 
auparavant. Quant au reproche qui lui fut fait au con- 
ciliabule du Chêne, il repose vraisemblablement sur 
un malentendu. Ce n'est pas la pénitence canonique 
publique que l'évêque aura autorisé à renouveler : ce 
sera probablement la pénitence absolument privée, 
comportant l'accusation, l'expiation et l'absolution se- 
crètes. 

Sur l'extrême-onction on ne trouve rien à mention- 
ner chez les Grecs, à cette époque, si ce n'est peut-être 
la prière in oleum aegrotorum qui se lit dans l'eucho- 
loge de Sérapion (xxix). 

C'est dans les écrits disciplinaires surtout qu'il faut 
chercher les renseignements relatifs aux ordres et à 
l'ordination; A la fin du iv® siècle, les ordres se sont 
multipliés en Orient, et à l'évêque, au prêtre, au diacre 
s'ajoute maintenant le sous-diacre ' . Les lecteurs exis- 
taient déjà; les exorcistes font leur apparition, mais 
les Constitutions apostoliques (viii, 26) déclarent 
qu'ils ne forment point un ordre proprement dit. On 
trouve également nommés chez elles les portiers et les 
chantres^. Saint Épiphane, de son côté, signale les 
exorcistes, les interprètes (lp[Ji.v]V£ueTa\ '{k&aotiq elç y^wor- 
aav), les fossores et enfin les portiers^. Les diaconesses 
continuaient de remplir un rôle important ■•. Tous les 

i. Constit. apostol., vni, 21, 1. Quelques églises de Syrie en possé- 
daient peut-être déjà vers la fin du ni" siècle (V. Didascalie des apôtres, 
édit. FuNK, II, 34, 3). 

2. Constit. apostol, II, 26, 3; 28, S; 57, 10; III, 11, 1, 3; YI, 17, 2; VU, 
in, 2. 

3. Exposilio fidei, 20. 

4. Constit. apostol., YIII, 19. 



LA THÉOLOGIE GRECQUE DU IV SIÈCLE. 191 

ordres se donnaient par l'imposition des mains ^ ; mais 
cette imposition des mains (;^EtpoTovia) était expressé- 
ment réservée à l'évêque, même pour les ordres infé- 
rieurs^. Elle était accompagnée de prières dont l'eu- 
chologe de Sérapion (xxvi-xxviii) et les Constitutions 
apostoliques (viii, 5; 16-22) donnent les formules. 
L'effet de ces rites, observe saint Grégoire de Nysse, 
est de séparer le prêtre du commun et d'opérer en 
lui, bien que, extérieurement, il paraisse rester le même, 
une transformation intérieure par une grâce et une 
vertu invisible. Saint Grégoire compare cette transfor- 
mation à la consécration des autels ou même à la con- 
version eucharistique, ce qui indique bien qu'elle 
emporte, à ses yeux, un caractère permanent et stable^. 
J'omets les règles canoniques qui regardent le choix 
des sujets à ordonner et les devoirs qui leur incom- 
bent : objet de discipline plus que de dogme. 

Le mariage, bien que son caractère sacramentel ne 
fut pas clairement reconnu encore, était cependant 
l'objet de l'attention des docteurs et de règlements ec- 
clésiastiques assez précis. Le mariage était nul s'il 
était contracté sans le consentement du père ou du 
maître*. Il était interdit entre beau-frère et belle-sœur^. 
Le divorce était permis pour cause d'adultère, mais 
d'adultère seulement®; et encore saint Basile explique- 
t-il que, par suite d'une coutume qu'il trouve anor- 
male mais qui s'impose, ce privilège n'existait qu'en 



1. Id., Vni, 16-22; 27. 

2. « Le prêtre impose les mains (par exemple pour bénir), disent les 
Constitutions apostoliques, mais il n'ordonne pas », yetpoBsTeï, où xei* 
poTOveî (VIII, 38, 3; 46, 11 ; III, 11,3). 

3. In baptismum Domini (P. G., XLYI, 585). 

4. B.VSIL., Epist. CXCIX, 42. 

8. I&fd., 23; Epist. CCXVil, TS; cf. 68; CLX. 
6. Gbeg. Naz., Orat. XXXYII, 8. 



192 HISTOIRE DES DOGMES. 

faveur du mari. Le mari qui aura répudié sa femme ne 
sera donc pas adultère s'il se remarie : la femme ne 
pourra ni répudier son mari même adultère, ni se re- 
marier si elle est répudiée par lui^. Même solution à 
peu près dans saint Chrysostome. Il dit nettement que, 
du côté de la femme, l'indissolubilité est absolue : ré- 
pudiée pour n'importe quelle raison, elle ne peut se 
remarier : liée à son époux, elle reste, tant qu'elle 
vit, sa femme ^.Relativement au mari, il est moins ca- 
tégorique, et, bien que généralement il insiste sur 
l'indissolubilité absolue du lien conjugal, on ne voit 
pas qu'il interdise clairement à l'époux légitimement 
divorcé de se remarier'; car d'ailleurs il déclare que 
par l'adultère de la femme le mariage est déjà délié 
(ô yauLo; v]5yi SiaXeXuaeTat), et que le mari n'est plus mari 

Quant aux secondes et surtout troisièmes et qua- 
trièmes noces, elles étaient mal vues ou même tout à 
fait condamnées : « Les premières [noces], dit saint 
Grégoire de Nazianze, sont la loi, les secondes la tolé- 
r-ance, les troisièmes sont l'iniquité (7rapovo(*ta). » Les 
quatrièmes ne sont le fait que des pourceaux^. Les 
Constitutions apostoliques ont à peu près reproduit ce 
jugement (m, 2, 2), Saint Basile soumet les digames 
à un an ou deux de pénitence ^ : il déclare que les ma- 
riages des trigames sont contractés en dehors de la 
loi et regardés comme des souillures (^u7ràff(ji.aTa) ou 
comme une fornication modérée : les trigames sont 



i. Epist. CLXXXVIII, 9; CXGIX, 21. 

2. De libello repudii, II, 1, 3. 

3. In MaUh., hora. XVII, 4; LXII, 1,2. 

4. In epist. lad Corinlh., hom. XIX, 3. Saint Êpiphane ne permet 
les secondes noces qu'après la mort du conjoint : il ne parle pas du di- 
vorce pour cause d'adultère {Expositio fidei, 20). 

5. Oral. XXXVII, 8. 

0. Epist. CLXXXVIH, 4. 



LA THÉOLOGIE GRECQUE DU IV SIÈCLE. t9â 

soumis à cinq ans de pénitence*. Il est probable que, 
au canon 80 de VEpistula ccxvii, il s'agit des tétra- 
games : ils sont soumis à quatre ans de pénitence, 
mais parmi les pleurants et les prosternés. 



§ 8. — Mariologie. Culte des saints. Pratiques 
clirétiennes. 

On a dit souvent que les définitions du concile 
d'Epbèse de 431 donnèrent surtout l'impulsion à la dé- 
votion à Marie dans l'Église. Cela peut être vrai; la 
théologie grecque cependant n'attendit pas ce moment 
pour s'occuper des prérogatives de la Mère de Dieu. 
Saint Justin et saint Irénée lui avaient déjà assigné 
une part dans l'œuvre de la rédemption. Cette idée fut 
reprise et développée par Amphiloque^ et saint Epi- 
phane'. Le mot de ôsotoxo; devint, nous l'avons vu, 
assez courant au iv° siècle pour désigner Marie. Sa 
perpétuelle virginité surtout attira l'attention. Paral- 
lèlement à l'erreur d'Helvidius en Occident, saint Épi- 
phane a signalé en Orient une erreur contemporaine 
d'antidicomarianites qui affirmaient que la Vierge, 
après avoir mis au monde Jésus, avait eu commerce 
avec saint Joseph. Il proteste contre cette opinion, en 
proclamant à son tour la virginité de Marie in partu 
et post partum^. Même protestation de la part de 
Didyme, qui salue en Marie l'àsnrapOc'voç, àà xal 8tà Ttavxoi; 
a(ii(o{AO(; wapOsvoç^. Bien plus, il se trouva des dévots 
exagérés, les coUyridiens, qui offrirent à la Vierge des 

1. Epist. CXCIX, SO ; CLXXXVIII, 4. 

2. Oratio I in Chrisli natalem, i, 4; Oratio II in occursum Domini, 3. 

3. Haer. LXXVIII, 18. 

4. Haer. LXXVIII. A remarquer que saint Épiphane obserre inci- 
demment que, en somme, nous ignorons si Marie est jamais morte 
(ibid., 24). 

8. De trinit., I, 27, col. 404; in, 4, col. 832. Cf. Amphiloque, loc. cit. 



194 HISTOIRE DES DOGMES 

sacrifices. Saint Épiphane, qui nous les fait connaître^, 
blâme leur zèle ignorant, et remarque que Marie étant 
une créature sainte doit être honorée, mais non point 
adorée ; T-riv Mapiav [xtjSeiç tïpooxuveCtu) — xa\ tl •x.aXkivxri ^ 
Mapia xai ay'^i *'**' TETtfjiïjfjLsvrj, dXX' oùx eîç to Ttpoffxuveîffôai ^. 

Cet honneur rendu à la Vierge on le rend également 
aux saints ; et saint Épiphane encore formule le prin- 
cipe que « Qui honore Dieu honore aussi le saint ; qui 
méprise le saint méprise son Seigneur^ ». Des pané- 
gyriques sont prononcés pour rappeler leurs vertus, 
le jour de leur fête; les fidèles sont exhortés à les 
invoquer ; car leur pouvoir, remarque saint Chrysos- 
tome, est grand auprès de Dieu (TtoXXvjv Ij^ovTaç irapp»)- 
fft'av) *, d'autant plus, ajoute saint Grégoire de Nazianze, 
qu'ils sont actuellement plus rapprochés de Dieu que 
pendant leur vie terrestre s. On ne vénère pas seule- 
ment leur âme bienheureuse : on vénère encore leurs 
reliques^, et saint Chrysostorae, en relevant la vertu 
et l'efficacité surnaturelle de ces restes précieux, nous 
montre les fidèles empressés autour des saints tom- 
beaux'. 

Des autres pratiques chrétiennes je jne signalerai, 
comme se rattachant plus étroitement au dogme, que 
la prière pour les morts. On la trouve mentionnée et 
pratiquée universellement en Orient, au iv" siècle. 
Saint Grégoire de Nazianze, saint Cyrille de Jérusa- 



1. Haer. LXXIX. 

2. Id., 7. 

3. Haer. LXXVUI, 21; cf. Grec. Naz., Or. XLIII, 2. 

4. Av. ludaeos, Vni, 6; De s. Melelio antioch., 3; In Genesim, hom. 
XLIV, 2; In Matlh., hom. Y, S; In epist. II ad Timoth., hom. V, 1. 

b. Orat. XVIU, 4. 

G. Gbeg. Nyss., De s. Theodoro martyre (P. G., XLVI, 740). 

7. Exposil. in psalm. CXV, S; IX, 3; In epist, II ad Cm'inth., hom. 
XXYI, 5 ; Jn s. Eustathium antioch., 2. — Je grouperai à part, à l'occasion 
de la querelle des images, les témoignages anciens relatifs à l'honneur 
qu'on leur rendait. 



LA THEOLOGIE GRECQUE DÛ FV SIECLE. W5 

lem et saint Chrysostome en témoignent ^ . Saint Épi- 
phane écrit contre les aériens qui niaient l'utilité des 
suffrages pour les défunts : « La prière faite pour eux 
leur est profitable, encore qu'elle n'efface pas tous les 
péchés, mais parce qu'il nous arrive souvent, étant en 
ce monde, de chanceler involontairement ou volontai- 
rement pour marquer ce qui est plus parfait 2, » L'eu- 
chologe de Sérapion et les Constitutions apostoliques 
contiennent des formules pour le service des funé- 
railles^. 

A ce moment, du reste, comme tout le culte se dé- 
veloppe, se développent aussi les diverses formes de 
la vie ascéticpie, le monachisme et le célibat. Saint 
Épiphane, dans un passade intéressant, après avoir 
indiqué quel est, dans l'Eglise, l'ordre hiérarchique 
ojBficiel, propose une autre hiérarchie mystique, fondée 
non plus sur les privilèges et les pouvoirs mais sur la 
sainteté de la vie. Au premier rang vient la virginité, 
qui est comme la base et le gond de l'Église; puis la 
vie solitaire (les anachorètes) ; ensuite la continence 
(lYxpdtTeta); au-dessous le veuvage, et enfin l'état des 
personnes mariées"*. 

§ 9. — Eschatologie. 

Dans l'Eglise grecque du iv^ siècle le millénarisme 
a disparu : l'autorité d'Origène lui a donné le coup 
fatal. On ne paraît même pas admettre une dilation 
quelconque pour les justes de leur entrée dans la 
gloire. Saint Jean Damascène a cité, il est vrai, comme 

1. Greg. Naz., Or. vn, 17; Cïrill. Hier., Catech. XXUI, 10; Ghrïsost., 
In epist. ad Philip., hom. UI, 4; In acla apostoL, hom. XXI, 4. 

2. Haer. LXXV, 7; cf. Exposilîo fidei, 22. 

3. Sérapion. sacrament.,'SXX; Constit. apost.,Ylll 41; 42; cf. YUI, 12, 
43; 13, 6. 

4. Expositio fidei, 20. 



196 HISTOIRE DES DOGMES. 

de saint Athanase, un fragment qui supposerait leur 
félicité retardée jusqu'après la résurrection^ ; mais 
l'authenticité de ce texte est douteuse, et l'on peut 
citer, en sens inverse, un passage bien authentique de 
la Vie de saint Antoine (66), où le saint docteur sup- 
pose, au contraire, que les âmes justes sont immédia- 
tement reçues au ciel. C'est aussi le sentiment de 
Macaire d'Alexandrie, des deux Grégoire et de saint 
Jean Chrysostome^. 

La résurrection de la chair était un dogme admis 
dès le principe, et que l'on devait seulement défendre 
contre les multiples objections des hérétiques et des 
philosophes, comme l'ont fait saint Chrysostome et 
saint Epiphane^. Mais on avait à déterminer de plus 
près le comment de cette résurrection. Les théories 
d'Origène avaient jeté sur ce point des obscurités qui 
troublaient la simple foi primitive; et d'ailleurs il fal- 
lait expliquer comment les mêmes éléments du corps 
antérieur et vivant sur la terre pouvaient se réunir de 
nouveau et se joindre à l'âme. Relativement aux théo- 
ries origénistes, il serait intéressant de connaître 
exactement les vues de Didyme sur la question. Mal- 
heureusement, ce qui en reste-* est trop incomplet pour 
qu'on puisse l'apprécier. En revanche, nous voyons 
saint Epiphane diriger contre Origène une réfutation 
vigoureuse et prolixe^. C'est bien notre corps actuel, 
encore que transformé et, en un sens, spiritualisé, qui 

1. p. G., XXVI, 4249. 

2. Macaibe, Homil. XXX[V, 2; Gr.EG. Naz., Or. Vif, 21; GnEG. Nyss., In 
funere Pulcheriae orat. (P. G., XLVI, 869); Chrysost., De beato Philo- 
gonio, VI, 1. 

3. ÉpiPH., Ancoratus, 83 suiv.; Chuysost. In acta aposlol., liom. 1,3; 
De resurrectione moriuorum, 1; In sanctum Romanuni martyrem, 1, 
*; In Genesim, sermo VU, 4; In loan., hotn. XLVl, 4; In epist. I od 
Corinth., hom. XVII, 2. 

4. Fragmenta in loannem, V, 29, col. 1643. 
8. Ancoratus, 87-92. 



LA THEOLOGIE GRECQUE DU IV SIECLE. 197 

ressusciterai Même doctrine dans Amphiloque^ et 
dans saint Cyrille de Jérusalem : aûio touto (ffwjjia) 
Ifdp&tai : TouTo, mais non pas toioïïtov, car le corps des 
justes revêtira des propriétés surnaturelles, et celui 
des méchants deviendra capable de brûler éternelle- 
ment sans se consumer '. Quant à la manière dont on 
peut concevoir la possibilité de la résurrection et, 
malgré la mobilité des éléments matériels, l'identité 
du corps ressuscité avec le corps vivant, on en trouve 
un long essai d'éclaircissement dans saint Grégoire 
de Nysse, qui a consacré à cette question une partie de 
son traité De anima et resurrectione* . Grégoire pose 
en principe que la résurrection sera pour nous une 
restitution dans l'état premier que le péché d'Adam 
nous a fait perdre : àvaaTaatç Is-civ ii eiç xo àpyaTov xî]? 
çuffswç '^wv (XTCoxaTâffTaffiç (col. 148). Dès lors sera exclu 
des corps ressuscites tout ce qui est la conséquence 
du péché, la mort, les infirmités, difformités, maladies, 
blessures, la faiblesse, la vieillesse et la différence des 
âges. La nature humaine ne cessera point d'être hu- 
maine (lauxviv oùx àcpiYiffiv), mais elle passera en un état 
spirituel et impassible supérieur (eîç 7tv£U[AaTixr^v xiva 
xal aTçaô^ xatadTatriv) , indépendant de la quantité de 
matière première qui sera successivement entrée en 
composition du corps sur la terre. 

Mais comment l'âme, qui devra, au dernier jour, se 
réunir avec une certaine quantité au moins de ces 
éléments matériels, qui entraient dans son corps, les 
retrouvera-t-elle dans la masse commune? L'auteur 



1. Expositio fldei cath,, 17. 

2. Fragm. X, col. 108. 

3. Catech. XVIII, 18, 10; Ciirysost., De consolatione mortis, 6 ; De Anna, 
serino 1, 3; In epist. I ad Thessalonie., hom. VII, 1, 2; In loannem, 
hom. XLV, 2. 

4. P. G., tom. XLVI 



198 HISTOIRE DES DOGMES. 

répond en remarquant que chaque corps, malgré l'in- 
cessant tourbillon auquel ses éléments sont soumis, 
offre un type parfaitement reconnaissable et qui ne 
change point quant au fond. Ce type est connu de 
l'âme : il a été comme imprimé en elle pendant la vie 
mortelle : elle conserve donc, même après la mort, 
vis-à-vis de ce type et pour la matière dont son corps 
était composé, une attraction, une aflBnité qui lui per- 
met de reconnaître les éléments qui lui appartiennent 
dans la masse commune où ils sont tombés. Elle suit 
d'ailleurs ces éléments, et veille pour ainsi dire tou- 
jours auprès d'eux jusqu'au moment de la résurrection, 
moment où elle en ressaisit ce qui lui est nécessaire 
pour son corps nouveau ^ 

La résurrection sera suivie du jugement, dont saint 
Grégoire de Nazianze donne quelque description 2. 
Les justes seront récompensés suivant leur mérite, les 
méchants punis ^. Cette peine des damnés sera-t-elle 
éternelle? Par la réponse qu'ils font à cette question, 
on peut juger de l'influence d'Origène sur nos auteurs. 
Or nous constatons que, si la plupart d'entre eux ont 
conservé, sur ce point, le langage traditionnel, d'au- 
tres ont été ébranlés ou même gagnés par l'autorité 
du maître. La doctrine de Didyme, pour autant que 
nous la connaissons, est correcte''. Saint Basile, saint 
Cyrille de Jérusalem, saint Epiphane, saint Chrysos- 
tome sont très fermes ^. Dans l'enfer, remarque saint 



1. De anima et resurrect., col. 73-80, 145 ei suiv,; De hominis opîficio, 
27 (P. G., XLIV, 223-2-29); De mortuis (P. G., XLVI, 332-536). 

2. Oraf. XVI, 9; XIX, IS. 

3. Basil., Regulae brev. tract., Interrog. 267. 

4. De trînit., II, 3, col. 480; II, 7, col. S80; II, 12, col. G69; III, 42, 
col. 989; De Spir. Saneto, 47, 39. 

5. Basil., Regulae brev. tract., Interrog. 267; De Spiriiu Saneto, 40; 
Cyrill. Hier., Catech. XVIII, 14, 19; Epiph., Haer. LIX, 10; Ciirysost., 
îoc. inf. cit. 



LA THÉOLOGIE GRECQUE DU IV SIÈCLE. 199 

Basile, rEsprit-Saint est complètement séparé de 
l'âme pécheresse, et dès lors celle-ci devient incapable 
de pénitence ^ Fidèle à sa méthode d'exégèse littérale, 
saint Chrysostome trace un tableau, d'après l'Écri- 
ture, de ce qu'est l'enfer 2; puis il ajoute que ni le 
corps devenu immortel, ni l'âme ne périront dans ces 
tortures. Ni le temps, ni l'amitié, ni l'espérance, ni 
l'attente de la mort, ni même la vue des infortunés 
punis comme eux n'adouciront les peines des damnés. 
Ces peines seront éternelles^. Saint Basile est bien 
obligé toutefois de constater que la plupart des hom- 
mes (too; TcoXXobç tmv àvôpwTrwv), trompés par les arti- 
fices du démon, se persuadaient que les châtiments 
de l'autre vie auraient une fin^. Hélas I parmi ces 
hommes se trouvaient son propre frère, Grégoire de 
Nysse et, dans une certaine mesure, son intime ami, 
Grégoire de Nazianze. Celui-ci n'est évidemment pas 
complètement fixé sur la question. Si, en certains en- 
droits de ses ouvrages^, il enseigne nettement l'éter- 
nité des peines, ailleurs il paraît hésiter : il ne veut 
pas se prononcer, ou il insiste principalement sur le 
caractère moral de la peine des réprouvés^. Grégoire 
de Nysse, lui, n'hésite pas ; et l'on trouve bien, sans 
doute, dans ses écrits, quelques passages où il parle 
de peines éternelles ^ ; mais du reste il se prononce 
catégoriquement pour une restauration finale univer- 
selle, englobant tous les hommes, les démons et leur 



i. De Spirttu Sancto, 40. 

2. Ad Theodorum lapsum, I, 9, 10; In epist. ad Hebr., hom. I, 4; 
Exposit. in psalm. XLIX, 6. 

3. Exposilîo in psalm. XLIX, 6; Ad Theodor. laps., I, 9, 10; II, 3; In 
epist. II ad Thessalon., hom. III, 1; In epist. ad Philipp., hom. III, 4. 

4. Regulae brev. tract., Interrog;. 267. 

5. Par exemple, Orat. XVI, 7. 

6. Orat. XL, 36; XVI, 9; XXX, 6; XXXIX, 19; Poemata, lib. II, sect. 
I, 1 (P. G., XXXVn, 1010). 

7. Par exemple, De castigatione (P. G., XLVI, 312) 



200 HISTOIRE DES DOGMES. 

chef. C'est absolument la théorie d'Origène. La puri- 
fication des méchants après la mort sera plus ou moins 
longue suivant leurs crimes, mais enfin il faudra que 
le mal vaincu disparaisse et que Dieu règne tout en 
tous, que tous participent à ces biens que ni l'oreille, 
ni les yeux, ni l'esprit de l'homme ne sauraient attein- 
dre et comprendre ' . 

L'erreur de saint Grégoire de Nysse, on l'a vu, n'a 
pas été généralement partagée des auteurs grecs du 
IV* siècle. Deux d'entre eux cependant sont disposés 
à croire non à la cessation mais à un adoucissement 
de la peine des damnés par la charité et les suffrages 
des fidèles. Saint Chrysostome enseigne que, par 
l'aumône et les prières, on peut apporter quelque 
soulagement aux défunts morts sans baptême ou con- 
damnés par Dieu ^. D'autre part, saint Cyrille de Jéru- 
salem, parlant du mémento des trépassés dans la 
liturgie, se fait l'objection qu'il est inutile de prier 
pour ceux qui sont morts avec des péchés ((xeTà ajjiapTïi- 
fjtdcTwv). A quoi il répond que, de même que l'on peut 
obtenir d'un roi irrité, en lui offrant une couronne, la 
relaxation de la peine de l'exil qu'il aurait infligée à 
des coupables, aussi nous offrons à Dieu, pour les 
défunts même pécheurs, le Christ immolé, nous effor- 
çant de rendre propice à eux et à nous le Dieu plein de 
bonté ^. Il se peut, à la rigueur, qu'il s'agisse ici de 
fautes légères ou déjà pardonnées en principe et par 
conséquent du purgatoire : il est cependant plus vrai- 
semblable que le saint docteur veut parler d'un adou- 
cissement obtenu dans le châtiment des réprouvés. 



4. Orat. catechet., 2S, 33; cf. 40; De anima et resurrecl., col. 72, 404, 
105, 452, 457; cf. De morluis, col. 524; Contra Arium et Sabellium (P. 
G., XLV, 4292, 4293). 

2. In epist. ad PhiUpp., hora. III, 4; In acla apostoU^ hom. XXIJ 4. 

3, Calech. XXIIf, 10 



LA THEOLOGIE GRECQUE DU IV SIECLE. 201 

Le sort des élus sera là félicité éternelle et la pos- 
session de Dieu. Sur ce dernier point toutefois, il faut 
signaler l'opinion spéciale de saint Chrysostome et de 
l'école d'Antioche. Entraîné par la lutte contre les 
eunomiens, et d'ailleurs défiant des théories qui absor- 
bent l'âme en Dieu, saint Chrysostome admet bien 
sans doute que les élus voient Dieu comme il leur est 
possible (6ç auToï; SuvaTov) ^ ; mais il nie qu'ils voient 
réellement l'essence divine. Ni les prophètes, dit-il, 
ni les anges et les archanges n'ont vu et ne voient ce 
^'est proprement Dieu : Aùxo oreep Iffxlv ô 6eo; où (xovov 
■JrpoçîÎTai akV ouSè aYYe^^oi eîSov ours «xpj^bcYYsXoi. Le Fils et 
le Saint-Esprit seuls l'ont vu et le voient, « car la na- 
ture créée tout entière, comment pourrait-elle voir 
rincréé ^ ? » 



i. De beato Phîlogonio, VI, 1. 

2. In loan., hom. XV, 1, 2; In Isaîam, cap. VI, 1. 



CHAPITRE VII 

LA THÉOLOGIE DE LANGUE SYRIAQUE AU IV* SIECLE. 
APHRAATE ET SAINT EPHUEM. 



§ 1. — Aphraate^ 

Au IV* siècle, la langue grecque n'était pas seule, 
en Orient, à parler théologie. Au nord-est d'Antioclie, 
et tout le long de l'Euphrate et du Tigre, des églises 
avaient grandi dont l'idiome national, le syriaque, ne 
s'était pas exercé uniquement à la traduction des Écri- 
tures, mais avait produit déjà quelques œuvres reli- 
gieuses originales. Celles-ci, il est vrai, ne respiraient 
pas toujours une orthodoxie bien pure. Si le dialogue 
De fato ou plutôt Le livre de la loi des contrées ^ de 
Philippe, disciple de Bardesane, combat précisément 
le fatalisme astrologique et le déterminisme, Bar- 

1. Aphraate est cité ici d'après l'édition R. Graffis et J. Parisot, Pa- 
trologia syriaca, I, II, Aphraalis sapientis persae demonstrationes, 
Paris, 1894, 1907. — Travaux : J. Forget, De vita et scriptis Aphraalis, 
Lovanii, 1882. F. C. Bdrkitt, Early easlern Chrislîanity, London, 1904. 
J. LABOtiRT, Le christianisme dans l'empire perse, Paris, 1904. R. H. 
CosHOLLY, The early syriac Creed, dans Zeilschr. f. die neutestam. Wis- 
sensch., Separatabdr., 1906. P. Schyten, Afrahat, seine Person und sein 
Vo'slândnis des Christentums, Berlin, 1907. J.-M. Chavanis, Les lettres 
d' Afrahat, le sage perse, étudiées au point de vue de l'histoire et de la 
doctrine, Saint-Etienne, 1908. 

2. Edit. F. Nah dans Patrologia syriaca, II; traduct. franc, dans Lan- 
6L0IS, Collection des historiens de l'Arménie, I, Paris, 1867, p. 73 et 
suiv. 



APHRAATE, SAINT EPHREM. 20â 

desane lui-même (-}- en 222} est accusé d'avoir, dans 
des écrits que nous n'avons plus, soutenu des doctri- 
nes gnostiques. Ces doctrines se rencontrent, en tout 
cas, dans les Actes de Judas-Thomas, d'origine très 
probablement syrienne, et dont le texte primitif re- 
monte au milieu du m" siècle environ^. Mais, au 
IV* siècle, l'orthodoxie allait prendre sa revanche par 
la plume de deux écrivains dont le second surtout est 
resté célèbre, Aphraate et saint Ephrem. 

Saint Ephrem est plus connu, et Aphraate est peut- 
être pour nous plus important parce que, plus ancien 
que saint Ephrem — ses vingt-trois lettres ou dé- 
monstrations ont été écrites entre 337 et 345 — et sans 
doute plus éloigné que lui de Constantinople et d'An- 
tioche^, il a moins subi l'influence de la théologie 
grecque, et présente une forme de doctrine plus ori- 
ginale et plus archaïque. On aurait tort cependant de 
prendre pour l'expression complète de sa foi l'espèce 
de symbole qu'il formule dans sa démonstration i, 19, 
symbole où l'on ne trouve mentionnés que Dieu, la 
création, l'homme fait à l'image de Dieu, l'Esprit- 
Saint envoyé aux prophètes, Jésus-Christ envoyé de 
Dieu, la résurrection des morts, le baptême. Bien que 
les démonstrations d' Aphraate soient plus morales ou 
ascétiques que dogmatiques, le symbole ou du moins 
la foi qu'elles supposent étaient plus compréhensifs. 
On en jugera par l'analyse suivante. 

Aphraate proteste d'abord qu'il ne veut pas parler 
de lui-même mais d'après la pensée de toute l'Eglise 
(xxii, 26) et l'enseignement des Écritures (v, 8; xiv, 

1. Texte syriaque édité par W. "Wright, Apocryphal acts of the apos- 
tles, London, 1871. Snpplément par F. G. Bcrkitt, Studia sinaitica, 
B" IX, London, 1900. Texte grec dans M. Bonnet, Supplementiim codicis 
apocryphi, I, Acta Thomae, Lipsiae, 1883. 

2. Il aurait, d'après un manuscrit récent (xiv" siècle), habité le cou- 
vent de Mar Mattai, au nord-est de Mossoul. 



204 HISTOIRE DES DOGMES. 

47; XXII, 26) dont il proclame l'inspiration ; car c'est 
Jésus-Christ et le Saint-Esprit qui se sont exprimés 
par les auteurs sacrés (iv, 10; vu, 10; viii, 3, 25). 

Il connaît en Dieu trois termes, trois personnes (vi, 
12; XXIII, 60, 61, 63). Jésus-Christ est Dieu et Fils de 
Dieu (vi, 9, 10). La démonstration xvii est tout entière 
consacrée à établir ce point et, bien qu'Aphraate s'y 
contente, la plupart du temps, d'argumenter ad homi- 
nem contre les juifs et les païens, montrant que ces 
titres de Dieu et de Fils de Dieu ont été donnés à 
Moyse (3), à Salomon et au peuple d'Israël (4), il est 
clair cependant que sa pensée dépasse cette divinité et 
cette filiation morales : « Pro certo tenemus lesum, 
Dominum nostrum esse Deum filium Dei^ , regem 
filium régis, lumen de lumine (lîojaj ^ iJoioj), creato- 
lem, consiliarium, ducem... Ceteris autem omissis, 
demonstremus illum esse Filium Dei ipsumque Deum 
qui a Deo prodiçit » (2). Et dans la démonstration 
XXIII, 52, d'une façon plus métaphysique : « Confite- 
mur in te [Christe] tnisericordiam. qnae misit te, et in 
nobis acquievit, ut per mortem unigeniti sui (o^y**-) 
viçeremus. In te laudamus [Deum] increatum^ qui te, 
ex sua essentia separatum (ojiois^; ^ ^.^qf») ad nos mi- 
sit^. » — Quant à l'Esprit-Saint, il est l'Esprit de sain- 
teté, glorifié avec le Père et le Fils, qui s'est manifesté 
dans les deux Testaments et habite en nous (xxiii, 60, 
61 ; VI, 14 et suiv.). Il est à côté du Père éternel comme 
notre mère^ (xviii, 10), et c'est de lui que nous rece- 
vons la grâce (xiv, 47). 

1. JojSx \s, Joisx, M. Connolly {art. cil., p. 211) fait remarquerque cette 
expression devrait plutôt se traduire par peum de Deo. C'est le Oeèv 
Èv. Qôoû de Nicée. C'est ainsi que l'ont traduit les actes grecs de Judas- 
Thomas. 

2. y. quelques lignes plus bas ce qui est dit de l'incarnation. 

3. Se rappeler que le mot J-o» (Esprit) est du féminin en syriaque et 
généralement dans les langues sémitiques. 



APHRAATE, SAINT EPHREM. 205 

Aphraate n'a guère fait que toucher à la question de 
la chute originelle, principe de mort (xxir, 1; vu, 1; 
IX, 14); mais il parle de l'incarnation. Jésus a paru 
pour nous délivrer du péché : il a pris de la Vierge un 
corps humain (xxi, 9; xxiii, 50, 51). Son humanité est 
nettement distinguée de sa divinité (xvii, 2). En ve- 
nant à nous, Jésus-Christ a reçu quelque chose qui lui 
était étranger, qui était « hors de sa nature », à savoir 
notre nature, et, remontant à son Père, il l'a emportée 
avec lui (vi, 10, et cf. le contraste de vi, 9). Sa personne 
cependant est supposée une (vi, 9, 10; xxiii, 49). Seul, 
il est sans péché et n'a pas reçu le Saint-Esprit in 
mensura (vi, 12; vu, 1). 

Sur la rédemption , la doctrine de notre auteur pré- 
sente les idées courantes. Jésus-Christ est notre mé- 
diateur; il a pris sur lui nos péchés et en a payé la 
peine : il a été notre victime : « Cum peccatores esse" 
mus, peccatum omnium nostrum ipse [Christus) por- 
tavit, factusque est nuntius reconciliationis inter 
Deum et creaturam eius. . . Cum enim mali destructor 
existeretf poenam ipse redàendam sibi suscepit » 
(xiv, 11). « Oblatus est hostia çiva propter nos » 
(il, 6). Mais du reste, si Jésus-Christ a assumé notre 
nature, c'est afin que, par l'humilité qui nous convient, 
nous devenions participants de la sienne (vi, 10). 

Nous correspondons à la rédemption par la foi, la 
charité et l'espérance qui nous justifie ; puis nous de- 
venons parfaits et sommes couronnés (i, 3). Les bonnes 
œuvres sont nécessaires au salut (i, 3; m, 8; iv, 14). 
Entre les vertus est recommandé l'état de virginité et 
de continence, bien que le mariage ne soit pas absolu- 
ment interdit (vr, 3-7, 19). 

L'Église est conduite par des pasteurs. Aphraate 
consacre à ces pasteurs sa démonstration x. Pierre a 
été le premier des disciples, le fondement de l'Église, 

12 



im HISTOIRE DES DOGMES. 

le témoin fidèle (vu, 15; xi, 12; cf. xxi, 10; xxjii, 12). 
— Le baptême, institué par Jésus-Christ quand, il lava 
les pieds de ses disciples (xn, 10), se donne au nom 
des trois personnes divines {xxiii^ 63); il est une régé- 
nération, remet les péchés et confère le Saint-Esprit 
(iv, 19; VI, 14; xi, 11). — L'eucharistie çst le corps et 
le sang de Jésus-Christ (m, 2; iv, 19;, xu, 6 e,t suiv.), 
un sacrement (ou mystère) que l'on reçoit après le 
baptême (xi, 12; xii, 9; iv, 19), mais qu'il faut recevoir 
avec une conscience pure (xir, 9; m, 2). Elle est aussi 
un sacrifice (xii, 9; cf, xvi, 3), 

Aphraate traite de la pénitence dans la démonstra- 
tion VII. D'une part, s'adressant aux pécheurs, il les 
presse de déposer toute fausse honte et d'avouer leurs 
fautes, de demander la pénitence aux médecins des 
âmes (3, 8, 12) : cet aveu est on ne peut plus utile (9, 
14, 15, 16) ; il est nécessaire pour obtenir la guérison (5), 
après d'ailleurs que le coupable a conçu de sa faute une 
douleur profonde (2), et s'est résolu à la pleurer toute 
sa vie (23). D'autre part, notre auteur recommande aux 
médecins d'abord de garder secrets les aveux qui leur 
sont faits, de peur que la communauté tout entière et 
les innocents ne soient deshonorés si les fautes des 
coupables sont connues des ennemis des chrétiens ^ ; 
ensuite il leur recommande de ne jamais refuser la pé- 
nitence ni repousser les pénitents : « Non debetis me- 
dicinam us denegare quibus curatione opus est » (4). 
De pareils refus sont un abus intolérable (25), L'auteur 
ne fait aucune distinction : il faut pardonner à tous (23) ; 
et il est clair qu'il comprend dans ce mot les fornica- 

1. vu, 4 : € Vos igitur medici... quicunque vobis suum vulnus de- 
texerit, ei remedium imponite paenitentiae; eum autem qui Infirmita- 
tem suam manifestare erubuerit, ne liane a vobis abscondat adhorta- 
Hiini; cumque ipsam vobis revelaverit, nolite eam publicare, ne propler 
illum ab inimicis et ab iis qui nos oderunt innocentes in culpa esic 
iudicenlur. » 



APIIRAATE, SAINT EPHREM. 207 

teurs et les sacrilèges (25). — Maintenant, qm sont pro- 
prement ces pénitents et ces médecins dont il parle ; et 
fait-il allusion simplement à la coulpe monastique? Il 
est certain que ses exhortations visent en effet particu- 
lièrement ceux qui s'étaient voués à la vie cénobitique * 
religieuse et à la chasteté (25) ; mais il est certain aussi 
qu'il a en vue des fautes graves qui entraînent la mort 
éternelle (25). D'autre part, ces médecins qui doivent 
guérir les pécheurs « détiennent les clefs des portes du 
ciel et ouvrent ces portes aux pénitents » (il). Il est 
impossible de ne pas voir dans ces mots une allusion à 
Matth.j XVI, 19 , et de n'en pas conclure que ces mé- 
decins ne sont pas des moines ordinaires : ce sont des 
confesseurs investis d'un pouvoir spécial, du pouvoir 
des clefs en vertu duquel ils agissent. Nous voilà tout 
près de la discipline commune de la confession ^. 

L'imposition des mains de l'ordre est mentionnée 
(xiv, 25) : les trois ordres hiérarchiques sont l'épisco- 
pat, le presbytérat et le diaconat (xiv, 1). De l'huile 
il est dit qu'elle contient le signe « du mystère de vie 
qui fait les chrétiens, les prêtres, les rois, les pro- 
phètes; qu'elle illumine les ténèbres, oint les malades, 
et, par sa signification cachée, réconcilie les pénitents » 
(xxiii, 3) : allusions aux onctions du baptême et peut- 
être de la confirmation, à celles faites sur les malades 
(extrême-onction?) et au rite réconciliateur des [héré- 
tiques] pénitents (la confirmation encore). 

De toutes les parties de la théologie d'Aphraate la 
plus archaïque est assurément l'eschatologie. Notre 
auteur regarde le chrétien comme composé de trois 
éléments, le corps, l'âme et l'Esprit-Saint qu'il a reçu 
au baptême (vi, 14). L'âme est immortelle [îbidJ)^ 



\. Le mot ermites (l-'r**") peut parfaitement désigner des cénobites. 
2. La démonstration 'xiY, 44 fait mention de l'excommunication. 



208 HISTOIRE DES DOGMES. 

mais, quand le corps est enseveli, elle est ensevelie 
avec lui et se trouve privée de sentiment : une sorte 
de sommeil engourdit ses puissances (vi, 14; viii, 
19, 20). Quant à l'Esprit, si le corps l'a contristé par 
sa mauvaise conduite, il n'attend pas la mort pour s'en 
séparer et être son accusateur auprès de Jésus-Christ. 
Dans le cas contraire, il ne l'abandonne qu'à la mort, 
et, remontant vers le Christ dont il est l'Esprit, il prie 
le Sauveur de ressusciter ce corps et de l'unir lui, Es- 
prit, à ce corps de nouveau (vi, 14). 

Les trépassés cependant dorment dans leurs tom- 
beaux; inais, bien qu'ils n'y discernent pas le bien du 
mal, et qu'ils n'y perçoivent pas, distinctement du 
moins, les justes leur récompense et les méchants la 
peine qui les attend (viii, 20), ils y éprouvent pourtant 
comme des pressentiments et des rêves qui rendent ce 
sommeil agréable aux justes et pénible aux pécheurs 
(viii, 19). Enfin, après 6000 ans depuis sa création, le 
monde touche au terme de sa durée (ii, 14) ; les morts 
ressuscitent et dans le corps même qui a été enseveli, 
non dans un corps étranger et céleste (viii, 1-4; 
XXII, 15). L'Esprit- Saint se tient à la porte du tom- 
beau des justes et, au moment où retentit la trompette, 
s'unit à leur corps et le transfigure, absorbe leur âme, 
et les rend ainsi tout spirituels. Dans cet état, les élus 
vont au-devant du Christ (vi, 14; viii, 4, 5, 23). Les 
méchants ressuscitent aussi; mais leur corps reste 
terrestre et le Saint-Esprit ne se réunit pas à eux 
(viii, 4, 5, 23).. 

Suit le jugement. Aphraate paraît supposer parfois 
que tous les hommes seront jugés (viii, 20; xxii, 
15); ailleurs il dit positivement que ni les justes, ni les 
impies dont les crimes sont notoires — les idolâtres par 
conséquent — ne le seront (xxii, 15-17). 11 n'y aura 
donc à être jugés que les pécheurs ordinaires [ibid.], 



APHRAATE, SAINT EPHREM. 209 

et alors seulement Dieu décernera définitivement à 
chacun ce qu'il mérite (viii, 22). Les impies et les 
idolâtres, aussitôt après la résurrection, retourneront 
en enfer — ils y étaient donc déjà — (xxii, 17); les 
pécheurs condamnés dans le jugement final iront aussi 
au supplice et leur sentence restera sur eux (xxii, 18; 
VIII, 19, 20; vï, 18). Leurs peines toutefois seront 
proportionnées à leurs fautes, et tel sera condamné 
aux ténèbres extérieures, tel autre au feu, tel autre au 
supplice du ver qui ne meurt pas (xxii, 22, 23). Quant 
aux justes, ils seront récompensés de même suivant 
leurs mérites, et notre auteur se plaît à faire du para- 
dis qui sera leur séjour une peinture délicieuse (xxii, 
12, 13, 19-21; cf. xiv, 22). Des réprouvés comme des 
élus du reste l'état, et partant la peine ou la récom- 
pense, sera éternel : « Neque impii resipiscent regnum- 
qiie ingredienlur ; néque iusti peccabunt amplius ut 
adcruciatum abeant » (xx, 12). 

Il n'est pas besoin d'insister pour montrer la pau- 
vreté relative de cette théologie, comparée avec celle 
des Pères grecs et latins contemporains d'Aphraate, 
Athanase, Cyrille de Jérusalem, Hilaire. Placé loin 
des controverses, le sage perse^ comme on l'a appelé, 
s'efforçait surtout de vivre sa foi et de la faire vivre . 
autour de lui, mais d'ailleurs se contentait, au point 
de vue spéculatif, de coordonner de son mieux les en- 
seignements scripturaires, en les éclairant des quel- 
ques explications qu'une tradition bien timide lui 
avait léguées. 

§ 3. — Saint Ephrem*. 

Avec saint Ephrem (-}- 373), qu'une légende vrai- 
semblable a mis en rapport avec saint Basile , nous 

4. Les œuvres dogmatiques de saint Ephrem sont contenues — sauf 

12. 



210 HISTOIRE DES DOGMES. 

noTis rapprochons du monde grec. Non pas que le 
moine syrien en ait eu la mentalité, mais parée que , 
dans les dernières années de sa vie, surtout à Edesse 
(363-373), il se trouva forcément mieux informé des 
disputes qui s'y produisaient et des décisions qui y 
étaient prises. Au reste, l'église syrienne orthodoxe 
n'a pas eu tort de le considérer comme son docteur 
par excellence. A tous égards, ii la représente admi- 
rablement. Plus poète que théologien, et génie qui 
brille moins par la profondeur et la précision que par 
la grâce et la fécondité, il possède toutes les qualités 
comme tous les défauts de sa race. Il a su mettre des 
fleurs jusque dans la controverse, mais s'est peu in- 
quiété d'enfoncer dans les problèmes soulevés par ses 
adversaires, gnostiques ou manichéens. La foi de l'É- 
glise, on va le voir, lui suffisait. 

Saint Ephrem, en effet, est essentiellement un théo- 
logien qui veut être orthodoxe, et d'une orthodoxie 
ecclésiastique absolue. L'Église enseigne la vérité 
pleine et entière; elle est Tenuemie de l'erreur; elle 
défend contre les hérétiques la vérité des Écritures*. 
C'est donc de sa bouche qu'il faut apprendre la doc- 
trine de la foi. D'autre part, cette foi est contenue 



quelques pièces — dans quatre collections principales : i" S. Patris 
noslri Ephraem syri opéra omnia qwie. exstant graece, syriace et la- 
tine recens. P. Benedictus, los. et Sr. Evod. Assemanus, Romae, 173T-I74G. 
Les écrits sjTÎaqnes occupent les nois premiers volumes I-IU; les 
œuvres grecques les trois autres numéro'és également I-III. â» J. Over- 
BECK, S. Ephraemi syri, RaOulae, Dalaei alîorumque opéra selecta, Ox- 
ford, 1865. 3° G. BiCKELL, S. Ephraem syri Carmina nisibena, Leipzig, 
4806. 4° J. Lamy, s. Ephraem syri Hymui et sermones, 3 vol., Mechli- 
niae, 1882-1889. Ces collections seront généralement citées ici simple- 
ment par le tome et la page, et, pour in collection romaine, j'omettrai 
même le titre, la mention du tome, shus autre indication, marquant 
qu'il s'agit de la partie syriaque — l.itine. — Travaux : C. Eiralner, Der 
kl. Ephraem der Syrer, eine dogmenget;chichtliche Abhandlung, Kemp- 
len, 1889. F. C. Burkitt, Early easleni Christîanily, London, 190i. 
J. LKM-i, Saint Ephrem, àzxisV Université catholique, 1890, tom. HI et IV. 
1. II, 442 B E-,560 B. 



APHRAATE, SAINT EPHREM. 211 

dans les Livres saints ' , et c'est le rôle de la théologie 
de les étudier et de les expliquer. Mais toute la vérité 
religieuse vient de ces deux sources, l'Écriture et l'E- 
glise. En deliors de là, notre auteur pense qu'il est 
inutile ou plutôt nuisible de chercher : « 11 y a dans 
l'Église une recherche pour ce qui est révélé : il n'y en 
a point pour ce qui est caché 2. » Les recherches n'a- 
boutissent point et ne donnent pas le repos ^. « Celui 
qui croit ne cherche point : celui qui cherche ne croit 
point"*. » C'est assez dire le peu de cas que saint 
Ephrem fait de la philosophie et des philosophes. 
Quant à son exégèse, à lui, elle est plus littérale qu'on 
ne l'attendrait d'un poète, et tient bien le milieu entre 
la manière d'Antioche et celle d'Alexandrie. 

Notre docteur s'exprime assez nettement sur la dis- 
tinction des personnes de la Trinité, leur unité de 
substance, leur égalité et leur circumincession. N'ou- 
blions pas que son premier évéque, Jacques de Nisibe, 
avait assisté au concile de Nicée : « Que le Père, le 
Fils et le Saint-Esprit soient un [unum], crois-le et 
confesse-le; qu'ils soient trois, n'en doute point ^. » 
Mais comment l'être divin peut-il être en trois sans 
être divisé, nous ne saurions le dire, puisque cet être 
ne nous est connu que par analogie ^. Toutefois, pour 
en donner quelque idée, saint Ephrem apporte lu com- 
paraison du soleil dont l'éclat, la lumière et la chaleur 
se compénètrent en lui tout en étant distincts entre 
eux'^. D'autre part son Testament — M. R. Duval en 
a contesté l'authenticité — contient la protestation 

1. m, 132 B. 

2. in, 18 c. 

3. OVERBECK, p. 30. 

4. III, 484 C. 

5. m, 19iE;I, IGO D. 

6. m, 74 B. 

7. III, 71 D et suiv. ; 75 F ; 137 A et suiv. 



212 HISTOIRE DES DOGMES. 

suivante : « Si j'ai, dans mon cœur, tenu le Père pour 
plus grand que le Fils, qu'il n'ait point pitié de moi; 
et si j'ai estimé peu de chose l'Esprit-Saint, que mes 
yeux s'obscurcissent devant Dieu ^ . » 

Le Fils est le fruit du Père, distinct de lui, mais un 
avec lui par la volonté, semblable à lui en essence, en 
nature, en puissance^. Le Saint-Esprit vient du Père, 
mais le Fils aussi l'a émis et soufflé. Un passage cité 
par M. Lamy énonce positivement que le Saint-Esprit 
vient du Père et du Fils. Il n'a avec eux qu'une volonté 
et qu'une puissance ^. 

Cette trinité divine a créé le monde et, en parti- 
culier, l'homme. L'homme est un microcosme, réunis- 
sant en lui les propriétés du monde visible et matériel 
et celles du monde spirituel''. Au corps et à l'âme, 
comme éléments de l'homme, Ephrem joint parfois 
l'Esprit^; mais c'est de l'Esprit chrétien qu'il veut 
parler : il est, en réalité, dichotomiste. Écrivant de la 
formation de la première femme, il paraît admettre 
une sorte de traducianisme, l'âme d'Eve préexistant 
en Adam ^ ; ailleurs toutefois, il exclut formellement 
cette théorie' et se range plutôt au créatianisme. 
L'image et la ressemblance de Dieu dans l'homme 
consistent a) dans la liberté et le domaine de l'homme 
sur le reste de la création; b) dans la disposition et 
l'aptitude de l'homme à recevoir lés dons de Dieu; 
c] dans la facilité de l'esprit humain à tout concevoir 
et à s'appliquer à tout^. 

Dans quel état ont été créés nos premiers parents? 

1. Opp. graeco-lat., II, 396 F. 

2. m, 180 F; Univers, cathol., IV, 187. 

3. Hymni et sermones, II, 179, 151, 3S4, note; Univers, cathol., IV, 18S. 

4. OVKRBECK, p. 76. 

5. III, 34 B; Hymni et serm., II, 699. 

6. I, 18 F. 

7. I, 129 c. 

8. I, 128 D. 



APHRA.ATE, SAINT EPHREM. 213 

Saint Ephrem le décrit d'après la Genèse. Ils étaient 
immortels, exempts de douleurs et de maladies ^, 
remplis de sagesse et de science 2, capables cependant 
d'éprouver la concupiscence, puisque, suivant notre 
auteur, la tentation par le serpent ne fut que l'occa- 
sion, non la vraie caUse de leur chute ^, enfin revêtus 
d'une lumière surnaturelle qui leur cachait leur propre 
nudité "*, et que saint Ephrem paraît avoir regardée 
comme un reflet extérieur de leur grâce intérieure, 
car il dit que le baptême nous rend cette splendeur^. 
Ces dons furent perdus par la désobéissance d'Adam 
et d'Eve. Une double mort suivit leur péché, mort de 
Fâme immédiate, mort du corps différée ^. Cette chute 
a eu en nous son écho, car c'est elle qui nous a con- 
damnés aux douleurs et à la mort '^. Mais saint Ephrem 
ne dit pas que le péché même d'Adam nous ait été 
transmis. En revanche, il insiste beaucoup, contre les 
manichéens, les gnostiques et les astrologistes, sur la 
persistance en nous de la liberté même après la chute. 
Ce n'est pas qu'il méconnaisse la nécessité du secours 
de Dieu pour le salut. Cette liberté est malade et Dieu 
seul peut la guérir; si la grâce n'ouvre pas notre 
oreille, elle reste sourde aux exhortations divines 8. 
Nous avons besoin de lumière, de santé, de force : 
il faut les demander à Dieu^. Cette grâce toutefois 
nous aide, elle ne nous nécessite pas : notre liberté 
reste entière ^*^. 

1. I, 28 C; cf. 128 E; m, S9o E. 

2. I, 23 A; 129 D. 

3. I, 27 F; 30 V; Evangelii concorclanlis expositio (édit. Accaxii- 
MoEsiNGEn, Venetiis, 1876), p. 220. 

4. 1,26 F; 27 D. » 
K. Hymniet serm., 1, 107; cf. Opéra syriaca, III, 312 B. 

6. 1, 137 D. 

7. J, 37 E; II, 481 A. 

8. II, 461 E; IIÏ, S'ÎS G, D. 

9. m, SS3 B; II, -401 E; 338 E. 
10. Hymniet serm., 1, 101. 



214 HISTOIRE DES DOGMES. 

Pour nous délivrer donc et nous guérir le Fils de 
Dieu s'est incarné. Contre Marcion etBardesane, notre 
auteur établit la réalité du corps du Christ * ; contre 
les ariens, il affirme l'existence en lui d'une âme 
humaine*. Marie est vraiment la mère de Jésus, la 
mère de Dieu {]ofs>. l^) ^, vierge ante partum, in 
partu, post partum* , dont le moine syrien se plaît à 
exalter le rôle ^ et à célébrer l'absolue sainteté qu'il 
compare à celle de Jésus-Christ : « Toi seul et ta 
mère êtes absolument purs sous tout rapport; car en 
toi il n'y a aucune tache et en ta mère aucune souil- 
lure ^. » Jésus est donc vraiment homme. D'autre part, 
il était Dieu : « 11 était un de la divinité qui est en 
haut et de l'humanité qui est de la terre'. » Il était 
un sans division, un en personne (^3eQ^n^), un du Père 
et de Marie, un en humanité et en divinité, sans sépa- 
ration, qui a accompli à la fois ce qui est de Dieu et 
ce qui est de l'homme*. Saint Ephrem se sert quel- 
quefois, pour exprimer cette union, du mot mêler 
(.^.i^, ^po) ^ dont il ne faut évidemment pas trop 
presser le sens. La terminologie, comme on pouvait le 
prévoir, est peu précise ; telle qu'elle est, elle présente 
plutôt une teinte monophysitç. 

La sotériologie de notre docteur est fort vague. Au 
lieu dé disserter sur l'acte rédempteur, il préfère dé- 
crire, dans un tableau poétique, la descente de Jésus- 
Christ aux enfers, et montrer comment il a arraché au 



1. n, S32 B; ni, 58 D. 

2. I, S49 A, 

3. nr, 481 A; 487 F; I, 188 F. 

4. 1, 189 A; II, 3-28 D ; 423; 420 F; IH, 5 F; 137 P. 

5. II, 329 E. 

6. Carmina nisibena, XXVII, 8. 

7. I, 177 C. 

8. Hymni et sermones, I, 473, 3S3. 

9. Il, 419 C; Carmina nisibena, XXXV. 



APHRAATE, SAINT EPHREît^ 215 

déman et à la mort leur proie, c'est-à-dire Adam et le 
genre humain * . 

En revanche, son ecçlésiologie est ferme et bien 
développée. C'est ioijôonrs avec enthousiasme que saint 
Ephrem parle de l'Eglise. Elle est, pour lui, l'épouse 
du Christ, la maison de Dieu 2, catholique et indéfec- 
tible^, distributrice de la vérité et delà grâce-*. Jésus- 
Christ lui a, donné le pouvoir de lier et de délier au 
ciel et sur la terre. Qui la méprise est perdu;, qui 
s'abrite en elle possède la vie^. Dans cette Église une 
hiérarchie existe composée, d'éyêques, de prêtres et de 
diacres ^ : ces directeurs de l'Église sont les succes- 
seurs des apôtres ; ils ont reçu le don du Saint-Esprit ''. 
Mais, à leur tête, il faut mettre saint Pierre, dont saint 
Ephrem. exalte la primauté. Pierre est le fondement 
de i'iiglise, la source de la doctrine du Sauveur, le 
chef des disciples, l'héritier des trésors du Christ 5; 
et encore le chef des apôtres, le gardien du troupeau, 
à qui les defs ont été confiées ^ : il est le principe du 
sacerdoce, de qui les prêtres reçoivent leur pouvoir 
de sanctification^". 

Ce pouvoir de sanctification s'exerce surtout dans 
la coUation des sacrements. Saint Ephrem n'a pas 
sur les sacrements en général de vues précises ; mais 
il a parlé de quelques sacrements en particulier. 

C'est dans son propre baptême que Jésus-Christ a ins- 



4. Hymni et sermones, I, SU, S13, 547; cf. 133. 
?, n, §195 A; «1,498 A. 

3. I, 29i C; Hymni et sermones, I, 233. 

4. n, 442 B E; 560 B; III, 578 A-G; Hymni et sermones, I, 355. 

5. III, 578 A; Hymni et sermones, I, 537. 

6. Carmina nisibena, XXI, 5. 

7. n, 366 A. 

8. Hymni et serMiones,, I, 411, 533; cf. Université catholique, IV, 171, 
172. 

9. Il, 599 B. 

10. Hymni et sennones, I, 73, 267. 



216 HISTOIRE DES DOGMES. 

tilué le baptême chrétien : alors il a sanctifié les eaux ; 
à ces eaux il a mêlé sa grâce, le ferment qu'il était lui- 
même ; il les a achetées de son sang ^ . Les eaux ainsi 
sanctifiées sont versées sur le baptisé pendant qu'on 
invoque les trois personnes divines. L'invocation d'une 
seule ne suffirait pas : le baptême donné par ceux qui 
nient la Trinité est nul 2. Les effets du baptême sont 
d'effacer les péchés, de rendre la lumière spirituelle 
et intérieure, la grâce perdue par la faute d'Adam, de 
faire du chrétien un membre du Christ et de l'Église'. 
Ce dernier effet du baptême est persévérant : le chré- 
tien est marqué du sceau du Christ ^. 

Or, parmi les cérémonies du baptême, saint Ephrem 
distingue une double onction d'huile : l'une qui précède 
l'immersion, l'autre qui la suit. Il nomme cette der- 
nière la perfection ou consommation (pû^ioa*) du Christ, 
la compare à l'eucharistie, et lui assigne pour effet de 
fortifier le baptisé et de l'armer contre les ennemis 
de son salut. Il ajoute enfin que la matière de cette 
onction est le chrême (voîa»). Nul doute qu'il ne s'a- 
gisse de la confirmation ^. 

De l'eucharistie notre docteur a souvent parlé et, 
bien qu'il dise que « pour celui qui la mange sans foi 
elle n'est que du pain ordinaire » ; bien qu'il requière 
la foi pour que l'eucharistie ait sa valeur et produise 
ses effets, il n'en est pas moins très affirmatif sur la 
présence réelle et sur le fait que le pain et le vin sont 
devenus, par la consécration, le corps et le sang de 
Jésus-Christ. Le passage principal se trouve dans les 



•1. Hymni et sermones, I, 97, 45, 67, 75. 

2. m, 28 F; 7S B. 

3. Il, 440 B; ni, 312 B; Hymni et sermones, I, 61, 73, 75, 89. 

4. III, 34 A; Hymni et sermones, I, 29. 

5. Hymni et sermones, I, 28, note, 29, 51, 53; Opéra syriaca , UT, 
12 D; II, 252 D. 



APHRAATE, SAINT EPHREM. 217 

Hymnî et sermones (i, 413) : j'en citerai ici une bonne 
partie *. 

Jésus Notre Seigneur prit dans ses mains du pain — au com- 
mencement ce n'était que du pain, — le bénit, fît le signe de la 
croix dessus, le consacra au nom du Père et au nom de l'Esprit- 
Saint, le rompit et le distribua à ses disciples par parcelles ; 
dans sa miséricordieuse bonté, il appela le pain son corps vi- 
vant et le remplit de lui-même et de l'Esprit-Saint : étendant 
la main il donna à ses disciples le pain que sa droite avait 
consacré : Prenez, dit-il, mangez tous de ce que ma parole a 
consacTé. Ce que je vous ai maintenant donné, ne croyez pas 
que c'est du pain; recevez-l3, mangez-le, ne le brisez pas en 
miettes. Ce que j'ai appelé mon corps l'est en réalité. La plus 
petite de ses parcelles peut sanctifier des milliers d'âmes, et 
suffît pour donner la vie à ceux qui la reçoivent. Recevez, 
mangez avec foi, sans hésiter, car c'est mon corps, et celui qui 
le mange avec foi mange en lui le feu de l'Esprit divin. Pour 
celui qui mange sans foi, ce n'est que du pain ordinaire, mais 
celui qui mange avec foi le pain consacré en mon nom, s'il est 
pur, il conserve sa pureté, s'il est pécheur, il obtient son par- 
don. Celui qui le repoussp, le méprise et l'outrage, celui-là 
qu'il tienne pour certain qu'il outrage le Fils qui a appelé et 
fait réellement du pain son corps... Prenez et mangez-en tous; 
par ce pain vous mangez mon corps, vraie source de la rémis- 
sion... Après que les disciples eurent mangé le pain nouveau et 
saint, qu'ils eurent compris par la foi qu'ils avaient mangé le 
corps du Christ, Jésus continua à expliquer et développer tout 
le sacrement. Il prit le calice du vin et le mêla, puis il le bénit, 
fit le signe de la croix dessus, le consacra et confessa que 
c'était son sang qui allait être versé... En leur donnant (à ses 
disciples) le calice à boire, le Christ leur expliqua que le calice 
qu'ils buvaient était son sang : Ceci est mon vrai sang qui est 
versé pour vous tous, prenez, buvez-en tous, c'est le nouveau 
testament en mon sang. Vous ferez comme vous m'avez vu faire 
eu souvenir de moi. Lorsque vous vous réunirez dans l'église 
en toutes contrées en mon nom, faites ce que j'ai fait en sou- 
venir de moi, mangez mon corps et buvez mon sang, testa- 
ment nouveau et ancien. 



1. H. Lamy en a donné, dans r Université catholique, lY, 173 et suiv^ 
une traduction française à laquelle j'emprunte cette citation. 

HISTOIRE DES DOGMES. — H. 13 



21» HISTOIRE DES DOGMES'. 

L'impression générale qui- se dégage de ces^ lignes j 
surtout quand on fait la part de la poésie qui lies pé- 
nètre, est évidemment que leur auteur est un réaliste 
convaincu. Céttie conclusion résulte encore d'aune- sin- 
gulière opinion, de saint Ephrem, opinion qui n'est pas 
isolée dans ses œuvresi Dans le même, morceau dont 
j'ai cité une partie, il prétend que J^sus^Ghrist, avant 
de donner à J udas le pain consacré, trempa ce pain 
dans l'eau « et de cette manière lava là bénédiction et 
renleva/* ». L'eucharistie a'est, donc pas. le. corps de 
Jésus-Christ seulement pour la foi du fidèle, mais en. 
réalité et objectivement. 

Ce même passage nous dit quels sont, d'après notre 
auteur, les effets de la bonne communion. Il les men- 
tionne encore ailleurs. Elle nous unit au Ghrist,. nous, 
jurifie intérieurement et conserve en nous la pureté, 
nous garde contre la concupiscence et prépare la vie 
éternelle ^ : elle est un viatique, pour le moment de. la 
mort^. 

Beaucoup moins complets sont les témoignages de 
saint Epbrem relatifs à la pénitence. Il parle, il est 
vrai, d'un, aveu ou d'une confidence que l'on doit faire 
des; fautes ou des embarras de sa conscience comme 
d'un moyen de s'éclairer et de se corriger-*; mais: on 
n'en saurait conclure qu'il s'agit ici dé l'aveu sacra- 
mentelj si l'on remarque surtout que l'auteur s'adresse 
à des moinesi En^ revanche, il reconnaît formellement 
à l'Église le pouvoir de remettre les péchés même en 
dehors du baptême, pouvoir dont l'exercice est condi- 
tionné par le regret du pénitent^. 

1. Voir aussi Hymni et sermones, I, 603, 623; Evangelii concord. 
expositio, p. 222, On retrouve celte opinion dans Jacques de Saroug. 

2. I, 461 B; m, 297 F; 457 B; 480 E ; Hymni et sermones, I, 417, 707. 

3. m, 6o7 B; cf. S4S G. 

4. lU, 637 B ; Zjngehle, Sermones duo, p. 35. 

5. n, 440 B. 



APHRAATE, SAINT EPHREM. 219? 

IL'ordre et le mariage ne sont mentionnés qu'en pas- 
sant; l'extrême-onGtion l'est peut-être au tome II, 
541 B. 

On peut d?ailleurs relever dans les écrits da saint 
doctBUT — écrits populaires ou ascéticpieSi poun la plur- 
part— une foule de traits concernant les croyances^, 
la discipline et la> piété chrétiennes, à son^ épo(jue et 
dans son milieu. Tels, la sanctification du dimanche* , 
le signe de la croix 2, le jeune et Pabstinence;^;. La 
cliasteté y est hautement célébrée''. On y trouver que.: 
l«s: anges gardiens nous fortifient et nous secourent 
dans les luttes spirituelles*'; que les peuples ont leurs 
saints; patrons qui les protègent^; qu'il faut fêter les 
martyrs "^ ; qu'il est utile d'invoquer les saints afin 
qu'ils prient pour nous*;, que l'on doit honorer en 
particulier Marie et. saint Joseph^; vénérer les reli- 
ques comme, des restes bénis dont la vertu est puis- 
sante ^\ qu'il est. juste et fructueux de prier pour les; 
mïHPtS' et spécialement d'offrir pour eux le saint sacrL- 

Que:si nous passons maintenant à la doctrine escha^ 
tologiquei du moine, syrien, nous sommes dès l'abord 
frappés d'une contradiction qu'elle semble présenter 
sur la condition desâmesjustes immédiatement après 
lai mort. D'un côté, saint Ephrem. enseigne que ces 
âmes entrent de suite dans la vie, dans la joie, dans le 

1. ni C, 499; Hymni et sermones, I, S41. 

2. Hymni et sermones, I, 301. 

3. II, 338. a; m^ 234 F. 

4. III, 227, 228 ; II, 300 BC; Hymni et sermones, II, 777, 783i. 

5. III, 474 B. 

6. III, 563 E. 

7. Carmina nisibena, VI, 30. 

8. III, 227 B; 236 B; 486 CD. 

9. III, 481 A; 487 F; 600 C. 

lOi Il,.3i9 F; 330, Uli 230 F;earminaniiibena, xm, IS^ai. 
11. III, 314F; 337 C; Carmina nisibena, LXXIY, 23; Opéra graeco-la- 
tîna, II, 401 C. 



220 HISTOIRE DES DOGMES. 

paradis, dans le ciel ^; de l'autre, il dit non moins 
clairement que sans le corps ces âmes sont incapables 
d'exercer leurs facultés, de voir, d'entendre, de parler j 
d'où il conclut que, jusqu'à la résurrection de leurs 
corps, leur bonheur est fort incomplet, et qu'elles 
n'habitent pas encore le lieu de la félicité parfaite^. 
L'explication de cette contradiction apparente est pro- 
bablement dans la division que notre docteur fait du 
paradis en trois parties, le sommet, les côtés, le bord^. 
Il réserve le bord aux pénitents pardonnes ■• ; mais on 
peut croire qu'il en fait aussi le séjour des âmes justes 
jusqu'au moment de la résurrection des corps, moment 
où elles gagneront le sommet de la bienheureuse de- 
meure '. 

Quelques textes font penser que saint Ephrem a 
soupçonné l'existence d'un purgatoire ou de limbes 
intermédiaires entre le ciel et l'enfer^. Il a, en tout cas, 
longuement établi, contre Bardesane, la possibilité, 
la convenance, la justice et le fait de la résurrection 
des corps '^. Cette résurrection sera suivie du juge- 
ment. Notre auteur divise, par rapport à ce jugement, 
les hommes en trois classes : ceux qui sont au-dessus 
du jugement [supra iudicium) : ce sont les justes par- 
faits; ceux qui sont jugés [sub îudicio) : ce sont les 
justes imparfaits et les pénitents ; enfin ceux qui sont 
en dehors du jugement [extra iudicium) : ce sont les 
impies et les méchants^. Le jugement étant achevé, 



1. ni, 251 F; 238 G; 22S E; Hymni et sermones, I, 669; Carmina nisi- 
bena, LXXni, 1. 

2. in, S87 B-F. 

3. Carmina nisibena, prolegom., p. 2-5. 

4. III, S68 A. 

5. III, 588 B. 

6. III, 565 E; 595 C. 

7. I, 22 BC; III, 587 B; Carmina nisibena, XLIII, 17; XLIV; XLV; 
XLVII, 4; LXXII 

8. I, 255 B C. 



APHRAATE, SAINT EPHREM. 221 

tous les hommes, justes et pécheurs, traversent le feu 
qui sort du gouffre de l'enfer. Ce feu respecte les jus- 
tes : il saisit et retient les damnés *. Les premiers sont 
placés au ciel suivant leurs mérites 2, et leurs corps 
deviennent purs, subtils, élastiques*. Lès réprouvés, 
parallèlement, reçoivent un châtiment proportionné à 
leurs fautes''. Ce châtiment sera-t-il éternel? On a 
noté dans saint Ephrem deux textes ' qui jettent de 
prime abord quelque doute sur sa pensée à cet égard \ 
mais, en y regardant de près, on s'aperçoit qu'il y fait 
simplement une hypothèse impossible : ailleurs il en- 
seigne nettement l'éternité des peines aussi bien que 
celle des récompenses ^. 



1. m, 209 B ; cf. Hymni et sermones, II, 421 . 

2. I, 463 C ; Iir, S67 F; Hymni et sermones. II, 423. 

3. m, 57S CD. 

4. lil, 243 C; 637, 638; Hymni et sermones, II, 423. 

5. III, 205 A; Carmina nisibena, LIX, 8. 

6. III, 243 B; cf. Hymni et sermones, II, 423. 



CHARITBE Vni 

LES fflÉRÉSIES LATINES DU IV* SIECLE. 

§ 1. — Le donatisnie *. 

L'Eglise latine ne connut pas^au iv^ siècle, d'héré- 
sie comparable à celle qui agita l'Eglise grecque. Elle 
se trouva mêlée sans doute aux querelles ariennes, et 
quelques-uns de ses évêques même fléchirent dans 
leur adhésion à la foi de Nicée. L'ensemhle cependant 
resta fidèle à cette foi, et l'apaisement que devaient 
amener les décisions du concile de Constantinople fut 



1. Sources : 1" Avant tout, ce qui reste de la littérature donatiste, 
c'est-à-dire pratiquement les nombreuses citations donatistes conte- 
nues dans les ouvrages de saint Optât et de saint Augustin. 2° Les actes 
delà conférence de Cartilage tenue en 4il entre catlioliques et dona- 
tistes : Gesta eollationis carthaginensis {P. L., XI, col. 1231 et suiv.). 
3» Les rérutations du donatisme écrites par Saint Optât, De schismate 
donatistariim (Ed. Ziwsa) et Saixt Augustin (toutes contenues dans P. L., 
XLIII. On exceptera le De unitate ecclesiae, d'autiienticité douteuse, et 
le Sermo de Rusticiano subdiacono, qui est un faux). 4» Les procès- 
verbaux, actes des martyrs, lettres, lois et pièces diverses relatifs au 
schisme, dont on peut voir en partie l'énumération dans A. Harnack, 
Geschichte der aUchristlich. Lilterat., I, 744 et suiv., et dont on trou- 
vera un bon nombre édités dans P. L., t. YIII et XL — Travaux : 
VSlter, Der Ursprung des Donatismua, Leipziz, 1882. L. Dochesne, 
Le dossier du Donatisme, Extrait des Mélanges d'Archéol. etWEist. de 
r Ecole française de Rome, tome X, Pa-is, 1890. D. H. Leclercq, U Afrique 
chrétienne, I, Paris, 1904. P. Monceaux, Hist. littér. de l'Afriq. chré- 
tienne,''.!'^, faxis, 1912. L. Saltet, L"s réordinations, Paris, 1907, p. 59 
et suiv, W. Thuemmel, Zu Beurteilung des Donatismus, Halle, 1893. 



LES HÉB^IES LATINES DU W , SIÈCLE. 223 

assez vite .réalisé en Occideiit, encore que retardé par 
l'intcansigeancfi des lucifériens. 

Maïs si l'Église latine ne souffrit que, peu de l'hé- 
résie arienne, il s'y produisit cependant, dans le cours 
du IV® siècle, des déchirements eii.des erreurs qui inté- 
ressent au plus haut point l'histoire de la théologie et 
du dogme. Il les faut maintenant exposer. 

Le premier de ces déchirements est le schisme 
donatiste. 11 fut en ,A,£rique une conséquence de la 
persécution de Dioclétien., comme le novatianisme 
avait été, dans cette même Afrique, une conséquence 
de la persécution de Dèce. 

Ses origines historiques sont connues, et il n'entre 
pas dans notre plan de les raconter, non plus qne de 
redire les détails de son histoire. Rappelons seule- 
ment que l'archidiacre Cécilien, élu en 311 pour suc- 
céder à son évêque Mensurius de Carthage, et sacra 
immédiatement par l'évêque d'Aptonge, Félix, avait 
vu se former contre lui, à la suite d'intrigues fémini- 
nes et de mécontentements habilement exploités, xm 
parti redoutable. Ce parti, qui avait à sa tête l'évêque 
de Casa Nlgra, Donat, et celui de Tigisis, Secundus, 
se trouva assez fort pour provoquer, à Carthage 
même, en 312, une réunion de 70 évêques de Numidie 
dans l'intention de juger Cécilien. On lui reprochait, 
entre autres choses, de s'être laissé ordonner par 
Félix d'Aptonge, lequel, ajant été .traditeicr pendant 
la persécution — c'est-à-dire a.yant livré aux païens 
les livres saints — était déchu parla même de l'épis- 
copat et n'avait pu validement ordonner Cécilien. Le 
fait imputé à Félix était faux, comme la suite le dé- 
montra. En tout cas, Cécilien refusa de comparaître 
devant Je conciliabide qui l'avait cité. On le déposa, 
et on élut à sa place Majorinus, qui ne tint le siège 
que trois ans. En 315, Donat le Grand, homme habile 



. 224 HISTOIRE DES DOGMES. 

et audacieux, lui succéda comme évêque schismati- 
que de Garthage : et c'est de lui probablement plutôt 
que de l'évêque de Casa Nigra que le donatisme a pris 
son nom. 

Le schisme était consommé. Par quels principes le 
justifiait-on, et quelles raisons avait-on mises en avant 
pour écarter Cécilien? On lui reprochait, nous l'avons 
vu, d'avoir vainement reçu l'imposition des mains de 
Félix, puisque celui-ci était traditeur. Il y a, cachée 
dans ce reproche, toute une théorie sur la valeur des 
sacrements qu'il faut, avant d'aller plus loin, dégager 
et mettre en pleine lumière. Les donatistes n'ont 
jamais été de bien forts théologiens, et leur histoire, 
quand on la suit de près, montre qu'ils ont souvent 
varié dans l'application de leurs principes *. Ces prin- 
cipes eux-mêmes n'ont pas été pour eux clairs et 
complets dès le premier jour, et il est certain qu'ils 
ne sont arrivés que graduellement au système que je 
vais exposer. Mais enfin la logique autant que les 
événements les ont entraînés, et ils ont bien dû, à un 
moment donné, accepter les conséquences même théo- 
logiques de leurs affirmations et de leurs actes ^• 

Toute leur doctrine parvenue à son développement 
repose sur ces deux assertions : 1° Les pécheurs pu- 
blics et manifestes, et notamment les évêques et les 
prêtres prévaricateurs, n'appartiennent pas à l'Eglise. 
2° Hors de la vraie Eglise les sacrements ne sauraient 
être validement administrés. 

Ils justifiaient leur premier principe par cette con- 
sidération que l'Eglise visible doit être sainte et im- 

1. An fond, leur opposition a été un mouvement national des popu- 
lations africaines contre l'empire, autant et plus qu'une révQlté dans 
l'ordre de la foi. D. LECLEncQ, L'Afrique chrétienne, 1, p. 3iS et suiv. 

2. Il semble que ce soit après la controverse avec saint Optât, c'est- 
à-dire après 370, que les donatistes allèrent pratiquement jusqu'au 
bout de leurs principes 



LES HERESIES LATINES DU IV» SIECLE. 225 

maculée, et qu'elle serait souillée par l'existence en 
elle de memlîres évidemment pervers et corrompus : 
Ostendimus ecclesiam Domini in scripturis dîpinis 
sanctam et immaculatam fore ubique nuntîatam... 
Sequuntur enim apertissime blasphémantes [catholici) 
ut dicant Ecclesiam malorum delictis etiam manife- 
storum non posse maculari... Non modo moribus sed 
etiam corpore a malis debere [christianos] disiungi 
multis admodum testimoniis legalibus approbamus *. 
Ceci est particulièrement vrai des évêques, prêtres et 
diacres traditeurs et notoirement indignes. Ils ne sau- 
raient, après leurs crimes, continuer d'être membres 
de l'Église; ils ont perdu leur place dans la hiérarchie. 
Mais ils n'ont pas perdu seulement leur place offi- 
cielle : ils ont perdu aussi l'exercice de leur pouvoir 
d'ordre; ils sont devenus inhabiles à administrer les 
sacrements. His ergo criminibus septus, esse verus 
episcopus non potes ^. Et encore : Recedens ab Eccle- 
sia baptismum quidem non amittil, ius dandi tamen 
amittit^. Ceci suppose la seconde affirmation des 
donatistes, à savoir que, en dehors de la vraie Église, 
les sacrements ne sauraient être validement adminis- 
trés. Cette erreur avait été celle de saint Cyprien, et 
les donatistes, en somme, n'avaient pas tort de se 
réclamer ici de son autorité''. En tout cas, ils repro- 
duisaient ses arguments et demandaient, comme lui, 
s'il était possible, puisque l'Jiglise était une et le 
Christ indivisible, de recevoir le baptême on dehors 
de cette Église et de ce Christ^. Avec lui, ils allaient 



1. Gesta collationis, m, 258, col. 1408 D, 1410 D, 1413 A; cf. m, 263. 

2. AuGUST., Contra litter. Petiliani, II, 21. 

3. AuGUST., Contra epist. Parmeniani, II, 30. 

4. Ils n'y manquaient pas, comme bien on pense, et saint Augustin 
a dû consacrer les livres n:V de son De baptismo à leur répondre sur 
ce point. 

5. Geita collât., ni, 258 (col. 1413 A). August., De baptismo contra 

13. 



226 -HISTOfflE DES DOGMES. 

plus loin encore, et — doctrine infiniment dangereuse 
— ils iaisalent de la sainteté intérieure du ministre la 
condition de la collation de la grâce : Qui non Jiabet 
quod det, quomodo dat ^ ? Toute chose, répétaient-ils, 
remonte à un principe, et une racine mauvaise, un 
arbre mauvais ne sauraient produire de bons fruits ; 
un mort spirituel, tel qu'un mauvais ministre, ne 
saurait donner la vie : Conscientia namque danti& 
attenditur qui abluat accipientis ^. 

Toute l'erreur donatiste est dans ces deux principes^ 
dont, en pratique, ils étaient pourtant bien obligés 
parfois de corriger la rigueur. Par exemple, s'ils sfr 
montraient intransigeants à considérer comme hors 
de l'Église non seulement les traditeurs, mais encore 
tous ceux qui communiquaient de quelque façon avec 
eux, c'est-à-dire tous les catholiques 2, en revanche, 
ils ne poussaient à bout ni leur théorie de la sainteté 
de l'Église, ni leur théorie de la sainteté du ministre, 
condition de la validité du sacrement. Car enfin, en 
quoi les fautes secrètes étaient-elles moins contraires 
à la pureté de l'Église que les fautes manifestes, et 
pourquoi les pécheurs secrets n'étaient-ils pas ipso 
/izcZo exclus de son sein? Les donatistes les y souf- 
fraient cependant, et déclaraient même que leur pré- 
sence ne nuisait pas aux bons ^. Et si la sainteté exté- 
rieure du ministre est requise pour l'administration 
des sacrements, si le ministre est la source de la 
grâce, et ne peut la donner que s'il la possède, ne 

dotiatist., I, 17. Inutile de remarquer que, pas plus que saint Cyprien^ 
les donatistes ne distinguaient entre la validité et l'efficacité du 
baptême. 

i. OPTAT, V, 6. 

2. AuGusT., Contra litter. Petilîani, U, 6, 8, 10, 12, 14; Contra epîstuh 
Parmeniani, n, 32; Optât, V, 7. 

S, Gesla coUationis, ni, 2.';8 (col. 1411); August., Contra epistuh 
Parmeniani, I, 4, 6. 

■i.Gesia coUationis, III, 2S8, col. 1410. 



LES HÉRÉSIES LATINES DU IV SIÈCLE. 227 

rfautril pas regarder comme nuls les sacrements admi- 
nistrés par des pécheurs même secrets? Les donatistes 
cependant reculèrentcencore devant cette conséquence, 
et admirent les sacrements conférés par des indignes 
non connus comme tels : Quamvis habeat [baptizans) 
conscientiam maculosam^ mihi tainen^ quia ab eo 
baptizor, quia latet et nescio, sufjicît quod ab eo 
accipiOf cuius innocentem, quia in eeclesia est, -.con- 
scientiam puto. Namideo conscientiam dantis att^ndo 
non utf quod fteri non potest, de latentibus iudicem, 
sed ut si quid de illo in publica conscientia est, non 
ignorem * . 

Ce n'était pas assez toutefois pour les donatistes 
que de formuler des principes ;;pour avoir le droit de 
repousser les sacrements des catholiques, il fallait 
encore prouver que les catholiques étaient en dehors 
de la ;^?aie Eglise; il fallait remonter à l'origine du 
débat, établir que Félix d'Aptonge avait été traditeur 
et que, en communiquant avec lui et ses successeurs, 
évêques, prêtres, diacres et fidèles du monde entier 
— en dehors des donatistes — étaient sortis du bercail 
du Christ. Cette tâche, les donatistes s'y employèrent 
avec ardeur sinon avec succès, en tout cas ils n'y 
purent avancer qu'à la condition de modifier le concept 
de la catholicité de l'Eglise ^. Leurs adversaires en 
«ffet leur' objectaient sans cesse leur petit nombre 
relatif, et les limites étroites de leur Église renfermée 
dans la seule Afrique , pendant que celle des cécilia- 
nistes remplissait le monde. Gomment dès lors les 
donatistes pouvaient-ils prétendre à être l'Église ca- 
tholique? Ils répondirent en déclarant que le mot de 
catholique ne signifie pas l'universalité territoriale, 

.1. Ap. AuGCST., Contra-Cresconium, II, 21. 

2. Sur les notes de la vraie Eglise d'après les donatistes, voir Optât, 
II, 2 et suiv. 



228 HISTOIRE DES DOGMES. 

mais la pureté, la sainteté, la pleine possession des 
sacrements : Catholicum nomen putant ad provîncias 
vel ad gentes référendum, ciim îioc sit catholicum 
nomen quod sacramentis plénum est, quod perfectum^ 
quod immaculatum, non ad gentes * . C'était répondre 
en affirmant de nouveau la thèse à démontrer. 

Quoi qu'il en soit, les donatistes se persuadèrent 
qu'ils l'avaient suffisamment établie, et agirent en 
conséquence. Ils tinrent pour nuls le baptême et la 
confirmation des catholiques et les renouvelèrent^, 
renouvelèrent aussi les ordinations faites après le 
schisme par les évêques du parti adverse ^, et, pour 
bien montrer qu'ils n'accordaient à ces nouveaux 
prêtres ou évêques aucun pouvoir , ne craignirent pas 
de profaner et de fouler aux pieds le chrême et l'eu- 
charistie consacrés par eux ''. 

Telle est la doctrine donatiste ; elle se résume dans 
une erreur sur l'Église et dans une erreur sur la valeur 
du rite dans l'administration des sacrements. Théolo- 
giquement, c'était fort médiocre, et le succès qu'ob- 
tint le donatisme ne s'expliquerait pas si l'on ne fai- 
sait entrer en ligne de compte les souvenirs laissés par 
l'enseignement de saint Cyprien, le caractère de résis- 
tance nationale contre les Romains que prit le schisme, 
et la forte organisation que Donat sut lui donner. Dès 
l'an 313, les dissidents avaient demandé à l'empereur 
Constantin de faire régler leur différend avec les ca- 
tholiques. C'était introduire dans une question d'ordre 
religieux la puissance séculière, et ils eurent lieu plus 



\. Gesla collationis, III, 102, col. 138t ; cf. Acgust., Breviculus colla- 
tion., m, 3;EpiSt. XCIII, 23 (P. L., XXXIII, 333). 

2. Optât, I, 5; m, 2; IV, 4; VU, 4. AuGOST., De unico baptismo, 21; 
Epist. cvi-cvin. 

3. AvGvsT,, Epist. GVIII, 19; Contra litter7 Petiliani, III, 44. Gesta 
collation., I, 201, col. 1330. 

4. OPTAT, II, 19, 21 ; cf. YI, 1 et suiv. 



LES HÉKÉSIES LATINES DU IV SIÈCLE. 229 

tard de le regrettera En attendant, Constantin ac- 
quiesça à leur demande. Un premier synode se réunit 
au Latran, sous le pape Miltiade, le 2 octobre 313. Les 
accusations portées contre Cécilien ne purent être 
prouvées, et l'on fit aux donatistes des avances pour la 
paix. Ils les repoussèrent et sollicitèrent une nouvelle 
enquête^. Elle démontra que Félix d'Aptonge n'avait 
point été traditeur^; et presque en même temps un 
grand concile réuni à Arles (1°' août 3i4) condamna 
les pratiques des donatistes. Dans le canon 8, il inter- 
dit de rebaptiser ceux qui se convertissaient de l'hé- 
résie, et qui avaient déjà été baptisés dans le Père, le 
Fils et le Saint-Esprit. Par le canon 13, il décida que 
les clercs ordonnés par les traditeurs, s'ils étaient di- 
gnes de rester dans le clergé, n'auraient pas à souffrir 
de cette circonstance de leur ordination : Nam si iidem 
[traditores] aliqiios ordinasse fuerint deprekensif et 
M quos ordinaverunl rationales subsistunt, non illis 
obsit ordinatio^ . 

Déboutés de leur plainte et condamnés, les dona- 
tistes auraient dû se soumettre. Ils s'y refusèrent, et 
fatiguèrent si bien l'empereur qu'il consentit encore à 
les juger lui-même à Milan (316). Ce fut pour les con- 
damner de nouveau et déclarer Cécilien innocent^. 

Dès lors, il ne leur restait plus qu'à rentrer dans le 
sein de l'Eglise ou à se révolter, car Constantin, qui 
les avait jugés, entendait bien que sa décision sortît 
son effet. Ils choisirent la révolte. Le pouvoir impérial 

1. ^uiû, ehristianis cum regibus? Aut quid epîscopis cum palatiol 
Mais il était trop tard pour se plaindre d'une situation qu'ils avaient 
eux-mêmes créée (Optât, I, 22; Adgust., Contra liuer. Peliliani, n, 202}. 

2. OPTAT, I, 22-25. 

3. OPTAT, I, 27; Gesta purgationis Felicis (P. L., VIII, col. 718 et 
sulv.). 

4. Hefele, Hist. des Conciles, 1" éd., tr. fr., I, i, p. 289; Epist. II synodi 
arelatensis ad Sylvestrum papam (P. L-, Vlll, S18 et suiv.). 

5. Epist, Constantinî ad Eumalium vicariiim (P. L., VIII, 491). 



230 aiSTÔIRE DES DOGMES. 

entreprit d'obtenir robéissance par la force ; et alors 
commença entre les £chismatiqnes appuyés par les 
circoncellions, et les empereurs servis par des géné- 
raux comme Ursacius et Macarius, cette lutte, inter- 
mittente il est vrai, mais qui dura un siècle, et dont 
certains épisodes furent si tragiques. Nous in'avons 
' pas ici à la retracer. Elle n^aboutit à peu près à rien, 
sinon à cantonner peut-être le mouvement en Afrique. 
£n dehors de là, les donatistes purent seulement éta- 
blir à Rome une communauté qui végéta* et en Espa- 
gne un évêque qui resta isolé. Mais, en revanche, 
même à la fin du iv^ siècle, ils étaient, en Afrique, la 
majorité. Leur concile de Carthage, vers 330, réunit 
270 évêques; celui de Bagaï, en 394, en compta 310; 
à la conférence de Carthage, en 411, leurs évêques se 
trouvèrent 279 ^. 

Deux causes cependant amenèrent la ruine du parti. 
D'abord ses divisions intestines. Une première séces- 
sion de rogatistes, qui se séparèrent, vers 370, dans la 
Mauritanie césarienne, ne lui fit que peu deinaP,; mais 
le grand schisme des maximianistes qui sévit à Car- 
thage même, et qui fut le fait de plus de cent évêques, 
dans les années 392 et suivantes, lui pouta un coup 
mortel^. D'autres dissidences plus personnelles aussi 
se produisirent, qui, sans avoir autant de portée, af- 
faiblirent cependant la forte discipline établie par Do- 
nat le Grand ^. 



1. OPTiT, n, 4. 

2. II faut cependant, pour apprécier ces chiffres, se rappeler, d'une 
part, que les évêchés étaient extrêmement multipliés en Afrique, et, 
de l'autre, que la même ville ou bourgade comptait souvent deux évê- 
ques, l'un catholique, l'autre donatiste. 

3. AuGiiST., Episl. XCIII, 1, 11. 

4. Voir TiLLEMONT, Mémoires pour servir à Vhisl. ecclés., VI, p. IGO 
et soiv. 

5. Entre ces dissidences, il faut mentionner celle du célèbr* Tycho- 
nius, esprit indépendant et sinéère, excommunié par le parti, et qui 



LES HÉRÉSIES .LATINES re.U*V- SIECLE. 231 

La seconde cause .fut-l'influenoe et raetion de: saint 
Augustin. Saint Optât avait, dès 370, dirigé contre les 
schismatigues un traité bourré de raisons et de faits. 
Par sa douceur autant que ;par sa science, l'évêque 
d'Hippone ramena bon nombre de ces égarés,;. mais 
jsurtout.la conférence publique de 411, où catholiques 
et donatistes discutèrent pendant trois jours -devant le 
légat de l'empereur, Marcellinus, fut pour lui un 
triomphe ^ La victoire resta aux catholiques, et un 
grand nombre de donatistes, reconnaissant leur dé- 
faite, l'entrèrent à cette occasion dans l'Église. Ce 
mouvement se continua les années suivantes, et dès 
lors le -schisme déclina sensiblement. Gn n'en trouve 
que peu.de traces jusqu'à la fin du vi^ siècle, o.ù il pa- 
raît prendre un regain de vie sous Grégoire le Grand. 
Il fallut ^que le pape intervînt énergiquement, et qne 
le bras séculier se fît encore sentir 2. L'invasion arabe 
de l'Afrique, qui suivit bientôt, ne tarda ipas d'ailleurs 
à anéantir complètement ce qui en restait. 

§ 3. — Le priscillianisme^ 

L'histoire et surtout la doctrine de Prisciliien cons- 
tituent un problème qui n'est pas encore parfaitement 



se .rapprocha de l'orthodoxie sans y entrer.. Il; a. laissé sur l'Écriture 
sainte des règles d'interprétation intéressantes. V. sur lui Traugott 
"S ABît, Tychonius-S Indien, Leipzig, 1900. 

1. V. les actes, P..L., XI, col. I23i et suiv., et Saint Augustin, Brevi- 
culus eollationis, P. L., XLÏII, col. 613 et suiv. 

2. V. diverses lettres du pape relatives à cet objet, P. L., XI, 143S- 
et suiv. 

3. Sources :. Avant tout, les écrits , de Prisciliien : Priscilliani quae- 
super&unt recensuit GEOV.GKS Schepps, Vindobonae, 1889 {.Corpus scrip- 
ior. ecclesiastic. latin., tom. Xvni); puis les actes des conciles et les 
ouvrages des. auteurs qui se sont occupés de son hérésie : les voici à 
peu près par ordre de temps : Les huit canons du concile de Saragosse 
de.380 (Mansi, III, 633); Philastrius, De haei:esibus, 61, 84; Saint A m- 
BRoisE, Epist. XXIV (P. L., XYI); Maxime, Epist. ad Siricium (P.-X., 



232 HISTOIRE DES DOGMES. 

éclairci et qui peut-être ne le sera jamais. Avant la 
découverte et la publication par Schepps, en 1889, 
d'une partie de ses œuvres, on était assez d'accord 
pour voir en lui, sur l'autorité de témoignages pres- 
que contemporains, un hérétique de la pire espèce. 
Depuis, une réaction s'est faite en sa faveur, et quel- 
ques esprits seraient assez disposés à l'innocentep 
entièrement, et même à saluer en lui un grand réfor- 
mateur et un grand exégète. Essayons de voir ce qu'il 
en est. 

Les origines du priscillianisme sont connues surtout 
par VHistoria sacra de Sulpice Sévère (ii, 46-51), 
composée tout au début du v° siècle. Ces origines, 
remarque-t-il lui-même, sont obscures. Un certain 
Marcus, égyptien, serait venu en Espagne vers 370, 
apportant une doctrine secrète empruntée au gnosti- 
cisme. Il gagna d'abord une noble femme, Agape et 
un rhéteur, Elpidius, qui devinrent à leur tour les 
maîtres de Priscillien. Celui-ci, encore laïc, esprit 
souple, ingénieux, recommandable par l'austérité de 



xni,S9-2); Saint JÉRÔME, Deviris tllusl}-ibus,iZl; Epist. CXXYÏ, CXXXIII; 
Suii-iCE SÉVÈRE, Uistoria sacra, II, 46-51 ; Dîalogus III, H-13 (P. L., XX) ; 
P. Orose, Commonitorium de errore priscillianistarum et origenista- 
rum (édité à la suite des œuvres de Priscillien , ou bien P. L., XXXI) ; 
Saint Augustim, Epist. CCXXXVII; Contra mendacium; De haeresibus , 
70; Contra priscillianis tas et origenistas; Pastok de Galice, Libellus in 
modum symboli (c'est le symbole et les anathématismes faussement 
attribués au premier ou au second concile de Tolède. Mansi, Coll. 
conc, IIJ, 1002 et suiv.; Hahn, Biblioth., § 1C8; Kdenstle, Op. inf. cit., 
p. 43 et suiv.]. Les anathématismes du concile de Braga de 563 (Mansi, 
IX, 774 et suiv.; Hahn, BibL, § 176; Kdenstie, p. 36 et suiv.). Je ne men- 
tionne que pour mémoire l'Epist. XY de saint Léon dont l'authenticité 
est douteuse. Celle de Turribius à Idacius et Caponius (P. L., LIY, 
693) est sûrement apocryphe. — Travaux : F. Paret, Priscillianus, ein 
Reformalor des 4 Jahrhimderts, Wïirzburgr, 1S91. E. Cn. Babut, Priscil- 
lien el le priscillianisme, Paris, 19.t0. K. Kuesstle, Anti2Jriscilliana, 
Freibarg in Br., 1903. J. Chaphax, Priscillian, the author of the vionar 
chian prologues ta the vulgaie gospels, dans la Revue bénédictine, i906, 
t. xxnr,p. 333-339.— D.Moui-N attribue à Instantius les traités de Schepps, 
et a édité un De trinitate priscillianiste {^Éludes, textes, 1913). 



LES HERESIES LATINES DU IV SIECLE. 233 

ses mœurs, mais d'ailleurs vain et orgueilleux, groupa 
bientôt autour de lui un certain nombre de disciples, 
des femmes surtout. Mais des évêques aussi se lais- 
sèrent séduire, tels qu'Instantius et Silvanus. Alors 
les orthodoxes s'inquiétèrent. Dénoncée par l'évêque 
Hygin de Cordoue à Idacius d'Emerita, la nouvelle 
hérésie fut condamnée dans un concile de Saragosse 
en 380^. Malheureusement on chargea de l'exécution 
de la sentence l'évêque d'Ossonoba, Ithacius, violent 
et intempérant. Les priscillianistes résistèrent, Hygin 
de Cordoue passa dans leur camp et Priscillien fut 
ordonné évêque d'Avila. Le triomphe de la secte fut de 
courte durée ; Idacius et Ithaci«us sollicitèrent l'appui 
de Gratien, et les priscillianistes furent exilés. 

Cependant leurs évêques, Instantius, Salvianus et 
Priscillien ne s'abandonnèrent pas. Pour trouver du 
secours, ils partirent pour Rome, semant, en passant, 
leurs erreurs dans l'Aquitaine. A Rome, le pape Da- 
mase, prévenu, refusa de les recevoir 2. Même hosti- 
lité de la part de saint Ambroise à Milan. Ils réussi- 
rent cependant par intrigue à faire rapporter l'édit de 
Gratien. Mais Ithacius n'était pas homme à lâcher sa 
proie. L'usurpateur Maxime venait de se déclarer à 
Trêves. Ithacius obtint de lui que les hérétiques com- 
paraîtraient au concile de Bordeaux (385). Instantius 
s'y défendit; Priscillien commit la faute d'en appeler à 



1. Le fait relaté ici par Sulpice Sévère est contredit par Priscillien 
lui-même (Tract, n, p. 33). 11 prétend qu'au concile de Saragosse, 
« nemo e nostris reus factus'tenetur, nemo accusalus, nemo convictus, 
nomo damnatus est, nullum nomini nostro vel proposito vel vitae cri- 
men oblectum est » ; il ajoute que lés priscillianistes n'assistaient pas 
d'ailleurs au concile. De fait, les canons du concile ne les nomment 
pas, et condamnent seulement certaines exagérations d'austérité re* 
prochées aux novateurs. 

2. C'est à cette occasion sans doute que Priscillien écrivit son traité 
n, Liber ad Damasum episcopum (p. 34 et suiv.), où il fait l'apologie 
de sa conduite et de sa doctrine. 



23â HISTOIRE DES DO&MES, 

Maxime lui-même. Mal lui en prit. Amenés à Trêves, 
les priscillianistes y furent suivis de leurs accusateurs. 
En vain saint Martin, alors présenta Trêves, s'inter- 
posa auprès de Maxime pour que, si la .doctrine des 
hérétiques était condamnée, leur personne fût sauve ^ . 
En vain même, effrayé, au dernier moment, de sa res- 
ponsabilité et des protestations soulevées par sa con- 
duite, Ithacius se désista de son rôle d'accusateur. 
Poussé par deux évêques, Rufus et Magnus, Maxime 
n^écouta que les conseils de rigueur. Un laïc reprit les 
poursuites. Priscillien avait avoué s'être rendu cou- 
pable d'actes immoraux, et s'être adonné à des étude;s 
abominables. On le condamna à la peine capitale du 
chef de magie; et avec lui, deux clercs, un diacre, des 
laïcs et une femme même furent mis à mort. Instantius 
et d'autres priscillianistes furent déportés ou exilés. 
Un cri de réprobation accueillit ces mesures. Saint 
Ambroise, venu à Trêves sur ces entrefaites, refusa de 
communiquer avec les évêques qui y avaient engage 
Maxime^; Idacius se démit volontairement de l'épisco- 
pat et Ithacius en fut chassé. 

Tel est le récit de Sulpice Sévère. 11 ajoute que la 
mort ou l'exil des chefs priscillianistes, loin d'étouffer 
la secte, parut d'abord redoubler son r fanatisme. Le 
concile de Tolède, en 400, vit cependant revenir à 
l'orthodoxie quelques évêques, entre autres Dictinius 
d'Astorga, auteur d'un livre intitulé « La balance » 
{Lib/'a). En 415, saint Augustin,- sollicité par Paul 
Orose, écrivit contre l'erreur sa lettre gcxxxvii et 
son traité Contra mendacium.' Bans ce dernier ou- 

1. 11 regrettait même qu'un juge séculier fût appelé à Be prononcer 
dans inae question doctrinale : Salis superque .suf/icere, Mt^episcopali 
sententia haereliei iudicati ecclesiis pellerentur; novum -esse et inau- 
ditum ne/Jas, causam ecclesiae index saeculi iudicaret {Hist. sacra, 
n, 50). 

2. Ambroise, Epist. XXIV, 42. Ce trait.D'e8t pas dans iSulpice. Sévère. 



LES HÉRÉSIES LATINES ?DU M* SIECLE, 235 

vjpage, il réprouvait le secret et Ja dissimulati^a que 
l'on accusait les priscillianistes d'observer vis-4-i;^is de 
leur doctrine, mais en même temps il Wâmait .l'usage 
du même mensonge et de la même dissimulation avec 
eux, pour arriver -à -surprendre leurs secrets. Un peu 
.plus tard, vers 447, il'évêque dlAstorga, lîTurj'ibius, 
écrivit à saint -Léon pour lui dénoncer encore la ^secte. 
<La lettre de l'évêque a:péri, et la réponse authentique 
du pape aussi probablement^^ La guerre se continua 
entre hérétiques et orthodoxes csous forme de ^traités, 
de;symboles et de condamnations conciliaires -plus ou 
moins -directes. La dernière grande manifestation 
contre le priscillianisme eut lieu au concile de Braga 
de 563, où 17 anathématismes furent portés contre les 
divers points de son enseignement. Ge fut le -coup de 
grâce de l'hérésie. A partir de ce moment il n'en est à 
j)eu j)rès, plus question. 

::Et maintenant, quelle était au juste la doctrine pris- 
cillienne? L'exposé le plus clair et le plus complet s'en 
trouve dans ces anathématismes du concile .de Braga 
dont je viens de parler. Ils sont éloignés, il est vrai, 
de près :de.deux cents ans .des origines :de la secte, 
mais leur substance se retrouve toute entière dans le 
LiôeZ/ws de l'évêque Pastor, composé vers le milieu du 
V* siècle, et en grande partie dans les sources datées 
du commencement de ce même siècle, ou même de la 
.fin du iv^. 'On peut donc les considérer comme conte- 
inant.l'expression fidèle de ce qu'était-la doctrine pris- 
cillianiste pleinement développée. Quant à la doctrine 
personnelle de Priscillieri, c'est évidemment dans ses 
écrits rqu^il faut la chercher. Or il se trouve qu'entre 

i. V. KuENSTLE, op cit., p. 117 et suiv. Les deux conciles de .Tolède et 
de Braga, indiqués comme tenus à la suite de la réponse du pape, n'ont 
jamais existé. :Dans l'état de lîEspagne à ce moment, il était impossible 
de tenir des conciles provinciaux. 



236 HISTOIRE DES DOGMES. 

cet enseignement des écrits de Priscillien et l'ensei- 
gnement qu'on lui attribue ou du moins qui est censé 
être venu de, lui, des divergences, des contradictions 
même existent. Comment les expliquer? Qui faut-il 
croire, de Priscillien ou des auteurs qui nous parlent 
de lui? Où est enfin la vérité dans ce conflit? C'est ce 
que nous allons nous appliquer à rechercher. 

Voyons d'abord ce qu'était le priscillianisme au v« et 
au VI* siècle. 

Le concile de Braga réduit, comme je l'ai dit, ses 
erreurs ou pratiques répréhensibles à dix-sept chefs 
dont voici l'énumération. En note sont indiquées les 
sources plus anciennes qui confirment les assertions 
du concile. 

I. — Les priscillianîstes nient la distinction réelle 
des personnes divines : ils sont sabelliens * . 

II. — Ils admettent en Dieu une sorte d'émanation 
ad intra d'éons ou d'êtres divins : il y aurait dans la 
divinité trinitas trinitatis^. 

III. — Le Fils de Dieu Notre-Seigneur n'existait 
pas avant de naître de Marie. 

IV. — Ils sont docètes, et ne croient pas que Jésus- 
Christ soit né in ver a hominis natura. Aussi jeûnent- 
ils le jour de la naissance du Christ et le dimanche^. 

V. — Les anges et les âmes humaines sont des 
émanations de la substance divine^. 

VI — Les âmes humaines ont péché dans le lieu 
céleste où elles habitaient, et, à cause de cela, ont 



i. Orose, Commonitor., 2. Pastor, Libellus, anathl n, lll, IV. AncosT., 
De haeresibus, TO. Il faut sans doute rapparier ici également l'ana- 
Ihème VI du Libellus : Si quis dixerit Chrislum înascibilem esse, ex- 
pression qui semble caractéristique du priscillianisme. 

2. Pastor, Libellus, anath. XIV. 

3. Conc. de Saragosse, canon 2. 

4. Orose, Commonitor., 2; Augvst., De Tiaeresibiis, 70; Contra men- 
'lac. S; Pastor, LibelL, analli. XI. 



LES HERESIES LATINES DU IV" SIECLE. 237 

été précipitées dans des corps humains sur la terre*. 

VII. — Le diable n'a pas été d'abord un bon ange 
créé de Dieu : il est sorti du chaos et des ténèbres ; il 
■n'est pas créé : il est le mal substantiel même. 

VIII. — Il est dans le monde des créatures qui sont 
l'œuvre du diable : c'est lui qui est l'auteur du tonnerre, 
des éclairs, des tempêtes et delà sécheresse'. 

IX. — Les âmes et les corps humains subissent 
l'influence des astres^. 

X. — Les douze signes du zodiaque correspondent 
aux diverses parties du corps et de l'âme, et sont en 
rapport avec les noms des douze patriarches"*. 

XI. — Le mariage est mauvais et la procréation des 
enfants condamnable^. 

XII. — Ce sont le diable et les démons qui forment 
au sein de la mère le corps de l'enfant. La chair ne 
ressuscitera point ^. 

XIII. — La chair n'est pas l'œuvre de Dieu, mais 
une création des mauvais anges '^. 

XIV. — Les priscillianistes s'abstiennent de manger 
de la chair et même des légumes cuits avec de la viande, 
non par mortification, mais parce qu'ils regardent la 
chair comme une nourriture impure *. 

1. p. Orose (Commonitor., 2) et saint Augustin {De haeresibus, 70) 
précisent ce point. Les âmes, nées de Dieu, descendent à travers sept 
cieux ou cercles pour venir combattre sur la terre. Elles sont saisies 
par les puissances malignes qui gouvernent le monde, et disséminées 
dans les corps. C'est à cause de cela que le diable est représenté, dans 
la parabole de la semence, sous la forme du semeur, parce qu'il a semé 
les âmes dans les corps, dans les pierres et les épines. 

2. Cf. Philastiuus, De haeres,, 84; Pastor, Libellus, anath. I. 

3. Pastor, Libellus, anath. XV ; Aughst., De haeresib., 70. 

4. Orose, Common., 2; August., De haeres., 70; Pastor, Libell., 
anath. XV. 

5. PuiLASTRiDS, De Aaer., 84; AuG., De ftoer., 70; Pastor, LiôeZi., anath. XVI. 

6. Pastor, Libell., anath. X. 

7. Philastrios, De haeres., 84. 

8. PmLASTRius, De haeres., 84; August., De haeresib., 70; Pastor, Libell., 
anath. XVII. 



238. HISIQIRE. DES DOGMES. 

XY.. — Lar.secteenseigûGcpie les clercs et les moines 
peuvent, en dehors de leur mère,, de. leur sœur,, de: leur 
tante ou d'une très proche. parente, retenir augrè&.d'eux. 
des femmes étrangères, et: cohabiter avec eUes.^ 

XVI.. — Le jeudi saint,, contre la coutume daL'Église, 
les priscilUani&tesr célèbrent, à l'heure de: tierce, des 
messes pour les défunts, et rompent le jeûnCi- 

X¥II. — Enfin le XYII? anathématisma déclare que 
Priscillien a corrompu les Écritures:; il interdit, de lire 
et, de défendre le& traités que Tévêque DictiniusL avait 
composés avant sa conversion,, aussi bien quelles, écrits, 
fabriqués par les hérétiques sous le pseudonyme des 
patriarches,, prophètes et apôtres ^ . 

A ces reproches du concile de Braga on peut enajou- 
ter quelques autres, mentionnés par les auteurs du 
IV* et du V" siècle. On accusait encore les priscillianisr 
tes d'introduire dans l'interprétation des. Écritures un 
allégprisme outri^^, Je mettre sur le même pied que 
les livres canoniques ou. même de leur préférer desr 
apocryphes sans autorité^, de se servir d'une Memona 
apostolorum qui expliquait l'évangile d'une façon par- 
ticulière.''.. Saint: Augustin cite, quelques passages d'un 
Hymnus Domini, ou cantique: chanté pan Notre-Sei- 
gneur après la scène, et dont les hérétiques faisaient 
grand: cas^. Ils expliquaient l'origine de certains phé- 
nomènes naturels par des mythes^ étranges^; Saint 
Jérôme et Sulpice Sévère les accusent de pnaMqiue&. in- 
fâmes '^. Enfin on leur reprochait de dissimuler leurs 

1. OnosE, CommoniU, 2; Acgust., Contra wiendac, S; D& Aa^res., .70 ; 
Epîst. ccxxxvn, 3. 
a. AuGusT., De haeres., 70. 

3. AuGUST., Epîst. ccxxxvn, 3; De haeres., 70; Orose, Commonit., 2; 
Pastor,, LiôeZi., anathiXIl.. 

4. Orose, Commonit., 2. 

5. Epist. ccxxxvn, 4 et suiv. 
e. Orose, Commonitor., 2, 

7. Jérôme, Epist. CXXXIII, 3; Sulpice Sévère, Histor. sacra, llj 50. 



LES HERESIES LATINE & DU IV SIÈCLE. 239 

vrais sentiments en présence de ceux qui ne les parta- 
geadèntpas, et d'autoriser le parjure plutôt que la vio- 
lation dès secrets de la secte : i^ Iû?'a, perhira, secre- 
tiim prodere nolî^ ». Ils autorisaient même leurs 
adliérents à renier le Christ pour échapper à la persé- 
cution 2. 

Telle était l'idée qu'on se faisait, au v^ siècle, delà: 
doctrine- priscillianiste. GXn y voyait un mélange^ de 
gnosticisme et de manichéisme* un système compo- 
site où se rencontraient le dualisme, l'astrologie, le 
pythagorisme , le docétisme, un encratisme exagéré, 
le tout comîi^iné avec le sabellianisme et certaines doc- 
trines origénistes. 

Mais étïtit-cfrlà la- doctrine de Priscillien, et, même 
en faisant là part de développements ultérieurs qui 
ont pu et dû se produire, en retrouve-t-on le fond dans 
ses écrits? 

Sur quelques^ points, oui, mais non sur l'ensemble. 
Le premier d%s reproches que la lecture des écrits de 
Priscillien paraît confirmer, est celui d'abuser des li- 
vres apocryphes. Priscillien a écrit sur ce sujet un traité 
tout entier, le troisième : Liber de flde et apocry- 
phis. Il remarque que les écrivains canoniques se sont 
servis eux-aussi' dé livres et de prophéties non canoni- 
ques : tefe saint Jude (p; 44, 45), l'évangile, saint Paul, 
Daniel, Ezéchiel (p. 48, 50). On trouve indiquées d^ns 
la Bible des prophéties de Noë, d'Abraham, d'Isaac et 
de Jacob (p. 45-47). Saint Paul a recommandé aux" 
Colossiens la lecture dé son épitre aux Laodicéeris, qui 
n'est pas canonique (p. 55). Priscillien en conclut que 



1. AuGusT., De ftaeres., 70; EpiiU CGXXXVII,.3; Contra mendac, 2. 

2. AuGusT., Contra mendac, 25. 

3. Phiustrius, De haeres., 84, 6!; AnousT., De haeres., 70. M. Harnack 
Lehrb. der DG., Il, 527) dit qu'il n'est pas prouYé que le manichéisme 
ait réellement influé sur le prisciilianisme. 



240 HISTOIRE DES DOGMES. 

le canon ne contient pas tout ce qui est inspiré, que 
les apocryphes ou livres extra-canoniques ne doivent 
pas sans doute être mis entre toutes les mains, parce 
que les hérétiques les ont corrompus , mais qu'il s'y 
trouve de bons éléments dont il faut profiter (p. 46, 
47, 56). Conformément à ces principes, M. Schepps re- 
garde comme probable que, dans ses canons sur les 
épîtres de saint Paul, l'évêque d'Avila avait fait entrer 
l'épître aux Laodicéens, et qu'il comptait ainsi 15 épî- 
tres de l'apôtre ^ . 

Un second reproche, plus grave, qui trouve quelque 
soutien dans les œuvres de Priscillien, est celui de 
sabellianisme. Outre qu'il insiste beaucoup sur l'unité 
de Dieu 2, — ce qui en soi est fort correct, — on trouve 
chez lui deux ou trois formules inquiétantes au point 
de vue qui nous occupe : « Tu enim es deus qui... unus 
deus crederis, invisibilis in pâtre, visibilis in filio et 
unitus in opus duorum sanctus spiritus inveniris^. » Et 
encore, parlant de l'incarnation : « Invisibilis cernitur, 
innascihilis nascitur , incomprehensibilis adtine- 
tur''. » Et enfin : « Unus deus trina potestate vene- 
rabilis, omnia et in omnibus Christus est sicut scrib- 
tum est : Abrahae dictae suntrepromissiones et semini 
eius : non dicit in semmîbus tanquam in multis sed 
quasi in imo et semini tuo quod est Christus ^. » Ce 
dernier passage, observe M. Kiinstle, paraît dénoter 
une sorte de panchristisme ^. Et cependant nous voyons 
Priscillien condamner le patripassianisme'^, et sa for- 
mule baptismale n'omet nullement, entre les noms des 



\. Praefatio, p. xii. 

3. Tractât. I, p. 5 ; V, p. G6, 67. 

3. Ti-act. XI, p. 103. 

4. Tractât. Yl, p. 7i. Cf. le traité édité parD. Blorin. 

5. Tract. Il, p. 37, et cf. Tract. VI, p. 7S. 

6. Op. cit., p. 21, et cf. Orose, Commonilor., 2. 

7. Tract. I, p. 6, 23; II, p. 38. 



LES HÉRÉSIES LATINES DU IV SIECLE. 24î 

personnes divines, le mot « et », comme Orose le pré- 
tende 

Troisième reproche. Le concile de Braga (anath. V) 
accuse Priscillien de regarder les anges et les âmes 
comme des émanations de la substance divine, et l'évê- 
que Pastor (anath. V) l'accuse d'apollinarisme. N'y au- 
rait-il pas quelque trace de la dernière erreur surtout 
dans ces mots du traité vi (p. 74) : « Denique deus 
noster adsumens carnem, formamin se dei et ho- 
minisjid est divinae animae et terrenae carnis adsi 
gnans, etc. » La divina anima ici est le Verbe. 

Que l'on ajoute encore, si l'on veut, le caractère 
nettement gnostique du fragment de lettre cité par 
P. Orose dans son Commonitorium, 2 ; l'insistance du 
canon xxxiii (p. 124) sur l'abstention des œuvres de 
la chair; du canon xxxv (p. 125) sur l'abstinence de 
la viande et du vin; une désapprobation, en tout cas 
très indirecte, du mariage et de la procréation dans 
le traité IV (p. 59,60 : « humanae nativitatis vitia cas- 
tigat [Christus] ») ; c'est tout ce que les écrits de Pris- 
cillien contiennent des doctrines que les iv« et v^ siècles 
lui ont attribuées à lui ou à ses disciples. 

Car par ailleurs, ces doctrines sont plutôt, dans ces 
écrits, contredites et condamnées. Ainsi Priscillien 
admet que Dieu est le créateur du monde, de l'homme 
et de son corps ^; il condamne le manichéisme, dont il 
avoue d'ailleurs qu'on accuse son parti 3; il condamne 
ceux qui adorent les astres et leur accordent un pou- 
voir''; il affirme et répète que Jésus-Christ est venu 
dans la chair, et repousse le docétisme^. Anathème 



1. Tract. Il, p. 37; Orose, Commonîtor., i. i 

2. Tractât. V, p. 63, 65; XI, p. 104, lOS. 
3.. Tractât. I, p. 22 ; II, p. 39, 40. 

4, Tractât. I, p. 14; V, p. 63, 65; VI, p. 78. 
8. Tractât. I, p. 7, 21; lY, p. 60; X, p. 102. 

U 



243L HISTOIBB. DEST HOGMiESi.. 

aux mcolaïtes, ophites, ariens, . novatifinSj basilidrênsv 
homuncionites , borborites, patripassiens ^ La dif- 
féreace des sexes vient de Bieu, et. l'on doit, luttier 
contre la- concupiscence'^. IL confesse la résuErection: 
de la chair^, et n!admet que quatre; évangiles ''. A rer- 
marquer la témoignage qu'il donne à la virginité de; 
Msicie post partum^. 

Entre: ces affirmations, de;- Priscillien et le prisoillia.- 
nisme: connu jusqu'à la découverte de Mv Scheppsv il y 
a une distance qu'un développement même rapide 
d'idées ne suffît pas à combler, car de. ces idées, les 
germes ne se trouvent pas tous dans le fondateur de 
la secte. Saint. Jérôme constatait déjà, en 392:, dans 
son De viris illustrihus (121), que l'on était partagé 
sur ce qu'enseignait au juste l'évêque d'Avila; ce defen- 
dentibus aliis non ita eum sensisse ut arguitur ».. C'est 
donc que cet. enseignement: prêtait à des interpréta- 
tions différentes,- ou que ses écrits ne correspondaient 
pas tout à fait aux opinions qu'on lui prêtait. Or la 
controverse signaléepar saint Jérôme, pouvons-nous la 
tranclier? Pouvons-nouff expliquer les divergences qui 
séparent les traités de Priscillien dés anathématismes. 
de Pastor par exemple^ décider entre les deuxc cpii. a 
droit d'être cru? — Pas entièrement. On peut sans- 
doute observer, d'une part, que des homme comme 
Sulpice Sévère, P.. Orose, Pastor, sont des hommes 
sincères et rapprochés^ des événements, d'autre part, 
que nous ne possédons qu'une^ partie des écrits de 
Priscillien, que leur allure fuyante, la souplesse de sa 
phrase obscure et; traînante sont'> plutôt de nature à 



1. Traclat. ï. p. 23; n, p. 38. 

2. Tractât. I, p. 28; X, p. 101, «fâ. 

3. Tractai. I, p. 29; H, p. 37. 
•4. Tractât. I, p. 31. 

5. Traclat. YI, p. 74. 



LES HERESIES 'lATmES DU :IV SIECLE. 243 

nous mettre en défiance ^contre sa ^v^éracfté; que l'on ne 
voit pas pourquoi il aurait si haut prisé les apo- 
cryphes s'il n'y avait eu quelque intérêt doctrinal; 
que la secte est de bonne lieure aecusée de dissimuler 
ses sentiments. Toutes ces considérations plaident 
sans doute contre le novateur; mais elles 'ne détrui- 
sent pas entièrement l'impression que produit la net- 
teté de ses déclarations. On est îbien obligé de tenir 
compte du caractère mondain et sensuel de son pre- 
mier et plus grand ennemi, Pévêque Ithacius, et l'on 
peut se demander si, au point de vue de l'encràtisme 
par exemple, certaines pratiques d'austérité, exa- 
gérées si l'on veut, de Priscillien et de son entourage 
n'ont pas été présentées aux contemporains comme 
de véritables hérésies par cet homme dont Sulpice 
Sévère écrit qu' « il portait la folie jusqu'à incriminer 
comme complice ou disciple de Priscillien tout homme 
pieux, ayant le goût de l'étude ou s'imposant des 
jeûnes prolongés », etqu' « il osa même lancer ;une in- 
famante accusation d'hérésie contre saint Martin, 
homme de tout point comparable aux apôtres^ ». 

On ne saurait donc, en dehors des points claire- 
ment confirmés par ses écrits, se prononcer absolument 
sur la doctrine originale de l'évêque d'Avila. 

■ § 3. — Xes erreurs d'Helviâius, de Bonosus 
de Jovinien et de Vigilance. 

Pendant que le priscillianisme agitait il'fepagne et 
'L'Aquitaine, de moindres erreurs — qu'il faut signaler 
cependant — troublaient d'autres parties de l'Église. 

Lapremière en dafceest celle d'Helvidius^. 

1. 'SOEPIOE SÉVÈRE, Historia sacra, H, '50. 

2. Source unique : Saint JÉîiôsiE, 'Bejperpetua virginilate B.Mariae 
adversui 'HeVoidiv.m, (P. L., xxin). 



544 HISTOIRE DES DOGMES. 

Elle n'est connue que par saint Jérôme, dont la ré- 
futation est très probablement de l'an 383. On y voit 
qu'Helvidius, homme sans culture ni notoriété, avait 
soutenu dans un livre qu'il publia : 1* que Marie, après 
avoir enfanté Jésus ex Spiritu Sancto, avait entretenu 
des relations conjugales avec saint Joseph et en avait 
eu des enfants (3-17) ; 2° que l'état du mariage n'est 
pas inférieur, devant Dieu, à la vie de continence (18). 
Il appuyait sa première affirmation sur les textes qui 
parlent de Jésus comme d'un premier-né, sur ceux qui 
mentionnent ses frères [Matth., i, 18; xiii, 55, 56; 
Marc, VI, 3; Luc, ii, 4 et suiv. ; vin, 20; loann.^ ii, 
12; VII, 3-5; Act., i, 14), et aussi sur l'autorité de 
Tertullien et de Victorin de Pettau. Il fortifiait la se- 
conde simplement par cette considération que'^ie ma- 
riage étant chose naturelle et voulue de Dieu, ne peut 
être considéré comme d'une moralité inférieure. 

Cette erreur ne parait pas avoir reçu d'autre sanc- 
tion que la réplique hautaine de saint Jérôme qui 
expliqua les textes objectés (3-16), rejeta l'autorité de 
Tertullien comme d'un homme qui n'était pas « de 
l'Église »; nia que Victorin eût soutenu l'opinion 
■qu'Helvidius lui prêtait (17), releva les éloges faits de 
la virginité dans le Nouveau Testament (20,21) et con- 
clut : « Natum Deum esse de virgine credimus quia 
legimus, Mariam nupsisse post partum non credimus, 
<juia non legimus » (19). 

La même erreur fut renouvelée cependant, vers la 
même époque mais un peu plus tard, par un évêque 
Ae Sardique nommé Bonosus * . Jugé ce semble une 

1. Sources : la lettre du pape Sîjucins attribuée à tort à saint Am- 
broise (P. L., XVI, H72 et suiv.) ; Saint Innocent, Epist. XVI , XYII 
(P. L., XX); Isidore de Sévilue, De haeresibus, S3; Honoiuus d'Adtdn, De 
haeresibiis, 68; Pacl, De haeresibus, 43; Gennadius, De ecclesiasticis 
dogmatibus, 52; Marids Mercator, Blasphemiarum Nestorii capi- 
tula XII, Dissertatio Marii Mercatoris, IS (P. L., XLVIII, 928). 



LES HÉRÉSIES LATINES DU IV SIECLE. 245 

premfêre fois, condamné et exclu de son église, il avait 
reçu de saint Ambroise le conseil de se soumettre au 
moins provisoirement à sa condamnation. Mais, à ia 
suite d'une nouvelle dénonciation ou d'un appel, il se 
vit derechef condamné et par le pape Siriee et par les 
évêques de Macédoine, vers 391 ou 392. Un schisme 
s'ensuivit, et une secte de bonosiens se forma qui dura 
jusqu'au vii^ S'iècle. On accusa plus tard les bonosiens 
de diverses erreurs, notamment de photinianisme et de 
nestorianisme. Il est difficile de dire ce que valent ces 
reproches. Leur baptême fut reconnu valide par le se- 
cond concile d'Arles en 443 ou 452^, mais rejeté plus 
tard tant par Gennade dans le De ecclesiasticis dogma- 
tibus (52) que par saint Grégoire le Grand ^. 

Avec Jovinien^, nous revenons à saint Jérôme, car 
c'est par ce dernier surtout que nous le connaissons. 
Jovinien avait été d'abord moine et moine austère; 
puis', à la suite de réflexions, il changea de vie. Tout 
en restant moine et en gardant le célibat, il adopta 
des vêtements luxueux, rechercha la bonne chère et se 
donna tout le confort de l'existence. Ce revirement de 
conduite était justifié par les aphorismes suivants, 
dans lesquels saint Jérôme résume sa doctrine : 

« Dicit virgines, viduas et maritatas, quae semel in 
Çhristô lotae sunt, si non discrepent caeteris operibus, 
eiusdem esse meriti. 

Nititur approbare eos qui plena fide in baptismate 
renati sunt, a diabolo non posse seduci. 

1. Hefele, Hist. des Conc, 2* édit., trad. fr., n, 4, p. 467, can. \^. 

2. Epist. lib. XI, Epist. LXVII (P. L., LXXVn, 1206). 

3. Sources : avant tout, les fragments conservés de Jovinien lui- 
même dans W. HALtEn, Op. infra cit.; puis Saint Jérôme, Adversus 
lovinianum libri duo (P. L., XXtlI); Dialogus advers. pelagianos, 
Prolog., 2 (P. L., XXni). Saint Augustin, De haeresibus, 82. La lettre sy- 
nodale du concile de Milan de 390, inter epist. sancti Ambrosii, Epist. 
XLII (P. L., XVI), Epist. Siricii (P. L., XVI, 4121). — Travaux : W. Hal- 
LERj lovinianus {Texte und Vntersuch., N. F., II, 2), Leipzig, 4897. 

14. 



246 HISTOIRE DES DOGMES. 

Tertium jprpponit, inter ahstinentiam ciborum .et 
cum jgratiarum .actione ;.perï3eptioiiem eorum nullam 
esse distantiam. 

Quartum quod et extremmn, esse; omnium qui sunm 
baptisma servavepint, unam in regao caelopum iPemu- 
nerationem^ » 

Ainsi donc, 1° L'étai de virginité n'est pas en soi 
;plus méritoire que l'état du mamage; 2° Ceux qui ont 
reçu le ibaptéme avec une foi pleine ne peuvent ,:plus 
pécher; 3° L'abstinence ne vaut pas mieux que la 
J)onne chère,; 4° Tous ceux qui ont .gardé la grâce de 
leur baptême recevront au ciel même irécompense. A 
.ces erreurs ajoutons-ren deux autres que rapportent 
saint Jérôme et saint Augustin : 5° Tous les pécheurs 
seront également punis, parce que tous les péchés 
sont égaux en gravité : « nullam esse inter iustum et 
•iustum, peccatorem et peccatorem distantiam ^ ». 
iô" Marie a;perdu sa virginité dans son enfantement 3. 

Ces erreurs iurent a?épandues à Rome par Jovinieii, 
en un livre d'un style obscur et emphatique, mais qui 
fit quelques ravages. En réalité, et pour grossières 
qu'elles parussent d'abord, ileur portée était grande. 
Ce que Jovinien prêchait au iond — et ce qui -lui a 
valu toujours depuis les sympathies protestantes — 
c'est le salut par la foi seule, et l'inutilité des bonnes 
œuvres pour le salut, c'est le salut universel de tous 
les chrétiens. Quiconque avait reçu le baptême p/e/î^j 
fide ne pouvait plus déchoir, et il importait ;peu qu'il 
pratiquât ou non l'abstinence et la continence, puisque 
ces austérités ne valaient pas plus que leur contraire, 
et que tous les justes devaient être également xécom- 

1. Adv. lovinian., 1, 3. 

2. Adv. lovinian., ll,'2l, 30, 31, 35. 

3. « Virgo concepit, sed non virgo generavit » {Epist. syn. médiol. 
t; AucusT., Dehaeres.,:82. 



LES HÉRÉSIES -LAUiNES DU :W SIÈCLE. ^47 

-pBUsés ^ . L'important était de conserver la 'foi, et on 
la conservait sûrement si on l'avait apportée dès le 
principe pleine et ferme dans son baptême. Or, nous 
verrons que cette idée du sedut par la foi et par le 
seul baptême, cette idée du: salut universel des cbré- 
*tiens était une idée qui, à la fin du iv* siècle^, hantait 
piluB d'un esprit et que saint Augustin dut combattre 
énergiquemént^. La do(jfcrine de Jovinien avait donc 
en réalité =pluB d'importance qu'il ne semble d'aibord : 
il y allait =^e toute la morale chrétienne . 

On S'en aperçut, et -l'erreur fut dénoncée au pape 
Sirice parun ami de Jérôme, Pammachius et d'autres 
chrétiens distingués. Le pape la condamna dans un 
synode romain, en 390^, et communiqua cette déci- 
sion à saint Ambroise qui la fit Tecevoir et confirmer 
dans -un petit concile tenu à Milan laTOÔme année. La 
lettre synodale écrite à cette occasion à Sirice nous 
apprend (13) que l'empereur lui-^même — c'était Va- 
leritinien II — avait exsécré .cette erreur. En 406, Jovi- 
nien était mort; mais avant de 'mourir, il avait pu lire 
la virulente réfutation que, en 392 ou 393, saint Jérôme 
avait écrite de ses idées. Il ne parait pas d'ailleurs 
que celles-ci lui aient survécu. 

A Jovinien on associe souvent Vigilance * comme 
offi?ant avec lui une parenté intellectuelle. Né en Gaule, 
probablement non loin de Toulouse, vers l'an 370, et 
d'abord .esclave dans les domaines de Sulpice Sévère, 



1. « Si autem aiihi opponis, disait Jovinien, quare iustus laboret ia 
pace,aut persecutionibus, si nullus prol'ectus est nec maiora praemia : 
scias .hoc eum facere,non ut plus mereatur, sed nc-perdat quod acce- 
pit » {Adv. lovinian., TI, 18). 

2. Dans son traité De flde et operibus, 

3. Epist. Siricii, 5, 6. 

4. Sources : Saikt Jérôme, Epist. LXI, CIX; Contra Vigilantium 
{P.. L., XXIH).; Gennadius, De scriptoribus ecclesiasticis, 33 (P. L., 
LVHI). 



248 HISTOIRE DES DOGMES. 

il s'éleva peu à peu jusqu'au sacerdoce, fut chargé 
plusieurs fois de missions honorables, et se trouva en 
rapport avec saint Jérôme et' Paulin de Noie. Cela 
seul prouve qu'il n'était pas aussi « imperitus verbis 
et scientia et sermone inconditus » que le prétend 
saint Jérôme \ mais qu'il était plutôt, comme le dit 
Gennade, « homo lingua politus » ^. Quoi qu'il en soit, 
^et homme poli semble avoir manqué d'une certaine 
largeur d'esprit. Frappé probablement des abus se 
produisant presque toujours au sein des masses dans 
le culte rendu aux saints et à leurs reliques, ou témoin 
encore de certains excès pieux auxquels se laissaient 
«ntraîner quelques moines ou ascètes, il ne sut pas 
distinguer entre l'usage et l'abus, la pratique et l'ex- 
cès, et condamna en bloc des coutumes et une disci- 
pline qui sortaient des entrailles mêmes du dogme 
chrétien. 

C'est vers l'an 403 qu'il publia ses erreurs. Rien 
n'est resté de ses écrits que ce que saint Jérôme en a 
conservé dans ses réfutations, et il se peut que le rude 
polémiste, en rapportant les sentiments de son adver- 
-saire, les ait un peu exagérés. Tout se tient bien ce- 
pendant dans son exposé, et l'exagération, si elle y 
•est, n'est pas altération ni déformation.. 

Deux pratiques principales provoquent la. critique 
de Vigilance : la vie monastique et le culte des saints. 

11 ne veut pas de la vie monastique. Le jeûne est 
inutile (l)^. Mieux vaut donner petit à petit son bien 
aux pauvres que de le distribuer d'un coup tout à la 
fois (14) ; et mieux vaut secourir les pauvres de son 
pays que d'envoyer des aumônes aux monastères pa- 

1. Contra Vigil., 3. 

2. Op. et loc. cit. 

8. Les références entre parenthèses, et sans autre indication, repor- 
tent au Contra Vigilantium. 



LES HÉRÉSIES LATINES DU IV SJÈCLB. 249 

lestiniens (13, 14). La retraite dans la solitude est une 
désertion des devoirs de la vie ; la continence prive le 
pays de citoyens utiles (15). 

Mais il s'attaque surtout au culte des saints. Vigi- 
lance pose en principe que les âmes des justes glori- 
fiés ne peuvent avoir avec nous aucun commerce, en 
d'autres termes, qu'il n'existe pas de communion des 
saints entre le ciel et la terre (6) : les saints ne peu- 
vent ni prier, ni intercéder pour nous, et les prier est 
<;hose inutile (6). Il ne faut donc pas leur élever des 
basiliques, offrir le sacrifice liturgique sur leurs tom- 
beaux, ni célébrer les vigiles des martyrs, exercice 
qui est une occasion de désordres (1, 8) *. Quant aux 
reliques, c'est une idolâtrie, une insanité que de véné- 
rer cette poussière morte, ce je ne sais quoi qui n'a 
plus avec l'âme aucun rapport ; on abuse quand on 
fait brûler des cierges devant elles (1, 4, 7)^. 

Vigilance blâmait encore l'usage des monastères 
de Betliléem de chanter l'alleluia en dehors de Pâ- 
ques (1), et nous apprenons enfin par la lettre lxi, 4, 
que saint Jérôme lui écrivit, qu'il interprétait d'une 
façon singulière le passage de Daniel (ii, 34-45) rela- 
tif à la pierre détachée de la montagne. La montagne 
était le démon, la pierre Jésus-Christ. 

En somme, les idées de Vigilance sont bien claires : 
il veut, d'une part, séculariser l'Église, de l'autre, 
ramener le culte sur Dieu comme objet unique, et en 
réduire les manifestations extérieures : c'est du pro- 
testantisme pratique avant la lettre. 

Ces idées ne furent pas d'abord mal accueillies; 
l'évéque de Toulouse, saint Exupère probablement, 
parut les favoriser, et d'autres évêques se laissèrent 



1. Et V. SA7NT JÉRÔME, EpiSt. CIX, i, 3. 

2. Etv. Epist. CIX, i. 



550 aiSîîQiaE DES:DOGMES, 

séduire ^. Mais le novateur fut dénoncé par àenx prê- 
tres, Desiderius et rRiparius, à saint Jérôme qui avait 
eu déjà quelques démêlés avec lui àpropos de A'ori- 
génisme ^. XesSolitaiEe de Bethléem. réfuta (quelques- 
unes de ses erreurs dans sa lettre cix à >Riparius ; 
vmais n'ayant pas. en main ses écrits, il;ne put le faire 
complètement. Geuxrci lui parvinrent en 406, et en 
une nuit, pressé par le temps, Jérôme écrivit saphi- 
lip^iqne Contra Vigilantium,où l'ironie et la violence 
suppléent quelquefois aux raisons., mais dont l'argu- 
mentation, en somme, reste solide, et la force victo- 
rieuse contre l'adv.ersaire, incontestable. 

On ne sait trop ce qu'il advint de Vigilance à la 
suite de cet éclat. -On a supposé, d'après Gennade^, 
qu'obligé par son évêque de quitter son diocèse, il 
•s'était réfugié à Barcelone où il aurait obtenu le >gou- 
vernement d'mie:paroisse. En tout cas, ses protesta- 
tions n'arrêtèrent pas le développement du mona- 
chisme ni les .progrès du culte des saints. 



1. Jérôme, Epist. GIX, HyContra Vigil.,^. 

2. JÉRÔME, Epist. liXI. 

3. De scriptor. ecclesiast., S&. 



CHAPITRE IX 

LA THÉOLOGIE LATINE AU IV* SIECLE. 

§ 1'. — Aperçu généiral sur- les autetii«s. 

C'est- en vain que nous tenterions^ de grouper eir 
écoles lesi écrivains ecclésiastiques latins du iv® siècle, 
comme il a été' possible de le faire pour les écrivains 
grecsv È'OrientconnaissaitalorS'des écoles à tendances 
ou doctrines définies et précises : l'Occident ne possé- 
dait rien de semblable. Chacun» des auteurs dont nous 
devons maintenant parler porte , sans doute , dans la 
forme de sa pensée et la manière de son style, les traits 
caractéristiques d'un certain milieu où il a vécu et de 
certaines influences intellectuelles et théologiques qu'il 
a subies; : il ne se confond pas avec ses voisins ; mais- 
on ne trouve point entre eux tous- ces distinctions tran- 
chées de méthodes et de principes qui constituent des 
écoles différentes.. Et. la dernière raison en. estque l'an- 
cienne église Mine n'ajamais spéculé sursescroyances 
pour le plaisir dé spéculer; elle en a traité' seulement 
pour s'en édifier ou pour les défendre. 

Ce premier principe dé classification, nous faisant 
défaut; il resterait à grouper nos écrivains ou suivant 
la nationalité — africaine, espagnole,, italienne , gau- 
loise — à laquelle ils appartiennent, ou suivant le genre 



252 HISTOIRE DES DOÈMES. 

— apologétique, polémique, catéchistique — auquel 
on peut ramener leurs ouvrages. Mais ce dernier mode 
de procéder serait , pensons-nous , d'une application 
fort complexe, et l'autre ne différerait guère d'une 
simple énumération. Contentons-nous donc, dans l'ex- 
posé qui va suivre, de mettre en vedette les noms les 
plus illustres et les plus saillants, en tâchant de réunir 
autour d'eux, suivant des affinités dont la nature va- 
riera, ceux dont la notoriété est moindre. 

Trois noms dominent évidemment toute l'histoire de 
la littérature chrétienne latine au iv® siècle : ceux d'Hi- 
laire, d'Ambroise et de Jérôme. Entre ceux qu'ils dé- 
signent, le plus théologien fut sans contredit saint 
Hilaire ^ . Saint Ambroise et saint Jérôme ont vécu à 
une époque de paix dogmatique relative, ou ne se sont 
mêlés aux controverses que par occasion. Saint Hilaire 
(évêque vers 353, -f en 366) a vu l'arianisme dans son 
plus haut triomphe, et en a préparé ou même assuré la 
ruine dans les Gaules et en Italie. Le premier grand 
théologien de langue latine, si l'on excepte TertuUien, 
il s'est forgé une langue bien à lui, peu limpide, mais 
pleine, nerveuse, spontanée. Ses idées ont été emprun- 
tées en majeure partie aux grecs, dont il eut le loisir, 
pendant ses quatre années d'exil dans le diocèse d'Asie, 
d'étudier les ouvrages, et dont il fit connaître à l'Église 
latine les conceptions doctrinales et certaines interpré- 



1. Je citerai ses œuvres d'après la Patrologte latine, IX, X. — Tra- 
vaux : J. R. WiRTHMCLLER, Die Lehre des heil. Hilarius von Poitiers, 
ûber die Selbstentâusserung Christi, Regensburg, 1863. Baltzer, Die 
Théologie des heil. Hilarius von Poitiers, Roltweil, '4879. lD.,Die Chris- 
tologie des Hilarius von Poitiers, Roltvfei\, 1889. Th. Fôrster, Zur 
Théologie des Hilarius, dans Theolog., Stud. Krit., LXI, 1888. A. Beck, 
Die Trînitâtslehre des heil. Hilarius von Poitiers, Mayence, 1903. 
G. Rauschen, Die Lehre des heil. Hilarius von Poitiers ûber die Lei- 
densfàhigkeit Christi dans Zeiischr. fur kalhol. Theol., t. XXX, 1900. 
G; RÂsNECR, L'homoîousianisme dans ses rapports avec l'orthodoxie; 
dans Revue d'histoire eceUsiast., t. IV, 4903. 



LA THÉOLOGIE LATINE AU IV» SIÈCLE. 253 

tations scripturaires. Son exégèse dérive d'Origène; 
mais sa doctrine trinitaire et christologiqne relève de 
celle d'Athanase dont elle reproduit l'intransigeance 
de fond et les avances conciliantes dans les procédés. 
Le surnom d' « Athanase de l'Occident », qu'on lui a 
donné, ne lui convient donc pas seulement au point de 
vue du caractère ; on peut le lui appliquer encore au 
point de vue théologique. Entre ses ouvrages, il faut 
signaler comme plus importants pour nous les douze 
livres De Trînitate et le De synodîs; mais du reste les 
indications dogmatiques abondent aussi dans les au- 
tres, et l'on n'en doit négliger aucun. 

En saint Ambroise (évêque en 374, f 397) ^ nous re- 
trouvons encore l'influence grecque, mais contrebalan- 
cée par le tempérament latin le plus prononcé. Devenu 
évêque, Ambroise a gardé le sens et l'allure de sa pré- 
cédente charge consulaire. C'est avant tout un homme 
de gouvernement, un pasteur, un conducteur d'âmes, 
un administrateur de la république chrétienne, un pré- 
lat qui parle d'autorité. Très doux d'aiUeurs et de sen- 
timents très modestes, il incarne en soi une Église qui 
a pris conscience de sa force, et qui, le paganisme 
vaincu, n'aspire plus seulement à vivre, mais à prendre 
la direction morale des peuples. Comme exégète, il 
s'est formé à l'école de saint Basile, avec qui il corres- 
pond et qu'il admire, et aussi à celle de saint Hilaire, 
de saint Hippolyte, d'Origène, de Philon même qu'il 
imite et qu'il transpose. C'est dire que l'allégorie tient, 
a côté de l'exhortation, une large place dans ses com- 



4. Je citerai ses œuvres d'après la Patrologie latine, XIV-XVII — Tra- 
vaux : Th. F8rster, Ambrosius, Bischof von Mailand, Halle, 1884. j. B. 
KELtNER, Der heil. Ambrosius, Bischof von Mailand, Erklàrer des 
Ailes Testamentes, Regensburg, 1893. R. Thamin, Saint Ambroise et la 
morale chrétienne au IV" siècle, Paris, 189S. J. E. Niederhuber, Die Es- 
chatologie des heil. Ambrosius, Paderborn, 1907. P. de Labriolle, Saint 
Ambroise, Paris, 4908. 

UISTOIRE DES DOGMES. — H. 15 



354 HISTOIRE DES DOGJIBS. 

mentaires. Sa théologie offre un caractère analogue. 
On y trouve des théories sur le mal, des remarques 
précises sur le sens des définitions de Nicée, dejs envo- 
lées mystiques sur la virginité, sur l'âme épouse de 
Dieu, qui lui viennent bien des grecs ; mais où le romain 
se révèle, c'est dans l'attention donnée aux questions 
de conduite pratique, d'ascétisme réglé, de discipline, 
de gouvernement intérieur de la communauté. On sent 
bien que son cœur est là, et qu'il bornerait volontiers 
la théologie à n'être qu'un grand catéchisme. On peut 
dire qu'aucun de ses ouvrages n'a pour le dogme d'im- 
portance capitale : ils ne l'ont point fait avancer; mais 
ils sont très représentatifs de cette spéculation sereine 
où se complaisait le bon sens latin, et qui donnait pleine 
satisfaction aux meilleurs esprits. 

De saint Jér:ome * on sait qu'il a été un grand érudit 
et un grand exégète, plus remarquable par ses travaux 
de critique textuelle et de géographie scripturaire que 
par ses commentaires proprement dits ; on ne saurait 
dire qu'il a été grand théologien. « Il ne s'est jamais 
livré à des méditations personnelles sur les dogmes... 
et si l'intérêt d'un système se mesurait à la puissance 
de conception qu'il accuse, la théologie de saint Jé^ 
rôme n'en offrirait aucun ^ ». Il a bataillé cependant à 
l'occasion pour l'orthodoxie contre Helvidius, contre 
Jovinien, contre Vigilance, contre les lucifériens , con- 
tre les origénistes, contre les pélagiens. Mais dans 
toutes ces occasions, il a pris la doctrine toute faite, 
telle que l'église de Rome la lui présentait : il ne l'a 

1. Je citerai ici ses œuvres d'après la Patrologie latine, XXU-XXX. — 
Travaux : G. Grdtzmacher, Hieronymus, çin biographtsche Studie zur 
alten Kirchengesch., Berlin, 1906-1908. A. Rohricht, Essai sur saint Jé- 
rôme exégète, 1892. L. Sanders, Éludes sur saint Jérôme, Paris, 1903. 
J. Brochet, Saint Jérôme et ses ennemis, Paris, 1906. J. Turmel, §aint 
Jérôme, Paris, 1906. 

9. J. TCRMEL, Saint Jérôme, p. 15S. 



LA THÉOLOGIE LATINE AU IV SIECLE. 255 

pas faite sienne en la pensant à nouveau. Joignez que 
son érudition lui joue parfois de mauvais tours, et que, à 
force de lire tout ce qui lui vient à la main, bon ou dou- 
teux, il ne sait à quoi s'arrêter dès que l'enseignement 
exprès de l'Église lui manque. Ecrivain d'ailleurs ori- 
ginal, plein de saveur, de mouvement et de vie, celui 
qui, de tous les auteurs de l'Église latine, a le plus 
étroitement uni en lui la forme classique et le tour per- 
sonnel de l'expression et de l'idée. 

Saint Hilaire, saint Ambroise et saint Jérôme sont, 
comme nous l'avons dit, les trois personnages de 
l'église latine qui attirent d'abord ra;ttention au iv^ siè- 
cle; mais, à côté d'eux, il en est d'autres, et de consi- 
dérables encore, dont l'étude importe à l'histoire des 
doctrines chrétiennes. Au moment à peu près où saint 
Hilaire, victime de sa foi nicéenne, partait pour l'exil, 
un rhéteur fameux se convertissait à Rome qui devait, 
lui aussi et immédiatement (de 355 à 360 probable- 
ment), écrire contre l'arianisme, et surtout essayer 
d'une fusion intime entre les doctrines néoplatoni- 
ciennes et les enseignements de l'Église sur Dieu et le 
Logos. C'était C. Marins Victorinus \ désigné généra- 
lement sous le nom de Victorinus Afer, de sa patrie 
d'origine. Philosophe profond et polémiste vigoureux , 
Victorin manie avec force et alternativement l'arme des 
Ecritures et celle de la raison; il a en sa dialectique 
une confiance absolue, et en pousse jusqu'au bout, 
jusqu'à l'excès, l'application dans le domaine de la foi. 
Mais il ne possède, du reste, du christianisme qu'une 

1. Je citerai ici ses œuvres d'après la Patrologie latine, VIII. — Tra- 
vaux : KoFf MANE, De Mario Viclorino philosopha christiano, Breslau, 
1880. G. GORE, Victorinus Afer dans Dict. of christ. Biogr., IV, 1887. 
Geiger, C. Marins Victorinus Afer, ein neuplatonischer Philosoph, 
Melten, 1887-^1889. R. Schmid, Marins Victorinus rhetor, und seine Be- 
ziehttngen zu Augustin, Kiel, 1893. P. Monceaux, Histoire Ullér. de l'A- 
frique chrétienne, III, Paris, 1903. 



256 HISTOIRE DES DOGMES. 

connaissance médiocre , et le caractère néoplatonicien 
, de ses ouvrages, qui fit d'abord leur succès, contribua 
plus tard à en détourner les lecteurs. Saint Jérôme 
déjà se plaignait qu'ils fussent obscurs ; ils le sont bien 
davantage pour nous, à qui ils ne sont parvenus que 
par des manuscrits fautifs et qui ne sommes plus 
familiers avec la philosophie qu'ils supposent. 

Les ariens trouvèrent encore un adversaire dans 
l'évéque d'Agen Phebadius, auteur, après 357, de plu- 
sieurs ouvrages dirigés contre eux\ et dans le prêtre 
luciférien Faustin qui composa, vers 384, à la prière 
de l'impératrice Flacilla, un De Trinitate^. Ils en 
eurent un autre encore, combattant plus particulière- 
ment l'erreur sur le Saint-Esprit, dans l'évéque de 
Remesiana en Dacie, Niceta^, l'ami de saint Paulin de 
Noie. Mais Niceta est moins un polémiste qu'un caté- 
chiste. 11 est connu surtout par son interprétation du 
symbole, écrite vers 375, et, à ce point de vue, il vaut 
mieux le rapprocher soit de Rufin d'Aquilée, auteur 
lui aussi d'un commentaire sur le symbole, soit de 
Zenon de Vérone (évêque de 362 à 380) -«, pasteur 
comme Niceta et s'occupant d'édifier son peuple, soit 
enfin de l'évéque de Barcelone, saint Pacien (évêque 
vers 360-390), dont il reste sur le baptême et sur la 
pénitence des écrits intéressants et pleins de vie ^. 

A saint Ambroise on a longtemps attribué un De 
sacramentîs^ important, que certains critiques (Bar- 

i, p. L., t. XX. 

2. p. L., t. xnr. 

3. Edit. E. BoRN, Niceta of Remesiana, hîs lîfe and Works, Cambridge, 
1903. — Travaux: L'introduction du même ouvrage, et W. A. Patin, 
Nicela,Bischof von Remesiana, llnnchen,lQ09. 

4. CEuvres dans P. L., XI. — Travaux : A. Bicelmair, Zeiio von Ve- 
rona, Munster i. Westph., 4904. P. MoncEAnx, Hist. littér. de l'Afrique 
chrétienne, ni, Paris, 190S. 

5. Œuvres dans P. L., XIII, — Travaux : A. Gruder, Studien zu Pacia- 
nus von Rare,, Mùnclien, 1901. H. Kauer, Studien zu Pacianus, Wien, 1902. 

G. Dans P. L., xyi. 



LA THEOLOGIE LATINE AU IV SIÈCLE. 257 

denhewer) retardent jusqu'au v* ou au vi« siècle, mais 
que d'autres (Duchesne, BatijEfol) maintiennent aux 
environs de l'an 400, et qui appartient bien en tout cas 
au cercle de l'église de Milan. Le commentaire sur les 
épîtres de saint Paul * , cité sous le nom d'Ambrpsiaster, 
n'est pas non plus de l'évêque de Milan : il est très 
probablement du juif, converti d'abord puis relaps, 
Isaac, qui écrivait sous le pontificat de Damase (366- 
384), et qui est l'auteur encore des Quaestiones Veîeris 
et Novi Testamenti que l'on trouve parmi les œuvres 
de saint Augustin ^. 

Je ne nommerai guère que pour mémoire Julius 
Firmicus Maternus dont le livre De errore profana- 
rum religionurri^ ^ écrit vers 347, offre plus d'intérêt 
pour l'histoire que pour la théologie. Prudence, de son 
côté, a consacré toute une partie de ses poèmes (404- 
405) ^ à combattre le paganisme et l'hérésie, et l'on a 
voulu voir notamment dans son Apothéose et son Ha- 
martigènie une réfutation voilée, mais non équivoque, 
du priscillianisme. L'histoire des dogmes n'a que fort 
peu à glaner dans ces compositions. Il en va tout au- 
trement du livre de saint Optât De schismate donatis- 
tarum (370-385). Dans la littérature du iv^ siècle 
l'évêque de Milève reste presque un isolé : par le sujet 
qu'il traite c'est à saint Augustin qu'il se rattache plus 
qu'à ses contemporains, et c'est pourquoi je l'ai nommé 
le dernier ; mais d'ailleurs il est, dans la théologie de 
l'église et des sacrements, un initiateur dont les idées 
doivent' être étudiées de près. Il n'a pas coinbattu le 
donatisme seulement par l'histoire et les faits : il lui a 
opposé une doctrine dont celle de l'évêque d'Hippone 



1. p. h., xvn. 

2. p. L,, XXXV. 

s. p. L., XII. 

4. p. L., LIX, LX. 



258 HISTOIRE DES DOGMES. 

n'est qu'un développement, et dont l'avenir devait un 
jour consacrer le& principes^ . 

Essayons, au moyen de ces auteurs, de nous repré- 
senter ce qu'était la théologie latine au iv® siècle; 



§ 2. — La doctrine sur les sources de la foi.. 

La première des sources où nos auteurs vont puiser 
leur enseignement est naturellement l'Écriture. Es la 
régardent tous comme inspirée 2, mais sans analyser 
un peu profondément le concept de l'inspiration. Seul, 
saint Jérôme fait remarquer que l'auteur inspiré n'est 
pas entre les mains de Dieu, comme le pensaient les 
montanistes, un instrument purement passif, ravi en 
extase et ne comprenant pas lui-même ce que Dieu 
disait par sa bouche. Non, cet auteur restait conscient 
et actif, et c'est pourquoi nous constatons tant de diffé- 
rence dans le style des écrivains sacrés, chacun d'eux 
marquant l'expression de la vérité inspirée de sa per- 
sonnalité propre^. Une conséquence de l'inspiration 
est d'ailleurs que l'Écriture ne peut ni se contredire, 
ni se tromper, ni nous tromper-^. Elle doit donc être 
notre guide; en elle tout est parfait^. 

4. Édit. C. ZiwsA, Vindob., 4893. V. P. Monce.4.ux, Hist. litt. de l'Afr. 
chr., V, 4920. — Il faudrait aussi nommer Lucifer de Cagliarl et son 
disciple Grégoire d'Elvire dont les opinions sur l'Église rappellejit le 
rigorisme de Novatien. D. Wilmart a démontré que Grégoire est le 
véritable auteur des Tractatus Origenis édités par Ms"- BatiiTol. V. le 
premier volume de cette histoire, 6? édition, p. 357-362. 

2. HiLAiRE, Jn psalm. LXIV, 3; Ambkoise, De Spiritu Sancto, UI, 112; 
JÉRÔME, In epîst. ad Gai., V, 20 (col; 417); Jn Mïchaeam, VIi; T (col, 
1222); Epist. CXXin, 5. 

3. In Isaiam, Prolog, (col. 19); Epist. CXXI, 10; et cf. les préfaces 
aux divers commentaires. 

4. JÉRÔME, In Nahum, I, 9 (col. 1238); Epist. LVII, 7; cf. In^Malth., 
XIV, 8 (col. 98); In leretniam, XXVIII, 10, 11 (col. 8S3). 

5. HiLAiRE, In CXVIII psalm., litt. YI, 1; Ambroise, In psalm. CXVIII, 
sermo XIV, 11. 



LA THÉOLOGIE LAMNE AU IV« SIECLE. 25? 

Comment nos aùtéuïs l'interprètent- ils ? J'ai déjà 
dit que saint Hiïaire et plus encore saint Ambroise 
allégorisent souvent, et chérehéïit volontiers au delàj 
et quelquefois en dehors du sens littéral un sens plus 
haut. On en peut dire autant de Zenon de Vérone. 
Victorin, au contraire, malgré les explications origi- 
nales, singulières, qu'il a données de certains passages 
de l'Écriture, se tient plus près de son texte et l'inter- 
prète en grammairien ^ . Quant à saint Jérôme, il em- 
prunte à Origène la distinction des trois sens histori- 
que, tropologiqlie et spirituel. Le premier est conforme 
à la lettre; le second expose la leçon morale que le 
texte contient ; le troisième enfin met en relief, s'il y a 
lieu, les vues que ce même texte nous donne sur le ciel 
et la vie future'^. Saint Jérôme ne veut pas qu'on s'ar- 
rête toujours uniquement au sens littéral, qui peut être 
une occasion de scandale^; mais il condamne bien 
davantage ceux qui « divaguent » sous prétexte d'inter- 
prétation tropolôgique ou spirituelle^. 

L'Ecriture est donc une première autorité qui nous 
instruit de ce que nous devons croire. Mais saint Hi- 
làire observe que ceux qui sont hors de l'Eglise « ne 
peuvent avoir l'intelligence de la parole divine » , que 
dans l'Église « a été établie la parole de vie »^. Saint 
Ambroise dit que lé doigt' de l'Église nous montre la 
foi, qu'elle seule garde la loi complète du Seigneur^. 
Saiilt Jérôme à son tour remarque, par la bouche du 
luciférien qu'il approuve, que la tradition et la coutume 



1. In epist. ad Galatas, ïl (coL 1184); In epist. ad Ephesios, II, 
prooem. (col. 1273). 

2. Epist. CXX, 12; In Amos, IV, 4 (Col; 1021); Iri Ezechiel., XVI, 31 
(col, 147). 

3. In epist. ad Galat., Y, 13. 

4. In Isaiafn, XVIIi Iff; XVHi; 2 (coL 177, 17d)'. 

5. In Matth'aeum, xni, 1; 

6. In Lucam, Vi 9T, In psalm. CXVIir, sermo xxil, 33. 



260 HISTOIRE DES DOGMES. 

de l'Église peuvent suppléer au silence de rÉcritupe, 
comme on le voit pour maintes pratiques * . Et nous 
connaissons par l'histoire tous les faits qui supposent 
dans nos auteurs la conviction intime que la vraie 
Église ne peut errer dans son enseignement. L'argu- 
ment tiré des a Pères » n'était pas encore, il est vrai, 
complètement créé, et saint Hilaire n'était pas fixé sur 
ce qui faisait au juste l'autorité d'un concile 2. Saint 
Jérôme cependant a opposé auxpélagiens les écrits de 
saint Cyprien et même de saint Augustin ' ; et l'on sait 
que les définitions de Nicée ont été regardées par saint 
Hilaire comme irréfragables. 

Mais autant les écrivains latins du iv" siècle relèvent 
l'autorité de l'Ecriture et celle de l'Église, autant font- 
ils peu de cas de la philosophie, du moins si l'on entend 
ce mot des spéculations métaphysiques. En général, 
ils ne veulent pas de l'immixtion de la philosophie dans 
les choses de la foi. Saint Hilaire l'en écarte expressé- 
ment, la déclarant inhabile à nous y éclairer^. Saint 
Ambroise, qui pense d'ailleurs que la philosophie a 
emprunté aux Ecritures ce qu'elle a dit de bien, l'ac- 
cuse de nous empêcher de trouver le Christ °. Tous la 
présentent comme une science vaine, incapable de 
nous faire vivre, plus riche de paroles que de vérité, 
devenue inutile par l'avènement du Christ^. De ce con- 
cert toutefois, qui n'étonnera pas de la part de nos 
latins du iv* siècle, il faut excepter Victorin. Philo- 
sophe dans le paganisme, il n'a pas renoncé à l'être en 

1. Dialog. contra luciferîanos, 8. 

i. De synodis, 86. 

3. Advers. pelagian., m, 18, 19. 

S. De triniU, 1, 13; IX, 8; XII, 19. 

5. De virginitate, XIV, 92; De officiis ministrorum, 1, 133, n9;Epist. 
XXXVII, 28. 

6. HiLURE, In CXVIII psalm., Prolog-, 4; Ambroise, In psalm. 
XXXVI, 28; JÉRÔME, In Isaiam, XLIV, 24 et suiv. (col. 439); In epist. 
-ad Ephes., IV, 17 suiv. (col. 504); Zenon, Tractât, l, 7, 1. 



LA THÉOLOGIE LATINE AU IV' SIÈCLE. 261 

devenant chrétien. Il a vu dans la nouvelle religion 
surtout une consécration de ses idées néoplatoni- 
ciennes, et c'est pourquoi tout son effort tend à montrer 
les harmonies de sa philosophie et de sa foi. Effort in- 
téressant par sa nouveauté même, et qui ne sera pas 
renouvelé de longtemps avec autant de vigueur et de 
sincérité. 



§ 3. — La lutte contre l'arianisme et la doctrine 

trinitaire. 

Entre les docteurs latins qui défendirent au ïv® siè- 
cle la foi de Nicée, il y a lieu évidemment de distinguer 
ceux qui écrivirent avant son triomphe définitif, et ceux 
dont les ouvrages sont sensiblement contemporains de 
ce triomphe ou même sont postérieurs au concile de 
Gonstantinople de 381. Dans le premier groupe il 
faut ranger saint Hilaire, Phebadius, Victorin et Zé- . 
non. Ils sont naturellement de beaucoup les plus im- 
portants pour l'histoire de la lutte contre l'arianisme 
en Occident au iv« siècle. 

Hilaire tient sa doctrine de saint Athanase ; Pheba- 
dius et Zenon paraissent avoir lu TertuUien et en avoir 
gardé quelque chose ; Victorin se classe à part et éta- 
blit moins le dogme par l'Écriture qu'il ne cherche à 
l'expliquer par la raison. 

La première chose à faire pour réfuter les ariens 
était de se dégager du sabellianisme dont ils accu- 
saient sans cesse les orthodoxes d'être fauteurs. Saint 
Hilaire établit avec soin la distinction des personnes : 
« Non persona Deus unus est, sed natura ». « Non 
unum subsistentem sed substantiam non differen- 
tem K » Le Père et le Fils sont deux personnes dis- 

1, De synodis, 69, 64; Be trînît., I, 16; IV, 20; VII, 2, 32; cf. III, 23; 
IV, 21, 30, etc. 

15. 



?62 HISTOIRE DES DOGMES- 

tinctes. Chacune de ces personnes est parfaite em soi, 
€t bien que le Fils soit vertu, sagesse^ gloire, lePère- 
n'en est pas moins puissant, sag-e et glorieux^'. Mais 
la seconde personne n'est pas faîte, créée paT la pre- 
mière, le Fils est engendré, et engendré ab aeterno^. 
Jusque-là Hilaire pouvait s'entendre, sinon avec l'es 
ariens purs ou anoméens, du moins avec les homoiou- 
siens; mais il fallait pousser plus loin. Le Père et le 
Fils sont deux personnes distinctes. Par où et com- 
ment ne sont-ils qu'un Dieu? D'abord, répond Hilaire, 
parce qu'ils sont strictement égaux ; ils possèdent l'un 
et l'autre pleinement la divinité : « Plenitudo in utroque 
divinitatis perfecta est. Non enim diminutio Patris est 
Filius, nec Filius imperfectus a Pâtre est'. » Les textes 
de l'Ecriturequi paraissent insinuer l'infériorité dti Fils 
vis-à-vis du Père {loann., xiv, 28) ou son ignorance 
[Marc, xiii, 32) ne prouvent rien^. Ensuite, ils ne sont 
qu'un seul Dieu parce qu'ils ont une même substance : 
« Absolute Pater Deus et Filius Deus unum sunt non 
unione personae, sed substantiae unitate ^ ». G'est ce 
qu'exprime le mot 6[jioou(iioç (homoousion). Il ne signiiîe 
pas que les deux personnes sont identiques, ni que 
la substance divine est partagée entre elles deux, ni 
qu'elles participent toutes deux à une substance qui 
leur serait antérieure, mais que le Fils, tout en étant 
distinct, a reçu du Père la substance par laquelle il 
^st tout ce qu'est le Père : « Sit una substantia ex na- 
turae genitae proprietate, non sit aut ex portione, aut 
ex unione, aut ex communione^. » On a prétend'u 

1. De trînit., II, 8. 

2. De trinit., VI, 23-27 ; XII, 23-32. 

3. De trinit., III, 23; cf. De synodis, 73-7S. 

4. De trinit., IX, 53, S4, SI, 53, .'.7, 67. 

5. De trinit., IV, 42, 40. Remarquer l'opposition des mots unio et 
unitas. Hilaire emploie toujours le premier quand il parle des per- 
sonnes, le second quand il s'agit de la substance. 

C. De synodis, 71, 67-09, 88. 



Lk THÉOLOGIE -liATINE AU ;IV STECLE. 263 

qn'Hilaire esntendàit ôjxoouffioç daiïs le sens d'ôjAoïoufftoç, 
et rtinitédei substance du Père et du Fils d'une unité 
purement spécifique^. C'est une erreur, et ce que nous 
venons de dire le montre assez'. Hilaire assurément a 
fréquenté le parti homoiousien, et n'a- pas craint de 
s'unir à lui pour repousser les anoméens; il s'est ef- 
forcé, dans l'intépêt de la paix et afin de le gagner, 
d'interpréter bénignement. ses formules de foi, et de 
montrer qu'elles manquaient de logique plus que de 
vérité; mais il n'a pas hésité dans ses propres conclu- 
sions. Oui, à son avis, on peut admettre à la rigueur 
rôfiowufftoç, puisque la parfaite ressemblance en Dieu 
entraîne l'unité de substance^; mars cette expression 
prête d'ailleurs à des ambiguïtés*. Mieux vaut la for- 
mule nicéenne : elle marque plus clairement l'unité 
substantielle du Père et du Fils ^. 

La doctrine d'Hilaire se retrouve dans Phebadius, 
avec cette nuance, que le dernier n'ayant pas été en 
contact avec les Orientaux, reste davantage dans la ri- 
gueur latine : « Tenenda est igitur^ ut diximus, régula 
quae Filium in Pâtre et Patrem in Filio confitetur^ 
quae unam- in duabus personis substantiam servans, 
dispositionera divinitatisagnoscit^. » Cette « disposi- 
tio divinitatis » vient de Tertullien. Mais voici qui est 
plus strict : « Pater et Filius etsi duae personae cre- 
duntur, ratione tâmen et substantia unus sunf^. » De 

1. V. GUMMERDS, Die homoûaianische Partei bis zum Tode des Kons- 
tantius, Leipzig, 1900. 

2. On peut voir également De Irinit., vn, 41, où tout le raisonne- 
ment sur la circumincession suppose évidemment l'identé numérique 
de la substance divine dans le Père et le Fils. 

3. De synodis, 72-77. 

4. De synodiSy 89. 

5. V. la réfutation de Gnmmerus par G. Ràsreur, L'homoiousianisme 
dans ses rapports. avec l'orthodoxie dansi Revue d'histoire eccîésiasti' 
que, IV, p. 411 et suiv., 1903. 

6. Liber contra arianos, 22,; col. 30. 

7. De filii divinit., 7, cal. 44. 



264 HISTOIRE DES DOGMES. 

là rô(xoou(Ttoç énergiquement défendu*; delà l'éternité 
absolue du Fils, et le rejet de toute génération tem- 
porelle 2; de là l'égalité parfaite du Père et du Fils : 
« Totum Patri ascribimus quod est Filius, et totum 
Filio quod Pater est'. — Quid est enim Filius de eo 
quod Pater est? Alius idem*. » De là enfin cette con- 
clusion que si le Verbe s'est manifesté dans les tbéo- 
phanies de l'Ancien Testament — comme l'auteur 
l'admet, — il ne s'y est cependant pas rendu visible 
dans sa substance; il l'était seulement par les formes 
extérieures qu'il avait momentanément revêtues^. 

Zenon lui aussi a lu TertuUien ; mais il n'a pas su 
toujours le corriger, et il en a reçu dans sa doctrine 
trini taire des concepts que l'on est surpris de rencon- 
trer encore dans la deuxième moitié du iv^ siècle. Car. 
l'évêque de Vérone proclame sans doute l'unité de 
substance du Père et du Fils : ils sont comme deux 
mers qu'emplit la même eau: le Père s'est reproduit 
dans le Fils tout en restant ce qu'il était 6; il proclame 
leur égalité « O sancta aequalitas ac sibi soli dignis- 
sima individuae deitatis... Deusin alio se inferior esse 
(juemadmodum potest , quidquid enim uni ex duobus 
indiscrète in omnibus sibimet similantibus detraxeris, 
cui detraxeris nescis ' » ; mais quand il en vient à la 
naissance éternelle du Verbe, son langage se trouble : 
il reprend celui des apologistes sur le double état 
du Logos, d'abord dans le sein du Père et alors pres- 
que simple attribut de la divinité, puis proféré pour la 



1. De filii divinit., 2-5. 

2. Liber contra arian., 16; De fdii divinit., 2, col. 36. 

3. JDe filii divinit., 7, col. 44; 6, col. 43; Libellus fideî, col. 49. 

4. De filii divinit., 6, col. 42. 

5. Lia. contra arian., 17, col. 26; De filii divinit,, 8, col. 45-47. 

6. II, 2 (col. 391, 392); 1, 1, 1; II, 3; II, 3. 1. 

7. Il, 1, 1; II, 3; II, o, 1; 6, 3, 4. Cependant voyez II, 5, 1 (col. 400), où 
fauteur ne parait viser ni rincarnation ni les théophanies. 



LA THÉOLOGIE LATINE AU IV SIÈCLE. 265 

création et acquérant sa pleine personnalité'. On est 
ramené près de deux siècles en arrière par ces archaïs- 
mes. 

Il est inutile de nous appesantir sur la façon dont 
saint Ambroise, Faustin et Niceta traitent ce sujet des 
rapports du Fils et du Père : il faudrait répéter ce que 
nous avons écrit à propos d'Hilaire et de Phebadius ^. 
Car saint Ambroise, remarquons-le bien, encore qu'il 
ait été un des maîtres de saint Augustin, se tient beau- 
coup plus près que lui de la conception trinitaire des 
Grecs. Pour l'évêque de Milan, le Père est toujours- 
posé le premier, comme la racine et la source du Fils 
et de toute la Trinité : « Fons Pater Filii est, quia 
radix Pater Filii est^ ». Le Fils est Fils parce qu'en- 
gendré, Verbe parce que proféré : « Ex utero gène- 
ravit ut Filium ; ex corde eructavit ut Verbum •* » ; en- 
gendré et proféré ni par un acte libre de la volonté, 
ni par contrainte proprement dite, mais par une né- 
cessité de nature supérieure à la fois à la contrainte et 
à la volonté libre '. Il est temps d'en venir à Victorin, 
et d'examiner les contributions nouvelles qu'il apporte 
à la question qui nous occupe. 

Victorin est amené à écrire sur cette question par 
les objections qu'un arien, nommé Candidus, lui a 

1. < Prîncipiam, fratres dîlectissimi, Doininus noster incanctanter 
est Christus, quem ante omnia saecula pater in profundo saae sacrae 
mentis arcano insuspicabili ac soli sibl nota conscientia, Filii non sine 
aftectu, sed sine revelamine amplectebatur... Procedit in natiritatem 
qui erat, aatequam nasceretur in Pâtre, aequalis in omnibus » (II, 3 ; 
II, 4; II, 5, 1). Voyez cependant II, 2, col. 392 et même II, 3. 

2. Voir pour saint Ambroise surtout les deux traités De fide ad Gra- 
tianum augustum, écrit en 378-380, et le De incarnationis dominicae 
sacramento, probablement de 382 (P. L., XVI) ; pour Faustin, son traité 
De trinitate (vers 384) et sa Fides Theodosio imperatori oblata (P. L.,. 
XIII) ; pour Niceta, les Libelli instructionis, Libellxas tertius, I, De ra- 
tîone fidei, edit. Burn, p. 10 et suiy. 

3. De flde, IV, 10, 132. 

4 De virginibus, III, 1, 3. 
S. De fide, IV, 9, 103 



266 HISTOIRE DES D06MESi 

faites contre la doctrine nieéenne. Candidns, dans son 
Liber de gêner atione divina, 1-7^, a objecté qpu'on ne 
saurait imaginer en Dieu une génération. Elle bles- 
serait son immutabilité parce qu'elle suppose un 
changement (mMtoZ/o), sa simplicité par. ce- qu^ellé em- 
porte une division, une séparation. D'autre part, un 
Verbe engendré ne saurait être Dieu, puisqu'il aurait 
passé d'un état à un état; il ne saurait être con-- 
substantiel au Père : « Ex quibus apparet quoniam 
neque consubstantiale est quod generatur, neque sine 
conversione generatio a Deo^ ». 

Yictorin s'efforce, par la philosophie, de résoudre 
ces difficultés , tout en reconnaissant combien il est. 
malaisé de traiter de ce qui regarde Dieu 3. Il remarque 
d'abord que toute action implique un mouvement : 
«Facere nonne motus est? »; mais il n'est pasi vrai que 
tout mouvement implique un changement ^ une mu- 
tatio'^. Dieu est éternellement en action, en mouve- 
ment : il se meut sans cesse ^. Ce mouvement est une 
faction, une création par rapport aux êtres contin- 
gents, mais par rapport au Verbe c'est une génération ; 
génération éternelle comme le mouvement dont elle 
est le terme, et parce que le Verbe, ayant été l'instru- 
ment de la création, a donc préexisté à toute créar 
ture^. Sans doute, Victorin laisse échapper ça et là 
quelques expressions incorrectes : le Père est anti" 
quior,\e Fils iunior; le Père a créé le Logos '^; mais 
sa pensée n'est pas douteuse. Le Verbe est éternel et 

\. p. L., vin, col. 1013-1017. 
2: Loc. cit., 7, col. lOil' A. 

3. De generatione Verbi divini, i, 28, col. 1033 C, 1034 A; Adv. 
Ariuvi, n, 3, col. 1091 A. 

4. De générât. Verbi divini, 30, col. 103S A. 

5. « Est enim movere ibi et moveri ipsum quod est esse, simul et 
ipsum • {Adv. Arium, I, 43, col. 1074 Aj. 

6. De générât. Verbi divini, 29, 30, col. 1034, 103S A B. 

7. Âdv. Arium, I, 20, col. 10S3 D; Hymn., HT, col. 1114; 



LA. THEOLOGIE LATINE AIT IV SIECLE. 267 

consubstantiel au Père : « 'Gjjtoouaiov ergo et films et 
pater, et semper ita, et ex aeterno et in aeternum^ ». 
Le Père et le Fils sont quelque chose d'un et de sim- 
ple : « Unum ergo et simplex ista duo^ ». 

Cette conclusion est celle qui ressort de tout ce 
que Victorin nous dit des rapports du Fils avec le 
Père. 

Le Fils est le terme de la volonté du Père, ou plu- 
tôt sa volonté en acte : « Pater ergo cuius est volun- 
tas, filius autem voluntas est, et volunta& ipse est 
Xoyoç ». Toute volonté est enfant; le Xôyoç est donc Fils : 
<c Omnis enim voluntas progenies est... ^oyoç ergo 
filius ». Et comme Dieu atteint tout par une volonté 
unique, il n'y a qu'un Fils. Et comme ce Fils procède 
par la volonté, il est « non a necessitate naturae sed 
voluntate magnitudinis Patris » : ce qui ne veut pas 
dire que cette génération est libre, mais qu'elle a pour 
principe la volonté ^. 

De même que le Fils est la volonté actuée du Père, 
aussi est-il le terme de sa connaissance, ou plutôt l'i- 
mage par laquelle le Père se connaît lui-même : « Est 
autem lumini et spiritui imago... filius ergo in pâtre 
imago et forma et Xoyoc* ». De là il suit, d'un côté, que 
le Verbe est distinct du Père, comme l'image est dis- 
tincte du sujet connaissant, mais d'un autre côté, qu'il 
lui est identique, parce qu'il le représente à lui-même. 
Il y a « alteritas nata » mais qui « cito in identitatem 
revenit^ ». 



i. Adv. Arium, I, 34, col. 1067 G, 34; lY, 21, col. 1128; I, 1, col, 1039 
D; 1,30; De générât. Verbidivini.i y col, 10I9D; De 6\LQ0\j(ji(à reciptendo, 
2, col. 1138; Hymn., 1, col. 1141 C. 

2. De générât. Verbi divini, "22. 

3. Adv. Arium, I, 31, col. 1064 A B; Jn epist. ad. Ephes., l, 1, col 
1236 B C. 

4. Adv. Arium, I, 31, col. 10!i4 A ; 87, col. 1083, 1084. 
8. Adv. Arium, I, 87, col. lOSi- A. 



268 HISTOIRE DES DOGMES. 

Puis, se lançant définitivement dans la théorie néo- 
platonicienne de Dieu et de ses rapports avec le 
monde, Victorin représente ceux du Père et du Fils 
absolument comme ceux de l'Un et du voûç dans la 
philosophie de Plotin. Le Père est l'absolu, l'incon- 
ditionné, l'être transcendant qui semble n'avoir ni at- 
tribut, ni détermination quelconque, inconnaissable, 
invisible : le Fils est ce par quoi le Père se condi- 
tionne, se précise, se détermine, se limite en quelque 
sorte, se met en relation avec le fini, devient connais- 
sable et tombe sous notre étreinte. Le Père est la 
substance, le Fils est plutôt la vie ; le Père est le sur- 
être, le Fils l'être simplement. 

Deus quod est esse, id est vivere, incognitus et ndiscretus 
est et eius forma, id est \itae intellegentia incognita et iadis- 
creta est... Cum autera foris esse coeperit, tune forma apparens 
imago Dei est, Deum per semet ostendens; et est ).ôyoî, non 
iam inde upo; tbv 6eov Xoyoç, in qua vita et intellegentia, iam 
ôv ; quia certa cognitio est, existentia quae intellectu et cogni- 
tione capituri. — Pater ergo et magis principalis vita motio- 
nem requiescentem habens in abscondito et intus se moventem : 
Filius autem in manifesto motio, et ideo filius quoniam ab eo 
quod est intus processit 2. — Hic est Deus supra voûv, super 
vèritatem, omnipotens potentia, et idcirco non forma; voûç au- 
tem et Veritas et forma, sed non ut inhaerens alteri insepara- 
bilis forma, sed ut inseparabiliter annexa ad declarationem po- 
tentiae Dei patris eadem substantia vel imago vel forma... Si 
sîlentium Deus est, Verbum dicitur; si cessatio, motus; si es- 
sentia, vita... Ergo ista essentia, silentium, cessatio Pater, hoc 
est Deus pater. At vero vita, Verbum, motus aut actio filius et 
unicus filius 3. — Deus ergo est totum Tcpoov : lesus autem 
ipsum hoc totum ôv *, — Verum esse primum ita imparticipa- 
tum est ut nec unum dici possit nec solum, ultra simplici- 
tatem, praeexistentiam potius quam existentiam, universaiium 

1. Adv. Arium, IV, 20, col. -1123 A. 

2. Adv. Arium, I, 42, col. 1073 A. 

3. Adv.' Arium, III, 7, col. 1103, 1104. 

4. De generatione Verbi div., 2, col. 1021 A. 



LA THÉOLOGIE LATINE AU IV' SIECLE. 269 

omnium univérsale, infinitum interminatum, sed aliis omnibus, 
non sibi, etidcirco sine forma intellectu quodam auditur... Hoc 
illud est quod diximus vivere vel vivit, illud infinitum, illud 
quod supra universalium omnium vivere, est ipsum esse, 
ipsum vivere, non aut aliquid esse, aut aliquid vivere unde nec 
ôv. Certum enim etiam quiddam est 5v, intelligibile, cogno- 
scibile. Ergo si non 6v nec >.(5yo;, ).(5yo; enim definitus est et de- 
finitor J. 

D'une manière générale donc, on peut dire que le 
Verbe, d'après Victorin, est l'actuation de la puis- 
sance active qu'est le Père. Et ainsi, en un sens, il 
est vrai que le Verbe est inférieur au Père, parce qu'il 
le tire de sa transcendance et le rapproche du fini, 
parce que lui-même en reçoit la vie ^. Il lui est à la fois 
inférieur et égal : égal, car le Père a tout donné au 
Fils, sa substance et sa dignité; inférieur, car le Fils 
tient tout du Père comme de son principe 2. Le subor- 
dinatianisme enseigné par Victorin, on le voit, se rap- 
porte non à la nature mais à la personne du Verbe : il 
est une conséquence de la condition de Fils. 

Les controverses qui s'agitaient en Orient sur le 
Saint-Esprit ne pouvaient non plus laisser indifférents 
les écrivains latins du iv^ siècle. On a de Niceta un 
traité De Spiritus sancti potentia, qui fait partie de 
ses Libelli instructionis, et de saint Ambroise un De 
Spiritu Sancto paru en 381. Quant à saint Jérôme, 
sollicité d'écrire sur le sujet, il préféra traduire — en 
le remaniant un peu — l'ouvrage de Didyme dont il a 
été question plus haut. De tous nos auteurs saint 
Hilaire est le seul qui — par ménagement pour les 
semi-ariens évidemment — ne nomme pas expressé- 

1. Adv. Arium, IV, 19, col. 1127 B; et cf. IV, 23, col. 1129, 1130; III, 
11, col. 1107 AB. 

2. Adv. Arium, I, 42, col. 1073 A; In epist. ad Philipp., III, 20, col. 
1227 A B. 

3. Adv. Ariu7n, I, 13, col. 1047 C D. 



270 HISTOIRE DES DOGMES. 

ment le Saint-Esprit Dieu. B H'en affirme pais moins 
que le Saint-Esprit n'est pas une créature, qu'il n'est 
pas étranger à la nature divine, qu'il est de la même 
substance que le Père et le Fils *. Phebadius 2, Zénon^, 
Faustin *, Niceta ^ et les autres tiennent plus expres- 
sément encore le même langage. Pour Victorin, s'il 
paraît quelquefois — par suite de l'imprécision du 
mot spirîtus — confondre le Saint-Esprit avec le Fils, 
il l'en distingue cependant comme on distingue l'in^ 
telligence de la vie ; comme on distingue la voix de la 
bouche qui l'émet ; il dit que le Fils et l'Esprit sont 
deux, encore qu'ils aient même essence entre eux et 
avec le Père : « Est enim Pater loquens silentium, 
Cliristus vox, Paracletus, vox vocis ^ ». « Vivere qui- 
dem Christus, intellegere Spiritus "^ ». « Una substan- 
tia tribus a substantia Patris : ôfxooucia ergo tria, hoc 
est simuloùffia... ergo ôfxoouffioi sunt, unam et eamdem 
substantiam habentes ^ » . 

Reste la question de l'origine du Saint-Esprit, De- 
puis Tertullien, la doctrine de l'Occident comme celle 
de l'Orient en était restée à la formule : a Pâtre per 
filium. Mais on pouvait l'interpréter diversement, ou 
bien en ne voyant dans le Fils qu'un milieu par où la 
substance du Père est communiquée au Saint-Esprit, 
ou bien en faisant du Fils conjointement avec le Père 
un vrai principe actif producteur de l'Esprit-Saint. 
C'est à ce dernier sens que s'arrête la théologie latine. 
Elle y est amenée par le texte de saint Jean, xvi, 15 ; 



1. De trinit., I, 36; II, 4; XII, S5. 

2. Libetlus fidei, col. 49; De filii divinitate, 11, col. 49. 

3. Tract. I, 1, 5 (col. 268); II, 13, 1. 

4. De trinitale, Vlli 1 ; Fides Theodosi imper, obi., col. 80. 

5. De Spîritu sancto, 18. 

6. Ad\3. Arium, lY, 16, col. Ull C; 1, 13, col. 1048 A. 

7. Adv. Arium, I, 13, col. 1048 B; cf. III, 4, 5. 

8. Adv. Arium, I, 16, col. 1050 B C; 8, col. 1044 C; 12, col. 1046 D; etc. 



,LA THËOLGGm LATINE AU IV' SIECLE. 271 

mais elle n'ose dire d'abord que le Saint-Esprit jd/'o- 
cède du Fils, puisque' TEvangile n'emploie pas cette 
expression. Ainsi saint Hilaire, ayant écrit que le 
Saint-Esprit reçoit du^ Fils sa nature même et ce que 
le Fils a reçu du Père, se demande si recevoir du 
Fils est le même acte que procéder du Père. Il n'ose 
trancher la question; mais il remarque que, en tout 
cas, en recevant du Fils, le Saint-Esprit reçoit du 
Père, puisque tout ce que le Fils donne au Saint-Es- 
prit lui vient du Père^. Le Saint-Esprit est donc « res 
naturae Filii, sed eadem res et naturae Patriâ est^ ». 
D'où la conclusion que le Saint-Esprit est du Père 
par le Fils : « Quod ex te per eum (Filium) Sanctus 
Spiritus tuus est, etsi sensu quidem non percipiam, 
sed tamen teneo conscientia' ». — Même doctrine, 
sans le mot précis, chez Phebadius : « Misit nobis 
(Filius) Spiritum Sanctum de propria sua et ipsa una 
substantia sua... I>e meo, inquit, accipiet [Joan.^ xvi, 
15); ex eo utique quod est Filius, quia et Filius de eo 
quod Pater, est'' ». — Même réserve dans saint Àm- 
broise^, bien qu'il enseigne très clairement que le Fils 
est le principe du Saint-Esprit : « Quae Filio incognita 
putas,, ea de Filio Spiritus sanctus accepit. Accepit 
autem per unitatem substantiae, sicut a Pâtre Filius ^ » . 
— « Eo quod apudte... Deus omnipotens, Filius tuus 
fons vitae sit, hoc est fons Spiritus sancti, quia Spi- 
ritus vita est ' ». — Et enfin même enseignement dans 
Victorin. Par un mouvement unique, dit-il, uno motu, 

1. De trinit., VHI, 20. 

2. De trinit., VIII, 26. 

3. De trinit., Xir, S6; cf. So, 57. 

4. De filii divinit., H, col. 49. 

5. Saint Âmbroise use sans doute du mot procedere, mais seulement 
pour marquer la mission ad exlra du Saint-Esprit par le Fils; par 
exemple Dr Sptn'iM Sancto, l, 119, 120. 

6. De Spir. Sancto, II, 118. 

7. De Spir. Sancto, l, 152. 



272 HISTOIRE DES DOGMES. 

le Père produit le Fils et VEsprit-Saint : « Unus mo- 
tus utrumque in existentiam protulit » ; mais par ce 
mouvement le Père ayant donné au Fils tout ce qu'il 
a, — même de pouvoir se communiquer, — le Fils l'a 
donné à son tour à l'Esprit- Saint : « Et quia quae ha- 
bet Pâter filio dédit omnia, ideo et filius qui motus 
est, dédit omnia Spiritui sancto ' » . Et ainsi le Père 
reste toujours la source première; et il est vrai, en 
un sens, que ce n'est pas le Fils qui donne, mais le 
Père; mais cependant le Fils donne aussi, et pro- 
duit comme principe subordonné : « Sicuti enim a 
gremio patris et in gremio filius, sic a ventre filii 
Spiritus^ ». 

Le rôle du Saint-Esprit dans la vie intime de Dieu 
est d'être le lien des deux autres personnes. Cette 
pensée de Zenon de Vérone ^ est fortement inculquée 
par Victorin. L'Esprit-Saint est « patris et filii co- 
pula » : « Primo connectis duo, esque ipsa tertia com- 
plexio duorum * ». Avec lui la Trinité est complète. 
La formule latine qui en exprime le mystère est et 
reste celle de TertuUien : una substantia, très per~ 
sonae : « Très personas unius substantiae et \mius 
divinitatis confîtentes ^ » , personnes qui n'ont qu'une 
vertu, une opération, une volonté, un pouvoir comme 
elles n'ont qu'une substance ^. Saint Jérôme écarte, 
comme suspecte d'arianisme, la formule cappado- 
cienne trois hypostases : le mot hypostase, à son sens, 
correspondant à essence ''. En revanche, au mot per- 



1. Adv. Arium, m, 8, col. 1105 A B. 

2. Adv. Arium, I, 8, col. 1044 C; 12, col. 1047 B. 

3. Tract. II, 2, col. 392. 

4. lîymn., I, col. 1139 D ; III, col. 1146 B. 

5. Phebadius, De filii divinit., 11, col. S9. 

6. Ajibroise, De fide, IV, 91 ; V, 134; DeSpir. Sancto, III, 20; Apologia 
proph. David, 71 ; In Lucam, V, 3. 

7. Epist. XY, 3, 4. 



LA THÉOLOGIE LA.TL\E AU IV SIECLE. 273 

sonne Victoria préférerait le mot subsistance : « Dic- 
tum de una substantia très subsistentias esse, ut 
ipsum quod est esse subsistât tripliciter, ipse Deus et 
Christus, id est Xo'yoç, et Spiritus sanctus * ». Ces trois 
subsistances sont l'une dans l'autre par la circum- 
incession : « uterque in utroque — •. omnes in alternis 
existentes^ ». Elles sont entre elles dans le même 
rapport que l'être, la vie et l'intelligence, la vie qui 
est le Fils n'étant qu'une forme de l'être qui est le 
Père, comme l'intelligence, qui est l'Esprit-Saint, 
n'est qu'une forme de la vie qui est le Fils '. Par cet 
effort vigoureux pour ramener aux catégories plus 
générales de l'ontologie les données trinitaires de la 
foi, Victorin se pose en précurseur, non seulement de 
saint Augustin, mais des plus hardis scolastiques. 

§ 4. — Création. Angélologie. 

Le néoplatonisme qu'il a porté dans sa doctrine de 
la Trinité, Victoria l'étalé aussi dans sa théorie de la 
création. Les essences des choses se trouvent poten- 
tiellement en Dieu qui les engendre, mais plus parti- 
culièrement dans le Logos, en qui tout être est insub- 
stantié : « Semen est, et velut elementum omnium 
quae sunt ». « Insubstantiata enim sunt omnia ov-ca in 
lesu, hoc est Iv tw Xo'ym ^ ». C'est le Verbe qui fait exis- 
ter les essences, qui est l'organe de la création '. Cette 



1. Adv. Arîum, W, 4, col. 1092 D; I, 41, col. 1072 A; III, 4, col, 1101 D. 

2. Adv. Arium, 1, 18, col. 1030 A ; 16, col. 1030 C. Cf. HiLAïaE, De trinit.. 
Il, 4; VII, 41; IX, 51; ZÉKOX, Tract. H, 1, 2; 11, 2, col. 392; ir, 3,1. 

3. Adv. Arium, l, 13, col. 1048 B; 63, col. 1087 CD; III, 7-9, col. 1103- 
1I0S;IV, 21,col. 1128 D. 

4. Adv. Arium, 1, 23, col. 1039 A ; 26, col. 10S9 B ; III, 3, col. 1100 C ; IV, 
4, col. 1116 C. 

5. Adv. Arium, I, 33, col. 40C6 C;22, col. 1056 BG; In epist. ad 
Ephes., l, 9, col. 1260 A. 



274 HISTOIRE DES DOGMES. 

création d'ailleurs nous est dépeinte plutôt comme une 
sorte d'émanation. La plénitude de vie versée d'abord 
par le Père dans le Verbe, déborde de celui-ci et se 
répand dans les créatures, en s'adaptant aux êtres qui 
la reçoivent ^ . Voici l'échelle des êtres : « Catena enim 
Deus, lesus, Spiritus, vouç, anima, angeli et deinde 
corporalia omnia subministrata ^ ». Remarquons voïïç 
et anima placés avant les anges, et la distinction de 
voùç et à^anima. L'âme n'est pas le voîiç : elle le reçoit 
seulement ^. Quant à la matière, elle est fx^ h : elle ne 
devient quelque chose que par l'âme qui la vivifie ''. 

Il est inutile de remarquer que toute cette théorie 
de la création, si l'on excepte l'idée du Verbe créa- 
teur et de la matière néant par elle-même, ^st particu- 
lière à Victorin. Les anges, qu'il a nommés dans sa 
chaîne des créatures, ne sont pas entrés dans le cadre 
de sa théologie, mais nos autres auteurs, surtout 
Hilaire, Ambroise et Jérôme s'en sont occupés. Les 
deux derniers croient qu'ils ont été créés avant le 
monde corporeP. De leur nature saint Jérôme ne dit 
rien de précis, mais, en expliquant leur chute par un 
péché d'orgueil ^, il écarte l'argument qui de Genèse 
VI, 1, 2, concluait à leur corporéité. Cet argument au 
contraire a rendu incertaine l'opinion de saint Hilaire 
et de saint Ambroise. Tous deux semblent parfois re- 
garder les anges comme affranchis de corps, spiritua- 
les et incorporâtes '^ ; mais le premier rapporte cepen- 
dant la tradition qui voit les anges dans les fils de 

1. Adv. Arium, I, 24, col. 10S7 D ; 23, col. 10S8 D, 1059 A B; 47, col. 
1077 A B ; m, 3, COfellOO B C; IV, 31, col. 113S G D. 

2. Adv. Arium, I, 2S, col. 1039 B. 

3. In epist. ad Ephes., I, 4, col. 1239 B C. 

4. De générât. Verbi div., 10, col. 1026. 

o. Ambroise, De incarnat, domin. sacramento, 16; Jérôme, In epist. ad 
Tilum, I, 2 seq., col. SGO; cf. Epist. XVIII, 7. 

6. In Ezechiel, XXVIII, 16. 

7. Hilaire, In psalm. CXXXVII, 5; Ambroije, In Lucam, YII, 126. 



LA THÉOLOGIE LATINE AU IV SIECLE. 275 

Dieu de Genèse vi, 1, 2 ^; et le second n'hésite pas à 
attribuer la «hute des anges à leur incontinence, en- 
core que chez lui on trouve ailleurs l'idée que les « fils 
de Dieu » sont les hommes justes, et que Satan est 
d'abord tombé par orgueil ^. 

Saint Jérôme explique par la différence de leur 
mérite la différence qui existe entre les anges et leurs 
différents ordres; ordres dont nous ne pouvons pas 
d'ailleurs connaître le nombre et les degrés précis^. 
Cette question, toute théorique, a du reste peu préoc- 
cupé les Latins jusqu'à saint Grégoire. Les auteurs du 
iv^ siècle insistent plus volantiers sur les secours que 
les bons anges nous apportent. Non seulement les 
nations, les églises et les communautés particulières 
sont protégées par un ange, mais chacun de nous a 
son ange gardien « qui unicuique adheret cornes ». 
Ces anges intercèdent pour nous et nous couvrent de 
leur protection''. Saint Jérôme a même pensé qu'un 
compte serait exigé des anges préposés aux collec- 
tives et qu'un jugement serait exercé sur eux, ayant 
pour objet l'accomplissement exact de leurs fonctions ^. 

§ 5. — L'homme, la chute, la grâce, le mérite. 

Fort peu encline aux questions de spéculation pure, 
la théologie latine se portait plus volontiers à l'étude 

1. Inpsalm. CXXXIII, 6. 

2. De virginibus, I, 8, 33; Apologia proph. David,!, i; De Noe et 
arca, IV, 8; In psaîm. CXVIII, sermo IV, 8; sermo VU, 8; sermo XVI, 
IS. 

3. Apol. adv. libros Rufini, I, 23; Adv. lovinianum, U, 28; In epist. ad 
Ephes., I, 21. 

4. JÉRÔME, Commentar. in Ecclesiàsten, P. L., XXXIII, 1053 ; Li Da- 
niel, VU, 3 ; In Mich., YI, 1 ; Hilaire, In psalm. LXV, 13 ; CXX, 4; CXXIV, 
5; CXXIX, 7; CXXXIII, 6; CXXXIV, 17; In Matth., XVIII, S; Ambroise, In 
psalm. CXVIII, sermo VII, 36 ; In Lucam, VU, 210, etc. 

5. In Michaeam, YI, 1, 2. 



276 HISTOIRE DES DOGMES. 

de rhomme, de sa situation et de ses besoins dans l'é- 
conomie chrétienne. Il est très important de relever 
ridée qu'elle s'en faisait à la veille de la controverse 
qui devait mettre aux prises saint Augustin et Pelage. 
Saint Hilaire, saint Ambroise et saint Jérôme sont 
à la fois dichotomistes et créatianistes. Pour eux, 
l'homme se compose de deux éléments seulement, et 
l'âme de l'homme est créée ^ Cette âme est spirituelle, 
immortelle, répandue par tout le corps, bien qu'exis- 
tant particulièrement dans un lieu spécial 2. Zenon de 
Vérone ne paraît pas distinguer cette immortalité na- 
turelle de l'immortalité bienheureuse ou malheureuse 
que nous méritent nos vertus ou nos fautes'. D'autre 
part on trouve dans saint Jérôme des passages où, 
sous l'influence d'Origène, il avait semblé d'abord fa- 
vorable à la préexistence des âmes^. On sait qu'il re- 
poussa depuis cette erreur. Mais elle paraît bien avoir 
été celle de Victorin. Victorin dit aussi que l'homme 
est composé de deux éléments, ex corpore et anima; 
toutefois il compte en lui deux âmes, l'une attachée à 
la matière, hylique, animale, ayant en soi son voîf; hy- 
lique de même substance qu'elle ; l'autre, insufflée en 
Adam par Dieu, céleste, divine, ayant en soi son voïïç 
divin et céleste. Cette seconde âme est contenue dans 
la première, comme la première l'est dans le corps ^. 
Et ces âmes, les âmes célestes du moins, ont préexisté 

1. Hilaire, In psalm. CXXIV, 4; De trinit., X, 22; Ambuoise, De Isaae 
et anima, 3, 4; De Noe et arca, 9; Jérôme, In Daniel, III, 39; Contra 
loannem hierosol., 22; Apol. adv. libros Rufint, III, 2S; Epist. CXX, 
42; cf. Epist. ex XVI, 1. 

2. Hilaire, In psalm. CXXXIX, 4-6; CXVIII, litt. XIX, 8; LXII, 3; LXIII, 
9; Ambroise, De bono mortis, 38; In psalm. CXVIII, sermo IX, 15; De 
Gain et Abel, II, 36. Saint Ambroise distingue cependant dans l'âme 
comme deux paities, l'une animale, l'autre spirituelle (De Noe et arca, 
92). 

3. Tract. 1, 12, 4. 

4. In epist. ad Ephesios, I, 4, S, 12, 15 et suiv. 

5. Adv, Arium, l, 62, col. 1086 D, 1087 A B. 



LA THÉOLOGIE LATINE AU IV SIECLE. 277 

de quelque façon réelle, sitbstantiaUter, et non pas 
seulement en puissance. Pour elles le monde actuel 
a été créé, afin qu'elles y fussent éprouvées, confirmées, 
et devinssent purement spirituelles^. 

Quelle était la condition primitive d'Adam et d'Eve ? 
Saint Hilaire suppose qu'ils étaient immortels, puis- 
que la mort est la suite du péché ^. Saint Ambroise et 
Zenon vont plus loin : ils ne leur accordent pas seule- 
ment la sagesse, la vertu, l'exemption de la concupis- 
cence'; ils paraissent croire qu'ils étaient semblables 
aux anges, célestes, et n'avaient par conséquent aucun 
besoin de nourriture''. 

Leur chute fut la conséquence, d'après Zenon, d'un 
péché de luxure^, selon saint Ambroise d'un péché 
dont l'orgueil fut le principe^. Ils furent condamnés à 
la mort, soumis à la concupiscence et aux misères de 
la vie. Nous avons hérité de leur châtiment. Sur ce 
point, nulle difficulté. Hilaire déclare qu'Adam nous a 
transmis sa condamnation à la mort et la triste condi- 
tion de son existence ; que la concupiscence qui nous 
presse est une conséquence de notre nature, mais aussi 
de notre naissance « sub peccati origine et sub peccati 
lege » ; que, par suite du péché d'Adam, nous sommes 
des captifs spirituels; le péché est le père de notre 
corps et l'infidélité la mère de notre âme^. On trouve 
des affirmations analogues dans Zenon*, dans saint 



1. In epist. ad Ephesios, I, 4, col. 4241 D, 1242 A B. 

2. In psalm. LIX, 4. 

3. ZÉMON, Tract. I, 12, 2; Ambroise, De paradiso, 24, 63; Epist. LVin, 
12. 

4. ZENON, Tract. 1, 16,12; ambroise, De paradiso, 42; In psalm. CXVIII, 
Bermo XV, 36. 

5. Tract. I, 13,8; I, 2, 8. 

6. In psalm. CXVIII, sermo \U, 8; Epist. LXXni, 5. 

7. In psalm. LIX, 4; I, 4; GXXYI, 13; CXYIII, litt. XXII, 6; CXXXYI, 
S; In Matth., X, 23. 

8. Tract. I, 12, 2. 

16 



278 HISTOIRE DES DOGMES. 

Ambroise^, dans saint Jérôme^, dans TAmbrosias- 
ter^. Mais ces auteurs, qui admettent notre déchéance 
physique et morale en Adam, pensent-ils qu'à cette 
déchéance s'ajoute en nous une véritable faute, que 
nous naissons, comme enfants d'Adam, véritablement 
souillés et coupables? C'est proprement la question 
du péché originel. 

Laissons de côté la théorie de Victorin qui explique 
par l'imperfection ou le caractère mauvais de la ma- 
tière la souillure que les âmes contractent, lorsqu'elles 
sont introduites dans le monde matériel^. L!auteur 
essaie bien de corriger cette conception gnos tique et 
fataliste de la faute originelle, en observant,- contre les 
manichéens, que l'homme n'est pas mauvais par na- 
ture, et que le mal vient du libre choix de l'âme". Il 
n'en reste pas moins que ses souvenirs origénistes et 
néoplatoniciens l'ont mal servi. Saint Hilaire dit, d'une 
façon générale, qu'en Adam nous avons tous erré, 
parce qu'il nous contenait tous : « In unius Adae er- 
rore omne hominum genus aberravit^ ». Saint Pacien 
déclare que « le péché (peccatum) d'Adam a passé 
avec justice dans ses descendants, parce qu'ils ont été 
engendrés de lui^ ». Saint Ambroise, qu'on ne saurait 
interpréter avec trop d'attention, entend, il est vrai, 
de la simple concupiscence les haereditaria peccata 
et Viniquitas calcanei dont il parle au De mysteriis, 
VI, 32, et dans son commentaire sur le psaume xlviii, 
9-10; mais ailleurs il paraît aller plus loin : « Lapsus 

1. In Lucam, VII, 234; De mysteriis, 32; In psalm. XLVIII, 8-10; 
LXIII, 75; Epist. XLI, 7; etc. 

2. Par exemple, In lonam, III, 5. 

3. In epist. ad Romanos, V, 12. 

4. Adv. Arium, l, 26, col. 1060 k\In epist. ad Ephes., I, 7, col. 1243 C. 

5. Ad lustinum manich., 16, col. 1008 B. 

6. In Matth., XVIU, 6; cf. X, 24. 

7. Sermo de baptismo, 6; cf. i, 2^ 3. Il se peut qu'il s'agisse seulement 
ici de la concupiscence. 



LA THÉOLOGIE LATINE AU IV SIECLE, 279 

sum in Adam, de paradiso eiectus in Adam, mortuus 
in Adam ; quomodo revocet, nisi me in Adam invenerit, 
ut in illb culpae obnoxium, morti debitum, ita in 
Christo iustificatum *? » Ici la solidarité de tout homme 
avec Adam n'est plus seulement dans la peine : elfe 
est dans la faute : lapsus sum, culpae oBnoxîum. Et 
ailleurs : « Antequam nascamur, maculamur contagio ,* 
et ante usuram lucis, orig-inis ipsius excipimus iniu- 
riam, in iniquitate concipimur : non expressit utrum 
parentum an nostra. Et in delictis générât unumquem- 
que mater sua, nec hic declaravit utrum in delictis suis 
mater pariât, an iam sint et aliqua delicta nascentis. 
S ed vide ne utrumque intellegendum sit. Nec concep- 
tus iniquitatiis exsors est, quoniam et parentes non 
carent lapsu. Et si nec unius diei infans sine peccato 
est, multo magis nec illi materni conceptus dies' sine 
peccato sunt^. » 11 est difficile de se rapprocher plus 
de saint Augustin que ne le fait ici saint Ambroise. 

Mais voici qui anticipe non plus seulement la doc- 
trine, mais le langage de l'évêque d'Hippone. L'Am- 
brosiaster commente le verset 12 du chapitre v de Té- 
pître aux Romains : « In quo, id est in Adam, omnes 
peccaverunt. Ideo dixit in quo cum de muliere loqua- 
tur, quia non ad speciem retulit sed ad genus. Mani- 
fèstum itaquein Adam omnes peccasse quasi in massa ; 
ipsa enim per peccatum correptus, quos genuit, omnes 
nati sunt sub peccato. Ex éo igitur cuncti peccatores, 
quia ex eo ipso sumus omnes. » Gn remarquera dans 
ce texte les mots in quo traduisant Iç' ^ : c'est la tra- 
duction qu'adoptera saint Augustin ; et lui aussi par- 
lera de la massa perditionis . Il est vrai que l'Ambro- 
siaster ajoute quej si la première mort nous atteint en 



1. De exeessu fratrîs sui Satyri, n, 6. 

2. Apologia propk. David, î>6. 



280 HISTOIRE DES DOGMES. 

conséquence dû péché d'Adam, la seconde mort — 
l'enfer — ne nous sera infligée que pour nos péchés 
personnels, mais il dit cependant que la malédiction 
qui, dans le principe, ferma le ciel à Adam s'est trou- 
vée étendue à tous les hommes. Si donc le péché ori- 
ginel ne nous précipite pas par lui seul en enfer, il 
nous exile au moins du ciel. 

L'Ambrosiaster a écrit sous Damase (366-384)*. 
Après lui et avant saint Augustin nous ne trouvons 
rien de plus net sur le péché d'origine. Saint Jérôme 
en énonce clairement la doctrine à la fin de son dialo- 
gue contre les pélagiens, m, 18. Mais ce dialogue est 
de la fin de l'année 415, et postérieur par conséquent 
aux premiers écrits antipélagiens de l'évêque d'Hip- 
pone dont il fait l'éloge. 

La chute originelle cependant n'a pas détruit en nous 
la liberté, et le péché reste notre fait. Toutefois il nous 
est difficile de l'éviter, et bien que la chair ne soit pas 
l'auteur responsable, mais seulement l'organe du dé- 
sordre voulu par l'âme, elle n'en coopère pas moins à 
l'iniquité 2. Nous ne saurions, sans la grâce, nous sau- 
ver. Il ne paraît pas que nos auteurs requièrent cette 
grâce surnaturelle ou médicinale pour l'accomplisse- 
ment de toutes les œuvres même moralement bonnes, 
ni, à plus forte raison, qu'ils considèrent les œuvres 
faites hors de la foi comme des péchés. Au contraire, 
saint Jérôme croit que, sans être chrétien, on peut 
mener une vie honnête, et il pense même que cette 
honnêteté est une préparation à recevoir la foi'. D'au- 
tre part, saint Ambroise ne condamne pas les vertus 



1. Il {aut observer que l'ouvrage a subi des interpolations. 

2. HiLAiRE, In Matlh., X, 23; In psahn. LXVHI, 9; Ambroise, Apologia 
proph. David, 2i, 13-19; In psalm. I, 22; De Abraham, II, 81; Hexae 
meron, I, 31 ; De lacob et vita beata, I, 10; De paenitentia, I, 73. 

3. Jn epist. ad Galat., m, 11 ; Epist. CVII 



LA THÉOLOGIE LATINE AU IV« SIÈCLE., 281 

naturelles des païens, encore qu'il les déclare vaines, 
et ceux qui les pratiquent semblables à des arbres qui 
portent des feuilles sans fruité Mais quand il s'agit 
d'œuvres surnaturelles et méritoires, le langage change. 
Hilaire, Victorin, Ambroise, Jérôme sont unanimes à 
proclamer que nous ne pouvons, sans la grâce, faire 
œuvre salutaire et qui plaise à Dieu 2. «Adiuvandi igi- 
tur per gratiam eius, dirigendique sumus, ut prae- 
ceptarum iuslificationum ordinem consequamur. . . 
Quanta opus est nobis Dei gratia ut recte sapiamus, 
ut... ad universas Dei iustificationes aequa ac pari ope- 
rum ac doctrinae observantia dirigamur^ ». « Video 
itaque quia ubique Domini virtus studiis cooperatur 
humanis ; ut nemo possit aedificare sine Domino, nemo 
custodire sine Domino , nemo quidquam incipere sine 
Domino ■• ». Bien plus, Victorin et Jérôme observent 
que l'acte même par lequel nous voulons le bien est 
l'œuvre de Dieu et se produit sous l'action de la grâce. 
Le langage de Victorin est remarquable : 

Sic enim dixit Salulem vestram operamini. Sed rursus ne unus- 
quisque parum gratiam Deo référât, si ipse sibi salutem ope- 
rari videatur adiectum est illud : Deus est enim qui operatùr in 
vobis, et voluntale et efficacia, pro bona voîuntate. Ergo salulem 
vest7^am, inquit, operamini; sed ipsa operatio tamen a Deo est. 
Deus enim operatùr la vobis, et operatùr ut velitis ita. Et velle 
quasi nostrum est, uude nos operamur nobis salutem. Et tamen 
quia ipsum velle a Deo nobis operatùr, fit ut ex Deo et opera- 
tionem et voluntatem habearaus. Ita utrumque mixtum est, 
ut et nos habeamus voluntatem et Dei sit ipsa voluntas... Ope- 

1. In psalm. I, 41; In Lucam, VII, 103. 

2. On a soulevé sur la doctrine de la grâce de Zenon quelques diffi- 
cultés qui ne méritent pas d'arrêter sérieusement. Cf. Ballerwi, Dis- 
serlatio II, capp. 5, 6 (P. L., XI, col. 123 et suiv.). 

3. HILAIRE, In psalm. CXVHI, litt. I, 12; lilt. X, 15; litt. XIV, 1,2; litt. 
XVII, 8; Inpsalm. Ll, 20; LXIII, 6; CXXVI, 10-12; CXLU, 7; De trinit., 
III, 35. 

4. Ambroise, In Lucam, II, 84; III, 37; In psalm. XXXYI, 15; CXVIII, 
sermo 1, 18. 

16. 



282 HISTOIRE DES DOGMES. 

ratùr autem Deus in nobis et vellé et agrere pro bona voluntatei 
lia, qui non ex Deo operatur,. primo non habet velle; deinde, 
etiamsl habuerît velle, efficaeiam non habet, quia non habet 
bonam voluntatem i. 

Jusqu'ici tout est bien; là où quelques-uns de nos 
docteurs paraissent fléchir, c'est sur la nécessité de la 
grâce pour le commencement de la bonne œuvre et dé 
la foi. Saint Ambroise est cependant très net. Dans le 
texte de lui cité plus haut, il affirme que nous ne pou- 
vons a rien commencer sans le Seigneur » , et ailleurs 
il ajoute : « Quidquid autem sanctum cogitaveris hoc 
Dei munus est, Dei inspiratio, Dei gratia' », Il en con- 
clut avec TAmbrosiaster que la grâce nous est donnée 
gratuitement et non sur nos mérites '. Mais sur cette 
même question, saint Hilaire, saint Optât, et même 
saint Jérôme ont émis des propositions que nous qua- 
lifierions actuellement de semi-pélagiennes. « Imbecilla 
enim est per se ad aliquid obtinendum humana infîr- 
mitas, écrit saint Hilaire ; et hoc taùtum naturae offîcium 
est, ut aggregare se in familiam Dei et velit et coe- 
perit. Divinae misericordiae est ut volentes adiuvet, 
•incipientes confirmet, adeuntes respiciat : ex nobis 
autem initium est,, ut ille perfîciat^ ». Et l'on rencontre 
dans saint Optât et- saint Jérôme des formules analo- 
gues^. 

Partagée encore sur la nécessité de la grâce pour le 
commencement de la foi et de la bonne œuvre, la théo- 
logie latine du iv^ siècle se retrouve unanime pour af- 

i. In epist. ad Philipp., II, 12, 13, col. 1212 A B. Jèrôue. Epist. 
cxxxni, 6. 

2. De Cain et Abel, I, 4S. 

3. In Lucani, VII, 27; Exhort. mrginit.,Ji:Z\ Ambrûsîaster, In epist. ad 
Roman., XI, 6. 

•i. Inpsalm. CXVIII, litt. XVI, 10; cf. lilt. XIV, 20. 
S. OPTAT, De schism. donalistar., Il, 20; Jérôme, Adv. pelag., I, 5; III, 
1, cf. 10; In Isaiam, XLIX, 4. 



LA TIIÉOLOGIB LATINE AU IV' SIECLE. 2S3 

firmep la nécessité de notre coopération pour la rendre 
efficace. On a lu déjà les déclarations de Victorin et 
de saint Ambroise^ saint Hilaire et saint Jérôme ne 
sont pas moins: explicites. Le premier remarque qu'en 
insistant surtout sur la miséricorde de Dieu, le psal- 
miste n'apas exclu pour l'homme le devoir de mériter 
son salut j qu'il faut retirer nous-mêmes notre cœur du 
péché etle courber sous l'obéissance divine *. Le second 
nous avertit qu'il appartient à Dieu de nous appeler et 
à nous de croire : « Dei enim vocare est et nostrum 
credere^ H. 

De là à la théorie du mérite il n'y a qu'un pas. Le 
mot et la chose se rencontrent souvent dans nos textes. 
La foi a une part importante dans notre justification, et 
Victorin surtout la lui assigne fort grande^; mais les 
oeuvres doivent suivre et appuyer cette foi : « Prima 
ergo haec iustitiaest agnoscere creatorem, deinde cus- 
todire quae praecipit,^ » » Ces œuvres nous méritent le 
salut '', et c'est; sur elles en définitive que nous serons 
jugés, condamnés ou récompensés : « Manifestum est 
quia unusquisque operibus suis aut iustificabitur aut 
condemnabitur ^ ». Et saint Hilaire en donne la raison : 
« ut praemium sibi voluntas bonitatis acquireret, et 
esset nobis aeternae huius beatitudinis profectus atque 
ususex merito, non nécessitas indiscreta per legem '^ » . 
Mais surtout saint Jérôme, invité par l'erreur de Jovi- 
nien à traiter ex professa de la valeur des bonnes œu- 

1. In psalm CXLU, 13; CXYIII, litt. XIV, 20. 

2. In Isaîam, XLIX, 4. 

3. Inepist. ad Galat., III, 22, col. U7'2 B; ad Philipp., lïl, 8, 9, col. 
1219 C D; IV, 8, 9, CoL 1231 A; ad Ephes., II, IS, COl. 12S8 C; 16, col. 
1259 C. 

4. Ambrosuster, In epist, ad Rom., IX, 30. Ambuoise, In Lucam, VII, 
lOk 

5. &UTiRO\sE, In psalm. I, 17; In Lucam, VIII, 47. 

6. AsicnosiASTER, Li epist. ad Rom., XIII, 2; Ambroise, Epist. II, 16. 

7. In psalm. II, 16; XCI, 10; LXlV, 6; Pacien, Sermo de baptismo, 7. 



284 HISTOIRE DES DOGMES. 

vres pour le salut, à donné à cette doctrine toute son 
ampleur. La foi , dit-il , ne nous sauve pas seule, non 
plus que les œuvres seules ne nous Sauvent. Celles-ci 
n'ont pas simplement pour rôle de nous préserver du 
péché ; elles nous méritent positivement le ciel : à ces 
œuvres sera proportionnée notre récompense : « lam 
nostri laboris est, pro diversitate virtutum diversa no- 
bis praemia preparare... Ecce servo et servo plus mi- 
nusve committitur, et pro qualitate commissi atque 
peccati plagarum quoque numerus irrogatur^ ». Et 
néanmoins il semble que la rigueur purement juridique 
de TertuUien soit adoucie, surtout chez ceux de nos 
auteurs qui ont étudié les Grecs, par ce sentiment fré- 
quemment exprimé que nos mérites, quels qu'ils soient, 
sont très mêlés de démérites, "qu'ils sont en partie le 
fruit de la grâce, et restent en somme fort au-dessous 
de la récompense qui nous est promise; si bien que, à 
tout prendre, cette récompense est l'effet moins de nos 
mérites que de la miséricorde de Dieu. Saint Hilaire a 
très heureusement traduit ce sentiment quand il écrit : 
« Non enim ipsa illa iustitiae opéra sufficiunt ad per- 
fectae beatitudinis meritum, nisimisericordiaDei etiam 
in hac iustitiae voluntate humanarum demutationum et 
motuum vitia non reputet ^ » . 

Le problème de la prédestination a peu occupé la 
théologie latine avant saint Augustin. Victorin en parle 
souvent en philosophe ^. L'Ambrosiaster prélude à des 
doctrines qui seront plus tard rejetées. Il ne se contente 
pas d'accentuer fortement la prédestination à la foi et 
à la gloire : il paraît n'admettre pas que Dieu veuille 



1. Adv. lovinianum, II, 32, 33; et cf. H, 18-34. 

2. In psalm. LI, 23; CXVm, litt. X, 15; De trinit., IV, 38; Ambroise, 
in psalm. CXVIII, sermo XX, 42; Victorin, In epist. ad Ephes., I, 14, 
col. lin A; 11, S, col. 12oS B; HI, 7, 8, col. 1264 B. 

3. In epist. ad Ephes., 1, 4, il, col. 1238 C, 1239 B, 1241 D, 1243 C 



LA THÉOLOGIE LATINE AU IV SIÈCLE. 285 

sauver tous les hommes : « Ceteri vero salvari non 
possunt, quia par defînitionera Dei spernuntur, per 
quam genus humanum salvare decrevit ^ ». 

§ 6. — Christologie et sotériologie 3. 

Comme la doctrine trinitaire, la doctrine chrisfcolo- 
gique de l'Occident avait reçu de Tertullien sa pre- 
mière et forte expression, que la théologie subséquente 
put bien compléter, mais dont elle ne s'écarta jamais. 
Moins encore que l'arianisme, l'apoUinarisme ne trou- 
bla, à ce point de vue, l'Église latine. Les papes le 
condamnèrent, les docteurs le réfutèrent et le contre- 
dirent; il ne récolta à notre connaissance aucun par- 
tisan sérieux. 

Saint Hilaire s'était d'avance inscrit contre lui. De 
l'évéque de Poitiers il est vrai de dire, comme de saint 
Athanase, que l'enseignement christologique ne lui 
doit guère moins que celui du consubstantiel. Il faut 
cependant examiner sa doctrine de près, car elle n'a 
pas toujours été bien comprise. On résoudra par 
avance plusieurs des difficultés qu'elle présente, si l'on 
remarque que saint Hilaire se préoccupe de réfuter les 
ariens qui refusent au Sauveur une âme raisonnable, 
afin de rejeter sur le Verbe lui-même les émotions et 
passions auxquelles on voit par l'évangile que Jésus- 
Christ a été sujet. 

Notre docteur a établi la pleine divinité du Verbe. 
Ce Verbe se fait homme : comment? Par un anéantis- 
sement, une évacuation de sa forme de Dieu : « In 
forma enim servi venions evacuavit se a forma Dei' ». 

i. In epist. ad Roman., VIII, 28, 29; IX, 28. 

2. V. sur ce deraier point î. Rivière, Le dogme la Rédemption, Paris, 
1903. 

3. Inpsalm. LXVIII, 25; LUI, 8; De trinit., IX, 14. 



286 HISTOIRE DES DOGMES. 

Hilaire veut-il dire que le Verbe a dépouillé réellement 
sa nature divine? On l'a prétendu; mais il est clair par 
l'ensemble des textes que saint Hilaire entend la /orma; 
Dei de l'état glorieux qui convient à la nature divine 
et non de cette nature même, car il répète que, dans 
l'union, le Verbe n'a point perdu sa nature : « Evacua- 
tio formae non est abolitio naturae... In corpore de- 
mutatio habitus et assumptio naturae naturam, divini- 
tatis non peremit, quia unus atque idem Christus sit 
et demutans habitum et assumens ^ . » On ne saurait 
songer non plus, comme l'a fait Dorner, à une sorte 
de retrait dans le Père, au moment de l'incarnation, 
de la personne du Fils, laquelle aurait reparu au mo- 
ment de la glorification. Hilaire en effet proclame, 
d'une part, que le Verbe avant et durant sa vie terrestre 
est la même personne^, et, d'autre part, observe que 
c'est à l'humanité et non au Verbe qu'est donnée après 
la résurrection la forma DeP. 11 faut donc conclure 
que la xévoxjii; pour notre docteur emporte simplement 
un renoncement momentané à cet éclat que nous nous 
représentons entourer la vie divine, nullement un re- 
noncement aux prérogatives essentielles de cette vie. 

C'est librement, et par im acte de sa puissance que 
le Verbe s'incarne"*. Saint Hilaire analyse par le menu 
cet acte prodigieux. L'humanité prise par le Verbe 
est une humanité réelle^, particulière, numériquement 
une bien qu'elle résume dans le nouvel Adam toute 
l'humanité". L'évêque de Poitiers l'appelle céleste, 



1. De trinit., IX, 44, 38, Si ; X, 7, ïG, 2-2; XI, 18; Fragtn: ex opère his- 
tor., 11, 32; Inpsalm. LXVIU, 23; CXLIII^ 7. 

2. De trinit., X, 22:; IX, 14; In psalm. GXLm, 7. 

3. Inpsalm. II, 27; CXLIII, 7. 

4. Inpsalm. LXVIII, 23; De trinit.., II, 26; IX, 51. 

5. De trinit., X, 23. 

6. De trinit., Il, 2i, 23 ; In psalm. LI, 16 LXVIII, 23 ; In Matth., Il, 
lu; IV, 12. 



LA THÉOLOGIE LATINE AU IV SIECLE, 287 

caeleste corpus \ En quel sens? D'abord parce que 
l'âme de cette humanité a été créée .par Dieu, c'est-à- 
dire jpar le Verbe lui-même ^ ; ensuite parce que Marie, 
encore qu'elle ait formé, comme les autres mères, le 
corps de son fils de sa substance, ne l'a pas formé par 
sa propre vertu, mais par la vertu du Saint-Esprit et 
du Verbe'; et enfin parce que le Verbe est encore 
intervenu pour unir ensemble le corps et l'âme qu'il 
devait prendre •*. Ainsi tout vient du ciel en Jésus, bien 
qu'il soit homme : « Et homo est, et de caelis est^. » 
Cela n'empêche pas son humanité d'être passible; 
mais Hilaire enseigne et répète qu'elle ne l'est que par 
miracle et par une volonté positive du Verbe. Par suite 
de son union avec le Verbe, de son impeccabilité, de 
sa naissance virginale, l'homme en Jésus devait être 
normalement impassible, affranchi des nécessités qui 
s'imposent aux autres hommes, aussi bien que des 
affections et des passions qui les émeuvent et qui les 
troublent^. Si donc, comme Hilaire l'admet d'ailleurs'^, 
Jésus a souffert, s'il a eu faim et soif, s'il a gémi et 
pleuré, c'est parce qu'il l'a voulu librement, soit que 
nous entendions par là un ordre réglé dès le principe 
et une fois pour toutes qui assujétit, malgré ses préro- 
gatives, l'humanité du Christ aux lois communes à tous 



1. De trinit.., X, 18, 17; In psalm. LXVni, 4, 23. 

2. De trinit., X, 20, 22. 

3. De trinit., X, 13-17, 22, 25; H, 28. 

4. De trinit., X, 15, 22. 

5. De trinit., X, 17, 16, 18. 

6. De trinit., X, 2'4, 27, 35, 37, 47. Zenon de Vérone ne pense pas non 
plus que Jésus-Cbrist ait pu éprouver la crainte. C'est au nom du juste 
opprimé qu'il a prononcé le Triscis est anima mea usque ad mortem 
(Tract. 1,16, 14). 

7. De trinit., X, 23, 55, 56. Saint Hilaire semble affirmer parfois que 
les douleurs de Jésus-Christ ont été purement fictives, qu'il n'en a pas 
souffert (In psalm. CXXXVUr, 3; De trinit., X, 23, 47); mais il parle 
alors de Jésus-Christ comme Dieu. Le Verbe, en tant que tel, n'a pas 
en effet souffert réellement. 



288 HISTOIRE DES DOGMES. 

les hommes, soit que nous supposions une série d'actes 
de volonté sans cesse renouvelés et s'opposant à l'ac- 
tion du privilège initial. En tout cas, les souffrances et 
faiblesses du Christ, loin d'être un argument contre 
sa divinité, en sont au contraire la preuve, étant un 
effet de sa puissance^. Les objections qu'en tirent les 
ariens sont absolument vaines. 

Nous avons suivi jusqu'au bout le raisonnement de 
saint Hilaire. Les autres écrivains, Victorin, Zenon, 
Phebadius, Ambroise, Jérôme présentent — si l'on 
excepte le dernier point — la même doctrine,, mais 
moins riche et moins approfondie. Zenon écrit simple- 
ment que le Verbe n'est pas cessé, en s'incarnant, 
d'être ce qu'il était : « Salvo quod erat, meditatur esse 
quod non erat^. » Saint Ambroise et saint Jérôme, 
tous deux contemporains d'Apollinaire, affirment avec 
énergie l'existence en Jésus-Christ d'une âme raison- 
nable : « Quid autem opus fuit carnem suscipere sine 
anima, cum utique insensibilis caro et irrationabilis 
anima nec peccato sit obnoxia, nec digna praemio? 
lUud ergo pro uobis suscepit quod in nobis periclita- 
batur^. » C'est l'argument classique : le Verbe devait 
tout prendre de l'homme, puisqu'il venait guérir tout 
l'homme. 

Depuis saint Paul, la théologie était unanime à dé- 
clarer Jésus- Christ homme exempt de toute souillure 
morale ; la question de son ignorance ou, si l'on pré- 
fère, de l'étendue de sa science humaine restait ou- 
verte, ou même avait été négligée. Au iv® siècle, la 
controverse arienne la rend actuelle et intéressante. Il 



1. De trinit., X, 24, 47, 48. 

2. Tract, n, 8, 2; cf. 9, 2. 

3. Ambroise, De incarnaiionis domin. sacram., 68, et v. 63-78; Jérôme, 
Apol. adv. libros Rufîni, 11,4; In epist. ad Galat., I, i; Jn lonam, ni, 
6; etc. 



LA THÉOLOGIE LATINE AU IV SIECLE. 289 

était naturel que saint Hilaire, affranchissant en prin- 
cipe l'humanité de Jésus-Christ, à cause de son union 
avec le Verbe, des infirmités de la chair, l'affranchît 
aussi de l'ignorance qui est la suite de notre im- 
perfection. L'évêque de Poitiers ne voit qu'une igno- 
rance économique dans les paroles de Notre- Seigneur 
citées par Marc xiii, 32, « cum Filius idcirco nescire 
se dicat ne et alii sciant ^ ». Saint Ambroise incline 
évidemment vers la même conclusion, bien qu'il ne 
paraisse pas absolument fixé. Dans son De fide ad 
Gratianum (378-380), il attribue à certains esprits 
plus hardis — dont il n'est pas — l'opinion qui admet 
dans la science comme dans la grâce de Jésus un pro- 
grès réel, et il conclut : « Haec tamen alii dicant^ ». 
Il adopte cependant, semble-t-il, lui-même cette opi- 
nion dans le De incarnationis dominicae sacramento, 
71-73, écrit probablement en 382 3. Sur les textes de 
saint Matthieu xxiv, 36 et de saint Marc xiii, 32, 
relatifs à l'ignorance du jour du jugement, il remarque 
d'abord que les mots nec Filius ne se trouvent pas — 
ce qui est vrai pour saint Matthieu — dans les vieux 
manuscrits grecs, et paraît vouloir les expliquer du 
fils de l'homme en Jésus- Christ; puis il se ravise et 
adopte la solution d'une ignorance économique : « Si 
quaeramus, non ignorantiae inveniemus esse sed 
sapientiae. Nobis enim scire non proderat'* ». — Au 
contraire, saint Jérôme est plus ferme dans le sens de 
l'ignorance humaine de Jésus-Christ. Dans son com- 
mentaire sur Isaïe v, 15, il regarde comme réels les 

1. De trinit., IX, 62-67. On trouve au De trinit.., IX, 73, un passage 
fourni par un manuscrit de Vérone, où cette ignorance est supposée 
réelle et rejetée sur la nature Ijumaine, mais l'authenticité de ce pas- 
sage est douteuse. 

2. De fide, V, 221, 222. 

3. Et cf. In Lucam, II, 63, 64. 

4. De fide, V, 209, et généralement, V, 193-224; cf. In Lucam, Viri 
34-36. 

HISTOIRE DES DOGMES. — II. 17 



290 HISTOIRE DES DOGMES. 

progrès de Jésus en sagesse et en grâce, et met sur le 
compte de sa divinité qu'il ait su discerner déjà le bien 
du mal. Il écrit dans son Dialogue contre les péla- 
giensy II, 4, que le Sauveur ignorait le jour et l'heure 
du jugement, et s'il ajoute, dans son commentaire sur 
saint Matthieu xxiv, 36 (cf. xxviii, 20), que cette igno- 
rance était économique, c'est pour autant que l'on vou- 
drait l'attribuer au Verbe en Jésus-Christ. 

Ces divergences d'opinion montrent bien que, sur 
la question qui vient de nous occuper, la théologie 
latine du iv* siècle n'était pas complètement fixée. 
Avant de passer au problème capital de l'existence et 
du mode d'union des deux natures en Jésus-Christ, 
dissipons encore une obscurité de la christologie de 
saint Hilaire. Le saint docteur suppose manifestement 
que pendant le triduum mortîs le Verbe est resté uni 
au corps et à l'âme du Rédempteur ^ , et il aime à re- 
présenter la résurrection comme une nouvelle nais- 
sance que le Père donne à son Fils ^. Jusqu'ici tout est 
bien; mais si nous en croyons Baur, saint Hilaire au- 
rait de plus enseigné que, dans la glorification de 
Jésus, l'humanité du Sauveur s'est évanouie et s'est 
trouvée absorbée dans la divinité. On peut invoquer 
en faveur de cette opinion le De trînitaie, ix, 38 et 41 
et XI, 40 qui sont en efPet très forts. On ne saurait 
toutefois en tirer la conclusion que l'on prétend. Saint 
Hilaire déclare que le Verbe est remonté au ciel avec 
cette humanité qu'il avait prise : « hominem quem as- 
sumpserat reportavit ^ » ; qu'il reviendra au jour du 
jugement avec cette humanité suspendue à la croix et 
glorifiée au Thabor*. Seulement, cette humanité sera 

1. De trinit.^ IX, 34, 63. 

2. In psalm. Il, 27-30. 

3. In Matlh., III, 2; IV, U. 

4. De trinit., III, d6, 20; In psalm. LV, 12, 



LA THEOLOGIE LATINE AU IV SIÈCLE. 291 

à la fin des temps transformée par la gloire « non 
abiecto corpore, sed ex subiectione translate, neque 
per defectionem abolito, sed ex clarificatione mu- 
tato^ ». Cette transformation n'est pas une conversion 
substantielle de la nature humaine du Sauveur : c'est 
un changement dans les conditions et le mode de son 
existence. 

Reste la question de la dualité des natures et de l'u- 
nité de personne en Jésus-Christ. Le v^ siècle devait 
la trancher et fixer pour l'Orient la terminologie dont 
on y userait. L'Occident du iv^ siècle ne connut que 
dans une faible mesure ces fluctuations. Un auteur peu 
strict, comme Zenon, emploiera, pour exprimer l'in- 
carnation, des expressions de saveur tantôt nesto- 
rienne, tantôt monophysite : « Infunditur {Deus) in 
hominem » — « Deus, ex persona hominis quem as- 
sumpserat, ait » — « Mistus itaque humanae carni se 
fingit infantem » — ■ « Homo mistus » — « Tu Deum 
in hominem demutare çaluisti^ ». Mais alors même, 
si l'on va au fond, on trouve une doctrine exacte. 
Cette doctrine est que, dans l'incarnation, le Verbe ne 
s'est pas changé en la chair qu'il a prise ^, qu'il ne s'est 
pas fait une fusion du Verbe et de l'humanité en un 
tertium quid qui n'aurait été ni Dieu ni homme'', 
mais que le Verbe s'est uni une nature humaine de 
telle sorte qu'après l'union il n'y a qu'une personne, 
un Fils naturel de Dieu, et que cependant les deux 
natures divine et humaine subsistent distinctes avec 
leurs attributs et leurs opérations propres. Quelques 
citations justifieront cet énoncé. Saint Hilaire : « Nescit 



1. De trinit., XI, 40; cf. In psalm. CXLIII, 7; LXVIII, 23; II, 27. 

2. Tract, ir, 8, 2; I, 16, 14; II, 8, 2; II, 6, 1 ; I, 2, 9. 

3. PnEBADius, De fllii divinit., 8; ViCTonm, Adv. Arium, I, 4S, coL 
1073 C. 

■'t. Phebadius, Lîb. conl. arianos, S. 



292 HISTOIRE DES DOGMES. 

plane vitam suam, nescit qui Christum lesum ut verum 
Deum ita et verum hominem ignorât... Utrumque unus 
existens, dum ipse ex unitîs naturis naturae utriusque 
res eadem est^ ». — « Ecclesiae fîdes... non patitur 
Christum lesum, ut lesus non sit ipse Christus, nec 
filium hominis discernit a Dei filio, ne lilius Dei forte 
non et filius hominis intellegatur ^ ». Il est évident 
d'ailleurs, par toute sa façon de parler, que saint Hi- 
laire met dans le Verbe le principe de la personnalité 
de Jésus- Christ ^. — Phebadius : « Credimus Domi- 
num nostrum ex duabus substantiis constitisse, hu- 
mana scilicet atque divina, et ita illum immortalem 
fuisse divina et mortalem ea quae fuerit humana-* ». 
Chaque nature garde ses opérations : « Utramque 
substantiam suam affectus proprietate distinxit. Nam 
spiritus in illo res suas régit, id est virtutes et opéra 
et signa, et caro passionibus suis functa est^ ». Mais 
il n'y a qu'un Fils, Dieu uni à l'homme : « Quod virgo 
concepit, hoc peperit, id est Deum homini suo, ut iam 
dixi, sociatum^ » : d'où la loi de communication des 
idiomes'^. — Même doctrine dans Victorin^; dans Ze- 
non, qui affecte de mettre en relief l'unité personnelle, 
en opposant les propriétés des natures : « In se Maria 
creatorem mundi concepit... exponit infantem totius 
naturae antiquitate maiorem ». — « Vagit Deus; pati- 
turque se pannis alligari qui totius orbis débita vé- 
nérât soluturus... Subiicit se gradibus aetatis cuius 

1. De trînit., IX, 3, 

2. De trinit., X, 52, 22, 34, 62, 63 ; IX, 14. 

3. V. par exemple De trinit., X, 47. 

4. Liber conlra arianos, J9, 4, 18. 

5. Lib. contra arianos, 5, 18. 
G. De filii divinit., 8. 

7. Ibid. 

8. Adv. Arium, I, 43, col. 1073 B ; I, 14, col. 1048 D ; In epist. ad 
Philipp., Il, 6-8, col. 1208 C D. Bien que Victorin admetle d'une ma- 
nière générale la flliatton divine de lôsus-Christ, il imagine cependant 



LA THÉOLOGIE LATINE AU IV SIECLE. 293 

aeternitas in se non admittit aetatem ^ » ! — Même en- 
seignement de Niceta chez qui il semble que l'on 
trouve un prélude de la lettre de saint Léon à Flavien^. 
Mêmes affirmations de saint Jérôme ^, et enfin de saint 
Ambroise dont les textes sont devenus classiques : 
« Servemus distinctionem divinitatis et carnis. Unus 
in utraque loquitur Dei Filius, quia in eodem utraque 
natura est; et si idem loquitur, non uno semper loqui- 
tur, modo^ ». — « Non divisus Christus, sed unus, quia 
utrumque unus, et unus in utroque, hoc est vel divini- 
tate vel corpore : non enim alter ex Pâtre, alter ex Vir- 
gine, sed idem aliter ex Pâtre, aliter ex Virgine^ ». 
On remarquera surtout chez lui l'affirmation de 
l'existence des deux volontés : « Suscepit ergo (Chris- 
tus) voluntatem meam, suscepit tristitiam meam... 
Mea est voluntas quam suam dixit^ ». 

En tout ceci, remarquons-le bien, peu, très peu de 
philosophie : rien des longues dissertations sur la 
personne et la nature où se complaira le génie grec ; 
mais l'énoncé très ferme de ce qui est la foi de l'É- 
glise, foi plus sentie encore qu'intellectuellement ana- 
lysée. 

L'œuvre de Jésus-Christ ici-bas est de nous sauver, 
de nous délivrer de la mort et du péché, de nous ré- 
concilier avec Dieu. Comment nos auteurs ont-ils 
conçu cette œuvre libératrice ? 

à côté d'elle une certaine flliation adoptive convenant à l'homme : 
■ Nos enim adoi)tione filii, ille natura. Etiam quadam adoptione 
filius et Christus, sed secundum carnem » [Adv. Arium, 1, dO, col. 
104S C). 
i. Tract, n, 8, 2; 9,2; 7, 4. 

2. De rations fidei, 6, 7; De symbolo, 4. 

3. Epist. CXX, 9; In epist. ad Galat., I, 1, 11; In Matth,, XXVÏII, 2. 

4. De fide. II, 77, 57, SS, CO; cf. III, 10, 6o; De incarnat, domin. 
sacram., 23, 37-45. 

5. De incarnat, domin. sacram., 33; De fide, II, S8; m, 8; V, 107. 

6. De fide, II, 53; cf. 52; In Lucam, X, 60. 



294 HISTOIRE DES DOGMES. 

On retrouve chez eux toutes les diverses théories 
sotériologiques — spéculative, réaliste, théorie des 
droits du démon — que nous avons signalées dans la 
théologie orientale. On doit ajouter seulement que la 
théorie réaliste est généralement plus en honneur et 
plus fermement proposée; les deux autres, la théorie 
spéculative surtout quand on la rencontre, sont mani- 
festement le résultat de l'influence des Grecs. 

On ne sera donc pas surpris d'entendre saint Hilaire 
déclarer que le Fils de Dieu est né de la Vierge « ut 
homo factus naturam in se carnis acciperet, perque 
huius admixtionis societatem sanctificatum in-eo uni- 
versi generis humani corpus existerét^ »; et encore 
que sa chair est comme une cité dont chaque homme 
est un citoyen ; en sorte que le Verbe habite d'une cer- 
taine façon en chacun de nous 2, et par sa seule incar- 
nation nous élève tous à une vie divine. 

C'est l'idée de saint Athanase, et celle aussi de saint 
Irénée. En dehors de saint Hilaire, les Pères latins 
du IV'' siècle ne lui donnent que peu ou point d'atten- 
tion. En revanche, ils s'étendent longuement, quel- 
ques-uns du moins, sur la passion et la mort du Christ, 
comme principe de notre rédemption. 

Saint Ambroise remarque d'abord que seul, le Christ 
était capable de nous délivrer : personne d'entre nous 
ne pouvait ni se délivrer ni délivrer les autres, puisque 
tous les hommes, hors Jésus, étaient tenus par les 
liens héréditaires 3. Il fallait donc que Jésus-Christ prît 
en main notre cause, qu'il nous fût substitué, qu'as- 
sumant sur lui la dette du genre humain, se portant 
comme le répondant de tous, il souffrît, expiât, payât 

1. De trinit; II, 24; IX, 4. 

2. In Matth., IV, 12; Inpsabn. LXI, 2. 

3. In psalm. CXVIII, sermo VI, 22. Cf. Ambrosiaster, In epist. I ad 
Corinth., VIî, 23. 



LA THÉOLOGIE LATINE AU IV- SIECLE. 295 

pour tous. C'est la doctrine de la récapitulation, de la 
compréhension ou même simplement de la substitu- 
tion vicaire. Presque tous nos auteurs la contiennent 
explicitement. Hilaire : « Quae non rapuerat tune re- 
petebatur exsolvere. Cum enim débiter mortis pecca- 
tique non esset (Christus), tanquam peccati et mortis 
débiter tenebatur * » . Victorin : « In isto enim omnia 
universalia fuerunt, universalis caro, anima universa- 
lis, et in crucem sublata atque purgata sunt per salu- 
tem Deum Xo'yov^ ». Ambroise : « Peccatum non fecit, 
sed peccatum factus est. Ergo in peccatum conversus 
est Dominus ? Non ita ; sed quia peccata nostra susce- 
pit, peccatum dictus est. Nam et maledictum dictus est 
Dominus, quia nostrum suscepit ipse maledictum^ ». 
Ou plus simplement : « Hominis causam locumque 
susceperaf* ». Et l'on pourrait citer encore l'Ambre- 
siaster, Zenon de Vérone, et saint Jérôme ^. 

Cette substitution toutefois, non plus d'ailleurs que 
la passion et la mort du Christ, ne lui ont pas été im- 
posées malgré lui. Saint Hilaire, saint Ambroise et 
saint Jérôme ont insisté tout particulièrement sur le 
caractère libre et spontané, et par conséquent méri- 
toire de l'œuvre rédemptrice. « Maledictorum se ergo 
obtulit morti, ut maledictum legis dissolveret, hostiam 
se ipse Deo Patri voluntarie offerendo, ut per hostiam 
voluntariam maledictum, quod ob hostiae necessariae 
et intermissae reatum erat additum, solveretur^ ». Li- 



1. In psalm. LXVm, 7; cf. 6, 8; In Matth., XXXI, 10; De trinit., 
X, 4. 

2. Adv. Arium, lU, 3, col. HOl A; In epist. ad Galat., YI, 14, col. 
1196 D. 

3. De incarnat, domin. sacrum., 60. 

4. De interpell. lob et David, IV, 27 ; cf. Epist. XLI, 7. 

5. ZENON, Tract. I, 2, 9; Ambrosiaster, In epist, II ad Corinlh., V, 22; 
JÉRÔME, In Isàiam, LUI, 5-7, 1 et suiv. 

6. Hilaire, In psalm. LUI, 13, cf. 12. Ambroise, De excessu fralris sui 
Satyri, II, 46; In Lucam, III, 48; De benedîct. patriarcharum, 20. JE- 



29G HISTOIRE DES DOGMES. 

brement donc, bien qu'obéissant au Père, Jésus-Christ 
donne son sang, sa vie, comme le prix de notre rançon; 
il nous achète ; « Caro factus, ut in carne cum esset, 
totum hominem sua passione et morte iuxta passiones 
corporis mercaretur^ »; — ou bien encore il s'olîre 
comme victime en sacrifice. Saint Hilaire nous l'a dit 
dans le texte qu'on a lu plus haut : saint Ambroise le 
répète souvent : « Idem ergo sacerdos, idem et hos- 
tia... nam et agnus ad immolandum ductus est, et sa- 
cerdos est secundum ordinem Melchisedec^ ». Ce sa- 
crifice a été un sacrifice d'expiation : « Poenas scilicet 
insipientiae et delictorum, quas non rapuerat, repete- 
batur (Christus) exsolvere ^ » ; il a été un sacrifice de 
propitiation et d'apaisement qui nous a réconciliés 
avec Dieu : « Ipse enim (Christus) secundum Aposto- 
lum nostra placatio est » — « in cuius sanguine recon- 
ciliati Deo sumus'' ». Hilaire et Ambroise prononcent 
même l'un et l'autre le mot de satisfaction, mais dans 
un sens qui n'est pas tout à fait celui que nous lui 
donnons actuellement, et qui s'identifie plutôt avec 
celui d'expiation 5. En tout cas le sang et la mort de 
Jésus-Christ sont pour tous les péchés du monde une 
expiation, une rédemption suffisante et même surabon- 
dante. L'homme n'a plus qu'à s'en appliquer les fruits : 
« Cuius (Christi) sanguinis pretium poterat abundare 
ad universa mundi totius redimenda peccata®. » 
Le réalisme sotériologique de nos auteurs est donc 



ROME, In epist. ad Galat., I, 4. Cf. Ambrosuster, In epîsl. ad Ephesîos, 
V, 2. 

\. YicTORiN, Adv. Arium, I, 45, col. 107S C; Hilaire, In Matth., XXXII, 
C; XIV, 16; Ambroise, In Lucam, VII, 114, 117; Ambrosiasteu, In epist. 
I ad Corinth., VII, 23; XI, 26; Jérôme, In Isaiam, LUI, 7 el suiv. 

2. De fide, III, 87; De Spiritu Sancto, I, 4; Epist. XLIV, 16. 

3. Hilaire, In psalm. LXVIII, 7. 

4. Hilaire, Inpsalm. LXIV, 4; CXXIX, 9. 

5. Hilaire, Inpsalm. LUI, 12; Ambroise, De fuga saecwîf, 4*. 

6. Ambroise, In psalm. XL VIII, 13-15. 



LA THÉOLOGIE LATINE AU IV SIECLE. 297 

bien clair; mais quelques-uns d'entre eux ont de plus 
emprunté à Origène et à Grégoire de Nysse leur théo- 
rie des droits du démon. Saint Jérôme la rapporte en 
simple érudit, mais, comme il ne la blâme ni ne la 
critique, il paraît bien la faire sienne ^ . Le doute en 
tout cas n'est pas possible pour saint Ambroise. Cette 
conception flatte son génie d'orateur, et il se complaît 
à la développer. Par le péché nous nous sommes ven- 
dus au démon; car le péché est comme le trésor du 
démon, et la monnaie dont il nous achète. Devenus 
ainsi captifs, nous étions incapables de nous délivrer 
nous-mêmes, de payer notre rançon. Mais Jésus inno- 
cent, lui, n'est pas captif du démon; il offre à ce cruel 
maître, pour notre rançon, son propre sang, infiniment 
supérieur à ce que nous valions. Le démon accepte ; le 
prix est payé, nous sommes libres. Ou plutôt nous 
avons changé de créancier ; car notre dette subsiste, 
mais envers Jésus-Christ à qui nous nous devons nous- 
mêmes : « Pretium autem nostrae liberationis erat 
sanguis Domini lesu, quod necessario solvendum erat 
ei, cui peccatis vendit! sumus ». « Venit Dominus Jé- 
sus, mortem suam pro morte omnium obtulit, sangui- 
nem suum pro sanguine fudit universorum. Mutavimus 
ergo creditorem; imo evasimus : manet enim debitum, 
fenus intercidit^. » 

Saint Ambroise expose ici proprement la théorie de 
la rançon payée au démon par Jésus-Christ. Mais la 
théorie des droits du démon peut aussi se présenter 
sous une forme moins odieuse. Par le péché, les hom- 
mes sont tous tombés en la puissance du diable, et c'est 
pourquoi ils deviennent la proie de la mort, sa com- 
plice, et sont retenus ensuite captifs dans les cachots 

i. In epist. ad BpAesios, I, "ï; cf. In Isaiam, L, 1. 
2. Epist. LXXn, 8, 9; XLI, 7, 8; In Lucam, VII, H4, 117; In paalm, 
XXXVI, 4G. 

17. 



298 nlSTOIRE DES DOGMES. 

de l'enfer. Jésus innocent est, en principe, libre de 
cette sujétion. Le démon, trompé par la faiblesse ap- 
parente du Sauveur, ose cependant porter la main sur 
lui ; il le fait mourir. C'est un abus de pouvoir dont il 
est juste que Satan soit puni. Parce qu'il a fait périr 
l'innocent, il perdra ses droits même sur les coupa- 
bles : ceux-ci ressusciteront, et les enfers devront lâ- 
cher leurs captifs. Sous cette forme adoucie et, en 
somme, acceptable, la théorie des droits du démon ne 
se retrouve pas seulement chez saint Ambroise ^ ; on la 
rencontre encore chez saint Hilaire'*; l'Ambrosiaster 
l'adopte en maints endroits ^, et saint Pacien la résume 
éloquemment ^ . 

Elle prêtait aux effets oratoires, et l'on peut suivre, 
dans l'ouvrage de M. Rivière ^, les développements 
auxquels elle a donné lieu : mais elle devait céder le 
pas à la théorie réaliste qui la prime évidemment dans 
l'esprit des latins du iv^ siècle, et avec laquelle d'ail- 
leurs elle n'est pas incompatible. 

Quant aux fruits de la rédemption, nos auteurs, et 
saint Ambroise en particulier, les ont souvent et inci- 
demment signalés. C'est la rémission des péchés, no- 
tre réconciliation avec Dieu, l'immortalité bienheu- 
reuse, et l'entrée en partage de la vie divine : ce Ad 
vulnera nostra descendit (Ghristus), .ut, usu quodam 
et copia sui, naturae compotes nos faciat esse caeles- 
tis^ ». 



1. In Lucam, IV, H, 12. 
Z. Inpsalm. LXVin, 8. 

3. In epist. ad Rom., ni, 24; In epist. ad Ephesios^ V, 2. 

4. Sermo de baptismo, 4. 

5. Le dogme de la rédemption, p. 413 et suiv. 

6. Ameroise, In Lucam, V, 46; In psalm. XXXIX, 2; Ejnst. YII, 12; 
HiLAiRE, In psalm. CXXIX, 9. 



LA THÉOLOGIE LATINE AU IV SIECLE 299 

§ 7. — Ecclésiologie. 

Jésus-Christ se continue dans le monde par l'Église. 
Elle n'est pas seulement la montagne du Seigneur, la 
maison de Dieu où habitent ses enfants : elle est le 
corps de Jésus-Christ^ Et comme Jésus-Christ était 
hier, est aujourd'hui, et sera au siècle des siècles, 
l'Église, prise dans sa plus large acception, est l'as- 
semblée de tous les saints, membres de Jésus-Christ, qui 
ont vécu, qui vivent et qui vivront jusqu'à la fin des 
temps. Et nonseulement des hommes, mais des anges et 
des principautés qui, eux aussi, ont été, au témoignage 
de l'Apôtre, réconciliés dans le Christ. C'est la belle 
idée de l'Église qu'a donnée Niceta dans son commen- 
taire du symbole : « Ecclesia quid est aliud quam sanc- 
torum omnium congregatio? » (10). Il en conclut que, 
dans l'Église, le fidèle bénéficie de la communion des 
saints^ formule qui apparaît dans le symbole pour la 
première fois chez lui ou du moins à cette époque, 
bien qu'elle puisse être plus ancienne. Dans un sens 
positif, elle indique que le fidèle entre, par le baptême, 
en société de foi, de suffrages et de mérites avec tous 
ceux qui font partie de l'Église, tous les saints, défunts, 
vivants ou à venir. Au sens négatif, elle marque qu'il 
est séparé des païens et des sectes qui ne sont pas 
l'Église de Jésus-Christ, qui sont la communia malo- 
rum. Imaginée peut-être d'abord par les rebaptisants 
et les novatiens, qui n'admettaient dans leur église que 
des justes, l'expression fut adoptée, à la fin du iv" siè- 
cle, par les orthodoxes pour signifier l'union entre 
eux des membres de la vraie Église universelle 2. 

1. HiLAiRE, In psalm. GXXI, 10; GXXIV, 3; CXXVIH, 29. 

2. Y. sur ce point D. G. Morin, • Sanctorum eommunionem », dans la 
Revue d'hist. et de littér. relig., IX, 1904, J. P. Kirsch, Die Lehre von der 
Gemeinschafl de}' Heiligen im christil. Alterthum, Mayence. 1900. 



300 HISTOIRE DES DOGMES. 

Mais venons plus précisément à l'Eglise de la terre, 
à rÉo-lise militante. 

A Toccasion du schisme de Novat, saint Cyprien 
avait déjà proclamé avec force que cette Kglise doit 
être une, et qu'elle est établie sur l'épiscopat groupé 
autour du siège de Rome. Le schisme donatiste allait 
amener saint Optât, puis saint Augustin, à préciser 
encore et à développer ces idées. L'ecclésiologie latine 
est, en grande partie, une création des africains. 

On se rappelle quelle était, sur l'Eglise, l'erreur des 
donatistes. Confondant le corps et l'âme de l'Église, 
l'église visible et l'église invisible, ils prétendaient, 
comme les novatiens, que l'Église même visible ne 
pouvait comprendre que des justes, et que le péché 
grave suffisait à en exclure. La grande marque de 
l'Église pour eux était la sainteté. Cette sainteté, ils 
ne la trouvaient naturellement que dans leur secte : 
celle-ci était donc la seule vraie Église. 

L'évéque Parménien, combattu par saint Optât, 
avait cependant énuméré quelques autres caractères 
ou notes de la vraie Église : c'étaient 1° la chaire, c'est- 
à-dire le siège épiscopal; 2° Vange, c'est-à-dire le fait 
de posséder un évêque légitime, ou, d'une façon plus 
générale, le pouvoir de dispenser les choses saintes ; 
3° V Esprit donné aux chrétiens par Dieu ou par ses 
ministres; 4° la source {forts), par où il faut entendre 
la vraie foi, ou peut*ètre le baptême dans lequel on la 
professe; 5° le sceau ou Vanneau [sigillum, annulus), 
probablement le baptême qui scelle la vraie foi et en 
marque le croyant; 6° enfin VoDibilic, c'est-à-dire l'au- 
tel, la vraie eucharistie ou le vrai culte ^. Optât rejette 
ce dernier caractère comme note de la vraie Eglise 
(ir, 8) ; il accepte les cinq autres, et s'efforce de mon- 

i. OPTAT, II, 2, 6-8, 



LA THÉOLOGIE LATINE AU IV« SIECLE. 301 

trer qu'on ne les trouve que cliez les catholiques ; mais 
toute sa façon d'en traiter montre avec évidence qu'il 
reconnaît surtout deux grandes notes delà vraie Eglise, 
la catholicité et l'unité. 

La catholicité : « Ubi ergo erit proprietas catholici 
nominis, cum inde dicta sit catholica, quod sit rationa- 
bilis etubique diffusa? » (ii, 1). L'Église doit être catho- 
lique, parce que Dieu a promis à son fils l'héritage de 
toutes les nations, et que c'est par l'Église que le 
Christ en devient le maître. « Concedite Deo ut hortus 
eius sit longe lateque diffusus » (ii, 11). 

L'unité. Saint Optât distingue avec soin entre le 
schisme et l'hérésie (i, 10, 12, etc.). Celle-ci altère le 
symbole et va contre la foi; celui-là rompt l'unité de la 
communion et détruit la charité. Or, cette unité de 
son Église, Jésus-Christ l'a voulue. Pour cela il a fait 
de Pierre le prince des apôtres; il lui a donné à lui, le 
premier, la chaire épiseopale de Rome, à lui seul le 
pouvoir des clefs. C'est en cette chaire unique — c'est- 
à-dire par. la communion avec elle — que l'unité doit 
être gardée ; qu'elle devait être gardée par les apôtres 
mêmes qui ne devaient point élever chaire contre 
chaire, la leur contre celle de Pierre, puisque au fond 
il ne doit dans l'Eglise y en avoir qu'une. Ce pouvoir 
des clefs, conféré à Pierre, devait être communiqué 
aux autres apôtres, mais d'abord il l'a reçu seul : 
« Igitur negare non potes scire te in urbe Roma Petro 
primo cathedram episcopalem esse conlatam, in qua 
sederit omnium apostolorum caput Petrus; unde et 
Cephas est appellatus : in qua una cathedra unitas ab 
omnibus servaretur, ne ceteri apostoli singulas sibi 
quisque defenderent, ut iam scismaticus et peccator 
esset qui contra singularem cathedram alteram coUo- 
caret » (ii, 2; cf. 6, 9). « Bono unitatis, beatus Petrus, 
cui satis erat si, post quod negavit, solam veniam con- 



302 HISTOIRE DES DOGMES. 

sequeretur, et praeferri apostolis omnibus meruit, et 
claves regni caelorum. communicandas ceteris solus 
accepit » (vu, 3). Nous retrouvons ici, mais renforcés 
encore, les idées et le langage de saint Cyprien sur 
l'unité de l'Église. 

Ces principes posés, saint Optât n'a pas de peine à 
prouver que seuls, les catholiques, à l'exclusion des 
donatistes, possèdent cette catholicité et cette unité, 
notes de la vraie Eglise : la catholicité, puisqu'ils sont 
répandus dans le monde entier, tandis que le schisme 
est confiné en Afrique; l'unité, parce qu'ils ont pour 
eux la chaire de Pierre, et que, par elle, ils commu- 
nient avec l'universalité des chrétiens : « Igitur de 
dotibus supradictis cathedra est, ut diximus, prima, 
quam probavimus per Petrum nostram esse » — 
« per cathedram Pétri quae nostra est » (ii, 6, 9). 
— « Cum quo (Siricio) nobis totus orbis commer- 
cio formatarum, in una communionis societate con- 
cordat » (il, 3). Et les donatistes sans doute ont essayé 
d'établir des évêques à Rome; mais ces évêques ne 
siègent pas sur la cathedra Pétri : ce sont des étran- 
gers.^ 

L'Eglise catholique romaine est donc la vraie Eglise ; 
et le fait (ju'elle contient des bons et des méchants, 
des justes et des pécheurs, ne détruit pas cette con- 
clusion, car l'Église est un corpus mixtum. Ce mélange 
a été voulu ou du moins permis par Jésus-Christ lui- 
même, et nous le devons tolérer jusqu'à la fin du 
monde : « Pariter iussit Christus in agro suo per to- 
tum orbem terrarum, in quo est una Ecclesia, et sua 
semina crescere et aliéna... Nefas est enim ut episcopi 
faciamus quod apostoli non fecerunt, qui permissi non 
sunt vel semina separare, vel de tritico zizania evel- 
lere » (vu, 2). 

Cette doctrine du corpus mixtum est aussi celle de 



LA THEOLOGIE LATINE AU IV" SIECLE. 303 

saint Hilaire^ Au contraire, saint Pacien — si son 
texte n'est pas altéré — exclut de l'Église le pécheur 
impénitent : « Quamdiu peccat et non paenitet, extra 
Ecclesiam constitutus est^. » Mais il est d'accord avec 
saint Optât sur l'unité et la catholicité de l'Eglise : 
ce Ergo Ecclesia plénum est corpus et solidum, et toto 
iam orhe diffusum » — « Christianus mihi nomen est, 
catholicus vero cognomen^ ». La catholicité d'ailleurs 
implique l'unité, unité que Jésus-Christ a établie en 
donnant d'abord à Pierre seul le pouvoir des clefs : 
« ad unum, ideo utunitatem fundaret exuno'' ». 

Le iv^ siècle cependant avait vu les empereurs de- 
venir chrétiens, quelques-uns hérétiques, et l'Église 
avait senti plus d'une fois menacée par eux l'indépen- 
dance de sa parole et de son ministère. Les premiers 
dans l'ordre civil et militaire, ces nouveaux chrétiens 
le voulaient être aussi — comme les empereurs à qui 
ils succédaient — dans l'ordre religieux. Par la voix 
des Hosius, des Hilaire, des Martin et des Ambroise, 
l'Église latine repoussa cette prétention. D'Hosius 
saint Athanase a conservé la noble protestation contre 
Constance : « Ne te mêle pas des choses ecclésias- 
tic[ues; et ne nous commande rien en ces matières : 
c'est à toi qu'il convient d'en être instruit par notre 
bouche. Dieu t]a donné l'empire : à nous il a confié ce 
qui regarde l'Église. Et de même que celui qui usur- 
perait ton pouvoir irait contre l'ordre de Dieu, redoute 
aussi, en t'immisçant dans le gouvernement de l'Église, 
de te rendre coupable d'un grand crime : Rendez, 
est-il écrit, à César ce qui est à César, et à Dieu ce 
qui est à Dieu^. » Hilaire et saint Martin protestèrent, 

i. In Matth., XXXIII, 8. 

2. Epîst. III, 4. 

3. Epist.m, 4; 1,4. 

4. Epist. III, H ; I, 4. 

5. Atoxhase, Historia arîanorum ad monachos,Âi. 



304 HISTOIRE DES DOGMES. 

l'un contre le même Constance ^ l'autre — on l'a 
déjà dit — contre l'usurpateur Maxime^; et quant à 
saint Ambroise, on sait avec quelle fierté il reven- 
diqua et maintint vis-à-vis de Théodose et de ses 
successeurs l'indépendance et les droits des évêques 
en matière ecclésiastique : « Quando audisti, clemen- 
tissime imperator, in causa fidei laicos de episcopo 
iudicare^? /> 

L'Eglise est donc, comme telle, indépendante des 
pouvoirs laïques ; mais elle-même a-t-elle un chef vi- 
sible, un évêque plus élevé qui la gouverne. On a vu 
que les Grecs, à l'époque où nous sommes, reconnais- 
saient au siège de Rome une primauté, une autorité 
plus haute à laquelle quelques-uns de leurs évêques 
eurent recours. Si les Grecs eurent cette opinion, on 
peut sans témérité augurer que les Latins abondèrent 
dans le même sens. On a lu plus haut les textes d'Op- 
tat et de Pacien sur les privilèges de saint Pierre. 
Presque tous nos autres auteurs, saint Hiiaire, Victo- 
rin, saint Ambroise, l'Ambrosiaster, saint Jérôme 
parlent de même : Pierre est le fondement de l'É- 
glise, préposé à son gouvernement, le prince des 
apôtres, celui qui a reçu une autorité exceptionnelle, 
la primauté , qui a été établi chef pour couper court 
à toute tentative de schisme''. « Ubi ergo Petrus, 
conclura saint Ambroise, ibi Ecclesia; ubi Ecclesia, 
ibi nulla mors , sed vita aeterna ^ ». Et saint Jérôme ; 



i. HiLAinE, Ad Constantium augustu7n, 1, 1. 

2. SuLPiCE SÉvÈBE, Historia sacra, II, 50. 

3. Epist. XXI, 4; LVII, 8; cf. Sermo contra Auxentîum, 3 (P. i., XVI, 
1008). 

4. lliLAiRE, In psalm. CXXXI, 4; In Malth., VII, 6; XVI, 7; Victorin, 
In epist. ad Galat., I, IS, col. iiSS A B; Ambhoise, In psalm. XLIII, 40; 
De fide, IV, 5G (le passage De incarnat, domin. sacrum., 32, n'infirme 
pas ces assertions); Ambrosuster, In epist. II ad Corinth,, XII, H; 
JÉRÔME, Adv. lavinianum, I, 2C. 

5. In psalm. iL, 30. 



LA THÉOLOGIE LATINE AU IV" SIECLE. 305 

« Si quis cathedrae Pétri iungitur, meus est ^ . » 
Or cette chaire de Pierre est à Rome ; et saint Optât 
en concluait qu'être hors de la communion romaine 
équivaut à se trouver hors de l'Eglise. Saint Ambroise 
et saint Jérôme ne parlent pas autrement, mais en 
mettant plus en relief, ce semble, l'autorité juridiction- 
nelle de ce centre d'unité. Leurs textes sont classi- 
ques : « Totius orbis romani caput romanam Eccle- 
siam atque illam sacrosanctam, apostolicam fidem, 
ne turbari sineret, obsecranda fuit clementia vestra; 
inde enim in omnes venerandae communionis iura 
dimanarunt^ ». — « Ego nullum primum nisi Chris- 
tum sequens, beatitudini tuae, id est, cathedrae Pétri, 
communione consocior : super illam petram aedifica- 
tam ecclesiam scio. Quicumque extra banc domum 
agnum comederit, profanus est... Quicumque tecum 
non colligit, spargit, hoc est, qui Christi non est Anti- 
christi est^ ». D'où saint Ambroise conclut encore 
qu'être en communion avec l'Église de Rome, c'est 
l'être avec l'iiglise catholique, et que les novatiens ne 
sauraient posséder l'héritage de Pierre puisqu'ils n'en 
possèdent pas le siège ''. 

A Rome, on le conçoit, et plus qu'ailleurs, on a 
conscience de cette situation, et on le montre par les 
faits. Dans sa lettre aux eusébiens, le pape Jules leur 
déclare qu'il reste, malgré leur condamnation, en 
communion avec Marcel d'Ancyre ; il blâme générale- 

• 

1. Epist. XVI, 2. 

2. Ambroise, Epist. XI, 4. 

3. JÉRÔME, Epist. XY, 2; CXXX, 16; Apologia adv. libr. Ruftni, I, 4. 
Dans la lettre à Evangelus (Epist. CXLYI, 1), qui contient plus d'une 
boutade, saint Jérôme écrit que « si l'on considère l'autorité, celle de 
l'univers est plus grande que celle de Rome •, que tous les évêques 
ont même mérite et même sacerdoce, que tous sont successeurs des 
apôtres. Ces paroles, pour avoir besoin d'être interprétées, ne détrui- 
sent pas ce que l'auteur a dit ailleurs. 

4. De excessu fratris sui Satyri, I, 47; De paenitentia, I, 33 



806 HISTOIRE DES DOGMES. 

ment toute leur conduite, et, en appelant à l'autorité 
de saint Paul et de saint Pierre, il reproche en parti- 
culier aux adversaires d'Athanase d'avoir traité l'af- 
faire du patriarche d'Alexandrie sans l'avoir prévenu 
par écrit lui, évêque de Rome, « comme c'est l'usage » 
en pareil cas*. Damase, écrivant aux évêques orien- 
taux à propos d'Apollinaire et de Timothée, donne à 
ces évêques le nom de fils très honorés (filii honora- 
tissimi) et non pas de frères, et les félicite de la défé- 
rence qu'ils ont pour le siège apostolique^. Siricius 
parle du soin de toutes les églises qui lui incombe ^. 
Innocent répondant, en 417, aux évêques des synodes 
de Milève et de Carthage, leur rappelle que toute cause 
même agitée dans les provinces les plus éloignées ne 
peut être terminée sans que le siège apostolique en 
ait pris connaissance et en ait confirmé le jugement ; 
que toute question, surtout s'il s'agit de la foi, doit 
être soumise au successeur de Pierre, pour qu'il indi- 
que quelle est la doctrine à suivre. C'est là Vantîqua 
regulae forma, « quam toto semper ab orbe mecum 
nostis esse servatam ^ » . Même attitude et plus mar- 
quée encore s'il se peut dans Zosime ^. Et autour des 
papes, les empereurs font preuve du même sentiment 
de l'autorité romaine. C'est à un concile romain, sous 
Miltiade, que Constantin, sollicité par les donatistes 
d'examiner leur cause, en confie d'abord le jugement. 
C'est la foi de Rome et d'Alexandrie que Théodose 
déclare d'abord vouloir suivre, avant de convoquer le 
second concile général ^. 

i. Ap. Athanasé, Apologia contra arianos, 32, 33 

2. Ap. TiiÉoDORET, Hist. eccL, V, 40. 

3. Epist. YI, i (P. L., xni, 1164). 

i. Epist. XXIX, 4 ; XXX, 2 (P. L., XX). 

5. Epist. XII, 1. 

6. Codex Theodos'.j XVI, 1,2. V. le texte dans Harnack, Lehrb. der 
Dogmengesch., II, p. 272, note 4. 



LA THEOLOGIE LATINE AU IV SIECLE. 307 



§ 8. — Les sacrements. Le baptême. 
La confirmation *. 

L'Eglise latine du iv^ siècle connaissait — nous le 
verrons en détail — tous les rites producteurs de la 
grâce que nous appelons des sacrements. Ce nom 
néanmoins — ou celui emprunté aux Grecs de mys- 
tères — était plus spécialement réservé aux trois rites 
de l'initiation chrétienne, le baptême, la confirmation 
et l'eucharistie. C'est d'eux uniquement qu'ont parlé 
saint Ambroise dans son De mysteriis, et l'auteur du 
De sacramentis; et c'est en en traitant qu'ils ont émis 
les quelques idées générales, pouvant s'appliquer à 
tous les sacrements, que nous recueillons dans leurs 
œuvres. 

Ces deux auteurs distinguent d'abord fort bien le 
rite lui-même de la grâce qu'il produit dans celui 
auquel on l'applique^; bien plus, l'idée de symbole 
efficace ne leur est pas étrangère ; le rite — dans l'es- 
pèce l'eau ou l'ablution — est la figure de la purifica- 
tion intérieure qui est le résultat du baptême ^; dans 
l'eucharistie, ce que l'on voit après la consécration 
n'est qu'un signe de ce qui est en réalité ''. Mais, où 
leur conception devient confuse, c'est dans la déter- 
mination de ce qui constitue le sacrement proprement 
dit. Par le même procédé que les Grecs, ils veulent 
établir un parallélisme entre l'eucharistie et le bap- 
tême : l'eucharistie, sacrement fixe, se trouve réalisée 
par la prononciation des paroles de l'institution sur le 
pain et le vin : dès lors le sacrement existe ; il faut 

1. Y. p. PounnAT, La théologie sacramentaire, Paris, 1907. F. J. Doelger, 
Dàs Sakrament der Firmung, Vienne, 1906. 

2. Ambroise, De mysteriis, 8, 11, 20; De sacramentis, 1, 10. 

3. Ambroise, In Lucam, U, 79. 

4. Ambroise, De mysteriis, SO, 52, 54; De sacramentis, IV, 14-16. 



308 HISTOIRE DES DOGMES. 

seulement l'appliquer. De même nos auteurs veulent 
que la bénédiction des eaux baptismales, bénédiction 
qui a pour effet de les sanctifier par la descente en 
elles du Saint-Esprit, en fasse un principe sanctifica- 
teur que l'administration du sacrement ne fera pour 
ainsi dire qu'appliquer. La formule de bénédiction de 
l'eau est à celle-ci, toute proportion gardée, ce que la 
formule de la consécration est au pain et au vin eucha- 
ristiques. Sans elle on aurait de l'eau ordinaire, vide 
de l'Esprit-Saint, impropre par conséquent à produire 
aucun effet de salut. Le sacrement de baptême se com- 
pose donc de cette formule, de l'eau, et de l'invoca- 
tion trinitaire : « Aqua enim sine praedicatione domi- 
nicae crucis^ ad nulles usus futurae salutis est : cum 
vero salutaris fuerit crucis mysterio consecrata, tune 
ad usum spiritualis lavacri et salutaris poculi tempe- 
ra tur- ». « Très testes in baptismate unum sunt aqua 
sanguis et Spiritus; quia si in unum horum detrahas, 
non stat baptismatis sacramentum. Quid est enim 
aqua sine cruce Christi? Elementum commune sine 
ullo sacramenti effectu. Nec iterum sine aqua rege- 
nerationis mysterium est... Sed nisi (calecliumenus) 
baptizatus fuerit in nomine Patris et Filii et Spiritus 
Sancti , remissionem non potest accipere peccatorum , 
nec spiritualis gratiae munus haurire ^ » . 

Cependant une question plus pressante appelait, en 
Afrique surtout, l'attention des théologiens. Le dona- 
tisme, renouvelant l'erreur des rebaptisants, affirmait 
que les sacrements ne sauraient être validement con- 
férés en dehoi'S de la vraie Église, et par un ministre 

i. La bénédiction de l'eau se faisait par une prière accompagnée de 
signes de croix. Y. Duchesse, Origines du culte chrétien, p. 299 suiv. 

2. Ambboise, De mysteriis, 14, 19, 20; Dp- Spiritu Sanclo, I, 77, 88. De 
sacramentis, I, 13 : c Non saaat aqua, nisi Spiritus descendent et 
aquain illam consecraverit. • 

3. Ambroise, De mysteriis^ 20. 



LA THÉOLOGIE LATINE AU IV« SIÈCLE. 309 

notoirement indigne. C'était faire dépendre l'existence 
du sacrement et la production de la grâce de la valeur 
morale de celui qui appliquait le rite sacramentel. La 
question fut examinée ex professa par saint Optât. 

Il la traite plus spécialement en s'occupant du bap- 
tême, mais il étend lui-même ses conclusions à la confir- 
mation (vu, 4), et du reste il parle d'une façon générale. 
Remarquons seulement que, nulle part, saint Optât, 
pas plus que saint Cyprien, ne fait la distinction de la 
validité et de Vefficacité du sacrement, et qu'il en 
résulte parfois un peu de confusion dans son langage. 
Ceci posé, il y a, dit-il, trois facteurs [species] à dis- 
tinguer dans le baptême : la formule trinitaire avec 
laquelle on le confère ; le croyant qui le reçoit ; celui 
qui l'administre ; mais ces trois facteurs n'ont pas la 
même importance : deux sont nécessaires ; le troisième 
est seulement quasi nécessaire. L'invocation trinitaire 
occupe le premier rang : rien ne peut se faire sans 
elle ; vient ensuite la foi du sujet qui reçoit le baptême ; 
quant à la personne du ministre, « vicina est, quae 
simili auctoritate esse non potest ». Le baptême est 
comme un corps qui a des membres, des éléments 
déterminés, invariables, qui ne sauraient changer. Or 
la personne du ministre ne fait point partie de ces 
éléments immuables : ils sont donc indépendants de 
lui. D'autre part, les sacrements sont saints par eux- 
mêmes, non par les hommes qui les donnent (sacra- 
menta per se esse sancta, non per homines). Et pour- 
quoi? Parce que ces hommes ne sont que les ouvriers 
et les ministres de Dieu, les instruments de Jésus- 
Christ, ministre principal du baptême ; ils ne sont pas 
les maîtres du sacrement qui est chose divine, ils ne 
font qu'en poser le rite. C'est Dieu qui purifie Tâme, 
qui la sanctifie, et non pas l'homme. 

Et dès lors tombe l'objection répétée par les dona- 



310 HISTOffiB DES DOGMES. 

tistes : « Qui non habet quod det, quomodo dat? »; 
car ce n'est pas l'homme qui donne, mais Dieu lui- 
même dont il tient la place'. « Omnes qui baptizant 
operarios esse non dominos... Concedite Deo prae- 
stare quae sua sunt. Non enim potest id munus ab 
homine dari quod divinum est... Deus layat, non 
homo... Dei est mundare, non hominis... Ipse est ergo 
qui dat; ipsiûs est quod datur » (v, 4; cf. v, 7). « Pro- 
missum erat temporibus nostris, ut ipse (Christus) 
daret quod hodie datur... baptizabat quidem, sed per 
manus apostolorum quibus leges baptismatis dede- 
rat... In hac re omnes discipuli eius sumus, ut nos 
operemur, ut ille det qui se daturum esse promisit » 
(v, 5). « Si, ut vultis, homo dat, Deus vacat, et si Deus 
vacat et apud vos est omne quod dandum est, ad vos 
sit conversio : quos baptizatis in nomine vestro tin- 
gantur » (v, 6) <. 

L'action du sacrement vient donc principalement 
de la Trinité qui y est invoquée : « Nomen est quod 
sanctificat, non opus » (v, 7). La foi du sujet y joue 
cependant un rôle capital, elle aussi, au moins en ce 
qui regarde l'efficacité du sacrement, car elle est une 
condition de l'intervention de Dieu. On a pu même se 
demander si saint Oplat ne rejetait pas d'une manière 
générale comme invalide le baptême des hérétiques, 
faute de vraie foi dans le sujet ou le ministre, et quel- 
ques passages de son ouvrage^ paraissent en effet 
l'insinuer. Quoi qu'il en soit, il n'hésite pas en ce qui 
regarde le baptême des simples schismatiques et pé- 
cheurs manifestes. Le baptême conféré par eux est 
valable, et ne doit point se renouveler (v, 3). Comme 



i. Et voyez Saint Ambroise, De Spiritu Sancto, 1, 18; De mysteriis, 

27. 

2. 1, 10, col. 899, 90S; V, 1, col. 1046. Voir aussi saint Pacien, Epist, 
III, 3, 2-2. 



LA THÉOLOGIE LATINE AU IV SIÈCLE. 311 

ils ne. dispensent point eux-mêmes la grâce, ils ne 
sauraient non plus empêcher Dieu de la donner. 

C'est à l'occasion du baptême surtout, nous l'avons 
dit, que saint Optât développe cette doctrine. Au mo- 
ment où nous sommes, s'il reste encore à propos de ce 
sacrement des incertitudes que nous signalerons, on 
peut dire cependant qu'en général on est fixé, dans 
l'Église latine, sur les conditions dans lesquelles on 
doit l'administrer et sur ses effets. Saint Hilaire dis- 
tingue, outre le baptême d'eau, quatre autres baptêmes, 
celui du Saint-Esprit (quae nos Sancti Spiritus sanc- 
tificet adventu), celui du feu lors du jugement (quae 
iudicii igni nos decoquat), celui de la mort (quae per 
mortis ihiuriam a labe morticinae et societate purga- 
bit), et celui du sang (quae martyrii passione devota 
ac fideli sanguine abluet); le tout d'après Luc, m, 16 
et XII, 50 ^ Saint Ambroise en distinguera un cin- 
quième, le baptême de désir, pouvant suppléer le bap- 
tême d'eau ^. Pour nous en tenir à ce dernier, on en ^ 
les rites décrits et expliqués dans le De mysterîis de 
saint Ambroise (5-28), et dans le De sacramentîs (ii, 
14-24). Ils consistent essentiellement dans l'immersion 
du baptisé dans l'eau préalablement bénite, immer- 
sion accompagnée de la formule trinitaire. Saint Am- 
broise cependant paraît bien admettre dans le De Spi- 
ritu Sancto (i, 42-45), et ce conformément avec saint 
Basile, qu'il suffirait à la rigueur, pour la validité et 
l'efficacité du baptême, de baptiser au nom de Jésus, 
ou au nom d'une des trois personnes divines, pourvu 
d'ailleurs que la foi fût saine, « quia qui unum dixerit 
Trinitatem signavit ^ ». 

1. In psalm. CXVIII, litt. III, 5. Cf. In Matth., II, 4. 

2. De obitu Vatentiniani, 51-S3. 

3. € Si Christom dicas et Deum fatrem a quo unctus est Fillus, et 



312 HISTOIRE DES DOGMES. 

Notons seulement qu'à Milan et en Gaule, la céré- 
monie du baptême était suivie du lavement des pieds, 
rite auquel on attribuait la remise des haereditaria 
peccata, c'est-à-dire vraisemblablement une certaine 
purification et diminution de la concupiscence *. 

En dehors du martyre et — saint Ambroise le croit 
et l'espère — du désir sincère du baptême, le baptême 
d'eau était regardé comme absolument nécessaire pour 
le salut". Les enfants eux-mêmes — qui d'après Zenon 
reçoivent aussi bien que les adultes ses effets de grâce ^ 
— ne peuvent sans lui entrer dans le royaume des 
cieux^. Ce baptême est d'ailleurs unique; validement 
conféré, il ne saurait se renouveler^. Or le concile 
d'Arles de 314 avait décidé contre les Africains que , 
même conféré par des hérétiques, le baptême ne de- 
vait pas se réitérer s'il avait été donné au nom du Père, 
du Fils et du Saint-Esprit^. Le texte du canon cepen- 
dant ne levait pas toute difficulté, et l'on pouvait se 
demander encore si une foi saine en cette Trinité invo- 
quée, soit de la part du ministre , soit surtout de la 
part du sujet, n'était pas requise pour l'existence et 
l'efficacité du sacrement'^. Qu'elle fût requise pour son 
efficacité, de la part du sujet, la chose n'était pas dou- 
teuse, et c'est au moins dans ce sens qu'il faut in- 

ipsum qui unctus est, Filium, et Spiritum sanctum quo unctus est de- 
signasti... Et si Patrem dicas, et Filium eius et Spiritum oris eius pari- 
ter indicasti ; si tamen id etiam corde comprehendas. Et si Spiritum 
dicas, et Deum Patrem, a quo procedit Spiritus, et Filium, quia Filii 
quoque est Spiritus, nuncupasti » (De Spir. Sancto, I, 44). 

1. Ambroise, De mysteriîs, 3!, 32; De sacramentis, m, 4-7. Cf. supra 
Viniquitas calcanei de saint 4mbroise. 

2. Ambroise, In psalm. CXVIÎI, sermo ni, 14; De mysteriis, 20; EpisU 
VII, 20. 

3. Tract. I, 13, 11 ; cf. II, 43, 1. 

4. Ambroise, De Abraham, ir, 84. 

5. ZENON, Tract. II, 36 ; Ambroise, In Lucam, VIII, 78. 

6. Canon 8. 

7. V. la lettre de Silice à Himerius de Tarragone, Epist, I, 2, P. L., 
XIII, col. 1133. 



LA THÉOLOGIE LATINE AU IV SIÈCLE. 31î 

terpréter le passage de saint Ambroise, De Spiritû 
SanciOj i, 42, où il déclare « vide » toute la cérémonie 
du baptême, si, tout en les nommant, on diminue dans 
sa pensée la dignité du Père, du Fils ou du Saint 
Esprit. Mais il est possible que l'évêque de Milan aille 
plus loin, et qu'influencé ici par saint Basile, à qui il 
emprunte les éléments de son traité, il nie, au cas 
d'hérésie trinitaire du sujet ou du ministre, même la 
validité du sacrement. N'oublions pas que validité et 
efficacité n'étaient pas encore nettement distinguées 
l'une de l'autre. 

Le baptême est régulièrement administré par l'évê- 
que, mais souvent aussi, dans les églises de campagne, 
par de simples prêtres ou des diacres ^ . Les plus petits 
enfants peuvent le recevoir 2. Nos auteurs s'étendent 
surtout sur les effets qu'il produit. Ce baptême efface 
nos péchés, nous dépouille du vieil homme, nous revêt 
de Jésus-Christ et nous régénère; il nous rend les 
temples et les enfants de Dieu, nous communique le 
Saint-Esprit, donne à notre corps l'immortalité et nous 
met en possession de l'héritage céleste ^. 

La collation du Saint-Esprit cependant était plus 
spécialement attribuée au rite de l'imposition de la 
main et de l'onction d'huile parfumée qui la suivait, 
et que nous appelons confirmation. Son existence est 
affirmée par presque tous nos auteurs. En sortant de 
la piscine baptismale, le baptisé recevait d'abord une 



4. JÉRÔME, Dîalog. contra lucîferianos, 9. 

2. ZÉMON, Tract. 1, 13, 11 ; Siricius, Epist. I, 3. 

3. HiLAiRE, In psaltn. LXW, 11; LXVII, 30; LXV, 11; In Matth., H, 6; 
X, 24; ViCToms, In epist. ad Galat., III, 27, col. H"3 B; IV, 19, col. 118i 
B; ZENON, Tract. 1, 12, 4; I, 13, 11 ; II, 14, 4; II, 27, 3; 40; 50; 63; Px- 
ciEN, Sermo de baptismo, 3, 6; Ambroise, In psalm. CXVIII, sermo I, 
17; De Gain et Abel, II, 10; De interpellât. lob, II, S6; De saeramentis, 
III, 1, 2; JÉRÔME, Dialog. contra lucîferianos, 6; Niceta, De symbolo, 10. 

18 



314 HISTOIRE DES DOGMES. 

onction d'huile sur la tête (onction verticale), puis se 
présentait à l'évêque qui lui imposait la main en invo- 
quant l'Esprit septiforme. Au iv' siècle, Tusage s'intro- 
duisit à Rome — plus tard dans les Eglises de rite 
gallican — d'ajouter à cette imposition de la main un 
signe de croix fait au front avec le pouce trempé dans 
le saint chrême ^ Le résultat de cette cérémonie était 
de parfaire le chrétien « quia post fontem superest ut 
perfectio fiât », de faire descendre en lui l'Esprit- 
Saint, de lui imprimer une marque, un caractère, 
a spiritale signaculum », « signaculum quo fides pleno 
fulgeat sacramentel ». Mais précisément, parce que 
ces effets se rapprochaient sensiblement de ceux du 
baptême, saint Jérôme trouvait difficile de justifier 
la nécessité et l'existence même de la confirmation. 
Car le Saint-Esprit était certainement conféré par le 
baptême, puisque les péchés ne pouvaient, dans le 
baptême, être remis que par le Saint-Esprit. Dès lors, 
pourquoi cette nouvelle invocation du Saint-Esprit par 
l'évêque? Saint Jérôme ne savait trop que répondre. 
Il alléguait que cette cérémonie devait rappeler la des- 
cente du Saint-Esprit sur les apôtres après l'ascen- 
sion, et que l'utilité de mettre en relief l'épiscopat plus 
que sa nécessité en autorisait l'usage (ad honorem 
potius sacerdotii quam ad legefn necessitatis)^. Mais 
au fond ses idées étaient confuses : il ne distinguait pas 
l'action sanctificatrice générale des sacrements, œuvre 
rapportée au Saint-Esprit, de la communication spé- 
ciale de la personne divine, fruit de la confirmation''. 



1. V. Galtier, La consignation à Carlhage et à Rome, dans Recherches 
de science religieuse, juillet, 4911; La consignation dans les Eglises 
d'Occident, dans Revue d'Hist. ecclés., janvier 1912. 

2. De sacrameniis, III, 8; Aîibroise, De mysteriis, 41. 

3. Dialog. contra luciferianos, 6, 8, 9. 

4. Notons ici que la réconciliation" des liéréliques validement bapti- 



LA THÉOLOGIE LATINE AU IV SIECLE. 315 



§ 9. — L'eucharistie ^. 

On est frappé avant tout, quand on étudie la tradi- 
tion latine du rv® siècle, de la netteté avec laquelle cette 
tradition affirme la réalité du corps et du sang de 
Jésus-Christ dans l'eucharistie. En ce point comme 
en beaucoup d'autres, la pensée de l'Occident est, si 
l'on peut ainsi parler, assise et fixée. 

Ce n'est pas que l'on ne rencontre, dans saint Jérôme 
surtout qui est unérudit, des expressions vieillies de- 
puis et devenues caduques. Ainsi, le calice est plein 
du type du sang du Seigneur (sanguinis eius imple- 
tur typus) ; la dernière cène est le type de la passion 
(in typum suae passionis) ; dans l'eucharistie, le corps 
et le sang de Jésus-Christ sont montrés (panis do- 
minions quo Salvatoris corpus ostenditur), sont repré- 
sentés (repraesentaret) ; ce corps est l'Église présente 
« quae accipitur in fide, benedicitur in numéro, frangi- 
tur in passionibus, etc. ^ ». Le fragment du canon donné 
par le De sacramenlis parlera aussi de l'offrande « qui 
est la figure du corps et du sang de Notre Seigneur^ ». 
Mais ces façons de s'exprimer, qui s'expliquent d'ail- 
leurs, ne détruisent pas la force du témoignage en fa- 
veur du réalisme, fourni par ces auteurs mêmes. Nous 
les retrouverons dans un instant. Pour saint Optât l' au- 



ses en dehors de l'Église continua de se faire, au iv* siècle, en Occi- 
dent, par l'imposition des mains seule, accompagnée de l'invocation 
du Saint-Esprit (concile d'Arles de 314, canon 8, et Simce, Epist. I, 2, 
P. L., Xin, H33). 

1. V. P. Batiffol, Éludes d'histoire et de théologie positive^ 2« série, 
3«>édit., Paris, 1906. G. Raosches, Eucharistie und Busssakrament in 
der ersten seehs Jahrhunderlen der Kirche, Freiburg im Br., 4908. 

2. Adv. lovinian., II, 17, cf. 5; In leremiam, XXXI, 10; In Matth., 
XXVI, 26; In Marc, XIV, 17 et suiv. Cf. Ambrosiaster, In epist. I ad Co- 
rinth., XI, 26. 

3. De sacramenlis, IV, 21. 



316 HISTOIRE DES DOGMES. 

tel est « sedes et corporis et sanguinis Christi » ; les 
calices sont « Christi sanguinis portatores^ ». Saint 
Hilaire a eu souvent l'occasion de s'expliquer sur ce 
point 2; mais ses textes capitaux se trouvent au De tri- 
nitaie, vin, 13, 14, 16. Il y veut prouver l'unité phy- 
sique et non pas seulement morale du Fils avec le Père 
par l'union physique et naturelle du Verbe avec l'hu- 
manité dans l'incarnation, et par l'union physique et 
naturelle de Jésus-Christ avec nous dans la commu- 
nion. Jésus-Christ est aussi véritablement en nous 
qu'il a véritablement pris chair « vere sub mysterio 
carnem corporis sui sumimus ». Puis, citant saint 
Jean, vi, 56, 57, Hilaire continue : « De veritate carnis 
et sanguinis non relictus est ambigendi locus. Nunc 
enim et ipsius Domini professione et fîde nostra vere 
caro est, et vere sanguis est. Et haec accepta atque 
hausta id efficiunt ut et nos in Christo, et Christus in 
nobis sit. Anne hoc veritas non est?... Est ergo in no- 
bis ipse per carnem et sumus in eo ». Victorin et Zenon 
présentent des allusions, sans beaucoup pénétrer dans 
le sujet ^; mais saint Ambroise et l'auteur du De sa- 
cramentis sont aussi explicites que possible, et saint 
Jérôme ne leur cède pas sur ce point. Il écrit que l'é- 
vêque et les prêtres « Christi corpus sacro ore con- 
ficiunt'' »; qu'à la cène, Notre Seigneur était à la fois 
« ipse conviva et convivium, ipse comedens et qui co- 
meditur^ », et que, dans l'eucharistie, nous recevons 
son corps et son sang^. 

1. VI, 1,2; cf. II, 19, 

2. Par exemple, In Malth., XIV, II; In p&alm. CXXYII, 6; Contra 
Constant, imperator., 11. 

3. ViCTORis, Adv. Arium, I, 30, col. 1033 B; II, 8,' col. 1094 C; ZÉsos, 
Tract. H, 38; II, 53; I, S, 8. 

4. Epist. XIV, 8; LXIV, S. 

5. Epist. CXX, 2. 

6. iJiAfaWA., XXVI,2î; Epist. CXX, ■*, LXXXII, 2; In Ezechiel., XLI, 
« suiv.; In Epist. adEphes., I, 7. 



LA THEOLOGIE LATINE AU IV SIECLE. 317 

Ce corps et ce sang sont donc réellement présents 
dans l'eucharistie. Saint Jérôme, dans deux passages, 
semble attribuer à l'épiclèse une part au moins dans 
la consécration ' . Saint Ambroise et le De sacra- 
mentis enseignent au contraire expressément que 
les paroles de l'institution réalisent le changement 
sacramentel 2. Quel changement? L'un et l'autre ré- 
pondent sans hésiter, la conversion du pain et du 
vin au corps et au sang de Jésus-Christ, Cette conver- 
sion eucharistique est le fait d'une puissance infinie, 
elle est l'effet d'un acte divin. Il n'y a donc pas à se 
demander comment elle s'opère, mais seulement à 
constater que ce changement substantiel ne dépasse 
pas l'énergie créatrice et transformatrice de Dieu : 
a Forte dicas : Aliud video, quomodo tu mihi asseris 
quod Christi corpus accipiam?.., Probemus non hoc 
esse quod natura formavit, sed quod benedictio con- 
secravit, maioremque vim esse benedictionis quam 
naturae; quiabenedictione etiam natura ipsa mutatur ». 
Sur ce, saint Ambroise apporte l'exemple de la verge 
de Moyse changée en serpent, de l'eau changée en 
sang, et d'autres miracles modifiant les propriétés des 
êtres, puis il continue : 

Quod si tantum valuit humana benedictio ut naturam con- 
verteret, quid dicimus de ipsa consecratione divina, ubi verba 
ipsa Domini Salvatoris operantur? Nam sacramentum istud 
quod accipis Christi sermone conficitur. Quod si tantum valuit 
sermo Eliae ut ignem de caelo deponeret, non valebit Christi 
sermo ut species mutet elementorum ?. . . Sermo ergo Christi 
qui potuit ex nihilo facere quod non erat, non potest ea quae 
sunt in id mutare quod non erant?... Ipse clamât Dominus 
lesus : Hoc est corpus meum. Ante benedictionem verborum 
caelestium alia species nominatur ; post consecrationem corpus 

1. Epist. CXLVI, 1 ; In Sophon., III, 7. 

2. Ajibroise, De mysteriis, 52, 5i; De sacramentis, IV, 14, 23. 

18, 



318 HISTOIRE DES DOGMES. 

signifieatur, Ipse dicit sanguinem suum. Ante consecrationem 
aliud dicitur, post consecrationem sanguin nuncupatur. Et tu 
dicis : Amen, hoc est, verum est. Quod os loquitur mens in- 
terna faiteatur j quod sermo sonat aiTectus seutiat i. 

On a pu remarquer dans ces paroles l'expression 
très nette de la conversion substantielle : Benedic- 
tione etiam natura ipsa mutatur... non valehit Chrisii 
sermo ut species mutet elemeniorum?... quae sunt in 
id mutare quod non erant. La même précision se re- 
trouve dans le De sacramentis, dont l'auteur a d'ail- 
leurs sans aucun doute utilisé et presque copié parfois 
saint Ambroise. 

Tu forte dicis : Meus panis est usitatus. Sed panls iste panis 
est ante verba sacramentorum : ubi accesserit consecratio, de 
pane fit caro Cliristi... Si ergo tanta vis est in sermone Domini 
lesu ut inciperent esse quae non erant, quànto magis operato- 
rius est ut sint quae erant, et in aliud commutentur... Ergo 
didicisti quod ex pane corpus fiât Christi, et quod vinum et 
. aqua in calicem mittitur : sed fit sanguis consecratione verbi 
caelestis... Antequam consecretur, panis estj ubi autem verba 
Christi accesserint, corpus est Christi... Et ante verba Christi 
calix est vini et aquae plenus : ubi verba Christi operata fue- 
rint, ibi sanguis Christi efficitur, qui plebem redemit. Ergo 
videte quantis generibus potens est sermo Claristi universa con- 
vertere 2. 

. La doctrine de l'église de Milan et de celles qui en 
dépendaient semble donc très claire vers la fin du 
IV* siècle^. Saint Ambroise la précise encore en ob- 
servant que le corps eucharistique de Jésus-Christ est 
bien son corps historique : « Et hoc quod conficimus 
corpus ex Virgine est... Vera utique caro Christi quae 
crucifîxa est, quae sepulta est : vere ergo carnis illius 



1. AiinnoisE, De mysterits, 50-54. 

2. De sacramenlis, IV, 14-16, 19, 23 ; et cf. 23, VI, 2-4. 

3. Les objections que M. Loofs a voulu tirer contre la doctrine ds 



LA THÉOLOGIE LATINE AU IV SIÈCLE. 31& 

sacramentum est^ ». Cela n'empêche pas ce corps 
d'être une nourriture spirituelle; car, puisqu'il est le 
corps de Jésus-Christ, il est un corps spirituel, le 
corps du Verbe qui est esprit 2, L'évêque de Milan ne 
vise pas ici précisément le mode d'être du corps dans 
l'eucharistie, mais plutôt son efficacité sanctifiante. 

C'est encore dans saint Ambroise et dans le De sa- 
cramentis que nous trouvons le plus de détails sur la 
communion, ses conditions et ses effets. Ce dernier 
ouvrage recommande la communion fréquente, quoti- 
dienne, et blâme les Grecs qui ne communient qu'une 
fois l'an^. C'est pour n'être pas privé de cette divine 
nourriture sans doute, que les fidèles l'emportaient et 
la gardaient chez eux^. Mais cette communion exige 
une préparation. Si saint Jérôme aurait désiré qu'on 
s'y préparât par l'abstention de l'œuvre conjugale^, 
nos autres auteurs requièrent au moins une conscience 
pure : ils insistent sur la condamnation qu'encourt le 
sacrilège^. Quant aux fruits de la communion, le pre- 
mier et le plus grand est de nous faire entrer par 
sa chair en participation de la' divinité du Sauveur : 
« Quia idem Dominus noster lesus Christus consors 
est et divinitatis et corporis : et tu, qui accipis car- 
nem, divinae eius substantiae, in illo participaris ali- 
mento ' » ; puis de nous donner la vie, la vie surna- 
turelle , la vie éternelle , de remettre nos péchés , de 

saint Ambroise du De ^de, IV, 124, et du commentaire sur le psaume 
XXXVin, 23, n'ont aucune valeur. V. Batiffol, Op. cit., p. 289 suiv. 
4. De mysteriis, S3. 

2. De mysteriis, (58. 

3. V, 23 : • Acclpe quolidie quod quotidie tibi prosit. Sic vive, ut 
quotidie merearis accipere ». Cf. Jérôme, Epist. XLVni, IS. 

4. ZENON, Tract. I, S, 8. 

5. Epist. XLVII, 15. 

6. ZÉNOx, Tract. I, IS, 6; Ambroise, De paenitentia, II, 87; Ambrosias- 
TEK, In epist. lad Corinth., XI, 27-29. 

7. De sacramentis, YI, 4; cf. Hilaire, De trinit., VIII, 13 



320 HISTOIRE DES DOGMES. 

nous faire produire des œuvres de salut, et de nous 
combler de la joie céleste ^ . 

Mais l'eucharistie n'est pas seulement un sacrement, 
elle est aussi un sacrifice. Cette qualité lui est aussi 
souvent reconnue par nos auteurs ^ ; et l'on sait que le 
De sacramentis contient une partie notable du canon 
de la messe latine actuelle (iv, 21, 22, 26, 27): Elle est 
un sacrifice que le prêtre consacre chaqae jour^, qu'il 
offre, mais que Jésus-Christ offre par ses mains''; 
un sacrifice où Jésus-Christ est immolé, et qui est la 
commémoraison ou la reproduction de celui de la 
croix ^. 

§ 10. — La pénitence^ et les autres sacrements. 

Nous avons du iv* siècle, sur la pénitence, deux 
traités latins spéciaux : le De paenîtentia de saint 
Ambroise, écrit vers 384, et le Libellas exhortatorius 
ad paenitentiam de saint Pacien, auquel on peut ajouter 
ses épîtres ï et m. Mais d'autres auteurs, saint Hilaire 
et saint Jérôme en particulier, s'en sont occupés, et 
l'on peut, en complétant ces divers documents l'un 
par l'autre, retrouver en partie du moins l'idée qu'on 
se faisait alors en Occident de la discipline péniten- 
tielle. 



1. Hilaire, In psalm. CXXVII, 10; Ambroise, De benedictionib. pa- 
triarcharûm, 39; In Lucam, X, 49; De sacramentis, V, li-l". 

2. ZÉKON, Tract. I, 5, 8; I, IS, 6; Ambroise, In psalm. CXVIII, seritio 
"Vni, 48; In Lucam, VII, 43; Jérôme, In Matth., XXVI, 2G; Epist. 

CXX, 2. 

3. Ambroise, De benedîct. patriarch., 38. 

4. Ambroise, In psalm. XXXVIII, 25. 

5. Ambrosuster, In epist. I .ad Corinth., XI, 23-26; Jérôme, Epist. 
CXrv, 2; Ambroise, Defide, IV, 124; In Lucam, I, 28. 

6. Voir P. Batiffol, Etudes d'Histoire et de théologie positive, pre- 
mière série, 5» édition, pp. 145-160. G. Rauschen, Eucharistie und 
Busssakrament in den ersten sechs Jahrhunderlen der Kirche, Freiburg 
im Br., 1908. 



LA THÉOLOGIE LATINE AU IV SIECLE. 321 

Les rigoristes novatiens avaient nié la possibilité de 
faire pénitence au moins de certains péchés, et le droit 
de l'Église de les remettre. A l'un d'eux, Sympronia- 
nus, Pacièn adresse ses lettres i et m. Il y enseigne 
que l'on peut faire pénitence et obtenir son pardon 
(i, 5); que tous les péchés peuvent être remis (m, 12); 
que ce pardon, les évêques ont le droit de le donner, 
parce qu'ils ont reçu le droit de lier et de délier (r, 6; 
III, 7), non pas qu'ils le fassent comme auteurs pre- 
miers et en leur propre vertu, mais parce qu'ils agis- 
sent comme ministres de Dieu : « Solus hoc, inquies, 
Deus poterit. Verum est, sed et quod per sacerdotes 
suos facit, ipsius potestas est » (i, 6; m, 7). Ce pou- 
voir n'est pas attaché à leur sainteté personnelle ; il 
découle tout entier ex aposiolico iure (i, 7); et il est 
bien distinct du pouvoir de remettre les péchés dans 
le baptême (m, 11). 

Ces idées sont à" peu près celles qu'a émises saint 
Ambroise. Lui aussi commence par établir contre les 
novatiens la possibilité et l'efficacité de la pénitence, 
le pouvoir des prêtres de remettre les péchés; pouvoir 
qui n'est qu'emprunté, et dans l'exercice duquel ils ne 
sont que l'instrument de Dieu et de la Trinité : « Ecce 
quia per Spiritum sanctum peccata donantur, Ho- 
mines autem in remissionem peccatorum ministerium 
suum exhibent, non ius alicuius potestatis exercent. 
Neque enim in suo, sed in Patris et Filii et Spiritus 
sancti nomine peccata dimittunt^ ». 

Ces principes posés, comment doit se faire la péni- 
tence; par quels moyens peut-on obtenir le pardon de 
ses péchés? Ici, saint Pacien distingue dans son Libel- 

l. De Spiritu Sancio, III, 137; De paeniL, I, 7, 36, 37; In psalm. 
XXXVIII, 37, 33; CXVIir, sermo X, 17 ; De Cain elAbel, II, 13. Cf. Hiuire, 
In Matlh., XVIII, 8; jéuôme, Episl. XIV, 8; In Ecclesiasten, XIl, i; In 
psalm. XCV, ap. Mop.is, iir, 2, p. 134. 



322 HISTOIRE DES DOGMES. 

lus entre les peccata et les crimina (3). Les crimina, 
qu'il appelle encore capîtaliay mortalia, sont les trois 
fautes ad mortem, à savoir l'apostasie, le meurtre et 
la fornication, mais de plus, les fautes moindres qui y 
préparent ou s'y rapportent, comme le conseil de tuer, 
î'impudicité quelle qu'elle soit (4, 5). Or, les péchés 
ordinaires se guérissent par les bonnes œuvres con- 
traires (4); mais, pour les crimina, qu'on se garde 
bien, avant d'en avoir fait pénitence, de s'approcher 
de l'eucharistie. La première mesure à prendre est de 
les confesser : « Desinite vulneratam tegere conscien- 
tiam» (6-8; cf. 2, 9). 

Cette distinction, on le voit, est considérable, et elle 
limite singulièrement, malgré l'extension que l'auteur 
donne aux trois péchés mortels, l'objet de l'aveu du 
pénitent. Saint Ambroise se contente de distinguer 
entre les delicta leviora et les delicta graçiora. La 
pénitence publique, qui ne se fait qu'une fois, a pour 
objet les seconds; des péchés moindres et quotidiens 
on doit chaque jour faire pénitence. Gomment? Pro- 
bablement en les rachetant par de bonnes œuvres : 
tt bonis operibus saepe relevantur ^ » . 

Le premier acte de la pénitence officielle et publique 
est donc l'aveu, la confession des péchés. Saint Hilaire 
en parle souvent comme d'une chose nécessaire, comme 
du meilleur remède au morbi lethalium vitiorum; il 
en donne la définition, et ajoute qu'elle inclut le ferme 
propos de ne plus retomber dans le péché ; « Confes- 
sio peccati professio est desinendi^ » ; mais il ne dit 
pas à qui, ni comment elle se doit faire. Zenon ne fait 
que la mentionner 2, et saint Pacien n'est pas plus ex- 



i. De paenitentia, lï, 95; cf. 104; Inpsalm. XLin, 46. 

2. In psalm. CXXXVn, 2, 3; CXXXV, 3; CXVin, litt. III, 49; CXXV, 10. 

8. Tract. II, 39; II, 40. 



LA THEOLOGIE LATINE AU IV SIECLE. 323 

plicite. C'est dans saint Ambroise et saint Jérôme qu'il 
faut chercher des détails plus complets. 

En maint endroit de ses écrits, l'évêque de Milan a 
parlé d'une façon générale de confession des péchés ^ 
Il a encore en vue cette confession à Dieu au De pae- 
niienîi'a, ii, 5, 53, 66. Mais au De paenitentia, ii, 91, 
il parle évidemment d'un aveu fait à un homme, et qui 
doit occasionner de la honte : « An quisquam ferat ut 
erubescas Deum rogare qui non erubescis rogare lio- 
minem? Et pudeat te Deo supplicare quem non lates, 
cum te non pudeat peccata tua homini, quem lateas, 
confiteri? » L'ensemble du texte du même traité, ii, 73, 
donne bien l'impression que cet homme qui reçoit 
l'aveu est l'évêque : « Ac primum da (Domine) ut con- 
dolere norim peccantibus affectu intimo... sed quoties- 
cumque peccatum alicuius lapsi exponitur, compatiar : 
neo superbe increpem, sed lugeam et defleam. » Sans 
doute le mot exponitur ne désigne pas nécessairement 
une confession proprement dite. On peut cependant 
l'éclairer par ce passage de la vie de saint Ambroise 
écrite par Paulin, son contemporain et, semble-t-il, 
son secrétaire : « Erat etiam (Ambrosius) gaudens 
cum gaudentibus, et flens cum flentibus; siquidem 
quotiescumque illi aliquis, ob percipiendam paeniten- 
tiam, lapsus suos confessus esset, ita flebat, ut et illum 
flere compelleret; videbatur enim sibi cum iacente 
iacere. Causas autem criminum quae illi confîtebatur, 
nulli nisi Domino soli, apud quem intercedebaf:, loque- 
batur; bonum relinquens exemplum posteris sacerdo- 
tibus, ut intercessores apud Deum magis sint quam 
accusatores apud homines^ ». Ce témoignage nous 
apprend trois choses : d'abord que l'évêque de Milan 



1. In psalm. XXXVII, 56, S7, 42; XL, 14; De paradiso, 71. 

2. Vita sancti Ambrosii, 39 (P. L., XIY, col. 40). 



324 HISTOIRE DES DOGMES. 

recevait lui-même la confession des pénitents ; puis que 
cette confession était détaillée ; enfin qu'elle était se- 
crète. Saint Ambroise confirme lui-même ce dernier 
point quand il observe que plusieurs, après avoir de- 
mandé la pénitence par crainte des supplices futurs, 
« publicae supplicationis revocantur pudore ^ » . Ils ont 
été effrayés, non par l'aveu nécessaire pour déterminer 
cette publica supplication et qui devait être secret, 
mais par la publicité de l'expiation qui leur avait été 
imposée. D'autre part, Ambroise suppose que les 
« occulta crimina » sont aussi l'objet de la confession 2. 
Nous trouvons donc chez lui la confession détaillée et 
secrète des péchés plus graves même occultes faite à 
l'évêque, discipline milanaise du iv® siècle qui prélude 
singulièrement à celle du moyen âge. Saint Jérôme 
en confirme l'existence surtout en ce qui concerne l'ac- 
cusation détaillée faite aux évêques et aux prêtres. Il 
incombe au confesseur, « cum peccatorum audierit 
varietates », de décider qui doit être lié, et qui délié ^. 
L'aveu des péchés était suivi de l'exomologèse ou 
pénitence proprement dite. Zenon ne fait que la signa- 
ler ■*; saint Pacien, saint Ambroise, saint Jérôme en 
donnent des descriptions qui rappellent celle de Ter- 
tullien. Le pénitent, se tenant hors de l'église, saisit 
les mains des pauvres, implore les veuves, se jette aux 
genoux des prêtres, pour demander les prières de la 
communauté ; il renonce aux relations du siècle, abrège 
son sommeil, l'interrompt par ses prières et par ses 
larmes, se couvre de cendres, en un mot vit comme 
s'il était mort au monde*. Par ces œuvres, le pénitent 

1. Du paenit; II, 86. 

2. De paenit., I, 90. 

3. In Matth., XVI, 19; In Ecclesiasten, XII, 4. 
't. Tract. I, 10, 3 ; II, 14, 4. 

5. PACIEN, Libellus exhortât., 9, 10, 12; Ambroise, De paenitenlia, I, 
&1 ; II, ^G-SO, 91, 9-2, 96; Jérôme, Epist. LXXVII, 4. 



LA THEOLOGIE LATINE AU IV» SIECLE. 325 

paye réellement à Dieu la dette d'expiation et de satis- 
faction dont il est redevable : « Nemo pauper est qui 
Dec débet, nisi qui seipsum pauperem fecerit. Et si 
non liabet quae vendat, habet quae solvat. » — « Ora- 
tio, lacrymae, ieiunia débitons boni census est^. » 
Malgré cela cependant, le pénitent ne doit pas croire 
que son pardon lui est dû tanquam ex debito. Il peut 
l'espérer seulement, car il ne Ta pas proprement mé- 
rité : « Aliud est enim mereri, aliud praesumere^ ». 

Enfin le dernier acte de la pénitence était la récon- 
ciliation du pénitent, la « remissa peccatorum », « pae- 
nitentibus cura^ », qui se faisait solennellement à Rome 
le samedi saint par l'imposition de la main de l'évê- 
que-*. Cette réconciliation avait pour effet de ramener 
dans le pécheur le Saint-Esprit qui s'en était éloigné, 
de rendre ce pécheur à la vie surnaturelle, de le réin- 
tégrer dans l'Eglise par l'admission à la communion ^. 
La sentence qui opérait ainsi la réconciliation était-elle 
purement déclaratoire, c'est-à-dire l'évêque déclarait- 
il simplement que, vu les dispositions du pénitent et 
les prières faites pour lui par l'Église, ses péchés lui 
étaient remis par Dieu, ou bien était-elle effective, 
c'est-à-dire l'évêque remettait-il lui-même les péchés 
du pénitent en vertu du pouvoir que Jésus-Christ lui 
avait donné? Saint Jérôme, en un passage de son com- 
mentaire sur saint Matthieu, xvi, 19^, paraît regar- 
der la sentence comme purement déclaratoire. Son 
texte cependant n'est pas décisif, et il y refuse surtout 



1. ÂMDROisE, De paemt., \\, 81. 

2. AMBnoiSE, De paenil., II, 80. 

3. ZENON, TracL 1, 16, 12; I, 30. 

4. JÉRÔME, Dialog. adv. lucifer.,S; Epist. LXXYII, 4. 

5. JÉRÔME, Dialog. adv. lucifer., 5; AîiniioisE, De paentt., I, 89, 90: 
11,87. 

6. El cf. Dialog adv. lucifer., 8; Ambroise, De Spiritii Sancto, III 
137. 

HISTOIRE DES DOGUES. — K. 19 



32Ô HISTOIRE DES DÔGMEo. 

aux prêtres le pouvoir de juger arMtraîrement, de lier 
rinnocent et de délier le coupable. Ailleurs il accorde 
bien que les clercs, en vertu du pouvoir 'des clefs, Ju- 
gent, en quelque sorte, avant Dieu'^vque la sentence 
de condamnation portée parles apâtres est corroborée 
par la sentence divine; et généralement que tout ce 
qu'ils ont lié sur la terre est lié également dans les 
cieuxr. Saint Pacien, en tout cas, est très formel : les 
évéques remettent les péchés, sans doute en vertu d'un 
pouvoir à eux communiqué par Jésus-Christ et en tant 
que ses ministres, mais ils remettent cependant réel- 
lement les péchés et exercent un pouvoir et un droit, 
le ius apostolicum donné primitivement aux apôtres : 
« Quod ego facio non meo iure sed Domini... Quare 
sive baptiîzamus, sive ad paenitentiam cogimus, seu 
veniam paeniteiitibus -relaxamus, Ghristo id auctore 
tractamus '. )> Le point précis que nous touchons cons- 
tituait évidemment une nuance doctrinale sur laquelle 
l'attention des théologiens ne s'était pas encore 'por- 
tée. 

L'usage de rextrême-onction est attesté à Rome «t 
dans l'exarchat de Ravenne, en 416, par la lettre xxv 
d'Innocent ï à Decentius (n"* liy. Le pape s'appuyant 
sur /ac, V, 24, déclare que non seulement les prêtres 
mais tous les fidèles malades peuvent être oints du 
chrême (oleo chrismatis) consacré par l'évêque. Les 
ministres ordinaires de cette onction sont les prêtres, 
mais l'évêque a aussi évidemment le droit de la don- 
ner. Quant aux pénitents, on ne la leur accorde point, 
parce que cette cérémonie esC une sorte de sacrement 



'1. Epist. XIV, 8, 

2. In Matth., XIX, 18. 

3. Epist. 111,1; 1,6, 7. 

4. P. L., XX, 859 et suiv 



LA THÉ(SL'OGfE LA.TINE AU IV «lECLE 327 

{quîa genns est ^acramenti)^ et qtfon leur refuse en 
général les sacrements. 

On sait par la lettre en pape Corneille à Fabius 
d'Antioche en 251, ^e, depuis longtemps au iv* siè- 
cle, rÉglise de Home 6t en général les églises d'Occi- 
dent comptaient huit degrés dans la hiérarchie ecclé- 
siastique : les degrés d'évêque, de prêtre, de diacre, 
de sous-diacre, d'acolythe, de lecteur, d'exorciste et de 
portier ""j les ^inq derniers étant au fond des dédouble- 
ments <iu diaconat. Mais l'Ambrosiaster se rendait 
compte que cette division rigoureuse des fonctions ne 
correspondait pas exactement avec ce qui s'était passé 
à l'ongiaie de l'Égilise, et malgré son désir de la re- 
trouver -dans le texte de VEpîCre aux Epfiésïens, iv, 
11, 12, il convenait qu'il y fallait quelque bonne vo- 
lonté'^. D'autre part, les papes Damase probable- 
ment^, Sirice'', Innocent^ et Zosime^ ont donné des 
règles précises pour l'admission aux ordres moindres 
et l'accès aux plus élevés. Entre autres règles, les 
clercs doivent ne s'être mariés qu'une fois , et avec 
une vierge. A partir du diaconat, ils doivent garder la 
chasteté''^. Sur la cérémonie de l'ordination des minis- 
tres inférieurs, nous ne trouvons rien^i celle des évo- 
ques, prêtres et diacres comprenait, nous le savons 

1. Cf. JÉRÔME, In Epist. ad Titum, II, IS, 

2. In Epist. ad Ephes., IV, 11, 12. 

•3. iDans les CaJiones synodi romanoru7n ad Gaîïos ^piscopos (P. L., 
XIII, ll'Sl suiy.) qui sont très probablement une léltre décrétale du 
pape Damase. V. Ch. Babot-, La plus ancienne décrétale, Paris, 190-4. 

4. Epist. 1, 13-15, 19; V, VI (P. L„ XIII). 

5. Epist. Il, III, XVII, XXXVII, XXXIX (P. L., XX). 

6. Epist. IX (P, L., XX, col, 670 suiv.). 

7. Cf. Ambrosiaster, In Epist. I ad Timoth., III, 12, 13. 

8. v^ DucHESNE, Origines du culte chrétien, p. 339. Il ne faut pas te- 
nir compte en effet des Statutaecclesiae antiqua, mentionnés souvent 
sous le nom de IV concile de Cartliage (Bekzinger, Enehiridion,S0-Q8), 
et qui sont une compilation gallicane du commencement du vi« siècle. 



328 HISTOIRE DES DOGMES. 

déjà, l'imposition des mains accompagnée d'une prière ^ . 
On était d'ailleurs d'accord sur la supériorité iuj^e di-^ 
vino du presbytérat sur le diaconat et de Tépiscopat 
sur le presbytérat. Relativement à ce dernier point 
cependant, saint Jérôme a soutenu une opinion diffé- 
rente. Se fondant sur les passages du Nouveau Testa- 
ment qui identifient les épiscopes et les presbytres, et 
sur certains usages de l'église d'Alexandrie, il a pensé 
que les évéques étaient supérieurs aux simples prêtres 
« magis consuetudine quam dispositionis dominicae 
veritate » , et que la nécessité seule de prévenir des 
schismes possibles avait provoqué la décision géné- 
rale (in toto orbe decretum est) d'après laquelle un 
seul membre élu du presbyterium gouvernerait désor- 
mais et la communauté et ses anciens collègues 2. Il est 
bon d'observer que cette décision générale est incon- 
nue, et que l'opinion de saint Jérôme est restée com- 
plètement isolée. 

Contre les manichéens, les Pères latins du iv^ siècle 
enseignent la bonté morale du mariage. Ils permettent 
les secondes noces et même les troisièmes^, mais ils 
leur sont généralement peu favorables. Zenon déclare 
que les secondes noces sont « prope sanae », et saint 
Jérôme ne les autorise qu'à cause du mal de l'incon- 
tinence"*. La bénédiction nuptiale n'était pas donnée 
aux veuves qui se remariaient^. 

1. JÉRÔME. In Isaiam, LVIII, 10. 

2. Epist. CXLYI; In Epist. ad Titum, I, 8. Sur cette question v. 
P. Batiffol, Études d'histoire et de théologie positive, !'• série, 3» édit., 
p. 267 suiv. L'Ambrosiaster, sans nier la supériorité iure divine de 
l'évêque sur le prêtre, affirme que primitivement la dignité épiscopale 
revenait de droit au plus ancien prêtre ; et que, plus tard seulement, 
un concile décida que < non ordo sed meritum crearet episcopum > 
{In epist. adEphesios, IV, H, 12). 

3. HiLAiRE, In psalm. LXVII, 7; CXVin, litt. XIV, 14; Jérôme, Epist. 
CXXIII, 3, 4; XLYIII, 6; Zékos, Tract. I, 5, 4^. 

4. Loc. cit. 

5. SiRiCE, Epist. 1, 13. 



LA THÉOLOGIE LATINE AU IV SIECLE. 329 

Le mariage une fois conclu ne peut être dissous que 
par la mort du conjoint. C'estladisciplinelatine qui s'af- 
firmera de plus en plus. On a cité à l'encontre un texte 
de saint Hilaire dans son commentaire sur saint Mat- 
thieu, IV, 22; mais ce texte n'est certainement pas 
concluant. Le seul opposant ici est l'Ambrosiaster qui, 
suivant la coutume des Grecs, accorde au mari, s'il se 
sépare de sa femme pour cause d'adultère, le droit de 
se remarier, et refuse ce droit à la femme, au cas où 
elle se sépare de son mari même adultère ou apostate 
Saint Ambroise, sans traiter spécialement le cas d'a- 
dultère, réprouve d'une manière absolue tout divorce, 
et regarde comme un adultère le mariage de la femme 
répudiée^. Saint Jérôme est plus catégorique : l'adul- 
tère autorise la séparation, mais il n'autorise aucun 
des conjoints à contracter un nouveau mariage. Ni le 
mari ni la femme ne peuvent se remarier, et si cette 
dernière se remarie, celui qui l'épouse commet un 
adultère'. Le pape Innocent donné la même solution''. 

En même temps qu'on voit se fortifier ainsi l'idée 
de l'indissolubilité du mariage, on voit aussi s'ébaucher 
le catalogue des empêchements qui le rendent illicite. 
On s'élève fort contre les mariages des chrétiens avee^ 
les infidèles et les hérétiques^. Les moines et les 
vierges vouées à Dieu, qu'elles aient reçu ou non le 
voile, sont soumis à la pénitence s'ils se marient^. Dé- 



1. In Epîst. I ad Cor., Vll, 10, il : « Et ideo non subiecit dicens, sî- 
cut de muliere, quod si discesserit, manere sic; quia viro licetduccre 
nxorem, si dimiserit utorem peccantem : quia non ita lege constrin- 
gitur vir sicut mulier; caput enim mulieris vir est >. 

2. In Lucam, VIII, 4-7. 

3. In Matth., XIX, 9. 

4. Epist. VI, 12. 

5. ZENON, T7-act. I, S, 7-9; Ambroise, De Abraham, I, 14, 84; Epist^ 
XIX, 2, 34; In Lucam, VIII, 2, 3. 

6. Canones synodi romanorum, 3, 4; Sirice, Epist. I, 7; Innocemt, 
Epist. II, IS, 16. 



33Q HISTOIRE DES. DOGMES; 

fense est faite d'épouser la fiancée d'un autpe\ d'é- 
pouser sa propre belle-sœur, sa tante^, sa cousine 
germaine^. 

§ 11. — Mariolo^e. Culte des saints. 
Pratiques chrétiennes'',. 

Au IV* siècle, le culte de lasainteYierge n'avait pas 
encore pris le développement qu'il a reçu dans la suite; 
on trouve cependant dans Zenon et dans saint Am- 
broise non seulement le parallèle entre Eve et Marie, 
devenu classique depuis saint Justin et saint Irénée, 
mais, dans saint Ambroise surtout, des pages à la 
louange de la Vierge que ses dévots reliront toujours ^. 
En tout cas, le cercle s'étendit des croyances concer- 
nant la mère de Jésus qui devaient amener l'efflores- 
cence de culte dont nous parlons., On avait de tout 
temps admis sa virginité ante pavtum : le iv® siècle, 
dans l'Église latine comme dans la grecque, affirma 
de plus la virginité in partu et posl partum. Et sans 
doute les écrits d'Helvidius, de Bonosus et de Jovinien 
fournirent une occasion d'appuyer sur cet enseigne- 
ment; mais saint Hilaire, qui ne les connaît pas, l'avait 
déjà proclamé. Il avait écrit, dans le. De trinitate, m, 
19, que Marie avait engendré Jésus « ipsa de suis nog 
imminuta » ; et dans son commentaire sur saint Mat- 
thieu, I, 3, 4, il avait combattu ceux qui prétendaient^ 

1. SimcE, Epîst. I, S. 

2. Canonessynodi romanorurrt, 12,, 14. 

3. Ambroise, Epist. LX, 3. 

4. On met à part la question du culte des images dont on traitera plus 
loin. 

5. ZENON, Tract. I, 2, 9; Ambroise, De institutione virginis, 32 suiv. ; 
De virgînibus. II, 6 suiv. 

6. II s'agit probablement ici de précurseurs, obscurs d'Helvidius; car 
le commentalrci sur saint Matthieu est; antérieur à Fexil de saint Hi- 
laire en Orient. 



LA THÉOEOGIE MTfNE AU IV» SIECLE. 331 

que Marier avait en, postérieurement à la naissance de 
Jésus, des relations conjugales avec saint Joseph. Ce 
fut dès lors la doctrine absolument reçue : « ma- 
gnum sacramentum ! Maria virgo incorrupta concepit, 
post conceptum virgo peperit, post partum virgo per- 
mansit* ». L'erreur d^^Helvidius, de Bonosus et de 
Jovinien ne fit que; provoquer l'ardente invective de 
saint Jérôme^, la protestation plus calme mais très 
élevée de saint Ambroise^, et la réprobation officielle 
de l'Eglise, 

A côté, mais au-dessous de Marie, on vénère égale- 
ment les saints. On les fête et on les prie, on élève en 
leur honneur des temples et des basiliques ; le pape 
Damase compose des inscriptions métriques pour orner 
leurs tombeaux ; Prudence chante leurs combats ; saint 
Paulin, sur un ton plus doux, célèbre le cher saint 
Félix. Ces honneurs cependant sont, jusqu'au v^ siècle, 
réservés aux martyrs. Et comme on vénère les saints 
régnant au ciel, on vénère aussi leurs restes mortels. 
Ce sont des « reliquiae sacrae » dont oa fait la trans- 
lation avec pompe''. A ce sujet les^ critiques de Vigi- 
lance ne rencontrent que peu d'échos ; et saint Jérôme 
les réfute vigoureusement^, en même temps qu'il pré- 
cise minutieusement la nature du culte rendu aux mar- 
tyrs et à leurs reliques : a Nos autem non dico marty- 
rum reliquras, sed ne solem quidem et lunam, non 
angelos, non aa^changelos, non cherubim, non sera- 
phim... colimus et adoramus. Honoramus autem reli- 
quiaamartyrum, uteum cuius sunt martyres adoremua. 



i. ZENON, Tract. II, 8, 2; 9, l ; 19, 20. 

2. V. supra, p. 244, 247. 

3. De institutione virginis, 33-02; Epist. LXIII, 33. 

4. t\.yLmoisE^ExhoHatio virginitatis, i'r-Vi; Paulin, Vitasancti Am- 
brosii, 14, 29, 32, 33. 

3. Contra Vigilantîum, S, 6, 8; Epist. GEX, 2i 



332 HISTOIRE DES DOGMES. 

Honoramus serves, ut honor servorum redundet ad 
Dominum^ » 

L'usage de prier pour les morts dans le service li- 
turgique, déjà attesté par Zenon 2, est souvent relevé 
par saint Ambroîse. Indépendamment des suffrages 
privés, on célèbre un service pour les défunts le sep- 
tième et le quarantième jour anniversaire de leur 
mort^. On invoque pour eux les apôtres et les martyrs ; 
et l'évêque de Milan n'hésite pas à déclarer que ces 
prières et ces suffrages lavent leurs péchés, et hâtent 
leur bonheur définitif'. D'autre part, saint Jérôme a 
établi contre Jovinien le mérite des jeûnes et de l'abs- 
tinence^. Mais ce qui est le plus caractéristique dans 
la vie chrétienne, à la fin du .siècle surtout et en dehors 
des pratiques religieuses proprement dites, c'est un 
fort courant d'ascétisme qui emporte les âmes d'élite 
vers la solitude ou même plus ordinairement vers la 
pratique de la continence au milieu du monde. Ce cou- 
rant, qui toujours a plus ou moins existé dans le chris- 
tianisme, se trouve fortifié alors par le désir qu'éprou- 
vent ces âmes de réagir contre la médiocrité morale 
qui envahit la masse des fidèles dans une Église favo- 
risée maintenant par les empereurs ; par ce que les 
relations de Rufîn, de saint Jérôme et de saint Épi- 
phane font connaître des merveilles qui se passent 
dans les monastères de l'Egypte ; par la parole ardente 
et par les exemples du solitaire de Bethléem et des 
saintes femmes qui l'ont suivi; mais aussi par l'élo- 
quence jamais plus persuasive de saint Ambroise. On 



1. Epist. CIX, 1. 

2. Tract. 1, 16, 6. 

3. AjinaoïsE, De excessu fratris, II, 2; De obitu Valentiniani ; De 
tbitu Theodosii, 3, 4. 

4. De excessu, fratris, I, 5, 29; De obitu Valentiniani, 80; In psalm. 
CXVIII, sermo XX, 22 suiv. 

5. Adv. lovinianum. II, 5-17. 



LA THÉOLOGIE LATINE AU IV SIECLE. 333 

a de ce dernier, que l'on peut bien appeler le docteur 
de la çirginUéj cinq traités sur cette matière, et l'on 
n'ignore pas avec quel succès il en a parlé^. Chez lui 
surtout, nous saisissons le lien qui depuis, dans l'Eglise 
latine, a rattaché la pratique de la virginité à la doc- 
trine de la perpétuelle virginité de Marie. La supério- 
rité de la continence sur le mariage une fois établie — 
et saint Jérôme allait en renouveler la preuve contre 
Jovinien'' — il paraissait convenable que la mère de 
Jésus fût restée toujours vierge ; et à son tour l'exem- 
ple de pureté parfaite donné par Marie devenait un 
motif de plus d'estimer et de pratiquer cette vertu. 
« Egregia igitur Maria quae signum sacrae virginita- 
tis extulit, et intemeratae integrîtatis pium Christo 
vexillum erexit. Et lamen cum omnes ad cultum virgi- 
nitatis sanctae Mariae advocentur exemplo, fuerunt qui 
eam negarent virginem persévérasse ». « Aliis promit- 
tit (Christus) ut non defîciant : matrem suam deficere 
patiebatur? Sed non déficit Maria, non déficit virgini- 
tatis magistral ». 

§ 13. — Eschatologie. 

On a constaté, en parcourant l'enseignement escha- 
tologique de la théologie grecque au iv* siècle, un 
certain flottement dû à l'influence d'Origène. Le même 
phénomène se retrouve dans la théologie latine de 
cette époque. Saint Jérôme avait été d'abord un vif 
admirateur d'Origène, et saint Ambroise avait large- 
ment puisé aux sources alexandrines. Mais surtout 
Rufin, par sa traduction du riept àp^wv, en 397, vulga- 
risa en Occident les doctrines origénistes. Dans cette 

1. Ambroise, De virginîbus, I, 57-59. 

2. Adv. lovinianum, I, per tolum. 

3. Ambroise, De institut, virginis, 33, 4o. 

19. 



334 HISTOIRE DES DOGMES. 

traduction, remarque saint Jérôme, Rufin avait cor- 
rigé les erreurs sur la Trinité qui auraient par trop 
offensé les lecteurs romains ; mais il avait maintenu et 
même aggravé, par des commentaires tirés de Didyrae, 
ce que le premier auteur avait écrit « de angelorum 
ruina, de animarum lapsu, de resurrectionis prodigiis, 
de mundo, vel intermundiis Epicuri, de restitutione 
omnium in aequalem statum, et multo his détériora ^ ». 
Il s'agissait, comme on le voit, des solutions don- 
nées par Origène aux. questions de la chute des anges 
et des âmes, de l'inégalité des conditions actuelles, et 
aussi du mode de résurrection future, de la durée des 
peines de l'enfer et de la restitution finale de tous 
les êtres raisonnables dans le bonheur et l'amitié de 
Dieu. Ces solutions, que Rufin le voulût ou non, ga- 
gnèrent bientôt, à Rome même, de nombreux adhé- 
rents. Beaucoup furent séduits : des prêtres, des moi- 
nes, surtout des hommes du monda 2. On scrutait la 
justice de Dieu; on se demandait pourquoi certains 
enfants naissent de parents chrétiens, pendant que 
les autres voient le jour au milieu de nations qui n'ont 
aucune connaissance de Dieu ^. On entendait des fem- 
mes objecter qu'il leur serait inutile de ressusciter, si 
elles devaient ressusciter avec leur corps, et affirmer 
qu'elles seraient alors comme des anges''. Saint Jé- 
rôme, qui donne ces détails, dit ailleurs que la plupart 
— des interprètes sans doute — voyaient, dans Nabu- 
chodonosor pénitent, la: figure du démon converti et 
restitué en son ancienne place à la fin du monde; que 
la plupart entendaient métaphoriquement ce qui est 
dit dans l'Ecriture du ver qui ne meurt point et du 

1. Apologîa adv. libr. Rufini, I, 6, 7. 

2. JÉRÔME, Epist. LXrr, 2; LXXXV, 3; CXXYII, 9; Arastase, Epist. l, 3 
(P L., XX, 69). 

3. JÉRÔME, Epist. LXXX, 16. 

4. JÉRÔME, Epist. LXXXIV, 6. 



Lk THÉOLOGIE L/ITINE AU IV SIÈCLE. 335 

feu qui ne s'éteint pas ^. Et quant à l'universalité du 
salut, nous savons par saint Augustin combien nom- 
breuses étaient les opinions — toutes excessives — 
qui, vers 420, circulaient parmi les fidèles. Les uns 
pensaient que, pour tous les hommes indistinctement, 
les peines de l'enfer, ne seraient que temporaires ; d'au- 
tres, que ces hommes seraient sauvés au moins par 
l'intercession des saints ; une troisième catégorie étenr 
dait la certitude du salut à tous ceux qui, même héré- 
tiques, auraient été baptisés et auraient reçu le coiîps 
du Seigneur; une quatrième, à tous ceux q:ui auraient 
reçu ces deux sacrements dans l'Egiise catholique, 
quand bien même ils seraient ensuite tombés dans 
l'hérésie et l'apostasie, de sorte que leur impiété 
« quanta maior fuerit,,non eis valeat ad aeternitatem, 
sed ad diuturnitatem- magnitudinemque poenarum » ; 
une cinquième catégorie regardait comme sauvés tous 
les catholiques restés tels, encore que vivant mal : ils 
seraient sauvés à travers le feu, à cause du fonde- 
ment sur lequel ils avaient édifié. Enfin une sixième 
ne: croyait destinés aux peines éternelles que les pé- 
cheurs qui, tout en vivant dans le péché, auraient 
négligé de faire l'aumône, les autres devant être déli- 
vrés après un temps plus ou moins long 2, Ces opi- 
nions étaient soutenues au nom de la miséricorde de 
Dieu, et de la vertu rédemptrice de la vraie foi en 
JésusrGhrist^; mais elles l'étaient par beaucoup de 
gens (nonniilli, imo quam plurimi^); et elles n'é- 

1. In lonam, III, 6 suiv. ; In Isaiam, LXVI, 24. Cf. Saint Augustin, De 
civil. Dei, XX, 22; XXI, 9, 2; 10; 2. 

2. Augustin, De civit. Dsi, XXI, 17-22; cf. De fide et operibus, I, 21 
suiv.; Enchiridion, LXVn, CXII ; In psalm. tXXX, 20; De octo Dulcitii 
quaestionibus, I. 

Z. Enchiridion, CXII; Z)e civil. Dei, XXt,,26, 1; 24, 3. 

4; Enchiridion, CXII; au chapitre LXVII, saint Augustin dit que la 
doctrine du salut de tous les catholiques est crue a quibusdam : il 
peut ne s'agir ici que des chefs du parti. 



336 HISTOIRE DES DOGMES. 

taient pas seulement répandues en Italie ; elles avaient 
gagné l'Espagne. Orose paraît avoir partagé l'avis de 
ceux qui regardaient tous les chrétiens comme infailli- 
blement sauvés ' . 

Contre les plus graves de ces erreurs cependant une 
réaction se produisit qui se rattache à l'histoire géné- 
rale des controverses origénistes. Ces controverses, 
en Orient surtout, n'offrent pas grand intérêt dogma- 
tique : elles y furent l'effet principalement de rivalités 
personnelles ; mais elles eurent leur contre-coap dans 
l'Église latine. L'évéque Théophile d'Alexandrie, d'a- 
bord favorable puis hostile aux partisans d'Origène, 
fit condamner sa doctrine dans un concile d'Alexan- 
drie en 399, amena saint Épiphane à en faire autant 
dans un concile de Cypre en 399 ou 401, et se mit en 
rapport avec saint Jérôme pour que celui-ci traduisît 
en latin ses lettres pascales et synodales sur cette 
question. Saint Jérôme, alors aussi opposé à Origène 
qu'il en avait été d'abord enthousiaste, entra dans ses 
vues '-*. Ces écrits attirèrent l'attention sur le péril que 
courait la foi, et, en l'an 400, les doctrines d'Origène 
furent condamnées par le pape Anastase, en même 
temps que l'empereur interdisait la lecture de ses 
livres^. Nous ne savons malheureusement pas d'une 
façon précise quelles étaient les erreurs condamnées, 
ni si une sélection avait été faite dans les enseigne- 
ments origénistes. Il est probable que, seules, les 
opinions relatives à la préexistence des âmes, à la res- 
tauration finale du démon, et au mode de résurrection 
furent réprouvées, car nous trouvons soutenues, même 
après cette condamnation, les autres doctrines. 

i. De arbitra liberlate, lu (P. L., XXXI, H83) ; Commonilorium, 3. 

2. Voir dans saint Jérôme sur toute cette affaire les lettres XCII, XC, 
LXXXVI et suiv. 

3. Anastase, Epist. I et II (P. L., XX). 



LA THÉOLOGIE LATINE AU IV' SIECLE. 33T 

L'influence d'Origène se fit donc vivement sentir 
dans le dernier quart du iv° et au commencement du 
v^ siècle, dans l'eschatologie latine. Dans quelle me- 
sure cette influence atteignit-elle les représentante 
officiels de la théologie, les auteurs dont nous essayons 
ici d'exposer l'enseignement, c'est ce que nous allons- 
rechercher. 

Il ne paraît pas qu'elle ait agi au moins sensible- 
ment sur saint Hilaire et Zenon. Leur eschatologie 
peut se résumer de la façon suivante. Immédiatement 
après la mort, les âmes descendent toutes aux enfers, 
mais elles sont soumises évidemment à un jugement 
provisoire, car les justes commencent à se reposer 
dans le sein d'Abraham, tandis que les coupables- 
sont châtiés par le feu * : « pro qualitate factorum 
quasdam locis poenalibus relegari, quasdam placidis- 
sedibus refoveri^ ». Cette situation durera jusqu'à la 
fin du monde. Quand viendra cette fin — et elle est 
croche puiscpie l'antéchrist a déjà paru ^ — , Moyse et 
Élie annonceront la parousie, et les morts, tous les 
morts ressusciteront''. Mais ils ne seront pas tous 
jugés. Les justes en effet non plus que les infidèles et 
les impies manifestes n'ont pas besoin de l'être, et ils^ 
l'ont d'ailleurs été d'une certaine façon, puisqu'ils ont 
été déjà traités suivant leurs mérites. Il n'y aura donc 
Il être jugés que les pécheurs ordinaires, c'est-à-dire 
les chrétiens ayant mal vécu^. Alors se fera la sépa- 

1. HiLURE, In psalm. CXXXVIir, 2-2; LI, 22; CXXII, il; CXX, 16; LVII,. 
S, 7; II, 48 ; Pacien, Exhortai, libellus, 11, col. 1088 D. 

2. ZENON, Tract. 1, 16, 2; II, 21, 3. Il semble d'après cela que Zénoû 
diffère pour les justes la béatitude définitive; ailleurs cependant, il 
paraît l'admettre immédiatement après la mort {Tract. I, 3, 4; 1, 16,14; 
II, 13, 4). 

3. niuiRE, Contra Auxentium, S. 

4. Hilaire, In Malth., XX, 10; In psalm. LXII, 3; zénox, Tract. I, *«, 
1, 6, 7, H. 

5. Hilaire, In psalm. I, 13-18 (cf. 1-3); LVII, 7; Zenon, Tract. I, 21, 1-3.. 



338 HISTOIRE DES DOGMES. 

ration entre les élus et les réprouvés. Ces derniers 
ne subiront pas, dans leur corps, la « demutatio » 
qui en ferait des corps glorieux. Au contraire ces 
corps seront sans consistance comme la poussière ou 
comme l'eau*. Avec eux, les damnés retourneront 
« in infîma terrae » d'où ils sont sortis, « terreni et 
in dedecoris corpore'* ». Leur peine sera éternelle 
dans le feu de l'enfer; impies et pécheurs impéni- 
tents y seront cruellement tourmentés ^ : « Ipse sibi 
materiam recrescentium corporum réparât ignis ae- 
ternus "* ». 

Tout autre sera le sort des élus. Leur corps sera 
transformé. Il semble parfois que saint Hilaire com- 
prenne cette transformation comme impliquant un 
anéantissement de la matière en Dieu. Non seulement 
les corps des bienheureux deviennent incorruptibles, 
immuables, mais ils deviennent spirituels, semblables 
aux anges; les élus sont des dieux, en qui la forme 
divine a absorbé la chair terrestre, « cum incorruptio 
corruptionem, et aeternitas infirmitatem, et forma Dei 
formam terrenae carnis absorpserit^ ». Toutefois un 
passage très explicite affirme la permanence: de la 
nature matérielle du corps des élus et son identité 
avant et après la résurrection : « ut corruptibilium 
corporum in incorruptionis gloriami resurrectio non 
interitu. naturam périmât, sed qualitatis conditione 
demutet- Non enim aliud corpus, quamvis in aliud re- 
surget... Fit ergo demutatio, sed non affertur abdica- 
tio. Et cum id quod fuit in id quod non fuit surgit, non 



1. HjLAinE, In psalm. h ii. 

2. Hilaire, In psalm. CXXXI, 28 ; LV, 7 ; LXIX, 3. 

3. Hilaire, In Malth., V, 12; In psalm. LIV,,lâ; Zéson,. Trac/. 11,21, 3. 

4. Pagien, Eochort. libellus, 41^ 12. 

5. In psalm. I, 13; LXVII, 33; LXVm, 31 ; CXX, d4; CXXXV, 5 ; CXVIII, 
îitt. m, 3; Jn Jlfa«A., X, 20; XXXIII, 4. 



LA THÉOLOGIE •LAa:iNE AU IV^ SIÈCLE. Saa 

amisit originem,. sed profecit, ad honorem ^ ». C'est 
aussi la; doctrine: de Zenon, de Vérone ^ . 

Ainsi transformés, les; élus, — justes ou : pécheurs: 
amendes— reçoivent la couronne. Ils jouissent d'un; 
bonheur sans fin que nos auteurs aiment, à déc^i^e^^. . 
Mais ce bonheur n-est pas le même pour tous ; car il- 
y a diverses; demeures dans la maison du Père. Seuls, 
Jésus-Ghrist et.lës apôtres, que celui-ci veut être avec: 
lui, cohabitent proprement en Dieu *. 

Cette eschatologie, pour archaïques quien soient 
certains traits, ne trahit pas sensiblement l'influence 
d'Origène,- et. il semble donc que, jusque vers 380, 
cette influence n'ait pas été- dominante en Occident. 
Nous allons- la retrouver plus claire dans les œuvres 
qu'il reste à: examiner. 

L'Ambrosiaster a écrit sous Damase, c'est-àrdire au 
plus tard en. 384. Pour lui, la chute de l'empire romain, 
marquera, lai fin du monde : l'àntéchrist apparaîtra;, 
il sera détruit par la puissance divine^, et pendant, 
mille ans- (exstincto antichristo.) Jésus-Ghrist régnerai 
suriessaints^-Suivrala résurrection générale;, Gomme, 
saint Hilaire^. et comme d'ailleurs tous les auteurs de 
son tempsi l'Ambrosiaster partage les hommes en troi* 
classes ules saints onles justes, qui ont mis leurs œu- 
vres en harmonie avec; leur foi? chrétienne; les pér- 
c/ieîfrs, c'est-à-dire les chrétiens qui ont mal vécui; 
enfin ïes impies, qui: comprennent les apostats, les in- 
fidèles et les athées. Tous ressusciteront, mais les 



1. rnpsalm. H; M ; LV, 1-2. 

2. Tract. I, -16, 10, 14; cf. Victomn, In epist. ad Philipp., lll^ 21, col.. 
1226, 1227. 

3. HiLAiRE, In psalm. I, 13; LX, 6, 7; CXLVII, 3, 6 ; Zenon, Tract, I, 9, 
6; I, 21, 3. 

4. HiLAiRE, In psalm. LXIV, o, 17, 18. 

5. In epist. II ad Thessalon.. H, 8, 9, 

6. In epist. I ad Corinth., XV, S2. 



340 HISTOIRE DES DOGMES. 

justes non plus que les impies ne seront pas jugés, 
puisque leur cas est manifeste : seuls les pécheurs su- 
biront le jugement. Les premiers, transformés dans 
leur corps, entreront dans la gloire éternelle ; les se- 
conds iront aux tourments sans fin^. Quant aux pé- 
cheurs, même aux faux docteurs restés chrétiens, ils 
seront condamnés au feu, mais pour un temps seu- 
lement. Ils en sortiront un jour « soluto debito », ils 
ne sont pas « perituri » mais « purgandi per ignem », 
et la raison en est qu'il doit leur être utile d'avoir cru 
au Christ, « ut ex aliqua parte operae pretium sit credi- 
disse in Christum^ ». L'auteur étend même ce privilège 
aux anges déchus. Sur Epkésiens, m, 10, il assure 
que saint Paul a été choisi pour faire connaître aux 
Principautés et aux Puissances célestes les mystères 
de la sagesse de Dieu, « ut praedicatio ecclesiastica 
etiam his proficiat, et deserant assensum tyrannidis 
diaboli ». Bien plus, il paraît l'étendre aux philoso- 
phes qui ont connu Dieu par les lumières de la 
raison. Il n'y a en effet que les idolâtres proprement 
qui aient péché « in similitudinem praevaricationis 
Adae », et sur qui ait régné la mort. Les autres qui ont 
connu Dieu « sive ex traduce, sive indicio natarali », 
et qui l'ont honoré, s'ils ont péché, ont péché « sub 
Deo » et non « in Deum » qu'ils connaissaient comme 
juge. Leurs fautes comportent donc quelque excuse ^. 
Ainsi l'Ambrosiaster admet la durée seulement tem - 
poraire des supplices pour les pécheurs chrétiens, 
ou si l'on préfère, la doctrine du salut universel des 
chrétiens par la foi. Nous allons la retrouver dans 
saint Jérôme. 



i. In epist. I ad Corinth., XV, 31-53. 

2. In epist. I ad Corinth.. XV, S3; ni, iÙ^U.in «aist. ad Roman., V, 
14; In epist. II ad Timoth., II, 20. 

3. In epist. ad Roman., V, 14. 



LA THÉOLOGIE LATINE AU IV SIECLE. 341 

L'attitude de saint Jérôme vis-à-vis d'Origène et de 
ses enseignements apparaît toute diiFérente selon qu'on 
l'envisage avant ou après l'année 394. Avant cette 
date, saint Jérôme est enthousiaste d'Origène qu'il 
appelle « alterum post apostolos ecclesiae doctorem 
scientiae ac sapientiae^ ». Il ne l'a pas admiré seule- 
ment en général; malgré ses dénégations^, on doit re- 
connaître qu'il a approuvé ou déclaré recevables cer- 
taines opinions des plus compromettantes du grand 
alexandrin : l'utilité du sang de Jésus-Christ aux an- 
ges déchus et à ceux qui étaient déjà dans l'enfer'; la 
restauration finale de tous les damnés — sauf le diable 
— par la pénitence, dans l'amitié de Dieu {omnibus 
per paenitentiam in integrum restitutis, solus diabo~ 
lus in suo permanebit errore) * ; peut-être même le 
salut final du démon [ut angélus refuga id esse inci- 
plat quod creatus est] ^ ; la disparition du corps maté- 
riel des élus à la résurrection, ces élus devenant tout 
spirituels^. Après 394, saint Jérôme repoussa ou com- 
battit ces opinions. 11 condamna la doctrine du salut 
universel et de la restitution finale'^, et affirma l'iden- 
tité du corps ressuscité avec lé corps actuel^. Mais il 
continua d'admettre comme possible une certaine mi- 
tigation des peines des démons^, et surtout il continua 

1. De princîpîis, prologus Rufinî. 

2. Qui se mêlent parfois de demi-aveux {Epist. LXXXIV, 3, 6). 

3. In epist. ad Ephesios, IV, 10 ; I, 23 ; II, 13 ; III, 10. L'ouvrage est de 
387-389. 

•i. In Ècclesiaslen, I, 13. L'ouvrage est de 387-389. 

5. In epist. ad Ephesios, IV, 16. Saint Jérôme s'est défendu [Apologia 
adv.libr. Ruflni, l, 26, 27), en prétendant qu'il n'avait fait ici que citer 
Origène. La chose n'est pas bien claire. 

6. In epist. ad Ephesios, V, 29; Adv. lovinian,, I, 36. 

7. In laaiam, XIV, 20; In lonam, III, 6 suiv.; In Daniel, UI, 96. Le 
commentaire sur Isaïe est de 408-410; celui sur Jonas est de 393-396 ;: 
celui sur Daniel de 407 environ. 

8. Liber contra loannem hierosolym., 30. L'ouvrage est de 399. 

9. In Itaiam, XXIV, 21 suiv. 



342 HISTOIRE DES DOGMES. 

à penser que tous les chrétiens seraient finalement 
sauvés, et que les tourments des simples pécheurs ne 
seraient pas éternels. C'est la conclusion qu'il donne à 
son commentaire sur Isaïe. lxvi, 24 : le démou et les 
impies, les apostats et les athées souffriront éternelle- 
ment; lés pécheurs chrétiens seront purifiés, et leur 
sentence sera mêlée de miséricorde : « Et sicut diaholi 
et omnium ne^atorum atque impiorum qui dixerunt 
in corde suo : Non est DeiiSy credimus aeterna tor- 
menta : sic peccatorum (atque impiorum) ^ et tamen 
christianorum, quorum opéra in igné probanda sunt 
atque purganda, moderatam arbitramur et mixtam 
clementiae sententiam iudicis. » Et plus nettement 
dans VEpistula cxix, 7, écrite vers la fin de l'an 
406 : « Qui enim tota mente in Ghristo confîdit, etiamsi 
ut homo lapsus, mortuus fuerit in peccato, fide sua 
vivit in perpetuum. Alioqui mors ista communis et 
credentibus et non credentibus debetur aequaliter; et 
omnes pariter resurrecturi sunt, alii in confusionem 
aeternam, alii, ex eo quod credunt, in sempiternam 
vitam^. » 

Recueillons quelques autres traits de l'eschatologie 
de saint Jérôme. Il admet qu'au sortir du corps l'âme 
Juste entre immédiatement au cieP; mais il ne croit 
pac que les tourments de l'enfer commencent avant le 
jugement général. Les âmes des coupables souffrent 
cependant en attendant ; elles souffrent comme un bri- 
gand enchaîné dans un cachot et qui entrevoit son 
supplice"*. Saint Jérôme est opposé au millénarisme^. 

1. Ces deux mots, qui manquent dans un manuscrit, sont évidem- 
ment de trop. 

2. El cf. Adu. lovinian., II, 30 ; Dialog. adv. pelagianos, I, 28. 

3. Epist. XXIII, 3; XXXIX, 3. 

4. Comparez In Daniel, VII, 9; Epist. XXXIX, 3 et In Lucam, XYI 
rJMORIN, III, 2). 

3. Inlsaiam, I, l ; XIII, 18. 



LA THEOLOGIE, LATINE AU IV SIECLE. 343 

Il déclare que nous^ ne pouvons savoir au juste ce que 
serontles peines de l'enfer ^ ;.il ne paraît pas toutefois 
avoir partagé l'opinion d'Origène, qui ne voyait dans 
le feu des damnés qu'une image des remords de leur 
conscience^. 

C'est dans saint Ambroise que nous trouvons les 
données eschatologiques les plus complètes, et c'est 
chez lui surtout qu'il convient de les étudier, puisqu'il 
a été par sa situation le représentant le plus autorisé 
de la théologie latine à la fin. du iv® siècle. D'autre 
part, il n'est pas possible d'harmoniser en une syn- 
thèse absolument sûre certains traits épars de cette 
eschatologie. Le fil conducteur fait défaut, et l'on hé- 
site parfois sur l'ordre à établir dans la disposition de 
matériaux d'ailleurs excellents. Il sera bon de s'en 
souvenir, en lisant cet essai de reconstitution. 

La mort est un bien, car elle met fin au péché et 
nous fait passer à un meilleur sort {in melius repa- 
rarî]^\ c'est l'idée de Méthodius d'Olympe. L'âme en 
effet non seulement survit au corps, mais acquiert, par 
sa séparation d'avec lui, une vigueur nouvelle [vigor 
nohis novus infunditur) ''. Que devient-elle? 

Appuyé sur le iv® livre d"Esdras, saint Ambroise re- 
présente les âmes, au sortir du corps, comme reçues 
dans des habitacles, des jDro»2pZ«iZ/'/<2 supérieurs, où 
elles attendent la fin des temps. Un jugement cepen- 
dant s?est déjà exercé sur elles, car leur sort n'est pas 
identique : « alias manet poena, alias gloria:; et tamen. 
nec illae intérim sine iniuria, nec istae sine fructu 
sunt » ; celles des justes jouissent par avance de la 
récompense méritée; celles des méchants souffrent de 

1. hx Isaîam, XXIV, 21. 

2. Epist. CXXIV, 7; In epist. ad Ephesios, V, 6; cf. In Jsojam,,LXYI, 
24. 

3. De bono mortîs, 7; Be excessu fratris, I, 70. 
-S. De excessu fratris. II, 3. 



344 HISTOIRE DES DOGMES. 

la colère de Dieu qu'elles savent devoir les châtier ^ . 
De ces âmes toutefois un certain nombre sont dès 
maintenant entrées dans le paradis. Le saint docteur 
le dit formellement de saint Jean l'évangéliste [in pa- 
radiso est, nec separatur a Christo] ^, et il faut éten- 
dre — comme le faisaient généralement les anciens 
écrivains — ce privilège aux patriarches, aux prophè- 
tes, aux apôtres et aux martyrs des deux Testaments, 
même à quelques personnages du Nouveau qui ne 
rentrent pas dans ces catégories^. 

Cet état de choses durera jusqu'à- la fin du monde. 
Bien que saint Ambroise déclare en général que l'épo- 
que précise de cette fin nous est inconnue, il la croit 
personnellement prochaine ''. Elle sera signalée par 
des jours d'impiété et d'iniquité : l'antcchrist, distinct 
du diable — d'ailleurs son" instrument — apparaîtra, 
qui fera triompher l'erreur^. Mais alors aussi, Jésus- 
Christ viendra sur les nuées, et les morts ressuscite- 
ront^. Saint Ambroise distingue nettement deux résur- 
rections qu'il suppose séparées par un intervalle'; on 
n'en saurait conclure cependant qu'il est millénariste. 
De ces deux résurrections, la seconde -n'est peut- 
être que métaphorique : elle désigne l'entrée dans le 
ciel, après l'épreuve, de ceux qui auront été purifiés 
de leurs fautes. La résurrection implique l'identité du 
sujet qui est mort et qui reçoit une vie nouvelle [nisi 
forte ne alius resuscitatus pro alîo çideretur)^] elle 
emporte aussi dans le corps des justes une transfor- 

1. De bono mortis, 45-48. 

2. In psalm. CXVIII, sermo XX, 12. 

3. De fide, lY, S; De excessu, fratris, II, 94; In Lucam, VH, S; X, 12; 
Epist. XV, 4, 8. 

4. De fide. II, 137; Y, 212; De excessu fratris, I, 30. 

5. In Lucam, X, 46, 19. 

6. De excessu fratris, II, S2 suiv. ; Hexaemeron, Y, 78, 79. 

7. In psalm. I, 54. 

8. De excessu fratris, II, 77, 68. 



LA THEOLOGIE LATINE AU IV' SIÈCLE, 345 

mation que notre auteur paraît outrer parfois dans le 
sens origéniste^ mais qu'il maintient cependant dans 
de justes bornes : « Immutabuntur enim iusti in incor- 
ruptionem, manente corporis veritate^. » 

La résurrection est suivie du jugement. En réalité, 
tous seront jugés, ou la sentence de tous sera confir- 
mée. L'évêque de Milan, néanmoins, se conformant au 
langage admis de son temps, déclare que ni les Justes, 
ni les impies — entendons les infidèles et les apostats 
— ne seront jugés : les premiers parce qu'ils n'auront 
pas à redouter la rigueur du jugement; les seconds 
parce que, d'après saint Jean, ils sont déjà jugés. Seuls 
seront jugés, c'est-à-dire examinés, les pécheui-s, les 
chrétiens dont les œuvres n'ont pas correspondu à la 
foi'. Il y faut ajouter Satan, dont le jugement et le 
supplice sont différés iusque-là, et qui rôde, en atten- 
dant, sur la terre''. 

D'autre part ce jugement comporte ou entraîne im- 
médiatement l'épreuve du feu. Un feu est devant les 
ressuscites, que tous absolument doivent traverser. 
C'est le baptême de feu annoncé par Jean-Baptiste, 
« in Spiritu Sancto et igné » ; c'est le glaive ardent du 
chérubin qui garde le paradis, et au travers duquel il 
faut passer : « Omnes igné examinabuntur » . « Omnes 
oportet per ignem probari quicumque ad paradisum 
redire desiderant ». « Omnes », Ambroise n'excepte 
pas Jésus-Christ lui-même, ni les apôtres; les saints 
qui dès maintenant sont entrés au ciel, n'y sont entrés 
qu'à travers le feu du jugement ^. Seulement, l'effet de 
ce feu sur ceux qui le traversent est fort différent sui- 

1. n Lucam, VU, 94. 

2. In psalm. I, si ; In Lucam, X, 168, 170. 

3. In psalm. I, Si, Si, 56. 

4. De fuga saeculi, 39; In psalm. CXYIII, sermo XX, 22, 23. 

5. In psalm. CXVIII, sermo m, 14-16; sermo XX, 12-14; In psalm. 
XXXVI, 26. 



346 HISTOIRE DES DOGMES. 

vant la condition morale où ils se trouvent; si dif- 
férent que notre auteur, en un passage, distingue deux 
sortes de îeu, l'un proprement purificateur pour les 
fautes légères, l'autre vengeur pour les fautes plus 
lourdes, et qui se confond avec le feu préparé au 
diable et à ses anges ^ Cette distinction cependant 
n'est pas partout maintenue^, et l'on peut croire que 
le même feu, dans ses hauteurs, purifie les justes, et 
dans ses profondeurs torture les méchants. Quoi qu'il 
en soit, tous, avons-nous dit, traversent le feu du ju- 
gement. Les impies et les apostats, « sacriiegi qui 
superba in Deum iactavere convicia », en sont saisis 
comme par un feu vengeur qui les retient : « Alii in 
igné remanebunt... ministros autem impietatis ultor 
ignis exuret » ; ils sont précipités dans le lac de feu 
brûlant^. Aux justes parfaits, au contraire, ce feu pa- 
raît comme une rosée qui les rafraîchit : argent pur, 
ils ne contiennent pas de plomb à séparer : tels ont 
été les apôtres : « loanni (evangelistse) cito versabitur 
igneus gladius; quia non invenitur in eo iniquitas 
quem dilexit sequitas'' ». Quant aux chrétiens ordi- 
naires, ou bien leurs bonnes oeuvres l'emportent sur 
leurs fautes, et leur souffrance du feu de l'épreuve, 
proportionnée à ces fautes, sera relativement de peu 
de <îurée; Dieu a eu soin de les châtier d'avance, et 
leur délivrance sera prompte : « Absolutio enîm matura 
sanctorum est » . « Praesto -est venia ^ » . Ou hîen — et 
ce sont les plus nombreux* — leurs fautes l'emportent 
sur leurs bonnes œuvres, et ils partageront, pour un 
temps du moins, le sort des impies et des apostats : 

1. In psalm. CXVIII, senno III, 17. 

2. In psalm. XXXVI, 26. 

3. In psalm. XXXYI, 26. 

4. In psalm. CXVIII, sermo XX, 12, 13; XXXYI, 26. 

5. In psalm. CXVIII, sermo XX, 22 suiv.; Hpist. II, 16. 

6. In psalm. XL, T. 



LA THÉOLOGIE LATINE AU IV" SIECLE. 347 

ils seront brûlés du même feu et épurés comme un vil 
plomb qui ne contient que peu d'argent * . 

En quoi consisteront proprement leurs tourments ? 
Ils consisteront d'abord dans l'exclusion du royaume 
de Jësus-Christ, dans l'éloignement de Dieu et des 
élus ^. 'Mais ils comporteront aussi des peines posi- 
tives. Dans son commentaire sur saint Luc, vu, 204, 
205, saint Ambroise, suivant Origène, a expliqué mé- 
taphoriquemerit le feu, les vers, les grincements de 
dents, les ténèbres extérieures, des remords, du déses- 
poir, des obscurités intérieures des damnés. On ne 
saurait méconnaître cependant qu'ailleurs, il a repré- 
senté l'enfer comme un lac -de feu, et la peine des 
damnés comme le tourment du feu 3. Sa pensée sur ce 
point manquait sans doute de consistance. 

Mais où elle est très consistante, c'est sur la durée 
respective de ces peines. Pour les démons et les im- 
pies, les infidèles et les apostats, cette durée sera éter- 
nelle. Ils ne seront pas anéantis, leur châtiment n'aura 
pas de fîn^. Pour les simples pécheurs il en va dif- 
féremment : la justice à leur égard est mêlée de misé- 
ricorde : ils sont loin du salut, mais ils n'en sont pas 
complètement séparés. « Leur foi les secourra, et leur 
obtiendra leur pardon, bien qu'il y ait de l'injustice 
dans leurs œuvres ». Ils seront sauvés par leur foi, 
« sictamensalvi quasi perignem». Et c'est pourquoi, 
ils seront brûlés, mais non consumés [si non exuri- 
mur, ta?nen uremur). «Omnes enim qui sacrosanctae 
Ecclesiae copulati, divini nominis appellatione cen- 

1. In psalm. OXVIII, sermo XX, 13; sermo n, 18. 

•2. In psalm. XXXIX, 17 ; De -Nàbuthe, 16, 18-, De excessu fratris, 

n, 11. 

3. De fide, n, 119; In psalm. XXXVI, 26; De NabiUhe, 52. 

4. In psalm. l, 47 suiv. ; CXVm, sermo in, 17 ; sermo VIII, S8; sermo 
XXI, 8 ; De bono mortis, 41 ; De paradiso, 71 ; De fide, II, 119 ; De pae- 
nilentia, I, 22. 



348 HISTOIRE DES DOGMES. 

sentur praerogativam resurreclionis et delectationis 
aeternae gratiam consequentur ^ ». Les peines des pé- 
cheurs condamnés seront donc seulement temporaires ; 
elles auront une fin. Ambroise en marque-t-il la durée? 
Oui, d'une manière générale : il écrit : « Qui autem 
non veniunt ad primam resurrectionem, sed ad secun- 
dam reservantur, isti urentur doneo impleant tempora 
inter primam et secundam resurrectionem, aut si non 
impleverint, diutius in supplicio permanebunt^ ». On 
a vu parfois dans ces paroles un souvenir millénariste 
auquel l'écrivain n'iaurait pas donné de suite. 11 est 
certain, d'autre part, que, d'après lui, la résurrection 
doit se faire dans un certain ordre; elle compterait 
quatre ou cinq moments divers^. Enfin, il est possible 
encore que, par le mot de seconde résurrection, le 
saint docteur entende l'accession à toute leur félicité 
des chrétiens plus fidèles*. Cette entrée se ferait à un 
moment déterminé, et les peines des pécheurs dure- 
raient au moins jusqu'à ce moment. 

Saint Ambroise en effet admet que les élus, ordi- 
naires du moins, n'entrent pas immédiatement dans 
la complète jouissance du bonheur céleste. La résur- 
rection constitue un premier royaume de Dieu; être 
avec le Christ en constitue un second; mais, dans ce 
second royaume, il y aura un « processus mansio- 
num », non seulement parce que la récompense de 
chacun sera proportionnée à ses mérites 5, mais aussi 
parce que l'élu n'arrivera que graduellement à la 
pleine possession de sa félicité. L'auteur décrit cette 
ascension au livre v, 61, de son commentaire sur saint 

1. In psalm. CXVIIJ, sermo XX, 23, 24, 29; seimo XXn, 26; In 
psalm. XXXVI, 26; De excessu fratri», II, H6. 

2. In psalm. I, Si. 

3. In psalm. I, S6; De excessu fratris, II, 116. 

4. In Lucam, Y, 61. 

5. Epist. VII, 11 ; In Lucam, prol., 6; IV, 37 ; Y, 61. 



LA THÉOLOGIE LATINE AU IV' SIECLE. 349 

Luc ; a Absolutus igitur per Domini crucem... conso- 
lationem in ipsa possessione (terrae tuae) reperies : con- 
solationem sequitur delectatio, delectationem divina 
miseratio. Quem autem Dominus miseratur et vocat; 
qui vocatur videt yocantem ; qui Deum viderit, in ius 
divinae generationis assumitur : tuncque demum quasi 
Dei filius, caelestis regni divitiis delectatur. Ille igi- 
tur incipit, hic repletur ». 

De la béatitude du ciel, l'évêque de Milan n'essaie 
point de donner une idée adéquate, car il se rappelle 
la parole de l'apôtre, que l'œil de l'homme n'a point 
vu, ni son cœur n'a point soupçonné ce que Dieu a 
préparé à ceux qui l'aiment ^ Il la représente seule- 
ment comme un état de repos parfait, d'innocence et 
de sécurité, dans lequel les saints participent à la 
gloire de Dieu, le voient face à face, jouissent de la 
société de leurs frères élus comme eux, et vivent d'une 
vie éternelle 2. 

Telle est, autant qu'on peut brièvement la recons- 
tituer dans ses grandes lignes, l'eschatologie de saint 
Ambroise. Cette étude montre qu'il a partagé, avec 
saint Jérôme et l'Ambrosiaster, la conviction que tous 
les chrétiens seraient tôt ou tard réunis à Dieu, et que 
cette conviction, par conséquent, n'était pas, à la jBn 
du iv° siècle dans l'Église latine, opinion hasardée et 
rare. C'est dans la foi chrétienne elle-même que l'on 
mettait la vertu qui devait opérer le salut de tous ceux 
qui la professaient. Par cette foi le chrétien était 
fondé sur Jésus- Christ, et quels que fussent le bois et 
la paille, c'est-à-dire les œuvres inutiles ou mauvaises 
qu'il édifiât sur ce fondement, le chrétien verrait un 

i. Epist. XXXV, 16. 

2. De obitu rAeodosù', 37, 39 ; De obitu Valentiniani, 65; De bono 
mortis, SO; De virginibus, I, 64; In psalm. XXXVII, 59; Epist. XXXV, 
5, 13. 

20 



350 HISTOIRE DES DOGMES. 

jour ces œuvres dévorées par le feu, mais lui-même 
serait épargné. Le texte de saint P^ul, I Corinthiens, 
m, 15, est un des plus fréquemment invoqués. 

Or, ce texte est précisément un de ceux dont se sont 
servis les théologiens plus récents pour établir l'exis- 
tence du purgatoire ; et il suffît d'ailleurs d'un instant 
de réflexion pour remarquer que l'êS€hatologie de la 
fin du IV® siècle, surtout la doctrine de saint Ambroise 
sur le feu purificateur du jugement, contient, ou même 
n'est au fond que la doctrine du purgatoire telle qu'elle 
a été enseignée depuis. Seulement, on exagérait cette 
doctrine, puisqu'on regardait comme susceptibles d'ê- 
tre purifiés tous les pécheurs indistinctement. D'autre 
part, cette eschatologie présente des incertitudes et 
des hésitations qui tiennent à ce que nos auteurs, Hi- 
laire, Jérôme, Ambroise, ont emprunté aux anciens, 
sans toujours apporter dans leurs emprunts le discer- 
nement nécessaire. Il faut donc qu'un génie plus ori- 
ginal et plus ferme dissipe cette confusion, et, s'il ne 
peut tout éclaircir, réaffirme du moins fortement les 
principes dont, en cette matière, on ne devra point 
s'écarter. Ce génie sera saint Augustin. 



OUVRAGES CITÉS DE SAINT AUGUSTIN 



Afin de faciliter les recherches, et comme il est 
d'ailleurs important de connaître la date des ouvrages 
de saint Augustin mentionnés dans l'étude qui suit, on 
en a dressé ici une liste alphabétique, qui donne pour 
chaque écrit son titre exact, la date de sa composition 
et le tome de la Patrologie latine qui le contient. Cette 
liste n'énumère que les traités cités dans ce volume : 
les dates sont empruntées à la liste analogue de M. E. 
Portalié dans le Dictionnaire de Théologie catholique, 
I, col. 2311-2314. 

Acta contra Fortunatum mani- 

chaeum 392 XLII 

Ad Orosium, contra priseillia- 

nistas et origenistas 415 XLII 

Breviculus coUationis 411 XLIH 

CoUatio cum Maximino 428 XLII 

Confessionum Ubri XIII 400 XXXII 

Contra academicos 386 XXXII 

Contra Adimantum 393-396 XLII 

Contra adversariura legis et 

prophetarum 420 XLII 

Contra Cresconium 406 XLIII 

Contra duas: epistulas pelagia- 

norum 420 XLIV 

Contra epistulamfundamenti.. 397 -XLII 

Contra epistulam Parmeniani. . 400 XLIII 

Contra FaustUm manichaeum. . 400 XLII 

Contra Iulianum 421 XLIV 

Contra Iulianum opus imper- 

fectum 429-430 XLV 

Contra lUteras Petiliani 400-402 XLIII 



352 



HISTOIRE DES DOGMES. 



Contra Maximinum haereticum. 428 XLII 

Contra Secundinum mani- "• 

chaeuni 405406 XLII 

Contra sermonera arianorurn.. 418 XLII 

De agone christiano 396-397 XL 

De anima et eius origine 419-420 XLIV 

De baptismo .' 400 XLIII 

De bono coniugali 400-401 XL 

De bono viduitatis ' 414 XL 

De catechizandis rudibus 400 XL 

De civitate Dei 413-426 XLI 

De coniugiis adulterinis , . 419 XL 

De consensu evangelistarum 400 XXXIV 

De continentia 394-395 XL 

De correptione et gratia 426-427 XLIV 

De cura pro mortuis gerenda. . . 421 XL 
De diversis quaestionibus 

LXXXIII 389-396 XL 

De diversis quaestionibus ad 

Simplicianum 396-397 XL 

De divinatione daenionum 406-411 XL 

De docti'ina christiana 397 XXXI"V 

De dono perseverantiae 428429 XLV 

De duabus animabus contra ma- 

nichaeos 391-392 XLII 

De fide et operibus 413 XL 

De fide et symbolo 393 XL 

De Genesi ad litteram 401415 XXXIV 

De Genesi ad litteram liber ira- 

perfectus 393-394 XXXIV 

De Genesi contra manichaeos... 388-391 XXXIV 

De gestis Pelagii 417 XLIV 

De gratia Christi et de peccato 

originali 418 XLIV 

De gratia et libero arbitrio 426427 XLIV 

De haeresibus 428 XLII 

De libero arbitrio : 388-395 XXXII 

De moribus Ecclesiae catholicae. 388 XXXII 

De natura boni 405 XLII 

De natura et gratia 415 XLIV 

De nuptiis et concnpiseentia 419420 XLIV 

De oeto Dulcitii quaeslionibus... 422 XL 

De patientia av. 418 XL 



LA THÉOLOGIE DE SAINT AUGUSTIN. 

De peecatorum meritis et remis- 

sione '. 412 XLIV 

De perfectioue iustitîae homiais. 415 XLIV 

De praedestinatione sanctorum.. 428-429 XLIV 

De sancta virginitate 400-401 XL 

De spiritu et littera 412 XLIV 

De symbolo ad catechumenos. . . XL 

DeTrinitate 400416 XLII 

De unico baptismo 410 XLIII 

De utilitate credendi 391-392 XLII 

De vera religione 389-:391 XXXIV 

Enarrationes ia psalmos : In 

psalm. I-LXXIX XXXVI 

In psalm. LXXX-CL XXXVII 

Enchiridion 421 XL 

Epistulae XXXIII 

Expositio epistulae ad Galatas.. 393-396 XXXV 
Expositio quarumd. proposit. ex 

epist. ad Romanos 393-396 XXXV 

In epistulam loannis 416 XXXV 

In loannis evangelium tractatus 

CXXIV 416-417 XXXV 

Psalmus contra partem Donati . 393-396 XLIII 

Quaestiones in Heptateuchum.., 419 XXXIV 

Retractationes 426-427 XXXII 

Sermones I-CCCXL XXXVIU 

Sermones CCCXI-CCCXCVI XXXIX 

Tractatus adversus ludacos 428 XLII 



353 



20. 



CHAPITRE X 

LA THÉOLOGIE DE SAINT AUGUSTIN ' 

§ 1. — Caractéristique générale. 

Saint Augustin 2 est, sans contredit, le plus grand 
docteur qu'ait jamais possédé l'iiglise. S'il n'a exercé 
surTOrient presque aucune influence, il est devenu et 
il est resté dans toute la force et l'étendue du terme le 
Père par excellence de l'Église d'Occident. En lui se 
résume et sur lui se ferme l'antiquité chrétienne latine, 
dont la pensée a trouvé dans son œuvre son expression 



1. Saint Auguslta est cité ici d'après l'édition des bénédictins dans 
P. L., t. XXXII-XLV. V. plus haut le détail. — Travaux (Je n'indique 
ici que les études générales, celles qui visent tel ou tel point de la 
doctrine du saint docteur devant être signalées quand on examinera 
les diverses parties de son enseignement) : W. Cunningham, S. Austin 
andhisplace in the history of Christian thought, London,1886.C.'WoLFs- 
GRUBER, Auguitinus, Paderborn, 1893. W. Thimmk, Augustins geistige. 
Entwickelung in den erstenJahren nach seiner « Bekehrung », Berlin, 
1908. De plus les études de J. Schwane , A. Harnack, F. Loofs, R. See- 
BERG, dans leurs Iiistoires dus dogmes et d'E. Portalié dans le JDic- 
tîonnaire de théologie catholique, I (On trouvera dans ce dernier article 
une abondante bibliograpliie). 

2. Rappelons seulement les grandes dates de sa vie : Né en 334; s'a- 
bandonne au désordre (370) ; est amené à la recherclie de la vérité par 
la lecture de YHortensius (373); devient manichéen (373); quitte le ma- 
nichéisme et tombe dans le doute de la Nouvelle Académie (383); de- 
vient catholique en écoutant saint Ambroise (385) ; se convertit (386) ; est 
baptisé (387) ; devient prêtre en Afrique (389) ; coadjuteur de Valère (395) ; 
évêque d'Hippone (39C); mort le 28 août 430. Y. plus haut la chronolo- 
gie de ses principaux ouvrages. 



LA THÉOLOGIE DE SAINT AUGUSTIN. 355 

la plus précise; mais avec lui aussi commence à poindre 
la théologie du moyen âge qu'il a préparée et dont les 
germes existent déjà dans ses écrits. 11 a uni ainsi le 
passé à l'avenir, et c'est pourquoi on a pu dire, avec 
quelque raison, que l'Eglise latine lui doit en grande 
partie la forme particulière de sa religion et de sa 
croyance. 

L'Église catholique cependant n'a pas été seule à le 
revendiquer comme un maître. Chose singulière! — 
par im privilège que saint Augustin çartage avec saint 
Paul — en même temps que cette Eglise trouvait en 
lui le plus ferme soutien de son enseignement^ de sa 
discipline et de sa morale, les dissidents ont prétendu 
à leur tour abriter sous son nom et justifier par ses 
principes leur particularisme et leur désertion. La Ré- 
forme en a appelé à lui de l'Eglise du moyen âge, et 
le jansénisme à lui encore de celle du xvi® siècle. Cette 
étrange destinée vient sans doute de ce que tout n'est 
pas harmonisé ni mis au point dans les vues profondes 
que le saint docteur a jetées sur l'infinie variété des 
problèmes qui l'ont occupé. Pressé par le temps et 
ayant au plus haut degré le sentiment des mystères 
que la théologie chrétienne essaie d'éclairer, saint Au- 
gustin a hésité parfois, tâtonné, proposé des solutions 
diverses dont on fausse le sens, si on les prend isolé- 
ment : il a écrit des Rétractations. Mais cette reven- 
dication de l'autorité d'Augustin et par l'Église et par 
les dissidents tient à une cause plus intime., Elle tient 
à ce que le christianisme de Tévêque d'Hippone est à 
la fois très traditionnel et très original. Homme de 
tradition, homme d'Église, saint Augustin l'est au plus 
haut point i il vénère cette Église comme la maîtresse 
de la vérité, et il en accepte sans hésiter les enseigne- 
ments. Mais ces enseignements,, il les repense pour 
son propre compte : il les fait siens par la méditation 



356 HISTOIRE DÈS. DOGMES. 

intense qu'il leur consacre et la forme qu'il leur donne : 
sur bien des sujets il précise efc complète ceux qu'il 
avait reçus. Bien plus, le sentiment est manifeste chez 
lui que ces enseignements n'épuisent pas la vérité 
qu'ils expriment, que le mystère divin ne saurait être 
complètement enfermé dans des formules humaines, et 
que, en consécpience, une part doit être laissée dans le 
christianisme aux élans de la piété et aux intuitions du 
cœur. Sa doctrine est donc à la fois très orthodoxe et 
très libre, très traditionnelle et très personnelle. L'évê- 
que d'Hippone est un théologien, mais c'est en même 
temps une âme profondément religieuse. Jl n'est pas 
seulement le maître de la science : il est le docteur de 
la piété chrétienne. En marge de la théologie théori- 
que, il écrit toute une théologie du cœur, une théo- 
logie de son expérience personnelle que l'Église ne 
lui a pas apprise et dont les formules sont naturelle- 
ment plus flottantes. On peut en abuser ; mais il con- 
vient de se rappeler que, dans la pensée d'Augustin, 
cette théologie ne doit pas se séparer de la première 
et à plus forte raison ne l'exclut pas. Il les faut prendre 
toutes les deux, ou du moins s'attacher de préférence 
à la foi reçue qui s'impose à tous, et qui ne repré- 
sente pas les vues d'un seul homme, cet homme fût-il 
un génie. 

Que si l'on veut maintenant rechercher les causes 
qui imprimèrent à l'activité et aux enseignements de 
saint Augustin leur caractère spécial, on les trouvera 
dans une certaine mesure — car le génie ne s'explique 
jamais complètement — dans son tempérament propre 
et dans les influences qu'il a subies. 

Augustin était une intelligence d'élite, en qui la lec- 
ture deV ffortensius de Gicéron développa d'abord une 
vraie passion pour la recherche de la vérité, que l'étude 
des néoplatoniciens ensuite tourna vers la contempla- 



LA THÉOLOGIE DE SAL\T AUGUSTIN. 337 

tion, et habitua aux spéculations les plus hautes sur 
Dieu et le principe des choses. Un intellectualisme dur 
et sec aurait pu résulter de cette première formation ; 
il fut corrigé par une sensibilité qui était en lui exquise, 
et qui s'épura au contact de la piété maternelle. En 
même temps, le profond regret qu'Augustin conserva 
toute sa vie des écarts de sa jeunesse, l'expérience qui 
lui avait fait toucher du doigt la fragilité de l'homme, 
peut-être aussi la doctrine manichéenne qu'il adopta 
quelque temps, produisirent en lui, avec un sentiment 
incomparable d'humilité personnelle, une vue nette du 
néant de l'homme en face de Dieu. Dieu, d'un côté, lui 
apparut comme la lumière, le bien, la vie; l'homme, 
de l'autre, comme l'ignorance, la corruption, la mort, 
et tout le christianisme comme une descente de Dieu 
dans le cœur de l'homme pour l'éclairer, le vivifier, le 
sauver. Si l'on ajoute à cela l'influence sur lui de saint 
Jérôme, celle du monacliisme que l'Occident commen- 
çait à connaître et de la lecture des Vies des Pères qui 
circulaient déjà, on comprend que saint Augustin 
tournât naturellement au mysticisme contemplatif, et 
que l'ascétisme lui semblât la forme la plus juste et 
en quelque sorle normale de la religion. Peut-être en 
cifet s'y serait-il arrêté ; mais, outre que, ancien pro- 
fesseur de rhétorique et admirablement doué pour 
l'éloquence, il se sentait pour la parole et la plume de 
la facilité et du goût, il put admirer en saint Ambroise 
le type de l'évêque administrateur, de l'homme de 
gouvernement et d'action, tel qu'il en faut à la masse 
des fidèles. Dans l'évêque de Milan, l'Église se révéla 
à lui non plus seulement comme une communauté d'as- 
cètes ou d'âmes perdues en Dieu, mais comme un 
grand corps mêlé qui demandait un symbole, des lois, 
une discipline, un gouvernement. Dès lors, les concep- 
tions d'Augustin se trouvèrent équilibrées, et riwi ne 



SSa HISTOIRE DES DOGMES. 

manqua plus à ce qui pouvait favoriser l'épanouisse- 
ment de tout son génie. Une merveilleuse intelligence 
unie à un cœur compatissant et tendre, une piété ar- 
dente naturellement contemplative, unie au sentiment 
de ce que demandaient d'activité pratique la défense 
de la vérité, la conduite des fidèles et le gouvernement 
de l'Église, tout cela fît de lui un. grand philosophe et 
un grand théologien, un grand controversiste et un 
grand mystique, un grand évêque et un grand saint. 
Venons maintenant au détail de sa doctrine. 



§ 2. — Les sources de la foi, l'Écriture, la 
tradition, la philosophie^. 

« Nulli dubium est gemino pondère nos impelli ad 
discendum, auctoritatis atque rationis^ ». Ces paroles 
de saint Augustin nous le montrent distinguant, suivant 
la source qui les produit, deux genres différents de 
connaissance, la science et la foi; car la foi, remarque- 
t-il, est précisément l'adhésion que nous donnons à des 
vérités que notre esprit ne perçoit pas directement, sur 
l'autorité d'un témoignage qui nous les certifie 3. 

Or il y a une foi naturelle, et qui a pour objet les 
vérités d'ordre profane qu'il faut bien croire sous peine 
de rendre impossible toute société entre les hommes'', 
et une foi surnaturelle des vérités révélées par Dieu. 
Où saint Augustin ira-t-il chercher cette révélation di- 
vine? D'abord dans l'Écriture Sainte. C'est Jésus- 



1. Travaux : C. Douais, Saint Augustùi et la Bibles dans la Revue bi- 
blique, t. II, m (1883, 1894). I. HlHîtEL, Ueberdas VerhâUniss des Glaxi- 
ben$ zu Wissen bei Augustin, Leipzig, 1891. Les ouvrages cités, plus 
loin sur l'ecclésiologie de saint Augustin. 

s. Contra academieos, UI, 43.. 

3. • Greduntur ergo illa quae absunt a mentibus nostris si Yidetur 
idoneum quoi eis testitnonium perhibetor » {Epist. CXLVII, ^). 

4. De utilitate credendi, 26. 



La théologie de SAIKT AUGUSTIN. 359 

Christ en effet qui a « parlé par la bouche des prophètes 
et conduit la plume des apôtres » ; ces livres des apô- 
tres sont des écrits de Jésus-Christ même*. Dieu est 
le vrai auteur des Livres Saints, et c'est pourquoi ils 
ne sauraient contenir d'erreurs : « Quam (Scripturam) 
esse veracem nemo dubitat nisi infidelis aut impius ^ ». 
Celles qu'on y croit rencontrer sont des fautes de co- 
pie ou de traduction, ou encore viennent de ce que l'on 
comprend mal le texte ^. 

Non pas que l'évéque d'Hippone exclue de la rédac- 
tion et de la composition des écrits inspirés toute col- 
laboration et toute part humaine; il va, au contraire, 
jusqu'à admettre chez leurs auteurs secondaires des 
oublis, des confusions de noms possibles*; mais il 
ajoute que ce sont là des accidents sans portée, voulus 
de Dieu, qui ne nuisent pas au fond du récit, et qui 
n'empêchent pas qu'on ne doive aux Écritures et à 
elles seules — par opposition aux apocryphes et aux 
livres profanes — un assentiment absolu : « Solis <;a- 
nonicis (scriptis) debeo sine uUa recusatione consen- 
sum^ ». 

Cette Ecriture, saint Augustin l'interprète d'ailleurs 
assez librement. On sait qu'il a hasardé — sans l'adop- 
ter pourtant d'une façon définitive — une théorie de la 
pluralité des isens littéraux, en vertu de laquelle toute 
interprétation pieuse et utile du texte serait un sens 
littéral voulu par le Saint-Esprit, auteur premier du 
texte ^. Ses interprétations doctrinales à lui sont sou- 
vent pénétrantes et justes, mais quelquefois aussi plus 

1. De doctrina christiana, II, 6; Confessiones, VIT, 27; XIII, 44; De 
civii. Dei, XI, 3; XVIII, 43; De consensu evangelistarum, I, 5i. 

2. De Genesi ad lîUeram, VII, 42. ' 

3. Contra Faustum, XI, S; cf. Epîst. XXVIII, 3; LXXXII, 3, 24. 

4. I>e c(Mlse«su et)a«5feKsf., III, 28 suiT.; cf. II, 27-29. 

5. De natura et gratia, 71 ; <Epîst. LXXXII, 3. 

6. Confess,, XII, 30-33; cf. De doctrinachristiana, I, 40; îll, S, 38. 



360 HISTOIRE DES DOGMES. 

ingénieuses que solides. Elève des néoplatoniciens et 
d'ailleurs porté, par la subtilité de son esprit, à l'allé- 
gorisme et au mysticisme, il donne, dans sa prédica- 
tion surtout, libre cours à ces tendances et délaisse 
volontiers l'exégèse littérale, pour chercher, dans des 
explications plus raffinées, des thèmes de morale et 
d'édification. 

A côté de l'Écriture, d'autre part, et comme source 
de la doctrine révélée, saint Augustin met la tradition, 
une tradition non écrite qui vient des apôtres, et qui 
nous a transmis des coutumes et des enseignements 
que l'Écriture ne contient pas : « Sunt multa quae 
universa tenet ecclesia, et ob hoc ab apostolis praecepta 
bene creduntur, quanquam scriptanon reperiantur^ ». 
De ce nombre est la nécessité du baptême pour les 
enfants. Quand une coutume est universelle et n'a pas 
d'ailleurs été instituée par un concile, c'est un signe 
qu'elle vient des apôtres 2. 

Saint Augustin n'identifie pas cette tradition avec 
l'autorité vivante de l'Eglise ; mais il reconnaît celle-ci 
comme la règle suprême et la norme de la foi. On se 
souvient du texte classique : « Ego vero evangelio non- 
crederem, nisi me catholicae Ecclesiae commoveret 
auctoritas^ ». C'est de l'Eglise que nous recevons les 
Écritures ; elle nous garantit leur autorité, et son en- 
seignement est le guide que nous devons suivre dans 
l'interprétation et des Ecritures et de la tradition''. 
Par ses conciles elle tranche toutes les controverses^. 
Une part de ce magistère doctrinal de l'Église revient 
d'ailleurs à ses évêques et à ses docteurs pris indivi- 



1. De baptismo, V, 31 ; cf. H, ia; IV, 9. 

2. De baptismo, IV, 31. 

3. Contra epist. fundamenti, 6; cf. Contra Fatistum, XXVIII, â. 

4. De Genesi ad litler. lib. imperfectus, ^, 

5. De baptismo, II, 3. 



LA THEOLOGIE DE SALNT AUGUSTIN. SU 

duellement. L'évêque d'Hippone ne manque pas, dans 
sa lutte contre les pélagiens, de citer les auteurs an- 
ciens jusqu'à saint Ambroise qui sont avec lui. 

Quel rôle est réservé à la philosophie dans la genèse 
de la foi et le développement de la théologie? Saint 
Augustin l'a résumé dans cette formule : « Intellege ut 
credas, crede ut intellegas'' ». Il réclame, avant la foi, 
un examen des titres du témoin à être cru sur parole ; 
il faut avant tout considérer « cui sit credendum^ », 
et à ce point de vue, « ipsa (ratio) antecédit fidem^ ». 
Cette conscience de la valeur du témoignage persiste 
dans l'acte de foi ^ ; mais, dès que cette valeur est per- 
çue, on ne doit pas attendre, pour croire, que la raison 
ait résolu touteâ les difficultés qui se peuvent soule- 
ver 5. A son tour cependant, une fois admises les véri- 
tés révélées, la raison reprend, dans une certaine me- 
sure, ses droits pour tâcher non pas de les comprendre 
complètement, mais de les pénétrer, d'en voir la con- 
venance et l'harmonie, d'en saisir, s'il est possible, le 
bien-fondé. Ici surtout apparaît la philosophie. Saint 
Augustin s'en est largement servi pour éclairer certains 
mystères, celui par exemple de la Trinité. Platonicien, 
ou plutôt néoplatonicien enthousiaste^, bien que su- 
bordonnant la philosophie à la foi et aux enseignements 
de l'Eglise, il s'est appliqué à montrer l'accord exis- 
tant entre cette philosophie et plusieurs des données 
de l'Evangile, et a cru même retrouver chez elle plu- 
sieur^ de nos mystères, en particulier celui du Verbe 
chrétien'^. Plus tard cependant son enthousiasme di- 

1. Sermo XLHI, 9; In psalm. CXVni, sermo XYIII, 3. 

2. De vera religions, -iS, 46. 

3. Epist. CXX, 3. 

4. Epist. CXX, 8; De praedest sanctorum, S. 

5. Epist. Cil, 38. 

6. Gonfess., VIF, 13, 26, 27; Contra academicos, III, 41 ; Epist. CXVIII, 
20-34. 

7. Contra academ., m, 43; Confess., \n, 13, 14; In loan.j tract, n, 4. 

HISTOIRE DES DOGMES. — II. 21 



362 HISTOIRE DES DOGMES. 

minua, et vers la fin de sa vie il pétracta plusieurs des 
opinions philosophiques qu'il avait émises ^ . Mais ce 
qu'il n'a jamais rétracté, c'est l'habitude de raisonner 
sa foi, et le goût de montrer combien les vérités chré- 
tiennes sont en harmonie avec ce qu'il y a en l'homme 
de plus noble et de plus élevé. 

§ 3. — Dieu et la Trinité. Controverse arienne \ 

Les deux courants, religieux et philosophique néo- 
platonicien, signalés plus haut se retrouvent dans la 
théodicée de saint Augustin. Il a proposé, dans ses 
ouvrages, les diverses preuves de l'existence de Dieu, 
la preuve téléolo'gique ^, la preuve métaphysique-*, 
mais celles qu'il préfère et auxquelles il revient plus 
volontiers sont la preuve qui se tire de la gradation 
des perfections qui se manifestent dans le monde ^, et 
celle qui se tire des idées nécessaires, ou preuve 
psychologique^. Dans le monde, nous voyons des êtres 
plus ou moins bons, mais muables et imparfaits ; com- 
ment les jugerions-nous plus ou moins bons si ce 
n'est par comparaison avec le souverain bien auquel 
ils participent plus ou moins et dont nous avons l'idée : 
« Quapropter nuUa essent mutabilia bona, nisi esset 
incommutabile bonum '. » D'autre part, l'homme est 
supérieur à tout ce qui l'entoure, et dans l'homme la 

1. De eivit. Dei, XXU, 28; Retract., I, d, 4; 4, 2, 3; 11, i, etc. 

2. Trayaux : C. von Esdert, Der Gotlesbeweis in der patrîstîschen 
Zeit, mit besonderer Berucksichtigung Augustins, Freiburg^ im Breis- 
gau, 1869. J. Martin, Saint Augustin, Paris, 1901. L. Grandgeorge, Saint 
Augustin et le néoplatonisme, Paris, 1896, Th. Gasgadf, Des hl. Augus- 
tinus spéculative Lekre von Gott dem Dreieinigen, Augsburg, 1866. 

3. Sermo CXLI, 2; Enarr. in psalm. XLI, 7, 8. 

4. Confession., X, 8-10. 

5. De trinilate, VIII, 4, S; De'civit. Dei, XI, 2; VHI, 7. 

6. De libero arbitrio, 7-14; Enarr. in psalm. XLI, 8. 

7. De trinit., VllI, S. 



LA THEOLOGIE DE SAINT AUGUSTIN. 363 

raison est ce qu'il y a de plus élevé. Mais cette raison 
elle-même est dominée par des idées, des principes 
nécessaires, immuables, éternels, supérieurs à elle 
puisqu'elle ne les crée point. Cette vérité qui s'impose 
ainsi à l'âme et qui l'éclairé, c'est Dieu K Cette preuve, 
on s'en rend compte, peut verser aisément dans l'on- 
tologisme, si elle est mal présentée, et l'on trouve en 
ejffet dans saint Augustin des textes qui paraissent 
favoriser cette erreur ^, aussi bien que celle de l'in- 
néisme^. Cependant un examen plus attentif montre 
que notre docteur a évité ces écueils ■'. Il a eu seule- 
ment le tort de ne pas pousser ses preuves assez loin, 
et de conclure trop aisément de l'idée à l'existence de 
son objet. 

Quant à ses vues sur les attributs de Dieu, sur sa 
simplicité, son éternité, son immensité, elles sont 
d'une profondeur admirable. En même temps qu'il 
saisit Dieu par le cœur comme souverain bien, saint 
Augustin le saisit aussi par l'intelligence pure comme 
la première vérité, le premier être et la première vie^. 
C'est une conception toute philosophique qu'il pliera 
aux exigences du dogme, mais qui restera chez lui 
fondamentale. Elle l'amènera, dans son exposé trini- 
taire, à prendre un point de départ différent de celui 
de la théologie grecque, et à insister, plus que celle-ci 
ne l'avait fait, sur l'intimité et l'immanence des pro- 
cessions divines. 



1. De libero arbitrio, 7-14. 

2. De trinit., VIII, 13; X, 1, 2; De eivit. Dei,yiU, 7. 

3. De trinit., X, 1. 

•4. SCHWANE, Hist. des Dogmes (trad. Decert), II, p. 90 suiv. Portaliê, 
art. cité, col. 233S, 2336. Il y a dans la doctrine de saint Augustin un 
parallélisme frappant. De même qu'il n'admet pas que nous puissions, 
sans la grâce, faire un acte même moralement bon, il n'admet pas 
que nous puissions, sans un secours intellectuel de Dieu, distinct de 
notre raison, percevoir les vérités même naturelles. 

5. De civit. Dei, YIII, 10, 2 



364 HISTOIRE DES DOGMES. 

Bien que saint Augustin, en effet, ait bataillé contre 
les ariens, et écrit contre eux quelques ouvrages de 
polémique, il aime à approfondir le mystère de la 
Trinité en quelque sorte pour lui-même et en dehors 
de toute controverse ^ . Dans son exposé, il part non 
du Père comme source des deux autres personnes, 
mais de la nature divine une et simple qui est Trinité : 
« Unus quippeDeus estipsaTrinitas, et sic unusDeus 
quomodo unus creator^. » Ce Dieu un est Père, Fils 
et Saint-Esprit. Le subordinatianisme est ainsi ruiné 
par la base, tout ce qui est dit de Dieu étant dit de 
toutes et de chacune des personnes qui sont ce Dieu^. 
Cette nature divine, que l'évêque d'Hippone appelle- 
rait plus volontiers une essence qu'une substance*, 
est individuelle et déterminée : elle est numérique- 
ment identique dans les trois personnes qui la pos- 
sèdent ^. Bien plus, elle n'est pas un quatrième terme 
s'ajoutant aux trois personnes : elle est chacune d'elles, 
ou plutôt chacune de ces personnes est cette nature 
même considérée sous un certain aspect, et la Trinité 
n'est que cette nature considérée dans la totalité de 
ses aspects^. De cette xmicité et identité de nature 
dans les trois personnes, saint Augustin tire les consé- 
quences suivantes : 1° Ces personnes n'ont ad extra- 
qu'une seule volonté et une seule opération : « Ubi 
nuUa naturarum nuUa est diversitas voluntatum*^ »; 



1. Les ouvrages principaux de saint Augustin sur ce sujet sont les 
suivants : De Trinitate (400-416); Contra sermonem arianorum {U8); 
Collatio cum Maximino (428); Contra Maximinum haereticum (428); 
les lettres XI (380-383) et CXX (396-410), et De civitate Dei, XI, 10 (413- 
426). 

2. Contra sermon, arian., 3. 

3. De irinil., V, 9. 

4. De trinil., VII, 10. 

5. De trinit., VIII, 11. 

6. Epist. CXX, 13, 17. 

7. Contra Maximinum, II, 10, 2; De trinil., n,9;Enchiridion, XXXVIII. 



LA THÉOLOGIE DE SAINT AUGUSTIN. 365 

et le saint docteur en prend occasion de réformer la 
théorie des théophanies présentée par ses devanciers. 
Ce n'est pas le Verbe seul qui a apparu, mais toute la 
Trinité, mais Dieu; et il l'a fait non par lui-même, 
mais par des anges qui parlaient et agissaient en son 
nom, et, sous des apparences sensibles, se manifes- 
taient aux hommes^. 2" Dans l'incarnation du Fils, 
l'acte qui a uni le Fils avec la nature humaine et qui 
l'a ainsi envoyé dans le monde est le fait de toute la 
Trinité ^. 3° Chacune des trois personnes est autant 
que les deux autres et que la Trinité entière, car elle 
possède la totalité de la nature divine et est Dieu qui 
comprend aussi les deux autres personnes : « Tantus 
est solus Pater, vel solus Filius, vel solus Spiritus 
sanctus quantus est simul Pater et Filius et Spiritus 
sanctus ^, » C'est la circumincession : « semper in in- 
vicem, neuter solus '' ». 4° Tout ce qui se rapporte, en 
Dieu, à la nature, et qui exprime quelque chose d'ab- 
solu doit être énoncé au singulier, puisque la nature 
divine, sujet de cet absolu, est unique®. 

Saint Augustin, au contraire des Grecs, a donc, en 
tête de son exposé trinitaire, affirmé que Dieu est ri- 
goureusement un, et a tiré les conséquences de son 
affirmation. Ceci fait, la difficulté était d'éviter le mo- 
dalisme et d'expliquer la pluralité réelle des person- 
nes. Qu'est-ce donc que ces personnes qui sont' réelle- 
ment distinctes, et qui cependant ne divisent pas 
l'unité et la simplicité divine ? Le saint docteur répond 
par la théorie des relations. Ces personnes sont des 
relations, relations qui rie se confondent pas avec la 
substance ou la nature, puisqu'elles ne sont pas quel- 

i. De trinit., II, 12 suiv. ; Iir, 22-27. 

2. De trinit.. If, 8, 9. 

3. Be trinit., VI, 9. 

4. Be trinit., VI, 9, 8; XV, 8. 
8. Be trinit,, V, 9, M. 



366 HISTOIRE DES DOGMES. 

que chose d'absolu, mais qu'on ne saurait non plus 
traiter d'accidents, parce qu'elles sont essentielles à 
la nature, éternelles et nécessaires comme elle : « Non 
secundum substantiam haec dicuntur quia non quisque 
eorum ad seipsum, sed ad invicem atque ad alter- 
utrum ista dicuntur : neque secundum accidens, quia 
et quod dicitur Pater et quod dicitur Filius aeternum 
atque incommutabile est... Hoc non secundum sub- 
stantiam dicuntur, sed secundmu relativum; quod 
tamen relativum non est accidens, quia non est muta- 
bile ^ . » Ainsi le Père est dit tel ad Filium, le Fils ad 
Palrem, et le Saint-Esprit ad Patrem et Filium. 
Quant au mot personne , on l'a employé, faute d'un 
autre, dans le langage trinitaire pour signifier trois 
distincts; mais on doit d'ailleurs, comme tous les 
autres, l'entendre de Dieu d'une façon analogique : 
« Très utique sunt... Tamen cum quaeritur quid très, 
magna prorsus inopia humanum laborat eloquium. 
Dictum est tamen très personae, non ut illud dicere- 
tur, sed ne taceretur^. » 

Il est inutile d'exposer les vues de saint Augustin 
sur la génération du Fils ; elles ne font que reproduire 
ce qui avait été dit avant lui; mais il est fort important 
de remarquer qu'il a été le premier à enseigner net- 
tement, et en raisonnant son enseignement, la proces- 
sion du Saint-Esprit a Filio : « Non possumus dicere 
quod Spiritus sanctus et a Filio non procédât : neque 
enim frustra idem Spiritus et Patris et Filii Spiritus 
dicitur 3 ». Est-ce donc que le Saint-Esprit a deux 
principes, le Père et le Fils? Non : l'action de pro- 
duire le Saint-Esprit est commune au Père et au Fils, 

1. De triniU, V, 6, 16, 17; YH, 24. Cf. De civit. Dei, XI, 10, 1. 

2. De trinit.. Y, 10; Yll, 8, 9. 

3. De trinit., IV, 29; Contra Maximinum, H, 14, l ; In loann., tract. 
G IX, 7. 



LÀ THÉOLOGIE DE SAINT AUGUSTIN. 367 

comme celle de créer est commune aux trois per- 
sonnes, et dès lors ils ne sont qu'un seul principe du 
Saint-Esprit : « Fatendum est Patrem et Filium 
principium esse Spiritus sancti, non duo principia ^ ». 
Ce qui n'empêche pas le Saint-Esprit de procéder 
du Père princip aliter, parce que c'est le Père qui 
donne au Fils, avec sa substance, la vertu de produire 
le Saint-Esprit ^. Quant à dire ce qu'est cette proces- 
sion, et en quoi elle diffère de la génération du Fils, 
c'est de cpioi saint Augustin se déclare incapable : 
il y a là un mystère que nous ne connaîtrons qu'au 
ciel 3. 

Ainsi donc les personnes divines sont des relations, 
et tout ce qui n'exprime pas une relation en Dieu leur 
est commun. Le Père, le Fils et le Saint-Esprit sont 
sagesse, encore que ce mot soit dit plus spécialement 
du Fils. De même, ils sont charité, bien que ce titre 
convienne plus particulièrement à l'Esprit-Saint''. 

Il n'est pas nécessaire d'insister pour montrer com- 
bien saint Augustin, dans toutes ces explications, dé- 
passe ses devanciers. Il les dépasse encore par les 
recherches qu'il fait, dans le monde créé, des analo- 
gies de la Trinité. Victorin l'avait sans doute précédé 
dans cette voie, mais l'évêque d'Hippone a singulière- 
ment élargi ses aperçus, et a vraiment préludé, sur ce 
sujet, aux spéculations ultérieures des scolastiques. 
Les livres ix à xv du De trinitate sont consacrés à 
développer ce thème. L'auteur retrouve l'image de la 
Trinité dans l'âme humaine qui se connaît et qui 
s'aime : mens, notitia, amor : a Haec tria unum atque 
una substantia » (lib. ix, 18); — dans la mémoire, 

1. De trinit., V, IS. 

2. De trinit., XV, 29; cf. 47, 48. 

3. De trinit., XV, 48; cf. IX, 17, 18. 

4. De trinit., VU, 1-4; XV, 27-37 



368 HISTOIRE DES DOGMES. 

rintelligence et la volonté (lib. x); — dans l'objet vu, 
la vision et l'attention du spectateur (lib. xi); — dans 
l'intelligence des enseignements de la foi, le souvenir 
que l'on en garde, et l'effort que l'on fait pour se les 
rappeler (lib. xiii) ; — enfin dans le souvenir, la con- 
naissance et l'amour de Dieu, car c'est alors surtout 
que l'âme, naturelle image de Dieu par les trois fa- 
cultés de mémoire, d'intelligence et de volonté, le de- 
vient plus encore par la pensée de Dieu qui vit en elle 
(lib. xiv). Le livre xv résume les précédents, et il 
semble, à un moment, que saint Augustin y veuille 
entreprendre une démonstration rationnelle de la Tri- 
nité; mais on n'y trouve que de simples analogies. 



§ 4. — La création. Le problème du mal. 
Controverse manichéenne*. 

Saint Augustin distingue comme deux moments 
dans l'acte créateur du monde : un premier moment 
où la matière première et les esprits sont produits 
dans une sorte de confusion : c'est l'objet des deux pre- 
miers versets de la Genèse; un second moment — mo- 
ment d'organisation — où les êtres sont distingués et 
les espèces déterminées : c'est l'objet des versets 3 et 
suivants. Mais la matière première est proprement 
créée ; le monde a été fait d'elle : elle-même sort du 
néant : « Etiamsi de aliqua informi materia factus est 

i.. Travaux : F. L. Grassmann, Die Schopfungslehre des hl. Augustin 
und Darwin$, Regensburg, 1889. J. Christinnecke, Causalitât und 
Entvoicklung in der Metaphysik Augustin, Leipzig, 1891. E. Melzer, 
Die augustinische Lehre vom Kausalitàts Verhâltniss Gottes zur 
Welt, Neisse, 1892. K. SciPio, Des Aurelius Augustinus Metaphysik in 
Rahmen seiner Lehre vom Uebel, Leipzig, 1886. G. DouaiSj Saint Au* 
gustin contre le manichéisme de son temps, Paris, 189S. F. Nourrisson. 
La philosophie de saint Augustin, Paris, 486S. J. Martin, Saint Augus- 
tin, Paris, 1901. H. Weinand, Die Goltesidee der Grundzug der Weltan- 
schauung des hî. ^wg-us^iTis, Paderborn, i910. 



LA THEOLOGIE DE SAINT AUGUSTIN. 369 

mundus, haec ipsa facta est omnino de niliilo ^ ». Cette 
création vient immédiatement de Dieu : l'évêque 
d'Hippone n'admet pas que les anges aient le pouvoir 
de créer 2. Contre les origénistes il soutient qu'elle a 
eu lieu dans le temps. On objectait à cela que la créa- 
tion temporelle emportait en Dieu un changement, 
Dieu de non-créant devenant créateur. Il répond que 
tout le changement est du côté de la créature et non de 
Dieu : « Una eademque sempiterna et immutabili vo- 
luntate res quas condidit, et ut prius non essent egit, 
quamdiu non fuerunt, et ut posterius essent, quando 
esse coeperunt^ ». De ces créatures et de ce monde 
Dieu portait éternellement en lui les archétypes et le 
plan '^ : saint Augustin applique ici les versets 3 et 4 
du chapitre i de saint Jean qu'il unissait de la sorte : 
« Quod factum est in ipso vita erat » ; tout ce qui a été 
fait était vie dans le Verbe, vivait en lui par l'idée 
qu'il en avait ^. Dieu toutefois réalise librement ces 
archétypes et ce plan des choses. Il n'avait pas en 
effet besoin du monde : il l'a créé par bonté pure, et 
pour communiquer les richesses de son être et de ses 
attributs ^. 

Mais Dieu ne crée pas seulement les êtres : il les 
conserve et les soutient dans l'existence. Conservation 



i. De vera reltg., 36; Confess., XII, 8; De fide et symbolo, 2. 

S. Quaest. in Heptateuckum, II, SI. Les créations angéliques que l'on 
croit constater, par exemple dans les cas de magie, ne sont qu'appa- 
rentes : les anges ne font que mettre dans des conditions favorables 
à leur développement les germes premiers des êtres, germes d'abord 
créés par Dieu (De trinit., III, 14). 

3. De civit. Dei, XII, 17, 2. 

4. Ad. Orosium, 9; De divers, quaest. LXXXm, qu, XL VI, 2. 

5. De Genesi ad Hit., V, 33. 

6. De Genesi ad litt., IV. 26; Confess., XIII, 2-5. Quant à la façon dont 
le monde a été créé et organisé, on sait que saint Augustin n'a vu dans 
les six jours de la Genèse qu'un plan subjectif suivi par l'écriA'ain sacré 
pour ordonner son récit. Tous les êtres, en réalité, ont été créés si- 
multanément {De Genesi ad litt., IV, 51-56). 

21. 



370 ~ HISTOIRE DES DOGMES. 

nécessaire, puisque la vertu de Dieu est la cause de leur 
subsistance et que sans elle ces êtres retomberaient 
dans le néant * ; conservation qui est vraiment une 
création continue et permanente, puisqu'elle a pour 
objet et pour terme l'existence même des créatures ^. 

Un point cependant embarrassa longtemps saint 
Augustin relativement à la création : c'était le pro- 
blème du mal : « Quaerebam unde malum, et non erat 
exitus ^ ». Le manichéisme avait résolu la difficulté par 
le dualisme, en assignant au mal soit physique soit 
moral un premier principe mauvais, distinct de Dieu, 
auteur du bien. Cette solution avait d'abord séduit Au- 
gustin, qui fut près de dix ans manichéen. Plus tard il 
la combattit vigoureusement. Il montra quelle contra- 
diction c'était d'admettre un être positif mauvais par 
essence, et tel surtout que le concevaient les mani- 
chéens; quelles absurdités supposait aussi la préten- 
due lutte des deux principes telle que la secte la ra- 
contait ■*. 

Mais il ne suffisait pas de réfuter l'erreur, il fallait 
soi-même apporter une solution au problème. L'évêque 
d'Hippone le fit en empruntant aux Grecs l'idée que 
le mal n'est qu'un défaut, une négation du bien : « Ni- 
hil aliud est (malum) quam corruptio vel modi, vel 
speciei, vel ordinis naturalisa ». La nature, toute na- 
ture est bonne en tant que nature ; son mal consiste à 
éprouver une diminution de son bien : « Non ergo 
mala est in quantum natura est uUa natura ; sed cuique 
naturae non est malum nisi minui bono^ ». Le mal 



1. De Genesi ad litt., Vf, 22. 

2. De Genesi ad litt., IV, 23; Enchiridion, XXVH; De eivit. Dei, 
VU, 30. 

3. Confess., VII, H. 

4. De natura boni, 41-43. 

5. De natura boni, 4, 

6. De natura boni, 17. 



LA THEOLOGIE DE SAINT AUGUSTIN. 371 

absolu pour elle serait de ne plus exister; mais juste- 
ment alors le mal devient négation complète * . 

Or, entre les différentes espèces de maux, il faut 
distinguer d'abord le mal que les philosophes nom- 
ment métaphysique^ et qui n'est, pour les créatures, 
que la condition nécessaire d'infériorité où elles sont 
par rapport à l'être incréé et infini, ou, en vertu de 
leur nature particulière, par rapport les unes aux 
autres. On ne saurait voir en cela, remarque notre 
auteur, un véritable mal, car ces degrés divers de per- 
fection contribuent à la beauté de l'univers. Il en faut 
dire autant de la disparition et de la succession dans 
la vie des êtres inférieurs. Le mal proprement dit 
n'est pas l'absence d'un bien quelconque, mais la pri- 
vation d'un bien que l'on devrait avoir, et qui convient 
à la nature dont il s 'agit 2. 

Cette privation, à son tour, peut avoir pour objet un 
bien physique ou un bien moral. Dans le premier cas, 
elle est la conséquence du caractère imparfait de la 
créature qui vient du néant et qui tend à y retourner^. 
Dans le second cas, elle n'a pas sa source dans une 
malice essentielle de la nature, mais dans la volonté 
libre. Le péché en effet n'est pas nécessaire ni voulu 
de Dieu; il n'est que « voluntas retinendi vel conse- 
quendi quod iustitia vetat, et unde liberum est absti- 
nerc* » — « Non igitur nisi voluntate peccatur^ » ; il 
n'est pas « appetitio naturarum malarum, sed desertio 
meliorum » ; il consiste à préférer un bien inférieur à 
un supérieur^; il n'a pas de cause proprement effi- 
ciente, mais déficiente'^. 

1. De natura boni, 6; Contra Secundinum, H. 

2. De natura boni, 8, 16, 23. 

3. De natura boni, 10; Contra Secundinum, S. 

4. De duabus animabus, 15. 

5. De duabus animabus, 14. 

6. De natura boni, 34. 

7. De civit. Dei, XII, 1. 



372 HlSTOraE DES DOGMES. 

Ainsi donc, en somme, la présence du mal dans le 
monde s'explique par l'infirmité même inhérente à 
toute créature, et par le jeu de la liberté des êtres su- 
périeurs qui, pouvant éviter le péché, ne le font pasv 
Il est vrai qu'alors le mal moral est puni par un mal 
physique; mais ainsi l'exigent l'ordre et la justice aux- 
quels la volonté de Dieu ne saurait que se conformer : 
« Peccantes igitur in suppliciis ordinantur : quae ordi- 
natio, quia eorum naturae non competit, ideo poena 
est; sed quia culpae competit, ideo iustitia est*. » 

§ 5. — Angélologie^. 

On avait généralement admis dans l'Église latine 
avant saint Augustin que les anges avaient un corps 
plus ou moins subtil. Sans en faire un point de doc- 
trine, l'évêque d'Hippone adopta aussi cette opinion 
qu'il jugeait plus conforme à l'Ecriture^. Les démons 
possédaient avant leur chute un corps céleste; depuis, 
ils en ont un d'air humide et épais ^. 

Les anges ne sont pas éternels, ils ont été créés ^. 
Le saint docteur examine longuement s'ils l'ont été 
dans le temps ou avant tous les temps, puisque, ayant 
peut-être été créés les premiers, le temps n'a com- 
mencé qu'avec eux^. Mais cette question supposait 
tranchée celle du moment de la création des anges, et , 
c'est sur quoi notre auteur n'était pas fixé. Il était 

1. De natura boni, 7. 

9. Travaux : A. Biundt, Sancti Augustini Hipponensis epîscopi de 
angeîis docirina, I, Commentatio theologica, Paderborn, 1893. 

3. Epist. XCV, 8; De civit. Dei, XXI, 10; Enarr. in psalm. LXXXV, 17; 
De Genesî ad litt., XII, 68; De agone chrisHûno, 34; Sermo CCXLII, il; 
CCLXiV, G. 

4. De Genesi ad litt., III, 14, 15; XI, 17; De divinat. daemonum, 7; De 
civil. Del, XXI, 10, 1. 

5. De civit. Dei, XI, 9; 32; XII, 13, 1. 

6. De civit. Dei, Xll, 15, 1-3. 



LA THÉOLOGIE Mî SAIiST AUGUSTIN. 373 

persuadé que les anges sont quelque part mentionnés 
dans le récit du premier chapitre de la Genèse \ et il 
était disposé à les retrouver ou dans le mot caelum du 
verset 1 ou dans le mot lux du verset 3 ; mais il hésitait 
entre ces deux passages, c'est-à-dire qu'il ne savait 
s'il fallait mettre la création des anges avant ou après 
celle du monde matériel^. Au De civitate Dei, xi, 9, 
il se prononce cependant pour la seconde solution. 

En même temps que les dons de la nature, les an- 
ges reçurent, dans leur création, ceux de la grâce : le 
Saint-Esprit répandit en eux, comme en nous, la cha- 
rité de Dieu^., Malheureusement tous ne persévérèrent 
pas dans la grâce reçue. Saint Augustin repousse défi- 
nitivement l'interprétation qui voit des anges dans les 
« fils de Dieu » du récit de la Genèse vi, 1, 2, bien 
que, sur la foi de témoignages populaires, il ne nie 
pas la possibilité d'unions monstrueuses entre les 
femmes et les démons''. Le péché des anges a été, se- 
lon lui, un péché d'orgaeil : ils ont refusé de se sou- 
mettre à Dieu et de lui rester fidèles^. L'évêque d'Hip- 
pone suppose d'ailleurs que l'épreuve n'a été que d'un 
instant. Satan s'est détourné de Dieu dès le premier 
moment de son existence ; les bons anges ont contem- 
plé le Verbe le jour même de leur création^. 

Pour ceux-ci, le résultat de l'épreuve a été la béa- 
titude parfaite. Non seulement ils sont certains de la 

1. De civît. Dei, XI, 9. Il ne condamne pas cependant l'opinion de 
ceux qui pensent que leur création a précédé le moment où commence 
le récit de Moyse, car Vin principio signiGe dans le Verbe {De civit, 
Dei, XI, 32). 

2. Contra Faustum, XXII, 10; De Genesi ad litt., I, 7, IS; De Genesi 
lib. imperf., 21. 

3. De civit. Dei, XII, 9, 2. Saint Augustin se demande s'ils reçurent 
en même temps l'assurance de leur persévérance. Ceux qui tombèrent, 
certainement non; les autres, peul-être (De civit. Dei, XI, 13). 

4. De civit. Dei, XV, 23, 1, 3, 4. 

5. Enchiridion, XXVIII; De civit. Dei, XII, 6. 

6. De Genesi ad litt., II, 17; XI, 21, 26, 30. 



374 HISTOIRE DES DOGMES. 

permanence de leur bonheur^, mais ils sont absolu- 
ment fixés dans le bien 2. Ils voient Dieu face à face, 
contemplent l'immuable vérité, perçoivent dans le 
Verbe les lois et les principes des choses, et partici- 
pent, au-dessus de l'espace et du temps, à l'éternité 
divine 3. Ils ont connu par avance le mystère du 
royaume de Dieu'*. 

Les mauvais anges, au contraire, « miserrimi effecti 
sunt^ ». Ils ne subiront cependant qu'après le juge- 
ment dernier, dans sa plénitude, le châtiment qui leur 
est réservé : « in iudicio puniendos servari* ». En at- 
tendant, enfermés dans l'atmosphère inférieure et obs- 
cure qui est la nôtre, comme dans une prison, ils sont 
les princes de cet air contre qui nous avons à lutter''^. 
Leur science est fort grande : ils peuvent, en s'aidant 
de leur expérience et d'indications secrètes qui nous 
échappent, faire sur l'avenir des conjectures probables 
qui souvent se vérifient^. Ils n'ont cependant connu de 
Jésus-Christ que ce qu'il leur a permis ; mais ils n'ont 
sûrement pas vu en lui le Verbe de Dieu, et Satan 
même a douté s'il était le Messie, au moins au moment 
de la tentation dans le désert^. 

Sur les différences qui existent entre les anges, leurs 
ordres, leur hiérarchie, les degrés qui les distinguent, 
la signification précise des noms de Trônes, Domina- 
tions, etc., saint Augustin déclare qu'il ne sait abso- 



1. De Genesi ad litt., XI, 22, 25; De eorreptione et gratta, 27. 

2. Enchiridion, LVIl; De continentia, 46; De civil. Dei, XI, 13. 

3. De civit. Dei, IX, 22; XXII, 29, 1; De Genesi ad litt., YIII, 43; De 
trinit., IV, 22. 

4. De Genesi ad litt., V, 38 ; cf. De civit. Dei, VII, 32. 

5. De eorreptione et gratia, 27. 

6. De Genesi ad litt., XI, 33 ; De civit. Dei, XIV, 3, 2. 

7. De natura boni, 33; De Gen. ad litt., XI, 33; De civit. Dei, XIV, 3, 
2; De agone christiano, 5. 

8. De civit. Dei, IX, 20, 22. 

9. De civit. Dei, IX, 21 



LA THEOLOGIE DE SAINT AUGUSTIN. 375- 

lumeat rien : « Dicant qui possunt, si tamen possunt 
probare quod dicunt : ego me ista ignorare confi- 
teor^. » En revanche, il a traité des relations des an- 
ges avec les hommes. D'abord, les anges ont apparu 
quelquefois aux hommes. Comment? Est-ce en épais- 
sissant leuF propre corps spirituel par Faddition d'é- 
léments étrangers qui les ont rendus visibles, ou bien 
en donnant à la substance même de leur corps une 
forme réelle et sensible, le saint docteur ne saurait le 
dire^. De plus, Dieu confie aux bons anges auprès des 
hommes des missions temporaires 2. Ils nous annoncent 
les volontés de Dieu et lui offrent nos prières ^ ; ils 
veillent sur nous, nous aiment, nous secourent^ ; il» re- 
çoivent même la garde des nations infidèles^. Nulle part 
cependant, le saint docteur n'assigne expressément 
un ange gardien à chaque homme en particulier. Enfin 
les bons anges sont préposés aux éléments et aux grands 
corps de l'univers, et ils maintiennent l'ordre de la 
nature en aidant ces corps et ces éléments à observer 
et à réaliser leurs lois : « ut hoc de subditis vel cum 
subditis agant (angeli) quod naturae ordo poscit in om;- 
nibus, iubente illo cui subiecta sunt omnia' ». Notre 
devoir envers eux est non de les adorer comme des 
dieux, ni de leur offrir des sacrifices, ni de leur élever 
des temples^, mais de les aimer et de les honorer sim- 
plement : « Honoramus eos cliaritate non servitute^. » 

i. Enchîridion, LVni; Ad Orosium, 14. 

2. De trinit., III, 5; cf. Enchîridion, LIX. Le sermon XII, 9, semble 
adopter plutôt la première hypothèse. 

3. De eivit. Dei, VU, 30. 

4. Epist, CXL, 69. 

5. Enarr. inpaalm. LXII, 6; De civiL Dei, X, 2S. 
G. Enarr. inpsalm. LXXXVIII, 3. 

7. DeGenesiad liU., YIII, 43, 47. Cf. De divers, guaest. LXXXUI, quaest. 
LXXIX, 1. 

8. D&cîvit. Dâ},X,25,26; Confra PausfMm, XX, 21; Hevera religiontr 
ilO; Quaestiones in Heptat., I, &1 

9. De vera religione, HO. 



376 HISTOIRE DES DOGMES.: 

L'occupation des mauvais anges, au contraire, est 
tle travailler à nous tromper et à nous perdre ^ De 
plus, ils interviennent dans les pratiques de divination 
et de magie. Saint Augustin rapporte quelques faits de 
divination, et les explique par la subtilité des sens des 
démons qui leur permet de percevoir dans notre mé- 
moire et de révéler au devin nos souvenirs secrets ^. Il 
explique d'une façon analogue l'action diabolique dans 
les cas de magie ^. Cette puissance des démons est d'ail- 
leurs limitée. Dieu ne lui permet de s'exercer que dans 
la mesure où il veut châtier les méchants, punir les 
bons de leurs fautes ou même simplement les éprou- 
ver*; 

§ 6. — Chrîstologie et sotériologie. 
L'afifaire de Leporius^. 

Il est des questions théologiques que le génie d'Au- 
gustin a complètement renouvelées ; mais celles mêmes 
qu'il n'a pas touchées aussi profondément ont été par 
lui précisées et éclairées d'un meilleur jour. C'est le 
•cas de la chrîstologie. 

Le corps de Jésus-Christ est réel, terrestre, pris 
<i'une femme, afin que les deux sexes luttassent en lui 
contre le démon et le vainquissent; afin que, la mort 



i. In loan., tract, ex, 7. 

3. Contra academicos, 17, iî), 20. 

3. De divers, quaestion. LXXXIII, qu. LXXIX, 1. 

4. De trinit., ni, 13; De civit. Dei, II, 23, 2. 

5. Travaux : H. Hduner, Augustins Anschauiing von der ErJôsungsbe- 
deutung Christi, Heidelberg, 1890. G. Scueel, Die Anschauung Augus- 
tins ûber Christi Personund Werk, Leipzig, 1901. J. Gottschick, Augus- 
tins Anschauung von der ErlOserwirkungen Christi, dans Zeitschrift 
fur Théologie und Kirche, t. XI, 1901. C. van CnoMBRCccnE, La doctrine 
christologique et sotériologique de saint Augustin, et ses rapports 
■avec le néoplatonisme, dans la Revue d^histoire ecclésiastique, t. V, 
490i. J. lUviÈRE, Le dogme de la Rédemption, chap. XV, XXn, Paris, 1908. 
Ph. Friedrich, Die Mariologie des hl. Augustinus, Kôln, 1907. 



LA THÉOLOGIE DE SAINT AUGUSTIN. 377 

nous ayant été apportée par une femme, une femme 
aussi nous donnât la vie ^ . Ce corps est l'œuvre de la 
Trinité tout entière, puisque c'est une œuvre ad ex- 
tra, mais on en attribue la formation spécialement à 
l'Esprit-Saint, sans que l'on puisse dire pour cela, en 
aucune façon, que Jésus-Christ est le iîls du Saint- 
Esprit^. Les éléments, en tout cas, en viennent de la 
Vierge, vierge en concevant, vierge en enfantant, 
vierge toujours : « Concipiens virgo, pariens virgo, 
virgo gravida, virgo fêta, virgo perpétua ^ » . 

Sur l'existence en Jésus-Christ d'une âme raisonna- 
ble, le saint docteur n'est pas moins formel contre 
Apollinaire : « Erat enim in Christo anima humana, 
tota anima, non irrationale tantum animae, sed etiam 
rationale quod mens dicitur'' ». Cette âme raisonnable 
a précisément été le lien entre le Verbe et la chair ^. 
Mais l'évêque d'Hippone ne se prononce pas absolument 
sur son mode d'origine. On sait que, d'une manière 
générale , il hésitait, sur la question de l'origine des 
âmes, entre le traducianisme et le créatianisme. Pour 
celle de Jésus-Christ, il remarque que l'on ne peut 
se prononcer pour sa provenance ex traduce qu'à la 
condition que cette provenance n'entraîne pas en elle 
la souillure originelle, et il admet personnellement que 
cette âme a été créée : néanmoins il ne veut pas impo- 
ser son opinion^. 

Quant à la science humaine de Jésus-Christ, notre 
auteur enseigne définitivement, comme l'Occident le 



1. De agone christiano, ZO, 24; Contra Faustum, XXVI, 7; Sermo 
CXC, 2. 

2. Enchiridion, XXXVIII-XL. 

3. Sermo CLXXXVl, 1; CLXXXVm, 4; CLXXXIX, 2; CCXV, 3; Enchiri- 
dion, XXXIV; Epist. CXXXVn, 8; De trinit., yilî, 7. 

4. In loan., tract. XXin, 6; cf. XI.VII, 9. 

5. Epist. GXXXVn, 8; aXL, 12. 

6. De Genesi ad litt., X, 34, 37; cf. Epist. CLXIV, 19. 



378 ' HISTOIRE DES DOGMES. 

fera après lui, qu'elle a été absolue et complète. lî 
hésite, il est vrai, dans le De diversis quaestionibus 
Lxxxiii, question Lxxv, 2, à affirmer l'existence en Jésus 
homme de la pleine vision divine; mais, à la question 
Lxv, il interprète l'interrogation relative à Lazare : 
Ubi eum posuislisP d'une ignorance économique. Il 
fait de même du fameux passage de saint Marc, xiii, 
32 : a Hoc enim nescit quôd nescientes facit, id est, 
quod non ita sciebat ut tune discipulis indicaret^ ». 
Bref, il ne veut pas même admettre d'ignorance et de 
faiblesse dans la raison de Jésus enfant 2. 

La nature humaine du Sauveur est donc en soi en- 
tière et parfaite. D'autre part, cette nature est unie au 
Verbe. Comment saint Augustin comprend-il cette 
union sur laquelle, au lendemain de sa mort, l'Orient 
allait tant discuter ? On peut répondre qu'il la compre- 
nait de telle façon, malgré quelques impropriétés de 
langage, que le nestorianisme et le monophysisme ve- 
nus après lui n'eussent jamais pu, ce semble, prendre 
pied en Occident. En Jésus-Christ le Verbe et l'homme 
sont unis; mais cette union ou plutôt cette unité ne 
s'est pas faite par une transformation du Verbe en 
l'homme ni de l'homme dans le Verbe ; elle ne s'est pas 
réalisée non plus par un mélange ou combinaison des 
deux. Non, les deux natures, divine et humaine, sont 
restées distinctes : Jésus-Christ est Dieu et homme, 
et par là médiateur. Il y a cependant entre l'homme et 
le Dieu union intime, union à laquelle le saint docteur 
donne parfois le nom de mélange ^, qu'il compare sou- 
vent à l'union de l'âme et du corps ^, mais qu'il désigne 
surtout comme une union personnelle, hypostatique. 

1. De trinit., I, 23; Enarr. in psalm. VI, 1. 

2. De peccaior. meritîs et remissione, II, 48. 

3. Epist. CXXXVII, M\ Dj trinit., IV, 30. 

4. Epist. CXXXVII, H ; In loan., tract. XIX, 15. 



LA THEOLOGIE DE SAINT AUGUSTIN. 379 

Le Verbe et l'homme ne font et ne sont qu'une même 
et unique personne, celle du Verbe, unité et union qui 
a commencé avec l'existence même de l'humanité du 
Christ, et que cette humanité par conséquent n'a pu 
mériter. Autant de points sur lesquels il serait aisé 
d'accumuler les textes. En voici quelques-uns : 

Quia omnipotens erat (Verbum), fleri potuit, mauens quod 
erat... Quod Verbum caro factum est, non Verbum in carnem 
pereundo cessit, sed caro ad Verbum, ne ipsa periret, accessit... 
Idem Deus qui homo, et qui Deus idem homo, non confusione 
naturarum sed unitate personae i. — Ipse Deus Deus manet;ac- 
eedit homo Deo, et fit una persona, ut sit non semideus, quasi 
parte Dei Deus, et parte hominis homo, sed totus Deus et totus 
homo 2, — In unitate personae copulans utramque naturam ^. 

— Per hoc enim mediator per quod homo; per hoc et via... 
Sola est autem adversus omnes errores via munitissima, ut 
idem ipse sit Deus et homo : que itur, Deus, qua itur, homo*. 

— Sicut in unitate personae anima unitur corpori ut homa 
sit; ita in unitate personae Deus unitur homini ut Christus 
sit K — Ipse homo nunquam ita fuit homo ut non esset uni- 
genitus Filius Dei, propter unigenitum Verbum s. — Modus 
istfr quo natus est Christus... insinuât nobis gratiam Dei, qua 
homo, nullis praecedentibus meritis, in ipso exordio naturae 
suae quo esse coepit, Verbo Deo copularetur in tantam personae 
unîtatem ut idem ipse esset filius Dei qui filius hominis, et fiUus 
hominis qui filius Dei'^. 

De cette doctrine saint Augustin conclut : 1° qu'il 
n'y a en Jésus-Christ qu'un seul fils, le Fils naturel de 
Dieu : « Unus Dei filius, idemque hominis filius, unu& 



1. Sermo CLXXXVI, 1. 

2. Sermo CCXCIII, ^. 

3. Epiât. CXXXYH, 9; cf. 12^; Contra Maximmum, n, 10, 2; Contra 
sei'mon. arîanor., 7. 

■ 4. De civit. Dei, XII, 2; cf. Confession., X, 67, 68; Enchiridton, GVHI; 
In loan., tract. XLII, 8. 

5. Epist. CXXXYII, H ; In loan., tract. XIX, 13. Et sur l'unité de per- 
sonne voir encore Enehiridion, XXXV, XLI; In loan., tract. XXVII, 4. 

6. Contra Iulian. opus imperf., I^ 138. 

7. Enehiridion, XL; Sermo CLXXIV, 2; Depraedestin. aanctûrum» 30.. 



380 HISTOIRE DES DOGMES. 

hominis filius, idemque Dei filius, non duo fîlii Dei, 
Deus et homo, sedunus Dei filius * ». — « Lege Scrip- 
turas, nunquam invenies de Christo dictum quod adop- 
tivus sit Filius Dei^ ». Il conclut 2* à la communica- 
tion des idiomes dont il justifie le bien-fondé, et dont 
il fait la théorie ^. Enfin il conclut S" que c'est le Verbe 
qui, en Jésus-Christ, communique à l'homme saperson- 
nalité divine : « Non Verbum in carnem pereundo ces- 
sit, sed caro ad Verbum, ne ipsa periret, accessit^ ». 
Le Christ c'est « Verbum Dei habens hominem » ; la 
Trinité demeure, l'accession de l'humanité n'en fait pas 
une quaternité^. 

Un jour plus ample serait d'ailleurs jeté, s'il en était 
besoin, sur la christologie du saint docteur, par l'af- 
faire de Leporius. Leporius était un moiiie qui, après 
■avoir séjourné dans le midi de la Gaule, peut-être à 
Marseille, avait dû venir en Afrique, pressé par la cen- 
sure des évêques gallo-romains. Il se rendit à Hippone, 
où saint Augustin le convainquit d'erreur et lui fit si- 
gner un écrit de rétractation que nous avons encore, le 
Libellas emendationis siée satisfactionis confessionem 
fidei catkolicae continens de mysterio incarnationis 
Christi^. Il est de 415-420. On possède encore sur cette 
affaire une lettre, la ccxix* entre celles de saint Augus- 
tin, dictée, pense-t-on, par lui. Or, de ces documents il 
résulte que Leporius avait admis un mélange de nesto- 
rianisme et de pélagianisme. Dieu n'était pas né, un 
homme parfait seulement était né [Lihell.^ 2) ; le Verbe 
était resté étranger aux souffrances de l'homme, lequel 
avait souffert par sa propre vertu, sans le secours de 

■1. Enchiridion, XXXV. 

2. Contra Secundinum, a. 

3. De Vrinit., I, 28 suiv.; Sermo CCXni, 3. 

4. Sermo CLXXXVI, i. 

K. In loan., tract. XIX, 15; Sermo CXXX, 3. 
S. P L., XXXI. 



LA. THEOLOGIE DE SAINT AUGUSTIN. 381 

la divinité (9) ; enfin Jésus- Christ, comme homme, était 
soumis à l'ignorance [secundum hominem ignorare, 
10). Leporius rétracta ces erreurs. 11 confessa en Jésus- 
Christ la communication des idiomes (3, 6), l'union 
personnelle de l'humanité avec le Verbe (4, 5), l'unité 
de fils naturel, non adoptif (6), sans confusion toute- 
fois des natures (4). Enfin, il condamna ce qu'il avait 
avancé de l'ignorance du Christ « quia dici non licet 
etiam secundum hominem ignorasse Dominum pro- 
phetarum » (10). — Des doctrines nestoriennes sont 
également signalées et réprouvées par saint Augustin 
dans Julien d'Eclane^ Le nestorianisme et le pélagia- 
nisme avaient des affinités qui se révéleront ailleurs : 
ils tendaient l'un et l'autre à séparer l'homme de Dieu. 

Cependant la venue de Jésus-Christ sur la terre 
avait un but précis, le rachat de l'homme coupable et 
sa délivrance du péché, car « si homo non periisset, Fi- 
lius hominis non venisset^ ». Le saint docteur a sans 
doute relevé la part qui revient, dans cette œuvre gé- 
nérale de notre salut, à l'enseignement et aux exem- 
ples du Rédempteur^. Il a fait ressortir la sagesse de 
Dieu choisissant pour nous ramener à lui — alors qu'il 
en pouvait prendre un autre — le moyen de l'incarna- 
tion de son Fils, notre modèle et notre maître''. Mais 
il a bien marqué aussi que la mort de Jésus-Christ 
n'avait pas seulement pour nous une valeur d'exemple : 
elle a, par elle-même, et cela de par la volonté de 
Dieu, une valeur rédemptrice ^. 

Comment comprend-il cette rédemption ? Saint Au- 

1. Contra Iulian. op. imper f. IV, 84. 

2. Sermo CLXXIV, 2. 

3. De vera religione, 3, 30-32; De agone christiano, 42-, De trinit., XIII, 
22. 

4. De agone christiano, 42; De trinit,, XIII, 21. 

5. In loann., tract. XCYIII, 3. 



382 HISTOIRE DES DOGMES. 

gustin en a successivement présenté toutes les di- 
verses conceptions que l'on rencontre dans les écri- 
vains antérieurs. C'est d'abord l'idée de la substitution : 
« Gonfîtere (Ghristum) suscepisse poenam peccati nostri 
sine peccato nostro^ ». — « Non enim ipse uUa delicta 
habuit, sed nostra portavit^. » C'est ensuite l'idée de 
rachat : le premier Adam, par le péché et la mort qu'il 
nous a transmis, nous avait liés par des maux hérédi- 
taires ; le second Adam paie pour nous ce qu'il ne de- 
vait pas lui-même et nous délivre : « quo pro nobis 
solvente quod non debebat, a debitis et paternis et pro- 
priis liberati sumus' ». Puis c'est l'idée de satisfac- 
tion : a Suscepit Ghristus sine reatu supplicium nos- 
trum ut inde solveret reatum nostrum et finiret etiara 
supplicium nostrum'^. » C'est enfin l'idée du sacrifice 
expiatoire et propitiatoii'e : Jésus-Christ est prêtre et 
victime', victime et sacrifice pour nos péchés^. Aussi 
donne-t-il librement sa vie pour nous'. Il meurt, et par 
sa mort, vrai sacrifice, il efface, il détruit nos péchés : 
« Morte sua quippe uno vero sacrificio pro nobis oblato 
quidquid culparum erat... purgavit, abolevit, exstin- 
xit^. » Il apaise la colère de Diea et nous réconcilie 
avec lui : « Hoc holocaustum (Christus) obtulit Deo : 
extendit manus in cruce... et impietates nostrae propi- 
tiatae sunt... Propitiatis autem peccatis nostris et 
impietatibus per illud sacrificium vespertinum, transi- 
mus ad Dominum, et aufertur vclamen*. » — Quant à 

1. Contra Faustum, XIV, 6, 7. 

2. Tract, adv. ludaeos, G. 

3. De Irinii., XIII, 21 ; Enarr. inpsalm. CXXIX, 3. 
■4. Contra Faustum, XIV, 4. 

5. Enarr. in psalm. CXXXII, 7. 

6. Senno CLII, 10, H. 

7. In loan., tract. XLYII, il; cf. De Irinit., xni, 18. 

8. De trinit., Vf, 17; Sermo CXXXIV, 5. 

9. Enarr. in psalm. LXIY, 6;Z)e natura et gratia, 2; Enchiridion, 
KXXIII, XLI. 



LA THEOLOGIE DE SAINT AUGUSTIN. 3S3 

la théorie stricte des droits du démon, saint Augustin 
ne l'admet pas'. 11 dit formellement en effet que ce 
droit du démon sur nous était une concession de Dieu, 
et que notre délivrance même par la force et sans ran- 
çon payée eût été juste 2. Mais il reproduit l'explication 
de l'abus du pouvoir prise de saint Ambroise. En con- 
séquence du péché d'Adam, et par la permission de 
Dieu, le genre humain tout entier a été soumis au dé- 
mon. Or, il est arrivé que le démon a fait mourir celui- 
là même sur qui il n'avait aucun pouvoir, puisque 
Jésus était sans péché. Cet abus a été puni par le re- 
trait de l'empire que le diable exerçait sur ceux qu'il 
avait jusqu'alors tenus captifs et qui croient en Jésus- 
Christ. Ainsi, c'est dans toutes les règles de la justice, 
et non précisément par la puissance de Dieu et de 
Jésus-Christ, que le démon a été vaincu et dépouillé^. 
L'évêque d'Hippone affirme que cette rédemption 
est, en principe, universelle pour les hommes, bien 
que ceux-là seuls y participent en fait qui veulent en 
profiter : « Sanguis Domini tui, si vis, datus est pro 
te; si nolueris esse, non est datus pro te... Semel dei- 
dit, et pro omnibus dedit^. » Mais Jésus-Christ n'est 
pas mort pour les anges. Sa mort est seulement utile 
aux bons anges, en ce qu'elle a rétabli entre eux et les 
hommes la paix que le péché avait troublée, et qu'elle 
a préparé des élus qui combleront les vides qu'avait 
produits dans le ciel la rébellion de Lucifer et des 
siens 5. 



1. Il y conforme cepeadant au moins une fois son langage, De trinit., 
xin, 19. 

2. De trinit., XUI, 18. 

3. De trinit., XIII, 16, 18. 

i. Sermo CCXLIV, S; CGXCII, 4; CCCIV, 2. Ce peint sera traité plus am- 
plement ailleurs. 
5. Enchiridion, LXI, LXII 



384 HISTOIRE DES DOGMES. 

§ 7. — Ecclésiologie. Controverse donatiste^. 

C'est surtout à l'occasion de la controverse dona- 
tiste que saint Augustin a développé ses vues sur 
l'Église. 

Son idée fondamentale est que l'Église ne fait qu'un 
avec Jésus-Christ : elle est le corps dont il est le chef; 
Jésus-Christ par conséquent vit en elle, et continue, 
par elle, de prier et d'agir sur la terre : « Unus ergo 
homo Christus caput et corpus. Quod est corpus eius? 
Ecclesia eius^ ». De là la distinction qu'il faut faire, 
dans les paroles de Jésus-Christ, entre celles qu'il a 
prononcées en son nom propre, et celles qu'il a dites 
comme chef de l'Eglise, c'est-à-dire comme si l'Eglise 
parlait par sa bouche ; car beaucoup ne lui convien- 
nent qu'à ce dernier titre : « Dicturus est quaedam in 
hoc psalmo quae quasi Christo videantur non posse 
congruere... et tamen Christus loquitur, quia in mem- 
bris Christi Christus... Loquatur ergo Christus, quia 
in Christo loqaitur Ecclesia, et in Ecclesia loquitur 
Christus, et corpus in capite, et caput in corpore ' ». 

Etant le corps de Jésus-Christ et son épouse, l'É- 
glise est aussi notre mère, mère-vierge, dont nous ne 
devons pas plus nous séparer que de Jésus-Christ et 
de Dieu-'. Elle est encore, à un autre point de vue, 
le royaume de Dieu sur la terre. Rompant définitive- 
ment avec le millénarisme, et voyEmt dans la première 

1. Travaux : H. Reuter, Augustinische Studien, Gotha, 4887. P. Batipfol, 
Le catholicisme de saint Augustin, Paris, 1920. Th. Specht, Die Lehre 
voji der Kirche nach dem M. Augustinus, Paderborn, 1892. J. Maktik, 
Saint Augustin, Paris, 1901. 

2. Enarr. in psalm. CXXVII, 3; in psalm. XXX, enarr. II, sermo I, 
A; in psalm. CXXXVni, 2. 

3. Enarr. in psalm. XXX, enarr. II, sermo I, 4; in psalm. CXXXVIII, 
2; in psalm. CXL, 3, 6, 7; in psalm. CXLII, 3, etc.; Epist. CXL, 18. 

4. Enarr. in psalm. LXXXVIll, sermo II, 14: Sermo GXCII, 2: Contra 
Faustum, XV 3 



LA THEOLOGIE DE SAINT AUGUSTIN. 385 

résurrection, la rédemption, l'évêque d'Hippone voit 
conséquemment, dans le règne de Jésus-Christ qui 
suit cette première résurrection, son règne sur la 
terre par l'Église ^ . Cette Église d'ailleurs ne com- 
prend pas seulement les fidèles actuellement vivants, 
mais encore les défunts et les chrétiens à venir : « Cor. 
pus autêm eius est Ecclesia, non ista aut illa, sed toto 
orbe diffusa ; nec ea quae nunc est in hominibus qui 
praesentem vitam agunt, sed ad eam pertinentibus 
etiam qui fuerunt ante nos, et his qui futuri sunt post 
nos usque in finem saeculi^ ». 

De cette Église le premier caractère est l'unité. Il 
n'y a qu'une vraie Église, cela est clair, puisqu'il n'y 
a qu'une épouse du Christ; mais dans cette Église 
même règne l'union, l'unité, et quiconque est hors de 
cette unité est hors de l'Église. Unité de foi : la cité 
de Dieu n'admet point, comme l'école des philo- 
sophes, diversité et contrariété d'opinions parmi ses 
membres. Ceux qui professent des doctrines malsaines 
et qui résistent aux avertissements qu'on leur donne 
deviennent hérétiques et sont tenus pour ennemis^. 
C'est la manie de raisonner et l'attacha à son propre 
sens qui engendrent les hérésies * . — Unité d'affec- 
tion mutuelle, celle qui est proprement opposée au 
schisme, et que celui-ci déchire. Elle est figurée par 
la tunique sans couture de Notre Seigneur ^ et main- 
tenue surtout par -la charité. Car on peut bien à la 
rigueur, dans le schisme, conserver une foi pure, mais 
non pas une foi que la charité vivifie et qui soit 
«pieuse^ ». Cet accord par l'amour mutuel et l'Iiar- 

1. De civit. Dei, XX, 9, 1. 

2. Enarr. in psalm. LVJ, 1 ; Enchiridion, LVI. 

3. De civit. Dei, XVHI, 51, 1. 

4. Epist. CXVni, 32; De utilit. credendi, 20, 31. 

5. Sermo CCLXV, 7. 

6. Contra Cresconium, I, 34. 

22 



386 HISTOIRE DBS DOGMES. 

monie des âmes paraît à saint Augustin le grand prin- 
cipe de l'unité intérieure de l'Eglise sur lequel il re- 
vient sans cesse ^. L'unité morale et intérieure le 
préoccupe plus que l'unité extérieure et sociale dont 
îa hiérarchie est le lien. 

La question de la sainteté de l'Eglise mettait plus 
directement notre auteur aux prises avec les dona- 
tistes. Ceux-ci, nous le savons, excluaient de l'Eglise 
les pécheurs publics qui auraient pu la souiller : 
l'Église ne devait être composée que de saints. L'é- 
vêque d'Hippone s'éleva contre cette excessive rigueur. 
L'Église est le champ où l'ivraie est mêlée au bon 
grain, le filet qui contient de mauvais comme de bons 
poissons. Ces mauvais chrétiens, l'intérêt de la com- 
munauté et le leur propre exige parfois que l'Église 
les chasse de son sein par l'excommunication ; mais la 
plupart du temps, le bien de l'unité demande qu'elle 
les ignore ou paraisse les ignorer^. Les bons doivent 
s'en séparer « vita, moribus, corde et voluntate » ; la 
séparation niatérielle n'aura lieu qu'à la fin du monde ^. 
Les justes ne sont pas d'ailleurs souillés par le con- 
tact des méchants, et ce n'est pas le crime de quelques 
traditeurs qui a pu détruire la sainteté de l'Eglise''. 
Au reste la sainteté de l'Église comme corps social 
consiste essentiellement non en ce que tous et chacun 
de ses fidèles soient saints, mais en ce que sa doctrine, 
ses sacrements, son ministère, son existence même 
ont pour but la sanctification des âmes, et réalisent 
effectivement cette sanctification par la diffusion de la 

1. Contra Cresconium, 1,34; Contra litter. Petiliani, 11,172; Sermo 
-CCLXV, 7. 

2. Brevicul. collatîonîs, III, 46; Contra litter, Petiliani, I, 23; III, 
43; Conlra epist. Parmeniani, III, 13. 

3. Contra litter. Petilianij III, 4. 

4. Contra Cresconium, II, 46, 47; Brevic. collationis, III, 17; De 
unico baptismo, 31. 



LA THEOLOGIE DE SAINT AUGUSTIN. 3g7 

vérité et la transformation des mœurs * . De cette sorte, 
tout ce qu'il y a eu et ce qu'il y a de saint sur la terre 
vient de l'Église et lui appartient ; en elle et par elle 
seule on peut arriver à la perfection et pratiquer les 
vraies vertus : « Omnes quotquot fucFunt sancti ad 
ipsam Ecclesiam pertinent ^ ». « Non ubicumque tur- 
tur inveniat nidum sibi, ubi ponat pullos suos : in fide 
vera, in fide catholica, in societate unitatis Ecclesiae 
pariât opéra sua' ». 

L'Eglise, considérée dans ses membres, est donc un 
« corpus permixtum », Cependant dans ce mélange, 
saint Augustin distingue une « invisibilis caritatis 
compago », des « membres de la colombe » qui for- 
ment proprement le corps du Christ''. Ils constituent 
cette Eglise qui est la bien-aimée du Cantique, le Jar- 
din fermé, la fontaine scellée, la source d'eau vive; ils 
sont dans la maison de Dieu, et ils sont cette maison 
elle-même^. C'est l'Église des justes. A côté d'eux 
vivent les pécheurs qui ne sont pas la maison, ni de 
la maison de Dieu, mais qui demeurent en elle : « alios 
autem ita dici esse in domo, ut non pertineant ad com- 
pagem domus, nec ad societatem fructiferae pacificae- 
que iustitiae ® » . Ils n'appartiennent pas vraiment au 
corps de Jésus-Christ, encore qu'ils participent à ses 
sacrements"^. Est-ce donc qu'il y a deux Églises, l'une 
des justes, l'autre des pécheurs? Les donatistes accu- 
saient les catholiques de le prétendre *. Saint Augus- 
tin repousse cette accusation. Il avoue bien qu'il y a 

1. De utilîtate eredendt, SS. 

2. Sermo IV, 11. 

3. Enarr. in psalm. LXXXIII, 7; Contra epist. Parmeniani, lU, 29. 

4. De baptiamo, III, 26; V, 29; Contra litter. Petiliani, II, 247. 

5. De baptismo, VII, 99. 

6. De baptismo, VU, 99; V, 29. 

7. Contre litter. Petiliani, II, 2 .7. 

9. Brevic. collationis, III, 19; Tychonius parlait de corpus biparti- 
tum (De doctrina christiana, III, 45), 



388 HISTOIRE DES DOGMES. 

un corps da Christ verum atque permixtum, verum 
atque simulatum^ ^ qu'il y a en efTet séparation spi- 
rituelle entre les bons et les méchants dans l'Église, 
comme il y a séparation entre les bons catholiques et 
les hérétiques : les méchants sont intérieurement hors 
de l'Église des justes, encore qu'ils fassent matériel- 
lement partie de la communauté des saints 2; mais 
l'évêque d'Hippone nie que pour cela on doive parler 
proprement de deux Églises, et que l'Église invisible 
doive extérieurement se séparer de l'autre : « Tan- 
quam unum sit utrorumque corpus propter tempora- 
lem commixtionem et communionem sacramentorum ^ » . 
a Nos istam recessionem spiritualiter intellegimus, illi 
(donatistae) corporaliter ■* ». 

Maintenant saint Augustin paraît confondre parfois 
l'Eglise invisible des justes avec celle des prédestinés ^. 
Ailleurs cependant, il remarque lui-même que cette 
identification n'est pas exacte, et que le « numerus 
certus sanctorum praedestinatorum » ne comprend pas 
seulement ceux qui vivent par l'esprit, mais encore 
des hommes actuellement pécheurs impénitents, ou 
même hérétiques et infidèles^.. 

Un troisième privilège de l'Église est la catholicité : 
« Prope omnis pagina nihil aliud sonat quam Chris- 



1. De doct. christiana, III, 43. 

2. « Sive intus versari videantur, sive aperte foris sint, quod caro 
est caro est : sive in area in sua slerilitate persévèrent, sive oc- 
casione tentationis tanquam vento extra tollantur, quod palea est palea 
est. Et semper ab illlus Ecclesiae quae sine macula et ruga est uni- 
tate divisus esl, etiam qui congregalioni sanctorum in carnali obdu- 
ratione raiscetur». De baptismo, I, 26, 14; VI, 5; VII, 99; Contra epist. 
Parmeniani, III, 12. 

3. De doctr. christiana, III, 43. 

4. Sermo LXXXVIII, 23, 22; CCXIV, 11; Brevic. collationis, III, 20; De 
baptismo, VII, 99. 

3. Sermo CCXiV, H; De doctr. christ., III, 43; et comparez De bap' 
tismo, y, 38 avec VII, 99. 
6. De baptismo, V, 38. 



LA THÉOLOGIE DE SAINT AUGUSTIN. 389 

tum et Ecclesiam toto orbe diffusam ^ » Le donatisme 
confiné en Afrique n'a pas cette catliolicité ^ ; les au- 
tres sectes ne l'ont pas non plus ; car, à les considérer 
toutes ensemble, on trouvera sans doute qu'elles sont, 
comme la vraie Église, répandues par toute la terre, 
mais elles ne sont pas pour cela catholiques, parce 
qu'elles ne font pas corps, et que chacune d'elles 
n'existe qu'en un lieu déterminé^. 

Enfin la vraie Eglise doit être apostolique, en ce 
sens que ses pasteurs et ses évoques doivent être les 
successeurs des apôtres : « Genuerunt te apostoli ; 
ipsi missi sunt, ipsi praedicaverunt, ipsi patres... Pa^-, 
très missi sunt apostoli, pro apostolis filii nati sunt 
tibi, constituti sunt episcopi... Non ergo te putes de- 
sertam, quia non vides Petrum, quia non vides illos 
per quos nata es : de proie tua tibi crevit paternitas ^ » 
Et pour prouver que les catholiques possèdent bien 
cette apostolicité, saint Augustin, comme saint Irénée, 
refait la liste des évêques de Rome jusqu'à Anastase, 
avec qui ces catholiques sont en communion''. 

Cette discussion terminait avec les donatistes la 
controverse sur la vraie Eglise. Mais saint Augustin 
ne s'arrête pas là. Cette Eglise, il déclare qu'il est 
nécessaire de lui appartenir pour être sauvé : après 
saint Cyprien, il répète : « Salus extra Ecclesiam non 
est. » Hors de l'Eglise les moyens de sanctification, 
le baptême, le martyre même ne servent de rien, le 
Saint-Esprit n'est pas communiqué^. Cette Église, il 
la proclame encore indéfectible et stable jusqu'à la fin 

i. Sermo XLVI, 33; Epist. XLIX, 2, 3; LU, 1, 2; CLXXXV, S. 

2. Contra litter. Petiliani, H, 90; Epist. XCni, 22. 

3. Sermo XLVI, 18. 

4. Enarr. in psalm. XLIV, 32. 

5. Epist. LUI, 2; et cf. Epist. XLIV, 3; XLIX, 2. 

6. De baptismo, lY, 24; VII, 87; Sermo LXXI, 30; CCLXVin, 2. V. C. 
RoMEis, Das Heil der Christen ausserh. des ivahr. Kirche nach August.t 
l'aderborn, 1908. 

22. 



390 HISTOIRE D£S DOGMES. 

du monde : elle ne saurait périr ni succomber aux at- 
taques du démon ^ . Il la proclame infaillible dans ses 
enseignements : c'est une conséquence de son union 
avec Jésus-Christ et de son apostolieité^. 

De ce magistère doctrinal de l'Eglise notre iauteur 
connaissait, comme nous, deux organes plus impor- 
tants, l'évêque de Rome et les conciles. Qu'a-t-il 
pensé de leur autorité? 

A la suite de saint Cyprien, saint Augustin voit dans 
Pierre le représentant de l'unité de l'Eglise et du col- 
lèg'e apostolique, mais il voit aussi l'apôtre qui a reçu 
la primauté : « propter primatum quem in discipulos 
liabuit^ ». Aussi TEglise romaine, qui est le siège de 
Pierre « oui pascendas oves suas post resurreetionem 
Dominus commendavit'* », est-elle l'Eglise « in qua 
semper apostolicae cathedrae viguit principatus^. » 
Par la communion avec elle on se rattache aux apôtres, 
et l'on se trouve dans la vraie iiglise^. 

Le saint docteur admet que l'on peut de son juge- 
ment à lui, Augustin, interjeter appel au siège de 
Rome'. Mais accorde-t-il au pape une autorité doctri- 
nale infaillible et souveraine? C'est une question à 
laquelle il est impossible de répondre d'une façon ferme. 
Les passages que l'on a invoqués pour le nier ne sont 
nullement décisifs*. Ceux que l'on allègue pour l'afiip- 

1. Contra lîtter. Petiliani, lU, 43; Sermo XL VI, 33; De civit. Dei 
XX, 8, 1. ' 

2. Enarr. in psalm. CHT, sermo I, 17; Serma GGXGIV, 18. 

3. Enarr, in psalm. CXUl, i; Sermo XLVI, 30; CCXGV, 2; cf. CXLVII, 2. 

4. Conlra epist. fundamenti, s. 

5. Epist. XLIII, 7. 

6. Epist. XLIII, 7; LUI, 2; Contra epist. fundamenti, S. 

7. Epist. CGIX. 

8. Ce sont Epist. XXXVI, 22; CLXXVII, 2; CXGI, 2; De graliaChristi et 
de peccato originali, 11, 9, 24. II s'y agit de questions purement disci- 
plinaires ou d'une erreur non dogmatique de Zosime. Les texies de 
VEpist. XLIII 19 et De baptismo, 11^ 15 ne sont pas, au fond, plus con- 
cluants. 



LA THEOLOGIE DE SAINT AUGUSTIN. 391 

meF ne le sont pas davantage. Il y est question non du 
pape parlant seul, mais du pape uni au concile, ce qui 
est fort différent^. 

Saint Augustin n'est guère plus net d'ailleurs sur 
l'autorité qu'il attribue aux conciles. Il en distingue 
au moins deux sortes : les conciles provinciaux et les 
conciles pléniers. Ces derniers sont ceux « quae fiunt 
ex universo orbe christiano^ »; ce qui n'empêche pas 
l'évêque d'Hippone de donner le nom de « plenarium 
concilium » au concile qui a tranché contre saint Cy- 
prien la question du baptême des hérétiques, c'est-à- 
dire probablement au concile d'Arles de 314, qui n'était 
que régional K D'autre part, il regarde comme souve- 
raine la décision du concile plénier ; après elle toute 
controverse doit cesser"*; et cependant il écrit ; a ipsa- 
que plenaria (concilia) saepe priera posterioribus emen- 
dari^ ». Il semble qu'il y ait là quelque confusion. 
Quoi qu'il en soit, notre auteur n'hésite pas à décla- 
rer à Julien d'Eclane que l'autorité des Églises d'Oc- 
cident, même en l'absence de tout évêque d'Orient, 
doit suffire à le convaincre, à cause de la présence de 
Pierre : a Puto tibi eam partem orbis sufficere debere 
in qua primum apostolorum suorum voluit Dominus 
gloriosissimo martyrio coronare^. » Et au sermon 
cxxxi, 10, après avoir rappelé les décisions des deux 

1. Voir les textes un peu plus bas. 

2. De bapiismo, II, 4. 

3. De bajHismo, tV, 8. 

4. Sermo CCXCIV, 20; De baptismo, I, 9. 

5. De baptismo, U, i. M. E.. Portalié, dans son article Augustin du 
Dict. de théol. eathol., col. 2414, pense que l'évêque d'Hippone dislin- 
|ue trois sortes de conciles, les conciles particuliers ou provinciaux, 
les conciles régionaux pléniers, et les conciles proprement œcuméni- 
ques ou universels. Le passage cité ici ne viserait que les conciles régio- 
naux pléniers, ou bien le mot emendari ne désignerait que des dispo- 
sitions disciplinaires. Tout cela est possible, mais n'est pas clairement 
dans les textes. La pensée d'Augustin reste obscure, 

6. Contra Iulianum, l, 13. 



392 HISTOIRE DES DOGMES. - 

conciles de Carthage et de Milève contre les péla- 
giens et l'assentiment de Rome, il s'écrie : « Causa 
finita est : utinam aliquando finiatur èrror * î » 

Reste la question des rapports de l'Eglise et de l'É- 
tat : elle se posait depuis que les empereurs étaient 
devenus chrétiens et que l'Eglise avait grandi. Quel- 
ques passages de la Cité de Dieu^ donnent l'impres- 
sion que saint Augustin opposait parfois l'Etat à l'É- 
glise comme la cité du démon à celle de Dieu, la cité 
du mal à celle du bien. On se tromperait toutefois en 
exagérant la signification de ces passages. Le saint 
docteur regarde au contraire l'État, la société civile, 
comme nécessaires, voulus par la Providence : « Pror- 
sus divina providentia régna constituuntur humana'. » 
En temps de guerre, le soldat doit obéir au prince, à 
moins d'être absolument certain de l'injustice de sa 
cause''. Seulement, les empires ne sont bons qu'autant 
que la justice y règne : « Remota igitur iustitia, quid 
sunt régna nisi magna latrocinia^? » Or, toute justice 
vraie, toute vertu sincère et complète vient de l'Évan- 
gile et ne se trouve que dans l'Église. Le prince, l'É- 
tat devra donc être chrétien : il devra se lier à l'Église 
pour en recevoir l'élément moral, l'élément de justice 
dont il a besoin : il devra la protéger, pour protéger 
en elle cet élément, et se protéger indirectement lui- 
même. Non pas que l'État puisse avoir une politique 
ecclésiastique à lui, indépendante de l'Église : non : 
mais il aidera et secourra l'Église selon qu'il en est be- 

i. Voici le texte entier : « lam enim de hac causa duo concilia missa 
sunt ad sedem apostoUcam : inde etiam rescripta venerunt. Causa fi- 
nita est : utinam aliquando finiatur error! • C'est de là qu'est sorti le 
fameux Roma locuta est : causa finita est, qui ne se trouve pas dans 
les œuvres de saint Augustin, et qui est beaucoup plus fort. 

2. Par exemple xrv, 28; XV, 4. 

3. De civit. Dei, V, i ; cf. XV, 4; XVIII, 2, 1. 

4. Contra Famtum, XXII, 7S; cf. 76-79. 

5. De civit. Dei, IV, 4. 



LA THÉOLOGIE DE SAINT AUGUSTIN. 39S 

soin et qu'elle le désire : « Felices eos l(imperatores) di- 
cimus, si iusteimperant... si suam potestatem ad Dei 
cultum maxime dilatandum maiestati eius famulam fa- 
ciant, si Deum timent, diligunt, colunt : si plus amant 
illud regnum, ubi non timent habere consortes^ » 

De là, il s'ensuit que le prince doit défendre l'Eglise 
contre ses ennemis et réprimer l'erreur qui l'attaque, 
que cette erreur soit l'idolâtrie ou l'hérésie. C'est la 
question de l'intolérance politique. Qu'en a pensé saint 
Augustin ^ ? 

Avant lui, la question avait été pratiquement tran- 
chée par les empereurs qui avaient proscrit, sous des 
peines sévères, soit certains rites païens, soit certaines 
hérésies. Il s'agissait donc bien moins dans l'espèce, 
de donner une décision qui orientât leur conduite dans 
un sens ou un autre que de la juger en justifiant ou en 
réprouvant leur législation. Or, on a dit que saint 
Augustin avait varié sur ce point, et que, ennemi d'a- 
bord de toute intervention de la force coercitive sécu- 
lière contre l'erreur, il en avait plus tard accepté ou 
même sollicité l'emploi. On a cité dans ce sens le 
traité Contra epistulam fundamenti, 2, et la lettre 
xciii, 17. Mais on a eu tort d'en tirer la conclusion 
que j'ai dite. Ce qui est vrai, c'est que saint Augustin 
n'a pas d'abord été d'avis d'imposer aux hérétiques et 
schismatiques la profession même extérieure de la 
vraie foi, pour ne pas faire des hypocrites : il l'écrit 
expressément dans la lettre xciii, 17^. Ce qui est vrai 
encore, c'est qu'il a toujours repoussé comme exces- 
sives la peine de mort et certaines peines plus terri- 
bles contre les dissidents : il ne voulait même pas que 

\. De civil. Dei, V, 2i; XV, 2; Epist. CV, H ; GXXXVni, 44; CLXXXV, 
8, 19. V. B. Sehiel, Die Lehre d. h. August. vom Staate, Breslau, -1909. 

2. Sur ce sujet v. i. Bouvet, S. ^l ugustin et la répression de l'erreur 
religieuse, Mâcon, 1918. 

3. El voyez Epist. XXriI, 7; Contra lilter. Petilîani, II, 184. 



394 HISTOIRE DES DOGMES. 

l'on punît de ces peines les donatistes coupables vis-à- 
vis des catholiques de crimes de droit commun ^ Ce 
qui est vrai enfin, c'est qu'Augustin, d'un caractère 
naturellement doux et indulgent, est souvent inter- 
venu dans la pratique auprès des magistrats pour 
obtenir en faveur des coupables une mitigation aux 
rigueurs légales ^. Mais d'ailleurs il a toujours reconnu 
comme légitimes non seulement les mesures de sévé- 
rité prises pour réprimer les excès des donatistes et 
des circoncellions, mais encore les peines modérées 
— amendes, prison, exil — portées contre eux et les 
autres dissidents en tant qu'hérétiques et schismati- 
ques. On trouve des textes dans ce sens depuis l'an 
393-396, époque où fut écrit le Psalmus contra par- 
tem Donati, jusqu'en l'an 404 — époque où l'on pré- 
tend qu'il aurait changé d'opinion — et au delà^. Le 
Contra epistulam Parmeniani, qui est de l'an 400, est 
particulièrement précis sur ce point. L'auteur y reven- 
dique pour les empereurs le droit de châtier ceux qui 
prêchent une fausse doctrine au même titre qu'ils châ.- 
tient les idolâtres, qu'ils châtient les empoisonneurs "'. 

1. Coniro. Utter. Petilianî, II, 46, 191, 206; Epist. XCI, 9; C, 1, 2; 
cm, 3; CIV, 5; CXXXHI, 1; CXXXIY, 2, 4; CXXXIX, 2; CLXXXV, 26; CCIV, 
3. Il faut remarquer cependant qu'Augustin approuve la loi qui punit 
de mort les païens qui offrent des sacrifices {Epist. XCIII, 10). 

2. Epist. XXIII, 7; XXXIV, 1, S, etc. 

3. On peut voir ces textes dans J. Martin, Op. cit., p. 373 et suiv. 

4. • Prius enim probent se non esse haereticos vel sobismaticoa, tum 
demum de indignis poenis suis lividam emjttant vocem, tum demum 
sese audeaut, cum mali aliquid patiuntur, veritatis martyres dicere » 
(I, 13). € An forte dicent, etiamsi convincuntur in sacrilega dissen- 
sione... non tamen ad imperatorum potcstatem haec coercenda vel 
punienda pertinere debere. Qua in re quaero quîd dicant: an quia de 
religione vitiosa vel falsa nihilcurandutn est talibus potestatlbus? Sed 
multa iam etiam de paganis diximus, et de ipsis daemonibus, quod 
persecutiones ab imperatoribus patiantur. An et hoc displicet?... Quid 
i.slis videatur nt criraen idololatriae putent iuste ab imperatoribus 
vindicari, aut si nec hoc volunt, cur in veneflcos vigorem legum exer- 
ceri iuste fateaniur ; in haereticos autem atque impias dissensiones 
noiiat fateri, cum in iisdem iniquitatis fructibus anctoritate aposto- 



LA. THÉOLOGIE DE SAINT AUGUSTIN. 395 

Ces mesures ont pour but et pour effet de faire réflé- 
chir ceux qui les subissent, de protéger les faibles 
contre les violences oppressives des méchants ^ Le 
juste n'est donc pas toujours celui qui est persécuté : 
ce peut être le persécuteur ; ce n'est pas le supplice qui 
fait le vrai martyr : c'est la cause pour laquelle il souf- 
fre : « quod martyres veros non faciat poena sed 
causa '^ ». 

Telle fut la doctrine de saint Augustin sur le point 
qui nous occupe jusqu'en 404. Cette année-là, il fit un 
pas de plus. 11 n'avait pas admis jusqu'alors, nous 
l'avons dit, que l'on obligeât de force les donatistes à 
abjurer le schisme et à professer la foi catholique. Le 
concile de Garthage en décida autrement; et l'événe- 
ment prouva que beaucoup de donatistes, qui paru- 
rent d'abord violentés, furent au, fond enchantés de 
l'être et revinrent très sincèrement au giron de l'É- 
glise ^. Le saint docteur dut s'incliner devant les faits : 
la contrainte ne faisait pas que des hypocrites. Ses 
idées en furent modifiées : il se dit que la liberté de 
l'erreur est, après tout, la pire mort de l'âme, et qu'on 
rend service aux hommes en les en privant '*. Le 
Compelle intrare lui apparut comme la justification 
scripturaire des mesures qu'il avait précédemment 
condamnées; et il conclut : « In saepibus haerent 
(haeretici), cogi nolunt. Voluntate, inquiunt, nostra 
intremus. Non hoc Dominus imperavit : Coge^ inquit, 
întrure. Foris inveniatur nécessitas, nascitur intus 



lica numerentur. An forte nec talia potestates istae humanae constitu- 
tionis peraiittuntur curare ? Propter quid ergo gladium portât qui dictUB 
est minister Dei \index in iram eis qui mate agunt? » (1, 16). 

1. Contra lilter. Petiliani, II, 186; EpisL CV, 5. 

2. Epist. LXXXIX, 2; XLIV, 7^ Contra epist. Parmeniani, 
Contra litter. Petiliani, II, 184; Contra Cresconium^ 111,51, etc. 

3. Epist. XCIII, 16-18; CLXXXY, 13. 

4. Epist. CV. 10. 



396 HISTOIRE DES DOGMES. 

voluntas ^ » La théorie du droit de répression de l'hé- 
résie par le bras séculier était trouvée. 

§ 8. — Les sacrôments, le baptême, la confirmation. 
Controverse donatiste^. 

La controverse avec les donatistes ne portait pas 
seulement sur la notion de l'Église, elle portait encore 
sur les conditions de validité des sacrements. Elle a 
donc donné à saint Augustin l'occasion de s'expliquer 
et d'émettre sur ce sujet une série de vues qui ont 
amené, dans la théologie des sacrements, un progrès 
décisif. 

Le sacrement, pour saint Augustin, est avan,t tout 
le signe sensible d'une chose sainte : « (Signa) cum ad 
res divinas pertinent, sacramenta appellantur ^. » Il y 
a donc dans tout sacrement deux éléments, un objet 
matériel, visible qui signifie, et un objet invisible, 
spirituel qui est signifié et symbolisé : « Ideo dicun- 
tur sacramenta quia in eis aliud videtur, aliud intelle- 
gitur^*. » C'est la distinction entre sacra/we/itow, dont 
notre auteur restreint souvent la signification à dési- 
gner seulement l'élément matériel, le signe, et i-es, 
cirtus sacramenti qui désigne la réalité spirituelle et 
sainte : « Nam et nos hodie accipimus visibile cibum... 
sed aliud est sacramentum, aliud virtus sacramenti ^. » 

Or, entre ces deux éléments il y a un rapport de 
similitude : l'élément matériel symbolise d'une cer- 

1. Sermo CXH, 8. 

2. Travaux : J. Hyhuen, Die Sakramentslehre Augustins in Zusam- 
menhang dargestelU und beurteilt, Bonn, 1903. P. Pourrat, La théolo- 
gie sacramentaire, Paris, 1907. 

3. Epist. CXXXVIII, 7; cf. De civit. Dei, X, S. 

4. Sermo CCLXXn ; et encore : « Signacula quidem rerum divinarum 
esse visibilia, sed res ipsas invisibiles in eis honorari » (De catechiz. 
rudibus, 50). 

5. /» loan,, tract. XXYI, H. 



LA THÉOLOGIE DE SAINT AUGUSTIN. 397 

taine manière, par sa nature même, la réalité dont il 
est le signe : « Si enim sacramenta quamdam simili- 
tudinem earum rerum quarum sacramenta sunt non 
liaberent, omnino sacramenta non essent^. » Les 
sacrements, bien qu'ils soient d'institution divine, on 
le dira, ne sont donc pas des signes purement conven- 
tionnels : ils sont, dans une bonne mesure, des signes 
naturels : la volonté divine qui a définitivement établi 
le' rapport entre le signe et la chose signifiée a trouvé 
dans la manière d'être ou d'agir du symbole un fonde- 
ment à son choix ^. 

Un sacrement est donc avant tout, pour saint Au- 
gustin, le signe à la fois naturel et conventionnel d'une 
chose sainte; Il peut n'être que cela, et c'est en ce sens 
que notre auteur appelle sacrements le sel bénit donné 
au baptisé^, les exorcismes du baptême'', la tradition 
même du symbole et de l'oraison dominicale aux caté- 
chumènes ^. C'est en ce sens encore que les rites de 
l'ancienne Loi — sauf la circoncision — qui ne fai- 
saient qu'annoncer le Christ et le salut, sans les ap- 
porter, étaient des sacrements*'. Mais, outre cette 
acception large qui en fait un simple signe, Augustin 
donne souvent au mot sacrement un sens plus étroit 
qui en rapproche la conception de notre conception 
actuelle. Parmi ces rites sacrés, en effet, le saint doc- 
teur en distingue un certain nombre qui ne sont pas 
seulement des signes d'une réalité spirituelle corres- 
pondante, mais dont la collation entraîne de plus la 
production de cette réalité spirituelle d'une façon cer- 
taine. Au sacramentum est attachée sa 7'es ou çirtus 

1. Epîst. XCvm, 9; cf. Sermo CCLXXII. 

2. Cf. De doclrina christiana, 11, 2, 3. 

3. De catechiz. rudibus, 50. 

4. Sermo CCXXVn. 

5. Sermo CCXXYHI, 3. 

6. Enarr. in psalm. LXXin, 2; Contra Faustwn, XIX, 13. 

HISTOIRE DES DOGMES. — U. 23 



398 HISïOIRE DES DOGMES. 

quand il est posé et reçu dans des conditions données. 
C'est par exemple, pour le baptême la régénération 
spirituelle, pour la confirmation la personne du Saint- 
Esprit, pour l'eucharistie la vie, fruit de la nourriture 
mangée, et d'une manière générale « la grâce gui est 
la vertu des sacrements* ». 

Voilà, au sens augustinien, le sacrement strictement 
dit. Nous examinerons plus loin si le lien qui rattache 
ainsi l'existence du don spirituel au signe sensible est 
proprement un rapport de causalité. Portons pour le 
moment notre attention sur le rite matériel : il signifie 
la. grâce et est lié à sa production. Qu'est-ce qui, pra- 
tiquement et immédiatement, l'élève à cette dignité et 
lui communique cette vertu : qu'est-ce qui fait par 
exemple que l'eau touche le corps et purifie le cœur : 
« Unde ista tanta virtus aquae ut corpus tangat et cor 
abluat^? » Le saint docteur répond : C'est la parole : 
« Quare non ait (Christus) : mundi estis propter bap- 
tismum quo loti estis, sed ait : propter verhum qiiod 
locutus sur/i vohis, nisi quia et in aquâ verbum mun- 
dat? Detrahe verbum, et quid est aqua nisi aqua? Ac- 
cedit verbum ad elementum, et fit sacramentum, etiam 
ipsum tanquam visibile verbum^. » On a vu dans ce 
texte la preuve que saint Augustin admettait que le 
rite sacramentel lui-même — par opposition à sa res 
ou virtus — se composait de deux éléments, une ma- 
tière ou un geste visible et des paroles : les paroles 
donnant au geste ou à la matière sa vertu sanctifica- 
trice. Et sans doute le texte de saint Augustin n'exclut 
pas cette explication; mais il est à croire que l'auteur 
ne restreignait pas aux seules paroles qui accompa- 

d. « Gratia quaesacrameiitorum virtus est »,jEnarr.înpsaJ»».LXXVII, 
2; In loan. tract. XXYI, 41; XXVII, 43. 

2. In loan. tract. LXXX, 3. 

3. In loan. tract. LXXX, 3. 



LA THEOLOGIE DE SAINT AUGUSTIN. 399 

gnent la collation du rite — et que nous appelons la 
forme — la vertu sanctificatrice du sacrement. Pour 
lui, comme pour saint Ambroise\ ce qui rend i'eau 
capable de purifier le cœur dans le baptême, c'est d'a- 
bord la bénédiction préalable qu'elle reçoit : « Quia 
baptismus id est salutis aqua non est salutis, nisi 
Christi nomine consecrata, qui pro nobis sanguinem 
fudit, cruce ipsius aqua signature ». La formule trini- 
taire a sa part dans cette action sanctificatrice, mais 
elle ne vient qu'en second lieu. Il n'est donc nullement 
certain que dans le passage cité plus haut le mot per- 
hum désigne et surtout désigne uniquement l'invoca- 
tion de la Trinité qui accompagne l'effusion baptis- 
male ; il peut désigner aussi la bénédiction préalable 
de l'eau, et même il peut désigner la récitation du 
symbole faite par le baptisé. Saint Augustin n'ajoute- 
t»ii pas au même endroit : « Unde ista tanta virtus 
aquae ut corpus tangat et cor abluat, nisi faciente 
verbo : non quia dicitur sed quia creditur? Nam et in 
ipso verbo aliud est sonus transiens, aliud virtus ma- 
nens... Mundatio igitur nequaquam fluxo et labili 
tribueretur elemento, nisi adderetur in verbo ^. » 

Les sacrements ainsi composés — rite visible et don 
spirituel qui y est attaché — ont pour auteur Jésus- 
Christ. Le saint docteur ne mentionne expressément, 
il est vrai, comme institués par lui que le baptême et 
l'eucharistie, mais il ajoute : « et si quid aliud in Scrip- 
turis canonicis commendatur'' ». 

Quant au nombre des sacrements proprement dits 

1. Y. plus haut, p. 308. 

2. Sermo GCGLII, 3; cf. De bapUsmo, Y, 28; VI, 47. 

3. In loan. tract. LXXX, 3. V. Pouriiat, op. cit., p. K4 et suiv. Saint 
Augustin reproduit d'ailleurs les mêmes vues sur la confirmation et 
reucharistie. Ces deux sacrements se composent aussi d'une matière et 
d'une bénédiction (Contra litter. PeiUiani, II, 239; Detrinitate, 111,10). 

4. Episl. LIV, \. 



400 HISTOIRE DES DOGMES. 

de la Nouvelle Loi, on comprend que saint Augustin 
n'ait pas songé à le fixer. Cependant, si l'on excepte 
la pénitence et rextréme-onction, on trouve chez lui 
désignés par le mot de sacrement tous les rites que 
nous connaissons sous ce nom : le baptême, la confir- 
mation et l'eucharistie ^ l'ordination, qui est comparée 
au baptême^, et enfin le mariage 3. Mais le baptême et 
l'eucharistie sont les sacrements principaux, parce 
qu'ils sont ceux de l'initiation chrétienne et sortirent 
du côté ouvert du Rédempteur : « Inde sacramenta 
manarunt quibus credentes initiantur'* ». 

Les sacrements ont pour but général de relier entre 
eux par des signes sensibles les membres de la com- 
munauté religieuse 5. Ceux de l'ancienne Loi avaient 
de plus celui d'annoncer le Christ : « praenuntiativa 
erant Christi venturi^ ». Ils différaient d'ailleurs de 
ceux de la Nouvelle en ce qu'ils étaient nombreux, 
onéreux, et d'efficacité moindre, ceux de l'Église de 
Jésus-Christ étant « virtute maiora, utilitate meliora, 
actu faciliora, numéro pauciora^». Parmi les premiers, 
le saint docteur distingue la circoncision qui pour les 
anciens tenait lieu de baptême^. 

Plusieurs des points de la doctrine résumée jus- 
qu'ici ont été fixés par l'évêque d'Hippone à l'occasion 
de la controverse donatiste. Cette controverse cepen- 
dant avait un objet spécial qu'il faut maintenant abor- 
der. Saint Cyprien et les rebaptisants avaient requis 
dans le ministre du sacrement, pour la validité de ce 

1. De baptismo, Y, 28; Contra Fauatum, Xix, 14; elc. 

2. Contra episl. Parmeniani, IX, 28; Be bono coniugali, 32. 

3. De bono coniugali, 32. 

*. De civit. Dei, XV, 26, 1 ; In loann. tract. CXX, 2; etc. 

5. Contra Faustum, XIX, 12; Epist. LI, 1. 

6. Contra Faustum, XIX, 13; Contra litter. Petiliani, II. 87. 

7. Contra Faustum, XIX, 13; De vera religione, 28, 33; De doctrina 
christiana, III, 18; Epist. LIY, 1. 

8. Epist. CLXXXYII, 34. 



LA THEOLOGIE DE SAINT AUGUSTIN. 401 

sacrement, la foi : les donatistes exigeaient de plus la 
sainteté au moins extérieure. Ni les uns ni les autres 
d'ailleurs ne distinguaient entre la validité et l'effica- 
cité sacramentelle. Saint Augustin devait donc déter- 
miner quelle part revenait, dans la production et l'action 
du sacrement, au ministre qui le donne, et dire si cette 
part était aussi grande que le prétendaient les adver- 
saires. Mais il se trouvait dès lors entraîné aussi à 
déterminer sur ces mêmes points la part qui revient 
au sujet et au rite sensible. C'était la question de la 
validité et de l'efficacité sacramentelle dans toute son 
ampleur qui se posait devant lui. L'évêque d'Hippone 
l'a traitée en ayant spécialement en vue les deux sa- 
crements du baptême et de l'ordre, objet particulier du 
débat avec les donatistes; mais les principes qu'il 
énonce, comme ceux d'ailleurs qu'on lui opposait, sont 
généraux et s'appliquent à tous les rites assimilables 
aux deux précédents. 

Il distingue d'abord nettement la validité du sacre- 
ment de son efficacité ou du fruit qu'on en retire, dis- 
tinction — il le remarque — dont l'omission avait 
causé l'erreur de saint Cyprien : « Non distinguebatur 
sacramentum ab efîectu, velusu sacramenti^ ». « Aliud 
est non habere, aliud non utiliter habere^. » Le sacre- 
ment peut donc exister, être valide, sans que le sujet 
reçoive la grâce qui devrait l'accompagner. 

Or, pour la validité du sacrement ni la foi ni la sain- 
teté du ministre ne sont requises. Saint Augustin 
établit cette proposition d'abord par cette coutume de 
l'Eglise de ne réitérer ni le baptême ni l'ordre à ceux 
qui, ayant reçu une fois ces deux sacrements, ont passé 
ensuite au schisme ou à l'hérésie, puis sont revenus à 



1. De baptismo, VI, 1. 

2. De baptitmo, IV, 2t; cf. I, 2, 18. 



402 HISTOIRE DES DOGMES. 

l'Église. Si on ne les leur administre pas de nouveau, 
c'est donc qu'ils ne les avaient pas perdus dans leur 
désertion; s'ils ne les avaient pas perdus, ils pouvaient 
donc toujours en exercer les prérogatives, et dès lors 
il est vrai que le prêtre ou l'évêque dissident baptise 
validement, confère validement les ordres^. 

Ceci est une première raison; notre auteur en tire 
une seconde de la doctrine du caractère. On ne réitère 
pas dans l'Eglise le baptême et l'ordination : pour- 
quoi ? Parce que l'un et l'autre impriment en celui qui 
les reçoit un caractère indélébile qui persiste même 
dans le péché et l'hérésie : « NuUa ostenditur causa 
cur ille qui ipsum baptismum amittere non potest, ius 
dandi potest amittere 2. Utrumque enim sacramentum 
est, et quadam consecratione utrumque homini datur; 
illud, cum baptizatur ; istud cum ordinatur ; ideoque in 
catholica utrumque non licet iterari^, » Ce caractère 
est comparable à l'empreinte mise sur les monnaies 
impériales, à la notamilitaris du soldat, au signe dont 
on marque les brebis d'un troupeau* : c'est une consé- 
cration qui ne s'efface pas ; et dès lors, la conclusion 
est la même : le ministre une fois validement ordonné 
baptise et ordonne lui-même validement, même séparé 
de l'Église ou se trouvant en état de péché. 

Mais le pécheur public ou l'hérétique sont-ils capa- 
bles cependant de dispenser les dons spirituels que 
sont les sacrements? Ici saint Augustin, continuant la 
pensée de saint Optât et enfonçant davantage dans le 
sujet, touche à la raison; dernière de sa thèse. Ces sa- 
crements que confère le ministre indigne ne sont pas 

1. De baptismo, I, 2. 

2. Itis dandi {baptismum) : saint Augustin désigne souvent ainsi le 
pouvoir d'ordre. 

3. Contra epist. Parmenianî, U, 28; cf. Epist. CLXXai, 3; CLXXXV, 23 ; 
De bono coniugali, 32. 

4. Contra epist. Parmenianî, II, 29; Epist. CLXXIIT, 3; CLXXXV, 23, 



LA THÉ(mOGIE DE: SAINT AUGUSTIN. 403 

les siens, mais ceux de Dieu, ceux de l'Église, et son 
état moral ne fait pas que ce qu'il confère ne soit pas 
le don de Dieu, le don de l'Église : « Qui autem solo 
sacramento sacerdos est... quamvis ipse non sit verax, 
quod dat tamenverum est si non det suum sed Dei^ » 
Ce ministre indigne n'est pas ministre principal du, 
sacrement; il n'est qu'un instrument dont se sert 
Jésus-Christ : c'est Jésus-Christ qui, en réalité, baptise 
par les mains de Pierre, de Paul ou de Judas ^ ; et l'in- 
dignité de l'instrument ne saurait paralyser son action. 
Bref, la validité des rites sacramentels ne dépend pas 
de l'état moral du ministre humain, de sa foi ou de 
son état de grâce. 

Si leur validité n'en dépend pas, leur efficacité en 
dépendrait-elle? Il y a ici, dans les réponses de saint 
Augustin, des nuances à remarquer. Il affirme sans 
hésiter qpie tout sacrement reçu dans la vraie Église 
par un. sujet bien disposé produit en lui tout son effet 
quel que soit l'état de péché et de perversité du ministre 
qui le confère^; la plus grande sainteté ou indignité 
du: ministre n'influe pas sur l'étendue de la grâce reçue, 
toujours par cette raison qu'il n'est qu'un instrument 
entre les > mains du Christ : « lUud quod dictumest 
unum est, nec impar propter impares ministres , sed 
par et aequale propter Hic est qui baptizat*. » Saint 
Augustin maintient cette même réponse dans le ca& 
où utt mourant bien: disposé reçoit le baptême de la 
main d'un hérétique, G'est-à«-dire en dehors de l'Église : 
son baptême lai remet ses péchés^. Mais notre auteur 



1. Contra litter. Petiliani, II, 69; Contra Cresconium, II, 12. 

2. In loann. tract. V, 7; VI, 7. 

3. Contra litter. Fetîliani, I, 3; Contra epist. Parmeniani, II, 24, 39; 
Sermo LXXI, 37; De baplismo, IV, 18. 

4. In loann. tract. Yl, 8. 

5. De baptîsmo, VI, 7; VII, 100. 



404 HISTOIRE DBS DOGMES. 

n'est plus aussi affirmatif lorsque le cas d'extrême né- 
cessité n'existant pas, un catéchumène de bonne foi se 
fait baptiser dans l'Église schismatique : il le considère 
comme « blessé, et gravement par le sacrilège du 
schisme^ ». L'évêque d'Hippone est ici impressionné 
par la doctrine de saint Cyprien, doctrine qu'il a faite 
sienne, sur l'Église organe unique de la sanctification 
et unique lieu de salut et de rémission des péchés. Le 
baptême des schismatiques est au fond celui de l'Église, 
et ainsi le baptême vrai ne se trouve pas que dans 
l'Église, mais en elle seule il se trouve d'une façon 
efficace pour le salut : « nec in qua sola (Ecclesia) unus 
baptismus habetur, sed in qua sola unus baptismus 
salubriter habetur ^ ». 

Cette dernière hésitation de saint Augustin n'em- 
pêche pas qu'il ne regarde très nettement dans l'en- 
semble la validité et l'efficacité des sacrements comme 
indépendantes des dispositions du ministre qui les con- 
fère. En est-il de même des dispositions du sujet qui 
les reçoit? 

Sans aucun doute, en ce qui regarde la validité : 
« Nihil interest ad baptismi sanctitatem quanto quisque 
peior id habeat, et quanto peior id tradat; potest ta- 
men tradere separatus, sicut potest habere separatus, 
sed quam perniciose habere tam perniciose tradere^. » 
Le même principe vaut pour l'ordination*. Mais na- 
turellement, l'effet de grâce n'est produit qu'autant 
que le sujet est bien disposé. Que si le sujet d'abord 
impénitent ou schismatique se convertit plus tard et 
rentre dans l'unité, alors le sacrement^ dont la vertu 

1. De baptismo, I, 6. 

2. Contra Cresconium, I, 34. V. ici Pourrat, op. cit., p. 132 et «uiv. 

3. De baptismo, VI, 7; IV, 48. 

4. Contra epist. Parmenianî, II, 28. 

5. N'oublions pas qu'il s'agit toujourSi dans la discussion, du baptcma 
et de l'ordre. 



LA THEOLOGIE DE SAINT AUGUSTIN. 405 

avait été en quelque sorte paralysée par ses mauvaises 
dispositions revivra et donnera ses fruits de salut : 
« Et i.deo si ab illa perversitate correctus et a separa- 
tione conversus venerit ad catholicam pacem, sub eo- 
dem baptismate quod acceperat eius peccata dimittun- 
tur, propter vinculum charitatis, sub quo baptismate 
peccata eius tenebaatur propter sacrilegium divisio- 
nis ^ » 

Est-ce donc que les bonnes dispositions du sujet 
sont proprement la cause de la production de la grâce 
dans la réception du sacrement? Le langage même 
dont se sert saint Augustin écarte cette explication; 
mais elle est écartée plus radicalement encore par sa 
doctrine sur l'efficacité du baptême et de l'eucharistie 
chez les enfants. Ces enfants ne reçoivent pas seule- 
ment validement le baptême, ils le reçoivent salubriter. 
Ils n'ont cependant pas même la foi actuelle, mais ils 
ne lui opposent aucun obstacle positif, et cela suffit : 
tt etiamsi fidem nondum habeat in cogitatione, non ei 
tamen obicem contrariae cogitationis opponit, unde 
sacramentum eius salubriter percipit^ ». Cette expli- 
cation est encore écartée par une singulière théorie de 
notre auteur sur la reviviscence des péchés. Il est tel- 
lement préoccupé de sauvegarder l'efficacité objective 
du baptême et de la rendre indépendante même des 
dispositions du sujet qu'il ne condamne pas l'hypothèse 
faite par les donatistes que, en un sujet schismatique 
ou mal disposé, les péchés seraient d'abord effacés par 
le baptême, mais pour revivre aussitôt par. suite de 
l'impénitence du baptisé'. 

La grâce conférée dans le sacrement ne vient donc 

1. De baptîsmo, VI, 7 ; I, 48; V, 9; Contra epîst. Parmcnianî, U, 28. 

2. Epist. XCVni, 10. Non obicem opponere, c'est le mot qui sera con- 
sacré plus lard pour désigner les dispositions suffisantes du sujet. 

3. De baptîsmo, 1, 19, 20; m, 18; Y, 9. 

23. 



406 HISTOIRE DES DOGMES. 

pas des dispositions du sujet : celles-ci sont une con- 
dition sine qua non de son obtention, elles n'en sont 
pas la cause méritoire ou productrice. Comme cette 
grâce ne vient pas davantage du ministre, il semble 
que la conséquence soit qu'elle vient du rite lui-même, 
du sacrement. Oui, sans doute, en ce sens que la po- 
sition du rite, dans les conditions voulues, entraîne 
toujours la collation de la grâce ; mais non en ce sens 
que le rite lui-même soit la cause de la grâce. Saint 
Augustin ne pousse pas ses déductions aussi loin. N'ou- 
blions pas que pour lui, le ministre n'est que l'instru- 
ment de Jésus-Christ qui agit par ses mains. La col- 
lation du sacrement est donc un acte de Jésus-Christ, 
et le sacrement lui-même, le rite sensible, im signe 
sous lequel le Christ glorieux, mais vivant toujours 
dans rÉglise, cache son action sanctificatrice : Hic est 
qui baptizat ' . Le sacrement est encore une enveloppe 
extérieure qui couvre l'opération intime du Saint- 
Esprit : a Aqua igitur exhibens forinsecus sacramen- 
tum gratiae, et Spiritus operans intrinsecus benefi- 
cium gratiae, soivens vinculum culpae^. » On peut le 
comparer à la parole du prédicateur servant de véhi- 
cule à l'action de Dieu dans les âmes '. Dans ces con- 
ceptions, le rôle du rite est de symboliser, de signifier 
extérieurement l'effet de grâce directement produit par 
le Saint-Esprit ou par Jésus-Christ plutôt que d'en 
être proprement la cause. 

Reste enfin la question de l'intention du ministre et 
du sujet requise pour la validité du sacrement. La so- 
lution en devenait embarrassante dans certains cas 
mentionnés par saint Augustin à la fin de son traité 

\. Epist. LXXXIX, 5. 

2. Epist. XCVUI, 2; Contra epist. Parméntani, U, 23; De baptismo, 
V, 29. 

3. In loann. tiact. hxa, 3. 



LA THE0LQ6IE DE- SAINT AUGUSTIN. 407 

De baptismo (vu, 101,. 102)i-. On se demandait ce qu'il 
fallait penser du baptême reçu d'une façon fictive et 
purement extérieure, soit que le sujet eût voulu trom- 
per les assistants, soit qu'il s'agît uniquement d'une 
comédie (utrum fallens, sicut in Ecclesia, vel in ea quae 
putatur Ecclesia; an iocans, sieut in mimo); ce qu'il 
fallait penser aussi du baptême conféré par \m minis- 
tre qui n'a pas l'intention de vraiment le donner, soit 
que le sujet n'ait pas non plus l'intention de le rece- 
voir, soit dans le cas où l'acteur, subitement converti, 
voudrait sincèrement le recevoir de l'autre acteur qui 
le lui donne en se jouant. A toutes ces difficultés, saint 
Augustin répond que l'Eglise n'a pas donné de solu- 
tion. Que si on exige son avis particulier, le voici ; 
1° : « Nequaquam dubitarem habere eos baptismum 
qui ubicumque, et a quibuscumque, illud verbis evan- 
gelicis eonsecratum, sine sua simuJatione, et cum 
aliqua fide aceepissent » (102)> L'intention du ministre 
n'est donc pas requise pour la validité dui baptême ni 
dans l'Église, ni chez les hérétiques., 2° : « Sicut iaim 
praeteritis maiorum statutis,. non dubito etiam illos 
habere baptismum, qui quamvis fallaciter id accipiant, 
in Ecclesia tamen acciplunt, vel ubi putatur esse Ec-^ 
clesia, ab^ eis in quorum societate id accipitur » (102). 
L'intention du sujet n'est donc pas requise non plu& 
pour sa validité, quand le baptême est reçu dans, une 
communauté chrétienne, 3* : Que si la chose se passait 
en dehors de toute Église « totum ludicre et mimice 
et ioculariter », il faudrait demander à Dieu une révé- 
lation pour savoir si l'on doit, oui ou non, accepter utf 
pareil baptême (102).. 

On s'est étendu un peu longuement sur les principes 
généraux relatifs aux sacrements répandus dans les 
écrits de saint Augustin, parce qu'ils constituent la 



408 HISTOIRE DÉS DOGMES. 

première ébauche de la synthèse sacramentaire réa- 
lisée par le moyen âge. Il est temps d'en venir aux sa- 
crements en particulier. 

Sur le baptême, l'évêque d'Hippone a écrit deux 
traités de polémique contre les donatistes, le De bap^ 
tismoj en sept livres, et le De unico haptismo contra 
Petilianuiriy respectivement de 400 et 410. 

Le baptême est le sacrement qui donne la vraie foi, 
le sacrement de la régénération {sacramentum nativi- 
talîs\ vulva matris aquabaptîsmatîs)* , symbolisé par 
l'eau sortie du côté ouvert de Jésus en croix ^. On le 
confère avec de l'eau préalablement bénite et la for- 
mule in nomine Patris et Filii et Spiritus Sancti^. 

Ses effets sont de remettre tous les péchés a omnia 
peccata... prorsus omnia* ». Il remet en particulier 
le péché originel ^ : aussi l'enfant baptisé qui meurt 
avant l'âge de raison échappe-t-il à la condamnation 
commune portée contre l'humanité^. Quant à la con- 
cupiscence, le baptême n'en délivre pas, mais il lui 
enlève sa culpabilité, son reatusy et jette dans l'âme le 
principe de sa disparition au jour de la résurrection '^. 
De plus, il est la condition pour les chrétiens de la ré- 
mission des péchés qu'ils commettront dans la suite 
de leur vie, et de la valeur de leurs prières et de leurs 
aumônes pour les effacer^. Tout ceci cependant ne 
représente que le côté en quelque sorte négatif de 
l'efficacité baptismale. Positivement, le baptême com- 

1. De baptismo, IV, 22, 23; Sermo CXIX, 4; In epist. loann. tract. 
V,6. 

2. In loann. tract. CXX, 2. 

3. Contra Cresconium, IV, iS; Sermo CXLIX, 10. 

4. Sermo V, 2; LVI, i2; Contra duas epist. pelagianorum, III, S\ etc. 

5. Contra duas epist. pelag., III, 5. 
6- Epist. XCVIII, 10. 

7. De nuptiiset concupisc I, 29; Contra duas epist. pelag., III, 5 cf. 
De gralia Christi et de pecc. origin., II, 44. 

8. De nupt. et concup.,ï, 38. 



LA. THEOLOGIE DE SAINT AUGUSTIN. 409 

munique à celui qui le reçoit l'esprit de foi et de cha- 
rité, une vie nouvelle^ ; il lui imprime un caractère^. 
L'enfant est incorporé à Jésus-Christ 3. Le corps même 
du baptisé est sanctifié et reçoit les arrhes de l'incor- 
ruptibilité future-*. Sans le baptême, on ne saurait par- 
ticiper aux autres sacrements et notamment à l'eucha- 
ristie ^. 

On admettait longtemps avant. saint Augustin que 
tout chrétien, même hérétique, pouvait baptiser, et 
l'on a vu ce qu'il pensait lui-même de la valeur du 
baptême des dissidents. Mais un infidèle pouvait-iL 
validement conférer le baptême? Notre docteur vou- 
drait avoir sur cette question la décision d'un concile 
général : il incline cependant à la résoudre par l'af- 
firmative, pourvu, bien entendu, que le rite soit inté- 
gralement appliqué^. 

Il regardait comme une tradition des apôtres et de 
Jésus-Christ l'usage de l'Eglise de baptiser les en- 
fants nouveau-nés, et il en concluait, ainsi qu'on le- 
dira plus tard, l'existence en ces enfants du péché ori- 
ginel, puisqu'ils sont baptisés pour la rémission des 
péchés et pour leur rédemption'^. Les pélagiens ob- 
jectaient en vain à cela que le baptême n'avait dans les 
enfants aucun effet médicinal et qu'il leur donnait droit 
seulement à l'entrée dans « le royaume des cieux » ; 
le saint docteur leur répondait que, dans le baptême,, 
les enfants étaient pénitents kabitu^ et que sans lui ils- 
ne pouvaient être sauvés*. Cette nécessité du baptême. 



1. Re tract. 1, 13, S. 

2. V. plus haut, p. 402. 

3. De peccator. merîtis et remiss., I, iO; Sermo CLXXIV, 9. 

4. Contra Iulianum, VI, 40. 

5. De peccat. merit. et remiss., I, 26; De baptismo, n, 19. 

6. Contra epist. Parineniani, n, 30; De. baptismo, YII, 101. 

7. De peccator. merit et remiss., I, 39. 

8. De peccat. merit. et remiss,, I, 23-2S, 



410 HISTOIBE DBS BOGMES. 

pour le- salut est d'aillfeurs; générale : par lui, on meurt 
au péché quel que soit son âge, et les plus parfaits 
mêmes qui ne l'auraient pas reçu, s'il s'en' tpouye, sont 
tenus de s'y soumettre ^v II peut cependant être sup- 
pléé par le martyre ou encore par la foi et la conver- 
sion du cœur ifidem, conversionemque cordis) si le 
temps manque pour s'en approchera 

Quant à rintention et aux dispositions requises dans 
le sujet du baptême, l'évêque d'Hippone incline^ en 
cas de doute et de nécessité, vers le parti miséricor- 
dreux. Ainsi, encore qu'il ne blâme point l'autre ma- 
nière de faire, il est d'avis que l'on baptise, en danger 
de mort, le catéchumène qui ne peut ni manifester sa 
volonté, ni professer lui-même sa foi ; « Multo satius 
est nolenti dare quam volenti negare^. » Bien plus, il 
est d'avis de baptiser, dans les mêmes^ circonstances, 
le catéchumène engagé dans un commerce adultère, 
puisqu'on peut présumer qu'il avait l'intention de s'en 
retirer' au moins au dernier moment, et de recevoir le 
sacrement. Et il ajoute : « Quae autera baptismatis 
eadém' reconciliationis est causa, si forte paenitentem 
finiendae vitae periculum praeoccupaverit*. » 

Immédiatement après le baptême, se donnait régu- 
lièrement la confirmation. Saint Augustin la mentionne 
plusieurs fois, et la met en rapport avec ce qui est 
raconté au livre des Actes, viii, 15-1 7 s. Il lui attribue 
Gom-me matière l'imposition de la main, à laquelle 
s'ajoutait peut-être un signe de croix tracé sur le 



1. De peccat. merit. et remiss., I, 23; EncKiridion, XLII, XLHI; De 
baptismo, IV, 29. 

2. De bapiismo, TV, 29; Contra litt. Petiliani, II, 52. 

3. De coniug. adulter., I, 33. 
*. De coni. adult., I, 33. 

5. De trinit., XV, 46. 



LA THÉOLOGIE DE SAINT AUGUSTIN. 411 

Iront ^ Son effet est de donner le Saint-Esprit 2. Or le 
Saint-Esprit est amour. D'où il suit, d'une part, que 
les schismatiques, qui n'ont pas la charité, peuvent 
bien donner le matériel du sacrement, mais non pas 
le Saint-Esprit qu'il contient; et, d'autre part, que 
le meilleur moyen pour les fidèles de savoir s'ils ont 
reçu le Saint-Esprit est de se demander s'ils aiment 
leurs frères : « Ergo si vis nosse quia accepisti Spi- 
ritum sanctum, interroga cor tuum, ne forte sacra- 
mentum habeas et virtutem sacramenti non habeas ^ ». 
Là même saint Augustin affirme enfin de ce sacrement 
^u'on le donne aux enfants, et, comme on le voit, qu'il 
€st valide, reçu dans le schisme ou avec de mauvaises 
dispositions, bien qu'il ne soit pas alors fructueux. 11 
semble bien par là lui attribuer la production d'un 
caractère "*. 

§ 9. — L'eucharistie s. 

La doctrine eucharistique de saint Augustin est une 
des plus difficiles à bien préciser. Ceci tient à la na- 



d. De baptismo, ni, 21. Voir Galtier, Recherches de science religieuse, 
i9H, p. 350-368. 

2. In epist. loann. tract. ÏII,S, 12; VI, 10; De trinit. XV, 46. 

3. In epist. loann. tract. VI, 10; De baptismo, m, 21. 

4. Contra litt. Petiliani, II, izSg. On remarquera que saint Augustin 
distingue nettement la confirmation, qui comportait l'imposition de la 
main de l'évêque, de la cérémonie par laquelle on réconciliait les 
hérétiques et qui n'était qu'une imposition des mains. Celle-ci n'était, 
à son a\is, que oratio super hominem et pouvait se réitérer, (De bap- 
tismo, m, 21 ; V, 33). 

5. Travaux : P. Schanz, Die Lehre des hl. Augustin ûber die Eucha- 
ristie, dans Tûbing. theolog. Quartalschrift, 1896. E. TARcmER, Le 
sacrement de l'Eucharistie d'après saint Augustin, Lyon, 1904. 
M. Blein, Le sacrifice de l'Eucharistie d'après saint Augustin, Lyon, 
1906. 0. Blank, Die Lehre des hl. Augustin vom Sacramente der 
Eucharistie, Paderborn, 1907. P. Batiffol, Études d'histoire et de théol. 
posittMe, 2» série, L'Eucharistie, 3« édit., Paris, 1906. K. Adah, Die 
Eucharistielehre des hl. Augustin, Paderborn, 1908. 



412 HISTOIRE DES DOGMES. 

ture même du mystère, réalité corporelle, invisible 
pourtant et existant à la manière des esprits, — au 
génie de l'évêque d'Hippone incliné aux explications 
allégoriques et passant, avec une rapidité qui parfois 
déconcerte, du signe à la chose signifiée, du fait con- 
cret aux enseignements qu'il suggère, de la cause aux 
effets qu'elle produit et réciproquement, — aux cir- 
constances enfin dans lesquelles il a parlé ou écrit, et 
notamment à, cette loi du secret à laquelle il fait si 
souvent allusion ^. Tout cela a contribué à faire naître 
sur sa pensée intime des obscurités et des doutes qu'il 
faut essayer d'éclaircir. 

La première question qui sollicite notre examen est 
naturellement celle de la présence réelle de Jésus- 
Christ dans l'Eucharistie. Qu'en a pensé saint Augus- 
tin? 

Les textes ne manquent pas qui semblent faire de 
lui un pur symboliste, ou du moins un précurseur de 
Calvin, n'accordant au Sauveur dans le pain et le vin 
qu'une présence « en vertu ». C'est ainsi qu'expliquant 
pourquoi le baptême est quelquefois appelé fides^ il 
remarque que les signes ou sacrements reçoivent sou- 
vent, par antonomase, le nom des réalités qu'ils. signi- 
fient, et il ajoute : « Sicut ergo secundum quemdam 
modum sacramentum corporis Christi corpus Christi 
est, sacramentum sang-uinis Christi sangais Christi 
est, ita sacramentum fidei fîdes est^. » Et encore à 
propos du sang qui est la figure et le signe de l'âme : 
« Non enim Dominus dubitavit dicere : Hoc est corpus 
meum^ cum signum daret corporis sui^. » Et encore : 



1. Par exemple In loann. tract. XI, 3, 4; Sermo IV, 31 ; V, 7; CCCYIï, 
3; etc. 

2. Epist. XCVIII, 9. 

3. Contra Adimantum, xn, 3. 



LA THEOLOGIE DE SAINT AUGUSTIN. 41Ï 

« Convivium in quo corporis et sanguinis sui figuram 
discipulis commendavit et tradidit^ » 

Par une conception analogue, ajoute-t-on, manger 
le corps et boire le sang de Jésus-Christ sont, pour 
saint Augustin, des expressions symboliques qui si- 
gnifient s'unir à Jésus-Christ par la foi, par le souve- 
nir, rester et demeurer en lui, ou dans l'unité de 
l'Église. Ou bien encore, d'après la doctrine augusti- 
nienne, on mange sans doute et on boit réellement et 
matériellement les éléments consacrés, mais on nfr 
reçoit Jésus-Christ qu'ils symbolisent ou dont ils con- 
tiennent la vertu que par la foi, par le cœur, d'une 
façon purement spirituelle. Et voici des textes : 

Si praeceptiva locutio est aut flagitium aut facinus vetans, 
aut utilitatem aut beneficentiam iubens, non est fîgurata. Si 
autem flagitium aut facinus videtur iubere, aut utilitatem aut 
beneficentiam vetare, fîgurata est. Nisi manducaveritis, inquit, 
camem filii hominis, et sanguinem biberîtis, non habebitîs vitam^ 
in vobîs. Facinus vel flagitium videtur iubere : figura est ergo, 
praecipiens passioni dominicae communicandum, et suaviter 
atque utiliter recondendum in memoria quod pro nobis caro 
eius crucifixa et vulnerata sit^. — Qui ergo est in eius cor- 
poris unitale, id est in christianorum compage membrorum... 
ipse vere dicendus est manducare corpus Christi, et bibere saur- 
guinem Christi s. 

Les tractatus xxvi et xxvii in loanhem, qui présen- 
tent d'ailleurs des vues difficiles à démêler, sont tout 
pleins de celle-ci : « Hune itaque cibum et potum so- 
cietatem vult intellegi corporis et membrorum suo- 
rum*. » — a Hoc est ergo manducare illam escam, et 
illum bibere potum in Christo manere, et illum manen- 
tem in se habere. Ac per hoc qui non manet in Christo, 

•I. Enarr. in psalm. m, 1. 

2. De doctrina christîana, III, 24. 

3. De civit Dei, XXI, 2S, 2, 3, 4; Sermo CCLXXII. 

4. In loann. tract. XXYI, IS. 



414 HISTOIRE DES DO&MES. 

et in quo non manet Ghristus procul dubio nec man- 
ducat carnem eius, nec bibit eius sanguinem, sed 
magis tantae rei sacramentum ad indicium sibi man- 
ducat et bibit ^ . » 

Mais ces textes disent-ils bien ce qu'on prétend, et 
sont-ils une preuve que saint Augustin est un symbo- 
liste, qu'il exclue la présence réelle? En aucune façon. 
Dans les premiers passages, le saint docteur prend le 
mot sacramentum au sens strict qu'il lui donne sou- 
vent, au sens de l'élément matériel qui s'oppose à res 
ou virtus sacramenti : « Aliud est sacramentum, aliud 
virtus sacramenti^ ». Ce mot désigne le pain et le vin. 
Mais ce pain et ce vin sont précisément le signe, la 
figure du corps et du sang de Jésus-Christ : le langage 
de notre auteur est ici conforme à celui de saint Jé- 
rôme, à celui du canon donné par le De sacramentis^ 
comme à celui de saint Cyrille de Jérusalem et de saint 
Grégoire de Nazianze. D'autre part, dans le De doc- 
trina christiana^ in, 24, saint Augustin n'a pas l'in- 
tention d'écrire un commentaire approfondi du Nisi 
manducaveritis : il le fera ailleurs : il écarte simple- 
ment l'idée capharnaïte d'un repas sanglant, et signale 
d'un mot le caractère commémoratif de l'eucharistie. 
Et il est évident enfin que dans les passages du De civi- 
tate Dei et des Tractatus in loannem, l'évéque d'Hip- 
pone a en vue une réception fructueuse \yere dicendus 
est) du corps et du sang de Jésus-Christ. Celui-là n'y 
participe pas vraiment qui n'en perçoit pas le fruit, à 
savoir la grâce d'union avec Jésus-Christ et avec ses 
frères, qui ne reste pas dans l'unité de l'Église. N'ou- 
blions pas que pour les Africains, Féucharistie est le 

\. In loann. tract. XXVI, 18. Il y a dans le texte imprimé des inter- 
polations mises entre crocliets que je n'ai pas reproduites. Et voyez 
tract. XXVI, 13; XXVII, 1, 3, G, 11. 

2. In loann. tract. XXVI, il. 



LA. THEOLOGIE DE SAINT AUGUSTIN. 415 

grand symbole de cette unité et qu'il n'y a rien qui en 
rende plus indigne que le schisme. 

Or, en regard de ces textes — auxquels nous aurons 
l'occasion d'en ajouter quelques autres — il est aisé 
d'opposer bon nombre de passages de notre auteur, 
d'où se dégage avec netteté une doctrine réaliste dans 
son fond, mais trahissant d'ailleurs le souci de mettre 
bien en relief le fruit spirituel que le communiant doit 
retirer de la divine réalité qu'il reçoit. 

Saint Augustin remarque d'abord que le pain et le 
vin eucharistiques ne sont pas naturellement un ali- 
ment mystique et un sacrement de religion : ils le de- 
viennent par une consécration, une bénédiction, une 
sanctification : « Noster autem panis et calix, non qui- 
libet... sed certa consecratione mysticus fit nobis, non 
nascitur^. » — « Non omnis panis sed açcipiens bene- 
dictionem Christi fit panis Christi^. » Il faut l'opération 
du Saint-Esprit pour faire des éléments humains un si 
grand sacrement : « Cum per manus hominum ad illam 
visibilem speciem perducatur, non sanctificatur ut sit 
tantum sacramentum, nisi opérante invisibiliter Spi- 
ritu Dei^. » 

Quel est l'effet de cette consécration et sanctification? 
Le voici : « Panis ille quem vidistis in altari sanctifî- 
catus per verbum Dei, corpus est Christi. Calix iUe, 
imo quod habet calix, sanctificatum per verbum Dei, 
sanguis est Christi*. » Les yeux du corps voient dans 
les éléments consacrés le pain et le calice du vin, la foi 
y saisit le corps et le sang du Christ : « Quod ergo 
videtis panis est et calix ; quod vobis etiam oculi vestri 
renuntiant : quod autem fides vestra postulat in- 

1. Contra Faustum, XX, 13. 

2. Sermo CCXXXIY, 2. 

3. De trinit., m, 10. 

4. Sermo CCXXVIl. 



416 HISTOIRE DES DOGMES. 

struenda, panis est corpus Christi, calix sanguis 
(]hristi^. » Aux deux endroits, il est vrai, le saint doc- 
teur explique ensuite aux nouveaux baptisés que ce 
corps de Jésus-Christ est l'Église dont ils sont les 
membres et dont ils ne doivent point se séparer ; mais 
cette moralité tirée du mystère ne diminue pas la force 
des déclarations précédentes. L'évêque d'Hippone les 
corrobore en remarquant que cette chair que Jésus-Christ 
nous donne à manger est celle qu'il a reçue de Marie, 
dans laquelle il a vécu, et qu'on ne la mange qu'après 
l'avoir adorée" ; que nous recevons a fideli corde, atque 
ore » la chair à manger et le sang à boire du Christ 
« quamvis horribilius videatur humanam carnem man- 
ducare quam perimere et humanum sanguinem potare 
quam fundere ' » ; que si l'on dit aux enfants de qui 
est le corps et le sang ce qu'ils ont vu sur l'autel, 
«nihil aliud credent, nisi omnino in illa specie Domi- 
num oculis apparaisse mortalium, et de latere tali 
percusso liquorem illum omnino fluxissc* »; que le 
chrétien enfin doit savoir ce qu'il mange, ce qu'il boit 
dans l'acte liturgique « ou plutôt qui il mange, qui il 
boit» [quem manduces, quem bibas), et s'abstenir, en 



1. Sermo CCLXXII. 

s. « Et quia in ipsa carne hic ambulavit, et ipsam carnem nobis man- 
ducandam ad salutem dédit, nerao autem illam carnem manducat nisi 
prius adoraverit, inventum est quemadmodum adoretur taie scabellum 
pedum Domini » {Enarr. in psalm. XCVin, 9; cf. In Joann. tract. 
XXVn, S; Saint âubroise, De Spiritu Sancto, III, 79). Quant aux paroles 
que saint Augustin, au même endroit^ met dans la bouche de Motre- 
Seigneur : < Spiritualiter intellegite quod locutus sum : non hoc cor- 
pus quod Tidetis manducaturi estis, et bibitiuri illum sanguinem quem 
fusuri sunt qui me cruciOgent, etc. >, elles ne vont pas à nier la réalité 
du corps et du sang divins dans l'eucharistie, mais à repousser la 
façon matérielle et grossière dont les capharnaïtes avaient compris- 
les promesses de Jésus : ■ Acceperunt illud stulte, carnaliter illud 
cogitaverunt, etc. » 

3. Contra adversar. legis ei propheU, II, 3i ; EpisU LIY, 8. 

4. De trinit., III, 21. 



LA THÉOLOGIE DE SAINT AUGUSTIN. 517 

conséquence, de la fornication ^ De là, l'interprétation 
donnée par notre auteur du passage du psaume : Et 
ferebatur in manibus suis. On ne voit pas comment 
ces paroles conviennent à David ; mais elles convien- 
nent au Christ : « Ferebatur enim Christus in manibus 
suis, quando commendans ipsum corpus suum, ait : 
Hoc est corpus meum. Ferebat enim illud corpus in 
manibus suis 2. » 

Deux points de la doctrine eucharistique de saint 
Augustin établissent enfin péremptoirement son réa- 
lisme. C'est d'abord que les méchants et les indignes 
reçoivent effectivement le corps et le sang de Jésus- 
Christ, encore qu'ils le reçoivent pour leur condamna- 
tion : « Corpus enim Domini et sanguis Domini nihilo- 
minus erat etiam illis quibus dicebat apostolus : Qui 
manducat indigne iudicium sibi manducat et bibit^. » 
C'est ensuite que notre docteur enseigne que l'eucha- 
ristie est nécessaire et profitable aux petits enfants : 
« Infantes sunt, sed mensae eius participes fiunt, ut 
habeant in se vitam*. » 

De l'opération par laquelle les éléments consacrés 
deviennent le corps et le sang de Jésus-Christ, saint 
Augustin n'a rien dit de précis * : « Accipiens benedic- 
tionem fit panis Christi — fit nobis non nascitur » ; le 
Saint-Esprit opère in visiblement : c'est tout. Point de 
théorie non plus dans notre auteur sur ce que devient 



1. Sermo IX, 14. 

2. Enarr. in psaîm. XXXni, sermo 1, 10; le sermo n, 2 sur le même 
psaume reproduit ce passage avec la variante : « et ipse se portabat 
quodam modo cum diceret Hoc est corpus meum ». Ce quodam modo 
peut s'expliquer de bien des façons sans intéresser Ja présence réelle. 

3. De baptismo, Y, 9; -Sermo LXXI, 17. 

4. Sermo CLXXIV, 7; Contra duas epist. pelagîan., II, 7; De peccator. 
merit, et remiss., I, 34; Epist. CLXXXVI, 28; CCXVIl, 16. 

îî. Saint Augustin n'indique pas non plus de façon claire et décisive 
les paroles qui, selon lui, opéraient le changement eucharistique. Y. 
Tarchier, op. cit., p. 100 et suiv. 



418 HISTOIRE DÈS DOGMES. 

par la consécration la substance du pain et du vin. Un 
autre problème attirait davantage son attention, qui 
semble l'avoir constamment préoccupé, le problème 
de savoir comment le corps du Christ, corps réel, est 
présent dans l'eucharistie dans des conditions qui ne 
sont plus celles d'un corps matériel et étendu. Il croit 
en avoir trouvé la solution dans le texte de saint Jean : 
« Spiritus est qui vivificat, caro non prodest quid- 
quam. » La chair de Jésus-Christ, mangée dans son 
état naturel, ne nous aurait servi de rien, car c'eut été 
une chair morte, et du reste cette manducation était 
impossible. Si elle nous sert, c'est qu'elle est la chair 
vivante de la vie glorieuse du Christ, pénétrée et spi- 
ritualisée elle-même par l'Esprit qu'est le Verbe et 
qui l'a transfigurée. Vivante, elle donne la vie par 
l'Esprit qui la vivifie : spiritualisée, elle atteint l'es- 
prit, l'âme pourvu qu'on la reçoive non seulement 
extérieurement mais en esprit. 

Non prodest quidquam, sed quomodo illi intellexerunt : car- 
nem quippe sic intellexerunt, quomodo in cadavere dilaniatur, 
aut in macello venditur, non quomodo spiritu vegetatur... Caro 
non prodest quidquam, sed sola caro; accédât spiritus ad 
carnem, et prodest plurimum i. — Manducent ergo qui mandu- 
cant et bibant qui bibunt; esuriant et sitiant; vitam mandu- 
cent, vitam bibant. Illud mandueare, refici estj sed sic refîce- 
ris, ut non deficiat unde reficeris. Illud bibere quid est nisi 
vivere? Manduca vitam, bibe vitam : habebis vitam, et Integra 
est vita. Tune autem hoc erit, id est, vita unicuique erit cor- 
pus et sanguis Christi, si quod in sacramento visibiliter sumi- 
lur in ipsa veritate spiritaliter manducetur, spiritaliter biba- 
tur. Audivimus enim ipsum Dominum dicentem : Spiritus est 
qui vivificat, caro autem non prodest quidquam 2. 

On voit assez par ce dernier passage que la vie spi- 
rituelle, la vie divine est donnée par saint Augustin 

" 1. In laann. tract. XXYII, S. 
2, Sermo CXXXI, i. 



LA. THÉOLOGIE DE SAINT AUGUSTIN. 419 

comme le fruit principal de l'eucharistie, vie qui n'est 
autre chose que l'union au Christ, et qui se traduit par 
l'union fraternelle, comme on l'a noté ailleurs. 

Mais pour y participer, pour manger utilement ce 
pain céleste, il faut être innocent ou du moins n'avoir 
point de péché grave : « Videte ergo, fratres, psmem 
caelestem spiritualiter manducate, innocentiam ad ai- 
tare apportate. Peccata etsi sunt quotidiana vel non sint 
mortifera^ » 

Le saint docteur n'a pas voulu se prononcer sur la 
question de savoir s'il convenait de communier quoti- 
diennement 2. En revanche, on sait qu'il regardait la 
réception de l'eucharistie comme nécessaire à tous et 
même aux enfants pour le salut, d'après le texte : 
Nisi manducaceritis carnem filiihominis... non ha- ^ 
bebitis vitam in vobis : « Si ergo, ut tôt et tanta di- 
vina testimonia concinunt, nec salus nec vita aeterna 
sine baptismo et corpore Domini cuiquam speranda 
est, frustra sine his promittitur parvulis^. » Il a été 
entraîné ici hors des bornes par l'ardeur de la lutte 
contre les pélagiens, et par un parallèle outré entre 
la formule évangélique qui prescrit la réception du 
baptême et celle qui prescrit la réception de l'eucha- 
ristie. 

Comme il a traité de l'eucharistie sacrement, notre 
auteur s'est occupé aussi — bien qu'assez superficiel- 
lement — de l'eucharistie sacrifice. Le sacrifice, dans 
sa notion très générale, est toute œuvre qui nous rap- 
proche de Dieu et nous unit à lui : ainsi l'homme qui 
se consacre à Dieu en mourant au monde peut être dit 



i. In loann. tract. XXVI, H. 

2. Episl. LIV, 4. 

3. De peccator. merit. et remiss., I, 34, 26-28; Contra duas episl. 
mlag., Il, 7; Epist. CLXXXYI, 28; CCXYII, iQ\De praedestin. sanctor., 23. 



420 HISTOIRE DES DOGMES. 

un sacrifice. A plus forte raison, l'Eglise offerte à 
Dieu par son grand prêtre Jésus-Christ est, en ce 
sens, un sacrifice. Elle est offerte, étant d'une certaine 
manière ce qu'elle offre : « demonstratur quod in ea 
re quam offert, ipsa offeratur ». Qu'offre-t-elle donc? 
Saint Augustin nous le dit : le sacrement de l'autel 
connu des fidèles ^ C'est là le vrai sacrifice [sacri- 
ficîum verum) figuré par ceux de l'Ancienne Loi main- 
tenant disparus'. 

Ce sacrifice cependant n'est pas absolu, il est relatif 
et commémoratif de celui de la croix, car il n'y a au 
fond qu'un seul sacrifice : « Huius sacrificii caro et 
sanguis ante adventum Christi per victimas similitu- 
dinum promittebatur; in passione Christi per ipsam 
veritatem reddebatur; post ascensum Christi per sa- 
cramentum memoriae celebratur^. » Jésus-Christ, qui 
a été prêtre et victime au Calvaire, l'est aussi à l'au- 
tel : « Per hoc et sacerdos est, ipse offerens, ipse et 
oblatio. Cuius rei sacramentum quotidianum esse vo- 
ItiitEcclesiae sacrificium-'. » 

Le sacrifice eucharistique étant un acte de latrie 
n'est offert ni aux saints, ni aux anges, mais à Dieu 
seul : « Quod offertur, offertur Deo qui martyres coro- 
navit*. » On ne doit pas l'offrir pour les non-baptisés ^, 
mais bien pour les fidèles défunts '. 



•I. De civit. Dei, X, S. 

2. Enarr. inpsalm XXXIX, 12; De civit. Dei, X, 20. 

3. Contra Faustum, XX, 21 ; VI, S. 

4. De civit. Dei, X, 20; XVII, 20, 2; Enarr. in psalin. CXLIX, 6. 

5. Contra Faustum, XX, 21. 

6. De anima, 1, 10. 

7. Confession., IX, 27, 32, 36, 37; Sermo CLXXII, 2. 



LA THÉOLOGIE DE SAINT AUGUSTIN. 421 

§ 10. — La pénitence, l'ordre, le mariage^. 

On a sur la pénitence un sermon entier de saint Au- 
gustin, le cccLii® ; mais il en a parlé ailleurs, et l'on peut 
reconstituer à peu près sa doctrine sur ce sujet 2. 

L'évêque.d'Hippone distingue trois sortes de péni- 
tence : celle qui se fait avant le baptême, celle qui doit 
se faire tous les jours pour les péchés légers et quoti- 
diens {çenialia, levià), celle enfin qui doit se faire 
après les fautes mortelles, graves {lethalia, gravia)^ 
qui vont contre le décalogue, et dont saint Paul dit 
que ceux qui les commettent n'entreront point dans le 
royaume des cieux^. C'est de cette dernière qu'il s'a- 
git ici. 

Quels actes comporte-t-elle? 

Le premier est évidemment dans le pénitent un acte 
de repentir : cette douleur du péché commis est la 
condition du pardon*. 

En second lieu, le pénitent doit avouer ses fautes à 
ceux qui gouvernent l'Église, pour en recevoir la dé- 
termination de sa pénitence. Le saint docteur parle en 
général de la confession des péchés, sans dire à qui 
elle doit se faire, dans ses commentaires sur les psau- 
mes Lxvi, 6 et xciv, 4 et dans le De diceisis quaestio- 
nibus, Lxxxiii, qu. xxvi. D'autre part, il suppose dans 
son sermon lxxxii, 11, que l'évéque connaît des crimes 
secrets que le monde ignore; et enfin il ajoute dans 
VEnchiridîon, lxv, que « recte constituuntur ab iis 

1. Travaux : P. Schanz, Die Lehre des M. Augustinus ûber das 
hl. Sakrament des Busse, dans Tûbing. theolog. Quartaîschrift, iS9o. 
A.' KmscH, Zur Geschichte der Katholischen Beichte, Wùrzburg, 4902. 

2. On observera que le sermon CCCU, qui traite aussi de la péni- 
tence, est d'une authenticité douteuse. 

3. Sermo CGCLII, 2 suiv.; De symbolo ad cafecTium., 15; Enchiridion, 
LXIX; De fide et operîbus, 48. 

4. Enarr. inpsalm. CXLYI, 6; LXVII, 31. 

24 



422 HISTOIRE DES DOGMES. 

qui Ecclesiae praesunt tempora paenitentiae ». Tout 
ceci indique évidemment un aveu et un aveu secret 
fait à l'évêque. 

La pénitence prescrite variera suivant la nature et 
la gravité des fautes commises. Saint Augustin en 
distingue deux degrés, l'une plus douce qui se fait 
« quibusdam correptionum medicamentîs », lorsque 
les fautes sont secrètes et qu'il s'agit seulement du 
salut du pécheur, l'autre publique îuctuosa, lamenta- 
lilis, graviovj qui éloigne ostensiblement de l'euclia- 
ristie, quand les fautes sont connues et scandaleuses 
[ita gravid) ^ . Quelquefois même l'Eglise excommunie 
solennellement le coupable; mais notre auteur cons- 
tate à ce point de vue un fléchissement de la discipline. 
Les pécheurs scandaleux sont si nombreux et le sen- 
timent du péché est tellement affaibli, que l'Église 
ferme les yeux de peur d'un plus grand maP. 

La confession et l'accomplissement de la pénitence 
sont déjà pour le pénitent la résurrection spirituelle : 
c'est Lazare sortant du tombeau : « Qui confitetur 
foras prodit. Foras prodire non posset, nisi viveret : 
vivere non posset nisi resuscitatus esset ^. » — « Eleva- 
tus est Lazarus, processit de tumulo et ligatus erat 
sicut sunt homines in confessione peccati agentes 
paenitentiam. Jam processerunt a morte : nam non 
confiterentur nisi procédèrent. Ipsum confiteri ab oc- 
culto et a tenebroso procedere est ''. » Toutefois il est 
encore lié : il faut que l'Eglise le délie pour lui per- 
mettre de marcher : « Sed parum adhuc ligatus est 
(peccator)... Praeter hanc Ecclesiam nihil solvitur^ »; 

1. De fide et operibus, 48 ; Sermo LXXXII, H. 

•S.. Enchirîdion, LXXX; Brevic. collai., m, 16; Contra litter. Peti- 
Uani, lU, 44. 

3. Sermo LXVU, 2, 3. 

4. Sermo CCCLH, 8.' 

5. Sermo CCXCV, 2; CCCLH, 8; Epiit. LXXXYUl, 8; CCXXYllI, 8, 



LA THÉOLOGIE DE SAINT AUGUSTIN. 423, 

car elle a reçu précisément de Jésus-Christ en saint 
Pierre le pouvoir des clefs pour lier ou remettre les 
péchés *. Saint Augustin croît donc que la vie spiri- 
tuelle est rendue au pécheur avant même l'absolution 
de l'évêque, car rendre la vie appartient « ad propriam 
maiestatem Dei suscitantis^»; mais il regarde aussi 
comme nécessaire Tintervention de l'Église, interven- 
tion qui délie réellement le pécheur. Cette théorie pré- 
sente évidemment une certaine confusion. 

La pénitence solennelle ne pouvait se réitérer ; tou- 
tefois notre auteur enseigne aussi que les relaps pou- 
vaient obtenir de Dieu directement leur pardon 3. 
D'autre part, toute réserve avait cessé de son temps, 
et l'homicide était pardonné, comme l'adultère, comme 
l'hérésie et l'apostasie : « In quibuscumque peccatis 
non perdit viscera pia mater Ecclesia''. » Un seul pé- 
ché restait irrémissible, le blasphème contre le Saint- 
Esprit, c'est-à-dire, suivant l'explication du saint doc- 
teur, l'impénitence même et le refus d'entrer dans la 
vraie Église^, 

C'est presque exclusivement dans sa controverse 
avec les donatistes que saint Augustin a traité du 
sacrement de l'ordre, et l'on a déjà eu l'occasion plus 
haut de résumer pour une bonne part ce qu'il en a dit. 
L'ordre, sacrement comme le baptême, comme lui 
valide même conféré par un indigne ou un hérétique, 
comme lui imprimant un caractère, ne doit point dès 
lors être réitéré {o?'dmatîoms ecclesiae signaculum^). 



1. In loann. tract. CXXIV, 5. 

2. Sermo XCVIH, 6. 

3. EpisL CLIII, 7. 

4. Sermo CCCLTI, 9^ 8; LXXI, 7, 37. 
«. Sermo LXXI, S et suiv., 24-23. 

G. De bono coniugali, 21; Contra epist. Parmeniani, îî, 28; De bap- 

tiS}7l0, I, 2. 



424 HISTOIRE DES DOGMES. 

Les autres détails sur le mode de collation de l'ordina- 
tion et sur les divers degrés de la hiérarchie sont con- 
formes à ce que nous savons qu'était la discipline au 
commencement du v^ siècle, et n'ont pas besoin d'être 
relevés. Saint Augustin remarque seulement que, 
d'une certaine façon et conformément à ce que dit l'A- 
pocalypse (xx, 6), tous les chrétiens sont prêtres : 
« omnes sacerdotes, quoniam membra sunt unius sa- 
cerdotis (Christi) » ; le nom de prêtres toutefois con- 
vient spécialement aux prêtres proprement dits et aux 
évêques. Eux seuls peuvent offrir le sacrifice *. 

A considérer le mariage comme l'union naturelle de 
Ihomme et de la femme, saint Augustin a dû s'en 
occuper contre deux sortes d'adversaires. Contre les 
manichéens, qui, s'ils permettaient à leurs « audi- 
teurs » de se marier, regardaient cependant comme 
un mal la procréation des enfants ^; et contre les péla- 
giens qui, en considération du but du mariage, décla- 
raient être un bien les mouvements de la concupis- 
cence qui accompagne l'union des sexes ^. 

L'évêque d'Hippone pose d'abord le principe de la 
supériorité de la continence sur le mariage et la chas- 
teté conjugale''. Il explique que les rapports sexuels 
effectifs ne sont pas essentiels au mariage, et que 
celui-ci peut existei même avec la promesse formelle 
de continence réciproque, comme il est arrivé pour la 
sainte Vierge et saint Joseph ^. Mais d'ailleurs il pro- 
clame que le mariage est bon : « aliquid boni esse 
coniugium masculi et feminae^ », 

1. De civit. Dei, XX, 10; Sermo CXXXVH, 8. 

2. De moribus Eccl. catholicae, II, 6o. 

3. De nuptiis et concupisc, I, 8. 

4. De bono coniug., 2T-31; De sancla virginîî., i. 

5. De nupt. et concup., I, 12. 

6. De bono conîug., 3. 



LA THEOLOGIE DE SAINT AUGUSTIN. 425 

D'où vient au mariage cette bonté naturelle? De son 
but et de ses résultats- 
Son premier but est la génération des enfants, et 
c'est le seul qui légitime complètement l'union des 
sexes. Le second est l'aide que se procurent mutuelle- 
ment l'homme et la femme, même quand le premier 
but ne peut plus être atteint : « propter ipsam etiam 
naturalem in diverso sexu societatem ». D'autre part, 
il résulte du mariage un certain calme, une certaine 
gravité introduite dans les rapports conjugaux par la 
pensée de la paternité : « Inlercedit enim quaedam gra- 
vitas fervidae voluptatis, cum in eo quod sibi vir et 
mulier adhaerescunt, pater et mater esse meditantur. » 
Et quatrième avantage enfin, la foi que se gardent les 
conjoints et qui limite l'incontinence *. 

Sur ces divers points saint Augustin se pose certaines 
questions dont plusieurs se rapportent plutôt à la mo- 
rale pratique du mariage qu'à son côté spéculatif et 
dogmatique. Il faut cependant en signaler quelques- 
unes. Ainsi le désir d'avoir des enfants paraît à notre 
auteur si nécessaire pour justifier l'union sexuelle, qu'il 
se demande si le mariage contracté en dehors de ce 
désir « propter incontinentiam , solius concubitus 
causa » peut être appelé mariage ; et il répond : Peut- 
être [foT'tasse non absurde), pourvu que les conjoints 
ne fassent rien pour éviter la procréation, et aient l'in- 
tention de rester unis jusqu'à la mort 2. En tout cas, 
l'œuvre de chair même entre époux recherchée pour le 
plaisir est faute vénielle : saint Augustin n'admet 
qu'avec de fortes réserves que le mariage soit établi 
ad sedandam concupiscentiam : il s'élève vivement 



1 . De bono conîug., 3, 4, 6. 

2. De bono coniug., S. 

24. 



426 HISTOIRE DES DOGMES. 

contre ceux qui, sans aller contre ses lois strictes, en 
font un instrument de volupté ^a- 

La concupiscence désordonnée qui accompagne l'acte 
conjugal est donc en soi un mal, et n'est justifiée que 
par le but de cet acte, la procréation des enfants. Elle 
est une conséquence du péché originel ; car, dans l'état 
d'innocence, lés deux sexes se seraient unis sans doute 
pour multiplier le nombre des bienheureux — la mort 
n'existant pas ; — mais ces rapports auraient eu lieu 
uniquement sous l'empire de la raison, la volonté res- 
tant maîtresse des sens ^. 

Le polémique sur le mariage ainsi close contre les 
manichéens et les pélagiens, saint Augustin traite des 
deux propriétés qui conviennent à l'union conjugale : 
l'unité et l'indissolubilité. 

L'unité est une conséquence de la fidélité récipro- 
que, de la fîdes castitatis dont les lois de tous les pays 
font un devoir aux époux ^. Cette fidélité, si on l'en- 
tend complètement, n'exclut pas seulement la polyan- 
drie, qui est contra bonum prolis^ : elle exclut aussi 
la polygamie. Celle-ci a été permise aux patriarches 
afin de multiplier les enfants d'Israël ; mais la mono- 
gamie est plus conforme à l'institution primitive et au 
bien du mariage^. Aussi est-elle la loi du temps pré- 
sent, au point que l'Église n'admet pas aux ordres 
même les bigames successifs ; bien qu'ils n'aient pas 
commis de faute, ils ont cependant manqué en quel- 
que façon à la loi du sacrement^. 

De l'indissolubilité du mariage saint Augustin fait 

i. De bono coniug., S, 6; De nupt. et concupisc, I, 17. 

2. De nupt. et concup., I, 9, 24; De Genesi ad litteram, IX, 6, 8, 14, 16, 
18. 

3. De bono coniug., 3*2. 

4. De bono coniug., £0; De nup. et concup., 1, 10. 

5. De nupt. et concupisc; 1, 10; De bono coniug., 20. 

6. De bono coniug., 21. 



LA THÉOLOGIE DE SAINT AUGUSTIN. 427 

spécialement une propriété du mariage chrétien : elle 
en constitue le lien sacramentel, honum, sacramenti^ ; 
et c'est en effet parce que le mariage chrétien est un 
symbole, un signe sensible de l'union de Jésus-Christ 
et de l'Eglise, que les époux doivent rester unis irré- 
vocablement : « Quoddam sacramentum nuptiarum 
commendatur fidelibus coniugatis, unde dicit aposto- 
lus : viri diligite uxores çestras, sicut et Christus di- 
lexit Ecclesiam : huius procul dubio sacramenti res 
est ut mas et femina connubio copulati quamdiu vi- 
vunt inseparabiliter persévèrent, nec liceat, excepta 
causa fornicationis, a coniuge coniugem discedere^. » 
Le mariage ne saurait donc être rompu pour cause de 
stérilité^. Mais pourra-t-on le rompre pour cause 
d'adultère du conjoint, et se remarier? La question, on 
le sait, était diversement résolue même en Occident : 
saint Augustin l'a traitée ex pi'ofesso dans le De con~ 
iugiis adulterinis ad Pollentium. Il y soutient que, 
en dehors du cas d'adultère, il n'est pas permis à l'é- 
poux d'abandonner son conjoint, et que même alors la 
partie innocente — que ce soit l'homme ou la femme 
— ne doit point se remarier (i, 2-5, 7-13; ii, 3, 4, 11). 
Le texte de saint Matthieu, xix, 9, ne contredit point 
cette solution (i, 9-12)-'. Ainsi notre auteur maintient 
jusqu'au bout l'indissolubilité du mariage. Le mariage, 
pensait-il, imprime, comme le baptême, une sorte de 
caractère : la différence entre eux est que Dieu, l'époux 
à qui l'âme est liée par le baptême, est immortel, tan- 



L De bono eonîug., 32; De gratta Chrîsti et depece. orig., îl, 39. 

2. De nupt. et concup., I, 11 ; cf. De bono coniug., 6, 7, 32; De fide et 
operîbus, 10. 

3. De bono coniug., 7, 32. 

4. Dans le De flde et operibus, 33, Augustin dit cependant que la 
chose est si obscure, que, à son avis, il y a seulement péché véniel à 
croire qu'il est permis alors de se remarier : « ut, quantum existimo, 
venialîter ibi quisque fallatar •. 



428 JIISTOIRE DES DOGMES. 

dis que le conjoint à qui l'époux est uni par le mariage 
peut mourir et rendre à l'autre partie sa liberté : « Ita 
manet inter viventes quiddam coniugale quod née 
separatio, nec cum altero copulatio possit auferre^ » 
Saint Augustin était très frappé de la rigidité de cette 
loi : il y voyait une preuve de la haute signification du 
mariage, en même temps qu'une peine infligée aux 
passions humaines 2. 

L'évêque d'Hippone ne voit qu'un simple conseil 
dans l'ordre que donne saint Paul à la partie chrétienne 
de ne pas répudier l'infidèle, si celle-ci veut continuer 
d'habiter pacifiquement avec la première^. D'autre 
part, il ne regarde pas comme nuls ni même comme 
illicites les unions entre païens et chrétiens, encore 
qu'il en déplore l'abus ''. Les mariages contractés après 
le vœu de chasteté lui paraissent également valables 
malgré la faute commise en les contractant^. 

Une dernière question reste à examiner : saint Au- 
gustin a-t-il considéré le mariage comme un vrai sa- 
crement? Le mot de sacrement revient souvent sous 
sa plume à propos du mariage, mais presque toujours 
pour désigner l'indissolubilité ou plutôt le caractère 
d'indissolubilité de l'union des époux, indissolubilité à 
laquelle ils se sont implicitement engagés : il y a trois 
choses qui font la bonté du mariage : proies, fides, sa- 
cramentum^ . Ce caractère d'indissolubilité est saint 
[sanctitas sacramentï) ; il n'existe que dans le mariage 
chrétien, et c'est par lui, par cette « res sacramenti », 
que ce mariage est la figure de l'union de Jésus- Christ 

1. De nupt. et concupisc, I, H ; De coniug, aduller., II, 4 ; De bono con- 
iug., 32. 

2. De bono coniug., 7. 

3. De co7iiug. aduller., 1, 14-24. 

4. De /ide et operibus, 35. 

5. De bono viduitatis, 12. 

6. De bono coniug., 3-2. 



LA THÉOLOGIE DE SAINT AUGUSTIN. 429 

et de son Église, qu'il peut être rapproché du baptême 
et de l'ordre ^ . Nul doute par conséquent que le mariage 
ne soit pour saint Augustin, au sens large, un sacre- 
ment, le sacramenîum nuptiarum^. L'est-il au sens 
plus étroit? Il est difficile de répondre, car d'un côté, 
notre auteur n'a parlé nulle part d'une façon un peu 
explicite du don spirituel, de la grâce liée au contrat 
matrimonial chrétien, et, d'un autre côté, ce qu'il a en 
vue généralement, en parlant du mariage, n'est pas le 
contrat lui-même, le mariage in fierij mais bien l'état 
conjugal qui en résulte pour les époux, 

§ 11. — Eschatolog^ie. Lutte contre l'origénisme^. 

En abordant la question des fins dernières, saint 
Augustin avait pleine conscience des^ difficulté!» et des 
problèmes que soulevaient en cette matière certains 
passages de l'Écriture. Ces difficultés avaient embar- 
rassé un saint Jérôme et un saint Ambroise : il les 
aborda à son tour avec une volonté opiniâtre d'y porter 
la lumière. 11 ne les résolut pas toutes, mais il en ré- 
duisit l'importance en en diminuant le nombre, et en 
mettant hors de conteste, sur ce sujet, les vérités fon- 
damentales qui commandent toute la vie chrétienne. 

L'évêque d'Hippone admet qu'immédiatement après 
la mort, les âmes reçoivent une partie de la récompense 
ou du châtiment qu'elles ont mérités, récompense et 
châtiment qui ne sont cependant pas complets, puis- 
que la réunion du corps à l'âme après la résurrection 
en doit remplir la mesure^. Mais, dans cet état, les âmes 

i. De bono coniug., 32, 7; De nupt. et concup., I, H; De coniug. 
adulter., U, 4. 

2. De bono coniug., 21. 

3. Travaux : J. Turmel, L'eschatologie à la fin du IF» siècle dans la 
Revue d'hist. et de littér. relig-euses, t. V, 1900. A. Frantz, Die Gebet fur 
die Todten... nachden Schriften des M. Augustinus, Nordhausen, 1SS7, 

4. De Genesi ad litter., XII, 68; Sermo CCLXXX, S; CCCXYIII, 5, 6. 



430 HISTOIRE DES DOGMES. 

justes voient-elles Dieu, sont-elles avec lui? Augustin 
l'admet assez certainement pour les martyrs; pour les 
autres il hésite, et l'on trouve chez lui des textes dans 
les deux sens^. C'est qu'il se demande comment l'âme 
séparée de son corps pourrait être parfaitement heu- 
reuse et capable de contempler Dieu. 

Il ne veut pas que l'on cherche quand viendra la fin 
du monde, puisque Notre- Seigneur nous l'a laissé 
ignorer^ : il se déclare incapable d'expliquer au sujet 
de l'antéchrist les paroles dé saint Paul (// Thessalon., 
II, 1-11), surtout les versets 6, 7, et rejette avec dédain 
la croyance populaire qui identifiait l'antéchrist avec 
Néron. Il l'identifierait plutôt avec le faux prophète de 
l'apocalypse, xix, 20'. 

D'autre part, saint Augustin, qui pendant quelque 
temps avait admis le millénarisme^, repoussa plus tard 
absolument cette erreur, et pour lui enlever son prin- 
cipal appui, s'efforça de présenter dans le livre xx de 
la Cité de DieUj une explication allégorique de la vision 
de Patmos. La première résurrection dont parle saint 
Jean {ApocaL, xx, 5) représente la rédemption et l'ap- 
pel à la vie chrétienne ; le règne de Jésus-Christ et de 
ses saints [Apoc, x, 6), c'est l'Eglise et son apostolat 
ici-bas ; enfin les mille ans ou bien sont les mille der- 
nières années qui précéderont le jugement, ou bien dé- 
signent la durée totale de l'Eglise terrestre^. 

1. Pour : Enarr. tnpsalm. CXIX, 6; Confession., IX, 3, 6; De eivit. Bei, 
XX, 9, 2. Contre : Enehiridion, CIX, CX; De civit. Dei, XH, 9, 2; XX, 
15; Jn loann. tract. XXI, 43. Le chapitre CIX de l' Enehiridion est clair : 
« Tempus autem quod inler honiinis niorlem et ullimam resurrectio- 
nem interpositum est animas abdiiis receptaculis conlinet, sicut una- 
quaeque digna est vel requie vel aerumna, pro eo quod sortita est in 
carne cum \iverett. Cet habitacle pour les bons est désigné comme le 
sein d'Abraham, le paradis {Sermo CIX, 4; Enarr. in psalm. XXXVI, 
sermo 1, 10). 

2. De civit. Dei, XVHI, 53, 1. 

3. De civit. Dei, XX, 9, 3 ; 19, 2 ; 14. 

4. De civit. Dei, XX, 7, 1 ; cf. Sermo CCLIX, 2. 

5. De civit. Dei, XX, 6, 1, 2; 7, 2; 9, 1, 



LA THÉOLGGiË DÉ SAINT AUGUSTIN. 431 

La fin du monde venue amènera la résurrection de 
la chair. Au temps de saint Augustin, cette vérité pro- 
voquait encore les objections des païens. Notre auteur 
les a rassemblées et s'est efforcé d'y répondre au De 
cmîate Dei,-Kxu, 12-20 ^ Tous ressusciteront, bons et 
méchants, élus et damnés 2. Dans quelles conditions? 
D'abord la chair restera chair et ne deviendra pas es- 
prit; le mot de corps spirituel employé par l'apôtre 
veut dire seulement que. le corps sera alors affranchi 
des appétits et besoins grossiers et régi entièrement 
par l'esprit : « Erit ergo spiritui subdita caro spiritua- 
lis, sed tamen caro, non spiritus : sicut carni subdi- 
tus fuit spiritus ipse carnalis, sed tamen spiritus, non 
caro^. » De plus le sexe sera conservé''; mais dans 
les justes, les défauts du corps disparaîtront, et les élus 
seront parfaitement beaux. Quant à ce qui se passera 
dans les réprouvés, inutile de s'en inquiéter ^. 

La résurrection universelle sera suivie du jugement. 
Tout s'y passera en un clin d'ceiP, et la conclusion en 
sera le salut ou la damnation définitivement proclamés. 
On a vu plus hauf^ que, an commencement du v* siècle, 
une série d'erreurs s'étaient répandues dans l'Eglise 
d'Occident, qui représentaient le salut comme plus ou 
moins indépendant des bonnes œuvres, et qui niaient 
l'éternité des peines de l'enfer soit pour tous les ré- 
prouvés, soit au moins pour certaines catégories de 
pécheurs. Saint Augustin a réfuté les premières dans 
le De civitate Deij xxi, 23-27 et dans le Deflde et ope- 
rïbusy 21 et suivants. Ce n'est, enseigne-t-il, ni le bap- 



1. Cf. Enc^imdîOH, LXXXV-LXXXIX; et Decioitate Dei, XXn, 4; 5. 

2. Enchiridion, XCI, XCII. 

3. De civil. Dei, XXn, 21; XIII, 20; Enchiridion, XCÏ. 

4. De civil. Dei, XX, 17. 

5. Enchiridion, XCI, XCII; De civil. Dei, XX, 19 

0. De civil. Dei, X, 14. 

1. P. 335. 



432 HISTOIRE DES DOGMES. 

tême, ni la réception de l'eucharistie, ni l'orthodoxie 
de notre foi, ni l'aumône toute seule qui nous sauvera ; 
c'est l'ensemble de notre vie et de nos bonnes œuvres ; 
et il n'y aura pas de condamnés au dernier jour que les 
idolâtres et les infidèles. 

En ce qui regarde la nature et la durée de la peine 
des réprouvés, saint Augustin n'est pas moins ferme, 
au moins sur les points qui appartiennent au dogme 
proprement dit. Ils souffriront d'une peine commime, 
Yalienatio a vita Dei^, à laquelle s'ajoutera une peine 
d'ordre inférieur, celle que nous appellerions la peine 
du sens. Bien que l'évêque d'Hippone ne veuille rien 
trancher absolument, il opine à voir, dans le ver ron- 
geur dont il est question dans TÉvangile, les remords 
de la conscience, mais dans le feu, un feu réel et maté- 
riel qui torturera les damnés, hommes et démons, dans 
leur corps et dans leur esprit, ou, si l'on prétend que 
les démons n'ont pas de corps, qui les torturera dans 
leur être spirituel quamvis miriSf tamen çeris modis ^. 
Ces peines seront différentes naturellement suivant la 
culpabilité de chaque réprouvé, et celle des enfants 
morts sans baptême sera mitissima omnium poena ^; 
mais pour tous elles seront éternelles. C'est une thèse 
sur laquelle le saint docteur est souvent revenu, préci- 
sément parce qu'il connaissait les résistances qu'elle 
rencontrait''. Non content de l'établir par l'Écriture — 
notamment par les textes de l'Apocalypse (xx, 9, 10) 
et de saint Matthieu (xxv, 41, 46) — et par l'usage de 
l'Eglise de ne pas prier pour les damnés, il s'est efforcé 



i. Enchiridion, Cxni. 

2. De civit. Dei, XX, 2-2; XXI, 9, 2; 40, d, 2. 

S. Enchiridion, XCUI, CXI, CXIII; De civit. Dei, XXI, 16; De peccator. 
meritis et remias., I, Si. 

4. Enchiridion, CXI-CXIII; De civit. Dei, XXJ, »; 53; 16; 18; 19-27. 
V. A. Lebact, L'éternité des peines de l'enfer dans S. Augustin, Paris, 1912. 



LA THÉOLOGIE DE SAINT AUGUSTIN. 433 

de justifier le dogme par la raison. Quant à ropinion 
qui admettait un adoucissement graduel des tourments 
de l'enfep, sans lui être favorable, il ne la condamne 
pas absolument : « Poenas damnatorum certis tempo- 
rum intervallis existiment, si hoc eis placet, aliqua- 
tenus mitigari. » — « Quod quidem non ideo confîrmo, 
quoniam non resisto ^ » 

Et cependant saint Augustin était amené par les 
textes de saint Paul, / Corinth,, m, 11-15, et de saint 
Matthieu, xii, 32, à croire que certains péchés seraient 
pardonnes dans l'autre siècle comme en celui-ci 2. 
Le premier de ces textes surtout sur le chrétien 
sauvé quasi per igneniy parce que, sur le fondement 
qui est Jésus-Ghrist, il a édifié du bois, de la paille, 
du foin, exerçait singulièrement sa curiosité'. Quels 
sont les chrétiens désignés ici? Il est assez facile de 
répondre : ce sont les fidèles qui, tout en gardant l'es- 
sentiel des préceptes de Jésus-Christ, sont trop atta- 
chés aux plaisirs des sens et aux affections permises •* ; 
ceux dont notre auteur dit ailleurs qu'ils ont besoin de 
miséricorde, mais qu'ils n'en sont pas indignes '. Ces 
fidèles devront expier leur trop grand attachement au 
monde, et c'est pourquoi « temporarias poenas alii in 
hac vita tantum, alii post mortem, alii et nunc et tune, 
verumtamen ante iudicium illud severissimum novissi- 
mumcpie patiuntur ^ » . Certains d'entre eux expieront 
donc après la mort. Maintenant saint Paul parle de fea. 
Qu'est-ce que ce feu? L'évèque d'Hippone en a proposé 
diverses interprétations : il y a vu les tentations et les 

1. Enchiridion., CXII, cf. CX; De cîvit. Deî, XXI, 24, 3. Mais dans 
l'Enarr. inpsalm. GV, 3 : « Quis audacter dixerit? » 

2. De civit. Deî, XXI, 24, 2. 

3. De flde ei operibus, 27. 

4. De civit. Deî, XXI, 26, 2; De fide et operibus, 27; Enchîridion, 
LXVIII. 

B. De civit. Dei, XXI, 2î, 2; cf. Enchiridion, CX. 
6. De civit. Dei, XXI, 43. 

HISTOIRE BES DOGMES. — U. 25 



434 HISTOIRE DES DOGMES. 

peines de cette vie^; puis les séparations nécessaires 
que la mort impose 2; puis danB VEnchiridion, lxix, il 
en vient à l'hypothèse d'un feu purificateur qui, après la 
mort, tourmentera plus ou moins longtemps les fidèles 
d'ailleurs sauvés en principe : « nonnuUos fidèles per 
ignem quemdam purgatorium, quanto magis minusve 
bona pereuntia dilexerunt, tanto tardius citiusque sal- 
vari », Cette hypothèse ne lui paraît pas incroyable ^. 
Il existe donc, d'après saint Augustin, sûrement un 
purgatoire , et peut-être, dans ce purgatoire, du feu. 

C'est pour les défunts qui ont ainsi besoin de notre 
secours, et qui d'autre part n'en sont pas indignes, que 
nous faisons des aumônes et que nous offrons le saint 
sacrifice^. Ils n'en profitent que parce qu'ils ont, pen- 
dant leur vie, mérité d'en profiter, car, après la mort, 
ils ne «auraient rien mériter, non plus qu'on ne sau- 
rait mériter pour eux^. Mais ils en profitent certaine- 
ment : « Neque negandum est defunctorum animas 
pietate suorum viventium relevari, cum pro illis sa- 
crificium mediatoris offertur, vel eleemosynae in Ee- 
clesia fiunt*. » Au De civitate Dei, xxi, 27, 5, le saint 
docteur attribue également à l'intercession des saints 
après la mort, le pardon de certains péchés qui em- 
pêchent rentrée dans le royaume de Dieu. Mais quels 
sont ces péchés « -dificillimum est invenire, perieulo- 
sissimum est definire. Ego certe usque ad hoc tempus 
cum inde satagerem, ad eorum indaginem pervenire 
non potui ». 

Revenons aux bienheureux. Saint Augustin a con- 

1. De omit. Dei, XXr,26, 2;Cf. XXI, U;Enchirîdion, LXYUL 

2. De fide et opcribus, 27. 

3. Enchiridion, LXIX ; De civil. Dei, XXI, 26, 4. 

4. Enchiridion, CX; De octo Dulcitii quaestion., qu. II. 

5. Sermo CLXXII, 2. 

6. Enchiridion, CX; De octo Dulcil. quaestion., qu. II; Sermo CLXXII, 
2; De cura pro mortuis gerendu, 2, 3; cf. Confcss., ix, 32. 



LA THEOLOGIE DE SAINT AUGUSTIN. 435 

sacré à la description de leur félicité le livre xxii de 
la Cité de Dieu. Cette félicilé ne sera pas la même en 
tous : cette différence néanmoins ne fera naître en eux 
ni peine ni jalousie ^ Dans un bonheur éternel, ina- 
missible, dans une jouissance et une paix qui surpas- 
sent toute compréhension, comme les anges, les élus 
verront Dieu face à face "^. Le verront-ils, après la ré- 
surrection, des yeux du corps : « utrum per ipsum 
(corpus) sicut per corpus nunc videmus solem, lunam, 
stellas? » Ils verront ainsi Jésus-Christ; mais Dieu?... 
Notre auteur écarte l'objection philosophique qu'un 
corps ne saurait percevoir un esprit : il avoue néan- 
moins qu'il est difficile sinon impossible de prouver que 
les bienheureux puissent voir Dieu de leurs yeux ma- 
tériels ^. Quoi qu'il en soit, à cette vue, sensible ou spi- 
rituelle, de Dieu, se joindra dans les bienheureux la 
jouissance d'un corps léger, obéissant à l'âme, d'un 
libre arbitre désormais impeccable, et par conséquent, 
l'harmonie parfaite de leur être et de leurs facultés. 
Dieu sera pour eux « et vita, et virtus, et copia, et 
gloria, et honor, et pax et omnia bona » ; il sera tout 
en tous *. 

Ajoutons enfin que, après le jugement dernier, ce 
qu'il y a de périssable et de grossier dans le monde 
actuel périra par le feu, et qu'un monde nouveau ap- 
paraîtra, adapté et disposé pour l'humanité régénérée 
et immortelle qui doit désormais en jouir : « ut scilicet 
mundus in melius innovatus apte accommodetur ho- 
minibus etiam carne in melius innovatis ^ ». 

1. Enchiridion,Cyil\ Decivit. DeiyXKII, 30, 2. 

2. De civit. Dei, XII, 20; XXI, 30, 3, 4; XXII, 29, i. 

3. Decivit. Dei, XXII, 29, 2-6. 

h. De civit. Dei, XXII, 30, 1, 3, 4. 
S. De civit. Dei, XX, 16; cf. 24, 1. 



CHAPITRE XI 



SAINT AUGUSTIN ET LE PELAGIANISME. 



§ 1. — La doctrine pélagienne^ 

Les progrès que saint Augustin a fait faire aux doc- 
trines que nous venons d'étudier ne constituent ce- 
pendant pas sa principale gloire théologique. Celle-ci 
lui vient surtout de sa lutte contre l'erreur pélagienne 
et de la lumière décisive que son génie a su porter 
dans les questions obscures de la chute originelle et 
de la grâce. 

L'évêque d'Hippone était encore engagé dans la con- 
troverse donatiste que déjà Pelage prêchait l'hérésie 
à laquelle il devait donner son nom. 

i. Sources : Avant tout, ce qui reste de Pelage, de Celestius et de 
Julien (V. le texte et les notes suivantes); puis le traité De vita chris- 
tiana du pélagien Fastidius (P. Z.., t. XL), le traité De divitiis et les 
cinq lettres du même auteur édités par Caspari [Briefe, Abhandlungen 
und Predigten.,,, Christiania, 1890, p. 1-167). En second lieu les ou- 
vrages des auteurs qui ont réfuté le pélagianisme. Saint AncnsTiN (sur- 
tout P. L., t. XLIV, XLV); Marius Mercator, Commonitorium; Liber 
subnotaticnum in verba Iuliani {P. L., t. XLVIII) ; Saint Jérôme, Dio' 
logus contra pelagianos (P. L., t. XXIII) ; Paol Orose et quelques autres. 
Enfin les actes des cenciles et les lettres des papes qui se sont 
occupés du pélagianisme. — Travaux : F. Woerter, Der Pelagianismus 
nach seînem Ursprunge und seiner Lehre, Freiburg im Br., 1866. 
F. Klases, Die innere Entwicklung des Pelagianismus, Freiburg im 
Br., 1882. Jagobi, Der Lehre des Pelagius, Leipzig, 1892. A. Bruchner, 
Julian von Eclanum, sein Leben und seine Lehre, Leipzig, 1897. J. 
JBENGST, Kultus und Geschitsreligion, Pelagianismus und Auguatinii' 
mus, Giessen, I90i. 



SAINT AUGUSÏIN ET LE PÉLAGIANISME. 437 

Homme de haute vertu (bonura ac praedicandum vi- 
rum^^) et directeur de conscience plutôt que théolo- 
gien et théoricien, le moine breton Pelage ne suppor- 
tait qu'avec impatience les excuses que les pécheurs 
tiraient de la fragilité de l'homme, regardait comme 
un effet de la lâcheté les appels faits à la grâce de Dieu 
comme à un remède à notre prétendue impuissance, 
et ne cessait d'insister, auprès des âmes qu'il condui- 
sait, sur la force invincible que nous donne le libre 
arbitre pour résister au mal. 

Il se trouvait à Rome dans les toutes premières 
années du v° siècle. Il y fît la connaissance d'un prêtre 
syrien, nommé Ruiin, de qui, dit Marins Mercator, il 
apprit à nier le péché originel 2. Puis, à son tour, il 
conquit des disciples. Le principal à cette époque fut 
Celestius, jeune moine ardent qui, une fois convaincu, 
ne sut plus taire ni pallier ses erreurs ^. En 417, une 
autre recrue importante lui arriva : c'était Julien, l'é- 
véque d'Eclane en Apulie, logicien vigoureux et co- 
pie\;ix écrivain qui devint, suivant l'expression de saint 
Augustin, l'architecte de tout le système ''. Ces trois 
hommes, Pelage, Celestius, Julien personnifient le 
pélagianisme. Ils l'ont fondé, propagé, organisé en 
une doctrine suivie. C'est donc à eux qu'il faut nous 
adresser, d'abord et avant tous les autres, pour bien 
connaître cette doctrine. 

Pelage a laissé un Commentarium in epistulas 



\. AcGUST., De peccator. merit. et remiss., in, 5, 1. 

2. Liber subnotationum, praefatio, 2 ; cf. Acgost., De gratia Christi 
et de pecc. orig., U, 3. 

3. Il avaii étudié le droit et était, dit Marius Mercator, t incredibili 
loquaeilate » {Liber subnot., praef., 4). Saint Augustin l'oppose à Pe- 
lage : « Quid inter istum (Pelagium) et Caelestium in hac quaestione 
distabit, nisi quod ille apertior, iste occultior fuit; ille pertinacior, iste 
mendacior, vel certe ille liberior, hic astutior » (De gratia Christi et 
de pecc^ orig., II, 13). 

•4. Contra lulian., VI, 36. 



438 HISTOIRE DES DO&MES. 

sancti PauU dont on. a comtesté l'authenticité, qui a, 
en tout cas, subi des corrections: et des retouches * ; de 
plus, une Epistulcu ad Demetriadein,. écrite vers 412 
ou 413^, et un Ldbellus fidei ad Innocentium papam^ 
de l'an 417 ^. De ses autres ouvrages, notamment de 
son. De liber o arbitrio, il ne reste que les citations de 
saint Jérôme, de Marius Mercator et de saint Augus- 
tin. Les citations faites par Augustin sont aussi tout 
ce qui a été conservé de l'oeuvre de Gelestius. Et l'on 
en peut dire autant de celle de Julien, avec cette dif- 
férence qu'ici, les citations plus longues et plus nom- 
breuses reproduisent vraiment une portion considéra- 
ble des Lïbri IV et Libri VIII adçersus Augustinum 
de l'évéque d'Eclane. Si l'on joint, à ces sources de 
premier ordre, quelques traités du pélagien Fastidius, 
écrits entre 420 et 430, et les renseignements fournis 
par saint Augustin lui-même et les autres adversaires 
du pélagianisme, il devient aisé de se faire une idée 
d'ensemble de son enseignement. Remarquons seule- 
ment qu'entre Pelage, Gelestius et Julien l'aceord sur 
quelques points n'était pas entier, et qu'un certain dé- 
veloppement s'est produit dans le système, qui l'a 
amené à sa définitive expression. 

Le principe qui le domine tout entier est évidem- 
ment une conception stoïcienne de la nature humaine. 
L'homme a été créé libre : cette liberté consiste à pou- 
voir à son gré faire ou éviter le mal : c'est une éman- 
cipation vis-à-vis de Dieu, en vertu de laquelle l'homme 
s'appartient et se conduit suivant son bon plaisir : 
«. Libertas arbitrii, qua a Deo emancipatus homo est, 
in admittendi peccati et abstinendi a peceato possibi- 



1. P.L^ t. XXX. 

2. p. L., t. XXX; répétée t. XXXni- 

3. P. L., t. XLV; répété t. XLYIH. 



SAINT AUGUSTIN ET LE PBLAGIANISME. 439 

litate consisfcit *. » Et ce pouvoir de choisir, bien que 
reçu de Dieu, nous est tellement essentiel que nous ne 
saurions ne pas l'avoir. Il y a en effet, disait Pelage, 
trois choses à distinguer dans l'acte libre, passe, velle, 
esse : « Posse in natura, velle in arbitrio, esse in effectu 
locamus. » Or, je puis bien ne pas vouloir le bien ni 
Texécuter, mai& je ne saurais ne pas avoir le pouvoir 
de le vouloir et de le faire. D'autre part, le vouloir et 
le faire dépendent de moi, et c'est moi qui me les 
donne : de là le mérite et la récompense due à mes 
œuvres : « Primum illud, id est posse ad Deum pro- 
prie pertinet, qui illud creaturae suae contulit : duo 
vero reliqua, hic est velle et esse ad hominem refe- 
renda sunt, quia de arbitrii fonte descendunt. Ergo in 
voluntate et opère bono laus hominis est^. » 

On objectait à cette toute-puissance de la volonté 
libre qu'elle avait été affaiblie dès le principe et se 
trouvait inclinée au mal. Les pélagiens le niaient réso- 
lument : la liberté était, à leur avis, une balance dont 
les plateaux bien équilibrés ne pouvaient être mus 
que par la volonté^. Dès lors, rien ne s'opposait à ce 
que l'homme, toujours capable d'éviter le mal et d'ob- 
server les commandements de Dieu, vécût, à la ri- 
gueur, sans péché : « Ego dico posse esse hominem 
sine peccato"*. » Pelage, sans doute, n'osait pas tou- 
jours affirmer le fait^; d'autres fois cependant, il ne 
craignait pas d'assurer que beaucoup de philosophes, 
avant ou après Jésus-Christ, avaient constamment 



i. JuuEN ap. AuGUST., Contra Iulian, op. imper f., I, 78, 79; P£uge, 
Libell. fidei, 13* 

2. Apud AOGOST., De gratta Christi et depecc. orig., I, Si 

3. Deftnitiones Oaelestii apud Aogust;, De perfect. itislitiae homi" 
nis, 4; Contra Iulian. opus imperf., m, HO, 117. 

4. PELAGE ap. kvGVsr., De natura et gratia, 9; De gratta Christi et de 
pecc.. orig., L & ; De gestis. Pelagii, 16; etc. 

5. De gratia Christi et depecc. orig., l, S; De gestis Pelagii, 16i 



440 HISTOIRE DES DOGMES. 

pratiqué la vertu, et il dressait des listes de personna- 
ges bibliques qui, selon lui, n'avaient jamais péché ^. 
Ainsi, le péché est essentiellement un acte de la 
volonté libre : « Quid sit quodcumque peccatum? Quod 
vitari potest aut quod vitari non potest? Si quod vitari 
non potest, peccatum non est : si quod vitari potest, 
potest homo sine peccato esse quod vitari potest'', » 
Admettre le péché originel devenait évidemment im- 
possible avec de pareilles prémisses. Aussi les péla- 
giens le rejettent-ils absolument. Ils le rejettent parce 
que ce péché d'origine, s'il existait, devrait avoir une 
cause ; cette cause ne saurait être la volonté de l'en- 
fant : ce serait donc celle de Dieu, et dès lors on n'au- 
rait pas un péché de l'enfant, mais un péché de Dieu ^, 
Us le rejettent, parce que l'admettre serait admettre 
un péché de nature, c'est-à-dire une nature mauvaise, 
viciée, la doctrine même des manichéens ''. Ils le rejet- 
tent encore parce qu'un semblable péché de nature 
serait indélébile, ce qui est de la nature durant autant 
qu'elle^. Enfin ils le rejettent parce que si Adam a pu 
ainsi transmettre son péché à ses descendants, pour- 
quoi le juste ne transmettrait-il pas aussi sa justice 
aux siens, ou pourquoi les autres péchés ne seraient- 
ils pas aussi transmis ^? Il n'y a donc pas de péché ex 
traduce : notre premier père ne nous a nui que par 
son mauvais exemple, et c'est dans ce sens qu'il faut 



1. Ad Demetriadem, 3,T; De natura et gratta, 42. 

2. Définit. Caelest. ap. Augdst., De perp-ct. iustitiae, 2, 6; De gratia 
Chrîsti et depecc. orig., II, 6; Cont7-a Inlian. op. imp., I, 48; VI, 21. 

3. Defin. Caelestii ap. August., Deperfect. iusl., 2. 

4. JoLiEN ap. Adgost., Contra Iulian. op. imp., VI, 8 et suiv., 21. On 
pense bien que les péiagiens ne manquaient pas de présenter ]a doc- 
trine d'Augustin comme un reste chez lui du manichéisme qu'il avait 
aHtrefois professé. 

5. JuuES ap. AcGusT., Contra Iulian. op. imp., I, 61. 

6. Pelage ap. Marius Mercat., Commonitorium, II, 10; Julien ap. 
August., Cont. Iulian. op. imp., Yl, 21. 



SAINT AUGUSTIN ET LE PÉLAGIANISME. 441 

interpréter le ex imo in condemnationem de saint 
Paul aux Romains, v, 16'. 

Les pélagiens auraient pu cependant, tout en niant 
le péché originel proprement dit, accepter la doctrine 
de la chute et reconnaître que la mort, les maladies, 
l'ignorance et la concupiscence étaient une consé- 
quence de la faute d'Adam. Mais c'eût été reconnaître 
une déchéance, un affaiblissement de la nature dans 
ce qui lui est, pensaient-ils, essentiel; c'eût été admet- 
tre qu'Adam avait été créé dans un état supérieur à 
notre état actuel, et c'est à quoi ils se refusent. Non : 
Adam a été créé mortel : « Adam mortalem factum, 
qui sive peccaret, sive non peccaret, moriturus esset 2. » 
La preuve en est dans l'institution du mariage, destiné 
dès le principe à combler les vides produits par la 
mort : elle se trouve encore dans le fait que la rédemp- 
tion n'a pas détruit la mort; car d'ailleurs « ablatio- 
nem mortis amotio peccati débet operari^ ». Le morte 
moriemînî ne marque donc pas la mort physique, 
mais la mort spirituelle du péché : le pulpis es et in 
pulverem reverteris n'est pas l'expression d'un châ- 
timent, mais d'une consolation par l'annonce que les 
maux de la vie auront une fin. Et si l'on tient abso- 
lument à ce que l'augmentation des peines et des dou- 
leurs d'Adam et d'Eve aient été en effet, comme il 
semble [Genèse^ m, 17-19), une punition de leur pé- 
ché, cette punition les a frappés personnellement et 
non pas leur race : « personis hominum sunt illata, 
non generi'* ». 



1. Julien ap. August., Contra Ivlîan. op. imp., H, 107 ; De gratia Chr. 
et depecc, orig., II, 3; Depeeeator. merit. et remiss., I, 9. 
3. Caeiestids ap. âugdst.. De gestis Pelagii, 23. 

3. JoLiEN ap. August., Contra Iulian. op. imp., II, 93; Tl, 30; Caeles- 
Tiijs ap. August., De gestis Pelagii, 23. 

4. Julien, ap. august.. Contra Iulian. op. imp., VI, 27, 25; De peccat, 
merit. et remiss., l, 2. 

25. 



442 HISTOIRE DES DOGMES. 

Et il en feut dke autant de la concupiscence. Elle 
existait chez nos premiers parents comme chez noua, 
puisqu'ils ont péché précisément en désirant le fruit 
défendu. La concupiscence sexuelle notamment a été 
concréée par Dieu avec le corps; elle a existé en Jésus- 
Christ, et c'est être manichéen que d'y voir un mal et 
la conséquence du péché*. 

Bref, tout se résume dans ce mot de Celestius : 
« Quoniam infantes nuper nati in illo statu sunt in quo 
Adam fuit ante praevarieationem ^. » 

Restait toutefois une obscurité. Si rien n'est vicié 
chez nous, si nous sommes tels qu'Adam est sorti des 
mains de Dieu, et si le libre arbitre suffit pour éviter 
tout péché, comment se fait-il que nous tombions si 
aisément, et que le péché soit chose générale? Pelage 
n'en donnait pas d'autre explication qu'une longue ha^ 
bitude de pécher contractée dès l'enfance,^ et qui est 
devenue chez nous une seconde nature^. Il avouait 
d'ailleurs que les hommes sont « terrenis cupiditatibus 
dediti, et, mutorum more animalium, tantummodo 
praesentia diligentes'' » ; mais de cette tendance impé- 
rieuse il ne cherchait pas la cause en dehors des actes 
isolés de la volonté libre : il ne voyait que des indivi- 
dus coupables et non pas une humanité universelle- 
ment pécheresse. 

Cependant, la négation du péché originel entraînait 
nécessairement un changement dans la façon d'envi- 
sager le baptême des enfants alors généralement pra- 
tiqué. Comment soutenir encore qu'il fût donné in 
remissionem peccatorum, puisque ces enfants étaient 
innocents? Aussi les pélagiens ne le soutenaient-ils 

1. JuuEN ap. AUGUST., Contra Iulian. op. imp., I, 71; III, Sia; IV, 
45-64. 

2. Ap. AoGusT., De gestis Pelagîîr 23. 

3. Ad Demetriadem, 8, 17, 

4. Ap. AnoosT., Le gratia Chr. et de pecc. orig., I, ±\. 



SAINT AUGUSTIN ET LE PELAGIANISME. 443 

pas. Ils ne voulaient pas pour autant qu'on le suppri- 
mât, et ânathématisaieht même ceux qui ne le regar- 
daient pas comme nécessaire ^ ; mais, ajoutaient-ils, la 
grâce du baptême, un en lui-même, est multiforme et 
s'accommode aux besoins de ceux qui la reçoivent- 
Dans les uns, elle est médicinale et régénératrice; dans 
les autres, elle est simplement sanctifiante et augmente 
la ressemblance du Cbrist qu'ils possèdent déjà : 
« Quos feeerat (Ghristus) condendo bonos facit inno- 
vando adoptandoque meliores. » C'est ce qui arrive 
pour les' enfants : ils perçoivent du baptême les effets 
positifs, à savoir :, « illuminatio spiritualis, adoptio 
filiorum Dei, municipalus lerusalem caelestis,. sanc- 
tifîcatio atque in Christi membra tran&latio, et posses- 
sio regni caelorum^ ». Ce dernier point surtout était 
important. Distinguant entre la vie éternelle et le 
royaume des deux, les pélagiens enseignaient que le 
baptême n'était pas nécessaire pour obtenir la pre- 
mière, mais bien pour entrer dans le second; Pour 
hériter du royaume, suivant loann., m, 5, il fallait 
être enfant de Dieu et on ne le devenait que par le 
baptême. Il avait donc sa raison d'être même vis-à-vis 
des nouveau-nés^. 

11 n'en restait pas moins que, en dehors de la rémis- 
sion des péchés actuels, toute grâce proprement mé- 
dicinale devenait inutile, puisque la nature humaine 
était saine et intègre. Mais une grâce cependant; étaitr 
^lle nécessaire pour éviter le mal et faire le bien? 
Pelage le confessait d'une manière générale : « Ana- 
themo qui vel sentit vel dicit gratiam Dei qua Christus 

1. JouEN ap. AuGusT., Contra Iulian. op. imper f., 1,53;. Pelage,. Lzôei- 
ln% fideî, 7; Contra duas epist. pelag., IV, 2. 

2. Julien ap. Adgust., Gonira Iulian. op. imp.,ï, 83; V, 9; VI, 33; cf. 
Contra duas epist. pelag., IV, 2. 

3. De gestis Pelagii, 23, ^i; Contra duas epist. pelag., II, 7; De pec- 
eut. merit. et remiss., I, 26; De praedeslin. sanctoruntf 23. 



444 niSTOlRE DES DOGMES. 

venit in hune niiindum peccatores salvos facere, non 
solum per singulas horas, aut per singula momenta, 
sed etiam per singulos actus nostros non esse neces- 
sariam ; et qui Iiaric conantur aulerre, poenas sortian- 
tur aeternas ' . » Celestius au contraire le niait résolu- 
ment^. Julien, lui, l'admettait surtout pour les œuvres 
surnaturelles ^. Mais il faut regarder sous les mots, et 
compter soit avec les réticences des novateurs, soit 
avec le développement qu'a subi leur doctrine sous la 
poussée de la controverse. 

Et d'abord, Pelage admettait cette nécessité de la 
grâce non pas précisément ad operandum^ mais ad 
facilius operandum : « Propterea dari gratiam ut 
quod a Deo praecipitur facilius impleatur'^. » Puis, 
sous le nom de grâce, les pélagicns entendaient bien 
des choses qui ne sont pas la grâce prévenante et in- 
térieure, la grâce de volonté telle qu'on doit la com- 
prendre. Notre création est une grâce, notre supério- 
rité sur les animaux par la raison et le libre arbitre est 
aussi une grâce, les dons quotidiens de la Providence 
sont des grâces, la Loi ancienne était une grâce, et à 
plus forte raison l'incarnation en est une qui est ve- 
nue exciter en nous l'amour de Dieu^. On accusait 
Pelage d'avoir, dans sa rétractation au synode de 
Diospolis, entendu par la grâce le libre arbitre*. Mais 
il entendait aussi par là la Loi et l'Evangile. Le li- 
bre arbitre seul avait longtemps suffi à l'homme pour 
faire le bien; puis la nature s'étant en quelque sorte 



\. Ap. AcGDST., De gratia Christi etdepecc. orig., I, 2, 8, 36; De gestis 
Pelagii, Si. Ad Demetriadem, 3, 

2. Ap. AuGUST., De gestis Pelagii, 42. 

3. Ap. AoGtiST., Contra luîian. op. imp., m, iOS; cf. I, 52. 

4. Ap. Adgost., De gratia Chr. et depecc. orig., I, 27-30; cf. Contra 
duas episl. pelag., H, 17. 

5. Jolies ap. Augdst., Contra Iulian. op. imp., I, 94. 

6. Ap. AucnsT., De gestis Pelagii, 22, 



SAINT AUGUSTIN ET LE PÉLAGIANISME. 445 

usée par une longue pratique du vice et par l'igno- 
rance, Dieu avait donné la Loi comme une aide à 
notre faiblesse, jusqu'au moment où, devenue impuis- 
sante à son tour, elle s'était effacée devant le Ré- 
dempteur'. Celui-ci nous avait purifiés de son sang; 
par lui nous étions nés à une vie meilleure, puis il 
nous avait laissé comme excitants à la vertu ses leçons 
et ses exemples 2. C'est là la grande grâce : « Adiuvat 
nos Deus, per doctrinam et revelationem suam, dum 
cordis nostri oculos aperit, dum nobis, ne praesenti- 
bus occupemur, futura demonstrat, dum diaboli pandit 
insidias, dum nos multiformi et ineffabili dono gratiae 
caelestis illuminât... Qui haec dicitgratiam tibi videtur 
negare^? » Le vouloir et le faire dépendent de nous, 
nous n'avons pas besoin d'y être aidés et la prière n'a 
pas pour but de nous les obtenir, mais noire pouvoir 
reçoit un secours, celui de la doctrine et de la Loi, et 
plus spécialement encore, la grâce des exemples de 
Jésus-Christ'*. En résumé donc, les pélagiens admet- 
taient des grâces extérieures d'instruction et d'exem- 
ples, peut-être même des grâces intérieures d'illumi- 
nation^; ils n'admettaient pas la grâce prévenante, 
intérieure, de la volonté : l'activité divine ne pénétrait 
pas au cœur même de la nôtre pour l'élargir et la 
transformer. 

Ces grâces de lumière et d'exemples, les pélagiens 
enseignaient d'ailleurs qu'on les pouvait mériter et les 
mériter par l'exercice du seul libre arbitre : « Ibi vero 



4. PELAGE ap. ÂUGUST., De gratia Chr. et de pece. orig., il, 80 ; Ad.De- 
metriadem, 8. 

2. PELAGE, Ad Demetriadem, 8. 

3. PELAGE ap. AuGUST., De gratia Chr. et depecc. orig., I, 8. 

4. C'est le résume que donne saint Augustin du livre de Pelage, De 
libero arbitrio, dans De gratia Chr. et de pecc. origin., 1, 43; cf. Contra 
duos epist. pelag., IV, H. 

a. V. le texte cité plus haut De grat. Chr. et depecc. orig., I, 8. 



448 mSTOIRE, DES BOGME&. 

remunerandi sunt qui bene libero uteates arbitrio, me- 
rentur Domini gratiam. et eius mandata Gustodiunt ^ . » 
Gelestius l'enseignait même de la rémission des péchés 
que la pénitence méritait 2. Cette opinion toutefois lui 
était particulière ^ . 

Dans un paareil système, on le comprend, il ne pou- 
vait y avoir place pour une doctrine de la prédestina- 
tion soit à la grâce soit à la gloire qui fût, dans son 
ensemble, ante prctensa. mérita, puisque les premièresr 
grâces étaient méritées, les premiers actes du salut 
accomplis avecles seules forces de la nature. Aussi n'y 
admettait-on pas de prédestination proprement dite :; 
on y admettait seulement un décret final, conséquent, à 
la prévision des mérites ou des démérites de chaque 
sujet, et lui attribuant son sort définitif : « Praesciebat 
ergo (Deus) quifuturi essent sancti et immaculati per 
liberae voluntatis arbitrium, et ideo eos ante mundi 
constitutionem, in ipsa sua praescientia, qua taies fu- 
tures esse praescivit elegit. Elegit ergo antequam es- 
sent, praedestinans filios quos futuros sanctos imma- 
culatosque praescivit; utique ipse non fecit, nec se 
facturum, sed illos futuros esse praevidit-*. » Quand 
on demandait cependant aux pélagiens d'où venait que 
tel enfant, par exemple,. mort après son baptême, se 
trouvait prédestiné, leur embarras pour répondre était 
fort grand, puisqu'il n'y avait eu, dans l'espèce, ni 
mérites ni démérites prévus^. 

Signalons enfin, pour être moins incomplet, un excès 
de rigorisme enseigné, non par Pelage, qui se défendit 
de l'avoir fait, mais par Gelestius : c'est que les riches 

1. PELAGE ap. AuGUST., De gratta Chr. et de pecc. oriff,, I, 34, 2T; Con- 
tra duas epist. pelag., n, 17; Contra Julian., Vf, l». 

2. Ap. AuGusT., De gestia Pelagii, 42, 

3- De gestis Pelagii, Và\ De gratia et lib. arbitr., 15. 

4. AuGusT., De praedestin. sanctor., 3G, et cf. 33-37 ; Epist. CXCIY, 3. 

5. Contra duas epist. pelag., n, 13, 10. 



SAINT AUGUSTliS ET LE PÉLAGIANISME. 447 

baptisés, à moins qu'ils ne renonçassent à toutes leurs 
richesses, n'avaient aucun mérite dans le bien qu'ils 
paraissaient accomplir, et ne pouvaient entrer dans le 
royaume des cieux ^ Cette exagération était bien dans 
le ton de la morale austère que prêchaient les péla- 
giens. 

Telle est dans ses grandes lignes la doctrine que le 
moine breton et ses deux collègues s'efforçaient de faire 
prévaloir dès le premier quart du v® siècle. Elle avait 
été, dès lors, formulée en six propositions attribuées à 
Celestius, auxquelles s'en joignent trois autres signa- 
lées à saint Augustin comme soutenues en Sicile par 
certains fidèles. Les voici : 

Adam mortalem factum, qui sive peccaretf sive non 
peccaretj moritui'us esset. 

Quoniam peceatum Adae ipsum solum laeserit, et 
non genus humanum. 

Quoniam Lex sic mittit ad regjium quemadmo- 
dum Evangelium. 

Quoniam ante adventum Christi fuerunt homines. 
sine peccato. 

Quoniam infantes nuper nati in illo statu sunt in 
quo Adam fuit ante praevaricationem. 

Quoniam neque per mortem vel praevaricationem 
Adae omne genus hominum moriatury neque per re- 
surrectionem Christi omne genus hominum resurgat. 

Posse hominem sine peccatOy si velit, esse. 

Infantes^ etsi non baptizentury habere vitam aeter- 
nam. 

DivitesbaptizatoSy nisi omnibus abrenuntient, siquid 
boni visi fuerint facere^ non reputari ilUs, neque re- 
gnum Dei posse eos habere\ 

i. De gestîs Pelagii, 24. 

2. De gfistis Pelag.ii, 23, 24; De gratia Chr. et de peccorig., I, 12;: 
Epist. GLYI. Mauius Mercator, Liber subnotatîonum, praef., S. 



^8 HISTOIRE DES DOGMES. 

Il est inutile d'insister beaucoup pour montrer le ca- 
ractère naturaliste d'un pareil système. Le point de vue 
rationaliste est manifeste surtout chez Julien, tout féru 
<ie philosophie, très dédaigneux de la tradition et du 
sentiment commun des fidèles, donnant la raison comme 
le critérium d'après lequel on doit juger de la vérité de 
•ee qu'avancent et l'Écriture et les Pères ^ . 

D'autre part, en rejetant le péché originel, en préten- 
dant que rien n'est vicié dans notre nature, que notre 
liberté est comme une balance dont le fléau est parfai- 
tement horizontal , le pélagianisme faisait preuve évi- 
demment d'une psychologie bien superficielle et bien 
pauvre, toute abstraite, et n'expliquait nullement la 
■grande anomalie de l'universalité du péché dans le 
monde. 

Mais une fois la chute niée, la rédemption ne se com- 
prenait plus. Car, dans le système de Pelage, les indi- 
vidus pouvaient bien avoir besoin de rachat, mais' la 
nature humaine n'étant point déchue dans notre pre- 
mier père n'en avait pas besoin. Il devenait dès lors 
inutile que le Verbe s'unît à elle pour lui rendre en lui 
^t par son contact, la sainteté et l'immortalité ; Jésus- 
Christ n'était plus à son égard un nouvel Adam qui 
réparait ce que le premier avait détruit. L'enfant, dans 
le baptême , recevait peut-être une génération plus 
haute, mais il n'était pas proprement régénéré, il ne 
renaissait pas de la mort à la vie : tout le langage chré- 
tien se trouvait bouleversé. 

Cette vie nouvelle d'ailleurs, la grâce de Jésus-Christ 

1. « Cum igitur liquido clareat hanc sanam et veram esse senlen- 
fiam quam primo loco ratio, deinde scripturarum munivit auctoritas, 
■et quam sanctorum virorum semper celebravit eruditio, qui tamen ve- 
ritati auctoritatem non suo tribuere consensu, sed testimonium et glo- 
riam de eius suscepere consortio, nullum prudentem conturbet con- 
■spiratio perditorum. » (Julien ap. Adgust., Contra lulîan,, I, 29). Et v. 
«or ce point Harnack, Lehrb. der DG., III, p. 188, note 2, et les textes 
qu'il cite. 



SAINT AUGUSTIN ET LE PÉLAGIANISMB. 449 

n'en était pas le principe intime et profond. La grâce 
pélagienne agissait sur le chrétien par le dehors, si 
l'on peut parler ainsi : elle ne l'animait pas ni ne le 
fortifiait pas intérieurement. Le Christ restait bien le 
maître qu'il fallait écouter et le modèle qu'il fallait imi- 
ter; il n'était plus la force qui soulevait l'âme et la 
flamme qui entretenait sa charité. Le ciçit in me Chris- 
tus de saint Paul n'avait aucun sens. 

Et enfin il y a plus : en déclarant que l'homme se 
suffisait à lui seul pour faire le bien, en le représentant 
comme émancipé de Dieu par le libre arbitre, le péla- 
gianisme ruinait l'idée même de la religion qui repose 
tout entière sur le besoin que l'homme a constamment 
du secours de Dieu. Au salut par la grâce, par la mi- 
séricorde divine, il substituait un moralisme grossier 
et sans grandeur. L'homme devait pratiquer la loi et 
remplir son devoir : Dieu n'avait qu'à constater si ce 
devoir était rempli, si cette loi était observée : créan- 
cier et débiteur tenaient leurs comptes par actif et pas- 
sif. Rien, dans une pareille conception, pour la bonté 
du créateur, pour la richesse de la rédemption, pour 
l'humilité, la confiance, pour l'abandon de l'âme, pour 
la prière. L'idée religieuse elle-même disparaissait. 
L'Eglise vit le danger et y para immédiatement. Dans 
cette œuvre de défense, eue ne pouvait trouver un or- 
gane mieux préparé qu'Augustin, ni plus apte à sentir 
ce qu'avait de faux la nouvelle hérésie. Contre ce na- 
turalisme dur et orgueilleux tout son être devait se 
révolter, lui dont l'âme était si humble, chez qui le 
sentiment de la corruption humaine et la reconnais- 
sance de ce que la grâce avait fait pour son salut étaient 
si profonds, et dont le cœur aspirait avec tant de force 
à s'unir intimement à Dieu. 



450 1BSIE0IRE-DES DOGMES.. 

§3. — Histoire et condamnation au pélagianisme . 

Il ne saurait être ici questioa de raconter en détail 
les vicissitudes de la propagande pélagienne et de la 
lutte entreprisa par l'Eglise contre l'hérésie;. On n'en 
rappellera (^ue ce qui intéresse l'histoire des dogmes. 

Celestius et Pelage avaient fait à Rome quelques 
prosélytes ; ils en firent quelques autres en Sicile où 
le bruit, de l'invasion des Goths d'Alaric: les avait 
poussés en 409. Mais la Sicile ne les retint que peu de 
temps. Arrivé avec Celestius en Afrique, Pelage y 
laissa bientôt son compagnon, et s'embarqua de nou- 
veau pour l'Orient. Celestius, resté seul, ne put se cout 
tenir davantage, et se mit sérieusement; à. prêcher sa 
doctrine. 

Elle ne tarda pas à faire scandale, et une accusation 
d'hérésie fut. portée contre son auteur par le diacre 
Paulin, le futur biographe de saint Ambroise. helibel- 
lus reprochait à Celestius d'avoir soutenu les six pro- 
positions dont on a lu le texte plus haut. Un concile 
provincial fut réuni (411)* et le coupable dut se dé- 
fendre. Il refusa de se prononcer de traduce peccati^ 
parce que le sentiment des prêtres n'était pas uniforme 
sur cet objet,, et qua c'était, là une question, que l'on 
pouvait discuter, non un dogme qu'il fallait admettre : 
« licet quaestionis res sit ista„non haeresis: ». Même 
réponse sur le point de savoir si les enfants naissent 
dans l'état d'Adam avant sa chute, Celestius déclarait 
étendant admettre, le baptême des, nouveau.- nés.. 
Marius Mercator ajoute qu'on le pressa en vain de con- 
damner les propositions qu'on lui reprochait,, qu'il 

1. Saint Augustin a conservé un fragment du procès-verbal (De gra- 
tia Christi et de pecc. orig., II, 3). G'est de là que sont tirés les détails 
qui suivent. 



5AINT AUGUSTIN ET LE PÉLAGIANISME. 4&I 

s'y refusa, fut excommunié, appela d'abord de cette 
sentence à Rome, puis abandonna son appel et partit 
pour Ephèse, où il parvint à se faire ordonner prêtre ' . 

Malheureusement, il laissait derrière lui des parti- 
sans de ses erreurs : il fallait les ramener, et c'est à ce 
moment qu'Augustin entre en scène. Sur l'invitation 
de l'évêque Aurelius, il prêche à Garthage une série de 
sermons sur l'existence du péché originel et la néces- 
sité delà grâce^, puis, coup sur coup, pour répondre 
à des consultations d'évêques ou de laïcs, écrit le De 
peccatorum meritis et 7'emissione {^12), le De spiritu 
et Uttera (412), la lettre clvii qui est tout un traité, 
et qui doit être de 414; le De natura et gratia (415) et 
le De perfectione iustitiae hominis (415). 

Si l'évêque d'flippone se multipliait ainsi, c'est que 
la situation lui paraissait critique. En Afrique, l'hérésie 
se répandait secrètement [iam occulte mussitant^); 
la Sicile était entamée; Rome passait pour lui être 
favorable^, et l'on répandait le bruit que l'Orient 
s'était prononcé pour Pelage ou du moins l'avait re- 
connu innocent. Ce dernier point était grave. Qu'était- 
il donc arrivé? 

Pelage, on l'a dit, avait brusquement, en 411, quitté 
l'Afrique. Il se rendit en Palestine, et jusqu'en 415 on 
ne sait trop ce qu'il y devint. Mais en 415, Paul Orose, 
envoyé par Augustin, s'y rendit à son tour. Dans un 
synode réuni à Jérusalem s, il raconta aux évêques ce 
qui s'était passé en Afrique à propos du pélagianisme, 
et lut la lettre glvu de saint Augustin àHilaire. Mais 
l'évêque de Jérusalem, Jean, était favorable à Pelage. 

1. C'ommontton'um., I, 2. 

3. Entre autres. les. seimonsCCXCxm et CGXCXIV. 

3. AuGUST., Epis t. CLVn, 22. 

4. Adgust., Epist. CLXXVEI, 2; CXCI, 1. 

5. Nous sommes renseignés sur ce qui suit par P. Orose lui-même, 
Liber apologeticus dearbitrii libertate,3rn (P.L., XXXI, H76 et suiy.). 



452 HISTOIRE DES DOGMES. 

Il le fit introduire pour répondre à ces accusations. 
L'hérésiarque avoua qu'il avait dit et disait encore : 
a Hominem posse esse sine peccato, et mandata Dei 
facile custodire, si velit » ; il ajoutait, il est vrai, « non 
sine adiutorio Dei » . On s'entendait d'ailleurs fort mal 
à cause de la différence d'idiome. En fin de compte on 
convint, puisqu'il s'agissait d'une question née en 
Occident, de garder le silence jusqu'à ce que le pape 
Innocent, à qui l'on devait écrire, se serait prononcé. 

C'était une victoire morale pour Pelage. Elle devint 
plus décisive peu de temps après. Deux évêques gau- 
lois. Héros d'Arles et Lazare d'Aix, qui se trouvaient 
alors à Bethléem, reprirent contre lui l'accusation 
d'Orose, et présentèrent au concile de Diospolis (fin 
•de 415), composé de 14 évêques, un libellus en forme ^. 
Malheureusement, le jour venu, ils ne se présentèrent 
pas pour soutenir l'accusation. Pelage désavoua quel- 
ques-unes des propositions malsonnantes qu'on lui at- 
tribuait -^ et qui étaient de Celestius ; — il expliqua 
les autres d'une façon plus ou moins équivoque, suffi- 
sante pourtant pour des juges superficiels et un peu 
désintéressés de la question comme étaient les Grecs. 
Bref, le concile se contenta d'une déclaration générale 
par laquelle Pelage déclarait réprouver tout ce qui 
était contraire à la doctrine de l'Église, et le déclara 
digne de la communion 2. Ce fut, dit saint Jérôme, un 
^îoncile misérable ^ : saint Augustin le représente plu- 
tôt comme un concile de dupes ■•. 

Qu'ils eussent été dupes ou complices, la sentence 
■des pères de Diospolis constituait pour Pelage un 

\. On est renseigné sur ce concile surtout par saint Augustin, De ges- 
tis Pelagii, i et suiv. Il donne le nom des évêques siégeants, Centra 
■Julian., 1, 19. 

2. De gestis Pelagii, 44. 

3. Epist. CXLIII, 2. 

4. De gestis Pelagii, 2; Epiit. CLXXYII, S. 



SAINT AUGUSTIN ET LE PÉLAGIANISME. 453 

triomphe, et il importait d'en contrebalancer l'autorité. 
Saint Augustin s'efforcerait de l'expliquer dans le De 
gestis Pelagii (417). En attendant, deux conciles afri- 
cains se réunirent en 416, l'un à Carthage, des évêques 
de l'Afrique proconsulaire au nombre de plus de 
soixante-trois; l'autre à Milève, de cinquante-neuf 
évêques numides, qui écrivirent au pape Innocent \ 
pour demander la condamnation de Celestius et de 
Pelage ^, en insistant sur les deux points fondamentaux 
de l'erreur, l'inutilité de la grâce et celle du baptême 
des enfants « ad consequendam vitam aeternam^ ». A 
ces deux lettres, l'évêque d'Hippone et quatre de ses 
collègues en joignirent une troisième où ils exposaient 
au pape toute la question avec pièces à l'appui. C'est 
la lettre clxxvh'*. 

Innocent répondit le 27 janvier 417, par trois lettres 
différentes^. Dans les deux premières aux pères de 
Carthage et de Milève, il affirmait hautement l'autorité 
du siège de Pierre, « a quo ipse episcopatus et tota 
auctoritas nominis huius emersit^ », puis venant à la 
question, il déclarait approuver la doctrine des Afri- 
cains surtout en ce qui concerne la grâce et sa néces- 
sité, et excommuniait formellement « apostolici vigoris 
auctoritate » Pelage et Celestius'. Quant aux actes de 
Diospolis, il avouait, dans la lettre clxxxiii, 3, 4, les 
avoir reçus, mais ne pas savoir quelle autorité il devait 
leur attribuer, parce que, les tenant de laïcs, il ignorait 
s'ils étaient authentiques. Ainsi Rome était avec Au- 

1. Ce sont, entre les lettres de saint Augustin, les lettres CLXXVet 
CLXXVI. Elles se trouvent répétées, P. L., t. XX, 364, 568. 

2. JE^pisf. CLXXV, 1. 

3. Epist. CLXXVI, 3. 

4. Répétée P. L., XX, S72. 

5. Ce sont entre les lettres de saint Augustin les lettres CLXXXI, 
ClAXXii, CLXXXni, répétées dans leur ordre, P. L., XX, 582, 589, 394. 

6. Epist. CLXXXI, 1 ; CLXXXII, 2. 

7. Epist. CLXXXII, 6. 



454 HISTOIRE DES DOGMES. 

gustin. Celui-ci triompha, et c'est à cette occasion 
qu'à la fin de son sermon cxxxi, 10, il s'écria que 
l'accord de deux conciles et du siège apostolique tran- 
chait définitivement la question : « Causa finita est : 
utinam aliquando fîniatur error ! » 

Hélas! la cause n'était pas finie; elle allait de nou- 
veau s'embrouiller. Le 18 mars 417, Zosime succédait 
à Innocent. Il était « natione grecus ^ », et cela expli- 
que peut-être l'attitude d'sibord trop conciliante qu'il 
prit en cette affaire. Pelage avait envoyé d'Orient à 
Innocent un libellas fidei qui fut remis à Zosime 2. 
Après s'être longuement étendu sur la Trinité et l'in- 
carnation, Pelage y déclarait ne recevoir qu'un seul 
baptême « quod iisdem sacramenti verbis in infantibus 
quibus etiam in maioribus asserimus esse celebran- 
dum » (7) ; il repoussait la préexistence des âmes dont 
il admettait la création par Dieu (9) ; affirmait que les 
commandements divins peuvent être observés soit « ab 
omnibus in commune » soit « a singulis » (10), et ajou- 
tait : « Liberum sic confitemur arbitrium, ut dicamus 
nos semper Dei indigere auxilio... Dicimus hominem 
semper et peccare et non peccare posse, ut semper nos 
liberi confîteamur esse arbitrii ?) (13). Tout cela était 
juste sans doute, mais, dans l'espèce, absolument in- 
suffisant : on n'y trouvait rien sur le péché originel, et 
la question de la grâce n'était qu'effleurée. 

D'autre part, et avant même que le libellas de Pe- 
lage fût parvenu au pape, Celestius arriva en personne 
à Rome, porteur lui aussi d'un libellas^. Après avoir 
longuement traité des vérités du symbole, il y disait 

1. Liber pontificalis, éd. L. Duchesne, I, 223. 

2. C'est la Fides ecclesiae catholicae attribuée parfois à saint Augustin. 
P. L., XLY, i716 et suiv.; n^m, Bibliothek, § 209. 

3. U n'en reste que des fragments réunis dans P. L., XLY, 1718 et suiv. 
Ils sont tirés de saint Augustin, De gratiaChr. et de pecc. orig., II, S-7, 
26. Y. aussi Hahn, Bibliothek, % 210. 



SAINT AUGUSTIN ET LE PÉLAGIANISME. 455 

que, si en <ie'hors de la foi on voulait s'occuper d'autres 
questions, îl n'avait pas l'intention de les trancher 
definita auctoritate; il désirait seulement proposer 
son sentiment qu'il soumettait au Saint-Siège. Il 
croyait donc le baptême in remissionem peccatorum 
nécessaire aux enfants pour entrer dans le royaume 
des deux; mais il repoussait d'ailleurs le péché ex 
//•âKî^Mce comme une injure au créateur. 

Ce mémoire fut lu par Celestius devant Zosime, as- 
sisté du clergé romain. Les protestations de soumis- 
sion du coupable impressionnèrent sans doute îe pape 
qui le pressa de condamner les propositions qu'on lui 
attribuait: « lllaomnia damnas quaeiactatasunt de no- 
mine tuo? » — « Damno, répondit Celestius, secundum 
sententiam beatae memoriae praecessoris tui Inno- 
centîi » ; et il accepta la doctrine des lettres d'Inno- 
cent ^ . 

Ces déclarations générales parurent sans doute suf- 
fisantes â Zosime, car il s'en contenta, aussi bien que 
des explications de Pelage dans son libellus, et écrivit 
aux évêques d'Afrique deux lettres assez désobli- 
geantes 2, pour les assurer que Pelage et Celestius 
n'étaient pas vraiment coupables des erreurs qu'on 
leur reprochait. Il ajoutait cependant, en pariant de 
Celestius, qu'il ne voulait pas porter sur lui un juge- 
ment définitif, et qu'il accordait à ses accusateurs deux 
mois pour établir sa culpabilité, lesquels deux mois 
écoulés sans que la preuve fut faite, Celestius serait 
définitivement -absous ^. 

Les Africains ne purent qu'être fort mécontents de 

1. Abgbst., Contra duas epist. pelag., n, b, 6; cf. De gratta Chr. et 
dr pecc. orig.,U,8. 

2. Ce sont les lellTes II (sur Celestius) et III (sur Pelage) dans P. L., 
XX, 649, G5i, répétées au tome XLV, 1719, 4721. La lettre sur Pelage est 
du 21 septembre 417, un peu postérieure à celle qui vise Celestius. 

3. Epist. II, 6. 



456 HISTOIRE DES DOGMES. 

ces lettres; mais ils ne perdirent pas de temps. Un 
concile de Carthage de deux cent quatorze évêqaes, 
tenu à la fin de l'automne 417, décida que la rétracta- 
tion de Celestius était insuffisante, et que les deux 
hérétiques resteraient sous la condamnation qui les 
avait frappés, jusqu'à ce qu'ils eussent fait, sur la né- 
cessité de la grâce, une profession de foi claire et expli- 
cite * . Cette décision, communiquée au pape, le froissa 
à son tour. Il y vit une violation de la règle qui inter- 
disait de discuter les jugements du siège apostolique 
et de réformer ses sentences 2; mais il jugea plus op- 
portun de céder, et dans sa réponse', laissant les 
choses en l'état, il ne s'opposa pas à un examen plus 
approfondi de la question. Le jugement définitif res- 
tait toujours suspendu. 

La lettre de Zosime parvint à Carthage le 29 avril 
418. Plus de deux cents éyêques s'y trouvaient déjà 
réunis pour un nouveau concile qui s'ouvrit le l®' mai, 
et qui porta neuf canons contre l'hérésie pélagienne"*. 
Le premier condamnait l'erreur qui déclarait Adam 
mortel par nature quoi qu'il fît, non peccati merito 
sed necessitate naturae. Le second condamnait ceux 
qui niaient que les enfants dussent être baptisés, ou 
qu'ils eussent contracté la faute originelle d'Adam, en 
sorte qu'ils n'étaient pas baptisés in remîssionem 
peccatorum. Le troisième était dirigé contre ceux 
qui, entre le royaume des cieux et l'enfer, imagi- 
naient, pour les enfants non baptisés, un troisième 



1. ACGUST., Contra duas epist. pelag.,n,&; Prosper, Contra coUato 
rem, V, iS. 

2. « Quamvis Patrum traditio apostolicae sedi auctoritatem tantam 
tribuerit ut de eius iudicio disccptare nullus auderet... » et plus loin i 
« Cuia tanlum nobis esset auctorLlalis ut nullus de nostra possil ré- 
tractai e senlentia... • {Epist. XU, 1). 

3. C'est la lettre xn, P. L., XX, 676, répétée au tome XLV, 172-3. 

4. Les voir dans P. L.\ XLY, 1728 et suiv.; Hahn, Biblîothek, § 169, 



SAINT AUGUSTIN ET LE PÉLAGIANISME. 457 

séjour OÙ ils vivraient heureux. « Quis catholicus du- 
bitet, ajoutait le concile, participera fieri diaboli eum 
qui cohaeres esse non meruit Ghristi'? ». Le qua- 
trième réprouvait ceux qui ne regardaient la grâce de 
justification en Jésus-Christ que comme une rémission 
des péchés et non comme un adiuiorium pour ne plus 
les commettre. Par le cinquième étaient condamnés 
ceux qui ne voyaient dans la grâce qu'une lumière « ut 
sciamus quid appetere et quid vitare debeamus », et 
non une force « ut quod faciendum cognoverimus etiam 
facere diligamus atque valeamus ». Par le sixième 
étaient condamnés ceux qui ne voyaient dans la grâce 
qu'une aide « ut quod facere per liberum iubemur ar- 
bitrium facîlius possimus implere per gratiam ». Le 
septième était dirigé contre ceux qui soutiennent que 
c'est par humilité seulement et non en vérité que 
chacun doit se déclarer pécheur. Enfin le huitième et 
le neuvième condamnaient ceux qui affirment que les 
saints disent la prière Dimitte nobis débita nostra 
non pour eux personnellement, mais pour les pécheurs 
qui sont dans l'Église, ou bien qu'ils la disent par hu- 
milité et non en vérité « ut humiliter, non veraciter hoc 
dicatur ». 

Ces décisions furent portées à la connaissance du 
pape ^.11 en fut sans doute impressionné, et comprit 
qu'il fallait agir. D'autre part, les empereurs, sollicités 
probablement par les évêques d'Afrique, venaient d'é- 
mettre un rescrit chassant de Rome Gelestius et Pe- 
lage, et punissant leurs partisans de l'exil et de la 
confiscation de leurs biens 3. Il n'y avait plus à re- 
culer. Zosime cita une seconde fois Celestius à com- 



1. Ce canon manque dans certains textes : il parait cependant bien 
authentique. V. la note au bas du texte de P. L., XLV, 1728. 

2. On n'a plus la lettre synodale. 

3. P. L., XLV, 1726. 

26 



458 HISTOIRE DES DOGMES. 

paraître devant loi et les évéques de la pTOvince ro- 
maine. An lieu de comparaître, Gelestius s^enfuit. Le 
concile condamna donc Celestius et Pelage*, et une 
longue Epistula tractoria, portant cette condamna- 
tion et relatant tous les détails de l'affaire, fut en- 
voyée par le pape, pour y être souscrite, à toutes les 
Églises de l'Occident et de l'Orient. Il ne reste de 
cette lettre que quelques fragments ^. Ils nous appren- 
nent que Zosime y enseignait le péché originel, la né- 
cessité de la grâce, et faisait siens les canons 4, 5 et 6, 
et probablement tous les canons du dernier concile de 
CaTtbage^. 

Dès lors la question était claire : il fallait ou sous- 
crire à la Tractorîa ou subir l'exil. Les évêques signè- 
rent généralement partout, et le pélagianisme, re- 
marque saint Augustin'', se trouva condamné par 
l'univers entier. Seuls dix-huit évêques, et à leur tête 
Julien d'Eclane, résistèrent. Ils adressèrent à Zosime 
un Ubellus jfidei^ Assez ambigu sur le baptême et la 
grâce (7, 9, 15), mais très net contre le péché originel 
(12, 14) et sur l'innocence des saints de l'Ancien Tes- 
tament (13). Ils demandaient une réponse et déclaraient 
que, si on voulait les forcer à souscrire, ils en ap- 
pelaient à un concile générai (16). On les déposa, et 
un ordre d'exil leur fut signifié. Ils, errèrent longtemps 
en Orient, en quête d'évêques qui voulussent les rece- 



1. Ce fut peut-être à ce moment que le pape prit connaissance du 
■commentaire de Pelage snr les épîtres de saint Paul ÏMarhis Mercatoe, 
CommoniL, n, HI, l). 

2. Réunis dans P. L., XX, 693 et suiv. Ils sont tirés de saint Augustin, 
Epist. CXG, 23, de saint Célestin, Epist. XXï, 9-11, et de saint Prosper, 
Contra Collatorem, V, 3. 

3. Prosper, Contra collatorem, XXI, 1. 

4. Epist. CXC, 22; Maribs Mercator, <Jommonit., III, 1. 

5. P. L., XLV, 1732 et suiv. Le Ubellus (18) porte <ivL'il fut adressé à 
Augustin. Il s'agit peut-être ici de l'évêque d'Aquiiée, chargé de faire 
souscrire la tractoria par ses suffragants. 



SAmT AUGUSTIN ET LE PÉLAGIAiNISME. 459 

voir et d'un concile général qui voulût les juger. 
Qaand celui d'^Ephèse fut réuni en 431, Julien s'y ren- 
dit, espérant enfin trouver ce qu'il cherchait. Il n'y 
trouva qu'une confirmation des condamnations précé- 
dentes et dé sa propre déposition ^ . 

Le pélagianisme ne se releva pas du coup que ve- 
naient de lui porter les puissances ecclésiastiques et 
séculières réunies. 11 ne disparut pas pour autant tout 
de suite, et, indépendamment du semi-pélagianisme 
qui en retint quelque chose, on sait que tous les papes 
successeurs de Zosime, Boniface (418-422), Celestin 
(422-432), Sixte III (432-440), saint Léon (440-461)2, et 
plus tard Gélase (492-496)* eurent à s'occuper de cette 
hérésie. On a une manifestation très authentique de 
cette persistance de Terreur dans .les écrits de l'é vaque 
breton Fastidius qui ont été mentionnés pliis haut. On 
n'ignore pas non plus qu'un autre pélagien, Agrîcolà, 
travaillait, vers 429, à gagner la Grande-Bretagne'', et 
que ces eiîôrts occasionnèrent la mission dans ce pays 
de saint Germain et de saint Loup. Le pélagianisme 
semble d'ailleurs, à partir de 425-430, avoir adouci un 
peu ses négations : il ne rejetait plus guère la chute 
originelle proprement dite ; il repoussait seulement le 
péché et la grâce ^. 

4. Y. la lettre du concile au pape Celestin : entre les lettres de saint- 
Céiesthi: Epist, XX, 3i 6, P. L., L, 5d8j S22i Dans le pïêûiier passage, 
©EffaoXtaç est probablement une faute pour 'IraXCaç. 

2. T. EpiaU Ij II (P. L., LIVJ. 

3. V. Epist. V, VI, VII (P. L^ LIX). 

4. Prosper, Chronique, anno 429 (P. L., LI, 59i). 

5. ÂuGDST.,^ Epist.,C^Cill,i% et T. les lettres, des papes aasmentloa- 
nés. 



460 HISTOIRE DES DOGMES. 

§ 3. — Anthropologie de saint Augustin. L'état 
primitif de l'homme^. 

Saint Augustin avait largement contribué à la ruine 
du pélagianisme en travaillant à le faire condamner ; il 
y contribua plus encore, si c'est possible, en le réfu- 
tant et en opposant à ses erreurs une doctrine appro- 
fondie et longtemps méditée. 11 y eut d'autant plus de 
mérite que les écrivains dont il pouvait lire les œuvres 
ne lui fournissaient sur ces difficiles problèmes que des 
réponses superficielles et incomplètes, dans leur en- 
semble insuifîsantes. Mais le docteur de la grâce sut 
les féconder, les compléter et les amener au point de 
maturité nécessaire pour en faire des réponses victo- 
rieuses. Son génie organisa vraiment l'anthropologie 
surnaturelle et chrétienne. C'est à ce point de vue qu'il 
faut envisager maintenant sa lutte contre le pélagia- 
nisme, en étudiant les solutions qu'il donnait person- 
nellement aux questioais qui étaient en cause, en ex- 
posant sa doctrine de l'élévation de l'homme et de sa 
chute, de la grâce et de la prédestination. 

Or, nous savons par saint Augustin lui-même que, 
sur ces divers sujets, son sentiment ne fut pas, dès le 
premier jour, absolument fixé 2. Avant son épiscopat 
surtout, certaines vérités qu'il découvrit plus tard 
restaient pour lui obscures. Il y a donc lieu, en ana- 
lysant sa pensée, de tenir compte de l'époque à la- 
quelle ont été écrits les livres qui la contiennent et 

1. Travaux sur ce paragraphe et les suivants : J. Espenbkrger, Die 
Elemenle der Erbsûnde nach Augustin und der Frûsckolastik, Mainz, 
1903. RoTTMANNER, Der AugustîTiismus, Mûnchen, 4892. A. Kuanich, Ueber 
die Empfanglichkeit der menschl. Nalur fur die Gûter... nach dem 
Lehre des hl. Augustin, Paderfaorn, 1892. J. Tdrmel, Le dogme du péché 
originel dans saint Augustin, dans la Revue d'hîst. et de littêr. relig-, 
t. VI, vn (1901, 1902). J. Madsbach, Die Ethik d. h. August., Freib., 19a9. 

2. Retraetationes, r, 23, 2; De praedestinatîone sanclorum, 7, 8. 



SAINT AUGUSTIN ET LE PELAGIANISME. 461 

que l'on cite. En général, et sauf de légères exceptions, 
on ne se trompera pas trop en partageant à ce point 
de vue sa vie littéraire en deux périodes, l'une de re- 
cherches auxquelles se mêlent quelques hésitations et 
qui va de l'an 386 à l'an 397. date de sa consécration 
épiscopale ; l'autre de possession définitive de la doc- 
trine, et qui se confond avec la durée de son épiscopat, 
397-430 : cette possession, on le comprend, n'excluant 
pas d'ailleurs un certain progrès de lumière, effet heu- 
reux du choc des idées dans la controverse. 

A prendre les questions dans l'ordre chronologique, 
la première qui se présente est celle de la condition 
d'Adam avant sa chute. 

Ici déjà, nous constatons dans la pensée de saint 
Augustin l'évolution qui vient d'être signalée. Dans le 
De Genesi contra manichaeos, écrit en 388-391, notre 
auteur fait du corps d'Adam un corps matériel sans 
doute et formé de limon (ii, 8), mais transparent, cé- 
leste (il, 32), n'ayant pas, ce semble, besoin de nourri- 
ture (il, 12) et ne connaissant pas non plus l'inclination 
sexuelle, puisque l'union d'Adam et d'Eve était toute 
spirituelle et n'existait que « ut copulatione spirituali 
spirituales fétus ederent, id est bona opéra divinae 
laudis » (il, 15; i, 30)^. Cette dernière idée revient en- 
core dans le De catechizandis rudihus^ 29 (vers 400). 
Mais en 401, dans le De bono coniugali, 2, Augustin 
commence à douter de sa justesse, et dans le De Genesi 
ad litteram (401-415), il précise enfin sa doctrine et 
met tout au point. Le corps d'Adam innocent était 
animal et terrestre, se nourrissant des fruits réels du 

d. cf. Retract.., I, iO, 2, Il est juste de remarquer que saint Augustin 
dit lui-même {De Genesi ad litteram, VIII, 5) qu'il n'avait adopté ces 
explications allégoriques que parce qu'il n'en avait pas d'autres immé- 
diatement sous la main, prévenant du reste le lecteur (De Gen. cont. 
manîch,, II, 3) qu'il accepterait volontiers une explication littérale si 
on pouvait la fournir. 

26. 



4S2 HISTOIRE DES DOGMES; 

paradis (vi, 30-36, 39; viii, 7). La femme a. été donnée 
à l'homme pour la procréation des enfants, et cela 
dans l'Eden même, car l'immortalité des hommes n'é- 
tait pas un obstacle à leur multiplication. Dieu, pou- 
vant transformer leur corps et les glorifier après un 
certain temps de vie terrestre, sans les faire passer 
par la mort (ix, 5, 6, 8, 9, 12, 14). 

Mais si Augustin avarié sur le sujet, que nous ve- 
nons de voir, en revanche, il a affirmé, dès le principe, 
l'existence en Adam innocent des dons que l'on nomme 
préternaturels et surnaturels. 

C'était d'abord l'immortalité \ immortalité dont l'é- 
vêque d'Hippone explique la nature dans le De Genesi 
adlitteram^ vi, 36 : 

Illud (corpus) quippe ante peccatum et mortale secundum 
aliam, et immortale secundum aliain causam dici poterat; id 
est mortale quia poterat mori, immortale quia poterat non mori- 
Aliud est enim non posse raori,.sicut quasdam naturas inunor» 
taies creavit Deus : aliud est autem posse non mori, secundum 
quem modum pi'imus creatus est homo immortalis, quod ei 
praestabatur de ligno vitae, non dé constitutione naturae^ : a 
quo ligno separatus est cum peccasset, ut posset mori qui, nisi 
peccasset, posset non mori; Mortalis ergo erat conditions cor- 
poris animalis, immortalis autem bénéficie conditions. 

Cette immortalité conditionnelle entraînait avec elle 
l'exemption des maux, des maladies, de la vieillesse 
a ne corpus eius (Adami) vel infirmitate, vel aetate in 
deterius mutaretur aut in occasum etiam laberetur^ ». 

Puis, au-dessus des biens du corps, ceux de l'esprit 
et de l'âme : une sagesse, une science infuse qui avait 
permis à Adam de donner aux diverses espèces d'êtres 

•1. Dé Genesi contra manich., ïl, 8, 32; De li'bero arbiirio, ÏU, 55; De 
peccat. merit. et remiss., I, 2 ; etc. 
2.'Cf. ici De Gen. ad litt., VIII, U. 
3. De Gen. ad litt., VIII, 11 ; IX, 6; De Gen. contra manich., U, 8. 



SAINT À.IIGUSTIN ET LE PELAGIANISME. 463 

vivants le^ nom qui leur convenait ^ Une soumission 
parfaite dès sens à la raison,, et de la raison à la loi 
de Dieu, qui rendait impossible la concupiscence ins- 
tinctive et les mouvements désordonnés de la chair. 
L'union conjugale elle-même eût été a sine uUo in- 
quieto ardore libidini& »;. — « nuUa concupiscentia 
tanquam stimulus inoboedientis Garnis urgebat 2 ». Puis 
la. liberté de faire le bien ou le mal, mais avec une 
inclination au bien, «r Bonae igitur voluntatis factus est 
homo, paratus ad oboediendum Deo, et praeceptum 
oboedienter accipiens, quod sine ulla quamdiu vellet 
difficultate servaret, et sine ulla, cum vellet, necessi- 
tate desereret, nec illud sane infructuose, née illud im- 
pune facturus^. » Cette liberté en effet n'était pas 
a non posse peccare » qui est la liberté parfaite des 
élus, mais « posse non peccare* ». 

Et enfin, pour tout couronner, la grâce, celle que 
les théologiens nomment habituelle. Saint Augustin, 
il est vrai, est ici moins explicite. Cependant, il re- 
garde comme identiques l'état d'Adam innocent et 
celui dans lequel nous sommes renouvelés « in iustitia 
et sanctitate veritatis » ; il dit que nous recevons « per 
gratiam iustitiae » l'image de Dieu qu'Adam a perdue 
ou vu altérer par son péché; que nous recouvrons par 
Jésus-Christ la « iustitia fidei » dont nous avions été 
frustrés en Adam ^. Il y avait donc dans notre pre- 
mier pèrô, en dehors des dons que l'on appelle prêter- 
naturels, un don spécial de grâce, la justicey qui en 
faisait un homme intérieurement spirituel ^. 

1. Contra lulian. op. imp., y, i. 

2. De Gen. ad litt., IX, 6, 8, 18 ; De nupt. et concup., I, 1, 6, 7, 8. 

3. Contra lulian. op. imp., V, 61 ; VI, 5, 16; De civit. Dei, XIV, 11, 1. 

4. De corrept. et gratta, 33. 

-8. De Gen.. ad litt., VI, 37, 38; De peccat. merit. et remiss., I, 7; cf. 
Retract., II, 24, 2. 

6. De Gen. ad litt., YI, 39; Contralulian. op. ïMip., VI,39; De corrept, 
et gr., 9; Confess., Xin, 32. 



464 HISTOIRE DES DOGMES. 

Mais précisément tous ces dons d'immortalité, de 
science, de rectitude morale et de justice, dont le ré- 
sultat nécessaire était une félicité parfaite^, saint 
Augustin les regarde-t-il vraiment comme des dons 
gratuits, nullement dus à notre premier père, stricte- 
ment préternaturels ou surnaturels par conséquent, 
ou bien en fait-il l'apanage naturel de l'homme inno- 
cent, l'expression de l'état normal et régulier dans 
lequel Dieu devait le créer? Quelques auteurs ont opté 
pour ce dernier sentiment ^. Selon eux, l'évêque d'Hip- 
pone regardait l'état primitif d'Adam simplement 
comme l'état naturel de l'homme. Il considère en effet 
notre nature actuelle comme blessée, altérée par le 
péché : elle a donc perdu son état normal. D'autre part 
ia nature « quae proprie natura dicitur » est pour lui la 
nature intègre «in qua sine vitio creati suraus », tan- 
dis que notre nature actuelle est dite telle seulement 
« propter originem », origine qui est précisément 
affectée d'un vice « contra naturam^ ». Mais ces rai- 
sons ont leur contre-partie. D'abord la lecture des tex- 
tes de saint Augustin laisse l'impression qu'il ne s'oc- 
•cupe guère de ce qui était possible, mais de ce qui a été 
et de ce qui est ; qu'il ne raisonne guère sur le naturel 
constitutif on consécutif ou exigible tel que l'ont défini 
les théologiens, mais qu'il prend l'homme tel que Dieu 
d'abord, puis la chute l'a fait : le naturel est l'œuvre 
de Dieu, le contre-naturel est l'œuvre du péché. En- 
suite, notre auteur est formel pour attribuer à une 
providence spéciale de Dieu plusieurs au moins des 
dons d'Adam innocent. La justice était une gratia 



1. De eivit. Dei, XIV, 10. 

2. M, Turmel notamment : Revue d'hist. et de liit. relig., VII, 224 et 
auiv. 

3. Retract., I, iS, 6; I, 40, 3. De civit. Deî, XIII, 15; XIV, 11, 1 ; Contra 
Julian. op. imp., II, 180. 



SAINT AUGUSTIN ET LE PÉLAGIANISME. 465 

iusiitide * ; l'absence de concupiscence était « gratia 
Dei magna », et l'homme n'en jouissait que parce qu'il 
était « vestitus gratia ^ ». Le « posse non mori » venait 
à l'homme « de ligno vitae non de constitutione natu- 
rae », car Adam était mortel « conditione corporis 
animalis », et immortel beneficio conditoris^. Et 
l'on en peut dire autant de l'absence de douleur et de 
décrépitude-'; on en peut dire autant de la science 
extraordinaire du premier homme, bien que l'évêcpie 
d'Hippone insinue et suppose ce dernier point plutôt 
qu'il ne l'enseigne explicitement*. 

Saint Augustin a donc bien considéré les privilèges 
d'Adam innocent, au moins dans la mesure ou celui-ei 
les possédait, comme l'effet d'une libéralité spéciale 
de Dieu, comme des dons qui n'étaient pas dus à sa 
nature, encore qu'ils fussent avec elle en pleine har- 
monie. 

§ 4> — Le péché originel et ses conséquences. 

On connaît déjà, par ce qui a été dit plus haut, la 
méthode d'interprétation des récits de la Genèse adop- 
tée par saint Augustin dans le De Genesi contra ma- 
nichaeos. Nous la retrouvons dans l'exégèse du récit 
de la chute. Le serpent n'y apparaît guère que comme 
une figure du démon; la tentation est toute intérieure, 
pendant que l'arbre de la science du bien et du mal 
est peut-être traité comme une simple allégorie ^. Mais 
plus tard tout change. Le démon reste le vrai tenta- 

1. V. plus haut. 

2. Contra Iulian., IV, 82; De peccat. meritis et remiss., I, 21 ; De civit, 
Dei, xnr, 13; De Gen. ad litt., XI, 41, 42. 

3. V. plus haut. 

4. De Gen. ad litt., VIII, 11 ; De peccat. merit. 82 remiss., I, 3. 

5. De Gen. ad litt., IX, 20. 

6. De Gen. contra manich., II, 12, 20. 



466 HISTOIRE DES DOGMES; 

teur ; toutefois il parle à Eve par l'intermédiaire" d'un 
serpent réel dont il meut les; organes pour lui. faire 
articuler des mots réels ^ . Eve, est. trompée. : Adam ne 
l'est pas, mais ne voulant pas se séparer de sa com- 
pagne,, il consent à partager sa faute. Leur péché fut 
d'autant plus grand que la défense qui leur avait été 
faite était plus facile à retenir et à observer. Du reste, 
avant de désobéir extérieurement, ils s'étaient complus 
en eux-mêmes et avaient péché par orgueil : « Diabo- 
lus hominem non cepisset, nisi iam ille sibi ipaipla- 
cere coepisset^. » 

Ce péché d'Adam, s'est transmis à ses descendants : 
c'est le péché originel en nous. Nous savons par saint 
Augustin lui-même que ses adversaires- l'accusaient 
d'avoir varié sur ce point et de n'avoir pas, dans ses 
œuvres de jeunesse, admis cette doctrine 3. Nous con- 
naissons même les textes dans ce sens qu'on lui rap- 
pelait. C'étaient un texte du De vera religione, 27; 
deux autres du De Genesi contra mamchaeos^ u, 43 ; 
deux passages du De libero arbitrio, m, 49, 50; un 
texte du De duabiis animabus, 12; un autre enfin des 
Acta contra Fortunatum^ 21"*. On remarquera que 
presque tous ces ouvrages sont dirigea contre les 
manichéens. L'auteur niait l'existence d'aune nature 
mauvaise en soi, et s'appliquait à relever l'existence 
du libre arbitre. 

L'évêque d'Hippone protesta vigoureusement contre 
les variations que lui imputaient ses adversaires, et 
soutint que, sur l'existence du péché originel, il avait 
toujours cru et enseigné ce que l'Eglise croit et en- 
seigne^. Son assurance n'était pas vaine, et il est vrai 

1. De Gen. ad lilt., XI, 34; De civil. Dei, XIY, 11, 2. 

2. De civil. Dei, XIV, 13, 2; H, 2; 12; 13, 1; 14; De Gen. ad litt., XI, 39. 

3. Coyitra Iulian., VI, 39. 

4. Cf. dans l'ordre. Rétractai., 1, 13, S; I, 10, 3; 1,9, 3; I, IS,, 2; 1,16, 2, 
o. Contra Iulian., YI, 39. 



SAINT AOGtrSTIN ET LE PÉLAÏ3ÏANISME. 467 

qu'aussi iiairt ©u à peu près que nous puissions remon- 
ter dans ses œuvres, nous trouvons meBtioïïnée, ou 
supposée, sinon la doctrime du péché originel propre- 
ment dit, du moins celle de la chute, d'une avarie sur- 
venue à notre nature ex traduce, et ayant sa source 
dans le péch^ de notre premier père ^. Mais, à partir 
de 397, saint Âiigastin devient plus précis, plus com- 
plet et plus fort, On-étudiera plus loin Tidée qu'il se 
fait et qu'il donne du péché d'origine. On serait infini 
par ailleurs si l'on voulait même seulement énumérer 
ici les textes où il en proclame l'eîdstence. Mieux vaut 
indiquer immédiatement les preuves qu'il apportait 
eontre les pélagiens pour appuyer son affirmation. 

La première était tirée de l'Ecriture. Saint Augus- 
tin utilisait le psaume L^, le livre de Job, xrv, 4, qu'il 
lisait suivant le texte d<^s Septante^, et le passage aux 
Ephésiens, ii, S''. Mais ses deux textes principaux 
étaient celui de saint Paul aux Romains, v, 12, et celui 
de saint Jean, m, 5. 

L'évêque d'Hippone lisait ainsi le premier : « Per 
unum hominem peccatum intravit in mundum, et per 
peccatum mors ; et ita in omnes homînes pertransiit in 
quo^mnespeccaverunt^. » C'est sensiblement le texte 
de la Vul'gate, sauf l'omission du mot mors avant />e/'- 
transiït.Les pélagiens expliquaient ces paroles d'une 
proipagation dn péché par imitation, Adam ayant le 
premier donné l'exemple de la révolte^. A quoi saint 
Augustin répondait : « Non primus pecoavit Adam. Si 

1- Voici quelques références : De libero larbitrio, Uî, 31; m, Si; De 
mryiHbus Ecclesiae, I, 3o; De divers, quaest. ad Simplic, I, qu. 1, 10. 

2. « Quid est quod se dicit (David) in iniquitate conceptum, nisi quia 
Irahitor inîqujtas.ex Adam? o (Enarr^ in psalm. h, 10). 

3. « Inde est^quod née anius dlei infantem mundam dicit a peccato » 
{Serwo CLXX, 2), 

4. 5armo CLXX, 2. 

5. Sermo fiexciV, dS, 

6. Contra Iulian. op. imp,, II, 47. 



468 HISTOIRE DES DOGMES. 

primum peccatorem requiris , diabolum vide. » Or, il 
n'est pas dit que le péché est entré par le diable mais 
per hominem; il s'agit donc ici de transmission, non 
d'imitation ^ D'autre part, notre auteur faisait d'abord 
de peccatum le sujet de pertransiit; Julien le lui re- 
procha, trouvanfcette interprétation arbitraire. Augus- 
tin remarqua qu'il importait peu que l'on fît de mois 
ou de peccatum le sujet de pertransiit^ puisque la mort 
ne serait pas passée dans les enfants d'Adam si le pé- 
ché lui-même n'y était pas passé : « quia non erat ius- 
tum sine crimine transire supplicium ^ ». Quant à in 
guOj après avoir hésité quelque temps, il le fit rappor- 
ter à hominem : « Restât ut in illo primo homine pec- 
casse omnes intellegantur ' ». Mais il s'obstina toujours 
à le traduire en qui, et repoussa le sens de propter 
quod, eo quod que les pélagiens donnaient au grec 
Iç' ^ : c'était là à son avis un sens nouveau, défectueux, 
faux : « novum atque distortum et a vero abhorren- 
tem'* ». 

Le texte de saint Jean, m, 5, est le suivant : « Nisi 
quis renatus fuerit ex aqua et spiritu, non potest in- 
trare in regnum Dei. » Il indique clairement que l'on 
n'entre au royaume des cieux que moyennant une re- 
naissance. Les pélagiens tâchaient dé s'en débarrasser 
en distinguant le royaume des cieux, qui exigeait en 
effet le baptême, de la vie éiernelley lot des non bapti- 
sés, enfants ou qui ont observé la loi naturelle. Saint 
Augustin a bien exposé ce système dans son sermon 
ccxciv, 2. Au fond, la question était de savoir si, entre 
l'état de salut et de damnation, entre le ciel et l'enfer, 

1. Sermo CCXCIV, 13; De peccat. merit. et rem., I, 10; De nupt. et 
concup., n, 43; Contra Iiilian. op. imp., II, 47, 50, 52, 56; ni, 83. 

2. Contra lulian. op. imp,, II, 63, SO; De nupt. et concup., II, 45. 

3. Contra duas episL. pelag., IV, 7; Depeccat. merit. et remiss., l, H. 

4. Contra lulian., YI, 73. On sait que l'exégèse ne donne pas raison 
à saint Augustin sur ce point. 



SAINT AUGUSTIN 'ET LE PÉLA6IANISME. 469 

se trouvait un troisième état, un troisième lieu pour 
ceux qui n'ont ni bénéficié de la grâce de Jésus-Christ, 
ni mérité d'être châtiés pour leurs péchés personnels. 
L'évêque d'Hippone repoussa cette conception : « Hoc 
novum in Ecclesia, prius inauditum est esse vitam ae- 
ternum praeter regnum caelorum ^ . » Le texte de saint 
Jean, vi, 54 : « Nisi manducaveritis carnem meam et 
biberitis sanguinem meum, non habebitis vitam in 
vobis » le dit assez : on n'a la vie, la vie éternelle que 
moyennant la communion; or on ne peut communier 
sans avoir été baptisé ; le baptême est donc nécessaire 
pour la vie éternelle comme pour le royaume des 
cieux*. Les enfants non baptisés sont donc damnés^. 
Or ils ne peuvent l'être que s'ils ont péché. L'enfant 
venant au monde est donc pécheur, souillé de la faute 
originelle : il est baptisé in remissionem peccatorum 
et pénitent dans le baptême comme il devient fidèle par 
lui ''. — Et même en admettant la distinction des péla- 
giens, la conclusion resterait juste, car la privation du 
royaume de Dieu est une peine, et pourquoi l'innocent 
en serait-il frappé ^ ? 

La seconde preuve fournie par saint Augustin de 
l'existence en nous du péché d'origine était tirée des 
Pères qui l'avaient précédé. Il ne la donne pas d'un 
bloc, car, dans le principe, il ne l'avait pas approfon- 
die, mais au fur et à mesure de ses lectures. Il a donc 
cité, comme appuyant sa doctrine, saint Cyprien, saint 
Hilaire, saint Ambroise, l'Ambrosiaster, saint Irénée, 
Reticius d'Autun, Oiympius évêque d'un siège inconnu 
d'Espagne, saint Jérôme; puis quelques Pères grecs, 



1. Sermo CCXCIV, 3, 4. 

2. Depeccat. merit. et remiss., I, 26; Contra dua» epist. pelag., I, 40 

3. De peccat. merit. et remiss., in, 7. 

4. Depeccat. merit. et rem., I, 34; m, 7; I, 2S. 

5. De peccat. merit. et rem., I, 58 ; Contra Iulian., VI, 32. 

HISTOIRE OES DOGMES. — II. 27 



470 HISTOIRE DES DOGMES. 

saint Grégoire de Nazianze^ saint Basile, les pères du 
concile de Diospolis et' enfin saint Jean Chrysostome ^ . 
C'étaient là des témoignages auxquels les hérétiques 
ne devaient pas résister : « Convinceris undique : luce 
clariora sunt testimonia tanta sanctorum ^. » 

Le baptême des enfants et les rites qui l'accompa- 
gnent fournissaient à saint Augustin un troisième ar- 
gument en faveur du péché originel. Ce baptême est 
une ablution, une purification; ceux qui le reçoivent 
sont l'achetés de la puissance du démon, participent à 
la rédemption de Jésus-Christ. Ce qui le prouve, ce 
sont les exorcismes, ce sont les renonciations à Satan 
exigées des parrains- Comment expliquer tout cela 
sinon par un péché d'origine qui souille les enfants dès 
leur naissance, qui les a mis en la puissance de Sa- 
tan 3? Cet argument embarrassait beaucoup les pélà- 
giens : quelques-uns en étaient réduits à supposer que 
les enfants avaient, après leur naissance,, commis des 
fautes personnelles''. 

Enfin — et ici l'on entre dans ce qui constitue pro- 
prement le système augustinien comme système à part 
— l'évêque d'Hippone tirait, en faveur de sa doctrine, 
une dernière preuve de l'état actuel, physique et moral, 
de l'homme. 

Il y a d'abord les souffrances des. enfants. Ces souf- 
frances sont multiples, très dures ; elles vont « usque 
ad daemonum incursus ». Comment les expliquer? 
Elles ne sont pas des peines pour des péchés person^- 
nels ; elles n'ont pas pour but d'exercer la vertu de ceux 



1. Sermo CCXCr\% 19; Depeec. mer. et rem., ni, 10; De natura et gr., 
72; De gratta Chrîsti et depeec. orig., II, 47; Contra duas epîst. pelag., 
V, 7, 21-24, 29; Co7ilra Iulian., I, 5-H, 15-19, 22-28. 

2. Contra Iulian., I, 30. 

3. De nupt. et concup., I, 23; Contra Iulian., VII, H; Conlra Iulian. 
op. imp., 1, CD. 

4. De pecc. mer. et rem., I, 63, 64. 



SAINT AUGUSTIN ET LE PÉILAGIANISME. 471 

qu'elles affligent. Si donc on ne veut pas accuser Dieu 
d'être injuste et cruel, ni verser dans l'erreur mani- 
chéenne qui met dans l'homme un principe essentielle- 
ment mauvais, il faut dire que ces sou#ranees sont la 
juste punition d'une faute originelle ^ . 

Puis il y a cette immense et universelle miïsère du 
genre humain, les maladies, la douleur, la pauvreté, 
l'ignorance, les vices, les travaux, les accidentSv les 
calamités de tout genre qui sont la condition de not»e 
malheureuse race et qui l'accompagnent toute la vie ^. 
Il y a surtout cette opposition en nous entre la chair et 
l'esprit,, cette immonde concupiscence dont nous^ rou- 
gissons, que nous cachons avec soinvtani; nous sentons 
instinctivement qu'elle ne saurait être — au moins 
dans le degré où elle existe — l'œuvre du créateur 2. 
Il semble à saint Augustin qu'un état si misérable n'est 
pas l'état naturel et normal de l'homme, que Dieu 
n'aurait été ni saint ni juste en nous y condamnant 
sans raison, que le genre humain n'est donc tel qu'il 
est qu'en conséquence d'une faute qui pèse sur lui, et à 
laquelle chacun de nous participe''. 

1. Contra Iulian., YI, 67; m, 9; Contra Iulian. op. imperf., I, 27, 
29, 49; II, 87, «9; V, 64; VI, 36. 

2. V. les tableaux du Contra Iulian. op. imp., I, SO, 54; III, 44; YI, S, 
et surtout du De civit. Dei, XXII, 22, 1-3. 

3. De nupt. etconcup., I, 24; Contra duas epist. pelag., I, 31, 33, 33. 

4. De nupt^ et conoup., I, 24; Contra Iulian. op. imp., V, 48» — Saint; 
Augustin étead-U à tous les hommes, la tache originelle et ne fait-il, en 
dehors de Jésus-Christ, aucune exception même en faveur de Marie? Les 
auteurs qui prétendent qu'il a témoigné en faveur de l'immaculée 
conception apportent deux textes (authentiques). Le premier est lire 
du De natura et gratta, 42;; le second se trouve dans le Contra lulia- 
num opus imperfectum, IV, 122. De plus, si l'on rapproche le passage 
indiqué du De natura et gratia d'un passage du Contra Iwiîowwm, Y, 
S7, on remarque qu'ils forment les deux prémisses d'uni syllogisme 
dont la conséquence forcée est la conceptloa immaculée de la Vierge. 
— On peut cependant répondre à cela : 1" Dans le texte du. De natura 
et gratia, 42, il ne s'agit pas, entr& saint Augustin et Pelage, du péché 
originel mais des péchés actuels. C'est de ceux-ci que notre auteur dé- 
clare Marie absolument exempte. 2<' Dans le second passage dv Contra 



472 HISTOIRE DES DOGMES. 

En quoi consiste précisément cette faute, et de tous 
les effets qui sont en nous la suite du péché d'Adam, 
la mortalité, la douleur, l'ignorance, la concupiscence, 
la perte de la justice, quel est celui qui nous constitue 
proprement dans l'état de péché, qui est en nous le 
péché d'origine, les autres étant seulement une consé- 
quence et une punition de la chute primordiale. 

Saint Augustin n'a pas caché l'embarras que lui 
causait cette question : a Nihil est ad praedicandum 
notius, disait-il du péché originel, nihil ad intellegen- 
dum secretius^ ». Tout bien considéré cependant, il 
lui parut que le péché d'origine en nous consistait dans 
la concupiscence désordonnée et surtout dans la con- 
cupiscence sexuelle qui règne en nous, et qui a été 



lulianum opu» imperfectum, IV, 122, il est bien question du péché 
originel, et Julien reproche précisément à son adversaire d'y faire 
tremper Marie : c Tu ipsaai Mariam diabolo nascendi conditione tran- 
scribis ■; mais malheureusement la réponse d'Augustin est ambiguë : 
< Non transcribimus diabolo Mariam conditione nascendi; sed ideo 
quia ipsa conditio solvitur gratia renascendi ». Si saint Augustin ne 
fait pas de Marie le lot du démon par la condition de sa naissance, ce 
n'est pas parce qu'il nie, comme Julien, le péché originel, c'est parce 
que la condition de naissance de Marie a été corrigée par une grâce de 
renaissance. A quel moment celte grâce de renaissance a-t-e!Ie opéré, 
l'auteur ne le dit pas. 3" Enfin, il est très vrai que dans le De natura 
et gratia, 42 et le Contra lulianum, V, 57 combinés ensemble, l'évêque 
d'Hippone pose des principes dont la conséquence est l'immaculée 
conception de la Vierge : mais cette conséquence, il ne la tire pas, il 
ne parait pas l'avoir aperçue; bien plus il l'écarté dans le passage 
même du Contra lulianum : « Nullus est hominum praeter ipsum 
(Christum] qui peccatum non habuerit infantilis aetatis exortu >. — Il 
est certain, d'autre part, que saint Augustin adopte ailleurs des vues 
et un langage incompatibles avec le privilège de Marie, cette idée par 
exemple que l'exemption du péché originel requiert une naissance ex 
virgine (V. plus loin), et encore l'expression de caro peccati par la- 
quelle il désigne la cliair de la Vierge — expression qui s'applique à 
tous les hommes déchus — par opposition à celle de similitude) carnis 
peccati par laquelle il désigne la chair innocente du Sauveur {Depec- 
cator. merit. et remist.. H, 38; Contra Iulian., V, 52; Contra Iulian. 
op. imper f., IV, 79; VI, 22). — On trouvera toute cette question complè- 
tement traitée dans Pb. Friedrich, Die Mariologie des M, Augustinus, 
Kôln, 1907, p, 183-283. 
1. De moribus Eccl. cathol. 1, 40. 



SAINT AUGUSTIN ET LE PELAGIANISME. 473 

voulue par. Adam. Car, par concupiscence, l'évêque 
d'Hippone n'entend pas uniquement l'appétit du plaisir 
charnel : il entend d'une manière générale l'attrait qui 
nous détourne des biens supérieurs pour nous incliner 
vers les jouissances inférieures, « çum quisque averti- 
tur a divinis vereque manentibus et ad mutabilia atque 
incerta convertitur' ». Mais de ces inclinations la plus- 
violente et celle dont l'insoumission à la raison et à 
Dieu est la plus manifeste est évidemment la passion 
sexuelle, et c'est pourquoi saint Augustin y vit princi- 
palement le corps même du péché originel en nous : 
« Hoc estmalum peccati in quo nascitur omni homo^ ». 
Elle est un péché à la fois et la peine du péché « sic 
est autem peccatum ut sit poena peccati » , parce qu'elle 
est un désordre et en même temps un châtiment du 
péché de notre premier père'. 

Ici cependant se présentait une difficulté. Si le péché 
originel est la concupiscence, le baptême n'efface donc 
point ce péché, puisqu'il ne détruit point la concupis- 
cence. Saint Augustin répond en distinguant dans la 
concupiscence Vactus et le reatus, l'acte même ou le fait 
de la concupiscence et sa culpabilité. Le baptême la 
laisse subsister quoad actum, mais il en efface ce 
qu'elle a de coupable et de mauvais ; il fait qu'elle n'est 
plus imputée à péché : « Ad haec respondetur dimitti 
concupiscentiam carnis in baptismo non ut non sit, sed 
ut in peccatum non imputetur"* ». Dans tout péché en 
effet on peut distinguer l'acte par lequel on le commet^ 
par exemple l'adultère, et la culpabilité, le reatus qui 
persiste une fois l'acte terminé, reatus qui ne disparaît 
que par la rémission divine. Si donc il est possible 

1. De libero arbiirio, I, 34. 

2. De peccat. mer. et rem., I, 57. 

3. De peccat. mer. et rem., II, 3G; Contra Iulian. op. imp,, 1, 47. 

4. De nupt. et coneup., I, 28, 29; cf. 27 ; Contra duas epist. pelag., 1, 27^ 



474 HISTOIRE DES DOGMES. 

que les péchés ordinaires transeant actu, maneant 
reatu « sic itaque fieri e contrario potest ut etiam illud 
maneat actu, transeat reatu* ». La concupiscence est 
donc un péché chez les non baptisés : dans les bapti- 
sés, elle ne l'est plus. Elle reste un mal cependant, car 
ce que le baptême purifie c'est le baptisé, non la con- 
cupiscence^ ; et elle reste un mal que l'on peut appeler 
péché, parce qu'elle en vient et y conduit^. C'est une 
blessure dont on a retiré le trait : le baptême retire 
le trait; la blessure demeure''. 

Mais alors, objectait-on, le mariage, qui est insé- 
parable de la concupiscence et qui la met en œuvre, 
est donc mauvais. On sait comment l'évêque d'Hip- 
pone résolvait cette difficulté. Ce qui est inauvais, ce 
n'est pas le mariage mais la concupiscence qui ac- 
compagne l'acte conjugal, et qui l'accompagne non 
nécessairement — puisque l'homme innocent ne l'au- 
rait pas connue — mais conséquemment à la chute 
originelle ^. 

Le péché originel est donc en général la concupis- 
cence désordonnée, et au premier chef la concupis- 
cence sexuelle. Reste à expliquer comment elle est 
volontaire, car tout péché doit être voulu par l'homme, 
autrement il le faudrait attribuer à Dieu ; et reste aussi 
à expliquer comment la nature humaine n'en est pas 
essentiellement viciée, ce qui conduirait au mani- 
chéisme. Saiint Augustin répond à la première ques- 
tion en observant que le péché originel est volontaire 



■1. De nupt. et eoncup., I, 29. On peut comparer cela par exemple à 
un commerce illégitime entre deux personnes qui se trouve légitimé 
par le mariage : Manet actu, transit reatu. 

2. Contra Iulian., VI, 12, Si ; Contra Iulian. op. imp., IV, 61. 

3. Contra duos epist. pelag., I, 27. 

4. De trinit., XIV, 23. 

5. De gratia Chr. et de pecc. orig., n, 38; De nupt. et eoncup., i, 20, 
27; II, Kî, etc. 



SAINT AUGUSTIN ET LE PÉLAGIANISME. 475 

de la volonté d'Adam, notre chef moral, dé qui nous 
héritons et dont nous sommes solidaires : « lllud quod 
in parvulis dicitur originale peccatum, cum adhucnôn 
utantur arbitrio voluntatis, non absurde vocâtur etiam 
voluntarium, quia a prima hominis maîa voluntate 
contractum factum est quodammodo haereditarium ^ . » 
Et encore : « Sed peccatis, inquis, àlienis non utique 
perire debuerunt (parvuli). Aliéna sunt sed paterna 
sunt : ac per hoc iure seminationis atque germinâtio- 
nis et nostra sunt^. » 

Quant à la seconde question, notre auteur répondait 
aux reproches de manichéisme de Julien, en remar- 
quant qu'il ne faisait pas de la concupiscence une 
substance mauvaise en soi, mais seulement un défaut, 
une maladie, une langueur de la nature humaine qui 
entravait ses opérations mais ne corrompait pas son 
être intime : « Non dixeram {naturam humanam) ma- 
lam non esse sed malum non esse, hoc est ut planius 
loquar, non dixeram vitiatam non esse, sed vitium non 
esse^. » Et c'est pourquoi saint Augustin préfère à 
l'expression naturale peccatum celle de originale pec- 
catum, parce qu'elle marque mieux que la première 
que ce péché est le fait de l'homme et du premier 
homme*. 

De tout ce qui vient d'être dit il résulte manifeste- 
ment que c'est par la génération, et plus spécialement 
par l'action, dans l'acte générateur, de la concupis- 



1. Relract.,1, 13, S. 

2. Contra Iulian. op. imp., I, 48; De peccat. merit. et rem., ni, 15. 
Saint Augustin pousse si loin ce principe qu'il regarde comme pro- 
bable que les enfants héritent des péchés de leurs parents. Jusqu'à 
quelle générafion, il n'ose le définir {Enehîridion, XLYI, XLYH; cf. 
Contra Iulian. op. imp., ni, 57). V. cependant Contra Faustum, XXII, 
64; Brevic. collât., m, 17; Enarr. in psalm. GVIII, 15. 

3. Contra Iulian. op. imp., III, 190, 192; Contra Iulian.,Tl, S3; De 
nupt. et conc, T, 28. 

4. Contra Iulian. op. imp., Y. 9. 



476 HISTOIRE DES DOGMES. 

cence que se transmet le péché originel. Dans les 
païens la chose va de soi : la chair souillée et péche- 
resse, la concupiscence encore péché produit la chair 
pécheresse et souillée, la concupiscence coupable. 
Dans les époux baptisés, la concupiscence, il est vrai, 
n'est plus imputée à péché; elle accompagne cepen- 
dant l'acte conjugal, et produit dans l'enfant la con- 
cupiscence, laquelle se trouve être en lui un péché, le 
péché originel, puisqu'il n'est point encore régénéré. 
Les textes où saint Augustin a consigné cet enseigne- 
ment sont innombrables : « Propter hanc (concupis- 
centiam) ergo fit ut etiam de iustis et legitimis nuptiis 
filiorum Dei, non filii Dei sed filii saeculi generentur : 
quia et ii qui genuerant, si iam regenerati sunt, non 
ex hoc générant ex quo filii Dei sunt sed ex quo adhuc 
filii saeculi. .. Ex hac igitur concupiscentia carnis quod 
nascitur, utique mundo non Deo nascitur. Deo autem 
nascîtur cum ex aqua et Spiritu renascitur. Huius con- 
cupiscentiae reatum regeneratio sola dimittit, ac per 
hoc generatio trahit ^ » — Et voilà pourquoi Jésus- 
Christ a voulu naître d'une vierge. La naissance vir- 
ginale était la condition de sa parfaite innocence : 
« Propterea quando nasci est in carne dignatus, sine 
peccato solus est natus ^. » — « Quia Mariae corpus 
quamvis inde (ex concupiscentia) venerit, tamen eam 
non traiecit in corpus quod non inde concepit'. » 

Cette explication cependant rendait bien compte de 
ce qui se passait dans la chair, la concupiscence en- 
gendrant la concupiscence comme le sang vicié un 



i. De nupt. et concup., I, 20, 21, 27; Contra luîian., V, S2; Contra 
Iulian. op. imp., II, 42, 218; Contra duas epist. pelag., I, 27; Sermo 
CLI, S. 

2. De nupt. et concup., I, 27. 

3. Contra Iulian., V, o2; Contra Iulian. op. imp. n, 42, 218; Sermo 
CLI, 5. 



SAINT AUGUSTIN ET LE PÉLAGIÂNISME. 471 

autre sang vicié ^ ; mais elle ne disait pas comment 
l'âme raisonnable, qui est le principal sujet du péché 
originel, en qui se trouve le reatiis peccati est at- 
teinte par cette souillure. Il fallait pousser plus loin 
les recherches, et ces recherches impliquaient la solu- 
tion du problème de l'origine de l'âme, car l'explica- 
tion à fournir de la souillure de l'âme devait être dif- 
férente, suivant qu'on adopterait le créatianisme ou le 
traducianisme. Dans le premier cas, il faudrait dire 
que l'âme créée pure par Dieu et unie par lui, pour 
des raisons ignorées de nous, à un corps, est souillée 
par son contact avec une chair viciée. Dans le second 
cas, on pourrait admettre que l'âme de l'enfant est 
directement souillée par celle des parents dont elle 
dérive : « Aut utrumque vitiatum ex homine trahitur,. 
aut alterum in altero tanquam in vitiato vase corrum- 
pitur, ubi occulta iustitia divinae legis includitur^. » 
Or, sur cette question de l'origine de l'âme, saint Au- 
gustin ne parvint jamais à se faire une opinion ferme. 
Personnellement et comme philosophe, il inclinait au 
créatianisme ^ ; mais il lui semblait que cette doctrine 
était incompatible avec celle du péché originel. Sa 
grosse difficulté était d'expliquer pourquoi des mil- 
liers d'âmes d'enfants, créées innocentes par Dieu, 
étaient par lui introduites dans des corps où il savait 
qu'elles seraient souillées et ne pourraient pas d'ail- 
leurs être régénérées par le baptême. Où, et quand,, 
et comment avaient-elles mérité d'être unies à ces 
corps*? Fallait-il donc revenir au système d'Origène 
sur la préexistence des âmes? Augustin n'en voulait 

1. Non pas que la chair soit le sujet de la concupiscence, abstrac- 
tion faite de l'âme qui la vivifîe; il s'agit de la ciiair vivante et aniniée. 
Cf. De perfectione iustiliae, 19. 

2. Contra lulian., V, 7. 

3. EpisL CLXVI, 3, 4; CXC, 15. 

4. De anima et eius origine, I, 6, 13; Epist. CLXVI, 10. 

27. 



478 HISTOIRE DES DOGMES. 

pas^ II se trouvait donc rejeté vers le traducianisme, 
et d'autant plus que les pélagiens, naturellement, en- 
seignaient le créatianisme, et on tiraient un argument 
contre lui-. Quand il écrivit ses Rétractations (426- 
427), Tévêque d'Hipponen'était pas encore fixé ^ ; mais, 
résolument, il avait déjà élevé la question dogmatique 
au-dessus de la question pMlosophique sur la prove- 
nance des âmes. Que Ton adoptât sur ce dernier point 
le sentiment que l'on voudrait, peu importe, pourvu 
que l'on respectât l'enseignement certain de la foi sur 
le péché d'origine : « Ista fides non negetur, «t hoc 
quod de anima latet aut ex otîo discitur, aut, sicut alia 
multa înhac vita, sine salutis lahe nescilur^. » 

Une fois étudiés l'existence, l'essence et le mode de 
propagation du péché originel en nous, il reste à en 
examiner les conséquences, à voir les ravages qu'il a 
opérés dans notre nature et dans rhumanité en géné- 
ral. 

Nous ne voulons pas parler ici de la mort, des souf- 
frances, de l'ignorance et des misères de la vie qui 
sont la suite de la faute d'Adam, et qui accompagnent 
en chacun de nous la participation à cette faute : il 
s'agit d'eiîets plus intimes et qui tiennent de plus près 
à notre fin surnatureSe. 

Le premier, et l'un de ceux auxquels saint Augustin 
a donné le plus dHmportance, est la perte de la liberté 
du bien moral. On a vu que notre auteur faisait du 
pesse non peccare un privilège d'Adam innocent. 
Adam avait le pouvoir d'éviter le mal et, moyennant 
une grâce dont il sera question plus loin [auxîlîum 



1. De anima et eius orig., I, 15. 

2. De peccat. merit. et rem., lïï, 5; Contra cluas epist.pelag,, III, 26; 
Contra Iulian. op. imp., II, 178 • ÏV, iQi. 

3. Retract., I, 4, 3. 

4. Contra Iulian., V, 47 



SAINT ACGUSTm ET LE PÉLAGIANISME. 479 

sine quo non), de faire le bien. C'est ce que saint Au- 
gustin appelle proprement la iihej'té. Cette librerté a 
été perdue par le péché d'origine. Nous ne pouvons 
plus, sams la grâce, éviter ile mal, ni, sans une ;grâce 
plus spéciale, faire le bien. Ce n'est pas à dire que 
nous fassions nécessairement le mal que nous accom- 
plissons : non, nous le faisons librement, et en cela 
consiste précisément le libre arbitre qui nous reste et 
qu'il faut bien distinguer de la liberté. Malheureuse- 
ment, l'évêque d'Hippone n'a pas gardé toujours dans 
son langage cette distinction importante entre les mots 
lihertas et liberum avbitrium^ et il lui est arrivé plus 
d'une fois, au grand scandale de ses adversaires, de 
dire simplement que l'homme déchu avait perdu le 
libre arbitre^. Mais le fond de sa pensée n'est pas dou- 
teux : a Quis autem nostrum dicat quod primi hominis 
peccato perierit liberum arbitriumàeimmano génère? 
Libertas quidem periit per peccatum, sed illa quae 
in paradiso fuit, hàbendi plenam cum immortalitate 
iustitiam... Nam liberum arbitrium usque adeo in pec- 
catore non periit, ut per illud peccent maxime omnes 
qui cum delectatione peccant et amore peccati, hoc 
eis placet quod eos libet. Unde et apostolus : Cum es- 
setiSf inquit, servi peccati, liberi fuistis îustitiae. Ecce 
ostenduntur etiam peccato minime, nisi alia libertate, 
servire. Liberi ergo a iustitia non sunt nisi arbitrio 
voluntatis, liberi aùtem a peccato non fiunt nisi gratia 
Salvatoris ». « Et liberum arbitrium captivatum non- 
nisi ad peccatum valet; ad iustitiam vero nisi divinitus 
liberatum adiutumque non valet ^. » Et d'ailleurs : « Si 



4. Par exemple Enchiridion, XXX ; cf. De perfect, iustitiae hominis, 
IV, 9; Epist. CXLV, 2; Contra duas epist. pelag,, I, *. 

2. Contra duas epist. pelag., I, 5; m, 24; I, 7; Enchiridion, XXX; De 
nupt.et conc, U, 8; Sermo CLVI, 12; Contra Iulian. op. imp., I, 94; Hi, 
i20. 



480 HISTOIRE DES DOGMES. 

liberum non est nisi quod duo potes t velle, id est et 
bonum et malum, liber Deus non est qui malum non 
potest velle ^ » Aussi le saint docteur suppose-t-il que 
la grâce trouve en nous et ne crée pas le libre arbitre ^. 
Les textes qui paraissent dire le contraire doivent 
s'entendre de la liberté du bien '. 

La pensée de saint Augustin est donc claire : sans 
la grâce de Dieu l'homme ne peut que pécher*. On 
verra plus loin quelle grâce lui est nécessaire pour 
éviter le mal. En attendant, et de cet état d'infirmité 
où la déchéance nous a précipités, l'évêque d'Hippone 
conclut que si, théoriquement et à la rigueur, nous 
pouvons, moyennant la grâce de Dieu, vivre sans au- 
cune faute, pratiquement le fait ne s'est réalisé qu'en 
Jésus-Christ et sa sainte mère ^. Il ne condamna pas 
cependant absolument l'opinion contraire dans les 
ouvrages antérieurs à 418 '^ ; mais le concile de Car- 
thage de cette année ayant nettement défini que même 
les justes disent en vérité le Dimitte nobis peccata 
nostra, lo saint docteur déclara dès lors insoutenable 
le sentiment de Pelage sur la parfaite innocence de 
certains personnages de l'ancienne et de la nouvelle 
Loi \ 

Une troisième conséquence qui résulte du péché 
originel est, en principe, l'universalité de la damna- 
tion. Le genre humain, tout entier coupable en nais- 
sant, et placé hors de la voie du salut, est, dans la ri- 
gueur de la justice, perdu éternellement et ne peut 
être sauvé que par la grâce et la miséricorde de Dieu. 

1. Contra Iulian. op. imp., 1, 100, 402. 

2. De gratta et lîb. arbitr., 37, 38. 

3. Par exemple. De spiritu et litlera, 52; Epist. CXCrv, 3; CCXYII, 8. 

4. Y. cependant un peu plus bas, p. 48S, note 7 et p. 487. 

5. De peccat. mer. et remiss., u, 7, 8, 34 ; De natura et gratta, 42. 
.6. Deperfcct. iust. kominis, 44. 

7. Coritra duaa epist. pelag., IV, 27, 



SAINT AUGUSTIN ET LE PÉLAGIANISME. 48t 

Il est « una quaedam massa peccati » , une « universa 
massa perditionis * ». On connaît le lugubre tableau que 
trace V Enchiridion (xxvi, xxvii) de cette perdition : 

Hinc post peccatum exsul (Adam) effectus, stirpem quoqtre 
suam, quam peccando in, se tanquam in radice vitiaverat, poena 
mortis et damnationis obstrinxit; ut quidquid prolis ex illo et 
simul damnata, per quam peccaverat, coniuge... nasceretur 
traheret originale peccatum, quo traheretur per errores dolo- 
resque diverses ad iliud extremum cum desertoribus angelis- 
vitiatoribus et possessoribus et consortibus suis sine fine sup- 
plicium... Ita ergo se res habebat : iacebat in malis vel etiam 
volvebatur, et de malis in mala praecipitabatur totius humanl 
generis massa damnata, et adiuncta parti eorum qui peccave- 
rant angelorum, luebat impiae desertionis dignissimas poenas. 

Enfin, une dernière conséquence du péché originel, 
et déjà contenue dans la précédente, c'est la damnation 
des enfants morts sans baptême. Dans le De libero- 
arbitrio, m, 66, écrit en 388-395, saint Augustin avait 
d'abord admis pour eux un état intermédiaire qui n'aur- 
rait été un état ni de récompense ni de châtiment. Mais 
il remarqua bien vite que ces enfants n'étaient pas 
sans péché et qu'ils devaient, par conséquent, subir le 
sort commun du genre humain. Puisqu'il n'y a pas dfr 
milieu entre le ciel et l'enfer et qu'ils étaient exclus du 
ciel, il fallait qu'ils allassent au feu éternel : « Si au- 
tem non eruitur a potestate tenebrarum, et illic rema- 
net papvulus; quid mireris in igné aeterno cum dia- 
bolo futurum qui in Dei regnum intrare non sinitur ^ ? » 

On sait d'autre part que, dans cet enfer, l'évêque 
d'Hippone soumettait les enfants non baptisés à une 
peine positive, mais omnium mîtissima 3. Il n'oserait 

\. De divers, quaest. ad Simpl., I, qu. II, 16; De gratta Chr. et de' 
pecc. orig., II, 3i ; De corrept. et gratta, 28. 

2. Contra Iulian.op. imp., ni, iOO; Contra Iulian., VI, 3; Sermo- 
CCXCIV, 2-4; De pecc. mer. et remiss., I, 53. 

3. De pecc. mer. et remiss., I, 21; Enchiridion, XCIII; Contra Iulian^ 
V, 44. 



482 HISTOIRE DES DOGMES. 

même prononcer, ajoute-t-il, qu'il leur vaudrait mieux 
n'être pas nés, attendu que Notre-Sei^eur n'a dit cela 
que des plus grands pécheurs ^ On aurait tort toute- 
fois d'en conclure qu'ils sont heureux ; c'est une souf- 
france et une très grande souffrance à une image de 
Dieu que d'être exilée loin de lui ^. 

§ 5. — lia grâce. 

Qu'est-ce qui nous tirera de l'abîme où nous a pré- 
cipités le péché d'Adam? Une seule chose, la grâce de 
Jésus-Christ. 

La théologie traite à part de la grâce actuelle et de 
la grâce habituelle. Bien qu'il ait parlé de celle-ci, 
<î'est surtout de la première que saint Augustin s'est 
occupé contre les pélagîens. 

Il distingue d'abord avec soin des grâces extérieu- 
res et des grâces intérieures, des grâces de simple 
illumination qui nous instruisent de ce que nous de- 
vons faire, et des grâces de motion qui touchent et 
inclinent la volonté à l'action : « Legant ergo et intel- 
legant, intuçcintur atque fateantur non lege atque doc- 
trina insonante forinsecus, sed interna et occulta, 
mirabili ac ineffabili potestate operari Deum in cordi- 
bus hominum, non solum veras revelationes, sedèonas 
etiam voluntates '. » 

Il distingue, en second lieu, la grâce prévenante, 
la grâce adjuvante ou coopérante, et la grâce subsé- 
quente. Le De gratia et lihero arbitrio, 33, est ici très 
précis. Notre auteur y marque la progression de la 
volonté ou de l'inclination à vouloir irréfléchie, du 

i. Contra Iulian,,y, a. 

2. Contra Iulian., III, 9; V, *. 

3. De gratia Chr. et de pecc. orig., I, 25, 8, 9, 13, 14; De p'ecc. merîU 
et remiss., II, 26; De spir. et lilt., S ; Contra Iulian. op. imp., I, 9S. 



SAINT AUGUSTIN ET LE P^LAGIANISME. 483 

vouloir libre et réfléchi^ et enfin de l'action elle-même : 
« Qnis istam etsi parvam ^are coeperat caritatem, nisi 
ille qui praeparat voluntatem, et cooperando perfîcit 
quod operando îneîprt. Quoniam ipse ut velimus ope- 
ratur incipiens, qui volentibus cooperâtur perficiens... 
Ut ergo velimus sine nobis operatur; eum autem vo- 
lumus, et sic vblumus ut faciamus nobiscum coopera- 
tur : tamen sine illo vel opérante ut velimus, vel 
coopérante cum volumus ad bona pietatis opéra 
nihil valemus"*. » 

Mais une distinction en un sens plus importante est 
celle que fait saint Augustin entre la grâce adiutorium 
sine quo non et la grâce adiutorium quo, autrement 
dit entre la grâce suffisante — mais qui peut devenir 
efficace — et la grâce efficace. Cette distinction est 
apportée à l'occasion d'un parallèle entre l'état d'A- 
dam innocent et le nôtre. Adam même innocent ne 
pouvait persévérer dans le bien sans la grâce. Cette 
grâce, plus joyeuse et plus heureuse, mais moins 
puissante que celle qui nous est donnée, parce qu^elle 
n'avait pas à vaincre la concupiscence, le rendait ca- 
pable de pratiquer la vertu et d'y persévérer, mais elle 
ne prodniÎBait pas en lui le vouloir et le faire, dépen- 
dants de son libre aTbitre, lequel pouvait à son gré 
correspondre à la grâce ou la laisser inutile. Dans les 
prédestinés au contraire, en qui la liberté du bien est 
éteinte au sens indiqué plus haut, la grâce ne produit 
pas seulement le pouvoir faire, elle n'est pas un sim- 
ple adiutorium sine quo non : elle produit le vouloir 
et le faire, elle est un adiutorium quo volumus et faci- 
mus ; a îtemque ipsa adiutoria distinguenda sunt. 
Aliud est adiutorium sine quo aliquid non fît, et aliud 
est adiutorium quo aHquid fit... Primo itaque ho- 

1. Et voyez aussi Enehîridion, XXXn; cf. De natura et grcctia, 35. 



484 HISTOIRE DBS DOGMES. 

mini... datam est adiutorium perseverantiae non quo 
fieret ut perseveraret, sed sine quo par liberum arbi- 
trium perseverare non posset. Nunc vero sanctis in 
regnum Dei per gratiam Dei praedestinatis non talé 
adiutorium perseverantiae datur, sed taie ut eis per- 
severantia ipsa donetur ^ » 

On vient de voir que, même dans l'état d'innocence, 
Adam avait besoin, pour persévérer, du secours de la 
grâce ^. A plus forte raison, cette grâce nous est elle, 
à nous, absolument nécessaire. Nécessaire comme 
grâce médicinale^ car sans elle, saint Augustin l'a dit 
plus haut, l'homme ne peut que pécher : « Nam neque 
liberum arbitrium quidquam nisi ad peccandum valet, 
si lateat veritatis via : et cum id quod agendum et quo 
nitendum est coeperit non latere, nisi etiam delectet 
et ametur, non agitur, non suscipitur, non bene vivi- 
tur. Ut autem diligatur charitas Dei diffunditur in 
cordibus nostris ^. » — Nécessaire pour que nous puis- 
sions croire les vérités de l'ordre surnaturel : « Quod 
ergo pertinet ad religionem et pietatem (de qua loque- 
batur Apostolus) si non sumus idonei cogitare aliquid 
quasi ex nobismetipsis, sed sufficientia nostra ex Deo 
est, profecto non sumus idonei credere aliquid quasi 
ex nobismetipsis, quod sine cogitatione non possu- 
mus, sed sufficientia nostra qua credere incipiamns ex 
Deo est"*. » — Nécessaire évidemment encore pour 
nous rendre capables de faire des actes surnaturels, 
et nécessaire comme grâce de lumière extérieure et 
comme grâce intérieure. C'est tout saint Augustin 
qu'il faudrait citer : « Quapropter ut in Deum creda- 
mus et pie vivamus non volentis neque currentis sed 

1. De corrept. et gratîa, 34, 29, 30 et surtout 32. 

2. Cf. Enchiridion, CVI; Epist. CLXXXVI, 37. 

3. De spir. et litt., 5; Contra Iulian, op. imp., ni, HO. 

4. De praedest. sanctor.. S, 7, 22. 



SAINT AUGUSTIN ET LE PÉLAGIANISME. 485 

miserentis est Dei; non quia velle non debemus et 
currere, sed quia ipse in nobis et velle operatur et 
currore^ » — Nécessaire comme grâce prévenante 
et comme grâce adjuvante : « Quia neque velle pos- 
sumus nisi vocemur : et cum post vocationem volueri- 
mus, non sufBpit voluntas nostra et cursus noster nisi 
Deus et vires currentibus praebeat, et perducat quo 
vocet^. » — Nécessaire pour le commencement des 
bonnes œuvres : « Cum ergo divinitus adiuvatur homo, 
non tantum ad capessendam perfectionemj quod ipse 
posuisti, utique volens intellegi eum per se incipere 
sine gratia quod perficit gratia : sed potius quod 
Apostolus loquitur, ut qui in nobis opus bonum coepit, 
perficiat usque in finem ^ » ; — et nécessaire aussi 
pour le commencement de la foi, on l'a vu il y a un 
instant^. — Nécessaire aux justes pour persévérer : 
« cum... sine Dei gratia, salutem non possit (natura 
humana) custodire quam accepit' ». — Nécessaire 
enfin pour tous et chacun de nos actes bons : « Ad 
singulos actus (gratia) datur illius voluntate de quo 
scriptum est : Pluviam voluntariam segregabis, 
Deus, haereditati tuae, quia et liberum arbitrium ad 
diligendum Deum primi peccati granditate perdidi- 
mus^. » 

Saint Augustin exige donc toujours une grâce, re- 
disons-le encore, même pour l'accomplissement des 
devoirs de la morale naturelle, puisque le libre arbitre 
laissé à lui seul ne peut que pécher^. Mais ici une 

1. Epîst. CGXVII, 12; Despirit. et ?»«.,4, S. 

2. De praedeat. sanct., 7; De gratia et lib. arbitr., 33; Enehirîdion, 
XXXII. 

3. Contra Iulian., IV, 15; De natura et gratia, 33, 36. 

4. De praedestin. sanctor., 4, 5, 10. 

5. Epist. CLXXXYI,37; CGXVH, U; De corrept. et gratia, 34; De natura 
et gratia, 29. 

6. Epist. CCXVII, 12. 

7. Il atténue cependant cela au De peccatorum meritis et remii- 



486 HISTOIRE DES DOGMES. 

question se pose. Cette grâce ainsi requise pour que 
nos actes soient bons moralement, est-elle une grâce 
de charité ou du moins une grâce de foi, ou bien est- 
«Ue une grâce d'ordre inférieur qui ne suppose et qui 
ne met dans celui qui la reçoit ni la charité ni la foi, 
«t qui l'incline seulement à l'acte de vertu qu'il doit 
réaliser? Autrement dit — et pour donner au problème 
la forme qu'on lui a donnée plus tard, — que pense 
saint Augustin de la valeur morale des actes faits en 
dehors de la charité, dans l'état du péché, ou faits par 
des infidèles, en dehors de la foi? Pense-t-il que cer- 
tains de ces actes au moins peuvent être bons, ou les 
regarde-t-il , en bloc, comme nécessairement mau- 
vais ^ ? 

Le premier point de cette question ne nous occu- 
pera que fort peu. On trouve en effet dans notre auteur 
un certain nombre de textes, où il semble supposer 
que seules sont bonnes les œuvres faites par un motif 
de charité ou du moins dans l'état de charité. On peut 
«iter par exemple le passage du De spiritu et litteray 
26 : « Non enim fructus est bonus qui de charitatis 
radice non surgit », et encore le De civitate Dei, xxvi, 
16, le Contra lulianum, iv, 33; v, 9. Mais outre qu'il 
s'agit souvent, dans ces passages et autres sembla- 
bles, d'actes non seulement bons, mais surnaturelle- 
ment méritoires, il faut observer que le mot de charité 
n'a pas toujours, dans saint Augustin, le sens précis 
de charité parfaite. Souvent il désigne généralement 
toute aspiration vers le bien, par opposition à l'amour 
des choses inférieures, à la concupiscence. La charité 

sione, II, 3, où il paraît admettre plutôt une nécessité de fait, morale, 
qu'une nécessité de droit. Voyez aussi De spiritu et littera, iS. 

i. On sait quelle est sur cette question la doctrine qu'ont enseignée 
Baïus, Jansénius et Quesnel, et qu'ils prétendaient avoir empruntée à 
saint Augustin. Voir Denzinger, Enchiridion, 91S, 918, MGS, 1241, 
1242. 



SAINT AUGUSTm ET LB PÉLAGIANISME. 487 

€t la concupiscence sont les deux amonrs qui ont créé 
les deux cités ^ Aussi l'évêque d'Hippone dit-il à celui 
qui ne peut parvenir à aimer parfaitement la justice : 
« Nondum potes amare iustitiam ? Time vel poenam, 
ut pervenias ad amandam iustitiam^. » 

Saint Augustin n'a donc point cru que l'état de cha- 
rité fût nécessaire pour la bonté morale ou même sur- 
naturelle de nos actes. A-t-il pensé de même de la foi, 
et a-t-il jugé que les infidèles, tout en restant tels, 
pussent faire, au moins sous l'influence de la grâce, 
des actes de vertu naturelle, des actes qui ne fussent 
pas des péchés ? 

On trouve sur ce point, dans ses œuvres, quelques 
passages très afTirmatifs. Ainsi, Dieu toucha le cœur 
d'Assuérus et l'inclina à la clémence^ : Assuérus ce- 
pendant était et resta infidèle. La tempérance de l'in- 
fidèle Polémon fut aussi l'œuvre de Dieu et de sa 
grâce^. Au De spiritu et littera, 48, notre auteur 
suppose manifestement que les païens peuvent faire 
quelques bonnes actions, bien qu'en petit nombre (vix 
inveniuntur quae iustitiae debitam laudem defensio- 
nemque mereantur), et même, semble-t-il, sans le se- 
cours d'aucune grâce, parce que l'image de Dieu n'est 
pas en eux totalement oblitérée. Mais ailleurs, em- 
porté par la polémique surtout contre Julien, saint 
Augustin dépasse souvent les bornes qu'il s'est fixées 
lui-même et, comme il n'admet aucun milieu entre le 
ciel et l'enfer, il u'adraiet aucun milieu entre l'acte 
mauvais, le péché, et l'acte chrétien, l'acte fait dans la 
foi : il flétrit comme des fautes toutes les actions des 



i. De civit. Deî, XIV, 28, 

2. In loann. tract. XLI, 10. 

3. De gratta Christi et de pecc. orig., I, 25. 

4. Epist. CXLIV, 2. 



488 HISTOIRE DES DOGMES. 

infidèles^. Appuyé sur le texte de saint Paul, Rom., 
XIV, 23 ; Omne autem quod non est ex fide pecca- 
tum est, dont il interprète le mot fides de la foi 
proprement dite, il écrit : « Sine ipsa (fide) vero etiam 
quae videntur bona opéra in peccata vertuntur; omne 
enim quod non est ex fide peccatum est' » ; et encore : 
« Quid enim est boni operis ante fidem, cum dicat 
apostolus : Omne quod non est ex fide peccatum 
est^. » Ainsi, même les actes des vertus naturelles que 
semblent pratiquer les païens, la douceur, la justice, 
la piété filiale, la continence, la charité, la patience 
sont des fautes par suite de l'absence de foi^. Ils sur- 
montent par des péchés d'autres péchés : « aliis pec- 
catis alia peccata vincuntur^ ». Non pas que ces actes 
soient toujours mauvais en soi et dans leur objet; mais 
ils le deviennent par défaut d'intention droite, parce 
que leurs auteurs s'y arrêtent et s'y complaisent^, 
parce que, manquant de la foi, ces auteurs ne les rap- 
portent pas à la fin à laquelle ils devraient les rappor- 
ter : « Si fidem non habent Ghristi, profecto nec iusti 
sunt, nec Deo placent, cui sine fide placere impossibile 
est. Sed ad hoc eos in die iudicii cogitationes suae 
défendent, ut tolerabilius puniantur, quia naturaliter 
quae legis sunt utcumque fecerunt... hoc tamen pec- 
cantes quod homines sine fide non ad eum finem 
retulerunt ad quem referre debuerunt. Minus enim 
Fabricius quam Catilina punietur,non quiaiste bonus, 
sed quia ille magis malus'. » Et comme Julien pré- 



1. Schwane lui-même est obligé de le constater, Histoire des dogmes 
traduct. Decert, m, 17S, 176. 

2. Contra duos epist. pelag., ni, ii. 

3. Jn loann. tract. LXXXVI. 

4. Contra duos epist. pelag., III, 14. 

5. De nupt. et concup., I, 4. 

6. De eivit. Dei, XIX, 15; Contra luUan., IV, 21. 

7. Contra Iulian., IV, 28, 31, 32. 



SAINT AUGUSTIN ET LE PÉLAGIANISME. 489 

tend distinguer, entre les oeuvres méritoires et les 
œuvres mauvaises, des œuvres a stérilement bonnes » 
qui ne constituent ni des péchés ni des actions que 
Dieu doive récompenser ^ saint Augustin repousse 
absolument cette distinction. Toute sa réponse serait à 
transcrire : « lustus ergo Deus et bonus bonos est in 
mortem missurus aeternam?... Ergo intellege quod 
ait Dominus : Si oculus tuus nequam est, totum cor- 
pus tuum tenebrosum erit; si autem oculus tuus sim- 
plex est, totum corpus tuum lucidum erit : et hune 
oculum agnosce intentionem qua facit quisque quod 
facit; et per hoc disce eum, qui non facit opéra bona 
intentione fidei bonae, hoc est eius quae per dilectio- 
nem operatur, totum quasi corpus, quod illis, velut 
membris, operibus constat, tenebrosum esse, hoc est 
plénum nigredine peccatorum*. » Et encore : « Nullo 
modo igitur homines sunt steriliter boni, sed qui boni 
non sunt possunt esse alii minus, alii magis mali ^. » 
Dans ces textes, il est évident que saint Augustin 
exagère la nécessité de rapporter tous nos actes à 
Dieu comme à la fin surnaturelle connue par la foi. 

Qui dit grâce dit quelque chose qui est un don. et 
qui n'est pas dû au mérite. Aussi l'évêque d'Hippone 
répète-t-il sans cesse que les premières grâces nous 
sont accordées par pure miséricorde. Il n'avait pas 
toujours été dans ce sentiment, comme il l'avoue dans 
le De praedestinatione sanctorum, 7, et comme on le 
voit par le De diversis quaestionibus lxxxiii," ques- 
tion Lxvni, 4, 5, où il suppose en certains pécheurs des 
mérites cachés qui leur valent la justification, et fait de 



1. < Ego steriliter bonos dixi homines qui non propter Deum faciendo 
bon& quae faciunt non ab eo vitam consequuntur aeternam > {Contra 
Iulian., IV, 33). 

2. Contra Iulian., IV, 33. 

3. Contra Iulian., lY, 22. 



490 HISTOIRE DES DOGMES. 

la bonne volonté antécédente la condition de la pitié 
divine ^ Mais dès 396-397, sinon plus tôt, saint Augus- 
tin revenait de son erreur par une étude plus attentive 
de VÉpître aux Romains^ ix, 10-29,, dans le De diçer' 
sis quaestionihus ad SimpUcianum^ i, qu. ii, Là^. il 
affirmait que, si la grâce était la récompense des œu-^ 
vres, elle ne serait plus la grâce, qu'elle précède les 
bonnes œuvres et ne les suit pas, qu'on ne saurait 
mériter la grâce par les œuvres, puisqu'on ne peut 
faire ces œuvres que par la grâce [ibid., 2, 10, 12). 
C'est la doctrine qu'il enseignera jusqu'à la fin : « Sic 
enim volunt (pelagiani) intellegi quod dictum est Si 
volneritis et audieritis me tanquam in ipsa praece- 
dente voluntate sit consequentis meritum gratiae, ac 
sic gratia iam non sit gratia quae non est gratuita, 
cum redditur débita^. » 

Quant aux secondes grâeesy à la grâce de bien faire 
après avoir cru, notre auteur pense qu'on la peut mé- 
riter au moins d'une certaine façon : « Si quis autem 
dixerit quod gratiam bene operandi fides meretur, ne- 
gare non. possumus, imo vero gratissime confitemur » ; 
il remarque cependant que, même alors, on l'obtient 
plutôt par la prière 2. Mais pour la grâce de la persé- 
vérance finale, il en fait expressément un don gratuit 
qu'il compare aux grâces ' premières de la foi : « as- 
serimus ergo donum Dei esse perseverantiam qua us- 
que in finem perseveratur in Christo*. » On peut seu- 
lement ia demander et l'obtenir par la prière : « Hoc 
ergo donum suppliciter emereri potest... A quo enim 

1. Voir aussi De lihero arbitrio, ni, S3, et Exposîtîo quarumd. pro- 
posît. ex epist. ad Romanos, 61. 

2. Contra duas epist. pelag., IV, 12, 13, 14; Degratîa Chr. etdepecc. 
orig., I, 34; De praedest. sanct., 7, \'^. 

3. Epist. CLXXXVI, T; De gestis Pelagii, 34; Contra duas epist. pelag. 
IV, 10. 

4. De dono perseverantiae, l, 2, 4-9, 13. 



SAINT AUGUSTIN ET LE PÉLAGIANISME. 49t 

nîsi ab illo accipimus a quo iussum est ut petamus... 
Ocat (Ecclesia) ut credentes persévèrent : Deus ergp 
donat perseverantiain usque in finem ^ . » 

Gomment agit en nous cette grâce que Dieu nous con- 
fère gratuitement? C'est, on ne l'ignore pas, un des 
points delà doctrine de saint Augustin qui ont suscité le 
plus de discussions. A en croire les jansénistes etles pro- 
testants, notre auteur aurait considéré la grâce comme 
une force irrésistible, créant en nous la volonté de faire 
le bien, et à l'action de laquelle nous; ne saurions nous 
soustraire. U n'aurait pas admis de grâce simplement 
sufj[isante\, nous; laissant libre de la suivre : toute grâce 
serait ou efficace ou insuffisante. L'homme, sollicité 
en sens inverse par deux délectations, celle de la con- 
cupiscence et celle de la grâce, irait nécessairement 
du côté de la plus forte, de la victorieuse. Il ne serait 
pour rien dans ses déterminations et son choix. 

Qu'y a-t-il de vrai dans cette façon de présenter la 
doctrine de saint Augustin? Est-il vrai qu'il ait fait 
de la volonté, sous l'action de la grâce, une faculté 
toute passive ; qu'il l'ait considérée comme incapable 
de résister à la grâce et de la repousser ou d'y coo- 
pérer librement? 

En bien des passages sans doute, l'évêque d'Hippone 
répète que Dieu opère en nous le vouloir et le faire, 
que sa grâce nous donne à la fois de connaître la loi 
et de l'observer : « Simul donans Deus et quid agant 
scire et quod sciunt agere^ ». On aurait tort toutefois 
d'en conclure qu'il supprime toute activité de l'âme 
sousl'influence de la grâce, et tout concours de l'homme. 
La première pensée du bien et la première inclination 
au bien est à la vérité un mouvement irréfléchi quoique 

\. De dono persev., 10, 18. 

2. De gralia Christi et de peccato origmali, 1, 14; De con-ept. et gr,, 
31, 32; Contra duas epist. pelagi, I, 37, 38; Enchiridion, XXXII. 



«2 HISTOIRE DES DOGMES. 

vital; mais à ce premier mouvement en succède un 
second réfléchi et libre ;_seulement saint Augustin ne 
considère pas ce second mouvement — ce qu'il n'est, 
pas en effet — comme parallèle à l'action de la grâce, 
mais comme fait avec elle, sous son influence, avec 
son énergie et son aide, la grâce et la volonté ne for- 
mant qu'un seul agent immédiat. Les textes du De di- 
çersis quaestionibus ad Simplicianum, i, qu. ii, sont 
bien connus : « Nemo itaque crédit non vocatus, sed 
non omnis crédit vocatus. Multi enim sunt vocati, 
pauci vero electi : utique ii qui vocantem non contemp- 
serunt, sed credendo secuti sunt : volentes autem sine 
dubio crediderunt... Noluit Esau et non cucurrit » {10, 
cf. 13). « Ipsum velle credere Deus operatur in homine, 
et in omnibus misericordia eius praevenit nos : con- 
sentire autem vocationi Dei vel ab ea dissentire, sicut 
dixi, propriae voluntatis est... Accipere quippe et ha- 
bere anima non potest bona de quibus hoc audit nisi 
consentiendo^ ». « Aguntur enim (homines) ut agant, 
non ut ipsi nihil agant ^ ». 
. La volonté de l'homme concourt donc réellement et 
activement, selon saint Augustin, au bien qu'il opère 
sous l'influence de la grâce. Mais y concourt-elle li- 
brement; reste-t-elle libre sous cette influence ? Il y a 
dans cette question deux choses à distinguer, le fait 
et le comment du fait. Le fait seul importe au dogme, 
et importait à notre auteur. D'autre part, la solution 
donnée du problème peut se présenter sous plusieurs 
formes. Nous ne sommes pas libres sous l'influence 
de la grâce si nous ne pouvons lui résister, si nous 
sommes nécessairement entraînés par la délectation 
terrestre ou céleste supérieure. Au contraire, nous' 

i. De jtptr. el litU, 60. 

2. jDô correpU et gr., 4, 31 ; voyez encore De gratta et libero ar- 
bilr., 9, 31 ; Enehiridion, XXXII ; Contra duas epist. pelag., I, 36. 



SAINT AUGUSTIN ET LE PELAGIANISME. 493 

sommes libres s'il y a des grâces simplement mais 
vraiment suffisantes, si l'elficacité de la grâce vient de 
ce que Dieu l'a prévue efficace et non de sa nature 
intrinsèque, s'il n'y a pour nous que nécessité morale 
à suivre l'attrait le plus fort, si nous pouvons mé- 
riter, etc. 

Or, on ne peut nier que, sur ces différents points, 
les ouvrages de saint Augustin ne présentent parfois 
des obscurités réelles, des textes difficiles à expliquer, 
ou bien une réserve et une timidité d'affirmation qui 
étonnent quand on consulte d'autres passages très 
explicites et très clairs. Ces obscurités viennent d'a- 
bord d'un défaut de suite dans le langage de notre 
auteur. On le voit passer, par exemple, sans nous pré- 
venir, de la libertas a necessitate à la libertas à ser- 
çitute peccati, et passer de la nécessité ou absence de 
liberté intérieure à la servitude du pèche, conséquence 
du péché originel. Elles viennent encore, particulière- 
ment dans le traité De correptione etgratia, de ce que 
la grâce dont il y est question est celle des prédestinés, 
grâce qui atteint toujours et infailliblement son but, 
bien qu'elle ne lèse pas la liberté de ceux qui la reçoi- 
vent. Elles viennent enfin et surtout de ce que l'évêque 
d'Hippone est préoccupé sans cesse de ne rien concéder 
aux pélagiens de ce dont ils pourraient abuser. Comme, 
en parlant du libre arbitre, ils entendent le libre arbi- 
tre sans la grâce, saint Augustin relève le rôle de la 
grâce et rejette dans l'ombre celui de la liberté. La 
vérité de cette dernière observation paraîtra évidente 
si l'on compare les écrits contre les pélagiens aux écrits 
qui combattent les manichéens. Dans ceux-ci le libre 
arbitre est énergiquement proclamé, précisément parce 
qu'il était méconnu des adversaires. 

Je ne ferai que mentionner les principaux textes sur 
lesquels on s'est appuyé pour prétendre que saint 

28 



454 HISTOIRE MIS DOGMES. 

Augustin retirait à l'homme toute liberté sous l'action 
de la grâce efficace. Ce sont des textes du D& cwrep- 
tione et gratia, où il déclare que la volonté et la grâce 
de Dieu atteignent toujours leur effet, et mènent comme 
il lui plaît la volonté bamaine (38, 43, 45-)^. C'est le 
texte du De gratia Christi et de peccato origînali,i^ 
14, où il confonKl l'acte libre avec l'acte fait volontiers : 
<c Praeceptum quippe liber facit qui libens facit » 2. Ce 
sont les passages où notre auteur, représ^atant la 
grâce comme une délectation céleste qui s'opporse à la 
délectation terrestre, à la concupiscen'ce,: déclare que 
nous suivons nécessairement celle des deux qui nous 
attire le plus, et qu'il nomme victorieuse : « Quod 
enim amplius nos delectat, seeundum id operemur ne- 
cesse est^». 

Mais à ces textes dont l'obscurité, je l'ai dit, peut 
s'expliquer, il est facile d'opposer des déclarations 
catégoriques et nombreuses. Saint Augustin, qui adi* 
mettait la liberté contre les manichéens^, l'admet en» 
core avec les pélagiens. Il se plaint que, comme il en 
est qui, pour affirmer le libre arbitre,, nient la grâce, il 
en est aussi qui, en affirmant la grâce, nient le libre 
arbitre^, et, pour éclaircir ces questions, il écrit le 
De gratia et libero arhitrio dont tout le début (2-5) est 
consacré à prouver l'exercice du libre arbitre soit dans 
les bonnes, soit dans les mauvaises actions : « Nemo 
ergo Deum causetur in corde suo, sed sibimet imputet 
quisque, cum peccat. Neque cum aliquid seeundum 
Deum operatur, alienet hoc a propria voluntate » (4). 



1. Cf. De praedest. sanctor.^ 14. 

2. Saint Augustin se sert de cette idée pour répondre à Julien {Contra 
lulîan. op. imp., V, 61 ; De natura et gratia, S4), 

3. Exposîtio epist. ad Galalas, 49; De spiritu et litt,, 6; De peccat, 
merit. et remiss., II, 20, 32. 

4. De libero arbitrio, m, S6; De duabics animabas, 19. 

5. De gratia et libero arbitrio, l; De peccat, merit. et remiss., II, 28. 



SAINT AUGUSTIN ET LE PELAGIANISME. 495 

Au De peccatorum merittset remissione, \i\, 3, il ad- 
met robjection pélagieiine : « Si noluimis, non pecca- 
mus, nec praeciperet De\is homini quod esset hnmanae 
impQssibiie voluntati » ; mais il remarque que, si nous 
péchons, c'est parce que nous ne déployons pas toutes 
les forces de notre volonté, ce qui serait parfois néces- 
saire. Au même traité, i, 26, il écrit : « Cum volunta-^ 
tem humanam gratia adiuvante divina, sine peccato in 
kac vita possithomo esse, our non sit possem facillime 
ac veracissime respondere quia homines nolunt : sed 
si ex me quaeritur quare nolunt, imus in longum ». Au 
De spiritu et littera, 58, notre auteur suppose encore 
formellement que les infidèles peuvent résister à la 
grâce de la vocation à la foi, parce que Dieu, en les 
appelant, respecte leur libre arbitre. C'est donc volon- 
tairement et librement que ceux qui croient répondent 
à l'appel de Dieu, et que ceux qui n'y répondent pas 
le repoussent ^ Mais d'où vient chez eux cette diffé- 
rence de conduite? Peut-être, ajoute saint Augustin, 
de ce que les uns ont été appelés par une grâce en har- 
monie {eongruenter) avec leurs dispositions actuelles, 
les autres, non. Voilà la grâce congrue, non efficace 
par elle-même, mais efficace par suite de la prescience 
divine : « Illî enim electi quia congruenter vocati : illi 
autem qui non congruebant neque contemperabantur 
vocationi, non electi, quia non secuti, quam vis vocati ^ ». 
Et enfin au De natura et gratia^ 1:^^ saint Augustin 
approuve complètement le mot de saint Jérôme : « Li- 
beri arbitrîi nos condidît Deus, nec ad virtutem, nec 
ad vitia necessitate trahimur, alioquin ubi nécessitas 
nec corona^st », en ajoutant cependant : « sed in recte 
faciendo ideo nuUum est vinculum necessitatis quia 
libertas est charitatis ». 



1. De div&TS. quaest. ad Simplic, I, qu. II, 10. 
•2. De div. quaest. ad Simplic, I, qu. II, 43. 



496 HISTOIRE DES DOGMES. 

Dans lefif entraînements de la délectation de la grâce 
dont parle l'évêque d'flippone, il ne faut donc voir que 
des entraînements relatifs auxquels on peut résister. 
Evidemment sa théorie, s'il en avait une, se rappro- 
cherait davantage de la théorie de la grâce efficace par 
elle-même que de la théorie moliniste ; mais cette effi- 
cacité de la grâce, il la mettrait plutôt dans une puis- 
sance d'attraction morale que dans une force de pré- 
motion physique. Le système dit augustinien n'a pas, 
en somme, trahi sa pensée. 

Une dernière preuve qui établirait, s'il était néces- 
saire, que saint Augustin a admis la persistance de la 
liberté humaine sous l'action de la grâce efficace est sa 
doctrine sur le mérite, car il remarque bien lui-même 
qu'il n'y a pas de mérite sans liberté : « Quando enim 
volens facit (homo) , tune dicendum est opus bonum , 
tune speranda est boni operis merces ab eo de quo dic- 
tum est Qui reddet unicuique secundum opéra sua ^ . » 
Or, on ne peut mériter les grâces premières, nous 
l'avons vu, mais On peut, ayant la foi, mériter d'une 
certaine façon la grâce de bien faire et la justification : 
« Nec ipsa remissio peccatorum sine aliquo merito est 
si fîdes hanc impetrat : neque enim nullum est meri- 
tum fidei^. » On ne saurait non plus mériter la persé- 
vérance finale : on peut seulement l'obtenir par ses 
prières. Quant à la gloire, elle est proprement l'objet 
que mérite la justice présente : « Plane minor ista ius- 
titia quae facit meritum ; maiojr illa fit praemium ^. » 
« Post hanc autem vitam merces perficiens redditur, 
sed eis tantum a quibus in hac vita eiusdem mercedis 
meritum comparatur'. » Et cela n'empêche pas que. 



\. De gratta et îib. arbitrio, 4. 

2. Episl. CXCIV, 9; CLXXXVI, iO. 

3. Contra duas episl. pelag., lll, 23. 

4. Deperfect. iuslit. hominis, 17; De spirit. et litt., 48; Epist. CCXIV, 



SAINT AUGUSTIN ET LE PÉLAGIANISME. 497 

tout en étant une récompense, elle ne soit une grâce, 
puisque nos mérites eux-mêmes sont le fruit do la 
grâce, et en un sens, des dons de Dieu : « Unde et 
ipsam vitam aeternam, quae certe merces est operum 
bonorum, gratiam Dei appellat Apostolus... Intelle- 
gendum est igitur ipsa llominis bona mérita esse Dei 
munera; quibus cum vita aeterna redditur, quid nisi 
gratia pro gratia redditur ' ? » 

Le mérite proprement dit, comme on vient de le voir, 
suppose en l'homme l'état de justice ^. C'est ce que 
nous nommons l'état de grâce, la grâce sanctifiante. 
Saint Augustin a plusieurs fois accusé les pélagiens 
de borner le rôle de la justification à la rémission des 
péchés 3. Julien d'Eclane attribuait cependant au bap- 
tême des enfants la production en eux d'une vie nou- 
velle et plus haute''. B'n tout cas, l'évêque d'Hippone 
insistait sur le renouvellement intérieur dont cette jus- 
tification était le principe : « Non enim advertunt eo 
quosque fieri filios Dei quo esse incipiunt in novitate 
spiritus et renovari in interiorem hominem secundum 
imagînem eius qui creavit eos^. » Par elle nous deve- 
nons enfants de Dieu, images de Dieu, semblables à 
notre Père, et aussi revêtus du nouvel homme, de la 
vie de Jésus-Christ. Nous vivons de la vie de Dieu et 
participons à sa justice que Jésus-Christ nous commu- 
nique^. Cette justice d'ailleurs peut s'accroître chaque 
jour jusqu'à ce qu'elle se consomme dans la gloire : 
« Ipsa iustitia, cum proficimus, crescit... et unusquis- 



1. EncWrtdion, CVII; Epist. CXCIY, 10. 

2. Et voyez Epist. CLXXXVI, 7. 

3. Be gratia et lib. arbitrio, 2T; Contra Iulian. op. imp., II, 16, 2»; 
VI, 4S. 

4. Y. plas haut, p. 443. 

s. De peecat. merit. et remiss., n, 9. 

6. De peecat. merit. et remiss., 1, 10, 11; II, 10; Contra Faustum ma- 
nieh.,,in, 3; Contra Adimant. manich., V, 2; In loan. tract. XIX, il. 

28. 



498 HISTOIRE DES DOGMES. 

que vestrum îam in rpsa îustificatione constitutus... 
proficiens de die in diem... proficiat et crescat donec 
consummetur ^ . » 



§ 6. — La prédestination*. 

La doctrine de la prédestination est le couronnement 
de celle de la grâce. La prédestination est l'acte par 
lequel Dieu décrète qu'il donnera à un certain nomtre 
d'hommes des grâces en cette vie, ou la gloire en 
Pautre. On en distingue généralement deux sortes, la 
prédestination à la gloire, qui emporte nécessairement 
la prédestination à la grâce, et la prédestination à la 
grâce seule ou à la foi, laquelle ne suppose pas néces- 
sairement la prédestination à la gloire. 

Saint Augustin avait paru enseigner en une occasion 
que la prédestination à la grâce et à la foi dépendait 
de la fidélité à la vocation divine prévue par Dieu, ou, 
pour être plus précis, que si Notre Seigneur avait prê- 
ché dans tels lieux et à tel moment, c'est parce qu'il 
avait prévu que là se trouveraient à cet instant des 
âmes qui recevraient sa parole^. Ses adversaires semi- 
pélagiens lui rappelèrent plus tard ce passage qui fa- 
vorisait leur propre opinion. L'évêque d'Hippone se 
justifia en observant que, dans le passage objecté, écrit 
pour des païens, il n'avait pas voulu traiter ex professa 
la question, qu'il y avait réservé, comme causes expli- 
catives de la vocation divine, le secret conseil de Dieu 



i. Sermo CLVni, 5. 

3. En commençant ce paragraphe, je ne saurais trop exhorter les 
personnes à qui ces difficiles matières ne sont pas familières à les étu- 
dier dans un bon auteur de théologie. Il m'est impossible de donner 
ici toutes les explications qui seraient utiles ou même nécessaires. 

3. Epist. en, 14, 16; De praedesl. sanclor., il; on lui reprochait éga- 
lement des passages des propositions 60 el 62 de V.Expositio ^uarutn- 
dam propositionum ex epist. ad Romanos. V. Epist. CCXXVI, 3. 



SAINT ADGUSTIN ET LE PÉLAGIANISME. 49» 

et d'autres causes différentes de la foi prévue des audi- 
teurs, et enfin que ces mérites prévus, dont il avait 
parlé, supposaient eux-mêmes une grâce préalaMe 
gratuitement concédée''. On ne pouvait donc en con- 
clure que la vocation à la foi n'était pas gratuite. Elle 
l'est au contraire absolument, comme le prouvent les 
paroles de Notre Seigneur sur Tyr et Sidon [Matth., 
iti, 21) : « Non enim quia eredidimus, sed ut credamus 
elegit nos : ne priores eum elegisse dicamur... Nec 
quia credidimus sed ut credamus vocamur^. » Et sur 
la vocation à la grâce : « Elegit ergo nos Deus in adop- 
tionem filiorum , non quia per nos sancti et immacu- 
lati futuri eramus, sed elegit praeâestinavitque ut 
essemus. Fecit autem hoc secundum placitum volunta- 
tis suae ut nemo de sua, sed de iliius erga se voluntate 
glorietur^. » 

Ce n'est pas du reste de la prédestination à la foi et 
à la grâce que saint Augustin s'est surtout occupé : 
c'est de la prédestination à la gloire ; et il n'a guère 
parlé de la première qu'en tant qu'elle est incluse dans 
la seconde. Il a consacré à ce sujet surtout les trois 
traites De correptione et gralia; De praedesfinalione 
sanctorum étDedonoperseverantiae^ écrits tous trois 
à la fin de sa vie. 

La prédestination n'était et ne pouvait être pour les 
pélagiens qu'un acte de volonté conséquent à un acte 
de prescience et nécessité par lui. Dieu prévoyant ce 
que serait chaque homme dans l'ordre moral par son 
libre arbitre, en fixait par avance le sort dernier''. 
Dans le système semi-pélagien, dont il sera question 



1. De praedestin. sariet., 48, 19; Retract., II, 31 ; De dono persever., 23. 

2. De praedest. sanctor., 38; De dono persever., 23, 25; Contra Iulian., 
V, 13; Sptsï. GLXXXVI, 4-6. 

3. De praedest. sanctor., 37. 

4. De praedest. sanctor., 36. 



500 HISTOIRE DES DOGMES. 

plus tard, mais dont l'évêque d'Hippone connut les 
premières manifestations, le commencement seul de 
la foi dépendait de l'homme, les œuvres et la persévé- 
rance étaient proprement l'objet d'un décret divin pré- 
destinant les justes à la sainteté, et par suite à la 
gloire*. Saint Augustin ne comprend point ainsi la 
prédestination. 

Avant tout, Dieu choisit ses élus et les prédestine 
au ciel : « Elegit Deus in Christo ante constitutionem 
mundi membra eius : et quomodo eligeret eos qui non- 
dum erant nisi praedestinando ? Elegit ergo praedes- 
tinans eos 2. » 

Ce choix, cette prédestination de Dieu atteint tou- 
jours son but : l'assurance du salut est liée à la pré- 
destination. Le prédestiné peut ne pas appartenir mo- 
mentanément à l'Église ou à son corps visible ; il peut 
s'égarer pour un temps en dehors de la voie : Dieu 
saura l'y ramener quand il le faudra : « Ex his nuUus 
périt, quia omnes electi sunt... Ilorum si quisquam 
périt fallitur Deus; sed nemo eorum périt quia non 
fallitur Deus^. » 

L'acte de prédestination en effet emporte avec soi la 
collation de tous les moyens qui doivent conduire à la 
gloire. L'évêque d'Hippone les a énumérés d'après 
saint Paul : « Quos enim praedestinavit ipsos et voca- 
vit, illa scilicet vocatione secundum propositum : non 
ergo alios, sed quos praedestinavit ipsos et vocavit; 
nec alios, sed quos ita vocavit ipsos et iustificavit : 
nec alios, sed quos praedestinavit, vocavit, iustificavit 
ipsos et glorificavit {Rom. viii, 30)... Eligendo ergo 
fecit divites in fide sicut haeredes regni'*. » Ainsi les 

i. De praedest. sanctor., !i8. 

2. De praedest. sanclor., 35. 

3. De correpi. et gr., U, 23, 24; De dono persever., 38; De praedest. 
aanctor., 17-19; Epist. CU, 12, 14, 13 

4. De praedest. sanctor., 34, 



SAINT AUGUSTIN ET LE PÉLÀGIANISME. 5C1 

prédestinés sont d'abord appelés à la foi d'une propria 
focatioj appelés secundum propositum, c'est-à-dire 
d'une façon efficace"^ ; puis ils sont justifiés par des 
grâces également efficaces afin d'être « sancti et im- 
maculati in conspectu eius (Dei) ^ » ; puis favorisés de 
la persévérance finale de façon à ce qu'ils ne défaillent 
point dans le bien, ou que leurs défaillances soient ré- 
parées à l'heure de la mort'; et enfin couronnés et 
glorifiés au ciel. 

La façon même dont saint Aug-ustin expose ces pre- 
mières idées sur la prédestination conduit naturel- 
lement à penser qu'il a admis une prédestination à la 
gloire absolue et gratuite, et, comme s'expriment les 
théologiens, ante praevisa mérita : Dieu n'a rien con- 
sidéré dans le choix de ses élus que sa propre volonté ; 
il a seulement, conséquemment à ce choix, pourvu ses 
élus — les adultes du moins — des grâces nécessaires 
pour qu'ils méritent effectivement par leurs œuvres la 
gloire qu'il leur destinait. Plusieurs auteurs cependant 
(Franzelin, Fessler-Jungmann)'*ne veulent pas que l'é- 
vêque d'Hippone ait eu sur ce point de système précis, 
ni qu'il ait traité la question de la prédestination ante 
ou post praevisa mérita^ en somme oiseuse, contre les 
pélagiens. Ce n'est pas lavis de Petau. Bien qu'il ne 
partage pas personnellement l'opinion de saint Augus- 
tin^, le savant jésuite a accumulé les arguments pour 
démontrer que notre auteur a soutenu la prédestina- 
tion absolue, ante praevisa mérita^, et ce jugement 
de Petau paraît en effet plus conforme aux textes, et 

1. De praedest. sanct., 37; cf. De dono persev., 21. 

2. De praedest. sanct., 36. 

3. De corrept. et gr., 16, 21, 22; De dono persev., 19. 

4. Fraszelis, De Deo uno, th. l.XII, LXIII; FEssler-jumgminn, Institu- 
tiones patrologiae, II, 1, p. 348, 349. 

5. De Deo, lib. X, cap. 1 et seqq. 

6. De Deo, lib. IX, cap. 6-15. 



502 HISTOIRE DES DOGMES. 

cadrant mieux avec l'idée que se fait saint Augustin, 
d'après saint Paul, du domaine souverain de Dieu et 
de la pleine indépendance de ses décisions. 

Saint Augustin en effet ne se contente pas de re- 
pousser l'erreur pêlagienne qui représentait la pré- 
destination comme conséquente à la prévision de mé- 
rites purement humains; il repx)usse encore cette 
opinion semi-pélagienne qui faisait dépendre le sort 
des enfants mourant avant l'âge de raison, leur l)ap- 
tême ou leur non-baptême, de la prévision du bien ou 
du mal qu'ils auraient fait s'ils avaient vécu. C'est là, 
de l'avis de l'évêque d'Hippone, une idée qu'on ne 
saurait raisonnablement soiitenir. Les enfants, et en 
général les hommes seront jugés non sur leur conduite 
hypothétique, dans un ordre de choses qui n'a point 
existé, mais sur leur conduite réelle. Or les enfants 
qui meurent dès le berceau n'ont commis ni bien ni 
mail. Il est donc bien clair, pour ecx du moins, que 
ceux d'entre eux qui sont prédestinés l'ont été indé- 
pendamment de toute prévision de mérites : ils l'ont 
été ante praeçisa mérita : « In eo ergo quod aliis eam 
(gratiam baptismatis) dat, aliis non dat, cur nolunt 
cantare Domino misericordiam et iudicium? Cur au- 
tem illis potius quam illis detur, Quîs cognovlt sert- 
sum Domini? Quis inscrutabilia scrutarivaleait? Quis 
investigabilia vestigare ^ ? » 

En est-il autrement pour les adultes? Kon : saint 
Augustin insiste au contraire sur la parité qui existe à 
ce point de vue entre les adultes et les enfants. 'Pour 
les uns et les autres le pourquoi de leur prédestination 
est un mystère : nous savons seulement que Dieu n'est 
pas injuste ^. De plus la prédestination n'est pas l'effet 

1. De dono persever., 27, 23, 31; De praedest. sanct., 24-29; Epis t. 
CLXXXVI, H. 

2. Contra Iulian,, IV, io; De doua persever., 25. 



SAINT AUGUSTIiN ET LE PÉLAOIANISME. 503 

de la grâce conférée, mais au contraire sa prépara- 
tion : « Haec est praedestinatio sanctorum, nihil aliud : 
praescientia scilicet et praeparatio benefîciorum Dei 
quibus certissime liberantur quicumque liberantur * . » 
Si donc de deux adultes également appelés, également 
pieux, l'un persévère, l'autre ne persévère pas, c'est 
— indépendamment de lear volonté qui reste toujours 
libre — que l'un est prédestiné, l'autre ne l'est pas^. 
Si la grâce de la vocation est refusée aux uns, si des 
gjpâces congrues (congrua suis mentibus vel audiant 
verba, vel signa conspiciant) ne sont pas données à 
certains qui en auraient profité, c'est — toujours avec 
la même réserve — qu'ils ont été laissés dans la masse 
de perdition dont d'autres ont été tirés ^. Et ceux-ci 
l'ont été « per electionem, ut dictum est, gratiae, non 
praecedentium meritorum suorum, quia gratia illis est 
omne meritum ^ ». La miséricorde de Dieu toute seule 
est le principe de leur salut : « Quid nos hic docuit 
nisi ex illa massa primi hominis cui merito mors de- 
betur, non ad mérita hominum sed ad Dei misericor- 
diam pertinere quod quisque liberatur^. » Bref, par 
l'effet seul de sa volonté, Dieu, comme le père àe 
famille, donne aux uns ce qu'il ne leur doit pas et le 
refuse aux autres : il ne doit de compte à personne ^, 

L'ensemble de la pensée de saint Augustin nous 
dirige donc vers la doctrine de la prédestination à la 
gloire ante praevisa mérita. Que s'il s'agissait non 
plus de la prédestination à la gloire prise isolémient, 
mais de la prédestination complète à la grâce efficace, 
à la persévérance finale et à la gloire, aucun doute ne 



i. De ^no persever., 3S. 

2. De dono persever., 21. 

3. De dono persever. <, 3S. 

4. De corrept. et gr., 13. 

5. Epist. CLXXXVI, 16. 

6. De dono persever., 17. 



504 HISTOIRE DES DOGMES. 

serait possible : l'évêque d'Hippone revient continuel- 
lement sur son absolue gratuité \ 

Tous cependant ne sont pas du nombre des prédes- 
tinés : ce nombre est fixé d'avance et invariablement 
par la prescience et la puissance divine « ut ne adda- 
tur eis quisquam, nec minuatur ex eis ^. » Quel est ce 
nombre? Saint Augustin a émis l'opinion qu'il était au 
moins égal à celui des anges déchus, et il ajoute qu'il 
sera peut-être supérieur, mais nous ignorons d'ailleurs 
le nombre des anges déchus^. En tout cas les élus 
seront en petit nombre relativement à ceux qui péris- 
sent : K Quod ergo pauci in comparatione pereuntium, 
in suo vero numéro multi liberantur, gratia fit, gratis 
fit-*. » Tous en effet devaient être condamnés à cause 
du péché d'origine, et c'est pourquoi Dieu n'en sauve 
qu'une bien moindre partie'. 

Mais alors Dieu veut-il sauver tous les hommes, et 
comment peut-il le vouloir puisque tous ne sont pas 
prédestinés? On sait comment la théologie actuelle 
répond à cette question. Dieu veut, d'une volonté anté- 
cédentey le salut de tous, et destine à tous pour ce but 
des grâces suffisantes. Malheureusement un certain 
nombre n'en profitent pas dont Dieu, en conséquence^ 
ne veut pas le salut mais la punition. Pour les enfants 
qui meurent avant l'âge de raison, l'explication est 
plus complexe à fournir : les théologiens cependant 
s'accordent généralement à affirmer le fait. 

Quelle est, sur ce point, la pensée de saint Augus- 
tin? 

Cette pensée a suscité des controverses et n'est pas 

1. Enchiridion, XCVIII, XCIX; Epist. CLXXX\7, 15; De dono persever.» 

17, 25. 

2. De eorrept. et gr., 39, 42; Epist. CLXXXYI, 28. 

3. Enchiridion., XXIX; De civit. Dei, XXII, 1, 2. 

4. De eorrept. et gr., 28, 21 ; Epist. CXC, 12. 

5. De civit. Dei, XXI, 12. 



SAINT AUGUSTIN ET LE PÉLAGIANISME, 505 

toujours claire ^. Cela tient d'abord à ce que l'auteur 
ne fait pas explicitement les distinctions que nous 
avons signalées ; puis à ce que, argumentant contre les 
pélagiens qui, au fond, n'admettaient pas en Dieu de 
volonté spéciale prédestinant les élus, il s'efforce de 
montrer qu'il y a eifectivement en Dieu, par rapport 
aux prédestinés, une volonté qu'on ne trouve pas en 
lui vis-à-vis des réprouvés. La volonté absolue et con- 
séquente est ainsi seule mise en relief, la volonté an- 
técédente plutôt rejetée dans l'ombre. C'est surtout 
dans l'explication du texte de / Timothée, ii, 4, 
objecté par les adversaires, que se montre cette dis- 
position : Qui omnes komines vult salvos fieri, et ad 
agniiionem peritatis ventre. Tantôt l'évêque d'Hip- 
pone l'explique dans le même sens que Omnes in 
Christo vivificabuntur, c'est-à-dire que, comme tous 
ceux qui seront vivifiés ne le seront que par le Christ, 
aussi tous ceux qui seront sauvés ne le seront que par 
la volonté de Dieu 2. Tantôt il voit désignées par 
omnes les diverses classes d'hommes, princes, magis- 
trats, ouvriers, etc., Dieu n'excluant personne du salut 
précisément à cause de sa condition ^. Tantôt il fait le 
même mot synonyme de multi^. Et tantôt enfin il 
explique le mot vult en ce sens que Dieu produit dans 
les prédestinés la volonté d'être sauvés, à peu près 
comme le Saint-Esprit est dit crier en nous Abba, 
Pater f parce qu'il nous le fait crier ^, Il est évident que 
dans tous ces commentaires, saint Augustin veut évi- 
ter le sens naturel et obvie du texte ®. 
Est-ce donc qu'il nie en réalité la volonté salvifique 

1. Y. Petau, De incarnatione, lib. XIII, cap. 3, 4. 

2. Epist. CCXYII, d9; Enchiridîon, CIII. 

3. Enchiridîon, CIII. 

4. Contra Iulian., IV, 44. 

5. De corrept. et gratia, 41. 

6. Et voyez Epist. CCXYII, 19. 

HISTOIRE DES DOGMES. — II. 29 



506 HISTOIRE DES DOGMES. 

universeile de Dieu? Nullement : car en bon nombre 
de passages, . il la suppose avec évidence, surtout 
quand il affirme que Jésus-Christ est mort pour tous, 
et offre à tous les grâces suffisantes. Petau cite en ce 
sens, et on peut citer De eateckizandis rudibuSy 62 ; 
Epistula cLxxxv, 49; Enarr-atio in psalmum lxviii, 
sermo ii, 11; Retraetationes, i, 10, 2; Contra lulia- 
num, VI, 8; Contra luUanum opus imperfectum, il, 
174, 175. Mais le passage classique est au De spirîtu 
et littera^ 58 : « Vult autem Deus omnes homines sal- 
ves fieri et in agnitionem veritatis venire, non sic 
tamen ut eis adimat liberum arbitrium quo vel bene 
vel maie utentes iustissime iudieentur. Quod cum fit, 
infidèles quidem contra voluntatem Dei faciunt, cum 
eius Evangelio non credunt : nec ideo tamen eum 
vincunt, verum seipsos fraudant magno et summo 
bono, malîsque poenalibus implicant, experturi in 
suppliciis potestatem eius cuius in donis misericordiam 
contempserunt. » 

La même contradiction apparente, que nous venons 
de rencontrer dans l'évêque d'Hippone parlant du sa- 
lut des adultes, se rencontre chez lui quand il parle du 
salut des enfants. Dans sa lettre ccxvii, 19, il paraît 
nier absolument que Dieu veuille le salut de- ceux qui 
meurent avant le baptême, « cupientibus festinanti- 
busque parentibus, ministris quoque volentibus ac pa- 
ratis, Deo nolente quod detur (baptismus) cum repente, 
antequam detur, exspirat pro quo, ut acciperet curre- 
batur... cum tam multi salvi non fiant, non quia ipsi, 
sed quia Deus non vult, quod sine uUa caligine mani- 
festatur in parvulis ^ » . Où l'on peut remarquer que 
saint Augustin écarte l'hypothèse de la négligence des 
parents et donne pour seule explication le non-vouloir 

1. Et voyez De dono persever., 31. 



SAINT AUGUSTIN ET LE PÉLA6IANISME. «07 

de Bien. Et ailleurs cependant, il affirme positivement 
que, comme les enfants sont morts en Adam, Jésus- 
Christ est mort aussi pour eux : « Ibi sunt et parvuli, 
quia et pro îpsis Christus mortuus est : qui propterea 
pro omnibus mortuus est quia omnes mortui sunt ^ . » 

Ces contradictions ne peuvent évidemment s'expli- 
quer qu'en admettant que saint Augustin distingue en 
Dieu, sans assez le marquer, une double volonté, anté- 
cédente et conséquente. On en trouve l'expression un 
peu voilée, et à propos d'un autre objet, dans le De 
nuptiis et concupiscentia, ii, 46, et dans l'ouvrage im- 
parfait contre Julien, ïi, 144. 

La prédestination a pour contre-partie la réproba- 
tion. De celle-ci les théologiens actuels distinguent 
deux espèces ou deux degrés, la réprobation négatiçe 
qui est la non-destination d'un individu à la vue de 
Dieu et à la gloire, en tant que fin surnaturelle qui ne 
lui est pas due ; et la réprobation positive qui est l'in- 
fliction de peines éternelles vindicatives, peine du sens 
et peine du dam considérée comme châtiment. 

Cette distinction n'est pas faite dans saint Augustin. 
Sa théorie de la réprobation est nette. Tous les hommes 
ont péché en Adam, et par conséquent tous les hommes 
nés ou à naître ont, en principe, encouru la damna- 
tion. Ils sont une massa damnata, massa peccati, 
massa perditionis. Cette damnation n'emporte pas 
seulement la privation de la vue de Dieu : elle emporte 
encore, comme on l'a vu pour les enfants, une peine 
positive du sens bien qu'assez douce. 

De cette masse, saint Augustin le dit et le répète, 
Dieu aurait pu ne tirer personne, ne séparer personne : 
la condamnation était juste : « Etiamsi nullus inde li- 
beraretur, nemo posset Dei vituperare iustitiam^. » 

1. Contra Iulian. op. imp., Il, 175; Contra Iulian., YI, 8, 

2. Enchîridion, XGIX; De dono persever., 16; Epist. CLXXX, 21. 



508 HISTOIRE DES DOGMES. 

Mais, par pure miséricorde, il sépare de cette masse 
un certain nombre d'élus : ce sont les prédestinés. Les 
autres ne sont pas séparés, ne font pas l'objet d'un 
choix particulier : ce sont les réprouvés : « Non sunt 
ab illa conspersione discreti quam constat esse dam- 
natam^ » Il semble, par l'ensemble du langage de 
notre auteur, que la réprobation se fait -çsir prétérition. 
11 y a eu dans le principe un acte de la volonté divine 
condamnant le genre humain en conséquence du péché 
originel. Pour ceux qui ne sont pas tirés de la masse, 
un nouvel acte n'est pas nécessaire : Dieu prend les 
prédestinés, laisse les autres, appelle efficacement les 
premiers, non les seconds, donne à ceux-là la persévé- 
rance finale, non à ceux-ci^. En quelques endroits ce- 
pendant, il est question de prédestination à la mort 
éternelle 3, et l'on verra plus loin comment on doit 
expliquer cette expression. 

Et maintenant pour cette prétérition, Dieu, outre le 
péché d'origine, — qui suffit à justifier à nos yeux la 
conduite divine vis-à-vis des réprouvés — Dieu envi- 
sage-t-il ou n'en visage- t-il pas les démérites futurs per- 
sonnels des non-prédestinés? C'est, on le voit, la ques- 
tion parallèle à celle de la prédestination ante ou post 
praevisa mérita. L'acte de prétérition divine est -il 
ante ou post praevisa démérita ? 

Pour les enfants qui meurent sans baptême, la ré- 
ponse de saint Augustin est claire. Ici, aucun démé- 
rite, en dehors du péché originel, ne pouvait être 
prévu : le péché originel est donc la cause unique de 
la damnation des enfants. L'enfant est né coupable; 
Dieu s'est contenté de ne lui pas ménager la grâce de 

1. De corrept. et gr., 12. 

2. De dono persever., 21. 

3. In loan. Iract. XLIII, 13; XLVIII, 6; CX, 2; De civit. Dei, XV, i, 1 
Enchiridion, G; De peccator. merit. et remiss., II, 26; De anima et 
eius origine, IV, 16. 



SAINT AUGUSTIN ET LE PÉLAGIANISMB. 5Ô9 

la régénération : « Nulla quippe mérita, etiam sécun- 
dum ipsos pelagianos, possunt in parvulis inveniri cur 
alii eorum mittantup in regnum, alii vero alienentur 
a regno * . » 

Pour les adultes, l'avis de Petau est que la réponse 
de saint Augustin est la même ^. Dès le principe, avant 
d'envisager les mérites ou démérites personnels futurs 
des individus, Dieu a choisi les uns et laissé les autres 
dans la masse de perdition où les tenait le péché d'o- 
rigine. Ce n'est que pour décréter le degré des peines 
dues à chacun des réprouvés que Dieu a considéré 
leurs futurs démérites. 

On peut citer dans ce sens Enchiridion, xcviii, xcix ; 
Contra lulianurrif iv, 45, 46; De diversis quaestioni- 
bus ad SimpUcianum, n, qu. ii, surtout 17; Epist. 
cLxxxvi, 12, 15, 16, 21; cxciv, 4, 5, 23; Z)e civitate 
Deij XVI, 35; Contra duas epistulas pelagianorum, 
II, 13. L'idée qui y revient constamment est qu'entre 
les prédestinés et les réprouvés il y a eadem causa, 
causa communis : les uns et les autres inclus dans la 
même masse ont mérité le même sort : la volonté de 
Dieu seule a mis entre eux une différence. Ajoutons 
que, en plus d'un endroit, saint Augustin compare la 
réprobation aussi bien que la prédestination des adultes 
à la réprobation et à la prédestination des enfants 
morts avant l'âge de raison : « Qùod in his (parvulis) 
videmus quorum liberationem bona eorum mérita nulla 
praecedunt, et in his quorum damnationem utrisque 
communia originalia sola praecedunt, hoc et in maio- 
riÏ3us fieri nequaquam omnino cunotemur, id est non 
puisantes vel secundum sua mérita gratiam cuiquam 
dari, vel nisi suis meritis quemquam puniri, sive pares 

i. De dono pevsever., 30, 34, 23; Contra dvxxs epist. pelag., U, 14; 
Contra lulian., IV, 42. 
2. De Dec, lib. IX, cap. 9, 0. 



510 HISTOIRE M:S DGGMBSi. 

qui liberantur atque puniuntTir, sive dispares habeant 
causas malas ^ . » 

Nous sommes donc, encore ici, rejetés; dans le mys- 
tère : nous savons seulement que Dieu est juste. Il 
prédestine l'un qui était perdu : c'est miséricorde ; il 
laisse l'autre dans sa perte : c'est justice : le péché 
d'origine suffit à tout expliquer pour nous : « Merito 
autem videretur iniustum qiuod fiunt vasa irae ad per- 
ditionem, si non esset ipsa universa ex. Adam massa 
damnata. Quod ergo fiunt inde nascendo vasa irae 
pertinet ad debitam poenam : quod autem fiunt rena^- 
scendo vasa misericordiae pertinet a4 indebitam gra- 
tiam^. » C'est l'idée sur laquelle notre auteur revient 
continuellement . 

Les non-prédestinés ne sont pas pour cela aban- 
donnés de Dieu. Ils sont appelés, bien que, « non: se- 
cundum propositum » : ils peuvent quelque; temps 
« bene pieque vivere»,être regardés comme élus et 
enfants de Dieu ; mais « non eos dicit filios Dei prae- 
scientia Dei » ; ils ne sont qu'en apparence des, nôtres, 
autrement ils seraient restés avec nous [Iloann.,. ir, 
19p. Il n'y a pas du reste pour eux de prédestination 
au péché, et c'est toujours librement que les méchants 
pèchent et se damnent : « Quod a Deo nos avertimus 
nostrum est, et haec est voluntas mala *. » Dieu les 
abandonne seulement à leur propre volonté, à leur li- 
berté fragile, et en ce sens il est dit endurcir le cœur 

i.. De dono i3cr«aer.„ 2S; Contra lulian^ IV,, 42; De eorrept. elgr., 
12. En quelques endroits cependant saint Augustin parait supposer la 
réprobation post praevisa dBmerita, par exemple Epist. CLXXXVI, 23; 
CXG, 9; et. c'est par là qu'il faudrait expliquer rexpcession de prédes- 
tination à la. mort éternelle dont il a été question plus haut. 

2. EpisU CXG, 9, 11, 12; CtXXXVI, 24-26^ De dono perseuer., 16; De 
civit. Dei, XIV, 26. 

3. De eorrept. et gr., 16, 17, 19; 20; De dono'persever., 21. 

4. De peccat. merit.et remiss., II, 31; De eorrept, et gr., 42; Epist. 
CLXXXVI, 23; CXCIV, 12. 



SAINT AUGUSTIN ET LE PELAGIANISME. Ml 

des impiesy faisant souvent de leurs nouveaux pécàés 
le châtiment des anciens *. 

Telle est, sur la prédestination, la doctrine de saint 
Augustin. On verra plus amplement ailleurs les dif- 
ficultés qa'elle soulevait ; mais il en est une qu'il faut 
signaler de suite, et qui vise d'ailleurs le dogme de la 
prédestination en général. On reprochait à cette doc- 
trine de conduire à l'inertie et à l'indifférence pour le 
bien, puisque, quoi qu'on fît, on serait toujours sauvé 
ou damné selon que l'on était par avance prédestiné 
ou non^. A cela l'évêque d'Hippone répondait que la 
prédestination ne devait pas plus que la prescience di- 
vine conduire à l'indifférenoe, puisque, dans les deux 
cas, notre liberté est respectée, et nous sommes dans 
l'ignorance des desseins de Dieu sur nous. Et cette 
ignorance: nous est utile, nécessaire même, pour nous 
rendre à la fois humbles et courageux 3. 

Arrivé à la fin de cette longue étude sur saint Au.- 
gustin, il serait oiseux de s'excuser sur ce qu'elle a 
d'inadéquat au grand objet qu'elle devait traiter. La 
doctrine de notre auteur si riche, si profonde et si 
variée n'est pas de celles qu'on résume aisément dans 
des formules courtes et rigides. Si imparfaites qu'elles 
soient, les pages qui précèdent permettent cependant 
au lecteur de voir les progrès immenses réalisés par 
la théologie chrétienne sous la plume de l'évêque 
d'Hippone. Plus que ses devanciers latins, si l'on 
excepte Victorin, il introduit dans l'étude de la révéla- 
tion l'élément philosophique. En matière trinitaire, 
il donne sa forme décisive à la conception occidentale^ 

i. De gratin et lib. arbitr., 41, 42; De ncUura et gratîa,'2A;, Contra 
Iulian., V, 12; Contra Iulian op. imp,, IV, 34. 

2. De dono persever., 38. 

3. De dono persever., 38, 40-42. 



512 HISTOIRE DES DOGMES. 

d'une trinité immanente, afQrme explicitement la pro- 
cession du Saint-Esprit du Fils, et prélude aux essais 
d'explications psychologiques tentées par le moyen 
âge. Contre Leporius, il résout déjà le problème de 
l'unique personnalité de Jésus-Christ; mais surtout, 
contre les donatistes, il fait faire un pas immense à 
l'ecclésiologie et à la doctrine sacramentaire. L'ori- 
génisme avait troublé des intelligences comme celles 
de Jérôme et d'Ambroise. Avec une autorité souve- 
raine, Augustin dissipe les ombres et rétablit la tradi- 
tion. Mais c'est surtout dans la lutte contre les péla- 
giens et sur les questions de la grâce qu'apparaissent 
toutes les ressources de ce merveilleux esprit. On 
exagérerait en disant que là tout était à créer : à la 
fin du IV® siècle, il y avait en ces matières, outre les 
textes scripturaires, des données traditionnelles. Mais 
il fallait les dégager, les expliquer, les mettre au 
point, les coordonner, les défendre. L'évêque d'Hip- 
pone y suffit presque à lui seul. Que dans cette grande 
œuvre il y ait quelques endroits faibles : que sur telle 
ou telle question, notre auteur ait exagéré l'expres- 
sion ou même l'enseignement, on ne s'en étonnera 
pas : c'était un initiateur et un africain. Mais si l'É- 
glise n'a pas tout retenu de sa doctrine, si l'on ne peut 
dire simplement que la théologie de saint Augustin 
sur le péché originel, sur la grâce, sur la prédestina- 
tion est celle de l'Eglise, il est incontestable que tout 
le fond en a passé dans les définitions dogmatiques, 
et qu'on en doit regarder l'auteur comme le fondateur 
de l'anthropologie surnaturelle chrétienne. Nul théo- 
logien avant et après lui ne s'est trouvé, et dans des 
circonstances plus difficiles, en face de problèmes 
aussi ardus, ni n'a porté dans leur solution plus de 
pénétration et de profondeur. 



TABLE ANALYTIQUE 



Absolution des péchés, dans saint Basile et saint Grégoire de 
Nysse, 187; dans saint Chrysostome, 187, 189; dans Aphraate, 
SOè, 207; dans saint Éphrem, 218; dans saint Pacien, 321, 
326; saint Ambroise, 321; Zenon, 325; saint Jérôme, 325, 326; 
dans saint Augustin, 422, 423. 

Acace de Césarée, acaciens. — Leur doctrine, 51; leur 
triomphe momentané, 55-57. 

Adam. — État primitif d'Adam, dans saint Athanase, 137-139; 
dans les Cappadociens, 139, 140; dans saint Cyrille, saint Épi- 
phane, saint Chrysostome, 140; dans saint Éphrem, 212, 213j 
dans saint Hilaire, saint Ambroise, Zenon, 277; dans la doc- 
trine pélagienne, 441, 442; dans saint Augustin, 461-465. 

Aetius. — Son caractère et son système, 49, 50. 

Âgricola, pélagien, 458. 

Alexandre d'Alexandrie. — Enseignement qu'il oppose à ce- 
lui d'Arius, 29 et suiv. 

Ambroise (Saint). — Caractéristique générale, 253, 254. — Sa 
doctrine sur l'Écriture, 258, 259; sur l'autorité de l'Église, 
259; sur la philosophie, 260; sur la Trinité, 265, 272; sur le 
Saint-Esprit et sa procession, 269, 271; sur les anges, 274, 275; 
sur l'homme, 276; sur son état primitif, 277; sur la chute, 
277, et le péché originel, 278, 279; sur la persistance de la li- 
berté, 280; sur la nécessité de la grâce, 281, 282, et de notre 
coopération, 283; sur le mérite, 283; sur l'âme de Jésus- 
Christ, 288; sur sa science humaine, 289; sur la dualité de 
ses natures et l'unité de sa personne, 293; sur la rédemption, 
294-298; sur l'indépendance de l'Église vis-à-vis de l'État, 304; 
sur la primauté de saint Pierre, 304, et du siège de Rome, 
305; sur la notion de sacrement, 307, 308, et le ministre prin- 
cipal du sacrement, 310; sur le baptême, son rite, sa néces- 
sité, ses effets, la valeur du baptême des hérétiques, 311-313; 
sur la confirmation, 314; sur la présence réelle, 316; sur la 
conversion substantielle des éléments eucharistiques, 317-319; 

29. 



514 TABLE ANALYTIQUE. 

sur la communion, 319, 320; sur le sacrifice eucharistique, 
320; sur le pouvoir de remettre les péchés, 321 ; sur la dis- 
tinction des péchés, 322; sur la confession, 323, 324; sur la 
satisfaction, 324; sur l'absolution, 325; sur l'indissolubilité 
du mariage, 329; sur les empêchements au mariage, 329, 330; 
sur le culte de la sainte Vierge et des saints, 330, 331 ; sur la 
prière pour las morts, 332; sur la virginité,, 333; sur les fins 
dernières, 343-349. 

Ambrosiaster (L'). — Son vrai nom, 257. — Sa doctrine sur 
le péché originel, 278, 279, 280; sur la grâce, 282; sur la né- 
cessité des bonnes œuvres et le mérite, 283; sur la volonté 
salvifique de Dieu, 284, 285; sur la rédemption, 294, 295, 296; 
sur la primauté de saint Pierre, 304; sur la présence réeUe, 
315; sur la communion, 319; sur le sacrifice eucharistique^ 
320; sur les ordres, 327, 328; sur le mariage, 329; sur les fins 
dernières, 339, 340. 

Ame. — Doctrine de DidjTne, 136; de Grégoire de Nysse, 136 ; 
de saint Épiphane, 136, 137; de saint Athanase, de saint 
Çhrysostome, deMacaire, 136; d'Aphraate, 207>. 208; de saint 
Éphrem, 212; de Priscillien, 236, 237;, de saint Hilaire,. saint 
Ambroise, saint Jérôme^ Zenon, 276; de Victorin, 274> 276^ 
277; des pélagiens, 478; de saint Augustin, 477, 478; — Ame 
de Jésus-Clirist. — Doctrine des ariens, 27; d'Apollinaire, 
96, 97; de Vitalis, 105, 106; de Damase, 109; de saint. Gré- 
goire de Nazianze, 115, 116; de saint Grégoire de Nysse, 115, 
116; d'Eustathe, de Didyme, de saint Épiphane, de saint 
Athanase, 116; de saint Éphrem, 214.;. de Priscillien, 241; de 
saint Hilaire, 287; de saint Ambroise,. de saint Jérôme, 288; 
de saint Augustin, 377. 

Amphiloque (Saint). — Sa doctrine: sur la science humaine 
de Jésus-Christ, 119; sur les- deux, natures et sur l'unité de 
personne en Jésus-Christ, 121-123; sur Marie corédemptrîce, 
193, toujours vierge, 193; sur la nature des corps ressuscites, 
197. 

Anastase, pape, condamne certaines erreurs origénistes, 336. 

Angélologie des Pères grecs, 133-135; de saint; Ephrem, 219 ; 
des Pères latins, 274, 275; de saint Augustin, 372-376. 

Anoméisme. — Exposé de cette doctrine, 49, 50. 

Anthropologie des Pères grecs, 135 et suiv.; de saint Éphrem, 
212,, 213; de Priscillien, 236, 237; des Pères latins, 275 et 
suiv.; des pélagiens, 438 et suiv.; de saint Augustin, 460 et 
suiv. 

Antidicomariaiùtes. — Leur erreur, 193.. 

Aphraate. — : Son enseignement sur l'Écriture, 203, 204; sur 
la Trinité, 204; sur l'incarnation, 205;. sur la rédemption, 
205; sur les bonnes œuvres et les conseils évangéliques, 205; 



TABLE AN ALYTIQ.UB. 84» 

sur la primauté de saint. Pierre, 205, 206 j sur le bapCêraK et 
l'eucharistie, 206; sur la pénitence, 206j 207; sur Fordre), la 
confirmation, l'huile des malades,, 207; sur leafins dernières, 
la résurrection des corps, le jugement, l'éternité desi peines 
et des récompenses, 307-309. 

Apollinaire, apollinarisnie. — Doctrine d'Apollinaire, 94 et 
u v..-,fa condamnation, 108 et suiv. Ses principaux disciples, 
105 et suiv.,— Les deux écoles apoUinaristes, 106 et suiv. 

Aldus,, arianisme. — Origine,^ doctrine et histoire de l'aria- 
nisme, 22 et suiv. —Enseignement d'Arius sur Dieu, 24, 25; 
sur le Verbe, 25 et suiv..; sur l'incarnation et l'âme de Jésus- 
Christ, 27; sur le SaintrEsprit, 27, 28. 

Asterïus, sophiste arien. — Sa doctrine de la création,. 25, 
note. 

Asterius d'Amasée. — Son témoignage sur la pénitence en 
Orient, 188, note. 

Athanase (Saint). — Caractéristique générale, 5i — Sa doc- 
trine sur l'inspiration, 11; sur l'Écriture source de foi, 14; 
sur Dieu,. 68; sur le Fils, 69 et suiv. — Sens qu'il donne au 
mot homoousioSy 71, 72. — Sa doctrine sur le Saint-Esprit, 73 ; 
sur la procession du Saint-Esprit a Filio, 73, 74; sur la Tri- 
nité, 74j 75; sur l'incarnation, 113; sur l'âme de Jésus-Ghrist, 
116, note; sur la science humaine dé Jésus-Ghristj 117,, 118; 
sur la dualité des; natures et l'unité de personne en Jésus- 
Christ, 121, 122; sur la communication des idiraaes, 124; sur 
le principe de la^ personnalité en Jésus-Christ, 126, 127; sur 
l'unité d'âme dans l'homme, 136; sur Pétat primitif de 
l'homme, 137, suiv.; sur la chute et le péché d'origine, 140, 
141 j sur la rédemption, 148-152; sur la valeur du baptême 
des hérétiques, 168; sur la confirmation, 171; sur Peucha- 
ristie, 173, 174; sur la communion, 185^; sur la pénitence, 188; 
sur la dilation du bonheur des justes, 195, 196. 

Angnstin (Saint) Ouvrages cités de lui, 351-353. — Ca- 
ractéristique générale, 354^58. — Sa doctrine sur la foi, 358; 
sur l'Écriture, 360; sur la tradition, 360; sur l'autorité de 
l'ÉglÉ», 360, 361; sur la philosophie, 361, 362; sur Dieu, 362, 
363;, sur la. Trinité, 364-368; sur la procession du Saint-Esprit, 
366, 367; sur la- création, 368-370; sur le mal, 370-372; sur les 
angeSj 372-376 ; sur la christologie, 376-381 ; sur la science 
humaine de Jésus-Christ, 377, 37»; sur la rédemption, 38-1- 
383; sur l'Église, 384 et suiv. ; son unité, 385; sa sainteté, 386- 
388;;sa catholicité, 388, 389; son apostolicité, 389; la nécessité 
de lui appartenir, 389; sur la primauté de saint Pierre et de 
l'Église romainej 3^; sur l'autorité des conciles, 391; sur le» 
rapports de l'Église et de l'État et la réoression de l'hérésie, 
392-396; sur les sacrements ea général, 396-399; leur auteur, 



516 TABLE ANALYTIQUE. 

. 399; leur nombre, 399, 400; leur but, 400; leur validité quand 
ils sont conférés par des hérétiques ou des indignes, 400-403; 
les conditions de leur efficacité, 403406; l'intention requise 
pour leur validité, 406, 407; sur le baptême, 408-410; la con- 
firmation, 410, 411; l'eucharistie, 411 et suiv.; la pénitence, 
421-423; l'ordre, 423, 424; le mariage, 424-429; sur les fins der- 
nières, 429 suiv.; le purgatoire, 433, 434; sur Tétat primitif 
d'Adam, 461-465; sur le péché originel, son existence, 465-467; 
preuves qu'il en apporte, 467-471 ; en quoi il le fait consister, 
472-475; son mode de propagation, 475, 478; ses conséquen- 
ces, 478482; sur la grâce actuelle, ses différentes espèces, 482- 
484; sa nécessité, 484-485; la valeur morale des actes des in- 
fidèles, 486-489; sur la gratuité de la grâce, 489491; sur la 
liberté humaine sous l'action de la grâce, 491-496; sur le mé- 
-rite, 496, 497; sur la grâce habituelle, 497; sur la prédestina- 
tion, 498-504; sur la volonté salvifique de Dieu, 504-507; sur 
la réprobation, 507-510. 

Baptême. — Doctrine des Pères grecs, 164-170; d'Aphraate, 
206; de saint Éphrem, 215, 216; des Pères latins, 311-313; de 
saint Augustin, 408410; des pélagiens, 442, 443. — Baptême 
des hérétiques. Sa valeur, doctrine de saint Athanase, 168; de 
Didyme, 168, 169; de saint Cyrille de Jérusalem, des Consti- 
utions et des Canons apostoliques, 169; d'Eusèbe et de saint 
Épiphane, 169; des Cappadociens, 169, 170; des donatistes, 
225; de saint Optât, 310; du concile d'Arles, 312; de saint 
Ambroise, 312,313; de saint Augustin, 401-403. 

Basile (Saint). — Caractéristique générale, 7. — Sa doctrine 
sur l'Écriture, 11, 13, 14; sur la tradition, 15; sur la philoso- 
phie, 18; sur la Trinité, 76 et suiv.; sur le Saint-Esprit et sa 
procession ex Filio, 80, 90. — Sens qu'il donne au mot ho- 
moousios, 84-86. — Sa doctrine sur l'âme de Jésus-Christ, 114; 
sur sa passibilité, 116; sur sa science humaine, 119; sur les 
anges, 133135; sur l'état primitif d'Adam, 139; sur la chute 
et le péché originel, 141, 142; sur la nécessité de la grâce, 
145; sur la rédemption, 150, 152-157; sur la primauté de saint 
Pierre, 160; sur le caractère et les effets du baptême, 164, 
166; sur la valeur du baptême conféré au seul nom de Jésus- 
Christ ou du Saint-Esprit, 165; sur la bénédiction de l'eau 
baptismale, 167; sur la valeur du baptême des hérétiques, 
169, 170; sur l'eucharistie, 175; sur l'épiclèse, 183; sur la pé- 
nitence, 186, 187; sur le mariage, 191-193; sur le jugement et 
l'éternité des peines, 198, 199. 

Basile d'Ancyre. — - Sa doctrine et son parti, 50. — Son ma- 
nifeste, 52; son mémoire, 55, note. 

Bonosus. — Son erreur et sa condamnation, 244, 245. 



TABLE ANALYTIQUE. 517 

Caractère sacramentel. — Doctrine des Pères grecs, 163, 
166, 167, 172, 191 ; de saint Éphrem, 216; des Pères latins, 313, 
314; de saint Augustin, 402, 4ll. 

Celestius, pélagien, 437, 438. 

Ghristologie. — Christologie d'Arius, 27; de Marcel d'Ancyre, 
39, 40; de Photin, 41, 42; d'Apollinaire, 95-102; de Vitalis, 
105; des disciples d'Apollinaire, 106, 107; des Pères grecs, 112- 
130; d'Aphraate, 205; de saint Éphrem, 214; de Priscillien, 
236, 240, 241; des Pères latins, 285-293; de saint Augustin, 
376-381; de Leporius, 380, 381. 

Chrysostome (Saint Jean). — Caractéristique générale, 9. 
— Sa doctrine sur l'Écriture, 11-14; sur la tradition, 15; sur 
l'autorité de l'Église, 16; sur l'origine de la chair de Jésus- 
Christ, 114; sur sa passibilité, 116; sur sa science humaine, 
120; sur la dualité des natures en Jésus- Christ, 121; sur l'u- 
nité personnelle de Jésus-Christ, 130; sur les auges, 134, 135; 
sur l'unité de l'âme en l'homme, 136; sur l'état primitif d'A- 
dam, 140; sur la chute et le péché originel, 143, 144, et ses 
conséquences en nous, 144; sur la nécessité de la grâce, 146, 
147; sur la rédemption, 152-155, et ses effets, 157, 158; sur 
l'^jglise et son indépendance des pouvoirs séculiers, 158, 159; 
sur la primauté de saint Pierre et du pape, 160, 161 ; sur les 
sacrements en général, 162, 163; sur la nécessité et le carac- 
tère du baptême, 165, 166; sur la confirmation, 171, note; sur 
l'eucharistie, 178-180; sur l'épiclèse, 184; sur le sacrifice eu- 
charistique et la communion, 185; sur la pénitence, 187-190; 
sur le. mariage, 192; sur le culte des saints, de leurs reliques, 
194; sur la prière pour les morts et son efficacité, 195, 200; 
sur la résurrection des corps, 196; sur l'éternité des peines 
et leur nature, 198, 199; sur la vision béatifique, 201. — Ou- 
vrages cités de saint Chrysostome, 131, 132. 

Collyridiens. — Leur erreur, 193, 194. 

Communication des idiomes, dans Apollinaire, 99; dans 
les Pères grecs, 124, 125; dans les Pères latins, 291, 292; dans 
saint Augustin, 380. 

Communion des saints, dans Niceta, 299. 

Conciles. — Autorité des conciles chez les Pères grecs, 16, 17; 
chez saint Augustin, 391. 

Concupiscence. — Est-elle un mal en soi? Ce qu'en pensent 
saint Chrysostome, 144; saint Augustin, 425, 426, 472-475; les 
pélagiens, 442. 

Confession des péchés, dans saint Athanase, 186 ; saint Basile 
et saint Grégoire de Nysse, 186; saint Chrysostome, 187-190; 
Asterius d'Amasée, 188, note; Aphraate, 206, 207; saint 
Éphrem, 218; saint Pacien, 322; saint Hilaire, 322; Zenon, 322; 



fris TABLE ANALYTIQUE. 

saîat Ambroise, 323, 324; saint Jérôme^ 324; saint Augustin^ 

Confirmation. — Doctrine des Pères grecs, 170-172; de saint 
Éphrem, 216; des Pères latins, 313, 314; de saint Augustin, 
410, 411. — La conOrmatipn comme rite réconciliateur des 
hérétiques, 172, 314, note, 411, note 4, 

Constantinople (concile général de) en 381. — Sa tenue, 63; 
ses décisions, 63, 64; son symbole, 64; son canon sur le siège 
de Constantinople, 162. 

Constitutions apostoliq[ues. — Leur doctrine sur la valeur 
du baptême des hérétiques, 169; sur la collation du Saint-Es- 
prit dans le baptême, 170; sur la confirmation, 171, note,. 172; 
sur la présence réelle, 175; sur le sacrifice eucharistique, 184. 

— Leur liturgie eucharistique, 185. — Leur enseignement sur 
les ordres mineurs, 190, et la collation des ordres, 191; sur la 
prière pour les morts, 185, 195. 

Création. — Doctrine de la création dans Arius, 25 ; dans Mar- 
cel d'Ancyre, 39; dans saint Athanase, 68; dans Priscillien, 
237, 241 ; dans Victorin, 273, 274; dans saint Augustin, 368-370. 

Ojrrille (Saint) de Jérusalem, — Caractéristique générale, 9, 
10. — Sa doctrine sur l'autorité de l'Églisei 16; sur la consubs- 
tantialité du Fils, 50, note; sur la procession du Saint-Esprit, 
89; sur l'origine de la chair de Jésus-Christ, 114; sur sa passi- 
bilité, 116 ; sur l'unité de personne en Jésus-Christ, 123, 127 ; 
sur les anges, 135; sur la chute et le péché originel, 143; sur 
la rédemption, 153-155, et ses effets, 157; sur le baptême, sa 
nécessité, 165; ses effets, le caractère qu'il imprime, 163, 166, 
167; les éléments qui le constituent, 167; sur la valeur du 
baptême des hérétiques, 169; sur la confirmation, 170-172; sur 
la présence réelle, 174, 176, 177; sur la conversion des élé- 
ments eucharistiques, 180;surrépiclèse, 183; sur l'eucharistie 
sacrifice, 184, 185; sur la prière pour les morts, 194, 195; sur 
la résurrection, 197; sur l'éternité des peines, 198; sur leur 
adoucissement, 200. 

Daraase, pape, condamne l'arianisme, 60; l'apollinarisme, 110; 
refuse de recevoir les priscillianistes, 233 ; son témoignage sur 
la primauté romaine, 306; ses règles sur l'accession aux or- 
dres, 327; sur le mariage, 329, 330. 

De sacramentis. — Date de cet ouvrage anonyme, 256, 257. 

— Sa doctrine sur la composition du sacrement, 307, 308 ; sur 
le rite du baptême, 311, 312; ses effets, 313; sur la confirma- 
tion, 314; sur la présence réelle, 315; sur la conversion subs- 
tantielle des éléments eucharistiques et les paroles qui l'o- 
pèrent, 317, 318; sur la communion, 319; sur le sacrifice 
eucharistique, 320. 



TABLE ANALYTIQ.UB. 519= 

Dictixûus. d'Astorga, priscillianiste coitverti, 234,. ^.. 

Did3rme l'aveugle,,— Garaetéristique générale, 6. — Sa doc- 
trine sur la procession du Saint-Esprit,, 91, 92^; sur. l'âme de 
JTésuB-Christ, 116; sur sa. passibilitéi ll&;:sur sa seience Hu- 
maine,. ] 19, 120; sur la. dualité des natures et. des volontés en 
Jësus^Christ, 121, 122; sur l'unité de sa personne, 122; sur la. 
maternité divine de Marie,. 125; sur les anges, 133, 135; sur 
la pluralité dès âmes en l'homme et la^ préexistence des- âmes, 
136; sur le péché originel, 141; sur la rédemption,. 154, 155; 
sur la primauté de saint Pierre, 159; sur la valeur du bap- 

. tême des hérétiques, 168, 169; sur la confipmation, 170-172; 
sur la. présence réelle, 174;, sur le sacrifice eucharistique) 184; 
sur la: perpétuelle virginité de Marie^. 193; sur la résurrection 
descorps, 196; sur l'éternité des peines, 198. 

Dieu. — Doctrine d'Arius, 24, 25; des anoméens, 49; de saint 
Athanase,, 68 ; de saint Augustin, 362, 363i 

Diodore de Tarse. — Ses tendances nestoriennes, 9, 95; sa mé- 
thode exégétique, 13. 

Divorce. — Voyez Mariage, Indissolubilité du mariage: 

Donatisiue. — Son histoire, sa doetrinei sa condamnation, sa- 
disparition, 222-231. 

Dorothée d'Antioche. — Sa: méthode d'exégèse, 13. 

Droits du démon (Théorie sotériologique des), dans saint 
Basile, 156; saint Grégoire de: Nysse, 156; saint Jérôme, 297;. 
saint Ambroise, 297; saint Hilaire, l'Ambrosiaster, saint Pa- 
cien, 298; dans saint Augustin, 383. 

Ecclésiologie. — L'autorité doctrinale de l'Église, dans saint 
Épiphane, 15, 16; dans saint Cyrille d© Jérusalem, 16; dans 
saint Ghrysostome, 16, et les Pères grecs en général, 15; dans; 
Aphraate, 203; dans saint Éphrem, 210, 211; dans saint Hi- 
laire, 259; saint Ambroise, 259; saint Jérômey 259, 260; dàns^ 
saint Augustin, 360. — Ecclésiolo^e de saint Ghrysostome,. 
158, 159; de saint Éphrem, 215; des donatistes, 224, 22S, 227; 
de Niceta, 299; de saint Optât, 300-302; de: saint Hilaire, de 
saint Pacien, d'Hosius, de saint Ambroise;,. 3f^304; dé saint 
Augustin, 3^390. — Quels doivent être les rapports de l'É- 
glise et de l'État d'après saint Augustin, 3^2-396. 

École d'Alexandrie. — Son exégèse, 13. — École d'Antioche, se& 
tendances, 8, 9;. son exégèse, 13. 

Écriture sainte. — Inspiration des Écritures d'après les Pères 
grecs en général. Il; d'après Théodore de Mopsueste, 12; 
d'après saint Ghrysostome, 12; d'après Aphraate, 203, 204; 
d'après saint Jérôme, 258;. d'après saint Augustin, 359. — 
Méthode d'interprétation scripturaire de saint Grégoire de 
Nysse, 13; de saint Basile, d'Eustathe, de Théodore de Mop- 



520 TABLE ANALYTIQUE. 

sueste, de saint Chrysostome, 13; de saint Hilaire, 252, 253; 
de saint Ambroise, 253; de Zenon, de Victorin, de saint Jé- 
rôme, 259; de saint Augustin, 359, 360. — Autorité dogma- 
tique qu'attribuent à l'Écriture les Pères grecs, 13, 14; les 
Pères syriens, 203, 210, 211; les Pères latins, 258; saint Au- 
gustin, 358, 359. 

Enfants morts sans baptême. — Leur sort d'après saint Gré- 
goire de Naziaaze, 142; saint Grégoire de Nysse, 142; saint 
Chrysostome, 143; les pélagiens, 443; saint Augustin, 481, 
482. 

Éphrem (Saint). — Caractéristique générale, 209, 210. — Son 
enseignement sur l'autorité de l'Église et de l'Écriture, 210, 
211; sur l'inanité de la philosophie, 211; sur la Trinité, 211, 
212; sur l'homme, 212; sur son état primitif et la chute ori- 
ginelle, 212, 213; sur la liberté humaine et la nécessité de la 
grâce, 213; sur l'incarnation et l'unité personnelle de Jésus- 
Christ, 214; sur la maternité divine et l'absolue innocence de 
Marie, 214; sur ia rédemption, 214, 215; sur l'Église et la pri- 
mauté de saint Pierre, 215; sur le baptême, 215, 216; sur la 
valeur du baptême des hérétiques, 216; sur la conflrmation, 
216; sur l'eucharistie, 216-218; sur la pénitence, 218; sur l'or- 
dre, le mariage, l'extrême-onction, 219; sur les pratiques 
chrétiennes, 219; sur les fins dernières, la dilation de la ré- 
tribution, la résurrection des corps, le jugement, l'éternité 
des peines et des récompenses, 219-221. 

Épiclèse. — Rôle de l'épiclèse dans la consécration eucharis- 
tique d'après saint Cyrille de Jérusalem, saint Basile, les Cons- 
titxttions apostoliques, l'euchologe de Sérapion, 183, 184; saint 
Chrysostome, 184; saint Jérôme, 317. 

Épiphane (Saint). — Caractéristique générale, 10, 11. — Sa 
doctrine sur l'Écriture, 14; sur la tradition et l'autorité de 
l'Église, 15, 16; sur la procession du Saint-Esprit, 92, 93; sur 
l'âme de Jésus-Christ, 116; sur sa passibilité, 116; -sur sa 
science humaine, 120; sur la dualité de ses natures, 121, 122; 
sur l'unité de sa personne, 123 ; sur la maternité divine de Ma- 
rie, 125; sur les démons, 135; sur l'origine de l'âme humaine, 
136, 137; sur l'état primitif de l'homme, MO; sur la chute 
et la liberté humaine, 140, 144; sur la rédemption, 153, 154; 
sur la primauté de saint Pierre, 159, 160; sur la valeur du 
baptême des hérétiques, 169; sur la présence réelle, 175; sur 
les ordres mineurs, 190; sur l'indissolubilité du mariage, 192, 
note ; sur la corédeniption, la virginité perpétuelle et le culte 
de Marie, 193, 194; sur le culte des saints, 194; sur la prière 
pour les morts, 195; sur l'excellence du célibat et de l'ascé- 
tisme, 19o; sur la résurrection des corps, 196, 197; sur l'éter- 
nité des peines, 198. 



TABLE ANALYTIQUE. 521 

Eschatologie des Pères grecs, 195, suiv,; d'Aphraate, 207-209; 
de saint Éphrem, 219-221; de saint Hilaire et de Zenon, 337- 
339; de l'Ambrosiaster, 339, 340; de saint Jérôme, 341-343; de 
saint Ambroise, 343-319; de saint Augustin, 429-435. 

Esprit-Saint. — Doctrine d'Arius, 27, 28; d'Alexandre d'A- 
lexandrie, 31 ; de Marcel d'Ancyre, 40, 41 ; de Photin, 41 ; des 
anoméens, 50, 51; des pneumatomaques, 57-59; de saint Atha- 
nase, 73, 74; des Cappadociens, 78-81, 95, 91; de saint Cyrille 
de Jérusalem, 89; de Didyme, 91, 92; de saint Épiphane, 92, 
93; d'Aphraate, 204; de saint Éphrem, 212; de saint Am- 
broise, Niceta, saint Jérôme, saint Hilaire, Phebadlus, Zenon, 
Victorin, Faustin, 269-273; de saint Augustin, 366, 367. 

Éternité des peines, selon Didyme, saint Basile, saint Épi- 
phane, saint Chrysostome, saint Cyrille de Jérusalem, 198, 
199; selon saint Grégoire de Nazianze, 199; saint Grégoire de 
Nysse, 199, 200; selon Aphraate, 209; saint Éphrem, 221; saint 
Hilaire et Zenon, 338; l'Ambrosiaster, 340; saint Jérôme, 341 
342; saint Ambroise, 347, 348; saint Augustin, 432, 433. 

Eucharistie. — Présence réelle de Jésus-Christ dans l'eucha- 
ristie. — Doctrine des Pères grecs, 173-180; d'Aphraate, 206; 
de saint r-phrem, 218; des Pères latins, 315-317; de saint 
Augustin, 412-417. — Conversion des éléments eucharistiques. 
— Doctrine de Théodore de Mopsueste, 178; de saint Chry- 
sostome, 180; de saint Cyrille, 181; de saint Grégoire de 
Nysse, 182, 183; de saint Ambroise, 317, 318; du De sacra- 
mentis, 318. — Sacrifice eucharistique, voyez Sacrifice. — 
Communion eucharistique. — Doctrine de saint Athanase et 
de saint Chrysostome, 185; de saint Basile, 175; d'Aphraate, 
206; de saint Éphrem, 216-218; de saint Ambroise et des Pères 
latins, 319, 320; de saint Augustin, 418, 419. 

Eunomius, eunomiens. — Système d'Eunomius, 49, 50. 

Eusèhe de Césarée. — Caractéristique générale, 6, 7 ; son té- 
moignage sur le canon des Écritures, 11; son arianisme, 28, 
29; symbole qu'il propose àNicée, 33; comment il explique le 
mot homoousios, 36, note; son témoignage sur la venue de 
saint Pierre à Rome, 159 ; sur la valeur du baptême des héréti- 
ques, 169. — Il réfute Marcel d'Ancyre, 38. 

Eusèhe de Nicomédie. — Son arianisme, 28; il devient le chet 
du parti antinicéen, 33; il est exilé, puis rappelé, 37; devient 
évêque de Constantinople, et meurt, 46. 

Eustathe d'Antioche. — Caractéristique générale, 8; son exé- 

■ gèse, 13. 

Extrême-onction, dans l'euchoioge de Sérapion, 190; dans 
Aphraate, 207; dans saint Éphrem, 219; dans Innocent I", 326. 

060X0X0;, dans Alexandre d'Alexandrie, 31; dans Apollinaire, 



522 TABLE ANALYTIQUE. 

99, 100, note; dans Didyme, saint Épiphane, saint Grégoire 
de Nazianze, 125 ; dans saint Éphrem, 214. 

FastidiuB, pélagien, 432. 

Faustin, prêtre luciférien. — Son ouvrage contre les ariens, 

256; sa. doctrine sur le Père et le Fils, 265; sur le Saint-Esprit, 

270. 
Firmicus Maternas. — Son ouvrage De errore profanarum 

religionum, 257. 
Foi. — Salut par la foi, dans Jovinien, 246; dans l'eschatologie 

latine, 335, 349. — La foi et la raison dans saint Augustin, 361. 

Grâce. — Nécessité de la grâce actuelle pour les bonnes œu- 
vres d'après saint Basile, 145; saint Grégoire de Nysse, 145; 
saint Grégçire de Nazianze, 145, 146 ; saint Chrysostome, 146, 
147; saint Éphrem, 213; saint Hilaire, 280-282; Victorin, saint 
Ambroise, saint Jérôme, Zenon, saint Optât, l'Ambrosiaster, 
281, 282; les pélagiens, 443-446. — La doctrine de la grâce de 
saint Augustin, 482 suiv. Pour le détail, voir Augnstin. 
— Grâce habititelley dans saint Augustin, 497. 

Grégoire d'Elvire. — Écrivain luciférien, 258, note. 

Grégoire de Nazianze (Saint). — Caractéristique générale,. 

7. — Sa doctrine sur l'autorité de la tradition, 15; de la philo- 
sophie, 18; sur la Trinité, 78-81. — Sens qu'il attribue au mot 
homoousios, 87, 88. — Sa doctrine sur la procession du Saint- 
Esprit, 90; sur la passibilité de Jésus-Christ, 116; sur, sa science 
humaine, 119; sur la dualité de ses natures^ 121, et l'unité de 
sa personne, 123; sur la maternité divine de Marie, 125. — 

-^Incertitude de son l9,ngage christologique, 127, 128. — Sa doc- 
trine sur les anges, 133-135; sur l'homme, 136; sur l'état pri- 
mitif de l'homme, 139;. sur la chute, 140; le péché originel,^ 
142, et ses conséquences, 144; sur la nécessité de la grâce, 
145, 146; sur la rédemption, 152, 154, 155, et ses effets, 157; 
sur la primauté romaine, 161; sur le baptême, 164; sa néces- 
sité, 165; ses effets, 166; le baptême des enfants, 167; la valeur 
du baptême des hérétiques, 169; sur l'eucharistie, 174-176; 
sur le sacrifice eucharistique, 184, 185; sur le mariage, 191, 
192; sur le culte des saints, 194; sur la prière pour les morts, 
194; SUT la rétribution immédiate, 196; sur le jugement, 198; 
sur l'éternité des peines, 199. 

Grégoire de Nysse (Saint). — Caractéristique générale, 7, 

8. — Son enseignement sur l'Écriture, II, 13; sur la tradi- 
tion, 15; sur la philosophie, 18; sur la Trinité, 79-81. — Sens 
qu'il attribue à Vhomoousios, SQ, 87. — Sa doctrine sur la pro 
cession du Saint-Esprit, 90, 91 ; sur l'âme humaine de Jésns- 
Christ, 115, 116; sur sa science humaine, 118, 119; sur la 



TABLE AlfALYUIQUE. 523 

communication des idiomes, 124, 125. — Incertitade de son 
langage christologique,, tendance monophysite, 128^ 129, — 
Sai. doctrine, sur les anges,, 133-135; sur l'âme humaine et. son 
.origine, 136; sur l'état primitif de l'homme, 139; sur la chxite 
originelle, 140;. sur la nécessité de la grâce, 145; sur la ré- 
demption, 151, 152, 156; sur les effets du baptême, 166;; sur 
la bénédiction de l'eau baptismale, 168; sur la valeur du bap- 
tême des hérétiques,, 165; sur la présence réeUe,^ 176 j sur là 
conversion eucharistique^ 182, 183; sur la confession, 186; 
sur la pénitence, 187; sur le caractère de l'ordre, M; sui- le 
cuUe des reliques, 194; sur la résurrection des corps et sa 
possibilité, 196-198i; sur l'éternité des; peines,. 199> 200. 

Helvidius. — Ses. erreurs et leur réfutation, par saint Jérôme, 
243, 244. 

Hllaire. (Saint). — Caractéristique générale, 252, 253. — Sa 
doctrine sur l'Écriture, 258; sur l'autorité de l'Église, 259; 
sur les conciles,. 260; sur la^ valeur de la philosophie^ 260;^ sur 
la. Trinité,, 261, 262; sens qu'il donne à Mojwoomsîos, 262, 263; 
sa doctrine sur le Saint-Esprit et sa procession,. 269-271; sur la 
circumincession, 273; sur les anges,. 274, 275; sur l'origine de 
l'âme,, 276; sur l'état primitif d'Adam, sur la chute et le péché 
originel, 277, 278; sur l'existence de la liberté, 280; sur la né- 
cessité de la grâce, 281, 282, et de notre coopération^ 283; 
sur le mérite, 283, 284j sur l'incarnation, 285, 286 ; sur la pas- 
sibilité de Jésus-Ghrist,;287, 288; sur sa science humaine,^ 289; 
sur son état glorifié, 290; sur la dualité de ses natures et 
l'unité de sa personne,, 291, 292; sur la rédemption, 294-296i. 
298; sur l'Église, 299, 302, 303; sur l'indépendance de l'Église 
vis-à-vis de l'État, 303, 304 ; sur la primauté de saint Pierre^ 
304; sur le baptême) 311, 313'; sur la présence réelle, 316; le» 
fruits de la communion, 319, 320;: sur la confession, 322; 
sur les secondes noces, 328; sur l'indissolubilité du mariage, 
329; sur la. perpétuelle virginité, de Marie j 330, 331; sur l'es- 
fms dernières, 337-339. 

Hosius de Cordoue. — Il est envoyé par Constantin à Alexan- 
drie, 23, 24; préside le concile de Nicée, 32, et celui de Sar- 
dique, 46; souscrit la deuxième formule: de Sirmium,^ 51^ — 
Sa; revendication de l'indépendance de- l?Église vis-à-vis dff 
l'État, 303. 

H3irpostase.. — Sens de ce mot pour les Pères; de Nicée, 36 ; 
poui? les occidentaxix, 47; pour tes Pères d?Alexandrie; 60; 61;. 
pour saint' Athanase, 75; pour les Cappadociens, 76-7&. 

Ii3iiuaoulée< conception de M'arie. — Saint Augustin l'a-lrii' 
enseignée? 471, 472, note. 



524 TABLE ANALYTIQUE. 

Incarnation. — Voyez Christologîe. 

Indissoluliilité du mariage. — V. Mariage. 

Innocent, pape, revendique la primauté, 306, 453; son témoi- 
gnage sur l'extrême-onction, 326; ses règles sur l'admission 
aux ordres, 327; sur le mariage et son indissolubilité, 329; il 
condamne le pélagianisme, 453. 

Jérôme (Saint). — Caractéristique générale, 254, 255. — Sa 
doctrine sur l'Écriture, 258, 259; sur la tradition, 259; sur la 
philosophie, 260; sur le Saint-Esprit, 269; sur la Trinité, 272; 
sur les anges, 272, 273; sur la nature de l'homme et l'origine 
de l'âme, 276; sur la chute, 278, et le péché originel, 280; sur 
la permanence de la liberté en l'homme déchu, 280; sur la né- 
cessité de la grâce, 282; sur la nécessité de noire coopération, 
283; sur les bonnes œuvres et le mérite, 283, 284; sur l'incar- 
nation et l'âme de Jésus-Christ, 288; sur sa science humaine, 
289, 290; sur la dualité des natures et l'unité de personne en 
Jésus-Christ, 293; sur la rédemption, 295-297; sur la primauté 
de saint Pierre et du pape, 304, 305; sur les effets du baptême, 
313; sur la confirmation, 314; sur la présence. réelle, 315, 316; 
sur l'épiclèse, 317; sur le sacrifice eucharistique, 320; sur le 
pouvoir de remettre les péchés, 321; sur la satisfaction, 324; 
sur l'absolution, 325, 326; sur les ordres et leur supériorité 
relative, 327, 328; sur les secondes noces, 328; sur l'indisso- 
lubilité du mariage, 329; sur le culte des reliques, 331 ; sur 
la continence, 333; sur les fins dernières avant et après l'an- 
née 394, 341-343. 

Jovinien. — Ses erreurs et leur réfutation par saint Jérôme; 
sa condamnation, 245-247. 

Jugement, dans les Pères grecs, 198; dans Aphraate, 208, 209; 
saint Éphrem, 220, 221 ; dans Hilaire et Zenon, 337; dans l'Am- 
brosiaster, 339, 340; dans saint Jérôme, 342; dans saint Am- 
broise, 345, 346; dans saint Augustin, 431. 

Jules, pape, revendique la primauté, 44, 305, 306. 

Julien d'Eclane, pélagien, 437, 438. 

Leporius. — Ses erreurs et sa rétractation, 380, 381. 

Libère. — Chute du pape Libère, 53, 54. 

làherté. — Persistance de la liberté en l'homme après la chute 
originelle d'après saint Athanase, 138; les autres Pères grecs, 
144; saint Éphrem, 213; les Pères latins, 280; les pélagiens, 
438, 439 ; saint Augustin, 478-480. — Liberté de l'homme sous 
l'action de la grâce d'après saint Augustin, 491-496. 

Xiucien d'Antioche, père de l'arianisme, 20, 21 . 

Lucifer de Cagliari, lucifériens. — Leur intransigeance, 
60, 258, note. 



TABLE ANALYTIQUE. 5l5 

Macaire l'Égyptien. — Sa doctrine sur la nature des anges, 
133, note; sur l'homme, 136, note; sur l'eucharistie, 174; sur 
la rétribution. immédiate des justes, 196. 

Macazius Magnes. — Son témoignage sur l'eucharistie, 178, 
note. 

Mal. — Le problème du mal dans saint Augustin, 370-372. 

Marcel d'Anc3rre. — Sa doctrine sur Dieu, 39; sur le Verbe, 
39; sur l'incarnation, 39, 40; sur le Saint-Esprit, 40, 41. — 
Marcel est-il hétérodoxe? 42, 43. — Il est condamné par les 
eusébiens en 335, 38; soutenu d'abord par les orthodoxes, 
42, 43. 

Mariage. — Doctrine des Pères grecs, 191-193; d'Aphraate, 
205; de saint Éphrem, 219; de Pri-jcillien, 237, 241; d'Hélvi- 
dius, 244; de Jovinien, 245, 246; des Pères latins, 328-330; de 
saint Augustin, 424-429. — Indissolubilité du mariage. — Doc- 
trine de saint Grégoire de Nazianze, 191 ; de saint Basile, 191, 
192; de saint Chrysostome, 192; de saint Épiphane, 192, note; 
de saint Hilaire, de l'Ambrosiaster, de saint Ambroise, de 
saint Jérôme, d'Innocent I", 329; de saint Augustin, 426-428. 

Mariologie d'Amphiloque, de saint Épiphane, de Didyme, de 
saint Grégoire de Nazianze, 193, 194; de saint Éphrem, 214, 
219; d'Helvidius, 244; de Bonosus, de Jovinien, 244-246; de 
Zenon, de saint Ambroise, de saint Hilaire, de saint Jérôme, 
330, 331, 333; de saint Augustin, 377, 471, 472, note. — Voyez 
Geotdxoç, Immaculée conception. 

Martyre. — Le martyre supplée le baptême d'eau, d'après les 
Pères grecs, 164, 165; d'après les Pères latins, 312; d'après 
saint Augustin^ 410. 

Mélèce d'Antioche. — Son attitude doctrinale, 61 ; il préside 
le second concile général, 63. 

Mérite. — Doctrine du mérite dans saint Grégoire dé Nazianze 
et saint Chrysostome, 145-147; dans les Pères latins, 283; 
dans les pélagiens, 445, 446; dans saint Augustin, 496, 497. 

Millénarisme, dans Apollinaire, 102, et ses disciples, 105; 
dans l'Ambrosiaster, 339; dans saint Ambroise, 344, 348 dans 
saint Augustin, 430. 

Ministre des sacrements. — Sa sainteté est-elle requise à 
la validité des sacrements? Doctrine de saint Chrysostome, 
163; des Pères grecs en général, 167; des donatistes, 225-227; 
de saint Optât, 308-311; de saint Augustin, 401-403. — Inten- 
tion du ministre, 406, 407. 

Néoplatonisme de Victorin, 256, 268, 269, 273, 276, 278; de 

saint Augustin, 356, 357, 361. 
Niceta (Saint) de Remesiana. — Caractéristique générale, 

256. — Sa doctrine sur le Père et le Fils, 265; sur le Saint- 



526 TABLE ANALYTIQUE. 

Esprit, 269, 270; sur la dualité des natures et l'unité de per- 
sonne «n Jésus-Christ, 293 ; sur l'Église et la communion des 
saints, 299; sur les effets du baptême, 313. 

Œuvres (bonnes), leur nécessité. — Doctrine d'Apliraate, 205; 
de saint Éphrem, 213; de Jovinien, 245-247; des Pères latins, 
283, 284; de saint Augustin, 431, 432. 

'Ofjiooûfftoî. — Adoption de ce mot à Nicée, 33-36. — Sens du 
mot pour le concile, 35, 36; pour les semi -ariens, 52; pour 
saint Athanase, 71, 72; pour les Cappadociens, 81-88; pour 
saint Hilaire, 262, 263. 

Optât (Saint;. — Caractéristique générale, 257. — Sa doc- 
trine sur la nécessité de la grâce, 282; sur l'Église, ses carac- 
tères, la primauté de saint Pierre et du pape, 3(X)-302; sur la 
valeur des sacrements conférés par les indignes, 309-311; sur 
la confirmation, 314; sur la présence réelle, 315, 316- 

Ordre (Sacrement de V), Ordres, Ordination, dans les Pères 
grecs, 190, 191; dans Aphraate, 207; saint Éphrem, 219; dans 
les Pères latins, 327, 328; dans saint Augustin, 423, 424. 

Oricfénisme. — Influence d'Origène sur l'eschatologie latine 
de la fin du iv siècle, 333-337; sur l'Amljrosiaster, 339, 340; 
sur saint Jérôme, 341, 342 ; sur saint Ambroise, 343 suîv. — 
Condamnation de doctrines origénistes par le pape Anastase, 
336. 

Pacien (Saint). — Caractéristicfue générale, 256. — Sa doc- 
trine sur le péché originel, 278; sur le mérite, 283; sur l'É- 
glise, 303; sur la valeur du baptême des hérétiques, 310; sur 
les effets du baptême, 313; sur le pouvoir de pardonner tous 
les péchés, 321; sur la confession, 322; sur la satisfaction, 
324; sur l'absolution, 326; sur l'éternité des peines, 338. 

Péché originel. — Doctrine de saint Athanase, 137, 138, 141 ; 
de Didyrae, 141; de saint Basile, 140-142; de saint Grégoire de 
Nazianze, 140-142; de saint Grégoire de Nysse, 140-143; de 
saint Chrj'sostome, 140, 143, 144; de saint Cj^iHe de Jérusa- 
lem, 143; d' Aphraate, 205; de saint Éphrem, 213; de Priscil- 
lien, 236; de saint Hilaire, 277, 278; de saint Ambroise, 277- 
279; de Zenon, 277; de saint Jérôme, 278, 280; de Victorin, 
278; de saint Pacien, 278; de l'Ambrosiaster; 279, 280; des 
pélagiens, 440, 441 ; de saint Augustin, 465 suiv. Pour le dé- 
tail, voir Augustin. 

Péchés. — Classification des péchés dans saint Grégoire de 
Nysse, 186; dans saint Pacien, 321, 322; dans saint Ambroise, 
322; dans saint Augustin, 421, 422. — Confession des péchés, 
voj'^ez Confession. 

Pelage, pélagianisme, 436 et suiv. 

Pénitence. — Doctrine des Pères grecs, 186 suiv. ; d'Aphraate, 



TA.BLE ANALYTIQUE. 527 

206, 207; de saint Éphrem, 218; des Pères latins, 320 suiv.-, 
de saint Augustin,: 421 et suiv. 

Phebadiiis d'Agen. — Il combat les ariens, 256. — Sa doctrine 
sur le Père et le Fils, 263, 264; sur le Saint-Esprit, 270, et sa 
procession, 271; sur la dualité des natures et l'unité de per- 
sonne en Jésus-Christ, 291, 292. 

Philosophie. — Ce qu'ont pensé de la philosophie saint Atha- 
nase, saint Chrysostome, saint Basile, saint Grégoire de Nysse, 
saint Grégoire de Nazianze, 17, 18; saint Éphrem, 211; saint 
Hilaire, saint Ambroise, saint Jérôme, Zenon, Victorin, 260, 
261; saint Augustin, 3&1, 362. 

Photin. — Sa doctrine, 41, 42. — II est condamné, 42. 

Pneumatomaques. — Leur doctrine, 57, 58; leur diffusion, 
58. 

Polémon, disciple d'Apollinaire, 107. 

Prédestination. — Doctrine de saint Chrysostome, 147; de 
Victorin, 284; de l'Ambrosiaster, 284; des pélagiens, 446; de 
saint Augustin, 498 et suiv. Pour le détail, voyez Augus- 
tin. 

Prière potir les morts, dans l'église grecque, 185, 194, 195; 
dans saint Éphrem, 219; dans l'église latine, Zenon et saint 
Ambroise, 332; dans saint Augustin, 420, 434. 

Primauté de saint Pierre, dans Didyme, 159; saint Épiphane, 
159j 160; saint Basile, 160; saint Chrysostome, 160; Aphraate, 
205, 206; saint Éphrem, 215; saint Optât, 301, 302; saint Pa- 
cien, 303; saint Hilaire, saint Ambroise, saint Jérôme, Victo- 
rin, l'Ambrosiaster, 304, 305; dans saint Augustin, 390. — 
Primauté romaine dans saint Grégoire de Nazianze, 161 ; re- 
connue par les eusébiens, 161; par saint Chrysostome, 161; 
par les conciles de Sardique, 161, et de Constantin ople, 162; 
dans saint Optât, 302; saint Ambroise et saint Jérôme, 305; 
revendiquée par Jules I*', 44, 305, 306; par Damase, Sirice, 
Innocent, Zosime, 306, 453, 456; dans saint Augustin, 390. 

Priscillien, priscillianisme. — Ce qu'était Priscillien, 232, 
233. — Origines, histoire, doctrine, condamnation du priscil- 
lianisme, 232 et suiv. — Priscillien a-t-il soutenu les erreurs 
qu'on lui reproche? 239 et suiv. 

Prudence. — Ses poèmes, 257; son témoignage sur le culte 
des martyrs, 331. 

Purgatoire, dans saint Cyrille de Jérusalem, 200; saint 
Éphrem, 220; dans l'eschatologie latine de la fin du iv* siècle, 
350; dans saint Augustin, 433, 434. 

Rédemption. — Voir Sotériologie. 
Relations divineS) dans saint Augustin, 365, 366. 
Reliques. — Culte des reliques dans l'église grecque, saint 



528 TABLE ANALYTIQUE 

Grégoire de Nysse, saint Chrysostome, 194; dans l'église sy- 
rienne, saint Éphrem, 219; dans l'église latine, erreur de Vi- 
gilance, 249; doctrine de saint Jérôme et^ de saint Ambroise, 
331. 

Résurrection des morts, dans les Pères grecs, 196-198; dans 
Aphraate, 208; saint Éphrem, 220; dans saint Hilaire et Ze- 
non, 337, 338 ; dans l'Ambrosiaster, 339, 340 ; dans saint Jé- 
rôme, 341; dans saint Ambroise, 344, 3^18; dalis saint Augus- 
tin, 431. 

RufLn d'Aquilée. — Son ouvrage sur le symbole, 256; sa tra- 
duction des œuvres d'Origène, 333, et son influence sur 
l'eschatologie latine, 334. 

Sacrements. — Théorie générale des sacrements dans les 
Pères grecs, 162, 163 ; dans le donatisme, 225, 226 ; dans les 
Pères latins, 307, 308 ; dans saint Augustin, 396-400, 402-406. — 
Voyez Ministre. — Auteur des sacrements, d'après saint 
Augustin, 399. — Nombre des sacrements, d'après saint Augus- 
tin, 399, 400; leur but, 400. — Sujet des sacrements, condi- 
tion qu'il doit réaliser d'après saint Augustin, 404-407. — In- 
tention du ministre et du sujet, 406, 407. 

Sacrifice de J,a croix dans les Pères grecs, 152, 154, 155 ; dans 
Aphraate, 205; dans les Pères latins, 295, 296; dans saint Au- 
gustin, 382. — Sacrifice eucharistique, dans les Pères grecs, 
184, 1^; dans Aphraate, 206; dans les Pères latins, 320; dans 
saint Augustin, 419, 420. 

Saints (Culte des). — Doctrine de saint Épiphane, saint Chry- 
sostome, saint Grégoire de Nazianze, pratique de l'église 
grecque, 194; enseignement de saint Éphrem, 219; erreur de 
Vigilance, 249; doctrine des Pères latins, et pratique de l'é- 
glise latine, 331, 332. 

Satisfaction pénitentielle, dans les Cappadociens, 187; à Cons- 
tantinople, 188; dans saint Chrysostome, 189; dans Aphraate, 
206; dans Zenon, saint Pacien, saint Ambroise, saint Jérôme, 
324, 325; dans saint Augustin, 422. 

Science humaine de Jésus-Christ. — Enseignement de saint 
Alhanase, 117, 118; de saint Grégoire de Nysse, 118, 119; de 
saint Basile, saint Grégoire de Nazianze, Amphiloque, Di- 
dyme, 119; de saint Chrysostome et saint Épiphane, 120; de 
saint Hilaire, saint Ambroise, 289; de saint Jérôme, 289, 290; 
de saint Augustin, 377, 378; de Leporius, 381. 

Semi-arianisme. — Ce que c'est proprement, 50, 51. 

Sérapion (Eucologe de). — Son témoignage sur la confir- 
mation, 170, 172, notes; sur l'eucharistie, 174, 175, 184, 185; 
sur l'huile des infirmes, 190; sur l'ordination, 191; sur la 
prière pour les morts, 195. 



TABLE ANALYTIQUE. 529^ 

Sirice, pape, condamne Bonosus, 245, Jovinien, 247; reven- 
dique la primauté, 306 ; règle l'admission aux ordres, 327 ; les 
conditions du mariage, 328-330. 

Sotériologle d'Apollinaire, 95, 96, 98? de saint Athanase, ISO- 
ISS, 157; de saint Grégoire de Nysse, 151, 152, 156; de saint 
Basile, saint Chrysostome, 152-157; de saint Cyrille de Jéru- 
salem, 153, 154, 157; de Didyme, de saint Grégoire de Na- 
zianze, de saint Épiphane, 152-155, 157; d'Aphraata, 205; de 
saint Ephrem, 214; des Pères latins, 293-298; de saint Au- 
gustin, 381-383. 

■Synousiastes, parti d'apoUinaristes, 106, 107. 

Théodore de Mopsueste. — Sa doctrine sur Tinspiration,^ 
12; son exégèse, 13; témoignage sur l'eucharistie, 178. 

Timothée, disciple d'Apollinaire, 106, 107. 

Tradition. — La tradition comme source de foi d'après les 
Pères grecs, 14, 15; d'après les Pères syriens, 203, 210, 211;. 
d'après les Pères latins, 259, 260; d'après saint Augustin, 260. 

Trinité. — Doctrine trinitaire d'Arius, 25-28; d'Alexandre d'A- 
lexandrie, 29-31 ; de Marcel d'Ancyre, 38-41 ; de Photin, 41 ; 
des anoméens, 49, 50; de saint Athanase, 67-75; des Cappa- 
dociens, 76-88; d'Aphraate, 204; de saint Éphrem, 211, 212; 
de Priscillien, 236, 240; de saint Hilaire, 261-263, 269, 270; 
de Phebadius, 263, 264, 270,271, 272; de Zenon, 264, 270, 272; 
de saint Ambroise, Faustin, Niceta, 265, 269, 271, 272; de Vic- 
torin, 265-273; de saint Augustin, 364-368, 

Tropicistes. — V. Pneumatomaques. 

Tychonius, donatiste indépendant, 230, 231, note. 

Valentin, disciple d'Apollinaire, 107. 

Verbe, — Ce qu'est le Verbe d'après Arius, 25 et suiv. — Doc- 
trine d'Alexandre d'Alexandrie, 29-31 ; de Marcel d'Ancyre, 39, 
40; de Photin, 41; des anoméens, 50; de saint Athanase, 69- 
73; des Cappadociens, 79; de saint Éphrem, 211, 212; de saint 
Hilaire, 262, 263; de Phebadius, 263; de Zenon, 264; de saint 
Ambroise, Faustin, Niceta, 265; de Victorin, 266-269; de saint 
Augustin, 366. 

Victorin l'Africain. — Caractéristique générale, 254, 255. — 
Son exégèse, 259. — Sa doctrine sur la philosophie, 260; sur 
le Verbe, 265-269 ; sur le Saint-Esprit, sa procession ex Filio, 
son rôle dans la Trinité, 270-272; sur la Trinité, 272, 273; sur 
la création, 273, 274; sur l'âme humaine, 276; sur le péché ori- 

. ginel, 278; sur la nécessité de la grâce, 281, 282; sur la part 
de la foi dans la justification, 283, et la part de la miséricorde 
divine dans le salut, 284; sur la prédestination, 284; sur l'in- 
carnation, 288; sur la dualité des natures et l'unité de per- 

30 



536 TABLE ANALYTIQUE. 

^orme en Jésas-Christ, 291, 292^voyez la note)-, sur la rédemp- 
tion, 295, 296; sur la primante de saint Pierre, 304; sur les 
effets du baptême, 313; sur la présence réelle, 3i€; sur la 
béatitude céleste, 339. ' 

VigUancQ. — Ses erreurs et leur réfutation par saint ^rôme, 
247 et suîv. 

Virginité. ■— Sa Rupériorité sur l'état du mariage, doctrine 
de saint Épiphane, 195; Âpliraate, 205; saint Éphrem, 219; 
flelvidius, 244? Bonosus, 245; Jovinien, 245, 246; saint Am- 
broise et saint Jérôme, 332, îà3; saint Augustin, ^^4. 

Vision béatiflque. — Opinion de saint €IirysGstome, 201; 
dans saint Ambroise, 349; dans saint Augustin, 435. 

Vitalis, disciple d'Apollinaire, 105, 106. 

Volonté salviflopie de Dieu. — Doctrine de saint Chrysos- 
tome, 147 ; de saint Augustin, 504-507. 

Zenon (Saint) de Vérone. — Caractéristique générale, ^6. Sa 
doctrine sur la philosophie, 260; sur le Père et le Verbe, 264, 
265; sur le Saint-Esprit, 270; sur la circumincession, 273; sur 
l'immortalité de l'âme, 376; sur la chute et le péché originel, 
277; sur la grâce, 281; sur l'incarnation, 291; sur la dualité 
des natures et l'unité de personne en Jésus-Christ, 292; sur 
la rédemption, 295; sur le baptême, 312, 313; sur la confir- 
mation, 314; sur la présence réelle, 316; sur la communion, 
319; sur le sacrifice eucharistique, 320; sur la confession, 322; 
sur la satisfaction, 324; sur l'absolution, 325; sur le mariage, 
29; sur la sainte Vierge, 330, 331; sur la prière pour les 
morts, 332; sur les fins dernières, 337-339. 

Zosime, pape, revendique la primauté, 306, 456. — Ses règles 
sur l'admission aux ordres, 327; il absout d'abord les péla- 
giens, 455, puis les condamne, 457, 458 



TABLE MS MATIÈRES 



Pages. 

Avant-propos. vu 

Introduction »... »..^.,.. ,,,,. 1 



CHAPITRE PREMIER 

APERÇU GéméRAL. SUR LA THÉOLOGIE: GRECQUE AD lY* SIÈCLE. 

S 1. Les écoles et les personnes 4 

S 2. La doctrine sur les sources de la foi Il 



CHAPITRE II 

LES HÉRÉSIES TRINITAIRES DU IV* SIÈCLE. 
DÉFINITION DE LA CONSUBSTANTIALITÉ DU FILS ET DU SAINT-ESPRIT. 

%. II. La doctrine d'Arius 19^ 

% 2. Le concile de Nieée 31 

% 3. Réaction eusébienne dfr 325 à 337. — Marcel d'Âncyre 

et Photin., 36 

S 4. Lea conciles et les- formules de foi de 337 à 350^, 44 

S 5. ûivisions du parti antinicéen. — Triomphe des aca- 

eiens, 84 

S 6. Les: pneumatomaques 57 

S 7. La restauFàtion nicéenne et le second concile général. 59- 



532 TABLE DES MATIÈRES. 



CHAPITRE III 

LOTTE DOCTRINALE CONTRE l'ARUNISME ET LE MACÉDONIANISME. 
l'orthodoxie TRINITAIRE GRECaL'E AU IV* SIÈCLE. 

Page». 

S 1. La doctrine trinitaire de saint Athanase 67 

S 2. La doctrine trinitaire des Cappadociens 76 

^ 3. La question spéciale de la procession du Saint-Esprit. ^' 



CHAPITRE IV 

l'hérésie CHRISTOLOGIQUE au IV* SIÈCLE, l'apollinarisme. 



s 1. La doctrine d'Apollinaire et de ses disciples 94 

:§ 2. Condamnation de l'apollinarisme . , 108 



CHAPITRE V 

LUTTE DOCTRINALE CONTRE L'APOLLINARISME. — LA CHRISTOLOGIE 

GRECQUE DU IV* SIÈCLE. 112 



CHAPITRE VI 

LA THÉOLOGIE GRECQUE DU IV' SIÈCLE EN DEHORS DES QUESTIONS 
TRINITAIRES ET CHRISTOLOGIQUES. 



:S 1. Angélologie i..... 133 

S 2. Anthropologie 135 

S 3. Sotériologie. 148 

S 4. Ecclésiologie 158 

S 5. Les sacrements. — Le baptême. — La confirmation . . 162 

S 6. L'eucharistie 172 

:5 7. La pétoitence. — L'ordre. — Le mariage 186 

S 8. Mariologie. — Culte des saints. — Pratiques chré- 
tiennes 193 

:$ 9. Eschatologie 1% 



TABLE DES MATIERES. 533- 

CHAPITRE VII 

LA THÉOtOaiB DE LANGUE SYRIAQUE AU IV* SIÈCLB. — APHKAATE 
ET SAINT iPHKEM. 

S 1. Aphraate 202 

S 2. Saint Épbrem 209 

CHAPITRE VIII 

LES HÉRÉSIES LATINES DU IV SIÈCLB. 

S 1. Le donatisme 222 

S 2. Le priscillianisme 231 

8 3. Les erreurs d'Helvidius, de Bonosus, de Jovinien et 

de Vigilance. ; 243 

CHAPITRE IX 

LA THÉOLOGIE LATINE AU iV SIÈCLE. 

S 1. Aperçu général sur les auteurs. ......;. 251 

S 2. La doctrine sur les sources de la foi 258 

S 3. La lutte contre l'arianisme et la doctrine trinitaire. . 261 

S 4. Création. — Angélologie 273 

S 5. L'homme, la chute, la grâce, le mérite 275 

S 6. Christologie et sotériologie 285 

S 7. Ecelésiologie 299 

S 8. Les sacrements. — Le baptême. — La confirmation. 307 

S 9. L'eucharistie 315 

S 10. La pénitence et les autres sacrements 320 

S 11. Mariologie. — Culte des saints. — Pratiques chré- 
tiennes 330 

S 12. Eschatologie , 333 

CHAPITRE X 

LA THÉOLOGIE DE SAINT AUGUSTIN. 

S 1. Caractéristique générale 354 

8 2. Les sources de la foi, l'Écriture, la tradition, la phi- 
losophie 358 



534 TABLE. DES MATIERES. 

ïagei. 

S 3. Dieu et la Triaité. — Goatroverse arieaue 362 

S 4. La création, — Le problème du mal. — Controverse 

manichéenne ^.^ »» 368 

S 5. Angélologie 372 

S 6. Christologie et sotériologie. — L'afifaire de Leporius. 376 

S 7. Ecclésiologie. — Controverse donatiste 384 

S 8. Les sacrements, le baptême, la confirmation. — Con- 
troverse donatiste . 396 

S 9. L'eucharistie 411 

S 10. La pénitence, l'ordre^ le mariage 421 

S 11. Eschatologie. — Lutte contre l'origéhisme 429 



CHAPITRE XI 

SAIKT AUGUSTIN ET LE PÉLAOTANISUE. 

S 1. La doctrine pélagienne 436 

S 2. Histoire et condamnation du pélagianisme 450 

S 3. Anthropologie de saint Augustin. — L'état primitif de 

l'homme 460 

S 4. Le péché originel et ses conséquences. 465 

S 5. La grâce 482 

$ 6. La prédestination ».......-. , 4d8t 

Table analytk^us ......i .....»». 513 



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duction et commentaire, par le R. P. Lagrange. Deuxième 
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U. l'abbé TiXERONT. 1 volume in-12. ....... 7 fr. » 

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Bibliothèque de l'enseignement de l'histoire eoolésiastique 

HISTOIRE DES DOGMES 

DANS 

L'ANTIQUITÉ CHRÉTIENNE 

PAR 

J. TIXERONT 

III 

LA FIN DE L'AGE PATRISTIQUE 

(430-800) 

A-VA-NT-FROPOS 

PAR 

M8' PIERRE BATIFFOL 

SEPTIÈME ÉDITION REVUE 



PARIS 

LIBRAIRIE LECOFFRE 
J. GABALDA et Fils, Éditeurs 

RUE BONAPARTE, 90 

1928 



Bibliothèque 
de renseignement deThistoire eeclésiastique 



La "' Bibliothèque de l'enseignement de l'histoire 
ecclésiastique ", inaugurée en 1897, réalise lentement, 
mais persévéramment, son programme qui était de re- 
prendre,, avec les seules ressources de l'initiative pri- 
vée, le projet confié jadis par Léon XIII aux cardinaux 
de Luca, Pitra et Hergenrœther, à la suite de la lettre 
pontificale sur les études historiques, — savoir la com- 
position d'une « Histoire ecclésiastique universelle, mise 
au point des progrès de la critique de notre temps ». 

La matière a été distribuée en une série de sujets 
capitaux, chacun devant constituer un volume indé- 
pendant, chaque volume confié à un savant sous sa 
propre responsabilité. On n'a pas eu l'intention de 
' faire œuvre pédagogique et de publier des manuels 
analogues à ceux de l'enseignement secondaire, ni 
davantage œuvre de vulgarisation au service de ce que 
l'on est convenu d'appeler le grand public; il. y avait 
une œuvre plus urgente à faire en matière d'histoire 
ecclésiastique, une œuvre de haut enseignement. 



Le succès incontesté des volumes publiés jusqu'ici 
a prouvé que ce programme répondait au désir de bien 
des maîtres et de bien des étudiants de l'enseignement 
supérieur français, autant que de bien des membres 
du clergé et de l'élite des catholiques. 



Bibliothèque de l'enseignement de l'Iiistoire ecclésîatique. 

Les origines du catholicisme. 
Le cliristianisme et l'empire romain. 

Les églises du monde romain. 
Les anciennes littératures chrétiennes. 

La théologie ancienne. 

Les institutions anciennes de l'Église. 

Les églises du monde barbare. — Les églises du monde syrien. 

L'église by![antine. — L'Etat pontifical. 

La réforme du XI' siècle. — Le sacerdoce et l'Empire. 

Histoire de la formation du droit canonique. 

La littérature ecclésiastique du moyen âge. 

La théologiedu moyen âge. — Les institutions de la chrétienté 

L'Église et l'Orient au moyen âge. 

L'Église et le Saint-Siège de Boniface VIII à Martin V. 

L'Eglise à la fin du moyen âge. 

La réforme protestante. — Le concile de Trente. 

L'Église et l'Orient depuis le XV' siècle. 

La théologie catholique depuis le XV fi siècle. 

Le protestantisme depuis la Réforme. 

L'expansion de l'Église depuis le XVI' siècle. 

L'Eglise et les gouvernements d'ancien régime. 

L'Église et les révolutions politiques {l'jSg-iSjo). 

L'Église contemporaine. 



Bibliothèque de l'enseignement de l'Histoire ecclésiastique 

Volumes parus : 

Le Christianisme et l'Empire roxaain, de Néron à 
Théodose, par M. Paul Allakd. Neuvième' édition. \ volume 
in-12 12 fr. » 

Histoire des Dogmes, par M. Tixeront, doyen de la 
Faculté catholique de théologie de Lyon. 3 volumes. 

— I. La Théologie anténicéenne. Dixième édition. 
1 volume in-i'2 15 fr. » 

— II. De saint Athanase à saint Augustin (318-430). 
Huilième édition. 1 vol. in-12. 15 fr. « 

— III. La fin de l'âge patristique (430-800). Septième édi- 
tion. 1 vol. in-12 15 fr. » 

Anciennes Littératures chrétiennes : I. La Littérature 
grecque, par M'-''^ Pierre Batiffol. Quatrième édition. Epuisé. 

Anciennes Littératures chrétiennes : II. La Littéra- 
ture syriaque, par M. Rubens Duval. Troisième édition. 
Epuisé. 

L'Afrique chrétienne, par Dom H. Leclercq, Bénédictin de 
Farnborough. Deuxième édition. Épuisé. 

L'Espagne chrétienne; par Dom H. Leclercq, Bénédictin de 
Farnborough. Deuxième édition. Épuisé. 

L'Angleterre chrétienne avant les Normands, par Dom 
Fernand Cabrol, abbé de Farnborough. Deuxième édition. 
lvoLin-r> 12 fr. « 

Les Chrétientés celtiques, par Dom Gougaud, Bénédictin 
de Farnborough. Deuxième édition. 1 vol. in-12. -12 fr. » 

Ls Christianisme dans l'Empire perse, sous la dynas- 
tie Sassanide (224-632), par M. J. Labourt, docteur en théo- 
logie et docteur es lettres. 2^ édition. 1 vol. in-12. 12 fr. >■ 

L'Église byzantine de 527 à 847, car le R. Père Pargoire, 
des Augùstins de l'Assomption. 5« édition. 1 vol. in-12. 12 fr. » 

L'Église et l'Orient au moyen âge : les Croisades, par 
M. Louis Bréhier, professeur d'histoire à l'Université de Cler- 
mont-Ferrand. Cinquième édition. 1 vol. in-12.... 15 fr. » 

Les Papes du XI° siècle et la Chrétienté, par M. Jules 
Gay, professeur à l'Université de Lille. 1 vol. in-12. 24 fr. » 

Les Papes d'Avignon (1305-1370), par M. G. Mollat, profes- 
seur à l'Université de Strasbourg. 5^ édition. I vol. iu-12. 12 fr. • 

Ls Grand Schisme d'Occident, par M. L. Salembier. 
Cinquième édition. 1 vol. in-12 '. 12 fr. » 

L'Église romaine et les Origines de la Renaissance, 
par M. Jean Guiraud. Cinquième édition. 1 vol. in-12. 12 fr. » 

Les Origines du Schisme anglican (1509-1571), par M. 
J. Trésal. Troisième édition. 1 vol. in-12 12 fr. » 

Histoire politique des protestants français (1715-1794), 
parM. Joseph Dedieu, docteur es lettres. 2 vol. in-12. 30 fr. » 

L'Eglise de France sous le Consulat et l'Empire, 
(1800-1814). par M. l'Abbé Constant. 1 vol. in- 12. Sou% presse. 



TYrOGRAPHIE FIintlX-DIDOT KT C'«. — PAKI3. — 1928. 



Bibliothèque 
de renseignement de l'histoire eoGlésiâstique 



fflSTOIRE DES DOGMES 



DANS 



L'ANTIQUITE CHRÉTIENNE 



m 



LA FIN DE L'AGE PATRISTIQUE 

(430-800) 



NIHIL OBSTAT 



A. AUBONNET, 
censor deput. 



IMPRIMATUR 



Lugduni, die 24 novembris 1911. 



F. LAYALLÉE, 
V. g. 



IMPRIMATUR 



Parisiis, die 27 novemBris 1911. 

P. PAGES, 

V. g. 



Bibliothèque de l'enseignement de l'histoire ecclésiastique 

HISTOIRE DES DOGMES 

dans" 

L'ANTIQUITÉ CHRÉTIENNE 

P.AR 

j/tixeront 

III 
LA FL^ DE L'AGE PATRISTIQUE 

(430-800) 

PAR 

aïs-- PIERRE BATIFFOL 

SEPTIÈME ÉDITION REVUE . 



PARIS 

LIBEAIKIB LECOFFRE 

J. GABALDA et Fils, Éditeurs 

RUE BONAPARTE, 90 
1928 






V. 




LÏBRABISS 



^^GAGO, ^ 






942502 



M. TIXERONT 



Au moment de donner la septième édition de ce troi- 
sième tome de VHistoire des dogmes dans l'antiquité 
chrétienne, nous avons eu scrupule de la donner sans 
en mettre discrètement la bibliographie au courant, et 
aussi sans dire un mot de l'auteur rappelé à Dieu en 
1925. Ce livre, devenu en quelque sorte classique, est 
de ceux dont l'autorité s'imposera longtemps encore : 
on nous saura gré de rappeler brièvement quelle fut la 
carrière, la méthode, l'esprit de M. Tixeront, et ce sera, 
je voudrais l'espérer, ajouter au crédit de son œuvre ^ 

M. Tixeront (Louis-Joseph), né le 19 mars 1856, à 
Ennezat (diocèse de Glermont), où son père avait 
acquis une étude de notaire, était d'Auvergne par 
toute son ascendance paternelle. Sa mère était du 
Velay. Il appartenait ainsi à une forte race, sans ima- 
gination, équilibrée, grave, croyante, dont l'éducation 
qu'il reçut n'était pas pour altérer les traits. Il fit ses 
études au collège ecclésiastique de Billom, tenu par 
des prêtres du diocèse de Glermont, et où il fut envoyé 

i. On devra lire la aoticé publiée par M. Podechahd, JosepA Tixeront., 
prêtre de Saint-Sulpice (Lyon, 1923). 



X AVANT-PROPOS 

à peine âgé de huit ans. Ce collège n'avait rien que de 
traditionnel dans sa pédagogie et aurait eu horreur de 
déraciner ses élèves. Joseph Tixeront.lùi dut de fortes 
études, une forte discipline, une forte piété; son édu- 
cation éveilla et développa la vocation ecclésiastique 
que Dieu avait mise en lui, et qui en 1873, son bacca- 
lauréat de rhétorique conquis sans effort, le conduisit 
au grand séminaire de Montîerrand, tenu par des prê- 
tres de la compagnie de Saint-Sulpice. 

Quand, à la sortie du grand séminaire, n'étant encore 
que diacre en raison de son âge, il s'ouvrit à son père de 
soi^intention d'aller compléter ses études théologiques 
à Paris et d'entrer ensuite dans la compagnie de Saint- 
Sulpice, il rencontra une opposition résolue. Le notaire 
d'Ennezat ne voulait pas admettre que son fils aban- 
donnât le diocèse où il était né et semblât faire fi de la 
voie commune. Joseph Tixeront, qui n'avait aucune 
ambition, sinon celle d'un bien supérieur, désarma 
cependant l'opposition paternelle, il n'avaif plus sa 
mère alors, et put partir pour Saint-Sulpice : il y 
arriva en octobre 1878, et il fut ordonné prêtre en 
décembre 1879. Je me rappelle avoir assisté à son 
ordination. 

Il demeurait au séminaire Saînl^Sulpice, mais il sui- 
vait les cours de la Faculté de théologie : il les suivit 
deux années. Il appartenait ainsi à un petit groupe de 
nos condisciples, que, jeunes séminaristes, nous consi- 
dérions comme une élite privilégiée. Dans ce petit 
groupe je revois distinctement M. Dadolle (le futur 
évêque de Dijon) et M. Tixeront son ami, parmi d'au;^ 
très dont le souvenir s'efîace, et je me rappelle quel 
plaisir je trouvais à me mêler à eux, à les écouter cau- 
ser de leurs études et de leurs maîtres de l'Institut 



AVANT-PROPOS II 

catholique, dont l'étoile ne faisait alors que de se lever. 
On serappelle peut-être ce qu'en dit dans Choses passées 
M. Loisy, qui, ce même octobre 1878, était entré au 
séminaire des Carmes et suivait les mêmes cours que 
M. Dadolle et M. Tixeront. La scolastique napolitaine 
du P. Jovene les étonnait sans les conquérir, l'exégèse 
de l'abbé Paulin Martin leur semblait plus érudite que 
rigoureuse, les leçons d'histoire de l'abbé Duchesneleur 
inspiraient un intérêt extrême. On a dit avec justesse 
que M. Tixeront n'était pas homme à jamais renoncer 
à rien de ce qu'il avait acquis, mais que, avec M, Du- 
chesné, il découvrait l'histoire, l'histoire méthodi- 
quement pratiquée, et la solidité de cette méthode, 
qui répondait admirablement à une exigence de son 

j esprit, achevait sa formation et lui donnait son pli défi- 
nitif. Toute sa vie, a dit le biographe de M. Tixeront, 
il gardera, « pour l'homme à qui il devait cet achève- 

"ment, une admiration profonde et une confiance qu'il 
savait méritée ». 

A l'Institut catholique de Paris, M. Tixeront avait, 
outre l'hébreu, appris le syriaque, qu'enseignait l'abbé 
Paulin Martin. M. Tixeront ne songeait pas à devenir 
un orientaliste de profession, mais les sources syria- 
ques de l'histoire ecclésiastique sont trop abondantes 
pour être négligeables ^ ; plus historien que ne le sont 
bien des orientalistes, il pourrait en tirer un parti que 
M.,Duchesne regrettiait tout le premier de n'avoir pu 
tirer, faute d'atteindre sans intermédiaire la littéra- 
ture syriaque. Entré dans la compagnie de Saint-rSul- 
pice, que gouvernait en ce temps-là un vieillard sévère 
aux études historiques de l'envergure de celles dé 

i. Voyez F. Haase, AUchristUche Kirchengeschichte naeh orienta- 
lischen Quellen (1925). 



XII AVANT-PROPOS 

M. Duchesne, M. Tixeront fut pour ses débuts chargé 
d'enseigner, au grand séminaire de Lyon, la philo- 
sophie scolastique, trois ans, puis l'apologétique, cinq 
ans. Ces occupations ne le détournèrent pas du tra- 
vail qu'il s'était fixé, il le mûrit lentement et sûre- 
ment : en 1888, il publia enfin la thèse de doctorat en 
théologie qu'il soutint à l'Institut catholique, Les ori- 
gines de l'Église iTEdesse et la légende d'Abgar, 
Étude critique suivie de deux textes orientaux inédits 
(Paris, 1888). Ce travail était de tout point personnel 
et remarquable. 

La légende du roi Abgar, qu'Eusèbe a recueillie 
dans son Histoire ecclésiastique, et devant laquelle 
s'était montrée hésitante la bonne foi de Baronius et 
de Tillemont, appelait une critique décisive : il fallait 
en faire l'histoire littéraire, d'abord, et quand on en 
aurait discerné et daté les rédactions, alors, et alors 
seulement, on pourrait dire ce qu'elle contenait de 
croyable. M. Zahn et M. Lipsius en avaient traité (1880 
et 1881) sans tomber d'accord : il y avait lieu de repren- 
dre après eux le problème et d'arbitrer la controverse. 
M. Tixeront y réussit. Les -conclusions auxquelles il 
aboutit, par une discussion approfondie, ferme, judi- 
cieuse, sont les conclusions qui se sont imposées et 
qui n'ont pas varié depuis. 

La plus ancienne forme de la légende, qui s'est 
établie au m* siècle, a été recueillie par Eusèb.e et 
prise par lui à un récit syriaque, édessénien de prove- 
nance. Plus tard, à la fin du ly^ siècle ou au début 
du v% ce récit a été remanié en syriaque et traduit en . 
grec, c'est la fameuse Doctrina Addai. Les lettres 
supposées d' Abgar à Jésus et de Jésus à Abgar sont 
uns fiction, la venue d' Addai à Edesse immédiatement 



AVANT-PROPOS xni 

après l'ascension du Sauveur est une fiction tout 
autant, il faut renoncer à trouver une Église établie 
en Osroène avant le milieu du second siècle. Le pre- 
mier é.vêqué connu d'Édesse, Palout, apparaît vers 
ï'an 200. 

En appendice de sa thèse, M. Tixeront étudiait les 
récits et les légendes relatives a l'invention de la vraie 
croix. \j3l Doctrina Addai, en effet, contient un récit 
épisodique de la découverte de la croix, qui attribue la 
découvertes à la femme de l'empereur Claude, Proto- 
riiké, convertie par saint Pierre, partant en pèlerinage 
pour Jérusalem où elle est reçue par saint Jacques, et 
se faisant remettre par les Juifs le sépulcre du Christ : 
on y trouve trois croix, dont l'une se révèle par un 
miracle être la croix du Christ. L'impératrice retourne 
à Rome et Claude expulse les Juifs d'Italie. Cette 
légende n'est pas la seule : il existe un autre récit, 
qui suppose l'empereur Constantin, converti et baptisé, 
envoyant sa mère, sainte Hélène, à Jérusalem à la 
recherche de la vraie croix. Hélène réunit les Juifs et 
les somme de lui dire où ils cachent la croix. Un Juif 
nommé Judas, descendant de Nicodème, mène Hélène 
au Calvaire, où, à vingt pieds de profondeur, on 
déterre trois croix, etc. Judas se convertit et peu après, 
sous le nom de Cyriaque, il est fait évêque de Jéru- 
salem. Hélène expulse les Juifs de la Judée. Une 
troisième légende est celle qui montre sainte Hélène 
arrivant en pèlerinage à Jérusalem, et par une inspi- 
ration divine cherchant au Calvaire la croix du Christ 
enfouie par les Juifs : elle fait creuser le sol, on déterre 
trois croix, etc. Cette légende est produite pour la 
première fois par saint Ambroise, en 395, dans son 
panégyrique de Théodose. 



xir AVANT-PROPOS 

M. Tixeront avait à s'orienter et à prendre parti. 
La légende de Protoniké peut remonter au début du 
v^ siècle ou au dernier tiers du iv® : elle est sy- 
rienne, elle est antérieure à la légende de Judas-Cyria- 
que, elle est d'un temps et d'un milieu qui ignorait 
le rôle d'Hélène. Cependant M. Tixeront, avec 
M. Lipsius, crfiit que la légende d'Hélène attestée par 
saint Ambpoise, est indépendante et antérieure. Elle 
n'a "contre elle que le silence d'Eusèbe. 

Si nous nous sommes arrêté à analyser la thèse de 
M. Tixeront, c'est que nous voulions faire apprécier la 
méthode qu'il appliquait et la fermeté de ses conclu- 
sions. M. Dnchesnè [Bulletin critique] V' février 1889) 
a exprimé le regret qu'il eût laissé en dehors de ses 
recherches l'étude du souvenir de saint Thomas à 
Edesse, et de son tombeau qui y fut en si grande véné- 
ration. Lui-même nous apprend que M. Tixeront avait 
l'intention de diriger ses études du côté de l'histoire 
ecclésiastique de la Mésopotamie et de la Perse : il 
commençait par Edesse, et à Edesse par les origines : 
il pourrait penser plus tard à cette Eglise de Perse 
qui, au Moyen Age, étendit tellement ses missions, 
qu'elle compta jusqu'à vingt-cinq métropoles, de Ni- 
sibe à Bombay et à Példn, et sans oublier la fameuse 
inscription nestorienne de Hsi-an-fu, Il eût fallu, pour 
que ce vaste dessein s'exécutât, que M. Tixeront fût 
encouragé, ce fut le contraire qui arriva. Sa thèse fut 
attaquée avec vivacité dans une revue de Lille, la 
Revue des sciences ecclésiastiques^ . M. Paulin Martin 



i. Les attaques contre l'abbé Ducliesne et son enseignement sur la 
doctrine trinitaire auléaiccenne, en 1S82, étaient veuues de la même 
revue et procédaient (peut-on croire) de la même inspiration. Voyez 
M^"- B^UDRiLLART, Vie de M^' d'Hulst, 1. 1 (1912), pp. 459 462. 



AVANT-PROPOS XT 

croyait devoir témoigner ainsi de son peu de goût 
p,our la critique de M. Duchesne, qui le lui rendait 
largement. Saint-Sulpice ne s'émut pas plus qu'il 
ne convenait de ces attaques, et M. Tixeront fut en 
1889 promu à la chaire de dogme, au grand sémi- 
naire de Lyon. 

Dès la seconde année, il dut interrompre son ensei- 
gnement, pour ménager ses forces qui s'épuisaient. 
On lui donna le cours de prédication qui ne comptait 
"guère qu'une leçon par semaine; en 1892, il put assu- 
mer le cours de morale ; en 1896, il fut nommé direc- 
teur du séminaire des Facultés catholiques de Lyon, 
qui était quasi un poste de retraite. M. Tixeront 
avait alors quarante ans. Nous ne douterons pas que 
sa santé expliquât cette retraite, mais il s'y ajoutait 
que M. Tixeront n'avait été invité par personne à 
poursuivre ses études sur l'histoire ecclésiastique 
d'Edesse. ' 

En 1895, au moment où nous travaillions à mettre 
sur pied la Bibliothèque de l'enseignement de l'histoire 
ecclésiastique^ il -fut un des tout premiers auxquels 
je pensai à demander leur collaboration. Je me rendis 
à Lyon pour le décider. Je le trouvai très découragé 
de rien faire et tournant résolument le dos aux études 
d'histoire critique qui lui avaient valu d'être suspect. 
J'insistai. Il me proposait une histoire de la prédication 
dont son cours du grand séminaire lui avait mis en 
mains les éléments. Je refusai. C'était une Z?w toi/ e 
des dogmes dont notre littérature catholique avait 
besoin. Ni M^"" Ginoulhiac, Histoire du dogme catho- 
lique pendant les trois premiers siècles de l'Eglise et 
jusqu'au concile de Nicée (1852), ni J. Schwane, His- 
toire des dogmes, dont on allait publier une traduction 



XVI AVANT-PROPOS 

française, ne pouvaient nous satisfaire et ne répon- 
-daient au renouvellement de la critique. Il était, lui, 
exceptionnellement préparé, il était seul capable de 
faire œuvre savante et sûre. Il ne me promit rien, il 
hésita longtemps, mais je trouvai un appui providentiel 
-en notre ami commun M»*" Dadolle devenu entre 
temps recteur des Facultés catholiques de Lyon : en 
1898, il fit créer pour M. Tixeront une chaire de 
patpistique. Cette nomination décida de ce qui allait 
être l'œuvre maîtresse de M. Tixeront, son Histoire 
des dogmes. 

Le premier volume parut en 1905, le second en 1909, 
le troisième en 1911 : cette histoire, fruit de l'enseigne- 
ment de M. Tixeront à la Faculté de théologie, avait été 
enseignée plutôt trois fois qu'une avant d'être rédigée 
en vue de l'impression. Les trois volumes ont été tra- 
duits en anglais, en 1910, 1914, 1916; en espagnol, en 
1913. Le premier volume a été traduit en allemand, en 
1913. 

Qui dit histoire des dogmes entend l'histoire de l'éla- 
boration dans l'Eglise des données de la foi chrétienne. 
Pareille élaboration n'est pas seulement celle qui a 
tme définition pour terme, mais celle aussi qui s'essaie 
à comprendre et à construire, et qui institue l'intelli- 
g-ence de la foi, au sens que saint Augustin a donné à 
rintelligence en fonction de la foi. L'histoire des 
dogmes déborde donc le champ des dogmes propre- 
ment dits, elle recouvre tout le travail de la pensée 
religieuse dans l'Eglise, sans exclure de cette histoire 
les erreurs que l'Eglise a notées d'hérésie. L'histoire 
des dogmes étant ainsi comprise, peut-être convient-il 
de ne pas la différencier trop nettement de l'histoire de 
la théologie, de la théologie historique, de la théologie 



AYANT-PROPOS xvii 

positive, disciplines diverses dont l'objet est au fond 
le même. 

L'histoire des dogmes, telle qu'elle s'est affirmée 
dans un manuel comme celui de A. Harnack (1886- 
1890), est dominée par cette prévention que le dogme 
s'oppose à l'Évangile et qu'il est le produit de l'es- 
prit grec. On décrit l'évolution à laquelle le dogme 
doit sa formation, pour mettre en évidence sa contin- 
gence, et autoriser le croyant moderne à s'en libérer : 
l'adogmatisme ritschlien trouve dans l'histoire des 
dogmes sa justification. On comprend que cette con- 
ception ne soit pas celle qui inspirait le De tkeologicis 
dogmatibus de Petau, ou les Theologica dogmata de 
Thomassin, voire VFIistoire des sacrements de Dom 
Chardon : pour eux, comme pour nous, la christologie 
est dans l'Évangile, et avec la christologie toute la 
dogmatique qui s'ensuit. Il est vrai qu'elle s'ensuit par 
un processus qui a demandé des siècles, et c'est ce 
processus qui est la trame de notre histoire des 
dogmes^. 

La méthode dogmengèschichtliche, méthode qui se 
corse présentement de l'appoint qu'elle prétend trou- 
ver dans la méthode religionsgeschichtl'che, s'oppose 
ainsi à notre méthode, tant à son point de départ qu'à 
son point d'arrivée. Cette opposition est présentement 
plus aiguë, de beaucoup, qu'elle ne l'était voici vingt- 
cinq ans : on excusera M. Tixeront de ne s'y être pas 
arrêté plus qu'il n'a fait, et on ne le diminuera pas en 
se réjouissant que le P. Lagrange dans son Eçangile 



1. On me permettra de renvoyer à mon article « Pour l'histoire des 
dogmes », publié dans le Bulletin de littérature ecclésiastique, 190:>, 
pp. 151-164, et à l'article • Qu'est-ce qu'un dogme? » ibid., pp. 187-231, 
surtout pp. 188-197, sur le dogme et l'histoire, du P. de GrauJmaison. 



XVIII AVANT-PROPOS 

de saint Jean (1925) et le P. Lebreton dans son His- 
toire du dogme de la Trinité, les tomes I et II de 
1927-28, laissent loin derrière eux les esquisses som- 
maires des trois premiers chapitres de M. Tixe- 
ront. 

Pour le reste, le livre de M. Tixeront a gardé toute , 
sa valeur. Il procède en étroite liaison avec l'histoire 
littéraire, étudiant les auteurs ecclésiastiques époque 
par époque, s'appliquant à présenter la doctrine de 
chacun dans des résumés qui se tiennent toujours en 
contact avec les textes, et qui détachent avec exacti- 
tude les points capitaux, sans chercher à mettre entré 
les auteurs une continuité qui serait un trompe-l'œil. 
On trouvera ses exposés un peu rapides : pourrait-il 
en être autrement dans une histoire qui consacre 
trente pages à Origène, vingt à Tertullien, cinq à 
Paul de Samosate? Il ne serait d'ailleurs pas exact de 
dire que M. Tixeront ne s'attache qu'aux auteurs, il 
expose les controverses qui ont divisé l'Eglise, comme 
celle du monarchianisme, comme celle de la discipline 
pénitentielle, et il a des vues d'ensemble comme ce 
« bilan doctrinal et théologique de l'Eglise à la veille 
de l'arianisme », qui clôt son premier volume et qui 
lui sert de conclusion. 

Depuis vingt-cinq ans, on a beaucoup écrit sur les 
auteurs et sur les doctrines du ii^ et du iii^ sièclCj du 
Marcion de M. Harnack au Paul de Samosate de 
M. Bardy. M. Tixeront a le mérite d'avoir présenté 
tous ces auteurs dans leur suite historique, de les 
avoir présentés en des raccourcis très fermes, de s'être 
interdit de les situer dans des perspectives artificielles. 
Il s'est imposé une objectivité stricte, sans 'cesse 
contrôlée, toujours de première main. Il n'avait au- 



AVANT-PROPOS xix 

cune prétention à l'originalité, il avait horreur des 
paradoxes, et voulait surtout être solide. On peut dire 
qu'il y a réussi, et que peu d'historiens parmi nous 
ont été moins que lui contredits et contestés par les 
gens du métier. 

Mais on s'étonnerait qu'un tel livre paru en 1905 
n'ait pas eu maille à partir avec les gens d'un autre 
bord : le premier volume de V Histoire des dogmes 
fut dénoncé par ces théologiens pour qui les dogmes 
n'ont pas d'histoire. La monographie que j'avais 
publiée cette même année du dogme de la présence 
eucharistique provoqua les mêmes dénonciations. 
On affectait de confondre l'histoire par nous pratiquée 
avec le modernisme que nous avions les premiers dia- 
gnostiqué et répudié. Dans sa chaire retentissante de 
la Grégorienne, le P. Billot ne se lassait pas de fulmi- 
ner contre M. Tixeront et contre moi, en 1906, et en 
ce temps-là son autorité était prépotente. On demanda 
au cardinal CouUié, archevêque de Lyon, la tète de 
M. Tixeront : le cardinal ne céda pas à cette som- 
mation. Il suggéra seulement à M. Tixeront de 
retoucher son livre de façon à éclaircir tout ce que 
des esprits prévenus pouvaient croire y découvrir 
d'équivoque. La clarté devait être la seule défense de 
la probité. L'orage se détourna de Lyon pour fon- 
dre sur Toulouse. 

M. Tixeront mit à achever son Histoire des dogmes 
la constance tranquille qui réglait toute sa vie. Les 
deux volumes, qui conduisaient cette histoire des 
débuts de l'arianisme à la fin de l'âge patristique, 
traitaient des sujets moins épineux que la théologie 
anténicéenne. La documentation était autrement touf- 
fue, et c'aurait pu être, pour un historien moins 



XX AVANT-PROPOS 

exigeant que ne l'était à lui-même M. Tixeront, une 
excuse à traiter certains points de seconde main : il 
ne s'y résigna jamais. Il connaissait les livres les plus 
récents; il les citait quand il fallait, loin de vouloir 
paraître les ignorer ; il ne puisait quant à lui qu'aux 
sources. Il ne s'y noyait pas. Il reste toujours maître 
de son exposition et la conduit avec rigueur à sa fin, 
qui est de montrer l'élaboration du définitif dans les 
vues imparfaites d'un auteur ou dans les controverses 
d'un temps. 

A mesure que le définitif se cristallise, la doctrine 
qui le commente s'approfondit et s'enrichit ; pour la 
présenter avec compréhension et pour la juger avec 
objectivité, l'historien a besoin d'une compétence 
théologique déliée. M. Tixeront montre là toute sa 
maîtrise. Il est à même d'interroger chaque auteur sur 
sa pensée, et de l'exprimer à son tour sans la dépasser 
ni la mutiler. On tremble toujours avec tels et tels 
qu'ils ne veuillent tirer à eux un saint Augustin, par 
exemple : avec M. Tixeront on est en sécurité, il est 
timoré pour nous, il a le scrupule perpétuel de la jus- 
tesse et de la mesure, sans chercher jamais à compli- 
quer, et en s'appliquant à être toujours net, et, comme 
Duchesne aimait à dire, à tirer au clair. On pourra en 
juger sur ce qu'il dit des variations du monophysisme 
ou de l'augustinisme. • 

Cette manière d'écrire l'histoire des dogmes et de 
la doctrine ecclésiastique a certainement une allure 
ancienne. Elle est en réaction très consciente contre 
la manière de telle ou telle Dogmengesckîchte alle- 
mande, de tel ou tel essai français plus récent et moins 
sérieux. Son histoire est surtout un inventaire, on l'a 
dit d'un mot qui porte, mais pareil inventaire nous 



AVANT-PROPOS XXï 

manquait. Si nous avons vu naguère des scolastiques 
convertis à l'histoire des dogmes, si nous avons vu 
de ces convertis remodeler la théorie newmanienne 
du développement et nous accorder bien au delà de ce 
que nous réclamions en 1905 pour l'histoire ^ il con- 
vient d'en reporter le mérite à une œuvre aussi judi- 
cieuse, aussi mûrie, aussi persuasive que celle de 
M. Tixeront. 

Ce fut son œuvre capitale. On y joindra quelques 
études détachées, qui en dépendent, un précis de 
patrologie, qui est un excellent manuel de séminaire 
et dont le succès a été très large, enfin un petit livre 
sur les ordinations, qui est loin d'être sans valeur. 

M. Tixeront est mort à Lyon, le 3 septembre 1925^ 
dans sa soixante^dixième année. Il était depuis 1902 
doyen de la Faculté de théologie, et la confiance de 
tous, à commencer par celle des cardinaux archevêques 
de Lyon sous le regard de qui il avait enseigné, s'était 
attachée à lui et était depuis longtemps sans réserve. 
Elle allait à sa doctrine et aussi bien à son caractère. 
Nous avons beaucoup perdu en le perdant, mais il 
avait pu achever son œuvre. Dieu nierci, et elle rendra 
bien des services encore à la pensée catholique. 

Paris, samedi saint, 1928, 

Pierre Batiffol. 

'1. Nous pensons à F. Marin-Solà, L'évolution homogène du dogme 
catholique (i924). 



HISTOIRE DES DOGMES 

LA FIN DE L'AGE PATRISTIQUE 
CHAPITRE PREMIER 



APERÇU GENERAL DE LA THEOLOGIE GRECQUE 
DU V' AU VII® SIÈCLE. 



§ 1. — Les écoles et les personnes. 

On a déjà signalé, dans le volume précédent, les 
tendances divergentes, surtout en christologie, qui 
séparaient les deux écoles d'Antioche et d'Alexandrie. 
L'apollinarisme avait été comme un premier éclat de 
ce désaccord. Au v^ siècle, ces divergences allaient 
s'accentuer et susciter, en s' exagérant, deux grandes 
hérésies, le nestorianisme et l'eutychianisme. Le pre- 
mier, assez vite contenu et réduit à s'exiler en Perse, 
ne troubla pas trop, en somme, la paix de l'Église; 
mais le second, installé au cœur de l'empire d'Orient 
et prépondérant dans des provinces entières, opposa 
aux décisions ecclésiastiques aussi bien qu'aux décrets 
des empereurs une résistance opiniâtre. Subtil dans 
ses formules, habile à reparaître sous \m autre nom^ 
il obligea, par la force de son organisation et malgré 

HISTOIRE DES DOGMES. — III. 1 



2 HISTOIRE DES DOGMES 

ses dissensions intérieures, le pouvoir à compter avec 
lui, et lui imposa plus d'une fois des ménagements 
nécessaires. ' 

Ces luttes eurent pour théâtre l'Eglise grecque, et 
les protagonistes en furent des théologiens grecs. L'É- 
glise latine cependant et surtout celle de Rome y in- 
tervint assez souvent, tantôt sollicitée par les partis 
en présence, tantôt de sa propre initiative. Ce fut, la 
plupart du temps, par des sentences d'autorité plutôt 
que par des traités de polémique. Rome et l'occident 
avaient, sur les questions en litige, leur siège fait et 
leur langage à peu près fixé. Ces solutions leur pa- 
raissaient suffisantes, et l'on n'y goûtait guère la ma- 
nie disputeuse et l'inquiète curiosité des grecs. 

C'est pour cela que nous avons cru pouvoir mettre 
au compte de la théologie grecque tout ce qui regarde 
les luttes christologiques du v* au vu* siècle. Ces 
luttes n'absorbèrent pas d'ailleurs tellement cette théo- 
logie qu'elle n'ait réalisé, sur d'autres points, des pro- 
grès appréciables. Nous aurons à en tracer plus tard 
un tableau d'ensemble. 

Les deux noms qui viennent d'abord à l'esprit, 
comme représentatifs, au v^ siècle, des deux écoles 
alexandrine et antiochienne dont j'ai parlé, sont natu- 
rellement ceux de saint Cyrille d'Alexandrie et de 
Théodoret. Saint Cyrille ^ , évêque de 412 à 444, reste, 
avec Origène, le plus puissant théologien qu'ait pos- 
sédé l'Église grecque, et avec saint Athanase, le doc- 



1. OEuvres dans p. G., LXVHI-LXXVII (voir à la fin du volume le dé- 
tail des ouvrages cités ici). — Travaux : E. Weigl, Die Beilslehre 
des hl. Cyrill von Alexandrien, Mainz, 190S. J. Mahé, L'eucharistie 
d'après saint Cyrille d'Alexandrie, dans Revue d'hist. eeclés., Vlll (1907). 
ID., La sanctification d'après saint Cyrille d'Alexandrie, ibid., X (1909). 
A. Struckmann, Die Eucharistielehre des hl. Cyrill v- Alexandrien, Pa- 
derborn, J910. 0. Bardeîshewer, Geschichte der altkirchlichen Litera' 
tur, t. IV, Freiburg, 1922, p. 23-74. 



LES PÈRES GRECS DU V AU VII* SIÈCLE. 8 

teur dont l'autorité fut la plus invoquée, dont l'auto- 
rité fut la plus décisive sur la définition de la doctrine 
chrétienne. Comme Athanase est l'homme du consub- 
stantiel, Cyrille est celui de l'unité du Christ; et il 
pousse jusqu'aux limites extrêmes où elle est compa- 
tible avec l'orthodoxie cette idée capitale. Ses adver- 
saires attaqueront son langage et les monophysites en 
abuseront; mais les conciles orthodoxes, sans l'adopter 
eiitièrement, s'efForceront de l'expliquer et de le jus- 
tifier. 

En face de saint Cyrille se montre Théodoret (évêque 
en 423, f v. 458) ^ Caractère plus aimable que son 
adversaire, écrivain plus correct et plus élégant, exé- 
gète plus serré, il lui est inférieur en puissance d'in- 
tuition et en profondeur de sens théologique. Lui aussi 
est allé, dans une direction opposée à celle de saint 
Cyrille, jusqu'à l'extrême limite de l'orthodoxie, ou 
peut-être même y est-il revenu après l'avoir dépassée. 
Mais il n'a pas bénéficié de la même indulgence de la 
part des conciles, et sa mémoire, à qui ne regarde que 
la surface, en paraît diminuée. Ne vaut-il pas mieux 
croire cependant que la Providence l'avait suscité 
comme un utile contrepoids aux entraînements de son 
rival, comme une barrière aussi aux poussées héréti- 
ques de ses propres amis. 

Ce qui a nui en effet à Théodoret devant la posté- 
rité, c'est, pour une bonne part, quelques hommes que 
nous trouvons dans son entourage, et dont il a subi 
plus ou moins l'influence. Il avait eu pour maître, à 
l'école d'Antioche, Théodore de Mopsueste, et pour 
condisciple Nestorius. C'étaient les deux têtes de l'hé- 

i. Œuvres dans P. G., LXXX-LXXXIV (V. à la fin du volume le dé- 
tail des ouvrages cités ici). — Travaux : N. Gldbokowski, Le bienheu- 
reux Théodoret (en russe), Moscou, 4890. J. Schdlte, Théodoret von 
Cyrus als Apologot, Wlen, 1904. K. (iuENTHEU, Théodoret von Cyrus, 
Aschaffenburg, 1913. Bardehubayer, p. 219-247. 



4 HISTOIRE DES DOGMES. 

résie. A Nestoriûs il garda, jusque vers la fin de sa 
vie, une inviolable fidélité, et il ne se décida à se sépa- 
rer de lui que sur l'injonction formelle du concile de 
Chalcédoine. Puis, à ses côtés, combattant contre Cy- 
rille, on rencontre Paul d'Emèse, André de Samosate. 
qui resteront orthodoxes, mais aussi Alexandre d'Hié- 
rapolis et Eutherius de Tyane qui verseront dans l'hé- 
résie, et Ibas, le futur évêque d'Édesse {év. en 435, 
-|- 457), qui partagera sa condamnation au V^ concile 
général. 

Les noms de Théodoret et de saint Cyrille ferment, 
en quelque sorte, la liste des grands écrivains de l'É- 
glise grecque : la veine littéraire est épuisée, et l'âge 
■commence d'une théologie moins éloquente, mais plus 
subtile. Indépendamment du Pseudo-Aréopagite, dont 
les ouvrages font leur apparition autour de l'an 500, et 
de saint Ephrem d'Antioche (527-544), dont les livres 
sont presque entièrement perdus * , le vi^ siècle produit 
un théologien de race, le moine Léonce de Byzance 
{■f- V. 543) -, le plus rude adversaire de Sévère d'An- 
tioche, le conseiller et le maître de Justinien, et qu'on 
a pu appeler le premier des scolastiques, parce qu'il 
introduit, un des premiers, dans ses ouvrages, la ri- 
gueur et la souplesse à la fois d'une dialectique sa- 
vante. Esprit pénétrant autant qu'érudit, son rôle est 
de montrer l'harmonie foncière qui existe entre les 
décisions des conciles d'Éphèse et de Chalcédoine. Le 
concile de 553 consacre, en grande partie, ses vues, 
mais sans empêcher, au vu® siècle, le retour offensif 
du monophysisme sous le nom de monothélisme. 
Contre cette dernière hérésie, deux écrivains s'élèvent 



1. Voir ce qu'il en reste dans P. G., LXXXVI, 3. 

2. Œuvres dans P. 6., LXXXVI, 1, 2. La liste de ses ouvrages authen- 
tiques et des travaux qui le concernent sera donnée au chapitre v, 
S 4. 



LES PERES GRECS DU V AU VIP SIECLE. 5 

qui font encore bonne figure dans la théologie grecque 
et qui en sont alors, avec Anastase le Sinaïte (f peu 
après 700) ^ et avant saint Jean Damascène, les repré- 
sentants les plus glorieux, saint Sophronius de Jéru- 
salem (-f- 638) 2 et surtout saint Maxime le Confesseur 
(t 662) 3. 

C'est en fonction delà doctrine christologique, on le 
voit, que s'est développée, du v* au vn^ siècle, toute 
cette littérature théologique grecque. Un seul auteur 
fait exception, le Pseudo-Denys l'Aréopagite '*. Son 
attitude dans les questions débattues de son temps a 
été assez ambiguë pour que les monophysites puissent 
s'en prévaloir et les orthodoxes la défendre. Mais l'in- 
térêt de ses livres estailleurs.il est dans la tentative 
faite par l'auteur, d'une part, pour introduire dans 
l'explication des crsyances chrétiennes les enseigne- 
ments et les procédés néoplatoniciens, ceux de Proclus 
y compris, — d'autre part pour donner un exposé ri- 
goureux de la théologie mystique, et la souder étroite- 
ment à la théologie ecclésiastique, dont elle ne paraît 
être, dans son système, qu'une interprétation plus 
haute. Œuvre singulièrement puissante, malgré les. 
obs curités et les puérilités qui la déparent, et qui a 
influencé dans une large mesure toute la théorie de 
la mystique chrétienne. Saint Maxime en fit le com- 
mentaire, et le moyen âge, qui ne douta pas que ces 



1. Œuvres dans P. G., LXXXIX. 

2. OEuvres dans P. G., LXXXVn, 3. Sur sa dogmatique, voirH.STRAC- 
BiNGER, dans Der Katolik, 1907, I. 

3. CEuTre s dans P. G., XC, XCI, et IV. Voir sur lui plus complète- 
ment le chap. VF, % 4. 

4. OEuvres dans P. G., m, IV. — Travaux : J. Stiglh ayu, Dos AufTcom- 
men der pseudodionysischen Schriften, Feldkir<ili, 1895. 0. Siebbrt,, 
Die Metaphysik nnd Ethik des Pseudo-Dionysius ^reop., Jena, 1894. 
H. KocH, Pseudo-Dionysius Areop. in seinen Beziehungen zutn Neopla- 
tonismus und Mysterienwesen, Mainz, 1900. H. Meertz, Die Gottesùkre 
des Pseudo-Dionysius Areopagita, Bonn, 1908. Bardenhewer, p. 282-299. 

\ 



6 HISTOIRE DES DOGMES. 

livres n'eussent l'Aréopagite pour auteur, les cita et 
les révéra presque à l'égal des textes sacrés. Par eux, 
le néoplatonisme se trouva, dans les traités de scolas- 
tique, avoir sa place à côté des spéculations d'Aristote, 
et ce n'est pas là une des moins curieuses conséquences 
de la pia fraus qui les avait d'abord introduits sous 
le nom du disciple de saint Paul ^. 



§ 2, — L'Écriture, la tradition et l'Église, 
la philosophie. 

Dans la période que nous étudions, l'Ecriture con- 
serve, parmi les lieux théologiques, la place que l'an- 
tiquité lui a donnée. On la regarde toujours comme 
inspirée, comme l'œuvre du Saint-Esprit qui s'est servi 
des auteurs sacrés comme d'organes pour dicter ses 
enseignements 2. Dès lors elle ne saurait errer, et nous 
sommes assurés de trouver en elle la source du salut 
et delà vraie doctrine, l'oracle infaillible dont l'auto- 
rité l'emporte infiniment sur les raisonnements hu- 
mains '. La façon de l'interpréter, nous le savons déjà, 
est différente dans l'école d'Alexandrie et dans celle 
d'Antioche. Saint Cyrille, bien qu'il ne sacrifie pas le 
sens historique et littéral, surtout dans ses ouvrages 
dogmatiques, s'abandonne volontiers, dès qu'il est 
libre, à la Ôswpia •jrveujxaTixv], à une interprétation allé- 

1. entre les auteurs meniionnés dans le texte, et qui sont les princi- 
paux, en voici quelques autres dont on invoquera le témoignage sur- 
tout au chapitre vu de cette étude : Sjunt Nil (f . 430, P. G., LXXIX); 
Saint Isiooue de Pélnse (f v. 440, P. G., LXXVHI); Théodotb d'Ancyre 

.(t T. 445, P. G., LXXVll); PaocLOs de Constantinople (f 446, P. G., 
LXV); Basile de Séleucie (t v. 459, P. G., LXXXV); Eutychios de Cons- 
tantinople (t SS-2, P. G., LXXXVI, 2) ; S-UNT Jean Cumaqde (f v. 600, P. 
G., LXXXVUI). 

2. Cyriix., In Isaiam, 1. ni, t. II, c. 29, y. 11, 12 (col. 6o6) ; Théodoret, 
In psalm., praef. (col. 861); In Daniel., praef. (col. 1337). 

3. Cyrill., De recta fide ad reg., II, 1 ; TnÉonoBET, Graeear. affeeU CU> 
ratio, sermo lY (col. 924). 



LES PERES GRECS DU V AU VII* SIÈCLE. 7 

gorique et mystique qui laisse subsister la lettre, mais 
en tire des enseignements plus élevés^. Théodoret, 
sans nier l'utilité de cette exégèse, serre de plus près 
le sens historique et tient compte davantage de l'élé- 
ment humain qui entre dans la composition des Saints 
Livres ^. Au reste, l'usage continue de ces dossiers 
scripturaires que l'on compilait en vue des contro- 
verses régnantes, et qui défrayaient toutes les discus- 
sions. On en trouve un exemple remarquable dans le 
De recta fide ad reginas, i, de saint Cyrille qui n'accu- 
mule pas, contre les nestoriens, moins de cinquante- 
sept colonnes de textes'; et un second, moins considé- 
rable de beaucoup, dans la Dispute de saint Maxime 
avec Pyrrhus''. 

Là n'est pas la nouveauté introduite par le v® siècle 
relativement aux sources de la théologie. La nouveauté 
consiste surtout dans une idée plus claire qu'il se fait 
de l'argument de tradition proprement dit et de sa 
valeur. Le iv® siècle invoquait volontiers, en dehors de 
l'Écriture, des traditions orales transmises à l'Église 
par les apôtres et parvenues jusqu'à nous : ces tradi- 
tions tiraient leur force de la source d'où elles éma- 
naient. Puis, nous voyons quelques auteurs, saint 
Athanase, saint Basile, saint Augustin, faire appel, en 
faveur de leur sentiment, à l'autorité de docteurs an- 
térieurs, Origène, Denys, saint Ambroise, saint Gré- 
goire de Nazianze. Subitement, à partir de saint Cyrille, 
cette dernière forme d'argument prend un développe- 
ment énorme. On ne se contente pas d'invoquer en 
général la pensée des Pères [^ twv àyiiov Ttatspojv cuvecrtç) ^ ; 

1. In Isaiam, 1. 1, or. IV, c. 7, v. l (col. loa). 

2. In Galat., IV, 21 et suiv. (col. 489; ; Graecar. a/fecLcur., sermo Xlll 
(col. 1008). 

3. P. G., LXXVI, 1221-1330. 

4. P. G., XCI, 323-308. 

.5 Cyrill., In loannis evang.,. IX (col. 210) ; Théodoret, Epist. CLI (col. 
1440), CXLV (col. 1384). 



8 HISTOIRE DES DOGMES. 

on fait la théorie de cette preuve. Le Saint-Esprit parle 
par les Pères^: les Pères nous enseignent ôpOSç ts 
kaX àizkavoiç, et ils forment, dans l'Eglise, une succession, 
ininterrompue dans laquelle saint Cyrille; n'hésite pas, 
comme évêque, à se mettre lui-même 2. C'est l'argu- 
ment de l'autorité de l'Église dispersée s'exprimant 
par ses pasteurs. 

Aussi, de même que l'on a constitué des dossiers 
scripturaires, on constitue, en vue des controverses à 
soutenir ou des conciles à célébrer, des dossiers pa- 
tristiques, recueils où chacun va puiserj qui passent 
d'un auteur à l'autre et qu'on s'efforce toujours d'en- 
richir 2. Saint Cyrille en avait préparé un qui fut lu à 
la première session du concile d'Ephèse"*. Les évê- 
ques orientaux, de leur côté, en compilèrent un autre 
^'ils ne purent utiliser immédiatement, mais qui a 
passé en partie dans VEranistes de Théodoret. Ce der- 
nier ouvrage lui-même en contient trois contre les 
monophysites^. Nous en trouvons im semblable dans 
l'ouvrage attribué à Léonce de Byzance contre les 
mêmes hérétiques^. La controverse monothélite en 
suscita de nouveaux. La lettre du patriarche Mennas à 
Vigile, au dire de Sergius, aurait déjà réuni des 
textes, en faveur d'une unique volonté en Jésus-Christ '. 
Ce qui est certain, c'est que le patriarche Macaire pré- 
senta au sixième concile œcuménique — sessions cin- 
quième et sixième — trois recueils de ce genre^^. Les 

1. Cyrill,, AdV' Nestor., IV, 2 (col. 176) : },a),oûvTo; èv aÙToïç tov 
àytou îtveOjiaTOç. 

2. CYRiii,, In psalm. XLII, v. 13 (col. 1068). 

3. V. L. Saltet, Les sources de VEranistes de Théodoret, dans Revue 
d'hist. eccléS; YI (I90S). R. Draguet, Le florilège antichalcédonien dit 
Vatic. gr. 1431, ibid. 1928, p. 51-62. 

4. Maxsi, Coll. concil., IV, 1183; cf. De recta fide ad reg., I, 9, 10. . 

5. P. G., LXXXm, 73-104; 169-217; 284 317. 

6. Contra monophysitas {P. G., LXXXVI, 2, col. 1817-1864). 

7. 3IASSI, XI, 532. 

8. IHanïi, XI, 316 et suiv. 



LES PÈRES GRECS DU V* AU VIP SIÈCLE. 9 

orthodoxes,' de leur côté, ne restèrent pas en retard, 
et saint Maxime d'abord * , puis les légats présents au 
concile de 680 ^ produisirent à leur tour des dossiers 
patristiques en faveur du dyothélisme. Tous ces faits 
montrent surabondamment l'importance qu'avait prise, 
depuis le v^ siècle, la preuve tirée des Pères consi- 
dérés comme docteurs et comme organes de la tradi- 
tion ecclésiastique. 

Quant à la philosophie, on peut dire que, dans cette 
même période du v^ au vii^ siècle, son influence alla 
grandissant, et que l'usage que l'on en fit dans la 
théologie devint plus fréquent à mesure que les ques- 
tions controversées exigèrent des analyses plus sub- 
tiles et des raisonnements plus serrés. Théodoret parle 
assez légèrement des philosophes anciens en général : 
il ne croit guère à leur vertu ni même à leur origina- 
lité intellectuelle^. Saint Cyrille en fait plus de cas et, 
dans sa réfutation de Julien, s'autorise volontiers de 
Platon, de Pythagore et de Plotin''. Mais dans l'œuvre 
de Léonce de Byzance, la philosophie tient une place 
énorme : elle en forme la partie la plus neuve. Et la 
même disposition se retrouve dans les écrits de saint 
Maxime^. Cette philosophie, toutefois, n'estplus, d'une 
façon aussi marquée, celle de Platon ou de Pythagore. 
Depuis la fin du v« siècle une évolution se produit qui 
tend à allier d'abord, puis à substituer chez les théolo- 
giens l'influence d'Aristote à celle de Platon. Cette 
évolution est due, je l'ai dit, au besoin ressenti d'une 
dialectique plus sévère. Le platonisme ainsi combattu, 

1. Opuscula theologica (P. G., XCI, 160-169). 

2. Dans la session dixième, Mansi, XI, 388 et suit. 

3. Grsec. a/fect. curatio, I, V, col. 792,793,931; De providentia, I, col. 
8S7, 560. 

4. C. Iulianum, I, VIII, col. S48, 917 et suiv. voyez cependant V, 
col. 773 et suiv. 

5. v. sur les philosophes le sermo XVII des Loci communes (P. Cf., 
XCI, 8i7 et suivj. 

1. 



10 HISTOIRE DES DOGMES. 

OU plutôt le néoplatonisme règne cependant en maître 
dans les œuvres du Pseudo-Aréopagite, et par lui 
pénètre dans les commentaires de saint Maxime. 11 
restera la philosophie de la théologie mystique et con- 
templative, de cette théologie qui, comme l'écrit le 
faux Denys, ne démontre pas la vérité, mais la fait 
voir à nu sous les symboles, et y fait pénétrer sans 
raisonnement l'âme altérée de sainteté et de lumière*. 

1. Epist. IX, 1. 



CHAPITRE II 

LB NESTORIANISME. DEFINITION DE l'uNITÉ 
DE PERSONNE EN JÉSUS-CHRIST. 

§ 1. — La christologie antiochîenne de la fin du IV* et 
du coin.in.en.ceirLen.t du V" siècle. Diodore de Tarse 
et Théodore de Mopsueste. 

On a eu l'occasion de rappeler déjà les tendances 
opposées qui séparaient, en matière christologique, 
l'école d'Antioche de celle d'Alexandrie. Celle-ci met- 
tait au premier plan la divinité du Verbe incarné, et 
l'unité intime de sa personne : celle-là s'appliquait, au 
contraire, à bien marquer la distinction des deux na- 
tures dans l'Homme-Dieu, et s'intéressait spécialement 
à sa vie et à ses expériences humaines. Apollinaire 
avait exagéré jusqu'à l'hérésie la tendance alexan- 
drine : il avait été unanimement condamné. Mais on 
pouvait corrig-er en partie son système et en retenir les 
conclusions : c'est ce que fît Teutychianisme. L'école 
d'Antioche, à son tour, connut à la fin du iv« et au 
commencement du v^ siècle, des représentants de son 
enseignement qui en outrèrent l'expression et en ou- 
blièrent les justes correctifs. L'histoire a groupé leurs 
noms autour de celui de Nestorius. 

Nous avons à exposer ces deux mouvements d'idées, 
en commençant par celui qui se rattache à Nestorius. 



12 HISTOIRE DES DOGMES, 

Que l'on veuille bien seulement se rappeler, d'après ce 
qui vient d'être dit, que ni Nestorius ni Eutycïiès a'ont 
été, à proprement parler, les créateurs des hérésies 
dont ils portent la responsabilité. Ces hérésies exis- 
taient avant eux et ne sont, je le répète, que l'expres- 
sion des tendances de leurs écoles respectives, portées 
à l'état ajigu. 

A la première école d'Antioche, fondée par le martyr 
saint Lucien [f 312), en avait succédé, vers le milieu 
du IV® siècle, une seconde qui .eut pour auteur Diodore. 
Diodore ^ était antiochien de naissance et, pendant 
les luttes arienne et apollinariste, soutint vaillam- 
ment, de la parole et de la plume, la cause de l'or- 
thodoxie. Elevé en 378, par les soins de Mélèce, sur 
le siège de Tarse, il jouit pendant sa vie d'une excep- 
tionnelle cousidération, juste récompense de sa science 
et de ses vertus. Cependant, après sa mort, survenue 
entre les années 386-394, et à partir du v^ siècle, cette 
réputation déclina. Saint Cyrille d'Alexandrie s'était 
rendu compte que la source du nestorianisme était à 
chercher plus haut que les écrits de Nestorius, et il 
crut la trouver dans ceux de Diodore. Il n'hésita pas 
à les dénoncer^; mais tous ses efforts pour les fai^e 
condamner furent vains, et il ne paraît pas que Diodore 
ait été anathématisé par d'autres que par les mono- 



1. Sources : Ce qui reste de ses écrits, réuni dans-î». G., XXXm, lo59 
et suiv.; Marius MERCATJnR (P. L., XLVin, H/j6-1148); Vno-nvs, Biblioth., 
cod. 2-23 (P. G., cni,^29-877);P. deLagabde, jlnatec/o syriaca, p. 91-100; 
M. Harnack lui attribue en outre la Confutatio dogmatum Aristotelis 
du Pseudo-Justin, les Quaestiones et responsiones ad orthodoxes, les 
Quaestiones christianorum ad Gentiles,\ç^% Quaestiones géntilium aà 
ehristianos {Otto, Corpus apologet., tom. IV, V). L'attribution, est peu 
vraisemblabie. Bardeniiewer, t. III (1912), p. 304-311). 

2. Epist. XI.V, lAVII, LXIX, LXXI {col. 229, 336, 3i0, 3}i)'. Sn in t Cy- 
rille avait de plus composé contre Diodore et Théodore deMopsueste 
un ouvrage spécial dont il ne reste que des fragments (P. 6., 1437 et 
suiv-). 



LE NESTORIANISME. IS" 

physites^. Ces attaques eurent toutefois pour efîet de 
discréditer, auprès des catholiques, la mémoire de 
révêque de Tarse, et c'est à cette circonstance sûre- 
ment qu'il faut attribuer la disparition presque com- 
plète de ses nombreux ouvrages. ** 

Saint Cyrille avait-il raison de poursuivre en Dib- 
dore un précurseur de Nestorius? Sans aucun doute; 
car on trouve déjà dans les fragments qui restent de 
son œuvre, et surtout dutraité Contre les synousiasies^ 
les formules qui seront condamnées plus tard dans le 
patriarche de Constantinople. Jaloux de maintenir 
contrôles apollinaristes rintégrité des deux natures en 
Jésus-Christ, Diodore distingue énergiquement dans 
le Sauveur le Fils de Dieu du fils deDavid que le pre- 
mier a pris et en qiii il a habité : téXeioç icpo attovwv ô uîbç 
Té'^etov Tov Ix AaêiS àveiXvjcpEV , uîoç ôeou uiov AaêiS (col. 1559)» 
Aussi n'est-ce que par figure (y.aTa-^pïjffTi/twi;), et parce - 
que le fils de David a été le temple du Verbe, que l'on 
peut dire du Dieu Verbe, du Fils de Dieu, qu'il est 
fils de David. Le Verbe n'est pas fils de David, il 
est son Seigneur [ibid.]. Il n'est pas fils de Marie : f*^ 
TV]? Mapiaç uîoç ô 0eoç Aoyoç ÔTuoTCTEuéaôw (col. 15Q^0}/ Cë~ 
Verbe, en effet, n'a pas eu deux naissances, l'une éter- 
nelle, l'autre dans le temps ; mais né du Père, il s'est 
fait un temple de celui qui est né de Marie (col. Î561). 
En conséquence, l'homme né de Marie n'est pas fils 
de Dieu par nature, mais par grâce : le Verbe seul 
l'est par nature {yA^tzi xal ou cpusei... }(^apn:i ulbç ô Ix 
Mapiaç àvôpioTTOç, ouseï Se ôôsoçAoyoç, Col. 1560). C'était 
enseigner qu'en Jésus- Christ il y avait deux fils dis- 

1. Photius affirme {Biblioth., cod. 48) que le cinquième concile ge» 
néral excommunia Diodore; mais on ne trouve aucune trace d'une- 
pareille condamnation dans les actes de cette assemblée. Peut-êtrfr- 
Photius a-t-il attribué au concile de Constantinople de S53Ce qui fut 
le fait d'un concile (monophysite) de Constantinople de 499 (YtcroR de>. 
Tdnnundm, Chronique, p. L., LXVIII, 949)= 



14 HISTOIRE DES DOGMES. 

tincts. Diodore cependant repousse cette conclasîon, 
sous prétexte qu'il n'enseigne pas qu'il y eût dans le Sau- 
veur deux fils de David ou deux fils de Dieu xaT* oùff£av, 
mais seulement que le Verbe éternel de Dieu a habité 
dans celui qui est de la semence de David : Tôv repo 
aîbSvuv 6eov Aoyov Xéyojv xaTWxvixevai èv tw ex citép[;(.aTo; AaêtS 
(col. 1559). Il est probable même qu'il maintenait, en 
paroles du moins, l'unité de personne (col. 1561 A), et 
il est certain qu'il regardait l'homme en Jésus comme 
adorable d'une adoration unique avec le Verbe. Tou- 
tefois, cet effort pour conserver le langage et justifier 
l'usage traditionnel ne faisait pas que Diodore sauve- 
gardât réellement l'unité personnelle de Jésus-Christ. 
Il est trop clair que plusieurs de ses assertions sont 
inacceptables, et que, voulant mettre en relief l'incon- 
fusion des natures dans le Christ, il les sépare et les 
isole. 

Des œuvres de Diodore, nous l'avons dit, il ne reste 
que des fragments; de son disciple Théodore — évêque 
de Mopsueste en 392, mort en 428 — on n'a conservé 
aussi, en dehors de deux commentaires exégétiques, 
que des fragments dogmatiques, mais assez étendus 
pour fournir un exposé doctrinal complet*. Théodore, 
comme Diodore, a joui de son vivant d'une réputation 
considérable soit comme prédicateur, soit surtout 
comme exégète. Pour les nestoriens, il est resté « le 
commentateur » par excellence. Malheureusement, 



1. Ce qui reste de Théodore se trouve réuni dans P. G., LXVI. H. B. 
SwETE a édité de plus le coinmeataire sur les épitres de saint Paul, et 
a réédité plus comiilèteinent les fragments dogmatiques : Theodori 
episc. Mops. in epittolas B, Paitli commenlarii, 2 vol., Cambridge, 
1880-1882. Les fragments dogmatiques se trouvent dans le deuxième 
volume. Dans le travail qui suit, les citations sont faites d'après 
Swete;mais je noterai enîre parenilicses la colonne correspondante de 
Migne. — BAnDEsuEWEii, t. III, p. 312-321. 



LE NESTORIANISME. 15 

comme celle de son maître et plus sérieusement 
encore, cette réputation a eu à souffrir des luttes 
christologiques où le souvenir de Théodore s'est 
trouvé mêlé. Le V° concile général a condamné sa 
personne et ses écrits, et l'on s'accorde généralement 
à voir en lui le vrai Nestorius, le théoricien de l'héré- 
sie à laquelle le patriarche de Constantinople a donné 
son nom. Examinons ce qu'il en est. 

Suivant la tradition des théologiens d'Antioche, 
Théodore s'intéresse particulièrement au côté humain 
de la personne du Rédempteur. L'humanité prise par 
le Verbe est une humanité complète (avOpwTcoç -réXeio;) , 
composée d'une chair humaine et d'une âme raison- 
nable ^ . Si parfaitement homme est le Sauveur qu'il a 
grandi et s'est développé — en tant qu'homme — 
comme les autres enfants, non seulement en âge et 
en forces physiques, mais en sagesse, en discerne- 
ment du bien et du mal, en connaissances de toute 
sorte ^. Bien plus, il a été tenté, et ses tentations n'ont 
pas été purement extérieures, elles sont venues du 
dedans et ont occasionné en lui de véritables luttes, 
condition de son progrès moral ^. Il en a triomphé ce- 
pendant, et est resté toujours indéfectiblement fidèle à 



1. Expositio symboli, Swete, 328 (col. 1017). 

"2. De incamatione, VU, Swete, 297,293 (col. 976, 980); Contra defens. 
peccati origin., cod. 2, lib. 3, Swete, .133 (col. 1009): cf. l'ouvrage Advi 
incorrupticolas et neslorianos, 111, 32 (P. G., LXXXVI, 1, 1373). 

3. < Plus InquietabaturDoiniuuset certamenhabebat ad animae pas- 
siones quam corporis, et meliore anlmo libidines vincebat, mediante 
ai deitate ad perfectionem. Unde et Dotninus ad haec maxime insti- 
tuens videtar cerlamea... Carnem et animam adsumens, per utraque 
pro ulrisque certabat; morliticaas quidem in carne peccatum, et man- 
suetanseiu.s libidines, et facile capiendas meliore ratione animae Ta- 
ciens; erudiens autem animam et excrcitans et suas passiones vincere 
et carnis relrenaf-e libidines », De incarnat., XV, Swete, 311 (col, 991- 
993). Cette opinion de Théodore étonnera moins si l'on songe qu'il par- 
tageait sur le pécbé originel l'erreur de Julien d'Eclane, lequel admet- 
lail, par ailleurs, l'existence en Jésus-Christ de la concupiscence 
charnelle (v. le tome II de cette Histoire des dogmes, p. 442;. 



f6 HISTOIRE DES DOGMES. 

Dieu, impeccable qu'il était par sa naissance virginale 
et par son union avec le Verbe ^ 

Cette union a été à la fois le fait de la grâce et une 
récompense des mérites prévus de Jésus-Christ 
homme. Ses mérites ont été en lui en partie la consé- 
quence de son union avec le Verbe, et en partie la 
cause morale et méritoire de cette union. « Jésus, dit 
Théodore, eut pour le meilleur une inclination non 
commune à cause de son union au Dieu Verbe, dont il 
fat jugé digne suivant la prescience du Dieu Verbe, 
l'unissant à lui du haut [du ciel] », xarà upo'Yvwffiv toû 
Ceoïï Aoyou avwQsv aôxov Ivcooravroç lauTW^. 

Quelle est donc cette union? Théodore la désigne 
par différents mots : Ivwciç, qui est général ; covacpeia, 
couramment employé dans l'école d'Antioche, et qui 
signifie liaison, conjonction, expression en soi indif- 
férente et dont avaient déjà usé des auteurs certaine- 
ment orthodoxes 3; cjidiz^ relation, rapport, beaucoup 
trop lâche, et que saint Cyrille condamnera vivement; 
£voixr,5tç, inhabitation, le Verbe habitant dans l'huma- 
nité comme sous ane tente ou dans un temple, con- 
ception familière encore aux auteurs d'Antioche. 

Cette inhabitation, Théodore, dans un passage fort 
remarqué de ses œuvres '', l'explique non par une 
présence en substance ou en opération (ouaia, svE^yei'a) 
de Dieu dans le Sauveur, mais par une bienveillance, 
-par une complaisance particulière (guSoxfa) que Dieu et 
le Verbe spécialement ont prise en Jésus. Cette com- 
plaisance n'est pas d'une autre nature que celle que 
Dieu prend dans les âmes justes ; elle s'en distingue 
seulement en ce que Dieu et le Verbe se sont complus 

•1. De incarnatione, VII, Swete, 296 (col. 977). 

2. De incarnatione, VII, Swete, 296 (col. 9/7). 

3. Cf. Petau, De incarnatione, lib. III, cap. ii, n» 7; et le tome II de 
cette Histoire des Dogmes. 

4. De incarnatione, VU, Swetk, 293-296 (col. 972-976). 



LE KESTORIANISME. 17 

en Jésus comme dans un fils, ôç sv mw. Ce mot va 
devenir le point de départ de toute la théorie de 
l'union. 

« Qu'est-ce à- dire comme dans un fils ? demande Théodore. 
Cela veut dire que, ayant habité [en Jésus],' le Verbe s'est uni 
tout celui qu'il a pris,, et l'a préparé à entrer en participation 
de toute la dignité que lui, Fils par nature qui habite [en 
Jésus], rend commune entre eux. Il en fait une seule personne 
[avec soi], de par l'union à laquelle [il l'élève]; il lui commu- 
nique toute primauté. Il a voulu tout accomplir par lui,^ et le 
jugement, et l'examen du monde entier, et sa propre parousie ' . »- 

L'auteur revient ailleurs sur cette assertion et la 
complète : 

« L'union des natures dont la bienveillance est le principe, 
écrit-il dans son épître à Domnus, opère en elles, par l'homo- 
nymie, l'unité absolument indivisible d'appellation, de volonté, 
d'opération, d?àutorité, de puissance, de domination, de di- 
gnité, de pouvoir, n'y ayant en elles, suivant cette: union, qu'une 
seule personne 2. » 

Et un peu plus loin : 

« Le mode d'union y^o.x' eû5oxiav, gardant les natures sans 
confusion et sans division, montre que des deux la personne- 
est unique, une aussi la volonté, une l'opération, une par con- 
séquent l'autorité et la domination s. » 

Et encore : 

a Gomme il (Jésus) est élevé au-dessus de toute principauté, 
de tout pouvoir, de toute souveraineté, de toute vertu et de- 
tout nom qui est nommé non seulement dans ce siècle, mais 

1. Ibid., SwETE, 296 (col. 976). 

-• 'H xat' eùSoxiav tôv çudEUv Evueri; jitav à[iispoxépb>v Ttp tîjç é(t6i>vu- 
{itaç ),ÔYt|) . èpYâÇeTai ttJv TcpocrriYoptav, t^v ôsXïjfftv, tyiv èvépystav, xry 
«ùOevTtav, ttIv Suvaffteîav, Tr,v ôeffitoTsîav, t>^ àÇsav, Trjv iÇoutriav, 
{J.viSEvi xpÔTCM Siapov|ji.évï]v êvbç àixipoTépwv xat' aûxrjv Trpoo-uîcou xai 
YEvo{j.£vov x«t XeYO|iévou. Swetk, 338 (col. 1012). 

3. 'O ôè Tî); xaT ' eùSonCav Ivacrewç xpoiro;. à(T\iyy\3i:o\}^. çuXàTxwvcàç 
ouiiEiç y.a.1 àStaipéxœi; Ev àixopoTÉpwvTÔ irpôutoTtov ôetxvuaiv, xat jiîav tï^v 
ôeXtigiv, xai [lîav "riiv èvépyetav, {ie,Tà"ri5Ç;è7to[i.évïiç toûtoi; {J«âç.aù§£vTtaç, 
xal ôeaîroTeta;. Swete, 339 (col. 1013). 



18 fflSTOIRE DES DOGMES. 

dans le siècle futur, il reçoit l'adoration de toute créature, 
comme ayant avec la nature divine une union inséparable, toute 
créature lui rendant ses adorations à cause et en considéra- 
tion de Dieu i. » ^ 

Ainsi donc Tunion dans le Christ des natures di- 
vine et humaine — union que Théodore déclare avoir 
commencé avec la conception du Sauveur ^ et être in- 
dissoluble ^ — cette union est telle qu'elle fait parti- 
ciper la nature humaine à la dignité et à l'autorité 
divines, qu'elle la rend adorable comme Dieu et en 
raison de Dieu à qui elle est unie, bien plus qu'elle 
établit entre les deux natures l'unité personnelle. Une 
personne unique possède à la fois les deux natures, 
évoç à[jt.çoT£p(«)V... irpoawTTou x«i yevoasvou xcà XeYOfxévoo. 

Cette dernière affirmation est capitale, et on la re- 
trouve souvent sous la plume de Théodore. « Lors- 
que nous distinguons les natures, écrit-il, nous disons 
que la nature du Dieu Verbe est complète, et complète 
aussi sa personne, car on ne saurait dire qu'une hy- 
postase est impersonnelle^; [de même nous disons] 
que la nature de l'homme est complète et complète 
aussi sa personne. Mais quand nous considérons l'u- 
nion, nous àisons qu'il n'y a qu'une personne^. » 

1. 'AvayopS 6cOÛ xaî èvvoîa Ttocor); aûxû T^çxTÎffEtoç tï]v TipoaxOvïjcriv 
ànovefJLoûffiii;. Expositio symboli, Swete, 329 (col. 1017). 

i. 'Ev aÛT^ T^ SiaTi/dtdei, è$ aÙTiji; tTJî [x-i^Tpa;, De incarnat., 
Swete, 297 (col. 977); Epist.ad Dornnum, Swete, 339 (col. 1013) ; Contra 
Apollinar., Swete, 314 (col. 994). 

3. Expositio symboli, Swete, 329 (col. 1017) ; Contra Apollinar., IV, 
Swete, 310 (col. 1000). 

4. Oyôè yàp àupoffwitov êffxtv duôcxaaiv elusîv. A noter ici le sens 
du mot ûndaTauii;. Il est remarquable que ce mol dont le sens, au 
V" siècle, était en quelque sorte consacré en matière trinitaiie, pour 
désigner les personnes divines, oe retenait plus le sens précis de 
personne, dès qu'on l'employait dans d'autres sujets. Ici il désigne 
une réalité ou la nature concrète. C'est la signification qu'il coa<^ 
servera avec Nestorius; 

5. De incamalione, VIII, Swete, 299,300 (col. 981); V, Swete, 292 (coi. 
969, 970); XI, Swete, 302 (col. 983, 984). 



LE NESTORIANISME. 19 

il n'y a qu'une personne, et en conséquence il n'y 
a en Jésus-Christ qu'un seul fils et un seul seigneur : 

« On ne confesse justement qu'un seul fils, puisque la dis- 
tinction des natures doit être nécessairement maintenue, et 
l'union de la personne (rj toO izpoaé^ov ëvwatç) inviolablement 
conservée ' ». — « Nous ne disons pas deux fils ni deux sei- 
gneurs, car il n'y a qu'un Fils par essence, le Dieu Verbe, Fils 
unique du Père, dont cet [homme] qui lui est uni, et qui par- 
ticipe à sa divinité, partage le nom et la dignité de fils. Et 
le Seigneur par essence est le Dieu Verbe dont celui qui lui 
est uni partage également la dignité. Et c'est pourquoi nous ne 
disons ni deux fils ni deux seigneurs s. » 

Donc, en Jésus-Christ dualité des natures, mais 
unité personnelle, unité de filiation, de seigneurie, de 
dignité, d'autorité, unité de grandeur adorable : c'est 
l'enseignement de Théodore, et il semble que rien ne 
lui manque pour être orthodoxe. Cependant, on a pu 
remarquer. déjà combien souvent, préoccupé de sau- 
vegarder l'intégrité et l'inconfusion des natures dans 
l'union, l'auteur parle de ces natures comme de deux 
personnes complètes en soi. La nature humaine est 
aÙTo';, o&To<;, ô Xaf^êavouevoç : c'est Jésus qui lutte Contre 
la tentation et qui s'avance vers la perfection « me- 
diante ei deitate ad perfectionem' ». C'est l'homme 
seul qui est le Jésus de l'histoire. Théodore dit sans 
doute que l'union entraîne entre les deux natures unité 
de volonté et d'action ((xia 6£Ar,aiç, {xia Ivépyeta) ; mais il 
faut bien se garder de prendre ces expressions dans 
le sens que leur donneront plus tard les monothélites, 
et qui d'ailleurs serait erroné. L'unité dont il est 
ici question est une harmonie purement morale : la 
volonté humaine se conformait à celle du Verbe, et 



1. De incamatione, XII, Swete, 30t (col. 983). 

2. Expositio symboli, Swete, 329 (col. 1017;; Ad baptizandos, Swetk, 
823 (coi. 1(H3). 

3. De incarnatione, XV, Swete, 311 (col. 991-993), 



20 HISTOIRE DBS DOGMES. 

son action se subordonnait à la sienne. Et Théodore 
paraît bien parfois mettre dans cette harmonie des 
volontés le vrai lien qui unissait les deux natures en 
communauté de personne : 'O Te^ôeU iy- t^ç îrapôsvou Siyjx 
(TTropScç avôptouoç ou otsxpiOr, tou Aoyou, TauToxYjTi yvwfxvjç auTW 
ffyv7]fXfAEVoç, xa6' ^v BvBoxriaaç '^vtoffev auTOv lauxG '' . Chaque 
nature gardait physiquement son action propre qui de- 
vait lui être attribuée, et que l'on né pouvait que par 
figure et par une sorte d'abus de langage attribuer à 
l'autre même prise zn concreto et dans l'union. 

Nous touchons ici à la question de la communica- 
tion des idiomes, et c'est un des points où se révèle 
davantage le vice de la christologie de Théodore. L'é- 
vêque de Mopsueste ne se rend pas compte, comme 
d'ailleurs tous les écrivains d'Antioche, que la person- 
nalité de Jésus-Christ est dans le Verbe, que le mys- 
tère de l'incarnation consiste simplement en ce que la 
personne du Verbe, possédant déjà la nature divine, 
s'est adjoint une nature humaine, et que dès lors à 
ce Verbe incarné on peut et on doit rapporter toutes 
les actions et passions de son humanité. Théodore ne 
voit pas cela, et c'est pourquoi il condamne comme 
des erreurs apoUinaristes toutes les formules qui at- 
tribuent au Verbe incarné les actions et passions hu- 
maines, aussi bien que celles qui attribuent à l'homme 
concret, en Jésus-Christ, les attributs et actes divins. 
Il faudrait citer ici tous les fragments de son ouvrage 
contre Apollinaire. Ainsi, c'est une folie de dire que 
Dieu est né d'une vierge : « Est quidem dementia 
Deum ex virgine natum esse dicere... Natus autem 
est ex virgine qui ex substantia virginis constat, non 

i. De incarnat., Swete, 3ld. Remarquer encore : èv aÛT(p (àvôptôirtp) 
3è ûv (6 Aoyoç) y.axà Tviv ajéai-^ t^ç Y^(ù]iy\<; (De incarnat., XV, Swete, 
310, col. 932) ; et encore, évuicaî ctùrov êautcp t^ ayiaet TÎjç Yvcourj; 
(Swete, 308). 



LE NESTOIUANISME. 2i 

Deus Verbum ex Maria natus est. Natus autem 
est ex Maria qui ex semine est David. Non Deus 
Verbum ex muliere natus est, sed natus ex muliere 
qui virtute sancti Spiritus plasmatus est in ea'. » 
Peut-on dès lors -appeler Marie ôeoxo'xoç? Oui, mais 
improprement : « Lorsqu'on nous demande si Marie 
est «vÔpwTTOTo'xoç ou ôeoToxoç, répondons que pour nous 
elle est l'un et l'autre : àveptoirotoxoç par la nature du 
fait, iQeoToxoç par relation (à vaçopS). 'AvâpcùTcoToxoç par na- 
ture, puisque était homme celui qu'elle portait dans 
son sein et qui en est sorti : ôeotoxoç, parce que Dieu 
était dans l'homme qu'elle a engendré, non par une 
limitation de sa nature en lui, mais par un rapport de 
sa volonté » (xari T^v a'/iaiy xîjç yvw(jlviç) ^. Enfin, l'homme 
en Jésus est-il fils naturel de Dieu? Non. « C'est par 
grâce (xapiTi) que Jésus a aussi participé à la filia- 
tion, n'étant pas né du Père par nature, avec cepen- 
dant ce privilège au-dessus des autres, qu'il a acquis 
la filiation par son union avec le Verbe, ce qui lui 
en vaut une plus importante communication ^. » Et en- 
core : « C'est par grâce qu'il a reçu la filiation, la di- 
vinité seule possédant la filiation naturelle », xapi-ri 

TïpOffEtXïJipSV TViV u!0TV]Ta, TYJÇ OeOTïlTOÇ U.OVï)(; T^V cpufftxrjv uîoTïjTra 

xEXT7i[ji£vviç"^. Or il est bien évident que, par ces mots, 
et quoi qu'il en dise, Théodore laisse subsister deux 
fils en Jésus-Christ, tout ainsi qu'au même endroit 
il laisse subsister deux seigneurs. 11 y a sans doute 
une seule filiation et une seule seigneurie, essentielle 
dans le Verbe, adoptive et participée dans Jésus, 
mais il y a deux sujets de cette seigneurie et de cette 
filiation. 

1. Contra Apollinarium, m, Swete, 313, 314 (col. ÎK)3, 994, 998). 

2. De incarnatione, XV, Swete, 310 (col. 992). 

3. De incarnatione, XII, Swete, 306 (col. 988). 

4. Ibid., Swete, 303 (col. 983 ; cf. 984). 



22 HISTOIRE DES DOGMES. 

II se trouve donc un vice radical dans la doctrine chris- 
tologique que Théodore, à la fin du iv^ et dans le 
premier quart du v" siècle, enseignait à Antioche et à 
Mopsueste. L'auteur s'efforce sans doute de garder les 
formules traditionnelles, et croit suffisamment les jus- 
tifier par ses explications. Mais l'assertion fondamen- 
tale de l'unité personnelle de Jésus-Christ n'y est pas 
assez poussée : Théodore lui-même n'en comprend ni 
tout le vrai sens ni toute la portée ^ Dans sa préoccu- 
pation d'écarter l'apoUinarisme, il ne voit pas ce que 
cette hérésie contenait de vrai, et l'intérêt sotériolo- 
gique capital qu'il y avait à souder intimement, en 
Jésus-Christ, l'humanité au Verbe, à proclamer un 
Dieu-Homme souffrant et mourant. Des vérités mêmes 
dont il admet la formule Théodore ne sait pas tirer 
les conséquences logiques. Joignez à cela un langage 
incorrect, et des propositions qui, dans leur sens obvie 
du moins, blessaient l'orthodoxie. C'est plus qu'il n'en 
faut pour expliquer que l'évêque de Mopsueste ait été 
condamné par un concile conduit par des théologiens 
disciples de saint Cyrille. Il le méritait assurément, ne 
fût-ce que pour les interprétations fâcheuses auxquelles 
ses écrits se prêtaient si aisément. 

§ 2. — La doctrine de Nestorius. 

L'enseignement de Théodore, on l'a dit, ne fut point 
attaqué de son vivant, et peut-être la tendance doctri- 
nale extrême qu'il représentait fût-elle demeurée in- 
demne quelque temps encore, sans une circonstance 



d. Dans le Contra Apollinarium, Vf (Swete, 318, 319, col. 999, 4000), 
Théodore compare l'union des natures à celle du corps et de l'âme; 
mais dans le De incarnatione,ym (Swetk, 299, col. 981), il la compare 
à l'union de l'homme et de la femme, dont il est dit qu'ils ne sont pas 
duo, sed una caro. 



LE NESTORIANISMB. 23 

qui attira sur elle l'attention. L'année même de la mort 
de Théodore, le 10 avril 428, un antiochien encore de 
formation et d'esprit, le prêtre Nestorius, était consa- 
cré en vue d'occuper le siège de Constantinople. L'em- 
pereur l'avait choisi pour sa vertu éprouvée et pour 
son talent oratoire. Nestorius était, par-dessus le mar- 
ché, un théo ogien exercé, rompu à l'exégèse littérale 
en faveur dans son milieu, et que l'habitude de peser 
les textes avait rendu regardant aux formules et un 
peu méticuleux sur les mots, comme on l'était à An- 
tioche. 

Ses débuts furent d'un orthodoxe intransigeant '' . 
Mais un incident ne tarda pas à rendre cette orthodoxie 
suspecte. 11 avait amené avec lui d'Antioche un prêtre 
nommé Anastase, disciple fervent de Théodore de 
Mopsueste. Vers la fin de 428, prêchant devant le peu- 
ple, ce prêtre s'éleva contre le titre de ôeoxoxo; donné à 
Marie, comme impliquant une absurdité : ôsotoxov -rriv 
Mapîav xaXeiTW uiïjosic. Mapia yàp avôptOTCO; '^v utuo àvôpwTtou SI 

Oeov Te^Q^vai àâuvatov. Le scandale fut grand, l'expres- 
sion étant d'un usage courant et ancien. Nestorius prit 
parti pour Anastase, et, dans une série de discours, 
s'efforça d'exposer, telles qu'il les comprenait, la doc- 
trine de l'incarnation et la portée du ôeoTÔxo;^. Le 
trouble ne fît qu'augmenter, la cour, en général, sou- 
tenant le patriarche; mais le clergé, les moines, le 
peuple se divisant et se prononçant pour ou contre lui. 
L'évêque élu de Cyzique, Proclus, prêchant devant 
Nestorius, n'hésita pas à le contredire ^, pendant que, 
au contraire, l'évêque de Marcianopolis, Dorothée,, 
l'approuvait ^. C'était le schisme. La situation ne tarda 



i- SoCRATE, Bîst. eccL, Vir, 29. 

2. SocRATE, Hist. eccL, VII, 32. 

3. Voir son discours dans Mansi, IV, 577 et suiv. 
*• Gyrill., Epist. XI, 3, col. 81. 



^4 HISTOIRE DES DOGMES. 

pas à être connue du patriarche d'Alexandrie, lî inter- 
vint. Mais, avant de raconter les vicissitudes de son 
intervention, il est bon de se faire une idée exacte de 
la doctrine enseignée par Nestorius ^ . 

Comme tous les antiochiens, Nestorius part des deux 
•natures, divine et humaine, et il déclare qu'après leur 
union elles sont restées entières et sans aucune confu- 
sion entre elles. Entre elles point de mélange ni de 
combinaison (xpaaiç, myyyau;, permixtio) ^ : le Christ est 
SiuXoïïçTrîi tpucrei : il y a en luioiaîpeffiç T^ç âeoTTiTOçxKi avôpoi)- 
7roTV)To; ^. XtoptÇo) toç cpucreiç, disait Nestorius, àXX' £vw TTjv 
Trpoffxuvvjcrtv'*. C'est l'affirmation fondamentale et répé- 
tée. Chaque nature conserve ses propriétés et agit 
suivant elles ^. 

Ces deux natures cependant sont unies dans le 
Christ : il y a entre elles evtofftç, <yuva(peia, «ruvacpeia cxpa, 
ixxpiêïîç, SirivEXT]?, coniunctîo inseparabilis, summa et 
inconfusa ^. Mais cette union n'est pas xai:' oùaïav ni xa6' 
'jTtôcrTadiv'^. L'union xa-c' oucrtav et xaô' SirocfTacrtv en effet 
— telle celle du corps et de l'âme en Thomme — est 
nécessaire et requise par les deux parties unies, et 



\. Les sources pour connaître la doctrine de Nestorius sont : \° Ce 
qui reste des œuvres du patriarche lui-même, comprenant : a) les let- 
tres, discours et fragments grecs, latins et syriaques réunis par F. Loofs, 
Nesloriana, Halle, 1903; 6) Le Livre d'Héraclide de Damas, conservé 
seulement dans une traduction syriaque, édité par P. Bedjan, Paris, 
1910; traduit en français par F. Nau, Paris, 1910. C'est celte traduction 
que je citerai ici. 2° Les ouvrages des historiens et des théologiens 
depuis saint Cyrille jusqu'à saint Jean Damascéne, et les actes des con- 
ciles quise sont occupés de la christologie nestorienne. — Travaux : 
3. F. Bethdne-Baker, Nestorius and his teaching, Cambridge, 1908. 
M. JuGiE, Nestorius et la controverse nestorienne, Paris, 1912. Bau- 

DENHEWER, t. IV, p. 74-78. 

2. LoOFS, 224, 229, 273, 281, 301. 

3. LooFs, 281. 
h. LoOFs, 262. 

5. Livre d'Héraclide, p. 187, 190, 192, 213, 220. 

6. LoOFS, 171, 178, 24-2, 273, 280, 237, 359. 

7. Nestorius, comme Théodore de Mopsueste, identifie, en christolo- 
gie, le sens des mots ûirôffTaaiç et çûfftç. 



LE NESTORIANISME. 25 

elle aboutit à l'unité d'ouaia et de nature, tandis que 
l'union des deux éléments dans le Christ a été volon- 
taire : elle a eu pour origine la complaisance (eOSoxux) 
et la condescendance de Dieu, et a sauvegardé l'exis- 
tence distincte des deux natures ^ . L'union des élé- 
ments dans le Christ est une union personnelle, et elle 
a eu pour résultat l'unité de personne. C'est une affir- 
mation sur laquelle Nestorius revient souvent. Des 
deux natures la personne est une : tSv èûo «pucrewv fxîa 
ecTTtv aôOevxta... xal êv •jtpocywnov : il y a ixovaoïxov TcpooroùTiov, 
una persona UnigenitP . 

Comment Nestorius entend-il cette unité person- 
nelle, et quelle portée exacte lui donne- t-il ? 

Il semble parfois, aussi bien que Théodore, l'expli- 
quer simplement par une communication que la nature 
divine ou le Verbe fait à l'humanité de sa dignité, 
de sa puissance, de son autorité, de son caractère 
adorable. ÏSv Suo çtîffEWV \t.ia. IutIv aùQevxt'a, xai (jLia §u- 
vauLiç ^TOi Suvaffxeta xat Iv irpdawTCOv xotxà (jLtav à^Cav xal tyjv 

aUTYjV TtjU.1QV. AÙtÔç (uiOç) Ô EÎÇ loTl SwtXoÏÏç OU Tï] «EiK, aXXà 

r^ (puorei. — ^*Ev yàp rjV dfjiîpoTepojv xo itpoo-wrtov à^i'cf xat xtf;:.?], 

Trpoffxuvoupievov Tiapà raarjç x% xxtdstoç ^. Dieu et l'homme en 
Jésus-Christ méritent le même culte : XwpiÇw xotç çucsiç 
àXX' Ivw xV Txpo(jxuvr]criv ^. Nestorius explique encore 
cette unité par une identité d'action et de volonté, 
l'action et la volonté humaines ayant les mêmes objets 
que l'action et la volonté divines : Sio xai ^(av aôxtov (xûv 
(uuGEwv) x-JjV ÔEXvjffiv IvépYeiav xe xa\ ûgffîroxetav opwjjiev, à^taç 
lao'xrjxt SetxvufjLEvaç ^. Et encore ; "^Ev yàp.'^v àiAcpoxsptov xo 

1. Livre d'BéracL, p. 3S, 142-144. On remarquera, p. 142, 143, la cri- 
tique de la comparaison de l'union du corps et de l'âme apportée par 
saint Cyrille. 

2. LOOFS, 171, 176, 196, 224, 280. 

3. LooFS, 196, 280, 281, 224. 

4. LoOFS, 262, 248, 249. 

5. LoOFS, 224. 

2 



26 HISTOIRE DES DOGMES. 

ïcpoffWTiov... {i.Y)Sevt TpoTtto ^ XP^'^'î^ iTspoTïjxi PouXtjç xa\ ôsXi^fJia- 
Toç ^laipoLfAsvov ^ . De là une union qui n'est pas xax' ouaiav, 
mais xttTa yvw|jiviv. Cependant Nestorius sent que ces 
explications sont incomplètes, et, pressé par ses ad- 
versaires, il expose d'une façon plus satisfaisante ce 
qu'il entend par union personnelle. Il proteste contre 
l'accusation qui lui est faite de meltre les natures à part 
l'une de l'autre, de. les unir seulement par la dignité 
et par l'amour : il les déclare jointes et unies dans leur 
essence, d'une union dont l'unité de dignité, d'hon- 
neur et puissance n'est précisément qu'une consé- 
quence : d'une union qui tient le milieu entre la fusion 
et la division des natures ^. En vertu de cette union il 
n'y a qu'une personne : « Le Fils unique de Dieu a 
créé et a été créé, le même, mais pas au même point 
de vue. Le Fils de Dieu a souffert et n'a pas souffert, le 
même, mais pas au même point de vue ; une partie de 
ces choses se trouve dans la nature de la divinité et 
une partie dans la nature de l'humanité ^. » Le Verbe 
dccrapxo!; n'est pas différent du Verbe incarné : c'est le 
même Verbe avant et après l'incarnation'* : « Sicut 
enim deus existons et homo, idem ipse secundum 
Paulum et novissimus [est] et ante saecula, sicut homo 
quidem recens, sicut deus autem ante saecula *>. » Le 
Verbe s'est approprié l'humanité, et les choses qui 
sont et de la divinité et de l'humanité lui appartien- 
nent donc ^. Bien plus, chaque nature fait siennes en 



1. LooFS, 224; Livre d'Hér., p. 63, 67. 

2. Livre d'Hêr., p, 167. 

3. Livre d'Hér., p. 122, 136, 138, 140. t Nous ne disons pas l'union des 
prosôpons mais des natures. Car, dans l'union, il n'y a qu'un seul pros- 
ôpon, mais dans les natures un autre et un autre... L^^prosôpon (en 
effet) est commun, unique et le même » {ibid., p. 152). Voir encore 
p. 52, 204, 206, 209. 

4. Livre d'Hér., p. 44-47, 185, 186. 

5. LOOFS, 270. 

6. Livre d'Hér., p. 139. 



LE NESTORIANISME. 27 

quelque sorte les propriétés de l'autre nature, comme, 
dans un tison enflammé, le bois et le feu coexistent dans 
un même sujet *. Il ne faut donc pas distinguer numé- 
riquement et comme un autre et un autre le Verbe et 
l'homme qui fut son temple : Oux àXXoç ^v ô ôeoçAoyo; xal 
dfXXoç ô Iv c^ Y^Yovsv avôpwTtoç ^ ; il n'y a pas deux Christs 
ni deux fils : oôSè TcâXiv aXXoç ulôç koù aXXoç îraXiv : le 
même a deux natures, mais il est un : àXX' auToç 5 sfç 
1(7X1 SncXoîlç, où TTi àÇicç àXXà -ty) çuaei^. Le Verbe ne fait rien 
sans son humanité^. 

A cette personne unique possédant ainsi deux na- 
tures Nestorius ne donne pas les noms de Verbe et de 
Dieu simplement, noms qui désignent le Verbe àaapxoç, 
mais il réserve proprement les noms de Christ, Sei- 
gneur, Fils, même Fils unique qui, selon lui, désignent 
strictement le Verbe incarné : « Lorsque l'Écriture di- 
vine veut mentionner la naissance du Christ de la 
bienheureuse Vierge ou sa mort, elle ne dit point Dieu, 
mais ou bien le Christ, ou bien le Fils, ou bien le Sei- 
gneur, parce que ces trois appellations sont suscepti- 
bles de signifier les deux natures, tantôt celle-ci, tantôt 
celle-là, et tantôt les déux^. » Ce sont des vocables de 
la personne incarnée, et c'est pourquoi il ne saurait être 
question de deux christs, ni de deux fils, ni de deux 
seigneurs. « Il y a distinction de la divinité et de l'hu- 
manité, mais le Christ, comme tel, est indivis; le Fils, 
comme tel, est indivis; car nous n'avons pas deux 
christs ni deux fils ; il n'y a pas pour nous un premier 
et un second christ, un autre et un autre christ, ni 
un autre et un autre fils : c'est le même qui, étant 



1. Livre d'Hér., p. ISS. 

2. LooFS, 224 ; Livre d'IIér., p. 174, 177, 186, 204, 205, elc. 

3. LooFS, 281 ; Livre d'Hér., p. 186. 
■4. LooFS, 273. 

6. LoOFS, 273, 274, 269. 



28 HISTOIRE DES DOGMES. 

unique, est double, non en dignité, mais en nature ^ » 
Jusqu'ici tout est correct dans cette doctrine de Nes- 
torius, et Ton se demandera donc en quoi consiste son 
erreur. Elle consiste en ce qu'il explique mal l'unité 
de personne dans le Christ, et en ce qu'il ne sait pas de 
sette unité personnelle tirer les conséquences néces- 
saires. 

Et d'abord, il est clair, par tout son langage, (jue 
Nestorius considère l'unique personnalité qu'il admet 
dans le Verbe incarné comme un résultat de l'union, 
et non comme la personnalité même du Verbe qui saisit 
l'humanité ^. Au lieu que l'unité de personne vienne, 
en Jésus-Christ, de ce que le Verbe, personne immuable, 
fait sienne notre nature, dès lors nécessairement imper- 
sonnelle, cette unité, dans la doctrine du patriarche, 
vient d'une jonction qui se serait opérée entre les per- 
sonnalités respectives des deux natures. Il semble bien, 
en effet, que Nestorius ne conçoive pas une nature 
existant sans sa personnalité cohnaturelle ^. Le Verbe 
et l'homme apportent donc chacun la leur dans l'union. 
Dans cette union les natures restent ce qu'elles étaient ; 
mais les personnalités s'unissent au point de n'énformer 
qu'une, « le /?rosd/?(?/^ d'union », qui n'est ni celui du 
Verbe, ni celui de l'homme, mais du composé ^. En 
vertu de cette union des personnalités, le Verbe devient 
cet homme, et cet homme devient Verbe « en prosô- 
pon », le Verbe et l'homme demeurant d'ailleurs 
« dans leurs natures ». « C'est dans le prosôpon qu'a 

1. LOOFS, 281 ; cf. 273, 275, 299, etc. 

2. Livre d'Hér., p. 127, 128, 129, 144, 186, 190, 218. 

3. Livre d'Hér., p. 187, 193, 273. Dans cette apologie, le mot prosôporiy 
qni y revient souvent, n'a pas toujours le sens bien ferme ùq personna- 
lité ou personne. Nestorius paraît l'entendre parfois de tout ce que 
comporte une nature complète, ou même de l'extérieur de la personne : 
« Car il (le Verbe) ne prit pas la nature, mais I» forme; la forme et l'ap- 
parence de l'homme dans tout ce que le prosôpon comporte » (p. 143). 

4. Livre d'Hér., p. 132, 282, 127, 128, 146. 



LE NESTQRIANISME. 20 

eu li&u l'union, de sorte que celui-ci soit celui-là, et 
celui-là celui-ci ^ . » 

Mais encore, pouvons-nous savoir comment, d'après 
Nestorius, s'établit cette unité de personne dans le 
Christ? Nestorius parle souvent dans le Livre d'Ré" 
racUde d'une sorte d'échange mutuel des personna- 
lités entre le Verbe et l'homme, le Verbe se servant du 
prosôpon de l'humanité, et l'humanité se servant du 
prosôpon de la divinité; et l'on pourrait croire qu'il 
veut par là expliquer l'origine de l'unité dont nous 
parlons et le lien même de l'incarnation. « L'incarna- 
tion est conçue comme l'usage mutuel des deux {pros- 
ôpons) par prise et don ^. » Et encore : « Les natures 
subsistent dans leurs prosôpons et dans leurs natures, 
et dans le prosôpon de l'union. Quant au prosôpon 
naturel-de l'une, l'autre se sert du même en vertu de 
l'union : ainsi il n'y ja. qu'un prosôpon pour les deux 
natures. Le prosôpon d'une essence se sert dû prosô- 
pon même de l'autre^. » Mais ce n'est pas là, je crois, 
le fond de sa pensée. L'usage mutuel des prosôpons, 
dans la théorie de Nestorius, ne constitue pas l'unité 
personnelle de Jésus-Christ : il est seulement une con- 
séquence de cette unité. C'est parce que Jésus-Christ, 
Dieu-Homme, est une seule personne par le prosôpon 
d'union, qu'en lui « la divinité se sert du prosôpon de 
l'humanité, et l'humanité de celui de la divinité'* »; 
c'est-à-dire que Jésus-Christ Dieu (mais toujours 
homme) agit en homme, et que Jésus-Christ homme \ 
(mais toujours Dieu) agit en Dieu. L'unité personnelle 
de Jésus-Christ est constituée par une « prise » et un 
« don ». La personne du Verbe prend en elle la per- 



i. Livre d'Hér., p. 211. 
^. Livre d'Hér.,]t. ^233. 

3. Id., p. 194. 

4. Id., p. 212, 213. 

3, 



30 HISTOIRE DES DOGMES. 

sonne de l'homme, et elle-même se donne, en compen- 
sation, à cette personne. Par cette prise et par ce don, 
les deux prosopons se compénètrent, sont « l'un dans 
l'autre » : ils ne forment plus qu'une personne, la per- 
sonne du Christ, puisqu'ils perdent, dans cette union, 
leur être à part, et deviennent partie d'un tout. Cette 
unité personnelle du tout ne résulte pas cependant 
d'une fusion ou combinaison des prosopons divin et 
humain entre eux. Pareille fusion ou combinaison n'est 
pas nécessaire , pas plus que la fusion ou combinaison 
entre eux du corps et de l'âme pour former l'unique 
personnalité de l'homme. Les prosopons du Verbe et 
de l'homme continuent donc de subsister de quelque 
façon comme prosopons subordonnés au prosôpon du 
Christ dont ils sont les composants ^ Celui-ci les do- 
mine, et s'en sert comme il se sert des .natures ; mais 
eux aussi , considérés dans le tout , se servent l'im de 
l'autre comme l'âme se sert du corps et le corps de 
l'âme. Ils s'appartiennent mutuellement et « se por- 
tent l'un l'aulre ». « Il n'y a pas de condescendance 
pareille à celle-là, écrit Nestorius, que le prosôpon de 
l'homme) soit sien [de Dieu], et que lui-même donne à 
l'homme son prosôpon. C'est pourquoi il [Dieu] s'est 
servi de son prosôpon [de l'homme], parce qu'il l'a pris 
pour lui 2. » Et encore : « Le Fils unique de Dieu et le 
Fils de l'homme, le même (formé) des deux, est dit 
les deux, parce qu'il a attribué (les propriétés) de leurs 
prosopons à son prosôpon, et dorénavant il est désigné 
par celui-ci et par celui-là comme par son propre pros- 



1. Il est bien difncilc de savoir exactement ce que Keslorius a pensé 
de la persistance formelle des prosopons du Verbe et de l'homme dans 
l'union. Logiquement ces prosopons doivent disparaître, et l'auteur 
insiste effectivement sur l'unité personnelle de Jésus-Christ. Mais d'au- 
tre part, et comme on peut le voir par les textes, il parle de ces pros- 
opons comme d'éléments qui ont une existence propre. 

2. Livre d'Sér., p. 66. 



LE NESTORIANISMB. 31 

ôpon. Il parle avec les hommes (à l'aide) tantôt de la 
divinité, tantôt de l'humanité et tantôt des deux, de' 
même que l'humanité parlait (à l'aide) tantôt de l'es- 
sence de l'humanité et tantôt du prosôpon de la divi- 
nité ^ » Et le texte déjà cité : « Les natures subsistent 
dans leurs prosôpons et dans leurs natures et dans le 
prosôpon de l'union. Quant au prosôpon naturel de 
l'une, l'autre se sert du même en vertu de l'union; 
ainsi il n'y a qu'un prosôpon pour les deux natures. 
Le prosôpon d'une essence se sert du prosôpon même 
de l'autre ^. » 

i. Livre d'Hér., p. KO. 

3. Id., p. 194. — Voici encore quelques textes qui appuient tonte cette 
partie de l'exposé du système de Neslorius. On remarquera qu'ils sont 
tous tirés du Livre d'Héraclide. Kes fragments antérieurs à l'exil du 
patriarche ne disent rien notamment de l'échange des prosôpons, dont 
l'idée revient si souvent dans l'apologie; et cette circonstance fait 
soupçonner que nous sommes ici en présence d'une théorie imaginée 
•après coup pour sa défense. « Toi [Cyrille], tu fais le contraire [des 
Pères], parce que tu veux que, dans les deux natures, Dieu le Verbe 
soit le prosôpon d'union » (p. 127). « C'est donc le Christ qui est le pros- 
ôpon de l'union, Dieu le Verbe n'est pas celui de l'union, mais de sa 
nature, et ce n'est pas la même chose de le dire et de le comprendre > 
(p. 128; cf. 146). « C'est pourquoi le Livre divin parle avec précaution 
du prosôpon de la divinité, et désigne les deux (natures) par le prosô- 
pon de l'union » (p. 232). « Ce n'est pas la divinité (seule) ni l'humanilé 
(seule) non plus qui formelle prosôpon commun, car il appartient aux 
deux natures, aGn que les deux natures soient connues dans lui et par 
lui... L'essence même de l'humanité se sert du prosôpon de l'essence 
de la divinité, mais non de l'essence, et l'essence de la divinité se sert 
du prosôpon même de l'humanité et non de l'essence, comme tu l'as 
inventé » (p. 282), « Le prosôpon de la divinité, c'est l'humanité, et le 
prosopôn de l'humanité, c'est la divinité : il est autre dans la nature 
et autre dans l'union > (p. 168). < L'humanité du Christ n'est pas diffé- 
rente en nature de celle des hommes, mais en honneur et en prosô- 
pon... non par un autre honneur, mais par l'honneur de celui qui a 
pris le prosôpon : l'humanité utilisant le prosôpon de la divinité, et la 
divinité le prosôpon de l'humanité • (p. 183). « Ils prennent \e prosôpon 
l'un de l'autre et non les natures, et c'est pourquoi ils sont autre 
chose et autre chose, mais (lui) n'est pas un autre et un autre eu pros- 
ôpon » (p. 193), € La divinité se sert du prosôpon de l'humanité, et l'hu- 
manité de celui de la divinité : de cette manière nous disons un seul 
prosôpon pour les deux... elles [les natures] sont unies sans confusion, 
et se servent mutuellement de leurs prosdpons respectifs » (p. 212, 213). 
< C'est par compensation mutuelle de la prise et du don de leurs pros- 
cpont qu'il Grégoire de Kazianze] parle de l'union de la divinité et do 



o2 HISTOIRE DES DOGMES. 

L'unité personnelle ainsi conçue reste loin, en défi- 
nitive, de la conception orthodoxe. Outre qu'elle réduit 
trop le rôle du Verbe, elle tend à faire de l'unité per- 
sonnelle de Jésus-Christ une pure unité morale; et 
dès lors on comprend que Nestorius, tout en admettant 
en théorie, et en proclamant maintes fois cette unité 
personnelle, parle trop souvent des deux natures et 
surtout du Verbe et de l'homme comme de deux per- 
sonnes indépendantes : 

« Alius quidem Deus Verbum est qui erat in templo quod 
operatus est Spiritus, et aliud teiiiplum praeter habitantem 
Deumi. » — « Si quis hominem qui de virgine et in virgine 
creatus est hune esse dixerit Unigenitum qui ex utero Patris 
ante luciferum natus est, et non magis propter unitionem ad 
eum qui est naturaliter Unigenitus Patris, unigeniti appellatione 
confiteatnr eum participera factum; lesum quoque alterum 
quempiam praeter Emmanuel dicat, anathema sits. » 

Dans ces textes et dans vingt autres que l'on pour- 
rait citer, il est clair que Nestorius oublie qu'il a 
affirmé que Dieu et l'homme ne sont, en Jésus-Christ, 
qu'une personne. Je le répète, il n'a pas vu tout le sens 
de son affirmation. Ne va-t-il pas jusqu'à dire « que le 

l'hamanité » (p. 232). « L'incarnation est conçue comme l'nsage mutuel 
des deux (prosôpons) par prise et don, mais (le Livre divin) l'appelle 
Fils, et Christ, et Seigneur, tantôt à cause du prosôpon de la divinité, 
et tantôt à cause du prosôpon de l'humanité > (p. 233). < Elles [les na- 
tures] portent le prosôpon l'une de l'autre, aussi une nature se sert du 
prosôpon de l'autre nature comme s'il était sien • (p. 266). « Par les 
prosôpons de l'union, l'un est dans l'autre, et cet « un » n'est pas 
conçu par diminution, ni par suppression, ni par confusion, mais par 
l'action de recevoir et de donner, et par l'usage de l'union de l'un avec 
l'autre, les prosôpons recevant et donnant l'un et l'autre et non les 
essences. Nous regardons celui-là comme celui-ci, et celui-ci comme 
celui-là, tandis que celui-ci et celui-là demeurent » (p; 223). « De la 
même manière, il y a dans le Christ deux natures, l'une de Lieu le 
Verbe et l'autre de l'homme, et un prosôpon de Fils dont l'hamanité se 
sert aussi, et un [de l'jhomme dont la divinité se sert aussi. Us ne 
(se servent pas l'un l'autre) de la nature, mais ^u prosôpon naturel 
des natures... Les natures ne sobt pas sans prosôpons, ni non plus les 
prosôpons sans essence » (p. 272, aiâ). 

4. LooFS, 340; cf. Livre dHér., p. Sa, 61. 

3. LoOFS, 214, 331, 334. 



LE NESTORIANISME. 3:J 

Verbe de Dieu était Dieu du. Christ », et que « le 
même était l'enfant et le Seigneur de l'enfant * » ? 

Une autre conséquence d'ailleurs de la façon dont il 
concevait l'unité personnelle de Jésus-Christ est que 
cette personne de Jésus-Christ, résultant de l'incar- 
nation, ne se trouvait plus tout à fait identique avec la 
personne du Verbe avant l'incarnation^. Et c'est pour- 
quoi Nestorius ne veut pas que l'on attribue au Verbe 
ni à Dieu, en vertu de la communication des idiomes, 
les actions et passions de l'humanité. C'est au Christ, 
ou au Fils, ou au Seigneur, appellations qui impli- 
quent les deux natures, qu'il les faut attribuer. A^Xov 
êè oTi TOu AaêlS utoç ô 6e.o; Aoyoç oôx ^^v^. a Non est mor- 
tuus incarnatus Deus, sed iUum in quo incarnatus est 
suscitavit"* )>. « Parcours tout le Nouveau Testament, 
et tu n'y trouveras jamais que la mort soit attribuée à 
Dieu, mais au Christ, ou au Fils, ou au Seigneur s. » 

Par la même raison, il n'admet pas que Marie soit 
6E0T0X0Ç au sens propre et naturel du mot^. La mère 
doit être de même essence que son fils. Or Marie est 
une créature : elle ne peut donc pas être proprement 
mère de Dieu/. Le Père seul est absolument Oeotoxoç*. 
« Habet matrem Deus? «vsyxXîjToç "EXXtjv {XTjTspaç ôeoïç 



1. LOOFS, 291, 292. 

2. « Le prosôpon ne se trouve pas dans, l'essence, il n'est pas (par 
xemple) dans l'essence de Dieu le Verbe qui n'est pas le prosôpon 

d'union des natures qui se sont unies, de manière à unir les deux 
essences dans un prosôpon de Dieu le Verbe, car il n'est pas les deux 
par essence » {Livre d'Hér., p. 146). Cependant ailleurs (p. 76, 78), Nes- 
torius dit que le Verbe possède l'humanité dans son propre prosôpon. 

3. LooFS, i^^. 

4. LoOFS, 252. 

s. LooFS, 269, 166, 171, 217, 2S9, 266. « Où les Pères ont-ils dit que Dieu 
le Verbe est né, selon la chair, d'une femme? » {Livre d'Eér., p. 131, 
13-2, 133). 

6. Livre d'Hêr., p. 173, Nestorius pensait que le mot venait des héré- 
tiques (apollinaristes) ; Livre d'Hér. ^ u. 154. 

7. LoOFS, 167. 

8. LoOFS, 276. 



34 HISTOIRE DES DOGMES. 

iTCEiçaYwv^ » Elisabeth a mis au monde un enfant rem- 
pli de l'Esprit-Saint dès le sein de sa mère : est-ce 
qu'on appelle pour cela Elisabeth Tcveuttatoxoç^? Cepen- 
dant le mot OcOToxoç étant d'usage fréquent parmi les 
fidèles, on le peut tolérer pour le bien de la paix, à la 
condition qu'on le comprenne exactement, et que l'on 
ajoute aussi que Marie est àvôpwTcoToxoç^. Marie « geni- 
trix Dei [est] non propter nudam humanitatis divini- 
tatem, sed propter unitum templo Deum Verbiim; 
àvOpwTTOToxo; vero propter templum quod consubstan- 
tiale est naturaliter virgîni sanctae'' ». Dieu, en effet, 
a passé par la Vierge, il est venu d'elle (TtpoeX6stv>, mais 
il n'en a pas été engendré (YevvrjOîjvai) ^. Le Verbe en- 
gendré dès l'éternité n'a pas eu une seconde nais- 
sance ^. Quant à lui, Nestorius, il préférait l'expression 
XpiffTOTo'xo;, qui a l'avantage — le mot Christ indiquant 
les deux natures — de couper court à toutes les diffi- 
cultés et d'être scripturaire''^. Il propose aussi de dire 
6eoSoj(oç, réceptacle de Dieu : « ôeoooy ov dico, non ôeoto- 
xov, S iitteram non x exprimi volens^. » 

Enfin, dernière conséquence de sa façon de conce- 
voir l'unité personnelle, bien que Nestorius admette 
que Jésus-Christ n'est qu'un seul fils, il incliné mani- 
festement à lui refuser, en tant qu'homme, le titre de 
fils naturel de Dieu. Le Verbe est Fils vraiment et 
par nature (epuasi xai àXTiOGç) : l'homme ne l'est cpie par 
homonymie avec le Fils (ô Se ôjawvijijiwç tw uîto oJd;)^. Le 
Monogène est Fils de Dieu •rcpo»]Youu.svwç x«i xaô' lauTÔv : 

1, LOOFS, 2S2. 

2. LdOFS, 352. 

• 3, LOOFS, ii-i, ISl, 184, 48S, 191, 192, 301, 302, 303, 309, 312, 319. 

4. I OOFS. 303, 309. 

5. LooFS. 277, 278; Livre d'Ucr., p. 261, 262. 
C. LooFS, 17B. 177, !2fi2, 283, etc. 

7. LooFS, 177, 481, 182; Livre d'Hér., p. 91, 92. 

8. LooFS, 276. 

9. LooFS, 217. 



LE NESTORIANISME. 35 

l'homme qu'il a pris ne l'est ôfxwvujjiwç qu'à cause du 
Fils à qui il est uni ^ Et de là l'anathématisme V dans 
lequel Nestorius répond à celui de saint Cyrille, qui 
enseignait que Jésus- Christ est Fils sTç xa\ cpuasi : « Si 
quis, post assumptionem hominis naturaliter dei filium 
unum esse audet dicere, cum sit et Emmanuel, ana- 
thema sit 2, » 

En somme, Nestorius restait, avec plus de nuance 
dans la pensée et de précision dans les termes, dans 
la voie tracée par Théodore de Mopsueste. Nestorien, 
on peut dire qu'il l'est moins violemment que Théo- 
dore. Il veut conserver les façons de s'exprimer de 
l'Eglise ; et c'est sincèrement, on doit le croire, qu'il 
proclame l'unité personnelle de Jésus-Christ. Mais de 
cette unité il n'a pas l'intelligence vraie et profonde : 
et, dès lors, il ne voit pas non plus les conséquences 
qu'il en faut tirer pour toute la doctrine de l'incarna- 
tion et du salut, non plus que les formules qui s'impo- 
sent, ce dogme une fois admis, à la langue théologique. 
Sa crainte de l'apollinarisme l'a fait verser dans l'er- 
reur contraire, et l'acribie minutieuse qu'il a prétendu 
porter dans l'exposé de sa doctrine a rétréci son 
horizon au point de lui voiler la pleine vérité qu'il 
cherchait. 

§ 3. — Le nestprianisme jusqu'au concile d'Éphèse. 

On a dit plus haut que le patriarche d'Alexandrie, 
Cyrille, n^'avait pas tardé à apprendre l'éclat de Cons- 
tantinople, et les suites que lui donnait Nestorius. 

1. LooFs, 217, 218; cf. 274 et Livre d'Hér., p. 164. 

2. LooFS, 214. Le texte peut s'interpréter aussi en ce sens que le Fils 
de Bieu, après l'incarnation, n'est pas un en nature, ce qui est vrai. 
Marius Mercator y a vu cependant l'affirmation que Jésus est à la fois, 
et par ses deux natures, fils naturel et fils adoptif de Dieu (P. L., 
XliVIlI, 916). 



S6 HISTOIRE DES DOGMES, 

L'enseignement prêché par son collègue ne pouvait 
que profondément le scandaliser. Dans sa lettre pas- 
cale de 429, publiée probablement à l'Epiphanie, il 
s'appliqua déjà à préciser la. doctrine de l'incarna- 
tion^ ; puis, apprenant que l'erreur s'insinuait parmi 
les moines, il écrivit sa lettre i Ad monachos Mgyptiy 
qui traitait spécialement du ôeoTo'xoç, de la divinité de 
Jésus-Christ et du mode d'union, , en lui, de la divinité 
et de l'humanité. Bien qu'allusion évidente y fut faite 
aux événements de Constantinople, Nestorius n'était 
pas nommé. 

Cette lettre de Cyrille, apportée à Nestorius, l'irrita 
au plus haut point, et, dans le cercle de ses partisans, 
on essaya d'y répondre. Dès lors, le duel était engagé, 
et Cyrille pensa qu'il devait directement agir. Deux 
lettres — les lettres ii et iv — furent par lui envoyées 
à Nestorius, dans lesquelles il lui représentait que ses 
nouveautés doctrinales étaient la première cause du 
trouble des églises, et il le suppliait d'y porter remède, 
en confessant, comme tout le monde, le ôeoroxoç, et en 
professant sur Jésus- Christ la vraie foi dont il donnait 
un exposé d'une remarquable lucidité. La première 
lettre n'obtint guère comme réponse qu'un accusé de 
réception ^. A la seconde Nestorius répondit en expo- 
sant de son côté sa doctrine personi^elle, en condam- 
nant discrètement celle de son rival, et en lui conseil- 
lant ironiquement de rester en paix, tout allant pour 
le mieux à Constantinople ^. Cyrille put com prendre 
que ses tentatives d'intervention étaient inutiles, ou 
même franchement désagréables. 

Cette attitude ne pouvait l'étonner de la part d'un 



1. C'est xRomilia XVII, dans P. G., LXXVII, 768 et suiv., surtout 713 
et suiY. 

2. LOOFS, 168; P. G., LXXVII, 44, Epist. III. 

3. LooFS, 173 et suiv. ; P. G., LXXVII, 49 et suiv., EpisU V. 



LE NESTORIANISME. 87 

antiocliien, successeur de saint Chrysostome, vis-à-vis 
d'un alexandrin, neveu de Théophile ' . Mais une fois 
faite cette constatation, l'embarras restait grand. Se 
séparer de la communion de Nestorius ne remédiait 
pas au mal. Cyrille, d'ailleurs, ne pouvait songer à le 
juger et le déposer avec ses seuls évêques égyptiens. 
Nestorius était patriarche de la ville impériale, soutenu 
par la cour, et le patriarche d'Antioche, son ancien 
condisciple, n'était pas contre lui pour les voies d'au- 
torité et de rigueur 2. Un seul moyen s'offrait de résou- 
dre la difficulté. D'une part, dénoncer le péril à la cour 
et s'efforcer de détacher de Nestorius Théodose II et 
les princesses, femme et sœur de Théodose : de l'autre 
recourir à Rome et obtenir de l'occident l'appui moral 
dont on avait besoin pour contrebalancer l'influence 
de la cour et des orientaux. Grâce à cet appui, Atha- 
nase avait pu tenir en échec toute l'armée des ariens, 
occupant les plus grands sièges. Cyrille allait renou- 
veler cette tactique, non plus cette fois pour se défen- 
dre, mais pour attaquer. 

Il consacra, pense-t-on, les derniers mois de l'année 
429 et les premiers de l'année 430 à composer les deux 
traités De recta fide ad Theodosium et De recta fide 
ad reginas lihri IL Ce ne fut qu'au milieu de l'an 430 
que Cyrille écrivit au pape. 



1. On comprendrait imparfaitement, en effet, la « tragédie de Nesto- 
rius >, si l'on ne tenait compte, en même temps que des divergences 
doctrinales, de l'antipattiie violente qui divisait les deux partis en 
présence. A Alexandrie, on avait été profondément blessé du décret 
du concile de 381, qui avait dépossédé le siège de saint Atiianase de 
sa prérogative de premier siège de l'Orient, pour l'attribuer à celui de 
Constantinople. A Constantinople et à Antioche,onse rappelait l'inique 
traitement dont saint Chrysostome avait été l'objet de la part de Tliéo- 
phile, l'oncle de Caille. Chaque parti avait, contre l'autre, des humi- 
liations ou des injures à venger ; et cette circonstance ne contribua pas 
peu à rendre impossible, dés le principe, une discussion sereine et 
amicale des questions posées. 

2. Inlar epist. Cyrill., Epist. XV. 

mSTOIRE DES DOGMES. — HI. 3 



38 HISTOIRE DES DOGMES. ^ 

•A Rome, on connaissait déjà l'affaire en partie. 
Évêque nouvellement promu et se sentant bientôt 
menacé, Nestorius avait envoyé au pape Célestin suc- 
cessivement deux lettres \ dans lesquelles il demandait 
d'abord des renseignements concerhiant les pélagiens 
réfugiés à Constantinople, puis se plaignait d'avoir 
trouvé dans sa ville épiscopale des ariens et des apolli- 
naristes qui abusaient du mot 6eoToxo;, comme si Marie 
avait engendré la divinité même. Or cette appellation 

— bien que peu exacte — pouvait être tolérée, mais 
seulement dans ce sens que Marie avait mis au monde 
le temple humain que le Verbe s'est inséparablement 
uni. A ces lettres au pape était joint, nous le savons, 
un recueil de plusieurs au moins des commentaires 
de Nestorius, probablement de ses homélies sur ce 
sujet 2. 

Ces missives du patriarche n'avaient pas reçu, à 
Rome, l'accueil qu'il avait espéré : elles avaient plutôt 
alarmé l'orthodoxie pontificale. Celles de Cyrille, arri- 
vant sur ces entrefaites, ne purent que fortifier cette 
impression^. Cet envoi comprenait d'abord une lettre 

— VEpistula XI — dans laquelle, s'adrèssant aU pape 
comme à un père (ôeo'^ iXeo-TocTO) Ttarpi) , et constatant qu'une 
longue coutume des églises faisait une loi de commu- 
niquer à sa sainteté les affaires de ce genre, Cyrille 
exposait les incidents relatifs à Nestorius, et deman- 



1. LooFs, 165, 169 ; P. L., XL VIII, ITS, 178. Nestorius indique, dans la 
secoude, qu'il a écrit plusieurs fois déjà à Célestin à propos des péla- 
giens : nous ne possédons plus ces lettres. 

2. Cyrill., Epist. XIII, col. 96 : TSTpàSaç IStwv iiyrfn'isbiv. Il s'agit évi- 
demment d'écrits contenant les erreurs de Nestorius, comme le mon- 
tre la suite de la lettre de Cyrille. Ce point est important: il établit qu'à 
Rome on ne jugea pas de la doctrine de Nestorius uniquement d'après 

es renseignements fournis par son rivai. 

3. C'est sans doute sous l'effet de cette impression que le futur pape 
I.éon demanda à Cassien d'écrire son traité De incarnatione Christi. V. 
P. Batiffol, Le Siège apostolique^ Paris, 1924, p. 338-346. 



LE NESTORIANISME. 3& 

daitune direction sur ce qu'il était à propos de faire. A 
cette lettre étaient joints un recueil des homélies prê- 
chées par Nestorius dans son église *, un court résumé 
de sa doctrine, un dossier comprenant, avec des extraits 
de Nestorius, des extraits des Pères grecs sur la ques- 
tion en litige, et enfin les lettres que l'évêque d'Alexan- 
drie avait écrit,es à cette occasion, c'est-à-dire le& 
lettres ii et rv, et probablement aussi la lettre i aux 
moines d'Egypte, que Possidonius déviait remettre au 
pape. I 

Cèles tin se jugea sans doute suffisamment renseigné 
par cet ensemble de documents, et, avant de répondre 
à Cyrille, convoqua, au mois de juillet ou d'août 430, 
un concile à Rome. Un court fragment du discours 
qu'il y prononça nous a été conservé 2. Le pape, s'ap- 
puyant sur des textes de saint Ambroise, de saint 
Hilaire et de Damase., concluait à l'orthodoxie de la 
doctrine du ôeoToxo; et à l'hétérodoxie de Nestorius. En 
conséquence, le concile se prononça contre le patriar- 
che de Constantinople. 

Quatre lettres émanées du pape, et toutes datées du 
11 août 430^, signifièrent cette sentence à Nestorius 
d'abord, puis aux clercs et laïcs de Constantinople, 
aux principaux évéques de l'orient et de la Macédoine 
(Jean d'Antioche, Juvénal de Jérusalem, Rufus de 
Thessalonique et Flavien de Philippes), et enfin à saint 
Cyrille lui-même. La lettre expédiée à Nestorius lui 
déclarait que si, dans les dix jours qui suivraient no- 
tification de la décision papale, il ne se rétractait pas 
publiquement et par écrit, et ne prêchait pas sur la 
personne du Christ « ce qu'enseignaient l'Eglise de 
Rome, celle d'Alexandrie et toute l'Eglise catholique », 

1. Cyrille le dit expressément, JSpisf. XI, 2, 

2. Ma NSI, IV, 5S0. 

3. Massi, IV, 1023, 1036, 1043, 4017 ; Jaffé, 372-37S. 



40 HISTOIRE DSS DOGMES. 

il se considérât comme « retranché de toute commu- 
nion de l'Église catholique ». Saint Cyrille était chargé 
de procurer l'exécution de cette sentence. Dans la lettre 
qu'il lui écrivit, le pape, en effet, après l'avoir félicité 
de sa foi, lui déléguait « l'autorité de son trône pour 
procéder en son nom », et lui recommandait d'agir 
avec énergie. 

Pour Nestorius le coup était rude : il était condamné, 
et c'était son rival qui devait assurer son humilia- 
tion. Ses amis lui conseillèrent pourtant de se sou- 
mettre pour assurer la paix de l'Église ^ Nestoriiis 
répondit d'un façon assez conciliante, mais en somme 
évasive, et s'en remit au concile dont il avait demandé 
la tenue au pape ^. 

Cyrille, de son côté, ne resta pas oisif. Envisageant 
l'hypothèse où Nestorius consentirait à se rétracter, 
et voulant préparer une formule qui serait soumise à 
sa signature, il convoqua dans Alexandrie un concile 
d'égyptiens. Une longue lettre synodale en sortit, r^B- 
pitida XVII 2, rédigée par Cyrille, et qui fut envoyée 
à Nestorius. Elle comprenait deux parties. La pre- 
mière, après avoir notifié au patriarche sa condamna- 
tion, faisait de la doctrine de l'unité de Jésus-Christ 
un exposé abondant, mais approfondi -et lumineux. 
La seconde condensait cet exposé en douze anathéma- 
\ismes auxquels Nestorius devait souscrire. 

Ces anathématismes sont restés fameux ^ ; et ils 
ont joué dans l'histoire du nestorianisme un trop 

1. V. la lettre de Jean d'Antioche dans JlAxsf, IV, 1061. Cette lettre 
avait été concertée avec plusieurs évêques et notamment avec Tliéo- 
doret {ibîd., 1068). 

2. V. 5a troisième lettre à Célestin, Loofs, 181 : elle est antérieure au 
mois d'août 430. 

3. Elle est du commencement de novembre 430. 

4. V. sur euxl'arlicle du P. J. Mahé, Les anathématismes de satnt Cy- 
fille d'Alexandrie et les évêques orientaux du patriarchat d'Antioche 
dans la iîeuue d'histoire ecclésiastique, Yll (1906), SOS etsuiv. 



LE NESTORIANISMB. 41 

grand rôle pour qu'on n'en indique pas l'objet précis. 

Le premier affirmait la légitimité du ôsoxo'xoç. 

Le second enseignait que l'union du Verbe avec la 
chair est une union xaô' ÔTtoertadiv. 

a Si quelqu'un, déclarait le troisième, divise, dans 
le Christ un, les hypostases après l'union, les asso- 
ciant par une simple association de dignité, d'auto- 
rité ou de puissance, et n'admet pas plutôt entre elles 
une union physique, qu'il soit anathème ^ . »^— ^ 

Le quatrième déclarait que l'on ne peut attribuer à 
deux personnes ou à deux hypostases (îcpoffwTroiç Sualv 
^youv &7toffTâcre(Ti), OU séparément à l'homme et au Verbe 
dans le Christ ce que les Ecritures ou les saints ont 
dit de Jésus-Christ. 

Le cinquième condamnait l'expression ôsoçopoç av- 
ôpwTToç pour désigner le Christ, et le proclamait fils un 
et par nature, utov eva xat çuset. 

Le sixième écartait l'idée que le Verbe fût le Dieu 
ou Seigneur du Christ : le même est, en effet, Dieu et 
homme. 

D'après le septième, Jésus-Christ, en tant qu'homme, 
n'était pas mû par le Verbe ni revêtu de sa gloire, 
comme une personne qui aurait été distincte de ce 
Verbe. 

Le huitième anathématisme rejetait l'unité d'adora- 
tion entendue au sens nestorien. L'homme pris par le 
Verbe ne doit pas être conadoré et conglorifié et con- 
nommé Dieu avec le Verbe, d); Exepov Iv iTspw : mais 
bien adoré avec lui comme le terme unique d'une uni- 
que adoration. 

Le neuvième affirmait que l'Esprit-Saint n'est pas 



1 . Et Ti; âicl toû évà; Xpicrcoû StaipeT ta; iizotjxâaeiç (letà Tr,v ëvbXrtv, \l6tq 
«ruvàiiTtav awToç cuvaçeto i^ xatà tôv à^tav, ijyouv aûÔevxiat i^ 8uva- 
vTEÎq:, xat oO^t S^ (lS>Xov ow68({) t^ xaO' Svoxnv cpuaixYiv, àvà6e(ta latu>. 



42 HISTOIRE DES DOGMES. 

une puissance étrangère à Jésus (àXXorpia Suvatxsi), et 
qui lui a donné le pouvoir de faire ses miracles, mais 
qu'il est son propre Esprit (ÏStov aÙToC to Tzv£Zii.a.), par 
<jui le Sauveur a accompli ses œuvres divines. 

Le dixième enseignait que notre prêtre et pontife 
est non un homme distinct du Verbe incarné, mais le 
Verbe incarné lui-même; et que ce pontife n'a pas 
offert le sacrifice pour lui, car il était sans péché, mais 
pour nous seulement. 

Le onzième disait que la chair du Seigneur est la 
chair propre (îSta) du Verbe, et non d'un autre qui 
serait uni au Verbe seulement xarà Tf,v à^iav : qu'en 
conséquence elle est vivifiante (^wotcoioç), étant la chair 
propre du Verbe qui peut tout vivifier. 

Enfin le douzième anathématisme proclamait que 
le Verbe a souffert, a été crucifié, et est mort dans sa 
chair (Traôovxa crapxt, xat IffxauptofxÉvov oapxi, xat ôavdcTou 
YeuffotfxEvov orapxt), et qu'il est devenu le premier-né 
d'entre les morts, étant, comme Dieu, la vie et prin- 
cipe de vie. 

Ces formules dénotaient assurément dans leur au- ' 
teur un théologien exercé, et, s'opposant à d'autres 
formules reprochées à Nestorius, elles était combinées 
de façon à ne lui laisser aucune échappatoire. Mais 
elles offraient deux inconvénients. D'abord,. elles en- 
traient dans un luxe de détails et de précisions que 
le pape n'avait point demandés. Ensuite et surtout 
elles présentaient le dogme dans la conception et. le 
langage propres à saint Cyrille, conception et langage 
qui, on le verra, n'étaient pas sans défaut, et que 
Nestorius notamment ne pouvait accepter. Ainsi, le 
deuxième anathématisme affirmait que l'union de la 
divinité et de l'humanité en Jésus-Christ était xaO' 
ùsôaxaaiv. Or le mot iynôaxaai^, je l'ai déjà remarqué, 
n'avait pas encore, en matière christologique, de si- 



LE NBSTORIANISME. 43 

gnification ferme. Pour Nestorms, il désignait la subs- 
tance concrète ^ ;• Cyrille le Confond tantôt avec Tupdor- 
tfjTTov, tantôt avec çûtytç^. Mais surtout l'expression 
evwffi; (puffixTi contenue dans l'anathématisme iii était 
des plus regrettables. J'ai traduit cette expression par 
« union physique », par opposition à union morale, 
qui est le sens que saint Cyrille avait en vue, comme 
lui-même l'a expliqué : mais il était inévitable que 
des adversaires prévenus la comprissent enrce sens 
que la divinité et l'humanité ne formaient plus en 
Jésus-Ch rist qu'une seule nature après runion./C'é- 
tait l'apollinarisme, c'est-à-dire l'erreur même qu'ils 
avaient voulu combattre et dont la crainte les avait 
jetés dans l'oxcès opposé. Comment espérer les y 
faire souscrire? 

Aussi ne le voulurent-ils pas. Nestorius répondit 
aux anathématismes de saint Cyrille par douze contre- 
anathématismes^, dans lesquels il maintenait sa doc- 
trine et condamnait celle de son rival, où il prétendait 
toujours voir l'apollinarisme. Jean d'Antioche, et les 
antiochiens mêmes qui d'abord avaient conseillé à 
Nestorius la soumission, se trouvèrent retournés. An- 
dré de Samosate, au nom des évoques d'Orient *, 
Théodoret, en son nom personnel ^, attaquèrent l'écrit 
de saint Cyrille et notamment l'anathématisme m qui 

i. V. plus haut, p. 2i, note 7. 

2. Anathém. II, lU, IV, et ailleurs. V. plus bas, p. 61. Cyrille protesta 
que, par cette union xa6' ÛTrocTacrtv, il entendait seulement que la 
nature ou l'Iiypostase du Verbe s'était unie à la nature humaine en 
vérité, mais sans transformation ni fusion, xarà àXf,6Eiav évtoOeti; Tpoityj; 
Tivo; àiya y.al av-fx^aetùii [Apologet. pro XII capitulis contra Theodo- 
retum, col. ûOl). 

3. LooFS, 211. Leur authenticité est rejetée par E. Sckwartz. Batiffol' 
p. 364. 

4. Rappelons-nous que, au v« siècle, le mot Orient désigne spéciale- 
ment le diocèse d'Orient, c'est-à-dire la région qui correspond à peu 
{)rès au patriarcat d'Antioche. 

o. Outre cet écrit, Théodoret dirigea aussi contre les anathématismes 
sa lettre CLI. 



44 HISTOIRE DES DOGMES. 

leur paraissait enseigner en Jésus-Christ l'unité de 
nature. Cyrille répondit à ces critiques ^ et, sur Yivt»- 
aiç çufftxv] en particulier, expliqua que le mot «puef ixti 
ne signifiait pas autre chose, dans sa pensée, que yraie 
et réelle : Eî 8è S^ ^éyoïfAev çuaix^iv ttJv Ivwcriv, t^v " àXY)6îî 
œafiLEv... ''Evwatç opuorix'}), tout£(ttiv àXviô;^?^. 11 sentit toutefois 
le besoin de se justifier encore, et publia plus tard une 
troisième ExpUcatio duodecim capitum^, toujours 
pour repousser le reproche d'apollinarisme qui lui 
était fait. 

Mais en somme, au début de 431, rien n'était conclu. 
Nestorius ne s'était pas soumis; les évêques orientaux, 
s'ils n'approuvaient pas ses excès doctrinaux, soute- 
naient du moins sa personne ; l'empereur le soutenait 
aussi. 11 ne restait plus que la voie d'un concile géné- 
ral. Nestorius l'avait demandé au pape ; les moines de 
Constantinople l'avaient demandé à l'empereur ^ ; Cy- 
rille l'avait réclamé à son tour®. Théodose II et son 
collègue Valentinien III le convoquèrent pour le jour 
de la Pentecôte, 7 juin 431, à Éphèse. Le pape y délé- 
gua les deux évêques, Arcadius et Projectus pour 
représenter le concile romain et, pour le représenter 
lui-même personnellement, le prêtre Philippe. Il vou- 
lut que Nestorius, bien que déjà, condamné, y assistât^. 

i. Apologeticus pto Xn capitîbus contra orientales, Apologeticus pro 
XII capitulia contra Theodorelum (P. G., LXXVl, 316, 39ï). 

2. P. G., LXXVI, 332, 405. 

3. P. G., LXXVI, 293. 

4. Mansi, IV, 1101 et suiv., surtout 1M8. 
5 EvAGRiDS, Hist. écoles., 1, 7. 

6. Mansi,IV, 1-292. Une invitation spéciale avait été adressée par l'em- 
pereur à saint Augustin (Mansi, IV, 1208); mais celui-ci était mort 
(28 août 430} quand arriva l'envoyé impérial. 



LE NESTORIÂNISME. 45 



§ 4. — Le concile d'Éphèse et la lormiile d'union 

de 433. 

On n'attend pas qu'à propos d'une histoire des 
dogmes, nous_entrions ici dans le détail des opérations 
du concile*. Un simple aperçu suffira à notre but. Au 
jour dit, le 7 juin, Nestorius se trouvait à Éphèseavec 
seize évêques, Cyrille avec cinquante, Meranon^i^êque 
d'Éphèse, avec quarante et douze évêques de la Pam- 
phylie. Juvénal de Jérusalem étFlavien de Philippes, 
représentant Rufus de Thessalonique, s'y trouvaient 
aussi. Les légats du pape n'étaient pas arrivés, non 
plus que Jean d'Antioche et les évêques orientaux. On 
attendit ceux-ci quinze jours 2. Fatigué de ce retard, 
et sur les instances d'un certain nombre des évêques 
présents, Cyrille se décida, le 22 juin, à ouvrir le con- 
cile. 

On a contesté la légalité de cette mesure. Cyrille 
était partie contre Nestorius, et il n'avait reçu, pour 
présider le concile, aucune commission du pape Céles- 
tin. Mais, à vrai dire, et dans l'état de nos documents, 
il est difficile de se prononcer d'une façon absolue. II 
règne entre la relation des actes du concile — rédigés 
sous la surveillance de Cyrille — et la conduite des 
évêques orientaux une contradiction que l'on ne peut 
résoudre ^ Ce qui est certain c'est que, le 21 juin, 

1. V. les actes dans Mansi, Coll. conctl., IV, et le Synodicon dans Mansi, 
V et la Bibliotheca cassinensis, II. Cf. Hefele-L>îclercq, Hist, des 
Conciles, II, i. L. Duchesne, Histoire ancienne de l'Eglise, lll. Batiffol, 
Siège apostolique, p. 308-397. 

2. Ou même seulement quatorze jour», car la convocation eut lieu le 
21 juin. 

3. Cyrille put se croire autorisé à ouvrir le concile, s'il est vrai, 
comme le relatent les actes (Mansi, IV, 1332; cf. 1329), que Jean d'An- 
tioche expédia, avant son arrivée, deux évoques, Alexamlre d'Apamée 
et Alexandre d'Hiérapolis, chargés de prévenir Cyrille de ne j^as l'at- 

3. 



46 HISTOIRE DES DOGMES. 

veille de l'ouverture, soixante-huit évêques, et parmi 
eux Théodoret, demandèrent que l'on attendît encore 
l'arrivée de Jean d'Antioche^, et que, le 22, le comte 
Candidien protesta, au nom de l'empereur, contre le 
commencement des opérations du concile^. Mais on 
passa outre. Cent cinquante-neuf évêques et le diacre 
Bessula, représentant l'évêque de Carthage, se trou- 
vaient réunis dans l'église de Marie ^. Nestorius, trois 
fois cité» refusant de comparaître, on entama sans 
tarder la question de la foi. 

Le concile fit lire d'abord le symbole de Nicée, puis 
la deuxième lettre de saint Cyrille à Nestorius [Epist. 
£v) et la réponse de celui-ci. Cette réponse fut immé- 
diatement condamnée par quelques évêques, et un ana- 
thème général prononcé contre l'hérésiarque. Les lec- 
tures continuèrent par la lettre de Célestin et du sy- 
node romain à Cyrille [Epist. xii), et la lettre synodale 
-de Cyrille et de son concile d'égyptiens [Epist. xv!!)-*. 
Enfin on opposa à la lecture dun dossier patristique 
— extraits de passages des Pères sur l'incarnation'' 

tendre plus longtemps, et de commencer les opérations. Cyrille dut 
raisonnablement soupçonner que Jean était bien aise de ne pas assis- 
ter à la condamnation de Nestorius. Mais il faut remarquer que les deux 
«véques d'Apamée et d'Hiérapoiis furent précisément parmi ceux qui 
protestèrent contre l'ouverture du concile en l'absence des orientaux 
(Maksi, IV, 1232, 1236). — Quant à la question de la délégation de Cyrille 
par le pape, on trouve que Cyrille est toujours désigné dans les actes 
comme « tenant la place de l'archevêque de Rome » (t. g. Mansi, IV, 
1124). Mais, d'autre part, aucune lettre du pape à Cyrille ne contient de 
délégation particulière pour le concile; bien plus, Célestin avait envoyéà 
Ephèse des légats spéciaux. Cyrille a évidemment étendu auconcile la 
délégation qu'il avait reçue pour l'exécution de la sentence romaine 
-contre Nestorius. 

1. Mansi, V, 763. 

2. Mansi, V, 770. 

3. Ou plutôt Véglise Marie; cf. DncHEs-WK, Op. cit., p. 349, note 3. 

4. On remarquera que, tandis que la lettre IV de saint Cyrille à Nes- 
torius fut déclarée conforme à la foi, la lettre XVII, qui comprenait les 
-anathématismes, ne reçut pas d'approbation directe. 

5. Ces passages étaient tirés de Pierre d'Alexandrie, saint Âthanase, 
■Jules I et Félix l, papes, Théophile d'Alexandrie, saint Cyprien, saint 



LENESTORIANISME. . 4» 

— celle de vingt fragments de Nestorius tirés de ses 
œuvres ; et l'assemblée, assurée d'ailleurs que le pa- 
triarche persistait dans ses erreurs, prononça contre 
lui la sentence de déposition. Il fut déclaré « étranger 
à la dignité épiscopale, et à toute ; société sacerdotale ». 
Cent quatre-vingt-dix-huit évêques, auxquels quelques 
autres se joignirent encore un peu plus tard, signèrent 
cette sentence ', dont le peuple d'Ephèse accueillit la 
nouvelle par ses transports et ses acclamations. 

Ceci se passait le 22 juin 431. Quelques jours apiîès, 
les légats du pape arrivèrent. La lettre de Çélestin 
qu'ils apportaient au concile^ était très ferme. Le pape 
n'entendait pas que Nestorius fût jugé à nouveau ; la 
décision du concile romain suffisait : celui d'Ephèse 
devait simplement la promulguer et la rendre œcumé- 
nique^. C'était déjà fait. Dans la troisième session 
(11 juillet), les légats, après la lecture du procès-ver- 
bal de la première session du concile, confirmèrent 
les mesures qui y avaient été prises, et une lettre syno- 
dale fut rédigée pour les empereurs, exposant la con- 
duite de toute l'affaire et demandant pour les évêques 
l'autorisation de rentrer chez eux^. Avec la condamna- 
tion de Nestorius s'achevait l'œuvre doctrinale du 
concile d'Ephèse. Elle reçut un simple complément 
dans la sixième session par la réprobation d'un sym- 
bole attribué à Théodore de Mopsueste^, et par la 
défense que porta le synode de composer et de ré- 



Âmbroise, saint Grégoire de Nazianze, Àtticus de ConstantiDople, Am< 
philoque d'Iconium. Les deux fragments cités sous le nom des papes 
Jules et Kélix sont apocryphes etviennent, en réalité, d'Apollinaire. 

1. Trente-huit évêques s'étaient donc adjoints aux cent soixante mem- 
bres présents au début de la session. 

2. Mansi, IV, 1284. 

3. On remarquera l'afTirmation de l'autorité romaine par Firmus de 
Cesarée et le légat Philippe (Mansi, IV, 1288, 1289, 1596). 

4. Mansi, IV, 1301. 

8. C'est VExpositio symboli dépravait, Swete, H, 337. 



48 HISTOIRE DES DOGMES. 

pandre d'autre formule de foi que celle des Pères de 
Nicée^ 

L'œuvre doctrinale du concile était achevée ; mais le 
difficile était delà faire accepter. Dès le 26 juin, avant 
môme que les légats fussent parvenus à Ephèse, Jean 
d'Antioche et ses évéques y étaient arrivés, et, se joi- 
gnant immédiatement à quelques évéques dissidents, 
avaient tenu, au débotté, un conciliabule- qui avait dé- 
posé Cyrille et Memnon sous l'inculpation de violence 
et même d'hérésie, et excommunié les prélats qui avaient 
siégé avec eux. Quarante-trois évéques avaient signé 
cette sentence qui fut communiquée aux intéressés, 
aux empereurs et aux princesses, au clergé, au sénat 
et au peuple de Constantinople^. C'était la guerre dé- 
clarée, et il serait inutile ici autant que fastidieux d'en 
suivre en détail les péripéties. Chaque parti, condam- 
nant ses adversaires, s'efforçait d'attirer à soi l'empe- 
reur et la cour ; et l'empereur, incertain, ne savait à 
qui donner raison dans une cause où trop de ques- 
tions personnelles se mêlaient à la question de foi. Une 
chose fut cependant réglée : la déposition définitive de 
Nestorius, et son remplacement, sur le'siège de Cons- 

i. < Le saint synode statne qu'il n'est permis à personne d'énoncer, 
écrire ou composer un autre [symbole de] foi en dehors de celui qui a 
été déOni par les saints Pères réunis à Nicée avec le Saint-Esprit. Ceux 
qui oseront composer un autre [sj'mbole de] foi, ou l'énoncer, ou l'oflrir 
à ceux qui, soit du paganisme, soit du judaïsme, soit d'une hérésie 
quelconque, veulent se conwrtir à la reconnaissance de la vérité, ceux-là 
[le concile statuejque, s'ils sont évéques ou clercs, ils seront éloignés, 
les évéques de l'épiscopat, et les clercs de la cléricature; que, s'ils 
sontlaïques, ils seront frappés d'anaihème » (Mansi, IV, .1301, 13G4). On 
sait que le concile de Chalcédoine fut le premier à violer celte dé- 
fense en mettant en circulation le symbole dit de Consluntinople. 

2. V; les actes dans Mansi, IV, 1260 et suiv. 

3. V. les lettres dans Mansi, IV, 1269, 1272, 1273, 1276, 1277. Si la pre- 
mière session du concile tenue par Cyrille prête le flanc à des criti- 
ques, que penser de l'acte de Jean d'Antioche et des orientaux, jugeant 
à la liâte, et sans les avoir assignés, Cyrille et ses cent cinquante-huit 
évéques? Et c'est pourtant dans cette réunion, irrégulière au premier 
chef, que quelques auteurs veulent voir le vrai concile l 



LE NESTORIÀNISME. 49 

tantinopie, par Maximien (25 octobre 431), orthodoxe 
doux et modéré, qui se montra favorable à Cyrille. 

Aucun accord ne put intervenir entre cyrilliens et 
orientaux jusqu'à la mort du pape Célestin (16 juillet 
432). Mais, à ce moment, on commença à concevoir 
quelques espérances de rapprochement. Le nouveau 
pape, XystellI (31 juillet 432), tout en approuvant les 
décisions d'Éphèse, manifesta son désir que les orien- 
taux fussent reçus à la communion pourvu qu'ils sous- 
crivissent aux condamnations portées par le concile\ 
Théodose II s'entremit de nouveau; Cyrille, toujours: 
suspecté d'apoUinarisme, fournit sur sa doctrine per- 
sonnelle des explications précises, dans lesquelles il 
déclarait rejeter absolument toute conversion et t6ut 
mélange, en Jésus-Christ, de la divinité et de l'huma- 
nité. Ces explications satisfirent plus d'un esprit parmi 
ses adversaires, et bientôt, au sein des orientaux, trois 
partis se formèrent. Un premier, favorable à la paix, 
acceptant le fond, sinon la forme de la doctrine de 
Cyrille, et disposé à sacrifier, s'il le fallait, la personne 
de Nestorius : les chefs en étaient Jean d'Antioche 
et Acace de Bérée ; — im second parti de nestoriens 
irréductibles, pour qui Cyrille, quoi qu'il pût dire et 
faire, restait toujours l'ennemi : on y voyait Alexandre 
d'Hiérapolis, Helladius de Tarse et quelques autres ; — 
et enfin un tiers parti dont Théodoret et André de Sa- 
mosate étaient l'âme, hésitant, se défiant du patriarche 
d'Alexandrie, mais surtout refusant de condamner 
Nestorius et moins porté à la conciliation. 

Cette conciliation cependant était voulue par la ma- 
jorité de l'épiscopat; et c'est pour l'avancer que Jean 
d'Antioche envoya à Alexandrie Paul d'Émèse, avec 
une lettre pour l'accréditer auprès de Cyrille, et une 

1. Ma>si, y, 374, 37S. 



;50 HISTOIRE DES DOGMES. 

profession de foi siir laquelle l'entente devait se faire. 
Cette profession de foi reproduisait, à peu de chose 
près, une déclaration que les orientaux avaient autre- 
fois fait remettre à l'empereur^. Cyrille l'accepta, mais 
il exigea la condamnation expresse de Nestorius par 
Paul d'Emèse et ses commettants. Ce point lui fut ac- 
cordé par Paul d'abord, puis par Jean d'Antioche. Ce- 
lui-ci écrivitau patriarche d'Alexandrie la lettre défini- 
tive d'accord contenant la profession defoisusdite^, et 
Cyrille y répondit par la lettre Laetentur caelP, qui 
reproduisait le même symbole, La paix était faite en- 
tre les patriarches (mars et avril 433). 

La formule sur laquelle ils s'étaient entendus est 
fort importante, on le conçoit, puisqu'elle comprend 
les points précis que les deux théologies^ d'Alexandrie 
-et d'Antioche, professaient en commun, et fait connaî- 
tre les sacrifices de terminologie particulière que cha- 
cune avait consentis pour le bien de la paix. |ln voici la 
teneur. Après une première partie, sorte d'introduc- 
tion, cette formule continuait ; 

« Nous confessons donc que Notre-Seigneur Jésus-Chrjst, 
Fils unique de Dieu, est Dieu parfait et horome parfait, [com- 
posé] d'une âme raisonnable et d'un corps ; qu'il est né du Pure 
■savant les siècles, quant à la divinité; et que le même, pour 
nous et pour notre salut, [est né] à la fin des temps de la vierge 
Marie, quant à L'humanité : que le même est consubstantiel au 
Père selon la divinité, et consubstantiel à nous selon l'humanité. 
-Car il y a eu union des deux natures : c'est pourquoi, nous con- 
fessons un seul Christ, un seul Fils, un seul Seigneur. D'après 
cette façon de concevoir l'union exempte de mélange, nous 
confessons que la sainte Vierge est mère de Dieu, puisque le 
Dieu Verbe s'est fait chair, et s'est fait homme, et dès la con- 
ception s'est uni le temple qu'il a pris d'elle. Quant aux ex- 
pressions évangéliques et apostoliques qui concernent le Sei- 

1. Mansi,. V, n&i, 783. Cette déclaration était probablement l'œuvre de 
Théodoret. 

2. Inter epist. Cyrîll., Epîst. XXXVin. 

3. Epist. XXXIX. 



LE NBSTORIAMISME. 51 

gneur, nous savons que les théologiens regardent celles qui 
unifient comme [se rapportant] à une personne unique, et celles 
qui séparent comme [se rapportant] à deux natures : et celles 
qui conviennent à Dieu [comme s'appliquant] au Christ suivant 
sa divinité, et les plus humbles [comme s'appliquant] à lui sui- 
vant son humanité i. » 

A la simple lecture de cette formule, on se rend 
compte que c'était Cyrille qui, en somme, sacrifiait le 
plus ses vues particulières. Dans ce texte, il n'était 
pas question du Verbe, mais bien de Jésus-Christ-qui, 
naît du Père selon la divinité, puis de Marie selonN 
l'humanité. Le ôeoto'xoç n'était admis qu'avec l'explica- 
tion réclamée par les orientaux : on retrouvait le mot 
vaoçqui leur était cher; les termes (xia couaiç, evwffiç çudutii 
étaient remplacés par êv Trpo'awTrov, Bùo çuctecdv Ivwfftç, ôç 
lirl Suo tpucewv, qui, s'ils marquaient l'unité de personne, 
exprimaient aussi la dualité des natures. Malgré tout, 
cependant, l'identité personnelle du Verbe avant l'in- 
carnation et de Jésus- Christ était reconnue et plusieurs 
fois affirmée ; on écartait auvàcpEia pour parler d'Ivioat; ; 
le principe de la communication des idiomes et avec 
lui le 6eoToxo; était reçu. Cyrille, s'il ne retrouvait plus 
sa terminologie préférée, retrouvait, au fond, sa doc- 

t. 'OnoXoYoûjJLEv TOiyopoûv tov xûptov 7i[iûv 'iTjaowv Xpi<jx6v, tov 
uîàv Toû 6eoûj tôv [lovovevîj, ÔeovtéXeiov xat àvÔpwTrov iéXeiov iv.'^ivyrii 
Xoyixîiç tal ffwjjiaxoç' npô alwvwv jjiàv èx toû ïtaxpb; YS^vïiOévTa xaxà 
TiQv ÔEOTïiTtt, £7t' è<rxo'''^wv ÔÈ tûv YjpiEpwv TOV aÙTÔv 5t' î^fJiâç xaî Stà 
ii]\ :?,[AETépav cwxTqpiav Ix Mapiaç •uîjç TrapôÉvou xarà xi^v àvôpoMtoxvixa- 
ô|ioov(7iov TÔ ira-rpi tôv aùrôv xaTà ti^v OEÔxriTa, xat o(xooiiiiiov ■i^jxtv 
xaTà TYJv ttv9pti37CÔTYiTa" ôuo yào «pùascov Evcofftç véyove" ôtô ëva Xpiffxév, 
£va\)l6v, ëva xuptov ôii.o).OYOù[i.ev. Kaxà xaûtTjv xiiv xrjç àffUYXWfou êvœ- 
ffcci); Ivvoiav ôfioXoyoOjiEv xtqv àytav TcapÔÉvov 6eox6xov., ôtà xb xov Geôv 
XÔYov ffapxwOîjvai xat èvavÔpwTTïiffai, xai èÇ aûxrjç XYjç ffuXXYi<{;Ea)ç évûaat 
éauTû) xbv éÇaÙTïjç Xrjçôévxa vaov. Tàç 5; eùayyEXtxà; xai oîrocTToXtxà; 
JtEpt Toû xupiou çcdvà; îffpiEv Toiiç OeoXéyouî àvSpa; xà; pièv xotvoTcoioyv- 
ïa; wç êqp'ivbc npoatiirou, xç:; Se ôtaipoùvxa;, û; ètci Sûo çuffÊOJV xal xàç 
(làv BEoupETtEtç xaxà tt^v ÔE^Xïixa xoû Xpiorxou, xàç 5È xajtEivàç xaxà 
t^v àvôpwTcdxTjxa aûxoy TiapaSiSôvxa;. 



52 HISTOIRE DES DOGMES. 

trine, car il n'avait jamais été dans sa pensée de con- 
fondre en Jésus-Christ l'humanité avec la divinité. Il 
fut assez grand pourvoir au delà des mots, et d'ailleurs 
dès ce premier moment, s'aperçut sans doute que ces 
mots pouvaient s'accorder avec la forme personnelle 
de sa doctrine. Il signa le formulaire de la paix, don- 
nant, par cet acte, à ses adversaires, le meilleur gage 
de sa sincérité et de son orthodoxie. 

La paix, avons-nous dit, était conclue entre les deux 
patriarches. Restait à la faire agréer des deux partis. 
Du côté de Cyrille, outre les gens mal informés comme 
Isidore de Péluse \ il y avait de vrais monophysites 
comme Acace de Mélitène ^ , qui lui reprochaient 
d'avoir, en acceptant le formulaire, trahi la cause de la 
vérité. Cyrille dut reprendre la plume pour se défen- 
dre, cette fois, contre ses amis, et défendre l'œuvre de 
l'union. 11 le fit en des lettres où il s'efforça de montrer 
que la doctrine du formulaire ne différait pas, en 
substance, de ce que lui, Cyrille, avait toujours en- 
seigné^. Du côté de Jean d'Antioche, les résistances 
ne furent pas moins vives. Outre le groupe des Cili- 
ciens qui persistèrent à déclarer Cyrille hérétique et 
l'union nulle de plein droit '', Théodoret et ses amis, 
satisfaits à peu près des explications de Cyrille, ne 
voulaient pas entendre parler de la déposition de 
Nestorius ^. Il fallut que Théodose II, à l'instigation 
de Jean d'Antioche, intervînt de nouveau. Sous la 
pression impériale, les récalcitrants, sauf quinze qui 
furent .déposés, cédèrent peu à peu *. Théodoret lui- 



1. Epistul., lib. 1, 323, 32i [P. G., LXXVm). 

2. MaSsi, V, 8fi0. 

3. L'pist. XL, XLIV, XLV, XL VI, à Acace, à Eulogius, à Succensus. 
t. Mansi, V, «î)0. 

S. V. la lettre de Théodoret à Nestorius, SUiist, V,898; P. G., LXXXIII, 

li. JUN31, V, 96S. 



LE NESTORIANISME. 63 

même accepta le symbole, tout en refusant d'anathéma- 
tiser Nestorius. En 435, Théodose II, voulant éloigner 
la cause du conflit, fit sortir Nestorius du couvent 
d'Euprepius et l'exila à Petra, en Arabie, puis plus 
tard à l'Oasis d'Egypte. Nestorius y composa, sous 
le titre de Livre dHéraclide de Damas, sa fameuse 
apologie récemment retrouvée ; mais il y souffrit beau- 
coup. Sa mort se place en 451, entre la convocation 
et la tenue du concile de Chalcédoine. 

§ 5. — La fin du nestorianisme i. 

Ainsi pourchassé dans l'empire officiel, le nesto- 
rianisme trouva d'abord un reîuge dans la viUe qui 
protégeait la frontière à l'est, à Edesse. Il y avait là 
une école célèbre, en possession de donner l'enseigne- 
ment non seulement aux osrhoéniens, sujets de l'em- 
pereur, mais aussi aux jeunes chrétiens perses, sujets 
des Sassanides, qui passaient la frontière pour en 
suivre les leçons, et appelée à cause décela Ecole des 
Perses. Les noms et la doctrine de Diodore de, Tarse 
et de Théodore de Mopsueste y étaient généralement 
révérés. L'évêque Rabbulas, il est vrai, après avoir 
fait campagne avec Jean d'Antioche, s'était retourné, 
dans l'hiver de 431-432, du côté de Cyrille, à qui il avait 
même dénoncé le cilicien (Théodore de Mopsueste) 
comme le vrai père du nestorianisme *. Il s'était 
efforcé de supprimer les écrits de Théodore; mais il 
avait rencontré soit dans le clergé, soit dans l'école, 
une résistance sourde qui, pour se dissimuler devant 



1. V. sur ce paragraphe : J. Lacourt, Le chriatianiame dans i'ent' 
pire perse sous la dynastie sassanide (224-632), Paris, 190*. W. A. Wi- 
GRAM, An introduction to the history of Ihe Asàyrian Church, London, 
1910; elles sources indiquées par ces deux auteurs. 

a. aussi, V, 076. 



54 HISTOIBB DES DOGMES 

ses mesures implacables, n'en restait pas moins opi- 
niâtre. Aussi à sa mort (435), une réaction se produisit- 
elle qui porta sur le siège épiscopal un des repré- 
sentants de l'opposition, Ibas. Ibas était un orthodoxe 
dans la nuance de Théodoret, fort mécontent que 
Nestorius n'eût pas accepté simplement le ôeoxôxoç, 
mais d'ailleurs ennemi juré de saint Cyrille, et partisan 
décidé de Théodore de Mopsueste dont il avait traduit 
en syriaque et répandu les ouvrages. On sait qu'il 
avait écrit, en 433 probablement, à l'évêque d'Arda- 
schir, Maris ^, une lettre devenue fameuse, où il 
racontait, au point de vue oriental, toute l'affaire du 
concile d'Ephèse et de la paix conclue entre Jean et 
Cyrille, et s'élevait contre le zèle intolérant de 
Rabbulas à poursuivre les ouvrages de Théodore. 
Nous aurons l'occasion de revenir sur cette lettre qui 
valut à Ibas bien des ennuis. Mais on comprend que, 
sous un pareil évéque, et malgré l'existence, parmi les 
étudiants, d'une minorité monophysite résolue ^, 
l'école d'Édesse ait pu librement suivre ses sympathies 
nestoriennes. 

Les mauvais jours ne tardèrent pas à venin pour 
^Ue. En 457, sous le successeur d'Ibas, Nonnus, un 
premier retour offensif de l'orthodoxie força à s'éloi- 
gner de l'école les plus ardents partisans de Théodore 
de Mopsueste, entre autres Barsumas et Narsès K Ils 
passèrent la frontière perse, et Barsumas, devenu 
évêque de Nisibe, fonda dans cette ville une école 



1. Beit-Ardaschir est Ta ville capitale de la Perse, Séleucie. Or, l'évê- 
que de Séleucie était alors Dadiso. M. Laboun {op. cit., j). 133, note 6) 
pense que l'on pourrait résoudre la difficulté en supposant que le 
.nom Maris, donné par les auteurs grecs, est siroplementla reproduction 
du titre d'honneur syriaque Mari (Monseigneur), qui précédait le nom 
de l'évêque d'Ârdaschir. 

2. Philoxène, le futur évêquede Mabboug, s'y trouvait à ce moment. 

3. Sur Narsès et J&arsumas, Bardknhevter, l.ïv, p. 407-412* 



LE NESTOMANISME. 55 

dont Narsès, « la harpe du Saint-Esprit », resta le 
maître vénéré pendant cinquante ans. Aussi, lorsque, 
en 489, l'évêquè d'Edesse, Cyrus, ferma définitivement, 
sur l'ordre de l'empereur Zenon, l'école des Perses, 
maîtres et étudiants expulsés, franchissant à leur 
tour la frontière, trouvèrent à Nisibe un asile tout pré- 
naré. Là, dans l'isolement où ils vivaient du monde 
byzantin, ils ne purent que développer encore les ten- 
dances dyophysites outrées qui les animaient. Nisibe 
devint, pour longtemps, la forteresse doctrinale du 
nestorianisme. 

Afin, du reste, de rendre cet isolement plus complet, 
Barsumas travailla à faire de l'église persane une 
ésflise absolument nationale et autonome. Pour attein- 
dre ce but, il ne craignit pas de déchaîner la persécu- 
tion païenne contre les orthodoxes, en représentant au 
roi Peroz (457-484) qu'il ne pourrait compter sur la 
fidélité de ses sujets chrétiens qu'à la condition que 
ceux-ci renonçassent à la communion religieuse de 
l'empereur de Byzance. Son plan réussit, et tout lien 
désormais fut rompu entre l'Eglise grecque de Cons- 
tantinople et celle du royaume sassanide.- Cette der- 
nière reconnut pour chef suprême, pour catholicosy 
l'évêquè de Séleucie-Ctésiphon, et, assez vite, malgré 
ses dissensions intérieures, malgré même les persé- 
cutions qu'elle dut encore subir, fit des prosélytes en 
grand nombre et étendit au loin spn activité conqué- 
rante. L'historien Cosmas Indicopleustès^, qui écri- 
vait au milieu du vi® siècle, rapporte que, à cette 
époque, les îles de Socotora et de Ceylan étaient en 
relations fréquentes avec la Perse, et qu'à Ceylan 
'existait une Eglise relevant du catholicos de Séleucie- 



1. Xptffttavixi^ TOTCOYpai?:» «ivTaç xoa-(ji,oû, lîb. XI (P. G., LXXX\in, 

«S). 



56 HISTOIRE DES DOGMES. 

Ctésiphon. C'est par Ceylan, voie de commerce en- 
tre le golfe Persique et la Chine, que les nestoriens 
firent, les premiers, pénétrer le christianisme en 
Tartarie et devinrent, dans l'Extrême-Orient, les pré- 
curseurs de saint François Xavier et de nos mission- 
naires. Cette vaste organisation fut brisée, au \n° siè- 
cle d'abord, par les Arabes, et aux xiii" et xiv' siècles, 
par les invasions mongoles. Il n'en reste presque plus 
rien. 

Au point de vue doctrinal, les nestoriens dissidents 
saluèrent d'abord comme une victoire pour eux la let- 
tre de saint Léon à Flavien et les décisions de Chal- 
cédoiue qui proclamaient le Christ en deux natures * . 
Mais j en Perse du moins, ils s'en tinrent de préfé- 
rence à la formule de paix de 433, qui leur paraissait 
plus favorable. Là, d'ailleurs, Nestorius était moins 
connu, et c'est à Théodore de Mopsueste que l'on se 
rattachait plus volontiers. L'hénotique de Zenon (482), 
suivi de la fermeture de l'école d'Edesse et de la défi- 
nitive constitution de celle de Nisibe, détermina ce- 
pendant un mouvement plus prononcé vers l'hétéro- 
doxie. Du esoToxo; il ne fut plus question, sinonr pour 
le condamner absolument : on rejeta et la communi- 
cation des idiomes, et lé sens donné par le concile de 
Chalcédoine au mot hypostase, sens qui l'identifiait 
avec TcpoffojTTov. 'Yuo'cxaffK; continua d'être rapproché de 
çufftî, et le Christ fut déclaré être en deux natures, 
deux hypostases et une personne^. C'est ce qu'ensei- 
gnent le canon i du concile de 486 ', et l'homélie de 

4. V. le Livre d'Héraclîde, p. 327, 330. 

2. Lesmots syriaques correspondants sont )jua ±=fU(7t(; p»axo = 
ûîïôaTaortç; l^oj^^ = TrpôfftoTcov. Sur le sens de ces mots, voir Bethune- 
BAKEn, NesforiMS and his teaching,-p. 217 et suiv.; Wigram, op. cit., 
(>. 278 et suiv. Cette terminologie ne devint cependant Gxe et absolue 
qu'à partir de 612 (Wigram, p. 256, 278). 

3. Synodicon orientale, édit. J.-B. Cuabot, p. 302. V. Làbourt, op. cit., 



LE NESTORIANISMB. 57 

Narsès sur les trois grands docteurs, Diodore, Théo- 
dore et Nestorius^ qui doit être de 485-490. Dans ce 
dernier document, la formule de 433 est stigmatisée 
aussi bien que le concile d'Éphèsey/^ 

Un retour se produisit pourtant vers un symbole 
moins rigide, au courant du \i^\ siècle et probable- 
ment à la suite des relations que les Perses eurent 
avec les Byzantins, sous les règnes des empereurs 
Justin et Justinien. Cet adoucissement est sensible 
dans la profession de foi du catholicos Maraba, écrite 
en 540^, et dans le traité de Thomas d'Édesse Sur la 
naissance de Notre-Seîgneur J ésus- Christ ^ . La con- 
damnation des trois chapitres au concile général de 
553, soutenue par la dissidence de Henana, rallié aux 
byzantins'', suscita une vive protestation de la part 
du concile célébré par le catholicos Isoyahb I en 585; 
mais l'attitude doctrinale des protestataires n'en fut 
pas modifiée. Le second symbole d'Isoyahb enseigne 
que « Notre-Seigneur Dieu Jésus-Christ, qui est en- 
gendré du Père avant tous les mondes, dans sa di- 
vinité, est né, dans la chair, de Marie toujours vierge, 
dans les derniers temps, le même mais non de même ». 
11 va jusqu'à proclamer que « Dieu le Verbe a sup- 
porté l'humiliation des souffrances dans le temple de 

p. 262; cf. 147, Ce document ne parle pas spécialement de deux hypo- 
stnses. 

\. Edit. Martin dans Journal asiatique (juillet 1900). V. Labocrt, op. 
cit., p. 263-263. Voyez aussi T/ie lilurgical homilies of Narsai, Texts 
and Studies, VUI, 1, p. S. 

2. Synodicon orientale, p. CSl et suiv. V. Labourt, p. 267. 

3. Jhomae Edesseni traclatus De nativitale Domini nostri Christi, 
édit. J. Carr, Romae, 1898. On temarquera cependant que, dans ce 
traité, la formule Deus crucifixus atque mortuus est toujours écartée 
(traduct. p. 36). 

4. Cet Menana était accusé par les nestoriens d'être chaldéen, origé- 
niste, et hérétique au point de vue de l'incarnation. Son cas devint 
l'occasion, pour le catholicos Sabriso, de renouveler l'erreur de Théo- 
dore de Mopsueste sur l'inexistence du péché originel et l'état primi- 
tif d'Adam (Synodic. orient., p. 459; Labodrt, p. 279). 



58 HISTOIRE DES DOGMES. 

son corps, économiquement, par l'union suprême et 
indissoluble ». Mais le «atholicos se refuse à dire que 
Dieu est mort, que Marie est mère de Dieu, et il parie 
simplement d'union prosopique ■•. Il est manifeste 
pourtant qu'il admet en Jésus-Christ l'unité de per- 
sonne. 

C'est aussi ce que professe Babaï le Grand, abbé 
d'Izla (569-628), dans son traité De unione qui fixa la 
dogmatique officielle de l'Église perse 2. Babaï ne veut 
pas de la communication des idiomes, c'est-à-dire des 
propriétés entre les deux natures, mais il admet « l'é- 
change des noms », c'est-à-dire qu'il admet que l'on 
attribue au Christ considéré après l'incarnation et dans 
ses deux natures, les actions, passions et propriétés 
de chacune des natures. Ainsi, on ne dira pas que 
Dieu est mort, mais bien, à causé du irpocrtoTrov de 
l'union, que le Fils de Dieu a été livré pour nous, le 
mot F'ils désignant ici le Verbe incarné. La nature 
[kianâ) est prise par Babaï dans le sens abstrait : c'est 
l'élément commun qui existe dans les hypostases parti- 
culières, et qui comprend toutes celles de la même 
espèce. — Vkypostase [qnoumâ] est la substancé^ con- 
crète et singulière : « On appelle hypostase, dit Babaï, 
la substance (oùffi'a) singulière, subsistant dans son 
être unique, numériquement une et séparée de beau- 
coup [d'autres], non en tant ^individualité, mais en 
tant qu'elle reçoit chez les êtres créés, raisonnables et 
libres, des accidents variés, de vertu ou de crime, de 
science ou d'ignorance, et chez les êtres privés de 
raison, également des accidents variés, par suite de 
tempéraments contradictoires ou de toute autre façon. » 
— Quant à la personne [parsopâ), elle est « cette pro- 



1. Synod. orient., p. 4S4, 4S5; Labohrt, p. 277; Wigram, p. 27S. 

2. Ce traité est inédit. Des extraits en ont été donnés par M. Labourt 
{op. cit., p. 280 et SUIT.), à qui j'emprunte ce que j'en dis ici. 



LE NESTORIANISME. 59^ 

priétéde l'hypostase qui la distingue des autres », ce 
par quoi deux hypostases de même nature et espèce, 
Pierre et Paul par exemple, se distinguent entre elles» 
Pierre et Paul, en effet, ont même nature ; tous deux 
— et ils ont encore cela de commun ■ — sont des hy- 
postases, c'est-à-dire des substances concrètes, exis- 
tantes ; mais l'hypostase de l'un n'est pas celle de 
l'autre : elles ont chacune leur propriété singulière 
qui en fait des personnes distinctes : « Et, parce que 
la propriété singulière que possède l'hypostase n'est 
pas l'hypostase elle-même, on' [appelle] personne ce 
qui distingue. » Si, dans la pensée de Babaï, cette 
propriété singulière n'est pas l'existence à part soi 
(y.a9' lauTov), elle ne peut être que l'ensemble des acci- 
dents variés dont il a donné plus haut des exemples ; et 
ainsi l'on pourrait dire que la personnalité, d'après 
lui, n'est autre chose que l'ensemble des caractères 
accidentels dont l'hypostase est le suhslratum subs- 
tantiel, et par oii elle se distingue des autres hypos- 
tases. Cette notion ■ serait bien superficielle et peu 
exacte.. 

Quoi qu'il en soit, on comprend que, pour Babaï et 
pour tous ceux qui, avec lai, identifiaient l'hypostase 
ou qnoumâ avec la substance concrète, avec la nature 
existante et réelle, il était impossible d'admettre, 
dans le Christ, une union hypostatique, puisqu'il s'en 
serait suivi l'unité de substance et de nature. C'est ce 
que disait déjà Nestorius. Babaï repousse donc 
l'union hypostatique, et s'en tient à l'union prosopique. 
Il y a en Jésus-Christ deux natures [kiané], deux 
hypostases (ç^/ioM/wé) et une personne [parsopd)^ . 

Quant aux expressions antiochiennes à^adhésion, 

1. La théologie nestorienne admettant par ailleurs qu'il y a dans la 
Trinité trois qnoumé, trois hypostases au sens cappadocien du mot, on 
voit d'ici la confusion. - 



60 HISTOIRE DES DOGMES. 

inhabitation, assomption, pour caractériser l'union, 
Babaï les accepte toutes, mais il les croit encore in- 
suffisantes pour traduire le mystère de l'incarnation : 
« On doit parler à la fois d'habitation, d'adhésion uni- 
tive et prosopique. Cette union ineffable se fait sui- 
vant tous ces modes et au-dessus d'eux. » 

L'orthodoxie nestorienne ainsi définie par Babaï ne 
se développa plus sensiblement. On voit, par la pro- 
fession de foi rédigée par les évéques en 612 ^ , que le 
ôeoToxoç était toujours écarté et, par l'histoire du catho- 
licos Isoyahb II (628-643)^, qu'il était considéré 
comme un blasphème. La théologie du catholicos 
Timothée I (728-823) n'ajouta aucun élément nouveau 
à ce qui vient d'être exposé ^i 

§ 6. — La christologie de saint Cyrille*. 

Saint Cyrille a été contre le nestorianisme le princi- 
pal champion de l'orthodoxie. Les orientaux cepen- 
dant l'ont combattu, et d'autre part, les grands mono- 
phy sites, Dioscore, Timothée, Sévère, Philoxènje ont 
revendiqué son autorité en faveur de leur doctrine. Il 
est donc d'une souveraine importance de se former 
une idée exacte de son enseignement christologique, 
et de voir comment il a pu se faire que cet enseigne- 
ment, proclamé orthodoxe par les conciles, ait pu être 
invoqué par les dissidents comme contraire aux déci- 
sions du concile de Chalcédoine. 

1. Labourt, p. 326, SÎ27 ; WiGBAM, 277. 

2. Labourt, p. 243. 

3. Y. J. Labodiit, De Tîmotheo I, nestorianorum patriarcha, ch. m, 
Paris, 4904. 

4. V. sur ce point particulier : A. Rehruann, Die Christologie des ht. 
Cyrilîus von Alexandrien, Hildesheim, 1902. J. Mahé, Les anathéma- 
tismes de saint Cyrille et le» évêques orientaux du patriarchat d'An- 
Hoche, dans la Revue d'histoire ecclés., VIE (1906). E. Weigl, Christo- 
logie vom Tode des Aihanasius bis zum Ausbruch des nestàriani- 
schen Streites, Muenchen, 1925. 



LE KESTORIANISME. 61 

Avant tout, précisons le sens dans lequel notre 
auteur entend les expressions usitées dans là contro- 
verse. Pour l'école antiochienne çuotç et&TtooTaoriç avaient, 
en christologie, le même sens, et désignaient la subs- 
tance concrète avec ses propriétés et facultés essen- 
tielles. Ces deux mots s'opposaient à irpcdwirov, qui 
désignait l'individu complet, la personne indépendante. 
Pour Cyrille, toujours en matière christologique * , ces 
trois termes çuffiç, ÛTto'dTadtç, irpodWTrov, ont la plupart du 
temps le même sens : ils désignent l'individu concret, 
la personne existant à part soi et indépendante. Il n'y 
a .aucune difficulté pour l'identification de cptiaiç et 
d'uTTOffxadiç : fréquemment Cyrille prend ces mots l'un 
pour l'autre et montre qu'il les regarde comme équiva- 
lents 2. Qu'il leur donne le sens de personne, la chose 
n'est pas moins certaine ^. 11 lui arrive de rapprocher 
uTtoffTaorti; et irpofftoTcov comme ayant même sens, par 
exemple dans l'anathématisme iv : EÏTtç upoctoiroiç Sucrtv 
^youv uTcocfTaaefft..., et dans la défense du même anathé- 
matisme"*. Dans la justification contre Théodoret du 
II® anathématisme, il écrit : ^ xou Aoyou œuffiç v\ ÔTroàTaffiç o 
IffTiv aÙToç ô Aoyo; ^. Dans la lettre xlv ^ il dit que Jésus- 
Christ est seul et unique Fils, et, comme l'ont ensei- 
gné les Pères, une seule cptictç incarnée du Dieu Verbe. 

1. En christologie, car, en matière trinitaire, Cyrille conserve aux mots 
çûai; et iTi6axa.aizle sens donné par les cappadociens : (J-îa fàç ^ 6e(S- 
TïiToççufftc èvTpialvOiïO(rrdffe<nvlôtxaï;voou{iévïi{Adi). Nestor. blasph.,V, 
6, col. 240). 

2. Par exemple, Apolog. contra Theodoretum, anath. II, col. 401 : 
ï| Toù eeoO Aoyou (fCaiif^yov^ ^Tzoaraai^. Epist. XVII, col. H6 : {moaxicci 
y.1^, T^ ToO Aôyou ffÊ<7apxw(i.évip, où ÛTtôffTao-tç remplace f ûaiç. Quand 
Cyrille emploie 0uô<rca<7t; dans le sens de personne en matière Irini- 
taire, il y ajoute le mot ISnii (t. la note précédente, et De recta fîdt 
ad rd^in,, I, col. 1272). 

3. J. Lebos, Le monophysisme sèvcHcn, Louvain, isOa, p. 2S0 et 277. 

4. Col. 332 C et 33ti D. 
;;. Col. 401 A. 

6. Col. 232. 

4 



62 HISTOIRE DES DOGMES. 

A l'occasion de son épître xlvi, 2, il répond à l'objec- 
tion : s'il n'y a qu'une seule «pucriç incarnée du Dieu 
Verbe, il s'est opéré un mélange et une fusion des 
deux natures ; et sa réponse est telle qu'évidemment 
cpiiatç désigne pour lui une nature concrète indépen- 
dante, c'est-à-dire une personne •• Même observation 
pour le passage de la même épître (4), où il ne veutpas 
que l'on dise que Jésus-Ghrist a souffert tîî tputiei t^ç 
avep<o7roT7iToç2, Mais surtout 'C^tte conclusion ressort de 
toute l'attitude doctrinale de saint Cyrille. Si (puori; ne 
marquait pas pour lui la nature existant à part, on ne 
s'expliquerait pas pourquoi le patriarche d'Alexandrie 
voit toujours dans les ouo cpûcsiç de ses adversaires 
l'affirmation de deux personnes en Jésus-Christ, puis- 
que lui-même admet de son côté l'existence en Jésus- 
Christ d'une humanité distincte et complète. Or, à 
cette humanité, quand il parle sa langue propre, 
Cyrille ne donne jamais simplement le nom de çOcriç^. 

Ces observations préliminaires, on le comprend, sont 
capitales pour la vraie intelligence de la christologie 
cyrillienne. Entrons maintenant dans le détail de 
cette doctrine. 

Au lieu de partir, comme les antiochiens, des deux 
natures unies, Cyrille, dans son exposé, part de la 
personne même du Verbe. Car c'est du Verbe qu'il 
s'agit toujours dans cette christologie, la personne de 
Jésus-Christ étant identiquement celle du Verbe, le 
Verbe, dans son état^d'incarnation, étant Jésus-Christ. 

Ce Verbe est complet dans sa divinité, Iv ÔEÔTTiTt 
TÉXeioç : mais l'humanité qu'il prend et dans, laquelle il 

4. Col. 241. 

s. Col. 245. » 

3. Je dis quand il parle sa langue propre, car il est des circonstances 
où il a dû parler la langue de ses adversaires, surtout quand il a dû 
montrer qu'il admettait, lui aussi, l'iuconfusion des deux éléments dO 
Christ. 



LE NESTORIANISMB. 63 

existe est anssi complète, xarcd. ye tov t9î; âvOpwTcoTKjToç Xoyov, 
composée d'un corps et d'une âme raisonnable ^ Notre 
auteur rejette nettement l'apoUinarisme. S'il emploie 
fréquemment le mot aap^ pour désigner l'humanité de 
Jésus-Christ, c'est évidemment à la suite de saint 
Jean, i, 14, et non, comme il l'explique lui-même, pour 
exclure l'âme intelligente ^. 

Le Verbe complet s'unit donc une humanité com- 
plète. Quelle est cette union? Pour la désigner, 
Cyrille se sert de différents termes, gvwcriç, auvSpofjiTi, 
cuvoSoç ^ ; mais celui dont il use le plus souvent est 
Evtoffiç. "Evoxriç marque l'acte même de l'union, Vunitio 
dont le qualificatif qui l'accompagne, oudixTi ou xaô' 
uTOCTafftv, indique le terme. 

Cette union d'abord ne consiste pas en un simple 
rapport extérieur, une simple relation d'adaptation ou 
d'inhabitation établie entre le Verbe et l'humanité : 
où xaxà (juvatpEiav airXwç toç yo'JV Ixeïvoç (Nestorius) cp^jct, ttjv 
Oupaxev eTtivooujxÉvTjv, ïjtoi aj^exixTqv '*. — ÔetopeTç wç c^oopœ 
àXXÔTpioç IttI toïï Xpiorxoû ô tv]? IvoixV^ffetoç opo; °. 

Mais, d'autre part, elle ne s'est pas faite par une 
conversion et un changement de l'un des deux élé- 
ments -en l'autre. Le Verbe ne s'est pas changé en la 
chair : ^ifo^s. càpÇ h Aoyoç où xaxoc (xexàffTaffiv rj xpoTCv^v ^ : il 
n'a pas formé son corps de sa substance divine, mais 
il l'a pris de Marie "^ . De même, comme nous le dirons 
dans un instant, la chair ou l'humanité n'a pas été 

1. De recta fide ad reg., I, 13, col. 1221; De incarn. unigeniti, 
col. 1208, 1220 ; Quod unus sit Chfistus, col. 1292. 

2. Êpisf. XLVI, 1, col. 24Ô". 

3. Par exemple, De incarn. unigeniti, col. 1208, où les trois termes 
sont employés successivement. 

4. Adv. Nestor, blasph., l\, prooem., col. 60. 

5. Quod B. Maria sit deipara, 8, col. 263. 

6. De recta fide ad reg.. Il, 22, col. 1364; H, 2, col. 1340; De incarn. 
migen., col. 1197, 1200, 1220; Quod unus sit Christus, col. 1289; Bpisf. 
lY, col. 45. 

7. Epist. XLV, col. 232 C. 



fi4 HISTOIRE DES DOGMES. 

transformée dans le Verbe : elle est restée dans sa 
substance propre * . 

Il n'y a pas eu non plus fusion du Verbe et de Thuma- 
nité pour former un teriium quid qui ne serait ni l'un 
ni l'autre. Cyrille a été souvent accusé de soutenir cette 
erreur : il a toujours protesté contre cette accusation : 

« Bien ignorant, écrit-il, est celui qui affirme qu'il y a eu 
confusion et mélange ?. » — « Considérant, comme je l'ai dît, 
le mode dont s'est faite l'incarnation, nous voyons que les 
deux natures se sont unies entre elles d'une union indissoluble; 
sans confusion et sans transformation (àffuy/ÛTtùç xaî àTpgiîxuç) ï 
car la chair est chair et n'est pas la divinité, bien qu'elle soli 
devenue la chair de Dieu; et semblablement, le Verbe est 
Dieu et non la chair, bien que, par l'économie, il ait fait' 
sienne la chair '. » 

Et, sans doute, il est d'anciens Pères qui, pour 
désigner l'union, en Jésus-Christ, du Verbe et de l'hu- 
manité, se sont servis du mot xpaaiç, Cyrille ne l'ignore 
pas; mais ils n'avaient pas l'intention, ajoute-t-il, de 
désigner par là un vrai mélange, comme dans les 
liquides : ils voulaient simplement marquer l'intimité 
de l'union ■'. 

Ainsi donc, dans l'union, chacun des éléments du 
Verbe incarné est resté « dans sa propriété' natu- . 
relie » : Iv î8iôtr}Tt t^ xarà cpiiffiv ^KatÉpou [Aevovro; ts xal 
vooufxévou ^. Le Verbe est resté ce qu'il était, fASfjisvvixoToç 
■Se étTTEp ^v ^ : l'humanité, de son côté, existe dans sa 
nature d'humanité : 

1. Voyez Epist. XLVI, col. 241 B. Cyrille avait écrit contre les synou- 
siastes un traité dont il reste quelques fragmenlSj P. G., LXXVI, 
1427 et Buiv. 

2. IlepiTToeïcôç 6 Xéyojv çupfièv ysvÉcjôai xal tnÎYxpaatv (Qwod unus sit 
Christus, col. 1292). 

3. Epist. XLV, col, 232. 

4. Adv. Nestor, blasph., 1, 3, col. 33. 

5. Epist. XLVI, col. 2M B. 

6. Adv. Nest. blasph., II, 1, col. 63. Cf. De recta fide adreg.,l, 4; II, 9, 
16, 27, 33, 37. 



LE NESTOMANISME. 65 

« Je confesse moi aussi, écrit Cyrille, qu'il y a entre la divi- 
nité et l'humanité une très grande difTérence et distance; car, 
ces deux choses sont. diverses quant à la qualité de leur être 
(xaxà YÊTÔv TGûitûç eîvatXôyov), et elles ne paraissent en rien sem- 
blables l'une à l'autre. Mais, dès que survient le mystère du 
Christ, l'idée de l'union ne méconnaît pas la différence, mais elle 
exclut la division : elle ne mêle pas et ne confond pas les natu- 
res (où (7UYXÉWV i\ àvaxipvûv- xà; çuTSfç), mais, parce que le Verbe 
de Dieu a participé à la chair et au sang, on comprend et on 
dit qu'il n'y a qu'un seul Fils i. » 

Nous trouvons ici raffirmation par Cyrille de l'exis- 
tence en Jésus- Christ d'une vraie sature humaine après 
l'union, et l'expression technique qui lui sert à dési- 
gner cette nature. Cette expression n'est pas cpucrtç, 
nous l'avons remarqué; c'est tSiÔTYiç vj xa-ri tfuaiv, ou bien 
ô Toû irwç eTvai Xôyoç, OU même et plutôt iroio-niç cpudixvi, 
comme il le dit lui-même en joignant ces deux for- 
mules 2. C'est là proprement la nature en tant qu'elle 

s'oppose à la personne, «puatç, uTCOGTraai; ou TcpoffWTrov. 

L'humanité du Christ, d'ailleurs, ne conserve pas 
dans l'union seulement son être intime, elle garde 
aussi ses propriétés, c'est7à-dire sa passibilité, ses 
faiblesses, ses infirmités, ses besoins, ses passions hon- 
nêtes. Elle a souffert de la faim, de la soif, des mauvais 
traitements qu'elle a subis ^. 

Dès lors, et puisque Jésus-Christ est ainsi et à la fois 
vraiment homme et vraiment Dieu, il est consubstan- 
tiel à sa mère aussi bien qu'à son Père : ôfjLooudiov xr, (Ar,Tpi 
6î Tw Tratpi, xaôèbçot icaTlpsç elpi^xaffiv "*. 

Tout ce qui précède, cependant, nous dit en quoi 
l'union ne consiste pas plutôt qu'il n'en donne une idée 



1. Adv. Nestor, blasph., îl, 6, col. 83. Et v. Apoîog. contra orientalesy 
col. 329 D; Apolog. contra Theodoret., col. 423 A. 

2. Epist. XL, col. 193 B, D. " 

3. De incam. unig., col. 1213, 1216; cf. Epist. XL, col. 192; XLVI, 1, 
col. 240. 

4. Quod sancta virgo deipara sil, col. 252. 



V 



66 HISTOIRE DES DOGMES. 

positive et n'en manifeste la nature intime. Sur ce der- 
nier point, Cyrille n'hésite pas à déclarer que nous 
restons dans l'ignorance, et que l'unité de Jésus- 
Christ est, dans son fond, incompréhensible pour 
nous et ineffable. La divinité et l'humanité sont-jointes 
^ivMç.TS xai &7tèp voïïv ; l'evwaiç est âoia-cpLTjxoç xai uTtèp voîîv ■•. 
Et les apollinaristes prétendent bien, sans doute, 
qu'il est impossible que deux natures complètes en- 
trent en composition du Christ, puisqu'elles forme- 
raient alors deux fils et deux Christs : mais, en défini- 
tive, nous ne saurions dire à quoi s'arrête la puissance 
divine. La tradition nous a transmis le fait de l'unité 
personnelle de Jésus-Christ : il faut, avant tout, l'ac- 
cepter 2. 

Si le fond du mystère de l'incarnation nous échappe, 
nous pouvons cependant avoir quelque idée des rap- 
ports qu'il a établis entre le Verbe et l'humanité, et 
en constater les résultats. 

Saint Cyrille enseig'ne d'abord que l'union a com- 
mencé avec la conception même de Jésus. Ce n'est pas 
un homme qui est né de Marie, mais le Verbe de Dieu 
selon l'humanité. «. Car il n'est pas né d'abord de la 
sainte Vierge un homme ordinaire, en qui le Verbe 
serait ensuite descendu; mais, s' étant uni [à la chair] 
dès le sein [de Marie, le Verbe] a reçu une naissance 
charnelle, s'attribuant la naissance d'une chair qui lui 
est propre ^. » L'union est donc IÇ aÙT9)ç xTiç oruXXiQ4'£wç- 
C'est le Verbe qui forme delà Vierge son propre corps-*. 
Contre cette affirmation souvent répétée on a ob- 
jecté, il est vrai, que notre auteur parait admettre, 



4. Quod unus sit Christus, col. 4292. 

2. De incarn. unigen., col. 1208, 4209; Epis t. IV, col. -48; XLV, col, 
232. 

3. Bpist. IV, col. 4*5. 

4. Epist. XXIX, col. 477; I., col. 28. 



LE NESTORIAWISME. 67 

avant l'union, un moment de la durée où le Verbe 
et l'homme ont existé comme deux , puisqu'il parle 
de Jésus-Christ comme n'étant, après l'uniorif qu'une 
seule nature de deux qui se sont unies ^. Mais il 
faut remarquer — et Cyrille lui-même l'observe — 
qu'il ne s'agit ici que d'un ordre logique et d'une 
simple vue de l'esprit (ojov (jlÈv ^xev eîç Iwoiav, xal eïç ye 
tjiovov to ôpSv Toîç xr\(i ^vy^i; o^fxaffi) ^. L'esprit perçoit 
dans le Verbe incarné, avec une persoime unique, une 
double TToioTïiç çufftxvi. S'il fait un instant abstraction 
de l'union, cette double TtoioTr,? lui apparaîtra comme 
deux personnes ou deux (pucrEtç; mais l'idée de l'union 
survient aussitôt qui supprime cette dualité. Tout est 
subjectif dans ce processus, et se passe h ewotai;, Iv 
ÔÊwpt'a.' 

De cette union est résulté un seul être, un seul 
Christ, un seul Fils, un seul Seigneur : eva Xptffrov, îmo. 
uiov, eva xupiov ôaoXoyoufjiEv ^. Cyrille a écrit un traité 
exprès, le Quod unus sit Christus, pour établir cette 
unité du Christ dont il avait le sentiment si profond. 
Mais du reste, c'est mal s'exprimer dans la christologie 
cyrillienne que de parler de l'unité du Christ comme 
d'un résultat àe l'union. Pour Cyrille, le Christ est un 
non pas par, mais malgré l'union. Le Verbe est, avant 
l'incarnation, unirpouwTtov, une ôiro'ffTaaK;, une cpû<jiç, tous 
ces mots désignant sa personne. Ce Verbe a fait sienne, 
par une union incompréhensible, une humanité prise 
de la Vierge. Mais il n'a subi aucun changement par 
cette union : sa personne est restée ce qu'elle était; 
elle existe seulement dans un état nouveau, elle est 
<ï£aapxio[i.évïj. Et quant à l'humanité qu'il a prise, comme 
elle n'a jamais existé et n'existe pas îotxtoç et xa9' laurj^v, 

1. Epist. XL,'col. 192 D, 193 C; XLV, col. 232 D. 

2. Et voyez Epist. XLIV, 225. 

3. Epist. XXXIX, col. m ; De incarn. unigen., col. 1208, 



08 HISTOIRE DES DOGMES. 

elle ne saurait être une cpuaiç, ni une hypostase, ni une 
personne. Ainsi l'unité personnelle du Verbe incarné 
n'est nullement altérée par l'incarnation. Jésus-Christ 
.est aussi rigoureusement une seule personne que le 
t. Verbe aaapxoç. Bien plus, il est absolument la même 
personne. On a noté que c'est là le point central de 
la christologie cyrillienne, et l'on a eu raison. L'union 
est xaô' ÔTto'fftaaiv ^ , non parce qu'elle a produit une 
hypostase inexistante auparavant, mais parce que, à 
l'hypostase préexistante du Verbe, elle a associé l'hu- 
manité. Elle est une Ivwffiçtpuaixvi, xa-ràcpuffiv^, non parce 
qu'il en est résulté une nouvelle çuaiç, mais parce que 
l'humanité a été liée inefFablement à la «pucriç du Verbe. 
De ©ûiTiç en Jésus-Christ il n'y en a qu'une, la çuoriç tou 
0£ou Aoyou éternelle, laquelle est devenue, dans le temps, 
<T6crapxw(jt.£Vï). 

On serait infini si l'on voulait transcrire tous les 
textes de saint Cyrille qui appuient cette présentation 
de sa doctrine. En voici quelques-uns : 

« Ne le divise pas, et ne mets pas à part (tStxS;) un homme 
et le Dieu Verbe; n'imagine pas l'Emmanuel comme une dou- 
ble personne (SiTrpôffwirov) 3. » — « Nous ne disons pas qu'autre 
est le Fils engendré avant tous les siècles de l'essence de Dieu 
et du Père, et autre celui qui, à la fin des temps, est devenu 
(yev^iievov) de la femme, est devenu sous la loi; mais il n'y en 
a qu'un, et c'est le même soif avant soit après la conjonction 
et l'union vraie avec la chair*. » — « Nous reconnaissons un 
seul Christ, un seul Seigneur et un seul Fils, qui est et qui 
doit être cru à la fois Dieu et homme. Nous avons coutume 



i. Epist. IV, col. 43, 48 ; XVII, col. 117. 

2. Analh. lil, col. 120 ; De incarn. unigen., col. 1249. L'explication 
que je donne ici des expressions êvMfft; xa6' OnôaTadiv et çuaixr, ne va 
pas contre celle que Cyrille en a donnée lui-même dans ses apologies 
contre Théodoret et contre les orientaux (col. 332, 400, 404, 405/ : elle 
est absolument dans le sens de sa doctrine. 

3. De incarn. unigen., col. 1-221 ; cf. Aiialhem. IIJ, IV, col. 130; Epist. 
XVIl, col. 116, etc. 

4. De recta fide ad reg., Il, 2, col. 1310. 



LE NESTORIANISME. 69 

de défendre l'union absolument indissoluble, croyant que le 
môme est [à la fois] Fils unique et premier-né, Fils unique 
comme Verbe, de Dieu le Père, et sorti de sa substance; pre- 
mier-né aussi en ce qu'il est devenu homme et entre plusieurs 
frères ', » 

Et il faut rappeler ici les expressions Ivwaiç xaô' &tco'- 
cTttaiv, çuffix^Q, xatà cpuffiv, déjà signalées, et couronnées 
par la fameuse formule que Jésus-Christ est [i-ioi «pûaiç 
Tou 06OÛ Xôyox} (TeffapxiùfjLÉvTj 2. Cette formule, la plus par- 
faite expression de sa doctrine, si l'on se conforme à 
sa façon de parler, le patriarche d'Alexandrie ne l'a 
jamais abandonnée. Il a pu, dans le symbole d'union, 
adopter un instant le langage de ses adversaires et 
parler de deux natures (Sûo çudsiç)^. Il l'a adopté parce 
que, comme il l'explique lui-même, il trouvait dans le 
reste du symbole des correctifs qui ne permettaient 
pas de voir dans ces mots l'affirmation de deux natures 
séparées ou de deux personnes : mais, pour lui, il est 
toujours revenu à sa locution préféré* comme à la plus 
exacte expression du mystère du Christ. Ce Christ est 
l'unique nature incarnée du Dieu Verbe*. 

Mais enfin pourquoi l'humanitéj dans l'union, n'est- 
elle pas une personne? Cyrille l'a dit : parce qu'elle 
n'existe pas à part (îStxôiç) ; elle n'existe pas à part, elle ne 
s'appartient pas, parce qu'elle appartient auVerbequiTa 
faite sienne. C'est l'idée de l'ISioTroiiictç, que saint Atha- 
nase avait déjà fait valoir et que son successeur reprend 
à son tour. « Nous disons que le corps est devenu le pro- 

1. Deineam. unigen.., col. 1208; Quod B. Maria sitdeipara, 4, col. 
260; Apolog. contra orientales, col. 3.!8 B. if 

S. Adv. Nestor, blasph., II, col. GO, 61 ; Epist. XL, col. 193; XLVI, 1, s, 

col. 240, 24», etc. 

3. Et encore peut-on croire que Cyrille appliquait déjà la restriction 
Iv Èvvot'atç qu'il devait faire en expliquant celte concession à ses amis. 
V. ci-dessus, p. 67. 

4. Et voyez Epist. XL, col. 195, 193; XLY, col. 225,228, 239;XLVI, 1, 2, 
col. 2 40,241. 



70 HISTOIRE DES DOGMES. 

pre (tSiov) corps du Verbe, etnon de quelque homrae[exis- 
tant] à part et séparément, et d'un Christ et fils autre 
que le Verbe. Et de même que le corps qui appartient 
à chacun de nous est dit notre propre corps, ainsi faut- 
il le comprendre pour le Christ un. Car, bien que [son 
corps] soit homogène ou consubstantiel à nos corps 
(car il est né de la femme), [on ne doit pas moins] le 
considérer et l'appeler, comme je l'ai dit, le propre 
corps du Verbe ^ . j) Et plus brièvement : 'ISiov oè ffôif^a 
TO •fj.u.wv s-Koir,ccfzo (ô Aoyoç) xai trpor^Qev àvôptoTtoçlx yuvaixoç ^. 
C'est la forme, comme on l'a justement remarqué 2, 
sous laquelle Cyrille présente l'idée de Venhypostasîey 
qui sera développée plus tard par Léonce de Byzance. 
En faisant sienne l'humanité qu'il prend, le Verbe l'at- 
tire en sa personne, et en quelque sorte l'y insère. 

De cette façon de concevoir en Jésus-Christ l'union 
du Verbe et de l'humanité résultaient toute une série 
de conséquences que le patriarche d'Alexandrie a très 
bien vues, et qu'il a expressément tirées de leurs 
principes. 

l^a première est la légitimité de la communication 
des idiomes : c'est-à-dire le devoir d'attribuer à la per- 
sonne du Verbe incarné les actions, passions et pro- 
priétés soit de la divinité soit de l'humanité, et d'attri- 
buer à la divinité ou à l'humanité prises in concreto 
(à Dieu ou à Thomme) les actions et passions de l'autre 
nature. Saint Cyrille a usé largement et justifié l'em- 
ploi de la première forme de cette communication "*, 

4. Apolog. contra orientales, col. 372, 373. 

2. Epist, IV, col. 48; cf. 45; et voyez : Adv. Nestor, blasph.. Il, pro- 
oem., col. 64; cf. 60; Epist. I, col. 28; XXXIX, col. 480; XLV, col. 233, 
236; XL VI, 1, col. 240; De recta fide ad reg., II, 22, col. 436*. 

3. J. LEBOîi, Le monophysisme sévérien, p. HO et suiv. 

4. De recta fide ad reg., II, 16, col. 4353 ; Quod unus ait Chrîstus, col. 
4309; Adi). Nestor, blasph., 1,6; II, 3; IV,6, col. 44, 73 el suiv., 20 jet suiv.; 
Epist. XL, col. 496; XLV, col. 232;XLVI, 3, col; 244. Cyrille pousse si loin 
cette loi qu'il évite continuellement de donner l'humanité en Jésus-Christ 



LE NESTORIANISME. 71 

mais il use aussi de la seconde. Car, ajoute-t-il, il s'est 
fait comme un mélange des propriétés de la divinité et 
de l'humanité unies, chacune d'elles devenant partici- 
pante, dans l'union et par l'union, des propriétés de 
l'autre élément: waicep àXXiiXoiç àvaxipvàç (ô Aoyoçj^'Tà tSv 
œuffewv îStwfxaxa^ . « Il faut donc reconnaître que [le Verbe] 
a donné à sa propre chair la gloire de l'opération di- 
vine, en même temps qu'il a fait sien ce qui est de la 
chair, et qu'il en a revêtu sa propre personne par l'u- 
nion de l'économie ^. » Ainsi, la chair devient vivifiante 
comme le Logos lui-même, et elle est associée à la 
mission active du Saint-Esprit 3. Mais Cyrille remar- 
que bien d'ailleurs que cette façon de parler n'est légi- 
time qu'à la condition de considérer la divinité et Vhxi- 
mainité dans l'union* ; car la divinité elle-même n'a 
pas souffert ; le Verbe de Dieu pris à part n'est pas né 
de la Vierge ; il n'a été n:i garrotté, ni meurtri, il n'est 
pas mort : il était aussi impassible dans la Passion que 
l'est la flamme dans laquelle est plongé un fer rouge 
que l'on frappe : le fer est touché, mais la flamme, 
non^. 

Une seconde conséquence de l'unité de personne en 
Jésus-Christ est qu'en lui il n'y a qu'un Fils, lequel 
étant identique au Verbe, Fils de Dieu, est donc fils 
naturel de Dieu (uîov Iva xat cpùdei) ^. Mais, d'autre part, 
ce même Verbe incarné, parce qu'il s'est approprié 
tout ce qui est de sa chair, est devenu fils, par nature, 



comme sujet ou régime direct dès actions Dupassions de Jésus-Christ. 
C'est le Verbe qui agit et qui souffre (ïapxî. 

1. De incarn. unigen., col. 1:244. 

2. De incarn. unigen., col. 4241. Cf. Scholia de incarn. unigen., col. 
1380. 

3. De incarn. unigen., col. 1241. 

4. Hnmil. paschal, XVII, 2, col. 777. 

5. Epist. XhY, col. ^6; l\, coi. ia; Âdv. Nestor, blasph.. Y, A, col. 
232; Quodunus sit Christus, col. 1337, 13S7. 

6. Anathem. y, coHn. 



72 mSTOlRE DES DOGMES. 

de Marie, Marie a mis au monde un Dieu : elle est 
ÔEOTOJco;. On se rappelle que c'est la dispute soulevée 
par ce mot qui occasionna tout le conflit nestorien. Il 
faut rendre cette justice aux adversaires qu'ils compri- 
rent immédiatement des deux côtés jusqu'où portait 
cette discussion en apparence purement verbale. 
Cyrille a consacré à justifier le ôeoToxoç deux traités en-» 
tiers, le Quod sancta Virgo Deipara sit et non Chri- 
stiparUy et le Quod heata Maria sit Deipara^ sans 
compter des portions considérables d'autres écrits, par 
exemple le livre premier de \Adversus Nestorii blas- 
phemias, et la première partie du De recta fide ad re- 
ginas. 

Une troisième conséquence tirée, par, Cyrille de sa 
doctrine est qu'en Jésus l'homme ne doit pas être adoré 
d'une unique adoration acec. le Verbe (ffOfATupoaxuvsïaôai), 
comme si cette adoration avait deux termes distincts, 
mais doit être adoré comme formant avec le Verbe le 
terme unique de l'unique adoration, puisqu'il est per- 
sonnellement le Verbe incarné : 'Hfxeïç Se [xia Trpoffx-jvvîcei 
Ttjxav cîôtfffjiEÔa Tov 'EjUjxavoo^X, ou StîffTavxEç toïï Aoyou to 

Enfin, dernière conséquence, Jésus étant un en per- 
sonne, mais Dieu et homme, se trouve être médiateur 
naturel entre l'homme et Dieu : « [L'apôtre] l'appelle 
médiateur de Dieu et des hommes, parce qu'il est un 
des deux substances (wç Iç âi^çoTÉptov tSv oùatSiv Iva ovia).,. 
Il est donc médiateur de Dieu, parce qu'il est de la 
même substance que le Père; et il est encore médiateur 
des hommes, parce qu'il participe complètement, bien 
que sans le péché, à la nature humaine^. » 



i. Adv. Nestor, blasph., II, 10, col. 97; 13, col. 109, 112; IV, 6, col. 
204; De recla fide adreg., I, 6, col. 1203; Anathem. VIII, col. 121. 

3. QuodD. Maria sit d-ipara, 12, col. 269; De incarn. unigen,, col. 
•45. 



v;LE NBSTpRIANISMÉ. 73 

Telle est, dans ses lignes principales j. et dans un 
exposé trop maigre pour rendre le souffle puissant qui 
traverse les puvrages' du patriarctie d'Alexandrie, la 
conGeptiôn, que saint Cyrille : se faisait de l'unité du 
Christ et du mystère de l'incarnation. On ne peut nier 
que la personne du Verbe n'y occupe la première et 
la plus grande place; que l'humanité au contraire n'y 
paraisse effacée et comme sacrifiée. Mais c'est aller 
trop loin que de prétendre, ainsi qu'on l'a fait (Dorner, 
Loofs, Harnack), que, dans le système de Cyrille, l'hu- 
manité de Jésus-Christ n'est pas une humanité vraie, 
une substance humaine solide et individuelle, mais seu- 
lement le groupement des propriétés essentielles de 
l'humanité qui auraient paur centre et pour support 
•la substance même du Verbe;* . Cette opinion, qui re- 
pose survune fausse interprétation du mot iputfi; dans 
Cyrille, va contre les affirmations formelles du pa- 
triarche. Il dit et répète qu'il y a eu, dans l'incarnation;, 
aiivoSoç: TTjjaYfjiaTOiJv ^youv ÔTToaTicffewv^, que le Fils est un 
Ix Suoïv TcpaytiicicToiv^ : et, s'adressant à Théodoret, qui a 
parlé de la forme (fji«p<p^) de Dieu qui a pris la forme 
du serviteur, il remarque que ces formes ne se sont 
pas unies sans leurs hypostases (8ix.« '^'*v &7i:o(iTa(jeu)v), 
sans quoi on n'aurait pas une vraie incarnation (ïva 
Xal 5 T^ç IvavôpwTn^ffewç Xoyoç àXriOwç Ye^écôai tcwtsuyj- 

Mais enfin, dira-t-on, Cyrille n'admet en Jésus^ 
Christ qu'une seule çucriç après l'union. Cela est vrai, 
et il est vrai par conséquent que si l'on ne regarde 
qu'aux mots, Cyrille est monophysite. Cette consta- 



1. Dans ce système, il n'y a pas enhypostasie de la nature, il y a in- 
aubstantiation des propriétés humalaes dans le Yerbci 

2. Apolog. contra Théodoret., col. 396 c. 

3. De recta fide ad Theod., col. 1200 C. 

4» Apol. contra Théodoret., col. S96 C, 401 A^ 

HISTOIRE DES DOGUES. — ^ m. S 



74 HISTOIRE DES DOGMES. 

talion s'aggrave de ce que la formule {xia «puertç tou 0eoo 
Ao'you ffeerapxwfAsvT), qu'il croyait de saint Athanase ^ , est 
en réalité d'Apollinaire, et a bien, chez ce dernier, 
une signification monophysite, en ce sens du moins 
que le Verbe, se trouvant jouer vis-à-vis de la chair le 
rôle de l'âme intelligente — qui est absente — , for- 
mait bien réellement avec elle une seule nature. Celte 
comparaison d'ailleurs de l'âme et du corps, Cyrille 
s'en est fréquemment servi pour expliquer l'union du 
Verbe et de l'humanité 2. Et il n'est donc pas surpre- 
nant que les monophy sites postérieurs aient revendi- 
qué, en faveur de leur doctrine, l'autorité du patriarche 
d'Alexandrie. — Tout cela, encore une fois, est vrai ; et 
l'on ne peut que regretter qu'alexandrins et antiochiens 
n'aient pas parlé la même langue, et que Cyrille se» 
soit laissé prendre aux fraudes apollinaristes. La pre- 
mière circonstance rendait déjà la discussion difficile ; 
la seconde devait rendre Cyrille pi-esque intraitable. 
Convaincu que les 5uo çuseiç de Nestorius — et les ou- 
trances de celui-ci justifiaient sa manière de voir — si- 
gnifiaient bien deux personnes, et que, en défendant 
lui-même l'unité de çûaiç, il défendait la tradition d'A- 
thanase et des papes, il ne pouvait que s'obstiner dans 
sa formule et la soutenir jusqu'au bout, encore qu'ilcon- 
sentît, par amour de la paix, à s'en départir un instant. 
Mais enfin tout cela ne fait pas que Cyrille n'ait pas, 
en réalité, et suivant notre façon de parler, admis en 
Jésus-Christ l'existence de deux natures, d'une nature 
divine et d'une nature humaine complètes, coexistant 
sans mélange et sans confusion dans l'unité person- 
nelle du Verbe. On en a vu plus haut les preuves, et 



1. De recta fîde ad regin., I, 9, col. 1212; cf. Epist. XVII, col. H6; 
Xi-V, col. «2. 

2. Deincarn. unigen., col. ii2i;QuodunussitChristus,co\. 1292;ild«. 
Nestor, blasph., Il, 12, col. 105, 108; Epist. XVII, col. 116; XLV,col. 233. 



LB NESTORIANISME. 75 

il est inutile de les répéter ' . Si donc on peut repro- 
cher au patriarche d'Alexandrie de n'avoir pas em- 
ployé les formules du concile de Chalcédoine, on ne 
peut du moins lui reprocher d'être avec lui en désac- 
cord de pensée ^. Le même cas s'est produit, nous le 
dirons, pour les grands monophysites qui se sont ré- 
clamés de son autorité. Eux aussi ont été des mono- 
physites de langage plus que de doctrine; mais ils 
n'ont pas eu, comme lui, l'excuse de venir avant les 
définitions de Chalcédoine. — Et quant à cette com- 
paraison de l'union de l'âme et du corps, apportée pour 
expliquer l'union du Verbe et de l'humanité, et que 
Nestorius critiquait si vivement chez Cyrille, n'oublions 
pas que c'est une simple comparaison, dont on avait 
déjà usé, et que, précisément, Cyrille l'a souvent fait 
valoir parce qu'il y trouvait nettement marquée, avec 
l'intimité de l'union, l'incônfusion des éléments unis. 

11 serait donc abusif de qualifier de monophysisme 
la doctrine cyrillienne de l'incarnation. Ceci posé, il 
reste à examiner, relativement à cette doctrine, quel- 
ques autres questions soulevées par les controverses 
postérieures. 

Saint Cyrille a-t-il admis en Jésus-Christ une ou 
deux opérations, une ou deux volontés? — On sait en 
effet que les monothélites invoquèrent plus tard, en 
leur faveur, l'autorité du patriarche d'Alexandrie, et 
citèrent même de lui des textes dans lesquels ils 
voyaient leur doctrine enseignée *. Les orthodoxes en 



1. On peut y ajouter le texte suivant : 'Iriffoûv, t-^v Tûvçûffewv elôÔTa 
Sittîpopàv xaî àauyj^ÛTouç àX>:ri>.a.iç aûràç 8taT7]po5vTa {In Lucam, col. 
484; Fragm. in epist, ad Hebr., col. 100.S G). J'omets quelques autres 
textes plus clairs encore, cités par Rehrmann, mais sur l'authenticité 
desquels j'ai des doutes sérieux. 

2. M. Harnack lui-même distingue très bien le monophysisme réel du 
monophysisme nominal {Lehrb. der DG., 352 et suiv.). 

3. MANsr, X, 752; XI, 216, 525. 



76 HISTOIRE DES DOGMES. 

alléguèrent d'autres qui là contredisaieiit ^ — Qu'en 
est-il en réalité ? 

Disons d'abord qu'au temps de Cyrille celte question 
ne se posait pas, et, par conséquent, n'a pas expres- 
sément attiré son attention. Elle est complexe d'ail- 
leurs, et demande des précisions qui ne furent faites 
que plus tard ^. Saint Jean Damascène distinguera avec 
soin celui qui agit et qui veut (ô Ivepywv, ô OIXwv), la 
faculté d'agir et de vouloir [ii ÊvepYeTix-^ 8uva[jitç, to ôeXsxi- 
3cov), l'acte même d'agir et de vouloir (ivép^eia, 6ÉAT)fftç,, 
TolvcpyEiv, TO ôeXeiv) et l'objet de l'action et delà volonté 
(to IvepyrjTo'v, to ôsXïjto'v) . Or il n'est pas douteux, d'une 
part, que Cyrille n'ait admis en Jésus-Christ l'unité 
de sujet agissant et voulant, puisqu'il ne reconnaissait 
«n lui qu'une personne, et, d'autre part, qu'il n'ait 
admis que cette personne unique a accompli deux 
sortes d'œuvres, des œuvres divines et des œuvres 
humaines, a agi ôsïxSç S-ynx. te xal (7W(AaTix5)i; ^. On doit 
-aller plus loin et, puisque notre auteur enseignait 
que le Verbe a pris une humanité complète et une âme 
raisonnable douée de tout ce qui lui convient *, il faut 
dire qu'il admettait aussi dans le Verbe incarné une 
faculté humaine d'agir, de vouloir, et de vouloir libre- 
ment, et par conséquent un agir et un vouloir hu- 
mains. C'est ce que l'on croit apercevoir dans certains 
textes où Cyrille parle de la double opération du 
Christ (SiTrXriv T^v Ivépysiav), souffrant comme homme et 
agissant comme Dieu ^, et où il oppose, à l'occasion 
de la scène de Gethsémani, la volonté humaine du 



1. Mansi, XI, 409-416, 417-420, 42S-429. 

2. Le Pseudo-Basile cependant avait déjà peut-être distingué, à pro- 
pos du Verbe, l'êvepTTQffaç, l'èvépyeia, et l'èvEpyi(i6£v {Adv. Eunomvum, IV, 
P. G., XXIX, 689 C). 

3. In Lucam. coi.SS6 B. 

4. De reSia fide ad reg., II, col. 1413 B. 
:S, In Lucam, col. 9â7 Â, 86d B. 



LE NESTORIANISMB. 77 

Sauveur à sa volonté divine, le [i.\ dsXsiv àTcoôaveîv au 
vouloir divin ^ . Cette conclusion toutefois ne fait pas 
que Cyrille n'ait pu, à certains moments, envisager 
les choses d'une façon plus synthétique, et paraître 
alors favorable à la doctrine de l'unique opération 
dans le Christ. Il a, en effet, anticipé parfois la théo- 
rie sévérienne d'après laquelle l'IvspYeta ne se distin- 
gue pas de l'hypostase ou de la personne se mouvant 
vers le terme qu'elle veut atteindre, ÔTroorTaffiç sîç Ipya 
x£xivYi(xlvTi 2. Dans ces conditions l'IvépYeia de Jésus- 
Christ est nécessairement unique, encore qu'elle 
s'exerce tantôt par la nature divine seulement, tantôt 
par le moyen de la chair. Et ainsi s'explique le texte 
objecté par les monothélites où notre auteur, com- 
mentant le fait delà résurrection de la fille de Jaïre, 
parle de la (xi'a ÇwoTtotoç Ivépyeia XpiffTotî, et dit que le 
Christ (xiav ie xcl auyyevYi Si' â|Acpoïv ETttSsixvutji tïjv IvépYstav *. 
Il s'agit ici de la puissance vivificatrice du Verbe, qui 
se manifeste en associant la chair comme eruvepYaTvjv à' 
son opération divine. 

Sur la science humaine de Jésus-Christ, saint Cyrille 
n'est guère plus décisif que les Pères grecs qui l'ont 
précédé. On se serait attendu à le trouver plus, tran- 
chant. 

Il examine dans le Thésaurus, assertion xxii*, le 
lexte De die et hora nemo scit {Matth., xxiv, 36; 
Marc, XIII, 32). Sa solution est que Jésus-Christ a 
dit qu'il ignorait le jour du jugement comme homme, 
et non comme Verbe, et qu'en cela, il a gardé l'ordre 



1. In Lucam, col. 924 B ; In Matth., col. 4S6 C; In loan., col. 532 B, 
S33 BD; In psalm. LXIX, col. 1169 C. 

2. Adv. Nestor, blasph., IV, 2, col. 180D. 

3. Mansi, X, 752; XI, 523. 

4. Col. 369, 372. 373, 376, etc. — J'omets ce qu'il en dit dans l'Adversus 
anthropomorphitas, cap. xiv, l'authenticité de cet ouvrage n'étant pa» 
certaine. 



78 HISTOIRE DES DOGMES. 

convenable à l'incarnation. C'est à peu près la réponse 
qu'il fait à Théodoret à propos du même texte, en 
remarguant toutefois que c'estle même Verbe incarné 
qui, comme Dieu, n'ignore rien, et comme homme, 
paraît ignorer, parce que « subissant la mesure de 
l'humanité ignorante, il s'est approprié, dans l'éco- 
nomie, cela avec le reste ^ ». 

Son interprétation du passage Quot panes habetis P 
[Marc, VI, 38; loan., vi, 5, 6) est moins nette. Cyrille 
se contente de dire que, sachant ce qu'il en était comme 
Dieu, Jésus-Christ « pouvait l'ignorer comme homme ; 
afin d'être en tout semblable à ses frères^ ». 

Enfin, notre auteur s'est occupé du texte de saint Luc 
(il, 52) sur le progrès de Jésus en sagesse, en âge et 
en grâce. 

Dans le Quodunus sit Ckristus^, il effleure seule- 
ment le sujet; mais dans le Thésaurus, assertion xxviii, 
il y revient plus à fond. Il avance d'abord que Jésus- 
Christ s'est développé en tant qu'homme *; puis se re- 
prenant en quelque sorte, il suppose que le progrès 
en sagesse et en grâce n'a été qu'apparent, la sagesse 
et la grâce du Sauveur se révélant par degrés à ceux 
qui le voyaient : « Il avançait en sagesse et en grâce. 
Ne pense pas qu'il se fît en lui une addition de sagesse, 
car le Verbe de Dieu ne manque de rien; mais, parce 
qu'il était toujours plus sage et plus gracieux pour 
ceux qui le voyaient, il est dit qu'il avançait, le pro- 
grès étant, en fait, relatif à ceux qui l'admiraient, plus 
qu'en lui-même^. » 

C'est cette dernière conclusion gu'il développe clai- 



1. Apolog. contra Théodoret., col. 416. 

2. Thésaurus, assertio XXU, col. 377 

3. Col. 133â. 

4. Col. *i%, 435. 
K. Col. 428. 



LE NESTORIANISME, 79 

rement contre Nestorius'. Elle était, ce semble, plus 
dans le sens général de sa christologîe. Il est remar - 
quable cependant qu'au grand champion de l'unité du 
Christ il ait paru parfois conforme à l'ordre de l'incar- 
nation que l'humanité de ce Christ partageât l'igno- 
rance qui est le lot de toute humanité. 

Ainsi, pour nous résumer et pour tout conclure, si 
l'on veut avoir de la doctrine christologique de saint Cy- 
rille une idée juste, il est bon de ne pas presser outre 
mesure les distinctions verbales faites après lui. Au 
lieu de construire en quelque sorte artificiellement, 
comme les antiochiens, l'unité du Christ, le patriarche 
d'Alexandrie la saisit directement et en a le sens im- 
médiat. Son point de vue est moins métaphysique que 
religieux. C'est, comme Athanase, l'idée de la rédemp- 
tion qui le hante. Un homme ne pouvait nous sauver : 
il faut pour cela que le Verbe de Dieu, que Dieu lui- 
même naisse, souffre et meure pour nous. 

1. Adv. Nestor, blasph.^ III, i, col. 153. 



CHAPITRE III 

l'eutychianisme. définition de la dualité des 
natures en jesus-christ. 

§ 1. — L'eutychianisme jusqu'au brigandage d'Éphèse. 

La paix conclue entre saint Cyrille et Jean d'An- 
tioelie en 433 n'avait pas, on l'a vu, satisfait tout le 
monde. Elle procura cependant à l'Orient quinze ans 
d'une tranquillité religieuse relative, pendant lesquels 
disparurent plusieurs de ceux qui avaient joué un rôle 
dans l'affaire de Nestorius. En 444, Cyrille mourut, et 
reçut pour successeur Dioscore, ambitieux, violent et 
emporté, dont toutes les visées tendirent à maintenir, 
contre Constantinople et Antioche, la prééminence de 
son siège. A Jean d' Antioche succédait, en 443, Dom- 
nus son neveu, esprit hésitant et caractère faible. 
Flavien montait, en 447, sur le siège de Constanti- 
nople. Plus incliné que Proclus, qu'il remplaçait, vers 
les idées de saint Cyrille, il restait dans la voie moyenne 
qui était celle de l'orthodoxie. Ibas était devenu, en 
435, évêque d'Édesse. A Rome, le 29 septembre 440, 
saint Léon succédait à Xyste III. Homme de gouver- 
nement et tête bien équilibrée, il voulait avant tout 
des formules simples, et le silence sur les questions 
insolubles. Quant à Théodose II et à Théodoret, ils 



L'EIITYCHIANISME. 8t 

étaientdestinés, le dernier surtout, à voir les nouveaux 
événements qui se ^préparaient, Théodose ne devait 
mourir qu'en 450, Théodoret qu'en 457. 

Tant que saint Cyrille vécut, il semble que son au- 
torité ait contenu la fraction vraiment monophysite de 
ses adhérents. Avec Dioscore, les vexations commen- 
cèrent contre les anciens amis de Nestorius, le comte 
Irénée, devenu évêque de Tyr, Théodoret *, Ibas. C'é- 
tait le prélude d'une nouvelle crise. Elle éclata avec 
Eutychès. 

Eutychès était archimandrite, c'est-à-dire supé- 
rieur d'un couvent qui joignait les murs de Constan- 
tinople, et qui comptait trois cents moines. Vieillard 
d'esprit borné et d'autant plus tenace — imprudens et 
nimis imperitus, dit saint Léon, — il s'était employé 
autrefois avec zèle pour la cause de saint Cyrille, et sfr 
trouvait puissant à la cour par . l'intermédiaire de son 
filleul, l'eunuque Chrysaphius. L'évéque d'Antioche,. 
Domnus, l'avait cependant déjà dénoncé comme hé- 
térodoxe 2. On ignore le résultat qu'avait eu cette dé- 
marche. Mais celle d'EusèbedeDorylée devait entraî- 
ner d'autres suites. 

Le 8 novembre 448 , dans un de ces conciles parti- 
culiers que réunissait souvent le patriarche de Cons- 
tantinople^, Eusèbe produisit contre Eutychès un 
mémoire,, dans lequel il l'accusait de calomnier les 
docteurs orthodoxes, et de soutenir lui-même une doc- 
trine hérétique "*. Flavieneut quelque peine à accueillir 
l'accusation; toutefois, sur les instances d' Eusèbe,. 



4. V. ses lettres LXXlX-LXXxni. 

2. Facitndus, Prodefensionetrium capitulorunt, VUI, S; XII, 5. 

3. C'était ce qu'on appelait la ciivoSoç èvônijioîjffa; Cette assemblée- 
réunissait, sous la présidence du patriarche, les évêques toujours assez- 
nombreux à Constantinople pour leors affaires ou celles de leurs dio- 
cèses. 

4. Mansi, VI, 6S2. 

5. 



82 HISTOIRE DES DOGMES. 

Eutychès fut cité une première fois à comparaître, et, 
en attendant, on proclama que le Christ, après l'incar- 
nation, est de deux natures ou en deux natures, Ix Suo 
ifûflr£u>v ou Iv ouo çuff6<rt*. 

Eutychès refusa d'abord de comparaître. Pour la 
doctrine, il s'en rapportait, disait-il, aux conciles de 
Nicée et d'Ephèse, n'adorant , après l'incarnation , 
« qu'une seule nature, celle du Dieu incarné et fait 
homme ^ ». C'était l'expression même de saint Cyrille. 
Entre temps cependant, on s'était convaincu qu'il 
avait tenté de faire signer dans les couvents des for- 
mules monophysites, et on releva encore contre lui, 
dans la sixième session, quelques autres incohérences 
doctrinales. Enfin, le 22 novembre, dans une septième 
session, l'archimandrite, déjà trois fois cité, se décida 
à comparaître. Son interrogatoire fut serré de près, et 
deux questions, en somme, lui furent posées : 1° Le 
Christ était-il consubstantiel à nous? 2° Y avait-il en 
lui deux natures après l'incarnation? Eutychès cher- 
cha des échappatoires; mais enfin à la première ques- 
tion il répondit qu'il n'avait point dit jusqu'à ce moment 
que le Christ nous fût consubstantiel ; qu'il avait dit 
que la Vierge nous est consubstanlielle, et que d'elle 
Dieu s'est incarné, mais qu'il n'avait pas dit que le 
corps de notre Dieu et Seigneur nous fût consubstan- 



i. Flavien dit èxSuo çudEuv £v{tC(f (moaxiatixai évi npoacônc^ : Basile 
de Séleucîe et Seleucus d'Amasie disent èv.Svo çûseai (Mansi, VI, 680, 
68S), ce qui ne les empêche pas d'approuver et de louer la doctrine de 
saint Cyrille. Flavien lui-même, dans sa profession de foi à l'empereur, 
adopte èv Sûo ?û(7E(rtv : il ne refuse cependant pas, ajoute-t-il, de dire 
« une seule nature incarnée du Dieu Verbe, parce que des deux, il est 
un seul et même Jésus-Christ *, xal (itav (lèv toû 6eoû Aôyou çûaiv 
o£oapx(i>4J.£V)]v (i.ÉvTot xai èvavOptoTn^aaffocv Xéyciv oûx àpvoû[ie6a, âià to 
IÇ ànçoïv Êva xal tôv aOiôv eïvai tov xûpiov ^ip-ûv 'lYjffoyv XptffTOV 
{ibid., 540, S41). On voit combien l'autorité de laiQl Cyrille influait sur 
l'emploi du mot çuatc. 

S. Uàksi, VI, 700. 



L-EUTYCHIANISME. 83 

tiel : TO ffSfJia tou xupfou xal 6eou ^uwv Sftooudtov ■^{aïv *. A la 
seconde question il répondit qu'il confessait que le 
Christ est de deux natures avant l'union, mais non 
après : 'OfxoXoYw èx Suo tpudeoiv Yeyev^Tai tov xuptov ïi{/,wv irpo 
T^ç âv(dff£(dç, {Jtetèt Se tV â'vwdiv [xîav çutiv i[jio>>OYW*'^. 

Cependant, comme Eutychès offrait de changer de 
langage, puisqu'on 4'exigeait , les évêques lui deman- 
dèrent d'anathématîser distinctement ses erreurs. Il 
s'y refusa, pour ne pas, dit-il, anathématiser les Pères 
dont sa doctrine était la doctrine : et contre la dualité 
des natures après l'union, il invoqua en particulier 
l'autorité de saint Athanase et de saint Cyrille ^. Le 
concile n'admit pas cette défaite. Eutychès fut excom- 
munié, et déposé du gouvernement de son monastère 
et de l'exercice du sacerdoce*. Trente-deux évêques 
d'abord, et plus tard vingt-trois archimandrites signè- 
rent cette condamnation. 

La mesure était sévère peut-être contre un vieillarà 
dont l'ignorance paraît avoir atténué la culpabilité. 
Mais le concile avait été fâcheusement impressionné 
par les tentatives de propagande découvertes chez 
Eutychès, et Flavien n'était pas fâché sans doute de 
se débarrasser d'ufa partisan trop zélé du patriarche 
d'Alexandrie. Quoi qu'il en soit, la difficulté pour nous 
est surtout de savoir exactement en quoi péchaient les 
idées christologiques d'Eutychès, et ce qu'il prétendait 
en soutenant que le Christ ne nous était pas consubs- 
tantiel, bien que la Vierge le fût. Dans une profession 
de foi envoyée à saint Léon après le concile, Eutychès 
affirme que le Verbe s'est fait chair « ex ipsa carne 
virginis incommutabiliter et inconvertibiliter, sicut 

i. Mansi, VI, 741. 

2. Mansi, vr, 744. 

3. Mansi, VI, 74S. Il s'agissait toujours de la fameuse formule apolli- 
narisie mise sons le nom de saint Atlianase. 

IUhsi, VI, 748. 



84 HISTOIRE DES BOGMES. 



ipsènovit et voluit^ ». Ges derniers mots sont vagues f 
mais les premiers écartent l'idée que le Verbe se soit 
lui-même transformé en la chair, et qu'il n'ait pas pris 
sa chair de la Vierge. Ils écartent même l'idée d'une 
fusion du Verbe et de la chair en une nature mixte, car 
cette fusion ne se serait pas produite sans un change- 
ment dans la nature du Verbe. Resste donc l'idée d'une 
divinisation de la chair prise de Marie, divinisation qui 
l'aurait plus ou moins transformée en la nature du 
Verbe. Une erreur analogue était certainement soute- 
nue par quelques esprits au temps d'Eutychès. Dans 
son EranisteSj écrit vers 447, Théodoret, au dialogue 
I, Inconfusus, fait expliquer par l'interlocuteur mono- 
physite la façon dont il entend l'unité de nature en 
Jésus- Christ, et cette explication est la suivante : « Je 
dis que la divinité est demeurée [ce qu'elle était], et 
qu'elle a absorbé l'humanité » , à peu près comme l'eau 
de la mer dissout et absorbe une goutte de miel qui y 
serait tombée ; non pas, ajoute l'hérétique, que l'huma- 
nité ait été anéantie dans son union avec la divinité, 
mais parce qu'elle a été changée en elle : oux à(pavt(r(xov 

T^Ç XvjÇÔElffYlÇ (pUffECOÇ "ki'fO^VI , (xXXà TViV EIÇ 6eoTr]Toç ouffiav 

fiexaêoXïîv'^. Il se peut qu'Eutychès ait conçu les choses 
de cette façon ^. Mais on comprend que la négation de 
la consubstantialité de la chair de Jésus-Ghrist avec la 
nôtre ait ouvert le champ à toutes les hypothèses, et 
que Théodoret ait pu accuser Eutychès de nier l'incar-^ 
nation ex virgine *, et saint Léon le soupçonner de do- 
cétisme ". Si l'humanité de Jésus^Christ en effet n'était 



d. HaKsi, V, 1016. 

2. P. G., LXXXni, 153, 187. 

3. Plus tard, quelques-uns de ses disciples allérent-plas loin, et en- 
seigncrent — comme nous le verrons — une vraie transformation du 
Verbe en la chair. 

4. Haeret. fabul. compend., IV, 13. 

5. Epist. XXVIII, 2. 



UEUTyCHIANlSME. - 85» 

pas de là même nature qtié la nôtre, était-elle bien un er 
humanité, et d'où' venait-elle? 

Cependant, on ne devait pas rsdsonnablement s'at" 
tendre à ee qu'Eutychès. aeeeplât sa condamnation. A. 
la fin même de la séance, au rapport du diacre Cons- 
tantin, il en avait appelé de la sentence au concile des 
évêques de Rome, d'Alexandrie, de Jérusalem et d& 
Thessalonique ^ En dehors des placards qii'il fît affi- 
cher dans Constantinople pour se justifier, il écrivit 
pour le même objet à saint Léon ^, à saint Pierre 
(Chrysologue) de Ravenne, et probablement à Dios- 
core. Celui-CL était tout disposé en sa faveur et, sans 
attendre un nouvel examen, au mépris de tous les 
canons, il reçut l'hérésiarque à sa communion, et le 
déclara réintégré dans ses fonctions de prêtre et d'ar- 
chimandrite. JVIais surtout Eutychès intrigua auprès de 
l'empereur afin d'obtenir un second concile qui révi- 
serait son procès. Théodose accéda à ses désirs et, le 
30 mars 449, lança les lettres de convocation au synode 
qui devait se tenir à Ephèse. 

De son côté toutefois Flavien n'était pas resté oisif. 
Lui aussi avait informé le pape de ce qui s'était passé 
à Constantinople, et, sur sa demande, lui avait fourni, 
sur cette affaire, les détails précis et circonstanciés qui 
lui permettraient d'en juger en tonte connaissance^. 
Léon se crut en effet suffisamment édifié par les docu- 
ments que lui avaient adressés les deux partis, et. Le 
13 juin 449, remit a ses légats partant pour le concile 
convoqué à Ephèse une série de lettres contenant des 
décisions fermes. Parmi elles se trouvait la fameuse 
lettre xxviii^ à Flavien, que le concile de Chalcédoine' 
devait accepter comme règle de foi. 

i. mabsi, yi, en. 

2, v. sa lettre dans Mansi, Y, 1014. 
8, Mansi, V, 13â9, 1338, 4352. 



86 HISTOIRE DES DOGMES. 

Cette lettre * a joué dans l'antiquité un rôle considé- 
rable, et a toujours été regardée comme un document 
dogmatique de premier ordre. Le souffle tliéologique y 
est cependant beaucoup plus faible que dans les œuvres 
de saint Cyrille, et la spéculation proprement dite n'y 
occupe aucune place. Saint Léon ne veut ni discuter, 
ni démontrer : il prononce et il juge. Il reproduit sim- 
plement là doctrine de TertuUien et de saint Augustin, 
celle des orientaux dans ce qu'elle a de correct ; mais 
il l'expose avec une netteté et une vigueur remarqua- 
bles, et surtout dans un style dont on avait, en occi- 
dent, perdu le secret. Cette doctrine se résume en 
ceci : 

1° Jésus-Christ n'est qu'une seule personne : le 
Verbe et le Christ ne sont pas deux mais le même 
individu : « Qui manens in forma Dei fecit homînem, 
idem informa servi factus est homo(3) ... Unus enim 
idemque est, quod saepe dicendum est, vere Dei Filius 
et vere hominis filius (4). » 

2'* Mais dans cette personne unique il y a deux na- 
tures, la divine et l'humaine sans confusion ni mé- 
lange : « Salva.igitur proprietate utriusquè naturae et 
substantiae, et in unam coeunte personam, suscepta 
est a maiestate humilitas, a virtuteinfirmitas, ab aeter- 
nitate mortalitas... Tenet enim sine defectu proprie- 
tatem suam utraque natura, et sicut formam servi 
Dei forma non adimit, ita formam Dei servi forma non 
minuit (3)...Quamvisenimin Domino lesu Christo Dei 
et hominis una persona sit, aliud tamen est unde in 
utroque communis est contumelia, aliud unde com- 
munis est gloria (4). » 

3° Chacune de ces natures a ses facultés propres, 
son opération propre, qu'elle n'accomplit pas indé- 

i. U voir dans P. L., LIV, 755; Hàmsi, V, 1366; Habk, Biblioth., S 33*' 



L'EUTYCHIANISME. 87 

pendamment de l'autre et en dehors de l'union qui est 
permanente, mais dont elle est cependant le principe 
immédiat : c'est la conséquence de la dualité des 
natures : « Agit enim utraque forma, cum alterius 
communione quod proprium est, Verbo scilicet opé- 
rante quod Verbi est, et carne exsequente quod carnis 
est (4). » Tout ce chapitre développe cette idée. 

4* D'autre part, l'unité de personne entraîne la 
communication des idiomes : « Invisibilis in suis 
visibilis factus est in nostris; incomprehensibilis vo- 
lait comprehendi, etc.. (4). Propter hanc ergo unita- 
tem personae in utraque natura intellegendam, et 
filius hominiB legitur descendisse de caelo cum Filius 
Dei carnem de ea virgine, de qua est natus, assumpserit. 
Et rursus Filius Dei crucifixus dicitur ac sepultus, cum 
haec non in divinitate ipsa, qua Unigenitus consempi- 
ternus et consubstantialis est Patri sed in naturae 
humanae sit infirmitate perpessus. Unde unigenitum 
Filium Dei crucifixum et sepultum omnes etiam in 
symbolo confitemur (5). » 

Telle était, clairement indiquée, la doctrine christo- 
logique que le pape voulait faire triompher à Ephèse, 
et dont il avait confié la fortune à trois légats, Julien 
évêque de Pouzzoles, le prêtre René, qui mourut avant 
le terme du voyage, et le diacre Hilaire. Mais du 
reste on voit, par quelques lettres écrites peu après 
par saint Léon, qu'il augurait mal du concile sur le 
point de s'ouvrira La suite n'allait que trop jus- 
tifier ses craintes. 

Le concile en effet, convoqué pour le 1" août 449, 
devait être présidé par Dioscore, assisté de Juvénal 
de Jérusalem et de Thalassius de Césarée en Cappa- 
doce. Les évéqucs qui, au concile de Constanlinople, 

1- Epist. XXXVI et XXXYII. Théodoret avait la même impression 
[Epist. XVI, CXH). 



«8^ HISTOIRE DES DOGMES. 

. avaient : condamné Eutychès, ne devaient pas avoir 
droit de vote, puisqu'il s'agissait de^contrôler leur 
sentence. Théodoret avait reçu défense d'y assister. 
En revanche, l'empereur avait voula que l'arcMman- 
drite Barsumas de Syrie, sorte de sauvage et mono- 
physite renforcé, prît part aux séances. , Dans ces con- 
ditions, tout s'annonçait pour le triomphe d'Eutychès 
et de Dioscore. 

Ce triomphe fut complet : il fut excessif.' Il n'entre 
pas dans notre sujet de raconter les diverses phases de 
ce concile que saint Léon a caractérisé du nom qui lui 
est resté, celui de brigandage^. Il n'y fut question du 
dogme que pour approuver les déclarations d'Euty- 
chès, et protester contre la doctrine des deux natures 
après l'union. Quant aux instructions du pape, elles 
furent systématiquement passées sous silence. Outre 
cela, Eutychès définitivement rétabli dans ses fonc- 
tions, Flavien,Domnus d'Antioche, Ibas, Théodoret, 
Eusèbe de Dorylée déposés, le patriarche de Constan- 
tinople ignominieusement maltraité, les évêques con- 
traints de signer en blanc sous la menace des épées et 
des bâtons, des moines fanatiques faisant la loi au 
synode; tel est le bilan de cette assemblée, une des 
plus lamentables que l'histoire ait connues et qui porta 
à l'Eglise grecque un coup funeste. Cent trente-cinq 
signatures'furent recueillies en faveur de ces violences 
que l'empereur approuva à son tour 2. Les légats 
cependant n'avaient point signé; ils étaient parvenus à 
s'enfuir, et, avant de partir, avaient pu recevoir les deux 



i. Une partie des actes du brigandage d'Éphèse a été conservée en 
^eç dans ceux du concile de Cbalcédoine où on les lut (Mansi, VI)- 
Une recension syriaque a été retrouvée dans un manuscrit du vi" siècle, 
et publiée et traduite par P. llXKtm, Les actes du brigandage d'Ephèse, 
Paris, 18T6, et par F. Perry, The second synod of Ephesus, Dartford, 
1881. Cf. Hefelk-Lecleucq, Histoire des cohcilea, n,l,p^ KS8 et suiv. 

S. Mabsi, YII, 495 et suiv. 



; Ii'EBTYCMANISWli. ^ 

appels aû pape de Flavieh et d'Eusèbe.'; Le pape ne 
devait pas laisser tranquillement triompher l'iniquité.. 

§ 2. — Le concile de Ghalcédoine 

Le 29 septembre 449, saint Léon tenait à Rome un 
concile assez nombreux qui condamna ce qui s'était 
fait à Ephèse, et, le 13 octobre, envoyait à l'empereur 
deux lettres ée protestation 2. Il y réclamait un concile 
général qui serait célébré en Italie. Sa demande, bifin 
qu'appuyée par l'empereur d'occident, n'eut aucun 
succès. Un réconfort cependant vint au pape et d'une 
lettré de Théodoret qui en appelait à lui de la sen- 
tence "du brigandage d'Épbèse 3, et d'une lettre de Pui- 
chérie qui lui témoignait de son horreur pour la doc- 
trine d'Eutych.ès'', et d'une lettre même d'Anatolius, le 
nouveau patriarche de Gonstantinople sacré à la place 
de Flavien, qui lui faisait part de son élection ^. Cette 
dernière démarche indiquait chez Anatolius un désir 
de rapprochement, et saint Léon, pour en profiter,, 
avait déjà envoyé des légats à Gonstantinople, quand 
un événement vint tout à coup précipiter la solution. 

Le 28 juillet 450, Théodose II mourut, sans postérité 
masculine. La couronne revenait à sa-sœur Pulchérie, 

d. Le texte des deux appels a été publié, par Amelli d'abord, puis 
pav iioaimsen et 'Lacef. BAfTiFFOh, Siège apostolique, p. Sii-an. 

2. Voir, entre. les lettres dp saint Léoa, les lettres LV-LVin etLXII-LXIY.. 

3. Théodoret, jEÎpfs/. CXlil. Cette lettre est fort belle. Après avoir net- 
tement reeoniQU lapriaiaaté du pape, Théodoret disait à saint Léon la 
joie que lui avait causée la lecture» de la lettre à Flavien, et racontait 
comment il avait été condamné par Dioscofe, sans avoir été cité et en- 
tende. Puis il en appelait au siège apostolique : t Pour moi, j'attends 
la décision de votre siège apostolique : je prie et conjure votre sainteté 
de me secourir, moi qui en appelle à votre juste et intègre jugement, 
de m'ordonner de venir vers vous, afln que je montre la conformité 
de ma doctrine avec les enseignements apostoliques » {P, G., LXXXJIT, 
1316,1317). 

4. On n'a conservé que la réponse du pape, £?ptsi. LX. 

5. Inter epist. S. Leonis, Epist.Lîll. Cet Anatolius était un alexandrin^ 
apocrisiaire de Dioscore. 



90 HISTOIRE DES DOGMES. 

proclamée flw^osto depuis l'an 415 et associée à l'em- 
pire. Elle offrit sa main au général Marcien et le fit 
monter avec elle sur le trône. Marcien et Pulchérie 
étaient favorables à Flavien et à saint Léon. Tout 
changea comme par enchantement. Chrysaphius fut 
mis à mort pour ses malversations. Dans un synode 
tenu à Constantinople, probablement vers novembre 
450, Anatolius et ses évéques condamnèrent Eutychès, 
et souscrivirent à la lettre de Léon à Flavien K Voyant 
les choses s'arranger et l'impossibilité de réunir en 
Italie le concile sollicité, le pape aurait souhaité qu'il 
n'eût pas lieu ^. Mais Marcien y tenait. Le 17 mai 451, 
le concile fut convoqué pour le l*"" septembre à Nicée. 
Il ne s'ouvrit que le 8 octobre, et à Ghalcédoine où on 
avait dû le transférer. - 

L'assemblée compta de cinq à six cents évêques ^. 
Théodoret, Ibas s'y trouvèrent; Domnus, le patriarche 
déposé d'Antioche, n'y vint pas : il n'avait pas protesté 
contre l'élection de Maxime, qu'on lui avait donné 
comme successeur, et s'était retiré dans un monastère. 
Dioscore n'avait avec lui que quinze ou vingt égyptiens. 
Des commissaires impériaux étaient chargés de 
maintenir l'cft-dre et de régler tout ce qui regardait 
l'extérieur du concile : mais c'étaient les légats du 
pape qui présidaient proprement aux résolutions et 
définitions du synode. Ces légats étaient Paschasinus, 
évêque de Lilybée, et le prêtre Boniface, venus exprès, 
et l'évêque Lucentius qui se trouvait déjà à Constan- 
tinople^. Saint Léon avait formellement réclamé pour 



i. Cette acceptation était une condition que saint Léon avait mise à 
la reconnaissance d'Anatolius comme patriarche légitime (£pt5/. LXIX) 
10 juillet 450). 

2. Epist. LXXXni, du 9 jniu 4SI. 

3. S. LÉON, Epist. Cil, 2. 

4. Le prêtre Basile, qui était aussi à Constantinople, ne parut pas 
au concile. Peut-être était-il mort ou malade. 



L'EUT YGHIANISHE. 91 

Paschasinus la présidence du concile {çice mea synodo 
convenu praesidere^), et nous savons que Ton tint 
compte de celte réclamation ^. D'ailleurs, dans toute 
la correspondance occasionnée par cette affaire, le pape 
parlait en maître et avec la pleine conscience de son 
autorité. Sa lettre xciii au concile, du 26 juin 451, 
disait que, ne pouvant assister au concile, il y préside- 
rait par ses légats (1), et défendait de discuter ce que 
l'on devait croire, attendu que la lettre à Flavien l'avait 
suffisamment défini : « Non liceat defendi quod non 
licet credi, cum secundûm evangelicas auctoritates, 
secundum propheticas voces apostolicamque doctri- 
nam, plenissime et lucidissime, per litteras quas ad 
beatae memoriae Flavianum episcopum misimus, fuerit 
declaratum quae sit de sacramento incarnationis Do- 
mini nostri lesu Christi pia et sincera confessio (2). » 

C'est dans l'église de sainte Euphémie que se tint 
le concile. On en possède les actes complets ^ ; mais il 
ne saurait être ici question d'en suivre tous les détails. 
Nous nous arrêterons surtout au côté dogmatique. 

Le concile avait à régler des questions de personne et 
des questions de foi, naturellement un peu mêlées les 
unes aux autres. Les premières regardaient le sort que 
l'on ferait, d'une part, àDioscore et à ses complices du 
brigandage, de l'autre, aux victimes de ce même bri- 
gandage, particulièrement à Théodoret et à Ibas. Bien 
que quelques voix s'élevassent en sa faveur, demandant 
son pardon, Dioscore fut déposé, et sa déposition 
approuvée par deux cent quatre-vingt-quatorze signa» 
taires''. Les motifs invoqués contre lui ne furent pas 
directement d'ordre doctrinal. On lui reprochait d'avoir 



i. EpisLhWWS., da 24 juin 4SI, à Harcien. - 

2. Maksi, VI, 448; S. htaa, Epist. CUI. 

3. Mahsi, Vf, VIL Et voyez Hefele-Leclercq, Hist. des Conciles, II, S. 

4. Maksi, VI, 1648. 



92 HISTOIRE DES DOGMES. 

reçu à sa communion et illégalement réintégâ-éEuty- 
chès, légitimement condamné par Flavien; d'avoir 
refusé, au brigandage, de faire lire la lettre de Léon 
au concile; d'avoir même excommunié le paper* ; d'avoir 
violé les canons en refusant de répondre aux citations 
du présent concUe, et dans d'autres occasions. encore; 
bref, d'être contumace et obstiné dans sa malice. Dios- 
core, d'ailleurs, protestait que sa doctrine n'était autre 
que celle de saint Cyrille, et que, s'il n'admettait avec 
lui qu'une cpuatç après l'unionj il n'en repoussait pas moins 
tout mélange et toute conversion des natures unies ^. 
Les complices de Dioscore furent épargnés. Ils se 
repentaient, étaient nombreux, et il fallut bien recon- 
naître que leur faiblesse au brigandage avait quelque 
excuse, Théodoret, accueilli d'abord avec des cris de 
rage par les égyptiens, fut, dans la huitième session, 
déclaré orthodoxe et rétabli dans la possession de son 
siège. Mais on exigea de lui préalablement qu'il ana- 
thématisât nettement Nestorius, ce qu'il avait jusqu'ici 
refusé. Il le fit d'assez mauvaise grâce 3. Le cas d'Ibas 
était plus compliqué. Aux soupçons qu'inspirait sa 
foi s'ajoutaient des accusations relatives à l'adminis- 
tration deson diocèse, accusations qui avaient été déjà 
examinées aux synodes de Tyr et de Beyrouth. Parmi 
les pièces du procès se trouvait notamment la lettre 

1. Cette excommunication avait été prononcée en effet peu de temps 
peut-être avant l'ouTerture du concile de Chalcédoine (Mansi, VI, 1010). 

2. OÛTE cnJY3(U(Tivî>ÉY0(jiev, oûîeTO{Ji.Tiv oûrexpOTOi^v' àvâSejtàxqi Jéyov» 
ai'^yyaiv, ?| xpoTcriv, ?| àvàxpaatv (Mansi, VI, 676, 677). On verra plus loin 
que Dioscore, en effet, n'était pas eutychien et ne souf "^t que par poli- 
tique Eutychès contre Flavien. 

3. « Anathème à Nestorius et à quiconque ne dF pas que la sainte 
Vierge Marie est mère de Dieu, età quiconque pjÉtage en deux Gis le 
seul Fils unique : pour moi, j'ai souscrit la formule de foi et la lettre 
du très saint archevêque Léon, et c'est ainsi que je pense: :.et mainte- 
nant, portez-vous bien ! » (Mansi, VU, 189). Dans celle même session, 
Sophronias de Gonstaneè etiean de Germanicie durent également ana- 
thématiser Nestorius. 



L'EUÎYOHIANISMB. 93 

qu'Ibas avait écrite à Maris d'Afdaschip, et qui devait 
être plus tard condamnée par le cincpiième concile 
général. Or, celui de Chalcédoine interrogé trouva que 
ces accusations n'étaient pas prouvées, et que la lettre 
d'Ibas établissait plutôt son orthodoxie : (c Après lec- 
ture des documents, déclarèrent les légats, nous avons 
reconnu , d'après la sentence . des révérendissimes 
évêques (Photius de Tyr et Eustathe de Beyrouth), que 
le révérendissime Ibas est innocent ; car sa lettre ayant 
été lue, nous avons reconnu qu'il est orthodoxe » 
(àvotYVtoôfiiffïjç Y^P '^^'i 6'TtfffoX^ç auTOÏÏ^ iTrÉYVOifjtev aôrov ÔTrapj^stv 
opôoSo^ov) f . Le concile s'associa à cette conclusion, et on 
rendit à Ibas son évêché : mais on exigea aussi de lui 
qu'il anathématisât Nestorius et Eutychès, ce qu'ilôt^. 
La question de foi fut agitée surtout dans les 
deuxième, quatrième et cinquième sessions. Le con- 
cile était à cet égard très irrésolu, et plus d'une fois 
on surprit dans l'assemblée des manifestations d'es- 
prit monophysite nettement prononcé. Surtout, l'en- 
semble des Pères ne voulait pas d'une nouvelle formule 
de foi, etdésirait s'en tenir à l'approbation d'un certain 
nombre de documents, dont la doctrine représenterait 
sa croyance. Dans la deuxième session en effet, on 
fit lire et on acclama le symbole de Nicée , celui de 
Constantinople de 381 ', la lettre iv de saint Gy rille, à 
Nestorius, salettre Laetentur caeli à Jean d'Antioche 
et la lettre de Léon à Flavien (Pierre a parlé par la 
bouche de Léon!)''. Les légats ne souhaitaient pas 

1. Mansi, VII, 261. Maxime d'Antioche déclara, lui aussi, orthodoxe en 
particulier la lettré à Maris : ôp96So?oç w^sâr], aÙToù yj ÔTiayopia {ibîd., 
264). En revanche, Eunomius de Niconiédie fit remarquer, dans son 
vote, qu'Ibas avait plus tard rétracté ce qu'il avait dit d& Cyrille {ibiâ., 
266). 

2. Mansi, VII, 268, 269. 

3. C'est la première fois que ce symbole parait sous ce nom. J'ai dit 
ailleurs ce qu'il était en réalité {Hist. des dogm., II, p. 64). 

4. Mansi, VI, 972. — Sur la lettre de S. Léon cependant, le» évêques 



94 HISTOIRE DES DOGMES. 

autre chose, et les Pères, je le répète, s'en seraient 
volontiers tenus là. Mais l'empereur voulait absolu- 
ment une formule dont la souscription ou le rejet lui 
permît de discerner immédiatement les orthodoxes 
des dissidents. Au début delà cinc[uième session (22 oc- 
tobre 451), on en présenta une concertée chez Anatoliùs, 
et dont nous n'avons plus le texte. Nous savons seule- 
ment qu'elle affirmait que Jésus-Christ est de deux 
natures, Ix Suo çOffewv * . L'expression était juste sans 
doute, mais ambiguë et, dans la circonstance, insuffi- 
sante, puisque Dioscore avait déclaré l'admettre : To h 
Suo cpuffetov S£yro[xai, to 8k Suo ou 8i-/o[iiai^. La formule cepen- 
dant fut généralement approuvée de l'assemblée, sauf 
des légats et de quelques orientaux, et des cris s'éle- 
vèrent en sa faveur contre les prétendus nestoriens ^. 
Mais les légats tinrent bon et, appuyés par Marcien, 
ils déclarèrent que si l'on n'admettait pas une foi con- 
forme à celle de saint Léon, ils partiraient pour aller 
célébrer un concile en Occident. Une commission fut 
nommée qui rédigea un nouveau formulaire. C'est celui 
qui fut définitivement acclamé par l'assemblée. 

Dans ce document, on déclarait d'abord accepter, 
comme on l'avait fait dans la seconde session, les dé- 
cisions et le symbole de Nicée, le symbole de Constan- 
tinople, les lettres iv et xxxix de saint Cyrille et la 
lettre de Léon à Flavien. Puis venait la profession de 
foi ^ : 

« Suivant donc les, saints Pères, nous enseignons tous una- 

d'Illyrie et de Palestine éprouvèrent desdîfQcnltés et des doutes qu'il 
jallut dissiper dans des conférences privées, et les commissaires exi- 
gèrent que chaque évéque se prononçât en particulier distinctement 
(SUnsi, VI, 97-2, 973; VU, 9 et suiv., 2T, 32 et Buiv.). 

1. Mansi, VII, 104. 

2. Mansi, VII, 103. 

3. Maxsi, VII, 101. 

4. La voir dans Mansi, VU, 116; Hahn, § 146. 



L'EUTYCHIANISME. «5 

nimement un seul et même Fils, Notre-Seigneur Jésus-Christ, 
complet quant à la divinité, et complet quant à l'humanité, 
vraiment Dieu et vraiment homme, [composé] d'une âme rai- 
sonnable et d'un corps, consubstantiel au Père selon la ijjyinité, 
et consubstantiel à nous selon l'humanité, semblable à nous en 
tout hormis le péché ; engendré du Père avant les siècles selon 
la divinité et, selon l'humanité, né pour nous et pour notre salut 
dans les derniers temps de la Vierge Marie, mère de Dieu : 
un seul et même Christ, Fils, Seigneur, Fils unique, en deux 
natures, sans mélange, sans transformation, sans division, 
sans séparation; car l'union n'a pas supprimé la différence 
des natures : chacuiie d'elles a conservé sa manière d'être 
propre, et s'est rencontrée avec l'autre dans une unique per- 
sonne et hypostase. [De même, Jésus-Christ n'a pas été] par- 
tagé ou divisé en deux personnes, mais il n'y a qu'un seul et 
même fils. Fils unique, Dieu Verbe, le Seigneur Jésus-Christ, 
selon que les prophètes jadis [nous l'ont annoncé], que le Sei- 
gneur Jésus-Christ nous l'a enseigné lui-même, et que le sym- 
bole des Pères nous l'a transmis i. » 

Cette formule n'offrait pas sans doute l'ampleur 
d'exposé de la lettre du pape, et, sur l'activité propre 
aux deux natures, était moins explicite; cependant, 

1. 'Etojjlevoi toîvuv toTç àY'°'î iraTpàcriv îva xaî TÔvaùtèv ô|xoXoyeTv 
uîàv Tov xûptov :^(iffiv 'Iriffoûv XpiffTov (Tutiçwvtoç ôtiravxeç âxSiSàaxo|j,EV, 
T^ÀEtov TÔv aÛTÔv èv 6e(5xï]ti xat téXeiov xbv aÛTÔv èv âvôpajuoTifiTi, 6êov 
«).ï)6t5ç xal Av8otùitov àXriOcô; tôv aÛTÔv, ex ij^ux^î Xoyixïj; xal c<Si\Laxoç, 
ôfiooùfftov T«p iratpl xatà t:^v ÔEÔXYjTa, xal éiiooûfftov tèv aÛTov ^diiv 
xatà T?lv àvOpund'niTa, xatà . tcwtol ôjiotov :^jaÎv x^ptç àiiapTiaç- îrpo 
altàvtùv jiàv ÈXToO narpàç YEVVïiôÉvxa xbttà tt^v âEÔTïiTa, ètt' è^x^'^wv 
Sa Twv i^iJLEpwv TOV au tov ôi' rj{i.ôç xal 8ià t^v :^(iExÉpav «rwmpCav Ix 
Mapc'a; xfiç mapôévou tîJ; flEOTÔxou xaxà t^v à\Qp(ùn6'^roi, ëva xal xàv 
aÙTov Xptffxôv, ul6v, xûptov, (lovoyEvîj. èv 6ûo çûffetriv àffuyxuxmç, àxpéîî- 
twî, âSiaipéxwç, àx«»ptoxM; YVwptÇôiAEvov* oôSajioû Xïj; tûv çOoewv 
SiaçopSç av^gpTjpiÉVïiî Stà xyjv ëvtofftv, va>Ço(ji,ÉvY]; 5è [JiâXXov xîSc lôiôxïjxo; 
îï]? êxaxépaç çûffEci); xol. elç Ev irpdffWTiov xai jiCav (moaxaai^ ouvxpExoû- 
<r(];, oûx eli 8ûo npôdcona (tEptÇ6(ji£vov 9i Siatpou(i,Evov, àXX' Iva xal xôv 
aûxàv utàv xal (iovoYSvyj , Osbv Xôyov, xvpiov 'iTjdoyv Xp'ffxôv* xaSâirep 
àvwOsv ol iipoipr,xat TtEpl oûxoû xal aûxà; 'i^lJiâc dxûpto; 'It](joûç Xpicrxbç 
ÈfeTtaîSEUffE xal xb xûv iraxEptov ^iiïv irapaSéStoxE oûfiêoXov. — 
On remarquera que le texte des actes actuels porte êx Sûo çûffEMv 
au lieu de èv 8up çucrEcnv. Mais cette dernière leçon est sûrement la 
Vraie, Cf. HAnn, loc. cit., p. 166, note 34; Hefele-Leclercq, II, a, p. 723, 
no^e 1. 



-96 HISTOIRE DES DOGMES. 

«Ile coupait court à toute ambiguïté et donnait satis- 
faction aux légats, qui, d'ailleurs, avaient concouïu à 
sa rédaction. Elle fut souscrite par trois cent cinquante- 
-cinq signataires. 

A ses décisions sur la situation des personnes et 
sur les questions de foi le concile ajouta enfin des 
«anons disciplinaires ^ . Le plus important et le seul 
qui nous intéresse ici est le xxviii^, qui donnait au pa- 
triarche de Constantinople le second rang après le 
pape dans l'Eglise, et rangeait sous son autorité les 
diocèses du Pont, de l'Asie proconsulaire et de la 
Thrace, dont les métropolitains devaient être sacrés 
parJui^. 

Ces travaux terminés, le concile écrivit au pape^ 
pour lui exposer ce qui avait été fait, et lui demander 
d'approuver sui'tout le canon xxviii contre lequel le 
légat Lucentius avait protesté comme contraire aux 
prescriptions de Nicée et attentatoire aux droits des 
métropolitains susdits''. Le pape fit un peu attendre sa 
réponse : certains actes d'Anàtolius l'inquiétaient, et 
il était bien résolu à repousser le canon xxviii. Mais, 
apprenant que son silence était interprété par les ad- 
versaires du concile comme un désaveu de ses déci- 
sions, il adressa aux évêques qui y avaient pris part la 
lettre cxiv, du 21 mars 453, dans laquelle il déclare 
approuver personnellement ce que le concile général 
— c'est le nom qu'il lui donne — a décidé s«r la foi 



\. On les rapporte à la quinzième session, mais on n'est pas sûr du 
înomeat précis oùils furent votéff. 

2. Mansi, VII, 369. 

3. Lettre dans Mansi, VI, 148, ou fnter op«ra S. Leonis, Epist. XCVIII. 
On a beaucoup discuté sur la question de savoir si le concile, dans 
cette lettre, et plus tard ÀDatoiius et Marcien, dans les leurs, deman- 
daient au pape une conOrmalion propreinenf dite et subséquente de 
toutes les décisions du synode. Hefele l'admet; mais voyez la note de 
Oi Leclercq, Hist. des eonc., II, 2, p. 847, note 2. 

4. Mansi, VII, 4S3. 



L'EUTYCHIANISME. 99 

seulement, faisant d'ailleurs toutes réserves sur ce 
qu'il aurait décrété de contraire aux règlements de 
Nicée : « ut et fraterna universitas et omnium lidelium 
corda cognoscant me non solum per fratres qui vicèm 
meam exsecuti sunt^ sed etiam par approbationem ge- 
storum synodalium, propriam vobiscum unisse senten- 
tiam : in sola videlicet causa fidei, quod saepe dicen- 
dum est, propiter quam générale conciliùm, et ex 
praeoepto christianorum principum, et ex consensu 
apostolicaesédis plaçait congregari (1) ». 

De son côté, l'empereur avait déjà porté une série 
d'édits (7 février, 43 mars, 6 et 28 juillet 452) ^ pour assu^ 
rer l'acceptation et l'exécution des décisions du concile; 
Le dernier surtout ordonnait que les écrits d'Eutychès 
fussent détruits, et portait contre ses partisans les 
peines les plus sévères. 

Ainsi finit le concile de Chalcédoine. On en a dit 
beaucoup de mal : on l'a accusé notamment d'avoir 
fait violence à la conscience de l'Église grecque dont 
les préférences marquées étaient pour une christologie 
monophysite, et d'avoir ainsi occasionné la sécession 
schismatique de l'Egypte. C'est là un reproche que 
seuls peuvent lui faire ceux qui font passer les calculs 
de la politique avant les droits de la vérité. Assuré- 
ment, le concile comptait beaucoup d'évêques favora- 
bles non pas précisément à l'eutychianisme, mais aux 
conceptions et aux formulés de saint Cyrille, et cette 
tendance, nous l'avons dit, se manifesta plus d'une 
fois. Mais il comptait surtout beaucoup d'âmes sans 
consistance et de caractères serviles que la violence de 
Dioscore avait plies, et qui voulaient se justifier à eux- 
mêmes leur faiblesse par des raisons doctrinales. Dans 
cette masse amorphe une forte volonté pouvait beau- 

i. M.VNSI, YII, 476, «7, 497, SOI. 



98 HISTOIRE DES DOGMES. 

coup ; et c'est pourquoi il fut possible aux légats, sou- 
tenus par l'empereur et par la fraction plus déterminée 
des orientaux, d'en obtenir la condamnation du mo- 
nophysisme, bien plus, la réintégration de Théodoret 
et d'Ibas. Quant à la formule doctrinale elle-même qui 
en sortit, elle était excellente et faisait aux décisions 
d'Ephèse et à la doctrine cyrillienne un utile contre- 
poids : elle sauva la croyance au Christ historique me- 
nacée de périr dans les rêveries eutychiennes. Malheu- 
reusement, on ne poussa pas assez loin le travail d'in- 
terprétation, et il ne se trouva personne pour montrer 
comment les décisions de Chalcédoine ne contredi- 
saient pas celles d'Ephèse ni les enseignements de 
saint Cyrille, en quoi péchait le langage de ce dernier, 
et comment il devait être entendu et compris pour 
s'ajuster aux nouvelles formules. On se contenta d'af- 
firmer l'équivalence de fond, sans la démontrer.^ . Dès 
lors, le malentendu subsista, et tout un immense parti 
continua de penser que le concile d'Ephèse avait été 
condamné par celui de Chalcédoine et la christologie 
de saint Cyrille par la lettre de saint Léon. C'en était 
trop pour des esprits échauffés contre le nestorianisme, 
et qui ne souffraient pas aisément que l'Occident parût 
leur faire la loi. Se croyant obligés de choisir entre le 
pape et saint Cyrille, leurs préférences allèrent tout 
droit au grand docteur d'Alexandrie. 

1. Un effort pour cette démonstration fut cependant tenté dans la 
deuxième session où, pour dissiper les doutes des évêqaes de Pales* 
tine et de l'Illyricum au sujet de la lettre de saint Léon, on rapprocha 
de cette lettre des passages similaires de saint Cyrille (Mansi, VI, 973, 
973). 



LEUTYCHlÀNISME. 99 



§ 3. — La christologie de Théodoret'. 

Les décisions de Chalcédoine étaient le triomphe de 
la christologie occidentale et de celle des antiochiens 
modérés. Un homme, parmi ces derniers, représen- 
tait éminemment, depuis vingt-cinq ans, cette école 
d'Antioche : c'est Théodoret. Il était la meilleure tête 
du parti, et l'on pense généralement que la formule de 
paix de 433 était son œuvre. Exposer en détail sa 
christologie serait donc, en grande partie, répéter ce 
qui a été déjà dit à propos de Théodore de Mopsueste, 
de Nestorius et de l'opposition faite par les partisans 
de Jean d'Antioche aux idées particulières de saint 
Cyrille. Cette christologie peut se résumer en quel- 
ques lignes. 

Avant l'incarnation il n'y avait pas deux natures,- il 
n'y en avait qu'une seule, car la nature humaine a été 
aussitôt unie que procréée : l'union s'est faite Iv tîj 
c\ik\ri<^ti^. Mais, après l'incarnation, le Christ est en 
deux natures, ^ Xaêoûffa xal ^ XvjçQelç çûoiç^. L'auteur les 
distingue souvent au point d'en parler comme de deux 
personnes : Irepoç Bl h xarotxiîffaç xarà tov Xo'yov triç çuceoiç, 
x«t Itepoç ô vfto'ç *. Ce n'est pas le Dieu Verbe qui a été 
• conduit au désert pour y être tenté : c'est le temple 
pris par le Dieu Verbe de la semence de David ^. Il 
identifie d'ailleurs uTcéaTaffiç avec cpuan; et les oppose à 

1. Sur ce point particulier de la doctrine de Théodoret, voir : A. Ber- 
TiUM, Theodoreti eyisc. Cyr. doelrina christologica, Hildesiae, 1883. 
A. Ehrbard, Die Cyrill von Al. zugesehrieben Sckrift Ilepi toû Kupîou 
Èvav6pwiif,ff£w;, em Werk Theo'iorets von Cyrus, Tiibingen, 1888. 

3. EranisleSt II, col. 14i, 137, 140, 324. 

3. Eranistes, II, col.i09; De incam. Domini, 24, 30. 

4. De inearn. Domini, 18, col. 14:i3. 

5. De incam. Dom., 13, col. 1437; et voyez 29, col. 1469; SI, col. 1457 
(tî; iXaficbv xatàiièpo; t^v TeXeidniTa;); Critique de l'anatliématisme 
^1 Col. 437; Fragm. de sermons, P. G., LXXXIV i63, 64. 



•96 HISTOIRE DES DOGMES. 

«Ile coupait court à toute ambiguïté et donnait satis- 
faction aux légats, qui, d'ailleurs, avaient concouru à 
sa rédaction. Elle fut souscrite par trois cent cinquante- 
-cinq signataires. 

A ses décisions sur la situation des personnes et 
sur les questions de foi le concile ajouta enfin des 
<3anons disciplinaipes ^ Le plus important et le seul 
qui nous intéresse ici est le xxviii^, qui donnait au pa- 
triarche de Constantinople le second rang après le 
pape dans l'Eglise, et rangeait sous son autorité les 
diocèses du Pont, de l'Asie proconsulaire et de la 
Tlirace, dont les métropolitains devaient être sacrés 
par lui 2. 

Ces travaux terminés, le concile écrivit au pape^ 
pour lui exposer ce qui avait été fait, et lui demander 
d'approuver surtout le canon xxviii contre lequel le 
légat Lucentius avait protesté comme contraire aux 
prescriptions de Nicée et attentatoire aux droits des 
métropolitains susdits''. Le pape fit un peu attendre sa 
réponse : certains actes d'Anàtolius l'inquiétaient, et 
il était bien résolu à repousser le canon xxviii. Mais, 
apprenant que son silence était interprété par les ad- 
versaires du concile comme un désaveu de ses déci- 
sions, il adressa aux évêques qui y avaient pris part la 
lettre cxiv, du 21 mars 453, dans laquelle iL déclare 
approuver personnellement ce que le concile général 
— c'est le nom qu'il lui donne — a décidé sur la foi 



1. On les rapporte à la quinzième session, mais on n'est pas sûr du 
momeat précis oùils furent votés. 

2. Mansi, VII, 369. 

3. Lettre dans Mansi, VI, 148, ou inter opara S. Leonis, Epist. XGVIII. 
On a beaucoup discuté sur la question de savoir si le concile, dans 
cette lelti'e, et plus tard Anatolius et Marcien, dans les leurs, deman- 
daient au pape une conOrmation proprement dite et subséquente de 
toutes les décisions du synode. Helele l'admet; mais voyez la note de 
D. Leclercq, Hiat. des conc,, II, 2, p. 847, note 2. 

4. Mansi, YII, 453. 



L'EUTYCHIANISME. 91 

seulement, faisant d'ailleurs toutes réserves sur ce 
qu'il aurait décrété de contraire aux règlements de 
Nicée : « ut et fraterna universitas et omnium fidelium 
corda cognoscant me non solum per fratres qui vicèm 
meam exsecuti sunt, sed etiam per approbationem ge- 
storum synodalium, propriam vobiscum unisse senten- 
tiam : in sola videlicet causa fidei, quod saepe dicen- 
dum est, propter quam générale conciliùm, et ex 
praecepto christianorum principum, et ex consensu 
apostolicae sedis placuit congregari (1) ». 

De son côté, l'empereur avait déjà porté une série 
d'édits {7 février, 13 mars, 6 et 28 juillet 452} ^ pour assu- 
rer l'acceptation et l'exécution des décisions du concile: 
Le dernier surtout ordonnait que les écrits d'Eutychès 
fussent détruits, et portait contre ses partisans les 
peines les plus sévères. 

Ainsi finit le concile de Chalcédoine. On en a dît 
beaucoup de mal : on l'a accusé notamment d'avoir 
fait violence à la conscience de l'Église grecque dont 
les préférences marquées étaient pour une christologie 
monophysite, et d'avoir ainsi occasionné la sécession 
schismatique de l'Egypte. C'est là un reproche que 
seuls peuvent lui faire ceux qui font passer les calculs 
de la politique avant les droits de la vérité. Assuré- 
ment, le concile comptait beaucoup d'évêques favora- 
bles non pas précisément à l'eutychianisme, mais aux 
conceptions et aux formules de saint Cyrille, et cette 
tendance, nous l'avons dit, se manifesta plus d'une 
fois. Mais il comptait surtout beaucoup d'âmes sans 
consistance et de caractères serviles que la violence de 
Dioscore avait plies, et qui voulaient se justifier à eux- 
mêmes leur faiblesse par des raisons doctrinales. Dans 
cette masse amorphe une forte volonté pouvait beau- 

i. Mansi, YII, 476, *77, 497, SOI. 



98 HISTOIRE DES DOGMES. 

coup ; et c'est pourquoi il fut possible aux légats, sou- 
tenus par l'empereur et par la fraction plus déterminée 
des orientaux, d'en obtenir la condamnation du mo- 
nophysisme, bien plus, la réintégration de Théodoret 
et d'Ibas. Quant à la formule doctrinale elle-même qui 
en sortit, elle était excellente et faisait aux décisions 
d'Ephèse et à la doctrine cyrillienne un utile contre- 
poids : elle sauva la croyance au Christ historique me- 
nacée de périr dans les rêveries eutychiennes. Malheu- 
reusement, on ne poussa pas assez loin le travail d'in- 
terprétation, et il ne se trouva personne pour montrer 
comment les décisions de Chalcédoine ne contredi- 
saient pas celles d'Ephèse ni les enseignements de 
saint Cyrille, en quoi péchait le langage de ce dernier, 
et comment il devait être entendu et compris pour 
s'ajuster aux nouvelles formules. On se contenta d'af- 
firmer l'équivalence de fond, sans la démontrer.^. Dès 
lors, le malentendu subsista, et tout un immense parti 
continua de penser que le concile d'Ephèse avait été 
condamné par celui de Chalcédoine et la christologie 
de saint Cyrille par la lettre de saint Léon. C'en était 
trop pour des esprits échauffés contre le nestorianisme, 
et qui ne souffraient pas aisément que l'Occident parût 
leur faire la loi. Se croyant obligés de choisir entre le 
pape et saint Cyrille, leurs préférences allèrent tout 
droit au grand docteur d'Alexandrie. 

1. Un effort pour cette démonstration fut cependant tenté dans la 
deuxième session où, pour dissiper les doutes des évêques de Pales- 
tine et de ruiyricum au sujet de la lettre de saint Léon, on rapprocha 
de cette lettre des passages similaires de saint Cyrille (Hahsi, VI, 9T3, 
073). 



LEUTYCHIANISME. 99 



§ 3. — La christologie de Théodoret'. 

Les décisions de Chalcédoine étaient le triomphe de 
la christologie occidentale et de celle des antiochiens 
modérés. Un homme, parmi ces derniers, représen- 
tait éminemment, depuis vingt-cinq ans, cette école 
d'Antioche : c'est Théodoret. Il était la meilleure tête 
du parti, et l'on pense généralement que la formule de 
paix de 433 était son œuvre. Exposer en détail sa 
christologie serait donc, en grande partie, répéter ce 
qui a été déjà dit à propos de Théodore de Mopsueste, 
de Nestorius et de l'opposition faite par les partisans 
de Jean d'Antioche aux idées particulières de saint 
Cyrille, Cette christologie peut se résumer en quel- 
ques lignes. 

Avant l'incarnation il n'y avait pas deux natures,- il 
n'y en avait qu'une seule, car la nature humaine a été 
aussitôt unie que procréée : l'union s'est faite £v ttî 
BuXXiî«}/ei2. Mais, après l'incarnation, le Christ est en 
deux natures, ^ Xaêoûffa xal ^ XyjçOeIç œûoiç'. L'auteur les 
distingue souvent au point d'en parler comme de deux 
personnes : ^repoç Sa ô xaToixi^saç xatà tov Xôyov t^ç çuffetoç, 
x«i Itspo; h vao'ç *. Ce n'est pas le Dieu Verbe qui a été 
"» conduit au désert pour y être tenté : c'est le temple 
pris par le Dieu Verbe de la semence de David 5. Il 
identifie d'ailleurs ÔTrôdTaatç avec «pusu; et les oppose à 

1. Sur ce point particulier de la doctrine de Théodoret, voir s A. Ber- 
TRAMi Theodoreli epise. Cyr. doctrina christologica, Hildesiac, 1883. 
A. Ehbhard, Die Cyrill von Al. zugesckrieben Schrift Ilepi toO Kviptou 
èvavÔpwnrjffEtaç, ein Werk Theo'iorets von Cyrus, Tùbingen, 1888. 

2. Eranisles, II, col. 44i, 137, 140, 324. 

3. Eranistes, II, col.iOd; De incam. Domini, 24, 30. 

4. De incam. Domini, 18, col. 14â2. 

». De incam. Dont., 13, col. 1437; et voyez 29, col. 1469; 21, col. 1457 
('cC; i Xa6(bv xatàtièpo; t^v TE>Ei(5T>iTa;); Critique de l'anatliématisme 
X, col. 437; Fragm. de sermons, P. G., LXXXIV ^62, 64. 



100 HISTOIRE DEi8 DOGMES. 

Ttpo'ffWTtov ^ . Chaque nature garde dans l'union ses pro- 
priétés et son action : Taïç ivEpyei'aK; [aèv Sr/ipTf)}xlvàç {(pudetç), 
Tw TrpofftoTto) SE cuvviqfxévaç — tocçtê twv cpuffewv IStoTYixaç xat toïï 

•JTpOffWTTOU XïlptJTTEl (Ô IlaÛXoç) T^V EVtOfflV^. MalS, COHime 011 

vient de le voir, il y a entre elles aovdIçetB, Ivofxviatç, 
evwffiç. Et sans doute Théodoret dit bien que dans 
cette union « tout est affaire de bienveillance et de phi- 
lanthropie et de grâce », mais il ajoute cependant que 
cette union n'est pas seulement morale, elle est phy- 
sique : ttXi^v xat <puerix^ç IvTaûfia t^ç Ivwuswç otjariq àxÉp.aiot 
uEfxévï)xe xèc Ttov çuorswv iSta^. Ainsi il n'y a en Jésus- 
Christ qu'une personne, qu'un fils : Iv (jiâv npôcomov, x«l 
eva oîov xa\ XpidTOv — eva |xsv Xpiffxov ôfjLoXoyoûiJiev... xai xov 
-aÛTov ûià t:^v evwciv 6eôv xe x«t avÔpwTTov ovoptocÇofXÊV"*. Celui 
qui a souffert n'était pas autre (aXXov tivdt) que le Fils 
de Dieu^. 

De cette unité de personne suit la légitimité de la 
communication des idiomes. Théodoret en a parlé 
avec justesse dans VEranistes, ii^. Sur ce point cepen- 
dant il s'est montré toujours un peu réservé. S'il ad- 
met le ôeoToxoç, il ne rejette pas l'àvCpoiTroToxoç. qu'il croit 
orthodoxe pourvu qu'on l'entende bien '^. Surtout il 
n'a jamais voulu admettre que l'on parlât des souf- 
frances et de la mort de Dieu et du Verbe. L'anathé- 
matisme xii de saint Cyrille lui paraissait intolérable," 
et il s'est moqué agréablement, dans VEranisteSj de 
l'explication qui consistait à dire que le Verbe a souf- 



1. Critique de l'anathém. III, col. 404. 

2. De incam. Dom., 21, 22, col. 1451, 1457, 1460; Fragm., P. G., 
LXXXIV, 62. 

3. Eranistes, II, col. 143. 

4. Critique des analhem. III, col. 404; II, col. 400; VIII, col. 423, etc. 

5. Eranistes, II, col. 237. 

6. Col. d48, 240, 280. ' 

7. De incam. Dom., 33, col. 1477; Critique de l'anath. I, col. 393 i 
Fragm., P. G., IX^THIS, en, Episl. eu. 



L'EUTYCHIANISME; 101 

fert impassiblement, eTraOêv S Aoyoç ^Ttaôwç', Pans le 
fragment de son discours prononcé à Antioche en 444, 
lors de la mort de saint Cyrille, il pousse les choses à 
l'extrême : « Nemo iam neminem cogit blasphemare. 
Ubi sunt dicentes quod Deus est qui crucifixus est? 
Non crucifigitur Deus. Homo crucifixus est lesus 
Christus qui ex semine est Davidis, ûlius Abrahae. 
Homo est qui mortuus est lesus Christus, etc. 2. » 

Sur le point spécial de la science humaine de Jésus- 
Christ, Théodoret ne fait nulle difficulté d'admettre 
que cette science était limitée et que Jésus, comme 
homme, était sujet à l'ignorance. Dans le traité De 
incarnatione Domini (20j ^ aussi bien que dans le 
Pentalogus^, il s'appuie sur le texte de saint Luc, 11, 
52, pour prouver que Jésus-Christ était vraiment 
homme et possédait une âme humaine, car, seule, 
pouvait croître en sagesse l'âme humaine «qui apprend 
peu à peu les choses divines et humaines ». Dans la 
critique de l'anathématisme iv ^, il tire la même conclu- 
sion du texte de saint Matthieu, xxrv, 36, De die illo 
et hora nemo scit, etc. Jésus avouait ici une ignorance 
réelle du jour et de l'heure du jugement, et cela parce 
que l'humanité en lui ne savait que ce que lui avait 
révélé la divinité. Cette solution est bien dans le sens 
général de la christologie de Théodoret. 

A propos de celte christologie cependant, on s'est 
demandé si l'évêque de Cyr n'avait pas franchi les li- 
mites de l'orthodoxie et poussé jusqu'au nestorianisme 
proprement dit ; et, en supposant qu'il ait été ortho- 
doxe en eiîet au moment du concile de Chalcédoine, 

1. Eranistes.în, col. 264 et suiv., 268; cf. Critique del'anath. IV, col. 
409; 412; Fragm., P. G., LXXXIV, 639. 

2. P. G., LXXXIV, 62. 

3. Col. 1453. 

4. Col. 08-73. 

5. Col. 414. 

6. 



lOJ HISTOIRE DES DOGMES. 

s'il l'avait été dès le commencement du conflit, ou s'il 
ne l'était pas plutôt devenu par suite des lumières que 
la controverse lui avait apportées. Une faut pas oublier, 
en effet, son obstination à soutenir jusqu'au bout ]^es- 
torius et Théodore de Mopsueste, ni oublier qu'il a été 
condamné par le Y" concile général pour ses écrits 
« contre la vraie foi, contre le premier et saint synode 
d'Éphèse et contre saint Cyrille et ses douze anathé- 
matismes, et pour tout ce qu'il a écrit en faveur de 
Théodore et de Nestorius » (canon xni). 

Le P. Garnier a examiné la question dans ses dis- 
sertations sur Théodoret*, mais en s'appuyant surtout 
sur les actes de sa vie et sur l'autorité de témoignages 
extérieurs. 11 ne la tranche pas, bien qu'il penche visi- 
blemwit à conclure contre notre auteur. A son tour, 
M. Bertram a repris cette étude de plus près et d'après 
les textes^. Sa conclusion est que l'évêque de Cyr ^ 
réellement, dans le principe, partagé l'erreur de Nes- 
torius, et qu'il ne s'en est dégagé que plus tard, vers 
435 peut-être. C'est la conclusion que l'on peut ad- 
mettre, mais, je crois, en l'adoucissant beaucoup. 
Théodoret approuvait, sans aucun doute, le dyophy- 
sisme énergique de Nestorius, et lui-même s'est servi 
parfois, pour traduire cette doctrine, de formules in- 
correctes et d'expressions exagérées. Ces formules se 
rencontrent plus nombreuses et plus violentes dans le 
traité De incarnatione DominP, qui est de 431-435, 
et dans la critique des anathématismes qui est vraisem- 
blablement de 430. Elles s'adoucissent et disparaissent 
presque entièrement dans VEranistes, qui date de 
447 environ, dans V Haereiicarum fabularum coiii' 



i. Dissert, ni, cap. ii, P. 6., LXXXIV, 401 et suiv. 

2. Op. sup. cil. 

3. Ce traité se trouve dans la Po/roiogrte grecque parmi les œuvres do 
saint Cyrille (tome LXXV). il doit être restitué à Théodoret. ■ 



L'EUTYCHIANISME. 103 

pendium composé vers 453, et on ne les retrouve pas 
même dans la lettre cli aux moines, qui est cependant 
de 431, et qui a été rédigée de très près. Tous ces 
ouvrages d'ailleurs, et même lès plus défectueux, 
contiennent, à côté des passages répréhensibles, 
d'autres passages d'une orthodoxie parfaite et qui 
expriment le dogme d'une façon forte et heureuse. Si 
donc on peut dire avec raison que le langage christo- 
logique de Théodoret a manqué parfois d'exactitude, 
il serait outré, à mon avis, d'incriminer sa croyance 
intime et de faire de lui, même dans le principe, un 
nestorien conscient, admettant en Jésus- Christ deux 
personnes. La christologie de l'évêque de Cyr présente 
les. lacunes et les inconséquences communes à l'école 
à laquelle il appartient, et qui ont été signalées plus 
haut, et cela suffît pour que le V* concile général ait 
pu en condamner certains détails : mais cette christo- 
logie cependant proclame ou du moins sauvegarde les 
deux vérités fondamentales définies à Ëphèse et à 
Chalcédoine, l'unité de personne avec la dualité des 
natures*. 

1. On sait que le livre IV, 12 de YHaeretic. fabul. compendium et le 
Libellas à Sporacius (P. G., LXXXIII, 1133 et suiv.) sont très violents 
contre Nestorius. Garnier se demande précisément si ce Libellus est 
bien de Tliéodoret, et si l'ouvrage sur les hérésies n'a pas été interpolé 
à cet endroit. BAivDESUEWEn, t. IV, p. 2ii, croit que le Libellus n'est 
pas de Tliéodoret, mais il ne croit pas que le chapitre des Haer. fab. 
sur Nestorius soit interpolé. 



CHAPITRE lY 

LA RÉSISTANCE MONOPHYSITE AU CONCILE 
DE CHALCÉDOINE jusqu'à LA FIN DU VI® SiÈCLfi. 

§ 1. — Dates et faits principaux. 

Le concile de Chalcédoine avait libellé une formule 
doctrinale : il n'avait pas fait l'union des intelligences 
et des coeurs. Les évêques s'étaient à peine séparés 
qu'une opposition formidable s'éleva contre leurs déci- 
sions, opposition qui se traduisit dans les faits et dans 
les doctrines, et dont on voudrait ici donner quelque 
idée. 

Sur les faits nous serons très court : ils n'appartien- 
nent qu'indirectement à l'objet de cet ouvrage. A par- 
tir de 451 jusqu'à la fin du vi* siècle — moment où le 
monophysisme se constitue définitivement en Eglise 
indépendante, l'Eglise jacobite — , l'histoire des 
grands sièges épiscopaux d'Orient, si l'on excepte celui 
de Constantinople, n'est qu'une suite presque ininter- 
rompue de compétitions entre orthodoxes et hérétiques, 
de dépossessions suivies de rétablissements, d'inter- 
ventions impériales pour soutenir ou pour chasser tel 
prétendant, selon qu'il se conforme ou non à la politique 
religieuse du prince. Raconter par le détail ces vicis- 
situdes serait aussi fastidieux qu'inutile à notre des- 



L'ÉVOLUTION DU MONOPHYSISj>IE. 105 

sein. Nous marquerons seulement les dates et les 
événements principaux. 

Une première période va de 451 à 482, date de l'hé- 
notique de Zenon. Pendant cette période, l'orthodoxie 
a beaucoup à lutter, mais, grâce à l'appui du pouvoir 
impérial, elle se maintient pourtant et triomphe. A 
un seul moment ce pouvoir se retourne contre elle. En 
475, l'usurpateur Basiliscus parvient à chasser l'em- 
pereur Zenon et, poussé par le patriarche monophy- 
site d'Alexandrie, Timothée ^lure, publie, en 476, 
V Encyclique ^ (xb lyxuxXiov), qui proclame comme règle 
de foi les trois premiers conciles généraux, mais re- 
jette celui de Chalcédoine et la lettre de Léon à Fla- 
vien, en ajoutant la condamnation de ceux qui n'ad- 
mettent dans le Christ qu'une chair apparente ou 
venue du ciel. Le règne de Basiliscus est court : un 
retour offensif de Zenon y met fin en juillet 477. 

Pendant ce temps, à Antioche, le siège est occupé 
successivement par Maxime (449-455), Basile (456- 
458), Acace (458-459), Martyrius (460-470), Julien (471- 
476), Jean Godonat (477), Etienne I (478-481) et Calan- 
dion (481-485). En 469 ou 470, un moine habile et 
ambitieux, Pierre le Foulon, s'appuyant sur le parti 
apoUinariste de la ville, parvient à se faire élire pa- 
triarche à la place de Martyrius et occupe le siège 
quelques mois. Chassé par les décisions d'un con- 
cile, il revient une seconde fois en 475 ou 476, pour 
peu de temps encore. On le verra une troisième fois 
patriarche d'Antioche de 485 à 488. Un de ses pre- 
miers soins avait été de condamner le concile de 
Chalcédoine. Mais il est célèbre surtout par l'addition 
au trisagion qui suscita tant de controverses. Dans 
la formule 6(^10? âGeo'ç, otyio? îa/upôç, ocYtoç àâavax.oç, iXériffOv 

1. En voir le texte dànsEvAGMus.fftst. eecles., III, 4 (P. G., LXXXVJ, â 
col. 2600 et suiY.). 



106 HISTOIRE DBS DOGMES. 

f,(Aaç, il introduisit avant ces derniers mots la mention 
b (rraupwôelç Si' ^ijaSç. Cette expression ne se pouvait 
soutenir que si les trois Syioç étaient rapportés au 
Christ et non à la Trinité ; et il est probable qu'en 
effet Pierre les comprenait ainsi ^ Philoxène et Sé- 
vère les expliquaient de même^. Mais, à Constanti- 
nople par exemple, on rapportait les trois Syioç à la 
Trinité, et dès lors l'addition du Foulon entraînait 
l'hérésie patripassienne ou théopaschite. Grand sujet 
de reproche contre les monophysites. 

A Jérusalem, Juvénal, dépossédé pendant .quelque 
temps par l'intrus Théodose, fut rétabli en 453, et re- 
çut pour successeur, en 458, Anastase. Celui-ci dut, 
à son tour, à l'occasion de Vencyclique de Basilis- 
cus, céder la place au monopliysite Gerontius (476) ; 
mais il revint après l'orage, et Martyrius lui succéda 
de 478 à 486. 

L'Egypte était la forteresse du monophysisme, et 
c'est là surtout que, dans celte première période, 
l'orthodoxie dut lutter. Les orthodoxes avaient élu, 
pour succéder à Dioscore en 452, Proterius. Une op- 
position implacable fut bientôt soulevée contre lui par 
un de ses prêtres, Timothée, surnommé MImtq (à 
«ÏXoupoç, le chai) et un de ses diacres, Pierre Monge 
(fjioYYoi;, l'enroué). Proterius est massacré en 457, et 
Timothée prend sa place. Un de ses premiers actes 
est de se prononcer contre le concile de Chalcédoine 
et de persécuter les orthodoxes. Mais désavoué par 
seize cents évêques, l'épiscopat oriental presque tout 
entier^, il est déposé, banni, et reçoit pour successeur 

4. Valois, Observât, ad histor. eecles. Evagrii, P. 0., LXXXVI, 2, col. 
S891 et Buiv. 

2. Philoxène, Tractât, de trinitate et incamatione, édit. Vaschalok, 
Iraduct., p. 39; Jostisien, Tract, adv. monophy$itas, P. Cf., LXXXVI, U 
col. lUl B. 

3. Les évoques de Pamphylie eurent une attitude singulière. lU 



L'ÉVOLUTION DU MONOPHYSISME. 107 

Timothée Salophaciole [turban blanc). Il revient sous 
Basiliscus (47.5) et meurt en 477. Son ami Pierre 
Monge lui succède d'abord pondant trente-six jours, 
puis est obligé de s'enfuir. Timothée Salophaciole 
recouvre son siège jusqu'en 482, date de sa mort. 

Ainsi, en 482, les trois sièges patriarcaux d'An- 
tioche, de Jérusalem et d'Alexandrie étaient encore au 
pouvoir des orthodoxes. Quant à celui de Constan- 
tinople, il n'avait pas connu ces vicissitudes. Les troiô 
patriarches Anatolius (449-458), Gennadius (458-471), 
A-cace (471-489) s'étaient succédé en paix. Acace même 
avait pu, sans être trop inquiété, résister au caprice 
de Basiliscus. 

C'est Acace cependant qui devait occasionner les 
troubles et le schisme qui allaient désoler l'Église 
d'Orient pendant la période qui va de 482 à 519, 
deuxième période de l'époque dont nous nous occu- 
pons. Froissé dans son amour-propre par le successeur 
à Alexandrie de Timothée Salophaciole, Jean Talaïa, 
et circonvenu par Pierre Monge, il pousse l'empereur 
Zenon à publier, à la fin de 482, et rédige peut-être 
lui-même un édit d'union adressé aux évêques, clercs, 
moines et au peuple de l'Egypte, de la Libye et de la 
Pentapole. C'est Vhénotigue (Ivwtixov), destiné, dans 
l'esprit de l'empereur, à faciliter le retour à l'Eglise 
des dissidents monophysites. 

Ce document a été conservé par Evagrius ^ . Il re- 
tenait, comme unique symbole proprement dit, celui 
de Nicée, confirmé à Constantinople en 381 ; mais il 



proposèrent de s'en tenir à la formule de Nicée, déclarèrent qae la 
lettre de saint Léon, bien qu'acceptée par eux, ne constituait pas 
un symbole ni une déCnition de foi, qu'elle n'avait de valeur que pour 
le clergé, et qu'il était indifférent de dire deux natures non confon- 
dues, ou ex duabus naturis, ou una natura Verbi incarnata, cette 
dernière formule étant préférable (Mamsx, YII, S73 et suiv.}. 
1. Hist. cecle*., III, 14. 



108 HISTOIRE DES DOGMES. 

admettait en même temps les décisions d'Ephèse de 
431 et les anathématismes de saint Cyrille. Nestorius 
et Eutychès étaient condamnés ; l'unité de Jésus-Christ, 
consubstantiel à Dieu par sa divinité et consubstan- 
tiel à nous par son humanité, était fortement affirmée. 
On y rejetait et ceux qui divisent (StapoîîvTaç) et ceux 
qui confondent (cuyyéovTaç) et les phantasiastes (tpavxa- 
ffiav sîoràYovTKç) ; et Ton anathématisait ceux qui pen- 
saient ou avaient pensé autrement soit à Chalcédoine, 
soit ailleurs. Des deux natures il n'était pas question. 
L'hénotique n'ofiPrait donc rien d'hétérodoxe dans 
l'expression, mais il était l'abandon équivalent du 
concile de Chalcédoine, abandon qu'une allusion per- 
fide venait encore souligner. Zenon recommençait le 
jeu des eusébiens après Nicée, en essayant d'une for- 
mule assez lâche pour contenter tout le monde. Comme 
on pouvait le prévoir, il ne contenta personne, mais 
il mit aux mains des partis et des politiques une arme 
meurtrière. Pierre Monge signa Fhénotique et fut ins- 
tallé à Alexandrie à la place de Talaïa (octobre 482) ^ . 
Acace de Constantinople et Martyrius de Jérusalem 
acceptèrent sa communion ; mais Calandion d' Antio - 
che la repoussa et, sur les réclamations à Rome de 
Talaïa, les deux papes Simplicius et Félix III se pro- 
noncèrent contre l'intrus. Un concile tenu à Rome 
en 484 déposa et anathématisa Pierre Monge. Acace 
lui-même fut déclaré coupable, excommunié et déposé 
par Félix IIP. Des moines acémètes ^ se chargèrent 

1. Pierre fut assez habile pour se concilier le plus grand nombre 
des orthodoxes ; mais un certain nombre de monophysites intransi- 
geants, ne lui pardonnant pas sa modération relative vis-à-vis du con- 
cile de Chalcédoine, se séparèrent de lui et formèrent le parti des 
acéphales (àxÉ<paXoi). 

2. Y. EvxGRios, HisU eccles., Ul, ai ; S. FÉux, Epist. VI, IX, X (P. L., 
LVIII, 921, 934, 936; Mansi, VII, lOSl, 1063, 1067). 

8. 'A-xoipiri-cai, gui ne dorment. pas. Celaient, on le verra, des chal- 
cédoDiens intransigeants et même outrés. 



L'ÉVOLUTION DU MONOPHYSISMB. 109 

de notifier cette sentence au patriarche de Constan- 
tinople. Celui-ci refusa de s'y soumettre et raya des 
diptyques le nom du pape. C'était le schisme (484). 
11 dura trente-cinq ans et ne sépara pas de Rome 
Gonstantinople seule mais toute l'Église grecque dont 
les principaux sièges reçurent des titulaires signa- 
taires de l'hénotique ' . Ce n'est pas à dire que tous 
ces évêques fussent antichalcédoniens et monophy- 
sites. Sauf en Egypte, le concile de Chalcédoine fut 
généralement respecté jusqu'en 509. Plusieurs fois 
même des efforts furent faits à Constantinople par les 
patriarches Fravitta (489-490), Euphemius (490-496) et 
Macedonius II (496-511) pour reprendre la commu- 
nion romaine. Mais les papes y mirent toujours pour 
condition la radiation, dans les diptyques, du nom 
d'Acace, et cette condition parut impossible à réa- 
liser. Vers l'année 509 cependant la situation com- 
mence à empirer. L'empereur Anastase, devenu fran- 
chement monophysite, se montre plus exigeant. A 
Constantinople, Macedonius doit céder la place à Ti- 
mothée (511-518), qui condamne le concile de Chal- 
cédoine. A Antiociîe, Flavien (498-512) doit céder de 
même au fameux Sévère (512-518), monophysite dé- 
claré. Pour n'avoir pas voulu reconnaître Sévère, Élie 
de Jérusalem est banni et remplacé par Jean* (516- 
524), qui n'exécute pas, il est vrai, sa promesse d'a- 
nathématiser le concile de 451. Quant à l'Egypte, elle 
était, depuis Pierre Monge (482-490), à peu près per- 
due pour l'orthodoxie. Les évêques d'Alexandrie qui 
lui avaient succédé, Athanase II (490-496), Jean II 
(496-505), Jean III (505-515 ou 516) s'étaient tous pro- 



1. Entre eux il faut signaler surtout Pierre le Fodlon (48S-488), ins- 
talle pour la troisième fois patriarche d'Antioche, et qui s'empressa 
de nommer évêque de Habboug le fameux Pbiloxëne (485, •{• vers KS3}, 
un des meilleurs théologiens, avec Sévère, du parti monophysite. 

HISTOIRE DES DOGMRS. — III. 7 



110 mSTOHΠDES D06MBS. 

nonces contre les décisions de Chalcédoine, sans par- 
Tsnir cependant à ramener à eux le parti iTréductiMe 
des acéphales. 

La situation était des plus critiques pour les dyo- 
phy sites. Elle fut dénouée, comme «ouvent en 'Orient, 
par la mort de l'empereur en 518. Le successeur 
d'A-nastase, îustin 1", était un chalcédoriien déclaré. 
Aussitôt îe revirement commença ; les relations furent 
Teprises avec le pape. De Rome, 'Hormisdas envoya 
cinq légats apportant avec eux la célèbre formule que 
devaient signer -Jean II de Constantinople et les évê- 
ques orientaux-^ Après avoir affirmé la primauté de 
l'Église romaine et sa persévérance constante dans la 
Traie foi'(ç«iV7 insede apostolica immaculata estsemper 
servata religio), cette formule prononçait l'anatlième 
contre Nestorius, Eutyclrès, Dioscore, Timothée 
Mhire, Pierre (Monge), Acace, Pierre le Foulon. On 
y recevait le concile de Chalcédoine €t toutes les épî- 
tres de saiiït Léon écrites sur la foi. On y faisait pro- 
fession de suivre en tout le siège apostolique {sequen- 
tès in omnibus apostolicam sedem, et praedicantes 
eius omnia constituta),en qui la religion a son intégrité 
et sa solidité (/n g'Ma est intégra et verax ckristianae 
religionis soiiditas) ; et enfin on s'y engageait à rayer 
des diptyquesles noms de ceux qui s'étaient séparés 
delà communion de l'Eglise^ c^est-à-dire du siège 
apostolique («eg^KesJr^tos a communione \Eccïesiae 
cathoïicae, id est non consentientes sedi aposto- 
licae). 

Pareille déclaration était dure à signer pour un pa- 
triarche de Constantinople. Jean s 'ydécida cependant, 
en s'efforçant d'atténuer sa soumission par des expli- 
cations de son crû^, et les évéques présents dans la 

• • -i. Tja YGiir dans P. L., LXIU, 443. 
2. P. L., LXni, 443 et suÎY. ; cf. 447. 



L'EVOLTJTION DU MONOPHYSISME. lit 

■ville impériale rimitèrent. Sévère d'Antioclie, qui par- 
vint à s «nfuir à Alexandrie, reçût pour successeur- 
Paul II (519-521) ; Phiîoxène fut «xilé. A Jérusalem j. 
Jean fut maintenu. En Egypte on ne put rien faire.. 
Ainsi se termina, en 519, ce premier schisme, qui pré- 
ludait malheureusement à des scissions plus durables. 
Les règnes de Justin I (518-527) et de ses succes- 
seurs, Justinien (527-565), Justin II (565-578), Tibère lî 
(578-582) et Mtfiurice (582-602), constituèrent, pour l'or- 
thodoxie chalcédonienne, une période de triomphe- 
officiel, encore que fort troublée, nous le verrons, par 
les caprices théologiques de Justinien et les intrigues 
de Théodora* .Les monophysites avoués furent écartés- 
des grands sièges, et à Alexandrie on put installer ua 
patriarche catholique «n face du ou des patriair- 
ches que les dissidents y maintenaient. A un mo- 
ment donné même, vers 548, la hiérarchie mono- 
physite faillit s'éteindre dans l'empire, si sévères 
étaient les mesures prises par Justinien pour empê- 
cher que les évoques suspects fissent des ordinations. 
Un moine ordonné évêque d'iidesse en 543, Jacques 
Baradaï, la sauva. Pendant trente-cinq ans, il parcou- 
rut l'Orient tout entier, encourageant les fidèles du- 
parti, sacrant des évêques et réorganisant partout les 
communautés. iQuand il mourut, en 578, une Egliso- 
monophysite, inâéj)endaute de l'Église officielle et 
possédant, comme à Antioche, ses chefs à elle, 
à côté des chefs catholiques, existait par tout Tem-r 
pire, mais était forte surtout dans trois centres, en/ 
Egypte, dans la Syrie mésopotamienne et en Arménie. 
C'est l'Église appelée, de son nom, Jacobite. L'unité- 
assurément li'en était pas complète, nous allons le dire, 
et plus d'un schisme, plus d'une dissension doctrinale 

1. J. MASPERO, Histoire des patriarches d'Alexandrie, «18-616, Paris- 
1823, 



112 HISTOIRE DES DOGMES. 

la déchirait déjà. Mais elle joua, et pendant longtemps 
encore, un rôle important dans l'empire, résistant à 
toutes les avances comme à toutes les persécutions, et 
produisant dans l'ordre littéraire, théologique et histo- 
rique des œuvres dont l'intérêt reste très grand pour 
nous. 



2. — L'évolution doctrinale du monophysisme. 
Le monophysisme eutychien K 

On donne le nom général de monophysites à tous 
les dissidents qui repoussèrent les décisions du con- 
cile de Chalcédoine, et combattirent la formule des 
deux natures après l'union comme l'expression pure 
et simple dunestorianismerestauré^. Les monophysites 
s'opposent aux dyophy sites confondus par eux avec les 
nestoriens. Mais il s'en faut de beaucoup que tous ceux 
à qui ce nom convient, et qui n'ont prêché qu'une na- 
ture en Jésus-Christ, aient entendu cet enseignement 
de la même façon, et que le monophysisme ait été une 
doctrine une. Sans entrer dans les détails que compor- 
terait une histoire un peu complète des diverses sectes 
monophysites^, il ne sera pas inutile de signaler ici 

1. On pourra déjà pour ce paragraphe consulter le livre de J. Lebon, 
Le monophysisme sévérien, Louvain, 1909. 

S. C'est en fonction de la décision du concill en effet qu'il faut en- 
tendre le mot de monophysite, et non pas précisément en fonction de 
la doctrine que ce mot suppose. Notons seulement qu'il arrive sou- 
vent aux auteurs des y* et yi" siècles de désigner les monophysites ea 
général par des noms qui ne convenaient originairement qu'à certai- 
nes fractions du parti. Tels les noms d'acéphales, d'euiychiens ; tels 
ceux d'égyptiens ou schématiques, que leur donnera saint Jean Damas- 
cène. Le traité De sectis les appelle fréquemment hésitants, séparés 
(ol Siaxpivôpievoi) : c'est un qualificatif que les monophysites se don- 
naient à eux-fflémes, pour marquer leur éloigncment du concile de 
Chalcédoine. 

3. Cette histoire n'existe pas, et ne deviendra possible qu'après 
l'édition de bon nombre de documents encore inexplorés dans les 
bibliothèques. A Louvain, M. Lebon et ses élèves y travaillent. 



L'ÉVOLUTIOiN DU MONOPHYSISMB. 113 

les principales d'entre elles et de marquer les tendan- 
ces diverses qui s'y sont développées. 

On peut immédiatement, d'après ces tendances, par- 
tager les monophysites en deux grandes classes, Les 
uns, se rattachant à Eutychès, renforcent de plus en 
plus l'idée de l'unité de nature en Jésus-Christ, et vont 
dans le sens d'une confusion de plus en plus complète 
entre la divinité et l'humanité du Sauveur : ce sont les 
monophysites réels. Les autres s'en tenant à la doctrine 
de saint Cyrille, affirment avec lui que Jésus-Christ 
est une seule nature, mais ils se gardent de confondre, 
dans cette nature unique, l'humanité et la divinité, non 
plus que les propriétés qui conviennent à chacune 
d'elles : là où les nestoriens séparent et où les eu- 
tychiens confondent, ils prétendent distinguer. Ils pro- 
fessent, au fond, la doctrine du concile de Chalcédoine, 
mais ils en repoussent la terminologie et les formules : 
ce sont les monophysites d'expression et de langage. 

Occupons-nous d'abord des premiers. 

On a vu que l'erreur caractéristique d'Eutychès était 
de nier que la chair du Sauveur fût consubstantielle à 
la nôtre. Il ne fut pas seul à la soutenir. Il existe^ deux 
lettres de Timothée vElure la dénonçant, vers 460-464, 
chez un évêque d'Hermopolis, Isaïe, et un prêtre d'A- 
lexandrie, Théophile. Mais l'erreur ne devait pas en 
rester là, et, puisque Eutychès n'avait pas dit pourquoi 
et comment le corps de Jésus-Christ n'était pas de 
même nature que le nôtre, cette assertion fondamen- 
tale devait nécessairement recevoir des explications 
divergentes. J'ai déjà signalé celle que rapporte Théo- 
doret dans VEranistes. Dès 447, certains monophysi- 
tes admettaient une sorte d'absorption de l'humanité 
de Jésus-Christ par sa divinité : i-^ii t)iv 6«ÔTQTa Xs^w 

1. Lebon, Le monophysisme sévérien, p. 96 et suiv., 489. 



114 HISTOIRE DES DOGMES; 

{j(,E{i.6vr)xév«i, xaToticoôîîvai Ss Ôtto TauxT}? t^v évOpwwoTïjta*. 
D'autres suivirent une autre voie, et mirent en avant 
une transformation du Verbe en la chair. Si le Verbe, 
disaient-ils, a pris chair de Marie, une addition s'est 
faite à sa personne et par conséquent à la Trinité. Il 
n'a donc rien pris de la Vierge : « Verbum nihil de 
Virgine sumpsit, sed ipsum, sicut voluit, in ea forma- 
tum est et factum estcaro^. » Le Verbe s'était condensé 
en chair, à peu près comme l'air humide se condense 
en pluie ou en neige, comme l'eau se solidifie en 
glace ^. D'autres allèrent encore plus loin, et ne virent 
dans l'humanité du Sauveur qu'une modification, une 
apparence extérieure prise par le Verbe et existant en 
sa. personne, comme l'empreinte du sceau dans la cire 
qui en est marquée^. On glissait ainsi au pur docétisine, 
et cela justifie bien le nom de phantasiastes que Sévère 
et Philoxène donnent aux auteurs de ces rêveries. 

L'idée de fusion ou de mélange des deux natures en 
une, condamnée par Apollinaire comme par Cyrille, 
trouva aussi des partisans. Il existe toute une corres- 
pondance de Sévère d'Antioche avec un certain Ser- 
gius, surnommé le Grammairien, qui soutenait cette 
opinion ^. La distinction des propriétés dans le Christ, 
disait-il, impliquait le nestorianisme : on ne devait ad- 
mettre en lui que {xiaoudJa xal ttoioty);. 

Il se peut que les fauteurs de ces diverses erreurs 
aient été nombreux : ils ne prirent cependant jamais 



1. p. G., LXXXIII, 153. 

2. V. Philoxèhe, Tract, de Trinit. et incarnat., édit. Vischalds, Ro- 
mae^ 190", p. isi, ms. 

8. V. Pseudo-Zacharie le Rhéteur et Sévère d'Antioclie ap. Lebon, op« 
cit., p. 493, 496. Cette conception est déjà signalée par Nestorius, Le 
livre d'Béraelide,,p. 9 (n» U) et 12, 13 (n" 18). 

4. V. Pseodo-Zagharie, ap. Lebon, p. 496. 

5. Lebon, op. cit., p. 163 et suiv., 538 et suîv. V. aussi Eustathe, De dua- 
àus naturis, P. G.,.LXXX.YI, i', coL 909 A.^ La. contcoverse commença vers 
l'an iHS. 



L'ÉVOLUTION DU MONOPHYSISME. tl5 

l'allure d'un parti comme leûrentlesapàtkartûdocètes. 
L'origine de ceux-ci' est bien connue * . Sévère d'Anfcio- 
che et Julien d'Halicarnasse en Carie (51'0?-536) ayant 
dû fuir en Egypte à l'avènement de Justin 1er, une 
controverse s'éleva entre eux sur ce qu'il fallait penser 
de la corruptibilité du corps de J ésus-Ghrist^. Par ce 
mot, remarquons-le bien, il ne faut pas entendre 
seulement la tendance h se décomposer, mais d^une 
manière plus générale la passibilité, l'aptitude à éprou»- 
ver les souffrances et même les besoins naturels, la 
faim,, la soif, à ressentir les mouvements des passions 
honnêtes (Ttdéôr) (xSiàêX7)Ta), comme la crainte, la joie, eto,. 
Sévère se prononçait pour la corruptibilité : Julien 
soutint l'incorruptibilité. Par suite de son union avec 
le Verbe, disait-il, et dès le premier instant de cette 
union, l'humanitédu Christ avait été élevée au-dessus 
des lois; qui s'imposent à la nôtre, avait reçu des pro- 
priétés différentes d& celles qui conviennent à la nôtre. 
Elle était absolument et radicalement incorruptible : 
il n'y avait en elle outs tpotdq, outs Siai'peaiç, oute dXXoiMffiç, 
ouTE TupoêoXïi, ouTÊ (AÊTaêoXvi. C'est par suite d'une erreur 
venue des sens que l'on attribue au corps du Christ- 
tous ces changements.. On donna à Julien et à ses par- 
tisans le nom ^ cophthartodocètes (àcpOapToSox^Tai) ou 
même de phantasiastes, comme les appelle Sévère, ou 
encore/ àejulianistes ou gaïanitesj dUvni certain Gaïa- 
nos qui fut leur évêque à Alexandrie. A leur tour, ils 

4. V. sur ce qui suit Libérât, Breviarium, 19 (P. L., LXVin) ; Pseuso- 
Zacharjb, Hist. eccles,, IX, i^; Léonce de Byzance, Contra nestorianos 
et. eutuchianos,. Il {P. G., LXXXVI, i); De sectis, actio V, 3; actio X 
iibid.). Sur les écrits de Sévère à cette occasion, voyez une note de 
Lebon, op. cit., p. 173 et suiv. Cf. Junglas, Leontius von Byzanz, p. lOOr 
40S. Il est remarquable que les aphtbartodocètes partaient d'un point 
de vue sotéri «logique pour soutenir leur opinion. L'humanité de 
Jésus-Cbrist, en principe semblable à la nôtre, ne devait pas être 
coiTuplible pour sauver une nature corruptible. 

2. R. Da.iGUET, Julien d'Halicarnasse, Louvain, 1924. 



116 HISTOIRE DES DOGMES. 

traitèrent leurs adversaires dephtkartolat?'es ou cor- 
rupiicoles. Mais d'ailleurs, leur système, sous une 
forme adoucie, parvint à se faire admettre même dans 
certains milieux orthodoxes. Léonce de Byzance nous 
présente sous le nom d'aphthartodocètes des gens qui 
veulent bien que l'humanité du Christ ait été corrupti- 
ble en fait, mais non pas en droit. L'humanité du Christ, 
disaient-ils, innocente, née d'une vierge, unie au Verbe, 
devait être semblable à celle d'Adam avant la chute, telle 
que sera la nôtre après la résurrection glorieuse, natu- 
rellement impassible et immortelle (àiraôèçxalacpOapTov). Si 
donc le Christ a souffert, ce n'est pas par une nécessité 
de sa nature (àvayxT) cpuffewç), c'est par suite du plan de 
l'incarnation (Xo'yw olxovouLi'aç) ; ce n'est pas que la con- 
dition de son corps l'exigeât (atofiaxoç çuaei), c'est parce 
qu'il l'a voulu (ôeXvîffet 6£Ôtï]to<;) ; ses souffrances furent 
des miracles (ÔautxaToç Xo'yw) ^ . C'est à cette doctrine adou- 
cie que se rattacha sur la fin de sa vie (vers 565) l'em- 
pereur Justinien, qui publia en sa faveur un édit ordon- 
nant à tous les évêques de l'enseigner 2. Il n'eut pas le 
temps de le faire exécuter. 

Le prêtre Timothée de Constantinople qui écrivait, 
au commencement du vii^ siècle, son ouvrage De re- 
ceptione haereticorurrij parle aussi des julianistes ou 
gaïanites ^, et met parmi eux les actistetes. Ces derniers 
cependant seraient mieuxplacés auprès de ces eutychiens 
que l'on a vus plus haut expliquer l'origine du corps 
du Sauveur par une transformation de la substance du 
Verbe. Poussant en effet jusqu'à l'excès la communica- 
tion ou mieux l'identité des idiomes, les actistetes dé- 
clarèrent que le corps de Jésus-Christ était incréé aussi 
bien aue sa divinité ; d'où le surnom d'àxTiorT^Tai ou 

d. LÉONCE DE Byz., loc. Cit., col. 1329, 1333, 1340. 
2. EvAGKius, Hist. eccles., IV, 39. 
8. P. G., lAXXVI, 1, col. U. 



L'ÉVOLUTION DU MONOPHYSISME. 117 

àxTiffTÎTai qui leur fut donné, et dont ils se vengèrent 
en traitant leurs adversaires de christolatres. 

Dans cette voie, il ne restait plus qu'un pas à faire : 
identifier complètement les deux natures après l'union 
et en nier absolument toute différence. Ce fut le rôle 
d'un sophiste alexandrin, Etienne Niobé (v. 570). Il 
soutint que l'on ne pouvait, après l'union, distinguer 
ni différencier l'humanité de la divinité sans revenir au 
nestorianisme : oùSs t^jv Siaipopàv tSv <puu£wv [i.nrt. tJiv &»w(ïiv 
cjojÇe«i9ai (xvé/ovTwi eiTceïv, dit le prêtre Timothée^. Con- 
damné par le patriarche monophysite d'Alexandrie, 
Damien (578-605), Niobé parvint cependant à faire des 
prosély-tes qui répandirent ses erreurs aux environs 
d'Anlioche. Il fallut qu'un concile tenu dans cette ville 
par Pierre de Callinique (578-591) le condamnât aussi. 

§ 3. — Le monophysisme sévéxien. 

Le monophysisme eutychien, dans les sectes que 
nous venons de nommer, avait poussé jusqu'au bout 
le principe de l'unité de nature en Jésus-G hrist. Mais 
ce n'est pas chez lui que se trouvaient les meilleures 
têtes ni les grands chefs de l'hérésie. A côté de ce 
monophysisme à tendance mystique, s'en développait 
un autre de sens plus rassis et plus raisonn eur. Son 
plus illustre représentant est Sévère d'Antioche, et 
c'est pourquoi on a pu l'appeler, de son nom, mono- 
physisme sévérien ; mais, du reste, il fut soutenu avant 
Sévère et autour de lui par des auteurs célèbres encore, 
Dioscore, Timothée ^lure, puis Philoxène, Théodose 
d'Alexandrie, Jean de Telia, Jacques de Saroug et 
d'autres. Tous unanimement prétendaient rester sim- 
plement fidèles à la tradition de saint Cyrille. Cette 

1. De recept. haeret., col. 65. 

7. 



118 HISTOIRE DES DOGMES. 

affîrmatian mérite d'être vérifiée; Nous allons ici ex« 
poser leurs vues, en prenant pour centre la doctrine 
de Sévère, qui les a plus complètement approfondieis et 
développées ' . 

Cette doctrine de Sévère a été jiigée très obscure et 
contradictoire par ses adversaires : on l'a accusé 
lui-même d'être un sophiste inconstant et variable ^. 
Gela vient uniquement de ce qu'on n'a pas compris sa 
terminologicj et de ce qu'on n'est pas assez entré dans 
sa pensée, qui est en effet subtile parfois et compli- 
quée, mais qui offre d'ailleurs beaucoup de suite. 

Sévère confond d'abord dans un même sens les mots 
fùaiçy £nro(7Ta(7iç, irpodtoTrov. L'identification des deux pre- 

1. Les sources pour connaître la doctrine de Sévère sont_: l" Ce qui 
reste de ses œuvres : beaucoup est encore inédit. On a édité : L. W. 
Brooks, The sixth book of the sélect Letters of Severus, pair, of Antioch, 
Loiidon, 1902-^904. R. Duval et M. Brieiie, Les Homélies de Sévère 
d'Antioche, trad. inédite de Jacques d'Edrsse, Homélies LU à LXIX, 
dans la Patroïogia orient, de R. Graffis et K. Nau, tom. IV et VIII. 
E. W. Brooks, The hymns ofSeverus of Antioch, ibid., tonà. VI et VII, 
1911. A. KuGENER, Allocution prononcée par Sévère après son élévation, 
sur lé trône patriarcal d'Antioche, 1902. De plus, on trouve dès frag- 
ments importants dans Quaestiones adversus. monophysitas (P. G. 
LXXXVI, 2, col. 1769-1901); Eustathids monachus, Epistula ad Timo- 
thaeum scolast. de duabus naturis adv. Severum (Id., 1, col. 901-942); 
Fi DiEKAJUP, Doctrina Patrum de incarn. Verbi, Miinater in W., 4907. V. 
aussi Mai, Classici auclores, Romae, 1828-1838; Spicilegium romanum, 
Romae, 1839-1844; J, C. L. Gieseler, Commentatio qua monophys... er- 
rares... illustrantur, pars II, Gœltingue, 1838. J. B. Chabot, Documenta 
■ad origines monophysitarum illuslrandas, Paris, 1908. Si. Lebon, dans 
son Monophysis7nesévérien,a brièvement analysé le livre III de l'écrit 
4)6 Sévère Contra Grammaticum (p. S27-55l>, publié quelques frag- 
ments et traduit au cours: de son livre plusieurs passages inédits. — 
^o Les historiens anciens qui se sont occupés de Sévère et du mono- 
pbysisme, notamment : K. âhbens et G. Krdkgeb, Die sogenannte Kir- 
xhengeschichte des Zacharias Rhetor, Leipzig, 1899. J.-B. Chabot, Chro- 
rtique de Michel le Syrien, Paris, 1901, 1902. A. Kogener, Vie de Sévère 
par Zacharie le ScoUistique. Vie de Sévère par Jean de Beith-Aphtonia, 
Paris,. 1903, 1904 {Patr. orienL, tom. II). E. J. Goodspeed, The cpnflict 
of Severus, patr. of Antioch, by Athanasius [ibid., tom. IY^1908). — Tra- 
vaux : F. LooFS, Leontius von Byzanz, Leipzig, 1887. J. p. Junglas, 
Leontius von Byzanz, Paderborn, 1908. M. Peisker, Severus von Antio- 
chien. Halle, 1903. J. Lebon, Le monophysisme sévêrien, Louvain, 1909. 

2. noXû{i.op!po;, iJLupt6[j.op9o; £evfipo;, noXunotxtXo; ffoçiK (Eustathe, 
•op. cit., col. 913, 917, 929). ,. 



L'ÉVOLUTION: DU MONOPHYSISME. 119 

miers termes se rencontre chez lui à chaque instant ; 
mais il leur assimile aussi le troisième^ : « Quand 
l'union hypostaticjue qui est parfaite de.deux [natures^] 
est confessée,. 4it-il, il n'y a qu'un Christ, sans mé- 
lange,, une personne, une hypostase, une nature, celle 
du Verbe incarné 2. » Que si, au contpaire, on divise 
par l'esprit le Christ en deux natures, on n'a pas; seu- 
lement deux natures, mais aussi deux hypostàses et 
ideux personnes 3. Le sens qu'il donne à ces trois mots, 
même à celui de «p-jcfiç, est le sens d'individu con- 
cret, de sujet, de personne, ^ucrtç n'est nullement l-'é- 
quivalent d'oùsia : il s'oppose à oucrt'a comme l'individu 
et le particulier au commun ''. Jésus-Christ n'«t pas 
une seule nature, il esiune seule nature^. Dire comme 
les chalcédoniens qa'il y a deux natures en Jésus-Christ, 
c'est être nestorienj car c'est dire qu'il- y a en lui deux 
personnes ^ : le nombre en effet suppose la séparation, 
et deux natures sont nécessairement deux personnes'^. 
Et quant à l'expression « deux natures unies », c'est 
un non-sens, car deux natures unies ne sont pas deux 
mais une seule nature, une çudiç n'étant telle qu'à la 
condition d'être x»6' layr^v*. 
Ceci posé, Sévère, dans le développement de sa^ 

1. D'une façon peu fréquente cependant. Ainsi, malgré le témoignage 
d'Eusta'lie {op.cit., col. 921 A),. Il est fort douteux que Sévère ait ac- 
cepté la formule iv. 5v)o Ttpoaoîjttov, alors qu'il accepte sans hésiierla 
formule èx ôûo ûjîocrxaffeuv : la première rappelait trop le nestoria- 
nisiiie. 

2. Lettre à Sergius, ap. Ledon. p. 243 ; cf. Anastase le Siniïte, Hodegos, 
col. 148, 304. M. Lehou ayant utilisé dans sa thèse les textes que je si- 
gnale ici, et dont plusieurs ne se trouvent que- chez lut, j'ai indiqué^ à 

la suite des, références, les pages de son livre où ons pourra- 168 

trouver. 

3. EcsTATHE,,col. 908-A;LEnoN, p. 247. 

4. EusTATHE, col. 920 D ; Lebon, p. 237. 

tf. Ei»TATHE,.C0l. 908: D, 909 D, 912 A; Lebon, p. SK!. , 
6". EtisTATHE,, col. 932 ; Patrol, orient., IV, 77 ; Contra gratmnaticttmf 
Lebou, p. 262, 263. 
7'. J*. G;, LXXXYI, 2, col. 1917 D; LebON, p. 260. 
8. Lebon, p. 973. 



120 HISTOmE DES DOGMES. 

doctrine cliristologique, part du Verbe, comme saint 
Cyrille. C'est le Verbe qui, en Jésus,-Christ,. est le 
sujet de la cpuniç. Toute Véconomie consiste en ce que 
cette <pûffi; qui était affapxo; est devenue ffeaapxwfAÉvvi. Dans 
cette opération, le Verbe ne se modifie pas, ne change 
pas : il devient autrement, mais non pas autre qu'il 
n'était : il n'y a pas nouveau sujet, mais nouvel état 
produit. Jésus-Christ est rigoureusement la même per- 
sonne, le même individu que le Verbe: comme tel il n'est 
pas devenu alors qu'il n'était pas, car il est éternel^. 

Considérons maintenant l'humanité à laquelle le 
Verbe s'unit. Cette humanité n'a pas préexisté à l'in- 
carnation 2; elle n'est pas venue du ciel, mais a été 
prise de Marie : c'est Marie qui « d'elle-même, par 
l'ineffable et secrète descente du Saint-Esprit, a donné 
[au Christ] l'humanité ^ », sans quoi elle ne serait pas 
sa mère. De plus, cette humanité est complète : les 
monophysites, et Sévère en particulier, se séparent ici 
expressément d'Apollinaire, et ne cessent dé répéter 
que la chair de Jésus-Christ était animée d'une âme 
raisonnaMe ('j'uxri Xoyixi^)''. 

L'union du Verbe et de l'humanité constitue l'evaxiiç, 
l'acte dont le Christ est le terme. C'est une imcKi çuffixïj, 
xaxà çûffiv, xotO* uïrooTTaoïv, puisque le terme en est une 
nature, une hypostase unique, celle du Verbe incarné^. 
Toutefois, si Sévère repousse l'union simplement mo- 
rale des nestoriens, s'il repousse l'expression deux 

1. Lebon, p. 906, 209. 

3. Chabot. Documenta, p. 18 ; Lebon, p. 187. 

3. Mai, Spicileg. rom., X, 212; Classici auctores, X, 411; Ledon, p. 
185. 

4. Chabot, Documenta, p. is; Mai, Spicil. rotn.,\. 172; Lebo.n. p. 184. 

5. Sévère, bien entendu, Tait commencer l'union avec la conception ; 
mais il n'a pas cru d'ailleurs que Jésus-Christ ait été parfait comme 
ho<iiiiie des le premier instant : < C'est un germe, puis un homme, puis 
un fruit >, dit-il (Mai, Class. auct., X, 412). Philoxéne était dans les mê- 
mes idées : pour lui, l'animation du corps était postérieure & la cou- 
ception. V. LsitOMt p. liKi. 



L'ÉVOLUTION DU MONOPHYSISMB. 121 

natures des clialcédoniens, il ne veut pas davantage 
d'une union qui serait un mélange et une confusion des 
deux éléments divin et humains : ta il Sv «Tç Ô Xpt<rcoç 
Iv T^ ffuv6i«rei tsXeiwç xat â^suaxbiç &cpscTï}xev ^ : et encore : 
tJiîi wv 'EafjiavouJiX û'^ear^xei xa\ [astoc xy)v Ivtofftv où titpamat, 
uips'ffTvixe Ss Iv T^ Ivwffst 2. On sait qu'il a soutenu toute 
une polémique à ce sujet contre Sergius le Grammai- 
rien, qui ne parvenait pas à comprendre comment il 
n'y avait, après l'union, qu'une nature dans le Christ 
autrement que par une confusion du Verbe et de la 
chair. Sévère jcondamne hautement cette « folie des 
synousiastes » , comme il l'appelle '. Il ne veut pas que 
l'on dise que l'Emmanuel est d'une seule substance, 
qualité et propriété, [/iSç oùaïaç te xal tcoiôtyitoç xoi §voç 
îStojfjioToç; que la chair animée d'une âme raisonna- 
ble est devenue avec le Verbe fxiSç oô<riaç xal {xta; Ttoio- 
TYlioç-*. Il s'accorde, dit-il, avec les nestoriens pour re- 
connaître une différence entre la chair et le Verbe ^. 
Ntfn, il n'y a pas confusion des substances. Et la com- 
paraison même de l'union du corps et de l'âme si sou- 
vent apportée par Sévère, et prise de saint Cyrille, le 
prouve, car cette union a bien pour terme une çôatç 
unique, mais elle exclut tout mélange (xoSffiç) des élé- 
ments qu'elle rapproche ^. 

Cependant, s'il n'y a pas mélange ou fusion, il y a 
« synthèse », cuvOeaiç. La synthèse ou composition est 
cet état dans lequel les composants restent sans chan- 
gement, ne sont pas combinés, mais n'ont pas d'exis- 
tence à part, ne sont pas iSiodutïTccToi "^ : elle exclut à la 



1. p. G., LXXXVI, 2, col. 1848 AB; Lkbon, p. 2IS. 

2. P. G., id., col. 1845 D. 

3. Leuon, p. 316. 

4. P. G., LXXXVI, 9, col. 1848; Lebon, p. 215, 387. 
8. P. G. id., col. 1845 D. 

6. Contre Sergius, Lebon, p. 230. 

^. P. G., LXXXVI, 2, col. 1H48 \ ; Lebox, p. 294, 295. 



422 HfôTCttRE, DES DOGMES- 

fois et. la; séparation et le mélange. Ainsi la, cpjuaiç du 
Verbe,. en devenant ffeoafxtofjiévTi,^ devient^ au même titre, 
cuvÔETo; : elle s'adjoint une humanité qui, ne subsiste 
pas en soi, mais, dans le Verbe, tout en restant d^ail- 
leurs une vraie humanité ^. De ce fait, cette tpÛŒiç ne de- 
vient pas StTT^ûtlç ni SiTr4 : elle comprend simplement, 
dans Tordre de l'existence, un nouvel élément qu'elle 
ne comprenait pas d'abord : y.iou çûaiç xoïï Ôsoïï Aoyou 
-«ffapxwf/ievri ^. 

Qr, si, l'humanité et la divinité persistent sans chan- 
gement dans l'union, il s'ensuit que le Christ est en 
même temps consubstantiel au Père par sa divinité et 
<îonsubstantiel à nous par son humanité. Les mono- 
physites dont nous parlons, et Sévère en particulier, 
acceptent cette conclusion sans hésiter : la double 
consubstantialité du Christ est pour eux un dogme : 
■ils condamnent Eutychès qui l'a nié, et se donnent 
beaucoup, de mal pour justifier Dioscore d'avoir inno- 
centé le vieil hérésiarque au brigandage d'Éphèse. 
Dioscore, disent-ils, ne l'a fait que parce qu'il a été 
1,rompé sur la foi d'Eutychès^. 

Mais dès loj?s, et si l'on peut distinguer dans le 
Christ l'oùffia divine et l'oôdia humaine noa confondues, 
comment n'y pas reconnaître deux natures ? C'est l'ob- 
jection que presse contre Sévère un chalcédonien quel- 
que peu équivoque, Jean le Grammairien ^,.et qui va le 
forcer à rapprocher sa terminologie de celle de Chal- 
•cédoine, mais sans sortir pourtant de son système. 

4. Doctrina, Diekxmp, p. 309 et suiv. V. la correspondance avec Ser- 
gius, Lebon, p. 321. 

2. Ledon, p. 319 et suiv. 

3. Ledon, p. 202, 204, 491 et suiv. 

4. Comme Sévère objectait toujours que la formule Sûo çûffEi- suppo 

-sait la séparation des natuiies,, Jean adoptait la formule, èv&jo (pweutv 

àSiaipéxoiç p-exà xïiv ëvuciv, ou bien iv SûoiqpûoecwiàSiaipÉxûi;. èv êvl 

wpoffÛTTtp. Jean bar Apht., Vila Severi, p. 248'; ft G-, EXXXIX, col. 
iOi B Lebox, p. 344v 



L'EVOLUTION DU MONOPHYSISMB. 1 23 

Sévère accepte de; distinguer Suoçuosiç, mais seulement 

<tîj Oetopfa, xîj; «pavraot^' toû voû (Ji.ovov,,Tt}) vw^t^ sitivoto, etc. ^.- 
DiFB 8uo çuffeiç simplement après Tunion, il ne le peut, 
puisque «pûatç pour lui: signifie l'individu concret, la 
personne : mais il admet bien, comme; Cyrillej que si 
l'on fait, momentanément, par l'esprit, abstraction de 
l'union,, les éléments du Christ nous: apparaissent 
comme deux natures, deux hypostases^ deux person- 
nes 2, Seulement, ce n'est là qu'un jeu de l'esprit et un 
exercice da logique. Dès qu'on revient à la réalité de 
l'union, on ne trouve plus qu'une personne, une hypos- 
tase, une nature-^. Et ainsi il est vrai que le Christ est 
de deux, èk Suo,. qu'il est I» 6eoxyjtoç xocV (JvâpoDTroTvjxoç, ex 
Suo çtiffewvi. Ix SuQ ■npoLfii.ixztav, Ix Suo &-n:o(T.xaaewv '' ; mais il 
reste vrai que des deux il est eT;, {*{« cpiSaiç, (xiot uirocnraffiç. 

Cette réponse de Sévère ne résolvait pas l'objection 
de Jean le Grammairien. Puisque Sévère et les siens 
n'admettaient pas dans le Christ la confusion des élé- 
ments divin et, humain après l'union, cette distinction 
devait s'accusej? de quelque manière et se traduire par 
une formule qui ne serait pas Suo.q>u56tç, mais qui serait 
de sens équivalent à deux natures. C'est à propos de 
la question des propriétés de chaque élément, et à' 
l'occasion; de: sa: polémique contre Sergius, que Sévère 
donne cette fof mulfe. 

Saint Léon avait affirmé que, dans l'incarnation,, 
la propriété; de. chaque nature est sauvegardée^, que 
chaque nature conserve sans déchet sa propriété 5, 

i. p. G., LXXXVI, 1, col. 908 A, 921 AB, 936 D ; 2, col. 1841 C. 

2. P. G., LXXXVI, 1, col. 908 A. 

3. P. G.^ LXXXVI, 1, col. 908, 921 A, 924 B; 2, COl. 1841 C; LebOH, p. 
346-352, 

4. P. G., LXXXVI, 1, col. 920 D ; Mai, SpiciU rom., X, 21B. V. Lebos, 
P.37G. 

5. « Salva igitur proprietate utriusque naturae et substantiae et in 
unam coeunte personam... Tenet enim sine defectu proprielatem suam 
«Iraque natura, etc. » " 



n4 HISTOIRE DES DOGMES. 

Sévère n'admet pas absolument cette façon de par- 
ler. Si l'on entend, dit-il, par propriétés (i8iot/iç) les 
attributs (î5t(ofjL«Ta) qui conviennent soit à l'huma- 
nité, comme d'être visible, intelligente, palpable, soit 
à la divinité, comme d'être éternelle, immense, invisi- 
ble, il est vrai que ces qualités ou attributs continuent 
d'exister dans l'union ; seulement on ne doit point les 
considérer comme appartenant séparément à deux na- 
tures, comme étant tellement propres à l'un des élé- 
ments que l'on ne puisse, en vertu de la communica- 
tion des idiomes, les rapporter à l'autre et surtout au 
Verbe, l'unique sujet dernier des divers attributs ^ 
Mais Sévère connaît une autre sorte de propriété : c'est 
celle qu'il appelle îSio'ttiç 6? IvitoiotYi-ci «pyaixîj. Rappelons- 
nous ce que saint Cyrille désignait par ô tou irwç eïvai 
XoYoç, TtoiÔTïjç tpufftxo : c'est simplement l'essence spéci- 
fique de l'être, ce que nous appelons sa nature; et, 
de chacun des éléments du Christ, saint Cyrille affir- 
mait qu'il conservait ainsi, dans l'union, sa tcoiottiç 
cpuiTixi] 2. Sévère reprend cette affirmation. Si on ne peut 
pas diviser entre deux sujets les simples attributs et 
qualités, il y a cependant une qualité tellement propre 
à chacun des éléments qu'elle ne se communique pas 
à l'autre sous peine d'avoir un « mélange des essences » ; 
c'est saitoioTTQç (pucixT^, son essence spécifique. Puisqu'on 
n'admet pas la confusion de l'humanité et de la divi- 
nité, il faut bien admettre que chacune d'elles possède 
en propre et ne partage pas avec l'autre d'être en soi 
ce qu'elle est : il y a dans le Christ une dualité de pro- 
priété en qualité naturelle, iSiÔtïi; A; Iv ttoiôttiti cpuixixîi ^. 
De l'action ou Ivepyeia du Christ Sévère traite à peu 



1. Ledon, p. 422 et suiv.; 428, 429. 

2. 'Ev lôtÔTïjTi -qj xaià ç'jffiv éxarlpov névovTdç Te x«l voo'jfxevou 
{Epist. XLVI, col. 2V1 B). 

3. Lkbon, p. 433 et suiv. 



LEVOLUTION DU MONOPHYSISME. 125 

près comme des propriétés, dont l'activité n'est qu'une 
forme spéciale. Sa théorie est fort simple. Emprun- 
tant au Pseudo-Basile^ sa distinction entre lvepY>i<r«ç, 
IvspYeia et lv£pYï]6év, il enseigne que les choses opérées 
par Jésus-Christ, les Ivepy/iôsvTa, sont évidemment de 
deux sortes, les unes divines, les autres humaines ; mais, 
comme l'êvspy/iffaç en Jésus-Christ est unique, et comme 
rivÉpYeia n'est que le mouvement opératoire de l'agent, 
sa xiv7]<Ji<; IvepYETtxT], il s'ensuit que dans le Sauveur cette 
IvépYEia est une comme lui : 'EtcsiSv) y^p etç 5 IvspYwv, ^l.^a 
«ÙTOÏÏ IffTtv ^ IvÉpYÊia xai r) xivyiariç -^ evapYSfixTi 2. Cette IvépYsta 
est divine, puisque divine est la ^uatç dont elle est le 
mouvement opératoire' : toutefois, comme cette çuatç 
est, par l'incarnation, (tuvôstoç, c'est-à-dire composée 
avec la chair, son action l'est également, et s'exerce 
en Jésus-Christ dans des conditions nouvelles. C'est 
une xaiv^ OeavSptx^ hép^eia, comme vient de le dire le 
Pseudo-Aréopàgite dont Sévère connaît les écrits. Le 
mot xaivT] marque la nouveauté de l'état où le Verbe 
s'est engagé, et OsavSpix-o équivaut à cuvôsto;, indiquant 
que cet état est celui de la çustç ffeerapxwfxévy] du Verbe ^. 
A l'époque de Sévère, le problème d'une ou de deux 
volontés dans le Christ ne se posait pas, pas plus que 
celui d'une ou de deux opérations. Lui-même cepen- 
dant rapporte que Jean le Grammairien citait un pas- 
sage de saint Athanase qui parlait de deux volontés 
du Christ, l'une divine, l'autre humaine, pour conclure 

1. Dans VAdvers. Eunomium, IV (v. plus haut, p. 76). On sait que 
les deux derniers livres de cet ouvrage ne sont pas de saint Basile. 

2. Mansi, X, H16, «17, 1124; XI, 444; P. G., LXXXVI, 1, col. 924 CD, 925 
C; cf. 2, col. 1772 D, et les textes cités par Lebon, p. 443 et suiv. Scvère 
condamne absolument la formule de saint Léon : * Agit e'nim utraque 
forma cum alterius communions quod proprium est. » Agir suppose 
qu'on subsiste, et attribuer à la nature tiumaine une action propre, 
c'est lui attribuer une subsistance propre et indépendante; c'est être 
Hestorien :'0ù Y^p âvepYSÏ hôte çuat; oùx içecTwira Trpoacdicixû; (Doe- 
ifina, DiEiLiMP, p. 310). 

3. Doctrina, Diekamp, p. 309^310; Lebon, p. 4ol et suiv. 



426 HISTOIRE DES; DOGMES. 

de là que, s'il y avait dans le Christ deux volontés, il y 
a.vait aussi deux natures.^ Pour Sévère, la question 
doit s'envisager de tout autre façon^ On peut et on 
doit admettre dans, le Sauveur des actes divers de 
volonté, les uns conformes aux faiblesses de l'huma- 
nité, les autres conformes au vouloir divin, comme il 
s'est vu dans la scène de l'agonie au jardin : mais on 
doit les rapporter au même sujet, au Yerbe incarné 
qui produit ces divers actes, qui veut, àç avOpwiroç et àç 
Osôi;. Le patriarche d'Antioche ne s'occupe pas directe- 
ment de la faculté de vouloir : il s'occupe des actes, ou, 
s'il s'occupe de la volonté comme puissance de vouloir, 
c'est pour prononcer qUedans le Christ elle est unique, 
puisqu'il n'y a en lui qu'un sujet voulant, comme il n'y 
-a qu'un sujet agissant : « Les saints et sages Pères, 
^crit-il, ont enseigné qa'il n'existait [dans le Christ] 
qji'une seule activité et xme seule volonté divine, et 
selon sa divinité et selon son humanité ^. » 

Telle est en résumé la doctrine christologique pro- 
fessée par Sévère d'Antioche. J'ai dit qu'elle ne lui 
appartenait pas exclusivement, et. qu'elle était celle 
de tout un. parti, de la portion de beaucoup la plus 
nombreuse, la plus intelligente et la plus influente des 
monophysites"^. Mais il est clair aussi qu'elle ne fait 
^ue reproduire, en en précisant certains traits, celle 
4e saint Cyrille^ Les mots sont pris dans le même 

1. Lebom, p. 461. 

3. SLu(si, X, 1117 ; Doctrina, Diekamp, p. 310, et, les textes cités par 
Xebon, p. 461 et suiv. 

3. Il serait aisé cl& l'établir en citant les textes des sèvériens que 
i!ai nommés plus haut. Deux surtout, Timothée .filune et Philoxène de 
Ittabboug^ nous en fourniraient d'abondants. Lesiimites de ce volume 
ne me permettent pas d'entrer dans ce détail,;.mais on trouvera cette 
démonstration très bien, faite et ces textes largement cités dans le 
livre de M. Lebon^ auquel je suis déjà si redevable pour ce chapitre- 
Sur Timothée en- particulier, voir L'ai-licle du même auteur : La cliris- 
tologie de Timothée jElure d'après les sources syriaques inédite$,i&^i 
ia Revue d'histoire ecclésiastique^. IX (1908), p. 677-702. 



L'ÉVOLUTION DU MONOPHYSISME. 127 

sens, les: formules sont les mêmes, l'enseignement est 
identique, un dyophysisme de fond qui ne veut pas 
s'avouer, avec un monophysisme de langage presque 
absolu '. Seulement, entre saint Cyrille et Sévère ou, 
si l'on veut, entre saint Cyrille et Timothée, un grand 
fait s'est produit dont ni Timothée ni Sévère et leurs 
amis n'ont tenu compte. Le concile de Chalcédoine a 
prononcé que Jésus-Christ est en deux natures, et par 
là il a fixé, en même temps que le dogme, le sens des 
mots qui le traduisent exactement. Dès lors, ce qui 
était excusable chez Cyrille ne l'est plus chez nos 
auteurs. L'Eglise a dû regarder ces monophysites 
comme hérétiques et les traiter comme tels. L'histoire, 
en admettant qu'au fond ils pensaient juste, est bien 
obligée de regretter leur entêtement et leur rébel- 
lion. 

C'est du monophysisme sévérien que sortit l'opi- 
nion particulière des agnoètes^. Libérât a rapporté^ 
que le patriarche Timothée il d'Alexandrie (520-536) 
ayant embrassé, sur la question de la corruptibilité du 
Christ, l'opinion de Sévère d'Antioche, un de ses dia- 
cres, Themislius.. conclut que, si Jésus-Christ avait 

1. C'est la conclusion, formulée déjà par M. Harnack (contre Loofs), 
qui se dégage de l'élude minutieuse de M. Lebon : « La doctrine mo- 
uo|ihysLte de l'incarnation,, écrit-il, même et surtout dans la forme 
scieiitiOque qui lui fut donnée par Sévère, n'est rien d'autre que la 
cliristokigie cyrillienne. Sévère en lutte avec les Grammairiens, c'est 
Cyrille s'expliquant et se défendant après l'union de 433» (Inlroduct.^ 
p. XXI). V. aussi l'article de F. Kac, Dans quelle mesure les Jacobites 
sonl-ils monophysites? dans la Revue de l'Orient chrétien, tom. ï 
(190S), p. 113 et suiv. 

2. Sources : Le traité De sectis, Act. V, 6; X, 3 (P. G., LXXXVI, 4, coi. 
1232, 1261) ; Timothée,, De reeeplione haereticorum (P. G., id., coL 41, 
58) ; EuLOGics d'Alexasdjue daus Photius, Bibliotheca, cod. 230 (P. G., 
cm, l,80et8uiv.); Libérât, Breviarium, 19 {P. L.,. LXVIU, 10a4).; Saint 
Grégoiiie LRGaAHD, Eptst., lib. X, epist. XXXV et XXXIX (P. L., LXXVII). 
V. J. Lebreton, Les origines du dogme de la Trinité, Paris, 1910, p. 4^ 
et suiv. 

3. Loc. cit., col. 1034. 



128 HISTOIRE DES DOGMES. 

connu les besoins et les faiblesses de l'humanité, il 
avait donc aussi été sujet à l'ignorance de certaines 
choses. Timothée nia la conclusion, et un schisme 
s'ensuivit. Themistius se sépara du patriarche et fonda 
— vers 540 d'après l'auteur du De sectis — le parti 
desagnoètes, àyvovjTatou àyvoiTai, comme on les appela. 
Leur doctrine était des plus simples : Jésus-Christ, 
en tant qu'homme, disaient-ils, a partagé notre igno- 
rance : ^yvoEiv To àvôpwTTivov Toîî XpiffTOÏÏ ■* — àyvosTv irov 
Xpiffxov où JcaOo 6eo; U7crîp)(^£v àtSioç, èXkh. xaOo "^ifwvi xaxà 
àXrîOeiav avOpwTro;^. Et ils appuyaient leur affirma- 
tion d'abord sur certains textes de l'Écriture [Marc, 
XIII, 32; loan., xi, 34), puis sur cette considération 
que Jésus-Christ, dans son humanité, nous était 
consubstantiel et en tout semblable hormis le pé- 
ché. 

Bien que cette opinion, comme le remarque l'au- 
teur du De sectis, eût été soutenue dans sa teneur 
générale par plusieurs Pères, elle fut considérée à ce 
moment comme une erreur, et condamnée à la fois 
par les monophysites et les orthodoxes ^. Théodose II 
d'Alexandrie (532-538) écrivit contre elle ^, et Photius^ 
donne l'analyse d'un ouvrage d'Eulogius, patriarche 
orthodoxe d'Alexandrie (580-607), également dirigé 
contre la secte. Eulogius y explique que les textes 
scripturaires allégués par les agnoètes pour établir 
l'ignorance du Sauveur doivent s'entendre d'une 
ignorance économique ou même anaphorique (xaTà 
ovacpopav), Jésus parlant dans ces textes non en son 

1. De seclis, X, 3, col. 1261. 

2. SopnRosius DE JÉRUSALEM, Epist. od Sergîum, P. G., LXXXVII, 3, col. 
3192 D. 

3. Ceux qui la soutenaient étant des monophysites, les orthodoxes 
conclurent qu'ils faisaient retomber l'ignorance sur la nature divine, 
la seule qu'ils reconnaissaient en Jésus-Christ. 

4. De sectis. Y, 6, coi. 1232. 

5. Bibliolh., cod. 230, col. 1030 et suiv. 



L'ÉVOLUTION DU MOSOPHYSISMB, 129 

nom personnel, mais comme représentant des hommes 
dont il est le chef. On peut encore, continue-t-il, ré- 
pondre que l'ignorance convenait au Christ, si on le 
considère comme homme, en dehors de l'union, car le 
propre de l'humanité est d'ignorer ^ Quant aux Pères 
qui semblent admettre une ignorance en Jésus, ils 
n'ont pas fait de leur sentiment un dogme ; ils 
l'ont plutôt émis comme un argument de polémique 
contre les ariens; à moins qu'ils n'aient parlé, eux 
aussi, d'ignorance anaphorique, ce qu'il est plus pieux 
de croire. 

Ces explications sont celles qu'adopte saint Gré- 
goire pape, dont on a sur ce sujet deux lettres ^ adres- 
sées, en l'an 600, à ce même Eulogius d'Alexandrie. 
Grégoire y préconise, suivant les cas, la solution de 
l'ignorance anaphorique ou économique, mais il pré- 
conise aussi la solution qui rejetterait l'ignorance sur 
l'humanité nude sumpta. Le Sauveur connaît le jour 
et l'heure du jugement « in natura humanitatis », non 
« ex natura humanitatis » : « Incarnatus unigenitus. . , 
in natura quidem humanitatis novit diem et horam 
iudicii, sed tamen hune non ex natura humanitatis 
novit. Quod ergo in ipsa novit non^ ex ipsa novit, quia 
Deus homo factus diem et horam iudicii per deitatis 
suae potentiam novit... Diem ergo et horam iudicii 
scit Deus et homo; sed ideo quia Deus est homo^. » 
Et le pape conclut par ces paroles où il rejette défini- 
tivement l'erreur agnoète ; « Res autem valde mani- 
festa est quia quisquis nestorianus non est agnoita 
esse nullatenus potest^. » 

1. 'IStov 5è 7vwpt(jn.a. 4«^îi; àv6pMJtÔT»iTo; î\ àyvota* xatà toûto 
fYlOeÎYj âv ènî ttj; /.aïk Xpiarrov âvGptouôxTfiToç, ûc ànXû; àvôpwiîÔTKiTOÇ, 
6£(opeta6at xy^v â^voiov (col. 1084). 

2. Lib. X, Epist. XXXV et XXXIX. 

3. Col. 1097, 1098. 

4. Col. 1098. 



CHAPITRE V 

LES EFFORTS POTJR FUSIONNER PLUS INTIMEMENT 
LES DÉCISIONS d'ÉPHÈSE ET DE CHALCÉDOINE. 

§ 1. — L'affaire des moines scythes. 

La paix de 519 avait consacré en Orient le triomphe 
officiel de l'orthodoxie chalcédonienne. Le problème 
cependant subsistait toujours et pour les théologiens 
et pour les politiques. Les théologiens devaient expli- 
quer comment les décisions du concile de 451, dans 
lequel cependant la doctrine de saint Cyrille avait été 
approuvée, pouvaient s'harmoniser avec cette doctrine, 
et devaient rendre cette harmonie assez évidente pour 
que la fraction sévérienne des monophysites la recon- 
nût et l'acceptât. Les politiques avaient la charge de 
refaire l'unité religieuse de l'Etat brisée par le schisme, 
et de concilier à l'empereur les provinces entières qui 
s'en détachaient. La période qui va de 519 à 553 fut 
particulièrement consacrée à l'accomplissement de 
cette double tâche. Elle est caractérisée par un effort 
des théologiens et des politiques pour interpréter dans 
un sens cyrillien la doctrine dyqphysite et faciliter aux 
dissidents leur réunion à l'Eglise. Nous allons en don- 
ner ici une idée. 

L'entreprise commença par l'affaire dite des moines 



LES TROIS CHAPITRES. 13» 

gcythes. Les ;l%a4s d'Hormisdas n^avaient pas encore 
débarqué à Constaatinople quand des moines, attachés 
à la msiison dvi.magister /wrfiÏM/KVitalien, demandè- 
rent que l'on approuvât la formule Z7/îas de Trinitate 
crucifixus est ou passas est in carney eTç Tri/; Syiaç rptàSoç 
ETcaâe flrapx(. ^C'était revenir avec insistance sur le dou- 
zième anathématîsrae de. saint Cyrille si maltraité par 
Théodoret, et où l'on avait vonlu voir le théopa- 
schisme. Mais ce retour, pensaient les moines, était 
nécessaire pour corriger «e que les formules de Clial- 
cédoine offraient d'un peu exagéré dans ie sens d'une 
distinction des hypostases^. 

Rien ne pouvait être plus inopportun que ces dis- 
cussions nouvelles, soulevées au moment delà conclu- 
sion de la paix entre Rome etConstantinople. Leslégats,^ 
consultés à leur arrivée, en référèrent au pape ^, sans 
cacher leur défiance vis-à-vis d'expressions qui leur 
paraissaient une nouveauté dangereuse, et d'une dé- 
marche qui semblait une manœuvre contre les déci- 
sions de Chalcédoine. Justinien, associé dès lors aux 
affaires de l'empire, ne voyait pas les choses autre- 
ment. Ces moines, à son avis, étaient des brouillons 
et leurs formules des paroles vaines^. Mais ces moines 
étaient tenaces. Pendant que quatre d'entre eux par- 
taient pour Rome^ afin d'y plaider leur cause auprès 

1. 11 s'agissait toujours des fameux passages de la lettre de saint Léon : 
• Saiva igitur proprietate utriusqne naturae et substantiae... Tenet enim 
sine defecm proprietatem suam utraque natura... Agit enim utraque 
forma cum alterius communione qnod proprium est. » Voyez le plan 
des tiioines bien exposé au commencement de la lettre à saint FiJi- 
gence, P. I,., tXV, col. 443. 

2. V. les Suggestiones de Dioscore et des évoques Germain et Jean, 
dans P, i., i.xm, 471, 473. 

3. Epist. Justin. adHormisdam, P. L., LXIII, 473. Au fond il n'avait 
pas tort : les anathématismes que les moines soumirent au pape, et 
dans lesquels ils 'avaient condensé leur doctrine, offrent un curieux 
mélange des terminologies cyrillienne et chalcédonienne. 

4. B.vriFF0L, L'empereur Justinien et le Siège apostolique. Recherches 
de science relig. idid, p. 193-264. 



132 HISTOIRE DES DOGMES. 

d'Hormisdas, les autres agirent si bien auprès de Jus- 
tinien qu'ils l'intéressèrent d'abord, puis le convertirent 
à leurs idées ^. Justinien pressa le pape de se pro- 
noncer. Hormisdas temporisa, essaya d'une sorte de 
réfutation^, et finalement ne donna aucune décision^. 
L'affaire en resta là pour le moment, mais elle fut 
reprise plus tard. Fatigués des atermoiements du 
pape, les moines scythes qui se trouvaient à Rome 
avaient interrogé sur leur doctrine le groupe des évê- 
ques africains exilés en Sardaigne par Thrasamond, 
et parmi lesquels se trouvait saint Fulgence^. Celui-ci 
répondit par une longue lettre, dans laquelle il décla- 
rait cette doctrine orthodoxe^. C'était un premier gain. 
D'autre part, un groupe de moines de Constantinople 
connus pour leur dyophysisme farouche, les acémètes, 
avaient interprété les hésitations du pape comme une 
condamnation de cette même doctrine, partant de la 
communication des idiomes, et en étaient venus à 
rejeter le ôeoToxoç, Dans ces, conditions, une solution 
devenait nécessaire : Justinien en prit l'initiative. A 
la suite de la conférence avec les sévériens en 531, il 
porta un édit qui déclarait anathème quiconque nie- 
rait que « Jésus-Christ, le Fils de Dieu, notre Dieu 
incarné, fait homme et crucifié, est un de la sainte et 
consubstantielle Trinité^ », et demanda au pape, qui 

1. La politique ne fut pas d'ailleurs étrangère à celte conversion. Les 
Églises d'Antiociie et de Jérusalem avaient en effet envoyé à Justinien 
une profession de foi ortliodoxe contenant les formules scythes, et l'em- 
pereur pensait que l'approbation des formules par le pape faciliterait 
l'œuvre de l'union (P. L., LXIII, col. SOI et suiv., S04). 

3. v. les trois lettres à Justin, Justinien et Epiphane, P. L., LXIlI, ti09, 
512, 513. 

3. Il se plaignit seulement amèrement à l'évéque Possessor, exilé à 
Constantinople, de l'indiscrétion des moines venus à Rome {Episl. LXX, 
P. L., LXm, 490), ce qui lui attira la violente — et en somme injuDtc 
— réponse du moine Haxence (P. G., LXXXVI, i, col. 93 et suiv.}. 

*, P. L., LXV, Ui et suiv. 

5. Epist. XVn, P. L., LXV, 431 et suiv. 

6. lustin. Cod. I, i, 6. 



LES TROIS CnAPITRES. 133 

était alors Jean II (532-535), d'approuver celte décla- 
ration ^ Le pape parut d'abord hésiter, puis, voyant 
que la formule était jugée orthodoxe par les théolo- 
giens occidentaux 2, il donna l'approbation demandée, 
et en écrivit à Justinien et au sénat ^ « quod quia 
apostolicae doctrinae convenit, nostra auctoritate con- 
firmamus ». Ces mêmes lettres condamnaient les acé- 
mètes. 

On ne pouvait démontrer d'une façon plus claire 
que les décisions de Chalcédoine ne devaient pas se 
confondre avec le nestorianisme, et que leurs parti- 
sans acceptaient sans arrière-pensée la doctrine de 
l'unique personnalité du Verbe dans le Christ et de la 
communication des idiomes. Cette approbation n'en 
était pas moins une victoire pour les conceptions chris- 
tologiques de saint Cyrille, et Justinien s'efforça d'en 
profiter en demandant, dans une intention de rappro- 
chement, à tous les évêques, de souscrire aux formules 
approuvées"*. Les monophysites souscrivirent; mais 
ils n'entendaient pas, pour autant, reconnaître le 
concile de 451. 



§ 2. — L'affaire des trois chapitres jusqu'au V concile 

général s. 

Justinien cependant, devenu seul empereur depuis 
529, et désireux de faire l'unité religieuse, multipliait 

1. p. L., LXVI, a et suiv. 

2. Le diacre romain Anatolius avait consulté le diacre Ferrand de 
Carthage, qui avait répondu ne voir aucune difficulté à l'admettre 
{P. L., LXVn, 889 et suiv.). 

3. P. L., LXVI, 17 et suiv., 20 et suiv. Les lettres sont du Si mars 
S34. 

4. M. Ilarnaclc {Lehrb. der DG., II, p. 416) parle de ces formules 
comme d'un nouvel hénotique. C'est beaucoup dire. Le fait que des 
occidentaux et des africains les acceptaient marque bien qu'elles 
n'entamaient en rien l'autorité du concile de Chalcédoine. 

K. Sur cette affaire des Trois chapitres oh Rénéral, v. L. Duchesnr, 

8 



134 HISTOIRE DES DOGMES. 

les avances à l'égard des dissidents. En 531 *, des 
conférences se poursuivirent, sur ses ordres, à Cons- 
tantinople, entre un groupe d'évêques orthodoxes et 
un groupe d'évêques monophy sites, pour tâcher d'a- 
mener une entente 2. Elles sont restées célèbres par 
la mention, qui y fut faite pour la première fois, des 
écrits de saint Denys l'Aréopagite, dont les sévériens 
invoquèrent l'autorité. Hypatius d'Ephèse, au nom des 
orthodoxes, contesta immédiatement l'authenticité de 
ces écrits. Comment, dit-il, si ces ouvrages éte^ent 
authentiques, n'auraient-ils pas été connus et cités 
par les anciens Pères, notamment par saint Cyrille^? 
Les conférences n'aboutirent à aucun accord*. Mais 
Justinien ne fut pas découragé par cet insuccès, et, 
fortement influencé par sa femme Théodora, mono- 
physite dévouée, il fit venir à Constantinople Sévère 



L'Eglise au VI" siècle, Paris, 1923, p. 156-218. A. Knkoht, Die Religions 
Polilik Kaiser Jiistinians I, AVûrsburg, 1896. H. von Schubert, Gesch. 
der christl. Kirche im Frûhmitlelalter^ I, Tûbingen, 1917, p. 117-122. 

1. Ou 533 selon d'autres auteurs. Connue ces conférences paraissent 
avoir duré un temps considérable, une année et plus, les deux dates 
sont conciliables. 

2. En voir la relation très abrégée dans Mansi, Mil, 817 et suiv. 

3. Col. 821. L'auteur de ces ouvrages, que Ton n'a pu sûrement iden- 
tifler encore, écrivait probablement vers la fin du v" siècle. Il semble 
avoir appartenu au parti des sévériens, mais du reste s'être peu inté- 
ressé aux controverses christologiques du temps. On ne trouve cliez 
lui ni la formule {iia çûcriç, ni la formule ^ùo ç^iaetç. Le Verbe, ou 
plutôt Jésus simple s'est composé (ffuvETÉâïi) sans changement et 
sans confusion (àvaXXaiwTwç xat àffUYX^Tw;) avec une humanité 
complète. Il était vraiment et entièrement homme (xax' "oùatav oXtfi 
â).7)6cï); àv6p(i>7toi; âv) ; mais cependant, tout en étant homme, il était 
au-dessus de l'homme. « Il n'opérait pas en Dieu les choses divines, 
ni les choses humaines en homme, mais il nous présentait une nou- 
Telle opération théandrique d'un Dieu devenu homme » (àvipMÔevToç 
6eoû xaiviiv Tiva -ri^v ÔEavoptx-^v âvépYEtav f,[i.tv 7t£5toXtT£U|jiÉvoi;). Ces 
derniers mots occasionnèrent plus tard bien des commentaires (v. 
De divin, nominibus, I, 8 4; H, 10; EpisL IV ad Caînm, P. G., III, 592 
4, 648, 649, 1072). 

4. Un seulévêque monophysite, Philoxéne de Doliche, se laissa gagner. 



LES TROIS CHAPITRES. 135 

lui-même (534-535). C'était une imprudence. Son résul- 
tat le plus clair fut que le nouveau patriarche de 
Gonstantinople, Anthime, choisi par les soins de 
Théodora pour succéder à Épiphane en 535, tourna 
complètement au monophysisme, et entra en commu- 
nion avec Tliéodose d'Alexandrie. On allait à un nou- 
veau schisme, sans l'énergie du pape Agapit. Prévenu 
par le patriarche Ephrem d'Antioche, et obligé de 
venir à Gonstantinople à l'occasion de l'invasion des 
Goths en Italie (535), Agapit força Anthime à démis- 
sionner et lui donna pour successeur Mennas (535-552). 
11 mourut lui-même presque aussitôt après; mais la 
réaction chalcédonienne se continua pendant quelque 
temps, et l'on put croire un instant le péril mono- 
physite écarté. Il durait toujours tant que vivait Théo- 
dora, et que Justinien ne renonçait pas à son envie de 
dogmatiser. 

Cette envie reçut d'abord un aliment, par suite d'un 
réveil des doctrines origénistes dans certains couvents 
de Palestine. Le mouvement avait pris quelque im- 
portance et, vers 537, deux origénistes de marque, 
Domitien et Théodore Askidas, avaient été nommés 
respectivement évêques d'Ancyre et de Césarée de 
Cappadoce. Le patriarche Pierre de Jérusalem pensa 
qu'ilfallait agir, et sollicita l'empereur de condamner, 
avec Origène, les erreurs professées sous son nom. 
Sa requête fut appuyée par l'apocrisiaire Pelage, le 
futur pape, qui se trouvait alors a Gonstantinople. 
Rien ne pouvait plus, agjcéer à Justinien., Un long mé- 
moire sortit de sa plume en 543, comprenant une 
lettre contre Origène suivie de vingt-quatre extraits 
du PériarchoTij et dix anathématismes contre le grand 
docteur et ses opinions fausses ^ . Il n'était pas bien 

i. MANsr, IX, 488-53a; P. G.y LXXXVI, 4,, col. 943-089. Je ne m'étendrai 



136 HISTOIRE DES DOGMES. 

clair qu'Origène eût soutenu, en fait, toutes les erreurs 
que lui attribuait l'empereur. Mais il importait peu. 
Un synode IvSyiiAouaa s'empressa d'adhérer à la con- 
damnation portée contre lui, et les deux évêques ori- 
génistes, Damien et Théodore, qu'on avait cru em- 
barrasser, en firent autant. 

Seulement ils avisèrent et, afin de détourner de l'o- 
rigénisme l'attention de Justinien, ils lui suggérèrent, 
dit Libérât*, de faire condamner Théodore de Mop- 
sueste, Théodoretet Ibas, soupçonnés de nestorianisme 
et tout particulièrement détestés des monophysites. 
Cette condamnation, disaient-ils, ferait sur les dissi- 
dents la meilleure impression et ne leur laisserait, 
surtout après l'acceptation des formules scythes, au- 
cun prétexte de refuser la communion des orthodoxes : 
l'unité religieuse serait enfin réalisée. 

Cette raison avait quelque chose de spécieux, et il 
est bien vrai qu'en renonçant au voisinage un peu 
compromettant de Théodore, de Théodoret et d'Ibas, 
les orthodoxes rendraient plus inexcusable l'obstina- 
tion des hérétiques. Aussi Justinien tomba-t-il immé- 
diatement dans le piège qu'on lui tendait. Dès 544, il 
publiait un édit dont quelques phrases seulement se 
sont conservées 2. Il comprenait deux parties : une 

pas sur celte affaire d'origénisme dont l'importance est très secon- 
daire, et qui n'intéresse que médiocrement l'histoire des dogmes. On 
pourra consulter sur le tout F. Diekaup, Dieorigenistischen Streitîgkei- 
ten im sechsten Jahrhundert, Munster, 1899; Hefele-Leclercq, Hist. des 
conc, II, 2, p. H82 et suiv. ; et le résumé de F. Prat, Origène, Paris, 1907, 
Introduction. — En 5Sâ, Théodore de Scythopolis, obligé de souscrire 
aux dix anathématlsmes, dut en ajouter trois autres, condamnant un 
amalgame d'idées origénistes et du panthéisme de Bar Sudaïli, connu 
BOUS le nom d'isochristiame {Libellus deerror. Origenis, P. G., LXXXVI, 
1, col. 232-i36). Plus tard encore, peut-être au V* concile général de 
553, les évêques condamnèrent, sur la demande de Justinien, quinze 
autres propositions analogues (en voir le texte dans Maksi, IX, 395; 
Uefele, loe. cit., p. 1191 ; Hahn, S 175). Mais il est à remarquer qu'ils 
ne les attribuent pas à Origène. 

1. Breviar., 24, col. 1049. 

2. Dana Facdnogs, Pro defcnsione trium capitulorum, II, 3 (P. X"i 



LES TROIS CHAPITRES. 137 

lettre aux évoques contenant une profession de foi et, 
à la fin, une condamnation, à laquelle on devait sous- 
crire, de Théodore (de Mopsueste), des écrits de Théo- 
dore! et de la lettre d'Ibas à Maris ^. L'empereur tou- 
tefois réservait expressément l'autorité du concile de 
Chalcédoine, qui avait reçu comme orthodoxes Théo- 
doret et Ibas : « Si guis dixerithaec nos ad abolendos 
aut excludendos sanctos Patres qui in Chalcedonensi 
fuerunt concilio dixisse, anathema sit. » 

L'édit ainsi libellé devait, nous l'avons dit, être 
souscrit par tous les évêques. Les quatre patriarches 
de l'Orient s'exécutèrent, bien qu'à contre-cœur, et les 
évêques généralement les suivirent ^. Mais on voulait 
de plus l'assentiment du pape, et c'était le plus difficile 
à obtenir. 

Le pape était alors Vigile (538-555). C'est par la 
protection de Théodora, dit Libérât, qu'il était arrivé 
au pontificat, et en retour de l'engagement qu'il avait 
pris auprès d'elle, étant apocrisiaire à Constantinople, 
de favoriser sa politique religieuse et de soutenir An- 
thirae, Théodose d'Alexandrie et Sévère^, Ces débuts 
étaient fâcheux. Une fois intronisé, Vigile tâcha de les 
faire oublier et d'oublier lui-même ses promesses en 
écrivant à Justinien et au patriarche Mennàsles lettres 
les plus orthodoxes^. Or l'édit visant les trois chapitres 

LXVII, S66, S&l) et IV, 4 (col. 628). Oa connaît la composition de l'écrit 
par la lettre de Pontianus à Justinien {ibid., col. 99d}. 

1. C'est ce qu'on appela plus tard les Trois chapitres (xpia xeçâ).ata), 
à savoir : 1» la personne et les oeuvres de Théodore de Mopsueste; 
2» les écrits de Théodoret pour Nestorius et contre saint Gjrllle et le 
concile d'Éphèse; 3* la lettre d'Ibas à Maris. 

2. Facundus, Pro de/fefts., I V, 4; LibercontraMocianum{,P. L.,hX\U, 
col. 625, 626, 861) -Libérât, Brev., 24, col. 1049. 

3. Libérât, Breviar^ 92, col. 1039. Ne pas oublier que Libérât est un 
ennemi de vigile. 

4. Pi L., LXIX, 21, 23. Les lettres sont du 17 septembre B40. Quant à 
Ift l<?ttre à Anthime, Théodose et Sévère, dans laquelle Vigile proteste 
qu'il professe la même foi qu'eux, et dont Libéra t {Breviar., 23) et Vic- 

8. 



138 HISTOIRE DES DOGMES. 

n'imposait pas sans doute le monopliysisme, mais ilavait 
toutl'air, malgré les protestations de son auteur, decon- 
tredire certaines décisions du concile de Chalcédoine. 
Vigile s'en rendait compte, et il savait aussi que la 
masse des évéques occidentaux, surtout du nord de 
l'Afrique, de la Dalraatie et de l'Illyrie, voyaient du 
plus mauvais œil la tentative de l'empereur. Consulté, 
îe diacre Ferrand de Cartilage, alors une des lumières 
de l'Église d'Afrique, s'était nettement déclaré contre 
l'édit ' . il pensait que l'on ne devait point juger des 
morts, et qu'il y avait péril à revenir sur ce que les 
conciles ont décidé. Bref, Vigile se sentant soutenu, 
refusa de souscrire à la condamnation portée par Jus- 
tinien. Tout eût été pour le mieux si le pape avait 
été indépendant; mais Justinien était alors maître de 
Rome. Il manda Vigile à Constantinople, et celui-ci, 
violenté probablement, dut partir. 

Le25 janvier 547 il arriva à Constantinople et montra 
d'abord la même fermeté. Puis, peu à peu, cette 
intransigeance fléchit, et des conférences commencè- 
rent pour examiner la question des trois chapitres. 
Entre les évêques qui y prirent part se trouvait l'é- 
vêque d'Hermiane, Facundus, qui nous a transmis des 
détails sur ces assemblées. Personnellement, Facun- 
dus abandonnait volontiers Théodore de Mopsueste 
dont le concile de 451 ne s'était point occupé; mais il 
pensait que, à travers Théodoret et Ibas, c'étaient les 
décisions de Chalcédoine qu'on voulait atteindre, et il 
les défendit détentes ses forces ^ Soixante-dix évê- ■ 
ques cependant se prononcèrent contre les trois cha- 
pitres, et, le 11 avril 548, Vigile donna sonludicatum. 

• ■ ■ . - ■■ \ 

tor de Tunnunum (Chronique, P. L., LXVIII, 957) donnent le texte, elle 
est très (irobablement apoCTyphe et l'œuvre des adversaires du pape 
'DcCIIEs^E, Le lib. pontifie, I, 300). 

1. £j3ts(. VI, P. L., LXVII, 921 et suiv. 

2. Facundos, Liber contra Mocianum, col. 859, 860 



LES TROIS CHAPITRES. 139 

De cette pièce, adressée à Mennas, on n'aconservé 
que quelques fragments ^ mais on en connaît le dispo- 
sitif. Le pape y condamnait : l» la personne et tous les 
écrits de Théodore de Mopsueste ; 2° la lettre d'Ibas à 
Maris, comme contraire à la vraie foi, et tous ceux qui 
approuvaient cette lettre> 3° les écrits de Théodoret 
dirigés contre la vraie foi et contre les anathématismes 
d^ saint Cyrille. L'autorité du concile de Ghalcédoine 
devait d'ailleurs rester au-dessus de toute discussion, 
et Vigile entendait bien n'y pas déroger. 

Tout dans le ludicaium en effet était ménagé pour 
cet objet, et le pape avait bien eu soin de distinguer 
le cas de Théodore des cas de Théodoret et dTbas, et 
de ne condamner de ceux-ci que certains écrits. L'ef- 
fet n'en fut pas moins déplorable. Pendant que, à 
Constantinople même, Vigile voyait se séparer de lui 
et Facundus, et l'évêque de Milan, Dacius, et ses dia- 
cres et son propre neveu, il recevait la nouvelle que 
les évêques do la Dalmatie et de l'illyrie repoussaient 
ses décisions, et que ceux du nord de l'Afrique l'avaient 
excommunié jusqu'à ce qu'il eût fait pénitence 2. De- 
vant cet orage, le Judicatum fut retiré, et il fut décidé, 
de concert avec l'empereur, que rien ne serait fait ni 
pour ni contre les trois chapitres jusqu'à la réunion 
du concile que l'on projetait 2. Dans l'embarras où il 
se trouvait. Vigile tâchait au moins de gagner du 
temps. : 

i. cités par Justinien et par Vigile lui-même, MANsr, IX, 181 et suiv., 
104 et suiv.; P. L., LXIX.IH. 

2. Epist. Vigilii ad Rusticum et Sebastianum (P. L., LXIX, 43); 
Epist. clericorum Italiae (ïôfd., 113, 115) ; Victor de Tunnurum, Chro- 
nique, P. L., LXVIII, 958. 

3. Hansi, IX, 89. Justinien exigea seulement et obtint un serment 
écrit, destiné à rester secret, par lequel Vigile s'engageait à procurer 
autant que posslt>Ie la condamnation de» trois ciiapitres (Mansi, IX, 
363). Cette pièce, qui est du lo août 5o0. fut rendue publique par l'em- 
pereur à la septième session du concile de 353. On eaa contesté l'eui- 
tlienticité. Rien cependant ae prouve qu'elle soit fousse. 



140 HISTOIRE DES DOGMES. 

L'empereur se hâta de tout préparer pour le futur 
concile. Mais il devint bientôt évident que la condition 
du silence à garder sur les trois chapitres était trop 
lourde pour lui, et cpi'il ne l'observerait pas longtemps. 
ElTectivement, en 551, excité par Théodore Askidas, 
il lança contre eux un nouvel édit : c'est l"OfAoXoY(a 
TCiffTewç 'louffTiviavou aÔTOXpotTopo; xa-cà twv tpiwv xecpaXafwv^. 

Ce document fort long, et qui trahit une étroite pa- 
renté doctrinale avec la théologie de Léonce de By- 
zance, se compose de trois parties : un exposé de foi, 
une série de treize anathématismes, une réfutation 
d'objections. Je n'en relèverai que quelques traits plus 
intéressants. 

L'exposé de foi combinait ensemble les décisions 
d'Éphèse et de Chalcédoine. Le Christ est etç, auvOexoç 
ex ôeÔTriToç xai (xvOpwTrÔTr,TO(;(col. 541)^. Bien que Justiuien 
affirmât la dualité des natures, il acceptait cependant 
la formule cyrillienne (xi'a çutriç toùOeoïï Aoyou ceffapxwjjLÉvï], 
parce que Cyrille, disait-il, a pris, dans cette formule, 
le mot cpiiffiç dans le sens du mot uTcoaraffiç (col. 545). La 
comparaison de l'union de l'âme et du corps dont abu- 
sent les monophysites, continuait-il, n'est pas une 
preuve en faveur de l'unique nature en Jésus-Christ ; 
car, dans l'homme, le corps et l'âme forment une na- 
ture qui peut devenir commune à plusieurs individus ; 
mais de l'union du Verbe et de l'humanité il ne résulte 
pas une yjpiatôvfiç à laquelle plusieurs personnes pour- 
raient participer {col. 548,549). Compter les natures en 
Jésus-Christ n'est pas les séparer, ce compte ayant lieu 
(Aovtp Xoyw xal ÔEOjptof (col. 549). Viennent ensuite sur les 
notions de nature et de personne des considérations 
que nous retrouverons plus tard. La conclusion était 
que la nature humaine du Christ n'a jamais eu d'hypo- 

i. Mansi, IX, 537-581; P. G., LXXXVI, 1, col. 993-1035 
S. Les coiunnes indiquées sont celles deHansi. 



LES TROIS CHAPITRES. 141 

stase et de personnalité propre, mais a existé dès le 
principe dans l'hypostase du Verbe, Iv tt) uTtoffTotdGt toû 
AoYouT^v dpy-JiV TT]? uTTapçewç iXaêev (col. 556). 

Les treize anathématismes qui suivaient cet exposé 
doctrinal ont été à peu près reproduits par le V« con- 
cile général, et il en sera question plus loin. Disons 
seulement que les xi", xii^ et xiii^ condamnaient les 
trois chapitres. Quant au reste de l'édit, il répondait 
aux difficultés que l'on tirait de l'approbation de la 
lettre d'ibas par le concile de Chalcédoine, et à cette 
objection que l'on ne pouvait condaniner la personne 
de Théodore, mort dans la paix de l'Église. Tout le 
document s'achevait sur une brève conclusion. 

Sa publication, on le comprend, fut extrêmement 
désagréable au pape. Vigile recommanda d'abord aux 
évêques de n'y point adhérer ^ ; puis, se sentant en dan- 
ger, il se réfugia, au mois d'août 551, dans la basilique 
d'Hormisdas, et ne revint dans son palais sur les ins- 
tances de l'empereur que pour s'enfuir de nouveau 
jusqu'à Chalcédoine, dans l'église de sainte Euphémie. 
C'est là qu'il publia, en janvier 552, une sentence de 
déposition contre Théodore Askidas et de suspension 
de communion contre Mennas^. Une epistula encycUca 
dans laquelle il justifiait sa conduite parut quelques 
jours après (5 février 552)3. 

Cette énergie fit réfléchir l'empereur. Par son inspi- 
ration, Mennas, Théodore et quelques autres évêques 
remirent au pape une profession de foi qui le satisfît*, 
et Vigile consentit à rentrer à Constantinople. 11 y 
reçut, le 6 janvier 553, la profession de foi d'Euty- 



4. Epist. encycL; Fragm. damnât. Theodori (Mahsi, IX, SO, S9). 
2. Ma.nsi, IX, S8 et suiv.; P. L., LXIX, 69 et suiv. 
3'. Mansi, IX, 50; P. L., LXIX, 33. 

4. Elle est insérée dans le premier Conslitutum de Vigile, Mansi, IX, 62, 
63; P. L., LXIX, 67 et suiv. 



142 HISTOIRE DES DOGMES. 

chius * , qui succédait à Mennas mort au mois d'août 
précédent. Le patriarche y acceptait les quatre pre- 
miers conciles généraux, les lettres des papes et de 
saint Léon, et s'en rapportait, pour les trois chapitres, 
au futur concile. Les choses en étaient revenues au 
point où elles se trouvaient avant le dernier éclat de 
Justinien. 



§ 3. — Le V* concile général 

Cependant, le concile dont on parlait depuis long- 
temps avait été convoqué. Le pape aurait voulu qu'il 
se tînt en Italie ou en Sicile ^. L'empereur n'y con- 
sentant pas, Vigile refusa à son tour de prendre part 
à un concile exclusivement composé d'évêques grecs. 
Justinien proposa alors de donner dans l'assemblée 
une représentation égale à chaque parti, c'est-à-dire, 
comme il l'entendait, à chaque patriarcat. Le pape 
persista dans son refus: on passa outre, et le 5 mai 553, 
le concile s'ouvrit sans lui à Constantinople ^. 

n fut présidé par Eutychius et compta d'abord cent 
cinquante et un, puis, à la fin, cent soixante-quatre 
éveques. Six évoques africains assistèrent à la première 
session, huit à la dernière. Les trois premières ses- 
sions offrent peu d'intérêt. Invité à se rendre à l'as- 
semblée, Vigile avait répondu, le 6 mai, qu'il deman- 
dait un délai, et qu'il ferait, dans vingt jours, connaî- 
tre son sentiment. Dans la quatrième session, le 12 ou 
le 13 mai, on commença l'examen des écrits de Théo- 
dore de Mopsueste, dont on lut soixante et onze ex- 
traits : on lut aussi son symbole. Cette besogne se 

i. MANsi, IX, 63; grec, 183, i88 ; P. L., LXIX, 69, 70. 

2. Mansi, IX, 64; P. L., LXIX, 70. 

3. V. les act€S dans MANsr, IX; cf. EEfELF.-LECLtRCQ,Hist.det conciles, 
III, 1. 



LES TROIS CHAPITRES. .143 

pdYirsuivit le i7 mai, jour de la cinquième session, 
et l'on se demanda si Théodore, bien que mort dans 
la communion de l'Église, pouvait être condamné. 
La séance continua par la lecture des extraits des 
ouvrages de Théodoret qui paraissaient contraires à la 
foi et injurieux pour saint Cyrille. La sixième session 
(19 mai) fut consacrée à Ibas. On lut d'abord sa lettre 
à Maris, et le concile fut d'avis généralement de la 
condamner. Puis Théodore Askidas et avec lui trois 
autres évêques entrèrent dans un examen plus minu- 
tieux de la question. Cette lettre, objectait-on, avait été 
approuvée par divers membres du concile de Chalcé- 
doine. Le fait était vrai : et c'est cette approbation que 
les évêques susdits s'efforcèrent d'expliquer. Mais, au 
lieu de s'attaquer aux votes bien plus importants des 
légats de Léon et de Maxime d'Antioche, ils se bornè- 
rent à interpréter uniquement celui d'Eunomius. Fina- 
lement, le concile s'écria que la lettre était hérétique, 
blasphématoire; et J3ur ce, la sixième session fut close. 

C'est à ce moment que Vigile rentra en scène. Le 
14 mai 553, il avait fait remettre à Justinien un mémoire 
contenant son jugement sur les trois chapitres. C'est 
le Constitutum Vigiliif/apae de tribus capitulis^^ une 
des meilleures compositions littéraires que nous ait 
léguées le vi® siècle. Adressé à l'empereur, il peut se 
diviser en trois parties. 

La première reproduisait les deux professions de 
foi présentées par Théodore Askidas et Mennas, puis 
par Eutychius, et résumait les événements jusqu'à la 
réunion du concile. 

La deuxième était un examen des trois chapitres. 
Pour Théodore, le pape ne faisait nulle difficulté de 
reconnaître son hétérodoxie. Reprenant les soixante 

i. Mansi, IX, 61-106; P. L., LXIX, 67-114. 



144 HISTOIRE DES DOGMES. 

et onze extraits dont l'empereur lui avait communiqué 
le texte, il en retenait cinquante-neuf, auxquels il en 
ajoutait un nouveau, le treizième, et les faisait suivre 
d'un anathème. Mais, d'autre part, Théodore n'avait 
été condamné ni à Éplièsé ni à Chalcédoine, et il n'est 
pas d'usage, dans l'Eglise, de condamner des morts. 
En conséquence, Vigile n'osait condamner sa personne, 
ni permettre que d'autres la condamnassent, bien qu'il 
fût entendu que les fragments dogmatiques cités res- 
taient absolument proscrits dans leur sens obvie [secun- 
diim subiectos intellegentiae sensus) ^. 

Venant ensuite à Théodoret, le pape se refusait à le 
condamner. Théodoret avait été reçu par le concile de 
Chalcédoine : il avait anathématisé Nestorius. Les 
injures contre saint Cyrille, ou il avait nié en être 
l'auteur, ou saint Cyrille lui-même n'avait pas voulu 
qu'on les rappelât. On ne devait pas être plus exigeant 
que saint Cyrille et que le concile. Vigile défendait 
donc de condamner aucun écrit sous le nom et avec le 
nom de Théodoret (sub taxatione nominis eius), mais 
il condamnait d'ailleurs toute proposition, qu'elle fût 
de Théodoret ou d'un autre , non conforme à la foi, et, 
pour confirmer ce qu'il avançait, il ajoutait cinq ana- 
thématismes contre des propositions nestoriennes ^. 

Passant enfin à Ibas, le Constitutum relevait d'abord, 
dans le concile de Chalcédoine, les votes des légats 
Paschasinus et Lucentius qui déclaraient que « la lettre 
d'Ibas ayant été lue [devant eux], ils avaient reconnu 
qu'il était orthodoxe » ; celui d'Anatoliûs de Constan- 



1. Haxsi, loe. eit.,96;P.L., loc. cit., 102 

2. Od remarquera le qualrième aiiatbémalisme qui parait condamner 
les agnoètes, bien que non absolument: « Si quis unum lesum Cliristum 
verum Dei et eumdem ipsum verum hominis tilium futurorum ignoran- 
tiamaut diei ultimi iudicii babuisse dicit, etlantascirepotuisse quanta 
ei deitas quasi alteri caidam inhabitans revelabat, anattiema sit > (SUnsIi 
loe. cit., 98; P. L., loc. cit., 104. V. Hahn, § 228). 



LES TROIS CHAPITRES. 145 

tinople, disant que la lecture des précédents documents 
(entre lesquels la lettre à Maris) démontrait qu'Ibas 
était innocent ; et celui de Maxime d'Antioche, affir- 
mant que cette lettre prouvait que la foi, la dictatio 
(^ ÔTïayopfa) de l'évêque d'Édesse était orthodoxe. Ces 
appréciations, continuait Vigile, non seulement n'ont 
pas été contredites, mais ont été confirmées par les 
autres membres du concile. Cela ne veut pas dire que le 
concile a approuvé les injures d'Ibas contre Cyrille; mais 
Ibas a révoqué suffisamment ces injures en acceptant ia 
communion du patriarche d'Alexandrie. Puis insistant 
sur le péril qu'il y aurait à revenir sur le jugement du 
concile de Chalcédoine, le pape concluait que ce juge- 
ment, qui prononçait qu'Ibas était orthodoxe, et qui 
était basé, en partie du moins, sur une exacte intelli- 
gence de la lettre d'Ibas à Maris [ex verhis epîstulae 
\>iri çenerahilis Ibae rectissimo ac piissimo intëîlectu 
perspectis) devait rester entier et intangible en ce qui 
concernait la lettre susdite ^ 

En conséquence et comme conclusion générale, 
Vigile interdisait à tout clerc d'entreprendre d'ajouter, 
de diminuer ou de changer quoi que ce soit aux déci- 
sions du concile de Chalcédoine, et défendait absolu- 
ment à toute personne dans les ordres et dignités 
ecclésiastiques d'écrire, émettre, composer et ensei- 
gner quelque chose de contraire au présent Constitu- 
tuTTij et d'agiter de nouveau, après la présente défini- 
tion, la question des trois chapitres ^. 

Tel est, brièvement résumé, ce long document qui 
était signé par Vigile, seize évéques et six clercs ^. 
Cet acte d'énergie ne pouvait que déplaire à l'empereur. 
On s'en aperçut dès la septième session du concile, 

■1. Massi, IX, 101, 102; p. L., foc. cit., 108. 

2. Mansi, IX, 103; P. L., loc. cit., 112. 

3. Entreautresparle diacre Pelage, le futur successeur de Vigilar 

HISTOIRE DES DOGMES. — III. 9 



146 HISTOIRE DES DOGMES. 

qui se tint le 26 mai 553. Le questeur du palais com- 
mença par faire lire un certain nombre de pièces des- 
tinées, pensait-il, à confondre l'audace du pape ^ ; puis 
il communiqua une lettre de Justinien contenant l'ordre 
de rayer des diptyques le nom de Vigile, parce que, 
en soutenant les trois chapitres, il participait à l'im- 
piété de Nestorius et s'était lui-même exclu de l'Église. 
Cette lettre ajoutait toutefois que l'empereur entendait 
rester en communion avec le siège apostolique, car la 
perversité de Vigile ni d'aucun autre ne pouvait nuire 
à la paix de l'Église. Le concile accepta cet ordre et 
déclara, lui aussi, vouloir garder l'unité avec le siège 
de Rome : « Servemus itaque unitatem ad apostolicam 
sacrosanctae ecclesiae sedem antiquioris Romae ^. » 
Ainsi la distinction entre sedes et sedens était déjà 
trouvée et appliquée; mais le concile, qui jusqu'ici 
s'était tenu malgré le pape, se tenait maintenant contre 
lui. 11 était pleinement scbismatique. 

11 ne lui restait plus qu'à consacrer son œuvre en 
condamnant expressément les trois chapitres, et indi- 
rectement le pape qui les avait soutenus. La chose eut 
lieu le 2 juin, dans la huitième et dernière session. On 
y adopta un long écrit comprenant deux parties : 
d'abord un exposé de ce qui s'était fait au concile, 
exposé qui s'achevait par un anathème porté contre les 
trois chapitres et tous ceux qui les avaient défendus 
ou les défendraient ^ ; puis, quatorze anathématismes 



1. Entre ces pièces se trouve la formule du serment remise par Vigile 
à l'empereur en 550, et dont il a été question plus haut. On y trouve 
également deux lettres que Vigile aurait adressées, lune à Justinien, 
l'autre à Théodora, condamnant les trois chapitres, et admettant en 
Jésus-Christ « unam subsistentiam et unam personam et unam opera- 
tionem ». Ces deux lettres furent, sur la réclamation des légats, décla- 
rées fausses et à rejeter par le VI» concile général (Maksi, XI, 58S, 
K89, K92). 

2. MANSI, IX, 3G7. 

3. Massi, IX, 370. 



LES TROIS CHAPITRES. 147 

qui reproduisaient en grande partie ceux de Justinien 
dans son 'OfAoXoyia ittsTew^En voici l'objet * : 

Le premier définit la doctrine de la Trinité. 

Le second prononce que les deux naissances, éter- 
nelle et temporelle, doivent être attribuées au Verbe. 

Le troisième affirme l'identité du Verbe et de Jésus- 
Christ, même personne, àla fois Dieu et homme, faisant 
des miracles et souffrant. 

Par le quatrième sont condamnées l'union orystix^ de 
Nestorius et ses différentes expressions, et l'union 
xaxà aiyyxxjiy d'Apollinaire et d'Eutychès. On y adopte 
l'union xaô' bmexaaiv OU xaT^t ouvOeffiv, laquelle maintient 
la distinction des natures, mais exclut leur séparation. 

Le cinquième est dirigé contre ceux qui entendaient 
l'unité d'hypostase ou de personne en Jésus-Christ 
comme une simple unité morale de deux personnes 
ou hypostases, et attribuaient ce sentiment au concile 
de Chalcédoine. La Trinité, pas plus que le Verbe 
qui est un de la Trinité, n'a admis ainsi l'addition 
d'une nouvelle personne ou hypostase. 

Le sixième anathématisme définit que Marie est vrai- 
ment, et non pas en figure seulement, ôsotoxoç, et que 
le concile de Chalcédoine l'a ainsi entendu. On y pro- 
hibe les appellations àv6po)7co'roxo; et j^pkjtotoxo;. 

Le septième condamne ceux qui, en distinguant et 
comptant deux natures en Jésus-Christ, ne font pas 
cette distinction ôewpia [xovï], et leur supposent à chacune 
une subsistance propre et à part. 

Dans le huitième, on explique que les formules ex 
Sûo «puffEwv et jAta (^uffiç Toû ôeou Aoyou cE(iapxo)[jiÉv'iri ne doivent 
pas s'entendre d'une identité de cpuaiç ou d'ouafa de la 
divinité et de l'humanité qui se serait produite par con- 
fusion des deux, mais bien d'une unité personnelle, 

i. BlANsi, IX, 3'6 et saiv. ; Hahn, Bibliolh., % 148. 



i4« HISTOIRE DES DOGMES. 

Les deux natures ont gardé dans l'union leur être spé- 
cifique : l'Eglise condamne à la fois et ceux qui les 
séparent et ceux qui les confondent. 

Le neuvième proscrit et la double adoration du 
Christ, au sens nestorien, et l'unique adoration au sens 
cutychien, cette dernière supposant que la divinité n'est 
avec la chair qu'une (pustç ou une où<jia. On doit adorer 
d'une seule adoration le Verbe uni à sa chair. 

Le dixième anathématisme définit que Jésus-Christ 
crucifié dans sa chair est Dieu et un de la Trinité. 

Par le onzième est anathématisé quiconque n'anathé- 
matise pasArius, Eunomius, Macedonius, Apollinaire, 
Nestorius, Eutychès, Origène et leurs écrits, et géné- 
ralement tous les hérétiques condamnés par l'Eglise et 
par les quatre premiers conciles, et quiconque partage 
leurs sentiments. 

Le douzième anathématisme est dirigé contre Théo- 
dore de Mopsueste et contre tous ceux qui admettent 
ou défendent sa doctrine et ses ouvrages. 

Le treizième vise Théodoret. 11 condamne tous ceux 
qui défendaient ou ne condamnaient pas ce qu'il 
^vait écrit d'impie contre la vraie foi, contre le premier 
concile d'Ephèse, contre saint Cyrille et ses douze 
anathématismes, et généralement en faveur de Théo- 
dore de Mopsueste et de Nestorius et de ceux qui par- 
tageaient leur sentiment. 

Le quatorzième s'occupe d'Ibas. 11 anathématisé tous 
ceux qui défendaient ou ne condamnaient pas sa lettre 
impie à Maris * ; tous ceux qui ont écrit ou qui écriraient 
pour la justifier, en se prévalant de l'autorité du concile 
4e Chalcédoine. 

1. On- remarquera que le concile suppose toujours qu'il n'est pas 
•certain que la lettre soit d'Ibas lui-même : Tîjii èmaxcUâit; t^; "kzyo^évfii 
napà "lêoc ytypifHu Les partisans d'Ibas niaient en effet son authen- 
ticité. 



EES TROIS CHAPITRES. 149 

Tout le document se terminait par la peine de dépo- 
sition portée contre les évêques et les clercs, et celle 
d'anathème portée contre les moines ou laïcs qui ose- 
raient répandre, enseigner ou écrire quelque chose de 
contraire aux dispositions qu'il contenait. Cent soixante- 
quatre évêques, y compris Eutychius, le signèrent. Ce 
fut le dernier acte du concile. 

L'empereur se hâta de faire ratifier la sentence par 
les évêques absents de l'assemblée, en la soumettant à 
leur signature. En Orient, il rencontra peu de résis- 
tance ; mais il voulait obtenir aussi l'assentiment des 
occidentaux et surtout du pape avec qui le concile 
s'était mis en conflit direct. Ceci était plus laborieux. 
Les latins montrèrent moins que de l'empressement à 
souscrire, et il fallut employer à leur égard, et d'ailleurs 
sans succès, les moyens violents, les menaces et l'exil*. 
On a supposé que Vigile aussi avait été exilé. Rien 
n'est certain^. Ce qui est certain, c'est qu€ lepape finit 
par céder et par accepter les décisions du concile. On 
a de ce fait, indépendamment du témoignage des histo- 
riens,deux monuments. 

C'est d'abord une lettre de Vigile à Eutychius « pro 
confirmatione quintae synodi oecumenicae ^ », datée du 
8 décembre 553. Après avoir rejeté sur les artifices du 
démon sa résistance antérieure, le pape y condamne 
les trois chapitres dans le sens du concile, et casse tout 
ce que lui ou d'autres ont fait pour les défendre. 

Le second document est lin second Constitutitm de 
Vigile^, daté du 23 février 554. Il était adressé peut-être 
aux évêques latins, et les longues discussions dans les- 
quelles il entre ont évidemment pour but de résoudre les 

1. Victor DE Tonsdndm, Chronique, col. 960. 

2. Liber Pojitificatis, éd. Docbeske, I, 299 ; cf. 301, note 28. 

3. Mansi, IX, 414-419; P. L., LXIX, 122-128. 

4. Vigilii papae conslitutum pro damnatione trium capitulorumr 
MXMSI, IX, 457-488; P. L., LXIX, 143-178. 



t50 HISTOIRE DES DOGMES. 

objections des partisans des trois chapitres '. Lia con- 
clusion en est d'ailleurs la même que celle de la lettre 
à Eutychius. 

Ainsi, le V* concile général avait condamné les trois 
chapitres, et le pape acceptait définitivement cette 
condamnation. C'était la victoire de la politique impé- 
riale, et d'autant plus solide que le successeur de Vigile, 
Pelage (556-561), d'abord hostile, lui aussi, à cette po- 
litique, s'y conforma à son tour. L'Occident cependant 
se refusa longtemps à entrer dans la même voie, et de 
nombreux schismes locaux se produisirent en protes- 
tation contre les décisions du concile et du pape. En 
Dalmatie, dans l'Afrique du Nord, dans le nord de 
l'Italie, dans la Vénétie, l'Istrie, la Ligurie et l'IIlyrie, 
en Toscane, beaucoup d'évêques dissidents repoussè- 
rent la communion de Pelage ^. Ce fut l'œuvre de ses 
successeurs, et en particulier de saint Grégoire le 
Grand ^, de ramener peu à peu à l'Eglise romaine les 
diocèses qui s'en étaient séparés; mais les derniers 
vestiges du schisme ne disparurent que sous Sergius I" 
(687-701)^, après cent cinquante ans. En France et en 
Espagne, une certaine hostilité se produisit, sans qu'on 
en vînt à la rupture. Quant aux monophysites, pour 
qui Justinien avait fait toutes ces avances et occasionné 
tant de troubles, il est presque inutile de dire que leur 
retour à l'Eglise n'en devint pas plus empressé. 

En somme, cette question des trois chapitres fut 
une malheureuse affaire dont tous les acteurs, l'empe- 

1. C'est laleUre d'Ibas surtout qui en fait l'objet. Vigile s'efforce de 
démontrer: 1° qu'elle n'est pas réellement l'œuvre d'Ibas; 2» qu'elle 
n'a été jugée orthodoxe par aucun des prélats du concile de Chalcô- 
doine. L'afGrmation de ce dernier point est même appuyée d'un 
anatbëme contre les contradicteurs. 

2. DucHFSNE, Eglise VI' siècle, p. 219-2S5. 

3. V. Epist., lib III, epist. XXIX, XXX : lib. IV, epist. II, Ilf, IV, XXXVIII, 
XXXIX; lib. V, episl. LI; lib. XII, epist. XXXIJI: lib. XIII, epist. XXXIW. 
4. Liber ijond/icalis, I, 376, XV; cf. 381, noie iS. 



LES TROIS CHAPITRES. 151 

reur, le concile, le pape sortirent un peu diminués * . 
Ce n'est pas qu'en soi les décisions finales prises par 
eux ne soient justes et défendables. Dans la forme et 
la mesure où on l'a fait, on pouvait légitimement con- 
damner et Théodore de Mopsueste et Théodoret et 
Ibas : il y avait dans les écrits mêmes des deux der- 
niers des choses répréhensibles, surtout si l'on se met- 
tait au point de vue de la terminologie du vi* siècle. 
Mais cette condamnation, si elle avait l'avantage de 
couper court aux récriminations des monophysites, 
avait l'inconvénient de réveiller des querelles déjà 
lointaines et d'affaiblir, quoi qu'on fît, l'autorité du 
concile de Chalcédoine. Dans l'espèce de fusion que 
l'on tenta entre la théologie cyrillienne triomphante à 
Éphèse et celle des antiochiens reçue à Chalcédoine, 
ce fut cette dernière qui paya les frais du rapproche- 
ment 2. 



§ 4. — La christologie de Léonce de Byzance. 

Cependant, en même temps que les politiques, les 
théologiens travaillaient à montrer l'harmonie des 
deux théologies en présence, et leurs efforts, s'ils 



i. Au point de vue théologique, deux questions se posent à propos 
de la querelle des trois chapitres : 1» LeV» concile général ne s'est-il 
pas mis en contradiction avec le concile de Chalcédoine, surtout en ce 
qui concerne Ibas et sa lettre? 2» Comment concilier le dogme de l'in- 
i'aillihilité pontificale avec les jugements contradictoires de Vigile dans 
ses deux Constitutum et le ludicatum? Nous n'avons pas ici à résou- 
dre ces questions. Elles se résolvent cependant sans trop de difficulté, 
si l'on fait une application exacte des principes théologiques qui y 
sont impliqués. 

2. Ceci est visible par exemple dans l'explication que l'on donne 
des formules èx ôûoçuffewv, et (j-taçûaiç -roy 8eoû Aôyou ff£ffapx<«)(x.j'«]. 
On les interprèle sans doute dans un sens chalcédonien, mais on 
tient à garder les formules. Combien le diacre Kerrand était plus avisé, 
en souhaitant que la formule ata ç'j<yt; xtX. fût simplement abandonnée 
comme inutile ou dangereuse (P. l^., LXYII, 889 et suiv.). 



152 HISTOIRE DES DOGMES. 

n'arrivaient pas à gagner les dissidents à l'unité, por- 
taient du moins dans ces questions difficiles des clar- 
tés nouvelles. Entre ceux qui s'y distinguèrent parti- 
culièrement, il faut nommer le patriarche Ephrem 
d'Antioclie (527-544), dont il ne reste que des frag- 
ments ^ , et l'auteur — Pamphile de Jérusalem ? — de 
la PanopUa dogmatîca -. Mais celui qui, pour nous, 
représente le mieux ce mouvement, qui y contribua 
peut-être avec le plus de force et de pénétration d'es- 
prit, qui d'ailleurs, par ses relations personnelles 
avec Justinien, en put rendre les résultats plus assurés, 
est un des moines scythes dont il a été plus haut ques- 
tion, Léonce de Byzance^. 

Né vers l'an 485, plus probablement à Gonstantino- 
ple même, il s'était de bonne heure fait moine, et 
passionné pour les controverses du temps. Il traversa, 
un moment, le nestorianisme, puis revint à l'ortho- 
doxie. Chalcédonien, il l'est en conscience ; mais il 
connaît bien aussi la christologie d'Éphèse, et il est 
convaincu qu'il règne entre les définitions des deux 
conciles une harmonie parfaite. C'est cette harmonie 
qu'il veut mettre en lumière, afin de couper court aux 
objections soit des nestoriens soit des monophysites, 
et de les ramener, si possible, à l'unité de l'Eglise. 
Pour cette œuvre, il s'inspirera du néoplatonisme, 
dont il trouve des lambeaux dans les Pères : il lira 
Porphyre et, à travers Porphyre, utilisera Aristote et 

1. PiiOTius, Bibl., cod. 228, 229; P. G., L3CXXVI, 2, col. 2104 et suiv. 

2. Éditée par A. Mai, Nova Patrum bibliotheca, Romae, 1844, II, 593- 
6C2. 

3. Des ouvrages attribués à Léonce et qui sont tous contenus dans 
P. G., LXXXVI, i, 2, il n'y a d'authentiques que : 1° Librî 1res contra 
nestorianos et euiychianos (d, 12B8-1396); 2° Capîta triginta contra 
Severum (2, 1901-1906) ; 3" Solulio argumentorum a Severo obiectorum 
(2, l&16-194a). — Travaux : F. Loofs, Leontius von Byzanz, Leîpzigr, 1887. 
J. P. JuftGLAS, Leontius von Byzanz, Paderborn, 1908. K. Krcmbacuei; 
(A. Ehhhard). Gesch. der byzant. Litt. 2 (18n7), p. 51-56. 



LES TROIS CHAPITRES. fS* 

ses catégories. Mais ce ne sont là pour lui que de& 
aides extérieurs. Avant tout, il veut reproduire la 
pensée des Pères ?. La philosophie lui servira seule- 
ment à en rendre compte rationnellement. 

Afin de procéder avec méthode, Léonce donne d'a- 
bord ses définitions, et dresse, si l'on peut ainsi parler, 
l'échelle des êtres. La notion la plus générale est 
celle de l'ouata (au sens large), qui comprend tous les 
êtres, créés ou non. Au-dessous d'elle vient le genre, 
To Yïvoç, et au-dessous du genre l'espèce, to eîSo;, la- 
quelle se compose du genre et des difTérences spéci- 
fiques, nommées eîSoTroiol Siacpopai, uoK^TYjteç ouciioSeiç, 
oùffioTTotot îSioTYiTs; ^. L'être de l'espèce est ce qu'on 
appelle (pûai? ou ouata au sens strict. Ainsi, la nature 
humaine se compose du genre xo Çwov eTvai, et de' la 



3 



différence spécifique xi >,oyixov eTva 

Au-dessous de l'espèce, on trouve l'individu, •çooitoiji.ov. 
De même que l'espèce comprend le genre et les diffé- 
rences spécifiques, de même l'individu se compose de 
l'espèce et des caractères individuants, îâttotxwTa aço- 
pioTTixâ^. Léonce, comme Aristote, nomme ces derniers 
<ïu[ji.6Eê7)xdTa, parce qu'ils accompagnent la nature sans 
en faire partie : il les distingue pourtant des accidents 
ordinaires <7u[i.6£ê7]xoTa ywptffTot. Ceux-ci sont les simples 
états successifs dans lesquels un être peut se trouver, 
comme d'être sain ou malade ; et ils peuvent, par con- 
séquent, en être séparés [yjàpia-zâ) : les caractères in- 
dividuants au contraire, comme d'avoir tel visage, les 
yeux de telle couleur, etc., sont permanents, et dé- 

i. IlavTa èx TiaTepwv IccSiùv lyto (1, 1344). V. la composition de se» 
florilèges, dans Junclas, op. cit., p. 24 et suiv. 

2. i, 1301 D, 1277 D; 2, 1921 CD, 1928 G. 

3. 2, 194S B. 

4. 2, 1917 C. Remarquons que ces caractères ou accidents individuels 
ne constituent pas la personne ; ils la font distinguer au detiors seu- 
lement : la personne, comme on le dira plus loin, est constituée par 
le fait d'exister à part et en soi. 

9. 



154 HISTOIRE DES DOGMES. 

terminent d'une façon continue l'être qu'ils affectent : 
ce sont des aufAêEêrixota «y^topiçToc ^ . Ils tiennent donc le 
milieu entre les simples accidents et les difîérences 
spécifiques, et c'est pourquoi Léonce ayant nommé 
celles-ci ttoiotyîtïç oùffiwoetç nomme les caractères indivi- 
duants iroionfiTEç iTtouatcoSst; ^. 

La çûffiç correspond donc à l'espèce et à l'oôffia prise 
au sens strict. Quant à l'hypostase ou à la personne, 
l'auteur l'identifie simplement, comme les cappado- 
ciens, avec l'individu ou avec la ^uatç existant à part et 
en soi. Mais il précise et développe les conséquences 
qu'il faut tirer de ce concept : 

« La nature implique l'idée d'être (simplement); l'hypostase 
implique de plus l'idée d'être à part : la première indique l'es- 
pèce, la seconde révèle l'individu; la première porte le carac- 
tère de l'universel, la seconde sépare du commun le propre s... 
La notion d'hypostase se réalise donc et dans les êtres qui, 
identiques par leur nature, difTèrent numériquement, et dans 
ceux qui résultent de natures différentes [sans doute], mais qui 
ont entre elles un être commun et inexistent l'une dans l'autre. 
Quand je dis qu'elles ont un être commun, je ne veux pas par- 
ler de celles qui se complètent mutuellement au point de vue 
de l'essence, comme c'est le cas des substances et des prédi- 
cats essentiels que l'on nomme propriétés ; m'âis je veux parler 
de la nature et de l'essence de ciiacun des composants, nature 
qui n'est pas considérée à part (xaô' êauTi^v), mais par rapport 
à la nature qui lui est jointe et unie *. » 

Dans cette phrase un peu laborieuse, Léonce veut 
dire que, puisque la notion d'hypostase requiert que 
l'on existe à part soi (xaO' lauTo'v), cette notion ne con- 
vient qu'aux individus ayant une existence pliysique- 



i. 1, 1945 BC. 
2. 1, «77 D. 

3- 'H lièv "yàp çûfft; xbv xoî5 eivai ^ôyo^ èinîÉx^'^*'* ^ 8è viz6axa.aii 
xal TÔv ToO xaé' éauTÔv tîvai* y.ai f| (lèv eT8ov; )>6yov iné-^a, -fi Bk toO 
Tiv6c c<Tttv ôijXûjTtXTi K«l r, (ikv xaBoXtxoO npâyyM-zo^ j^apaxt^px 6t)).oî" 
il ôè Toû xotvoù To ISiov à7roôia(rTéX>,eTai (1, 1280 AB; cf 8, 1915 A). 

*. i, 1281 BD. 



LES TROIS CHAPITRES. 155 

ment indépendante, et par conséquent ne convient pas 
respectivement aux parties d'un tout, ces parties fus- 
sent-elles elles-mêmes des natures ou des subs- 
tances : car ces parties existent et subsistent non pas 
en elles-mêmes, mais dans le tout. 

Ces définitions une fois données, Léonce pose en 
principe que la nature ne peut exister qu'individuelle, 
dans un individu, et conséquemment hypostasiée de 
quelque façon : àvuirôaTaTo; fxsv oûv çôçiç, xouréativ ouaia, 
oux av eÏY) «oté '. Une nature sans hypostase est une abs- 
traction. Dès lors, il semblerait que puisque la nature 
humaine de Jésus-Christ existe, elle est aussi une hy- 
postase. C'est mal conclure, continue Léonce ^. Entre 
être soi-même une uTconTadiç et être àvuTtoaxaxoç il y a 
un milieu, celui d'être IvuirôctaToç, d'exister non en soi 
mais dans un autre comme la partie dans le tout. 
C'est ce qui arrive pour l'humanité de Jésus-Christ : 
elle n'est pas àvuTiosTaToç, puisqu'elle existe : elle n'est 
pas une hypostase, puisqu'elle n'existe pas x«6' lao-n^v : 
mais elle est IvuTtôortaToç, parce qu'elle existe dans le 
Verbe à qui elle appartient, et qui lui donne le pouvoir 
d'exister en la recevant en lui ^. 

Ce mode d'exister, cette enhypostasie'' de l'humanité 
est-elle possible? Notre auteur essaie de l'établir ra- 
tionnellement en montrant que la nature présente 
des cas analogues. Ainsi, les caractères spécifiques et 

i. 1, 1380 A. 

2. 1, 4217 D. 

3. 1, 1277 D et suiv.; 3, 1944 C. Dans ce dernier passage, Léonce tou- 
che à la question de la possibilité d'une union Iiypostatique entre le 
Verbe et une personne Iiumaine préexistante, dont l'hypostase ou 
personnalité aurait été abolie par cette union. Il se prononce pour l'af- 
flrmative. — Sur l'origine et l'iiistoire du terme êvwjtooTaTo;, v..Jonglis, 
op. cit., p. 150 et suiv. 

4. Léonce la déflnit ainsi : Tô 8ï évuTtcoxaTov xà y.ii elvat aura 
avi(i6e6T)xè; St]Xoï, S èv ixéçta éysi xo elvat, xal ovx èv éoLvxtft OEcopelrai. 
Être enhyposlasië convient à ce qui n'est pas un accident, et qui ce- 
pendant existe en un autre et non en soi-même (1, 1377 D). 



156 HISTOIRE DES DOGMES. 

individuants, icoKynjxsç oôawoSetç ou l«ouffiwSeiç ont une 
manière d'exister de ce genre, puisque, d'une part, 
ils ne sont pas de simples accidents_^et, d'autre part, 
ils ne sont pas des natures subsistantes (icpaY(ji«Ta ôtpe- 
ffTwaa) ' . La même chose se produit toutes les fois que 
deux éléments unis entre eux conservent néanmoins 
leur nature propre, par exemple dans l'union du corps 
et de l'âme, dans un flambeau allumé 2. Léonce toute- 
fois se rend compte que ce sont là de simples compa- 
raisons qui ne rendent qu'imparfaitement compte d'un 
fait unique 3. 

On voit, on tout cas, le parti que Léonce pouvait 
tirer de sa théorie de l'IvuTuda-caTov contre les deux hé- 
résies contraires des nestoriens et des monophysites. 
Puisque être çwiç n'était pas nécessairement être uiro- 
cTaffiç et TcpoffOJTTov, Ics premiors avaient tort de conclure 
de la dualité des natures dans le Christ à la dualité des 
personnes et des hypostases ; les seconds avaient tort 
de conclure de l'unité de l'hypostase et de la personne à 
l'unité de la nature. Aux nestoriens notre auteur faisait 
remarquer qu'il est bien vrai que le Verbe téXeioç a pris 
une humanité complète, -reXeia : mais que, si ces deux 
éléments sont complets et parfaits, considérés en 
eux-mêmes, ils ne sont, considérés vis-à-vis du Verbe 
incarné dont ils sont les éléments, que comme des 
parties incomplètes, comme le corps et l'âme vis-à-vis 
de l'homme •* . 11 n'y a donc dans le Christ qu'une per- 



1. 1, 1277 D. 

2. 1, i280B, 1304Ba 
3. 1, 12«0 D. 

4. Oûôè ô Aôyoç xÉXeio; XpiffTÔç, xiv xéXeioç eïï] Seôç, ^ii t?,« àvôpw- 
irdTri-ro; orÛTôJ ffuvTETaYfiévvi;- ovze y| >^yjj riXeioç àvôpioîtoç, xàv Te),stav 
iX~^ oùffîav, [Lri loO ffW(iaToç aOx^ cruvemvooufiévou (l, 1289). Léonce 
force ici la note. Le Verbe àaopxoç n'est pas en effet tout le Christ, 
mais il n'en est pas non plus une partie proprement dite, car il n'est 
pas perfectionné par runion : et c'est pourquoi il garde sa personnalité. 



LES TROIS CHAPITRES. i5T 

sonne. Aux monophysites, et aux sévériens en parti- 
culier, il faisait remarquer que si les caractères spéci- 
fiques de la nature humaine, to Xoytxov xal çôapTov eTvai,. 
se sont trouvés en Jésus-Christ — ce qu'ils concé- 
daient, — il faut bien admettre qu'il y a eu en lui 
une çufftç humaine, et par conséquent deux natures * . 
Et qu'on n'objecte pas l'exemple du corps et de l'âme, 
qui ne forment dans l'homme qu'une nature, pour con- 
clure qu'il n'y a non plus qu'une nature dans l'Homme- 
Dieu. Le résultat de l'union de l'âme et du corps en 
effet n'est pas seulement un individu t\< (ïv&pwTcoç : c'est 
une espèce, une «puatç caractérisée, une nature à la- 
quelle plusieurs individus peuvent participer; et 
comme on peut attribuer à chacun des individus ce 
qui est de la nature ou de l'espèce, on peut dire de 
chaque homme qu'il est fjtta cpuoriç, bien que le corps et 
l'âme gardent en chacun d'eux leur îSk^tkiç. Mais en 
Jésus-Christ il n'en va pas de même. Le résultat de 
l'union en lui n'est pas une nature christique, xP^az6-n[ç, 
eïSoç XptffTÔjv, qui puisse être participée : c'est forcé- 
ment un individu, une hypostase unique, incommu- 
nicable. Il n'est donc pas fA^a«pu<r«ç, il est jjiia uTtodTaoi; ^. 
Il n'existe que trois cas, ajoute Léonce, où l'on peut 
parler de fA^a «puct; : 1° relativement à l'espèce; 2° rela- 
tivement à l'individu en tant qu'il participe à l'espèce; 
3° lorsque de deux natures, par le mélange, s'en forme 
une troisième différente des deux autres, il êTeposiSSiv 
itepoeiSéç. Le cas de Jésus-Christ ne rentre dans au- , 
cund'eux^. 

Restait un dernier argument de Sévère : si l'on ad- 
met deux natures dans le Christ, il faut admettre 
deux IvEpystat, ce qui conduit à admettre deux per- 

i. i, 1317 D — 1320 A. 

2. 1, 1289 B — 1292 B. 

3. 1, 1292 BC. 



158 HISTOIRE DES DOGMES. 

sonnes. Cette difficulté né semble pas avoir frappé 
Léontje. Puisque chaque nature conserve ses îStojixaTa, 
il est dans l'ordre qu'elle conserve aussi ses Ivlpystai 
qui ne sont que ses propriétés réelles ou facultés en 
action ^ . Léonce repousse donc la Siatpe<7i; xa6' IvépYeiav 
qui impliquerait une séparation des natures *, mais il 
repousse aussi l'Cvoxm xaO' Ivlpysiav. De même, il écarte 
la formule sévérienne, xà; çuagiç (xov/j tî) iTttvoia 6£o)poufXEv, 
qui implique l'unité objective de nature en Jésus- 
Christ^, mais il justifie l'expression de quelques Pères, 
tJjv t5v cpuflTEWV Siaipeaiv xaO' eTcîvoiav Xajxêàvsiv, parce qu'il 
s'agit ici non de distinguer, mais de séparer les na- 
tures •*. 

Léonce maintient donc absolument la doctrine de 
Chalcédoine ; il tâche seulement de la concilier avec 
les formules cyrilliennes. Ceci est visible et dans les 
formules des moines scythes dont il a été un des pa- 
trons, et dans certaines autres façons de parler qu'il 
conserve malgré leur apparente hétérodoxie. S'il con- 
damne r^vtoffi; (Tuy^uTixiii ^, il approuve 1' ^vojaiç xat' oôaïav, 
Ivwffiç oôffitriSr);, qui n'est évidemment que l'ëvwdK; cpucrixii 
de saint Cyrille, et qu'il entend dans le sens d'Ivwaiç 
xaô' uTTootadiv^, puisqu'il donne pour toute preuve de sa 
légitimité la communication des idiomes, àvrCSodiç xwv 
(Sih)[AaTO}v ''. La formule fAia çuaiç toC ôcoô AÔ^ow ffeaapxw- 
|X£vri est semblablement adoptée et justifiée dans les nu- 
méros 16 et 17 des Capita iriginia contra Severum^. 

De tout ceci on peut conclure que Léonce de Byzance 



1. l,i320AB; cf. 2, 1932 C. 

2. 2, 1«»32 C, 1933 B. 

3. 2, 1029 D — 1932 D. 

4. 2, 1932 C; Cf. 1937C. 

5. 2, 1940 C — 1941 A. 

6. 1, 1297 D — 130a A, 130* B. 

7. Par exemple 1, 1303 C. 

8. 2, 1905. 



LES TROIS CHAPITRES. 159 

a été excellemment le théologien de son temps. II s'est 
attaché à la politique de Justinien, et s'est efforcé de 
la servir en aplanissant aux dissidents le chemin du 
retour à l'Église, et en détruisant, autant que possi- 
ble, les difficultés que leur raison soulevait dans le do- 
maine théologique contre cette réunion. De ces efforts 
la doctrine christologique a largement profité. Avec 
Léonce, on peut dire que la notion de la personnalité 
considérée au point de vue physique s'est complète- 
ment fixée, et que le problème de ses rapports avec la 
nature en Jésus-Christ a reçu sinon une solution adé- 
quate quant au fond, du moins un commencement 
d'explication exprimé en un terme juste et définitif. 
C'était là un progrès durable et que la suite devait 
consacrer, puisque saint Jean Damascène, écrivant 
deux siècles plus tard, devait reprendre sur ce sujet 
les mêmes idées, et souvent les mêmes formules que 
son prédécesseur. 



CHAPITRE VI 



VE MONOTHELISME. DEFINITION DE LA. DUALITE 
DES VOLONTÉS ET DES OPERATIONS EN jÉSUS-CHRIST ^ 



§ 1. — Les débuts du znonothélisme jusqu'à 
la publication de TEcthèse (619-638). 

On a vu, dans le chapitre précédent, comment le dé- 
sir de procurer dans l'empire l'unité religieuse avait 
conduit Justinien à l'affaire des trois chapitres. Un dé- 
sir semblable allait, pendant soixante ans, soulever 
dans l'Église une nouvelle querelle, celle du monothé- 
lisme. Ce n'est pas que la question d'une ou deux opé- 
rations, d'une ou deux volontés dans le Christ fût en- 
tièrement nouvelle. On se souvient que, s'appuyant sur 
saint Cyrille et sur le Pseudo-Aréopagite, Sévère s'é- 
tait prononcé nettement dans le sens de l'unicité 
d'opération et de volonté. A Léonce de Byzance, au 
contraire, la dualité des volontés et des opérations pa- 
raissait être une conséquence de la dualité des natures ; 
et cette opinion avait été celle d'Éphrem d'Antioche^, 

i. Sources :Le3 pièces originales dansMANSi, X, XI, et les Patrologies 
grecque et latine aux tomes indiqués. Consulter spécialement Hefele- 
Leclercq, Hist. des conciles, IH, 4. G. Owsepum, Die Entstehungsge- 
schichte des Monothelismus, Leipzig, 1897. G. KiiuEGER, Ârtic. Monothe- 
leten, dans Realencijklop. fur protest. Théologie, XIIL J. PAROoiRE, L'E- 
glise byzantine de 527 à Si7, paris, 4905. Duchesse, Eglise VP siècle, 
p. 434-483. 

2. P. G; LXXXVI, 2, col. 2103. 



LE MONÔTHÉLISME. 16t 

du moine Eustathe^ et de Jean de Scythopolis^. On 
parlait déjà de}*ialvépYei« et de pa ôsXvjffiç à Alexandrie^ 
vers l'an 600 ; et le patriarche Eulogius (580-607) avait 
dû réfuter ces erreurs 3. Mais il est probable que, res- 
tant dans le domaine théologique, la controverse n'au- 
rait été considérée que comme un incident secon- 
daire de la dispute monophysite. La raison politique 
vint lui donner tout à coup une ampleur inattendue. 

Héraclius avait à défendre l'empire contre les Per- 
ses et les Arabes "*, et telle était la force des haines 
confessionnelles dans les provinces où dominaient les 
monophysites que l'empereur pouvait craindre que les^ 
dissidents ne favorisassent les envahisseurs au lieu dfr 
les repousser. Il -importait donc souverainement de 
trouver une formule de conciliation sur laquelle ortho- 
doxes et hérétiques pussent s'entendre et sceller, aveo 
la paix religieuse, l'union contre l'ennemi commun. 
L'empereur crut l'avoir découverte dans la formule de 
l'unique opération dans le Christ. Un homme, qui lui 
était dévoué et en qui il avait pleine confiance, lui ai- 
derait, pensait-il/ à la faire accepter de tous : c'était le- 
patriarche de Constantinople, Sergius. 

Probablement, Sergius y avait déjà pensé de lui- 
même. Une série de conférences et de lettres se succé- 
dèrent pour réaliser le plan conçu. Dès 619, Sergius- 
écrit à Georgeg Arsas, paulianiste d'Alexandrie, pour 
lui demander de lui envoyer les textes des Pères par- 
lant d'une seule IvépYeia dans le Christ, afin de pouvoir,, 
sur cette formule, conclure l'union des paulianistes- 



i. Epist. de duab. naturis, ibid., col. 909 6. 

2. Doctrina Patrum, Diekamp, p. 83 et suiv. 

3. Dans son traité IIsps xîjç kyiou; xpiàSo; xal itepî tt); 6sCa; olxovo- 
P-iac, dont un fragment important a et édité par 0. BARDENHirwKn dans» 
Theologische Quarlalschrift, 78 (1896), p. 333-401, v. p. 372, 374,378. 

4. Pour ceux-ci à partir de 634. 



162 HISTOIRE DES DOGMES. 

avec l'Église'. En 622, au cours de sa campagne en 
Arménie, Héraclius confère à Théodosiopolis avec Paul 
le Sévérien (ouïe Borgne), et cherche inutilement à le 
gagneraumonénergisme^. En 626, à l'occasion d'une 
expédition en Lasique, l'empereur insiste encore sur 
le monénergisme auprès du métropolitain de la pro- 
vince, Cyrus de Phasis. Cyrus émet des doutes sur la 
légitimité de l'expression (xîa IvépYeta : la lettre de saint 
Léon lui paraît claire sur ce point. Mais, sur l'ordre de 
l'empereur, il en écrit à Sergius, pour savoir si, après 
l'union, on doit admettre en Jésus- Christ (xiav ^jY^^wpvix^iv 
cvÉpYeiKv^. Sergius le rassure, et lui envoie une lettre 
de Mennas, un de ses prédécesseurs, à Vigile, conte- 
nant un certain nombre de témoignages de Pères TOpl 
{iLiSç IvepYeîotç xai évo; ôsXv^fAaxoç toïï cwTÎipoç •^ijlGv XpiffTou^. 
Cyrus est gagné. Gagné aussi quelque temps après 
l'évêque de Pharan en Arabie, Théodore, à qui Sergius 
écrit de même en lui envoyant copie de la lettre de 
Mennas. Ainsi se formait peu à peu un premier noyau 
de monothélites. 

Une occasion se présenta bientôt pour lui de se mon- 
trer. Le patriarcat d'Alexandrie étant devenu vacant, 
Héraclius y fît nommer, en 631, Cyrus de Phasis, avec 
mission spéciale de conclure l'union avec les monophy- 
sites d'Egypte. Cyrus s'y employa avec zèle. Il gagna 
effectivement les théodosiens ou phthftrtolatres avec 
leurs clercs, les personnages de marque et plusieurs 
milliers de personnes, et, le 3 juin 633, célébra avec 
eux les saints mystères ^. L'union était fondée sur un 



1. P. G., XCI, 333. Les paulianistes étaient un parti monophysite. 

2. Mansi, XI, 5i9. 

3. Massi, XI, 5G0, 561. 

4. Maksi, XI, 529, K32. L'authen licite de cette lettre fut contestée par 
les lésais au VI« concile général de 680. On se demande si elle n'a pa« 
été fabriquée par Sergius lui-même. 

5. Epis t. Cyri ad Sergium, Mansi, XI, 861, 564, 



LE MONOTHELISMË. 163 

formulaire de neuf anathématîsmes concerté entre les 
deux partis *. On s'y rapprochait autant que possible 
du langage monophysite sans en adopter la doctrine. 
L'union en Jésus-Christ est cpuatxiQ xe xa\ xa6' uTtooTadiv 
(iv); Jésus-Christ est ix. Suo çuaeoiv : il est fAia cpuaii; tou 
Ô£oû Ao'you ceaapxwjxÉvTj, une seule hypostase synthétique, 
auvÔEToç (vi). Le septième anathématisme définissait le 
monénergisme : on y condamnait quiconque niait « qu'il 
n'y eût qu'un seul Christ et Fils, opérant les actions 
divines et les actions humaines par une seule opération 
théandrique, comme le dit saint Denys ^ : les éléments 
dont l'union s'est faite se distinguant par la seule con- 
sidération de l'esprit et le discernement de l'intelli- 
gence ». 

L'accord ainsi conclu fut triomphalement annoncé 
par Cyrus à l'empereur et à Sergius. Celui-ci répondit 
par une lettre ^, dans laquelle il félicitait son collègue 
et approuvait la doctrine des anathématîsmes et no- 
tamment du septième : TtSera Y^p Oeia xe xai àvôpwTtîvT) Ivép- 
YEia, disait-il, IÇ Ivôç xa\ tow aùxoû ffEaapxcofjiÉvou AoYouwpc- 
ripi"o : et il ajoutait que telle était la doctrine de saint 
Léon dans le fameux passage : IvepYeî IxarÉpa piopcpTi [xsxà 
T^ç ôaTÉpou xoivtoviaç. Dans cette citation, remarquons-le, 
l'ablatif £xaTépa fJtopçîj était mis pour le-ÎÏOminatif « agit 
utraque forma », ce qui modifie le sens. En tout cas, 
si le parti impérial triomphait, les monophysites ne 
triomphaient pas moins de leur côté. Pour eux, la re- 
connaissance d'une seule opération était la reconnais- 
sance équivalente d'une seule nature dans le Christ"*. 

i. Les voir dans Mansi, \I, SÔ4-SGS; Hxnx, S 333. 

2. 'EvepyouvTa ta QEonpEmj xal àvôpwniva jxiqt ôcavSpiv.^ êvEpyE(qt 
xaxà TÔv èv àyioii Atovudiov. Le mot èvépYEia, en lalin operatio, ne dé- 
signe pas dans celte controverse l'énergie ou la force active, maisractoi 
lui-même, l'opération, l'agir, to ivepYeîv 

». Mansi, X, 973-976. 

*. Vila Maximi, P. G., XC, 77. 



164 HISTOIRE DES DOGMES. 

Ce premier succès des monothélites fat suivi presque 
aussitôt (en 634) de deux autres. Une union fut conclue 
avec les Arméniens dissidents, qui malheureusement 
dura peu; et l'empereur gagna à sa cause, à condition 
de le reconnaître pour légitime, le patriarche mono- 
physite d'Antioche, Anastase. 

Ainsi, tout semblait aller pour le mieux pour la 
nouvelle doctrine et ses partisans. Une première oppo- 
sition cependant venait de s'élever dont Sergius mesura 
de suite l'importance. Au moment de l'union avec les 
théodosiens, deux moines se trouvaient en Egypte, 
Sophronius et Maxime, dont le premier eut communi- 
cation des neuf anatliématismes de 633. Sophronius en 
aperçut immédiatement le venin, et supplia Cyrus d'y 
renoncer '. N'ayant pu l'obtenir, il se rendit auprès de 
Sergius pour le même objet, sans plus de résultat. 
Même, si l'on en croit Sergius 2, celui-ci persuada à 
Sophronius de ne plus parler ni d'une ni de deux opé- 
rations en Jésus-Christ, et de s'en tenir à la doctrine 
universellement reçue des deux natures, et de l'unique 
personne de Jésus-Christ opérant à la fois les choses 
divines et humaines. Sergius en écrivit à Cyrus dans 
ce sens, et Sophronius revint en Palestine. Mais, sur 
la fin de cette^^nnée 633, ou au début de 634, Sophro- 
nius fut élu patriarche de Jérusalem. Cette circonstance 
changeait sa situation doctrinale. De simple fidèle 
il devenait juge de la foi : le silence lui parut une for- 
faiture. A l'occasion probablement de son introni- 
sation (634), il tint à Jérusalem un synode qui défi- 
nit la doctrine des deux opérations et des deux 
volontés (Suo ÔêXi^ffeiç xal IvEpyeiaç)^, puis il envoya sur 
ce sujet sa lettre synodale (ypa[jL[jiaTa IvepoviffTixà) au 

i. Maksi, X, 691 ; XI, S32. 

2. Lettre de Sergius à Honorius, Mansi, XI, 533, S36. 

3. Mansi, X, 607. 



LE MONOTHELISME. 165 

pape Honorius, à Sergius et aux autres patriarches ♦. 

Cette lettre, dont l'importance est considérable, 
peut se diviser en trois parties. La première (col. 465- 
472) s'occupe de la Trinité. La seconde aborde la ques- 
tion christolog-ique. Sophronius expose d'abord la 
doctrine de l'unité de personne et de la dualité des 
natures, puis en vient au problème des opérations. La 
dualité des opérations dans le Christ est, d'après lui, 
une conséquence de la dualité des natures et de la 
persistance de leurs propriétés. « Comme dans le Christ 
chaque nature conserve sans diminution sa propriété, 
ainsi chaque forme opère en communion avec l'autre 
ce qu'elle a de propre » (col. 480). Puisque l'être des 
natures est distinct, distinctes aussi sont les opérations, 
et nous nous gardons d'admettre que ces natures n'ont 
qu'une unique opération essentielle et physique, de 
peur que nous ne soyons amenés à les fondre en une 
seule nature (col. 481). Car c'est par les opérations, 
disent les philosophes, que l'on discerne les natures, et 
c'est la différence des opérations qui permet de saisir 
la diversité des substances (col. 484). Quant à cette opé- 
ration théandrique dont parle Denys, il faut remarquer 
que Denys ne la donne pas comme V unique opération 
en Jésus-Christ, mais comme une opération nouvelle 
(xaiv^v... iTepoyevEï xai Stacpopov) qui s'ajoute aux deux 
autres, et qui comprend les actions où la divinité et l'hu- 
manité s'exercent à la fois (col. 488). 

Toutefois, s'il y avait en Jésus-Christ deux opéra- 
tions, il n'y avait qu'un opérateur, Sophronius ne l'ou- 
bliait pas : « Toute parole et toute opération, qu'elle 
soit divine et céleste, ou humaine et terrestre, nous 
professons qu'elle vient d'un seul et même Christ et 

1. On la trouve dans Maksi, XI, 461-509, et dans P. G., LXXXVII, 3, col. 
3148-3200. V. hahn, § 233. Les colonnes indiquées dans mon texte se rap- 
PorteatàHanBi. 



166 HISTOIRE DES DOGMES. 

Fils et de son unique hypostase synthétique. C'était le 
Verbe de Dieu incarné qui produisait naturellement de 
lui chaque opération, sans division et sans confusion, 
suivant ses natures : suivant la nature divine, en la- 
quelle il était consubstantiel au Père, l' opération divine 
et inexplicable; et suivant la nature humaine, en laquelle 
il restait consubstantiel à nous, hommes, l'opération 
humaine et terrestre : chaque opération convenable et 
correspondante à chaque nature » (col. 484; cf. 480). 

Il est remarquable que Sophronius, qui affirme si 
bien deux opérations dans le Christ, ne parle nulle 
part de deux volontés. Il n'ignorait pas cependant 
ce que Sergius pensait de ce dernier point. Mais la 
controverse n'avait pas encore fait éclat dans ce sens, 
et on ne saurait de son silence conclure, comme on 
l'a fait (Dorner), que le patriarche de Jérusalem ad- 
mettait, au-dessus des deux opérations, une volonté 
hypostatique unique. Il observait seulement que Jésus- 
Christ ne subissait pas involontairement et néces- 
sairement (àxouffiwc ^ (xvaYxaffTwç) les mouvements et 
passions de la nature humaine, bien qu'il les subît 
naturellement et humainement (cpoaixwç xa\ àvepwTri'vojç, 
col. 484 et suiv.). Ce n'est pas dire que l'activité et vo- 
lonté humaines fussent régies et mues par la seule 
volonté divine. 

La troisième partie de la lettre de Sophronius (col. 
489-509) s'occupait de questions étrangères à notre 
sujet et qu'il est inutile de rapporter ici. On y re- 
marquera seulement l'acceptation entière de toutes 
les lettres de saint Léon « comme sorties de la bou- 
che de Pierre, le coryphée des apôtres » (col. 497). 

Tels sont les principaux traits de ce long docu- 
ment, écrit d'un style boursouflé et prolixe, la pre- 
mière protestation contre l'erreur monothélite. 

Sergius avait dû pressentir son apparition, car, avant 



LE MONOTHÉLISME. 167 

même qu'il ne fût publié, il avait lâché — ce qui lui 
était du reste commandé par ailleurs — de s'en gar- 
der du côté de Rome. Le pape était alors Honorius 
(27 octobre 625-638). Il était capital, si l'on voulait 
faire quoi que ce soit de durable, de l'avoir avec soi. 
Aussi Sophronius était-il à peine élu patriarche, que 
Sergius écrivait à Honorius une lettre à laquelle plus 
d'un emprunt a été fait pour l'histoire des origines de 
cette controverse^. Après y avoir rapporté les événe- 
ments résumés ici jusqu'à son entrevue avec Sophro- 
nius à Constantinople, Sergius continuait en plaidant 
perfidement la cause monothélite, bien qu'il parût ne 
désirer que le silence sur ces questions. A la suite de 
sa conférence avec Sophronius, disait-il, il avait écrit 
à Cyrus d'Alexandrie, pour lui recommander de ne 
parler ni d'une seule opération, puisque cette ex- 
pression, bien qu'usitée par quelques Pères, cho- 
quait certaines personnes, ni de deux opérations, 
puisque cela paraissait une nouveauté et scandali- 
sait beaucoup de gens. D'autant plus qu'admettre 
deux opérations conduirait à admettre en Jésus- 
Christ deux volontés contraires l'une à l'autre, ce 
qui est une impiété (à).Xà y«P "al iTcecrôai rauTy) To, xa\ 
8uo TrpEcêeuEiv bekri\f.a-z(x Ivavxtwç icpoç aXXrjXa eyovTi, COl. 

533). La doctrine des Pères en effet est que l'humanité 
de Jésus-Christ n'a jamais eu de mouvement contraire 
à la volonté du Verbe qui lui était uni, mais a ac- 
compli son opération naturelle quand et comment et 
autant que le Verbe l'a voulu (rriv «puffixriv aÙT^ç Trotr^- 
(raffôai x(vr,(iiv ôtcote, xai otav, xat oaTiv aùxo; ô 0eèç Aoyoç 
^SoùXêto, col. 536). Cette humanité était, vis-à-vis du 
Verbe, exactement ce qu'est notre corps vis-à-vis de 
l'âme qui le régit (TJYefAoveûsTai), l'orne et le dispose à son 

*. La voir dans Mansi, xi, 529-537. 



168 HISTOIRE DES DOGMES. 

gré. De même l'humanité en Jésus-Christ était tou- 
jours et en tout mue et régie par la divinité du Verbe 
(ÔTco Tï)ç auTOU Tou Aoyou 6£oxv)To; iv. xa\ Iv naoïv àyoï^-evov 
«EoxivrjTov ^v, col. 536). Malgré cela, continue Sergius, 
nous avons préféré laisser ces discussions et nous en 
tenir au langage courant des Pères. C'est à quoi So- 
phronius a consenti, et ce que nous avons suggéré à 
l'empereur, en lui envoyant les témoignages des Pères 
sur l'unique opération et l'unique volonté contenus 
dans la lettre de Mennas à Vigile. Nous lui avons con- 
seillé de confesser simplement « que le Fils unique de 
Dieu, vraiment Dieu et homme à la fois, opère, lui 
unique, les choses divines et humaines, et que du 
même et unique Dieu Verbe incarné, comme nous l'a- 
vons dit, procède sans partage ni division toute opéra- 
tion, soit divine, soit humaine» (col. 537). C'est là ce 
que saint Léon a enseigné par son « Agit enim utraque 
forma cum alterius communione quod proprium est ». 

Cette façon de traiter la nouvelle question par le 
silence ne pouvait que plaire extrêmement à, un ro- 
main comme Honorius. Il donna droit dans le piège 
que Sergius lui tendait. On a de lui au patriarche de 
Constantinople deux lettres qui ont occasionné bien 
des discussions et qui demandent une analyse atten- 
tive. 

La première ^ est une réponse immédiate à la let- 
tre de Sergius; le pape n'a pas encore reçu le docu- 
ment intronistique de Sophronius. Cette réponse, d'une 
rédaction confuse, peut se résumer dans les trois 
idées suivantes : 1° On doit éviter de dire une ou deux 
opérations : ce sont là des questions nouvelles de 



1. On n'a plus l'original latin, mais une traduction grecque recon- 
nue fidèle au Vl« concile général, dans Mansi, XI, 837-S44. Le latin donné 
par Mansi et par Migne (P. L., XL, 470-474) représente «ne vieille tra- 
duction faite sur le grec. 



LE MONOTHELISMB. 169 

mots qui scandalisent les simples. Si nous disons 
deux opérations, on nous prendra pour des nestoriens ; 
si nous parlons d'une seule opération, on nous croira eu- 
tychiens". Nous savons par rÉcriture que Jésus-Christ 
est l'unique opérateur de la divinité et de l'humanité \ 
qu'il a opéré d'une multitude de façons; mais ni les 
évangiles ni les apôtres ni les conciles n'ont parlé 
d'une ou de deux opérations : et décider s'il est à pro- 
pos en effet de dire une ou deux opérations n'est pas 
notre affaire : c'est celle des grammairiens et des phi- 
losophes. Qu'on se taise donc sur ce point, ou, si 
quelqu'un veut s'en occuper, qu'il ne fasse pas de son 
opinion un dogme, de foi. — 2° Il faut s'en tenir à 
ceci : Jésus-Christ, personne unique, a accompli à la 
fois les oeuvres divines et les œuvres humaines avec 
le concours des deux natures : le même Jésus-Christ 
a opéré dans ses deux natures divinement et humai- 
nement. — 3° Quant à l'unité de volonté, on doit la 
reconnaître ; car le Verhe a sans doute pris notre na- 
ture, mais non pas notre nature viciée ; il a pris notre 
chair, sans la loi de la chair qui répugne à celle de 
l'esprit. Il n'y a donc pas eu en Jésus-Christ de vo- 
lonté de sens différent, ni contraire (Staçopov rj èvavrtov 
OÉXyifAa) à la loi de l'esprit ; et, s'il est dit : Je ne suis 
pas venu faire ma çolonté, mais celle du Père gui 
n'a envoyé [loan., vi, 38), et : Non pas ce que je veux. 
Mais ce que vous voulez, mon Père [Marc, xiv, 36), 
«ela ne dénote pas une volonté différente [de celle du 
Père], mais seulement l'économie de l'humanité qui a 
été prise (oùx slal Taïïxa Siaçopou 6eXiq(j(,«Toç, àXXà t^ç 
«Ixovofjiiaç XYÎ; (xv6pwiïOT>jToç t^ç irpoffXTjtpôeiaviç). Ces paroles 
ont été dites pour notre instruction, afin qu'imitant 
l'exemple du Maître, chacun de nous préfère à sa 
volonté propre celle de Dieu. 
La deuxième lettre d'Honorius, dont on ne possède 

10 



170 HISTOIRE DES DOGMES. 

que des fragments ^ est postérieure à la lettre syno- 
dale de Sophronius dont elle semble blâmer les excès. 
Elle reproduit à peu près les idées de la première. 
Le pape souhaite encore que l'on supprime de la pré- 
dication delà foi la mention nouvelle d'une ou de deux 
opérations. L'existence en Jésus-Christ de deux na- 
tures est claire d'après les Écritures; mais c'est folie 
(«avu (iotatov) de parler dans le médiateur Jésus d'un? 
ou de deux opérations. Dans le second fragment, Ho 
norius touche à un moment à la vraie doctrine en re- 
produisant la formule de saint Léon : chaque nature, 
unie à l'autre d'une union naturelle, et en communion 
avec elle, opère et est opérante, la divine accomplis- 
sant ce qui est de Dieu, l'humaine accomplissant ce 
qui est de la chair, sans division, ni confusion, ni con- 
version. Ce qui n'empêche pas le pontife de conclure 
encore qu'au lieu d'une ou de deux opérations, il vaut 
mieux parier d'un seul opérateur et de deux natures 
opérantes. Le pape ajoutait qu'il écrivait dans le 
même sens à Cyrus et à Sophronius, et que les dé- 
légués de celui-ci lui avaient promis que le patriar- 
che de Jérusalem cesserait de parler de deux opéra- 
tions, pourvu que celui d'Alexandrie voulût bien, de 
son côté, ne plus parler d'une seule opération. 

Ces deux lettres ne pouvaient qu'encourager Ser- 
gius à persévérer dans la réalisation de son plan. Tou- 
tefois, comme il importait^ de pallier l'effet produit 
par l'éclat de Sophronius, il prépara dès 636, et fit 
signer par l'empereur en 638, lorsque celui-ci revint 
d'Orientale texte d'unédit destiné à fixer l'attitude que 
l'on devait garder dans ces questions : c'est VEcthèse. 

L'Ecthèse^ est une professionde foi. Après avoir ex- 
posé la doctrine de la Trinité et de l'incarnation en 

\. Grec-latin dans Mansi, XI, 579-582; latin dans P. L., XL, 474, 473. 
8. Texte dans Mansi, X, 992-997. Extrait dans Hahn, § 23i. 



LE MONOTHÉLISME. 171 

général, elle en vient à la question des opérations et 
des volontés en Jésus-Christ. Toute opération soit di- 
vine soit humaine doit être attribuée au seul Verbe 
incarné ; mais il faut éviter de dire ou d'enseigner une 
ou deux opérations: mieux vaut dire qu'il n'y a qu'un 
seul Jésus-Christ qui opère àla fois les choses divines 
et humaines. L'expression une opération en choque 
plusieurs, qui pensent y voir un détour pour revenir 
au monophysisme ; d'autre part, l'expression deux opé- 
rations, inouïe jusqu'ici, en scandalise beaucoup, 
parce qu'elle conduit à admettre en Jésus-Christ deux 
volontés contraires : «Aussi, conclut l'Ecthèse, suivant 
en tout, et en ceci particulièrement, les saints Pères, 
nous confessons en Notre-Seigneur Jésus-Christ vrai 
Dieu une seule volonté, car en aucun temps sa chair 
vivifiée d'une âme intelligente n'a, séparément et de 
sa propre initiative, et contre l'assentiment du Verbe 
divin qui lui était hypostatiquement uni, exercé son 
activité naturelle, mais bien quand, et de la façon et 
autant que le Dieu Verbe le voulait'. » La pièce se 
terminait sur une exhortation à tous les chrétiens d'ac- 
cepter cet exposé de foi sans y rien changer. 

En Orient, l'Ecthèse fut acceptée en effet par la ma- 
jorité de l'épiscopat. Sophronius était mort et avait 
reçu pour successeur un monothélite, Sergius deJoppé; 
Macédonius d'Antioche et Cyrus d'Alexandrie favori- 
saient les vues de l'empereur. A Constantinople, deux 
conciles tenus, l'un par Sergius entre les mois de sep- 
tembre et de décembre 638 2, l'autre par son succes- 
seur, Pyrrhus, en 639, approuvèrent l'Ecthèse, et 

1. "Ev 8éXï){JLa Toû xupîoy :fi(iûv 'IriaoO Xpioroû TOy à>Ti8tvoû âsoû 
ôjioXoYOÛttev, <î)î iv {leSevl xatptp trj; voepû; è^^yxoiJ^^ilÇ aÛToy ffopxô; 
K£-^(<)ptff|X£v(t>( xocl èÇ olxetaç ôp(x^; évavTJMÇ tû vgO^ian toû ■fi'-wix.ïvou 
aÙT^ xaé' ÛTTÔatafftv OeoûAÔYow, Tnv çumxïlv aùx^; icon^daoGat xtvvjffiv, 
àXV ôïtore, xal e»lav xal ôcnv aùrb; ô 6eà; Aôyo; ^èov).(TO (996 C). 

S. Sergius mourut le 8 ou le 9 décembre 638. 



172 HISTOIRE DES DOGMES. 

condamnèrent quiconque professait une ou deux opé- 
rations ' . Les difficultés ne pouvaient donc venir de 
l'Orient: les décrets impériaux les plus manifestement 
abusifs étaient toujours sûrs de rencontrer dansl'épis- 
copatune adhésion servile. Mais elles allaient venir de 
Rome et de l'Occident. Honorius était mort le 12 octo- 
bre 638, et ses successeurs devaient regarder de plus 
près que lui à toutes ces questions. La vraie opposi- 
tion au monothélisme était sur le point de commencer. 

Avant d'en rappeler brièvement les diverses phases, 
il est nécessaire que nous nous fassions ici une idée 
précise delà doctrine monothélite. Cette doctrine est 
assez confuse et ne saurait être bien comprise sans 
quelques éclaircissements. 

La christologie orthodoxe admet que le Verbe s'est 
uni la nature humaine au point de se I^approprier et de 
la faire sienne. Les actions et passions de.cétt« nature 
lui sont donc rapportées comme au centre d'imputation : 
c'est lui, c'est le Verbe incarné qui agit et qui souffre 
dans et par cette nature. Mais ces mots doivent être 
exactement entendus. La nature humaine n'est pas aux 
mains du Verbe ce que serait un instrument aux mains 
d'un principe actif, la hache aux mains de l'ouvrier par 
exemple. La personnalité prise à part de la nature en 
effet n'a en soi aucune activité, n'est pas un principe 
dynamique : c'est un simple mode d'être de la nature, le 
mode d'exister à part soi et de former un tout phy- 
sique indépendant. La personnalité est une condition 
requise pour que la nature exerce son activité, car 
une nature àvuudffTaToç ne pourrait pas exister, ni par 
conséquent agir; mais la personnalité ne met pas en 
branle cette activité. Si les actions et passions de la 
nature sont rapportées à la personne, ce n^est pas que 

1. SUxsi, X, 1000,1001, 100*. 



LE MONOTHELISME. 173 

la pecsonnEdité prise isolément en soit la cause princi- 
pale ofûcace : c'est parce que la personne concrète 
comprend et la nature et la personnalité, c'est-à-dire 
exprime le tout auquel doivent être rapportées les ac- 
tions et passions de la nature, partie improprement 
dite de ce tout. 

Par conséquent, lorsqu'on dit que le Verbe incarné 
agtJietsouifredans et par sa nature humaine, que veut-on 
dire? Simplement que la nature humaine existant dans 
l'être du Verbe comme dans son hypostase ou sa per- 
sonnalité agit et souffre, et que ces actions et passions 
sont légitimement attribuées au tout concret, à la per- 
sonne du Verbe incarné. Le même raisonnement pour- 
rait être fait pour la nature divine du Verbe, et nous 
verrions ainsi que les activités et opérations divines 
et humaines de Jésus-Christ, Verbe incarné, doivent 
être considérées comme formant deux séries parallèles * , 
ayant l'une et l'autre la condition de leur existence 
dans la personnalité du Verbe, mais procédant de cha- 
cune des deux natures comme de leur vrai principe ef- 
ficient^. Ces séries, dis-je, sont parallèles et nonsubo/'- 
données : l'activité humaine n'est pas subordonnée 
physiquement à l'activité divine, parce que ce n'est pas 
la nature divine, mais bien la personne du Verbe, 
simple relation subsistante, qui a fait sienne l'huma- 
nité. Si donc il y a harmonie entre ces deux activités 
en exercice, cette harmonie n'est pas obtenue d'une 
façon en quelque sorte mécanique : elle résulte ducon- 

l.Le mat. parallèle ne doit point se prendre iciau sens strict et géo- 
mélrigue, puisque les deux séries ont un point commun de rencontre 
dans 1e Verbe; la suiteexpliqué suffisamment le sens que je lui donne. 

2. C'est bien ce qu'a voulu exprimer saint Léon dans la phrase fa- 
meuse :« Agit eni m utraque forma cum alterius communione quod 
proprium est ». Le mot forma a l'inconvénient d'être abstrait, mais il 
marque bien que les natures sont, en Jésus-Christ, les principes ac- 
tifs. Cette activité de chaque nature s'exerce « cum alterius comnm- 
Qione », pwce que les deux natures sont unies dans le Verbe. 

10. 



174 HISTOIRE DES DOGMES. 

sentement libre et spontané de Thomme réglant ses 
résolutions et ses actes conformément au vouloir et aux 
actes divins. 

Ces principes ont été complètement oubliés ou mé- 
connus parles monothélites. Sous l'influence du mono- 
physisme sévérien qui mettait partout et toujours en 
relief la personne du Verbe, ou du monophysisme 
eutycliien qui absorbait la nature humaine dans la 
nature divine de Jésus-Christ; plus en arrière encore, 
sous l'influence de l'apollinarisme pour qui l'humanité 
du Christ privée d'âme humaine n'était qu'un organe 
mort aux mains de sa nature divine , les monothélites 
ont considéré la personne du Verbe comme un prin- 
cipe actif mouvant à son gré la nature humaine, ou ils 
ont fait de celle-ci une appartenance, par l'tîtoTrotrifftç, 
de la nature divine en Jésus -Christ. Les deux activités 
divine et humaine ne s'exercent plus parallèlement : 
l'humaine est subordonnée à la divine et, suivant 
l'expression de Sergius, ne s'exerce plus que a quand 
et de la façon, et autant que le Verbe divin le veut ». 

Cette dépendance cependant peut se concevoir d'une 
façon plus ou moins absolue, et il y a lieu de se de- 
mander comment les monothélites l'ont entendue. 

On peut imaginer d'abord que les facultés humaines, 
y compris la volonté, n'accomplissent plus aucun acte 
élicite et spontané, mais agissent uniquement sur l'or- 
dre et sous l'impulsion de la volonté divine. Celle-ci 
les meut et les applique à l'action, et la volonté hu- 
maine, mue elle-même, ne fait que transmettre aux 
autres facultés l'impulsion divine. La volonté humaine 
étant ainsi réduite à l'état passif, il n'y a vraiment dans 
le Christ qu'un seul vouloir, Iv egXï}(xa, le U\r^\J.«. divin 
ou hypostatique, et il n'y a qu'une opération , {*■-« 
îvépYeiat, si l'on considère celle-ci dans sa source pre- 
mière. 



LE MONOTHËLISME. 175 

Or il n'est pas douteux que cette forme d'erreur n'ait 
été professée par Sergius et ses partisans. La façon 
dont la lettre de Sergius à Ilonorius, l'Ecthèse, et 
Paul de Constantinople dans sa lettre au pape Théo- 
dore représentent l'humanité du Christ comme s'étant 
approprié le 6£Xr,{*a Oetov xal a^tatpopov du Verbe ; comme 
étant uir' aÙTou (Aoyou) Sià TtavTOç, Iv iraoïv, àyofxÉvYj ts xa\ 
xivou|jL£vï), et par conséquent Geoxivïjto;; comme n'exer- 
çant pas son activité propre (çii(itxy,v xi'vYjdiv) indépen- 
damment du Verbe et en dehors de son impulsion, 
mais seulement ÔTtc^te, xa\ oîav, xal ^(Itiv 5 6eoç Aoyo; rjêouXsTO, 
prouve manifestement que ces auteurs supprimaient 
en Jésus-Christ homme toute spontanéité et tout acte 
de volonté libre. Et Macaire d'Antioche le signifia sans 
détour au VI« concile général, lorsque, interrogé s'il 
admettait en Jésus-Christ deux volontés naturelles et 
deux opérations naturelles, il répondit : Où U^bi Siio 
(puoixJt OeX^Qjxaxa v\ 8uo evepyEiaç çuotxiç Itci tîjç evaâpxou 
otxovo(A(a( TOu Kupiou -JjuLWv '1/içou Xpt5T0u , «XX' Iv ôcXr,[jLa xa\ 
ÔEavSpix-Jiv ivipYSiiv^. 

Mais on peut concevoir les choses d'une façon plus 
radicale encore, et refuser simplement à l'humanité de 
Jésus-Christ toute capacité propre d'agir. Cette huma- 
nité n'est plus alors qu'une substance inerte dans la- 
quelle se répand et s'exerce l'activité divine, à peu près 
comme le corps reçoit de l'âme sa vie et son mouve- 
ment. Le principe dynamique est unique, et par con- 
séquent unique aussi l'IvépytiB, l'action et opération de 
ce principe. C'est plus spécialement le monènergisme. 
Il semble bien que les monothélites en bon nombre ont 
reculé devant cette façon extrême de comprendre en 
Jésus-Christ l'unité d'opération. On a remarqué que, 
passé les premières années, Sergius, s'il veut que l'on 

i; Mansi, XI, 3iS B. 



176 HISTOIRE DES DOGMES. 

confesse l'imité de volonté, demande: simplement que 
l'on se taise sur l'unité ou la dualité de l!lvépY6ta : et il 
ne paraît pas avoir nié l'existence, dans l'humanité de 
Jésus-Christ, de facultés naturelles capables d'agir. Il 
est probable cependant que plusieurs de ses partisans 
n'ont pas imité sa réserve^. C'était, en effet, la doctrine 
d'Apollinaire, dont le monothélisme procède évidem- 
ment, qu'en Jésus-Christ le Verbe est la force, l'éner- 
gie, le moteur, tandis que l'humanité ou plutôt le corps 
est l'élément passif, le mobile, l'organe. Les fragments 
107 et 117 de ses œuvres^ sont péremptoires à ce point 
de vue : ôeôç àvaXaêwv opyavov xal bséq laxt xaOo lvÊpY«, xal 
âvôpwTroç xaTà to opYavov. Msvtov Bl 6eoç où [/.eTaêsêXTiTcit, 
'Opyavov xa\ tb xivoïïv (/.lav TuéipuxEV àTtoTsXeîv x*iv «vépYSiav^, 
Or cette doctrine se retrouve dans Théodore de Pha- 
ran : Elvai (Atav Y'vwcrxeiv IvspYeiav, Tautîjç Ss xeyylrriv xal 
SvjfjiioupYov tov Oeov Aôyov* opYavov SI t^v âvôptriTrÔTïjTa "*, La 
comparaison de l'union des éléments divin et humain 
dans le Christ avec celle du corps et de l'âme en 
l'homme, que les monothélites pressaient volontiers, 
conduisait d'ailleurs naturellement à cette conclusion, 
et beaucoup ont dû n'y pas échapper. 

Il est enfin une troisième façon de comprendre en 
Jésus-Christ l'unité d'opération et de volonté : c'est 
de considérer tous ses actes comme provenant d'une 
unique nature mixte, théandrique, dont les actes 
portaient le même caractère. Des euty chiens ont pu 
entendre ainsi l'IvépYeiot OeavSpixîi du faux Denys; mais 
ce n'était pas le cas de la masse des monothélites. 



i. C'est l'avis de Petau, De incarnalione, VIII, cap. 4-6, et d'A. Chil- 

LET, op. cit. 

2. Edit. LiETZMANs, p. 232, 23S. Cf. .le deuxième volume de cette his- 
toire, p. 100. 

3. Fragm. 117. Il fut lu à la onzième session du VI* concile généralr 
»Unsi, XI, 449 1)E. 

4. Mansi, X, 961 D. 



; LE MONOTIIELISME. 177 

Voilà donc quel était le sens précis des formules 
mises en avant par Sergius et par l'empereur pour se 
concilier les monophysites : il n'y a en Jésus-Christ 
qu'une seule volonté et une seule activité vraiment 
spontanée et libre, l'activité et la volonté divines. L'ac- 
tivité de la nature humaine, si tant est qu'elle existe, 
leur est complètement subordonnée : l'humanité n'est 
aux mains du Verbe qu'un instnmient docile dont il 
se sert, mais qui ne saurait d'ailleurs avoir aucune 
initiative. 

C'est contre cette fausse conception de l'humanité 
du Christ que l'orthodoxie allait engager la lutte. 



§ 2. — La réaction dyothélite jusqu'au concile 
de Latran de 649. 

Le pape Honorius, avons-nous dit, -était mort le 
12 octobre 638. Son successeur Severinus, qui ne ré- 
gna que deux mois, eut peut-être le temps de con- 
damner le monothélisme ^ En tout cas, Jean IV, élu 
après lui, le jfit condamner par un concile tenu à Rome 
en janvier 641 ^, et communiqua cette sentence à Hé- 
raclius^. Héraelius mourut le 11 février de cette même 
année, laissant le trône à ses deux fils, Héraelius 
le Jeune et Héracléon. Cette circonstance amena le 
pape à lewr écrire presque aussitôt une lettre impor- 
tante dont l'objet était d'exposer la vraie doctrine, et 
surtout de justifier l'orthodoxie d'Honorius \ Sergius, 
disait-il, ayant mandé à Honorius que quelques-uns 
enseignaient l'existence en Jésus-Christ de deux vo- 

1. HÈFELE-LECUBBCft Btst. desconc, m, 1, p. 392. 

2. Massi, X, 6ft7-610. 

3. Héraelius, dan» sa répense, dont il reste ane citation, affînna que 
rEclhèse n'était pas de lui, mais de Sei^ius (Hassi, XI, 9;. 

4. Elle se trouve dans Mansi, X, 682-686, et P. L., LXXX, C02-6OT. La 
lettre est de 641. 



178 HISTOIRE DES DOGMES. 

lontés contraires, Honorius avait justement condamné 
cette erreur. En nous, en effet, qui naissons dans le 
péché et qui éprouvons la loi de la chair, il existe deux 
volontés opposées : duos autem dico mentis et carnis 
invicem reluctantes ; mais en Jésus-Christ né inno- 
cent et en dehors de la convoitise, rien de semblable : 
il n'y avait dans sa sainte humanité qu'une volonté 
humaine; et c'est ce qu'avait voulu signifier Honorius. 
Au lieu de cela, le patriarche Pyrrhus et ses partisans 
le représentent comme n'ayant attribué à Jésus-Christ 
qu'une seule volonté, commune à la fois à la divinité 
et à l'humanité. Rien n'est plus faux ^ ; et d'ailleurs 
cette doctrine n'est pas soutenable. L'unité de volonté 
supposerait ou que la divinité ou l'humanité du Sau- 
veur est incomplète, suivant que l'on admettrait que 
cette volonté est humaine ou qu'elle est divine, ou que 
les deux natures n'en font qu'une, si l'on admettait 
que l'unique volonté et l'unique opération viennent à 
la fois de la divinité et de l'humanité. — Le pape, en 
terminant sa lettre, demandait la suppression de l'Ec- 
thèse. 

On ne sait au juste quelle impression cette lettre 
produisit à Constantinople : des bouleversements sur- 
vinrent qui jetèrent en scène coup sur coup d'autres 
acteurs. Héraclius le Jeune mourut cette année même 
(641) ; Héracléon fut renversé, et le trône occupé par 
Constant II. De son côté, le patriarche Pyrrhus fut 

l.Oa remarquera que Jean IV faisait porter la défense d'Honorius 
uniquement sur la question de l'unité de volonté. Il ne justifiait pas 
son prede<"esseur d'avoir défendu de parler d'une ou de deux opéra- 
tion «, ft .l'avoir dit c|ue, sur ce point, l'Écriture ne donne aucun en- 
seignoœent. De plus, il ne voyait dans le texte d'Honorius que l'affir- 
matiocx i'une seule volonté humaine en Jésus-Ctirist. Or Honorius 
avait tnoste en elfet sur l'unité de la volonté humaine, par suite de 
l'absence de concupiscence en Jésus-Christ, mais pour en conclure 
qn'il n'j avait non plus en lui qu'une seule volonté divine et humaine 
quant à l'ohjel voulu. Sur ce dernier point, à vrai dire, Honorius n'a- 
vait pas besoin d'être défendu. 



LE MONOTHÉLISME. 179 

impliqué dans la révolution : il dut s^enfuir en Afrique 
et reçut — sans qu'il eût donné sa démission — pour 
successeur un prêtre de Constantinople, Paul H (l**"^ oc- 
tobre 641). Enfin, le pape Jean IV mourut le 12 octobre 
642, et, à sa place, on élut Théodore (24 novembre 
642). Mais la politique pontificale resta la même. Aux 
lettres de communion de Paul, Théodore répondit' 
en condamnant de nouveau l'Ecthèse — que Cons- 
tant Il avait d'ailleurs retirée, — en faisant remar-« 
quer au patriarche que sa situation canonique n'était 
pas régulière, et en réclamant de lui une attitude 
doctrinale nette. Ces représentations furent inutiles. 
Pendant que Pyrrhus soutenait en Afrique, en juillet 
645, contre l'abbé Maxime, la célèbre conférence dont 
celui-ci sortit vainqueur ^ ; pendant que, à la suite de 
cette victoire, un énergique mouvement conciliaire 
se produisait en Afrique contre le monothélisme ^, 
Paul de Constantinople répondant, en 647, à de nou- 
velles instances du pape ne sut que reproduire, en la 
renforçant encore, la doctrine de l'Ecthèse''. Toute 
opération soit divine soit humaine vient du seul Verbe 
incarné. Il n'y a en Jésus-Christ qu'une seule volonté, 
parce que, autrement, il y aurait en lui deux volontés 
contraires et deux personnes, et parce que son huma- 
nité s'est approprié la volonté divine du Verbe, rece- 
vant en tout de lui l'impulsion et le mouvement (ôeïov 
^xéxTïiTO xal àStacpopov ôgXïjfxa, uit' «ûtoïï (Aoyou) Stà «avToç 
àyojjiévTi as xal xivoufjL^vïj), et n'exerçant jamais de sa pro- 
pre initiative et séparément de lui son activité natu- 
relle, mais seulement quand, et de la façon, et autant 
que le Verbe le voulait. 



1. Massi, X, 702-708; P. L., LXXXVII, 7S-80. 

2. V. les acles dans Mansi, X, 70a-7G0; P. G., CXI, 286-383. 

3. V. les lellres dans Mansi, X, 919, 920, 930, 9i'i. 

4. V. sa lettre dans Maksi, X, 1020; P. L., LXXXYII, 91 ; Haun, S 235. 



180 HISTOIRE DES DOGMES. 

On ne pouvait donc rien attendre du patriarche de 
Constantinople. En 648 ou 649, Théodore le déposa'. 
Mais à ce moment même ou un peu auparavant, en 
648, l'empereur lançait, sur lès conseils de Paul, un 
nouvel édit : c'était le Type. 

Le Type 2 prétendait imposer silence aux deux 
partis, et terminer la controverse en la supprimant. 
Le monothélisme et le dyothélisme y recevaient égal 
traitement : on devait cesser absolument de discuter 
s'il y avait dans le Christ une ou deux opérations, une 
pu deux volontés. L'Ecthèse était retirée; mais per- 
sonne ne pouvait plus être inquiété pour ses opinions 
antérieures, et des peines sévères étaient édictées 
contre les délinquants. 

Paru vingt ans plus tôt, le Type aurait peut-être 
réussi à faire la paix : maintenant, il était trop tard : 
la querelle s'était envenimée et des décisions autorisées 
étaient déjà intervenues ; le silence n'était plus possible. 
Non seulement les discussions continuèrent, mais le 
débat prit une ampleur nouvelle, et Rome se disposa à 
frapper un coup plus fort. 

A Théodore, mort le 14 mai 649, succédait, au mois 
de juillet, le pape]Martin P"". Il avait été apocrisiaire à 
Constantinople, et connaissait bien à qui il avait affaire. 
Encouragé par l'abbé Maxime, un de ses premiers soins 
fut de réunir au Latran, du 5 au 31 octobre 649, un 
concile de cent cinq évêques considéré presque à l'égal 
d'un concile général^, et où le monothélisme fut exa- 
miné de près. Le pape ne craignit pas d'engager sa 
personne, et parla beaucoup. La doctrine des docu- 
ments monothélites lus dans la troisième session fut, 
dans la cinquième, rapprochée de celle des Pères et de 

i, MANSI, X, 877 E. 

2. Texte dans îlANsi, X, 1029-1032. 

3. Actes dans Mansi, X, 8C3. H y eut cinq sessions. 



LE MONOTHELISME. 181 

celle d'hérétiques déjà condamnés ^ Le résultat fut 
une proscription de la nouvelle erreur, traduite dans 
une profession de foi et vingt anathématismes^. La 
profession de foi était celle de Chalcédoiue à laquelle 
on avait ajouté : «... Et duas eiusdem (Christi) sicuti 
naturas inconfuse, ita et duas naturales voluntates, di- 
vinam ethumanam, et duas naturales operationes, divi- 
nam et humanam, in approbatione perfeota et indimi- 
nuta eumdem veraciter esse perfectumDeum et hominem 
perfectura secundum veritatem, eumdem atque unum 
Dominum nostrum et Deum lesum Christum, utpote 
volentem et operantem divine et humane nostram salu- 
tem. » Cette même doctrine reparaissait dans les ana- 
thématismes,dont le deuxième affirmait la spontanéité 
[spojite] des souffrances de Jésus-Christ pour nous, et 
relevait ainsi l'intérêt sotériologique de la controverse. 
Le dix-huitième était porté contre Théodore de Pharan , 
Cyrus d'Alexandrie, Sergius, Pyrrhus et Paul de 
Constantinople, contre l'Ecthèse et le Type. 

§ 3. — Le VI' concile général. 

L'acte de Martin I*' condamnant le Type, alors que 
l'empereur était maître de Rome, était assurément un 
coup hardi. Constant II se vengea. Le pape, saisi par 
l'exarque Théodore Calliopas et conduit à Constanti- 
nople, fut relégué à Cherson où il mourut (16 septem- 
bre 655). Plusieurs évêques furent molestés; l'abbé 
Maxime, mutilé et plusieurs fois exilé pour son attache- 

1. Trois séries de textes patristiques furent produits pour établir : 
1° que d'après les Pères l'opération et la volonté ont leur source dans 
la nature et non dans l'tiypostase, et conséquemment que le nombre 
des natures détermine celui des opérations et des volontés; £*> que les 
Pcrcs ont attribué au Christ deux volontés libres ; 3» qu'ils lui ont éga- 
lement attribué deux opérations naturelles. 

2. Mansi, X, 11S(M162; HAHN, § 181. 

HISTOIRE DESl DOGHES. — III. U 



182 HISTOIRE DBS DOGMES. 

ment au dyothélisme, expira le 13 août 662 : c^était îa 
persécution. 

A Rome cependant, Eugène avait succédé à Martin 
dès le 10 août 654 ^ Il essaya d'un accord, et envoya 
à Constantinople des apocrisiaires. On les circonvint 
si bien qu'ils acceptèrent une .doctrine hybride recon- 
naissant en Jésus-Christ trois volontés, deux naturelles 
et une hypostatique^. C'était toujours mettre dans le 
Verbe le principe de l'activité humaine du Sauveur. A 
leur retour à Rome, ils turent très mal reçus. Mais 
Eugène mourut le 2 juin 657, et sous le règne de ses 
successeurs, Vitalien (657-672), Adéodat (672-676), 
Donus (676-678), une sorte de modus vivendi^ fondé 
sur un silence réciproque, s'établit avec Constantino- 
ple où les patriarches ne faisaient que passer. 

Une fois encore, la mort de l'empereur dénoua la 
situation. En 668, Constantin IV Pogonat succédait à 
Constant II assassiné. Une pressa pas l'acceptation du 
Type, et dès 678 demanda au pape — qui depuis le 27 
juin de cette même année était Agathon — d'envoyer 
à Constantinople des délégués, pour examiner pacifi- 
quement et de bonne foi la question en litige. 

Agathon voulut que ses envoyés emportassent vrai- 
ment avec eux la décision de l'Église d'occident et, 
pour cela, fit tenir dans les dijfîérentes provinces des 
conciles dont quelques, documents nous sont restés ^. 
Lui-même en tint un à Rome de cent vingt-cinq évê- 
ques, vers Pâques 680. Puis, à leur départ, il remit 
aux délégués, deux lettres, l'une écrite en son nom per- 
sonnel à l'empereur et à ses deux fils'*, la seconde écrite 
airs mêmes destinataires au nom du pape et des évê- 



1. Le pape Martin, qal avait connu son élection, n'avait pas protesté. 

2. Mansiv XI, laet suiv., 14; P. G., XC, 133 et sniv., 136, 

3. Mansi, XI, il^Vn, 203-208. 

4. Mansi, XI, 234-286; P. L., LXXXVHi 1161-1213; Hahn, S 236. 



LE MONOTHÉLISME. 18? 

ques de son patriarcat'. Comme la seconde n'ajoute 
rien à la première, il suffit de connaître celle-ci. C'était 
une lettre dogmatique imitant le tome de saint Léon. 
Agathon y expose la foi de son Église dans une sorte 
de symbole, et, venant à la question des volontés et 
dés opérations en Jésus- Christ, il dit : « Cum duasr 
autem naturas, duasfïue naturales voluntates, et duas 
naturales operationes confitemur in uno domino nostra 
lesu Christo, non contrarias eas nec adversas ad alter- 
utrum dicimus... nec tanquam separatas in duabu& 
personis vel substantiis, sed duias dicimus, eumdemque 
dominum nostrum lesum Christum sicut naturas ita et 
naturales in se voluntates et operationes habere, divi- 
nam scilicet ethumanam. » C'est là, continuait le pape, 
la foi de cette Eglise apostolique de Pierre qui ne s'est 
jamais écartée de la vérité, et dont l'autorité a toujours 
été suivie par l'Église catholique. Puis il expliquait 
plus au long la doctrine des deux opérations et dés 
deux volontés, l'établissait par l'Écriture, produisait 
en sa faveur une série de textes des Pères, comparait 
à son tour l'erreur monothélite aux erreurs qui lui 
étaient apparentées et en faisait brièvement l'histoire. 
Il terrain ait en demandant que le patriarche de Cons- 
tantinople acceptât la doctrine exposée, et que les em- 
pereurs s'employassent à procurer la paix fondée sur 
cette acceptation. 

Munis des lettres du pape, les envoyés occidentaux 
arrivèrent à Constantinople le 10 septembre 680 au plus 
tard. Pogonat fit immédiatement convoquer les évêques 
des patriarcats de Constantinople et d'Antioche. Il ne 
comptait pas sur les patriarcats de Jérusalem et d'A- 
lexandrie alors au pouvoir des Arabes, et, dans sa pen- 
sée, la réunion devait être une simple conférence dans- 

4. MansIjXI, 286-315: P. X,., ibid., 1216-1248. 



184 HISTOIRE DES DOGMES. 

laquelle on discuterait à l'amiable l'affaire monothélite. 
Mais, contre toute attente,l6s deux patriarcatssusditspu- 
rent être représentés par des fondés de pouvoir. La con- 
férence se trouvât ransformée en concile, le VI* général'. 

Il dura du 7 novembre 680 au 16 septembre 681 et 
compta dix-huit sessions. Le procès-verbal de la pre- 
mière porte quarante-troissignaturcs, celui de ladix-hui- 
tième en porte cent soixante-quatorze .Les légats du pape 
sont nommés et souscrivent avant Georges, patriarche 
de Conslantinople. Ce fut d'ailleurs un concile de cri- 
tiques et de paléographes. On y vérifia l'authenticité et 
l'intégrité des textes allégués; on compara les manus- 
crits; on remonta aux sources. Les bibliothécaires, ar- 
chivistes, copistes y jouèrent un rôle considérable. Ces 
précautions ne furent pas toujours inutiles. 

Le récit détaillé de ces opérations n'entre pas, on le 
comprend, dans l'objet de ce volume : nous ne relève- 
rons que les incidents plus significatifs. Les leaders 
de l'opposition monothélite étaient le patriarche d'An- 
tioche, Macaire, le moine Etienne son disciple et les 
deux évêques de Nicomédie et de Claneus, Pierre et 
Salomon. Le patriarche de Constantinople, de cœur 
avec eux, attendait les événements. Ils avaient préparé, 
en faveur de leur opinion, des dossiers patristiques 
qui furent lus dans les cinquième, sixième, huitième et 
neuvième sessions ; mais dans les troisième et quator- 
zième sessions le concile, sur la réclamation des légats 
et recherches faites, déclara fausses et subreptice- 
ment introduites dans les actes du concile de 553 les 
deux lettres de Vigile à Justinien et à Théodora, affir- 
mant que Jésus-Christ était una operatio, et la lettre 
de Mennas à Vigile*. Dans les septième et dixième 

1. Actes dans Man!;i, XI. 

2. Ma»si, XI, 225, S8i et suiv. On ne voit pas clairement si le concile 
les considérait comme inauthentiqaes dans toutes leurs parties. 



LE MO^'OTHELISMÎ!;. 1.85 

sessions, on lut les dossiers palristiques préparés par 
les légats en faveur du dyothélisme, et dans la hui- 
tième, Georges et ses adhérents furent invités à se 
prononcer. Georges et les évêques de son patriarcat se 
rallièrent au sentiment des légats ; mais Macaire con- 
tinua la résistance. Il confessa qu'il reconnaissait seu- 
lement iv 6éXT)fji.a oTcoffTaTtxov IttI toî! xupiou ■f{i/.u>y 'Ivitrou 
Xptorxoû xal ôîavSpix'îiv owtoû tyjv Ivépysiav ^ , cette volonté 
unique étant d'ailleurs, d'après sa précédente décla- 
ration, aussi celle du Père et du Saint-Esprit 2. Toute 
cette doctrine se trouvait développée dans une Ixôeaiç 
ou ô(jLoXoYÎa Tti'ffTEwç du même Macaire, dont on donna 
immédiatement lecture '. Elle amena, dans la session 
neuvième (8 mars 681), la déposition de Macaire et du 
moine Etienne. Dans la treizième session (28 mars), on 
condamna les lettres dogmatiques de Sergius à Cyrus 
de Phasis et à Honorius, et la première réponse d'Ho- 
norius comme « absolument étrangères aux enseigne- 
ments apostoliques, et aux décisions des saints conci- 
les et de tous les saints Pères, et comme suivant les 
fausses doctrines des hérétiques ». Quelques autres 
écrits, notamment la seconde lettre d'Honorius à Ser- 
gius, furent aussi déclarés entachés de la même im- 
piété. Sergius, Cyrus, Pyrrhus, Pierre, Paul, Théo- 
dore de Pharan furent anathématisés, et avec eux 
Honorius « parce qu'on a trouvé, par ses écrits à 
Sergius, qu'il avait suivi entout l'opinion de ce dernier, 
et qu'il avait confirmé ses dogmes impies'' ». 

C'était le prélude de la sentence définitive. Elle fut 
promulguée dans la dix-huitième session, le 16 sep- 



4. Mansi, XI, 349 C. 

2. Mansi, XI, 348 E. 

3. Mansi, XI, 349-360. Le passage principal se trouve col. 333 D ; Hahn, 

S 23-, 

4. Massi, XI, SSWJ8B. 



186 HISTOIRE DES DOGMES. 

tembre 681 ' . Après avoir reproduit les symboles de 
Nicée et de Constantinople, on acceptait les lettres 
d'Agatbon et de son concile à l'empereur. Puis venait 
le symbole de Chalcédoine auquel on ajoutait : « Et 
nous confessons pareillement dans le Christ, selon la 
doctrine des saints Pères, deux volontés ou vouloirs 
naturels, et deux opérations naturelles, sans sépara- 
tion, sans conversion, sans division, sans mélange ; et 
deux vouloirs naturels non contraires — ce qu'à Dieu 
ne plaise! — comme ont dit les hérétiques impies, 
mais le vouloir humain [de Jésus-Christ] obéissant, 
ne résistant pas, ne se révoltant pas, mais soumis à sa 
volonté divine et toute-puissante, La volonté de la 
chair en effet a dû se mouvoir, mais se soumettre au 
vouloir divin, suivant le très sage Athanase^. » A la fin, 
on frappait de déposition et d'anathème les récalci- 
trants, prêtres ou laïques. 

On lut ensuite l'adresse du concile à l'empereur. 
Elle reproduisait la même doctrine, et anathématisait 
Théodore de Pharan, Sergius, Paul, Pyrrhus, Pierre, 
Cyrus « et avec eux Honorius, évêque de Rome, qui. 
les avait suivis dans leurs erreurs », de plus Macaire, 
Etienne et Polychronias ^. La vérité triomphait : Pierre, 
avait parlé par Agathon. Celui-ci fut d'ailleurs, dans 
une lettre subséquente que le concile lui écrivit pour 
lui demander de confirmer ce qui avait été fait, reconnu 

1. Mansi, XI, 62*^97. 

2. Kal 8Û0 çuffwà; BeX^^ffeiç î^toi ôsXiQtAa'ta èv aÛT«? (Xpiffxtp), xat 8uo 
«putnxài; ivepretaç àôtatpsTMÇ, àzçéwcuit;, i^eglaraii, àffuyj^ÙTto; xarà 
Trjv Tûiv âY''*v waTÉpcûv StSa<7xaXiav (baraû-rcdç xepûxTOfjiev" xal 8ùo (iiàv 
«puffixà 6EX7i|j.aTa oùxÛTTEvavTÎa, (i:f| ^évoito, xaO&ç oi àueâeïç IçYisav aîps- 
Tixoij àÀX' iTrôjjiEVov to àv8pm;tivov aûtoy H'hr\\i.a, xal {irl àvTtTitJtTov, 
■î^ àvTWtaXaïov, (lôcXXov jj-èv ouv xal vnoxa.aaôy.Z'^ow tw 6etw aÛToO xal 
xavffôevet ôcXîiiAarf èôsi yàpzb TJïçaapxàç dehniec xivïi6^vai, vinoTaY^vat 
ôl Ttp ôeXT^tiaw Tqi Oetxtj) xatà tov -jràvcroçov iieavâaiov (Mansi, XI, 637 ; 
Hahk, s 149). 

S. Hamsi, XI, 665. 



LE MONOTHÉLISME. 187 

pour le TcpwToOpovoç t^; otxouuevixTÎç ex>:X7]<n'aç, établi sur la 
pierre solide de la foi ' . 

Le concile était achevé. L'empereur en sanctionna les 
décisions^, et le pape Léon II qui, depuis le 17 août, 
avait succédé à Agathon, les accepta et les confirma^. 
Il anathématisait lui aussi, avec les monothélites 
grecs, « Honorius, qui a omis de garder pure cette 
église apostolique par la doctrine de la tradition apos- 
toliqiie, mais a permis, par une trahison perfide, 
que l'immaculée fût souillée'* ». 

La condamnation du VP concile général fut le coup 
de mort du monothélisme. 11 eut bien, de 711 à 713, 
un court regain d^e vie avec l'empereur Philippicus, 
élève du moine Etienne; mais ce fut pour peu de 
temps. Hérésie qui avait sa racine dans le monophy- 
sisme, mais qui ne se soutenait plus dès qu'on l'en 
détachait, elle tomba d'elle-même quand lui manqua 
l'appui du pouvoir séculier. Sa chute marque, en 
Orient, la fin des controverses christologiques ^. 
Celles-ci avaient duré trois siècles environ ; et c'est 
par une sorte de balancement successif et régulier 
que l'Eglise avait maintenu, entre les excès qui 
s'étaient fait jour, l'unité personnelle, mais aussi le 
caractère intégral de lanature humaine de Jésus-Christ. 
Si le cinquième concile général avait renforcé l'œuvre 
d'Éphèse, le sixième avait repris les principes de 
Chalcédoine, et proclamé de nouveau Jésus homme 
parfait et libre. Le monophysisme même purement 
verbal n'avait pas le dernier mot, et c'est une preuve 

1. Massi, XI, 684. 
-2. M., 697-712. 

3. Id., 726-733. 

4. Mansi, XI, 753 A. Le grec porte piiavôîivat tï|v àffTtiXov uape^topricre, 
immacula tam maculari permisit. On remarquera que le texte grec est 
le primitif, et doit être préféré au texte donné par Missi, 731 CD. 

a. Des idées monoptiysites se montrent cependant encore dans la 
controTerse iconoclaste, mais seulement de loin et confusément. 



185 HISTOIRE DES DOGMES. 

qu'il n'était pas, autant qu'on l'a dit, l'expression au- 
thentique de la piété grecque ^ . 



§ 4. — La christologie de saint Maxime 2. 

La décision du VP concile général consacrait la doc- 
trine de celui qui, parmi les grecs, fut avec Sopliro- 
nius de Jérusalem, mais plus longtemps que lui, le 
champion le plus illustre du dyothélisme, saint Maxime 
le Confesseur. 

Saint Maxime occupe dans l'histoire religieuse du 
vri^ siècle une place importante et comme auteur mys- 
tique et comme théologien. Auteur mystique, il se 
rattache au Pseudo-Denys l'Aréopagite dont il com- 
mente les ouvrages, et, par lui, à l'école néoplatoni- 
cienne dont il partage les idées sur la contemplation 
de l'absolu, fin suprême de l'homme. Théologien, il 
s'est particulièrement intéressé à la personne du Christ 
et a pris nettement position dans la controverse mono- 
thélite. Dans ces discussions, il a volontiers emprunté 
à Aristote son langage technique et ses définitions 
précises. Par la rigueur de sa forme, il est déjà un 
scolastique. 

i. Les lettres d'Honorius et sa condamnation par le VI* concile géné- 
ral ont soulevé, comme on sait, d'ardentes conlroverses au sujet de 
rinfaillibilité des papes, et du droit de les juger qui reviendrait au con- 
cile général. Il appartient aux traités de théologie de résoudre ces 
questions. Mais il semble bien qu'on en ait exagéré les diflicultés. La 
faute d'Honorius était bien plutôt une faute de conduite pratique, due 
au manque de perspicacité et de réflexion, qu'une erreur doctrinale 
proprement dite, et c'est bien surtout en l'envisageant ainsi que les 
papes, ses successeurs, ont approuvé contre lui la sentence du concile. 
V. l'article excellent de E. Ahakn, Honorius I", du Dict. de théologie 
cath. de Vacant. 

2. CEuvres (incomplètement éditées) dans P. G., XC, XCI et IV. On a 
également de lui un Compulus ecclesiasticus (P. G., XIX, 1217-1280), et 
une Chron'doçiia succincta vilae Chrisli, édit. Bkatke dans ZeiUchrifl 
f. Kirchengeschichte,W\\, 382-H84 Travaux: H. Stkauxbi.nger, Z)»e C/ir»*- 
tologie des hl. Maximiis Confessor, Bonn, 1906. 



LE MONOTHELISME. 189 

Nous n'avons pas besoin de résumer ici toute la 
christologie de saint Maxime : cette christologie repro- 
duit fidèJement celle de Léonce de Byzance. Arrêtons- 
nous spécialement à co qui regarde l'activité et la 
volonté du Christ. 

L'activité, selon Maxime, est essentielle à l'être exis- 
tant : on ne conçoit pas un être qui soit, et qui ne soit 
pas actif : ce serait le néant*. Cette activité corres- 
pond à la nature de l'être; et c'est même par leurs 
actes ou opérations que les êtres se distinguent entre 
eux et que nous en discernons la nature^. L'opération 
ou evépysta est donc, avant tout, chose de la nature, qui 
lui appartient et lui est intrinsèque, qui en vient et 
dont elle est le principe immédiat^. La personne peut 
donner à l'opération, à l'acte, sa valeur morale, mais 
elle n'en est pas la source physique^. Dès lors il est 
clair que, si nous comptons en Jésus-Chriât deux na- 
tures, nous devons compter aussi deux activités et 
deux opérations. Dire que ces opérations sont subor- 
données, de telle sorte que l'activité humaine n'est 
qu'un instrument entre les mains du Verbe, ne résout 
pas la question ; car on tombe dans l'apollinarisme, 
si l'on fait de l'humanité un instrument naturel au 
Verbe; et l'on est rejeté dans le nestorianisme si on 
en fait un instrument qui lui est extrinsèque'. Et 
quant à l'argument tiré des témoignages de saint Cy- 
rille et de Denys l'Aréopagite, il est aisé d'y répondre. 
Quand le premier a parlé dans le Christ d'une {«.(a ts 

i. p. G., XCI, 200. 

2. Ibid. 

3. P. G., XC, 132; XCI, 333-a*i. 

4. Maxime appuie cette affirmation, comme il le fera pour la Tolonté, 
d'un aiguillent trinitaire. Si l'on rapporte à la personne l'opération et 
la volonté, il faut admettre dans la Trinité trois opérations et trois vo- 
lontés, ce qui est absolument contraire à l'enseignement des Pères (P. 
G., XC, 182; XCI, 889, 893). 

5. P. G., XCI, C». 

11. 



190 HISTOIRE DES DOGMES. 

xai ffUYYevTjç Ivépvsta, venant à la fois du Verbe et de la 
chair, il visait le cas particulier des miracles opérés 
par Jésus-Christ par la puissance du Verhe, mais avec 
le concours de son humanité, lorsque, par exemple, 
sa main touchait le malade. Dans ce cas, il n'y avait 
moralement qu'une seule action totale, produisant un 
effet unique, encore qu'une part en revînt à chacune 
des natures"*. Et si Denys a parlé d'une xaiv>i tîç 9eav- 
Spix'^i IvepYËia, c'est pour marquer l'intime harmonie avec 
laquelle les deux natures agissaient ensemble en vertu 
de leur circumincession (Ttepij^wprifftç), ou même pour 
désigner, comme Cyrille, ces sortes d'opérations com- 
plexes dans lesquelles le Verbe et l'homme exerçaient 
à la fois leur activité 2. 

Venant à la question des volontés, Maxime procède, 
dans sa démonstration, d'une façon analogue. Tout 
être possède un ÔsXTjixa «pudixo'v, un appétit au moins 
inconscient pour le bien qui lui convient 2. Cet appétit 
est nécessaire et inéluctable. Mais, dans l'homme, en 
qui l'intelligence intervient, l'objet particulier sur 
quoi se portera cet appétit, ce désir, cette volonté, 
se trouvera déterminé par des considérations ration- 
nelles. Le choix (Trpoatpsfftç) sera dirigé par des réflexions 
préalables (pouX;^, pouXeuatç). La détermination ainsi 
prise, ou l'acte de volonté formé à la suite de ces con- 
sidérations s'appelle ôéXyifjia Yvwfjuxôv*. Le ôéXTipia Yvio|Jtixov 
suppose donc dans le voulant un examen, une sorte 
d'hésitation préalable, hésitation qui a pour cause Tab- 
sence dans le sujet d'une vue immédiate, et complète 
du caractère de l'objet vers lequel il se porte. Le 



i. p. G., xci, «5, 101, 344, 345. 

s. p. G., IV, '630 el suiv.; XGI, 100, 345, 1045 et sniv. 
S. QUrnux çaatv EÏvai çuffixôv, ïtyouv 6ÉX*iffiv, Sûvajttv toû xatà çi5fft* 
ivTo; ôpexTixtiv (P. G., XGI, 12, 192). 
4. P. G., XCI, 21 et suiv., 1S3, 308. 



LE MONOTHÉLISMB. 191 

fléXrjf*» yv(ii\t.iy.6v ne se distingue donc pas du esXrifAa 
œuffixtJv comme le particulier du général, ni surtout 
comme le libre du nécessaire; car le ôsXïjfxa epuffixov 
peut être libre lui aussi et même d'une liberté plus 
'haute, car elle exclut la possibilité de se tromper et 
de pécher. Dieu veut librement de cette façon ^ Le 
0£Xï]u.aYvto[Aixov est le vouloir purement humain, toujours 
faillible et imparfait par quelque endroit. 

Ceci posé, Maxime remarque que la volonté libre fai- 
sant partie de la nature humaine, le Verbe, s'il a pris 
réellement cette nature, a pris nécessairement aussi cette 
volonté^. Mais il l'a prise sans ses défauts, c'est-à-dire 
sans la possibilité de faillir et de pécher, puisque cette 
possibilité vient en nous de l'ignorance et de la con- 
cupiscence, deux choses auxquelles le Christ n'est pas 
sujet. On trouve donc en lui le ôsXTQfxa (pucrtxov, c'est-à- 
dire la volonté et l'acte de vauloir tels qu'ils convien- 
nent à notre nature, mais non pas le ÔÉXTip-a Yvwfxtxov, 
dont les causes sont des défauts de cette nature. Jésus- 
Christ n'avait besoin, pour se décider, ni de peser les 
raisons pour et contre, ni de faire appel à des motifs 
extérieurs : le bien lui apparaissait de prime abord, 
et sa volonté s'y portait sans obstacle 2. " 

C'est l'union hypostatique évidemment qui était, en 
Jésus, le principe de cette rectitude absolue de la 
volonté humaine. On ne peut imaginer dans l'Homme- 
Dieu une déviation morale qui serait attribuable au 
Yerbe. Et c'est pourquoi^ contrairement à l'affirmation 
des monothélites, on doit admettre en Jésus-Christ 
deux volontés, l'une divine, l'autre humaine, sans 
craindre qu'elles s'opposent et se combattent. Il n'y a 

1. P. G., IV, 141; XC, 1088. On remarquera que Maxime entre dans 
l'idée platonicienne qui fait de l'ignorance la source du péché, P. G., 
989 A. 

2. P. G., XCI, 73 et SUIT., 301 et suiv. 

3. Id., 308 et suiv. 



192 HISTOIRE DES DOGMES. 

qu'un voulant, le Verbe incarné, qui ne peut faire 
deux actes opposés de volonté; et il est impossible 
que la volonté humaine, divinisée comme toute l'hu- 
manité de Jésus, ne se conforme pas à sa volonté 
divine. Elle s'y conforme donc, mais librement, et par 
un vouloir humain et spontanée 

Telle est, dans ses grands traits, la théorie développée 
par saint Maxime, et qu'il appuyait de textes scripturai- 
res et surtout de l'autorité des anciens écrivains ecclé- 
siastiques. 11 a, comme le pape Martin et son concile 
de 649, composé en faveur du dyothélisme un dossier 
patristique^ ; mais il faut avouer que son érudition n'est 
ni aussi étendue ni aussi sévère dans ses choix que la 
leur. Le côté philosophique de la question l'attirait 
davantage, et c'est par ce côté aussi que son œuvre 
nous intéresse. 11 a bien vu tout ce que le monothélisme 
offrait de séduisant, et toutes les facilités qu'il donnait 
pour expliquer l'unité de la vie du Christ. Aussi ne 
l'a-t-il pas repoussé brutalement. Il s'est appliqué 
plutôt à substituer à l'explication simpliste, et en 
quelque sorte mécanique de cette unité proposée par 
l'hérésie, une explication basée sur l'harmonie morale 
résultant nécessairement dans l'Homme-Dieu del'unilé 
de sa personne et de la sanctiiication de son humanité. 

i. p. G., XCI, 30, 48. 
S. p. G., XCI, 1G0-16S. 



CHAPITRE VII 

LA THÉOLOGIE GRECQUE DU v' AU Vil" SIECLE EN DEHORS 
DE LA DOCTRINE CHRISTOLOGIQUE. 

§ 1. — Dieu et la Trinité. 

Dieu est transcendant et au-dessus de toute pensée 
(uTcèp Txâvxa voûv) * ; cependant nous avons de lui une 
certaine connaissance innée (ÉfjicpuToç OsoYvojuta) ^, et, 
comme il est l'auteur des créatures, nous pouvons, par 
elles, savoir non seulement qu'il est, mais, d'une cer- 
taine façon (àvaXdywç), ce qu'il est ^ : telles sont les trois 
idées qui résument l'enseignement de saint Cyrille sur 
notre connaissance rationnelle de Dieu. Cet enseigne- 
ment ne s'éloigne pas de celui d'Athanase et reste, en 
somme, dans la tradition antérieure. Mais il devait 
singulièrement être développé par le faux Aréopagite. 

Celui-ci pose en principe l'absolue transcendance 
de Dieu, telle que la concevait le néoplatonisme. Dieu 
ne rentre dans aucun genre ni aucune catégorie : il est 
înrèp Xôyov xa\ voûv xat oùfftav : il ne possède — formelle- 
ment — aucun des attributs de sagesse, de bonté, de 
beauté, d'intelligence que nous pouvons admirer dans 

1. Cthiu-, In psalm. XI, vers. 3 (P. G., LXIX, 793); cf. In psalm. XXXJII, 
vers. 6 (col. 88.".). 
3. iD., Glaphyr. in Genesim, I (col. 30). 
3. ID., In Isaiam, IS, oraU 1 (P. G., LXX, 873). 



^94 HISTOIRE DES DOGMES. 

le monde : aucun nom pris de la créature ne saurait 
proprement lui convenir : il est àvwvofxo; ^ . 

Dieu cependant est l'auteur de tout ce qui, dans la 
nature, est positif et bon. Il est donc, d'une certaine 
manière, tout ce positif et tout ce bien, qui n'est que 
l'expression multipliée de son unité absolue ; et, à ce 
point de vue, il est aussi 7ro5iutôvufjioc ^. 

On peut donc affirmer quelque chose de Dieu, mais 
non sans remarquer qu'en étant cela, il est cependant 
cela excellemment, ou plutôt qu'il est au-dessus de cela, 
n'étant proprement rien de ce que nous pouvons, voir 
et concevoir, puisque nos idées et nos conceptions sont 
•toujours prises de la créature. 

De là, dans la formation de notre idée de Dieu, trois 
actes intellectuels que l'analyse peut distinguer. Un 
premier acte, par lequel nous affirmons de Dieu toutes 
les qualités des êtres dont il est le principe : c'est la 
théologie affirmative. — Un second acte, par lequel 
nous nions de lui ces mêmes qualités parce qu'il les dé- 
passe (àç ÔTcèp TtàvTa ÔTcepouar]) : c'est la théologie négative. 
— Enfin un troisième acte, par lequel nous remarquons 
que notre négation ne détruit pas notre affirmation 
première, parce qu'elle déclare seulement que Dieu est 
au-dessus de tout ce que nous pouvons affirmer ou nier 
de lui, ÔTOp TTÔcffav xai àœatpecriv xaiôsffiv "*. C'est ce que les 
scolastiques nommeront plus tard via eminentiae. 
Denys a rendu sensible ce processus ^at la multipli- 
cation des mots composés avec aÔTo, apx4 ôwÉp et à pri- 
vatif, appliqués à Dieu. Les premiers marquent que 
Dieu est l'être, la perfection essentielle, et le principe 
-de tout être et de toute perfection ; les derniers qu'il 



1. De divin, nominibus, 1, i, 5, 6 (col. 588, 593, 596) ;De mystica Iheo- 
logia, V (col. 1045). 

2. De divin, nomin., I, 6; II, 3, 11 (col. 596, 640, 649). 

3. De mystica theoL, 1, 2 (col. 1000) ; Epist. I (col. 1065). 



LA. THÉOLOGIE GRECQUE DU V AU VII* SIÈCLE. 195 

n'est — formellement — aucune perfection déterminée, 
mais est au-dessus de toute piBrfection et de tout être. 

Cette connaissance progressive toutefois n'est pas 
toute la connaissance que, même ici-bas, nous pouvons 
avoir de Dieu. A côté d'elle, ou plutôt la continuant, 
se place la vision directe, l'état où, tout raisonnement 
cessant, dans im silence absolu de la nature et une 
suspension complète de toutes ses facultés, dans une 
sorte de nirvana mystique, sans idée, formelle, l'âme 
entre en contact immédiat avec l'Être suprême ^ . C'est 
l'extase néoplatonicienne. 

Cette doctrine du Pseudo-Aréopagite a naturelle- 
ment passé chez son commentateur, saint Maxime. 
Lui aussi accentue fortement la transcendance divine, 
et expose la théorie des deux théologies affirmative et 
négative qui préparent en nous le concept de Dieu 2. 

Les formules du consubstantiel trinitaire avaient été 
arrêtées par les cappadociens. Il était difficile cepen- 
dant que lés discussions soulevées par la controverse 
monophysite sur le sens des termes çuciç et STtoffTafftç 
n'eussent pas leur retentissement dans le domaine tri- 
nitaire, et n'y donnassent pas lieu à quelques confusions. 
Si l'on devait, en christologie, identifier çusiç avec ôtco- 
(TTacri;, pourquoi ne pas les identifier en parlant de la 
Trinité? La distisction cappadocienne .u.ta «uffiç, Tpeîç 
uTcoffTaceiç n'avait plus dès lors de raison d'être, et, 
puisqu'on reconnaissait en Dieu trois hypostases, on 
devait y reconnaître aussi trois natures, trois subs- 
tances. C'est la conclusion que tirait, à Constantinople, 

1. De myst. theoL, II, ni(col. 1023, 4033). 

2. Capitum theol. et oeconomic, centuria I, 4, 7; centur. H, 2, 3;Mys- 
tagogia, Prooèmium. (P. G., XCI, 664). A comparer la définitioa de Dieu 
donnée par Anastase le Sinaïte : Qeôç (xâv èiyriv oùoia àvatTtoç, al-uta 
iravoXx.!?!;, uàcnriç alttaç alxt'a ti; ûiîspoyotoç. 0e6ç ècttiv àvwvuoo; xat 
àoT^piavxo; nap' àv6ptÔTroiî ûnapÇtç, TCitniî ÛJtàpÇew; itoititixii {Hodegos, 
ÏI, P. G., LXXXIX, 53). 



196 HISTOIRE DES DOGMES. 

vers le milieu du vi" siècle, un philosophe assez obscur, 
J ean Askunages, et qui fut reprise avec plus d'éclat, 
vers la même époque, par l'alexandrin Jean Philopon. 
Celui-ci était un aristotélicien distingué, auteur d'un 
ouvrage intitulé Uarbitre (Aiauïit^^;) dont saint Jean 
Dama scène a conservé des fragments importants ^ 
Philopon y remarque que toute nature existante est 
forcément individuelle, et qu'étant individuelle elle est 
forcément une hypostase, car individu et hypostase se 
confondent-. Il en conclut que, puisqu'il n'y a en Jésus- 
Christ qu'une hypostase, il n'y a non plus qu'une nature, 
mais aussi que, puisqu'il y a en Dieu trois hypostases, 
on y doit compter trois natures : 'Ectw TpeTç «puoreiç "iÀ-^tw 
^ixôtç lîcl T^ç ttY^aç TpiaSo; ^. De là le nom de trithéites 
(xpiôsixai) qui fut donné à ses disciples. Ce n'est pas à 
dire qu'ils admissent réellement trois dieux. Le prêtre 
Timothée, dans son De receptione haereticorum^, 
remarque bien que s'ils confessent trois substances 
(oùffiaç) ou natures (œuffsiç) égales, ils refusent cependant 
de dire qu'il y a trois dieux ou trois divinités. 

Une autre erreur, procédant au contraire d'un réa- 
lisme exagéré, fut émise, presque à la même époque, 
par le patriarche monophysite d'Alexandrie, Damien 
(578-605)^. Autre, disait-il, est le Père, autre le Fils, 
autre le Saint-Esprit ; mais chacune^sde ces trois per- 
sonnes n'est pas Dieu par nature et en soi (xaO' lautov 
e=ov çûffet), mais seulement par participation de la na- 
ture divine existante en chacune d'elles inséparable- 

\. De haeresibus, 9Z (P. G., XCIV, 7M et suîv.). L'ouvrage entier existe 
dansune tra>luction syriaque conservée au Musée britannique (Wright. 
Catalog., U, S87; cf. 1, 114, 388). Sur Jean Philopon, voir encore De aectis, 
Actio V, 6; Photius, Biblioth., codd. 21, S», 15; Jean d'Éphèse, Riit. ec- 
ches., V, 1-12. Cf. J. Maspf.ro, Hist. des patr. d'Alexandrie, p. 7-11 et 
197-210. 

2. 'AtO[jlov Se xt'jrà-t àvai xat ÛTroTTaffiv àpTt'w; ôîSst'xaiAsv (col. 7S3). 

3. De sectis, Aclio V, c. 6 (P. G., LXXXVI, 1, col. 12;13'). 

4. P. G., LXXXVI, 1, col. 61. 

. 5. Timothée, De recept, haeret., col. 60. M.vsPEr.o, p. 278-286. 



LA THÉOLOGIE GRECQUE DU V AU Vil' SIECLE. 197 

ment. Chacune d'elles est une hypostase : ce qui leur 
est commun est Osoç, oOata xai çuffiç. C'était aboutir à 
une quaternité si l'on ajoutait aux trois personnes le 
Dieu en soi, ou à une sorte de sabellianisme, si on les 
considérait comme de pures formes en qui Dieu se 
manifestait. De fait, les partisans de Damien furent 
accusés tantôt d'être des sabelliens, tantôt d'être des 
tétradites (TSTpaSiTat). Ce dernier nom leur resta. 

Ces spéculations venues tardivement attirèrent l'at- 
tention des auteurs de basse époque, et surtout de 
saint Jean Damascène qui les réfuta ; mais elles n'in- 
fluencèrent pas l'enseignement traditionnel trinitaire 
tel que le iv^ siècle l'avait formulé. Pendant le v^ siècle, 
cet enseignement ne fit pas de progrès sensible. Saint 
Cyrille et Théodoret qui, l'un et l'autre, ont écrit sur 
la Trinité, n'ajoutent rien, en somme, — en dehors de 
ce que nous dirons à propos du Saint-Esprit, — à l'œu- 
vre de leurs devanciers. Signalons seulement l'appa- 
rition de l'expression TpoTcoiÔTrdtpIew;, modes d'existence^, 
pour désigner les personnes divines, expression qui 
se trouve dans les fragments faussement attribués à 
Amphiloque^, et dont on usera dans la suite ^ ; et l'em- 
ploi plus fréquent de TcposioTrov au lieu d'&Tro'eTTaaiç pour 
désigner ces mêmes personnes divines. Mais, chez le 
faux Aréopagite et chez saint Maxime, la distinction 
des personnes de la Trinité, comme il était à prévoir, 
tend à s'atténuer au profit de l'unité divine, et leur 
concept trinitaire se rapproche du concept occidental 
et surtout augustinien. Le premier, fidèle à sa dialec- 
tique, n'hésite pas à écrire que les mots unité et 

1. Le mot se trouve déjà dans saint Basile, llomilia contra saoellta- 
nos et Arium et anomoeos, P. G., XXXI, 613, dans le sens de inanicre 
d'exister du Saiçt-Esprit : uepi toû xpôizou Trj; {(TtipSâw; 105 Ay'^w 
IIv£Ojj.aTG;. Plus t^d, il prit le sons de relation subsistante. 

2. P. G., XXXIX, toi. H2. 

3. S. Maxime, Exposit. orat. dominicae (P. G., XC, 893}.. 



198 HISTOIRE DBS DOGMES. 

trinitè n'expriment point en réalité ce qu'est l'être 
transcendant de Dieu ^ : tous deux insistent sur la cir- 
cumincession des trois termes divins, conséquence de 
l'unité fondamentale de leur substance ^. 

La question de la procession du Saint-Esprit mérite 
de nous retenir plus longtemps. L'Eglise grecque du 
iv^ siècle s'était arrêtée, on s'en souvient, à. une for- 
mule EX Tta-rpoç oi' uîoù, que l'on pouvait à la rigueur 
interpréter en ce sens que le Fils est un milieu, pour 
:ainsi parler, que traversé l'action du Père produisant 
le Saint-Esprit, mais que saint Epiphane en particulier 
paraît avoir entendue d'une réelle participation active, 
bien que subordonnée, du Fils dans la production de 
ce même Esprit. Le premier sens semble avoir été 
adopté par l'école d'Antioche, surtout par Théodore 
de Mopsueste et Tbéodoret. Dans le symbole cité et 
condamné par le concile d'Éphèse et que l'on croit 
être de Théodore^, celui-ci confessait que le Saint- 
Esprit est du Père, mais il niait quïl fût le Fils et qu'il 
eût reçu l'existence par le Fils : xal oîJte ulov vo[;.tCo,uiev, 
ouTE Sià uloû iTiV uTtap^iv £ÎX7)(5>oç. D'autro part, saint Cy- 
rille ayant écrit, dans son anathématisme ix *, que le 
Saint-Esprit n'est pas une puissance étrangère à Jésus- 
Christ, mais une puissance qui lui appartient en pro- 
pre, comme étant son propre Esprit (tSiov aÙToû 7cveïï(xa) 
par lequel il opérait ses miracles, Théodoret répondit 
que, si par l'expression îoiov to irveujxa toû uîoïï, Cyrille 
voulait dire que le Saint-Esprit est consubstantiel au 
Fils et procède du Père, c'était là une assertion pieuse 



1. Be divin, nomin., XIII, 3, col. 981. 

2. Ibid., et II, 4 (col. 641). S. Maxime, Capit. theolog, et oeconom., cent. 
II, 1 ; Exposit. orat. dom. {co\. 892, 893). Saint Maxime définit la Trinité : 
Movà: oùffîa; xpiffUTiôffraTo; xai Tptà; {iTtoffTàdEwv ô(JiOouatoç (Mystago- 
gia, XXIII, P. G., XCI, 700). 

3. Mansi, IV, 1347; P. G., LXVI, 4016; HAHN, S 215. "' 

4. ÛUnsi, IV, 1084; P. G., LXXVI. 308. 



LA THÉOLOGIE GRECQUE DU V AU VIP SIÈCLE. 199 

que l'on devait recevoir; mais que s'il voulait dire que 
le Saint-Esprit tient son existence du Fils ou par le 
Fils, c'était là un blasphème et une impiété que l'on 
devait repousser : et S' àç II utoïï -îj 5t' utou tyiv unap^iv iyay 
(to TCVEUfAtt), àç pXa5<p7][JL0V TOUTO Y.oà wç Suffasêèç (XTCoppit}/o;jLev Z* . 
Théodoret, comme son maître, refusait donc au Fils 
toute part active dans la production du Saint-Es- 
prit 2. 

Tout autre est la doctrine de Cyrille. Bien qu'il 
n'ait jamais écrit la formule définitive exTropeue-cai 1^ utoti, 
qu'il n'ose confondre IxTropeusTai avec XafxSavet, qu'il 
paraisse ne pas apercevoir la question de la proces- 
sion ex Filio ou même l'esquiver alors qu'elle se pré- 
sente naturellement à lui^, son enseignement va 
manifestement dans le sens de la formule latine : il 
en suppose la substance s'il n'en contient pas l'ex- 
pression^. Ainsi, l'Esprit-Saint n'est pas seulement 
l'Esprit propre du Fils (lotov) ^ , l'Esprit du Fils aussi 
bien que du Père^, l'Esprit qui est du Fils et en lui, 
et son propre Esprit {i% auxoïï ts xal Iv aùxtp y.al iStov 

1. Mansi, V, 124; P. G., LXXVI, 432. 

2. C'est bien eu ce sens causal, pensons-nous, que Théodoret niait, 
comme Théodore, que le Saint-Esprit fût 81' u£oû, car d'ailleurs l'ex- 
pression elle-même était trop répandue pour qu'ils la condamnassent. 
On ne saurait, d'autre part, imaginer que Théodoret réprouve ici seu- 
lement le sentiment qui ferait du Saint-Esprit une créature du Fils 
(T>iv ÛTrapÇiv lypv), car dans VEranistes, ni (col. 264), il se sert préci- 
sément de cette expression pour signifier que le Saint-Esprit tient son 
être du Père : èx xoG maxpb; xal Ôeoû *at toûto (tô 7iv£-j(jt.a) l^et tî^v 
'juapltv. Elle est empruntée au symhole de saint Grégoire le Thauma- 
tai-ge : êv 7tveO[i.a âyiov, èx 8eoù ttIv ûuapÇtv l/ov. 

3. Par exemple De ss. Trinitate, dialog. VII (col. 1080, 1092, 1104, 
1117, 1120,1121). 

4. La démonstration de ce point déjà faite par Petau (De trinitate, 
lib. VII, capp. 3 et suiv.), a été poussée à fond dans une thèse restée 
malheureusement lithographiée de M. J. Desseigne, et présentée à là 
Faculté de théologie de Lyon, en 1901. 

5. Adv. Nestorium, Vf, 3 icol. 184) ; De ss. Trinitate, dial. vn (col. 
1013J, etc. 

6. In loannem, ï, 33 (col. 208) : De recta flde ad reg., II, 34 (col. 1380). 



200 HISTOIRE DES DOGMES. 

aÙToî;)^ cet Esprit est encore l'Esprit du Fils, et en lui, 
et de lui de même que le Fils est engendré èx ôsoïïxaTà 
cpuffiv : le rapport de l'Esprit au Fils est celui du Fils 
au Père 2; le Fils possède comme chose propre le 
Saint-ïL<sprit qui est de lui et substantiellement en 
lui (iSiov eywv To IÇ auToïï xa\ oùdiwSwç ip.7rE(])ux(>; auTU ttvsïï- 
[Lo. aytov 3) . Distinguant avec soin la mission ad extra 
de la production ad intra, Cyrille remarque que le 
Saint-Esprit est dans le Fils et du (II) Fils tpufftxwç, 
xaxà (puffiv^; qu'il en reçoit sa puissance, sa science, 
son action, parce qu'il en vient ôeoTrpsTrto;, hjç Ix -cviç 
ouffi'aç auTou çuffixwç Trpoïôv ^ ; qu'il sort de la nature ineffa- 
ble du Fils, tt); Si' auTÎ;ç Trpoïov TÎjç àîcoppTiTOU çuffetoç auTOÎi^. 

Ainsi le Saint-Esprit est de la substance du Père et 
du Fils, ex TÎi; oucriaç toïï îra-poç xa\ tou utoîî, est essen- 
tiellement du Père et du Fils, du Père par le Fils, 

TO ouffiwSw; e? à[y.çoTv, yjyouv Ix Trarpoç Si* oîoû irpojreoixEVOv 

7rveû(jia, et cela à cause de l'identité de leur substance, 
car le Saint-Esprit venant essentiellement de la subs- 
tance divine (ouditoSSç Iv auTîj xat IÇ aùxîjç Tcpoîôv), et cette 
substance étant commune au Père et au Fils, le Saintr 
Esprit est propre aux deux et est du Père par le Fils 
{xai àfjiœoïv m; Îv ex TraTpoç Si' uîoû oià t^jV xavx6zy\-za tv)<; ouffiaç'). 
De là les comparaisons dont use notre auteur, et 
qui vont à présenter l'Esprit-Saint comme une sorte 
d'émanation du Fils. Celle de la fleur et du parfum est 
remarquable : 

« Jésus-Christ ne dit pas que l'Esprit-Saint deviendra sage 

1. De ss. Trinit., dial. VII (col. «20, cf. 4093); cf. Adv. Nestor., IV, 
i (col. 173). 

2. In loelem, XXXV (col. 377). 

3. Eccplic. dîiodecim capitum, IX (col. 308). 

4. Thésaurus, XXXIV (col. 576, 600, 608) ; Adv. Nestor., IV, 3 (col. 184). 

5. In loannem, XI, 1 (col. 449) ; Thésaurus, XXXIV (col. 684). 

6. Adv. Nestor., IV, 3 (col. 181, 184). 

7. De adoratione in spir. et verit., I (col. 148) ; Thésaurus, XXXIV 
(col. «84, 585); De ss. Trinit., dialog. VI (col. 1009, 1013). 



LA THÉOLOGIE GRECQUE DU V AU Vil* SIÈCLE. 201 

par une sorte de participation [extérieure] venue de lui, ni qu'il 
transmettra aux saints les discours du Fils à la manière d'un 
serviteur. Mais c'est comme si une fleur du meilleur parfum 
disait de l'odeur qui s'échappe d'elle et dont elle pénètre les 
sens de ceux qui l'entourent : Elle recevra de moi. Cette (leur 
désignerait [évidemment] une propriété naturelle et non pas 
quelque chose qui serait séparé et participé [du dehors]. C'est 
ainsi qu'il faut comprendre [les rapports] du Fils et du Saint- 
Esprit. Car étant l'Esprit de sagesse et de force, il est toute 
sagesse et toute force, conservant en lui l'opération de celui 
qui l'envoie, et manifestant dans sa propre nature celle de ce- 
lui de qui il est» (ôXviv è? SXou t^v tou npoïsvToç évlpysiav àiîOffûîov 
èv éautqi, xai <b; èv iSîof çOextt xaTaSsixvûov eu (xâXa x^^voyjtsp èitiv)!. 

Ailleurs, le Fils est comparé au miel, et le Saint- 
Esprit à la douceur du miel- ; le Fils à la lumière, et 
le Saint-Esprit au rayon qu'elle émet^ ; le Fils au feu, 
et le Saint-Esprit à la chaleur ; le Fils à l'eau, et le 
Saint-Esprit à la fraîcheur qu'elle produit^. 

La direction de la pensée de saint Cyrille relative- 
ment à la procession du Saint-Esprit ex Filio n'est 
donc pas douteuse; mais les théologiens grecs pos- 
térieurs ne le suivirent qu'imparfaitement. Gélase de 
Cyzique, dans son Histoire du concile de Nicée (v. 
475), II, 20, 22, se contente de l'affirmation que le 
Saint-Esprit procède du Père et est propre (iSiov) au 
Fils''. Même réserve dans le Pseudo-Aréopagite^, dans 
l'auteur du />e sectis, i, 1^. On arrive ainsi au vii^ siècle 
sans que les Grecs paraissent s'être aperçus des pro- 
grès qu'avait faits la doctrine latine de la procession 
du Saint-Esprit depuis saint Augustin. Les monothé- 
lites s'en aperçoivent enfin, mais c'est pour dénoncer 
comme une erreur la croyance en la procession du 

A. De s». Trinit., dial. VI (col. 1012 ; cf. 1020). 

2. Thesaurui, XXXIV, col. 588. 

3. Ibid., col. t>89. 

4. Ibid., col. ti93. 

5. P. G., LXXXV, 1288, 1200. 

6. De divin, nomin., II, 7. 

7. P. G., LXXXVI, 1, col. il06. 



202 HISTOIRE DES DOGMES. 

Saint-Esprit ex Filio. Le pape Martin P"" avait dû sans 
doute l'énoncer quelque part, dans ses écrits en- 
voyés en Orient au. sujet du monothélisme. Ses ad- 
versaires l'accusèrent d'hétérodoxie. Saint Maxime, 
qui nous apprend le fait^, s'efforce de disculper le 
pape en expliquant que les latins, en disant que le 
Saint-Esprit procède du Fils, n'ont pas l'intention de 
faire du Fils la cause (akia) de l'Esprit-Saint, car le 
Père seul est cause proprement des deux autres per- 
sonnes, mais seulement d'indiquer que le Saint-Es- 
prit vient par le Fils (àXX' iva to ôi' aùtou Trpoïévai SviXwffwcri) , 
et qu'il a même substance que lui. C'était ramener la 
formule latine au sens de la formule grecque. En tout 
cas, c'est à cette dernière formule que s'en tient per- 
sonnellement saint Maxime : le Saint-Esprit, dit- il, 
« procède substantiellement et ineffablement du Père 
par le Fils engendré », Ix -cou «arpoç oôditoSSç Si' utou 
YÊVVTjâévToç àtppàffTODç exTtopeuôaevov^. 

§ 2. — Angélologie. 

On a vu qu'au iv® siècle les cappadociens eux-mêmes 
n'étaient pas fixés sur la spiritualité proprement dite 
des anges, et que saint Grégoire de Nazianze n'ose 
se prononcer absolument sur cette question. Au 
V® siècle, les auteurs continuent d'enseigner que les 
anges sont àortofiaxoi ^^ uTTÈp ffwixa xat aiaôïjaiv'', çuffiç affapxoç 
ào'pttToç, et qu'ils ne peuvent éprouver la concupis- 



1. p. G., XCI, 133, 136 ; cf. P. L., CXXIX, 577. 

2. Quaestiones ad Thalassium, LXIII (P. G., XC, &li)',Quaest. et du- 
bia, Imerrog. 34. 

3. Théodouet, Quaest. in Gènes., Interrog. 3 (col, 81) et cf. interr. 69 
(col. 177) ; Quaest. in Exod., Inlerr. 29 (col. 257) ; Graec. affect. cura' 
tio, III (col. 891). . 

4. C-ïRiLi., Contra Iulian., III (col. 641) ; Glaphyr. in Gènes., II (col. 
62, 53). 



LA THÉOLOGIE GRECQUE DU V AU VII* SIÈCLE. 20S 

cenoe*. Ces auteurs s'élèvent surtout contre l'ancienne 
interprétation du passage de la Genèse (vi, 2), qui 
voyait des anges dans les fils de Dieu séduits par les 
femmes ^. Et il serait pourtant téméraire de conclure 
de tout ceci que la doctrine de la spiritualité des 
anges fût dès lors communément admise en Orient. 
C'est que le sens du mot aSiiia n'était pas pour Ge& 
auteurs aussi précis qu'il l'est pour nous. D'un côté, 
saint Cyrille de Jérusalem remarque que tout ce qui 
n'a pas un corps grossier (icaj^ù aôifjia ) peut être juste- 
ment appelé esprit (TCveufxa)^, et Philopon reproche 
en effet à Théodore de Mopsueste et à Théodoret 
d'avoir attribué aux anges des corps subtils''. D'au- 
tre part, nous voyons Anastase le Sinaïte distinguer 
des corps terrestres, à trois dimensions, et des corps 
célestes qui n'ont point de profondeur ou d'épaisseur 
(îcaj^oç), et encore des corps matériels (uXixdv) tangi- 
bles et corruptibles, et des corps simples (XeTtTov) qui 
ne tombent pas sous le toucher.^. 

A la fin du v^ siècle cependant, le Pseudo-Aréopagite 
affirma clairement la spiritualité des anges. Il parle 
de leur simplicité déiforme, eeotSecrTàxYi à-nrXoTrjç, de leur 
vie toute intelligente, et les appelle des esprits supra- 
mondains (uTcepxoo-fAtojv voôiv)^. Cette conception devait 
triompher. Elle fut naturellement adoptée par saint 
Maxime dans ses schplies ; mais ce fut plutôt dans 
l'Eglise latine qu'elle reçut sa pleine expression, 
Anastase le Sinaïte se contente d'indiquer comme 



1. Basile de Séledcie, Qrat. VI (col. 88); Isidor. Pelds., Epist. IV, •J92. 

2. CYniLL., Glaph. in Geties., H (col. 54) ; Tuéodoret, Quaesl. in Gènes., 
Interr. 47 (col. 148); Basil. Seleuc, Orat. VI (col. 88); Isid. Pelus., 
Epist. IV, 192. 

3. Catéchèse XVI, IS. 

4. De opil'icio mundi, I, 46, édit.r6. Reichardt, Leipzig, 1897. 

5. Hodegos, II, col. 73. 

6. Decaelesti hierarchia,iy,i,^;Xy,A. . ■ 



204 HISTOIRE DES DOGMES. 

propre à la nature angélique ToàTraOàç t^ç oùaia;, et i] 
ajoute : àïcaOsç Bl to àOavatov «ùtS eTttov *. 

Théodoret regarde comme vraisemblable que la 
création des anges a,non pas précédé, mai's accompa- 
gné celle du ciel et dé la terre^. Quant au péché des 
anges déchus, du moment que l'on refusait d'y voir 
un péché de la chair, on se trouvait naturellement 
amené à y voir un péché d'orgueil. C'est la pensée de 
saint Cyrille', de Théodoret'', de Basile de Séleucie^. 

Cette doctrine n'était pas nouvelle. La grande nou- 
veauté introduite dans la théologie des anges à l'épo- 
que dont nous parlons fut leur distribution en trois 
hiérarchies et neuf ordres enseignée par le Pseudo- 
Aréopagite. Jusqu'à lui, les auteurs, s'inspirant de ce 
qu'ils trouvaient dans l'Ancien Testament et dans 
saint Paul, comptaient plus ou moins de catégories 
angéliques, et n'attachaient d'ailleurs que peu d'im- 
portance à ces énumérations. Théodoret, par exemple, 
nomme les Principautés, les Puissances, les Trônes, 
les Dominations, les Séraphins, les Chérubins <f et 
d'autres noms à nous inconnus^ ». La classification de 
Denys accepte sans doute les dénominations anté- 
rieures, mais elle repose sur une théorie de philoso- 
phie mystique qui domine toute sa théologie. Le but 
de l'action divine en nous est de nous déifier (OetWiç), 
et cette déification comprend trois opérations succes- 
sives, la purification, l'illumination, la perfection 
'pcâ6«p(jtç, çwTic{jio;, TeXeicoiri;) ^. Or cette action de Dieu 



1. Hodegoi, II, col. 64. 

S. Quaest. in Gènes., Interr. 4 (col. 84}. 

3. In loannem, V (col. 809). 

4. Graeear. affect. curatio, III (col. 896). 

5. Orat. XXIII (col. 2C9J. 

6. Inptalm. CIII, vers. 21 (col. 1692); cf. Basil. Selmc, Orat. XXXIX 
col. 429). 

7. De eaelesli hierarck ta, III, 1,3. 



LA. THÉOLOGIE GRECQUE DU V AU VIl« SIÈCLE. 505 

sur nous ne s'exerce pas directement : elle requiert 
des intermédiaires. Entre ces intermédiaires sont les 
anges. Les plus élevés, qui forment la première 
hiérarchie, communiquent immédiatement avec Dieu 
et puisent en lui leur lumière. Les moins élevés, qui 
composent la troisième hiérarchie, sont rapprochés de 
la terre et communiquent avec nous. Ils reçoivent leur 
lumière de la première hiérarchie, mais indirectement 
seulement, car entre la première et la troisième hié- 
rarchie s'en trouve une seconde, illuminée par la pre- 
mière, transmettant la lumière à la troisième, et rem- 
plissant ainsi entre elles le rôle que l'ensemble des 
anges remplit entre Dieu et nous. Là d'ailleurs ne 
s'arrête pas le nombre des intermédiaires. Chaque 
hiérarchie se compose elle aussi de deux extrêmes et 
d'un milieu, c'est-à-dire de trois ordres d'anges qui 
sont entre eux dans le rapport où sont entre elles les 
hiérarchies. Et l'on obtient ainsi neuf ordres d'esprits 
célestes, que Denys classe de la façon suivante. La 
première hiérarchie comprend les trônes, les chéru- 
bins et les séraphins; la deuxième les puissances, les 
dominations et les vertus ; la troisième les anges, les 
archanges et les principautés ^ . 

Bien que Denys insiste sur les relations des anges 
avec les hommes, il ne mentionne pas spécialement 
leur rôle d'anges gardiens. La croyance qui attribue 
non seulement aux royaumes et aux Eglises, mais 
encore à chaque homme ou du moins à chaque fidèle 
un ange particulièrement chargé de les conduire était 
cependant toujours en honneur. Saint Cyrille la connaît 
et l'adopte en maint endroit 2. ïhéodoret fait de môme, 
et remarque que les nations ont pour gardien un 

1. De caelesti hierarchia, IV, 3; VI, 2; VII, 2; VIII, 2; IX, 2;X, 1. 

2. Glaph. in Gènes., IV (col. 189); In psalm. XXXIII, v. H (col. 888); 
tUx, T. 4 (coi. 1078); Conira Iulian., IV (col. ti88). 

12 



206 HISTOIRE DES DOGMES. 

archange^. Anastase le Sinaïte donne semblablement 
un ange à chaque fidèle [m^xôç)^. Et si ces auteurs ne 
définissent pas dans le détail les fonctions de ces anges 
gardiens, on peut cependant conjecturer quelles elles 
sont par ce qu'ilâ disent ailleurs du rôle des bons 
anges en général. Ces anges nous éclairent et nous 
enseignent certaines vérités; ils nous excitent à la 
prière et intercèdent pour nous; ils introduisent les 
élus dans le ciel; mais ils ne sauraient remettre les 
péchés, ni d'eux-mêmes sanctifier les âmes^. 

§ 3. — L'hoxame, la chute, la grâce. 

Saint Cyrille définit l'homme Çwov Xoyixov, ôvyitov, voû 
xai imavfiii.rfi SexvixÔM * . Dans cet homme, créé libre, on 
distingue deux substances'*, le corps et l'âme. L'âme 
elle-même est définie par saint Maxime : [OùoriaJ 
àffWfjtaToç, à7rX7),â6dtvatoç,XoYixT]*'; par Anastase le Sinaïte : 
OuffiaîiETTr/j, céuXoçxai àay[r[\t.âria'zo(;, etxàv ôeowxttl tuttoç'. On 
admet généralement que chaque âme est créée 8, et 
saint Maxime en particulier enseigne que l'âme n'existe 
ni avant ni après le corps : les deux éléments de 
l'homme sont produits simultanément^. 

Ce sont là plutôt doctrines philosophiques. Il im- 



1. Quaest, in Gènes., Inlerr. 3 (col. 81); In Daniel., X, 13 (col. 1490^ 
1497). 

2. Quaest. LVII (col. 621). 

3. Cybiu.., In psalm. XLI, v. 5 (col. 1004); In loànnem, I (col. 128); 
Thesaurits, assertio XIII (col. 2S2), XX (col. 345); S. Nil, De oratione, 
81; Epist. rv, 13; Sententiae, 16. 

4. In loannem, VI (col. 932). 

5. Théodoret, Haeretie. fabul. comp., V, dl (col. 492); S. Maxime^ 
Capitum quinquies centenorum, centuria II, 32. 

6. De anima (col. 356 et suiv.) ; cf. Epist.Yl, 3 (col. 42S). 

7. Bodegos, n (col. 72). 

8. Cyrill., Adv. Nestor., I, 4 (col. 37); Théoooret, QtMest. in Genêt,, 
Interrog. 23 (col. 121), 39 (col. 137). 

9. Epiit. Xn (ool. 489). 



LA THÉOLOGIE GRECQUE DU V AU VII» SIÈCLE. 207 

porte davantage, au point de vue qui nous occupe, de 
savoir quel retentissement avaient eu dans le monde 
grec les débats du pélagianisme, et dans quelle mesure 
avait progressé sous cette influence la théologie du 
péché originel. Théodore de Mopsueste s'était, on s'en 
souvient,montréfavorable d'abord auxvuespélagiennes, 
puis, sous la pression des circonstances, avait modifié 
son attitude^. D'autre part, le concile d'Ephèse con- 
firma, dans sa lettre au pape Célestin, la condamnation 
portée par Zosime contre les pélagiens ^. Ces deux faits 
indiquent que, depuis le concile de Diospolis, les orien- 
taux avaient donné à cette question quelque attention. 
Nous allons voir toutefois qu'en général, ils restaient 
encore loin des conceptions augustiniennes. 

Sur l'élévation originelle du premier homme à un 
état supérieur, on était d'accord. Saint Cyrille suppose 
ou dit manifestement qu'Adam avait été créé pour l'im- 
mortalité, enclin au bien, exempt de la concupiscence 
désordonnée et dans la familiarité de Dieu ; qu'il était 
comblé d'avantages naturels, qu'il avait reçu le Saint- 
Esprit, le don de prophétie, la sagesse et la science 
infuse. Son corps pourtant était de terre, et par là na-» 
turellement sujet à la mort, mais il échappait à la 
mort par privilège,' élevé qu'il était au-dessus de sa 
condition native ^. Maxime parle également de la 
science et de l'immortalité départies à Adam * . Théo- 
dorçt, en général plus réservé, affirme cependant lui 
aussi que Dieu avait élevé le premier homme à une 
condition meilleure que la terre, c'est-à-dire à i'im- 

1. UKmvsJtlERCyTOK,Monumenta...Excerpta exlibris Theod.Mopsuest., 
praef., 3 (P. L., XLVIII}. 

2. Epis t. XX, 3, 6 (P. L., L, 518, 522). 

3. In psalm. VI, v. 3 (col. 745); LXXVHI, V. 8 (col. 1197); In Inelcm, 
XXXV (col. 377); In loannem, I (col. 128); V (col. 7S2); Cont. Iidian., III 
(col. 637, 640). 

4. Capit, quinq. eenten., cent. II, 26; Quaest. ad Thalass., qu. XXI 
iCQl. 312). 



208 HISTOIRE DES DOGMES. 

mortalité, et, bien qu'il s'efforce d'expliquer d'une 
façon naturelle l'absence de concupiscence entre Adam 
et Eve, il est bien obligé de constater cette absence ^. 

Hélas ! l'homme ne sut pas conserver les prérogatives 
de cette condition première. Dieu, pensant à la répara- 
tion qu'il en ferait par le Christ, permit son péché ^. En 
conséquence, Adam devint mortel, sujet à la corruption, 
à la concupiscence et à l'ignorance, enclin au mal : il se 
trouva privé des dons divins et du Saint-Esprit. C'est la 
chute. Adam ne tomba pas seul : toute sa descendance 
avec lui et par lui connut la déchéance. Cette déchéance^ 
dans la théorie augustinienne et latine du péché originel, 
comprend deux degrés, ou, si l'on préfère, deux dé- 
chéances distinctes. Les enfants d'Adam n'héritent, pas 
seulement dès misères physiques (mort, douleurs, etc.) 
et morales (ignorance, concupiscence), peine de son 
péché : ils héritent de son péché lui-même : ils nais- 
sent pécheurs : il n'y a pas pour eux chute seulement, 
il y a faute. Comment la théologie grecque de l'époque 
dont nous parlons a-t-elle compris cette double dé- 
chéance? 

Sur le fait qu'Adam a transmis à sa postérité la peine 
de son péché, que les misères physiques et morales 
actuelles de l'humanité sont la conséquence du péché 
d'Adam, on peut dire que cette théologie est unanime, 
et qu'à ce point de vue elle exclut formellement le pé- 
lagianisme. Indépendamment de saint Cyrille, dont les 
témoignages sur cet objet sont innombrables et sur qui 
il faudra revenir, Théodoret affirme que le péché 
d'Adam l'ayant rendu mortel, sujet à la corruption, à 
la concupiscence, au péché, Adam a engendré des en- 
fants sujets à la mort et à la concupiscence, comme 

1. Quaeit. in Gènes., Interrog. 28 (col. 125), 37 (col. 137); In psalm. I-r 
V. 7 (col. 1244). 
S. CvniLL., Glaph. in Gènes., I (col. ï'i). 



LA THÉOLOGIE GRECQUE DU V AU Vil* SIÈCLE. 209 

lui-même * ; que nous avons été tous condamnés à la 
mort, que toute la nature humaine est devenue captive 
ensuite du péché d'Adam^. Dans VEranistes, m, il 
pousse à fond le parallèle entre Adam et Jésus-Christ, 
et montre les hommes solidaires de. la peine du pre- 
mier comme du triomphe du second '. Saint Maxime 
voit dans les douleurs, la concupiscence et la mort la 
conséquence du péché d'Adam '' ; et l'on trouverait des 
passages analogues dans Théodote d'Ancyre^, Proclus 
deConstantinople^, saint Nil '^, saint Isidore de Péluse* 
et Anastase le Sinaïte^. 

Sur ce premier point donc nulle difficulté; mais cette 
théologie, si explicite pour affirmer que nous subissons 
la peine du péché d'Adam, l'est beaucoup moins pour 
affirmer que nous héritons de son péché même. L'école 
d'Antioche, toujours jalouse de sauvegarder les droits 
et l'intégrité de la nature humaine, devait éprouver 
une difficulté particulière à entrer dans cette idée. De 
fait, Théodoret y est plutôt hostile. Il pose en principe 
que « l'action du péché n'est pas en nous naturelle/», 
« que le péché n'est pas l'œuvre de la nature, mais du 
choix mauvais *•* »; il interprète le Iç' <p de Rom,,\^ 12 
dans le sens àe parce que, et ajoute qu'en effet « chacun 
de nous subit la sentence de mort non à cause du péché 
du premier père, mais à cause de son péché propre » 

i. In psalm. L> T. 7 (col. 12)4); Quaest. in Gènes., Interr. 37 (col. 
13G). 

2. In psalm. LX, v. 7, 8 (col. 1326); Haeret. fabul. comp., Y ,11 (coL 
492). 

3. Col. S45 et siiiT. 

*• Quaest. ad Thalastium, qu. LXI (col, 632 et suiv.); qu. XXI (col. 
312). 

5. Homil. ni, 3; VI, 8-10 (col. 1388, 1424 et suiv.)- 

6. Homil. XI (ap. Marius Mercator, P. L., XLVIII, 779). 

7. Perisleria, X, 3 (P. G., LXXIX, 889 et suiv.). 

8. Epist IV, 52, 20» (col. 1101, 1292). 

9. Quaesiio 143 (col. 796), 

10. In psalm. L, v. 7 (col. 1244); Erantstes, I (col, 40). 

12. 



210 HISTOIRE DES DOGMES. 

(ou Y«P Sià TTivTOÎi TcpoTcaTopoç àpiapTiixv, àXKk Sii rJiv olxeiav) * . 
Le otiroXXot de Rom., v, 19 est expliqué dans le sens de 
beaucoup. Beaucoup sont devenus pécheurs à cause du 
péché d'Adam> comme beaucoup sont derenus justes 
par l'obéissance de Jésus-Chrisl : car il y a eu d'ailleurs 
des justes sous la Loi, comme il y a des pécheurs sous 
la Grâce ^, Enfin notre auteur remarque que si l'on 
baptise les enfants, ce n'est pas qu'ils aient goûté le 
-péché (oôSeTrto T^ç à[xapTÎaç YÊU^ap-^và), c'est parce que le 
baptême ne fait pas que remettre les péchés, il est aussi 
le gage des biens futurs ^. 

Cette dernière observation revient très nette dans la 
lettre d'Isidore de Péluse à Herminius^, lettre où le 
saint examine précisément cette question : Pourquoi 
baptise-t-on les enfants puisqu'ils sont sans péché? Il 
répond que des gens minutieux {crpiixpoXoYoîivTEç) disent 
que ces enfants, .dans le baptême, « dépouillent la 
souillure transfusée à la nature à cause de la trans- 
gression d'Adam » (tovSioc TVjVirapaêaffiv tûû 'ASà[jt. SiaûoOî'vTra 
T^ ©ûffei ^ûtiov ŒTroTrXuvovTai). Il admet cette réponse, mais 
il îa trouve insuffisante, et se rabat sur les effets positifs 
et de sanctification du baptême. 

Isidore de Péluse trouve insuffisante l'explication 
des latins : toutefois, je l'ai dit, il l'admet comme expri- 
mant une vérité^. Isidore est de l'école de saint 
Cyrille, de cette école qui comprend plus profondément 

1. 7nepùl.adiiom.,V, J2(col. 100). Cette réflexion ne contredit qu'en 
apparence ce qui a été rapporté plus haut de Théodoret. Suivant Tliéo- 
doret, le péché d'Adam a entraîné noire mort, parce qu'il a causé en 
nous la concupiscence, source de nos péchés personnels, lesquels nous 
méritent la mort. 

2. I» epist. od iiom., V, i9 (coL 1(H,404). 

3. Haerel. fabul. comp., V, 18 (col. S12). 

4. Epist. III, 193. 

5. On peut se demander si c'est bien l'opinion des latins que vise Isi- 
dore, ou si ce n'est pas plutôt la doctrine d'Origène (cf. Uist. des Dogmes, 
I, p. 292, 293) : on remarquera le mot pOreoc, employé par l'un et par 
l'autre. 



LA THÉOLOGIE GRECQUE DU V AU Vil» SIÈCLE. 211 

que celle d'Antioche le besoin que l'homme a de Dieu ; 
et c'est dans cette école en effet que nous rencontrons 
plutôt, sur le sujet qui nous occupe, une doctrine qui 
se rapproche, sans la rejoindre, de la doctrine augus- 
tinienne. 

« Par Adam, écrit Proclus de Constantinople, nous 
avions tous souscrit au péché » : Stà y"^? t°" 'ASàfx Tcav-rsç 
lîi àfxapTia Ij^EipoypatpTiîiajAsv ^ . Quant à Cyrille lui-même, 
il est remarquable d'abord que, dans la condamnation 
et la déchéance du premier homme, il voit toujours la 
déchéance non d'un individu isolé mais de la nature 
humaine. Adam se laissant aller à la désobéissance, 
^ cpûffiç eù9î>ç ÔKvaTw xaTsStxâÇsTo^. Ensuite saint Cyrille 
n'est pas loin, à l'exemple d'Aug-ustin, de considérer 
comme un péché la concupiscence qui accompagne 
l'acte conjugal^. Il déclare encore que « le cœur de 
tous les hommes a été comme souillé par la transgres- 
sion en Adam, et la perversion au mal^ » ; que par là 
la nature humaine s'est trouvée détournée de Dieu (Iv 
aTTOCTTpocp^ Tou Ôeoû) ^, hors dc SOU amitié (l^w t^; Tcpoç ôeov 
oI/.Eid-nriToc) ^ ; que nous avons été corrompus en Adam 
('ASàfA, £v & xat IçôapfjieOa) ''; que nous sommes devenus 
malades par la mort du péché à l'instigation du ser- 
pent^. Il semblé que nous touchions à la formule la- 
tine : mais voici qui nous en éloigne. Si nous encou- 
rons la peine de notre premier père, écrit Cyrille, 
c'est parce que nous avons imité son péché ''; et dans 
ce même commentaire sur l'épître aux Romains, il 

1. Orat. I, S (col. 685). 

2. Glaph. in Gènes., I (col. 21). 

3. Inpsalm. L, v. 7 (col. 1092). 

4. In psalm. L, v. 12 (col. «00) ; In loannem, XII (col. 6S6). 
o. In psalm. L, v. 13 (col. 1100). 

6. In psalm. LXXVIII, v, 8 (col. 1197). 

7. Quod unus sit Christus (col. 1272). 

5. Inpsalm. XXl\ {col. BoH). 

9. In epist. ad Rom., V, 12 (col. 784). 



212 HISTOIRE DES DOGMES. 

précise sa pensée. Après avoir dit que « nous avons été 
condamnés en Adam, et que de lui, comme d'une pre- 
mière racine, la mort, fruit de la malédiction, a passé 
dans ce qui est né de lui », lise fait l'objection : Mais 
comment la faute d'Adam nous est-elle imputée, 
piiisque nous n'existions pas lorsqu'il a péché? Cyrille 
répond que les désirs impurs ayant, après son péché, 
envahi la chair d'Adam, ils ont, par le fait même, en- 
vahi la nôtre et qu'ainsi « la nature a contracté la ma- 
ladie du péché » (vevôoTjXtv oùv f, auaiç t^v «{xaptiav). C'est 
pourquoi, continue-t-il, « beaucoup ont été constitués 
pécheurs, non qu'ils aient péché en Adam — car ils 
n'existaient pas encore — mais parce qu'ils sont de la 
même nature que lui, nature qui est tombée sous la 
loi du péché* ». Nous ne trouvons plus ici évidemment 
la théorie augustinienne du péché originel proprement 
dit : il ne s'agit dans nos textes que de la mort ou de 
l'entraînement au péché actuel, entraînement qui est 
bien une déchéance, une corruption, un mal, une « loi 
de péché » qui nous vient par voie de génération, mais 
auquel Cyrille ne donne pas simplement le nom de 
péché. 

Les théologiens grecs des v», vi« et vu» siècles n'a- 
vaient donc qu'imparfaitement compris le sens des 
décisions occidentales contre le pélagianisme, sur le 
point dont nous parlons ^. 11 est probable qu'ils les 
avaient, en général, fort peu étudiées. 

Avaient-ils mieux pénétré ce qui regarde la nature 
et la nécessité de la grâce ? 

On en peut raisonnablement douter^. Leur enseigne- 

4. In epist. ad Rom., V, 18, SO (col. 788, 789); De recta fide ad regin., 
l, 3 {col. 1-205). 

2. Le passage de saint Maxime dans sa lettre à Marin (P. G., XCI, 
136 , à i>ro{>os de la doctrine des latins sur l'exemption deJésus-Chris* 
du péché d'origine, n'est pas lui-même concluant en sens contraire. 

3. Il faut cependant excepter de ce verdict et de celui qui précède 



LA THÉOLOGIE GRECQUE DU V AU Vil* SIÈCLE. 213 

ment n'accuse pas sur celui de leurs prédécesseurs de 
progrès notable : il reste, en tout cas, complètement en 
dehors de Tinfluence de celui de saint Augustin. D'un 
côté, nos auteurs proclament, comme leurs devan- 
ciers, que la nature humaine n'a pas été, par la chute, 
foncièrement viciée, et qu'elle est capable, même chez- 
les païens, de produire des fruits de vertu. Il est des 
hommes, remarque Théodoret, qui ne connaissent 
pas la piété ni les enseignements divins, et qui cepen- 
dant s'appliquent aux bonnes œuvres * . D'autre part, 
ils répètent comme une vérité non moins certaine que 
l'homme, sans la grâce, ne saurait se sauver, éviter 
toujours le péché, se repentir de ses fautes, pratiquer 
le bien comme il le faut, acquérir les vertus, mettre à 
exécution ses bons desseins : 

« Personne ne peut se sauver si Dieu ne l'aide 2. » — « Sans 
Je secours de Dieu tout esprit sera faible; avec son secours et 
sa force bénignement accordés, tout ce qui était faible sera vi- 
goureux et évitera le naufrage 3. » — « Il n'est pas au pouvoir 
de ceux qui veulent vivre saintement de le faire sans être ap- 
pelés*. » — « Tous les hommes, même ceux qui sont ornés 
des actes de vertu, ont besoin de la grâce divine^. » — « [L'a- 
pôtre] appelle don de Dieu et d'avoir cru, et d'avoir noblement 
combattu, non pour exclure le libre arbitre de la volonté, 
mais pour nous enseigner que la volonté privée de la grâce ne 
peut d'elle-même opérer, comme il faut, aucun bien 6. » — «Il 
est impossible que quelqu'un marche sans faute dans la voie 
de la vertu, sans la grâce de Dieu "J. » 

Ainsi parlent saint Cyrille et Théodoret, et Userait 

les moines scytlies dont il a été question plus haut (p. 131) et qui, on le 
Verra, professaient tout raugusiinlsme (v. plus bas, p. 297 et suiv.). 

1. Quaesl. in Levitic, Interrog. 11 (col. 316). 

2. Cyrill., In psalm. XXXII, v. 1 (col. 869). 

3. iD., In psalm. XXXVI, v. 24 (col. 941). 

4. iD., In Lucam, xni, v. 23 (col. T76). 

5. Théodoket, In psalm. WXl, v. 10, 11 (col, 1092, 1093). 

6. iD., In epist. ad Philipp., I, v. 29, .SO (col. 568). 

7. lo., In psalm. XXXVI, v. 23, 2i (col. 1132), et cf. In psalm. LXXXIX, 
V. 17 (col. 1608). 



214 HISTOIRE DBS DOGMES. 

aisé de citer des textes analogues tantvde ces mêmes 
auteurs* que d'Isidore de Péluse^, de saint NiP, de 
saint Maxime "'. Ils remarquent d'ailleurs avec soin et 
que la liberté humaine reste entière sous l'action de là 
grâce, et que cette grâce, pour obtenir son effet, re- 
quiert notre correspondance et notre coopération : 
« Il est besoin des deux, écrit Théodoret, à savoir de 
notre industrie (£7rt9u(j!.ta) et du secours divin. A ceux 
qui n'ont pas d'industrie la grâce de l'Esprit ne suffît 
pas et l'industrie, si elle est destituée de la grâce, ne 
peut recueillir les richesses de la vertu ^. » 

Tout cela est parfait, mais le point important est de 
savoir si ces écrivains poussent jusqu'au bout leur affir- 
mation de la nécessité de la grâce pour la pratique 
des actes salutaires, et requièrent cette grâce pour le 
commencement de la bonne œuvre et pour les simples 
désirs du bien. Cette question, il est juste de dire 
qu'ils ne se la sont pas explicitement posée ; et dès 
lors il ne faut pas s'étonner si leur solution paraît 
trop souvent peu logique. En maint endroit, ils sup- 
posent que la bonne disposition de l'âme, que les ef- 
forts humains précèdent la grâce et en attirent l'eiTu- 
sion dans le sujet ^. « Il y a une foi qui dépend de nous 
(Iç' ■hy-'iv), écrit saint Cyrille, et une foi qui est un don 
de Dieu. Car il nous appartient de commencer et de 
mettre en Dieu de toutes nos forces notre confiance et 



i. Cymll., In psalm. nr, v. 6 (col. 728); XXIX" (col. 8S6); Théodoret, 
In Ezeckiel, XXXYI, v. 26 (col. 418t), 

2. Epist. IV, 171. 

3. Epist. II, 258; IV, 15. 

4. Capît. quinq. centen., centur. IV, 13 (col. 1309). 

5. In epist. ad Philipp., I, t. 29, 30 (col. S68) ; In epist. II ad Corinth., 
VIII, V. 1 (col. 4-21); Graic. affec. curatio, V (col. 924, 923); Isid. PEtus., 
Epist. IV, 51 ; S. Maxime, Quaest.ad Thalass., qu. LIX (col. 608). 

6. Théodobet, In epist. ad Ephes., VI, v. 24 (col. So7); In epist. ad 
Philipp., II, V. 13 (col. S73); In Epis t.' I ad Timoth., IV, v. 13 (col. 816); 
Grâce, affect. curaU, V (col. 924, 923); Isidor. P£lus., £pist. lY, 13. 



LA THÉOLOGIE GRECQUE DU V AU VIP SIÈCLE. 215 

notre foi ; et il appartient à la grâce de Dieu de nous 
rendre en cela persévérants et fermes ^ . » Et après 
avoir dit que nous ne pouvons, sans le secours divin, 
rien accomplir de bien dans la vie présente, et qu'il 
ne faut donc pas nous attribuer, à nous seuls, les tro- 
phées de la victoire, saint Nil continue : « Car il nous 
appartient seulement de choisir le meilleur et de nous y 
efforcer ; et [il appartient] à Dieu de donner à nos bons 
désirs leur réalisation 2. » 

Sur les autres questions, relatives à la distribution 
des grâces, à leur bon usage, à la valeur qu'elles don- 
nent à nos actes, on trouve naturellement chez les mo- 
ralistes tels que saint Isidore, saint Nil et autres des 
indications nombreuses. Notons seulement les sui- 
vantes : Dieu abandonne parfois le pécheur obstiné, et 
lui retire complètement son secours ^. La foi ne suffit 
pas pour le salut : elle doit être accompagnée des bon- 
nes œuvres *. Mais ces œuvres recevront leur récom- 
pense {(xiGÔo'ç) et nous donnent assurance auprès de 
Dieu ^. Elles ne sont pas cependant, malgré leur mé- 
rite, proportionnées aux biens éternels qu'elles nous 
vaudront, parce qu'elles ne sont que des travaux iem- 
poraires : ces biens restent une grâce que Dieu nous 
faite. 

d. In Lucam, XVII, S (col. 832). 

2. Epist, IV, 15. 

3. Ctrill., In psalm. XXXVII, t. 42 (col. 964); Theodoret, In psalm. 
CXVIII, V. 8 (col. 1824). . 

4. Theodoret, In episL I ad Timoth., II, v. 2 (col. 797) ; In epist. ad 
Titum, m, V. 8 (col. 869) ; Isin. Pelos., Epist. IV, 63. 

B. Theodoret, Inlsaiam, LVIII, v. 9 (col. 457); Isio. Pelds., Epist. .1, 
43. 
6. Tbéôdoret, In epist. ad Rom., VI, Y. 23 (col. 113). 



216 HISTOIUE DES nOGAîES. 



I 4. — Sotériologie * 

Les controverses christologiques longuement expo- 
sées au commencement de ce volume n'ont évidem- 
ment si fort occupé la pensée chrétienne que par 
l'intérêt sotériologique qui s'y trouvait engagé. Le ré- 
dempteur devant être Dieu et homme à la fois, l'école 
d'Alexandrie visait à mettre en relief son caractère 
divin, celle d'Antioche à maintenir intacte sa pleine 
nature humaine. A ce point de vue, on ne saurait isoler, 
comme on le fait ici, l'exposé de la sotériologie des 
yp-vn^ siècles grecs de celui de leur cliristologie. Mais 
ce point de vue n'embrasse pas tout. Le rédempteur 
étant reconnu Dieu parfait et homme parfait, on peut 
se demander comment et par quelle voie il a réalisé 
son œuvre de réparation et de réconciliation : et c'est 
proprement l'examen des solutions émises à ce sujet 
par les siècles dont nous parlons qui est l'objet du 
présent paragraphe. 

On a vu, représentées dans la théologie grecque anté- 
rieure et souvent mêlées dans les mêmes écrivains, les 
trois théories fondamentales de la christologie chré- 
tienne : théorie spéculative ou mystique, théorie réa- 
liste, théorie des droits du démon. A l'époque que 
nous étudions, cette dernière théorie ne se produit plus 
sous la forme juridique et rigoureuse que lui avait 
donnée saint Grégoire de Nysse. La mort de Jésus- 
Christ n'est plus présentée comme une rançon payée 
au diable, et que celui-ci avait le droit d'exiger : 
elle apparaît plutôt à nos auteurs comme le résultat 
d'un abus de pouvoir de la part du démon, lequel, 



i. Sur ce sujet v. I. Rivière, Le dogme de la Rédemption, Paris, 1903, 
chap. xn. 



LA THÉOLOGIE GRECQUE DU V AU VII* SIECLE. 217 

pouvant i justement réclamer la mort des liommes 
.pécheurs et coupables — stipendiumpeceati mors, — 
a commis une injustice en procurant la mort de 
Jésus-Ghrist innocent, et, à cause de cet attentat, 
s'est vu, suivant les règles de réqùité, privé du droit 
quHl possédait sur les coupables. Sa rapacité Ha 
perdu : tl'erifer n'a; pu garder' le Dieu caché en J ésus- 
Christ sous l'appât de Inhumanité, et a dû rendre 
même les simples hommes qu'il avait jusque-là en- 
gloutis. Cette façon imagée et quelque peu simpliste 
d'expliquer notre délivrance par le Sauveur se trouve 
déjà dans saint Chrysostome ^ mais on la retrouve 
dans saint Cyrille-, dans Théodoret^, saint-Isidore de 
Péluse"',' saint Maxime^ et d'autres; encore ®.iElle n'est 
toutefois souvent qu'une façon poétique et oratoire de 
présenterla lutte moraleentre le principe i du bien et 
du salut, Jésus-Christ, et le démon, principe du mal 
et de la' damnation. 

D'un autre côté,;la théorie spéculative qui attribue à 
lancarnation prise à part une efficacité rédemiptrice, 
par le rapprochement que cette incarnation établit 
entre (Dieu et l'humanité dans la personne du Verbe 
fait. chair, cette théorie, dis-je, semble plutôt perdre 
du terrain. On ne sera pas surpris cependant de la re- 
trouver chez saint Cyrille d'Alexandrie. Elle était, 
pour ainsi 'parler, dans la -tFadition de soniÉglise, et 
cadrait d'ailleurs trop bien avec l'ensemble de sa, chris- 
tologie pour qu'il la négligeât : « N'est-il pas évident 
et clair;par tout homme, écrit-il, qiue le Monogène 



1. In loannem, homil. LXVIII, 2, 3 ',In epist. ad Rom., hom. Xin, S. 

2. De recta flde ad regin., II, 31 (col. 1376). 

3. De provideftUia, X (col. 757-761); De incarn. Domini, XI (col. Ii33* 
1436). 

-4.îJBpîSt.rV,il66 (col. 1257). 
5. Capit. quinq. centen., cent. I, H (col. 1184). 
€. V. Rivière, op. cit., p. 431 et suiv. 

HISTOIRE DES OOGMES. — lH. 13 



218 HISTOIRE DES DOGMES. 

est devenu semblable à nous, c'est-à-dire homme par- 
fait, pour délivrer notre corps terrestre de la corrup- 
tion qui l'avait envahi. [C'est pour cela] qu'il a consenti 
à devenir identique à nous dans sa vie par l'économie de 
l'union [hypostatique], et qu'il a pris une âme hu- 
maine, la rendant supérieure au péché, et la revêtant 
comme d'une teinture, delà fermeté et de l'immutabilité 
de sa propre nature * . » Des formules analogues se 
rencontrent dans son commentaire sur saint Jean 2. 
Elles ne sont toutefois qu'une introduction à une théorie 
réaliste plus approfondie et plus complète qu'il nous 
faut maintenant considérer. 

« Si Jésus-Christ n'était pas mort pour nous, nous 
n'eussions pas été sauvés^. » Ce seul mot de saint 
Cyrille montre avec évidence qu'il ne regardait pas 
l'incarnation comme suffisante pour notre rédemption. 
Mais pourquoi et comment cette mort de Jésus-Christ 
nous sauve-t-elle ? Le saint docteur l'a expliqué avec 
une richesse et une ampleur de textes qui font de son 
enseignement sur ce point le résumé et la plus par- 
faite expression de la doctrine de l'Église grecque. 
Toutes les diverses formes de la pensée chrétienne an- 
térieure y sont reproduites et notées. Jésus-Christ est 
notre rançon (àvTaXXayiJia, àvx(XoTpov) '' ; il est une vic- 
time qui s'est offerte en sacrifice pour le péché. De 
cette victime l'agneau pascal et le bouc émissaire ont 
été la figure ^. Cette dernière image nous conduit à 
l'idée de substitution pénale. Jésus-Christ était per- 
sonnellement innocent, et par conséquent non suscep- 
tible d'être personnellement puni ou châtié; mais il a 

1. De tncarn. Untgen. (col. 1213). 

2. In loann., IX (col. 272-282). 

3. Cyrill., Glaph. in Exodum, II (col. 437). 

4. De adorât, in spir. et ver., XV (col. 972)^ Glaph. in Exod., U (CoU 
480) ; Quod unu» ait Christus (col. d337). 

5. Glaph. in Exod., Il (col. 425); In Levitie. (col.SSS, 589). 



LA THÉOLOGIE GRECQUE DU V AU VII* SIÈCLE. 213 

pris sur lui nos péchés ; il est devenu malédiction pour 
nous : dès lors, « ce châtiment qui revenait aux pé- 
cheurs, afin qu'ils cessassent de faire la guerre à Dieu, 
est tombé sur lui... Dieu l'a livré à cause de nos 
fautes ^ » ; « il lui a fait souffrir ce qui est dû aux plus 
grands pécheurs* ». Par sa mort et par son sacrifice, 
il a payé, et nous avons payé en lui ce que nous de- 
vions pour nos péchés^. Il a expié nos fautes ••; il a 
détruit les inimitiés existantes et nous a réconciliés 
avec le Père '. Dès lors. Je péché étant aboli, la mort, 
suite du péché, doit aussi disparaître^. 

Toutes ces idées avaient été déjà exprimées par les 
écrivains antérieurs. Ce qui est particulier à Cyrille, 
c'est l'insistance qu'il met à montrer, d'une part, que 
lessoufTrances de Jésus-Christ représentent le châti- 
ment dû à nos péchés, de l'autre, que cette réparation 
du péché est équivalente et surabondante. Maintes 
fois il observe que la rançon fournie par Jésus-Christ 
est àvTa^toç' ; que Jésus-Christ mort pour tous nous sur- 
passait tous en dignité et en valeur (6 icàvtwv à^wiaTepoç) ®. 
La raison en est simple : Jésus-Christ n'est pas un 
homme ordinaire, ni même simplement le fils adoptif 
de Dieu : il est le Verbe incarné, supérieur à toute 
créature^. Et cette équivalence de satisfaction n'est 

1. In Isaiam, Lnr, v. 4-6 (col. 1176 et tout le passage). 

2. In Epist. II ad Corinth. (col. 945). 

3. De adorât, in spir. et verit., m (col. 293, 296). 

4. De recta fide ad regin., 11,7 (col. 1344). 

5. Quod untis ait Christus (col. 13S6) ; De ador. in spir. et verit., III 
(col. 292), 

6. Inloannem, II (col. 192). Ces deux résul tats, ladélivrance de l'âme 
du péché et l'immortalité rendue au corps, sont les deux fins de la ré- 
demption sur lesquelles Cyrille revient constamment, d'après les textes 
de Romains, VIII, 3, 4 et Hébreux, 11,14,18, qu'il ne se lasse pas de citer. 

7. Glaph. in Levitie, (col. 848) ; De recta fide ad Theodos., 21 (col. 
1164); etc. 

8. quod -anus sit Christus (col. 1386) ; Epist. XXXI (col. 182) ; In 
loannem, il (col. 192) ; In Isaiam, LUI, v. 4-6 (col. 1176) ; etc. 

9. Quod unus ait Christua (col. 1341). 



220 HISTOIRE DES DOGMES. 

pas seulement une vérité de fait' pour Cyrille, les cho- 
ses ne devaient pas être autrement. La justice -en effet 
exigeait que la rançon égalât en valeur ceux qu'elle 
devait racheter •. « Un seul devait .mourir .pour tous qui 
fût le juste équiivalemtdelavie de taus^ i» Ce principe, 
on le eomprend, devient entre les mains de Cypille 
une arme contre Nestorius.: Constamment saint Cyrille 
s'appuie îsur cette vérité que la rançon offerte par Jésus- 
Christ a dû être équivalente, pour len (conclure que 
Jésus-Christ homme est une même personne avec le 
Verbe : car aucun'homme,'si élevé en girâce qu'on le 
suppose, m'aurait pu présenter à Dieu, par sa mort, 
une expiation suffisante et efiBoace pour (nos péchés 2. 
Ainsi la aaéoessité d'uaiesatisfactioni^équivalente prouve 
que le rédempteur capable de la fournirestDieu, et la 
circonstance que ce Tédempteur est Dieu 'établit à son 
tour l'équivalence en fait et même la sure^ondance de 
cette satisfaction. 

Les enseignements sotériologiques de saint Cyrille 
marquent, vnous l'avons dit, le point culminant des 
spéculations de l'Église grecque sur ces questions. 
Après lui, la pensée, d'ailleurs fixée, devient moins 
originale. Exceptons cependant un discours du patriar- 
jche de Constantinople, Proclus, où la nécessité de la 
mort d'un Dieu pour payer notre dette et la surabon- 
dance de cette expiation sont mises en relief dans 
quelques pages d'une .très belle éloquence^. Excep- 
tons encore une lettre très précise de saint Isidore de 
Péluse*, dans laquelle il explique le texte Ad osten- 
sionem iustitiae suae, et montre Jésus-Christ, « vic- 
time offerte, lui seul, pour tous, et supérieur à tous en 

1. ffn loannem, XI (col. 58S). 

2. De recta fide ad reg., I, 7 (col. 1208, 1289-1297) ; £?pisf. L (col. 2&i). 

3. GraM, 5-9 '(col. 68S-689). Voyez encore Oroi. II, 2; X[, 4; XIY, 3 
(col. 693, 785, 796,797) ; Epist. H, 7 (col. 861). 

4. EpiU VI, 100 (col. 1165); cf. Epist. Vf, 166<col. 1257). 



LA THÉOLOGIE GRECQUE DU V AU VII* SIÈCLE. 32fï 

VÉ^euï" »<, apaisant la colère de Dieu, rétablissant îst 
concorde, changeant l'aversion en amitié, et conqué- 
rant de nouveasn pour nous la grâce de» la âlîation 
adoptive. Quant à Théodoret, il se borne- générale- 
ment à exposer 1& réalisme classique : Jésns-Ghrist 
nous est substitué : il' s-'est fait malédiction pour 
nous; il a donc subi le châtiment à notre place; sa 
mort a été notre rançon, ou plutôt, comme l'auteur 
le remarque expressément, « une espèce de rançon » 
(oTovTiXuTpov)^;:elle a été aussi un sacrifice libre et spon- 
tané, destiné à expier nos fautes. Ainsi notre dette a 
été payée, et nous avons été réconciliés avec Dieu^. Le 
chapitre lui d'Isaïe a fourni à nos auteurs pour cette 
théorie réaliste^ une contribution impoTtante. On le 
trouve encore commenté dans le même sens par 
Prdcope de Gaza^f v. 52S)3. 

§^5. — Ecclésiologid. 

Du v* au vii« siècle, le progrès de la doctrine sur 
l'Église, considérée comme l'assemblée des fidèles et 
dans ses rapports mystiques avec Jésus-Christ son 
fondateur, fut peu sensible dans la théologie grecque. 
Tout avait été dit notamment sur l'Église cité de Dieu, 
Jérusalem nouvelle, épouse de Jésus-Christ, vierge 
immaculée, jardin fermé, etc.; et saint Cyrille,, qui re- 
vient fréquemment sur ces métaphores, ne fait guère 
que répéter ce qu'avaient dit ses devanciers. Mais d'au- 
tre part, le symbole rapporté par saint Épiphane, et 
qui passa plus tard pour être celui du deuxième con- 

1. In-epist. ad K<ym., m, 24; In epiat. T ad' Timoth.. Il, 6 (coL 84r 
800). 

2. In Daniel., IX, 24 (col. l'472); In laaiam, Lni> 4-12 (col. 441-444); 
In epist. ad Rom., V,8 (coH97); In epis*. adSjîAeSi, II, 14 (col. 524) ; Dr 
providentia, X (col. 754.7S7). 

3. In Itaiam, LUI (P. G., LXXXVII, 2, col. 2821-2532). 



222 HISTOIRE DES DOGMES. 

cile général, contenait un article où l'on déclarait 

.croire etç (Jii'av, âytav, xaôoXtx^v xal ^TCoffTOÀixrjV lxxXyi<r(av. 
Commentant, pour ainsi dire, cette formule, on affirma 
(ju'il n'y a qu'une seule Eglise du Christ, et que cette 
Eglise, malgré la diversité des églises particulières 
qui la composent, est une. Cette unité repose sur l'unité 
de foi (ttj (Tujxçtoviqf Twv àXïiôwv SoYjAatwv) ', Sur ce qu'il n'y 
a pas entre les fidèles partage de croyances (Si/ôvoia, 
TtvEUfjLaTix^ Siat'pEffiç), et aussi sur l'unité du baptême^. 
L'unité de gouvernement n'est pas mentionnée. Or, de 
cette Église une la doctrine ne saurait qu'être vraie, 
et la discipline sainte. L'Eglise, dit saint Maxime, est 
a la confession orthodoxe et salutaire de la foi », -^ opOr) 
xol Gto-nipio; triç îriffxew; ôfxoXoy^a^ : et Isidore de Péluse, 
avant lui, l'avait plus complètement définie « l'assem- 
blée des saints qu'unit la vraie foi et la plus excellente 
discipline », tb âOpoidfxa twv aflbiv th è\ ôpôîi; itt'ffTEO); xal 
7roXiTe(aç àpfffTïj; auvxexpoTYiu.lvov"'. D'où la conclusion 
qu'on ne peut se sauver que dans l'Église : « Hors de 
la cité sainte, écrit saint Cyrille, on ne reçoit point mi- 
séricorde^. » D'autre part, l'Église est, par destina- 
tion, catholique ; elle est visible à tous les yeux^. 
L'œuvre des apôtres est continuée par ses prêtres : ses 
premiers évêques s'appelaieat apôtres^. 

Aux évêques et, en général, au clergé, par opposi- 
tion aux laïcs, sont réservés dans l'Église le premier 
rang et le gouvernement de la communauté chrétienne. 



i. THÉODonET, In psalm. XLVII, v. 4 (col. 1213). 

2. Théodiibkt, InCanlic. cantic, ni, cap. VI, v. 1 (col. 165); Cyrill., 
/n //Sufm. XLIV.v. 10 (col. 1041). 

3. Vilaaeccrtamen,XXrf (P. G., XC, 93). 

4. Episi. u, 246 (col. 68») ; cf. Epist. Vf, S (col. 1053): Cyiiill., In 
loannem, IX (col. 211). 

5. In psalm. XXXI, v. 22 {col. 865), 

6. CvitiLL., tn Isaiam, l (col. 68); In Lucam, X, v. 34 (col. 681). 

7. Théodoret, In Isaiam, LXI, v. 6 (col. 472) ; In epitt. I ad Corinth., 
m, T. 1 (col. 804). 



LA THÉOLOGIE GRECQUE DU V* AU VII* SIÈCLE. 223 

Les prêtres, dit Théodoret, sont comme la face de l'E- 
glise, à cause de leur prééminente dignité ^ Leur pou- 
voir vient de Dieu, et les laïcs ne doivent point les 
juger' : la dignité des princes mêmes est inCérieureà 
la leur ^. Ce dernier point est et reste vrai en théorie, 
et lorsque les empereurs deviendront hérétiques ou 
favoriseront l'hérésie, les persécutés sauront, au be- 
soin, le leur rappeler. Mais, en pratique, nous ne de- 
vons point oublier qu'avec le cinquième siècle surtout 
se développe ce que l'on peut appeler le byzantinisme 
théologique, c'est-à-dire l'immixtion permanente en 
Orient du pouvoir civil dans le gouvernement de l'É- 
glise et dans les conflits doctrinaux. L'empereur con- 
voque les conciles, les dissout, en approuve ou en re- 
jette les décisions, lance des confessions de foi et oblige 
l'épiscopatà ysouscrire, dépose à peu prèsàson gré les 
patriarches et évêques récalcitrants, en un mot regarde 
les causes eccl ésiastiques comme ressortissant à son pou- 
voir suprême. G'estlàune situation dont l'Église grecque 
s'accommodait^. 

Cette situation était le résultat de la faute com- 
mise dans l'attribution au patriarche de Constantino- 
ple — patriarche de la cour — d'une dignité et d'une 
autorité exceptionnelles. Le concile de 381 lui avait 
déjà donné le second rang dans l'Église, après l'évê- 
que de Rome, parce qu'il siégeait dans la nouvelle 
Rome, la Rome de l'Orient. C'était blesser et affaiblir 
Alexandrie. Le concile de Chalcédoine aggrava le mal, 
en supprimant l'autonomie des diocèses du Pont et de 

1. In psalm. XLV, v. 13 (col. H96) ; In epist. I ad Timoth., V, v. 21 
(col. 821). 

2. TnÉoDOBET, De provident ia, orat. V[II (col. 684); S. Nil, Epist. H, 
261 (col. 333); Pseudo-Dexys, Epist. VIII (col. 1088). 

3. Théodoret, Quaest. in Levit., Interr. I (col. 308); IsiD. Pelus., 
Epist. IV, H9 (col. 1313). 

*. y. BKTiFfOL,Le Siège apostolique,i92■i,p.33^-i^0.L'empereurJustinien 
et le Siège apostolique, dans Recherches de science relig., 1926, p. 193-2(j4. 



2S4 HISTOIRE DBS DOGMES] . 

rAisie*(Né'ofe'ésaréie: et Éphèse) qu'il soumitià.Coiistantî- 
nople, et' en diminuant^, par la création du^ patriarcat 
dé Jéînisalem, le- prestige et la force decelui d'Antio- 
clie: Toutcelàv légitimé par' cette considération que 
rinipt)rtànce civile de la cité devait valoir au patriarche 
une autorité plus grande, conduisait naturellement à 
penser* que l'évêque dans^ la(communauté chrétiennete- 
nait, sinon son pouvoir essentiel, du. moins; l'étendue 
de sa juridiction! du pouvoir civil, et partanti que le 
prince avait qualité pour légiférer dans l'Église. Rien 
n'était plus désastreux pour l'indépendance dé cette 
Église et pour la pureté de son dogme. Le patriarche 
de Gonstantinople était devenu, en fait, le prélat le plus 
influent de TÉglise d'Orient, et ce prélat était, sous 
la main de l'empereur plus adulé que jamais'. 

Les papes j et saint Léon surtout^, protestèrent con- 
tre ces décisions qui méconnaissaientlésdroitsi acquis, 
et qui j en leur créant àieux-mêmieB des' rivaux^ pré- 
paraientle schisme. L'événementprottva qu'ils avaient 
vu juste. En principe cependant, leur autorité était 
reconnue de l'Église grecque, et même ne s?exerça ja- 
mais plus activement que dans la période qui va du 
v^ au milieu du vi^ siècle. 

D'abord, le fondateur de l'Église romaine, l'apôtre 
Pierre, continue d'être considéré par nos auteurs comme 
le premier, le chef, le coryphée du collège apostolique, 
jtpwToç, TcpoxptTO;, xopwcpaïoç "cwv aTCoarToXwv^. ha.' pierre de 
Mutk.,xyi, 18, n'est pas toujours, il est vrai, interpré- 
tée de la personne même de l'apôtre. Elle l'est, par 
Cyrille, du Christ lui-même ^ ; par Cyrille encore, THéo- 

1. Epîst. civ, cv, cvi, cxiv. 

2. Cyrill., In Ioannem,.yiU (coh 661).; De ss, Trinitate, diaL IV (col. 
865); Théoooret, Quaest. in Gènes», Interr. 440 (col. 220); Hueret. fabul. 
comp. (col, 449); In psalm. II (col. 821, 873); etc.; Isid. Pelus., Ep.isi> 
II, 58 (col. S04), 99 (coL Sfi4); S» ^ïh, Epist. II, 26i (col. 333). 

3./n Isaïam^III (col. 729). 



LA THEOLOGIE GRECQUE DU V AU VIP SIECLE. 225 

doret et Isidore- de Péluse, de lia foi de l'apôtre^ solide 
comme le rochePi et sur laquelle est édifiée l'Église^ ; 
mais elle Festausside lia personne de l'apôtre par saint 
Gyrille toujours, qui explique que Simon a recule nom' 
de Pierre « parce que Jésus-Chmst se proposait de fon- 
dersur lui (Ik'aÔT^) sonEglise^ », et par saint Maxime 
le Gonfesseur h Saint Cyrille corrobore cette inter- 
prétation dans son commentaire du Gonfirma fratre& 
tuos : « Sois le fondement solide et le maître («rnîptYfj!,» 
xaV §iSa<rxo^oç)de ceux qui m'appartiennent par la foi-*. > 
Cette reconnaissance de la primauté de saint Pierre 
étaitune reconnaissance indirecte de celle des papes. 
Mais: il existe des textes et des faits: d'une portée plus 
directe^ et qui' établissen*, sans dbute possible, que 
l'Orient, à l'époque qui nous occupe, voyait dans Té^ 
vêque; de Rome un évêque d'une autorité' supérieure, 
dont l'assentiment était nécessaire pour la conclusion 
des affaires importantes intéressant l'Église. Dans sa 
lettre xïà Célestin, saint Cyrille, patriarche lui-même, 
ne le: nomme pas /^ère, maisjoère, et ajoute qu'une 
longue coutume des églises l'obligeait, lui, Cyrille, 
à communiquer à sa sainteté les affaires du genre 
de celle de Nestorius et- à la consulter avant d'agir^; 
Au cours de son homélie xi, le même Cyrille appelle 
Célestin « l'archevêque œcuménique » {âpyjLemoxoitoç 
iraoTiç "^^Ç oîxoufxEVïiç) ®. Dans la deuxième session du con- 
cile d'Ephèse,, Firmus de Césarée déclare qu^'il est inu- 
tile de juger à nouveau Nestorius : il y a sur son cas; 
ime, décision, et une sentence portée (<{<5i»ov xal -cuirov). t 

i. Cybiiiu, Ja Jsoiom, IV (col. 740); De ss. Trinitate, dial. IV (coV^ 
863); Théodorït, QMoesfc in Exod., laterrog. 68 (col. 293) ; Isid. Peluss,. 
Epist. I, 23S (col. 328). 

2. In loannem. Il (coli220). 

3. Vitaaccertamen, XXIV (P. G., XC, 93). 

4. In Lucam\\XU, v. 32 (col. 916). 
o. EpisL XI, 1, 7 (col. 80, 84). 

d. Homil. divers., XI (P. G., LXXVll, 1040). 

13. 



Î26 HISTOIRE DES DOGMES. 

c'est celle du pape * . Déposés par le brigandage d'É- 
phèse, Flavien de Constantinople et Eusèbe de Dory- 
lée en appellent à saint Léon. Déposé aussi, Théodoret 
en appelle au même saint Léon par sa lettre cxni, 
si précise sur la primauté romaine^. Au concile de 
Chalcédoine, les légats du pape président aux résolu- 
tions et définitions ; etdans leur lettre synodale à saint 
Léon, les pères du concile lui demandent « d'honorer 
leur décision de son adhésion » , de donner « force 
et confirmation » à ce qui a été décrété, de les traiter 
eux, les enfants de sa souveraineté, comme il convient^; 
Plus tard, en 483, c'est encore au pape que recourt 
lepatriarche Jean Talaïa, chassé d'Alexandrie. En 519, 
les Grecs souscrivent à la fameuse formule d'Hormis- 
das, si claire sur la primauté de l'Eglise romaine, son 
indéfectibilité dans la vraie foi, si nette à prononcer 
que l'on ne saurait être dans la communion de l'E- 
glise qu'à la condition d'être en communion avec le 
siège apostolique^. En 544, Mennas de Constantinople 
souscrit au document de Justinien qui condamne les 
trois chapitres, mais il réserve le jugement du pape ^. 
On sait assez que les papes intervinrent continuellement 
en Orient à propos des controverses monothélites, et 
que leur intervention fut sollicitée et acceptée^. Celle 

1. Mansi, IV, 1288. 

2. • Si Paul, le héraut de lavérilc, la trompette du Saiot-Esprit, ac- 
courut auprès du grand Pierre pour recevoir de lui et rapporter à ceux 
d'Antioohe la solution des difficultés qui les partageaieut à propos des 
observances légales, combien plus Taut-ii que nous, humbles et petits, 
recourions à votre siège apostolique pour recevoir de vous le remède 
aux blessures de^; Églises. Car il vous convient de toutes favons de 
tenir le premier rang; une multitude de privilèges ornent votre siège... 
Pour moi, j'attends la décision, eic. > V. le reste du texte cile plus 
haut, p. 89 (P. G., LXXXIII, 1312-1317). 

3. SiAssi, VI, 153, liSti. V. plus haut, p. 96, note 3. 

4. P. L., LXIII, Wi, 447, 448. 

5. Facundus, Pro def. trium capit., IV, 4; -Liber contra Moctanum 
(P. L.,LXVII, 623. 026, 8B1). 

6. JLi..\si, X, 913-916, 890 et suiv. 



LA THÉOLOGIE GRECQUE DU V AU VII* SIÈCLE. 227 

d'Agathon fut alors décisive comme celle de Léon à 
Ghalcédoine, et après s'être écrié que « Pierre avait 
parlé par Agathon^ », le VI" concile général, dans son 
adresse au pape, le reconnut pour le TrpwToôpôvoç t^< 
otxoufAEvtx^ç IxxXrjat'aç, établi « sur la pierre solide de la 
foi ». 11 sollicita de sa « sainteté paternelle » de vouloir 
bien confirmer par ses rescrits la sentence portée 2. 

La signification de ces textes et de ces faits se trouve 
corroborée par la façon dont Socrate et Sozomène ra- 
content les péripéties de la querelle arienoe; car, bien 
qu'orientaux, ils ne font évidemment l'un et l'autre 
nulle difficulté de reconnaître le bien-fondé des pré- 
tentions papales ^. Mais elle trouve surtout sa confir- 
mation dans une lettre de saint Maxime, écrite de 
Rome à la vérité, mais qui n'en a pas moins une im- 
portance capitale, et qu'il faudrait citer en entier : 

« Dès le moment où le Dieu Verbe est descendu vers nous et 
s'est incarné, écrit le saint confesseur, toutes les églises chré- 
tiennes répandues partout ont reçu et possèdent comme unique 
base et fondement [l'Église] très grande qui est ici. Suivant la 
promesse même du Sauveur en effet, elle ne peut être renver- 
sée par les portes de l'enfer : elle possède les clefs de la foi 
orthodoxe en lui et de sa confession ; et elle ouvre à tous ceux 
qui s'approchent avec piété [les sources] de la seule et légitime 
religion, tandis qu'elle ferme et fait taire toute bouche héréti- 
que, clamant dans les hauteurs l'iniquité*. » 

La théologie grecque des v*-vii' siècles voyait donc 
certainement dans l'évêque de Rome un évêque supé- 
rieur aux autres en dignité et en autorité, un évêque 
dont la communion régulièrement s'imposait, à qui 
l'on pouvait en appeler même de sentences de patriar- 
ches et de conciles orientaux. Ce n'était pas sans 

^Mansi, XI, 665. 

2. Mansi, XI, 684, 688. 

3. SociuTE, Hist. eccL, II, 8, 16, 17; Sozomènk, Hist, eceles., II, 8. 
*. P. G., XCI, 137, 140. 



228 HISTOIRE DES DOGMESl 

doute tout ce que réclamaient les papes, et les Grecs, 
de leur côté, donnèrent, dans la pratique, plus d'un 
démenti à leurs principes. En deux circonstances', la 
première fois à propos de l'hénotique (484-519), la 
seconde à propos du monothélisme (668-678), l'Eglise 
grecque fit schisme et se sépara de Rome. Le V® concile 
général lui-même se tint malgré Vigile, dont il raya le 
nom des diptyques; Honorius fut condamné comme 
complice d'hérésie par le VP concile, et les patriarches 
de Constantinople, Épiphane et Jean IV le Jeûneur, 
s'attribuèrent le titre de patriarches œcuméniques. 
Toutefois ces faits, en montrant que les Grecs por- 
taient impatiemment le joug, n'infirment pas le droit 
reconnu; et il est curieux de. constater comment^ dans 
les révoltes mêmes, ce droit arrivait à se faire jour. 
Justinien et le concile de 553, tout en rayant des dip- 
tyques le nom de Vigile, déclarent cependant qu'ils 
veulent garder la communion avec le siège apostoli- 
que^^ tant cette communion avec Rome leur paraissait 
nécessaire pour n'être pas eux-mêmes hors de l'Église. 

§ 6. — Les sacrements; le baptême; la conlirxnatiozi. 

Dans le paragraphe précédent, on a considéré la 
hiérarchie ecclésiastique comme un pouvoir de gou- 
vernement. Le Pseudo-Denys, lui, la considère plutôt 
comme un pouvoir de sanctification : l'évêque, le prê- 
tre, le diacre sont des hiérurges. Il leur appartient 
donc d'initier aux mystères, de conférer les sacrements, 
signes sensibles, images des choses intelligibles et 
qui nous conduisent à elles 2. Denys compte et expli- 
que six de ces signes ou mystères : le baptême, la 

i. y. plus haut, p. 1^. 

2. "Ecrti yàp ta {tàv aîtrQrjTû; Upà twv vovîtôv àireixovifffjiaxa, v.aX it:' 
ai'y-ai x^'P^Ywyfa xat éSô; (De ecel. hier., II, 3, 2, col. 397). 



LA THÉOLOGIE GRECQUE' DU V AU VII* SIECLE. 229 

côïiiirniation OU onction, l'eucfearistie, Tord're, fe pro- 
fession monastique et les funérailles *. Cette liste sera 
répétée par d'autres auteurs : remarquons seulement 
qu'à l'exemple de saint Cyrille^, Denys groupe en^ 
semble les trois sacrements de l'initiation chrétienne, 
lé baptême, la confirmation et l'eucharistie 3. 

A propos de l'eucharistie et du baptême, Isidore de 
Péluse observe explicitement qu'ils ne sont point 
souillés par l'incondaite du ministre qui les confère-*. 
Mais- une autre question se pose : Que valent les sa- 
crements donnés par les hérétiques^^ ? C'est une ques- 
tion à laquelle, en Orient, on n'est pas encore absolu- 
ment d'accord auv* siècle pour faire une réponse iden- 
tique ; et d'ailleurs on y distingue entre hérétiqaes et 
hérétiques. Le concile de Nicée (can. 8) avait admis IC' 
baptême et l'ordination des novatiens, et exigé seule- 
ment qu'ils fussent réconciliés par l'imposition des 
mains. En revanche, il avait tenu pour nuls le baptême 
et l'ordination des paulianistes (can. 19). Quant aux 
clercs ordonnés par le schismatique Mélèce, il avait 
statué qu'ils seraient « confirmés par une imposition 
des mains plus sainte », {xuffrtxwTepa jjstporovi'a peê^iwÔEv- 
reç^, cérémonie supplémentaire où l'on peut voir non. 
une réordination, mais une affirmation des droits du 
patriarche d'Alexandrie. 

Ceci pour le iv* siècle. Mais au v*, en Syrie, on n'a- 
vait pas de doctrine fixe'. Le canon 68 des apôtres dé- 



1. De eccl. hier., II- vn. 

2. Inloelem, XXXII, col. S73. 

3. De eccl. hier., II, 2. 7 ; 3, 8 (col. 396, 404). 

4. Epist. II, 37; III, 340 (col. 480, 1000). 

■). Sur ce point particulier v. L. Saltet. Les rêordinations, Paris, <S07. 

6. SocRATE, Hist. eccl., I, 9; Sozomène, Hist. eccl., I, IS. Sozomène dit 
que l'évêque d'Alexandrie, Pierre, rejetait le baptême des tnélëciens. 

7. Sauf pour la conOrmation qui reste toujours le moyen par lequel 
on réconcilie les hérétiques, et que l'on ne paiise pas qu'ils confèrent 
validement. 



230 HISTOIRE DES DOGMES. 

clare que tout évêque, prêtre ou diacre, qui aura reçu 
de quelqu'un une seconde ordination, sera déposé, avec 
celui qui l'aura réordonné, à moins qu'il ne prouve 
qu'il avait reçu sa première ordination des hérétiques : 
« car il n'est pas possible que ceux que les hérétiques 
baptisent et ordonnent soient fidèles et clercs » : Tobç 
Y^tp irapà xotoûxwv (aîpETtxôiv) paitTtdOc'vTaç ^ ^eipoTOVY)6£VTa; 
oute TtiffToLç ouT£ xXïjpixoî»; eTvat Suvaxov. L'auteur de ce ca- 
non, en conformité d'ailleurs avec les Constitutions 
apostoliques (vi, 15), n'admet donc pas la valeur du 
baptême et de l'ordination des hérétiques. Seulement, 
comme les apôtres sont censés parler, nulle distinction 
n'est faite entre les hérétiques, encore qu'il ait pu en 
exister une. — Au contraire, l'anonyme quia écrit, au 
v« siècle et dans le patriarcat d'Antioche, les Quae- 
stiones et responsiories ad orthodoxos qui se trouvent 
entre les Spuria de saint Justin ^ , se contente d'exiger, 
pour les sacrements conférés par les hérétiques, cer- 
tains correctifs qui les légitimeront sans qu'on les 
réitère. Dans la question 14", il constate d'abord 
qu'en fait, on ne renouvelle pas le baptême et les 
ordinations des hérétiques. Or, demande-t-il, si le 
baptême conféré par les hérétiques est faux et vain 
(lij/sufffAÉvov xai fxaxaiov), pourquoi ne baptise-t-on pas à 
nouveau l'hérétique qui se convertit ? PourquQi reçoit- 
on son ordination comme valide (peêat'a) ? Et il répond 
que l'hérésie du converti est guérie par sa nouvelle 
profession de foi, son baptême par l'onction du saint- 
chrême, son ordination (^eipoTovia) par une imposition 
des mains (yeipoOsffîa). Sur cette ^sipoOeffia il ne fournit 
pas d'autre détail. 

Il n'y a donc pas, en Syrie, dans la première moitié 
du V* siècle, de doctrine arrêtée sur la valeur dés sa- 

i. Edit. Otto, III, 2; P. G., t. VI. 



LA. THÉOLOGIE GRECQUE DU V AU VII« SIÈCLE. 231 

crements des hérétiques. Cette incertitude fait que le 
patriarche d'Antioche, Martyrius (460-470), s'adresse 
à Constantinople pour avoir une direction sur ce point. 
La réponse de Constantinople s'est conservée. Elle dit 
qu'à Constantinople on reçoit comme valide le bap- 
tême des ariens, macédoniens, sabbatiens, novatiens, 
quartodécimans et apollinaristes : ils sont réconciliés 
par l'onction du chrême ; mais on n'accepte pas leurs 
ordinations de prêtres, diacres, sous-diacres, chantres 
et lecteurs : ceux qui les ont reçues sont considérés 
comme simples laïcs. Quant aux eunomiens, monta* 
nistes, sabelliens et tous autres hérétiques, on n'admet 
même pas leur baptême : ceux qui l'ont reçu sont re- 
gardés comme païens * . 

En somme, à Constantinople, on était plus exigeant 
pour l'ordination que pour le baptême, puisqu'on y 
repoussait les ordinations de tous les hérétiques sans 
exception. Allait-on maintenir cette ligne de conduite 
vis-à-vis des nouvelles sectes, nestoriennes et mono- 
physites, qui avaient surgi? 11 ne paraît pas qu'on Tait 
fait d'abord. Les monophysites eux-mêmes, Timo- 
thée II d'Alexandrie et Sévère d'Antioche ne la suivent 
pas à l'égard des dyophysites qui se convertissent à 
leur secte 2. Sévère, en particulier, ne veut pas que 
l'on réconcilie les dyophysites repentants par la con- 



i. G. BEVERioâE, Synodicon sive pandeetae, etc., Oxrord, 1672, II, An- 
notationes, p. 100; cité par Sàltet, op. cit., p. 41. 

2. Un schisme se produisit même à cette occasion dans l'église mono- 
physite d'Alexandrie. Quelques exaltés refusèrent de reconnaître les 
ordinations faites par le catholique Proterius, prédécesseur de Timo- 
thée, et repoussèrent la communion de celui-ci. Ces détails fournis par 
Sévère {Lettres inf. cit.) et par une prétendue lettre de Philoxéue à 
Âbou-Niphir {Revue de VOrient chrétien, 1903, p. 643 et suiv.) sont sui- 
vis, dans ce dernier document, d'une théorie de l'auteur (monophysite) 
sur ta valeur des sacrements des hérétiques conforme à celle des dona- 
tistes que rapporte saint Augustin {Contra Creaconium, tl, SI). Le liap- 
tême et l'ordination conférés par les hérétiques occultes sont valides, 
conférés par les hérétiques déclarés sont nuls {Revue citée, p. ()39, 630). 



232 fflSTOlRE DES DOGMES. 

firmation : il jug© que même ee sacBemeM est valide 
chez les catholiques ^ Plus tard, le patriarche- de 
Constantinople, Jean le Scolastique (565-577), voulut 
changer cela, et, après avoir admis quelque, temps la 
validité des ordinations monophysites, tenta d'imposer 
par la force quelques réordinations épiscopales et au- 
tres. Sa tentative échoua contre la résistance des vic- 
times et le désaveu de l'empereur 2. Au début du 
vii^ siècle, le prêtre Timothée écrit son De réceptions, 
kaereticorum^ . Il y divise les hérétiques à réconcilier 
en trois classes : ceux dont il faut renouveler le bap- 
tême, ou plutôt qui ont besoin d'être b&ptisés;.ceux 
que l'on doit oindre du saint-chrême, c'est-à-dire con- 
firmer; enfin ceux dont le baptême et la confirmation 
sont valides, et qui doivent seulement anathématiser 
leurs erreurs. Parmi les premiers, au milieu d'héréti- 
ques peu connus, il nomme les marciojiites, les sacco- 
phores etencratites,les sectateurs de Valentin, de Basi- 
lide, les nicolaïtes, les montanistes, les manichéens, les 
eunomiens, les partisans de Paul de Samosate,.de Photin 
et de Marcel d'Ancyre, les sabelliens, les simoniens et 
anciens gnostiques, les partisans de Pelage et.de Ce- 
lestius (à qui l'auteur attribue des doctrines mani- 
chéennes). — Dans la seconde catégorie, ceux qui 
doivent être confirmés, sont rangés les quartodéci- 
mans, les novatiens ou sabbatiens, les ariens, les 
macédoniens, les apollinaristes. — Enfin dans la. troi- 
sième, dont on accepte le. baptême et. la confirmation, 
Timîothée met les- méïéciens, lés nestoriens, les dir- 
verBeSiSecte& nïaiaophysLtes,.leS)messalien&et eucàytes. 

1. Ei W. Bnooa^ The siccth\ book of the sélect lettarsof, SmsrttSi,.ll, 
p. 480fet suisf. 

2. DieKinehenges(Mchtnxd£&JohannmioonEfthesatié^\i. Ji.SjLSchobm* 
FKji)ER„Miin«hen4,l862)-,.Bi.9-l7,. sa, 84v citée par, S^xBTi.opj, cs/vp.*- 



55.. 



3..Pi G., LXXXVIv li. coL.ia et.suivi 



LA. THÉOLOGIE GRECQUE DU V AU VII* SIÈCLE. 236? 

Les nouveaux hérétiques étaient en somme mieux 
traités que les anciens, puisqu'on accepte tous leurs 
sacrements; et à cette différence de traitement il est 
difficile de trouver toujours une explication^, pai* exem- 
ple en ce qui concepne les apollina-ristes. Il est remar- 
quable «de plus que; Timotihée' ne parle pas de là réor- 
dinatiou' des hérétiques que la lettre à Martyrius y 
avait? soumis. Même silence, cette fois sûrement inten~ 
tionnell dans le canon 95 du concile quinisexte (692) ^ 
Ce canon ne fait que reproduire la réponse à Marty- 
rius, mais en l'amputant de ce qui regarde la réordi- 
nation des ariens, macédoniens, sabbatiens, novatiens- 
et apoilinaristes. La discipline grecque tendait donc 
de plus en plus à accepter la validité des ordinations 
conférées par les hérétiques. C'est la solution qui fut 
consacrée dans; la première session du Vll^ concile 
générais (787). Aiprèsune enquête patristique qui pa- 
raît bien avoir été partiale, le patriarche Tarasius y fit 
décider que les clercs ordonnés par les iconoclastes et 
revenus à l'orthodoxie seraient admis, sans réordina- 
tion, àv exercer leurs ordres ^. 

A' lîépoque dont nous parlons, la théologie du bap- 
tême est à peu près achevée et ne fait que des progrès* 
insensibles. Saint; Cyrille distingue avec soin le bap- 
tême de Jésus de celui de saint Jean, et donne à celui- 
ci une place intermédiaire entre les ablutions des juifs 
qu'il surpassait en dignité, et le baptême chrétien 
auquel il était un acheminement (TcaiSaYwyixov)^. De ce 
baptême chrétien Denys expose par le menu les céré- 
monies^. On y remarquera l'importance donnée à la 



1. Mansi, XI, 984; cf. Hefkle-Leceercq, EisL des conciles, HIj 3, p. 5T4» 

2. Mansi, XII, IWMOSO. 

3. In loannem. Il (col. 188, 260, 289). 

■». De eccles. hier., II, 2, 4-8 (col. 393^7). On les ^ trouve aussi longne- 



234 mSTOIRE DES DOGMES. 

bénédiction de l'eau que sanctifient a les saintes épi- 
clèses » (Tatç lepaT; litixXvidEffi) ^ . Théodoret avait déjà 
dit plus énergiquement : t^ç 6e{aç lutxXvîoEw; àyiaCouTï]? 
Twv ôSotTwv T^v çuffiv^. C'est la tradition de saint Cyrille 
de Jérusalem qui continue de s'affirmer. 

Quant aux effets du baptême, nos auteurs ne font 
qu'en répéter et en amplifier l'expression, peut-être en 
insistant plus que leurs devanciers sur la vie divine et 
la grâce dont le sacrement est le principe pour le bap- 
tisé : « Le baptême, écrit Cyrille d'Alexandrie, nous 
purifie de toute souillure, nous fait les temples saints 
de Dieu, participants de sa nature divine par la com- 
munication du Saint-Esprit », TTiç ôei'aç auxoîî <pû(Teca; xoi- 
vtovoù; Bik [Ltroyr\ç tou àytou icvEuixaToç ^ . 

Le baptême est d'ordinaire suivi immédiatement de 
la confirmation, ou onction de l'huile parfumée, céré- 
monie nécessaire, remarque Théodoret, puisqu'on y 
soumet les novatiens qui la négligent, quand ils revien- 
nent à l'Eglise''. Cette huile a été préalablement bénite 
par l'évêque par une prière consécratoire (TeXouulvr) 
eôy^r^)^.LePseudo-Denys dit seulement que l'évêque oint 
et marque (en forme de croix) le baptisé (tiTo ôeoupYixwTdTw 
(Aupt.) Tov écvSpa ffçpaYtffâ{i£vo;) ^ : les Constitutions de l'E- 
glise égyptienne (xvi, 18-20) présentent un rite plus 

ment décrites dans les Constitutions de VEglise égyptienne, xvr (mi- 
lieu du V siècle, Fdnk, Didascalia et Constit. apostolorum, lï, 109 et 
suiv.), et dans le Testament de N.-S. J.-C. (édit. IUhmaki, Mayence, 
1899). 
1.11,2, 7, col. 396. 

2. In psalm. XXYIII, v. 3 (col. 1063). 

3. In Lucam, XXII, v. 8 (col. 90*); Contra Iulian., VII (col. 880); In 
psalm. L, V. 12 (col. 1096); Théodoret, In Isaiami XXXII, v. 20 iC"!. 385); 
IsiD. PEUiS., Epist. m, 193 (col. 880); S. Nil, Epist. II, 16 (col. 808); 
Pseudo-Desys, De eccl. hier., II, 3, 1 (col. 397). 

4. Haerei. fabul. camp., III, S (col. 408). 

5. Pskudo-Denv:, De eccl. hier., IV, 2 (col. 473). 

6. De eccles. hier., IV, 2, 7; 3, 8 (col. 396, 404). 



LA THÉOLOGIE GRECQUE DU V AU Vil* SIÈCLE. 235 

compliqué. L'évêque impose d'abord les mains au can- 
didat, puis il l'oint au front, cet^ onction comportant 
elle-même une seconde imposition des mains. La for- 
mule qui accompagne l'onction est la suivante : « Ungo 
te oleo sancto per Deum patrem omnipotentem et 
lesum Christum et Spiritum sanctum. » 

L'effet de cette cérémonie est de compléter l'initia- 
tion baptismale, de parfaire le baptisé et de l'unir au 
Saint-Esprit ^ . 

§ 7. — L'eucharistie'. 

Au commencement du v* siècle, la doctrine eucha- 
ristique des grecs peut se résumer en ceci : l** Dans 
l'eucharistie nous recevons vraiment et réellement le 
corps et le sang de Jésus-Christ. 2" Ce corps et ce 
sang s'y trouvent en vertu soit des paroles de l'ins- 
titution, soit de l'épiclèse ou même des deux. 3** Ces 
paroles, ou le Saint-Esprit qu'elles invoquent, opèrent 
dans les oblata une fjiETaêoXi^ dont saint Cyrille de 
Jérusalem et saint Grégoire de Nysse ont essayé 
de percer le mystère : la doctrine de la conversion 
a été émise et sa théorie ébauchée. 4° La liturgie 
eucharistique constitue un sacrifice. 5° La réception 
de l'eucharistie efface les péchés, nous unit à Dieu, 
dépose dans nos corps un germe d'immortalité et 
de vie. 

Sur la première affirmation, la présence réelle dans 



1. CYHiLt., In loelem, XXXII (col. 373); Pseldo-Denys, De eccles. hier., 
lY, 3, 8; IV, ii (<io\. 404, 48*). Sur la conlirmation, voir Dict. de théol. 
calh. s. V. et A. d'ALF.s, Baptême et confirmation, Paiis, 1927. 

2. V. P. Batiffol, Eludes d'/iist. et de théologie positive, 2* série, 
3° édit., Paris, 1006. Sur l'euciiaristie, voir Dict. de théol, cath. s. v. 



23B HISTOIRE DES. DOGMES- 

l'eucharistie du corps et du sang de Jésus-Christ, 
l'enseignement est tellement net et assis que les au- 
teurs dès v^-vii® siècles ne sentent généralement pas 
le besoin d'y appuyer, si ce n'est pour légitimer les 
conclusions qu'ils en tirent. Saint, Cyrille, ISestorius, 
Théodoret, dans leurs controverses, supposent tou- 
jours ce point acquis — on le verra plus loin ; — et 
les auteurs ascétiques, les prédicateurs et les litur- 
gistes qui viennent après eux le supposent aussi. Je 
n'en citerai que deux exemples. 

x\nastase le Sinaïte argumente contre Timothée, le 
chef des acéphales, qui affirme qu'en Jésus-Christ, 
après l'incarnation, l'unique nature est la divinité : 

« Si Jésus-Christ, écrit-il, est seulement la divinité, comme 
la divinité est invisible et impalpable; comme elle ne peut être 
immolée, n'ayant ni membres ni besoin de nourriture, il est clair 
que Timothée nie, tout ainsi que les juifs, le sacrifice et la com^ 
munion des saints mystères : il ne croit pas, il ne confesse 
pas en vérité que ce que l'offrant donne au peuple en disant : 
«Le corps et le sang du Seignear et Dieu et notre Sauveur Jé- 
sus-Ghrist » est le corps et le sang visible et créé et terrestre du 
Christ. Car s'il dit qae la divinité est l'unique nature du Christ, 
puisque d'ailleurs il ne convient à la nature divine ni d'être sai- 
sie, ni d'être rompue, ni d'être partagée, ni d'être distribuée en 
parties, ni d'être répandue et épuisée, ni d'êtVechangéfej ni d'être 
broyée sous les dents, il faut que Timothée tombe dans un des 
deux abîmes : ou bien qu'il affirme que la divinité est passible 
et muable, ou bien qu'il nie ce corps et ce sang du Christ qu'il 
offre et mange sur la table mystique, et qu'il donne au peuple 
en disant : « Le corps et le sang de Notre-Seigneur Jésus- 
Christ 1. » 

On voit ici comment Anastase tire de lia réalité du 
corps et du sang de Jésus-Christ dans l'eucharistie 
un argument contre les monophysites. On remarquera 
surtout en quels termes d'un réalisme tout matériel, 

i.Eodègos, xm (col. 20Î-209); cf. XXIH, col. 291, où il va encore plus 
loin, si possible, et XIV, col. 248, oii il rapporte un argument semblable 
d'Ammonius d'Alexandrie. 



LA THÉOLOGIE GRECQUE DU V AU VII» SIÈCLE. 237 

et qui semblent empruntés à saint Ghrysostome, il 
exprime sa foi en ce mystère, puisqu'il attri^boie au 
corps même de Jésus-Glirist les modes d'être ou acci- 
dents qui ne conviennent qu'aux espèces sacramen- 
telles. ! 

L'autre exemple, .pris du patriarche Eutycliius de 
Constantinople (552-582), nous montrera comment cet 
auteur conçoit la présence de Jésus-Christ dans l'eu- 
charistie. Le patriarche parle de la dernière cène : 

« Jésus-Christ s'est donc immolé mystiquement lorsque, 
après le souper, prenant dans ses propres mains le pain, et 
rendant grâces, ilile montra,, le rompit, s'introduisant lui-même 
dans l'antitype (è|ii[i.cÇa; éauxàv tw àvTtTÛTra)). De même mêlant le 
calice du fruit de la vigne, et rendant grâces, il le montra à 
Dieu et au Père et dit : Prenez, mangez et Prenez, buvez, ceci 
est. mon corps et ceci est mon sang. Chacun reçoit doue tout le 
saint corps et tout le précieux sang du Seigneu r, encore gUMl 
ne reçdive qu'une partie des éléments visibles (toutmv) ; car [le 
Christ] se partage saris division entre tous, s'étant mis [dans 
les éléments]. » 

Ici Eutychius apporte, pour faire comprendre ce 
mystère, deux comparaisons : celle du sceau qui mul- 
tiplie son empreinte sans rien perdre de soi et de 
son unité, et celle de la voix qui parvient tout en- 
tière à tous les auditeurs, bien qu'elle soit une et reste 
tout entière dans celui qui parle ; puis il continue : 

« Que personne donc ne doute que le corps et le sang incor- 
ruptible après le sacrifice mystique et la sainte résurrection, 
et immortel et saint et vivifiant du Seigneur, introduit dans les 
antitypes (toi; âvTtTvjïoigÊvnôi[ievov) par les prêtres, n'imprime ses 
forces propres, non moins que [le sceau et la voix] dans les 
exemples précités, et qu'il ne se trouve tout en, tous. Car dans le 
corps. du Seigneur habite la plénitude de la divinité du Verbe 
et de Dieu corporellement, c'est-à-dire substantiellement i. » 

Eutychius affirme donc que Jésus-Christ existe dans 

i. .Sei:mo de paschate et ss. eucharistia, 2, 3 (P. G., LXXXVI, 2, 2393, 

S396U 



23S HISTOIRE DES DOGMES. 

l'eucharistie d'une façon inétendue, et tout entier dans 
chaque partie des éléments au moins in sumpUone, 
Sa conception, tout en étant aussi réaliste, est évidem- 
ment plus spirituelle et plus philosophique, au moins 
dans les termes, que celle d'Anastase^. 

Quelles paroles ont, dans la liturgie, le pouvoir de 
rendre ainsi Jésus-Christ présent dans l'eucharistie? 
C'est une question que les Grecs ne discutent pas 
explicitement ^. Les auteurs des v*-vii" siècles conti- 
nuent d'attribuer la sanctification des oblata tantôt 
aux paroles de l'institution, tantôt à l'épiclèse, tantôt 
à Jésus-Christ agissant par le prêtre, tantôt à l'Esprit- 
Saint, ou même à Jésus-Christ agissant par le Saint- 
Esprit. Théodoret, Isidore de Péluse, Eutychius, Nar- 
sès insistent sur l'épiclèse et le Saint-Esprit ^. Sévère 
d'Antioche au contraire se prononce nettement pour 
les paroles de l'institution ■*. La liturgie eucharistique 
donnée par les Constitutions de l'église égyptienne 
rappelle les paroles de l'institution (i, 19), mais elle y 
joint une épiclèse (i, 25). 

En somme il n'y avait point, sur cette question, 
d'enseignement qui s'imposât, et l'attention de la 

1. Indépendamment des textes qui seront indiqués plus loin, on 
peut encore voir, sur la présence réelle : Théodoret, Quaest. in Exod., 
Interr. 27 (col. 257); In Cantie. caniicorum, IV, T. 11 (col. 128) ; In epist. 
ad Ephes., V, v. 29, 30 (col. 848); S. Nil, Epist. I, 44, 99-101; II, 144, 
233, etc.; Constitutiones ecclesiae aegypt., I, S5; XXIX; XXX, 1, 2. II n'est 
pas douteux que le Pseudo-Denys n'ait étéréaliste, mais il est difOcile, 
on le sait, de trouver des formules nettes dans ce style prétentieux et 
volontairement imprécis. Il est sûr que l'auteur admet une réalité 
divine sous les symboles visibles (De eccl, hier., III, 3, 12, col. 441). 

2. Y. sur cette question F. Varaine, L'épiclèse eucharistique, Bri- 
guais, 1910, chap. Il et m et (avec précaution) l'article Epiclèse du Dict. 
de théol. cath. 

3. Théodoret, Eranistes, II (col. 168, 881); Isid. Pklbs., Epist. I, 109 
(col. 256); EoTYCHins, Sermo de paschatCy 8 (col. 2401); Narsès, Romélie 
XVII (D. B. H. CoNNOLLY, The liturgical homilies ofNarsai, Cambridge, 
1909, p. 22). 

4. L. W. Brooks, The tixth book of th» sélect Letter» of Severui, U, 
837, 238, 



LA THÉOLOGIE GRECQUE DU V AU VII» SIÈCLE. 239 

théologie grecque du v* siècle, traitant de l'eucharistie, 
se portait ailleurs. N'oublions pas que cette théologie 
est toute tournée vers le problème christologique. Or 
des solutions différentes que lui donnent Nestorius et 
saint Cyrille dépendent aussi des conceptions différen- 
tes de l'état de la chair et du sang de Jésus-Christ 
dans l'eucharistie, et de leur action sur les commu- 
niants. C'est donc de cela que l'on s'occupera surtout 
quand on parlera de l'eucharistie, et à quoi saint Cy- 
rille notamment consacrera tant de pages de ses 
livres. 

Nestorius met entre le Verbe et l'humanité en Jésus- 
Christ une union trop lâche : il exagère la distinction 
de ce qu'il appelle les natures; et pour établir son 
sentiment, il fait appel précisément aux paroles de la 
promesse et de l'institution : « Celui qui mange ma 
chair et qui boit mon sang. Jésus-Christ n'a pas dit : 
Celui qui mange ma divinité et qui boit ma divinité 
demeure en moi et moi en lui... Ç^\ (Tiva) mangeons- 
nous ? La divinité ou la chair ^ ? » Et ailleurs : « Pre- 
nant le pain et rendant grâces, il le donna à ses disci- 
ples en disant : Prenez, mangez-en tous, ca^ ceci est 
mon corps. Pourquoi donc n'a-t-ilpas dit : Ceci est ma 
divinité rompue pour vous? Et de même, en donnant 
le calice des mystères, il n'a pas dit : Ceci est ma 
divinité répandue pour vous; mais : Ceci est mon 
sang répandu pour vous pour la rémission des pé- 
chés^. » 

Si, comme le croit saint Cyrille, il n'existe, d'après 
le système de Nestorius, qu'une union morale entre 
la divinité et l'humanité de Jésus-Christ vivant sur la 



1. LooFs, Nestoriana, 227, 228; cf. Ctrill., Adv. Nestor., IV, 6 (col. 
20S). 

2. LooFs, Nestoriana, 229, 230. Remarquez que Théodoret a reproduit 
ce raisonnement (franistes, I, col. ii6). 



-240 HISTOIRE DES DOGMES. 

terre, il est clair que cette même union morale est la 
seule qui existe entre le Verbe, d'une .part, et la. chair 
et le sang eucharistiques, de l'autre. Mais delà décou- 
lent aussitôt deux conséquences. La première est que 
la chair eucharistique n'étant point unie physiquement 
à celui qui est la vie en soi, ne le possédant point at^ 
■intra (o?xo9ev), mais lui étant jointe par le dehors 
(l^ôQev), n'est point vivifiante, ne saurait nous commu- 
niquer la. vie ^ La seconde est que la communion ne 
nous unit point physiquement et immédiatement au 
Verbe : elle ne nous donne que la chair à laquelle il 
est moralement uni. Nous ne sommes (pas nourris de 
■Dieu ; nous ne mangeons pas et nous ne buvons pas 
la Vie; nousrmangeons et buvons seulement une chair 
et un sang .sanGtifiés par le Verbe, et auxquels il reste 
•en quelque manière étranger. 

C'est contre ces deux conséquences que proteste 
saint Cyrille 2, Il voit que, comme toute la christolo- 
gie nestorienne, elles compromettent l'œuvre de notre 
rédemption, de notre divinisation dans le Christ. Il 
reprend donc contre elles, sur rincarnation et la ré- 
demption, ses propres principes doctrinaux, afin de 
vmontrer à quelles conclusions ils conduisent en ma- 
tière' eucharistique, et comment ces conclusions s'op- 
posent à celles de Nestorius. Ses textes sur ce sujet 
sont fort nombreux : nous en analyserons seulement 
quelques-ims. 

Expliquant, dans son commentaire sur saint Luc, 
jxxii, 19^, les ..paroles de l'institution, Cyrille vient de 

4. V. le contre-anathématisme XI de Nestorius : « Si quis unitam car- 
nem Verbo Dei exnaturae propriae' possibilitate vivilieatricem esse di- 
lerit, ipso domino et deo pronuntiante : Spiritus est qui vivificat, 
caro nihil prodest, anathema sit. » Loofs, Nestoriana, 216. 

2. Sur la doctrine eucharistique desaiut .Cyrille, v. J. Mahé, L'eucha- 
ristie d'après saint Cyrille d'Alexandrie, dans la Revue d^hist. ecclés., 
VIII (1907), p.677 etsuiv. 

3. P. G., LXXII, 908-912. 



LA THÉOLOGIE GRECQUE DU V AU VII' SIÈCLE. 241 

dire que « nous recevons en aous le Verbe de Dieu 
le Père, incarné pour nous, Verbe qui est vie et vivi- 
fiant». Cette .assertion, pense-t-il, demande an éclair- 
cissement : il le donne aussitôt. Dieu, dans le principe, 
avait crée l'homme immortel ; mais le démon, en 
entraînant l'homme au péché, l'avait du même coup 
entraîné à la mort. La bonté de Dieu va réparer cette 
ruine. Or, pour que la chair mortelle recouvrât l'im- 
mortalité, il était nécessaire qu'elle devînt participante 
de la vertu vivifiante de Dieu (t^ç itapà ©eou ItuoizoïàZ 
ôuvafjiEwçYevécrQai (jL^Topv), car Dieu est la vie par essence. 
Alfîn de procurer cette participation, le Père, vie en 
soi, envoie le Christ qui, lui aussi, est vie (Çw^v wta 
xat «5xov), puisqu'il est le Verbe du Père, sa vertu 
vivifiante {Bvv«mç vj Çwottoioç). Ce Verbe s'incarne «ans 
changement ni. conversion, sans eesser d'être Verbe : 
il-prend notre chair; il la ressuscite, il en chasse la 
corruption, il la rend elle-même vivifiante. Comment 
cela, vivifiante? Cyrille s'efforce de l'expliquer par des 
comparaisons. Si vous jetez une mie de pain dans un 
liquide, elle se trouve toute imbibée de ce liquide, et 
en possède la vertu ; si vous mettez du fer dans le feu, 
il reste fer, mais il devient lui-même brûlant. Ainsi la 
chair unie de la façon que Dieu sait au Verbe vivifiant 
est devenue elle-même vivifiante. Jésus-Christ nous 
l'affirme : « Je suis le pain vivant descendu du ciel: 
si quelqu'un mange de ce pain, il vivra éternellement ; 
et le pain que je donnerai est ma chair. » « Donc, 
conclut notre auteur, en mangeant la chair du Christ, 
notre Sauveur à tous, et en buvant son sang précieux, 
uous.avons la Vie en nous, devenus comme un avec 
lui, et demeurant en lui, et le possédant en nous- 
mêmes. 3> 

Cyrille a prouvé à l'encontre de Nestorius sa pre- 
mière proposition : la chair du Christ, que nous rece- 

14 • 



242 ' HISTOIRE DES DOGMES. 

vons dans « Teulogie mystique », est vivifiante, parce 
qu'elle est la chair du Verbe, unie étroitement et phy- 
siquement à lui ^ Or, cette chair vient en nous par la 
communion. Quelle relation établit-elle entre le Verbe 
et nous ? C'est la seconde question à laquelle Cyrille 
devait répondre. Dans le commentaire sur saint Luc, 
XXII, 19, dont j'ai interrompu l'analyse, le patriarche 
d'Alexandrie se fait une objection : Si le Verbe rend 
vivifiante sa propre chair parce qu'il lui est uni, il doit 
donc aussi rendre vivifiant le corps de chacun de nous, 
en qui il vient habiter par la communion. C'est une 
conséquence que nie le saint docteur, parce que, ob- 
serve-t-il, autre est l'union du Verbe avec sa chair, 
cette chair qu'il a faite sienne, autre est l'union que 
nous avons avec le Fils en le possédant en nous par 
une simple participation de relation (xa^à (x^OeÇiv 
cr/eTixTiv)2. C'est là une expression bien vague et une 
union fort lâche : Cyrille va préciser sa pensée et 
présenter cette union comme beaucoup plus intime. 

i. Saint Cyrille revient fréquemment sur cette idée à laquelle il pa- 
raît tenir beaucoup. La chair de Jésus-Christ • devenue la chair de la. 
Vie, c'est-à-dire du Verbe de Dieu et du Père qui s'est manifesté, a reçu 
la vertu delà vie, et il est impossible quelavie soitvaincueparlamort» 
[In loannem, XV, 1, col. 344). • Le saint corps du Christ vivifie donc 
ceux en qui il se trouve, et, en se mêlant à nos corps, il les conserve 
dans l'incorruption, car il n'est pas le corps d'un homme quelconque, 
mais de la Vie par essence, possédant en lui toute la vertu du Verbe qui 
{ai est uni, et comme revêtu des mêmes propriétés, bien plus, rempii 
Âe sa puissance d'action par laquelle tout est vivifié et conservé dan:< 
l'existence» [ibid., VI, 3S, col. S20, S21; VI, 56, col. 58t; Adv. Nestor., 
IV, 5, col. 489-197; Cont. Iulian., VIII, col. 896). Et comme pour consa- 
crer toute cette doctrine, Cyrille la formule dans son anathématisme 
onzième, dans lequel cependant l'eucharistie n'est pas directement vi- 
Bée : • Si quelqu'un ne confesse pas que la chair du Seigneur est vivi- 
fiante, qu'elle est la propre chair du Verbe de Bleu le Père, mais dit 
qu'elle est [la chair] d'un autre que lui, qui lui est uni en dignité, ou 
qui est seulement son habitacle; [si quelqu'un ne confesse pas], 
comme je l'ai dit, que cette chair est vivifiante parce qu'elle est deve- 
nue la propre [chair] du Verbe qui peut tout vivifier, qu'il soit ana- 
thème • (col. 309,312); et voyez Apolog. eont. orientales {col. ^3, 276 ; 
C07itra Theodoretum (col. 448). 

3. Loc. cit., col. 909. 



LA THÉOLOGIE GRECQUE DU V AU VII* SIÈCLE. 243 

Dans son commentaire sur saint Jean, vi, 57, il com- 
pare l'union du communiant avec le Christ à celle de 
deux morceaux de cire fondue dont les éléments sont 
absolument mêlés, à celle du ferment et de la pâte, le 
ferment existant dans toute la pâte, et celle-ci exis- 
tant dans tout le ferment. C'est ainsi, ajoute-t-il, que 
« celui qui reçoit la chair du Christ, notre Sauveur, et 
qui boit son sang précieux devient, suivant que Jésus- 
Christ le dit lui-même, comme un avec lui, comme 
mêlé à lui, et noyé en lui par cette participation, si 
bien qu'il existe dans le Christ et le Christ en lui^ ». 
Cette idée revient un peu plus loin dans le même com- 
mentaire sur saint Jean, xv, 1. Cyrille se sert de cette 
union corporelle avec le Sauveur dans la communion 
pour expliquer que saint Paul ait dit que les Gentils 
sont devenus concorporels (ousawiA») avec Jésus-Christ, 
que Jésus-Christ considère tous les fidèles comme ses 
membres : « Car il est bon de remarquer, continue-t-il, 
que (par les mots : Celui qui mange ma chair, etc.) le 
Christ n'affirme pas qu'il sera en nous seulement par 
une certaine relation d'afiPection, mais par une partici- 
pation physique » (où xatà u-^éaiv nvà fxôvyiv... àXXà xal 
xatà fjiiÔE^ivçuffixr^v). Et Cyrille donne la raison dernière 
pour laquelle cette union si étroite et en quelque 
sorte matérielle est nécessaire : c'est que « ce qui est 
corruptible de sa nature ne peut être vivifié qu'à la 
condition d'être uni corporeïlement (tJwfxaTixîoç) au 
corps de celui qui est la vie par essence, c'est-à-dire 
du Monogène * » . 
L'union du communiant avec le Verbe tient donc, 



1. p. 6., LXXni, SS4. T^ comparaison tirée des morceaux de cire est 
répétée à la fin de la citation suivante. 

2. P. G., LXXIV, 3M. Cf. In loannem, XVn, 22, 23 (col. 564); Adv. 
^Mior.» IV, 8 (col. l9i);Glaph.inQenesim,\ :oviioi«>jioi (xàv f àp Y^Y^vaiiiev 
•iïip (t^ XptffT^) ît'iùXoYtocTiîç |xv(mx^( (col. 59). 



244 HISTOIRE DES DOGMES. 

suivant notre auteur, le milieu entre l'union hyposta- 
tique qui rendrait son corps vivifiant, et l'union morale 
qui ne saurait le vivifier. C'est une union physique 
avec le corps vivifiant du Verbe et ïe Verbe source 
première de la vie, La conséquence, en tout cas, est 
certaine : le saint corps du Christ nourrit le nôtre itpoç 
àvaoTadiav xaV î^wriv aîtîjviov * : 

« Bien que la mort qui nous a envahis à cause de la préva- 
rication ait soumis le corps à la nécessité de la corruption, 
cependant, parce que le Christ est en nous par sa propre chair, 
nous ressusciterons sûrement. Il est incroyable en effet, ou 
plutôt il est impossible que la vie ne vivifie pas ceux en qui 
elle se trouve. De même que l'on couvre d'une couche dé paille 
une étincelle pour conserver la semence du feu, ainsi Notre- 
Seigneur Jésus-Christ cache en nous la vie par sa propre chair, 
et introduit comme une semence d'immortalité qui détruira 
toutfe là corruptibilité qui est en nous 2. » 

On rexîoiinaît en tout ceci le fond de la pensée sinon 
la philosophie de saint Grégoire de Nysse. Mais d'ail- 
leurs, Cyrille ne borne pas à nos carps l'action de 
l'eucharistie. La paTticipation du Christ n'est pas seu- 
lement vie, elle est aussi sanctificatioti : K^A yàp x«\ 
(XYiafffxoç 71 XpKTcoïï y-s-zoïr^ ^ : elle ne chasse pas seulement 
la mort, elle guérit les maladies de l'âme, elle refrène 
en nous la loi de la chair, excite la piété envers Dieu; 
mortifie les passions, bande celui qui est brisé, relève 
celui qui est tombé, délivre des attaques et de la tyran- 
nie du démon ■*. De là la nécessité de la communion et 
l'obligation de mener, pour en être digne, une vie pure 
et vraiment chrétienne °. 

Cette doctrine de saint Cyrille sur le caractère vivi- 

1. In Joann., VI, 56 (col. 581) ; Glaph. in Exodum, U (coL 428). 

2. Jn locmn., VI, 5S (col. 681). Cf. De recta fide ad Theodoa., XXXVIIl 
(col. 1189). 

3. Glaph. in Exod., H (col. 428); In Lucam, XXII, 19 (col. 908). 
^ In Lueam, IV, v. 38 (col. 532) ; In loann., VI, 57 (col. 585). 
3. In loann., VI, 33, 57 (col. 521, 584, 583). 



LA THÉOLOGIE GRECQUE DU V° AU VII* SIÈCLE. 245 

fiant de la chair eucharistique du Sauveur et ses effets 
en nous se trouve naturellement reproduite, du moins 
en raccourci, dans les auteurs qui l'ont suivi, et ceux 
surtout qui se rattachent à lui : saint Isidore de Péluse * , 
saint Nil ^, le Pseudo-Aréopagite ^, Eutychius '. Quant 
à Léonce de Byzance, on ne sera pas surpris de dé- 
couvrir qu'il s'inspire manifestement, dans sa doctrine 
eucharistique, des passages cités du patriarche d'A- 
lexandrie ^. 

L'analyse qui précède ne nous a pas appris cepen- 
dant comment Cyrille concevait le changement opéré 
dans les oblata par les prières consécratoires. Cette 
question ne paraît pas avoir attiré son attention. En 
un endroit pourtant de son commentaire sur saint Luc 
déjà cité^, il l'effleure, mais sans la résoudre claire- 
ment. Après avoir dit que la manière dont le Verhe 
s'est uni à la chair dans l'incarnation est incompréhen- 
sible pour nous, il continue : 

« Il fallait que le Verbe habitât en nous par le Saint-Esprit 
de la façon qui convient à Dieu ; qu'il fût comme répandu 
dans nos corps par sa chair sacrée et par son précieux sang, 
[chair et sang] que nous recevons en eulogie vivifiante comme 
dans du pain et dans du vin (tbçèv «ptM Te y.«l oîvw). Car, de peur 
que nous ne soyons arrêtés en voyant de la chair et du sang' 
sur la table sainte de nos églises, Dieu, par égard pour notre 
faiblesse, donne aux oblata la puissance de la vie et les trans- 
fère à la vertu de sa propre chair (xai (i£8i'(mi(Ttv aûxà Ttpoç 
èvépYEiav Tîj; éauroû ffapxdç), afin que par ces oblata nous ayons la 
participation vivifiante, et que le corps de vie se trouve en nous 
comme un germe vivifiant. Ne doute pas que ce ne soit la vérité, 
le Christ lui-même ayant dit manifestement : Ceci est mon corps 
et Ceci est mon sang; mais reçois plutôt avec foi la parole du 
Sauveur : étant la Vérité, il ne mwit point » 

1. Epiat. I, 109 (col. 236). 

2. Episi. I, 100, 101 (col. 123); ni, 39 (col. 403). 

3. De ecclei. hier^ m, 3, 12 (col. 444). 

4. Sermo de paschaie, 3 (col. 2393). 

o. Contra nestorianos et eutychianos, lU (P. G., LXXXYI, 1, col. 1SS3). 
6. In Lueam, XXII, 19 (col. 912). 

l-i. 



246 HISTOIRE DES DOGMES. 

De voir dans les mots de ce texte : « il transfère les 
oblata à la vertu de sa propre chair » une anticipation 
de la théorie calviniste sur la présence du corps de 
Jésus-Christ dans l'eucharistie en vertu^ il n'y faut pas 
songer. C'est la vertu sans doute du corps, mais aussi 
le corps lui-même que la consécration met dans les 
oblata. Mais ces oblata sont-ils convertis substantiel- 
lement au corps et au sang, saint Cyrille ne le dit pas 
ici, et il ne le dit pas davantage en affirmant que nous 
recevons le corps et le sang de Jésus-Christ ôç Iv apTw 
«xotl oiv(j). Son analyse s'est arrêtée au seuil même du 
mystère. Pour lui, le corps et le sang existent sûre- 
ment sous le pain et le vin ; mais ils n'y existent pas 
dans leur mode et sous leur forme naturels. Le pain et 
le vin sont des voiles qui doivent prévenir nos répu- 
gnances ou notre faiblesse : c'est tout ce que le saint 
docteur prétend ' inculquer, et ce qui suffisait à son 
but. 

Est-ce donc que les enseignements de saint Cyrille 
dé Jérusalem, de saint Grégoire de Nysse et de saint 
Chrysostome sur la conversion des oblata avaient 
passé inaperçus dans l'Eglise grecque, ou se trou- 
vaient oubliés déjà vers l'an 430-440? Non : les mono- 
physites du moins paraissent les avoir retenus. Sévère 
d'Antioche dira plus tard que « dans la célébration de 
l'eucharistie, ce n'est pas le ministre qui, usant comme 
d'une puissance qui lui appartiendrait en propre, 
transforme le pain au corps du Christ, et la coupe de 
bénédiction en son sang^ ». Philoxène s'exprimera 
dans le même sens'. Mais l'abus que faisaient de ces 
enseignements certains eutychiens mettait contre eux 



i. E. "W. Brooks, The sixlh book of the teleet letters of Severus, II, 
P. 237. 

2. Traclatus de Trinilate et Incarn., p. 93 et suiv. Philoxène parle 
toutefois ditrércmment, p. loo. 



LA THÉOLOGIE GBECQUB DU V AU VII» SIÈCLE. 247 

de bons esprits en défiance ou même provoquaient des 
réactions ouvertes. Nous Talions constater à propos 
de Théodoret. 

La doctrine eucharistique de Théodoret reste géné- 
ralement à la surface du mystère : on ne trouve rien 
chez lui des hardies intuitions de saint Cyrille. En 
disant qu'il est un réaliste convaincu, qu'il conçoit la 
présence de Jésus-Christ dans l'eucharistie comme 
permettant au Sauveur d'être « sacrifié sans sacrifice, 
distribué sans division et consommé sans être dé- 
truit* »; en ajoutant qu'il attribue spécialement à la 
communion la vertu de remettre les péchés, encore 
qu'il exige que l'on soit pur pour porter à sa bouche 
le corps de Jésus-Christ ^, on aurait à peu près épuisé 
le contenu de ses affirmations sur le sacrement de 
l'eucharistie, si l'on ne découvrait dans son Eranistes 
quelques passages souverainement importants pour 
l'histoire de l'idée de conversion et de transsubstantia* 
tion dans l'Église grecque ^. 

L'objet de V Eranistes (447) est, comme on le sait, la 
réfutation du monophysisme soutenu par certains 
eutychiens qui admettaient dans le Christ une confu- 
sion des deux natures, ou la conversion d'une des 
deux natures en l'autre, et partant la passibilité de la 
nature divine. Contre cette dernière erreur, Théodoret 
invoque le récit de l'institution à la cène. En donnant 
l'eucharistie comme « type de sa passion » (toC tcocQouç 
Tov TuTcov), Jésus-Christ n'a point parlé de sa divinité, 
mais bien de son corps et de son sang : Ceci est mon 

1. In psolm. LXU, v. 3 (col. 1337). 

2. In Isaiam, YI, v. 6 (col. 268); In epist. I ad Corinth., XI, v. 27 
(col. 317). 

3. Sur ce qui suit, outre P. Batiffol, op. cit., p. 278 et suiv., 314 et 
suiv., voyez J. Leureton, Le dogme de la transsubstantiation et la théo- 
logie anliochienne du V* siècle, dans les Etudes, t. CXVII (1908), p. 47T 
et suiv. 



Ï43 HISTOIRE DES DOGMES. 

corps ; ceci est mon sang. C'est donc le corps qui a été 
crucifié, qui,a souffert, non la divinité^. 

Théodoret invoque encore le mystère eucharistique 
pour démontrer qu'il n'y a point eu en Jésus-Christ, 
même après l'ascension, conversion de l'humanité en 
la divinité. Les symholes mystiques (•cotfxuaTtxàcufjLSoXa) 
offerts par les prêtres sont les symboles d'un corps 
réel et d'un sang réel, car l'image doit avoir un arché- 
type, correspondre à une réalité. Il existe donc au ciel 
un corps réel de Jésus-Christ dont les divins mystères^ 
sont les antitypes (àvuiTuTca), et qui est distinct de la 
divinité 2. 

Mais ici le dialogue devient particulièrement inté- 
ressant. Le monophysite qui discute contre l'ortho- 
doxe, en effet, argue à son tour de l'eucharistie pour 
démontrer que le corps du Seigneur, après l'ascension, 
a été transformé en la divinité. Avant l'épiclèse,, dit-il, 
on n'a sur l'autel que du pain et du vin : après la con- 
sécration on appelle les oblata le corps et le sang de 
Jésus-Christ, et on les reçoit comme tels dans la com- 
munion. « De même donc que les symboles du corps 
et du sang du Seigneur sont une chose avant l'épiclèse 
sacerdotale, et, après l'épiclèse, sont convertis et 
deviennent autre chose ([leTaêdtXX&Tai xal Exapa Yi'*sTat), 
ainsi le corps du Seigneur, après l'ascension, a été 
converti en la substance divine » (eîç Trjv oudi'av j^exeêXTiôn 

T^y ôeiav) ^. 

L'argument est on ne peut plus faible pour établir 
ce qu'avance l'eutychien, mais il prouve, comme je l'ai 
déjà observé, que, dans les cercles monophysites du 
moins, l'idée de la conversion eucharistique subsis- 
tait toujours, car il n'est pas probable que Théodoret 

1. Eranîstes, Ul, col. 269, 272. 
3. Eraniatoi, II, col. 165, 168. 
3. Ibid., col. 168. 



LA THÉOLOGIE GRECQUE DU V AU VII' SIÈCLE. 2iQ. 

aitinventté l'argimieiit de toutes pièces. Or, de cette 
cGnveBsianijlui, Théodorety qui parle par la boncÈe de 
l'optliodoxe, Be veut point. Il réplique que^ précisé- 
ment, le fait invoqué es* faux. « Après la sanctifica- 
tion, les symboles mystiques ne perdent pas leur 
nature propre; ils demeurent et dans leur substance 
première^ et dans leur apparence, et dans leur forme, 
visibles et tangibles comme auparavant. On ne peut 
que concevoir ce qu'ils deviennent, et le croire, et 
l'adorer comme s'ils: étaient ce que l'on croit ^ . » 

Tbéodoret tfadmet donc pas que le pain et 1& vin 
soient convertis dans leur nature et leur substance 
((pudiç, oôoîa) par la consécration. Mais alors que fait 
cette consécration? Gar enfin, poursuit l'orthodoxe, 
les noms sont changés : le pain n'est plus appelé pain; 
il est appelé corps. 

Ge qu'opère la consécration dans les éléments, 
Théodoret a essayé de l'expliquer dans le premier 
dialogue de VEranistes ^. Là, il constate qu'en effet le 
pain et le vin sont appelés corps et sang, mais il cons- 
tate aussi que le Ghrist a appelé son corps « froment », 
et qu'il s'est appelé lui-même « la vigne » , dont le vin 
est le: sang. Or, ajoute-t-il, le but de ces changements 
de noms est manifeste pour les initiés : 

« Le Christ voulait que ceux qui participent aux divins mys- 
tères ne s'attachassent pas à la nature de ce qu'ils voient, mais 
considérant le changement des noms, eussent foi ea la conver- 
sion qui est le fait de la grâce (îiiffT£ÛEtvT5èxT^îX«P''f°'Jïs-Ye^f^^ 
(lETaêoX^). Car, s'il a appelé son corps naturel froment et pain, 
comme il s'est appelé lui-même vigne, il a honoré les symboles 
qui se voient du nom de corps et de sang, non pas qu'il ait 
changé la nature, mais parce qu'il a ajouté la grâce à la 
nature. » 

1. OùSl.yàp |jjETà Tov- àyiaffjiôv xà iivtTftKà sOjiSoXa t^C olxeta; âÇc- 
ctatai fiaewi' (lévei yàp èirl •riji; upoTÉpaç oùffi'a;, xal xoy ayri\i.0L'TOi, vtal 
•îoû £Ï8ouî, xaî ipaTocèaxi, xal àntà, oïa xai TrptjTepov î^v xtX, 

i. Col. 83, m. 



2S0 HISTOIRE DES DOGMES. 

La consécration opère donc une |xsTa6oX^. Mais cette 
iitTixSokif, n'est pas la conversion au corps de Jésus-Christ 
de la substance du pain : cette substance acquiert seu- 
lement une grâce, une dignité qui lui vient de son 
union avec le corps du Sauveur produit et présent, 
union qui permet entre le pain et le corps cet entr'- 
échange d'appellations que l'on constate. Théodoret 
n'insiste pas sur la production, dans la consécration, 
du corps de Jésus-Christ : c'était un point acquis; 
mais il nie que cette production soit le résultat d'une 
conversion des oblata, et il explique que ces oblata 
sont vis-à-vis du corps de Jésus-Christ dans une rela- 
tion analogue à celle où l'humanité de Jésus-Christ se 
trouvait par rapport à sa divinité. De ce corps il 
découle en eux une vertu ou une grâce qui les sanctifie, 
sans changer ni détruire leur nature. 

Nous avons donc bien affaire ici avec un vrai dyophy- 
sisme eucharistique. Cette théorie se retrouve dans une 
lettre (apocryphe) de saint Jean Chrysostome au moine 
Césaire^ dont l'auteur vivait après le concile de 
Chalcédoine. Césaire, comme Eranistes, est un mono- 
physite qui, pour établir son erreur, s'appuyait sans 
doute sur le mystère eucharistique : « Est-ce que nous 
ne recevons pas fidèlement et pieusement le corps et 
le sang de Dieu? Assurément. Non que le divin ait 
possédé par nature chair et sang avant l'incarnation, 
mais on dit qu'il les possède parce qu'il se rend pro- 
pre (îStoTcotEtTai) ce qui est de la chair ^. » Ce raisonne- 
ment est juste, mais l'auteur de la lettre, qui est pour 
le moins un nestorianisant et qui ne veut pas de la 
communication des idiomes, n'accepte pas l'expression 
« corps et sang de Dieu », et, tout en avouant que le 
pain est appelé corps, il nie qu'il goit substantielle- 

4. p. G., LU, 75S-7«>. 
s. Col. 7S9. 



LA THÉOLOGIE GRECQUE DU V AU VII* SIÈCLE. 25 1 

ment converti au corps dans la consécration. Il con- 
cède qu'après cette consécration il n'y a qu' « un corps 
du Fils », mais de la même façon qu'après l'incarna- 
tion il n'y a qu'un fils et une personne en Jésus-Christ, 
encore que les deux natures persistent d'exister. Voici 
le texte : 

« Sicut enim antequam sanctificetur panis, panem nomina- 
mus : divina autem illum sanctificante gratia, mediante sacer- 
dote, liberatus est quidem ab appellatione panis ; dignus autem 
habitus dominici corporis appellatione, etiamsi natura panis in 
ipso permansit, et non duo corpora,sed unum corpus Filii prae- 
dicamus : sic et hic divina âviSpucrâcm;, id est insidente corpori 
natura, iinum Filium, unam personam utraque haecfecerunt^. » 

C'est ainsi que la crainte du monophysisme, et 
l'abus que faisaient sans doute les eutychiens de l'ar- 
gument rapporté dans VEranistes ont arrêté en Orient 
le développement de la doctrine de la conversion. On 
la rétrouvera dans saint Jean Damascène, mais réduite 
à une simple affirmation, sans commentaire qui l'ex- 
pliquBB 

Quant au caractère sacrificiel de l'eucharistie, il est 
souvent affirmé dans la période qui nous occupe, sans 
que la théorie proprement dite du sacrifice eucharis- 
tique avance beaucoup. Théodoret remarque que le 
Sauveur a inauguré à la cène l'exercice de son sacer- 
doce, sacerdoce qu'il continue d'exercer comme homme 
par le ministère de l'Eglise, alors qu'il reçoit, comme 
Dieu, l'offrande du sacrifice^. Il y a donc dans l'Église 
« un sacrifice divin et non sanglant » (Oeîa xa\ àvaifxaxToç 

1. Col. 758. 'M. GoRE (.Dissertations on subjects conneeted witk the 
Incarnation, London, 1893, p. 473, 276) cite encore, comme partisan de 
la doctrine de Théodoret en Orient, le patriarche Ephrem d'Aotloche 
(52t>-54S) : mais le texte qu'il donne et qui est tiré de Photius (Bi62tot/i., 
cod. 229, P G., GUI, 980) me parait peu concluant. 

2. Inpsalm. CJX, T. 4 (col. 1773, 1773); cf. Ebtychius, Sermo de paS' 
chale, 2, 4, col. 2393, 2397. 



252 HISTOIRE DES DOGMES. 

Outria) * dont Jésus-Christ est le prêtre principal, dont 
la victime est aussi le seul agneau immaculé qui poste 
les péchés duimonde'2. iLk, est représentée par 3a frac- 
tion du pain la mort du Sauveur ; Jésus-Christ est mys- 
tiquement immolé; il imeurt (spirituellement*; car les 
prêtres n'offrent pas un autre sacrifice que celui de la 
Croix, mais célèbrent la mémoire de cet unique et salu- 
taire sacrifice"*. Le jnot le plus énergique sur oe sujet, 
et iqui rappelle une expression de saint Grégoire de 
Nazianze, est de Nestorius : « Le Christ est crucifié en 
figure, égorgé par le glaive de la prière sacerdotale 5), 
ffTaupoÛTai jxÈvaati xôv Tiircov Xpiff^ôç, TÎj TÎîç îepaTUc^ç lEuy^^ç 
^taj^aipa <j«paTTO{ji.£vo;5. En dehors des descriptions données 
tpar'les Constitutions , de if église égyptienne et par le 
JPs8udo-Deny« ^, nous possédons d'ailleurs de • cette 
lépoqued'abondants.documents sur la liturgie i eucharis- 
tique, puisque de nombreuses liturgies furent dlors 
rédigées. sous le nom d'apôtres ou de docteurs icélè- 
Jires, . dont le texte, encore qu'il ait pu être ire-touché, 
nous renseigne assez exactement sur les croyancesiet 
■les usages alors en vigueur ''. 

§ 8. —La pénitences. 
•La discipiline pénitentielle dut occasionner, elle 

■l.:S.NiL, Episf. II, 294{C0l. 34S-348). 

2. TaÈQDOKET, In. Malachiam, I,t. H (col .1968) ; Cykill., Jn Lucatn, 
II, 8 (col. 489). 

3. EoTïcrims, Sermo depaschate, 2, 3 (col. 2393, '2396) ; cf. Ad», nes- 
torianos, V, 2-2 (P. G., LXXXVI, 1, coL 1744). 

4. Théodoret, Jn épis t. ad Hebr,, VIII, v. 4, 5 (col. 736). 

5. LooFS, NisstorKzno, p. 241. 

6. Gonstitut., I, 9-34; PsEnoo-DENTS, De eccles.'hier., III, .2 (col. 425 et 
sniv.). 

7. V. G. A. SwAmsoN, Greek Zïturgfes, Cambridge, !1«84; F. E.Brioht- 
HAS, Liturgies eastern and voestern, I, Oxford, 1898. 

8. Travaux : K. Holl, Etilhusiasmus und Bussgewalt beim griechi- 
schen Mônchtum, Leipzig-, 1898. H. Koch, Zur Gesehichte der^Bxissdis- 



LA THÉOLOGIE GRECQUE DO Y* AU VII* SIECLE. 253 



a 



âussi,, un certain nombre d'écrits, mais que l'on ne 
saurait toujours discerner sûrement dans les collec- 
tions plus amples dans lesquelles ils sont entrés. 
Elle subit en tout cas, du v® au vin® et au ix* siècle, 
des modifications qui firent lentement sortir de la 
pénitence canonique, telle qu'elle était jusqu'alors pra- 
tiquée, la pénitence plus simple que nous voyons de- 
puis en usage.. 

Le principe d'où il faut nécessairement partir, et 
qui domine toute la question, est que l'Eglise et au 
moins l'évêque dans l'Église a reçu de Jésus-Christ 
le pouvoir de remettre les péchés. Nous le trouvons 
affirmé par saint Cyrille d'Alexandrie^, Théodoret^, 
Isidore de Péluse^, Anastase le Sinaïte*. Anastase 
remarque qu'à la vérité, c'est Dieu proprement qui 
efface le péché ; les hommes ne font qu'exciter, exhor- 
ter,, préparer le pénitent à la grâce de la rémission ; 
cependant l'homme entend l'aveu, et Dieu par lui 
(5t' «ÙTow) convertit, instruit, pardonne : les ministres 
sont les ffuvepYot de Dieu. 

Qui sont ces ministres de la pénitence et du pardon 
divin? Pendant les quatre premiers siècles, et sauf 
quelques exceptions locales, ce furent à peu près 
exclusivement les évêques^. A eux revenait le droit — 

ziplîn und Bussgewaît in der orient. Kirche, dans Histor. Jahrbueh, 
1900. P. A. KiRSCB, Zur Geschichte der katolischen Beichte, Wùrzburg, 
1902. P. Batiffol, Etudes d'histoire et de théol. positive, l'« série, 3» 
édit, . Paris, 1904. E. Yàcamojlrd, artic. Confession dans le Dict. de 
théol, catholique. G. Rauschen, L'eucharistie et la pénitence durant les 
six premiers siècles de l'Église,, traduct. U. Decske et B. Ricard, Paris, 
1910. 

1. In Lucam, V, 24; VII, 38 (col. 568, S69, 620). 

2. Quaest. in Levitic, Interr. 15 (col. 320). 

3. EpiSt. I, 338 (coi. 377). 

4. Quaestiones, qu. VI (col. 373). 

, S. N'oublions pas cependant l'institatioa & Constantinople et dans les 
églises de Thrace des prêtres pénitenciers, chargés de recevoir l'aven 
et de surveiller les exercices d'expiation des pénitents (v.. Hist. des 
Dogmes, II, p. 188). 

HISTOIRE DBS DOGHES. — UI. IK 



2Si HISTOIRE DES. DOGMESi 

e% la charge — ^ de recevoir la confessfett des pénitents j 
de leur prescrire les œuvres de leur expiation et de 
les réconcilier avec Dieu et avec FEglise;. Saint 
B asile cependant, dans ses Regulae brevius tractatae* , 
suppose évidemment que les moines des monastères 
se confessent à l'un d'entre eux, à l'un de ceux « à qui a 
été confiée la dispensation des mystères de Dieu^ »,> et 
qui n'étaient sûrement pas évêques. Cette pratique 
s'étendit dans les siècles suivants, et l'on voit, par 
le canon 52* des apôtres et par les textes postérieurs, 
qtt'au V* siècle et plus tard, les simples prêtres, 
aussi bien que les évêques, furent admis à réconcilier 
les pénitents. Au vriï* siècle même, un abus s'intro- 
duisit qui, passant des cloîtres où il avait probable- 
ment pris naissance, dans le monde séculier;, tenta 
d'arracher à la hiérarchie officielle et même au sacer- 
doce leur pouvoir d'absoudre, et nécessita de leur 
part une résistance énergique. Saint Basile' déjà^ et, 
après lui, les écrivains ascétiques, tout en prescrivant 
de s'adresser aux prêtres pour la confession*, avaient 
insisté sur les qualités de sagesse, de prudence, de 
discrétion que devait présenter le confesseur. Ce con- 
fesseur devait être un homme de Dieu, utt «• Juge 
e-x<;ellent », « un homme spirituel"* » (TtveufjiaTwcQçivvip). 
De là le nom de pères spirituels (TtveufxaTixol iraTÉpeç) 
donné aux confesseurs, et qui a prévalu dans la suite. 
Or, la pensée ne tarda pas avenir —et il. était naturel 
qu'elle vînt — que les premiers dans l'Église à pou- 
voir rfe'Bendiqufiir la qualité de Tcveu^orixoi étaient assu- 



1. Interrog. 229 et 288. 

S. On a contesté sans raison, pensons-nous, qu'il s'agisse là de moi- 
nes revêlUB du sacerdoce. 
S. AvkSTisiMis. ïaii.,Oratio ciesynaxi (col. 833); cf:Psi;iJiK>-DEirïS}jEptst» 

vm, 1. 

, -ft..S> JEisCujbMJCE, Scala pavadisi, gradi lV''(coli 681); Amastasb ï.% 
«t., Quaestiones, qu. YI (col. 369, 372). 



LA THÉOLOGIE' GRECQUE DU V« AU VIP SIÈCLE. 255 

rément les moines. Des prêtres mariés, comme l'é- 
taient les prêtres sécuJiers, ne pouvaient, à ce point 
de vue, leur être comparés. De ce fait résultèrent 
deux conséquences : 

La première fut qu'à partir du moment où les moi- 
nes sortirent de leurs; monastères pour se mêler au 
monde, c'est-à-dire surtout à partir d«s querelles 
iconoclastes (viii^ siècle)^, ils accaparèrent peu à 
peu le ministère de la confession et en exclurent gra- 
duellement le clergé séculier. Dans le Sermo ad 
paenitentes attribué à Jean le Jeûneur, patriarche de 
Constantinople (582-595), mais qui est plutôt d'un 
moine du xi? siècle, il est dit tout uniment que Jésus- 
Christ a établi, pour l'instruction des fidèles,.odes 
évêques, des prêtres et des docteurs, mais qu'il a 
établi les moines pour recevoir les confessions et 
exhorter les pénitents^. 

Une seconde conséquence plus grave fut que lia 
qualité: de spirituel devint tellement prédominante 
parmi celles que l'oxi exigea du confesseur, que l'on 
oublia- parfois, dans les cloîtres d'abord, puis dans le 
monde, que le confesseur devait avant tout être prê- 
tre, tenir de son ordination le pouvoir d'absoudre. On 



1. C'est répoqned&mi^ par le patrfarche Jean d'Antiôche, an xn»8iè^ 
cle. Il fixe aux querelles' iconoclastes et, au règne de Constantin Ca- 
pronyme le moment où la confiance des fidèles transporta aux 
moines le pouvoir d'entendre<J[es confessions, de réconcilier ou de cen 
snrer les; pécliema; (De monastenïs laieii non tradendis, 7,, P. G.^ 
CXXXnv,4128). 

2; J?. G., LXXXVJn,,i9SiO^ Une; lettre curieuse du Psendo-Denys,. la 
huitième, adressée au moine Démopbile, nousi met peat-éite en pré- 
sence d'une des premières tentatives des moines grecs pour s'ing^er 
ainsi dans l'administration de la pénitence. Un pénitent s'est adressé- 
à un prêtre qui l'a reçu avec bonté et l'a absous-^Démopfaile est accouru 
avec: ses moines, et a chassé, de l'église le pr^re et le pt^nilent^ sous 
prétexte qu?ils en violaienti la saintetéj. le coupable étant indigne de 
pardon. Denysreprend vivement Démopbile, et lui demande d'être 
plpsi respectueuxr<vis.>-à-!visdes prêtres,.quLialBontsupérieuraf etplas- 
BusériaanUeax eiLvers les; pâtura. 



256 HISTOIRE DES DOGMES. 

vit donc, surtout aux x**-*!!* siècles, de simples moines 
laïques recevoir les confessions et réconcilier les 
pénitents, et il se trouva, au xi° siècle, des théologiens 
et des canonistes pour justifier cet abus. Le pouvoir 
de remettre les péchés était, d'après eux, plutôt un 
charisme accordé à la sainteté qu'un pouvoir régulier 
du sacerdoce officiel^. 

Quels étaient les actes qui constituaient le cursus 
de la pénitence ? 

Le premier était l'aveu des fautes commises : « Per- 
sonne, dit saint Jean Glimaque, n'obtient, sans la 
confession, le pardon de ses péchés ^ » ; et il détaille 
les qualités de cette confession qui doit être sincère, 
huitible, repentante jusque dans l'attitude du pénitent^. 
En principe, cette confession était toujours secrète : 
c'est ce que supposent Isidore de Péluse, saint Jean 
Glimaque et Anastase le Sinaïte'';; et d'ailleurs le choix 
du confesseur eût peu importé, si l'aveu avait dû être 
public. Chez les moines toutefois, et si le confesseur 
le jugeait utile, l'aveu secret était parfois suivi d'une 
coûlpe faite publiquement : « Avant tout, écrit saint 
Jean Glimaque, confessons nos péchés à notre excel- 
lent juge, et à lui seul, mais aussi à tous, s'il l'or- 
donne » : et il appuie son conseil du récit de l'his- 
toire d'un voleur qui voulut se faire moine, et à qui on 
imposa une confession publicpie^. 

1. Comme ces faits et ces théories sont ea detiors de la période 
dont nous nous occupons, nous ne les signalerons pas pins en détail. 
On peut voir sur eux les écrits indiqués de MM. Vacandard et Holi. 

2; Seala paradisi, grad. IV (col. 684). 

3. Ibid., col. 708, 709. 

4. Ism. Pelvs., Epist. V, S6i (col. 4*88); S. Jeam Cuh., Scala, grad. lY 
(col. 681); ksiSTXsK, Oratio de synaxi, col. S33. 

5. Scala, grad. IV, col. 681' et suiv. Chez les audiens, audire de Théo- 
doret, la confession parait avoir toujours été publique. On faisait 
passer le pénitent entre les livres saints (canoniques et apocryphes) : 
Il confessait ses péchés, et, sans exiger de pénitence préalable, on lui 
remettait ses fautes. Les prétendus pénitents, ajoute Tbéodoret. n 



LA THÉOLOGIE GRECQUE DU V AU Vil» SIECLE. 257 

Ainsi comprise, la confession n'avait pas pour ob- 
jet simplement les fautes connues et divulguées, mais 
aussi les péchés secrets ^ Ceci était ancien. Ce que 
l'on cherche à préciser davantage, au moment oii 
nous sommes, ce sont les catégories de fautes que 
nous appellerions actuellement mortelles, et qui de- 
vaient faire l'objet de la confession. On a vu déjà 
que saint Grégoire de Nysse avait essayé d'en donner 
une énùmération^. A la même époque, Evagre le Pon- 
tique tente non pas de dresser un catalogue des fau- 
tes mortelles, mais de ramener à certains types fon- 
damentaux, à certains péchés capitaux, les divers 
genres de fautes possibles. Il compte huit de cespéchés : 
la gourmandise, la fornication, l'avarice, la tristesse, 
la colère, l'ennui, la vaine gloire, l'orgueil ^. Saint 
Jean Climaque les réduit à sept, en remarquant que 
la vaine gloire et l'orgueil ne sont, au fond, qu'un 
même vice*. Mais ces classifications toutes théoriques 
n'étaient pas d'un grand secours pour les confesseurs. 
Il est probable que ceux-ci leur préféraient des listes 
plus détaillées, continuant l'essai tenté par Grégoire 
de Nysse. On possède de ces listes un spécimen bien 
complet — trop complet — dans celle que donne le 
sermon déjà cité et faussement attribué à Jean le 
Jeûneur ^ 

voyant qu'an jeu dans cette cérémonie, cachaient leurs \Tais péchés, 
et n'accusaient que des vétilles propres tout au plus à prova<9uer le 
rire {Haeretic. fabul. comp., IV, 10, col. 420). 

1. IsiD. Pelus., Episl. V, 261. Voyez dans Chabot {Synodicon orien- 
tale, p. 433) le canon VI du patriarche Isoyahb I (S8S-S95) indiqué par 
J. Labodrt, Le christianisme dans l'emp. perse, p. 340 et suiv. 

2. Epislula canoniea (P. G., XLV, 221 et suiv.). 

3. De oclo vitiosis cogitationibus, 1-9 (P. 6., XL, 1271). 

4. Scala, grad. XXII (col. 948-949). 

5. P. G., LXXXVIII, 1921 et suiv. Cf. le pénitentiel du mCme, ibid., 
1893 et suiv. Voyez aussi VOrdo paenilentiae attribué à Jean Manda- 
kuni, calhoiicos des parties grecques de la Grande Arménie (f vers 
498), et tiré d'un manuscrit arménien du xn« siècle environ {Riluale 
Armenorum edited by F. C. Comybeare, Oxford, 1905, p. 294] : • Le pré- 



258 HISTOIRE DES DOGMES. 

Le second acte de la pénitence était l'accotnipilisse- 
ment des œnvres expiatoires imposées par le con- 
fesseur. C'est la publicité de ces œuvres ioxpiatoires 
qui constituait surtout autrefois la publicité de la pé- 
nitence. Mais peu à peu des adoucissements s'intro- 
•duisirent ici. D'abord, on n'attendit pas toujours, pour 
absoudre le pénitent, qu'il eût accompli son expiation. 
Le pénitent dont parle Denys l'Arëopagite dans sa 
lettre vin a été, semble-t-il, réconcilié par le prêtre, 
aussitôt après son aveu ^. Saint Jean Climaque dit 
que l'Eglise écarte pour un temps les fornicatéurs de 
l'eucharistie, même après qu'elle les a reçus (elffSe- 
5(^o[jLÉv7)) 2 ; et saint Nil, dans une lettre importante^, Te- 
proche au prêtre Chariclis de ne pas se contenter, en 
certaines occasions du moins, des témoignages de 
regret donnés par le pénitent dans l'acte même de sa 
confession, et d'exiger de lui, avant de le réconcilier, 
des œuvres difficiles et prolongées. — Puis, second 
adoucissement, les œuvres pénales imposées par le 
confesseur tendirent, d'une part, à devenir plus légères, 
de l'autre à rester secrètes. On a l'impression nette, 
en lisant les auteurs de cette époque, que la vivacité 
de la foi et l'austérité de la vie chrétienne s^affaiblis- 
sant chez les grecs de la décadence, la répugnance 
augmente chez eux pour la pénitence et les sacrifices 
qu'elle comporte. Dès lors, ces auteurs insistent au- 

tre s'assied et fait agenouiller le pénitent pour faire sa confession. ït 
il lui énumère les péchés par leurs noms, et la personne qui se con- 
fesse doit répondre oui, si oui, non, si non. » — On remarquera que 
les trois péchés ad mortem continuent, théoriquement du moins, de 
retenir l'attention, mais qu'on ne comprend plus bien la sévérité de 
l'Église primitive -vis-à-vis des péchés de la chair (S. Jeas Climaotoe, 
. Scala, grad. xy,col. 8894 cf. Anastask ie «in., QuaestioneSf qa. 'LXXXV, 
col. 712). 

1. Episf. vm, 1, col. d088. 

2. 5cato, grad. XV, col. 889. 

3. £pist. m, 243, col. 49G>et SUIT. 



LA THÉOLOGIE GRECQUE DU V AU VIP SIÈCLE. 259 

près des confesseurs potir qu'ils se montreiit bons, 
inîséricGrdieux, faciles vis-à-vis des pécheurs. Cette 
idée est vivement mise en lumière dans les deux let- 
tres du Pseudo-Aréopagitè et de saint JN^il que je viens 
de rappeler, et on la retrouve encore dans le Liber 
ad pastorem de sa;int Jean Climaque (xiii)^ Celui- 
ci observe au surplus que Dieu n'a jamais révélé les 
péchés qu'il a~ entendus dans la confession, de peur 
que par cette publicité les pécheurs ne fussent dé- 
tournés de rexomologèse : manière discrète évidem- 
ment d'exhorter les conîesseurs à ne révéler ni di- 
rectement ni indirectement — • par la sa:tisfac!tion 
publique imposée — - les fautes secrètes des pénitents 2. 
La pénitence publique cependant n'est pas abolie 
pour aiUtânt. Les îornicateurs continuent, au témoi- 
gnage de saint Jean Climaque, d'être privés de lia 
communion un certain temps après leur confession, 
comme le veulent les canons apostoliques 2, et l'ôïi 
retrouye les anciens canons pénitentiels reproduits 
dans les collections nouvelles de Jean d'Antioche dit 
le Scolastique (vers 550), et le Nomocanon paru sous 
Héraclius (610-641) ^. Les œuvres expiiatoires soit pu- 
bliques, îsbit secrètes, restent d'ailleurs substan- 
tiellement ce qu'elles étaient autrefois : ce sont des 
jeûnes, des veilles, le coucher sur la dure, le sac et 
la cendre, les larges aumônes^. Chez les moines, 
dans la catégorie des pénitents, elles prenaient pâr- 

1. p. G., LXXXVin, col. H96. 

2. îbid. Isidore de Péluse remarque déjà que l'on doit punir moins 
sévèrement les fautes secrètes plus graves que les fautes scandaleuses 
moins graves {.Episl. V, 261, col. 1488). 

3. Scala, grad. XV (col. 889); cf. Théodoret, Epîst. LXXVII, col. 1249; 
Pseddo-Denys, De eccl. hier., III, 2 et 3, 7 (col. 436, '4S2). 

4. Y. PiTRA, Iwris ecclesiastici graecorum historia et tnonumerita, I, 
403-107; II, 336-442; cf. FuNK, Didascalia et Constitut. apostol., lï, p.ïS4~ 
157. 

o. S. Nil, Epist. III, 243; S. Grégoire de Girgenti (fin du vi»-vu» siè- 
cle), In Ecclesiasten, YI. 4-5 IP. G., XCYUI, 989). 



260 HISTOIRE DES DOGMES. 

fois un aspect et des proportions fantastiques *. 
Le troisième acte de la pénitence était la réconci- 
liation du coupable ; « Dieu donne le prix de la jus- 
tice à rhomme qui se châtie lui-même par la confes- 
sion 2. » Jusque vers la fin duiv" siècle, nous le savons, 
la pénitence officielle, confession, expiation et pardon, 
n'était accordée au pécheur qu'une fois après le bap- 
tême; et ce fut un des griefs apportés contre saint 
Chrysostome au concile du Chêne qu'il eût invite les 
pécheurs à recourir à lui aussi souvent qu'ils le dé- 
sireraient 2. Cependant, saint Basile suppose manifes- 
tement, dans ses Regulae hrevius tractatae^, que les 
moines se confessent au moins de temps en temps, 
et saint Jean Climaque dit que l'âme qui est occupée 
de la pensée de la confession est retenue comme par 
un frein sur la pente du péché ^. L'usage de la con- 
fession plus ou moins fréquente, mais répétée plu- 
sieursfois durant la vie, futdoncen principe particulier 
aux monastères. Plus tard les moines l'introduisirent 
dans le monde, lorsque eux-mêmes devinrent confes- 
seurs des séculiers, c'est-à-dire au viii^ siècle. Déjà, 
au vii«, Anastase le Sinaïte préconisait d'une manière 
générale la confession comme un moyen de cure spi- 
rituelle, dont on peut par conséquent renouveler 
l'emploi^, et la conseillait au pécheur comme une 
préparation tout à fait souhaitable pour la commu- 
nion'. On ne voit pas toutefois que, dans l'Eglise 
orthodoxe du moins, elle ait été, à cette époque, ren- 
due obligatoire même pour la communion pascale. 

1. s. Jean Climaque, Scala, grad. V, col. 7C4 et suiv. 

2. S. Nil, Epist. IV, 7, col. Îi53, 

3. Mansi, Concil., ni, 1143; Socrate, Eist. eccles., VI, 21. 

4. Inierrog. 229, 288. 

5. Scala, grad. IV, col. 703 ; cf. 684. 

6. Quaeslione», qu. VI icol. 369 et 8ui?.); Qu. extra ordlnem (col. 
760). 

7. Oratio de tynaxi, col. 832, 833. 



LA THÉOLOGIE GRECQUE DU V AU Vil* SIECLE. 261 



§ 9. — L'extrâme-onction, l'ordre, le mariage. 

On sait combien peu est attestée, dans l'ancienne 
théologie grecque, l'existence du sacrement d'ex- 
trême-onction, et combien vagues y sont les rensei- 
gnements qui le concernent. Dans la période que nous 
examinons, les Constitutions de l'Eglise égyptienne 
(i, 22, 23) contiennent une formule de bénédiction de 
l'huile qui suppose qu'on s'en servait non seulement 
pour s'en nourrir, mais pour oindre les malades [tfi- 
bite [sanitatem] illis qui unguntur et accipiunt)^. 
Saint Cyrille, détournant les fidèles des incantations 
magiques, cite le texte de saint Jacques, v, 14, 15, 
comme leur indiquant ce qu'ils ont à faire quand ils 
sont malades 2. De fait, un écrivain syrien, Isaac d'An- 
tioche (-j- vers 460), recommande aux vrais chrétiens 
de ne point vouloir préparer eux-mêmes l'huile pour 
oindre leurs malades, mais de les porter à l'église et, 
là où il y a un prêtre, de garder l'ordre établi ^. Enfin, 
l'auteur de la vie de saint Eutychius, Eustrate, qui 
écrivait peu après la mort du patriarche (582), raconte 
' que le saint avait coutume, suivant la recommandation 
de saint Jacques, d'oindre d'huile les infirmes qui se 
présentaient à lui^. En tout ceci cependant, si l'on 
retrouve le rite substantiel d'onction des malades, il 
est diflicile de trouver l'idée d'onction dernière que 
nous nous faisons actuellement de l'extrême-onction^. 

1. FuNK, Didasc. et Const. apostol., U, 100, 101. 

2. De adoratione in spiritu et veritate, VI (col. 472). 

3. G. BiCKELL, S. Isaaci Antiocheni... opéra omnia, pars I, Giessen, 
1873. p. 187 et saiv. Voyez encore le témoigqage de Jean Uandakani (f 
V. 498) dans M. Schmid, Heiligen Reden des Joannes Slandakuni, Re- 
gensburg, 1871, p. S23 et saiv. 

4. S. Eutychii vita, VI, 4» (P. G., LXXXVl, 2, col. 2325 el suiv.). 

5. V. cependant S. Thendori Studitae vita, 67 {P. G., XCIX, 32S). — 
Quant à l'onction dont parle le Pseudo-Denys {De eccl. hier., VU, 3, 8), 

15. 



262 HISTOIRE DES DOiRMES. 

Dans la hiérarchie ecclésiastique, je l'ai déjà remar- 
qué, le Pseudo-Denys voit surtout un pouvoir, de sanc- 
tification. De même que la hiérarchie angélique, la 
hiérarchie ecclésiastique est un intermédiaire enstre 
Dieu et l'homme, destiné à rapprocher l'homme de 
Dieu. Elle comporte, elle aussi, trois degrés : le pre- 
mier, le plus bas, dont la fonction est de purifier 
l'Jiomme (xaSopTix-ïi) : c'est l'ordre du diaconat; ie se- 
cond, dont la fonction est de l' éclairer et de l'illuminer 
(cpwTaYwytxyj îrà^iç) : c'est l'ordre vdes prêtres ; le jplus 
élevé enfin, dont la fonction est de parfaire le chré- 
tien et de l'unir à Dieu (TeXEtwTixii]) : c'est l'épisco- 
pat^ Denys explique à ce point de vue les fonctions de 
ces divers ordres, et décrit les cérémonies qui les con- 
fèrent^. L'imposition de la main {j^etpoTov^a) est le rite 
«ommun à tous, mais ce rite est accompagné pour i'é- 
pisGopat de l'imposition du livre ouvert des Ecritures 
sur la tête de l'ordinand. Cette dernière cérémonie 
n'est pas mentionnée dans les Constitutions de F église 
égyptienne^. Celles-ci donnent, en revanche, le texte 
des prières qui accompagnaientrimpositiondelamain''. 
Le sous-diacre ne reçoit pas l'imposition de la main : 
il est simplement appelé à suivre les diacres ; les lec- 
teurs ne la reçoivent pas non plus : l'évêque les or- 
donne par une prière et en leur remettant le livre des 
Epîtres^. Les Constitutions remarquent que, dans le 

elle se pratiquait sur le cadavre du défunt, dans l'acte même des funé- 
railles. 

d. De eccl. hier., V, 1, 5, 6 (col. 508, 508). Cf. S. Jean Climaque, Scala, 
grad. IV, sciiolion 82 (col. 757); Antiochus le moine, Romilia CXXil (P. 
G., LXXXIX, 1816, 1817), 

a. De eccl. hier., V, 2. 

3. On sait cependant qu'elle se pratiquait à Alexandrie vers la rfin du 
V* «iècle. 

4. 1, 4-7; II ; m. Théodoret remarque que cette x^'P^To^'* confère la 
fTdce (Qttoesf. in Numer., Interr. 47, col. 397). Cf. Isid. Pelus., Epist. 
1,300. 

8. Conitit, eccl. aegypt., V, Vï. 



LA THÉOLOGIE GRECQUE DU V AU VIP SIÈCLE. 263 

oas OÙ un chrétien aurait confessé la foi dans les pri- 
sons, il tte serait ipas nécessaire, pour en faire un 
diacre ou un prêtre, de lui imposer la main ; « nam- 
<|ue dignitatem presbyteratus confessione sua habet ». 
Cette cérémonie ne serait requise que pour en faire tïn 
évêque^. Quant anx chantres qae nous trouvons encore 
da;ns la biérarchie grecque, la législation de Justinien 
les considéra comme clercs^; mais ils ne tardèrent 
pas à perdre ce titre ^. 

C'est dans les canons des conciles et dans les lois 
impériales plus que dans les écrits des docteurs qu'il 
faut chercher les détails relatifs au droit matrimonial. 
Le mariage est regardé comme un acte que le Christ â 
sanctifié aux noces de Cana'*, que la religion doit donc 
sanctifier à «on tour, encore que la législation civile 
estime valide l'union contractée sans l'intervention de 
l'Église. La pensée de Théodoret sur la licite du di- 
voTcepropter adulterium n'est pas claire ^ ; en revanche 

4. Constit. èccl. aegypL, Vf. Cf. Canones Hippolyti, 43-47, éd. Achelis. 

2. NoweiZe CXXm, 19 (P. L., LXXn, 403»). 

3. Quant aux dispositions disciplinaires relatives au choix des clercs < 
aux conditions de leur ordination, à lelir vie, à leurs devoirs, aux fonc- 
tions multiples entre lesquelles, dans les grandes villes surtout, ils 
étaient partagés, aux lois qui régissaient leur conduite privée et pu- 
blique, aux divisions ecclésiastiques des patriarcats et des métro- 
poles, etc., ce sont dés 'questions qui relèvent du droit canonique, et 
que nous n'avons point à traiter ici, On en trouveta l'exposé fort bien 
fait dans le livre du JP. J. Pargoibe, L'Eglise byzantine de 527 à 547, 
Paris, 1903, p. !48-66, 203-210. ^-^ Disons seulement qu'au point de Vute 
du célibat ecclésiastique, la discipline grecque était dés lors ce qu'elle 
est restée depuis. L'évéque seul y était astreint, et il ne pouvait deve- 
nir évéque qu'à la condition ou de ne s'être point marié, où d'être 
veuf en uniques noces d'une femme qui elle-même n'eût pas été ma- 
riée deux lois. Leis prêtres, diacres et sous-diacires pouvaient continuer 
d'user du mariage contracté avant leur ordination; mais, après l&tù 
ordination, il ne leur était pas permis de se marier, ni de se remarier 
en cas de veuvage. Aux lecteurs et aux chanures il était loisible de éè 
marier et de. se remarier même après leur ordination; toutefois, dans 
le second cas, ils ne pouvaient plus être promus à un ordre sapérieur. 

4. Cyrill., Jn Joanner», n, 11-13 (col. 228) 

5. In Malackiam, U, y. IS, 16 (col. 1973 et saiy.)» 



2C4 HISTOIRE DES DOGMES. 

saint Isidore de Péluse paraît bien autoriser le mari à 
rejeter tout à fait (IxêâXeiv) la femme adultère*. Une 
novelle de Justinien, la cxvii^, de 542, est encore plus 
large, et compte pour le mari cinq causes légitimes de 
divorce : si la femme ne révèle pas une conspiration 
contre l'empereur; si elle est convaincue d'adultère; 
si elle conspire contre la vie de son mari ou ne lui fait 
pas connaître les conspirations ourdies contre lui; si 
elle fréquente les festins et se baigne avec d'autres 
hommes; si elle demeure hors du domicile conjugal^. 
Cette même novelle toutefois supprimait le divorce 
pour cause de possession diabolique de la femme, et le 
divorce par consentement mutuel. Cette dernière dis- 
position fut rétablie par Justin II en 566. 

Les secondes noces, bien que permises^, continuèrent 
d'être mal vues dans le monde byzantin. On le fait 
assez entendre en renouvelant à leur sujet les canons 
de Laodicée et de Néocésarée qui les concernent. En 
même temps, les empêchements qui annulent le mariage 
se multiplient. Défense de s'unir à un ou à une héréti- 
que •* ; mais si, de deux hérétiques mariés, l'un se con- 
vertit, il n'abandonnera pas son conjoint ^. Défense au 
parrain d'épouser la mère de l'enfant devenue veuve ^. 
Défense d'épouser sa cousine germaine ; défense au père 
et au fils d'épouser la mère et la fille, ou les deux sœurs ; 
à la mère et à la fille d'épouser les deux frères ; aux 
deux frères d'épouser les deux sœurs'. Défense au 



4. Epist. IV, 129. 

5. On peut aussi divorcer pour cause d'entrée dans la vie monastique, 
ou si le mariage n'a pas été consonimé au bout de trois ans. 

3. TuÉoDORET, Quaest. inLevitic, I-V (col. ^)i)',Inepisl. lad Corinth., 
VII. V. 40 (col. 9SS). 

4. Concile de Laodicée, can. 10, 31; Cotte, quinisexte, can. "â. 

5. Cône, quinisexte, can. 73. 

6. Conc. quinia., can. SX 
7. /(i.,can. SV 



LA THÉOLOGIE GRECQUE DU V AU VII» SIÈCLE. 265 

beau-père d'épouser sa bru * ; au beau-frère d'épouser 
sa belle-sœur^; défense d'épouser la fiancée d'un autre 
du vivant de cet autre ^. Pour pouvoir épouser celle 
qu'il a enlevée, le ravisseur doit préalablement la rendre 
à ses parents''. Une fille ou une esclave ne peut se 
marier sans le consentement de son père ou de son 
maître ^. Toutes ces prescriptions renouvelées des 
anciens canons ou portées à nouveau, sont les témoins 
d'un droit matrimonial qui s'étend de plus en plus, et 
qui devient plus touffu à mesure sans doute que les 
mœurs elles-mêmes deviennent moins délicates. 



§ 10. — Le culte des saints et les dévotions 
secondaires. 

On a déjà vu au siècle précédent se développer dans 
l'Église, tout autour du dogme et du culte essentiel, 
une série de croyances et de pratiques qui en sont la 
conséquence et le prolongement plus ou moins directs. 
Ces développements atteignent dans l'Eglise grecque 
leur plus grande ampleur du v" au vin® siècle. Nous n'en 
parlerons que dans la mesure où leur objet présente un 
intérêt dogmatique plus marqué ^. 

Le culte de Marie n'était pas inconnu au iv' siècle ; 
mais la définition du concile d'Éphèse (431), en faisant 
de la maternité divine le mot de passe de la foi chris- 
tologique contre les nestoriens, contribua singulière- 
ment à l'accroître. Les splendides apostrophes adres- 
sées à la Mère de Dieu par saint Cyrille, dans son 

1. s. Basile, Epist. CCXVII, can. 76. 
S. ID., can. 78. 

3. Conc. quints., can. 98. 

4. S. Basile, Epist. CXGIX, can. 22. 

5. ID., can. 38, 40, 42. 

6. On pourra consulter sur ce sujet J. Parooire, L'Eglise byzantine de 
527 à 847. 



266 HISTOIRE DES DOGMES. 

"homélie iv, pour célébrer la décision du concile, Xai'poi; 
Ttap'^jMÔv, Mapia OcoTo'xs *... furent redites par toutes les 
bouches éloquentes Jusqu'à Michel Cérulaire et bien 
au delà. L'absolue virginité de r^Ewrapâévoç devint un 
'dogme indiscuté. Sans prendre la forme précise que la 
sainteté de Marie va jusqu'à l'exemption de la faute 
héréditaire, l'idée est partout présente dans la théolo- 
gie grecque de cette époque — qui d'ailleurs n'accorde 
pas à la question du péché originel la même attention 
ni la même importance que la théologie latine — que 
-cette sainteté est parfaite, complète, aussi grande qu'on 
la peut concevoir dans une créature. La Vierge iravayia 
ne connaît point la souillure^. Elle est d'ailleurs élevée 
au-dessus des apôtres et des anges, médiatrice entre le 
ciel et nous, celle par qui tous les biens nous sont 
venus en Jésus -Christ ^. Aussi des églises s'élèvent-elles 
partout sous son vocable^. Ses fêtes se multiplient. 
On connaissait déjà, depuis la fin du iv^ siècle au moins, 
l'Hypapante, mais qui était exclusivement consacrée à 
honorer la présentation de Jésus au temple. Le concile 
quinisexte (692), dans son canon 52, parle de la fête de 
l'Annonciation (6 eôaYY£^t<T,"-o;) du 25 mars, comme d'une 
institution déjà existante^. La fête delà Présentation 
(^ Iv tS vaw gïffoooç) prend naissance probablement à Jé- 
rusalem, en novembre 543. Le dépôt d'un vêtement de 
la sainte Vierge aux Blakhernes est l'origine (vers 
457-478) de la fête du 2 juillet ^ Au vii« siècle, celle de 



i, P. G., LXXVII, col. 992. 

2. V. par exemple Basile de Séleucie, Orat. XXXIX, 6 (col. 448 et 
-suiv.)- 

3. Ibid., S (col. 441 et suiv.^. 

4. Par exemple celle des Blakhernes à Constantinople. 

5. On a sur ce mystère un discours de Basile de Séleucie (Orat. 
XXXIX), mais il n'est pas sûr qu'il ail été prononcé à l'occasion d'une 
fête proprement dite de l'Annonciation. 

6. N. NtLLEs, Kalendarium manuale utriusqueecclesiae, edil. 2% (Hîni- 
>ponte, 1896, 1897, I, p. 200, 201. 



LA THÉOLOGIE GRECQUE DU V» AU VII» SIECLE. Z67 

la Nativité (8 septembre) est connue ^ Enfin, il faut 
sisgnaler la fête de la Dormition {ii xoiV^iotç) dont Tem- 
pereur Maurice (582-602) fixe la célébration au l'5 
août. On «st persuadé chez leis grecs, depuis le v* siè- 
cle, que la terre ne possède plus le corps €e la bienheu- 
reuse Vierg'e •: la xoi'(x7i<yt(; a été aussi une '(Tuo-fftofxoç 
|jieta<iT«oriç ^. La fête de la Conception (9 décembre «hez 

les grecs), t) ff6XXTj(|/iç tÎÎ; âyiaç y.«i ôeOTrpoifjni'copo; 'Awiriç, doit 

remonter à la fin du vu® siècle, car on possède pgur elle 
une hymne d'André de Crète ^. 

Parallèlement à celui de la Vierge se développe le 
culte des anges et des saints. Mais saint Cyrille fait 
remarquer qu'il ne faut pas confondre ce culte avec 
l'adoration que nous rendons à Dieu : « Nous ne disons 
pas que les saints martyrs sont des dieux, ni nous ne 
les adoroûs pas comme tels (XaTpeuxixw;) : nous les Të- 
vérons seulement par l'affection et par l'honneur » 
(ff^^ETixtoç xal TijAïjTtxSç) ^. Sur le Bosphore se dresse un 
mikhaelîon, c'est-à-dire une chapelle à saint Michel 
bâtie par Constantin, et, à l'exemple impérial, on les 
multiplie partout. La protestation de Théodoret, rap- 
pelant la prohibition du concile de Laodicée, reste 
inefficace^. Chacun vénère et prie son ange gardien'^. 
Ont aussi leur fête les apôtres, îes patriarches, les 
martyrs : ceci est aincien. Ce qui est plus nouveau c'est 
la fréquence dés fêtes des simples confesseurs, des ho- 
mologètes, c^ïame on les nomme "^ : leur culte toutefois, 
sauf quelques exceptions, reste exclusivement local, 

i. Ibid., p. 272. 

2. V. les diverses recensions de l'apocryphe Transitus Marine dans 
Diclionary of christ, biogr., U, 706. 

3. P. G., XCXVn. 1305 et suiv. 

4. Cortt. Iulianum, VI, col. 8f2. 

5. In epist. ad Coloss., TI, t. 18 (col. 613). 

6. S. Dorothée, Doctrina,XXlV {P. G., LXXXVIII, 1837). 

7. Saint Dorothée (vers 530) nomme ces fêtes les fêtes des Pères. 
(êoptij TCairéptùv, Doctrina, XXIII, 1, col. 1829). 



268 HISTOIRE DES DOGMES. 

On ne vénère pas seulement les saints : on vénère 
leurs reliques ^ ; on pense qu'elles sanctifient ceux 
qui en approchent^. Constantinople en possède d'ines- 
timables ; mais d'ailleurs il est d'usage de ne pas ou- 
vrir une église sans y déposer quelques reliques; 
et cet usage donne lieu à des translations continuelles. 
Les images des saints sont aussi en honneur, et nous 
devrons bientôt traiter de l'opposition terrible qui y 
fut faite K Ajoutons la coutume — très ancienne — des 
pèlerinages à Jérusalem surtout, au Sinaï, aux villes 
particulièrement illustrées par le souvenir des saints 
qui y avaient vécu. 

A ces pratiques en l'honneur des saints se joignait 
naturellement l'emploi de ces nombreux moyens de 
purification et de sanctification que nous nommons des 
sacramentaux [sacramentalia). L'eau était solennelle- 
ment bénite le jour de l'Epiphanie^, mais on en bénis- 
sait aussi en dehors de ce jour, et on s'en servait sou- 
vent. On oignait les malades avec l'huile des lampes 
des églises ou qui brûlaient devant certaines reliques^. 
On faisait célébrer pour les défunts un service funèbre 
les troisième, neuvième et quarantième jour après leur 
mort, et le jour anniversaire de leur décès ^. 

Comme couronnement à tout cet ensemble de prati- 
ques chrétiennes, souvent comprises d'une façon trop 
extérieure et pharisaïque, mais témoignant cependant 
d'un fond réel de religion, il faut mentionner le déve- 



1. IsiDOR. Pelcs., Epist. I, SS; II, 5. 

2. Théodouet, In psalm. LXVII, v. -11 (col. 1381), 

3. V. plus bas, cliap. x. 

4. Voir l'ordre de la céréinonie donné d'après un ms. de la On du 
Tin« siècle dans F. C. CoKYiiEinE, Riluale Armenorum. p. 41S et suiv. 
Cf. Théobore le lecteur, Eccles. histor., Hb. II, 48 (P. G., LXXXVI, 
1, 209). 

5. Viia Eutychii, VI, 4S, 49, 57, 88 [P. G., LXXXYI, 2, coL 232S, 9329, 
2340, 2341J. . 

6. NovelleCXXXni fde Ji39), P. L., LXXII, col. 1047. 



LA THÉOLOGIE GRECQUE DU V AU Vil" SIÈCLE. 269 

loppement du monachisme. Il avait pris naissance au 
iv° siècle en Egypte d'abord, mais il se répandit rapi- 
dement en Palestine, en Syrie, dans la Cappadoce et 
autour de Constantinople. La vie monastique, qu'il 
s'agisse de la vie érémitique ou de la vie conventuelle, 
est, en soi, l'expression , d'un christianisme plus com- 
plet, d'une perfection chrétienne plus haute. Astreint 
au célibat, à la pauvreté, souvent à l'obéissance sous 
un abbé, généralement mal nourri, mal vêtu, jeûnant 
fréquemment, le moine apparaissait aux simples fidè- 
les comme l'homme de Dieu par excellence. Ce n'est 
pas que tous réalisassent cet idéal, il s'en faut, mais 
beaucoup y tendaient, et il suffit de parcourir les his- 
toriens et auteurs ascétiques du temps, Isidore de Pé- 
luse, saint Nil, VHistoire religieuse de Théodoret, 
Cyrille de Scythopolis, saint Jean Climaque, Jean Mos- 
chus etc. , pour se convaincre que la vertu de leurs hé- 
ros était authentique et sûre. Aussi les moines étaient- 
ils populaires, et leur influence pour le bien était 
énorme quand l'hérésie ne les saisissait pas pour en / 
faire des fanatiques. Placés entre le clergé et le peu- 
ple, ils traduisaient pour celui-ci les formules savantes 
du dogme, et d'autre part introduisaient dans l'Eglise 
certaines formes simplistes et en somme innocentes de 
la piété des foules. Les dispositions des conciles et les 
ordonnances des empereurs sont nombreuses qui trai- 
tent de leurs habitations, de leurs prières, de leur 
nourriture, en un mot qui règlent tout le détail de leur 
vie. Mais c'est là objet d'histoire de la discipline plus 
que d'histoire des dogmes. 

§ 11. — Eschatologie. 

Avant la rédemption de Jésus-Christ, remarque 
saint Cyrille d'Alexandrie, les âmes des défunts des- 



270 HISTOIRE DES DOGMES. 

rendaient directement aux enfers : maintenant, celles 
des justes peuvent entrer dans le paradis^. Il admet 
donc que la rétribution définitive suit immédiatement 
la mort; et c'est bien aussi la pensée de saint NiP, et 
probablement celle de Théodoret^. Il semble même 
qae saint Maxime fasse allusion à un jugement parti- 
culier qui succède au trépas, jugement dans lequel les 
hommes dont les oeuvres sont mêlées de bien et de mal 
seront purifiés par la crainte comme par le feu"*. Il y a 
là une sorte de purgatoire, mais c'est d'ailleurs l'uni- 
que forme sous laquelle cette doctrine se présente di- 
rectement chez les grecs à l'époque que nous exami- 
nons. 

La croyance en la résurrection de la chair est si an- 
cienne qu'il y a à peine lieu de la mentionner parmi 
<;elles des v^-vii^ siècles : elle est affirmée et défendue 
maintes fois ^. Mais il faut signaler à part, sur cette 
•question, le traité d'Énée de Gaza, vers 530^. L'auteur 
ne veut pas établir seulement le fait de la résurrection: 
il veut dire quelle sorte de corps sera de nouveau uni 
-à l'âme, et comment ce corps sera celui-là même qu'elle 
^vait perdu. Car il est juste, observe-t-il, que, après la 
résurrection, le même corps soit jugé, souffre ou jouisse 
avec l'âme qui lui a servi dans son existence terrestre. 
Gomment cela pourra-t-il se faire, étant donné la dis- 
persion et la transformation des éléinents matériels? 

d. Inpsalm. XLVIII, dfi (col. 1073). 

2. EpiSt. IV, 14 (col. 5S6, 557). 

3. Graec affieiit, curatio, VUI (col. 4024). 

4. Quaestiones et dubia, Interrog. X (col. 792). 

5. V. par exemple Cyrill., In psalm. IV, 10 (col. 4097); Jn Lucam, 
XX, 27, 37 (col. 892); Jn Oseam, 1,41 (col. 56); Théodoret, Quaest. in 
■Genesim, Interrog. S4 (col. 1S7) ; Ism. Pelus., Epist. I, 284; IV, 201; 
-S. Nil, Episi. 1, 111-443 ; II, 200. 

6. Le traité, intitulé Theophrastes, sive de animarum immortalitale 
et corporumresurrectione, se trouve dansP. G., LXXXV, 872 et«uiv. La 

■question de la résurrection des corps commence à être traitée, col. 
'973. 



LA. THÉOLOGIE GRECQUE DU V AU VIP SIÈCLE. 271 

;*oiir résoudre cette difficulté, Enée esquisse une expli- 
sation qui se rapproche beaucoup de celle de saint Gré- 
roire ée Nysse. Tout corps vivant se compose de ma- 
ièreet/de fornae. La matière se dissout et se disperse, 
nais la forme (nroû EiSouç à Xoyo;) reste immortelle. Cette 
orme — que l'auteur considère comme une idée direc- 
rice active — recompose la matière et lui donne la 
nême disposition qu'elle possédait avant d'être dis- 
loute relie refait le même corps. C'est ce qui se voit 
)ar exemple dans un grain de blé qui se reproduit. Or 
ila forme des vivants ordinaires est ainsi indestructi- 
)le, combien plus celle de l'homme, celle de l'âme im- 
Qortelle elle-même. Uàme habitant dans cette forme 
t la connaissant bien, pourra donc en elle et avec elle 
econstituerson ancien corps, et cela d'autant mieux que 
)ieu, qui appelle chaque âme en particulier, l'envoie à 
le qui lui appartient, icpbç to oîxeTov ^ . 

L'attention était attirée sur cette question au vi'siè- 
le par le renouveau d'origénisme qui se produisit à 
ette époque, et contre lequel sévirent Justinien et ses 
onciles^. On condamna notamment dans deux canons 
10 et 11)^ ceux qui soutiendraient que Jésus-Christ 
st ressuscité en un corps éthéré et sphérique, que les 
lommes, après la résurrection, auront aussi des corps 
thérés et sphériques, bien plus, que ces corps seront 
néantis au jour du jugement, et qu'il n'y aura plus au 
Qonde que des esprits. D'autre part, les auteurs expM- 
[uèrent que le corps ressuscité sera sans doute le 
Qême que celui qui est mort, mais sera cependant, 
hez les justes, un corps spirituel (TuveufjiœTtxov «TÛfta), 
•arce qu'il se trouvera désormais affranchi des besoins 
naturels, qu'il (ïbéira à ladirection.de l'Esprit-Saini;, 

1. -Col. 981. 

2. V. plus haut, p. 435, 13G. 
3 Hahn, Bibliothek, § 173. 



272 IIISTOmE DES DOGMES. 

et ne servira plus qu'aux fonctions spirituelles de l'âme 
(et; fxôva pXsTcov xh. tou TcveufAaTo;) * . 

La résurrection des corps sera suivie du jugement. Le 
jugement est un thème que nos auteurs, surtoutles ascé- 
tiques, ont souvent développé, comme il convient, pour 
stimuler les âmes et provoquer la résipiscence des pé- 
cheurs ^. Alors, le partage se fait entre élus et réprouvés. 
Les réprouvés ne sont pas seulement les infidèles et les 
idolâtres : ce sont généralement tous ceux qui ont 
aimé les choses injustes et honteuses (Ixtotcwv iTriSeufAa- 
Twv IpacTTai) 3. Anastase le Sinaïte se demande s'il y faut 
joindre les enfants morts sans baptême. Sans se pronon- 
cer absolument, il incline vers la négative (Ifiol Soxeî oux 
eîffépxsaôai auxà eîç yÉsvvav), parce que les enfants ne doiveni 
point porter la faute de leurs pères "*. Quoi qu'it en soit, 
la peine des damnés sera éternelle : c'est l'enseigne- 
ment commun des meilleurs théologiens de l'époque. 
Après la mort ou après le jugement, déclarent-ils, 
il n'y a plus, pour les pécheurs, possibilité de changer 
de dispositions ^ ; par conséquent, leurs peines n'au- 
ront point de fin ; leur feu ne s'éteindra point ^. Car 
le feu sera un de leurs supplices : « ils seront, écrit 
saint Cyrille, la proie d'un feu dévorant », uupoç laovTat 

Quant aux justes, ils iront dans les tabernacles cé- 



t. Cyrill., In Lucam, XX, 27 (col. 892); XXIV, 38 (col. 048); S. Mt, 
Epist. II, 78, 82; S. Maxime,. Epist. VII (col. 433). 

2. Cyrill., In Isaiam, XXIV, 7-12, 13 (col. 540 et suiv.); Homiliae di- 
versae, XIV (col. 1072 et suiv.); Isid. Pelus., passim; S. Nil, possim ; 
S. Maxime, Epist. 1 (col. 384 et suiv.). 

3. Cyrill., In Isaiam, XXIV, 14 (col. 545). 

4. Quaestiones, qu. LXXXI (cOl. 709). 

5. Cyrill., in psalm. XXIV, 10 (col. 857); Théodoret, In Cantic. cantic^ 
m (col. 173); S. NIL, Epist. Vf, 14. 

6. Théodoret, In Isaiam, I,XV,' 20 (col. 485 et suiv.); Isid. Pelcs., 
Epist. I, 207; IV, 204; S. Nil, Epist. Il, 16»; Anastase le Sim., Hodegos, 
V, col. 101 ; S. MAXisfE, Epist. I (col. 389). 

7. Jn Isaiam, XXIV, 13 (coi. 644). 



LA THÉOLOGIE GRECQUE DU V» AU VII* SIÈCLE. 273 

lestes, où ils verront Dieu, où ils recevront récom- 
pense, clarté, honneurs, couronnes, où leur corps sera 
glorifié * ; mais où leur félicité sera d'ailleurs plus ou 
moins grande suivant le degré de leurs mérites 2. Alors 
aussi, le monde matériel sera lui-même renouvelé et 
partagera le rajeunissement des amis de Dieu dont il 
avait partagé l'affliction et les soupirs ^. 

Toute cette théologie, comme on peut le voir, n'in- 
nove rien sur ce qui a été dit précédemment : elle pro- 
longe seulement la doctrine des siècles antérieurs, 
en la cristallisant en bien dés points. A la fin du 
vii^ siècle, la pensée théologique grecque est en 
quelque sorte épuisée ; elle attend le sommiste qui, au 
siècle suivant, la résumera et lui donnera sa forme 
définitive. 

1. Cyrille, Jhisaiam, XXIV, 13 (cbI. 844); In Osearn,.!, 14 (col. S6, 
57); S. Nil, Epist. II, 18, 82 (col. 236, 237). 

2. TiiEODORET, In canU Cantic, I (col. 61). 

3. Théodoret, In psalm. CI, 26, 27 (col. 1684) ; In epist. ad Ephes., 
1. 10 (col. S121 : S. Maxime, Mvstaaoaia, VI (col. 686). 



CHAPITRE Vril 



LE SEMI-PELAGIANISMB ET LES DEFINITIONS DU SECOND 
CONGIUE d'orange^. 



§ 1. — La doctrine seznî-pélagienne. Cassien. 

Le second volume de cet ouvrage a signalé les con- 
damnations que les conciles et les papes avaient por- 
tées dans lé premier tiers du v^ siècle contre le pé- 
lagianisme, et l'enseignement que saint Augustin avait 
développé contre cette erreur. Les premiers avaient 
insisté presque exclusivement sur l'existence du péché 
originel et sur la nécessité de la grâce pour les bon- 
nes œuvres; saint Augustin avait pénétré plus à 
fond, et retourné à peu près sous toutes ses faces le 
problème de notre vie surnaturelle. Mais quelle que 
fût l'autorité personnelle de l'évêque d'Hippone, on 
ne pouvait la confondre avec celle de l'Eglise; et cer- 
taines de ses théories, celle de la distribution de la 
grâce par exemple et celle de la prédestination, étaient 



1. Travaux généraux : G. F. Wicgers, Versuch einer pragmatischen 
Darstellung des Augustinismus und Pelagianismus, tom. Il, Hamburg, 
1833. P. SOBLET, Le semipélagianisme, Namur, 1897. K. Wqerter, Bei- 
tràge zur Dogmengeschichte des Semipelagianîsmus, Paderborn, 1898; 
Zur Dogmengeschichte des Semipelagianismiis, MÛDSter, 1900. — 
E. PoRïALiÉ, art. Augtutinisme, du Dict, de théol. cath. 



LE SEMIrPELAGlïANISME. 275- 

bien trop violentes, au mains dans leur expression^, 
pour ne pas occasionner des malentendius et soulever 
de légitimés répugnances. 

C'est ce qui ne tarda pas à se produire. Nous savons 
que, dès 427, la lecture dans le monastère d'Adrur- 
mète, dans la Byzacène, delà lettre cxciv d'Augustin; 
au prêtre Sixte ^ y provoqua dea querelles et des trou- 
bles. Le moine Florùs, qui l'avait fait connaître, fut 
accusé par plusieurs de.ses confrères de nier la liberté 
et la juste rétribution des œuvres par Dieu au jour ùxa 
jugement. Un autre moine, de son côté, avait conclu 
de l'enseignement du maître que toute correction de- 
venait inutile, puisque Dieu faisait tout en nous, et que 
nous n'étions pour rien dans nos, actions. Il fallut que- 
saint Augustin lui-même intervînt pour dissiper les. 
malentendus, écarter les conclusions outrées et expli- 
quer ses écrits antérieurs. Il le fit dans deux traités^ 
De gratia et liber o arbitria et De correptione etgratitt, 
qui paraissent en effet avoir ramené la paix à Adru-^ 
mète \ 

Ceci n'était qu'une escarmouche. La vraie bataille- 
se préparait dans le sud de la Gaule. Là, on. admettait 
les décisions des conciles africains et des papes, mais 
on n'allait pas plus loin. Plusieurs des tbéories auguiï- 
tiniennes y: semblaient des exagérations dangereuses,,, 
sinon des erreurs manifestes. Malheureusement, on y 
confondit avec ce: qui était théorie discutable ce qui 
était vérité certaine : on ne sut pa» tirer des décisions 
antérieures les conséquences voulues, et, tout en 
repoussant en gros le pélagianisme, on en conserva 
quelques affirmations; plus subtiles. En, face de& 



1. Elle est de l'an 418; 

2. Voir' sur cette affaire le récit très détaillé et très précis du Bi Uv 
Jacquin,. dans> la\ iîevue d'/u'stoiVe ecdésiastiqueyy {imt), p; S6&. et 
suiv. 



276 HISTOIRE DES DOGMES. 

questions abstruses qui s'agitaient, on resta ou l'on 
devint hérétique par crainte de verser dans l'hérésie 
contraire. C'est le cas des semi-pélagiens *. 

Le premier auteur de cette époque en qui se mon- 
trent d'une façon consciente les idées semi-pélagiennes 
est l'abbé de Saint- Victor de Marseille, Jean Cassien^. 
Cassien avait séjourné en Egypte, en Palestine, à 
Constantinople où il avait reçu le diaconat des mains 
de saint Chrysostome. Ce dernier maître avait fait sur 
lui une impression profonde j et cette circonstance 
explique assez bien qu'il n'ait éprouvé que peu de goût 
pour les doctrines de saint Augustin. Ayant encore 
dans l'oreille les continuelles exhortations de saint 
Chrysostome à l'effort et à l'action personnelle, devant 
lui-même chaque jour pousser ses moines dans la 
voie du renoncement et du sacrifice, Cassien ne pou- 
vait comprendre l'espèce de passivité à laquelle il 
semblait que l'évéque d'Hippone réduisît la volonté 
humaine sous l'action de la grâce. Si Dieu fait tout en 
nous, où est le mérite? Et si nous ne pouvons rien 
sans la grâce, que devient notre liberté? 

C'est surtout dans la conférence xiii, De protectione 
Bei, écrite entre les années 420-426, que Cassien a 
exposé ses principes. Il semble d'abord abonder dans 
le sens de saint Augustin, et affirme « non solum 
actuum verum etiam cogitationum bonarum ex Deo 
esse principium, qui nobis et initia sanctae voluntatis 
inspirât, et virtutem atque opportunîtatem eorum quae 

1. Notons qae le mot semi-pélagianisnie est inconna à l'antiquité. 
Saint Prosper désigne les semi-pélagiens comme les « pelagianae pra- 
vitalis reliquiae » {Inter epist. Artgust., «pist. CCXXV, T). 

2. Cassien est cité ici d'après la P. L., tom. XLIX, L. On recourra à 
l'édition de Petschenig, 1886-1888, vol. XIII et XVII du corpus de 
Vienne. Travaux : A. Hoch, Lehre des Joannes Cassiamis, Freiburg- 
im-Br., 4895. G. Abel, Sludien zu Johannes Cassianus, Miinchen, IOO'j. 
J. Laugier, Saint Jean Cassien et sa doctrine sur la grâce, Lyon, 4908. 
Babdenuewer, t. IV, p. {k>8 5ti4. 



LE SEMI-PELAGIANISMB. 277 

recte cupimus tribuit peragendi » (3). Les hommes 
ont besoin du secours de Dieu « in omnibus », et l'hu- 
maine fragilité ne peut rien « quod ad salutem pertinet 
per se solàm, id est sine adiutorio Déi perficere^ » (6). 
Mais bientôt Cassien précise son enseignement. 11 
pense que de nous-mêmes nous pouvons avoir, quel- 
quefois du moins, un commencement de bonne volonté : 
« In his omnibus et gratia Dei et libertas nostri decla- 
ratur arbitrii, et quia suis interdum motibus homo 
ad virtutum appetitus possit extendi, semper vero 
indigeat adiuvari... Etiam per naturae bonum quod 
beneficio creatoris indultum est, nonnunquam bona- 
rura voluntatum prodire principia, quae tamen, nisi a 
Domino dirigantur, ad consummationem virtutum per- 
venire non possunt^ » (9). Une liberté qui ne permet- 
trait pas à l'homme de vouloir et de pouvoir le bien 
« asemelipso » ne serait pas une vraie liberté (12) '. Aussi 
Dieu, pour dispenser sa grâce, exige-t-il et attend-il 
quelquefois de nous des efforts préalables, « ut non- 
nunquam etiam ab eo (arbitrio) quosdam conatus bo- 
nae voluntatis [gratia Dei] vel exigat vel exspectet* » 
(13). Les hommes sont appelés par lui diversement : 
les uns, comme André et Pierre, le sont sans qu'ils y 



1. cr. Collât, m, 16, 19. Au chapitre IS de la conférence XIII, Cassiet. 
résume ainsi, d'après les Pères (a6 omnt&usPa(rJ&u«), la fonction delà 
grâce : c Primum ut accendatur unusquisque ad desiderandum omne 
quod bonum est, sed ita ut in alterutram partem plénum sit liberae 
voluntatis arbitrium. Itemque eliam secundam, divinae esse gratiae ut 
efGci valeant exercitia praedicta virtutum, sed ita ut possibilitas non 
exstinguatur arbitrii. Tertium quoque ad Dei munera pertinere ut 
acquisitae virtutis perseverantia teneatur , sed ita ut captivitatem 
libertas addicta non sentiat. Sic enim universitatis Deus omaia 
in omnibus credendus est operari ut incitet, protegat atque con- 
firmet, non ut auferat quam semel ipse concessit arbitrii libertatem. > 
On sent combien, dans l'expression de la même doctrine, le ton est ici 
différent de celui de saint Augustin. 

2. Col. 918-920; cf. 8, col. 912, 913; 12, col. 928. 

3. Col. 92S, 927. 
«. Cor. 9St. 

16 



278 HISTOIRE DES DOGMES. 

aient songé; d'autres, comme Zachée, le sont après 
s'être déjà tournés vers Dieu [ad conspectumseDo^ 
mini fideliter extendentem)\ d'autres enfin,, comme 
Paul, sont en quelque sorte entraînés; malgré eux [in- 
vitum ac repugnantem] (15, 17, 18). 

Appelé par Dieu et éclairé de sa lumière, l'homme 
peut de lui-même croire et avoir la foi (14)', car il peut 
librement et de lui-même rejeter ou suivre la grâce de 
Dieu : « Manet in homine semper liberum arbitrium 
quod gratiam Deipossitvel negligerevelamare^ » (12, 
13 ; Collât, m, 19). Cassien ne conçoit pas la grâce 
comme un auxilium quo çolumus, mais plutôt, ainsi 
qu'Augustin concevait la grâce du premier homme 
innocent, comme im auxilium sine quo non oolumus. 
La grâce appelle, sollicite, incline, mais elle ne fait pas 
vouloir. 

Toutefois, si l'homme peut de lui-même avoir par- 
fois la pensée et le désir du bien; s'il peut répondre de 
lui-même à l'appel de Dieu, il ne saurait, sans la 
grâce, réaliser le bien désiré et conçu, exécuter ce à 
quoi Dieu l'appelle (9)^. Pour faire et pour persévérer, 
le secours d'en haut est absolument nécessaire. Aussi, 
conclut Cassieuv, ne disons pas que la grâce n'est pas 
gratuite, ni qu'il y a parité entre nos efforts et la ré- 
compense future, car ces efforts ne sont rien, compa- 
rés à l'action de la grâce et à la grandeur de la ré- 
compense (13)^. Et ne disons pas non plus, avec les 
pélagnens, que- la grâce est donnée à chacun parce qu'il 
l'a méritée et. suivant son mérite; n'attribuons pas, 
avec eux, Ite tout de l'œuvre d'à ssàut au libre arbitre, 
puisque notre liberté ne peut revendiq,uer dans cette 



1. Col. 93S. 

3. Col. 929, 933. 

3. Col. 930. 

4. Col. 934. 



LE SEMI-PÉLAGIANISME. 279 

œuvre que la moindre part et quelquefois même aucune 
part : « Absoluta plane pronuntiamus sententia etiam 
exuberarè gratiam Dei et transgredi intërdum humanae 
infidelitatis angustias ^ » (16). 

C'est bien cependant au libre arbitre que revenait, 
dans la pensée de Cassien, et quoi qu'il en dît, le 
dernier mot dans la question du salut. Il regardait 
comme un horrible blasphème la négation de la 
volonté salvifique universelle de Dieu, repoussait ab- 
solument toute théorie de la prédestination ante prae- 
visa mérita, et admettait que la grâce est donnée à 
tous indifféremment, et que l'usage seul ou l'abus que 
nous en faisons détermine notre salut ou notre con- 
damnation 2. 

Toutefois, ces derniers points ne sont pas, dans 
Cassien^ aussi développés que la question des forces de 
la nature et de l'efficacité de la grâce. Pour trouver 
un exposé plus complet de ce qu'on en pensait dans 
les monastères de Provence^, il faut consulter les 
deux lettres écrites en 429 par saint Prosper et Hi- 
laire à saint Augustin^. Les deux amis ont entendu 
âprement contester parmi les moines les théories au- 
gustiniennes sur l'économie du salut ^ ; ils ont recueilli 
leurs opinions, et les transmettent à l'évêque d'Hip- 
pone pour qu'il en prépare la réfutation. 

Sur le jpouvoir de llhomme de concevoir de bons 
sentiments, de former de bons désirs, de regretter le 
passé, de commencer à croire sans le secours de la 
grâce, renseignement est le même que celui de Cas- 



1. Col. 042. 

2. Collât. Xni, 7, 17, 18; XVH, 25. ' 

3. C'est-à-dire à Saint-Victor de Marseille et à Lérins. 

h. Ce sont, entre les lettres de saint Augustin, les lettres CCXXV 
(celle de Prosper) et CCXXYI (celle d'Hilaire). 

5. Parmi les opposants aucun n'est nommé, sauf l'évêque -d'Arles, 
Hilaire, ancien moine de Lérins. 



280 HISTOIRE DES DOGMES. 

sien ^. Si l'on ne saurait avoir par les seules forces de 
la nature une foi pleine [fides intégra], on peut du 
moins avoir le regret de son infirmité [dolor corn- 
punctae infirmitatis] ^ ; on peut demander, chercher, 
frapper à la porte de la miséricorde divine. La dis- 
tinction augustinienne de la grâce auxilium quo 
et auxilium sine quo non est déclarée sans objet : 
il n'existe qu'un auxilium sine quo non qui trouve une 
nature tombée, affaiblie, mais non pas impuissante 
absolument pour le bien ^. La grâce ne précède pas 
proprement la détermination et l'acte méritoire, elle 
les accompagne seulement : « gratiam Dei... comi- 
tem, non praeviam humanorum volunt esse merito- 
rum'' ». Mais il reste d'ailleurs entendu que la grâce 
est nécessaire pour en venir aux actes et à l'accom- 
plissement des bonnes œuvres conçues et voulues ^. Ici 
tout le monde est d'accord. 

La grâce est offerte à tous. Tous les hommes sont 
appelés par la loi naturelle, écrite ou évangélique, 
car Dieu veut également le salut de tous : « indiffe- 
renter universos.,. salvos fieri et in agnitionem veri- 
tatis venire ». 11 ne dépend donc que de l'homme de 
se sauver, car il peut toujours correspondre à l'appel 
divin ^. Il dépend de lui de persévérer, puisque la per- 
sévérance est donnée à la bonne volonté première : 
elle peut « suppliciter emereri vel amitti contumaci- 
ter' ». Il dépend aussi de l'homme d'être prédestiné, 
car la prédestination n'est point absolue ni ante prae- 
visa mérita : elle est conséquente à la prévision que 



1. Epiât. CCXXV, 4; cf.6;CCXXVI, 2,4. 

2. Epist. CCXXVI, S. 

3. Episl. CCXXVI, 6, 

4. Episi. CCXXV, S. 

5. Episi. CCXXVI, 2, 4. 

6. Epiai. CCXXV, 3, 4, 6. 

7. Epist. CCXXVI, 4. 



LE SÉMI-PÉLAGIANISME. 281 

Dieu a eue des mérites de ceux qu'il a prédestinés : 
« eos praedestinasse in regnum suum quos gratis 
vocatos, dignos futures electione et de hac vita bono 
fine excessuros esse praeviderit ' ». Il n'y a donc point, 
pour autant que cela tient à la volonté de Dieu, un 
nombre fixe de prédestinés. Tous peuvent l'être ou le 
devenir, puisque, en définitive, chacun mérite son élec- 
tion ou sa réprobation ^. 

Et ce principe est si général et si vrai qu'on doit 
l'étendre même aux cas où il semble qu'il soit le moins 
applicable. Par exemple, si l'évangile a été prêché ici 
plutôt qu'ailleurs, c'est que Dieu a prévu la foi condi- 
tionnelle des uns et l'incrédulité aussi conditionnelle 
des autres'. Si certains enfants meurent après le bap- 
tême reçu, d'autres sans le recevoir, c'est parce que 
Dieu a prévu le bien ou le mal que les uns et les 
autres auraient fait s'ils avaient vécu, et les en a en 
quelque sorte récompensés et punis par avance-*. 
Ainsi, ri«n n'est arbitraire dans la conduite de Dieu; 
rien n'y porte, comme dans la théorie augustinienne, 
au désespoir et à la paresse. Ces problèmes de la 
prédestination, si on ne les résout pas de cette façon, 
ne sont propres qu'à troubler les âmes et à scandali- 
ser les faibles. Et mieux vaut, au demeurant, que, 
des deux côtés, on se taise sur ces questions inson- 
dables '. 

Telle est, en résumé, l'idée que Prosper et Hi- 
laire nous donnent des opinions régnantes, sur ces 
matières, dans les monastères du sud de la Gaule en 
429. Les théologiens ont, bien plus tard, appliqué à 
ces opinions le nom de semi-pélagianisme. Elles pea« 

i. Epist. ccxxv, 3, 6. 

2. Episl, ccxxv, 2, 6; CCXXVI, 4, 5, 7. 

3. Epist. CCXXVI, 3. 

4. Epist. CCXXV, 5. 

8. Epist. ccxxv, 3; CCXXVI, 2, 5, 8. 

16. 



282 HISTOIRE DES DOGMES. 

vent, en somme, se condenser dans les trois propo- 
sitions suivantes : 

i* L'homme est capable, sans la ^râce, de désirer 
et vouloir le bien surnaturel, mais non pas de l'ac- 
complir; de commencer à croire, mais non pas de- se 
donner une foi complète. 

2° Dieu veut le salut de tous les hommes, et offre à 
tous indifféremment la grâce du salut. Tous les hom- 
mes peuvent correspondre à cette grâce et y persévé- 
rer s'ils le veulent. 

30 II n'y a point de prédestination absolue : la pré- 
destination et la réprobation, considérées en Dieu, 
sont consétiuentes à la prescience' des mérites ou 
des démérites de chacun ; considérées dans l'homme, 
elles sont simplement la conséquence de sa conduite. 

De ces trois propositioiis la première seule paraît 
dès l'abord répréhensible et contenir le venin du pé- 
lagianisme; les deux autres demandent des précisions, 
mais correspondent d'ailleurs assez bien, dans leur 
généralité, à ce qu'a toujours admis le sens chrétien 
des fidèles. Ge mélange de vrai et de feux devait ren- 
dre plus difficile la -tâche de les réfuter. 

La fin de la lettre de Prosper (8) est intéressante, 
parce qu'elle trace nettement à saint Augustin le pro- 
gramme des questions auxquelles il doit répondre, et 
pose notamment dans toute sa précision le problème 
de la prédestination ante ou post praèvisa menïa. Nous 
savons comment saint Augustin satisfit à la demande 
de ses deux disciples par la composition des deux 
traités De praedestinatione sanctorum et 2)e dono 
perseverantiae ^ et quelles solutions ildonna aux diffi- 
cultés qu'on lui faisait. Si ces écrits affermirent dans 
leurs convictions ses deux correspondants, ils ne 

1. Ces deux traités n'étaient primitivement que les deux parties d'un 
même ouvrage. 



LE SEMI-PÉLAGI'ANISMB. 2«3 

convainquirent pas ses adversaires, et la ltftt« persista 
dans le sud de la ^Gaule entre augustiniens et semi- 
pélagienS. Mais l'évêque d'Hippone n'en vitpasla snite, 
car il mourut le 28 août 430. C'est à Prosper qu'échut 
d'abord la mission de soutenir sa cause et de conti- 
nuer son œuvre. 



§ 2. — .L'opposition de saint "Prosper ^ 

Prosper était simple laïc, et devait avoir, à la mort 
de saint Augustin, une quarantaine d'années. Augus- 
tinien dans les moelles, il s'était identifié en quelque 
sorte avec le maître, et a toujours prétendu ne faire 
que répéter son enseignement ^. On verra dans quelle 
mesure cette prétention est justifiée. Quoi qu'il en soit, 
il n'avait pas attendu la disparition de l'évêque d'Hip- 
pone pour prendre la plume contre les nouvelles 
erreurs. Sa Lettre à Rufin et son poème De ingratis 
sont de 429 ou des premiers mois de 430. Ensuite, il 
faut placer immédiatement peut-être les Pro A ugu- 
stino responsionesad excerpta Genuensium y explica- 
tions fournies à deux prêtres de Gênes, Camille et 
Théodore, sur neuf passages du De praedestinatione 
sanctorum et du De dono perseverantiae. Mais la 
mort d'Augustin a enhardi ses contradicteurs : vers la 
même époque, des gaulois du parti de Lérins et de 
Saint-Victor lancent quinze propositions qui se don-, 
nent comme le résumé exact de la doctrine augus- 
tinienne sur la prédestination, la volonté salvifique de 

1. Les ouTrages de saint Prosper se trouvent dans P. L., tom. LT. 
Travaux : L. Yalentin, Saint Prosper d'Aquitaine, Paris, 1900. M. Jic- 
QWN, La question de la prédestination aux V" et VI" siècles, dans la 
Revue d'histoire ecclésiastique, VII (-1908), p. 368 et sniv. 
Revue Whistoire ecclésiastique, VII (1906), p. :!69 et sniv. Barbenhewer, 
t. IV, p. 333-S41. 
. S. ilespons. adcapitc Gallorum, col. IS6, 137. 



284 HISTOIRE DES DOGMES. 

Pieu, la dîspensation de l'Evangile, la part qui revient 
à Dieu dans le péché, la fin de la création, etc., et qui 
la présentent sous un jour odieux et d'une façon, en 
somme, inexacte. Prosper réplique par les Pro Augu- 
stino responsiones ad capitula ohiectionum gallorum 
calumniantiurrif et part pour Rome afin de trouver du 
secours auprès du pape Célestin. Celui-ci adresse, eu 
431, aux évêques de la Gaule méridionale surtout, une 
lettre*, dans laquelle il les blâme délaisser sur ces 
questions la parole à de simples prêtres, et relève 
bien haut l'autorité de saint Augustin, mais ne donne, 
en définitive, aucun enseignement sur les problèmes 
posés^.Un second pamphlet plus virulent que le pre- 
mier, et qui est probablement l'œuvre de saint Vincent 
de Lérins, part (vers. 432) du côté des provençaux. 
Il résume en seize propositions savamment déduites 
la doctrine de saint Augustin et de Prosper lui-même. 
Cette doctrine, au dire du pamphlet, nie que Dieu 
veuille le salut de tous les hommes et que Jésus-Christ 
soit mort pour tous ; elle suppose que Dieu est l'au- 
teur de tout le mal que font les non-prédestinés et de 
leur damnation, car il veut ce mal et cette damnation ; 
ils sont nécessités au péché, et quand ils demandent à 
Dieu « que sa volonté soit faite », ils prient en réalité 
contre leurs intérêts éternels. Saint Prosper répond à 
ce libelle par les Pro Augustino responsiones ad capi' 
tula ohiectionum vincentianarum. Et enfin, sentant 
que l'autorité de Cassien est pour ses adversaires un 
appui qu'il faut absolument renverser, il écrit en 433- 
434 le De gratia Dei et lihero arbitrio liber contra 
Collatorem, dans lequel il attaque directement et s'ef- 

1. C'est VEpiit. XXI (P. L., ton». L, col. 528, et tom. XLV, 47S5). Elle 
est suivie d'une série de décisions des souverains pontifes sur les 
questions de la grâce qui n'ont pas été rédigées par le pape Célestin» 
On reviendra plus loin sur ce sujet. 

2. V. P. BATiFfOL, ie catholicisme de S. Augustin, Paris, 1920, p. .521. 



LE SBMr-PELAGIANISME. 285 

force de réfuter surtout la conférence xiii*. Que l'on 
ajoute à ces ouvrages la collection des sentences 
extraites de saint Augustin, composée vers la fin de 
la vie de l'auteur (autour de 451), et l'on aura la liste 
complète des écrits de Prosper sur la grâce avec les 
circonstances qui ont provoqué leur composition. 

Dans ces écrits, nous l'avons remarqué, Prosper 
prétend qu'il repiroduit fidèlement la doctrine de saint 
Augustin; et cela est absolument vrai de la Lettre à 
Ru fin, du poème De ingratis et de la Réponse aux Gé- 
nois. Dans les autres ouvrages, on s'aperçoit que sous 
la poussée de la controverse Prosper fléchit un peu. Il 
adopte nettement la théorie de la prédestination à la 
damnation posù praevisa démérita j et sur d'autres 
points s'exprime d'une façon assez ambiguë et embar- 
rassée pour que quelques critiques aient pris le change 
sur ses vrais sentiments. Dans l'ensemble cependant, 
il est bien resté le disciple fidèle du maître et l'iné- 
branlable défenseur de son enseignement. 

Cette circonstance nous dispense d'entrer dans les 
détails de sa doctrine, surtout en ce qui concerne les 
erreurs déjà condamnées du pélagianisme. Nous ne 
ferions que répéter ce qui a été dit. Il suffira de pré- 
senter un aperçu de ses réponses aux propositions des 
semi-pélagiens. 

Ceux-ci affirmaient d'abord que la nature et le libre 
arbitre n'ont pas été foncièrement viciés par le péché 
d'origine, qu'ils sont capables de quelque bien moral, 
et même de désirer, de vouloir le bien surnaturel, de 
prier, et de commencer l'œuvre du salut. — Prosper 
le nie résolument. La nature est absolument impuis- 
sante à commencer l'œuvre du salut ; le libre arbitre 
ne saurait être tiré que par la grâce de l'abîme où il 
est tombé et de là domination du démon sous laquelle 
il gémit. On ne va à Dieu que par Dieu, et l'on ne 



286 fflSTOIRB DES DOGMES. 

saurait ^avoir Vinitium fidei que par le Saint-Esprit : 

« Lïberum arbitrhim... ante illuminationem fidei in tenebris... 
etin umbra mortis agere non recte negatur. Quoniam prius- 
quam a dominatione diaboli per Dei gratiam liberetur, in illo 
profundo lacet in quod se sua libertate demersit. Amat ergo 
languores suos, et pro sanitate habet quod aegrotare se ne- 
scit, donec prima haec medela conferatur aegroto ùt incipiat 
nosse quod langueat et possit opem medici desiderare qua 
surgati. » — « Qui credunt Dei aguntur Spiritu... Gonversio 
ergo nostra ad Deum non ex nobis, sed ex Deo est 2. » 

Bien plus, la nature sans la grâce, et sans la grâce 
de la foi, est incapable même de bien simplement mo- 
ral, «t toute la justice des infidèles n'est que justice 
apparente, et au fond injustice condamnable : 

« Intellegat iustitiâm infidelium non esse iuslitiam quia sordet 
natara sine gratia». — « Habent qnidem pietatls simîlitudinem 
sed non habent veritatem 3. . 

a Edite constanter naturae vulnera victae, 
Exutam virtute animam, caecataque cordis 
Lumina, et in poenam propriam iaculis superatis, 
Arraatura arbitrium nunquam consurgere posse 
Inque novos lapsus semper nitendo resolvi^. » 

La seconde Affirmation des semi-pélagiens portait 
sur la dispensation et le mode d'action de la grâce. Tous 
sont appelés également (^W^)^re/^^er) ; la grâce cepen- 
dant est offerte plus spécialement à ceux qui se sont 
mieux disposés à la recevoir. Cette grâce, le libre ar- 
bitre l'accepte ou la rejette à son gré : l'efficacité de la 
grâce vient de lui, et par conséquent le mérite est le 
résultat de la double action parallèle de la grâce et de 
la volonté libre. 

i..:Respons.adcqp..Gallor.,6. 

Z.'Epist. ad Rufin.,1, 6; De ingratis, v. 561 et 5uiv., ;.695 et saiv. ; Re- 
spoTis. adexc. Genvisns^.S;'Contra Collator., TV, 1, '2; VI; IX, 1^. 

B. EpisL ad Rufîn^. 8,9, i8 ;Cont. Collât., X, 2; XI,1. 

i. De ingratis, v. 526 et saiv., 450, 584 et suiT., 599 et suiv, ; Cont. 
CoIlat.,JX,3;Xai;6. 



LE SEMtPELAGIANISME. 287' 

Prosper repousse ces prétentions ou du moins les 
réduit. D'abord, c'est être pélagien que de présenter, 
la grâce comme une récompense de la bonne volonté 
et de nos mérites humains^. Ensuite, il n'est pas vrai 
que tous soient aipi^elés indiff^renter, cav c'est un fait 
qu'un grand nombre d'hommes n'ont pas entendu an- 
noncer l'évangile; et parmi ceux à qui il a été prêché, 
beaucoup en ont perçu l'annonce matérielle, sans que 
leur cœur fût ouvert à ses enseignements^. Et enfin, 
s'il est certain que le libre arbitre n'est pas contraint 
parla grâce et s'exerce même sous son influence^, il 
n'en est pas moins certain que c'est la grâce qui nous 
fait vouloir et agir, que c'est par la grâce que nous 
correspondons à la grâce, que la grâce est pour nousr, 
quand nous la suivons, un auxilium quo^. « Quotiès 
enim bona agimus, Deus in nobis atque nobiscum ut 
operemur operatur. » Notre volonté n'est pas seule- 
ment régie par la grâce, elle est agie. Or « plus' est 
procul dùbio agi qùam régi. Qui enim regitur aliquid 
agit... qui autem' agitur agere ipse aliquid vix iintelle- 
gitur ». Ces deux sentences sont de saint Augustin, et 
Prosper lés accepte^. Ainsi, bien que la liberté du con- 
verti reste entière, sa conversion est cependant Fœuvre 
de Dieu : « non a seipso sed a creatore mutatur, ut 
quidquid in eo in melius reficitur nec sine illo sit qui 
sanatur, nec nisi abillo sit qui medetur^ ». D'où la con- 
clusion que nos mérites sout des dons de Dieu, et que 



\..Be ingratis, yi 287 et sair>,4iS et sulv;, 42& etsuiv., etai;:C.orU: 
GoZZaf., IX,, 1; XI, 1,2. 
S. Resp. ad capita GaUor., Ji, S. 

3. Contra Collât., VI; XVIII, 3; Sentent, aup. cap. Gallor., 6; Re-, 
spons. acLcap. Gallor., G; Resp. ad exe. Genttena.; 4. 

4. Resp. ad cap. Gallor., 6; Contra Collât., XIII,, 6.. 

5. Liber sententiarum, 22, 31j. Il a seulemeat ajouté daoa la pre- 
mière at^uenoôiscum, ce qui est assez significatif.. 

6. Cora«ra CoHaf., XII, 4; YIII, 2, 3. 



288 HISTOIRE DES DOGMES. '"' 

nous ne devons pas nous les attribuer comme une 
chose qui nous soit propre : 

«... Tu (Deus) vota petentis 
Quae dari vis tribuis, servans largita creansque 
De meritis mérita, et cumulans tua dona coronisi. » 

Mais alors, Dieu veut-il le salut de tous les hommes? 
On se rappelle combien, faute d'avoir clairement dis- 
tingué entre la volonté antécédente et la volonté con- 
séquente de Dieu, la réponse de saint Augustin à cette 
question est embarrassée. Celle de saint Prosper ne 
l'est guère moins. Il sent quelle énormité ce serait 
que de nier absolument que Dieu veuille sauver tous 
les hommes, et il écrit : « Item qui dicit quod non om- 
nes homines velit Deus salvos fieri sed certum nume- 
rum praedestinatorum durius loquitur quam loquen- 
dum est de altitudine immutabilis gratiae Dei, qui et 
omnes vult salvos fieri et in agnitionem veritatis 
venire ^. » Il écrit encore : « Sincerissime credendum 
atque profitendum est Deum velle ut omnes homines 
salvifiant^. » Mais dans ce dernier passage même, il 
suppose qu'il y a des exceptions, et que Dieu a, pour 
les faire, des raisons qui nous échappent. Il admet que 
la volonté de Dieu se réalise seulement dans les pré- 
destinés dont le nombre est immuablement fixé''. Son 
enseignement est donc moins net qu'il ne paraît 
d'abord, et si l'on remarque que, dans le poème De 
ingratis^^ il semble nier en fait la volonté salvifique 
universelle de Dieu ; que, dans sa lettre à Rufin (14), il 
présente du texte / Timothée, ii, 4 les mêmes explica- 
tions arbitraires que saint Augustin, on est conduit à 

4. De ingr., v. 983 et suiv.; cf. 611 etsuiv.; Contra Collât., XYI, 2. 

5. Sentenlia sup. cap. 8 Gallorum. 

3. Respons. ad capit, Vincent., 2. 

4. Sent, super cap. 6 Gallor.; Epist. ad Rufin., 12. 

5. Vers 313 et suiv. 



LE SEMI-PÉLAGIANISME. 289 

concltlre que, faute dés distinctions susdites, Prosper 
s'est trouvé incapable lui aussi de formuler sur la vo- 
lonté salvifique de Dieu une doctrine claire et de s'y 
tenir fermement. On en peut dire autant de ce qu'il écrit 
sur l'universalité de la rédemption de Jésus-Christ*. 
Et cependant, par sa théorie de la prédestination, 
saint Prosper se trouvait, pour résoudre la question de 
la volonté salvifique universelle de Dieu, dans une 
meilleure position que l'évêque d'Hippone. Celui-ci, 
on se le rappelle, avait admis la prédestination absolue 
ante praepisa mérita vel démérita, soit pour les élus 
soit pour lés réprouvés. Les provençaux, repoussant 
cette idée comnie monstrueuse, tenaient au contraire 
pour l'opinion de la prédestination conditionnée par la 
prescience des mérites ou des démérites de chacun. 
Prosper — et c'est une infidélité qu'il fait à son maître 
— adopte dans ses derniers ouvrages une solution 
moyenne. Les élus ont été prédestinés gratuitement, 
indépendamment de toute considération de leurs 
bonnes œuvres, « ut et qui salvantur ideo salvi sint quia 
illos voluit Deus salvos fieri^» ; mais les méchants n'ont 
été prédestinés à la damnation qu'en conséquence de 
la prévision de leurs péchés : « Non ex eo necessi- 
tatem pereundi habuerunt quia praedestinati non 
sunt, quia taies futuri ex voluntaria praevaricatione 
praesciti sunt ». «Vires itaque oboedientiae non ideo 

1. jResp. ad cap. Gallor., 9; iïesp. ad cap. Vincent., i ; Sentent, super 
cap. Gallor., 8, 9. — Sur le nombre réel des élus la pensée de saint 
Prosper n'est pas non plus fixée. Avant le christianisme, remarque-t-il, 
la grâce ne sauvait que peu d'hommes {paucos,); mais « nunc de ani- 
verso génère hominum salvat innumeros » (ftesp. ad exe. Genuens., 6). 
11 y en a beaucoup de sauvés {De ingr., y. 645 et suiv.). Ailleurs il pa- 
raît admettre que le nombre des élus égale celui des réprouvés (De tngrr., 
v. "303-705; Resp. ud cap. Vincent., 2). 

2. Sentent, sup. cap. Gallor., S, 9. Cf. Epist. ad Rufin., 13-16. Les 
deux textes que l'on a cités {Resp. ad cap. Vincent., 12 et Sent. sup. 
cap. Gallor., 8), pour prouver que Pi-osper a admis la prédestination 
des élus postpraevisa mérita, ne sont nullement concluants. 

HISTOIRE DES SOGMBS. — IIÏ. 17 



290 HlSTOIllE DES DOGMES. 

cuiquam subtraxit, quia eum non praedestinavit, sed 
ideo non praedestinavit quia recessurum ab ipsa oboe- 
dientia esse praevidit^ . » Inutile d'ajouter que Prosper 
repousse avec horreur l'idée d'une prédestination au 
mal et au péché. Le mal, que Dieu prévoit, n'est pas 
son œuvre ^. 

Telle était, dans ses grandes lignes, la doctrine que 
saint Prosper opposait aux détracteurs de saint Augus- 
tin et de la grâce. Malgré la vigueur de son argumen- 
tation, et quel que fût le talent de l'écrivain, il ne con- 
vertit aucun des adversaires. Cassien, directement 
attaqué, dédaigna de répondre; le pape Xyste III, indi- 
rectement sollicité d'intervenir, n'intervint pas ; et 
Vincent de Lérins lança, en 434, son Commonitorium 
où il semble bien que saint Augustin soit visé sous le 
masque des anciens hérétiques épris de nouveautés. 

La faiblesse du plaidoyer de Prosper venait de ce 
qu'il voulait faire passer pour la doctrine de l'Eglise 
les vues particulières de l'évêque d'Hippone. Or, cette 
identification, Rome refusait de l'admettre. On a dit plus 
haut qu'à la lettre xxi de Célestin aux évéques de Gaule 
se trouve actuellement annexée une série de canons doc- 
trinaux rapportant les décisions des anciens papes — 
c'est-à-dire d'Innocent et de Zosime — sur les ques- 
tions de la grâce ^. On a tout lieu de croire que l'auteur 
de ce document, paru sous Xyste III (432-440), est le 
diacre Léon, le futur pape. Si cette pièce ne fut jamais 
l'objet d'une promulgation solennelle, elle n'en repré- 
sente pas moins très fidèlement l'état de l'opinion ro- 
maine au moment où elle fut composée. Or, dans ces 

1. Resp. ad cap. Gallor., 3, 12 ; cf. 2, 7 ; Sejitent. sup. cap. 7 Galîor.; Resp. 
ad cap. Vincent., d2, 16. 

2. Resp. ad cap. Gallor., 3, 6, 12, 14; Resp. ad cap. viJieent., 7, 10, 
11, i-2, elc. 

3. Incipiunt praeterîtorum sedis apostolicae episcoporum auctorita- 
tes de gratia Dei. Batiffol, op. cit., p. 53-2-334. 



LE SEMI-PELAGIANISME. 291 

canons, l'erreur des semi-pélagiens sur la possibilité 
pour l'homme de concevoir par lui-même de bons désirs 
et de saintes pensées, de commencer, sans la grâce, 
l'œuvre de sa conversion et de son salut, de corres- 
pondre par ses propres forces à l'appel et à la grâce de 
Dieu, cette erreur, dis-je, est formellement condam- 
née^ ; mais de la grâce efficace par elle-même, de la 
prédestination, de la volonté de Dieu de sauver tout ou 
seulement partie des hommes il n'est rien dit : bien 
plus, ces questions sont formellement écartées. Ce n'est 
pas, dit l'auteur, que nous méprisions ces problèmes^ 
étudiés par ceux qui ont combattu les hérétiques ; mais 
il n'est pas nécessaire, pour avoir sur la grâce de Dieu 
une foi saine, de les avoir résolus : il suffît d'accepter 
simplement les décisions sus-mentionnées du siège 
apostolique^. 

4. V. surtout n» iO: « Quod ita Deus in cordibus hominum atque in 
ipso libero operetur arbitrio ut sancta cogitatio, pium consilium, om- 
nisque motus bonae voluntatis ex Dec sit, quia per illum aliquid boni 
possumus sine quo nihil possumus. » D'où la conclusion (14) : « His 
ergo ecclesiasticis regulis et ex divina sumptis auctoritale documen- 
tis... conOrmati sumus ut omnium bonorum affectuum atque operum 
et omnium studiorum omniumque virtutum quibus ab initio Gdei ad 
Deum tenditur, Deum profiteamur auctorem, et non dubitemus ab ip- 
sius gratia omnia hominis mérita praeveniri, per quem fit ut aliquid 
boni et veJie incipiamus et facere. » Et encore: ■ Agit quippe [Deus] 
in nobis ut quod vult et velimus et agamus, nec otiosa in nobià esse 
patitur quae exercenda, non negligenda donavît, ut et nos cooperato- 
res simus gratiae Dei. » 

2. « Profundioresvero difficilioresqne partes incurrentium quaestio- 
num, quasiatius pertractarunl qui haereticis restiterunt, sicutnonau- 
demns contemnere, ita non necesse habemus astruere, quia ad con§' 
tendum graliam Dei cuius operi ac d ignationi nihil penitus subtrahendum 
est satis sufficere credimus quidquid secundum praedictas régulas 
apostolicae sedis nos scripta docuerunt : ut prorsus non opinemur 
catholicum quod apparuerit praefixis senlentiis esse contrarium • (iS). 
— Celte attitude de l'autorité romaine dans la question de la grâce est 
celle qui persista pendant tout le v et le commencement du vi' siè- 
cle. On est augustinien, mais on insiste sur la part de la liberté 
humaine, et on écarte les problèmes de la prédestination et de la 
grâce plus ou moins irrésistible. Cf. S. Léon, Sermo XXI II, 4; XXXV, 
3; XLIX, 3: LXVII, 2, S; LXXV,b;Epist. 1, 3; Gélase, bien qu'un peu plu» 
sévère, Evist. YII. On parlera plus loin d'Hormisdas. 



292 HISTOIRE DES DOGMES. 

Saint Prosper ne put donc obtenir aucune condam- 
nation solennelle contre ses adversaires; et ceux-ci 
virent, dans le blâme dont une partie de leur ensei- 
gnement était l'objet de la part de Rome, tout au plus 
une raison d'en adoucir l'expression et de tempérer 
leur langage. C'est ce qu'ils paraissent avoir fait. Il 
s'ensuivit une sorte de trêve, et la controverse s'assou- 
pit pour quelque temps. On cessa de se disputer 
sans pourtant cesser d'écrire. 

De cette époque en effet, c'est-à-dire de la période 
qui va de 434 à 460 environ, datent probablement 
deux ouvrages anonymes, V Hypomnesticon contra 
pelagianos et caelestianos* et le De çocatione om- 
nium gentium^, dont le dernier surtout mérite plus 
qu'une simple mention. L'auteur, en qui on a voulu 
voir saint Prosper lui-même ou le diacre Léon, est un 
augustinien modéré^, qui veut concilier, avec l'exis- 
tence en Dieu d'une volonté salvifique universelle — 
ipi'il admet, — le fait de la réprobation d'un grand 
nombre. Il distingue à cet effet deux sortes de grâce : 
une grâce de salut générale (ii, 25) qui est offerte à 
tous les hommes « virtute una, quantitate diversa, 
consilio immutabilî, opère multiformi » (ii, 5, 31), et 
une grâce spéciale [specialis graîiae largitas, specia- 
lis misericordla, ii, 25) qui n'est due à personne, mais 
qui est donnée actuellement à beaucoup, et qui les 
conduit effectivement au salut. Pourquoi cependant 
cette grâce spéciale n'est pas dispensée à tous, et 
pourquoi elle est octroyée à ceux-ci et non pas à ceux- 
là, l'auteur ne peut le dire. Il se voit obligé, pour se 
tirer d'embarras, de recourir à la profondeur inson- 

1. p. L., tom. XLV, 1611, 

2. p. L., tom. LI, 647. 

3. On pent en dire autant de l'auteur de l'ffypomnesftco». Il repro- 
duit la doctrine de saint Augustin, mais s'efforce d'en adoucir certaines 
affirmations plus dures : l'exposé n'y gagne pas en clarté. 



LE SEMI-PELA6IANISME. 293: 

dable des divins conseils (i, 13), inévitable aboutissant, 
depuis qu'elle s'était formulée, de la doctrine augusti- 
nienne de la grâce. 



§ 3. — Fauste et saint Fulgence. 

La trêve entre augustiniens et semi-pélagiens dura 
tout au plus quarante ans. Un incident vint ranimer 
les discussions. En 452 environ, Fauste, ancien abbé 
deLérins, avait été fait évêque de Riez^. C'était un 
esprit souple et cultivé, un homme de mœurs austères, 
un évêque zélé et de grande réputation, mais qui avait 
conservé de Lérins sur la grâce les sentiments qui y 
dominaient. Un de ses prêtres, nommé Lucidus, étant 
tombé dans le prédestinatianisme, c'est-à-dire dans 
cette erreur qui considère les hommes comme voués 
dès le principe au ciel ou à l'enfer, et conduits invin- 
ciblement à l'un ou à l'autre terme, quoi qu'ils fassent, 
Fauste s'efforça d'abord de le ramener à une plus saine 
doctrine;. puis, voyant ses exhortations inutiles, il le 
menaça, s'il ne se rétractait, de le faire condamner 
par un concile d'Arles qui allait incessamment se tenir 
— en 473 probablement. Sa lettre^ contenait six ana- 
thématismes auxquels Lucidus devait souscrire ^ : 
1* Anathème a qui nie le péché originel et la nécessité 
de la grâce pour le salut. 2" Anathème à qui prétend 
que le baptisé, s'il tombe dans le désordre, périt en 
Adam et par le péché originel (comme si celui-ci ne lui 



4. Fauste est cité ici d'après l'édition d'A. Engblbbbcht, Fausti Rei»n- 
sis... opéra, Vindobonae, 4891 {Corpus script, ecelesiastic. latin., tom. 
XXI). V. encore P. L., tom. LUI et LYriI. Travaux : A. Engelbrécht^ 
Studien ûber die Schriften des Bischofs von Reii Faustvs, Prag, 4889. 
E. SiMos, Etude sur saint Fauste, Toulon, 4879. A. Koch, Der heil. Paus- 
tus Biscfiofvon Riez, Stuttgart, 4895. Barbeshewer, t. IV, p. 582-o89. 

2. E/Àst. I, Engelbhecbt, 461 ; P. L., LUI, 681. 

3. les voir encore dans Hahn, Biblioth., % 172. 



294 HISTOIRE DES DOGMES. 

avait pas été remis). 3? « Anathema illi qui per Dei 
praescientiam in mortem deprimi hominem dlxerit. » 
4" « Anathema illi qui dixerit illum qui periit non ac- 
cepisse ut salvus esse posset, id est de baptizato vel de 
illius aetatis pagano qui credere potuit et noluit. » 
5° « Anathema illi qui dixerit quod vas contumeliae 
non possit assurgere ut sit vas in honorera. » 6° « Ana- 
thema illi qui dixerit quod Christus non pro omnibus 
mortuus sit nec omnes homines salvos esse velit. » 

Lucidus finit par se soumettre, et écrivit probable- 
ment au concile de Lyon qui se tint peu après celui 
d'Arles — vers 474 — une lettre^ dans laquelle il 
accepte les décisions du concile d'Arles {iuxta praedi- 
candi recentia statuta concilii), et développe son 
adhésion en énumérant un certain nombre d'erreurs 
qu'il condamne ^. Cette énumération renchérit un peu 
sur celle de Fauste. 

Jusqu'ici tout était bien, et les augustiniens eux- 
mêmes ne pouvaient qu'applaudir à ce qui venait de se 
passer^. Mais on ne s'en tint pas là. Fauste fut chargé 

i. Encelbr., i6S; P. L., LUI, 683. 

2. Ainsi il condamne : < 1° sensum illuni qui dicit laborem humanae 
oboedientiae divinae gratiae non esse iungendum; 2° qui dicit post 
primi hominis iapsum ex toto arbitrium voluntatîs extinctum ; 3° qui 
dicit quod ctiristus dominas et snlvator noster mortem non pro om- 
nium salute susceperit; 4° qui dicit quod praescientia Dei liominem 
violenter compellat ad mortem, vel quod Dei pereaat voluntate qui per- 
eunt; S° qui dicit quod post acceptum légitime baptismum in Adam 
moriatur quicumque deliquerit; 6<> qui dicit alios deputatos ad mor- 
tem, alios ad vitam praedestinatos ; 7' qui dicit ab Adam usqae 
ad Christum nulles ex gentibus per primam Del gratiam, id est per le- 
gem naturae in adventum Christ! fuisse salvatos, eo quod liberum ar- 
bitrium ex omnibus in primo parente perdiderint; 8° qui dicit pa- 
triarches ac proptietas , Tel suromos quosque sanctorum etiam ante 
redemptionis tempora in paradisi habitatione deguisse; 9° qui dicit 
ignés et inferna non esse >. Puis à la Gn : < Profiteor etiam aeternos 
ignés et infernales flammas factis capitalibus praeparatas, quia persé- 
vérantes in fînem bumanas culpas merito sequitur divina senientia. > 

3. A propos de Lacidus, on s'est demandé s'il avait réellement 
existé, au y siècle, une secte un peu importante de prédestinatiens. 
Ce qui a pu faire prendre le change sur cette question est le témoi» 



LE SEMI-PELAGIANISME. 295 

de présenter en un corps de doctrine ce qui avait été 
décidé à propos du prédestinatianisme à Arles et à 
Lyon. Il se mit au travail, et écrivit le traité De gratia 
lïbri <3?ao% l'ouvrage qui devait rallumer la querelle. 
Les idées de Fauste ont été diversement appréciées, 
quelques critiques ne voyant dans ses formules semi- 
pélagiennes que des exagérations de parole contre 
le prédestinatianisme ^ ; d'autres y trouvant la doctrine 
semi-pélagienne parfaitement caractérisée et même 
rapprochée du pélagianisme rigoureux'. Quoi qu'il 
en soit de ce dernier jugement, le semi-pélagianisme 
de Fauste ne paraît pas douteux. Fauste, sans doute, 
déclare repousser absolument l'erreur de Pelage (i, 1, 
2)'' ; il dit qu'il faut attribuer « primas partes soli gra- 
tiae » (i, 5); cette grâce est le principe de la bonne 
volonté et du commencement des bonnes oeuvres : 
« Nihil hic, ut opinpr, redolet praesumptionis, cum et 
hoc ipsum incessabiliter asseram quod Deo ipsam 
debeam voluntatem, praesertim cum in omnibus eius 
motibus ad opus gratiae referam vel inchoationis initia 
vel consummationis extrema » (ii, 10). Néanmoins, 
l'évêque de Riez semble bien accorder à la volonté 

gnage du Fraedeitinatus (P. L., tom. LUI), qui prétend nous donner, 
au livre II, la teneur d'un ouvrage de la secte circulant sous le nom 
de saint Augustin, et poussant à l'extrême ses vues sur la prédestina- 
tion. Mais la question est de savoir si cet ouvrage est un traité prédesti- 
natien authentique ou un pamphlet ingénieux, œuvre de quelque péla- 
gien dissimulé. Voir, en sens contraire, H. von Schubert, Dersogen. Prae- 
destinatus, Leipzig, 1903, et D. Moum, Etudes, textes, etc., I, Paris, 1913, 
p. 31S. S'il a existé au v» et au vi" siècle quelques prédeslinatiens isolés, 
on chercherait en vain une secte de ce nom constituée et organisée. 

1. Engelbr., 3 et suiv.; P. L., LVin, 183 et suîv. On remarquera que 
les divisions de P. L. ne correspondent pas absolument à celles 
d'Engelbrecht. 

2. Par exemple J. Bélier, Fausti Regiensis fides in exponenda gratia 
Christi, Monachii, 1854. 

3. Cette dernière opinion est celle notamment de R. Seeberg, Lehrb. 
der DG„ il, 516. 

4. Toutes les références sans autre indication se rapportent au 
De gratia. 



296 HISTOIRE DES DOGMES. 

libre — dont il maintient énergiquement l'existence et 
l'action ^ — la capacité de désirer, de souhaiter^ d'appe- 
ler la grâce dont elle a besoin pour se relever, vouloir 
effîcacement et faire le bien : « Hominis formator et 
rector bonae voluntatis homini deputavit nsum, sibi 
reservavit effectum » (i, 9). « In centurione Cornelio, 
quia praecessit voluntas gratiam, ideo praevenit et 
gratia regenerationem » (ii, 10). « Clamât voluntas, 
quia sola per se elevari nescit infirmitas. Ita Dominus 
invitât volentem, adtrahit desiderantem, erigit adni- 
tentem » (i, 16). En ce dernier endroit, Fauste même 
paraît aller plus loin, et réduire toutes les grâces à 
n'être que des grâces extérieures : « Quid est autem 
adtrahere nisi praedicare, nisi Scripturarum consola- 
tionibus excitare, increpationibus deterrere, deside- 
randaproponere, intentare metuenda, iudioium commi- 
nari, praemium poUiceri? » 

A tous la grâce est offerte, et à tous, même à ceux 
dont Dieu a prévu la désobéissance, elle donne « velle 
et posse » (i, 16; ii, 4); mais elle ne force personne : 
« Placere Domino Deo suo et potuitnoUe qui voluit, et 
potuit velle qui noluit » (x, 11). Dieu n'impose donc pas 
aux hommes leur sort final, et dès lors rien n'est plus 
facile à résoudre que le problème de la prédestination. 
Autre chose en effet est la prédestination, et autre 
chose la prescience. Celle-ci voit simplement ou pré- 
voit ce qui sera; celle-là décrète et fait que ceci ou 
cela sera (ii, 3). Or Dieu prévoit simplement ce que 
nous serons par notre volonté libre, et d'avance, mais 
en conséquence de cette prescience, nous couronne ou 
nous condamne ; mais il ne nous prédestine pas au ciel 
ou à l'enfer indépendamment de cette prescience : 
ce Quid de nobis praescire ac praeordinare debeat 

î. Voyez r, 7, 8, 9, 10 ; 11,8, 9 



LE SEMI-PÉLAGIANISME. 297 

Deus, quantum pertinet ad futurum, in profectu homi- 
nis defectuque consistit » (ii, 2, 3). Fauste ne veut pas 
que l'on parle de prédestination même dans le cas des 
saints Innocents : le diable les a fait tuer et, à cette 
occasion. Dieu les a couronnés (ii, 3). Quant à savoir 
pourquoi certains enfants meurent après avoir reçu 
le baptême, d'autres sans l'avoir reçu, c'est là un pro- 
blème obscur, insoluble, et l'on n'y doit chercher 
aucune lumière pour éclairer des questions pour les- 
quelles nous avons des données positives de solution^ 
comme celle du libre arbitre (i, 13). 

L'écrit de Fauste ne fit pas scandale d'abord, et 
pendant toute la fin du v^ et les premières années 
du VI" siècle, les provençaux continuèrent de soutenir 
en paix leurs opinions. Elles transparaissent notam- 
ment dans le 2)e sc/7/?Zor/6î^s ecclesiasticis [38, 61, 84, 
85) et le De ecclesiasticis dogmatibus (21, 56)^ de 
Gennade de Marseille. Mais le livre de Fauste fut 
apporté à Constantinople, et tomba entre les mains de 
ces moines scythes dont il a été question à propos des 
controverses christologiques ^. Sa doctrine les choqua. 
Dans la De Ckristo professio qu'ils adressèrent aux 
légats d'Hormisdas à leur arrivée en 419, ils déclarè- 
rent que, depuis le péché originel, le libre arbitre ne 
peut désirer que « carnalia sive saecularia », et se 
trouve impuissant à penser et vouloir, sans l'infusicMi 
du Saint-Esprit, quoi que ce soit se rapportant à la vie 
éternelle^. En même temps, et pour se renseigner sur 

1. le chap. S6 peut avoir été interpolé ; mais les chapitres 22-51, qui 
reproduisent les décisions du concile d'Orange de 529, sont sûrement 
une interpolation. — Quant aux Commenlarii in psalmos {P. L., 
LUI, R27), fort opposés à la prédestination augustinienne, il faut défi- 
nitivement les attribuera Arnobe le Jeune (milieu du v"= siècle), l'au 
teur également du Conflicius Arnobii et du Praedestinatus. (Voir H. 
Katsf.r, Die Schriften des sogen. Arnobius junior, Giiterslob, 4912; 
D. MoRiN, Études, textes..., I.) 

2. V. plus haut, p. 131. 

3. P. G., tom. LXXXVI, 1, col. 86. 

17. 



298 HISTOIRE DES DOGMES. 

l'autorité de Fauste, ils s'adressèrent à l'évêque afri- 
cain Possessor exilé à Constantinople. Celui-ci s'a- 
dressa à son tour à Hormisdas^. La réponse du pape 
est du 13 août 520 2. Elle dit de Fauste : « Neque 
illum recipi, neque quemquam, quos in auctoritate 
Patrum non recipit examen catholicae fidei, aut eccle- 
siasticae disciplinae ambiguitatem posse gignere, aut 
xeligiosis praeiudicium comparare. » Quant aux ques- 
tions de la grâce et du libre arbitre, ce qu'enseigne 
l'Eglise « licet in variis libris beati Augustini, et 
maxime adHilarium et Prosperum^ possit cognosci, 
tamen in scriniis ecclesiasticis expressa capitula con- 
tinentur'' ». Ainsi le pape déclarait Fauste non reçu 
— sans défendre pourtant la lecture de son livre, — 
et renvoyait, pour connaître la doctrine de l'Église sur 
la grâce, à saint Augustin en général et surtout aux 
deux traités De praedestinatione sanctorum et De 
dono perseverantiae, mais plus sûrement encore aux 
décisions ecclésiastiques, c'est-à-dire vraisemblable- 
ment aux auctoritates réunies à la suite de la lettre 
XXI de Célestin. 

Cette solution un peu imprécise ne satisfît pas les 
moines scythes. Dans sa réplique à la lettre d'Hor- 
misdas^, leur archimandrite, Jean Maxence, le blâma 
de permettre la lecture d'un auteur dont il ne reconnais- 
sait pas d'ailleurs l'autorité et, par une comparaison 
de la doctrine de Fauste avec celle de saint Augustin, 
s'efforça de prouver que le premier était hérétique et 
pélagien^. La critique était pénétrante et vivement 
conduite. 

1. Relatio Possessoris afri dans P. L., LXHI, 489. 

2. C'esl VEpist. LXX (P.L., LXIII, 490) dont il a été question ailleurs. 

3. Les traités De praedestinatione sanctorum et De dono perseverantiae. 

4. P. L,, LXIII, 492, 493. 

5. P. G., LXXXYI, 1, coL 93 et suiv. 

6. Ibid., col. 106, 107 et suiv. 



LE SEMI-PÉLAGIANISME. 299 

Mais déjà la polémique s'était étendue d'un autre côté. 
On a vu plus haut^ que les délégués des moines scytlies 
à Rome, mécontents du retard d'Hormisdas à approu- 
ver leurs formules christologiques, s'étaient adressés 
aux évéques africains réfugiés u Sardaigne, parmi 
lesquels se trouvait saint Fulgence ^. Leur consulta- 
tion ne portait pas seulement sur le sujet de l'incarnaT 
tion : ils exposaient aussi, telle qu'ils la comprenaient, 
la question de la grâce (14-28). Ils y professaient no- 
tamment la perte de la liberté chrétienne par le péché 
d'origine (17), l'impossibilité, sans la grâce, « cogitare, 
velle, seu desiderare divina » et de croire (18, 19, 24), 
l'impénétrabilité de la conduite de Dieu dans la distri- 
bution des grâces et dans l'économie du salut de chaque 
homme (20-23), bref tout l'augustinisme. L'écrit se ter- 
minait par un anathème contre Pelage, Celestius, 
Julien d'Eclane et les livres de Fauste « quos contra 
praedestinationis sententiam scriptos esse non dubium 
est » (28). 11 était signé des moines Pierre, Jean et 
Léonce, et du lecteur Jean. 

Les évéques consultés répondirent par la plume de 
saint Fulgence. C'est VEpislula xvii, plus connue 
sous le titre de Liber de incarnatîone et gratia Domini 
nostrilesu Christi^. Peu après, mais avant de revenir 
en Afrique (ce qui eut lieu en 523], saint Fulgence écri- 
vit encordes trois livres Ad Monimum*, dont le pre- 
mier traite de la prédestination à la gloire et au châ- 
timent; puis, sur la demande des moines scythes, les 
sept livres (perdus) Contra Faustum. De retour en 



1. Page 132. 

2. Liber Pétri diaconi et aliorum... de incarnatione et gratia Domini 
nostri lesu Chris ti ad Fulgentium (P. £., LXV, 442). L'écrit doit être 
de S19 ou 520. 

3- P. L., LXV, 4SI et suiv. 

4. P. L., LXV, të^. Ce Monime inclinait au prédestinatianisme et avait 
consulté saint Fulgence. 



300 HISTOIRE DES DOGMES, 

Afrique, l'infatigable athlète ne se reposa pas. Il doQna 
\q De veritate praedestinationis et gratiae 'Dei*, et 
enfin, au nom d'un synode de douze évêques dont les 
moines scythes voulaient connaître l'opinion, VEpistula 
XV ^, adressée nommément à Jean et à Venerius» et 
qui a passé dans plusieurs collections de conçues. 

Il est aisé, au moyen de ces documents, de se faire 
une idée de la doctrine que saint Fulgence et les 
évêques africains opposaient à celle de Fauste^. Cette 
doctrine est l'augustinisme strict, plus nettement encore 
exprimé que dans saint Augustin, et sans les tempé- 
raments que saint Prosper avait essayé d'y apporter. 
Pour ne pas trop me répéter, je n'en signalerai ici que 
les points capitaux : le péché originel, « peccati paren- 
talis macula » . transmis par la concupiscence de la 
génération'' ; la massa damnata, et l'universelle répro- 
bation qui en résulte ^ ; l'incapacité du libre arbitre, 
toujours subsistant cependant, de se porter au bien 
même purement moral ^ ; l'impossibilité de plaire à 
Dieu sans la foi théologique, et le caractère délictueux 
de toutes les œuvres des infidèles ^; la nécessité de. la 
grâce prévenante, coopérante, subséquente, pour le 
début, le progrès, l'achèvement de la bonne œuvre et 

\. p. L., LXV, 603. 

2. P. L., LXV, 433. 

3. On peut v<iir là-dessus : F. Wfœr.TER, Zur Dogmengeschichte des 
semipelagianismus, 3,.Die Lehre des Fulgentius, Munich, 1899. 

4. Epist. xvn, 26, 28 ; De verit. praedest., 1, 3, 7. « Proînde de mun- 
dîtia nuptiarum mundus homo non nascitur, quia interveniente libi- 
dîne seminaïur » {ibid., I, 10). Pas plus que saint Augustin, saint Ful- 
gence ue tranche la question de rorigine de l'âme et ne se prononce 
pour le créatianisme ou le traducianisme {ibid., UI, 28-32 ',Epist. XV, 15). 

5. De verit. praedest., I, 7. 

6. De verit. praedest., Il, S, 8, 11, 13; Epist. XV, 5. 

7. « Quae (voluntas humana) priusquam accipiat fidem, punitionem 
per seipsam potest mereri, non Cd<'m : Omne enim quod non est ex 
fide peccatum est et Sine fide impossibile est placere Deo. Qui autem 
Beo non placet sine dubio displicet, et qui Deo displicel non eum 
mitigat sed potius exacerbât... Fidem non habere hoc est Deo dispU 
cere » (De verit. praedest., I, 39 ; cf. Epist. XYII, 33). 



LE SEMI-PÉLAGIANISME. SOI" 

du salut ^• le tout premier commencement de la "Donne 
volonté, le désir, la recherche du bien, Vinitium fidei, 
le « velle credere », à plus forte raison l'amour de Dieu 
requérant absolument l'action divine prévenante ^ ; la 
gratuité absolue de la grâce dont toussent indignes, et 
qui est donnée par pure miséricorde, selon le bon 
plaisir de Dieu ^ ; Dieu opérant en nous le vouloir et le 
faire, encore que nous restions libres sous la touche 
divine, et que nous devions y coopérer ■* ; la grâce par 
conséquent efficace par elle-même, et la science de 
Dieu indépendante de nos volontés et libres détermi-^ 
nations^; la félicité éternelle, don suprême qui cou- 
ronne les dons de Dieu ici-bas, tandis que la damnation^ 
est la juste rétribution de nos fautes ^. 

C'est dans le sens augustinien strict aussi que saint 
Fulgence traite de la prédestination. Cette prédesti- 
nation est absolue : Dieu, pour prédestiner les uns et- 
laisser les autres dans la massa damnata, n'a pas con- 
sidéré leurs œuvres futures : « Ab illa igitur massa 
damnata nemo futurorum praescientia operum discer- 
nitur, sed miserantis figuli ope atque opère segrega- 

1. Beverit. praedest., I, 35, 37, 38;n, 20, 21. 

2. Epist. XVn, 33, 3S, 36; XV, 4; De verit. praedest., I, 33, 34, 36, 37,. 
38; II, 12, 14, 13, 18; Ad Monim,, l, 1, 9. 

3. • Haec Dei igratia qua saivaniur non alicni praecedenti merito 
dalur... Vasa misericordiae... a vasis irae... gratuitae iustificationis mu- 
nere secernunlur... Ista misericordia neminem reperil dignum, sed. 
omnes indignes InTcnit, et ex ipsis quos voluerit dignos facit » (De verit. 
praedcsi., 1, 7, 8, 9, 14, 40; £pts<. XV II, 42; cf. XV, 10). 

4. > lubet enim Deas honiini ut velit, sed Beus in iiomine operatur- 
et velle; iubet ut faciat, sed Deusin.eo operatur et facere » {Epist. XV,. 
13; Ad Monim., I, 9; De verit. praedest., II, 6, 8, 9). * Quod autem vos 
dicitis sola Dei misericordia salvari hominem, illi autem dicunt, nisi 
quis propria voluntate cucurrerit et elaboraverit, salvus esse non pote- 
lit, digne utrumque tenetur » {Epist. XV, 11; XYII, 41, 44, 43, 46; De 
verit. praedest., II, 23, 27). 

3. De verit. praedest., III, 12, 13. 

6. « Cur autem mors stipendium, vita vero aeterna gratia dicitur,. 
nisi quia illa redditur, haec donatur? » — « In sanctis igitur coronat 
Deus iustitiam quam eis gratis ipse tribuit, gratis servavit, gratisque- 
perfecit «( Ad Monim., 1, 10, 13). 



302 HISTOIRE DES DOGMES. 

tur... Propterea vasa misericordiae... gratuitae iustifî- 
cationis munere secernuntur '. » Et sans doute, Dieu, 
en prédestinant les élus à la gloire, les a prédestinés 
aussi à des mérites dont cette gloire serait la récom- 
pense^ et par conséquent à une gloire qu'ils devraient 
conquérir ^ ; mais cette gloire n'en a pas moins été 
décrétée d'abord ante praevisa mérita. L'ordre est le 
suivant : « Gratis [Deus] et vocat praedestinatos, et 
iustificat vocatos, et glorificat iustificatos^. » En con- 
séquence, la réprobation négative — c'est-à-dire l'ab- 
sence du choix pour le ciel — est aussi ante praevisa 
démérita. Il y a un nombre fixé d'avance et immuable 
de prédestinés : aucun prédestiné ne saurait se perdre^. 
Mais pour décréter la réprobation positive, c'est-à-dire 
l'infliction des peines qui accompagnent la privation 
de la vue de Dieu, Dieu considère les fautes commises 
parle réprouvé, fautes qui, d'ailleurs, sont en dehors 
du plan de sa Providence : « Praedestinavit illos ad 
supplicium quos a se praescivit voluntatis malae vitio 
discessuros... Praescivit enim hominum voluntates 
bonas et malas, praedestinavit autem non malas sed 
solas bonas ^. » Dieu ne pousse personne au péché. 

Et pour souligner son sentiment sur le caractère ab- 
solu de la prédestination, Fulgence, en bon africain 
moins timide que Prosper devant les formules tran- 
chantes, déclare nettement que Dieu ne veut pas sauver 
tous les hommes. La questioit est longuement traitée 
dans le De veritate praedestinationis, m, 14-23. La 
volonté de Dieu est toute-puissante; elle s'accomplit 
toujours ; et donc, si tous ne sont pas sauvés en effet, 

1. De verit. praedest., I, 7; cf. i, i\, 14; 11, i ; Ad Monim., I, 13; cf. 1, 
21, US. 

2. Ad Monim., 1, 11-14, 24; De verit. praedest., HI, 1, 8-10. 

3. Ad Monim., I, 10; lll, \,Z; De verit. praedest., 1, 11, 13 ; II, 1. 

4. De verit. praedest., lll. G, 7. 

5. Ad Monim., I, 2», S, 13, 21, 22, 23, 26; De verit. praedest. I, 12. 



LE SEMI-PELAGIANISME. 303 

c'est que Dieu ne le veut pas fl4). Et la preuve qu'il ne 
le veut pas, c'est qu'il ne donne pas à tous la grâce de 
la vocation à la foi et de la charité. Dans l'Évangile il 
est dit que Jésus-Christ parlait à quelques-uns en pa- 
raboles, « ut verba sua vellet audiri, nec vellet intel- 
legi » (15). « Et utique quibus suam denegat agnitionem 
denegat et salutem. In hoc enim homines salvi fiunt in 
quo ad agnitionem veritatis perveniunt»». Quomodo 
ergo erat voluntas Dei in iis salvandis quibus abscon- 
debatur ipsa cognitio veritatis? » (16). « Quid est enim 
nolle mysterium suae cognitionis ostendere nisi sal- 
vare. Non ergo omnes homines vult salvos fieri » (18). 
Non, il est faux que la grâce — soit efficace, soit suffi- 
sante, saint Fulgence parle absolument — soit offerte 
et donnée à tous : « Non ergo putemus gratiam Dei 
omnibus hominibus dari. Non enim omnium est fides, 
et quidem caritatem Dei non recipiuntut salvi fiant ^ ». 
a De gratia vero non digne sentit quisquis eam putat 
omnibus hominibus dari, cum non solum non omnium 
sit fides, sed adhuc nonnullae gentes inveniantur ad 
quas fidei praedicatio non pervenit... Nonitaque gratia 
omnibus datur^. » 

Mais alors, comment expliquer V omnes homines çult 
salvos fieri de / Timothée, ii, 4? L'auteur en présente 
les mêmes interprétations que saint Augustin. Le mot 
omnes doit s'entendre d'un certain nombre, ou désigne 
tous ceux qui sont effectivement sauvés, ou marque 
que les prédestinés sont pris « ex omni gente, condi- 
tione, aetate, lingua, ex omni provincia », ou que tous 
ceux qui sont sauvés ne le sont que par la volonté de 
Dieu 3. La conclusion est ferme : Dieu ne veut pas sauver 
tous les hommes. 

i. De verit. praedest., l, 42; 11,2. 

2. Epis t. XV, 10. 

3. De verit. praedest., III, 14, 13, 17-22 ;£pisf. XV, 1S;XVII, 61-68. 



304 HISTOIRE DES DOGMES. 

Et ce qui est vrai des hommes en général l'est en 
particulier des enfants. Sans doute, si certains enfants 
meurent sans baptême, ce n'est pas toujours que la 
grâce leur ait manqué ; une grâce qui leur a été donnée 
dans leurs parents, et à laquelle ceux-ci n'ont pas cor- 
respondu ^ ; mais il est vrai aussi que quelquefois l'em- 
pressement et la bonne volonté des parents se sont 
trouvés inutiles, parce que Dieu ne les a pas secondés : 
« Nonne hic et pia parentum voluntas atque cursus ex 
Deo fuit, sed ideo non profuit, quia ut parvulus bapti- 
zaretur ex Deo non fuit ^ ? » Ces enfants, saint Fulgence, 
comme saint Augustin, les condamne « gehennali in- 
cendio », « igni aeterno » , « interminabilibus ignis aeterni 
poenis^ ». 

§ 4. — Saint Césaire et le second concile d'Orange *■.. 

Quand saint Fulgence s'efforçait ainsi d'écraser le 
système de Fauste sous l'autorité de saint Augustin, 
Fauste était mort depuis longtemps ^. Mais ses idées 
comptaient toujours des partisans,etlalutteentreaugus- 
tiniens et semi-pélagiens aurait pu indéfiniment se pro- 
longer en Gaule, si un homme n'avait été assez heureux 
pour faire accepter des deux partis une solution qui, 
tout en donnant au fond raison aux augustiniens, évi- 
tait cependant de consacrer leurs assertions les plus 
dures, et faisait à la liberté humaine dans l'œuvre du 

i.De vertt.praedest.,î, 18, 21. 

2. De verit. praedest., I, 26. 

3. De verit. praedest., 1, 13, 31 ; m, 36; Epist. XVII, 28. 

4. V. plus bas (p. 321, note 6) la notice bibliographique sur saint Césaîre.^ 
Sur la que-tion traitée ici on consultera : A. Malnory, SaintCésaire, évêque 
d^ Arles, Paris, 1894. C. F.Arnold, Caesarius von Arelate, Leipzig,. 1894. 
P. Lejay, Le rôle théologique de Césaire d'Arles, II, Le péché originel 
et la grâce, dans la iîevMe d'hist. et de lillér. religieuses^ X (1905), p. 21T 
et suiv. 

5. Il mourut après 485, mais plusieurs années avant l'an 500. 



LE SEMI-PÉLAGIANISME. 305^ 

salut une part raisonnable. Cet homme fut l'évêque 
d'Arles, saint Césaire. 

Saint Césaire avait fait en partie son éducation théo- 
logique à Lérins, et connaissait bien, par conséquent, 
les répugnances qu'y soulevaient les idées augusti- 
niennes ; mais, transporté, vers 496, à Arles, puis agrégé 
vers 498 au clergé d'Eone, il s'était pénétré, par les 
soins peut-être de Julien Pomère^ de la doctrine de^ 
saint Augustin. Des découvertes récentes, ajoutant à ce 
que l'on savait déjà, ont établi que, s'il n'en a pas re- 
produit les affirmations extrêmes, il en a accepté l'es- 
prit et les enseignements principaux 2. 

Or, ces enseignements, nous l'avons dit, continuaient- 
a rencontrer des résistances dans le midi de la Gaule. 
En 527 ou 528, un concile se tint à Valence principale- 
ment des évêques burgondes dépendant de Vienne^ 
Nous n'avons de détails sur ce concile que par le bio- 
graphe de saint Césaire ^ ; mais en combinant ce qu'il 
en dit avec la réponse du pape Boniface à Césaire *, on 
voit que l'évêque d'Arles y comptait des adversaires 
doctrinaux qui se proposaient d'y faire triompher leurs 
idées ^. Césaire, ne pouvant se rendre au concile, para 
le coup en envoyant, entre autres délégués, l'évêque 
Cyprien de Toulon porteur d'un mémoire dans lequel, 
en s'appuyant sur l'autorité de l'Écriture, des saints 
Pères et des papes, on affirmait « nihilper seindivinis 
profectibus quemquam arripere posse fiisi fuerit pri- 



!• V. sur ce personnage la notice da continuatear de Gennade, De- 
scriptor. ecclesiast., 93. 

2. V. l'opuscule édité par D. MORiN,Ket)Me bénédictine, Xni(d896), p. 433 
et suiT., et le sermon XXII (P. L., XXXIX, 1786). On trouve des traits analo- 
gues dans les autres sermons. Sur le tout, v. P. Lejay, loc. cit., p. 220-i38. 

3. I, 46 {P. L., LXVn, 1023). 

4. Epist. I, P. L., XLV, 1790. 

5. C'est de cette façon que l'on explique généralement la suite des 
événements. D'autres auteurs ont mis le concile de Valence après celui» 
d'Orange. 



306 HISTOIRE DES DOGMES. 

mitus Dei gratia praeveniente vocatus... Et quod tune 
vere liberum homo résumât arbitrium, cum fuerit 
Christi liberatione redemptus * ». 

Le danger était momentanément écarté. Pour le con- 
jurer dans l'avenir, Césaire se tourna du côté du pape, 
dont il était d'ailleurs le vicaire dans les pays transal- 
pins, et lui envoya, pour qu'il les approuvât, les Capi- 
tula sancti Augustîni in urhe Romae transmissa, au 
nombre de dix-neuf ^. Le pape était alors Félix IV. Il 
renvoya à Césaire son document, mais singulièrement 
modifié. Des dix-neuf capitula huit seulement étaient 
retenus : on avait exclu les autres et notamment les 
numéros xi-xiv, relatifs à la prédestination et à la ré- 
probation. En revanche, on avait ajouté seize proposi- 
tions tirées des Sententiae extraites de saint Augustin 
par saint Prosper ^. Césaire en introduisit une dix- 
septième qui n'avait pas la même origine ■♦, retoucha 
quelques-unes de celles qu'il avait reçues, rédigea une 
sorte de conclusion en forme de profession de foi, et 
soumit le tout à la signature des évéques réunis à Orange 
le 3 juillet 529. 

Ces évéques étaient seulement au nombre de qua- 
torze, Césaire y compris, venus là pour la consécra- 
tion d'une basilique; mais leurs décisions obtinrent 
bientôt, grâce à la confirmation du pape, une autorité 
sensiblement équivalente à celle des décisions des plus 
grands concilfes. En voici la substance ^ : 

1. s. Caesarii vita, I, 46. 

2. Mansi, vitl, 72-2-724. Je suis ici M. Lejay, loe. cit., p. 2S0 et suiv. Un 
manuscrit de Namur en ajoute dix autres (Pitra, Anotecta sacra, V, 16f, 
462), que D. Morin considère comme un développement ultérieur donné 
par Césaire à son projet de déOnition. 

3. P. L.. XLV, 4861, ou LI, 427. Ce sont les sentences 22, 54, 56, 132, 212, 
226, 260. 297, 299, 310, 314, 317, 325, 340, 368, 372. 

4. C'est celle qui porte, dans les définitions du concile d'Orange, le 
numéro 10. 

5. V. le texte dans P. L., XLV, 4783 ; Man5i, VIII, 712; Hahn, Biblioth., 
S 174 ; Hefele-Leclercq, HisL dss conciles, II, 2, p. 1093. 



LE SEMI-PÉLAGIANISME. 307 

1. Par la prévarication d'Adam, l'homme a été « se- 
cundum corpus et animam in deterius commutatus ». 

2. La prévarication d'Adam n'a pas nui à lui seul, 
mais à toute sa postérité, à laquelle il a transmis et la 
mort du corps, peine du péché, et le péché « quod 
mors est animae ». 

3. Ce n'est pas à la prière humaine qu'est accordée 
la grâce, mais c'est la grâce de Dieu qui nous fait 
prier ^. 

4. Dieu n'attend pas que nous voulions être purifiés 
du péché : c'est le Saint-Esprit qui produit en nous 
cette volonté. 

5. De même que l'accroissement de la foi, Vinitium 
fidei et Vipse credulitatis affectas ne viennent pas de 
la nature, mais sont en nous l'œuvre de la grâce. 

6. Miséricorde n'est pas faite par Dieu à ceux qui 
croient, veulent, désirent, s'efforcent, travaillent, veil- 
lent, s'appliquent, demandent, cherchent, frappent 
sans la grâce ; mais c'est le Saint-Esprit qui nous fait 
croire, vouloir, etc., comme il faut. Et de mt^me, Vad- 
iutorium gratiae ne s'ajoute pas à rhurnilité et à 
l'obéissance humaines : l'obéissance et l'humilité sont 
elles-mêmes une grâce de Dieu. 

7. a Si quis per naturae vigorem bonum aliquid quod 
ad salutem pertinet vitae aeternae cogitare ut expedit, 
aut eligere, sive salutari, id est evangelicae praedica- 
tioni consentire posse confirmât absque illustratione et 
inspiratione Spiritus sancti... haeretico fallitur spi- 
ritu. » 

8. Il est faux de dire que les uns viennent au bap- 
tême « misericordia », et que les autres puissent y 
venir « per liberum arbitrium » ; car c'est affirmer que 
le libre arbitre n'a pas été vicié en tous, ou du moins 

1. C'est-à-dire la prière ne précède pas la grâce, mais bien une pre 
miére grâce la prière. 



308 HISTOIRE DES DOGMES. 

qu'il n'a pas été blessé au point que quelques-uns ne 
puissent sine revelatione Dei et per seipsos rechercher 
le mystère du salut. 

9. « Divini est muneris cum et recte cogitamus et 
pedes nostros a falsitate et iniustitia continemas; quo- 
ties enim bona agimus, Deus in nobis atque nobiscum 
ut operemur operatur. » 

10. « Adiutorium Dei etiam renatis ac sanctis sem- 
per est implorandum, ut ad finem bonum pervenire 
vel in bono possint opère perdurare. » 

11. « Nemo quidquam Domino recte voverit, nisi ab 
ipso acceperit quod voveret. » 

12. « Taies nos amat Deus quales futuri sumus ip- 
sius dono, non quales sumus nostro merito. » 

13. « Arbitrium voluntatis in primo homine infîrma- 
tum nisi per gratiam baptismi non potest reparari : 
quod amissum nisi a quo potuit dari non potest reddi. » 

14. a Nullus miser de quacumque miseria liberatur, 
nisi qui Dei misericordia praevenitur. » 

15. Adam a été changé en pire par son péché, le 
fidèle est changé en mieux par la grâce : c'est une 
« mutatio dexterae Excelsi ». 

16. Que personne ne se glorifie de ce qu'il a comme 
s'il ne l'avait pas reçu, ou ne croie l'avoir reçu parce 
qu'il a lu ou entendu extérieurement la parole divine : 
ce que l'on a vraiment, on l'a reçu de la grâce de Jésus- 
Christ. 

17. a Fortitudinem gentium mundana cupiditas, for- 
titudinem autem christianorum Dei caritas facit, quae 
diffusa est in cordibus nostris non per voluntatis arbi- 
trium quod est a nobis, sed per Spiritum sanctum qui 
datus est nobis. » 

18. « Nullis meritis gratiam praevenientibus, debe- 
tur merces bonis operibus si fiant; sed gratia, qnae 
non debetur, praecedit ut fiant. » 



LE SEMI-PÉLAGIANISME. 309 

19. La nature humaine, même si elle était dans cet 
état d'intégrité dsins lequel elle a été créée, ne pourrait 
se conserver sans le secours de Dieu : à plus forte 
raison ne peut-elle, sans ce secours, recouvrer ce 
qu'elle a perdu. 

20. a Multa Deus facit in homine bona quae non 
facit homo : nulla vero facit homo bona quae non Deus 
praestat ut faciat homo. » 

21. De même que, si la Loi avait justifié, le Christ 
serait mort en vain, de même, si la grâce se confon- 
dait avec la nature, la mort du Christ aurait été inu- 
tile ; mais Jésus est mort pour remplir la Loi et réparer 
la nature perdue. 

22. « Nemo habet de suo nisi mendacium et pecca- 
tum. » Ce que l'homme a de vérité et de justice, il le 
tient de Dieu. 

23. « Suam voluntatem homines faciunt, non Deî, 
quando id agunt quod Dei displicet; quando autem id 
faciunt quod volunt, ut divinae serviant yoluntati, 
quamvis volentes agant quod agunt, illius tamen 
voluntas est a quo et praeparatur et iubetur quod vo- 
lunt. » 

24. Les fidèles vivent dans le Christ comme le ra- 
meau sur le tronc : c'est à eux par conséquent qu'il 
sert de rester dans le Christ, et qu'il reste en eux. 

25. « Prorsus donum est diligere Deum. Ipse ut 
diligeretur dédit qui non dilectus diligit. Displicentes 
amati sumus, ut fieret in nobis unde placeremus. » 

La profession de foi qui suivait les capitula en rele- 
vait les principaux enseignements, surtout celui de la 
nécessité de la grâce pour le commencement de toute 
bonne œuvre. Elle ajoutait que tous les baptisés, 
« Ghristo auxiliante et coopérante » , pouvaient et de- 
vaient, « si fideliter laborare voluerint, quae ad salutem 
pertinent adimplere ». Puis : « Aliquos vero ad malum 



310 HISTOIRE DES DOGMES. 

divina potestate praedestinatos esse non solum non 
credimus, sed etiam si sunt, qui tantum malum cre- 
dere velint, cum omni detestatione illis anathema dici- 
mus. » 

Les signatures données, Césaire s'occupa encore 
d'obtenir, pour tout ce qui avait été fait et décrété à 
Orange, la confirmation pontificale et s'adressa de 
nouveau à Rome. Mais Félix IV mourut sur ces entre- 
faites, et ce fut son successeur, Boniface II, qui, le 25 
janvier 531, répondit à l'évêque d'Arles ^. Le pape 
approuve, dans sa réponse, les décisions du synode et 
déclare sa profession de foi « consentanea catholicis 
Patrum regulis^ » (3). Il émet l'espoir que le zèle et la 
science de Césaire ramèneront à la vérité ceux qui ont 
été le jouet de l'erreur. 

Cet espoir ne fut pas déçu, et peu à peu l'apaisement 
se fît en Gaule sur ces questions irritantes. On y 
accepta les enseignements de Césaire et de son con- 
cile. Ces enseignements d'ailleurs , tout en consacrant 
la doctrine de l'impuissance pour le bien du libre arbi- 
tre laissé à lui-même ^, et de la nécessité de la grâce 
prévenante même pour le commencement de la foi et 
de l'œuvre du salut, restaient muets sur les points les 
plus vulnérables du système augustinien, et les plus 
violemment contestés entre les deux partis. Rien sur 
la malice intrinsèque de la concupiscence; sur la 
transmission par elle du péché d'origine ; sur la massa 
d&mnata, sur le sort des enfants mourant sans bap- 
tême ; rien sur la nature de la grâce et son action 



1. Epist. I, P. L., XLV, 1790 et LXV, 31. 

2. C'est spécialement sur cette profession de foi que paraît porter 
l'approbation du pape. 

3. C'est le point le plus spécifiquement augustinien des déclarations 
du concile. V. les capitula 9, 1", 20 et surtout 22, qui reproduisent les 
sentences 22, 297, 3U et 325 de saint Prosper. Le capitulum 22 notanj- 
ment a donné lieu à bien 4es discussions. 



LE SEMI-PELAGIANISME. 311 

irrésistible, sur la double délectation et ses entraîne- 
ments, sur le petit nombre des élus et la volonté sal- 
vifîque de Dieu. Rien sur la prédestination, sinon pour 
condamner ceux qui pensent que Dieu prédestine au 
péché et au mal. En revanche, on affirmait que tous les 
baptisés pouvaient et devaient, en unissant leurs efforts 
à la grâce de Dieu, remplir leurs devoirs. C'était im- 
plicitement affirmer que la grâce ne manque jamais 
aux chrétiens, et qu'elle ne fait pas tout en eux. 

Ainsi, tout en adoptant l'essentiel des vues de saint 
Augustin sur l'action de Dieu en l'homme et sur l'é- 
conomie de notre salut, l'Eglise ne faisait pas sien- 
nes toutes ses spéculations. Sans doute, à la fin de 
ces longues controverses qui duraient depuis plus 
d'un siècle, saint Augustin restait le vrai triompha- 
teur, cela n'est pas douteux. Pelage avait voulu faire 
de l'homme, par l'énergie de sa volonté et la tension 
de sa nature, le vrai auteur de son salut : Dieu n'in- 
tervenait que pour rendre ce salut plus facile. C'était 
la confusion des deux ordres naturel et surnaturel. 
Contre lui, l'évêque d'Hippone avait affirmé que le 
véritable et premier auteur de notre salut, c'est Dieu. 
L'homme a été réduit par le péché d'origine a une 
telle impuissance que, seul, il ne peut accomplir même 
le bien moral : il faut donc que Dieu le prédestine 
gratuitement, le prévienne, le relève, le soutienne, le 
porte pour ainsi dire jusqu'au ciel. Pour Pelage, les 
actes surnaturels étaient l'œuvre de la nature : pour 
saint Augustin, il n'y avait plus d'actes bons naturels : 
la nature posait une condition du salut, le travail sous 
l'action de la grâce ; mais la grâce travaillait encore 
avec elle et pénétrait toute son action. 

Or à certains esprits il avait paru que l'évêque 
d'Hippone avait exagéré l'impuissance de l'homme 
déchu, et que sa théorie de la prédestination absolue 



.-312 HISTOIRE DES DOGMES. 

rendait Dieu responsable de la perte des réprouvés. 
Mais, à leur tour, confondant les ordres naturel et sur- 
naturel ^ ils ne s'étaient pas contentés d'enseigner que 
le libre arbitre blessé, etnon aboli, pouvait, sansïa grâce, 
quelque chose dans l'ordre moral ; ils avaient prétendu 
qu'il pouvait, sans la grâce, quelque chose dans l'or- 
dre surnaturel et divin. C'était revenir à Pelage, et 
le nom de semi-pélagianisme, s'il est récent, n'en ca- 
ractérise pas moins exactement les vues de Cassien 
et de Fauste. L'erreur est bien démasquée par Pros- 
per, Fulgence, Césaire et le concile d'Orange. La 
nature et le libre arbitre laissés à eux-mêmes sont 
déclarés incapables de réaliser et de commencer si 
peu que ce soit l'œuvre surnaturelle du salut. Par 
le fait même. Dieu est proclamé dans cette œuvre le 
premier agent, l'agent nécessaire qui suscite en nous 
les premiers désirs comme il procure l'accomplisse- 
ment effectif du bien. Saint Augustin triomphe donc 
au fond, la chose est certaine : il est le docteur de 
la grâce, et l'essentiel de sa doctrine est devenu la 
doctrine de l'Église. Mais cependant, les efforts de 
ses adversaires n'ont pas été inutiles. En défendant 
contre lui la cause de la nature, ils ont écarté de l'en- 
seignement officiel les plus impitoyables de ses con- 
clusions, et maintenu à cet enseignement son carac- 
tère largement humain. 

1. Cette confusion est bien notée par le pape Boniface II, Epiit. 1, 3. 



CHAPITRE IX 

tA. THÉOLOGIE LATINE BEPUIS LA MORT DE SAINT AU- 
GUSTIN (430) JUSQU' AU DÉBUT DU RÈGNE DE CHAftLE- 
MAGNE (771). 

§ 1. — Aperçu historique et patrologique. 

C'est dans les limites de l'empire romain d'occi- 
dent que s'était développée, jusqu'au v^ siècle, la théo- 
logie latine. Mais le moment était venu où cet empire 
lui-même allait disparaître et où, de ses débris, al- 
laient se former de nouveaux royaumes. Saint Augus- 
tin était mort dans Hippone investie par les Vandales. 
Neuf ans après, en 439, ceux-ci s'emparaient de Car- 
thage et] devenaient] maîtres de toute l'Afrique. Le 
génie de Bélisaire la leur arracha, il est vrai, cent ans 
plus tard, en 534 ; mais, dès 640, de nouveaux enne- 
mis, les Arabes, envahissaient TÉgypte et mena- 
çaient la Cyrénaïque. En 698, Carthage tombait défi- 
nitivement en leur pouvoir. Ce fut la fin, en Afrique, 
de la domination byzantine et presque de l'Église 
chrétienne. 

Les Vandales étaient venus de l'Espagne où ils 
avaient pénétré, de concert avec les Suèves et les 
Alains, dès l'an 409. Les Visigoths y entrèrent à leur 
tour en 414, et le pays fut d'abord divisé entre ces 

18 



314 HISTOIRE DES DOGMES. 

divers conquérants. Puis, successivement, l'unité se 
fit au profit des Visigotlis. En 585, elle était achevée 
par Léovigilde, le père d'Herménégilde et de Réca- 
rède. Le nouveau royaume cependant ne dura que 
cent vingt-cinq ans. En 711, les Arabes, sous la con- 
duite de Tarik, passaient la mer et soumettaient toute 
l'Espagne. Un groupe seulement de patriotes irréduc- 
tibles se retrancha dans les montagnes des Asturies, 
et, patiemment, commença contre l'islam l'œuvre de 
la libération du territoire. 

La Gaule fut l'objet de conquêtes et de remanie- 
ments analogues. En 413, les Burgondes y fondent, 
dans la partie supérieure du bassin du Rhône, le 
royaume de Burgondie, pendant que les Visigoths s'é- 
tablissent au sud-ouest entre la Loire et les Pyrénées. 
De lenr côté, les Francs s'avancent au Nord jusqu'aux 
bords de la Somme (428). Clovis s'empare successi- 
vement des provinces du centre toujours sujettes des 
Romains (486), de l'Aquitaine moins la Septimanie qui 
reste aux Visigoths (507), et de la Burgondie qui de- 
vient tributaire (500) ^ Les cités armoricaines elles- 
mêmes, au nord-ouest, reconnaissent son autorité ■'^. 
L'unité cependant n'est que transitoire. Refaite sous 
Clotaire P^ (558-561), puis sous Clotaire II (613-628), 
elle se trouve constamment rompue par les partages 
qui distribuent le territoire entre les enfants du roi 
défunt, et par les luttes intestines qui arment ces hé- 
ritiers les uns contre les autres. La dynastie des mé- 
rovingiens s'épuise au milieu de ces divisions, et dis- 
paraît complètement en 752, pour céder la place à 
Pépin le Bref et aux carolingiens. 

Dans la Grande-Bretagne, la domination impériale 

i. La Burgondie fut incorporée au royaume des Francs en S34. 
2. Momentauément; car elles s'efforcèrent en réalité de garder leur 
indépendance. 



L\ THÉOLOGIE LATINE DE 430 A 771. 315 

avait pratiquement disparu dès le premier quart du 
V* siècle, avec la retraite des troupes romaines sur le 
continent (426). Incapables de se défendre seuls, les 
Bretons indigènes avaient dû subir les invasions des 
Saxons (453), puis des Angles (547), d'où était sortie 
THeptarchie saxonne (584), c'est-à-dire la réunion des 
sept royaumes fondés par les envahisseurs. 

Quant aux provinces placées au nord et à l'est de 
l'Italie, le long du Danube, leur appartenance à l'em- 
pire n'était guère que nominale et le devint de plus en 
plus. Occupées en grande partie parles Goths, les Huns 
et les Vandales, elles furent comprises dansle royaume 
des Ostrogoths et de Théodoric en 493. 

Restent l'Italie et Rome, le cœur de cette vaste or- 
ganisation. Dès 402, Ravenne était devenue la capi- 
tale effective des possessions impériales en Occident. 
Une première fois, Rome est prise et pillée par Alaric 
et ses Visigoths en 410; une seconde fois, en 455, par 
les Huns de Genséric. Au milieu d'un incroyable dé- 
sordre et parmi d'innombrables compétitions, l'empire 
romain d'Occident s'écroule sous les coups des bar- 
bares qui, seuls, le soutenaient depuis un siècle, et qui 
n'eurent, pour l'anéantir, qu'à se retourner contre 
lui. En 476, Odoacre, roi des Hérules, est proclamé 
roi d'Italie. Son règne ne dure que dix-sept ans. Dès 
493, Théodoric, qui l'a vaincu et tué, s'installe à sa 
place avec ses Ostrogoths. Sous son gouvernement 
intelligent et ferme, la sécurité revient pour quelque 
temps. Mais ses successeurs ne savent pas garder sa 
conquête. Elle leur estarrachéeparBélisaireet Narsès, 
lieutenants de Justinien, et l'année 553 voit la fin du 
royaume des Ostrogoths en Italie et la restauration de 
l'autorité des empereurs byzantins. Celle-ci se trouve 
bientôt réduite à l'exarchat de Ravenne (Rome, Naples, 
la Sicile), par l'invasion et l'établissement des Lom- 



316 HISTOIRE DES DOGMES. 

bards dans la Haute-Italie (568). En 752, leur roi 
Astolphe s'empare même de l'exarchat, et menace Rome. 
Les papes invoquent contre lui et son successeur Di- 
dier le secours de Pépin, puis de Charlemagne. En 
774, le royaume lombard disparaît, et Charles est 
proclamé roi des Lombards et patrîce de Rome, en 
attendant qu'il soit couronné empereur d'Occident 
(800). 

Les lignes qui précèdent ne donnent même pas une 
idée des convulsions qui ont agité les territoires occupés 
par l'Eglise latine pendant la période que nous étu- 
dions : elles n'ont pour but que de fournir une orien- 
tation générale et de fixer quelques dates. Au milieu de 
ces convulsions cependant, la foi de l'Eglise se perpétue, 
elle s'étend même malgré les persécutions des enva- 
hisseurs idolâtres ou hérétiques ariens ; l'unité reli- 
gieuse retient les membres de cette grande famille que 
les barbares se partagent. Mais on comprend que des 
temps pareils soient peu faits pour la sereine contem- 
plation et la spéculation pure. A mesure que les des- 
tructions s'opèrent et que les ténèbres s'épaississent, 
on sent au contraire de plus en plus le besoin de con- 
denser en des formules simples et d'un caractère pra- 
tique, adaptées aux générations nouvelles, les résul- 
tats acquis par les Pères et les théologiens des âges 
précédents. C'est à saint Augustin généralement qu'on 
en emprunte la matière. Il avait lui-même résumé 
toute la tradition des quatre premiers siècles : il ali- 
mentera celle des siècles suivants, mais sans d'ailleurs 
les faire hériter ni de son génie, ni de la plénitude de 
sa pensée. L'augustinisme de saint Césaire, de saint 
Grégoire, de saint Isidoresera un augustinisme étriqué, 
ramené au niveau des esprits moyens. Grâce à eux 
cependant le meilleur de la réflexion religieuse an- 
cienne sera conservé et passera au moyen âge, en atten- 



LA THÉOLOGIE LATINE HE 430 A 771. 317 

dant qu'une renaissance se produise, et donne à la 
théologie un nouvel essor. 

Il serait trop long, on le conçoit, d'énumérer et 
d'apprécier ici les nombreux écrivains qui se sont 
succédé dans l'Église latine depuis la mort de saint 
Augustin jusqu'au début du règne de Charlemagne. 
Nommons au moins les principaux. A Rome, deux 
papes personnifient admirablement le génie romain, 
saint Léon(év. 440-461)', et saint Grégoire (590-604)2. 
La postérité leur a donné à tous deux le surnom de 
Grand, et ils le méritent par la force de leur caractère, 
par leur dévouement au bien de l'Église et de l'État, 
par la sagesse et l'art suprême de leur gouvernement . 
Théologiens, ils le sont comme des romains de nais- 
sance et de tempérament pouvaient, et comme des 
papes le doivent être, avec cett« juste mesure qui 
néglige les questions oiseuses et qui exclut les solu- 
tions extrêmes. Seulement, saint Léon est plus ori- 
ginal, plus capable de spéculations et de vues per- 
sonnelles. Appelé à départager l'Orient dans la 
querelle christologique, il a médité profondément le 
mystère de l'incarnation, et en tire, pour tout soa 
enseignement moral, des conséquences lumineuses. 
Je ne parle pas de son style, un des plus beaux qu'ait 
connus la Rome chrétienne. A côté de cette parole, 

1. Saint T.éon est cité ici d'après l'éditiou desBallerini reproduite par 
la Patrologîe icrftne, tom. Lî^'-LVI. — Travaux : Ed. Perthel. Pabst Leo'sl 
Leben und Lehren, Jena, 1843. Ph. Kuhs, Die Christologie Leo's I des 
Grossen, Wûrzburg, •1894. Baiidenhewer, t. IV, p. 617-622. p. Batiffol, 
article S. Léon, du DicU de tkéol. cath. 

2. œuvres dans P. L., LXXV-LXXIX. — Travaux : H. Grisab, S. Grego- 
rio Magna, Roma, 1904. Der roemische Primat nach der Lehre vnd 
der Regierung-Praxis Gregors des Grossen, dans Zeitschrift kathol. 
Theol. m, 1«79, 63S-693. Snow, St Gregory the Great, his loorkand his 
spirit, London, 1892. F. H. Dhdden, Gregory the Great, his place in 
history and Ihought, London, 1903. P. Batiffol, Saint Grégoire le Grand, 
Paris, 19Î28. 

18. 



318 HISTOIRE DES DOGMES. 

celle de saint Grégoire paraît singulièrement terne. 
Sa doctrine théologique aussi est, dans son ensemble, 
moins vivante et moins haute. Elle s'est formée par 
la lecture de saint Augustin, mais elle s'accommode à 
la médiocrité du temps, et au caractère tout pra- 
tique que peuple et clergé donnent alors à la religion. 
On a beaucoup reproché à saint Grégoire la crédulité 
dont il fait preuve dans ses Dialogues. Mais il ne faut 
voir, je crois, dans ce livre curieux, que l'honnête dé- 
lassement d'un esprit fatigué des affaires, et qui trouve 
volontiers, dans un merveilleux qu'il ne discute pas, 
une diversion aux tristesses de la réalité. C'est par sa 
correspondance surtout qu'il convient déjuger de l'in- 
telligence et du caractère du grand pontife ; et cette 
correspondance est de tout point admirable. 

Saint Pierre Chrysologue [y vers 450)^ et saint 
Maxime de Turin (-|- vers 470) ^ sont contemporains 
de saint Léon. Ils ont laissé l'un et l'autre des sermons 
dont l'édition définitive n'est pas encore faite, et qui 
n'ont pour l'histoire du dogme qu'une importance 
secondaire. Il en va autrement des écrits philosophi- 
ques et théologiques de Boèce(v. 480-525) 3, le ministre 
malheureux de Théodoric. Les premiers devaient 
initier tout le moyen âge à la connaissance d'Aristote 
et de Porphyre; les seconds, fort courts, représentent 
un efl'ort rigoureux pour justifier rationnellement et 
traduire en langage philosophique surtout les mys- 
tères de la Trinité et de l'incarnation. Quant au De 

1. Œuvres dans P. Z,., LU. — Travaux : H. Dapper, Der heil. Petrus 
Chrysologus, der ersle Erzbishof von Ravenna, Kôfn-Neuss, 4867. Fl. 
y.SrÀBLEViss.1, Der hl. Kirchenv.Potrus von Ravenna Chrysologus, Posen, 
1871. Bardenuewer, t. IV, 60&-610. 

2. Œuvres dans P. L-, LVli. Bardenhewer, p. 610-613. 

3. Œuvres dans P. L., LXIIt, LXIV. — Travaux : L. G. Bourquard, De 
A. M. Severi7io Bofthio, chrisli'ino vira, Andegavi, 1877. A. Hildebrand, 
Boëlhius und seine Stellwig zum Chris tenthum, Regensburg, 1885. 
H. F. Stewart, Boethius, an essay, London, 1892. 



LA THEOLOGIE LATINE DE 430 A 771. 319 

consolatione philosophiae, le plus connu des ouvrages 
de Boèce, c'est proprement un livre de philosophie 
religieuse, qui peut passer, si l'on veut, pour une apo- 
logie de la Providence, et où le christianisme, sans 
se montrer, soutient tout. C'est à tort qu'on a voulu y 
voir l'œuvre d'un païen. 

Boèce est un spéculatif : Cassiodore (v. 477-570)^, 
son ami et, comme lui, ministre de Théodoric, est 
un génie tout pratique. S'étant retiré du monde vers 
l'an 540, il aurait voulu fonder pour l'Occident une 
école de théologie qu'il sentait nécessaire. Ne le pou- 
vant pas, il donne du moins dans ses Institutiones 
divinariim et saeculariuni lectionum, un guide pour 
l'acquisition des sciences divines et humaines, et tra- 
vaille à développer dans les monastères le goût de 
l'étude. Peu d'hommes ont mérité, autant que lui, de 
la civilisation et des lettres. 

Entre les prélats africains qui bataillèrent contre 
le semi-pélagianisme, on a déjà plus haut nommé saint 
Fulgence (év. 507 ou 508, f 533)2. Bossuet l'appelle 
« le plus grand théologien de son temps » , et il est 
vrai que Fulgence est un théologien d'un esprit net, 
précis, vigoureux, qui débrouille bien les multiples 
difficultés qu'on lui soumet, et qui sait trouver ordi- 
nairement dans son saint Augustin la réponse à y 
faire. C'est dire qu'il est généralement peu personnel; 
mais ce n'est pas un simple plagiaire : il s'est assi- 
milé la doctrine du maître, et il la reproduit comme 
une chose qu'il a faite sienne par la méditation et l'é- 
tude. A côté de lui, paraît le diacre Ferrand, de Car- 
thage, que l'on sait avoir été aussi fort consulté par 

1. OEuvres daas P. L., LXIX, LXX. — Travaux : A. Frahz, M. Aurc- 
liiis Cassiodorus Senator, ein Beitrag zur Gesckichteder iheol. Litera- 
tur, Breslau, 1872. G. Minai^i, U.A. Cassiodoro Senaiore, Napoii, 4895. 

2. œuvres dans P. L., LXV. — Travaux : A. JUlly, Das Leben de* 
heil. Fulgentius.,., Wien, 1883. 



320 HISTOIRE DES DOGMES. " 

ses contemporains, mais dont il ne reste que quelques^ 
lettres et une compilation canonique * . 

Saint Fulgence ne s'était pas occupé seulement des 
questions de la grâce : il s'était occupé aussi, on l'a 
vu, de la question christologique, en réponse aux moi- 
nes Scythes : il s'occupa du problème trinitaire pour 
réfuter les Vandales ariens. Sur ce dernier terrain de 
combat, ses auxiliaires paraissent avoir été nombreux, 
si nous en jugeons par le grand nombre d'écrits afri- 
cains de cette époque, dirigés contre l'arianisme, 
écrits dont il est parfois difficile de désigner les au- 
teurs. Au moins sait-on que l'évéque de Tapse, Vi- 
gile, mort peu après 520, en avait composé plusieurs, 
dont un au moins est conservé ^. On possède égale- 
ment un court traité de l'évéque Céréalis de Castellum 
(v. 484) contre l'arien Maximin^. La controverse des 
trois chapitres, dans laquelle les africains en général 
prirent parti contre le pape et l'empereur, suscita 
aussi une littérature abondante. On connaît entre au- 
tres le grand traité de Facundus d'Hermiane, Pro 
defénsione trium capitulorum (546-548), son Liber 
contra Mocianum et son Epistula fideî* ; les Excerp- 
tiones de gestis chalcedonensis concîlii de Verecun- 
dus de Junca {-]- v. 552) 5, et le Brenarium, surtout 
historique, du diacre Libérât de Carthage (560-566)*. 

Si de l'Afrique nous remontons en Gaule, nous re- 
marquons d'abord que toute l'activité théologique 
semble concentrée dans le midi, autour de Lérins, 
Marseille et Vienne '. C'est de Marseille et de Lérins 

1. p. L., LXYII. 

2. OEuvres dans P. L., LXn. — Travaux : G. Fickkr, Studien zu Vigi- 
lius von Thapsus, Leipzig, 1897. 

3. P. L., LYin. 

4. P. L., Lxvn. 

5. PiTKA, Spicileg. Solesmense, lY, Paris, 4838. 

6. P. L., LXVIII. 

7. Sur saint Prosper, v, plus haut, p. 283. 



LA THEOLOGIE LA.TINE DE 430 A 771. 321 

que part le mouvement contre la doctrine augusti- 
nienne de la grâce et de la prédestination ; non pas 
qu'on n'y tienne en très haute estime le g'énie et les 
ouvrages de saint Augustin ; mais, si fidèlement qu'on 
le suive sur les autres points de son enseignement, 
on ne croit pas, en celui-ci, dévoir adopter ses vues. 
A Marseille appartiennent Cassien^, dont on a déjà 
parlé, le moraliste Salvien^ et le prêtre Gennade (fin 
du v® siècle) '. A Lérins appartient saint Vincent, l'au- 
teur du fameux Commonitorium (434) ^ ; et de Lérins 
sont sortis Honorât et Hilaire d'Arles, Eucher de Lyon, 
dont les écrits sont perdus ou sans intérêt pour notre 
objet, Fauste de Riez, encore vivant vers la fin du 
v' siècle^, et son adversaire, Césaire d'Arles (f 543)^. 
Ce dernier, un des meilleurs orateurs populaires de 
l'ancienne Eglise latine, est au plus haut point repré- 
sentatif" du caractère pratique et régulateur de cette 
Eglise. Césaire tourne à la conduite des âmes les dog- 
mes les plus abstraits; il aime les formules qui fixent 
et résument, les distinctions qui précisent, les clas- 
sifications qui introduisent dans les problèmes de la 
morale quelque chose des procédés du droit. Vivant au 

1. œuvres dans P. L., XLIX, L. V. plus haut. p. 276, les travaux 
signalés. 

2. (ouvres dans P. L., LUI. 

3. œoTres dans P. L., LVm. 

■i. P. L., L. — Travaux : R. Poirel, De utroque Commonitorio liri- 
ntnsi, Nanceii, 1896. p. de Labriolle, Saint Vincent de Lérins (Pensée 
chrétienne), Paris, 1906. Bardenhewer, t. IV, p. 579-582. 

5. V. plus haut, p. 293, l'édition et les travaux signalés. 

6. Impossible d'indiquer une édition un peu complète de ses œu- 
vres. La Patrologie latine, t. LXVII et t. XXXIX (parmi les sermons 
apocryplies de saint Augustin), en contient une partie. D. Morin en a 
publié d'autres et annonce une édition complète. — Travaux : 
A. Malnory, Saint Césaire, évêque d'Arles, Paris, 1894. C. F. Arnold, 
Caesarius von Arelate, Leipzig, 189i. P. Lejay, Le rôle théologique de 
Césaire d'Arles, Paris, 1906. 



322 HISTOIRE DES DOGMES. 

milieu des barbares, et sentant que la haute culture va 
se perdre, il veut au moins transmettre quelques rè- 
gles de foi et de conduite simples au peuple qui l'envi- 
ronne. Sa popularité même malheureusement a nui à 
son héritage littéraire, et on lui a si souvent emprunté 
qu'il est devenu difficile de lui restituer entièrement ce 
qui lui appartient. 

Fauste trouva un adversaire de sa doctrine de l'âme 
dans le prêtre Claudien Mamert de Vienne {f v. 474)'. 
Un peu plus tard le grand évêque de la même ville, 
saint Avit(év. 490, -f- 526) ^, se distingua dans la poésie, 
mais écrivit aussi en prose contre les eutychiens et 
les ariens. 

En Espagne, la littérature théologique, longtemps 
empêchée de se produire par les guerres qui boulever- 
sèrent la péninsule ibérique, jeta un nouvel éclat à la 
fin du VI® et durant le vn« siècle. Saint Martin de 
Braga (-f- 580) est surtout un moraliste : on lui doit 
cependant un opuscule sur le rite baptismal ^. Mais le 
grand docteur espagnol est saint Isidore de Séville 
(év. v. 600, -f 636)^. Célébré par les conciles à l'égal 
des Pères les plus fameux, saint Isidore mérite ces 
éloges par l'étendue de son érudition et la fécondité de 

1. OF-uvres dans P. L,, LUI. — Travaux : M. Schulze, Dte Schrift des 
ClaudianuB Mamertiis... ûber dos Wesen der Seele, Dresden, 1883. 
R. DE LA Broise, Mamerti Claudiani vita eiusque doctrina de anima 
hominis, Paris, 1890. Bardenhewer, t. IV, p. 591-594. 

2. Edit. Ulyssk Ckevxuek, Œuvres complètes de saint Avit, év. de 
Vienne, Lyon, 1893. — Travaux : H. Denzinger, Aie. Ec lic- Avitus, 
archev. de Vienne, Genève, 1890. P. N. Frantz, Avilus von Vienne, 
Greifswald, 1908. P. de Labriolle, Hist. de la litt. lat. chrét.^, Paris, 
1924, p. 648 fôl. 

3. Cet opuscule. De trina mersione, se trouve dans Flouez, Espana 
sagrada, XV. 

4. OEuvres dans P. L., LXXXI-LXXXIV. — Travaux : M. Menaxdez 
Pelayo, Saint Itidore et l'importance de son rôle dans l'histoir" intel- 
lectuelle de l'Espagne, trad. fratiç. dans les Annales de phUo<ophie 
chrétienne, toin. VII, 1.S8-2, p. 238-269. G. H. Beeso.v, Isidor-S Indien, 
Hiinciien, 1913. De Labriolle, p. 695-~00. 



LA THÉOLOGIE LATINE DE 430 A 771. 323 

sa plume. Il s'est efforcé, dans- ses écrits encyclopé- 
diques, d'embrasser les sciences divines et naturelles 
à la fois, et de léguer au moyen âge un répertoire des 
connaissances humaines. Mais c'est là, on le comprend, 
bien plus une œuvre de compilation que de réflexion 
personnelle. Saint Grégoire et saint Augustin ont 
fourni le plus clair de sa théologie. 

De l'évéque de Tolède saint lldefonse (év. 659-667) < 
on possède entre autres un traité assez important De co" 
gnitione baptismi qui reproduit au moins dans son fond, 
ont pensé quelques critiques, un ancien traité (perdu) 
sur le même sujet de Justinien évêque de Valence, mort 
après 546. Tolède eut un second théologien peut-être 
égal, et même supérieur en originalité à saint Isidore, 
dans l'évéque saint Julien (év. 680-690) ^. Né de pa- 
rents juifs, Julien fut à la fois historien, théologien et 
controversiste, homme d'Église et homme d'État, et 
jeta, par son talent, un dernier éclat sur le royaume 
visigothique expirant. 

C'est par le nom du vénérable Bède (672-735) ^ que 
nous clorons cette courte revue patrologique. Bède a 
été pour l'Angleterre ce que saint Isidore a été pour 
l'Espagne, un écrivain qui s'est efforcé de lui trans- 
mettre un résumé des sciences connues, et en particu- 
lier la quintessence des auteurs ecclésiastiques qui 
l'ont précédé. Esprit original et libre quand il compose 
l'Histoire de l'Église d'Angleterre, il s'attache étroite- 
ment à ses devanciers dès qu'il parle doctrine et théo- 
logie. C'est peut-être chez lui modestie voulue autant 

1. œuvres dans P. L., XCVI. 

2. œuvres dans P. L., XCVI. — Travaux : R. Hanow, De luliano tole- 
iano, lenae, 1891. P. a Wencen, Iulianus, Erzbischof von Toledo, 
St-Gallen, 1891. 

3. œuvres dans P. L., XC-XCV. — Travaux : K. Werner, Beda der 
Ehrwûrdige und seine Zet<, Wien, 2« édit., 1881. B. PLAiNE,Le vénérable 
fiède, docteur de l'Eglise dans la Revue anglo-romaine, III, 1896, p. 
♦6-96. 



824 UrSTOIRE DES DOGMES. 

qtte réserve prudente, et moins preuve d'impuissance 
que d'humilité. 

Quoi qu'il en soit, cette note d'impersonnalité est 
en somme, on le voit, la note dominante chez les écri- 
vains dont nous avons à nous occuper, surtout vers la 
fin de la période que nous envisageons ici. Ils ne 
croient pas qu'après les génies qui les ont précédés, il 
soit possible de renouveler ni de faire progresser 
l'exposé doctrinal. Ils classent, ils codifient, ils donnent 
à leurs correspondants des solutions et des éclaircis- 
sements ; ils tiennent des conciles pour réformer les 
mœurs, mais ils restent plutôt à la surface du dogme. 
Et l'on ne saurait vraiment s'en étonner quand on songe 
au temps où ils ont vécu. C'était beaucoup, à cette 
époque et dans ce milieu, que de conserver le passé, 
et que d'inculquer auxterribles néophytes qui entraient 
dans l'Eglise, les éléments du catéchisme. 

/ 

§ 2. — Les sources de la foi. L'Écriture, la tradition, 

la philosophie. 

Saint Vincent de Lérins se demandant à quelles au- 
torités doit avoir recours le chrétien qui veut conser- 
ver sa foi pure, et discerner l'erreur de la vérité, en 
indique deux, d'abord l'Écriture, puis la tradition ca- 
tholique : « primum scilicet divinae légis auctoritate, 
tum deinde Ecclesiae catholicae traditione^ ». Saint 
Fulgence répond de même aux moines scythes qu'il 
va leur dire sur leurs questions ce qu'il a appris « ca- 
nonicorum sancta auctoritate voluminum, paternorum 
quoque dictorum doctrina atque institutione ^ ». 

Il y a donc deux sources où l'on doit aller puiser la 
vérité catholique. La première est l'Écriture, les « 11- 

\. Commonitor., 2. 
2. Epis t. XVII. i. 



LA THÉOLOGIE LATINB DE 430 A 771. 325 

vres canoniques », comme s'exprime saint Fùlgence. 
Le catalogue de ces livres canoniques est déjà fixé dès 
la fin du IV* siècle pour l'Église latine. Un concile ro- 
main tenu sous Damase, probablement en 382, en a 
dressé la liste qui ne diffère pas sensiblement de notre 
liste actuelle ^ On la retrouve dans le quarantième ca- 
non d'un concile d'Hippone de 393 ^ et dans la lettre 
d'Innocent P' à saint Exupère de Toulouse^. Ces livres 
ont Dieu pour auteur ; « Quid est autem Scriptura sa- 
cra, demande saint Grégoire, nisi qnaedam epistula 
omnipotentis Deiad creaturamsuam"*?» C'est l'Esprit- 
Saint qui les a écrits, puisque c'est lui qui les a dic- 
tés^. Remplis de lui, mus et conduits par lui, les au- 
teurs humains, ravis en quelque sorte hors et au-dessus 
d'eux-mêmes, ont pu parler de leur propre personne 
comme d'une personne étrangère^. 

L'Écriture est d'ailleurs susceptible d'être entendue 
en plusieurs sens divers qui ne s'excluent pas. Â la 
suite de saint Jérôme, nos auteurs y distinguent, avec 
saint Grégoire^, un sens littéral, un sens typique (ou 
doctrinal) et un sens moral, ayant rapport à la con- 
duite dé la vie ; ou, plus complètement, avecCassien*, 
un sens historique et un sens spirituel, leq uel se sub- 
divise à sontouT ensens allégorique, sens anagogique 
(relatif aux mystères de Dieu et de la vie future) et sens 
tropologique ou moral. On sait avec quelle prédilec- 
tion ce dernier sens a été cultivé par saint Grégoire et 

i. C'est le canon contenu dans le fameux décret dit de Gélase, 
De libris recipiendis, P. L., LIX, 457-180. 

% Hansi, III, 924 ; cf. Hef&le-Leclerc<}, Bist, des conc, II, 1, p. 89. 
' 3. Epist, VI, 13 (P. L., XX, SOI}. On peut voir dans saint Ildefcnse de 
Tolède (De cognitione àaptistni, LXXVIII) les règles pratiques qu'il 
donne pour l'adoption des livres contestés. 

4. Epiit. IV, 31, col. 706. 

5. S. Grégouue, Morale Piaef., 2. 
«. ibid., 3. 

7. MoraLf praef., * ; In Ezechiel., I, bomil. VII, <0; homil. IX, 30. 
«. ColM.XtV, 8. 

BISTMRE DES DOGMES. — m. 19 



326 HIS^rOIRE DES DOGMESl 

• 

ses imitateurs. Vantemp des ^Morales n'©ïibKe pas ce- 
peadamt qu'en expliquant rÉcriture au sens spirituel, 
on ne doit jamais sacrifier le seasi historique : « Hoc 
tamen magnopere petimus ut qui ad spiritalem intelle- 
gentiam mentem sublevat a veneratione Mstoriae non 
recédât^. » 

Au point de vue doctrinal, l'Ecriture doit être consi- 
dérée comme la première autorité posée par Dieu dans 
son Église : étant la parole de Dieu, elle est infaillible 2. 
Elle serait, donc, en soi, parfaitement, suffisante pour 
éclaircîr toutes les difficultés et trancher toutes les 
controverses, mais, à cause de sa profondeur même, 
l'interprétation, en est malaisée, et chacun l'explique à 
sa façon. Il est donc nécessaire; qu'ime règle dirige 
cette interprétation» et dise en quel sens on doit en- 
tendre l'Écriture. Cette règle est l'enseignement, ec- 
clésiastique et catholique, ledogme catholique, les. tra- 
ditions de ril.glise universelle : « propheticae et 
apostolicae interpretationis. linea secundum ecclesia- 
stici et catholici sensus formam dirigatur... Divinum 
canonem secundum universalis Ecclesiae traditieaies, 
etiuxte catholici dogmatis régulas interpretentur^ ». 

Par cette dépendance où l'exégèse scripturaire est 
mise vis-à-vis delà tradition et de l'enseignement de 
l'Église, il est clairquel'Écritureiéesse d'être considérée 
comme la source suffisante et dernièpe de la foi, cewaame 
Ifejuge suprêmeet décidant par lui seul des. différends 
doctrinaux qui surgissent entre les chrétiens. Et de 
fait, il est peu de périodes théologiques ou renaît fait, 
autant que dans celle que nous étudions, appel àl'auto- 



±. Moral.,Tiî,oS; In evang.homil.'SJs, i. ' ■ 

2. S. Pkosper, Exposit. in psalm. CIII, T;.â!;.S.HAxniB se Tes. : «in 
Scripturis sanctis et bonestatis ductrina est et correptio dslictorum; et. 
eruditio veritatis, » (iSerwio. GX, col. 749)., 

3. Vrac. Lm., CommoniU, 2, 27, 29 ; Cassien, De tncam., V, S. 



LA THÉOLOGIE XATINE DE 430 A 771 . 32T 

rite delà tradition. Ge mot conserve encore, soins la 
plum«de saint Léon, son sens primitif de doctrioe et 
coiitùme transmise de vive voix ou par l'iisage. Saint 
Léon considère qnè « qnidquidab Ecclesiainconsuetu- 
dinem est devotionis receptum » procède « de tradi- 
tione apostolica et de sancti Spiritus doctrina ». Les 
collectes notamment, l^usage défaire les ordinations 1& 
dimancbe, de baptiser à Pâques, sont des traditions 
apostoliques*. Mais on s'aperçoit vite qae la tradition 
va se confondant de plus en plus avec l'enseignement 
de l'Église, avec l'ensemble des vérités <jae le magis- 
tère ecclésiastique impose à la foi des fidèles. On l'a vu 
déjà pour Vincent de Lériins ^. Cassiodore écrit de 
même que les écarts des hérétiques viennent de ce que 
« contraria matri (Ecclesiae) dogmata sunt secuti... ab 
eius sanctis tradrtionibus erraverunt^ » ; et ce qui nous 
resteàdire mettra encore davantage ce sens en relief. 
De cet enseignement de l'Église, de cette tradition 
doctrinale les organes nommés le plus souvent sont 
les Pères. On a dit plus baut que ce vocable commença 
à êtreusitê au v®^ siècle, pour désigner les plus autori- 
sés parmi les docteurs de la foi et les écrivains ecclé- 
siastiques. En Occidfâit, autant et plus peut-être qu'ea 
Orient, au moment où nous, sommes, on les considère 
comme les maatres de la vérité religieuse et on invo- 
que leur témoignage : « Plebs Dei noverit, écrit saint 
Léon, ea sibi praesenti doctrina insinuari quae Patres 
et acceperunt a pracedentibus suis et posteribus tradi- 
derunt '*"»;, et saint Fulgence: « Dignum itaque est... 
ut in singulis quibusque sèntentiis in quibùs nubilo 
cuiusquamobscuritatisambigimus, sanctorum Patrum 

« 

i. Sermo LXXIX, 1 ; VIII; EpisL IX, 1; XYI, 1; OiXVÏÏI^^, 
a. Et cf. Comwont*;^ 9. 
3.: in psoim.LVII, vers. 3» 
*. Êpisf. CXXIX, 2;XCIV. 



328 HISTOIRE DES DOGMES. 

defînitîonibus haereamus^ » Saint Césaire ne se lasse 
pas de nommer les Pères, les saints Pères, les saints 
et anciens Pères ^î et rien n'est plus suggestif à ce 
propos que de voir le concile du Latran, tenu sous 
Martin P"" en 649, commencer l'énoncé de chacun de ses 
onze premiers canons par la formule : « Si quis, secun- 
dum sanctos Patres, non confitetur... etc. ' ». C'est dire 
que la preuve par l'autorité des Pères est entrée large- 
ment dans l'usage théologique latin. Aussi, comme en 
Orient, compose-t-on, en Occident, pour appuyer les 
grandes thèses que l'on veut faire triompher, des dos- 
siers patristiques qui passent d'un auteur à l'autre, et 
qui forment un arsenal commun où chacun vient puiser. 
Saint Léon ajoute à sa fameuse lettre à Flavien un re- 
cueil de ce genre en 449*; il le reproduit et l'augmente 
dans une lettre à l'empereur Léon en 458 5. Le pape 
Martin en fait lire un autre au concile de 649 contre 
les monothélites^. 

Tous les écrivains ecclésiastiques cependant n'étaient 
pas mis au rang des Pères dont on doit suivre l'ensei- 
gnement. Le décret ^sevLdo-gêlaisienDelièrisrecipien- 
dis "^ ne s'occupe pas seulement des livres de l'Écri- 
ture qu'il faut accepter ou rejeter ;. il fait un triage 
parmi les auteurs ecclésiastiques connus, et distingue 
ceux que l'Église approuve et reçoit, et ceux qu'elle 



1. De verit. praedest., 1, 33; Episl. XVII, 1 ; cf. Cassiodore, De insliUt. 
divin, litter., XV, col. 1130. 

2. V. D. G. MoRix, Revue bénédictine, t. XXI (1904), p. 237. 

3. Hahn, Biblioth., S 181. 

4. V. L. SxLTET, Les sources de l'Eranistes de Théodoret dans la 
Revue d'hist. eeclésiast., VI, 1905, p. 290 et suiv. 

5. Ibid., p. 301. 

6. Mamsi, X, 1071 et suiv. 

7. Les deux première! parties de ce décret remontent, comme je 
l'ai dit plus haut, aa concile de Rome de 382 ; les autrçs sont posté- 
rieures, et ont dû recevoir des additions même après le pape Gélase 
(492-496). Voyex cependant P. Batiffol, Le Siège apostolique, p. 1»6-150. 



LA THEOLOGIE LATINE DE 430 A 771. 329 

ne reçoit pas *. Saint Vincent de Lérins remarque bien 
lui-même que l'on ne doit pas s'en rapporter aveuglé- 
ment à tous les Pères : « Eorum duntaxat Patrum sen- 
tentiae conferendae sunt, qui in fide et communione ca- 
tholica sancte, sapienter, constanter vivantes, docentes 
et permanentes, velmori in Christo fîdeliter, vel occidi 
pro Christo féliciter meruerunt^. » Il va plus loin, et 
décide que l'on doit seulement accepter comme cer- 
tain, dans l'enseignement des Pères, « quidquid vel 
omnes, vel plures uno eodemque sensu, manifeste, 
fréquenter, perseveranter, velut quodam consentiente 
sibi magistrorum concilio, accipiendo, tenendo, tra- 
dendo firmaverint ; quidquid vero, quamvis ille sanc- 
tus et doctus, quamvis episcopus, quamvis confessor 
et martyr, praeter omnes, aut etiam contra omnes sen- 
serit, id inter proprias et occultas et privatas opiniun- 
culas a communis etpublicae ac generalis sententiae 
auctoritate secretum sit' ». 

Ainsi, il y a une autorité supérieure à celle des 
Pères pris individuellement, c'est celle de l'Eglise qui 
approuve leurs ouvrages ; celle de la foi, de l'enseigne- 
ment général de l'Église auquel le leur doit être con- 
forme ; l'autorité de tous qui prévaut sur celle d'un 
chacun. « Praeiudicium secum damnationis exhibuit, 
écrit Cassien, qui iudicium universitatis impugnat*.» 
La foi de toutes les Églises est la voix de Dieu^. Nous 
revenons ainsi à l'idée d'un enseignement infaillible 
dont l'enseignement de chaque Père pris à part est 

1. Cf. ici la réponse d'Hormisdas à Possessor, à propos des livres de 
Fauste de Riez : < Neque illum (Fauste) reçipi, neque quemquam, quos 
in aactoritate Patrum non recipit examen, cathoiicae Gdei aut eccle* 
siasticae disciplinae ambiguitateni posse gignere aut religiosis praeiu- 
dicium posse comparare > {Epist. LXX, 13 août S20, P. L., LXIII,490). 

s. Commonit., S8, 29, 3. 

3. Commonit., 28. 

*. De incarnat.,l, 6. 

S. Ibid., V, 5. 



330 HISTOIRE DES DOGMES. 

une expression faillible, et qui n'a toute sa valeur 
d'inerrance que lorsque l'Egiise parle l<5ut entière '. 

Cette circonstance se réalise quand le's pasteurs 
dispersés sont unanimes dans leur sentiment sur un 
point donné de doctrine : elle se réalise aussi dans 
les conciles généraux. Pour qu'ils soient tels, saint 
Léon exige que les évéques y aient été convoqués « de 
cunctis provinciis-» ; mais il n'exige pas que tous ni 
même le plus grand nombre y aient assisté en effet, 
puisqu'il donne le titre de général au concile de Chal- 
cédoine, quiue réunit certainement pas cette majorité^. 
Aux réunions de TEglise universelle saint Vincent de 
Lérins n'hésite pas à attribuer une autorité irréfragable -* , 
et saint Grégoire, dans un texte classique, veut que 
l'on porte la même révérence qu'aux évangiles : « Sic 
quatuor synodes sanctae universalis Ecclesiae sicut 
quatuor libres sancti Evangelii recipînaus ^. » 

Le sentiment de l'Église universelle est donc une 
•sûre règle de foi. Et cependant on sait que Vincent de 
Lérins n'a pas semblé s'en contenter, cpi'îl exige, pour 
qu'unedoctrines'impose à la croyance du fidèle, qu'elle 
ait été admise partout, toujours et de tous :<(<juod ubi- 
-qu«, quod sempe'r,quod ab omnibus creditUTn est. Hoc 
-est etenim vereproprieque catholicum » ; qu'il veut que 



•1. Saint Fulgence, comme tertullien et saiot Irénée, trouve la garan- 
tie de cette intégrité de la croyance de l'Éslise dans l'ordre de la suc- 
cession épiseopale sur les sièges apostoliques : « Quaeifides usque nunc 
per successionum seriem in cathedra Pétri apostoli Romae vel Aniio- 
chiae, in cathedra Marci evangelistae in Alexandria, in cathedra loan- 
XLis evangelistaç Ephesi, in cathedra lacobi Hierosolymae, ab episcopis 
ipsarum nrbium praecKcatur » (De Trinit., I). 

2. Epis t. LXX5IX. 

3. Epîst. CXIV. . ' 

4. Commonit., 28, 29. 

5. Epist. III, 10; cf. IV, 3S; IX, lOC, col. 1032. Saint Grégoire ne parle 
pas du cinquième concile, soit parce que le parallélisme a.vec les 
quatre évangiles en eût été dérangé, soit plutôt parce que Le concile 
n'avait point porté de décisions de foi. 



LA THÉOLOGIE LATINE DE 430 A 771. 331 

l'on suive l'universalité, l'antiquité, le consentement 
général : « Hoc ita demum fiet si sequamur universita- 
tem, antiquitatem, consensionem^. » Il suppose, il est 
vrai, que la première condition peut manquer momen- 
tanément, mais non pas les deux dernières ^. On a beau- 
coup discuté sur la valeur théologique de ce canon de 
saint Vincent, et l'on s'est demandé, en plus, s'il n'était 
pas une arme de circonstance dirigée contre la doctrine 
de saint Augustin 3. Il suffira de remarquer ici que, en 
vertu de ses affirmations sur l'immutabilité substan- 
tielle du dogme et l'inerrance de l'Eglise, Vincent devait 
bien admettre que la foi actuelle de la majeure partie 
de l'Eglise représente la croyance ancienne, et que 
cette croyance ancienne avait réuni elle-même, en son 
temps, la majeure partie des docteurs et des fidèles. 
U uniçersitas entraînait Vanti^uitas et la consensio ; 
de même que la co/zse/zszo dans Vantiquitas entraînait 
Yuniversitas.Mais d'ailleurs, saint Léon est pleinement 
d'accord avec lui pour signaler l'antiquité, la vetustas, 
comme le signe auquel on reconnaît la vérité : « Per 
omnia igitur, et in fidei régula et in observantia disci- 
plinae vetustatis norma servetur''. » On ne saurait en- 
seigner autre chose ni penser autre chose sur les Écri- 
tures que ce que les apôtres et les ancien^ ont enseigné 
et pensé : « Cum ab evangelica apostolicaque doctrina 
ne uno quidem verbo liceat dissidere, aut aliter de 
Scripturis diviais sapere quam beati apostoli et patres 
nostri didîcèrunt atque docuerunt ^. » C'était ce que 
répétait lathéologie de l'Église depuis le Depositum 
custodi de saint Paul. 

1. Commonit., 2, 27. 
:>.. îbid., 3. 

3. V. un résumé des opinions dans ?. de Labrio{,i,x, Saint Vincent de 
Lvrins, Introduct., ix-xi. 

4. Epist. CXXIX, 2. 

5. Epist. LXXXII, 1. 



332 HISTOIRE DES DOGMES. 

Celte conception, je l'ai remarqué, est intimement 
liée à cette idée que la doctrine chrétienne, entière- 
ment prêchée par les apôtres, doit rester immuable 
dans son fond. Saint Léon et saint Vincent de Lérins 
en effet ne manquent pas de le répéter*. Mais cepen- 
dant cette immutabilité de fond n'exclut pas, observe 
Vincent, un certain progrès, un certain développement 
du dogme chrétien. On connaît la page fameuse, qui 
suffirait à immortaliser son nom, dans laquelle le moine 
de Lérins s'efforce de préciser en quoi doit consister 
ce développement 2. Ce doit être un développement, 
non un changement {ita tamen ut vere profectus sit 
ille fideiy non permutatio), le progrès de tous et de 
chacun dans l'intelligence, la science, la connaissance 
de la doctrine révélée, mais sans altération de la 
croyance antérieure [in suo duntaxat génère, îneodem 
scilicet dogmate, eodem sensu, eademque sententia] ; 
les anciens dogmes seront dégrossis, limés, polis : ils 
ne seront pas altérés, tronqués, mutilés; ils recevront 
plus d'évidence, de lumière, de précision, mais ils gar- 
deront leur plénitude, leur intégrité, leur sens propre^. 
C'est bien là, continue Vincent, le progrès tel que l'en- 
tend l'Eglise. Elle n'a jamais rien changé, rien ajoute 
ni rien retranché aux dogmes dont elle a reçu le dépôt : 
elie a seulement perfectionné et poli ce qui, dans l'an- 



1. s. LÉON : < Una est, vera, singnlaris catholica fides cui nihil addi 
nec minui potest » (Epist. CXXIV, 1). Saint Vincent : » Annuntiare ergo 
aliquid chn'stianîs catholicis praeter id quod acceperunt nunquam 11- 
cuit, nusquam licet, nunquam licebit ; et anatbematizare eoa qui an- 
nuntianl aliquid praeterquam quod semel acceptum est nunquam non 
oportuit, nusquam non oportet, nunquam non oportebit * [Commonit., 
9, 24). 

2. Commonil., 23. 

3. < Pas est etenim ut prisca illa caelestis philosophiae dogmata pro- 
cessu tampons excurentar, limentur, poliantur : sed nefas est ut cota- 
mutentur, nefas ut detruncentur, ut mutilentur. Accipiant licet evi- 
dentiam, iucem, distinctionem ; sed retineant necesse est plenitudinem, 
integritatem, proprietatem. > 



LÀ THÉOLOGIS LATINE DE 430 A 771. 333 

tiquité, n'avait reçu que sa première ébauche ; elle a 
consolidé ce que le passé avait formulé et mis dans 
tout son jour ; elle a gardé ce qui était déjà défini. 
L'œuvre des conciles n'a pas été autre que de « propo- 
ser à une croyance plus réfléchie ce qui était cru au- 
paravant en toute simplicité; de prêcher avec plus 
d'insistance les vérités prêchées jusque-là d'une façon 
plus molle; de faire honorer plus diligemment ce 
qu'auparavant on honorait avec une plus tranquille 
sécurité ». 

Dans cette œuvre du développement dogmatique, il 
est remarquable que Vincent n'attribue aucun rôle à 
la philosophie. En attendant que celle-ci prenne sa re- 
vanche dans les siècles qui suivront, il faut bien avouer 
que, dans ceux que nous étudions, elle n'obtient qu'une 
considération médiocre. Elle occupe sans doute pres- 
que tous les loisirs d'un Boèce : mais Boèce n'est pas 
un homme d'Église, et n'est que par circonstance un 
théologien. On notera plutôt l'estime que témoigne 
pour elle Claudien Mamert, encore qu'il juge sévère- 
ment les païens qui l'ont cultivée*. Ceux-ci naturelle- 
ment sont aussi fort malmenés par saint Prosper. 
Mais voici qui est plus radical. Saint Pierre Chryso- 
logue déclare tout uniment que la philosophie est une 
invention des démons, que la chaire des philosophes 
est une «chaire de pestilence, puisqu'ils n'ont pas su 
découvrir et prêcher le vrai Dieu'. Bède ajoute qu'il 
n'est pas une école de philosophie qui n'ait été accusée 
de mensonge par les autres écoles d'une philosophie 
également sotte ^. Ces déclarations ne doivent point 
nous surprendre. A cette époque de bouleversements 
politiques, où tous les calculs et les espérances hu- 

^. De statu animae, II, i. 

2. Sermo XVI, col. 240; XLIV, col. 32S. 

3. Hexaemeron, III, col. 130. 

19. 



-354 HISTOIRE DES DOGMES. 

marnes paraissaient déçus, il est natuTel que l'on n'âc- 
oordât pas à 'la raison grande dateur pour éclairep et 
confirmer la foi. Saint Grégoire remanpe d'a;ill!e«rs 
justement que l'action divine «x-cloit, ^aosTine certaine 
mesure, la compréhension ratioraielle, et qu'une foi 
dont l'intelligence humaine pourrait ^rifieT l'objet res- 
terait sans mérite*. Et l'on trouve sans doute, dans les 
Institutaregul<irim âivinae l'egîs de Junilius (vers 551), 
quelques lignes excellentes sur les rapports de là rai- 
son et de la foi ^ .- mais, si cet ouvrage a été écrit en 
latin, par un africain d'origine, il faut se souvenir icfu'il 
^ été composé à Constantinople, et qu'il appartien-t en- 
tièrement, par sa doctrine et ses idées, à l'école: de 
Théodore de Mopsueste. 

§ 3. — Dieu et la Trinité. 

C'est une sorte de lieu commun chez les écrivains 
que nous étudions que Dieu peut être connu par les 
créatures dont il est l'auteur ^ ; mais c'en est un aussi 
qu'il est infiniment au-dessus de l'intelligence humaine, 
et que nous ne saurions comprendre sa nature*. Dieu 
est pjnncipaliter; seul véritablement il est; il est au- 
dessus de toute forme et de toute catégorie : comme il 
n'y a pas de genre supérieur à lui et qu'il est d'ailleurs 

î. « Scîendam nobis est quod divina operatïo, si ratione compre- 
lienditur, non est admirabilis, nec Bdes habet 'meri'Dum cm;h«mana 
-ratio praebet experimentum » [Homil. in evang., XXVl, i). 

2. « Fides nostra super ratione quidem est; non tamen temerarie 
.et ixratibnabiliter assumitar : e:i enim qirae ratio edoBet fides •întelleffit, 
«t ubi xaiio defecerit fides praecon-it. Non enim utcunqae audita cne- 
dimus, sed ea quae ratio non împrobat. Verum quod consequi ad ple- 

• anm non potest fid^i prudemia coa^fitemnir » {liistituta, XXX, P. L., 
LXVIII). Sur Junilius, voir le travail de H. Kihn, Theodor von Mopsues- 
tia und Junilius africanus als Exegeten, Freibn^s-im-Breisga^,, 1880. 

3. S. Prospek, In psalm. CXLIV, vers. 4; S; Grégoire Mural., Y, 52; 
XXVI, 17i 48; S. Isidore, Sentenf., I, 4. 

4. s. Grégoire Moral., X, 13-lS. 



LA THEOLOGIE LITIGE DE 430 A 771. 335 

infinîment simple; on ne saurait le définir par le genre 
et là différence spécifique : on peut dire de lui ce qu'il 
n'est pas; on ne peut pas dire ce qu'il est propre- 
ment*. 

De ce Dieu transcendant saint Grégoire aime à célé- 
brer la miséricorde, Salvien à proclamer la justice. 
Dans ses virulentes apostrophes à son siècle, le prêtre 
de Marseille pose en principe qu'il n'y a pas à se de- 
mander si les effets de l'action et de la Providence 
divines en ce monde sont justes ou injustes. Par cela 
même qu'ils viennent de Dieu, ils sont plus que jus- 
tes^. 

On a dit plus haut le grand nombre d'écrits sur la 
Trinité qu'avait suscités, en Afrique principalement, 
la controverse contre les barbares ariens. Cependant, 
en général, on chercherait en vain dans cette énorme 
littérature des principes et des points de vue nouveaux, 
constituant un progrès notable sur ce qu'avait écrit 
saint Augustin. On y. trouve surtout des textes accu- 
mulés, comme dans le Contra Maximinum de l'évêque 
Céréalis {^. 484), et des réfutations d'objections, 
comme dans les traités mis sous le nom de Vigile de 
Tapse. En tout cas la solution augustinienne sur la 
procession du Saint-Esprit a fait autorité, et, dans 
toute l'Eglise latine, on enseigne que le Saint-Esprit 
procède a Pâtre et Filio^. En Afrique, saint Ful- 

1. s. Grégoire, Moral., XVI, 4o;XVlII, 82; Cassiodore, In psalm. II, 
vers. 7; CXLI, conclusio. 

2. « Nec licet ut de his quae divino aguntur arbitrio, aliud dicas iu- 
Btum, aliud iniustum: quia quidquid aDeo agi vides atque convtnceris, 
necesse est plus quam iusium esse fatéaris » {De gubern. Dei, III, l). 

3. On remarquera cependant la réserve du diacre Rusticus — le ne- 
veu (lu pape Vigile— dans son écrit Contra acephalos, qui est de 5o0- 
iioo environ. 11 note que quelques anciens [quidam antiquorum) ont 
pensé que le Saint-Esprit ne procède pas du Fils comme du Père {non 
procedit Spirïtus a Filio sicut a Pâtre). Pour lui, il n'est pas absolu- 
ment lixé sur le fait ou le mode de cette procession : « Utrum vero a 
Filio «odem modo quo a Pâtre procédât (Spiritus) nondum perfeete 



336 HISTOIRE DES DOGMES. 

gence^ l'auteur du Contra Vari'maditm^ et celui du 
livre VIII du De trinitate ^, le diacre Ferrand'' ; à Rome 
probablement, l'auteur d'Arnobu catholîci et Sera- 
pionis conflictus^, puis Boèce^, les papes Hormisdas'' 
et saint Grégoire le Grand ^, pour ne nommer que ceux- 
là; en Gaule, saint Prosper^, saint Eucher *°, Fauste 
de Riez**, Gennade*^, Julien Pomère*', saint Cé- 
saire*-*, Avit de Vienne*^; en Espagne, Pastor de Ga- 
lice *^, saint Isidore*^, saint Ildefonse*^, en témoignent 
clairement. Non seulement les auteurs particuliers 
l'admettent, mais, en Espagne, les conciles introdui- 
sent cette doctrine dans leurs professions de foi". Le 

habeo satisfactum » [P. L., LXVII, 1237). Ruslicus avait vécu à Gonstan- 
tinople. 

i. De fide, 52; De trinitate, II; Contra Fabianum, fragm. XVIII, col. 
174; XXXVI, col. 826; etc. 

2. il, 12. 

3. P. L., LXII, 287. 

4. Epist. IV, ad Eugyppium, 1 :Y, ad Severum, 2 (P. L., LXVII, 009, 
911). 

5. Il, 26. 

6. Quomodo Trinitas unus Deus, V (col. 1254). 
^. Epist. LXXIX, P. L., I-XIH, 514. 

8. In evangel. homil. XXVI, 2 (col. 115)8) ; Dialog., II, 38 (col. 204). On 
remarquera que, dans ce dernier passage, la traduction grecque a al- 
téré l'original. 

9. Liber sententiarum, CCGLXXHcol. iS9). 

10. Jnslruct. ad Salonium, 1, 1 (P. L., L, 774). 

41. De Spiritu sancto, I, 9 (le traité est imprimé sous le nom de Pas- 
chasius dans la P. L., LXII, 17). 

12. De ecclesiast. dogm., I (col. 979-981 ; cf. OEbler, Corpus haeresioh, 
I, p.33S, note). 

13. Devita conlemplativa, 1, 18 {P. L., LIX, 432, 433). 

14. Ehgelbrecht, Fausti reiensis opéra, p. 345. Ce sermon est de saint 
Césaire. 

15. Libri contra arrianos, IX. X, p. 278. 

16. Libellus in modum symboli (milieu du V siècle), attribué faus- 
, sèment au premier ou second concile de Tolède, Haon ^iblioth., S iB8; 

EoENSTLE, Antipriscilliana, p. 43. 
- 17. Etymol., VII, 4. 

18. De cognit. baptismi, III, col. 113. 

49. Voir celles de Récarède et des évêques goths au III" concile de 
Tolède (589J et des IV% VI» et XI» conciles de Tolède en 633, 638 et 673 
(Haun, s 177-180, 182). C'est au concile de 589 que nous entendons 
pour la première fois réciter par Récarède le symbole de Constanti- 



LA THEOLOGIE LATINE DE 430 A 771. 337 

symbole Quîcunque vuU, dont nous parlerons bientôt, 
la contient aussi. 

C'est encore à saint Augustin que se rattachent 
saint Fulgence et saint Grégoire le Grand dans les 
explications qu'ils donnent sur les missions divines. ^ 
Ces missions ont pour principe les processions, et 
a'en sont, pour ainsi dire, qu'une prolongation ad ex- 
tra. Par le seul fait que le Fils est engendré par le 
Père, et que le Saint-Esprit procède de l'un et de 
l'autre, le Fils et le Saint-Esprit sont, de quelqus 
façon, envoyés. Cette mission se complète quand le 
Fils s'incarne, et quand le Saint-Esprit est donné aux 
âmes par la grâce ^ . 

Saint Fulgence a reproduit les vues philosophiques 
de l'évêque d'Hippone sur la mémoire, l'intelligence 
et la volonté, image de la Trinité divine dans l'âme 
humaine 2; et Julien de Tolède s'est appuyé éga- 
lement sur son autorité pour soutenir contre ses 
censeurs la légitimité de sa formule trinitaire : « Vo- 
luntas genuit voluntatem sicut et sapientia sapien- 
tiam^ ». Mais, plus remarquables que ces décalques 



nople avec l'addition « ex Pâtre et Filio procedentem » (Mansi, IX, 
981). 

i. S. Fulgence : € Filius est igitar a Pâtre missns, non Pater a Filio, 
quia Filius est a Pâtre nalus, nnn Paler a Filio. Similiter etiani Spiri- 
tas sanctus a Pâtre et Filio legitur missus quia a Pâtre Filioque pro* 
cedit > {Contra Fabian., fragm. XXIX, col. 797). « Mlssio ergo Spiritus 
sancti collatio est invisibilis muneris, non apparitio personalis > (ibid., 
col. 794). — S. Grégoire : < Eo enim ipso a Pâtre Filius mittt dicitur 
qao a Pâtre generatur... Eius missio (Spiritus sancti) ipsa processio est 
qua de Pâtre procedlt et Filio. Sicut itaque Spiritus miiti dicitur quia 
procedit, ita et Filius non incongnie mitti dicitur quia generatur 
[In evang. homil. XXVI, 2). Et cf. Bède, Homil. II, 10, col. 182. 

2. Contra Fabian., fragm. XVIIl, col. 771, 772. 

3. De tribus capitulis liber apologeticus, 3 (P. L., XCVI). Julien ex- 
plique (i) que les mots sapientia et voluntas, dans cette formule, ne 
désignent pas les personnes divines, mais la substance divine com- 
mune. Il soutient que l'on peut dire : < Filius igitur Dei de essentia 
Patris natus est, essentia de essentia, sicut naturade natura, et sub- 
stantia desubstautia; ettamen nec rinae essentiae, nec duas naturae 



358 HISTOIRE DES DOGMES. 

sont les efforts que Boèce a faits, dans deux courts 
opuscules, pour éclairer et justifier par la philoso- 
phie les plus obscures données du mystère. Le Quo- 
modo Trinitas unus Deus ac non très «3?i7 explique 
que les relations étant quelque chose d'extérieur en 
<juelque sorte à la substance, la substance, et partant 
l'unité divine, n'est pas touchée par les relations per- 
sonnelles qui constituent la Trinité^. La brève dis- 
sertation sur la question Utrum Pater et Filins ac 
Spiritus sanctus de divinitate substantialiter prae- 
dicentur - répond à cette question négativement, parce 
que la substance divine étant quelque chose d'absolu 
et d'unique, tout ce qui est énoncé de Dieu substan- 
tialiter l'est absolument et identiquement des trois 
personnes. Or, les trois personnes divines ne peu- 
vent être énoncées l'une de l'autre, et sont essentiel- 
lement quelque chose de relatif. « Quo fit, conclut 
Boèce, ut neque Pater, neque Filius, neque Spiritus 
sanctus, nec Trinitas de Deo substantialiter praedicen- 
tur, sed, ut dictum est, ad aliquid. » On reconnaît, à 
ces exemples, le philosophe théologien dont l'in- 
fluence au moyen âge devait être si grande, et la pré- 
dilection de la scolastique commençante pour les 
questions de logique et de précision verbale. 

La foi trinitaire cependant avait reçu, en Occident, 
sa définitive expression dans le symbole Quicunque 
çultf dont la fortune fut si universelle 3, Le Quicunque 

nec duae subslantiae possunt dici, sed «aa essentia, uatura atqtie 
substantia • (2). 
-l. P. L., LXIV, -1247-1206. 

2. Ibid., 1«)9-1302. 

3. Texte dans Hahn, S ^SO, on mieux dans Burn, op. inf. ctf., p. 4-6, 
et 1p Dictionnaire de théol. catholique, au mot Athanase {Symbole de 
saint-)'— Travaux plus récents : Ommaket^ The early history oftlie 
àthanasian Creed, London, 4880. D. <j. Morin, Les origines du symbole 
Quicumque, dans la Science catholique, V, 4891 ; divers articles dans la 
Revue bénédictine, 1895, 1897, 4901 ; L'origifie du symbole d' Athanase 
dans TIte journal of theologieal sludies, XII (1911), p. 161-190, 337^361. 



LA THÉOLOGIE LATINE DE 430 A 771. 339 

çult — tout le inonde est d'accord sur ce point — est 
un écrit d'origine exclusivement latine, à la compo- 
sition duquel ni saint Athanase ni l'Église grecque 
n'ont concouru. On peut ajouter, sans grande chance 
d'erreur, qu'il est un écrit primitivement un, et sorti 
tout entier de la même plume. Mais les difficultés 
commencent lorsqu'il s'agit de lui assigner une patrie, 
une date et un auteur. On a successivement désigné 
comme son lieu d'origine Trêves, le midi de la Gaule 
et Léritts en particulier, Rome et l'Espagne. On Va. 
mis au IV», au v», au vi* et même au viii^ siècle. On en a 
fait l'œuvre d'Anastase II (496-498), de Venance For- 
tunat, de Gésaine d'Arles, de saint Vincent de Lérins, 
d'Honorat ou d'Hilaire d'Arles, de saint Ambroise et 
même de saint Hilaire de Poitiers. Si quelques-unes 
de ces solutions doivent être résolument écartées^ au- 
cune ne saurait prétendre à la certitude complète*. 
Ce qui reste certain, c'est l'autorité que ce symbole 
a conquise à partir du vu* siècle dans les églises la- 
tines, autorité qui, au ix^ siècle, en a fait introduire 
l'usage dans la liturgie. Par la netteté puissante avec 
laquelle elle a formulé le dogme, cette œuvre d'un 
théologien inconnu a mérité d'être assimilée aux so- 
lenneiles définitions des conciles. L'Eglise latine l'a 
adoptée comme un document authentique de sa foi, 
et comme un résumé fidèle des enseignements de ses 



E. BuRN, The athanasian creed and its earlycommentaries, Cambridge, 
1896. K. K.UENSTLE, Antipriscilliana, IX, Freil)urg-im-Br., 1903. H- &re- 
WER, Die sogenannte athanasianische Glaubensbekenntnis, ein Werk 
des heilig'eri Ambrosius, Parterboru, 1909. V. aussi l'article indiqué du 
Dictionnaire de théologie catholique. 

■II. L'opinion la plus généralement adoptée place la composition du 
Quicunque entre les années 430-640, et le fait originaire de cette par- 
tie 'Déridionale de la Gaule qui gravite autour d'Arles. Les formules 
qu'il présente se rapprochent en tout cas de celles de saint Augustin 
«t des Lériniens, et en particulier de saint Césaire. 



340 HISTOIRE DES DOGMES. 

évêques et de ses docteurs en matière trinitaire et 
christologique. 



S 4, — Les anges. 

Si l'on excepte ce qui regarde laprobation des anges 
et la chute des démons, le rôle bienfaisant des bons 
anges et malfaisant des anges réprouvés à notre égard, 
le quatrième -^siècle latin et saint Augustin lui-même 
avaient laissé dans Tincertitude et la confusion les 
questions de l'angélologie chrétienne. Quand les 
anges ont-ils été créés? Quelle est leur nature ? Exisle- 
t-il entre eux un ordre, une hiérarchie, et lesquels? 
Autant de problèmes insuffisamment résolus. Les siè- 
, clés suivants vont essayer d'en éclaircir quelques-uns ; 
mais ils ne le feront qu'en transportant en Occident 
les conclusions du Pseudo-Denys l'Aréopagite. 

Le moment de la création des anges reste toujours 
discuté. Saint Grégoire. se contente de dire qu'ils ont 
été créés avant l'homme^; Gennade qu'ils l'ont été 
immédiatement après le ciel et la terre^. Cassien les 
croit antérieurs au monde visible ' ; et c'est aussi l'avis 
de Bède, qui adopte simplement l'opinion de saint 
Augustin, d'après laquelle les anges seraient dési- 
gnés par le mot caelum du verset premier de la Ge- 
nèse''. Ils auraient reçu l'existence d'abord et avant 
toute autre créature. 

Quelle est leur nature? Sont-ce de purs esprits, 
ou sont-ils composés d'esprit et de corps ? Saint Au- 
gustin regardait comme plus probable qu'ils étaient 

1. Moral., XXXn, 47. 

2. De ecclesiast. dog., iO. Saint Isidore voit leur création dans le 
Fiat lux {Sentent., 1, 10, 3). 

3. CoUat. VIII, 7. 

4. Hexaemeron^i, col. 44. 



LA THEOLOGIE LATINE DE 430 A 771. 341 

corporels. Bien qu'il les nomme des esprits, Cassien 
croit aussi qu'ils ont un corps d'une matière plus 
subtile que celle du nôtre ^. C'est lé sentiment de 
Fauste^, de ClaudienMamert*, de Grennade-*; etsaint 
Fulgence, sans se prononcer, constate que c'est celui 
de « m£|gni et docti viri », qui attribuent aux bons 
anges un corps igné, et aux démons un corps aérien*. 
A partir de saint Grégoire cependant, l'opinion con- 
traire, si elle ne triompha pas complètement, gagna 
du terrain. Saint Grégoire connaissait l^s œuvres du 
Pseudo-Aréopagite. Sans rejeter absolument l'an- 
cienne façon de parler^, il se déclara nettement pour 
l'absolue spiritualité des anges. Il ne dit pas seule- 
ment que ce sont des créatures spirituelles, sans 
corps : il écarte d'eux l'idée d'une composition de 
corps et d'esprit^. Au même moment, un évêque de 
Carthage, Licinianus (vers l'an 600), plaidait vigou- 
reusement la même thèse contre Fauste*. L'autorité 
de saint Grégoire entraîna l'assentiment de saint Isi- 
dore^; et ainsi grandit peu à peu la doctrine qui 



i. Il faut citer son texte, qui montre, que les mots corps et esprit n'a- 
vaient pas pour lui et ses contemporains le sens absolu qu'ils ont pour 
nous (cf. ce quia été dit des Grecs, p. 203) : < Licet enim pronuntiamus 
nonnullas esse spiritales naturas, ut sunt angeli, archangeli, caete- 
raeque virtutes, ipsa quoque anima nostra, vel certe aer iste subtilis, 
tamen incorporeae nullatenns aestimandae sont. Habent enim secun- 
dum se corpus que subsistunt, licet multo tenuius quam nos... Quibus 
manifeste colligitur nihil esse incorporeum nîsi solom Deum > {Coll. 
Vil, iS). 

2. Epist. m, p. 178 et suiv. (col. 843). 

3. De statu animae, 1, 13,14; ni, 6, 7. 

4. De eeclei. dogm., 12. 

5. De trinitate, IX. 

6. Il remarque par exemple que, comparés à nos corps, les anges 
sont des esprits, mais que, comparés à Dieu, ils sont des corps. Ils sont, 
comme nous, < circumscripti loco >, mais leur science dépasse infini- 
ment la nôtre {Moral., II, 3; et cf. In evangel. homil.'S., 1). 

7. Mnral., H, 8; IV,'8; Dialog., IV, 29. 

8. Epist. II ad Epiphanium (P. L., LXXII, 691 et suiv.). 

9. Blymol., VII, 5, 2; Sentent, 1, 10, 1, 19; Différent., II, 41. Il paraît 



342 HISTOIRE DES DOGMES. 

affranchissait les anges de tonte entrave matérielle : 
elle devait finalement l'emporter. 

Avant saint Grégoire non plus, nous ne trouvons 
aucun enseignement fixe sur les degrés et la hiérarchie 
des anges. Cassien se demande d'où viennent les vo- 
cables d'anges, archanges, dominations, principautés, 
«t il explique les derniers par le pouvoir qu'exercent 
ies anges sur les nations ou les bons anges sur les 
mauvaise Saint Prosper observe — ce qu'on répétera 
souvent après lui — que le mot û^n^e (envoyé) exprime 
non pas la nature mais une fonction accidentelle des 
anges : « Spiritus enim naturae nomen est, angélus 
actionis ^. » Mais saint Grégoire introduit, bien qu'in- 
complètement, dans la théologie latine, l'enseigne- 
ment du Pseudo-Denys sur les ordres angéliques. Il y 
en a neuf, qui sont, en commençant par les inférieurs, 
« angeli, archangeli, virtutes, potestates, principatus, 
dominationes, throni, cherubim atque seraphim^ », 
Le pontife expose quelles sont les prérogatives et les 
fonctions que dénotent ces diverses appellations, et 
remarque que les esprits célestes ne sont pas tous 
•égaux en dignité, puisqu'il en est qui envoient, et 
d'autres qui sont envoyés''. Ses vues furent naturelle- 
ment reproduites par saint Isidore \ 

Sur l'épreuve des anges, la persévérance des bons, 
la révolte et la chute des démons, nos auteurs ne font 
■que répéter ce qui avait été dit avant eux. C'est par la 
grâce de Dieu unie à leur volonté que les bons anges 

cependant donner un corps aux. démons actuellement :< corpore aerei > 
(DtVTer., II, 42). 

1. Collât, vnr, 14, in. 

2. In psaltn. CIII, vera. 4. 

3. In evang. homiU XXXIV, 7. Les Jlforates, XXXII, 48 donnent un ordre 
un peu différent : « angeli, archangeli, throni, dominationes, virtutes» 
principatus, potestates, cherubim et seraphim >. 

4. In evang. homil. XXXIV, 9, 10, 13. 

6, EtymoU, VII, 5; Sentent., 1, 10, 14, 15. 



LA THÉOLOGIE LATINE DE 430 A 771. . 343 

sont restés fidèles ^ ; et cett^e fidélité leur a valu d'être 
confirmés; eu grâce 2. Le» démons au contraire sont 
tombés par orgueil : ils se sont « ad seipsos, non ad 
Deum eonversi^ ». Cassien distingue même po«ur Sa- 
tan deux fautes successives ; l'une d'orgueil, dans la 
révolte contre l>ieu, l'autre d'envie, dans la tentation 
d'Eve''. L'autorité de saint Augustin a définitivement 
éliminé l'interprétatiom àe Genèse, vi, 2 dans le sens 
d'un commerce des anges avec les femmes^. 

Outre la contemplation de Dieu qui les béatifie, les 
bons anges sont ^occupés à la garde de la république 
spirituelle, de l'Égiise, des nations et des individus. 
Chaque peuple et ^îkaque homme a son ange qui lui 
est préposé^. Par contre, chacun de nous a aussi son 
démon qui le suit '. Les démons remplissent notre 
atmosphère; l'air en est infesté : ils se font entre eux 
la guerre; mais ils la font surtout aux hommes, à qui 
ils apparaissent sous différentes formes, qu'ils atta- 
quent et persécutent matériellement, et dont ils cher- 
chent,' par tous les moyens, à perdre les âmes*. Ils ne 
sauraient toutefois leur nuire sans la permission de 
Dieu^. 



1. Cassien, Collât. VI, 16. 

2. s. Grégoike, Moral., XXVri, 63; XXXU, 48. 

3. S. FuLGENCE, De trinit., VIII ; S. Grégoire, Moral., XXVIÏl, 11; S. Isi- 
dore, Sen/eni., 1,40, 7,8; S.CESAIRE, Sermo CCXCVI {P.l.., tnm. XXXIX). 

4. Collât. Vin, 10. S. Pierre Chrysologue donne aussi l'envie (invidia) 
comme le principe de la damnation des anges (SernwJV, col. 194) . 

5. Cassien, Coll. VIII, 21. Sur les démons surtout, voir les d'eux con- 
férences de Cassien, VII et VIII, qui en traiient spécialement. ' 

6. Caskien, Coll. VIU, lï; S. Grég., Moral., IV,5îS; S. Isid., Sentent., 
1,10,20 581. 

1. gassiek, Co». Vin, n. 

8. Cassiew. Coll. VU, 3a; VIII,:12, 13; S. Fdlgenge, De remiss. peccaU, l, 
6; S. Gkég., Moral., II, 74. 

9. S. Prosper, In psalm. CIII, vers. 2û, Sl;2&, 26; S. Grég., Moral., 



344 HISTOIRE DES DOGMES. 



§ 5. — L'homme, la grâce, le mérite. 

Saint Augustin avait laissé sans le résoudre- le pro- 
blème de l'origine de l'âme humaine : entre le créa- 
tianisme et le traducianisme il ne s'était pas prononcé. 
Après lui, la même incertitude persiste chez les auteurs 
qui se rattachent à lui plus étroitement. Tandis que 
les semi-pélagiens ou les écrivains plus indépendants, 
comme Cassien ^ Gennade 2, Cassiodore^ enseignent 
nettement que les âmes sont créées par Dieu, saint 
Fulgence ■', saint Grégoire ^, saint Isidore *, saint 
Ildefonse "^ continuent de déclarer que leur origine est 
inconnue. 

Cette question d'origine toutefois n'est pas celle qui 
passionne le plus le v® siècle et les siècles suivants, 
à propos de l'âme humaine. Fauste a soulevé une po- 
lémique en soutenant, dans ses lettres m et v *, que 
l'âme est corporelle, parce qu'elle est quantitativement 
localisée. Son sentiment est partagé par Gennade"; 
mais il est réfuté par Claudien Mamert dans ses trois 
livres De statu animae*'^, par Licinianus de Carthage ^ ^ , 
et généralement condamné par nos autres auteurs, 



i. Coll. VIII, 25. 

2. De eccles. dogm., 14, 18. Gennade remarque d'ailleurs qu'il n'y a en 
l'homme qu'une seule âme (i6td., IS, 19, 20). 

3. De anima^ II, VII. 

4. De Derit. praedestin., III, 28^2. 

5. Epist.lX, S2, col. 989, 990. 

6. De eccles. officiis, II, 24, 3. Saint Isidore introduit même cette 
incertitude de son origine dans la déOnitioo de l'âme : « Anima estsub- 
stantia incorporea, intellectuaiis, rationalis, invisibilisi atque mobilis 
et immortalis, habeos ignotam originem * {Diffèrent., U, 99). 

7. De cognit. baptismi, XCVI. 

8. P. 174 et sulv., 188 et SUIT. 

9. De eccles. dogm., 12: il en donne aussi pour raison que l'âme est 
< localiter circumscripta ». 

40. Voyez I, 8, 9, etc. 

11. Epiit. II ad Epipiianium (P. L., LXXII, 691 et suiv.}. 



LA. THÉOLOGIE LATINE DE 430 A 771. 345 

Fulgence^ Cassiodore^, saint Grégoire', saint Isi- 
dore*. Ce dernier prononce d'un mot que « maie... a 
quibusdam creditur' animam hominis esse corpo- 
ream^ ». La spiritualité de l'âme entraînait comme 
corollaires naturels son invisibilité et son immorta- 
lité. On les admet. Sur le premier point cependant, 
saint Grégoire fait observer que Dieu a miraculeuse- 
ment quelquefois rendu visibles les âmes des trépas- 
sés, et il en rapporte des exemples ^. 

Le chapitre précédent a exposé les controverses 
agitées au \* siècle, surtout en Gaule, autour des doc- 
trines augustiniennes de la grâce, et comment le se- 
cond concile d'Orange (5i29) les avait tranchées. Les 
décisions du concile furent généralement acceptées. 
Cassiodore '^, saint Grégoire®, saint Isidore* ensei- 
gnent comme lui la nécessité d'une grâce prévenante 
même pour le commencement de la foi et des bonnes 
œuvres ; mais du reste ils notent avec soin l'indispen- 
sable coopération de la liberté humaine : « Si superna 
gratia, écrit saint Grégoire, nocentem non praevenit, 
nunquam profecto inveniet quem remuneret innocen- 
tem... Superna ergo pietas prius agit in nobis aliquid 
sine nobis, ut subséquente quoque nostro libero arbi- 
trio, bonum quod iam appetimus agat nobiscum, quod 
tamen per impensam gratiam in extrême iudicio ita 

1. De verit. praedestin.., III, 32, 33. 

2. De anima, II. Cassiodore dérmit l'âme : « Anima hominis... est a Deo 
creata, spiritalis, proprtaque substantia, sui corporis viviGcatrix, ratio- 
nabilis quidem et immprtalis, sed in bonum malumque coavertibilis * 
(t6td.). 

3. Moral., V, 62. Il remarque toutefois que, tout en étant spirituelle, 
l'àme se ressent de son union avec le corps. 

4. Différent., II, 92. 
&. Sentent., 1, 12, 2. 

6. Dialog. IV, S, 7 et suiv. 

l.Inpsalm. X, vers. 9; XIII, vers. 2; L, vers. 6; LVIIl, vers. H; CVII, 
vers. 8. 
8. Moral., XVI, 30; XVni, 3; XXIV, 14; XXXIII, 38, 40. 
9 Differ., II, ii& et suiv. 



346 HISTOIRE DES DOGMES. 

rémunérât in noibisac si solis processisset ex nobis '. » 
Cassiad(M?e et saint Isidore paraissent également adop- 
ter les vues du concile sur l'entière impuissance du 
libre arbitre déeku pour le bien. même purement mo- 
ral^. 

Sur les questions non résolues À Orange, la. doctrine 
qui continue de prévaloir aux vi« et yii* siècles est celle 
de saint Augustin, légèrement adoucie au moins dans 
l'expression. La vocation de tous à la foi est gratuite 3. 
Pour tous aussi, qu'il s'agisse des, enfants. ou des 
adultes, la prédestination est absolue' et indépendante 
de la prévision de leurs mérites on de leurs fautes. 11 
n'y a pas à se demander pourquoi l'un est choisi, l'au- 
tre est rejeté : les jugements de Dieu en cette matière 
sont insondables : nous savons seulement qu'il est 
juste et miséricordieux'*. Il y a un nombre fixé d'élus^. 
Ce nombre est petit, déclare saint Léon ^ : au juge- 
ment de saint Grégoire '^, il est égal au nombre des 
anges restés fidèles;, au jugement de saint Isidore *, 
à celui des anges déchus, nombre qui d'ailleurs n'est 
connu que de Dieu seuL Quant au sort des enfants 
morts sans baptême, on s'en " tient encore à l'opinion 
de saint Augustin qui les condamne à des peines 



•I. Moral, "KVl, 30. 

2. Cassiodore, Inpsalm. CVn, vers. 8; S. Isidore, Différent., IX, 120. 

3. Cassiodoue, I» psalm. Y, vers. 15; XYII, 22. 

4. S. Gbéc, Moral., XXVII, 7 ; XXIX, 37, 77 ; XXXIII, 38 ; S. Isidore, Diffe- 
reni.,Il, li9,cf.H8; Sqntent,, H, ti. L'enseigriciient de saintlsidore est 
complètement celui de saint ÂiigusUn :< Unëe consequens est nullis 
praevenieiitibus meritis conlerri gratiana, sed scia voluntate divina. 
Nec quemquam saivari aive damnari, eligi vel reprobari nisi ex pro- 
posito praedestinantis Dei qui iusius est in reprobatia, misericors in 
elet'tis • (Differ., 11,119). Pour saint Grégoire, on peut se demander s'il 
n'admet pas la réprobation post praevisa démérita. Cf. ifora/., XXY, 
32; XXXlll, 39. 

5. S. Gkég., ilforaJ., XXV„21. 

6. Sérmo XLIX, 2; cf. S. Grégoire, Inevang. homil. XIX, & 

7. Jn evang. homil. XXXIV, H. 

8. Sentent., 1, 10, 13. 



LA THEOLOGIE LATME DE 430 A 771. 347 

positives etau fen de l'enfer : « Perpétua qnippe'tor- 
menta percipiunt, écrit saint iGrégoire:, et quinibil ex 
propria voluntate peccaverttM * ». « Lnimt in infèraio 
poenas »i dit saint Isidore 2^, et saint Ildefonse trans- 
crivant saint Augustin : « Mitissima sane onmium 
poena erit eôrum qui, praeter peccatum quod oniginaler 
traxerunt, nullum insuper addiderunt 3. » 

Plus que jamais, aux néophytes barbares qui en- 
trent dans l'Eglise, les moralistes et les prédicateurs 
inculquent que la foi sans les œuvres est inutile et 
morte : « Fides ergo nuda meritis imanis et vacua 
est'', » Mais d'ailleurs ils ajoutent que, si les éeuvre& 
faites en état de péché grave sont stériles'^, ces 
mêmes œuvres au contraire, faites avec la grâce de 
Dieu, sont méritoires de la vie étemelle, et sont mé- 
ritoires d'autant plus qu'elles ont coûté plus de travail 
et d'effort : «. Semen eorum,. explique Cassiodore, si~ 
gnificat opéra fîdelium, quae in hoc raundo seminan- 
tur, ut in il'la aetemitate eorum laudabdlis fruetus ap- 
pareat^. »- 

§6. — Christologxe et sotériologie. 

Les chapitres deuxième et suivants de ce volume 
ont longuement exposé les controverses christolo- 
giques qui agitèrent l'Orient du v® au vii^ siècle, et la 
part qu'y prit l'Occident, principalement par l'îûter- 

1. Moral., IX, 32. 

2. Sentent., 1, 22, 2. 

3. De cognit. baptismi, LXXXIX. Saint Avit {Poemat., lib. VI, vers. 19» 
etsuiv.) parie de feu : « Quae flammis tantum genaerunt membra pa- 
rentes ». 

4. Cassiodore, Epîst. IV, col. 84S; Salvien, De gubern, i)ai,.lV, iîS. 
Grég., In evang. homil. XXVI, 9, 10. 

S- S. CÈSAiRE, Sermo CCLXXYMI, S (P. L., XXXIX). 
6. In.psalm. GI,vers..30; S. Grec, In Ezeckiel.,1, homiLlX,^; Maral^ 
"11, 42; XXXni, 40. 



248 HISTOIRE DES DOGMES. 

vention des papes. Sur ces questions et sur les for- 
mules qui sortirent de la délibération des conciles, 
l'Eglise latine avait, et depuis longtemps, son siège 
fait, son langage acqu^. Sa doctrine, que saint Léon 
proclama dans sa fameuse lettre à Flavien, offrait évi- 
demment, dans son expression, plus d'affinité avec 
celle de l'école d'Antioche qu'avec celle de saint 
Cyrille ; mais, comme on évitait d'en trop raisonner, 
on se gardait des excès qui perdirent Nestorius et 
compromirent Théodoret, et l'on conservait en somme 
entre les deux tendances, et par le sentiment de la tra- 
dition, le juste milieu nécessaire. 

Cette attitude se révèle dès le premier éclat de la 
querelle. Indépendamment des lettres du pape Céles- 
tin contre Nestorius, on a de Cassien un traité De 
incarnatione Christi, écrit à la prière du diacre Léon 
— plus tard saint Léon pape — en 430 ou 431, en 
tout cas antérieurement au concile d'Ephèse. Cassien 
y proclame Marie eeoToxo;*, prouve que Jésus-Christ 
n'est qu'une seule personne par le fait que l'Écriture 
lui attribue, comme à un sujet unique, et ce qui est 
de Dieu et ce qui est de l'homme 2; et, tout en confes- 
sant que le Sauveur est à la fois consubstantiel à son 
Père par sa divinité, et à sa m^re par son humanité, il 
observe cependant : « Non quod alter qui lîomoousios 
Patri, alter qui homoousios matri, sed quia idem Do- 
minus Jésus Ghristus et homo natus et Deus utriusque 
in se parentis habuit proprietatem ^. » 

Il serait aisé de retrouver dans tous nos auteurs 
cette doctrine de la dualité des natures ou des. subs- 
tances et de l'unité de personne en Jésus-Christ *. 11 

i. II, 2, 4. 
S. V, 7, 8;VI, «. 
3. VI, 13. 

4.V. par exemple ViscENT DE LÉRiNs, Commonit.,iB; S. Prosper, In psalnt, 
CXLIV, ver». 1 ; Arnobii catholid et Serapionîs confliclua, 1, 18; Maximb 



LA THÉOLOGIE LATINE DE 430 A 771. 849 

và sans dire qu'après saint Léon elle s'impose absolu- 
ment. Saint Fulgence remarque seulement, avec sa 
précision ordinaire, que l'union des deux natures dans 
le Christ s'est produite au moment même de la con- 
ception, que l'humanité a été conçue unie, ce qui 
explique et que Marie soit mère de Dieu, et que les 
deux natures n'aient jamais subsisté que dans une 
personne unique : 

« Hane ergo carnem tune ex se natura virginis concipièntis 
exhibuit, cumin eam Deusconcîpiendus advenit. Non estigitur 
aliquod intervallum temporis aestimandum inter conceptae 
•carnis initium et concipiendae maiestatis adventuml^ »... « Ita 
Deum Verbum, secundum quod caro factura est virgo sancta 
concepit... Neque enim sancta virgo Maria Deum sine carnis 
assumptionè, aut carnem sine Dei unitione concepit, quia ille 
conceptus Virginis Dec fuit carnique communis 2. » 

Au moment d'ailleurs oii Léonce de Byzance s'ef- 
forçait, en Orient, d'analyser philosophiquement la 
notion de personne, Boèce faisait à Home la même 
tentative, et opposait aux hérésies nestorienne et mo- 
nophysite les conclusions qu'elle lui fournissait. Ces 
recherches sont consignées dans le Liber de persona 
et duabus naturis contra Eutychen et Nestorium, 
adressé à Jean, diacre de Rome. Boèce y donne les 
équivalents latins des mots grecs oôsia, oôatWiç, 6wo<jta- 
fftç, Tcpoffwffov (m) ^ ; mais il donne surtout des défîni- 

|DETDRm, Sermo XLIII (col. 621); Gennade, i}e eccles. dogm.,3, 3; etc. 
■Certains parlent de deux natures; d'autres préfèrent le mot substance, 
par exemple Vincent deLérins et l'antear deVArnobii... conflictus (1, 18). 
Quant aux trois substances que Julien de Tolède trouvait dans le Christ, 
en comptant pour deux le corps et l'âme, c'est une originalité qu'il 
dut expliquer, mais qu'il défendit avec opiniâtreté. Voir son De tribus 
capitulis liber apologetieus, 4-17, 18. 

1. Episl. XVII, 7. 

2. Ibid., 12. 

3. Cette petite dissertation est intéressante; on y voit notamment' 
<iae Boèce ne traduit pas (inéffraort; par persona, mais bien par sub- 
ttantia, qui en est en effet l'équivalent littéral. 

20 



350 HISTOIRE DES DOGMES. 

tions minutieusement élaborées de la nature et de la 
personne. Voici la première : « Natura est unamquam- 
que rem informans specifica differentîa ^ (iv col. 
1342). La seconde est restée célèbre : «. Persona est 
naturae rationalis individua substantia » (m, col. 
1343) ^ . Elle marque qu'il n'y a à être personnes que 
les substances, individuelles, intelligentes. Et il y avait 
progrès sans doute à faire rentrer l'intelligence et par- 
tant la liberté dans la notion de personne : cette défi- 
nition cependant n'indiquait pas suffisamment que 
pour être physiquement une personne, la substance 
individuelle devait former un tout indépendant et à 
part, et ce n'est que grâce à une énergique interpré- 
tation du mot individiia 2, qu'on a pu la conserver 
comme classique. 

Appuyé sur ces notions, Boèce réfute ensuite (iv-vi) 
Nestorius et Eutychès, et explique (vu) comment 
Jésus-Christ est à la fois de deux et en deux natures 
{Chris tum in utrisgue et ex utrisque naturîs consi- 
stere), ces deux manières de parler, si elles sont bien 
comprises, étant également exactes. Le chapitre viii^ 
et dernier expose que le Sauveur a pris en lui quelque 
chose des trois états d'Adam, ayant son péché, 
après son péché, et dans l'état oii il se serait trouvé 
s'il n'avait pas péché; car du premier Jésus-Christ a 
pris les fonctions physiques, le boire, le manger, etc., 
sed potestate, non necessitate; du second il a accepté 
les souffirances et la mort ; du troisième il possédait la 
confirmation en grâce. 

La dualité des natures entraînait en Jésus-Christ la 
dualité des opérations et des volontés. Saint Léon l'a- 

1. On rapprochera de cette définition celle de Gassiodore : « Persona 
hominis est substantia rationalis, individiia, suis proprietatibus a con- 
subslantialibus caeteris segregata • t/n psalm. vn, Divisio usalmi). 

2. InAividwum est quod est indivisum in se et di'visum a guoeumque 
alio. 



LA THEOLOGIE LATINE DE 430 A 771. 35t 

vait tien remarqué dans sa lettre à Flavien (4). Il y 
revient an sermon lvi, 2 : « Snperiori igitur volnntati 
Yoluntas cessit inferior. » Maxime de Turin y appuie 
aussi : « Inuno eôdemque Redemptore nostro disiuncta 
operatio divinitatis et humanitatis^ »; et l'on a vu 
plus haut avec quel ensemble l'Occident tout entier, 
sur l'invitation du pape Agathon, se prononça pour 
cette doctrine. C'est dans la lettre que le pontife écrivit 
à cette occasion à Constantin Pogonat, et qui fut reçue 
par le VP concile général, qu'il en faut chercher le 
détail et les précisions ^. 

De même que les difficultés soulevées par le nesto- 
rianisme, le monophysisme et le monothélisme provo- 
quèrent l'intervention de l'Eglise latine en Orient, 
aussi cette Église dut-elle s'intéresser aux questions 
secondaires qui s'y rattachent, et dont la solution dé- 
pend plus ou moins de celle que l'on donne à ces pro- 
blèmes capitaux. 

Le comte Reginus demande à saint Fulgence ce 
qu'il faut penser de l'incorruptibilité du corps du 
Christ, sur quoi disputent alors les monophysites 
d'Alexandrie. Saint Fulgence répond * qu'il. y a une 
corruption de l'âme et une corruption dti corps; que 
dans cette dernière même, il faut distinguer une sorte 
de corruption qui est principe de péché et accompa- 
gnée de péché, telle la concupiscence, et une sorte de 
corruption qui est simplement la peine du péché. Jésus- 
Christ ne pouvait connaître ni la corruption de l'âme 
ni la concupiscence^ mais il a éprouvé les besoins et 
les infirmités qui sont en nous la conséquence du péché, 
comme sont la faim.^ la soif, la mort, et il aurait même 
connu la dissolution du corps dans le tombeau [cor- 

1. Serwo GVIf, col, 743. 

2. Voir plus haut, p. 183. 

3. Episu xvni. 



332 HISTOIRE DES DOGMES. 

ruptio putredlnis)j si la rapidité de sa résurrection ne 
l'en avait préservé *. Dans son ouvrage à Thrasamond 
(m, 31), l'auteur ajoute que cette préservation était 
convenable à la dignité du Christ. Mais d'ailleurs, ces 
faiblesses et ces infirmités, aussi bien que les mouve- 
ments des passions indifférentes, étaient en lui volon- 
taires en même temps que naturels, parce qu'il aurait 
pu s'en affranchir : « veras quidem sed voluntarias ha- 
buit^ ». 

Après l'erreur des aphthartodocètes, c'est l'erreur 
des agnoètes qui attire l'attention des latins. On a 
déjà signalé les deux lettres à Eulpgius d'Alexandrie, 
dans lesquelles saint Grégoire refuse d'admettre que 
le Christ en tant qu'homme fût sujet à l'ignorance, et 
résout les objections des adversaires '. Avant lui ce- 
pendant, l'auteur du De Trinitate, attribué à Vigile 
de Tapse, avait paru concéder que Jésus-Christ pou- 
vait ignorer en tant qu'homme * ; et saint Fulgence, 
tout en enseignant que l'âme du Sauveur possédait 
une pleine connaissance de sa divinité ^, regardait 
comme réel le progrès en sagesse de Jésus enfant *. 
Mais Cassiodore ', à la suite de saint Augustin, s'était 
déjà prononcé, à propos du texte de saint Marc, xiii, 

1. « Hoc autem non eiasdem carnis incorruptibilitas, sed resurree- 
tionis celeritas fecit > (7). Et plus loin (9) : « Impossibile u t corrupti- 
bilitas esse negetarubi animalis corporis mortalitas invenitur. » 

2. Epist. xvni, 10 ; Ad Trasimundum, HI, 2S. 

3. Ce sont les lettres X, 3S et 39 (t. plus haut, p. 139). II est une objec- 
tion cependant que le pape mentionne, mais à laquelle ses inGrmités 
l'ont empêché de répondre : « Âd haec vero mihi idem communis Glius 
Anatolius diaconus respondit aliam qnaestionem dicens : Quid, si obii- 
ciatur mihi, quia sicut immortalis mori dignatus est ut nos liberaret a 
morte, et aeternus ante tempora fieri voluit temporalis, ita Bel sapientia 
ignorantiam nostram suscipere dignata est, ut nos ab ignorantia libe- 
raret > (Epist. X, 39, col. 1098). 

4. De Irinit., XI, col. 306. 

5. Epist. XIV, 29, 30, 31; cf. 33. 

6. « Sapientia quoque novimus Christam secnndom aDimam proffl- 
cisse » \Ad Trasimund., III, là ; I, 8). 

7. In psalm, IX, Ters. 40. 



LA THEOLOGIE LATINE DE 430 A 771. 35S 

32, comme saint Grégoire devait le faire, et l'autorité 
de saint Grégoire entraîna généralement l'assentiment 
des écrivains qui s'inspirèrent de lui. Ainsi conclu- 
rent saint Isidore et saint Julien de Tolède *. Quant 
à Bède, il n'enseigna pas seulement que Jésus-Christ 
connaissait en réalité le jour et l'heure du jugement; 
il expliqua que le progrès en sagesse et en grâce de 
l'Enfant-Dieu était purement extérieur, le Sauveur ré- 
vélant peu à peu aux yeux des hommes la grâce et la 
sagesse dont il était rempli dès le premier moment de 
sa conception 2. 

Au contraire de celui de l'incarnation, le dogme de 
la rédemption n'a jamais été, dans la théologie an- 
cienne, étudié et traité pour lui-même, et on ne s'é- 
tonnera donc pas de ne rencontrer guère, dans les 
auteurs dont nous exposons la doctrine, qu'une répé- 
tition de ce qui a été dit avant eux'. 

Cependant la théorie physique ou mystique — qui 
voit dans le fait même de l'incarnation un principe de 
rénovation pour la nature humaine qui s'y trouve unie 
à la nature divine, — cette théorie, dis-je, toujours un 
peu négligée chez lés latins, est bien mise en lumière 
par saint Léon. L'auteur y est amené d'une part par 
l'idée plus profonde de la corruption humaine qu'a 
développée la controverse pélagienne, de l'autre par 
«es propres réflexions sur le mystère de l'Homme- 
Dieu. Le diable, par sa malice, a détruit le plan 

1. s. IsiDOR., Sentent., 1,27, i; S. Jdliem, Prognostic.,lu, 1. 

2. Zn Matth., cap. XXIY, col. 104; Homil. I, 12, col. m : « luxta 
homiriis quippe natnram proflciebat sapientia, non quidem ipse sa- 
piemior ex tempore existendo, qui a prima conceptionis hora spiritu. 
sapieiitiae plenus permanebat, sed eauidem qua plenua erat sapicntiHin 
caeteris ex tempore paulatim demonstrando... luxta hominis iiaiurarn 
proficiebat gratia, non ipse per accessum tempnris accipieodo quod 
non babebat, sed pandendo donuin gratiae quod habebat. * 

3. V. 3. RiviÈBE, Le dogme de la Rédemption, cbap. XYI, XVIU 

20. 



354 HISTOIRE DES DOG31ES. 

primitif de Dieu et gâté son -œuvre : la nature humaint 
créée saine et immortelle est devenue corrompue dans 
son âme et dans son corps par ia mort et le péché. Se 
guérir elle-même, elle ne le peut : « Lethali vulnere 
tabefacta natura nullum remedium reperiret, quia 
conditionem suam suis viribus mutare non posset*. » 
Celte condition ne saurait même être changîée par un 
remède appliqué pour ainsi dire par le dehors, comme 
^ le sont des enseignements et des exemples donnés ^ : il 

faut quelque chose déplus intime; il faut que le Verbe 
de Dieu, Dieu lui-même, en s'unissant à la nature 
humaine, en la prenant en lui, la guérisse de son mal 
et opère en elle une rénovation. C'est pour cela que 
l'incarnation est nécessaire, nécessaire non pas abso- 
lument, mais étant supposé que la miséricorde de Dieu 
veut nous relever et nous sauver : « Nisi Verbum Dei 
earo fieret et habitaret in nobis, nisi in communionem 
creaturae Creator ipse descenderet, et vetustatem 
humanam ad novum principium sua nativitate revoca- 
ret, regnaret mors ab Adam usque in finem, et super 
©mneshomines condemnatioinsolubjllis permaneret^. »> 
i4Linsi devenu notre ehef par son incarnation, Jésus- 
Christ, Dieu et homme, fera passer dans ses membres, 
•que nous sommes, la vertu qui est en lui : « Nààil 
enim non ad nostram salutem aut egit aut pertulit 
(Christus), ut virtus quae inerat capiti inesset letiam et 
corpori^. » 

Ce n'est pas à dire «que saint Léon regarde l'incar- 
nation comme suffisant seule à nous sauver. Au con- 
traire, il déclare que la passion du Christ contient 
le sacrement de notre, salut ^ »,; que Jésus-Christ ne 

1. Sermo XKW, 2;.cif.:LVI, d ; LXXViU, 2. 

2. -Sermo XXIII, :3. 

â. SerTwo SXXV, -S; LU, 1, 

■4. Sermo LXVI, 4. 

S. Ssrmo LV, 1; cf. LYII, 1. 



LA THEOLOGIE LATINE DE 430 A 771. 355 

nous sauve que par sa mort^ ; et nous verrons dans un 
instant que la théorie réaliste de la rédemption ne lui 
est pas inconnug; mais enfin il est vrai que seul, 
ou presque seuP parmi les latins de l'époque que nous 
étudions,, il a donné à la théorie mystique une place 
notable dans sa doctrine et dans ses écrits. 

C'est à la théorie réaliste en effet — qui voit dans 
la passion la vraie cause de notre salut — que s'atta- 
chent surtout les auteurs de cette période. Indépendam- 
ment de sa vérité objective, elle était plus accessible 
aux esprits frustes qu'il s'agissait d'évangéliser, et plus 
capable de faire sur eux des impressions profondes. 
Saint Grégoire en particulier l'a abondamment et très 
heureusement exposée; mais on en trouve chez d'autres 
écrivains aussi des traits qui méritent d'être notés. 

Nos auteurs s'accordent d'abord généralement pour 
affirmer . l'impuissance de l'homme à se délivrer lui- 
même dès liens du péché. La raison qu'ils en donnent 
est que, pour cette œuvre, il était requis d'être inno- 
cent et libre, et que tout homme était et est captif et 
pécheur 3. Les mérites des saints n'y pouvaient rien'* ; 
la nature angélique elle-même n'y aurait pas suffi, car 
cette nature est tombée^. Que fallait-il donc? Il fallait 
que Dieu lui-même prît notre ?;iature,. toute notre nature, 
et l'élevant ainsi, la rendît capable d'effacer les péchés 
du monde : « NuUatenus namque humana natura ad 
auferendum peccatum mundi suffîciens atque idtsnea 
iîeret, nisi in unionem Verbi Dei, non naturali con- 
fusione^ sed solum personali unitate transiret^. » Et 

i. Sermo LIX, 1; LXIII, 4. 

2. On pourrait noter en effet un écho de cette même théorie dans 
une lettre de saint Paulin de Noie, Epist. XU, 3, eCP.I,., LXI, 201,203). 

3. Cassien, De incarnat., IV, 12; V, lo. 
'i. S. LÉON, Scrmo LXIV, 2. 

S. S. FuLGENCE, Ad Trasimund., II, 2. 
€. S. FoLG., Epist. XVII, 9. 



356 HISTOIRE DES DOGMES. 

encore : o Rêvera homo salvari non potuit, si vel 
suceptop hominis naturaliter verus Deus non fait, 
vel in Dei veri susceptione aliquid hominis defuit*. » . 

Un Homme-Dieu était donc nécessaire à notre relè- 
vement. Mais encore était-ce assez que le Verbe s'in- 
carnât? Non : car bien que l'incarnation, suivant une 
belle pensée de saint Grégoire^, soit par elle-même 
un sacrifice perpétuel, l'expiation du péché requérait 
une peine positive chez celui qui venait le détruire et 
en détruire les suites. Voilà pourquoi « sicut propter 
redemptionem mundi illum (Christum) decuit nasci, 
ita et pati oportuit^ ». 

L'Homme-Dieu a donc souffert, mais souffert 
comme nous représentant et nous contenant tous en 
lui. Par la seule incarnation, il était déjà d*une cer- 
taine manière notre représentant, puisqu'il a pris en 
lui notre nature ; toutefois il a fait plus en assumant sur 
lui volontairement la responsabilité de nos péchés, et 
en se mettant à notre place pour en porter le châtiment. 
C'est l'idée de la substitution pénale : on la retrouve 
à chaque pas : « Causam omnium suam fecît (Chri- 
stus) », dit Cassiodore"*. « Quoniam peccata non habuit 
(Christus) propria, écrit saint Fulgenee, portare digna- 
tus est aliéna ' » ; et saint Grégoire : « Poenam culpae no- 
strae (Christus) sine culpa suscepit^. » Dans ces con- 
ditions, Jésus-Christ est justement puni par le Père 
pour nos fautes : il est, comme nous aurions dû l'être, 
livré à Satan, c'est-à-dire aux membres de Satan, à 
Pilateet aux juifs qui le font mourir^. Mais par cette 

1. s. FCLG., Ad Trasimund., I, 7. 

2. Moral., I, 32. 

3. S. IsiD., De flde cath. contra lud., I, S, 11. 

4. In psalm. XXI, vers. 28. 

5. Ad Trasimund., Ill, 29; De fide, 12. 

6. Moral., XUl, 3S; III, 26-29; IV, S6; IX. 6i. S. ISIDORE, Sentent., h 
14, 12. 

7. S. Grec, Moral., III, 20-29. 



LA THÉOLOGIE LATINE DE 430 A 771. 357 

mort d'un innocent il a acquitté la dette de mort qui 
pesait sur nous : « Eos ille a debitis suis eripuit qui 
pro nobis sine debito mortis mortem solvit... Qui 
enim pro nobis mortem carnis indebitam reddidit nos 
a débita animae morte liberavit^ » « Poenam peccati 
nostrisuscepit, ut per indebitam poenam suam debitam 
aboleret culpam nostram ^. » Son sang est la rançon, 
le prix de notre délivrance'. Dès lors, la colère divine 
est apaisée, et, en même temps que l'homme recueille 
dans lesvexemples de Jésus-Christ des leçons de sain- 
teté, Dieu est contraint, en quelque sorte, d'arrêter les 
effets de sa justice : 

« Quia iustus in hominibus solus (Christus) apparuit, et ta- 
men ad poenam culpae etiam sine culpa pervenit, et hominem 
arguitne delinqueret, et Deo obstitit ne feriret... Patlendo ergo 
utrumque arguit, qui et cnlpam hominis iustitiam ' aspirando 
corripuit, et iram iudicis moriendo temperavit... et exemplo 
hominibus quae îmitarentur praebuit, et Deo in se opéra, qui- 
tus erga homines placaretur, ostendit*. » 

Cet apaisement, cette disposition propice de Dieu à 
notre égard remonte d'ailleurs d'une certaine façon, 
suivant une remarque de Cassiodore, au moment même 
de l'incarn ation , au moment où le Pète nous donna le 
Christ com me prêtre et hostie ^. Ces derniers mots 
introduisent un nouvel aspect sous lequel nos auteurs 
considèrent la mort de Jésus-Christ. Cette mort est un 
sacrifice® : sacrifice nécessaire, observe saint Grégoire, 
car la faute ne pouvait être effacée que par un sacri- 
fice, et par un sacrifice dont la victime ne fût pas un 

i. s. Grég., In evangel. homil. XXXIX, 8; Moral., XYII, 47. 

2. S. IsiD., Sentent., 1, 14, 12. 

3. BEDE, HomiLy n, 1, col. 138 ; cf. S. Léon, Sermo LXII, 

4. S. Gkég., Moral., IX, 61; cf. XXIY, 6. Rapprocher ce mot de saint 
Léon : < ... at Pater propitiaretur, Filius propUiaret, Spiritos sanctus 
igniret » [Sermo LXXVII, 2). 

5. In paalm. LXIV, Ters. 3. ' 
«. CAssnih, De eoenob. instit., III, 3. 



358 . HISTOIRE DES DOGMES. 

animal sans raison ni un homme coupable, mais un 
innocent et un saint * ; sacrifice dont Jésus-Christ est le 
pr-êtreen même temps que la victime^. Ce prêtre a 
immolé sa vie en sacrifice : « Fecit pro nobis sacri- 
ficium, corpus suum exhibuit pro peccatoribus victi- 
mam sine peccato^ ». Jll'à immolée librement, car la 
passion de Jésus-Christ n'a été ni contrainte, ni for- 
cée ■* ; et grâce à ce sacrifice, spécialement offert pour 
nos péchés, nous avons été délivrés de nos fautes, 
. affranchis de la mort et réconciliés avec Dieu^. Dans 
le Christ seul, suivant une parole célèbre de saint 
Léon, rappelée par Cassiodore, tous les hommes ont 
été crucifiés, tous sont morts, ont été ensevelis, tous 
sont ressuscites ^. 

Dans l'exposé qui précède, on a considéré la mort 
de Jésus- Christ, vis-à-vis de l'homme, comme un 
remède à sa chute, vis-à-vis de Dieu, comme une expia- 
tion du péché exigée par sa justice, et un moyen de 
rétablir l'homme dans son amitié- Mais le démon aussi 
se trouve intéressé dans ce mystère. Par le péché, 
l'homme était son captif, et la rédemption lui enlève 
cette proie. Comment cela? Par la force ou par la jus- 
tice ? Par la justice. On se rappelle que saint Ambro'ise, 
suivant ici Origène, avait représenté le sang de Jésus- 
Christ comme une rançon payée au diable par le Sau- 



i. Moral., XVir, 46. 

2. « Per Aaron sacerdotem îUe indicatnr sacerdos qui veri pontificis 
sacramenlum, non in alieni gèneris hostia, sed in oblatione corporis 
et sanguinis sui solus implevit : idem- sacerdos, idem victima, propi- 
tiator et propitiatio, omniumqne mysteriorum quibus nuntiabalurcffec- 
tor • (S. Pbosper, In psalm. CXXXU, vers. 2; t-f. S. Fdlg^ Epist.MX, 
37; Ad Trasimund., III, 30; S. Léon, Sermo LXVUI, 3). 

3. S. Grec, MoraL, XVII, 46. 

4. S. Prosper, Jn psalm. CVIII, vers. 5; CIII, vers. 49; Cassiodore, In 
psalm. LXXWU, vers. S. 

5. S. LÉON, Sermo LIV, 3; S. Fulg., Ad Trasimund^ I, 4S; Bède, I» 
/ loann., IV, col. 108; In loann., m, col. 671. 

6. S. LÉON, Epist. CLXV, 5; Cassiodore, In psalm.liy, coad^Bio. 



LA. THEOLOGIE LATINE DE 430 A 771. 359 

veiir, potip nous racheter. Après lui, cette explication 
disparaît chez les latins, et l'on revient à la théorie de 
l'abusdu pouvoir que- saint Augustin avait préférée. 
Saint Lébn l'expose plusieurs fois. Dieu, bien qu'il 
l'eût pu, n'a pas voulu user de sa toute-puissance pour 
nous arracher au démon : il ^ -voulu que tout se passât 
suivant la justice, « magis uteretur iustitia rationis 
quam potestate virtutis ^ » ; et il était convenable d'ail- 
leurs que l'humanité se délivrât eh quelque sorte elle- 
même, et que le diable fût vaincu par cette nature dont 
il avait triomphé : « ut nequitiàe hbstilis adversitas de 
eo quod vicerat vinceretur, et per ipsam naturam natu- 
ralis repararetur libertas per quam generalis fuerat 
illata captivitas ^ » . Le Verbe s'incarne donc : il prend 
nos infirmités et nos faiblesses : le démon y est 
trompé ; il croit Jésus un homme ordinaire ; il le per- 
sécute, et finalement le met à mort comme si le Sau- 
veur lui appartenait et avait inérité ce châtiment. C'est 
une pure cruauté , un abus de pouvoir dont il est juste 
que le démon soit puni. Puisqu'ila injustement frappé 
l'innocent^ il perdra ses droits sur les coupables : les 
pécheurs deviendront libres : « Per iniustitiam plus 
petendî,! tbtius debiti summa vacuatur ^ » . Nous retrou- 
vons ces mêmes idées en substance dans Fulgence 
Ferrand*, dans saint Césaire^, Cassiodore^, saiiit 
Grégoire', saint Isidore^. 
Mais de plus, la poésie est venue animer ces concep- 



i. SermoLXn, 2; XXTT, 3; XXVIH, 3; LVI, 1. 

2. Sermo LXIU, 4. 

3. Sermo XXH, 3, 4; LXI, 4; LXIV, 2; LXIX, 3, 4. 
*. Epist. m, 8. 

5. Homilia m de pàsehate, col. Hii9:, 

6. In psalm. Liv, conclusio. 

"I. MoraLi XVH, 46j 47. Oa remarquera qae saint Grégoire qualifie ici 
!• pouvoir du démon sur nous" de quasi-juste. Saint Isidore imite cette 
rés'Tve. J. Rivière, Le dogme de la rédemption chez S. AvgTcstèn, 
Pans, 4928, 

8. Sentent., I, 14, 12. 



860 HISTOIRE DES DOGMES. 

lions un peu froides , et présenter sous une forme pit- 
toresque la déception et la défaite du démon, trompé 
par les apparences humaines de Jésus-Christ. On se 
rappelle cette comparaison, donnG j par saint Grégoire 
de Nysse, du poisson vorace qui se jette sur l'appât et 
se prend à l'hameçon. Nos auteurs n'ont garde de la 
laisser perdre, et la répètent à l'envi *, Une comparai- 
son anadogue est celle de l'oiseau que le grain attire et 
qui se prend au filet ^ : toutes images où l'on aurait 
tort de voir autre chose qu'une façon vive de repré- 
senter la victoire de Jésus-Christ sur l'ennemi du genre 
humain. 



§ 7. — Ecclésiologie. 

Les écrits de saint Augustin contre les donatistes 
avaient mis en lumière cette vérité, que l'Eglise visible 
est un corpus mixtum, un champ où l'ivraie est mêlée 
au bon grain. Cette doctrine continue à être professée 
en Afrique par saint Fulgence^, à Rome par saint 
Grégoire qui la transmet à saint Isidore de Séville ••. 
Au ciel, remarque saint Grégoire, il n'y a que des 
justes ; dans l'enfer il n'y a que des méchants ; mais 
l'Église de la terre contient des uns et des autres : 
« in bac ergo Ecclesia nec mali sine bonis, nec boni 
sine malis esse possunt^. » Cela n'empêche pas cette 
Église d'être le corps de Jésus-Christ, de ne former 
avec lui, suivant l'expression de saint Prosper, qu'un 



1. FcLC. Ferraho, Epist. ni, S; Cassiod., In psalm.S,Vf, conclusio; 
S. Grég., MoraU, XXXIII, 14, 17; In evangel. komil. XXV, 8; S. IsiD.t 
Sentent., 1, 14, 14. , 

2. S. Grec, Moral., XXXUI, 31 ; S. Isid., Sentent., 1, 14, 13. 

3. De remist. peccat., I, 18; De fide, 84, 

4. Sentent., I, 16, 3. 

K. In evang. homil. XXXVIII, 7, 8. 



LA THÉOLOGIE LATINE DE 430 A 771. 3Cl 

seui homme : « Caput et corpus, Ghristus et Ecclesia 
unus hoiiao, unus est Christus ^ » 

Aussi, comme le Christ est la source de toute vérité 
et de toute grâce, ne trouve-t-on que dans l'Église la 
vérité religieuse et la grâce de la sanctification et du 
salut. Elle est chargée d'enseigner les hommes, de les 
diriger vers le ciel, et elle le fait infailliblement; elle 
est la dépositaire et la dispensatrice des dons divins 
fruits delà rédemption, et on ne les reçoit utilement 
que de ses mains. Écoutons la belle apostrophe de 
Cassipdore : « vere sancta, o immaculata, o perfecta 
mater Ecclesia quae, divina gratia largiente, soîa vivi- 
ficas, sola sanctificas... cuius piae confessioni nihil 
addi, nihil minui potest... sola inoffenso fidei cursu 
sine periouio diluvii constanter enavigas, nec ullis erro- 
ribus aquieseis . . . Nescis loqui nisi quod expedit^edi ^ , » 
Avant lui, saint Fulgence avait écrit «.vec plus de ri- 
gueur : « ^xtra Ecclesiam catholieam nulius accipit 
indulgentiâm peccatorum... Extra hanc Ecclesiam nec 
christianum nomen aliquem iuvat, nec baptismussaivat, 
nec raundum Deo sacrificium offertur, nec peccatorum 
remissioaccipitur, necaetérnae vitae félicitas invenitur. 
Una est enim Ghristi Ecclesia, una columba, una di- 
lecta,unasponsa'*. » 

Donc, en dehors de l'Église, ni les bonnes œuvres et 
les aumônes ne sont utiles et fructueuses, ni le martyre 
lui-même .ne saurait être couronné '' ; c'est-à-dire que 
hors de l'Eglise il n'y a point de salut. Saint Fulgence 
le réaffirme dans ce texte classique: « Firmissime tene 
et nuUatenus dubites quemlibet haereticum sive schis- 

1. In pgalm. CXxya, vers. i. 

2. In psdllerium, praefatio, XVII, col. 23. 

3. Deremiss, peccatorum, 1, 22. Cf. S. Prosper, In psalm. CXXXI, vers, 
■î; GXLYli, vers. ■J3. 

*. Cassiodore, In psoJm. CXV, vers. 6; S. Grec, Moral., XXY, 12, 13; 
S. Ism., Sentent., 1, 16, 12. 

HISTOIRE DES DOGMES. — III. 21 



362 HISTOIRE DES DOGMES. 

matîcum in nomine Patris et Filii et Spiritus sancti 
baptizatum, si Ecclesiae catholicae non fuerit aggre- 
gatus, quantascumque eleemosynas fecerit, etsi pro 
Christi nomine etiam sanguinem fuderit, nuUatenus 
posse salvari ^ . » 

Au moment où nous sommes, cette Église en Occi- 
dent avait commencé à ouvrir son sein aux multitudes 
barbares qui envahissaient l'empire. Du morcellement 
des régions qui obéissaient autrefois aux romains, et 
de la formation de nouveaux royaumes indépendants 
résulta un arrêt dans le mouvement de concentration 
qui, depuis un siècle surtout, allait à resserrer, au point 
de vue ecclésiastique, les liens qui unissaient à l'Eglise 
romaine les églises particulières 2. L'opposition au 
V* concile général et aux décisions de Vigile, qui au 
VI* siècle entraîna dans le schisme des provinces en- 
tières, est un fait qu'on ne saurait non plus négliger 
quand on se demande quelle notion avaient exactement 
de la primauté romaine les évêques récalcitrants. Mais 
enfin, et quelles qu'aient été les défaillances particu- 
lières, cette primauté était sans discussion acceptée 
par tout l'Occident. Il était entendu que, dans les 
questions de dogme et de discipline générale, les dé- 
cisions du pape faisaient autorité ; que ses décrétales 
avaient force de loi comme les canons des conciles; 
que Rome était le centre de l'unité de l'Église, et que 
seulement dans la communion avec le siège apostolique 
pouvait se conserver l'intégrité de la foi et de la vie 
chrétienne. Pierre a été constitué par Jésus-Christ le 



1. De fide, 80; cf. 78-79; S. Grèg., Moral., XIV, S; Bède, Hexaemeron, 
I, col. 85, 86. Dans les Statuta ecclesiae antîqua, qui sojit en tout cas 
du VI» siècle (D. Morin conteste leur attribution a saint Césairei, on 
demande au candidat à l'épiscopat s'il croit* siextraecciesiam catiio- 
licam nullus salvetur » {P.L., LVI, col. 880). 

2. Sur ce point v. L. Dcchesme, Origines du culte chrétien, p. 29 et 
suiv. 



LA THÉOLOGIE LATINE DE 430 A 771. 365 

fondement et le chef de l'Église universelle, son maître 
et son docteur infaillible, et Pierre vit et parle toujours 
en ses successeurs^. Ces idées et ces expressions se 
retrouvent un peu partout chez les auteurs que nous 
étudions, par exemple chez saint Pierre Chrysologue ^, 
chez Maxime de Turin ^, chez saint Fulgence'', chez 
Bède*; mais elles ont été surtout magnifiquement 
développées par saint Léon et saint Grégoire. Qui ne 
connaît ces périodes d'une sérénité si large, dans les- 
quelles le premier expose toute l'économie de 1 evangé- 
lisation du monde et du gouvernement de l'Église : 

« Divinae cultum religionis, quem in omnesgentes omnesque 
natibnes Dei voluit gratia coruscare, ita Doiïiinus nosterlesus 
Ghristushumanigeneris salvator instituit, ut veritas, quae antea 
legis et prophetarum praeconio continebatur per apostoUcam 
tubam in salutem universitatis exiret... Sed liuius muneris 
sacramentum ita Dominus ad omnium apostolorum officium 
pertinere voluit, ut in beatissimo Petro omnium apostolorum 
summo principaliter coUocarit; et ab ipso quasi quodam ca- 
pite dona sua velit in corpus omne manare, ut exsortem se 
mysterii intellegeret esse divini qui ausus fuisset a Pétri soli- 
ditate recedere. Hune enim in consortium individuae unitatis 
assumptum, id quod ipse erat voluit nominari dicendo : Tues 
Petrus et super Tianc petram aediflcabo ecclesiam meam (Matth., 
XVI, 18) ; ut aeterni templi aedificatio mlrabili munere gratiae 
Del.iii Pétri soliditate consisterai :hac Ecclesiam suamflrmitate 
corroborans, ut illam nec humana temeritas posset appetere 
nec portae contra illam inferi praevalerent 6 ». — « Manet ergo, 
dispositio veritatis, et beatus Petrus in accepta fortitudine 
petrae perseverans, suscepta Ecclesiae gubernacula non reli- 
quit. Sic enim prae caeteris est ordinatus ut, dura petra dicitur, 

1. Sur l'histoire du mot « papa > y. P. de Labriolle, aans le Bulletin 
d'ancienne littérature et d'archéologie chrétienne, I (1911), p. 215 et 
suiv. C'est au vi" siècle que l'on commence à réserver à l'évêque de 
Home l'appellation de papa, décernée jusqu'alors presque indistincte- 
ment à tous les évêques en Occident. P. Batiffol, Papa, Sedes aposto- 
lica, Apostolatus, dans Rivistadi archeologia crisliana, 1923, p. 99-116. 

2. Epist. ad Eutychelem, inter epist. S. Leonis, Epi$t. XXV, 2. 

3. Serwio XCIV, col. 722; Homil. LIV, col. 3S3. 

4. Epist. XYII, 21. 

5. Homil., II, 16, col. 223. 

6. Epist. X, 1. 



364 HISTOIRE DES DOGMES. 

dum fundamentum pronuntiatur, dam regni caelorum iamtor 
constituitur, dum ligandorum solvendonimque arbiter, man- 
sura etiam in caelis iudiciorum suorum definitione praeficitur, 
qualis ipsi cum Christo esset societas per îpsa appellatiônum 
élus mysteria nosoeremus. Qui nunc plenius et potentius ^éa 
quae sibi commîssa sunt iperagit... In uniyprsa namque Ec- 
desia Tu es Christus Filius Dei vivi quotidie Petrus dicit, 
et omnîs lingua quae confitetur Dominum magisterîo huius 
vocîs iml>uitur... His itaque modis, dilectissîmi, râtionall dbse- 
quio oelebratur hodiema festivitas, ut in persona humilitatis 
meae ille intellegatur, ille honoretur, in quo et omnium pa- 
storam sollicitudo cum commendatarum sibi ovium cuistodia 
persévérât, et cuius dignilas etiam in indigno haerede non 
•deflcîti. » 

Saint Grégoire rie parle pas cette belle langue -, mais 
ii n'est pas pour cela moins énergique à affirmer que 
saint Pierre « primus erat in apostolatus culmine » ; 
qu'il estle prince des apôtres à qui « cura totius Bccle- 
siae et principatus committitur^ » ; que l'évêque de 
Rome est le chef de la foi {caputfidei}; qu'en matière 
■de foi son jugement est souverain ; que le siège de 
Rome a universali Ecclesiae iura suatransmittit » ;que 
l'Église de Constantinople lui est soiraiise, comme les 
autres; que sans l'autorité et le consentement du siège 
apostolique, ce qui est résolu dans les synodes ne sau- 
rait avoir aucune force ^. Mais surtout ces deux grands 
papes firent passer, si l'on peut ainsi parler, ces idées, 
déjà existantes avant eux, dans la vie quotidienne de 
leurs contemporains, et, par la soUicitude efFeotive 
q[u'ils montrèrent pour toutes les églises, par leur 
incessante intervention dans toutes les parties du 
monde chrétien, firent de leur autorité œcuménique 

1. Sermo III, 3, 4; V, 4. Sur l'idée que la prima atë du pape est bien 
de droit divin, voir le décret de Gélase, H: « Romana ecclesia BuUis 
synodicisconstitntis caeteris ecclesiis praelata est, sed evangelica voce 
iDomiai et salvatoris nostri primatum obtinuit » {Matth., XVI, 18). 

2. In Ezechiel, II, homll. VI, 9; In evang. homil. XXIV, 4; EpisU 
y, 18, 40, col. 740, 746; VU, 40, 41. 

3. Epist. III, 57; V, S4; IX, 1-2, col. 9S7; 1X^68, COl. lOOS; XIII, 37. 



LA THEOLOGIE LAJINE DE 4^ A 771. 365 

une réalité partout sentie * . Entue leurs .successeutsi, 
les papes Hornïisdas ^^ Martini*'' et Agathon ne. montEè- 
rent pas une moindre conviction de leur droit; et l'on 
sait avec quelle vigueur le dernier, à l'imitation de saint 
Léoni, imposa sa décision doctrinale dansd' affaire mo- 
nothélite. Ni l'un ni l'autre d'ailleurs ne supposèrent 
que l'on pût examiner à nouveau leur enseignement, 
ni mettre en question son orthodoxie. 

D'autre part, et bien que l'Egliise se pose comme 
souveraine dans l'ordre spirituel en face de l'État sou- 
verain dans l'ordre temporel', leurs rapports devien- 
nent, dans la période que nous étudions, de plus en 
plus étroits. L'autorité civile, affaiblie dans les rér 
gions restées romaines, inexpérimentée et sans culture 
dans les nouveaux royaumes barbares-^ s^appuie volon- 
tiers sur le prestige moral du clergé, et lui deraaaïde 
le secours de sa science. L'Église, dont beaucoup des 
envahisseurs ne sont pas moins ennemis que de î'Em- 
pirev doit recourir au bras séculier pour se défendre 
contre des attaques que ses anathèmes ne suffisent 
pas à repousser. Aussi saint Léon proclame-t-il, après 
saint Augustin, que le pouvoir est donné aux princes 
« non ad solum mundi regimen, sed maxime ad Eecle- 
siae praesidium"* » ; saint Fulgence, que le devoir de 

1. On sait cependant que saint Grégoire repoussait pour lui-inaêrne le 
titre "de patriarche universel {Epist. Y, 43, col. 771 ; Yin, 30, col. 
933). 

2. Remarquer, dans la fameuse formule qu'Hormisdas fit souscrire 
aux évêques grecs en Si9, ces deux idées : i" que la règle de foi est 
dans la doctrine des Pères et plus spécialement dans celle du siège 
apostolique ; 2» que l'on ne saurait être dans la communion de l'Église 
qu'à la condition d'être en communion avec le siège apostoliq[ue. P. I,., 
LXIII, col. 444, 445. 

3. V. GÉLASE, Epistî VIII : « Duo quippe sunt, imperator auguste, 
quibus principaliter mundus hicregitur, auctoritas sacra pontificum et 
regalis potestas. In quibus tanto gravius est pondus sacerdotum, 
quanto etiam pro ipsis regibus Domino in divino reddituri sunt 
examine rationem » (P. L., LIX, 42). 

4. Epist. CLYI,3; cf. CXI,' 1; CLXIV, 1; CLXV, 10. 



366 HISTOIRE DES DOGMES. 

l'empereur chrétien est de faire servir son autorité à 
procurer « la paix et la tranquillité de l'Eglise * » ; 
saint Grégoire, que l'intention du ciel en conférant le 
pouvoir à ceux qui gouvernent est « ut qui boiia appe- 
tunt adiuventur, ut caelorum via largius pateat, ut ter- 
restre regnum caelesti regno famuletur^ ». Saint 
Isidore parle de même ^. 

Cette protection de l'Église par l'État entraînait la 
répression matérielle par celui-ci des hérésies et des 
schismes qui pouvaient la troubler. On a vu que cette 
conséquence était acceptée de saint Augustin : elle 
l'est aussi par nos auteurs. Saint Léon enseigne que 
l'empereur a le devoir de réprimer les menées des 
hérétiques obstinés, ennemis à la fois de la paix civile 
et religieuse ■'. Saint Grégoire exhorte le préfet Pan- 
taléon à ne pas tolérer les excès des donatistes ^ ; et 
saint Isidore énonce le principe que « saepe per re- 
gnum terrenum caeleste regnum proficit, ut qui intra 
Ecclesiam positi contra fidem et disciplinam Ecclesiae 
aguntrigore principum conterantur® ». 

i. De verit. praedesCin., II, 38. 

2. Eijist. ni, 6o, col. 663. 

3. Sentent., III, 51, 4. 

4. Epist. CXVin, 1. La lettre XV (col. 679, G80) semble contenir une 
approbation des mesures rigoureuses prises contre Priscillien et ses 
fauteurs. Mais il est au moins douteux que cette lettre soit autiien- 
tique. 

5. Epist. IV, 34. Quant aux païens qui pratiquent les aruspices fit les 
sortilèges, saint Grégoire veut que les es>-laves soient punis < verberibus 
cruciatibusque >, et les hommes libres • inclusione digna districta- 
que •, afin qu'ils reviennent à la santé de l'âme [Epist. IX, 65; cf. lY, 
25, 2ii; V, 8}. Ailleurs cependant et pour les juifs, il détourne des voies 
de rigueur pour recommander la persuasion et la douceur {Epist. I, 
35, 47; IX, 6). 

6. Sentent., 111,51, 5; cf. 6. . 



LA THEOLOGIE LATINE DE 430 A 771. 367 



§ 8. — Les sacrements, le baptôxne, la confirmation. 

Saint Augustin avait vu dans le sacrement essen- 
tiellement un signe sensible de la grâce, un rite qui 
signifie la grâce, et qui entraîne la production certaine 
de cette grâce, quand il est posé dans les conditions 
voulues. Cette notion fut reprise par saint Isidore. 
Reproduisant la définition donnée par saint Augustin 
dans la lettre lv, 2, à Janvier, lui aussi déclara que le 
sacrement consiste dans une cérémonie, signe d'une 
chose que l'on doit recevoir saintement : « Sacramen- 
tum est in aliqua celebratione cum res gesta ita fit ut 
aliquid signifîcare intellegatur, quod sancte accipien- 
dum est^ » Mais il eut le tort de rechercher l'étymolo- 
gie du mot sacramentum dans le mot secretum, ce qui 
l'amena à rapprocher le sacrement proprement dit du 
mystère, et à diminuer un peu ce que sa première no- 
tion avait de précis : « Sunt ^utem sacramenta bap- 
tismus et chrisma, corpus et sanguis. Quae ob id 
sacramenta dicuntur quia sub tegumento corporalium 
rerum virtus divina secretius salutem eorumdem sa- 
cramentorum operatur, unde et a secretis virtutibus et 
a sacris sacramenta dicuntur... unde et graece myste- 
rium dicitur, quod secretam et reconditam habeat 
dispositionem^. » 

On a pu remarquer dans ce texte que saint Isidore 
distingue le sacrement ou rite extérieur de ce qu'il 
signifie et du salut (\^ y est opéré [salutem eorumdem 
sacramentorum). Au numéro 41, il appelle ce salut, 
cette grâce de salut V effet du sacrement : « Quae 
(sacramenta) ideo fructuose pênes Ecclesiam fiunt 
quia sanctus in ea manens Spiritus eumdem sacramen- 

1. Etymol., VI, 19, 39. 

2. Etymol., VI, 19, 39, 40, 42. 



368 HISTOIRE DES DOGMES. 

torum latenter operatur effectum. » C'est la res ou 
9Îrtus sacramenti de saint Augustin. Le sacrement, 
pour Isidore comme pour Augustin, comprend deux 
choses, le rite et l'effet de grâce qui en est la suite. 

Sur les parties du rite lui-même, sur sa décomposi- 
tion en elementum et en verburfi, mise en lumière par 
saint Augustin, nous ne trouvons dans nos auteurs 
aucune considération théorique,, bien qu'en pratdiq;ue 
ils l'aient certainement connue. Notons seulement 
chez eux la persistance de cette conception quelque 
peu matérielle du sacrement, qui avait été celle de 
TertuUien, de saint Ambroise et de saint Augustin^, et 
qui attribue à la matière du rite, eau du baptême, 
huile de la confirmation, de par la bénédiction préala- 
ble qu'elle a reçue, une vertu purificatrice et sanctifi- 
catrice. Cette bénédiction fait descendre dans les eaux 
baptismales l' Esprit-Saint, qui leur communique une 
puissance régénératrice:, ou même qui opère ea elles 
et par elles la régénération. Saint Léon écrit. : « Omni 
homini renascenti aqua baptismatis instar est, uteri 
virginalis, eodem Spiritu sancto replente fontem qui 
replevit et virginem, ut peccatum quod ibi vacuavit 
sacra conceptio, hic mystica tollat ablutio ^ » Maxime 
de Turin esquisse la même théorie 2; mais saint Isidore 
l'expose nettement : « Invocato enim: Deo,. descendit 
Spiritus sanctus de caelis, et medicati» aquis,, sanetifi- 
cat eas de semetipso ; et accipiunt vim purgationis, ut 
in eis et caro et anima delictis inquinata mundetur^. » 
Cette invocation de Dieu n'est pas la formule trini- 
taire, c'est la formule de la bénédiction de l'eau, béné- 
diction que l'on regarde, en conséquence, conime très 
importante pour l'efficacité du sacrement : « Nisi 

\. Sermo XXIV, 3. 

2. Sermo XII[, col. SS8. 

3. Etymol., VI, 19, 49. 



LA THÉOLOGIE LATINE DE 430 A 771. SÔÔ 

nomine et cruce iigni Ghristi fontis aquae tangantur^ 
nuUiim salvationis remedium obtinetur^ » 

Par les textes cités de saint Léon et de saint Isidore» 
nous vayons quelle idée les auteurs de ce temps se font 
plus volontiers de l'actieài sacramentelle. Cette action 
— on le dira plus longuement tout à l'heure à l'ocea» 
sion du baptême — n'a nullement son principe dans la 
foi et la sainteté du ministre^ ni dans les dispositions 
du sujet : elle vient du rite même ; mais dans le rite et 
sous le rite, on considère que c'est la vertu de Jésus- 
Christ ou du Saint-Esprit qui s'exerce et qui produit 
l'effet du sacrement. Rappelons les textes de saint Isi- 
dore: « Subtegumento corporalium rerum virtus divina 
secretius salutemeorumdemsaeramentorum operatur,». 
Quae (sacramenta) ideo fructuose pênes Ecclesiam fiunt 
quia sanctus in ea manens Spiritus sanctus eumdem 
sacramentorum latenter operatur effectum^. » Bien 
plus, dans cette insistance à noter que les sacrements 
sont reçus fructueusement dans l'Église, parce que le 
Saint-Esprit demeure en elle, on trouvera aisément un 
écho de la pensée de saint Augustin, qui ne croyait pa* 
que le baptême pût être reçu salubriter en dehors dfr 
la vraie Église', même dans le cas de bonne foi, parce 
que cette Eglise seule possède le Saint^sprit et est la 
dispensatrice de toute grâce ^. Cette opinion allait à 
dimiuuer un peu la valeur absolue du rite. C'est sans 
doute pour maintenir cette valeur entière que Bèdie,. 
rompant ici avec l'évêque d'Hippone, enseigna au con- 
traire que, dans le cas de bonne foi, on reçoit hors de 
l'Eglise fructueusement le baptême, sauf l'obligation 
de revenir à la vraie Église dès qu'on la connaîtra^. Il 

1. s. ILDEFONSE^ De cogn, bapL, CIX ; cf. Sermo ad catechumenos, 3^ 
(P. X., XL, col. 694). 

2. Et cf. Maxime de Turin, Sermo xni, col. 537, oi>S. 

3. Cf. le tome II, p. 403, 404. 

4. Eexaemeron, II, col. iOl. 

21. 



370 HISTOIRE DES DOGMES. 

proclamait ainsi que le rite sacramentel reçoit tout son 
effet, même quand il est posé par un ministre illégi- 
time. 

La liste en quelque sorte officielle des sacrements 
reste ce qu'elle était dans les siècles précédents : « Sunt 
autem sacramenta, écrit Isidore, baptismus et chrisma, 
corpus et sanguis* » : ce sont les rites de l'initiation 
chrétienne. Saint Léon parle cependant du sacrement 
du sacerdoce 2; Salvien des connubii sacramenta^. 
Mais il ne faut pas accorder à ces façons de parler trop 
d'importance : dans l'imprécision où restait encore la 
notion de sacrement^, le fait d'appeler un rite ou un 
état un sacrement ne prouve pas qu'on en fît un sacre- 
ment au sens strict où nous prenons ce mot. 

Sur les sacrements de l'initiation chrétienne, et sur 
le baptême en particulier, il reste de saint Ildefonse de 
Tolède un De cognitione baptismi dont le fond est 
probablement plus ancien, et qui donne une description 
minutieuse des cérémonies qui, en Espagne, accom- 
pagnaient le baptême chrétien. Mais ce n'est pas d'ail- 
leurs notre unique source d'information. 

Le baptême chrétien était d'abord nettement distingué 
du baptême de Jean. Celui-ci par lui-même ne remet- 
tait pas les péchés : celui de Jésus les remet ; le pre- 
mier était conféré par un homme : le nôtre l'est par le 
Christ comme ministre principal ^. 

Dans le nouveau baptême, le baptisé était plongé 
trois fois dans l'eau, sauf en Espagne où, en haine de 

i. ECymoL, VI, 19, 39. 

2. Kpist. XII, 3. 

3. De gubematione Dei, IV, S. 

4. Joi:,'n' z-y les sens multiples qu'avait en latin le mot saeramentum. 
Saint Léon parle sans cesse de l'incarnation comme d'un sacramen' 
tum. 

5. Maxime de Tur., Sermo XIII, col. 557 :S. Grec, In evang. homil' 
XX, 3; BEDE, Homil. I, 3, col. 2-2. 



LA THEOLOGIE LATINE DE 430 A 771. 371 

r arianisme et pour affirmer l'unité divine , on se contentait 
d'une seule immersion ^ . L'immersion était accompa- 
gnée de la formule trinitaire, regardée comme absolu- 
ment indispensable. Omettre le nom d'une des per- 
sonnes de la Trinité était rendre le baptême nul ^. On 
se demandait toujours cependant quelle est la valeur du 
baptême conféré in nomine lesu, et,4andis que saint 
Fulgence n'ose au fond se prononcer pour ni contre ^, 
l'auteur du De Trinitate attribué à Vigile de Tapse 
admet cette valeur sans hésitation, parce que, dans le 
nom de Jésus, sont compris ceux du Père et du Saint- 
Esprit ^ 

L'effet du baptême est d'effacer le péché originel et 
en général tous les péchés, et de donner la grâce et la 
vie surnaturelle^. On a remarqué avec raison que, 
depuis saint Augustin, à qui la doctrine du péché 
d'origine doit son développement, le rôle purificateur 
du baptême par rapport à ce péché est mis, par nos 
auteurs, dans un relief spécial, et prend le pas sur sa 
qualité de sacrement de l'initiation chrétienne. Or, le 
péché originel, enseigne saint Grégoire ^^ était effacé 
avant Jésus-Christ, ou par la simple foi chez les enfants, 
et par la vertu du sacrifice chez les adultes, ou, chez les 
descendants d'Abraham, par la circoncision. Mais 
actuellement, le baptême est devenu nécessaire pour 
cet objet : il ne peut plus être suppléé que par 

1. Concil. Toletan. IV, 6, tenu en 633 (Mansi, X, 618). Saint Martin de 
Braga, dans son livre De trina mersione, avait combattu la coutume 
espagnole comme entachée de sabellianisme; mais saint Grégoire l'avait 
déclarée recevable, < quia in una fide nihii ofdcit sanctac Ecclesiae 
consuetudo diversa ». Cf. S. Ildefoxse, De cogn. bapL, CXVII. 

2. s. FcLGENCE, Epist. VIII, 19; S. ILDEF., De cogn. bapt,, CXII. 

3. Cojitra Fabianum, fragm. XXXVII, col. 830-832. 

4. De Trinilate, XII, col. 324. 

5. Maxime de Tur., Uomil. XCVIII, col. 481, 48-2; Sermà XVI col. 867; 
S. FULG., Epist. XII, 18; S. Gr.ÉG., Epist. XI, 45, col. H62. 

C. Moral., IV, praef., cap. III, col. 635 ; cf. Bède, Rexaem., IV, col. 
163, 183; HomiL 1, 10, col. 54. 



372 HISTOIRE -DES DÔGMESk 

le mactyre, qui lui-même est un baptême parfait ♦. 

Le ministre ordinaire du baptême était l'évêq^ue 
assisté des prêtres et des diacres. En cas de. nécessité 
seulement, il était permis aux clercs inférieur» ou aux 
fidèles laïques de baptiser 2. 

Quant à la valeur du baptême administré paa? les 
hérétiques, c'est une question qui restait toujours 
actuelle en Occident par suite du mélange des enva- 
hisseurs ariens avec les populations catholiques, mais 
sur laquelle on était pleinement fixé par les décisions 
de l'Eglise et l'autorité de saint Augustin. Saint 
Léon, saint Grégoire, Gennade, saint Fulgehce, saint 
Isidore, saint Ildefonse sont unanimes à enseigner que 
le baptême conféré par les hérétiques au nom de la 
Trinité ne doit pas être renouvelé ^. Ce n'est pas à dire 
que ce baptême soitregardé commefructueuxet effaçant 
les péchés. On a vu que saint Isidore paraît admettre 
la solution augustinienne qui considérait le sacrement 
même reçu de bonne foi comme inefficace en ces cir- 
constances. Et il semble bien que ce soit aussi l'opi- 
nion de saint Fulgence quand il écrit absolument : 
a Baptismus autem extra Ecclesiam quidem esse po- 
test, sed nisi intra Ecclesiam prodesse non potest'' ». 

Mais (le plus, celui qui, baptisé dans l'hérésie, reve- 
nait à l'Église,, devait être réconcilié par un rite spé- 
cial, qui complétait en quelque sorte son baptême. Ce 
rite, on l'a dit ailleurs, paraît bien avoir été pendant 

1. Maxime de Tur., Sermo LXXXVUI, col. 708, 709 ; Gennade,. De eccl. 
dogm., 74; S. Grég., Moral., IV, praef., cap. lU, col. 633. 

2. Cf. S. ILDEF., De cogn. bapt., GXVX. 

3. S. I.Éo.>-, Epist.CLlX, 7; S. Grég., Epist, XI, 67; Gennade, De eccl. 
dogm., 5-2; s. Fdlg., De flde, 4i ; ConlraFabian., fragm. XXIX. col. 793; 
S. IsiD., De eccl. offic. H, 25, 9; S. Ildef., De cogn. bapt., CXXI. On 
remarquera que ces deux derniers auteurs justiOent cette solution, 
comme saint Augustin, par la doctrine du caractère : « Cliaracier est 
cnim régis mei : uon ero sacrilegus si corrigo desertorem et non muto 
ciiaracterem » (S. Isid., loc. cit., 10). 

4. Defide, ii. 



LA THEOLOGIE LATINE DE 430 A 771. 37S 

longtemps la confirmation elle-même. Saint Augustin 
cependant l'en avait distingué ^ ; et il s'en distinguait 
eiectivement au point de. vue extérieur, dans les pays 
de rite romain, où cette réconciliation se faisait par la- 
seule imposition de la main. C'est ce que constate saint 
Grégoire : « Unde arianos per impositionem manus 
occidens, per unctionem vero sancti cbrismatis ad 
ingressum sanctae Ecclesiae catholicae oriens refor- 
mât^. » Mais l'occident -dont il est ici (ju^tion doit 
s'entendre avec grande restriction, car» en Gaule, eit 
Espagne et dans la Haute-Italie, c'est-à-dire dans les 
pays de rite gallican, la cérémonie comportait l'onc- 
tion du chrême et l'imposition delà main, soit tout le 
rite de la confirmation : « Haeretici autem, écrit saint 
Isidore, si tamen in Patris et Filii et Spiritus sancti 
attestatione docentur baptisma suscepisse, non iterum. 
baptizandi, sed solo chrismate et manus impositione 
purgandi sunt*. » Et d'aiUeurs, là même où l'on se 
contentait de l'imposition de la main, le but de cette 
cérémonie était bien de conférer le. Saint-Esprit au, 
sujet réconcilié : « Qui baptismum ab haereticis acce- 
perunt, dit saint Léon,... sola invocations Spiritus 
sancti per impositionem manuum confirmandi sunt, 
quia formam tantum baptismi sine sanctificationis vir- 
tute sumpserunt'*. » L'idée qui inspirait cet usage est 
très nettement marquée par le même pape. Les héréti- 
ques peuvent poser validement le rite baptismal, la 
forma baptismiyTCisXs ils ne sauraient en donner l'effet ni 

1. V. tome H, p. 411, note 4. 

2. Epist. XI, 67, col. 1203, 1206. 

3. De eccles. offic, II, 23, 9. Il semble que Gennade mêle les deux 
rites, car, pour les adultes capables de confesser leur foi,, il dit simple- 
ment : « Gonlirmatur manus impositione » ; mais pour les enfants et 
les faibles d'esprit il requiert qu'ils soient « manus Impositione et 
chrismate communiti » (De eccles. dogm., 52). 

4. Epist. CLIX, 7. V. sur tout ceci L. Duchesne, Origines du culte ehré~ 
tien, p. 323-328. 



374 HISTOIRE DES DOGMES. 

conférer le Saint-Esprit, et c'est pourquoi ceux qu'ils 
ont baptisés « baptizandi non sunt, sed per manus 
impositionem, invocata virtute Spiritus sancti, quam 
ab haereticis accipere non potuerunt, catholicis copu- 
landi sunt^ ». 

La confirmation suivait, dans les cas ordinaires, im- 
médiatement le baptême. Jusqu'au iv® siècle, elle se 
donnait exclusivement, en Occident, par l'imposition 
de la main accompagnée d'une invocation de l'Esprit 
septiforme. Mais, au iv* siècle, l'usage s'introduisit à 
Rome d'abord, puis, à partir du milieu du v* siècle, 
se répandit peu à peu dans les pays de rites gallican, 
milanais et espagnol, d'ajouter à l'imposition de la 
main une onction de chrême faite sur le front avec 
formule appropriée : c'était proprement la consigna' 
tion 2. L'effet du sacrement était de conférer au nou- 
veau chrétien la plénitude du Saint-Esprit. Car le 
Saint-Esprit avait agi sans doute dans le baptême 
du néophyte pour le purifier de ses péchés et le faire 
enfant de Dieu; mais, dans la confirmation, remarque 
Bède après saint Augustin, « amplior eiusdem Spiri- 
tus sancti gratia per impositionem manus episcopi 
solet caelitus dari^ ». 

Donner la confirmation était d'ailleurs en principe 

\. Epist. CLXVn, inquis. 18; CLXVI, 2. 

2. Voir Galtieh, La consignation dans les Eglises d'Occident, dans la 
Revue d'histoire er.clês.,XlU (1912), p. 237-331. Il y eut dès lors dans le 
rite total de l'inilialion chré'ienne deux onctions de chrême, l'une qui 
suivait l'ablution baptismale et qui était un complément du baptême, 
l'autre qui suivait rimposition de la main et qui faisait partie de la 
cotilirmation. Celle-ci symbolisait l'action de l'Esprit-saint. A la pre- 
mière les auteurs attribuent particulièrement l'elTet de sacrer le chré- 
tien, de lui conférer une royauté et un sacerdoce spirituels : < Gaput 
vestrum chrismate, id est oleo sanctiGcationis infundimus. per quod 
ostendilur baptizatis régalera etsacerdo'alem conferri a Domino digni- 
tatera » (S. Maxime de Tun., Tract. lU De baptismo, col. 777,778; S. Isi- 
dore, De eccles. offic. H, 2!i, 2; 27, 4; Cf. S. Ildef., De cogn. bapt., 
CXXIH). 

3. In Marc, evang. expos., I, 1, col. 138. 



LA THEOLOGIE LATINE DE 430 A 771. 375 

réservé à l'évêque : « Hoc autem solis pontificibus de- 
beri, écrit saint Isidore d'après le pape Innocent I*"^, 
ut vel consignent, vel ut Paracletum Spiritum tra- 
dant * » ; et la raison en avait été fournie par le même 
pape : c'est que « presbyteri, licet secundi sint sacer- 
dotes, pontificatus tamen apicem non habent'' ». En 
diverses circonstances cependant, on constate que les 
simples prêtres furent autorisés à donner la confirma- 
tion. Saint Grégoire le permit aux prêtres de Sar- 
daigne, au cas où il n'y attrait pas d'évêque pouvant 
faire la cérémonie ^. Mais en ce cas même, les prêtres 
devaient se servir d'huile consacrée par l'évêque : il 
ne leur était pas accordé de bénir le saint chrême ''. 

§ 9. — L'eucharistie. 

On a pu voir, dans le second volume de cet ouvrage, 
avec quelle fermeté la tradition latine du iv* siècle 
affirmait la présence réelle de Jésus-Christ dans l'eu- 
charistie. Poussant plus loin ses investigations, saint 
Augustin avait essayé de préciser le mode sacramentel 
d'exister et d'agir du corps et du sang divins. Il se l'é- 
tait représenté comme un mode d'exister confinant à 
celui des esprits, comme un mode d'agir dont le terme 
était surtout spirituel, dont le principe était l'esprit 
vivifiant de Jésus-Christ glorieux et impassible. Mais 
cette explication ne détruisait pas l'affirmation pre- 
mière de la réalité du corps et du sang : spirituel ne 
s'opposait pas à réel. Saint Augustin l'avait bien en- 



1. De eccles. offtc., II, 27, 4 ; cf. 1 ; S. Ildef., De cogn. bapt., CXXXI. 

2. Epist. XXV, 3; cf. S. IsiD., De eccles. offic, II, 27, 3; S. Ildef., De 
cogn. bapt., CXXXI. 

3. Epist., IV, 2G, col. 696; cf. IV, 9, col. 677. 

4. Coiic. de Tolède (400), can. 20; S. Isid., De eccles. offic, II, 27, 4; 
S.lLDEF., Decoflfrt. bapt., CXXXI. 



376 HISTOIRE DES DOGMES. 

tendu ainsi, et les auteurs des v^-viir^ siècles après lui 
ne le comprirent pas autrement. Si quelques-uns d'entre 
euXj comme saint Léon ^Salvien 2, Fauste de Riez 3. 
saint Grégoire'',, Bède^, se contentent de proclamei- 
simpkment la foi de l'Église, en se défendant 'de toute 
spéculation; si d'autres, comme l'africain Fulgence^, 
se plaisent au contraire à reproduire les développe- 
ments augustiniens sur le symbolisme de l'eucharistie 
et sa qualité de nourriture spirituelle, d'autres ne crai- 
gnent pas de mêler les deux points de vue, et de tem- 
pérer en quelque sorte par ce mélange ce qu'un réalisme 
pur pouvait présenter de trop matériel, ce qu'un spiri- 
tualisme exclusif pouvait offrir d'indécis et de fragile. 
On trouve de ce procédé un spécimen assez maladroit 
dans les chapitres cxxxvi-cxxxviii du De cognitione 
baptismi de saint lldefonse, qui fait suivre simplement 
l'exposé de l'enseignement ecclésiastique des com- 
mentaires augustiniens ; un exemple au contraire fort 
heureux dans ces lignes de Cassiodore : « Corpus et 
sanguinem suum (Salvator) in panis et vini erogatione 
salutariter consecravit... Sed in carne ista ac sanguine 
nil cruentum, nil corruptibile mens humana concipiat. . . 
sed vivificatricem substantiam atque salutarem, et 



1'. Sermo XCI, 3 : cSîc sacrae mensae communicàre debetis, ut nihil 
prorsus de veritate corporis Chrisli et sanguinis ambigatis. Hoc enim 
ore Eumitur quod Dde creditur. • Saint Léon, voit dans la réalité du 
corps eucharistique de Jésus-Christ un argument contre le monophy- 
sisrne : cf. ibid.,^; Epist. LIX, 2. 

2. Adv. avaritiam, II, 6. Que l'on goûte ces oppositions énergiques : 
• lûdaei maTnna manducaverunt, nos Christum; ludaei carnes avium, 

nos corpus Dei; iudaei pruiiia •> c.neli, nos Deum c»eii. » 

3. Y. l'no7nilia F» de Pasdiate (P. L-, LXVII, 10o2) probablement de lui. 

4. Moral., XXII, 26 ; In evang. homil. XIV, 1 ; XXII, 7. 

5. In Marcum, cap. XIV, col. 272; In Lucam, cap. XXII, col. S96; Ho- 
mil., Il, 4, col. 151. On peut voir encore Sajnt Isidore, De eccles.offlc, I, 
18, 3. Je ne ferai point état ici de la lettre VII attribuée à saint Isidore 
(P. L., LXXXIII, 903) : elle a contre elle trop d'apparences de non-au- 
thetiticilé. 

6. y. surtout Çohira Fabianum, fragm. XXYIII, col. 789-791. 



LA THÉOLOGIE LATINE DE 430 A 771. 377 

ipsius Verbi propriam factam, per quam peccatorum 
remissio et aeternae yitae dona, praestanlur^. » C'est 
un procédé qui se rencontre fréquemment dans les 
textes liturgiques de cette époque, à quelque rite d'ail- 
leurs qu'ils app£iptiennent. En même temps, qu'il y est 
question, de: mainger, de recevoir le corps,, de boire le 
sang de Jésus- Christ, il y est question de cibus,. panis, 
mensa caelestisy de spiritales epulae, de poculum spi^ 
ritale^, autant d'expressions qui n'effacent pas les 
précédentes, mais qui mettent en évidence le carac- 
tère suprasensible de l'aliment divin dont il est. ques- 
tion. 

Mais le iv^ siècle n'avait pas affirmé seulement la 
présence réelle : il avait enseigné, par la bouche de 
saint Ambroise et de l'auteur du De sacramentis,, qu& 
cette présence est obtenue par la conversion du pain 
et du vin au corps et au sang de Jésus-Christ. Cet en- 
seignement est aussi continué. Il l'est comme un point 
acquis en quelque sorte, sans explications ni discus- 
sions, impliqué dans des formules courantes. En Espa- 
gne, on prie Dieu de conformer les oblata au corps et 
au sang du Seigneur plena transformatione^ . En 
France, on demande que le pain soit changé au corps,^ 
et le calice au sang du Christ {^translata fruge in cor- 
pore, calice in cruore] ; on parle de panent mutatum 
in carne, poculum i^ersum in sanguine* ] et saint Ger- 
main de Paris (f 575-577) explique que « panis in cor- 
pore et vinum transformatur in sanguine dicente Do- 
mino de corpore suo : Car^o enim mea vere est cibus,. 



1." Inpsalm. çix, Tersi S» Cf. In psalm. LXIV, vers. 12. 

2. V. les textes cité& par Jl«' Batiffol, Etudes d'hist. et de. thêoL 
vosit., 2? série, 3? édit.,, p.^^ 3-H et suiv^ 

3. Missale mixtum (P. L., LXXXV, col. 280). 

4. Missale gothicum (vi? ou vu» siècle), P. L., LXXII, col.. 246, 311 
cf. 237., 



378 HISTOIRE DES DOGMES. 

et sans[uis meusvere estpotus *. » En Angleterre, Bède 
écrit, il est vrai, moins clairement : « Panis et vini 
creatura in sacramentam carnis et sanguinis eius 
(Christi) inefFabili Spiritus sanctifîcatione transfer- 
tur^. » La doctrine de la conversion eucharistique 
s'affermit donc puisqu'elle entre dans la liturgie. 

A ces témoignages cependant on oppose celui du 
pape Gélase dans son traité De duabus naturis in 
Chrîsto adversus Eutychen et Nestorium^. Dans ce 
traité, le pape veut prouver contre les monophy sites 
que, dans l'union hypostatique, les deux natures hu- 
maine et divine du Christ conservent ce qui les consti- 
tue proprement, et, pour le prouver, il argue de ce 
qui se passe dans l'eucharistie. Les sacrements du 
corps et du sang du Christ que nous recevons sont cer- 
tainement chose divine (divina res est) ; et tamen esse 
non desinit substantia vel natura panis et vini. L'eu- 
charistie est une image de l'incarnation : or, dans les 
saints mystères, les éléments eucharistiques « inhanc, 
scilicet in divinam transeunt, sancto Spiritu perfi- 
ciente, substantiam, permanentes tamen in suae pro- 
prietate naturae » ; donc aussi, dans ce mystère prin- 
cipal dont l'eucharistie est l'image, « dont elle nous 
représente vraiment l'efficacité et la vertu », les deux 
natures divine et humaine gardent leur être propre 
dans l'unique Christ ■*. Pour que ce raisonnement soit 

i. Exposit. brevis liturg. gallic. {P. L., LXXII, 93). V. aussi Fauste, 
Homil. r» de Paschate, col. 1033. 

2. Homil. I, 14, col. 75. 

3. Texte dans Tiiiel, Epistolae romanorum pontificum genuinae. — 
On remarquera que la phrase « et in obsequium plebis tuae panem et 
vinum in corpus et sanguinem Filii tui immaculatabenedictione trans- 
forment [presbyteri] », attestée dans la liturgie romaine par le Missale 
francorum et le Sacr amen taire gélasien, est en réalité d'origine galli- 
cane. Cf. Bulletin (Tanc. littérat. et d'archéologie chrétiennes, l (1911)i 
p. 55. 

*. Voici le texte entier : « Certe sacramenta quae sumimus corporis 
et sanguinis Christi divina res est, propter quod et per eadem divinas 



LA THEOLOGIE LATINE DE 430 A 771. 379 

valable, il ne suffît pas, comme on le voit, que la mi- 
neure affirme que, dans l'eucharistie, sont conservés 
les accidents, espèces ou apparences dii pain et du vin 
— car les monophysites ne niaient pas que Jésus-Christ 
ne se présentât extérieurement comme un homme, — 
il faut qu'elle affirme que les éléments eucharistiques, 
même consacrés, même « passant en une substance 
divine », conservent néanmoins leur nature propre de 
pain et devin. C'est bien, semble-t-il, ce que dit Gélase : 
« esse non desinit substantia vel naturapanis etvini... 
permanentes tamen in suae proprietate naturae ». On 
l'a contesté, il est vrai, et l'on a essayé d'interpréter 
bénignement ses paroles ^ De fait, elles peuvent 
s'excuser, mais plus probablement, je crois, en faisant 
appel à une autre considération : c'est que Gélase ne 
donne pas ici un enseignement personnel, ne repro- 
duit même pas l'enseignement romain et latin : il trans- 
crit simplement, dans un ouvrage de polémique, et 
sans y prendre assez garde, des considérations qui ne 
sont pas siennes. On sait en effet que le traité De dua- 
bus naturis dépend de sources grecques et spéciale- 



efftcimur consortes naturae; el tamen esse non desiait substantia vel 
nalura panis et vini. Et ceite imago et similitudo corporis et sanguinis 
Clinsti in aciione mysteriorum CKlebrantur. Satis ergo nobis evidenter 
ostendilur hoc nobis in ip'^o'Ctiristo domino seotiendum, quod in eius 
imagine proliteinur, celebramus etsmnimus: ut sicut in hanc, soilicet 
in divinam transeunt, sancto Spiritu perGciente, subslantiam, perma- 
nentes tamen in suae proprietate naturae; sic illud ipsum mysti-i-ium 
principale, cuius nobis elficicntiam virtntemque veraciter repraesea- 
tant, ex quibus constat profirie permanentibus, unum Cbristum, quia 
integrura verumque, permanere demonstrant » (TmEL, op. cit., p. S41, 
§ 14). V. sur cette question J.Lebketon, Le dogme de la transsubstantia- 
tion et lackristologie antiochienne du V" siècle, dans les Etudes, tom. 
CXVII (4908J, p. 477-497. 

1. Ita Lebretom, loc. cit., G. Rauschen, Eucharistie und Busssakra- 
ment, p. as, 26; et déjà J. îimscnh, Lehrbuc/i der Patrologie, lïl, p.329, 
note 2. Il parait contradictoire en elfet que les éléments eucharisti- 
ques < passent en une substance divine >, et en même temps persévè- 
rent dans leur nature propre. 



380 HISTOIRE DES DOGMES. : , 

ment antiochiennes^ D'autre part, l'argument formulé 
par Gélase se retrouve précisément dans VEram'stes 
de Théodoret et dans la lettre à Césaire du Pseudo- 
Chrysostome^. Si on remarque de plus que, dans cet 
argument, l'attribution au Saint-Esprit de la trans- 
formation des oblata^ accuse évidemtment un emprunt 
aux grecs, on conclura sans difficulté que ces quelques 
lignes ne contiennent ni une idée personnelle du pape 
ni l'expression de la tradition latine : elles ne sont que 
la reproduction faite sans assez peser sa valeur, d'un 
des chefs d'attaque de la théologie orientale contre le 
monophysisme. 

Gélase ne fut pas d'ailleurs le seul à se montrer peu 
favorable, par crainte de favoriser l'hérésie, à l'idée 
de conversion des éléments eucharistiques. On trouve 
dans Facundus d'Hermiane, avec le même souci, un 
passage qui soulève des difficultés semblables ''. 

C'est aux paroles de Jésus-Christ prononcées à la 
dernière cène, nous l'avons dit ailleurs, que l'on attri- 
buait très fermement en Occident, au iv° siècle, la con- 
sécration du pain et du vin et la présence du Sauveur 
sur l'autel. Mais, à partir du v^ siècle, si l'on n'en ju- 
geait qu'à la surface, il semblerait qu'un certain flot- 
tement sur ce point se produit dans plusieurs parties 

1. V. L. Saltbt, Les sources de VEranistes de Théodoret{liTage àpart), 
p. 52 et saiv. 

s. V. pluS'baut, p. 349-aiil. iif Batiffol l'a retroavé encore dans lei 
Ganfuiaiiones cI'Edtheriusde ïyane (G. Ficrer, Eutkerius v. Tyana), com- 
posées entre 491 et 433 (Revue du Clergé français, t. LX {i909),.p. 830-534). 

3. < In divinam ti-ansennt, sancto Splritn perficiente, substantiam. > 

4. Pro defensione tràim capitulorum, a, 6 (P.X.,, LXVH, 762, 763). 
C'est bien; dans ce sens, j'incline à le croire, qu'il faut entendbre le texte 
de. Facundus, et non dans le sens d'une négation de la. présence réelle- 
Pour Facundus, le sacramenlum corporis et sanguinis Christi est le 
pain et le vin consacrés : ce sacramenlum contieaiÏQmysteri'umcorpO' 
ris sangninisque Christi, et, parce que le contenant peut se prendre 
pour le contenu, on peut l'appeler corps et sang du Sauveur. La pré- 
sence réelle était une croyance trop générale pour que Facundus l'ait 
mal connue. 



lA THÉOLOGIE LATINE DE 430 A 771. 381 

<le l'Égiise latine. D'abord, on constate un progrès de 
ridée, venue des grecs, que la sanctification des offran- 
des estl'ceuvre du Saint -Esprit. Puis, l'usage liturgique 
se divise, A côté de la liturgie romaine, on voit paraître 
les liturgies de type gallican dérivées des liturgies 
orientales, et qui toutes, en principe du moins, con- 
tiennentl'épiclèse. Les formules épîclétîques ont pu 
directement suggérer l'idée que je viens de dire : en 
tout «as, dUes n'ont pu que la fortifier; mais de plus, 
par leur teneur et par la place qu'elles occupent après 
lesparcûes de l'institution, elles risquaient de faire at- 
tribuer à i'épiclèse exclusivement, ou au Saint-Esprit 
invoqué dans Tépiclêse, la consécration effective des 
éléments eucharistiques. A ce danger ni saint Fulgence 
ni saint Isidore ne paraissent avoir complètement 
écbappé. Le premier, se demandant pourquoi rÉglise 
sollicite, dans l'oIffiFan de du sacrifice, la descente du seul 
Saint-Esprit « ad sanctificandum oblationis nostrae 
raunus » , répond entre autres choses : « Quando autera 
congruentius iquam ad consecrandum sacrificium cor- 
poris Ghristi sancta Eçclesia (qpiae corpus est Christi) 
Spimtus sanoti deposcat adventum? quae caput suum 
secundum icarnem de Spiritu sancto noverit natum^. » 
De son côté, saint Isidore, parlant de I'épiclèse de la 
messe mozarabe, appelée conformation écrit : « Exhinc 
succedit conformatio sacramenti, ut oblatio quae Deo 
offertur, sanctificata per Spiritum sanctum, Christi 
corpori ac sanguini coriformeturs » ; et un peu plus 
loin : .<< liaec autem (scî/. panis et vinum) dum sunt 
visibilia, sanctificata tamen per Spiritum sanctum, in 
sacramentum divind corporis transeunt ^ » . Autrement 



1. AA Hionimum, 11,6, 40, col. 184,188. 

2. Ha.eecles. offic, 1, 16, 3. 

3. lôid., I, 18, 4. J'ai déjà remarqué qu'il fallait faire abstraction de 
ta lettre Yll à Redemptus, attribuée à saint Isidore. 



382 HISTOIRE DES DOGMES. 

dit, la conversion des oblata, résultat de la sanctifica- 
tion du Saint-Esprit, se produit dans la conformation 
ou épiclèse. — Malgré ces témoignages cependant, on 
aurait tort de croire que cette opinion fût commune en 
Occident, même dans les pays de liturgie gallicane. 
La preuve la plus péremptoire en est que, dans bon 
nombre des messes conservées de la liturgie gallicane, 
le post sécréta, post pridie ou post mysterium, c'est- 
à-dire la prière qui représente l'épiclèse ou ne présente 
qu'un texte fort lâche, ou même ne fait aucune mention 
d'une consécration des offrandes à obtenir, non plus 
que de la personne du Saint-Esprit ^ On peut mieme 
croire que saint Germain de Paris, dans l'explication 
qu'il a laissée de la liturgie gallicane, attribue aux 
paroles de l'institution le changement du pain et du 
vin au corps et au sang de Jésus-Christ^. Manifeste- 
ment, on ne donnait pas en Occident à l'épiclèse la 
même importance qu'en Orient ; et l'enseignement de 
saint Ambroise sur la formule consécratoire de l'eu- 
charistie, s'il avait été obscurci chez quelques auteurs, 
gardait généralement tout son crédit : « Invisibilis 
sacerdos, écrit nettement Fauste , visibiles creatu- 
ras in substantiam corporis et sanguinis sui verbi sui 
sécréta potestate convertit, ita dicens : Âccîpite et 
édite, hoc est corpus meum^. » 
Puiscpie le corps et le sang de Jésus-Christ sont pré- 

1. V. L. DucHESXE, Origines du culte chrétien, p. 207; F. Varaise, 
L'épiclèse eucharistique, Brignais, 4910, p. lOS et suiv. 

2. «Saiiguis vero Christi ideospecialiterofferturincalice,quiaintale 
vasum consecratum fuit mysterium eucharistiae, pridie quam patere- 
tur Oominus, ipso Aiceaie : Hic est calix sanguinis mai mysterium fl- 
dei qui pro mullis effundetur in remissionem peccatorum {Matlh., 
XXVI, 28). Panis vero in corpore et vinam traasformatur In sanguine, 
dicente Domino de corpore suo : Caro enim mea vere est cibus, et san- 
guis meus vere estpotus (loann:, VI, S6). De pane dixit : flbc est corpus 
■meum, et de vino :Hic sanguis meus {Matth., XXVI, 26). » Exposit. 
brev. ant. lîturg. gallic, col. 93. 

3. Homil. F» de Paschate, col. 4(fâ3. 



LA THEOLOGIE LATINE DE 430 A 771. 353 

sents dans reucharistie pour être la nourriture des 
fidèles, ceux-ci ont le devoir de les recevoir de temps 
en temps. Saint Augustin, on s'en souvient, avait été 
entraîné par la controverse contre les pélagiens à sou- 
tenir que cette réception était absolument nécessaire 
même aux enfants pour entrer dans la vie éternelle, 
suivant le texte de saint Jean, vi, 54. Saint Fulgence 
vit l'excès, et le corrigea en enseignant que l'enfant 
satisfait suffisamment à l'injonction de Jésus-Christ 
contenu dans le Nisi manducaperitis, en devenant 
membre de Jésus-Christ par le baptême {de ossibus 
ei«s) , en entrant dans le corps mystique de Jésus-Christ, 
qui est l'Eglise *. Quant à la fréquence de la commu- 
nion, les principes restaient fixes, mais la pratique, 
naturellement, variait beaucoup avec les lieux et les 
personnes. Saint Isidore enseigne, comme saint Au- 
gi;istin, que l'on peut communier tous les jours, pourvu 
que l'on soit exempt de péché grave et qu'on le fasse 
« cum religione et devotioneet humilitate^ ». Gennade 
est à peu près du même avis ; mais il insiste pour que 
l'on communie au moins tous les dimanches 3. Même 
insistance de la part de Maxime de Turin ''. Cette com- 
munion dominicale était, en fait, pratiquée à Saint- 
Victor de Marseille, dans le couvent de Cassien. Cas- 
sien toutefois signale, en les blâmant, certains moines 
qui, dans d'autres monastères, ne communiaient qu'une 
fois l'an, afin de se préparer mieux à ce grand acte 
et d'être moins indignes du corps du Seigneur *. Ce- 
pendant peu à peu la coutume, puis les conciles et les 
évêques déterminèrent des jours ou des temps de com- 
munion obligatoire. Saint Léon suppose manifestement 

1. Epist. Xn, 24-26. 

2. De ecclei. offic, 1, 18, 7, 8. 

3. De eccles. dogm,, S3. 

*. Sermo XCni, col. 719, 720. 
8. Collât. XXIII, 21. 



384 HISTOIRE DES DOGMES. 

^jue tout clirétaèn communie à Pâques * ; saint Césaire 
demande qu'on le fasse à Pâques et à Noër^,elson con- 
<nie d'Agde ^n 506 traite d'apostats les fidèles qui ne 
s'approchent pas de la sainte tal)le à Noël, à Pâques et 
à la Pentecôte '. Cette dernière règle devînt, semble- 
t-il, le point de départ des exigences ultérieures du 
droit canonique en cette question^. 

Mais , quelle que soit la fréquence de lacommunion, nos 
auteurs requièrent toujours, pour qu'on la puisse faire, 
ia pureté du cœur et l'exclusion des pécîiés plus graves. 
Les serm ons de saint Léon, de saint <îrégoire, de saint 
•Césaîre, sont tout remplis, aux approcTies des grandes 
so'lennités, d'exhortations à la pénitence, à la prépara- 
tion de l'âme par la r^aonciation au péché ;: « Qui sa- 
cramentum suae reparationis intellegit carnis se vitiis 
-débet exuere et omnes sordes abiicere peccatOTum, ut 
intraturus nuptiale convivium, splendeat veste virtu- 
tum^. » Les fautes vénielles et quotidiennes ne sont pas 
un obstacle à la communion, parce que la communion 
est avant tout « propter animae medicinam et purifica- 
tionem spiritus ^ » ; mais «ncore faut-il les déplorer et 
tes effacer par le repentir. 

Cette action purificatrice et médicinale est le premier 
effet de la communion : l'eucharistie nous rend « sanctos 
et immaculatos ^ » . Sur son effet spécial et plus pro- 
fond, saint Léon a écrit un mot qui dit tout : « Non 
enim aiiud agit participatio corporis et sanguihis 



i.Sermo L, 1, S. 

2. Sermo CXVI, 2; X, S (P. X,., XXXIX, 197S,1760J. 

3. Canon d8 (Mansi, VUI, 327). 

4. On en peut voir le^détail dans A. Villien, Histoirt des oommande- 
menls de l'Eglise, l'aris, 1909, p. 187 et suiv. 

8. S. LÉON, Sermo L, 1 ; Gennade, De écoles, dogm., 83. 

6. Cassien, Collât. XXHI, 21, col. 1279. Sur i'ol}stacIe que mettaient à 
lacommunion les rapports conjugaux, voyez S, Grégoire, Jïptsf. XI,64i 
col. 1197. 

7. Cassien, ibid. 



LA. THEOLOGIE LATINE DE 430 A 771. 385 

Christi quam ut in id quod sumimus transeamus, et in 
quo commortui et consepulti et conresuscitàti sumus, 
ipsum pep omnia et spiritu et carne gestemus ^ » 

C'est surtout au point de vue pratique que s'est dé- 
veloppée, dans la période qui nous occupe, la doctrine 
de reuctaristie considérée comme sacrifice. Que la 
messe soit un sacrifice, un sacrifice dont Jésus-Qirist 
est le prêtre et l'hostie, on continue de l'affirmer plus 
nettement que jamais. Quoi de plus vénérable que 
l'autel, s'écrie saint Maxime de Turin, « in qua Deo 
sacrificium celebratur. . . in qua Dominus est sacerdos. . . 
super aram Christus imponîtur... super altare Domîni 
corpus offertur... pro peccatoribus Cliristi sanguis 
effuriditur... mors Domini quotidie celebratur... occl- 
sionis dominicae membra ponuntur. .. bostia Christus 
est et sacerdo's^ ». La messe est un sacrifice dont celui 
de Melchîsédec était la figure ^, et que Jésus-Christ a 
institué lui-même *, pour être une perpétuelle commé- 
moraison de sa passion et de sa mort : « In îsto autem 
sacrificio gratiarum actio atque commemoratio est 
carnis Christi quam pro nobis obtulit, et sanguinîs queni 
pro nobis idem Deus effudit^. » Sacrifice essentielle- 
ment commémoratif par conséquent, mais aussi sacri- 
iioe réel, non seulement parce que la victime est réel- 
lement présente sur l'autel, mais encore parée qu'elle 
y est réellelhent immolée. Saint Germain de Paris en 
donne, dans son explication de la messe gallicane, un 
témoignage expressif à propos de la fraction du pain 
consacré : « Cônfractio vero et commixtio corporis Do- 

1. Sermo i-XUI, T. Cf. Fauste, Momil. 7» de Pasckate, col. 1033, 
W6i. 

2. Sermo LXXVII, col. 689, 690; S. Léon, Sermo LIX, 7; Cassiodoke, J» 
'osalm. XIX, vers. 3. 

^•Mm,Eexaemeron,Ui,col. ISI. 

4. S. Isidore, De ecclés. offié., I, 18, 1. 

5. S. FoLGENCE, De fide, 60; Contra Fabiànum, fragm. XXVIII, col. 
«9 BEDE, Homil. 1, 14, col. 75 ; Missale gothicum, P. L., LXXII, 226. 

22 



386 HISTOIRE DES DOGMES. 

mini tantis mysteriis declarata antiquitus sanctis Patri- 
bus fuit, ut dum sacerdos oblationem confrangeret, vide- 
batur quasi angélus Dei membra fulgentis pueri cultro 
concaedere, et sanguinem eius in calicem excipiendo 
colligere,ut veracius dicerent verbum dicente Domino 
carnem eius esse cibum et sanguinis esse potum * . » 
L'effet de ce sacrifice est d'abord d'effacer les péchés 
des vivants. Comme à la cène et au calvaire, le Christ 
s'offre sur l'autel « in remissionem peccatorum ». « La- 
vât itaque nos (Christus) a peccatis nostris quotidie in 
sanguine suo, cum eiusdem beatae passionis ad altare 
memoria replicatur^. » C'est ensuite d'effacer les pé- 
chés des morts, et de délivrer ces morts de la peine 
qu'ils ont à souffrir à cause de ces péchés dans l'autre 
vie. Le dogme du purgatoire, en se dégageant complè- 
tement à l'époque que nous étudions, entraîne comme 
conséquence une estime de plus en plus grande de la 
messe comme sacrifice expiatoire et propitiatoire, et 
comme moyen de soulager les défunts. Saint Grégoire 
a, sur ce point, donné surtout par ses Dialogues une 
impulsion décisive. A l'interrogation de Pierre : « Quid- 
nam ergo esse poterit, quod mortuorum valeat anima- 
bus prodesse? » le pape répond : « Si culpae post 
mortem insolubiles non sunt, multum solet animas 
etiam post mortem sacra oblatio hostiae salutaris adiu- 
vare, ita ut banc nonnunquam ipsae defunctorum ani- 
mae expetere videantur » ; et il raconte immédiatement, 
à l'appui de son assertion, deux traits, dont le second 
est l'origine de la dévotion du trentain grégorien^. 
Cette indication de saint Grégoire a été suivie *^ et elle 
a dû contribuer pour sa part à introduire l'usage des 

i.Exposit. brev. liturg. gallic, col. 94. 

2. BEDE, Homil. I, 14, col. 75; Hexaemer., lil, col. iSl ; S. Maxime bB 
TuR., Sermo LXXYII, col. 690; S. Gréo., In evang. homih XXXYII, 7. 

3. Dialog., IV, 55; cf. 57. 

♦. V. S. Isidore, De eccles. offic, I, 18, 11. 



LA THEOLOGIE LATINE DE 430 A 771. 387 

messes basses ou privées qui font leur apparition vers 
son époque^. 

Mais le sacrifice eucharistique n'obtient pas seule- 
ment aux vivants et aux morts la rémission de leurs 
péchés ; il obtient encore aux vivants les autres grâces 
spirituelles ou même temporelles dont ils ont besoin. 
Saint Grégoire aime à en donner des exemples, comme 
il l'a fait pour le soulagement apporté aux défunts^. 

On trouve, vers la fin de ses Dialogues ^ un pas- 
sage qui résume assez bien ce que nous avons dit ici 
sur l'eucharistie, et qui peut conclure heureusement 
ce paragraphe : 

« Haec namque singularUer victima ab aeterno interitu ani- 
mam salvat, quae illam nobis mortem Unîgenili per mysterium 
réparât, qui licet resurgens a mortuis, iam non moritur, et 
mors ei ultra non dominabitur, tamen in semetipso immorta- 
liter atque incorruptibiliter vivens, pro nobis iterum in hoc 
mysterio sacrae oblationis immolatur. Ëius quippe ibi corpus 
sumitur, eius caro in populi salutem partitur, eius sanguis non 
iam in manus infidelium, sed in ora fidelium funditur. Hinc 
ergo pensemus quale sit pro nobis lioc sacriflcium, quod pro 
absolutione nostra passionem unigeniti Filii semper imitatur. 
Quis enim fidelium habere dubium possit, in ipsa immolationis 
hora, ad sacerdotis vocem caelosaperiri, in îllo lesu Ghristi my- 
sterio angelorum choros adesse, sumniis ima sociari, terrena 
caelestibus iungi, unumque ex visibilibus atque invisibilibus fieri? 
Sed necesse est ut cum haec agimus, nosmetipsos Deo in cor- 
dis contritione mactemus, quia qui passionis dominicae myste- 
ria celebramus, debemus imitari quod agimus. Tune ergo vere 
pro nobis hostiaerit Deo, cum nos ipsos hostiam fecerimuss.iit 

% 10. — La pénitence^. 
La période du v» au viii® siècle a vu se produire 

1. La règle (retouchée) de saint Chrodegand réprouve comme un 
abus l'usage, qui évidemment tendait à se répandre, de dire la messe 
sans aucun assistant, cap. LXXVII (P. L., LXXXIX, col. i089, 1090}. 

2. Dialog., IV, S7; lU, 3; In evang. homil. XXXVII, 8. 

3. Dialog., IV, 53, 59. 

4. Sur ce paragraphe voir spécialement : A. Boudinuom, Sur l'histoire 



388 - HISTOIRE DES DOGMES. 

dans la discipline pénitentielle des transformationis 
profondes que nous devons étudier de près. Aussi 
n'est- il pas inutile de rappeler brièvement quel était 
exactement l'état de cette discipline à la: moFt de saint 
Augustin,, moment: où; commence notre enquête. 

On peut le résumer ainsi*. 

La pénitence est due pour les péchés plus gravés 
commis après le baptême; non seulement pour les 
trois fautes ad mortem (apostasie, adultère, homicide), 
mais généralement pour les fautes que nous; quali- 
fions actuellement de /wo/-ife//es, pour celles, dit saint 
Augustin, dont l'apôtre affirme que leurs auteurs n'en- 
treront point au royaume des cieux.. 

U actio paenitentiae comporte d'abord une accusa- 
tion secrète et détaillée de ces fautes, — puis Pac- 
complissement d'une expiation (éxomologèse) imposée 
par le confesseur, et proportionnée à la nature des 
fautes et aux dispositions du pénitent. Cette expiation 
a deux degrés. Tantôt elle est plénière, solennelle, 
publique, quand les fautes d'ailleurs très graves [ita 



de la pénitence, dans la Renne d'Iiist. et de littêr. religieuses,,ll{iS9~}, 
p. 496 et- SUIT. E. Vacandard, arlicle Confession dans le Bictionn. de 
théol. catholique. P. B.iltiffol, Eludes d'hist. et- de théologie positive, 
i" série, 3« édit, Parils, 1904, p. 14a-194i P. Fourniek, Éliide sur les 
pénitentiels, dans la Revue d'hist. et de littér. reTtg.,. VI-IX (1901-1904). 
B. Brat, Les^ livres péjtitentîaux' et la pénitence tarifée, Brfgnais, 
1910. A. Malnort, Quid Luxovienses monachi ... ad communem école- 
siae profectuvi contulerint, Parisiis, ISol G. D. Watkins, A history 
of penance, Londoa, 1920. K. Adam, Die geheime Kirchenhusse naeh 
dem heiligen Augustin, Kempten, 1921. 

1. Nous occupant ici de l'histoire des dogmes et non de la discipline, 
on comprend que nous n'entrions pas dans tous les détails que com- 
porterait une histoire de la discipline pénitentielle. On excusera 
cependant la longueur relative de ce paragraphe^ en raison de l'impor- 
tance de la matière dontiltraite, et des éléments très complexes dont 
il a fallu y tenir compte. 



LA THEOLOGIE LATINE Dlil 430 A 771. 389 

gravia) ont un caractère scandaleux : c'est eell& qui 
est imposée notamment pour les trois péchés admor- 
tem. Le pénitent, revêtu du cilice et ayant reçu l'im- 
position de la main in pàenUentiam, associe par ses 
larmes et ses prières la communauté chrétienne à sa 
pénitence*. D'autres fois, pour les péchés moins gra- 
ves ou restés plus ou moins secrets, l'expiation s'ac- 
complit par des exercices privés et moins durs- [qui- 
biisdam correptionum medkamentis). 

La troisième partie de Vactio paenitentiae est la 
réconciliation. Toute réserve ayant cessé, la récon- 
ciliation est accordée à tous les pécheurs, maïs pas 
à tous dans les mêmes conditions. lien est, comme 
les vierges consacrées à Dieu et les moines inconti- 
nents, dont la pénitence doit durer toute la vie, et à 
qui, à la fin, on n'accorde que la communion 2. D'iau- 
tres, devenus apostats et idolâtres puis repentants, 
sont réconciliés, mais seulement aussi au moment de 
la mort ^. D'autres enfin, moins coupables, sont absous 
le jeudi saint. Il reste bien entendu d'ailleurs que les 
pécheurs peuvent toujours demander la pénitence 
même à leurs derniers moments, et qu'alors, quelque 
courte ou même nulle qu'ait été leur expiation, on ne 
leur refuse pas l'absolution et la communion*. 

Sauf à Rome où, depuis le pape Marcel (304-309) *, 



1. Sur ïe fait de savoir si le pénifent était exclu de l'église, v. A. Bou- 
DiNnoN, La missa paenitentium dans l'ancienne discipline dJOcddent, 
dans la Revue d'hisL et de littér. relig., VII (1902), p. 1-20. P» Batiffou 
La missa paenitentium en Occident, dans le Bulletin de littér. ecclés., 
1902, p. M8. 

2. SiRicE, Epist. adHimerium, 1 (P. L., XIII, 1137). Le pape ne parle 
pas d'absolution, mais seulement de la communion peut-être parce 
qu'il s'agit de moines et de moniales. Fausle de Riez, on le verra, re- 
gardait la profession monastique comme l'équivalent de Vckctio paeni-* 
tentiae. 

3. Ibid., 4, col. H36. 

*. Innocent I, Epist. ad Exuperium, S, 6 {P. L., XX, 498). 
S. Liber pontificalis, éd. Duciiesne, 1, p. 164 ; cf. p. 249. 

22. 



890 HISTOIRE. DES DOGMES 

les simples prêtres des paroisses étaient chargés d'en- 
tendre la confession des pénitents, de leur enjoindre 
la pénitence convenable et d'en surveiller l'accom- 
plissement, et sauf le cas de nécessité en danger de 
mort, toutes les parties de Vactio paenitentiae étaient, 
en Occident, au commencement du v® siècle, réser- 
vées àl'évêque. C'est l'évéque qui entendait la confes- 
sion du pénitent, qui fixait sa pénitence et en surveil- 
lait l'exécution, enfin qui le réconciliait à Dieu et à 
l'Église par l'absolution ^ . 

Les clercs ne sont pas soumis à la pénitence. S'ils 
commettent des fautes graves qui soient publiques et 
scandaleuses, ils sont directement déposés. Si leurs 
fautes n'ont pas ce caractère, ils les expient privé- 
ment, mais en aucun cas ils ne sont rangés dans la 
catégorie des pénitents ni ne reçoivent l'imposition 
de la main, puisque d'ailleurs le fait d'avoir été pé- 
nitents les priverait de l'exercice de leur cléricature ^. 

D'autre part, Vactio paenitentiae n'est accordée 
qu'une fois ; et elle a pour effet d'interdire au pénitent 
même réconcilié le mariage ou l'usage du mariage an- 
técédent, le négoce et le service militaire. Si donc le 
pénitent enfreint ces défenses ou retombe dans ses an- 
ciennes fautes, il ne sera plus admis à renouveler le 
cursus de la pénitence : il devra seulement pleurer et 
expier privément ses rechutes. On lui permettra d'as- 
sister avec les fidèles aux offices de l'Église; mais on 
lui refusera la communionjusqu'au moment de la mort, 
moment où on lui donnera le viatique^, et le viatique 
seul. 

Tel était, vers 430, dans l'Église latine, l'état de la 

i. Conc. de Carlhage de 418, caii. 3 et 4 (Mamsi, ni, 735); cf. cône. 
cCHipponede 393, can. 3» (Massi, IH, 885, XXXH). 

2. SiRiCE, Episl.fid himer. 8, li, 18; InkocentI, Epist.ad Exuper., 
a-4. 

3. SmicE, Epist. ad nimer., 6. 



LA THÉOLOGIE LATINE DE 430 A 771. 391 

discipline pénitent ielle. Or à cet état les siècles suivants 
devaient apporter des changements sensibles, qu'il 
faut maintenant étudier. 

Le premier est l'introduction ou du moins l'usage 
rendu plus fréquent de la pénitence privée, et la pra- 
tique rendue de plus en plus rare au contraire, la dis- 
parition graduelle de la pénitence publique ou plé- 
nière. 

Celle-ci présentait en effet des inconvénients qui 
devaient forcément en éloigner les fidèles. Ce n'est pas, 
comme on l'a cru et répété longtemps, qu'elle dût être 
précédée d'une accusation publique des fautes à expier, 
puisque saint Léon, dans une lettre datée de 459, in- 
terdit*absoiument, comme contraire à la a règle apos- 
tolique », de lire publiquement la confession écrite des 
pénitents, « cum reatus conscientiarum sufficiat solis 
sacerdotibus indicari confessione sécréta. . . Sufficit enim 
illa confessio quae primum Deo offertur, tum etiam 
sacerdoti, qui pro delictis paenitentium precator ac- 
cedit ^ » ; mais elle débutait d'abord par une humilia- 
tion très dure. Le pénitent, revêtu du sac ou du ci- 
lice, en présence de toute l'assemblée des fidèles, 
recevait l'imposition des mains de l'évéque et était sé- 
paré au moins moralement de la communauté chré- 
tienne : il devait couper ses cheveux, et porter pendant 
tout le temps que durait son expiation des vêtements 
de deuil K Cette expiation elle-même était rigoureuse 
et souvent fort longue ^ ; et surtout la pénitence plé- 
nière entraînait des conséquences infiniment gênantes : 

1. Epist. CLXVni, 2. Le pape suppose cependant qu'il y a eu des 
abus de ce genre dans quelques églises d'Italie. 

2. S. JÉRÔME, Epist. LXXIII ; S. Césaire, Sermo CCLXI, i (P. L., XXXIX). 
Conc. d'Agde de 506, can. iS (Mans!, VIII, 327) ; S. Isidore, De eccîes. 
offic, II, 17, 3-5. En Espagne, au vu" sécle, on laissait, au contraire, 
croître les clieveux et la bajbe, « ul demonstrent abundantiam cri- 
minum quilms caput peccatoris gravatur ». 

3. Voir quelques détails dans S. Césaire, Sermo CCLXI, 3. 



392 HISTtOIRE DBS DOGMES; i 

le pénitent même réconcilié, on l'a dit plus haut^ ne 
pouvait plus ni porteries armes, ni se livrer au né- 
goce, ni se marier s'il ne l'était pas ou user du mariage 
s'il était déjà mariée Ajoutons que cette pénitence, 
comme on l'a remarqué, ne pouvait pas se renou- 
veler et laissait les relaps dans une situation plutôt 
dangereuse pour leur salut. Toutes ces circonstances 
expliquent bien la répugnance que les pécheurs, et 
surtout les barbares convertis, éprouvaient à s'y sou- 
mettre, et la tendance de plus en plus marquée, 
que l'on constate au v^ et au vi» siècle, à ien retarder 
l'acceptation jusqu'à la dernière maladie. . 

Pour obvier à ces inconvénients et enrayer Je relâ- 
chement dont ils étaient l'occasion, on usa générale- 
ment de palliatifs ; dans quelques provinces on préféra 
des mesures d'une rigueur outrée. 

Les palliatifs eurent pour objet d'atténuer les con- 
séquences de la discipline en vigueur. Par exemple, 
on ne donnait la pénitence à un sujet marié que moyen- 
nant le consentement de l'autre partie 2. On ne devait 
point la donner aux jeunes gens, trop exposés par la 
ferveur de lear âge à violer leurs engagements et à 
rechuter ^. De ces engagements on accordait même des 
sortes de dispenses. Saint Léon, dans sa lettre clxvii'', 
examine le cas de ceux qui, après avoir reçu la péni- 
tence, soutiennent des procès, font du négoce, rentrent 
dans l'armée ou prennent un service public, ou enfin 
se marient. Il ne veut absolument pas qu'après Vactio 
paemtenîiae on revienne « ad militiam saecularem » ; 



i. SiRicE, Epist. ad Rimer., 6; S. Léon, Epist.-^CUVm, inquisit. 
10-13. 

2. Cône. d'Arles de 443 ou 4S2, can. 22; conc. d'Orléans de S38, cant 
24 (Massu, IX, 18). 

3. Conc. d'Agde de 506, eau. IS; d'Orléans de S38, can. 24(Mamsi, VIII# 
327; IX, 18); cf. S. Césaire, Sermo CCLVI, 3. 

4. Écrite en 4S8 on 459; inquisltio 10-13. 



LA THEOLOGIE; LATINE DE 430 A 771. 393 

mais il tolère,, bien qu'avec répugnance^ qne L'on sou- 
tienne, surtout devant le for ecclésiastique, un procès 
nécessaire, et que It'on exerce lia commerce honnête, 
s'il ea est où l'on; puisse éviter le péché. Quant, aux 
Jeunes gens qui,^ se torauviant en danger. de mort ou 
devenus captifs, ont accepté la pénitence, puis qui, 
délivrés dupéril, se; sont mariés pour éviter l'inconti- 
nence, il ne voit dans leur cas: qu'une faute légère sur 
laquelle il convient de fermer les yeux *. « In quo ta- 
men, ajouter-t-il, non regulam consiituimus, sed quid 
sit tolerabiliua aestimamus, » Saint Léon apercevait 
donc les vices, du. système pratiqué jusque-là, et son 
défaut d'adaptation aux conditions nouvelles de la vie 
chrétienn,e> maiiS! lié; par des; règles vénérables et par 
son respect du; passé, ili avait p^iaae à; passer outrer 

©''autres évêques d'ailleurs étaient moins clai'r« 
voyants et plus sévères. Dans la Viennoise et la Nax- 
bonnaise,, quelques rigoristes, pour empêcher qu'on 
ne renvoyât au moment de la mort de demander la péni- 
tence, refusèrent de l'accorder aux mourants; qui la sol- 
licitaient. Le pape Célestin protesta au nom de la 
miséricorde divine et dé la puissance de la grâce ^; et 
saint Léon, tout en blâmant la négligence de ces chré- 
tiens qui retardent leur pénitence jusqu'au moment 
« quo vix inveniat spatiumjvel confessio paenitentis vel 
reconeiliatio sacerdotis », decidla cependant qu'on n© 
devait leur TeînseTTdVactiapaemtentiaef ni la réconci- 
liation («ecsffli/s^cifomferiSfcenJa estnec reconeiliatio 
deneganda] ' ;:et celamême quand, les ayant demandées 
une première fois, ils les avaient ensuite refusées, 
à la suite d'une amélioration de leur état *. Le concile 



1. Cf. conc. de Tolède de 638, can. 8 (Mansi, X, 666) 

2. Epist. IV, 3. La lettre est de; 428- 

3. Epist. CVni, 4, S, écrite en -fôa.- 

4. Epist. CLXYII, inquis. 9. 



394 HISTOIRE DES DOGMES. 

d'Orange de 441 donna une première satisfaction à la 
doctrine romaine en déclarant que l'on accorderait le 
viatique, mais le viatique seulement, aux moribonds 
qui auraient demandé la pénitence, à charge pour eux 
s'ils revenaient à la santé, de compléter leur expiation 
(can. 3). Le^canon 20 des Statuta Ecclesiae aniiqua^ 
alla plus loin, et établit qu'on leur donnerait l'absolu- 
tion avant le viatique. Mais la résistance rigoriste ne 
fut point vaincue pour aut.ant. Ses fauteurs discutèrent 
la valeur de la pénitence ainsi entreprise in extremis, 
et Fauste de Riez, entre autres, déclara tout net que 
cette pénitence ne lui inspirait aucune confiance, 
qu'elle était une insulte plus qu'un hommage à Dieu, 
que la seule pénitence salutaire était la pénitence faite 
et accomplie, et non pas seulement reçue 2. L'opinion 
de Fauste fit scandale. Gennade se déclara contre elle^ ; 
de même saint Avit de Vienne* ; saint Césaire la dis- 
cuta et, tout en admettant qu'il y avait, à la mort, des 
pénitences fausses et inutiles, il enseigna cependant 
qu'il y en avait aussi de sincères et de fructueuses ^. 
Mais il insista sur le péril que courait le pécheur, en 
renvoyant sa pénitence au dernier moment, de n'avoir 
ni le temps ni la possibilité de se convertir, et de périr 
misérablement. C'est un thème qu'il a souvent repris, 
preuve que sa parole ne trouvait pas tout l'écho qu'il 
aurait voulu ^. Contre la pénitence plénière, telle qu'elle 
était pratiquée, on élevait toujours la difficulté de l'ac- 
complir, les suites qu'elle entraînait, et aussi sans 
doute l'impossibilité de la renouveler en ces de re- 

1. V. le texte plus exact donné dans P, L., LVI. 

2. Epist. V, p. 184 (P. L., LVni, 845) ; Sermo CCLV (P. L., XXXIX, 
2216). Ce sermon parait en effet devoir être attribué à Fauste. 

3. De eccles. 4o9in., 80. Gennade qualifie de novatiens les partisans 
de Fau><te. 

4. Epist. II, édit. U. Chevalier (Sirmond, rv). 
8. Sermo CCLVI; CCLVII, 3, 4 (P. L , XXXIX). 

6. V. les sermons CCLYI-CCLIX (P. L,, XXXIX). 



LA THÉOLOGIE LATIISË DE 430 A 771. 395 

chute *. Ne pouvait-on, tout en la conservant pour les 
fautes d'une gravité vraiment exceptionnelle, organiser 
à côté d'elle, pour les fautes plus communes et, hélas I 
trop fréquentes bien que graves encore, une actio 
paenitentiae d'un usage plus commode ? 

Oui, on le pouvait, et il semble bien que, lentement, 
cette organisation fut ébauchée çà et là dans le cou- 
rant des v* et vi* siècles pour être complètement 
achevée au vii«. La pénitence privée conserva tel qu'elle 
le trouvait le rite de la confession qui était déjà se- 
crète : elle conserva également, du moins pendant 
un certain temps, le rite de l'absolution publique du 
jeudi saint : le pénitent privé recevait son absolution 
mêlé aux pénitents publics; mais elle se distingua 
de la pénitence pléiiière ou solennelle en ce que le 
pénitent, sa confession faite, accomplit privément et 
en son particulier, sans qu'aucune cérémonie le mît à 
part de la communauté des fidèles, les œuvres satis- 
factoires que le confesseur lui avait imposées. De 
plus, elle n'entraîna pas, pour celui qui s'y était sou- 
mis, les interdictions qu'entraînait la pénitence 
publique et dont il a été question plus haut ; et enfin 
nous verrons qu'elle devint assez vite renouvelable. 
C'était le remède trouvé aux inconvénients que présen- 
tait l'ancienne discipline. 

On en rencontre, en Occident, les premiers vestiges 
dans saint Augustin. Comme nous l'avons déjà re- 
marqué^, celui-ci distinguait deux sortes de satisfac- 
tion pénitentielle, l'une plus douce pour les péchés 
secrets, qui s'opère « quibusdam correptionum medi- 
caihentis », l'autre luctuosaj lamentabilior, gravier, 



4. s. CÉSAiRE, Sermo GCLVm, 2. 

2. y. plus haut, p. 388, et tome II, p. 422. Je dis qu'on en rencontre les 
premiers vestiges, car ilpeut se faire — et j'inclinerais à le croire — que 
la prati<iue en soit plus ancienne. 



396 HISTOIRE DES DOGMES. 

quand les péehé& sont énormes, connus «t scandaleux 
{j,ta gravia). Vers lémême temps, le.pape innocent P'', 
écrivant à l'évêque d'Eugubio, Decentius, lui mande 
que tous les pénitents sont, à Rome, sauf urgence et 
nécessité, absous le jeudi saint; mais iil tes partage 
en deux catégories, ceux qui font pénitence exgrano- 
rihus, et ceux qui font pénitence ex levmribus com- 
missis ^ . Un peu plus tard, en 458 ou 459, saint Léon 
juge le cas d'«nfants baptisés, devenus captifs des 
païens, et qui, rendus à la liberté, sollicitent la com- 
mimion. Il décide que ceux d'entre eux qui se sont 
rendus coupables d'idolâtrie, d'homicide ou de forni- 
cation ne seront admis à la communion que moyennant 
la pénitence pxft>lique ; mais que ceux qui ont simple- 
ment mangé des viandes immolées aux idoles « pos- 
sunt ieluniis et manus impositione purgari^ ». En 
même temps, et tout en déclarant que l'économie éta- 
blie par Dieu pour le pardon des péchés après de 
baptême est que ce pardon ne peut être obtenu que 
par les supplications des prêtres^, saint Léon me cesse 
de presser de faire pénitence, et cela chaque année 
surtout aux approches de Pâques, ces chrétiens que 
Voniae voit pas dans les rangs des pénitents publics, 
et qui ont vécu cependant toute l'année dans la négli- 

i. Èpist. XXV, 10 (P. L., XX, SSgi) : «;De paenitentibuB autem qtd sive 
ex ^ravioribus commissis sive ex levioribus paenitentiam gérant, si 
nuUa interveniat aegritudo, quinta feria ante pascha eis rèmittenidmn 
romanae Ecclesiae consuetudo demonstrat. > La lettre est de HiS. Les 
leviora commissa ne sont pas ici ce que nous appelons des péchés vé- 
niels : ce sont des péchés non ita gravia au sens de saint Augus- 
tin. 

2. Epist. CLXVII, inquis. 49. Cf. la note de Quesnel, col. 1803, 19. 

3. EpisL CYm, 2 : « Blultiplex misericoTdia Dei ila lapslbus subvenit 
humanis ut non solum per baptismi graliam, sed etiam per paenitentiae 
medJcinam spes vitae reparetur aeternae, ut qui regeneratîonis dona 
violassent, proprio se iudicio condemnantes adremissionera cMminuni 
pervenirent, sic âivinae bonitatis praesidiis ordinâtis Tit indulgentia 
Dei nisi supplicationibus sacerdotam nequeat ôbtineri. » La lettre est 
de 4S2. _ 



LA THÉOLOGIE LATINE DE 430 A 771. 3&7 

gence de leurs devoirs ^ Il n'a pas Tintention pourtant 
de leur imposer la* pénitence plénière, et leurs fautes 
— fautes d'omission surtout et de relâchement moral — 
ne l'exigent probablement pas ; et c'est donc qu'il leur 
demande une pénitence privée dans laquelle inter- 
viennent cependant les « supplicationes sacerdotum ». 
Et la chose est bien plus claire encore dans les 
sermons de saint Gésaire d'Arles. Le saint distingue 
très nettement, comme toute l'antiquité chrétienne, 
des peccata minuta qui ne tuent pas l'âme, mais 
qui la défigurent et qu'il faut expier par les bonnes 
œuvres, et des peccata capitalia qui méritent l'enfer, 
et dont il faut absolument faire pénitence sous peine 
de damnation^. Quelle sera cette pénitence? demande- 
t-il. Elle pourra être publique ^ ; mais cela n'est pas 
nécessaire, au salut. Saint Gésaire met une différence 
entre accipere paenitentiam, ce qui représente la pé- 
nitence plénière, et agere paenitentîam, ce qui est 
accomplir privéraent la pénitence^. Or il est requis, 
dit-il, que l'on fasse pénitence, mais non pas qu'on 
reçoive la pénitence : « Qui haec (opéra paenitentiae) 
implere voluerit, etiamsi paenitentiam non accipiat, 
quia semper illam fructuose et fideliter egit, bène hinc 
exiet^. » « Ëtille quîdem qui paenitentiam publiée 
accepit poterat eam secretius agere : sed, credo, con- 
siderans multitudinem peccatorum suorum, videt se 
contra tam gravia mala solum non posse sufficere, 
ideo adiutorium totius populi cupit expetere^. » Il est 
impossible d'être plus clair, et de marquer plus préci- 
sément l'existence, à côté de la pénitence publique ou 

1. Sermo XLHI, 2, 3; XLIV, 1; XLIX, \, 2; L, 1, 2. 

2. Sermo CIV, 1-4, 6-8. 

3. Sermo CIV,7;CCLXr, 1. 

4. Sérino CCLVI, 1,4; CCLIX, 1. 

5. Strmo CCLVI, 1. 

6. Sermo CCLXI, 1. 

HISTOIRE DES DOGMES. — III. 23 



398 HISTOIRE DES DOGMES. 

plénière, d'une pénitence privée. Et cette distinction 
permet à Césaire de répondre aux difficultés de ses 
auditeurs : « Ego iuvenis homo uxorem habens, quo- 
modo possum aut capiilos minuere aut habitum reli- 
gionis assumere * ? « Ce n'est pas ce que l'on vous 
demande, répond le prédicateur : on peut faire péni- 
tence utilement sans cela : « Vera enim conversio sine 
vestimentorum commuta tione sufficit sibi^. » 

Maintenant, cette pénitence privée, dont parle saint 
Césaire, consistera-t-elle uniquement en des œuvres 
expiatoires et un changement de vie, sans aucun re- 
cours aux préposés de l'Église soit pour la confession, 
soit pour l'absolution? Non : la confession s'impose. 
Saint Césaire en formule très généralement la loi au 
Sermo ccliii, 1 : La volonté de Dieu est que nous 
confessions nos péchés non seulement à lui, mais aux 
hommes ; et il continue : « Quomodo enim nobis pecca- 
torum vulnera nunquam déesse possunt, sic et confes- 
sionis medicamenta déesse non debent^. » Au Sermo 
ccL, après avoir expliqué VAUigate per fasciculos ad 
comburendum des pécheurs que les anges lieront 
ensemble pour les jeter au feu, « rapaces cum rapaci- 
bus, adulteroscum adtdteris, fornicatores cum fornica- 
toribus, bomicidas cum homicidis, avaros cum avaris, 
iracundos cum iracundis, falsos testes cum falsis testi- 
bus, turcs cum furibus, derisores cum derisoribus, 
similes cum similibus », il exhorte les coupables à 
éviter cette condamnation par la pénitence, par la 
confession et les œuvres satisfa<îtoires imposées par 
les prêtres : « Confessionem quaeramus puro corde, 
et paenitentiam donatam a sacerdotibus perficiamus » ; 

1. Allusion à la retraite dans an monastère que praticpiaient aouvent 
dès lors les pénitents publics. 

2. Sermo CCXLIX, 6; cf. CCLVm, 2. 

3. Sermo CCLIII, 1. 



LA THÉOLOGIE LATINE DE 430 A 771. 399^ 

et ailleurs, « confitendo et paenitentiam agendo' ». 
Et il semble bien qu'il veuille parler, en ces occasions,, 
de pénitence simplement privée^. 

Quant à l'absolution pour la pénitence privée, saint 
Césaire, il est vrai, ne la mentionne nulle part explici- 
tement; mais aussi allait-elle de soi, puisqu'elle se- 
confondait avec l'absolution publique du jeudi saint; 
et ce n'est pas d'ailleurs sur quoi il avait à exhorter • 
ses auditeurs. 

Saint Avit, en tout cas, en parle nettement dans sa 
lettre xvi, et pour un cas où sa doctrine se révèle ab- 
solument semblable à celle de saint Césaire. Un vieil- 
lard du diocèse de Grenoble est engagé dans un com- 
merce incestueux, et paraît peu disposé à expier sa 
faute. L'évêque Victorius demande à saint Avit ce qu'il 
pense de ce cas difficile. Après avoir vu le coupable, 
saint Avit répond que, puisque le vieillard s'engage 
à éloigner sa complice, il est prudent de ne pas lui 
imposer la pénitence plénière : a De caetero quod ad 
paenitentiam exspectat, moneatur intérim agere, acci- 
pere non cogatur. » C'est un esprit ombrageux [homo 
crudus), qu'une trop grande sévérité ferait s'obstiner - 
dans sa résistance ; la suppression de l'occasion du . 
péché lui servira de pénitence, et on pourra le récon- 
cilier après ce sacrifice : « Excussus ab scelere, susci-- 
piatur ad veniam ; patiatur paenitentiam cum perdit 
peccandi occasionem ; profîteatur, cum amiserit volun-r 
tatem^. » 



i. Sermo CCL, 4,2; CCtVIII, 1 . 

2. Saint Césaire en efFei, quand il parle de pénitence publique, em.< 
fait ordinairement mention expresse. 

3. Gennade remarque que l'on pouvait commuer en quelque sorte la 
pénitence publique, quand elle était due, en pénitence privée, par' 
l'entrée dans un monastère; et il ne semble pas qu'alors l'absolution 
iût donnée : la rémission des fautes était obtenue par la vie d'expia- 
tion du moine : « Sed et secreia satistactione solvi mortalia crimina 
Don negamus, sed mutato prius saeculari iiabitu tet con/esso reiigionift - 



400 HISTOIRE DES DOGMES. 

Il est donc avéré que, au plus tard au temps de Cé- 
saire et de saint Avit, c'est-à-dire dans la première 
moitié du vi* siècle, la pénitence privée était pratiquée 
dans le midi de la Gaule et probablement en Italie. 
Deux faits contribuèrent à étendre et confirmer cette 
pratique. 

Le premier est la fondation de l'ordre et la rédac- 
tion de la règle de saint Benoît (vers 480-543). L'in- 
fluence de cette règle se fit certainement sentir en 
dehors des monastères pour lesquels elle avait été écrite. 
Or, elle demandait aux moines des coulpes et des con- 
fessions fréquentes. Les fautes publiques étaient publi- 
quement amendées ; « si animae vero peccati, continue 
la règle, causa latens fuerit, tantum abbati aut spiri- 
tualibus senioribus patefaciat, qui sciant curare sua et 
aliéna vulnera non detegere et publicare^ ». 

L'autre fait, d'une influence plus directe, fut l'im- 
portation en France et en Italie, par saint Colomban, 
des usages bretons sur la pénitence privée 2. A l'ex- 
trémité nord-ouest du monde chrétien d'Occident en 
effet, en Irlande et en Angleterre, vivaient des chré- 
tientés qui paraissent avoir ignoré ou du moins laissé 
tomber très tôt chez elles la pratique de la pénitence 

studio per vilae correclionem et iugi, immo perpetuo lucta miserante 
Deo » (De écoles, dogm., 53). Cf. Fadste, Sermo m (P, L., LYIII, 8TS) : 
c Detur paenitentia saeculari, cuius adhuc cervix sub iugo dependet 
saeculi... Caeterum, si abrenuntians saeculo et eius militiae, et spon- 
dens se cunctis diebus serviturum Deo, cur paenitentiam mereatur?... 
Jgitur abrenuntianti publica paenitentia non est necessaria, quia con- 
versas ingemuit, et cum Deo aeternumpactum inirit. Exillo igitur die 
non memorantur eius delicta quae gessit in saeculo... Ergo post cbi- 
rographatn de quo se monachus debitum ex tota fide promisentadim- 
plere, etsi fidelis factus peccaverit in saeculo, post abrenuntiationem 
ileruin factam.dominicum corpus non dubitet accipere. * La profession 
monastique était regardée comme un second baptême. 

1.. Régula, XVI (P. L., LWI, 694). Les spirituales teniores dont il çst 
>ct question n'étaient cependant pas l'équivalent des nttiiçtz nveufia- 
Tixoî des grecs, c'est-à-dire des moines confesseurs. 

2. Sur ce qui suit v. D. L. Gougadd, Les chrétientés celtiques, Paris. 
49H, p. 274 et suiv. 



LA. THÉOLOGIE LATINE DE 430 A 771. 401 

publique, et ne connaissaient que la pénitence privée. A 
la fin du v« ou au début du vi® siècle, une littérature 
commence à s^ former, la littérature des pénitentiels, 
dont les monuments, se rattachant aux noms vénérés 
de saint David (-j- 564), de saint Vennian [f 552), de 
saint Gildas (*i* 565 ou 570) et plus tard de Cumméan 
(f 661), fixent pour chaque espèce de péché l'expiation 
à imposer au pénitente L'emploi de ces petits livrets, 
d'abord restreint aux églises celtiques et bretonnes, 
se répandit, au vu® siècle, après la conquête anglo- 
saxonne, dans les églises établies chez les vainqueurs 
par saint Augustin de Cantorbéry et ses succes- 
seurs. Théodore de Cantorbéry (f en 690) écrivit lui 
aussi un pénitentiel ; de même Bède et son disciple 
Ecgbert d'York (év. de 735 à 766)2. Or le pénitentiel de 
Théodore déclare explicitement que « Reconciliatio ideo 
in hac provincia publiée statutanon est, quia etpublica 
paenitentia non est^ ». C'est précisément cet usage 
breton de la pénitence exclusivement privée que saint 
Colomban avait apporté sur le continent, vers 590 à 
Luxeuil, puis à Bobbio en 613''. Malgré l'opposition 
que rencontrèrent d'abord en général saint Colomban 

i. Voir ces difTérents écrits dans les éditions de WAssERscntEBSN et 
de ScBMiTZ, opp. cit. Nous ne les avons plus dans leur teneur originale : 
on les retrouve engagés et combinés avec d'autres éléments dans des 
péniteniiels postérieurs, où l'on peut, dans une certaine mesure,^ les 
discerner. 

2. V. ces documents dans Wasserschleben et Scbmitz. 

3. ScBuiTz, Die Bmsbûcher, n, p. S80. 

4. On a, sous le nom de saint Colomban, un pénitentiel dont l'abso- 
lue authenticité n'est pas établie. Il contient la disposition suivante : 
< Confessiones autem dari diligentius praecipitur, maxime de com- 
motionibus animi, antequam ad missam eatur, ne Torte quis accédât 
indignus ad altarCi id est, si cor mundum non habuerit * (30; Scbmitz, 
Die Bussbûcher^ I, p. 601). La règle de saint Colomban porte au cha- 
pitre X : « Diversitas culparum diversitatis paenitentiae medicamento 
sanari débet. Itaque, fralres, huiusmodi statutum estasanctis Pa tribus 
ut demus confessionem de omnibus non solum capitalibus criminibus 
S8d etiam de maioribus negligentiis : quia confessio et paenitentia de 
morte libérant » (P. L., LXXX, 216). 



402 HISTOIRE DES DOGMES. 

et ses eoutumes, la pénitence privée et l'usage des pé- 
nitentiels se firent d'autant mieux accepter qu'ils trou- 
vaient des antécédents ou correspondaient à des néces- 
sités réelles. Les disciples de saint Colomban d'ailleurs 
ne se renfermèrent pas dans les cloîtres : devenus 
«vêques, abbés, missionnaires et pasteurs ayant charge 
d'âmes, beaucoup d'entre eux introduisirent naturelle- 
ment et d'autorité, dans l'exercice de leurs fonctions 
et de leurs charges, les usages de leur ordre. Et c'est 
ainsi que la pénitence privée, que l'on voit paraître au 
v« siècle en France et en Italie, s'organisa définiti- 
vement au VII® comme la pénitence ordinaire et nor- 
male. La pénitence publique demeura l'exception pour 
certaines fautes scandaleuses et révoltantes. Au vm® 
siècle, les pénitentiels étaient partout répandus*. 

L'adoption de la pénitence privée conduisait natu- 
rellement à admettre comme possible la réitération de 
la pénitence, puisque le principe fermement maintenu 
de l'unicité de la pénitence n'en visait que la forme 
solennelle. Ces pénitents, que le pape Innocent l" nous 
montre expiant pendant le carême leurs commissa le- 
çiora, devaient évidemment renouveler cette pénitence 
aumoinsde temps en temps, sinon chaque année. Mais 
nous avons d'ailleurs de cette époque, en cette matière, 
une donnée doctrinale précise. Ce sont les paroles d'un 
évêque africain du milieu du v° siècle, Victor dé Car- 
tenna. Dans son traité De paenitentia^, l'auteur in- 
siste d'abord sur la grande loi de la confession des pé- 
chés: « Ageigitur, paenitens, propria sceleraconfitere, 
pande Deo tuae iniquitatis arcana, dénuda sécréta 
pectoris tui » (1). Cet aveu est nécessaire, non pas que 



1. sauf, naturellement, en Afrique et en Espagne. Lea plus anciens 
pénitentiels que nous possédions d'Allemagne, de France ou dllalie, 
4tatent, dans leur forme actuelle, de là On du vin' siècle. 
. 2. Edité parmi les œuvres de Saint Ambroise, P.L., XVII, 7M etsuiv. 



LA THEOLOGIE LATINE DB 430 A 771. 403 

Dieu ignore les fautes qu'on lui confesse, mais parce 
que cette confession révèle le pénitent à lui-même et 
est déjà un remède; parce que, aussi, le médecin a be- 
soin qu'on lui fasse connaître le mal, sinon il ne saurait 
appliquer le remède convenable : « Tune enim poteris 
perfectum consequi beneficium medicinae si non celés 
medico tuae vuinera conscientiae. Caeterum qualiter 
curandus eris quiea quae sunt in te absconsa non pan- 
dis ? » (3). Puis l'évêque répond successivement aux ex- 
cuses que cherche le coupable. Celui- ci, entre autres 
choses, prétexte qu'il est un relaps, que relevé une pre- 
mière fois de ses fautes, il y est retombé et s'y est en 
quelque sorte enlisé : « Peccata peccatis adieci, et qui 
iam cadens erectus fueram, iterum cecidi, et conscien- 
tiae meae vulnus iam pêne curatum peccati exulcera- 
tione recruduit ». Que répond l'auteur? Qu'il faut en- 
core recourir au même médecin, au même remède ; 
« Quid trépidas ? Quid vereris ? Idem semper est, qui 
ante curavit, medicum non mutabis... noto te sanabit 
antîdoto... Unde dudum curatus fueras, inde iterum 
curaberis » (12, et cf. 24). 

La règle de conduite tracée ici par Victor de Car- 
tenna fut sans doute goûtée, en Espagne, d'un certain 
nombre de pécheurs; car nous trouvons en 589 un 
concile de Tolède qui, dans son canon 11, se plaint 
qu'en plusieurs églises, des chrétiens font de leurs 
péchés une pénitence détestable, « ut quotienscumque 
peccare libuerit, totiens a presbytero reconciliari ex- 
postulent* ». Le concile condamne cette pratique, 
mais il la constate ; et elle devait être plus forte que 
ses proscriptions. L'influence des moines et l'usage 
des pénitentiels ne tardèrent pas à rendre ordinaire la 
réitération de la pénitence privée. Au milieu du 

1. MA:KSI, IX, 995. 



404 HISTOIRE DES DOGMES. 

viii* siècle, la loi commence à se dessiner qui impose 
l'obligation de se confesser une ou plusieurs fois par 
an. Un concile de Bavière de 740-750 ne fait que con- 
seiller la confession pure et simple ^ ; mais saint Chro- 
degand,évêque de Metz (742-764), l'impose à son clergé 
au moins deux fois par an : « Constituimus ut in anno 
vel binas vices clerus noster confessiones suas ad suum 
episcopum pure faciat, eis temporibus, una vice in 
initio quadragesimae ante Pascha,illa aliavicea medio 
mense augusto usque kalend. novembris^. » 

Il est dit dans ce texte que les clercs doivent se con- 
fesser à l'évêque : un peu plus loin cependant, saint 
Ghrodegand ajoute que, si les clercs en éprouvent le 
besoin, ils se confesseront, en dehors de ces temps, 
a ad episcopum, vel ad alium sacerdotem cui episcopus 
decreverit ». Le sacerdos ici n'est plus l'évêque, mais 
un simple prêtre. Et c'est encore un des changements 
que la période dont nous nous occupons a introduits 
dans la discipline pénitentiq|lle : l'attribution aux 
prêtres, comme ministres ordinaires, du pouvoir de 
recevoir les confessions et d'absoudre les pénitents. 
Sans doute, on ne le leur avait jamais complètement 
refusé. On a vu qu'à Rome, dès le iv' siècle, des prê- 
tres pénitentiers recevaient la confession des pécheurs 
etleur imposaient la pénitence à accomplir; et les con- 
ciles mêmes qui interdisaient aux prêtres de récon- 
cilier publiquement les pénitents, leur reconnaissaient 
en même temps le droit et leur imposaient le devoir 
de les absoudre, avec l'agrément de l'évêque et en cas de 
nécessité pressante, si l'évêque était absent^. Mais il 

1. Maksi, Xni, 1027. 

2. Régula canonicorum, XIY (P. I,., LXXXIX, 1104). La recension 
plus longue, publiée dans le même volume, col. 1057 et s., contient 
(col. lU71-1073j un dispositif plus complet, mais elle a été retouchée. 

3. < Ut presbyter inconsulto episcopo non reconciliet paeni tentes 
nisi absentia episcopi et necessitate cogente. * Conc. d'Hippone de 



LA THÉOLOGIE LATINE DE 430 A 771. 405 

était naturel que, la pénitence devenant plus fréquente 
et moins solennelle, les simples prêtres en devinssent 
aussi plus souvent les ministres. C'est bien de quoi se 
plaint le concile de Tolède de 589," cité plus haut. On 
en vient à réitérer la pénitence aussi souvent que l'on 
tombe, et c'est à un prêtre [presbytero] que l'on de- 
mande la réconciliation. Mais ces plaintes ne pouvaient 
rien contre un développement en somme légitime. 
L'évêque ne pouvant plus suffire à la tâche d'entendre 
les pénitents et de les absoudre, il fallait bien qu'il 
déléguât à cet effet des prêtres pour le remplacer. 
L'évolution qui aboutit au nouvel état de choses s'a- 
cheva dans le courant du vue siècle, où l'on vit, en 
France, les moines de saint Colomban s'adonner au 
ministère de la confession. Dans le premier tiers du 
VIII* siècle, le vénérable Bède ne met aucune diffé- 
rence entre l'évêque et le prêtre, au point de vue qui 
nous occupe : « Etiam nunc in episcopis ac presby- 
teris omni Ecclesiae ofRcium idem ita committitur, ut 
videlicet, agnitis peccantium causis, quoscumque 
humiles ac vere paenitentes aspexerit, hos iam a ti- 
moré perpetuae mortis miserans absolvat ; quos vero 
in peccatis quae egerint persistere cognoverit, illos 
perennibus suppliciis obligandos insinuet ^ » 

Cette introduction des prêtres comme ministres 
ordinaires de la pénitence ne dut pas être étrangère 
à la diffusion rapide des pénitentiels en France, en 
Allemagne et dans la Haute-Italie. Il est certain, en 
effet, que la pénitence tarifée telle qu'ils la représen- 
taient constituait un recul sur ce qui s'était pratiqué 
antérieurement. Jusque-là, le grand principe surlequel 



393, canon 30; deCarthage de 387 ou 390, can. Set 4; de Séville de 619, 
can, T; d'Atjdo de S06, can. 44 (Mansi, III, 885, XXXII; tlll, 693; X, 5K9; 
Vin, 332). 
1. Ilomil, II, 16, col. 333. 

23. 



406 HISTOIRE DES DOGMES. 

reviennent constamment les papes et les conciles, 
e'est que la satisfaction à imposer au coupable doit 
sans doute être proportionnée à la nature des fautes 
qu'il a commises, mais aussi à ses dispositions, à sa 
condition, à son âge : le confesseur reste juge, en dé- 
finitive, de ce qu'il doit exiger, et les canons péniten- 
tiaux n'ont qu'une valeur d'indication*. Il n'y a pas de 
péchés abstraits, il y a seulement des pécheurs qu'il 
faut juger et surtout relever : «Tempora paenitudinis, 
habita moderatione tuo constituente iudicio, écrit 
saint Léon, prout conversorum animos perspexeris 
esse devotos : pariter etiam habens senilis aetatis in- 
tuitum, et periculorum quorumque aut aegritudinis 
respiciens nécessitâtes ^. » Dans la pénitence tarifée, 
ce point de vue est changé. Et sans doute, les péniten- 
tiels n'oublient pas complètement les recommandations 
anciennes. Celui de Bède, par exemple, commence 
par rappeler au confesseur qu'il doit considérer le sexe, 
l'âge, la condition, l'état, les dispositions intimes du 
pénitent, et y attempérer son jugement ^ ; mais " les 
diverses sortes de fautes n'en sont pas moins classées 
en catégories, auxquelles on assigne en particulier une 
pénitence fixe : « Adulescens, si cum virgine pecca- 
veritj annum I paeniteat. » Or il est clair que ce mode 
simpliste de procéder convient à des confesseurs peu 
instruits, peu soucieux et peu capables d'analyse psy- 
chologique, tels qu'étaient bon nombre de prêtres 
aux vi®-viii^ siècles. A ce clergé les pénitentiels four- 
nissaient des recettes tout indiquées pour chaque 
genre de maladies morales, des comptes faits pour 



i, INNOCENT I, EpisU ad Decentium, 10; S. Léon, Epist. X, 8; CLIX, S, 
€.; S. Grégoire, In evang. homil. XXVI, 6 ; Conc, d'Hippone de 393, can. 
3a a Angers de 453, can. 12 (Mansi, lll, 58S, XXXI ; VII, 90-2). 

2. Episl. CLIX, 6. 

5. hCEUiTZ, Die Bussbûcher, I, p. 556. 



LA THÉOLOGIE LATINB DE 430 A 771. 407 

chaque péché commis : sa médiocrité devait nécessai- 
a-ement les tromper commodes. 

Une semble pas qu'avec eux la coutume ait été uni- 
-verseliement changée, quiexigeait qu'enprincipeeten 
dehors d'une nécessité urgente, lapénitence fût accom- 
plie avant que l'absolution fût accordée. Cette néces- 
sité existait surtout lorsque le coupable demandait 
la pénitence dans sa dernièpe maladie ; et c'est pour- 
quoi saint Léon pressait les pécheurs de ne pas attendre, 
pour revenir à Dieu, le moment « quo vix inveniat 
spatium vel confessio paenitentis vel reconoiliatiB sa- 
cerdotis^ ». Mais si le malade revenait à la santé, il était 
mis aunombre des pénitents 2. Il était inévitable cepen- 
da-Êt que l'instabilité et les périls mu'ltiples créés par 
les invasions barbares et les querelles continue'Hes 
entre les princes rendissent plus nombreux les cas où 
l'on devait absoudre immédiatement le pénitent 3. C'est 
cette situation que vise le statut xxxi de saint Boniface 
de Mayence (f 755) : & Et quia varia necessitate prae- 
pedimur canonum statuta de conciliandis paenitentibus 
pleniter observare ; propterea omnino non dimittantur. 
Curetunusquisque presbyter statim post acceptam con- 
fessionem paenitentium singulos data oratione recon- 
ciliari. Morientibus vero sine cunctamine communie et 
reconeiliatio praBbeatur-*. » On gatdera autant que pos- 
sible les prescriptions canoniques, mais, en cas de 
nécessité, on n'hésitera ipas à réconcilier immédiate- 
ment les pénitents. 

Quoi qu'il en soit, c'est par une formule dépréca- 

1. Epist.CVllî,S; Statuta Ecelesiae antiq., 20; Conc.de Tolède de 675, 
can.12 (Wansi, XI, 444). 

2. Conc. d'Orange de 4M, can. 3; d'Epaone de Mt, can. 36 (Mansi, VI, 
436; Vin,563); Statuta Eccl.ant., 21. 

3. A en croire le pénitenliel qui porte le nom de saint Colotnbaa 
(30), la pratique d'absoudre immédiatement le pénitent aurait été cou- 
ranteen Angleterre et en Irlande (Scsmitz, Die Bussbûcher, I, 601). 

4. P. L., LXXXIX, 823. 



408 HISTOIRE DES DOGMES. 

toire que l'absolution est donnée : supplicationîbus 
sacerdotum... sacerdotali supplicationey dit saint 
Léon'. Saint Grégoire, reproduisant saint Augustin, 
l'interprète en ce sens qu'elle délie des nœuds du 
péché ceux à qui la grâce de Dieu a déjà intérieure- 
ment rendu la vie spirituelle. La confession fait sortir 
le pénitent du tombeau : « Prius mortuum Dominus 
vocavit et vivificavit dicens, Lazare j venis foras » ; 
l'absolution fait ensuite tomber ses liens : « Et post- 
modum is qui vivens egressus fuerat a discipulis est 
solutus... Ecce illum discipuli iam viventem solvunt 
quem magister resuscitaverat mortuum. » D'où l'au- 
teur tire la conclusion : « Ex qua consideratione in- 
tuendum est quod ilios nos debemus per pastoralem 
âuctoritatem solvere quos auctorem nostrum cogno- 
scimus per suscitantem gratiam vivificare. » Saint 
Grégoire a, comme on le voit, présenté comme suc- 
cessifs deux ejffets en réalité simultanés, et qui ont 
l'un et l'autre leur source immédiate dans l'absolution. 
Mais il n'a pas, pour autant, donné à celle-ci une 
portée purement déclaratoire. La délivrance et la ré- 
conciliation du pécheur sont bien l'œuvre de la « pas- 
toralis auctoritas » ; c'est bien la « pastoralis senten- 
tia » qui l'absout. Bien plus, le pape en fait la remarque, 
même lié injustement par son pasteur, le pénitent 
reste lié; et si les confesseurs doivent veiller à ne 
porter que des sentences justes, les fidèles doivent 
craindre de mériter, par leurs péchés, d'être l'objet de 
décisions fausses-. 

Reste à dire un mot du clergé. Les changements de 
la discipline pénitentielle à l'époque Kjue nous exami- 

K . EjtisU CVin, 2, 3. V. l'ordre de la cérémonie du jeudi saint et le» 
formules dans L. Duchesse, Origines du culte chrétien, p. 424. 

2. In evang. homil. XXVI, 6; Moral., XXII, 31; S. Pierue Chrysol., 
Sermo LXXXIY, col. 438; S. Fdlgemce, De re/niss. peccat., I, â4; Defide, 
37. 



LA THÉOLOGIE LATINE DE 430 A 771. 409 

nons se résument, en ce qui le concerne, en deux 
points : 1° des gens ayant fait pénitence sont admis 
dans les rangs du clergé; 2° les clercs des ordres su- 
périeurs, comme les autres, sont admis à la pénitence. 
Sur le premier point, la discipline du iv" siècle était 
très ferme : un homme qui avait reçu la pénitence 
canonique ne pouvait entrer dans le clergé ^ . Mais il 
semble que la règle fléchisse d'abord pour les ordres 
inférieurs 2, puis même pour les supérieurs au vi* 
siècle, à voir les protestations que ces infractions 
soulèvent : « Ex paenitentibus quamvis bonus clericus 
non ordinetur », portent les Statuta antiqua^. Les 
causes de ce fléchissement sont d'ailleurs aisées à com- 
prendre. C'était, d'une part, la difficulté de trouver 
pour le clergé des recrues convenables ; c'était surtout 
l'usage, qui tendait manifestement à se généraliser, 
de demander la pénitence en danger de mort. Les 
sermons de' saint Césaire supposent que c'était là une 
pratique fréquente"*, et saint Isidore, écrivant moins 
d'un siècle après, déclare que, tout le monde étant 
pécheur, la pénitence s'impose à tous, et que tous 
doivent s'y soumettre^. Or, il arrivait de temps à 
autre que ces pénitents de la dernière heure ne mou- 
raient pas. C'étaient des chrétiens réguliers, pieux 
même, qui avaient sollicité la pénitence comme un 
remède à des fautes quotidiennes, et sans lequel on 

1. SiRiCE, Epist. ad Himerium, 18, i9; Concile de Rome de novembre 
465, can.3(MAM«i, VII, 961). 

2. Un concile de Tolède de 400 tolère que l'on prenne parmi les pé- 
nitents, s'il y a nécessité ou si l'usage l'autorise, des portiers et des 
lecteurs, canon 3 (Mansi, III, 998). 

3. Statuta, 84; Conc. d'Agde, can. 43 (Mansi, VIII, 333). 

4. D'après les auteurs de sa Vie, saint Césaire ne voulait pas que 
personne mourût sans avoir reçu préalablement le remède de la 
pénitence : • cum nullum sine roédicamento paenitentiae de tioc 
mundo vir Dei voluisset recedere » ( S. Caesarii vita, II, 9; P. L», 
LXVII, 1029). 

5. De eccles. offie., 1, 17, 6. 



410 HISTOIRE DES DOGMES. 

ne devait point paraître devant Dieu, mais qui d'ail~ 
leurs auraient pu s'en passer. Faliait-il les exclure du 
d^ergé au cas où ils désireraient y entrer? Un concile 
-de Gîrone de517 n3 le pensa pas, et décréta <jue, si 'le 
malade n'avait pas accusé de faute notoire, et n-avait 
pas été, une fois revenu à la santé, soumis à la péni- 
tence publique, on pouvait l'admettre dans la clérica- 
ture^ Cette décision fut confirmée par le concile de 
ITolède de 633 2, et par un autre concile de la même 
^lle de 683 2. Entre temps, un concile de Lérida, de 
-524, avait admis qu'un clerc servant à l'autel, et ayant 
fait pénitence pour une faute charnelle, pouvait être 
réintégré dans ses fonctions, tout en restant inhabile 
-à monter à un ordre supérieur-*. 

Le fait d'avoir reçu la pénitence, si d'ailleurs on 
B'avait pas accusé de faute méritant la pénitence plé- 
nière, et si l'on n'avait pas effectivement subi cette 
pénitence, ne fut donc plus, à partir du vi^ siècle et au 
moins en Espagne, une cause qui empêchât d'entrer 
-dans le clergé. Une évolution analogue et parallèle fit 
•que l'on admit aussi et peu à peu que les clercs supé- 
rieurs pussent faire pénitence sans déchoir de leurs 
fonctions. Il existe sur ce point un canon d'un concile 
d'Orange de 441, d'une interprétation difficile à cause 
-de sa brièveté : « Paenitentiam desiderantibus clericis 
non negandam^. » Peut-être ne s'agit-il ici que d'une 
pénitence absolument privée, accomplie en dehors de 
toute- intervention de l'autorité épiscopaîle, et pour 
laquelle le clerc demande qu'on l'exempte, pour un 
temps, de son service liturgique^. Cependant la disci- 

i. Can. 9, Mansi, VIII, 550. 
2. Canon 54, Maksi, X, 632. 
S. IX, MÀssr, XI, i071. 

4. Canon S, Mansi, vm, 613. 

5. Canon 4, Maksi, VI, 437. 

6. C'est l'explication de D. Leclercq (Sist. des eonc, II, 1, p. 438). Je 



LA. THEOLOGIE LATINE DE 430 A 771. 411 

pline à cette époque était formelle : un prêtre ou 
diacre coupable d'une faute grave et scandaleuse ne 
pouvait pas, restant en fonctions, être soumis à la pé- 
nitence canonique. Il devait être déposé; et, même 
déposé, le concile de Carthage de 401 ne veut pas 
qu'on le soumette, comme les laïcs, à la pénitence pu- 
blique*. C'est ce que répond saint Léon à la question 
de Rustieus de Narbonne : « Alienum est a consuetu- 
dine eccJesiastica ut qui in presbyterali honore aut in 
diaconii gradu fuerint conseerati, ii pro crimine 
aliquo suo per manus impositionem remedium acci- 
piant paenitentiae... Unde huiusmodi lapsis ad prome- 
rendam misericordiam Dei privata est expetenda 
secessio, ubi illis satisfactio, si fuerit digna, sit etiam 
fructuosa^. » Le prêtre et le diacre [et l'évêque] cou- 
pables de fautes capitales, publiques ou secrètes, de- 
vront faire prîvément pénitence, mais ils ne seront pas 
mis au rang des pénitents'. Le pape parle générale- 
ment d'une privata secessio j mais nous savons que 
cette retraite consista bientôt et pratiquement dans 
l'internement plus ou moins long dans un monastère*. 
Or c'est cette coutume qui devint précisément une des 

croirais plutôt qu'il s'agit bien ici de la pénitence canonique, et que 
c'est cette décision qui a motivé la demande de Rustieus de Narbonne 
à saint Léon, dont on va parler- — Le mai pénitence canonique dont je 
me sers dans cette partie de mon travail, désigne, dans mon esprit, la 
pénitence ofDcielle, publique ou privée : elle s'oppose à la pénitence 
absolument privée, qui se fait en dCihors de toute intervention du 
clergé, sans confession ni absolution. 

1. V. supra, p^ 390, et le canon lâ du concile de Carthage de '^H 
(Marsi, ni, 7âB, XXVII). 

2. Epist. CLXVII, inquis. 2. 

3. Je ne vois pas de raison de restreindre la décision de saint Léon 
au cas de fautes secrètes : la pape parlé généralepient « pro crimine 
aliquo ». La règle qu'il pose est encore celle que rapporte saint Isi- 
dore : tout le monde doit faire pénitence, mais « a sacerdotibus et 
levitis, Deo lantum teste... a caeteris vero attestante coram Deo 
soiemniter sacerdote » (De eccles. offic, II, 17, 6). 

*. Conc. d'Epaone de 517, can. 22 (Mansi, VIII, S61); S. Gkégoibk, 
Epist. IX, 63; XII, 31. 



412 HISTOIRE DES DOGMES. 

causes qui introduisirent dans le clergé l'usage de la 
pénitence canonique. Dans les monastères en effet, les 
clercs coupables furent soumis, au vu" siècle, comme 
les moines avec qui ils vivaient, à l'imposition de la 
main et à la réconciliation sacramentelle : ils reçurent 
la pénitence. D'autre part, le clergé ne resta pas 
étranger au mouvement qui portait les fidèles à de- 
mander la pénitence au lit de mort; et de cette pra- 
tique naquirent parfois des cas embarrassants. Le 
concile de Tolède de 683 eut précisément à trancher 
un cas de ce genre, à propos de l'évêque de Valeria, 
Gaudentius, « quod incommodae valetudinis nimietate 
praeventus, per manus impositionem subactus fiiisset 
paenitentiae legibus ». Gaudentius, revenu à la santé, 
demandait s'il pouvait conserver ses fonctions épisco- 
pales. Le concile décida qu'il le pouvait, parce qu'il 
n'avait pas d'ailleurs accusé de faute grave et scan- 
daleuse ^ . Ainsi, au vu" siècle, la discipline tombait qui 
interdisait aux clercs supérieurs le bénéfice delà pé- 
nitence canonique. Au viii* siècle, saint Chrodegand, 
on l'a vu plus haut, enjoignait par sa règle à son 
clergé de se confesser au moins deux fois l'an ^ ; et les 
livres pénitentiels contiennent, aussi bien pour les 
clercs des différents ordres que pour les laïcs, les 
tarifs des diverses fautes qu'ils peuvent commettre. 

Voici donc le terme auquel avait abouti le dévelop- 
pement du dogme et de la discipline pénitentiels vers 
le milieu du vin* siècle. 

L'actio paenitentiae comprend toujours trois parties : 
la confession, l'expiation, l'absolution. 

La confession est secrète : elle a pour objet tous les 
peceata capitalia, c'est-à-dire tous les péchés|qui méri- 



1. X, AUrsi, XI, 1071. 
a. Y. supra, p. 404. 



LA THEOLOGIE LATINE DE 430 A 771. 413 

tent l'enfer et qu'actuellement nous appelons mortels ^ . 

L'expiation est publique et plénière pour certains 
crimes énormes et scandaleux : plus ordinairement, 
elle est privée. Cette pénitence privée se substitue de 
plus en plus à l'ancienne pénitence publique, et devient 
à peu près la seule pratiquée. Mais de plus, elle tend 
à se tarifier par l'usage des pénitentiels, chaque caté- 
gorie de fautes ayant sa peine fixée d'avance. 

L'absolution reçue d'abord publiquement le jeudi 
saint, en dehors du cas de maladie, se donne mainte- 
nant privément et à tout moment' de l'année. En prin- 
cipe cependant, elle n'est accordée qu'après l'accom- 
plissement de la satisfaction pénitentielle ; mais on 
constate déjà des exceptions à cette règle, et ces ex- 
ceptions ont tendance à se multiplier de plus en plus. 

La pénitence plénière et solennelle ne se réitère pas ; 
mais la pénitence privée peut se réitérer. De celle-ci 
le simple prêtre devient le ministre ordinaire : il 
reçoit la confession, fixe la satisfaction, et réconcilie 
le pénitent. 

1. c'est le sens que donne saint Césaire à l'expression peccala capi- 
talia. Présentant des exemples de cette sorte de péchés, il énumëre : 
< sacrilegium, homicidium, adnlteriuin, faisum testimoninm, furtam, 
rapina, snperbia, invidia, avaritia et, si longo teneatur, iracnndîa, et 
ebrietas si assidua sit in eorum numéro computatur • \Sermo Civ, S; 
cf. XIII, S; LXVIII, 3). On remarquera que le sacrilège, plus général, a 
remplacé Vaposlasie ou Yidolâlrie. La tendance est d'ailleurs de con- 
sidérer les trois anciens péchés ad moriem comme les trois types des 
péchés contre Dieu, contre le prochain et contre soi-même, sous les- 
quels ou range tous les autres. Saint Fulgence, distinguant les peeeala 
2evia,qui sont le Tait des justes, àespeccata gravia, qui sont t« fait des 
méchants (tntgui), dit que ceux-ci commettent ces péchés de trois 
l^açoDs : • aut enim sacrilegiis, aut flagitiis, aut facinoriba* implîcan- 
tur >. Les sacritegia comprennent l'apostasie et l'héréBie. les flagitia 
sont les péchés contre soi-même (in seipsis immtderau atque obseeni 
iwpiter vivunt) ; et enfin par les faeinora il faut entendre ies domma^'es 
causés au prochain : • quando atios aut damnis attt <|uibnslibel ojipres- 
sionibus crudeliter laedunt » [De ineamatione, SB, 37). — On sait que 
saint Grégoire compte sept vices capitaux qai naiss«.qt de l'orgueil, leur 
racine : € inanis gloria, invidia, ira, tristilia, avaritia, ventiis inglu- 
vies, luxuria » {Moral,, XXXI, 87 ; cf. S. Isidore, Différent., II, 161-168). 



•4U HISTOIRE DES DOGMES. 

Enfin le fait d'avoir reçu la pénitence même plé- 
nière, si d'ailleurs on n'a point confessé de crime 
scandaleux et si l'on n'a pas de fait accompli la péni- 
tence publique, n'est plus un obstacle à l'entrée dans 
le clergé et à la réception des ordres supérieurs. 
Réciproquement, les clercs même des ordres supé- 
rieurs sont admis à la pénitence canonique, et ils 
conservent néanmoins leurs fonctions, si d'ailleurs les 
fautes commises par eux n'exigent pas qu'ils fassent 
publiquement pénitence et n'ont pas entraîné leur 
"déposition. 



§ 11. — L'extrême-onctLon, l'ordre, le maziage. 

La mention de l'extrême-onction, que nous avons ren- 
contrée au commencement du v® siècle sous la plume du 
pape Innocent P"^ écrivant à Decentius, se retrouve plus 
fréquemment à mesure que l'on descend dans le haut 
moyen âge, et presque toujours avec rappel du texte 
de saint Jacques, v, 14, 15, où l'on voit cette cérémonie 
clairement indiquée : « Quoties aliqua infirmitas su- 
pervenerit, écrit saint Césaire * , corpus et sanguinem 
•Ckristi ille qui aegrotat accipîat : et inde corpusculum 
suum ungat; ut illud quod scriptum est4mpkatur m 
^o, înfirm'OÂur aiiquiSj inducat preshyteros, et orent 
super eum ungentes eum oleo^ et oratîo fidei salvabit 
infirnmmj etMleviaMt eum Dominu^; et si in peccatis 
-sit, dimittentur ei. » Des textes analogues reparaissent 
dans Gassiodfore ^ dsais Sonnatius de Meims (600-631) ^, 
dans saint Éloi de Noy on (640-659)-', dans le vénér£d)le 



i. Sermo GGLXV, a {P. L,, XXTCIX, 2898). 
^. Ëomptexio in epist. sancti §00011,4.1 '{P. L., LXK-, "1380). 
3. JStofaito, 15 (iP. L., LXXK, 44o>. 
■^.DetrectitudiTue-catfuriicae vonversatîcmis (P. L., XL, WH). 



LA THEOLOGIE LATINE DE 430 A 771. 415 

Bède*, Eegbert d'York 2, saint Bonifacede Mayence^, 
On remarquera que Bède présente cette cérémonie 
comme un usage reçu dans TEglise de son temps : 
« nunc Ecclesiae consuetudo tenet » ; mais que, d'au- 
tre part, il observe, à la suite du pape Innocent P"" à 
qui il se réfère, que les fidèles peuvent eux-mêmes 
s'oindre ainsi de l'huile des infirmes, encore que cette 
huile doive être nécessairement consacrée par les évê- 
ques. Saint Boniface, dans le statut mentionné plus 
haut, prescrit à tous ses prêtres d'avoir avec eux de 
cette huile, et de prévenir les fidèles qu'Us aient à ré- 
clamer leur ministère en cas de maladie. 

Saint Léon donne au sacerdoce le nom de sacra- 
mentum "', mais sans préciser le sens qu'il attribue à 
ce mot- Au v® et au vi* siècle, le nombre des ordres est 
depuis longtemps fixé dans l'Église latine, bien qu'on 
semble ne pas s'accorder sur la dignité respective des 
ordres mineurs. Les Statuta Ecclesiae antiqua (90-98) 
présentent la hiérarchie actuelle, episcopuSy presby- 
ter, diaconus, subdiaconuSy acolythus, exorcista, lea- 
torj ostiarius, {psalmista id est cantor]. Saint Isidore, . 
dans ses Mymologies^, la répète, sauf qn'il met le 
chantre avant le portier ; mais dans son De ecclesia- 
sticia officiis, il en traite dans l'ordre suivant : l'évêque, 
le prêtre, le diacre, le sous-diacre, le lecteur, le psal- 
miste, l'exorciste, l'acolythe, le portier^. Il remarque 
d'ailleurs, avec les Statuta, que les chantres ou psal- 
mistes n'étaient pas proprement ordonnés, mais pou- 



1. In lacobi epistulam (P. Li, XCIÏI, 39). 

2. Paeniteniialis libri I pars altéra, IS (P. L., LXXXIX, 416). V. aussi 
•aréole retouchée de saint Chrodesand, LXXI (P. L., LXXXIX, 1088). 

3. Statuta, XXIX (L. P., LXXXIX, 823). 

4. Epist.xil, S. 

5. vu, 12, 3. 

6. IljMS. 



416 HISTOIRE DES DOGMES. 

valent être délégués à leur office par un simple prêtre. 

On trouve dans les mêmes Statuta que je viens de 
mentionner les cérémonies à observer pour la collation 
des ordres, et de plus, pour les trois derniers, les for- 
mules à réciter. C'est Vordo gallican que l'on compa- 
rera avec celui que donne saint Isidore dans le De ec- 
clesiasticis officiis, et qui s'est combiné avec Vordo 
romain pour devenir le pontifical actuel '. 

Sur les divers degrés de la hiérarchie d'ailleurs, 
mais surtout sur les degrés supérieurs, les documents 
de cette période, et entre autres les lettres des papes 
et les textes des conciles contiennent de nombreuses 
prescriptions disciplinaires dans lesquelles on n'a pas 
à entrer ici. Notons seulement que la continence, im- 
posée aux évêques, prêtres et diacres dès le iv« siècle, 
ne paraît pas l'avoir été aux sous-diacres avant le 
V. La lettre de saint Léon à Anastase de Thessaloni- 
que^ est peut-être le premier témoin de cette disci- 
pline, discipline romaine qui ne fut pas immédiatement 
appliquée partout^. 

La question la plus importante qui, à l'époque où 
nous sommes, se pose à propos des ordinations, est 
celle de leur réitération. Que penser de la valeur des 
ordinations conférées par les hérétiques.ou les schis- 
matiques, ou de celles faites contre les canons? A cette 
question la réponse, d'après la théologie augusti- 
nienne, n'est pas douteuse. Ces ordinations, bien qu'il- 
licites, sont valides, et si le sujet ordonné doit conser- 
ver sa charge, il ne faut pas le réordonner. C'est bien 
en ce sens que répond saint Léon aux évêques de la 
Mauritanie césarienne, en 446 ^. C'est en ce sens encore 

1. Sur tout ceci voir L. Ddchesne, Origines du culte chrétien, p. 339 
etsuiv. 

2. Epiât. XIV, 4. JafTé en fixe la date dubitativement en 446. 

3. V. S. GnéGOiRE, Epist. I, 44 (col. S05, SOC). 

4. Epist. Xn, 6. 



LA THÉOLOGIE LATINE DE 430 A 771. 417 

que le pape Pelage écrit à l'occasion de la consécration 
de PaïQin d'Aquilée, en 557, par l'évêque schismatique 
de Milan, Vitalis, et à l'occasion de la fuite d'un autre 
Paulin, évêque schismatique de Fossombreuse , en 
Tuscie * . Si Pelage ne mesure pas assez ses expres- 
sions^, sa pensée cependant n'est pas douteuse. Mais, 
dans les siècles suivants, les préjugés, l'ignorance et 
la passion obscurcirent manifestement la doctrine que 
le génie d'Augustin avait éclaircie. Les grecs, on l'a 
vu, inclinaient à rejeter les ordinations des hérétiques. 
Dans le conflit qui divisa, au vi® et au vu® siècle, les 
églises anglo-saxonnes et bretonnes, le moine cilicien 
Théodore, devenu archevêque de Cantorbéry, n'hésita 
pas à appliquer les principes dont il avait été imbu 
dans sa jeunesse, et s'en fit une arme contre ceux 
qu'on appelait hérétiques quartodécimans , c'est-à- 
dire contre le clergé breton 3. Ceadda, northumbrien 
de naissance, avait été ordonné évêque d'York par l'é- 
vêque de Winchester assisté de deux évêques bretons : 
Théodore le fit déposer et, regardant comme nulles les 
ordinations qu'il avait reçues, les lui fit toutes renou- 
veler avant d'en faire un évêque de Lichfîeld"*. En 
même temps, il insérait dans son pénitentiel la pres- 
cription 26 : « Si quis ab ereticis ordinatus sit, iterum 

1. p. L., LXIX, 411, 412. Sur ces faits v. L. Sàltet, Les réordinations 
p. 79-81. 

2. ( Pudenda, ut ita dicam, rapina in divisione non est consecratns 
sed execratus episcopus. Si enim Ipsum nomen consecrationis rationa- 
bill ac vivaci intcllectu discutimus, Is qui cum universali delrectat 
consecrari Ecclesia, consecratus dici vel esse nnlla ralione poterit > 
(col. 411). Et ailleurs : < Non est Christ! corpus quod schismaticus con- 
ficit, si veritate duce dirigimur » (col. 412). 

3. Une des. particularités des églises bretonnes était de célébrer la 
fête de Pâques suivant un vieux compui romain de 343, abandonné à 
Rome depuis longtemps, , mais qui n'avait rien à voir avec l'ancien 
cotnput quartodéciman : on n'en traitait pas moins ceux qui le sui- 
vaient d'hérétiques quartodécimans. 

4. Eddii Stephani vita Wilfridi episcopi, XV, ap. Saltet, op. cit., 
p. 89; BEDE, Ilist. eccles., ÎU, 28; IV, 2, 3. 



4t8 HISTOIRE DES DOGMES. 

débet ordinari^. a Une brèche plus grave encore fut 
faite dans les principes augustiniens par le concile ro- 
main de 769, qui déclara nulles toutes les ordinations 
faites par le pape Constantin, usurpateur il est vrai, 
mais véritablement évêque, et obligea ceux qu'il avait 
ordonnés à recevoir de nouveau l'ordination, dans le 
cas où ils seraient choisis pour les fonctions auxquelles 
Constantin les avait élevés 2. Ces faits et les formules 
exagérées de Pelage dont j'ai parlé jetèrent dans la 
pensée théologique, sur la question de la validité des 
ordinations conférées par les hérétiques et les schis- 
matiques, un troublé qui ne fit que s'accroître dans les 
siècles suivants, et dont elle fut bien longtemps à se 
délivrer. 

On a vu plus haut ^ que saint Augustin avait déjà 
donné au mariage chrétien, en tant que figure de l'u- 
nion de Jésus-Christ et de son Église, et en considé- 
ration de son indissolubilité, le nom de sacramentum. 
Cette expression, empruntée à saint Paul, se retrouve, 
nous l'avons dit aussi, sous la plume de Salvien : 
cannubiî saeramenta, venerabilis connubii sacra" 
menta ^ ; et saint Isidore l'explique : « Sacramentum 
autem ideo inter coniugatos dictum est, <juia sicut non 
potest Ecclesia dividi a Christo, ita et uxor a vire. 
Quod ergo in Christo et in Ecclesia hoc in singulis 
quibusque viris atque uxoribus cuniunctionis insepara- 
bile sacramentum est^. » 

C'est donc du , symbolisme du mariage que saint 



4. ScHMiTz, Die Bussbûcher, II, p. 584; cf. S*l; I, p. S28. 

2. Voir les faits el les textes dans L. Saltet, op. cit., p. 101 et sniv. 
Le concile fut composé d'une quarantaine d'évêques italiens et de treize 
évêques français. 

3. Tome II, p. 428. 

4. De gubernatione Dei, IV, S; VII, 3. 

5. De écoles, offic., II, 20, il. 



LA. THÉOLOGIE LATINE DE 430 A 771. 419» 

Isidore, à la suite de saint Augustin, conclut à son 
indissolubilité. Cette indissolubilité en général est 
proclamée par Innocent P"" dans sa réponse à saint Éxu- 
père de Toulouse ^ , par saint Léon dans sa réponse à 
Nicetas d'Aquilée ^, et par saint Grégoire ^. En dehors 
du cas d'adultère, il est absolument interdit aux époux 
de se séparer. Mais dans le cas d'adultère, l'innocent 
peutril répudier le coupable et se remarier, et le cou- 
pable lui-même est-il libre de se remarier? A propos- 
de cette xjuestion, il faut s'attendre à trouver dans la 
théologie de Théodore de Cantorbéry des traces de- 
son éducation grecque, comme on en a trouvé dans la 
question des réordinations. Ces traces sont visibles en 
effet. Parmi les Dicta Theodori, nous rencontrons les^ 
suivants : 66, « Si cuius uxor fornicata fuit, licet dimit- 
tere eam et aliam accipere » ; 67, « Mulieri non est 
hcitum virum suum dimittere licet fornicator, nisi forte 
pro monasterio. Basilius iudicavit » ; 70, « Si mulier 
discesserit a viro suo dispiciens eum, et nolens ad 
eum revertere et reconciliare cum illo viro suo, post v 
annos cum sensu episcopi aliam accipere licebit ». Et 
encore, 82, « Si vir dimiserit uxorem propter fornica- 
tionem, si prima fuerit, licitum est ut aliam accipiat 
uxorem; illa vero, si voluerit penitere peccata sua,., 
post quinque annos alium virum accipiat^ ». 

Ces décisions dictées ou inspirées par l'archevêque 
de Cantorbéry ne paraissent pas cependant , même en 
Angleterre, avoir eu une fortune universelle. Bède* 



1. Epîst. YI, 42 (col. 500). 

2. EiAst. CLIX, 1-4. 

3. £^>«s<. XI, 4S (col. 1161), 50. 

4. ScHMiTz, Die Bussbûcher, II, p. 529-S31. V. p. 530, n" 72, la solution 
plus large encore qui autorise un mari dont la femme est devenue cap- 
tive et qui ne peut la raclieter, à en épouser une autre; et la captive, 
une fois délivrée, à prendre un autre mari. 

8. On remarquera que Bède interprète l'excepta fornicationîs causa 



420 HISTOIRE DES DOGMES. 

mentionne un concile de Herutford, tenu en 673, dont 
le dixième canon porte : « NuUus coniugem propriam, 
nisi, ut sanctum evangelium docet, fornicationis causa, 
relinquat. Quod si quisquam propriam expulerit coniu- 
gem legitimo sibi matrimonio cuniunctam, si christia- 
nus esse recte voluerit, nuUi alteri copuletur; sed ita 
permaneat, aut propriae reconcilietur coniugi*. » A 
plus forte raison, ne se firent-elles point accepter des 
églises du continent. A Rome, la doctrine était fixée ^. 
En Afrique, un concile de Carthage de 407 avait con- 
sacré la solution augustinienne ^. En Kspagne, saint 
Isidore * la reproduisait, faisant écho au concile d'El- 
vire (v. 305), qui déjà interdisait à la femme dont 
répoux était adultère, de se remarier. En Gaule, le 
concile d'Arles de 314 avait déclaré que les jeunes 
époux séparés de leurs femmes pour cause d'adultère 
de ces dernières devaient être exhortés à ne pas se 
remarier^. Cette sévérité ne put que s'accentuer 
davantage avec saint Césaire. Toutefois, au nord de la 
France, la doctrine, influencée sans doute par les 
usages antérieurs, était moins ferme. Si un concile de 
Soissons (744) paraît se prononcer dans le sens d'une 
indissolubilité absolue ^, ceux de Verberie (756) ^ et de 
Compiègne (757) * se montrent moins exigeants. Long- 
temps encore, on devait voir à ce sujet se produire des 
résistances locales à la discipline romaine. 

de ( omnis concupiscentia vel avaritia vel idololatria quae hominem 
facinnt a lege Dei aberrare > (In Matth., cap. V, col. 38). 

1. BEDE, Bist. eecles., IV, S, col. i82. 

3. V. le septième eapilulum du pape Zacharie en 747 (Hefele-Le- 
CLERCQ, Hist. des eone., m. S, p. 890). 

3. Canon 8 (H.ufsi, lU, 806, Cil). Ce canon est cité par saint Isidore 
comme celui d'un concile de Hiiève. 

4. De eeeles. offie., II, 20, 19. 

5. Canon 10. 

6. Canon (Hbfele-Leclercq, Hist. des cône., III, 3, p. 8S8, 859). 

7. Canon 9(HErELE-LECLEHCQ, t'did., p. 919). 

8. Canons il et 19 (Hefele-Leclercq, ibxd., p. 943, 9i3). 



LA THÉOLOGIE LATINE DÉ 430 A 771. 421 

Le mariage, ayant une sig^nification religieuse, était 
ordinairement bénit par l'Eglise ^ Bien qu'il n'y eût 
pas sur ce point de loi absolue et formelle, les chré- 
tiens tenaient assez à cette cérémonie pour que la 
crainte d'en être privés fît sur eux une impression 
salutaire^. On leur inculquait d'ailleurs fortement, sui- 
vant la pensée de saint Augustin, que les relations 
conjugales ne sont pleinement justifiées que par l'in- 
tention de procréer des enfants, et que, en dehors de 
là, elles renferment toujours quelque faute vénielle 
parce qu'elles sont le fait de la concupiscence désor- 
donnée^. 

Reste la question des empêchements canoniques au 
mariage. L'époque dont nous parlons les a vus se pré- 
ciser, et recevoir dans les décrétales des papes et les 
canons des conciles un commencement de codification*. 
Il n'entre pas dans le sujet de ce livre d'en faire l'his- 
toire. On ne sera pas surpris seulement des différences 
que ces empêchements présentent parfois d'un pays à 
l'autre. Ces différences s'expliquent par la diversité des 
coutumes ou des lois auxquelles l'Eglise a emprunté 



i. s. Isidore, De eccles. offic, n, 20, S : * Connubia a sacerdote bene- 
dicuntur. > 

2. S. CÉSAIRE, Sermo CLXXXVin, 5; CLXXXIX, 5. 

3. 8. CÉSAIRE, Sermo CLXXXvni, 4; S. Grégoire, Moral., XXXII, 39, 
Epîtt. XI, 64, col. 1197; S. Isidore, De eceles. offic. II, 20, 10. 

4. V. par exemple S. Grégoire, Epist., YII, 1; XI, 64 (col. 1189); He- 
• guta pastoralis, m, 27 (col. 104}; Conciles d'Agde, eau. 61; d'Orléans 

(Sil), can. 18; d'Epaoïie (S17), can. 30; de Clermont (535), can. 12; de 
Tolède (SST ou S3t), can. K (Hahsi, VIII, 33S, 3S4, 562, 861, 186) ; S. BoKi- 
FACE, Allocutio saeerdotum de coniugiis illicitis ad plebem (P. !>., 
LXXXIX, col. 819). Voici à titre de spécimen ce dernier morceau : t Ne 
' quis polluatur cum matre, non corn noverca, non cum sorore ex pâtre 
nata, non cum sorore ex matre nata, sive intus sive foris nata sit. Non 
cum filia Glii filiae, non cum nepte ex filia nata, non cum filia nover- 
cae, non cum sorore patris, non cum sorore matris, non com uxore 
patroi, non cum nuru, non cura uxore fratris, non cum filia uxoris, 
non cum filia filii axoris tuae, non cum filia filiae eius, non cum sorore 
Qxoris tuae... non cum socra tua... Non Tir cum filia et matre^ non cum ' 
oxore avunculi toi. > 

24 



422 fflSTOIRE I>ES DOGMES. 

ses règlements, aussi bien que par le caractère des 
peuples pour qui étaient portées ses prescriptions. 



§ 12. — Mariologîe, culte des saints, 
pratiques chrétiennes. 

Les controverses christologiques et la doctrine du 
ôeoToxoç avaient fort peu, en somme, agité l'Eglise 
.latine. La piété envers la sainte Vierge cependant, 
piété dont nous avons saisi au iv* siècle les premiers 
développements, ne put que profiter, pour s'accroître, 
des définitions nouvelles portées par les conciles, et de 
l'attention qui fut donnée, à cette occasion, aux privi- 
lèges de Marie. La maternité divine était définie; la 
virginité ante partum, in partu, post partum, sans l'ia- 
voir été aussi directement et solennellement, était re- 
gardée comme une croyance intangible : « Integra fide 
«redendum est, écrit Gennade, beatam Mariam Dei 
Christi matrem et virginem concepisse, et virginem 
genuisse, et post partum virginem permansisse * . » 
Un point seulement restait indécis, qui fut plus tard 
discuté entre Ratramne et Paschase Radbert, celui de 
savoir si le Christ était sorti miraculeusement du sein 
de sa mère, de la même manière qu'il traversa plus 
tard la porte du cénacle, sans l'ouvrir {utérus elausus)^ 
ou si, tout en la laissant vierge, il était né de Marie à 
la façon ordinaire. L'attention n'étant pas encore attirée 
sur ce détail délicat, nos auteurs parlent les uns dans 
un sens, d'autres dans un autre. Saint Fulgence parait 
admettre la seconde hypothèse 2; saint Maxime de 

1. Oe eccles. dognu, 69; S. Pierre Chrits., Sermo CXVIH (col. 521) : l.XïI 
(col. 374); S. Haxihk DE ToRiM, Homil. V <col. 335); S. Folgence, De ve- 
rit. pra«destin.,l,6; S. Ildefonse, Li6er 4e virgin. perpet, sanctaeMa- 
riae. 

S. « Solus est (Christus) mascolus adaperiens valvam qui in vedtate 
Muctas Domino vocaretnr. Yalram quippe matris eiuB aon concupi- 



LA THÉOLOGIE LATINE DE 430 A 771. 423 

Turin et saint Grégoire se rangent à la première^. 
Saint ïldefonse, qui semble aussi y incliner, écrit tou- 
tefois plus discrètement : « Qualiter introierit (Chri- 
stus) nemo novit; qualiter exierit egressio sola co- 
gnoscit^. » 

Saint Augustin ayant affirmé qu'il ne voulait point 
entendre parler de péché (actuel) quand il s'agit de la 
mère de Jésus-Christ, la croyance ne pouvait que se 
fortifier de plus en plus que Marie avait traversé la vie 
sans aucune tache. C'est l'avis de saint Césaire : 
« Absque contagione vel macula peccati (Maria) per- 
duravit ^. » Si quelques auteurs supposent encore que, 
pour la conception ou par la conception de son Fils, la 
Vierge a été purifiée, ils l'entendent, semble-t-il, ou du 
péché originel, ou plutôt de cette espèce de souillure 
qui résulte des mouvements irréfléchis de la concupis- 
cence^. 

Car nos auteurs ne vont pas jusqu'à exempter la 
Vierge de la faute héréditaire. Saint Augustin, en fai- 
sant de la naissance ex virgine la condition de cette 
exemption, avait posé un principe qui, trop fidèlement 
suivi jusqu'à saint Anselme et au delà, entrava certai- 
nement le développement de la croyance en l'immacu- 
lée conception : a Caro quippe Mariae, écrit saint 
Fulgence, quae in iniquitatibua humana fuerat solem- 



sceafîa mariti cocambentis, sed omnipotentia Filii nascentîs apeniit » 
{RpisU XYII, 21). 

1. S. Maxime, SermoUll (col. 638, 639); S. Giuégoire, In. evang. homil. 
XXVI, 1. 

z. Liber de virginitate perpétua, II, col. 61; cf. Yi, col. 1^. 

3. Serwo CCXLIV, 1 (P. Z,., XXXIX). 

4. S. LÉos, Sermo XXII, 9; S. Ilsefonse, Lib: de virg. perp., II, col. 
61;Bèoe: « Superveniens in virginem Spmtus sanctns... mentem îl- 
lins... ab omni- vitioTum sorde castiôcavit, ut caelesti digna esset 
partu... Spiritus sanctds cor illius cum imptevit, ab omnl aestu con- 
cupiscentiae carnalis temperavit, emundavit a 'desideriis temporalibus 
ac doais caelestibus meatem simul consecra^it et corpns > (Homil. l, 
1, coL 12, 13). 



424 HISTOIRE DES DOGMES. 

nitate concepta, caro fuit utique peccati, quae Filium 
Dei genuit in similitudinem carnis peccati^. » 

En revanche, on met en relief le rôle que la Vierge 
a joué dans l'œuvre de la rédemption, et la part qu'elle 
y a prise. Non seulement on reproduit le vieux paral- 
lèle d'Eve et de Marie déjà connu au ii^ siècle, mais on 
en développe les conséquences : « Ob hoc namque 
Christus nasci voluit, déclare saint Pierre Chrysologue, 
ut sicutper Evam venit ad omnes mors, ita per Mariam 
rediret omnibus yita ^ ». « lam veni mecum ad hanc 
Virginem, dira saint lldefonse à son adversaire juif, 
ne sine hac properes ad gehennam^. » 

L'écrit de saint lldefonse d'où est tirée cette citation, 
le Liber de virginitate perpétua sanciae Marine^ peut 
donner, dans la prolixité de ses effusions tout orien- 
-tales, une idée de la piété intense qui portait, au vu® 
siècle, certaines âmes vers la très sainte Vierge. Ce 
n'est qu'à cette époque cependant que l'Église ro- 
maine, en dehors de la commémoraison spéciale qui 
était faite de, la Vierge mère au 1^' janvier, reçut de 
Byzance les quatre fêtes de la Purification, de l'An- 
nonciation, de la Nativité et de la Dormition de Marie. 
En Gaule, il en existait, dès le vi^ siècle, une autre 
placée vers le milieu de janvier, et qu'un concile de 
Tolède de 656 fixa, pour l'Espagne, au 18 décembre ^. 

A côté du culte de la sainte Vierge se développe le 
culte des saints, des saints martyrs surtout, mais aussi 
des confesseurs les plus célèbres, et de leurs reliques. 

\.Epist. XVII, 13; FuLGEHCE Ferrand, JSptsf. III, 4; cf. S. Léon, Sermo 
XXIV, 3; S. Grégoire, Moral., XVIU, 84; Bèoe, Bomil. 1, 1, col. 13. 

2. Sermo XCIX, col. 479 ; S. Maxime de Turin, Homil. XV, col. 234. 

3. Liber de virgin. perpet., IV, col. 69. 

4. Y. L. Duchesne, Les origines du culte chrétien, p. 3o8-262. Le récit 
de la résurrection et de l'assomption de Blarie était connu par des re- 
censions latines du Koi[i-/;(Ti; Mapîoc;. Le décret de Gélase signale une 
de ces recensions : < Liber qui appellatur Transitus, id est assumptio 
sanctae Mariae apocryphns ». 



LA THÉOLOGIE LATLNE DE 430 A 771. 425 

On les honore, on les prie, on a confiance en leur in- 
tercession : 

« (Deus) est mirabilis in sanctis suis, in quibus nobis et prae- 
sidium constituit et exemplum... Guius (beali Laurentii) oratione 
et patrocinio adiuvari nos sine cessatione confidimus' ». — 
« Quisquis ergo honorât martyres honorât et Ghristum, et qui 
spernit sanctos spemit Dominum nostrum ^ ». — « Sanctonim 
corpora et praecipue beatorum martyrum reliquias, ac si Ghristi 
membra sincerissîme honoranda... credimus 3. » 

Saint Grégoire met cependant au culte des reliques 
une condition, c'est que l'authenticité de ces reliques 
soit assurée * ; et saint Isidore explique la nature du 
culte rendu aux saints. D'abord, on célèbre la mémoire 
des apôtres et des martyrs, mais on n'offre le sacrifice 
qu'à Dieu. Ensuite : 

« Golimus ergo martyres eo cultu dilectionis et societatis quo 
in hac vita coluntur sancti homines Dei... sed illos tanto devo-, 
tius quanto securius post certamina superata... At vero illo 
cultu, quae graece latria dicitur, latine uno verbo dici non po- 
test, cura sit quaedam propriae Divinitati débita servitus, nec 
colimus neccolendura docemus nisi unum Deum... Honorandi 
sunt ergo martyres propter iraitationem, non adorandi propter 
religionem, honorandi charitate, non servitute s. » 

A ces pratiques, qui tiennent de plus près au dogme, 
s'en joignaient une multitude d'autres qui ont en lui, 
et particulièrement dans la croyance au pouvoir surna- 
turel de la prière et de la bénédiction de l'Eglise, dans 
la foi à l'exercice continuel de la providence de Dieu 
sur le monde et en particulier sur les chrétiens, leur 
source plus ou moins éloignée. On en trouve dans les 



i. s. LÉoi», Sermo LXXXV, 4; cf. LXXXIV, 2. 

2. S. Maxime de Tukin, Sermo LXIX, col. 67S. 

3. Gennade, De écoles, dogm., 69; S. Maxime de Tur., Sermo LXXXVIII, 
col. 7i0; S. GnÉGOiRE, Moral., XVI, «4; cf. Epist. IV, 30. 

4. Epi&l. XI, 64. col. H93. 

5. De eecles. offie., I. 3S, 1-6. Il sera question plus loin et spécialement 
du culte des images. 

24. 



426 HISTOIRE DES DOGMES. 

lettres et surtout dans les Dialogues de saint Grégoire 
des mentions fréquentes. Ces pieuses pratiques n'allè- 
rent pas toujours sans mélange et sans abus; et il n'est 
besoin que de parcourir les coneiles des temps méro- 
vingiens, les prohibitionsf portées par les penitentiels 
ouïes statuts des évangélisateurs des peuples barbares, 
de saint Boniface par exemple, pour voir quel amas de 
superstitions menaça à cette époque d'altérer la foi et 
la morale des simples chrétiens. Mais il serait profon- 
dément injuste de rendre l'Eglise responsable de ces 
corruptions du sens religieux qu'elle condamna tou- 
jours, et qui n'étaient, dans la plupart des cas, que lès 
restes d'un paganisme encore à moitié vivant. 

Signalons enfin, pour être moins incomplet, le déve- 
loppement que le monachisme prend alors dans l'Eglise 
latine. L'idée toujours plus prononcée de la supériorité 
de la virginité sur l'état du mariage^, jointe, chez 
beaucoup de fidèles, à un sentiment intense de la né- 
cessité de la pénitence, suscite la fondation d'une mul- 
titude de monastères, où hommes et femmes s'efforcent 
de pratiquer une vie plus parfaite. C'est dans ces asiles 
que se conserveront, au milieu de la décadence pro- 
fonde des siècles suivants, les restes de la pensée anti- 
que, et que grandiront silencieusement les germes de 
la future civilisation chrétienne. 



§ 13. — Eschatologie. 

Saint Augustin avait refoulé, en eschatologie, la 
poussée origéniste qui s'était produite en Occident à la 
fin du IV* siècle, et avait mis en lumière la doctrine du 



1. Cassien, Col. XXII, 6; s. Pierre Chrysou, Sermo CXLIII, coh S83; 
Gennade, De eccles.dogm., 6a, 68; S. Fclgence, Epiatï II, 10; De Trini- 
tate, XII ; etc. 



LA THEOLOGIE LATINE DE 430 A 771. 427 

purgatoire, plus ou moins confusément entrevue avant 
lui. En précisant encore cette dernière doctrine, et en 
développant celle de la rétribution immédiate après la 
mort, les siècles suivants, héritiers de sa pensée, don- 
nèrent à l'eschatologie chrétienne sa forme à peu près 
complète et définitive. 

La mort, déclare saint Julien de Tolède, n'est pas un 
bien en soi, mais elle est « plerumque bonis bona, 
quia per eam pertransitur ad immortalitatem futu- 
ram * ». 

Tous les hommes mourront-ils? On le pensait géné- 
ralement en Occident. Gennade fait remarquer cepen- 
dant que ce n'est point là un dogme, des auteurs catho- 
liques,^ « eruditi viri », pensant que la « commutatio » 
qui se produira dans les hommes vivants au dernier 
jour pourra leur tenir lieu de résurrection ^. 

La mort sera suivie d'un jugement particulier dont 
saint Césaire est peut-être le premier à faire mention 
expresse ^, mais qui se trouve d'ailleurs impliqué dans 
la doctrine de la rétribution immédiate après la mort. 
Car, si l'on excepte Cassien, qui n'accorde aux âmes, 
avant le jugement général, qu'un avant-goût de ce qui 
les attend après '', nos auteurs sont unanimes à déclarer 
que les âmes reçoivent, incontinent après le trépas, 
leur récompense ou leur châtiment entier : « Quando 
caro, quae modo tantum diligitur, dit Césaire, vermibus 
coeperit devorari in sepulcro, anima Deo ab angelis 
praesentatur in caelo, et ibi iam, si bona fuerit, corona- 
tur, aut si mala, in tenebras proiicitur ^. » 



1. Prognosticon, I, 8. 

2. De eccleSidogm., 7. Gennade fait ici allusion à l'opinion des grecs, 
et au texte original de I Corinih., XV, SI. 

. 3. Sermo GCCI, S. , 

4. Coll. I, 14. 

5. Sermo GCCI, 5. Cf. Gennade, De eccles. dogm., 79; S. Grégoire, 
Moral.yVi, S6; Xin, 48; hi evang. homil. XIX, 4; Dialog., lY, 28; S 



428 HISTOIRE DES DOGMES. 

Une exception est faite cependant — et elle doit être 
fréquente — à cette rétribution définitive immédiate, 
quand l'âme, quoique juste, s'est trop attachée aux biens 
de la terre, et se trouve souillée de menues fautes 
qu'elle n'a pas suffisamment expiées par la pénitence 
et l'aumône. Alors son bonheur est retardé, et avant 
d'entrer au ciel, elle doit être purifiéepar la souffrance. 
C'est le purgatoire. La doctrine en est aussi nette que 
possible dans saint Césaire^, saint Grégoire^ et les 
auteurs qui dépendent de lui, saint Isidore ', saint Ju- 
lien de Tolède"*, le vénérable Bède^. Les fautes mor- 
telles [peccata capitalia) dont on n'a pas fait pénitence 
mènent au feu éternel ; les fautes légères [peccata mi- 
nuta) * non expiées conduisent à 1' « ignispurgatorius ». 
Les atteintes de ce dernier feu sont terribles, et saint 
Césaire, qui a entendu l'expression de l'ordinaire in- 
souciance vis-à-vis du purgatoire : « Non pertinet ad me 
quamdiu moras habeam, si tamen ad vitam aeternam 
perrexero », la relève vivement en assurant que « ille 
pui:gatorius ignis durior erit quam quidquid potest in 
hoc saeculo poenarum aut cogitari, aut videri, aut sen- 
tiri ' ». C'est un fleuve de feu que l'âme devra traverser, 
et dont la traversée durera autant qu'il sera nécessaire 
pour sa parfaite purification *. Bède estime que si leur 
peine n'est pas abrégée par les prières, aumônes et 
suffrages des fidèles, certaines âmes resteront en pur- 



IsiDORE, Sentent., l, 14, 16; S. Julien, Prognost., n, 13; Bède, Hist. eccles. 
Y, 12, col. 250. 

1. Sermo CIY, 1, S; CCLII, 3. 

2. Dialog., lY, 2S, 39; cf. 40. 

3. De eccles. offic, I, 18, 12; De ordine ereatur., XIV, 6-12. 

4. Prognost., H, 9, 10, 19, 22. 

5. Homil., I, 4, col. 30; Hist. eccles., Y, 12, col. 248 et suiv. 

6. Voir une énumération de ces fautes dans S. Césaihe, Sermo CIY, 3; 
S. Isidore, De ord. creattur., XIY, 11. 

7. Sermo CIV, 5; S. Isidobe, De ordine ereatur., XIV, 12. 

8. Sermo CCLil, 3; CIY, 5; S. Julien, Prognost., II, 22, 



LA THÉOLOGIE LATINE DE 430 A 771. 429 

gatoire jusqu'au jugement dernier. De ce nombre sont 
en particulier celles qui n'ont fait pénitence qu'au mo- 
ment de la mort ^ . 

Mais ces âmes, comme Bède vient de l'assurer, peu- 
vent être soulagées et délivrées plus tôt de leur peine 
par les prières, aumônes, bonnes œuvres accomplies 
en leur faveur, et par l'offrande du saint sacrifice de 
la messe^. En retour, saint Julien avance, bien qu'avec 
une certaine timidité, et en s'appuyant sur l'autorité 
des anciens et sur la pratique des fidèles, que les âmes 
du purgatoire peuvent prier pour les vivants et leur 
être secourables^. 

Le purgatoire, quelle que doive être sa durée, ne 
constitue cependant pour l'homme, après la mort, 
qu'un état transitoire. C'est dans le ciel ou dans l'enfer 
que sa vie trouve sa sanction définitive. 

L'enfer est le lieu où sont châtiés ceux qui meurent 



i. Ho7nil., 1,4, co\.SO;Htst. eccles., V, 12, col. 250. Dans ce chapitre 
de son Histoire ecclésiastique, 'Bède rapporte la vision d'un chrétien 
mort, puis ressuscité, à qui le purgatoire et l'enfer ont été montrés. 
Le purgatoire comprend deux lieux différents. Dans l'un, à côté de 
tourbillons de flammes dévorantes, soufflent des ouragans glacés de 
neige et de frimas, et les âmes vont des uns aux autres, sans jamais 
trouver de repos. Ces âmes sont < animae illorum qui, différentes con- 
fiteri et emendare scelera quae fecerant, in ipso tandem mortis arti- 
culo ad paenitentiam confugiunt, et sic de corpore exeunt : qui ta- 
men, quia confessionem et paenitentiam vel in moite habuernnt, om- 
nes in die iudicii ad regnum caelorum perveniunt •. L'autre lieu du 
purgatoire est au contraire un lieu agréable, fleuri et joyeux : • ipse 
est in qno recipiuntur animae eorum qui in bonis quidem operibus 
de corpore exeunt, non tamen sunt tantae perfectionis ut in regnum 
caelorum statim mereantur introduci : qui tamen omnes in die iudicii 
ad visionem Christi et gaudia regni caelestis intrabunt. Nam quicum- 
que in omni verbo et opère et cogitatione perfecti sunt, mox de cor- 
pore egressi ad regnum caeleste perveniunt ». Ce dernier lieu ne mé- 
rite pas, à vrai dire, le nom de purgatoire : il est plutôt une réminis- 
cence des habitacles heureux que les justes étaient censés occuper, 
d'après la théorie qui ne faisait immédiatejnent entrer au ciel que les 
apôtres et les martyrs. Comparez une vision analogue dans S. Boniface, 
Epist. XX (P. L., LXXXIX, 713). 

a. Et cf. S. Grégoire, Dialog.,vr, 85; S. Jolien, Prognost., 1,21. 

8. Prognost., II, 36. 



430 HISTOIRE DES DOGMES. 

sans avoir fait pénitence de leurs peccata capitalia. 
L'erreur des miséricordieux est nettement repoussée. 
Ni la foi, ni le baptême ne suffisent au salut : il y faut, 
la fuite du péché et les bonnes œuvres ^ . Les pécheurs 
obstinés sont donc, immédiatement après leur mort, 
précipités en enfer 2, pour y endurer des tourments 
inouïs. Nos auteurs ne tarissent pas sur la rigueur de 
ces tourments : « Mentem urit tristitia et corpus 
flamma^. » Les damnés endurent la faim, la soif; ils 
ne sont l'objet d'aucune pitié de la part des élus"*; 
mais surtout ils sont dévorés par le feu, feu matériel 
qui n'a pas besoin d'aliment pour brûler toujours, et 
qui torture les âmes spirituelles aussi bien que les 
démons^. Leurs supplices sont gradués sans doute et 
proportionnés à la culpabilité de chacun : « Impips 
dispar poena constringit^ »; ils offrent toutefois ce 
caractère commun d'être éternels. C'est une vérité qui 
rencontrait encore des contradicteurs, même après le 
plaidoyer de saint Augustin'^, mais que l'Eglise, par 
ses docteurs, ne se lassait pas d'inculquer en termes 
saisissants. Saint Fulgence : « In retributione, (re- 
probi) nec immortalés nec incorruptibil'es erunt; sed 
corrumpentur, nec consumentur ; morientur, non 
exstinguentur... Ibimors animae corporisque nonmo- 
ritur,^ quia cruciatus corporis et animae non fînitur *. » 



1. Faoste, Epist. V(p. 18t); S. FncGEUCB, De remiss, peccat., IlV 13 ; 
S. Grégoire, In Ezechiel., I, homil. XX., 4; Epist.- yil,. «; S. Gésaiue, 
Eomil: XVII, col. 4080; 

2. Grégoire, Dialog. IV, 28; S. Julien, Prognost., II, 13. 
S. S. Isidore, Sentent., ï, 2S, 1. 

4. S. Grégoire, Jlforœi., VI, 47,48. 

5. S. Grégoire, Moral., XV, 3n;DicUog.,iy, 29; S. îvuESr Prognast.,n, 
47; III, 4i. 

6. Cassiodore, De anima, XII, eol. 1302; Fahste, Epist, V, p^. 193; 
S. Juuen, Progn., IH, 42 ; S. Césairk, Homil.. XVir, col. 1080. 

7. V. S. Grégoire, Moral., XXXIV, 34-38.; Dialog., IV, 44. Le pape y ré- 
fute les objections des mzsérrcordieîto:. 

8. De remiss, peccat., II, 13. 



LA THÉOLOGIE LATINE DE 430 A 771. 431 

Cassiodore : « Dolor sine fine, poena sine requie, 
afflictiô sine spe, malum incommutabile ^ ». « Iste 
tamen ignis sic absumit ut servet ; sic servat ut cru- 
ciet ; dabiturque miseris vita mortalis et poena serva- 
trix*. » S. Grégoire : « (Reprobus) cruciatur et non 
exstinguitur, moritur et vivit, déficit et subsistit, fini- 
tur semper et sine fine est ^. » 

En face du malheur des réprouvés se place la félicité 
des élus. C'est: aussi immédiatement après leur mort 
que les âmes des justes, qui n'ont point de fautes à 
expier, entrent au cieH. Salvien^ et Cassiodore^ 
ont décrit leur béatitude. Le principal élément de 
cette béatitude est la vue de Jésus-Christ, de sa sainte 
humanité^, la vision intuitive de Dieu même s. Les 
élus ne voient pas Dieu « in eius claritate » mais « in 
eius natura » ; ils voient les mystères de la Trinité, de 
la génération du Fils, de la procession du Saint-Esprit, 
la cojisubstantialité et l'unité des trois personnes 
divines^ ; et cette vue, en excitant leur amour, les éta- 
blit dans une joie sans mélange et sans fin : « Remime- 
ratio sanctorum visio Dei est, quae nobis ineffabile 
gaudium exhibebit^" ». « Ibi vacabimus et videbimus, 
videbimusetamabimus, amabimus et laudabimus. Ecce 



1. l>eonî»io,Xn, col- 4302. 

2. In psalm. XX, vers. 10. 

3. Morai., XV, 21 ; et cf. S. Maxime de TtR., Tract. FV, col. 792; Tract. 
II De baptismo, col. 77T ; Fauste, Epist.y, p. 194 et suît. 

4. S. Grégoike, Moral., IV, 56; XIII, 48; In evang. homil. XIX, 4; 
S. Isidore, Sentent., I, 44, 16; S. Jhuen, Prognost., II, 4, 8, 12, 37. 

5. Adv. avaritiam, II, 40. 

6. In psalm. XXXVI, vers. 12; LXXXVI, vers. 7; De anima, XII.. ' 

7. S. Maxime de Turin, Sermo XLVII, col. 629. 

8. Cassiodore, De on îwio, XII, col. 1304; S. Isidore, De ordine creatur., 
XV, «, 7. 

9. S. GRÉfioiRE, Moral., xvni, 90; XXX, 17. S. Julieji se demande ta, 
après la résurrection, les élus verront Dieu des yeux du corps i il fait 
à cetit^ question la même réponse que saint Augustin qu'il reproduit 
(Prognost., m. 54 ; cf. tom. II, p. 43S). 

10. S. Julien, Prognost., III, 60, 55. 



432 HISTOIRE DES DOGMES. 

quod erit in fine sine fine. Nunquid alius est noster finis, 
nisi pervenire ad regnum cuius nuUus est finis ^ ? » 

Cependant la vision de Dieu, tout en étant substan- 
tiellement la même pour tous les élus, sera en chacun 
d'eux plus ou moins parfaite suivant son mérite, et lui 
procurera un degré de béatitude proportionné à ce 
qui lui est dû ^. Cette béatitude essentielle sera accom- 
pagnée de joies et de privilèges secondaires qui reten- 
dront sans précisément l'augmenter. Au ciel, on se re- 
connaît 2. 

La félicité des justes aussi bien que le supplice des 
méchants ne seront toutefois complets qu'après la 
résurrection de la chair et le jugement dernier, lors- 
que le corps partagera la récompense ou le châtiment 
de l'âme qui l'a possédé. Quand auront lieu cette ré- 
surrection et ce jugement? Cassiodore pense qu'il est 
inutile de le rechercher"*; mais, malgré une attente 
depuis longtemps déçue, saint Léon et saint Grégoire 
estiment bien que la fin du monde et la venue du juge 
suprême sont proches '. 

Le premier acte de la suprême tragédie sera donc la 
résurrection des morts. Les auteurs chrétiens ont tou- 
jours aimé à rappeler cette croyance, soit pour en 
montrer le côté consolant, soit pour résoudre les ob- 
jections qu'elle soulève. Aux v*-viii« siècles, ils n'y 
ont pas manqué^. La résurrection se produira au même 
moment pour tous, bons et méchants '', dans le corps 



1. Ibid., 62. 

2. s. Grégoire, In Ezechîel, II, homill IV, 6. 

3. S. Grégoire, Dialog. IV, 33; S. Julœn, Prognost., Il, Si. 

4. In psalm. VI, Prooem. 

5. S. LÉON, Sermo XIX, 1 ; S. Grégoire, In evang. homil. I, 5; IV, 2; 
Epist. m, 39; etc. 

6. S. Pierre Chrys., Sermo CXVIII; S. Maxime de Tur., Homil. LXXXIII, 
col. 438,439: Sermo LXVI, col.66J>; S. Grégoire, Moral., XIY, 69,70, 18; 
In evang. homil. XXVI, 42; S. Julien, Prognost., III, 14. 

7. Gennide, De eecles. dogm., 6; S. Julien, Prognost., III, 16. 



LA THÉOLOGIE LATINE DE 430 A 771. 433 

même que chacun aura eu pendant sa vie : « Eadem 
caro corruptibilis quaé cadit, tam iustorum quam 
iniustorum incorruptibilis resurget^ »; le sexe sera 
conservé ^; mais, dans les justes du moins, il se fera 
xme commutatio qui, sans changer la nature de leur 
corps, les rendra jeunes, immortels, glorieux, exempts 
d'iïtfirmités et de défauts : « non naturam aut sexum 
mutantes, sed tantum fragilitatem et vitia déponen- 
tes^ », 

Le jugement général sera le second acte du drame 
final. Sauf pour les hommes vivant encore à la fin du 
monde, Dieu ne fera qu'y promulguer solennellement la 
sentence: déjà portée sur chacun au jugement parti- 
culier. Saint Grégoire donne une description de ces 
dernières assises dans ses Morales, xvii, 54 et xxxiii, 
37; mais au livre xxvi, 50, 51, il divise, par rapport au 
jugement, les hommes en quatre catégories. Parmi les 
élus, les uns régnent et sont jugés : ce sont les chré- 
tiens ordinaires qui ont péché, puis qui ont fait péni- 
tence ; les autres régnent, jugent et ne sont pas jugés : 
ce sont les parfaits qui ont vécu d'après les conseils 
évangéliques. Parmi les réprouvés, lesims périssent et 
ne sont pas jugés : ce sont les impies et les idolâtres qui 
n'ont point connu Dieu ; les autres périssent et sont 
jugés : ce senties mauvais chrétiens''. 

La sentence de chacun étant irrévocablement pro- 
noncée et son sort fixé, alors aura lieu la consomma- 

i. Gennade, De eccles. dogm., 6; S. Grégoire, Moral., XIV, 71-77; 
S. Isidore, De eccfes, offic, U, 24, 7 ; S. Julien, Prognost., III, 17. 

2. Gennade, De eccles. dogm., 77 ; S. Folgence, De fide, 33 ; S. Juuen, 
Prognost., III, 24. On peut voir à cet endroit (16-31) les multiples ques- 
tions que se pose Julien à propos de la résurrection. 

3. S. Isidore, De eccles. offic, II, 24; Sentent., l, iQ, 2; S. Fdlgence, 
De fide, 33; De Trinit., XIII ; S. Grégoire, Moral., XIY, 71-77 ; S. Julien, 
Prognost., IH, 16. 

4. On reconnaît là du moins en partie un vieux thème déjà développé 
au IV» siècle. Même division dans S. Isidore, Sentent., I, 27, 40; S. Jw 
WEM, Prognost., 111,33; Bède, Homil., II, 17, col. 225. 

HISTOIRE DES DOGUES. — UI. 25 



434 HISTOIRE DES DOGMES. 

tion. Le ciel et la terre paraîtront s'anéantir; mais ils 
ne périront pas : ils seront seulement renouvelés, trans- 
formés en mieux, afin de se trouver en harmonie avec 
l'état des bienheureux : « non ut non sint, sed ut aliter 
sint, novatione scilicet substantiae, non defe^tione na- 
turae » : « in melius commutanda ^ ». 

La doctrine et l'esprit de saint Augustin ont pénétré, 
on peut le dire, tout l'enseignement des siècles latins 
qui l'ont suivi; mais nulle part peut-être, leur iniluence 
ne paraît plus sensible que dans la partie eschatolo- 
gique de cet enseignement. 

1. s. Prosper, Inpsalm. CI, vers. 26-28; Gknnade, De eccles, dogm., 
70; S. MixiuEBE Tdb., Sermo LXVI, col. 665; S. Julien, Prognost., III, 46, 
47. 



CHAPITRE X 



LA CONTHOVERSB DES IMAGES. 



§ 1. — L'usage et le culte des images du I" au V* siècle. 

Il n'a pas été question jusqu'ici, dans cet ouvrage, 
du culte rendu aux images dans l'Eglise, parce que, 
cette question ayant fait au viii' et au ix^ siècle l'ob- 
jet d'un débat spécial et bien limité, il a paru avanta- 
geux de grouper ensemble ce qui la concerne. Le mo- 
ment est venu de lui donner notre attention. 

Usage et culte ne sont point la même chose, et il y a 
donc lieu de les distinguer l'un de l'autre. Les icono- 
clastes proprement dits n'admettaient ni l'usage ni le 
culte des images religieuses. D'autres, moins rigides, 
admettaient bien l'usage mais répugnaient au culte. 
C'est du culte et de l'usage qu'il s'est agi entre orien- 
taux ; c'est du culte exclusivement qu'il s'est agi entre 
occidentaux et byzantins ^ . 

1. Qu'on me permette de préciser ici en quelques mots la question 
théorique, en faveur des personnes à qui ces études ne seraient pas 
familières. Au point de vue de Vusage, les images religieuses (pein- 
tures ou sculptures] peuvent avoir comme trois fonctions principales: 
une fonction d'ornemeni; elles décorent les lieux où elles se trouvent; 
une fonction d'instruction :ei\es parlent aux yeux des ignorants, et leur 
apprennent les mystères de la foi; une fonction à'excitant à la piété: 
en mettant sous nos regards les scënesde l'évangile, l'histoire ei la figure 
des saints, la représentatien des croyances chrétiennes, elles provoquent 
en nous des sentiments religieux d'amour, de respect, etc., envers Dieu, 



436 HISTOIRE DES DOGMES. 

L'Ancien Testament semble prohiber strictement, on 
ie sait, non seulement la vénération mais encore l'usage 
<les images et représentations figurées * . Cette défense 
cependant ou bien n'était pas aussi absolue qu'elle 
le paraît^, ou bien ne fut prise absolument à la lettre 
qu'à partir de l'époque des Macchabées^. Le Nouveau 
Testament ne la renouvela pas, et aussi, dès l'origine 
<ie l'Église, nous voyons l'art chrétien travailler à orner 
les lieux du culte de peintures religieuses, sculpter des 
sarcophages ou graver des médailles. Le principal et le 
plus ancien témoin ici, bien qu'il ne soit pas le seul, ce 
sont les catacombes romaines ■*. On a divisé ensixcaté- 



notre-Seigneur, ses mystères et ses saints. Ici l'usage touche deprèsau 
culte : il n'est cependant pas encore le culte. — Le culte proprement dit 
•des images consistée rendre extérieurement à l'image des hommages qui 
sont intérieurement dirigés vers celui qu'elle représente. L'image est con- 
sidérée comme tenant la place de l'original, nous le présentant ; c'est lui 
•que nous voyons en elle, et à lui, à travers elle, que nous adressons nos 
hommages et nos prières : il en est l'objet direct et premier: elle n'en 
«st que l'objet accideutel et indirect. Ainsi entendu, ce culte ne peut 
être rendu proprement qu'aux personnages dont l'image nous est pré- 
sente : des scènes historiques, même religieuses, ne peuvent pas être 
vraiment l'objet d'un culte. — Mais, à côté de ce culte principal et 
strictement dit des images, les auteurs distinguent un autre culte 
secondaire et au sens large qui a pour objet direct l'objet matériel, 
peinturé ou sculpture, lui-même. Ce morceau d'étoffe ou de marbre 
o'est sans doute qu'une matière inerte ; toutefois, par le fait qu'il repro- 
duit l'image d'une personne sainte, il a acquis avec elle un rapport 
assez étroit pour qu'il ait droit à notre respect, et à un respect religieux. 
Nous ne devons pas le traiter absolument comme un objet vulgaire, 
car notre indifférence ou notre mépris retomberait d'une certaine 
laçon sur la personne dont il poflè l'image. Nous lui devons des 
égards, in se, bien que non propterse. Cette sorte de culte, on le voit, 
est bien inférieur à celui dont il a été question plus haut, encore qu'il 
ait au fond la même raison dernière. V. Franzeun, De Verbo incamato, 
thesis XLV, p. 457-459. 

1. Exode, XX, 4. 

2. Exode, XXV, 18, 19; XXXVII, 7-9; Nombres, XXI, 8, 9x111 Reg., VII, 
S5. 

3. JosÈPHE, Antiquités, VIII, cap. 7, § S ; XV, cap. 8, §§ 4, 2; XVIII, cap. 
6, S 3; De bello iud., I, cap. 33, §§2, 3; OBiGÈrfE, Cowf. Gels., IV, 31. 

4. V. De Rossi, Roma sotterranea, Roraae, 1864 et suiv., et les ouvra- 
ges qui en dépendent ou qui le continuent. Brownlow-Northcote, tra- 
duit par P. Allard, Rome souterraine, Paris, 1872; F.-X. Kraus, Roma 
sotterranea, Freiburg-im-Br., a» édit., 1879. L. Bréhier, L'art chrétien^ 



LA CONTROVERSE DES IMAGES. 437 

gories les peintures que l!on y rencontre : 1» Les sujets 
si/mboliques, objets, ajaimaxcs. qui symbolisent de& 
personnes ou des mystères chrétiens (l'ancre, l'agneau, 
la colombe, lepoisson, etc.); 2o les sujets allégoriques^ 
représentant les paraboles de Notre-Seigneur et les 
figures sous lesquelles il s'est dépeint lui-même (la 
vigne, le bon pasteur, les vierges sages et les vierges 
folles); S'ies sujets bibliques de l'Ancien Testament sou- 
vent figures eux-mêmes des mystères du Nouveau (Noé 
dans l'arche, Daniel, Jonas, Moyse frappant le rocher). 
On a de ces trois premières catégories de sujets des- 
exemples remontant au i^"" ou a:ù ii^ siècle. 4° Les images- 
directes de Notre-Seigneur, de la Vierge et des saints. 
Un peu plus récentes en général que les précéclentes,. 
plus importantes aussi pour notre objet, peintes sur le 
stuc dés murailles ou sur des fonds de verres dorés, ou 
même frappées en médailles, ces images présentent 
quelques spécimens qui paraissent remonter tout à fait 
à l'âge apostolique, au i^' ou au ii^ siècle, mais appar- 
tiennent surtout au m* et au iv^ siècle. 5*» Les scènes 
tirées des vies des saints et de l'histoire de l'Église, 
qui n'apparaissent guère avant le iv^ siècle, après la 
pacification de Constantin. 6° Enfin les sujets liturgi- 
ques dont les plus remarquables exemples se trouvent 
dans les chambres du cimetière de Calliste dites Cham- 
bres des sacrements , Moyse frappant le rocher, le pê~ 
cheur tirant de l'eau un poisson, le baptême, le sacrifice 
eucharistique , le repas des sept disciples devant le 
pain et lepoisson, etc., ornementation exécutée à la fin 
du II" ou tout au commencement du m*' siècle. 

Que l'on joigne à ces représentations figurées des 
catacombes les sculptures des sarcophageis (généra- 
son développement iconographiqtw dès origines à nos jours -, Paris,. 
1928. F. Grossi Gondi, I monumenti çristiani iconografici ed architet- 
tonici dei sei primi secoli, Roma, 1923. 



43g HISTOIRE DES DOGMES. 

lement du iv« ou v" siècle), quelques statues du bon 
Pasteur, dont deux au moins paraissent antérieures à 
Constantin, et l'on aura une idée du témoignage que 
fournissent les plus anciens monuments pour établir 
l'usage que l'Église a fait, dès son origine, des images 
religieuses. 

A ce témoignage des monuments s'ajoutent quelques 
textes d'auteurs. Si l'on ne peut faire état ni de celui 
d'Eusèbe sur la statue élevée à Notre-Seigneur à 
Panéas par l'hémorrhoïsse de l'évangile ' , ni de celui 
de saint Irénée relatif aux images honorées par les 
carpocratiens 2, ni de celui de Lamprîdius, concernant 
les statues d'Abraham et de Jésus placées par Alexan- 
dre Sévère (222-235) dans son lararium^, on peut 
citer le texte de TertuUien parlant de la représen- 
tation du bon Pasteur sur les calices'', et celui d'Eu- 
sèbe qui affirme avoir vu lui-même des images 
peintes des saints Pierre et Paul et de Jésus-Christ*. 

Ainsi, pendant les trois premiers siècles, l'usage 
des images s'établit dans l'Église d'une façon à peu 
près générale^ et, semble-t-il, sans contradiction 
sérieuse. Si quelques auteurs, comme Clément d'A- 
lexandrie' et TertuUien 8, prennent à la lettre la pro- 
hibition de l'Ancien Testament, et paraissent lui 
attribuer encore force de loi ; si Clément d'Alexandrie 



1. Hist. écoles., VII, 18. 

2. Adv. haeres., I, 23. 

3. Alexandre Sévère, 29. 

4. De pudicitia, 1, 10. 

5. Eist. eccles., VII, 18. Pbotius {Biblioth., cod. H9} remarque que 
récrit de Pierius d'Alexandrie sur saint Luc contenait un passage utile 
pour établir le culte des images ; mais il ne cite pas le texte. 

6. V. dans P. Allard, op. cit., p. 319 et Kraus, op. cit., p. 216, la 
fresque de la catacombe d'Alexandrie dont M. de Rossi fait remonter 
la première composition à la première moitié du iV ou même au 
m" siècle. 

7. Cohortatio ad gent., IV (P, G., VIII, 161). 

8. De idololatria, 4; De spectaculis, 23; Adv. Hermogenem, 1. 



LA. CONTROVERSE DES IMAGES. 439 

encore ' et d'autres écrivains comme Minucius Félix^, 
Arnobe' et. Lactance'', ne croient pas qu'il soit pos- 
sible et permis de représenter Dieu sous une figure 
humaine, ces protestations ou ces restrictions n'émeu- 
vent ni la piété des fidèles ni la vigilance de ceux qui 
les dirigent. L'usage des représentations figurées reli- 
gieuses ne s'est introduit ni par lutte, ni par surprise, 
ni à la dérobée. Du premier coup et dès le premier 
jour, l'Église a accepté l'art et s'en est servie. 

L'Église, disons-nous, s'est servie des images. Leur 
a-t-elle, dès ces commencements, rendu un culte? 
Nous n'avons aucun texte qui autorise absolument à 
l'affirmer. Dans la discussion qui remplit VOctavius, le 
païen Cecilius dit à Octavius (12) : « lam non ado- 
randae sed subeundae cruces » ; à quoi Octavius ré- 
pond (29) : « Cruces etiam nec colimus nec optamus. » 
Cecilius a semblé dire que les chrétiens vénéraient 
toutes sortes de croix : c'est ce que nie Octavius, qui 
se met aussitôt à démontrer que l'on peut trouver en 
une multitude d'objets l'image de la croix. Ni l'objur- 
gation de l'un ni la négation de l'autre n'ont donc un 
caractère suffisamment précis^. On peut croire d'ail- 
leurs que les chrétiens étaient détournés d'honorer les 
images par la crainte de paraître imiter les païens qui 
adoraientles idoles. C'est un danger que les apologistes 
dénoncent avec force ^. Il ne faut pas croire que les 
statues ou les images soient des dieux, ni leur rendre 
un culte qui supposerait en elles cette qualité. On peut 

\. Slromates, VII, 5 (P. G., IX, *37). 

2. Octavius, 32. 

8. Adv. génies, 1, 31. 

4. Institutiones, II, â. 

5. t/adoration de la croix était une des folies que les païens repro* 
chaient aux chrétiens (cf. Teutullien, Apotofiret., 16). Remarquons d'ail- 
leurs que, dans cette question du cultedes images, le culte de la croix 
mérite une considération spéciale. On y reviendra. 

6. V. Origène, Cont. Celsum., VII, 66. .. 



440 HISTOIRE DES DOGMES. 

aisément glisser du culte légitime dans l'idolâtrie, et 
les chrétiens doivent donc être sur leur garde. 

Cependant Constantin rend la paix à l'Église, et le 
culte chrétien, jusque-là plus ou moins confiné dans 
des lieux secrets ou d'étroites constructions, peut s'é- 
taler au grand jour et dans la splendeur des basiliques. 
Il est inutile d'insister sur les représentations de la 
croix qui se multiplient aux iv^ et v^ siècles ^ Le ciel 
lui-même en semblait donner l'exemple par les appari- 
tions miraculeuses qui se produisaient de ce signe du 
salut^. Aussi s'emploie-t-on à le peindre sur les mu- 
railles, à le sculpter dans le bois ou la pierre, à le 
fondre dans des métaux '. La fréquence et la continuité 
de ces reproductions est attestée en Orient par Aste- 
rius d'Amasée^, saint Jean Chrysostome^, Julien l'A- 
postat lui-même*; en Occident, par saint Augustin' 
et autres. 

Rendait-on à ces images de la croix quelque culte? 
La chose paraît certaine. Julien {-f 363), dans le pas- 
sage que je viens de signaler, reproche aux chrétiens 
d'adorer le bois de la croix et d'en peindre l'image sur 
leurs maisons : To tou axuvpoZ TrpoffxuveÏTe |uXov, eîxovaç 
auToïï «rxtaypacpoïïvTsç Iv tw [jLettoTrw, xat Tcpo twv olx/i^âriùv 



1. La croix bien formée n'apparaît guère avant le iv* siècle (il y en a 
cependant un exemple du u° ou du ni"; cf. P. âliard, op. cit., p. 336). 
Avant cette époque elle se dissimule généralement sous la figure du 
tau grec ou de lignes qui s'entrecroisent. V. L. Bréhier, Les origines 
ducrucifix,"Paiis (Collect. Science et religion). ' 

2. V. EusÊDE, Dé vita Constantini, 1, 28, 2 (toûx<{) vexa); S. Cyrille de 
JÉnus., Epist. adConstantium (authenticité douteuse),3-S (P. G., XXXin, 
1163, 1169, apparition d'une vaste croix dans le ciel); S. Grégoire se 
Naz., Orat. IV, 54 (P. G., XXXY, S77, apparition de croix à Julien l'A- 
postat). 

3. V. Martigny, Dictionn. des antiqu. chrétiennes, 2» édit., arlic. 
Croix. 

4. In laudem sanctae Euphemiae (P. G., XL, 337). 

5. Quod Christus sU Deus, 9 (P. C, XLVIII, 826). 

6. Apud CïWLL. Alex., Contra Iulian., VI (P. G., LXXVI, 796, 797). 

7. Sermo LXXXVIII, 9 ; Tract, in loann. CXVII, 3. 



LA CONTROVBRSE DES IMAGES. 44î 

lyYpttspovTeç^ A la fin de ce même iv« siècle, Asterius 
d'Amasée, décrivant les peintures qui représentent le 
martyre de sainte Euphémie, parle de ce sigiïfe (de la 
croix) que les chrétiens ont coutume d'adorer (Tuposxu- 
veïffOai) et de peindre^. Au v« siècle, Théodoret men- 
tionne l'honneur que les grecs et les barbares ren- 
daient au signe de la croix : Tov Iffraopwfxévov OsoXoYoïïvTe; 
xaiToû ffTaupoû to arifjieîov yepat'povTsç^. En Occident, Pru- 
dence (-|- 410-415) nous montre les empereurs désor- 
mais adorant la croix ■', et saint Jérôme rapporte à la 
croix \Adorate scabellum pedum eius du psaume 
xcviii^. Ni l'un ni l'autre cependant ne spécifient de 
quelle croix précisément il s'agit. 

Passons aux images proprement dites de Jésus- 
Christ, de la Vierge et des saints. Ici encore les té- 
moignages abondent qui signalent ou supposent 
l'usage des images religieuses dans la vie et le coite 
chrétien; Nous ne ferons qu'indiquer ceux de saint 
Basile^, de saint Grégoire de Nazianze', desaint Gré- 
goire deNysse*, d' Asterius d'Amasée ^ et de saint Nil^''^ 
pour l'Orient; pour l'Occident, ceux de saint Jérôme*^, 



1. Ap. CTOitL. Alex., Contra luhan., VI, loc. cit. Ce bois de ia croix. 
dont parle Julien est-îl celui de la vraie croix? C'est peu probable. 

2. Jn îaudem sanetae Euphemias, loc. cit. 

3. Graecar. affection, curatio, VI ; De provîd. Dei (P. G., LXXXUI, 
989). 

4. « Vexillumque crucîs summus dominator adorât • {Apotheos., ver& 
448, P. L., LIX, 960). 

5. P. L., XXVI, 1124. 

6. Homilia XVII in Barlaam martyrem, a (P. G., XXXI, 489). On a», 
invoqué à tort une lettre CGGLX ad Iulianum, fort douteuse. 

7. Carmen, X, flepl àpexîiç, P. G., XXXVII, 731, 738. 

8. Oratio lauàat. $ancti Tkeodori,P. G., XLVI, 737. 

9. In Iaudem sanetae Euphemiae (P. G., XL, 333-337). Tout le dis- 
cours n'est que la description des peintures du vélum qui ornait l'o- 
ratoire de la sainte. 

10. Epist. IV, 61. Il donne à sou correspondant nu projet d'ornemen- 
tation et de peintures pour une église. 

11. In lonam, IV, vers. 6 (P. L., XXV, 1147, H48). 

25, 



442 HISTOIRE DES DOGMES. 

de saint Augustin ^ de Prudence ^ et de saint Paulin 
de Noie 3. 

Du culte de ces images il. est beaucoup moins ques- 
tion. Saint Grégoire de Nysse et saint Nil, en men- 
tionnant expressément, dans leurs ouvrages, l'instruc- 
tion des ignorants et l'édification des spectateurs 
comme le but des peintures dont ils s'occupent, sem- 
blent presque l'exclure. Cependant, saint Grégoire de 
Nazianze parlant, dans le passage que j'ai signalé, 
de l'image du saint homme Polémon, dont la vue con- 
vertit une pécheresse, qualifie cette image de « véné- 
rable », xat Y«p 'î"' ffsêafffiiix. Théodoret, de son côté, 
rapporte que telle était, à Rome, la célébrité de saint 
Siméon Stylite que l'on plaçait de lui, dans les vesti- 
bules des maisons, de petites statues, pour être comme 
le secours et la protection des habitants, cpuXaxvîv riva 
<r«pi<jiv aÔToTç xai àacpaXeiav Ivtsûôev iroptCovraç"*. Pareille 
confiance religieuse est évidemment un sentiment qui 
tient au culte. 

On peut donc dire qu'au iv* et au v* siècle l'usage 
des images est universel, que leur culte,. plus mar- 
qué en ce qui regarde les images de la croix, com- 
mence, pour les autres, à s'affirmer timidement. Le 
fait que Vigilance, si animé contre le culte des reli- 
ques, ne dit rien contre le culte des images, paraît 
bien prouver que ce culte n'avait pas encore grand 
relief à son époque, c'est-à-dire vers l'an 400. 

Ce culte en, effet, et même parfois cet usage ren- 
contraient chez certains esprits quelque défiance ou 



1. De conscnsu evangelist., 1, 16 (P. L., XXXIV, 10i9); Contra Fau- 
Stum, XXU, 73 (P. L., XLII, 446). 

2. Peristephanon, hyum. IX, vers. 7 et suiv. ; XI (P. L., LX, 433-435, 
S30 et suiv.}. 

3. Poema XXVII; XXVHI; Epist. XXXÏI (P. L., LXI, 660 et suiv.; 663 
et Kuiv.; 330 cl suiv.). 

4. Historia religiosa, XXVI (P. G., LXXXII, 1473). 



LA CONTROVERSE DES IMAGES. 443 

même une opposition formelle. Les uns persistaient 
à croire que la prohibition de V Exode s'imposait au 
peuple chrétien; d'autres étaient frappés de la res- 
semblance que le culte des images offrait avec l'ido- 
lâtrie, et craignaient toujours que l'un ne conduisît à 
l'autre. Les païens, en elîet, au reproche que leur 
adressaient les chrétiens d'adorer le bois ou la pierre, 
répondaient que l'idole matérielle n'était pour eux 
qu'une image qui leur rappelait la divinité invisible 
à qui s'adressaient en réalité leurs hommages : « Nec 
simulacrum nec daemonium colo, sed effigiem cor- 
poralem eius rei signum intueor quaih colère debeo *. » 
Les controversistes chrétiens n'admettaient pas cette 
défaite, car, en supposant qu'elle excusât des phi- 
losophes raffinés, on ne pouvait vraiment prétendre 
que le vulgaire entendît ainsi le culte des idoles. Ils 
montraient, en tout cas,- que la pente était glissante 
de la considération philosophique de^ l'idole à son 
culte grossier, et que la plupart vraisemblablement 
n'en évitaient pas le danger. Mais, en ce faisant, on 
le voit, ces controversistes émettaient forcément des 
réflexions qui n'allaient pas seulement contre le culte 
païen des idoles, mais aussi contre le culte chrétien des. 
images : « Ducit enim, et affectu quodam infimo ra- 
pit infirma corda mortalium formae similitude et 
membrorum imitata compago... Quis autem adorât 
vel orat intuens simulacrum qui non sic affîcitur ut 
ab eo se exaudiri putet, ab eo sibi praestari quod 
desiderat speret ^ ? » Ces observations, qui sont de 
saint Augustin, l'ont fait considérer par quelques au- 
teurs comme un adversaire du culte des images. Non, 

1. Ap. Augustin., Enan'atio in psalm. CXUI, sermo II, 4 (P. L., 
XXXVir, 1483); cf. 3; Macabius Magnes, 'AreoxoiTiy.o;, IV, 21 (édit. Blon-^ 
DEL, p. 200 ; PiTiu, Spicil. solesm., I, 317, 318). 

2. S. AcGKSTis, Etiarr. vi psalm. CXIII, sermoII,l,5;cf. Epist. Cil, 20. 



444 HISTOIRE DES DOGMES. . 

il ne Test pas, parce que ce n'est pas c« culte qu'il 
a en vue dans les passages que j'ai cités ; mais il est 
certain qu'il parle d'une manière générale et qqe l'on 
peut, de ses paroles, tirer un argument contre ce 
cnlte^. 

D'autres oppositions étaient plus directes et aussi 
plus radicales. La plus connue est celle du concile 
d'Elvire tenu en 305 ou 306, dans son canon 36 : <c Pla- 
cuit picturas in ecclesia esse non debere, ne quod 
colitur et adoratur in parietibus depingatur^, » On 
s'est demandé quelles raisons précises ont inspiré ce 
canon, et si le concile, en le portant, a obéi à une 
véritable antipathie pour les images, ou s'est simple- 
ment préoccupé de prévenir des abus ou /des profa- 
nations possibles. La première hypothèse s'accorde 
mieux avec le caractère généralement rigoriste de ses 
décisions, et avec le texte même de sa défense. Le 
concile ne veut pas d'images dans les églises, parce 
qu'il voit une soi*te d'opposition entre la sainteté et 
la majesté des mystères de la foi [quod colitur et 
adoratur) et les productions plus ou moins amollis- 
santes de l'art humain^. En tout cas, sa prohibition 
a été limitée à l'Espagne, et ne s'est pas — nous 
l'avons vu par Prudence — soutenue longtemps. 

Après l'opposition du concile d'Elvire, ilfaut signaler 
celle d'Eusèbe de Césarée, fondée plutôt sur l'Écriture 
et la théologie. Eusèbe a eu l'occasion de s'expliquer 
clairement sur cette question dans sa réponse à la sœur 

1. Le point de vue de saint Augustin serait auui, d'après M. Tin- 
chesne {De Macario Magnete et scriplis eius, Paris, 1877, p. 32-3*), ce- 
lai de Hacarias Marnes dans son 'AnoxpiTixô;. Dé fait, Macarius ne 
croit pas qu'il soit licite de représenter les anges, créatures spirituel- 
les ; mais, tout en condamnant le culte des idoles, il ne s'attaque pas 
à la vénération chrétienne des images (édit. Blmdel, p. 314, 315); 

S. Mamsi, II, 11. 

3. C'est la raison que fera valoir Boileau pour exclure, du théâtre 
les mystères chrétiens. 



LA CONTROVERSE Dia IMAGES. 445-^ 

de Constantin, Gonstantia, qui lui avait demandé une 
image du Christ^. Gonstantia, écrit-il, lui a demandé 
une image du Ghrist : mais de quelle image veut-elle 
parler? Désire-t-elle une image du Verbe qui est en Jé- 
sus-Christ? Msds le Père seul connaît le Fils comme il< 
doit l'être. S'agit-il d'une image de son humanité glo— 
riiîée? Mais comment représenter par d'inertes couleurs- 
cette humanité transfigurée et toute immergée dans la 
lumière divine? Veut-elle enfin une imagede l'humanité 
avant la résurrection et l'ascension? Mais Gonstantia 
ignpre-t-elle la défense des Livres Saints de faire 
aucune image de ce qui est sur la terre ou dans les. 
cieiix? Il rie lui accordera donc pas ce qu'elle de- 
mande ; et l'évéque de Césarée, pour appuyer son re- 
fus, ajoute qu'ayant trouvé lui-même une femme te- 
nant en ses mains des images qu'elle croyait être de- 
Notre-Seigneur et de saint Paul, il les a confisquées, 
pour empêcher que pareille pratique ne s'introduisît 
dans le vulgaire, et que l'on ne semblât, comme les^- 
idolâtres, porter Dieu dans une peinture. 

J'ai analysé en détail cette lettre d'Ëusèbe, parce - 
que les raisons qu'il fait valoir contre la possibilité 
de représenter le Sauveur glorifié seront reprises plus- 
tard : elle deviendront une sorte de lieu commun op- 
posé par les iconoclastes à leurs adversaires 2. 



1. PiTBA, Spicil. soUesm., 1,383-386. Eusèbemanireste le même senti- 
ment dans son Sist. ecclés., VII, 18, où il excuse l'érection de la sta- 
tue de Jésus-Christ, à Panéas, par des restes de préjugés païens. 

2i Après l'opposition du concile d'Elvire et celle d'Eusébe, on signale- 
généralement, pour le iv" siècle, celle de saint Épiphane. Une lettre 
adressée par lui à Jean de Jérusalem, vers 394, et dont on ne possëde- 
quela traduction latine faite par saint Jérôme (P. G., XLIII, 390; P,jL., 
XXII, S26). contient en effet an n» 9 le récit d'un incident de voyage 
assez caractéristique. Saint Épiphane y rappelle qu'étant entré à Ana- 
blatha dans une église, il y avait trouvé un voile portant l'image de 
Jésus-Christ ou d'an saint. • Cum ergo hoc vidissem, continue-t-il, et: 
detesiatns essem in ecclesia Christi,coutra auctoritatem Scripturarum,. 
hominis pendere imaginera, scidi illud. » Le voile déckiré, il conseiHa^ 



446 HISTOIRE DES DOGMES. 



§ 2^ — L'usage et le culte des images pendant 
les VI* et VII' siècles. 



Malgré les protestations dont il vient d'être question, 
l'usage des images était, on l'a vu, à peu près général 
dans l'Église à la fin du v^ siècle. Les siècles suivants 
virent cet usage s'étendre encore, et il est inutile, je 
crois, à cause de la notoriété du fait, d'en apporter la 
preuve. 

Le culte était moins apparent ; mais il se développe, 
et même on en fait la théorie au vi^ et au vii^ siècle : 
« Adoramus omnem crucem, écrit le diacre Rusticus, 
mêlé à l'affaire des trois chapitres, et per ipsam illum 
cuius est crux ; non tamen crucem coadoraré dicimur 

aux gardiens du lieu d'en faire un linceul pour envelopper un mort; 
et maintenant, il envoie à son correspondant un autre voile pour 
remplacer le premier, mais en ajoutant : € Et precor ut iubeas pres- 
bytero eiusdem loci accipere vélum alectore quod a nobis missum est, 
et deinceps praecipere in ecclesia Christi istiusmodi vêla quae contra 
religionem nostram veniunt non appendi. Oecet enim iionestatem 
tuam hanc magis habere soilicitudinem ut scrupu^osîtatem tollat, quae 
indigna est ecclesia Cliristi et populis qui tibi crediti sunt. * n pa- 
raissait déjà assez invraisemblable que saint Épipliane, qui a tant 
voyagé, n'eût pas remarqué jusqu'à cette époque le développement 
pris par l'art ctirétien à la fin du iv» siècle. Mais une découverte de 
M. D. Serruys a rendu tout à fait problématique l'authenticité de ce 
passage de la lettre d'Épiphaue. Ce passage en effet s'est retrouvé en 
grec dans un ouvrage inédit du patriarche Nicéphore de Constantino- 
pie contre le concile iconoclaste de 81S (cf. infra, p. 470). Or, de la 
comparaison du texte grec avec la traduction latine, il appert mani- 
festement, d'abord que cette traduction, absolument lâche et peu 
scrupuleuse, ne saurait être attribuée à saint Jérôme; puis que ce frag- 
ment qui, dans le grec, a son introduction propre, a été ajouté après 
coup à la lettre de l'évéque de Constantia. Quelle est donc son ori- 
gine? Nicéphore nous l'apprend en indiquant qu'il apparut pour la 
première fois dans un recueil iconoclaste de textes des Pérès, les uns 
authentiques, d'autres apocryphes, contraires aux saintes images. 
H. Serruys n'hésite pas à regarder celui-ci comme un faux (Comptes ren- 
dus de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 1904, p. 360-363). 
— Au Vil*' concile général, on cita de saint Epiphane un autre fragment 
qui condamnait l'usage des images dans les églises et les cimetières, 
et que le concile rejeta comme.apocryphe (Mansi, XIII, 2!)2 et suiv.}. 



LA CONTROVERSE DES IMAGES. 447 

Christo, necperhoc una est crucis et Christi natura *. » 
Evagrius (vers 593) rapporte un miracle arrivé à 
Apamée pendant l'ostension et l'adoration de la croix ^ ; 
et l'on sait qu'un des reproches faits aux pauliciens 
était précisément de ne point adorer la croix. 

D'autre part, nous sommes au moment où fait son 
chemin en Orient la croyance aux images de Jésus- 
Christ ou de la Vierge oxeipo7roir,Tai, c'est-à-dire non 
faites de main d'homme, et ayant une origine miracu- 
leuse. L'histoire de celle de Notre-Seigneur envoyée 
par lui au roi d'Edesse, Abgar, est déjà racontée à 
la fin du IV® ou au début du v* siècle par la Doctrine 
d'Addaï syriaque ^. Evagrius connaît les destinées 
subséquentes de cette image, et sait comment, grâce 
à elle, la ville d'Edesse a été protégée contre les atta- 
ques de Chosroès''. Le voile de sainte Véronique a sa 
plus ancienne attestation dans la Mors Pilatiy dont la 
première rédaction remonte au milieu du iv® siècle ^, 
Zacharie de Mitylène (vers 562) parle d'images analo- 
gues, et des temples élevés pour les recevoir ^. De 
pareils récits ne pouvaient qu'encourager le culte 
rendu aux images, et aussi le voyons-nous, à cette 
époque, s'affirmer nettement. Le VIP concile général, 
dans sa cinquième session, a cité une lettre de saint 
Siméon Stylite le Jeune (•]- 596) à l'empereur Justin, 
réclamant la punition de malfaiteurs qui ont, dans, une 
église, profané l'image du Fils de Dieu et de sa sainte 
Mère : c'est, aux yeux de Siméon, une impiété et une 



1. Contra acephalos disput. {P.L., LXVH, 1218). 

2. Hist. eccles., IV, 26 (P.G., LXXXYI, 2, col. 2745). 

3. Edit. Phillips, texte, p- ■*, S; trad., p. S. V. ma thèse : Les origines 
ae VÈglise d'Edesse et la légende d'Abgar, Paris, 1888; et E. von Dob- 
scHuTz, Christusbilder, Leipzig, 1899. 

i. Hist.eccles.,IV,S.l. 

5. TisCHENDOKF, EvangcUa apocrypha, l" édit., p. 432 et suiv. 

6. Cf. Les origines de l'Eglise d'Edesse, p. 121, 122. 



443 HISTOIRE D£S DOGMES. 

abomination'. Dans im autre passage cité par saint 
Jean Damascène 2, le même auteur repousse l'accusa- 
tion d'idolâtrie portée contre les chrétiens parce qu'ils 
honorent (irpQcrxuvoûvTeç) les images. La relation de la 
conférence de saint Maxime le Confesseur avec l'é- 
vêqué de Gésarée, Théodose, en 656, porte que Théo- 
dose, Maxime et ceux qui se trouvaient là se jetèrent 
à genoux et baisèrent les évangiles, la vénérable 
croix, lïmage de Notre-Seigneur et de sa Mère^. 

Mais le témoignage le plus complet et le plus intel- 
ligent que nous ayons de cette époque sur le culte des 
images est celui que le second concile de Nicée a tiré 
du cinquième discours apologétique contre les juifs de 
Leontius, évéque deNéapolis en Chypre, sous l'empe- 
reur Maurice (582-602) ■'.Ce n'étaient plus les chrétiens 
alors qui reprochaient aux païens leur culte des idoles : 
c'étaient les juifs qui reprochaient aux chrétiens comme 
une idolâtrie, leur culte des images et de la croix. Que 
répond Leontius? Il ne nie pas l'existence de ce culte : 
il avoue que lés chrétiens adorent la croix, qu'ils vénè- 
rent les images, qu'ils se prosternent devant elles, 
qu'ils les baisent, qu'ils les placent dans les églises ; 

i. Mansi, XIII, 460, 161 ; P. G., LXXXVI, 2, col. 3216-3220. 

2. P. G., LXXXVI, 2, col. 3220; cf. XCIV, 1409-1412. 

3. P. G., XC, 156; cf. 164. — Dans un discours cité par le second 
concile de Nicée, Jean de Thessalonique, qui assista au concile de'680 
comme vicaire du pape, revendique le droit de peindre les images des 
saints, non qu'on adore les images (srpotTxuvdûvTEç oO tô; elxévoc;), 
mais parce qu'on honore les saints dont elles reproduisent les traits 
(àMià Tov; Stà t^; ypaçïi; Sri^ouaévou; So|âÇo{iev). II revendique le 
même droit pour les images de Jésus-Christ qui a été visible dans on 
corps; mais il ne croit pas possible d'avoir des images du Verbe et de 
la Trinité; car sous quelle forme les représenter? Quant aux anges, 
continue Jean, on en peut faire des images, parce qu'ils ne sont point 
absolument spirituels, et possèdent un corps subtil, circonscrit, invi- 
sible ordinairement, visible quelquefois pour certains privilégiés de 
Dieu. Que si on les peint sous une forme humaine, c'est parce qu'ils 
se sont montrés sous cette forme à ceux à qui ils étaient envoyés 

<MaN61, XIII, 164, 165). 
"4. Massi, XIII, 44-S3; p. G., XCIII, 1597-1609. 



LA CONTROVERSE DES IMAGES. 449- 

mais il soutient qu'il n'y à en cela rien d'idolâtrique, 
parce qu'il s'agit toujours d'un culte relatif qui s'a- 
dresse à la personne représentée ou figurée par l'i- 
mage, et non au bois, à la pierre, aux couleurs de 
la peinture ou de la statue : 

« Tant que les deux bois de. la croix sont unis, j'adore la fi- 
gure à cause du Christ, qui y a été crucifié; dès qu'ils sont sé- 
parés, je les rejette et je les brûlée» — a Nous, fils de chrétiens, 
quand nous adorons l'image delà croix, nous, n'honorons pas 
la substance du bois; mais la considérant comme le sceau, le- 
cachet et la signature du Christ, nous saluons et nous adorons 
par elle celui qui a été crucifié sur elle s. » — « Ainsi nous 
tous, chrétiens, possédant et saluant de corps l'image du Christ,, 
ou d'un apôtre, ou d'un martyr, nous pensons eh esprit que 
nous possédons le Christ lui-même ou son martyr 3, » 

Ce ne sont pas les signes extérieurs, c'est l'inten- 
tion qu'il faut considérer dans tout salut et toute ado- 
ration. Et l'auteur poursuit ainsi sa démonstration, 
empruntant ses exemples à l'Écriture, à la vie civile, 
à la vie de famille, où l'on voit constamment honorer 
l'image, le sceau, le vêtement même d'une personne et 
tout ce qui lui appartient. Et si l'on place dans les égli- 
ses des croix et des images, continue-t-il, ce n'est 
pas qu'on regarde ces objets comme des dieux : c'est 
irpoç avetfxvïjffiv xoù Ttft'Jiv, xal euTcpÉTreiav IxxXyjciwv. Ainsi, 
conclut Léonce, « celui qui craint Dieu honore con- 
séquemment et vénère et adore comme Fils de Dieu 
le Christ, notre Dieu, et la représentation de sa croix 
et les images de ses saints '^ ». 

Les témoignages rapportés jusqu'ici émanent d&- 



i. Mansi, col. 44; P.G., 4597. 

2. Mansi, col. 43; P. 6., 1600. 

3. SUnsi, col. 48 ; P. G., 1600. 

4. Massi, c61. »3;P.G,, i608, 1609. Le concile qulnisexte de 693 s'est- 
occupé des images daa» son canon 82. Il les appelle « vénérables «r- 
mais prescrit de représenter désormais Jës«s-Christ sous sa forme hu- 
maine, et non sous celle d'un agneau (Mahsi, XI, 9n-980). 



450 HISTOIRE DES DOGMES. 

rOrient et concernent surtout l'Orient. L'Occident 
avait aussi accepté le culte des images, bien qu'il 
ait probablement gardé dans les manifestations de ce 
culte plus de froideur et de réserve. On a lu plus 
haut l'affirmation du diacre Rusticus relative à l'a- 
doration de la croix. Fortunat, dans son poème sur 
saint Martin, écrit avant le mois de mai 576, parle de 
l'image du saint devant laquelle brûlait une lampe : une 
onction de l'iiuile de cette lampe l'avait guéri lui- 
même d'un mal d'yeux : 

Hic paries retinet sancti sub imagine formam, 
Amplectenda ipso dulci pictura colore. 
Sub pedibus iusli paries habet arte feneslram : 
Lychnus adest, cuius vitrea nalat ignis in urna i. 

Le témoignage de saint Grégoire, pape, mérite d'au- 
tant mieux d'être examiné qu'on a souvent présenté ce 
pontife sinon comme un ennemi du culte des images, 
du moins comme voulant délibérément l'ignorer. 
En 599, saint Grégoire écrit à l'évêque de Caralis, 
Januarius, au sujet d'une synagogue juive dont Ifes 
chrétiens s'étaient emparés, et dans laquelle ils avaient 
transporté une croix et une image de la Vierge. Le 
pape ordonne à l'évêque de rendre aux juifs leur syna- 
gogue, après qu'on en aura retiré avec l'honneur qui 
convient l'image et la croix : « ut, sublata exinde cùm 
ea qua dignum est veneratione imagine atque cruce, 
debeatis quod violenter ablatum estreformare *». C'est 



1. De vita S. Martini, lib. IV, vers. 690, 693 (P. L., LXXXVIII, 

2. Epist., IX, 6, col. 944. On cite de saint Grégoire un passage pins 
explLciie en faveur du culte des images qui se trouve dans VEpist. IX, 
52à S<-cundinus. Dans ce passage, le pape dit à Secundinus qu'il lui 
envoie les images que celui-ci lui a demandées, à savoir une croix, 
et des images de Notre-Seigneur, de la Vierge et des apôtres Pierre et 
Paul, puis il continue : < Scio quidem quod imagiaem Salvaloris nostri 
non ideopetis ut quasi deum colas, sed ob recordationem Filii Dei in 
élus amorp recalescas cuius te imaginera yidere desideras. Et nos qui- 
dem non quasi ante divinitatem aute illam prosternimur, sed illum 



LA. CONTROVERSE DES IMAGES. 451 

ëonc avec un respect religieux {cum veneratione) qne 
saint Grégoire veut que l'on traite l'image et la croix. 
Mais, en l'an 600, nouvelle lettre au sujet des images. 
L'évêque de Marseille Serenus, dans un mouvement 
de zèle excessif, et craignant que son peuple ne tom- 
bât dans l'idolâtrie, avait brisé les images de son 
église. Saint Grégoire l'en blâme. L'antiquité a admis 
les i mages, non comme objet d'adoration, mais comme 
moyen d'instruction pour les ignorants qui, par les 
images, apprennent ce qu'ils doivent adorer et com- 
ment ils doivent se conduire. C'est le point de vue 
auquel le pape se met exclusivement : 

tt Aliud est enim picturara adorare, aliud per picturae histo- 
riam quid sit adorandum addiscere. Nam quod legentibus scrip- 
tura hoc idi otis praestat pictura cernentibus, quia in ipsa etiam 
ignorantes vident quid sequi debeant, in ipsalegunt qui litteras 
nesciunt. Undeet praecipue gentibus pro lectione pictura est... 
Frangi ergo non debuit qapA non ad adorandum in ecclesiis, 
sed ad instruendas solumihodo mentes fuit nescientium coUo- 
catum i. » 

C'est à tort, à mon avis, qu'on a voulu conclure de 
ces paroles' que saint Gré goire condamnait absolu- 
ment toute espèce de culte rendu aux images. Le texte 
de la lettre à Januarius prouve le contraire. Si le pape 
ne parle pas ici de culte, c'est qu'ayant affaire, d'une 
part, à un peu pie porté à la superstition — Serenus 
avait cru saisir quelques pratiques idolâtriques, — de 
l'autre à un évêque mal disposé vis-à-vis des images, 

adoramus quem per imagi netn aut nalum, aut passam, sed et in ttarono 
sedenlem recordamur. Et dum nobis ipsa pictura quasi scriptura ad 
memoriam Filium Bel reducit, animum nostrnm aut de resurrectione 
laetiGcat, aut depassione demulceU » U est juste de remarquer que ce 
témoignage sur les images n'existe que dans un très petit nombre de 
manuscrits de cette lettre : c Pauci sunt qui habent >, disent les édi- 
teurs bénédictins. Il a été cité cependant par le pape Hadrien dans sa 
réponse aaxreprehensionesde Charlemagne (vers ^9a).\. plus bas, p. 477. 
1. Episl. XI, 13, col. 11S8. 



452 HISTOIRE DES DOGMES. 

il a CPU plus utile de se borner à des considérations 
aisément acceptées de tous et dont on ne pouvait abu- 
ser. Retenons plutôt le mot par lequel l'auteur cons- 
tate que le zèle iconoclaste de Serenus est en opposi- 
tion avec la conduite universelle dé l'épiscopat : « Die, 
frater, a quo factum sacerdote aliquando auditum est 
quod fecisti? Si non aliud, vel illud te non debuit re- 
vGcare ut, despectis aliis fratribus, solum tesanctum 
et esse crederes sapientem ? » 

Au début du vm® siècle, au moment où va commen- 
cer la lutte iconoclaste, le culte des images aussi bien 
que leur usage est donc généralement reçu. Et cepen- 
dant, avec l'opposition déjà mentionnée des juifs et 
des pauliciens ^ , nous avons à signaler^ dans la période 
du v^ au VII® siècle, la résistance à cet usage de nou- 
veaux adversaires : c'est celle des monophysites. 

Théophane assure dans sa Chronique^ que Pbi- 
loxène de Mabboug rejetait Tes images de Notre-Sei- 
gneur et des saints. Son assertion est confirmée par la 
réfutation des résolutions iconoclastes,lue au VIP con- 
cile général ^, et par un passage de V Histoire ecclé- 
siastique du monophysite Jean, lu dans la cinquième 
session du même concile^. Il y est dit que Philoxène 
ne pensait pas qu'on honorât le Christ en en faisant 
des images, qu'iL regardait comme illicite de repré- 
senter dans un corps les anges, êtres spirituels, et 
comme puéril de figurer le Saint-Esprit sous la forme 

1. Les pauliciens sont une branché de manichéens nés dans la 
deuxième moitié du vu* siècle, et dont l'histoire est assez bien connue. 
Il est vraisemblable qu'ils repoussaient toute espèce d'images ; mais 
il est certain qu'ils se refusaient à adorer la croix : Tôv tÛtcov xal vtc* 
ÈvépYctav xat 8ûva{uv toû Tt(t(ou xal t^cdOTCoioû «rcaupoû (i.'n &TCoSÉxeffOat, 
dit Pierre de Sicile dans l'exposé qu'il fait de leur doctrine (Eistoria 
manichaeorum, lO; cf. 7, 29; P. G., CIV, 1286, 1249, 1284). 

2. Ad ann. mundi S982, col. 3^. 

3. Session sixième, Hansi, XIII, 317. 

4. Hamsi, XIII, 180, 181. 



LA CONTROVERSE DES IMAGES. 453 

d'une colombe : et qu'en conséquence, il détruisait les 
images des anges, et cachait dans des lieux obscurs 
celles du Christ. 

Ces reproches adressés à Philoxène sont étendus par 
le VIP concile général à Sévère, à Pierre le Foulon, 
et généralement à tous les acéphales * . C'est qu'il y 
avait en effet un lien entre le monophysisme et l'ico- 
noclasme. On se rappelle que la raison apportée par 
Eusèbe de Césarée, pour déclarer impossible la re- 
présentation de l'humanité glorifiée de Jésus-Christ, 
est que cette humanité est transformée, divinisée : elle 
est àXTjTtfoç 2. Pour les monophysites stricts, c'est-à-dire 
pour les eiitychiens et tous ceux qui admettaient en 
Jésus-Christ une transformation ou absorption de l'hu- 
manité en la divinité, il est clair que cette raison va- 
lait aussi bien pour l'humanité avant la résurrection. 
Pour les monophysites moins stricts, pour les sévé- 
riens, tracer l'image de Jésus-Christ, c'était toujours 
séparer en lui l'humain du divin, distinguer deux 
natures, ce qui n'était point permis. Un des arguments 
que firent valoir les iconoclastes pour défendre leur 
opinion fut précisément cette impossibilité de séparer 
en Jésus-Christ le borné et le circonscrit de l'in- 
fini et de l'illimité. Si on prétend ne peindre que l'hu- 
manité, disaient-ils, on divise le Christ, et on est nesto- 
rien : on fait le Christ àôéwtov : si on prétend représen- 
ter à la fois les deux natures, on les confond et on est 
eutychien; mais de plus on enferme l'incirconscriptible 



i. Mansi, xni, 317, 2S3. Une lettre écrite en S18 par le clergé d'Antio- 
«he au patriarche Jean II de Constantinople, et insérée dans les actes 
du concile de Constantinople de 536, action cinquième, accuse Sévère 
d'avoir enlevé et de s'être approprié les colombes d'or et d'argent re- 
présentant le Saint-Esprit, suspendues au-dessus des baptistères et des 
autels, sous prétexte que l'on ne devait point représenter ainsi l'Esprit- 
Saint (Mahsi, vni, 1039). 

2. PiTSA, Spicil. solesm., I, 38o. 



454 HISTOIRE DES DOGMES. 

divinité dans les limites de la chair *. Le monophysisme 
conduisait donc assez naturellement à repousser les 
images, celles au moins de Jésus-Christ, et il ne faut 
pas s'étonner que ses principaux fauteurs n'aient pas 
échappé à cette conséquence. 



§ 3. — L'hérésie iconoclaste sous Léon l'Isaurien 
(726-740^. L'opposition de saint Jean Damascène^. 

Dans les pages qui précèdent, on a eu l'occasion de 
noter les diverses manifestations d'une opposition à 
l'emploi et au culte des images qui vient tantôt de 
l'extérieur, tantôt de l'intérieur de l'Eglise. Au dehors 
les juifs et plus tard les musulmans et les pauliciens 
reprochent aux chrétiens le culte et l'usage des images 
comme une idolâtrie ^. Au dedans, des évoques et des 



1. MaSSI, XTII, 252, 236-260. 

2. Sources pour la connaissance de l'hérésie iconoclaste : 1* Avant 
tout les actes des conciles relatifs à cette alTaire, ceux notamment du 
VII" concile œcuménique (Mansi, XII et XIII) et du concile iconoclaste 
de 815 (Hefele-Leclercq, Hist. des conc, III, 2). 2» Les écrits tiiéologi- 
ques contemporains sur la question : Saint Jean Dahàscène, ses trois 
discours Adversus eos qui sacras imagines abiiciunt (P. G., XCIV, col. 
4232-1 tao). Les trois opuscules, De sacris imaginibus adversus Con- 
stantinum Cabalinum (P. G., XCV, 309-344), Epistula ad Theophilum 
imperatorem {ibid., 345-383), Opusculum adversus iconoclastas (P. G., 
XCVI, 1348-1361) ne sont pas de saint Jean; Y Epistula est de 843 ;• 
l'Opusculum de 771. Kicéphore le patriarche, Antirrhetica (P. 6., C, 
205-533). Théodore Stcdite, Antirrhetici (P. G., XCIX) et sa correspon- 
dance [ibid.). 3" Au point de vue historique, les Chroniques de Tuéo- 
phane (P. G., CVIII) et de ses continuateurs (Theophanes contincatcs, 
P. Gr., CIX); celles de Léon le Grammairien (P. G., CVIII), de Nicéphore 
(P. G., G) et de Georges le Moine (P. G., CX); de plus les vies des em- 
pereurs et des saints confesseurs engagés dans la querelle, que l'on 
trouvera dans P. G., XCIX, C, CVIII, CXV. — Les sources spéciales de 
la querelle des images en Occident seront données plus loin. — Tra- 
vaux : HEFELE-LECLERCQ,fi^îS/.des coïic, III, 2. Paris, 1910. K. Schwarzlose- 
Der Bilderstreit, Gotha, 1890; Toogard, La persécution iconoclaste, Pa- 
ris, 1897; E. Marin, Les moines de Gonstantinople, Paris, 1897; L. Bré- 
HiER, La querelle des images, Paris, 1904 ; J. Pargoire, L'Eglise byzan- 
tine de 527 à 847, Paris, 1903. 

3. L'islamisme primitif n'était pas, en principe, opposé anx représen- 



LA CONTROVERSE DES IMAGES. 455 

théologiens condamnent ces mêmes pratiques, soit au 
nom de l'Ecriture, soit en vertu de considérations 
christologiques, soit encore par crainte d'abus inévi- 
tables ' . A côté de ces raisons particulières cependant, 
et comme raison plus générale et plus profonde qui 
explique l'opposition faite aux images, en certaines 
contrées du moins, on a signalé un secret éloignement 
des populations de la Syrie et de l'Egypte et des peu- 
ples germaniques pour la représentation de la figure 
humaine dans l'ornementation religieuse. Ils se dé- 
fiaient du culte de la beauté humaine qui attirait tant 
les grecs, comme d'une idolâtrie; et c'est par des li- 
gnes géométriques, par des entrelacs indéfiniment ré- 
pètes, par des symboles empruntés au règne végétal ou 
animal qu'ils essayaient plutôt d'exprimer le senti- 
ment du divin et de l'infini 2. 

Toutes ces influences à la fois semblent s'être exer- 
cées d'une façon plus ou moins apparente sur l'esprit 
de Léon risaurien, pour le déterminer à déclarer la 
guerre aux images. Léon était né en pleine Syrie, à 
Germanicia : il avait pu connaître les pauliciens dont 
le centre d'action, Samosate, n'était pas éloigné. Il est 
possible aussi qu'il ait subi indij-ectement l'influence 
des musulmans et des juifs '. Il est certain, en tout cas, 



tations figurées. Il le devînt plutôt sous l'influence des populations 
syriennes et coptes au milieu desquelles il s'établit. La proscription des 
images cliez les musulmans ne date que du calife Omar II (717-720). Y. 
L. BnÉBiEn, op. cit., p. 911). 

1. Que ces abus se soient en eiïet produits çà et là ; bien plus qu'au 
cours de la controverse ils aient empiré en quelques endroits, et se 
soient multipliés, comme une protestation plus énergique decertnins 
esprits exaspérés contre la persécution dont leur foi était l'objet, c'est, 
je orois, ce dont on ne saurait raisonnablement douter. On en trouvera 
plus loin des exemples. 

2. L. BnÉniER, op. cit., p. 8, 9. 

3. Théophane le dit formellement {Chronique, ad ann. mundi 6215, 
col. 8*2) ; mais l'faistoiiré du renégat Béser, telle qu'il la raconte, n'est 
pas bien sûre. 



456 HISTOIRE DES DOGMES. 

r 
qu'il fut lié de bonne heure avec un petit groupe d'évê- 
ques très décidés contre les images. Leur chef était 
l'évêque de Nacolia, Constantin; et après lui, on 
nomme l'évêque de Claudiopolis, Thomas, et l'arche- 
vêque d'Éphèse, ïhéodose, fils de l'ancien empereur 
Tibère II, qui passait pour le conseiller de Léon ^ 

C'est en 726 que Léon publia contre les images son 
premier édit 2. Nous n'en connaissons pas exactement 
le contenu ^ : la destruction des images y était certai- 
nement impliquée. Mais, si l'empereur avait pensé que 
ses ordres s'exécuteraient aisément, il s'était trompé. 
A Constantinople, on massacra l'officier qui tentait de 
renverser l'image du Christ ornant le vestibule du pa- 
lais impérial. La Grèce et les Gyclades se soulevèrent 
•et, proclamant empereur un certain Cosmas, équipè- 
rent une flotte qui vogua vers Constantinople, mais fut 
anéantie le 18 avril 726. En Italie, l'insurrection fut gé- 
nérale. Dans le centre et le nord-est encore soumis à 
Byzance, les fonctionnaires furent chassés ; les duchés 
delaVénétie et de la Pentapole firent défection; l'exar- 
que fut bloqué dans Ravenne, et la Gampanie ne put 
être réduite à l'obéissance''. 

Nous sommes moins bien renseignés sur ce que fut 
en Orient la résistance ecclésiastique dans ces premiè- 

\. Les deux premiers personnages sont connus par des lettres du 
patriarche Germain de Constantinople (Mansi, Xlir, 100, 105, 108). Sur 
Tliéodose V. Mansi, xil, 967. 

2. Léon était devenu empereur et fondateur d'une nouvelle dynastie 
en 716. Tous les auteurs s'accordent à louer ses qualités militaires et 
administratives. Malheureusement, comme beaucoup des empereurs de 
Byzance, il voulut gouverner à la fois l'Église et l'Empire. BactXeù; xai 
tepeûç EÎfjii était une parole qu'on lui prêtait (Mansi, XII, 975). 

3. En tout cas il ne prescrivait pas uniquement, comme on l'a dit au- 
trefois sur la foi d'une traduction latine de la vie de saint Etienne le 
Jeune, de placer les images plus haut dans les églises. Cette même Vie 
suppose que l'empereur manifesta directement et de vive voix sa vo- 
lonté dans une assemblée du peuple : ce détail est vraisembjiable : 
).6yov TroteîffOat, dit Théophane. 

k. V. le Lihtr pontificalis , contemporain des faits, I, 404, 403. 



LA CONTROVERSE DES IMAGES. 457 

res années de l'hérésie ; et il ne semble pas d'ailleurs 
que, jusqu'en 729 ou 730, Léonrisaurien se soit préoc- 
cupé d'obtenir la sanction doctrinale de ses mesures 
par l'épiscopat. Mais, en 730, il prétendit obliger le pa- 
triarche Germain à souscrire à la condamnation des 
images. Germain, qui plusieurs fois déjà avait blâmé 
cette condamnation, s'y refusa, donna sa démission 
(7 janvier 730), et peu après mourut étranglé. Son suc- 
cesseur, le syncelle Anastase, céda aux exigences de 
Léon, et son exemple entraîna probablement un cer- 
tain nombre d'évêques. Quelques-uns, nous l'avons dit, 
n'avaient pas besoin de l'être : ils avaient dû, dès la 
première heure, approuver les vues iconoclastes du ' 
souverain. 

Il y avait cependant, en Occident, un évêque qu'il 
était plus difficile d'atteindre que le patriarche de 
Gonstantinople, et dont l'adhésion importait au plus 
haut point : c'était le pape. Mais l'empereur put s'a- 
percevoir de suite qu'il n'en obtiendrait rien. Gré- 
goire II (715-731), tout en rendant à Léon le service de 
lui conserver ses possessions en Italie, avait méprisé 
ses premières promesses comme ses colères et, à la 
lettre intronistique d'Anastase, avait répondu par une 
menace de déposition si le patriarche ne s'amendait ^ 
On sait aussi qu'il écrivit à l'empereur pour tâcher de 
le ramener à de meilleurs sentiments. Ses lettres sont 
perdues ^ et, en tout cas, elles furent inutiles. Son suc- 
cesseur Grégoire III (731-741) ne fut pas plus heureux, 
mais ne fut pas moins ferme. Quatre fois, il tenta de 
faire passer à l'empereur, par la voie régulière, des 



1. Lib. pontif., I, 404, 409. 

2. Les deax lettres publiées dans Maksi, XII, 9S9 et 975, ne sont pas 
authentiques. Elles paraissent avoir été fabriquées à Gonstantinople 
même et par un contemporain des événements. A ce titre, elles ont une 
valeur documentaire (L, Dcchesne, Lib. pontif., I, MS, note -ib). 

26 



458 HISTOIRE DES DOGMES. 

lettres où il réclamait en faveur de l'orthodoxie persé- 
cutée. Ces missives ou ne furent pas remises ou furent 
interceptées. D'une cinquième tentative on ignore le 
résultat précis ^ . Mais le pape n'avait pas attende ce 
moment pour préciser son attitude doctrinale. Le 1" no- 
vembre 731, un concile de quatre-vingt-treize membres, 
qu'il fît tenir à la confession de saint Paul, décida « ut 
si quis deinceps, antiquae consuetudinis apostolicae 
ecclesiae tenentes fidelem usum contemnens, adversus 
eandem venerationem sacrarum imaginum, videlicet 
Dei et domini nostri lesu Christi et genetricis eius 
semper virginis immaculatae atque gloriosae Mariae, 
beatorum apostolorum et omnium sanctorum depositor 
atque destructoret profanator vel blasphemus extite- 
rit, sit extorris a corpore et sanguine domini nostri 
lesu Christi, vel totius ecclesiae unitate atque com- 
nage^ ». 

A cette décision Léon répondit en équipant une 
flotte qui devait vaincre les résistances du pape et des 
populations italiennes. Elle fît naufrage dans l'Adria- 
tique. Il s'en prit alors à la Sicile et aux Calabres; il 
chargea les habitants d'impôts, confisqua les patri- 
moines de l'Eglise romaine, et rattacha à l'obédience de 
Constantinople les évêchés de l'Italie méridionale. C'é- 
taient, en somme, les représailles d'un impuissant. 

En Orient d'ailleurs, et précédant même les décisions 
romaines, une voix érudite s'était élevée en. faveur 
des images. Saint Jean Damascène était entré en lice. 

Ses trois discours sur les images^ datent, le pre- 

4. Lib. pontif., I, 416, 417. Les lettres étaient adressées à Ânastase et 
aux deux empereurs Léon et Constantin (Copronyme). 

2. Lib. Pontif., 1, 446. 

3. P. G., XCIV, 1232-1420. On y peut ajouter ce que l'auteur a écrit 
sur les images dans le De fide orthodoxa, lY, 16, mais qui n'est qu'un 
pâle abrégé des discours. 



. LA CONTROVERSE DES IMAGES. 459 

mier probablement de 726, le deuxième de 730 envi- 
ron, le troisième d'un peu plus tard. Ils offrent un fond 
d'idées commun, et plusieurs passages de rédaction 
presque identique. Chacun d'eux se termine par . une 
série de témoignages patristiques ' . 

En voici le résumé doctrinal : 

Dieu sans doute est invisible, illimité, absolument 
incorporel : on ne peut donc le représenter tel qu'il est 
dans une image sensible, bien qu'Use soit fait connaître 
aux prophètes sous des images ou espèces purement 
intelligibles (i, 4; ii, 7, 11; m, 4, 9, 24). Mais ce Dieu 
s'est fait homme, et comme tel on peut le peindre et le 
représenter : où tV aôp«tov eljtovîÇw OeôtYiTa, àXV eîxov(C(o 
ÔMλ tJjv SpaôeTorav ffàpxa (i, 4, 16; III, 6). De même, on 
peut représenter la Vierge, les saints, et généralement 
tous les êtres corporels (i, 19; m, 24). Quant aux 
anges, aux démons, et aux âmes humaines, ou les peut 
représenter aussi; car bien qu'ils soient immatériels 
si on les considère par rapport aux corps terrestres, 
ils ne sont pas absolument simples, ils sont corps 
{ffwixaTa) si on les compare à Dieu : ils sont finis, cir- 
conscrits, limités à un lieu, et c'est sous des images 
ou figures qu'ils nous ont été révélés (m, 25). — Voila 
pour la possibilité des images religieuses. 

Mais est-il permis d'en faire et d'en user? 

On objecte à cette permission les prohibitions de 
l'Ancien Testament. Elles n'étaient pas aussi absolues 
qu'on le prétend (i, 20; ii, 9; m, 9);*et de plus elles 
sont abolies, car nous ne sommes plus sous le règne de 
la Loi, mais sous celui de la Grâce; nous ne sommes 



1. Plusieurs de ces témoignages sont apocryphes. Quelque remar- 
quables d'ailleurs que soient ces discours au point de vue théorique, 
ils portent la marque de la décadence. La critique historique j est 
parioisen défaut, et l'auteur parait disposé à tout accepter en fait de 
merveilles et- de légendes favorables à ses vues. 



460 HISTOIRE DES DOGMES. 

plus des enfants : nous sommes à l'âge mûr du Christ 
(i, 6-8; 11, 7,8; m, 8). Dieu, en se rendant visible, nous 
a en quelque sorte incités àfaire son image visible {u]5). 
Du reste, l'usage et la tradition de l'Église sont là qui 
autorisent les images ; et cette tradition, même en 
dehors de l'Écriture, est suffisante (i, 23; ii, 16). Et 
puis, est-ce que les images ne sont pas partout? Est-ce 
que Dieu n'est pas l'auteur de multiples images? Le 
Filsest yimage du Père (i, 9; m, 18); en Dieu se trouve 
l'image de ce qu'il doit créer (i, 10 ; îii, 19) ; le monde 
et l'homme surtout sont l'image de Dieu, de la Trinité 
(i, 11; m, 20) ; tout l'Ancien Testament n'est qu'une 
figure et une image du Nouveau (i, 12; m, 22); et 
qu'est-ce que l'histoire, que.sont les monumentjs du 
passé, sinon des images de ce passé? (i, 13; m, 23). 

L'usage des images est donc légitime. 

Peut-on en dire autant du culte qu'on leur rend? 

On objecte, pour nier la légitimité de ce culte, que 
les images sont delà matière, qu'elles sont créées, et 
que le culte n'est dû qu'à Dieu. C'est vrai : les images 
sont en soi de la matière, elles sont créées; mais il 
s'agit précisément de savoir si les choses créées et 
matérielles ne peuvent être l'objet d'une vénération 
et d'un culte. Or, est-ce que le corps et le sang de 
Jésus-Christ ne sont pas matière et créés ? Et cepen- 
dant nous les adorons. Est-ce que la croix, les calices, 
les instruments du culte ne sont pas matériels? Et 
cependant nous les honorons. Ne médisons donc point 
de la matière : ce serait du manichéisme : jx^ xaxi^e t^v 
uXrjv ou Y«p «TifAo; (i, 16 ;' II, 13, 14). 

D'ailleurs, il faut distinguer plusieurs sortes de 
culte. Le culte rendu aux images n'est pas un culte 
absolu, mais relatif, qui se rapporte, en définitive, à 
l'original. C'est le grand principe proclamé par saint 
Basile : ^ y^P ""5*^ eîxovoç-ri^jiTj «poç tèv icptuTotuitov SiaëaCvEt 



LA CONTROVERSE DES IMAGES. 4Cî 

(i, 21). Ensuite, autre chose est l'adoration de latrie 
(f, -niç Xa-cpei»; wposxuvviffiç), autre chose l'adoration de res* 
pect (-n EX *citA9)<; Trpo(jaYO{*lvvi), qui a pour objet les per^ 
sonnes ou les choses en qui se trouve quelque excel- 
lence ou quelque dignité spéciale (i, 8, 14) : car le 
mot irpoffxuvïjffiç signifie bien des sentiments : le respect, 
l'amour, la crainte révérentielle, la sujétion, l'humilia- 
tion (m, 40). Or, l'adoration de latrie ne se rend qu'à 
Dieu; malheur à qui adorerait ainsi les images ! (i, 16 ; 
11,11; ni, 9, 40); mais la vénération, l'hommage, 
la TTpoffxuvïjffii; TifjirjTix:^ peut et doit se rendre à tout ce 
qui est revêtu de quelque dignité (m, 40) : hommage 
religieux, s'il s'agit de choses ou de personnes ayant 
une excellence religieuse, tels les saints, les reliques, 
les objets du culte, la Bible ; et c'est dans cette caté- 
gorie que rentrent les images de Notre-Seigneur et 
des saints (m, 33-36) : hommage civil, s'il s'agit de 
personnagesayant une prééminence dans l'ordre so- 
cial, tels que nos maîtres, les princes, etc. (m, 37-39). 

L'essentiel de sa démonstration achevé, saint Jean 
Damascène n'oublie pas, pour la fortifier encore, de 
rappeler la multiple utilité des images. 

Elles sont un moyen d'instruction : c'est le livre des 
ignorants : Snep totç Yp«M-f*««^i (jieijivyjfjiÉvoK; ^ pfêXoç totÎTO xal 
TOtç (XYpa(/.(i!.âTOiç ■fi eixwv (l, 17). 

Elles sont des mémoriaux qui nous font souvenir 
des bienfaits deDieu etdes mystères de Notre-Seigneur 
(1,18). ■ 

Elles sont de puissants excitants pour le bien : les 
exemples des saints qu'elles mettent sous nos yeux 
nous portent à les imiter (i, 21). 

Et enfin elles sont, d'une certaine manière, des ca- 
naux de la grâce. C'est ici une conception propre à la 
théologie grecque : les images sont des sortes de sa- 
crements ; elles ont reçu une vertu sanctificatrice en 

26. 



462 HISTOIRE D£S DOGMES. 

considération des personnages saints qu'elles repré- 
sentent : Xapiç SiSotat ôcta rat; uXaiç Stot t^ç etxovt^ouÉvcdv 
irpoffriYopiaç (i, col. 1264 ; I, 16; II, 14). 

Telle est, dans ses grandes lignes, l'apologie que, 
dans le second quart du viii^ siècle, saint Jean Da- 
mascène présentait des saintes images. Comme on a 
pu le voir, il avait élargi le débat et rattaché très 
habilement la question du culte et de l'emploi des 
images à la question du rôle joué par les rites et 
objets sensibles dans l'œuvre de notre salut et de notre 
sanctification, à la question de la possibilité pour la 
matière d'être sanctifiée et élevée à un état surnaturel. 
C'était un terrain solide, et où l'onnepouvait l'attaquer 
sans attaquer les coutumes les plus universellement 
reçues. Mais d'ailleurs, et pour tout conclure, il dé- 
clarait énergiquement — et cette déclaration lui était 
plus facile qu'à d'autres, puisqu'il vivait hors des li- 
mites de l'empire — qu'il n'appartenait point à l'empe- 
reur de trancher cette question de la légitimité des 
images, et que le prince n'avait, pour le faire, ni au- 
torité, ni compétence : 2uvo5tdv Taûxa oô pafftXswv (i, 
col. 1281). Ou paotXswv IffTt vofAOÔsTÊÎv tr, 'ExxXrjcfot... ^asi- 
XÉcDv IjtIv -^ uoXitixt; ECTcpaÇta* yj Ss IxxXrjaiaffTix^ xaTâonraciç 
xoifxÉvwv xat StSaffxaXwv(i, 12). Plût à Dieu que les Grecs 
se fussent souvenus plus souvent de ces principes! 

§ 4. — Constantin Gopronyme et le concile d'Hiéria. 

Léon risaurien mourut le 18 juin 740. En somme, il 
n'avait poussé que mollement à la destruction des images 
et, seules, les provinces d'Asie Mineure, où se trouvait 
la force du parti iconoclaste, s'étaient, sous son règne, 
détachées de l'orthodoxie. Mais le fils de Léon, Cons- 
tantin V surnommé Copronyme, qui lui succéda, était 



LA CONTROVERSE DES IMAGES. 463 

bien décidé à réaliser jusqu'au bout le programme pa- 
ternel, et à vaincre, coûte que coûte, toutes les résis- 
tances. Grâce à son fanatisme, le conflit prit un degré 
d'acuité atroce : il sembla que, dans l'empire, on 
était revenu aux plus mauvais jours des persécutions 
païennes. 

Copronyme fut cependant empêché d'abord d'exé- 
cuter ses projets par une révolte de son beau-frère 
Artavasde, qui s'empara momentanément de Constan- 
tinople, et rétablit le culte des images (741). Le succès 
de ce mouvement fit-il comprendre à Constantin qu'il 
devait ménager un peu l'opinion de ses sujets ? C'est 
possible ; car, rentré en possession de sa capitale (no- 
vembre 742), il maintint jusqu'en 753 la tolérance rela- 
tive à laquelle son père s'était résigné. Mais en 753, il 
se mit à l'œuvre de sa réforme. 

Il lui parut qu'avant tout — chose négligée jusque-là 
— il fallait obtenir de l'ensemble de Tépiscopat une 
décision doctrinale et des anathèmes sur lesquels l'Etat 
appuierait ses décrets de répression. Un concile fut 
convoqué au palais d'Hiéria, qui s'ouvrit le 10 février 
753 et compta trois cent trente-huit évêques. Les pa- 
triarcats d'Antioche, de Jérusalem et d'Alexandrie non 
plus que le pape n'y furent pas représentés, ce qui 
n'empêcha pas l'assemblée de se proclamer œcumé- 
nique.Théodose d'Éphèse présidait.Les actes du concile 
sont perdus ; mais nous avons son opoç ou décision finale, 
suivie des anathématismes, conservés dans les actes 
du VIP concile général*. On y déclare à la fois impos- 
sible et illicite de faire des images religieuses, d'en 
user et de leur rendre un culte. En ce qui concerne en 
particulier l'impossibilité de peindre des images de 
Jésus-Christ, la raison alléguée est celle qui a été rap- 

t. Sixième session, BIansi, xni, 208-3S6. Le texte, imprimé en italiques, 
«st coupé par fragments, suivis ctiacun d'une réfutation. 



464 HISTOrRE DES DOGMES. 

portée plus haut : car, dit-on, ou bien l'artiste prétend 
représenter tout Jésus-Christ, homme et Dieu, et alors 
il circonscrit la divinité et confond les natures ; ou bien 
il prétend ne représenter que l'humanité, et il divise ce 
qui doit être uni; il fait un corps àôéwxov, il tombe dans 
le nestorianisme, et ceux qui vénèrent cette image 
partagent son hérésie ^ L'unique image que le Sauveur 
nous ait donnée de lui-même est l'eucharistie, le pain 
et le vin consacrés ^. Quant aux images de la Vierge 
et des saints, elles sont interdites par l'Eglise, qui re- 
pousse les idoles et l'idolâtrie'. Les saints, d'ailleurs, 
vivent avec Dieu, et c'est une impiété que d'essayer de 
prolonger, par les images, leur vie terrestre : c'est les 
déshonorer que de représenter leurs personnes glo- 
rieuses par une vile matière ■*. Suit une série de textes 
de l'Écriture et des Pères pour appuyer ces raisons. 
Puis le concile décrète que toute image peinte ou de 
quelque nature qu'elle soit doit être rejetée de l'Église 
comme contraire à la foi et abominable^; que si quel- 
qu'un ose en faire, en adorer, en exposer dans l'église 
ou dans sa demeure ou en cacher, il sera déposé, s'il 
est évêque, prêtre ou diacre ; il sera excommunié s'il 
est moine ou laïque)^. On défend cependant de mettre 
la main, sous prétexte de détruire les images, sur les 
vases sacrés et autres objets du culte qui pourraient en 
porter '. 

A la suite de ces dispositions viennent les anathèmes 
du concile qui reproduisent, sous une autre forme, ses 
décisions doctrinales. Le dernier était porté contre 



i. Mansi, loc. cit., 2S2-260. 
2» Ibid., 2G1-264. 

3. Ibid., 273. 

4. Ibid., 876, 277. 

5. Ibid., 324. 

6. Ibid., 338. 

7. Ibid., 329-332. 



LA CONTROVERSE DES IMAGES. 4G5 

Germain, l'ancien patriarche, Georges de Chypre, 
un autre défenseur des images, et surtout Mansour, 
nom que l'on donnait à saint Jean Damascène. Mais, 
d'autre part, on remarquera que les anathèmes 9, 11 
et 12 répondent à des préoccupations différentes des 
préoccupations iconoclastes." Le neuvième définissait 
la légitimité de l'invocation et la puissance de l'inter- 
cession de la sainte Vierge; le onzième la légiti- 
mité de l'invocation et la puissance de l'intercession 
des saints; le douzième la résurrection de la chair^ 
l'éternité des peines et des récompenses finales. Ces 
définitions parurent nécessaires au concile en face des 
dispositions inquiétantes dont témoignait l'empereur. 
Ce n'était pas en effet les images seulement que Co- 
propyme voulait détruire : il aurait voulu qu'on rejetât 
avec, elles le culte des reliques et l'invocation de la 
Vierge et des saints, et il avait même la pensée, dit 
Théophane, de nier la maternité divine de Marie ' . C'en 
était trop. Les évêques d'Hiéria, pour serviles qu'ils 
fussent, ne le suivirent pas jusque-là, et osèrent même 
glisser dans leurs anathèmes un désaveu formel de ses 
erreurs. , 

Constantin V n'en possédait pas moins l'arme qu'il 
avait souhaitée, et il commença aussitôt à s'en servir. 
Certaines églises furent profanées ; dans les autres, les 
saintes images furent détruites et remplacées par des 
peintures de paysages et d'oiseaux qui firent ressembler 
les oratoires à des vergers ou à des volières 2. En même 
temps l'empereur exigeait que les évêques, les moines 
et même de simples laïcs souscrivissent aux décisions 
de son concile. Il ne paraît pas avoir rencontré d'oppo- 
sition dans le clergé séculier. Mais les moines, résistè- 
rent avec énergie, et plusieurs préférèrent l'exil à la 

i. Chronogr., ad ann. mundi 62b3, 62S7 (col. 8TC, 877, 884). 
2. Vita S. Steph. iunior. (P. G., G, H20). . 




• ^ 



466 HISTOIRE DES DOGMES. 

soumission ' . Copronyme en conçut contre tout ce qui 
était moine une haine féroce. En 761, l'ère des martyrs 
s'ouvrit avec Pierre Calybite, et à partir de 765, la per- 
sécution fut portée à son comble. Jean de Monagria, 
Paul de Crète, saint Etienne le Jeune, bien d'autres 
encore périrent dans les tourments ^. On vit à Constan- 
tinople et dans les provinces se passer des scènes igno- 
bles 3. Le lamentable patriarche Constantin lui-même 
ne put échapper aux caprices sanguinaires du maître 
et, tombé en disgrâce en 765, fut déposé, exilé et plus 
tard décapité. On le remplaça par un eunuque, Nicé- 
tas"*. 

Lorsque Constantin mourut, le 14 septembre 775, la 
terreur régnait donc partout dans l'empire; mais l'or- 
thodoxie, pour autant, n'était pas vaincue. Un synode 
de Latran, tenu en 769 sous Etienne III, avait, dans sa 
quatrième session, condamné de nouveau l'erreur ico- 
noclaste^ ; et, en Orient même, un concile célébré à Jé- 
rusalem en 767, et qui représentait les trois patriarcats 
d'Antioche, de Jérusalem et d'Alexandrie, s'était pro- 
noncé dans le même sens ^. Copronyme disparu, l'es- 
poir de jours meilleurs ne tarda pas à naître. 



§ 5. — Premier rétablissement des images. 
Le VII* concile général. 

Cet espoir était justifié par le caractère du nouvel 
empereur, Léon IV le Chazare, qui, malgTé son atta- 
chement aux doctrines iconoclastes, aimait à s'entou- 
rer de moines, et ne pressa pas l'exécution des décrets 

\. Ibid., col. m7-Ji20. 

2. Ibid., col.ilBi, 1165, 1176, 1177. tj 

3. TiiÉOPHANE, Chronogr., col. 108, 881, 897, 900. 

4. Ibid., col. 884, 883. 

5. Mansi, XII, 7-20-7->>J; Lt6. ponfj/îc, I, 4-r6, 477. 

6. Mansi, XII, 272; cf. Tbéophase, Chronogr., col. 873. 



LA CONTROVERSE DES IMAGES. . 467 

persécuteurs. Il était justifié surtout par les sentiments' 
de la nouvelle impératrice, l'athénienne Irène, que l'on 
savait favoriser secrètement l'orthodoxie. Il se pro- 
duisit donc d'abord une détente ; puis Léon IV étanti 
mort le 8 septembre 780, Irène prit en main les rênes 
du gouvernement comme tutrice de son jeune fils 
Constantin Porphyrogénète, et l'œuvre de la restitution 
des images commença. 

Elle commença par la démission volontaire du pa- 
triarche Paul, désireux d'expier ainsi la faiblesse qu'il 
avait eue — et qu'il se reprochait — de prêter le ser- 
ment de ne pas rétablir les images. On lui donna 
comme successeur le secrétaire impérial Tarasius 
(25 décembre 784). Tarasius se prononça immédiate- 
ment contre les décisions iconoclastes d'Hiéria • , et de- 
manda un concile général. La réunion d'un concile 
entrait pleinement dans les vues d'Irène, et le pape, 
Hadrien, à qui elle en écrivit, ne s'y opposa pas 2; les, 
autres patriarcats orientaux y consentaient aussi ^.; 
Mais la présence à Constantinople de l'ancienne garde 
impériale de Copronyme, toute dévouée à ses idées,; 
constituait un danger. Une première assemblée du 
concile, tentée le 17 août 786 dans l'église des Saints- 
Apôtres, dut se disperser devant les menaces d!nne 
soldatesque furieuse qui envahit l'église. Irène parut 
céder, et déclara le concile dissous. Elle ne fit que tem- 
poriser. Sous divers prétextes, elle éloigna de Constan- 
tinople, puis fit désarmer les mutins, et les remplaça 
dans, la ville par des troupes, sûres. Et le 24 septem- 



1. Lettre cCintronisation dans BIassi, XH, 1H9-H27; Théophane, Chro- 
nogr., col. 928. 

2. Mansi, XII, 984,. 985, 1055-1072. V.le fragment de la réponse du pape 
conservé par Anastase, où Hadrien proteste contre l'ordination préci- 
pitée de Tarasius, et le titre de patriarche œcuménigne qui lui est 
donné. 

3. MASSI, XII, H27-H35. 



^ 



o 



468 HISTOIRE DES DOGMES. 

bre 787, un nouveau concile fut réuni à Nicée en Bi- 
thynie : c'est le deuxième de ce nom, et le septième 
général^. 

Il compta de trois cent trente à trois cent trentè-sépt 
membres, et fut présidé par Tarasius. Deux légats, 
l'archiprêtre Pierre et l'abbé Pierre, représentaient le 
pape : les autres patriarcats d'Orient étaient repré- 
sentés par les deux moines Jean et Thomas, délégués 
non par les patriarches eux-mêmes qui, placés sous la 
domination arabe, ne pouvaient communiquer direc- 
tement avec Constantinople^, mais par le haut clergé 
(àpj^iEpeTç) et par les archimandrites de ces régions. 

L'assemblée tint huit sessions, dont deux ou trois 
seulement offrent un intérêt dogmatique. Dans la 
deuxième ^, on lut les lettres du pape à Irène et à Ta- 
rasius, et Tarasius déclara en accepter la doctrine sur 
les images. Dans la quatrième (l" octobre 787)'', après 
lecture de passages de l'Écriture et des Pères favora- 
bles aux images, le concile déclara admettre l'inter- 
cession de la Vierge, des anges et des saints, baiser 
respectueusement (asTraÇofjiEÔa) les images delà croix 
et les reliques, recevoir, saluer et embrasser, suivant 
la tradition de l'Eglise, et adorer d'un hommage d'hon- 
neur (ttfxiriTixwç Tcpo(7xovoû{j!.6v) Ics Imagcs de Notre-Sei- 
gneur, de la Vierge j des anges incorporels, mais qui 
ont apparu sous la forme humaine, et des saints. La 
sixième session (5 ou 6 octobre) ^ fut consacrée à la 
lecture et à la réfutation du décret du concile d'Hiéria 
de 753, et là septième (13 octobre) ^ à la lecture de 
l'opoç du,présent synode. Dans cette profession de foi, 

2V *• l'^s actes sont dans Maksf, XII, xni. 
/ j^2. Ils n'avaient pu recevoir la lettre d'intronisation de Tarasius. 

r ^ l ^^^ 3. MANsi, XII, 1031-1111. 

' ^ C " ■*• M^î-'Si. Xin, 1-1S6. 
,/ n\ 5. MASSI, XIII, 204-364. 
\ 6. MaNSI, XIII, 364-413. 



LA GONTllOVERSE DES ISIA.GES. 469 

les Pères répètent le symbole de Constantinople ; ils 
reçoivent les six premiers conciles généraux et leurs 
décisions ; puis ils définissent que l'on doit exposer non 
seulement l'image de la croix, mais aussi celles de 
Notre-Seigneur, de sa Mère, de,s anges et des saints * ; 
qu'on peut les baiser et leur rendre une adoration 
d'honneur (à<Tit«(T(Aov xat Ti[jir,TixV ïtpoaxuvYiaiv), mais non 
pas l'adoration de latrie proprement dite réservée à 
Dieu (oô fxrjV t^v xKTa «l'ffTiv ^(awv âïrfii^i^y Xa-cpei'av) ; et / 

qu'enfin on peut, en leur honneur, brûler de l'encens 
et allumer des lumières, comme on le fait pour la croix / 
^ et les évangiles; car l'honneur rendu à l'image se IC^k 

r^^f^^k,}^ongm^K^_^^ _,__.__ ,....-.-^ _.^^i 

ous les membres de l'assemblée signèrent cette 
profession de foi. Irène et son fils la souscrivirent dans 
une huitième et dernière session (23 octobre), tenue 
au palais de la Magnaure à Constantinople ; et l'on 
prit des mesures pour la destruction des écrits icono- 
clastes 3. Le rétablissement des images était un fait 
accompli. 



§ 6. ~ Réaction iconoclaste et triomphe définitif 
de l'orthodoxie. 



Il ne semble pas, en effet, qu'Irène ait rencontré de 
difficulté à faire accepter les décisions du concile. Le 
parti iconoclaste restait toujours nombreux cependant, 
et les divisions qui régnaient entre le patriarche et les 
moines de Stoudion ne pouvaient qu'entretenir son 
espoir de revenir aux affaires. Sous Michel Rhangabé 
(811-813), il fit, pour les reprendre, une tentative qui 



I. Oa remarquera qu'il n'est pai question d'images d« Dieu le Père 

«. Massi, XlU, 377. 

3. Canoa *J, hlissi, XIH, «30. 

HISTOIRE DES DOGHES. — III. 27 



470 HISTOIRE DES DOGMES. 

éclioïia;^ ; mais, en juillet 8i3, une révolution militaire 
porta au pouvoir le général Léon V rArraéiiièa. Avec 
lui, les itîonoclastes triomphaient de nouveau. 

Léon V fit d'abord composer, par le lecteur impérial 
Jean Hylilâs, un recueil de passages de l'Écrittire et 
des Pères contraires aux saintes images, et essaya de 
gagner à ses vues le patriarche. Celui-ci était alors 
Nicéphore, l'auteur même des Antirrhetica^. Nicé- 
phore résista, refusa même d'entrer en discussion 
avec les théologiens de l'empereur, et, dans une réu- 
nion de deux cent soixante-dix évêques ou abbés à 
Sainte-Sophie, fit réaffirmer les décisions de 787, et 
condamner l'évêque iconoclaste de Sylaeum, Antoin'e^. 
Léon parut céder; mais en 815, il reprit ses projets. 
Nicéphore exilé fut remplacé par un allié à la famille 
de Copronym^, Théodore Cassitera (1" avrir815), 
avec qui Théodore Studite refusa d'entrer en commu- 
nion. Un concile fut réuni à Constantinople qui compta 
trois sessions. On en a retrouvé les décisions repro- 
duites dans un ouvrage inédit de Nicéphore"*. Le con- 
cile y annule ce qui a été fait à Nicée par Irène et Ta- 
rasius, et confirme au contraire les décrets et canons 
du synode de 753. Il s'abstient cependant de traiter les 
images d'idoles, « car même entre mal et mal il y a des 
dififérences à faire ». 

En conséquence, la destruction des images et la per- 
sécution des orthodoxes recommencèrent, celle-ci 
moijis violente cependant que sous Copronyme, car on 

i. Théophane, Chronogr., ad ann. mundi 6304. 

2. P; G., C, 205-833; PiTRA, Spîetl'eg. solesm,,!, 302 et suiv. C'est peut- 
être l'œuvre la pius.forte et la plufr. accessible aux masses qui ait été 
écrite sur la question des images. 

3. Vita Leonis arment, P. G., CViii, d028, 1029. 

4. Voir D. Serruys, Les actes du concile iconoclaste de l'an 815, dans les 
Mélanges d^àrehéologie et d'histoii'ettom. XXin, 1903i, D. Leclercq a 
reproduit une partie de ce mémoire et le texte des* décisions du c&n- 
cile dans Hefele-Leclercq, Rist. des conciles^, III; 2, p; 1217 et suit. 



, LA. CONTROVERSE DES IMAGES. 471 

B'alla pas jusqu'au dernier supplice. Mais^ nombre 
d'évêque» et de moine» furent maltraités et exilés 
pour leur foi ^. Entre ces derniers, il faut nommer 
Théodore Studite et le chronographe Théophane. 

Sous Ife successeur de Léon V, Michel le Bègue (820- 
829), ïa tempête parai se calmer un peu, et plusieurs 
exilés purent rentrer chez eux j momentanément du 
moins. Michel, touten= déclarant qu'il ne voulait rien 
changer aux mesures de son prédécesseur, fit quelques 
tentatives pour l'union et, en 821, essaya de tenir un 
concile où orthodoxes et iconoclastes siégeraient 
ensemble et délibéreraient sur lés moyens d'assurer 
la paix. Les orthodoxes, guidés par Théodore Stu- 
dite, refusèrent ce traitement d'égalité, et renvoyèrent 
l'empereur au siège de Rome, a la plus élevée des 
Églises de Dieu, dont Pierre a été le premier évêque, 
à qui le Seigneur a dit : Tu es Pierre, etc.^ ». Michel 
se tourna alors vers l'Occident et s'efforça de gagnera 
sa cause le pape, Pascal P^, et Louis le Débonnaire. Sa 
lettre à Louis, qui est conservée **, mérite attention. 
L'empereur n'y condamne pas l'usage des saintes 
images d^ns les Églises : elles ont un but d'instruc- 
tion {ut ipsa pictura pro scriptura haheatur] ; mais 
il en condamne le culte; et c'est, dit- il, parce quepe 
culte, déjà illicite en soi, avait dégénéré en pratiques 
puériles et en superstitions ridicules qu'on avait pris, 
à Constantinople, des mesures pour le supprimer^. 

1. s. Nicephori vita, xn, 73 et suiv., 19; Mahsi, XIV, 139-148; Vita 
Leonis, col. 1035. L'brganisation du parti orthodoxe et la résistance des 
moines de Sioudion Orent céDéctiir TempereuF : il sentit au'il v aurait 
danger à pousser à bout les opposants. 

2. Mansi, XIV, 400, 4M. 

3. Mansi, XIV, 417-422. 

4. J'ai déjà dit que l'exislence de certains abus dans te cnlté des 
images n'est pas niable; elle serait conlirmée au besoin par le témoi- 
gnage de Théodore Sludîte lui-même," qui approuvé lé spHiliàire Jean 
d'avoir donn'é pour parraina son fils l'image de saint Démetrius (P. G-, 
XCIX, 981, 964). 



472 HISTOIRE D£S DOGMES. 

Les images placées trop bas avaient été enlevées; 
celles qui se trouvaient plus haut avaient été tolérées, 
mais à la condition qu'on ne les honorât point. 

L'empereur avait compté évidemment sur cet adou- 
cissement de la doctrine iconoclaste pour se concilier 
Louis le Débonnaire. On verra plus loin qu'il y réussit. 
Mais son successeur Théophile (829-842) revint à une 
théorie plus rigide et à des mesures plus violentes. 
De nouveau, les prisons se remplirent d'évêques et de 
moines réfractaires, et les peintres d'images surtout 
se virent inexorablement fouettés, battus et mutilés. 
C'était comme le dernier effort de l'erreur expi- 
rante. 

Théophile mourut en 842, laissant un fils de trois 
ans, et pour régente sa femme Théodora. Théodora, 
comme Irène, était favorable aux images. Autour 
d'elle on était lassé de cette lutte inutile contre un 
sentiment qui s'affirmait de plus en plus comme insé- 
parable de la piété grecque. Aussi le second rétablisse- 
ment des images s'opéra-t-il sans difficulté. Le pa- 
triarche Jean Hylilas fournit lui-même une raison de 
l'écarter* : on lui donna pour successeur le savant 
Methodius, qui avait souffert pour la foi sous Théo- 
phile. Un synode fut réuni en 842, qui confirma les 
décrets de Nicée. Les évêques iconoclastes ne furent 
pas les derniers à se prononcer dans le sens de la 
cour^. Une fête nouvelle fut instituée le premier di- 
manche de carême, pour perpétuer la mémoire du 
triomphe de l'orthodoxie ^. L'Église grecque la célèbre 
encore'' : on n'y anathématise pas seulement les 



1. Theopoui. contir., IV, Michael, 3, col. i6S. 

2. Maksi, XIV, 787, 788. 

3. Theoph. coNTCi., Vf, Michael, 6, col. 168, 469. 

4. Voir K. NiLLES, Kalendarium manuale utriusque Eccletiae, 2» édit.t 
1897, II, p. lOi et SUIT. 



LÀ CONTROVERSE DES IMAGES. 473 

iconoclastes , mais successivement tous les héré- 
tiques. 

Après une lutte qui avait duré près de cent vingt ans 
(de 726 à 842), les images finissaient donc par retrou- 
ver, dans l'Église grecque, leur ancienne faveur con- 
sacrée et accrue. C'est que le mouvement contre elles 
était venu non point du génie grec dont Byzance 
restait, malgré tout, l'héritière, mais d'un esprit pro- 
vincial dont l'armée et les empereurs isauriens ou 
arméniens s'étaient faits les interprètes et les servi- 
teurs. L'Église rejeta ces influences étrangères qui 
allaient à ruiner l'art aussi bien que le dogme chré- 
tien, et maintint intégrale, dans son culte, la part 
légitime qui revient à la représentation sensible du 
surnaturel. 



§ 7. — La querelle des images en Occident ^ 

Pendant que l'hérésie iconoclaste troublait ainsi 
l'Orient, la question des images soulevait aussi en 
Occident, et surtout en France, des difficultés dont il 
faut maintenant parler. 

Dès le commencement de la querelle, les papes, on 
l'a vu, avaient pris position, et deux conciles romains, 
ceux de 731 et de 769, avaient condamné les préten-» 
tiens de Léon l'ïsaurien et de Copronyme. En France, 
l'affaire des images fut, au dire d'Eginhard^, traitée 
dans un concile qui se tint à Gentilly en 769, mais 
nous ignorons dans quel sens. Ce n'est qu'après le 
concile de Nicée que se précise l'attitude de Charle- 
magne et de ses évêques. Le pape Hadrien avait fait 

1. Les sources seront indiquées au fur et à mesure de l'exposé des 
événements. Travaux : Outre les auteurs cités, voir la thèse d'E. Borxet, 
La controverse des images en Occident, Lyon, 1906. 

2. AnnaleB, DCCLXVn (P. /.., CIV, 385). 



474 HISTOIREDES DOGMES. 

faire des actes du concile de 787 une traduction latine 
qu'il envoya au roi vers 788. Elle était si maladroite- 
ment littérale, remarque Anastase le Bibliothécaire, 
qu'à peine pouvait-on la lire et voulait-on la trans- 
crire ^ . On a dit que ce défaut avait été la cause de 
l'opposition des Francs à la doctrine de Nicée. Ceci 
n'est pas complètement exact. Les Francs ont pu se 
tromper, en effet, sur la portée de la 7rpos>tuvïj<yi; -ti^TynKr^ 
que les grecs accordaient aux images, mot que le tra- 
ducteur avait rendu par admntio ; maiB il faut remar- 
quer qu'en France, on ne refusa pas seulement aux 
images l'adoration proprement dite, on leur refusa 
toute espèce de culte même relatif, erreur que n'ont pu 
«n aucune façon favoriser les fautes de la traduction 
latine envoyée par le pape. 

Quoi qu'il en soit, cette traduction fut lue à Gharle- 
magne. Il nota au fur et à mesure nombre de choses 
qui le choquèrent, et en fit rédiger en 790 — par 
Alcuin peut-être — une réfutation en règle. Ce sont 
ies Livres carolins ^. A. ce moment, Charles était 
mécontent et d'Irène, qui l'avait trompé^, et du pape 
qui paraissait favoriser la politique byzantine : la 
composition des Cai-ollns s'en ressent- Ils sont une 
critique éveillée sans doute, mais sauvent étroite, er- 
:goteuse et malveillante de ce qui a été dit et décidé à 
Nicée. L'ouvrage fut communiqué probablement au 
concile de Francfort de 794, qui, outre l'adoptianisme, 
condamna aussi — dans son deuxième canon — le 
concile de Nicée et l'adoration des images. On ne s'en 
tint pas ià. Quatre-TiAgt-cinq capitula furent extraits 



i. Praefatio in septimam synodum (Mansi, XII, 981 ; P. L., CXXIX, 193). 
il est resté de cette traduction des Tragments dans les Livres carolins. 

2. P. L., XCVIII. Cf. J. Maréchal, Les livres carolins, Lyon, 1906. 

3. En rompant le mariage projeté entre le jeune Constantia et la filie 
■àe Chailemagne, Rothrude. 



LA CONTROVERSE DES IMAGES. 475 

des Livres carolins et envoyés au pape, 4aiis la se- 
coode moitié de l'an 794, par le ministère de l'abbé 
Angilbert^ C'est le Capitulare dont parle Hadrien 
dans sa réponse au roi, capitulaire que nous ne possé- 
dons plus dans sa rédaction première, mais qu'il est 
possible de reconstituer au moyen des reprehensiones 
reproduites dans la réponse du pape, et des titres qui 
précèdent chaque cliapitre des Livres carolins. 

Quelle était la doctrine émise dans ces Livres? Elle 
est toute condensée dans la'préface du livre i, à la- 
quelle il faut ajouter le chapitre 21 du livre ii et le 
chapitre 19 du livre m. Cette doctrine revient à ceci : 
1«> ï3ieu seul peut être adoré et l'on ne doit point ado- 
rer les images (il, 21) 2. 2" On ne doit point rendre 
aux images le culte et la vénération que l'on rend aux 
saints, à leurs reliques, à la croix, ni même leur donner 
les témoignages de respect que l'on donne aux per- 
sonnes vivantes, lesquelles leur sont bien supérieures 
(m, 16, 24; «, 24, 28). 3° On ne saurait non plus ad- 
mettre à leur égard de culte relatif : le principe que 
le culte rendu aux images se rapporte à l'original est 
faux; Jésus-Christ et les saints n'acceptant point, ne 
s'appliquant point un culte qui est en soi absurde. Et 
à supposer d'ailleurs que les gens instruits soient 
capables de reporter sur l'original les honneurs qu'ils 
paraissent rendre à l'image, « indoctis tamen quibus- 
que scandalum générant, qui nihil aliud in bis praeter 
id «quod vident venerantur et adorant » (m, 16^. 4° H 
ne faut donc pas allumer des cierges ni brûler de 



1. p. J^t XCV£Ii>iâA9. €'est du moins de cette façon que Petan et Be^ 
felfi (2* éAH.) pxésenteitt l'ordre des événements «t le rapport des écrits 
«ntre eux. D'autres aute^os ^Hefele dsns «i première édHio») ont (ait 
-du ca,pttalaire wa. ipresaier écrit dont les Livres carolins ne seraient 
qu'un <iéyelopipeaiieQ>t. 

2.011 remarquera que les livres carol/n^ prennent toujours, dans la 
traduction latine du concile, le mot adoratio au sens strict. 



476 HISTOIRE DES DOGMES. 

l'encens devant des images qui ne peuvent ni voir ni 
sentir (iv, 3). 5° Tout culte ainsi écarté, il est permis 
de peindre et d'employer les images à la décoration 
des églises et au rappel des faits passés; mais cela 
même est indifférent, et à cet usage ou non-usage la 
religion n'a rien à gagner ni à perdre, « cum ad per- 
agenda nostrae salutis mysteria nullum penitus officium 
(imagines) habere noscantur » (ii, 21). 6" Cependant là 
où il existe des images religieuses, on ne doit point 
les briser ni les détruire (i, praef. ; ii, 23). 

Cette doctrine, on le voit, était très nette, et allait 
plus loin que le refus d'adorer les images. Tout culte 
même relatif leur était dénié : on pouvait seulement 
s'en servir. Le concile de Francfort lui-même se 
montra plus réservé, et se contenta de condamner l'a- 
doration proprement dite des images et le concile 
grec qui lui semblait l'avoir approuvée * . 



1. f JUlata est in médium quaestio de nova graecorum synodo, quam 
de adorandis imaginibus Constantinopoli fecerunt, in qna scriptam ha- 
bebatur ut qui imaginibus sanctorum, ita ut delficae trinitati servitium 
aut adorationem non impenderent, anathema iudicarenttir. Qui supra 
sanctissimi patres nostri omnimodis adorationem et servitutem re- 
nuentes contempserunt, atque consentientes condemnaverunt » (Mansi, 
XIU, 909). C'est tout ce que nous savons de précis sur les discussions 
et les décisions du concile de Francfort à propos des images. On voit 
par ce canon : 1° que les Francs ne considéraient pas le concile de Mi- 
cée comme œcuménique, et qu'ils le croyaient tenu à Gonstautinople, 
cette dernière erreur étant explicable par le fait que la dernière ses- 
sion s'était tenue en effet dans cette ville; S° qu'ils lui attribuaient une 
doctrine qui n'était pas la sienne, erreur occasionnée par la mauvaise 
traduction qu'ils avaient sous les yeux, et notamment par le travestisse- 
ment qu'y avait subi le vote de Tévêque Constantin de Gonstantia dans 
rile de Chypre. Dans la troisième session en effet, ce prélat avait dit : 
« J'accepte et je baise avec honneur les saintes et vénérables images : 
mais je réserve à la seule et suressentielle et vivifiante Trinité l'adora- 
tion de latrie > (Mahsi, Xli, 1147). Or, la traduction avait rendu ce passage: 
c Suscipio et amplector Ixmorabiliter sanctas et venerandas imagines 
secundum servitium adorationis quod consubstantiali et .vivificatrici 
Trinitati emitio; et qui sic non sentiunt neque glorificant a sancla ca- 
tholica et apustolica Ecclesia segrego et anathematî submitto ■ [Libri 
carol., 111, il, co). 1148). La méprise était'Ôagrante, et l'on peut dire que 
le canon de Francfort reposait sur une ignoratio eîeneht. 



LA CONTROVERSE DES IMAGES. 477 

L'opposition vraisemblablement inattendue de Char- 
les et de ses évêques aux décisions de Nicée ne dut pas 
laisser que de surprendre le pape. Hadrien ne se 
découragea cependant pas, et répondit point par point 
aux capitula qui lui avaient été remis ^ Réponses sou- 
vent aussi subtiles que les reprehensiones étaient 
futiles. Ce n'est qu'à la fin qu'Hadrien, abordant le 
fond de la question, explique clairement le malen- 
tendu partiel dont Charles a été victime, et maintient 
la doctrine de Nicée et celle de ses prédécesseurs : 
« Et sicut de imaginibus sancti Gregorii sensum ^ et 
nostrum continebatur : ita ipsi in eadem synodo defi- 
nitionem confessi sunt, his osculum et honorabilem 
salutationem reddidere ; nequaquam secundum fidem 
nostram veram culturam quae decet soli divinae na- 
turae... Et ideo ipsam suscepimus synodum^. » 

Il n'est pas probable que la réponse du pape ait 
modifié les sentiments du prince et de son entourage. 
11 existait chez eux un préjugé atavique qui a été noté 
plus haut^, et que des raisons même excellentes ne 
pouvaient détruire tout d'un coup. En tout cas, on n'en- 
tend plus parler, en France, de la question des images 
jusqu'en l'an 824, époque de l'ambassade et de la lettre 
de Michel le Bègue à Louis le Débonnaire dont il a 
été déjà question '. Cette lettre qui admettait l'usage, 
mais non le culte des images, correspondait admirable- 
ment aux idées régnantes à la cour de Louis : aussi 
valut-elle à ceux qui l'apportaient le meilleur accueil. 



I.Mansi, Xlli, 739-810; P. L., XCvni, 4247-1292. Le texte fourmille de 
fautes. Cet'e réponse du pape doit se placer entre la fin de l'année 794 
et le 2a décembre 795, date de la mort d'Hadrien. 

3. il s'agit du passage sur les images de la lettre de saint Grégoire la 
Grand à Secundinus. Y. plus haut, p. 450, note 2. 

». MANsr, xm,808; P. L., XGVm, 1291. 

4. Page 4S3. 
6. Page 471. 

27. 



478 iriSTOIBE DES DOGM-BS. 

L'«mpereup les fit accompagner à Rome, adressa en 
aottêraè temps ati piape, alors Eugène II {824^827), des 
«lémoires sur la «pestion dés images, «t soMioita de 
lui rantorisation détenir une i^unionid'évêques, qui 
ferait sur cette question une enquête pa:tTistique. 
Eugène y consentit. 

lia réunion, qui coriippenait des évoques et des ^ftimi- 
iiers de Louis, eut lieu à Paris, en 825. Ce ne fut pas 
sun concile : ses membres ie déclarèrent expressé- 
ment^ : ce fiitune simple assembléej mais qui s'attri- 
bua, comme on va ie voir, une singulière importance. 

11 sortit de ses djélibérations quatre pièces que =nous 
Avons encore ^. 

La première est un long mémoire adressé à l'empe- 
reur et à son fils Lothaire ^. On avait fait lire, y dit- 
on, la lettre du pape Hadrien à Irène : «n avait ap- 
prouvé le blâme qu'il y porte contre ceux qui détrui- 
sent les images, mais on n'avait pa« approuvé qu'il 
-ordonnât d'adorer ces mêmes images. Le concile de 
Nicée s'était grossièrement trompé, et les preuves 
qu'il avait alléguées en faveur du culte des images ne 
valaient rien. Quant aux réponses d'Hadrien aux re- 
prehensiones de Cfearlémagne, le pape avait répondu 
« quae volùit, non tamen quae decuit » ; ion trouvait 
-dans son écrit « talia... -quae remola pontifîcali aucto- 
litate, et veritati et anctoritati réfragantur » ; et, si le 
pape n'avait été, à la fin, retenu par les enseignements 
4e saint Grégoire, «in superstitionis paecipitium om- 
nino labi potuisset "* ». Ce début indique assez quel avait 
été l'esprit de l'assemblée. Le mémoire continuait en 
♦engageant les princes à s'entremettre auprès des grecs 



4. Mansi, XIV, 463. 

2. Du moins en partie, car quelques-unes sont mutilées à la fin. 

3. MAN8I, XIV, 421-460 ; P. L., XCVIII, 1299-1333. 

4. Mansi, l. c, 422; P. L., l. c, 1300, 1301. 



LA COÎSTROVERSE DES IMAGES. 479 

et du pape, pour les ramener dans la bonne voie ; et il 
s'achevait sur une série de textes patristiques, dirigés 
soit contre fes iconoclastes soit contre les iconolatres, 
textes entre lesquels on choisirait ceux qu'il convien- 
drait le mieux d'alléguer dans les négociations. 

La secondé pièce émanée de la réunion de Paris 
était lei projet d'une lettre que l'empereur Louis devait 
écrire au pape'. On n'y trouve que des considérations 
générales sur le Men de la paix et la primauté ro- 
maine. , 

La troisième pièce était le projet d'une lettre que le 
pape lui-même écrirait à Michel le Bègue, projet dans 
lequel on avait intercalé — c'était la quatrième pièce — 
des fragments d'un mémoire des évêques francs à 
Eugène 11^. Ces- fragm^ojts reproduisaient sur les 
images l'enseignement des Lîprescarolins. Ces images, 
disait-on, sont chose indifférente, qui n'intéresse ni la 
foi, sni l'espérance, ni la charité de rÉglise, et l'on ne 
doit donc ni les imposer ni les prohiber, ni les hono- 
rer ni les détruire; elles n'ont qu'une vaîeur d'ornei- 
mentation et d'instruction ; leur culte est illicite. Ainsi 
l'assemblée de Paris ne se conteiitaît pas de rejeter la 
doctrine romaine : elle prétendait dicter au pape la 
lettre qu'il écrirait en Orient , et les arguments qu'ily 
alléguerait pour désavouer les décisions de ses prédé- 
cesseurs et condamner un concile reçu par eux. On ne 
pouvait trahir plus de naïveté et de confiance en soi. 

Ces divers documents furent remis, le 6 décembre 
825 , à l'empereur qui en fit faire un extrait destiné à 
être porté au pape, conjointement avec une lettre qu'il 
adressait. lui-même à Eugène'. Nous ignorons quelle 
fut la suite de ces démarches. Rien, sans doute, ne fut 

1. Mansi, XIV, 461-)€3. 

2. Mansi, XIV, 463-474: les fragmetrts occupent les colonnes 466-4CT. 

3. Mansi, XY, appendix, 43o, 437; P. L., CIV, 1316-1319. 



480 HISTOIRE DES DOGMES. 

fait * ; le pape et les Francs restèrent sur leurs posi- 
tiofis respectives. 

C'est à ce moment que se place l'éclat de l'évêque de 
Turin, Claude*. Claude était un espagnol, ancien dis- 
ciple, dit-on, de Félix d'Urgel, qui avait été quelque 
temps prêtre dans le palais de Louis le Débonnaire, et 
que celui-ci promut, vers 817, à l'évèché de Turin. Il 
se donne lui-même comme peu cultivé : en tout cas il 
se manifeste comme un de ces logiciens intrépides et 
étroits qui ne reculent devant aucune énormité, dès 
qu'ils la croient contenue dans leurs principes. Le nou- 
vel évêque trouva donc pratiqué dans son église — 
peut-être avec quelques abus — le culte de la croix et 
des images. Il effaça les images, détruisit les croix, ^ 
puis, allant plus loin, s'éleva contre le culte des reli- 
ques et l'intercession des saints, et fut même soup- 
çonné d'arianisme. Ces excès révoltèrent le sentiment 
public, et l'abbé du monastère de Psalmodie dans le 
diocèse de Nîmes, Théodemir, son ancien ami, reprit 
l'évêque dans une lettre que nous n'avons plus, mais 
qui paraît avoir été assez forte. Claude y répondit par 
un écrit volumineux, dont il n'est' resté que des 
extraits 3 révélant l'homme entêté et malappris. Son 
grand principe est que Dieu seul mérite un culte, et 
qu'on n'en saurait rendre aucun à ce qui est créé. En 
conséquence, il s'élève avec violence contre le culte et 
l'usage même des images et de la croix — c'est à ses 
yeux de l'idolâtrie sous un autre nom [non idola reli- 

1. On sait seulement qae l'évêque Halitgar de Cambrai et l'àbbé Ans- 
fried de Nonantul% furent envoyés par Louis en ambassade à Constan- 
tinople. 

2. Sur ce personnage, voir les 'auteurs qui l'ont combattu, Jonas 
d'Orléans ei Dungal, dont les ouvrages vont être" cités, et l'article de 
F. YEnsET, Claude de Turin, dans le Dictionnaire de Théologie catho- 
iique. 

3. Apologelieum alque rescriptum Claudii episeopi adveratts Theut- 
mirum abbalem (P. L., CV, 459-464). 



LA COINTROYERSE DES IMAGES. 481 

querunt sed nomina mutaverunt) — et s'efforce de 
jeter le ridicule siïr ses adversaires. L'écrit ne resta 
pas sans réplique. Nous en avons une première du 
moine Dungàl, de Saint-Denys\ et une seconde — 
mais qui ne parut qu'après la mort de Claude (vers 
827) et même celle de Louis le Débonnaire (840) — de 
l'évêque d'Orléans, Jonas ^. Ces deux auteurs adoptent 
en principe la doctrine de l'assemblée de Paris de 825 : 
on se rend compte cependant que l'audace de Claude 
de Turin les a effrayés, et les a rendus plus circons- 
pects dans leur condamnation du culte des images. 
Jonas distingue avec soin plusieurs sens du mot culte, 
et montre, après saint Augustin, qu'il existe une 
acception dérivée, parfaitement applicable à la créa- 
ture^. Il ne veut pas qu'on traite crûment d'idolâtres 
les partisans du culte des images , et les représente 
plutôt comme des ignorants qu'il faut charitablement 
instruire "•. Dungal va plus loin, et nô refuse pas « aux 
saintes peintures » un certain honneur « in Deo et 
propter Deum ^ » . 
Cette opposition déclarée, bien qu'adoucie dans la 



i. Liber adversus Claudium Taurinensem (P^ L., CV, 46S-S30). L'ou- 
vrage est de 82T. 

2. De cultu imaginum libri très (P. L., CVI, 303-388). On s'est de- 
mandé à ce propos si Claude avait fait école et en des imitateure en 
Occident. Le fait que Jonas trouva opportun de publier son traité 
même une quinzaine d'années après la mort de Claude rend la chose 
vraisemblable. On ne peut que rappeler ici le traité d'Agobard de 
Lyon, Liber de imaginibus sanctorum (P. L., GIV, 199-338), écrit vers 
835, et qui offre avec l'Apologeticum de Claude des principes communs, 
celui notamment que Dieu seul peut être l'objet d'un culte. L'auteur, 
tout en admettant l'usage des images < causa historiae, ad recordan- 
dum >, insiste beaucoup pour qu'on évite de les honorer et, en somme, 
approuve le concile d'Elvire d'avoir défendu qu'il y eût des peintures 
dans les églises, afin de couper l'abus par la racine (col. 23S, 326). 

3. Col. 319. 

4. Col. 315, 336. 

5. € Evidentissime patet picturas sanctas et Domini crucem et sacras 
electorum Dei reliquias dignis et congruis honoribus a catholicis et 
orthodoxis iu Deo et propter Deum venerari oportere * (col. 527). 



<*82 HISTOIRE BBS DOGMES, 

forme, au culte des iinages> persista dans l'Église de 
France jusqu'à la fin du ix? siècle. Walafrid Strabon 
(f Bi9)^ûmkB^mm. De rébus ecaiesiasticis (8), semble ne 
pas arefoser aux images une sorte de culte .: «Non 
sunt omnimodis honesti et moderati imaginum honoi^s 
abiiciendi^T); mais, quand on y regarde de près, on 
voit que «es honneurs sont tout négatifs «t consistent 
-à ne point mépriser, souiller ou détruire les saintes 
images. Cette attitude devait être aussi probablement 
-celle d'Hincmar de Reims (-f- 882), dans «On ouvrage 
Qualiier imagines Salvatoris nostri vel satictorum 
ipsius venerandae sint^. L'ouvrage est perdu, mais 
on sait par Hinçmar lui-même ', queTévêque de Reims 
regardait le VIP concile général comme un pseudo- 
synode, dont les membres avaient été incapables de 
résoudre sainement la question proposée. Il restait 
^onc dans la tradition gallicane. 

Ce ne fut qu'après que le Vill® concile général, qua- 
trième de Constantinople(869), eut été reçu en France, 
«'est-à-dire à la fin du ix® ou au commencement du 
X* siècle, qu'on y reçut également la doctrine ortho- 
doxe du culte desiimages Le VHP concile en effet avait 
confirmé les décisions de Nicée» et on ne pouvait 
l'accepter sans accepter par là même les décisions 
qu'il avait approuvées. 

Ainsi =se termina cette longue controverse, dans la- 
quelle le génie propre de chaque nation. tint une si 
large place. Le culte des images cadrait admirablement 
avec le tempérament religieux des Grecs, et l'Église 
grecque en est restée la terre classique. En Occident, 
Rome et l'Italie, la patrie des arts, furent les premières 

1. p. L., CXIV, 929. 

2. FiODOAiiD, jETist «fâes. retnemis, lïl, S» (/>, L., CXïXV, 2S0). 

3. Opusculum LV capitulorum adversus Hincmar. Latklrm!; XX {P. 
L., GXXVI, 360). 



LA CONTROVERSE DES IMAGES. 483 

à le défendre, bien qu'on n'y ait jamais accepté cer- 
taines conceptions des byzantins, qui faisaient des ima- 
ges de vrais sacramentaux, et les identifiaient par 
trop, au point de vue de l'action et de la vertu, avec 
les originaux qu'elles représentent. La France et l'Al- 
lemagne, longtemps rebelles, cédant à la logique et 
aussi, on peut le croire, à l'influence romaine, ont fini 
par y venir, mais en y gardant toujours plus de réserve 
et de sobriété K 

1. Ke traitant ici que de l'histoire des dogmes, je n'ai rien dit de 
l'inQuence de ia controverse iconoclaste sur les aria et sur les condi- 
tions de la domination b:yzantine en Italie, ûq peut lire, sur ces deux 
objets, quelques pages intéressantes dans l'opuscule cité de L. Bré- 
HIER, La querelle des images, cliap. Y-VU. ,' 



CHAPITRE XI 

LA THÉOLOGIE DE SAINT JEAN DAMASCÈNE*. 

§ 1. — Les sources de la foi. La Trinité. 

Le défenseur du culte des images contre Léon l'Isau- 
rien devait être aussi le dernier des grands représen- 
tants de la théologie grecque dans le haut moyen âge. 
De cette théologie saint Jean Damascène — né vers la 
fin du vii° siècle, mort vers l'an 749 — a donné la 
Somme et comme la formule définitive, à laquelle les 
siècles suivants n'ont ajouté ni changé que fort peu. A 
cause de cela, et parce qu'il s'est largement servi, dans 
l'exposé de la doctrine chrétienne, des données philo- 
sophiques, on l'a comparé quelquefois à saint Thomas 
d'Aquin. C'est lui faire trop d'honneur. 11 ne possède 
ni la fécondité du docteur latin, ni sa puissance à 
débrouiller les problèmes déjà nombreux et compliqués 
que pose une scolastique jeune et active. Au viii* siècle 
les questions et les controverses tendaient bien plutôt 
à s'épuiser dans l'Eglise grecque, et saint Jean — si 

1. Saint Jean Damascène est cité ici d'après l'édition de la Patrologte 
grecque, tom. XCIV-XCVI. Traranx : J. Langek, Johannes von Damaskus, 
Gotha, 1879 ; K. HoLL,I>te Sacra par aîlela des Johannes Damascenus, Lei p- 
zig, 1897. J. H. Ll'ptoh, StJohn of Damascus, London, 1883. O. AinsleEi 
John of Damaseut, 3* édit., London, 1903. V. Ekuom, Saint Jean Da- 
mascène (Pensée chrétienne), Paris, 1904. j. bilz, Die TrinitaetsUhre des 
hl. Johannes von Damaskus, Paderborn, 1909. 



LA THÉOLOGIE DE SAINT JEAN DAMASGÈNE. 485 

l'on excepte sa polémique sur les images — n'a point 
orienté vers des problèmes nouveaux l'esprit de ses 
contemporains. Le Damascène est surtout un compila- 
teur qui a su résumer «n un ouvrage méthodique, dans 
une langue ferme et précise, les longs écrits des Pérès 
ses prédécesseurs; mais c'est d'ailleurs un compilateur 
fidèle, renseigné, vigoureux, et qui s'est assimilé d'a- 
bord les enseignements qu'il reproduit. On n'a guère 
fait, après lui, que le répéter. 

Son ouvrage capital est La source de la science, 
HviY^i Yvwoswç, divisé en trois parties dont la dernière, 
De fide orthodoxa, est la principale * . Souvent pré- 
senté comme un ouvrage à part, le De fide orthodoxa 
contient toute la théologie de l'auteur, théologie dont il 
a d'ailleurs étudié certains points plus importants 
dans des écrits spéciaux. 

Saint Jean relève bien haut l'autorité de l'Écriture 
(iv, 17)^, et reproduit, d'après saint Épiphane, le canon 
de l'Ancien Testament, les livres de la Sagesse et de 
V Ecclésiastique exclus. Son canon du Nouveau Tes- 
tament concorde avec notre canon actuel. Mais, en 
dehors de l'Écriture, il admet, à la suite de saint Basile, 
comme règle de foi, des traditions non écrites venues 
des apôtres, des coutumes de l'Église que l'on doit 
accepter et qui font loi : « Celui qui ne croit pas sui- 
vant la tradition de l'Église catholique... est un in- 
fidèle ^. » Quant à la philosophie, il en fait une es- 
time telle, et il en regarde la connaissance comme 
si importante pour le dogme chrétien qu'il la mêle 

i. p. G., xciv. 

2. Toutes les références, sauf indication contraire, se rapportent an 
De fide orthodoxa. 

3. *0 yàp lATJ xaxà tïjv TrapdtSofftv ttîç *«9o).txî3; 'Exx).r,fftaç «t- 
dTeûwv.. £itt(rc6; êdxiv {De fide orth., Vf, 10, col. 1128; cf. IV, 16 De ima- 
gin.. Or. i, 23; u, i6\ 



486 HISTOIRE DES DOGMES. 

constamment à son exposé doclrinal, et a consacré 
ia première partie de la S&urce de la scienee à ex- 
pliquer, sons le titre de Capitula philosophica — 
plus brièvement Dialectica— les catégories d'Aris- 
tote et les quinque voees ou universàax de Porphyre 
ÛBnsVJsagogè*. C'est dire que saiatJeanne dépend 
pas tellement. d'Aristote qu'il n'ait fait dans sa pensée, 
4 l'exemple de Léonce de Byzance et de saint Maxime, 
ses maîtres, une bonne part au néoplatonisme. Il pro- 
clame d'ailleurs qu'en matière de foi ce ne sont pas 
les p'hilosGphes mais les Pères qu'il faut écouter 2, et 
il n'hésite pas à abandonner ou même à corriger Aris- 
tote, dès que celui-ci lui paraît émettre des opinions 
inconciliables avec le dogme. Il laisse aux hérétiques 
de Ib suivre aveuglément comme « un treizième apôtre » , 
et de préférer cet « idolâtre » aux écrivains inspirés ^. 

L'enseignement sur Dieu du De fide orthodoxa est 
calqué manifestement sur celui du Pseudo-Aréopagite 
et de saint Maxime. De Dieu nous pouvons savoir qu'il 
est : son existence, dont nous avons une connaissance 
en quelque sorte innée, se démontre parla mutabilité 
des créatures, par la conservation, le gouvernement 
du monde, par l'ordre et l'harmonie du cosmos (i, 3). 
Mais ce que Dieu est xaï' oùafav xot çucyiv, nous ne saurions 
le comprendre ni même le savoir. Si nous en parlons, 
•c'estpour dire ce que Dieu n'est pas plutôt que ce qu'il 
est, car aucun des attributs positifs que nous lui don- 
nons, et dont BOUS tirons le concept du créé, ne lui 
convient formellement, pas même l'être. Non pas que 
Dieu ne soit pas ou ne soit rien, mais parce' qu'il estau- 

1. Voir spécialement ce qu'il dit dans Fons scienttoe, prolo^r., col.îJ24; 
iHaleclîcà,, &, co\^ SS&i 

2. Fons scienliae, prolog., col. 505. 

3. Contra iacobitas, dO (col. 1441). 



LA. THÉOLOGIE DE SAINT JEAW ©AMASCÈNE. 487 

dessus de tout ce que nous pouvons affirmer de lui , et 
au-'dessus ée l'être comme du reste (i, 4), 

De ces hauteurs philosophiques, saint Jean en -vient 
cependasït'ài'exposétrinitaii'e chrétien. S'il fait précé- 
der ce qui regardé les trois personnes divines de ce qui 
regarde Dieu en général'*,^ il pose cependant, ainsi que 
faisaient les Grecs, avant tout le Père comme principe 
de la divinité et source des deux autres personnes : 
Ô ÏIa'FJ|p:'ïnfi7'}i xaîwitiavîoa xflà ÔYtoo itveiSfjuxTOi;^. A cause 'de 
cela et uniquemeM e® tant que san principe (xatocto 
aÎTiov), le Père est plus grand que le Fils K Mais la 
généraction passive et le fait de procéder n'emportent 
d^aîUeurs dans le^Fils et le Saint-Esprit aucune infé- 
riorité 'de nature * . 

Il y a donc en I>ieu trois personnes parfaites, com- 
plètes en soi et siïbsistantes, qui oe sont point des par- 
ties d'une substance unique, mais qui possèdent chacune 
toute la substance divine. Il ne faut donc point dire que 
la substance divineest àe trois hypostases («c ÔTioaxâffewv) 
mais eo. l3?ois hypostases (Iv ôwoaT(£(reffi)*, sL^auteur re- 
marque qu'au point de vue de la distinction 4es hypos- 
tases, laccmiparaison de la lumière qui est produite par 
le feu n'est pas exacte, parce que lalumière, simple pro- 
priété du feu, n'a pashors'delui de subsistance propre^. 

Jhes personnes en Dieu sont certains modes de sub- 
sister (tpowot TTÎç ÔTToffi^ç) ^ de la substance divine, mo- 
des qui *s'opposent essentiellement l^/n à l'autre, et 
expriment les relations entre elles des personnes qu'ils 
- constituent =fS7]Xu)Ttxà ttiç irpiç ofXXri^a ffj^/oewç) ', Ces trois 

1. I, 8, cbl. 808, 809. 

2. II, 12, col. 848, 849 ; I, 7, 8, surlotit col. 824, 

3. I, 8, col. 820. 

4. I, 8, col. 824, 82S. 

5. I, 8, col. 824, 82S. 

6. I, 8, col. 816. 
1. I, 8, col. 828. 
8. I, 10, col. 837. 



483 HISTOIRE DES DOGMES. 

modes de subsister sont Tca-cpoTïiç, uîoTr,ç, sxffopsoaiç, ou 
bien (xYevv7i<ria, yévvïiciç, Ixitopsudiç : ee sont les ôicoiTTaTixKl 
îStoTTiTEç^ Saint Jean a tenté, aux chapitres i, 6, 7, de 
donner de l'existence du Verbe et de rEsprit-Saint en 
Dieu deux sortes d'explications rationnelles. La pre- 
mière reproduit une ancienne explication de Denys 
d'Alexandrie; la seconde est faible. 

Si réelle que soit en Dieu la distinction des per- 
sonnes, et si complètes aussi que soient ces personnes, 
elles n'ont cependant qu'une seule et même substance. 
Le Damascène est aussi clair que possible sur l'unité 
numérique de la substance du Père, du Fils et du 
Saint-Esprit. Dans les choses créées, remarque-t-il, 
les individus, bien qu'ayant même nature idéale et 
abstraite, existent cependant à part ; leur être concret 
est différent, et on peut les compter au point de vue de 
la nature. Dans la Trinité, il n'en est pas ainsi, parce 
qu'on y trouve l'identité de substance (tauTov xîiç oùaïaç), 
d'action, de volonté, de pouvoir, de force, de bonté. 
« Je ne dis pas ressemblance (ôfAowTïiTa), mais identité 
(TauTÔTïiTa). » Chacune des personnes est une avec les 
autres autant qu'avec elle-même. « Le Père, le Fils et 
le Saint-Esprit sont un en tout, sauf que l'un est inen- 
gendré, l'autre engendré, et que le troisième pro- 
cède 2. » L'auteur va jusqu'à dire qu'on ne les distin-* 
gueque par l'opération de l'esprit (ItiivoCç)^, et l'on a 
voulu voir dans cette expression une indication de 
sabellianisme. Mais ce mot, emprunté à la Doctrina 
Patrum^, n'est point, dans la pensée de saint Jean, 
exclusif d'une distinction réelle entre les personnes 
divines : il la suppose plutôt' ^. 

i. I, 8, col. 8-2.}, 828. 

2. I, 8, col. S-2S. 

3. Ibid. 

4. Cap. 2G, édit. DiEKAHP, p. 188-190. 

5. Cf. J. BiLZ, op. cit., p. 68 et suiv. 



LA THÉOLOGIE DE SAINT JEAN DAHASGENE. 489 

De l'unité de substance découle naturellement 
l'unité d'attributs et d'opération : (A(a yip ouori'a, {*{« 
«YttQôiTiç, (iiCa SuvafjLic, (i.(a OÉXri<TU, [xCa IvIp'yEttt, (xia éÇouvia, 
{xlaxal -îj aôdj, oô Tpeîç 5(Aoiai àXXi^Xaiç^. Ciiacune des per- 
sonnes est (ÎYsvriToç, bien que non pas àYévvr,Toç : toutes 
trois sont éternelles et incréées : le Fils seul est né. 

De l'unité de substance découle aussi ce que saint 
Jean appelle, d'un mot emprunté à saint Grégoire de 
Nazianze, la itepij^topriatç, la cîrcumincession : « Les 
trois personnes sont unies, comme nous l'avons dit, 
non de façon à se confondre, mais de façon à être 
jointes : elles se compénètrent mutuellement, sans 
confusion et sans mélange 2. » 

On ne s'arrêtera pas ici à exposer l'enseignement 
du Damascène sur le Père et le Fils, cet enseignement 
ne faisant que reproduire, en le confirmant, celui des 
Pères antérieurs. Mais ce qu'il dit du Saint-Esprit 
mérite qu'on l'examine, car la question du Filioque va 
bientôt diviser les Grecs et les Latins. Le Saint-Esprit 
est Dieu, consubstantiel au Père et au Fils, leur 
égal en nature et en dignité^. Il procède du Père 
et se repose dans le Fils ; il procède du Père et est 
communiqué par le Fils '' ; il procède du Père 
par le F.ils : Ix naTpbç 8t* oîou IxTtopeuojxcvri — 81' outoû 
(XoYOu) Ix Tou icatpo; Ixjtopeuojiievov — aÔTOç (ô icaT^p) 
Stà XoYOU npoêoXeùc IxçavToptxou ?ryeu|AaTOc — Ix tou 
Trarpo; y^P? ^tji tou ulou xal \6^wi icpotov, qxtj^ utîxu; 8é'. Par 
le Fils il se rattache au Père ; il est l'Esprit du Fils, 
l'Esprit du Christ, l'intelligence (voyç) du Christ, 
l'Esprit du Seigneur, l'image du Fils comme celui-ci 



4» I, 9, col. 6S8. 

3. I, 14, col. 860. 

3. I, 8, col. 83f . 

♦. 1, 8, col. 821, 833; cf. I, 7, 43, COL SOS, 807. . 

S. 1, 12, col. 848,849; De hymno trisagio, S8 (P. G.,XCY,«0). 



490 HISTOIRE DBS: DOGMES. 

est l'image du Père*. Mais saini J€an ne veut pas que 
Foih dise que le Saint-Esprit procède du Fils {Ix tdu 
oîoS) : « Nous disons que le Saint-Esprit est du Père 
(et xw ■nonçiç)., et nous le nommons; Esprit du Père; 
mais nous ne disons pas qui'il estdu Fils (Isctoo ulou), 
bien que nous le nommions Eisprit du Fils^ ». « Il est 
l'Esprit du Fils, non comme pirôcédiant de lui (^ aÙToù), 
mais comme procédant du Père par lui (StT' «utou), car 
le Père seul est principe » ((jtovoç ykçi aUioç & imr^p) ^. 
Ainsi le Damascène a nettement distingué entre être 
et procéder du Fils; (èc toû uîoïï) et procéder par le Fils 
(Si' «îoïï)i II a admis que le Saint-Esprit procède /7ar le 
Filsj mais a nié qu'il procède du Fils. Est-ce à dire 
qu'il n'a attribué au Fils aucune part active dans la 
production du Saint-Esprit? Nullement. Si, d'après 
lui, l'on ne peut enseigner que le Saint-Esprit vient 
et procède du Fils, c'est que le Fils n'est pas le prin- 
cipe de la Trinité : le Père seul est ce principe, |A($voç 
Y^ep aïtioç ô ira-n^p. Ce n'est donc pas du Fils (Ix xou uîou) 
que part originairement l'acte producteur du Saint- 
Esprit : cet acte part du Père ; mais il passe par le 
Fils (Stà Toî» uCou) comme par un intermédiaire qui, 
devenu actif lui-même par la vertu du Père, concourt 
avec lui et sous lui k la production du termes Autre- 
ment, comment expliquer que le Damascène appelle 
PEsprit-Saint l'Esprit du Fils et l'image du Fils, s'il 
ne l'en faisait procéder de quelque façon *f.- 

4. 1, 13, col. 856; I^ 12, col. 84»;;I, 8, col. 832i 

2. I, 8, col. 832. 

3. I, i2i col. 849, et cH De hymiio trïsagio, 28 (col. 60); Botnil. in 
sabb. sancto [P. G., XCYI, 603) : àXX' oùx â| aÛToû (uîoû) l^ov t:qv 
V7rap?iv. 

4. Y. la. discussion de J. Bilz, op. cit., p. 156 et suiv. Le Filane sau- 
rait êire un simple milieu (de temps ou dé lieu) par où passe l'action 
du Père. La particule 8ià a un sens causal. On remarouera que Théo- 
dore de Mopsueste et Xhéodoret niai^U que le Saint-Esprit reçût son 
existence du Fils ou- par le Fils, è£uîov ii 8i' «loû. 



LA THÉOLOGIE DE SAINT JEAN DAMASCÈNE. i9t 

Mais en quoi consiste proprement cette ixTropfowç du 
Saint-Esprit, et en quoi elle diffère de la génération 
du Fils, c'est ce que notre anodreur' dédale ignorer ^ ^ Le 
mot Ix7r<)peufft<;,qiae n&ms tradaisons par le mo^t générique^ 
deprocessio'Kyéia.iA pour les Grecs un mot qu'ila ré-- 
servaient pour désigner spécialement le mode d'origine 
du Saint-Espriti et ce mot lui seal n'expliquait rien, 

§ 2. — Angélologîe et anthropologie. 

Les- trois personnes divines concouirent,, chacune à 
sa façouy à l'œuvre de la création. La création est. une 
œuvre de bonté' : elle: résulte d'un simple acte de la 
penséede Dieu qui veut se communiquer (lyvoSv, n, 2);. 
Dieu est l'auteur de tout ce quii existe : contre les ma- 
nichéens,^ saint Jean maintient i'unité de principe,, et 
déclare que le mal absolu serait un pur néant. Le mal 
relatif n'est, dans un être,, que l'absence ou la perte 
d'un bien ; le mal moral est un usage non conforme à 
la volante divine de facultés bonnes en soi ^ .. 

LeDamascène s'est occupé des anges au livre n, 3= 
du Zte fide arthodoxa. L'ange se définit ; «puatç Xoytxri, 
vosp(x:TE x«V oâTE^ouffioç, TpEiTT^ xatà '^«wfA.Tjy T9TOfcèÔ6Àoxpe.7rroç,3 .. 
Est-il absolument spirituel? Nsotre auteur seimble le 
croire, car ili dit que l'aage est cpoatç èawfxatoçi, «lo'v Tt 
Tcveûjjia x«l •reûp àoXov ; et s'il ajoute que cela est vrai par 
rapport à nous seulement, car Dieu seul est parfaite- 
ment ooXoç et «<noip.(»Toç, cette restriction ne détroit pas. 
précisément sa précédente affirma tianf*. Les «ngesycréés 
les, premierSySont libpeîs des passîonsdu cofpps, sans^ 
être entièrement (XTtaOeîç, ce qui n'appartient qu'à Dieu». 

1. I, 8, col. 8ie, 820, 824. 

2. II, 4; Dialog.cont. manichaeos, 14 (P. G., XCIV, 1517-1521). 

3. Col, K68. 

4. Col. 866, 868. 

5. Col. 872, 873. ■ - 



492 HISTOIRE DBS DOGMES. 

Eh tout cas, ils sont limités et finis (TteptYparexoi) : 
ils ne sauraient être présents partout ni même en deux 
lieux à la fois, mais là seulement où ils vont et agis- 
sent ^ De même, ils ne sont pas immortels par nature 
(çuffti) ; ils le sont par grâce (x«P»*fO> ^^^ ayant commencé 
d'exister, ils devraient un jour cesser d'être 2. Dans le 
principe, ils pouvaient pécher, n'étant pas (xx(v>jToi mais 
simplement Susxwtitoi itpo; to xaxov : les bons anges sont 
maintenant devenus âxfvïiTot x«pi^* ^' 

Tous les anges sont-ils de même substance, laoi xax' 
oôffiav? Dieu seul le sait, répond le Damascène. Ce qui 
est certain, c'est qu'ils diffèrent xS çwTiafx^ xa\ t^ axian. 
Et ici vient la théorie des trois ordres et des neuf 
chœurs angéliques du Pseudo-Denys. Premier ordre, 
des séraphins, des chérubins et des trônes ; deuxième 
ordre, des dominations, des vertus et des puissances; 
troisième ordre, des principautés, des archanges et 
des anges : les ordres supérieurs illuminant et instrui- 
sant les inférieurs*. 

Tels sont les anges considérés dans leur état naturel. 
Mais nous savons que, créés par le Verbe, ils ont été 
sanctifiés dès le principe par le-Saint-Esprit '. La plu- 
part ont persévéré dans cette grâce et, fixés dans le 
bien, contemplent Dieu et se nourrissent de lui. Ce 
sont les bons anges. Messagers et ministres de Dieu, 
ils exécutent ses volontés, se montrent parfois aux 
hommes, sont préposés à la garde de certaines régions 
de là terre, de certaines nations, s'occupent de nos in- 
térêts et nous prêtent secours ^. 

Au-" contraire, une multitude innombrable d'anges 

1. Col. 869. 

2. Col. 888. Cf. Dialog. eont. manich., 31, col. iS9S. 

3. Col. 873. 

4. Col. 869-873. 

5. Col. 869, 

6. Col. 871. 



LA THÉOLOGIE DE SAINT JEAN DAMASCENE. «93 

du dernier ordre, préposé à la terre, ont prévariqué 
avec leur chef, le diable, et sont devenus mauvais par 
leur libre choix (ii, 4). Parce qu'ils étaient incorporels, 
ils se sont trouvés incapables de repentir : leur chute 
a été pour eux" ce que la mort est pour l'homme. En 
attendant qu'ils aillent au feu éternel qui leur est pré- 
paré, ils s'efforcent de perdre l'homme et de le pous- 
ser au mal ; ils ne sauraient toutefois violenter sa vo- 
lonté, non plus que prédire sûrement l'avenir. Le 
pouvoir divin, dont ils dépendent, limite les effets de 
leur méchanceté *. 

Les pages sur les anges et les démons sont suivies, 
dans le De fide orihodoxa, d'une série de chapitres 
sur le monde et la nature visible telle que la conce- 
vaient les sciences du temps; puis l'auteur en vient à 
l'homme, synthèse de la nature visible et de l'invisi- 
ble, microcosme dans le grand monde. 

Créé à l'image de Dieu, parce qu'il est intelligent et 
libre, à la ressemblance de Dieu, parce qu'il doit lui 
ressembler par la vertu, l'homme est composé de deux 
éléments, formés, dans le principe, en même temps, 
l'âme et le corps *. L'âme se déftnit ; oôséa Çwaa, àTcXîj 
xai ào:(d{it.atoç... àô«v«Toç, Xo^tx^Q Te xai vospdé. L'intelligence, 
le vouç, n'est pas en elle autre chose qu'elle-même : c'en 
est la partie la plus subtile ^. L'âme est unie au corps 
toute à toutes les parties du corps, et non partie à 
partie : elle le contient plutôt qu'elle n'en est contenue^, 
et lui communique les fonctions de la vie végétative 
et sensitive ^. De l'origine de l'âme saint Jean ne parle 
pas explicitement. 

* n, 4, col. 877 ; cf. ir, 3, Col. 868. 

2. II, 12, col. 9i0, 931. 

3. II, «, col. 924. 

4. 1, 13, col. 853. 
8. Il, 12, col. 934. 

28 



494 HISTOIRE DES DOGMES; 

Quel était l'état primitif de l'homme? Un état bien* 
heureux. Adam, orné de la grâce divine,^ vivait dans la 
société de Dieu et la conversation des anges, innocent, 
jouissant de toute félicité, pouvant rester immortel s'il 
observait la loi qui lui avait été faite. Son paradis était 
à la fois spirituel et matériel,, paradis du corps et de 
l'âme ^. Dieu cependant, prévoyant sa chute, avait placé 
près de lui la femme, afin que, par leur union,, pût se 
propager le genre humain devenu mortel^. 

Adam pécha en effet,, et perdit par sa faiblesse lés 
dons que Dieu lui avait octroyés. Privé de la grâce ^, il 
devint sujet à la mort et à la corruption, aux misères 
de la vie ; il connut la concupiscence et la tyrannie du 
corps sur l'âme''. Par Adam, cette même mort et ces 
souffrances sont entrées dans le monde et ont passé 
dans ses descendants^. Toutefois, si saint Jean nous 
représente comme héritant de notre premier père les 
misères de la vie, suite du péché, il ne parle pas d'une 
souillure morale proprement dite qui nous serait trans- 
mise avec la vie. Dans son commentaire sur VÊpitre 
aux Romains f chapitre v, il interprète le Iç' ^ du ver- 
set 12 dans le sens causal Si' o&, et le ajAapTwXoî du verset 
19 dans le sens de « sujets à la mort à cause du 
péché ®. » 

Cette déchéance cependant n'a point enlevé àl'nomme 
sa liberté (ii, 25). Le Damascène va jusqu'à affirmer, 
en un passage, que nous pouvons, de nous-mêmes, 
choisir entre ie bien et le mal, encore que nous soyons 
incapables de réaliser le bien sans le secours de^ Dieu'; 



1. n, H, 30, col. 912, 913, 916, 917, 976,977. 

2. II, 30, col. 976; cf. IV, 24, col. 1208. 

3. m, 1, col. 981. 

4. II, 30, col. 977. 

5. II, 28. 

6. In epist. ad Roinan., V, 12, 19 (P. G., XCV, 477, 481). 

7. Il, 29, col. 968. 



LA THÉOLOGIE DÉ SAINT JEAN' DAMASCENE. 495 

mais ailleurs il précise sa pensée : « Sans la coopéra- 
tion et l'aide de Dieu, nous ne saurions ni vouloir ni 
faire le bien : il est seulement en nôtre pouvoir ou de 
persévérer dans la vertu et de suivre Dieu qui nous y 
invite, ou de nous en éloignera » Si notre auteur n'a 
pas réfléchi beaucoup sur la nécessité de la grâce ac- 
tuelle, il a trouvé du moins, pour en parler, une for- 
mule correcte. Il parie aussi exactement — et aussi su- 
perficiellement — de la prédestination. Autre chose, 
dit-il, est prévoir, autre chose préïinir et prédétermi- 
ner, car, dans ce dernier cas, il s'ajoute à la prévision 
un acte dé volonté et de commandement. Or, il n'y a de 
prédéterminés que les événements qui ne dépendent pas 
de nous : ceux qui dépendent de nous sont simplement 
prévus 2. On en peut conclure que saint Jean n'admet- 
tait point la î)rédestination absolue au sens de saint Au- 
gustin. Il avait dit d'ailleurs auparavant, avec beaucoup 
de précision, qu'il faut distinguer en Dieu deux sortes 
de volonté, une volonté antécédente et de bienveillance 
(wpwjyoufjievov 6éX7](*a, xa\ eùSoxfa), par laquelle il veut le 
salut de tous les hommes, et une volonté conséquente 
et permissive (litofAsvov ^£kyiii.a, xa\ Ttapaj^topyiaiç), par la- 
qudtle il veut que les pécheurs subissent soit un châ- 
timesnt médicinal (7capaj(^wpYi<ri; olxovofAix-^), soit uu châti- 
meikt définitif 'et aibsolu (Tcapa'/^wpvjffiç «TcoYvwaTixîi) \ 



§ 3. — Christologie et sotériologie. 

Le remède au péché, c'est Jésus-Christ. Saint Jean 
Damascène a consacré à l'exposé de sa christologie 

i. 11,30, col. 972, 973. 

2. n, 80, col. 969, 972; Cf. Dialog. cont, manieh-^ 72 «t saiv., 77, 
coL IGGG et suiv., 1876 et suiv. 

3. II, 89, CoL 968, 969. 



496 HISTOIRE DES DOGMES. 

tout le livre me et les chapitres 1-8 du livre iv du 
De fide orthodoxa, et de plus quelques ouvrages de 
controverse, le Contra iacobitas^, le De natura com-^ 
posita contra aeephalos^, VAdçersusnesto/'ianos^, le 
De duabiis in Chris ta voluntatibus* . Mais on ne pé- 
nètre entièrement dans sa pensée qu'à la condition de 
^tenir compte des notions philosophiques dont il s'est 
inspiré et qui, disséminées dans ses écrits, se trouvent 
condensées dans la Dialectique. 

Le corps de Jésus- Christ n'a pas été formé dans le 
sein de Marie d'une façon lente et progressive : les 
organes et le corps entier ont eu d'emblée leur con- 
figuration parfaite, quoique non pas tout leur dévelop- 
pement^. En même temps que le corps était formé, il 
était animé, et en même temps qu'animé, il était 
uni au Verbe par l'intermédiaire de l'âme : nul 
intervalle chronologique concevable entre ces trois 
opérations : a|xa cràp^, âjAa 6sou Xôyou càp^, fijxa ffàpÇ Ijjuj^ujroç, 
XoYixi^ T« xal voepa®. 

L'humanité ainsi prise par le Verbe n'est pas l'hu- 
manité abstraite, considérée ^Ckr^ ôswpi'a, ni l'humanité 
concrète telle qu'elle existe dans tous les hommes en 
qui elle est réalisée (car le Verbe ne s'est pas uni à 
tous les individus humains), mais c'est une humanité 
individuelle, bien qu'elle n'ait été individu et personne 
que dans le Verbe et par le Verbe ^. Toutefois, comme 

i. p. G., XCIV, 1436-lîJOl. 

2. p. G., XCV, «2-123. 

3. P. G., XCV, 188-22i. 

4. P. G., XCV, 428-185. 

5. ni, S, col. 98S; De duab. mlunt,, 38, col. 177. Dans ce dernier pas- 
sage, saint Jean invoque l'autorité de saint Basile, Oratio in Christ* 
natalis diem. Les numéros 36 et 37 du De duab. volurit. contiennent 
de curieuses indications sur l'idée que l'on se faisait alors du corps du 
Sauveur. 

6. m, 2, col. 983, 988; 6, col. lOOS; 12, col. 1632; Contra iacob., 79, 
col. 1476. 

7. ni, 11, Cpl. 1024. 



LA THÉOLOGIE DE SAINT JEAN DAMASCJÈNE. 497 

la nature est tout entière, suivant ce qui la constitue, 
dans tous les individus de la même espèce, il est vrai 
de conclure que le Verbe s'est uni à toute la nature 
humaine, et qu'en lui notre nature est ressuscitée et 
montée au ciel. Voilà pourquoi saint Paul dit que 
Dieu nous a conressuscités en Jésus-Christ, encore 
que nous n'ayons pas été personnellement ressuscites. 
Et il est vrai aussi de conclure que toute la nature 
divine s'est unie, dans le Verbe et par lui, à la nature 
humaine, encore que le Verbe seul se soit inca.rné, et 
que le Père et le Saint-Esprit se soient unis à l'huma- 
nité seulement xa-c' eô8ox{»v xal ^ouXtiaiv^. 

Cette union du Verbe avec l'humanité est xaTà orûvôsffiv 
•^ouvxaô^ôïcoefTaaiv^, et le Damascène, pour défendre à 
la fois la dualité des natures et l'unité de personne en 
Jésus-Christ contre les monophysites et les nestoriens, 
nous présente absolument les mêmes définitions et 
théories philosophiques que Léonce de Byzance. 
L'hypostase ne se confond pas tout à fait avec la subs- 
tance individuelle concrète : « L'hypostase est le par- 
ticulier subsistant à part soi : c'est une substance avec 
ses accidents, qui jouit d'une existence indépendante, 
propre et séparée des autres hypostases en acte et en 
fait*. » Il n'y a pas de nature <ivu7to<ixaToç, pas plus que 
d'hypostase ivouaioç^. Toute nature est donc tiKÔatauiç 
ou IvuTtàrtaToç : OU plutôt toute nature est iwiitoaxttxoç, 
comme toute hypostase est Ivoustoç, puisque logique- 



4. m, 6, col. 1001-1008. 

2. in, 3, col. 993. Saint Jean l'appelle encore oOaudSyj; [ibid.), c'est-à- 
dire véritable et réelle, pour la distinguer de l'anioa xati (pavioaiav. 

3. TnôffTafftî Sk xh {tepixov (iaxi) v.aX xaô' éotutà ûçeatàî, oùala tiç 
(tetà oMp.6sêT,xQxu>M, tÏ^v xaô' aÙTÔ ^napÇiv, IScatpÉTu; xal ànotCT(i.Y)- 

{De duab. voCunt., i, col. 132, 133; cf. CÔnt. iaeob., 8, col. 1439;. 

4. III, 9, col. 1016, 1017; Conf. locoô,, 11, col. 1441 ; De nat. composita, 
S, col. 1^. 

28. 



498 HISTOIRE DES DOGMES. 

ment toujours, et souvent en réalité la nature ne se 
confond pas avec l'hypostase.: Seulement, une navire 
peut'être lvoTco<rT*Toi; 4e plusieurs façons : d'abord quand 
elle existe -en soi et comme un tout indépendant 
(xttô' éouTi^v), elle est alors à elle seule une hypostase; 
— ensuite, quand deux natures existent et subsistent 
ISine dans l'autre réciproquement et l'une «vec l'autre 
(iriiv itÉpoi;), et concourent à former une hypostase 
unique z c'est le rats du corps et de l'âme et générale- 
ment des parties d'un tout naturel ; — enfin quand 
une amture subsiste h ixépia, dans une hypostase autre 
que son hypostase naturelle : c'est le cas derhumanité 
dans la personne éternelle du Verbe ^ 

Ces explications tranchent la question contre les 
itéréliques. L'humanité prise par le Verbe Jle iperdpas 
sa çvffii;, comme le disaient les monophysites : elle n'est 
pas mm plus IStcffusTaxoc, comme le prétendaient les 
nestoriens :: elle est Ivu^ooTaToç : elle subsiste dans le 
Verbe^. L'union des deux natures, divine et humaine, 
est donc xaô'ÔTroffTotxtv, et cette union a persévéré même 
dans le triduum mortis. Sé^téB l'un de l'autre, le 
«orps et l'âme de Jésus>Ghrist restaiesM^unisa^ Verbe; 
bien çrlus, ils ne formaient pas deux personnes, car 
ils subsistaient dans la même personnalité du Verbe : 
idivisés par le lieu (toicixS*;), : ils étaient .rapprochés 

Parle fait de l'union hypostatique, la personne en 
Jésus-Christ, de simple est devenue composée, aovôeToç, 
non que la personnalité du Verbe ait changé, mais 
parce que, si l'on considère le tout, la personne avec 



1. Vont, iacob., 11, 42, col. 4444; De nat. compos^ 6, col. 436. 

i. Ul,9, coL 401Ï; De nai. jx)mpos.f 6, col. -430. ;Saint Jean admet 
d'ailleurs la Ibrmule cyrîllîenae, {iw'a çûaiç toDOeoO liyoM <re(rapaûjiiv!r| 
<ni, 1,001.1024, 102»; Conf. I«C06., 22, col. 4460, 1461). 

3. in, J7, col. 4097. 



LA. THÉOLOGIE «BE SAINT JEAN iDAMASCENE. 499 

ses natur.^, le Christ est un iêtce composé non plus 
d'une mais de deux natures ^. 

D'autre part, icette union du Verbe et de l'humanité 
rappelait naiturellement celle de : l'ârae et du corps 
en l'homme. C'était une vieille comparaison dont on 
usait depuis l(»ng4emps, mais -sur laquelle, depuis 
longtemps aussi, on taisait .des réserves. Saint Jean 
insiste .plutôt sur les réservés^. L'homme sans doute 
se compose de deux natures irréduetibles entre elles, 
le icorps et l'âme' : toutefois, comme ces deux natures 
peuvent se retrouver identiques dans plusieurs indi- 
vidus j elles constituent par leur union une nature su- 
périeure, une espèce d<wQt la caractéristique «st d'être 
« animai raisonnable », et qui est la nature humaine 
ou rhumanité. £n Jésus-Christ il en va autrement. 
Jésus-Christ est un individu unique ; le Verbe et 
l'humanité ne forment pas une yçi<si6xriç, à laquelle 
plusieurs christs puissent participer. Ils ne constituent 
donc pas^ comme le corps et l'âme, par leur umon^ 
, une seale nature. 

L'union hypostatique ainsi constatée et expliquée, 
notre auteur en déduit quelques conséquences qu'il a 
remarquablement exposées ^ et dont il faut dire un mot. 

La première est l'adoration due à l'humanité de 
Jésus-^hadst «onsidérée non pas Si^^rément du Verbe, 
mais en lui, en qui «lie subsiste f. 

1. m, 7, col. 1009; lY Ç, CoL 4M)9. 

2. ra, 3, col. «9^ 993; Contra iacob., 64-57, col. l'é64-l-iC8; De naU 
cont|>08., 7, col. ISO, iSl. 

3. On remarquera que le Damaicëoe n'a pas l'idée de substance 4n> 
complète formant avec une autre substance incomplète une substance 
complète ou nature unique. H; vient cependant forcément, cniome on 
le voit. Il remarque d'ailleurs que, de ce que le corps et l'àme son! 
deux natures différentes, on ne saurait conclure qu'il y a en JésuS' 
Christ trois natures, le corps, l'âme et la divinité, car on ne doit 
compter, dans l'analyse du composé, que les éléments prochains «t 
immédiats (m, il€, coU ioes-ioes}. 

4. m,8, GOL1013. 



600 HISTOIRE DBS DOGMES. 

La seconde est que Jésus-Christ tfest ^bs serviteur 
mais Fils de Dieu : le nom de serviteur en effet mar- 
que une relation de la personne, comme les mots père 
et fils : il ne saurait donc convenir à Jésus-Christ, 
personne divine \ 

Une troisième conséquence est la grande loi de la 
communication des idiomes dont le saint docteur ex- 
pose les règles et justifie l'usage plus complètement 
et plus clairement qu'on ne l'avait fait jusqu'à lui 2. 

Uhe autre conséquence de l'union hypostatique est la 
compénétration mutuelle des natures^ unies (itepixwpïjdiç), 
la divinisation (6«{u>oiç) de l'humanité par la divinité 
du Verbe. Cette divinisation ne va pas à transformer 
substantiellement l'humanité, mais elle va à lui com- 
muniquer, dans la mesure où elle est capable de les 
recevoir, les dons, les privilèges, la puissance d'action 
et d'opération de la divinité : wvii \s.h (Oeo-niç} twv oîxt(wv 
toi-^^éxtin xïj capxl jxetaSiSwffi, De même que le fer rougi 
au feu brûle comme s'il était du feu, aussi la chair du 
Sauveur participe à son énergie divine : /i Si toλ Kop(o« 
aàpÇ tèç Oefaç IvspYefaçlirXouôïjcre^. 

C'est en considération de l'union hypostatique éga- 
lement, que saint Jean Damascène écarte de l'Homme- 
Dieu toute ignorance humaine et tout progrès réel en 
sagesse et en science. Il n'y a eu en Jésus-Christ ni 
hésitation ni délibération ni doute (YvtoftTi, 7rpoa(p£<nç) 
sur ce qu'il devait accomplir ; le progrès de sa sa- 
gesse a été tout apparent et économique. L'auteur 
n'hésite pas à traiter de nestoriens ceux qui admet- 
traient l'autre hypothèse*. 

Ce même point de vue domine ce qu'il dit des pas- 

1. III, 21, col. 108S. 

2. III, 4, col. 997-1000. 

3. III, 7, col. 1012; 17, col. 1063-1073 ; Contr. iacob., 52, col. 4461. 

4. m, 14, col. 1044: 21, 22, col. 1084-1088 ; D« dwaô «oîttn^, 38, col. 177. 



LA THÉOLOGIE DE SAINT JEAN DAMASCÊNË. 501 

sions et de la corruptibilité du corps de Jésus-Christ. 
Les passions indifférentes sont admises, la colère 
(ôufAoç), la tristesse et l'ennui {^ Xuttti xai ^ àSvjiAovfa), la 
crainte {-h SeiX(«), au moins en tant que celle-ci est 
l'effroi instinctif de l'âme en face d'un danger ou de 
la mort, mais non en tant qu'elle est l'effet de l'igno- 
rance ou de la pusillanimité. Les passions mauvaises 
sont écartées. Encore les premières ne prévenaient- 
elles point, dans leurs mouvements, chez le Sauveur, 
l'usage de la raison et lui restaient-elles parfaite- 
ment soumises *. 

Le corps de Jésus était passible, accessible aux 
besoins et aux faiblesses de la vie végétative et sen- 
sitive^. 11 était sujet à cette corruptibilité partielle 
qui est celle des aliments dans le corps et des élé- 
ments mêmes du corps qui sont rejetés par la sueur, 
la salive, etc., à mesure que d'autres les remplacent : 
c'est ce que l'auteur appelle -cop-Yi x«l ^euertç {sectio et 
diffluxio). Il était sujet aussi à cette corruptibilité 
qui se confond avec les souffrances qui vont à faire 
périr le corps, la faim, la soif, la mort : mais il 
est une corruption plus complète, la dissolution to- 
tale et la désorganisation des éléments dont le corps 
est composé (Sta^ôopa) ; et celle-ci, le corps du Sau- 
veur ne l'a pas connue et ne pouvait la connaître : 
elle eût été contraire à sa dignité 3. 

Reste la question des deux volontés et des deux 
opérations en Jésus-Chrisf. Au -moment où écrivait 
saint Jean, il ne s'était guère écoulé plus de cin- 
quante ans depuis que la controverse avait été dé- 

1. ni, 20, 33, col. 1084, 1088, 1089; De duab;; volunt., 36, 37, col. 176, 
177. 

2. Parmi les fonctions végétatives, saint Jean exclut cependant 
tomme inutiles en Jésus-Christ tô SI ffTtepfiaTixôv xal •vevvrj'Cixôv {fit 
duab. volunt., 37, col. 176). 

«*. in, S8. col. 1097-1100; De duab. valant., 36, col. 173-176. 



502 HISTOIRE DES DOGMES. 

finitivement tranchée par le VI* concile général, et 
il pouvait paraître encore utile de justifier sa solu- 
tion. 

Dans cette justification, le Damascène suit absolu- 
ment saint Maxime. Comme lui, îl distingue avec soin 
les divers sens éa mot volonté. Autre chose est l'acte 
de la volonté (Ô^T^oïç), autre chose l'acte de vouloir 
simplement (to OsXeiv) ou de vouloir ceci ou cela, de 
cette façon ou de xîette autre {téti xal BtSçôli&tv), autre 
chose ce que nous voulons, l'objet de notre vouloir 
(to ôeXeTo'v), autre chose le principe actif du vouloir 
(to ôêXstixo'v) et autre chose enfin celui qui veut (6 
ôeXftjv). Or, s'il est vrai que l'objet du vouloir et la fa- 
çon de vouloir varient avec chaque individu, et dé- 
pendent, dans une certaine mesure, de la personne, 
parce qu'ils dépendent de la liberté', il est certain 
que la volonté, faculté et acte, le principe actif du 
vouloir et le vouloir simplement appartiennent à la 
nature, car tout homme est capable de vouloir et vent 
en effet 2, Il y avait donc en Jésus-Christ, puisque en 
lui les deux natures divine et humaine étaient com- 
plètes, deuxTolontés et deux libertés^ deux volontés, 
disons-nous, /afférentes, non opposées. Et la ques- 
tion de leurs rapports est aisée à résoudre : car la 
volonté hamame de Jésus»-Christ, n'étant point inclinée 
au mal, restait toujours soumise à la volonté divine, et 
ne voulait que ce que celle-ci voulait; mais elle le 
voulait humainement ei'Mbrement : lf\^zkt f*èv «ÙTf^ou- 
«{(!}; xivou[£év)] ^ Toû Kop(ou ij'U}^'}), aXX' Ixeïvoc auTE^ouo-uiiç ?]âeX£v 

.. m, U, col. 1036, 1040; Deduab. volunt., 24, col. 133 : Tà6e).ETix6v, 
h'j <f\)afKQv {l6vov àX).à x«t yvufuxàv xot îrsoaronixov. Cela ne \«Bt pas 
dire que la liberté soit chose delà personne et non de la nature, car 
Thomme est par sa iiature ocùre^owaio; comme' il est 6e)>7]tixôç (Hf, M, 
col. *037, I04i; tô, col. 1076), mais -chaque ïBâmdu lait de salitocrtô 
l'usage qu'il veut. 

2. Dediiab.volunt.,^px>\.iîi?,\ De /7rfe orfft., in,l*, «ol. 1036, lOiO. 



LA THÉOLOGIE DB:SAINT JEAN DAMASCENE. S05 

&- ■^ 0e(ft aÔTOîî ôéXï]cnç, •JjôeXe OéXttv «ôti^v^. En vertU; de la 
itepixwpiffK, la volonté humaine du Sauveur se trouvait 
divinisée comme,, en général, toute son! humanité 2. 

Or, ce qui vient d'être dit. de la voleoœté peut s'é- 
tendre à toute; opération (IvepY*'*)'* Gomme il l'a fait 
plu& haut, notre auteur pose encore ici des distinc- 
tions nettes :.''E'r6pov. oSv. IvspYEWty.xai gtepov xo IvspYetv, 
xal Itepov To Ti x»t irwç èvêpyeîvy xal ETepov th Iv«pyt,tov, 
TouTeoTt to IvépYTjfna, x«\ ixepov zh IvepYSTixov, xaV iTepov ô 
IvspYwv^. Le mot IvépYsta peut désigner ou la faculté 
d'agir ou l'action elle-même ; mais quoi qu'il en soit, 
et quelle que soit la définition qu'on en donne, il 
faut toujours convenir qu'elle est partie intégrante et 
nécessaire de la nature, et que sans elle il n'y a que 
néant : K«\ éïrXSç fîjrfiïv, évipYSia hsxi cpuaixïj, ^ Ixaax7)ç 
ouoittç Suvafx^ç te xai xivi^<rtç,^ç yj^9^^ [lovov xo fjrJjov^. Si donc 
on reconnaît en Jésus-Christ une nature humaine, 
on doit aussi lui reconnaître des facultés et des opé- 
rations humaines, à côté des attributs divins et des 
opérations divines^. 11 y a donc en lui deux opéra- 
tions comme deux volontés libres, comme deux na- 
tures. 

Quel est le rapport de ces deux sortes d'opérations 
entre elles? C'est le rapport m^me qui existe entre' 
les natures, celui d'une union intime sans confusion. 
Comme les deux natures agissantes sont unies dans 
l'identité de personne, l'une n'agit pas sans l'autre. 



d. III, 43, 14, 18, COl.l033...1074-107fi;DedMOÔ.t)ofMn«., 26-29,39-42;col, 
157 et? suiv., 177 et suiy. Saint Jean n'admet donc en Jésus-Christ qu'iiQ 
ÔEXeiàv Yvb>[i.tx6v, c'ëst-à-dire un seul objet voulu déjibëréiiient parles 
deux vohmtés (III, 14, col. 1036, 1037}. Voir la note à- ce passage. Sur 
les.divers seni's dti mot Yvtofiïi, voir ni, 14, coL 1045. 

2. III, 17, col. 1069, 1072. 

3. De duab volunt.f 35, col. 172. 

4. De duab. volunl., 34, col. 172. 

8. Jbia., De fiOe orth., III, 15, col. 1043. 



&04 ^ UiS FOIRE DES DOGMES. 

et sans que cette autre participe en quelque manière 
à son action. Si nous considérons par exemple les 
actions humaines de Jésus-Christ, outre que le Verbe 
en est, par l'humanité, le principe responsable, la di- 
vinité y concourt en opérant ce qu'elles ont de sur- 
humain, naître d'une vierge, marcher sur les eaux, 
etc., et en leur donnant leur valeur rédemptrice et 
salutaire. Si nous considérons au contraire ses ac- 
tions divines, nous voyons que souvent l'humanité en 
est l'organe, et qu'elle y concourt par quelque geste 
extérieur et visible — extension de la main, attouche- 
ment — dont se sert le Sauveur pour exercer sa 
toute-puissance *. 

Et c'est cette union intime des deux opérations di« 
vine et humaine que Denys a voulu mettre en relief 
par l'expression xaivi^ tiç OeavSpixy) Iv^pyt»* de sa qua- 
trième lettre à Gaïus. Cette expression marque l'u- 
nité de la personne en qui les deux genres d'opérations 
viennent converger, et comment ces opérations se 
compénètrent en quelque sorte. La Trcpij^wpïiaiç qui en- 
chaînait l'une à l'autre les natures, liait aussi l'une 
à l'autre leurs activités : *H avepwîrivï) aÙToô (Xpwroîi) 
IvÉp^eta Oet'a^v ^youv TeOeMjjisvïi, xai oôx ajxoipo; t^ç Ôstaç aÔTOÏÏ 
IvepYiCaç , xa\ ^ 6e^a «ùtou Ivépyeta oôx ajAOïpoç tîjç àv6p(i)7r(vr]ç 
«ÔToû lv£pY6(aç, àXX' Ixarlpa ffov tî} êrép^ ôcojpoufA^vïj^. 

Si le Damascène a longuement développé sa christo- 
logie, il n'a pas consacré à la sotériologie même un 
chapitre spécial de^ son grand ouvrage. On en peut 
cependant recueillir les traits épars, qui n'offrent rien 
d'original. Dans l'œuvre de notre salut, observe-t-il, 
tous les attributs de Dieu sont manifestés, sa bonté, sa 



1. m, iS, col. 1057-i060; De ditab. volutit., 42, 43, col. i81-lM. 
«. m, 19, col. 1077-1081. 



LA THÉOLOGIK DE SAINT SEKH DAMASCÈNE. 506 

justice, sa sagesse.', et à cette œuvre tous les mystères 
de Jésus-Chrîst concourent'"; toutefois c'«st la croix 
seule en définitive qui nous sauve ^. Le péché en effet 
nous avait réduits à l'esclavage; il nous avait rendus 
passibles d%n. cKâtiment, soumis à la malédiction. 
Jésus-Christ se substitué à notre place*; il accepte 
pour nous là malédiction^. Il paieà Dieu notre rançon; 
car ce n'est pas au démon qu'il a donné son sang [absitl) 
c'est à son Père. Il s'offre à lui en saici^fice^, apaise sa 
colère dans son sang et devient propitiatibn (Uactiipiov) 
pour nos péchés '. Le résultat; est que nous sommes 
rendus à là liberté, affranchis de la malédiction, et 
unis à Jésus-Christ, le tout par sa mort*. 

On à remarqué tout à l'heure que saint Jean, comme 
saint Grégoire de Naziànze, condamne la théorie juri- 
dique des droits du démon, admise par Origène et 
saint Grégoire de Nysse. De ce dernier cependant il a 
retenu la théorie de l'abus du pouvoir, et l'image de la 
mort «t du démon trompés par Dieu. Car le démon et 
la mort, en voulant s'emparer de l'humanité de Jésus- 
Christ, se sont pris à l'hameçon de sa divinité, et la 
mort, frappée elle-même à mort par la chair vivifiante 
qu'elle a prétendu engloutir, a dû vomir ceux qu'elle 
avait déjà dévorés '. 

1. m, i, col. 984. 

2. IV, &, col. 1137. . , 

3. IV, 11, col. 1128, H29. 

4. Tô i^{téirepov àv{»8£yoji.evoç itpéfftoTrov, III 2S, Î7, col. 1093, 1096; In 
epist. II ad Corinth., V, 22; In epist. I ad Timoth-, II, 26 (P. G., XGV, 
736, 737, 1004). 

S. In epist. ad GalaUy III, 13 (P. G., XCV, 796). 

•6. m, i7, col. 1096. 

7. In epist. ad Rom., III, ii, 25 (P. G.. XCV, «4, 408), 

8. In epist. ad Ephes., I, 1 (P. G., XCV, 821). 
«. Iir, i, col. 984; 27, col. 1096, 1097.J 



mSTOIRE DES DOGMES. — VU. 29 



50€ HISTOIBE DES DOGMES. 



§ 4. -— L'Église et les sacrements. 

Saint Jean Damascène n'a point donné de théorie de 
l'Église. Il la regarde seulement, ainsi qu'on l'a déjà 
remarqué, comme la règle vivante de Ja foi, et revenu 
dique hautement pour elle l'indépendance doctrinale 
et disciplinaire vis-à-vis des princes temporels. L'Église 
ne doit point être régie par les décrets des empereurs, 
mais par les synodes et les canons qui y sont édictés : 
les apôtres, non les empereurs, ont reçu le pouvoir de 
lier et de déliera Sur la primauté de saint Pierre, 
notre auteur répète les paroles de ses prédécesseurs : 
saint Pierre est le coryphée en chef du Nouveau Testa- 
ment {6 TTJçvsaç SiaOnjXTfjç xopocpaioTaTo;), le digne chef de 
l'Église dont il tient le gouvernail (iTcâitoçirpoeSpoç), son 
modérateur et son fondement 2. 

Point de théorie non plus des sacrements en géné- 
ral. Une réflexion seulement, que saint Jean fait à 
propos du baptême, peut s'étendre aux rites analo- 
gues : c'est que « les éléments visibles sont les sym- 
boles des [réalités] spirituelles^ ». Les sacrements sont 
des signes de la grâce. 

Le baptême fait l'objet du livre iv, 9 du Defideortho' 
doxa. Il existe plusieurs sortes de- baptême, et entre 
autres, le baptême de Jésus-Christ, le baptême labo- 
rieux (la pénitence) et le baptême de sang. La matière 
du baptême chrétien est l'eau, dont le propre est de 
purifier, mais l'eau dans'laquelle est descendu l'Esprit- 
Saint en vertu de la bénédiction préparatoire (Si' 

1. De imaginibui, Orat. I, col. i281; II, i2, col. 1>96; 16, col. 4301, 
i30i. 

2. Homil. in transfig. Pomirii, S, 6, 9, 16 (P. G., XCYI, S48, 5S3, 560, 
569). 

3. IV, 9, col. liai. 



LA THÉOLOGIE DE SAINT JEAN DAMASCÈNE. 607 

IvTeuÇswç xtà inadiaetiK) *. L'ablution est accompagnée 
de l'invocation trinitaire, invocation nécessaire comme 
le baptême lui-même, invocation qui, étant prononcée, 
fait que le baptême ne saurait se réitérer ^. 

Le baptême chrétien représente la mort de Jésus- 
Christ, et c'est pourquoi saint Paul a dit que nous 
sommes baptisés dans le Christ et dans sa mort ^. Il 
remet les péchés, confère le Saint-Esprit dans la 
mesure de la préparation et de la purification (npoxa- 
ôdtpastoç) qu'on y apporte, se met comme un sceau sur 
celui qui le reçoit. Il est ica'ki'CfÈvsaloL xal açpayU x«l 

. Saint Jean Damascène a probablement signalé obs- 
curément la confirmation, quand il parle de l'onction 
d'huile qui accompagne le baptême '. Il ne s'y arrête 
pas. En revanche, il a exposé avec beaucoup de soin 
sa doctrine eucharistique auDe fide ortkodoxa, iv, 13. 
Cette doctrine d'ailleurs n'offre rien de personnel, et 
il serait aisé de désigner les auteurs qui lui en ont 
-fourni les éléments^t l'expression. 

Elle débute par une afiirmation de réalisme des plus 
explicites. Dans l'eucharistie, le pain devient le corps, 
et le vin mêlé d'eau devient le sang de Jésus-Christ^. 
Oùx îaxi TuTCo; & apTo; xal olvoç xou aûfAaxoç xal aXiicttoç tou 
Xpifftoû {{A-îi Y6VOIT0) àXX' «uTOTOffSfta Toû Kupiou Te6e(i)[Asvov^. 
Le fondement solide de cette affirmation se trouve 
dans les paroles mêmes de Jésus-Christ plusieurs fois 
rappelées*. Que si parfois le pain et le vin sont appe-» 

i. Col. H21. 

2. Col. un, 1120. 

3. Col. 4120. 

4. Col. H2I. 

B. IV, 9, 43, col. H23, 1141, 

6. Col. 4141. 

7. Col. 1148. 

8. Col. 1140, 1149. 



S08 mSTOIRE DES DOGMES. 

lés àv-ctTuirsi du Gorps et du sang da Sauveur, cela doit 
s'entendre du pain et du vin avant la consécration ; et 
si parfois on dit des saints mystères qu'ils sont les 
antitypes des choses futures {àvxlwmi tSv |«XXovtwv), 
«ela signifie que par eux nous devenons participants 
de la divinité de Jésus-Christ, divinité à laquelle nous 
participerons plus tard par la seule intelligence et 
contemplation {vo»itS<, Stà (xovtjç t^ç 6éaç) ^ . 

Comment doit-on concevoir que le pain et le vin 
deviennent, dans l'eucharistie, le corps et le sang de 
Jésus-Christ? En deux passages, notre auteur présente 
ce mystère comme le résultat d'une sorte d'impanation, 
d'une simple union de la divinité du Verbe avec le pain 
et le vin. De même que Dieu unit sa grâce à l'eau et à 
l'huile du baptême, aussi dans l'eucharistie il a joint 
(coviÇeuÇev) aux éléments sa divinité, pour les faire son 
corps et son sang. De même que le charbon est du bois 
uni àdu feu, « de même le pain de4a communion n'est pas 
simplement du pain, mais [du pain] uni à la divinité » 
(jjvwfx^voçôeÔTyiTtj^. Mais ce n'est point là la vraie pensée 
de saint Jean : cette pensée il l'éiionce et là précise 
aussitôt. Il faut d'abord poser en principe que le corps 
eucharistique de Jésus-Christ est son corps historique, 
le corps pris de la Vierge. D'autre part, ce corps ne 
vient point dans les saints mystères par adduction, 
comme si le corps, qui est monté au ciel, en descen- 
dait ; mais il y est produit par conversion : « le pain 
même et le vin sont convertis (paT«7rotoovTai) au corps et 
au sang de Dieu ». Une comparaison peut éclairer ceci. 
De même que, dans les repas ordinaires, le pain et le 
vin sont changés en notre corps, et en ce corps même 
qui était le nôtre avant démanger, « ainsi le pain et le 
vin mêlé d'eau de la prothèse sont par l'invocation et 

i. Col. usa, 1153. 

s. Col. 1141,1144,11». 



LA THÉOLOGIE DB SAINT JBAN DAMASCÈNE. 50» 

la venue de rEsprît-Saint, sarnatareUement convertis 
((jtexaitoioôvTai) ail corps et au sang du GhEÎst, de sorte 
qu'il n'y à pas deux corps [différents], mais un seul, et 
celui même du Christ * ». 

Comment cela se peut-il faire? Inutile d'en chercher 
d'autre explication que la puissance de Dieu, la puis» 
sance du Saint-Esprit qui agit en ce mystère. Dieu a 
tout créé par sa seule parole; le Verbe s'est incamé 
par sa seule volonté : il a dit de même : « Ceci est mon 
corps, ceci est mon sang, faites ceci en mémoire de 
moi », et cdla est comme il l'a dit et parce qu'il l'a 
dit. Le Saint-Esprit par qui Dieu a tout fait, et qui a 
donné à Marie sa fécondité, devient, par l'épiclèse, 
« la pluie [qui fait lever] cette nouvelle moisson ^ ». = 

On a pu remarquer que saint Jean Damascène attri» 
hue nettement lacoaversion deséléments eucharistiques 
au Saint-Esprit invoqué au moment de l'épiclèse, à 
l'exclusion même des paroles de l'institution. C'est, 
comme on l'a remarqué ^, une conséquence de l'erreur 
qu'il a commiseau sujet du mot âvrituica. Le Damascèn& 
ne veut pas que, dans les auteurs anciens, ce mot dé- 
signe les éléments consacrés, mais seulement le pain 
et le vin dans leur état naturel. Comme, d'autre part,. 
ce mot est précisément employé dans la liturgie de 
saint Basile après les paroles de l'institution, mais avant 
l'épiclèse, pour désigner les ohlata, il en a conclu qu'à 
ce moment la consécration n'est pas encore faite, et 
qu'elle né se fera que par l'épiclèse. Nouvelle erreur,, 
plus grave que la première, et dans laquelle il a fixé la 
théologie grecque. 

La chair eucharistique dé Jésus- Christ étant son vrar 
corps est conséquemment une chair vivifiante, biea 

1. Col. il4S. 

2. Col. 1140, 11 M, 1145. 

3. Cf. F. Varaink, L'é icléae euehariitique, p. S3 et sulv. 



510 HISTOIRE DES DOGUES. 

plus, esprit vivifîcateur (irveûf** Çtoowotovv), puisqu'elle- a 
été conçue par Topépation du Saint-Esprit*. Et comme 
elle est unie hypostatiquement à la nature divine, elle 
fait participer à cette divine nature ceux qui la reçoi- 
vent dans de bonnes dispositions : ftcTÉ^ouai, xai xoivwvo. 
detac cpûaEbic ylvovxtu ^. Les autres effets de la communion 
sont de remettre les péchés, de purifier et de soutenir 
l'âme et le corps, de rendre les fidèles membres de Jé- 
sus-Christ, de les unir au Saint-Esprit et entre eux ^. 
Il est remarquable que notre auteur ne parle pas de 
l'eucharistie comme principe de la résurrection de la 
chair. ; ^ 

De l'eucharistié-sacrifice saint Jean ne dit qu'un 
mot. Figurée par l'ojQfrande de Melchisédec, elle est 
« le sacrifice pur et non sanglant que le Seigneur avait 
annoncé par les prophètes devoir lui être offert depuis 
l'orient jusqu'au couchant ■•» . 

Sur les sacrements autres que le baptême et l'eucha. 
ristie, les écrits de saint Jean Damascène ne contiennent 
rien que de courtes allusions.. Une Epistulade confes- 
sione, éditée parmi ses œuvres ^, ne saurait être con- 
sidérée comme authentique, 

§ 5. — Culte et dévotions. Eschatologie. 

Comme il a été l'écho des esprits plus cultivés dans 
les questions les plus hautes du dogme, saint Jean Da- 
mascène a été aussi l'écho des chrétiens plus humbles 
par l'attachement dont il témoigne pour les croyances 



1. Col. llfiS. 

i. De imaginibus, Orat. III, i% cOl. IStd. 

3. Col. 1148, HKS, 1153. 

4. Col; 1149, IISS. 
». P. G., XCV. 



LA THÉOLOGIE DE SAINT JEAN DAMASCÈNE. 511 

elles pratiques populaires, et d'ailleurs louables, de son 
temps. 

Après le Christ, il place Marie aussi haut et aussi 
près de Dieu que possible : on ne saurait trop la louer : 
elle est ônepu{jLvyiToç*. Jean connaît tous les récits qui ont 
cours sur sa naissance, sa présentation, son séjour au 
temple *. Contre les nestoriens, il revendique sa ma- 
ternité divine ' ; contre les antidicomarianites sa vir- 
ginité perpétuelle; a/iZe, întra, post partum ^. Il pro- 
clame son absolue sainteté ^. Il croit à l'incorruption 
de son corps après la mort, et à son assomption cor- 
porelle dont il décrit, d'après les apocryphes, les mer- 
veilleuses circonstances ^. 

Après la Vierge, on doit honorer (tiiayitéov) les saints 
ordinaires : ils sont les enfants et les héritiers de Dieu, 
les amis de Jésus-Christ, les patrons, les protecteurs 
du monde et des fidèles pour qui ils intercèdent. Ce ne 
sont pas seulement leurs âmes qui sont dignes de nos 
hommages : les reliques de leurs corps, autrefois tem- 
ples de l'Esprit-Saint, le sont aussi '. 

A la Croix est due une adoration spéciale (irpoffxuvTj- 
téov), à cause de son contact avec la chair de Jésus- 
Christ. On en peut dire autant des clous, de la lance 
du crucifiement, et, proportion gardée, dès vêtements 
du Sauveur, de son berceau, de la grotte de sa nais- 
sance, du Golgotha et des lieux où il a séjourné^. 

1. IV, 14, col. 1153. Tout ce chapitre est consacré à ce qui regarde la 
Vierge. 

2. Col. 11S7, 1160. Et cf. Homil. I in dormitionem B, V. Mariae, 6 (P. 
6., XCVI, 708). 

3. Col. llfiO, 1161; III, 13, col. 1028, 1029; Cont. iaeob., 84, col. 1484. . 

4. Col. 1161 ; In nativit. B. F. Mariae, 5 (P. G., XCVI, 668). 

5. Homil. in annunliationem B. V. Mariae (P. G., XCVI, 648 et suiv.); 
Homil. II in nativit. B. V. Mariae, 4 (ibid., 684). 

6. In dormition.B. V. Mariae, homil. 1, 10, 13; II, 14, 18; III, 3(P. 6., 
XCVI, 716, 720j 741, 718, 749, 767). 

7. IV, IS, col. 1164, 1108. 

8. IV, 11, col. 1139, 1182. 



512 HISTOIRE DES.DOGMES. 

Inutile de rappeler les plaidoyers de notre auteur en 
faveur du culte des images : ils ont été analysés plus 
haut. Notons seulement^ comme dernier trait gui le 
caractérise, là haute estime qu'il.mapifeste pour la vie 
monastique et pour l'état de virginité. Il a consacré à 
ce dernier sujet tout un chapitre, le 24^ du livre iv de 
son exposé de la foi orthodoxe. 

De l'eschatologie chrétienne saint Jean Damascène 
n'a traité un peu longuement qu'une seule question^ 
celle de la résurrection des corps contre les mani- 
chéens. 

La fin du monde sera précédée de la venue de l'anté- 
christ. Né de la fornication et instrument du diable qui 
habitera en lui, l'antéchrist séduira les âmes et sera 
adoré dans le temple de Jérusalem. Il fera périr Hénoch 
et Élie reparus pour convertir les Juifs; mais, à son 
tour, sera exterminé par Jésus-Christ descendu du 
ciel^. 

Sa défaite sera suivie de la résurrection générale. 
Ce même corps terrestre et mortel qu'ont eu les 
hommes ici-bas reprendra vie, c'est-à-dire se trouvera 
de nouveau uni à l'âme. Saint Jean en établit le fait par 
un appel à l'Écriture, à l'histoire sainte, à la justice de 
©îeu qui doit punir ou récompenser le corps avec l'âme : 
quant à la possibilité du fait, eUe repose tout entière 
sur la toute-puissance de D ieu 2. 

Après la résurrection viendra le jugement général. 
Deux sortes de sentences seulement y seront pronon- 
cées. Le diable et ses démons, l'antéchrist, les impies 
seront condamnés et jetés au feu éternel, <îar après la 
mort, il n'y a point, pour les pécheurs, de conversion 
possU).le. Ce feu ne sera point matériel (pôj( GXixov). 

1. IV, 26, col. 1216, 1217. 
3. IV, 27, col. 1220-12-2S. 



LA THÉOLOGIE DE SAINT JEAN DAMASCÈNE. 513: 

comme le nôtre, mais tel que Dieu sait (oTov 3lv eîSsiY] 6 
%e6ç)*. Les élus, au contraire, seront appelés à vivre 
éternellement avec Jésus-Christ et ses anges dans la 
joie, la contemplation et les louanges de Dieu '. 

On remarquera que saint Jean Damascène ne parle 
ni de la prière pour les morts, ni du purgatoire ; et il 
semble même qu'il exclut cette dernière croyance dans 
son Dialogue contre les manichéens, 75^. L'Église 
grecque cependant admettait sûrement, nous le sa» 
vous, les suffrages pour les défunts. 

1. IV, 27, col. 1228; cf. Dialog. eont. manich., 18 (P. G., XCIV, 1573^ 
4S7S), 

2. IV, 27, col. 1238. 

3. Col. 1873. 



29- 



CHAPITRE XII 



LA THEOLOGIE LATINE SOVS CHAItLEMAGNE. 



§ 1. — Les théologiens. 

Si le mouvement imprimé par Charlemagne aux let- 
tres et aux arts — ce que Ton a appelé la renaissance 
carolingienne — fut véritablement un recommence- 
ment, le début d'une ère nouvelle qui, trop tôt inter- 
rompue, fut reprise pourtant et se continua dans le 
moyen âge, il faut avouer que la théologie, sous son 
règne, resta en dehors de ce renouvellement, et con- 
tinua le passé plus qu'elle ne s'orienta vers l'avenir. 
L'âge des Pères et des grands écrivains était fini ; la 
scolastique ne s'annonçait encore que par des traités 
de dialectique. On se contenta d'étudier et de repro- 
duire les anciens — saint Augustin et saint Grégoire 
toujours, — et de se les assimiler de son mieux pour 
faire face aux nouveaux besoins. 

C'est qui explique que, dans ce volume, nous puis- 
sions terminer par un aperçu de la théologie au temps 
de Charlemagne, cette série d'études sur le dévelop- 
pement doctrinal dans l'ancienne Église. Au point de 
vue de l'histoire des dogmes, la renaissance carolin- 
gienne appartient à l'antiquité ^ . Dans cet aperçu ce- 

1. « A prendre strictement les choses^ écrit H. Harnack, l'histoire des 



LA THÉOLOGIE LATINE sous CHARLEMA6NK. 5iS 

pendant, nous ne dépasserons pas sensiblement la fin 
dii règne du grand empereur (814) : embrasser toute 
la période carolingienne nous conduirait vraiment trop 
loin. Et même dans les limites de ce règne, nous nous 
contenterons de parler des événements doctrinaux plus 
considérables qui l'ont rempli ^ et de noter les quel- 
ques enseignements plus spéciaux qui s'y sont fortifiés. 
Une revue complète de la théologie latine sous Charle- 
magne ne pourrait être en effet, poUr la plus grande 
partie, qu'une répétition inutile de ce qui a été déjà 
dit. 

A la fin du vu* et pendant les deux premiers tiers du 
vm" siècle, c'est surtout dans les écoles celtiques et 
anglo-saxonnes de l'Angleterre que s'est réfugiée la 
science religieuse et la théologie. Les éléments des 
cultures romaine et grecque, apportés par saint Au- 
gustin d'abord, puis par Théodore de Tarse à Can- 
torbéry, ont été avidement recueillis et étudiés dsins 
cette ville. Bède illustre les écoles de Wearmouth et 
de Yarrow dans la Northurabrie ; mais celles-ci s'effa- 
cent bientôt devant l'école d'York, établie par Ecgbert. 
C'est de l'école d'York, où il a eu pour maîtres Ecgbert 
et surtout Aelbert, et où il a professé lui-même quel- 
que temps, que sort le northumbrien Alcuin^, le meil- 
leur théologien de Charlemagne et, avec lui, l'organi- 



dogtnes du moyen âge commence avec Clugny » [Lehrb. der DG,, ni, 
p. 271}. n m'a para aussi et surtout que l'histoire des controverses du 
Filioque et de l'adoptianisme sous Cliarlemagae était le complément 
naturel et nécessaire de ce qui a été dit jusqu'ici sur les doctrines 
trinitaire et ctiristologique. 

1. La controverse occidentale sur les images a été racontée ploB 
haut, chap. x, $ 7. 

2. (BuvrriS dans P. L., C, CI. Travaux : F. Monnier, Alcuin et Charle- 
magne, 2* édit., Paris, 1863. F. Hauelin, Essai sur la vie et les ouvrages 
à' Alcuin, Rennes-Paris, 1873. K. WEnNER, Alcuin und seinJahrhunderl, 
2" édit, Wien, 1881. A. F. West; Alcuin and the rise oflke Christian 
schools, London, 1893. C. J. is. Gaskoih, Alcuin hit life and hia work^ 
Loudon, 1904. 



S16 HISTOIBEDI» DOGMES. ; 

sateur en France du système d'écoles et d'étudaft rêvé 
par l'empereur. Né vers 735, venu une première fois 
en France de 781 à 789, puis une seconde fois et défini- 
tivement en 792, mort en 804, Alçuin rapporte sur le 
continent les traditions scientifiques ^ue l'invasion 
des barbares en avaij^ chassées, et unit en soi et dans 
les écoles qu'il fonde, avec l'insatiable désir d'appren- 
dre et de savoir qui caractérise sa race, l'esprit d'ordre, 
de mesure et de discipline qui est l'apanage du génie 
latin et romain. S'il abuse dans ses commentaires de 
l'Ecriture du système des deflorationes, c'est-à-dire du 
procédé qui consiste à composer un commentaire avec 
des morceaux choisis d'auteurs anciens; si sa théolo- 
gie n'offre rien d'original et témoigne seulement d'une 
très vaste érudition patristique, il a compris cependant 
le secours que la théologie pouvait tirer de bonnes 
études philosophiques, et s'est efforcé, par son exem- 
ple, de donner aux autres la même conviction'. Le 
moyen âge à tous égards lui doit beaucoup. 

En même temps que théologien et philosophe, Al- 
çuin avait été grammairien, ou plutôt il s'était efforcé 
d'avoir des lumières de tout, puisque aussi bien Char- 
lemagne l'interrogeait sur tout, et que tous les genres 
de connaissances avaient besoin, en France, d'être res- 
taurés. Grammairien, l'abbé de Saint-Mihiel, Sma- 
ragde (v. 760-825)2, le fut aussi, car on a de lui un 
commentaire de la grammaire de Donat, dans lequel 
il fait usage d'exemples tirés des auteurs chrétiens 
plutôt que des auteurs profanes. Mais Smaragde fut 
surtout un exégète et un moraliste, et ce n'est, pour 

J. Voir ce qu'il en dit dans l'épitre dédicatoire de son traité de la 
Trinité à Cbariemagne, tom. CI, 12, et Grammatica {ibid., col. 8S3, 834). 
Sur la façon dont on concevait à cette époque les rapports de la foi e6 
de la raiiion, voir spécialement G. Brunbes, La foi chrétienne et la phi- 
lotophie au temps de la renaissance carolingienne, Paris, 1^03. 

2, (ffiuvrss dans P. L., XCVIII, Cil. 



LA THEOLOGIE: LAXINE( sous GHABLEMAGNE. 617 

ainsi direj qpie par occasion qu'il dut traiter la question 
dogmatique du jF/Z/oç^ud. 

-Plus célèbre que lui est Tévêque dlOrléanSi- Théo- 
dulphe (év. vers 785, -{- 821)% d'origine gothicpe ita^ 
lienne ou espagnole, et que Charles sut attirer en 
Franee, Esprit cultivé et de beaucoup de lecture, éga- 
lement versé dans les lettres sacrées et profanes ^ 
poète à ses heures et tenu en grande estime pour sa 
science théologique, Théo dulphe réalisa assez com- 
plètement le type de l'évêque suivant le cœur de l'em- 
pereur. Il mourut cependant en captivité, impliqué,, 
très probablement à tort, dans une révolte contre Louis 
le Débonnaire. Cinq ans avant lui était mort (en 816) 
un autre ami de Cliarlemagne, Leidrade?, bavarois 
de naissance et archevêque de Lyon de 798 à 814, dont 
il ne reste en fait d'écrits qu'un traité du ba,ptême et 
quelques lettres, mais qui fut activement mêlé à la 
querelle adoptianiste. 

Tous ces auteurs appartiennent à la France. En 
dehors d'eux il faut signaler, en Espagne, l'évêque 
Heterius d'Osma etTûbbé de Libana, Beatus, les pre- 
miers opposants que rencontra l'erreur adoptianiste 
d'Élipand et de Félix d'Urgel^. En Italie surtout, il 
faut nommer le patriarche d'Aquilée, Paulin II (év. v. 
787, -[-802). Il était l'ami d'Alcuin et, comme lui, avait 
cultivé la grammaire et la littérature profane en même 
temps que les sciences sacrées. Il reste de lui, avec 
quelques lettres et quelques traités de polémique, un 
manuel de morale chrétienne imité de Julien Pomère*. 



1. Œuvres dans P. L., CV. Travaux : L. Baonard, Thêodulphe, évêque 
d'Orléans, Orléans, 1860. E. Rzebulka^ Theodulf, Bischof von Orléans, 
Breslan, 18T8. Gh. Cuissart, Thêodulphe, évêque d'Orléans, sa vie et ses 
œuvres, Orléans, 1892. 

2. Œuvres dans P. L., XCIX. 

3. œuvres dans P. L., XCVI. 

4. CEh«*b dans P.L., XCIX. Travaux : G. Giansoni, PaulinusU,Patr, 



518 HISTOIRE DES DOGMES; 

Ges noms, si l'oji excepte celui d'Alcuin, paraîtront 
bien effacés à côté de ceux qui ont été cités au 'com> 
mencement et au milieu de ce volume, et plus encore 
dans le volume précédent. Mais, . pour être tout à fait 
juste, il ne faut pas juger ces hommes uniquement sur 
ce qu'ils ont produit : il convient de tenir compte du 
temps où ils ont vécu et des difficultés qu'ils ont dû 
vaincre. On admirera davantage alors la ténacité et 
la puissance intellectuelles qu'ils ont déployées pour 
s'affranchir de la barbarie qui les pressait, et pour 
rester fidèles au passé glorieux dont ils recueillaient 
l'héritage. 

§ 2. - Controverse trinitaire. Le FiUoqne ^ 

On s'est occupé, sous le règne de Charlemagne, de 
la question du Filioquek deux points de vue différents. 
D'un côté, l'empereur et roi adopte l'usagé de faire 
réciter à la messe, dans ses états, le symbole dé Cons- 
tantinople avec l'addition du Filioque, et presse le pape, 
qui s'y refuse, d'adopter pour l'Église romaine le 
même usage. Le pape et le prince sont d'accord sur le 
fond doctrinal : ils ne sont séparés que par une ques- 
tion de formule et d'opportunité. D'un autre côté, on 
commence à discuter contre les Grecs sur la doctrine 
même de la procession du Saint-Esprit a Filio. Le 
débat ne porte plus sur une formule, il porte sur lî^ 
vérité que cette formule traduit : le prince et le pape ■ 
sont unis contre un adversaire commun. Il est essentiel 
de distinguer ces deux aspects de la question, qui n'ont 

von Aquileia, AVien, I806. G. Foscbu, S. Paolino, patr, d'Aquileia eà il 
tuo seculo, Udine, 18Si. 

4. V. sur ce paragraplie : G. Dunois, De conciliis et theologicis dispu- 
tationibus apud Franeos, Carolo Magno régnante^ habitiz, Àlençou, 
1»02. 



LA TjEIÉOLOGIB LATINE sous CHÀRLEUàGNE. 519 

pas, comine on peut le voir, la même importance dog- 
matique. Et c'est pourquoi, pour plus de clarté, j'en 
traiterai séparément, bien que l'histoire les ait parfois 
mêlés. 

Nous avons dit plus haut que, dès le v*et levi« siècle, 
à la suite de saint Augustin, la doctrine de la proces- 
sion du SaintrEsprit a Pâtre et Filîo était universelle- 
ment admise dans l'Eglise latine. Non seulement les 
docteurs l'enseignaient, mais elle avait pénétré dans 
certaines professions de foi particulières, comme celle 
de Pastor de Galice, et dans le symbole Quicunque 
fa/£ dont l'autorité devait être si grande ^ Restait 
qu'elle fût introduite dans le symbole officiel et dans 
la liturgie : ce fut l'œuvre des Espagnols d'abord, puis 
de Charlemagne et enfin des papes. 

C'est en 589, au concile assemblé à Tolède ^ pour 
l'abjuration solennelle de l'arianisme par Récarède et 
ses sujets, que nous trouvons pour la première fois le 
symbole de Constantinople récité avec l'addition (équi- 
valente) du Filioque. Dans cette réunion, ie roi lut 
d'abord une déclaration de foi composée par lui-même. 
Il y ajouta les symboles deNicéeet de Constantinople, 
ce dernier avec la formule : « Credimus et in Spiritum 
sanctum dominum et vivificantem, ex Pâtre et Filio 
procedentem ^. » Puis, les évêques golhs nouvellement 
convertis émirent vingt-trois auathèmes, dont le troi- 
sième définissait encore la même doctrine ; et enfin le 
synode, sur la demande de Récarède, ordonna que, 
dorénavant, le symbole de Constantinople serait, à 
l'imitation des Grecs, récité àlamesseavant le Pater — 
avec l'addition faite par le roi évidemment^. Du même 

i. V. K. KcENSTLE, Antipriscilliana, p. 46et suiy., qu'on ne suivra pas 
aveuglémenU 

2. Actes dans Mansi, IX, 917 et suiv. 

3. Mansk 1X,.JI81. 

4. Ce point ressortiraspécialementdece qui seradit un peu plus loin. 



520 : r -HISTOIRE. DES> DXyGbiES. 

coup, la doctrine an Filioque entrait Aans le formulaire 
officiel de l'E^glise et dans la liturgie. 

Un siècle après, an plus tard, elle pénétrait encore 
dans la liturgie gallicane par une autre voie, la préface 
de la messe ^ Mais, en dehors de l'Espagne, on se 
montra moins empressé à l'admettre dans les symboles. 
Elle ne se trouve ni dans la profession de foi du con- 
cile de Latran de 649 sous Martin P"", ni dans celle du 
synode de Milan de 679 2, ni dans celle du concile de Rome 
tenu sous Agathon en 680^. Seul, entre les- synodes 
préparatoires au VI^ concile général, un concile anglo- 
saxon de Heathfîeld, en 680, termina sa lettre synodale 
par les mots: « glorificantes DeumPatrem*.. et Spiri- 
tum saLUCtum procedentem ex Pâtre et Filio inenarra- 
biliter-' ». Ce n'était point là, en toute hypothèscj le 
symbole de Constantinople. . 

L'usage espagnol de réciter ou de chanter à la messe 
le symbole de Constantinople avec l'addition dut être 
adopté à la cour de Charlemagne aux environs de l'an 
780. Dans le mémoire extrait des Livres carolins et 
envoyé en 794 au pape Hadrien, en effet, un des re- 
proches que Charles adressait au YII' concile général 
de Nicée était celui-ci : « Quod Tarasius non recte 
sentiat qui Spiritum sanctum non ex Pâtre et Filio, 
secundum nicaeni symboli /îde/rif sed ex Pâtre, per 
FiUum procedentem in suae credulitatis lectione profi- 



1. En effet, la première contestatio de la troisième des messes gal- 
licanes de Mone, dont le manuscrit est de la fin du vu» siècle, porte le 
texte : « Dignum et iustum est, vere equum et iustum est nos tibi gra- 
tias agere,omnipotens, aeterne deus, pater, unigenîte, spiritus sancte 
expatreet filio mystica processione subsistens > (P. L., GXXXVHI, 867). 

2. P. L., LXXXVIï, 1265, ans la lettre de Damien de Pavie à l'empe- 
reur Constantin. 

3. P. I,., LXXXVIï, 12-20. 

4. BEDE, Hist. eccles., IV, 17 (P. L., XCV, 1Ô9). Le piquant est que le 
concile était présidé par l'archevêque de Cantorbéry, Théodore, l'an- 
cien moine grec de Tarse. 



( LÀ THE0L06P LATIKE SQDS CHARLEMAGNE. 52i 

teaturl. » Le roi faisait grief au patriarche de Con$tan- 
tinople, Tarasius, de n'avoir pas, dans la profession 
de foi lue par lui au VII* concile \ confessé la proces- 
sion du Saint-Esprit ex Pâtre etFilio, comme le dit le 
symbole rfe iWce'e. C'est donc qu'à ce moment, c'est-à- 
dire en 794, le symbole de Nicée — entendez de Nicée- 
Constantinople — se récitait à la cour du roi avec l'ad- 
dition espagnole. Était-il chanté déjà à la messe? Le 
témoignage précédent ne le dit pas; mais comme nous 
savons sûrement qu'ill'était en l'an 808, en peut croire 
raisonnablement que Charlemagne avait adopté au 
même moment et l'addition au symbole et le chant du 
symbole à la messe. Cette dernière circonstance est 
d'ailleurs secondaire. 

L'addition du Filioque au symbole de Constanti- 
nople prenait donc pied en France en 794. Deux ou 
trois ans après, en 796 ou 797, elle était officielleinent 
reçue dans la Haute-Italie par un concile de Foru- 
miulii (Frioul), présidé par Paulin d'AquHée 3. La 
question y fut clairement et expressément posée et 
résolue. Paulin, dans son discours inaugural^ avoua 
que les anciens conciles avaient défendu que l'on com- 
posât de nouveaux symboles de la foi. Mais, ajouta- 
t-il, ce n'était pas en composer de nouveaux que de 
commenter et d'expliquer les anciens, comme avaient 
fait les Pères de Constantinople pour le symbole de 
Nicée. On pouv ait donc, sans changer le symbole de 
Constantinople, y ajouter l'explication du Filioque. 
Paulin approuve cette addition devenue nécessaire 
« propter eos videlicet haereticos qui susurrant Spi- 
ritum sanctum solius esse Patris et a solo procedere 
Pâtre »(vii). Il en justifie la doctrine par l'Écriture et 

\.P.L ., XCVni, 4249 : In actione tertia^ 

2. Cf.MANSi, XII, 1133. 

8. ActeidannAUNSi, Xllf, 629 et P. L., XCIX, as». 



522 HISTOIRE DES DOGMES. 

la raison théologique (viii) ; et enfin récite le symbole 
en y comprenant l'addition : « Et in Spiritum sanctum 
Dominum et vivificantem, qui ex Pâtre Filioque pro- 
cedit » (xii)^ 

Restait à gagner à cette nouveauté le pape et 
l'Église romaine. Une première tentative fut faite, par 
Charlemagne à l'occasion des troubles palestiniens 
de l'an 808. Des moines latins, établis à Bethléem, 
ayant chanté à la messe le symbole de Constantinople 
avec l'addition du Filioque, furent traités d'hérétiques 
par les Grecs et menacés d'expulsion. Ils résistèrent, 
protestèrent de leur orthodoxie, et en écrivirent au 
pape Léon IIP, en le priant de faire faire sur la question 
du Filioque une enquête patristique, et d'instruire de 
l'incident l'empereur Charles, 'dans la chapelle de qui 
ils avaient entendu chanter le Filioque avec le symbole. 

Le pape accéda au désir des moines. Il leur envoya 
d'abord une profession de foi adressée aux églises 
d'Orient^, et qui affirmait la procession du Saint-Es- 
prit a Pâtre et Filio, mais sans insister d'ailleurs outre 
mesure sur ce point, et sans faire allusion à aucune 
controverse. Puis il informa Charlemagne de l'affaire. 
C'est en conséquence de cet incident que l'empereur 
chargea Théoduiphe d'Orléans d'écrire son traité De 
Spiritu sancio ■*, et réunit le concile d'Aix-la-Chapelle 
(novembre 809) '. Le concile approuva l'écrit de Théo- 
duiphe, se prononça pour la doctrine du Filioque et 
probablement aussi pour le maintien de l'addition dans 
le symbole. C'est du moins ce qui paraît résulter de ce 
que nous allons dire. 

1. p. Z/., toc. ct^, p. 893. 

2. C'est YEpistula peregrinorum monttchotvm, P. !>., CXXIX, 12S7 et 
suiv. 

3. fïit*«., XV, P. I,., eu, lOSOet CXXIX, 4260. - 

4. P.L., CV. 

». EGiNUARO Annales, ïiCCClX {P. L.,CIV, 472); Mansi, XIV, 47 et suiv.)* 



LA. THÉOLOGIE LATINE SOUS CHARLEMAGNE. 523 

A la suite du concile en effet, Charles envoya au pape 
une ambassade comprenant l'évêque de Worms, Bern- 
hard, Adélard abbé de Corbîe et Smaragde abbé de 
Saint-i-Mibiel, et qui lui portait, avec les actes du 
synode, un écrit de Smaragde en faveur de la doctrine 
du Filioque*. Les envoyés devaient, solliciter du pape 
l'autorisation formelle de chanter le symbole de Cons- 
tantinople avec l'addition incriminée par les Grecs. 
Une relation de l'entrevue de Léon Ilf et des ambassa- 
deurs a été conservée par Smaragde 2. Le pape ap- 
prouva complètement la doctrine de la procession du 
Saint-Esprit o Filio ; mais il fut inflexible sur l'addi- 
tion àvL Filioque au symbole et le chant du symbole 
avec cette addition. Il n'aurait pas approuvé ces inno- 
vations, dit-il, si on l'eût consulté d'avance; mais, puis- 
que le mal était fait, il n'y voyait qu'un remède : c'était 
de laisser la chose tomber dans l'oubli en cessant com- 
plètement de chanter le symbole dans la chapelle impé- 
riale, puisque aussi bien on ne le chantait pas à Rome. 

Cette solution ne pouvait satisfaire l'empereur. Il 
n'en tint aucun compte, et, sous son règne et celui de 
ses successeurs, non seulement le chant du symbole 
avec l'addition fut continué dans la chapelle du palais, 
mais il se répandit peu à peu dans les Églises de 
France et d'Allemagne. On en a pour témoins Wala- 
frid Strabon (-f- 849) ^ et Enée de Paris, qui écrivait en- 
tre 867 et 870*. 

Le pape n'eut d'autre ressource que de protester. 
Léon III le fit d'une façon originale, en ordonnant de 
suspendre à la confession de saint Pierre deux écus 

1. Q'jeU VEpiitula Caroli magni ad Leonem III papam a Zmaragdo 
abbate édita (P. L., XCVIII, 923 et sùiv. ; Mansi, XIV, 23 et suiv.). 

2. P. L., eu, 971; Mansi, SlV^iS. 

3. De aeeletiàsticarutn rerum exord. et inerem., XXn (P. L., XCIV, 
9«). 

4. Liber ado. Graecot, XCIH (P. L., CXXI, 721). 



S24 HIStrOXRB DES D06M8S/ 

d'argent qui portaient, run en grec, l'autre ea latin, 
le texte du symbole de Constantinople tel qu'on le ré- 
citait à Rome, sans l'addition^. Ses successeurs persis- 
tèrent dans son attitude et, jusqu'au xi* siècle, le chant 
du symbole n'entra pas, à Rome, dans l'orrfo de la 
messe. Il n'y fut reçu qu'en l'an i(tt4i à la suite des 
-instances faites par l'empereur Henri II le Saint (1002- 
1024) auprès du pape Benoît VIII (1012-1024) a. L'usage 
espagnol finissait par triompher. 

Si les papes s'étaient si énergiquement refusés à in- 
troduire dans le symbole l'expression d'une doctrine 
que d'ailleurs ils approuvaient, ce n'était pas seulement 
chez eux fidélité à la tradition, c'était aussi précaution 
de prudence contre les récriminations dés Grecs, dont 
l'opposition à la doctrine comme à la formule du Filio- 
que commençait à se faire jour. On a vu plus haut ' que 
saint Maxime avait déjà dû disculper aux yeux de ses 
compatriotes le pape Martin I" pour une formule ana- 
logue, et plaider l'équivalence des deux façons de par- 
ler l^uîouet St'uîoîl. L'incident n'eut pas de suite. On a 
supposé pourtant, non sans vraisemblance, que l'in- 
sistance avec laquelle saint Jean Bamascèhe rc'- 
jette la procession du Saint-Esprit Ix toû utou n'allait 
pas sans quelque intention de protester contre le lan- 
gage des Latins, dont il saisissait imparfaitement la 
portée. 

Quoi qu'il en soit, le heurt inévitable sur ce point 
entre les deux Églises se produisit pour la première 
fois à GentiUy. En 767 il s^y tint un concile auquel as- 



1. Lt6er pon^t^oZts, II> p. 96. 

3. Bernon, Libellus de quibusdam rébus ad miisae ûfficium perti- 
fientibm, n (P. L., CXLII, 1060,; 1081), CLTiethiiaii, Cftromçuaj-VU, 1, 
ap. DccHESNE, Lib. pontifie, U, 268, note 3. - 

3. Page 202. ': 



LA THEOLOfGiB LATINE SÔITS GHARLEMAGNE. 525 

sîstaient tjuelques envoyés grecs de Constantin Gopro- 
nynie à 'Pépin. L'objet principal du concile était la 
question des images, mais on sait par Adon que la 
question de la procession du Saint-Esprit y fat aussi 
discutée : « Facta est tune temporissynodus, anno in- 
<îarnationis Domini septingentesimo sexagesimo sep- 
timo, et qûaestio ventîlata înter Graecos et Romanes 
de Trinitàte, et ûtrum Spiritus sanctus, sicut procedit 
a Pâtre, Ita procédât a Filio ^ » 

Nous ne sommes pas davantage renseignés sur cette 
discussion ni sur la conclusion qui lui fut donnée^, 
mais elle eut, entoutehypothèse, pour résultat de faire 
ressortir le dissentiment au moins verbal des deux 
Eglises, et sans doute de les rendre soupçonneuses vis- 
à-vis l'une de Tautré. Ce dissentiment cependant pou- 
vait s'atténuer par une sage réserve dans' les affirma- 
tions, etune exégèse intelligente et large, comme celle 
de saint Maxime, pouvait lé rendre inofifensif. C'était, 
semble-t-il, la pensée des papes ; et aussi voit-on les 
envoyés d'Hadrien au VII* concile général accepter sans 
difficultés comme orthodoxe la profession de foi de 
Tarasiusqui déclarait croire en la procession du Saint- 
Esprit Ix toû Tca-cpcx; Si' utou^. Mais Charlemagne n'était 
pas l'homme de la diplomatie théologicpie. Puisque 
saint Augustin avait enseigné que le Saint-Esprit pro- 
cède du Fils, toutes les Églises le devaient enseigner 
avec lui ; et puisque les. Grecs semblaient adopter un 
langage différent, il fallait hautement proclamer contre 
euxj et par une addition au symbole, qu'ils étaient dans 
l'erreur. Les Livres carolins (m, 3, 8) attaquèrent 
donc vivement cette même profession de foi de Tara- 
sius, et la déclarèrent inacceptable. Hadrien la défen- 
dit, en faisant remarquer la façon déparier des anciens 

1. Chroniq tw, P. L., CXXIII, 42*. 
s. Hàmi, XII, ii», VM. 



526 HISTOraE DES DOGHfiS. 

Pères, grecs et latins*. La réponse du roi fut la déci- 
sion du concile de Frioul (796 ou 797), adoptant l'addi- 
tion du Filioque « propter eos videlicet haereticos qui 
susurrant Spirîtum sanctum solius esse Patris, et a 
solo procedere Pâtre ». 

On peut dire que le coup était droit contre les Grecs, 
bien qu'ils ne fussent pas nommés. A leur tour/ ils pri- 
rent l'offensive dans les troubles de Bethléem de 808, 
et accusèrent d'hérésie les moines latins qui chantaient 
le Credo a.\ec le Filioque. On sait la suite, et comment 
le pape Léon III, tout en approuvant la foi des Latins 
en la doctrine que ces mots supposent, refusa de les 
admettre dans le symbole officiel; comment au con- 
traire, de son côté, Charles fit définir la doctrine et 
adopter l'addition du Filioque^&v le concile d'Aix-la- 
Chapelle (809). 

L'incident de Bethléem ne paraît pas avoir suscité 
d'autre émoi en Orient, et la controverse entre Grecs 
et Latins, dont le règne de Charlemagne n'avait vu que 
les débuts, s'assoupit jusqu'à l'éclat de Photius de 
Constantinople en 867. Mais elle entra dès lors dans 
une période aiguë dont on peut dire qu'elle n'est plus 
sortie. Plusieurs fois réunie depuis à l'Église latine, 
l'Église grecque ne l'a jamais été que d'une façon lâche 
et éphémère, et à chaque rupture, le différend du Filio' 
que a été invoqué par elle comme une cause d'obliga- 
toire séparation. 



§ 3. <-- Controverse christologique. L'adoptianisme 

espagnol^. 

La controverse trinitaire dont il vient d'être question 
n'avait en somme qu'agité assez peu le règne de 

4. p. £,., XCVm, 1249 et SUiv. 

2. Sources :!• Les écrits d'Élipand(P. L., XCVI},de Félix d'Urgel (fôid.^ 



LA THEOLOGIE LATINE SOUS CHARLEMAGNE. 527 

Charlemagne : il n'en fut pas de même de l'hépësie 
adoptianiste dont il faut maintenant parler. 

Au moment où elle prit naissance, l'Espagne se 
trouvait divisée entre trois dominations. Au centre 
et au sud les Maures en possédaient la plus grande 
partie, avec Cordoue pour capitale. Au nord-ôuest se 
trouvait le petit royaume indigène d'Oviedo; au nord- 
est, les deux marches de Navarre et de Gothie fai- 
saient partie du royaume franc de Charlemagne. 

C'est sous la domination maure que vivait le pre- 
mier instigateur de la nouvelle erreur, Elipand, arche- 
vêque de Tolède, vieillard hautain, opiniâtre et d'une 
rare violence de caractère. 11 est difficile de dire com- 
ment il fut amené à professer l'adloptianisme : les 
origines de cette hérésie sont pleines d'obscurité : on 
y reviendra plus loin. Peut-être cependant est-il loi- 
sible de dire dès maintenant que la controverse sou- 
tenue vers 782 par Elipand contre l'évêque Migetius 
ne fut pas étrangère aux fausses opinions qu'on lui a 
à lui-même reprochées dans la suite. Migetius est 
peu connue On sait seulement qu'entre autres singu- 



et des évoques espagnols leurs partisans (id,, CI). On trouve dans les 
ouvrages d'AIcuin et d'Agobard notamment une masse de citations 
d'écrits perdus de Félix. 2° Les écrits de leurs adversaires, Heterius et 
Bealus (P. L., XCVI), de Paulin d'Aquilée (îd., XCIX), d'AIcuin (tU, C, CI) 
et d'Agpbard (id., GIV). Z" Les actes des conciles qui se sont occupés 
de celte affaire (Hansi, xni); les lettres des papes Hadrien, Léon m et 
de Charlemagne qaiy ont rapport (les notes donneront lek rérérences}, 
elles chroniques du temps, surtout les Annales d'Eginhard {P.L., CIV). 
— Travaux : La plupart sont anciens ou sont compris dans les histoires 
complètes des dogmes et des hérésies. On pourra surtout consulter : 
J. Bach, Die Dogmengeschichte des Mittelalters, Wien, 1873, 1, 103-146, 
qui cite abondamment les textes. Hefele-Lkglercq, Histoire des con- 
ciles, ïl\, 9. G. Dubois, De coneiliis et theologieis disputationibus apud 
Francos, Carolo Magno régnante, habitis, AIençon,1903. p. Vcuxerhet, 
Elipand de Tolède, hTignais, i9U. 

1. Les seules sources sur lui sont : !<> la lettre qu'Élipand lui adressa 
avant 788 (P. L., XGVI, 859-867) ; S» une lettre d'ÉHpand à l'abbé Fide- 
lis, octobre 78S (id., 918, 919); 3" la lettre d'Élipand et des évêques 
espagnols aux évêques de Gaule, d'Aquitaine et d'Ausirasie (td., CI,1331' 



32« HISTOIRE DES DOGMES. 

laiités, il identifiait dans la TTinité le Père (incarné) 
avec David, le Fils (incarné) «vec l'homme iésns, et 
le Saint-Esprit (incarné) avec l'apôtre saint Paul. 
Élipand, qui lui fait ce reproche^, a dû, par réaction, 
insistei de son côté sur la distinction en Jésus des 
éléments divin et humain, et en venir sans doute à 
Kîompter dans le Verbe incarné deux filiations et vir- 
tuellement au moins deux fils de Dieu, l'un fils naturel, 
le Verbe éternel, l'autre fils adoptif, l'homme. Défait, 
on trouve dans la lettre qu'il adresse à Migetius des 
phrases qui contiennent déjà tout radoptiani8ciîi% et 
qu'un nestorien aurait signées, celle-ci par exemple : 
<t Personam veroFiliinon «am esse (credimus) quam tu 
asseris Patri et Spiritui sancto aequaiem esse, quae 
^facta est ex semine David secundum cametn in novis- 
-simo tempore, sed eam quae genita est a Deo Pâtre 
-sine initio temporis, quae ante assumptionem Gar- 
nis dixit per prophetam: Ante colles ego parturie- 
iar^. » Cette lettre est antérieure à 782. 

Il est probable qu'Elipand chercha à répandre son 
opinion, et rencontra des oppositions. 11 écrivit alors à 
Félix, évêque d'Urgel, dont le siège, dans la marche 
<le Oothie, se trouvait soumis à Charlemagne. Félix 
était savant, et l'on vantait son habileté. Il abonda 
deais le sens d'Élipand, et approuva la doctrine de 
-Jésus-Christ fils adoptif de Dieu seulement, en tant 
rqu'homme, tandis qu'il est, comme Verbe, fils naturel 
■de Dieu 3. Non seulement il l'approuva, mais il s'en 
•déclara le champion et la répandit dans la Septimanie 



i331); 4» la lettre d'Hadrien <de 78S) aux évêqucs espagnols (td., XCVIII, 
S74et BuiT.); 5» une lettre de Saùl de Cordone à Alvare, en86a(F)U)REz, 
Espana sagrada, XI, p. 166). On trouvera ces documents analyses dacs 
Hefele-Leclercq, fftst. (leseonc, m, S, p. 985 et suiT. , . 

i. Bpist.eit., 3, col. S&i, 861. 

3, Bpist. cit., 7, col. 863; cf. 4, col. 661, Ses, 

■3. EcmHARB, Annal«s, ann. 798 (P. L., crv, M). 



LA THÉOLOGIE LATINE SODS CHARLEMAGNB. 523 

et le Languedoc, pendant qu'Élipand la propageait 
4ans la Galice et les Asturies. Bon nombre d'évêques 
l'acceptèrent ; mais entre ceux qui s'y rangèrent dès la 
première heure, il faut signaler surtout l'évêque Asca- 
ricus dont le siège est inconnu, et un abbé Fidelis à 
qui Élipand en écrivit^, La secte avait dans Gordoue 
des adeptes qui fournissaient aux chefs les argfuments 
dont ils avaient besoin^; et c'est à ce centre d'erreur 
qii'Alcuin rapporte l'origine de tout le mal : «c Maxime 
ori^ huius perfidiae de Cordua civitate processit^. » 

J'ai déjà dit en substance quelle était l'erreur d'Éli- 
pand et de Félix, et il suffira de quelques lignes pour^ 
complétée cet exposé. Les adoptianistes admettaient 
exjpressément la divinité et l'éternité du Verbe, son 
incarnation et son union hypostatique avec la nature 
humaine. LeVerbene forjne avec l'humanité qu'il s'est 
unie dès le premier instant de la conception qu'une 
personne unique. Le nestorianisme était donc, en 
principe, nettement repoussé, et les textes paraissent 
formels''. 

Seulement les adoptianistes y revenaient, sans s'en 
apercevoir, par un autre chemin. Faisant en effet de 
la filiation un attribut de la nature et non de la per- 
sonne, ils distinguaient dans le Christ, en vertu de 
ses deux natures, une double filiation vis-à-vis de Dieu. 
Par sa nature divine et comme Verbe, il est fils naturel 
de Dieu : il Vesl natura, veritate, proprietate, génère, 
natif itate atque substantia; mais paît sa nature hu- 
maine il est fils de Dieu non natuYa, sed gratiay elec- 



1. P. L., XCVI, 918. 

2. ÉUPAMD, Episl. V ad Felicem,i {P. L., XCVI, 881). 

3. Bpiat. ad Laidrad. tt Nefirid. (P. L., CI, 334). 

4. ÉLIPAND, Symbol, fid. elipand. (P. L., XCVI, 917); Epist. IV, S, 13, 
14; FÉLIX, ap. Alcuin, Adv. Felic. libri seplem, V, 1, col. 188; ap. Ago- 
BÀKD, Lib. adv. Felic, XXXIII, col. 59; Epitt. epitcop. Hispan. ad episc. 
Galliae, X, XI (P. L., CI). 

30 



&30 HISTOIRE DBS DOGMES. 

tione,voluntateyplacito,praedestinationefassumptione 
et caetera his similia : bref, il est seulement fils adop- 
tîf, puisque l'humanité n'a pas été engendrée, mais 
adoptée par Dieu*. 

Qu'est-ce à dire, adoptée ? Sous la plume d'ÉIipand 
qui paraît l'avoir puisé dans la liturgie mozarabe, le 
mot adoptio est synonyme d'assumptio. Dire que Dieu 
a adopté l'humanité, c'est dire avant tout que le Verbe 
s'est uni hypostatiquement l'humanité ; et aussi l'é- 
véque de Tolède s'indigne-t-il contre ses adversaires 
qui n'admettent pas cette façon de s'exprimer, et en 
qui il voit des docètes et des négateurs de l'incarna- 
tion 2. Sous la plume de Félix, qui a singulièrement 
élargi le système d'ÉIipand et en a développé les 
conséquences, le mot adoptio a une autre portée; 
Outre le sens physique que lui donne Éiipand, il prend 
un sens juridique : il désigne l'acte par lequel Dieu fait 
de Jésus homme, par la grâce d'union et la grâce 
sanctifiante, son fils âdoptif, le premier et le plus para- 
fait des enfants adoptifs que senties justes ^. 

En Jésus-Christ donc il y a vis-à-vis de Dieu deux 
filiations : il n'y a néanmoins, disent les adoptianistes, 
qu'un seul Fils^. C'est une vérité qu'ils veulent con- 
server, et dont cependant la négation éqpiivalente se 
retrouve fréquemment dans leurs écrits. C'est qu'ils 
n'ont pu distinguer en Jésus-Christ deux filiations op- 
posées qu'en isolant l'une de l'autre ses deux natures, 
et de ces deux natures ainsi isolées ils ne peuvent s'em- 
pêcher de parler comme de deux personnes', comme 

1. FÉLIX, ap. Â&OBARD, Lib. adv. Fel., XVI, XVII; cf. IX; ap. âlcdin, 
Adv. Felic. lib. septem, II, 3; IV, 2; Eupand, Epiât, ad Fidel., col. 918; 
Symbol, fîd. e{tp.,col. 917; Epist.episc. Hisp. adepisc. GaU.,l\, IX. 

3. ÉLiPAKD, £p>s{. IV, 3, 5,6; III, 3; Epist. episc. Hisp. adep. Gall., I, 
XV. 

3. FÉLIX, ap. ÀLccra, Adv. Fel.lib. septem. II, 14; Aumni, Lib. adv. has' 
res. Felic, XXXVI. 

4. FEUX, ap. Agobard, Li&. adv. Fe^ic, XIX. 






LA THÉOLOGIE LATINE sous CHARLEMAGNE. 531 

de deux fils. Malgré eux, le dualisme de leur pensée 
reparaît : « Quia non per illumqai natus est de vir- 
gine visibilia condidit (Deus), sed per «V/m/w qui non 
est adoptîone sed geûere, neque gratiasednatura* ». 
« ^ttï suceptus est cum eo ^aj suscepit connuncupatur 
Deus — impassîbilis in suo, passibilis in aliéna ^, » 
Mais une fois l'homme en Jésus-Christ ainsi consi- 
déré d'une façon abstraite, à part du Verbe en qui il 
subsiste, il est naturel qu'on le traite comme un homme 
ordinaire et qu'on lui attribue la condition native et les 
impuissances de la pure humanité. Félix surtout a poussé 
à l'extrême ces conséquences, et s'est parfois exprimé 
comme l'aurait pu faire un Théodote ou un Paul de Sa- 
mosatCi Ainsi, Jésus homme est par sa condition servi- 
teur, «e/vw*, se/vas conc^ifio/iâî/zis, et le Verbe est le Sei- 
gneur de ce serviteur, de cet esclave, Dominus servi^ - 
Jésus ignorait vraiment et le jour du jugement et les 
choses sur lesquelles il questionnait * : il n'était en soi 
ni impeccable ni bon naturaliter : il Tétajt seulement 
ex dono gratiae '. Son adoption par la grâce n'a pas été 
essentiellement différente de la nôtre : elle n'a été que 
plus parfaite*. Comme nous, il a dû, après être né de 
la Vierge, renaître par le baptême', et il semble, dans 
un texte assez obscur, que Félix fasse même de Jésus 



i. SymboL ftd. elip., col. 9«; cf. Éupand, Epiât. IV, 10. 

2. FEUX, ap. Alccin, Adv. tel. lib. septem, VU, 3; v. H; ap. Aco- 
BARD, Lib. aàv. Fel., XIX. Cf. Paulin d'Aquilée, Contra Felic. UrgeL, III, 
37. 

3. FEUX, ap. Alccim, Adv. Fel. lib. septem, lU, 3; VI, 3, 4; Êlipako, 
Epiai. IV, tO; Epist. epise. Hiàp. ad epise. bail., XI. 

4. Fi^ux, ap. Agob^rd, Lib. adv. Fel., V; Paulin d'Aqvilée, Contra Fe- 
lic., m, 12. 

s. FEUX, ap. pAUUH,Conir. Fel., I, 30; lU, II; Alcoin, Adv. Felic. lib. 
septem, II, 18, V, 10;. VII, 8. 

6. Alcoin, Libell. adv. haeres. Felic, XXXVI ; Epist. epise. Hisp. ad 
ep, Gall., IX ; Symbol, fid. elip., col. 917. 

7i Aicui», Adv. Fel. lib.septem, II, 16; Epist. ad. Elip,, V, col. 238; 
Adv. Slip. lib. qvMtor,!, iQftxl.^'i, 



5Sa HISTOIRE DES DOGMES. 

un mort spirituel qui n'a reçu que dans son baptême sa 
filiation adoptive^. Bien plus, par soa union ayec le 
Yerbe, l'homme Jésus n'est pas devenu réellement 
Dieu : il Test seulement devenu nominalement; nurt- 
cupatîve Deus ^. La grande loi de la communication 
des idiomes est oubliée, et le nestorianisme apparaît à 
nu dans des textes comme celui-ci : « Gerte catholica 
fides crédit quod non proprius Dei Filins qui de sub- 
stantia Patris genitus estetper omnia Patri similis pro 
nobis traditus sit, sed homo assumptus ab eo ^. » 

Les argum^its dont les adoptianistes appuyaient 
leur opinion nous sont connus par leurs écrits et ceux 
de leurs adversaires. C'étaient d'abord les textes de 
l'Ecriture qui désignent plus spécialement en Jésus- 
Christ l'homme ou le Dieu, «t qu'ils opposaient les 
uns aux antres comme marquant ou sa filiation natu- 
relle ou sa filiation adoptive*. C'étaient ensuite <îes 
témoignages des Pères : saint Âmbroise, saint Jérôme, 



1. Ap. Alcoin, Adv. Fel. lib. septem. H, 16. Félix réclame pour Jésus 
une double naissance, < primam videlicet quam snscepit ex Yirglne 
nascendo; secuadam vero quam iniliavit in lavacro a mortais resur- 
gendo >. Voir la discussion d'Alcuin, ibid., i6-18., 

2. FÉLIX, ap. ÂLGDiN, Adv. Fel. lib.septem,XV, 3. Voici tout le passage, 
qui résume assez liien les vues de Félix : « Del Filius DominoB «t re- 
demptor noster juxta humanitatem, sicut in natura ita etin nomine, 
quamTis excellentius cunctis electus, verissime tamen cum illis corn- 
municat, sicut et in caeteris omnibus, id est, in praedestinatione, in 
electione, in gratia, in snsceptione, in assumptione nominis servi, 
atqne applicatione seu caetera bis simllia, ut idem qui essentialiter 
cum Paire et Spiritu sancto in anitate deitatis verus est Deus, ipse in 
forma humanitatis, cum electis suis, per adopUonis gratiam, deificatus 
tieret, et nnncupative Deas. » Cf. Alcoin» Ado. Fel. libri teptem, i,A; 
V, A;Epist. ad Elip., IH, col. 237; Paulin, Contra Felic, I, 41. 

3. FÉLIX, ap. Agobard, Lib. adv. Fèlic, XXXVI : ^upahj», Epist.lV, 13. 

4. Ainsi Prov., YIII,2S et suiv.; Bccii.,XXIV, 8; Psalm.CIX, 3;XLIV, 
2; Isaîe, XLV, 23 désignent le Fils naturel. Au contraire, Marc.^ XUI, 
32 ; Lue,, 1, 80; XVHI, 19 ; Matth., XVII, S ; loan., 1, 14 ; X, 38, 36 ; XIV,28 ; 
Bom., VIII, 29 ;/Cor»n<A., XI,3;PA«tpp., n, 7; Iloann., III, 2^ et plu- 
sieurs passages de l'Ancien Testament, Deuter., XVIII, IS; Psalm.a, 
S; XXI, 23; XLIV, 8;7Mite, XI, 3, 3, elc, doivent s'entendre du fila adop- 
tif. V. par exemple £p>«f. episc. fftap. ad epite. GaU., IX, col. 1334-1326. 



LA THÉOLOGIE LATINE SOUS GHARLEMAGNB. 533 

sainiÂ^gastm, saint iréoir, saînlr Isidore, etc. *. Il s'est 
faitj dans toute cette controverse, un étalage prodi- 
gieux d'ériiditionpâtristîquei Maiis, entre les autorités 
alléguées, Élipand faisait une placé spéciale aux textes 
tirés de là liturgie mozaràbique en usage à Tolède 
et dont 41 citaît huit passages *. Et ènim lès adoptianistes 
en appelaient au raisonnement. Le Christ, en lant 
qu'homme, disait Félix, à deux pères, Dieu etBavid; 
or, on ne peut être le fils naturel de dteux pères : le 
Christ homme est donc fils naturel de David, de qui il 
tient son humanité, et fils adôptif deDièu^. Et encore: 
Mavie éiaàtancilla; or « quid potuit de ancilla nasci 
nisi servus ? » *. Et encore : « Nulle modo credendum 
est ut'omnipotens Deus Pater qui spiritus est de semet- 
ipso carnem generet*. » Puis Félix insistait sur Tin- 
ter et sotériologique de sa doctrine. Notre salut, obser- 
vait-il, se fait par la grâce de notre adoption comme 
enfants de Dieu. Or notre grâce est la grâce même de 
Jésus-Christ, et nous ne recevons rien, et l'Église ne 
reçoit rien que ce qui est dans son chef et le nôtre. Sî 
donc notre filiation est adoptive, c^st donc qu'il y a en 
Jésus-Christ aussi une filiation adoptive ; nous avons 
été adoptés en lui^. Mais du reste les adoptianistes qui 



t. Èupxj(B, Epist.lV,8-iO) EpiBt.epise. Hiap.ad episc. Gall.,xni. Ces 
témoignages sont quelquefois mal rapportés et mal compris. ïl s'y 
agit de notre adoption à nous, eu bien les Pères prennent le mot 
aàoptio dans le sens d'assumptia. V. sur ce point J. Bach, op. cit., 
p. 104-106, notes. 

2. Epist. IV, li j ef. Spiit. vpisc. Hisp. ad episc. GaU., XIÙ. On a pu 
identifier tous ces textes grâce à l'édition du Liber sacramentorum 
mozarabe deiEV. FéRonn. Plusieurs de ces textes ne viennent pas ad rem; 
d'autres doivent s'interpréter dsns le sens d'assumptia. On en peut voir 
la discussion' dans Alcdin, Adv. Elipand. libri quatuor , II, 7. 

3. Ap. Aicnm, Adv. Ftlie. lia. septem, 1, 1»; m, 1. 

4. Jbid., m, 3, ■ 
5. /6td., III, 7. 

6. « ItadivinaScriptur&loquituruteaqua&capitissuntildest Christi, 
referantur ad corpus, id est Ecclesiam, et ea quae corporis sunt ascri- 
bantur capiti. —^ Niliil enim liabere potest Scclesia qaod ad vitam'etpiQ- 

30. 



534 HISTOIRE DES DOGMES. 

voyaient dans la filiation — nous l'ayons déjà dit, et 
c'est la cause fondamentale de leur erreur — un attri- 
but non de la personne mais de la nature, étaient per- 
suadés que leur opinion était une conséquence de la 
dualité des natures en Jésus-Christ, et n'hésitaient pas 
à traiter leurs adversaires d'eulychiens et de docètes : 
Élipand les traitait même d'ariens et de bonosiens^ 
Reste, avant de reprendre l'histoire de l'adoptia- 
nisme, à se demander d'où venait cetteerreur et pourquoi 
l'Espagne l'accueillit avec tant de facilité : car l'af- 
faire de Migetius peut bien expliquer l'attitude d'Eli- 
pand, mais non celle de Félix et de ses amis. Or, on a 
voulu rattacher l'adoptianisme soit au monothéisme 
musulman, soit à l'arianisme visigothique, soitaupho- 
tinianisme ^. Mais il est trop évident qu'il esî en dé- 
pendance du système nestorien, qui tend à faire de 
l'humanité du Christ une personne en soi : les écrits de 
Félix et d'Elipand contiennent des formules absolument 

tatem pertmeat, nisiquoda capite suo,id est Christo, acceperit » (ap.- 
Agobard, Lib. adv. Felic, XXXVn). La conclusion est à Pinverse de 
celle de saint Àthanase. De ce que Jésas-Christ est pour nous le prin- 
cipe, par sa rédemption, de notre filiation adoptive, saint Âtiianase 
concluait qu'il es^t lui-inéme Dis par nature : Félix en concluait qu'il est 
de quelque façon fils adoptif. 

1. ÉLIPAND, Epist. IV, 3, 19; Episl. ad Fidelem, coh9i9; AtcDis, Adv. 
Felic. lib. septem, I, 8; lî, 12; m, 17. 

2. Je ne dirai qu'un mot de l'opinion de M. Harnack (Lehrbuch der 
DG., ni, 275 et suiv.), qui voit dans l'adoptianisme la continuation légi- 
time de la christologie chalcédonienne et augustinienne, parce que les 
deux natures du concile de Chalcédoine n'étaient, au fond, que le nés- 
torianisme, et que saint Augustin a présenté Jésus-bomme comme l'ob- 
jet par excellence de la grâce gratis data et de la prédestination gra- 
tuite. Mais les adversaires de l'adoptianisme étaient assurément chal- 
cédoniens et augustiiiiens : saint Cyrille n'était pas précisément leur 
docteur, «t ils ont cependant repoussé les conclusions de Félix et 
d'Elipand. L'attitude des théologiens catholiques actuels est la même. 
Et sans doute, Jésus-homme, prévenu de la grâce, serait Gis adoptif de 
Dieu, s'il n'était d'ailleurs son fils naturel par l'union, hypostatique : 
mais étant donné celle union, il n'y a plus de place pour une filiation 
adoptive. Un fils naturel et un fils adoptif vis-à-vis du même père sont 
nécessairement deux fils, c'est-à-dire deux personnes. C'est ce qu'Alcuin 
a très bien vu, Li6e/;. ad!«. AaerM. Fe^jc., XXXY, col. 101. 



LA THfiOLOGIE LATINE SOUS CHÂRLEMAGNE. 535 

nestoriennes. D'où vient ce nestorianisme? On peut 
répondre que les adoptianistes, qui admettaient expres- 
sément l'unité de personne en Jésus-Christ, n'ont pas 
vu toutes les conséquences qu'entraînait cette affirma- 
tion, et ont raisonné sur le point en litige comme s'ils 
admettaient le contraire : là difficulté de la question 
expliquerait qu'ils se soient trompés. Mais on peut 
soupçonner aussi que des livres nestoriens avaient pé- 
nétré en Espagne avec les Arabes. On sait en effet que 
c'est par des traductions syriaques faites par les nes- 
toriens orientaux que les Arabes ont été initiés à la 
philosophie grecque ^i II est aisé dès lors de conjec- 
turer qu'entre les feuillets de ces traductions, apportées 
par les Arabes en Espagne, se sont glissés quelques 
traités de Théodore de Mopsueste ^ ou autres nestoriens 
en vue, dont la lecture aura impressionné les chré- 
tiens de la péninsule. N'âvons-nous pas vu plus haut 
qu'à Cordoue l'adoptianisme comptait des partisans 
instruits et décidés? 

Revenons maintenant à l'histoire. Les efforts d'Éli- 
pand et de Félix pour répandre leur erreur devaient 
naturellement trouver des résistances. Entre les pre- 
miers opposants qu'ils rencontrèrent furent l'abbé 
Beatus de Libana dans les Asturies , et l'évêque Hete- 
rius d'Osma. L'un et l'autre, naturellement, nous sont 
dépeints parles adoptianistes sous les plus noires cou- 
leurs. Nous ignorons de quelle façon ils attaquèrent 
d'aborâ la doctrine d'Élipand : ce fut probablement 
sous forme d'une lettre qu'ils lui adressèrent. L'iras- 
cible vieillard en fut exaspéré; il répandit sa bile dans 
une lettre à Fidelis ', qui est du mois d'octobre 785. 



*. Voir R. BuvAL, La littérature syriaque, p. 260. 

2. On sait que, depuis l'afTaire des trois chapitres, on possédait en 
Occident des traductions latines des traités de Ttiéodore. 

3. P. L., XCVI, 918, 919. 



536 HISTOIRE DES DOGMES- 

L'évêqae et l'abbé qni en eurent conna^sance npostè- 
rent par on long mémoire en deux livres; adressé à 
Élipand, et où ils s'appliquaient à réfuter ses idées. 
C'est VHeteriiet saneti BeatiadElipandunt epistula\ 
dont la fin manque. 

Cependant, la controverse commençant à faire diu 
bruitj le pape intervint. Qn a d'Hadrien une lettre 
énergique aux évêques d'Espagne signalant, entre 
autres erreurs à éviter,: celle d'Elipand .et d'Ascaricus, 
et qui doit être de 785^. Elle ne semble pas avoir 
obtenu grand résultat. L'intervention de Charlemagne 
fut plus efficace. Urgel était dans ses états, et ses 
états étaient troublés par la nouvelle doctrine^ En 792, 
il réunit à Ratisbonne un, concile d'évêques de la Ger- 
manie, de l'Italie et de la Gaule, dont les : actes sont 
perdus, mais dont on sait, en substance, par divers 
auteurs, ce qui s'y passa ^. Félix d'Urgel dut compa- 
raître : il put exposer et défendre sa doctrine. Elle fut 
condamnée, et lui-même, convaincu et repentant, se 
rétracta soit devant le concile, soit devant le pape à qui 
on l'envoya. Il lui fut alors loisible de rentrer en Gothie, 
et peut-être d'occuper de nouveau son siège dHJrgel. 

C'est le premier acte de ce drame. Le second com- 
mence par une rechute doctrinale de Félix, qui, pour 
éviter les rigueurs de Charlemagne, s'enfuit chez les 
sarrasins, sans doute auprès d'Elipand. C'est là que 
vint le trouver une lettre d'Alcuin, toute pleine de 
termes d'estinie et de charité'*, et qui le conjurait de 
ne pas résister davantage à l'autorité de rÉglise et des 

i. P. L., XCVI, 893-1030. 
9. p. L., XCVIII, 374. 

3. Eginhard, Annales, ad ann. 792 (P. L., CIV, 441) ; Alcdin, Adv. Elip. 
libri qualuor, 1, 16; Léon UI, dans le concile de Rome de 798 (Mansi, XIT, 
1031, ex actione secundo). 

4. ToQte la controverse d'Alcuin en cette affaire est remarquable par 
l'élévation, la courtoisie et Ih charité qui y règne. C'est tout le contraire 
<Iu celle d'Elipand. 



LA THÉOLOGIE LATINJE SOUS CHAftLEMAGNE. &37 

Pères. Elle fut inutile. Félix s'était concerté avec ses 
amisv et deux lettres étaient adressées en 793 ou au 
début de 794 par Élipand et l:es évèques dissidents 
d- Espagne, la première à Charlemagne, la seconde 
aux évêques de Gaule, d -Aquitaine et d'Austrasie^, 
pour demander le rétablissement de Félix à Urgel et 
plaider la cause de l'adoptianisme. La décision de Ra- 
tisbonne était considérée comme inexistante. 

La réponse à ces deux missives fut le concile de 
Frâncfort-sur-le-Mein (794). On y vit, avec les légats 
du pape, Paulin d'AquUée, Pierre de Milan et un grand 
nombre d'évêques, clercs et savants moines *. Félix 
n'y parut pas. Invités à donner, sur la question de 
l'adoptianisme, leur avis par écrit, les évèques se par- 
tagèrent en deux groupes : ceux d'Italie avec, à leur 
tête, Paulin d'Aquilée, et ceux de Gaule et de Germa- 
nie. Les premiers rédigèrent le Libellus episcoporum 
Italiae contra Elipandum ',^qm rejetait l'adoptianisme 
et anathématisait Félix et Élipand s'ils ne se rétrac- 
taient pas. On réservait seulement le jugement du 
pape (13). Le mémoire en forme de lettre des évêques 
francs et germains porte le titre de Synodica concilii 
ah episcopis Galliae et Germaniae ad prae&ules His^ 
paniae missa^.W discutait également l'adoptianisme 
et les preuves produites en sa faveur, et rapprochait 
la nouvelle hérésie du nestorianisme. Les docteurs 
espagnols, saint Ildefonse, saint Eugène et saint Julien 
de Tolède, allégués par Élipand et ses amis, y sont 
traités fort lestement : ce sont des inconnus qui le 
seraient restés sM'hérésie ne les avait mis en lumière. 
De saint Isidore cependant on ne disait rien. Le tout 

1. p. L., XCVI, 86T-869; CI, lSaM334. 

S. Eginhard, Annales, ad ann. 794. 

3. Mansi, XUI, 873. Il porte dans la P. L., KCIX, tSt^ le titre de Lihellus 
tacrosyllabua eontra Elipandum. 
, 4. MAKBi, XIII, 883; P. I», CI, 193t. 



638 HISTOIRE DES DOGMES. 

se terminait par une exhortation à revenii: à la vraie 
foi. Dans ces conditions, le jugement du concile ne 
pouvait être douteux : ce fut une nouvelle condamna- 
tion de Tadoptianisme {capital. i)% condamnation qui 
fut confirmée par Je pape Hadrien dans une lettre aux 
évêques d'Espagne 2, deux ou trois ans plus tard, en 
796 ou 797, par le concile de Frioul', et en 799 par le 
pape Léon III dans un concile de Rome''. 

C'est à ce moment que Leidrade entra en scène*. 
Envoyé par Gharlemagne pour examiner sur place 
l'affaire des adoptianistes et citer Félix a comparaître 
à un nouveau concile que l'on projetait, il rencontra 
Félix à Urgel, et lui persuada de venir trouver le roi^ 
Le concile — c'était le cinquième sur cette question — 
se tint à Aix-la-Chapelle, dans l'automne de 799^. 
Pendant plusieurs jours consécutifs ', Alcuin, en pré- 
sence du roi et du concile, discuta contre Félix et 
contre un prêtre qu'il avait amené avec lui, et « qui 
était pire que son maître* ». A la fin, Féltx écrasé par 
l'érudition de son adversafre et touché de la grâce se 
déclara convaincu^. Par ordre de Charles, il rédigea, 
sôus forme de lettre adressée au clergé et aux fidèles 
d'Urgel, une rétractation qui est restée ^"j et fut remis 

1. Maksi, Xm, 909. 
». M*NS|, XIII, 86S-873. 

3. Ma:«si, XIII, 843, 844; P. L., XCIX, 204, S95. 

4. Mansi, Xm, 1031, 1032. 

5. Entre les années 794 et 799 furent publiés les denx traités d'ÀLCura, 
Adverstts Felicis haeresim libellua ad abbates'el monaehoa Gothiae 
missui (P. L.,. CI, 87-120), et Contra Felicem Urgell. episcopum libri 
septem (t&td., 119-230), aussi bien que le traité de Paulin d'Aquilée, 
Contra Felicem Urgell. epise. libri tre» (tftt'd., X.CIX, 343-4C8}. lies deux 
derniers réfutaient une apologie (perdue) de Félix à Gharlemagne. Voir 
les arguments que Paulin et Alcuin opposaient aux adoptianistes dans 
Bach, op. cit., p. ISI et suiv., 128 et suiv. 

6. Les actes sont perdus, mais on sait par ailleurs ce qui s'y passa. 
^. B.FlacciAleuinivita,! [P.lu,C,96). 

8. Alcdih, f'ptsf. CXVII, col. SSO.SSl. 

S.Ibid. 

10. C'est la Confessio fldti Felicis (Mansi, XIII, 1035-1040; P. L., XCVIi 



LA THÉOLOGIE LATIME SOUS GHARLEMA6NE. 539 

entre les mains de Leidrade pour être gardé et sur- 
veillé à Lyon. II parut extérieurement être sincère 
dans son retour, et rien n'aurait fait douter de sa per- 
sévérance dans la bonne voie, si le successeur de Lei- 
drade, Agobard, n'avait trouvé, après la mort de Félix 
(813), un mémoire laissé par lui, et où il rétractait ses 
rétractations mêmes * . Agobard ne crut pas que cet 
écrit dût rester sans réponse, et composa, pour le ré- 
futer, son Liber adi>ersum dogma Felicis Urgellensîs *, 
qui demeure encore une source importante pour la 
connaissance de l'adoptianisme. 

La disparition de Félix d'Urgel enlevait à l'erreur 
son meilleur soutien. Élipand sans doute résistait tou- 
jours, et ni les avances charitables ni les bonnes rai- 
sons d'Alcuin ne purent vaincre son obstination^. Mais 
il se vit bientôt comme un général sans soldats. Une 
mission de Leidrade^ de Nefridius et de saint Benoît 
d'Aniane en Espagne, en 799, réussit au delà de toute 
espérance, et dès l'année suivante (800), Alcuin pouvait 
annoncer à Tévôque de Salzbourg, Arno, la conversion 
de vingt mille dissidents du clergé et du peuple''. Ce 
fut pratiquement la fin de l'adoptianisme. 

Il ne disparut cependant pas immédiatement de 
l'Espagne, et il conservait encore, au milieu du ix« siècle, 
quelques défenseurs^. Mais la vigueur et la décision 



882-888). Félix y disait : « Non alius Dei Filius et alius hominis filius, sed 
Deus et homo, unicus Dei Patris verus ac proprius Filius, non adop- 
tione, non appellatione [seu] nuncupatione, sed in utraque natora, ut 
dictum est, unus Dei Patris, secundam apostolum, verus ac proprius 
Dei Filius credatur » (P. L., col. 884). 

1. ÂGOBARO, Lib.adv. dogma Felic, I, coL 33. 

2. P. L., CIV, 29-70. 

3. Voir la lettre d'Alcuin à Élipand (P. L., CI, 23S-244) ; la réponse d'É- 
Upand (id., XCVI, 870-880), et le traité d'AtcoiN, Contra epistulam sibi 
ab Elipando directam libri quatuor [id., CI, 231-300). 

4. £p2S<. CYIII, col. 329. _, 

& Sur.la polémique de Paul Alvare de Cor.doue (f t. 961) avec Âuielius 
Flavius lohannes, v. Bach, op. cit., p. 146 et suiv. _ 



640 HISTOIRE DES DOGMES. 

qiie Charles ei ses théologiens avaient mises à le com- 
battre lui avaient porté le coup morteP. Il ne put 
des lors qpie végéter et peu à peu s'éteindre. 



§ 4. — Les sacrements. 

Si l'on excepte les doctrines spéculatives que la 
controverse les a obligés de traiter, et dont on a 
parlé jusqu'ici, c'est naturellement aux questions plus 
pratiques des sacrements et de la discipline qu'est 
allée l'attention de nos auteurs et en général de leur 
temps. Il ne sera pas inutile de noter, dans ce qu'ils 
en ont dit et décidé, certains détails plus dignes d'être 
retenus. 

Leidrade, parlant du baptême et de l'onction de l'huile, 
a reproduit, en passant, une partie de la définition des 
sacrements donnée par saint Isidore : « Propter quod 
et sacramenta dicuntur, quia sub tegumento corpora- 
'lium rerum virtus divina secretius salùtem eorumdem 
sacramentorum operatur^. » 

Théodulpheet Leidrade ont laissé chacun un traité', 
et Alcuin une lettre ■* expliquant les cérémonies dé 
l'initiation chrétienne. Les traités de Théodulphe et 
de Leidrade n'offrent rien de particulier. Leidrade 
cependant admet, avec saint Grégoire, qu'il cite, 



1. Chaiiemagne ayait montré du reste dans foute cette afflatire qu'il 
se regardait comme responsable du maintien de rortltodoxie et de la 
paix dans l'Église, il est < filins et defensor sanctae Dei Ecclesiae » ; en 
conséquence ; < Hanc igitur fidem orthodoxam... nos pro virium no- 
straram portione ubique in omnibns servare et praedicare profitemur > 
(Epist. VI, ad Elipand. et caeter. epitc. Hi$paniae, P. L., XGVIII, 899}. 

2. Liber deiacramento baptismi, VIT, col. 864. 

3. THÉosoif HE, Liber de ordine baptismi (col. tSS). Leidrade, Liber de 
tacramento baptismi {col. 9S3). 

4. Et même deux lettres, l'Epistula XG (P. L., C,287), et l'opuscule IV, 
De baptismi eaeremonits epistula ad Oduinum (P. £>., CI, 811.814), qui 
reproduit textuellement une partie de la lettre XC 



LA TiUSOLOGIS LATINE SOVS CHARLBUAONB. 541 

qu'une seole immersion suffit pour la validité du bap- 
tême, et attribue à la fois à la chrismation et à l'impo- 
sition de la main de Tévêque la venue du Saint-Esprit 
dans le confirmé ^ Alcuin nie qu'une seule immersion 
suffise pour le baptême, et met en doute l'authenticité 
de la lettre de saint Grégoire sur laquelle s'appuyait 
l'usage espagnol ^. La description qu'il donne des cé- 
rémonies de la confirmation est aussi spéciale. Après 
le baptême, le baptisé reçoit l'onction du chrême sur 
la tête {sacro chrismate caput perungitur), puis il 
communie, et c'est après la communion seulement 
que l'évêque lui impose la main pour lui donner le 
Saint-Esprit : « Novissime per impositionem manus a 
sùmmo sacerdote septiformis gratiae Spiritum acci- 
pit 3. » A l'imposition de la main Alcuin attribue la 
collation du Saint-Esprit ; à l'onction du chrême il 
attribue la collation au confirmé de la dignité royale et 
sacerdotale. 



On retrouve dans Alcuin et dans Leidrade les con- 
sidérations de saint Augustin sur l'eucharistie corps 
spirituel de Jésus-Christ, sur l'union de Jésus-Christ 
avec le fidèle, en quoi consiste la manducation spiri- 
tuelle du sacrement "*. Ce n'est pas à dire que ces au- 
teurs fussent des symbolistes. On a d' Alcuin une pa- 
role très explicite sur la conversion eucharistique. Se 
recommandant aux prières de Paulin d'Aquilée, il lui 
dit de prononcer son nom à la messe, « eo tempore 



1. Op. cit., VI, VII. 

s. Epitt. XCy col. 389, 293; Cf. £pts(. CXIII, COl. S4â. 

3. Epitt. XC, col. 993. Cet usage a pu être inspiré par un scrupule 
théologique. On n'aura pas Toulu que le baptisé reçoive la troisième 
personne de la Trinilé avant la seconde. 

4. AuoiN, Commentar. in loan., III, cap. XV, vers. SO (col. 834};Lïh 
DiusE, Lib. de aaeram,bapUt I^ 

HISTOIRE DES DOGMES. — III. 31 



M2 mSÏQIIffî DESDOGMES. 

oppoTtano qoo panem et vinum m snbstantiam «orpoHs 
«t sangainis ChTisti coasecraveris ' », 

Avee Tliéodnlphe, noua rencontrons des prescrip- 
tions fixes sur le nombre des communions çpie les 
fidèles doïv^it faire chaque année. Les «hi^étiens nos 
excomsimiiés communieront tous les dimanches âe 
•Capême, efcehaitjae joiur depuis ie jeudi «aisat jusqu'à 
Pâques. Gfiiux qui sont excommuniés ne le feront que 
quand on le iesua? permettra. On ne doit d'ailleurs ni 
communier mdiff^^nter, c'est-à-dire sans là pr^a- 
ration requise, ni rester trop longtemps «ans s'appro- 
cher de l'esicharistie 2. 

On a pu lire plus haut 3 les transformations qm s'é- 
taient accomplies depuis le v* jusqtfau viii* siècle dans 
l'administration de la pénitence, tant sous l'influence «des 
nécessités nouvelles que sous l'influence des péniten- 
tiels importés d'Angleterre et d'Irlande sur le conti- 
nent : fréquence de plus en plus grande de la pénitence 
privée; sa réitération; administration de la pénitence 
par de simples prêtres ; admission du clergé aux exer- 
cices de la pénitence. Tout cela était acquis au moment 
où Charlemagne commençait son règne (771) ,j et c'est 
précisément dans la période qui va de 750 à 825 qu'ap- 
paraissent nos plus anciens pénitèntiels du continent ^, 



1. EpiiU XLI, col. 203 j cf. XC, COU 289. 

2. Capitula adpresbyteros, XLI, XLIV, col. 204, 905; cf. PÀnLiN, Liber 
:ftxhortatoriu8j XXXIU. iin «oncile de Tours, de 813, oi^OQDe icsanon BO) 
que les laïcs communieront au moins trois fois par an (Mansi, XIV, 91). 
tJn concile de Clialon-sur-Saône de la même année (canon 47) ordonne 
que tous, sauf les grands pécheurs, communient le jeudi saînt (Mansi. 
XIV, 403). 

3. Chap.ix, §10. 

4. A savoir les pénitèntiels de Bourgogne, de Bobbio, le pénit«ntiel II 
ide Paris, ceux 4e Saint-Hubert, de Fleury-suriLoire, de Hersëbourg, le 
3angallense aîmplex, le Valicellanum I, ie Vindobonense. V. les textes 
dans J. ScHMiTz, £>ie Bussbûeher, I, n. Aucon péniteniiel d'ailleurs n'é- 
tait désigné comme obligatoire, et quelques-uns mSioe n'étaient pas 



LA THÉOLOGIE LATINE BOUS CHARLEMA0NE. 54» 

Tout cela, nons lé retrouvons réduit en pratique 4an& 
les auteurs que nous examinons ici, mais surtout 
dans le deuxième capitulaire de Théodulphe à son: 
clergé. 

Tnéodulphe distingue bien entre la pénitence pu- 
blique qui est due pour les crimes publics ^, scanda- 
leux, et la pénitence privée. Dans la première, « eapî- 
talia et mortalia crimina deâenda sunt secundum ca- 
nonum et sanctorum Patrum inslitutionem ». Ce^ 
n'est pas que la pénitence privée n« puisse remettre 
ces péchJés, mais il y faut un complet changement de^ 
vie : « saeeulari iactantia simul deposita, piae reli- 
gionis confesso studio per vitae correctionem et iugi, 
imo perpetuo luctu se submittente^ ». On a un exem- 
ple de cette pénitence publique dans la pénit^aee im^ 
posée par Paulin d'Aquilée à Herstnlfe^. Heistulfe 
avait tué sa femme accusée d'adultère sur la foi d'uni 
seul témoin. Paulin lui donne le eboix entre l'entrée 
dans un monastère, ou bien l'accomplissement chez 
lui, et suivant la rigueur des canons, de la pénitence 
publique, dont il lui rappelle les prescriptions. Il lie 
lui cache pas d'ailleurs que cette seconde forme d'ex- 
piation sera beaucoup plus dure que l'autre. 

Mais la pénitence publique n'est pas le cas ordinaire. 
Voici,' suivant Théqdulphe, comment les choses- se 
passent communément. Le pénitent s'age^iouille d'a- 
bord devant Dieu «vec le prêtre à ^i il doit se cou 
fesser. Puis il accuse « quidquid a iuventute recordari 
potest ex omnibus modis quae gessit » ; non seule- 
ment les mauvaises actions, mais encore les paroles 
et pensées mauvaises quHl a à se reprocher. Si lamé- 
tonjtjùra bien vas. cf. le coneile de Chalon-snr-Saône de 813, caaon 3*- 
(Massi, x-rv, 401). 
i. cf. le concile d'Arles de 818, canon 36 (îili«si, XIY, col. 62J. 

2. Col. 2«. 

3. Epiât, ad Heiitulfum, col. 181-186. 



544 HISTOIRE DES DOGMES. 

moire, lui mauque, ou si la honte l'arrête, le prêtre 
l'interroge. Cette interrogation, comme l'examen du 
pénitent, porte principalement sur les huit péchés ca- 
pitaux, gastrimargiaf fornicatioy acedia siçe tristitla, 
avaritîaj çana gloria, invidia, ira, superbia. On a 
des examens tout faits et des listes de péchés toutes 
dressées dans les pénitentiels, et dans les œuvres li- 
turgiques d' Alcuin * . Mais Théodulphe remarque pré- 
cisément qu'il est des choses sur lesquelles on ne doit 
pas interroger les pénitents, « quia multa vitia reci- 
tantur in paenitentiali quae non decet hominem scire » , 
et parce qu'il est à craindre que la curiosité ne pousse 
le pénitent à les commettre. L'accusation terminée, le 
pénitent doit promettre de renoncer à ses anciennes 
fautes et de les expier. Sur quoi, le confesseur lui im- 
pose une pénitence proportionnée à ses péchés et à 
leurs circonstances, récite les sept psaumes de la pé- 
nitence, avec les oraisons du sacramentaire, et l'ab- 
sout immédiatement^. 

Ceci est pour les laïcs, dont Théodulphe suppose 
manifestement que plusieurs sont des relaps 2. S'il 
s'agit d'un prêtre ou d'un ministre dans les ordres 
sacrés ayant commis un adultère ou une autre faute 
grave publique ou devenue publique, le coupable sera 
déchu de son ordre, et devra faire publiquement péni- 
tence pendant quinze ans ou moins, suivant son ordre 
et la nature de son péché. Que si la faute est secrète, 
et si le coupable vient secrètement s'en confesser, on 

1. De ptalmorum usu, I, 3, coL 470, et surtout 9, col. 498 et suiv. ; 
Officia per ferias., Feria II, col. S24 et suiv. On a encore d'AIcuin . 
une lettre aux frères de la région des Gotbs {Epist. CXU) sur la néces- 
sité de se confesser au prêtre et non pas seulement à Dieu (cf. le con- 
cile de Chalon-Bur-Sadne de 813, canon 33), et une petite instruction sur 
la confession aux enfants de l'école de Saint-Martin de Tours, De con- 
festione peeeatorum ad pueroa Sancti Uartini (P. L., CI, 6i9}. 

2. CoL 817-219; cf. Capitula <»d pr«tbyteros,\\XI, col. 201. 

3. Col. 311, 318. 



LÂ^ THEOLOGflË LATINE sous GHARLEMAGNE. 545 

lui imposera une pénitence" secrète. Devra-t-il néan- 
moins s'abstenir d'exercer les fonctions de son ordre? 
Théodulphe le laisse à sa discrétion; mais il ne le croit 
pas nécessaire, puisque la faute n'est pas connue : « Si 
occultum est, poterit occulte, in suo permanens gradu, 
agere paenitentiam ^. » 

C'est ainsi que peu à peu l'ancienne discipline pé- 
nitentielle se rapprochait, même par sa forme ext-é- 
rieure, de la discipline actuelle. Notons seulement, 
avant de quitter ce sujet, qu'à l'époque que nous étu- 
dions, c'est-à-dire sous le règne de Charlemagne, on 
a déjà commencé à admettre sur le continent l'idée et 
l'usage anglo-saxons de la-compensation ou du rachat 
de certaines pénitences fixées par les pénitentiels ^. 
Le Valicellanum /remarque que si quelqu'un ne peut 
jeûner, il pourra, pour compenser sept semaines de 
jeûne, donner en aumônes vingt sous s'il est riche, 
dix sous s'il est dans la médiocrité, troijs sous s'il est 
très pauvre. Et il ajoute ce conseil tout plein de man- 
suétude évangélique : « Et hoc scitote, fratres, ut dum 
venerint ad vos servi vel ancille querentes peniten- 
tiam, non eos gravetis, neque cogatis tantum ieiunare 
quantum divites, quia servi vel ancille non sunt in sua 
potestate. Ideoque medietatem penitentie eis impo- 
nite ^. » 

Le même second capitulaire de Théodulphe, qui 
contient de si précieux détails sur la pénitence, en 
contient aussi sur l'extrême-onction. On a vu que la 
mention de ce sacrement apparaît fréquente à partir 
du vi" siècle "•. Le concile d'Aix-la-Chapelle de 801 rap- 

1. Col. 21S, 216. 

s. c'est ce qu'on appelait arrea, équivalent, substitution. Y. D. Gov- 
GAtD, Les chrétientés celtiques, p. 216, 217. 

3. J. ScDUiTZ, Die Busabûcher, I, p. 243. 

4. V. plus haut, chap. IX, S il» 



■546 HISTOIRE DÎBS DOGMES. 

pelle aux prêtres l'obligation d'oindre les malades de 
l'huile sainte * . Théodulphe expose comment se fait 
la cérémonie ^. On commence par donner la pénitence 
au malade. Puis, si son état le permet, on le trans- 
porte à l'église, où on l'étend sur un cilice couvert de 
cendres. Trois prêtres assistent à la cérémonie. On 
impose d'abord au malade les cendres en forme de 
«roix sur le front et la poitrine. Viennent ensuite les 
onctions d'huile sur les divers organes des sens ^. -ïei, 
remarque Théoduîphe, les usages varient beaucoup : 
les onctions sont plus ou moins nombreuses au gré de 
chacun *. La communion en viatique termine le tout. 
L'extrême-onction est nécessaire aux enfants comme 
aux adultes, car les enfants aussi ont commis des 
fautes. Elle peut être administrée à un évêque par un 
simple prêtre. 

Sur le mariage, l'époque de Charlemagne continue 
de légiférer pour en déterminer les conditions canoni- 
ques et en codifier les empêchements. Ces décisions 
intéressent surtout la discipline. Au point de vue 
dogmatique, le seul qui nous occupe ici, le principe de 
l'indissolubilité absolue, même en cas de séparation de 
corps des époux pour cause d'adultèrej reçoit trois con- 
firmations importantes. L'une est de Théoduîphe dans 
son deuxième capitulaire ^; la seconde est d'un concile 



1. canoQ 21. 

2. Cal. S9&493. 

3. Théoduîphe parle des psaumes et de Tantienne au ehant des(ptels 
ee font les onctions; mais il ne mentionne pas la formule même qui 
les accompagnait; il signale seulement la formxile dont usaient les 
grecs:* Ungote in nomine Patris et Filii et Spiritus sançti, utoratio 
Mei saivet te, et alleviet te Dominus, et si in peccatis sis, remittantur 
tibî. . 

4. Le texte de Théoduîphe est d'ailleurs en mauvais état; les chiffres 
.qu'il donne ne correspondent pas au détail qu'il en fstit. 

5. Col. 213. 



LA THÉOLOGIE LATINE SOUS CHARLEMAGNE. 547 

de Nantes du commencement du ix® siècle ^ ; la troisième 
est dn concile de Frioul tenu sous Paulin d'Aquilée en 
796 ou 797, dans son canon x^. Théodulphe et ces 
conciles déclarent qu'aucun des époux séparés pour 
cause d'adultère de l'un d'eux ne peut se remarier. 
On objectait, il est vrai, le texte de Matthieu, xix, 9 
qui paraît ambigu. Mais le concile de - Frioul a fait 
examiner avec soin les commentaires de saint Jérôme, 
et l'on a constaté que le grand docteur rapportait la 
restriction du nisioh fornîcationem au seul renvoi de 
l'épouse coupable. Son autorité tranche la question. 

i. Cianon i2 (Mansi, XVII, col. 169); cf. HEFELE-LECtiERCQ, Mîstoire de» 
cône., m, 2, p. 124t. 
2. p. L., XCIX, 299 ; MaksI, XIII, 846; 



CONGLUSTON 



Dans le dernier chapitre du premier volume de cette 
Histoirey j'ai essayé de dresser, en raccourci, le bilan 
doctrinal et théologique de l'Eglise à la veille de l'a- 
rianisme. Je voudrais ici résumer les progrès que cette 
doctrine et cette théologie ont réalisés dans les cinq 
siècles qui ont suivi, progrès dont les deuxième et 
troisième volumes de cet ouvrage ont présenté le 
détail. 

Si on néglige les questions moins importantes sou- 
levées en Orient par la controverse des images, en Oc- 
cident par les erreurs spéciales de Priscillien, d'Helvi- 
dius, de Vigilance et autres, on remarque aisément 
que, durant cette période, l'effort de la pensée chré- 
tienne s'est porté sur l'éclaircissement des données 
fondamentales du dogme qui ont pour objet Dieu et la 
Trinité, le Christ, l'homme et la grâce. 

Le iv" siècle approfondit la question trinitaire qu'il 
a trouvée déjà ouverte, et a le bonheur de la clore. A 
la négation radicale d'Arius, qui refuse au Verbe la na- 
ture divine, le concile de Nicée et saint Athanase op- 
posent dès l'abord une affirmation pleine et absolue 
du consubstantiel. Toute la suite delà controverse n'est 
que l'histoire des luttes que doivent soutenir cette affîr- 



CONCLUSION. 649 

mation et la formule qui l'exprime pour vaincre les ré- 
pugnances qu'elles suscitent chez les timides et les 
politiques, et pour éliminer les demi-affirmations et 
les formules édulcorées qu'on leur voudrait substituer. 
La divinité du Verbe proclamée entraîne presque du 
même coup la proclamation de la divinité du Saint- 
Esprit. Â la date de 381, tout l'essentiel du dogme 
trinitaire est défini. 

Mais déjà un nouveau problème est posé : celui des 
rapports du divin et de l'humain en Jésus-Christ. Jé- 
sus-Christ est Dieu ; il est homme aussi, et il est un : 
trois vérités dont on peut dire que la pensée chrétienne 
a toujours eu conscience. Mais comment un? Par quel 
moyen cette unité s'est-elle faite? Commentrexprimer 
en un langage technique, et jusqu'où l'étendre ? C'est 
à discuter et à définir ces questions que sont consacrées 
les controverses christologiques qui vont du v' à la fin 
du vil*, et même qui reparaissent à la fin du vin" siècle. 
La terminologie y joue un rôle considérable, et c'est) 
parce que cette terminologie n'est pas d'abord fixée 
que le débat s'éternise. L'Église résout le problème 
par une série de décisions balancées, qui écartent suc- 
cessivement les solutions trop radicales, et maintien- 
nent la doctrine dans une voie moyenne également 
éloignée des extrêmes.. L'apoUinarisme est d'abord 
condamné; puisa leur tour les excès de l'école d'An- 
tioche le sont dans la personne de Nestorius. Cette 
dernière condamnation semble faite au profit du mono- 
physisme, et l'apollinarisme reparaît avec Eutychès ; 
le concile de Ghalcédoine réprouve Eutychès. De nou- 
veau Antioche triomphe : le Y* concile général tem- 
père ce triomphe, et prononce l'iptime harmonie des 
décisions de Chalcédoine et d'Éphèse, de saint Cyrille 
et de saint Léon. Mais la politique à son tour veut 
pousser trop loin cette réaction cyrillienne : il faut que 

31. 



560 HISTOIRE DES DOGMES. 

le VI* coneiïe r^ette le monothélisme, forme adoriciè 
àa mon<^hysisme, en attendast que les coaciîes de 
FFandopt et d'Âix-la-Chaptelfe rq'ettent à ïeur toup 
radoptialûisme, forme adoucie du nestorianisme. Les 
conciles ne démontrent pas, n'expliquent pas cette in- 
time harmonie qu'ife proclament : c*est aux théologiens 
de profession à en montrer la justesse et Ic' bien-fondé. 

Ces grands débats trinitaires et ehristologHjïies se 
Sont déroulés surtout en Orient ; mais on peut se de- 
mander si l'Orient, avec sa passion infinie de discuter, 
y eût jamais mis un terme sans l'intervention de TOc- 
<îident. De fait, c'est FÔccident qui,' à Chalcédoine 
eomrae à Nicée, fait triompher sa terminologie et im- 
pose des formules* dont il est depuis longtemps en 
possession. 

A son tour cependant, il doit résoudre les questions 
du péché originel et de la grâce, questions où son gé- 
nie pratique est plus à l'aise, puisqu'il s'y agit direc- 
tement de l'homme, de son état intime et de la conduite 
de sa vie. Au naturalisme radical de Pelage saint Au- 
gustin répond par un système qui, en sauvegardant 
l'essentiel des droits de la nature, îa met cependant 
dans une dépendance de Dieu aussi étroite que possi- 
ble. La réaction augustinienne paraît excessive à cer- 
tains esprits, et le semi^pélagianisme formule, en fa- 
veur de la nature humaine, une protestation qui n'est 
pas inutile. Le semi-pélagianisme en elTet est con- 
damné dans ce qu'il a de répréhensible ; mais lecon- 
<^e d'Orange, en refusant de consacrer les thèses ex- 
trêmes de saint Augustin, reconnaît que ces thèses 
ne représentent pas purement et simplement la foi de 
l'Eglise. Ici encore, c'est en écartant successivement 
îes solutions excessives que s'est élaborée la définition 
4u dogme chrétien. 

La solution des problèmes tririitaire, christdlogi- 



CONCLUSION. 661 

quéy. anthropologique, dominev je l'ai remarqué, toute 
cette péï-iode dti v® siècle au viii". Elle est kdii çepeib-^ 
dant d'en constituer toutlé progrès doctrinal. Qui a lu 
attentivement les pages de ce» deux derniers, volumes 
a pu constater le& développements considérables que 
cette doctrine,, par des progrès souvent obscurs et in- 
sensibles,, a pris un peu dans toutes les parties qui la 
composent :^ la puissance doctrinale et législative de 
l'Église solennellement affirmée par les textes et la te- 
nue des conciles; la primauté romaine mise en pleine 
lumière et réduite en acte surtout depuis saint Léon; 
la théorie générale des sacrements ébauchée et les con- 
ditions de leur validité définies par saint Augustin ; la 
présence réelle de Jésus-Christ dans l'eucharistie affir- 
mée dans des formules nettes, et lathéorie delà couver-* 
sîon eucharistique élaborée au point qu'il n'y manque 
guère quele terme technique detranssubstantiation;refr 
ficacité et les fruits du sacrifice eucharistique expliqués 
surtout aux vi'etvii"' siècles; l'importante évolution de 
la discipline pénitentielle, qui n'en fait pas -^ comme 
on l'a dit à tort -^ le sacrement de pénitence, car elle 
& toujours été sacramentelle, mais qui^ par la pratique 
plus fréquente de la pénitence privée, en rapproche la 
forme extérieure de notre usage actuel. En même 
temps, l'extrême-onction sortant pour ainsi dire de la 
pénombre où l'ont tenue les quatre premiers siècles, 
et apparaissant comme un rite coutumier de l'Eglise ; 
l'indissolubilité absolue du mariage plus fermement 
proclamée par les latins et ses conditions canoniques 
peu à peu définies et codifiées ; la doctrine du purga- 
toire d'abord timidement formulée par saint Augustin, 
puis largement exposée par saint Grégoire, tandis que 
soi développe le cidte delà Vierge, des saints, des re- 
liques:, et que prennent de plus en plus possession de 
la vie ehrétiémi6 le» pratiques ianombrablea qui sont 



552 HISTOIRE DES DOGMES. 

les conséquences plus ou moins éloignées des grands 
dogmes de la foi. Tout cela, tout cet épanouissement 
de doctrine, d'intelligence et de piété explique que 
cette période de l'histoire de l'Eglise que nous venons 
de parcourir, cette période des Pères ait toujours paru 
— indépendamment de la valeur des hommes qui y 
ont brillé — comme une des plus fécondes que l'É- 
glise ait connues, une des plus glorieuses dont elle ait 
* conservéle souvenir. 

Et cependant,. au milieu de toutes ces discussions qui 
font naître de nouvelles formules, de ce développement 
dogmatique et disciplinaire qui crée une langue et des 
situations nouvelles, l'Église a conscience, au fond, de 
ne rien innover et de rester fidèle à l'enseignement 
premier dont elle a reçu le dépôt. Jusqu'au iv« siècle, 
elle invoquait l'autorité de Jésus-Christ et des apôtres : 
à partir du v« elle invoque en plus « l'autorité des 
Pères » ; mais, en le faisant, elle ne pense pas invoquer 
une autorité différente qui s'ajoute à la première et 
que l'on en puisse séparer : elle y voit la même autorité 
qui s'exprime par de nouveaux organes. Cette autorité 
d'ailleurs c'est la sienne même, celle de l'Église ensei- 
gnante : et comme cette Église a reçu les paroles de 
la vie éternelle et continue sur la terre l'œuvre de Jé- 
sus-Christ, il ne se peut faire — et elle le sait — que 
sa doctrine s'écarte de celle du Maître, et en "soit par 
diminution ou par addition substantiellement différente. 
C'est cette conviction qui donne à la parole des papes 
et des conciles tant de fermeté dans leurs décisions, 
qui les guide dans les éclaircissements dogmatiques 
qu'ils libellent, qui leur fait porter dans les questions 
les plus diverses la constante préoccupation de se 
rattacher à l'antiquité et de continuer la tradition. La 
tradition, c'est l'âme même de l'Église, et à raisonner 
d'une façon purement humaine, il serait déjà surprenant 



CONCLUSION. 853 

que, avec ce souci de lui rester fidèle, cette Église l'eût 
jamais reniée. 

Saint Vincent de Lérins ne pensait pas qu'elle l'eût 
jamais fait, lui qui cependant revendiquait pour le 
dogme chrétien le droit au progrès ; car il a écrit ces 
lignes dont j'ai plus haut donné l'analyse, et qui peu- 
vent clore cet ouvrage : 

« Christi cero Ecclesia, sedula et cauta deposîto- 
rum apud se dogmalum custos, nihil in his unquam 
permutât, nihil minuit, nihil addit, non amputât ne-- 
cessaria, non apponit superflua, non amittit sua, non 
usurpât aliéna : sed omni industria hoc unum studet, 
ut cetera fideliter sapienterque tractando, si qua sunt 
nia antiquitus informata et inchoata, accuret et po- 
liat, si qua iam expressa et enucleata, consolidet, 
firmet, si qua iam confirmata et definita, custodiat » 
(Commonit., 23). 



LISTE DES OUVRAGES CITES 

DE QUELQUES AUTEURS 



Afîtt qu'il puisse retrouver plus aisément les textes des 
auteurs dont les œuvres occupent dans la Patrologie grec* 
que on. latine un plus grand nombre de volumes et qtii 
ont été cités ici, on a dressé pour le lecteur, dans les pages 
suivantes, une liste des ouvrages d'où ces textes sont 
tirés, avec indication des tomes de Migne qui les contien- 
nent. Les commentaires sur l'Écriture ont été mentionnés 
d'abord, puis les autres écrits par ordre alphabétiqae. 



Saint Cyrille d'Alexandrief. 

Pi Cf. 

Glaptyra in Genesim txix 

— in Exodum....... Lxix 

— in Leviticum LXix 

Expositio in Psalmos lxix 

Gommeutarîus in Isaiam vxx 

— in Oseam lxïï 

— in' loelem txxi 

— in Malthaenm. y.. Exxn 

— in Lucam txxn 

— in loannis èvangelium, libri i-vT Lxxni 

— •— — libri vir^xii... lxxiv 
Expianatio in epistulam ad- Romanos lxxiv 

— in epistulam II ad GorintMos. lxxiv 

— in epistulam ad Hebraeos. lxxiv 

Adversus anthropomorphitas .' lxxvi 

Adversus Nestoril blaspbemlas , Lxxvr 



556 HISTOIRE DES DOGxMES. 

Adversus synousiastas (fragmenta) lxxvi 

Apologelicus contra Théodore tu m pro xii capitibus . lxxvi 
Apologeticus pro xii capitibus adversus orientales 

episcopos Lxxvt 

Contra Iulianum lxxvi 

De adorations in spiritu et veritate. lxviii 

De inçarnatione Unigeniti lxxv 

De recta fide ad reginas lxxvi 

De recta fide ad Theodosium imperatorem lxxvi 

De Trinitate dialogi vu .lxxv 

Epistulae i lxxvii 

Explicatio duodecim capitum Ephesi pronuntiata. . . . lxxvi 

Homiliae diversae lxxvii 

Homiliae paschales lxxvii 

Quod beata Maria sit Deipara lxxvi 

Quod sancta Virgo Deipara sit et non Ghristipara. . . lxxvi 

Quodunus sit Ghristus.... lxxv 

Scholia de inçarnatione Unigeniti lxxv 

Thésaurus de sancta et consubstantiali Trinitate.... lxxv 



Théodoret. 

P. G. 

Quaestiones in Genesim lxxx 

— in Exodum lxxx 

— in Leviticum. lxxx 

— in Numéros lxxx 

Interpretatio in Psalmos lxxx 

Explanatio. in Cantiçum canticoruin lxxxi 

— in Isaiam. lxxxi 

— in Ezechielem lxxxi 

— in Danielem. , .,. lxxxi 

— in Malachiam.......... lxxxi 

Gommentarius in epistulam ad Romanos lxxxii 

— in epistulam I ad Gorinlhios lxxxii 

— in epistulam II ad Gorinthios lxxxii 

— .in. epistulam ad Gala tas ixxxii 

— iu epistulam ad Ephesios ,. lxxxii 

— in epistulam ad Philippenses... lxxxii 

— in epistulam ad Golossenses lxxxii 

— in epistulam I ad Timothaeum lxxxii 

— iii epistulam ad Titum... lxxxii 

— in epistulam ad Hebraeos lxxxii 

Gritique des anathématismes de saint Cyrille (dans la 

réponse de celui-ci) lxxvi 



LISTE DES OUVRAGES CITÉS DE QUELQUES AUTEURS. 557 

De incarnatione Domini (dans les œuvres de saint Cy- 
rille) LXXV 

De Providentia lxxxiii 

Epistulae lxxxiii 

Eranistes lxxxiii 

Graecanim alTeclionum curatio lxxxiii 

Haereticaram fabularum compendium lxxxiii 

Libellus contra Nestorium ad Sporacium lxxxiii 

Pentalogium de incarnatione lxxxiv 

Sermones et homiliae lxxxiv 

Saint Grégoire le Grand 

P,L. 

Moralium in lob libri i-xvi lxxv 

— — libri xvii-xxxv lxxvi 

In Ezechielem prophetam homiliarum libri duo. lxxvi 

Dialogorum libri quatuor lxxvii 

Epistularum libri quatuordecim lxxvii 

Homiliarum in evangelia libri duo. lxxvi 

Liber regulae pastoralis lxxvii 

Saint Isidore. 

P.L. 

De ecclesiasticis offlciis lxxxiii 

De fide catholica contra ludaeos lxxxiii 

De ordine creaturarum lxxxiii 

Differenliarum libri duo ■. lxxxiii 

Epistulae lxxxiii 

Etymologiarum libri xx lxxxii 

Sententiarum libri très lxxxiii 

Le vénérable Bède. 

P.L. 

Hexaemeron xci 

Exposilio in evangelium sancti Matthaei xcii 

— — — sancti Marci xcii 

— — — sancti Lucae — xcii 

— — •— sancti loannis xcii 

— in epistulam sancti lacobi - xciii 

— in epistulam I sancti loannis:: xcm 

Historia ecclesiastica gentis Anglorum , xcv 

Homiliae xciv 



TABLE ANALYTIQUE 



Absolution, chez les grecs, 260; chez les latins au vf Siècle, 
389; chez, les latins aux v*-vni* siècles, 395, 396, 399, 407, 
408, 413; dans ThéodulpHe d'Orléans, 544. 

Acace de Constantinople. — Son schisme et sa condamnation, 
107, suiv., 110. 

Acémètes (Moines), 108, 133. 

Acéphales, parti monophysite, 108, note, 110. 

ActistèteB,. secte monophysite, 116. ' 

Adam. — État primitif d'Adam d'après saint Cyrille, 207; 
saint Maxime, âOÎ; Théodoret, 207, 208; saint Jean Damas- 
cène, 494. 

Adoptianismê espagnol. — Ses origines, son histoire, sa con- 
damnation, 526^ét suiv. 

Agtathon (Saint), pape. — Sa lettre dogmatique, 182, suiv. ; il 
confirme le sixième concile général, 187. 

Agnoétes. — Leur origine, leur doctrine, leur condamnation, 
127, suiv.; 144. 

Agobard. — Son opposition au culte des images, 481,. note. Il 
réfute Félix d'Urgel, 539. 

Alcuin. — Caractéristiqua générale, 515; il écrit à Félix d'Urgel, 
536; le réfute, 538; son enseignement sur la triplé immersion 
du baptême, la confirmation et reucharistie, 541; ses écrits 
sur la pénitence, 544. 

Alexandre d'Hiérapolis, nestorien, 45, note, 49. 

Ame. •— Définition donnée par saint Maxime, Anastase le 
Sinaïte,^ 206; saint Isidore, iii, note; Cassiodore, 345, note; 
saint Jean Damàscène, 493. Est-ellé spirituelle? Enseignement 
de Fauste^ Gennade, Clàudien Mamért, Licinianus, saint Ful- 
gence, Cassiodore, saint Grégoire, saint Isidore, 344, 345. Est- 



560 TABLE ANALYTIQUE. 

elle créée? Sentiment des grecs, 206; des latins, 344; de saint 
Jean Damascène, 493. Quand est-elle unie au corps ? Sentiment 
de Sévère et de Philoxène, 120, note; de saint Maxime, 206. 

Anastase d'Ântioche, monophysite, 164. 

Anastase le Sinaïte. — Sa doctrine sur Dieu, 195, note; sur 
les anges, 203, 206; sur l'àme, 206; sur la déchéance de 
l'homme, 209; sur l'eucharistie, 236; sur la pénitence, 253, 
254, 256, 258, note, 260; sur le sort des enfants morts sans 
baptême, 272 ; sur l'éternité des peines, 272. 

Anathématismes de saint Cyrille. — Leur teneur, 41 ; dif- 
ficultés qu'ils soulèvent, 43; saint Cyrille les explique, 44. 

Anatolius de Constantinople, 89, 90, 94, 96. 

André de Saxaosate. — Il attaque les anathématismes de 
saint Cyrille, 43; s'unit contre lui avec Théodoret, 49. 

Angélologie des auteurs grecs et surtout de Denys l'Âréopa- 
gite,"202, suiv. ; des auteurs latins et surtout de saint Gré- 
goire, 340, suiv. ; de saint Jean Damascène, 491-493. 

Anthime de Constantinople, monophysite, 135. 

Anthropologie des grecs, 206 et suiv.; des latins, 344 et suiv.; 
de saint Jean Damascène, 493 et suiv. * 

ApMhartodocètes, apMhartodocétisme. — Origine et 
doctrine, 115, 116. 

Asterius d'Amasée. — Son témoignage sur l'usage de la croix 
et des images, 440, 441. 

Audiens, hérétiques, pratiquent la confession publique, 256, 
note. 

Augustin (Saint) est invité au concile d'Éphèse, 44, note; 
dissipe les difficultés des moines d'Adrumète, 275 ; répond à 
Prosper et Hilaire, 282. Son témoignage sur la pénitence pri- 
vée, 395. Ses observations sur le culte des images païennes, 443. 

Avit (Saint). — Ses œuvres, 322. Sa doctrine sur le Filioque, 
336; sur le sort des enfants morts sans baptême, 347, note; 
sur la pénitence privée, 399. 

Babaï le Grand. — Son traité De unione et sa doctrine, 58, 

suiv. 
Baptême. — Doctrine des grecs, 233, 234 ; des latins, 370, 371 ; 

de saint Jean Damascène, 506, 507; de Leidrade et d'Alcuin, 

540, 541. Valeur du baptême des hérétiques chez les grecs, 

229-233; chez les latins, 369, 372. 
Barsuznas, év. de Nisibe, organise l'église nestorienne perse, 

54, 55. 
Basile de Séleucie. — Œuvres, 6, note. Sa doctrine sur les 

anges, 202, 203; sur la sainteté de Marie, 266. 
Beatus de Libana combat l'adoptianisme, 517, 535. 
Bède le Vénérable. — Caractéristique générale, 323; sa doc- 



TABLE ANALYTIQUE. 561 

trine sur la philosophie, 333; sur les anges, 340; sur la science 
humaine de Jésus-Christ, 353; sur la rédemption, 357, 358; 
sur l'Église, 362; la primauté du pape, 363; sur l'efficacité du 
baptême des hérétiques, 369; sur le baptême chrétien, 370; la 
circoncision, 371; la présence réelle, 376; le sacrifice eucharis- 
tique, 385, 386; sur les prêtres comme confesseurs, 405; sur la 
pénitence à infliger par le confesseur, 406; sur l'extrême- 
onction, 414, 415; sur l'exception d'adultère, 419, 420, note; 
sur la sainteté de Marie, 423, note, 424; sur la rétribution 
immédiate après la mort, 427; sur le purgatoire, 428; la pos- 
sibilité de soulager les âmes du purgatoire, 429; le jugement 
dernier, 433. 

Benoit (Saint). ^- Influence de son ordre et de sa règle sur la 
pénitence privée, 400. 

Boëce.' — Ses ouvï'ages, 318, 319; son sentiment sur la proces- 
sion du Saint-Esprit a Filio, 336; ses questions sur la Trinité, 
338; sa christologie, 349, 350. 

Boniiace II, pape, confirme le deuxième concile d'Orange, 310. 

Boniface (Saint) de Mâyence. ^ Son statut sur l'absolution, 
407; sur l'extrême-onction, 415; sur les empêchements de ma- 
riage, 421, note. 

Gassien. — Ses œuvres, 276. Exposé de sa doctrine semi-péla- 
gienne, 276 et suiv. ; attaqué par saint Prosper, 284. Sa doctrine 
sur les sens de l'Écriture, 325; son interprétation, 326; sur 
l'autorité de l'Église, 329; sur les anges, 340, suiv., et les dé- 
mons, 343; sur la création de l'âme, 344; sur l'incarnation, 348_; 
la rédemption, 355,357; sur la fréquence et les efi"ets de la com- 
munion, 383, 384; sur l'excellence de la virginité, 426; sur la 
rétribution différée après le jugement général, 427. 

Cassiodore. — Œuvres et caractéristique, 319. Son" enseigne- 
ment sur l'autorité de la tradition, 327; des Pères, 328; sur 
Dieu, 325; sur l'àme et sa spiritualité, 345; la grâce et sa né- 
cessité, 345, 346; la vocation à la foi, 346; la nécessité des 
bonnes œuvres, 347; le mérite, 347; la notion de personne, 350, 
note; la science humaine de J.-C., 352; la rédemption, 358, 
360; sur l'Église et la nécessité de lui appartenir, 361; la pré- 
sence réelle, 376; le sacrifice eucharistique, 385; l'extrême- 
onction, 414; sur l'enfer et l'éternité des peines, 430, 431; sur 
le ciel, 431; sur la fin du monde, 432. 

Geadda. — Sa réordination, 417. 

Gélestin (Saint), pape. — Il condamne Nestorius, 39; ses dé- 
légués au concile d'Éphèse, 44; sa lettre aux évêques de (Jaùle, 
284; son enseignement sur la, pénitence, 393. 

Célibat ecclésiastique dans l'Église grecque, 263, note; dans 
l'Église latine, 416. " - 



562 TABLE ANALYTIQUE. 

Cerealis de Castellum, 320, 335. 

Césaire (Saint) d'Arles. — Caractéristique générale, 32L Sa 
doctrine sur la grâce et le second concile d'Orange, 304 et 
suiv.^ son estime des Pères, 328; son enseignement sur le T^i- 

• lioque, 336; sur le péché des anges, 343; sur les bounes oeu- 
vres, 347, la rédemption, 359; la fréquence de la com- 
munion, 384; sur la valeur de la pénitence faite in^atremis, 
394; sur la pénitence privée, 397 et saiiv.:; iSur la nécessité 
de la pénitence, 409, note; sur la 'distiactiôn des péchés, 
413, note; sur l'extréme-ojaction, 414; sur l'indissolubilité du 
mariî^ge, ^; l'usage de le hénir, 4âl ; sur la sainteté de 
Marie, 423; le jugement particulier, 427; le purgatoire, ^8? 
l'enfer, 430. 

Charlemagne introduit en France le chant du . symbole 
avec l'addition du Filioque, 520 et suiv. ; fait condamner l'a- 
doptianisme, 536 et suiv. ; son opposition au culte des images 
et au septième concile général, les Livres Çarolins, 473 et 
suiv. 

Gbxistologie de Diodore de Tarse, 12 et suiv.; de Théodore de 
Mopsueste, 15 et suiv,; de Nestorius, 23 et suiv.; des nesto- 
riens postérieurs, 56 et suiv.; de saint Cyrille, 60 et suiv. ; 
d'Eutychès, 82, 83; de la lettre de saint Léon à Flavien, 86, 87; 
de Théodoret, 99 et suiv.^ des monophysites eutychiens, 113 
et suiv.; des sévérieus, 117 et suiv.; de Léonce de Byaance, 
15ret suiv,; de saint Maxime, 188 et suiv.; des latins, 347 et 
suiv.; de saint Jean Damascène, 495 et suiv.? des adopiianis- 
tes, 529 et suiv. 

Glxrodegand (Saiut) impose la confession plusieurs fois l'an 
à son clergé, 404. Sa règle retouchée prohibe les messes abso- 
lument privées, 387, note. 

Circumincessioxx dans la Trinité, 198, 489 ; en Jésus-Christ, 
190,500,503,504. 

Claude de Turin, iconoclaste, 480, 481. 

Colomban (Saint). — Influence de son ordre et de sa règle 
sur la pénitence privée, 400-402. 

Gommumcation des idiomes, méconnue par Théodore de 

. Mopsueste, 20 ;,par Nestorius, 33; par Babaï, 58; diminuée par 
Théodoret, 100; oubliée par les adoptianistes, 532; justifiée 
par saint Cyrille, 70; par saint Léon, 87^ par saint Jean Damas- 
cène, 500; exagérée par les actistètes, 116. 

Communion. — Sur les dispositions à la comm-union, sa fré- 
quence, ses effets, doctrine de saint Cyrille, 239, suiv., et des 
grecs, 244, 245; des latins, 382-385; de saint Jean Damascène, 
509, 510; de Théodulphe, 542. 

Conciles. — Autorité des conciles généraux d'après saint 
Léon, saint Vincent de Lérins et saint Grégoire, 330- Coaciles 



TABLE ANAiTTIftUJ:. 663^ 

d'Éphé^e (431), 4S, suiv.^d'Éphèse {inâgandage, 449), 87, 88; 
de Chalcédoine (451), 90, suiv. j de Constaatînople (5^}, 142 çt 
saiv.; de Latran (649), 180,181; de Coustaatinople (sixième 
général, 680), 183 et $uiv. ; ;d'Orange (529), 306,; d'fliéFia (Ico- 
noclaste, 753), 463; de Nicée (septième général, 787), 468, suiv. ; 
de Francfort (794), 474, 537; de Frioul (796 ou 797), 521, 526 ; 
d'AiX'la-Ch^ôUe (809), 522. 

Confession des péchés. — Enseignement des grecs, 35B, ^ ; 
pratique des aBdiens, 256, note;, enseignement, de saint Léon, 
391 ; de saint Gésaire, 398; de Tliéodulphe, 543,544. 

GonfirmatÂon. — Doctrine et pratique des grece, 234, 235; 
des latins, ^4, 375; de saint Jean Damascène, 507^ d'Alcuin, 
541. La conOrmation dans ses rapports avec le rite de récon- 
ciliation des hérétiques, 230-233, 372-374. 

Constantin Copronymo. — Son opposition aux saintes ima- 
ges,^62 et suiv.; ses autres erreurs, 465. 

Constitutions die Tj^glise égyptienne. ^ Henseignements 
qu'elles fournissent sur le baptême, 233, note; la confirmation, 
234, 235; la liturgie eucharistique, 252; l'extrême-onction, 261 ; 
les ordinations, 262, 263. 

Conversion eucharistique. — Enseignement de saint Cy- 
rille, 245; des monophysites, 246; de Théodoret, 248 et suiv.; 
du pseudo<!hrysostome, 250, 251; des latins, 377; de Gélasé 
en particulier, 378, suiv.; de Facundus, 380, note;; de saint 
Jean Damascène, 508 ; d'Alcuin, 541-542. 

Croix. — Son usage et son culte dans les premiers siècles, 409- 
441 ; rejetés par les pauliciens, 447, 452; acceptés par le 
septième concile général, 468; par saint Jean Damascène, 
51L 

CyriUe d'Alexandrie (Saint). — Caractéristique générale, 2 ; 
liste de ses ouvrages cités, 555. Sa doctrine sur l'Écriture, 6; 
sur la tradition, 7, &; sur la philosophie, 9; sa lutte contre 
Nestorius, 35, suiv. ; ses anathématismes, 40, suiv, ; sa chris- 
tologie, 60, suiv. ; sa doctrine sur les volontés et les opérations 
en Jésus-Christ, 75; sur la science humaine de. Jésus-Christ, 
77;. sur Dieu, 193; sur la trinité, 197; sur la procession, du 
Saint-Esprit a Filio, 199; sur les anges, 202, sudv.; sur 
l'homme, 206; sur l'état primitif d'Adam, 207? la chute et le 
péché d'origine,, 211, suiv.; lagrâ^e, 213, suiv. ; sur la ré- 
demption, 217, suiv.; sur l'Église, 221, 222; sur la primauté de 
saint Pierre et du pape, 224, 225; sur le baptême, 233, 
234; la confirmation, 235; l'eucharistie, 239, sûiv.; la conver- 
sion eucharistique, 245, 246; le sacrifice eucharistique, 252; 
le pouvoir de remettre les péchés,, 253; l'extrême-onction, 261 ; 
le mariage, 263 ; le culte de Marie et, des saints, 266, 267.; la 
rétribution immédiate a|>rès la mort, 269; la résurrecûon de 



564 TABLÉ ANALYTIQUE. 

la chair, 270; la peine éternelle des réprouvés et la félicité 
des justes, 272, 273. 
Cyrus d'Alexandrie est gagné au monothélisme, 162 ; s'unit 
aux monophysites théodosiens, 162, 163; est condamné, 181, 
185, 186. 

Démons. — Doctrine des latins et surtout de Cassien, 242, 243; 
de saint Jean Damascène, 492, 493. 

Denys l'Aréopagite (Pseudo-). — Caractéristique générale, 
5; sa philosophie, 10; sa christologie, 134, note. Sa doctrine 
sur Dieu, 193; latrinité, 197; sur les anges, 203, suiv.; sur les 
sacrements, 228; le baptême, 233, 234; la confirmation, 234, 
235; la présence réelle, 238, note; la liturgie eucharistique, 
252; la pénitence, 255, note, 259, note; les ordres, 262. 

De vocaHone omnium gentium. — Doctrine de cet écrit, 292. 

Dieu. — Doctrine sur Dieu de saint Cyrille, 193; du Pseudo- 
Aréopagite, 193, suiv.; de saint Maxime, 195; d'Anastase le 
Sinalte, 195, note; des latins, 334, 335; de saint Jean Damas- 
cène, 486. 

Diodore de Tarse. — Sa christologie, 12 et suiv. 

Dioscore d'Alexandrie réintègre Eutychès, 85; son rôle au bri- 
gandage d'Ephèse, 87, 88; il est déposé, 91, 92. 

Dungal, moine, réfute Claude de Turin, et accorde un certain 
culte aux images, 481. 

Ecdésiologie, Église. — Enseignement des grecs, 221, suiv.; 
des latins, 360, suiv.; de saint Jean Damascène, 506. 

Écriture Sainte. — Doctrine de saint Cyrille et de Théodoret, 
6, 7; des latins, canon, inspiration, interprétation, 324, 325; 
valeur doctrinale, 326 ; enseignement de saint Jean Damas- 
cène, 485. 

Ecthèse (L") d'Heraclius, 170; acceptée en Orient, 171; con- 
danuiée par les papes, 177, suiv. 

Élipand de Tolède. — Son histoire, son erreur, sa condamna- 
tion, 527 et suiv. 

Élus. — Nombre des élus. Sentiment de saint Prosper, 289, 
note; de saint Léon, de saint Grégoire, de saint Isidore, 346. 

Encyclique de Basiliscus, 105. 

Énée de Gaza. — Son traité sur la résurrection des corps, 270. 

Enfants non baptisés. — Leur sort après la mort d'après Anas- 
tase le Sinaïte, 272; les semi-pélagiens, 281 ; Fauste, 297; saint 
Fulgence, 304 ; saint Grégoire, saint Isidore, saint lidefonse, 
saint Avit, 346, 347. 

Enfer. — Doctrine des grecs, 272; des latins, 429-431; de 
saint Jean Damascène, 512, 513. 

Éphrem (Saint) d'Antioche, 135, 152, 251, note. 



TABLE ANALYTIQUE. 5G5 

Ëpiolèse. — Son rôle dans la consécration eucharistique 
d'après les grecs, 238; les latins, 380-382 ; Gélase, 380; saint 
Jean Damascène, 509. 

ï^iphane (Saint). — Sa prétendue opposition aux saintes 

. images, 445, note. 

Eschatologie des grecs, 269 et suiv.; des latins, 426; de saint 
Jean Damascène, 512, 513. 

Esprit-Saint. — La doctrine de sa procession a Filio niée 
par Théodore de Mopsueste et Théodoretj 198, 199; affirmée 
équivalemment par S. Cyrille, 199, suiv.; formule des Grecs 
postérieurs, 201, 202; affirmée par le pape Martin I, 202, et 
les théologiens latins, 335, 336, sauf peut-être Rusticus, 335, 
note ; enseignement de saint Jean Damascène, 489, 490. La 
questiondiseutëeetdéfiniecontre les Grecs, 524, suiv.— Là /or- 
mule du Filioque introduite dans le symbole de Constanti- 
nople, 519 et suiv. 

Éternité des peines. — Témoignages des grecs, 272; des latins 
430, 431; de saint Jean Damascène, 512. Confession de Luci- 
dus, 294, note; définition du concile d'Hiéiûa, 465. 

Etienne Nibbé, monophysite extrême, 117. 

Etienne III, pape, condamne l'erreur iconoclaste, 466. 

Eucharistie. — Doctrine des grecs, 235, suiv. ; des latins, 375, 
suiv.; de saint Jean Damascène, 507, suiv.; d'Alcuin, de Lei- 
drade, de Théodulphe, 541, 542. Et voyez Présence réelle, 
Conversion eucharistique, Epiclèse, Sacrifice eucha- 
ristique. Communion. 

Eulogius d'Alexandrie. Son écrit contrôles agnoètes, 128; con- 
tre le monothélisme, 161. 

Eusèbe de Césarée. — Son opposition aux saintes images, 444, 
445. 

Eusèbe de Dorylée dénonce Eutychès, 81 ; est déposé au bri- 
gandage d'Ephèse, 88 ; en appelle au pape, 88, 89. 

Eutychès. — Sa doctrine et sa condamnation, 81 et suiv., 88, 
90, 97. 

Eutychius de Constantin6ple. — Son témoignage sur la pré- 
sence réelle, 237; sur la formule consécratoire, 238; sur l'eu- 
charistie sacrifice, 251, 252. Il oint d'huile les malades, 261. 

Evagre le Pontique. — Sa liste des péchés capitaux, 257. 

Extrême-Onction. — Témoignages des grecs, 261 ; des latins, 
414; de Théodulphe en particulier, 545, 546. 

Facundus d'Hermiane. — Ses écrits en faveur des trois chapi- 
tres, 320; il s'oppose à leur condamnation, 138. Sa doctrine 
sur la conversion eucharistique, 380. 

Fauste de Riez. — Sa doctrine semi-pélagienne, 293 et suiv. ; 
il est déclaré écrivain non reçu par Hormisdas, ^98; réfuté pftr 

62 



566 TAJ3M: ANALYTIQUE. 

saint Fulgence, 299. Son enseignement sur lajioctrinevdu /îtit*- 
que, 336; sur la corporéité des anges, 341, et de l'àme, 344 j 
sur l'eucharistie, 376, 378, 382, 385; sur l'inutilité de la péni- 
tence inexlrem%s,^i'y sur la pénitence faite dans un monastère, 
400, note ; sur la nécessité des bonnes œuvres pour le salut, 
430; sur l'enfer et l'éternité des peines, 430, 431. - 

Félix d'Urgel. — Ses erreurs, son histoire, sa condamnation, 
sa rétractation et sa mort, 528 et suiv. 

Félix IV, pape, envoie à saint Césaire "une série de proposi- 
tions contre le semi-pélagianisme, 306. 

Ferrand (Fxilgenoe), diacre. — Ses œuvres, 319, 320. Il ap- 
prouve la formule des moines scythes, 133, note ; désapprouve 
la formule cyrillienne Una natura..,, 151, note. Sa doctrine 
sur la procession du Saint-Esprit a Filio, 336; sur la rédemp- 
tion, 359, 360 ; sur l'immaculée conception, 424. 

Filioqae. Voyez Esprit-Saint. 

Flavien de Constantinople condamne Eutychês, 81, suiv.; est 
déposé par le brigandage d'Ephèse et en appelle au pape, 88, 
89. 

Fortunat. — Son témoignage sur le culte des images, 450. 

Fulgence (Saint) approuve les formules des moines scythes, 
132; ses écrits sur. la question de la grâce et exposé de sa 
doctrine, 299 et suiv. Caractéristique générale, 319. Son ensei- 
gnement sur les sources de la foi, 324 ; sur l'inerrance de l'É- 
glise, 330, note; sur la doctrine du Filioque, 336; sur les mis- 
sions divines et l'image en nous de la Trinité, 337; les anges, 
341; les démons, 343; l'origine de l'àme, 344; sa spiritualité, 
345; le moment de l'incarnation, 349; la corruptibilité du 
corps de J.-C, 351; sa science humaine, 352; sur la rédemp- 
tion, 355, 356, 358; l'Église, 360, 361; la primauté romaine, 
363; les devoirs du prince chrétien, 365, 366; le baptême, 
371,372; la présence réelle, 376; les paroles consécratoires, 
381; la nécessité de la communion, 3â;le sacrifice eucharis- 
tique, 385; la classification des péchés, 413; sur la sainte 
Vierge, 422, 424; la prééminence de la virginité, ^6; la néces- 
sité des bonnes œuvres pour le salut, 430; l'éternité des peines, 
430; l'état des corps des bienheureux, 433. 

*tj<Rç, sens que donne à ce mot saint .Cyrille, 61, 62 ; Sévère 
d'Antioche, 118, 119. 

Gélase, pape. — Son sentiment sur les matières de la grâce, 
291; sur la conversion eucharistique, 378, 379; sur la souve- 
raineté de l'Église dans l'ordre spirituel, 365. Doctrine du Dé- 
cret de Gélase sur le ^anon des Écritures, 325; sur le choix à 
faire entre les auteurs ecclésiastiques, 327 ; sur la primauté 
du pape, 364, note. 



TABLE ANALYUQUB. 667 

G^nnade de Marseille. — Ses œuvres, 321. Son semi-pélagia- 
nisme, 297. Son enseignement sur la doctrine du FUioque, 
336; sûr la création et la corporéité des anges, 340, 341; sur 
la création et la corporéité de l'âme, 344; sur l'unitév person- 
nelle et les deux natures de Jésus^hrist, 348,-349; sur le 
martyre, 372 ; la valeur du baptême des hérétiques, 372 ; sur 
-le rite réconciliateur des hérétiques, 373, note; sur les effets 
de la communion, 384; sur la pénitence privée, 399, note; le 
culte des saints, 425; l'excellence de la virginité, 426; l'uni- 
versalité de la mort, 427; la rétribution immédiate après la 
mort, 427; la résurrection des corps, 432, 433; le renouvelle- 
ment final du monde, 434. 
Creorges Arsas,monophysite. d'Alexandrie, 161, 
Crermaîn (Saint) de Constantinople refuse de condamner les 
saintes images, 457. 

Grâce actuelle. Sa nécessité et son mode d'action. Doctrine des 
grecs, 212-215; de Cassien, 276, sulv.; des provençaux en 
général, 279, suiv. ; de saint Prosper, 285, suiv. ; des dé- 
cisions papales, 290, 291 ; du De vocatione omnium gentium, 
292; de Fauste, 295, suiv..; des moines scythes, 297; de saint 
Fulgènce et des évoques africains, 300, suiv.; de saint Césaire 
et du concile d'Orange, 305, suiv.; des latins des vi* et vn' siè- 
cles, 345, suiv. ; de saint Jean Damascène, 494, 495. , 

Grégoire (Saint) de Nazianze. — Son témoignage sur l'usage: 
et le culte des images, 441, 442. 

Grégoire^Saint) le Grand. — Caractéristique générale, 317, 
318; son enseignement sur l'Ecriture, ^5,326 ; sur tes conci- 
les généraux, 330; sur les rapports de la foi et de la raison, 
334; sur Dieu, 334, 335 ; sur la doctrine dxï FUioque, 336; les 
missions divines, 23!ï; les anges, 340-343; l'origine et la spiri- 
tualité de l'âme, 844, 345 ; la grâce, la prédestination, le nom- 
bre des élus, le sort des enfants morts sans baptême, 346, 
347 j les bonnes œuvres et le mérite, 347; la science bemaine 
de Jésus^hrist, 129, 352 ; la rédemption, 356, 360; sur l'Église, 

- 360, 361 ; la priniauté romaine, 364, 365 ; la répression de l'héré- 
sie, 3^ rie baptême, 370-372; le rite rée«ncrlîateur des h^éti- 
ques, 373î le ministre de la confirmation, 375; la présence ré- 
elle, 376; les conditions dé la communîon,^ 384, note; les effets 
du sacrifice eucharistique, 386, 3S7; sur la pénitence à impo- 
ser par le confesseur, 406, 411 ; l'effet de l'absolution, 408; les 
péchés capitaux, 413, note ; la continence des sous-diacres, 
416; l'indissolubilité du mariage, 419 ; les empêchements au ' 
mariage, 421 ; sur la sainte Vierge, 423, 424 ; le culte des saints 
et des reliques, 425 ; les pratiques pieuses, 426; la rétribution 
immédiate après la mort, le purgatoire, l'enfer, le ciel,la ré- 



568 TABLE ANALYTIQUE. 

surrection des corps, le jugement dernier, 427-433; l'usage 
et le culte des images, 450-452. 
Grégoire III, pape, condamne Terrear iconoclaste, 457, 458. 

Hadrien, pape, consent à la tenue du septième concile général, 
467 ; défend, contre Charlemagne, la doctrine de ce concile, 
473477 ; écrit contre l'adoptianisrae, 536, 538. 

Hénotique (L') de Zenon ; son caractère doctrinal, 107. 

Héraclius, empereur, fauteur du monothélisme, 161, suiv. ; pu- 
blie l'Èclhèse, 170. 

Heterius d'Osma attaque l'erreur adoptianiste, 535. 

Hincinar de Reims condamne le culte des images, 482. 

Honorius, pape. — Ses deux lettres à Sergius, 168, suiv. ; il est 
défendu par Jean IV, 177 ; condamné par le sixième concile 
-général, 185, suiv. ; par Léon II, 187. Jugement sur son cas, 
188, note. 

Horxnisdas, pape. — Sa formule, 110. Il conclut la paix avec 
l'Orient, 110; sa conduite vis-à-vis dps moines scythes, 132; 
sa réponse à propos de Fauste de Riez, 298. 

Ibas, écrit sa lettre à Maris, 54; est déposé au brigandage 
d'Ephèse, 88 ; rétabli par le concile de Chalcédolrie, 92, 93. Sa 
lettre est condamnée par Justinien, 137; par le cinquième con- 
cile général et Vigile, 148, suiv. 

Iconoclasme. — Origine et histoire de cette erreur; sa con- 
damnation, 454 et suiv. 

Ildefonse (Saint). — Œuvres, 323. Ses règles pour la forma 
tion du canon scripturaire, 325. Son enseignement sur la pro- 
cession du Saint-Esprit a Filio, 336; l'origine de l'àme, 344; 
le sort des enfants morts sans baptême, 347 ; la bénédiction de 
l'eau du baptême, 369; le baptême, 370-372; la valeur du bap- 
tême des hérétiques, 372; la confirmation, 374, 375; sur la 
sainte Vierge, 422-424. 

Images. — Leur usage et leur culte dans l'antiquité. La con- 
troverse des images en Orient et en Occident. Décision finale, 
435-483. 

Incorruptibilité du Christ. — Ce qu'en pensaient les aphthar* 
todocètcs, 115, 116; Sévère d'Antioche^ 115 ; saint Fulgence, 
351, 352; saint Jean Damascène, 501. 

Infidèles. — Sont-ils capables de faire des œuvres moralement 
bonnes? Opinion de saint Prosper, 286; de saint Fulgence, 
300; de Théodoret, 213; de Cassien, 277; de Fauste, 296. 
'Irénée, comte, puis évêque de Tyr, déposé par les monophysi- 
tes, 81. 

Isaac d'Antioche. — Son témoignage en faveur de l'extrême- 
onction, 261. 



TABLE ANALYTIQUE. 569 

Isidore (Saint) de Péluse. — Ses œuvres, 6) note. Sa doctrine 
sur les anges, 202, 203 ; sur la déchéance originelle, 209; sur le 
péché originel en nous, 210; sur la nécessité de la grâce, 214; 
sur le mérite, 215; sur la rédemption, 217, 220; sur la dignité 
du clergé, ^3 ; sur la primauté de saint Pierre, 224, 225; sur 
la valeur des sacrements conférés par des indignes, 229 ; sur le 
baptême, 234; la formule consécratoire, 238; l'effet de la com- 
munion, 245; sur la confession, 256, 257; la satisfaction, 259, 
note; les effets de l'ordination, 262, note; les reliques, 268; 
le jugement et l'éternité des peines, 272. 

Isidore (Saint) de Séville. — Caractéristique générale, 322. Sa 
doctrine sur Dieu, 334; la procession du Saint-Esprit o Filio, 
336; les anges, 340-343; l'àme humaine, 344, 345; la grâce, 
la prédestination, le nombre des élus, le sort des enfants 
morts sans baptême, 345-347; la science humaine de Jésus- 
Christ, 353; la rédemption, 356, 357, 359, 360 ; l'Église, 360, 
361; le devoir des princes de réprimer l'hérésie, 366; les 
sacrements en général, 367-370; la valeur du baptême des 
hérétiques, 372; le rite de réconciliation des hérétiques, 373; 
la confirmation, 374, 375; la présence réelle, 376; le rôle de 
l'épiclèse, 381 ; la communion, 383; le sacrifice ^eucharistique, 
385, 386 ; la nécessité de la pénitence à 1% mort, 409; la péni- 
tence des clercs majeurs, 411 ; les péchés capitaux, 413 ; la 
hiérarchie des ordres mineurs, 415; le caractère sacramentel 
et l'indissolubilité du mariage, 418, 419 ; l'usage de le bénir, 
421 ; les relations conjugales, 421; le culte des saints, 425; la 
rétribution immédiate après la mort, 427; le purgatoire, 428 ; 
l'enfer, 430; le ciel, 431; l'état des corps glorieux, 433; le ju- 
gement dernier, 433. 

Isoyahb I, catholicos nestorien. — Son symbole de foi, 57; 
son canon sur la confession, 257, note. 

Jacques Baradaï organise l'église jacobite, 111. 

Jean Âskunages. Son erreur sur la trinité, 195, 196. 

Jean Glii^aque (Saint). — Ses œuvres, 6, note; son ensei- 
gnement àur la confession, 256; sur les péchés capitaux, 257, 
258; sur la satisfaction, 259, 260; le secret sacramentel, 259; 
la réitération de la pénitence, 260; sur les ordres, 262. 

Jean (Saint) DamascèiVB. — Caractéristique générale, 484. 
Sa doctrine sur l'Écriture, la tradition et la philosophie, 485, 
4B6; sur Dieu, 486; la Trinité, 487-489; la procession du Saint- 
Esprit, 489, 490; la création, 491; les anges, 491, 492; les dé- 
mons, 492, 493; l'homme, la chute, la grâce, la prédestination; 
493-495; christologie, 495-504; sotériologie, 504, 505; sa doc- 
trine sur l'Église, 506; le baptême, 506, 507; l'eucharistie, 
présence réelle, conversion eucharistique, épiclèse, commu- 

32. 



67Q TABLE ANALYTIQUE. 

nion, 507-510; sacrifice eucharistique, 510; mariologie et dé- 
votions diverses, 510-512; eschatologie, 512, 513. Sa dbctriii& 
sur les saintes images, 458t462. U est condamné par le con- 
cile iconoclaste d'Hiéria, 465. . 

Jean d'Antioche. — Son attitude vis-à-vis de Nestorius et de 
saint Cyrille, 40, 43, 45, 48, 49, 50, 52. 

Jean le Grammairien, adversaire de Sévère d'Antioche, 
122. 

Jean le Jeûneur, patr. de Constantiuople. — Sermo ad pae- 
nitentes qui lui est faussement attribué, 255, 257. Son péni- 
tentiel,. 257, note. 

Jean Manâakuui. — Sou témoignage" sur l'ordre de la péni- 
tence, 257, note ; sur l'extrême-onction, 261, note. 

Jean Philopon. — Son erreur sur la trinité, 1961 

Jean II, pape, approuve la formule des moines scythes, 132, 
133. 

Jean IV, pape, condamne le monothéllsme et disculpe le pape 
Honorius, 177, 178. 

Jean de Thessalonique. Sa doctrine sur les images, 448, note. 

Jonas d'Orléans réfute Claude de Turin; caractère de son traité, 
481. ' 

Jugement générai. Enseignement des grecs, 272; des ktins, 
433; de saint Jean Damascène, 512. — Jugement particulier. 
Enseignement de saint Maxime, 270 ; de saint Césaire, 427. 

Jttlianistes ou Gaïanites, nom donné aux àphthartodocètes, 
115. 

Jttlien l'Apostat. Son témoignage sur l'usage et le culte de 
la croix, 440. 

Julien d'Halicarnasse, fondateur des aphtbartodocètesi 115 

Julien. Pômère, 305. Son témoignage sur la procession du 
Saint-Esprit a Filio, 336. 

Julien (Saint) de Tolède. — Œuvres, 323'; sa formule trini- 
taire, 337 ; christologique, 349, note. Sa doctrine sur la science 
humaine de Jésus-Chiist, 353 ; sur la mort et la rétribution 
immédiate après la mort, 427; sur le purgatoire, 428, 429; 
l'enfer, 430; le ciel, 431, 432; la résurrection des corps, 432, 
4^;, le jugement dernier, 433; le renouvellement final dii 
monde, -©4. 

Junilius. — Son témoignage sur les rapports de la foi et de 
la raison,. 334. 

Justinien condamne puis favorise les moines scythes, 131, 
suiv. ; condamne Origène, 135 ; condamne et fait condamner 

. les trois chapitres, 136 et suiv. ; se rattache à l'aphthartodo- 
cétisme, 116. 

Juvénal de Jérusalem, à Éphèse, 45; au brigandage d'Éphése, 
87; il est dépossédé puis rétabli sur son siège, 106. 



TABLE ANALYTIQUE. 571 

Iieidrade de Lyon s'occupe de Félix d'Urgel et combat l'adop- 
tianisme, 538, 539. Son enseignement sur les sacrement», le 
baptême, la confirmation, Feucharistiè^ 5^, 541. 

Liéon (Saint). — Caractéristique générale, 3^7. Sa doctrine 
sur la tradition et les Pères, 327, 331 ; les coneilesi 330; l'im- 
mutabilité du dogme^ 332; sur la grâce et le nombre des éhis, 
290, 291, note, 346 j sur rincîu?nation, lettre à Flavien, 8S, soiv. ; 
conûrmation du concile de Chalcédoine, 96; enseignement 
sotériologique, 353, suiv., 359; sur la primauté romaine, 363, 
suiv,j la répression de l'h;érésie,365; surractioo et le nombre 
. des sacrements,. 368, 370; la valeur des sacrements adminis- 
trés par les hérétiques, 572, 416; la réconciliation des héré- 
tiques baptisés dans l'hérésie, 373; la présence réelle, 376 j la 
communion et ses effets, 383, 381; la pénitence, 391, 392, 393, 
396, 406, 408, 411 ; sur la continence imposée aux sous-dia- 
crés, 416; sur l'indissolubilité du mariage, 419;: sur la sainte 
Vierge, 423, 424; le culte des saints, 425; la fin du monde, 432. 

Léon 11^ pape, confirme le sixième concile général, 187. 

Léon III, pape, approuve la doctrine du Filioqxie, 522, mais 
repousse rintroductiQn de la formule dans le symboley 523; 
condamne l'adoptianisme, 538. 

Léonce de Byzance. — Caractéristique générale,^ 4; sa phi- 
.losophie, 9, 152^, suiv. ; sa christologie, 153, surv. ; sa doctrine 
des deux opérations, 157, 158 ; sa doctrine eucharistique, 245. 

Leontius de Neapolis. — Son plaidoyer pour les saintes ima- 
ges, 448, 449. 

Libérât, diacre de Garthage, 320. 

Licinianus de Carthage soutient contre Fauste la spiritualité 
des anges, 341, et de l'âme humaine, 344. 

Livres carolins. — Leur origine et leur doctrine, 474-476. 

Lucidus, prédestinatien, se rétracte, 293, 294. 

Macaire d'Antioche, monothélite, soutient sa doctrine an 
sixième concile général qui le condamne, 184, 185; 

Macarius Magnés. — Dans quelle mesure il est opposé aux 
saintes images, 443, 444^ note. 

Mamert (Claudien).- — CËuvres, 322. Son sentiment snr fa 
corporéitié des anges, 341 ; sur la spiritualité de l'âme, 344. 

Maraba, catholicos nestorien. Sa profession de foi', 57. 

Mariage. — Son caractère, son indissolubilité', ses empêche- 
ments ; doctrine des grecs, 263-265; des latins, 418-422', 546, 
5.1,7. 

Marlologie des grecs, 265-267; des latins, 422-424; de saint 
Jean Dàmascène, 511. 

Martin (Saint) de Braga. — Œuvres, 322. Son sentiment sur 
l'unique immersion dans le baptême, 371, note. 



572 TABLE ANALYTIQUE. 

Martin I, pape, condamne le monothélisme, 180, 181; affirme 
la procession du Saint-Esprit ex Filio, 202. 

Maxence critique le pape Hormisdas, 132, 298, et condamne 
Fauste de Riez, 2%. 

Maadxne d'Ântiocbe, 90, 105. 

Maxime (Saint) le Confesseur. — Œuvres, 5; caractéris- 
tique générale, 188; son dossier patristique, 9; sa philoso- 
phie, 9, 10; dispute avec Pyrrhus, 179; sa doctrine dyothé- 
lite, 189, suiv. ; sur Dieu, 195 ; la trinité, 197, 198 ; la procession 
du Saint-Esprit, 202; l'àme, 206; l'état primitif d'Adam, 207; 
la déchéance originelle, 209, 212; la nécessité de la grâce, 214; 
la rédemption, 217; l'inerrance de l'Église, 222; la primauté 
de saint Pierre et du pape, 225, 227; le jugement particulier, 
270; la transformation des corps ressuscites, 271,272; l'éter- 
nité des peines, 272; le renouvellement du monde matériel, 
273 ; son culte des images, 448. 

Maxime (Saint) de Turin. — Œuvres, 318. Sa doctrine sur 
l'autorité de l'Écriture, 326; sur l'unité personnelle et les deux 
natures en Jésus-Christ, 3^, 349; sur la dualité en lui des vo- 
lontés, 351; sur la primauté romaine, 363; la nature et l'ac- 
tion des sacrements, 368, 369; sur le baptême et le martyre, 
370-372; la confirmation, 374; la fréquence delà communion, 
383; le sacrifice eucharistique, 385, 386; sur la sainte Vierge,! 
4^-424; le culte des saints, 425; sur l'éternité des peines, 431; ^ 
le bonheur des élus, 431; la résurrection des corps, 432 j le re- 
nouvellement final du monde, 434. 

Memnon, év. d'Éphèse, assiste au concile de cette ville, 45; 
est déposé par les orientaux, 48. 

Mennasde Constantinoplé succède à Anthime, 135; reçoit le 
ludicatum de Vigile, 139; adresse une profession de foi à Vi-« 
gile, 141. Sa lettre (apocryphe) à Vigile, 162. 

Mérite. — Doctrine des grecs, 215; des latins, 347. 

Migetius. — Ses erreurs, 527, 528. 

Missions divines. — Explications de saint Fulgence et de 
sàini Grégoire le Grand, 337. 

Monaohisme chez les grecs, 269, 512; chez les latins, 426. 

Uonopliysisme. — Ce que c'est proprement, 112. Son évolu- 
tion doctrinale : monophysisme eutychien,113 et suiv.; mo- 
nophysisme sévérien, 117 et suiv. Monophysisme purement 
verbal de saint Cyrille, 73 et suiv. Les monophysites rejettent 
les images de Jésus-Christ, 453. 

Monothélisme. — Ses origines, 160 et suiv. ; sa doctrine pré- 
cise, 172 et suiv.; son histoire et ses luttes, 177 et suiv.; sa 
condamnation définitive, 182 et suiv. 

Narsès, maître des écoles d'Edesse et deNisibe, 54,55. Sa doo 



TABLE ANALYTIQUE. - 673 

trine sur les deux hypostases en Jésus-Christ, 56, 57; sur le 
rôle de l'épiclèse pour la conversion eucharistique, 238. 

Nestorianisme. — Exposé de la doctrine nestorienne, 22,*'suiv.; 
elle est condamnée, 39, 46, 47. Le nestorianisme en Perse 
comme église et comme doctrine, 53 et suiv. 

Nestorius. — Sa doctrine christologique, 22, suiv. ; sa lutte 
contre saint Cyrille, 35, suiv. ; sa condamnation par saint Cé- 
lestin, 39, et par le concile d'Éphèse, 46, 47; son exil et sa mort, 
53; son témoignage sur l'eucharistie sacrement, 239, et sacri- 
fice, 252. 

Nicéphore de Constantinople condamne l'erreur iconoclaste, 
470-; cf. 446, note, 470. 

Nil (Saint).— Œuvres, 6, note. Son enseignement sur les anges, 
206; sur la déchéance originelle, 209 j sur la primauté de saint 
Pierre, 224; sur le baptême, 234; la présence réelle, 238; la 
chair vivifiante de l'eucharistie, 245; la pénitence, 258, 259, 
260; la rétribution immédiate après la mort, 270; la résurrec- 
tion de la chair, 270; le jugement, 272; l'éternité des peines, 
272; le bonheur des justes, 273; l'usage des images, 441. 

Œuvres (Bonnes). — Leur nécessité pour le salut, doctrine 
des grecs, 215; des latins, 347. 

Ordination, Ordres. — Doctrine et pratique des grecs, 262, 
263; des latins, 415, 416. Réitération de l'ordination chez les 
grecs, 229-233; chez les latins, 416-418. 

Origénisme, condamné par Justinien, 135; par un synode de 
Constantinople, 136, et peut-être par le cinquième concile gé- 
néral, 136, note, 148. 

i^aul II de Constantinople, monothélite, reproduit la doctrine 
de V/Ucthèse, 179. 

Paul d'Émèse, 49,50. 

Pauliciens. — Leur opposition à l'usage et au culte de la 
croix et des images, 452. 

Paulin II d'Aquilée. — Œuvres, 517. 11 fait recevoir l'addition 
Filioque dans le symbole, 521, 522, 526; condamne et réfute 
l'adoptianisme, 537, 538; impose la pénitence publique à Heis- 
tulfe, 543; fait définir l'indissolubilité absolue du mariage, 
547. 

Péché originel. — Doctrine de Sabriso, 57, note; des grecs,' 
208-212 ; de Fauste, 293 ; de saint Fulgence, 300 ; du concile d'O- 
range, 307; de saint Jean Damascène, 494. — Péchés actuels. 
Leur classification dans l'église grecque, 257; dans saint Cé- 
saire, 397, 413, note ; dans saint Fulgence, saint Grégoire et 
saint Isidore, 413, note ; dans Théodulphe, 544. 

Pelage, pape, signe le premier Constitulum de Vigile, 145, 



674 . TABLE ANALYTIQUE. 

note; approuve le cinquième concile général, 150 r regarde 
comme valides les ordinations schismatiques, 417. 

Pénitence. — Doctrine et pratique de l'Égltee grecque, 252 
et suiv. ; de l'Église latine, 387 et suiv,; sous Gharlèmagne, 
542-545. 

Pénitentiels (Livres). — Ce que c'est, 401 ; leur usage, 402, 
405, 406, 542, 544. 

Pères (Saints). — Usage des Pères et doctrine sur les Pères 
dans l'Eglise grecque, 7-9; dans l'Église latine, 327-329. Senti- 
ment de Lçonce de Byzance, 153; de saint Jean Damascène, 
486; des théologiens de Charlemagne, 514, 516, 532, 533. 

Philosophie. — Sur la philosophie, sentiment de Théodoret, 
de saint Cyrille, de saint Maxime, de Léonce de Byzanee, 9, 
152; du Pseudo-Aréopagite, 10;deBoèce, de Claudien Ma- 
mert, de saint Prosper, de saint Pierre Chrysologue, de Bède, 
333; de saint Jean Damascène, 485, 486; d'Aleuin, 516. 

Philoxène de Mabboug, 109, note, 126, note; son enseignement 
sur le moment de l'animation du corps de Jésus-Christ, 120, 
note î sur la conversion eucharistique, 246; sur les images, 452 ; 
façon dont il entendait le trisagion, 106. \ 

Pierre le Foulon occupe trois fois le siège d'Antioche^ 105 ; 
son addition au trisagion, 105, 106. 11 rejette les saintes ima- 
ges, 453. 

Pierre (Saint) Chrysologue. — Œuvres, 318. Sa doctrine 
sur la philosophie, 333; sur le péché des anges, 343, note; sur 
la primauté romaine, 363; la virginité perpétuelle de Marie, 
422; sa qualité de corédemptrice, 424; la supériorité du cé- 
libat, 426; sur la résurrection des corps, 432: 

Pierre Monge, patriarche monophysite d'Alexandrie, 106, 
107, 108. 

Praedestinatus, prédestinatianisme, 293-295. 

Prédestination. — Sentiment de Cassien, 279; des proven-: 
çaux en général, 280; de saint Prosper» 289; des prédebtina- 
tiens, 293; de Fauste, 296; de saint Fulgence, 301, 302; de; 
saint Grégoire et de saint Isidore, 346; de saint Jean Damas^ 
cène, 495. 

Présence réelle. — Doctrine des grecs, 235-238; des: latins, 
375-377; de saint Jean Damascène, 507,^ 508; d'Afcuin et deLei- 
drade, 541. 

Primauté de saint Pierre et du pape. Doctrine des grecs, 224- 
228 ; des latins, 362-365; de Théodore Studite, 471 ; de saiiit 
Jean Damascène, 506. 

Procïns de Constantinople prêche contre Nestorius, 23; Ses 
œuvres, 6, note. Son témoignage sur la déchéance origi- 
nelle, 209; sur le péché d'origine, 211; sur la rédemption, 
220. 



TABLE ANALYTIQUE. 575 

Progrès du dogme. — Théorie de saint Vincent de Lérins, 332, 
333. 

Prosper (Saint) écrit à saint Augustin, 279; ses écrits sur la 
grâce et sa réfutation du semi-pélagianisme, 283, et suiv.; sa 
doctrine sur l'autorité de l'Écriture, 326 ; la connaissance de 
Dieu, 334; la doctrine du Filioque, 336; sur les anges et ieàs 
démons, 342, 343; l'unité personnelle et les deux natures de 
Jésus-Christ, 348 ; sur la liberté du sacrifice de Jésus-Christ, 
358; sur i'Église, 360, 361; sur le renouvellement final du 
monde, 434. 

npôffWTTov. — Sens que donne parfois à ce mot le Livre d'Héra- 
dide, 28, note. 

Prudence. — Son témoignage sur l'adoration de la croix, 
441,. et l'usage des images, 442. 

Purgatoire. — Doctrine des grecs, 270; des latins, 428, 
429. 

Pyrrhus de Constantinople, monothélite. — Sa dispute avec 
Maxime, 179 ; il est condamné, 185, 186. 

Qtiicuuque vtilt (Symbole). — Son origine et sa date, 338, 
339. Il contient la doctrine du Filioque, 337. 

Rabbulas, év. d'Édesse, favorise Jean d'Antioche, puis saint 

Cyrille, 53. 
Reliqpa.es. — Doctrine et pratique des grecs, 268; des latins, 

424, 425; de Copronyme, 465 ; de Claude de Turin, 480; de saint 

Jean Damascène, 511. 
Résurrection des corps. — Doctrine des grecs, 270, suiv.; deis 

latins, 432, 433 ; de saint Jean Damascène, 512. 
Rusticus, diacre. — Sa réserve vis-à-vis de la doctrine dâ 

FiHuque, 335, note. 

Sacramentaux dans TÉglise grecque, 268; dans l'Église 
latine, 425, 426. -, 

Sacrements en général : notion, composition, mode d'action, 
nombre, efficacité, valeur des sacrements conférés par les 
hérétiques; doctrine des grecs, 228-233; des latins, 367-370, 416- 
418; de Leidrade,540. 

Sacrifice de la croix dans saint Cyrille et les auteurs grecs 
219-221; dans les auteurs latins, 357, 358; dans saint Jean Da< 
mascène, 5(fô. — Sacrifice eucharistique. Doctrine des grecs, 
251, 252; des latins, 385-387; de saint Jean Damascène, 510. 

Saints (Culte des) dans l'Église grecque, 267 ; dans l'Église 
latine, 424, 425; rejeté par Copronyme, 465. et Claude de 
Turin, 480. 

Salvien. — Œuvres, 321. Son enseignement sur Dieu, 335; sur 



676 TABLE ANALYTIQUE. 

la nécessité des bonnes œuvres, 347; sur la présence réelle, 
376; sur le mariage, 418; sur le ciel, 431. 

Satisfaction dans l'Église grecque, 258, 259; dans l'Église la- 
tine, 388, 389, 391, 398, 405, 406, 407, 413; dans l'Église caro- 
lingienne, 543-545. 

Science humaine de Jésus-Christ. — Ce qu'en pensent Théodore 
de Mopsueste, 15; saint Cyrille, 77, suiv. ; Théodoret, 101; les 
agnoètes, 127, suiv. ; les monophysites, 128 ; Eulogius, 128, 129 ; 
saint Grégoire le Grand, 129; "Vigile, 144, note; les latins en 
général, 352, 353 ; saint Jean Damascène, 500; Félix d'Urgei, 
531. 

Sc3rthes (Moines). — Leur formule et son histoire, 131, suiv.; 
leurs attaques contre Fauste et leur doctrine de la grâce, 297, 
suiv. 

Semi-pélagianisme. — Ses origines, son histoire, sa con- 
damnation, 274 et suiv. 

Sergius de Constantinople. — Ses efforts pour le triomphe du 
monothélîsme, 161 et suiv.; sa lettre à Honorius, 167; prépare 
le texte de VEcthèse, 170. Sa doctrine précise, 175, suiv.; il est 
condamné, 181, 185, 186. 

Sergius le Grammairien, eutychien, 121. 

Sévère d'Antioche, 109; sa doctrine christologique, 117 et suiv.; 
sur la corruptibilité du corps de Jésus-Christ, 115; sur la for- 
mule consécratoire de l'eucharistie, 238; sur la conversion 
eucharistique, 246; sur les saintes images, 453. 

Siméon (Saint)StyIitele Jeune.— Son témoignage sur le culte 
des images, 447, 448. 

Smaragde, abbé. — Œuvres, 516 ; écrit en faveur du Filio- 
que, 523. 

Sophronius de Jérusalem (Saint). — Ses œuvres, 5. 11 com- 
bat le monothélisme ; sa lettre intronistique, 164 et suiv. 

Sotériologie des grecs, 216, suiv.; des latins, 353, suiv.; de 
saint Jean Damascène, 504, 5(6. 

Statuta Ecclesiae antiqua. — Leur enseignement sur l'É- 
glise, 362; la pénitence, 394, 407, 409; sur le» ordres, 415,416. 

Tarasius de Constantinople se prononce pour les saintes ima- 
ges, 467; préside le septième concile général, 468. 

©EOTÔxo;, admis avec explication par Théodore de Mopsueste, 
21; Nestorius, 33; Théodoret, 100; justifié par saint Cyrille, 
71, 72; par Cassien, 348. 

Tétradites, hérétiques admettant une quaternité divine, 196, 
197. 

Théodore, pape, condamne VEclhèse, 179; dépose Paul II de 
Constantinople, 179, 180. 

Théodore Askidas, origéniste, 135; pousse Justin ien à con- 



TABLE ANALYTIQUE. 577 

damner les trois chapitres, 136; condamné par Vigile, 141; se 
soumet, 141. 

Théodore de Cantorbéry. — Son pénitentiel et la pénitence 
privée, 401. Sa doctrine sur les réordinations, 417 ; sur la dis- 
solubilité du mariage, 419. 

Théodore de Mopsueste. — Sa christologie, 14; il est con- 
damné par Justinien, 137, 141, et le cinquième concile géné- 
ral, 148. 

Théodore de Pharan, monothélite, 162; il est condamné, 181, 
185, 186. 

Théodore (Saint) Studite, défenseur et martyr du culte des 
images, 470, 471. 

Théodoret. — Caractéristique générale, 3. Sa doctrine sur l'É- 
criture, 6, 7; les Pères, 7, 8; la philosophie, 9. Son opposition 
à saint Cyrille, 43, 46, 48, 49, 52. Il est persécuté, puis déposé 
par les monophysites, 81, 88; réhabilité par le concile de Chal- 
cédoine, 92. Sa doctrine christologique, 99 et suiv. ; sur la 
trinité, 197; sur la procession du Saint-Esprit, 198; sur les 
anges, 202 et suiv, ; sur la création de l'âme, 206; l'état pri- 
mitif d'Adam, 207, 208; la déchéance et le péché originels, 
208, 209; la nécessité de la grâce, 213, 214; les bonnes œuvres 
et le mérite, 215; la rédemption, 217, 221; l'Église, 222; le 
clergé, 223; la primauté de saint Pierre et des papes, 224-226; 
la confirmation, 234; la présence réelle, 238; la communion, 
247 ; son dyophysisme eucharistique, 247, suiv. ; sa doctrine 
sur l'eucharistie sacrifice, 251, 252; sur la pénitence, 253; sur 
l'ordination, 262, note; l'indissolubilité du mariage, 263; les 
secondes noces, 264; sur le culte des anges, 267; les reliques,. 
268; la rétribution immédiate après la mort, 270; la résur- 
rection des corps, 270; l'éternité des peines, 272; la félicité 
des justes, 273 ; le renouvellement final du monde, 273. Son 
témoignage sur le culte de la croix, 441, et des images de 
saint Siméon Stylite, 442. 

Théodote d'Ancyre. — Œuvres, 6, note. Son témoignage ur 
la déchéance originelle, 209. 

Théodulphe d'Orléans. — Œuvres et caractéristique, 517; son 
traité sur le Saint-Esprit, 522; enseignements qu'il donne sur 
le baptême, 540; la communion, 542; la pénitence, 543-545; 
l'extrême-pnction, 545, 546 ; l'indissolubilité du mariage, 546. 

Thomas d'Édesse, nestorien. — Son traité De nativiiate D. N. 
Chrisli, 57. 

Tiznothée .Slure, patr. monophysite d'Alexandrie, 106, 107. 
Sa christologie, 126, note. 

Timothée Salophaciole, patr. orthodoxe d'Alexandrie, 106, 
107. 

HISTOIRE DK3 DOGMES. — m, 33 



578 TABLE ANALYTIQUE. 

Tradition. — L'argument de tradition chez les grecs, 7; chez 
les latins, 326, 327; dans saint Jean Damascène, 485. 

Trinité. — Erreurs d'Askunages et de Jean Philopon, 195,196; 
de Damien, 196,197; doctrine des grecs, 197, suiv.; des latins, 
335, suiv. ; de saint Jean Damascène, 4S7, suiv. 

Trisagion. — Addition qu'y apporte Pierre le Foulon, 105, 106. 

Trithéites, nom donné aux disciples de Jean Philopon, 196. 

Trois Chapitres. — Ce que c'est, 137, note. Histoire de leur 
condamnation, 136 et suiv. 

Type (Le), édit de Constant II, 180 ; condamné par Martin I, 
181. 

' ». 

TTtoffxafftç. — Sens que donnent à ce mot Théodore de Mop-. 
sueste, 18; Nestorius, ?4; les nestoriens postérieurs, 56; saint 
Cyrille, 61 ; le concile de Chalcédoine, 95; Léonce de Byzance,- 
154. Comment Boèce le traduit, 349, note. 

Victor de Cartenna. -— Sa doctrine sur la réitération de la 
pénitence, 402, 403. . 

Vigile, pape, 137 ; sa conduite et ses variations dans l'affaire 
des trois chapitres, 138 et suiv. Fausses lettres qu'on lui a 
attribuées, 137, note, 146, note. 

Vigile de Tapse. — Œuvres, 320; voyez 352, 371. 

Vincent (Saint) de Lérins attaque la doctrine de saint Au- 
gustin, 284. Ses oeuvres, 321. Sa doctrine sur les sources de 
la foi, 324; l'interprétation de l'Écriture, 326 ; la tradition, 
327; l'autorité des Pères, 329; celle des conciles généraux, 
330; le canon lérinien, 330, 331; son enseignement sur' le 
progrès dogmatique, 332, 333 ; sur l'unité personnelle et les 
deux natures de Jésus-Christ, 348. 

Volonté salvifique. — Enseignement de Cassien, 279, et des 
provençaux en général, 280; de saint Prosper, 288"; du :De t)0- 
catione omnium gentium, 292; des prédestinations, 293; de 
Fauste, 294, 296; de saint Fulgence, 302, 303; de saint Jean 
Damascène, 495. 

Walafrid Strabon. — Son enseignement sur le culte des ima- 
ges, 482. 

Xyste III, pape, intervient pour la paix entre cyrilliens et 
orientaux, 49. 



TABLE DES MATIÈRES 



CHAPITRE PREMIER 



APERÇU GÉNÉRAL DE LA THÉOLOGIE GRECQUE DU V» AU VII* SIÈCLE, 

l'agea. 

S 1. Les écoles et les personnes. 1 

S 2. L'Écriture, la tradition et l'Église, la philosophie 6 



CHAPITRE II 



LE NESTORIANISME. DEFINITION DE L'UNITE DE PERSONNE 
EN JÉSUS-CHRIST. 



S 1. La christologie antiochienne de la fin du iv" et du com- 
mencement du V» siècle. Diodore de Tarse et Théodore 

de Mopsueste 11 

S 2. La doctrine de Nestorius 22 

;S 3. Le nestorianisme jusqu'au concile d'Éphèse 35 

'8 4. Le concile d'Éphèse et la formule d'union de 433 45 

S 5. La fin du nestorianisme 53 

S 6. La christologie de saint Cyrille 60 

33. 



580 TABLE DES MATIÈRES. 



CHAPITRE III 

L'EUTYCHIANISME. définition de la dualité des NATUnES 
EN JÉSUS-CHRIST. 

S 1. L'eutychianisme jusqu'au brigandage d'Éphèse. ...... 80 

§ 2. Le concile de Chalcédoine 89 

S 3. La christologie de Théodoret 99 



CHAPITRE IV 

LA RÉSISTANCE MONOPHYSITE AU CONCILE DE CHALCÉDOINE 
jusqu'à la fin du VI° SIÈCLE. 

S l. Dates et faits principaux 104 

S 2. L'évolution doctrinale du monopliysisme. Le mono- 

physisme eutychien 112 

S 3. Le monophysisme sévérien 117 



CHAPITRE V 

les efforts pour fusionner plus intimement les décisions 
d'Éphèse et de chalcédoine. 

g 1. L'afifaire des moines scythes 130 

S 2. L'affaire des trois chapitres jusqu'au cinquième concile 

général 133 

S 3. Le cinquième concile général 142 

S 4. La christologie de Léonce de Byzance 151 



CHAPITRE VI 

LE MONOTHÉLISME. DÉFINITION DE /LA DUALITÉ DES VOLONTÉS 
ET DES OPÉRATIONS EN JÉSUS-CHRIST. 

S 1. Les débuts du monothélisme jusqu'à la publication de 
l'Ecthèse 160 

S 2. La réaction dyothélite jusqu'au concile de Latran de649. 177 



TABLE DES MATIERES. 581 

Pages. 

S 3. Le sixième concile général 181 

S 4. La christologie de saint Maxime 188 



CHAPITRE VII 

LA THÉOLOGIE GRECQUE DU V* AU Vil' SIÈCLE EN DEHORS 
DE LA DOCTRINE CHRISTOLOGIQUE. 

S 1. Dieu et la Trinité 193 

S 2. Angélologie 202 

§ 3, L'homme, la chute, la grâce 206 

S 4. Sotériologie 216 

S 5. Ecclésiologie 221 

§ 6. Les sacrements; le baptême; la confirmation 228 

S 7. L'eucharistie 235 

S 8. La pénitence 252 

S 9. L'extrême-onction, l'ordre, le mariage. 261 

S 10. Le culte des saints et les dévotions secondaires 265 

S 11. Eschatologie 269 



• CHAPITRE VIII 

le semi-pélagianisme et les définitions du second concile 

d'orange. 

S 1. La doctrine semi-pélagienne. Cassien 274 

S 2. L'opposition de saint Prosper 283 

S 3. Fauste et saint Fulgence 293 

S 4. Saint Césaire et le second concile d'Orange 304 



CHAPITRE IX 

LA THÉOLOGIE LATINE DEPUIS LA MORT DE SAINT AUGUSTIN (430) 

jusqu'au début du règne de CHARLEMAGNE (771). 

S 1. Aperçu historique et patrologique. 313 

S 2. Les sources de la foi. L'Écriture, lâ tradition, la philo- 
sophie 324 

S 3. Dieu et la Trinité 334 



582 TABLE DES MATIERES. 

Pages* 

S 4. Les anges 340 

S 5. L'homme, la grâce, le mérite 344 

S 6. Christologie et sotériologie ; '. 347 

S 7. Ecclésiologie 360 

S 8. Les sacrements, le baptême, la confirmation 367 

S 9. L'eucharistie 375 

5 10. La pénitence 387 

S 11. L'extrême-onction, l'ordre, le mariage 414 

S 12. Mario logie, culte des saints, pratiques chrétiennes. . 422 

S 13. Eschatologie 426 



CHAPITRE X 

LA COxNTROVERSE DES IMAGES. 

S 1. L'usage et le culte des images du i" au v» siècle 435 

S 2. L'usage et le culte des images pendant les vi* et vu" siè- 
cles 446 

S 3. L'hérésie iconoclaste sous Léon l'Isaurien (726-740). 
L'opposition de saint Jean Damascène.. — 454 

8 4. Constantin Copronyme et le concile d'Hiéria 462 

S 5. Premier rétablissement des images. Le VII" concile gé- 
néral 466 

S 6. Réaction iconoclaste et triomphe définitif de l'ortho- 
doxie 469 

S 7. La querelle des images en Occident 473 



CHAPITRE XI ' 

LA THÉOLOGIE DE SAINT JEAN DAMASCÈNE 

S 1. Les soiirces de la foi. La Trinité 484 

S 2, Angélologie et anthropologie 491 

S 3. Christologie et sotériologie. 495 

S 4. L'Église et les sacrements 506 

S 5. Culte et dévotions. Eschatologie. 510 



TABLE DES MATIERES. 583 
CHAPITRE XII 

LA THÉOLOGIE LATINE SOUS CHARLEMAGNE. 

Pagea. 

S 1. Les théologiens 514 

S 2. Controverse trinitaire. Le Filioque. 518 

S 3. Controverse christologique. L'adoptianisme espagnol. 526 

8 4. Les sacrements 540 

Conclusion.. 548 

Liste des ouvrages cités de quelques auteurs 555 

Table analytique 559 



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