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Kiibravics
R. P. LfiONCB DE GRANDMA18ON
de la Gompagnie de J6sus
JESUS CHRIST
SA PERSONNE, SON MESSAGE,
SES PREUVES
HUITI&ME EDITION
II
MCMXXIX
JESUS CHRIST
II
Droils de reproduction, de traduction et d' adaptation*
reserves pour tous pays.
Copyright by GABRIEL BEAUCHESNE 1928.
R. P. LfcONCE DE
de la C
JESUS CHRIST
SA PERSONNE, SON MESSAGE,
SES PREUVES
HUIT ifeME EDITION
II
GABRIEL BEAUCHESNE, ^DITEUR
A PARIS, RUE DE RENNES, 117
MCMXXIX
obstat
Lutetice Parisiorum die XIX" martii 1928
JOSEPH HUBY
IMPRIMATUR
Lutetiae Parisiorum die XXI a martii 1928
t LOUIS CARD. DUB01S,
arch, dc Paris.
LIVRE IV
LA PERSONNE DE JESUS
iflESUS CURIST. II.
862894
CHAPITRE PREMIER
LE TEMOIGNAGE DU CHRIST
Pour soucieux qu'il soit d'effacer sa personne derriere son
message, un prophete ne peut s'empe'cher de se mSler, dans
une large mesure, a 1'enseignement qu'il transmet. La for-
mule des grands voyants d'Israe'l si humbles par ailleurs,
si p^netres de la transcendance absolue de Dieu Ainsi
parle le Seigneur lahve , ne les dispense pas de donner, sur
les circonstanees de leur appei et leuf qualification comme
prophetes, les renseignements ne"cessaires. Parfois aussi, les
conditions d'une revelation particuliere les amene a se mettre
en scene. G'est le cas, par exemple, quand leur personne
m6me doit prophetiser, leurs actions et demarches servant a
la communication divine de symboles plus expressifs que ne
sauraient 1'etre de simples paroles :
Ainsi me parla lahve : Va, achete une cruche d'argile; prends
avec toi des anciens du peuple et des anciens des pretres, et sors vers
la vallee de Ben-Hinnum, qui est en lace de la porte de la Poterie; et
la tu proclameras ce que je te dirai. Tu diras : Ecoutez la parole de
lahve, rois de Juda et habitants de Jerusalem. Ainsi parle lahve des
armees, Dieu d'lsrael : Voici, je t'ais venir un fleau sur ce lieu-ci ; tous
ceux qui 1'entendront, les oreilles leur tinteront, parce qu'ils m'ont
abandonne et ont aliene ce lieu, etqu'ils y ont encense d autres dieux ; . ..
ils ont rempli ce lieu du sang des innocents. Us ont construit les
hauls lieux de Baal pour bruler leurs fils dans le feu en holocauste a
BaaJ . je ne leur ai jamais prescrit ni dit cela... Aussi, voici que des
jours viennent, declare lahve. oil... je ferai de cette ville un desert, un
objet de risee ; quiconque passera presd'elles'etnnneraetricanera...
Et tu briseras la cruche sous les yeux des hommes venus avec toi.;
et tu leur diras : Ainsi parle lahve des armees : Je briserai ce peuple
etcettevillecommeonbrisela cruche dargilequ'onne peut reparer...
Pashour, fils d'Immer, pretre et inspecteur dans le temple de
lahve, entendit J6r6mie pronongant cette prophetic. Et il lit frapper
4 JESUS CHRIST.
leprophete Jere'mie et le fit mettre aux ceps, a la Porte Supericure
de Benjamin * .
Les contre-coups de son ministere dans la vie dti prophete :
foi ou incredulite des auditeurs ; opposition faite a son mes-
sage; persecutions suscitees par les ennemis de Dieu; puis-
sance irresistible d'inspiration, 1'amenent aussi a des confi-
dences personnelles i
Tu m'as seduil, lahve, et je me suis laisse seduire;
tu etais le plus fort et tu as triomphel
Je suis la riseede tois les jours,
la fable 4e tout le monde.
j chaque fois que je parle, je dois crier,
proclamer violence et ruine;
Car la parole -de lalive st pour moi
opprobre et honte tout le jour.
Je me suis dit : je n'y penserai plus;
en son nom, je ne (jarlerai plus!
Et c'etait dans mon sein comme un feu dcvorant,
enferme dans -mes os.
Je m -epuisais ;a le coutenir
,etje ne pouvaisle porter 2 .
En depit de son dessein forme d'effacemenfc, et en partie pour
le r^aliser, nous avons entendu Jean Baptiste lui-mme, Ic
dernier et le plus grand des prophetes de 1'Ancien Testa-
ment, preciser la nature e.t les limites de sa mission.
Si aaous sontons d'Israel, nous voyons tous les hommes qui
out provoqu^ 'eonsciemment un mouvement religieux, iamenes
par des Taisons analogues a de'finir leur r61e et I'autorite
1. J^r6mie 3 KIX, 1-11 ; xx, l-5;tead. A. Condanain. Onnerelfevera ici que Je
fait du 'prophete se. mettant en scene. La pant de ;la i<6alite dans certaines
de ces 'actions symboliques prescrites aux voyamts : 'Osee, i-ti\ ; Jeremie,
xvi, etc., n'est pas 4 -etudier ici. On pent voir ia-dessiis dams le sens
r6aliste, D. Buzy, Les xymboles d l'Anc.wn Testament, Paris, 1923 ; et
dans .Pautre, A. ftegnier, Le rdalisme 'dans les .Symboles des prophetes,
RB, 1923, p. .383-408.
2. Jeremie, xx, 7^9;:trad. A.'Condamin. Sur les modalites He cette ins-
piration, onpeut voir la belle 6tude du meme auteur : s. v. Prophe'ttsme
isr.ae'lite, n. IV, DAFC, W, col 395-405.
LE TEMOIGNJLGE DU CHRIST. ' 5
qu'ils s'attribuaient. G'est une ne*cessite de situation qui s'im-
pose a tous, des plua grands aux plus manifestement aber-
rants, du Bouddha Qakyamouni an fondateur des saints des
derniers jours 1 , Joseph Smith. Le cas de Mahomet est par-
ticulierement instructif. Quelque part qu'il faille attribue.r an
facteur social dans les origines et le premier succes de sa
predication 2 ,, il est certain que le prophete poursuivit,, des le
debut, principalement sinan exclusivement,, une fin. d'ordre
religieux, et qn'il s'est cru, a la suite de songes,. appele a
travailler au relevement moral de ses compatriotes 3 . Aussi,
me'me apres que lea cir, Constances politiqn,es ; et personnelles
Teurent amene a mettre sons le coinvept de la revelation des
solutions; de simple prudence, on des expedients qn'il ne pour
vait bonnement croire d'origine divine,, ne cessa-t-il pas de se
proclamer 1'envoye de Dieu et le Scean des psrophetes .
G'est dans la sourate la plus audaciense du Goran T celle; ou il,
se fait octroyer par le Seigneur un blanc-seing pour les infrac-
tions, presentes et futures, aux lois promulguees par Iui-m6me
et maintenues pour tous les autres, touchanfc le mariage et
les femmes, que se trouvent les declarations les plus nettes
de son mandat prophetique*.
1. C'est le nom officiel des Mormons. Voir Saints (Lalter-Day) dans
KREy XI, 82-90, par I. Woodbridge Riley; et Ed. Meyer, Ursprung und
tietckichte der Mormonen, Halle, 1922.
2. Hubert Grimme, M'ohammed, Munster i. W., I, 1892, cfa. H,. p. 24
suiv. La plupart des sp6cialistes ont refuse^ de suivre L'auteur jusqu'afli
bout dans; sa these principale, d'apresi laquelle e 1'Islam n'est nuldement
venu a 1'existence comme im systeme religieux, mais comme une tenta^
live d'ordre socialiste, destinee k remedier a eertains abus . terrestres
extremement criants >, ibid., p. 14. Voir les appreciations de Th. NoeLdeke,
Appendice, Die muhammedanischcn Quellen vnd die neuere christliche
Forschung, etc. (2, B>. Die Christlichen Biographen des Prapheteri), a sa,
Gcschichle des Qorans 2 , ed. F. Schwally, II, Leipzig, 1919,. p. 205; et d'Ed.
Power dans Chris tus*, p. 769.
3. Henri Lammens, Mahomet fut-il sincere ? et tout le contexte, dans
RSR, II, 1911, p. 32 suiv.
4. La sourate 33,. dite t les Conf6d6r6s , datant de L'epoque m6dinoise.
Les versets cit6s ici, dans le texte et en note, sont attribues par Th. Noel-
deke, Geschichte des Qorans*, ed. SehwalJy, I, Leipzig, 1909, p. 206-209,
aux environs de Tan V de l'H6gire, A. D. 627, done peu d'annees avant la
mort du Prophete, en 633.
6 JESUS CHRIST.
Mohammed n'est le pere d'aucun de vous. II est I'envoye" de
Dieu et le Sceau des prophetes. Dieu connait tout.
prophete! nous t'avons envoye pour 6tre temoin, pour annon-
cer nos promesses et nos menaces.
Tu appelles les humains a Dieu, tu es le flambeau lumineux.
Annonce aux croyants les tresors de la muniticence divine 1 .
On doit done s'attendre a trouver dans le message de Jesus
des revelations sur sa personne. L'originalite de 1'^vangile en
oe point consiste justement dans 1'etroite union allant,
pour une grande part, jusqu'a Pidentification de la per-
sonne avec le message. On pourrait grouper les indices de ce
genre autour des titres donnes au Maitre ou revendique's par
hii : Roi des Juifs, Prophete, Messie, Temoin de la verite^ Kils
de David, Fils de l'homme, Fils de Dieu. Avec de serieux
avantages de clarte, ce precede presente I'mconvenient de
Brouiller les plans, et de reunir, sans souci du contexte et de
1. Le Koran, trad. Kasimirski, XXXIII, v. 40, 44-46. Dans la mSme sou-
rate, et aussitot apres, Mahomet se fait dire par Dieu : prophete ! il t'est
permis d'epouser les femmes que tu auras dotees, les captives que Dieu
a fait tomber entre tes mains, les filles de tes oncles et de tes tantes
maternelles et paternelles qui ont pris la fuite avec toi, et toute femme
fidele qui aura donn6 son ame (eile-meme) au prophete, si le prophete
veut 1'epouser. C'est une prerogative que nous t'accordons sur les autres
eroyants.
Nous connaissons les lois du mariage que nous avons etablies pour les
croyants. Ne crains point de te rendre coupable en usant de tes droits.
Dieu est indulgent et misericordieux.
e Tu peux donner de 1'espoir a celle que tu voudras, et recevoir (dans ta
coHche) celle que tu voudras, et celle que tu desires de nouveau apres
Favoir negligee. Tu ne seras point coupable en agissant ainsi ... Ib>d.,
XXXIII, 49-51. Auparavant, Mahomet s'estdonne en exemple aux croyants :
< Vous avez un excellent exemple dans votre prophete, un exemple pour
ceux qui esperent en Dieu et croient aux jours derniers, qui y pensent
souvent > (v. 21).
Goldziher dit avec beaucoup d'indulgence a ce propos : II semble
qu'il ait eu, de tres bonne foi, conscience de sa faiblesse humaine, et il
veut que ses croyants voient en lui un homme avec toutes les imperfections
d'un mortel ordinaire... il ne s'est jamais senti un saint et il ne veut pas
non plus passer pour tel. Les dor/mes e' la loi de V Islam, trad. F. Arin,
Paris, 1920, p. 19. Mais cette reflexion n'est appuy6e d'aucun texte, et
nous craignons que 1'emirient islamisant ne voie ici le Prophete plut6t
tel qu'il a du 6tre, que tel Qu'il fut.
LE TEM01GNAGE DU CHRIST. 7
la chronologie, des indications fort differ entes d'origine et de
portee. Nous n'essayerons pas me'me de classer, comme cer-
tains auteurs 1'ont fait excellemment, dans un ensemble or-
donne mais encore un peu artificiel, les e (fusions, les declara-
tions, les suggestions au moyen desquelles Je"sus a donne de
sa personne 1'impression que toute 1'antiquite chretienne a
traduite en ces mots : Jesus est le Seigneur : Kyrios Chris-
tos .
Diminuant, dans toute la mesure du possible, la part d'ar-
rangement et de presentation personnelle, nous viserons a
donner, des documents, le sentiment le plus immediat, le plus
direct. Selon le mot si expressif de Savonarole, dans son
Triumphus Crucis, nous mettrons en tas les confidences et
les aveux du Christ, relevant, dans nos evangiles synoptiques
d'abord, puis dans le quatrieme, avec un minimum d'interpre-
tation destine surtout a les situer, les paroles constituant le
temoignage rendu par le Maitre a sa mission'. A notre tour,
nous lui posons la question qui tient en 'suspens, depuis pres
de deux millenaires, toute ame religieuse et non encore mi-
tie e, abordant pour la premiere fois la lecture des evangiles :
Vous, que dites-vous de vous-me'me?
1. II est impossible de ne pas prendre parti, puisque la matiere synop-
tique n'est pas disposee dans le meme ordre en nos trois premiers Evan-
giles. Nous nous sommes efforc6 du moms de reduire au minimum les
choix sttbjectifs en adoptant les divisions generalement recues : L La
Predication surlout Galileenne, allant des debuts du ministere de J6sus,
apres la Tentation (Mt., iv, 12 ; Me., i, 14; Lc., iv, 14), jusqu'a la derniere
montee vers Jerusalem, marquee par la confession de Pierre, suivie des
episodes et enseignements qui s'y rattachent manifestement (Transfigu-
ration, etc.) ; II. La tmrntee vers Jerusalem, depuis le depart de Galilee
(Mt., xix, 1; Mc.,x, 1.; Lc., ix, 51) jusqu'a 1'entree solennelle dans la Cite
sainte (nous avons fait rentrer dans cette partie, avec la presque ima-
nimite des exegetes, les enseignements essentiels que saint Luc nous a
gardes et qui se trouvent aux chapitres x-xix deson evangile); III. Les der-
niers jours et la consummation, apartir des Rameaux (Mt., xxi, 1; Me., xr,
1 ; Lc., xix, 29) jusqu'a la fin.
Dans 1'inte'rieur de ces sections, qui sont pratiquement incontestees, nous
avons suivi ordinairement 1'ordre adopte dans la synopse de Burton et
Goodspeed, A Harmony of the Synoptic Gospels in Greek, Chicago, 1920.
Sur 1'exception faite pour Luc, iv, 26-30, voir supra, tome I cr , liv. Ill,
p. 316, n. 1.
8 JESUS CHRIST.
d. Le Maitre de la Loi nouvelle.
Us e*taient stupefaits de son enseignement, car il les ensei-
gnait comme un qui a puissance, et non comme leurs scribes 1 .
Ges paroles, qui traduisent 1'impression des bonnes gens T
premiers auditeurs de Jesus, nous introduisent bien dans notre
etude. x
II y avait, certes, lieu de s'etonner, car jd'emblee Je*sus
s'etablissait en maitre 2 sur le terrain legal, a une epoque ou
de plus en plus, en Judee surtout, la Loi etait 1'objet d'une
veneration allant jusqu'au culte, jusqu'a la superstition, jus-
qu'a une sorte d'apothepse. On en viendrait a representer Dieu
assujetti Iui-m6me a la Loi, recitant sa priere quotidienne, se
purifiant apres avoir enseveli Moise 3 ou encore s'asseyant
1. Mi, vn, 28i-29; Me., i, 22.
2. Ceci, moins encore par la forme de son discours : Moi, je vous dis ,
formule dont on retrouvait parfois 1'equivalent litteraire chez les rabbins,
que par sa fagon de decider par lui-meme, sans s'etayer a une autorite
anterieure, ecrite ou traditionnelle. G. Dalman dit tres bien que : Pour
Jesus il ne s'agit pas d'opposer une interpretation scripturaire personnelle
a 1'interpretation des scribes. Lui n'interprete pas, mais annonce, ind6-
pendamment de la lettre legale, ce qui est juste dans le Royaume de Dieu.
Son Moi, je vous dis n'est done semblable que par 1'expression exte-
rieureau Moi,je vous dis > d'un rabbin . Jesus- Jeschua, Leipzig, 1922,
p. 69.
3. A. Marmorstein dans REJ, LXVIII, 1914, Quclques Probtemes de Van-
cienne Apologdtique juive, p. 165-166 : Si Dieu observe le sabbat, la
Loi ? j Au 111 siecle, cette these est exposee avec le plus de force par Rab,
R. Johanan, R. Elazar, R. Isaac, et R. Aha ben Hanina, p. 167. Rab
(rapporte par R. Jehuda) : Le jour a" douze heures dont trois sont consa-
crees par Dieu a 1'etude de la Loi.
R. Johanan (rapport6 par R. Berekhia et R. Hiyya) enseigne que Dieu
s'est enveloppS d'un vetement garni de cicith et a montre a Mo'ise com-
ment on doit proclamer solennellement la nouvelle lune.
R. Elazar dit : Dieu ne pent pas etre compare a un roi mortel.
Celui-ci edicte des lois et des ordres auxquels les autres doivent se con-
former, mais dont lui-meme ne tient pas compte. Dieu au contraire a
donn6 des lois et les a observees.
R. Isaac va plus loin : Selon lui Dieu met tous les jours des phylacteres
tradition de R. Abin ben Ada) et il admet que Dieu s'est fait relever, par
LE TEM01GNAGE DU CHRIST. 9'
pour tudier la Torah 1 . Chaque lettre de celle-ci est une
creature vivante et a contribue a la creation du monde 2 . Sous
des formes diverses, parfois tres elevees dont 1'exemple-
classique est le Psaume cxix, qui compte autant de strophes de
8 versets que 1'alphabet hebraiique compte de lettres [22]
c'est un hymne a la Loi, une aerie de variations sur le theme
unique de la beaute, de la douceur, de 1'amour de la Torah.
Gefcte exaltation inouiie etait un fait acquis aux temps evan-
geliques. On a fait remarquer tres justement, avec pieces a
1'appui, que tous lea attribute donnes au Verbe de Dieu par
s,aint Jean au del>ut de son e"vangile Au commencement etait
le Verbe, et le Verbe etait aussi de Dieu, et le Verbe etait
Dieu, etc... sont donnes par les anciens Rabbins a la Torah
identified a la Sagesse de Dieu 3 .
Les parties les plus anciennea des traditions recueillies-
dans-le Talmud emportent temoignage et font, par une conse-
qnence naturelle, de 1'etude de la Loi et de son exe"gese casuis-
les docteurs de la Loi, du voeu qu'il avait fait d'an6antir les Israelites-
lorsque ceux-ci ont commis le p6che du veau d'or.
R. Aha ben Hanina imagine une 16gende semblable a celle-la. Lorsque
Moi'se entra au ciel pour recevoir la Loi, il trouva Dieu discutant sur la
question de la Vache rousse et mentionnant les opinions des docteurs.
Rappelons encore deux sentences qui ne tendent autre chose qu'a
montrer que Dieu e"tudie avec ardeur la Torah (de Oula, et de R. Jehuda.
qui 1'avait certainement entendu 6mettre par son maitre Rab >). Ibid.,
p. 167-168.
1. La-dessus W. Bousset, Die Religion des Judentums im N. T. Zeital-
ter 2 , Berlin, 1906, p. 136-162. Les paroles du fameux Rabbi Hillel sont
conm\es(Pirfie'Abot!i, ed. R.Travers Herford, II, 8; 6d. H. L. Stracfc, II, 7) r
Plus de chair, plus de vers,
Plus de richesse^plus de soucis,
Plus de servantes, plus de libertinage,
Plus de serviteurs, plus de volerie,
Plus de femmes, plus de superstition,
[Mais :] Plus de Torah, plus de vie,
Plus de sagesse, plus d'eleves (chez un rabbin),
Plus de bienfaisance, plus de paix.
2. Abodah Zarah, 3 6, dans L. Blau, JE, XII, 197, B, s. v. Torah.
3. Cf. Eccle., xxiv, 1-21, coll. xxiv, 22 suiv. ; Baruch, in, 15 suiv., coll..
IV, 1. Cf. Strack et Billerbeck, KTM, II, 353 a 358, et Ch. Bugge dans la-.
fievue d'ffistoire et de Phil. Relig. (Strasbourg), 1924, p. 453-454.
10 JESUS CHRIST.
tique la plus noble occupation de 1'homme. Chacun de ceux
qui se livrent a 1'etude de la Torah pour elle-me'nie, dit Rabbi !
Meiir, disciple d'Aqiba, est digne de toutbien. G'est trop peu
dire : le monde entier dans sa plenitude ne vaut pas plus
que lui (Pirke" Aboth, vi, 1). Plus grande est la Torah que
le sacerdoce et la royaute, car la royaute est acquise moyen-
nantSO qualifications, et le sacerdoce, 24! Mais pour [la science
de] la Torah, il en faut48 (Pirke Aboth, vi, 6; vi, 5, Strack).
Etudier la Torah vaut mieux que le salut d'une vie d'homme,
que 1'edification du Temple, que 1'honneur qu'on rend a ses
pere et mere (L. Blau, JE, XII, 197 B). Un jour passe a etu-
dier la Torah vaut mieux que mille sacrifices. La Torah est
la raison d'etre du monde et son dgide : elle protege le monde
entier . Aussi un Gentil qui etudie la Torah est aussi grand
-que le grand pretre (L. Blau).
Au rebours, qui ignore ou neglige 1'etude de la Loi ignore
tout, neglige 1'essentiel. Un tel homme, rhomme de la glebe, le
croquant, le manant, Yam-ha-arez, n'est pas seulement un
malheureux, c'est un miserable, indigne de toute pitie, un
paria qui s'est mis Iui-m6me au ban de la societe. Le pur, le
vrai Pharisien, ne doit ni lui vendre, ni lui acheter aucun fruit,
frais ousec, ni recevoir de lui ni lui donner Thospitalite 1 . En-
core moins peut-on lui ouvrir sa maison par un mariage 2 . Son
lemoignage n'est pas recevable en justice ; il est inapte a toute
fonction; c'est un danger public, et aussi bien si 1'avenement
des temps messianiques est retarde, si les malheurs fondent
.sur Israel, la faute en est a son impiete. Bref et c'est le doux
Hillel qui formule cette loi Un manant (bdr) n'a pas de
-conscience, un homme sans culture legale (am-ha-arez) n'a
pas de piete 3 .
Rabbi Jonathan dit : Un homme sans culture legale, on
doit le fendre en deux comme un poisson. Et Rabbi Eleazar,
surencherissant : Un am-ha-arez, il est permis de le percer
d'outre en outre, meme un jour de Reconciliation qui tombe-
1. e Am-ha-arez, laisse avant d'entrer dans une maison ton habit du
dehors, et la maison ne sera pas cens6e profaned. >
2. A une pareille union s'appliquerait la malediction de 1'Ecriture
.(Deut., xxviu, 21). -
3. Pirkt Aboth, II, 5. B6r est le superlatif, un am-ha-arez renforc6.
LE TEMOIGNAGB DU CHRIST. 11
rait le jour du sabbat (done deux fois sacre") . Dites,
Maitre, repartirent les disciples : on peut 1'immoler. Mais
iui : Immoler implique 1'usage d'une benediction; percer n'en
implique pas 1 ! Et le grand Rabbi lui-m^me (Juda ha-Nasi)
ayant en temps de disette ouvert ses greniers dit : Peuvent
venir chercher du pain ceux qui connaissent la Loi, la Mischna,
la Gemara, la Halalca, la Haggada. mais non les amme-ha-
arez / Or Jonathan b. Amram se trouva dans le besoin et
vint Iui dire : Rabbi, nourris-moi . II Iui dit : As-tu ap-
pris la Loi? II repondit : Non . As-tu repete la Mischna?
II repondit : Non . Alors comment pourrais-je te nour-
rir? Et celui-ci : Nourris-moi comme tu nourrirais un chien
ou un corbeau. Quand 1'homme fut parti, Rabbi s'assit et
s'aflligea dans son coeur, disant : Malheur a moi ! J'ai donne
mon pain a un am-ha-arez 2 /
La position adoptee par Jesus en face de la Loi est haute-
ment revelatrice. Elle s'ecarte autant du litteralisme superfi-
ciel et paresseux des Sadduceens que du formalisme decisif
de beaucoup de Pharisiens. Elle repudie a la fois la negligence
des indifferents, et le litteralisme sans ame des scribes. Elle
concilie le respect le plus entier pour I'mspiration divine de
1'Ecriture, : et notamment de la Loi, avec la liberte la
plus singuliere.
Ne pensez pas que je sois venu annuler la Loi et les Prophetes;
Je ne suis pas Venu annuler, mais accomplir 3 .
1. Pesachim, 49 b.
2. Baba-hathra, 8 a. II y a quelques paroles moins dures, et il faut
tenir compte dans ces traits du grossissement p6dagogique, mais 1'en-
semble est clair. Sur tout cela voir les dissertations tres moderees de George
F. Moore, The Am-ha-arez and the Haberim dans The Beginnings of Chris-
tianity, I, London, 1920, appendice E, p. 439-445; etsurtout H. L. Strack
et P. Billerbeck, KTM, II, 1924, p. 509-519, depouillement exhaustif de la
litterature rabbinique.
3. Mt., v, 17. Le sens de cette declaration capitale est fort clair si on
la replace dans la pensSe et la terminologie du temps. II s'agit de toute
la revelation, de toute l'6conomie ancienne : < la Loi et les Prophetes >,
expression consacr6e pour indiquer 1'Ecriture : Mt., VH, 12; xi, 13; xx,
40; Lc., xvi, 16; Jo., i, 45; Rom., m, 21, etc...
Annuler, Iitt6ralement delier (xaTaXuoat) et accomplir (nXyipousBat) se
r6pondent et s'6clairent mutuellement. Le second traduit 1'hebreu Kijjem
12 JESUS CHIHST.
Et tout aussit6t, par une de ces hyperboles familieres qui'
gravaient son enseignement dans une image ineffacable, le
Maitre va repousser loin de la pens&e de ses disciples toute-
idee d'anarchie, d'anoniie, de liberte charnelle. Nous enten-
drons Paul rappeler quie son rejet des eontraintes* legales dtaii
une substitution, non une abrogation,, et que
S'ctant fait esclave de tous :
II s'est fait pour les Juil's comme un Juif,
pour ceux qui sont sous (lejougde) la Loi, comme (sous le jmig de}la
[Loi y
n'etant pas sous (le joug de) la Loi,
afin de gagner ceux qui etaient sous (le joug de) la Loi.
II s'etait fait (egalement) sans-Loi pour les sans-Loi.
Alors qu'il n'est pas sans-Loi de Dieu, mais en-Loi de Christ,.
Afin de gagner les sans-Loi...
I Cor., ix, 19-21.
Ainsi, et pour la meme raison, Jesus inculque puissamment r
et j'allais dire materiellement,, comme il conyenait a un peuple-
dont la nuque etait raide et la tete dure, que la Loi de lavhe-
n'a rien a craindre de lui :
Oui, je vous le dis, jusqu'a ce que passent ciel et terre,
Un iota, un trait, ne passera pas de la Loi,
Jusqu'a ce que tout soit arrive.
(aram. Kajjem) : confirmer, homologuer, ratifier, tenir pour valable et'
mener eifectivenaent a bien, accomplir. Le premier traduit rh6breu
bUtel (aram. batfel) : interrompre, laisser tomber, abolir, abroger, inva-
lider (nichtig machen, nullify), require effectivement a rien, annuler.
Un chacun qui, dans la pauvret6, accomplit la Loi, I'accomplira dans-
la richesse, et qui, dans la richesse, laisse tomber la Loi, la laisse comple-
tement tomber dans la pauvretS > (Pirke Aboth, IV, 9). Sur le cot6 lexi-
cographique, voir G. Dalman, Der Erfuller des Geseizes, dans Jesus-Jes-
chua, Leipzig, 1922, p. 52-57.
Jesus se defend, non d'innover, mais d'abolir, d' annuler. Loin de laf 1
II est venu au contraire pour achever, mener effectivement a son terme
et a sa perfection 1'oeuvre divine personnifiee en Israel par la Loi et les-
Prophetes . Si ensuite, il n'est plus question quede la Loi, c'est que les-
scribes donnaient a celles-ci une pr6cellence stir les autres parties de
1'Ecriture : Prophetes, ou Prophetes et Hagiogiaphes. Rabbi Jochanan
(f <!79) ira jusqu'a dire que : Les Prophetes et les Hagiographes seront
finalement (au temps messianique) abrog6s, invalides; mais les cinq
livres de la Loi ne le seront pas ; Pal. Megilla, I, 70, rf; autres textes
dans Strack et Billerbeck, KTM, I,"p. 246. C'est acepropos de la Loi que
les scandales pouvaient se produire et qu'il importait de les pr6venir.
LB TEMOJGNAGE DU CHRIST. 13
Celui done qui deliera un de ces eommandements, je dis : des plus
[p.etits... et.enseigne ainsi les gens,
II sera moindre dans le Royaume des cieux.
TMais, qui les accomplira et les enseignera,
Celui-la sera grand dans le Royaume des cieux.
La revelation coritenue dans les Ecrilures est integrale-
ment divine dans son inspiration. Jesus n'est pas venu pour
vn .repudier la moindre parcelle : dans une page ecrite du
doigt du Pere, anatheme a qui bifferait la plus petite lettre,
le moindre trait 1 ! Ce temeraire cnoisirait dans le depdt divin
<ju'on doit garder en entier. Qu'il n'aille pas non plus s'auto-
riser des distinctions ca'suistiqu-es entr-e grand et moin-
dre commandement 2 . Les uns t les autres sont divins. A ce
litre, tons ont une valeur inestimable. Celui-la done qui les
tient pour n.egligeables .et enseigne aux aulres a les trailer
comme tels, ne 4oit pas ,se flatter d'entrer dans le Royaume
des eienx. La peine du talion lui sera appliquee : ces injonc-
tions qu'il recommandait comme inspirees, il les a jugees
peti'tes, trop petites pour meriter d'etre observees ou ensei-
gnees ; lui a son tour sera trouve petit, trop petit pour entrer
dans le Royaume! Au contraire, celui qui traitera avec lion-
1. Ces expressions etaient fam$liferes aux scribes, et, comme de toutes
Jes lettres la plus petite est le Yod (1'iota grec), c'est celle que J.6sus choisit.
Rabbi Simeon ben Jochai (vers 150.) raconte que Je livre du Deut^ronome
se jeta aux pieds du Tres-Haut et lui dit : Seigneur du Monde, tu as
ecrit dans la Loi que tout Testament dont une partie est abrogee est entie-
rement aboli. Et voila que Salomon cherche a aneantir un Yod de mon
4exte '(en changeant fe texte Deut., xvn, 17, de yrbh en 'rbh, ce qui
.autoriserait sa polygamie). Et IMseu lui r^pondit : Salomon et mille de
sfis pareils peuvent passer, mais un mot de moi aie passera pas (Sanhti-
drin, II, 20; Strack, KTM, I, 244; Ibid., sur le trait de la lettre he n
>comme le plus petit).
2. On sait que les Rabbis comptaient dans la Loi 613 preceptes : 248
positifs : Fais ceci! et 365 negatifs : Ne fats pas ccci! On divisait egale-
ment'les preceptes en I6gers on en lourds *, selon qu'ils exigeaicnt
d'un homme pen .ou .beaucoup de son -effort ou .de son argent. De la on
passa a Tappreciation du precepte en lui-meme., grand j> ou petit ,
selon la valeur et 1'importance du commandement. C'est a cette derniere
distinction, alors connue de tons, qu'il est fait allusion ici, et aussi Mt.,
xxii, 36 : Quel est le grand commandement, evtoXi] H,EY<&)? La-dessus
on peut voir Strack et Billerbeck, KTM, I, p. 900-905.
14 JESUS CHRIST.
neur, observera et enseignera a observer ces moindres pre*-
ceptes montrant qu'ils sont grands pour lui des la qu'ils
portent le sceau divin celui-la sera traite comrae une
personne d'importance, et, dansle siecle a venir, le Royaume
ouvrira toutes grandes ses portes devant lui.
Si done J6sus refuse de mettre le vin nouveau dans le&
vieilles outres, s'il delie pour de justes raisons le joug des
servitudes legales appesanti par les traditions trop humaines-
des scribes, si le Maitre convie tous les pelerins de la dure
voie litterale, lasses d'une maitrise insistante et hau-
taine :
Venez tous a moi, les fatigues, les accables,
et moi, je vous soulagerai.
Prenez sur vous mon joug, et vous mettez & mon ecole :
je suis doux ct humble de cojur.
Et vous trouverez le repos de vos ames :
car mon joug est suave et mon fardeau leger.
Mt., xi, 28-30;
qu'on se garde d'en conclure a un affranchissement du
joug divin, ou a je ne sais quelle liberte" charnelle! L'Evangile
n'est pas une doctrine de moindre effort et une religion a
bon marche. Moins encore est-il une anarchie, ou une cou-
pure revolutionnaire avec le passe d'Israel dans le genre de
celle qu'un Marcion, cent ans apres, imaginera. Jesus, lui r
edifie sur les fondements anciens, et rien ne passera de la Loi
divine, a moins qu'on ne veuille dire qu'un bouton de rose
passe quand la fleur s'epanouit; qu'une esquisse au trait
s'abolit quand la peinture definitive vient 1'etolFer, la fixer a
jamais. La Bonne Nouvelle est une justice , j'entends par
la une voie , une regie de croire et d'agir qui, pratiquee r
rend juste devant Dieu. Mais loin que cette voie soit une
repudiation de lajustice ancienne, legale, e'en est 1'accomplis-
sement et le defmitif epanouissement. Loin qu'elle soit une
regression ou une facilite par rapport a la justice hy bride,
melangeant des elements humains et caducs a 1'element
revele jadis, que preconisaient alors les Scribes et les Phari-
siens observants, elle constitue par rapport a celle-ci un pro-
gres impliquant une perfection plus couteuse. Elle 1'emporte
sur la leur comme le ciel sur la terre, et n'ouvre son
LE TEMOIGNAGB DU CHRIST. 15>
Royaume que devant ceux qui sont disposes a des sacrifice*
plus grands.
Oui, je vous le dis, si yotre justice
ne 1'emporte sur celle des Scribes et des Pharisiens,
vous n'entrerez pas dans le Royaume des cieux.
Mt., v, 20.
Suivent des exemples qui concretisent et precisent cette-
legon generate :
<oTu ne tueras pas , dit la Loi! cela veut dire en termes
de la justice nouvelle, que ces mouvements de coiere, d'in-
humanity qui ont leur dernier aboutisbement dans la violence
brutale, doivent e"tre deceits, prevenus ou elimine's, des
1'apparition des sentiments mechants qui les preparent, des-
expansions malignes qui les annoncent. Et qu'aussi 1'amour
fraternel doit primer dans 1'ordre du temps et des mani-
festations exteiieures jusqu'au culte divine Gar Dieu est
patient, et notre durete de cceur, elle, n'attend pas, si on n'y
porte un prompt remede, pour fructifier en Iruits de mort.
Tu ne te parjureras pas , dit la Loi. Gel a va jusqu'a
eviter tout jurement, jusqu'a assurer a la parole humaine un&
sincerity conciliant a une simple affirmation Oui, Non,
la valeur d'une attestation assermentee.
CEil pour ceil et dent pour dent ... Loi de talion neces-
saire a un age de fer. La justice evangelique suggere de
ne pas resister au mechant et de vaincre son mal par le bieit
de la patience. Elle commande d'aimer tous les hommes et
jusqu'a son ennemi.
Vous avez entendu qu'il a etc dit faux anciens) :
Tu ne commeltras pas d'adultere (Kxode, xx, 14; Deut., v. 18).
Moi je vous dis quequiconque regardeune femmepour laconvoiter,.
a deja dans son cceur commis 1'adultere avec elle...
Et il a ete dit :
Quiconque renvoie sa fcmme,
qu'il lui donne un acte de divorce (Deut., xxiv, 1).
Moi, je vous dis que quiconque renvoie sa femme
hormis le cas d'infidelite,
la met dans le cas d'etre adultere,
et quiconque epouse la repudiee commet 1'adultere.
Mt., v, 27-28, 31-32,
16 JESUS CUBIST.
Ramene plus tard a eette decision qui semblait bien abroger,
abolir une disposition positive de la Loi, Je"sus fait une r4-
ponse qui e"claire tout le sujet. Un groupe de Pharisiens veut
le mettre a 1'epreuve et lui objecte les termes mmes de
1'Ecriture. A entendre avec cette rigueur 1'indissolubiiite du
lien conjugal, que fait-on du precepte de Moise : donner un
actede divorce, et renvoyer (Deut., xxiv, 3)? Je.^us repli-
4jue : C'est a cause de votre durete de coaur que Moise vous
a permis de repudier vos femraes (en certains cas et dans eer-
-taines formes) ; MAIS AU COMMENCEMENT IL N'EN FUT PAS AINSI .
Jl vient de rappeler en effet, d'apres 1 Ecriture que, au com-
mencement, Dieu les fit homme et femme, et dit en conse-
quence : A cause de cela, I'homme laissera pere et mere, et
3' attacker a a sa. femme, et les deux seront une seule chair^,.
Que 1'homme ne separe done pas ce que Dieu a uni 4 ! Ainsi
la decision de Jesus n'abolit pas la Loi, qu'elle ramene au
contraire a son premier dessein. On ne mutile pas un ensemble
architectural en supprimant une passerelle de fortune rendue
sans objet par le degagement d'une terrasse, temporairement
inaccessible, mais faisant manifestement corps avec le plan
primitif de 1' edifice.
Ges exemples-sont bien instruetifs, nous mettant aux yeux,
avec la perfection de lavoienouvelle, la facon dont Jesus en-
tendait accomplir la Loi anoienne. Celle-ci avait codilie, sous
une inspiration divine, mais pour Israel en particulier, les
rapports essentiels de ce peuple avec Dieu, et ceux des bommes
de ce peuple entre eux et avec les autres peuples. II ne
s'agit pas de reformer ce code ou d'y faire un choix, mais
de le mener a sa perfection, d'en i'aire la loi de tous les
peuples, sous un regime ou la lettre s'epanouisse en une reli-
gion spirituelle.
1. Mt., xix, 3-8; Me., x, 1-12; Lc., xvi, 18 ; Eph., v, 31 ; Gen., r, 27; ir,
24. Sur 1'interpretation judai'que de ces derniers textes, voir Strack et Bil-
lerbeck, KTM, I, 801-805.
Sur la these de la condescendance divine (auYxaraSaats), tolerant et per-
mettant pour un temps une disposition qui, sans etre un mal positif, 6tait
un moindre bien, mais plus accessible a la misere humaine, et 1'inter-
pretation patristique de notre texte, voir le beau memoire d'H. Pinard de
la Boullaye, dans RSR, IX, 1919, p. 197-221.
LE TEMOIGNAGK DU CHRIST. 17
Toute la pratique du Sauveur, tout son enseignement s'ins-
pirent de cette vue. Ge qu'il reproche avec perseverance et
parfois avec passion, a la justice des Scribes et des Phari-
siens, ce n'est done pas la fidelit^ aux moindres prescriptions
de Moi'se, ou 1'usage de la casuistique, ou 1'emploi de la
tradition dans 1'interpr^tation de la Loi. Ges explications,
qu'on a proposers, paraitront incompletes et superficielles a
qui prendra la peine de rapprocher les faits et parviendra a
les dominer.
Jesus veut, au contraire, que les plus petits preceples
soient respected, mais a leur rang :
Malheur vous, Scribes et Pharisiens hypocrites,
ear vous dimez ponctuellement la menthe, le fenouil etle cumin,
et vous laissez tomber les plus graves obligations de la Loi :
la justice, la mise'rieorde et la bonne foi.
C'est celles-ci qu'il fallait accomplir sans omeltre cclles-la 4 \
De m4me, le Maltre resout les difficultes posees de bonne
foi, mais sa casuistique fine et aceree ne sent jamais 1'exer-
cice d'ecole. II vivifie sa decision par un rappel de la meilleure
justice, ou il 1'equilibre par la proclamation du principe qui
precise un devoir en le limit ant. A certaines conditions qui
assurent le bon propos, on doit pardonner jusqu'a sept fois
1. Mt., xxiii, 23. Cette terrible apostrophe et tout le discours qui la con-
tient sur les torts des Pharisiens et des Scribes, s'ils n'impliquent pas
sans doute que tons les Pharisiens 6taient infectes de ces vices d'hypo-
crisie, supposent pourtant qu'une tres large partie des purs, et notamment
ceux qui donnaient le ton alors, en 6taient atteints. II faut reconnaitre
apres cela que 1'enseignement rabbinique condamne severement 1'hypo-
crisie en tant que telle. De grands maitres, tel Rabbi Gamaliel II ; au cours
de la generation qui suivit la ruine de Jerusalem, declarent par exemple
qu' un disciple dont 1'interieur ne r6pond pas a I'extdrieur, ne doit pas
entrer a la salle d'6tude (rabbinique) >. Mais les memes sources t3moignent
6galement que 1'hypocrisie n'6tait que trop fre'quente en Judee, et surtout
quand 1'affectation du zele de la Loi n'exposait pas a de grands dangers et
donnait de grands avantages, comme c'etait le cas au temps de Jesus. Une
tradition, recueillie sous le nom de Rabbi Nathan (n e siecle apres J. C.),
interpr6te ainsi la parole de J6remie xxm, 15, centre les prophetes de son
temps : < Sur dix parties d'hypocrisie qui sont dans le monde, neuf sont
a Jerusalem et une dans le reste du monde > (Midrash sur Esther, I, 3).
Voir sur tout cela Strack et Billerbeck, KTM, I, 921 suiv., et la disser-
tation Pharisder und Sadduzaer, n. 2.
J&SUS CHRIST. II. 2
18 JESUS CHRIST.
(Lc., xvii, 4). Mais Pierre interroge : Jusqu'a sept fois? .
Jesus liui dit : Je ne te dis pas jusqu'a sept fois^mais jusqu'a
septante fois sept fois ! (Mt,,, xvnr, 21), II faut rendre le
tribut a C^sar, mais a Dieu , qu'on ne 1'oublie pas! la
part de Dieu (Mt., xxn, 21 et paralL).
Pour jiustifier une infraction materielle aux regies quand
le besour la justifie, Jesus* ne craint paa de faire appel aux
precedents bibliques, a Fautorite (Me., n^ 25 et paralleles).
En tout, ce qui distingue sa justice de celle de ses-
adversaires, ce n'eat done pas> une conception de la Loi qui
sacrilierait ou ravalerait celle-ci ; ce n'est pas un recours a
1'inspiration qui dispenserait d'appliquer la sagesse humaine ;.
ou la perfection impost e indiscretement a toua. G'est encore
moins Fanomie, une liberte trop> accommodante a la nature :
1'esprit a comme la lettre, et plus qu'elle, ses exigences,
mais s'il' demande beaucoup, il place nrieux ses demandes.
Gelles-ci n'engagent pas; seulement le geste, raction mate-
rielle,, mais, le coeur me'me et 1'intention. Plus profondes, elles
sont aussi plus humaines.
La dillerence des deux conceptions git finalement dans le
recours constant suggere par Jesus, par dela les recettes
codifiees et les interpretations kumaines, aux principes qui
leur sont anterieurs et superieurs, aux fondements naturels-
et dmns ' de toute action morale.
Gette attitude du Christ, en cette matiere si grave, et vrai-
ment capitale, est une manifestation singuliere de son autorite^
persjonnelle. II ne se reclame d'aucun precedent; il ne fait
appel aucune justification didactique. II parle en son nom
propre et avec: un accent direct qui s'impose, comme un fife-
dans la maison paternelle.
Ge faisant, Jesus rouvre a jamais la veine pure ouverte
jadis par les Prophetes, dont les interpretations les plus spiri-
tuell.es etaient restees presque non avenues pour la theologie
des scribes 2 . II realise la plus belle de leurs predictions-
(Eze'ch., xxxvi, 25-26).
1. Expression de Pie X, dans sa Lettre d I'fipiscopat Francais sur le-
< Sillon. , 25 aout 1910.
2. t Pres du Pentateuque, consider^ comme 1'Ecriture tout court, te
monde de pensees religieuses consign^ dans les ecrits des Prophetes res-
LB TEMOIGNAGE DU CHRIST.
2. J&BUS s'affirme.
J'e*susne manifesto pas dans ses choix et ses decisions une*
autorite* moms souveraine.
Passant le long die Ik men de Galilee, il vit Pierre et
Andre", freres de Simon, jetant leurs filets dans la mer (ils
etaient pcheurs), et Jesus' leur dit : - Venez' a> r ma suite, je
vous ferai devenir pe'ckeurs d'hommes (Me., I, 16-17; Mt.,
iv, 18-19; Lc., v, 10).
Ils viennent a Capharnaum, et Jesus; commence d'enseigner
a la Synagogue. <o Et justement, il y avait dans leur synago-
gue un homme possede d'iin esprit impur. H e mit a crier :
Qu'y a-t-il entre nous et toi, Jesus le Nazar^en? Es-tu venu
nous perdre? Je sais quitu as : le Saint de Dieu.! Or Jesus
le menaga : Tais-toi, et sors de lui! Et le secouant,
1'esprit impur, avec un grand crij. sortit de lui. Et tous furent
.stupelaits au point de s'interroger et de dire : Qu'est ceci?
Doctrine nouvelle I D'autorite il commando jusqu'aux esprits
impurs, et ceux-ci lui obelssent! (Me., i, 23-29; Lc., iv,
33-37):.
Un lepreux se prdsente en suppliant : Si t.u, veux, tu peux
me purifier. Je*sus, emu de pitie", 6tend la main,, le touche:
et lui dit : Je le veux, sois purifie , et; aussitdt la lepra
disparalt, 1'homme est gueri (Mc M r, 40-42; Mt., vm, 2-3 ; ;
Lc M ,v, 12-13).
Un peu plus tard, Jesus entre sur un terrain deux fois
reserve a Dieu seul : le pardon despeches, etla aonnaissance
intime du coeur. Les temps messianiques escomptes se pre"*-
tait. un, tr6sor enfoui n'ayant pour la th6ologie des scribes qu'une valeur
d'appoint. j> H. J. Holtzmann, Lehrbuch der N. T. Theologie' 2 , 6d. A. Juli-
cher ct.W. Bauer, Tiibingen, ( 1911, I, p. 51. Le principal biographe isra6-
lite de. Jesus, J. Klausner, Jesus of Nazareth, London, 1925, p. 405,.
reconnait formellement : . 11 n'y a pas de doute que les Pharisiens et les
Tannai'm/ meme les plus anciens, aient surcharge la mesure des preceptes
de pratique et multiplie a 1'infini les details dans leur exposition (de ces
pr6ceptes) : ainsi, et par la seule masse de ces raffiuements, ils etaient
causer qu'on oubliait le but divin vis6 par ces preceptes, Jesus, condamne
justement cet abus. >
20 JESUS CHRIST.
sentaient sans doute comme riches en pardons et abondants
en misericorde ; mais on ne connait aucun texte oil le Messie
lui-meme soit represente comme pardonnant, de sa grace, les
fautes d'un homme. La remission des peches reste partout
le droit exclusif de Dieu 1 . Quant a savoir ce qui est dans
1'homme (Jo., H, 25), qui s'en pourrait flatter, hormis Dieu
seul?
Le coeur est plus profond que tout
et plein de malice ;
qui le connait?
Moi, lahve, je scrute le coeur,
je sonde les reins,
pour rendre chacun selon ses voies
selon le fruit de scs ceuvres.
Jerdmie, xvii, 9-10 (A. Condamin).
Ge double pouvoir plus que messianique, Jesus le reven-
dique sans trembler, comme allant de soi, et, en face de
1'etonnement scandalise de certains spectateurs, loin d'excuser
son initiative, il la soutient en principe et fait appel au
miracle.
Et ils vinrent lui apporter un paralytique, porte par quatre
hommes. Et ne pouvant le lui presenter, a cause de la foule, ils
defirent la toiture du toit, la oil il etait, et, ayant pratique un trou,
ils firent descendre le grabat oil gisait le paralytiquo. Et voyanf,
leur foi, Jesus dit au paralytique : Enfant, tes peches te sont
remis.
Or il y avail la quelques scribes assis, qui raisonnaient en leur
cceur : Comment celui-ci parle-t-il de la sorte ? 11 blaspheme ! Qui
peut remettre les peches, hormis Dieu seul ? Mais incontinent,
Jesus ayant perce par son esprit les raisonnements qu'ils faisaient,
leur dit : Qu'avez-vous a raisonner ainsi dans vos coeurs? Quel
est le plus aise de dire au paralytique : tes peches te sont remis,
ou de dire : leve-toi, prends ton grabat et t'en va? Afin done
que vous connaissiez la puissance que possede le Fils de riiomme
de remcttre les peches sur la terre , il dit au paralytiquc : C'est
a toi que je le dis, 16ve-toi, prends ton grabat, et va dans ta
maison. Et il se leva, et incontinent prenant son grabat, il s'en
alia devant tout le monde, si bien que tous etaient hors d'eux-memes
et rendaient gloire a Dieu en disant : Jamais nous n'avons ricn vu
de pareil! (Me., n, 3-12; Mt., ix, 2-9; Lc., v, 18-26.)
1. Strack et Billerbeck, KTM, I, 495. La aussi, p. 495-496, explication
de la seule apparente exception, Midrash Pesiqtha, 149 a.
LE TEMOIGNAGE DU CHRIST. 21
Un certain Levi appele aussi Matthieu, fils d'Alphee, etait
assis a son bureau de douane quand Jesus 1'appela. Laissant
tout pour suivre le Maitre, le pe"ager fit ses adieux a ses
compagnons anciens, en les invitant avec les nouveaux a un
grand diner. De la, chez les adversaires de Je*sus, des ricane-
ments et des observations : Votre Maitre mange avec ces
brigands de publicains! A quoi Je'sus repond,: Les gens
bien portants n'ont pas besoin de medecin, mais les malades :
je ne suis pas venu appeler les justes mais les pe"cheurs.
One autre fois, la critique portait sur 1'absence d'auste'rite
dans le petit cercle apostolique. Les disciples de Jean Baptiste
et les plus zeles des Pharisiens rivalisaient de jeunes, quo
ceux-ci, par leur attitude affectee, ne laissaient ignorer a
personne. Mais ce sont les autres, les fideles de Jean, qui
posent la question au Maitre : Pourquoi tes disciples n'en
font-ils pas de mdme?
Les gens de la noce 1 peuvent-ils,
tandis que 1'epoux est avec eux,
jeuner?
Tout le temps qu'ils ont 1'epoux avec eux
Us ne peuvent jeuner :
Viendront les jours ou 1'epoux sera arrache d'(aupr6s d')eux;
Ils jeuneront en ce jour-l& !
Me., ii, 19-20; Mt., ix, 15; Lc., v, 34-35.
Gette replique ou la parabole du debut se mue insensible-
ment en allegoric, ou les joies breves de la lune de miel
messianique se nuancent de gravite au rappel de la fin tragique
dejapre"sente al'esprit du Maitre, estprofondement dmouvante.
Son rythme, la sure audace de ses allusions, son caractere
mysterieux, lui conferent par ailleurs un cachet d'authenticite
litt^rale qui s'impose. Tout ce que nous voulons en retenir
ioi, c'est la maitrise tranquille de celui qui 1'a prononcee.
Gette autorite*, non moins que 1'etendue et la surete de ses
desseins, se marque dans le choix parmi les disciples qui:
1 . Litt6ralement, < les fils de la chambre riuptiale >, c'est-a-dire, en gros,
les h6tes pries, privil6gi6s, invites aux noces ; et non seulement les deux
gardens d'honneur > qui jouaient dans toute la negotiation matrimo-
nialeunrdlede choix : voirStrack et Billerbeck, KTM, I, p.500-o!8, v6ri-
table anthologie rabbinique des solennites nuptiales.
22 JESUS CHRIST.
suivaient son enseignement, de douze hommes de confiance.
II advint en ces jours-la qu'il alia SUP la montagnc? pour prier,
et il passa la nuit enttere a prior Dieu. Le jour venu, il appela
ceux que lui meme voulait, et ils vinrent a lui. Et il en etablit
douze qu'il appela apotres,, pour etre avec lui, et afm de les envqyer
preclier avec pouvoir de'Chasser les demons.
Lc., vi, 12-13 a; Me., in, 13 -14; cf. Mt., x, 2.
Geste encore plus considerable, il arrive fre'quemmenl; a
Je*sus d'identifier pratiquement sapersonne avec son message,
qu'il donne indubitablement pour divin. Etre persecute" a
cause de lui, c'est :donc nn grand bien, dont il faut exulter,
puisque c^est souffrir pour la justice 11 . Lui rendre temoignage,
o'est s'assurer le ; sien au dernier jour, et c'est le salut :
Quiconque se confessera mien a la face des hommes,
moi, je me cont'esserai sien a la lace de mon Pere qui est auxcieux.
Et quiconque me reniera a la I'ace des hommes,
moi, je le renierai a la face de mon Pere qui est aux cieux
Mt., x, 32-33; Lc., xn, 8-9.
C'est que la volonte de Je"sus, c'est la volonte du Pere.
Negliger celle-ci et vouloir surprendre 1'aveu de celle-la par
une .affectation de loyalisme ou un luxe d'invocations publi-
ques, illusion grossiere!
Ce n'est pas tout homme qui me dit : 'Seigneur, Seigneur!
qui entre dans le Royaume des cieux,
Mais celui qui fait la volonte de mon Pere qui est aux cieux.
fieaucoup me diront, en ce jour-la : Seigneur, Seigneur!
N'est-ce pas en ton nom que nous avons prophetise?
En ton nom que nous avons chasseles demons?
En ton nom que nous avons fait cent miracles?
Moi, je rendrai temoignage sur eux : Jamais je ne vous ai connus.
Loin de moi, les artisans d'iniquite!
Mt., vii, 21-24; Lc., vi, 46; xm, 26-27.
A ceux qu'il Teut bien reconnaitre comme siens, le Maitre
,ne propose pas d'ailleurs les biens passagers : il ne laisse
subsister aucune equivoque sur le caractere spirituel et a
longue echeance de la recompense. Ses promesses, en atten-
dant, ici-bas, ne sont pas concerts a dilater le coaur ,
visions de tranquillite et de cette large abondance a portee de
1. Mt., v, 11-12.
LE TEMOIGNAGB DU CHIUST. 23
I'ceil fit de la main ou le coeur de Thomme risque de /boraer
ses desirs. Tout le contraire ; il est venu apporter le co-uteau
et non pas la-paix 1 . Reprenant les paroles d'un prophefce, il
fait passer devant ses disciples des visions austeres ,de pau-
vrete, des perspectives crucifiantes. II decrit avec uno force
impressionnante les effets de son &|>pel dans un milieu ihumain
et ou tous no ;sont pas .dociles.
Et apres cela il faiit 1'aimer ! 1'aimer plus que ipere etmej-e,
plus que ills' ou filles, .raim-er jusqu'au .chemin douloureux
do la croix, jusqu'a la morfc.
l^e pensez pas que je sois venu jeter (le rameau) de paix sur Aerrc.
Je Be suis pas v.enu jeter (le rameau) de paix,, mais le glaiva.
Car je suis venu diviser 1'homme d'avec son pere,
la fille d'avec sa mere,
la t>ru d'avec sa belle-mere,
et (rendre!) ^nnemis de 1'Jiomme ceux de ; sa maison.
Qui aime son pere au sa mere j>lus que moi
n'est pas .digne de moi,
et qui aime son ills ou sa iille plus que moi
n'est pas digne de moi.
Et qui ne prend pas sa croix pour m'accompagner, derriere moi,
n^est pas digne -de moi.
Qui aura trouv6 : sa vie la perdra
eit,qui aura perdu sa ^ae a. cause de moi, la trouvera 2 .
Gette redoutable litanie indigne Renan 3 : Une ardejir etrange
anime tous ces discours..,.. on dirait que dans ces moments
de guerre centre les besoins les plus legitimes du coeur, il
(Jesus) avait oublie le plaisir de vivre, d'aimer, de voir, de
sentir. Depassant toute mesure, il osait dire : Si quelqu'un
1. Mt.,x, 34. Traduction de Pascal, Leltre 24 A M. et d M n de Roannez,
ed. des Grands Ecrivains, CEvvres, V, p. 410-411.
2. Mt., x, 34-39; xvi, 246-25,; coll. Lc., XH, 51-53,; xvi, 26-27; xvn, 33;
ix, 236, 24; et Me., vin, 346-35. La derniere sentence, .qui revient &
plusieurs reprises dans I'Evangile, oppose, a lamodehebra'ique, le sort de
ceux qui trouvent leur viepr6sente,is'y attachent corame a une proie,
et resolvent ici-bas leur recompense dans une existence confortable, hono-
ree, assuree, insoucieuse du Regne de Dieu, au sort de ceux qui < pour
I'Evangile de Jesus (Me., vin, 35) aventurent cette meme vie et la
perdent, ou du moins se mettent en cas de laperdre, en la subordonnant
a 1'avenement du Regne de Dieu.
3. E. JRenan, Vie de Jdsus, edition definitive, eh. xix, p. 325-326.
24 JESUS cuniST.
veut efcre mon disciple, qu'il renonce alui-m<lme et me suiveT
Gelui qui aime son pere ou sa mere plus que moi n'est pas
digne de moi Que sert a Thomme de gagner le monde
entier et de se perdre lui-meme?
Mais non, Jesus n'oublie rien, et ne meconnait rien. Seule-
ment il sait que le plaisir de vivre, d'aimer, de voir, de sentir T
doit souvent etre depasse, et parfois contredit. II sait que cette
guerre est juste et qu'elle peut e"tre ne'cessaire. II sait encore
que les besoins les plus legitimes du coaur risquent d'entre-
prendre sur d'autres devoirs, de se deregler, de cantonner
rhomme dans un bien ennemi du mieux, s'ils ne sont pas
mesures, mis ou remis a leur place dans 1'ordre eternel par
le Premier Amour.
La verite ainsi rappelee, il faut reconnaitre la des exigences
et des promesses qui passent de bien haut toute maltrise
humaine et toute mission temporaire. Mais aussi les oeuvres
parlent, et par I'irreTutable voix des oracles accomplis desi-
gnent Jesus comme celui qui doit venir. Jean, on 1'a vu,
renvoyait a un plus grand que lui; chaque voyant ancien se
donnait pour un anneau de la chaine sacree, et annongait
d'autres envoyes divins. Jamais Je*sus ne renvoie a un autre,
amais il ne s'encadre a son rang dans la lignee prophe*tique.
II y marque la place des autres; la sienne est ailleurs. Avec
lui, c'est toute Teconomie du salut qui change : le jour succede
aux ombres; le reel, aux figures. Aux disciples de Jean, non
rallies a lui, qui essayaient de promouvoir une reforme dans
les cadres etablis par le parti des Purs, le Maitre oppose la
necessity d'un renouvellement complet.
Nul ne coud un morceau de drap ecru
a un vieil habit,
sinon la piece en emporte avec cllc, le neuf du vieux,
et pire dcchirure s'ensuit.
Nul aussi no verse du vin nouveau
dans de vieilles outres,
sinon le vin fait eclater les outrcs
et le vin est perdu, et les outres.
Mais le vin nouveau dans des outres neuves !
Me., n, 21-22; Mt., ix, 16-17; Lc., v, 36-38 b.
Ges paroles expliquent et-motivent I'impression de nou-
veaute, de commencement, d'aurore, qui eclate dans tous les
LE TEMOIGNAGE DU CHRIST. 25-
Merits chrefciens les plus anciens. C'est bien 1'enfantement
d'un monde jeune, la novitas florida mundi du poete : ensei-
gnement nouveau 1 ; Nouveau Testament 2 ; commandement
nouveau 3 ; nom nouveau*; cantique nouveau 5 ; vie nouvelle 6 ;
seconde genese du monde 7 . Ge que les disciples ravis decou-
vrent alors, le Maltre 1'a voulu des le debut, et Fa dit nettc-
ment : il renouvelle tout ce qu'il touche. Aussi le moindre de
ses fideles depasse, non en merite personnel, mais en bon-
heur de vocation et en dignite" d'eeonomie, Jean Baptiste lui-
m6me, pourtant prophete, et le plus grand des prophetes.
Qui etes-vous alles contempler dans le desert?...
Un prophete?
Oui, je vous le dis, et plus qu'un prophete.
C'est celui-la dont il est ecrit :
Voici, j'envoie mon messager devant ta face
qui preparera ta voie davant toi. (Mai., in, 1.)
En verite, je vous le dis :
11 ne s'est point love parmi les fils des femmes
plus grand que Jean le Baptiste,
mais le moindre dans le Royaume des cicux
est plus grand que lui...
Car tous les prophetes et la Loi, jusqu'a Jean, ont prophetise,
et si vous youlez bien 1'entendrc,
Lui-m&me est Elie, celui qui doit venir. (Mt., xi, 7, 9-15. )<
Les Prophetes sont morts apercevant et saluant de loin,
confessant qu'ils sont des Strangers et des pelerins 8 , en.
marche vers la terre de promission. Mais Elie lui-me'me, en-
tant que precurseur, ce nouvel Elie, 'qu'a et6 Jean, n'a fait,
que preparer les voies. Voici le but ; voici le Roi-Messie.
Bienheureux vos yeux
parce qu'ils voient,
et vos oreillcs
parce qu'elles entendent.
1. Me., r, 27.
2. Mt., xxvi, 28; I Cor., xi, 25; II Cor., HI, 6, etc...
3. Jo., xm, 34; I Jo., n, 7; II Jo., 5.
4. Apoc., n, 17.
5. Apoc., v, 9.
6. Rom., vi, 4.
7. Jo.,i, 1, Sv ipxfi fait allusion h Gen6se, i, 1.
8. H6br., xi, 13.
'26 JESUS CHRIST.
fEn veritd, je vous le-dis : beaueoup de prophetes et de justes
out de'sire de voir ce que vous voycz,
et ne 1'ont pas vu,
et d'entendre ce que vous entendez,
et ne Font pas <entcndu.
.Ml.., xin, 16-17; Lc., x, 23-24.
Qu'on .n'oppose pas a oes preventions line defaite rtiree .des
eoufrumes le*gales, de 1'obserYance du sabbat, du Temple, des
exemples du passe. II y a ici plus grand .que ce temple, ou
Iahve.se complaisait a 1'exclusion de tout -autre Jieu .de ,c.ulte
public, plus grand que la .Loi sabbatique. II y a ici plus que
>rois et prophetes, plus que Jonas -et Salomon!
... N'avez-vous pas lu dans la ; Loi
que les jours de sabbat, les pr&tres, dans le 'Temple,
violent le sabbat et sont sans Teproche?
Or, je vous le dis : il y a ici plus grand que lo Temple...
car le Fils de rhomme est maitre du .sabbat.
Ml., xn, 5, .6, .8; .cf. Me., ,n, 27^28; Lc., vi, 5.
gens de Ninive sedresseront au (jour du) Jugemcnt contrccelto
[ge'ne'ration
et la condamnerorit,
car ils firent penitence a la predication de Jonas,
et il y a plus quo Jonas ici;
l,a Heine du Midi se dressera au (jour du) Jugemerit centre cetle
[generation
et la condamnera,
-car tllle vint du bout du monde pour entendre la sagesse de Salo-
[mon;
et.il y a plus quC:Salomon ici.
Mt., xn, 41-42; Lc., xi, 31-32.
3. J6sus se r^vele.
Qu'y a-fc-il done ici ? Et d'ou vienfc a Jesus cette assu-
rance tranquille? Lui-m^me va nous le .dire dans une suite
de paroles ou le Maitre se revele plus explicitement que dans
les declarations citees jusqu'ici. Elle est rapportee, quant
a 1'essentiel, en termes sensiblement identiques, par nos pre-
mier et troisieme evangiles, "mais dans un contexte un peu
different. Matthieu la place aussit6t apres 1'apostrophe terrible
LE TBMOIGNAGB DU CHRIST. 27
4u Sauveur aux villes coupables plus coupables que Tyr et
Sidon, plus endurcies qu0 Sodome -^ qui ont oppose" a la pre-
dication, dans un trop grand nombre de leurs habitants, un
rempart d 'indifference. Les signes qpe'r&s par Jesus n'ont pu
vaincre la durete de leur cceur; aussi serorit-elles, -de la part
de Dieu, 1'objet d'un jugement impitoya'ble.
Et il commenga reprocher aux villes ou avait en lieu le plus
rgrand nombre de ses miracles, de ne pas s'&tre converlies ~.
Malheur a toi, Cliorozain!
Malheur a toi, BetlisaTda!
Car si dans Tyr et Sidon avaient eu lieu les miracles survenus
n vous, des longtemps, dans le sac et la cendre,, elles se ,1'ussent
converges.
Aussi vous dis-je que
A 1 Tyr et Sidon sort meilleur sera fait, -an jour du Jugement, qu'a
vous !
Et toi, Capharnaum, jusqu'au ciel elevde,
jusqu'a Tenfer tu seras abaissee (IsaV'e, xiv, 13-15).
Car si dans Sodome avaient eu lieu les miracles survenus en toi,
Elle eut subsiste jusqu'au jour d'aujourd'hui.
Aussi vous dis-je que
A la terre de Sodome sort meilleur sera fait au jour du Jugement
<iu'atoi! (Mt.,. xi, 20-24.)
Et, de ces grander lecons, le Christ avait passe*, en ce
temps-la (expression qui ne va pas, nous Favons vu, sans
laisser une marge notable), a la louange des secrets juge-
inents du Pere, par ou debute i'e"pisode. Entre cette Jouange
et Tapostrophe que nous venons de transcrire,, saint Luc inter-
cale le retour de mission des se.ptante-de.ux disciples. Tout
joyeux, ceux-ci disent a Jesus : Seigneur, les demons mdmes
nous sont soumis, quand nous les commandons en ton nom'!
A ces mots, le Maitre elargissant a 1'infmi le geste de lib^ra-
tion accompli par cette poignee d'hommes agissant en son
nom, et jugeant sur ce debut Tamplitude de Toauvre redemp-
trice, s'ecrie : Je voyais Satan tomber du ciel comme un
^cluir.
Puis, apres quelques mots d'instruction a ses disciples, a
cette heure m6me, il exulta dans TEsprit-Saint et dit... -..
Nous pensons (sans vouloir attacher une trop grande impor-
tance a cette modalite) que ce contexte plus riche, et ou 1'ele-
ment de jubilation et d'enthousiasme, si frappant dans les
28 JESUS CHRIST.
paroles raSmes, trouve une explication plus naturelle, doit &tr&
preTere *.
Je te rends gloire, P6re, Seigneur du ciel et de la terrc,
d'avoir cache ces (mysteres) aux sages et aux avisos
ettu les as reveles aux pelits enfants!
Oui, Perc, tel a etc* ton bon plaisir.
Tout m'a etc livre' par mon Perc,
et nul ne connait le Fils
sinon le P6re.
Et le Pere, nul ne le connait
sinon le Fils,
et celui a qui le Fils voudra bien le reveler.
Venez tous a moi, les fatigues, les accables,
et moi je vous soulagerai.
Prenez sur vous mon joug et vous mettez a mon ecolc,
je suis doux et humble de coeur,
et vous trouverezle repos de vos ames (Je'remie, vr, 16 he'br.) r
car mon joug est suave et mon fardeau leger.
Mt., xi, 256-30; Lc., x, 21-22 (jusqu'a : Venez a moi).
Pur echo de la Sagesse d'Israel et belles entre les divines r
ces paroles se presentent a nous par surcroit, comme un fruit
fraichement cueilli. Elles ont conserve presque intactes, sous
la delicate transparence des mots grecs, les particularity
les plus certaines du style semitique oral 2 . Nous possedona
1. C'estaussi I'opiniondu R. P. Lagrange, Evangile selon saint Matt hieu,.
p. 226 et (implicitement) p. 322; par centre, le texte que nous traduisons,.
non seulement comme plus complet, mais comme formant une Recitation'
rythmee impeccable, ayant toute chance d'etre primitive, est celui de
saint Matthieu.
Sur I'authenticite 1 des paroles et les controverses recentes, voir, infra r
p. 60, la note Q : L'hymne de jubilation (Mt., xi, 25; Lc., x, 21).
2. Ed. Meyer, dans 1'interessante dissertation consacree k ce passage,
Dcr Jubelruf fiber die Erfolge des Christentums (Ursprung undAnfaenge r
I, 1920, p. 280-291), a tres bien fait ressortir 1'unite, I'mt6grit6, 1'origine
semitique du morceau ( < Konzipiert ist er, wie dieser (Jesus Sirach), in,
semitischer Sprache, hebraeisch oder aramaeisch ; dass erdarauswoertlich
iibersetzt ist, tritt vielfach deutlich hervor > ; p. 283). L'erreur de I'illustrfr
savant est d avoir confondu les caract6ristiques du style 6crit, litte'raire,
done secondaire et compose apres coup, avec celles du style oral. Li-des-
sus, Ed. Norden 1'a fourvoye, tandis que sur le point d'une pr6tendue
dependance des ecrits herm6tiques, il rejette avec beaucoup de decision-
LE TEMOIGNAGE DU CHRIST. 29
en elles un specimen accompli de ces improvisations, ou les
themes ve'ne'rables et les expressions consacrees servent a
point, loin de la figer dans le convenu, 1'inspiration propheti-
que. Tout est ancien, et tout est nouveau; 1'accent le plus per-
sonnel ^rneut et nuance les accents traditionnels et familiers 1 .
Mais venons au fond et prenons-y garde. Israel etait le fils
de lahve" 2 , et tout homme juste peut se vanter' d'avoir Dieu
pour pere 3 . Outre ces privilegies, il y a les innombrables fils
du Pere qui est aux cieux, duquel toute paternite decoule. Le
titre filial do ceux-ci est la creation; de ceux-la, une election
gratuite qui retient sur eux un regard de complaisance. Mais
le titre de filiation qu'invoque ici Jesus, est different et le
met dans un autre ordre : c'est une parente de nature et non
d'adbption. Elle egale ceux qu'elle reiie. Quel il est, dans
son fohds, ce Fils bien aime, le Pere le sait bien, et lui seul !
II ne faut rien de moms que le pergant du regard divin pour
puiser cette richesse, tout comme le regard du Fils est le seul
qui puisse scruter et comprendre 1'Etre immense du Pere.
Tout ce que les autres en savent, au dela des rudiments de
la connaissance commune et naturelle, est le fruit d'une effu-
la suggestion de son collegue. Dans son memoire Das Logion Mt., xi, 25-30
(dans Neutestamentliche Sludien G. Heinrici ... dargebracht, Leipzig,
1914, p. 220-229), apres avoir constate que la forme m6trique, poetique, du
onorceau, n'est aucunement un obstacle a son authenticity (p. 126), Joh.
Weiss fait tres bien ressortir la force du paralle'lisme : L'objet de la con-
naissance (au verset 27 a) est la quality du Fils : il demeure, quant au
trefonds de son etre, cache aux hommes, mais il est visible a Dieu. Ainsi
cette ligne (que Wellhausen et autres proposent de supprimer) se rattache
par une liaison tres etroite a la ligne parallele (27 b). II ne s'agit pas de la
connaissance de Dieu qu'a le prophete inspire", mais du secret de la
personne de Jesus ; p. 126.
1. Dans son dernier Evangile selon Luc, Paris, 1924, p. 300, 301, M. A.
i-oisy comprend et fait valoir le sens profond du texte que Wellhausen,
'Harnack, Bultmann ont essay6 vainement de ramener aux proportions
d'une sentence morale, en 6liminant ce qui regarde la connaissance du
Fils par le Pere > ; mais il voit dans ce cantique inspir6 < 1'oeuvre d'un
prophete Chretien, de plusieurs peut-6tre parlant au nom de J6sus 1 Lui
aussi, confondant le style ecrit avec le style oral, nousparle d'un < psaume
artificiellement construit >, la oil il y a au contraire une improvisation
prophetique, pleine de fraicheur et de naturel.
2. Ainsi parle Iahv6 : Israel est mon fils premier ne >. Ex,, iv, 22.
3. Sagesse, 11, 16.
30' JESUS CHRIST.
sion gracieuse, une communication hdndvole de la science-
filiale.
Aussi le Fils est-il depositaire de; tons les secrets; pater-
nels^ participant de. sa toute-puissancei Initiateur indispensa-
ble au mystere de la vie divine, 11 at de-quoi consoler etre'con>-
forter tous eeux qui se veulent mettre a, son e"cole;
Non qu'iisonge a detourner Fhomme des: tches necessaires^
ou I'e'manciper d'un joug qu'il lui est; bon de porter des son
jeune ag.e , parce que telle est Ia.v6rit& de rinstitntion natu-
relle et divine;, maia le Bon Maitre est sans morgue et sans
orgueil r doux et humble de coaur . II a des pardons pour
toutes les faiblesses*. du baume pour toutes les Measures.
Gette revelation avanQa-tT-elle, pour le cercle* int^rieur
des disciples, Fkecure de: la derniere mise en demeure? Dieu
se servit-il de cet eclair pour illuminer 1'esprit de SimonrPierre'-
au. dela de ce que toute inference naturelle ( la chair et
le sang .) pouvait alors lui suggdrer ? IL est sur en tons-
cas que la lente action des paroles du Maitre, 1' experience
qui resultait de sa conversation familiere sans aucun peche r
le choc provoqud- par les signes, et notamment celui de la
tempSte apais^e 1 , avaient engendrd chez ces hommes droits
une estirae tres haute, non seulement de la puissance,
mais de la dignite personnelle du, Seigne.ur. II importaifc
toutefois d!affermir v en la prdcisanfr, en la; formulant, cette
foi pratiquement inconditionnee, mais vague encore et
fragile, pour qu*elle put supporter lie poids des supr&mes
epreuves. G'est pourquoi, k une epoque q.u'il est impossible:
de determiner exuctement, mais qui coincide en gros avecr
la fin du ministere; galileen, et: dont le rappel fait 6tape et
ressaut dans la triple narration synoptique, Je"sus provoqua-
une explication decisive. A partir de cet Episode, des r6V6-
lations plus claires succedent aux insinuations p^netrantes-
mais voilees de Tenseignement ante>ieur. G'est qu'aussi r
1'heure approchait de la montee douloureuse, orientee (an
grand scandale des jugements humains) vers la trahison, la
s honte et la croix.
1. Ce signe avait amend spontan6riient sur les levres des Apotres cette
profession de foi : Vraiment tu es Fils de Dieu ; Mt., xiv, 33.
LE TEMOIGNAGE DU CHRIST. 3-1''
An cours d'une excursion en terre hellenisee etenmajeure
partie paSenne, sur les confins classiques de la Palestine
septentrional e, pres de Dan, en allant vers des villager
dependant de Gesaree do Philippe Fantique Pandas,,
devenue naguere, par 1'a grace du tetrarque Philippe, fils
d'Ee'rode le Grand, G^sarde, etsurnommee, pour la distinguer
de la e"sare"e Maritime, la petite Cesare'e. de Palestine,.
Cesaree de Philippe 1 ^ Jesus posa a ses disciples rinterro-
gatioii capitale : Qui dit-on qu'est le Fils de I'liomme?
Eux dirent : Les uns : Jean le Baptiste; d'autres :
Elie; d'autres encore : J^remw ou quelqu'undes prophetes.
II leur dit : Mais vous, qui dites-vous que je. suis?
Repondant, Pierre lui dit : Tu es le Christ, le Fils du
Dieii vivant.
Gette profession die for marque une avance considerable-
dans les croyances apostoliques. Aussi le Maitre ne se borne
pas a la ratifier par une promesse qui embrasse tout runivers-
eb engage tout 1'avenir. II en exalte 1'inspiration, rendant
du meme coup manifeste le sens profond impliqu^; dans, la
1'ormule do son disciple. Pour le confesser Ghrist, Fils du
Dieu -vivant , avec cette plenitude de sens, il n'a falhi rien
de moins qu'une revelation du Pere : Repondant, Je"su&
lui dit :
Bienheureux es-tu, Simon, fils de Jona,
car ce n'est pas la chair ni le sang qui font revele (ce mystere),.
mais mon Pere qui est aux cieux.
Etmoi. je te dis que tu es Pierre
cfc sur cette pierre-la j'edifierai mon eglise,
et les pontes de Tenter ne prcvaudront point centre elle.
Jete donnerai les clefs du Royaume des eieux );
ct ce que tu licras sur terre sera lie dans les cieux,
el cc quetu delicras sur terre sera delie dans les cieux.
Mt., xvr, 17-20 2 .
1. Liirdessus, G. Dalmanj Orte und Wege Jesu 3 , Giitersloh, 1924 ; p. SOS-
SSI.
S. On a, incident^ sans fin sur le sens et I'authenticit6 de ces paroles si
fortes, d'une solidit6 textuelle 5, toute dpreuve, d'une teneur archa'ique et
semitisante indiscutable. Enrealite, ce qu'on leur reproche surtout, c'est
leur port6e, c'est leur clart6. L'antithese entreles versets 13 et 16 semble-
rait pr.eluder a la distinction de deux natures dans le Christ. Les termes-
&G la r6ponse de Jesus a Pierre ne conviennent qu'au Christ immortel > j.
32 JESUS CHRIST.
Une recommandation severe de discretion suit imme'dia-
tement : les disciples se donneront bien garde d'annoncer
publiquement que Jesus est le Christ. Mais le fondement
est desormais pose dans 1'esprit de ses fideles, et le Maitre
va pouvoir edifier. Son premier soin ( Dorenavant, il com-
menca... Mt., xvi, 21) est de s'appliquer la plus frappante
des propheties anciennes, en s'identifiant ouvertement avec
le Serviteur de lahve que les grands voyants d'Israel avaient
discerne dans le lointain des ages, souffrant pour reparer
les prevarications du peuple de Dieu, caution des pecheurs,
ullant a une gloire eternelle par la honte, la souffrance et
la mort.
Dorenavant Jesus commenga do remontrer a ses disciples
<fu'il lui faut monter a Jerusalem ct beaucoup souffrir
<le la part des Anciens, et des Princes des pretres ct des Scribes,
ct etre mis a mort,
et ressusciter le troisieme jour.
Mt., xvi, 21; Me., vin, 31; Lc., ix, 22.
Et, note Marc, il leur disait la chose en face . Pierre
s'indigne, et venant a la rescousse 1 : Dieu t'en garde,
Seigneur! cela ne t'arrivera pas. Mais Jesus se retournant
dit a Pierre :
Arriere dc moi. Satan ! tu m'es une pierre de scandale,
Tes sentiments ne sont pas ceux de Dieu,
mais ccux des homines (Mt., xvi, 22-23).
Toutefois, une echappee sur la gloire future va e"tre donnee
a quelques-uns de ceux qui sont presents; ceux qui seront
les te"moins de 1'agonie a Gethse'mani, ceux que Paul,
vingt ans apres, appellera les colonnes (Gal., n, 9) :
Pierre, Jacques et Jean.
Et apres six jours Jesus prend avec lui Pierre et Jacques et Jean,
et les conduit a 1'ecart, sur une haute montagne, seuls. Et il fut
transfigure* en leur presence, ses vetements devinrent resplendis-
sants de Wanchcur, tcls que foulon sur terre ne saurait blanchir
i. Et leur apparurent Elic avec Moise, s'entretenant avec Jesus.
A. Loisy, Les Livres du Nouveau Testament, Paris, 1922, p. 327. Sur le
detail, voir la note R, infra, p. 63.
1. Sur le sens de :;poaXa66(Xvos, "voir Lagrange, Evangile selon saint
Matthieu, p. 330.
LE TEMOIGNAGE DC CHRIST. 33
Intervenant, Pierre dit a Jesus : Maitre, nous sommes bien ici !
et nous allons faire trois tentes, une pour toi, et une pour Moi'se,
et une pour Elie x, car il ne savait que dire; car ils etaient tout
tremblants'.
Et une nuee survint qui les couvrit, et voici, de la nuee, une voix :
Celui-ci est mon fils, le bien-aime, ecoutez-le. Et tout aussit6t
regardant autour d'eux, ils ne virent plus perspnne avec eux, que
Jesus, tout seul (Me., ix, 2-8; Mt., xvn, 1-8; Lc., rx, 28-36).
Gette vision splendide 1 n'etait qu'une anticipation; aussi,
comme ilsredescendaient de la montagne, Jesus leur defendit
de la raconter a personne, sinon quand le Fils de 1'homme
serait ressuscite d'entre les morts. Et ils gardaient la con-
signe tout en se demandant ce que signifiait : ressuscite des
morts ? (Me., ix, 9-10.)
En attendant, et nonobstant le vif cbagrin des siens (xal
IXuff^Orjcrav a<p6Spa, Mt., xvu, 23), Jesus va reprendre et accen-
tuer sa prediction jusqu'a deux fois. La derniere fois, c'est
pendant la route et il parle aux Douze, privement :
Voici, nous montons a Jerusalem
et le Fils de 1'homme sera livre aux Princes des pretres et aux Scribes,
et ils le condamneront a mort,
et ils le livreront aux Gentils,
pour elre bafoue,
flagelle,
crucifie,
et le troisieme jour il ressuscitera. (Mt. , xx, 18-19.)
Vers la victime de'signee, les attributs divins convergent.
Jntercesseur universel, il sera toujours present au milieu
de ceux quiprieront en son nom. Remunerateur tout puissant,
il assure le centuple des biens spirituels en ce monde, et la
vie eternelle en 1'autre, a ceux qui quitteront biens ou affec-
iions temporels pour s'attacher plus ^troitement a lui.
Davantage, je vous dis en verite,
si deux d'entre vous sur terre s'accordent
sur 1'objet quel qu'il soit, qu'ils demanderont,
il leur viendra par mon Pere qui est aux cieux :
car la oil sont deux ou trois reunis en mon nom,
la, je suis au milieu d'eux (Mt., xvm, 19-20) 2 .
1. Voir infra, p. 66, la note S, Le recit de la Transfiguration.
2. Cette parole si frappante a d'assez nombreux passages paralleles dans
J&3US CHRIST. II. 3
34 JESUS CHRIST.
\
Apres avoir promis a ses disciples pour le jour de la
regeneration, quand le Fils de I'homme serait assis sur le
tr6ne de sa gloire , qu'ils participeront a ce grand acte du
jugement, Jesus ajoute qu'aussi bien,
Quiconque aura quitte maison,
pere, ou mere, ou enfants, ou champs, a cause de mon nom,
recevra beaucoup plus et heritera la vie eternelle.
Mt., xix, 29; Me., x, 29-30; Lc., xvm, 29-30.
Que le Fils de 1'homme entre de plain-pied dans le r61e
de Juge universel, prerogative essentielle du Messie, on
ne saurait s'en etonner. Ge qui est nouveau, c'est de voir
comment, dans les paraboles, des modalites de toutes sortes
rehaussent i'independance et le caractere personnel de cette
auguste fonction. Jesus n'est pas la en delegue*, mais en fils
de famille, qui engrange sa moisson apres Pavoir purifies
de toute trace d'ivraie.
II leur dit (en reponse a une question sur la parabole de 1'ivraie) :
Celui qui seme le bon grain, c'est le Fils de l'homme;
le champ, c'est le monde.
Le bon grain, ce sont les fils du Royaume;
1'ivraie, ce sont les fils du Malin,
et 1'ennemi qui les seme, le diable.
La moisson, c'est la consommation du siecle.
les moissonneurs, les anges.
Comme done on recueille 1'ivraie et on la brule dans le feu,
ainsi en sera-t-il a la consommation des siecles.
la tradition juive, celle qui a cristallise dans les Pirke Aboth. Par deux fois,
des Rabbis celebres, posterieurs a J6sus d'un siecle ou d'un siecle et demi,.
ont repris cette pensee en attribuant a la Schekhina, a la Gloire divine
c'est-a-dire a Dieumeme, consider^ comme present (Strack et Billerbeck,
KTM, II, 314-315) le role que Jesus s'attribue ici. Rabbi Chanina ben
Teradion (t vers 135) disait : < Quand deux sont assis ensemble, et que la
parole de la Torah n'est pas entre eux (comme sujet de conversation), c'est
la le cercle des moqueurs > (Ps. i, 1) ;... mais quand deux sont assis
ensemble et que la parole de la Torah est entre eux, alors la Gloire est au
milieu d'eux ; Pirke Aboth, III, 26, Strack; III, 3, R. Travers Herford.
Une generation apres, vers 180, Rabbi Chalaphta ben Dosa, le Galileen,
enseignait que quand dix personnes sont assises et s'occupent de la Loi,
la Gloire est au milieu d'elles . Puis, justifiant, 5, la fa<jon classique, ses
assertions par les paroles scripturaires, il revendique le meme privilege
pour 5, 3, 2, et finalement 1 personhe. Pirkd Abuth, III, 6, Strack ; III,
8, Travers Herford.
LE TEMOIGNAGE DU CHRIST. 35
Le Fils de 1'homme enverra ses ang-es
et ils recueilleront dans son Royaume toutes (les pierres de) scandale
et tous les artisans d'iniquite,
et ils les jetteront dans la fournaise de feu :
Lh sera le pleur et le grincement de dents.
Alors les justes luiront comme le soleil dans le Royaume de leur Pere
Quia des oreilles entende! (Mt., xin, 36-43).
Jesus est encore le Roi dont les anges sont les serviteurs^
et il est le Dieu (comment justifier autrement cette prevention
inouie?) qui fonde la sentence finale sur les rapports qu'oa
aura entretenus avec lui. Gomme la pecheresse dont saint Luc
nous a garde la touchante histoire, a qui beaucoup de peches
furent pardonnes , mais aussi qui avait beaucoup aime le
Maifre (Lc., vn, 36-50), un homme qui aura servi Je"sus dans
ses freres sera sauve, tandis que les coaurs durs et e"goistes
qui ne Tauront pas reconnu, par leur faute, dans ses humbles
substituts, seront rejetes loin delui. Ge qu'on I era pour lui,
sera fait pour Dieu 1 .
Lors done que viendra le Fils de 1'homme dans sa gloire et
tous les anges avec lui (Zach.,xiv,5),ils'assierasurletrdne
de sa gloire et seront rassemblees devant sa face toutes les na-
tions, et il les se"parera les unes des autres, comme un berger
separe les brebis des boucs, et il.placera les brebis a sa droite
et les boucs a sa gauche. Alors le Roi dira aceux de sa droite ::,
Venez les benis de mon Pere,
Heritez du Royaume a vous prepare depuis la creation du monde,
car j'ai eu faim, et vous m'avez donne a manger,
j'ai eu soif, et vous m'avez desaltere,
j'etais etranger, et vous m'avez accueilli,
nu, et vous m'avez vetu.
J'etais malade et vous m'avez visite, .
j'etais en prison, et vous vintes vers moi.
1. M. J. Lagrange, Evangile selon saint Matthieu, 1923, p. 486 c M6me
1'Elu d'Enoch c'est-a-dire la figure messianique la plus transcendante
n'agit qu'au nom du Seigneur des Esprits, tandis qu'ici le Fils de
1'homme vient en Juge souverain dans sa propre gloire et sur son trone
de gloire. Sur le Messie-Juge des Paraboles d'Enoch, si superieur a
toutes les representations similaires, et notamment a celle du IV" livre
d'Esdras, qui semble a la fois s'en inspirer et la ramener d61ib6rement
a des proportions plus humaines, voir Leon Gry, les Paraboles d'Enoch et
leur Messianisme, Paris, 1910, p. 106 suiv., 171 suiv.; J. B. Frey,
1, col. 359, 360 ; et supra, t. I, p. 319 suiv.
36 JESUS CHRIST.
Alors lui repondront les justes :
Seigneur, quand t'avons-nous vu affame, et t'avons-nous nourri ?
Vu avoir soif, et t'avons-nous desaltere?
Quand t'avons-nous vu etranger, et t'avons-nous accueilli,
ou nu, et t'avons-nous vetu?
Quand t'avons-nous vu malade...
ou en prison, et sommes-nous venus vers toi?
En reponse, le Roi leur dira :
En verite, je vous le dis,
Chaque fois que vous 1'avez fait a 1'un de mes freres des plus petits,
C'est a moi que vous 1'avez fait!
Alors, il dira a ceux de sa gauche :
Allez-vous-en, loin de moi, maudits, -
Au feu eternel prepare pour le diable et pour ses anges.
Car j'ai eu faim, et vous ne m'avez pas donne a manger,
J'ai eu soif, et vous ne m'avez pas desaltere!
J'etais etranger, et vous ne m'avez pas accueilli,
Nu, et vous ne m'avez pas vetu,
Malade et en prison, et vous ne m'avez pas visite.
Alors lui repondront ceux4a aussi :
Seigneur, quand t'avons-nous vu affarne,
ou ayant soif,
ou etranger,
ounu,
ou malade,
ou en prison,
et ne t'avons-nous pas servi ?
En reponse, il leur dira :
En verite, je vous le dis,
Chaque fois que vous ne 1'avez pas fait a l'un de ces plus petits,
C'est a moi que vous ne 1'avez pas fait!
Et ceux-ci s'en iront au chatiment eternel.
dK
Mais les justes a la vie eternelle.
Mt., xxv, 31-46 ^
Les perspectives me'mes de la Passion, et celles qu'ouvre
trop surement 1'incre'dulite des dirigeants du peuple juif, sont
1. M. Jousse, dans son memoire sur le Style Oral, fait observer juste-
ment la perfection de ces Recitatifs. Tons les precedes de la composition
orale apparaissent clairemont : simplification, parallelisme, appel mne-
motechnique par les mots-agrafes, opposition, repetition, gestes evoqu6s,
et refrain.
LB TEMOIGNAGE DU CHRIST. 37
au Maitreune occasion de rappeler sa dignite plus que messia-
nique :
Ecoutez une autre parabole :
II y avail un maitre de maison qui planta une vignc,
Pentoura d'une haie,
y creusa un pressoir,
et batitune tour de guet (IsaTe. v, 1) ;
la loua a des cultivateurs, et partit en voyage.
Quand la saison des fruits approcha, il envoya ses serviteurs aux
[cultivateurs pour recevoir ses fruits.
Mais les cultivateurs, se saisissant de ses serviteurs,
battirent 1'un, tuerent 1'autre, lapiderent le troisieme.
Derechef, il leur envoya d'autres serviteurs,
phis nombreux que les premiers,
et ils les traitfcrent de meme sorte.
Finalement, il leur envoya son fils, disant : Ils respecteront mon
[iils!
Mais les cultivateurs, voyant le fils, se dirent entre eux :
Celui-ci estl'heritier. Sus ! Tuons-le, et nous aurons son heritage.
Etle saisissant, ils le jeterent hors de la vigne et le tuerent.
Quand done le maitre de la vigne reviendra, que fera-t-il a ces cul-
[tivateurs-la?
Eux, de dire : Ces mediants, il les fera perir de male mort,
et il louera sa vigne a d'autres cultivateurs
qui lui donneront les fruits en leur saison.
Jesus leur dit : N'avez-vous jamais lu dans les Ecritures :
La pierre qu'ont dedaignee les b&tisseurs,
cette meme pierre est devenue la Maitresse-pierre d'angle.
Chose faite par le Seigneur,
merveille a nos yeux ? (Ps. cxvm (cxvn), 22.)
Aussi je vous dis que le Royaume de Dieu vous sera retire
et qu'on le donnera au peuple qui en fera les fruits.
Mt., xxi, 33-43; Me., xn, 1-11; Lc., xx, 9-17.
Ailleurs, provoquant ses adv^grsaires :
Que vous semble du Christ? De qui est-il fils? Ils lui dirent :
De David. Mais lui : Comment done David, parlant sous 1'ins-
piration, i'appelle-t-il Seigneur et dit-il :
Le Seigneur a dit a mon Seigneur : Sieds-toi a ma droite,
Jusqu'a ce que je place tes ennemis sous tes pieds (Ps. ex (cix), 1).
Si done David Tappelle Seigneur, comment est-il son fils?
Mt., xxn, 42-45; Me., xn, 35-37; Lc., xx, 41-44.
Gomme ils n'ont qu'un Pere, au sens premier et transcen-
dant du mot, les disciples de Jesus n'ont qu'un Maitre, etpour
38 JESUS CHRIST.
I'ame'me raison : tout enseignement authentique se refere done
finalement au sien, comme toute paternite descend, en der-
niere analyse, de celle de Dieu :
Vous, ne vous faites pas appeler Rabbi :
Un seul est votre Maitre et vous etes tous freres.
Et n'appelez personne votre Pere, sur terre :
Un seul est votre Pere,celui du ciel.
Mt., XXHI, 8-9.
Ge Maitre unique suffit a tous les temps, comme a tous les
hommes, car :
Le ciel et la terre passeront : mes paroles ne passeront pas.
Mt., xxiv, 35 '.
Et ce que son enseignement fournit dans 1'ordre de la con-
aaissance : une Loi desormais immuable, son sacrifice va
1'accomplir dans 1'ordre de la propitiation et de 1' Alliance :
Or, tandis qu'ils mangeaient, Jesus prenant du pain et ayant dit
la benediction, le rompit, et, le donnant a ses disciples, dit :
Prenez, mangez,
Ceci est mon corps.
Et ayant pris une coupe, apres avoir rendu graces, il la leur donna,
[disant :
Buvez-en tous,
Ceci est mon sang, (sang) dc 4' Alliance (Exode, xxiv, 8),
repandu pour beaucoup en remission des pcches.
Mt., xxvi, 26-28; Me., xiv, 22-24; Lc., xxn, 19-20 et
[I Cor., xi, 23-26; cf. Heb., ix, 20.
Ges paroles 2 ramassent, dans un prodigieux raccourci, les
plus grands souvenirs d'Israel et les plus profondes de ses
1. Jesus assimile ici son enseignement k celui de la Loi qu'il amene &
perfection. La duree et la valeur etern^lles de la Loi etaient un lieu com-
mun : Strack et Billerbeck, K TM, I, p. 244-247.
2. Sur les allusions bibliques, rabbiniques, et la teneur verbale primi-
tive (en arameen-palestinien), voir G. Dalman, Jesus -Jeschua, Leipzig,
1922, p. 122-160. Sur la theologie, M. de la Taille, Mysterium h'idei 2,
Paris, 1924, p. 53-57. Dans le verset 28a de Mt., touro yap E<JTIV TO atjia
IAOU T5)s BtaOrjxrjs >, la variante T% xawrj? 8taOr}y.7]s est defendable, et H. von
Soden 1'adopte dans son edition major : die Schriften des N. T , Text und
Apparat (Goettingen, 1913), p. 103, qui ne 1'accepte pas cependant dans
le verset parallele de Me., 246, ibid. f p. 215. La version plus courte semble
toutefois mieux appuyee. Sur I'historicit6 generale, note T : Les rfaits de la
Cene du Seigneur; infra, p. 69.
LE TEMO1GNAGE DU CHRIST. 39
prophecies. Moise, apres avoir promulgue la Loi, asperge le
peuple en disant: Voici le sang de 1'Alliance que Dieu a
conclue avec vous ; ce que Jesus donne ici est aussi sang
de 1'Alliance * , mais c'est :
une Alliance nouvelle,
non comme 1'Alliance que j'ai faite avec leurs peres
au jour que je les pris par la main
pour les faire sortir de la terre d'Egypte
Mais voici quelle sera 1'Alliance
que je ferai avec la Maison d'lsrae"!.
Quand ces jours-la seront venus, declare lahve :
Je mettrai ma Iqi en eux
et dans leur coaur je 1'ecrirai.
Et je serai leur Dieu
et Us seront mon peuple
Car je pardonnerai leur iniquite
et de leur peche, je ne me souviendrai plus.
Jer., xxxi, 31-34 (A. Condamin).
Que ce pardon, rendant possible cette intimite avec Dieu,
ne se fasse pas sans effusion de sang, ce n'est pas seulement
le parallelisme avec 1'ancienne Alliance qui Fimplique 2 , mais
le profond dessein attachant la rentree en grace de 1'homme
pecheur a la mediation du Juste souffrant, volontaire sacrifice
du Serviteur de lahve, dont il est predit : Je te fais Alliance
de mon peuple (Isaiie, XLII, 6, et XLIX, 8) 3 , et :
... II a pris sur lui nos souffrances,
et de nos douleurs il s'est charge..,
II a dte transperce pour nos peches,
broye pour nos iniquites ;
Le chdtiment qui nous sauve a pese sur lui,
et par ses plaies ftous sommes gueris...
lahve a fait tomber sur lui
1'iniquite de nous tous.
1. Cette expression (dam berit) dans 1'usage rabbinique poster! eur, est
souvent employee pour le sang qui coulait sous le couteau de la circon-
cision, signe sensible de 1'Alliance premiere, conclue entre Dieu et
Abraham : Strack et Billerbeck, KTM, I, 991-992.
2. Car dans, un sacrifice, et surtout un sacrifice juif, le sang est la
chose principals; > Ed. Meyer, Ursprung und Anfaenge, I, 179.
3. Cf. sur cette expression, A. Condamin, Le livre d'lsctie, p. 335-336.
40 JESUS CHRIST.
Non en vain, car son sang* sera repandu pour beaueoup,
pour des multitudes qu'il sauvera :
S'il offre sa vie en sacrifice pour le peche,
il aura une posterite, il multipliera ses jours,
en ses mains I'oauvre de lahve prospe'rera...
Le Juste, mon Serviteur, justifiera des multitudes,
il se chargera de leurs iniquite's;
C'est pourquoi je lui donnerai pour sa part des multitudes;
il recevra des foules pour sa part de butin :
Parce qu'il s'est livre a la mort,
et qu'il fut compte parmi les pecheurs,
Tandis qu'il portait les fautes d'une multitude
et qu'il intercedait pour les pecheurs.
Isaie, LIII, 1, 4-6, 10J-12 (A. Condamin) 1 .
Ges admirables prophe'ties sont evoquees d'une fac.on a la
fois si discrete qu'un remaniement tendancieux n'est pas
soutenable, et si juste qu'il est impossible, quand on les a
presentes, d'en meconnaitre le reflet.
4. Jesus se declare.
A la lumiere de ces paroles : suggestions, affirmations,
promesses et propheties, nous pouvons aborder le temoignage
supreme, celui du martyre (au sens justement que 1'exemple
de Jesus a donne au mot), en marge duquel onpourrait ecrire
ce que le greffier du proces de Jeanne d'Arc ecrivit- en face
de la declaration ou la Pucelle affirma decisivement 1'origine
divine de sa mission : RESPONSIO MORTIFERAA G'est qu'en effet
1. Voir A. M6debielle, L' Expiation dans I'Ancien et le ' Nouveau Tes-
tament, I, Rome, 1924, 187-230.
2. Proces de rechnte, seance du 28 mai 1431 ; vpir dans Pierre Champion,
Proces de condamnation de Jeanne d'Arc,' Paris, 1920-1921, vol. I, p. 375, et
pi. IV, le fac-simile du folio 198 du Ms (Bibl. Nation., fonds latin 5.966) du
proces portant a la marge les mots du greffier.
Champion, I, 375 : Item, quia ab aliquibus nos, judices, audieramus r
quod illusionibus suarum revelationum praetensarum, quibus antea re-
^untiaverat, adhuc inhaerebat, ipsam interrogavimus. Respondit quod Deus
mandavit sibi.... magnam pietatem illius grandis proditionis in qua ipsa
Johanna consenserat, faciendo abiurationem et reuocationem pro saluando
uitam suam....Item dixit quod si ipsa diceret quod Deus non misisset earn,
ipsa damnaret se, et quod ueraciter Deus ipsam misit.
LE TEMOIGNAGE DU CHRIST. 411
Jesus varevendiquer, au peril manifesto de sa vie, enpre'sence-
de la Haute Gourde son peuple, et interroge au nomde Dieu,
sa dignite supreme.
Us emmenerent Jesus chez le Grand Pr6tre, et s'assemblerent
tous les grands pretres', les Anciens et les Scribes. Pierre 1'accom-
pagnait de loin, jusqu'a I'interieur de la cour du Grand Pretre et
s'etant assis avec les valets il se chauffait pres du feu.
Or les grands pretres et tout le Sarihedrin cherchaient contre-
Jesus un temoignage pour le faire mourir et ils n'en trouvaient
point. Car beaucoup deposaient faussement contre lui et les deposi-
tions n'etaient pas concluantes. Et quelques-uns, s'etant leves,.
deposaient contre lui en ces termes : Nous 1'avons entendu dire :
Moi je detruirai ce temple fait de main d'homme
et en trois jours j'en editierai un autre,
non de main d'homme.
Mais, pas m&me la-dessus, leurs depositions n'etaient concordantes.
Lors le Grand Pretre se levant au milieu interrogea Jesus, disant:
Tu ne reponds rien? Qu'est-ce done que ces gens-ci deposent
contre toi ? Mais lui se taisait et ne repondait rien.
Derechef le Grand Pretre I'mterrogea en ces termes : Es-tu
le Christ? le Fils du Beni 2 ? Et Jesus repondit :
Je lesuis 3 ,
et vous verrez le Fils de rhomme assis a la droite de la Puis-
[sance-
etvenantavec les nuees duciel (Daniel, vn, 13; Ps. ex (crx), 1).
Lors le Grand Pretre dechirant ses vetements dit : Qu'avons-
nous encore besoin de temoins ? Vous avez entendu le blaspheme ?'
Que vous en semble? Et tous le prononcerent digne de mort. Et
quelques-uns commencerent a le conspuer et a lui couvrir le visage,
et a le souffleter en lui disant : Fais le prophete ! et les valets-
le recevaient avec des soufflets.
Me., xiv, 53-65; Mt., xxvi, 57-68; cf. Lc., xxir, 54-55; 63-71..
1. Le m6me mot d'ipx. l6 P li s est employ^ ici soit pour le Grand Pretre
en fonction, Joseph Cai'phe, soit pour les membres des grandes families-
sacerdotales qui, pourun tiers, avec les Anciens et les principaux Scribes,
composaient la Haute Cour du Sanhedrin.
2. Le beni (6) uXoYY)To'e (Earuk on Meborak) est comme plus bas la Puis-
sance (T) 8uva[Hs=/7a^e6owmA,aram. Ge6owe^/ia),unsubstitutrespectueux.
du nom divin, abreg6 de la formule pleine : Le Saint (aram. : la Saintete),
beni so't-il !
3. 'EyoS ei[j.t. Dans Mt., xxvi, 64 : 23b elrca?- [ou SI* eTnas;] cf. Lc., xxn,.
706 : Tfj-sts XeysteoTt eyc6 sf^t . Sur le sens du Eu efaas, voir le memoire-
d'l. Abrahams dans les Studies in Pharisaism, II e serie, Cambridge, 1924,.
p. 1 suiv.
42 JESUS CHRIST.
Gette scene capitale est decrite en termes si clairs qu'elle
se passe presque de commentaire. Le Sanhe"drin entier (a
quelques exceptions pres pe.ut-6tre : Nicodeme ou quelque
membre moins stir ) est reuni pour juger le dangereux pro-
phete enfin capture, lie", depouille de ses moyens d'action
sur le populaire>. Mais rien n'est i'ait tant qu'on n'a pas obtenu
contre lui un jugement en forme, tel que la culpabilite de
1'accuse soit acquise et verite legale. On fait done jouer
1'appareil des temoins qui etait a la base de la procedure cri-
minelle (Deut., xvn, 6; xix, 15). Mais ceux que, hativement,
on avait assembles, n'arrivent pas a se mettre d'accord et
1'affaire n'avanee pas. Une parole allegorique de Jesus sur
le sort du Temple et le sien propre, interpreted au sens.
litteral, semble offrir un terrain d'attaque plus favorable,
mais la m3me les malheureux qui ont assume le r61e de
denonciateurs ne sont pas capables de fournir un temoignage
concordant. Gette evocation du Lieu saint et 1'audace inoui'e
de 1'affirmation font pourtant rebondir le debat qui trainait :
Gai'phe sent qu'on entre la sur le vrai terrain, celui des reven-
dications souveraines de Jesus. 11 presse le prevenu : Tu
ne reponds rien? Qu'est-ce done que ce grief? Explique-toi.
Mais le Maitre persiste a se taire. Le Grand Pre"tre recourt
.alors a la conscience de 1'accuse, et lui defere le serment
judiciaire sous sa forme la plus solennelle *. Puis : h,s-tu le
Christ, le Fils du Beni 2 ? Interrogation qui allait siirement
1. Mt., xxvi, 636 : Je t' adjure, au nom du Dieu vivant, de nous le dire.
Ce serment judiciaire est distinct du serment dit rabbinique, qui n'appa-
rait qu'au temps talmudique. Sur les modalites du premier, voir Strack et
Billerbecfc, KTM, I, p. 323, 321.
2. Me., xiv, 61c; Mt., xxvi, 636 : Je t'adjure de nous dire si tu es
le Christ, le Fils de Dieu. Lc., xxn, 66-70, a un contexte different. Dans
une reunion, tenue a la pointe du jour, il fait poser d'abord la seule ques-
tion du Messie : Si tu es le Christ, dis-le nous. Jesus, apres avoir releve
le caractere captieux de la demande ( Si je vous le dis, vous ne me crei-
rez pas; si je vous interroge de mon cote, vous ne me reporidrez pas >),
repond par 1'affirmation que dorenavant le Fils de 1'homme sera assis &
la droite de la Puissance de Dieu . Tous alors de dire : Tu es done le
Fils de Dieu? Et il leur dit : Vous 1'avez dit, je le suis. Ce qui ne
signifie nullement : C'est vous qui 1'avez dit ! comme une exegese trop
subtile 1'a parfois imagine, mais simplement : Je le suis. > Jesus,
reconnait M. Loisy, Evangile selon Luc, 19'<J3, p. 542, s'est bien dit Messie
LE TEMOICNAGE DU CHRIST. 43
au dela d'un aveu pur et simple de messianite*. Suffisant,
par les repercussions d'ordre politique qu'il permettait d'evo-
quer, pour niotiver une denonciation aupres de 1'autorite
romaine, et c'est en effet le grief que les dirigeants firent
valoir pres de Pilate (Lc., xxiit, 1-3; Mt., xxvn, 11; Mo., xv,
1-2; Jo., XVIH, 33-40; xix, 12, 15) et que Fironie du Procura-
teur retint pour la motivation de la sentence : le Roi DES JUIFS
(Me., xv, 26; Mt , xxvn, 37; Lc., xxm, 38; Jo., xix, 19),
1'aveu n'eut pas suffi a justifier 1'accusation de blaspheme, et
la reprobation unanime, scandalisee, qui s'ensuivit. Si biaise'e
qu'ait ete la procedure, et si prevenus que fussentles juges,
il fallait a 1'eclat de Gaiphe et a la joie mauvaise des autres,
un- pretexte legal suffisant. Gapables d'un crime, les pires
ennemis (le Jesus restaient, comme il arrive, des formalistes
enrages 1 . Or, s'avouer Messie n'etait pas manifestement un
crime ou un blaspheme 2 . C'est pourquoi la question de
et Fils de Dieu ; d'autre part, il est clair que les interrogateurs prirent
cette reponse comme un aveu formel, et rien n'invite a supposer qu'ils
se soient trompes.
1. Mt., xxm, 23-27. Cf. Lc., xi, 39-42; Me., vir, 1-23; surtout Jo., xvm, 28;
xix, 31.
2. J. Huby, L'Evangile selon saint Marc 7 , 1927, p. 395 suiv. ; M. J. La-
grange, Evangile selon saint Luc, 1921, p. 572 suiv. ; J. Lebreton, Origines 6 ,
1927, p. 328; Strack et Billerbeck (ou la question du blaspheme, de ses
formes di verses, des penalites qu'il entrainait, est traitee a fond, KT.M,
I, 1007-1025). P. 1017 : Le Grand Pretre n'a pas trouve le blaspheme
dans le fait que Jesus, interroge s'il etait le Messie, ait repondu affirmati-
vement, mais dans celui que Jesus ait pretendu d'ores et deja, au sens
propre du mot, prendre place a la droite de la Toute-Puissance. La pensee
que IP Messie designe par Dieu se reconnut pour etre le Messie, et se de-
clarat tel, n'etait pas un scandale pour le Judai'sme. Sans doute nous
trouvons exprimee 1'opinion que le prophete Elie reparaissant ferait re-
connaitre et introduirait le Messie, mais nous en trouvons une autre,
d'apres laquelle c'est le Messie lui-meme qui se revelerait comme tel. Le
Grand Pretre ne pouvait done voir un blaspheme dans un temoignage de
ce genre que Jesus se rendait a lui-meme. Meme la session a la droite de
Dieu, ou sur le trone de Dieu, est un trait que le Judai'sme, en partant du
Psaume ex, n'a pas laisse tomber dans 1'image glorieuse de son Messie.
M;ns on s'attendait ace que cette intronisation du Messie s'accomplit d'une
facon visible sous les yeux de tous, dans la sphere terrestre et sur I'in-
jonction de Dieu. Mais qu'au contraire Jesus, des a present, et, apparem-
ment, par sa propre puissance, et sans 1'autorisation divine, vouiut pren-
44 JESUS CHRIST.
Gaiphe s'etait faite insinuante, captieuse : Tu es le Christ?
le Fils du Bdni? La seconds parole n'est pas synonyme de la
premiere, ou simple glose ; elle va au dela, piege tendu au jeune
temeraire dont les ambitions demesurees sont connues. La
parole sur la mine du Temple venait d'en rappeler 1'une
des expressions les plus fortes : il y en avait eu d'autres Deux
fois les e"vangelistes ont signale 1'impression produite sur lea
adversaires de Jesus par certaines de ses declarations etse tra-
duisant de me'me sorte : II blaspheme ! G'etait quand, reven-
diquant une prerogative divine, le Maitre avait, d'un geste r
remis les peches (Mt., ix,3; Mc.,ir, 7; Lc., v, 21); et quand il
avait prononce que cc moi et le Pere, nous sommes un (Jo., x r
30-33). Voici que maintenant, repondant au Grand Pr&tre ea
plein Gonseil, non settlement il se disait le Messie, mais il
assignait d'ores et de"ja ses juges. Bien plus y de son propre
chef, moins en serviteur qu'enlils, il fixait sa place a la droite
du Tout-Puissant, dans les termes me'mes de la prophe'tie de
Daniel. Autorisant et couvrant les declarations anterieures de
Jesus, cette audace a s'egaler en quelque sorte a la Majeste
supreme, voila le blaspheme! Pour ces hommes, dont les
plus instruits, et les plus passionnes, attendaient un Messie
liomme et fils d'homme 1 , 1'attitude de 1'accuse constituait
dre comme lui revenant de droit, dans le monde surhumain, place a la
droite de la Toute-Puissance et exercer sa souverainet6 comme Messie
voila qui sembla au Grand Pretre un attentat centre la Majest divine et
)c fit s'6crier : II a blasphem6 (Dieu)! (Textes et renvois a 1'appui,
p. 1018). C'est sans doute bien pr6ciser, au dela peut-etre de ce qui est
bonnement certain. II reste que le vrai motif de scandale, et la cause im-
mediate du verdict de condamnation, c'est moins la revendication de la
dignite de Messie, que les modalites plus que messianiques dont cette re-
vendication s'accompagnait dans le cas de Jesus.
1. Ka\ y^P JKXVT65 Jjp.Eis tbv Xpiatbv avOptoTCov 1^ avOpaHwov npoo8oxSitj.EV yevrjaeaOai,
declare a Justin son interlocuteur Tryphon (Dialogue, ch. 49). Ce temoi-
gnage, note le P. Lagrange, Le Messianisme chez les Juifs, p. 218, con-
corde parfaitement avec tout ce qu'on trouve dans les ecrits rabbiniques
au temps des Tannas (c'est-a-dire des generations de docteurs qui se
succedent a partir de Hillel et de Schammai, done pratiquement a parti r
du Christ, jusque vers 200 environ ou un peuapres). Voir aussi strack et
Billerbeck, KTM, II, 1924, p. 333-352 : La Synagogue, pour nombreiuses
que soient les figures de Messie qu'elle se soit creees, n'eleve jamais ses
inessies au-dessus de la commune humanite : ils restent pour elle un
LE TEMOIGNAGE DTJ CHRIST. 45
un empietement sacrilege sur le droit incommunicable de
Dieu. La cause qui provoqua la condamnation n'est done pas
douteuse, et si, pour obtenir de Pilate un jugement qui con-
duisit la sentence a son terme effectif, il fallut rentrer sur le
terrain politique, ii est certain que le motif determinant les
Sanhedrites fut d'ordre religieux. ^C'est d'ailleurs la me'me
indignation qui grohde dans les invectives atroces du lende-
main, au Galvaire. Ge ne sont pas en effet seuLement les
<c passants qui injuriaient Jesus en branlant la te"te et
redisaient la fameuse parole rappelee a dessein par les me-
neurs : Eh ! le destructeur du Temple et son rebatisseur
en trois jours! sauve-toi toi-meme, descends de la eroix!
(Me., xv, 27-29; Mt., xxvii, 38-40; cf. Lc., xxm, 35)*. II y
a aussi, ricanant entre eux , des Princes des pre'tres,
Scribes et Anciens, qui disaient : Les autres, il les asauves;
lui, il ne peut se sauver! G'est le roi d'Israel : qu'il descende
done de la croix, et nous croirons en lui. IL s'est fid a Dieu,
que Dieu le delivre maintenant, s'il I'aime. Car il a dit : Je suis
le Fits de Dieu! (Mt., xxvii, 41-43; Me., xv, 31-32 (cit. Ps, xxn
(xxi), 8). Le theme du juste jamais abandonne de Dieu,repris
ici par les ennemis de Jesus, est sans cesse rappele par les
Psaumes, mais les Scribes 1'entendent ici au sens immediat et
materiel, negligeant 1'interpretation spirituelle donnee a ces
passages dans les propheties concernant le Serviteur de
lahve, et par le livre de la Sagesse (n, 13, 16-20).
, p. 352. Moias de cent ans apres la raort du Christ,
Rabbi Aqiba ({ 135) pour sortir de la difficult^ cr6ee par deux paroles de
la prophetie de Daniel (vii, 9) son trone 6tait flamme de feu > et jus-
qu'a ce que les trones (au pluriel) fussent places >, s'6tant avis6 de dire :
II n'y a pas contradiction : un tr6ne est pour Dieu et 1'autre pour Da-
vid *, s'attira la vehemente reprobation de son ain6 Jos6 le Galileen (f
vers 110) : < Aqiba, jusques a quandprofaneras-tulaGloire?Bien plutotun
trone est pour la Justice (de Dieu) et 1'autre pour la Misericorde ! Et
Aqiba acquiesga; Chagiga, 14 a; dans Strack et Billerbeck, KTM, II,
p. 338.
1. Si tu es le Fils de Dieu, descends de la croix de Mt., xxvii, 40 b,
est un 6cho de la parole de Satan au moment de la tentation : Si tu es Fils
de Dieu, dis que ces pierres se changent en pain... Si tu es Fils de Dieu,
jette-toi en bas (du Temple), Mt., iv, 3, 6 ; A. H. Me Neile, The Gospel
according to $. Matthew, London, 1915, p. 420.
46 JESUS CHRIST.
5. J6sus s'explique sur lui-m&me.
Le quatrieme evangile, que nous abordons maintenant, ne
nous menera pas plus avant. Comment le pourrait-il?
Plusieurs des declarations que nous venons de transcrire
ne le cedent, en force persuasive ou en porte'e, a aucune
formule johannique. Nous avons rappele plus haut, et les
critiques les plus pe'netrants commencent a s'en apercevoir,
a quelque ecole qu'ils appartiennent, que la difference sous
ce rapport entre le dernier dvangile et les Synoptiques a te
fort exageree : ils different surtout comme 1'explicite de
I'implicite 1 . Ge que nous avons dit du but, de I'origine, du
caractere du quatrieme evangile rend compte de cette diffe-
rence de presentation, et explique pourquoi nous avons deli-
berement renonce, non certes a faire valoir les declarations
du Maitre rapportees par Jean, mais a les insurer dans la
trame formee par les recits synoptiques. Elles feraient avec
ceux-ci une disparate trop sensible. Pour Jean, en effet, il
s'agit beaucoup moins de raconter Jesus que de 1'expliquer,
de faire resplendir dans sa parole et son activite et la dignite
transcendante et la verite de la chair du Fils de Dieu ; celle-ci
autant que celle-la, mais pour toutes les deux la preoccupation
est moins d'histoire que de doctrine, encore que la doctrine
suppose la realite de 1'histoire.
Geux que vise 1'auteur sont des hommes qui connaissent,
au moins en gros, les enseignements et la vie du Seigneur,
mais que tentent ou troublent les profondeurs de Satan
(Apoc., n, 24), les exegeses du philosophisme ambiant, le
spiritualisme excessif, irreel, des plus anciens gnostiques 2 .
A ces theoriciens fourvoyes, le disciple plus aime rappelle le
fait du Christ. Cette realite, a la fois humaine et surhu-
maine, spirituelle et consistante, historique et eternelle, il
1. Voir t. I cr , p. 174 suiv.
2. Ce n'est pas sans hesitation qu'on emploie ce mot a cette epoque : il
est entendu qu'il vise cette premiere forme de 1'erreur gnostique, carac-
teriseepar 1'interpolation, entre Dieu etl'homme, de Puissances vaguement
hypostasiees, ni franchement hum-aines, ni vraiment divines, et par la
croyance en la malignite fondamentale et irremediable de la matiere. Voir
la-dessus B. H. Streeter, The Four Gospels, London, 1924, p. 386.
LE TEMOIGNAGE DU CHRIST. 47
* '
1'a vue de ses yeux, ouie de ses oreilles, touche*e de ses-
mainis. Aux deductions, aux gloses, aux hypotheses, Jean
oppose son temoignage, et c'est dans ce temoignage que
celui de Jesus arrive a nous. Aussi la j/ersonnalite de Pevan-
geliste est-elle beaucoup plus visible ici que dans les Synop-
tiques ; le style a lui seul^ ce style si particulier, original, en
fait foi *.
Seulement, cette ame m6me a ete murie d'abord et ce style
s'est forme par la meditation perseverance des enseigne-
ments, de 1'attitude, de 1'exemple de Jesus. Et que 1'evangile-
selon Jean reste bien 1'evangile du Christ, nonobstant les-
interpretations explicites et tres conscientes de 1'ecrivain,,
nonobstant d'inconscients rudiments d'interpretation, et
de fond et de forme , resultant du choix des materiaux, de-
leur agencement, de leur presentation, c'est ce que nous*
garantit Pacceptation unanime et pratiquement incontestee de
1'ouvrage par les Eglises chretiennes, deja en possession
des Synoptiques 2 . G'est ce que confirme 1'appel confiant,
repete, de 1'auteur a 1'enseignement primitif, recu des le
debut de la predication, par ceux auxquels il destine son
ouvrage 3 .
Sans attribuer a Jesus chaque detail de leur teneur inte-
grale 4 , encore que nombre de ces mots brefs et pleins, aigus
1. Dans certains cas, note M. Lepin (Lavaleurhistorique du qualrieme
Evangile, Paris, 1920, t. II, p. 102 note), il semble que 1'evangeliste a en-
richi un discours authentique d'un commentaire personnel ; c'est le cas dm
discours final de Jean-Baptiste : Jo., m, 31-36, et du discours de Jesus a
Nicodeme : Jo., in, 16-22. L'auteur ne prend pas la peine d'observer qu'il
ajoute cela de son fonds, il donne tout d'un seul trait comme si ses re-
flexions propres etaient le prolongement naturel du souvenir rapporte. -
II est notable que Maldonat admet le fait pour des raisons de pure exegese,.
comme plus probable, dans le cas de Jo., m, 16.
2. II (le quatrieme Evangile) a et6 accepte vite et au loin, mais n'a.
pas supplante les autres Evangiles. Ceux-ci etaient deja trop profondement
implantes dans leurs domaines propres, ettrop precieuxaux croyants. Ed,
Meyer, Ursprung und Anfaenge, III, 1923, p. 648. Voir aussi B. H. Streeter,
The Four Gospels, 1924, p. 393 suiv.
3. Voir t. I or , p. 159 suiv., et J. Huby, Saint Jean (dans les Etudes, 20 oc-
tobre et 5 novembre 1921).
4. Vouloir etablir dans chaque cas ce qui revient avec vraisemblance
au travail de Fevangeliste serait un effort infini et souvent sterile de divi-
48 JESUS CHRIST.
et luisants comme des epees, portent en eux-me'mes IB. preuve
de leur authenticity litterale, nous devons faire confiance aux
declarations johanniques. Elles repercutent sureme'nt la pense"e
exprimee du Maitre.
Pour saint Jean, le Christ est la Lumiere, la Verite et la
Vie 1 . II possede d'original, done en plenitude, et donne a qui
lui plait, ces biens spirituels et supremes. II en est non seu-
lement le dispensateur souverain et normalement unique,
mais la source. Et il est tel (nous rejoignons ici 1'incompa-
rable declaration rapporte"e plus haut d'apres les textes des
.Sypnotiques) parce qu'il est le Fils de Dieu, unique, coeternel
au Pere, et une seule chose avec Lui : eyo) xal 6 -rcarqp ev ea{Aev 2 !
II faudrait, a 1'appui, transcrire tout notre evangile. Gonten-
tons-nous de quelques paroles plus touchantes ou plus signi-
ficatives.
Jesus repondit (a cette femme de Samarie) et lui dit :
Si tu savais le Don de Dieu
et qui est celui qui te dit : Donne-moi a boire ,
Cest toi qui lui aurais deraande
et il t'aurait donne une eauvive...
Qui boit de cette eau-ci aura soif encore,
Mais qui boit de 1'eau que je lui donnerai n'aura plus soif jamais.
Mais 1'eau que je lui donnerai deviendra en lui
une source d'eau jaillissante a la vie eternelle.
Jo., iv, 10-14.
Aux Juifs 3 qui le poursuivaient parce qu'il avait gueri
un infirme le jour du sabbat, Jesus repond :
Mon Pere travaille jusqu'a cette heure,
Moi aussi je travaille (Jo., v, 17)*.
nation. Nous ne disposons presque jamais ici, comme nous disposons pour
les Synoptiques, de textes' paralleles, dont les divergences nous forcent a
constater 1'existence d'une part de redaction et nous permettent de la deli-
miter en quelque mesure.
1. Sur le sens de ces expressions, voir t. I* r , p. 169-171.
2. Jo., x, 30.
3. On sait que par cette expression Jean designe habituellement soit la
masse du peuple Juif, finalement .infidele a la grace de Dieu, soit, et le
plus souvent, les meneurs, les chefs de 1'opposition faite a la predication.
Voir t. I er , p. 170, note 1.
4. La conciliation de I'activit6 divine ininterrompue avec le repos
divin mentionne par la Genese, ch. if, 2, et 1'imposition par Dieu de la loi
LE TEMOIGNAGE DU CHRIST. 49
Bt comme cette parole scandalise certains auditeurs, Jesus,
loin de la retirer, revendique une autre prerogative divine :
Car, ce que le Pere fait
le Fils semblablement lefait...
Comme le Pere eveille les morts et donne vie,
ainsi le Fils donne vie a ceux qu'il yeut.
Le Pere aussi ne juge personne,
mais il a remis toute judicature au Fils,
aim que tous honorent le Fils comme ils honorent le Pere.
Jo., v, 19, 21-22.
Jesus est le Pain de vie, aliment de 1'intelligence, apaise-
menfc de Pinquietude humaine, principe de la vie superieure
et divine. Mais c'est le Pere qui donne cePain; c'est lui
aussi qui en revele la substantielle vertu : et par une inspi-
ration pressante, une aimantation sainte, et par un enseigne-
ment qu'il ne suffit pas d'ecouter, mais qu'il faut entendre.
du Sabbat, 6tait un sujet de difficulte chez les Juifs. Philosophique ou ca-
suistique, le probleme 6tait r6solu (quand il l'6tait raisonnablement : des
rabbins admettaient couramment que Dieu observait lui-meme le sabbat ;
cf. A. Marmorstein, Quelques problemes de Vancienne apologe'tique Juive,
dans REJ, LXVIII, 1914, p. 165-166), par le recours a la transcendance di-
vine. Voir les textes de Philon, reunis par W. Bauer, Das Johannes-Evan-
gelium*, Tubingen, 1925, p. 78. Un Midrash (Exode Rabba, 30, dans Strack
et Billerbeck, KTM, II, 462) met en scene a ce propos quatre rabbis fameux
dont Gamaliel II et Aqiba. Au cours d'un voyage a Rome, vers 95, Tun d'eux
s'ecria : Le pouvoir de Dieu ne s'exerce pas comine celui de la chair et
du sang. Un roi humain Sdicte une loi et en laisse 1'accomplissement aux
autres : lui-meme n'en a cure.-Dieu ne proceds pas ainsi. Une mauvaise
tete 1'entendant lui dit : Tout ce que vous racontez la n'est qu'imposture.
Vous dites : Dieu ordonne et obeit lui-meme aux ordres qu'il donne. Alors
pourquoi n'observe-t-il pas le sabbat, puisqu'il est sans cesse a 1'oeuvre?
Miserable sacrilege, r6pondent les rabbis ; est-ce qu'un homme, le jour
du sabbat, ne peut pas porter quelque chose a 1'interieur de sa propre me-
tairie, chez lui? Oui. Eh Men! le monde d'en haut et celui d'enbas,
sont la metairie de Dieu, car tout I'univers estplein de sa gloire (Isaie, vr,
3) et meme si un homme commet une faute (en portant un objet le jour
du sabbat), ne peut-il le porter (sans faute) la longueur de son corps
(environ 4 aunes)? Oui. Eh bien! il est 6crit : Est-ce que je ne rem-
plispas le del et la terre. Parole de la/we" > (J6r., xxnr, 24).
La parole de J6sus est l'6quivalent du mot releve plus haut dans les
synoptiques : le Fils de 1'homme est le maitre meme du sabbat (Mt.,
xii, 8; Me., n, 28; Lc., vi, 5). Seulement ici Jesus le motive : pas plus
que celle du Pere, son activite n'est sujette a aucune loi.
JESUS CHRIST. ii. 4
50 JESUS CHRIST.
Transcrivons quelques-unes de ces paroles qiii de'couragenfr
tout commentaire. Les plus haute* verites spirituelles s'y
expriment avec une plenitude que rehausse la - simplicite :
fruits murs, lourds de sue, qu'urie main d'enfant peut deta-
cher, qu'une faira d'homme n'epuise pas 1 .
Mon Pere vous donnera le pain du Ciel, le veritable,
car le pain de Dieu est celui qui descend du Ciel
et donne la vie au monde.
Eux lui dirent : Seigneur, donne-nous toujours cc pain!
Jesus leur dit :
Je suis le pain de vie.
Qui vient a moi n'aura plus faim,
Qui croit en moi n'aura plus soif jamais...
Nul ne peut venir a Moi
si le Pere, qui m'a envoye', ne le tire 1 ...
II est ecrit dans les Prophetes : ilsserontlous enseig?ies deDieu**
Quiconque ecoute le Pere et 1'entend 3 vient a moi...
G'estmoi qui suis le pain vivant, celui qui descend du ciel,
si quelqu'un mange de ce pain, il vivra a jamais,
etle pain que je luidonnerai est ma chair pour la vie du monde.
Sur quoi les Juifs s'excitaient entre eux: Comment cet homme-ci
peut-ilnous donner sa chair t manger ?
Jesus leur dit done :
En verite, en verite, je vous le dis :
Si vous ne mangcz la chair du Fils de I'liomme,
et si vous ne buvez son sang,
vous n'aurez pas la vie en vous...
Car ma chair est vraie nourriture,
et mon sang est breuvage veritable.
Qui mange ma chair et boit mon sang,
en moi demeure, et moi en lui.
Jo., vi, 32c-35; 44-45; 51-53; 55-56.
Pour la longue suite de discussions tenues au cours de-la F6 te
1. Cf. Os6e, xr, 4.
2. Cf. Isaie, LIV, 13; Jer., xxxr, 33-34.
3. 6 ay.ouaas... xai [iaOajv. W. Bauer renvoie opportun^ment a Polybe de-
clarant (Histor., Ill, 52, 10; Didot, I, 140) que son Histoire d' ensemble
1'emporte autant sur les r6cits de detail que le [j-aOetv 1'emporte sur le
simple dtxouaai. Cette notation souligne en roeme temps la Iibert6 de
Fhomme tir6 par Dieu.
LE TEMOIGNAGtf Dti CHRIST. 5
des Tenths qui dirrait sept jours entiers 1 , 1'es droits' du Maitre,
et ses titres a eHre cru, sont presentes sous' d f es formed
diverses, profortd'ement engage* es dans les formes dialectiques
alors enhohneur chez les Rabbis. Mais dans cet appareil peu
families a nos habitudes de raisonnement v et qui nous par alt
so-uvent inoperant ou suranne, le genie du Maitre ouvre des
trainees lumineuses.
Au ! dernier jour, le plusJsolennel de la f6te, Jesus : sedressa-et
s'ecria :
Si quelqu'un a soif, qu'il vienne a moi et qu'il boive!
Qui croit en moi (comme parle rEcriture)
IJe son sein couleront des torrentis d'eau vive.
Jo;, vn, 37',
Au cours d'une argumentation sur les temoignagessuscite'e'
par des scribes, Jesus se refer e au temoignage de son Pere.
La-dessus on lui coupe la parole: 0u esttonpere? Maislui:
Vous ne connaissez ni moi, ni mon Pere :
Si vous me connaissiez, vous connaitriez aussi mon Pere.
Jo., Viil, 19.
Aune autre reprise, ayantaffirme une fois de plus son union
avec le Pere, Jesus repete sa promesse :
Si quelqu'un garde ma parole (en fait la r6gle de ses actions) ,
II ne verra jamais la mort.
Ge mot provoque une nouvelle vague d'indignation :
A' present nous voyotis bien que tu es-un poss^de ! Abrahami est
mort, et- les Prophetes, et toi tu dis : si quelqu'un garde ma parole^
il ne tatera jamais de la. mort! Es-tu plus grand que notre pere
Abraham, qui est mort! Les Prophetes aussi sont morts. Que pre-
tcnds-tuetre?
Jesus repond que la gloire qu'il s'arrogerait de lui-meme
serait vaine. G'est son Pere qui le gloriiie, et cette gloire a sa
racine hors du temps :
Abraham, votre pere, s'est rejoui parce qu'il devait voir mon jour*
Et ilTa vu, et il s'est rejoui.
1. Voir la dissertation definitive de Strack et Billerbeck, Das Laubhilt-
lettfest; KTM, II, p. 774 a 812.
2: Gf. Isaie, .XLIV, 3; LV, 1; LVIII, 11.
3. Sur le sens de fva, cf. W. Bauer, Das Johannes- Evangelium'*, p.
et les autorit6s al!6gu6es.
52 JESUS CHRIST.
La-dessus, les Juifs lui dircnt : Tu n'as pas cinquante ans, et tu
as vu Abraham? Mais Jesus :
En verite, en verite, je vous le dis,
Devant qu'Abraham Mt, je suis (Jo., vin, 52-58).
Une derniere scene de ce drame se joue a la fete de la De"di-
cace' 1 ou des Lumieres, en hiver. Jesus se promenait dans le
Temple dans la portique de Salomon, quand un groupe 1'en-
toura et le mit en demeure de se proclamer le Messie : Jus-
ques a quand nous tiendras-tu en suspens? Si tu es le Christ,
dis-le nous tout net! Le Maitre, en multipliant ses ddclara-
tions messianiques, et plus que messianiques, avait en effet
evite, pour des raisons de juste prudence 2 , de sedire publi-
quement le Messie. Quelques simples, en dehors du cercle
intime, lafemme samaritaine (Jo., iv, 26), 1'aveugle de nais-
sance (Jo., ix, 37), avaient seuls recu cette confidence. Ici en-
core, les provocateurs seront dec, us. Plus que jamais, le Maitre
affirmera sadignite souveraine, mais il le fera en des termes
tels que les hommes de bonne volonte 1'entendent pour leur
bonheur, et que les adversaires triomphant de"ja, et criant au
blaspheme, viennent se meurtrir a la majeste des Ecri-
tures.
Apres en avoir appele au temoignage des ceuvres accomplies
au nom de son Pere, Jesus explique pourquoi ses contradic-
teurs n'en croient pas leurs yeux, c'est que lamechante dispo-
sition de leur coeur les aveugle. 11s ne sont pas accordes avec
lalumineuse doctrine, parce qu'ils aiment leurs tenebres. Us
n'entendent pas la voix du Maitre, parce qu'iis ne sont pas tels
qu'ils puissent faire partie du troupeau.
Vous ne croyez pas parce que vous n'etes pas de mes brebis.
Mes brebis entendent ma voix,
Et je les connais,
Et elles me suivent,
et je leur donne la vie eternelle,
et elles ne periront pas a jamais.
Etnul ne les ravira de ma main.
1. Institute par Judas Macchab6e, le 25 du mois de Kasleu, 165 avant
J6sus Christ [I Macch., iv, 36 suiv.]. Les Juifs i'appelaient Chanukka; gr.
2. Voirplus haut, 1. 1, p. 307 suiv.
LB TEMOIGNAGE DU CHRIST. 53
Ce que mon Pere m'a donne est plus grand que tout,
et nul ne peut le ravir de la main du Pere :
Moi et le Pere, nous sommes un.
Derechef les Juifs saisissent des pierres pour le lapider.
Mais Jesus leur repondit :
N'est-il pas ecrit dans votre Loi :
J'aidit : vous etes des dieux* ? (Ps. LXXXII (LXXXI).
S'il appelle dieux ceux ^uxquels la parole de Dieu etait adressee
(et on ne peut annuler 1'Ecriture),
Moi que le Pere a consacre et envoye dans le monde,
Vous m'accusez de blaspheme parce que j'ai dit : je suis fils de Dieu?
Si je ne fais pas les ceuvres de mon Pere, ne me croyez pas,
mais si je les fais et que vous ne vouliez pas m'en croire,
croyez-en les ceuvres
et (par elles) apprenez et sachez que mon Pere est en moi, et moi
[en mon Pere (Jo., x, 22-38).
Gependant 1'heure de Jesus etait venue et cette fois,
avec la f^te de Paques. Parmi ceux que cette fe"te avait attires
a Jerusalem, Jean nous montre un petit groupe de Grecs,
c'est-a-dire de ces Gentils craignant Dieu , demi-prose'lytes,
affilies au peuple d'lsrael sans avoir ete incorpores a lui par la
circoncision, qui formaient aux synagogues de la Dispersion
une discrete clientele. La manducation de 1'agneau leur etait
interdite, mais il leur etait loisible d'apporter des offrandea,
vouees ou volontaires, qui lesfaisaientparticiper, dans une cer-
taine mesure, a la joie des fils de lahve. Un peu timidement et
par interme'diaires : Philippe, qui estde Bethsaideen Galilee,
ville de population et de langue me'le'es 2 , puis Philippe et Andrd,
1 . Cette argumentation vise 1'emploi du mot conforme k 1'usage scrip-
turaire, et par consequent inattaquable (Jesus aurait pu renvoyer a la Loi
elle-meme : Exode, vn, 1, et xxu, 8. Mais les paroles des Psaumes 6taient
alors couramment citees comme faisant partie de la Loi. Exemple dans
Strack et Billerbeck, KTM, II, 542-543). Sur le fond, J6sus ne retire rien.
Dans le verset 386, je suis la leQon yvwre xa\ fi^n^e, tres solidement
fondee (voir 1'etat du texte dans H. von Soden, Die Schriften, ed. major,
p. 442) et plus conforme par sa subtile progression a 1'esprit johannique.
Cf. dans le meme sens ^IVIOOXTJ, Jo., xvn, 23.
2. G. Dalman, Orte und Wege Jesu 3 , 1924, p. 177. L'expression de
"EXX7)v6s et le souci de trouver un introducteur parlant grec n'impliquent pas
n6cessairement que ces gens 6taient de race hellenique. Pour d6signer
un Gentil, le Juif ou le Chretien du temps n6o-testamentaire n'a guere
d'autre mot que "EXXTjv >. W. Bauer, Das Johannes-evangelium 3 , p. 156.
54 JESUS CHRIST.
ces gens demandent a voir le Maitre. En eux, Jesus discerne
les premices d'une .moisson abondante, puisque 1'Evangile
devait trouver parmi leurs pareils un tres grand nombre de
ses premieres et meilleures recrues. II Jeur dit done :
Elle est venue, 1'heurede 1'exaltation du Fils de I'homme 4 .
En'verite, en verite,je vous le dis :
si le grain de ble tombe en terre ne meurt, il reste seul,
mats s'il meurt, il porte beaucoup de fruit.
Qui aime savielaperd,
et qui hait sa vie-en ce-monde-ci la garde pour la vie eternelle.
. . . Maintenant-mon ame est troublee, et que dirai-je?
Pere, sauve-moi de cette heure.
Maifi c'est pour cela que je suis venu, pour cette heure-la :
Pere, glorifie ton nom! (Jo., xn, 20-28).
JOans le c,ero.le intime, le ton du Maitre se nuance, en ces
heures decisives et tragigues, d'une penetrante douceur. II
faudrait tout transcrire de ces divines paroles, et ,malheur a
qui n'en reconnait pas I'unique accent ! Un mot de revangeliste
nous y introduit dignement : Avant done le jour de la f^te
.pascale, Jesus, sachant que son he,ure etait venue de passjer
de ce monde-ci a son Pere, ayant aime les siens qui etaient
en ce monde, il les.aima jusqu'a laiin 2 .
, You-s m'appelez le Seigneur et le Maitt\e, et vo.us :dites;bien::.je
le suis. .Si done je vous ai lav.e les pie.da, mo.i le Seigneur, mpi le
Maitre, vous devez aussi vous lavcr les pieds les uns aux .autr.ca.
(Jo., xiii, 13-14.)
Que votre coeur ne se trouble pas.
Croyez en Dieu, .croyez aussi en moi...
Si je vais vous preparer la place
je reviendrai et vous prendrai pres de moi,
pour que, oiije suis, vous soyez aussi;
et du lieu oil je vais, vous savez le chemin...
1. Sur la 4raduction de fva ; J. Viteau, Etudes sur le grec du Nouveau Tes-
tament, Paris, 1898, p. 74.
2. Jo., xiii, 1, t jusqu'a la fin , et < jusqu'a 1' extreme 'limite dti possible;
jusqu'au 'bout , : tk T!).OS signifie les deux (exemples dans W. Bauer, .Das
Johannes-evangelium'*, p. 162) et sans doute est-ce pour cela que Jean 1'a
choisi. Le meilleur commentaire, le plus honorable pour la nature
'humaine, est celui de saint Francois : Mon Seigneur et Dieu, je te donne
mon coeur et mon corps, mais ayec quelle joie je voudrais faire davan-
tage, par amour pour toi, si je savais comment! J. Joergensen, Saint
'Francois d'Assise, trad, frangaise, ed. 1909, p. 106.
LE TEMOIGNAGE 1XU CHIUST. :&5
Thomas lui dit : Seigneur, nous ne savons >ou tu vas, comment
saurions-nous le .chemin ? J,esus lui dit : C'est moi qui suis le
chemin, et la verite* et la vie.
N.ul <ne vient au Pere que par .moi (Jo.., xiv, 1;
Philippe lui dit : Seigneur, montrez-nous le Pere, et cela nous
suffit. Jesus lui dit :
Depuis si longtemps, je.suis av,ec vous, et tu.ae m'as pas connu,
[Philippe?
.Qui m'a vu, a vu le Pere.
Comment dis-tu : jnontre-Jious le Pere?
Ne crois-tu pas qi*e je suis dans le Pere <et ,que le
[Pere est en moi? (Jo., xiv, 8-10a).
Je suis la vigne veritable et mon Pere est le jardhrier.
Tout pampre en moi qui ne porte pas fruit, il le retranche,
1 et tout pampre portant fruit, il Temonde,
afin qu'il porte plus de fruit. . .
Comme le pampre ne peut porter fruit de lui-m&me (de son fond)
s'il ne reste attache au cep de la vigne,
ainsi vous non plus, si vous ne demeurez en moi.
Je suis la vigne, et vous les pampres (Jo., xv, 1-5).
Ceci est mon commandementa.moi
Quo vous vous aimiez les uns les autres comme je vous ai
[aimes.
Plus grand amour nul ne possede,
que I'liomme qui met sa vie pour ses amis.
Vous etes mes amis si vous faites ce queje vous ai commande.
Je ne vous appelle plus serviteurs,
Car le serviteur ne sait pas ce que fait son maitre;
Je vous ai appeles amis,
car tout ce que j'ai entendu de mon Pere, je vous 1'ai fait con-
[nailre (Jo., xv, 12-15).
Prenez coeur, j'ai vaincu le monde (Jo., xvi, 33c).
Ay ant ainsi parle, Jesus leva les yeux au ciel et dit :
Pere, Theure est venue,
Glorifie ton fils, pour que le fils te glorifie,
Selon que tu lui as donne pouvoir sur toute chair
Afin que tout ce que tu lui as donnc, il le leur donne : la vie
[cternelle.
Or voici la vie eternelle :
qu'ils te connaissent, toi, soul, le Dieu veritable,
etcelui quetu as envoye, Jesus Christ.
1. Sur le cri fameux pr6t6 a al-Hall^j : Ana al Haqq, Je suis la VERITEJ ,
voir infra, p. 77, la note V : Je suis la verile.
56 JESUS CHRIST.
Moi, je t'ai rendu gloire sur la terre
consommant 1'oeuvre que tu m'as donnee a faire :
Maintenantdonc, toi, glorifie-moi, Pere, pres de toi,
De la gloire que j'eus, pres de toi, devant que le monde fut.
(Jo., XVH, 1-6.)
Je ne suis plus en ce monde,
mais eux sont en ce monde,
et moi je vais a toi !
P6re saint, garde en ton nom ceux que tu m'as donnes,
qu'ils soient un comme nous !
Quandj'etais avec eux, je gardais en ton nom ceux que tu m'as
[donnes.
Et je les ai bien gardes, et nul d'entre eux n'a^eri hors le fils
[de perdition, pour que 1'Ecriture s'accomplit.
Je leur ai donne ta parole
et le monde les a hai's...
Je ne demande pas que tu les tires du monde,
mais que tu les gardes du Malin.
Us ne sont pas du monde, comme moi je ne suis pas du monde,
Consacre-les dans la verite,
ta parole a toi est verite...
Je ne prie pas seulement pour ceux-ci
mais pour ceux qui croiront par leur parole en moi :
Que tous soient un :
Comme toi, Pere, es en moi, et moi en toi,
qu'ils soient aussi en nous.
Et que le monde croie que tu m'as envoye.
(Jo., xvn, 11-13; 140, 15-17; 20-21.)
Conclusion.
II est loisible apres cela, de chicaner sur tel ou tel des-
textes alldgues, voire sur une se"rie entiere. L'ensemble tien-
dra par sa masse, mole sua stat, et 1'historicite substantielle
des documents suffit a mettre hors de doute le sens et la
porte*e du tdmoignage de J6sus. II ne s'agit pas en effet d'in-
terpolations, de details, de broderies surchargeant c.a et la
1'histoire evangelique, mais de sa trame entiere. Incontesta*
blement, Jesus s'est donne" pour un prophete, un envoye*
d'en-haut, un fils de Dieu.
Or s'il est bien des fac.ons de revendiquer ces titres, on
peut, sur le point essentiel, les reduire a deux.
La premiere est celle qu'ont adoptee, apres les grands-
voyants d'Israe'l, Jean Baptiste et les ap6tres du Christ, de-
puis Pierre et Paul jusqu'a nos contemporains, les mission-
naires chretiens de toute confession, un David Livingstone-
ou un Charles de Foucauld. Tout en reclamant pour le mes-
sager de Dieu une autorite indispensable, ce genre de mai~
trise ne le tire pas de son r61e pe'dagogique, le prophete se-
presente comme un homme parlant a des hommes, un servi-
fceur conversant de plain-pied avec ses freres en humanite.
Gomme Pierre entrait, Cornelius, venant a lui, tomba a ses^
pieds, mais Pierre le releva, disant : Et moi aussi, je suis-
un homme! (Act., x, 25, 26.)
Le Maitre est alors une voix, un ambassadeur commis-
sionne par Dieu; meme dans la plus relevee de ses fonctions,
il se rappelle et rappelle que ses droits sont strictement me-
sures par les exigences de sa mission. En dehors d'eile, il a^
des opinions, des preferences, des desirs, tout cela demeure-
humain, precaire et discutable.
Chacun de vous dit : Moi, je suisThomme de Paul. Et moi r
d'Apollos. Et moi de Cephas. Et moi, du Christ! Voyons r
est-ce que le Christ est divise V Est-ce que Paul a ete crucifie pout
vous, ou si vous avez ete baptises au nomde Paul?...
57
.58 JESUS CHRIST.
Que personne done ne mette sa gloire dans les hommcs.
Tout est a vous
Soit Paul, soit Apollos, soit Cephas ,
rsoit le monde, soit la vie, soit la mort, soit le present, soit le futur,
Tout est a vous, mais vous au Christ, et le Christ a Dieu.
I Cor., i, 12-13; m, 21-23.
Un bon professeur en commencant son service, vise a se
<rendre inutile et n'a plus qu'a disparaitre, une fois son dis-
ciple suffisamment initie". Ainsi les nraitres excellents de 1'or-
dre religieux ne pretendent pas a Tine autorite sans condi-
tions. 11s sont des e"veilleurs; ils transmefrtent le "flambeau
qu'ils ont recu. Et mieuxils comprennerit leur r61e, plus pro-
fond apparalt 1'hiatus, plus grande la distance qui separe le
.serviteur du Maitre unique, rinitmteur humain de celui qui
I'-envoie et le commissionne :
Et je tombai a ses pieds pour 1'adorer. Mais (1'ange) me dit :
Garde-toi de le faire! Je suis ton compagnon de service et celui
>de tes freres qui gardent le temoignage de Dieu. Adore Dieu!
(Apoc., xix, 10.)
On peut concevoir toutefois un autre genre de maitrise,
exempt de ces limitations. II abaisse en faveur du ma'itre la
barriere infranchissable d'autant plus visible que Thomme
est spirituellement mieux informe separant le ,cree -do
Tinfini. L'autorite du prophete n'apparait plus limitee a une
fonction, a une epoque, a une mission de'terminee. 11 ne se
presente plus comme un instructeur initial et temporaire, mais
comme un exemplaire universe! que tous doivent avoir a
-cceur d'imiter. Ses actions sont considerees comme norma-
tives, son influence comme inepuisable. L'heure n'est pas
prevue ou, la legon etanfc suffisamment penetree, 1'initiation
complete, les disciples peuvenfc metfcre de cote, respectueuse-
ment, un magistere desormais sans objefc. Bref, le maitre n'esfc
plus considere comme un moyen d'illummation ou de pro-
gres, mais comme le mediateur unique et necessaire. Jl n'est
pas seulement canal, mais source. 11 vaut par ce qu'il ensei-
gne, mais aussi par ce qu'il est, par la dignite de sa personne
encore plus que I'importance de ses lecons. II n'est pas une
voie, mais la voie; il ne transmetpas la vie, mais la donne. II
'.n'est pas une lumiere dans le monde, il est la lumiere du
CONCLUSION. 59
monde. G'est pourquoi il fait des promesses que Dieu seul
peut garantir; il reclame pour lui ce que Dieu seul peut
exiger.
Gette seconde sorte de maitrise fut celle que revendiqua,
seul des hommes sains d'esprit que nous connaissions par
1'histoire, Jesus de .Nazareth 1 .
1 . Apres avoir distingu'6 dans le sens religieux des hommes des degres
diff6rents, et attribu6 le plus 61ev6 au profj/itte dont le role est, dans la
sphere -Feligieuse, celui de Tartiste cr6ateur dans >celle de 1'art, -Rudolf
Otto conclut son.farneux opuscule Das Heilige* (1926), p. 221 : Toutefois
le prophete ,ne ,repr6sente pasle plus haut degre. Nous spouvons en ima-
giner un. troisieme, encore plus el eve, ,un degre de revelation qu'on ne
peut pas plus d6river de celui du prophete ^que le don pro.phetique de
celui des simples mortels. Nous pouvons regarder par dela le prophete
vers le seul dans lequel 1'Esprit existe en toute plenitude, et qui, tout a la
lois, dans sa personne et dans son osuvre, est devenu 1'objet le plus ad6-
quat de la faculte discretive du divin, dans lequel la Saintet6 se soi
rendue manifeste. Un tel etre est plus que prophete. 11 est le Fils.
NOTE Q
SUR L'HYMNE DE JUBILATION
Mt., xi, 256-30; Lc., x, 21-22.
Ce cantique si important, si caracteristique, devait etre et a ete-
1'objet de travaux et aussi le point de mire d'attaques innombra-
bles. Ontrouvera une histoire consciencieuse de 1'exegese jusqu'en
1922, dans le memoiredu Docteur H. Schumacher, Die Selbstoffen
barungJesubeiMt., XI, 27 (Lc., X,22), Freiburg i. B., 1922.
1 Avant meme que la forme litteraire de ces paroles eut donne
lieu a des discussions passionnees, menees sur des lignes assez-
differentes parM. A. Loisy, Les Evangiles Synoptiques, Ceffonds,
1907-1908, I, p. 905-915 et A. von Harnack, Spriiche und Reden
Jesu, Leipzig, 1907, p. 189-216 ; et brillamment renouvelees par le-
celebre philologue classique Eduard Norden dans son Agnostos-
TheoSf Untersuchungen zur Formengeschichte religioeser Rede,
Leipzig, 1913, p. 277-308, on en avail conteste 1'authenticite au
nom de leur saveur johannique. Chose piquante, Renan lui-mSme
(dont on sait qu'il fait etat du quatrieme evangile comme source
d'histoire) esquiva la portee de la declaration de Je'sus par cette
raison : Matthieu, xi, 27 et Luc, x, 22, representent dans le sys-
teme synoptique une tardive intercalation conforme au type des dis-
cours johanniques (Vie de Jesus, ed. definitive, p. 255, note 2)..
Harnack, qui avaitete precede dans cette voie par J. Wellhausen
(Das Evangelium Matthaet, Berlin, 1904) et a ete suivi partiellc-
ment par Rud. Bultmann (Die Geschfchte des Synoptischen Tra-
dition, Goettingen, 1921) accepte, au lieu de la legon critiquement
certaine Imyw&aMi de Matthieu, xi, 273 = Ytvw<rxei de Lc,, x, 226, la
forme sans appui dans les manuscrits grecs eyvw (Ed. Meyer prefere-
dans Mt., xi, 276, eiceYvw). Maissurtout, abusant d'une variante pa-
tristique fort explicable, et assez naturelle, qui place le Pcre avant
le Fils, Harnack efface le stique qui concerne la connaissance du
Fils par le Pere ! Ainsi diiment amende et allege, le texte, explique
de la seule connaissance historiquc privilegiee, que ? Jesus posseda
do son Pere, prend un sens acceptable et doit etre considered
comme aulhentique !
La restitution tout a fait arbitraire et indefendable de Harnack a
60
SUR L'HYMNE DE JUBILATION. 61
ete parfaitement r6futee par le R. P. Lagrange dans son Evangile
selon saint Luc, Paris, 1921, p. 304-305.
2 A. Loisy (en 1907), puis Ed. Norden(en 1913), avecbeaucoup
plus d'etendue et de precision, soutiennent a la fois et 1'unite litte-
i-aire, et I'inauthenticit4 totale du morceau. qui serait une sorte de
eantique compose par un ou des prophe.tes Chretiens, a une
epoque relativement basse, en imitation des cantiques scripturaires,
et notamment de celui qui termine le Livre de 1'Ecclesiastique
(Jesus Sirach), ch. LI. Norden admettrait volontiers une infiltra-
tion des ecrits hermetiques et notamment du Poimandres (ed.
R. Reitzenstein, Strasbourg, 1904, p. 27-28). Eduard Meyer (dans
Ursprung und Anfaenge des Christentums, Stuttgart et Berlin,
1921-1923, vol. I, p. 282-291), refusant de le suivre sur ce point,
adopte pour le reste, en les mitigeant, les vues de Norden. Tout ce
qu'il accorde comme authenticite, c'est que 1'improvisation du pro-
phete chretien surement se relie a des pense"es, qui etaient vi-
vantes aussi dans Jesus : Gewiss kntipft er an Gedanken an, die
.auch in Jesus lebendig waren ; p. 291. Dans son dernier ouvrage
sur les Evangiles : Evangile selon Luc, Paris, 1924, p. 300-301,
M. Loisy accentue le caractere rythmique et strophique du pas-
sage, demeurant fidele pour le reste a son ancienne position.
On trouvera la refutation de cette hypothese, 1'une des plus vio-
lentes qui se soient produites dans la critique litteraire des evan-
.giles, dans la dissertation de J. Lebreton, Origtnes du Dogme de la
Trinite (note D ; 6 e ed. , p. 591-598) et dans l'vangile selon saint Mat-
thieudu R. P. Lagrange, Paris, 1924, p. 226-230. Des 1903, je me
uis explique sur la pretendue imitation litteraire del'Ecclesias-
tique, Etudes du 20 Janvier 1903, p. 164-169.
On peut dire que les travaux recents sur les precedes du style
oral, notamment chez les Semites, ont acheve de rendre intolerables
ces conjectures d'imitation litteraire, en faisant tomber les dernieres
difficultes soulevees par Ed. Meyer et A. Loisy. C'est une habitude
et, pour ainsi parler, une regie du style oral, que 1'improvisateur, sur
les matieres generalement simples et en nombre limite qui lui ser-
vent de themes, utilisent, comme bien" commun, un nombre consi-
derable d'expressions synonymes a peu pres interchangeables, et
d'images qui s'appellent mutuellement. Possedant a 1'etat deja
stylise les elements de sa composition, le Recitateur improvise sans
peine des rythmes ou les critiques modernes, familiers exclusifs du
style ecrit, sont portes a voir un travail litteraire, nourri decentons.
d'imitations et d'emprunts. Des excmples sans nombre, anciens ou
eontemporains, empruntes aux Afghans comme aux Yagans de la
62- JESUS CHRIST.
Terre de Feu, aux Merinas de Madagascar,, comme auxr Berbere>
du Maroc et aux Tai'toqs du Sahara bref a tous les peuples* de'
style oral montrent au. contraire que de telles improvisations
sur des pensers nouveaux, mais nourris de cliches tradition-
nels, sont de tous les jours. Dans une redaction orale (s'il est per-
mis de s'exprimer ainsi) le genie personnel du Recitateur trouve
fort bien le moyen de marquer son empreinte; L'improviBateur de
style oral, quand il est genial, pourrait s'appliquer le mot de; Pas-
cal : Qu'on ne dise pas que je n'ai rien dit' de nouveau : la dispo^
sition des matieres ajoutons la maniere,, la fagon de charger
d'emotion des expressions anciennes, de rajeunir par une juxtapo*
sition subtile les metaphores usees, de faire valoir par Tantithese,.
1'alliteration, le parallelisme, Fenseignement regui est nou^
velle; quand on.jpueala paume v r c'est une meme balle dbnt joue 1'uii-
et Tautre, mais Tun la place mieux (Bensees,, ed.. Brunschvicg,
n. 22). Sur les particularitiss du style oral, voir le Memoire de-
M. Jousse, Le Style oral, rythmique et mnemotechnique, chez les
verbo-moteurs, dans Archives de Philosophic, II, 4, Paris, 1925; et.
mon article sur le Style oral dans Etudes du 20 juin.1925, CLXXXIII,.
685-706.
/
3 Un bon nombre de critiques de 1'Ecole liberale et la presque
unanimite des exegetes anglicans, ont defendu. 1'unite litteraire et
Tauthenticite substantielle du morceau. On peut se reporter, pour
les derniers mentionnes, a la note substantielle de A.H 1 . MacNeile,.
The Gospel according to s. Matthew, London, 1915, p. 163-167.
Parmi les autres, W. Heitmueller, RGG, III, Tubingen, 1912,
col. 374, reconnatt que le passage appartient a la source des'
logia, done la plus ancienne. En depit de beaucoup d'hesitations,.
nous^avonsle droit de tenir ferme a son authenticite substantielle ..
C'est aussi la position, beaucoup plus ferme et mieux motivee de
Johannes Weiss, dans sa dissertation- Das Logion Mt-., Xf, 25-30,
dans les N. T. Studien G. Heinrici...dai'gebracht, Leipzig, 1914;.
p. 120-129. Apres avoir expose tres correctement le sens des
paroles, il reconnait qu'elles ont une saveur johannique incontes-
table, mais que leur forme litteraire n'est nullement un obstacle a
leur authenticite, et trahit nettement, sauf pour les tout premiers,
mots, une origine judeo-palestinienne.
NOTE R
UR L' AUTHENTICITY ET LE SENS
de Mt., xvi, 13-20.
Nous n'avons a examiner ici ce passage que dans sa partie origi-
nate, versets 16c-19'. Pour 1'e reste, on sait qu'il ne presente avec
Icrecii'deMc., vm, 27-30, suivi parLc., ix, 18-21, que des differences
modales. Mais 1'importance capitale de cette partie a retenu de tout
temps I'attention etexercela virtuosite des exegetes. La voici :
2u ei 6 Xpictoi; [Me. : 2b si 6 XpiffTo's; Lc. : Toy Xpiaiov tou Qsoo]
6 ulbq.Tou sou tou WVTO?.
'ATioxpiOsli; 8s 6 'Iviffou? slnev UTW'
Maxapio; e? 2i(jwov Baptwva
OTI c&p^ xalatiia oOx dbrexXu'j;v sot
aXX ' 6 Ttar^p (^ou 6 iv LTOI?] otjpavoTi;'
Ka'Yjt*) Se' aot.Xe'Y.to o*ti tru si DeTpoi;,
xal enl tavTY] T?) irg-cpa otxoSo^ao) |jtou TVJV IxxX'/ifftstv,
xai TruXai aSou ou xari<Jj(u<TOUfftv aSiS);'.
owffw sot ti<; xXetSa? Trfc pa<nXei<; iwv oupavaiv,
xai 8 ectv S^crv); iwi Tr,t y9fc E<rTt.SsSs[Asvov sv TOI? oupavo"?,
x\ 8 liv Xuffv-j? ITT! T/J<; Y^? sffrat XeXuixsvov EV TOI; oupavot<;
<r Tu es le Ghrisi
Le Fils du Uieu vi.vant.
R^pondant, J&stislui dit :
Bienheureux es-tu, Simon fils de Jona,
Car ce n'est pas (la) chair et (le) sang qtii font revele (ceci) r
Mais mon Pere qui estaux cieux.
Et moi je te dis que Tu es Pierre
Et sur- cette pierre-lci j'edifierai mon eglise
et (les) portes de 1'enfer ne pr6vaudront point centre elle.
Je te dbnnerai les clefs du Royaume des cieux,
Et ce que tu lieras sur terre sera lie dans les cieux
Et ce que-tti d61ieras sur terre sera deli6 dans les cieux.
Le sens est tres clair en gros, et la suite, manifesto. A la confes-
sion de foi explicite et, dans sa teneur complete ( le Fils du Dieu
vivant ), nmivelle, de Pierre, Jesus repond par une approbation
solennellequi. en souligne la portee capitale. Suit une benediction
qui est en merne temps une promesse et une prophetic. Reprenant
'64 JESUS CHRIST.
et expliquant le nom de Kepha (Cephas) donne jadis a Simon fils de
-Jona, Jesus en prend texte pour lui assignor un role de premier
plan dans son oeuvre. De memo quo la confession de Jesus, Fils du
Dieu vivant, fonde la foi chrctienne, de meme la personne de Pierre,
representee et symbolisee par son nom, fondera, pierre vivante,
I'ediftce que Jesus va edifier. Cc fondement est un roc : comme la
maison du sage (Mt., vn, 24-25), la communaute de Jesus ne sera
done pas ebranlee ou, du moins, renversee. Les portes de 1'enfer,
ces avancees fortificcs et redoutables de la Cite d'en has (mort et
enfer), ne parviendront pas a triompher de 1'e'glise fondee sur Pierre.
Et celui-ci aura la garde des portes de la Cite d'en haul, du Royaume
-des cieux :
< Je mettrai sur son epaule la clef de la Maison de David,
et s'il ouvre, nul ne fermera,
et s'il ferme, nul n'ouvrira.
Isai'e, xxir, 22 (trad. Condamin).
Lecaractere semitique, et archa'ique de tout le passage n'est pas
-contestable. Je ne vois pas que les circonstances pour la redaction
aient pu se rencontrer quelque part ailleurs que dans la plus
ancienne Communaute de Jerusalem , dit le tres radical critique
R. Bultmann. C'est ce que prouve aussi bien la teneur verbale des
paroles que la suite des pensdes qu'elles expriment. Le jxaxapio? el
(v. 17) est manifestement 1'equivalent de la forme de felicitation
semitique avec le pronom (suffixe) de la 'deuxieme personne du
singulier. La formule [/.axcxpto? et se trouve tres rarement dans les
formules de felicitation (macarismes) grecques (voir H. L. Dirich-
let, De veterum macarismis, RVV, 4, 1914, p. 15, 3; 42, 1, et aussi
( p. 26). L'appcllation adressee a Pierre : 2t'(xwv Ikpuova n'a pu qu'a
peine etre formulee d'abord en grec (cf. Jo., i, 42; xxi, 15 suiv.).
2ap5 xa\ ocTy-a est un semitisme connu. Au verset 18, le jeu de mots
sur le nom de Pierre n'a surement pas ete conc.u en langue grecque
(les eliminations proposees par Dell : ZNTW, XV, 1914, p. 14 suiv.,
sont, de ce chef, totalementinsoutenables). Car, entoutehypoth6se,
on aurait cvite, dans un jeu de mots d'origine grecque, le change-
mentde genre Trerpo? Tr=Tpa. II s'explique tres bien, au contraire, par
le fait que dans le texte arameen primitif, il y avait deux fois le mot
Kepha ( tu es une Kepha etsur cette Kepha ); mais comme au
temps du traducteur grec ireipo; etait consacre comme nom propre
de Pierre, ce traducteur devait naturellement 1'inserer tel quel, tout
en ecrivant, conformement a 1'original, Inl Tauiyj ty iti-ipa. De plus, les
a5ou sont un semitisme connu. Finalement les S?i<iai etXuaat sont
SUR L'AUTHENTICIT^ DE MTV, xvi, 16-19. 65
les equivalents classiques dans la terminologie rabbinique pour
defendre et permettre, et Topposition terre-cielrepond. a 1'usage des
langues semitiques ; R. Bultmann, Die Frage nach dem messianis-
ehen Bewusstsein Jesu und der Petrusbekenntnis, dans ZNTW,
XIX, 1920, p. 170-171; et Die Geschichte der Synoptischen Tradi-
tion^ Goettingen, 1921, p. 84. On peut voir les rapprochements
rabbiniques innombrables dans le KTMde H. L. Strack etP. Biller-
beck, I, p. 730-746.
II faudrait egalement insister sur le rythme evidemment semi-
tique, de tout le morceau. Mais ce peu de remarques suffit a e*li-
miner les conjectures de ceux qui ont cherche* a 1'expliquer comme
la creation posterieure totale, ou partielle, de 1'figlise de Rome. En
dernier lieu A. von Harnack a voulu y voir le developpement, sur le
sol romain, d'un logion authentique ou Jesus auraitpromis a Pierre
qu'il ne mourrait pas avant 1'avenement du Royaume. Der Spruch
fiber Petrus als den Felsen der Kirche dans les Sitzungsberichte
de rAcaddmie de Berlin (20 et 27 juin 1918). Voir la refutation
detaillee dans P. Schepens, RSR de!920, p. 269-302; etL. Fonck,
dans Biblica de 1920, p. 260-263. On peut dire que, sur ce point de
1'origine tres ancienne et palestinienne du morceau, la cause est
entendue, du simple point de vue critique.
L'hypothese de R. Bultmann, Die Geschichte der Synoptischen
Tradition, Goettingen, 1921, p. 84, et p. 156-157, etc... d'une
creation petrinienne de la plus ancienne Communaute do Jeru-
salem, fait du moins justice au caractere primitif des paroles. Mais
elle est entierement gratuite, et s'etaie moins a 1'etude des textes
qu'a un ensemble de conjectures sur le caractere tardif et timide
de la croyance en la messianite de Jesus, qui est exclu par tout ce
<que nous avons dit dans cette partie. Cf. supra, t. I, p. 312, ou nous
avons resume la critique decisive de Bultmann par Mundle, Die Ges-
ehichtlichkeit des messianischen Bewusstseins Jesu, dajis ZNTW,
XVI, 1922, p. 299-322. Les conjectures de Bultmann sont d'une rare
faiblesse : Le fait que Je"sus prend ici rinitiative avec sa question
estdeja une marque du caractere secondaire du recit... Pourquoi
Jesus interroge-t-il sur une chose sur laquelle il pouvait etre aussi
3>ien renseigne que ses disciples? etc., p. 156. L'etat de la ques-
tion est bien resume par H. Dieckmann, Neuere Ansichten iiber
die Echtheit der Primatstelle (Mt., xvi, 17 sqq.) dans Biblica, IV,
1923, p. 169-200.
jtsus cimiST. n.
NOTE S
LE REGIT DE LA TRANSFIGURATION ET SON
INTERPRETATION RATIONALISTS
Ce recit que nous avons reproduit dans sa forme la plus fraiche
et qui figure avec des modalites interessantes mais sans portee
pour 1'objet de la prdsente note, dans Mt. et Lc., a donne lieu aux
plus etranges commentaires. Admettre une vision reelle est pour le
critique rationaliste (et surtout etait, il y a quelque trente ans) un
scandale! II fallait done qu'elle ait etc" invente'e de toutes pieces,
apres coup. Partant de la, on a mis en branle pour en expliquer la
genese tout un appareil d'hypotheses : suggestion du Vieux Testa-
ment, choc en retour des visions futures du Christ ressuscile,
decalque d'apocalypses posterieures, etc. Chaque detail a donne
lieu a des recherches de sources ou d'analogies, etl'on sait qu'a ce
genre, qui cherche bien trouve toujours !
Un exegete aussi rassis que H. J. Holtzmann voit dans ccs
simples paroles O&TO'S e<mv 6 uid; [xou, & Ayaur/pos, un conglomerat c'e
trois textes bibliques (Ps. H, 7; Isai'e, XLII, 1; Deut., xvm, 15)!
H. Gunkel fournit un arsenal d'analogies ramassees dans les mytho-
logies antiques (Zumreligionsgeschichtlichen VerstaendnisdesN. T.,
p. 71); il est encore depasse en cela par E. Lohmeyer, Die Verklac-
rung Jesu nach dem Markus-Evangelium dans ZNTW, XXI, 1922,
p. 185-215, ou Ton retrace devant nous toutes les etapes de la
longue et aventureuse histoire qu'a par devers lui le recit de la
transfiguration de Jdsus avant sa premiere mise par ecrit dan&
1'Evangile de Marc ; p. 212. Un premier noyau de 1' episode est
juif, profondement racine dans le sol juif , et en somme c'est
une confession en la messianite de Jesus habillee en histoire .
Cette legende est nee dans un petit cercle intimement lie avec le&
premiers disciples (sans quoi la presence d'une parole authentique
de Pierre ne s'expliquerait pas). Une fois nee, et solidement
implanted en sol juif, uniquement intelligible a des judai'sants, la
legende voyage, emigre en sol hellenistique, et la s'assimile un
fragment, ou du moms un motif de mythe pai'en : la transfiguration
de Jesus. Alors 1'episode devient intelligible aux fideles de la Gen-
tilite : et ainsi se rencontrent en ce rare recit ce qui s'est sou-
66
LB RECIT DE LA TRANSFIGURATION BT SON INTERPRETATION. 07
vent repete dans 1'histoire du christianisme antique I'element
juif extreme et I'extreme Element pa'fen, et tous deux servent a la
plus grande gloire du Kyrios Jesus Christos , p. 213. De son
cote P. W. Schmiedel (EB, IV, 4570-4571) accepterait le fond^
pourvu que tout se soit passe dans la conscience de Jdsus! La
participation de Pierre, Jacques et Jean devient en ce cas bien moms
active. Qu'ils fussent alors presents, on n'a pas ale nier, mais leur
activit6 se serait limitee aceci : que, peut-6tre en se reveillant, ils
recurent une puissante impression de I'imposante majeste avee
laquelle Je*sus les aborda, apres avoir entendu la voix celeste. En
ce cas, ils n'auraient pas entendu eux-meines les termes dans les-
quels cette voix est rapportee, mais ils les auraient appris ensuite
delabouche de Jesus (Loc. cit., col. 4571).
Le celebre historien Eduard Meyer proteste avec vivacite contre
cet abus. L'histoire de la Transfiguration est consideree par
les critiques theologiens (Ed. Meyer ne connait, et ne cite presque
que des exegetes protestants liheraux) en regie generate, comme
tout a fait depourvue d'historicite, comme un mythe ou un doublet
secondaire des apparitions du Christ ressuscite. J'ai deja combattu
cette interpretation dans mon livre Origine et Histoire des Mor-
mons (1912), et je renouvelle ici ce que j'en ai dit. Cette interpre-
tation si repandue est encore, sans le savoir, entierement domine'e
par le prejuge rationaliste ; elle ne comprend rien a ces phenomenes
anormaux, non rationnels, dela vie de 1'ame, quijouent un si grand
role dans la vie de toutes les religions. II note ensuite que le
recit de la Transfiguration de Marc porte au plus haut degre le
caractere d'une vision reelle, que ses traits sont on ne peut plus
realistes (durchaus realistische Ziige), qu'il n'y a pas dans 1'histoire
biblique de vision decrite de fagon plus naturelle; qu'il n'y -a
nullement a douter que Pierre ait vecu cet dpisode, 1'ait raconte et
ait cru i'crmement a sa realite ; et qu'enfin s'expliquer le detail
par une analyse psychologique de me'canique mentale n'est pas
la tache d'un historien; ce fait lui suflit que des traits de ce genre
sont arrives tres frequemment dans tous les temps, et qu'ils ont
joue assez souvent une influence tout a fait decisive sur le deve-
loppement religieux, et memo quelquefois, comme par exemple
c'est le cas pour la Pucelle d'Orleans, sur le developpement
politique Ursprung und Anfaenge, I, 1921, p. 152-157.
B. H. Streeter fait de son c6te (et sans connaitre, semble-t-il,
la protestation d Ed. Meyer) des reflexions absolument semblablos
(The Four Gospels, London, 1924, p. 546). D'apres lui, une des
erreurs fondamentales de 1'Ecole de Tubingen est d'avoir assume
68 JESUS CHRIST.
que Le'fait d'etre .guide par une vision est pour le document qui
1'admet ,un signe xl'origine leg-endaire. iDans la nroitie do Ja vie
des saints, >ajoute-t-il, le tournant decisif s'accompagne 'de visions
regardces par eux comme.r.expression de la volonte .divine, et
de nos jours, dans Undo, et en .Af'rique, et en Europe,, la ,m&me
chose .arrive conformement a la;psy.ckologie humaine (cf. Dream
Psychology and .the Mystic Vision du m6me auteur dans Hibbert
Journal ;de Janvier .1925).
Ces jRemar.qu.es sont entierement fondees .etrexemple de Jeanne
d!Arc heureusement choisi, mais on aurait s pu donner aussi bien
celui do .la vision de saint Raul sur ,le chemin de Damas. -En
eliminant .a priori :de la trame de ,1'histoire les faits <de.ce ; geni'e,
on exerce sur les documents \une violence arbitraire que-laipsycho-
logic .rellgieuse ne -desavoue pas moins que la saine 'Cciti'que. Et
j'ajoute que ces.exclusions developpent chez ceuxxju';une philosophie
particuliere, et bornee, ,amene a ies prononcer, des .habitudes
deplorables xle vir-tuosite A tommer, a amender, a interpreter en
lermes .contemporains, les .textes anciens. Nous retrouverons le
meme defaut, a.sa plus haute puissance, dans la critique rationa-
liste des .apparitions du Christ ressuscite.
Voir dans Jc mfime sens jq.ue .Lohmeyer, M. Goguel, Esquisse
d'une .interpretation du ?:e'cit de la Transfiguration^ Rev. de I' Hist,
des Religions, LXXXI, 1920, p. 145-157,
NOTE T
LES RECITS DE LA GENE DU SEIGNEUR, ET SON SENS
II. serait iniini.de retracer ici, m6me en. groSvl'Mstoire da 1'mte.r-
pretation de ces. recits dans la, critique liberals. et rationalist de
notre temps. On trouvera le principal dans les. travaux. de;M e? Ch.
Ruch,, Eucharistie d'apres, la Sainte Eariture, DTC, V (1913.)
coli. 989-1121; de M Br P., Batiffol, L'Eucharistie (ed. definitive),
Paris, 1913, p. 76-163; et pour la litterature plus re.cente dans
B. Erischkopf, Die neuestem EiiOBrtevu.ngen'uber-die. Ahend/nahls-
frage, Miinster i.. W., 1921, p,, 100-155.
II est peu de textes, qui. aient donne: lieu a? des travaux plus
divergents et, il 1'aut le reconnattre, plus tendancieux. On en a, un
bon specimen dans les pages consacrees a la question par un
exegete relativement moderej, personnel, et so,uvent,mioux,ihspirei
Dans sa Theologie du Nouveau Testament (BibliscHe Theologie
desNeuen Testaments i.Ttibingen, 1921 r n. 11, p. 69-76) M. H. Weir
nel reussit, du point de vue de la critique f'ormelle, independante
de 1'histoire, line dissection qu'on n'aurait pas erne possible.
Son parti pris centre tout sacramentalisme se heurtant aux recits
de la Gene, il pratique la methode (que nous retrouyerons quand
il sera qjnestion des recits de la resurrection:) dii Divide etimpera,
D'apres lui, les narrations se resolvent en deux; types entierement
in conciliates, quant a leur contianut et quant a leur teneur- :
celui de Marc (xiv, 22-25), et celui.de; Paul (I. Cor., xi, 23r25) (Mat-
thiett est jete par dessus bord comme teinte de sacramenitalisjne. 1 ;
Luc est un conglomerat dont on ne paut. r,ien tiner de certain,
p. 73^74). Restentdonc Paul et Marc, etentre eux il fant clioisir. :
Entweder... oder..., p. 74. Or, ; le recif de Paul, e&t le plus ancien
ettoutefois nous avons a nous decider centre lui , p. 74. Pourquoi?
Parce qu'il est empretnt de sacramentalisme ! Si'- done nous
avons du dernier repas de Jesus deux reeils, Vun avec et I'aulre
sans pense'e sacramentelle^ c'est ce dernier qu'il faut prefer&r,
p. 74, Car il est sur, en tous cas, que Jesus n-a vaulus instituer
aucun; sacrement , p^., 75:. <c D'ailleurs la teneur du recit dans Paul
se laisse developper en partant de celui de Marc, et non rdcipco*
quement ,. etc.. Rentrons dans 1'histoire,,
69
70 JESUS CHRIST.
Ici encore 1'historien Eduard Meyer nous y ramene. II nous
rappello que la tradition (relative a la Gene) appartient au plus
ancien etat de 1'Evangile, celui que Paul a rec.u par tradition a
Damas , au lendemain de sa conversion. II fait remarquer qu'il
faut, pour attribuer a Paul comme 1'a fait J. Wellhausen (et apres
lui bien d'autres) une tradition speciale distincte de celle de la
grande Eglise, donner au texte (I Cor., xi, 23) un sens entiere-
ment faux . II constate ensuite que le recit de Marc s'accorde
en general littdralement avec celui de Paul . Les quelques diffe-
rences modales sont insignifiantes, car les chretientes pour
lesquelles Marc e'crit savaient a quoi s'en tenir (Ursprung und
An/aenge des. Christentums, I, 1921, p. 174-176). C'est 1'evidence,
et Ton voit ce qui peut subsister des incompatibility pretendues
de Weinel.
Pourquoi faut-il que, apres cette ferme reaction de son sens his-
torique, Ed. Meyer lui-meme, hante par la meme crainte de sacra-
mentalisme, estime haulement problematique la question de
savoir si quelque partie des paroles mises ici dans la bouche de
Jesus est authentique ? L'unique raison qu'il donne de son doute
est celle-ci : La pense"e que la communaute, par la reception
du Pain et du Yin au cours de 1'agape commune, entre avec lui en
union immediate, participea une communion mystique ou magique
(sic) et regoit reellement son corps et son sang, ne peut jamais
avoir ete exprimee par Jesus, du moins dans un repas auquel
hii-meme encore en vie assiste et prend part , p. 179. II faut done
1'attribuer, d'apres Meyer, a une creation de la plus ancienne
Communautd chretienne pre-paulinienne : un pas de plus, et on
aura la conception de 1 Eglise Corps du Christ. D'ailleurs, 1'auteur
ne veut voir la aucune infiltration pai'enne : la conception est
sortie tout entiere du sol Chretien (p. 180, note 2).
C'est ainsi que, pour eviter des dilFicultes d'ordre prejudiciel,
un historien de grand merite se laisse aller a recrire Thistoire,
non d'apres les textes qui sont clairs, et unanimes a attribuer a
Jesus ces paroles; non d'apres les vraisemblances, qui toutes
eonfirmcnt cette solution (on le voit par l'arc-en-ciel d'hypotheses
bizarres, contradictoires et parfois saugrenues qu'on a tentd de
lui substituer), mais d'apres de deplorables preoccupations d'ecole.
Comment ne voit-on pas que si les premiers disciples, au lendemain
de la mort de leur Maitre, avant la conversion de Paul, ont pu
avoir et formuler cette conception tout entiere sortie du sol
ehretien , leur Maitre a pu 1'avoir lui-m&me? Comment ne voit-on
pas que plus cette conception est extraordinaire et nouvelle (tout
LES RECITS DE LA GENE DU SEIGNEUR, ET SON SENS. 71
en ay ant ses racines dans les propheties de 1'Ancien Testament),
plus grande aussi est 1'assurance avec laquelle on la presente des
forigine et sans conteste comme enseignee par le Seigneur ,
plus droit elle nous conduit a la Personne meme de Jesus ?
Parmi les etudes recentes, plus originales et qui ont chance
d'orienter pour un certain nombre d'annees la critique liberate
des origines chretiennes, il faut distinguer celles de M. Gillis
P. Wetter sur les anciennes liturgies chretiennes (Altchristliche
Liturgien : I. Das christliche Mysterium, Studie zur Geschichte des
Abendmahles, Goettingen, 1921 ; et II. Das christliche Op/er t Neue
Studien zum Geschichte des Abendmahles, ibid., 1922).
Avec une singuli6re audace, 1'auteur pretend y restituer, par
divination, les divers stades du culte chretien ancien. C'aurait
7 >
d'abord ete une commemoration de la mort et de la resurrection
du Christ analogue aux mysteres pai'ens provoquant Tapparition,
1'epiphanie, la presence sensible du Dieu et les acclamations de
ses fiddles. Tout le reste ( anaphores ), rappel de la carriere
terrestre du Seigneur, idee de sacrifice, etc., serait posterieur.
Quant a 1'oflrande chretienne, elle aurait consiste d'abord a pre-
senter a Dieu du pain et du vin a la mode juive. De la presence
de ces elements, epiphanie de Jesus au milieu des siens, offrande
du pain et du vin, serait ne le sacrifice chretien, la Messed
M. Alfred Loisy s'est rallie dans ses ouvrages les plus recents
a des vues encore plus avancees, jusqu'a soutenir : que non
sculement la legende de Je"sus et 1'enseignement lui attribue sont
pour la presque totalite un produit de la tradition chretienne,
mais que la litterature evangelique est, fond et forme, une litte-
rature liturgique concue et redigee en vue de la lecture dans les
assemblies chretiennes ; Evangile selon Luc, 1924, p. 23-24.
La formation de ce qui, dans cette legende stylisee, concerne
1. J. Lebrelon, RSR, 1924, p. 344-346 a bien montre comment les deux concep-
tions que Wetter s'efforce de dissocier sont inse'parablement unies dans les
premiers documents Chretiens; onn'y trouve pas, comme le suppose cette hypo-
these factice, d'un c6te le pain et le vin offerls a Dieu, de 1'autre la presence du
Seigneur; on trouve, au contraire, des la premiere Epitre aux Gonnlhiens, la
mention expresse de ces paroles de 1'institulion qui genent tant M. Wetter, et
celte consequence qu'en tire saint Paul : quiconque mange le pain et boit le
calice du Seigneur indignement sera responsable du corps et du sang du Sei-
gneur. Des lors aussi apparait clairement le caraclere propre du sacrifice
eucharistique : le corps est le corps livre" pour vous , le calice est la nou-
velle alliance dans mon sang , et de me'me que les pai'ens et les Juifs parlici-
paient, par des repas sacra's, aux victimes du sacrifice, de meme les chr6tiens,
en participant au calice que nous bdnissons et au pain que nous rompons
participent au sang et au corps du Christ.
72 JESUS CHRIST.
1'institution de 1'eucharistie, est attribute par M. Loisy a 1'imagi-
nation creatrice de Fap6tre Paul. Au recit primitif de la Gene du
Seigneur, simple repas d'adieux, traverse par le pressentiment
d'une fin imminente et le rappel de 1'avenemcnt glorieux escompte
(vainement) comme prochain, se serait substitute sous 1'influence
de Paul, influence lui-meme par la mystique pai'enne, sinon quant
au detail des rites, du moms quant a la conception gendrale, une
version nouvelle. Cette version que Paul tenait ou croyait tenir
(car ici, pour nous, vision et fiction se touchent , Les livres du
Nouveau Testament, 1922, p. 11) d'une vision, d'une sorte d' apoca-
lypse (cf. I Cor., xi, 23-26), transforma 1'episode amical en une
gnose sacramentelle, ou le corps et le sang du Christ, la Nou-
velle Alliance , la communion, le caractere sacrificiel et propi-
tiatoire furent introduits. Imposee par I'ap6tre visionnaire aux
Eglises fondees par lui, cette interpretation de la Gene passa a
la chretiente entiere. Nos recits evangeliques actuels et meme
celui de Marc, ou les elements redactionnels sont moins
visibles et moins nombreux, seraient un compromis entre les
deux traditions, des vestiges de la premiere subsistant sous le
triomphe complet de la seconded
On n'attend pas que nous preventions une critique suivie de cette
restitution souverainement arbitraire. Elle suppose dans Paul
Iui-m6me un melange d'habilete semi-consciente et d'imagination
hallucinatoire, qui n'est pas plus conforme a ce que nous savons
de 1'apotre que n'est vraisemblable la passivite et, a vrai dire,
1'insigne et coupable stupidite pretee aux temoins survivants de la
vie du Maitre, et notamment aux Douze. Mais 1'audacieuse fiction
de M. Loisy fait partie d'un ensemble qui, une fois admis, rendrait
vaine toute discussion de details. C'est cet ensemble meine qui,
nous esperons 1'avoir montre au livre I de cet ouvrage, n'est pas
recevable en histoire.
De tels exces, faits pour disqualifier une methode, ne doivent
pas nous fermer les yeux sur le fait que, a c6te d'intolerables
erreurs, les etudes de G. P. Wetter, celles de son maitre W. Bous-
set et les autres qui, comme celles-la, partent de rctude directe de
1. Voir les Livres du Nonveau Testament, 1922, p. 9 a 12; tlvangile selon
saint Luc, 1924, p. 40, p. 506 suiv., RllLR, 2" s6rie, VII (1921), p. 517-520, a
propos de 1'ouvrago de M. A. Omodeo, Prolegomena alia sloria dell' eta aposto-
lica, Messine, 1921 ; VIII (1922), p. 576. Les vues analogues, mais plus couvertes,
pr6sente"es par M. Loisy dans sea fivangiles synoptiques, II, Ceffonds, 1908,
p. 517 a 544, sont Ires clairement expos^es et refut6es avec solidit6 et ampleur
par M" T Ruch, DIG, 5, col. 1083 & 1090.
LKS RECITS DE LA GENE DTJ SEIGNEUR, ET SON SENS. 73"-
la plus ancienne liturgie et du milieu ; religieux contemporain de-
1'age apostolique, s'engagent dans une voie moins artificielle quo
celle de leurs predecesseurs immediats, can tonnes dans une
methode presque exclusivement litteraire. C'est un fait (et les tra-
vaux de F. G. Dolger, Die Sonne der Gerechtfghkeit und der
Schwarze\ Sol Salutis, etc..., Mtinster i. W , 1919, 1920, et ceux
de Dom Odo Casel et de ses collaborateurs du Jahrbuch fur Litur-
giewissemchaft, Munsteri. W., depuis 1920, notamment III (1923),.
p. 1-17, 1'ont mis en bonne: lumiere) que la liturgie chretienne s'est.
developp^e dans les lignes ge"nerales que les besoins fondamentaux
de I'ame humaine imposent par une necessite naturelle et
divine a. tout developpement religieux, quand celui-ci n'est pas-
totalemeni fausse ou corrompu. II faut done s'attendre a rencon-
teer,; et Ton rencontre en effet, des points de contact considerables
entre la partie la plus haute des religions antiques et le christia-
nisme, non. seulement dans le 1 formulaire (emploi d'une -prose
rythm^e et nombreuse), le ceremonial (representation, action ,.
mimique) et le symbolisme (seala mentis, ascension reglee du mate-
riel au spirituel, le premier etant 1'image du second), mais dans
les fins poursuivies : union avec Dieu moyennant la victime
immolee, rite de propitiation et de delivrance, apprehension anti-
cipee de la vie eternelle. La question n'est pas la et il faut evitcr-
la reaction excessive que les abus de la methode comparative tea-
dent a soulever chez beaucoup de Chretiens instruits a ce sojet
(Voir J. Lebreton, RSR, 1924, p. 350-351) '.
1. [Depuis que cette note a 616" dcrite, a paru le livre de H. Lietzmann,.
Messe und flerrenmahl, Eine Stadie zur Geschichte der Liturgie. Gf.
1927, p. 329-333.]
NOTE U
TEXTE DE LA CONFESSION SUPREME DE JESUS
Me., xiv, 55-64.
J. Wellhausen, Das Evangelium Marci, Berlin, 1903 ( 2 1909),
p. 132, s'etait permis, en gardant le reste, de rayer la seconde
demande du grand pretre ( Es-tu le Christ, le Fils du Beni ) et la
reponse de Jesus : Me., xiv, 616-62. Cette audacieuse suppression n'a
etc, que je sache, admise par personne. Apres M. Loisy (Les'^van-
giles Synoptiquettyll, 1908, p. 604, n. 4), Ed. Norden, Agnostos
Theos, 1913, p. 195, 2, a tres bien vu qu'elle brisait absolument la
suite du recit. Ed. Meyer a repris la question (Ursprung und An-
faenge, I, 1921, p. 187 suiv.) et donne a ce propos une severe legon,
non seulement a Wellhausen, mais a tous ceux qui pratiquent une
methode devenue tres commune dans la critique des Deux Testa-
ments et qui mene a tant de bevues . Cette methode (ou absence
de methode) consiste a confondre la critique historique qui s'occupe
avant tout de 1'auteur et de son recit, avec la critique de vraisem-
blance appliquee de fac.on tranchante, et decidant a priori ce qui,
4ans un recit, peut e"tre exact ou non.
Dans ce cas, la suppression de la confession de Jesus (Me., xiv,
62) entrainerait non seulement dans le recit du jugement, mais
dans toute 1'histoire ulterieure de la passion une dechirure irrepa-
rable a laquelle Wellhausen ne remedie que par des expedients
desespere's (p. 193 et note). Conclusion : II est tres comprehen-
sible que la thdologie liberate desire mettre de c6t6 la tradition
d'apres laquelle Jesus s'est reconnu ouvertement comme Messie et
en arrive logiquement a biffer cette confession du plus ancien recit
que nous ayons. Si cela etait correct, J6sus serait en fait et tout juste
1'annonciateur d'une meilleure morale et connaissance de Dieu.
Tout au plus, lui serait-il arrive que ses disciples 1'aient tenu a part
eux pour le Messie, mais il aurait en realite tenu loin de lui toute
inspiration transcendante.
C'est done au probleme fondamental de la conception du Jesus de
1'histoire que nous touchons ici.:... Or, apres ce que nous avons
itj il ne peut y avoir aucun doute que Jesus, questionn6 devant le
TEXTE DE LA CONFESSION SUPREME DE JESUS. 75
(
Sanh6drin par le grand pretre, s'est reellement reconnu comme le
Messie , loc. cit., p. 193-194.
La conclusion d'Ed. Meyer atteint a fortiori ceux qui, avec
M. A. Loisy, dans ses derniers ouvrages (Les Livres du Nouveau
Testament, etc., Paris, 1922, p. 275), presenteraient toute la scene
du jugement comme tine simple fiction apolog^tique . Et 1'auteur
<le reconstruire la genese du texte a partir d'un premier recit plus
simple , qu'on. ne peut qu'entrevoir. Avec 1'interpolation fcheuse
du triple reniement do Pierre et les preliminaires aussi insigni-
fiants qu'invraisemblables de cette seance nocturne, la scene du
jugement par le grand pretre a ete construite au moyen de trois
elements qui sont faciles a discerner : 1 ce qui est dit des faux
temoins et de la parole de Jesus sur le Temple, parole qui a chance
d'etre authentique ; 2 1'aveu formel par Jesus de sa qualite de
Fils de Dieu entierement inventee pour corriger par avance
1'impression douteuse que donne la mention de roi des Juifs , et
pour expliquer la condamnation de Jesus par 1'aveuglement fana-
tique des autorites juives devant le Christ du mystere (sic] ;
3 la scene d'outrages imaginee pour 1'accomplissement des pro-
phe"ties.
Cette restitution resume et aggrave, avec une secheresse sure
d'elle-meme, 1'hypothese presentee avec plus de developpements
et d'une fagon plus modeste, dans le premier ouvrage de 1'auteur :
Les Evangiles Synoptiques, II, p. 592-611. Seulement, la scene des
outrages est presentee dans la premiere version comme 1'anticipa-
tion de la scene du pretoire, p. 599. L'hypothese gene"rale est que
Marc a voulu transporter toute la responsabilite de la mort du
Christ sur le Sanhedrin : de la, la fiction d'un premier proces, ante-
rieur a celui qui eut lieu reellement devant Pilate, et dans lequel
on montre, decidee et preformee par les autorites juives, la mort
de Jesus. On ne nie pas qu'il y ait eu le matin, chez Cai'phe, dans
la reunion qui prepara la denonciation... une sorte d'information et
de concert preliminaire entre les accusateurs et les temoins. Rien
n'estplus vraisemblable... ilest possible egalement que CaTphe ait
interroge le Sauveur et qu'il 1'aitlaisse maltraiter par les valets". ,
p. 599.
De cette hypothese, qui reconnait 1'historicite substantielle du
fond, presentee deja avec defaveur dans 1'ouvrage de 1908 , le seul
vestige qu'on retrouve dans celui de 1922 est que dans la source
de Marc , il devait etre question d' une reunion preliminaire
ou les accusateurs concerterent la denonciation qu'ils allaient porter
devant Pilate ; Les Livres du Nouveau Testament, p. 276.
76 JESUS CHIUST.
En r6alite, c'est la un edifice de nu6es, un tissii de conjectures
tres arbitraires. De Tintention pretee a Marc de noircir les autorities
juives et du transfcrt de responsabilites qui s?ensuivrait, il n'y a
pas de trace dans I'histoire, non plus que d'une source qu'il aurait
retravaillee et recrite a sa fantaisie. On lui prete en toute cette
affaire une maladresse jointe a une rouerie qui est bien le comble
de I'invraisemblance. II ne sait pas construire un triptyque dont
les scenes se suivent selon un, rapport logique . Son recit
manque d'equilibre , est invraisemblable, incoherent, etc... et r
en m&me temps, il est plein, d'astuce et- d'artifice. II garde le&
formes du langage rabbinique en remplaant le nom de Dieu par
un qualificatif ou un nom abstrait qui en tienne la place. La
description de la gloire du Christ est prise du Ps. ex ; celle de
1'avenement messianique est prise de Daniel. 6vangiles Synopti-
ques, p. 606, etc.
Qu'il s'agisse de faits anciens ou contemporains, de la mort de
Cesar ou de la bataille de la Marne, aucun, rdcit d'histoire ne resiate-
rait. a i'application aussi massive de la methode de divination, de
correction, de dissection critique. Le meilleur remede seratoujours
de rccourir au texte et de le replacer dans son milieu historique
reeL II y a surement des savants, remarque a ce propos
B. II. Streeter, The Four Gospels, London, 1924, p. 495-496, qui se
fourvoient... en voulant rajeunir au maximum la date de cet evan-
gile (de saint Marc). Ms ne s'apergoivent pas que le probleme re'el
est d'expliquer la date, relativement tardive, a laquelle la tradition
eccldsiastique assigne ces recits officiels de la vie de son fondateur;
ct aussi de rcndre compte du caractere naif et primitif de la presenr
tation du Christ telle qu'elle est faite dans Marc, en assumant que
cet evangile a ete ecrit apres beaucoup d'aniiees ; de developpement
cultuel et de speculation theologique qui sont presupposes dans
les epitres de saint Paul. Ecelesia&tiquement, meme en lui assir
gnant comme date Tannee 65, Fevang^le de Marc retarde deja de
dix ans, pour ainsi dire, sur Fepoque ou il a ete ecrit. Sa naivete
et ses caracteristiques primitives ne peuvent s'expliquer que par
la dependanee de son auteur par rapport a une tradition ancienne
etpure (unsophisticated).
NOTE V .
JE SUIS LA VERITfi
Celebre en Perse et dans tout le monde musulman, mais ignore
du^grand public occidental, discute par les rares speciaTistes qui
en connaissaient plus que le nom, Al-Hosayn-lbn-Mansour Al
Halldj (le Gardeur de coton) est entre dans la pleine lumiere de
1'histoire, grace aux admirables travaux ,de Louis Massignon :
AlHallaj, Kitdb a I Tawdstn, texte arabe public pour la premiere
fois, Paris, 1913 ; Quatre textes inedits r.elatifs a la Wographie
d'Al Halldj, Paris, 1914 ; La Passion d'dl H6sain-ib?i-Mansour al
Halldj, martyr mystique de Vlslam (deux volumes de xxxi, 942
-j- 105 pages in-8), Paris, 1922; Essai sur les origines du lexique
technique de la mystique musulmane, Paris, "1922. Voir aussi
H.Lammens, AlHallaj, dans :RSR, V, 1914, p. 123-125; J. Mare-
-chal, Le Probleme de la Grace Mystique en Islam, dans RSR }
Xni,1923,p. 244-292; R.,A. Ts T icliolson, ''ER'E,"Vl, 480-482.
Ne vers 864 ; (,hegire 244) a ,Al-Tia (province de Fars au sud de
la Perse), ascete et mystique, eleve des maitres soufis, il rompt
avec eux vers 896 (h. 283), voyage en prilchant sa doctrine dans
toutel'.Asie centrale et se fixe, au retour de son pelerinage a la
Mecque, a Bagdad. II y fait ecole. Denonce comme charlatan, puis
<;omme heretique, il est arrete en 913 (h. 301), et passe huit annees
en prison, dans une liberte relative. Son proces est repris alors
pour des raisons .d'ordre, semble-t-il, plutot personnel, et il est
finalement flagelle, exposd sur un gibet, enfin decapite le 26 mars
922 (h. 309) sur 1'esplanade de la prison neuve a Bagdad. Voir El
s. v. Al Halldj, II, p. 254-255.
C'est au moment de sa rupture avec son maitre soufi Al Jonayd
que Al Hallaj est cense avoir prononce la parole fameuse que la
tradition musulmane lui attribue : Une fois, raconte Al Baghdad!
(t 1037, h. 429), il (Al Hallaj) vint trouver Al Jonayd et lui dit :
Ana.' al Haqq! Je suis la Verite! Mais Al-Jonayd lui repliqua :
a Non, c'estpar la Verite que tu existes ! Quel gibet tu souilleras
de ton sang !
Cette version, au jugement de L. Massignon, est legendaire.
Quant au mot : Ana' al Haqq! Je suis la Verite , ainsi attribud
77
78 JESUS CHRIST,.
a Al-Hallaj, rien ne permct d'affirmer qu'il 1'ait prononce, mais
toute la tradition theologique musulmane en a fait le symbole de
sa doctrine sur 1'union mystique (La Passion... de Al Hallaj ,
I, p. 61-62).
D'apr6s cette doctrine, en effet, il peut arriver un moment dans
1'union avec Dieu, ou cette union devient transformante, ou le moi
humain disparait en quelque sorte, tant l'tre divin se Test soumis,
accorde, pdnetre, tant il a bu et consume* 1'essence humaine
dont il se sert comme de porte-parole.
A ce moment, investi par la lumiere divine, 1'homme reste la,,
sans substance, ni vestige (de sapersonne). Etilpeut dire, bal-
bulier :
Est-ce Toi ? Est-ce moi ?. . .
II y a une Ipsdite tienne (qui vit) dans mon neant desormais
pour touj ours.
II reste toutefois une dualite" pergue, encore que faiblement :
a Entre moi et Toi (il traine) un c'est moi ! (qui) me tourmente..
Ah! enleve, de grace, ce c'est moi! d'entre nous d'eux .
Cette derniere piece, conclut Massignon (La Passion d'Al Hai-
ldj\ II, p. 523 suiv., ou Ton trouvera les renvois aux sources) r
nous aide a interpreter le cri prete a Al Hallaj : Ana' al Haqq ! Je
suis la Verite ! Ce mot qui resumera pour la posterite, de fagon
un peu trop concise, la doctrine d'Al Hallaj sur 1'union mystique,
nous parait une mise au point des formules de Bistami (le plus
celebre des mystiques soufis, Bayazid al Bistami, mort vcrs 875,
hegire 261, ou peu apres : El, I, p. 704) : Toi, qui es la
Reunion de tout, Tu ne m'es plus un autre mais moi-meme !
Quoi qu'il en soit de cette interpretation qui ecarterait tout soup-
gon de pantheisme, on voit que la parole pretee au plus cel6bre
des mystiques de 1'Islam, canonise par la devotion populaire ,
en depitdes juges qui Tont condamne (El, II, p. 254), a la supposer
authentique et elle ne Test pas sous cette forme n'aurait
encore qu'un rapport verbal avec la parole de Jesus : Je suis la
Verite *. Car, prononcee dans 1'etat de transe mystique, elleexpri-
merait seulement ce haut etatde 1'ame, frequemment exprime dans
les mystiques Chretiens orthodoxes, dans lequel 1'impression de
1'fitre de Dieu est si puissante qu'elle semble consumer et abolir
le moi humain qu'elle investit, et faire de celui-ci une seule chose
avec Dieu .
1. Sur la part faite a Jdsus dans la tWologie mystique d'Al Hallaj,. voir
J. Marshal, Le Probleme de la Grace Mystique en Islam, RSR, XIII, 1923,
p. 277-281.
GHAPITRE II
LA PERSONNE DE J&SUS
Le probl&me de J6sus : Les donne'es.
En face de ces revendications, c'est un etrange sentiment
d'etonnement, de depaysement qu'on eprouve d'abord. Volon-
tiers on ferait echo a ces serviteurs du Sanhedrin, mis en
demeure d'arre"ter le Nazareen et s'excusant de ne pas 1'avoir
fait parce que jamais homme n'a parle" comme parle cet
homme-la! (Jo., vn, 46).
Qu'on pese en particulier le role attribue a la personne du>
Maitre dans 1'oeuvre du salut et de la redemption, les desti-
nees desames et du Royaume de Dieu regleessur les rapports
de 1'homme, indrviduel et social, avec 1'enseignement, 1'exem-
ple, la vertu purificatrice et Tamour personnel de Jesus; ces.
echelles et hierarchies de valeurs si deconcertantes, alors-
m4me, alors surtout peut-e"tre que le Christ proclame une limi-
tation pu une impuissance de sa nature humaine. Ges paroles
dont 1'authenticite est criante et incontestee valaienl
done d'etre dites !
Touchant ce jour-la, ou 1'heure, personne ne sait,
non pas mSme les anges du ciel,
Pas meme le Fils,
Mais seulement le Pere (Me., xm, 32).
Le Pere est plus grand que moi (Jo., xiv, 28) 1 .
1. Le sens de cette parole ressort du contexte ou Jesus dit a ses apotres :
Si vous me cherissiez, vous vous rejouiriez de ce que je vais vers le-
Pere, car le Pere est plus grand que moi. II s'agit done ici du Christ
viateur, en marche vers une gloire dont Tlncarnation avait comprime et
comme Iimit6 le rayonnement > (Alfred Durand, Le discours de la C&ne,
dans RSR, I, 1910, p. 538). Cette interpretation est egalement celle du
P. M.-J. Lagrange, Evangile selon saint Jean, 1925, p. 394 suiv. Tous deux.
79
$0 JESUS CHRIST.
A
Semblablement dans les relations filiales que Jesus suggere
a ses disciples envers Dieu, Jesus n'identifie jamais sa posi-
tion et la leur. II apprend a ses disciples a dire : notr.e Pere,
mais lui-me'me ne parle pas ainsi, il dit : votre Pere et : mon
Pere 4 .
Ses exigences ne sont pas moins exorbitantes que ses pro-
messes. L'amour de preference qu'il exige est presente comme
un motif indiscutable de justification, un gage de salut e*ter-
nel; c'est un devoir de religion primant les obligations de
famille les plus sacrees obligations pourtant renforcees et
:se referent au florilege patristique reuni par B. F. Wescott sur ce passage,
The Gospel, according to S. John, Additional note on Ch. xiv, 26-28; eft en
partioulier a 1'opinion de saint Cyrille .d'Alexandrie dans son vaste Com-
menlaire sur saint Jean, X, 1, PG, 74, col. 308-325. Le Docteur Alexandrin
y glose en somme la fameuse description de 1'Incarnation dans 1'Epitre
aux Philippiens, n, 5-10. Egal a .son Pere en essence parce qu'il est en
forme de Dieu , le Verbe s'est aneanti en prenant une nature humaine,
forme servile , qtii le rend capable d'une glorification ult&ieure. Le
Pere la lui conferera par la resurrection, et ainsi Jes disciples doiyent se
rejouir de voir cette heure approcher.
Cette opinion n'exclut pas la raison apportee par la plupart des Peres
.anciens de cette majorite ou primaut6 ou presSance >, TO (JLEI^OV,
du Pere. E lie la suppose plutot, puisque toute la mission du Verbe incarn6
convient ex,cellemment a son caractere de Fils, done engendr6, tenant du
Pere ce qu'il est et second par rorigine. Et c'est ce qu'entendaient les
Docteurs anciens quand ils mettaient en luiniere < cette delicate nuance
d'une preseance paternelle sans sup6riorite de gloire ; Th. de Regnon,
Eludes de Theologie positive sur la sainte Trinite", III, Th6ories grecques
des Processions divines, Paris, 1898; 6tude XV, 3 : la Primaut6 du Pere.
On trouve la tons les textes essentiels, en particulier celui de saint Gre-
.goire de Nazianze qui adopte et hierarchise les deux opinions, Oral. Theo-
logic,, IV, 7, PG, 36, col. 1HM13.
1. J. Lebreton, Origines 6 , p. 304. M6me lorsqu'il s'adresse a eux, il
observe cette distinction : Je dispose en wire faveur du Royaume
comme mon Pere en a dispos6 en ma faveur , Voici que je fais des-
cendre sur vous le promis de mon Pere (Lc., xxn, 29; xxiv, 49). Et
d'autre part : Votre Pere qui est au ciel donnera ce qui est bon a
ceux qui le prient , Votre Pere celeste sait que vous avez besoin de
tout cela .(Alt., vii, 11; Lc., xr, 13). II y a la evidemment, conclut M. :J.
Lebreton, plus qu'une habitude de langage, chez un maitre si humble
et si soucieux de precher d'exemple. Ce soin constant de distinguer sa
priere de cello de ses disciples et sa filiation de la leur, ne pent qu'etre
imp6rieusement commande par la conscience de .oe qu'il est et de ce
-qu'ils sont. >
LA PERSONNE DE JESUS. 81
restituees avec 1'institution qui les fonde dans leur dignit6
premiere. G'est une source vive, inepuisable, de purete morale
et de reconfort.
De ces constatations surgit le dilemme : ou Jesus etait et
savait qu'il e"tait ce qu'il disait e"tre, ou quel pitoyable illu-
sionne fut-il?
Geux qui ne veulent pas du premier membre de Talternative,
tachent d'echapper au second. II ne parait pas en effet opportun,
nim^me convenable, de discuterici avec des adversaires fictifs
ou scientifiquement inexistants, les hypotheses d'apres les-
quelles Jesus aurait etc" un simple imposteur 1 ou un dement.
D'un geste dedaigneux et peremptoire, Renan ecarte cette
derniere sottise : Le fou ne reussit jamais. II n'a pas ete
donne" jusqu'ici a 1'egarement d'esprit d'agir d'une fac.on se-
rieuse sur la marche de I'humanite 2 .
Jesus fut au contraire un homme religieux, un sage, un
saint : il est 1'honneur commun de tout ce qui porte un cosur
d'homme. Place au plus haut sommet de la grandeur hu-
maine..., superieur en tout a ses disciples..., principe inepui-
sable de connaissance morale, la plus haute de ces colonnes
qui montrent a rhomme d'oii il vient et ou il doit tendre. En
lui s'est condense tout ce qu'il y a de bon et d'eleve dans notre
nature 3 .
1. Reprise pour la honte de 1'humanite' aux xvi e etxvm* siecles, cette
absurdity avait scandalise le Moyen Age a travers le conte dit des Trots
Imposteurs dont 1'origine fut attribuee jadis a 1'empereur Fr6d6ric II
(f 1250) qui s'en dSfendit. On en trouve des attestations un peu plus
anciennes en Occident. L'origine de la 16gende, ou Mahomet figure sur un
pied d'6galite avec Moi'se et J6sus, est orientale et islamique. L. Massi-
gnon en a fait la preuve dans la Revue de I'Histoire des Religions, t. 82,
La legende < De tribus impostoribus > et ses origines islamiques, 1920, II,
p. 74-78. Le plus ancien 6crit ou ce parallele est 6tabli est un texte ini-
tiatique dil a une secte musulmane h6t6rodoxe, les qarmates, dont la pro-
pagande secrete aboutit a la proclamation d'un Kalifat dissident, celui des
Fatimites, a Mahdiyah (Tunisie) en Tan 909 (Hegire 397). L'editeur du
document, Baghdildi, est mort en 1037. On retrouve I'id6e sous diverses
formes dans d'autres ouvrages qarmates du xi e siecle, redig6s en persan.
2. Vie de Je'sus**,?. 80. Voir infra, note X, Sur la sante mentale de Jesus.
3. Vie de Jesus **, p. 465, 468, 474. J'entends d'ailleurs toutes les reti-
cences perfides qui accompagnent ces hautes louanges. Mais je transcris
ici 1'opinion d'un adversaire, je ne releve pas le t6moignage d'un juste.
JESUS CHIUST. H. 6
82 JESUS CHRIST.
Les ex^etes conl/emporains les plus radicaux ; ne sont pas
mains nets. Je choisls a 'desseiii partm eux celui peu1>4tre qui
ale plus renouvele les questions qu'il atouchees, feu Wilheltti
Bousset i : Dans sa contenattce tottt heToiqu'e, 'dans ;son
absolu devotrement, d#ns so'n e'stinle exclusive allatot ijusqti'ati
7 -a Jl
mepris du reste pour ce qui est le plus haut et 1'u-ltime, J^su : s
delftetire, il'est vt<ai, par rapport a noufs aune distance infran-
chissable; -dans Jane ; aut^Htte, une solitude, 'uwe inacce'ssi-
bili>te 2 -deva'fit laq'tielle nous entrt>ns eh craiwte. Noiis n ? os'ons
nous Miesuretalui 1 , nous placer a c6te"'du Heros. Mis ilresto
la conscience de fceux <j'tii 'croient enlui; ses paroles devien-
nent raiguilloti qui ne leur perraet pas ie repos. 11 fixe avec
une clartie ^souvefaine la diirecti^on dans la>quelle nous demons
marcher, ; si loin de lui qu'il toous -faille renter 3 ,
Voila pour la saintete du Maitre. Voici pour :sa douceur :
Dans son attitude &nvers les ipecheurs, Jesus troave son .plus
royal trioniphe. ; G'est iei le miracle des miracles que lui, qui
se pr^sente a ses 'disciples avec des exigences morales si laau-
tes, si serieuse's, si rudes, puisse dtre en na^me temps plein
de misericorde et d'une tendresse de femme la ou il trouvait
une ume humalne, ;se tordant, impuissante, dans le peche. Lui,
pour lequel personhe ne faisait jamais assez, se cbntentait des
plus humbles vouloirs ; lui qui plac. ait son but si haut^ a l'infihi\
se rejouissait en constatant la moindre avance d'un pas encore
chancelatit stir la route notrvelle; lui qui voulait allumer 1111
incendie, exultait a voir la moindre etincelle du divin briller
sur une anie d'homme 4 .
Et voici pour sa dignite :
(En matiere de religion) J^esus avait conscience de dire le
dernier mot, la parole decisive ; il avai't la certitude d'etre le
Gonsommateur apres lequel nul autre ne viendrait. La surete r
la force simple de son action, le rayonnement lumineux, la
1. Mort a Giessen le 15 mars 1920, dans la force de l'age. Personne,
disait'a ce propos E. Preuschen, ZNTW, X'lX, 1920, p. 50, ne s'entendait
comme lui a faire lever, des sillons qu'il ouvrait, line nuee de problemes
nouveaux; son Jesus, 4 e ed., par K. L. Schmidt, 1922.
2. Furchtbarkeit. II faudrait ici le mot italien lerribilitd*.
3. Jesus, p. 72. Je traduis sur Ia3 e edition, Tubingen, 1907.
4. Ibid., p. 73-74.
LA PJEHSONNB BE JESUS. #3
clarte, la fraicheur de tout son e"tre s'appuient a ce fondement.
Onne peut rayer de son portrait, sans le detruire, cette cons-
cience plus que prophe'tique, cette conscience d'etre le GOTI-
sommateur a la personne duquel le cours de tons les temps et
tout le sort des disciples sont attaches 1 . .
Qu'un telhomme ait adopt e, en priv6 comma en public, dans
les effusions de sa pie*te* comme sous le coup des contradic-
tions, devant ses intimes comme en face d'indiffSrents et d'en-
nemis, 1'attitude prise par Jesus de Nazareth, qu'il s'y sort
tenu, qu'il y ait mis sa t^te, cela est considerable et meri'te
reflexion. Savait-il re element ce qu'il disait? Voulait-il vrai-
ment le dire? Ge que nous potivons connaitre de ses habitudes
d'esprit, de son caractere, de sa personne, nous autorise-t-il a
voir en fui tin homme exafe, bizarre, excessif, porte a fillu-
sionPToila le probl'eme. Avant d'a'border I'etude des solutions
qu'on en a proposers, il convient d'examiner attentivement les
donnees de fart. Mais pour interpreter ces donn^es, il laudra
renoncer d'emblee aux facilites que se donnait Renan, et que
tant d'autres ont prises apres lui. D'un developpement, au
cours de sa carriere publique, de Fidee que Jesus se faisait de
sa personne, il n'y a pas trace. La brievete meme de cette
carriere rend a elk seule peu vraisemblable cette commode
hypothese. Surtout, les documents sont la, et ce qu'on appelle
a present la conscience messianique de Jesus y apparait,
des le premier moment, chose formee et parfaite. Simple cons-
tatation, devant laquelle croule cet echafaudage de subtile
psychologic s'everfcuant a expliquer ensuite de quelles sugv
gestions, sous quelles pressions des hommes et des circons-
tances le doux predicateur du Royaume, le modeste prophete
de Nazareth, en serait arrive aux declarations plus que mes-
sianiques de la fin. Les auteurs les plus divers, et jusqu'aux
rationalistes les< plus decides, ont du reculer sur ce point-
Marc, dit brutalement Albert Schweitzer 2 , ne sait rien d'un
developpement de Jesus. II ne sait rien des considerations
pedagogiques qui auraient dicte 1'attitude reservee de Jesus en
face de ses disciples et du peuple; il ne sait rien du conflit qui
1. /Wd.,p. 82.
5. Geschichte der Leben-Jesu-Forschung, Tubingen, 1913, p. 370. On sait
que le radicalisme de Schweitzer n'autorise pas a le trailer de rationaliste.
84 JESUS CHRIST.
se serait livre dans le coeur de Jesus entre une idee messia-
nique toute spirituelle et une autre politique et populaire; il
ne salt pas non plus qu'une difference ait existe* sur ce point
entre la conception de Jesus et celle du peuple, etc. Avec
plus de nuances, efc un plus juste sentiment de 1'e'conomie de
la manifestation messianique de Jesus, W. Sanday, J. Well-
hausen, Ad. von Harnack, P. Wendland 1 , F. G. Burkitt, Jo-
hannes Weiss 2 , ne sont pas moins affirmatifs sur le point essen-
tiel 3 . M. A. Loisy observe meme avec justesse que les faits
eussent du influer dans le sens inverse de celui que conjec-
turent les historiens liberaux et decourager, loin de 1'exalter,
le premier enthousiasme de Jesus *.
Nous le voyons en effet, des le debut de sa predication,
penser, parler, agir en Messie : quails ab incepto. L'histoire
evangelique s'ouvre par le re"cit de la tentation : or cette
tentation est essentiellement et, pour ainsi dire, specifique-
ment messianique. Tout le but du tentateur est de faire devier
1. Die Urchristlichen Literatur-Formen 5 , Tubingen, 1912, p. 269, note 1 :
Jesus est assur6ment des le d6but en sure possession de sa dignite et
puissance messianique. >
2. Das Urchristentum, I, Goettingen, 1917, p. 546.
3. On peut voir d'autres auteurs : MM. H. Monnier, W. Wrede, cites dans
le meme sens par J. Lebreton, Origlnes, p. 216, 217 et notes (6 e 6d.,
p. 262-263, notes).
Ceux des contemporains qui croient devoir maintenir 1'existence d'un
developpement de la conscience messianique de J6sus pendant sa vie
publique, appuient cette conjecture sur des vraisemblances psycholo-
giques, elles-memes commandoes par leur these, et non sur les textes.
Voir par exemple le Jesus de W. Heitrnueller, Tubingen, 1913, p. 86 suiv.
Vers la fin de la carriere publique (de J6sus) se multiplient les indices
de conscience messianique, nous ne savons done rien sur le moment ou
elle s'est form6e, nous pouvons conjecturer que cette conscience de sa
dignite messianique s'est fait jour en lui au cours de son ministere, vers
la fin. Sur la facon dont s'accomplit cette illumination, nous ne savons
yien non plus...
4. Les Evangiles Synoptiques, Ceffonds, 1907, I, p. 212 : On ne voit
pas bien comment les experiences faites par Jesus auraient pu 1'amener
a se croire Messie dans le cas ou il n'en aurait pas ete d'abord persuaded
Les difficultes qui ne tarderent pas acompenser les succes, auraient plutdt
suggere le doute que la certitude... Les 6vangiles ne contiennent pas
reellement le t6moignage d'une evolution qui se serait accomplie dans
la conscience du Sauveur.
LA PERSONNE DE^ JESUS. 85
dans le sens egoist e, charnel et prestigieux, un appel dont
le tente a pleine conscience. Aussit6t apres, a Gapharnatim
comme a Nazareth, Je'sus decide, enseigne d'autorite, s'ap-
plique les propheties anciennes, chasse les demons, s'attache
des disciples (qu'il e*leve a la dignite de p^cheurs d'hommes ).,
remet les pe'ches, gu^rit, dispose souverainement des obser-
vances legales. Nulle trace d'atermoiement, d'hesitation, de
crainte; nul vestige d'une vocation entrevue, combattue, fina-
lement acceptee. De plus, et cela est de"cisif, Jesus domine
a tous les moments son message : il n'est entralne en aucune
mesure par les esperances, les enthousiasmes, les oppositions
qui se font jour. Selon le mot de saint Paul, son esprit lui
est 'soumis . II impose silence aux energumenes, ferme les
levres des miracules, fuit les honneurs royaux, attempere
son action aux dispositions de ses auditeurs, aux circonstances
et aux opportunites. 11 defend a ses disciples de dire qu'il est
le Messie. Bref, le seul developpement qu'on puisse consta-
ter dans les e*vangiles, c'est la croissance dans 1'ame des dis-
ciples, de leur foi en leur Maitre nullement celui de la foi
du Maitre en sa mission.
Gette -premiere remarque pose*e nous amene a 1'etude di-
recte de ce que fut en realite le temoignage de Jesus sur
Dieu.
1. LA RELIGION DE JESUS
Ayant bien des fois et de bien des fagons parle jadis a
nos peres par les prophetes, Dieu nous a finalement parle, en
ces jours, par le Fils qu'il a etabli 1'heritier de toutes choses
et par lequel il a aussi cree les mondes... Moise a ete fidele
dans toute la maison, eomme un serviteur de Dieu, pour dire
ce qu'il avait a dire. Le Fils a ete fidele comme un Fils, pre-
pose sur sa maison. Ges paroles de FEpltre aux He'breux,
i, 1-2; in, 5, caracterisent excellemment 1'attitude du Maitre.,
et en des termes qui rappellent ceux que lui-me'me employa
dans la Parabole des Vignerons ingrats : voyant ses servi-
teurs maltraites, le Pere de famille se ravise : Ils respecte-
ront mon lils !
La est la clef qui ouvre Pintelligence de la vie religieuse de
86 JESUS CHRIST.
Je"sus,i'l em-use avec Dieu conwne un fils unique etMen-aime 1 .
Nul assTiTement ne pouss-e plus loin le respect d'u Pere celeste,
nul ne donne de hii une idee phis epuree, plus spirituelle et
plus hauie 2 , eJfc cette religion n'est pas une legon apprise et
transmise, c'est I'&'me ime'ine de son ame, qui s'exprime naive-
ment a toute occasion. De la proposition sacrilege du ten-
tateur, Je'susneretien'tque le droit souverain mis en question :
Tu adoreras le Seigneur -ton Dieu et *fcu le serviras lui
seull A la raoine des devoirs et des; q-uerelles po'Htiques,
c'est encore le droit divin qu'il diseerne : Oui, certes, rendre
a Cesar ce qui est a Gesar, mais d'abord a Dieu ce qui est
a ! Diem!
Non an dieu d ; es pMlosophes et des savants, mais au Dieu
d'Ahraham, d'lsaac et de Jacob, au Dieu vivant, au Dieu
ds vivants (Mt., XXH, 32), au Dieu de perfection, qui veut
des enfants a son image, au Oieu de misericorde dont la pro-
vidence rev^t le lis des champs et vient en aide au passereau ;
au Dieu interieur qui voit dans le secre i t et fait justice au
coeur, an Dieu tre-s saint que la droite simp'licite des purs et
des petits decouvre sans peine derriere le voile transparent
des choses creeps; a : u Dieu juste qui agriee 1'hommage sincere
et non 10s grimaces, qui exa-uce 1'appel implicite et dedaigne
les longs discours.
Pour le tenter, un docteur de la loi 1'interroge, touchant le
plus grand des commandements . Tu aimeras le Seigneur
ton Dieu de tout ton coeur, de toute ton ame et de tout ton
esprit, voilale grand conimanden*ent, etle premier ! (Mt., xxn,
35-38; Mo.-, xn, 28-30; of. Lc., x, 27). Au jeune homme
insinuant, nai'vement obsequieux, qui s'approche en 1'appe-
lant Bon Maltre ! Jesus rappelle rudement que Dieu seul
est bon , grande parole et qui, remise dans son contexte his-
torique, est tres claire. L' appellation eta-it, en fait, inoui'e a
cetie epoque. Jesus -ne 1'accepfce ni ne la refuse, il la differe :
Pourqu-oi ; m'appel'les-tu bon? Nul n'est bon hormis Dieu
1:. Sur l'6quival.ence de ces epithetes donnees a, J6sus : iyajrjjto's, pre-
paries Synoptiques, et (XOVOY&VT)'; par saint Jean, voir la note de J. Le-
breton, Origines*, p. 268, n. 1, et p. 324, n. 2 ; et JTS, XX, 1919, p. 339-
344, et XXVII, 1926, p. 113-129.
2.. Cf. ci-dessus/tome I cr , livre III, p. 357 suiv. sur le Message de Jesus.
LA PERSOIS1NE. DB.J$SUS. 817
senJL 1 ., Pan l.a, ee je.u.ne esprit encprnlwe de vu.es tpop>
humaiaes e,st; ramente. d'autorite; a la vj-aie question,. qui est
alors pour lui la question prealable. Av.an,t d'appuecier Ija per-*
sonne. d,u, Prophets, avanj. 4'appuejaclr, e> de lui, les, conditions de
la vie m,eilleur$, : il fau;t d'a&Q?ci $'elever.j,usqu?a I)ieu, seu-le
Bqn;be abs.olue;, s,eule ; nQrme ; cle toui Men HLorai,
Apnes, settlement apres,, la jeune.hp.mine; inquiel; d'e perfec*
tiqn po,un;ait orienteD drQitement son effort, e;fr pr.ofiter do. la
maitKise de JTes ; u,s. 1^'illusiQDi, de- oe QUerQheur- de Dieiu (illu-
sion i'requente et fatale), etait de substituer des yejijleites; de
vie: pajifaite. et un^desir, defSoun^issionihiUjpftainer a; La. recherche
et a racQeptatioB, inconditjonpee du bpn pMsir divin. L'issue
1. II exjste svp : c.e,tte piaroj.^ (tout on at.ant abusj> urxe litt^ratmtQ cpnsi-
derable,. Parini IQS. plus r^centes. inQno.gi;aphies la plus i^poijtaiite e$i;
cell.e de B. B. Warfield. dans la, Princeton Theological Review,, ayr.il 1914,
p. 117 a 229. Stir la formule d'interrogation : T( [XeYeis *y*0o'v r ; (Me., x,
IS',' Luc., xviif, W), ^>s- ipwTas nEp\ To3 dy*^ ; (Mt., xix, 17), voir M. Le-
pin, JWsus Messie-et Fits dp DieUj Paris, 1917, p. 336 suiv>. IDu titre
e, * (Rdbbi toba), le seul e^einple qounu d]a,ns la litterature-
g. est. r,elativem,Qnt recent (Tq?anith ) %4i l b). Raba.ben Joseph; ben
Chauca (mort en 352 ; vqir W. Oesterley et G. Box, A short Survey of
the literature of rabbinical and medieval Judaism, Londpn, 1920, p. 123)
etant 1 arriv6 4 Babylone (Hargronya) en temps de s6cheresse, avait ordonn6
un jeune. propitiatoire. La pluie n'6tant pas venue, il fit continue!; le jeAne
durantla nuit et le ; renden\ain dit '. Sii quelqu'un a.eUiUn s.page, qu'll; le
raconte ! > 41ors Ra,bbi E16.azar de; Babylone (JE, V,.p, 99) d^clai;a qu'il lui
avait ete dit en songe : Bonne nouv-elle att bon- Mai.tre de ; la part du bpn
Seigneur qui dans sa Bonte donne du bon a son peuple. > Sur quoi Raba
conelut que le songe annonc.ait: un temps de mis6ricord'e, et en effet la
pluie viijt.
G. Dalman, Die WorteJesK,,!,'^, rjQtg que cette designation d'Eleazar
comme bon maitre le place tres b,aut, puis^u'elle lui donne \e meme
attribut qu'& Dieu. Mais il faut tenir compte du caractere sentencieux de
la phrase pergue en songe, qui est tout entiere sur le theme de bonte
et.rend.re 1 pith ete moins significative ici.
Dalman observe justement que le sens de Rabbi toba, dans le passage
vang61ique, est certainement < Maitre c!6ment > (bienveillant, miseri-
cordieux). J'esus a d6clin6 cet attribut parce qu'il ne veut pas qu'on 1'em-
ploie inconsid6rement, et parce qu'il entend renvoyer tout honneur a son
Pere. c Le rejet de cette designation (par J6sus) n'implique nullement que
Dieu seul serait bon moralement, comme on 1'entend souvent; mais que
lui seul est la Bonte en personne. > H. L. Strack et P. Billerbeck estiment
cette interpr6tation exacte sans auc.un doute , KTM, II, 1924, p. 25..
88 JESUS CHRIST.
montrabien que, tout sincere et pur qu'il etait, le jeune homme
riche n'etait pas pret a perdre sa vie pour le Royaume
fut-ce a la suite de Jesus.
On a tres justement note que 1'effacement du Fils devant
son Pere implique dans cette parole, est un des traits distinc-
tifs de toute 1'attitude de Jesus : saint Jean lui-me'me n'a pas
craint de le marquer dans son evangile, ou Dependant son but
avoue etait de mettre en lumiere la transcendance du Fils de
Dieu 1 . Saint Paul, pourrait-on ajouter, n'a pas moins insiste
sur ce trait.
Cette religion profonde, Jesus la fait passer en acte. La
priere est son recours constant, la fontaine ou s'alimente sa
vie d'activite. Jnaugurant sa mission par le bapteme, il prie
(Lc., in, 21); puis cedant a 1'Esprit qui le pousse a la soli-
tude, il donne quarante jours continus au jeune et a 1'oraison
eprouvante du desert. G'est en inspire qu'il aborde son minis-
tere galileen (Lc., iv, 14). Apres ses premiers miracles, a Ga-
pharnaum, il sort a la pointe du jour, cherchant la retraite
pour y prier (Me., i, 35; Lc., iv, 42); il se soustrait a la
presse, va dans les lieux inhabites, y prie longuement (YJV
TrpcasuxoiAsvoc, Lc., v, 16; Me., i, 35c). Au soir de ses jour-
nees pleines, le missionnaire, le guerisseur, fait 1'ascension
de quelque colline, s'y recueille et passe la nuit entiere a
prier : En ces jours-la, il se retira sur la montagne pour prier,
et il passa toute la nuit a prier Dieu (Lc., vi, 12). G'est a
Faube d'une de ces nuits sanctifiees qu'il appelle ceux de son
choix parmi ses disciples et distingue les Douze (Me., in, 13,
14; Lc., vi, 12-14). Pour hater 1'oeuvre du Royaume, c'est
d'abord la priere qu'il recommande aux siens :
Voyant les foules, il en eut pitie, car Us etaient epuises et gisants
qa et la comme des brebis sans pasteur. Alors il dit a ses disciples :
La moisson est grande et les ouvriers rares.
Pricz done le maitre de la moisson qu'il envoie des ouvriers a
[sa moisson.
Mt., ix, 36-38.
Quand il multiplie les pains, la priere est au debut de la
merveille et a la fin. Puis il force ses disciples a se rembar-
1. J. Lebreton, Origines 6 , p. 313; cf. Jo., xiv, 28.
LA PERSONNE DE JESUS. , 80>
quer, lui-me'me renvoie les foules ets'en va dans la montagne r
seul, pour prier (Mt., xiv, 22-23, 25; Me., vi, 45-46, 48)
jusqu'a la quatrieme veille (environ trois heures du matin).
G'est dans la priere solitaire qu'il murit 1'interrogation qui
provoquera la confession de Pierre et marquera le tournant
de la vie publique (Le., ix, 18).
Parfois - quelques intimes sont emmenes : au cours de la?
longne contemplation, Pierre, Jacques et Jean qui s'etaient
assoupis, apercoivent soudain leur Maitre investi d'une
lumiere divine, transfigure (Lc., ix, 28, 29, 32). Quand les-
disciples au retour d'une mission fructuouse racontent joyeu-
sement leurs succes, Jesus tressaille d'allegresse, ct c'est
un liommage a son Pere, un eloge de sa Providence, qui
monte de son coeur a ses levres. Un peu plus tard, son atti-
tude durant 1'oraison est telle, qu'emerveilles, mais n'osant
l'interrompre, on attend qu'il ait fini (w; ETrataa-o ; Lc., xi, 1)..
L'un des siens lui demande de leur apprendre a prier.
Jesus cede a ce desir et recite le Notre Pere : autour de-
cette formule exemplaire, il groupe d'autres avis sur 1'insis-
tance, la perseverance, une certaine impudence filiale qu'il'
faut porter dans le recours au Pere :
L'un de vous a un ami, et va chez lui a la minuit, disant : . Ami,
prete-moi trois pains, car un mien ami arrive de voyage et jo n'at
rien a lui offrir. Mais lui, du dedans, vous re"ppnd : Ne me fais
pas d'ennuis! Deja la porte est close, mes enfants sont au lit avec
moi ; je ne puis pourtant pas me lever pour te donner ! Je vous le-
dis, s'il ne se leve pas pour lui donner, du fait qu'il est son ami,
vaincu par son importunite, il se levera et lui donnera tout ce dont
il a bcsoin. Or moi, je vous dis:
Dcmandez et il vous sera donne,
Cherchez et vous trouverez,
Frappez et il vous sera ouvert.
Lc., xi, 5-9.
Mais la priere de demande n'est pas la seule ni la plus-
haute. Sous combien de formes Jesus n'inculque-t-il pas la>
necessite, la sublimite, la douceur de 1'oraison d'union!
. Marie a choisi la meilleure part (Lc., x, 42). A la louange,,
classique en Orient, qui proclame bienheureux le sein qui 1'ai
porte, bienheureuses les mamelles qu'il suga, le Maitre repli-
que : . Heureux plut6t ceux qui ecoutent la parole de Dieu
'.90 JESUS CHRIST.
et la gardent! (Lc., xi, 28). J usque dans les parabolqs, et
quan.d on ne 1'attendait pas, il sait faire revenjr la mdme
logon. Le frere aine du Prodigue se plaint-nil cle 1'accueil
magnifique fait a son cadet repentant : Enfant, lui dit le
pere, tu es toujours avec moi, et tout ce qui est a moi eat a
toi (Lc., xv, 31). Trait penetrant, qui exalte d'un seul inot,s
par dessus tous les biens, la familiarite avec Bieu. La lec.on
.semble-t-elle trop enveloppee? "- Jesus va la rendre claire,
et s'ingenie a montrer qu'il. faut prier coastamment et ne pas
se lasser (Lc., xvm, 1). Son exeniple vivifie ses conseils. Pen-
dant la derniere seniaine, lo Maitre donne le jour a renseigne-
,ment dans le Temple, et la nuit moins au repos qu'aux
tongues prieres sur le Mont des OUviers (Lc., xxi, 37). Au
.-soir de la Gene, apres tan.t d' emotions, c'est encore la qu'il
monte, selou sa coutume et il faut ici transcrire un
-episode qui decourage tout comiwentaire et quo celui de Pas-
cal, dans le Mystbre de Jesus 1 , rend du reste inutile.
f
Etant arrivd sur le lieu, il leur dit : Priez pour n'entrer pas en
tentation , et lui-m.eme s.'arracha d'aup^es d'eux, apeu pres la dis-
tance d'un jet do pierre Qt. mettant les genqux en tcrre, ij priait,
disant : Pere, si tu veux, eloigne cc calice de moi : toutefois. non
ma volonte, mais que la tiennc arrive! ... Et, reduit a 1'agonie, il
jjpriai't plus intensement, et sa sueur devint comme de grosses gouttcs
de sang coagule decoulant jusqu'a tcrre 2 .
On ne peut guere que conjecfcurer I'attitude interieure de
Jesus durant les heures qui sujvirent. Son recueillement, sa
maitrise de soi, ses reparties penetran.tes et calroes, son
silence heroiique, disent assez ou etajt son cqpur. L/a compas-
sion rouvre ses levres surle chemin dii Calvaire, puis, tandis
qu'on le cloue a la croix : Pore, disait-il, pardonne-leur
(ce crime), car ils no savenfc ce qu'ils font 3 .
1. Voirplus bas, livre VI, p. 657.
2. Lc. ; xxii, 40-44. Sur la traduction d'aywvt'a, le contexte impose le
sons fort, bien que le mot, dans la langue populaire ; soit souvent employ^
an sens plus faible d'anxiete, craiute, d^tresse : voir J. II. Moulton et
G. Milligan, The Vocabulary of the Greek Testament, I, p. 8, London, 1914.
Gpo'^ot ai'f/.aTos ne sont pas do simples gouttes de sang, mais des grumeaux,
-caillots de sang, gouttes de sang coagule. Sur I'authenticit^ des versets 43
<ot 44, cf. la note qui suit.
3. Lc., XXHI, 34. On sait quo cette parole, comme les versets 43, 44 du
LA PBRS0NWE DE JESUS. 91
H accueille la requite du> larron, confie sa mere au disci-
ple aim6, s'assure que tout est accompli. Alors, s'ecriant
d'une grande YOIX , il s'approprie 1'appel poignant du Juste
persecute : Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu aban-
chap, xxn (sjir la sueur de sang) manquent dans un nombre respectable de
nianuscrits, quelques-uns tres importants, B, W, 579, la version syria-
quede Sinai, les deux versions coptes, etc.; de plus, pour xxui, 34, le Ms de
Koridetbi et son importante famille (sur cette famille K. Lake et R. P.
Blake dans Harvard theological Review, juillet 1923). Par contre, les deux
textes figurent dans N, L, la syriaque de Cureton, la plupart des versions
latines, 1'armenienne, etc... (pour xxn, 43, 44, dans D, 0, lapresque unani-
mity des versions latines anciennes). Trois indices convergents, du simple
point de vue critique, font pencher decidmejit la balance du cote de
I'authenticite : 1 L'usage patristique, car le premier texte est atteste par
saint Justin (Dialogue, ch. 153), saint Ifenee, Tatien et Hippolyte, Denys
d'Alexandrie ; le deuxieme par lTen6e, Tatien, Origene ; 2 La teneur
verbale, comme le remarque A. Lojsy, Evangik selon Luc, 1924,
p. 527 : . La consideration du style (cf. Act.,, JX,. 19 ; XH, 5) semble. con-
firmer 1'hypothese de l'authenticite ; et B. H, Streeter, The Four Gos-
pels, London, 1.924, p. 137 : The passage short as it is, betrays several
characteristically Lucan expressions , apres A. von Harnack, Lukas der
Arzt, Leipzig, 1906, p. 135, note 3, et, plus completement, Sitzungsbe-
richte der Preuss. Academie, 28 fevrier 1901 ; 3 La vraisemblanee in-
terne,, qui favorise plutot I'bypoth6se d'une omission, que. celle, .d'une ad-
dition. Saint Epiphane, qui defend la version comme primitive, reeou-
naitqu'elle donne des difficultes aux apologistes. La-dessus Loisy, p. 527 :
L'omission volontaire pourrait s'expliquer aussi facilement que 1'iaddi-
tion. > Ce n'est pas assez dire; voir M. J. Lagrange, Evangile selon saint
Luc, 1921, p, 562^563^587-588; et B. H. Streeter, p, 137-138. Le meme
Streeter montre excellemment, d'apres A. G. Clark, The Descent ofManu&-
cripls, Oxford, 1918, que la maxime de critique textuelle, brevior lectio
polior, est un postulat que 1'etude attentive des manuscrits ne confirme
pas, en particulier dans le cas des evangiles, lib. laud., p. 131-148. .
1. Psaume xxn (Vulg., xxi), 2; le verset 1 est un titre : Mt., XXVH, 46;
Me., xv, 34. Les deux evang61istes nous ont rapport6 la parole en 'tongue
semitique telle qu'elle sortit des 16vres du Maitre. Les manuscrits ne per-
mettent pas de decider entre la forme hebrai'que pure : Eli, fili, lamma
'azabtani, et la forme arameenne pure : Elahi, Elahi, lema schebaktani.
Le Targum d'Onkelos donne une forme mixte, qui se rapproehe de celle
de plusieurs manuscrits : Eli, Eli, lema schebaktani. G. Dalman, /esus-
Jeschua, Leipzig, 1W22, p. 184 ft 187, incline nettement vers la forme
hebraique, qui est vraisemblable en effet, et explique mieux la confusion
avec le nom d'Elie (Mt., xxvn, 47; Me., xv, 35). Les exegfctes jiiifs an-
ciens ont eux-memes apporte ce texte < Mon Dieu, won Dieu >, en
92 JESUS CHRIST.
Ge n'est pas un cri de doute ou d'impatience. Le psaume
prophetique qu'evoque ce verset liminaire s'acheve au con-
traire en un acte de confiance et d'abandon. Epuise, suivant
la loi de moindre effort de la nature humaine qu'il a assumee,
le crucifie retombe naturellement sur la formule familiere qui
exhale a la fois sa peine dechirante et son invincible espbir.
Puis, tendrement, acquiescent au vouloir souverain, obeis-
sant jusqu'a la mort de la croix , mais coulant cette fois
encore sa pensee supreme dans le moule des mots consacres :
Pere, en tes mains je remets mon esprit.
Et, ce disant, il rendit 1'ame.
Lc., xxiii, 46 (Cf. Ps. xxxi (Vulg. xxx), 6).
Ges traits qui nous peignent son incessant commerce avec
son Pere du ciel, permettent de ddgager le caractere particu-
lier, personnel et, dans un sens qui n'appartient qu'a lui,
filial, de la religion de Jesus.
Le respect ne se nuance jamais chez lui de ce trouble , de
cet effroi qui faisait trembler les saints. Toute union prof onde
et tendant a devenir immediate avec Dieu, implique en effet,,
pour peu qu'elle soit re*elle et fondee en verite, une vue,
d'abord accablante, de la distance qui separe le cree de Fin-
cree. Unir un esprit a peine esprit *, rive au sensible par son
mode essentiel de connaitre, attire" en bas par le poids de la
chair, toujours en mal de changement et de desir, a TEsprit
pur, a celui qui n'est qu'acte et perfection, a celui qu'on
n'atteint ici-bas que par 1'impuissance du reste a exister sans
lui, que Ton ne pressent qu'a travers Tinanite de ce qui
passe, tel est le paradoxe mystique. Toute ma connaissance
preuve de la regie qui veut que cette appellation Eli [cf. Celui-ci
est mon Dieu ? Exode, xv, 2], mette en relief en Dieu 1'attribut de la
misericorde, non du jugement : Mekilta sur 1'Exode, xv, 2, dans Strack
et Billerbeck, KTM, I, p. 1042.
1. Reprenant et faisant siens quelques-uns des termes du vieux livre de
Proclus connu alors sous le nom de Traite des Causes, saint Thomas d'A-
quin situe 1'ame humaine < a Phorizon pour ainsi dire, et a la frontiere du
corporel et du spiriluel . II la montre non totalement emmuree dans la.
matiere, ou noyee en elle. .. quasi quidam horizon et confinium corporeorum
et incorporeorwn... non totaliter comprehensa amateria aut ei immersa >.
Contra Gentiles, lib. II, cap. LXVIII.
LA PERSONNE DE JESUS. 93
de Dieu est precaire, avoue Tun des plus grands : langue,
sentiments, pensee, c'est comme une connaissance de petit
enfant. Naturelle ou infuse, gnose ou prophetic, elle est ici-
bas incertaine, mediate, en figure et en enigme.
Car nous connaissons imparfaitement et imparfaitcment nous pro-
(phelisons ';
quand viendra la consommation, alors, 1'imparfait element sera
[elimine;
quand j'etais pelit enfant, je parlais en petit enfant,
je sentais en petit enfant, je raisonnais en petit enfant,
quand je suis devenu homme j'ai elimine ce qui etait du petit
[enfant.
Nous voyons presentement (les choses divines), dans un miroir, en
[6nigmc,
alors (nous verrons) face a face.
Presentement, je connais imparfaitement,
alors jc connaitrai comme je suis connu.
Ge n'est pas assez de cette infirmite. La religion chretienne,
et deja celle d'Israel 2 , exaspere encore le conflit. L'homme
n'est pas seulement un <Hre de chair, un ephemere, un neant,
il est un coupahle, un ingrat, un dechu. Dieu n'est pas seu-
lement le Bien incree, le Beau sans ombre, 1'Eternel. II est le
Maitre, il est 1' Amour, le Maitre mal servi, 1'Amour offense.
Quelle apparence d'unir ceci a cela? Chaos magnum firmatum
est. Or, c'est justement a ce point que debute chez les mys-
tiques veritables la vie seconde et superieure. Elle commence
1. I Cor., xin, 9-12. Nous proph6tisons , dans le sens d6fini par Pas-
cal : Proplie"tiser, c'est (penser et) parler de Dieu, non par preuves du
dehors, maispar sentiment interieuret immediat (Pense'es, e"d. Brunsch-
vicg, n. 732). Pour saint Paul, done, toute connaissance actuelle du divin,
naturelle ou meme charismatique, est imparfaite, fragmentaire, < par,
morceaux , ex ^pou?, opposee a ce qui est accompli, parfait en son genre;
TO -ceXetov. Ce sont des actes enfantins, balbutiants, incertains, vagues, ce
n'est pas une vision face a face, mais re"fl6chie et trouble, celle d'un objet
vu dans un miroir de me'tal, 8t' laompov. Les miroirs antiques, jusqu'a 1'ere
chr6tienne, 6taient en metal, faciles a ternir, ne fournissant souvent
qu'une image incertaine. Voir Speculum dans DAGR, IV, 2, p. 1122, A;
A. de Ridder. Ce n'est pas un enseignement donn6 en clair, mais en
chiffre et en dnigme, v ?v(yfia-ci. Voir R. Comely, Commentarius in
S. Pauli Epistulas, II, Paris, 1890, p. 401-408.
2. Voir la-dessus le P. F. Prat, La TMologie de saint Paul, I 7 , 1920, p. BIG-
SIS; IIS 1923,p.66suiv.
94 JESUS CHRIST.
par une vue pergante, accablante, de ce double abime d'ia-
dignite ici T et la de souveraine saintete : Dieu est le Bien
supreme;, et ce bien m'est inaccessible ! Le peche* acheve de-
murer 1'acces, il rend inconcevable -une union que la bass-
sesse de la chair semblait a elle seule interdire. De ce vertige,
les paroles des grands voyants d'Israel, depuis Moi's'e jus-
qu'a Isaie, d'Elie a Je>emie;, portent les traces manifestos, et
on le retrouve en quelque mesure partout ou le sentiment
religieux s'e'panouit. Les plus hauts mystiques Chretiens
1'ont a leur tour dprouve ; avant d'entrer dans la tenebre di-
vine, leurs yeux ont du etre dessilles a cette flamme 1 .
Il s'ensuit naturellement en eux tous un desir T c'est trop
peu dire, un imperieux besoin, une soif de purification, de
spiritualisation. Tout candidat a 1'union divine se double d'un
ascete et d'un penitent. II faut se degager des soins materiels r
bannir Fencombrement interieur, chatier les revoltes du vieil
homme, mater ce corps rebelle et pesant. L'on sait jusqu'ou
ont avance dans cette voie les plus grands serviteurs de E>ieti' r
les plus authentiques disciples du Christ.
Or, et c'est le trait le plus etonnant de la religion per-
sonnelle de Jesus, il n'y a dans son ame aucune trace de
ce trouble, de cette crainte, de cette juste colere contre soi-
me'me qu'engendre d'une part lia. vue de notre neant, d'autre
part celle de notre indignite positive. Les plus purs n'e"chap-
pent pas a cette necessity, ne se soustraient pas a cette pro-
bation : une Catherine de Sienne, un Jean de la Croix. Par
contre, on cherche en vain dans nos evangiles un vestige de
I'eflroi et de 1'horreur sacree qui prepare et approfondit
cliez les plus grands saints 1'impression directe de Dieu. Non
que le Maitre ne ressentit pas cette impression, tant s'en
faut; seulement, elle ne s'accompagnait chez lui d'aucun
remords, d'aucune fievre. II possedait d'emblee et en perfec-
tion cette purete complete, cette ressemblance, cet accord
avec 1'Ami divin (on dirait en termes d'Ecole cette connatu-
ralite avec 1'Etre de Dieu) vers laquelle tend I'extre'me per-
fection de la vie interieure. Gelle-ci, onle sait, la purification
1 . Sur tout ceci, voir J. Marechal, Etudes sur la psychologic des mystiques,
t. I cr , Louvain, 1974.
LA PERSONNE BE JESUS. 95-
aehevee, devienb d'autant plus calme, plus apaisee, plus lumi-
neuse, qu'elle s'dleve davantage 1 . Pout la mtJine raison, nous
ne trouvons pas dans la vie de Jesus ces etats violents de-
transe., d'insensibilite, dfe contraste, ou d'absorptions tempo-
raires, qui soustraient parfois le mystique, surtout debutant r
aux conditions communes de son milieu. Ranc.on de la faiblesse
humaine succombant sous 1'assaut d'une puissance trop
grande et trqp nouvelle, ces defaillances extraordinaires-
n'avaient pas .de place en celui qui vivait de plain-pied avec-
son Pere 2 .
Pas plus qu'il ne Jut un extatique, Jesus ne fut un penitent
a-u senspropre du mot. Sans en excepter le long jeune initial
qui le remettait dans la gfande tradition prophetique, toute
son ascese fut exemplaire. ;Elle ne laissa pas d'etre rigoti-
reuse. Sacrifice des affections les plus cheres, les plus sa-
crees 3 ; .a;pplieation incessante et exclusive -de 'ses forces a
rexpansion du Royaume dans les conditions les plus eprou-
vantes et jusqu'a I'^puisement 4 ; abnegation sans limit e de
ses aises, de son inte're't, de son agrdment propre, veritable-
inent le Christ n'a pas vecu pour lui-me'me , et Paul,,
rappelant ce ,grand exemple aux Remains 5 , n'avait pas besoin
de le rnotiver. Pauvret^ singuliere; comme il marchait sur la
route, un ihoimme .lui dit : Je te suivrai ou que tu ailles r
mais Jesus lui dit : Les rehards Orit des tanieres, les oiseanx
d\i ciel des hids, mais le Fils de rhomme n'a pas ou reposer
sa t^te (Lc., ix, 57-58; Mt., VHI, 19-20). Mais en tous ce&
traits, et dans ceux qu'on pourrait y ajouter, on ne relevera
1. Le Sadhu Suhdar Singh, tiindou Convert! en 1904, dit tres bien :
t There are those \Vho Speak of Christ as thfe Supreme Mystic... That is tho-
tendency of those Who are hot inclined to accept the divinity of Christ.
: Ghrist is not the Supreme Mystic. -He is tlie Master of Mystics, the Saviour
of mystics. i> The Sadhu, a Study in mysticism and practical religion, by B.
H. Streelier and A. J. Appasartiy, London, 1921, p. 65; JTS, XXIII, octo-
bre 1921, p. 101.
2. Voir ci-dessous, p. 126, Is'ote Y, Jesus fut-il exlatique ?
3. Lc., u, 42-49 ; Me., in, 31-35, etc.
4. Me,, i, 35-39; n,2-3; in, 20; v, 30-32; vi, 30-44, etc. ; Lc., XXH, 26-27;.
Jo., iv, '6, etc.
5. Rom.., xv, 3. Sur le sens de -/jpsasv dans la langue commune d'alors,.
J. H. Moulton et G. Milligan, VGT, p. 75.
"96 JESUS CHRIST.
pas une hesitation on un scrupule, pas un mot de repentir
<ou de desaveu. Jamais d'intercession cherchee entre le Pere
et lui; aucune allusion a une faute passee, a une conversion,
a un changement de vie, fut-il du bien au mieux, non plus
qu'a une perfection ulterieure desiree ou demandee.
Vivant de sauterelles ou de miel sauvage, habille de poil
de chameau, familier des lieux desertiques, Jean Baptiste
Cut un rand penitent, ne mangeant ni ne buvant . Jesus
mange et boit . Les disciples de Jean etaient astreints a
des jeunes severes efc ceux de Jesus auront a pratiquer aussi
la penitence pour leur compte, leur qualite d' ami de
1'Epoux ne les en dispense pas 1 , mais la presence de celui-
-ci parmi eux exclut toute idee de mortification. A combien
plus forte raison TEpoux n'a-t-il pas a faire penitence pour
lui-meme !
G'est un homme sans doute. Rien d'une figure de conven-
tion ou de vitrail. Ouvrons presque au hasard les evangiles
ou la touche du temoin oculaire est le plus visible (le second
-et le quatrieme) :
Et il rentra dans la Synagogue. Or il y avait la un homme ayant
la main desseclice, ct [les scribes] observaient [Jesus] pour voir s'il
le guerirait un jour de sabbat, afin dc 1'accuser. II dit a I'liomme
.ayant la main dessechee : Leve-toi, [viens] an milieu. Puis il
.leur dit : Est-il permis 2 , les jours de sabbat, de faire le bien ou
de faire le mal; de sauver une vie ou de tuer? Eux se taisaient.
Lors jetant sur eux, a la ronde, un regard (irrite) de colere, navre
de rendurcissement de leur casur, il dit a I'homme : Etends ta
main ; il 1'etendit ct sa main fut rendue a la vie (Me., in, 1-6).
Et sortant de la ils traversaient en hate la Galilee, et (Jesus) ne
voulait pas que personne le sut... Ils vinrent a Capharnaiim, et entre
.dans la maison, il les interrogea : De quoi discutiez-vous pendant
la route? Eux so taisaient, car ils avaient discute entre eux pen-
.dant la route, quel ctait le plus grand. S'etant done assis, il appela
les Douze ct leur dit : Si quclqu'un veut etre le premier, il se
fera le dernier de tous et de tous le serviteur. Et prenant un petit
1. Voir ci-dessus, t. II, p. 21.
2. *E?eaTtv. On pourrait traduire : Est-il indifferent ? Comme dans I Cor.,
-vi, 12 (Voir J. H. Moulton et G. Milligan, VGT, p. 223). Le sens est clair :
J6sus oppose la qualite morale intrinseque d'une action a sa Hceit6
.]6gale, formalite respectable, mais qui doit c6der devant un bien consi-
d6rable a procurer.
LA PERSONNB DE jijSUS. 97
-enfant, il le iit inettre au milieu d'eux, et apres 1'avoir embrasse
il leurdit : Quiconque accueillera un de ces petits en mon nom,
m'accueille, et celui qui m'accueille, ce n'est pas moi qu'il
.accueille, mais celui qui m'a envoy6! (Me., ix, 30-38).
CJ'est le m6me homme que nous peint 1'evangile de Jean,
dont le programme est pourtant de montrer en Jesus le pain
'celeste, la vie efc la lumiere du monde. Le- Maltre ne laisse
;pas d'etre chair et de le manif ester : il pleure, il prie, ii
est recru de fatigue et de faim, il a ses preferences et ses
angoisses, il s'indigne et s'emeut, s'enthousiasme et se cons-
terne
Ce disant, Jesus se troubla en esprit et declara et dit : En verite,
en verite, je vous le dis qu'un de vous me livrera ! Les disciples
se regardaient les uns les autres, interdits, se demandant duquel il
parlait. Pres de Jesus, dans son sein 1 , etait etendu a table un de ses
disciples, celui que Jesus aimait. Simon Pierre lui fit done signe de la
tete et lui dit : Dis qui est celui dont il parle ? S'inclinant sim-
plement sur la poitrine de Jesus, ce disciple lui dit : Maitre, qui
est-ce? Jesus lui repond en consequence : C'est celui auquel je
donnerai la bouchee que je trempe. Trempant done la bouchee,
il la prend et la donne a Judas, fils de Simon Flscariote. (Et apres
cette bouchee c'est alors que Satan entra en celui-ci.) J6sus
lui dit done : Ce que tu fais, fais-le au plus vite. Mais cela,
personne de ceux qui etaient etendus a table ne sut pourquoi (Jesus)
le lui dit. D'aucuns pensaient, parce que Judas avaitla bourse, que
Jesus lui dit : Achete ce dont nous avons besoin pour la fete , ou
qu'il donnat quelque chose aux pauvres. Ayant done pris la bou-
chee, (Judas) sortit incontinent. II etait nuit (Jo., xni, 21-30).
Mais cet homme a qui rien d'humain n'est etranger, est etran-
^er au mal moral, au regret, au remords. S'il s'agit d'inter-
cession et de pardon, de p6ch6 et de componction, e'est a
propos des autres. Jesus exhorte a la penitence etne se repent
pas; il recommande la vigilance et avertit un chacun de
1 . Dans un repas prive, les convives etaient 6tendus sur un divan. En suite
<de cette disposition si incommode (DAGR, s. v. Coena, I, 2, p. 1273, B :
Ch. Morel) il arrivait qu'on fut plutot devant son^voisin qu'a cote, et que
lui itournant presque le dos, on eiit la tete a la hauteur de sa poitrine.
Pline decrit la meme scene dans les m ernes termes, a propos d'un repas
de 1'empereur Nerva : Cenabat Nerva cum paucis ; Veiento proximus
atque etiam in sinu recumbebat : Epist. IV, 22, cite dans W. Bauer, Das
.Johannes-evangelium 2 , p. 168. Voir aussi F. Prat, dans US ft, 1925, 512-522.
jsus CHRIST. IL 7
98 JESUS CHRIST.
pourvoir a son ame : la sienne est en sur etc* . II conseille aux
autres de craindre, lui, aime; de chercher, lui n'a pas a trou-
ver. Aussi accueille-t-il sans trouble les publicains et les pe-
cheresses : Faiguillon charnel dont les plus preserves et les
plus purs de nous ressentent ou doivent toujours s'attendre
a sentir la pointe 4 , il 1'ignore ; son toucher purifie, son amour
sauve. II est du c6te de celui qui pardonne, non de ceux qui
ont besoin de pardon. Son intelligence n'est pas moins natu-
ralise e au divin : dans ces hauts mysteres de la predestination
et du salut, ou Paul adore et se trouve deborde, ou nous
balbutions, ou toute tentative de precision risque de jeter sur
un ecueil, d'abimer notre franc-arbitre ou de 1'eriger en cause
premiere, Jesus est aTaise. On sent qu'iln'en est pas etonne,
qu'il est ne (c'est Bossuet qui parle) dans ce secret et dans
cette gloire . II en parle comme il faut. Un artisan qui
parle des richesses, dit a ce propos Pascal, un procureur qui
parle de la guerre, de la royaute, etc. , trahit vite son
ignorance et laisse voir la corde ; mais le riche parle
bien des richesses, le roi parle froidement d'un grand don
qu'il vient de faire, et Dieu parle bien de Dieu 2 .
Gette alliance unique d'une confiance assuree avec la reli-
gion la plus profonde, d'une familiarite innee et tendre qui n'a
rien a se faire pardonner, avec la vue la plus nette de Fhor-
reur du peche et des exigences de la justice, d'une securite
imperturbable avec le sens infaillible de ce qu'est Dieu et
de ce que nous sommes, c'est une des portes qui introdui-
sent au mystere de Jesus. N'essayons pas d'en franchir
actuellement le seuil, mais reconnaissons qu'un homme ainsi
doue n'est pas a prendre a la legere quand il parle des cho-
ses de son Pere et des siennes.
1. Cette conscience poignante de notre misere s'exprime puissamment
dans les decrets du Concile de Trente sur la Justification (sessio 5 du
17 juin 1546 ; dans F. Cavallera, Thesaurus Doctrinae Catholicae, Paris,
1920, p. 481). < Que le foyer de la concupiscence demeure meme chez les
baptises, le saint Concile 1'avoue et le sent : manere autem in baptizatis
concupiscentiam vel fomitem haec sancta Synodus fatetur et sentit. >
2. Pensdes, edition L. Brunschvicg, n. 799.
LA PERSONNB DE JESUS.
2. LA CONVERSATION DE JESUS AVEG SES FRERES
La conversation de Jesus avec les hommes presente, par
un contraste analogue, un melange unique de douceur et de
majeste, d'autorite consciente et de devouement total. Dans
sa concision, la formule johannique ramasse les traits que tous
nos evangiles presentent a 1'etat disperse :
Lors done qu'il leur cut lave les pieds, qu'il eut repris ses vete-
ments et se fut etendu derechef a table, (Jesus) leur dit : Savez-
vous ce que je vous ai fait? Vous m'appelez : le Seigneur et le
Maitre, et vous dites bien : je le suis. Si done je vous ai lave les
pieds, moi le Seigneur, moi le Maitre, vous, vous devez aussi vous
laver les pieds les uns aux autres, car c'est un exemple que je vous
ai donne. En verite, en verite je vous le dis, le serviteur n'est pas
au-dessus de son Maitre, 1'envoye plus grand que celui qui 1'envoie
(Jo., xiii, 12-16).
D'autres passages ne sont pas moins instructifs. Mais pour
en sentir la force, il faut se rappeler les exigences du Maitre,
et sa prevention a 4tre imite en tout, servi et aime par dessus
tout, sa liberte royale d'action. II chasse les vendeurs du
Temple, exorcise, guerit, absout, gourmande les flots et com-
mande aux vents. Que tout lui soit du, cela va sans dire; que
les forces d'inertie auxquelles se brise 1'ingeniosite des plus
habiles cedent a son empire, il le trouve naturel.
G'est cet homme qui dit a ses disciples :
Les rois des Nations les traitent de haut, et ceux qui exercent sur
eux 1'autorite regoivent le nom d'Evergetes *. Mais entre vous non
pas ; que le plus grand d'entre vous se fasse comme le dernier venu,,
et celui qui gouverne comme le serviteur. Qui est le plus grand :
celui qui est etendu a table ou celui qui sert? Est-ce pas celui qui
est etendu? Moi, je suis au milieu de vous comme celui qui sert!
(Lc., XXH, 25-27).
1. Bienfaiteurs des homines; Amis du Peuple; Sauveurs ou Peres de la
Patrie : titres honorifiques d6cernes aux princes ou hommes considerables,
non settlement en Egypte, ou Evergete devint le surnom de deux des Lagi-
des, Ptolemee III (f 222) et VII (f 166), mais dans tout le monde antique.
Dej le roi Antigone le Cyclope, un des generaux et successeurs d'Alexandre,
est ainsi qualifie, dans une inscription de Priene en 334 avant Jesus Christ.
Exempies innombrables dans Pauly-Wissowa, RECA, VI, 1, col. 978-981
(J. Denier), et J. H. Moulton et Milligan, VGT, p. 261.
100 JESUS CHRIST.
Car aussi le Fils de 1'homme n'est pas venu pour etre servi, mais
pour servir et Conner sa vie en rangon pour beaucoup (Me., x, 45).
Mettez-vous a mon 6cole : je suis doux et humble de coeur (Mt.,
xi, 29).
Accessible, familier, misericordieux, il s'apitoie sur la
foule, brebis sans pasteur ou, ce qui est pire, livrees aux
mauvais bergers. Le denuement physique ne le laisse pas in-
different :
J'ai pitie" de la foule, car voici trois jours qu'ils me sont attaches,
et ils n'ont pas de quoi manger, et si je les renvoie a jeun chez eux,
ils vont tomber en route : quelques-uns venus de si loin! (Me., vm,
2,3.)
Lui est venu pour sauver, non pour perdre. II s'applique
aveo predilection la plus douce des promesses messianiques :
L'esprit du Seigneur lahve est sur moi,
car lahve m'a consacre par 1'onction :
II m'a envoye porter la bonne nouvelle aux malheureux,
panser les ccsurs meurtris ;
Annoncer aux captifs la liberte,
aux prisonniers la delivrance,
Annoncer un an de grace de lahve...
Isai'e, LXI, 1-2; Lc., iv, 18-19.
Aux impetueux disciples qui veulent faire tomber le feu du
ciel sur les Samaritains inhospitaliers, il inflige une repri-
mande severe : Vous ne savez pas de quel esprit vous 6tes !
(Lc., ix, 55.) II ne veut pas qu'on repousse les malades, les
importuns, les etrangers (Jo., xn, 20 suiv.), les enfants. Des
meres lui presentaient un jour leurs petits enfants pour qu'en
les touchant il les benit et
les disciples les grondaient. Ce que voyant, Jesus le prit mal et
leur dit : Laissez les petits venir a moi, ne les empechez pas, car
le Royaume des cieux est a ceux qui leur ressemblent. Oui, je vous
le dis, qui ne recevra pas le Royaume de Dieu comme un petit enfant,
n'y entrera pas. Et ayant embrasse ces enfants, il les benissait
en leur imposant les mains (Me., x, 13-16).
Les pecheurs partagent, au grand scandale de quelques
pharisiens, le bon accueil fait aux enfants. Bien plus, Jesus
manifeste a leur endroit une sorte de preference. II accepte
de bon coeur les festins que ces pauvres gens, dans leur joie
LA PERSONNE DE JESUS. 101
expansive, lui offrent. On en murmure, et les paroles de di-
sapprobation coulees dans 1'oreille des disciples, arrivent jus-
qu'au Maitre : Ge ne sont pas les gens bien portants qui ont
besoin du me'decin, replique Jesus, inais les malades. Je ne
suis pas venu appeler les justes a penitence, mais les pe-
chetirs (Lc., v, 31-32). Gette parole ne met pas fin aux re-
criminations; elles reprennent de plus belle 'pendant le minis-
tere galileen, et be*nies soient les plaintes qui nous ont valu
les divines paraboles de la pitie et du pardon ! car e'est en re-
ponse aux reflexions malveillantes des scribes : Get homme
accueille les pe*cheurs et mange avec eux! (Lc., xv, 2), que
Jesus raconta 1'histoire de la brebis perdue pour laquelle
le bon berger laisse les quatre-vingt-dix-neuf dociles, et qu'il
ramene, non, qu'il rapporte sur ses e*paules, avec une joie naive
et exube'rante ; 1'histoire de la drachme e*gare*e ; 1'histoire
de 1'enfant prodigue... Faut-il redire ce qui est dans toutes
les memoires?
Un homme avait deux fils et le plus jeune des deux dit au pere :j
P6re, donne-moi la part de biens qui me revient , et lui, leur di-
visa la fortune.
Or, peu de jours apres, ramassant tout ce qu'il avait, le plus
eune fils s'en fut dans un pays lointain et la, dissipa son bien en
menant joyeuse vie 1 . Quand il eut tout dissipe, survint une forte
disette dans ce pays-la, et il commenga de sentir le besoin. Et il
alia s'attacher & 1'un des bourgeois de ce pays-l& qui 1'envoya dans
les champs paitre les pourceaux. Et il aurait bien voulu se remplir
le ventre des caroubes que mangeaient les pourceaux, et personne
ne lui en donnait.
Rentrant done en lui-mme, il dit : Combien de mercenaires aux
gages de mon p&re, ont plus de pain qu'il ne leur en faut, et moi
ici, je pe"ris de misere. Je me leverai, j'irai vers mon pere et je lui
dirai : Pere, j'ai peche centre le ciel et devant toi ; je ne suis plus
digne d'etre appele ton fils ; prends-moi comme 1'un de tes merce-
naires! Et se levant il alia vers son pere.
Comme il etait encore loin, son pere 1'aperc.ut et fut pris aux en-
trailles, et accourant, il se jeta a son cou et le baisa. Son fils lui
dit : Pere, j'ai pe'che centre le ciel et devant toi, je ne suis plus di-
gne d'etre appele ton fils...
Mais le pere dit a ses serviteurs : Vite, apportez la plus belle
robe et Ten rev^tez, et mettez-lui anneau au doigt et chaussures
aux pieds, et amenez le veau gras, tuez-le et mangeons, faisons
1. Zfliv <Jo(6Tw$ : sur riawtfa, voir Moulton et Milligan, VGT, p. 89.
102 JESUS CHRIST.
bonne chere, car mon fils que voici etait mort et II est revenu a la
vie, perdu et il est retrouve ! Et ils commencerent a faire grande
ehere...
Or son fils, 1'aine, etait a la campagne, et a son retour, comme
il approchait de la maison, il entendit des chants et des danses,. et
appelant un des serviteurs, il lui demanda ce que signifiait tout
cela. Mais lui dit (a son maitre) : que ton frere est revenu et ton
pere atue le veau gras parce qu'il 1'a retrouve en bonne sante .
II se mit en colere et ne voulait pas entrer et son pere sortit pour
1'y engager. Mais lui replique, disant au pere : Voici tant d'annees
queje te sers etjen'ai pas une fois transgresse un de tes ordres, et
pas une fois tu ne m'as donne un chevreau pour faire bonne chere
avec mes amis ! Mais des que ton fils celui qui a mange ta for-
tune avec des filles de joie est revenu, tu as tue le veau gras !
Et il lui dit : Mon enfant, tu es toujours avec moi et tout ce qui
est a moi est a toi!... Mais il fallait faire bonne chere et se rejouir,
parce que ton frere que voici etait mort et il est revenu a la vie ;
perdu, et il est retrouve (Lc., xv, 11-32) 1 .
L'exemple de Je*sus donne a ces preceptes de pardon le plus
touchant des commentaires : c'est la Samaritaine, c'est la
pecheresse de Magdala, c'est le publicain Zachee, c'est la
femme surprise en adultere 2 , ce sont les bourreaux du Gol-
gotha, c'est le larron crucifie. Ge Maitre, si terrible aupeche,
ee tendre ami des cceurs purs et des enfants, cet homme qui,
rencontrant un jeune homme chaste, le vit et 1'aima (Me., x,
21), ce moraliste rigide qui releve autour du mariage la haute
barriere de 1'union infrangible, ce juge austere qui condamne
L'intention etlapenseeme'mequand elle est consentie, du mal;
ce Jesus qu'un soup$on n'effleura jamais, se laisse appeler, et
1. Plaignons les exegeles qui chipotent sur 1'episode final de cette divine
histoire ou pretendent le corriger! II est pris, comme le reste, en pleine
humanite. L'indignation de 1'aine (comme nous la comprenons quand
nous nous interrogeons sincerement !), la demarche tendre, un peutimide,
plaidant presque coupable, du pere de famille, sa reponsequi remettoutes
choses a sa place, son excuse du Prodigue, tout cela est exquis et tres
digne de ce qui forme le coeur de la parabole. Quand done R. Bultmann
nous dit apres d'autres, Die Geschichte der Synoptischen Tradition, Goet-
tingen, 1921, p. 109, que les versets 25-32, avec leurs pointes nouvelles,
semblent etre une addition posterieure >, il applique a un recit vivant
les cadres rigides de la theorie qui voudrait reduire toute parabole a une
seule lecon : comme si les Fables d'Esope empechaient celles de La Fon-
taine d'etre de vraies fables !
2. Voir infra, p. 128, note Z, La femme surprise en adultere.
LA PERSONNE DE JESUS. 103
est en effet, 1'ami des publicains et des pecheurs . II les
aime de cette tendresse insistante et inquiete qu'ont les meres
pour des enfants longteraps menaces, et qu'elles ont, pour
ainsi dire, enfantes une seconde fois dans les larmes. Mais
cette predilection n'6te rien aux disciples fideles. Quelle
patience a les instruire ! quelle douceur et quelle force ! Lais-
sons ce malheureux pour lequel il eiit mieux valu n'Stre pas
ne (Mt., xxvi, 24). Encore le Maitre le traitert-il jusqu'aubout
avec une infinie delicatesse, faisant appel a son coeur, puis a
sa conscience, evitant de le diffamer devant les autres. Son
dernier mot est: Ami, pourquoies-tuici? (Mt.,xxvi, 50). Les
autres sont de braves cceurs, des hommes devoues assurement,
mais si grossiers parfois, souvent peu ouverts aux lecons du
Maitre, toujours si au-dessous de sa pensee et de son cceur ! II
les aime cependant, et de ces bons serviteurs il fait peu a peu
ses amis. Illeur apprendle support mutuel, 1'aide fra1;ernelle,
et 1'humble, I'honne'te service qui humilie sans de"grader : II
explique a Pierre etonne, pour qui pardonner sept fois a son
frere etait exorbitant, qu'il faut pardonner jusqu'a septante
fois sept fois ! et pour justifier cette misericorde, il evoque
devant ses disciples le Juge auquel nous aurons tous tant de
pardons a demander : au prix de ces dettes, que sont les
miseres pour lesquelles nous serions tentes d'etre impitoya-
bles! (Mt., XVHI, 21 suiv.).
Ges traits, sur lesquels on pourrait insister, ne sont pas
seulement propres a nourrir la piete des croyants, ils impor-
tent singulierement a I'enqu^te que nous poursuivons. L'union^
de la grandeur avec la simplicite est le fruit d'une heureuse
nature affinee par une education exquise : chacun y reconnait
la marque de la plus haute distinction. Habitudes de gentil-
homme, qui sont moms encore la parure d'une vie humaine
qu'une force et une armure, mettant a 1'abri de bien des com-
promissions, au-dessus de certaines faiblesses. G'est qu'il y
faut un equilibre, -un sens des vraies grandeurs, un discer-
nement des nuances, une possession et un oubli habituel de
soi qu'aucun dressage ne procure, qu'aucun genie ne sup-
plee. Quand par surcroit cet alliage de bonte profonde et
d'autorite souveraine resiste a 1'epreuve, ne se dement ni
devant 1'injustice, ni devant la calomnie, ni devant Tmsuffi-
104 JESUS CHRTST.
sance des amis, ni devant laperfidie des adversaires; quand
un homme salt condescendre sans s'abaisser, se devouer sans-
perdre de son ascendant, se donner sans s'abandonner, ne
faut-il pas le proclamer parfait? Qui ne voit I'abime existant
entre cette attitude habituelle et la malleability aux circons-
tances et aux pressions, Toutre Guidance naive, I'lnsinceritS
demi-consciente, 1'appetit et le vertige des grandeurs que
supposent en Jdsus les theories des exegetes rationalistes
qu'elles sont forcees de suppose? 1 ?
Ge qu'on a releve comme pouvant jeter une ombre sur
1'exquise bonte" du Maltre ne peut faire difficulte qu'a de&
esprits vetilleux! Ne gardens que ce qui merite un instant
de discussion; le premier grief vise le langage de J&sus r
1'autre son attitude. Gertaines personnes se sont 6mues des
anathemes prononces par le Maitre a 1'adresse des Pharisiens :
Mais malheur a vous, scribes etpharisiens hypocrites! Insenses,
aveugles et conducteurs d'aveugles qui filtrez le moucheron et ava-
1'ez le chameau
Vous ressemblez a des tombeaux recrepis qui paraissent superbes
[dudehors,
mais au dedans sontpleins d'ossements demorts etdetoutessortes
[d'immondices.
Vous aussi, du dehors, vous paraissez justes aux gens,
mais au dedans, vous etes pleins de faux-semblants et cTiniqiiites...
Vos peres ont peche quand ils ont tue les prophetes ; vous en etes
[les dignes fils.
1. Personne plus que Renan n'a insists sur ce trait : Les consciences,
troubles ne sauraient avoir la nettete 1 du bon sens; or, il ri'y a que les
consciences troubles quifondent puissamment... L'6tat des documents ne-
permet pas de dire en quel cas 1'illusion a 6t6 consciente d'elle-meme.
Tout ce qu'on peut dire, c'est qu'ellel'a 6t6 quelquefois. On ne peutmener
"la vie de thaumaturge sans 6tre dix fois accu!6, sans avoir la main forced
par le public. On commence par la naivet6, la cr6dulit6, 1'innocence
absolue, on finit par des embarras de toutes sortes, et pour soutenir la
puissance divine en d6faut, on sort de ces embarras par des exp6dients
d6sesp6r6s... Vie de Je"stts, Preface de la 13 e 6d., p. 24; voirdans lememe
sens les chapitres xv, xvi, xix et passim. Certes, de pareilles declarations,
rep6tees a sati6t6, sont d6sobligeantes. Mais on ne doit pas perdre de
vue que, dans 1'hypothese rationaliste, il faut en arriver a des explica-
tions > de ce genre : < Jesus ne doit pas etre juge sur la regie de nos
petites convenances. L'admiration de ses disciples le d6bordait et 1'entrai-
nait. *
LA. PERSONNB DE JESUS. 105*
V
Comblez la mesure de vos peres.
Serpents, race de viperes, comment echapperez-vous au jugement
[de la gehenne * ?
Ailleurs, c'est Herode Antipas qui est qualifie de renard :
Allez, dites a ce renard : voici, je chasse les demons et j'accom-
plis les guerisons aujourd'hui, et demain, et le .surlendemain c'est
ma fin a .
L'objection n'a de portee qu'en ce qui touche la seve'rite-
du fond, car le ton et le langage de Jesus dans ces passages-
sont ceux que les habitudes et le langage prophetique ame-
naient naturellement sur ses levres. II serait aussi vain de
s'en etonner que de se formaliser de details de regime oui
d'habillement alors en usage.
Sur le fond 3 , on observera que le conflit etait inevitable
entre le conservatisme abusif et sterile des meneurs Phari-
siens, la sceptique mondanite des Sadduceens, la basse poli-
tique d'Herode Antipas, et la verite libe"ratrice qu'apportait-
Jesus (Jo., VHI, 32). La fermentation genereuse du vin nou-
veau devait faire eclater des outres roidies et cassantes. Ge
conflit, Jesus n'en eut pas 1'initiative : ses precautions respec-
tueuses envers la Loi, ses explications (Mt., v, 17), son souci
de menager, quand elle se contenait dans de justes limites r
1'autorite doctrinale des scribes (Mt., xxm, 3), le prouvent
assez. Mais douceur n'est pas faiblesse ; la bonte n'empe'che-
pas que 1'amour soit fort comme la mort , le zele jaloux
de la gloire de Dieu, dur x comme 1'enfer . La mission du
Sauveur devait 4tre accomplie, les ames desabusees a tout
prix, les maitres d'erreur denonces, les fanatiques confondus,
les hypocrites demasques. Aussi Jesus parle. Mais avec quel;
accent, avec quelle evidente volonte de ramener, non d'acca-
bler! II maintient, apres 1'avoirretablie, la notion veritable du
Royaume, il proclame les droits de Dieu, il degage de la<
1. Mt., xxm, ISsuiv. et passim. Cf. Lc., xi, 39-44.
2. Lc., XIH, 32.
3. A. D. Sertillanges, Msus, Paris, 1900, chap, vr, et du cote juif, Kauf-
mann-Kohler dans la JE, IX, 665 B, expliquent les reproches de Jsus comme
s'appliquant a des abus r6els : Les hypocrites sont conspues exactement
de la m6me fac.on (que Mt., xxm, 5 suiv.) dans le Midrasch > Pes [iqthafy
R [abbathi], 22, ed. Friedmann, Vienne, 1880, p. 111.
106 JESUS CHRIST.
\
gangue pesante des gloses et des prescriptions humaines le
noble filon religieux. Ge faisant, loin d'etre infidele a son
appel de misericorde, il 1'acheve : ses se'verites sont bienveil-
lantes, les blessures qu'il fait sont franches et vont a debrtr
der des plaies, non a les rendre inguerissables. 11 pleure sur
Jerusalem, il prie pour ses persecuteurs, il prepare la con-
version de tous ceux scribes et pharisiens au premier rang
(Act., vi, 7; ix, 20; xv, 5; xxi, 21 suiv.) qui ne voulu-
rent pas pecher contre lalumiere.
Et le double aspect, de force et de douceur, ce que Jean
appelle la colere de 1'Agneau (Apoc., vi, 16), ne fait dispa-
rate que pour les simplificateurs, amenes par leurs preven-
tions geometriques et leur petitesse d'ame, a oublier que la
grandeur veritable eclate au contraire dans la possession
maitrisee de quality's opposees qui s'equilibrent, sans pour
autant se contredire. Peu d'exegetes de profession ont mieux
mis a nu la misere de ces critiques que 1'essayiste G. K.
Ghesterton :
Renan a separe la pitie de Jesus de sa combativite ; il a m&me
represents sa juste colere a Jerusalem comme une simple crise
nerveuse venant apres les espoirs idylliques de la Galilee. Comme
s'il y avait quelque contradiction entre le fait d'aimer 1'humanite et
le fait de la hair! Les altruistes, d'une voix grele et faible, accu-
sent le Christ d'etre un ego'iste. Les egoi'stes (avec des voix encore
plus greles et encore plus faibles) 1'accusent d'etre un altruiste.
Mais la haine d'un heros est plus genereuse que 1'amour d'un phi-
lanthrope. II y a la une sante enorme, une sante heroi'que dont les
modernes ne pourraient recueillir que les restes... Us ont lacere
1'amedu Christ en bandes ridicules, etiquetees egoismeet altruisme,
et s'effarouchent egalement de sa folle magnificence et de sa folle
douceur. Us se sont partage son vetement et ont tire sa robe au
sort, bien qu'elle fut sans couture et tissue d'un seul jet *.
L'objection developpee par J. Martineau 2 , et selon laquelle
la conscience, ou du moins la revendication publique de la
dignite messianique, serait incompatible avec la saintete et
1'humilite parfaites, procede d'un raffinement morbide et
1. G. K. Chesterton, Orthodoxy, trad. Ch. Grolleau, 1923, p. 55-56.
2. The Seat of Authority in Religion, London, 1890, p. 577 suiv. La-
dessus on peut voir la discussion de A. Balmain Bruce, Apologetics 3 , Edin-
burgh, 1892, p. 364 suiv.
LA PERSONNE DE JESUS. 107
inintelligent. Humilite", saintete", toutes les vertus qu'on vou-
dra invoquer sent fondees sur la verite ou ne sont que des
attitudes, et combien vaines ! Si Ton croit que Jesus etait vrai-
ment le Messie, on doit admettre qu'il connaissait sa dignite
et, dans la mesure d'une sage discretion, la proclamait : le
contraire rabaisserait 1'envoye divin a la taille d'un instrument
inconscient, animal, instinctif, ou le re*duirait a une passivite
tout a fait indigne de sa mission., II faut noter d'ailleurs que la
gloire remonte finalement tout entiere a Dieu : doctrine,
sagesse, puissance, tout vient du Pere, et Jesus ne peut rien
faire de lui-me'me (Jo., v, 30). Encore qu'il agisse libre-
ment comme un fils dans la maison paternelle, non comme un
serviteur introduit par grace ; encore qu'il possede en pleni-
tude, par tradition totale, et non selon une mesure plus ou
moins grande, les richesses de la Divinite, Jesus tient tout de
son Pere, et il lui renvoie tout honneur. La vocation messia-
nique comportait sans doute une haute dignite et une pure
gloire, mais presque toute a venir : dans le present elle faisait
de son elu un signe de contradiction , une cible offerte a
despeines etades douleurs incompre'hensibles 1 . Jesus accepta
librement les unes et 1'autre. Mais il e"puisa la partie doulou-
reuse du programme messianique et, pendant sa vie mortelle,
n'accepta de la dignite que ce qu'il. ne put refuser, ne cher-
chant pas sa gloire (Jo., vm, 50). II ne se complut pas
en lui-me'me , mais ayant durant les jours de sa chair offert
avec de grands cris et des larmes ses prieres et supplica-
tions a celui qui pouvait le sauver de sa mort... il apprit, tout
Fils qu'il est, par ses propres souffrances, ce que c'est
qu'obeir... (Hebr., v, 7-8) *.
3. LA VIE INTIME BE JESUS
La vie intime, ou s'affirme par la pensee et 1'amour, ou
s'exprime par le verbe interieur rincommunicable personna-
1. Isai'e, XLJX, 1; LI, 16; LII, 13; LUI, 12; Lc., n, 34, 35; xxiv, 26 : ne
fallait-il pas que le Christ souffrit? >... Phil., n, 5-11, etc.
2. Touchant cette obeissancede Jesus a son Pere, et les questions theolo-
giques qu'elle souleve, onpeutvoir A. Michel, Jesus-Christ, dans leDTC,
V111, 1, col. 1295-1308; et PaulGaltier, Obeissant jusqu'ala mart , dans
RAM, I, 1920, p. 113-149.
108 JESUS CHRIST.
lite de chacun de nous, est chose sacre*e, une sorte de sanc-
tuaire dont, s'aglt-il*du dernier des homines, on ne franchit
le seuil qu'avec respect. Gombien plus quand on approche d'un
de ces hommes extraordinaires qui ont entraine" apres eux des
milliers de leurs freres,.etfourni aux generations suivantes un
ideal, des exemples, des lemons. Au demeurant I'originalite'
qui se"pare du commun ces hautes figures est d'espece fort
differ ente, bien que tous s'isolent de leur milieu et le dominent
plus ou moins.
Les uns retiennent surtout 1'attention par 1'etrangete, le
caractere original de leurs allures, en contraste frappant
avec celles de leurs contemporains. Les a*utres, lesplus grands,
se distinguent moins par la singularite que par la supe"riorite
de leurs dons. Us regardent ce que les autres regardent, et
semble-t-il dans la me'me perspective, mais ils y voient ce que
les autres ne voient pas. Leur merite est en profondeur : ils
sont moins differents de leur entourage qu'eleves au-dessus de
lui. A ne le considerer qu'humainement, c'est a cette derniere
famille qu'appartient sans conteste Je*sus de Nazareth.
Sa pehsee habituelle s*e meut dans la sphere familiere aux
ames religieuses de son temps et de son pays. Veut-il illustrer
sa doctrine en la rendantplus accessible et plus concrete, c'est
aux comparaisons, aux paroles scripturaires, aux grands faits
et aux grands hommes de 1'histoire d'Israe'l qu'il recourt. Les
sentences bibliques montent spontanement a ses levres. Moiise
et David, Salomon et la Reine lointaine, Isai'e et Jonas lui ser-
vent d'autorites, de garants, de termes de comparaison. II n'en-
seigne pas; certes, comme les scribes, mais la dialectique qu'il
emploie, quand il daigne discuter, est celle des maltres d'ls-
rael, non la dialectique de 1'Inde ou de la Grece. Au cas de
conscience bizarre et captieux des Sadduceens, ridiculisant la
doctrine de la resurrection par Taventure d'une femme marie&
successivement (et legalement) a sept freres, quand les inter-
rogateurs concluent triomphalement : A la resurrection,
duquel des sept sera-t-elle la femme? car tous 1'ont posse-
dee!
... Repondant, Jesus leur dit : Vous errez, ignorants que vous
etes et de 1'Ecriture et de la puissance de Dieu. A la resurrection,
ni on ne se mariera, ni on ne donnera en mariage, mais on sera
LA PERSONNE DE JESUS. 109
comme des anges dans le ciel! Touchant la resurrection, n'avez-
vous pas lu cette parole de Dieu : Je suis le Dieu d' Abraham, et
le Dieu d'Isaac, et le Dieu de Jacob ? II n'est pas le Dieu des morts.
maisdes vivants, Eten 1'ecoutant les foules etaient frappees d'ad-
iniration par sa doctrine (Mt., xxn, 29-33).
Nous aussi, en lisant ces sublimes paroles. Mais on y en-
tend 1'accent authentique d'Israel, et ni Platon, ni Aristote
n'ont passe" par la. Ni mme Philon 4 .
Gomme sa dialectique, le style de Jesus est marque" a 1'em-
preinte de sarace etde son temps 2 . Penetrants et images, ses
dires ressortissent aux genres litteraires bibliques : on y en-
tend 1'echo des prophetes, on y retrouve le tour enigmatique
et se'ntencieux des Livres Sapientiaux 3 . A mainte reprise,
les discours plus etendus prennent Failure de rythrnes 4 , et
s'il faut en cela faire la part des evangelistes (la comparaison
des textes rapportant les me'mes paroles, dans le meme con-
texte, nous y invite parfois imperieusement), il reste que le
moule prophetique fut surement celui ou coula le plus souvent
le pur metal de la parole du Maitre. Quant a ses aphorismes
.et discours familiers, la sagesse d'Israel y est justifiee par
1. La predication du Christ n'a aucun lien avec I'hellenisme. Christi
iPredigt hat kein Verhaeltnis zum Hellenismus >, observe un excellent
connaisseurde la culture classique, Paul Wendland, Hellenistisch-Roemische
Kultur 2 , p. 212. < Pas le moindre soupcon d'alexandrinisme, kein alexan-
.drinischer Anflug >, dit de son cot6 H. J. Holtzmann, Lehrbuch der N. T.
Theologie*, I, p. 211. Le premier biographe juif de Jesus, J. Klausner,
.admet 6galement que J6sus fut exclusivement un fruit de la terre
d'Israel, du juda'isme pur, sans un trait venu de la gentilite. Bien qu'iJ y
eut alors beaucoup de gentils en Galilee, il ne fut pas influenc6 par eux ,
Jesus of Nazareth, London, 1925, p. 396.
2. La-dessus, entre autres, P. Batiffol, L'Enseignement de Jesus 1 , Paris,
1905; Alfred Durand, Pour qu'on Use VEvangile, dans les Etudes du
15 juillet 1912.
3. Quelques remarques penetrantes de J. Weiss, Literaturgeschichle des
.N. T., dans RGG, III, col. 2176 suiv.
4. Rythmes, que nos habitudes de style 6crit et les seules analogies
.qui nous soient familieres, nous porteraient a assimiler aux strophes des
tragiques grecs, ou de nos poetes occidentaux. II faut se garder de le
faire (voir plus haut, t. I cr , p. 201 suiv.). C'est aux compositions impro-
vis6es mais sur des themes 6tudi6s, et avec 1'aide d'un vocabulaire et
d'une phraseologie traditionnels; possed6s a merveille des R^citateurs
*de style oral, qu'il faut les comparer.
110 JESUS CHRIST.
1'emploi de ses precedes classiques : alliteration, comparai-
son, antithese, parallelisme :
A qui comparerons-nous cette gent? Elle est pareille a de pe^-.
tits enfants assis sur les places et s'interpellant les uns les autres :
Nous vous avons chante gai, et vous n'avez pas danse,
Nous avons chante triste, et vous n'avez pas gemi.
Vint en effet Jean ne mangeant ni ne buvant, et Ton dit : II est
possede!
Vint le Fils de 1'Homme, mangeant et buvant, etl'on dit : Voici
un glouton et un buveur, ami des publicains et des pecheurs! (Mt.,
xi, 16-20.)
S'agit-il de decrire Pangoisse des derniers jours et la crise
precedant 1'avenement du regne de Dieu, le style des apoca-
lypses qui s'etait, depuis les grands prophetes, impose a ces
tableaux, se retrouve dans les discours du Maitre.
Comme 1'eclair part de 1'Orient et brille jusqu'a 1'Occident, telle
sera 1' apparition du Fils de 1'homme : ou git le cadavre, se rassem-
bleront les aigles. Et aussitot apres la tribulation de ces jours le soleil
s'obscurcira, etc... (Mt., xxiv, 27 suiv.)
Suivent des citations textuelles prises des apocalypses
d'lsaie, de Daniel, de Zacharie.
Jusque dans la partie la plus originale par la forme qu'y
reve"t son enseignement, dans ce genre parabolique qu'il n'in-
ventapas 1 , mais qu'assurement il aime de preference etpousse
a sa perfection, Jesus reste Israelite, et Israelite palestinien.
Allegoric ou fable, ou (c'est le cas tres souvent) subtil melange
des deux, ses paraboles se deroulent selon les lois de la pen-
see semitique. Sous la plume du plus Hellene, du plus huma-
niste des evangelistes, les paraboles les plus touchantes ou
les plus tragiques, V Enfant Prodigue, lesM6chants Vignerons,
restent encore, par leur absence de composition, apparentees
a la litterature de Sapience, dont elles sont la fleur la plus
exquise. Ges beaux recits se developpent par plans reguliers,
plut6t lentement, sans autre enchalnement que la suite des
faits, sans aucune peripetie 2 , sans la recherche d'un effet dra-
1 . La-dessus, Paul Fiebig, A Itjudische Gleichnisse und die Gleichnisse
Jesu, Tubingen, 1904.
2. J'entends 6videmment le mot au sens litteraire : peripetie, terme
LA PERSONNE DE JESUS. Ill
matique quelconque. Tout le pathe'tique est dans les choses.
Mais autant que 1'ordonnance, c'est 1'etoffe des discours
de Jesus, les mots et les images, qui sont exactement ceux
qu'on pouvait attendre d'un predicateur.galileen 1 . Le monde
qui se reflete dans les paraboles et les entretiens du Maitre-
n'est pas celui d'un visionnaire, d'un homme abstrait ou forme
dans les livres. Un developpement spirituel intense tend par-
fois (on 1'a note de saint Bernard) a emousser le sentiment
concret ou esthetique des choses visibles. On n'a pas a regret-
ter cette lacune dans le Sauveur; Francois d'Assise ne fut
pas plus ami de la nature. L'Evangile en te*moigne a chaque
page. G'est toute la Galilee d'alors qui s'y reflete, avec ses
deuils et ses fetes, son ciel et ses saisons, ses troupeaux et
ses vignes, ses moissons et 1'ephemere parure de ses ane-
mones, son beau lac et la robuste population de ses pecheurs
et de ses cultivateurs aises. Le monde exterieur existe-
pour Jesus : il n'est pour lui ni un simple chiffre, un pur sym-
bole qu'il s'agirait d'interpreter, ni une fantasmagorie vaine,
une illusion, un torrent des mobiles chimeres , qu'il fan-
drait dissiper ou traverser. Loin d'etre un mensonge ou un
piege, ces humbles choses ont leur prix a qui sait y voir des
dons et des vestiges du Pere du ciel. Les details familiers de
la vie des pauvres gens, Failure hautaine, le luxe, la morgue-
des riches, les yeux clairs des enfants, le geste du semeur etr
de la broyeuse de froment, du berger et du marchand, les
veillees de noce et I'embauchement des ouvriers, tout cela esfr
de literature >, d6finit E. Littr6 dans son Dictionnaire, c'est-a-dire la
mise en relief, par une exposition accentu6e, d'un fait, d'une circons-
tance qui amenera le denouement. Si Ton entend par peripetie 1'expose
pur et simple, nullement souligne dans le recit, du meme fait, de la
meme circonstance, on trouvera naturellement des peripeties dans les
Paraboles. Et c'est ainsi que le P. Lagrange en signale jusqu'a trois
dans 1'Enfant Prodigue : la conversion, I'accueil du Pere, la bouderie
de 1'aine >. On pourrait aj outer la famine consecutive a la ruine du-
cadet. Sur le dramatique dans le quatrieme Evangile, voir le P. La-
grange, Evangile selon saint Jean, p. LXXXIV.
1 . Quelques remarques peuvent servir dans les articles du Dictionary
of Christ and the Gospels, a. v. Animals, I, 62 B-69 B (H. G. Wood);
Illustrations, I, p. 776 B-778 A (R. Glaister); Metaphors, II, p. 179 1
A-181 B (C. M. Cobern); Poet, II, 372 A-377 (A. J. Kelman).
112 JESUS CHRIST.
peint d'un trait sans insistance, mais net et d'une exactitude
topique. Ni les arbres, ni les b6tes ne sont oublies : la crois-
.sance du ble* est cherement de"crite, les oiseaux du ciel tra-
versent 1'horizon, la brebis perdue s'y profile, point blanc au '
lointain desertique.
Les impressions acquises ont peu a peu forme dans 1'esprit
du Maitre ce bon tresor ou la legon religieuse trouvera sa
forme naturelle et appropriee. Mais ces images rapides ou
'detaille'es sont celles qu'on s'attendait a trouver dans un
homme de cette race et de ce pays, forme par la tradition bi-
blique, heritier du verbe prophetique et de la sagesse des
peres, grandi au milieu de la saine activite et des decors har-
imonieux du terroir galileen. Osons dire que ces images, ces
reminiscences, ces gouts existaient en quelque mesure, sous
une forme plus ou moins rudimentaire, chez tous les Israe-
lites pieux, contemporains et compatriotes de Jesus.
Son originalite n'est pas la. Elle est dans la fac.on unique
dont ces elements sont transfigures, transmues, spiritualises
et cons dqu eminent universalises, par le Sauveur. Ges legons
;si particulieres, si bien datees et localisees, donnees a quel-
ques milliers d'auditeurs, dans un coin du monde aisement
reconnaissable et peu hospitalier aux idees et aux gens du
dehors, il se trouve qu'elles restent comprises et conque-
rantes en tous les temps, sous tous les cieux. L'esprit y eclate
au point que nous pouvons presque nous passer de leur
intelligence litterale et detaillee. A la difference des paroles
mystiques ordinaires, toujours un peu troubles, ou la pro-
fondeur ne s'obtient guere qu'aux depens de la clarte, ou la
puissance des impressions se traduit par des metaphores heur-
tees et des alliances de mots qui semblent s'exclure, ou le
de"sespoir de rendre Tintensite du sentiment tend le langage
jjusqu'a le disloquer, ces simples notations evangeliques,
pleines de details familiers, de visions precises, de mots lumi-
iieux, vont allumer et nourrir la flamme religieuse au coeur
des croyants de toute race. Aucun homme vraiment homme
n'est au-dessus ni au-dessous de leur atteinte. Nulle part au
monde la transparence d'une ame profonde ne s'est miree ea
*ine eau plus calme :
LA PERSONNB DE JESUS. 113
Bienheureux les purs de coour : ils verront Dieu!
Bienheureux les artisans de paix : ils seront appeles fils de Dieu !
Mt., v, 8-9.
Vous etes la lumiere du monde. On n'allume pas une lampe
pour la placer sous le boisseau, mais sur le chandelier, etelle brille
devant tous ceux qui sont dans la maison. Qu'ainsi luise votre
lumiere devant les hommes : qu'ils voient vos bonnes ceuvres et
rendent gloire a votre Pere qui est aux cieux! (Mt., v, 14-17).
Faites attention, tenez-vous prets, vous ne savez quand sera
1'heure. C'est comme un homme s'en allant au loin qui laisse sa
demeure, remet tout a ses domestiques, a chacun sa tAche; il a
recommande au portier de veiller. Veillez done ; car vous ne savez
pas quand le maitre de la maison reviendra : le soir, ou a la mi-
nuit, ou au chant du coq, ou a 1'aube pour que, survenant a
1'improviste, il ne vous trouve endormis. Ce que je vous dis, je le
dis a tous : Veillez (Me., xm, 33-37).
II est vrai que cette parole si franche aparl'ois ses outrances,
ses ironies; le torrent deborde. Elle a, plus souvent encore,
ses paradoxes, le grossissement pedagogique indispensable a
un enseignement populaire, oral :
...Or les Pharisiens sortirent et se mirent a lui chercher noise,
reclamant de lui un signe du ciel pour le mettre a Tepreuve. Et,
gemissant du fond de Tame, il dit : Pourquoi cette generation-ci
reclame-trelle un signe? En verite, je vous le dis : Point de signe
a cette geheration-ei * . Et les laissantla, ii remonta en barque
pour aller sur 1'autre rive (Me., vm, 11-14).
Mais je vous dis a vous qui m'ecoutez : A qui te frappe sur une
joue, presente aussi 1'autre. A qui t'enleve ton manteau, ne dispute
pas la tunique (Lc., vi, 27, 29). II dit aun autre : Suis-moi! Mais
lui : Laisse-moi d'abord aller ensevelir mon pere. Et il lui dit :
Laisse les morts ensevelir leurs morts 2 . Toi, va et annonce le
1 . Sur le sens donn6 a eZ SoOiJoe-cai, voir la note du P. Lagrange, Evan-
gile selon saint Marc, p. 196.
2. On a essaye d'expliquer ou d'emousser cette apre parole. Une inge-
nieuse retraduction en aramSen amene F. Perles a 1'insignifiant : laisse
les morts 4 leur ensevelisseur , ZNTW, XIX, 1920, p. 96. Mais le mot
ainsi restitue par conjecture pour ensevelisseur > n'existerait meme
pas, d'apres Strack et Billerbeck, KTM, I, p. 489. D'autres (R. Bultmann,
Geschichte der Synopt. Trad., p. 14; A. Loisy, Evangite selon Luc, p. 289)
veulent voir la un dicton ou proverbe, mais reconnaissent que son ori-
gine est inconnue. Son sens egalement, ajouterons-nous ! La parole, dans
le contexte evangelique, oil elle a toute sa portee, est au contraire fort
claire : Laisse a ceux qui n'ont pas le souci du Royaume, laisse aux
JESUS CHRIST. II. 8
114 JESUS CHRIST.
Royaume de Dieu! Un autre lui dit : Je te suivrai, Seigneur, mais
permets-moi d'aller prendre conge des miens. Mais Jesus lui dit :
Personne ayant mis la main a la charrue, s'il regarde en arriere,
n'est propre au Royaume de Dieu (Lc., ix, 59-62).
Ges fortes paroles, dont 1'imagination chimerique d'un Leon
Tolstoi * a si souvent abuse, avec autant d'inintelligence que
d'eloquence, rec.oivent leur veritable interpretation de tout
1'Evangile. Leur sens doit e"tre cherche dans 1'ideal qu'elles
proclament, dans les sentiments qu'elles inspirent et Torien-
tation qu'elles donnent, dans les limitations que d'autres
enseignements du Maitre, son exemple, et la nature mime
des choses, leur imposent.
Non moms eloquent que Tolstoi, et mieux defendu par sa
foi meme centre la chimere, G. Papini a donne du Discours sur
la Montagne un commentaire qui se ressent encore trop, ?a
morts selon 1'esprit (of. le : < Je connais tes oeuvres : tu portes le nom de
vivant et tu es mort , de 1'Apocalypse, in, 1) le soin d'ensevelir les morts
selon la chair ! Toi ; tu te dois tout entier a d'autres taches, a 1'oeuvre de
vie, a la resurrection de ces morts spirituels, par la predication de 1'Evan-
gile.
Semblablement, 1'autre maxime, tiree du code de la vie paysanne, insiste
sur le serieux et 1'urgence de la vocation apostolique. Pour ceux qui y sont
veritablement appeles, rien ne doit passer < d'abord >. Us doivent cher-
cher d'abord le Royaume de Dieu, non settlement pour eux, mais pour
les autres. C'est centre la tiedeur des deux candidats au Royaume que
Jesus proteste avec une rigueur impitoyable, exemplaire.
1. A cent reprises le ceJebre romancier est revenu sur ces textes,
notamment ceux du Discours sur la Montagne, pour motiver 1'interdiction
de tuer, meme dans une guerre juste ; de preter en aucun cas un serment
quelconque, etc... Nulle part il ne s'est explique plus clairement que dans
son Court expose des Evangiles, public d'abord a Geneve en 1890 (trad. T.
de Wyzewa, Paris, 1896). Dans 1'Avant-Propos de cet ouvrage (extrait de la
3 e partie du livre beaucoup plus considerable public posterieurement sous
le titre : Les Evangiles}, 1'auteur exprime tres nettement son dessein, et
fait preuve, il faut le reconnaitre, d'une incroyable ignorance de la cri-
tique des evangiles. II dit en propres termes que c'est apres la mort du
Christ, cent ans apres environ, que les homines se sont avises de la
grande importance des paroles du Christ, et ont eu 1'idee d'en mettre la
relation par ecrit ; p. 5 ; que les evangiles canoniques renferment presque
autant de passages fautifs qu'il y en a dans les evangiles rejetes comme
apocryphes; et que les evangiles apocryphes renferment presque autant
de bonnes choses >, p. 6, etc. On croirait lire Voltaire!
LA PERSONNE DE JESUS. 115
ot la, du besoin de jeter Fanatheme a des abus tres reels et
vivementsentis, comme s'ils pouvaient prescrire centre 1'usage
d'institutions qu'ils de'figurent, ou les rendre moins indispen-
sables. Par centre, il dit tres bien que les disciples du Christ
avec une egale horreur (s'ils sont clairvoyants) de 1'homme
passe et present refusent, a la suite du bon Maitre, de
s'enferrer dans le desespoir du nullisme ! Et ils apprennent
de lui mais de lui seul le moyen d'echapper au gouffre;
changer de route, transformer, creer des valeurs nouvelles,
nier les anciennes, dire le NON de la saintete au Oui fallacieux
du Monde... Avec Jesus s'ouvre la Loi nouvelle... a chaque
exemple, il commence par ces mots : II a ite dit. Et aussit6t,
au vieux commandement qu'il renverse ou purifie d'un para-
doxe, il oppose le nouveau : mais moi, je vous dis... Une
nouvelle phase de 1'education humaine commence avec ces
mais, et ce n'est pas la faute de Jesus si nous tatonnons
encore dans le crepuscule du matin 1 .
II reste que les paroles du Maitre, si elles sont neuves et
inoui'es, neuves pour nous encore, helas! puisque non-en-
tendues, non-imitees, non-obeies par la plupart, ne sont
pas d'un excessif, d'un homme genial mais mal e"quilibre 2.
Rien de plus frappant au contraire, que la fac.on dont Jeaus
domine sa matiere et reste maitre de lui jusqu'en ses plus
vives apostrophes. Homme veritable, homme complet, homme
d'un temps et d'une race passionnes dont il ne refusa que les
etroitesses et les erreurs, il a ses enthousiasmes et ses
saintes coleres. II connait ces heures ou la force virile s'enfle
comme un fleuve et semble se decupler pour se repandre.
1. Storia di Cristo, trad. P. H. Michel, Paris, 1922, pp. 86-90 et passim,
Tout le reste du commentaire du Discours est de cette force et appellerait
egalement ca et la les memes reserves. Mais 1'au-teur pretend moins donner
une ex6gese rigoureuse qu'6voquer intensement 1'esprit meme de celui
qu'il appelle le supreme paradoxiste . Et il y reussit tres bien. Le
pasteur Ch. Wagner est revenu sur ces textes pendant la guerre dans ses
Glaives d deux tranchants, Paris, 1917.
2. Le psychologue americain, G. Stanley Hall, dit bien a ce sujet que
Jesus omet souvent de considerer les relations de ce qu'il dit a d'autres
verites, se confiant a 1'unite profonde de son ame propre plutot qu'a une
superficielle unite de doctrine ou de logique . Jesus the Christ in the
light of Psychology 2 , New- York, 1923, p. 545.
116 JESUS CHRIST.
Mais ces mouvwnents extremes restent lucides : pas d'exage"-
ration de fond, pas de petitesse, de vanite, nul enfantillage,
aucune trace d'amertume egoiste et interessee. Agite*es, fre-
missantes, bouillonnantes, les eaux d'ungave restent limpides.
Ainsi Jesus, s'il voit Satan tpmber comme un e'clair , s'il
revele a ses disciples (de quel accent penetrant et tendre!)
leur bonheur, s'il tressaille en face du renversement des vues
humaines opere par la sagesse de son Pere, s'il s'indigne a
la vue du coupable endurcissement des scribes, il garde tou-
jours le commandement de sa parole et de sa pensee. Quand
il chasse les vendeurs du Temple, quand il tonne contre les
villes impenitentes, quand il rebute 1'affection sincere mais
charnelle encore de Simon Pierre, quand il reprend le zele
indiscret des Fils du tonnerre, ce sont les grands interets de
sa mission qui 1'inspirent : la gloire de Dieu, le bien des
ames, 1'avenement du Royaume. On ne trouvera pas dans les
Evangiles ces mots amers et injustes, ces recriminations, ces
doleances egoistes qui echappent, dans les moments de crise,
aux plus genereux amis des hommes. Mime en adoptant le
style et la maniere apocalyptiques, consacres alors en matiere
de fins dernieres, les paroles du Maitre restent sense es, les
images qu'il reprend ou cree, relativement modestes. II n'est
pour apprecier cette sobriete que de comparer le discours
(qui sera plus bas traduit dans son integralite) appele I' apo-
calypse synoptique, avec les descriptions des apocalypses a
peu pres contemporaines.
Passant des paroles de Jesus, prises comme de surs indices
de sa vie interieure, a ses actes, nous remarquerons le meme
caractere de sublimite dans 1'equilibre. La hauteur morale et
religieuse, I'heroiisme que les plus prevenus des adversaires
sont forces de reconnaitre a cette courte vie, reside moins
dans 1'etrangete et la singularite de quelques gestes, que dans
la bonte constante des actions et leur qualifce soutenue. On
n'y voit pas de ces brusques alternatives, de ces sautes de
vent, de ces elans genereux suivis de depression profonde,
dont la vie des hommes eminents (et celle meme des saints,
si elle est sincerement contee) offre des exemples. Le trait
releve plus haut a propos de la religion de Jesus, doit etre
souligne ici comme jetant un jour singulier sur le calme de
LA PERSONNE DB JESUS. 117
cette ame. Jesus n'a pas d'extase proprement dite, 1'extase
disant a la fois la hauteur de 1'appel divin et la faiblesse du
sujet humain qui le subit. II n'a pas non plus de ces balbu-
tiements, de ces abstractions du reel, de ces distractions qui
sont la rangon babituelle d'un effort supreme. Son naturel est
parfait, sa spontane'ite entiere : rien de guinde ou de convenu.
Comme ses paroles, sa vie coule de source et sur un lit de
sable, pourrait-on dire, tant sa serenite inte'rieure est cons-
tante 1 . II a les gouts que cette perfection implique : il aime
les enfants, les simples, les petits.
...La note dominante (en Jesus) est celle d'un recueille-
ment silencieux, toujours egal a lui-m&me, toujours tendant
au me"me but. Jamais il ne parle en extase et le ton de 1' exci-
tation prophetique est rare chez lui. Charge* de la plus haute
mission, il a toujours 1'ceil ouvert et 1'oreille tendue a toutes
les impressions de la vie qui 1'entoure : quelle preuve de
paixprofondeetd'absolue certitude! ... Le depart, 1'auberge,
le retour, le mariage et I'enterrement, les palais des vivants
et les tombes des morts, le semeur et le moissonneur dans
les champs, le vigneron au milieu de ses ceps, les ouvriers
inoccupes sur la place, le berger cherchant ses brebis, le
marchand en qu6te de perles; et puis, au foyer, la femme
s'occupant de sa farine, de son levain ou de sa drachme perdue ;
la veuve se plaignant au juge inique, la nourriture terrestre
et comme elle passe, les rapports spirituels du maitre et du
disciple; ici la pompe des rois et 1'ambition des puissants; la
1'innocence des petits enfants et le zele des serviteurs, toutes
ces images animent sa parole et la rendent accessible meme
a des esprits d'enfants. Et tout cela ne signifie pas seule-
ment qu'il parlait en images et en paraboles; cela temoigne,
au milieu de la plus forte tension, d'une paix interieure et
d'une joie spirituelle telles qu'aucun prophete avant lui ne
les a connues... Lui qui n'a pas une pierre pour reposer sa
tete ne parle pas cependant comme un horn me qui a rompu
1. La vie interieure de Jesus, non troublee, non empechee par ses
actions, au-dessus de cette faiblesse que Goethe a si bien formulee
(Faust, !,!): Las! nos actions meme aussi bien que nos douleurs, elles
font obstacle au cours de notre vie (interieure) ; Ach ! unsre Taten selbst
so gut als unsre Leiden sie hemmen unsres Lebens Gang. >
118 JESUS CHRIST.
avec tout, comme un heros de 1'ascese, comme un prophete
extasie, mais comme un homme qui connait la paix et le repos
interieur et peut les dormer aux autres. Sa voix possede les
notes les plus puissantes, il place 1'homme en face d'une
option formidable, sans lui laisser aucune echappatoire, et
pourtant ce qui est le plus redoutable lui parait comme
allant de soi, et il en parle comme d'une chose naturelle : il
rev4t (ces terribles ve'rite's) de la langue dans laquelle une
mere parle a son enfant 1 .
Souvent aussi, dans ses paraboles, Je"sus, comme un bon
ouvrier, parle de ce qu'il connait et aime : Jesus avait un
penchant pour les symboles de ce qui est solide et durable :
Jesus est surnomme le roc, la pierre d'angle de 1'Eglise. Giel
et terre passeront, mais pas un atome de ses paroles. Ses
disciples doivent tenir ferine et ne pas chanceler. En qualite
de mac.on aussi bien que de charpentier, Jesus sentait la force
de ces similitudes 2 . La douleur est un reactif qui sait mettre
en liberte les elements les plus fonciers d'une nature, en
detruisant les attitudes artificielles qu'un long effort a pla-
quees sur nos vies jusqu'a nous les rendre habituelles. En
face de la douleur, surtout quand elle est intense, durable,
efc atteint a la fois le corps et 1'esprit, le masque tombe,
1'homme reste ... Jesus, dans une epreuve sans limites,
demeure egalement eloigne de toute forfanterie et de toute
faiblesse ; nul stoicisme, nul defi, nulle attitude composee. II
ne nie pas le mal, il ne 1'attenue pas. Sans faire fle'chir sa
volonte", arretee et lixee sur celle du Pere, sa sensibilite
s'emeut, fremit, rend de beaux sons purs, tendres ou dechi-
rants :
J(5sus parcourait toutes les villes et les bourgs, enseignant dans
les synagogues, et pr^chant 1'evangile du Royaume, et guerissant
toute maladie et toute infirmite. Or voyant les foules, ses entrailles
1. Adolf von Harnack, Das Wesen des Chrislentums 3 , Berlin, 1901,
p. 23, 24. Dans la traduction frangaise nouvelle de 1907 (que je retouche
ici et la), p. 50-52. Les Anmerkungen de l'6dition allemande de 1908,
p. 10, avertissent que le passage entre guillemots est emprunte a la
Geschichte Jesu de P. W. Schmidt, vol. I, Tubingen, 1899.
2.. Stanley Hall, Jesus the Christ in the light of Psychology*, 1923,
p. 550, a propos de. la maison batie sur la pierre, Mt, VH, 24-27.
LA. PERSONNE DB JESUS. 119
s'e'murent sur eux, parce qu'ils etaient harasses et rompus de
fatigue, comme des brebis n'ayantpas depasteur 4 . Lors, il dit a
ses disciples : La moisson est grande et les ouvriers rares. Priez
done le maitre de la moisson qu'il envoie des ouvriers dans sa
moisson (Mt., ix, 35-38).
Malheur a vous, scribes et pharisiens hypocrites... C'est pour-
quoi voici quo je vous envoie des prophetes, des sages et des
docteurs; desquels vous tuerez et crucifierez (les uns), vous fouet-
terez (les autres) dans vos synagogues et les poursuivrez de ville
en ville : pour que retombe sur vous tout le sang pur repandu sur
la terre, depuis le sang du juste Abel jusqu'au sang de Zacharie,
fils de Barachie, que vous avez egorge entre le Temple etl'autel...
Oui, je vous le dis, tout cela retombera sur cette generation-ci.
Jerusalem, Jerusalem, qui tues les prophetes et lapides ceuxqu'on
t' envoie, combien de fois ai-je voulu rassembler tes enfants, comme
une poule fait ses poussins sous ses ailes et vous n'avez pas
voulu! (Mt., xxin, 34-39).
Comme Jesus etait a Bethanie dans la maison de Simon le
lepreux, une femme s'approcha de lui tenant un vase d'albatre
plein d'une myrrhe de grand prix et repandit (le parfum) sur son
chef, tandis qu'il etait etendu a table. Ce que voyant les disciples le
prirent mal, disant : A quoi rime cette perdition? on pouvait
vendre celacher etle donner aux pauvres. Jesus, s'en apercevant,
leur dit : Pourquoi cherchez-vous querelle a cette femme? C'est
une belle action qu'elle a accomplie a mon endroit. Car toujours
vous avez les pauvres avec vous, moi, vous ne m'avez pas tou-
jours. En versant cette myrrhe sur mon corps, elle 1'a fait pour
ma sepulture. Oui, je vous le dis, ou que soitpreche cet evangile,
dans le monde entier, on dira aussi ce qu'a fait cette femme , en
memoire d'elle! (Mt., xxvi, 6-14).
Lors il leur dit : Mon ame est triste a en mourir ; restez ici
et veillez avec moi. Et s'avangant un peu il tomba sur sa face,
priant et disant : Mon Pere, s'il est possible, que ce calice passe
loin de moi. Toutefois, non comme je veux, moi, mais comme toil
Et il vient vers les disciples, et les trouve endormis, et dit a
Pierre : Ainsi vous n'avez pas pu veiller une heure avec moi ?
Veillez et priez pour n'entrer pas en tentation : 1'esprit est
prompt, la chair est faible (Mt., xxvi, 38, 40-42).
Si 1'on essaie de resumer, dans son trait le plus frappant,
la vie intime du Sauveur, on s'arre'tera peut-eHre a ce qu'on
me permettra d'appeler sa limpidite'. Une sincerite qui ne
1. Nombres, xxvn, 17.
120 JESUS CHRIST.
s'accommode ni des exagerations interessees, ni des vaines
promesses :
Que votre parole soil : Oui... Oui... Non, Non. Ce qui
s'ajoute a cela vient du Malin (Mt., v, 3).
Un nature!, une droiture d'intention que toute duplicite,
toute finesse blesse, comme une poussiere offusque 1'oeil :
La lampe de ton corps, c'est 1'ceil.
Si done ton ceil est simple,
tout ton co3ur sera lumineux,
Mais si ton 031! est malin, tout ton cceur sera tenebreux.
Mt., vi, 22.
Une telle ardeur dans la charite fraternelle qu'elle fond
et volatilise les plus dures scories de I'amour-propre. Mieux
que les autres, plus haut ! comrae Dieu meme !
Moi je vous dis :
Aimez vos ennemis,
et priez pour ceux qui vous persecutent,
afin de devenir fils de votre Pere
qui est dans les cieux.
Car il fait lever son soleil
sur les mediants et sur les bons
et il pleut sur les justes
et sur les injustes.
Que si vous aimez ceux qui vous aiment,
quelle recompense avez-vous (a esperer)?
Les publicains ne le font-ils pas aussi?
Et si vous saluez vos freres seulement,
que faites-vous de surcroit?
Les pai'ens ne le font-ils pas aussi?
Yous done, soyez parfaits
comme votre Pere celeste est parfait.
Mt.,v, 44-48.
Apres cela, nulle politique, nul intere't propre, point de
collusion avec les grands de chair, ou les hommes de plaisir.
Un abandon a la Providence qui rejette les sollicitudes tem-
porelles pour s'attacher de toutes ses forces a 1'expansion du
Regne de Dieu... Ges indices nous permettent de ramasser
nos impressions dans le mot qu'employait de preference la
grande mystique ge"noise, sainte Catherine Fiesca Adorna,
LA PERSONNE DE JESUS. 121
pour rendre tout ce qu'elle contemplait en Dieu : Nettezza !
De la pure plenitude de 1'Etre divin, la vie intime de Jesus
offre la plus belle image qu'il ait ete donn aux hommes de
contempler. Les richesses evangeliques, pour autant qu'on
peut sommairement les inventorier, trouvent leur ordre, leur
equilibre et leur achevement dans 1'inooraparable limpidite
de cette ame.
NOTE X
SUR LA SANT& MENTALE DE jsus
Cette question a ete soulevee tardivement. Jules Soury, qui fut
le secretaire de Renan, la resout dans le sens pathologique : Jesus
et les Evangiles, Paris, 1878 (3 e Edition : Jesus et la religion
d' Israel, 1898). Dans la Preface de cette nouvelle edition, 1'auteur
exprime son regret la-dessus, et a biffe ce qui concernait la psychia-
trie. Cf. A. Schweitzer, Geschichte der Leben-Jesu-Forschung,
Tubingen, 1913, p. 362, note 2, ou toute la litterature est minu-
tieusement relevee.
D'obscurs psychi&tres tels que le danois E. Rasmussen, Jesus,
&tude psycho-pathologique (Trad. all. Rothenburg, Leipzig, 1905),
1'allemand De Loosten (G. Lomer), Jesus Christus vom Standpunkte
.des Psychiaters, Bamberg, 1905, je descends a regret jusqu'a
1'ignare et grossier pamphlet du frantjais Binet-Sangle, La Folie de
Jesus, Paris, 3 volumes, 1906-1910, ont souleve la question de la
sante mentale de Jesus. LeProfesseur Philippe Kneibapris la peine
-de traiter la question ex-professo : Moderns Leben-Jesu-Forschung
unter dent Einflusse der Psychiatrie, Mainz, 1908, et aussi Her-
mann Werner, Die Psychische Gesundheit Jesu, Berlin, 1909.
O. S. Hall, Jesus the Christ in the light of Psychology, 2 vol.,
New-York, 1917, 2 e <d., 1923; W. E. Bundy, The Psychic Health
of Jesus, New-York, 1922 (cf. J. G. Machen, Princeton Theological
Review, avril 1923, p. 310 sqq. et J. Lebreton, RSR, 1925, p. 348
sqq.). Nonobstant le dedain qu'ils marquent tres justement pour
des productions aussi negligeables, quelques the'ologiens liberaux
isentent le besoin de se justifier sur ce point; de montrer par
exemple que 1'absorption eschatologique qu'ils present au Sau-
Teur ne permet pas de mettre en doute s'il etait sain d'esprit :
ainsiAlb. Schweitzer, Die psychiatrische Beurteilung Jesu, Tubin-
gen, 1913. Ce souci est tres fonde, et constitue a lui seul une
forte objection au systeme qui mene a de pareilles consequences.
Dans la question generale des rapports pretendus du genie avec
la folie, question qui a fait deraisonner bien des gens, on peut dire
122
SUR LA SANTE MENTALE DE JESUS. 123
que le bon sens reprend ses droits. Tous les alienistes reconnais-
sent que, si certains fous ou dcmi-fous (tels qu'Auguste Comte et
Fr. Nietzsche) ont eu du genie, ce genie ne s'est, manifesto qu'aux
heures et dans la mesure ou leur mentalite fut saine.
II fallait s'attendre a ce que la psychanalyse s'attaquat au pro-
blemc de Je"sus. On n'a pas, que nous sachions, essaye d'expliquer
les particularites de la vie du Maitre par le freudisme sous sa forme
originale etcrue; mais un certain nombre de psychanalistes suisses,
notamment de Zurich, ont adopte 1'ensemble des ide'es de S. Freud
en elargissant le sens de la passion fondamentale, la libido. Au
lieu d'y voir specifiquement et toujours, Finstinct sexuel, ces clini-
ciens presentent la libido comme la synthese de toutes les energies
vitales. C'est dans cette ligne, a la fois moins basse et moins pre-
cise, que le pasteur George Berguer a tente de rcplacer quelques
traits psychologiques de la vie de Jesus (Geneve, 1920). Se mettant
sur le terrain experimental et excluant de son etude, a priori et
par methpde, tout element transcendant, M. Berguer admet que les
instincts populaires sexuels, refoules par 1'imposition d'une disci-
pline sociaie, cherchent une revanche dans des r6ves, des legendes,
des mythes, ou ces memes instincts, sublimes, mais encore recon-
naissables a 1'observateur attentif, se donnent carriere. La religion,
consideree psychologiquement, serait fille de la libido, et I'liomme
religieux superieur serait la creation propre de celle-ci, 1'explosion
de la puissance creatrice au moment et au lieu ou cette puissance
se trouverait condensee. Les heros de 1'ordre religieux scntent en
eux et traduisent, chacun a sa fagon, dans le vocabulaire de leur
temps, cet influx vital , cette poussee interieure d'energie, ce
que Gaston Frommel a appele Yobligalion morale, ce que les
psychanalistes ont denomme la libido, Schopenhauer, le couloir
vivre, et Bergson, 'I' elan vital. Cette force intime, Jdsus 1'a
ressentie differemment sans doute, mais dans le meme sens, comme
le Pere.
Cette genese du sentiment religieux en general et, en particu-
lier de la religion de Jesus, prete, est-il besoin de le noter? aux
objections les plus fondees. L'objet de la religion, partout ou on
peut I'etudier, n'est pas une grandeur seulement ou principalement
d'ordre sensible : il cst aussi une grandeur d'ordre intellectuel et
moral. A ne le considerer que psychologiquement, il repond au
besoin d'expliquer, de motiver, et aussi de regler, de guider, de
faire toute justice, tout autant qu'au besoin d'aimer et de se confier.
II est l'tre premier et dernier, le Principe d'ordre et de raison;
il est le Juste Juge et le Temoin irreprochable, comme il estle Pere
124 JESUS CHRIST."
et 1'Amour. Cela etant, il est desespere de soutenir que la religion
nous ne disons pas certaines formes religieuses aberrantes, cer-
taines maladies du sentiment religieux provient du refoulement
et de la sublimation de 1'instinct primitif animal dont le type, essen-
tiel et unique selon les Freudiens radicaux, ou, du moins, principal
et majeur selon 1'Ecole de Zurich 1 , est 1'instinct genesique. Une
telle origine frapperait necessairement toute religion d'une triple
tare : d'anormalite, puisqu'elle serait fruit d'un refoulement; d'irrea-
lite, puisqu'elle serait le substitut imaginatif d'un desir inavouablc;
et d'erotisme d'autant plus dangereux et subtil qu'il serait masque
et larve. Semblablement, toute religion devrait tendre a disparaitre
dans la mesure ou 1'instinct frustre ct refoule trouverait sa juste
satisfaction et un homme serait d'autant moins religieux qu'il serait
plus un homme au sens plein et normal du mot. L'observation la
plus simple, pour peu qu'elle soit objective, infirme positivemcnt
ces vues dcs la qu'elle porte sur une religion reelle, historique
si pauvre ct elementaire qu'on la suppose et non sur la contre-
fagon religieuse d'une maladie de la volonte. II y a la une confusion
grossiere entre 1'objet propre de la religion et certaines de ses
perversions. II est tres certain que toute conception religieuse
veritable met en branle 1'homme tout entier, qu'elle implique chez
lui une attirance, un desir, un amour. Mais cet amour superieur et
premier qui meut les etoiles , cet appel de tout ce qui est en
desir et en travail vers une satisfaction et un repos definitifs, ne
peut etre congu sans une erreur impardonnable, sous les especes
exclusives de la forme animale, et proprement sexuelle, qu'il prend
chez certains etres, a certaines heures, pour 1'accomplissement d'une
partie determinee de leur destinee complete. Cette fonction natu-
relle et divine a sa noblesse, certes, et sa portee indispensable
dans la creation humaine. On ne lui rend pas hommage en neglt-
geant tout le reste; on lui ote, au contraire, les raisons d'etre qui
la justificnt et la classent dans 1'ordre universel.
Ceci etant rappele en general, 1' application, respectueuse, incom-
plete et gauche, de cette conception au cas particulier de Jesus,
perd presque tout interet autre que pour 1'histoire des errements
psychologiques de notre temps. La purete de Jesus est hors de
1. Gar enfln, si eloignee que soit 1'^cole de Zurich, dit justement M. A. Co-
chet, Psychanalyse et Mysticisme, dans Revue de Philosophic, XXVII, 1920,
p. 557, le refoulement sexuel est aussi a sa base, et M. Berguer est d'autant
moins autoris^ a 1'oublier qu'il pose le fameux complexe d'CEdipe (instinct qui
pousserait le flls a ddsirer sa mere et a hai'r son pere) a propos du Christ. Or,
le complexe d'CEdipe repose exclusivement sur la sexualH6.
SUR LA. SANTE MENTALE DE JESUS. 125
discussion, et, pour M. Berguer comme pour tout homme sense,
elle est eclatante; mais de plus cette purete fut totale. Tout psycba-
naliste consequent doit expliquer ce dernier trait par 1'introversion,
c'est-a-dire par un exces anormal, morbide, et d'autant plus que
la force vitale du Maitre etait manifestement plus grande et plus
forte. M. Berguer ne veut pas de cette consequence, mais il n'y
echappe que par des mots. Engage dans une voie d'erreur, il
n'evite les questions precises qu'en se refugiant dans le symbolisme
et le verbalisme. Toute reserve faite sur les intentions de 1'auteur,
on doit rappeler ici le vieil adage scolastique : posito absurdo,
sequitur quodlibet.
Le jugement de G. Stanley HallJ dans son enorme et confus
ouvrage Jesus the Christ in the light of Psychology, ed. definitive,
New-York et London, 1923, p. 244, merite d'etre cite; parce qu'ici
Tauteur parle de ce qui a fait 1'objet des etudes de toute sa carriere
de psychologue : Ainsi Jesus resume en lui toutes les bonnes
tendances de rhomme. II incorpore toutes ses resistances au mal,
a travers les ages. En contemplant son caractere, ses actions et
ses enseignements, rhomme se rappelle son meilleur moi, son moi
d'avant la chute, et de voir ainsi inoarne le vrai ideal de sa race
fait quelque chose pour evoquer en lui le pouvoir de resister au mal
du dedans et du dehors, lui donne quelque stimulant pour se rap-
procher de son moi d'avant la chute, et peut meme mettre en
branle des forces subliminales qui amenent a une vie regendree,
apportent un sens nouveau du devoir, une nouvelle passion pour
le service, et donnent a 1'homme un nouveau respect pour lui-
meme, une nouvelle connaissance de lui-meme, un nouveau con-
trole sur lui-meme.
NOTE Y
JESUS FUT-IL EXTATIQUE?
G. Stanley Hall, Jesus' Character, dans Jesus the Christ in the
light of Psychology*, 1923, p. 167 et suiv., n'accepte pas la compa-
raison de Jesus avecles extatiques proprement dits, a transes, bien
qu'il y en ait eu de geniaux. Sans doute Jesus depensa des heures
dans un etat de priere ravie (in a rapt state of prayer), mais nous
n'avons aucune indication qu'il ait jamais perdu conscience de lui-
meme, ou memoire... Bien qu'il eut sue des gouttes de sang au
Jardin, il gardait encore le contr61e de lui-meme et la cause etait
suffisante pour expliquer 1'effet , p. 168-169.
Dans son opuscule War Jesus Ekstatiker? Tubingen, 1903,.
Oskar Holtzmann confond, ainsi que le lui reproche tres justement
A. Schweitzer, Geschichte der Leben-Jesu-Forschung, 1913, p. 331,
note 1, la preoccupation passionnee de 1'avenement du Royaume
avec 1'extase proprement dite, etatanormal ou le sujet est soustrait
aux conditions ordinaires de sa vie et de son milieu. Schweitzer
ajoute que, dans une certaine mesure, Jesus fut un extatique, au
sens propre, au moment de son bapteme et, peut-etre, de la trans-
figuration . Mais il faut s'entendre.
Le bapteme de Jesus s'accompagna pour lui d'une vision sen-
sible (Me., i, 10, d$sv <J;(IO(ASVOU? Tob? oupavou?) et durant la transfigu-
ration, il arriva que, tandis qu'il priait, 1'aspect de son visage
devintautre, et son vehement d'une blancheur eblouissante , Lc., ix,.
29, cf. Mt., XVH, 2; Me., ix, 2.
Ce sont la des phenomenes surnaturels souvent lies chez les-
saints a 1'extase proprement dite. Si Ton veut les traiter d'exta-
tiques , c'est une question de mots. Ce qui est important, c'est de
distinguer ces faits, extraordinaires et miraculeux comme ils sont,
de ceux qui accusent dans le sujet, par suite de 1'invasion d'une
force divine, une rupture d'equilibre interieur se traduisant au de-
hors par la rigidite, 1'absorption, I'arrachement au milieu. De
phenomenes de cette espece qui sont des extases, tres frequentes
120
JESUS FUT-IL EXTATIQUE? 127
dans la vie des mystiques, au debut surtout, on ne trouve pas la
moindre trace dans les evangiles.
A ce propos, un homme dont on a gross! indument les ceuvres,
mais dont le sens religieux est incontestable, le Sadhu Sundar
Singh dit bien : II y a des personnes qui parlent du Christ comme
du plus grand des mystiques... c'est la tendance de ceux qui ne-
sont pas enclins a admettre sa divinite. En realite, le Christ n'est
pas le plus grand des mystiques, il est le Maitre des mystiques r
le Sauveur des mystiques (cite par B. H. Streeter et A. G. Appa-
samy, The Sadhu. A study in mysticism and practical religion,
London, 1921, p. 65).
Dans Jesus de Nazareth, Paris, 1925, p. 262, note 3, M. Goguel
ajoute comme vision possible de Jesus, Lc., x, 18 : J'ai vu Satan,
tomber du ciel comme un eclair. Encore faut-il se demander s'il
y a la autre chose qu'une expression imagee.
NOTE Z
LA FEMME SURPRISE EN ADULTERE
(Jo., VII, 53-VIII, 11).
Get episode, on le sait, manque a cette place dans les plus anciens
manuscrits grecs (K, A, B, C, L, W, etc.), dans les versions syriaques,
copies, la plupart des latines anciennes (a, f, 1, q),dans lescommen-
tateurs anciens les plus autorises, Origene, saint Jean Chrysostome,
Theodore t. Sur 1'etat precis de la question, on peut consulter (en
depit de 1'arbitraire de 1'auteur dans le groupement des materiaux)
le depouillement exhaustif de H. von Soden, Die Schriften des Neuen
Testaments, I, 1, Goettingen, 1902, p. 486-524 : resultat dans le
volume Text und Apparat, 1913, p. 427-428. Plus brievement dans
la dissertation V de Th. Zahn, en appendice a son commentaire sur
saint Jean, Das Evangelium des Johannes s , Leipzig et Erlangen,
1921, p. 723-731. Ce dernier resume ainsi les faits principaux : 1 le
morceau dans ce contexte (Jo., VH, 53-vni, 11) n'a aucun temoin
certain anterieur a 350; 2 par centre, Fexistence du morceau aussi
bien en grec qu'en arameen, independamment du quatrieme evan-
gile, est prouvee pour le in 8 et meme pour le n e siecle; 3 sous
aucune des formes a nous connues, la pericope n'est redigee en
style johannique ; 4 la mise de cote posterieure d'un morceau du
quatrieme e'vangile qui aurait trouve avant la fin du n e siecle une
large circulation, serai t inexplicable.
Zahn conclut avec la plupart des modernes que le morceau appar-
tient a la tradition evangelique authentique, mais non au texte du
quatrieme evangile ou il aurait fini par trouver place. C'est aussi
Fopinion des critiques les plus radicaux, par exemple, W. Bauer,
Das Johannes-Evangelium 2 , Tubingen, 1925, p. 111-113. A. Loisy,
Le Quatrieme Evangile 2 , Paris, 1921, p. 278-281, dit : morceau Ires
ancien de la tradition evangelique , mais tout concourt a prouver
que ce morceau est dans le quatrieme evangile un morceau tardive-
inentsurajoute... . C'est grace a des textesnon officiels, evangile des
Hcbreux, evangile de Pierre? mais lus dans certains cercles eccle-
siastiques, grace aussi a des traditionistes comme Papias, que cette
128
LA FEMME SURPRISE EN ADULTERE 129
page evangelique s'est gardee et qu'elle est entrde ensuite dans les
evangiles ecclesiastiques. L'excellent critique catholique, H. J.
Vogels, Grundnssder Emleitungin das Neue Testament, Miinster
i. W., 1925, p. 99-100, conclut que le morceau est manifestement
une interpolation (dans le texte johannique)... et toutefois sa haute
antiquite est indiscutable... Tout le monde conviendra que la peri-
cope de I'adultere doit etre comptee parmi les plus precieuses perles
de la tradition. Mais quelle est rorigine premiere du morceau, et
comment a-t-il trouve Ba voie jusque dans reVangile de saint Jean,
est une question qui reste entierement inexpliquee. C'est done un
fragment authentique de la tradition que ;nous utilions dans >ce
travail.
J^SUS CHUIST. II. 9
GHAPITRE III
LE PROBLEMS DE JESUS
LES SOLUTIONS ET LA SOLUTION
d. Le Christ vu du dehors : Paiens, Juifs, Musulmans.
11 est du plus grand intere't de rechercher ce qu'ont pense
du Christ ceux qui Font juge sans avoir adhere a sa doctrine
(ce qui ne va pas loin, sans adhesion a sa personne). Parmi
ces critiques du dehors, nous pouvons distinguer les Paiens,
les Juifs, les Musulmans.
Les Paiens.
Les anciens pai'ens n'ont commence a s'occuper du Christ
que lorsque les chretiens sont devenus a leurs yeux une
grandeur appreciable. Ce qui s'est fait d'ordinaire lorsque
magistrats, moralistes, voire peres de families ou proprie-
taires d'esclaves ils ont rencontre en face d'eux la cons-.-
cience chretienne, le non oppose par un fidele (ou un groupe
de iideles) a un regime, ou a une habitude jusqu'alors recue.
De pareils heurts et des prises de contact qui s'ensuivent,
nous ne pouvons guere esperer que des jugements sommaires,
ge"neraux, ou la personne me'me de Jesus est impliquee au
seul titre de fondateur de secte. C'est la secte elle-meme
qui retient 1'attention par ses abstentions, ses scrupules r
ses moeurs, parce que la sont les points de friction avec
1'ordre social, public ou prive. Par exemple, le refus que
font les chretiens d'acheter les viandes immolees aux dieux
et le contre-coup economique de cette repugnance donnent
a Pline le Jeune une idee concrete du nombre des fideles :
il enquete et ne trouve rien de serieux a leur actif, sinon
de 1'exces, du fanatisme *. En general, ce qui rend les chre-
1. < Superstitionem prauam, immodicam >; Epist. X, 96, 8.
130
LE PROBLEMS DE JESUS. 131
tiens suspects, c'est qu'ils se apparent et pratiquent leur
religion entre eux, sans temoins. Us sont done des oiseaux
de nuit qui ont peur de la lumiere 4 ! Mais qui se cache s'ae-
cuse : que font-ils dans leurs conciliabules? Sans doute
des. rites superstitieux, des malefices, des horreurs. Ge sont
des magiciens, des ennemis publics par consequent 2 ! A ces
premiers griefs d'origine populaire et d'une injustice gros-
siere, d'autres s'ajouteront bient6t, plus reflechis, mieux
observes : refus de certaines charges publiques, abstention
du culte de Rome et de Cesar, impliquant a la fois impiete
et lese-majeste.
Peu a peu aussi, des discussions s'amorcent, des apolo-
gies s'ebauchent ; nous voyons des paiens instruits prendre
au serieux une secte qu'ils ne coni'ondent plus avec les Juifs, et
qui commence, ne fut-ce que par le nombre et la convic-
tion, a devenir redoutable. Le premier de ces adversaires
mieux informes a nous connu est le rheteur africain Fronton,
maitre de Marc Aurele. Son ecrit ou sa declamation centre
les Chretiens ne nous est connu que par VOctavius de Minu-
cius Felix, et encore a titre de fait 3 . Son contenu ne pent
qu'Stre conjecture par le plaidoyer d'Octavius lui-m^me en
faveur des chretiens, ou la personne de Jesus n'est me'me
pas mentionnee.
Avec un contemporain de Fronton, Gelse, dont la vie est
fort mal connue, et dont 1'ceuvre, si elle n'avait e"te signalee
par le mecene d'Origene, Ambroise, a son savant ami, auraifc
1. Latebrosa et lucifuga natio ; Ociavius, 3, 8, 4.
2. Genus hominum superstitionis... maleficae , Su6tone, Vita Nero-
nis, 16 ; exitiabilis superstitio... odio humani generis conuicti (coniuncti) ,
Tacite, Annales, XV, 44,8. Sur Y odium obscurum, et le sens de magie
noire et malefiqtie de ces expressions, voir H. Leclercq, Accusations contre
les Chretiens, dans DACL, I, 1, Col. 267-276, et les auteurs cites, notam-
ment E. Cuq, De la nature des crimes imputes aux Chretiens d'apres Tacite,
dans Melanges de VEcole FrancaisR de Rome, 1886, 115 suiv.
3. Divers auteurs, tels que B. Aube, La polemique paienne a la fin du
Il e siecle 2 (Hisioire des Persecutions d<- I'Eylise, II), Paris, 1878, p. 91-104,
tiennent pour probable que le discours de Caecilius dans le Dialogue de
Minucius Felix represente en gros les idees de Fronton sur le Christia-
nisme. G. Boissier, La Fin du Payanismc, I, Paris, 1891, p. 314 suiv.,
combat cette hypothese, dont le moins qu'on puisse dire est qu'elle n'est
pas prouvee.
132 JESUS .CHRJST.
!>
,peri itout sntiere, nous entrons sur un .terrain .plus ferine.
JEcrit vers La -fin du-regne.de Marc .Aurele f (177-181), le.Z)-
cawrs Veritable vise les Chretiens 'etisubsidiairemeaxt JesJluifs.
XU'est .l!ouvra^e d'un ;homme .cultiv.e, ; grand bourgeois ..,
a-t-on \dit j,olime.nt, .encore q.iae mediocrement po.urvu.de sens
.critique 1 , .eclectiq.ue en .philosophic, passionnement attacke
a,ux institutions de 1'iEmpire <et, >comme .tel, eimemi .de to.ute
jiouv.eaute. Amidu.rieur Lucien de Samosate .^s'.il eat bien l,e
-aruquel .est .dedie r.qpuscule : .Alexajidre ou ie Faux
^, ,1'auteur .est, lui^aussi, font caustique; inais il a
etudie son sujet : Je sais tout sur vous , aimaitril a repetser 3 ,
fit il arrgumente au iond. ,La refutation d'Qrigene qui noois a
.garde ; pres des g.uatr^ cinquienies du JDiscaujis, ue t permet
>malhe,ur.eusement pas uae restitution .certaine de ,son,plaii4.
Du moins nous ifait--elJ,e connaitre .tres assurement .e.t dans
JeurSjprx>pres termes,,.le8;pi?in.cipales opinions.de Gelse. Assea
samblable ,en-ce point -a Voltaire .auquel on 1'a souvent com-
:j>are, .Gfiiuitci .detestait , preaque autant 1'e judai&me .que -le
ckristiaaaisine, ce qui vne ,l'empe,ch!e pas de ,commenoer sa
jpoJemique antichretieime par I'.expojse ,des .calomnifisjudai-
-ques 5 ,.
:S!il attaque.bfiauooup -plus les -chretieas que le Ghri&t lui-
meme, Gelse n'epargne pas celui-ci. 11 adopte.sur son .origine
.la ,gr<ossierfl fable juivedont les Talmuds nous ipresentent
1. Hoechst unkritiscli 1st , dit G. .Kriiger, Jfandbuch der Kirchen-
gesdhichte, I, 'Das Attertum, par E. Preuschen -et G. 'Krtiger, '2 e Edition
par G. Krtiger, Tubingen, ,1923, p. .69. Grand bourgeois , est une expres-
sion de E. de Ea-ye : Origdne, sa vie, son ceu re, sa pense'e, I, Paris, 1923.
2. Sur I'identite du Celse auquel est d6di6 YAlexandre, avec Tauteur-dti
Discours Veritable, F. Cumont dit qu'il serait moins affirmatif qu'autre-
fois : Alexandra d'Abonotichos et le Ne'o-Pythagorisme, RffA ) LXXX.Vl }
1922,,p. 203, n. 3; de Faye, Orifjene, I, p. 141, est contre 1'identification.
.3. Ilavta yap o!8a, dans Origene, C. Celsum, I, 12; II, 31.
4. Cette restitution a ete souvent tentee, notamment par B. Aube, lib.
laud., p 277-370 ; ed. h part, du texte de .Celse par Otto Gloeckner, Celsi
Aoctm divots dans les Kkine Texte de H. Lietzmann, Bonn, 1924. Voir
aussi E. de Faye, Origene, I, Paris, 19. ; 3, p. 138-162 et L. Rougier, Celse
ou ^ Con/lit de la civilixalwn ant que et du chrislianisme primilif, Paris,
1925; sur ce dernier livre, cf. RSR, 1926, p. 363-366.
5. II est probable que dans cette partie Celse utilise un ecrit de .po!6-
mique juive contre les Chretiens.
LE PROBLKME 1KB JESUS. 133
les traits epacs et qni cristailliserent finalement dans, les
Taledot Jescku,^ :. la naissance de. Jesu-s fu>t illegitime ; t les
prestiges, qui Font fait, passer pour thaumaturge sont magie
pure, apprise au cours d'un se|oair en Egypte; Toute la vie du
Maitre est digne da ses debuts. B apres^ lea 6vangiles< eux-
m6mes v il n ? apu convertir. en tout qu'un petit groupe d'hom-
mes grossiersy et e:ne,ore sii mal q,ue ce,ux-ci 1'ont finaleiment
ahandonne.. Les memes evangiles le repr^sentant comme un
homme irritable, sujet, aux. maseres. humaines^ reduit, a sei
plaindre pendant son agxmie, soumis aux plus; ig^iominieuix
supplices, bref incapable de, se sauver lui-m^ime. Tout e.ela
est indigne. d'un. die.u. Les recits de- lai resurrection sonfe
fondea sur le, temoignage. dfune^ femme e^gaffeey, et. peut!-4tre
sur le temoignage de quelqjue autre raetmbre; di'ujie' petite
troupe d'exaltes.
D'ailleurs v a raisonner en philosophe,, la^ venue d'un, dienj
sur, terre et son incarnation soni a* priori ineroyabljeSi,, Lea
raisons. de convenance qu'en donnent; les> Juifsi, a propos- diti
Messie, et les chretiens, ne so.utiennent, pas la discussiioni,
II est inadmissible, que Dieu s'oecupe> ainsi du detail des
chases humaines et y intervienne en- personne. .,. . . L'Eyangille,
renferme,, il est vrai,, quelques beaux passag.es;,, mais ceuxrei
sont pilles dans Platon,, les, aiitres philosophes. hellenes, csnt
quelques mythes mal compris.
Le Discours Veritable,, on le voit, antieip.e en bien desi points
des critiques qui. ont e"te reprises* En ce qui coucecne la
personne me'me du Christ, et abstraction faite des originea
de ceiui-ci, la polemique de Ge/lse,. toute virulente qu'elle
est, garde une- certaine moderation deton-., Ge; trait, va passer
a ses success.eurs; et : s'y accentuer, ao-tamment dans les^
ouvrages des principaux d'entre eux, les Neo-Platomciens,
Mais avant d'ea venir a ceux-ci, il convient de relever un
trait significatif, encore qu'indirec.t, dans la Vie. d'Apollonius,
de Tyane. Get ouvrage ceiebre, posterieur d'une quarantaine
d'annees au Discours, retrace, on ; le sait, la carriere d'un
Pythagoricien, sage et mage, Apollonius, qui aurait VPCU
sous Neron. II n'y a pas de raison de revoquer en doute
1. Voir plus bas, p. 146 siiiv.
184 JESUS CHRIST.
^existence du philosophe ou de rejeter en bloc comme de
simples fictions tout ce que dans son roman Philostrate raconte
a son sujet. II est par ailleurs manifests que sur le canevas
qui lui fut fourni, I'auteur broda largement, empruntant a
droite et a gauche et prenant j usque dans les evangiles chre"-
tiens les traits les plus propres a relever 1'importance et les
vertus de son heros . Quelque but qu'ait poursuivi la belle
imperatrice Julia Domna, en inspirant Philostrate (et il est
infiniment probable que son dessein fut moms de pol^miquer
oontre le christianisme que de grouper autour d'un ideal les
aspirations religieuses et philosophiques du cercle de beaux
esprits qu'elle avait reunis autour d'elle), Philostrate reussit.
En depit de sa mediocrite, son livre fit fortune et atteignit
par surcroit un rdsultat que I'auteur n'avait pas directement
vise. Acceptee comme vraie, lale"gende d'Apollonius permit
d'opposer a 1'Evangile une belle vie pure, pieuse, devoue"e,
pleine de miracles et de bienfaits. Ajoutons : et de beaux
discours, delices des rheteurs. Hierocles et d'autres ne man-
querent pas de s'en prevaloir 1 .
Ce qui doit nous retenir ici, c'est que pour incarner Pideal
alors dominant dans le cercle d'hommes eclaires, religieux,
desireux d'unite, attires par Julia Domna des quatre coins de
l-Empire, on ait fait choix, non d'une philosophie ou d'une
religion, mais d'un homme, et que la biographic de ce sage
ideal se soit, plus ou moins consciemment, mais certainement,
modelee sur la figure du Christ, telle que les evangiles la
retracent.
Les philosophes neo-platoniciens des m e et iv e siecles qui
exploiterent dans un sens antichretien la Vic d'Apollonius ne
cachent nullement leur dessein polemique. Us combattentaciel
1. L. Duchesne, Histoire ancienne de Vtiglise, I, 362-364. Sur la legende
d'Apollonius consider6e comme machine de guerre centre le christianisme,
voir plus bas la note A 2 : Apollonius de Tyane, et sa Vie . Sur la valeur
du livre, on peut voir ce que disent les historiens du roman grec : Chas-
sang (le meme a donne du livre de Philostrate une traducaon accompa-
gnee d'eclaircissements : Apollonios de Tyane, Paris, lh'62), et Erwin
Eohde, Der Griechische Roman, Leipzig, 1906 (du meme, 1'article recueilli
dans Kleins Schriften, II, 1901, p. 192 suiv.) et la grande Histoire de la
Litleralure grecque de A. et M. Croiset, V, p. 763-767.
LE PROBLEMS DE JESUS. 135
ouvert, qu'il s'agisse d'un magistrat persecuteur corame Hiero-
cles, d'un empereur de"vot jusqu'a la theurgie comme Julien,
et m6me du disciple et biographe de Plotin, Porphyre (233-
304). Pour Plotin, je crois volontiers, avec M. E Brehier 1
et J. Lebreton 2 , que le petit traite Confreres Gnostiques vise
a travers les fantaisies de ces sectaires la doctrine chretienne
du salut en tant qu'elle declasserait 1'individu, 1'exalterait
indument, brisant ainsi 1'unite et la moderation, le Rien de
trop de la vision hellenique du monde. II me parait certain
en tous cas que le passage 10 va plus loin que les gnostiques
proprement dits : Examinez beaucoup d'autres points de leur
doctrine et me" me tous les points de leur doctrine, etc. 3 ... . Et
en fait, c'est bien dans le sens d'une critique generale du
christiamsme que Porphyre entendit la mission a lui confiee
par son maitre centre les Gnostiques . De tous les paiiens
qui ont ecrit sur le christianisme, 1'opinion de Porphyre sur
Jesus serait pour nous la plus interessante a connaitre dans le
detail. Porphyre en effet, soit par 1'etendue de sa culture phi-
losophique, soit par la dignite relative de sa vie 4 , soit enfin par
la qualite de son esprit, avant tout critique, est bien de tous les
.adversaires anciens de la foi du Christ le plus attachant. Mal-
Iheureusement, 1'edit des empereurs Valentinien III et Theo-
dose II, en 448, qui proscrivit les quinze livres de Porphyre
Contre les chrttiens, reussit trop bien a les supprimer, et, par
une singuliere malchance, nous ne posse* dons plus aucune des
refutations chretiennes, pourtant nombreuses (Methode, Eu-
sebe de Gesaree, Pacatus, Apollinaire de Laodicee, etc.) qui
lui furent opposees. Les fragments qui nous ont ete conserves,
1. Notice du chap, ix de la deuxUme Enneade, dans Plotin, Enne'ades,
M. E. Brehier, II, Paris, 1924, p. 107-1 10.
2. Dans les /?S#;l925,p. 385 suiv.
3. E. Brehier, op. laud., p. 125.
4. La-dessus voir J. Bidez, Vie de Porphyre, le philosophe ne'o-platoni-
cien, Gand, 1913. En particulier le ch. xn, sur le mariage tardif de Por-
phyre et la lettre a Marcella. II est vrai que plusieurs des Peres anciens
ont fort malmene le philosophe (saint Jerome 1'appelle un sceleYat >),
mais ils visent moins 1'homme que le polemiste. Saint Augustin, beaucoup
plus modere, appelle Porphyre < le plus savant des philosophes, encore
que le plus acharne ennemi des Chretiens , De Civitate Dei, XIX, 22,
dans le Corpus de Vienne, XL, 2, p. 411.
136 JPBSU.S CHRIST.,
ceux surtout qui figurent dans VApowiticus de Macarius de
Magnesie etrendent certainement lapensee, sinon les termes
expres de Porphyre, nous, permettent de nous faire une idee
n.ette du jugement porte sur. Jesus: par le plus subtil et sans
doute le plus convaincu de ses, ennemis paiens 1 .
La critique de Porphyre, qui reprend sur plusieurs points
celle de Gelse, est beaucoup plus precise et serieuse,, dans
leton du moms. Le neorplatonicien prend soin de marquer la
difference qu'il fait entre le Christ et ses sectateurs, les
evangelistes et surtout saint Paul qu'il abomine, particu-
lierement. Du premier, il parle avec respect dans un ecritde
sa jeunesse, et saint Augustin,, apres Eusebe 2 , n'a pas manque
1. M. A. von Harnack a faitdu Ka-cJc. Xpi<j,-ciavfiiv, de> Porphyre une sorte de
bien personnel. C'est lui qui a revendiqu6, non le premier, mais le premier
d'une fa<jon convaincante et approfondiie, pour Porphyre, lies fragments du
phHosophe inconnu qui argumente centre les Chretiens dans 1'ceuTre de
Macarius Magnes> Die im Apocriticuz dies Macarius Magnes enlhaltene
Streitschrift, dans TU, XXXVII,. 4. Leipzig, 1911 ;, depuis, le m6me
sayant a, publi6 dans les comptes. rendus de l'Acad6mie de Berlin. (Phil.
Histor. Klasse) Abhandl., 1916, I,, p. 3-104, et Sitzungsberichte, 1921,,
p, 266-284, tous les fragments conserves du Ka-c3c Xpiauavfiv. On peut voir
le jugement d'ensemble de Harnack sur Porphyre dans la derniere Edition
de son ouvrage : Die Mission und Ausbreitung, 4 6d., Leipzig, 1923-1924,
p. 520*524. Les fragments deMacaire ont 6t6 tres bien comments par
G.. Bardy, Les Objections d'un. Philosophe pa'ien d'apres VApowiticus de
Macaire de Magnesie, dans le Bulletin d'ancienne Litterature et d'Archeo-
logie chreliennes, HI, 1913, p. 95-111; et J. Bidez, He de Porphyre, p. 94
suiv.
2". Eusebe, Demonstration e'vangeliqwe, III, 6, 39-VII, 5 ; 6d. I. A. Heikel
dans l.e CB, Eusebe, VI, p. 139-141.. C'est au meme passage du livret de
Porphyre sur la philosophic des oracles que se r6fere saint Augustin, De
Civitate Dei, XIX, 23; 6<L G. Hoffmann, dans le CF,.XL, 2, p. 411-418.
Repondant &, un homme qui voulait savoir quel dieu il devait se rendre
propice pour retirer sa femme du Christianisme, Apollon lui aurait repondu,
d'apres Porphyre, qu'il serait plus ais6 d'ecrire sur de 1'eau que de cor-
riger le sentiment de cette femme 6garee. - Laisse-la done, Gonclut-il,
obst,in6e dans ses vaines erreurs, rendre un culte a un Dieu mort et jus-
tement condamn6. Apres avoir raconte cet episode et < oubliant les
paroles injurieuses qu'il vient de decocher au Christ, Porphyre ajoute :
ce que je vais dire paraitra.sans doute a plusieurs paradoxal. Car les
dieux ont declar6 le Christ un homme tres pieux et admis al'immortalite... .
Hecate 1'a declar6, dans un oracle, le plus religieux des hommes...
encore que les chr6tiens aient tort de 1'adorer... done ne blaspheme pas
LE PROBLEMS BE JESUS. 137
relever ce fait;, raais, dans son Irvre Contre les, ehrdtiens,
Porphyre argumente de la facpn, la plus s.erree et la plus
rude. Rejetant toute interpretation allegorique, il; s?en tient
au sens litteral et; s'efforce de deraontrer en detail les contra-*
dictions^ les impos&ibilite's, ; les inv,raisemblanees des, re.cits
evangeliques. Sous ce rapport ill devangait,, si nous, e,n-jugeons
d'apres les debris subsistants.de ;Son,c&uvre, Strauss et Renan.
Mais le fond.de son.plaidoyer et,. ajputons-nous, .de son impulse
sance a comprendre le Christ, est d'ocdre philosophique. Gette
inintelligence est totale : Lorsque Jesus tente par ie demon
refuse de se< precipiter du teniple; T n,'agit-il pas par crainteB
Lorsqu'il demande qiie le calice de la Pas&ion s'eloigne de,
lui, une telie prier, e n'es,t pas digne du Fils de Dieu T ni m^me
dfuns simple; philosoph,, habitue a mepriser, la mort. Conduit
devant Pilate, a'auraik-il pas du. lui adresser quelques exhor-
tations capables de le toacher et d'amdliorer sess auditeurs,
dansr le genre des ; discours/ pr4tes> par Philostrate. a, Apollor-
nios de-Tyane, an lieu de setaire et de se laisser battre, de
Yarges? Et qua signifient les paraholes sur le Royaume
des cieux, et ses comparaisons grossieres, et inintelligibles
du regne, de Dieu, avee, un grain de raoutarde o.u. avec un
levaia? PouKC[;Uoi Jesus s'adresse-tril seulement aux, petits et
aux pauYres?,... Et pmspourquoLest-r-ilvenu sitard? Gonir
mentun.Dieu, peutr.il souffirir? comment un mortpeut-ilressus-
citer 1 ? .
Nous prenons la sur le vif le conflit fondamental entre la sa-
gesse chretienne et la sagesse seculiere et paiienne, si nette-
ment denonce par saint Paul a propos dumystere ou ce conflit
atteignait son paroxysme : le Christ crucifie. Celui^ci etait
Yraiment folie pour les Gentils formes a Vecole de la phi-
losophie neo-platonicienne. Mais pas ce seul mystere : le grand 5
scandale de la Croix mettait le comble a une suite de demar-
ches divines ou Porphyre, apres ses maitres, un Longin, un
Plotm, et avec ses disciples futurs, un tiierocles, un Julien,
ne voyaifc qu'un tissu d'invraisemblances. Que Dieu ait ainsi
celui-la, mais prends en piti6 la d6mence de ceux-ci . J'utilise la traduc-
tion de Louis. Moreau.
1;. G. Bardy, Les Objections d'un Pliilo&ophe paien : lor,, laud., p. 104-
105. Ibid., les renvois aux fragments conserves dans Macariiis.
138 JESUS CHRIST.
aime le monde, que le Verbe se soit aneanti en prenant
forme d'esclave , qu'il se soit incarne au sein d'une femme *,
qu'il se soit reve"l6 auxpetits, aux humbles, aux purs de cceur,
et que le salut consiste a croire et a donner plus qu'a connaitre
et a supporter, ces conceptions les de*bordaient et contredi-
saient trop. Leur religion, il est vrai (et Porphyre comme
Plotin, comme Julien a sa fagon, etaient des hommes religieux),
comportait des mythes et des prises directes sur la divinite,
pres desquels les mysteres Chretiens pouvaient paraitre timi-
des. Mais jusque dans cette partie theologique et theurgique de
'leur vie interieure, ces Hellenes cultives restaient des huma-
nistes, au sens ou ce mot designe une philosophie d'apres la-
quelle 1'homme reste la mesure unique et le juge dernier de
ce qu'il fait et de ce qu'il croit. Et partout ou cette doctrine
pre*vaut, le christianisme ne peut trouver d'echo.
Le brutal Hierocles, tres au dessous de Porphyre, ne vaut
d'etre mentionne ici que pour avoir introduit la Vie d'Apollo-
-nius de Tyane dans 1'apologetique paienne. II n'en va pas
de m6me de 1'empereur Julien. De son ouvrage Contre les
'Galileens, ecrit a Antioche en Janvier 363, nous n'avons
'Conserve* que la premiere partie a peu pres en totalite, et
elle porte sur la comparaison des chretiens avec les juifs
et les paiiens, et sur 1'Ancien Testament. Des deux autfes
livres qui composaient 1'ouvrage, il ne reste que de courts
fragments 2 . QEuvre native et contentieuse, le livre de Julien
1. Toi du moins, 6crira Julien a I'h6r6siarque Photin de Sirmium,
.qui contestait la v6rit6 de 1'incarnation, tu sauves les apparences et tu
restes pres du salut, en te gardant avec raison d'introduire dans le ventre
d'une mere celui que tu prends pour un dieu. > Lettre 99, alias 79, 6d.
.J. Bidez, L'Empereur Julien, CEuvres completes, I, 2, Paris, 1924, p. 174.
,B. J. Kidd, A History of the Church to A. D. Ml, vol. II, Oxford, 1922,
jp. 200, fait jtistement observer a ce propos que, a peine une generation
apres, Nicetas de Remesiana (-j- 414), dans son Te Deum, sp6cifiera parmi
les plus glorieuses condescendances de la Divinit6 que Dieu n'a pas eu
iiorreur du sein d'une vierge : non horruisti virginis uterum >.
2. L'6dition de MM. J. Bidez et F. Cumont, Juliani Imperatoris Epis-
tulae, Leges, Poematia,Fragmenta uaria, Paris et Oxford, 1922, annuleprS-
sentement les autres. Sur les circonstances oil 1'ouvrage a et6 compose,
voir le solide chapitre de Paul Allard, Julien I'Apostat 3 , Paris, 1906-1910,
vol. Ill, ch. in; et aussi la, preface si vivante etsi nourrie des Lettres ecrites
<d'Antioche par Julien (juillet 362-mars 363), dans le temps meme qu'il
LE PROBLEMS DE JESUS. 139
n'a pas le charme et la fraicheur de quelques-unes de ses
lettres farailieres. Sa detestation du nom chretien arrive alors
a son comble et, comme s'il voulait user jusqu'au bout de la
force qui va lui echapper, les mesures de violence vont se
raultipliant, s'aggravant. G'est, dit un historien admirable-
ment informe, et plutdt favorable a 1'empereur, un dechai-
nement de 1'anatisme 4 . II faut donner la chasse a Atha-
nase d'Alexandrie 2 , expulser i'ev^que Eleusius de Gyzique 3 ,
pressurer les chretiens a fond : au besoin mettre une ville
comrae Edessea feu eta sang 4 ; ne point secourir Nisibe centre
les Perses : c'est une ville chretienne, done impure . Guerre
aux morts : bruler ou demolir les chapelles des martyrs, ex-
humer leurs corps; finalement, defense de celebrer en plein
jour aucune espece d'obseques 5 . Guerre aux vivants : lapre-
composaitfievreusementsonouvrage. J. Bidez, UEmpereur Julien. (Euvres
completes, I, 2, Paris, 1924, ch. iv, Julien a Antioche, p. 92-132.
Sur le caractere et la religion de 1'Apostat, les monographies abondent.
On peut citer parmi les plus recentes celles de J. Geffcken, Kaiser Julianus,
Leipzig, 1914; 1'etude tres soignee de E. von Borries, Julianas (Apostata},
dans Pauly-Wissowa, REG A, X, 1 (1917), col. 26-91 ; A. Rostagni, Giuhano
I' Apostata, Turin, 190; et 1'excellent resume de B. J. Kidd, A History of
the Church toA.D. 461, Oxford, 1922, II, p. 182-218.
1. J. Bidez, VEmpereur Julien. (Euvres completes, I, 2, Paris, 1924,
p. 106.
2. Lettres de Julien, ibid. Lettre 112 : e Je jure par le grand Serapis
quo, si avanl les calendes de decembre, Athanase, 1'ennemi des dieux,
n'est pas sorti de cette ville-la, je frapperai d'une amende de cent livres
d'or 1'omcier qui est sous tes ordres (d'Ecdicius, prefet d'Egypte) et,
ajoute de la main de Julien : c Non, par tous les dieux, tu ne peux rien
faire que je voie, ou plutdt que j'apprenne avec plus de plaisir que de
chasser de tous les endroits de 1'Egypte Athanase. L'infame ! II a ose, sous
mon regne, baptiser des femmes grecques de distinction. Qu'on me 1'ex-
pulse! (p. 192).
3. Jithani Imperatoris Epistulae, Leges, Poematia, ed. J. Bidez et
Fr. Cumont, Paris, 192<f, n. 55.
4. Lettres de Julien. (Euvres computes, I, 2. Lettre 115, p. 196-197.
5. Leltres de Julien, ibid. Lettre 136, p. 198-200. Les raisons de cette
mesure sont indiquees en clair et toutes d'ordre religieux. II ne faut
pas que la rencontre d'un convoi funebre souille les yeux d'un paien qui
ne pourrait ensuite entrer au temple sans se purifier. II ne faut pas que le
passage d'un mort devant le temple y fasse penetrer des Emanations et
surtout des bruits de pleurs qui sont de mauvais augure : surtout il ne
faut pas que les funerailles qui appartiennent aux dieux infernaux empie-
140 JESUS CHRIST.
tresse Theodora a des esclaves ehreVfiiensy c'est un tort et um
danger, qu'elle les chasse M On doit exclure les> ehretiens noni
seulement de tout enseignement, mais encore: de la garde*
prefcorienne, de Pa-rmeev de I'admmistration, des fonctions ju-
dieiaires: 2 -, etc... Par contre, stimuler le: zele du clerge paEem,
organiser des bureaux de bieafaisance etdes ceuvres de cha-
rite>; etablir des catechismes suivis et des penitences, d'ordre
spirituely telle 1' excommunication t:&mporair& prononcee contrc;
un fonctionnair civil a ; creer une.' sck&la, coMtorum paienne;;
en> un mot rivaliser sur- toua les terrains airec les Galileens<*:
II etaii impossible qu'ua livre- compost dansi cette atmos-
phere surchanffee; ne s ? en ressentit pas. On s'etonnerait plur
t6t? q^i'ilne s*en ressente pas davantage. G'est que, com.men.cee
par le hideux spectacle des mtrigues. ariennes a; la cour de
Constance, consommee dans son coeur, alors que la necessite
politique le contraignait encore a pratiquer le christianisme,
I'apostasie de Julien fut moins un abandon q i u'une adhesion.
La. poesie. des legendes antiques dans une intelligence qui
reste tou jours- celle. d'un, 6leve trea distingue 5 , 1'attrait en-
sorcelant de la theurgie que lui revele Maxime d'Ephese,
la pompe d'un culte encore prestigieux, avaient fait du jeune
Cesar un devot sincere, un pratiquant de 1'occultisme. Ce
trait essentiel de la religion de Julien explique le caractere
impeFsonnel de sa poleniique en ee qui touche la figure du
GHrist. Gertes la colere de I'imperial pamphletaire contre la
secte dite des Galileens est enflammee, envenimee par le senr
timent de la resistance qu'ils opposent a 1'ceuvre de sa vie, a
' ' ,>
tent SUP le domaine des dieux du jour; que la, purete du jour reste vouee
aiix oauvres pures et aux dieux olympiens.
1. Lettres de Julien, ibid. Lettre 86, p. 144-146.
2; Ibid. Lettre 83 j a Atarbius, gouverneur de VEwphrateusis, p. 143-144.
3. Ibid. Lettre 88, p. 149-151.
4. Ibid. Lettres 83 a 89, p. 143-174.
5. L. Duchesne> Histoire ancienne del'Egli&e, II a ; p. 327: . II avait beau
avoir atteint la trentaine, c'etait toujours un disciple. II faut aussi faire
la part, du temperament. Dans une etude inegale, mais encore digne d'etre
lue, Chateaubriand dit a sa fagon : Julien ne pouvait etre ni chr6tien,
ni philosophe a demi : la nature ne lui avait. Iaiss6 que le choix du fana-r
tisme >; Etudes Ilistoriques, 1831, II, 2 p.artie^ dans (Euvres compldtes^
6d. Gamier, 1859, IX, p. 240.
LE PROBLEME DE JESUS. 141
sa -mission. Mais le Nazareen, s'il est un ennetni ; et un rival,
n'est plus pour Ini une epreuVe et ; une angoisse comrne il le
reste pour beaucoup de ceux -qui 'font quitle, sans trouver t
on reussir 'a se faire, Tine autre foi qui les satisf-asse, Jesus
aux yeux du pa^en 'mystique d'Antiocii'e, est definitivement
juge * et, ce qui est bien plus, remplace. G'est pourquoi Juaien
en parleaveemalveillance, certes, mais sans cet accent inju-
rieux et Tancunier 2 que d'autres, plus divis^s : eontne eux-
5mes, emploieroBl;. ^ans ce -qui aous -reste d^u iivre (Contre
IKS Chretiens il ri'y a que pen d'allusions 4 ia personue du
Sauveur. G'est un tard'venu. II n'est <connu 'que d-epuis
cents ans. : I1 ri''a rien fait -d'Hlustre hormis de
Tnis'erables... a moins de regarder oomme un ^
^exploit la 'gu^rison de quelques "boiteux, d'aveuiglers, iet
cisme de quelques possede's, dans ls feourgs -de Bethsafde
et de Bethanie. " Sujet de } Giesar, il n'a pas :pn, en ;depit
-de ses prodig-es, changer pour ler propre salutlles
4e -ses amis et $e -ses parents . Bref, c'est um .mort :j
'dorent ls cnrtStiens. 'Ni Paul, 'ni.Matthieu, ni Lu'G, ui Marc,
^'avaient 0s6 dire 'qu'il fut Dieu . G'eet Jean qui le premier,
ayant appris sans ^oute que les toitfbeaux <de Pierr setide
Paul ^etaient honores en secret , s'avisa de oette 'dootrie,
encore I'msinua-t-il plus qu'il nela declara. Ce que -dit Julien
dans ses Lettres, ou il parle plus librement, va dams ;le ;m^jne
sens. Le grand crime des ; Galileens, on le leur repete a satiete
e't dans les m^mes^rmes, c'est d'etre des impies, les impies
par excellence, puisqu^ils refusent de rendre aux dieux de
rHellenisme le culte dti aux Immort/els 3 . Le signe de >la
1 . Oji CQimait le billet lecrit par Julien aux eveques pour se moquer 'de
Ja Iitt6rature chre'tienne : * avdyvwv, lyvtov, xa-ceyvtov : J'ai lu, j'ai compris,
j'ai condamn6 ; L'Empereur Julien, Wuvres completes, 1,2, p. 207.
2. Je fais ici allusion en particulier a Voltaire. En re^ditant la traduc-
tion du Contre les GaliUens par le marquis d'Argens, il ajoute au texte
des notes rncomparablement ptos virulenteB, t vraiment atroces. Discours
(le I'Empereur Julien, etc... dans '(Euvres completes, Philosophie, IJ, ^d.
Lequien, Paris, 1821, XXXII, p. 484^572.
3. 0( 8ims6sr s : Lettres 79, 84, 89 (2 Ms), 107, 114; dans 1'Mition
J. Bidez, loc. laud., p. 86, 145, 155, 173, 185, 194. A Iaou3al6sia des Chretiens
est opposed la OEoae6aa, Lettre 1 14, p. 195. Une fois les>Galil<ens sont trait6s de
< fourbes jjnavoupYotjime fois d' odieux , ^flccrrot, Lettre 111, p. 189-191.
142 JESUS CHRIST.
est en consequence le signe de Timpie 1 . Jesus est un dieu
nouveau, soi-disant incarne, ce qui est un comble d'invrai-
semblance, mdigne de la divinite 2 . II est invisible, et les Alexan-
drins sont fous qui refusent d'adorer a cause de lui le Soleil
et la Lune, dieux visibles et comblant les homraes de leurs
bienfaits 3 .
Si, des paiens anciens, dont Julien fut sans doute le dernier T
j'entends qui compte et dont 1'opinion ait laisse trace, nous
passons aux modernes, 1'embarras n'est pas petit. Ge n'est
pas manque de matiere! Les non-chretiens sont legion qui
ont exprime leur avis sur la personne, et surtout 1'oeuvre de
Jesus. Parmi ces jugements, il en est qui offrent un veritable
inter&t parce qu'ils proviennent d'hommes cultives et intelli-
gents : Hindous, Ghinois, Japonais, etc..., mais ilsvalent moina
comrae des appreciations objectives que comme des indices
de la penetration et de la liberte d'esprit des opinants, ou
encore de la nature des sources employees par eux. Les plus
personnels sont (parrai ceux dont j'ai pu retrouver les conclu-
sions motivees) beaucoup plus preoccupes en effet de trouver
dans le christianisme des analogies avec leur religion et leur
morale, ou encore d'evaluer sa valeur pratique pour la civili-
sation de leur peuple, que de comprendre la personne du
Christ. Le professeur M. Anesaki, de Tokyo, esquisse unparal-
lele entre le Bouddha et Jesus, les deux Seigneurs , mai-
tres de bonne vie le premier par voie de contemplation
intellectuelle purifiant 1'activite humaine par une calme illu-
mination , le second prechant un Evangile d'amour et d'es-
perance et ayant, au surplus, formule d'une facon defini-
tive la morale eternelle quand il a dit : Nul n'est bon hormis
Dieu 4 . Mais il s'arrete a ces generalites. De son c6te S.
1. Tou SuCTaeSou; un()[AVYi[xa, Lettre 79, p. 86.
2. Lettre 90, p. 174.
3. Lettre 111, p. 190.
4. How Christianity appeals to a Japanese Buddhist, dans The Hihberl
Journal, IV, 1906, p. 10-12. Get article fait partie d'une serie : Impr-ssions
of Clinxtianiiy from the point of view of the non-Christian Religions,
commencee dans la meme revue, vol. Ill et IV, et qui s'est arretee, pro-
bablement faute d'articles bonnement inserables, en Janvier 1906. La
meme revue a toutefois continue de publier des opinions de ce genre &
intervalles plus ou moms eloignes.
LB PROBLEMS DE JESUS. 143-
Radhakrishnan, professeur de philosophie a runiversite* de
Calcutta, declare que 1'Hindou acceptera cordialement lea
traits essentiels de la religion de Jesus, a la seule condition
qu'on ne considere pas celui-ci comme 1'unique maltre, a 1'ex-
clusion de Rama, de Krishna, de Bouddha et qu'on ne lui
attribue pas une filiation divine d'une autre nature que la
n6tre, car 1'Hindou croit que Dieu peut s'incarner en tout
homme autant qu'il le fit dans Jesus ou le Bouddha * . Autant
parler d'un christianisme sans Christ.
La plupart des jugements analogues qu'on pourrait citer
a ce propos sont fondes sur une connaissance extrtlmement
superficielle des origines chretiennes. Beaucoup refletent,.
avec une naive satisfaction dans la science ainsi manifested,
les opinions prises toutes faites dans quelque livre.de vulga-
risation, ou encore les vues censees dominantes dans les
cercles qui resument, pour les paiens consultes, la culture
occidentale 2 . D'un jugement vraiment desinteresse, eclaire r
personnel, il n'y a le plus souvent que 1'ombre ou 1'illusion..
1. The Heart of Hinduism, dans The Hibbert Journal, XXI, 1922, p. &
et 9.
2. Certains de ces jugements ne sont guere & vrai dire que des inter-
views au cours desquels des personnages paiens expriment, avec un visible
desir de se rapprocher de leurs auditeurs ou lecteurs Chretiens, des vues-
tres generates et exclusivement livresques. On peut voir en ce genre celles
du celebre reformateur cantonais Rang Yu Wei, A Chinese Statemari's view
of religion, dans The Hibbert Journal, VI, 1908, p. 19-27. Beaucoup plus-
interessants sont les articles des revues chinoises sur la religion et notam-
ment le christianisme, traduits dans la Chine moderne de L. Wieger, II,
Shien-Shien, 1921, pieces 7, 25, p. 19-101. Voici quelques fragments-
caracteristiques d'une conference de M. Ou-t'ing-Fang, 7 mars 1921 :
< II nous faut retourner droit k I'homme de Nazareth, a 1'humble et popu-
laire ouvrier. Le Sermon sur la montagne, si simple et si modeste,.
1'Evangile social de Jesus, voila 1'avenir (a 1'exclusion de toute croyance
dogmatique); p. 23. Parfois ce sont des echos de la plus basse polemique'
europeenne : Pour les temps modernes la doctrine de Jesus est sans-
valeur. Elle exprime les idees du milieu juif ou il vecut jadis et contribua.
a hater la ruine de la faineante nation juive. Lemonde a march6 depuis
lors, etc... ,p.36. D'une conference donn6e a Pekin par M. T'ou-hyao-chen,
le 26 Janvier 1921 : Les historiens accordent generalement que les fon-
dateurs des grandes religions, le Bouddha, Jesus, Mahomet, eurent des
vues elevees et firent bonne figure dans leur temps, mais ils n'admettent
leur oeuvre que comme relative, non absolue, etc... >, p. 38.
144 JESUS 'QHUIST.
11 est plus iirteressant de constater que dams IBS congress
ou savants non Chretiens et Chretiens se reneontrent idans
des vues d'entente -on. Jde progres scientifique, les .premiers
ne'se lasserit'pas, ordmairement, de relever dans les 'doctrines
qu'ils professent, les traits qui se Tapprocbent de e<ux qua
distinguent le christianisme : ou, d'apf&s ux, s'y e"galent. iGe
dernier est ainsi tacitement, mais r^ellemenl;, utilis6 comme
une norme, a laquelle les autres -religions soat ramenees
comme a un ideal, au moins relatif .
Les Fuifs.
Nous 1'avons -rappele -ati d^but de -cet outrage : la l^gende
de Jesus qui "va le Tepre'senter oomme 'un ^magici^en <et otn
^iangereux seducteiiT, ; a'Commec'e / du 'vivattt ^dii M^iitne. I>es
scribes aigris attribuerettt ses CBuvr-es de piuissawce an Malin
en -persomie (Me., m, 22; Mt., xn, 24; Lc., xi, 15 et-cf. Mt.,
ix, 34), dette semence .'de haine ne fr^ictiiia ^que trop, ^a pamfcir
surtout du moment ou la masse des chretiens meme issus
du judai'sme accentueren't leur coupure d'avec leurs freres
en Abraham. Ge n'est pas le lieu de narrer cette histoire
qiii :fut longue et donfc beaucoup de details r,estent obscurs
pour nous 1 , Ge iqui nous interesse ici, c'est la fa?on dont les
dirigeants du peuple juii, pris d'ensemfole, appr^cierent la
personne du Christ.
C'est pendant la periode qui separa les deux grandes
catastrophes d'Israel : ruine de Jerusalem ^en ,70, ecrasement
eit dispersion du joidaisme palestinien en 135, que s'elabora
surement dans ses grandes lignes la veTsion -calomniense dont
nous retrouvons des traits soit dans la controverse judeo-
chretienne du il e siecle, soit dans les Talmuds. C'est alors en
eil'et, vers Fan 100 de notre ere, que Gamaliel II prit 1'initia-
tiv.e d'introduire dans les prieres quotidiennes des Benedic-
tions* une imprecation qui permit d'eliminer du culte des
1. L'essentiel dans DTC, s. v. Judeo-chrdtiens (L. Marchal).
2. LvsSc/temone Esre (Iitl6ralement les dix-huit Benedict ions : la version
:pr6sentement usi1i6e chez les Israelites en compte dix-neuf, par-ce qu'une
sentence de la recension palestinienne a 6t6 coup6e ;en deux, et forme la
quatorzieme et la qtiinzieme dans la recension babylonienne, qui a pre-
LE PROBLEMS DE JESUS. 145
synagogues les elements douteux, et notamment les judeo-
chre'tiens. On a egalement note avec justesse 1 que les prin-
cipaux Rabbins auxquels sont rapportees dans le Talmud des
paroles concernant Jesus ou des chre'tiens : Gamaliel II,
R. Eliezer ben Hyrcan 2 , appartiennent a cette generation
dite de Jabne (Jamnia), du nom de la ville ou Jochanan ben
Zaccaii fonda la celebre Ecole rabbinique qui fut pour I'Isra&l
palestinien d'entre les deux guerres le centre intellectuel et
religieux. G'est pendant ce temps que la controverse avec
les Minim, la majorite desquels etaient surement des judeo-
valu) sont issues de prieres fort anciennes contenant d'abord 12 peut-
etrememe 16 et ensuite 17 formules de benedictions. Une dix-huitieme
(dans 1'ordre actuel de recitation, la douzieme) visant les heretiques
d'Israel, fut introduite par Gamaliel II, peut-etre par 1'intermediaire de
Samuel le Petit. Elle est ainsi redigde dans sa forme actuelle :
Pour les calomniateurs, qu'il n'y ait pas d'esperance !
Que les Minim soient detruits sur 1'heure.
< Le royaume de 1'orgueil, arrache-le et brise-le.
Beni sois-tu, o Seigneur, qui brise les ennemis etabaisse les orgueilleux !
M. Edmond Fleg, dans la traduction qu'ii donne des Schemone Esr&
(Anthologie Juive" 1 , Paris, 1923,1, p. 120), traduit minim par mediants*, ce
qui est tout de m&me trop general. En realite, le texte actuel est revu,
corrige et edulcore, comme la variete des versions anciennes en fait
foi ; cf. G. Hirsch, JE, XI, p. 281 b, s. v. Schemoneh Esreh. A la place
de < calomniateurs , le texte ancien portait apostats, renegats >. Quant
aux minim dissidents, sectaires, heretiques, il n'est pas douteux que
les Chretiens y fussent compris, si meme au debut ils n'etaient pas les
seuls design6s sous ce nom. Un texte tres ancien des Benedictions, de la
recension palestienne, d6couvert et publi6 par S. Schechter en 1898,
nomme en toutes lettres, a cot6 des minim et avant, les Nazareens, c'est-
a-dire les Chretiens :
Que les Nazareens et les Minim perissent en un instant,
Qu'ils soient effaces du livre de vie et ne soient pas comptes parmi les
[justes
traduction M. J. Lagrange, Le Mcssianisme, p. 339, sur le texte amends
par G. Dalman, p. 294 (traduction). Sur la teneur et 1'histoire des Schcmone,
excellent resum6 dans W. 0. E. Oesterley et G. H. Box, A short survey of
rabbinical and- medieval Judaism, London, 1920, p. 164 a 180.
1 . Sur ces rabbins de la fin de la Premiere et Deuxieme generation des
Tannai'm (70-135), H. L. Strack, Einleitung in Talmud und Midras*, 1921,
p. 120-128.
2. W. M. Christie, The Jamnia Period in Jewish History, dans JTS,
XXVI, 1925, p. 347-364.
JESUS CHRIST. II. 10
146 JESUS CHRIST.
chretiens , battit son plein; et en fait, les rabbis de cette
periode paraissent avoir possede une connaissance serieuse
du contenu de 1'iEvangile... Nous trouvons [dans leurs dires]
des paralleles a pratiquement toutes les Beatitudes 1 . Enfin,
et ceci est ddcisif, les traits les plus lermes de la Idgende
talmudique de Jesus, et faisant par consequent partie de la
polemique classique des Juifs, sont deja signales par saint Jus-
tin dans son Dialogue et utilises par Gelse, d'apres une source
ecrite, dans son Discours Veritable.
Les griefs reproches aux Juifs par Justin ont ete repris
par Tertullien, Origene et 1'unanimite des auteurs chretiens
qui ont aborde ce sujet. Une e"tude attentive des passages
talmudiques ou il est question de Jesus 2 , corifirmeleur opinion
et nous permet de degager les traits qui, plus tard, reunis r
aggraves, etoffes, formeront la trame de la trop fameuse Vie-
(Generation) de Jesus, Toledot Jeschu, honte durable du
judaiisme anti-chr^tien. Gette arme n'a pas laisse d'empoi-
sonner bien des esprits au cours des siecles. Aujourd'hui
encore on reedite les Toledot dans les juiveries pouilleuse&
1. W. M. Christie, loc. laud,, p. 360-3G1 et textes a Tappui.
2. Ces passages ont et6 r^unis a, maintes reprises dans des recueils
scientifiquement etablis et ce n'elait pas chose aisee, soit it cause du carac-
tere occasionnel des allusions faites 4 Jesus dans les documents juifs
anciens, soit parce qiie la plupart des attaques sont dissimul6es dans de&
sermons pre'te's a J6sus ou a son entourage. Les meilleurs de ces florileges
sont ceuxde H. Laible, Jesus Christus im Talmud, Berlin, 1891 ; 2 Edition,,
avec les textes transcrits par G. Dalman, Leipzig, 1900; de M. R. Travers
Herford, Christianity in Talmud and Midrash, London, 1913, p. 401-436,
textes; 35-97, trad, anglaise et commentaire; de H. L. Strack, Jesus, die-
Haerctiher und die Christen nach den aeltesten judischen Angaben, Leipzig,
1910,. textes traduits en allemand, roriginal en appendice; de Arnold
Meyer, Jesus im Talmud, dans le Handbuch zu dem N. T. Apokryphen
de E. Hennecke, Tubingen, 1904, p. 47-71. II faut computer ces textes
par les citations dispersees dans 1'immense Kommentar zum N. T. aus
Talmud und Midrasch de H. L. Strack et P. Billerbeck, I, Miinchen, 1922;
II, 1924; III, 1926.
Sur les Toledot, je n'ai pas le courage d'insister ; c'est im ramas de
fables ineptes a la fois et d6goutantes ; le texte assez court, une trentaine
de pages, est d'ailleurs loin d'etre fixe; chaque Sditeur ajoute et modifie
;i sa guise. Details dans S. Krauss, Das Leben Jesu nach judischen Quel-
len, Berlin, 1902, resum6 par 1'auteur dans JE, VII, 170-173.
LB PROBLEME DE JESUS. 147
de la Pologne et de 1' Ukraine 1 . Oiose moins -pardonnable,
c ? est dans cette infame le*gende que les dirigeants de la
SoeiSte" Th'e'osophique 'n'ont pas en honte de puiser Tessentiel
de ; lewr 'version des origiwes chretiennes 2 .
Je'sus de Nazare'th (Jeslra iha-Nosri) 3 , sou vent 'appele' fils
de Pandora (ben Pandera, ben Panthera) ou fils de Stada
(ben Stada), est encore designe dans les Talinuds sous le nom
figure" de Balaam, fils'de Be'or, le faux prophete qud'fit errer
Israel* . D'autres fois ii est introduit sons une designation
vague ou malveillante : un certain , un 'quidam , le
batard . Jesus en effet n ? 6tait pas letfls du mari de samere,
Pappos ben Jiida (nom d'un contemporain 'd Rabbi Aqiba,
mort vers 135 apres Jesus Christ), maisbien le fils de Panthera 5
1. R. Travsrs Herford, Christ.in Jewish Literature, DG^II,)881, A., On
troiivera .^gaiement dans ce mfemoire, p. :879^880, le ^esumfi d'un certain
nombre d'ouvrages juifs .medi6vaux concernant J6sus.
2. E. Bosc, La Vie e'soterique de Jesus et les Origines orientales du Chris-
I ianisme, Paris, 1902; G.R. 'Mead, DidJesuslive 100 B. C.? London et Bena-
res, 1903; Annie Besant, Esoteric 'Christianity, Trad.frangaise, Paris, 1903.
3. Sur ce nom et son origine, G. F. Moore, Nazarene and Nazareth, dans
les Beginnings of Christianity, 1920, I, p. 426-432. L'auteur montre
qu'aucun obstacle philologique lie s'oppose a ce qu'on derive Na?wpocto? r
Not5ap7iv6s du nom de la ville de Nazareth >, p. 429. : Arguer de 1'absence du
nom de cette ville dans Josephe et les Talmuds serait < un abus extraor-
dinaire de Targument du ; silence . G. Dalman a montrfe d'ailleurs que ce
silence meme n'etait pas dans le cas aussi profond qu'on Yeut bien le dire.
Dans une liste des localit&s galileemies ou, apres la ruine de Jerusalem,
en 70, les vingt-quatre- classes sacerdotales chercherent un refuge, Naza-
reth figurait. Nous J'apprenons par un cantique de deuil du poete juif
Eleazar 'Kalir (vii e ou viir 8 siecle) qui localise a Nazareth la classe sacer-
dotale ffappizzez(Yn\g. Aphses;l Paralip., xxiv, 15). Voirla-dessus ; et sur
toute la question, Orte und Wege Jesu s , Giitersldh, 1923, ch. ni; le texte
d'Eleazar, p. 65.
4. Sur ce surnom de Balaam, cf. Apoc. Jo., 11, 14, et le commentaire de
R. H. Charles : The Revelation of Saint John, 1920, I, p. 63 mi v.
5. Panthera, Pandera, gr. IlavOvip (7rav9rjpa='panthere). Sur ce nom qui
est le plus usitS, et dans les plus anciens textes ne semble pas avoir le
sens de derision qu'il prit ensuite, voir Strack et Billerbeck, KTM, I, p. 36-
38. La premiere mention connue de ce mot appliqu6 au pere de J6sus se
trouve dans le Discours Veritable de Celse, ecrit vers 177, qui fait de
Panthera > un soldat et renvoie a une source ecrite (Qrigene, Centre
Cilse, I, 28) surement juive. Les nombreux textes rabbiniques qui appel-
lent Jesus ben Pandera sont cit6s int6gralement par Strack, loc. laud.
148 JESUS CHRIST.
ou encore de Stada 1 . Sa'mere, une coiffeuse pour femmes,
s'appelait Miriam. Le paratre de Jesus, Josue ben Perahia
(qui vivait au temps du roi Asmoneen, Alexandre Jannee,
104-78 avant J. C.) emmena son disciple en Egypte ou Je*sus
apprit lamagie. (L'Egypte, on le sait, etait la terre classique
des magiciens.) A son retour, une remarque inconvenante
de 1'eleve le lit renvoyer et excommunier par son maitre 2 .
G'est alors que Jesus commenga de me'riter le surnom de
faux prophete Balaam, fils de Beor, qui seduisit et mit hors
de la voie droite les fils d'Israel . Par ses prestiges, le
Nazareen seducteur et sorcier fit de meme 3 ; ses heresies et
son insolence envers les maitres et chefs de son peuple le
firent excommunier. II se disait en effet Dieu et fils de
rhomme*. Finalement, il fut mis en jugement a Lydda en
qualite de sorcier et de fauteur d'apostasie. Pendant les qua-
rante jours qui pre'ce'derent 1'execution, Jesus fut mis au pilori
et un heraut criait a haute voix : Gelui-ci doit e"tre lapide
parce qu'il a exerce la magie et fourvoye Israel. Quiconque
sait quelque chose pour sa justification, qu'il approche et
1. Ben Stada. Le nom est parfois applique au pere 16gal ou meme & la
mere de Jesus! Texte dans Strack, loc. laud., p. 39.
2. Sur tout cela, Sam. Krauss, Jesus in Jewish Legend, dans JE, VII,
170-171.
3. Ces traits sont les plus fermes de la legende. (Sur Balaam, voir le
livre des Nombres, XXH sulv.) Deja du vivant de Jesus plusieurs repon-
daient a ceux qui disaient : C'est un homme admirable ! Nullement,
mais il sdduit le peuple: &\\ot H\tyw ou, aXXa TtXava TOV 8/^Xov . Jo., vu,
126. Et aussi : II est possede par Beelzeboul, c'est par le Prince des
demons qu'il chasse les demons. > Me., m, 22 ; Mt , xif, 24 ; Lc., xr, 15.
Saint Justin, Dialogue contre Tryphon, LXIX, edition G. Archambault, 1,
p. 338, dit de son cot6 que les Juifs < osent bien appeler Jesus magicien et
seducteur du peuple, xa\ y*? ^"Y 07 ' vai *"tM e'<5^^wy \lynv xal XaonXxvav .
Voir d'autres textes dans Strack et Billerbeck, KTM, I, p. 631. Quant aux
allusions rabbiniques, on peut dire qu'elles sont unanimes, C'etatt done
la le point central de 1'apologetique juive contre Jesus! et il est tres
interessant par le temoignage indirectqu'il apporte 4 la realite des auvres
de puissance accomplies par le Christ.
4. Discussion la-dessus apropos du texte des Nombres, xxnr, 19, dans Ta'-
anith (palestinien) 2, 65 b, cite dans KTM, I, p. 486. Rabbi Abbahu (vers
300) dit : * Si un homme te disait : Je suis Dieu : il ment; Je suis
le Fils de 1'homme : il aura a s'en repentir finalement; Je monte au
ciel : il dit ce qu'il n'est pas en son pouvoir d'accomplir.
LE PROBLEMS OE JESUS. 149
fasse valoir son temoignage! Mais on ne trouva rien en ce
sens et ainsi on le pendit le jour de la preparation de la Paque 1 .
D'autres disent : on le lapida . II avait trente-trois ans
et Pilate eut part a sa mort 2 . II est re'prouve' et puni en enfer
par le supplice de 1'ordurebouillante. Je*sus avait des disciples
parmi lesquels les Talmuds nomment Matthai (Matthieu),
Nakai (Nicodeme ou Luc) et Toda (Thaddee) 3 .
Les allusions certaines aux doctrines ou aux paroles de
Jesus sont rares dans le Talmud, encore que nombre des faits
ou des sentences attribues aux rabbins de I'dpoque de Jamnia
portent un reflet e"vangelique, atte'nue' peut-dtre de'libere-
ment 4 . La seule citation textuelle est celle du mot de Jesus
concernant la loi : Je ne suis pas venu 1'abolir, mais Paccom-
plir 5 . Le passage vaut d'etre cite, d'autant qu'il met en
scene le plus fameux rabbin de la generation qui suivit la
destruction du Temple, Gamaliel II. Sa soeur Emma Schalom
avait e'pouse' le rabbi Elie'zer ben Hyrcan (vers 90). Or dans
leur voisinage vivait un sage chretien qui avait x la reputation
d'etre inaccessible aux presents. Gamaliel et sa soeur vou-
lurent le berner :
1. Sanhedrin, 43 a, Baraita. Autre texte dans Strack, KTM, I, p. 1023-
1024. Voir aussi S. Krauss, JE, VII, 172. La lapidation, suivie de la pen-
daison sur le bois, etait la peine prevue dans la Loi pour les blasphema-
teurs, c'est pourquoi on la restitue dans la version rabbinique.
2. Un heretique (Miri) disait a R. Chanina (vers 225) : < As-tu peut-
etre entendu direjusqu'a quel age Balaam (Jesus) est parvenu? > 13
repondit : La-dessus, aucun temoignage scripturaire precis n'existe,
mais d'apres ce qui est ecrit au psaume LV, 24 : Les hommes de sang
et les se'ductfiurs n'atteindront pas la moilid de leurs -^jours, disons : ii
est parvenu a 33 ou 34 ans >. Le Min repliqua : Tu as bien repondu, car
j'ai vu de mes yeux une chronique de Balaam, ou il est ecrit : 33 ans
avait Balaam le boiteux (?) quand Pinchas le brigand (Ponce Pilate) le mit
a mort > ; Sanhedrin, 106 ; KTM, I, 1025.
3. Celse, mieux informe, parle des 10 ou 11 disciples du Christ. Les
Toledot ont une liste differente : aux quatre evangelistes, ils ajoutent
Simon Pierre et Thaddee (S. Krauss, JE, VII, p. 1716). Strack et Biller
beck discutent au long 1'assimilation de Nakai (Naqqai, Nicodeme) avec
Naqdemon ben Gorion dans la litterature rabbinique : KTM, II, p. 412-
419.
4. W. M. Christie, The Jamnia Period in Jewish History, dans JTS,
XXVI, 1925, p. 360 suiv.
5. Mt., v, 17, dans Schabbat, 116.
150 JESUS CHRIST.
Emma apporta done (au sage) un chandelier en or, puis ils
se presentment ensemble devant lui, et elle.lui dit : (c Je; voudrais
qu'une part me revint, de la, fortune laissee dans ma maison
paternelie. II lui repondit : Partagez! R. Gamaliel dit alors :
II est ecrit pour nous : a la place du fits [c'est-a-dire toutes ibis
qu'il y aun fils], la ftllenedoitpas heriter (cf. Nombres,, XXVTI, 8).
lie philosophe repliqua : Au jour ou vous avez etc bannis 1 de
votre pays, la Loi de Moi'se a. ete abolie et 1'Evangile donnd a sa
place, et la il est ecrit : .FHs et fille doivent heriter egalement *.
Le lendemain Gamaliel amena au sage un ane de Lybie. Alors le
philosophe leur declara : J'ai regarde plus avant dans rEvangile,
et la il est ecrit : Je suts venu non pour abolir la lot de Molse,
mais pour Vaecomplir. Or il esiecrit dans: cette loi la la place du
fils, la fille ne doit point heriter!.
Alors' Emma dit au philosophe : Puisse ta lumiere. briller
comme celle du chandelier! Mais R. Gamaliel conclut : L r ane
est survenu, et II a renverse le chandelier 2 !
En sonune les auteurs et compilateursdu Talmud, s'ils- ont,
comme nombre d?indicesr ne no.us permettent pas d'en douter,
pense souivent a Jesus ert a ce/ux qui se re'clamaient de 1m, ont
adopte a son egard une attitude barre'e r defensive, OIL 1'hoati-
lifce, la haine meme eclatent, mais encore plus le souci d'ecar-
ter leurs disciples d'un sujet dangereux 3 . A 1'endroit des Naza-
rdens et de leur Dieu toute curiositd est deplace*e; ce qu r on
leuu doit, c'est Fimprecation introduite par R. Gamaliel IL dans
la priere quotidienne : Qu'ils perissent sur Pheure! qu'ils
soient effaces du Ltvre de Vie !
Si nous nous sommes arr6te"s un peu longuement sur ce que
Renan appelle justement une legende burlesque et obs-
cene , ee n'est pas, on le pense, pour sa valeur intrinseque,
mais parce qu'elle a en fait, jusqu'au milieu du xix 8 siecle,
1. Inutile de dire que ce mot n'est pas dans 1'Evangile! Le philosophe
le fabrique pour les besoins de sa causei
2. Mo'is'e Schuhl, Sentences et Proverbes du Talmud et du Midrasch,
Paris, 1878, p. 99, cite ranecdote, mais fait du philosophe un < juge paien
(sic):
3. Cette meme attitude apparait plus elairement encore k I'egardde
saint Paul que les rabbins n'ont pu ignorer et touchant lequel ils ont
gard6 un profond silence. Le consciencieux effort de G. Kittel, Rabbinica,
Panlus im Talmud, Leipzig, 1920, p. 1-17, pour retrouver Paul dans wie
parole du Talmud (Pirke ALoth, III, 11, ed. H. L. Strack), n' arrive pas 4
rendre solidement probable le fait d une allusion a Actes, xxi, 27 suiv.
LE PROBLEMS DE JESUS. 151
doming et empoisonne Tame juive, touchant Jesus de Naza-
reth. A part quelques mouvements de pensee, considerables
par la valeur de certains initiateurs, mais confines dans une
etroite caste d'intellectuels, on peut dire que le Talmud a etc
Paliment spirituel principal, sinon unique, du peuple juii 1 .
Ge n'est pas un livre, dit Is. Abrahams, mais une litte-
rature... II a ete 1'unique lien entre les juifs disperses, un
instrument spirituel et intellectuel incomparable pour mainte-
nir Fidentite du judai'sme parmi les nombreuses tribulations
auxquelles les Juifs furent soumis 2 . Les plus grands pen-
seurs Israelites eux-memes et a 1'epoque de la plus grande
liberte de pensee, ont ete, tel Molse Maimonide, des talmu-
distes pratiquants 3 .
II pourra done suffire, pour jalonner la route qui mene des
legendes anciennes au judai'sme modefne, de rappeler Fopi-
nion des deux plus grands penseurs (et les plus inde-
pendants) qu'ait comptes Israel au cours de ces dix ou douze
siecles : Maimonide et Spinoza. Le premier, vers 1175, dans
son grand ouvrage (le seul redige par lui en hebreu) intitule
la seconde Loi (Mischneh Torah, 1'equivalent de) Deute-
ronome, et surnomme la Main forte, s'exprime sur Jdsus Christ
en termes peremptoires, mais moderes. Si le philosophe judai-
1 . Ce renseignement et quelques-ims de ceux qui suivent sont empruntes
au memoire de R. Travers Herford, Christ in Jewish Literature, dans
le Dictionary of Christ and the Gospels, livre II, 1908, p. 876 B-882-A.; on
peut consulter aussi le recueil de M. J. de le Roi, Judische Stimmen ilber
Jesum Christum gesammeU, Leipzig, 1910. Le principal et le plus repre-
sentatif des travaux contemporains est pour le judai'sme < conservateur
1'article Jesus de la Jewish Encyclopedia, vol. VII, New- York, 1904, p. 163
suiv., par MM. Jacobs, Kohler et Krauss ; pour le judai'sme liberal
les livres de C. G. Montefiore, The Synoptic Gospels, London, 1909 ;
Outlines of liberal Judaism, London, 1912, et nombreux articles dans le
Ilibbert Journal ; H. G. Enelow, A Jewish view of Jesus, Hew York, 1920 :
J6sus n'est pas Dieu, ni le Messie, mais qui pourrait evaluer ce que
Jesus a ete pour I'humanite, Tamour qu'il a inspire, la consolation qu'il a
donn6e, le bien qu'il a provoque, 1'espoir et la joie qu'il a allumes, tout
cola est inegale dans 1'histoire humaine.
2. Is. Abrahams, A Short History of Jewish Literature, London, 1906,
p. 25; et Talmud, dans ERE, XII, 1921, p. 185-187.
3. Voir Isaac Husik, A History of Medieval Jewish Philosophy, New
York, 1918, p. 236 suiv.
152 JESUS CHRIST.
sant voit en lui un illusionne gravement coupable, il recon-
nait que le mouvement d'iddes provoque par le christianisme
doit s'interpreter comme une preparation providentielle au
vrai Messie.
Quant a cet homme qui se donne pour 1'Oint (le Christ),
mais qui, dans la suite, subit justement la peine de mort,... y
a-t-il plus grande erreur (que lasienne)? Tous les prophetes
avaient dit que le Messie rach^terait Israel et 1'affranchirait de
ses souffrances, qu'ilrassemblerait les disperses, etc... tandis
que cet homme a contribue a ce qu'Israel (en tant que nation)
fiit aneanti par Tepee, disperse et humilie. II a provoque un
changement de la Loi, et induit le monde dans 1'erreur d'ado-
rer quelque chose en dehors du vrai Dieu.
Gependant aucune pense'e humaine ne peut saisir les des-
seins du Createur, car ses voies ne sont pas les notres, de
sorte que cefc homme, et les autres fondateurs de religions qui
Font suivi, ont contribue a aplanir les voies pour le Messie
veritable, qni doit instituerle culte duDieu unique pour tous
les peuples de la terre, comme il est dit dans Sophonie, III, 9 . . .
Grace a ces religions nouvelles, le monde entier s'est rempli
de 1'idee d'un Redempteur-Messie, et des paroles de la Loi et
des commandements. Ges paroles se sont repandues jusqu'aux
iles lointaines et parmi de nombreux peuples qui n'ont aucune
civilisation 1 .
Ces vues presageaientcellesdeBaruch de Spinoza. Gelui-ci,
dans ses Traites theologico-politiques (1670), et dans ses Let-
tres 2 , parle de Jesus avec honneur, non comme d'un Dieu,
certes, mais comme d'un tres grand prophete, et meme duplus
grand des prophetes, au sens ou il entendait le mot. Selon lui,
Dieu s'est communique auxhommes par 1'esprit de Jesus. On
1. Mischneh Torah, XIV, 6, trad. Ed. Fleg dans Anthologie juive' 1 , II,
Paris, 1923, p. 61-62. On peut voir la quelques specimens de la contro-
verse juive centre les Chretiens : Moise ben Nachman en 1263, p. 121-122 ;
La lettre a un Min du Prophiat Duran (Isaac ben Mos6 Hal6vi) vers 1395,
ibid., p. 122-124. Cette pol6mique fait ressortirpar contraste la moderation
du ton de Mai'monide. Le Mischneh Torah a ete 6crit vers 1175 : sur son
importance, J. Abelson dans ERE, VIII, p. 341a.
2. Tractalus Theologico-Politici, ch. i et iv, B. de Spinoza Opera 3 , 6d.
van Vloten et Land, Leyden, I, p. 362-363; II, p. 7; Lettre &H. Olden-
burg, Epi'st., 75, 78 : ibid., II, p. 414-416, 422-424.
LE PROBLEMS DE JESUS. 15&
peutappeler la voix du Christ, voix de Dieu, tout comme celle
que jadis Molse entendait. Et on peut dire aussi en ce sens que
la Sagesse de Dieu, c'est-a-dire une sagesse surhumaine, apris
clans le Christ une nature humaine. Et que le Christ est la voie
du salut. Bref, J^sus a perc.u si profonde*ment les choses de
Dieu, etles a exprimeessi excellemment, qu'on peut 1'appeler
non pas tant un prophete, que la bouche me'me de Dieu .
On abuserait de ces expressions en representant Spinoza
comme un chretien 1 . 11 voit dans Jesus le plus grand de&
hommes, mais enfin un homme, et il n'admet sa resurrection
que dans le sens spirituel. II n'en reste pas moins que 1'auteur
de VEthique, excommunie ofBciellement par la Synagogue,
mais ayant continue d'exercer une tres prol'onde influence par
ses ceuvres sur l'6lite de ses anciens coreligionnaires, ouvre-
avec eclat la voie qu'a suivie le judaisme liberal 2 .
Le commencement de celui-ci, en ce qui touche la personne-
de Jesus, apparalt, semble-t-il, dans les ouvrages d'un homme
auquel James Darmesteter a donne* la premiere place parmi
ses Prophetes d' Israel, Joseph Salvador 3 . Dans ses ouvrages-
eloquents, personnels, Salvador parle longuement de Je"sus v
La premiere etude qu'il lui consacre est une longue note de-
son Essai sur la Lot de Molse, paru en 1822. II y soutient que-
le proces de Jesus n'a pas besoin d'etre revise, ayant ete juge-
selon les formes : on peut regretter la sentence ; legalement r
elle est inattaquable. Dans Jesus Christ et sa doctrine (1838) r
1'auteur aborde la question en general. Salvador reprend la,,
mais en la developpant largement, la pensee de Maimonide : le
Christianisme est une etape providentielle entre le polytheisme
et le monotheisme israelite, qui est la verite, mais dont le monde
antique n'etait pas capable. Partant de la, 1'auteur explique
1. Voir li-dessus Sir Frederick Pollock, Spinoza, his Life and Philo-
sophy 2 , London, 1912, p. 341-344; et surtout S. von Dunin-Borkowski,
Derjunge De Spinoza, Minister i. W v 1910, p. 460-465, oil la question est.
tres bien traitSe.
2. Cf. R. Travers Herford, Christ in Jewish Literature, dans DCG, II,.
p. 881, 882.
3. N6 a Montpellier en 1796, d'un pere Israelite d'origine lointaine
espagnole et d'une mere chr6tienne, mort en 1873. Voir Darmesteter, Les-
PropMtes d' Israel, Paris, 1895, p. 279 suiv.
154 JESUS CHRIST.
la formation de PiEJvangile de Je"sus comme le confluent de
deux elements : le prophetisme messianique et les aspirations
de la mythologie hellenique. Si l'historicit& de la personne de
Jesus est ainsi, pour une tres large part, volatilisee, le ton
grave et respectueux de Salvador tranche nettement sur le
dedain ou le violences des ecrivains juifs ses contempo-
rains.
Dans le troisieme volume de son Histoire des Juifs, paru en
1856 *, Henri Graetz pre"sente Jesus comme un Essenien, tout
entier preoccupe" de reforme morale et fort eloigne" de vouloir
>rien changer a la religion juive de son temps; mais en mime
temps, il rend justice a la hauteur de son earactere et a la purete
-de sa vie. Jost, J. K. Weiss, et nombre de savants Israelites
suivirent, avec des differences considerables dans 1'apprecia-
tiondes faits, 1'impulsion donn4e par Graetz. Il f s s''appliquerent
a montrer en Jesus soit un prophete injustement condamn^,
soit un sage, mal inspire dans le choix de sesmoyens, mais pour-
suivant une fin elevee. Avec beaucoup plus de science, les
-auteurs contemporains qui ont trace, danal* Encyclopedic juive,
la figure du Sauveur, manifestent aussi plus de penetration cri-
tique et un egal respect. Pour eux, tout en admettant certaines
pratiques de 1'essenisme, Jesus se s^parait des Esseniens et des
autres Juifs de son temps, sur des points capitaux. La cause de
.sa mort violente et injuste fut, non une revendication mes-
sianique qu'il ne rendit pas publique, mais l'autorite qu'il s'ar-
rogea en face des representants du legalisme de son temps.
Jesus de Nazareth eut une mission de la part de Dieu; il dut
avoir le pouvoir spirituel et les aptitudes qui conviennent a
cette election.
Le plus grand effort accompli jusqu'iei par un Israelite or-
thodoxe pour apprecier la personne et 1'oeuvre de Jesus est
celui de Joseph Klausner, dans Fouvrage ^crit en hebreu sur
1. Les volumes I et II ne parurent qu'en 1874-75. L'histoire enticrc
allant des origines a 1848, compte onze volumes et douze tomes, rediges
en allemand, etpublies entre 1853 (vol. IV) et 1875 (vol. I et II). Elle est
la plus complete qui existe et a 6t6 traduite partiellement en francais par
M. Hess, L. Wogue et M. Bfoch. Sur Graetz, voir JE, VI, 64-67; et J. Dar-
mesteter, L'Histoire d'lsrael et M. Graetz, dans les Prophetes d'IsraM,
Paris, 1895, p. 227-245.
LE PROBLEME DE JESUS. 155
Jdsus db Nazareth, son temps, sa vie, son enseignement { .
Apres une etude sur les sources, oil il adoptey en ce qui tou-
-eke lea documents ^chre'tiens, les vues de Fexegese liberate
telle quo A. Julicher par exemple, et H. Weinel les exponent,
I'auteur decrit 1'etat du milieu social ou parut le Sauveur,
raconte assez brievement sa. vie et earaeterise son action.
D'apres' lui, <t J6sus tut semblable a un Pharisien et k un
scribe; ua rabbi . galile en, pr^cheur ambulant, different des
^tutres par certains traits :; la pre'dication; du Royaunie comme
prochain;;- I'aecent mis sur les preceptes moraux a I'ex elusion
des formaiismes; le caractere original et;direet de son ensei-
^gnement qui. ne se presentait pas comrae une glose scriptu-
raire; enn la part faite au miracle dans; sa. mission. L'oppo-
sition lui vint des; Pharisiens, choques par sa liberte de
'langag-e et d'allure. Le peuple, qui 1'avait d'abord acclame,
e retira de lui.. Apr 6s avoir fait reconnaitre son caractere de
Messie, (cdont il etait persuade des le debut de sa mission ,
par ses disciplea, EtCesaree de Philippe, Ji^sus monta a J f eru-
salem T et la,, se brisa contra la colere des chefs de son peu-
ple. Israelite dans les maelids, J6sus ne ut pas un simple
maltre parmi les maitres de son temps : son origiualite est in-
comparable et, comme moraliste, comma spirituel, personne
en Israel ne I'egala jamais. Son erreur But de n^gliger laterre,
les cadres sociaux, nationaux, la lettre necessaire a i'esprit :
cet exclusivisme devait amener sa rupture d'avee son peuple.
Gonsidere du point de vue de 1'humanite en general, Jesus
a ete cependant, conclut Klausner, Une lumi&re pour les
<Gentils* Ses disciples ont porte la iainpe de la Torah d'Israel
devant les Gentils, encore qua sous une. forme defectueuse et
imparfaite, aux quatre coins du monde.. Nul Juif ne peut ou-
blier ce que signifient par la Jesus et son enseignement dans
Fhistoire du monde. Malmonide ne 1'a pas oubhe, ni Juda
Halevi 2 . Mais considere du point de vue juif, Jesus ne peut
1. J&hu/ia-Notzri, J6rusalem, 1922. Une traduction anglaise a 6t6 publi6e
par Danby, London, 1925. Voir R. Travers Herford, The Hibberl Journal,
XXII, juillet 19iJ4, p. 805-815; et G. F. Moore dans Harvard Theological
Review, Janvier 1923, p. 93-103.
2. Juda Halevi, Juif espagnol du xu siecle, consid6re comme le plus
grand poete d'Israel au moyen age.
156 JESUS CHRIST.
pas e"tre le Messie ; le Royaume des cieux, les jours du Messie 1
ne sont pas encore arrives. On ne peut me'me regarder Jesus
comme un prophete, au moins dans le sens national et poli-
tique du mot. Mais il reste me'me pour les Israelites un
moraliste inegale, et 1'enseignement moral de 1'Evangile d&
Jesus, si on le separe du reste, est un des joyaux les plus
magnifiques de la litterature d'Israel dans tous les ages 1 .
Le judaisme e"largi de M. G. G. Montefiore (auquel repond r
mais avec une nuance plus radicale, celui de M. le rabbin-
Germain Le"vy en France) va plus loin encore dans la voie du
respect et, disons-le, de la ve'ne'ration pour la personne du
Christ. Pour M. Montefiore, Jesus fut un prophete succes-
seur authentique des anciens prophetes, surtout des grands-
prophetes d'avant 1'exil : Amos, Osee, Isaie ~ & . Je"sus se
sentait inspire de Dieu, comme les prophetes du passe , mais
sa croyance a la fin prochaine des choses (nous trouvons ici
I'mfluence dominante, d'ailleurs reconnue par Montefiore, de
M. Loisy) I'empe 1 cha probablement de se regarder pendant
sa vie comme le Messie 3 . Quoi qu'il en soit, 1'esprit de Jesus-
lui survit et possede une vertu que personne, les Israelites
pas plus que les autres, ne peut negliger sans dommage. Gar
cet esprit porte les traits caracteristiques du ge*nie. II est
grand, stimulant, he*ro!que 4 ... .
A cote des Juifs croyants, conservateurs ou liberaux, un
nombre croissant d' Israelites restent fideles a leur race et &
leurs traditions, sans professer la religion de lahve. En ma-
tiere religieuse, ils sont humanistes : les Juifs de cette espece r
dont James Darmesteter a ete le plus sincere et le plus elo-
quent, dont M. Salomon Reinach est le representant le plu&
connu, n'ont pas droit a figurer en cette place. Leur concep-
tion du Christ les classe habituellement a 1'extre'me gauche-
des critiques.
1. On peut comparer (cf. supra, t. II, p. 151, n. 1) lemagnifique 61oge de
Jesus par le rabbin H.G. Enelow, A Jewish view of Jesus, New York, 1920,
traduit enpartiedansEd. F\eg,Antholoyiejuwe 7 , Paris, 1923, II, p. 274suiv.
2. The Synoptic Gospels, London, 1909, vol. I, p. 100. [2 ed., London^
1927],
3. Ibid., p. 95.
4. Ibid., p. 105.
LE PROBLEME DE JESUS. 157
Les Musulmans,
Jesus occupe, on le salt, une place considerable dans le
Goran et, par consequent, dans 1'Islam, ou le Livre appris
par coaur des 1'enfance, est un systeme du monde positif et
reve'le, reglant 1'experimentation, 1'explication et 1'appre'cia-
tion de tout e vehement 1 . Par malheur, Mahomet connut
plutdtles apocryphes que les evangiles canoniques. II nepuisa
pas sa connaissance (du christianisme) a des sources purement
-chretiennes, mais dut 6tre instruit seulement par les judeo-
chretiens 2 . G'est a cette deviation originelle que les donnees
coraniques sur Jesus doivent leur incoherence partielle, et les
erreurs de fait qui les constellent.
Appele a la vie par le fiat divin, Isa 3 naquit d'une mere
vierge,Mariam : Seigneur, repondit Marie, comment aurai-je
un Ills? aucun homme ne m'a touchee. G'est ainsi,
reprit 1'ange, que Dieu cree ce qu'il veut. II dit : Sois , et
il est 4 . Aussi Je*sus est auxyeux de Dieu ce qu'est Adam .
II est le Verbe de Dieu qu'il jeta dans Marie; il est un es-
prit venant de Dieu 5 . Mais il n'est pas Fils de Dieu au sens
propre, car Dieu est unique. Gloire a lui! comment aurait-il
1. Louis Massignon, Al-HallAj, Paris, 1922, II, p. 466.
2. B. Carra de Vaux, Indjil, dans Encyclopedic de V Islam (= El), II,
1921, p. 535 a.
3. Sur ce nom, D. B. Macdonald, 7sa, dans Ef, II, p. 558, 6; et E. Sell
et D. S. Margoliouth, Christ in Mohammedan Literature, dans DCG, II,
p. 882 a, note.
4. Goran, 3, 42, cf. 3, 52. Le premier grand commentateur du Goran,
Mogatil (mort en 767 = hegire 150) note que la mention de 1'acte crea-
teur par la parole n'intervient que huit fois dans le Goran, et toujours
au sujet de Jesus et de la resurrection ; L. Massignon, Alffalldj, II,
p. 520, note 2 et 3.
5. Goran, 4, 169, 1'Islam posterieur nomine meme Jesus 1'Esprit >,
1' Esprit de Dieu > : D. B. Macdonald, El, II, 558 b. La notion d'esprit,
et d'Esprit-Saint dans le Goran, est tres confuse (Mahomet 1'applique a
1'ange Gabriel : B. Carra de Vaux, Dejabra'il, dans El, I, p. 1017-1018).
Sur les notions de verbe, parole (Kal&m) et d'esprit (Rouh) dans la dog-
matique musulmane ancienne, L. Massignon, Al-ffalldj, II, p. 652-664,
et Essai sur les origines du lexique technique de la mystique musulmane,
Paris, 1922.
15B JESUS CHRIST.
unfils? Le Messie (Jesus) ne d^daigne pas d'etre le serviteur
de Dieu 1 . Le fils de Marie..., Jesus, n'est qu'un serviteur...
Quand il vint au milieu des hommes, accompagne* de signes,.
il dit ^ Je vous apporie la sagesse... Graignez done Dieu et
obdissez-rmoi. Dieu est mon Seigneur et le vdtre, .adorez4e r
c'est le chemin droit 2 .
Isa est un projphete constitue* par Dieu 3 , 1'envoye* >de Dien r
I'ap6tre de Dieu 4 , pourvu .par lui d'une mission ;qui est un
sigue et une misericorde, fit de laquelle il a donne .des|xreu-
ves manifestos par ceuvres ^et paroles. Allah 1'a investi en
effet de la puissance de fairfi des miracles, de i-essusciter le&
morts, de ;gu<srir les malades 5 . Ses contemporains me I'ont
pas regu : ils .ont.menie cru le tuer. lls diserit : . Nous avons
mis a mort le Messie, Jesus fils de Marie, Fenvoye de Dieu,
Non,.ilsne rontpastue", ils/ne 1'ont pas crucifie : unJiomme
qui lui ressemblait fut mis a sa place 6 . Dieu 1'a enleve au rciel
d'ou il reviendra dans les derniers jours 7 pourmettre teuton
ordre, achever la conversion du monde, ;mourir r^ellement, t
finalement manifester le Jugement prononce par Dieu sur tou&
les hommes 8 .
En consequence de ces dons et prerogatives recus ide
Dieu, Jesus est digne des plus hautes louanges : Jesus, -fils
de Marie, illustre dans ce monde et dans 1'autre, est un de&
familiers de Dieu 9 ; Beni partout o.u il s.e trouve 10 .
1. Goran, 4, 169.
2. Goran, 43, 63, 64, cf. 19, 31, 37.
3. Goran, 19, 31.
4. Goran, 4, 156.
5. Goran, 3, 43, 44; 5, 110.
6. Goran, 4, 156 : mais voyez 3, 48.
7. * 11 seral'indice de 1'approclie de 1'heure ; Goran, 43, 61. Ce mot
tres obscnr a donn6 lieu a toute une litterature dans 1'Islam, et sert de
base a 1'identification de Jesus avec le Mahdi, profess6e par bon nom'bre
de musulmans. Voir D, S. Margoliouth, Mahdi, dans ERE, VIII, p. 337-a;
et sur le retour et 1'action de J6siis dans les derniers temps : D. B. Mac-
donald, 'Isa, El, II, p. 559.
8. Surce role de Jesus comnie juge, dans les th6ologiens et les mysti-
ques de I'lslam ancien, L. Massignon, Al-IlallAj, II, p. 683, 689 et les
auteurs cites par lui.
9. Goran, 3, 40.
10. Goran, 19, 32.
LE PROBLEMS DE JESUS. 159 1
En somme Mahomet .salt, a sa fac.on, plus de choses :SUP
Jidsus que sur n'iinporte quelle figure religieuse du passe.
Mais Foil voit aussi qu'il omet quelque chose. Le Goran ne-
nous donne aucune explication de 1'apparition sur la terre de
cette figure unique d'un deuxiemB Adam, d'un demiurge, d'un
Logos... II n'explique pas comment il est un signe , une-
grace , un exemple et une parabole 1 . Par contre r
le Goran sait toujours fort Men v mais sur tout dans lessourates-
me'dinoises de la fin, pour les besoins de sa cause, ajouter a-
1'Evangile.
Alors que le point de vue politique avait prevalu, et qu&
la coupure avec les ohretiens 6tait plus profonde, le Prophete
affirme de son cru, et illustre par le rappel de signes mer-
veilleux, que le Messie, fils de .Marie, n'est qu'un ap6tre- r
d'autres apdtres Tont precede. (Sans doute.) sa mere etait juste r
(mais) il se nourrissait de mets (comme un simple mortel) "*-.
Plus loia, dans la mdme sourate, 1'une des toutes dernieres s \
sinon la derniere de toutes, Jesus est mis en demeure par
Dieu lui-me'me, au jour ou celui-ci jugera ses envqyes, de re-
nier sa divinite et celle de sa mere 4 . Dieu dit,alors a Jesus r
As-tu jamais dit aux hommes : Prenez pour Dieux moi et ma
mere, a edte* du Dieu unique?... Par ta Gloire! Non. Comment
aurais-je pu dire ce qui n'est pas vrai 5 ?
Les ancieas auteurs musulmans ont peu ajoute a ce que
Mahomet avait dit de Jesus' 6 : dans deux directions seulement,.
1. B. D. Macdonald, l <Isa, dans El, II, p. 560 a.
2. Goran, 5, 79.
3. La-dessus, Noeldeke-Schwally, Geschichle des QorAns*, Leipzig, 1909-
1919, 1, p. 227 suiv.
4. On sait que pour Mahomet la trinite chretienne se compose du Pere,.
du Fils, et de la sainte Vierge.
5. Goran, 5, 108-116.
6. Les th6ologiens de 1'lslam consacrent au christianisme, apres le
judaisme, une refutation sommaire. La plus importante de ces refutations
est sans doute d'Ibn Hazra de-Courdoue (mort en 1064) dans son ouvrage
considerable El Fisal filmilal (reedite au Caire en 5 vol., en 1900-1904 =
hegire 1317-1321). L'auteur critique durement la religion chretienne,-repre-
nant i sa fagon les arguments classiques de Celse et des n6o-Platoniciens
du iv e siecle. L'Incarnation est inconcevable, attentatoire a la majeste de-
Dieu; les premiers Chretiens, et notamment Paul, ont falsifie sur ce point
160 JESUS CHRIST.
la legende d'Isa a pris en Islam de vastes deVeloppements :
la premiere, eschatologique, concerne Jesus dans le r61e de
Mahdi ou dans ses rapports avec le futur Malidi et ne nous
interesse pas ici. L'autre est essentiellement religieuse et a
son point d'insertion dans les passages du Goran ou il est
parle du Fiat divin de TEsprit 1 , et du jugement final des
ap6tres ou envoyes divins au dernier jour 2 . G'est une doctrine,
pour autant qu'on en peut juger par ce qu'en a dit le savant
'qui 1'a etudiee le plus a fond 3 , plutot d'inities, un peu esote-
rique, en tous cas combattue par un certain nombre de
theologiens rigides. Elle a atteint son expression parfaite
dans 1'ecole mystique des siecles d'or de 1'Islam, en Mesopo-
tamie et en Perse.
Parmi ces mystiques, le premier en date qui a pre'te a Jesus
un rdle de premier plan, semble avoir ete Tirmidhi (mort
en 898 = hegire 285), le premier aussi dans lequel une
influence hellenistique et chretienne apparaisse*. II reven-
dique la preseance du saint (Wall) sur le prophete (Nabi), et,
pour Jesus, Feminence dans 1'ordre de saintete : Jesus est
done le sceau des saints comme Mahomet est le sccau
des prophetes 5 . Apres d'autres, Al-Hosayn-ibn-Mansour
al-Hallaj, le martyr mystique de 1'Islam mort le 26 mars
sla doctrine de Jesus, etc... Voir le memoire d'Asin Palacios, dans Discur-
.sos leidos ante la Real Academia de la ffistoria, Madrid, 1924, r6sum6 par
A. Bel, RHR, XC, 1924, p. 107 suiv.
1. Coran, 2, 111; 3, 42 et 52; 6, 72, etc., et Goran, 17, 87, de 1'esprit,
.Rou\i.
2. Coran, 5, 108-120.
3. Louis Massignon, Al-Hallaj, II, ch. XH, notammentp. 514-521, 683 suiv.;
739, 750-753, 768-770; voir aussi J. Marechal, Le ProbUme de la grace mys-
tique en Islam, danstfSfl, XIII, 1923, p. 273 suiv.
4. Les deux vont ensemble et ont ete transmises par les memes canaux :
c La philosophic et la th6ologie islamiques, dit a ce propos avec sa grande
autorite Miguel Asin Palacios, sont sous la dependance effective de la pensee
classique et de la pensee chretienne. Saint Jean Damascene et son disci-
ple, Abou Qorra, derniercs lumieres de la th6ologie byzantine, sont les
initiateurs et les maitres des theologiens mulsumans d'Orient. > Discursos
leidos, etc., 1924 : trad. A. Bel dans RHR, XC, 1924, p. 107. Sur les sources
chretiennes de la mystique mu'sulmane, voir ce que dit F. C. Burkitt,
-d'apres A. G. Wensinck, dans le JTS, octobre 1924, p. 81-86.
5. Louis Massignon, lib. laud., p. 739, 752, 753, et textes, ibid.
LE PROBLEME J)B JESUS. 161
922 ( = he'gire 309) pousse a bout ces vues. N6 de PEs-
prit, Jesus est conside"re comme possede par cet Esprit divin
et, par consequent, comme 1'exemplaire de toute saintete :
quand il ne reste plus d'attache charnelle (dans 1'ascete),
alors descend en lui cet Esprit de Dieu, de qui naquit Jesus,
fils de Marie 1 . Second Adam, Jesus presidera le jugement
supreme, puisque mil plus que lui n'a ete sincere et uni a
Dieu. Dieu va reunir les esprits sanctifies lorsque Jesus
reviendra sur la terre. II y aura sur terre un tr6ne place
pour lui, et dans le ciel un tr6ne place pour lui. Dieu qui a
ecrit un livre contenant la Priere, la Dime, le Jeune et le
Pelerinage definitifs (devoirs essentiels de tout croyant), lui
remettra ce livre par le heraut des Anges (Michel) en disant ;
Irradie! au nom du Roi absolu 2 .
Encore presentement, les Musulmans croyants ne parlent
jamais de Jesus qu'avec respect, et de sa mere qu'avec vene-
ration. Toutefois, sauf de rares exceptions, situees plutdt au
dela qu'en deck des confins de 1'Jslam, ils ne connaissent le
Sauveur que par les allusions nombreuses et detaillees,, mais
enigmatiques et parfois peu coherentes, du Goran. Presque
seuls, les conciliateurs a tendance syncretiste de 1'Inde, qui
.suivent de loin et avec plus de discretion la tradition du
Grand Mogol Akbar (1542-1605) 3 , oat. souci d'une informa-
tion plus complete 4 . Quant aux Musulmans liberaux de la
1. Doctrine de Al-HaMj resumee par un th6ologien adverse contempo-
rain, probablement AboH al Qasim Eaabi (mort en 931 = hegire 319)
ap. Massignon, lib. laud., II, 515 et note 2.
2. Al-Hallaj, Riw&y&t, 23; dans Massignon, lib. laud., II, p. 902; cf.
ibid., II, p. 684, 685. Irradie , c'est-a-dire proclame le jugement ,
jnais dans 1'etat de transfiguration, d'illumination, d'irradiation obtenu par
la grace transformante, tajalli. Sur cette notion, ibid., I, p. 68, 255; II,
p. 495, 595, 697.
3. Sur la tentative d'Akbar pour fonder la religion divine > (Diu-Ilahi),
theisme eclectique, ou des elements musulmans, hindous, parsis, et memo
Chretiens figuraient, voir par exemple A. S. Beveridge, s. v. Akbar dans
El, I, p. 232, 233.
4. Un de ces croyants qui signe Ibn-Ishak, a donne au Hibbert Journal,
VII, 1909, p. 523-540 : Islam and common sense, une apologie un peu sim-
.pliste, encore que respectable sous sa plume, de sa religion. II rappelle le
titre coranique de Jesus : < esprit de Dieu>, et serait assez dispose a parta-
-ger le monde entre les trois religions qui lui paraissent principales : 1'Islam,
CHRIST. ii. 11
162 JESUS CHRIST.
Jeune Turquie, ils s'adressent plut6t pour se renseigner sur
Jesus, aux critiques rationalistes les plus avances.
2. La Grise de la Foi Chr6tienne a I'intSrieur
du Ghristianisme.
Les Antichrists de la Renaissance.
Brebis et bergers, docteurs et simples, le peuple chretien
vecut durant dix siecles de la foi au Christ confessee des
1'origine, proclamee a Nicee en 325, formulee a Ghalcedoine
en 451.
La theologie, necessaire pour couper court aux erreurs
subtiles, n'abolit done ni n'obnubila les traits du Maitre,
humain et Sauveur, adorable et accessible. II y eut sans
doute, au cours de ce millenaire, me'me aux epoques les moms
tourmentees, maint sceptique et plus d'un apostat, auquel le
Christ incarne parut une folie ou un scandale 1 , mais la chre-
tiente prise dans son ensemble, soit qu'elle edifiat dans la
serenite des Sommes de pierre et des cathedrales de doc-
trine, soit qu'elle s'attendrlt dans les effusions de ses pau-
vres et les elans de ses mystiques, trouva et gouta dans
1'enseignement commun le Jesus de 1'Evangile 2 .
le christianisme, et le bouddhisme. Une pensee analogue a s6duit un cer-
tain nombre de musulmans 6claires, notamment l'6mir Abd-el-Kader,
mais celui-ci, plus fidele aux vues du prophete, restreignait la tolerance
mutuelle qu'il revait aux tenants des trois religions monoth6istes. II com-
parait Mo'ise, J6sus et Mahomet a trois homines dont le pere est unique
et les meres diff6rentes. Voir les textes dans L'Islam, du C te Henry de
Castries, Paris, 1896, p. 245.
1. II suffit de se rappeler le libertinage intellectuel de la cour de 1'Em-
pereur Frederic II au temps m6me de saint Louis. Duplessis d'Argentre
(Collectio indiciorum de novis erroribus, etc., Paris, 1724 suiv., I, p. 126)
nous assure que le fameux conte Des Trois Imposteurs (Mo'ise, J6sus,
Mahomet) 6tait enseign6 comme v6rit6 a Paris par Simon de Tournai en
1301.
2. Longtemps fourvoy^e par le d6sir d'exalter Luther, de le montrer
ressuscitant des morts 1'Evangile apostolique , cens6 jusqu'alors
obrue sous les d6combres de la scolastique m6dievale ou perdu dans un
dedale de superstitions, la th6ologie r6form6e revient a une vue plus juste
du pass6. L'ouvrage, d'ailteurs 6rudit, de H. R. Mackintosh, The Doctrine
LE PROBLEME DE JESUS. 163
Get etat de possession tranquille prit fin pour la chre"tiente
avec le xv e siecle, sous 1'influence de causes diverges,
parmi lesquelles deux se pre*sentent d'abord comme decisives :
les hardiesses de 1'Humanisme 1 paien, etla revision generale
des valeurs religieuses provoque*e par 1'explosion protestante.
Les auteurs responsables de celle-ci, Luther en te"te, se
fussent estimes criminels s'ils avaient biffe de leur credo,
ou meme revoque en doute, les dogmes concernant la divi-
nite du Christ ; il reste que leur dedain de la theologie scolas-
tique, leur impatience de tout contrdle autorise* et, par dessus
tout, le r61e assigne par eux, en dernier ressort, a 1'expe-
rience religieuse subjective, permirent de discuter et d'e*bran-
ler la dogmatique chre'tienne entiere.
L'influence de Luther, qui fut capitale, ne s'exerga done
pas moyennant sa christologie particuliere. Ge nom me"me
of the Person of Jesus Christ 3 , Edinburgh, 1914, p. 230 suiv., est encore
domine par les prejug6s anciens. Dans ce mcme Vvre, saint Augustin et
toute la theologie m6di6vale jusqu'a la Reforme, ovniennent juste le nom-
bre de pages consacre a la christologie de 1'ecole de Hegel ! Des idees plus
justes prevalent desormais ; on pent voir ce que dit sur la religion de la
fin du Moyen Age Karl MM er dans la Geschichte der Christlichen Religion*
(Kultur der Gegenwart, I, IV, 1), Leipzig, 1922, p. 263 suiv., et, moins
solidement erudit mais plus brillant et d' esprit plus libre, Friedrich Heiler,
Der Katholizismus, Seine Idee unde seine Erscheinung, Miinchen, 1923.
Dans ce dernier ouvrage, large justice est rendue non settlement aux
grands mystiques medievaux, un Bernard de Clairvaux, un Francois d'As-
sise, un Thomas de Kempen, mais aux grands docteurs scolastiques, un
Anselme, un Thomas d'Aquin, un Bonaventure.
Peu de livres, parmi ceux d' auteurs catholiques, sont plus aptes a faire
comprendre la pi6te du Moyen Age jusqu'i la R6forme que les adml-
rables ouvrages d'Emile Male sur YArt religieux en France.
On peut voir aussi avec profit le second volume de la Spirilualite Chrd-
lienne de P. Pourrat, Paris, 1921 .
1. C'est a regret qu'on emploie une expression de sens aussi large, aussi
hospitalier, mais elle est ici inevitable. II va sans dire qu'on sait toujours
distinguer humanisme et humanisme ; qu'on appr6cie a savaleurla cul-
ture antique et qu'on la croit capable d'une feconde entente avec la dog-
matique chrStienne ; qu'on connait et admire les grands humanistes
Chretiens contemporains de ceux dont il est question ici ; enfin que 1'on
n'ignore pas 1'humanisme devot de saint Frangois de Sales et de ses pa-
reils. Sur 1'expression et la conception chr6tienne de 1'Humanisme, voir
Henri Bremond, Histoire Litteraire du Sentiment Religieux en France,
VHumanisme de'vot, Paris, 1916, p. 1-18, etpassim.
164 JESUS CHRIST.
detonne quand on veut decrire 1'attitude du reformateur
envers Jesus : il ne s'agit guere pour lui de theologie, apeine
de doctrine. Pecheur, foncierement corrompu, traque par la
meute diabolique de passions irresistibles, Luther court au
Christ avec une confiance qui ressemble parfois a de la fureur,
comme une b6te alteree se jette dans une eau vive. II trouye
la le sentiment d'etre pardonne, justifie, rentre en grace.
Pour lui, Christ seul est la justice et la verite de Dieu,
1'unique reelle manifestation de 1'essence de Dieu, de son
amour, de sa grace justifiante 1 . Aussi refuse-t-il parfois de
distinguer dans le Verbe incarne 1'element humain du divin :
il fond celui-la dans celui-ci. Non qu'il soutienne une these
monophysite, mais parce que tout est divin pour lui dans son
Sauveur. Ges vues, exprimees avec une force et un pathe-
tique incontestables, relevent moins d'un systeme que d'un
instinct.
Ce qui ouvrit la voie au liberalisme en permettant a 1'esprit
propre de s'exercer sur tout, sans excepter le dogme fonda-
mental de la divinite du Christ, ce fut la maniere dont Luther
comprit et definit, d'apres son experience a lui, la religion
elle-me'me, le commerce amical et sanctifiant de l'homme
avec Dieu 2 . Les Chretiens avaient cru, des 1'origine, que
Dieu daignait s'associer pour collaborer 3 avec lui, dans
1'ceuvre du salut, des instruments crees, ministres et rites
visibles. Dieu pouvait se passer de ces intermediaires sacra-
mentels et personnels ; il s'en servait ordinairement, et
Thomme instruit du dessein divin ne pouvait s'y soustraire
sans prejudice pour son salut. C'est au cceur que cette eco-
nomic est atteinte par la conception lutherienne de la justifi-
cation du pecheur et, si la pensee du reformateur, encore
1. J'emprunte ces expressions a U Epanouissement de la pensee religieuse
de Luther de 1515 d 1520, par Henri Strohl, Strasbourg et Paris, 1924,
p. 63. D'autre part, nous dit le meme auteur, Luther emploie couram-
ment comme synonyme^ les termes Dieu, Christ, Esprit et Grace (p. 66).
2. Ce point, et 1'interpretation generale adoptee ici, a ete mis en bonne
lumiere par le plus profond des historiens protestants de la Reforme,
Ernst Troeltsch, dans la Geschichte der Christlichen Religion* : Kultur der
Gegenwart, I, IV, 1 B, Leipzig, 1922 : Der Proteslantismus in seinem allgc-
meinen Verhaeltnis zu Mittelalter und moderner Welt, p. 456 suiv.
3. SEOU yap iff[j.EV ouvepyof. I Cor. ; III, 9.
LE PROBLEME DE JESUS. 165
engage*e dans les cadres traditionnels, ne coneut jamais la
suppression effective de tout intermediaire sacramentel, il
posa le principe que d'autres pousserent logiquement a ses
dernieres consequences. Ecoutons un the'ologien lutherien tres
penetrant nous expliquer la genese de cette attitude.
Le sentiment du devoir a accomplir, exalte par Pecole
d'Occam, a mene Luther au desespoir de soi, a 1' experience
de la convoitise invincible, du mal radical, du pe"che perma-
nent, de 1'incapacite de la volonte humaine a parvenir a la
perfection entrevue.
L'illumination soudaine qui lui fit comprendre que ce
n'est pas la presence de Dieu qui peut provoquer ce senti-
ment de reprobation absolue, le rejette sur 1'autre p61e de la
vie chre"tienne. II voit Dieu a I'ceuvre en lui, et s'abandonne
a son activite redemptrice. II devient passif, et subit avec
un effroi et une joie indicibles 1'action d'une volonte surhu-
maine, sainte, regeneratrice...
II y a une formule pour definir 'eette experience : justi-
fication par Dieu, par la grace, par 1'interme'diaire de la foi.
Et il ne se lasse pas d'en parler... Elle implique deux choses :
une certitude absolue d'avoir Dieu pour lui, un sentiment
de securite interieure qui ne 1'a plus jamais abandonne...
S'il cherche une formule dogmatique pour expliquer ce qu'il
soutient et il ne le fera que passionnement il la trou-
vera dans la doctrine de la predestination de saint Paul et
de saint Augustin...
Le contact direct etabli entre Dieu et l'homme par la grace
et realise par la foi du chretien, entraine I'affranchissement
de toutes les dominations metaphysiques : colere de Dieu,
Loi, Mort, Diable, Enfer, et de toutes les tyrannies eccle-
siastiques de la hierarchie, de ses moyens de grace, etc...
L'Eglise consideree comme institution divine, seule dispen-
satrice du salut, devient inutile. Par centre PEglise, com-
munion des croyants attaches a la parole de Dieu, seul
organe de 1'esprit divin, subsiste comme re*alite effective
mais invisible *...
1 . Henri Strohl, L'Epanouissement de la pensde religieuse de Luther, etc.,
p. 4-6. Voir aussi p. 45 suiv., 129 suiv., 371 suiv. ; pour la justification J
166 JESUS CHRIST.
II est manifeste que 1'experience exemplaire ainsi decrite,
affranchissant de toute hierarchic et des moyens de grace
traditionnels, cantonne 1'essentiel de la religion dans le sub-
jectif et 1'invisible, rend caducs tout contr61e exterieur, toute
autorite distincte de 1'esprit de Dieu agissant immediatement
en chaque croyant.
Longtemps obnubile et parfois combattu dans la Reforme
devenue un faisceau d'Eglises, et comme telle favorisant le
maintien d'une autorite et de moyens de communion visibles,
le principe lutherien de la subjectivity et de I'autonomie
absolue de la vie chretienne n'a jamais cesse de travailler a
la maniere d'un levain le monde protestant. En attendant
qu'il I'emiettat et 1'atomisat, il fournit durant deux siecles,
aux novateurs moins Chretiens ou totalement emancipes de la
Hoi, un pretexte a leur hardiesse, et un milieu partiellement
desarme en face de leurs negations.
Les novateurs n'avaient pas attendu la Reforme pour
exister et m6me pour semer plus ou moins discretement leur
ivraie; mais il y eut entre ces deux forces ulterieurement
divergentes, et devenues parfois antagonistes, un echange
initial et durable de services inestimables. Les humanistes
detaches et inquiets, disciples de Le Fevre d'Etaples et
d'Erasme, fournirent aux initiateurs du protestantisme des
auditeurs tout prepares et des recrues de choix. En retour,
Ites reformes, une fois fermement etablis, assurerent aux
humanistes de gauche une relative liberte de pensee, et aux
autres une via media qui parut acceptable a beaucoup : assez
de tradition chretienne pour eviter la rupture brusque avec
le passe, assez de simplifications pour que les desirs des
Erasmiens fussent satisfaits *. II s'etablit ainsi, pendant
et Rob. Will, La liberte chretienne, Etude sur le principe de la pie'le chez
Luther, Strasbourg, 1922, p. 114 suiv. Parmi les auteurs catholiques,
Hartmann Grisar, Luther*, Fribourg-en-Brisgau, 1912, I, p. 186 suiv.,
246 suiv.; H. Pinard de la Boullaye, Experience religieuse, dans DTC, V,
2, col. 1787 suiv.
1. Restds chretien pour son compte, au moins de profession, et adver-
saire personnel de Luther, Erasrae revendiquait un christianisme de
plus en plus elementaire et simplifie, presque rationnel... Iiber6 de cere-
monies et de formules. J'emprunte ces expressions, qui vont loin, a
LB PROBLEMS DE JESUS. 167
tout le xvi" siecle entre ces freres ennemis, avec des points
de friction 1 , des echanges favorables a tous deux, favorises
par des affinites communes, des haines communes, des inte-
rets communs. Mais tandis que les protestants, a quelques
sectaires pres, restaient fideles au dogme chretien fonda-
mental, un nombre appreciable, et bientdt considerable,
d'humanistes accueillirent les arguments et negations de
leurs lointains ancetres paiiens, transmis jusqu'a eux par
1'apologetique juive et musulmane.
G'est en Italie, et probablement dans les cercles averroistes
de Padoue 2 que s'elaborerent, sous la direction de Pierre
Pomponace et de J. Cardan j les doctrines allant a separer la
philosophic naturelle des anciens (codifie'e et en partie deviee
par les commentateurs neo-platoniciens, arabes et juifs) de
la foi chretienne ; puis a les opposer ouvertement 3 . D'autres
A. Renaudet, Pr ere for me et Humanisme a Paris, 1^9^-1517, Paris, 1916,
p. 695-700. Voir aussi J. B. Pineau, Erasme, SaPenstereligieuse, Paris, 1924.
1. Certains protestants, Calvin a Geneve en particulier, montrerent aux
humanistes trop confiants que le christianisme evangelique conservait une
puissance de reaction allant jusqu'a 1'execution des heterodoxes. Mais en
regie generate, c'est dans les Universites des Reformes que les novateurs
les plus hardis trouverent un asile au moins precaire. Voir E. Troeltsch,
Die humanislische Theologie dans Geschichte der Christl. Religion*, 1922,
p. 478. II reste d'autre part incontestable que les deux humanistes italiens
les plus oses de la fin du xvi siecle, G. Bruno et T. Campanella, se pro-
noncerent vivement contre la Reforme, au nom de la philosophic et de la
raison. Voir dans le Campanella de Leon Blanchet, Paris, 1920, V, 2, Vhos-
tilite contre la Reforme, p. 356-375.
2. Cette influence preponderante de 1'ecole de Padoue, heritiere elle-
meme de 1'averroisme du xm siecle, a ete mise en lumiere, avec preuves
a 1'appui, par H. Busson, Les Sources et le De'veloppement du Rationalisme
dans la litterature francaise de la Renaissance, Paris, 1922. Bien que
1'auteur vise surtout le xvi c siecle francais, il est amene par le cosmopo-
litisme de la plupart des fauteurs du rationalisme, a les chercher ou a les
suivre hors de France. Sur Pomponace en particulier (P. Pomponazzi),
voir p. 29-64; sur Jerome Cardan, p. 231 suiv., 394 suiv. ; sur les
achrists >, p. 315-389. Je prefere les appeler antechrists > car qui
ne confesse pas que Jesus Christ est venu en chair est un seducteur et un
antichrist , I Jo., iv, 7.
3. Sur la dechristianisation du sentiment religieux par la pensee phi-
losophique de la Renaissance italienne, voir Leon Blanchet, Campanella,
Paris, 1920, V, 4, p. 402-422 passim. Dans le meme ouvrage, on trouvera
les renvois aux importants travaux italiens sur le sujet.
168 JESUS CHRIST.
influences favoriserent le libertinage intellectual : les afous
de la scolastique occamiste, 1'esprit satirique, les exces des
pseudo-mystiques, par dessus tout la licence ,des moeurs cle-
ricales. Pourtant c'est par des humanistes italiens, enseignant
dans leurs universites ou venus outre^montsi ;c'est par des
lettres, des medecins, des juristes, des philosophes formes a
leurs ecoles de Ferrare, de Pavie, de Padoue, que le ratio-
nalisme s'infiltra largement en France, en Allemagne, en
Suisse, en Angleterre, en Espagne meme, et s'etablit sur des
bases raisonnees. Les deistes, les pyrrboniens, les anti-trini-
taires, ariens et antechrists principaux du xvi e siecle : Gri-
baldi, Etienne Dolet, Gentilis, Vicomercato, Lelio Socin,
T. Gampanella, Jean Bodin, Micbel Servet Iui-m6me a travers
ses initiateurs frangais, dependent des maltres padouans,
dont 1'influence se prolonge jusque sur les athees de la fin
du siecle, un Vanini, un Giordano Bruno.
Dans la voie du doute et des negations en ce qui touche
la personne de Jesus, nombre d'hommes allerent alors jusqu'au
bout. Aucun peut-e'tre avec plus de verve que le juriste
demonomane Jean Bodin, dans son Collogue des Sept Savants { .
Ce livre, ou une vaste erudition se juxtapose a des notions
scientifiques de tout aloi, parfois enfantines ou absurdes,
presente sous une forme dialoguee, imitee du De Natura
Deorum de Giceron, et avec un maximum de virulence, toutes
les objections faites par les pai'ens des troisieme et quatrieme
siecles a 1'Incarnation : Gela se peut persuader aux chre-
tiens et aux ignprants, mais nullement aux philosophes, qu'un
Dieu eternel... soit descheu de cette nature excellente pour
se revestir d'un corps comme nous, compose de sang, de
chair, de nerfs, et d'os, et pris une figure nouvelle pour
s'exposer aux tourments d'une mort ignominieuse... Tout
cela est non seulement contraire a la nature de Dieu et a
son essence, mais encore indecent a son auguste Majeste 2 ... .
Ainsi parle Diego Toralba, champion de la religion natu-
1. Sur Jean Bodin, voir les ouvrages de M. Chauvir6, Jean Bodin; et
Colloquium Heptaplomeres de abditis rerum sublimmm areanis, Colloque
de Jean Bodin, etc., Paris, 1914.
2. J'emprunte Ices citations a M. H. Busson, Les Sources et le Develop-
pement du ftationalisme, p. 554-555.
LE PROBLEMS DB JESUS. 169
relle. Le rabbin Salomon Barcassi reprend de son c.6te contre
les evangiles les arguments de Celse, et le musulman Qctur
Fagnola la iegende islamique de la confession de Jesus,
avouant qu'il est unpur homme *.. Le septieme savant, Je"rdme
Senamy, qui traduit la pensee de 1'auteur, conclut que
toutes les religions se valent. Au style pres, on croirait lire
un opuscule de Voltaire.
Bodin n'osa montrer son livre qu'a des amis surs. C'est
qu'a ce moment (in du xvi e siecle) la reaction catholique dite
parfois de la Contre-Reforme d'une part, et le redressement
doctrinal des eglises protestantes provoque par cette reaction
d'autre part, avaient se"rieusement restreint dans 1'Europe
continentals la liberte de parole et d'opinions. Non que les
lois fussent devenues plus severes pour les heterodoxes ; mais
sous Faction des papes reformateurs et du Goncile de Trente
(1545-1563), la theologie s'etait reprise, 1'apolog^tique for-
tiliee, la discipline resserree. L'epuration des moeurs cleri-
cales, le renouveau de science et de piete chretiennes
auquel restent attaches, avec les noms de saint Pie V, du
grand cardinal Charles Borromee, de saint Philippe de Neri,
ceux d'Ignace de Loyola et de ses fils : un Pierre Ganisius r
un J. Maldonat, un Robert Bellarmin, etc., avaient arrache*
aux novateurs le meilleur de leurs arguments. Aussi les plus
hardis de ces novateurs, et le fondateur de la theologie uni-
tarienne, Faust Socin 2 , tout en niant la filiation divine de
Jesus, pretendent rester chretiens. Us conferent au Christ
une dignite et des offices qui depassent 1'homme; bien plus
ils lui decernent une veritable apotheose. D'apres le cate-
chisme socinien, Jesus, s'il n'est qu'un homme par son ori~
gine, est devenu 1 Dieu. Les Arminiens iront encore moins loin
1. Coran, 5, 108-116. Voir plus haut, t. II, p. 159.
2. Fausto Sozzini, neveu et h6ritier des pens6es de Lelio Sozzini r
Siennois d'origine, ne en 1539, oscille entre les deux confessions, catho-
lique et r6form6e ; se recueille a Bale pendant quatre ans et y elabore, en
s'aidant des travaux de Lelio, une doctrine anti-trinitaire, qu'il enseigne
et r6pand en Pologne, ou il fonde entre 1579 et 1604, une petite 6glise
unitarienne dont le catechisme parait en 1605. Sur les Socin et leur doc-
trine, memoire exhaustif d'O. Zoeckler dans REP*, XVIII, p. 459-480; et
F. Mauthner, Der Atheismwvnd seine Geschichte im Abendlande, I, p. 492-
647.
170 JESUS CHRIST.
et maintiendront la Trinite, se contentant de subordonner
le Fils au Pere. G'est en Angleterre que les libertine, clair-
seme's ailleurs et maintenus en echec au xvn e siecle, vont
prendre leur revanche, dans le groupe puissant des deistes ou
1'exclusion du surnaturel est un dogme, ou Jesus est ramene
aux proportions d'un moraliste, et parfois ravale jusqu'a
celles d'un charlatan. Encore faut-il remarquer apres Taine
que les deistes anglais, combattus avec succes par les apo-
logistes serieux, et incapables de conquerir 1'elite morale du
pays, ne trouverent que sur le continent la descendance et
les succes qu'ils escomptaient 1 . Us les y trouverent par
<jontre largement, et, en France surtout, mais alors la France
litteraire s'etendait jusqu'a Berlin et a Saint-Petersbourg,
les_antechrists dirent leur dernier mot.
Les rationalistes du XVHP siecle.
Gomme les rationalistes du xvi e siecle avaient eu partie
liee avec les humanistes et tiraient le meilleur de leurs
forces du fait que leurs negations semblaient a beaucoup
liees aux theses des philosophies naturelles alors en vogue,
ceux du xvni 6 siecle font de la negation du surnaturel et
<de toute religion positive, le corollaire des decouvertes
scientifiques qui depuis deux cents ans renouvelaient la con-
ception du monde physique. Us combattent dans le Christia-
nisme le principal obstacle au progres des idees, des sciences
et en un mot qui date justement de cette epoque,
de la civilisation. Gette persuasion, s'ajoutant a d'autres
1. Hip. Taine : < En vain au commencement du [xvn e ] siecle les libres
penseurs s'elevent ; quarante ans plus tard ils sont noyes dans 1'oubli. Le
d6isme et 1'atheisme ne sont ici qu'une eruption passagere. Les profes-
.seurs d'irreligion rencontrent des adversaires plus forts qu'eux ; Hist,
de la Litterature anglaise, III, p. 60-61. Jugement interessant mais insuf-
fisamment nuance, quand on songe a ce que Swift et Stern, tous deux
clergymen, ecrivaient en plein xviii 6 siecle! Sur les deistes anglais : Lord
-Herbert (de Cherbury), mort en 1648; Ch. Blount, mort en 1693; Shaftes-
bury, mort en 1713; Collins, mort en 1729; Bolingbroke, mort en 1751 ; et
les plus dangereux, Tindal, mort en 1733, et Toland, mort en 1722, voir
.3. Forget, DTC, IV, 1, col. 234 suiv., et Fr. Mauthner, Der Atheismus und
.seine Geschichte im Abendlande, II, Stuttgart et Berlin, 1921, p. 372-530.
LE PROBLEMS OE JESUS. 171
motifs infiniment moins honorables, explique, sans 1'excuser,
le ton injurieux et souvent crapuleux qui caracterise la pole-
mique antichr^tienne de cette epoque. Le christianisme, pen-
sent ces hommes qui ne 1'ont etudie qu'en partisans et pour
le miner, est fonde sur un amas de fables pueriles et de fautes
palpables : toutes les armes sont bonnes pour le combattre,
pour ecraser 1'Infame . On reste etonne quand on lit
cette litterature, non dans un pamphletaire inconnu, mais
dans ses representants les plus illustres, un Diderot, un
d'Holbach, un Frederic II, un Voltaire, de la somme de
niaiseries, d'infamies, de contradictions pr^tees aux disciples
de Jesus.
Quand on s'est impose la tache de lire le livre le plus
eloquent, le plus profond et le plus fort qu'on ait encore ecrit
contre le fanatisme (c'est airi&i que 1'Avis au lecteur pre-
sente VExamen important de Milord Bolingbroke) 1 , on hesite
a en rien transcrire. Pourtant cet'ouvrage resume et reprend
les arguments communs a cette epoque. Voltaire n'y a mis
que son style et le ton; il n'y a aucune de ces vilenies et de
ces grossieres confusions de faits, qui ne se retrouvent sous
la plume de ses amis et correspondants Claire's :
(Jesus) : Jesus est evidemment un paysan grossier de la
Judee, plus eveille sans doute que la plupart des habitants
de son canton. II voulut, sans savoir, a ce qu'il parait, ni
lire, ni ecrire, former une petite secte pour 1'opposer a celles
des Recabites, des Judaistes, des Therapeutes, des Esseniens,
des Pharisiens, des Sadduce"ens, des Herodiens car tout
etait secte chez les malheureux Juifs depuis leur etablisse-
1. L'ouvrage est antidate par Voltaire; en r6alite il a paru en 1767. Je
cite sur Tedition des (Euvres completes, de Lequien, Paris, 1821, XXVII,
1-174. On peut voir dans le meme volume toute une serie d'opuscules :
Dieu et les hommes, par le Docteur Obern, Conseils raisonnables d Monsieur
Bcrgier, Examen du discours de Vempereur Julien, etc... qui sont absolu-
ment de la meme veine. Sur 1'antichristianisme a cette epoque, l'6tude la
plus considerable est celle de Fr. Mauthner, Der Atheismus und seine
Geschichte, III, 1922, 1-370. C'est dans les Lettres juives, chinoises et catho-
liques, 1738-1769, du marquis d'Argens, place par Frederic II a la tete
d'une des sections de 1'Academie de Berlin, que les infames Toledoth sont
exploitees, pour la premiere fois, par un Chretien, d'apres 1'edition de
1705. Voltaire n'a fait que lui emboiter le pas.
172 JESUS CHRIST.
ment en Alexandrie; je 1'ai deja compart a notre Fox 1 qui
etait comrae lui un ignorant de la lie du peuple, pr^chant
quelquei'ois comme lui une bonne morale et pr&chant surtout
Fe'galite' qui flatte tant la canaille... Les lois etant plus
humaines en Angleterre qu'en Judee, tout ce que les prdtres
purent obtenir c'est qu'on mit Fox au pilori ; mais les pr^tres
juifs forcerent le president Pilate a faire fouetter Jesus et a
le faire pendre a une potence en forme de croix comme un
coquin d'esclave. Gela est barbare ; chaque nation a ses
moeurs. De savoir si on lui cloua les pieds et les mains, c'est
ce dont il ne faut pas s'embarrasser...
Les disciples demeurerent aussi attaches a leur patriarche
pendu que les quakers 1'ont ete a leur patriarche pilorie.
Les voila qui s'avisent, au bout de quelque temps, de repan-
dre le bruit que leur Maitre est ressuscite en secret... Le
platonisme qui etait fort a la mode a Alexandrie, et que plu-
sieurs juifs etudierent, secourut bient6t la secte naissante ;
et de la tous les mysteres, tous les dogmes absurdes dont
elle est farcie 2 .
(Conversion de saint Paul) : Je prends le ciel et la terre
a temoin (s'il est permis de se servir de ces mots impropres :
le ciel et la terre), qu'ii n'y a jamais eu de legende plus folle,
plus fanatique, plus degoutante, plus digne d'horreur et de
mepris 3 .
(Les Evangiles) : Des que les societes de demi-juifs T
demi-chretiens, se furent insensiblement etablies dans le bas
peuple a Jerusalem, a Antioche, a Ephese, a Gorinthe, dans
Alexandrie, quelque temps apres Vespasien, chacun de ces
petits troupeaux voulut faire son Evangile. On en compte
cinquante-quatre, et il y en eut beaucoup davantage. Tous se
contredisent, comme on le sait, et cela ne pouvait e"tre autre-
ment puisque tous etaient forges dans des lieux differents.
Des gens de bon sens demandent comment ce tissu de fables
qui outragent si platement la raison, et de blasphemes qui
1. II faut se souvenir que c'est un Anglais qui est cense parler.
2. Chapitre xi. Quelle id6e il faut se former de Jesus et de ses disciples,
loc. laud., p. 50-51.
3. Chapitre xir. De la secte chretienne et particulierement de^Paul,
loc. laud., p. 57-58.
LE PROBLEME DE JESUS. 173
imputent tant d'horreurs a la Divinite", put trouver quelque
creance,... mais une canaille abjecte s'adressait a une popu-
lace non moins meprisable... Autant de mots, autant d'erreurs
dans les Evangiles. G'est ainsi qu'on reussit avec le peuple 1 .
II est certain que nul juif n'esperait, ne desirait, n'an-
nongait un Oint, un Messie au temps d'Herode le Grand, sous
lequel on dit que naquit Je"sus... Le peu de Galileens qui
composaient la secte nouvelle... trouverent quelques gens un
peu lettres qui se mirent a leur tete et ecrivirent en leur
faveur contre les Juifs. Ge fut ce qui produisit cette enorme
quantite d'evangiles... chacun donnait une Vie de Jesus;
aucunes n'etaient d'accord, mais toutes se ressemblaient pour
la quantite de prodiges incroyables gu'ils attribuaient a leur
fondateur. La synagogue, d'un c6te, voyant qu'une secte
nouvelle nee dans son sein, debitait une Vie de Jesus tres
injurieuse au Sanhedrin et a la nation, rechercha quel etait
cet homme auquel elle n'avait point fait attention jusqu'alors.
II nous reste encore un mauvais ouvrage de ce temps inti-
tule : Sepher Toldos Jeshut. II parait qu'il est fait plusieurs
annees apres le supplice de Jesus, dans le temps que Ton
compilait les Evangiles. Ge petit livre est rempli de prodiges...
Mais tout extravagant qu'il est, on est force de convenir qu'il
y a des choses beaucoup plus vraisemblables que dans nos
Evangiles 2 .
Beaucoup de francs athees, dans la seconde partie du
xvm e siecle, ne retenaient du plaidoyer pour la religion natu-
relle auquel sont empruntes ces passages que les considerants
de cette espece. Us laissaient pour compte a Voltaire ses
arguments en faveur de la seule religion qu'on doive pro-
fesser;... celle d'adorer Dieu et d'etre honn^te homme 3 .
Mais la grosse majorite des hommes instruits qui, en pays
protestant ou catholique, se detachaient du christianisme,
restaient deistes. La position religieuse des moins sentimen-
taux tendait generalement vers le rationalisme ethique dont
Emmanuel Kant donna vers la fin du siecle la systematisation
1. Chapitre xnr. Des Evangiles; loc. laud., p. 58; 65-66.
2. Chapitre x. De la puissance de Jesus; loc. laud , p. 41-43.
3. Chapitre xxxvm. Conclusion; loc. laud., p. 61.
174 JESUS CHRIST.
la plus coherente et la plus rigoureuse, sa Religion dans les
limites de la Raison. Tout ce qui, dans le christianisme (et
les autres religions positives) est historique ou doctrinal, en
dehors du dictamen de la Raison pratique, ne garde dans
cette conception qu'une valeur precaire, pedagogique, de sym-
bole ou de mythe. La seule religion veritable, sanctifiante,
est la foi morale dont le Christ n'a e"te que le predicateur le
plus eloquent et le temoin le plus persuasif. Son enseigne-
raent n'a done pas besoin de signes, comme s'il surajoutait
quelque chose a ce que la raison rdvele a tout humain; quant
a sa personne, on peut dire qu'elle represente 1'ideal de
rhumanite* agreable a Dieu , 1'homrne moral par excellence 1 .
Les simples ont encore besoin de croyances historiques, mais
on doit leur apprendre peu a peu a s'en passer. Quant aux
homines eclaires, s'il arrive qu'une charge pastorale les force
a enseigner leurs ecoliers au catechisme et leur communaute
suivant le symbole de 1'Eglise qu'ils servent 2 , c'est la un
devoir professionnel qui n'oblige que 1'homme prive; ce fai-
sant, rhomme public, le penseur, 1'ecrivain n'aliene rien de
sa liberte. Pas plus qu'un officier ou un percepteur. Le pre-
mier dit, dans son service : Ne raisonnez pas, faites 1'exer-
cice! et le second : Ne raisonnez pas, payezl Ainsi le
pasteur eclaire dit a ses ouailles : Ne raisonnez pas, croyez !
Mais il garde le droit de contr61e et de libre discussion en
matiere de foi, quand il n'est plus dans son r61e ecclesias-
tique, tout comme rofficier peut discuter librement sur la
discipline militaire, et le percepteur, sur la repartition de
I'imp6t. Gette discussion, reprise plus tard par les Ritschliens,
permettait a des libres penseurs de garder et d'exercer une
1. E. Kant, La Religion dans les limites de la raison, 1793, III, 2; trad.
Tremesaygues, Paris, 1915, p. 252-254. Je n'ignore pas que quelques pen-
seurs, notamment Jules Lachelier, ont tente de dormer au rationalisme
de Kant un prolongement mystique hors du temps, dans 1'ex-degre ou
1'au-dela. Mais ils reconnaissent eux-memes que cette interpretation de la
pensee de Kant est largement conjecturale. On peut voir les paroles de
Lachelier dans le Bulletin de la Societe 1 francaise de philosophic, V, 1905,
p. 7 suiv.
2. E. Kant, Beantwortung der Frage : Was ist Aufklaerung, dans la
Berlinische Monatschrift de decembre 1784 ; Imm. Kants Werke, ed. Ernst
Cassirer, IV, Berlin, 1913, p. 169-176.
LE PROBLEMS DE JESUS. 175<
charge pastorale ou professorale dans line Egliseparticuliere.
A cette emancipation intellectuelle, survivaient chez bean-
coup le gout et le besoin des formes essentielles de la reli-
gion. Pour ceux qui trouvaient les rites chre"tiens surannes
ou compromettants, 1'initiation a la Franc-Magonnerie 1 tres
en vogue alors dans les cercles deistes et me"me au dela,,
ofFrait une doublure opportune, un Equivalent ne tirant pas
a consequence. La plupart des penseurs, ecrivains et politi-
ques de la seconde partie du siecle frequentaient des Loges
magonniques dans une mesure et des desseins fort differents T
mais non sans subir une orientation commune, allant a les
detacher du christianisme positif 2 .
A la meme dpoque un professeur de Hambourg, polygraphe
distingue et officiellement irre"prochable qu'il ecrivlt une-
Psychologie des Animaux ou se mit a la disposition du Senat
Hambourgeois pour composer un catechisme Hermann
Samuel Reimarus 3 composait dans le plus grand secret un<
enorme ouvrage intitule Apologie et Defense pour les ado-
rateurs raisonnables de la Divinite. En mourant (1768), it
leguait le manuscrit a ses enfants avec la consigne de ne le
communiquer qu'a des amis discrets. Par mi ceux-ci se trouva
Lessing qui, d'accord avec quelques libres penseurs du temps,
publia sous le titre de Melanges d'Histoire et de Literature-
tires des tresors de la Bibliotheque du chateau de Wolfen-
1. Sur cette influence, encore tres imparfaitement Studie'e, on peut
voir R. Le Forestier, Les Illumines de Bavidre et la Franc- Maconnerie alle-
mande, Paris, 1915, surtout, 1. II, III, p. 140-345; G. Bord, La Franc-Macon-
nerie en France des origines a 1815, I, Paris, s. d. (1908) ; Georges Goyau,
La pense'e religietise de Joseph de Maistre, Paris, 1922 ; Me'moire adress6 au
Due de Brunswick, 1782, par Joseph de Maistre sur la Franc-Maconnerie,
public par Emile Dermenghem, Paris, 1925.
2. Le premier principe, commim a tous les macons, est le rationa-
lisme. Catholiques, protestants ou libres penseurs qui y fr6quentent sont
tous des gens de libre examen. Us rejoignent ainsi... les humanistes du
xvi e siecle... les Temples sont des Socie'te's de pense'e, nous dirions de libre-
pensee si nous ne craignions, ce faisant, de perpetuer une equivoque. La
Maconnerie du xvm c siecle demeure, en effet, comme sa philosophic,
deiste. Gaston Martin, La Franc- Maconnerie francaise et la preparation
de la Revolution, Paris, 1926, p. 83.
3. Sur H. S. Reimarus, voir 1' etude tres complete de Fr. Mauthner, Der
Atheismus und seine Geschichte, II, 1922, p. 273-305.
176 JESUS CHRIST.
biittel, trois fragments suecessifs (en 1774, 1777, 1778) dulivre
de Reimarus. Ges fragments, fort etendus, donnaient en
quintessence la pensee de Flnconnu et si bien que, jusqu'a
ce jour, le reste du manuscrit est reste" inedit. Le troisieme
des morceaux, le plus fort, a pour titre : du but de Jesus et
de ses disciples. La critique de 1'auteur, aussi vive que celle
de Voltaire (et s'inspirant des monies soucis) quand elle
porte sur FAncien Testament, se tempere ici dans une cer-
taine mesure, Reimarus sait gre* a Jesus d'avoir enseigne
1'amour du prochain et Fimmortalit6 de Fame ! Lapersonne
du Maitre est moins respecte"e. On enonce le temoignage du
Baptiste comme resultant d'une entente prealable entre
; Messieurs lea cousins , et on attribue 1' absence de miracle
a Nazareth au fait que Jesus et ses comperes y e"taient trop
bien connus. Auxmysteres qu'on a mis dans; son enseignement
Jesus n'a jamais pens^; ses' miracles sont des inventions de
ses disciples; la resurrection en partieulier est entierement
incroyable, independamment de la faiblesse des preuves qu'on
en donne.
Les fragments eurent un succes de scandale qui ouvrit
tres large la route a 1'exegese rationaliste du xix siecle.
Albert Schweitzer les appelle, en niusicien qu'il est, la
grande ou r verture ou tous les motifs de la future Recherche
sur la vie de Jesus resonnent deja 1 .
Assaillis par les virulents pamphlets de Voltaire et les
raisonnements de l'Inconnu de Wolf enbiittel , amenuise's et
presque annulespar le moralisme integriste d'EmmanuelKant,
la personne et I'Evangile de Jesus avaient dans les pays
Chretiens de trop profondes racines pour disparaitre. Abstrac-
tion faite des croyants dont les apologies ne manqu'erent ni
du cote catholique, ni du cote de Forthodoxie protestante,
<et ne sont pas toutes negligeables, des parties importantes
de la societe ouvertes aux infiltrations rationalistes ne se
resignerent pas a ce qui leur paraissait justement, dans
Fordre religieux, une sorte de suicide. Ge sentiment s'ex-
1. Geschichte der Leben-Jesu-Forschung, Tubingen, 1913, p. 26. Cf.
Albert Monod, De Pascal a Chateaubriand, les ddfenseurs francais du Chris-
tiamsme, de i670 a 1802, Paris, 1916, notamment liv. VII i XII, p. 290-
516.
LE PROBLEMS DB JESUS. 177
prime avec force et trouve son porte-parole retentissant dans
celui qui ecrivait a Jacob Vernes en 1758, au moment ou les
Philosophes e"taient a 1'apog^e de leur succes : J'ai de la
religion, moi aussi 1 . Or, pour Jean-Jacques, comme pour
1'immense majority de ceux que sa voix trouble et puissante
ebranla, toute religion veritable prenait inevitablement une
forme chretienne. Des longtemps, Rousseau meprisait les
basses et sottes interpretations que donnaient a Jesus-Christ
les gens les moins dignes de 1'entendre 2 . Gelle qu'il leur
substitue, pour inacceptable et incoherente qu'elle soit,
est incomparablement plus juste. Pour la restituer dans son
integrite il ne faut pas la chercher seulement dans la Pro-
fession de foi du Vicaire Savoyard ou les Lettres de la Mon-
tagne, la Lettre a M. de Beaumont, mais dans la correspon-
dance familiere de Jean-Jacques. Ici, nous ne retenons que
ce qui a emu les contemporains, et a cree en beaucoup,
sinon une foi au sens fort et sauveur du mot, du moins un
culte pour Jesus et 1'Evangile. Gelui-ci est vdridique, et
celui-la est un 4tre sublime, surhumain, divin. L'fivangile
n'est que 1'oeuvre des hommes, et celui dont il parle est plus
qu'un homme. Qu'on le mette en parallele avec ce que la
sagesse antique a produit de plus noble et de plus vertueux,
on sent assez que sa grandeur est d'un autre ordre et qu'il
depasse les plus grands; il est le juste pre'dit par Platon, il
est le saint par excellence : Si la vie et la mort de Socrate
sont celles d'un sage, la vie et la mort de Jesus sont d'un
Dieu ; le vol sublime que prit sa grande ame Peleva tou-
jours au-dessus des mortels, et, depuis 1'age de douze ans
jusqu'au moment ou il expira dans la plus cruelle ainsi que
dans la plus infame de toutes les morts, il ne se dementit pas
un moment 3 .
II ne faut pas sans doute presser ces paroles pour y
1. Je cite d'apresa Religion de J.-J. Rousseau, de Pierre-Maurice Mas-
son, 3 vol., II, la Profession de foi de Jean-Jacques, p. 29. C'est a ce
livre excellent que je suis redevabledes indications essentielles.
2. Confessions, VIII, OEuvres, ed. Anguis, Paris, 1824, XVIII, 211.
3. P. M. Masson, loc. laud., p. 107-108 ; 159; 244 suiv. et passim. Des
paroles citees entre guillemots la premiere est de la Profession de foi; la
derniere, de la Lettre a M. de Franguiere.
jfisus CHRIST. ir. 12
178 JBSU.S (PURIST.
chercher la preuve d'une eroyance ferme e la divinite du
Christ, mais on peufc dire qu'.elles n'en sont que plus repre-
sentatives d'un etat d'esprit tres general, non seulement
dans le protestantisnie, inais chez beaucpup de eatboliques
tiedes et ineonsequents, religieux toutefois, de cette epoque.
Sans aller aussi loin., nombre de spinozistes et Ton sait
quelle veneration 1'on nourrit alors pour le saint excom<-
munie" Spinoza , coroine 1'appelle Schleiermacher > trou-
vaient dans le J^sus de Rousseau les eminentes, les sur-
humaines qualifications que leur roaitre avait jadis donnees
au Christ 1 .
Les protestants liberaux, les modernistes , les libres penseurs* 1 .
Les formes d'incroyance ou d'irreligion que nous avons
rencontrees a 1'interieur du Christianisme, se sont mbdelees
jusqu'a un certain point sur des mouvements scientifiques ou
1. Cf. supra, t. II, p. 152^153.
2. On me fera greLce, dans ce paragraphs, des indications bibliogra-
phiques; elles seraient inflnies. Sur la personne meme du Christ^ on peut
consulter, parmi les auteurs catholiques, F. Vigouroux, Les Livres saints
et la Critique rationaliste, I, II, Paris, 1901; Georges Goyau, L'Allemagne
religieuse, I, Le Protestantisme, Paris, 1898, et le Protestantisme allemand
moderne du DAFC, IV, 1925, col. 675-690; Cl. L. Pillion, Les etapes du
rationalisme dans les atlaques contre les Evangiles et la vie de Jesus-Christ,
Paris, 1911 ; La guerre sans trSve a I'Evangile et a Jesus-Christ, Paris, 1913;
Jacob Miiller, Der ffistorische Jesus der Protestantischen freisinnigen
Leben-Jesu-Forschung dans ZKT, 1912, p. 425 suiv. ; 665 suiv. ; Alb.
Ehrhard, Das Christusproblem der Gegenwart, Mayence, 1914; Pierre
Charles, La Robe sans couture, un essai de luthe'ranisme catholique, Bruges,
1923.
Parmi les auteurs anglicans, W. Sanday, The Life of Christ in recent
research, Oxford, 1907; C. H. Turner, The Study of the N. T. } i883 and
i920, Oxford, 1921 ; surtout le travail confus mais considerable deA. S. Mar-
tin, Christ in Modern Thought dans DCG, II, p. 867-876.
Les travaux liberaux les plus importants sont ceux de H. Weinel, Jesus
im neunzehnten Jahrhundert 2 , Tubingen, 1907, ed. anglaise, refondue^
1914 ; et d' Albert Schweitzer, Von Reimarus zu Wrede, Tubingen, 1906;
Geschichte der Leben-Jesu-Forschung, Tubingen, 1913, 2 e edition refondue
du precedent ouvrage, original, nourri de faits et surtout tendancieux.
Voir enfin, avec precaution, car 1'erudition estplus exuberante que solide,.
G. Stahley Hall, Jesus, the Christ, in the light of Psychology*, New York,
1923, ch. ii et HI, p. 39-246.
LE PROBLEMS DE JESUS. 179
litte*rairejs qui semblaient d'abord d'un autre ordre, ayant
participe* a la force d'expansion que nous avons constate*e
pour 1'humanisme, en lui-me'me indifferent a une interpre"-
tation chre'tienne ou paienne, et pour le renouveau scientifique
qui commence au xvi e siecle, atteignit ayec Leibniz (f 1716)
et Isaac Newton (f 1727) son maximum de retentissement
dans le grand public 1 . Le libertinage inteliectuel du
xvi e siecle et le deisme du xviii 6 siecle sont en grande partie
solidaires de ces mouvements, comme si toute nouveaute
tendait a ebranler les esprits et a leur faire remettre en
question, avec inquietude, leurs croyances anterieures.
Gette loi se verifie une fois de plus dans les origines et les
succes de la cbristologie liberal e et moderniste. Us sont
etroitement lie's aux destinees des hypotheses que Lessing,
Herder et Goethe ont appliquees a 1'histoire, consider ee par
eux comme celle d'un developpement continu, progressif,
1'education divine de I'humanite' 2 . Generates et un peu
vagues, ces vues tendaient a substituer 1'action spontanee des
collectivites aux influences individuelles, la premiere e"tant
censee un organe mieux approprie" a la nature de la grande
Force divine, immanente, impersonnelle, qui meut Phuma-
nite vers sa fin. Des philologues, comme F. A. Wolf, Greuzer,
Niebuhr, les freres Grimm, appliquaient ces vues a des points
d'histoire ou de mythologie, Hegel les integrait, apres les
avoir definies a sa mode et etendues a tout, dans une synthese
grandiose. Finalement Charles Darwin, reprenant des voies
partiellement ouvertes avant lui, fit triompher 1' evolution
pour un temps considerable, sur le terrain des sciences
naturelles. Ge terme, employe d'abord en ce sens par Herbert
Spencer, est encore celui quitrahit le moinsl' ensemble d'ide"es
1. Newton 6tait octogenaire, et son ouvrage capital, les Philosophiae
Naluralis Principia Mathematica, remonte a 1687. On sait que Newton
etait croyant et composa des ouvrages d'ex6gese et de th6ologie. Sur la
faQon dont Voltaire adopta Newton et annexa son prestige au deisme
incroyant, voir Leon Bloch, La Philosophic de Newton, Paris, 1908,
p. 522 suiv.
2. C'est le titre meme d'un livre de Lessing, 1780, suivi et depasse par
Les Idees sur la Philosophic de VHistoire de VHumanite, de Herder,
1784 suiv. Hegel meurt en 1831. L 'Origins des Esptces de Charles Dar-
win est de 1859; les Premiers Principes de H. Spencer, de 1860.
180 JESUS CHIIIST.
directrices et de postulate 1 qui ont domine en general le
classement et Interpretation des faits innombrables decou-
verts, ou mieux observes, depuis un siecle.
La premiere application de ces tendances a la personne
de Jesus, la plus personnelle et la plus influente, fut faite par
Frederic Schleiermacher dans sa Foi Chrdtienne (1821-1822),
livre paradoxal s'il en fut, ou 1'auteur trouve moyen de dis-
poser dans des cadres dogmatiques une philosophic relevant
a peu pres exclusivement du sentiment. II en resulte une
equivoque incessante, que 1'art et la religiosite profonde de
1'auteur ne parviennent pas a pallier, entre une lettre encore
engage"e dans 1'orthodoxie lutherienne, et un esprit ou respire
de"ja 1'individualisme moderniste. Gomme jadis celui de Luther,
le Christ de Schleiermacher est celui que postule une
experience religieuse dont le dogme ne sera que 1'expression
symbolique. Moins fougueux, moins realiste que le grand
ance'tre, le theologien moderne a trouve en son Maitre, avant
tout, un mediateur et un exemple. Jesus, par sa saintete
irreprochable, est la voie, et il est aussi la vie parce qu'en
lui s'est accompli et par lui se transmet 1'acte de remise
inconditionnee a Dieu, premier et dernier mot de la vie reli-
gieuse. De ces constatations, admises par Schleiermacher
pour indiscutables, un raisonnement va faire sortir la doc-
trine : sera vrai du Christ tout ce qu'implique son r61e de
mediateur, d'exemplaire parfait (Urbild) de I'homme religieux,
d'ideal indefiniment fecond, etc...
Gette doctrine, on le voit assez, peut se developper en deux
sens fort differ ents. Si Ton prend comme objectivement,
universellement valables, ces donnees ou un ensemble
d'autres donnees sur le Christ, une theologie chretienne
est concevable. Mais si Ton considere ce point de depart
comme 1'une des experiences chretiennes possibles, sans lui
en substituer une autre de valeur egale, on reduit toute
1. Par exemple : le developpement du monde est un progres, sensi-
blement continu, partant du plus infime, 1'evolution s'opere sur le mode
biologique, en suivant des lois identiques, etc... Voir H. Pinard de la Boul-
laye, L 'Etude comparee des Religions, II, Ses Methodes, Paris, 1925, p. 184-
205, et passim.
LE PROBLEMS DE JESUS. 181
christologie a 1'histoire critique des opinions successivement
professees sur la personne de Jesus.
La premiere hypothese a ete embrassee en general, au
moms comme point de depart, par la dogmatique protestante
moderne, non sans de grandes differences dans le choix et la
qualification de la donnee fondamentale. La seconde mene
logiquement au modernisme ; mais les deux mouvements, dont
nous verrons tout a 1'heure les aboutissements principaux,
ont garde ce trait de ressemblance, he'rite de leur commun
pere, qu'ils pretendent rester religieux et, dans un sens a de-
terminer, chretiens.
Au temps meme ou Schleiermacher donnait 1'edition defini-
tive de sa Foi chretienne (1832), la philosophic herderienne du
devenir, unifiee dans 1'abstrait et puissamment systematise^
par Hegel, allait engager Interpretation de la personne et
de 1'oeuvre du Christ dans une voie .pleinement secularisee, en
i'aire des objets de science pure, etudies (theoriquement) ayec
le me'me detachement que 1'embranchement des Vertebres, ou
1'histoire des revolutions de Byzance. Ge fut 1'oeuvre de Da-
vid-Frederic Strauss, qui se montra en cela le disciple le plus
consequent, sinon le plus respectueux des intentions person-
nelles du maitre, de Hegel.
Des la, en effet, qu'on admet que le progres total du monde,
dont le progres religieux n'est qu'un des aspects, s'opere par
avances fatales, et constamment orientees dans le me'me sens,
le terrain gagne ne pouvant plus se perdre et la synthese
d'aujourd'hui depassant de toute necessite, tout en 1'englo-
bant partiellement, celle de la veille, on ne peut manifeste-
ment reconnaitre en Jesus qu'un anneau de 1'immense chaine 1 .
On ne peut voir dans sa carriere qu'un pas, considerable tant
1. Je d6cris brievement ici rh6g61ianisme historique, celui qui a agi en
fait sur le terrain de 1'histoire religieuse, celui qui a inspir6 Strauss et
Renan. Qu'il y ait de la philosophic de Hegel d'autres interpretations pos-
sibles, plus subtiles et plus nuanc6es, c'est ce que jen'ignorepasapres les
travaux d'Ed. Caird, de MM. Georges Noel, E. Mac Taggart, etc. Mais par-
lant ici exegese, nous n'avons pas a entrer dans ces discussions, restant
incontestable que c'est cette interpr6tation-la de I'h6g61ianisme qui a agi
et continue d'agir sur ce terrain. Sur Strauss en particulier, voir Albert
Levy, David-Frederic Strauss : la vie et 1'oeuvre, Paris, 1910, ch. in etiv.
182 JESUS CHRIST.
qu'on vondra, mais enfin un pas vers la realisation finale de
1'idee, une synthese qui deviendra these a son tour
pour tre contredite par une antithese et enfin depasse"e.
Si les faits ne lui semblent pas s'accorder avec ces causes
philosophiques, ce pur he"gelien donnera tort aux faits, et
toute explication lui sera bonne qui fera rentrer le Maitre de
Nazareth dans le grand courant panthe"iste ou il sera finale-
ment niveie.
L'essentiel de ces vues est commun a tous les disciples de
Hegel, mais elles sont exposees parfois chez les ecrivains de
la droite hegelienne 4 avec une moderation, un ton de respect,
tin souci de mettre 1'accent sur le earaetere divin de 1'evolu-
tion totale et, en particulier, sur l'incomparable realisation
de 1'idee que fut J4sus de Nazareth, qui font illusion a beau-
coup de chretiens. Dans la gauche (si 1'on me permet d'user
d'expressions classiques en Pespece) il faut distinguer de 1'aile
extreme ou L. Feuerbach et Bruno Bauer sacrifient a 1'Idee
1'existence me'me de Je*sus, faisant de lui, 1'image sous la-
quelle 1'unite de 1'espece se presente a la conscience popu-
laire 2 , la gauche radicale ou se classe David-Frederic
Strauss, et enfin la gauche universitaire avec F. G. Baur et
1. Les plus eloquents sont sans deute les deux freres John et Edward
Caird. Ce dernier a realise dans son Evolution of Religion (1890-1892), 4
ed., Edinburgh, 1907, II, lecture 4-10, p. 85-244, le plus brillant essai de
conciliation entre la transcendance de la religion et de la personne du
Christ, avec le dogme hegelien de developpement homogene. II n'arrive
qu'a sacrifier finalement celle-la a celui-ci, attribuant au christianisme
une transcendance c relative , attendu que si 1'importance du develop-
pement introduit par J6sus dans le developpement du divin dans Phu-
manite est exceptionnel et semble unique, il n'en reste pas moins que
chaque pas, chaque progres fait en ce sens, est unique, lui aussi : II,
p. 267. < Le Christ est divin justement parce qu'il est le plus humain des
hommes, 1'homme dans lequel 1'esprit qui anime toute I'humanite' a trouv6
son expression la plus complete >, II, p. 233.
2. L. Feuerbach, L 'Essence du Christianisme, 1841 ; Bruno Bauer, Cri-
tique de I'Histoire Evangdlique, Johannique,.. Synoptique, 1840-1842. C'est
a ces extr^mistes que se rattache la petite 6cole des Mythomanes, hol-
landais comme Loman et Van Manen; anglais comme T. K. Cheyne
(dans la seconde periode de sa vie scientifique) ; americains ou allemands
comme W. R. Smith et Arthur Drews ; frangais comme le D r P. C. Cou-
choud.
LE PROBLEMB DE JESUS. 183
la puissante Nicole de Tubingue. Par ces hommes et par leurs
disciples, I'lnspiration h^gelienne a domine, an cours de ces
trois derniers quarts de siecle (1850-1925), I'exe'gese libe"rale
entiere : celle-ci s'est de'veloppe'e surtout en Allemagne on
par des e'crivains de culture allemande. Dea tres nombreux
critiques qui Tont fait progresses ceux4a me'me qui ne sont
pas de race allemande, lea ecrivains scandinaves, anglais,
americains, neerlandais, suisses, frangais, d'Edouard Reuss
a Abraham Kuenen, de W. Robertson Smith a M Alfred Loisy,
dependent, pour la presque totalite de leur theologie, des
philosophes et historiens de 1'Allemagne du Nord. G'est la un
fait tres digne de remarque : il est arrive que certaines doc-
trines, fussent exposees avec plus de bonheur en Angleterre
ou en France qu' en Allemagne m^me. Mais Coleridge et Mat-
thew Arnold, comme Ernest Renan et Auguste Sabatier sont,
pour le fond des idees, tributaires de 1'Allemagne : nulle part
ne s'applique mieux qu'icile Germaniadocet*.
Parmi ces maitres de la critique rationaliste, D; F. Strauss
occupe, avec sa Vie de Jdsus, la premiere place. Non qu'il
ait fait ecole au sens propre du mot, inais parce que son in-
fluence a etc la plus profonde 2 . Son livre ne semble guere
d'abord justifier le vaste retentissement qu'il a eu : compost
en pleine intoxication hegelienne,. il mele audacieusement les
vues les plus syste'matiques a la critique des textes et des
faitsj aucune tentative pour etablir I'enchainement (de
ceux-ci), pour les rattacher a rhistoire gen^rale \ ils sont seu-
1. E. Troeltsch dit tres justement : Die Theologie des Neuprotestan-
tismus, dans Geschichte der Christl. Religion, KGg, IV, 1, B, Leipzig, 1922,
p. 741 : La theologie allemande est deveflue en fait, par suite de la par-
ticuliere importance de ses Facultes de 1 Th6o]ogie, la theologie dominante
du Protestantisme... En Hollande, France, Angleterre, et generalenlent
aussi en Amerique, etc. On sait que par < theologie protestante , il faut
surtout entendre I'ex6gese.
2. Sur Strauss, Alb. Schweitzer, Geschichte der Leben-Jesu Forschung,
1913, p. 69-124, avec le precieux appendice, p. 643-646 ; Albert Levy, D. F.
Strauss, la vie et I'ceuvre, Paris, 1910; M. J. Lagrange, Le sens du Chris-
tianisme dans Vexege&e allemande, Paris, 1918, p. 128-163. Premiere Vie
de J4sw, 1835, Sceonde Vie de Jesus pour le peuple allemand, 1864. C'est
la premiere Vie seule qui a exerc6 une action etendue : Das Leben Jesu
kritisch bearbettet, II, vol. II, 1480 pages, Tubingen, 1835. Littre traduit
tres bien : Vie de Jesus, ou examen critique de son histoire.
184 JESUS CHRIST.
lement passes en revue chacun a soil tour * . Enfin, beaucoup
de positions adoptees par 1'auteur sont des longtemps discre-
ditees 2 . Avec tout cela cet enorme ouvrage, hativement ecrit,
echappe a 1'ennui mieux que beaucoup d'autres plus modernes.
Strauss critique avec verve les pitoyables expedients des ra-
tionalistes honteux de 1'ecole de Paulus et de Venturini; il
discute les textes, non sans parti pris de defiance, mais serieu-
sement et, parfois, retablit avec sagacite leur sens litteral.
Enfin, plein de la pensee fumeuse mais forte de son maitre
Hegel, il deploie dans la construction de ses hypotheses une
richesse d'imagination et une ingeniosite qui manquent a la
plupart de ses successeurs. Ges dons expliquent le succes de
scandale provoque par la Vie de Jesus et sa durable influence.
Conforme'ment au scheme hegelien, qui tend a reduire les
personnalites superieures a de simples moments du develop-
pement de PIdee, la personne du Christ reste dans 1'ouvrage
de Strauss, singulierement pale etirreelle. A vrai dire, Jesus
de Nazareth n'interesse 1'auteur que comme symbole du vrai
Christ, 1'Humanite. G'est elle qui est le Dieu fait homme,
un en deux natures, ne de la mere visible et du Pere invisi-
ble, de la nature et de 1'Esprit . C'est d'elle qu'on peut dire
qu'elle est impeccable, qu'elle fait des miracles, qu'elle meurt
et ressuscite, etc. Tout 1'effort de Strauss tendra done a subs-
tituer dans la vie de Jesus aux faits reels, ce qu'il appelle
le mythe evangelique , c'est-a-dire des conceptions ideales
posterieurement traduites en termes d'histoire.
Le probleme a resoudre est ainsi d'expliquer sans interven-
tion surnaturelle, bien entendu, mais aussi sans recourir aux
conjectures ridicules du rationalisme vulgaire, ou a Fhypo-
these meprisable de la fraude telle que la proposaient Rei-
marus et Voltaire, la genese del'histoire evangelique. Strauss
y parvient en trois avances : 1 designation et delimitation des
actes, paroles et doctrines anterieurement incroyables; 2 eli-
mination de ces episodes indesirables par la decouverte de
leur origine mythique (realisation d'une prophetic an-
1. Lagrange, loc. laud., p. 142.
2. Notamment sur la modernit6 relative des redactions evangeliques ;
sur^la dependance litteraire complete du second evangile par rapport au
premier et au troisieme, etc.
LE PROBLEME DE JESUS. 18J>
cienne ou d'un trait de 1'ideal messianique, etc...); 3 justifi-
cation de ces coupes sombres par 1'examen et la dissection
critique des textes. On a depuis complete cette strategic et
surtout on 1'a applique e avec plus de virtuosite que Strauss :
on ne 1'a pas, en somme, alteree en ses demarches essen-
tielles.
Ce serait un travail infini de denombrer ici les formes prin-
cipales qu'a revenues 1'image du Christ Jesus dans la descen-
dance intellectuelle de Schleiermacher et de D. F. Strauss.
Relevons seulement celles qui, soit dans la theologie liberale
et moderniste, soit dans le rationalisme, paraissent le plus di-
gnes d'intere't.
Rattache' par Albert Ritschl, qui lui donna une armature
par sa the*orie des jugements de valeur et le revivifia en
y faisant rentrer Thistoire positive, au sentimentalisme elo-
quent de Schleiermacher 1 , le protestantisme liberal a trouve
a.u tournant du dernier siecle ses interpretes les plus remar-
quables, Auguste Sabatier et Adolf von Harnack.
Gelui qu'on a nomine* avec un peu d'emphase le plus grand
theoricien de la Reformation qui ait ecrit depuis Calvin, celui
qu'on appellerait plus justement le pere du modernisme en
France, Auguste Sabatier, mort en 1902 doyen de la Faculte
de theologie protestante de Paris, a beaucoup ecrit sur Jesus-
Christ. Le portrait qu'il en a trace s'est modifie avec les annees,
amesure que 1'attitude generale de 1'auteur s'orientait a gau-
che, dans le sens radical et rationaliste. Ses premiers ecrits
(Le temoignage de J&sus-Christ sur sa personne, 1863 ; Jesus,
de Nazareth, 1867) sont d'un croyant, et il fut choisi, de pre-
ference a un candidat liberal, sur la recommandation de Gui-
zot, en 1867, comme professeur adjoint de theologie dogmati-
que a la Faculte de Strasbourg. Dans le manifeste qu'il publia
alors, il ecrit :
Entre toutes les questions agitees parmi nous, la plus grave, la
question vraiment decisive est celle qui concerne la personne de,
1. Sur Ritschl, mort en 1889 en laissant comme principal ouvrage La
Doctrine chretienne de la Justification et Filiation, 3 vol., 1870-1874, voir
1'excellent expose de Georges Goyau, L'Allemagne Religieuse, I, le Protes-
tantisme, et 1'article oil 0. Ritschl resume la vie et la pens6e de son pere,
REP 3 , XVII, p. 22-34 ; ibid., bibliographic complete.
186 JESUS CHRIST.
Jesus-Christ. Je'sus n'est-il qu'un homme? Alors, quielque grand
qu'on le fasse, le christianisme perd son caractere d'absolue verite"
et devient une philosophic. Si Jesus est le Fils de Dieu, le christia-
nisme reste une revelation. Sur ce point capital, apres de longues
t serieuses reflexions, je me suis range du cote" des apotres. Je
crois et jeconfesse, avce saint Pierre, que Jesus estle Christ, leFrls
du Dieu vivant 1 .
On ne pouvait mieux poser la question. Sabatier ne resta
pas, malheureusement, fidele a sa premiere response. Insen-
siblement, le rationalisme humanitariste envahit son esprit, et
dans ses livres definitifs il contredit formellement sa profes-
sion de foi iriitiale. G'est a ces ouvrages : Esquisse d'une Phi-
losophic de la Religion d'apres la Psychologic et I'Htetoire,
Paris, 1896, et Les Religions d'autoritd et la Religion de t'es-
prit, Paris, posthume, 1903, que nous demanderons les ele-
ments de son portrait du Christ. C'est par ces livres en effet
que Sabatier fttt ce qtt'il fut, et continue d'agir sur les esprits.
Dans le dernier des ouvrages cites, qui est le testament de
i'auteur et expose sous sa forme la plus nette, et dans ses
consequences les mieux suivies, sa doctrine, la doctrine pro-
testante liberale, Jesus est represent^ comme n'ayant ^te et
voulu dtre, par sa personne et son exemple, qu'un initiateur,
un maitre, un excitateur dans Tordre des choses relrgieuses.
Prophete assurement, mais dans le sens (bien qu'a un degre
superieur et sublime) ou les grands conducteurs d'hommes et
les grands genies furent des inspires. Les declarations et les
revendications du Sauveur devraient, eonsequemment, s'en-
tendre comme des confidences, des effusions destinees a faire
valoir son enseignement, a le rendre plus pen^trant, plus
<3fficaee. Voyant Dieu son Pere dans le miroir filial de la plus
belle ame qui fut jamais, conscient de le connaltre et de
1'aimer plus et mieux que ceux qui 1'entouraient, indigne du
rigorisme litteraliste que les Pharisiens imposaiefit aux
feommes sous couleur de garder la Loi y seutant en lui^m^me
une force et une ardeur capables de changer le monde, le
Maitre Nazareen a pu sans blaspheme dire ce que les evan-
.giles lui font dire et prendre le& attitudes qu'ils lui pretent.
t
1. J'emprunte cette citation a 1'article du Pasteur Eugene Laehenmann
sur Sabatier, dans l&REP*, XVII:, 1906, p. 278.
LB PROBLEMS DB JESUS. 187
Encore enfonce 1 par certaines de ses esperances et de ses
ignorances dans le milieu juif de son temps et les illusions de
sa race, Je*sus s'en evada par 1'esprit interieur; et le vol de
son ame le porta au point le plus haut qu'un homme, fils
d'homme, puisse atteindre. II considera la vie, en de"pit des
durete"s qu'elle impose, de la tyrannie des forces materielles
qu'elle subit, de 1'obsession du mal moral qui pese sur elle,
comme un don divin dans lequel tous les hommes qui se
mettraient a sa suite et referaient son experience pourraient
communier. Jesus n'a ete qu'un homme, mais l'homme dans
le coeur duquel s'est revele le plus completement le coeur
paternel de Dieu.
A e6te de cette conception, qui rejoint au fond la conception
rationaliste, dont elle ne se differencie que par le postulat
inavoue de la perfection definitive et inegalable du Sauveur,.
il faut placer celle du plus ce"lebre theologien protestant de
1'Allemagne contemporaine. M. Adolf von Harnack va
beaucoup plus loin que Sabatier et, au rebours de celui-ci,
toujours plus, dans le sens traditionnel. II admet que, cons-
cient des le debut de sa haute dignite personnelle, Jesus s'est
donne (tout en gardant une sage et prudente economie) pour
la voie, le mediateur unique entre Dieu et les hommes, pour
le consolateur et le juge supreme de I'humanite.
Personne avant lui n'a connu le Pere comme il le connait,
et il apporte aux hommes cette connaissance. Par la il rend
a beaucoup un incomparable service. II les. conduit a
Dieu non seulement par ce qu'il dit, mais encore par ce qu'il
est, par ce qu'il fait, et enfin par ce qu'il souffre... II sait
qu'il ouvre une ere nouvelle ou les petits seront, par leur
connaissance de Dieu, plus grands que les plus grands du
temps passe ;... il sait qu'il est le semeur qui repand la bonne
semence; a lui le champ, a lui la semence, a lui la moisson.
Ge ne sont pas la des theories dogmatiques, encore moms
des transformations de 1'Evangile lui-m^me, c'est 1' expres-
sion d'un fait, d'une realite que Jesus voit naitre deja. Les
aveugles voient, les boiteux marchent, les sourds entendent,
la Bonne Nouvelle est annoncee aux pauvres par Lui. A
la lumiere de ces experiences, il apercoit au milieu m6me de
la lutte, sous 1'accablant fardeau de sa vocation, la gloire que
188 JESUS CHRIST.
le Pere lui a donnee... II est le chemin qui conduit au Pere,
et, comme 1'Elu de Dieu, il est aussi le'Juge 1 . '
Toutefois et nonobstant ces magnifiques et uniques prero-
gatives, la personne meme de Jesus n'est pas entree, d'apres
le celebre professeur de Berlin, dans sa predication faite au
noni de Dieu : le Pere seul, et non le Fils, fait partie inte-
grante de 1'Evangile tel que Jesus 1'a pre"che 2 . II faut
croire pour 4tre sauve, a ce que dit le Fils : il n'est pas
indispensable de croire au Fils.
On reconnait la cette fuyante philosophie ritschlienne, qui
croit pouvoir se servir des choses et des hommes sans se
prononcer, sans meme s'engager a fond sur leur valeur
reelle; qui, a jamais decouragee des certitudes rationnelles,
heritiere, a travers le criticisme kantien, de la vieille defiance
lutherienne envers 1'intelligence applique e aux choses de la
foi, essaie d'y suppleer par des affirmations sentimentales et
precaires, des jugements subjectifs, interesses, utilitaires,
dits : jugements de valeur (Werturteile). Peu importe ce que
fut au vrai Jesus, s'il a pour moi la valeur religieuse deci-
sive ! Dire que Jesus a ete Fils de Dieu, au sens objectif et
reel du mot, declare M. Harnack, c'est ajouter quelque
chose a 1'Evangile . Mais, continue-t-il, qui accepte 1'Evan-
gile, et s'efforce de connaitre Gelui qui Ta apporte, temoi-
gnera qu'ici le Divin est apparu, aussi pur qu'il peut appa-
raitre sur la terre, et il sentira que Jesus lui-me'me fut pour
les siens la puissance de cet Evangile. Goncilie qui pourra
ces antinomies !
Depuis celui de M. von Harnack, les portraits du Sauveur
traces par les theologiens protestants liberaux se sont multi-
plies. Nous avons eu, rien qu'en Allemagne ou en Suisse
allemande, ceux de MM. Paul Wernle 3 , Adolf Jtilicher 4 ,
1. Adolphe Harnack, L' Essence du Chrislianisme, trad, frangaise de
1907, p. 175-176, legerement retouch6e.
2. Ibid., p. 175.
3. Die Anfaenge unserer Religion*, Tubingen, 1904. Cet ouvrage traduit
en anglais a fourni les donnees utilisees surtout par George Tyrrell dans
la conception qu'il s'est faite finalement des origines chretiennes.
4. Die Religion Jesu, dans Pimportante collection publieepar P. Hinne-
herg sous le titre : Die Kultur der Gegenwart, I, 4, Leipzig, 1906.
LE PROBLEMS DE JESUS. 189
Wilhelm Bousset 1 , Arnold Meyer 2 . Nous venons d'avoir
ceux de MM. W. Heitmtiller 3 , Heinrich WeineH, Rudolf
Bultmann 5 . Je ne retiens ici que les Merits qui ont eu un cer-
tain retentissement. L'hegemonie allemande est telle dans le
protestantisme liberal que, nommer ces auteurs, c'est nommer
a peu pres tout ce qui compte. En dehors de la Nouvelle
theologie 6 du Reverend R. J. Campbell, qui est probable-
ment ce qu'on a ecrit de plus faible sur la question, c'est
dans les livres precedemment cites et leurs pareils (H. J.
Holtzmann, Alb. Schweitzer, J. Wellhausen) que les theolo-
giens liberaux, anglais, suisses, fran<?ais, scandinaves et
ame*rieains ont ete chercher les elements de leur connaissance
du Christ 7 . Avec des nuances diverses et un talent tres
indgal, les auteurs de ces portraits de Jesus restent dans les
lignes que leur impose leur philosophic religieuse : tous
admettent que le Maitre Nazareen a-depasse la stature com-
mune de I'humanite, qu'il a inaugure la vie religieuse verita-
blement pure et qu'a ces titres il a ete un prophete et un
1. Jesus, dans la collection des Religiomyeschichtliche Volksbucher, ed.
F. M. Schiele, Tubingen, 1904. Ce petit livre a obtenu un tres vif succes
parmi les protestants Iib6raux; il a et6 traduit en anglais par Mrs Trevelyan,
fille de Mrs Humphrey Ward.
2. Jesus, dans le recueil d'articles : Unsere Religioesen Erzieher, I,
Leipzig, 1908.
3. Jesus, tir6 a part, compl6t6, de 1'article Jesus von Nazareth de Die
Religion in Geschichte und Gegenwarl, Tubingen, 1913.
4. Jesus, dans la collection : Die Klassiker der Religion, Berlin, 1912.
5. Jesus, Berlin, 1926.
6. The New Theology, London, 1907.
7. II faut mentionner les ouvrages des protestants liberaux francais,
M. A. et J. Reville, de M. Phil. Bridel. On peut voir les reponses de
MM. Percy Sanders, E. A. Garvie, B. W. Bacon, du D r N. Soederblom, etc.,
a I'enqu6te Jesus or Christ? London, 1909. Malgr6 son titre general :
Jesus de Nazareth, Paris, 1925, 1'ouvrage distingue de M. Maurice Goguel
est surtout un plaidoyer convaincant pour 1'existence historique du Christ.
Quant k sa personne, elle est coupe"e d'une fa<?on abrupte de son oeuvre :
Le Christianisme est une religion nouvelle... le Christianisme n'est pas
la religion qu'a eue J6sus... c'est celle des adorateurs de Jesus... , p. 307.
L'influence du Maitre est r6duite an domaine moral et, pour tout le reste,
a une impression, k une impulsion sous 1'action de laquelle s'est d6ve-
Iopp6e (en des croyances non pre" vues par J6sus et des institutions non
voulues par lui) toute la pens6e chr^tienne > ; ibid., p. 307.
190 JESUS CHRIST*
heros de 1'ordre spiritual. Aucun n'admet, au sens traditionnel
du mot, la divinite* du Seigneur. Presque tous se re"fugient
dans 1'admiration de la personnalite de Je'sus, insistent
sur sa sublimite, son sens du re* el (Wirklichkeitssinn),. etc. ..
Pour faire pleine justice au protestantisme liberal, il faut
noter que des signes d'une renovation, ou plut6t, d'une nou-
velle phase de dissolution, se manifestent dans son sein, en
ce qui touche la conception des origines du christianisme. Le
seul trait commun des auteurs qui tentent de s'evader du
moralisme classique, pr^tant a Jesus une conception
moderne et plus ou moins kantienne, est le sentiment du
concret, le desir de replacer 1'Evangile dans son milieu histori-
que. Les uns, avec Johannes Weiss et surtout Albert Schweit-
zer, restituent dans 1'enseignement du Christ le c6te" escha-
tologique, apocalyptique , arbitrairement diminue dans la
conception liberale. Mais leur reaction les mene jusqu'a
1'exces, jusqu'a 1'absorption dans cet element de presque tout
le reste. D'autres, apres H. Gunkel et avec W. Bousset,
dans son dernier ouvrage (Kyrios Christos, Goettingen, 1913,
2 1921), font aux elements religieux preexistants et ambiants T
une part de plus en plus grande. Sous couleur de replacer
les origines chretiennes dans 1'histoire generale, ces auteurs
et leurs emules ont tendu a diminuer 1'importance historique
de Jesus, d'autant que les infiltrations paiennes, venues des
religions a mysteres, sont si manifestement etrangeres au
Maitre et a ses premiers disciples qu'on est oblige pour leur
donner quelque vraisemblance de les mettre au compte d&
Paul et de ses auxiliaires venus de la gentilite. Parallelement
a cet element venu du dehors, les exegetes de cette ecola
font une part plus grande et parfois preponderante au deve-
loppement liturgique et notamment au culte de Jesus
dans les plus anciennes communautes chretiennes. Les ou-
vrages de G. P. Wetter, de R. Reitzenstein, vont en ce
sens. Mais a vrai dire nous avons deja outrepasse en les
mentionnant, pour entrer dans le domaine de la pensee ratio-
naliste, la limite incertaine qui les separe de celui ou va sec
cantonner le protestantisme liberal. II n'entre pas dans le plan
du present travail d'instituer la critique detaillee des posi-
tions de celui-ci. Visant un but positif, on espere montrer
LE PROBLEME DE JESUS. 191
directement que la position chretienne eatholique n'est pas-
seulement la meilleure, mais la seule qui fasse justice aux
textes et a 1'histoire. II est impossible pourtant de ne pas
faire observer rineonsistance de la solution presentee par le&
theologiens libe'raux au probleme du Christ. Ou bien ils retro-
gradent jusqu'a la conception d'un prophete , plus grand r
meilleuT que les autres, plus inspire , mais ne differant
pas essentiellement de ses predecesseurs. Jesus serait a peu
pres ce que Mahomet pretendit e"tre : le seeau des pro-
phetes y>. G'est Topmion de Sabatier sur la fin de sa vie. Mais
alors, et si Ton admet comme vraie sur le terrain religieux
1'hypothese ^volutionniste, de quel droit donne-t-on rexemple r
les leons, 1'enseignement, la seigneurie de Jesus comme
normatives, essentielles, definitives? Qu'en sait-on? Jesust-
peut, disons qu'il doit, selon toute vraisemblance, 4tre depasse.
II n'est que 1'anneau, jusqu'ici le plus brillant, d'une chaine
dont le metal s'^pure et s'affine continuellement, necessaire-
ment. Si Ton affirme le contraire, si Fon garde au Maitre
Nazareen cette transcendance relative, c^est par une survi-
vance chretienne, au nom d'une appreciation sentimentale,
heritee, que la raison, si elle est convaincue de la loi d'evo-
lution, loin de justifier, contredit. En realite, on n'est plus
chr^tien qu'au sens ou tel philosophe se donne pour platoni- .
eien ou spinoziste. L'interpretation des textes est purement
et logiquement rationaliste. -
Ou bien, avec M. von Harnack et plusieurs protestants
liberaux, Ton veut garder davantage. On pose des premisses
d'histoire et de critique qui suffiraient a conclure dans le sens
du christianisme traditionnel 1 , mais des raisons de philosophie
religieuse, un prejuge agnostique et la repugnance soulevee
par les conclusions entrevues viennent a la traverse, renforces
par ce vieux levain d'individualisme et d'autonomie absolue
qui est au fond du protestantisme. On conclut a une transcen-
dance precaire, insaisissable ! On fait du Christ une person-
nalite sui generis, ni Dieu, ni simplement homme. On essaie
des compromis qui rapprochent beaucoup leurs auteurs
de I'arianisme ancien. On distingue parmi les textes ceux
1. L 'Essence du Christianisme, Trad, de 1907, p. 32, 45 suiv.
192 JESUS CHRIST.
que Ton peut garder et interpreter, de ceux que les besoins
de la cause forcent de declarer posterieurs, secondaires,
interpoles. Dans le dernier de ses ecrits, publie posthume,
G. Tyrrell a fmement marque 1'inconsistance de cette position.
Ils voudraient tenir Jesus pour divin, en un certain sens,
ou a un degre infe'rieur; ils voudraient voir en Je'sus une
incarnation de toutes les idees liberates et liberatrices qui
caracterisent notre temps. Ils voudraient faire remonter
a lui 1'esprit et les sentiments modernes comme en sa premiere
source, a sa premiere impulsion. En ce sens, il serait le
Sauveur, la Voie, la Verite, la Vie; bien plus, il serait Dieu
a la fac.on d'un vicaire, d'un representant, la manifestation
en chair de ce que Dieu signifie pour nous. Quelques-uns
vont jusqu'a lui conceder une sorte de divinite metaphysique,
mais a la condition d'accorder la me'me dignite, a un degre
moindre, a tous les hommes. Mais, manifestement, 1'imma-
nence de Dieu dans 1'esprit humain comme co-principe de
sa vie, n'implique nullement une identite de personne ou de
substance. Par 1'union libre et morale avec ce co-principe,
1'homme devient semblable a Dieu, il ne devient pas Dieu.
Done, dans 1'hypothese liberale, Jesus serait tout au plus le
plus semblable a Dieu des hommes. Mais 1'homme ne doit
ni adoration, ni remise inconditionnee de son etre, meme au
plus semblable a Dieu des hommes seulement a 1'Absolu
divin. Entre Dieu et semblable a Dieu la distance est
infinie l .
Cette fin de non-recevoir, prononcee par le prophete du
modernisme, est irrefutable. Elle ne doit pas nous faire
meconnaitre des efforts qui seraient touchants, s'ils n'etaient
<3ommandes par un fond de rationalisme inavoue, pour sauver
le christianisme sans proclamer que Jesus est le Fils de
Dieu position instable, moins tenable logiquement, bien
que religieusement plus feconde et plus respectueuse des
faits, que la position nettement rationaliste qu'il faut exposer
a present.
1. G. Tyrrell, Jesus or Christ? London, 1909, p. 15 (supplement au
Hibbert Journal).
LE PROBLEME ;DE JESUS. t!93
: Les rationalistes du XIX et du XX 6 sfecle.
.L'interpr^tation .naturaliate des origines :chr,etiennes est
devenue .moins ..aise'e, plus complexe,et,plus subtile ,a mesure
,que l.'historlcite fondamentale des &vangiles ,s!est imposes
davantage. :Le .prqgres fjui s'est affirme en ce sens, depuis
D. .K. .Strauss et E. Q. vBaur, ,r,end sing.ulieremeiit .plus .deli-
cate la -ta.che critig.ue ,de leurs.success,eur.s. Tel.d'entre eux,
et .des ,;plus temeraires, disciple attarde .de -Bruno Bauer,
adraet que les eroyants ,regoient de front et accep.tent en
leur sens complet les ..documents gue les critiques .(rationa-
listes) ipr^nnent de .hiais et ou ils tentent un hasar.deux
triage... Si le ,Fils .de Dieu .existe... r.exeges.e orfchodoxe a
tous .les .avantages .. Mais ,quoi? 1'idee que Dieu se soit
incarne... nous .heurte. G'est une conception prekantienne.
.Ellevest .entree uniment ,en ,de grands esprits comme saint
.Aifgustin, saint Thomas, Pascal ;,mais aujourd!hui elle resle
inassimilable 1 . Sans iavouer ioujours .aussi hautement que
la recherche historique est subordonnee chez eux aux pre-
supposes philosophiques, Tqpinion des rationalistes sur Jesus
n' est .pas moins nette :M n'a ete .qu'un homme, sujet comme
tel a toutes.les.faiblesses, erreurs et illusions.de 1'jiumanite
-commune, soumis a toutes les limitations de son temps et de
sa race.
.En consequence, rintei^pretation traditionnelle est fondee
sur un malentendu ; la solution donnee au probleme du Christ
par la .premiere , generation .chr.etienne, ;acceptee par des
milliards. d'e'tres humains, attestee par des.milliers de martyrs,
de sages et de saints, est .une solution illusoire, irreelle, un
cas .d'evhemerisme .caracterise.
ll.reste apres cela de faire cadrer ces .theses avec 1'histoire
-et les textes, et d'abord d'expliquer le fait generateur qui est
le temoignage du Christ sur lui-meme. Pour y arriver, deux
voies sont ouvertes au critique. Dans la premiere, acceptant
1'historicite gene"rale des principaux documents evangeliques,
1. P.-L. Gouchoud, Le Mystere deJdsus, Paris, 1924, p. 110-111. J'ai dit
plus haut pourquoi,;sans exclure 1'influence de Kant, celle de Hegel a 6t6
predominante dans Tex6gese rationaliste depuis Strauss.
JESUS CHRIST. n. 13
194 JESUS CHRIST.
1'auteur met toute sa subtilite a restituer avec un minimum
d'illusion et de fraude, la suite des etats d'ame qui auraient
amene* Jesus a croire et a dire qu'il etait le Messie, Fils de
Dieu. En depit du ton d'ironie condescendante qui rend son
re*cit choquant, je ne pense pas qu'aucun e*crrvain rationa-
liste ait depense a exposer cette these plus d'experte vir-
tuosite qu'Ernest Renan. Sa Vie de Jesus, par tant de cotes
superficielle et decevante, conserve par celui-la de Pinte're't 1 .
II a garde le moins mauvais des explications propose es avant
lui, ajoute les siennes, et ceux qui ont repris depuis le
probleme, sur des donnees analogues, n'ont guere fait avancer,
ou me'me ont fait reculer la solution.
Pour Renan done 8 , le sentiment que Jesus avait de son
union au Pere celeste, la reaction sur son esprit des pro-
phe"ties anciennes opportunement rappelees, la pression des
circonstances, I'eiithousiasme des siens, la logique du succes t
le besoin de repondre a 1'opposition sournoise ou violente
de ses adversaires auraient amene le Maltre a repousser
mollement, puis a accepter, finalement a revendiquer un titre
qu'au de"but il eut juge blasph^matoire de s'arroger. Sa
legende s'elaborait de son vivant et lentement il se prenait
a y croire. Bien des hommes sont ainsi debordes par leurs
disciples; pourquoi ne pas comparer Je"sus a d'autres grands
initiateurs de 1'ordre religieux : le Bouddha, Mahomet?
Objecte-t-on que 1'infatuation confinerait ici a la demence;
on nous fait entendre que le Nazareen n'^tait pas tou jours
dupe de ce qu'il disait ou laissait dire. Si Ton proteste au
nom de la loyaute, Renan replique par une ironique legon
de psychologic orientale; puis, anticipant la theorie nietz-
sche"enne des droits du Surhomme, il declare qu'il faut
reconnaitre hautement plusieurs mesures pour la franchise,
et qu'il nous sied mal de mesurer les grands hommes a notre
aune, en les jugeant du haut de notre timide honne'tete .
1. Voir une critique autorisee dans M. J. Lagrange, La Vie d
d'Ernest Renan, Paris, 1921. La plupart de ceux qui, comme M. J. Mid-
dleton Murry, Jesus Man of genius, New-York et London, 1926, ne veulent
reconnaitre en Jesus qu'un homme, le plus divin des hommes, recon-
naissent la superiorite relative de Renan : lib. laud., p. xi.
2. Vie de Jesus", ch. xv-xvn, p. 245-302; xix-xx, p. 320-348.
LE PROBLBMB DE JESUS. 195
Ce nonobstant, iidele a sa methode contrasted et souventt
contradictoire, Renan conclut que son parfait idealisms
(de Je"ss) est la plus haute regie de vie detache'e et vertueuse.
II a cre'e' le monde des ames pures ou se trouve ce qu'on
demande en vain a la terre, la parfaite noblesse des enfants
de Dieu, la saintete* accomplie, la totale abstraction des souil-
lures du monde, la liberte* enfin... Le premier, il a proclame
la royaute de 1'Esprit; le premier il a dit, au moins par ses
actes : Mon royaume n'est pas de ce monde. La fondation
de la vraie religion est bien son ceuvre *. Vers la fin de
1'ouvrage et de la vie du Seigneur on avoue Texaltation-:
Entraine par cette effrayante propension d'enthousiasme...
Jesus n'etait plus libre; il appartenait a sonr61e, et enun sens
a 1'humanite. Quelquefois on eut dit que sa raison se trou-
blait... la grande vision du Royaume de Dieu lui donnait le
vertige. Sa notion du Fils de Dieu se troublait et s'exage-
rait... la loi fatale qui condamne l'ide"e a de"choir des qu'elle
cherche a convertir les hommes s'appliquait a J6sus. Les
hommes en le touchant 1'abaissaient a leur niveau. Le ton
qu'il avait pris ne pouvait e 1 tre soutenu plus de quelques
mois ; il e"tait temps que la mort vint denouer une situation
tendue a 1'exces 2 .
Sur quoi il est aise et tres veritable de dire que cea
tableaux, brosses de chic, ne retiennent des faits que ceux
qui vont a la these ; qu'en particulier 1'effrayante progression
d'enthousiasme signalee, contredit positivement les textes
les plus clairs qui nous montrent 1'opposition grandissante,
les foules divise'es, les disciples atermoyants, attristes, decou-
rag^s, Jesus seul, maitre de lui et dominant de haut les
evenements. Cette critique, faite a 1'envi par les exegetes
de toutes dcoles, est encore un coup tres fondee ; mais qu'on y
prenne garde ! II faut revenir a la maniere de Renan, et on
y revient dans une large mesure, quand on veut maintenir
jusqu'au bout 1'explication rationaliste sans volatiliser entiere-
ment les textes. Aussi ce dernier parti, tout violent qu'il esfc,
constitue la grande tentation pour les critiques liberaux, e4
1. Vie de Jdsus**, p. xxvnr, 461.
2. Vie de Jesus", p. 331-333.
:196 i JESUS CHRIST.
voir f a,L'ceuyre,/iLcottYi.ent
,de ? mentionner, ipacces qu' elle. a inspire uu.bon- nomhr e des, e or i-
vains des plus influents de .ces.trois der.niers quarts de>siecle,
;une r concep,tion,.du: ;Ghriatiqui idepassant ,les J'ormules. du jans:e-
.nisme le plus .oute^, .v<oit n ,lni le.contempteur.desibeautes
naturelles,, l-ennemLde taut .amour -sain ..et .simple. JEn .face .du
Grucifie , symbole ekhe'rQS) d'une ,asce&e inhumaine, an .e.vpque,
d'une i antiquit^ fortement ; expui|gee et .pousse'e ^au clair,
<le miracle ^grec, de , sourire d'Athena, .les libres divinit^s .d'.un
paganisme .heureux. Fondee ; sur ?une , double !,_erreur,de rfait,
cette antithese , a ; obtenu -en Jitterature ; un .succes .durable.
Elle alimente; encore, dans, presquetous les pays, la poleraique
antichr^tienne. Par les jgrands jpaiens angdais, Byron et
s.urtout Shelley (f 1822) iqui la, repripeni dans Je mode lyrique,
au;debufrdu;Xix ? ; siecle, elle rejoint les vues de .certains huma-
-nistes de.la Renaissance. Mais c'est versde milieurd.u>xix e siecle
^qu'elle .est .deyenue commune et pour ainsi dire classique.
i-Un des ;premic;rs, Renan 1'a enonc^e, dans Jes fragments, (Tun
uoman inacheve, Patrice (1849). ,11 s'en veutid!avoir ete chre-
;tien'et, comme itel,;d'avoir meprise rApollon,^Diane v Minerve,
Venus, la snatute saineet tranquille. Je leur preferais... la
maigre image d'un Dieu tiraille par des clous. Preferences
irdonnees-a 1'anormal, : a l'.exeeptionnel,.au maladif, voila l.'esthe-
,-tique vchretienne, ; Yoila les idees qui nous .ont.perdus . Au
rcontraice, le ipaganisme; antique, c'etait : le vrai, le simple,
>le ;.naturel... -que le christianisme a profondement interv.erfcis
par? son surnaturalisme, en pr chant sans cesse le renoncement,
le combat contre- la nature... ToutesJes idees>fausses quisont
-dans le;monde-en lait de.morale! sont venues du ehristianisme.
La Grece, avec sun-tact divin, ; avaitsaisilaparfaite mesure *.
Gette page, -que j'abre.ge, resume la critique oppose e au
:christianisme, sinon toujours a son.fondateur, dans les lemons
id'art de Taine jeune, Les Poemes Antiques ei.Les Po&mes
Barbares de Leconte de Lisle et, ^pour ne pas parler de vingt
autres ouvrages moins connus, les celebres Reveries d'un pa'ien
, mystique .de Louis = Menard 2 , et les Aphorismes du plus deter-
1. Patrice, dans Fragments intimes et romanesques, p. 96-98.
2. Les reveries d'un Pa'ien Mystique, de Louis M6nard, oeuvre d'un
LK PROBLEMS DE JESUS. 197
A antichrist de notre temps, Fredemo Nietzsche; Avant
d'eerir/e le pamphlet qui porte ce tititer.et our les stigmates de
la.d&nenee imminente. apparaissent ga et la,, le malheureux:
philosophe ; avaitv dans ses litres ,. ouvses .carnetsi intimBS,,beaui^
coup: e'erit, de^ Jdsus,- A vrai dire, ces. aperxj.us* fragmentaires^
sont; plus. importants pour, I'histoir.e de la f pensSe 1 de> Fauteiir
que pour celle de<la doetrine du Christ, Au,>jugement du plus
penetrant de&l)iographes det Nietzsche,. ils. prennent L'aspect
d'une autobiographie nietzschdenne l * Dans V Antichrist on,
trouve une critique amere et parfois umpeu.pu.erile.-dUtchrisr
tianisme . CEuvre des ap6tres.de. Jesus, et surtout < de; Paul,
raauivrais message, dysdvang^lium et ; non: 6Yangeliumh,
doctrine de chimere;,d?egalitarisme r d'humanitarisme^ de de-r
mission et de decadency La- personne du M^ltre, inaompris^-
de ses .propres disciples, interprete e . a contrersens^ est .relati-,
vement epargnee par; Nietzsche ; Jesus. ignor.a tout. des valeurs
humaines terrestr.es, exterieures, devla culture : lesr valeurs*
interieur.es seules existerent.pour lui. : dansile reste;il.ne vit
que signes et symboles. La< git s\ noblesse etsa-Iaiblesse: le 1
salut est pour lui dans un dtat du coeur, detaohe de:tout,se-
homme qui connaissait beaucoup:mieuxi^rantiqiut^ sont aussi beaucoup'
plus nuanc6es ; seul ou presque seuly 1'auteuri a retrouvd I'acGent'd'iinipaien
veritable, admirateur 6clectique de tout ce qu'il.estimait divin, comma un.
Alexandra Severe avait pu 1'etre. On ne trouve pas chez lui, ordinairement,
ce ton aigre du chretien retburn6, qui blaspheme ce qu'il a v6n6r6.
1. Ch. Andler; Nietzsche, savieetsapense'e,\a\. V, Paris, 1922; p; 132.
Apres avoir r6sum6, d'apres; Nietzschej le problerae-dff J6sus> Gh. Andler
conclut : Admirable analyse ou Nietzsche; croyant deviher le secret dies
Jesus, confesse les tares de son; ame propre , ibid., p.; 134^ L'Antdchr.i&t;
essai d'une critique du chrislianisme, devait constituer la premiere partie
d'une tetralogie intitulee : la Vblontd de puissance, Essai de transva-
htation de toutes 1 les valeurs. Dans les mois qui suivirent la mise par ecrit
de cette partie, septembre 1888> 1'espritfded'auteur acheva-de'setroubler:
II composa' une sorte d'autobiographie delirantej Ecce Homo, ou. il se
presente a la foiscomme un Antechrist et un nouveau Christ. De.mfime que\
le Christ est homme et Dieu, Nietzsche est homme et surhomme ; seule-
ment a tandis que Jesus en croix est un anatheme de la vie, Dionysos
(Nietzsche) mis en pieces (par la sottise et Pincomprehension.de ses con-
temporains), est une promesse de vie indestructible et a jamais renais-.
sante . Dans les premiers jours de Janvier 1889, la demence se manifesta
consommee, irremediable, jusqu'i la mort en 1900.
198 JESUS CHRIST.
rein, negatif, et par consequent sterile : ne point se de"fen-
dre, ne point se mettre en colere, ne point rendre responsa-
ble . Dans cette mSnae veine et sur ces me'mes antitheses,
sous des formes ironiques ou detachees, Anatole France (mort
en 1925) s'est espace pendant les quarante ans de sa vie litte-
raire, des Noces Corinthiennes a la Rdvolte des Anges. II a
manque" a ce parfait artiste une connaissance de premiere
main de 1'antiquite classique qu'il fait profession d'adorer, et
une intelligence elementaire du christianisme veritable, qu'il
eonfond avec le fanatisme.
Critique avant tout, d'ailleurs analyste a entrance, M, Al-
fred Loisy ne reussit pas, dans les ouvrages de sa maturite,
k fournir une solution consistante du probleme du Christ. Je
ne pense pas qu'on ait, depuis Strauss, trac^ du Sauveur
une esquisse plus fuyante. On se croirait en face d'une de
ces peintures evanescentes que lesmurailles de certaines ca-
tacombes perpetuent plut6t qu'elles ne les conservent.
L'exclusive qu'il donne (a la difference de Renan) aux textes
historiques du Quatrieme Evangile 1 , les traits posterieurs
theologiques , pauliniens, redactionnels, qu'il decouvre en
nombre mfini dans les recits des Synoptiques, les infiltrations
palennes qu'il denonce, la hantise apocalyptique qu'il prSte
au Maitre amenent 1'auteur a un appauvrissement systemati-
que et extreme de la matiere evangelique. Jesus se designa-
t-il sous le nom de Fils de 1'homme? On ne sait : Si Jesus
a employe quelquefois pour se 1'appliquer a lui-meme le titre
de Fils de 1'homme , il n'y aura pas sans doute attache
d'autre signification que celle de Messie 2 ... Mais qu'enten-
dait il par Messie? Un roi des Juil's prince des elus, chef
des bienhenreux (qui) devait presider a leur joie, assiste des
douze disciples qui siegeraient sur des trdnes pour gouverner
les douze tribus 3 . Mais non pas un juge des vivants et des
morts : tout au plus le Christ se presente-t-il en temoin
(au jugement) et ce r6le, tout entier d'apparat sterile, ce
1. Le Quatrieme Evangile, Paris, 1903; Les Evangiles Synoptiques,
2 vol., Ceffonds, 1907-1908 : toute la partie g6n6rale est reproduite dans
Je"sus et la tradition e'vangdlique, Paris, 1910.
2. Jesus et la tradition dvangdlique, p. 167.
3. Ibid., p. 162.
LE PROBLEMS DE JESUS. 199
r61e d'ordonnateur en chef des joies celestes, Je'sus pensait-il
le tenir? On nous repond quelquefois oui, generalement
non : Gomme roi messianique, Jesus sera le vicaire de
Dieu. Tant qu'il preche 1'avenement du Royaume, il n'est pas
encore entre dans sa fonction providentielle... Lui-m^me, en
ve"rite, n'^tait pas plus Christ dans le present que ceux qui
croyaient sa parole n'etaient actuellement citoyens du royaume
celeste 1 .)) Redempteur? Rancon? Victime? Nullement,
tout ce qui semble 1'insinuer provient de predictions ficti-
ves , nees elles-m6mes de speculations christologiques .
Le Christ a regarde sa mort comme possible et, dans cette
eventualite, comme la condition providentielle du royaume
celeste, mais non comme un element necessaire de sa fonction
messianique, ill'a envisage e comme un risque a courir 2 ...
Au total, Je'sus precha une morale de ville assiegee, dans
1'hypothese d'un bouleversement qu'il ne cessa de conside"rer
comme imminent. Thaumaturge presque malgre lui ,
etranger a toute idee de redemption, illusionne" mais noble-
ment, il vecut jusqu'au bout ave.c courage le re"ve de 1'Evan-
gile .
On voit par ces breves indications ce que devient le Sauveur
sous la plume de M. Loisy : un personnage falot, chimerique,
exsangue et tellement simplifie qu'on s'etonne de ce que,
dans 1'hypothese, on le laisse encore dire et faire.
Dans ses travaux plus recents, domines par les vues de R.
Reitzenstein, Wilhelm Bousset et G. P. Wetter, M. Loisy
ouvre la porte encore plus grande, dans la tradition evange-
lique, aux infiltrations des religions, dites mysterieuses, de
1'hellenisme, aux libres creations des prophetes, aux initiatives
de la liturgie primitive. Les parties d'histoire les plus incon-
teste"es sont mordues par une critique corrosive de plus en
plus arbitraire : Les evangiles ne racontent pas la mort de
Jesus... ils expriment le my the de salut realise par sa mort...
Rien dans les recits evangeliques n'a consistance de fait si
ce n'est le crucifiement de Jesus, par sentence de Ponce
1. Ibid., p. 164, 254; M. Loisy recommit pourtant que Jesus a c fini
par s'avouer et se d6clarer Messie >, mais < qu'il avait peu parl^ de sa
mission >. Alors de quoi pouvait-il bien parler?
2. Ibid., p. 168.
200 JESUS CHRIST*
Pilate, pour: cause de'raessianisme;.. Si J&susc -a-existe*? 1 ...
Nous sommes ramene's: sur un< terrain plus vsolide par: le
celebre historien de I'antiquite^ Eduard Meyer. Laique, ra<-
tionaliste decide ^tard venu danslerdomaine? des origines chre-
tiennes dontdl connalt' par .ailleur.s mieux .qtu'homme* au monde
les entours et la preparation, Eduard Meyer a compose^ se*
Origines et Debuts du Gkristianisme? pendant les^loisirs qu.e
lui laissait le reetorat'de 1'Uniyersite^de- Berlin'. G'est dans': le,
second volume que se= trouve ad'etat dispersie, mais a-peiu pr.es
complet, uir- portrait de Jesus; Gomme.-main-i< autre artisan
juif, Jesus avait'6tudie les JScrituresi Eveille-par la^e'dio'a^
tion de Jean Baptiste, il s decide; a pl-^cher, lui aussL La
lettre* de son message, ne deborde guere la doctrine. des-Pha^
risiens de son temps^, bien que 1' esprit, pene'tre d'une foi-.vive
en Dieu et d'un sens moral puissant, en soit profondement
diif<6rent. Unigroupe de disciples 'Sefornte^ autour.de lui, et il
opere des merrveilles de: guerisons' tenues alors pour des mi-
racles. Jesus- se oroit^et se dit Messie, fils de 1'homme efc fils
de Dieu,- dans un sns qui toutefois; n'implique pas pour lui
la possession de la nature divine. Mais il expose avee une
sage prudence cette conviction,^ que la confession de Pierre T
suivie de la^transfig^U'ration^ atteste et consacre. Par. contre, la
doctrine cKretienne de; la: Redemption ne remonte pas a 1'en-
seignement personnel du Ghrist. Loin de se derober ad'oppo-
sition soulevee par sa predication, Jesus decidade L'afFronter.
Mais il avait aifaire a'plus fort que lui : livre a ses-ennemisy
le jeune niaitre gadileen ne regoit pas de Dieu; le secours
extraordinaire qu'il escomptaitv et il meurt sur la^croi-x- en
poussant la plainte supreme du Juste souffrant. Ge qui reste
de lui, transmis parades disciples -dont la foi le ressuscita, c'est
s a morale, diamant indestructible et'Sans prix, que la dog.ma-
tiquefchretienne, gangue mythologique de nulle valeur en elle-
meme, a transmis jusqu'a nous^.
\, Yoir dans la RHLR, 2 sdsrie, VIII, 1922, La Passion de Marduh,^,
suiv. ; La Legends de Jesus, p. 394 suiv., 433 suiv., et Les Livres du Nou-
veau Testament, Paris; 1922; Introduction.
2. Ursprung<und;AnfaengedcsChristentums,$vo\., Stuttgart, 1921-23 r
vol. 1I ; Die Entwicklung des'Judentums und-Jesus'Von Nazareth, Voir.ua
jugement d'ensemble dans J. Lebreton, KSH de 1925, p. 320-329.
LE PROBLBME DE JESUS. 201
Ges vues-sont rejpintes par 1' extreme* pointeides< modernisr-
tes anglicana, qu'e le professeuri Kirsopp Lake A, un de leurs-
chefs* appelle. < experimentalistes -. Pou-r. eux Jesus- est un
des grands; prophetes 1 de 1'Histoire, un propliete, c'est-a^direv
un homme dont ^ide'alisme ireligieiux* et mofcal est fort ;et jaillis*
sant, encore, qu.'une>saine raison.doive en contrdler les appels.
L'enseignement du Christ est dans, sa-.lettee, an moins--par-
tiellement caducv et ce qu?il faut-en; retenir'doit dtr.e^ admis,
non parce qe Jesus l?a dit, mais'parce que nous- voyons q.ue-
Jesus a dit vrai. en. cela.
Finalement, pour Thomme de notre. temps, Jesus- est u
inspirateur et un guide, parce qn'il a dit des verites du
Royaume de Dieu ce qai'iL avai* a en< dire, ; et y^ a mis sa viev.
Les autres specimens d'explication rationaliste, ebauches-
dan&certains,commentaires,impliqiiesdans:desromansiOu pre-
cises dans des essais com me. la plttpart de ceux; quei provoqiua
I'enqu4te du Reverend R. RobeTtSy Jesm or Christ 1 *, donnent
surtout-une impression d'inconsistance. Appreciant cette en-
qu4te dans son. ensemble, M. Loisy<ieclare-q.u^apres Tavoir lue
on est bien tente de penser que la^the'ologie'Contempopame
exception faite pour les- catholiques remains chez qui 1'ortbo*
doxie traditionnelle a toujours force de:loi est une veritable^
tour de Babel ou la contusion; des idees est encore plus
grande que la diversite des langues 3 . En ce. qui touche la
theologie lib^rale 1 et surtout, rationaliste, aux prises aveo le-
probleme du Christ, ce verdict severe neparalt que jutei
C'est que tous ces essais impliqnient un dafaut radical ; qoii
vicie 1'efFort souvent considerable 1 des: auteursv Leurs opinions-
philosophiques amenent ceux-ci, premierement a simplifier in-
dument les textes evangeliqcu.es et.les' donnees historiques du
christianisme anoien, deu-xiemement multiplier parallelement
les conjectures les moins plausibles : infiltrations paiennes,
pastiche litteraire, redaction compliquee, supposition d'un
premier etat des documents auquel on attribue ce qu'oni
1. Jesus, dans le Hibbert Journal, XXIII, 1924-25, p. 1-20.
2. Ces essais, qui vont du R6v. R. J. Campbell an R. P. Joseph Rickaby,
en passant par G; Tyrrell, Paul Schmiedel et Sir Oliver Lodge; ont 6t6-
publies en supplement au Hibberl Journal, London, 1909.
3. Jdsus ou le Christ? dans Hibbert Journal, avril 1910 > p. 486i>
202 JESUS CHRIST.
veut conserver comme authentique, suivi de remaniements
tendancieux ou Ton relegue les traits indesirables. Tel ecri-
vain ne veut d'aucun miracle; tel autre laisse subsister
celles des gue'risons qu'il estime possibles ; celui-ci recourt
a la mythologie babylonienne ; celui-la a 1'eschatologie ira-
nienne, beaucoup d'autres a I'instinct createur de la commu-
naute primitive. L'e"tude des documents sous-jacents aux
evangiles permet a la virtuosite des exegetes de multiplier
les versets contested, les artifices re*dactionnels, les interpola-
tions; un critique signale trois couches documentaires sous
une parole e'vangehque, soyez surs que le suivant en recla-
mera une de plus. Aheurtes aux details, ils p<erdent de vue le
-certain etles grandes lignes ; les arbres les empechent de voir
la fort.
Get embarras, ces simplifications executees a priori et justi-
fiees ensuite, vaille que vaille, par une critique coraplaisante,
me resolvent pas pourtant toute la difficulte. M4me apres ces mu-
tilations, il en reste trop. Et Ton voit les exegetes rationalistes
recourir, pour eliminer ce reliquat de surnaturel, aux conjec-
tures les plus extravagantes, les plus irrespectueuses, les plus
incompatibles avec la grandeur morale qu'ils sont bien forces
de reconnaitre en Jesus.
De cette faillite du naturalisme (le mot est de M. Frederic
(Loofs 1 et le fait sous nos yeux) la solution chretienne rec.oit un
surcroit de probabilite qui n'est pas meprisable. Mais la force
de cette solution est avant tout dans sa coherence, et dans la
ilumiere qu'elle projette sur les documents. En abordant cette
etude directe, on serait tente de se derober, de repe"ter apres
darlyle : Qu'un silence sacre 1 medite ce mystere ! Le croyant
qui s'en prend a 1'image traditionnelle du Christ se fait a lui-
meme 1'efFet d'un Vandale, et sa main tremble.
3. Le Mystere de J6sus.
Qu'il y ait eu en Jesus de Nazareth quelque chose de divin,
ou tout au moins de surhumain, c'est ce que reconnaissent
I. F. Loofs, What is the Truth about Jesus Christ? Edinburgh, 1913,
'lectures II et III. Voir , dans le m6me sens les reflexions confiantes de
J. Middleton Murry, Jesus Man of Genius, London, 1926, p. ix suiv.
LE PROBLEMS DE JESUS. 203
unanimement ceux de nos contemporains qui n'ont pas, en suite
d'options philosophiques dont ils n'entendent pas se de*partir,
leur siege fait . Bien que fecondee par 1'hypothese de 1'evo-
lution, la the"orie hegelienne perd du terrain. Ni tous les pro-
testants liberaux, ni (et beaucoup moins) les conservateurs et
les Anglicans, ne se refusent a admettre en Je*sus la presence
d'une etincelle divine. Les premiers nomme's ont die", dansce
qui precede, soraraes de definir 1'element prophe*tique ou,
selon le mpt de W.'Bousset, plus que prophetique qu'ils
revendiquent pour Jesus. Leur position est instable; il leur
faut ou re*trograder vers un rationalisme consequent et ne voir
dans le Sauveur qu'un prophete semblable aux autres, peut-
e"tre (a condition de renoncer a 1'hypothese evolutionniste) le
plus grand des prophetes ; ou aller au dela, et reconnaitre en
lui quelque chose de proprement divin.
Gette derniere position est celle qu'adoptent, avec nous et
tous les ehre'tiens des Eglises non unies, les protestants con-
servateurs et les Anglicans. Mais quand il s'agit pour ceux-ci
de definir ce quelque chose , cet element divin, c'est une
confusion qui n'a d'egale que celle des explications, des com-
ment proposes pour rendre vraisemblable 1'union, dans le
Christ, de cet Element transcendant avec 1'humain. La question
est surtout d'ordre theologique, et nous pourrions ne pas nous
y attarder ici, contents de souligner ce qui nous rapproche
des auteurs auxquels il est fait allusion. Toutefois, cette atti-
tude ne parait ni habile, ni meme tout a fait loyale. Plusieurs
protestants en effet, et m^me quelques Anglicans aheurtes a
cette difficult^ et 1'esprit preoccupe d'un rationalisme incons-
cient, proposent des solutions qui se ramenent, en fin de
compte, a celle des protestants liberaux. A ces derniers, nous
n'avons rien a dire pour 1'instant. C'est tout ce travail qui doit
montrer que leur prevention est religieusement, et historique-
ment, insoutenable.
Restent done finalement ceux des protestants conservateurs
et des Anglicans qui, renongant au dogme chretien defini a
Ephese et a Chalcedoine 1 , pretendent maintenir 1'existence en
1 . Parmi ceux qui acceptent ces dogmes, et bien qu'il y ait de graves
r6serves a presenter sur la facon dont il propose d' entendre la Self-limi-
204 JESUS CHRIST;
Jesus d ? un element divin. G'est le cas A& bBaucoup le; plu<
general. Un specialiste;en hiistbire dies dograes eimotamment;
en christologiev M. Fr. Loofs^ nous? assure (oqu^iLyaiaipeinB; un?
theologiien' '(protestaat)- ihstruit je n?en connais:pas un? seul' ;.
en Allemagne qui de" f ende la^christologie rorthodoxe tdans; sa
formie pure * ; De' son c6t , lef professeur Ti B * Rilpatrackv-
parlant pour les; thieologiens; d'Angleterre? et d ; Amerique r
adop fce le verdict sommaire dii Principal Dykes^ selon. leq<uel le-
dogme defini a Ghalcedoine, n?est demature a satislaire nile^
cceur ni la t^te 2 . Le -Ti r < Hi. R; Mackintosh pense d:e:m^me !3 .
Avec plus 'de mesure et;de- respect; et tout 'en plaid-ant,' pour le-
dogme ds deux natures, leS' circonstances attenuantes v
M. William Sanday n ? y voit pourtant qw'une conceptionindisf^
pensable en son tempsj mais; precaire et actuellementi ddpas^
see 4 .
N'acceptant pas la^ solution chretienne definie 1 aux iy e et
V siecles, ces>theologiensis'engagent a^ en fournir une autre,
meilleure. B^aircoupt ont CPU la trouver dans.le passage celebrv
de 1'Epltre aux Philippiensrou le- Christ est montr^s se depouil-^
lant ,- se vidanfr en qu-elque sorte 1 de lui-meme : l/ivuxysv'
eatiTcv : exinanivit semetipsum. De la^aconclure que le Verbe-
s'etait depouille, en s'incarnant, de tout ou partie de'ses.attri-
buts divins, la: pente>etait facile. Tout en perm ettant d'echapper
a Tidee (insoutenable en efFet, mais aussi formellement here-
tique) selon- laquelle. 1'union hypostatique se serait accomplie
tation du Christ incarn6 ; il faut mettre au. .premier, rang, le D' r Charles
Gore : The Incarnation of the Son of God, London, 1891, et surtout Disser-
tations on subjects connected with the Incarnation ! , London, 1907. L'au-
teur s'efforce d'expliquer dans ce dernier ouvrage; p. ; 207 J a 213,' comment
ces 'hypotheses sont consistante& avec le:sens:plenier; des* decrets .: conci-
liaires, en particulier avee celui qui enseigne 1'integrite des< deux .natures-
dans le Christ. Dans un sens analogue, mais avec moms* de fermete et
d'unite, voir le D r W. Temple, Christus Veritas, An Essay, London, 1924.
1. What is the Truth about Jesus Christ, Edinburgh, 1913,' p. 184.
M". Loofs, en plus de s&Dbomengeschichte*; Halle, 190&, et'de sa Symbolik,.
Tubingen, I, 1902, a compose: les articles Christologie, Kenosis,, etc...
de la REP 3 .
2. Dictionary of Christ and the Gospels, 1, 1906, s. v. Incarnation, p. 812 Ik
3. Dans son livre, The Doctrine of the Person of Jesus Christ, Edinburgh,.
1914j p. 292 a 299.
4. Christologies ancient and modern, Oxford, 1910, p. 54-55.
LE PROBLEM EBB JESUS. . 205
: |)arle melangetdesdeu'X matures, divine^etihumaia^ppesentes
dans^e Christ, ce utepouillement, icette <kenose ^,'ipouvait
<se diversifier *et<se>doser'.a> 1'infini. 'Ghacun-mesura ^aux exi-
.gences'de^sa'philosophiejparticulierele sacrifice spretendument
'Consentrpar'le Verbe., Pour certains lutheriens du sieole ?der-
riier, le Christ aurait, duranfcsa vieshumame, cesse d'e'tre Dieu !
La plupart sont moinsrradicaux, et .distinguent, des^attributs
antrinseques et foridamentauxique le Verbe incarne ^aurait
retenus, certains attributs extrinseques propres-a-la forme de
Dieu et non-a-la ;forme; d'homme> (=tels -roraniscience , 1'ubi-
^quite, etc.). Sous.Fune ou 1'autre'de -ces :modalite's,'Cette theo-
rie, foridee sur une -fausse interpretation -du ^passage de saint
Paul 'qui liiisertde point de depart ! , nous met par surcroit, sous
couleur d'eviter le mystere,'en ;face ^d'une contradiction. Dans
sa'forme- extreme , -elle 'nous presente une personne r se depouil-
lant de ; ce qui la constitue personne. Gette enormit^ merite
assurement les'severites ; de M. F. Loofs, -concluant un long
memoire sur la kenose par ces- paroles : Toutesles theories
que nous faisons, pauvres homines, sur Tlncarnation divine,
sont deficientes, mais de toutes la plus deficiente est la-moderne
th^oriede la'kenose 2 . Ailleurs le meme th^ologien s'exprime
pflus fortement encore centre cette theorie morte la
du-moins ou elle a:pris -naissance, en Allemagne et qui
releve plut6t de la'mythologie que de la^theologie 3 . On ne
saurait Triieux dire.
Toutefois la conception du depouillement peut, nous
1'avons vu, s ? attenuer, se degrader, pour ainsi dire parler,
de bien'des manieres. 'Et sous teile ou telle de ces formes
ad6ucies, elle a joue un >graad T61e, qu'elle tiejit encore
parti ellement, dans la theologie anglicane 4 . La limitation
1. Le Verbe * se depouille,.non en rejetant la forme diyine, <jui etait
ins6parable de son 6tre, mais en cacharit sa forme divine sous une forme
humaine et en renoncant ainsi pour un temps aux honneurs divins qui
lui Staient dus > ; F. Prat, La Thfologie de saint Paul, II, Paris, 1912,
p. 187. On peut voir egalement 1'excellente dissertation consacr6e par le
meme auteur au Depouillement du Christ, ou"K6nose ;ibid. } p. 239 a 243.
'2. Kenosis, dans la REP*, X, 1901, p. 263.
3. What is the Truth about Jesus Christ? 1913, p. 222 suiv., 226.
4. La-dessus, W. Sanday, Chrislologies ancient and modern, 1910, p. 73
suiv.
206 J&JUS CHRIST.
volontaire que, d'apres le Docteur Gore, s'imposa le Christ,.
1' abandon re* el , la remise qu'il fit de tel de ses attributs
divins extrinseques, permettent de ranger le savant anglican
parmi les tenants mode'res de la ke'nose; le D r Mackintosh
marche plus avant dans la me'me voie 1 , efc le Professeur J. Be-
thune Baker, de Cambridge, ne craint pas de dire qu'il ne
voit pas, pour sa part, d'autre moyen propre a concilier
une veritable experience humaine en Notre Seigneur avec la
croyance en sa divinite' 2 ,
Mais il faut s'entendre. S'il s'agit d'une limitation dans-
1'usage et 1'exercice de certaines prerogatives divines, on
n'aura nulle difficult^ a reconnaitre ce depouillement r
cette humiliation , cet aneantissement qu'imposait
la pratique d'une vie humaine reelle. Si Ton veut aller plus-
loin (et toute veritable theorie de la ke'nose va jusque-la) en
soutenant que le Verbe inearne renonga en fait, abandonna
quelqu'une des proprietes constitutives de sa nature divine,,
ou conse"cutives a la possession de cette nature, on se met
hors du terrain de la religion chretienne.
Beaucoup d'Anglicans le font deliberement. Les autres, et
Tunanimite (moralement parlant) des protestants conser-
vateurs, mecontents de cette conjecture de la kenose,
cherchent d'autres voies. Mais il n'est pas aise d'en ouvrir
de tout a fait nouvelles, et nous voyons qu'il n'esfc presque
aucun des errements anciens, de 1'arianisme et de 1'adoptia-
nisme au monophysisme, qui n'ait trouve de nos jours un
tenant plus ou moins conscient et complet. Plus originaux r
sinon plus heureux, sont les essais qui s'inspirent d'une-
theorie philosophique contemporaine. Gelle qui definit la
personne par la conscience psychologique, a fait de nom-
breuses victimes. Le Professeur Sanday, tout en maintenant
explicitement la divinite du Christ, recourt aux observations et
aux generalisations conjecturales qui ont elargi jusqu'a l'inlini r
pourrait-on dire,le domaine et la competence du subconscient 3 .
1. The Doctrine of the Person ofjesus Christ, Edinburgh, 1912.
2. t It is the only theory known to me which allows for the genuinely-
human experience of Our Lord and the Christian belief in His Godhead. i>
The Journal of Theological Studies, XV, octobre 1913, p. 108.
3. Christologies, lectures VI et VII. Je me suis longuement expliqu6-
LB PROBLEMS DE JHSUS. 207'
D'apres lui, la conscience elaire du Christ aurait etc
entierement, exclusivement humaine ; mais cette conscience-
n'est pas la mesure de I'e'tre humain, et beaucoup moins du
Christ. Au-dessous du moi superficiel s'etend en profondeur
le moi subconscient, et c'est la, dans ce fonds subliminal de
tout I'e'tre, qu'auraient reside* ces tresors divins ine'puisables-
dont saint Paul nous dit qu'ils e"taient caches dans le Christ.
G'est de la que serait monte peu a peu, jusqu'a la con-
naissance et manifestation distinctes, sous forme de pressen-
timents, de vues partielles, d'anticipations, tout ce qu'une
conscience, une pensee, une parole humaine, pouvaient porter
et transmettre du divin, present en Jesus.
Cette theorie trop ingenieuse, fondee elle-me'me sur des-
donnees hypothe"tiques et tres contestees, n'a guere trouve
d'echo. Elle vient se briser centre cette difficult^ majeure-
qu'en ce cas, Jesus n'eut pas conscience d'etre Dieu quoiqu'il;
le fut; que ni sa parole, ni sa pense"e distincte, n'allerent
jusque-la; que notre jugement sur Jesus de Nazareth depasse
done celui que lui-meme pouvait porter, et porta en fait,,
sur sa personne; que notre profession de foi : Je*sus est
Dieu doit s'expliquer ainsi : Au-dessous du moi super-
ficiel, conscient, s'etendait en Jesus de Nazareth, integrant
le moi humain total, un moi profond, ineffable, subconscient,.
lieu et siege d'une Deite, en continuite avec 1'infini de la
divinite* 1 . M^me parmi ceux que n'eut pas decides rincom-
patibilite de cette conjecture avec les positions catholiques-
traditionnelles, bien des gens ont pense, non sans raison r
quQ c'etait la expliquer obscurum per obscurius.
Faut-il mentionner d'autres essais? II n'est guere de con-
ception totale des choses, de philosophic nouvelle (ou censee
telle) qui ne puisse donner lieu a des applications de ce genre,,
fruits d'une science beaucoup moins bien informee que celle
h, ce sujet dans les Recherches de Science Religieuse, 1911, p. 190 h 208..
Depuis, le D r Sanday a tent6 de repondre aux objections opposees a sa-
these, en particulier a celles de M. Alfred Garvie, dans Personality in
. Christ and in Ourselves, Oxford, 1912.
1 . Christologies, p. 166 sui v. Je resume brievement ici 1'argumen-
tation developpee dans 1'article precite des Recherches de Science Reli-
gieuse, mars 1911.
,:208 JBSUS : CHRIST.
jde M. :Sanday,;Nous avons releve ,eM#sSiUS les explications
><demandees .a la psychanalyserpariG. , f Beuguer. Vk)iei, d'amtre
i part, u-ne theorie >de 1' Incarnation ; etablie ,dans les lignes ide la
iphilosophie ,de .M. Henri sBergsoal. Les -votes tentees par
les protestants conservateurs >du continent sonfc ?encore rmoins
-engageantes. Gelui 'quLa le plus 3tudie la question, et
, met hors ;de pair sa coniiaissance sde ytoute ,la .tb^ologie c
tienne, y compris (chose : infinimettt rare ohe.zrles protes,tants
efc :qui ,a trop man:que a son -rival, M. von fHarnack) la theo-
tlogie medievale, M.;Heirihold Seeherg,;de Berlin, ne rdonne
ipas ce rqu'il \ semblait promettre d'abord 2 . rFarlant .du .mystere
-de la Trinit^, et observant toes justement ique la notion :de
- personne , ; appliquee a ce ^mystere, est londde sur.les
.relations :des Termesjdivins, M. Seeteijgipease que la divi-
>nite ;de Jesus ;a ete coiistit.uee par un infl-ux, un.e energie,
une sorte d' idee-force .divine, faisant, de I'homme Jesus
-de Nazareth, Tor,gane ,de : Die.u, son instrument pour la
fondation sur terre .du .Royaume des cieux. Jesus n'eut
/d'autre personnalite que son humaine .personnalite; mais la
Tolont^ ; personnelle de ;Dieu collaborait de telle sorte avec
4a sienne, que la vie de Jesus devenait, en quelque maniere,
tune -seule. chose ;avec la volonte*. personnelle.de Die u. Tout
>en utilisant au debut ;certains Elements traditionnels authen-
tiques, cette theorie n'est; pas sans : rapports av.ec.la vieille
jheresie des Adoptianistes, que M. R. :Seebergtraite.d'ailleurs
..avec 'faveur dans ?son Traite id'kistaire des dogmes*. Quoi qu'il
en soit, elle parait a M. Loofs trop definie, trop , ; affirmative,
trop explicite sur la fagon :dont .Finhabitation divine dans le
Christ a fait de Jesus de 'Nazareth le. mddiateur indispensable
ntre Dieu et les homines. .M. Loofs ;lui-m4me, adoptant en
les modifiant certaines idees de Kaehler, s'arrete ia une oon-
1. Onannongait, en 1920, A. A. Luce, Monophysit ism past and present :
an attempt to interprets catholic Christology in terms of Berysonian psy-
chology. (Ala Society for promoting Christian Knowledge yJLondon.)
2. M. R. Seeberg a expose ses idees sur ce point dans son ouvrage Die
-Grundwahrheiten der christlichen Religion^, Leipzig, .1910, et le memoire
Wer .war Jesus? insere dans le second tome xle son recueil d'articles Am
Religion .und Geschichte, II, Leipzig, 1909, p. 226 suiv.
3. Lehrbuch der Dogmengeschichte*- 3 , III, Leipzig, 1913, p. p3-58.
LE PllOBLEME DE JESUS. 209
ception analogue, mais plus vague. La personne historique
du Christ a ete une personne humaine, settlement humaine;
imais enrichie, transformed par une inhabitation de Dieu (ou
de 1'Esprit de Dieu) d'un caractere unique, qui restera
inegalee a jamais, et a fait de Jesus le Fils de Dieu ,
a'evelateur du Pere et initiateur d'une humanite nouvelle.
Un ecoulement, une effusion, une inhabitation divine analogue
anais inferieure, sera le lot final de ceux qui sont rachetes
par le Christ 1 . Si Ton demande de quelle nature etait cette
inhabitation, cet ecoulement divin, M. Loofs repond : Mys-
ttere!
Plus radical et fidele a 1'esprit du Kantisme, le celebre
theologien reforme W- Herrmann declare vaine toute tentative
d'explication, et renvoie dos a dos, comme egalement four-
voyees, les dogmatiques protestante et catholique 2 . A son avis,
>la foi chretienne consiste dans le fait de trouver en la personne
liistorique de Jesus, la seule Puissance spirituelle a laquelle
I'liomme religieux puisse et doive se soumettre sans condition,
-la seule solution au probleme angoissant pose a riiomme
moral paries exigences de la moralite comparees avec 1'impuis
sance et la culpabilite humaines. Le chretien, en consequence,
croit, pour 1'avoir eprouve, que Jesus est la revelation de
Dieu, son mediateur unique aupres de Dieu, et, en ce sens,
qu'il est divin. Mais tout essai pour vouloir traduire cette foi
en une croyance dogmatique aboutit a 1'erreur, parce que la
categoric religion et moralite est incommensurable avec la
categoric intellectuelle 3 .
En resume, les theories continentales des protestants
conservateurs, des qu'elles pretendent depasser 1'agnosticisme
dogmatique absolu, abandonnent carrement ce que 1'Eglise
catholique a toujours considere comme la pierre d'angle du
dogme de 1'Incarnation. Pour les auteurs que j'ai cites, et
ils font autorite dans leurs Eglises, la personne de Jesus ne
futqu'une personne humaine. Un influx, un don, une effusion
1. LJi-dessus, la derniere lecture de What is the Truth about Jesus Christ?
-specialement p. 228 a 241.
2. Christlich-protestantische Dogmatik z , dans KGg, I, IV, 2, Berlin et
Leipzig, 1909, p. 178.
3. Voir H. Mulert, W. Herrmann, dans RGG, II, coll. 2138-2142.
JKSUS CHRIST. H. 11
210 JESUS CHRIST.
de 1'Esprit de Dieu survint, analogue a 1'inspiration prophe-
tique, mais d'une espece plus haute, d'une richesse plus
large, et ainsi creatrice de prerogatives plus singulieres.
Jesus de Nazareth est un homme divinise d'une fac.on myste-
rieuse, mais capable de lui conferer la dignite de Fils de
Dieu et les autres pouvoirs que nous connaissons par les
Ecritures. A parler proprement, il ne faudrait pas dire :
la Divinite du Christ , mais la Divinite dans le Christ .
Pour bien faire, il ne faudrait plus adorer le Christ, mais Dieu
dans le Christ. Et c'est avec tristesse que nous enregistrons-
ces conclusions si etrangeres au christianisme authentique 1 .
II n'est pas sans interest, ni sans importance, de remarquer
que ces solutions nouvelles donnees au probleme christologique
en arrivent nonobstant 1'insistance de leurs auteurs res*
ponsables sur le c6te mysterieux de la question a attenuer,.
ou meme a supprimer le mystere de 1'Incarnation. C'est ce
qui permet de croire que ces auteurs sont guides loin des-
voies traditionnelles par un rationalisme inconscient. Que
Jesus de Nazareth ait ete investi par une grace meilleure, une-
inspiration du genre prophetique mais d'une intensite unique,
il n'y a la en effet qu'une question de plus ou de moins. II n'y
a pas de mystere nouveau, proprement dit, ajoute a celui
que pose la conversation amicale du Cre*ateur avec ses-
creatures raisonnables.
La position catholique du probleme ou, pour mieux dire,,
la position chretienne, ignore ces timidites : refusant, selon
1'expression energique chere a saint Paul 2 , d'infirmer, d'obs-
curcir, d'annuler le mystere du Christ, elle tient et proclame-
1. De la aussi, la facon embarrass6e dont W. Herrmann, par exemple,.
parle de la priere au Christ. Elle ne serait une priere veritable, que lors-
que pour le chr6tien toute difference aurait disparu entre la personne de
Jesus et 1'unique Dieu personnel. Une priere au Christ qui ne serait pas-
une elevation a cet unique Esprit personnel hors duquel il n'est pas de
Dieu, ne serait pas une priere chretienne. Ces mots peuvent etre
.entendus en un bon sens, mais aussi ouvrir la porte a un subordinatia-
nisme origeniste qui n'est pas le christianisme authentique : Worum han-
delt es sich in dem Streit um das Apostolikum*, 1898, p. 12.
2. Sur cette expression, xatapy^a), rare ailleurs, mais tres familiere 6.
saint Paul, Moulton et Milligan, VGT, p. 3316.
LE PROBLBME DE JESUS.' 211
que Tunion dans une mdme personne prdexistante comme
telle, de deux elements, de deux principes d'action dis-
tincts, de deux natures la divine et 1'humaine est un
mystere qui passe 1'esprit de Thomme. 11 ne saurait done etre
question de justifier directement la doctrine de 1'Incarnation,
de la montrer par raisons intrinseques, comme la seule veri-
table. Se fier a Jesus de Nazareth, Seigneur et Fils de Dieu,
d'une facon inconditionnee en matiere religieuse, sera la der-
niere conclusion de ce travail. Un pas plus avant mene a
1'Eglise chretienne catholique, depositaire et interprete de
la doctrine authentique du Christ 1 , et c'est d'elle que nous
recevons, sans crainte d'erreur, le dogme de I'lncarnation.
Toutefois, et sans pretendre I'imposer d'autorite comme la
solution mysterieuse mais assured du probleme de Jesus, il
n'est pas interdit, et il sera tres opportun de re'sumer ce
dogme dans ses grandes lignes. Non seulement il formule
celle de toutes les solutions historiquement presentees qui a
sans comparaison reuni le plus d'adhe"rents, et au meilleur
titre, mais lui seul, a vrai dire, fait justice aux donnees de la
redoutable enigme. De 1'aveu du Professeur J.Bethune Baker,
quiconque accepte pour de 1'histoire au sens ordinaire du
mot, ce qu'implique le quatrieme evangile (et m^me la teneur
complete des trois autres), touchant la conscience du Christ
durant sa vie terrestre, n'a pas a se pr^occuper d'une refonte
de la doctrine traditionnelle. Sitels sont les faits de la vie de
Notre Seigneur, et sicet hommefonde sa doctrine surles faits,
il n'arrivera pas a une coordination meilleure que celle de la
christologie traditionnelle 2 .
Nos lecteurs savent par le livre I er de cet ouvrage pour-
quoi nous avons le droit de conside"rer, et, sur le terrain ou
nous nous confinons, dans quelle mesure nous considerons
les documents eVangeliques comme de 1'histoire. Nous n'avons
pas eu besoin de presser cette valeur substantielle jusqu'a
1 . Voir dans le Dictionnatre Apologttique 1'article Eglise par Yves de
la Briere, vol. I, col. 1219-1301. Batiffol, L' Eglise naissante et le catholi-
cisme, Paris, 1909. D'Herbigny, Theologica de Ecclesia, 2 vol., Paris, 1920-
1921. Dieckmann, De Ecclesia, 2 vol., Freiburg i. Br., 1925.
2. The Person of Jesus Christ, dans le Journal of Theological Studies,
XV, octobre 1913, p. 111-112.
212 JESUS ciiniST.
1'inerrance du detail pour dresser, des revendications mes-
sianiques de Jesus, un tableau d'ensemble qui ne laisse pas
place au doute. Des actes du Sauveur, et en particulier des
signes accomplis par lui (qu'on nous permette ici d'anticiper
sur les conclusions du livre suivant), ressort une lumiere
qui interprete les declarations et les effusions transcrites
plus haut. A ce c6te transcendant et surhumain de 1'Evan-
gile, la qualite de Seigneur et de Verbe divin reconnue au
Maitre de Nazareth fait justice. Elle est une clef qui ouvre
chacune des chambres ou luit, dans 1'obscurite du texte, la
lampe sacree. La ligne de demarcation claire aux yeux de
tout homme que ne seduit pas le mirage pantheiste, le fais-
ceau lumineux qui replonge, en s'eclipsant, Fesprit dans un
obscene chaos, cette ligne laisse decidement Jesus de
Nazareth du c6te divin. Dans cette perspective, on s'explique
que, pour connaitre le Fils, il ne faille rien de moins que la
science infinie du Pere ; on eomprend la valeur sans limite
attribute par Jesus a sa mediation, a son sang, a son ceuvre;
on adore (ce qui est ici le seul moyen d'excuser) ses extraor-
dinaires exigences, cette confiance sans condition faite a
l.'amour du Maitre, presentee comme supreme et puriiiant par
sa propre vertu. Hors de cette perspective nous n'avpns plus
qu'interpretations tendancjeuses et forcees, promesses deme-
surees, ambition exorbitante, actes injustifiables. Ge n'est
pas seulement Fexegese destextes, ce sontles vraisemblances
psychologiques qui nous inclinent en ce sens. La superiorite
dans 1'equilibre, la sante morale et intellectuelle manifestee
sur les plus hautes cimes, la limpidite d'une ame tres pure
unie a la conscience de la plus extraordinaire mission, tous
ces traits concourent a ecarter 1'hypothese de pretentions
hyperboliques et sacrileges, maintenues jusqu'a la mort
inclusivement.
D'autre part, Jesus de Nazareth fut un homme de chair et
d'os, un roseau pensant, s'inclinant, comme nous tous, sous
les dures rafales qui 1'assaillirent. II pleura, il eut faim, il
manifesta jusqu'aux larmes et jusqu'au sang ses repugnances
et ses affections. II fut homme de son temps, de son pays, de
sa race. II eut une mere, des amis, des adversaires; il fut
eheri jusqu'a 1'adoration et hai jusqu'a la folie. Sous le lourd
LE PROBLEME DE JESUS. 218
soleil de la Samarie il se laissa tomber un jour epuise", tel
qu'il etait , a m6me le bord du puits de Jacob. Aux avances
d'Herode Antipas, curieux de le voir faire ses irierveilles a
decouvert, et tenant le condamne a sa merci, Jesus ne re"pondit
rien. A Gaiiphe, a Pilate, il parla, selon les vues de sa pru-
dence ou de sa bonte. Ge n'est pas la un ange sous forme
humaine, un fantdme, un semblant d'homme.
Et c'est aussi ce qu'affirme le dogme chretien centre les
chimeres de tous les temps. II ne craint pas d'appuyer, d'affip-
mer, de tirer les consequences : Jesus possede une nature
humaine veritable, non apparente seulement, un corps veri-
table, forme de la pure substance de sa mere, un corps pas-
sible, un creur sensible, une ame raisonnable. Ne de la race
d'Adam, il nous est consubstantiel . Il n'est pas un Dieu
consentant a une experience e'phemere d'humanite, a un avatar
de trente annees. II eut des infirmites humaines, une vo-
lonte humaine, des passions humaines. Ghacun ,sait que je
pourrais mettre sous chacun de ces mots des references aux
definitions conciliaires et aux ecrits des Peres 1 .
A travers ces elements si divers et en apparence incompa-
tibles, le divin et I'humain, resplendit dans 1'image evange-
lique du Christ une indeniable unite. Gette dualite n'entraine
pas un dualisme, comme on s'y attendrait. Us ne sont pas
1. Des penseurs tres libres comme Sir Henry Jones s'elevent justement
centre la defiance que 1'emploi de termes techniques eveille en certains
esprits. Citant le D r J. Denney qui, dans son Essai Jesus and the Gospels
estime en finir avec la proposition : Christ est consubstantiel au Pere >.,
sous couleur que c'est la une proposition purement metaphysique >,
H. Jones reprend avec beaucoup de sens : < Consubstantiel peut etre un
terme metaphysique, mais il n'y a pas de terme qui ne puisse etre, peu
ou prou, metaphysique. Dire d'une expression ou d'une doctrine qu'elle
est metaphysique, peut aider certaines personnes a les rejeter; pourtant
les doctrines metaphysiques sont justement comme les autres, les unes
vraies et les autres fausses, et une pensee metaphysique n'est pas diffe-
rente d'une autre pensee, sauf en ce qu'elle est (ou devrait etre) plus
coherente et approfondie, et decrit un objet plus exactement et pleine-
ment. Et quoi que signifiat consubstantialite quand le mot etait en vogue,
il impliquait et implique encore, meme pour des simples, que Jesus de
Nazareth est en quelque maniere un avec Dieu; et 1'acceptation ou le
rejet de cette vue etait regard6 comme une question de vie ou de mort. >
The Idealism of Jesus, dans Jesus or Christ f London, 1909, p. 86.
214 JESUS CHRIST.
deux. G'est un seul moi qui pense et parle, contemple et
souffre, guerit et pleure, pardonne et se plaint. On arrive
parfois a donner 1'impression ou 1'illusion d'une personne
unique avec deux portraits adroitement superposes; mais a la
regarder de pres, 1'image se dedouble, la suture apparait,
Nulle part dans ce que nous savons de Je*sus, on ne trouvera
le joint par ou s'introduirait la lame aigue qui ferait, dans
cette activite soutenue, deux parts. Nulle part on ne peut
dire : ici s'arrete, avec la puissance d'un pur homme, la
vraisemblance, la suite, 1'impression de vie re"elle donnee par
cette vie. L'essayez-vous, vous EC ramenez pas cette sublime
physionomie aux proportions humaines, vous lui enlevez tout
relief, toute vraisemblance; vous en faites une entite vague,
incoherente, impossible.
Mais a priori, cette union en une seule personne de. deux
principes d'etre et d'action si differents, n'est-elle pas a
rejeter? Ici, nous avouons, ou mieux, nous proclamons le
mystere, mais en observant qu'il est la ou nous devions
1'attendre et, pour ainsi dire, qu'il est bien place. G'est un
fait aussi que des activites fort diverses se subordonnent et
se hierarchisent dans la plus stricte unite que nous puissions
experimenter du dedans, celle de notre moi. Vegeter, penser,
dependre de conditions materielles au sens le plus etroit du
mot et s'en liberer par la conception de 1'universel ou 1'as-
piration au bien desinteresse, ne sont-ce pas la des disparates
singulieres, a premiere vue, des qualites incompatibles? Je
suis cependant tel, et je pousse comme je pense, a la fois
chair et esprit. Gette comparaison, qui n'esfc qu'une compa-
raison, aide pourtant a concevoir 1'unifce dans la personne
du Christ, de deux natures , de deux principes d'action
distincts. Les formules du concile de Ghalcedoine etdes syriodes
anterieurs et ulterieurs ne doivent pas faire illusion. II est
loisible aux theologiens de s'emparer de ces termes consa-
cres, d'en etablir le sens precis, d'y chercher des suggestions
ou des arguments pour telle theorie preferee. Mais ces recher-
ches et ces hypotheses ne sauraient faire perdre de vue le but
des Peres et leur fayon constante de proceder. Qu'on ne
parle done pas ici d'intrusion philosophique , d'opinions
humaines incorpore"es au dogme, d'une christologie, nee
LE PROBLEMS DE JESUS. 215
sous 1'influence d'idees philosophiques grecques, qu'il nous
est devenu impossible de partager 1 .
II est tres notable, au contraire, de voir les Peres s'appli-
quer a garder pure d'alliage, par des enonciations coupant
.court a toute equivoque, la verite revelee, 1'objet de foi. Leur
unique souci est de repousser les concepts inexacts, les for-
mules qui mettraient en peril une parcelle de ce que 1'Eglise
a toujours cru, de cette tradition non ecrite, ou suggeree
plutot que precisee dans les Ecritures, mais vivante au cceur
des fideles, inspiratrice de la devotion publique, postulat
constant de la liturgie et du culte. De la vient que le meme
terme, le meme adage, dans 1'espace d'un siecle, passe par
des fortunes diverses, accepte, suspect, enfin triomphant,
selon que 1'explication qu'on en donne se conforme ou non a
la re"alite superieure, a la chose du dogme qu'il s'agit de
definir 2 .
Loin d'introduire avec eux dans la croyance de 1'Eglise
1. Fr. Loofs, What is the Truth about Jesus Christ,^. 185. Toute la seconde
partie de cette legon V, p. 185-201, est consacree a jetablir cette these.
J'ai traite cette question des formules dogmatiques bien avant que I'effort
raoderniste tendit a obscurcir et a pervertir la notion de dogme; L'elasti-
cite des formules de /b, ses causes et ses limites, Etudes, 5-20 aout 1898,
t. LXXVI, p. 341 suiv., p. 478 suiv. ; et derechef a propos du Drame de
la Metaphysique chretienne de M. P. Lasserre, La Jeunesse d'Ernest Renan,
II, Paris, 1925, dans les Etudes du 5 septembre 1925, t. CLXXXIV,
p. 525-553.
2. C'est ainsi que vers la fin du n siecle le dogme de 1'unite divine
avait trouv6 une formule energique dans la Monarchic appliqu^e au gou-
Ternement divin. Mais en un temps ou 1'etude des doctrines trinitaires
donnait lieu a tant de controverses et d'erreurs, Pexpression etait dange-
reuse surtout par ce qu'elle ne disait pas. A 1'aube du ni e siecle, Tertul-
lien la d6nonce comme le mot de ralliement de tous ceux qui, sous
couleur de defendre 1'unite divine, detruisaient le concept de Trinite. En
depit de cette usurpation, qui fit donner aux heretiques antitrinitaires de
ce temps le nom commun de monarchiens >, la formule ambigue et
suspecte fut reprise par le pape Denys (259-268) et entra dSfinitivement
dans 1'orthodoxie ecclesiastique par suite de 1'explication magistrale qu'il
en presenta centre les Sabelliens. Des vicissitudes analogues attendaient
les mots de personne >, nature >, consubstantiel >, etc. Aujourd'hui,
1'abus qu'on fait du terme d' < immanence oblige ceux qui s'en servent
pour exprimer, comme il convient, la presence intime de Dieu dans son
oeuvre, a s'expliquer avec soin.
216 JESUS CHRIST.
une philosophie systematique, les notions employees par le
Peres et les vocables exprimant ces notions eurent a se puri-
fier ou, au rebours, a se charger d'un sens rajeuni. Leur
pouvoir de suggestion et d'expression dut se mesurer a la
foi, loin de la modifier. On a des exemples de termes evides-
jusqu'a e*tre entierement detournes de leur usage courant,
et remplis d'une vigueur authentiquement chretienne. G'est
ainsi qu'un reste du sens theatral et scenique flottait a la
maniere d'un relent equivoque autour des mots : rcpodcoTcov, per-
sona, figurant, personnage en representation. II suscita de-
telles tempetes qu'il fallut des annees de controverses et de
purification pour faire accepter le terme, avant qu'il devint la
norme de 1'orthodoxie. On peut juger par la si les Peres pre-
tendaient philosopher ou canoniser une philosophie systema-
tique, en definissant le dogme de Chalcedoine ! Ces definitions
sont sacrees pour nous; elles gardent nos esperances. Mais-
leur lumiere indique recueil et n'appelle pas comme la flamme
d'un foyer ami. Forgees dans un dur metal au cours du long
combat contre les erreurs et les detorsions subtiles, elles-
sont une armure plutdt qu'un aliment. Pour nourrir sa vie
spirituelle et rechauffer son coeur, le chretien leur preferera
toujours les paroles inspirees, pleines de sue, recueillies dans,
les Ecritures.
Nul ne connait le Fils, sinon le Pere,
et le Pore, nul aussi ne le connait sinon le Fils,
ct celui a qui le Fils veut bien le reveler.
Vencz tous a moi, les fatigues, les accables,
et moi je vous soulagerai.
Prenez sur vous mon joug, et vous mettez a mon ecole
et vous trouverez le repos de vos ames,
car mon joug est suave, et mon fardeau leger.
Seigneur, a qui irions-nous? Tu as les paroles de la vie eternellev
Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant!
Le Pere est en moi et je suis dans le Pere.
Mon Seigneur et mon Dieu!
Et voici, je suis avec vous, tous les jours,
jusqu'a la consommation des siecles.
11 est vrai que, pour defendre la croyance traditionnelle
contre des erreurs parfois contraires entre elles, on fut amend
LB PPOBLEME DE JESUS. 217
a la formulation abstraite, rempart indispensable (Tune verite^
intellectuelle, une seule personne, deux natures . Qu'est-
ce a dire? un seul Christ, un seul ego, agissant en homme,
et possedant done le principe premier d'operations humaines,.
la nature d'un homme, agissant en Dieu et, comme tel r
possedant la nature divine. Ge sont la des notions de philo-
sophic elementaire, auxquelles une maieutique bien dirige&
amenera tout homme sense, et dont 1'emploi ecarte les detor-
sions, les fausses imaginations, les simplifications arbitraires
qui mettraient en peril 1'image evangelique de Jesus.
Une personne qui, en dlepit de son e*vidente humanite,.
nous impressionne d'un bout a 1'autre comme etant chez elle
dans deux mondes , le divin et 1'humain; cette phrase du
D r J. R. Illingworth 4 me semble rendre excellemment 1'im-
pression faite par la lecture de nos evangiles. Transposez-la
en termes abstraits, vous avez la formule de Ghalcedoine.
Ghangez de methode, et, conformement a la regie erronee
seulement quand on la presse jusqu'a en tirer toute une phi-
losophic se suffisant a elle-meme qui commande de juger
1'arbre par ses fruits et la justesse des notions par 1'efficacite
des applications qui s'y appuient, demandez-vous sur quoi est
fondee en realite la religion chretienne, et de quelles croyances-
ont germe ces fruits infinis. Devotion et devotions, formes de
priere et actes de culte, attitude sociale ou privee des chre-
tiens, supposent egalement que Jesus Christ, 1'unique Jesus r
personne tres sage et tres bonne, adorable et accessible, est
n6tre par toute une part de sa vie, consubstantiel a notre-
humanite et, pour une autre part, qu'il est tout divin, di-
gne objet de l'hommage inconditionne qu'est 1'adoration
qu'il est Dieu. Essayez de le dire en termes abstraits et net-
tement : vous retomberez dans les lignes de la definition con-
ciliaire.
Les theologiens protestants, qui ne pensent pas que cette
definition ait dit le dernier mot sur la question, tachent, a
leur dam, d'aller plus avant, et risquent, pour esquiver le mys-
tere, de perdre la chose me'me du dogme . La plupart re-
connaissent pourtant 1' excellence relative de la formule
1. Divine Immanence, London, 1898, ch. iv; 6d. de 1904, p. 50.
218 JESUS CHRIST.
Chalce'dome. Elle donna, dit M. Reinhold Seeberg, sinon 1'edi-
fice, du moins le plan de cet edifice. Et il souligne tres bien
1'importance de 1'ceuvre, meme reduite a ces termes : Gomme
on avait reconnu a Nicee, une fois pour toutes, qu'il n'y a
qu'un Dieu, et en consequence que celui qui dit Dieu, doit
concevoir toujours le meme Dieu, non un demi-dieu, de sorte
que le Christ comme Dieu, est un avec le Pere; ainsi, a
Chalcedoine fut fixe'e cette doctrine que, quand on parle du
'Christ comme homme, il faut 1'entendre d'un homme con-
substantiel a I'humanite, non d'un homme semi-deifie. Comme
alors la notion mythologique de demi-dieu avait ete exter-
minee du concept de Dieu, ainsi, a Chalcedoine, fut-elle
exterminee de la notion du Christ fait homme 1 , II serait
difficile de mieux mettre en lumiere la portee, le character e
religieux, et 1'absence d'intrusion systematique dans 1'oeuvre
conciliaire.
Sous benefice des precisions ulterieures qu'apporterait a ce
travail une etude theologique 2 , tenons-nous-en done a cette
formule venerable comme a celle qui traduit le mieux, pour
nos esprits d'hommes, le mystere de Jesus.
Mais a nous borner aux conclusions de la recherche histo-
rique, nous avons le droit de dire qu'aucune preterition, ou
attenuation, ou accommodation de 1'element proprement divin
present en Jesus ne fait pleine justice aux documents. Dequel-
que fa?on qu'on 1'enonce ou qu'on tente de la concilier avec
Funite divine, cette donne"e est fondamentale, et toute synthese
se condamne, qui refuse de 1'embrasser ou s'efforce de 1'obs-
curcir.
1. Lehrbuch der Dogmengeschichte*, II, Leipzig, 1910, p. 247. Le juge-
ment de M. A. von Harnack sur la formule de Chalcedoine est au contraire
tres injuste et, il faut le dire, fortement empreint de literature ;
Lehrbuch der Dogmengeschichte*, II, Tubingen, 1909, p. 396 suiv., sur-
iout p. 397.
2. Voir dans DAFC, 1'article Trinitc.
NOTE A a
APOLLONIUS DE TYANE ET SA n VIE
Peu d'ouvrages ont donne lieu autant que celui de Philostrate
sur Apollonius de Tyane, a d'etranges abus. C'est dans les pre-
mieres, annees du in 6 siecle, entre 210 et 215 environ, que la Vie
<T Apollonius fut composee, sur le desir de rimperatrice syrienne,
Julia Domna, seconde femme de Severe et mere de Geta et de Cara-
-calla. Julia fournit aussi, selon toute apparence, au biographe, le
principal de ses documents, les Memoires d'un certain Damis de
Ninos (Ninive). Quelques auteurs (F. Ch. Baur et Ed. Zeller en
particulier) ont voulu voir dans ce Damis une simple fiction litte-
raire. Ed. Meyer, Apollonios von Tyane und Philostratos, dans
Hermes, 1917, p. 371-424, reprend a peu pros cette these, eleve
<Ies doutes sur les sources de Philostrate, estimant qu'il les a
lui-me'me en grande partie fabriquees. J. Hempel, Unlersuchungen
zur Ueberlieferung von Apollonius von Tyana, Stockholm (moins
radical), est d'avis que la comparaison des evangiles avec la tra-
dition d' Apollonius n'a aucune valeur concluante et reelle 1 . Mais
on n'a aucune raison decisive pour legitimer tant de suspicion : le
rccit de Philostrate, pour romance qu'il soit, presente Apollonius
commeun grand magicien, doue de pouvoirs merveilleux, ce qui
Concorde avec le plus ancien temoignage, independant de Philos-
trate, qui nous reste sur Apollonius, celui de Lucien. Dans son Ale-
xandre* ou le Faux Prophete, dedie a Celse, n. 5 et 6, Lucien
represente en effet Apollonius comme un charlatan, exergant la
magie, et exploitant la credulite publique.
1. GiW dans K. L. Schmidt, Die Stellung der Evangelien in der allegemei-
nen Literaturgeschichte, ETXAPISTHPION, II, Goettingen, 1923, p. 81-83.
2. Alexandra d'Abonotichos ; 14-dessus F. Gumont, Alex. d'Abonotichos et le
ndo-Pythagorisme dans RHR, LXXXVI, 1922, p. 202-210. Nous avons signale
plus haul, t. II, p. 132, note 2, le doute de M. Cumont touchant I'identit6 du
Celse ami de Lucien et de 1'auteur du Discours Veritable. Dans le radme sens,
cf. aussi E. de Faye, Origene, I, 1923, p. 141.
219
220 JESUS CHRIST.
Avcc les Memoires de Damis, Philostrate a eu en main, pour
composer sa VieJ'\m livre de Maximo d'Aegae en Cilicie, quatre
livres de Mocragenes d'Athenes, et quatre-vingt-quinze courtes
lettres d'Apollonius lui-meme, qui sont surement apocryphes '.
Sur ces pieces ou, dans beaucoup de paille legendaire, il pouvait
rester un peu de grain historique, Philostrate composa une bio-
graphic exemplaire, a la mode pythagoricienne 2 , dans laquelle,
suivant le gout qu'atteste un autre de ses ouvrages, LHero'ique, il
lit une large part au merveilleux. En bon rheteur, il prit son bien,
ou il le trouvait, pour embellir son roman historique. Or le cercle
de beaux esprits dans lequel et pour lequel il travaillait, qui s'etait
forme autour de la brillante et docte imperatrice Julia, etait, en.
maliere religieuse, deliberement syncretiste. Le christianisme y
ctait naturellement connu, et nullement deteste; la conduite-
d'Alexandre Severe le prouve assez. On s'explique done fort bien,
quo les recits evangeliques, en particulier ceux des miracles du.
Christ, aient servi a Philostrate, sinon de sources, au moins de
tcrme de comparaison et de stimulant.
Ce fait, qu'il cst difficile de contester quand on lit 1'ouvrage (et.
c'cst cc qui reste des theses excessives de Baur, de E. Zeller, d'Alb.
Reville et dc B. Aube, La Polemique pa'ienne a la fin du n siecle 2 ^
Paris, 1878, p. 462 suiv.), n'implique pas necessairement dans
Tauteur une intention de polemique antichretienne. Eusebe nous
dit au contraire, positivement, que Hierocles fut le premier et le-
seul parmi tous ceux qui ont attaque la foi chretienne , tirer
argument centre le Christ d'une comparaison de ses miracles avec
ceux d'Apollonius de Tyane (Adv. Hieroclem, MG, 22, col. 797)..
II cst sur du moins qu'a partir de la le roman de Philostrate devint
un champ de bataille de 1'apologetique. Reprenant les traces de
Lucien, certains Peres du iv siecle ne virent guere dans son heros
qu'un magicien pousse a 1'apotheose par un biographe sans scru-
pules. D'autres, en particulier saint Augustin, attribuent quclque-
credit a 1'ouvrage, et parlent avec une certaine consideration de
1'homme. Chez les Byzantins, a cote de Photius qui ne voit dans-
la Vie qu'un tissu de fables impertinentes, une tradition se foirme-
1. Sur les sources de Philostrate, voir W. von Christ et W. Schmid, Geschi-
chte der Griechischen Literatur 5 , II, 1, Miinchen, 1911, p. 290-291, et notes*
A. Ghassang a traduit int6gralement les pretendues Lettres d'Apollonius a la
suite de la Vie.
2. Sur ces Vies, ou un maitre 6tait presente comme de*positaire d'une vertu.
divine, habile par un dieu, voir A. Delalte, La Vie de Pythagore de Dio
gene Laerce, Bruxelles. 1922.
APOLLOMUS DE TYANE ET SA VIE . 221
.oil Apollonius devient une sortc de thaumaturge et de saint du
paganisme*.
Ce flottement, cettc appreciation ambigue subsistent encore au
temps de la Renaissance. Aide Manuce ne public 1'edition princcps
(1501) de la Vie qu'en Taccompagnant comme d'un antidote du
'livre d'Eusebe contre Hi6rocles. Jean Bodin (f 1596) etablit dans
-son dialogue Heptaplomeres (reste manuscrit, public seulement
en 1841) un parallele entre Jesus et Apollonius 2 .
Au xvii e siecle, le delsme anglais avec Herbert de Cherbury
et Ch. Blount (voir B. Piinger, W. Hastie, History of the Chris-
tian Philosophy of religion from the Reformation to Kant, Edin-
burgh, 1887, p. 314) reprend la these et les arguments d'Hierocles.
Blount public une traduction partielle de la Vie avcc des notes
lendancieuses dues peut-etre a H. de Cherbury, en 1680. Voltaire
lui emboite le pas dans 1'Introduction a YEssai sur les Mccurs,
Introduction ecrite beaucoup plus tard que 1'ouvrage et publieo
en 1765 sous le titre de Philosophic de I Histoire, chap. Miracles
(dans GEuvres completes, ed. Lequien, Paris, 1820, XV, p. 148).
La question est reprise beaucoup plus librenient dans la traduc-
tion de la Vie par J. de Castillon, 1779, accompagnee des notes
de Blount et precedee d'une ironique dedicace au pape Clement XIV,
signee Philalethe et attribute a Frederic II. Ce dernier joua en
tous cas un role decisif dans la publication. Quelque chose do cctte
fievre subsiste encore au xix siecle. Dans son poeme, les Mages,
date de 1856 (les Contemplations, VI, 23, ed. J. Vianey, 1922, III,
(p. 376), Victor Hugo juxtapose Apollonius a saint Jean :
L'un a Patmos, 1'autre a, Tyane.
Vers le meme temps, les Svedenborgiens, les spirites, les
adeptes de la nouvelle theosophie, A. P. Sinnett et surtout G. R. S.
Mead, Apollonios of Tyana, the Philosopher-Reformer of the
first century A. /)., London, 1901, revendiquent naturellement, a
des titres divers, Apollonius comme leur prccurscur ou letir
patron. Voir M. A. Canney, ERE, I, p. 611, b.
Cependant, sous 1'influence des travaux, biaises mais appro-
fondis, do F. Ch. Baur, de E. Zeller, d'Alb. Reville, et surtout des
ouvrages plus objectifs d'A. Chassang, Apollonius de Tyane,
1. W. von Christ et W. Schmid, GescMckte der Griechischen Literatur 5 , II,
1, p. 291, note 2. Sur les miracles d'Apollonius, voir J. Coppens, L'fmposition
des mains et les riles connexes, Paris, 1925, p. 96-97.
2. Sur ce dialogue, voir H. Busson, Les sources et le developpement du ratio-
nalisme dans la literature franfaise au xvi e siecle, Paris, 1922, p. 552 a 555.
222 JESUS CHItlST.
Paris, 1862, d'lw. Miiller, d'E. Rohde, Der Griechische Roman?
Leipzig, 1876, et des memoires, cites plus haul, d'Ed. Meyer, de
J. Hempel, etc., une opinion ferme et fondee s'est lentement sub-
stituee a ces chimeres. Avec des nuances et des divergences de
details, les points suivants sont aujourd'hui considered comme
acquis : 1 la Vie d'Apollonius n'a pas ete ecrite dans un but de
polemique religieuse, antichrdtienne, mais de propagande philo-
sophique, notamment pythagoricienne, et sur le modele des Vies
preexistantes de Pythagore; 2 dans ce but, Philostrate a utilise
tres librement des sources anciennes deja romancees, et surtout
les a epurees, faisant d'un magicien assez vulgaire un thaumaturge
moralisant; 3 ce qui peut rester de 1'histoire dans son oeuvre-
ne va guere plus loin que le nom d'Apollonius et, peut-etre, un
certain cadre de 1'activite et des voyages d'un mage, qui semblc
avoir excite, au premier siecle, une curiosite relativement etendue..
Non seulement Philostrate etait incapable de degager de ces-
recits confus ce qu'ils contenaient de verite, mais il n'eut, aaucun
degre, le souci de le faire. Le dessein qu'il declare fut de montrer
qu'Apollomus n'etait pas un sorcier... mais un homme vraiment
doue d'une vertu divine, ou, pour mieux dire, une sorte de dieu....
En consequence, le surnaturel etait le fond meme de la vie de son
personnage tel qu'il le concevait. Du moins, ce surnaturel aurait
pu avoir sa beaute... Mais il aurait fallu, pour degager cette
superiorite, que le biographe eut lui-mme une raison elevee et
une grande ame. Sophiste de nature et de profession, il n'a pu>
faire de son heros qu'un sophiste insupportable : Histoire de La
Litterature Grecque* par Alfred et Maurice Croiset, vol. V, p. 764..
765. Voir aussi la Griechische Literaturgeschichte de \V. von
Christ et W. Schmid, 5 edition, II, 2, Munchen, 1913, p. 612, 613,
avec les ecrits qui y sont cites ; 4 dans 1'execution de son dessein.
Philostrate s'est inspire des recits evangeliques a lui connus, sans
qu'on puisse etablir avec certitude qu'il les ait deliberement imites-
on demarques. Mais il a naturellement transporte dans son romau
les traits que son but I'amenait a utiliser.
L1VRE V
LES CEUVRES DU CHRIST
CHAPITRE PREMIER
INTRODUCTION A L'ETUDE DBS MIRACLES
EVANGELIQUES
1. Des signes divins en g6n6ral.
Deux moyens de preuve, les miracles et 1'accomplisse-
ment des propheties, pouvaient seuls, d'apres 1'opinion des
cpntemporains de Jesus, etablir une mission ^urnaturelle 1 .
En quoi ces gens raisonnaient juste. Le temoignage du Christ
.sur sa personne tirait sans doute une grande force de la
(religion profonde du temoin et d'un admirable gquilibre
mental, incompatibles avc les tares qui eussent rendu vrai-
semblable une outrecuidance poussee jusqu'au desire. Mais
a xses raisons de le croire sur parole, d'autres devaient
s'ajouter.
Les homines religieux ont toujours pensd, en effet, que la
Divinite peut intervenir, et reellement intervient pour accre-
-diter ceux qui parlent en son nom. On n'a jamais confondu les
iprophetes avec les philospphes, maitres de ^agesse humaine.
II peut suffire a ceux-ei d'avoir raison, ou d'en-donner 1'im-
ipression, pour se faire des disciples ; de ceux-la on reclame des
;garanties d'une autre espece, Le fait constant de cette exi-
.gence n'est pas infirme par 1'attitude des initiateurs religieux
dont on serait tenfe^ de tirer objection. Ni le Bouddha Qakya-
mouni, ni Mahomet n'ont fait, a-t-on dit, appel au miracle. Ge
;serait a voir ; il est sur du moins que Foeuvre de ces hommes
*n'a gagne des fideles en nombre, et n'est devenue une reli-
.gion distinete, qu'en se ehargeant de merveilleux, et en
1. E. Renan, Vie de Jesus, 6d. definitive, p. 265.
225 jgsUS CHRIST. II. 15
226 JESUS CHRIST?
majorant par des prodiges innombrables, les predications du
Bouddha, les appels du Prophete l au jugement d'Allah.
Ge recours a Dieu est naturel des qu'une croyance se
presente comme categorique, et pretend computer ou deter-
miner d'autorite, des points certains de religion naturelle. Si
rudimentaire que soit son intelligence (qu'il faut se garder de
mesurer sur le degre atteint de civilisation materielle) r
1'homme, en cette matiere, ne s'incline pas sans motif : avant
de donner une adhesion confiante, a plus forte raison, defini-
tive et sans condition, il demande des titres. Et ces titres T
quand il s'agit d'une revelation, distincte des verites naturel-
lement connues, ne peuvent 4tre que des signes positifs et T
dans une certaine mesure, contr61ables. Le prophete qui
soltycite pour son enseignement un assentiment religieux,
doit au prealable se qualifier comme interprete de la Divi-
nite.
Ge qu'on lui demande, c'est un temoignage divinrendant
manifesto 1'intervention en sa faveur de la force et de la ve*rite
divines 2 ; et Ton donne communement a ce temoignage le
nom de miracle qui met vivement en lumiere un de ses
aspects : celui par lequel il s'impose a 1'admiration.
L'efficacite de ces signes, propheties et miracles, a ete
longtemps incontestee, et 1'Eglise catholique enseignait
naguere qu' ils sont tres feconds et capables de s'accom-
moder a tous les esprits : omnium intellegentiae accommo-
data 3 . Ges graves paroles nous avertissent de n'en pas
faire dependre la valeur religieuse de precisions qui ne seront
jamais accessibles qu'a peu d'hommes. II faut done se garder
d'exiger, pour la constatation de la transcendance des faits T
des conditions qui rendraient 1'interpretation certaine du
signe le privilege de rares philosophes, doubles de savants
tres avertis. Que ces philosophes, ces savants, poussent la
discussion aussi avant que possible, et mettent le caractere
1. Voir ci-dessous, p. 447, la note B 2 , Le Miracle dans le Eouddhi&me
indie n et dans I' Islam.
2. Quoddam divinum testimonium indicativum virtutis et veritatis
divinae . Saint Thomas, De Polentia, q. vi, art. 5.
3. Conslilutiones Concili Vaticani, cap. in, de Fide, dans F. Cavallera,
Thesaurus Doctrinae Catholicae, Paris, 1920, n. 149.
DES SIGNES DIVINS EN GENERAL. 227
i
surhumain d'un miracle dans un jour plus e"clatant ; qu'ils
I'imposent, s'ils peuvent, aux esprits difficiles, pointilleux,
prevenus, c'est la un grand bien et une ne'cessite' d'apologe-
tique. Mais le signe s'adresse a tout homme religieux, et
n'a pas besoin, pour valoir, de ces recherches abstruses et
tres dedicates. Son point d'appui, sa force de persuasion, il les
trouve dans des notions gdnerales, etrangeres aux subtiles
discussions sur les confins de la biologie ou de la physique
mathematique. II suffit que, dans un cas concret, le sceau
divin apparaisse d'emblee, soit qu'il s'inscrive dans un champ
ou nulle force naturelle ne saurait atteindre : realisation
d'une prophetic proprementdite, resurrection d'un mort; soit
que la soudainete du fait, sa grandeur, la disproportion ecla-
tante des moyens employes inclinent puissamment'1'esprit a
admettre une intervention surhumaine.
On en doit dire autant de la perception des caracteres qui
autorisent un signe negativement (comme non indigne), ou
positivement (comme digne, tres digne), par son excellence
morale et spirituelle, d'etre employe par Dieu; et de ceux
qui etablissent une connexion manifesto entre ce signe et un
ensemble doctrinal, ou une personne en particulier. On ne peut
marquer ici de limite absolument fixe, eviter tous les inci-
dents de frontiere. Les indices qui font ressortir ces carac-
teres n'agissent pas sur 1'esprit d'une facon geometrique,
maispar voie d'insinuation, de haute probabilite,-de certitude
morale et concrete. II n'y a pas deux cas tout a fait sembla-
bles.
Le recours a la Providence achevera ordinairement de
rendre certaine une interpretation fortement suggeree par la
grandeur du fait et sa qualite religieuse. Si, au lieu d'un
signe, on se trouve, comme nous allonsl'e'tre tout a Fheure,
en presence d'un ensemble considerable manifestement lie a
une initiative spirituelle de premiere valeur, on beneficie d'un
cas privilegie. Mais ordinairement, meme alors, le jugement
pratique, celui qui engage 1'homme, aura le plus souvent
toute son assurance avant 1'exclusion reflechie et explicite des
autres interpretations possibles.
De nos jours encore le signe divin n'a rien perdu de sa
force persuasive, et 1'experience montre assez que 1'appel au
228 JESUS CHRIST.
miracle ne laisse personne indifferent. On ne peut nier toute-
fois que des malentendus, des confusions de toutes sortes
foisonnent, a la fac.on de lianes, autour des notions du mer-
veilleux et du miraculeux, dans maint ouvrage consacr^ a la
question en general ou, en particulier, aux miracles evan-
geliques, a ceux de Lourdes, de Lisieux, etc. Le trouble
ainsi produit dans les intelligences est tel qu'un apologiste
fort autorise ne craignait pas d'e'crire naguere : A 1'heure
presente, et pour beaucoup d'esprits, les miracles sont plutot
un obstacle a croire qu'un moyen de croire. L'intelligence
moderne, faconnee dans le moule 'soi-disant scientifique, se
trouve plut6t mal a 1'aise en face d'un miracle. Chez ceux-la
meme que le surnaturel n'effraie pas, on devine une gene, une
hesitation, une incertitude, un pourquoi, un peut-etre 1 . De
son c6te, le philosophe Harald Hoeffding concluait : En
realite, pour un nombre croissant d'hommes, les miracles, qui
etaient autrefois une preuve et un appui de la religion, sont
maintenant plut6t une pierre d'achoppement; leurs apologistes
ont a les defendre, et, au fond du coeur, ils doivent bien
souvent souhaiter en etre debarrasse's 2 .
Ges impressions analogues, venues de milieux si differents,
refletent plus que de raison 1'epoque si proche, et deja
lointaine ou elles ont ete formulees. L'archev^que d'Albi
ecrivait, comme le professeur de Gopenhague, a 1'heure ou
le desarroi mental, issu du triomphe 4phemere du scientisme,
etait a son comble, inquietant jusqu'aux bons esprits. Nous
a'en devons pas moins essayer de dissiper, en les ramenant a
leurs causes, des confusions si dommageables.
2. Le Miracle dans la Nature.
Les principales de ces confusions portent sur la place du
signe miraculeux dans la nature, soit qu'on forge a celle-ci un
1. Ms r E. I. Mignot, Lettres sur les Etudes ecclesiastiques, Paris, 1908,
p. 119.
2. H. Hoeffding, Philosophic de la Religion, 1901 ; tr. franpaise corrigee
par 1'auteur, 1908, p. 27, 28. F. R. Tennant, Miracle, its philosophical pre-
suppositions, Cambridge, 1925, p. 90 suiv., a presente de ce passage une
critique modeste, mais decisive.
DBS SIGNBS DIVINS EN GENERAL. 229
cadre de lois immuables, soit qu'au rebours on rende ce cadre
si incertain qu'une intervention de Dieu y devienne indis-
cernable.
Mais d'abord il faut denoneer un malentendu fondamental,
qui vicie profondement certains exposes consacres a la ques-
tion presente. Ge malentendu nait de la survivance, en
d'assez nombreux esprits, de 1'idee de miracle a ce qui en est
la condition indispensable : 1'existence d'un Dieu personnel.
Avant d'attribuer a la Divinite la manifestation, par un signe
sensible, d'une intention particuliere (c'est la ce que tout
homme religieux atoujours entendu sous le nom de miracle),
il faut admettre qu'un Dieu existe, capable d'avoir et de
manif ester cette intention 1 . Saint Thomas d'Aquin observait
deja, non sans profondeur, que les deformations infligees a la
notion du miracle proviennent finalement d'erreurs concer-
nant 1'Etre et 1'activite de Dieu 2 .
Voici maintenant un ecrivain qui accepte, avec M. Alfred
Loisy, comme evident , que la notion de Dieu n'a jamais
ete qu'une projection ideale de la personnalite humaine , et
reduit la doctrine d'un Dieu personnel a une mythologie
plus epure*e 3 . Un pareil homme ne peut voir, de toute evi-
dence, dans le miracle, qu'un mot, une notion chimerique,
surannee, irreelle. II en parlera comme nous parlons de la
licorne ou de Vhireocerf, de 1'horreur du vide ou du phlogisti-
que ! S'il ecrit a propos de faits censes merveilleux, son but
ne sera pas d'en discuter la realite la question, pour lui,
ne Se pose plus mais de rechercher les motifs qui ont amene
a creer, ou a subir, ou a propager cette illusion. II n'y a pas
de place, dans les cadres de ce penseur, ou dans ceux de ses
amis, pantheistes immanentistes, positivistes consequents,
1. On parle ici d'une ant6riorit6 logiqtie. II peut arriver en fait, comme
Newman 1'a bien remarque, que le miracle rende visible en meme temps,
a la faon d'un eclair, avec 1'intervention extraordinaire de Dieu, Pordre
ordinaire et divin du monde. II revelerait ainsi 1'existence de Dieu, avee
son intention particuliere. Mais outre qu'un tel procd6 est accidentel, il
ne peut etre efficace que si 1'exclusive n'a pas eti antSrieurement donn6e
a cette notion d'un Dieu personnel.
2. De Potentia, q. vi, art. 1 .
3. Alfred Loisy, Choses Passdes, Paris, 1913, p. 313, 314.
230 JESUS CHRIST.
monistes, pour une re"alite de ce genre. Le seul probleme qui
subsiste pour eux est celui de la croyance erronee d'unhomine
ou d'un groupe d'hommes en des signes estime's a tort divins :
de religieuse et d'actuelle la question est devenue purement
historique et retrospective 1 . Mais il arrive tres souvent que,
faute d'y voir clair, ou par crainte de paraitre avoir leur
siege fait, ces ecrivains discutent comme si tout n'e"tait pas
deja resolu de*finitivement sur le terrain philosophique : ils
mettent ou semblent remettre les faits en question, sur le ter-
rain de 1'histoire.
Maint ouvrage d'exe"gese ou de vulgarisation scientifique se
traine, de ce chef, dans une inexprimable confusion.
Pour ceux qui 1'avouent, la position deniant d'avance au
miracle toute realite, est difficile a tenir : ces memes hommes
font, sur tant d'autres points beaucoup plus evidents, profes-
sion d'ignorance ! Aussi voit-on les plus avises nier moins la
possibilite des miracles que leur existence averee et certaine.
Q'a ete, apres des fluctuations tres caracteristiques, 1'attitude
finale d'Ernest Renan 2 . G'est celle de beaucoup de nos con-
temporains non croyants.
Un certain nombre parmi ceux-ci estime encore, toutefois
dernier carre d'une armee jadis formidable que la
science moderne suffit a disqualifier n'importe quel evenement
qui se presente comme un signe divin. De cette incroyable
prevention les exemples abondent, j usque chez des pen-
seurs dignes d'un meilleur sort. Tant il est malaise a un
homme de se soustraire au courant scientifique de son
temps 3 !
1. C'est ce qu'ont apercju, sans toujours le discerner ou dire nettement,
les personnes qui ont pris part & la discussion de la Societd Francaise
de Philosophic, sur le probleme du miracle. Voir Bulletin de la Socie'te'
frangaise de Philosophic, XII, 1912, p. 85-168, notamment p. 118
(D. Parodi).
2. Les textes assez commodement reunis dans J. Pommier, La Penste
veligieuse d'Ernest Renan, Paris, 1926, p. 33-47.
3. Est-il interdit de juger qu'un penseur aussi eminent qu'O. Hamelin
n'eut pas ecrit, en un autre temps, du miracle, dont il ne va pas jusqu'a
nier la possibilite : Peut-etre meme est-il au fond inconciliable avec
1'idee d'un Dieu createur de personnes libres. A de telles personnes, Dieu
DBS SIGNES DIVINS EN GENERAL. 231
Or c'est un fait, explicable d'ailleurs, et en quelque me-
sure excusable par un prodigieux essor et des succes ecla-
tants, que le postulat deterministe applique aux sciences
naturelles a ete, par toute une Ecole de la seconde moitie du
xix e siecle, erige en principe absolu. Ge qui etait precede de
methode et hypothese de recherche, la supposition d'un
monde exterieur determine, existant de maniere objective et
gouverne par des lois immuables 1 , est devenu verite de-
montree, conclusion universelle et certaine. Et comme cette
exaltation comcidait avec le triomphe ephemere, mais alors
presque inconteste, de theories me'caniques, ramenant le
monde a un systeme d'equations differentielles , on ima-
gina tous les agents naturels soumis a des lois d'airain, con-
cues sur le mode geometrique. Tout dut s'expliquer dans
1'Univers par des interactions quantitative s, dont le rythme
peut bien nous e'chapper et la complexite nous derouter, mais
d'ou toute contingence, tout jeu, toute intervention libre quel-
.conque etait bannie par hypothese. II est manifeste que, dans
a du abandonner, pour en disposer a leur gre et a leurs risques, le cycle
de determinisme qui sert de matiere a leur activite >, Essai sur les
'elements de la representation, Paris, 1907; dans la seconde edition, 1925,
p. 493. On ne voit pas du tout pourquoi un monde a delerminisme foncier,
Jivre aux libertes secondes comme champ d'essai et d'epreuve, exclurait
toute intervention, subordonnee a des fins tres sages, d'une liberte divine
qui serait, par hypothese, connaissable comme telle. Ni 1'intelligence des
personnes humaines n'en serait deconcertee, ni leur libre activite con-
tredite.
1. W. Wien, Am der Welt der Wissenschaft, Leipzig, 1921, cite dans
Meyerson, La Deduction relativiste, 1925, p. 29etnotel. Surle passage du
postulat deterministe, utilis comme tel par methode, et indument trans-
forme en conclusion philosophique, M. L. de Launay ecrit : . On entend
souvent dire que la notion meme du miracle est incompatible avec la
science, tandis qu'elle est inherente a toute religion. Cela revient a affir-
mer sans preuve que tout fait a une cause naturelle anterieure. C'est
exprimer, sous une autre forme, que la science est deterministe .
Conclure de ce postulat indemontre et indemontrable que toute religion
contredit la science est un cercle vicieux. L'amrmation deterministe, qui
elimine de parti pris, par maniere de simplification, toute metaphysique,
a constitue un progres necessaire dans la pratique, etc. ; dans YEnqu&te
publiee par le Figaro du 2 au 22 mai 1926, sur La science el le sentiment
religieux (cf. mon article des Etudes, 5 juillet 1926, t. L CLXXXVIII,
p. 5-27). [UEnquSte a paru aux Editions Spes , Paris, 1928].
232 JESUS CHRIST.
cette perspective, une apparence miraeuleuse ne pent 3tre
qu'une illusion, nee d'une sufvivance spiritualiste 4 .
Gette belle assurance, qui avait gagne jusqu'a des theolo-
giens reformes 2 , n'existe plus. A 1 'image rigide du monisms
mecaniciste, concevant la Nature a I'instar d'un formidable
zeppelin, d'autres vues se sont substitutes, infiniment plus
modesfces. Les initiateurs de ce qu'on a appele la nouvelle
philosophie : Emile Boutroux, WiHiam James, Rudolf Euc-
ken, Henri Bergson, mais avec eux des savants de profes-
sion 3 : Pierre Duhem, Henri Poincare, Edouard Le Roy ont
denonce 1'equivoque du dogmatisme determmiste, et montr6
comment il erigeait en loi de toute realite des formules pro-
visoires, appf ochres, groupant pour des fins surtout pratiques T
un nombre croissant de rapports exacts. Us ont note que ces
1. Sur cette conception mecanique d'un Univera soumis au dStermi-
nisme absolu dont s'enchante 1'esprit d'un Taine, conception d'un Renan
ieune, d'un M. Berthelot, et qu'une legion de scientistes du second et
du. troisieme ordre, dont Ernest Haeckel est demeure' le type accompli,
transforma en une religion de la Science, voir, par exemple, la belle
pagedeA. N. Whitehead, The Concept of Nature, Cambridge, 1920, p. 70
suiv., et surtout Emile Meyerson, Identity et Rdalite*, Paris, 1912. On
trouvera la^ p. 294, 295, les textes dans lesquels E. Haeckel et m6me
S. Arrhenius refusent d'admettre les consequences du principe de Carnot,
par suite d'une tendance apribristique> ant6rieure et sup^rieure a toute
experience .
2. Avec les homines de science, nous croyons au caractere immuable-
des lois de la nature ; Et. M6n6goz, Le Miracle etla Volonte" de Dieu, dan's-
Publications diverses sur le Fideisme, III, Paris, 1913, p. 199. Sur la position
de M. A. von Harnack, voir plus bas, p. 326-327.
3. L'histoire de cette evolution est bien marquee, en ses grands traits,,
dans les etudes de 0. Manville, A. George, Andr6 Metz, Ed. Le Roy,
Qu'est-ce la Science ? Paris, 1926. L'explication mecaniste ne consiste
qu'en images , et ces images int6ressent moins la structure propre de-
la science que la psychologie du savant... bref, ce sont dds schemes
commodes, d'une commodity relative a 1'individu qui les manie . Plus
g6n6ralement, ces conceptions rigides r6duisant ce qu'il y a d'objectif
et de certain dans la science a un systeme d'6quations diff6rentielles
sont des hypotheses issues de I'lmagination et qui ne sont que pour
1'imagination >. Les lois conQues dans cette hypothese t ne sont plus
immediatement Ii6es aux donnees de fait, et ne peuvent plus e~tre poshes
comme des v6rit6s objectives . L. Brunschvicg, L'CEuvre d'Henri
Poincare', dans le numSro special de la Revue de Mttaphysique et de Morale
consacre a Henri Poincare, XXI, 1913, p. 591, 593.
DBS SIGNES DIYINS EN GENERAL. 233
rapports, dement observes, demeurent, constituent 1'etoffe in-
dechirable du progres scientifique; mais d'autres, nouvelie*
ment on mieux connus, viennent sans cesse s'y ajouter, for-
gant de rejeter au creuset les lois aneiennes. Elles en sortent
rajeunies, inoins inexactes, plus iecondes en applications
toujours precaires. Nos theories scientifiques, ecritM. Emile
Pioard 1 , sesuccedent avec une rapidite parfois deconcertante,
prenant un caractere de plus en plus formel et symbolique..
L'histoire des sciences est pleine de mines, et, comme les
livres, les theories ont leur destin. Notre notion de loi natu-
relle a prodigieusement varie depuis cinquante ans. G'est
ainsi que la theorie des quanta est venue modifier nos idees-
sur la continuite. D'autrepart ie calcul des probabilites prend
une grande importance dans les sciences physiques : de ce
point de vue, les lois de la nature n'apparaissent qu'avec un.
caractere de probabilite, et n'ont plus la rigidite familiere a
nos predecesseurs. Laissons a leur dogmatisme ceux qui
font de la science une idole. Gertes, comme le disait deja
Montaigne, c'est un grand ornement que la science et un
outil de merveilleux service; mais nous devons reconnaitre
ses limites et ne pas nous illusionner sur ce qu'on pent
attendre d'elle.
Ge temoignage resume avec autorite I'oauvre des penseurs-
qui ont etudie, soit dans leur histoire, soit dans leur rapport
avec 1'experience, ees avancees de la science que sent les lois r
theories et hypotheses. A la base de ces conceptions, ils ont
constate le choix humain, conventiormel ; ils ont montre que
le fait scientifique n'exprime de la realite qu'une faible partie r
isolee et schematisee. Ils ont decele, dans la construction de-
ces va&tes hypotheses qui fournissent a une ou a plusieurs
generations de chercheurs la forme m^me de leur imagination
scientifique, un certain nombre de tendances reparaissant a
peu pres regulierement. Ges tendances s'imposent aux faits
d'observation a la facon de cadres appropries, mais elles sont
tenues en echec, limitees constamment et enfin brisees
non dans leur direction generate, mais dans leurs contours et
1. Emile Picard dans Fenqu6te du Figaro, . cit6e plus haut (Cf JSlttdes r
5 juillet 1926, t. CLXXXVIII, p. 24).
234 JESUS CHRIST.
leur imagerie par ces monies faits 1 . A c6te d'exagerations,
les maitres de la philosophie nouvelle ont ddnonce des erreurs :
celle du positivisme voulant que la science s'abstint de
toute supposition sur 1'^tre veritable des choses, en consti-
tuant, comme on 1'a dit, un systeme de rapports sans sup-
ports..., precede aussi eloigne que possible de celui dont la
science se sert reellement 2 ; celle du monisme materialiste,
comme si le psychique et le spirituel se reglaient sur les ma-
nieres d'agir de la matiere et finalement s'y resorbaient,
alors qu'ils la debordent de toutes parts et 1'expliquent seuls
en lui donnant un sens. Plus encore, ils ont cm remarquer,
dans le comportement des agents inanimes eux-me'ines, une
part d'inexplique, d'irrationnel, de discontinu, d'imprevisible...
1. C'est aux travaux de M. Emile Meyerson, De V Explication dans les
Sciences, Paris, 1921, et La Deduction relativiste, Paris, 1925, que nous
devons sin-tout cette connaissance du formel de la conception scientifique.
Ces belles analyses, fondees sur une connaissance historique de premiere
main, ont mis en lumiere certains caracteres immuables de ^explication
dans les Sciences du moins de celles de ces explications qui reussissent,
qui s'imposent en fait : r6alisme dans le but, qui est la decouverte du
vrai et pas settlement du legal; de la cause et pas settlement de la con-
dition ; postulats de 1'imite et de 1'identite du rationnel et du reel, du
mesurable et du reel, du quantitatif et du reel, constamment battus en
breche par 1'experience, mais aussi tendant constamment a s'irnposer a
elle; superiorite pratique de la methode geometrique et de 1'imagerie
spatiale ; difficulte de 1'imprevu, de Firrationnel, a se faire reconnaitre.
quand il amene a changer la conception generate, le concept de totalite
admis a une 6poque donnee, mais aussi discredit profond et immerite
de ce concept, des la qu'un nouveau a reussi a expliquer les faits aber-
rants et a faire reculer 1'anthropomorphisme. Voir Max Planek, Physika-
lische Rundbliclte, Leipzig, 1922.
M. Meyerson montre tres bien, sur 1'exemple contemporain de 1'explica-
tion relativiste, einsteinienne, qu'il accepte pour sa part comme un
progres, comment ces caracteres jouent sous nos yeux, et dans quelle
mesure la deduction c'est-a-dire 1'hypothese, le postulat aprioristique,
generalise suggeree par les faits et justiiiee par 1'explication, plus
veritable ou simplement plus commode, de ces meme faits, tend imme-
diatement a unifier, a rationaliser et h geometriser tout le reel; dans
1'espece, a r6sorber dans 1'espace, enrichi de dimensions nouvelles, apres
la matiere, le temps lui-meme ; La Deduction relativiste, 1925, ch. v, VH,
XH, xv, xx suiv.
2. E. Meyerson, La Deduction relativiste, p. 24; De ^Explication dans
les Sciences, I, p. 4-32.
DBS SIGNES DIVINS EN GENERAL. 235
Us ont ainsi restitue a la Nature, c'est-a-dire a 1'image ordon-
nee que nous nous faisons du monde sensible, une indetermi-
nation, une contingence, une souplesse qui laisse aux libertes
spirituelles toute possibilite d'intervention. Les traits de ce
qu'on pourrait appeler la face de 1'Univers se sont detendus,
et son immobilite marmoreenne s'est adoucie en un enigmati-
que sourire.
L'autre danger serait de pousser la reaction jusqu'a reduire
notre connaissance de la Nature a des probability's, capables
seulement de guider une action pratique. On en vient ainsi a
concevoir toute re'alite sur le modele d'e"tres libres et indeter-
mines. Impossible sous la rigide armure deterministe, 1'inter-
vention miraculeuse est indiscernable dans une evolution sans
loi connue et certaine. Gette tendance a conduit certains pen-
seurs catholiques a extenuer 1'element visible dans leurs
theories du signe divin *.
Mais la critique fondee du determinisme n'implique aucu-
nement une imprevisibilite totale 2 . Dieu qui cree le monde
1. Ed. Le Roy, Essai sur le Miracle, dans Ahnales de Philosophic c/ire'-
tienne, CLIII, 1906, p. 5 suiv., 166 suiv., 225 suiv. ; Edition revue et
amendee, mais encore insuffisamment, dans Bulletin de la Socie'td fran-
caise de Philosophic, XII, 1912, p. 85 suiv. Le meme point de vue a et6
pousse plus loin encore par le P. L. Laberthonniere, Ibid., p. 139 suiv.;
et la reponse de M. Le Roy, maintenant a 1'ordre naturel, observable
scientifiquement, une coherence permettant de constater 1'intervention
d'une cause 6trangere au determinisme ordinaire des faits observes,
ibid., p. 148, 149, est beaucoup plus satisfaisante.
2. Cette imprevisibilite totale est le corollaire de 1'anomie dans les mi-
lieux oulamagie a jete de profondes racines et completement perverti la
notion d'un ordre naturel. II va sans dire qu'une pareille conception du
monde ou doit s'inscrire, par hypothese, le signe miraculeux, ote a celui-
ci toute espece de portee. De tels milieux ne se trouvent pas que chez
les peuples non-civilises. Dansuntrait6 tao'iste du rx e siecle, le Koan-yinn-
tzen, il est dit : En dehors du Principe tout est neant... Immateriel, le
Principe se joue a volont6 dans la matiere tenue emise par lui et non
distincte. II ne faut done pas parler de lois naturelles, et de pr6tendues
derogations a ces lois, comme seraient les changements de figure ou de
sexe, les cas ou le feu ne brulepas, etc., qu'un cadavre se leveetmarche...
qu'on entre et sorte par une porte peinte sur un mur, et autres choses
semblables, ce ne sont pas des anomalies puisqu'il n'y a pas de norme.
Ce sont jeux du Principe dans la matiere tenue qui forme son nimbe ;
dans Leon Wieger, Histoire des Croyances religieuses et des Opinions
236 JESUS CHRIST."
materiel en vae et au bene'fice dn spirituel, a de'parti aux
agents physiques une certaine mesure d'etre une nature,
une forme, une idee direetrice qui fait d'eux des forces
originales, des puissances en quelque mesure determinees.
En vain notre raison tente-t-elle de fondre tout le donne
sensible dans un milieu homogene, differencie seulement par
la quantite et 1'ordre des parties. Les quality's ne se laissent
pas reduire, se manifestant a la fois par des diversites fon-
cieres, et par un ordre indeniable. Des rapports uniformes
se decouvrent a Fobservation, qui permettent avec le temps
de formuler des lois, et la connaissance de ces lois nous-
donne, sur le monde tel qu'il est, un empire qui ne permet
pas de lui attribuer une indetermination semblable a celle
des e"tres spirituels. La reussite constante et croissante de
la science temoigne au contraire que le point de depart
de ces inductions, s'il est conventionnel, n'est pas arbitraire T
et n'est pas imaginaire, s'il est etroit. Nos lois n'expriment
qu'une partie des manieres d'agir de la nature, mais une
partie certaine; car elle donne lieu a des previsions assurees.
Gette assurance garde, nous Favons note plus haut, une
nuance de precarite, puisqu'elle se produit dans un ordre
surement contingent, et peut-4tre progressif. Ce second
caractere est purement hypothetique 1 ; mais le premier est
certain et ne permet pas de declarer antecedemment et
mathematiquement improbable un fait quelconque. On peut
toutefois le plus souvent traiter de quantite negligeable la
marge ainsi laissee en principe : elle est inferieure a celle
qui, dans nos decisions graves, merite consideration. Les.
theoriciens les plus hardis du calcul des probabilites n'en
disconviennent pas. S'ils disent d'une conclusion scientifiqu&
philosophiques en CAme 2 , 1922, p. 572. A un moindre degr6, les musul-
mans Ach'arites (disciples de al-Ach'ari, f Bagdad en 935, hegire 324)
substituent a la notion de loi naturelle, celle d'habitude. < Ce n'est pas.
en vertu d'une loi, mais seulement d'une habitude etablie par Dieu dans
la nature, que certains phenomenes sont consecutifs a d'autres... II n'est
pas necessaire que 1'absence d'aliments et de boisson entraine la faim et:
la soif, mais il en est habituellement ainsi... Le Nil croitou decroitpar
habitude, non par suite de causes naturelles. I. Goldziher, Le Dogme et la
Loi de I Islam, tr. Arin, 1920, p. 107 suiv.
1. Voirplus bas, p.452,lanote D 2 : L 'Evolution e'pige'ne'tiqve et le Miracle.
DES SIGNES DIVINS EN GENERAL. 237
(par exemple de 1'interpretation du principe de Garnot dans
le sens de la croissance de 1'entropie), qu'elle n'autorise rigou-
a-eusement qu'une prevision extremement probable, non
.absolument certaine , ils ajoutent aussit6t que les proba-
bilite*s de ce genre donnent lieu a des jugements pratiques
tres certains 1 .
Nos interventions libres elles-memes mettent en lumiere,
loin de 1'offusquer, le cours regulier des choses. Le vieil
-adage, portant qu'on ne domine la nature qu'en lui obeissant,
s'applique la de plein droit. Constructeur d'aeroplanes,
j'utilise les lois d'inertie, d'equilibre, de resistance pour
obtenir un resultat qui peut sembler, aux regards superficiels,
suspendre ou contredire ces lois. Medecin, j'eVoque, j'active,
j 'oppose Tune a 1'autre des forces vivantes, subordonnees
dans une certaine mesure a mon intervention, mais conservant
et j'y compte, et c'est la-dessus que je table leur
direction, leurs facons d'agir, leur automatisme foncier. Notre
activite libre se meut dans le cours naturel des choses sans
de forcer.
Seulement 1'efficacite de nos interventions est restreinte.
iLe monde materiel est plut6t surpris par artifice que soumis
:par force, et nous connaissons, pour nous y e'tre meurtris, les
; bornes etroites de notre pouvoir. L' experience humaine est
faite de millions, de milliards de constatations uniformes.
:Si nous ne savons pas toujours ce que nous pouvons, nous
1. On peut cependant... affirmerque Ton n'observera jamais scienti-
^quement un ph6nomene aussi peu probable que par exemple 1'elevation
. spontanee d'une brique a la hauteur d'un premier 6tage par mouvement
'brownien ; si des observateurs affirmaient en effet avoir assiste a tin tel
.phenomene, on devrait admettre qu'ils ont et6 victimes. d'une halluci-
nation collective ou que pour toute autre raison leur temoignage ne cor-
respond pas a une r6alite objective, car quelque grande que soit la con-
fiance que Ton ait en eux ; cette eventualite serait encore enormement
jplus probable que la production de l'6venement consider^ ; Emile Borel,
Traitd du Calcul des Probabilites et de ses Applications, t. II, 3, par
:Emile Borel et P. Perrin, Paris, 1925, p. 146.
C'est dans le meme sens qu'il faut interpreter la categoric de com-
jnodite , substitute par Henri Poincare a celle de verite , mais qui
ai'est, dans beaucoup de cas, qu'un synonyme modeste de celle -ci. Voir
-Andre George dans Qu'est-ce que la science ? Reponse de Henri Poincare",
^aris, 1926, p. 76-84.
238 JESUS CHRIST.
savons tres souvent et stirement ce que nous ne pouvons pas.
Avec de la farine, de 1'eau, du feu, dans certaines conditions
et a travers bien des peines, nous pouvons faire du pain;
nous ne pouvons pas, avec cinq pains d'orge et quelques
petits poissons ,.nourrir des milliers d'affames. Contestez
le fait, si vous le pouvez, a la bonne heure ! S'il est constant,
il depasse les forces humaines.
II est de meme des deroulements, des suites qu'on peut
qualifier d'irreversibles 1 , parce qu'aucune puissance natu-
relle n'en peut suspendre le cours, a partir d'un certain point,
et, moins encore, le renverser. Gertaines alterations physio-
logiques mettent par exemple un organe, condition du con-
sensus vital, dans un tel etat de perturbation qu'il n'est
plus au pouvoir de personne d'y remedier. Quand la serie
de morts partielles ainsi declenchee s'est propagee jusqu'au
centre de coordination, de nutrition et d'equilibre, survient
la mort derniere, la mort sans phrases.
L'experience ainsi faite par tant de generations d'hommes
places dans les circonstances les plus diverses, permet
d'assigner une limite a 1'intervention efficace des energies
naturelles : limite impossible a preciser dans son dernier
detail, mais certaine. Toute probabilite serieuse manque a
Phypothese d'un renversement naturel de certains processus
de dissolution, parvenus a un point donne. On ne ressuscite
pas un mort ; on ne refait pas en un instant des tissus pro-
fondement, physiologiquement -leses, cette refection exigeantj
apres les emonctions necessaires, 1'apport et 1'elaboration
sur place de milliers de cellules differenciees. Or on peut
verifier, de facon a ecarter tout doute prudent, la mort reelle,
1'alteration physiologique profonde. Les phases de ces divers
phenomenes, et celles des refections correspondantes, dans
le cas des lesions, ont ete etudiees avec une patience admi-
rable qui permet de declarer inconcevables les circonstances
exigees par un retour instantane a la vie ou a la sante. S'il
s'agit des forces humaines, done en partie spirituelles :
enthousiasme, courage, patience, etc..., les limites, pour
1 . Sur I'irr6versibilit6, voir Emile Meyerson, De V Explication dans les
Sciences, 1921, I, p. 199 suiv. ; II, p. 405-406.
DBS SIGNES DIVINS EN GENERAL. 239
tre moins apparentes, n'en sont pas moins reelles, et, en
gros, connaissables. II en est ici comme de la localisation
precise de certaines raies du spectre solaire : elle est impos-
sible a determiner ; pour d'autres, le doute serait deraison-
nable : elles coupent nettement la zone verte, ou la rouge.
Le cadre de la Nature est done assez souple pour que
1'intervention d'une liberte superieure y soit. possible, et
ensemble assez determine pour que cette intervention s'y
inscrive lisiblement. Or une telle liberte existe : et tout
est possible a Dieu 4 . Les puissances d'action, automatique-
ment mises en branle ou capables de choix, dont 1'inertie ou
la faiblesse oppose une limite aux forces naturelles, restent
soumises au Greateur, qui peut en majorer 1'efficacite ou la
suppleer. Non qu'il puisse vouloir 1'impossible, realiser 1'in-
concevable, faire penser une pierre ou agreer un acte for-
mellement mauvais. Non qu'il intervienne arbitrairement,
ou s'avise de retoucher un ordre providentiel pris en defaut.
Grossieres imaginations anthropomorpbiques ! Mais, pour de
fins dont il est juge, Dieu s'est reserve d'employer parfois
miraculeusement un pouvoir au regard duquel rien de ce qui
arrive n'est miraculeux 2 . Gette plaie qu'il faudrait normale-
ment des semaines pour fermer, se guerit par la formation
instantanee d'un tissu assaini; cet equilibre vital qui s'etait
rompu, est derechef rendu possible et restitue par un chan-
gement extraordinaire des elements corporels. Ces debile
vouloirs d'homme beneficient d'une confirmation qui les rend
superieurs atoute epreuve. En presence de faits de ce genre,
e'tonnes et mesurant d'un coup d'oail la disproportion flagrante
entre les causes naturelles actuellement en jeu et la grandeur
de 1'effet, nous crions au miracle. Ubi est Deus tuus? les
miracles le montrent et sont un eclair 3 .
3. Notion Ghretienne du Miracle.
En regie avec la philosophic naturelle et le Dieu de&
1. Mc.,x, 27.
2. Saint Thomas, S'umma Theologica, I, qu. cv, a. 8 : Nihil potest
dici miraculum ex comparatione ad divinam potentiam. >
3. Pascal, Penstes, ed. Brunschvicg maior, III, p. 283.
"240 JESUS CHRIST.
ipbilosophes et des ^savants , la notion de miracle peut
jsembler vague, quand on 1'etudie en general : elle se precise
<et prend tout son sens aux mains du Dieu de Jesus Christ .
La foi chretienne en effet se resume dans I'adtoption filiale,
par Dieu, des creatures infimes, infirmes et naturellement
.serves, que nous sommes. Adoption qui implique une parti-
cipation reelle, encore que mysterieuse, k la vie divine
elle-me'me,, et depasse de ce chef toute exigence et toute
capacite normale de la nature adoptee,
Gette magnifique esperanee est-elle fondle? Avons-nous
4es raisons solides de prater a Dieu des vues aussi liberales ?
Ge n'est pas ici le lieu d'en decider; mais on doit recon-
naitre que, dans cette hypothese, le signe extraordinaire
-qu'est le miracle devient anterieurement probable, comme est
extraordinaire et inattendu, 1'amour dont il doit temoigner.
Ge qui dans 1'ordre habituel de Providence pouvait sembler
un double emploi, ou un expedient masquant une insuffisance,
-devient normal dans 1'ordre superieur, gratuit, surnaturel,
ou nous introduit 1'incomprehensible bonte du Greateur.
II a tant aime le monde! De ce faitinoui', c'est le miracle
qui est charge de faire la preuve , et cela est bien ainsi 1 .
1. J. Wehrl6, Le Miracle, sa nature, sa flnalit^ sa frequence, fans Etudes
religieuses de Bruxelles, n. 112, 1924, p. 17, 18. Cette vue a 6t6 d6velopp6e
fiuperieurementpar J. H. Newman, Two Essays an biblical and ecclesiastical
Miracles, Essay I (ecrit en 1825), section 2; et J. de Tonqu6dec, Miracle,
dans DAFC, III, col. 546 suiv. [La th6ologie du miracle a 6te r6cemment
expos6e par A. van Hove, La doctrine du miracle chez saint Thomas et son
accord avec les principes de la recherche scientifique (these de 1'Universite
de Louvain), Paris, 1927. La finality .surnaturelle du miracle est 6tablie,
-d'apres saint Thomas, p. 127-137.]
En disant que le miracle Chretien nous introduit dans un ordre surna-
turel, on ne pretend pas dirimer la controverse touchant 1'appartenance
du signe miraculeux au surnaturel, entendu an sens technique du mot.
L'opinion de M. Wehrl, loc. cit., p. 16 suiv., nous plait, admettant avec
le cardinal Dechamps que : Rien n'appartient intrinsequement au sur-
naturel (strictement dit) que ce <jui doit etre compte au nombre des
conditions de la vie de la grace et de la gloire ((Euvres, ed. de Malines,
VII, p. 177), et concluant que le miracle, dans la rigueur des termes,
n'est pas un fait surnaturel. En droit absolu, il reste simplement une
donnee preternaturelle . Mais distinguer n'est pas separer : Entre le
preternaturel consid^re dans le miracle et le .surnaturel envisage dans la
DBS SIGNES DIVINS EN G^N^HAL. 241
G'est pourquoi rien n'est moins chre"tien que la tendance a
faire rentrer le miracle dans les cadres naturels. Sous la
pression du rationalisme delste, une tradition s'est etablie en
ce sens, dans la theologie protestante, depuis Schleierma-
cher au moins. Le miracle, assurait celui-ci, est le nom
religieux d'un evenement. Toute interpretation religieuse
d'un fait quelconque permettrait done d'y voir un miracle.
Autant dire avec Goethe que le miracle est 1' enfant cheri
de la foi 1 , loin qu'il puisse la faire naitre. Les theologiens
reformes plus recents, J. Wendland, A. W- Hunzinger, ont
senti la faiblesse de cette position, sans nettement Taban-
donner. M. Reinhold Seeberg range dans la meme categoric,
bien qu'en groupes distincts, 1'activite" de Dieu s'exercant
dans une vie humaine par des evenements purement natu-
rels et ordinaires , et cette activite se revelant comme
divine par des evenements physiques extraordinaires 2 . Qui
ne voit pourtant que ce second groupe, et lui seul, a toujours
ete considere comme miraculeux? II est assurement loisible
a chacun de reconnaitre, dans le detail de sa vie, les atten-
tions, les favours, et, si Ton veut, les miracles d'une Provi-
dence paternelle. Mais a parler exactement, cette extension
degrade le sens du terme : si tout est miracle, rien n'est plus
miracle.
A cette confusion, nombre de protestants liberaux ont ajoute
une concession qui les livre aux rationalistes. Us gardent la
definition de Schleiermacher, ou la precisent en disant que
le miracle est 1'exaucement de la priere . Mais cette
reponse divine ne pourrait, selon eux, s'inscrire que dans les
limites du cours ordinaire des choses, des lois immuables
grace, il y a une solidarite qui fait que le miracle peut etre legitimement .
rapporte a Pordre de la grace comme une d6pendance de cet ordre .
1. Voix du ciel, pourquoi me cherchez-vous, puissantes et donees,
dans la poussiere ? R6sonnez la oii sont les homines au cosur tendre.
J'entends bien le message (dePaques), mais la foi me manque ; le miracle
st 1'enfant ch6ri de la foi ; Faust, I, I, tr. H. Lichtenberger, p. 112.
2. R. Seeberg, Winder, dans HEP 3 :XXI, p. 567. Voir A. W. Hunzinger,
3)as Wunder, Leipzig, 1912 ; J. Wendland, Der Wunderglaube im Chris-
lentum, Goettingen, 1912. Sur la notion de miracle dans la theologie
anglicane contemporaine, F. R. Tennant, Miracle,its philosophical presup-
positions, Cambridge, 1925, Lecture III.
JESUS CHRIST. ii. 16
242 JBSUS CHRIST.
etant cense"es s'opposer a toute intervention extraordinaire
de Dieu *. N'est-ce pas exclure a priori, du domaine religieux,
les seuls faits que tout le monde ait toujours regard&s comme
des miracles?
La notion traditionnelle du signe divin est bien autre.
Son point de depart est 1'eclat d'un fait sensible, au moins
dans ses effets 2 , et extraordinaire, inattendu, inexplicable,
faisant contraste et ressaut dans la suite phenomenale
connue 3 )). De la I'etonnement, 1'admiration qui eveille etiixe
1'attention sur le prophete ou sa doctrine. Ge trait est indis-
pensable, et d'autant plus que le miracle vise d'abord les
infideles, incapables de percevoir des indices plus delicats 4 .
.Mais il s'en faut de beaucoup que 1'element visible, exte-
rieur, teratologique, suffise; dans ce corps une ame spirituelle
doit reveler sa presence, et c'est 1'ensemble qui conduit a
voir dans le fait merveilleux une intervention divine.
L'interpretation comporfce normalement trois etapes.
D'abord, 1'assurance du caractere miraculeux : il n'y a pas
eu illusion, erreur des sens ; il existe une disproportion mani-
feste entre 1'effet produit et les forces de nature, physiques
1 . Aug. Sabatier, Esquisse d'une Philosophic de la Religion d'apres la
Psychologic et I'Histoire^, p. 85 suiv. ; E. Menegoz, Publications diverses sur
le Fide'isme, I, Paris, 1900, p. 161 suiv. ; 204 suiv. H. Hceffding a observ6
dans sa Philosophie de la Religion, ed. fr., 1908, p. 176 suiv., que Sabatier
et ceux qui le suivent, en admettant le postulat rationaliste des lois ira-
muables, s'enlevent le droit dont ils ne se lassent pas d'user par ail-
leurs d'en appeler a une intervention particuliere de Dieu, i une reve-
lation proprement dite.
2. Soit dit pour exclure les effets tout interieurs produits par les;
sacrements, etc...
3. Ed. Le Roy, Le Probleme du Miracle, dans Bulletin de la Socie"te
francaise de Philosophie, XII, 1912, p. 96.
4. Le don de parler en langues est un signe non pour les fideles, mais
pour les infideles ; I Cor., xiv, 22. Saint Thomas expose ce texte, a mainte
reprise, des miracles en general, et insiste sur le caractere rudimentaire
et initial du miracle, comme signe. Voir ses Expositions sur les Evan-
giles, InEv.Joannis, cap. iv, lect. VII, n. 3; cap. vn, lect. Ill, n. 9; lect. V,
n. 6, dans 1'edition de Parme, X, p. 377 ; 434; 439, etc. En realite, saint
Paul oppose an signe du parler en langues > un autre signe plus spi-
rituel et, comme tel, mieux adapts aux fideles, celui du parler en pro-
pheties >.
DBS SIGNES DIVIKS EN GENERAL. 243
ou psychiques, ou m4me spirituelles 1 , qu'on peut bonnement
supposer & 1'ceuvre.
Ge premier indice, tout important qu'il est, ne peut abso-
lument suppleer au reste. On doit me'me dire qu'il est plut6t
un eveil, un point de ddpart. A vouloir qu'il s'impose abso-
lument, sans discussion possible, rendant superfine s par son
evidente transcendance les dispositions religieuses et morales
des temoins, on irait droit a la position des Pharisiens recla-
mant des signes dans le ciel et, de ce chef, deboutes par
1. Ce mot souleve une question assez subtile, mais inevitable. D'une
part le miracle proprement dit suppose une intervention divine ; c'est la
doctrine constante de saint Thomas : Contra Gentites, III, 102, et parall. ;
la-dessus J. Wehrle, Le Miracle, etc., p. 4 suiv. D'autre part, en admet-
tant qu'un ph6nomene depasse les forces humaines, il n'est pas demontre
pour autant qu'il faille 1'attribuer directement a Dieu. Des puissances
d'action surhumaines, spirituelles, bonnes ou mauvaises, sont conce-
vables, dont 1'intervention pourrait expliquer des faits apparemment
miraculeux. C'est la du moins une hypothese qui n'est pas deraisonnable.
Accordons-le. Mais outre que certains cas excluent cette hypothese
(Saint Thomas, de Polentia, q. vi, art. 3 suiv. ; F. Suarez, Tract, de An-
gelis, lib. IV, cap. xxxix), il faut se souvenir que les forces spirituelles
dont il est question sont, en tout cas et assurement, soumises a la Provi-
dence deDieu.
Bonnes, elles ne peuvent etre que des instruments dociles favorisant
le bien spirituel des hommes. Malicieuses ou capables, selon les heures,
de bienet de mal (cette hypothese que nous savons n'etre plus r^alisee,
ne repugne pas en elle-meme, et elle est a la base des croyances spi-
rites : voir Allan Kardec, Le Livre des Esprits, Paris, 1857, 52 1912, et
Lucien Roure, Le Merveilleux Spirite, Paris, 1917, Le Spiritisme d'aujour-
d'hui, Paris, 1923), elles ne sont pas laissees sans controle a leur initia-
tive bizarre ou malfaisante. Estimer qu'elles puissent creer des pertur-
bations dans 1'ordre naturel, sans raisons graves, est deja malaise a con-
cevoir et "peu conciliable avec la veritable notion de Providence. Mais
admettre que de telles ingerences se produisent la ou des interets reli-
gieux sont en jeu, dans des circonstances qui non seulement n'excluent
pas, mais appellent ou suggerent une intervention divine, c'est la propre-
ment sortir du terrain ou nous nous sommes places dans toute cette etude,
et hors duquel la notion de miracle n'est plus qu'une coque vide, une chi-
mere, un synonyme d'anomalie. C'est mettre en doute, equivalemment,
1'existence ou la sagesse infinie de Dieu.
Sur les textes evangeliques concernant 1'intervention des esprits separes
dans le monde humain, notamment Mt., xxiv, 23-25 et parall., voir plus
bas, p. 341 suiv.
244 JESUS CHRIST.
le Christ 1 . Le miracle est un langage divin, mais enveloppe :
en face des ceuvres merveilleuses de Jesus, plusieurs lignes
d'interpretations se dessinent dans la foule qui assists aux
prodiges, et la grandeur de ceux-ci n'aurait pas, estime saint
Thomas, suffi a rendre inexcusables ceux qui refusaient d'y
croire, si les miracles ne se fussent accompagne's pour eux
d'une grace inte>ieure d'illumination 2 .
Secondement, 1' excellence globale du fait : que dans son
mode, son but, ses repercussions legitimes, il soit approprie
au sens divin qu'il doit suggerer, et apte a convoyer cette
haute signification. On exigera done de lui des dehors de
decence, de convenance, de modestie excluant ce qui sentirait
le charlatanism e, le truquage, la fantasmagorie , ce qui ten-
drait a favoriser 1'orgueil, la sensualite, les inte're'ts prives
du prophete. On peut d'emblee rejeter, ou du moins tenir
pour suspect, un prodige qui se presente dans un contexte
malsain, absurde, ou visiblement pueril (les exemples abon-
dent dans les evangiles apocryphes, a plus forte raison dans
les recits merveilleux du Bouddhisme 3 ). On laissera tomber
de meme tout phenomene bizarre, futile, isole, sans attache
visible avec un intere't religieux.
II faut enfin que le fait miraculeux soit nettement lie avec
une doctrine, ou une personne, propre a recevoir le sceau
divin. La connaissance prealable du thaumaturge, 1'estime
fondee qu'on a pour son enseignement, influe legitimement
1. Me., viii, 11 suiv. ; Mt., xvi, 4. Voir plus bas, p. 332-335.
2. InEv. Joannis, cap. xv, lect. v, n. 4; 6d. de Parme, X, p. 573. Ce qui
rend les Juifs inexcusables (Jo., xv, 24) c'est que le Christ, tout en leur
donnant exterieurement des signes visibles, touchait et pressait inte-
rieurement leur cceur : Ce que dit le Seigneur : Si je n'avais pas fait
parmi eux des ceuvres telles qu'aucun autre n'en a fait, Us n'auraient point
de peche, ne doit pas s'entendre settlement des osuvres visibles, mais de
1'instinct interieur, et de 1'attrait de la doctrine ; s'il ne les avait pas pro-
duits en eux, ils n'auraient point de peche (d'infidelite). Sur 1'authen-
ticit6 du commentaire sur saint Jean, P. Synave, Les Commentaires Scrip-
turaires de saint Thomas d'A quin, dans La Vie Spirituelle, VIII, 1923,
p. 459 suiv.
3. Voir par exemple H. Kern, Histoire du, Bouddhisme dans Vlnde, tr.
fr. G. Huet, Paris, 1901, I, p. 73 suiv. II faut d'ailleurs tenir compte de
1'etat des esprits et des moaurs : rudesse n'est pas grossierete, simplicite
n'est pas sottise.
DES SIGNES DIVINS EN GENERAL. 245
sur la decision, dispose Tesprit de telle sorte qu'un signe,
insuffisant pour un profane, soit surabondant pour un temoin
justement prevenu. Les dispositions de celui-ci ne sont pas
a prendre en moindre consideration : un virtuose, un artiste
aura reconnu et dechiffre correctement une phrase de Beetho-
ven, sur des indices et a un moment ou de me'diocres musi-
ciens hesiteraient encore, non sans raison, touchant 1'attri-
bution de la phrase et sa teneur. J. Scheeben note tres bien
la-dessus que 1'interpretation des signes depend essentielle-
ment de la clarte, de la vivacite", de la force de nos disposi-
tions morales, surtout de notre amour pour la verite, de notre
respect pour 1'autorite de Dieu, de notre confiance en sa
bonte* et en sa providente sagesse . Au'contraire, si ces
dispositions morales n'existent pas, si 1'esprit craint ou redoute
la verite", ou s'efforce de briser le lien vivant qui rattache ces
signes a 1'autorite ou a la veracite de Dieu, on se laisse
persuader ou que ces signes ne viennent pas de lui, ou qu'il
ne les emploie pascomme des temoignages de sa revelation 1 .
Nous sommes loin, on le voit, de coups de force qui agiraient
sur les spectateurs du miracle par une sorte de contrainte,
au detriment de leur responsabilite. La finale de la redou-
table parabole du riche inhumain nous le rappelle avec force 2 .
Repousse" dans sa reque'te personnelle, ce malheureux insiste
aupres d' Abraham pour que les siens, reveilles par un pro-
dige, changent leur vie et soient preserves de ce qu'il souffre :
Je te prie done, Pere, de 1'envoyer (le pauvre Lazare) dans
la maison de mon pere, car j'ai cinq freres, pour qu'il temoigne
pres d'eux (de la verite des choses), afin qu'ils ne viennent
pas, eux aussi, dans ce lieu de tourments. Abraham lui
dit : 11s ont Moise et les Prophetes, qu'ils les ecoutent!
Mais lui : Non, dit-il, Pere Abraham, mais si quelqu'un
vient a eux de chez les morts, ils se convertiront. Mais il
lui dit : S'ils n'ecoutent pas Moi'se et les Prophetes, me'me
si quelqu'un ressuscitait des morts, ils ne se laisseraient pas
con vainer e. Le mechant coeur ne cede pas au miracle; tout
1'Evangile nous en est garant.
1. Dogmatique, 1873-1887, I, trad. B61et ; p. 491.
2. Lc., xvi, 19-31.
246 JESUS CHRIST.
Avant d'appliquer ces observations generales aux ceuvresr
merveilleuses du Christ, il convient de dire un mot des pro-
pheties.
4. Prophete et Proph6tie.
Le prophete l , c'est 1'homme en puissance de Dieu et agis-
sant comme tel, porte-parole inspire de la Divinite. Le don
qui confere, a I'e'tat passager ou habituel, cette haute prero-
gative, est de 1'ordre intellectuel 2 , mais il se double tres
souvent d'une action sur la volonte, donnant a 1'inspire cons-
cience d'un devoir de transmission et de proclamation.
Les connaissances ainsi communiquees d'en haut peuvent
depasser en elles-m4mes, et depassent toujours par leur mode
d'appre'hension, celles que l'homme acquiert par la voie com-
mune. Elles participent ainsi, d'une fac.on inegale mais cer-
taine,- aux revelations divines dont le Prophete est normale-
ment 1'instrument. Ce qui ne veut pas dire (et bien au
contraire) que ces connaissances violentent a quelque degre
1'esprit de celui qui en beneficie. Les obscurites, les equivo-
ques, accumulees par la polemique moderniste, echo confus
de Timmanentisme hegelien, ne doivent pas donner le change.
Tout ce brouillamini resulte, dans ce cas comme dans celui
du miracle, de 1'intrusion, par les modernistes, des formules
et notions traditionnelles, dans une hypothese de philosophie
generale incompatible avec les realites supposees par ces
formules et notions. Gelles-ci partent de 1'existence d'un Dieu
personnel, transcendant a la lois et immanent. Abandonnez
cette conception pour celle d'un Divin purement immanent,
impersonnel, sorte d'ame de 1'univers et de racine cachee des
choses, con^u, selon les opinions de chacun, comme une Idee
1. Upoip7{Tir)s (hebr. nabi, interprfete, h6raut >; tres rarement ro'6,
voyant ). Sur le mot et la fonction proph6tique, voir A. Condamin,
PropMtisme Israelite, I, dans DAFC, IV, 1924, col. 368 suiv.; la question
a ete reprise dans le vaste memoire d'Eric Fascher, IIPO^HTHS, Eine
sprach-und religionsgeschichtliche Untersuchung, Giessen, 1926. Sur le
sens des diverses expressions hebra'iques, plus ou moins apparentees, M.
A. van den Oudenrijn, Nebuah, De Prophetiae charismate in populo israe-
litico, Rome, 1926, p. 11-71.
2. Saint Thomas, Summa Theologica, H a II ae , q. CLXXI.
DBS SIGNES DIVINS EN GENEIIAL. 247
qui cherche a s'exprimer dans I'absolu, com me une Force
obscure qui tend a se r<5aliser dans la lumiere, comme une
Conscience diffuse aspirant a se concentrer dans 1'esprit :
n'est-il pas manifesto que la notion correlative de revelation,
de prophetic, de communication divine faite a 1'homme va
changer, prendre un sens nouveau et different, s'adulterer et
fmalement s'abolir 1 ?
Dans la conception traditionnelle, les difficult^s incrimi-
nees par les modernistes fondent comme la cire au feu. Qu'un
Dieu Esprit et Amour puisse se communiquer aux creatures
qu'il a douees de raison, c'est 1'evidence meme. Qu'au dela
du sentiment qu'il donne parfois de sa presence, et qui est
deja un langage, mais enveloppe", indistinct, susceptible d'in-
terpre"tations diverses, il puisse confier a une intelligence
d'homme un message clair et certain, cela peut-il faire doute?
On n'a pas du reste a supposer toujours une revelation
proprement dite. Le Maitre divin utilise les connaissances
antecedentes du Prophete; son action est comparable a celle
d'un maltre humain qui met en ceuvre, pour se falre entendre,
les notions acquises de son disciple, quitte a lui communiquer
les idees nouvelles, compl^mentaires, dont une lecon plus
difficile aurait besoin.
Toute sorte d'enseignement peut 4tre 1'objet d'une mission
prophetique, mais la premiere place y revient aux choses
lointaines, cachees, mysterieuses : au secret des co3urs, aux
profondeurs de la vie et des predilections divines, aux evene-
ments futurs, bref, a ce qui depasse la connaissance humaine
laissee a ses propres moyens. La perception de 1'avenir en
rapport avec les destinees du Royaume de Dieu, a toujours ete
consideree comme lavue prophetique par excellence 2 ; elle est
1. Sur ce point et les indices equivoques qui s'ensuivent, je me suis
explique dans un memoire, Le Developpement du Dogme Chretien, 3 partie,
I : Revue pratique d'Apologe'tique, VI, 1908-1909, p. 402-414, contre Au-
guste Sabatier, Esqwsse d'une Philosophic de la, Religion 1 , p. 40suiv. ;
George Tyrrell, Through Scylla and Charybdis, London, 1907, ch. vni, xi,
xn ; Alfred Loisy, Simples Reflexions sur I'Encyclique t Pascendi , Ceffonds,
1908, p. 52suiv. ; 142 suiv. Ladependance directe, ou indirecte, de tous les
historiens disciples de Hegel est manifeste.
2. Mais non comme la seule. Reagissant contre cette idee etroite de la
prophetic, James Darmesteter a ete jusqu'a dire que en fait la predic-
248 JESUS CHRIST..
aussi la plus apte a devenir un signe diyin. G'est ainsi
qu'elle est presentee dans les passages du Livre d'lsaie ou
s'exprime avec sublimite la croyance universelle.
Le Dieu qui a forme la terre,
lui qui 1'a faite et affermie ,
II ne 1'a pas creee en vain ;
il 1'a formee pour qu'on Fhabite :
C'est moi lahve, et personne autre !
Ce n'est point en cachette que j'ai parle,
dans un coin obscur de la terre.
Je n'ai pas dit a la race de Jacob :
(i Cherchez-moi en vain !
C'est moi lahve, dont la parole est juste,
et sure la benediction ! -
Assemblez-vous, venez, approchez ensemble,
survivants des nations !
Us ne savent rien, ceux qui portent une idole de bois,
et supplient un dieu qui ne sauve pas !
Parlez, exposez,.oui, consultez ensemble!
Qui jadis a public cela?
qui autrefois en a parle ?
N'est-ce pas moi, lahve,
et nul autre Dieu, si ce n'est moi?
De Dieu juste et sauveur il n'en est point que moi !
Et encore : Idoles et peuples idolatres,
Venez plaider votre cause,
dit lahve ;
Produisez vos preuves,
dit le roi de Jacob.
Qu'ils approchent et nous predisent .
ce qui arrivera !
Le passe, comment 1'ont-ils predit,
nous 1'examinerons !
Ou 1'avenir, qu'ils nous 1'annoncent,
nous en verrons Tissue !
tion proprement dite est la marque qui distingue 1'apocryphe du prophete..
Le Prophete ne pr6dit jamais ; les Prophetes d'Israel, p. 137; A. Conda-
min, PropMlisme israttite, V, DAFC, IV, col. 405suiv. ; met parfaitement
au point ce paradoxe insoutenable. H. Gunkel observe plus justement que
les plus anciens prophetes ont 6t6 des pr6diseurs de 1'avenir >, et que-
en consequence, nous devons nous attendre a trouver le plus anci en-
style proph6tique dans les morceaux ou 1'avenir est d6crit > ; Propheten, II,.
seit Amos, dans RGG, IV, col. 1881.
DBS SIGNES OIVINS EN GENERAL. 249>
Annoncez ce qui sera plus tard,
et nous saurons que vous fetes des dieux!
Aliens, bien ou mal, faites quelque chose,
et nous pourrons nous mesurer!...
Eh! bien, vous n'etes rien,
et votre oauvre est neant :
abominable celui qui vous choisit 1 1
Si Dieu peut annoncer un fait qui est, pour nous, encore a
venir, ce n'est pas pour 1'avoir appris ou prevu, mais parce
que ce fait lui est present, toute re'alite tenant de lui tout
ce qu'elle est, dans toutes ses modalites 2 . De cette science
creatrice, immediate, 'de cet acte qui mesure Pe'tre en le
dispensant, rien, dans notre connaissance indigente, a base
d'abstraction et d'assimilation, ne peut donner une idee
distincte 3 . Gar le flux qui nous entraine, nous et les instru-
ments me'mes dont nous nous servons pour le mesurer, est
necessairement partiel, successif, irreversible. Nous ne pou-
vons telegraphier dans le passe , observe Einstein 4 , et, moin&
encore, dans 1'avenir. Pour le passe, nous ne disposons que du
1. Isai'e, XLV, 18d-22; XLI, 21-25. Trad. Condamin.
2. II faut concevoir la volonte divine comme existant hors de 1'ordre-
des choses ephemeres, a la fagon d'une cause qui produit 1'etre tout
entier, avec toutes ses manieres d'etre, velut causa quaedam profundens
totum ens et omnes eius differentias , dit admirablement saint Thomas
dans son Commentaire sur Aristote Perihermeneias, lib. I, lect. XIV ; ed.
de Parme, XVIII, p. 35.
3. C'est pourquoi L. R. Farnell, The Attributes of God, Oxford, 1925,
p. 254, 255, apres avoir note, avec I'autorite que lui confere sa vaste con-
naissance des religions antiques : Que 1'existence divine soit eternelle
de par son essence meme, est et a ete un dogme inevitable de toute
croyance avancee : 1'idee de divinites temporaires ou perissables, bien
que Platon et les Stoi'ciens aient pu jouer avec elle, appartient a la periode
d'enfance de la pensee religieuse >, observe qu'on n'a pas reussi a conci-
lier positivement les notions d'eternit6 et de creation. Le mystere est, en
elfet, indeniable en ce qui touche le comment. Nous connaissons Dieu
comme 1'Absolu , et partant, Peternel, et nous le connaissons comme-
notre Cr6ateur. Mais nous ne pouvons unifier ces deux aspects, tout comme
nous ne pouvons voir & la fois les cotes Nord et Sud d'une tour carree,
bien que nous les ayons vus separement : Jos. Rickaby, Studies on God
and his Creatures, London, 1924, p. 106 et voir toutle contexte.
4. Dans E. Meyerson, La Deduction relativiste, 1925, p. 104.
250 JB8U8 CHRIST.
souvenir et, parfois, de la comparaison avec des 3vnements
analogues a celui que nous voudrions faire revivre jamais
lesm^mes! Pour 1'avenir, nous conjecturons, avec une certi-
tude pratique quand il s'agit de re"sultats provenant d'agents
n^cessaires, comme une eclipse ou une grande maree; avec
une assurance variant de la haute probability a la plausibi-
lite., quand des causes libres sont al'oeuvre. Ainsi, imprudente
ou fondee, timide ou decisive, notre affirmation est toujours
le fruit d'une interpretation. La vision du present tient pour
nous dans un moment evanescent, dans un eclair.
Or Dieu, nous dit I'&criture, en notre langage temporel,
mais nous elevant par la violence faite a ce langage, au-
dessus des conceptions anthropomorphiques, son nom est :
IL EST, IL ETA.IT, IL viENT 1 . G'est-a-dire que nos mesures et
nos images fondees sur avant, pendant, apres, ne s'appli-
quent plus a Dieu, et n'existent mtjine pour lui que dans la
vue qu'il a de nos pensees. Ge qui, pour nous, a eti ou sera,
pour lui est. La seule comparaison qui vaille est done celle
par laquelle, si fugitif et imparfait que soit ce regard, nous
apprehendons le present. Un homme observant, du haut d'une
montagne, une armee en marche dans la plaine, embrasse
d'un coup d'oeil, sur la route qui se deroule a ses pieds, ceux
qui ont passe, ceux qui passent et ceux qui passeront, tandis
que le pieton cheminant a son rang, dans un des bataillons,
a perdu de vue les premiers et ignore tout de ceux qui vien-
nent apres lui : ainsi note saint Thomas, et ce n'est qu'une
comparaison, mais instructive Dieu, infiniment e"leve au-
dessus du temps, voit ce qui pour nous n'est pas encore, ou
n'est plus 2 . II nomme ce qui n'est pas comme ce qui est 3 .
Et puisqu'il le voit et le nomme, il peut le dire. Si par des
images appropriees aux conditions de 1'instrument humain
1. Apoc., i, 4 et parall. J'emprunte la traduction de B. Allo, L 'Apocalypse,
1921, p. cxLViii-cxLix. R. H. Charles, The Revelation of 5. John, 1920, I,
p. 10-11, cite un certain nombre de paralleles, tires de.PEcriture et
d'autres livres religieux. A ces derniers, on pourrait ajouter la Bhaga-
vadgitd, XI; tr. E. Senart, Paris, 1922, p. 119-123.
2. Saint Thomas, Quodlibet. XI, art. 3. La raeme comparaison est deja
dans le Commentaire cite plus haut, et ailleurs encore.
3. Rom., iv, 17.
DBS SIGNES OIVINS EN GENEIUL. 251
il le montre a un mandataire choisi, ce sera un cas de pro-
phetie au sens le plus etroit, ma is le plus eleve du mot ; et
s'il peut conster que Dieu 1'a fait, c'est le sceau divin imprime
sur le message du prophet e.
Un tel genre de revelation est-il antecddemment, ne disons
pas inconcevable (ce serait nier equivalemment 1'existence
d'un Dieu personnel), mais improbable? P^ombre de gens
I'ont affirme, soit qu'ils vissent dans Telimination de la pro-
phetie un corollaire du caractere immuable preHe par eux
aux lois de la nature, soit qu'ils voulussent ramener toute
croyance dans les limites de la raison pure. L'histoire compare e
des religions et la psychologic furent cjiargees en conse-
quence de reduire et d'expliquer les faits proph^tiques an-
ciens. On a defense a ce travail enormement d' Erudition et
d'ingeniosite 1 , et pas en pure perte : le caractere veritable et
la valeur religieuse du proph^tisme ont etc ainsi de"gages
de superietations qui alteraient la purete de ses lignes. Sur
le fond, nous observerons une fois de plus que le conflit est
anterieur a 1'etude historique et critique : c'est 1'inconfort
produit chez beaucoup par la seule pensee d'une interven-
tion positive de Dieu, c'est la crainte d'une irruption dans
Tautonomie rationaliste, qui les incline d'avance a 1'interpre-
tation purement naturelle des donnees prophetiques. Et il ne
faut pas dissimuler non plus que, chez maint apologist e, le
desir de vaincre et de confondre cet etat d'esprit par des
preuves accablantes, a cree line idee beaucoup trop minu-
tieuse et materielle de la proph^tie. On a cherche d'instinct
des precisions temporelles ou effectives, comme si les eve-
nements rdels devaient se couler, en epousant rigidement
ses contours, dans le moule de la description prophetique.
Cette exigence implique, entre autres inconv^nients, qiie
Dieu revele, par un prodige inoui et d'ailleurs inutile, toutes
les conditions de vie, et les habitudes mentales completes,
de Fepoque ou se deroulera 1'episode du Royaume prdsente
1. Le travail fundamental reste celui d' Abraham Kuenen, dans le second
volume de sa Recherche Historique et Critique sur la composition et la col-
lection des Livres du Vieux Testament, II (en neerlandais), Leide, 1863,
2 1889, ouvrage traduit en allemand, en anglais, en francais, et qui a ins-
pire toute la critique liberate.
252 JESUS CHRIST.
a 1'oeil spirituel du voyant. Un tel depaysement re'duirait
celui-ci au r61e d'instrument passif; il rendrait son message
non settlement mysterieux, mais inintelligible a ses contem-
porains. Mais tant s'en faut qu'il en soit ainsi : il convient au
contraire de se defier de predictions trop circonstanciees.
Continuant de parler sa langue, imprimant a ses visions le
caractere de sa race, les couleurs de son temps, de la cul-
ture litteraire qu'il a recue et de son genie propre, le pro-
phete est le heraut du grand Roi, non le transmetteur auto-
matique d'une lecon.
G'est la fin religieuse du message qui mesure 1'etendue
et determine le caractere des visions. Et ce.tte fin, par sa
grandeur, son universalite, son epanouissement progressif,
deborde infiniment chacune des predictions particulieres.
Ainsi s'explique ce qu'on appelle justement la perspective
prophetique. La realisation du plan divin, qui comporte des
etapes distinctes, separees par des laps de temps conside-
rables, n'en est pas moins une ,dans son ensemble et se pre-
sentera done au prophete sous des images enchainees entre
elles, faisant abstraction des intervalles, et amenant a la
lumiere, hors du fleuve anonyme des evenements futurs, les
seuls faits et les seuls traits qui marquent la continuite
du dessein providentiel. Les precisions numeriques et les
coincidences de detail, sans 4tre necessairement exclues,
sont ici de peu ; notre vieille tendance au litteralisme sera
decue. L'optique de la prophetie n'est pas celle de 1'histoire.
L'histoire a sonposte d'observation dans laplaine, elle suit
les evenements pas a pas, au fur et a mesure qu'ils se
deroulent. G'est un cinematographe qui, ayant d'abord enre-
gistre la marche et la succession des faits, les presente ensuite
par ordre les uns apres les autres, sans jamais enjamber
sur les intermediaires, en autant de tableaux correspondants
et distincts. Mais la prophetie, au contraire, se tient sur ces
hauts sommets qui dominent tout le cours du temps, illu-
mines qu'ilssont par le seul soleil de la prescience de Dieu...
Quoi d'etonnant alors que la description prophetique ne soit
pas assujettie aux memes regies que la narration historique?
qu'il lui arrive de bruler les etapes qui relativement a nous
jalonnent la route de 1'avenir? et que souvent, franchissant
DBS SIGNES DIVINS EN GENERAL. 253
comme d'un bond tous les interme'diaires, elle joigne, dans
un m&ne tableau, des evenements que devront pourtant
separer les uns des autres de longues series de jours, d'an-
ne"es, voire m6me de siecles J .
Ges modalite"6 si particulieres vont-elles a depouiller le signe
prophetique de sa valeur probante? II s'en faut de beaucoup :
elles doivent seulement mettre en garde contre une inter-
pretation superficielle. Gette impasse condamnee, la grande
route est ouverte. Elle part d'une etude de la personne du
prophete : non que Dieu ne puisse utiliser comme interprete
un homme tres indigne de ce r61e, un Balaam, un Joseph
Gaiphe. Ges choix qui manifestent la souveraine liberte de
1'inspirateur, ont par ailleurs 1'avantage d'exclure chez 1'ins-
pire tout soupcon de complaisance et de parti pris. Mais
habituellement le Seigneur emploie des instruments plus
dociles, et les qualifie comme siens. Des prerogatives moins
relevees, mais du meme ordre que la vision d'avenir : la vue
a distance, la lecture des pensees et sentiments intimes,
sont comme 1'aube du jour prophetique et inclinent a recon-
naitre, chez celui qui les possede habituellement, la realite
du don divin. Encore plus doit-on tenir compte des vertus
morales, du desinteressement, de la solidite d'esprit, de 1'hu-
milite. II peut arriver que, pour un temps, la personne du
prophete discerne son message et le garantisse, la saintete
du heraut couvrant une prediction dont 1'accomplissement est
necessairement futur. II n'y a la que 1'apparence d'un cercle
vicieux, puisqu'un signe visible, et contr61able, est deja
present et a 1'ceuvre.
Toutefois, Pargument prophetique le plus persuasif est
celui des propheties accomplies et il n'est pas strictement
^dependant, Men qu'il doive en tenir le plus grand cas, de
la personne du prophete. Si nous cherchons en cet argument
les trois elements" dont le faisceau constitue Farmature du
signe, nous verrons que toute la complication git dans la
>constatation du premier : insuffisance des causes naturelles
a expliquer la prediction. S'agit-il d'evenements dependant
d'une cause necessaire et connaissable, 1'annonce n'aura de
1. Cardinal Louis Billot, La Parousie, Paris, 1920, p. 22.
254 JESUS CHRIST.
merveilleux que 1'apparence : tout comme parait merveilleux
dans le cas d'une maladie le succes d'un spe"cifique inconnu
du vulgaire. La prophe*tie veritable porte sur des faits pro-
venant de causes libres, partant impre'visibles. Encore sa
teneur ne doit-elle pas rester ambigue, justifiable en tout
etat de cause, a la facon de maint oracle antique. Elle ne
sera pas non plus probable et conjecturale, ce qui peut fort
bien s'accorder avec des declarations de forme categorique.
Gar une assurance fondee sur des convictions fermes tend
naturellement a s'exprimer par des affirmations nettes. Mes
garants, dans ce que j'annonce, ne sont pas, disait le refor-
mateur e"cossais John Knox *, les merveilles de Merlin, ni
les sentences obscures de prophecies profanes. Mais d'abord
la simple verite de la parole de Dieu, ensuite la justice invin-
cible du Dieu Eternel, et enfin le cours ordinaire des cha-
timents et fleaux qu'il envoie, tel que ce cours apparait
depuis les origines : voila mes garants et assurances. On
peut assimiler a son cas celui d'esprits pe'netrants et expe-
rimentes, pronostiquant sans hesitation les consequences d&
certains ebranlements politiques ou sociaux : plusieurs pre-
dictions de Vico, de J. Balmes, d'Alexis de Tocqueville se
sont realisees assez exactement. On n'appellera pas pour
autant ces hommes distingues, des prophetes.
Le fait mSme de parler au nom de Dieu n'implique pas-
necessairement une revelation proprement dite 2 , notamment,
chez les peuples qui ont accoutume de rapporter a Dieu
toute activite bienfaisante, abstraction faite des causes,
secondes. Ge n'est pas une formule qui est alors decisive,,
mais tout 1'ensemble de 1'attitude et des declarations du.
prophete. Enfin, avant de tirer argument de sa prediction
accomplie, nous aurons a nous assurer qu'elle etait assez:.
determinee, assez en dehors des probabilites serieuses,,
dependant d'un jeu assez complexe des volontes libres, pour-
1. J'emprunte ce trait an Prof. A. B. Davidson, Prophecy and Prophets,.
dans DBH, IV, p. 121 note.
2. Voir la-dessus, et sur 1'application aux prophetes d'Israel, A; Conda-
min, Prophetisme Israelite, dans DAFC, IV, col. 395-420; M. A. Van dent
Oudenrijn, Nebuah, De Prophetiae charismate in populo Israelitico, Rome,.
1926, p. 141-357.
DBS SIGNES DIVINS EN GENEItAL. _ 255
qu'une simple prevision n'ait aucune chance de tomber juste.
Ge sont la des exigences legitimes, aussi fondees que le sont
peu celles qui iraient a proscrire 1'apparence enigmatique
et 1'obscurite du langage des prophetes, ou s'attacheraient
puerilement a la lettre des images.
GHAPITRE II
jSUS PROPHfiTE
La disparition des prophetes i avait laisse en Israel un vide
senti. Au cours des purifications rituelles qui suivirent la
reprise de Jerusalem par Judas Macchabee en 165, on detrui-
sit 1'autel des holocaustes, parce qu'il avait ete profane" par
les Gentils. Quant aux pierres qui le formaient, elles furent
deposees en lieu sur, . jusqu'a ce qu'un prophete parut qui
donnat une reponse' divine a leur sujet 2 . Plus tard, signa-
lant 1'autorite conferee a Simon Macchabee comme chef et grand
pr^tre perpetuel, 1'historien ajoute cette restriction caracte-
ristique : jusqu'a ce que se leve un prophete fidele 3 . Si la
prediction fameuse de Moise : Du sein de ton peuple et du
milieu de tes freres, le Seigneur ton Dieu te suscitera un pro-
phete comme moi : tu 1'ecouteras 4 , a trouve peu d'echo dans
la tradition rabbinique ancienne, cela s'explique de reste, puis-
que les maitres d'Israe'l tenaient justement la place des pro-
phetes absents. Mais nous savons qu'il n'en etait pas ainsi
dans le peuple. Quand le prestige du Baptiste attire a lui les
i'oules, la premiere question qu'on lui pose est celle-ci : Es-
tu Elie? es-tu le Prophete 5 ? Plus tard, les oeuvres merveil-
leuses de J^sus lui font attribuer par tous 1'inspiration pro-
phetique. G'est ^llie qui reparait; c'est Jeremie ou quelqu'un
1 . Ce fait, tin des plus constants de 1'histoire d'Israel, demeure un des
plus obscurs. Ce qu'en dit A. B. Davidson, dans DBff, W, p. 112, est peu
satisfaisant.
2. I Macch., iv, 42-46.
3. I Macch., xiv, 41.
4. Deut., xviii, 15, coll. 18, 18. Sur 1'interpretation de cette prediction
dans le juda'isme ancien, Strack et Billerbeck, KTM, II, p. 479 suiv. ;
p. 626, 627. Saint Pierre se refere a ce texte dans les Actes, in, 22.
5. Jo., i, 21.
556
JESUS PROPHETE. 257
desautres Prophetes 1 . D'autres disaient : c'esfc simplement
ufl prophete eomme les autres 2 ! Apres la multiplication
des pains, les gens enfchousiasmes s'e'crient : Plus de doute I
Gelui-eiest vraiment le Prophete qui doit venir , et ils ve-
lent s'emparer de sa personne pour le mettre a leur t$te 3 .
Prophete est en ce dernier cas un synonyms de f Messie,
raais cette Equivalence me"ine montre assez 1'importance atta-
che'e alors a 1'inspiration prophe"tique dont tous les evange-
listes attribuent a Je^sus de Nazareth, d'emblee et en pleni-
tude, la possession ordinaire. Elle comportait, nous 1'avons
vu, des pouvoirs differents allant de la prophetie proprement
dite a la facultd de voir a distance et aussi de connaifcre les
choses secretes, de lire dans le secret deer coeurs. Saint Jean,
.qui souligne avec insistance 1'usage de ce dernier don, n'est
pas plus explicite, sur le fait, que les Synoptiques.
Agre'ablement surpris de I'appreciation favorable portee
.ur lui par Je*sus,
Nathanael lui dit : D'ou me connais-tu? Je'sus repartit et lui
dit : Devant que Philippe t'appelat, quand tti etais sous le figuier,
je t'ai vu, toi. Nathanael de se re*crier. Mais le Maitre sourit. Tu
verras de plus grandes choses 4 ...
Semblablement, efc c'est ici Marc qui parle,
de premier jour des Azymes, comme on immolait la Paque, ses dis-
ciples lui dirent : Ou veux-tu que nous allions appreter pour que
>tu manges la Paque ?' Lors, il envoya deux de ses disciples et
deur dit : Allezr vers la ville, un homme se presentera a vous, por-
:tant une cruehe d'eau-. Aceompagiiez-le, et, ou qu'il entre, dites au
raaitre de la maison : Le Maitre dit : Ou est ma salle,. ou je mange
,la Paque avec mes disciples ? Etlui vous indiqueraune haute cham-
J)re, vaste, tendue, toute preparee : appretez-nous la 3 .
Bien plus nombreux et plus caracteristiques sont les traits
de lecture des pensees. Les riches formules jphanniques :
Mais lui, Jesus, ne se fiait pas a eux, parce qu'il les con-
tiiaissait tous et qu'il n'avait pas besoin qu'on lui rendit compte
1. Mt., xvi, 14.
2. Me., vr, 15.
3. Jo., vi, 14, 15.
4. Jo., i, 47-50.
5. Mo., xiv, 12-16.
JESUS CHRIST. II. 17
258 JESUS CHRIST.
(des pensees) de 1'homme. Gar lui savait ce qu'il y avait dans
1'homme , Gar des Porigine Jesus savait qui e"taient les
non croyants, et qui le trahirait 1 , resument en clair ce que
les Synoptiques nous de*crivent souvent au concret.
Dans la Synagogue ou entre le Maitre, un jour de sabbat,
pour enseigner,
un homme se trouvait dont la main droite etait dessechee. Or scri-
bes et Pharisiens observaient Jesus, pour voir s'il guerirait lejour
du sabbat, afin de trouver matiere a 1'accuser. Mais lui, qui pe"ne-
traitleurs pensees secretes, dit a 1'homme qui avait la main s6che :
Leve-toi debout, au milieu ! et se levant, il se tint debout. Et
Jesus leur dit :
Je vous demande s'il est permis lejour du sabbat
de faire du bien, ou de faire du mal,
de sauver une vie, ou de la perdre ?
e^fixant sur tous son regard, a la ronde, il dit a 1'homme r
Etends ta main. Lui le fit, et sa main fut remise en etat 2 .
Gette extraordinaire et infaillible clairvoyance ne constitue
pourtant, nous 1'avons dit, que 1'aube du jour prophetique. II
convient, pour appre"cier la plenitude de ce don en Je*sus, de
grouper 1'etude de ses predictions autour de trois objets prin-
cipaux : sa personne, les destinies de son oauvre sur terre T
et la consommation des ehoses.
1. Proph6ties de Jesus sur lui-mdme.
G'est la partie la plus obscure, la plus meconnue de sa)
mission, que vont d'abord a mettre en lumiere les propheties de
Jesus. Tres nettement rattachee au salut d'lsrae"! et a 1'eta-
blissement du Regne de Dieu dans les visions concernant le
Serviteur de Iahve,la redemption douloureuse etait cependant
restee a peu pres lettre morte, inoperante dans rimagination-
populaire, exclue des speculations des doctes. G'est seulement
au milieu du second siecle de notre ere que I'id6e d'un Messie
souffrant ou mourant retiendra 1'attention des rabbins, et les
figures n'arriveront pas a s'uniiier, a se fixer en un portrait
1. Jo., ii, 24, 25; vi, 64.
2. Lc,, vi, 6-12 et parall.; voiraussi Lc., v, 21-22 et passim.
JESUS PROPHBTB. 259
coherent 1 . Aux temps e'vange'liques, a peine peut-on relever
une ou deux anticipations fugitives 2 . Tandis qu'avidement
relev6s dans les Prophetes, les traits glorieux et prometteurs
donnaient texte a des gloses, a des amplifications mfinies,
1'Evangile du Juste souffrant restait dans une pe'nombre sacre'e
ou nul ne se souciait d'aller le dechiffrer. Les meilleurs fils
d'Israe'l, temoins les Douze, non seulement n'entraient pas
volontiers dans ce courant, mais nos evangiles en te"moignent
copieusement refusaient de s'y laisser porter. G'est done
en d6pit de son milieu, en reaction contre les idees de son
temps, en opposition avec son entourage le mieux dispose",
que Je"sus va e*voquer sa Passion, en detailler les troublants
episodes avec une clarte* croissante, et en de*gager le sens
divin.
Les textes qui temoignent de ces vues prophe"tiques sont si
explicites qu'ils deviennent pour les rationalistes de tous les
temps, dans un autre sens que pour les disciples du Christ
mais a un degre e"gal, une pierre d'achoppement. Aussi s'ef-
forcent-ils de la mettre hors de leur chemin. Plusieurs criti-
1. Le silence general du judai'sme ancien sur le Messie souffrant est
d'autant plus 6trahge qu'il n'exclut pas de nombreuses allusions au
caractere purifiant, meritoire et, dans une certaine mesure, expiatoire,
de 1'epreuve infligee par Dieu, de la souffrance reparatrice. Mais le fait
reste incontestable ; et les recherches de G. Dalman, de J. Klausner, de
Strack et Billerbeck 1'ont decidement continue. Quand, a partir du milieu
du n siecle apres Jesus-Christ, la notion se fait jour d'un Messie souffrant
ou mourant, elle se partage entre deux figures, le Messie souffrant devant
etre fils de David, et la mort etant reservee au Messie guerrier, fils de
Joseph (ou d'Ephraim). Dans aucun cas, une tradition un peu ferine et
suivie n'arrive a s'etablir. Voir ci-dessus, tome I or , p. 278, note 2. Les
passages si clairs des anciens prophetes, notamment Isai'e, Lin, et Zacha-
rie, xiv, 1 suiv., sont demeures a 1'exclusion de quelques allusions dans
les Paraboles du Livre d'ffdnoch, XLVI, 4 suiv. ; LII, 6 suiv., et peut-etre
Testament des XII Patriarches, Benjamin, m, 8; dans R. H. Charles,
APOT, II, p. 356 sans echo. Encore ces allusions restent-elles fort
contestables. Les tableaux de l'6re messianique dans toutes les apocalypses
anterieures au christianisme ne prevoient pour le Messie que gloire et
puissance : H. L. Strack et P. Billerbeck, KTM, II, p. 282; et le memoire,
ingenieux, mais aventureux, de G. H. Dix, The Messiah ben Joseph, dans
JTS, XXVII, 1926, p. 130-144.
2. Simeon : Lc., H, 35; Jean Baptiste : Jo., i, 29; peut-etre Cai'phe : Jo., xr,
49-53.
260 JESUS CHRIST.
ques re*cents, ordinairement peu a court de raisons, estiment
qu'il y a chose jugee, et refusent de s'attarder sur
ees predictions : II y a beau temps qu r on a reconn'u en
elles des creations posterieures de la communaute chre-
tienne 4 \ W- Wrede admettait du moins qu' il serait teme-
raire de pre"tendre que Jesus n'a jamais pu, avaut les derniers
jours, exprimer des press entiments touchant sa passion et sa
mort . Mais la se bornent ses concessions : aller plus loin
serait attribuer a Jesus des propheties ve>itables : il faut done
voir dans nos textes actuels un court sommaire de 1'histoire
de la Passion, racontee, a vrai dire, au mode futur , en rea-
lite calque*e sur les evenements 2 . On prend ici sur le fait,
dans sabrutalite, replique M. Henri Monnier 3 , le proce*de de
la critique negative; il n'y a pas de propheties! Ges histo-
riens, asservis a leurs prejuges philosophiques, ne s'arretent
pas au fait que ces predictions figurent dans des Episodes
d'une historicite certaine dont elles font partie integrante. En
vain leur representera-t-on que les tenir pour inauthentiques,
equivaut a tout rejeter dans 1'Evangile , Leur siege est
fait. Les propheties doivent 3tre reduites a 1'etat d'interpola-
tions posterieures.
Les evangelistes, nous explique M. A. Loisy, auront voulu
repondre aux preoccupations des premieres generations chre-
tiennes. II fallait que le Christ eut pr^vu sa mort; il fallait
expliquer que les disciples avaient ete lents a comprendre ce
mystere ! Aux questions ainsi soulevees, Marc aurait cherche
des solutions dans la doctrine de saint Paul, dont il etait un
1 . Ich verweile jedoch nicht bei den Leidens-und Auferstehuugsweis-
sagungen, die laengst als sekundare Gemeindebildungen erkannt sind > ;
R. Bultmann, Die GeschichtederSynoptischen Tradition, Goettingen, 1921,
p. 93.
2. Das Messiasgeheimnis in den Evangelien'*, Goettingen, 1913, p. 92;
p. 85 suiv. Dans un Appendice, ibid., p. 263-275, Wrede bouscule avec son
entrain ordinaire ceux de ses collegues, H. J. Holtzmann, J. WeUhausen,
J. Weiss, H. Weinel, etc., qui pretendent sauvegarder un noyau authen-
tique dans 1'ensenible des propheties de Jesus touchant sa fin. Et bien
que ces auteurs se trompent moins que lui sur le fait, sa critique est
justifi6e ad hominem. II montre en effet que ces demi-raesures sont arbi-
traires, et incoh6rentes avec les positions admises par ces auteurs.
3. La Mission historique de Jesus 2 , Paris,. 1914, p. 263, n. 4.
JESUS PROPHETE. 261
disciple ardent. L'eyangeliste mit done (et ses confreres apres
lui) sur les levres de Je"sus, et en style direct, la notion pau-
linienne de la marl re"demptrice, en conformant le detail con-
cret au re*cit traditionnel de la Passion 1 .
Get dtonnant e*ehafaudage d'hypotheses montre, sur un bon
specimen, lea vices a la fois et le spe'cieux de la me'thode ap-
plique"e par les critiques liberaux aux textes evange'liques. On
ne se demande guere si ces conjectures, prises toutes en-
semble T restent vraisemblables et rentrent, sans le fairs cla-
ter, dans le cadre des faits certains. II soffit que chacune, a
son heure, paraisae possible, tout en servant efficacement a
eliminer les textes genants. Mais il ne fault pas y regarder de
trop pres.
Le paulinisme de Mare, en effet, base de tout le sya-
tcme, est une hypothese sans fondement dan les textes^ La
iheologie de Paul sur la mort r4demptrice de Jesus est le
developpement magnifique de ce qui se trouvait en germe
dans les prophetes, et surtout de ce que le Seigneur avait
clairenient 4none4. Que 1'apotre rut en ce point tributaire de la
plus ancienne tradition chr^tienne r et en accord avec la cate-
chese des Douze, on n'a pas a le conjecturer. Lui-mSme 1'a
dit expresse'ment dans sa premiere lettre aux Gorinthiens.
La mort du Christ pour nos p^ch6s y est mentionnee au
premier rang des traits de l'^)vangile primitif T recu par Paul
a tike de tradition T et prechee par lui comme indispensable,
en- conformite avec Pierre, Jacques, les Douze, tous les ap6-
tres 2 . Or c'est justement cette notion fondamentale de la r-
demption, preexistante a Paul dans la communaute, et noyau
de la catechese apostolique^ que nous trouvons dans saint
Marc. Les developpements ult^rieura particuliers a l'Ap6tre,
ne s'y rencontrent pas : ni Tefficace de la redemption appre-
hende et approprie* par la foi, ni le changement d^economie
substituant la foi a la Loi, ni aucune des autres modalite*s
1. Les Evangiles Synoptiques, Ceffonds, 1908> II A p. 16 ; 60, 233 suiv.
2. Uap^Btoxa ^ip fyjuv 2v npaSToij & xal apXa6ov, 8ti Xptatos anlGavev 6nlp
-wv 4{iapTiu5v /JifiGv... el'ts ouv lytlj el'^s exstvot, oStw? xyipiaorojiev. I Cor., X.V, 3,
11. Voir la-dessus F. Prat, La TMobgie de saint Paul 6 , 1923, II, p. 35
suiv. ; Paul Feine, Theologie des Neuen Testaments, Leipzig, 1919, p. 233
suiv., notamment p. 238-241.
262 JESUS CHRIST.
pau-liniennes n'a m6me une amorce dans le second evan-
gile*.
Plus modestes, et soucieux de motiver 1'exclusive donne'e
par eux aux predictions du Maltre, la plupart des exegetes
libe>aux font valoir, avec la forme e'labore'e et comme ste"-
re'otype'e des trois prophecies principales, I'invraisemblance
psychologique de 1'^tat d'esprit des apdtres, au moment de
la Passion et de la resurrection. Ainsi prdvenus, prepares par
les avertissements clairs de Je"sus, comment sont-ils reste"s
refractaires a cet enseignement? Comment la prise, le proces,
la mort du Seigneur les ont-ils surpris, frappe"s d'e"tonnement,
d^sesperes? N'est-il pas plus vraisemblable d'admettre qu'apres
coup, la communaute posse"dant deja 1'embryon de son Credo,
on 1'a mis, par une sorte de choc en retour, sur les levres du
MaHre, pour pre"venir le scandale de cette fin ignominieuse,
et non prevue par lui?
Le biais rationaliste est si fort que des e*rudits conscien-
cieux et mode'res 2 se contentent de ces raisons ! Us oublient
le caractere deliberementsentencieux, elaborejusqu'aurythme
inclusivement, reconnu par eux aux paroles du Christ les
plus authentiqueSi Surtout ils ne voient pas que, sous couleur
de pre'venir une invraisemblance ignoree de la psychologie
reelle, ils installent a Torigine m4me de la foi chretienne et
contrairement aux documents, un monstre psychologique.
Ce credo de la premiere communaute, ces croyances en la
mort re"demptrice, en la resurrection, cette infaillible et an-*
1. Voir E. Mangenot, Le Paulinisme de Marc, dans Revue du Clergti
Francais, LIX, 1905, p. 385 sniv. ; LX, p. 129 suiv. ; 275 suiv. ; V. H. Stan-
ton, The Gospels as Historical Documents, II, Cambridge, 1909, p. 175
suiv. ; M. J. Lagrange, Evangile selon saint Marc a , 1920, p. CLX-CL. La
question a ete trait6e dans le plus grand detail, avec une nuance de parti
pris, mais decisivement sur le point essentiel de 1'independance de Marc,
par Martin Werner, Der Einfluss paulinischer Theologie im Markusevan-
gelium, Giessen, 1923.
2. Comme Erich Klostermann, Das Alarkusevangelium*, Tubingen, 1926,
p. 89. Ou comme 1'historien Eduard Meyer, qui admet pourtant un fond
authentique a la base des predictions detaillees cens6es < secondaires .
Jesus en aurait assez dit, d'apres lui, sur sa destinee, pour justifier I'indi-
gnation de Pierre et la severe reprimande de Jesus a ce dernier : Me., VIH,
32, 33; Ursprung und Anfaenge, I, 1921, p. 116 suiv.
JESUS PROPHETE. 263
tece'dente clairvoyance de leur Maitre, si elles furent etran-
geres a Je"sus, si l'6cho en fut place apres coup dans sa
bouche, qui done les a creees? Qui en a persuade* les apdtres
^ux-me'mes, surpris dans I'hypothese, desempares et ne pos-
sedant rien dans les paroles du Seigneur qui put expliquer
ou atte"nuer pour eux le scandale de la croix? Qui en a fait,
avant que 1'eloquence de Paul put les magnifier, le nceud et
le centre de la foi nouvelle?
Mais si, laissant a leur inanite* ces Edifices de nue"es, nous
revenons aux textes, nous trouvons une suite organique et
vivante, bien qu'inattendue et defiant toute provision, une
trame enfin comme celle que 1'histoire nous decouvre, quand
selle est interrogee nalvement. Et quelle vraisemblance supe-
rieure ressort de ces notations dispersees, iievreuses, etran-
geres a toute rhetorique d'ecole ! Nous sommes loin du fauteur
incertain de reforme, loin du Messie-sans-le-savoir qu'on nous
presente parfois. Manifestement Jesus, et lui seul, envisage
des 1'origine le fait de sa mort tragique, et mesure le contre-
coup de cette fin sur sa mission. Lui seul a compris les tex-
Ses 1 que tout Israel connait et que les rabbis savent par
coeur.
Voici que mon Serviteur prosperera :
il montera, grandira, s'elevera bien haut...
Et lui dont le visage etait deiigure
et ne ressemblait plus a une i'ace humaine,
La multitude des nations Tadmirera,
et les rois fermeront la bouche devant lui!...
Qui croira ce que nous avons entendu?
et le bras de lahve, a qui sera-t-il revele?
II a grandi devant lui comme un rejeton,
comme le jet d'une racine sur un sol aride;
Sans grace, sans eclat pour attirer les regards,
et sans beaute pour plaire.
Meprise', rebut de 1'humanite, ;
homme de douleurs et familier de la souffrance,
Devant qui on se voile la lace,
meprise et, a nos yeux, neant!
1. Isai'e, LII, 13, 14, 15; LIII, 1-7, 9-12. Trad. A. Condamin.
264 JESUS CHRIST.
Mais il a pris sur lui nos souffranccs,
et de nos douleurs il s'est charge.;
II pflraissait a nos yeux chatie,
frappe de Dieu et humilie.
II a ele transperce pour nos peches,
broye pour nos iniquites ;
Le chatiment qui nous sauve a pese sur lui,
et par ses plaies nous sommes gueris.
Tous nous etions errants nomine des brebis;
chacun suivait sa proprevoie;
Et lahve a fait tomber sur lui
riniquite de nous tous.
II etait maltraite et lui se resignait,
il n'ouvrait pas la bouche;
Comme un agneau qu'oii porte a la boucherie;
comme la brebis muette aux mains du tondeur..r
On lui prepare une tombe avec les impies,
il meurt avec les malfaiteurs ;
Pourtant il n'y eut point d'injustice dans ses couvres,
et point de mensonge en sa bouche;
mais 51 plut a lahve de le broyer par la souffrance.
S'il offre sa vie en sacrifice pour le peche,
il aura une posterite, il multiphera ses jours,
en ses mains 1'ceuvre de lahve prosperera...
Le Juste, mon Serviteur, justifiera des multitudes,
il se chargera de leurs iniquites ;
C'est pourquoi je lui donnerai, pour sa part, des multitudes,
il recevra des foules pour sa part de butin :
Parce qu'il s'est livre a la mort
et qu'il fut comptd par mi les pecheurs,
Tandis qu'il portait les fautes d'une multitude
et qu'il intercedait pour les pecheurs.
Ge qui maintenant nousparaitsi clair, estalors (nousl'avons
rappele) cache aux yeux de tous. Lagloire escomptee du juge-
ment messianique fixe seule les regards eblouis. Les disciples
de Je"sus sont la-dessus comme les autres, aussi fermes, aussi
JJSSUS PROPHKTE. 265-
mures dans une conception ou 1'humiliation et la mort du
Messie apparaissent derision et blaspheme. A les de"senchan-
ter, a dessiller leurs yeux, le Maltre emploiera sa breve car-
rier e, rdservant aux dernieres semaines 1'annonce de toute
la verite, bien que, des 1'origine, il oriente .vers elle lapensde
des siens. Le pathStique de cette lutte, car e'en est une,.
puisqu'il fallut faire breche pour que Ja lumiere filtr&t a tra-
vers 1'opacite de ces esprits, revit d'autant mieux dans les
recits e'vange'liques qu'il est exempt de preoccupation litte-
raire.
Tres tdfc, Jesus fait allusion a sa mort comme a une even-
tualite relativement prochaine, et envisage les consequences
qui en re"sulteront pour ses fideles. Ghoques par les allure*
plus libres de ceux-ci, et forts de leur auste'rite, les Phari-
siens et les disciples de Jean qui avaient accoutume de
jeuner s'en prennent au Maltre et on lui pose la question :
Pourquoi les disciples de Jean et ceux des Pharisiens jeii-
nent-ils, et tes disciples, pas? Et Je"sus leur dit :
Les gens dela noce peuvent-ils,
tandis que 1'^poux est avec eux, jeftner?
Tout le temps qu'il s ont I'^poux avec eux, ils ne peuvent jeuner;.
viendront les jours que I'^poux leur sera arrache",
et alors ils jeuneront, en ce jour-la*.
Dans cetfce petite parabole que le temps se chargerait
d'eclaircir, Jesus compare son se" jour ici-bas aux breves solen-
nites des noces palestiniennes. On se hate d'en profiter. Ainsi
ses disciples ne doivent songer qu'a jouir de sa presence, sans
se soucier de rien autre. Le Maitre ne leur sera enleve,
arrache , que trop t6t I Alors il sera temps pour eux de faire
penitence. La perspective de a catastrophe est ouverte par
ces mots profonds, qui menagent la lumiere aux yeux encore
faibles. Mais le jour est proche, et 1'evangeliste qui sait main-
tenant, nous montre des lors les Pharisiens et les partisans
d'Herode en conciliabule pourperdre Jesus 2 . Gependant, quand
la foi des disciples est mieux affermie, le Seigneur n'hesite
plus a parler sans figures ; aussi bien les temps sont courts, et
1. Me., ir, 18-21 ; Mt., ix, 15; Lc., v, 34, 35.
2. Me., in, 6.
:266 JESUS CHRIST.
Ja confession de Pierre, a Cesaree de Philippe, provoquee efc
magnifie'e par Je"sus, vient de marquer une e"tape decisive dont
il convient de profiler.
Et il commenc.a de leur enseigner :
II faut que le Fils de I'homme souffre beaucoup,
et soil excommunie par les anciens, les princes des Pre"tres etles
[scribes,
etapres trois jours ressuscite.
Et il leur disait la chose ouvertement. Or Pierre, le tirant a lui,
commenc.a de le reprendre. Mais lui, s'&ant retourne et voyant ses
disciples, reprit Pierre et lui dit : Arriere, loin de moi, Satan ! tes
-sentiments ne sont pas ceux de Dieu, mais ceux des hommes '.
Gette dure re'primande enfonce le trait. Dorenavant Jesus
ne va pas cesser d'insister. Apres! la grande Emotion lumi-
neuse de la Transfiguration,
comme ils desoendaient de la montagne, il leur prescrivit de ne
raconter a personne ce qu'ils avaient vu. Etils garderent la defense,
^tout en se demandant entre eux ce que signifiaitce ressusciter des
morts . Et ils Tinterrogeaient, disant : Que disent done les
scribes, qu'il faut qu'Elievienne auparavant? II leur dit: Oui, Elie
revient d'abord et remet tout en ordre... Et comment est-il ecrit du
Fils de 1'homme qu'il souffrira force douleurs et sera meprise ? Or,
je voiis le dis, Elie est deja venu, etils lui ont fait tout ce qu'ils ont
voulu, selon qu'il est ecrit de lui 2 .
Le spectacle qu'ils viennent de contempler et la mention,
-enigmatique pour eux, de la resurrection, ontramene, tout en
les intriguant, 1'imagination des disciples sur le personnage
d'Elie, que chacun considerait comme le prdcurseur de 1'avc-
^nement du Messie. Alors, ne faut-il pas remettre tout espoir
aux temps qui suivraient sa venue? Mais Je*sus ne laisse pas
les esprits s'egarer : oui, Elie a un r61e pr^alable a jouer,
selon la prophetic de Malachie 3 , mais ce r6le a de"ja ete rempli
par Jean Baptiste, et il s'est termini conformement aux Ecri-
tures, par la souffrance et la mort violente. Semblablement, et
1. Me., vin, 31-33 et parall.
2. Me., ix, 9-13 et parall.
3. Malachie, iv, 5, 6, coll. in, 1. Voir la-dessus Mt, xvn, 11-13 compare
>avec Mt., xi, 14 et Lc., j, 17. E. Tobac, Les Prophdtes d'Israel, 11-111,
Malines, 1921, p. 557 suiv.; et A. Condamin, JRPA, XXXIV, 1922, p. 108,
109. La difficulty tiree de la venue prealable d'Elie survecut au temps
apostolique, et Tryphon en fait 6tat dans saint Justin, Dialogue, XLIX.
JESUS PROPHETE. 267
.elon les mSmes Ecritures, la carriere du Fils de Fhomme
s'achevera dans 1'abjection etla douleur. De ces notations, som-
jnaires comme celles d'un aide-memoire, la grande le^on res-
.sorten clair, etc'esfcavec une sorte d'impatience que le Maitre
e"carte 1'exception tiree du r6le d'EHe, pour ramener les yeux
.sur la fin tragique, prophetisee comme telle, et du Pre"curseur
et du Messie.
Les occasions d'y revenir vont d'ailleurs se multiplier. Mais,
-au besoin, Je"sus les fait naitre.
Etpartant de la, ils traversaient en hate la Galilee et Jesus ne
voulait pas qu'ame qui vive le sut. Car il enseignait ses disciples
et il leur dit :
Le Fils de 1'homme est livre en mains d'hommes,
et ils le tueront,
et, immole, apres trois jours il ressuscitera.
Mais eux ne comprenaient pas la chose, et craignaient de 1'inter-
Suit une nouvelle periode, d'ailleurs courte, d'enseignement
public et priveY
Or, comme ils etaient en route, montant vers Jerusalem, Jesus
marchait en tete, et eux etaient atterres, et ceux qui suivaient
avaient peur. Et dereclief, tirant les Douze a part, il se mit a leur
dire ce qui allaitlui arriver. Voici, nous montons a Jerusalem, et
le Fils de I'liomme sera livre aux princes des pretres et aux
[scribes,
et ils le condamneront a mort,
et ils le livreront aux Gentils
et ils le bafoueront, et ils le conspueront, et ils le flagelle-
[ront et tueront,
et apres trois jours il ressuscitera a .
1. Me., ix, 30-32 et parall. Je traduis TO prjjxa dans le sens s6mitique,
certain ici.
2. Me., x, 32-34 et parall. Quand on compare les paroles de la triple
annonce : Me., vm, 31 ; ix, 31, et x, 33, 34, on echappe malaisement a la
conviction que Jesus resumait dans un rythme a trois membres la destined
du Fils de 1'homme, exclu par les autorites juives des privileges du peuple
de Dieu et livre aux Gentils ; tourmente, humilie, immole ; ressuscitant le
troisieme jour. 11 n'est pas douteux que ces articulations essentielles se
retrouvent dans les plus anciens symboles. Mais les differences modales
ne sent pas moins frappantes. Dans le premier membre (Jesus est rejete
268 JESUS CHRIST.
Toutes les declarations ulterieures du Maltre, amene'es par
des faits precis et cir constancies, vont dans le me'me sens.
Quand les fils de Zebe'de'e sollicitent, en grands enfants, ose-
rait-on dire*, une place d'honneur qui les mette hors de pair
dans le futur Royaume : Vous ne savez pas ce que vous
demandez , repond vivement Jesus. La question n'est pas la
maintenant : Pouvez-vous boire le calice que moi je bois? e"tre
baptises du baptSme dont moije suis baptise" a ? Et comme
1'ambition des deux freres a excite* Findignation des autres, le
Seigneur tourne 1'incident en lecon d'humilite, et cpnclut :
Aussi bien le Fils del'homme
n'est pas venu pour etre servi mais pour servir,
et donner sa vie en ranc.on pour beaucoup 3 .
Gette parole fondamentaleporte, comme une tige Pe*pi, toute
la tradition primitive sur la mort redemptrice de Jesus, tradi-
tion explicitement mentionnee par saint Paul comme pre"exis-
tante a son entree dans la communaute" chretienne. Son meil-
de son peuple) c'est 1'autorite juive (Anciens, princes des pr6tres, scribes)
qui est mise en cause dans les predictions 6vangeiiques : dans les textes-
symboliques, aussi haut que nous puissions remonter, le meme acte est
presente dans son denouement, et c'est 1'autorite pai'enne qui est toujours
mentionnee. Voir G. Baldensperger, II a rendu temoignage sous
Ponce Pilate, Strasbourg, 1922.
Le second membre, dans les rudiments de symbole, ne detaille pas la
passion du Christ, mais mentionne constamment la sepulture, comme un
point considerable. Voir E. von Dobschiitz> Ostern und Pfingsten, Leip-
zig, 1903, p. 11, et A. Seeberg, Der Katechismus der Urchristenheit^
Leipzig, 1903, p. 85, 141, 202.
1. Jacques et Jean, les fils de Z6b6d6e vont &, lui, disant : t Maitre,
nous voulons que tu fasses pour nous ce que nous allons te demander ! >
Me., x, 35.
2. Me., x, 38. Sur cette metaphore du calice, profondement engage>
dans les fa^ons bibliques de concevoir et d'exprimer, voir Strack et
Billerbeck, KTM, I, p. 836-838.
3. Kali fotp 6 uto; TOO ivflpaiftou
< oix 3jX0ev StaxovrjOrfvat, XXa Staxov^<Ji
x1 Souvat T^V ({(uy^v autou Xurpov 5vt\ noXXwv. Me., X, 45; Mt., XX, 28.
Les critiques radicaux ont applique k cette parole leurs precedes
habitilels, qui d'ailleurs se montrent contre elle particulierement mope-
rants. Le sens est incontestable. Sur le mot capital, Xtopov, ranc.on, prix
derachat (d'un esclave, par exemple), A. Deissmann, Licht vom Osten*,
p. 278; Moulton et Milligan, VGT, p. 389, 383; sur les antecedents judai-
JESUS PROPHETE. 269
leur commentaire est la parabole que le Maitre va, peu de
jours apres, proposer a ses ennemis memes, en plein Temple.
Partant de I'allegorie ou le Prophete avait exprime 1'amour de
lahve pour Israel, sa vigne cherie :
Un homme planta une vigne, I'entoura dune haie, creusa un
pressoir,bdtit une tour de guet*, puis il la confia a des vignerons
et quitta le pays. Au temps propice, il envoya vers les vignerons un
serviteur afin d'avoir par eux des fruits de la vigne. S'emparant de
lui, ils le battirent et le renvoyerent les mains vides. Derechef il
leur envoya un autre serviteur, et celui-la aussi ils le blesserent et
1'insulterent. II leur en envoya un autre quHls tuerent, et beaucoup
d'autres : ils battirent les uns, tuerent les autres.
II lui restaitun fils unique etbien-aime 2 . II le leur envoya fina-
lement, disant : Ils resoecteront mon fils !
ques, A. M6debielle, La Vie donnde en rangon, dans Biblica, IV, 1923,
p. 4-40. II est instructif et, en toute autre matiere, il serait divertissant
de voir les expedients imagines pour eliminer ce texte facheux. Comme
on n'ose rejeter tout I'e'pisode, criant de verit6 humaine, dont il formule
la morale, on s'Svertue a montrer que la premiere partie (concernant le
service) peut subsister sans la seconde (concernant la mort redemptrice).
Absolument rien dans 1'etat des manuscrits ou des versions n'autorisant
cette dichotomie, on recourt a la divination. La fin du verset c appar-
tient aun autre courant ; A. Loisy, Les fivangiles Synoptiques, II, p. 241.
J. Wellhausen estime que passer du service au sacrifice de la vie
<5onsid6r6e comme rancon constitue une incoherence, {ma6aai$ tf; SXXo
Y^vos , Das Evangelium Marci, Berlin, 1903, p. 91. L'honn6te Juif,
. G. Montefiore, avoue qu'il trouve au contraire les notions tres apparen-
t6es, The Synoptic Gospels, London, 1909, I, p. 260. Et c'est ce qui
est manifesto pour tout lecteur non pr6venu : le plus grand service,
<;omme le plus grand amour, n'est-il pas de donner sa vie pour ceux
qu'on aime? Axel Andersen, Zu der Iv-rqor-Stelle dans ZNTW, IX, 1908,
p. 164 suiv., conclut de 1'absence de notre texte dans la premiere Epitre
de saint Clement que la chr6tiente romaine, en 95, ignorait sans doute la
doctrine qu'il porte, et que dans 1'hypothese de 1'authenticite, le silence
de C16ment est < un mystere insoluble . Andersen oublie settlement
deux faits : qu'aucun texte de nos 6vangiles n'est cit6 distinctement
dans la Lettre de C16ment; que les seuls textes du Nouveau Testament
al!6gu6s tres certainement, sont justement emprunt6s aux Epitres aux
Remains, aux Corinthiens, I, et aux Hebreux, qui sont saturies par la
doctrine de la mort r6demptrice du Christ (sur les faits, The New Testa-
ment in the Apostolic Fathers, Oxford, 1905, p. 37 suiv., 137, 138). Tant
le parti pris peut aveugler un 6rudit, par ailleurs consciencieux !
1. Isai'e,v, 1 suiv.
2. Surla traduction, voirE. Klostermann, Das Markusevangelium*, 1926,
270 JESUS CHRIST.
Or les vignerons se dirent entre eux : Celui-ci est
Venez, tuons-le, etl'heritage est a nous ! Et s'emparant de lui, ils*
le tuerentet jeterent son corps hors de la ville. Que fera le Maitro
de la vigne? II viendra, perdra les vignerons, et confiera sa
vigne a d'autres... N'avez-vous jamais lucette Ecriture 1 :
Lapierre qu'ont dedaignee les bdtisseurs,
c'est cells qui est devenue la mattresse pierre d' angle f
c'est le Seigneur qui I'a /ait,
la merveille est sous nos yeux a ?
Desormais les evenements se precipitent; mais si la vague
qui entraine les disciples, les roule et les aveugle, Jesus con-
tinue a la dominer, et sa clairvoyance souveraine n'en est pas
altere'e. II donne aux siens des lecons pour les joursprochains r
quand 1'Epouxleur aura ete arrache" . Un incident provoque
des precisions ou passe un fre"missement impossible a me"con-
naitre. Survenant au milieu d'un repas donne par Simon le
Le"preux, une femme repand sur le chef du Maltre un parfum
de prix. Murmures des disciples; les pauvres sont frustrdfr
d'autant!
Mais Jesus dit: Laissez-la. Pourquoilui faites-vous des ennuis?
C'est une belle action qu'elle vient d'acco-mplir a mon endroit. Car
toujours vous aurez des pauvres avec vous; et chaque fois que vous
le voudrez, vous pourrez les secourir mais moi, vous ne m'aurez
pas toujours. Ce qu'elle pouvait faire, elle I'a fait : d'avance elle a
verse sur mon corps les parfums de I'ensevelissement 3 .
Or, le premier jour des Azymes,
au soir tombant, il vint avec les Douze, et comme, etendus a table,
ils mangeaient, Jesus dit : En ve>ite, je vous dis qu'un de vous
me livrera, un qui mange avec moi *. Ils commencerent de s'at-
trister et de lui dire, 1'un apres 1'autre : Serait-ce moi? Mais
lui leur dit : Un des Douze, qui met avec moi la main au plat. Or
le Fils de 1'homme s'en va selon ce qui est ecrit de lui; mais
malheur a rhomme par qui le Fils de rhomme est livre. Bon pour
lui s'il n'etait pas ne, cet homme la!
p. 136 : < (Da) hatte er (nur) noch einen einzigen und geliebten Sohn ;.
et le memoire definitif de C. H. Turner, H02 ATAHHTOS, dans JTS- y
XXVII, 1926, p. 113-130.
1. Me., xn, 1-12; Mt., xxi, 33-46; Lc., xx, 9-19.
2. Psaume cxvm (Vulg. cxvii), 22.
3. Me., xiv, 6-9; Mt., xxvi, 10-12.
4. Psaume, XLI (Vulg. XL), 10.
JESUS PROPHETIC. 271*
Et tandis qu'ils mangeaient, prenant du pain, ayant prononce
une benediction, il le rompit et le leur donna, disant : Prenez,
ceci estmon corps. Et prenant une coupe, ayant rendu graces, il
la leur donna et tous en burent et il leur dit : Ceci est mon.
sang, (celui) de I' Alliance* repandu pour beaucoup. En veriteje
vous dis que je no boirai plus du fruit de la vigne jusqu'au jour oir
je boirai le nouveau, dans le Hoyaume de Dieu.
Et apres le chant des hymnes, ils sortirent vers le Mont des Oli-
viers. Et Jesus leur dit : Tous vous broncherez sur la pierre, selon.
qu'il est ecrit : je frapperai le pasteur et les brebis seront disper-
se'es 2 ; mais apres ma resurrection je vous precederai en Galilee.
Lors Pierre lui dit : Quand tous les autres broncheraient, certes,
pas moi! Jesus lui dit : En veriteje te le dis : toi-m6me,.
aujourd'hui, cette nuit-ci, avant que le coq ait chante deux fois, tu.
me renieras trois fois. Mais lui disait de plus belle : Me fallut-il.
mourir avec toi, non, je ne te renierai pas ! Et tous les autres en
disaient autant 3 .
Get ensemble imposant de predictions, que j'ai transcrites-
de eelui des e'vangelistes que la presque unanimite de nos
adversaires tient pour le plus ancien, montre a 1'evidence. la
realite", la plenitude du don prophe"tique possede par Jesus.
Ge don ni ne s'etale, ni ne s'e"gare sur des objets etrangers a
la mission du Maitre ; les traces qui nous en restent s'in~
serent, par ailleurs, dans la trame de 1'histoire, amenees par
des demarches naturelles, des circonstances de fait, contre;
lesquelles aucun motif d' exclusion ne peut etre formule, et
avec lesquelles elles font corps. Leur rejet se fonde done,
plus ou moms explicitement, sur des considerations qui ne
relevent ni de la critique des textes, ni de 1'histoire.
A cette premiere serie de propheties, desormais accomplies,
ajoutons-en une autre dont raccomplissement se poursuit
sous nos yeux : elles ont trait, non plus a la personne, mais-
a Poauvre du Seigneur.
2. Propheties de J6sus sur le Royaume de Dieu.
Tres different du Royaume tel qu'on 1'escomptait alors :
national, plantureux, inaugure par un coup de foudre et s&
developpant en apothe'ose, le Royaume de Dieu predit par
1. Exode, xxiv, 8 coll. Zacharie, ix, 11.
2. Zacharie, xin, 7.
3. Me., xiv, 17-32 et parall.
212 JBSUS CHRIST.
Jesus commencera humblement, sans attirer les regards du
(profane. On aura peine, apres coup, a discerner ses origines,
comme il arrive au voyageur qui de*eouvre enfin, au pied do
la pente herbeuse de la colline, le mince fuseau d'eau jaillis-
santequi sera, et est de*ja le grand fleuve. Surtoutle Royaume
est spirituel : a ses vrais fils s'applique de plein droit le
beau mot de saint Paul : Marchant dans la chair, ils ne
militent pas selon la chair; les armes de leur milice ne sont
pas charnelles 1 . Compost d'hommes et non d'ames desin-
carnees, done visible et soumis aux conditions pre"caires qu'im-
iplique le recrutement humain, le Royaume des cieux ne fait
pas, pour autant^ appel a l'e*clat impe'rieux de la force triom-
phante, ou aux prodiges simplificateurs dont se bercait 1'illu-
rsion juive.
Interroge par les Pharisiens : Quand vient le Royaume de Dieu,
Jesus leur repondit en ces termes : Le Royaume de Dieu ne
vient pas comme un objet d'observation. Et Ton no dira pas : il
est ici ! ou : il est la ! car voici, le Royaume de Dieu est parmi
vous 2 .
A quoi done le comparer? A une graine presque imper-
ceptible mais douee d'une vitality puissante, capable de doii-
>ner un arbre. Sa croissance est caracteristique : elle s'operera
dans le monde spirituel, par un de'veloppement spontane et
mysterieux comme une force de nature; par une action de
presence sourde et progressive, une fermentation semblable
a celle du levain dans la masse amorphe.
Pareil est le Royaume des cieux au grain de seneve
qu'un liomme a pris et seme dans son champ :
c'estla plus petite des semences,
mais, quand il a cru,
1. II Cor., x, 3, 4.
2. Lc., xvii, 20, 21. Sur le sens de Tcapaiijpriais, observation attentive,
*cientifique, scrupuleuse, jesuis F. Zorell, NT Lexicon, col. 430, A; etle
sens gn6ral est certain : le Royaume n'arrive pas comme un mete'ore, un
signe du ciel, s'imposant aux regards. Pour IVTO'?, Moulton et Milligan,
VGT, p. 218, font remarquer que le mot, dans legrec commun, a un sens
temporel, ou local, que le contexte peut seul determiner. Ici ; il signifie
non au dedans de vous (dans vos ccaurs), mais au milieu de vous
Voir Preuschen-Bauer, Griechisch-Deulsches Woerterbuch zu den Schriften
des N.T., Giessen, 1925 suiv., col. 418.
JESUS PROPHETE. 273
ii est plus grand que les legumes et devient un arbre,
si bien que les oiseaux da del viennent et ils trouvent a nicker
[dans ses branches * .
A quoi est semblable le Royaume de Dieu ? Voici :
Un homme a jete le grain en terre,
etildort, et il s'eveille, la nuit, lejour :
etle grain germe etpousse, comment, il ne sait,
spontandment la terre fructifie :
d'abord 1'herbe, puis 1'epi, puis le ble forme dans 1'epi,
etquand le fruit s'y prete, vite, on met lafaucille, car la moisson
[est la 2 .
Pareil est le Royaume des cieux au levain
qu'une femme a pris et enfoui dans trois mesures de farine
jusqu'a ce que tout ait fermente 3 .
Toute la pate est susceptible de lever : nul coeur d'homme
n'est neglige de parti pris, comme trop endurci : les limita-
tions de race et de peuple sont abolies ; arrachdes, ces haies
vives que les Pharisiens faisaient leur capital d'entretenir et
d'epaissir. Gar ce n'esfc plus dans un coin du monde que se
recrutera le Royaume : la Palestine ne le mesure pas, non
plus que I'lsrael selon la chair. Non, le Pere du ciel, qui est
esprit, peut trouver, en tout esprit d'homme, un adorateur :
mais il le conquiert par une voie pacifique. Son envoye, son
lieutenant, son Verbe devenu visible ne brandit pas le glaive
comme tant de reveurs d'apocalypse 1'avaient r6ve, comme
le futur prophete du combat et de la guerre Mahomet, le
fera par lui-meme et par ses mandataires 4 . L'epee du Christ
1. Mt. ; xin, 31, 32; Me., iv, 30-32; Lc., xm, 18, 19; les mots soulignes
dans Daniel, iv, 12, 21 (Vulg., iv, 9, 18).
2. Me., iv, 26-29. Les derniers mots, dans Joel, iv, 13. Le comment il
ne sait , est generalement rapporte au semeur, mais pent aussi bien
s'interpreter du grain. Sur cette parabole, voir 1'etude exhaustive de Karl
Weiss, Voll Zuversicht : zur Parabel Jesu vom zuversichllichen Saemann,
Miinster i. W., 1922, ou la note confiante et sure de 1'avenir, dominante
du morceau, est mise en un vif relief.
3. Mt., xm, 33; Lc., xm, 20, 21.
4. Quoi qu'il en soit des vues de Mahomet durant la premiere periode
de sa carriere, il est certain (les travaux de L. Caetani 1'ont 6tabli d'une
facon definitive, au jugement d'l. Goldziher) que durant la periode finale
et decisive de sa vie, le Prophete conc.ut retablissement du Regne de
Dieu en politique et en guerrier. II passa a la conception d'un royaume
qui est de ce monde. Son caractere eut des consequences fatales que le
J&3US CHRIST. II. 18
274 JESUS CHRIST,
est la parole, et le feu qu'il est venu Jeter sur terre, et qu'il
veut ardemment voir s'allumer 1 , est, comme Dieu me'me,
un feu consumant 2 , mais tout spirituel.
Le semeur de bon grain est le Fils de I'homme, et le champ (ou
il seme) est le monde 3 .
^merveille par la foi d'un centurion remain, Jesus declare :
En verite, je vous le dis : chez personne, en Israel, je n'ai trouve
foi pareille. Or je vous dis que beaucoup viendront, d'Orient et
d'Occident, et s'attableront avec Abraham, Isaac et Jacob dans le
Royaume des cieux, cependant que les fils du Royaume seront
jetes dans la tenebre exterieure { .
Me"me prophetie en finale de la parabole des Vignerons :
C'est pourquoi je vous dis que le Royaume des cieux vous sera
enleve, et sera donne au peuple qui en fera les fruits b .
changement politique suscite en Arable par le succes de sa predication,,
aussi bien que son propre role dirigeant, rendaient inevitables. II porta
le glaive clans le monde... ce n'est pas seulement du souffle de ses-
levres qu'il extermine les impies ; c'est la vraie trompette guerriere
qu'il sonne ; c'est le glaive sanglant qu'il brandit pour etablir son royaume.
D'apr&s une tradition musulmane qui synthetise bien sa carriere, il por-
terait dans la Thora 1'epithete de prophete du combat et de la guerre ...
et cette lutte materielle et terrestre fat le legs qu'il laissa a ses succes-
seurs. II n'avait pour la paix aucune predilection. vous qui croyez,.
obeissez a Allah et obeissez a I'Envoye... ne vous relachez pas, et ne con-
viez pas (les infideles) a la paix, pendant que vous avez le dessus... >
Goran, Sour. 47, 35, 37, coll. 2, 245; 4, 97, 98; 9, 5, etc. I. Goldziher, Le
Dogme et laLoide I'Islam, tr. Arin, 1920, p. 20, 21.
1. Lc., xii, 49. Le xou TI OIXw el vjSri avrJ(pO.Yj; pourrait se traduire : < et
que veux-je encore s'il est deja allum6 ? Ce sens est exclu, comme lo
note bien M. J. Lagrange, Evangile selon saint Luc, p. 373, par le mem-
bre parallele, qui conditionne 1'expansion du feu par la reception du
baptfeme de sang.
2. Carnotre Dieu est un feu consumant , H6br., xii, 29, citantDeut^
iv, 24 ; Isaie, xxxiu, 14. Sur 1'image, on peut voir la note de B. F. West-
cott, The Epistle to the Hebrews*, London, 1920, p. 424, 425.
3. Mt., xiii, 37, 38.
4. Mt., vin, 10-12. Le Royaume est ici represent6 dans son etat de con-
sommation, sous 1'image traditionnelle d'un festin, d'une salle resplendis-
sante ou les elus s'attablent au banquet prepare pour eux >. Dehors,.
c'est la nuit, 1'exil, le pleur eternel.
5. Mt., xxi, 43.
JESUS PROPHKTE. 275
Et qu'on ne songe pas a la substitution d'un autre peuple
a Israel; toutes les nations sont co'nviees :
Get Evangile du Royaume sera precne" dans la terre entiere, en
t6moignage a toutes les nations 4 .
Nos peres ont adore sur cette montagne, objectait cette Sama-
ritaine, et vous, vous dites que Jerusalem est le lieu ou il faut
adorer? Jesus lui dit : Crois-moi, femme, i'heure vient que ce
n'est plus sur cette montagne, ni a Jerusalem, que vous adorerez
le Pere. Vous adorezce que vous ne connaissez pas, nous adorons
ce que nous connaissons, parce que le salut vient des Juifs. Mais
1'heure vient, et la voici, ou les veritables adorateurs adoreront le
Pere en esprit et en ve'rite, car le Pere se cherche des adorateurs
de cette sorte. Dieu est esprit : les adorateurs doivent adorer en
esprit et en ve'rite 2 .
II n'y aura pas, he'las ! que de tels adorateurs dans le
Royaume. Jesus le de"crit et aucune de ses propheties
n'est plus frappante, parce qu'elle est en contraste avec le ton
absolu, tranche, uniforme, abondant en un sens, d'ailleurs
optimiste ou pessimiste, des grands Voyants, me'me inspires
non tel qu'il devrait e'tre, mais tel qu'il est en effet, Un
monde drvise", indecis, changeant, ou dominent tour a tour
sans jamais s'eliminer les rayons et les ombres.
Geux qui escomptent une ere de gloire paisible, un regne
terrestre et inconteste" du Christ et de ses saints, durant le-
quel le vieux dragon serait enchaine", cedent done a 1'incura-
ble illusion du mille'narisme charnel. Autre est 1'avenir pro-
phetise par Jesus : une vaste patrie des esprits, s'annexant
jusqu'a la fin les hommes de bonne volonte", mais combattue,
pressed, parfois d^faite et aux abois 3 ; une arene ou s'affron-
tent des forces antagonistes ; un drame ou la responsabilite
humaine, aidee mais jamais absorbee par 1'action divine,
sortit tous ses effets, magnifiques tour a tour et de*cevants.
Au cours de cette phase militante, les fils du Royaume
pourquoi ne pas dire 1'Eglise 4 ? ne constitueront pas une
secte e'sote'rique, ehichement ouverte a quelques inities, ou
une petite chapelle d'elus de Dieu, formant oasis dans un
1. Mt., xxiv, 14; Me., xm, 10.
2. Jo., iv, 20-25.
3. Lc., xvm, 7-8 ; Mt. ; xxiv, 10-14 ; 21-28 et parall.
4. Mt., xvi, 18; xvm, 17.
276 JESUS CHRIST.
cUsert d'hommes. Us ne seront pas non plus un Ordre, une
congregation de parfaits, analogue a la premiere communaute"
bouddhique et fuyant, docile a la predication d'un solitaire,
un monde en flammes 1 . Le Royaume predit par Je'sus
contient dans son vaste sein des bons et des mauvais, des
fideles et des mecreants. Ge champ du Pere commun de la
famille humaine a beau e"tre ensemence de pur froment, it
est, des I'origine, et restera jusqu'a la fin accessible au se-
meur d'ivraie.
Le Royaume des cieux? on le comparera a 1'homme qui seme de
bon grain dans son champ. Tandis qu'on dormait, survint son
ennemi qui sema de 1'ivraie par-dessus, au milieu du ble, et s'en
alia. Quand done 1'herbe eut pousse et grene, alors 1'ivraie apparut,
elle aussi. Les servitcurs du maitre vinrent vers lui et lui dirent :
Seigneur, n'est-ce pas du bon grain que tu as seme" dans ton
ehamp? D'oii vient done 1'ivraie? II leurdit : C'est 1'homme
ennemi qui a fait cela! Eux, de lui dire : Veux-tu que nous
allions le recueillir? Mais lui : Non, de peur qu'en recueillant
les brins d'ivraie vous n'arrachiez le ble avec : laissez-les tous deux
croitre jusqu'a la moisson 2 .
Davantage, le Royaume des cieux est semblable a un filet jete
dans la mer et ramassant (du poisson) de toute sorte : quand il est
rempli, on le tire sur la greve, on s'assied et on recueille les bons
dans des vases; les mauvais, on les jette dehors 3 .
Gette largeur d'accueil entrainera des difficultes sans nom-
bre : faux prophetes, predicateurs sans sincerite ou sans
courage, dont la conduite dement la profession. Bien plus,
parmi ceux qui se vanteront d'accomplir, au nom du Christ,
d'authentiques merveilles, tous n'auront point part a la vie
eternelle, dans le Royaume consomme.
Gardez-vous des faux prophetes, qui viennent a vous vetus en
brebis, mais au dedans sont des loups ravisseurs. A leurs fruits,
vous les reconnaitrez...
1 . On sait que le nom meme donn6 au Bouddha Gautama, Qakyamouni,
signifie : < le solitaire des Qakyas >, et que les moines seuls, dans la con-
ception bouddhique ancienne (et meme moderne : L. de la Vall6e Poussin,
Nirvana, 1925, p. 2 suiv.) peuvent aspirer a la delivrance.
2. Mt., xnr, 24-30.
3. Mt., xin, 47-49. Voir dans le meme sens la parabole des indignes
ehass6s de la salle du festin, nonobstant leur appel et leur presence.
JESUS PROPHETE. 277
Non, tout hommc qui me dit : Seigneur! Seigneur!
n'entrera pas dans le Royaume des cieux,
mais celui qui fait la volonte" de mon Pere qui est aux eieux.
Beaucoup me diront en ce jour-la : Seigneur! Seigneur!
n'est-ce pas en ton nom que nous avons prophetise ?
en ton nom que nous avons chasse des demons ?
en ton nom que nous avons fait maint prodige ?
Et alorsje prononcerai sur eux cette sentence :
Jamais je ne vous ai connus...
Retirez-vous de moi, artisans d'iniquite 1 !
Ajoutez a ces dangers interieurs, la persecution ouverte
ou sournoise. Gar la force ne sera pas toujours, il s'en faut
du tout, au service du droit : tribulations prochaines, sus-
citees par les Juifs : Voici, je vous envoie comme des
brebis parmi les loups... ils vous meneront devant leurs
conseils, et dans leurs synagogues ils vous fouetteront.
Tribulations lointaines, generalise es : Ils vous livreront au
tourment, et ils vous tueront, et vous serez en haine a toutes
les nations a cause de mon nom. Et alors beaucoup succom-
beront 2 ...
Ges sombres perspectives ne doivent pas faire perdre coeur
aux disciples : Je*sus n'abandonnera pas les siens. II sera
present par une vertu dans le plus humble groupe re"uni en
son nom 3 ; son exemple reconfortera les eprouves 4 ; son
Esprit, le Saint Esprit, les inspirera quand il leur faudra
rendre te*moignage 5 , et habituellement, ordinairement, leur
rappellera et interpretera pour eux les lemons du Maitre 6 ,
en alle pour un temps quant a sa presence sensible, toujours
present dans 1'Eucharistie 7 .
Confiance done! L'expansion du Royaume est une oeuvre
divine, un enfantement qui mene ceux qui s'en font les
ouvriers, a travers- des douleurs poignantes, a une joie du-
rable. Et puis Jesus a prie" pour eux, non seulement pour
1. Ml, VH, 15,21-23.
2. Ml, x, 16, 18 ; xxiv, 9, 10 et parall.
3. Ml, xvm, 19-21.
4. Ml, x, 24-26 ; Jo.,' xv, 18-22.
5. Me., XHI, 11; Ml, x, 19, 20 ; Lc., xxi, 14, 15.
6. Jo., xv, 26, 27 ; xiv, 25, 26.
7. Jo. ; vi, 51-60.
278 JESUS CHRIST.
ceux de la premiere generation, mais pour tous ceux qui, par
eux, croiront en lui. Sa force, qui n'a pas de limite, les gar-
dera jusqu'a la fin.
La femme, quand elle enfante, a de la tristesse, parce que son
heure est venue, mais quand le petit enfant est ne, elle ne se
souvient plus dc son travail, par la joie qu'elle a : un homme est
ne dans le monde! Vous aussi maintenant, vous avez de la tris-
tesse, mais de nouveau je vous verrai, et votre coeur se rejouira, et
votre joie, personne ne vous 1'arrachera 4 .
Ce n'est pas pour eux seulement que je prie, mais aussi pour
ceux qui croiront en moi par le moyen de lour parole 2 .
En s'approchant, Jesus leur adressa la parole en ces termes :
Toute puissance m'a etc donnee, au ciel et sur terre. Allez done,
enseignez toutes les nations, les baptisant au nom du Perc, et du
Fils, et du Saint-Esprit, leur apprenant a garder toutes les pres-
criptions que je vous ai faites. Et voici, je suis avec vous, tous les
jours, jusqu'a la consommation des siecles 3 .
Mais en plus de cette presence efficace et invisible, le
Maitre se survivra par des homines choisis a cette fin. II leur
communique ses pouvoirs d'enseignement et de pardon; il les
investit de son autorite, il en fait d'autres lui-me'me.
Qui vous ecoute m'e'coute, et qui vous meprise me meprise.
Or qui me meprise, meprise Celui qui m'a envoye 4 .
Qui vous accueille, m'accueille,
et qui m'accueille, accueille Celui qui m'a envoye B .
En ve'rite, je vous le dis :
tout ce quo vous lierez sur terre sera lie dans le ciel,
et tout ce que vous delierez sur terre sera delie dans le ciel 6 .
II leur dit derechef : Paix a vous,
comme mon Pere m'a envoye, moi, je vous envoie.
Ce disant, il souffla sur eux et leur dit : Recevez 1'Esprit-Saint;
ceux a qui vous remettrez les peclies, ils seront remis :
ceux a qui vous les retiendrez, ils seront retenus 7 .
L'unite de 1'immense edifice spirituel ainsi constitue sera
1. Jo., xvi, 21, 22.
2. Jo., xvu, 20.
3. Mt. ; xxvin, 19, 20.
4. Lc., x, 16.
5. Mt., x, 40.
6. Mt., xvin, 18.
7. Jo., xx, 21-23.
JESUS PROPHETE. 279
assured par celle de eon fondement : visible a la fois et
immortel comme Pedifiee me'me. Ce r61e est de*volu a Pierre,
qui a justement recu ce nom, en symbole de la stabilite
robuste centre laquelle ne pre"vaudront pas les puissances
d'en bas. Gette faiblesse humaine ainsi rendue invincible est
un paradoxe inoui, que 1'histoire evangelique souligne, en
accusant la fragilite de Pierre. II est tente, et il tombe; mais
Jesus a prie pour lui : il se relevera, et une triple profession
d'amour recouvrira le triple reniement.
Simon, Simon, voici que Satan vous a demandes
pour vous passer au crible comme du ble ;
mais moi j'ai prie pour toi, afin que ta foi ne defaille pas,
et toi, un jour, revenu au bien, affermis tes freres *.
Lors done qu'ils eurent dejeune, Jesus dit a Simon Pierre :
Simon, fils de Jean, m'aimes-tu plus que ceux-ci? II lui dit :
Oui, Seigneur, tu sais que je t'aime. II lui dit : Pais mes
agneaux.
Derechef, une seconde fois, il lui dit : Simon, fils de Jean,
m'aimes-tu? II lui dit : Oui, Seigneur, tu sais que je te cheris.
II lui dit : Fais paitre mes brebis.
II lui dit une troisieme fois : Simon, fils de Jean, nx'aimes-tu?
Pierre fut contriste qu'il lui ait dit une troisieme fois : irfaimes-tu P
Et il lui dit : Seigneur, tu sais tout, toi. Tu sais que je t'aime.
Jesus lui dit : Pais mes brebis 2 (Jo., xxi, 15-17).
Ne laissons pas tomber enfin une prediction episodique,
mais concrete et touchante, que nous verifions une fois de
plus en la rappelant.
Tous les evangelistes ont mentionne cette femme qui versa,
sur le chef du Seigneur, un parfum precieux et brisa le vase
d'albatre pour qu'aucune goutte du nard de choix ne fut
perdue. Profusion inutile , grondaient certains disciples
scandalises. Apres avoir justiHe" le geste, Jesus ajouta : Je
1. Lc., xxii, 31-33. L'^T)TrJ<i*To du verset 31 signifie : Satan vous a de-
mandes avec succ6s, comme 1'a bien vu Field : comparer Job, i, 10 suiv.,
et Moulton et Milligan, VGT, p. 221.
2. Le sens general est tres clair. Je lis, aux versets 16 et 17, -ci 7tprf6aTa
H-ou avec Lagrange et H. J. Vogels. Nestle, suivantB, C, quelques minus-
cules et b (Veronensis), lit les deux fois : tot npo6aTia [AOU (b, oviculas). Je
n'ai pu rendre en francais la nuance, peut-etre non voulue, entre ayana;
et iftXetj, qu'amer et cMrlr ne traduit pas. Sur cette famille de mots,
voir B. Warfield, fansla, Princeton Theological Review, Janvier 1918, p. 1-45.
280 JESUS CHRIST.
vous le dis en verite, parfcout ou 1'Evan'gile sera pre'che, dans
le monde entier, Ton redira ce qu'elle a fait, en meraoire
d'elle*.
Dans ses homelies apologetiques de 387, au cours des-
quelles 1'arguraent tire des propheties du Christ est naturel-
lement mis en lumiere, saint Jean Ghrysostome comments
ainsi ces paroles :
Cette prediction s'est-elle realisee, ou est-elle tombee a terre?. .
Dans toutes les egliscs, nous entendons 1'eloge de cette femme,-
ou que tu ailles, dans 1'univers entier, tous ecoutent en un profond
recueillement le recit de cette belle action : pas un lieu du monde
ou on 1'ignore. Tant de rois ont comble les villes de leurs bien-
faits, mene a bout des guerres, eleve des trophees, organise mille
triomphes : eux et leurs exploits sont ensevelis dans le silence!
Tant de reines, de femmes illustres ont comble leurs sujets de
mille biens : on ne sait plus leurs noms ! Mais cette femme de rien,
pour avoir seulement verse son parfum, est celebre dans le monde
entier, et ce long espace de temps n'a pas enseveli sa memoire
ne 1'ensevelira jamais. Ni 1'acte pourtant n'etait eclatant, ni la per-
sonne eminente, ni les temoins nombreux, ni le lieu fixant les
regards : la chose ne se passa pas sur un theatre, mais dans tine
maison particuliere, devant dix personnes. Rien de tout cela n'a
prevalu : cette femme est plus celebre desormais que toutes les
reines et tous les rois, et jamais le cours du temps n'abolira le-
souvenir de ce qu'elle a fait 2 .
Des propheties de Jesus touchant son oauvre, nous n'avons
rappele qu'une partie. A la considerer d'ensemble, et a la
confronter avec une histoire, meme sommaire, de la religion
chretienne, on reste frappe d'etonnement. De quel propheto
pourrait-on citer des anticipations de cette ampleur, pareil-
lement verifiees?
3. Propheties de Jesus
sur la Gonsommation des Ghoses.
Une derniere serie de propheties se presente a nous, qui
n'est pas moins interessante par sa portee apologetique que
par les difficultes d'interpretation qu'elle souleve : celle qui
1. Me., xiv, 9.
2. Adversus Judaeos, V, 2; MG, XLVIII, 885. (J'abrege un peu le d6tail,
toujours copieux, du grand Docteur.)
JESUS PROPHETE. 284
decrit, et semble presenter comme imminent, avec la mine du
monde juif en 70, 1'avenement glorieux du Christ et la con-
sommation des choses.
Pour que 1'expose", auquel nous voulons donner 1'ampleur
qu'il merite, se poursuive dans la lumiere, il convient de
transcrire integralement les textes principaux. Us se classent
en cinq groupes, dont le premier seul esfc parfciculier a mi
evangelist e.
4 or Groupe : L'Avenement du Fits de I'Homme.
Instructions du Christ a ses disciples envoyes en mission
temporaire : Mt., x, 21-24.
(Vous serez persecutes...) vous serez haTs de tous a cause de mon-
nom : mais qui tiendra bon jusqu'au bout, celui-la sera sauve.
Lors done qu'ils vous poursuivront dans telle ville, fuycz dans
une autre. En verite je vous le dis : vous n'acheverez pas les villes.
d'lsrael jusqu'a ce qu'advienne le Fils de 1'hommc.
5 e Groupe : La Vision du Regne de Dieu.
Aussitot apres la confession de Pierre : Mt., xvi, 27-28;-
Mc., vm, 38-ix, 1; Lc., ix, 26-28. (Que sert a Thornine de-
gagner le monde entier s'il vient a perdre son ame?)
Mt, Me. Lc.
Car celui qui rougi- Car celui qui rougi-
rait de moi et de mes rait de moi et de mes.
paroles, paroles,
dans cette generation
adultere et peche-
ressc,
Car le Fils de leFilsdel'hommerou- de celui-la le Fils de
1'homme doit gira aussi de lui, 1'homme rougira,
venir dans la gloire de quand il viendra quand il viendra
son Pere dans la gloire de son dans sa gloire et celle
P6re du Pere
avec ses anges, avec les anges saints, et des saints anges.
et alors il rendra a
chacun selon ses ac-
tes 4 .
Et il leur disait :
En verite je vous dis En verite je vous dis Je vous dis en ve~
qu'il en est de ceux qu'il en est de ceux rite : II en est de ceux
1. Psaume LXH (Vulg. LXI), 12.
.282 JESUS CHRIST.
presents ici qui ne presents iciquinegou- presents ici qui ne
gouteront pas de la teront pas de la mort goMeront pas de la
mort qu'ils n'aient vu qu'ils n'aient vule Re- mort qu'ils n'aient vu
le Fils de 1'homme ve- gne de Dieu venant le Regne de Dieu.
jiant dans son Regne. en puissance.
Suit le recit de la Transfiguration dans les trois Evangiles.
5 e Group e : Le Sang des Justes.
A la fin du discours sur les torts des Pharisiens : Mt., xxm,
34-36; Lc., xi, 49-51. (Vous mettrez le comble aux crimes de
vos peres) :
Mt. Lc.
G'est pourquoi, voici que je C'est pourquoi la Sagesse de
vous envoie des prophetes, des Dieu a dit, elle aussi : Je leur
sages et des scribes, enverrai des prophetes et des
et vous en tuerez et crucifierez, apotres, et vous en tuerez,
et vous en fouetterez dans vos
synagogues,
et vous en poursuivrez de ville et poursuivrez,
en ville,
pour que vienne sur vous tout T3our que soit redemande a cette
.le sang juste re"pandu sur terre, generation le sang de tous les
prophetes
depuis la creation du monde;
depuis le sang du juste Abel jus- depuis le sang d'Abel
qu'au sang de Zacharie, fils de jusqu'au sang de Zacharie
Barachie,
que vous avez assassin^ entre le qui a peri entre 1'autel et la Mai-
Temple et 1'autel. son de Dieu.
En verite, je vous le dis, tout Oui, je vous le dis, il sera re-
cela viendra sur cette genera- demand^ a cette generation-ci,
tion-ci.
Suit 1'apostrophe : Jerusalem, Jerusalem, toi qui tues les
Prophetes...
4 e Group e : Fin d'un Monde et Fin du Monde :
I 1 Apocalypse Synoptique*.
A Jerusalem, au debut de la derniere semaine : Mt., xxiv,
1-43; Me., xiii ; Lc., xxi, 5-37.
1 . Dans la division du Discours, je suis Burton et Goodspeed, A Har-
mony of the Synoptic Gospels in Greek, Chicago (1920), p. 258-268. On
consultera aussi avec fruit 1'analyse tres soignee de Karl Weiss, Exege-
tisches zur Irrtumslosigkeit und Eschatologie Jesu Chrisli, Minister i. W.,
J916, p. 121-148.
JESUS PROPHETE.
283
Mt.
Et sortant du Tem-
ple, Jesus cheminait.
Et ses disciples s'ap-
procherent pour lui
montrer la bAtisse du
Temple.
En reponse il leur
Me.
Et comme il sortait
du Temple un de ses
disciples lui dit :
Maitre, vois quelles
pierres et quelle ba-
tisse?
Et Jesus lui dit :
Vous voyez tout Tu vois ces im-
cela? Je vousle dis en menses bdtisses?
verite,
il ne restera pas ici il ne restera pas ici
pierre sur pierre qui pierre sur pierre qui
ae soit detruite ! ne soit detruite !
La grande Tribulation
Et quand il se fut Et quand il se fut
-assis sur le Mont des -assis sur le Mont des
Oliviers, Oliviers, face au Tem-
ple,
ses disciples s'appro- Pierre 1'interrogea en
cherent en particulier, particulier, avec Jac-
disant : Dis-nous ques, Jean et Andre :
-quand cela sera, et Dis-nous quand cela
quel sera le signe de sera, et quel sera le
ton avenement, signe que tout cela va
et de la consomma- se consommer?
tion des siecles?
En reponse, Jesus Or Jesus se prit a
leur dit : Voyez a ce leur dire : Voyez a
que nul ne vous ce que nul ne vous
trompe : car beaucoup trompe : beaucoup
viendront en mon nom , viendront en mon nom
disant : je suis le disant : c'est moi! et
Christ !et ils en trom- ils en tromperont
.peront beaucoup. beaucoup.
Vousentendrezpar- Quand vous enten-
ler guerres et bruits drez parler guerres et
dc guerre, voyez, ne bruits de guerre, ne
vous troublez pas, car vous troublez pas, il
il faut que cela ar- faut que cela arrive* ,
Lc,
Et comme certains
disaient parlant du
Temple qu'il etait fait
de belles pierres et
orne d'offrandes,
il dit :
Ce que vous con-
templez la, les jours
viendront, dans les-
quels il ne sera pas
laisse ici pierre sur
pierre qui ne soit de-
truite!
Ils 1'interrogerent,
disant : Maitre
quand done cela scra-
t-il, et quel sera le
signe que ces choses
vont s'accomplir?
Et il dit : Voyez a
n'etre pas trompes :
car beaucoup vien-
dront en mon nom di-
sant : c'est moi ! et : le
grand jour approche!
Nelessuivezpas.
Quand vous enten-
drez parler guerres et
bouleversements, ne
vous effrayez pas, car
ilfaut que cela arrive*
riv.e\ mais ce n'est mais ce n'est pas en- d'abord, mais ce n'est
,pas encore la fin. core la fin. pas tout de suite la fin.
1. Daniel, u, 28.
284 JESUS CMllIST.
Car on se dressera, C&ronsedressera, On se dressera,
peuple contre peuple peuple contre peuple peuple contre peuple
et royaume contre et royaume contre et royaume -vontre
royaume*, etilyaura royaume*, il y aura royaume*, il y aura
des famines et des des tremblements de de grands tremble-
tremblements de terre terre en divers lieux, ments de terre et en
en divers lieux : il y aura des famines : divers lieux des pes-
tes, des famines, des
apparitions et de
grands signes dans
le ciel.
tout cela est le com- cela est le commence-
mencement des dou- ment des douleurs.
leurs.
Alors on vous me- Veillez sur vous : Mais avant tout cela
nera aux tourments, on vous menera de- ils mettront leurs
et Ton vous tuera; vantlesconseils, vous mains sur vous et vous
serez fouettes dans persecuteront, vous
les synagogues, et menant dans les syna-
vous comparaitrez de- gogues et les ge61es,
vant gou'verneurs et vous faisant compa-
rois, a cause de moi, raitre par devant rois
en temoignage pour et gouverneurs, a
eux. cause de mon nom :
vous serez mis en de-
meure de rendre te-
moignage.
Et il,faut d'abord
que 1'Evangile soit
annonce dans toutes
les nations.
Et quand on vous Mettez-vous bien
menera pour vous li- dans 1'idee de ne pas
vrer, ne vous preoccu- vous faire d'avanco
pez pas de ce que des soucis pour votre
vous direz, defense, car je vous
car ce n'est pas vous donnerai des levres et
qui parlerez, mais unesagesse,aquoine
1'E sprit-Saint. pourront resister ni
contredire tous vos
adversaires.
Et le frere livrera Et vous serez livres
son frere a la mort et memo par des peres
le pere son enfant, et meres, et des freres,
1. Isai'e, xix. 2.
JESUS mOPHETE.
285
et les enfants se dres-
seront contre leurs
parents*, et les met-
tront a mort,
et vous serez hai's de et vous serez hai's de
tous les peuples a tous a cause de mon
cause de mon nom. nom.
Et alors beaucoup
succomberont au
scandale*, se livre-
ront, se hai'ront mu-
tuellement. Et beau-
coup de fauxprophetes
s'cleveront et sedui-
ront blendes gens. Et
<le par la recrudes-
cence de 1'iniquite la
charite* du grand nom-
bre se refroidira.
Mais qui tiendra Mais qui tiendra
jusqu'au bout, celui-la jusqu'aubout, celui-la
sera sauve. sera sauve.
Et cet h/vangile du
Royaume sera preche
dans toutl'univers, en
temoignage a toutes
les Nations, et alors
la fin.
et des allies et des
amis; et ils en rnek-
tront a mort parmi
vous,
et vous serez hai's de
tous a cause de mon
nom,
et pas un cheveu de
votre t6te ne perira :
par votre endurance,
vous sauverez vos
ames.
L 'Abomination de la Desolation.
Quand done vous Quand done vous Quand vous verrez
verrez I'abomination verrez I' abomination entouree de soldats,
de la desolation, an- de la desolation*
moncee par Daniel le
prophete,
dressee dans le saint dressee oil il ne con- Jerusalem,
'lieu 3 , vientpas,
1. Michee, vn, 6.
2. Daniel, xi, 41 (LXX).
3. Daniel, ix, 17; xn, 11. Ce poO^y,"* T% Jprjawaews que Marc declare
dressd (au masculin, non au neutre, 1'enteudant ainsi d'un homme ou
d'une image d'homme, ^, ce qu'il semble) ou il nc convient pas (dans le
saint lieu, dit Matthieu qui transcrit Daniel), est sans doute dans le pro-
286
JESUS CHRIST.
(Que celui qui lit
comprenne!)
Alors que ceux qui
sont en Judee se sau-
vent aux montagnes;
quo celui qui est sur
laterrassenedescende
pas rien prendre de ce
qui est dans sa mai-
son;
que celui qui est aux
champs nc retourne
pas prendre son man-
teau.
(Que celui qui lit
comprenne!)
Alors que ceux qui
sont en Judee se sau-
vent aux montagnes ;
que celui qui est sur
la terrasse ne des-
cende pas, qu'il n'en-
tre pas rien prendre
de ce qui est dans sa
maison;
que celui qui est aux
champs ne retourne
pas en arriere prendre
son manteau.
alors sachez que-
sa desolation est pro-
che.
Alors que ceux qui
sont en Judee se sau-
vent aux montagnes ;
que ceux qui sont
dans la ville s'en e*loi~
gnent;
Malheur aux fem-
mes enceintes, et a
celles qui nourriront
dans ces jours la !
Priez pour que votre
fuite n'arrive pas 1'hi-
ver, ou un jour de sab-
bat.
Malheur aux fem-
mes enceintes, et a
celles qui nourriront
dans ces jours-la !
Priez pour que la
chose n'arrive pas
I'liiver.
que ceux qui sont a
la campagne ne ren-
trent pas a la ville;
car ce sont la jours
de vengeance* pour
que s'accomplisse en
eux tout ce qui est
e"crit.
Malheur aux fern-
mes enceintes, et a-
celles qui nourriront
en ces jours-la !
phete une allusion a la profanation du Temple par 1'erection d'une idole-
sur 1'autel des holocaustes (I Macch., i, 33 suiv.; vm, 13; xir, 11) : abomi-
nation qui rend le lieu saint ddsott. Voir S. R. Driver, DBH, I, p. 12. Dans
1'Evangile, il s'agit surement d'une profanation semblable, et il y en eut
plusieurs au cours des annees troublees qui finirent par la mine de Jeru-
salem. L'expli cation la plus probable est celle qui vise 1'exposition d'em-
blemes idolatriques (enseignes romaines ou statue ou image de 1'Empereiir
divinise) dans le Temple.
La parenthese qui suit : que celui qui lit, comprenne > n'a rien a faire,
semble-t-i), avec une lecture publique de 1'Evangile. II s'agit ici d'attirer
1'attention du lecteur, qui est toujours cense lire tout haut, 6 avayivciaxwv
(la lecture a voix basse ou par les yeux seuls etait consid6ree dans 1'anti-
quite comme une exception, digne de remarque : cf . saint Augustin, Confes-
sions, VI, 3). Le sens de voeTv est : discerner, lire entre les lignes *
(Apoc., xin, 18). Sur tout le passage, C. H. Turner, Marcan Usage, IV, dans
JTS, XXVI, 1925, p. 153, 154.
1. Os6e, ix, 7.
JESUS PROPHETE. 287"
Car ce sera alors Car ces jours-la se- Car ce sera detresse
une tribulation ront tribulation telle grande sur la terre,
grande, telle qu'il n'y qu'iln'y eneutpas de et colere s'exergant
en eut pas depuis le pareitte depuis I'ori- surcepeuple;
commencement du gine des choses , quand
monde jusqu'a pre- Dieu crda, jusqu'a
sent, et qu'il n'y en present 4 et qu'il n'y
aura plus 1 . en aura plus.
Et si ces jours n'eus- Et si le Seigneur
sent ete raccourcis, n'eut raccourci ces
aiicune chair ne serait jours, aucune chair ne
sauvee; mais a cause serait sauvee ; mais a
des elus ces jours-la cause des elus qu'il a
seront raccourcis. choisis, il a raccourci
les jours.
et ils tomberont sur
la gueule du glaive,,
et ils seront emme-
nes, charges de fers r
parmi toutes les na-
tions,
ei Jerusalem sera/ow-
lee par les nations*,
jusqu'a 1'accomplisse-
ment du temps des
nations.
(VoirLc., XYII, 23)..
Alors si Ton vous Alors si Ton vous
dit : Voici le Christ dit : Voici le Christ
ici , ou ici , ne le ici , ou le voici la ,
croyez pas, car des ne le croyez pas, car
faux Christs se leve- de faux Christs se 16-
ront. et de faux pro- veront etdefauxpro-
phetes*, et ils feront phetes* et ils feront
des grands signes et des signes et des pro~
des prodiges brnduire diges a induire en
en erreur, si possible, erreur, si possible,
m6me les elus. les elus.
Voici, je vous 1'ai Vous done, veillez.
predit. Je vous ai tout predit.
Si done on vous dit :
1. Daniel, xir, 1.
2. Zacharie, xir, 3 (LXX); Isai'e, LXIII, 18; Psaumes LXXIX (Vulg. LXXVIII),.
1 ; Daniel, vm, 10.
3. Deuter., xiu, 1.
288 JESUS cunisT.
Le voici au desert ,
nesortezpas; (Voir Lc., xvn, 24).
Le voici a I'inte-
rieur , ne le croyez
pas. Car comme 1'e-
clair part d'Orient, et
brille jusqu'en Occi-
dent, ainsi sera Tave-
nemcnt du Fils de
1'homme.
Oiique soitle corps,
la s'assembleront les
aigles. (Voir Lc., XVH, 37).
L'avenement du Fils de 1'homme.
Or, aussitot apres Mais dansces jours- Et il y aura des signes
la tribulation de ces la, apres cette tribu- dans le soleil, la lune
jours-la, lation, et les etoiles, et sur
le soleil s'obscurdra le soleil s'obscurcira terre, angoisse des
et la lune ne donnera et la lune ne donnera nations, inquietes du
plus sa lumiere, plus sa lumiere, bruit de la mei\ et de
les etoiles tomberont les etoiles tomberont sesflots 4 , leshommes
du del du del, sechant de peur, dans
et t les puissances des et les puissances ce- 1'attente de ce qui
deux seront ebran- lestes seront ebran- doit arriver a 1'uni-
.lees 2 . lees 2 . . vers, car les puissan-
ces des deux seront
ebranlees 2 .
Et alors apparaitra
le signe du Fils de
1'homme dans le ciel ;
<et alors toutes les tri-
bus de la terre se frap-
peront la poitrine*,
et ils vcrront le Fils Et ils verront alors Et ils verront alors
4e Vhomme venant le Fils de Vhomme ve- le Fils de 1'homme
sur les nuees du del" , nant dans les nuees 4 venant dans la nuee*
.avec puissance et avecgrande puissance avec puissance et
grande gloire. et ^loire. grande gloire.
Et il enverra ses lit alors il enverra
anges, a grand eclat les anges
1. Psaume LXV (Vulg. LXIV), 8.
'2. Isaie, xui, 10 et xxxiv, 4.
.3. Zacharie, xn, 2.
4. Daniel, YJI, 13.
JESUS PROPHETE. 289
de trompette*, et ils et reunira ses el us
rduniront ses elus des des qualre vents,
quatre vents, d'une d'une extremite de la
extremite des deux a terre a f extremite du
Vautre extremite*. del*..
Quand ces choses
commenceront d'ar-
river, reprenez cceur
et relevez vos tetes,
car votre redemption
approche !
L'Heure que nut ne connait.
Et il leur dit une
parabole :
Du figuier appre- Du figuier apprenez Voyez le figuier, et
nez la parabole r'quand la parabole : quand tousles arbres: quand
ses rameaux devien- ses rameaux devien- ils commencent de
nent tendres, et que nent tendres, et que bourgeonner, en les
les feuilles lui pous- les feuilles lui pous- regardant, par eux
sent, vous conhaissez sent, vous connaissez vous connaissez que
que proche est 1'ete. que proche est 1'ete. deja proche est 1'ete.
Ainsi, vous aussi, Ainsi, vous aussi, Ainsi, vous aussi,
quand vous verrez quand vous verrez quand vous verrez
tout cela, cela arriver, cela arriver,
connaissez qu'il est connaissez qu'il est connaissez qu'est pro-
proche, aux portes. proche, aux portes. che le Regne de Dieu.
En yerite, je Vous En verite, je vous le En vente, je vous
le dis : dis : le dis :
Cette generation ne Cette generation ne Cette generation ne
passera pas, passera pas, passera pas,
avant que tout ceci devant que tout ceci avant que tout n'ar-
n'arrive. n'arrive. rive.
Le ciel et la terre Le ciel et la terre Le ciel et la terre
passeront, passeront, passeront,
mais mes paroles ne mais mes paroles ne mais mes paroles ne
passeront pas. passeront pas. passeront pas.
Quant a ce jour-la et Quant a ce jour*la et
a 1'heure, nul ne les a 1'heure, nul ne les
connait, connait,
ni les anges des ni les anges dans
cieux, ni le Fils > le ciel, ni le Fils
hormis le Pere seul. hormis le Pere.
1 . Isai'e, xxvn, 13.
2. Zacharie, n ; 6; Deuter., xxx, 4.
JESUS CHRIST. II. 19
290
JESUS CHRIST.
(VoirLc., xvii, 26-27 .
(VoirLc., xvn, 34-35.)
Veillez done...
Comme les jours de
Noe, ainsi sera 1'ave-
nement du Fils de
riiomme; comme ils
etaient en ces jours-
la, d'avant le deluge,
mangeant et buvant,
se mariantet donnant
a marier, jusqu'au
jour ou Noe entra
dans I'arche*, et ils
ne connurent rien jus-
qu'a ce que vlnt le
deluge qui les em-
porta tous, ainsi en
sera-t-il de 1'avene-
ment du Fils de
I'homme.
Lors ils seront deux
aux champs : 1'un
sera pris et 1'autre
laisse ;
deux moudront a la
meule : 1'une seraprise
et 1'autre laissee.
Voyez, veillez, vous (VoirLc., xix, 12-13.)
ne savez pas 1'heure.
C'est comme un
homme qui part en
voyage : en quittant
sa maison il laisse ses
pouvoirs a ses ser-
viteurs, donne a cha-
cun son travail, et
recommande au por-
tier de veiller.
Veillez done, car Veillez done, car Veillez sur vous, de
vous ne savez pas quel vous ne savez pas peur que vos coeurs
jour votre Seigneur quand le maitre de ne s'alourdissent dans
viendra. maison viendra : le la crapule, 1'ivresse,
soir, a minuit, ou au les sollicitudes du
1. Gen., VH, 7.
JESUS PROPHETS.
291
(Suivent des para-
boles renforgant la
m6me legon de vigi-
lance, et 1'impression
d'incertitude et d'obs-
curite sur le jour du
jugement.)
coq, ou a
chant du
Taurore.
Survenant a 1'im-
proviste, qu'il ne vous
trouve pas endormis.
Ce que je vous dis,
je le dis a tous :
veillez.
temporel, et que ce
jour-la ne tombe sur
vous a 1'improviste,
comme un filet.
Car il viendra ainsi
sur tous ceux qui
sont assis sur la face
de toute la terre*.
Non, veillez et priez
en tout temps, pour
etre en etat d'echap-
per a ce qui se pre-
pare, et de paraitre
debout devant le Fils
de l'homme.
5 e Groupe : Le Fils de l'homme assis a la droite de Dieu.
Devant le Sanhedrin, la nuit qui suivit 1'arrestation : Mt., xxvi,
63-65; Me., xiv, 61-63;
Devant le Sanhedrin, a la seance de 1'aube : Le., XXH, 66-71.
Mt. Me. Lc.
Mais Jesus se tai- Mais lui se taisait,
sait, etle grand pr&tre et ne repondit rien.
lui dit : Derechef le grand
Je t'adjure par le
Dieu vivant de nous
dire
si tu es le Christ,
le Fils de Dieu.
Jesus lui dit :
Tu 1'as dit.
Aussi bien, je vous le
dis : dorenavant vous
verrez le Fils de
rhomme assis a la
droite de la Puissance
etvenantsur les nuees
du del 2 .
Alors le grand
pr<Hre Tinterrogea, et
lui dit :
Tu es le Christ,
le Fils du Beni?
Et Jesus dit :
Je le suis,
et vous verrez le Fils
de l'homme assis a la
droite de la Puissance
et venantsur les nuees
du ciel*.
Et le grand pretre,
1. Isai'e, xxiv, 17.
2. Daniel, vii, 13; Psaume ex (Vulg. cix), 1 suiv
292 JESUS CHRIST.
pretre dechira ses ve- ayant de'chire ses tu-
tements en disant : niques, dit : Qu'a-
II a blaspheme; vons-nous encore be-
qu'avons-nous encore soin de temoins?
besom de temoins? Vous avez cntendu
ses blasphemes ?
Et comme le jour
se levait, s'assemblc-
rent le corps des an-
ciens du peuple,
princes des pretres et
scribes, et ils Fame-
nerent devant leur
tribunal, disant : Es-
tu le Christ? dis-le
nous.
II leur dit : Si je
vous le dis, vous ne
croirez pas; etsi j'in-
terrogeais, vous ne
repondriez pas.
Dorenavantle Fils
de I'homme sera assis
a la droite de la Puis-
sance divine*.
Tous lui dirent: Tu
es done le Fils de
Dieu?
Mais lui leur dit :
Vous Favez dit, je le
suis. Eux dirent :
Qu'avons-nous be-
soin de temoignage?
vousl'avezentendu de
sa propre bouche.
La These de V eschatologie consequents .
Partant de ces textes, ou de plusieurs d'entre eiix (car
tons n'en admettent pas Fauthenticite integrale), et leur
donnant une importance relative qu'ils sont loin d'avoir dans
1'Evangile, divers critiques modernes ont elabore une inter-
pretation nouvelle des engines chretiennes. Aujourd'hui
1. Daniel, vn, 13; Psaume ex (Vulg. cix), 1.
JESUS PROPHETE. 293
rejetee dans Tombre par des hypotheses nouvelles, cette
conception a doming 1'exegese rationaliste pendant les quinze
premieres annees de ce siecle 1 .
Gomme d'autres theories ruineuses, la these dite escha-
tologique (parce qu'elle assigne une part preponderante a
1'enseignement de Jesus touchant les fins dernieres, T sayxm),
est issue d'une reaction justifiee, en principe, et contient,
de ce chef, une ame de verite. L'exe"gese libe'rale, represented
dans son meilleur par H. J. Holtzmann et son Ecole, tendait
a humaniser la vie du Christ, mais aussi a la sublimer
jusqu'a en estomper, voire a en effacer, des traits reels. On
ne voulait guere voir en lui qu'un admirable pre"dicateur de
morale ; le commentaire du Discours sur la montagne tendait
a eliminer celui des pages evange"liques transcrites ci-dessus.
Elles sont pourtant d'une historicity incontestable; elles
appartiennent a un genre litteraire defini, date, essentielle-
ment se*mitique. Elles ont, des les plus anciennes origines
chretiennes, donne lieu a des interpretations, a des attentes
et a des espoirs qu'il n'appartient a personne de rayer de
1'histoire.
La faute des champions de la nouvelle Ecole n'est done pas
d'avoir ramene 1'attention sur des textes trop negliges, ou
revendique la presence, dans 1'enseignement authe'ntique de
Jesus, d'un element apocalyptique relativement considerable.
Leur erreur est d'avoir abonde dans leur sens, au point de
donner a cet element une place preponderante , et pre"-
sente 1'Evangile comme un enseignement essentiellement
eschatologique, enthousiaste et mystique 2 . De la a tout
expliquer par la croyance de Jesus en la consommation immi-
nente des choses, a chercher dans cette illusion absorbante
1 . Sur cette Ecole, voir, infra, p. 452, la note E a : L 'Ecole Eschatologi-
que 1890-1915.
2. Ces expressions sont empruntees au plus brillant des tenants fran-
cais de 1'Ecole eschatologique, M. Alfred Loisy, Jesus et la Tradition,
Paris, 1910, p. 144, 190. Depuis, docile aux souffles nouveaux, M. Loisy a
modifie profondement ses vues touchant les origines chretiennes. Mais la
part la plus etudiee et la plus infiuente de son oeuvre exSgetique, ses vastes
commentaires des annees 1900-1910, est dorainee par I'hypothese escha-
tologique.
294 JESUS CHRIST.
la clef de 1'attitude du Maitre en face des autorites palesti-
niennes, des ndcessites de la vie, des devoirs individuels et
sociaux, il n'y avait qu'un pas, que les eschatologistes con-
sequents (j'emprunte ce mot an. plus brillant d'entre eux,
Albert Schweitzer) ont franchi. Dans leur hypothese, les
predictions que nous venons de transcrire sont a prendre au
sens le plus cru, a la lettre et sans glose. Jesus aurait
enseigne que la fin du monde, indissolublement associe'e par
eux a 1'avenement du Regne de Dieu, etait prochaine, a
portee de vue. Du jour et de 1'heure exacts, il aurait avoue
ne rien savoir, mais pour maintenir avec une inflexible obsti-
nation qu'une generation d'hommes ne passerait pas avant
que tout ne fut accompli. A considerer les choses histori-
quement, ajoutent ces critiques, Je"sus s'est trompe. Reli-
gieusement, iV ne s'est pas trompe" ajoutent quelques-uns,
dont Schweitzer. Gar le monde present n'est pour I'homme
religieux qu'un lieu de passage, un moment fugitif, une
simple transition : le non oppose par Jesus a ce monde ephe-
mere est au fond plus veritable que le oui d'un naturalisme
beat et lourdement materiel 1 !
Sans donner dans ces exces, nombre d'exegetes, trop desi-
reux d'eluder les difficultes, recourent a des explications qui
sauvegardent sans doute la veracite et la prescience infaillible
du Christ, mais aux depens du caractere historique des
textes transcrits ci-dessus (en particulier du groupe 4, le
plus considerable). Us voient dans ces discours une sorte de
conglomerat, forme de fragments apocalyptiques preexistants,
et de paroles authentiques du Maitre. Ges paroles auraient
ete, en bien des cas, biaisees jusqu'a donner une perspective
proprementerroneepar la persuasion ou etaientles redacteurs
evangeliques de l'imminence de la fin. De tres nombreux
critiques, protestants ou anglicans, se sont naguere avances
dans cette voie 2 ou les achemine la presence de citations pro-
1. Alb. Schweitzer, Geschichte der Leben-Jesu-Forschung, Tiibingen,
1913, ch. xxi et xxv.
2. On a reconstitue, avec plus ou moins d'ingeniosite, la petite apo-
calypse juive, qui aurait servi de trame aux paroles authentiques de
Jesus. Un des essais les plus recents est celui de R. H. Charles, qui attri-
bue au document insere les versets7-8, 14-20, 24-27, 30, 31, du ch. xm de
JESUS PROPHETE. 295
phetiques ou apocalyptiques anterieures, dans les discours
eschatologiques de Je"sus.
L'exegese traditionnelle repousse avec raison une simpli-
fication dont 1'antiquite chretienne ne s'est jamais a vise e,
encore "qu'elle ait senti la difficulte creee par les textes, tels
qu'ils nous ont ete transmis. G'est dans une intelligence plus
reelle de ces me'mes textes que nous chercherons, a notre
tour, la solution d'un probleme dont la gravite n'est ni a
contester, ni a exagerer, et que le recul des eschatolo-
gistes permet d'aborder desormais en toute serenite.
Le genre litteraire des Textes.
Tous les passages que nous avons cites appartiennent au
genre prophetique, dont ils adoptent la perspective tres par-
ticuliere 1 . Mais encore ils ressortissent, dans ce genre, a la
variete la plus haute en couleur : 1'apocalyptique. Pour de-
crire ces phases critiques de 1'histoire du Royaume de Dieu,
durant lesquelles, a la maniere d'une femme en travail, une
ere en s'achevant met laborieusement au jour, dans le sang et
les pleurs, un age nouveau, les prophetes ont use d'un style a
part. Leur langue, deja si riche en images hardies, s'eleve
et se tend pour s'egaler au jugement de Dieu de ces der-
niers jours : fin d'un regime, fin d'une cite ou d'un empire,
fin d'une civilisation, fin d'un monde. Deja les grands Voyants
d'avant 1'Exil avaient employe dans la peinture de catastro-
phes prochaines, circonscrites du point de vue de Sirius mais
immenses pour Israel, des expressions d'une ampleur decon-
certante. La defaite d'Edom ou d'une armee egyptienne, la
ruine de Babylone, et moins encore, mettent en branle le ciel
et la terre, dans des images qui anticipent celles que Jesus
employa :
Voici le jour de lahve qui vient,
cruel, avec colere et fureur ardente,
Pour changer la terre en desert,
pour y exterminer les pecheurs.
saint Marc, et leurs paralleles dans Matthieu et Luc. The Revelation of
S. John, Edinburgh, 1920, 1, p. 158 suiv.
1. Voir sur cette perspective ce qui est dit plus haut, tome II, p. 252.
296 JESUS CHRIST.
Les astres des cieux et leurs constellations
ne feront plus briller leur lumiere ;
Le soleil s'obscurcira a son lever
et la lime ne fera plus luire sa lumiere...
Je rendrai les homines plus pares que Tor fin,
plus rares que le metal d'Ophir.
\
C'est pourquoi j'ebranlerai les cieux;
la terre tremblera et sera secouce,
Par la colere de lahve des armees
au jour de sa colere ardeate,- 4 ..
Episodique chez les anciens prophetes et confin^ dans cer-
taines parties de leur ceuvre, le style d'apocalypse devient
habitue! dans les ouvrages posterieurs qui se donnent pour
tache de relever les coeurs en appelant, d'un present sombre
et parfois tragique, aux revanches, aux reparations, aux ven-
geances divines. Ges livres, auxquels les propheties de Da-
niel fournirent un modele, allerent se multipliant durant les
deux siecles ant^rieurs a notre ere. Aux images tirees des
perturbations cosmiques et des convulsions du monde, s'ajou-
terent, bien plus frequemment qu'autrefois, des traits em-
pruntes aux anciennes legendes : puissances celestes (soleil,
lune,planetes) personnifiees, monstres composites ou stylises,
allegories laborieuses 2 . Relativement sobres dans les Ecri-
tures inspirees, ces symboles s'affranchissent de toute mesure,
et parfois de toute vraisemblance, dans Fapocalyptique contem-
poraine du Seigneur, ou de peu anterieure a sa venue. La
prophetie de Daniel elle-meme, dans ses parties principales,
offre un ensemble de visions allegoriques, d'une interpreta-
tion tres delicate.
1. Isai'e, xnr, 9-10, 12-13; tr. Condamin. II s'agit d'un oracle concer-
nant la prise de Babylone. Dans le meme sens on pourrait citer Isai'e,
xxxiv ; Ezechiel, xxxu ; Joel, 11, etc.
2. Dans son Apocalypse, Paris, 1921, le R. P. E. B. Allo a reuni les
principaux traits : Essai de synthese de la tradition apocalyptique, p. xxxvi-
XLVI. Pour se rendre compte de 1'etendue de ces emprunts et de 1'extreme
complication des recherches que leur etude precise exige, on consultera
la belle etude des PP. Dhorme et Vincent, sur les Kirubi assyriens: dans
RB, 1926, p. 328-358, 481-495.
JESUS PROPHETE 297
Ces remarques nous avertissent de ne pas traiter les pre-
dictions ecrites en oe style corame si elles etaient de 1'histoire
redige'e simpleinent au futur. La nature des choses de"crites>
pre"te deja a d'apparentes incoherences. A travers les phases
qui se succedent, un ordre nouveau surgissant des ruines-
de 1'ancien, c'est, en effet, un me'me plan divin qui se pour-
suit, a Fachevement duquel sont ordonnees destructions et
renaissances. Les termes recus pour designer le dessein
dans son amplitude, ou les tournants principaux de son his-r
toire, renvoient done necessairement a des faits successifs,
bien qu'en progression et en connexion intime. Ainsi, dans un
de nos textes, et des plus pressants, celui qui amene la
comparaison du figuier, Jesus declare qu'a la vue de certains-
signes ses disciples sauront que : le Regne de Dieu est
proche* . Or, d'apres le me'me evangeliste, le Maitre avait.
dit auparavant, a mainte reprise, que le Regne de Dieu
etait pre'che' publiquement depuis Jean Baptiste ; que-
assurement il etait parvenu jusqu'a ceux qui 1'ecoutaient ;
et qu'il etait parmi eux 2 . Ge rapprochement nous invite a
une interpretation prudente : dans un sens veritable le Regne
de Dieu avait ete inaugure non pas meme dans sa realite r
mais dans sa phase decisive par la predication de Jean - T
il existait au milieu de la generation qui pouvait en apprendre
les mysteres des levres du Sauveur. Mais dans un autre
sens, plus complet, sinon plus vrai, nous 1'attendons encore :
jusqu'a ce qu'il soit consomme, ou peut dire que tout reste a
faire. De cette consommation elle-me'me, encore future quant
au grand corps des elus, mainte parabole, mainte prescrip-
tion evangelique parle comme d'un fait acquis, ou prochain.
G'est qu'il est alors question d'une personne particuliere, ou
d'une generation d'hommes : ce sont la points de vue comple-
mentaires, non contradictoires
S'agit-il maintenant de cette haute modalite du Regne de Dieu.
qu'est le final av&nement du Fits de. I'homme. l&parousie,
le four, le retour en puissance, la gloire du Christ Jesus ?
Elle comporte, comme le plan divin lui-me'me qu'elle acheve
1. 'EY^U; la-ccv T] pauiXet'a -cou 6eou. Lc., XXI, 31.
2. Lc., xvi, 16; xi, 20; xvn, 21.
298 JESUS CHRIST.
'*v
et couronne, des avancees successives. De son vivant, le
Maitre se presente, au t^moignage de saint Jean, a la fois
comme glorifie, et comme attendant encore sa glorification 1 .
L'aube d'un beau jour n'est pas son midi, mais deja la lumiere
brille. Pendant la vie humaine de Jesus s'opera, au contact
de sa personne et de sa parole, un premier depart, un pre-
mier jugement. Et nonobstant Finfidelite des dirigeants et
I'instabilit6 des masses, il suffisait, pour que le Fils de Thomme
e dit a bon droit glorifie, de cette poignee de disciples
croyant en lui, derriere lesquels il voyait ceux qui, par eux,
croiraient un jour.
Plus grande sans comparaison, et justifiant des expressions
plus fortes, fut la glorification de Jesus aux yeux de la gene-
ration qui le condamna. Le dernier jugement et le retour en
puissance eurent, a cette heure privilegiee, une premiere
realisation, image et arrhes de 1'heritage 2 messianique
complet. Le peuple juif, 1'Israel de la chair, considere comme
une personnalite morale et un tout, etant alors juge et
convaincu, 1'execution de la sentence, ruine de Jerusalem et
dispersion du peuple, fut precedee de tels signes et poussee
.a un tel point de rigueur que les hommes de ce temps durent
j voir la repetition et le premier acte des grandes assises
finales, la fin d'un monde avant la fin du monde. Cette oeuvre
de justice s'accompagna pour le Fils de rhomme, dont le
-nom au-dessus de tout nom fut alors pr6che aux Gentils
<et confesse par beaucoup, venus d'Orient et d'Occident ,
d'une glorification qui 1'assit sur le tr6ne celeste, aux cotes de
la puissance de lahve. Ainsi le virent, au temoignage de saint
Paul 3 , les premiers chretiens qui exaltaient dans leur hymne
. le grand mystere de leur culte pieux , Jesus
1. Jo., xui, 31 : Jesus dit : Maintenant le Fils de 1'hoinme a ete
glorifie et Dieu a ete glorifie en lui ; et Jo., XVH, 1 : Pere, 1'heure est
venue : glorifie ton Fils, afin que le Fils te glorifie.
2. Ephes., /, 14.
3. I Tim., in, 16. Le fcStxatoSOr) Iv nveijiaTi du second membre de 1'hymne
a une valeur religieuse, qui place la personne de J6sus dans 1'ordre pro-
prement divin, sans insinuer pour autant que ce soit la le resultat d'une
* divinisation , comme le voudrait M. Dibelius dans le Handbuch zum N.
T. de Lietzmann, in locum, III, 2, 1913, p. 165. On sait que ce beau frag-
JESUS PROPHETS. 299
Manifest^ dans la chair,
Proclame Saint dans 1'esprit,
Contemple par les Anges,
Pre"che parmi les Nations,
Cru dans le monde,
Enleve dans la gloire.
Si eclatant qu'ait ete ce jour du Seigneur , il n'est ce-
pendant que 1'amorce et 1'aurore du retour ultime. Alors, ce
ne sera plus le seul Israel qui serareuni et juge, ce ne seront
plus les seuls fideles prdvenus par la grace qui rendront
gloire au Fils de 1'homme; 1'Evangile ayant ete preche a
toute nation , la responsabilite humaine aura porte ses fruits,
et tous ceux qui, dans 1'ordre spirituel, peuvent e"tre consi-
deres comme adultes, auront pris parti. Alors s'accomplira, a
la face du Christ Roi, Redempteur et Juge, le formidable
partage qui ne comportera plus de reunion; alors sera pro-
noncee la sentence que nul ne revisera. Alors retentira le
cantique de la fin :
A Cclui qui est assis sur le trone, et a 1'Agneau,
la benediction et 1'honneur et la gloire et la puissance
dans tous les siecles des siecles * .
Exegese sommaire des Textes.
Si nous revenons aux textes, apres nous e"tre mis en etat
de les mieux entendre, nous verrons que tous se rapportent,
dans une mesure qui reste a determiner, au double avene-
ment, ou plut6t a la double phase de 1'unique avenement du
Fils de I'homme. Nous employons ce dernier terme a dessein,
ment a son pendant dans la finale de I'Ode 19 de Salomon, 9-10, ou il est
chante de la Vierge Mere que :
Elle enfanta son Fils comme homme, de son fonds,
elle 1'enfanta en exemple ;
elle le posseda en grande puissance,
et le ch6rit en vigilance salutaire;
elle le garda en suavit6,
et le manifesta en grandeur.
Le premier stique est Equivoque dans le syriaque. Gressmann retraduit
en grec : 6; ^vOpwrcov ETextv Sxouua; Batiffol : tJ)g ocvOpwjtov !y!vvY|aev Ix OeXTfjiaTog.
On peut traduire : < De son plein gre ; de sa propre volonte. L'id6e
suggeree semble plus naturelle.
1. Apoc., v, 136.
300 JESUS CHRIST.
parce qu'il donne sa tonalite et communique quelque chose
de son mystere a tout cet ensemble prophetique. L'usage
constant qu'en fait Jesus en cette matiere avertit que nous-
entrons la dans le domaine, inaccessible aux vues humaines,
que le Pere s'est reserve. Bien plus, dans cet inconnu s'en-
veloppe d'une obscurite plus profonde un point qui est pro-
prement le secret du Roi, ignore des Anges, etranger au Fils
lui-meme, pour autant que sa science est communicable.
Quant a ce jour-la, et a 1'heure,
nul ne les connait,
Ni les anges dans le ciel, ni le Fils,
hormis le Pere seul.
Cette incertitude permanente est un motif de vigilance,
d'autant plus pressant et universel que des paraboles 1 eten-
dent 1'ignorance du jour et de 1'heure, avec ses lecons nor-
males, a toute mort humaine, anticipation secrete du juge-
ment dernier, apres laquelle, observe justement le cardinal
Billot, ne reste plus que la publication, la mise au grand jour
de la sentence, reservee a la Parousie visible et eclatante de
la fin des temps 2 . Ge point de vue, pour important qu'il soit,
etant laisse presentement de c6te, il reste que les cinq
groupes de textes apocalyptiques transcrits plus haut vont
tous a ouvrir dans la nuit de 1'avenir des percees lumineuses
qui aideront les disciples de Jesus a surmonter le scandale
des epreuves supre'mes. Tout se rapporte, soit aux temps
troubles qui precederont, puis verront la premiere glorifica-
tion, parfcielle et terrestre, du Fils de I'homme; soit a son
retour definitif, a la consommation du siecle.
Conformement a 1'unite du dessein divin et a la perspec-
tive prophetique, les deux evenements sont vus dans le pro-
longement 1'un de 1'autre, et decrits dans des termes egale-
ment empruntes au langage classique des apocalypses.
L'inegalite flagrante de leur etendue et la diversite de leurs
circonstances n'apparaissent done que tres estompees. Leur
independance elle-m^me est rendue moins visible, par suite
de la condition litteraire des textes 3 .
1. Mt , xxiv, 45-51 ; xxv, 1-13; xxv, 14-30 et parall.
2. L. Billot, La Parousie, Paris, 1920, p. 206 suiv.
3. Voir infra, p. 457, la note F a : Cette ge'ne'ration ne passera pas...
JESUS PROPHETE. 301
Apres ce que nous avons dit, la premiere de ces difficulty's
semblera sans doute moins considerable. Elle s'evanouira
tout a fait si nous nous rendons re"elle 1'importance donnee
constamment, dans 1'Evangile, a la generation apostolique.
G'est qu'aussi bien la se de"cida le sort de la divine semence ;
la emergea des tenebres la lumiere indefectible ; la fut
pose"e, par la confession de la seigneurie de Jesus, la pierre
de fondement de la religion chretienne. Et ce fait immense,
qui realisait 1'esperance immemoriale d'lsraSl, s'accomplit par
le renversement le plus complet de 1'attente et des previsions
juives de ce temps. Dans toute 1'apocalyptique contempo-
raine, Jerusalem est en effet le centre de la glorification
messianique, et la race d'Abraham au sens le plus charnel du
mot en est le premier, parfois le seul be^neficiaire. Entendues
a la lettre, les grandes propheties du Livre d'lsaie autori-
.saient, semblaient imposer ces vues : Jerusalem,
Debout! sois radieuse! car ta lumiere se leve,
de la gloire de lahve" c'est pour toi 1'aurore,
Tandis que les tenebres s'etendent sur la terre
et 1'ombre sur les peuples.
Voici sur toi 1'aurore de lalive,
et sa gloire sur toi se manifesto ;
Et les nations marchent a ta lumiere,
les rois aux clartes de ton aurore...
Les fils de 1'etranger rebdtiront tes murs,
leiirs rois seront tes serviteurs ;
Car dans ma colere je t'ai frappee,
et dans ma clemence j'ai prie pour toi...
Vers toi viendront, humilies, les fils de tes tyrans;
a tes pieds se prosterneront ceux qui t'ont honnie.
Us t'appelleront la Cite de lahve,
la Sion du Saint d'Israel.
D'abandonnee que tu etais,
haie et detestee,
Je vais faire de toi un miracle e*ternel,
les delices des siecles.
Tu suceras le laitdes nations,
tu suceras la mamelle des rois...
Tes murs on les appelera Salut ,
et tes portes Gloire .
Isa'ie, LX, 1-3, 10, 15, 16, 18. Tr. Condamin.
302 JESUS CHRIST.
G'est centre une interpretation trop mate'rielle, dont nous
ne pouvons plus mesurer la force mais qui enivrait les con-
temporains du Seigneur, que Je"sus s'elevait. En la contredi-
sant, il les touchait tous a la prunelle de 1'oeil. Quand, avec
une autorite sure d'elle-m^me, il montrait, non dansun avenir
illimite', mais dans les limites d'une generation d'homme, Je-
rusalem entouree, le Temple en ruines, 1'abomination des
idoles au lieu Saint, la Synagogue repudiee, 1'Israel de chair
remplace" par un peuple nouveau venu des quatre vents, cette
prodigieuse revolution tout cela, Tcavra Tauta frappait de
stupeur ceux qui 1'ecoutaient, et d'abord ses disciples. II
nous est aise, maintenant que le dessein providentiel a suivi
son cours, de nous abstraire de cette vision d'epouvante et
de ce scandale : alors, elle barrait tout 1'horizon; et de cette
impression comment s'e'tonner que nos documents portent
trace?
11s portent trace aussi d'une autre impression : 1'incertitude
ou se trouvaient les evangelistes touchant le second avene-
ment. Suivrait-il le premier? Serait-il le dernier et fulgurant
episode de la grande calamite? Plusieurs pouvaient s'imagi-
ner ainsi la suite des evenements; car beaucoup de Juifs
fideles ne concevaient pas que le monde put durer apres une
catastrophe pareille, survivre a la ruine et a I'e'parpillement
d' Israel. Des chre"tiens, Romains ou romanises, ne penserent-
ils pas de me"me, quatre siecles plus tard, et ne virent-ils
pas, dans 1'effondrement de 1'Empire qui etait pour eux 1'ar-
mature mehne de la civilisation, le prodrome immediat de la fin *?
1. On salt comment cette idee s'exprima au v e siecle, provoquant les
reponses de saint Augustin, d'Orose, de Salvien. Saint Augustin est revenu
plusieurs fois sur les propheties eschatologiques du Christ, en particulier
dans ses Lettres, dont Tune ou 1'autre, sur ce sujet, a 1'etendue d'un
m6moire. II y explique les textes au sens le plus johannique, d^passant
meme son maitre en matiere de spiritualisation. Pour lui, les traits apo-
calyptiques les plus forts s'expliquent de la venue premiere du Christ, de
son avenement dans les ames et le monde pai'en. Voir les Lettres 196-199
surtout 1'immense Epitre 199 a Hesychius, CV, Epislulae, IV, p. 243-293.
Quelques exegetes modernes, entre autres M8 r E. Le Camus, ont repris sur
ce point, en les poussant a bout, les idees augustiniennes, ou il y a une
ame importante de verite, que nous avons tache de faire passer dans
notre essai d'ex6g6se.
JESUS PROPHETE. 303
II ne pouvait s'agir que d'une impression, car apres 1'aver-
tissement final de Jesus, reprenant sous une forme directe la
grande parole de 1'ignorance du jour et de 1'heure : II ne
vous appartient pas de connaitre les temps et les moments
que le Pere a fixes de son autorite propre l , il est clair que les-
redacteurs n'ont pu se prononcer la-dessus, ou mettre sur les
levres du Maitre des precisions qui eussent contredit son en-
seignement formel. Reste qu'en rapportant, soit dans le con-
texte qui les avait amenees, soit en les groupant autour de
themes analogues, les paroles du Seigneur, les auteurs de-
nos evangiles les ont disposees dans un certain ordre. Res-
sort-il de cette disposition, qu'ils voyaient pour leur compte
le second avenement suivant le premier, ou se"pare de lui par
une transition breve? On ne peut, croyons-nous, en partant
des seuls textes, donner a cette question une reponse absolu-
ment certaine ; nous constatons d'ailleurs que les critiques-
modernesquilatranchent par raffirmative sont obliges de pren-
dre avec les documents et les vraisemblances, des libertes-
fort peu scientifiques.
Quoi qu'il en soit des vues particulieres des redacteurs
evangeliques, le contenu de leurs ecrits non seulement
souffre, mais suggere imperieusement une distinction tres-
nette entre le jugement de Dieu, promis a la generation pre-
sente et culminant dans la ruine de Jerusalem, et le Jugement-
final, qui constitue par excellence la Parousie du Fils de=
rhomme. Si done des indices positifs et concordants tire's de
ces monies textes et du reste de 1'Evangile, nous amenent a
postuler, entre les deux avenements, un laps de temps consi-
derable, pratiquement indefini, notre interpretation ne fera
aucune violence aux pieces que nous avons transcrites. Tout
au plus nous faudra-t-il resister a un premier mouvement r
1. Actes, i, Ib. Sur le sens precis de 1'expression, 1'explication de saint
Augustin, Epist. 197, 2, parait encore la meilleure : xP^ v s marque le v
temps lui-meme, le laps, les periodes d'annees ; xaipoj, les temps, propre-
ou impropre a certaines institutions humaines, qui reviennent periodi-
quement, telles que la moisson ou les vendanges. Voir E. Jacquier, Le&
Actes des Apdtres, Paris, 1926, p. 16.
Au don de lumiere sur le temps de 1' etablissement du Royaume ^
qui leur est refuse^ Jesus oppose le don de force, pour rendre temoignage
de leur foi, qui est accorde aux Apdtres.
304 jtisus CHRIST.
provoque* dans noire esprit moins par les paroles du Christ
que par la suite etla juxtaposition de certaines de ces paroles,
Ges remarques ne valent d'ailleurs que pour le grand dis-
cours apocalyptique, les autres predictions (groupes 1, 2,
3, 5) s'appKquant sans conteste au premier avenement de
Jesus.
Plusieurs de ceux qui cheminaient avec lui sur la piste
inenant a Cesare'e de Philippe, ne gouterent pas de la mort
.avant d'avoir vu la gloire du Fils de 1'homme, venant en puis-
sance . Non seulement, en effet, Pierre, Jacques et Jean
allaient assister a la Transfiguration, premices lumineuses de
la gloire future : ils furent encore les tdmoins du premier
triomphe de Je"sus. Tous participerent a 1'effusion spirituelle
de la Pentec6te. Un d'entre eux, avec d'autres disciples du
cercle apostolique, vit s'accomplir de son vivant, en y prenant
une part active, le drame inoui qui ruina, sans qu'il en de-
meurat pierre sur pierre, le Temple de lahve", et a Israel
disperse substitua, sous le signe du Fils de 1'homme, un peu*
pie nouveau, comble des dons merveilleux de 1'Esprit.
Gloire pour le Maltre, mais pour ses disciples persecutions.
Heureusement, celles-ci, pre*vues et predites, auront unterme
relativement prochain. Ils n'auront point acheve le tour
des cites d'Israe'l , avant 1'avenement du Fils de rhomme,.
mettant fin, une fois pour toutes, a ce qui pouvait rester de
cohe'sion visible, d'autonomie et de pouvoirs judiciaires chez
ses ennemis. Geux qui avaient abuse contre lui de ces pou-
voirs, le Sanhe'drin preside par Joseph Gaiphe et inspire par
Hanan, les sycophantes qui avaient crie' au blaspheme quand
Jesus s'etait dit Messie et Fils de Dieu, ces me'mes hommes
pris d'ensemble virent de leurs yeux, et subirent en coiipa-
bles, la rigueur du premier jugement. Ils virent Je"sus associe
-a la puissance, apparemment incommunicable, de lahve. Ils
le virent place par 1'adoration des fideles au-dessus des anges
et de la Loi, assis a la droite du Pere . Ils virent 1'edifice
spirituel de la communaute monte sur la pierre rejete'e par
eux, et contre laquelle leur orgueil charnel s'etait brise*.
Sur leur generation enfin retomba le sang verse par leurs
peres, depuis celui d'Abel le Juste jusqu'a celui de Zacha-
rie, fils de Barachie, immole entre le Temple etl'autel. En
JESUS PROPHETE. 305
verite le prix du sang innocent leur, a ete redemande, en quel
appareil de terreur et de justice !
Oui, tout cela qu'on veuille bien npfcer ces mots qui
sent dans saint Matthieu 1 est venu sur cette generation .
LE DISCOURS ESCHATOLOGTQUE
Dans le groupe de predictions qui restent a expliquer, il
convient de distinguer parmi les textes qui les rapprochent,
et a travers la similitude des images apocalyptiques qui leur
sont consacrees 2 , deux avenements du Christ. Des traits con-
siderables, caracteristiques, les opposent en effet nettement.
La premiere venue en puissance est annoncee par des
signes qui la rendent, en gros, previsible. Avant son de-
nouement, la fuite est possible, conseillee meme par le Sei-
gneur 3 . L'on veillera done; Ton se tiendra pr6t; malheur a
qui serait pris dans le remous des legions romaines, encerclant
la Ville divise*e centre elle-mSnae . et terrorisee par des ban-
dits! Deux series d'indices avant-coureurs sont enume'rees,
d'une faon concordante, par nos trois evangelistes 4 : com-
mencement des douleurs , seduction des faux prophetes et
des faux messies, persecutions dans lesquelles la puissance
de la Synagogue s'exerce encore, mentionnee a c6te des tri-
bunaux de la Gentilite. Puis, a Tissue de ces temps de de-
tresse , le trait qui resume et passe tous les autres : 1'abo-
mination de la desolation predite par Daniel le Prophete ;
c'est-a-dire le culte idolatrique installe, sous une forme visi-
ble, dansle Lieu saint, consommant et, pour ainsi dire, consa-
crant sa profanation 5 . Gette generation ne passera pas avant
que tout ceci n'arrive 6 .
Apres quoi, Jerusalem sera foulee aux pieds par les Na-
1. Mt., xxin, 36.
2. Voir ci-dessous, p. 457, la note F 2 : Cetle generation ne passera pas.
3. Eusebe, HE, III, 5, 3; saint Epiphane, Liber de Mensuris, 15, MG, XLM,
-col. 261 ; coll. de Haer., 29, 7.
4. Mt, xxiv, 4-12; 15-28; Me., xm, 5-13; 19-23; Lc., xxi, 8-19; 20-24.
5. Mt, xxiv, 15; Me., xnr, 14; Lc., xxi, 20, ou la desolation est trans-
mte pour des lecteurs pa'iens.
6. Mt., xxiv, 34; Me., xm, 30; Lc., xxi, 32. Sur ce texte, voir la note F 2 .
JESUS CHRIST. II. 20
306 JESUS CHRIST.
tions, jusqu'a I'accomplissement du temps des Nations 1 .
Temps indetermine, mais manifestement long, comme 1'oeuvre
m6me qui doit s'y accomplir : et cet evangile du Royaume
sera pre'che dans tout 1'univ.ers en temoignage a toutes les
nations, et alors viendra la fin 2 . Et il faut premierement
que dans toutes les nations 1'Evangile soit pre'che 3 . Or la
predication du Royaume de Dieu sur terre ne s'accomplira pas
soudainement, a la maniere d'un coup de theatre. Elle sera,
nous 1'avons vu, lente, laborieuse, progressive, son allure
etant calculee sur celle des instruments humains qu'elle em-
ploiera. On la compare a la croissance d'un arbre, a la con-
tagion d'un levain. On nous montre un champ, ou 1'ivraie s'in-
troduit, croit avec des fortunes diverses, pe'le-me'le avec le
froment, jusqu'au temps de la moisson; une pe"che, ou la dra-
gue infatigable ramene tout, bons et mauvais poissons, jus-
qu'au soir ou s'opere le tri de la prise de la journee 4 .
Gombien different 1'avenement final! Precede, lui aussi, par
une crise decrite dans le style apocalyptique le plus fort 5 , il
sera foudroyant, et absolument general. L'autre permettait
une fuite in extremis, ce qui suppose une realisation succes-
sive dans le temps, et partielle dans 1'espace. Au dela du
centre du cyclone, on entrevoit des zones maniables; loin de
Jerusalem et de ses environs, il existe des lieux d'abri, des t>
refuges ou le fleau ne parviendra pas. La parousie finale, elle r
est universelle, absolument soudaine : comme un coup de
foudre 6 . II serait done vain de chercher a le fuir. G'est un.
filet qui s'abat 7 . Et, de la premiere aussi, on aurait pu l&
1. Lc., xxr, 246; Zacharie, xn, 3 (LXX); Isai'e, LXIJI, 18; Psaume LXXIX
(Vulg. LXXVIII), 1 ; Daniel, vm, 13.
2. Mt. ; xxiv, 14.
3. Me., XIH, 10.
4. Mt., XIH, 24 suiv. ; 36 suiv. ; 47 suiv.
5. Mt., xxiv, 29-31 ; Me., xin, 24-27; Lc., xxr, 25-28.
6. "Qanep Y) afftpanTJ. Mt., XXIV, 27 ; Lc., XVII, 24.
Tons deux citent aussi le dicton :
Ou que soit le corps,
la s'assembleront les aigles ,
pour marquer la force imp6rieuse, ineluctable comme un instinct, qui
reunira les homines devant le tribunal du Fils de 1'homme.
7. Lc., xxi, 35.
JESUS PROPHETE. 307
dire; mais tandis qu'alors 1'epervier ne retenait dans ses
mailles que la Cite sainte et la vaste population qui s'y etait
entassee, le coup de filet s'etendra, cette fois, a tous ceux
qui sont assis sur la face de la terre . On ne pourra pas
plus 1'eviter que les contemporains de Noe ne purent se
soustraire au deluge. II s'agira done, non d'echapper au filet
divin, mais d'etre tel qu'on soit juge de bonne prise pour le
Royaume, et digne de se tenir debout devant le Fils de
1'homme 1 .
Gelui-ci apparaitra, en effet, dans son appareil de Juge
supreme, et toutes les nations seront reunies en face de
lui, et il les separera les unes des autres, comme le berger
separe les brebis des boucs 2 .
L'heure et le jour , indetermines pour le premier ave-
nement, mais certainement compris dans les limites, relative-
ment breves, d'une generation d'hommes, sont, pour le second,
totalement imprevisibles. G'est le grand mystere :
Quant a ce jour-la et a 1'heure
nul ne les connait :
ni les anges des cieux, ni le Fils .
hormis le Pere seul 3 .
Tout indique pourtant qu'ils se feront attendre : et le
temps des nations suffisant a I'evangelisation universelle ;
et les paraboles de vigilance, qui s'accordent a decrire comme
tardif le retour du Maitre et de 1'Epoux 4 ; et la gravite" me 1 me
de la formule employee par Jesus. Expliquer ces paroles,
comme le font les eschatologistes , du jour precis, de
1'heure exacte d'un avenement par ailleurs tres proche, c'est
donner a cette declaration solennelle un sens etrique, misera-
blement e"troit. Des critiques fort radicaux, comme H. J.
Holtzmann, 1'ont bien senti, et ce verset leur est suspect
pour cette raison. Mais qui Peut invente?
L'Evangile entier apporte, a cette interpretation qui leve
1. Lc., xxi, 346-36.
2. Mt., xxv, 32.
3. Mt., xxiv, 36; Me., xnr, 32.
4. Mt., xxiv, 45-51 : xpvtei H-" 6 xupto?, 486; xxv, 1-13 : x.povt'ovcos 81 TOU
vu[icptou, 5a; xxv, 14-19 : (J-eTa 8s ^oXuv ^pdvov Ip^eTat 6 xiiptos, 19a; Lc., xn,
45.
308 JESUS CHRIST.
toute difficulte de fond 1 , un appoint decisif. L'opinion de ceux
qui nous representent Jesus domine par la preoccupation de
la crise finale, determinement predite par lui comme immi-
nente et succe"dant sans transition appreciable a la ruine de
Jerusalem, n'est pas seulement indefendable en regard de
1'ignorance professee par le Maitre touchant le jour et 1'heure
de sa Parousie. Elle ne devient plausible que si Ton arrache,
au prealable, les trois quarts des pages evangeliques. La vie
intime que celles-ci nous revelent est au p61e oppose de
1'attente fievreuse pre'tee a Jesus par nos adversaires. Est-il
rien de plus oppose" que cette limpidite d'ame, cette maitrise
de soi, cette condescendante et clairvoyante bonte, a 1'ardeur
sombre d'un visionnaire hante par 1'approche d'un cataclysme
universel? Est-il rien de pueril comme de borner a ce mur de
flammes 1'horizon sans limites du Fils de 1'homme? Et puis,
quelle apparence de faire tenir 1'oeuvre predite, ebauchee,
eommencee, dans les quelques annees que pouvait se pr,o-
mettre un monde agonisant? Loin d'etre un interim, un regle-
ment de ville assiegee, la morale evangelique envisage la
reforme durable de toute I'institution humaine, de la base
au faite, et dans les conditions precaires et combattues d'ici-
bas 2 . Comme ses fondations, les promesses du Christ embras-
sent un avenir indefini, qu'elles engagent et dont elles repon-
dent. Gonstruit-on une cite sur un sol qui tremble? l^gifere-
t-on a la veille d'une revolution instante et sans lendemain?
La grande faiblesse de 1'hypothese eschatologique, c'est
1'etroitesse de son point de depart. Laborieux dechiffreurs
d'apocalypses juives, des erudits retrouvent dans les prophe-
ties de Jesus sur la fin des choses, quelques-unes des formules
de ces vieux livres, et le reflet distinct d'images, d'ailleurs
consacrees en cette matiere. Us connaissent d'autre part, et
sont pr6ts a majorer les incertitudes, les esperances, Tattente
inquiete de beaucoup des premiers Chretiens, escomptant le
retour prochain du Fils de Fhomme, venant sur les nuees du
ciel 3 . Aheurtes a ces traits, reels certes, et significatifs, mais
concourant avec beaucoup d'autres, encore plus considerables,
1. Sur le probleme Iitt6raire, voir la note F 2 , infra, p. 457.
2. Voir ci-dessus, tome I, livre III, ch. 11, p. 380 suiv.
3. Ci-dessus, t. II, p. 293, 302.
JESUS PROPHETE. 309
a former un ensemble oil tout s'explique et se tient, nos
critiques shnplificateurs oublient le reste, ou, ce qui est pire,
interpretent par la le reste. Nous avons vu plus haut un Leon
Tolstoi', enivre des divins paradoxes du Discours sur la mon-
tagne, les presser comme des textes legislatifs, jusqu'a en
tirer un evangile de 1'anarchie, sublime et irreel. Semblable-
ment, Schweitzer et ses emules ne veulent voir en Jesus que
le prophete des Jugements de Dieu, preparant a une fin ine-
vitable et imminente une terre condamnee...
Le Christ veritable est plus grand; son enseignement,
combien plus riche ! Nul n'a le droit de mutiler 1'Evangile en
choisissant au noin de ses preferences ou competences per-
sonnelles, une serie de textes auxquels les autres devraient,
bon gre mal gre, se reduire. Encore moins peut-on pretexter
de I'incompatibilite, dans 1'ame de Jesus, d'une suavite ravis-
sante et d'une abnegation farouche. Moins superficielle, la
psychologie nous apprend que des traits de caractere qui
s'excluent chez les malingres, s'allient et s'exaltent mutuel-
lement chez un heros. Des ardeurs de passion dont une seule
devorerait nos vies mediocres, brulent ensemble un grand
coeur sans le consumer.
Pour denoncer le neant de ce qui doit passer, pour empe-
cher ses disciples de succomber au scandale de la croix,
la sienne et la leur, pour remettre a 1'echelle des biens et
des maux eternels nos miseres et nos vanites, le Maitre a
evoque, toutes proches et a portde de la main, selon 1'esprit
et 1'usage des apocalypses, I'efficace des interventions divines
et la terreur des jugements a venir. Ges images, si prenantes
alors, et si impressionnantes pour les hommes de tous les
temps, il les a deployees en prophete, dans une perspective
intemporelle ou mille ans sont comme un jour ; de m^me
qu'il s'etait jadis servi, en poete, centre le souci absorbant
du confort, des comparaisons idylliques empruntees au prin-
temps de Galilee. L'Apocalypse synoptique rejoint le Discours
sur la montagne : ni celui-ci ne condamne la vie humaine, ni
celle-la ne contredit ses conditions normales, mais toutes deux
denoncent 1'erreur et le contresens dangereux, que commet-
tent trop d'hommes sur le sens et la valeur de cette vie. Elle
a son prix, et infiniment plus grand que ces esprits grossiers
310 JESUS CHHIST.
ne Timaginent, mais settlement si elle s'oriente a la vie
eternelle. La tirer de cette perspective, la soustraire a Dieu,
c'est la perdre, Pengager dans une impasse, Pacheminer vers
cette tenebre exte"rieure ou sera le pleur et le grincement
des dents , ou le ver ne ineurt pas, ou le feu ne s'eteint
pas 1 . Entendues comme il faut, les paraboles de vigilance
et les visions d'epouvante repetent, sur le ton qui convient aux
transes et aux surprises des heures supremes de la vie
humaine et du monde humain, la lecon que suggerait la
simple beaute des lis des champs et des oiseaux du ciel :
Gherchez avant tout le Royaume de Dieu et sa justice.
Elles nous revelent en outre le sens vrai de la mission du
Fils de Thomme et la dignite souveraine de sa personne. Et
c'est, a ce propos, d'un triple avenement qu'il conviendrait
de parler. Le premier, destine au cercle intime des disciples,
consiste dans la resurrection dont la conviction, fomente'e par
1'action illuminatrice de PEsprit de Dieu, exalta en eux, d'une
fagon definitive, leur Maitre, et Passit a la droite du Pere. La
grande tribulation de Jerusalem, et la predication victorieuse
chez les Gentils, glorifia Jesus devant la generation entiere,
amis et ennemis. Elle ouvrit du meme coup les temps des
nations et annonca, dans une repetition formidable, Pave-
nement qui consommera le siecle present en imperant
d'autorite a tous, sans distinction de croyants ou d'incroyants,
la glorieuse judicature du Fils de Phomme.
G'est en ce sens que le disciple aime entre tous, au lende-
main du premier avenement et instruit par Penseignement,
longuement medite, de celui dont il avait contemple la
gloire 2 , interpretait deja, dans son temoignage solennel
et autorise, la predication de Jesus. Dans son evangile spi-
rituel, Jean met en puissant relief ce qui, derriere les
images apocalyptiques (qu'il connait et qu'il emploie), consti-
tuait le fonds religieux des propheties eschatologiques. Pour
lui, le jugement du Fils a deja commence de s'exercer : le
Fils, pas plus que le Pere, ne cesse son travail divin 3 .
La predication de Jesus est en effet, pour chaque homme
1. Mt., vnr, 126; Me., ix, 48; Isai'e, LXVI, 24.
2. Jo., i, 14.
3. Jo., v, 17.
JESUS PROPHETS. 311
venant au monde, 1'occasion du choix decisif : mis en contact
avec elle, chacun se juge soi-meme et, selon la qualite de
ses oeuvres, vient a la lumiere ou se perd dans les tenebres.
La sentence finale qui, au dernier jour, dans 1'eclat d'un appa-
reil inoui, separera le troupeau humain en groupes irreduc-
tibles, cette me'me sentence se prononce deja dans le secret
du choix humain, semence de vie eternelle pour les uns,
germe de mort pour les autres 1 . Gette option n'est pas le
fruit d'un instinct spontane, aveugle, irreflechi : dans
chaque elu capable de Tentendre, 1'appel du Pere se con-
somme par un libre choix. Le temoignage des oeuvres, mer-
veilles de saintete ou de puissance, le temoignage de 1'Es-
prit, 1'exaltation du Fils de l'homme mort et ressuscite :
autant de motifs de bien choisir, et qui rendent inexcusable
celui qui choisit mal. Mise en demeure de se prononcer, la
generation contemporaine de Jesus, dans la masse de ses
representants officiels, a fait son choix, qui est mauvais. Elle
n'a pas ete attiree par le Pere. Elle a prefere des intere'ts
humains a la gloire de Dieu. Laissez-les faire, ils sont deja
condamnes : sans doute le salut vient des Juifs ; en posant
sa tente sur la terre d'Israel, le Verbe incarne est venu
chez les siens . Mais 1'heure arrive que toutes les barrieres
charnelles s'abaisseront devant les adorateurs en esprit et en
verite; 1'heure est venue a laquelle Dieu se choisit, aux lieu
et place de ceux qui se sont endurcis, des iils d'adoption,
aussi nombreux que ceux qui ont rec.u le temoignage du Fils
unique . L'evenement premier est ici montre dans ses resul-
tats definitifs, acquis, lorsque Jean ecrivait, au soir de la
generation primitive. L'adoption par toute 1'Eglise chretienne
de 1'evangile johannique et de 1'interpretation qu'il donne sur
ce point, tout en jetant un jour singulier sur 1'etat d'esprit
des croyants a cette epoque, n'elude pas pour autant les
paroles prophetiques rapportees par les Synoptiques. En
approfondissant le cdte interieur et spirituel des predictions,
Jean n'abolit pas les autres, et 1'influence des graves aver-
tissements du Maitre n'a pas cesse de s'exercer.
1. Jo., v, 21 suiv.
312 JESUS CHRIST.
Les me'mes devoirs de vigilance continuent de s'imposer
dans 1'attente de la venue du Fils de I'homme de celle qui
consommera sa gloire et le jugement du monde. L'accom-
plissement eclatant des predictions concernant la ruine et la
dispersion d'Israel, est un garant de la verite des autres. La
realite du don prophetique de Jesus reste done, en tout ce
qu'on peut verifier, au-dessus de toute contestation fondee.
Alors Jesus Christ vient dire aux hommes qu'ils n'ont point
d'autres ennemis qu'eux-m&mes, que ce sont leurs passions qui
les separent de Dieu, qu'il vient pour les detruire et pour leur
donner sa grace, afin de faire d'eux tous une Eglise sainte, qu'il
vient ramener dans cette Eglise les pa'iens et les Juifs, qu'il vient
detruire les idoles des uns et la superstition des autres. A cela
s'opposent tous les hommes... Tout ce qu'il y a de plus grand sur
la terre s'unit : les savants, les sages, les rois. Les uns ecrivent,
les autres condamnent, les autres tuent. Et nonobstant toutes ces
oppositions, ces gens simples etsans force resistent a toutes ces
puissances et se soumettent meme ces rois, ces savants, ces sages,
et 6 tent 1'idolatrie de toute la terre. E$ tout cela se fait par Id
force qui I' avail predit *.
1. Pascal, Pensees t sect. XII, ed. Brimschvicg. vnaior, 111, D. 225.
CHAPITRE III
LES MIRACLES DE JESUS
Avant de s'en servir pour autoriser un prophete ou une
doctrine, on doit naturellement s'assurer que les faits alle-
gues comme miraculeux sont constants. Toute 1'Angleterre
entendit parler, il y a un demi-siecle, de prodiges accomplis
dans les loges occultistes qui professent, sous le nom de
Nouvelle Thdosophie, un pantheisme emanatiste assez eclec-
tique, emprunte surtout aux religions de PInde. Au recit des
merveilles dont le sanctuaire d'Adyar, pres de Benares, etait
le theatre, la Sociiti de Recherches psychiques de Londres r
s'emut. Elle delegua sur place une commission composee
d'observateurs rompus a ce genre d'enque"tes; un rapport
detaille fut ensuite redige par M. R. Hodgson 1 . On peut le
lire dans le Gompte rendu de la Societe : il conclut a 1'inanite
pure et simple des faits pretendus.
Me'me a le supposer reel, un miracle ne couvre pas d'ail-
leurs indistinctement tout ce que croit ou pratique celui qui
en est 1'instrument : le temoignage divin est toujours verita-
ble, mais confirme exclusivement le point a Fappui duquel il
est apporte 2 . G'est en ce sens que les theologiens catholiques-
interpretent les favours merveilleuses accordees par Dieu.
hors de la veritable Eglise, et jusque dans le monde pai'en 3 .
1. Proceedings of the Society for psychical Research, London, d6cein-
bre 1884: Report on Phaenomena connected with Theosophy, p. 200-401..
Sur la Nouvelle Theosophie, 1'expose, court et modeste, de M. S. G. Lane'
Pox-Pitt, Theosophy (Oriental) dans la derniere edition de V Encyclopedia
liritannica ia , XXVI, p. 789 suiv., donne Tessentiel. En francais, on peut
consulter Rene Guenon, Le Thdosophisme, Paris, 1921 ; Th. Mainage, Les:
Pr,ncipes de la Theosophie, Paris, 1922.
2. Miracula semper sunt vera testimonia eius ad quod inducuntur r
saint Thomas, Summa Theologica, 11 H ae , qu. CLXXVJII, art. 2, ad 3 lum .
3. La-dessus, saint Augustin, De diversis Quaestion. LXXXI1I, qu. LXXJX,
313
314 JESUS CHRIST.
G'est ainsi que ceux qui admettent la materialite des gueri-
sons operees naguere par lepope Jean Serguief, aumoyen de
1'eucharistie, n'en concluent nullement a la canonisation de
1'orthodoxie russe professee par le Pere Jean de Cron-
stadt 1 .
II arrive enfin qu'on doive re"cuser, comme indignes de
Dieu, des prodiges solidement attestes et lies manifestement
au mouvement religieux qu'ils vont a autoriser. Par exemple-,
les nierveilles dont se prevalurent les convulsionnaires janse"-
histes a partir de 1730 environ, se produisaient dans une
atmosphere malsaine, et s'accompagnaient de circonstances
deraisonnables et indecentes 2 qui suffisaient a les disqua-
lifier.
D'un signe divin vraiment lisible, echappant a toutes ces
fins de non-recevoir, la Bible nous offre un exemple excellent
au premier livre des Rois :
Et Elie dit : Par la vie de lahve dont je suis le serviteur,
aujourd'hui en ve'rite je me pre'senterai a lui ! (Achab).
Et Abdias alia trouver Achab et lui annon<ja la chose, et- Achab
alia au-devantd' Elie. Et quand Achab vit Elie, Achab lui dit :
Te voila donc^ 6 destructeur d'Israel ! II dit : Ce n'est pas moi
qui ai detruit Israel, mais toi et ta famille en abandonnant les
preceptes de lahve et en suivant les Baal. Mais maintenant fais-
rnoi amener tout Israel au Mont Carmel avec les quatre cent cin-
quante prophetes de Baal (et les quatre cents prophetes d'Achera)
convives de Jezabel ! Et Achab envoya des gens parmi tous
les Israelites rassembler les prophetes et les amener au Mont
Carmel.
EtElie s'approcha de tout le peuple et dit : Jusques a quand
boiterez-vous sur deux opinions (bequilles ? jarrets ?) ; si c'est
lahve qui est le (vrai) Dieu, suivez-le ! Et si c'est Baal, suivez le !
n. 4; ML, XL, col. 92; saint Thomas, De Potentia, qu. vi, art. 5, ad 5 et
parall. ; et tous les traites s6rieux de theologie. J'ai repris la question
dans le Sadhu Sundar Singh et le Probleme de la Saintete hors de I'Eglise,
RSfi, XII, 1922, p. 17-29.
1. Sur le Pere Jean de Cronstadt , et ses miracles, qui restent fort
contestes, voir A. Staerck, dans la Preface de Ma Vie en Dieu, du Pere Jean,
Paris s. d. (1905); UAmi du Clerge de 1900, p. 117-122; J. Poricky dans
Slavorum Litlerae Theologicae, Prague, III, 1907, p. 69 suiv. ; les Echos
d'Orient de 1906, p. 44 suiv., A. Retel; de 1913, p. 57-60, M. Jugie.
2. Voir le memoire de M* r G. Waffelaert, Convulsionnaires, dans
DAFC, I, col. 705-713.
LES MIRACLES DE JESUS. 315
Et ils ne lui re"pondirent rien. Et Elie dit au peuple : Je suis
rest6 seul prophete de Iahve\ et les prophetes de Baal sont quatre
cent cinquante. Qu'on nous donne deux taureaux, et qu'ils en
choisissent un pour eux, qu'ils le depecent et qu'ils le mettent sur
le bucher; mais ils ne doivent pas allumer de feu. Et moi j'ap-
preterail'autre taureau et jele mettrai sur le bucher, maisje n'allu-
merai pas de feu. Et vous invoquerez le nom de votre Dieu et moi
j'invoquerai le nom de lahve", et c'est le dieu qui repondra par le
feu qui sera le (vrai) Dieu.
Et tout le peuple repondit : La chose est bonne.
Et Elie dit aux prophetes de Baal : Choisissez-vous un taureau
et appretez-le les premiers, puisque vous etes les plus nombreux,
et invoquez le nom de votre dieu; mais vous n'allumerez pas de
feu. Et ils prirent le taureau qu'on leur avait donne, et ils 1'ap-
preterent, et ils invoque^ent le nom de Baal depuis le matin
jusqu'a midi, disant : Baal! exauce-nous! Mais on n'enten-
dait pas de voix et personne ne r6pondait; et ils se mirent a danser
pres de 1'autel qu'ils avaient eleve. Et a midi Elie se prit a les
railler et dit : Appelez plus fort, car c'est un dieu ! II est occupe
(ouil est parti) ou il est en voyage; il dort peut-6tre, il faut le
reVeiller! Et ils appelerent plus fort, et il se tailladerent
selon leur coutume avec des epees et des lances, jusqu'a ce que le
sang se repandit sur cux, et, midi passe, ils prophetiserent jusqu'a
1' oblation du soir ; mais on n'entendait pas de voix, personne ne
repondait, personne ne pretaitl'oreille.
Et Elie dit a tout le peuple : Approchez-vous de moi ! Et tout
le peuple s'approcha de lui. Et il re"para 1'autel de Iahv6 qu'on
avait renverse. Et Elie prit douze pierres, conformement au nom-
bre des fils de Jacob a qui Iahv4 avait dit : Israel sera ton nom.
Et il disposa les douze pierres en autel au nom de Iahv6, et il
fit un canal pouvant contenir a peu pres deux sea (mesures) de
semence, tout autour de 1'autel. Et il disposa le bucher, et il depega
le taureau et le mit sur le bucher. Et il dit : Remplissez quatre
outres d'eau et versez-les sur 1'holocauste et sur le bucher (et ils
firent ainsi), etildit : Faites-le une seconde fois , etilsle fircnt
une seconde fois, et il dit : Faites-lc une troisieme fois , et ils le
firent une troisieme fois. Et les eaux vinrenttout autou-r de 1'autel,
et il remplit aussi le canal d'eau.
Et au moment de Toffrande du soir, Elie le prophete s'approcha
etdit: lahve, Dieu d' Abraham, d'Isaac etd'Israel, qu'il soit mani-
festo aujourd'hui que tu es Dieu en Israel, et que je suis ton ser-
viteur, et que sur ta parole j'ai fait tout cela. Exauce-moi, lahve,
cxauee-moi, pour que ce peuple sache que toi, lahve, tu es le
(vrai) Dieu, et que tu as ramene leur cceur. Et le feu de lahve
tomba et deVora 1'holocauste et le bucher (et les pierres et la terre),
et lecha 1'eau du canal. Et tout le peuple le vit et se prosterna face
316 JESUS CHRIST.
centre terre ; et ils dirent : C'est lahve* qui est le vrai Dieu) * I
Un miracle parfaitement atteste permet,.fut-ii unique, une
interpretation certaine. Toutefois, il n'est personne qui ne
sente combien le cas devient meilleur si, la base historique
s'elargissant, on n'a plus affaire a un phenomena isole, mais
a tout un groupe de faits pr&tant a des constatations multi-
ples, donnant lieu a des temoignages dont les differences de
notation rehaussent 1'accord substantiel. Du coup 1'interpre-
tation devient infiniment plus rassurante : elle rentre dans le
genre des certitudes sur lesquelles nous vivons. C'est en
effet des conclusions de cette sorte, fruits d'inductions multi-
ples, qui fondent le commerce d'amitie et le commerce tout
court, 1'entente familiale, la paix sociale. Les choix les plus
considerables de notre vie sont eclaires par une foule d'indices
concordants, plus ou moins confuse'ment percus. Newman dit
la-dessus, dans sa Grammaire de V Assentiment : C'est par
la force, la variete, la multiplicity de premisses seulement
probables, non par d'invincibles syllogismes ; par le fait de
voir Jes objections surmontees, les theories adverses neutra-
lisees, les difficultes s'evanouissant graduellement, les excep-
tions pro uvant la regie, des relations imprevues se decouvrant
avec les verites de"ja acquises; par 1'arr^t dans la marche et
le delai s'achevant en avances triomphales ; c'est par toutes
ces voies, et bien d'autres, qu'un esprit forme et experimente
arrive a une sure divination de la conclusion. Conclusion
inevitable, encore que des raisonnements lineaires ne la
mettent pas actuellement en possession de 1'esprit. C'est ce
qu'on entend quand on parle d'une proposition aussi certaine
que si elle etait prouvee, d'une conclusion aussi indeniable
que si elle &tait demontree*.
1. I (III) Regum, XVIH, 5-39. Traductiondu P. Joseph Neyrand. On peut.
voir dans H. Pinard de la Boullaye, L'Etude compare des Religions, II,
Paris, 1925, p. 81-82, la discussion des explications naturelles du fait
propos6es par certains erudits.
2. An Essay in aid of a Grammar of Assent, 1859; 6d. Longmans
de 1892, p. 321. On peut voir, tres bien expose 1 e par S. Harent, la diffe-
rence entre cette doctrine et la proposition 25 du d6cret Lamentabili, sur
1' accumulation des probability's ; Foi dans JDTC, VI, 1, col. 194-200.
Voir aussi le m6moire de H. Pinard de la Boullaye, La demonstration
LES MIRACLES DE JESUS. 317
Mieux encore qu'a celle d'evenements quelconques, ces
vues subtiles et profondes s'appliquent a 1'interpretation des
signes miraculeux. Gombien devient-elle plus assure e quand
c'est la mSme personne, au service et dans i'exercice de la
meme mission, qui se presente aureolee d'un pouvoir surhu-
main habituel ! Chaque element de ce vaste ensemble pretant
a une estime reflechie, on arrive a discerner avec certitude
1'orientation du tout, a en apprecier la dignite morale et la
valeur religieuse. II arrive ainsi que certains details obscurs,
difficiles a expliquer si on les prend a part, se fondent dans
1'harmonie generate comme des dissonances dans une sym-
phonie. Noscuntur e sociis.
Ge cas privilegie est celui que nous presente 1'histoire evan-
gelique.
1. - Le Miraculeux dans l'6vangile.
La plus superficielle lecture convainc que les miracles ap-
partiennent a la substance de 1'Evangile.
Des faits de ce genre occupent en effet, dans nos quatra
recits, une place, meme materielle, considerable. On n'y a pas
releve moins de quarante et un miracles, ou groupes de mira-
cles,' distincts, desquels vingt-quatre figurent dans saint Mat-
tbieu, vingt-deux dans saint Marc, vingt-quatre dans saint Luc,
neuf dans saint Jean *. Dix-sept seulement sont particuliers a
un livre : six sont relates par deux evangelistes, seize par
trois, quelques-uns par les quatre. Si nous passons du nombre
au genre des miracles, nous verrons que la triple, la quadruple
narration contient des miracles de toute sorte ; non seulement
des guerisons et des exorcismes, mais des resurrections de
morts, la premiere multiplication des pains, des p4ches mira-
cnleuses, etc.
Gette distribution n'est pas celle qu'on attendrait d'une
interpolation. Dans cette bypothese, le merveilleux devrait
par convergence d'indices probables, en appendice i L'Etude comparee des
Religions, II, 1925, p. 381-424.
1. Je suis la liste dressee tres soigneusement par T. H. Wright, dans
DCG, II, p. 189. Dans cette liste ne figurent que les miracles op6res par
Jesus en personne.
3i8 JESUS CHRIST.
remplir les parties les moins attestees de 1'histoire e"van-
gelique, introduit la tardivement, moyennant des gloses, des
traditions pariiculieres accueillies par Tun ou 1'autre des
narrateurs. On ne trouverait dans le double et, a plus forte
raison, le triple, le quadruple recit, que ies miracles plus aise-
ment explicables : guerisons de paralytiques, expulsions de
demons, etc. Ges previsions sont celles m4mes qui guident
nos adversaires dans l'e"tude presente. Mais les faits dejouent
ces calculs aprioristiques : au lieu d'alfleurer ga et la, blocs
erratiques deposes par une coulee recente a la surface des
recits, les prodiges les plus inoui's, les plus naturellement
impossibles, saturent egalement la double, la triple synopse.
Aussi haut qu'on puisse remonter, par conjecture, dans les
traditions orales sous-jacentes aux narrations, on les trouv
tout comnie ils figurent dans les lettres de Paul et ces frag-
ments des Actes des Ap6tr:es ecrits a la premiere personne,
ou tous les critiques reconnaissent les feuilles d'un journal
redige par un temoin oculaire. Les distinctions rationalistes j
entre miracles et miracles n'ont pas de fondement dans les
textes J .
Plus toutefois que la place mate'rielle qu'ils occupent, c'est
le r61e attribue aux prodiges qui ne permet pas de les evincer.
Ils sont supposes en effet par les particularity's les plus frap- >
pantes, les circonstances les moins attendues, de nos evangiles.
Les eliminer equivaut, pour de longs chapitres, non pas a
laisser uncanevas depouille, maisa dechirer ce eanevasme'me..
Les miracles sont intimement lies, d'abord, a la foi des dis-
ciples en leur Maitre. Le refrain johannique : Tel fut le-
debut des signes de Jesus a Gana de Galilee, et il manifesta
sa gloire, et ses disciples crurent en lui 2 , fait echo auxim- ^
pressionsnotees par les Synoptiques. Apres la tempe"te apaisee,.
et ils eurent grand'peur, et ils se disaient entre eux : Qui
done estcelui-ci, quele vent meme et lamer luiobeissent 3 ?
Geux qui etaient dans la barque Fadorerent en disant : Vrai-
ment, tu es fils de Dieu 4 !
1. W. Sanday, Jesus Christ, dans DBH, II, p. 624-626.
2. Jo., n, 11 ; voir Jo., in, 2 ; VH, 31 ; XH, 9-11, etc.
3. Me., iv, 41.
4. Mt., xiv, 33.
LES MIRACLES DE JESUS. 319*
L'emotion des foules et 1'envie haineuse des adversaires ne
sont pas moins nettement rattachees aux miracles. II faudrait
ici transcrire vingt textes. En voici quelques-uns : *^
Quand la foule cut ete conge"diee, Jesus entra et prit la main (de
la petite morte), et la fillette se leva. Et le bruit s'en repandit dans
tout le pays 4 .
Au soleil couchant, tous ceux qui avaient des infirmes atteints
de differentes maladies, les lui amenaient, ct lui, imposant les-
mains a chacun, les guerit... Or, au lever du jour, il sortit, allant
dans un lieu desert, mais les foules le recherchaient et 1'atteigni-
rent, et le retinrent pour qu'il ne les quittat pas 2 .
Alors quelques-uns des scribes et des Pharisiens 1'entreprirent
en disant : Maltre, nous voulons voirun signe accompli par toi 3 .
En ce temps-la, Herode le tetrarque oui't parler de la renommee
de Jesus et dit a ses gens : C'est Jean Baptiste! C'est lui qui est
ressuscite des morts, et par ainsi des puissances miraculeuses ope-
rent en lui 4 .
Les princes des pretres et les Pharisiens reunirent done le Con-
seil, et:ils disaient : Qu-'allons-nous faire? Get homme accom-
plit beaucoup de miracles. Si nous le laissons faire ainsi, tous-
croiront en lui 5 .
Toute 1'activite du Maitre : son enseignement, ses contro-
verses, les missions qu'il donne, supposent larealite des signes
merveilleux, et souvent n'ont de sens que par eux. Telle la
discussion a propos d'un homme gueri le jour du sabbat 6 : la
guerison est hors de cause, c'est le jour choisi qu'on incrimine.
Ailleurs, les ap6fyres sont investis eux-memes de la puissance
de guerir 7 . La foule rassasiee par miracle ne songe qu'a ma-
gnifier le thaumaturge et Jesus doit la rappeler a des peiisees
plus spirituelles 8 .
La puissance thaumaturgique du Seigneur est, nous aliens
le voir, une partie integrante de la tradition la plus ancienne :
1. Mt, ix, 26 j voir Mt, iv, 23-24; xn, 22-23; xv, 30-31.
2. Lc., iv, 40, 42.
3. Mt., xn, 38.
4. Mt., xiv, 1, 2.
5. Jo., xi, 47, 48.
6. Lc., vi, 7 suiv.
7. Mt., x, 1-8 etparall.
8. Jo., vi, 26 suiv.
320 JESUS CHRIST.
elle est encore au point de depart de 1'expansion chretienne,
constituent son originalite la plus caracteristique. La mission
du christianisme primitif se distinguait de la mission juive et
de la propaganda de vulgarisation philosophique en ce qu'elle
titait etroitement liee au miracle i . Paul est des premiers a
s'en prevaloir, soit qu'il oppose aux propagandes qui s'accom-
plissent seulement en paroles , 1'Evangile qui agit aussi
en puissance 2 ; soit qu'il rappelle aux Remains sa propre
activite apostolique en parole et en oeuvre, en puissance
prouvee par signes et miracles, en puissance de 1'Esprit
de Dieu , attestee par les dons spirituels 3 ; soit enfin qu'il
declare aux Gorinthiens que, comparee a celle des apotres
par excellence , sa carriere n'a pas ete moins riche que la
leur, en patience, en signes, en miracles, en puissance * .
En tout ceei, Paul est un temoin de la pratique missionnaire
du christianisme primitif, ajoute le theologien nor vegien Anton
Fridrichsen. Des le debut, 1'Evangile se presentait au milieu
de prodiges eclatants... II faut serendre attentif a ce fait que
1'element miraculeux. . . se trouve deja a 1'origine de 1'Eglise.
Et pour expliquer tous ces faits, il ne faut pas oublier un
point essentiel : le souvenir tres vivant des miracles de Jesus.
Les disciples et serviteurs apres lui ne faisaient que les con-
tinuer en son nom 5 .
1. Anton Fridrichsen, Le Probleme du Miracle dans le Christianisme
jprimitif, (Oslo et) Strasbourg, 1925, p. 34.
2. IThess., i, 5.
3. Rom., xv, 19.
4. II Cor., xn, 11.
5. A. Fridrichsen, Le Probleme du Miracle, p. 35 suiv. Voir par exemple,
TVIc., xvi, 17; Hebr., 11, 4, ou il est ecrit magnifiquement : Si la parole
{de la Loi) dite par les anges a ete ratifies (par Dieu), chaque transgres-
sion, chaque desob6issance recevant sa juste retribution, comment fuirons-
nous (la vengeance divine) si nous negligeons un tel salut, ayant son
origine dans les paroles du Seigneur, son etablissement en nous par
ceux qui ont entendu ces paroles, et sa confirmation dans le temoignage
de Dieu : signes, miracles, ceuvres diverses de puissance, dons du
Saint-Esprit distribues selon sa volont6? Sur le texte, B. F. Westcott,
The Epistle to the Hebrews 3 , 1920, p. 37-41. On voit assez que la presence,
dans la communaute primitive, du miraculeux sous son double aspect :
03uvres de puissance et dons spirituels, est presentee ici comme ordinaire,
et ne souffrant pas de contestation. 11 n'est pas, observe Fridrichsen,
LBS MIIUCLBS DE JB8US. 321
G'est ce que nous rappelle, des le de"but, le livre des Actes :
le jour mme de la Pentec6te, Pierre en appelle aux ceuvres
de puissance acoomplies par le Maitre, et il les presente
.comme un fait de notoriete publique :
Hommes d'lsrael! 6coutez ces paroles. Je*sus de Nazareth,
'homme accredite de Dieu aupres de vous par des miracles, des pro-
diges et des signes que Dieu a faits par lui au milieu de vous,
comme vous le voyez vous>m6mes * . . .
Me"me rappel en presence du centurion Cornelius et de sa
maison, a Cesaree de la mer :
Vous savez ce qui s'est passe dans toute la Judee... Jesus de
Nazareth, comment Dieu repandit sur lui Vonction d' Esprit Saint
et de puissance, et qu'il a passe (parmi nous) faisant le bien et
guerissant toUs ceux que le diable tenait en son pouvoir; car Dieu
ctait avec lui. Et nous, nous sommes temoins de tout ce qu'il a
iiait etdans la region des Juifs et a Jerusalem 2 .
La premiere finale du quatrieme evangile observe que Jesus,
.en dehors des signes retenus, pour diverses raisons, dans le
livre, opera beaucoup d'autres miracles en presence des dis-
ciples 3 , et toute la tradition antique contirme le fait, qu'elle
soit hostile ou favorable au Christ. Car la critique de ses ad-
versaires ne va nullement a contester ses oeuvres merveil-
leuses, mais a les expliquer, k les interpreter en les retour-
nant centre lui. C'est un sorcier dangereux, qui a un pacte
-avec le diable, chuchotaient les scribes, et c'estpar le prince
jusqu'aux Actes apocryphes qui ne rendent t&noignage, aleur.facon, a
cette large effusion ; mais, tandis que dans ces Actes, le c6t6 tgratologique
et edifiant (ou suppos6 tel) prend souvent le pas sur le reste, le livre
canonique des Actes dont le titre signifie cependant sans doute actions
merveilleuseSi miracles des Apdlres : M. von Wilamowitz-Moellendorf
dans KGg, I, VIII 3 , 1912, p. 262, se maintient encore a un niveau tel
>que lemiraculeux se trouve subordonne au grand but religieux ; Le Pro-
bleme du Miracle, p. 38. Les passages de 1'ancienne Htt6rature chr6tienne
concernant les miracles de J6sus ont 6te r6unis dans les Neutestamenlliche
.Apokryphen 2 de Edgar Hennecke, Tubingen, 1924, p. 76.
1. Actes, n, 22, 23; sur aTtoSeoetyfjufvov, Moulton et Milligan, VGT,
$. 60.
2. Actes, x, 37-39; Isai'e, LXI, 1.
3. Jo., xx, 30.
JESUS CHRIST. II. 21
322 JESUS CHRIST.
des demons qu'il chasse les demons * . Balaam, faux prophete,
necromant! feront echo les rabbins. Magicien, irnposleur!
ricane un informateur de Gelse, et tous les humanistes anti-
chretiens apres lui, jusqu'a Julien et Porphyre 2 .
Les Peres, de leur c6te, insistent, non sur la re'alite,
mais sur la qualite des miracles de Jesus. Us ont ete* pre"dits,
observent Justin et Tertullien. Leurs eifets e"taient durables,
soutient dans son apologie presente'e a 1'empereur Hadrien
(117-138) le disciple des ap6tres. Quadrat :
Les ceuvres de notre Sauveur, parce qu'elles etaient
ve*ritables (et non, comme les tours des charlatans, des
simulations habiles) s'attestaient durables. Geux qu'il a gue-
ris, ceux qu'il a ressuscites des morts, non seulement ont
etc* vus gue"ris et ressuscites, mais sont reste's tels pendant
la vie, et, apres le depart du Sauveur, durant un laps de
temps considerable, au point quo quelques-uns ont surve"cu
jusqu'a nos jours 3 . D'autres insistent sur 1'absence de
toute preparation, de toute application de remede dans les
gue"risons. Origene fait ressortir admirablement la grandeur
du thaumaturge, .son desmteressement, la hauteur de ses
vues, la purete et la porte'e de ses oauvres de puissance*.
2. La Critique Moderns des miracles dvangeliques.
La faiblesse et 1'imprudence m^me de leurs de'faites prou-
vent a leur fagon 1'embarras des antechrists anciens en face
des miracles de Jesus. Get embarras persiste. II n'est rien
dans tout 1'Evangile qui cause plus d'ennui aux critiques
rationalistes et, en aucun point probablement, la contre-
apolo#e'tique n'a accumuld plus de conjectures arbitrages et
d'explications violentes. Les interpretations du theologien
re'forme' Gottlob Paulus (mort en 1851), qui pretendait garder
1. Mt., ix, 34.
2. Sur la po!6mique paienne et juive, voir supra, tome II, p. 130-156.
3. Quadrat (KoBpdEtos) cite dans Eusebe, HE, IV, 3, 3; CB, I, p. 302, 304.
Voir Franz Goerres dans REP, XVII, p. 354-356.
4. Contra Celsum, 1, 6, 28, 38, 46, 60, 6S; II, 9, 14 suiv., 32, 35, 44, et
passim. Surtout cela, voir A. Fridrichsen, Le Probttme du Miracle dans le
Chris tianisme primitif, p. 62 suiv.
LES MIHACLES DB JESUS. 323
la substance des faits tout en les expliquant riaturellemfint,
ont sombre* jadis sous le ridicule. D. F. Strauss, qui con-
tribua beaucoup a ce resultat, s'en tira d'une fagon infiui-
ment plus commode. II rejeta comme inauthentique tout ce
qui, dans nos documents, de"crit ou suppose un miracle. Pro-
ce"de radical, mais vraiment trop sommaire : on n'osa main-
tenir un parti pris aussi e'clatant. Mais ce merveilleux!
Tous ces recits de miracles! Bien d'autres que Strauss se
sont laisse" e"pouvanter par eux, reconnalt Ad. von Harnack,
au point d'en prendre texte pour nier en bloc la credibility
des 6vangiles. Mais la science historique a fait encore, pen-
dant la derniere ge'ne'ration, le grand progres d'apprendre a
traiter ces recits avec plus d'intelligence et de sympathie :
aussi peut-elle reconnaitre une valeur documentaire appre*-
ciable, me'me aux recits des miracles 1 . $
Nous verrons comment le celebre critique saura, lui aussi,
solliciter doucement les textes, selon les besoms de sa phi-
losophie. La plupart de ses collegues n'y mettent ou plut6t
n'y mettaient, car un mouvement de reaction commence a se
dessiner 2 pas tant de fagons. A 1'edition revue, tres
amende e, de Paulus que propose M. von Harnack, ils pre-
1. L'Essence du Christianisme, tr. fr. de 1907, p. 37.
2. Cette reaction est assez nette dans VUrsprung und Anfaenge d'Ed.
Meyer, 1921-1923, etnous en avons plus haut releve quelques traits. Elle
est plus accus6e encore dans 1'ouvrage d'Ant. Fridrichsen. Ce dernier
critique, tout en renoncant & c une certitude, meme approximative , sur
I'historicit6 des faits, ce qui le met a 1'aise avec ses collegues les plus
radicaux, proteste avec discretion, mais nettement, centre leurarbitraire.
Parlant de la theologie liberate >, et des exclusives qu'elle prononce,
il note : Quand on avait declare que ces recits etaient inauthentiques ou
legendaires, et quand ils portaient cette estampille, tout etait dit...
D'autre part, on ne saurait recommander une methode qui consiste a
circotiscrire exactement le domaine du possible. Notre confiance dans la
connaissance scientifique de la realite n'est pas aussi naive aujourd'hui
qu'elle 1'etait autrefois; nous sommes devenus tres sceptiques meme
quant a la connaissance scientifique (des lois) de la nature. II en resulte
que pour ce qui est des recits historiques, nous ne sommes pas moins
critiques, mais moins sceptiques que 1'ecole liberale , Le ProbUme du
miracle dans le Christianisme primitif, 1925, p. 20-21. Pour sentir toute
1'ironie de ces paroles, et leur force, il ne faut que les comparer & celles
des theologiens liberaux cites ici.
324 JESUS CHRIST.
lerent una Edition e'dulcorde, nuance* e, mais encore recon-
uaissable de Strauss. -
Voici,, par ezemple.,, comment precede M, W. Heitmtiller,
dans le plus considerable Dictionnaire des sciences reli-
gieuses-de 1'Allemagne protestante libe*rale l . L'auteur recon-
nait franchement ce que nous avons etabli plus hauit tou-
chant la place occupe'e par le miraculeux dans les textes.
Le plus ancien de nos e>angiles, celui; de Marc, est
abstraction faite du re"cit concernant le sejour final a Jeru-
salem et la Passion -a peu pres uniquement une; longue
suite de recits de gu^risons et d'autres faits merYeilleux,
coupde seulement <ja et Ik par des discours de Jesus 2 .
Get aveu est suivi d'une profession de foi : Sur la question
de la possibilite des miracles, au sens fort du mot, 1'histoire
oomme telle n'a rien a dire. Mais une telle rigueur dans la
methode a un grand, defaut : elle n'est pas possible a main-
tenir., Garl'historien,des laqu'il sort du r61e de chroniqueur,
3?apportant sans les critiquer ce que ses sources contiennent,
fait necessairement appel au penseur, a 1'homme pourvu
d'une logique et d'une philosophie, consciente ou non, qu'il
est. II a des normes qui lui font juger vraisemblables, moins
vraisemblables, invraisemblables, tout a fait impossibles, les
faits allegues dans ses documents. Bref, pas plus que le
savant, et pour les me'mes raisons, 1'historien ne peut pre-
tendre a une objectivite totale, a presenter les faits et rien
que les faits, et la pire illusion serait de croire- qu'il le peut.
Gette observation generale a toute sa force ici. M. Heitmul-
ler sait comme nous que c'est leur caractere mtrinseque, et
independamment de toute attestation historique, qui rend
suspects ou positivement inacceptables aux historiens ratio-
nalistes, les recits de miracles. Quand un homme admet
1. Die Religion in Geschichte und Gegenwart , 1909-1913. W. Heitmiiller,
dans 1'article Jesus Chrisius, RGG, III, col. 370 suiv. Dans l'6dition tir6e
apart sous le titre Jesus, Tubingen, 1913, la partie des miracles est trait6e
a partir de la p. 59. Le m6me dictionnaire, a 1'article Wunder, RGG,
V, col. 2144-2168, offre un recueil de memoires, allant du rationalisme le
plus cm: Arnold Meyer, Wunder im NT, jusqu'a un th6isme qui laisse
ouverte, dans le mystere de Dieu , la question du miracle : Kalweit,
Wunder : Dogmatisch, col. 2157 suiv.
2. RGG, III, col. 370.
LES MIRACLES DE JESUS. 325
comme valable, avec I'unanimite morale des critiqw.es liberaux
d'ily : a vingt ou trente ans, la conception indispensable a
nos sciences mathdmatique, physique, chimique, bioiogique
et astronomique, d'un mecanisme de la Nature excluant toute
intervention ipersonnelle 1 , quand il en conclut a des lois
naturelles a la fois connaissables et infrangibles, il a beau
vouloir traiter en pur historien les pieces qu'il emploie, sa
formation meritale lui interdit d'accepter comme rSpondant .a
une re'alite' le re"cit d'un 'fait miraculeux qu'il y trouve. Et
M. Heitmuller Iui-m4me essaie bien de fonder sur textes 2 sa
propre icritique des miracles ^vangeliques : non seulement
nous pouvons, -dit^il, mais nous devons traiter avec m^fiance
tout ce qui porte le caractere du prodige extraordinaire, et
surtout nous ne devons admettre dans le domaine du possible
que ceux des traits merveilleux, dans lesquels la confiance
personnelle du malade a pu jouer un rdle ; mais les consi-
de"rants re'els de ce jugement, qui ne retient comme histo-
rique qu'un nombre, d'ailleurs respectable, de guerisons^
debordent 1'histoire pure^ puisqu'ils sont emprunt^s a la
medecine moderne et a ce qu'elle enseigne ou es't
censee enseigner sur les maladies nerveuses, et la foi qui
gu&rit. Partout ou il s'agit de maladies de cette sorte, nous
n'avons done, en principe, aucun droit de mettre en doute
I'historicit6 des faits. Nous nous mouvons sur un terrain
ferme, etc. 3 .
G'(tait ^galement 1'avis d'Ernest Renan qui, sauf les termes
mis a la mode depuis, et d'ailleurs en train de passer de
mode, ne dit pas autre chose. Son chapitre sur les miracles
de Jesus est connu : au lieu de le citer, nous emprunterons
a M. Alfred Loisy le resume ou il s'est approprie les ide"es.,
et parfois les mots me'mes de Renan.
1. Der fiir unsere Mathematik, Physik, Chemie, Biologie tind Astro-
nomie unabkoemmliche Begrilf eines Naturmechanismus, zu dem es kein
persoenliches Verhaeltnis gibt. > H. J. Holtzmann, Lehrbuch der NT
Theologie^, 6d. A. Jiilicher et W. Bauer, 1911, I,p. 213.
2. < Deux traits de la plus ancienne tradition (Me., vm, 11 suiv. et
parall.; Me., vi, 5-6 et parall.),- nous fournissent deux normes historiquei
inattaquables ., RGG, III, col. 372. Sur ces textes, voir ci-dessous, p. 332 suiv..
3. RGG, III, col. 372, 373.
326 JESUS CHRIST.
Jesus... faisait des miracles. II en faisait presque malgre" lui.
Des son premier se'jour a Capharnaiim, on lui amene des malades
a guerir. Sa propre popularite 1'eflraie; il craint que le thauma-
turge ne fasse tort au predicateur du royaume et il s'e"loigne de
Capliarnaiim. Vaine precaution. L'elan une fois donne", le mouve-
ment ne s'arrete pas; J6sus veut prcher et comertir, il fautqu'il
guerisse. Peut-6tre alla-tron m^me jusqu'a lui prater la r^surrec-
tion de morts... Etait-il en droit de se refuser au soulagement que
Dieu operait par ses mains? II agissait avec une efficacite particu-
Here sur la categoric des malades que Ton regardait comme spe-
cialement possedes du demon, les malheureux atteints d'ailections
nerveuses et de troubles c6r6braux. II leur parlait avec autorite",
ordonnait aux demons de les laisser, et le calme revenait, au moins
pour quelque temps, dans ces ames troubles et inquietes 4 .
M. A. von Harnack prend plus de peine. II ne dedaigne
pas de re"duire par les precedes classiques I'e'tendue de l'6ld-
ment merveilleux dans 1'Evangile. Le miracle, a cette e"po-
que 6tait chose presque quotidienne ... (Alors, se demande
le lecteur, pourquoi 1'emotion profonde suscit^e par ceux de
Je"sus? Pourquoi cette alfluence, ces contradictions, cette foi?)
De tout temps, d'ailleurs, Ton a attribue" des miracles
aux personnalites exceptionnelles ... (Gela est vite dit. On
ne voit pas que les disciples de Jean Baptiste 1'aient tenu
pour thaumaturge, ni ceux de Platon, ni les fideles de
Napoleon, ni, abstraction faite de quelques fanatiques tard
venus 2 , ceux de Luther). Troisiemement, nous avons
1'inebranlable conviction que tout ce qui arrive dans le temps
et dans 1'espace est soumis aux lois generales du mouvement,
qu'il ne peut done y avoir, en ce sens, comme rupture de
1'ordre naturel, de miracles... Mais, si 1'ordre naturel est
inviolable , il existe des forces psychiques, encore mal con-
nues, et qui peut dire jusqu'ou elles vont? Qu'une temp^te
ait ete apaisee d'un mot, nous ne le croirons jamais, mais que
des paralytiques aient march^, que des aveugles aient vu,
nous ne le nierons pas sommairement, comme s'il n'y avait
1. A. Loisy, Jdsus et la tradition dvang&ique, 1910, p. 61, 62 (comparer
Renan, We de Jesus, ch. xvi). Ces paroles repr6sentent 1'opinion de
M. Loisy au moment leplus influent de sa carriere exeg6tique.
2. Lk-dessus, Hartm. Grisar, Luther, Freiburg i. B., 1912, II, p. 125 suiv.;
Ill, p. 653, 763 suiv.
LES MIRACLES DE JESUS. 327
la qu'une illusion 1 . L'exclusion donnee aux miracles de la
premiere sorte est un postulat de philosophie materialiste,
des maintenant exorcise par 1'unanimite des savants avertis 2 .
L'auteur la rejette du reste equivalemment deux pages plus
loin 3 .
Ayant ainsi prepar^ son lecteur, Harnack distribue en cinq
classes le miraculeux eVangelique : 1 recits provenant de
l'exage>ation d'evenements naturels frappants; 2 recits pro-
venant de discours, de paraboles, d'impressions interieures,
tournees en faits ; 3 recits provenant de I'intere't que 1'on
attachait a la realisation de predictions de 1' A ncien Testament ;
4 guerisons surprenantes operees par la puissance spirituelle
de Jesus; 5 recits de provenance impossible a determiner* .
On pourrait multiplier ces analyses, sans autre avantage
que de nous faire connaitre les opinions philosophiques des
auteurs ainsi resumes. Rien dans les textes n'autorise, entre
iles faits retenus, et les elimines, ces decoupages. Us ne
coincident pas avec les degres de probability qu'un historien
peut etablir au moyen des indices critiques : recits attestes
par un temoignage unique, double, triple, etc.; episodes
appartenant a une source reconnue plus ancienne, etc. Le
criterium employe par les adversaires du miracle est syste-
matique. Pa*' exemple, les miracles de nature (tempe'te
apaisee, multiplication de pains, etc.) seraient impossibles,
t les miracles de guerison ne repugneraient pas a priori.
Encore faudrait-il distinguer entre guerisons et guerisons :
celles qui s'operent par suggestion sont seules possibles,
pour M. A. Loisy, W Heitmuller, etc. M. von Harnack et
1. U Essence du Christianisme, tr. fr. de 1907, p. 37-41.
2. Voir ci-dessus, tome II, p. 230 suiv.
3. Ce ne sont pas quelques miracles qui sont en jeu, mais la question
decisive de savoir si nous sommes engages sans espoir dans 1'engrenage
d'une impitoyable necessite, ou s'il existe un Dieu qui regne et dont la
force s'imposant a la nature peut etre invoquee et vecue. /bid., p. 43,
d'apres la traduction francaise, corrigee legerement sur 1'original alle-
mand, p. 19. Plus loin, 4 e conference, n. 2, 1'auteur admet comrae certaine
la seconde alternative, hors de laquelle, aussi bien, il n'est pas de reli-
gion veritable... Mais alors, pourquoi maintenir une restriction qui est
un pur postulat de la premiere?
4. L'Essence"du Christianisme, p. 42.
328 jsus CHRIST.
un nombre croissant de critiques inddpendants tolereraient
des gueYisons d'ordre plus materiel. II ne leur semble pas
impossible que des boiteux aient marche, des paralytiques r
recouvre le mouvement, et des aveugles, la vue. D'autres
enfin, notamment en Amerique et en Angleterre, etendent
tellement la competence des forces spirituelles, qu'aucun des
prodiges racontes du Christ a F exception peut-e'tre des resur-
rections ne leur semble impossible 1 . Ces nuances ont
leur inte're't; mais qui ne voit qu'avec elles, nous sommes tout
a fait sortis du domaine de 1'histoire ?
Nous y rentrons ou, du moins, nous nous en rapprochons
avee les critiques de la jeune Ecole qui pretend s'appuyer
sur 1'histoire comparee des religions et 1'etude approfondie
des formes litteraires de 1'histoire 2 . Avec eux, la question
s'est notablement deplacee. En general, ils ne veulent pas
plus des miracles que leurs predecesseurs de I'&cole liberale,
Mais moins portes a philosopher, moins asservis a 1'illusion
scientiste, au lieu d'eliminer le miraculeux comme exorbitant
les limites du possible, ils cherchent a le volatiliser, en expli-
quant naturellement sa presence dans 1'Evangile. Les recit&
merveilleux seraient, a entendre ces critiques, la creation
spontanee et normale d'une communaute de simples croyants T
occup^e a magnifier 1'obje.t de son culte : de cette loi gene-
rale, les origines chretiennes pr^sentent un cas interessanL
On 1'aura assimile aux autres, avec une simple difference de
degre", quand on aura range chaque recit, d'apres son sujet r
son but et ses moindres particularites de redaction, dans
une variete classee de litterature populaire. La demonstration
s'acheve par le rapprochement d'un certain nombre d'episodes
merveilleux, vaguement analogues, empruntes aux religions
les plus differentes 3 .
1 . C'est lea position, par exemple de Hickson, Heal the Sick, 1924. Voir
> Spiritual Healing, par le D r H. Henson, dans The Hibbert Journal, XXIII^
1925, p. 385-401.
2. Sur cette Ecole, voir ci-dessus, tome I, p. 41 suiv., et E. Fascher,
Die formgeschichtliche Methode, Giessen, 1924, dans les Beihefle de la
ZNTW, 2.
3. Ainsi font les maitres de la jeune Ecole, MM. M. Dibelius,
K. L. Schmidt, Rud. Bultmann, etc... Ce dernier a appliqu6 ces m6thodes
LBS MIRACLES DE JESUS. 329'
Nous avons discute" plus haut le postulat general de cette
methode l : la communaute cre"atrice. Sur les deux precedes
essentiels de 1'application au miraculeux, on observera d'a-
bord que, pour ramener les narrations evangeliques au niveaa
des cycles legendaires, helle"nique, rabbinique ou raoderne
(Eduard Meyer descend jusqu'aux Mormons 2 !), on commence
par soumettre les recits a une analyse minutieuse et, pour
ainsi dire, atomique. G'est comme un panneau de tapisserie
qu'on deferait lil par fil : on aurait a la fin, juxtaposee a un
canevas denude*/ une serie d'aiguillees de laine rangees par
couleur et par taille. Naturellement le dessin primitif aurait
disparu, mdme si chaque brin avait ete correctement classe
et echantillonne'. Semblablement, dans les recits miraculeux
de TEvangile, la signification de 1'ensemble, si forte et sou-
vent si criante de v^rite, p^rit completement lorsqu'on livre
les textes a cette artificieuse decomposition. Aucune page
d'histoire ne r^sisterait a cette chimie.
Quant aux florileges de prodiges analogues, compiles selon-
les recettes de la methode comparatiste la moins raffinee, ils
ont (si interessants qu'ils soient par ailleurs) le commun de-
faut d'estomper ou de laisser tomber tout ce qui separe, et
de majorer tout ce qui rapproche 3 . Et meme ainsi, telle est
au miraculeux evangdlique dans sa Geachichte der Synoptischen Tradi-
tion, Goettingen, 1921, p. 129-150. Dans ces 6tudes, ce sont les prodiges
empruntes aux sources hel!6niques, juives anciennes, ou patristiques, qui
sont surtout utilises. D'autres auteurs, d^fendus contre 1'arbitraire par
une moins solide erudition, vont chercher des analogies dans le folklore
de tons les peuples. La carriere ou les comparatistes puisent de pr6-
ference est naturellement I'o3uvre immense de Sir J. G. Frazer, The-
Golden Bough 3 , 12 yolumes : avec les cycles completifs : Totemism and'
Exogamy, 4 vol.. Folk-lore in the Old Testament, 4 vol., etc., plus de vingt
tomes. G'est un monument composite, inegalement solide, ou une 6rudi
tion prodigieuse et une Ioyaut6 incontestable, se traduisant par d'inces-
santes reprises et des retraits motives d'opinions, sont mises au service
d'une vive imagination, d'un gout Htt6raire tres sur et d'un sens critique
assez souvent en d6faut.
1. Voir plus haut, tome I, p. 195, note B : La Collectivitd crfatrice.
2. Ursprung und Anfaenge, II, 1921, p. 418 suiv.
3. Sous ce rapport, on peut recommander l'6tude des recueils de traits-
colliges par R. Bultmann, Geschichte der Synopt. Tradition, p. 140-146.
Cewx qui concernent la resurrection de morts, sont analyses plus bas r
-330 JESUS CHRIST.
1'indigence et la faiblesse des materiaux rapproche*s (dont la
veine reparaitra dans les apocryphes) qu'ils rendent temoi-
.gnage, malgre 1 eux, a la pure beauts' et a la simple grandeur
des recits evangeliques. Parfois, selon le vieux proverbe pro-
vencal, le diable aussi porte pierre .
3. Les Miracles et la Mission de J6sus.
Le lien est par ailleurs visible qui unit les ceuvres prodi-
gieuses de Jesus a sa mission. Les miracles ope>s par Dieu
en sa faveur, et ceux par lesquels le Maitre r^compensait la
loi de ceux qui croyaient en lui 1 , vont clairement en ce sens.
Ainsi du centurion de Capharnaum dont le serviteur fut gueri
a distance ; des aveugles de Je"richo, et de cette pauvre femme
syrophenicienne 2 , dont 1'invincible perseverance arracha au
Sauveur un cri d'admiration.
Si Ton dit que la connexion entre ces faits et la legation
divine, tout assuree qu elle est, reste implicit e, voici des
'Cas ou elle s'exprime. L'envie des scribes les portait a inter-
preter en mauvaise part la prevention de Je*sus a remettre les
peches. Mais lui :
a Quel est le plus ais6, de dire au paralytique : Tes peches te
sont remis ou de dire : Leve-toi, prends ta couchette et t'en
vas ? A fin done que vous sachiez que le Fils de 1'homme a pouvoir
de remettre les peches sur la terre : Je te le dis (dit-il au par.a-
lytique), leve-toi, prends ta couchette et retourne dans ta mai-
son 3 .
Une autre fois, les disciples restes dans la mouvance du
Baptiste sont surpris des miracles de Jsus.
,p.464, note Gg : Resurrection de marts dans les rfaits helldniques et rabbi-
niques. Au m6me endroit, Bultmann dit qu' c un cas d'attribution i J6sus
d'une histoire qui n'a rien i faire avec lui, c'est celui du morceau apo-
cryphe Jo., vii, 53-vm, 11 (la femme adultere). La raison unique apportee
est admirable : < Un parallele a ce trait se trouve dans les Lfycndes
neo-grecqnes, 6d. Kretschmer, Jena, 1917, p. 153 : les deux voleurs defigues,
recit dans lequel le caractere humoristique, manifestement primitif, res-
sort nettemeiit ! p. 141, note 1.
1. Me., ii, 1-12 et parall. ; v, ,22-43 et parall. ; Ml, vm, 5 suiv. ;Mt., xx,
29 suiv.
2. Me., vn, 26 suiv. et parall.
3. Me., n, 9-10.
LES MIRACLBS DE JESUS. 331
Les disciples de Jean le mirent (dans sa prison) au courant de
lout cela (les signes operes par Jesus et 1'effet produit : les temoins
de ces merveilles etaient saisis de crainte, et ils rendaient gloire
a Dieu, disant : Un grand prophete s'est leve parmi nous ! et : Dieu
a visile son pcuple! Et 1'on ne parlait que de lui dans toute la
Judeej. Or, ayant appele deux de ses disciples, Jean les deputa vers
le Seigneur avec ces paroles :
Es-Tu Celui qui vient 1 ,
ou en attendrons-nous un autre?...
Dans cette heure m6me, il en guerit plusieurs de maladies, de
plaies et des esprits malins, a plusieurs aveugles il accorda de
voir. Puis il leur repondit : Allez, rapportez a Jean ce que vous
avcz vu et entendu :
Les aveugles voient, les boiteux marchent,
les lepreux sont purifies, et les sourds entendent;
les morts ressuscitent et les pauvres sont evangelises.
Et bienheureux est celui qui ne sera point scandalis6 en moi 2 !
Le dernier mot suggere, et cette impression est confirmee
par d'autres textes, que les merveilles accomplies. par Jesus
deconcertaient bien des gens qui n'etaient pas tous des
adversaires, puisque les disciples de Jean doivent 6tre mis en
garde contre la tentation. Elles paraissaient bien sobres, un
peu grises ; on escomptait des prodiges autrement eclatants,
tels que toute hesitation, tout doute fut impossible. Dissipant
cette illusion, le Maitre en_appelle ouvertement a la qualit^
de ses ceuvres, qui repond au portrait authentique du Messie
tel qu'il figure dans les Prophetes.
Plus encore que ses pre"decesseurs synoptiques, Jean met
en relief ce trait. II rapporte par exemple, qu'avant de res-
susciter Lazare,
Je"sus leva les yeux en haut et dit : Pere, je te remercie de
m'avoir exauce. Moi, je savais bien que tu m'exauces toujours,
mais je Pai dit pour la foule qui est la tout autour, afin qu ils
croient que tu m'as envoye 3 .
1. '0 Ipx/fyievoj, au sens fort du mot, absolument, Celui dont la venue
importe par-dessus tout, le Messie. Ailleurs on explique souvent : Celui
qui vient au nom du Seigneur.
2. Lc., vu, 18-23; Mt., xi, 2-6; Isa'ie, LXI, 1.
3. Jo., xi, 41, 42. Sur le temoignage des oeuvres explicitement invoqud,
Jo., v, 36; x, 25; xiv, 12; xv, 24; xx, 30.
332 JESUS CHRIST.
La chose, a vrai dire, allait de soi. Amis et ennemis, Juifs
et Gentils, disciples et jaloux, simples et doctes, divises sur
Interpretation des faits, s'accordenta penser qu'ils sont abso-
lument lie's, a la mission de Je"sus. Les foules galileennes 1 ne
pensent pas la-dessus autrement que celles de Judee 2 . Un
croquant, comme l'aveugle-ne, e"nonce aussi clairement la
connexion 3 que des gens plus instruits : Nicodeme *, les amis
de Lazare 5 , Pofficier de Capharnaum 6 , le centurion du Gol-
gotha 7 . En re'alite, si Ton a cru en Jesus, $'a ete, pour une
tres grande part, a cause des miracles qu'il opSrait.
Il serait vain d'insister, si une difficult^ serieuse ne se pre-
sentaifc, d'autant plus notable qu'a 1'examiner de pres elle se
tourne, suivant 1'observation de Newman transcrite plus haut,
en argument positif. Deux traits de la plus ancienne tradi-
tion, dit W- Heitmiiller, nous fournissentdeuxnormeshistori-
ques inattaquables pour reduire a leurs justes proportions
Petendue et la portee du miraculeux dans 1'Evangile. Ge sont
les passages ou Jesus refuse un signe du ciel aux Pharisiens
qui le demandent; et le mot de Marc : Et (Jesus) ne put
faire la (a Nazareth) aucun miracle, si ce n'est qu'il guerit
quelques malades en leur imposant les mains. Et il etait
etonne de leur incredulite 8 .
II n'est, pour faire valoir 1'objection, que de citer les pro-
pos de celui qui 1'a popularisee, Jean-Jacques Rousseau : La
preuve de sa mission par le miracle? Non seulement
Jesus ne (P) a pas donnee, mais il (P) a refusee expresse-
ment!
1. Mt., xv, 30 suiv. etparall.; Jo., vi, 14.
2. Jo., vii, 31.
3. Jo., ix, 16 et 32, 33 : Depuis que le monde existe, on n'a pas ou'i-
dire qu'on ait ouvert les yeux d'un homme n6 aveugle : si celui-ci ne
venait pas de Dieu, il n'aurait rien pu faire (de tel).
4. Jo., in, 2.
5. Jo., xr, 45; xir, 11.
6. Jo,, xiv, 53.
7. Me., xv, 39 : Or, voyant qu'il 6tait mort de la sorte, le centurion
qui se tenait debout, en face de lui, dit : t Vraiment, cet homme 6tait
fils de Dieu!
8. RGG, III, col. 372 : Me., vm, 11 suiv. et parall. ; Me., vi, 5-6 j Mt., xin,
58.
LES MIRACLES DE JESUS. 333
Voyez la-dessus toute 1'histoire de sa vie; e*coutez surtout sa
propre declaration :elle estsi decisive que vous n'y trouverez rien
a repliquer.
Sacarriere etait deja fort avancee quand les Pharisiens, le voyant
faire tout de bon le prophete au milieu d'eux, s'aviserent de lui
demander un signe. A cela, qu'aurait du repondre Jesus, d'apres
VQS messieurs (les theologiens de Geneve) ? Vous demandez un
signe, vous en avez eu cent.,. Cana> le eentendery le lepreux, les
.aveugles, les paralytiques, la multiplication des pains, toute la
Galilee, toute la Judee deposent pour moi. Voila mes signes.
Au lieu de cette rdponse que Jesus ne fit point, voici, Monsieur,
celle qu'il fit : La nation me'chante et adultere demande un signe
et ilne lui sera pas donne. Ailleurs ii ajoute: II ne lui sera pas
-donne d'autre signe que celui de Jonas le prophete. Et, leur tour-
nant le dos, il s'en alia *.
On ne peut donner au second passage qu'un sens qui se rapporte
-au premier; autrement Jesus se serait contredit. Or dans le premier
passage ou 1'on demande un miracle en signe, Jesus dit positive-
ment qu'il n'en sera donne aucun. Doncle sens du second passage
n'indique aucun signe miraculeux 2 .
Pour ^tre sophistique et confondre, avec toute espece de
signe miraculeux, les signes dans le ciel , les prestiges
aveuglants, ne laissant place ni a la bonne volonte, ni a la foi
meritoire, reclames par ces Pharisiens, le passage de Rous-
seau ne laisse pas d'etre pressant. On pourrait d'ailleurs ren-
forcer la these en recueillant, dans le quatrieme evangile 3 ,
les paroles qui vont dans le me'ine sens : Si vous ne voyez
desprodiges et des signes, vous ne croirez done pas? Et :
Heureux ceux qui n'ont pas vu et qui ont cru 4 ! On note-
a*ait enfin que tres souvent, au debut surtout de son ministere,
le Maitre ferma la bouche aux miracules qui voulaient pro-
clamer leur guerison 5 . N'etait-ce pas marcher a 1'encontre du
but, s'il pretendait autoriser sa mission par des ceuvres de
puissance?
1. Me., vin, 12; Mt., xvi, 4. Pour abr6ger, j'ai fondu ensemble ces
deux passages. Mais j'ai conserve" la distinction essentielle i la question
(Note de Rousseau).
2. J.-J. Rousseau, Leltres e'crites de la montagnc, l re partie, 3 C Lettre.
3. Jo., iv, 48.
4. Jo., xx, 29.
5. Me., i, 34, 44; HI, 12; vii, 36; vm, 26 et parall., uotamment Mt., xu,
16.
334 JESUS CHRIST.
Gette difficulte n'en est une que pour ceux qui n'auraient
pas saisi 1'economie de la manifestation messianique, telle
qu'on 1'a exposee plus haut *. Gardons-nous pourtant de passer
outre : I'e'tude de ces textes e"claire d'un jour nouveau Tame
de J6sus.
Embrassons plut6t dans leur ampleur les faits qu'on noua
oppose. Oui, Je"sus a refuse" constamment d accomplir un cer-
tain genre de miracles; oui, dans ceux-la me 1 me qu'il accorde,.
on peut relever une double restriction ou si Ton veut, une
double limitation. Pas de signe qui autoriserait, par contre-
coup, la notion charnelle et prestigieuse du Royaume d&
Dieu. Pas de prodige qui ne soit un signe, proportionne aux
dispositions des auditeurs, et par consequent dans une cer-
taine mesure, limits par elles. A Nazareth, le Seigneur fera
done peu de miracles, a cause de 1'incre'dulite de ses compa-
triot es : il ne put faire la que peu de miracles . Mot ad-
mirable de 1'evangeliste, d'autant plus qu'il n'est pas cherche r
et nous revele jusqu'au fond la qualite spirituelle et religieuse
de la puissance thaumaturgique de Jesus. Qu'on n'imagine
pas une force inconsciente, une puissance d'action sans frein>
ni but. Le Sauveur n'impose pas plus la force bienfaisante
qui gue"rit que la lumiere qui sauve.
La divulgation des faits merveilleux est, elle aussi, limitee r
soumise comme le reste, au m6me titre que 1'enseigne-
ment et les paraboles, a la marche progressive et d^libere*-
ment dosee, de la manifestation totale. Ne fallait-il pas s'y
attendre? Pourquoi le miraculeux serait-il aberrant, e'chap-
perait-il seul au plan providentiel ? II y a ici intention mani-
festo de corriger non seulement la notion alors courante du
miracle, mais celle de la foi naissant du miracle contemple,
ou accrue a son contact. Ni celui-ci n'est un prodige acca-
blant, s'imposant comme un coup de tonnerre, dispensant le
candidat au Royaume des preparations obligees : purete de
coeur, sincerity, bonne volonte ; ni celle-la n'est une lumiere
crue, discernant pour tous, sans egard a leurs dispositions-
intimes, les realit^s surnaturelles.
Gette discretion constante, ces limitations impose' es du,
1. Voir tome I, p. 305-338.
LBS MIRACLES BE JN&SUS. 335
dedans, non du dehors, marque de sageese et non aveu
d'infirmite 1 , conferent aux miracles e"vangeliques un carac-
tere unique, et aux recits qui les relatent, un cachet d'histori-
cite* hors ligne. G'est en eifet le propre des embellissements-
posterieurs de surencherir, de chercher le plus e"clatant,
1'irre'cusable, 1'inoul. Les oeuvres de Jesus, telles qu'on nous
les decrit, sont au contraire si modestes, si spirituelles, si
mortifie*es, qu'elles interpretent la vie et 1'enseignement du.
Maitre sans les tirer de 1'histoire, du reel, de tout ce que-
nous savons par ailleurs du Saint de Dieu.
4. R6alit6 des Miracles.
Rattaches par un lien certain a la mission divine de Je*sus*
de Nazareth, des faits extraordinaires, en nombre, figurent
dans des histoires d'une valeur reconnue : quoi qu'il en soil/
done de tel detail ou de tel Episode en particulier, leur rea-
lite globale s'impose a un bon esprit. II reste a decider,,
apres cela, si ces phenomenes merveilleux, que nous avons
appele*s des miracles, meritent vraiment ce nom. Est-il cer-
tain que, dans le cas, il y a eu effet qui excede la force
naturelle des moyens qu'on y emploie 2 ? Cette conclusion,
n'est-elle pas ebranlee par les objections subtiles qu'on tire
en notre temps, de 1'action des forces naturelles encore mal
connues, de la suggestion, de la foi qui gttrit? Enfin, 1'en-
semble des ceuvres de puissance du Christ, si elles sont 1
reconnues surhumaines, est-il assez noble, assez spirituel,
assez pur pour que nous puissions voir en lui un signe, un.
sceau divinement imprim^ sur la-mission du Fils de 1'homme?'
Le Miraculeux, tel qu'il se presente dans I'Evangile.
A un choix de prodiges divers, glanes c.a et la et juxta-
poses, on preferera sans doute une suite de faits transcrite:
d'un de nos evangiles, sans interpolation ou omission notable-
La presentation sera ainsi reduite au minimum 3 .
1. Les textes les plus clairs en t6moignent : Mt., iv, 3 suiv. ; xxvi, 53.
2. Pascal, Pennies, XIII ; ed. Brunschvicg mnior, III, p. 242.
3. Lc., JY, 33-ix, 18. Dans ces chapitres du troisieme evangile, nous,
laissous tomber lei faits et ies discours sans rapport direct avec le mira-
culeux.
336 JESUS CHRIST.
Des le ctebut de la predication du Seigneur, a Caphar-
viiaum, sur les bords du lac de Tibe'riade,
II y avait dans la synagogue un liomme poss6de par 1'esprit j
'd'un demon impur, et il criait a voix haute : Laisse! qu'y a-t-il
cntre nous et toi, Jesus de Nazareth? Es-tu venu nous perdre?
Je sais qui tu es : le Saint de Dieu. De tres haut, Jesus lui dit :
Tais-toi, et, sors de cet homme. Et le jetant par terre, au
milieu, le demon sortit sans lui faire aucun mal. Et tous,
saisis d'epouvante, se disaient les uns aux autres : Qu'est
ceci? II commando d'autorite et avec puissance aux espritsim-
purs, et ils sortent * !
Immediatement apres, s'etant leve, Jesus
sortit de la synagogue et entra dans la maison de Simon; Or la
belle-mere de Simon souffrait d'une grosse fievre, et ils le prie-
rent pour elle,.Il se pencha sur elle et commanda a la fievre, qui
ia quitta. Et incontinent elle se leva et les servait.
Au soleil couchant tous ceux qui avaientdes infirmes, atteints
-de diverses maladies, les lui amenaient, et lui, imposant les
mains a chacun, les guerit. Des demons aussi sortaient de plu-
-sieurs, criant et disant : Tu es le Fils de Dieu! Et les mena- *""
yant, il ne les laissait pas parler, parce qu'ils savaient qu'il 6tait
le Christ 2 .
Apres une instruction faite de la barque de Simon a la foule *~
masse e sur la berge,
Quand il eutfmi de parler, il dit a Simon : Pousse au large, \*-
ctjetez vos filets pour la pche. Maftre, repondit Simon,
toute la nuit nous avons peine sans rien prendre, mais sur ta
parole je jetterai les filets. L'ayant fait, ils prirent une masse
-enorme de poissons, mais leurs filets se rompaient. Et ils firent
signe a leurs camarades de 1'autre barque de venir leur preter
main-forte : eux vinrent, etils remplirentles deux barques a couler
bas. Voyant cela. Simon Pierre se jeta aux genoux de Je"sus,
disant : Retire-toi de moi, parce que je suis un homme pecheur,
Seigneur! Car I'^pouvante 1'avait saisi, lui et tous ses compa-
gnons, sur la peche des poissons qu'ils avaient pris. Et pareille-
ment Jacques et Jean, fils de Zebedee, qui 6taient compagnons de
Simon.
Mais Jesus dit a Simon : N'aie pas peur. Dorenavant, c'est des
hommes que tu pecheras. Et ayant tire leurs barques a terre,
laissant tout, ils le suivirent.
1. Lc., iv, 33-37.
2. Lc., iv, 38-41.
LES MIRACLES DE JESUS. 337
Et il advint, comme il etait dans une des villes (riveraines du
lac), voici qu'un homme couvert de Icpre, voyant J6sus, se pros-
terna, face en terre, et le priait, disant : Seigneur, si tu veux,
tu peux me rendre pur. Etendant la main, Jesus le toucha,
disant : Je le veux, sois purifie.* Et sur-le-champ, la lepre
s'enallade lui, et Jesus lui enjoignit de ne le dire a personne...
Mais de plus en plus on parlait de lui, et les gens s'amassaient
autour de lui, en troupes nombreuses," pour 1'entendre et se faire
gu^rir de leurs infirmit6s. Mais lui se retirait dans les endroits
solitaires, et priait.
II arriva, un jour qu'il enseignait, et qu'avec lui e"taient assis
des Pharisiens et des docteurs de la Loi venus de tous les bourgs
de la .Galilee, de Jude"eet de Jerusalem, la Puissance du Seigneur
1'incitait a guerir. Et voici des gens portant sur un lit un homme
atteint de paralysie, et ils cherchaient a 1'introduire et a le placer
devant lui. Et ne trouvant pas ou 1'introduire a cause de la foule,
ils monterent sur le toit et le descendirent par les tuiles, avec
son lit, au milieu du cercle, en face de Jesus. Et lui, voyant leur
foi, dit : Homme, tes peches te sont remis. Et scribes et Pha-
risiens se mirent a raisonner, disant : Quel est ce discours de
blasphemes? Qui peut remettre les peche's, hormis Dieu seul?
Mais ayant p6netr6 leurs raisons, Jesus repartit et leur dit :
Qu'avez-vous a raisonner dans vos coeurs? Quel est le plus
aise, de dire : Tes p6eh6s te sont remis; ou de dire : Leve-toi ct
marche ? Or pour que vous sachiez que le Fils de rhomme a pou-
voir, sur la terre, de remettre les peches il dit au paralytique :
Je te le dis, leve-toi, prends ta couchette et va dans ta mai-
on. Et incontinent s'etant leve" devant tous, il prit le lit ou
il gisait, et s'en alia en sa maison, rendant gloire a Dieu *.
Un peu plus tard, un homme dont la main etait dessechee,
est gudri par simple commandement, dans la synagogue,
un jour de sabbat 2 . Puis vint le choix des Douze.
Descendant avec eux, il prit place en un lieu uni avcc une
.grosse troupe de ses disciples, et une grande multitude do
peuple venu de toute la Judee, de Jerusalem ot des contrees mari-
times de Tyr et de Sidon. Ils eiaient venus pour Tentendrc ct
pour etre gueris de leurs maladies, et ceux qui 6taient tour-
mentes par des esprits impurs etaient gueris. Et tout le mondc
cherchait a le toucher parce qu'une puissance sortait de lui et les
.gu&rissait tous 3 .
1. Lc. s v, 4-26.
2. Lc., vi, 6-12.
3. Lc., vi, 17-19.
JESUS CIIIUST. II. 22
338 JESUS CHRIST.
Apres le grand discours qui suit et le retour aupres du lae>
on apprend qu'un centurion a un de ses serviteurs, de ceux
auxquels il tenait le plus, a toute extremite*. On interceda
aupres du Maitre : ce centurion est ami d'Israe'l, et a me'ino
edifie u-ne synagogue. Or, tandis que Jesus se dirige vers la
demeur.e de 1'officier, des amis du solliciteur se presentent
en son nom disant :
Seigneur, ne prends pas tant de peine, car je ne suis pas
digne que tu entres sous mon toit. Aussi n'ai-je pas meme ose
venir jusqu'a toi; mais dis unmot, et que mon gargon soitgueri.
Car moi-meme qui suis un homme constitu6 sous une autorite^
ayant sous moi des soldats, je dis a 1'un : Marche, et il marche;
et a un autre ; Viens, et il vient. Et a mon serviteur : Fais ceci,.
et il le fait.
Oyant ceci, Jesus admira cet homme et se tournant vers la
foule qui 1'accompagnait, il dit : Je vous declare qu'en Israel
meme je n'ai pas trouve une si grande foi ! Et retournes a la
maison, les envoyes trouverent le serviteur revenu en sante.
Ensuite il se rendit dans uneville appelee Nai'm, et ses disciples
faisaient route avec lui, ainsi qu'une i'oule nombrcuse. Or comme
il approchait de la porte de la ville, voici qu'on portait en terre
un mort, fils unique de sa mere qui etait veuve, et des gens de
la ville en nombre etaient avec elle. La voyant, Jesus fut emu do
compassion sur elle et lui dit : Ne pleure pas. Et s'etant
approcheil toucha la biere, et les porteurs s'arreterent; et il dit :
Jeune homme, je te le dis, leve-toi ! Et le mort se dressa sur
son seant et commenQa de parler. Et il le rendit a sa mere. Et
la crainte s'empara de tous les temoins, et ils rendirent gloire-
aDieu*.
Suit, avec les envoyes du Baptiste, 1'entrevue, transcrite-
plus haut, au cours de laquelle Jesus opera plusieurs miracles.
II arriva, un jour, qu'il monta en barque avec ses disciples, eb
leur dit : Passons a 1'autre bord du lac , et ils gagnerent Ic-
large. Et comme ils naviguaient, lui s'endormit. Et un tourbillon
s'abattit sur le lac, et ils faisaient eau, et etaient en peril. Ils
s'approcherent et i'eveillerent, disant : Maitre, Maitre, nous
perissons! Mais lui, se levant, gourmanda le vent etlatrombc
d'eau, et ils s'apaiserent, et le calme se fit. II leur dit : Oii est
votre foi? Mais eux, pleins de crainte et emerveilles, se disaient
1'un a 1'autre : Quel est done celui-ci qui commande jusqu'aux
vents et aux flots et ils lui obeissent?
1. Lc., vir, 66-17.
LES MIRACLES DE JESUS. 339
Puis ils aborderent dans la region des Ge"raseniens, sise vis-a-
vis de la Galilee. Comme il descendait a terre, se presenta devant
lui un homme de la ville possede; depuis longtemps il ne portait
plus de vetements, et n'habitait pas dans une maison, mais dans
des tombeaux. Voyant Jesus il se mit a crier et tomba a ses pieds,
criant a pleine gorge : Qu'y a-t-il entre toi et moi, J^sus, fils du
Dieu tres haut? Je te prie, ne me tourmente pas ! Car il ordon-
nait a 1'esprit impur de sortir de 1'homme. (A bien des reprises,
en effet, il s'etait empare de lui. Et on gardait l'homme lie de
chaines et d'entraves; et, brisant ses liens, il etait pousse par le
de"mon aux lieux deserts). Jesus Finterrogea : Quel est ton
nom? Mais lui : Legion! car beaucoup de demons etaient
entres en lui. Et ils le priaient de ne pas leur enjoindre d'aller
dans l'abime.
Or il y avait la, paissant sur la montagne, un troupeau de pores
assez nombreux; et ils le priaient de leur permettre d'entrer en
eux, et il le leur permit. Sortis de rhomme, les demons entrerenit
dans les pores et le troupeau s'elanga du haut de 1'escarpement
dans le lac, et fut noye. Ce que voyant les bergers s'enfuirent et
1'annoncerent dans la ville et dans les champs. Ils sortirent pour
voir ce qui etait advenu, vinrent a Jesus, et trouverent l'homme
duquel etaient sortis les demons, vtu et assagi, assis aux.pieds
de Jesus. Et ils furent eflfrayes; et ceux qui avaierit vu leur racon-
taient comment le demoniaque avait ete sauve 1 .
Sous le coup de la peur qui les prit, et probablement aussi
plus sensibles que de raison a la perte materielle, les gens
de Gerasa prierent le Maitre de s'eloigner. Tout en mettant
en vif relief la malfaisance des demons, cette perte etait
pourtant plus que compens^e par la delivraiice du redoutable
energumene. Nu, hurlant, gitant dans les tombeaux en sau-
vage, ce malheureux qu'on avait dti renoncer a entraver,
etait un danger public. Or chaeun pouvait le voir mainte-
nant, convenablement v^tu, rendu a la dignite humaine, aux
pieds de son liberateur 2 .
1. Lc., VIH, 22-36.
2. Le commentaire le plus significatif de cet episode est peut-etre le
roman de Fedor Dostoiewsky, Les Possess, 1871, qui a justement pour
epigraphe Lc., vin, 32. L'auteur y incarne, a travers une intrigue assez
broussailleuse, mais avec vigueur, les forces malefiques, anarchiques,
diaboliques, de certains agents de revolution, qui fixent pour ainsi dire en
eux les ferments morbides d'un corps social; en 1'espece, la Russie.
L'elimination de ces pourceaux rend un pays a la sante, et alors le
malade, delivr6, gueri, s'assiera aux pieds de Jesus >. La lecon est
340
JESUS CHRIST.
A peine de retour sur la rive galileenne du lac, recu avec
joie par une foule qui 1'attendait,
voici qu'arrive un homme du nom de Jai'r, Icquel etait chef de
la synagogue. Tombant aux pieds de Jesus, il le priait d'entrer en
sa maison, parce qu'il avail une fille unique, d'environ douzc ans
qui se mourait.
Comme Jesus s'y rendait, les foules le serraient a 1'etouffer. Or
une femme souflrant depuis douze ans d'un ilux de sang qui n'avait
pu 6tre gueri par personne, s'approcha par derriere et toucha la
houppe de son manteau, et sur-le-champ son flux de sang s'arreta,
Et Jesus dit : Qui m'a touche? Comme tous s'en deTendaient.
Pierre dit : Maitre, la foule te presse et t'accable! Mais Jesus
dit : Quelqu'un m'a touche, car j ; ai senti qu'une vertu sortait
de moi. Se voyant decouverte, la femme vint en tremblant se
jeter a ses pieds, et raconta devant tout le peuple pourquoi elle
1'avait touche, et comme elle avait etc guerie sur-le-champ. Mais
lui : Ma fille, ta foi t'a sauvee; va en paix.
II parlait encore quand survint quelqu'un de chez le chef.de .la
synagogue, disant : Ta fille est morte; n'importune pas le
Maitre plus longtemps. Co qu'entendant, Jesus dit au pere :
N'aie pas peur; crois seulement et elle sera sauvee. Arrive a
la maison, il ne laissa entrer personne avec lui, sauf Pierre, Jacques
et Jean, le pere et la mere de 1'enfant. Cependant tout le monde
pleurait et se lamentait sur elle. II dit : Ne pleurez pas : car elle
n'est pas morte, mais elle dort. Et ils se moquaient de lui,
sachant qu'ellc etait morte. Mais lui, la prenant par la main,
1'interpella en disant : Enfant, reveille-toi. Et 1'esprit lui
revint, et elle se leva sur-le-champ, et Jesus commanda de lui
donner a manger. Ses parents etaient dans la stupeur; mais il
leur defendit de dire a personne ce qui s'6tait passe".
Ayant convoque les Douze, il leur donna force et puissance sur
tous les demons, et de guerir les maladies. Et ils les envoya prfr-
cher le Royaume de Dieu...
Revenus, les apotres lui raconterent tout ce qu'ils avaient fait.
Et les prenant avec lui, il se retira a l'e*cart, en tirant vers
Bethsaide. Mais 1'ayant su, les foules le suivirent, et il les
accueillit, leur parlant du Royaume de Dieu et guerissant ceux
qui en avaient besoin.
Or le jour commencait a baisser. S'approchant, les Douze lui
dirent : Renvoie la foule : qu'ils aillent dans les villages et la
campagne tout autour, cherchcr abri et subsistance, car ici nous
sommes dans un desert. II leur dit : Donnez-leur a manger
d'autant plus frappante que Dostoievsky avait ete Iui-m6me moins 6par-
gn6 par 1'autorite.
LES MIRACLES DE JESUS 341
vous-memes! Mais eux : Nous n'avons pas plus de cinq pains
etde deux poissons... a moins peut-e'tre que nous n'allions nous-
m6mes acbeter des vivres pour tout ce monde ! Car il y avait la
quelque cinq mille hommes.
Il'dit a ses disciples : Faites-les asseoir par tables de cin-
quante, plus ou moins. Et ils agirent ainsi, les faisant tous
s'elendre. Mais lui, prenant les cinq pains et les deux poissons,
les yeux au ciel, il les benit, les rompit et il les donnait aux dis-
ciples pour Stre servis a la foule. Et ils mangeaient, et tous furent
rassasies, et on emporta de leur surplus : douze corbeilles de
morceaux*.
Gette suite de miracles qui se presse en moins de six cha-
pitres d'un de nos e*vangiles permet une discussion sur
pieces. On a remarque* surement la place considerable que
tient, dans I'actiyite' merveilleuse du Seigneur, la lutte contre
les mauvais esprits. Quelques explications sur ce point ne
paraitront done pas inopportunes.
Les Expulsions de Demons.
La croyance aux demons 2 occupe une telle place dans le
monde antique qu'un excellent erudit a pu ecrire qu'en son
histoire seule, tout 1'esprit helldnique se reflefce 3 . G'est assez
dire sa complexite, et comme elle repugne a toute description
precise. Au temps apostolique, la notion de 8a([Ao>v, orientee
jadis par Homere et Hesiode dans ses directions essentielles,
elabore'e par les philosophes et les poetes, enrichie et de*-
gradee par la superstition populaire, avait atteint son plein
developpement. Celestes ou infernaux, sans caractere moral,
sans relief personnel accuse, participant tous, bien qu'inega-
lement, a la puissance supreme qui regie la destine*e humaine,
et dont ils sont les instruments et les interpretes, les dai-
mones se partagent en deux grandes classes, les bons
et les mechants demons ce qu'il faut plut6t entendre :
bienfaisants, porte-bonheur ; ou, malfaisants et nefastes. Quel-
que origine qu'on leur attribuat : dieux retrogrades, demi-
dieux, morts desincarnes, genies tutelaires d'une race ou d'un
homme, d'une profession ou d'une cite, on les concevait
1. Lc., VHI, 41-56; ix, 1; 10-17.
2. Voir infra, p. 470, la note H a , AAIMONES et Demons.
3. J. A. Hild, Daemon, dans DAGR, II, 1, p. 9, 6.
342 jijsus CHRIST.
comme des forces avec lesquelles il fallait compter : soitque,
redoutables, il convint de les apaiser, en se les rendant
propices; soit que, detenteurs d'e"nergjes surhumaines, on
tentat de les faire serviiv par imploration, ruse ou contrainte,
a des fins determinees.
A ces images incertaines, surgies du vieux fbnds helle*nique
et auxquelles les lettres et la philosophic grecques assuraient
un immense empire dans le monde mediterrane'en, d'autres
figures, analogues et innombrables, s'etaient juxtaposees, ou
amalgamees, venant des terres classiques de la magie : Egypte,
Babylonie, Perse ou Thrace. Et si le demonisme egyptien, si
1'angelologie iranienne offraient certaines formes relativement
nobles, celles qu'apportait le vent soufflant de Babylone a
travers la Syrie, etaient d'ordinaire impures et malefiques.
Placee au centre de ces influences, assiegee au nord par
Fhellenisme, limitrophe et longtemps tributaire des deux civi-
lisations-meres, assises sur les fleuves divins : le Nil -a
1'ouest, TEuphrate et le Tigre a Test, la Terre Sainte ne pou-
vait echapper a la contagion. Depuis PExil surtout, Tantique
severite s'etait detendue qui condamnait comme un" crime
capital le commerce avec les demons, et denoncait dans tout
ce qui s'y rapportait, une saveur idolatrique ^. Les idees cou-
rantes en Babylonie 2 , ou 1'on devinait des e sprits malins a
1'origine de la plupart des maladies, firent leur chemin dans
lie peuple de Dieu, amenant avec elles la croyance qu'bn
pouvait centre carrer ou neutraliser, par certains precedes,
Faction des mauvais demons. On attribuait globalement au
3?oi Salomon les fbrmules les plus puissantes, et sous ce
1. Deuter., xviu, 10-11 ; II (iv) Reg., xxr, 6; II Paral., xxxm, 6; Isa'ie, XLVII,
9, 12; Jer6mie, xxvu, 9 suiv. ; Mich6e, v, 11 suiv., etc. Voir L. Blau, Das
Alljudische Zauberwesen, Strasbourg, 1898, r6sume par Fauteur, JE, VIII,
p. 255 suiv. Sur la magie en Israel dans les temps posterieurs, E. Schiirer,
Geschichte des jild. Vol/tes*, III, p. 414-420; M. Caster, dans ERE, VIII,
p. 300 suiv.; Strack et Billerbeck, Altjildische Daemonologie, dans KTM,
W.
2. R. Campbell Thompson, Devil and Evil Spirits of Babylonia,
lLondon, 1904, 1905; Semitic Magic, 1908; Demons and Spirits (BabyL)
dans ERE, IV, p. 568. Voir aussi les Bulletins des Religions Assyriennes
et Babyloniennes d'Albert Condamin, dans HSR, notamment XIII', 1923,
p. 92 suiv.
LES MIBACLES DE JESUS. 343
patronage, se mettait aussi, au temoignage de Josephe, la
designation d'une racine dont 1'usage renforgait 1'energio des
exoreism.es.
Le monotheisme intransigeant d' Israel n'avait pas permis
,a ces croyances de dege"ne>er comme ailleurs, ou au mdme
point qu'ailleurs, en superstition. Surtout 1'austerite d'autre-
fois, dont la Loi perpetuait les anathemes, imposait au demo-
nisme palestinien un caractere moral accuse. Les esprits se
repartissaient en classes tranchees, et leur action, bonne ou
mauvaise, diabolique ou angelique, n'etait jamais demoniaque d
au sens serai-profane du mot, c'est-a-dire de simple inspira-
tion, sans qualite definie. Mechants, impurs , les demons
sont incapables de tout bien, fAt-ce de servir d'instrument
dans une guerison miraculeuse 2 . Us peuvent se preter a
certains pactes limitant leur activite visible, mais celle-la
seulement : ces noires pratiques se solderont toujours par un
inal plus grand, et sont exclues des exorcismes licites 3 .
Ges derniers s'etaient en effet multiplies, avec 1'idee meme
que bien des maladies, celles par exemple qui entralnaient
des convulsions, des agitations frenetiques, des troubles men-
taux apparents, etaientle fait de mauvais esprits 4 . Pour guerir
1. Sur cette notion de demonique, distincte du diabolique (le mot
manque en frangais, demoniaque etant toujours pejoratif, mais le mot
demon est employe en ce sens) voir par exemple Rud. Otto, Das Heilige,
eid. anglaise Harvey, 1924, p. 126 suiv. ; 155 suiv. Goethe 1'a developpee
avec predilection, et elle est differente, a la fois de la notion juive et
chretienne, a caractere moral defini, et de la notion hel!6nique ou
pai'enne, proprement superstitieuse, a caractere religieux defini, de la
2. Apres la predication du Christ qui suiyit la guerison de 1'aveugle
ne, les opinions des auditeurs divergent : Plusieurs parmi eux disaient :
II a un demon en lui, et il delire, 8at(idviov '^st xa\ p-aive-cat, pourquoi
I'ecoutez-vous? D'autres disaient : Ces paroles ne sont pas d'unpossede;
est-ce qu'un demon pent ouvrir les yeux des aveugles? Jo., x, 20-21.
3. Me., in, 22 suiv. ; Mt., xir, 24 suiv. ; Lc., xi, 15.
4. J. Smit, De Daemoniacis in historia evangelica, Rome, 1913, p. 146-
172. Deja Dom Calmet au debut du xvm siecle, dans les Dissertations
jointes a ses Commentaires publics entre 1707 et 1716, et, avant lui, le
vieux John Lightfoot, dans ses Ilorae Hebraicae et Talmudicae, parues a
Cambridge et Londres entre 1658 et 1678 (voir 1'edition R. Gandell,
Oxford, 1829, II, p. 249), ont reconnu et explique le fait.
344 % JESUS CHRIST.
ces lunatiques, demoniaques ou energumenes, qu'on estimait
e*tre posse*des, une therapeutique speciale s'etaitetablie, tenant
a la fois de Pempirisme, de la religion et de la magie. Je*su&
fait allusion a ces cures ^tentees frequemment par les hommes
de son temps, hors d'lsrael et en Israel.
Nous avons d'ailleurs constate plus haut que Je'sus lui-me'ine
proceda souvent a la delivrance des possede's 2 . Les malheu-
reux quHl delivrait ainsi etaient-ils simplement des malades :
epileptiques agites, grands nerveux, indument classes parmi
les victimes des mauvais esprits? Des critiques modernes, en
bon nombre, 1'ont cru, et tous ceux pour qui 1'existence et
Faction d'esprits separes est un scandale et une impossibilite,
doivent naturellement expliquer ainsi les textes, si c'est lales
expliquer. Les uns admettront done que le Maitre a partage
la-dessus les idees et les erreurs de son temps, et qu'ainsi il
a cru de bonne foi delivrer du Malin les pauvres gens dont
1. Me., in, 22; Mt., xir, 27; Lc., xi, 18-19. Jesus parle ici ad hominem,
sans appr6cier au fond la valeur des moyens mis en oeuvre. Ses adver-
saires, obliges de reconnaitre I'efficacit6 de ses interventions pres des
possedes, en attribuaient I'efficacit6 a un pacte, conclu avec un demon-
chef, et tres m6chant, Beelzeboul (sur B6elzeboul, Strack et Billerbeck,
KTM, I, p. 631, 632; et J. Klausner, Jesus of Nazareth, 1925, p. 272). t Mais
vos disciples (litt. : vos fils), pr^tendent bien chasser les demons, et
parfois efficacement, repond Jesus. Au nom de qui? 11s seront done les
premiers a retorquer centre vous cette interpretation sinistre ! Ailleurs,
Me., ix, 38-40, le Maitre defend qu'on s'oppose a 1'expulsion de demons,
pratiqu6e en son nom par un exorciste sans mandat.
2. Sur la question en general, W. Menzies Alexander, Demonic Posses-
sion in the Neva Testament, Edinburgh, 1902 ;E. Mangenot, De'mon dans
laBibleet laTheologicjuive, dans DTC, IV, 1, 1911, col. 322-339; A. Titius,
Ueber Heilung von Daemonischen im Neuen Testament, dans Festschrift
fur Bonwe'sch, Leipzig, 1918, p. 25-47. Le meilleur ouvrage de beaucoup
est celui de J. Smit, De Daemoniacis in historia evangelica, Rome, 1913,
veritable somme de la question. Sur le cot6 philosophique, Edw. Ingram
Watkin, The Philosophy of Mysticism, London, 1920, p. 237-240.
Les recueils de prodiges, juifs et pai'ens, 6dites par Paul Fiebig, et
qu'il est tres instructif de comparer aux miracles du Nouveau Testament,
font une large part a 1'expulsion de d6mons. Voir P. Fiebig, Rabbinische
Wundergeschichten des neutestamentl. Zeitalters; Antike Wundergeschich-
tenzm Stadium der Wunder des N. T. zusammengestellt*, Bonn, dans les
Kleine Texte de H. Lietzmann, n. 78, 79. Voir en particulier, dans ce
dernier opuscule, les nn. 6, 18, 20, 22.
LE6 MIRACLES DH JESUS. 345>
son ascendant moral, et son prestige bienfaisant ame'lioraient
ou transformaient 1'etat physique. D'autres estiment que le
Sauveur, sachant a quoi s'en tenir pour son compte, se serait
pr^te,. dans un but de charite, a une erreur inoffensive. Quel-
ques-uns enfin font retomber toute la confusion sur les seuls
evangelistes.
Aucune de ces fagons de voir, ni la premiere, ni les autres,
plus respectueuses mais encore plus arbitraires et gratuites,
ne fait justice a 1'histoire et aux textes. La question, obser-
vons-le, n'est pas de vocabulaire. Que conformement a la lan-
gue de leur temps, refle"tant elle-me'me la conception d'apres
laquelle t un groupe d'infirmites etait considers" comme etant
d'origine diabolique, les evangelistes aient qualifie de de"mo-
niaques et d' energumenes , oude lunatiques , de simples
malades, cela n'auraitpas lieu d'etonner, et on ne saurait le
nier a priori. On trouverait la le pendant des expressions
bibliques, tres repandues, qui rapportentimmediatement a Dieu,
en excluant ce que nous appelons maintenant.les causes se-
condes, toute sorte de bien, me"me celui qui s'opere par des-
intermediaires naturels, comme une maladie guerie moyennant
des remedes appropri^s, ou le succes d'une entreprise habi-
lement conc.ue et executee. Ge qui rend insoutenables les
explications des critiques liberaux, fondees sur une confusion
entre malades et possedes, ce sont done moins les expressions
de 1'Evangile que 1'ensemble de ce qu'il rapporte, et tout
d'abord le langage et 1'attitude mfime du Christ.
Des le debut de son ministere Jesus s'est mesure a une
Puissance spirituelle qui a essaye, par voie de seduction et
d'intimidation, de faire devier sa mission 1 . Si mysterieux que
reste cet episode en plusieurs de ses details, il n'en atteste
pas moins, avec force, la pensee du Maitre, touchant 1'exis-
tence et 1'intervention, allant jusqu'a 1'action directe et phy-
sique, de Satan.
Cette initiative maiigne n'epargne pas plus les disciples que
le Maitre :
1. Me., r, 12-13; Mt., iv, 1-11; Lc., iv, 1-13. On peut voir sur la tenta-
tion la monographic de P. Ketter, Die Versuchung Jesu nach dam Berichte
der Synoptiker, Miinster i. W., 1918.
"346 JESUS CHRIST.
Simon, Simon, voici que Satan vous a demands
pour vous passer au crible comme du b!6,
mais moi, j'ai prie" pour toi 1 ...
Quatre faits majeurs figureront dans la double ou la triple
Synopse, ne laissant d'ailleurs aucun doute sur le caractere
{personnel, et intelligent, de 1'obsession diabolique. A la sy-
nagogue de Capharnaiim, 1'homme en puissance d'esprit
impur 2 prend 1'offensive, ressent comme une brulure, a
'1'approche du Maitre, et manifesto sapeurpar des cris affreux,
mais aussi par une angelique puissance de divination :
Laisse! Qu'y a-t-il entre nous et toi, Jesus de Nazareth?
Tu es venu nous perdre?
Je sais qui tu es : le Saint de Dieu !
L'energumene de Gerasa, decrit par Marc avec un realisme
^poignant, s'il est un furieux, n'est pas un malade ordinaire. II
Interpelle Jesus, longtemps avant la confession de Pierre,
comme : Fils du Dieu Supreme! et, avant Caiiphe, ill'ad-
jure par Dieu; puis, contraint de lacher sa proie, le demon
>marchande, et cherche encore a nuire, dans 1'abjecte retraite
r qu'il implore 3 . La delivrance de la fillette syrophenicienne est
racontee seulement en gros ; mais 1'influence victorieuse des
forces morales en pareil cas y est soulignee** II en va de
one'me pour 1'adolescent qu'un demon rendait sourd et incapa-
ble de se faire comprendre : centre des esprits de cette es-
pece la priere seule assure le triomphe 5 .
En dehors de ces faits circonstancies, tous les rappels de
l'activite miraculeuse du Sauveur 6 mentionnent expressement,
-a c6te des malades gueris, les demoniaques liber^s. Jesus lui-
.me'me, s'il envoie ses disciples en mission temporaire, les in-
1. Lc., xxu, 31.
2. Me., i, 23-28; Lc., iv, 33-37.
3. Me., V, 1-20; Ti Ipoi (Mt. : r)(Jitv) xl cot, 'Irjoot) oU Toil sou TOU u^t'otou;
*ifo aJ tbv Oso'v, etc. Mt., vin, 28-34; Lc., vin, 26-39.
4. Me., vii, 24-30; Mt., xv, 21-28.
5. Me., ix, 18-29; Mt., xvn, 14-21; Lc., 9, 37-42. A la priere comme
moyen efficace d' exerciser TOUTO TO ysvo;, les versions syriaques, la Vulgate,
et nombre de manuscrits grecs, suivis par H. J. Vogels, ajoutent le jeune.
6. Mt., iv, 24; Me., I, 32, 34, 39; Mt., vm, 16; Lc., iv, 40, 41; Me., m,
dO; Lc., vi, 17-19; Lc., vn, 21.
LBS MIRACLES DE JESUS. 347
vestit du double pouvoir *. Le quatrieme evangile n'est pas
moms formel : il coraprend incontestablement 1'expulsion du
diable parmi les oeuvres du Christ . Bien plus : il resume
fcoutes celles-ci en celle-la. Maintenant, declare le Maitre,
C'est maintenant le jugement de ce monde-ci,
maintenant le prince de ce monde va etre jete dehors.
Et moi, quand j'aurai ete leve de terre,
je les tirerai tous a moi.
La lutte finale se livre au jpur de la Passion. En montant au
Jardin des Oliviers, Je"sus dit :
)e ne vous en dirai plus Men long,
car il vient, le prince du monde,
et il n'a aucune part en moi.
Mais, virtuellement, il y a bataille gagnee : le prince de
-ce monde est deja juge . De ce jugement, et de cette vic-
toirej la delivrance des posse"des est L'annonce et le debut 2 .
A c6te des faits averts, qu'on place 1'enseignement positif
de Jesus, soit qu'il decrive la puissance du demon et sa tac-
iique, soit qu'il expose les f aeons de le combattre et montre,
dans Toeuvre messianique entiere, la contre-partie triomphale
de Fentreprise du Malin. Gette derniere serie de textes ne
laisse aucune vraisemblance al'opinion qui interprete Fattitude
-de Jesus comme une accommodation volontaire a des erreurs
alors generates, censees inoffensives. 11 est vain d'assimiler
une conception de ce genre aux locutions selon les apparences.
Dire que le soleil se leve, ou se couche; parler de la voute du
ciel, etc... c'est employer le langage de tout le monde, et les
plus avertis continuent justement d'en user. Quelle comparai-
son 6tablir entre des facons de parler qui ne trompent per-
sonne, et la tolerance ou plut6t 1'enseignement d'une erreur
attribuant a des e"tres surhumains de graves maux d'ordre
physique et Forganisation, dans Funivers entier, du mal mo-
1. Me., m, 15; vr, 7, 12, 13 et parall.; xvi, 15-18.
2. Jo., XH, 31-32; xvi, 11; xrv, 30. G. Stanley Hall n'en ecritpas moins,
avec son manque habituel de sens historique : Jean ne dit rien de
1'expulsion des demons, comme si cette odieuse superstition etait deja
sur son deelin ! Jesus the Christ in the light of Psychology, New- York,
1923, p. 625.
348 JESUS CHRIST.
ral? Nous sommes la sur le terrain religieux et, bien plus,,
messianique. Or 1'antithese johannique *, selon laquelle
a cette fin est apparu le Fils de Dieu :
defaire les oeuvres du diable,
est I'e'cho fidele de la predication la plus constante du Maltre r
Quand, arme de toutes pieces, le fort garde son chateau,
son bien est en surete".
Mais que plus fort que lui, survenant, le vainque,
il lui enleve I 1 arsenal ou (1'autre) mettait sa confiance
et distribue ses de"pouilles a .
Parabole saisissante, qui resume 1'oeuvre de Jesus, telle que-
lui-me'me la concevait. Les oeuvres du diable , c'est le
mensonge, sous toutes ses formes, du plus homicide au plus
impudent. Gar Satan est.l'ennemi de la verite non par nature,
ce qui le soustrairait a la creation de Dieu, mais par chute et
depravation d'orgueil qui 1'a fait sortir de la verite de son etat :
II ne s'est pas tenu dans la verite,
parce qu'il n'y a pas de verite eh lui.
Quand il profere le mensonge, c'est de son fonds qu'il parle,
parce qu'il est menteur, et pere du mensonge 3 ,
Menteur il est, quand il vient sous couleur de distraction
6ter du cceur des hommes les bonnes semences de verite je-
tees par la predication evangelique. Pere et patron du men-
songe, quand il va la nuit semer 1'ivraie dans le champ de
Dieu. Menteur, jusque dans ce titre qu'il s'arroge, de prince
de ce monde. Non qu'il ne soit fort : il a fait reellement, du
monde tel qu'il apparait, une sorte de chateau, ou ses biens
semblent en surete ; une cite dont il est le prince ; un Royaume
ou, avec ses anges 4 invisibles et visibles, il exerce un
veritable empire. De cet empire, les malheureux hommes qu'il
possede sont les herauts, d'autant plus eloquents et pitoyable&
parfois, que, enfants, ou adolescents, ils sont moins person-
nellement coupables. Eh bien! c'est la, c'esb sur ce territoire
usurpe, sur cette irredenta divine ou Satan s'espace, que va
1. IJo., in, 8b.
2. Lc., xi, 21; voirMt., xii, 29; Me., in, 27.
3. Jo., vin, 446.
4. Mt., xxv, 41 ; cf. Apoc., xn, 7, le Dragon et ses anges >; Strack et
Billerbeck, KTM, I, p. 983 suiv.
LES MIRACLES DE JESUS. 349
e livrer et se gagner le premier combat, qui marque Tarrivee
definitive du Royaume de Dieu. Le merveilleux pouvoir du
Sauveur sur les demons intrus en est le signe certain.
Mais si par le doigt de Dieu je chasse les demons,
Done, c'est qu'il est arrive" a vous, le Royaume de Dieu ' 1
Get avenement est un combat singulier, un duel formidable
a la suite duquel le Malin deconfit, deboute" des droits qu'il
pretend, affaibli dans le pouvoir de fait qu'il de"tient, sera mis
en deroute. Un retour offensif est pre"dit, partiellement victo-
rieux : ce sera le lot et le chatiment de cette generation
perverse 2 . Puis la lutte se poursuivra, au cours de laquelle
le chef du Royaume messianique et ses serviteurs s'affronte-
ront sans tre"ve au prince de ce monde-ci et a ses auxiliai-
res, et finalement en auront raison.
Cette conception, les apdtres la partagent. Quand ils
reviennent de leur mission, pleins de joie et de confiance, le
premier mot des disciples est : Seigneur, les demons me'ines
nous sont soumis. Et le Maitre de conclure.:
Je voyais Satan tomber du ciel comme un eclair!
Et voici qu'a vous, les Douze, j'ai donne pouvoir de fouler aux
[pieds serpents et scorpions,
et toute la puissance de 1'Ennemi;
et rienne vous fera nuisance 3 .
Puis, a cette heure meme , Je"sus tressaillit de joie dans
le Saint-Esprit, et dit : Pere, je te rends graces .
Require toute cette doctrine a une suite de m^taphores,
y voir une antithese en quelque sorte litteraire, personnifiant
1. Lc., xi, 20; Mt., xif, 28 substitue au biblique < doigt de Dieu :
Exode, vm, 14 suiv., le plus intelligible esprit de Dieu >. C'est en com-
binant ces deux textes qu'on est arriv6 k qualifier le Saint-Esprit : digi-
tus paternae dexterae . Sur tout ce passage, A. Fridrichsen, Le Probttme
du Miracle dans le Christianisme Primitif, 1925, p. 49 : Cette conclu-
sion exprime la pensee de 1'Eglise primitive, mais nous donne sans doute
aussi celle de Jesus lui-meme. Elle montre quelle grande importance, a
1'epoque la plus ancienne, on attribuait aux exorcismes : ils sont un des
signes caracteristiques du royaume de Dieu. >
2. Mt., xn, 43-45; Lc., xi, 24-26.
3. Lc., x, 17-19 : Psaume xci (Vulg. xc), 13. Sur le contexte et 1'enchai-
nement avec Lc. ; x, 21 : Je vous rends graces, etc. voir ci-dessus,
tome I], p. 27.
350 JESUS CHRIST.
les puissances humaines du Mai pour les rendre plus con-
cretes, c'est prater au Sauveur un etat d'esprit moderne,.
romantique, totalement inintelligible a ses auditeurs. Une
telle exegese peut se faire agreer d'un lecteur, desireux avant
tout de ne pas elre depayse : aucun historian ne s'en conten-
tera. En realite, Jesus a constamment agi dans 1'hypothese,.
et il a formellement enseigne", quo des puissances spirituelles,.
appelees mdistmctementparlese>angelistes e sprits malins
ou esprits impurs , s'opposant a 1'etablissement du Regne
de Dieu, exercaient dans et par des corps d'hommes une
activite visible, exprimaient des jugements marques parfois
d'une penetration surhumaine 1 .
II faut done reconnaitre que les cas de possession etaient
alors tres frequents, et 1'action des mauvais esprits plus,
visible qu'elle ne Test communement aujourd'hui, en pays
chretien. Sur les causes de cet empire etonnant du prince
de ce monde a cette epoque, nous avons mieux que des
conjectures : les paroles me'mes de Jesus decrivant les efforts
du Malin pour defendre ou recouvrer un pouvoir qu'un
plus fort que lui venait lui arracher. Gette lutte, dont lea
expulsions de demons forment 1'episode le plus parlant, est
a 1'arriere-plan de tout 1'Evangile.
Quant au fait m6me, et a 1'etendue des pratiques demo-
niaques au temps apostolique, on ne saurait les mettre en
doute. L'etude de la magie antique, qui est fort loin d'etre
achevee 2 , revele une prodigieuse vitalite de pratiques, au
fondpeu variees : charmes, philtres, amulettes, sorts, malefices;
formules d'evocation, d'execration et d'exorcisme; drogues
et recettes efficaces. L'effort pour conjurer, contraindre ou
capter des forces diaboliques ou divines, tourne en un cercle
1. Me., i, 23, 24; Lc., iv, 33-35; Me., i, 34; Lc., iv, 41 ; Me., ill, 11-
12; Me., V, 7; Mt., vm, 29; Lc., vm, 28.
2. On peut voir H. Hubert, Magia dans DAGiR, III, 2, col. 1494-1521 ; et,
parmi les memoires reunis dans ERE, Charms and Amulets, Greek, par
L. Deubner, III, p. 443 suiv. ; Roman par R. Wiinsch, p. 461 suiv. ; et
^Magic, Greek and Roman, par K. F. Smith, VIII, p. 269-289. L'histoire
suivie de Lynn Thorndike, A History ofMagy and Experimental Science
during the thirteen first Centuries of our Era, New- York, 1923, I, Book
I et II, p. 39-551, est un expose touffu, actuellement le plus complet; mats
la competence de 1'auteur est surtout medievale.
LES MIRACLES DE JESUS. 351'
assez etroit, trace par les plus vaines et les plus viles pas-
sions : la curiosite, la peur, la jalousie, 1'amour charnel,.
la cruaute". Partout se revelent les tares qui font de la magie,.
si proche de la religion et vivant sur elle, le poison et le
chancre du sentiment religieux veritable : amoralite absolue
dans les moyens, prostitution du divin a des fins coupables
ou simplement humaines. On ne peut douter, apres cela, que
la lutte centre la magie noire n'ait ete une partie integrante
de cette defaite ou dissolution des oeuvres du diable ,.
que le Christ est venu procurer.
Sous ce rapport, la lecture des plus anciens documents
chretiens commente efficacement 1'Evangile : partout la
predication apostolique se heurte a la magie. A Samarie r
Simon le Mage exerce une sorte de dictature de fait 1 ; en
Chypre, le sorcier juif Elymas dissuade le proconsul Sergius-
Paulus de croire 2 ; a Philippes de Macedoine, saint Paul
delivre une esclave pythonisse 3 ; a Ephese, des exorcistes-
Israelites, et notamment les fils du prdtre Sceva, tentent
d'exploiter le nom de Jesus pour leur Industrie. A Ephese
encore, dociles aux predications de I'apdtre, les neophytes
livrent aux flammes une masse de grimoires et de livres.
magiques, representant une somme enorme 4 . Dans ses lettres r
Paul nomme la sorcellerie, immediatement apres 1'idolatrie,.
parmi les oeuvres de la chair , ennemies de 1'Esprit de
Dieu; et il demande aux Galates qui les a ensorceles au
point de leur faire perdre de vue Jesus crucifie 5 . II met en
garde les Golossiens contre les vaines observances 6 ,
1. Actes, vin, 9 suiv. Voir sur la Gnose simonienne les m&noires de-
L. Cerfaux, RSfi, XV-XVII, 1925-1927.
2. Actes, xni, 4-12.
3. Actes, xvi, 16 suiv.
4. Actes, xix, 13-17 et 19. Sur les Ephesia Grammata, Kuhnert dans-
RECA,V, 2, col. 2771 suiv. etsurtout Ad. Deissmann, Ephesia Grammata,
dans les Abhandlungen zur semitischen Religionskunde, offerts a W. W.
von Baudissin, Giessen, 1918, p. 121-125. Les livres brules valaient
50.000 * pieces d'argent >. Si Ton estime la drachme d'argent a 0,93 c.,.
on arrive 4 pres de 50.000 francs.
5. Gal., v, 2 : cpap[Aot/.i'a; Gal., m, 1 : Tt's uiiS? e6aa>cavev; Voir Moulton et.
Milligan, VGT, p. 106 ; et Eitrem u. Fridrichsen, Bin christliches Amulet
auf Papyrus, Kristiania (Oslo), 1921.
6. Coloss., ir, 16-23.
352 JESUS CHRIST.
Corinthiens, centre le culte des demons , qu'il identifie
avec celui des idoles 1 , et les Thessaloniciens, centre les
seductions d'une sorte de parousie diabolique, s'accomplis-
sant selon Faction de Satan, en toute eorte de miracles, de
signes et de prodiges menteurs 2 .
Dans son Apocalypse, Jean rapproche constamment de
I'impurete la pratique de la magie, et voit en elle une des
maitresses branches poussees sur le tronc idolatrique 3 . G'est
par ses philtres que la grande prostituee, Babylone (la ! Rome
palenne) a affole toutes les nations 4 . Aux sorciers, entre
les fornicateurs et les idolatres, est re*6eryee la seconde
mort 5 . Les trois memes classes de grands pe*cheurs sont
derechef enumerees, avec les meurtriers, parmi les chiens
exclus de la cite sainte oft regne 1'Agneau immole' 6 . Le second
commandement de la Didache apostolique porte, de son c6te :
Tu ne pratiqueras pas la magie, ni la sorcellerie. Et plus
loin : Voici le chemin de la mort : meurtres, adulteres,...
idolatrie, magie, sorcellerie 7 .
Le caractere miraculeux des expulsions de demons racontees
dans 1'Evangile est par ailleurs manifesto. L'interpretation
rationaliste qui reduit les divers cas de possession a des
formes variees de maladies mentales ou nerveuses : a I'epi-
lepsie, a la manie, a la grande nevrose, a Fasth^nie chronique,
ne facilite aucunement Texplication naturelle des cures
accomplies par Jesus. On reconnait en effet de plus en plus la
rarete', 1'extreme lenteur et rinstabilite' des gu^risons obtenues
1. I Cor., x, 20, 21. On peut voir les textes compares par J. Weiss, Der
erste Korintherbrief* , Goettingen, 1925, p. 261 suiv.
2. II Thess., II, 9 : ou !<rc\v rj napouata xat' evIpYetav TOU oaTava iv naor) 8uvi[xet
y.a\ cj|iefoi; xal tepafftv tfisuSou;.
3. Apoc., ix, 21.
4. Apoc., XVUI, 23 : b T^ fappiaxeia oou ^7uXavi58rio*v navTa Ti lOvrj. Pour
marquer Thorreur consommee de son chatiraent, il est dit que la grande
Babylone est devenue un habitat de demons, un lieu de refuge pour
tout esprit impur et pour tout oiseau sinistre et de mauvais augure >,
tout I'arsenal de la sorcellerie, Apoc., xvm, 2.
5. Apoc., xxi, 8 : ropvotg xl <pap(iy.ot5 xal eJSwXoXtxTpat?; et sur la seconde
mort >, Strack et Billerbeck, KTM, III, p. 380 suiv.
6. Apoc., xxn, 15.
7. Didache, n, 1; v, 1.
LBS MIRACLES DB JESUS. 353
n pareille matiere : les illusions se sont evanouies avec les
theories memes qui les avaient fait naitre, et en particulier
celle de la grande hysterie.
A ceux qu'un parti pris injustifiable n'empe"che pas d'admet-
tre Fexistence d'esprits sdpares, les delivrances de possedes
operees par Jesus ne paraitront pas moins merveilleuses. Les
methodes employees alors pour exorciser etaient fort con-
testables, et toujours laborieuses, complique'es : les precedes
du Sauveur sont sommaires et souverains. Quelques mots, un
signe, un ordre, et le resultat est obtenu, instantane, complet,
durable. Par la simplicite, I'efficaee, 1'empire qu'ils attestent
dans un domaine trouble et mal connu, ou une force intelli-
gente tient en echec les efforts humains, les gestes du Maitre
ne different pas moins radicalement des exorcismes ordinaires,
que sa fac.on de guerir les maladies ne differait de la thera-
peutique en usage.'
La portee religieuse et spirituelle de ces victoires n'est
pas moins digne d'attention. Le Regne de Dieu n'eut pas a
s'etablir, nous venons de le rappeler, dans un monde innocent,
libre d'attaches, ou tout se rendrait au premier occupant.
Tel qu'il se presentait a 1'elan conquerant du Fils de 1'homme,
le milieu humain etait profondement gate, envieilli dans
des maux de toutes sortes, physiques, moraux et religieux.
Les influences malefiques s'y donnaient carriere au point d'y
>exercer une sorte d'hegemonie : une puissance spirituelle
ennemie de tout bien tenait parfois captifs les corps avec les
4mes. Jesus a fait reculer 1'adversaire sur tous les terrains,
en particulier sur celui de 1'obsession physique, de la pos-
session. L'envie du prince de ce monde a du se borner
ordinairement, depuis, en pays chre"tien, a des suggestions
tout interieures. Mais dans les regions ou 1'Evangile penetre
.pour la premiere fois avec intensite, il se heurte encore,
comme aux jours anciens, a une sorte de. pouvoir occulte,
usurpe mais etabli, qui rappelle tout a fait, par ses re"sis-
iances et ses manifestations, les convulsions des mechants
demons en face de Jesus 1 . Iln'y a guere de missionnaire en
1. Ce beau sujet reste k 6tudier scientifiquement. L'ouvrage de Paul
Verdier, Le Diable dans les Missions, 2 vol., Paris, s. d. (1896), laisse tout
JESUS CHRIST. ii. 23
354 JESUS CHRIST.
ces contrees qui ne s'y soit heurte, et ne puisse confirmer ainsi,
par voie d'analogie, la verite et le caractere miraculeux
des faits evangeliques ci-dessus commentes.
Miracles de Gu&risons.
L'impression que donnent les narrations evangeliques
consacrees aux miracles de Jesus, est celle d'un pouvoir
souverain dans tous les domaines. Ge pouvoir se limite
parfois volontairement, du dedans, ou s'astreint, dans un but
d'enseignement, a certaines formes, comme 1'imposition des
mains 1 . Mais au dehors, la puissance merveilleuse du Sau-
veur ne connait pas d'obstacle : ni 1'inertie des forces natu-
relles dechainees, ni la progression fatale d'elementsmorbides.
Aucune de ces morts partielles : plaies, fievre, lepre, paralysie,
cecite, qui ne soit vaincue, et la derniere mort, celle a
laquelle nul n'ouvre de bon coeur , recule, elle aussi, la chant
sa proie.
Dans cette oauvre extraordinaire, la maniere de Jesus est
d'autre part tres simple, tres grande; si eloignee de toute
complaisance, de tout ce qui sentirait Fostentation ou le
charlatanisme ! Quelques mots, un vouloir, un geste, le
toucher symbolique des yeux qui s'ouvrent, des langues qui
se delient. Et toujours 1'assurance d'un fils qui se meut dans
la maison de son pere, et se sait obei des qu'il manifeste
un desir.
En face de ces faits, dont 1'historicite globale est certaine,
des hypotheses explicatives qui ne seraient pas denuees de
probabilite en d'autres circonstances, paraitraient pueriles.
Gelle qui mettrait en avant 1'habilete du thaumaturge est
a faire pour la critique des faits. La Revue et la Bibliotheque Anthropos,
depuis 1906, offrent, entre autres, de precieuses sources d'information
contr616e. L'admirable recueil du P. Henri Dor6, Recherches sur les
Superstitions en Chine, Chang-Hai', 14 volumes illustres parus entre 1911
et 1920, est d'autant plus interessant que la croyance aux esprits tient
une place plus considerable dans la religion chinoise, et que beaucoup des
superstitions decrites, avec documents a 1'appui, recouvrent a peu pres
exactement celles de I'antiquite classique et semitiqtie.
1 . Sur ces formes, voir 1'ouvrage de J. Coppens, L' Imposition des Mains
et les rites connexes, dans le Nouveau Testament, Wetteren et Paris, 1925,
II, L' Imposition des mains, rite de guerison, p. 28-110.
LBS MIHACLES DE JESUS. 355
simplement ridicule. Le plus adroit metteur en scene ne
reussit qu'un genre de prodiges assez restreint, avec des
a-coups et a 1'aide de complicity's qui finissent par eveiller les
soupgons de ceux qui ont interet a le prendre en faute. Parmi
les ennemis de Jesus, aucun ne s'est avise de cette conjec-
ture.
Gelle de forces occultes, utilisees par le Maitre, n'est guere
plus digne de consideration, bien qu'elle soit le refuge de la
contre-apologetique populaire. C'est qu'il est aise de la resu-
mer en formules assez frappantes : Miracles d'hier, expe-
rience de demain! Ne voyons-nous pas des energies aujour-
d'hui captees, ou en voie de Te'tre : electricite, hypnose,
radium, etc., qu'on ignorait jadis, et dont une application
fortuite eut passe pour merveilleuse? Telle ou telle de ces
forces agissait alors en Judee.
Sous cette forme, la diffieulte ne tient pas devant un peu
de reflexion. Tout un groupe de miracles evangeliques echappe
a 1'explication : qu'une qualite occulte ait permis de multi-
plier les pains, de calmer instantanement une tempete ou de
ressusciter un mort, si quelqu'un peut le croire, il est bien
inutile de poursuivre la discussion. Limitant celle-ci aux faits
moins evidemment refractaires, on observera de plus que les
forces inconnues, pour etre restees telles, doivent sortir
rarement leur effet naturel : leur intervention sera done clair-
semee dans la vie d'un homme, si heureux ou habile qu'on le
suppose. Dira-t-on que ces energies s'etaient, par une sorte
d'harmonie preetablie, donne rendez-vous dans un coin de
Judee, pre'tes a agir quand Jesus passerait? II commande, et
une force occulte purifie ce lepreux; il veut, et une force est
mise en branle qui va guerir a distance le serviteur du centu-
rion; il dit a Pierre : Viens , et une force affermit les flots
sous les pas de I'ap6tre. Pascal dirait surement : Que je
hais ces sottises 1 !
Aussi bien les adversaires serieux des miracles ne s'en
contentent-ils pas. A des effefcs extraordinaires, ils assignent
une cause mysterieuse, encore mal definie mais deja relati-
vement maniable, et deconcertante par 1'etrangete et 1'am-
1. Pascal, Pensees, 6d. Brunschvicg, n. 224.
356 JESUS CHRIST.
plitude de certains de ses effets. Sous quelque nom qu'on la
ddsigne, ajoute-t-on : suggestion victorieuse ou foi quiguerit 1 ,
il semble que le Christ en ait eu quelque idee ; il Fa en tout
cas constamment utilisee. Ses points d'appui sont rimagina-
tion et 1'e'motivite du malade, soit qu'elles se presentent, dans
Thypnotisme naturel ou provoque, plus maniables, plastiques,
libres des contr61es ordinaires de 1'etat de veille; soit que,
montees par 1'espoir et 1'attente, echauffees par un milieu
fervent, elles s'oifrent d'elles-memes a 1'appel d'une person-
nalite superieure 2 . Dans les deux cas, docile a la suggestion
inconsciente, ou stimulee par la parole imperative, une image
ou idee-force nait qui occupe en un instant le champ mental
d'un faible, rassemble ses virtualites eparses, et les dresse
en un elan soudain. Gette commotion violente est parfois salu-
taire; ce qui paraissait impossible s'accomplit. Issue appa-
remment on ne sait d'ou, en realite surgie des profondeurs de
1'organisme, une vague deferle et balaie alors des obstacles
invetere's, des maux reputes incurables. Ainsi, jadis les rois
ont-ils gueri 3 . Des faits de ce genre, en nombre, sont reven-
diques par les sectes qui professent la vertu curative de la
foi 4 . Plus modestes, les praticiens de la suggestion obtiennent
parfois des resultats mieux contr61es, et apparentes, sinon
aussi surprenants 5 . Un malade qui se croyait incapable de
1. Faith-Healing : la foi qui guerit, est le titre de 1'etude de Charcot,
parue d'abord en anglais dans The New Review, decembre 1892, qui a
popularise ces idees dans une partie du monde m6dical, Archives de Neu-
rologie, I, 1893, p. 74 suiv., tir6 a part, 1897. Ce memoire eut un immense
retentissement, et provoqua une foule de travaux, pour et contre, actuel-
lement surannes. On peut voir 1'expose tres clair du D r A. Vourch, Quel-
ques cas de gue'rison, et < la foi qui guerit , Bordeaux et Paris, 1913.
2. D'autres se sont trouves pour dire que les osuvres (miraculeuses)
du Christ ont pu s'operer ou par la vertu et efficace du temperament
corporel exquis du Maitre, ou par la vertu de son imagination ; ainsi que
Richard de Middletown (Franciscain anglais enseignant a Paris vers 1280)
le rapporte > ; Fr. Suarez, De Incarnatione, Disp. 31, s. 2, n. 1 ; Opera,
ed. Vives, XVIII, p. 93. Je dois cette reference au regrette P. E. Portalie.
3. Voir plus loin, p. 474, la note I 2 : Jtois divins et Hois gue"risseurs.
4. Sur ces sectes, dont la Christian Science est la plus connue, et 1'An-
toinisme, la plus sordide, voir plus loin, p. 480, la note J 2 : La Foi qui
guerit.
5. Voir plus loin, p. 487, la note K 2 : La Suggestion Victorieuse.
LES MIRACLES DE JESUS. 357
manger, ou de Be mouvoir, ou de se passer a"un stupe*fiant,
mange, marche ou s'abstient, sur 1'injonction du docteur
auquel il a fait confiance. Tel est, en gros, le mecanisme
psycho-physiologique, qu'une e"tude plus scientifique utilisera
mieux en le precisant.
Or, de ce mecanisme, nous voyons quelque chose dans
TEvangile : avant de guerir les malades, Jesus exige la foi :
Ma fille, ta foi t'a sauvee ; Si tu peux croire, tout est
possible a celui qui croit ; Va, ta foi t'a sauve 1 . 'Ailleurs,
pas de foi, peu ou pas de miracles 2 .
Gette hypothese, a laquelle se rallient, a des nuances pres,
les critiques liberaux, explique selon eux, les faits merveilleux
dont ils reconnaissent la re"alite. Pour mieux dire, ils ne
reconnaissent comme reels, parmi ces faits, que ceux dans
lesquels la confiance personnelle du malade a pu jouer un
rdle 3 . D'Ernest Renan a M. Alfred Loisy, de J. M. Guyau a
Emile Zola 4 , de M. Estlin Carpenter au docteur Edwin Abott 5 ,
de M. A. von Harnack a Eduard Meyer et a J. Klausner 6 , le
theme reparalt, avec des variantes actuellement negligeables.
Ce sont la noms d'hier plutdt que noms d'aujourd'hui ; et il
est manifesto que chez les plus capables, parmi les adver-
saires memes du miraculeux, la foi dans la foi qui gu6rit
a baisse. II faudra bien pourtant, pensons-nous, sous une
forme ou sous une autre, si 1'on veut maintenir la these ratio-
naliste, y revenir. En effet, les mecomptes et les echecs des
1. Me., v, 34 et parall. : dit a la femme atteinte d'un flux de sang;
Me., ix, 23 et parall. : dit au pere du jeune energumene; Me., x, 52 et
parall. : dit a 1'aveugle de Jericho.
2. Me., vi, 5 et parall. Sur ce texte, voir ei-dessus, p. 332-334.
3. Wir... werden nur diejenigen wunderbaren Vorgaenge in den
Bereich der Moeglichkeit einbeziehen, bei denen persoenliches Vertrauen
eine Rolle spielen konnte. > W. Heitmuller, Jesus, Tubingen, 1913, p. 65.
4. J. M. Guyau, L'Irreligion de I'Avenir, Paris, 1886, p. 64; E. Zola,
Lourdes, Paris, 1894, p. 193 suiv., 592.
5. The real force which worked the patient's cure dwelt in his own
mind : the power of Jesus lay in the potency of his personality to evoke
this force : J. Estlin Carpenter, The First three Gospels 3 , London, 1904,
p. 145.
6. L'opinion de M. von Harnack a ete rapportee ci-dessus. Ed. Meyer,
Vrsprung und Anfaenge, 1921-1923, II, p. 442; voir aussi I, 70 suiv.; II,
p. 416 etc. J. Klausner, Jesus of Nazareth, tr. H.Danby, 1925, p. 270 suiv.
358 JESUS CHJUST.
medications psychophysiologiques 1 , la regression ou, si Ton
veut, revolution qui achemine les psychiatres vers des me-
thodes plus compliquees, plus specialisees, plus lentes par
consequent, et reduit a fort peu de chose I'amplitude laissee
aux effets soudains de la suggestion 2 , n'ont pas eu leur contre-
coup dans le domaine du miracle. Comment le pourraient-ils?
Le caractere instantane des guerisons rend sans intere't la
comparaison de celles-ci avec les precedes minutieux, labo-
rieux, a tres longue echeance, de la Psychanalyse 3 par exem-
ple. Quoiqu'il en soit, et si compromise qu'elle paraisse aupres
des cliniciens serieux, la foi qui guerit reste I'argument prin-
cipal de tous les historiens en mal d'explication naturelle des
1. La psychotherapie pas plus que 1'hypnotisme n'a donne tout ce
qu'on attendait d'elle... Une th6rapeutique fond6e sur deslois doit surtout
nous indiquer les conditions dans lesquelles telle ou telle medication doit
etre employee... Des indications de ce genre existent encore moms dans
la psychotherapie. Les denominations et les diagnostics des troubles
psychologiques sont tres vagues et tout a fait livres a 1'arbitraire des con-
ventions d'6cole. Quant au diagnostic proprement psychotherapique qui
serait indispensable, nous avons vu qu'il existait a peine. Sans doute... la
psychotherapie semble bien avoir une action efficace d'une maniere
g6n6rale; mais dans les applications pratiques a des cas particuliers, elle
ne presente pas la certitude ou meme la probabilite que Ton obtient dans
nombre de therapeutiques, chirurgicales ou medicales. > Pierre Janet,
La mddecine psychologique, Paris, 1923, p. 279-280. L'auteur resume dans
cet ouvrage ses vastes travaux sur les Medications Psychologiques, 3 vol.,
Paris, 1919, 1920.
2. < La suggestion hypnotique n'est plus une theriaque vague que Ton.
peut discuter. C'estun traitement et en somme d'application restreinte...
Pierre Janet, La Me'decine psychologique ^ p. 281. < Trente ans d'observa-
tion attentive m'ont prouve que Ton ne peut point, par suggestion, repro-
duire 1'un quelconque des symp tomes neurastheniques chez un sujet qui
ne 1'avait pas encore, ni, par persuasion, 1'abolir >, D r Maurice de Fleury,
Les Etats de"pressifs de la Neurasthenic, avec une Pre'face sur la Classi-
fication des Psychoses, Paris, 1924, p. 159.
3. Le traitement (psychotherapeutique) exige, en outre, de grands
sacrifices de temps. Dans certains cas, rares il est vrai, Freud s'est
meme vu oblige de consacrer aux malades une heure par jour pendant
trois ann6es cons6cutives. L'effort exig6 du patient n'est pas moins con-
siderable, etc. > D r Ernest Jones, Traile" thdorique et pratique de la Psycha-
nalyse, tr. Jankeievitch, Paris, 1925, p. 393. Le D r E. Jones est, on le salt,
le r6pondant et le principal propagateur de la Psychanalyse dans les
pays de langue anglaise.
LES MIRACLES DB JESUS. 359
miracles rivangeliques. II arrive, sur ce terrain aussi, qu'une
theorie deja depassee et decriee aupres de 1'elite intellec-
tuelle, demeure le refuge des vulgarisateurs. II faut done
insister un peu.
Gette interpretation du miraculeux laisse hors de ses prises
une grande partie des faits a expliquer. Accordons tout aux
objectants : 1'alternative subsisterait, ou de nier en bloc tous
les miracles distincts de guerisons proprement dites operees
par action de presence : tempete apaisee, pains multiplies,
malades gueris a distance et sans preavis, morts ressuscites,
etc. ; ou de recourir au surnaturel. Une breche aurait ete
ouverte dans la these chretienne : ce ne serait pas encore
son ecroulement. Et il resterait qu'un nombre considerable
d'evenements, racontes dans des documents d'ailleurs dignes
de foi, serait ecarte a priori, pour des raisons que 1'histoire
ne connait pas.
Mais a s'en tenir aux miracles de guerisons, operees sur
place, les seules visees ici (en y comprenant, bien entendu,
les expulsions de demons qui forment, pour nos adversaires,
une simple variete de guerisons), faut-il faire confiance aux
pouvoirs mysterieux de la suggestion?
Notons, avant de re"pondre au fond, que si Pexplication es-
quissee ci-dessus pretend nous informer du comment, non de
la cause profonde, des guerisons de 1'Evangile ; si elle se
reduit a la description imagee d'une poussee extraordinaire,
d'une activite majoree qui suivrait, mais en brulant les etapes,
les lignes normales d'une guerison naturelle comme la
vitesse centuplee d'une automobile ne laisserait pas de lui
faire franchir chaque accident de terrain de la piste parcou-
rue nous pouvons trouver la conjecture plausible. Ge ne
sont pas, du moins, des raisons de doctrine qui la feront
ecarter. Si 1'on veut me'me, allant plus loin, accorder dans
cette revolution organique, dans cette reviviscence soudaine,
un r61e instrumental preponderant a 1'element psychique ou
nerveux 1 , cela est encore une question libre, tout a fait inde-
pendante de la realite du miracle.
1. C'est ainsi qu'expliquent les choses, par example A. Fogazzaro dans
II Santo, III, 3, 1907, et M. Ed. Le Roy, dans le Bulletin de la Societe
Frangaise de Philosophic, XII, 1912, p. 100 suiv.
360 JESUS CHRIST.
Le point vif est de savoir, non pas comme les choses se
sontpassees, mais si, avecles seules forces naturelles actuel-
lement et concretement a I'oauvre, elles ont pu se passer de
la sorte. II s'agit de savoir si les cas connus et bonnement
verifiables de suggestion medicatrice, d'autorite fulgurante,
de guerison soudaine obtenue par voie de confiance, rendent
compte des miracles operes par le Christ Jesus, en donnant
une base solide a Pexplication de ces faits par la foi qui
guerit.
Premiere constatation qui jette un rayon de lumiere sur
une matiere restee dans I'etat present de la science, et des-
tinee peut-e"tre a rester longtemps, de par Pinsuffisance de
nos moyens d'observation directe, un peu trouble et nebu-
leuse : la suggestion salutaire guerit parfois les maux que la
suggestion morbide a faits, mais ceux-la seulement. A mal
n'offrantque des sympt6mes sans lesion appreciable des tissus,
encore uniquement ou presque uniquement psychique (on dit
quelquefois : mal fonctionnel ou sans matiere), remede egale-
ment psychique, suggere ou impere, selon les cas. Ge principe
d'equivalence entre le pouvoir createur de l'imagination et
son pouvoir curateur, est souvent enonce et constamment
suppose* dans les discussions des savants autorises 1 . Le
D r Moxon, par exemple, le formule ainsi : Dans la mesure
ou le mal est un manque de foi, dans cette mesure exacte,
la guerison du mal est un cas de foi qui guerit 2 . Ges cas ne
1. Par exemple dans les discussions sur la definition et la classification
des affections nerveuses et des psychoses. On peut voir le resum6 des
seances de la Societ6 de Neurologic de Paris, avril-mai 1908, ou la defini-
tion de 1'hysterie proposee par Babinski et H. Meige, a 6t6 discutee par
les plus illustres specialistes franc.ais et beiges. L. Boule, Le Concept
actuel d'hyste'rie, dans fiQS, LXVIII, 1910, p. 459 suiv.; LXIX, 1911,
p. 185 suiv.
2. In so far as the disease is a lack of faith, just so far is cure of the
disease a case of faith-healing , cit6 dans R. J. Ryle, The neurotic theory
and the miracle of Healing, dans The Hibbert Journal, V, 1907, p. 584.
Voir aussi K. Knur, Christm Medicus, Freiburg i. B., 1905.
Bernheim de Nancy dit tres clairement : Partout et toujours, j'ai
professe et ecrit que la suggestion, traitement psychique, s'adresse a
I'e'le'ment psychique : a condition que cet element soit une simple pertur-
bation fonctionnelle autosuggestive, c'est-a-dire ne soit pas cree par une
evolution organique, toxique ou infectieuse du cerveau, telle qu'une
LES MIRACLES DE JESUS. 361
sont pas chime'riques : il existe, en plus grand nombre chez
les civilises, mais part out, des faibles debiles chroniques
ou simples anemies dans Fetat maladif desquels Fimagina-
tion, la defiance, les craintes, les emotions, le facteur moral
enfin, ont une part preponderate . Ge sont les propres sujets
de la cure par suggestion. Encore ne le sont-ils que dans la
mesure ou le mal est surtout imaginaire, et Test reste. Si
1'etat des deprimes est du, comrae il arrive souvent, plut6t a
la fatigue, ou si des indices plus materiels, provenant de la
mauvaise circulation du sang, de 1'ankylose, du deperisse-
ment, etc., ont succe'de aux seuls symptdmes psychiques, les
patients ne* sont pas, ou ne sont plus immediatement acces-
sibles a la cure mentale. Untraitement somatique doit la pre-
ceder et, presque toujours, 1'accompagner.
Enfin, et pour rester exclusivement sur le terrain des
maux qui relevent plus ou mbins de la suggestion, il est trop
clair que le facteur temps n'y est pas moins indispensable
que dans les autres provinces de la pathologic . Les psycho-
logues les plus habiles, les specialistes les plus heureux des
maladies nerveuses savent combien elles se defendant, el
qu'il faut ordinairement, pour en venir a bout ce qui trop
souvent n'arrive jamais de longues medications poursui-
vies dans des conditions d'isolement, de regime et de reprises
extraordinairement complexes. Depuis qu'on a etabli sur de
bases raisonnees et avec des techniques tres etudiees, le
traitement a suivre dans ce genre d'affections, on a pu se
convaincre que, pour 6tre aussi naturelles que les autres,
les cures de la psychotherapie n'etaient ni plus rapides,
ni plus aisees a reussir que celles qui viennent des maladies,
organiques.
Gar il n'y a pas (est-il besoin d'insister la-dessus?) que des
psychopathes. Les neuf dixiemes des affections qui eprouvent,
tourmentent, et enfin tuent le vieil Adam ; toutes celles qui
comportent des plaies ; 1'ulceration profonde des organes ou
leur atrophie ; la lesion des tissus musculaires et nerveux;
meningite, une u'r6mie, une maladie mentale. Celles-ci ne sont pas
justiciables de la psychotherapie > ; Hypnotisms et Suggestion 3 , Paris, 1910^
p. xxxii. Voir aussi Pierre Janet, La Mddecine psychologique, Paris, 1923^
p. 129.
362 JESUS CHRIST.
le pullulement morbide des cellules, leur de'ge'ne'rescence,
ou leur alteration par des microbes pathogenes, echappent a
la competence principale de la therapeutique emotive et
volontaire. La plus belle confiance du monde, si elle aide
de tels malades a guerir, ne les guerir a jamais a elle seule,
ni, a plus forte raison, instantanement. La refection d'un
organe physiologiquement altere comporte un laps de temps
toujours appreciable, ordinairement considerable. La persua-
sion, 1'autorite du medecin, la sympathie et la confiance
qu'il inspire ouvrent les voies aux interventions utiles, et
peuvent rendre leur elasticity a des forces interieures de
refection qu'une illusion tenace paralysait chez le malade.
G'est beaucoup, mais c'est tout.
Gela etant, et nous ne pensons pas qu'il se trouve un
medecin honne'te pour le contester serieusement, la tentative
d'explication des miracles par la foi qui guerit est a peu pres
nulle.
Gar il est pueril de supposer que tous ou presque tous les
infirmes amenes a Jesus : paysans galileens, p^cheurs du
lac, etc., etaient des malades exclusivement ou principalement
imaginaires. II est constant au contraire qu'un tres grand
nombre de ces pauvres gens etaient atteints de maux orga-
niques avec matiere : lepre, atrophie, cecite, hemorragie
chronique, fievre, etc.
Dans les cas me'mes ou une maladie surtout psychique reste
bonnement probable : paralysie, contracture ou mutisme hys-
terique, la therapeutique du Maitre, comparee a celle des
plus habiles psychiatres ne parlons pas des virtuoses de
la suggestion est entierement differente, et d'un autre
ordre. La foi exigee par le Seigneur, la foi qui sauve , est
nine disposition religieuse, meritoire, portant souvent sur sa
personne et sa mission : elle n'est nullement une confiance
aveugle en sa puissance thaumaturgique. Aussi est-elle
demande'e parfois avant, parfois apres le miracle, et son
absence ou son eclipse en ce cas engagent la responsabilite
morale des temoins. Elle est demandee souvent au patienfc,
mais souvent aussi a ses parents, a ses proches, a ses amis,
ce qui exclut un influx d' ordre physique sur le malade. Elle
aie porte pas enfin que sur des effets materiellement consta-
LE8 MIRACLES DE JESUS. 363
tables, comme une gu&rison, mais aussi sur des re'alite's invi-
sibles et toutes spirituelles : la remission des peches et
Tinnocence recouvre"e *. Le miracle evangelique ne resulte
pas, automatiquement, du declanchement d'une force magi-
que. line nait pas du jeu spontane des energies naturelles.
II jaillit au point d'intersection de deux forces personnelles,
incommensurablement inegales, mais toutes deux, normale-
1. II est frappant de constater le relief donn6 partout au caractere
spirituel et moral de la foi. La foi qui guerit le paralytique est aussi celle
de ses amis, expressement mentionnes, et le premier fruit de cette foi
est invisible : la-remission des peches, Me., ir, 11-12 et parall. Ce meme
fruit, tout spirituel, est 1'effet de la foi qui sauve chez la pecheresse,
Lc., vn, 36, 47-50. La foi, fondee sur la vue des miracles, que Jesus
.reclame de ses Ap6tres est une confiance totale en sa personne : avec
lui, rien a craindre! Avec lui, on ne peut manquer de rien! Me., iv, 40;
Lc., XH, 25; Me., vin, 14-21 et parall. Le miracle fait en faveur de
1'energumene de Gerasa est interpret^ par Jesus comme un grand bienfait
de Dieu, qui impose au beneficiaire un devoir de reconnaissance et
d'apostolat, Me., v, 18-20. A lafemme guerie d'un flux de sang, Jesus
explique que c'est sa foi qui 1'a guerie, et non le geste materiel de toucher
le manteau du Maitre, Me., v, 34 et parall. La foi qui ressuscitera la
petite morte est demandee a son pere, Me., v, 37 et parall. ; tout de meme
que c'est la foi de son pere qui sauve le jeune convulsionnaire furieux,
Me., ix, 22; la foi de sa mere distinctement son humilit6 confiante qui
guerit lafille absente de la Syrophenicienne, Me., vn, 26-30; Mt., xv, 28;
et la foi admirable et exemplaire de 1'officier de Capharnaiim qui
sauve a distance son serviteur familier, Mt., vin, 5-13; Lc., vn, 9.
C'est I'incredulit6 a peu pr6s generate des gens de Nazareth qui lie les
mains de J6sus, ou de peu s'en faut; au rebours, la grande foi de la
region de Genesareth est recompensee, Me., vi, 1-6 et vi, 53-56 et parall.
Dans le meme ordre d'idees, le nombre et 1'eclat des miracles accom-
plis k Chorozai'n et a Bethsai'de creent une lourde responsabilite morale chez
ceux qui les ont vus, et n'ont pas cru, Mt., xi, 20-24; Lc., x, 13, 15; Me., vi,
11. C'est la foi en Jesus e Fils de David >, qui sauve 1'aveugle de Jericho,
Me., x, 46-52. La foi en Dieu , accompagnee de la priere et d'une
confiance absolue, obtient tout ; Me., xr, 23 comp. Mt., xvii, 20 ; xxi, 21, etc.
On voit ce qui reste, apres cela, des affirmations de R. Bultmann : Les
miracles (de Jesus) sont, a ce qu'il semblerait, quelque chose d'indepen-
dant de son vouloir personnel, etqui agirait automatiquement... II s'ensuit
que les dispositions intimes des miracules ne sont pour ainsi dire jamais
prises en consideration. Quand il est par!6 de leur foi, cela ne signifie en
aucune facon leur relation avec la personne ou le message de Jesus, mais
exclusivement la foi des miracles ! Die Geschichte der Synopt. Tradition,
1921, p. 135, 136.
364 JESUS CHRIST.
ment, necessaires. La foi est 1'instrument providentiel qui
les unit ; elle associe a la Puissance creatrice, qui donne
sans s'imposer, la bonne volonte docile du beneficiaire ; et
c'est pour cela que son fruit merveilleux n'est pas seulement
un prodige, mais un signe et une vertu.
Quant aux modalites de ces cures extraordinaires, elles
n'ont rien a voir avec les precedes de la suggestion, ou avec
ses resultats : sans a-coup, sans traitement ante"rieur ou
preparation concertee, sans rechute, les mSmes enfin pour
les maux les plus differents, elles agissent parfois a distance,
sur des personnes ne sachant pas 1'heure ou le Maitre
interce.dera pour elles, ni mSine s'il consentira a intercede?.
Le doigt de Dieu est la.
Abordons le dernier cahier de cette longue enqu&te en
nous demandant si la puissance extraordinaire qui se mani-
festo en Jesus d'une facon eclatante, peut e"tre rapportee a
Dieu. L'invraisemblance de la suggestion pharisai'que, met-
tant au compte d'esprits pervers les miracles du Seigneur,
n'a plus besoin d'etre demontree. Jesus, en la retorquant
centre ses auteurs, n'a pas dedaigne de mettre a neant cette
vile imputation : son oeuvre entiere, une et lumineuse, est
une lutte incessante contre les puissances d'en-bas. Gelles-
ci, en y collaborant, se detruiraient elles-me'mes !
Mais ce n'est pas assez dire, 1'action thaumaturgique du
Christ, par ses traits negatifs autant que par les autres, se
demontre digne de Dieu. Les taches d'egoiisme et d'os-
tentation, partout visibles dans le merveilleux non-divin,
populaire ou stylise, sont ici reduites arien 1 . Le Maitre refuse
1. Cette difference de qualit6 estfrappante quand on compare ensemble
a ensemble : par exemple les recits de Philostrate a la louange d'Apollonius
de Tyane, a un de nos evangiles ; ou ceux-ci aux relations des teratolo-
gues antiques, tels que Tex-voto d'Apellas a Epidaure ou les Discours
Sacres d'Aelius Aristide : la-dessus, Andre Boulanger, Aelius Aristide el
la Sophistique dans la Province d'Asie au n* sidcle denot re ^re, Paris, 1923,
ch. in, p. 162-209, ou 1'auteur 6crit tres justement que les recits d' Aristide,
1'extraordinaire vanite du narrateur mise a part, refletent avec v6rite
les tendances communes de son epoque .
C'est fort bien de dire avec Deissmann, Licht vom Osten 4 , p. 330,
que le Nouveau Testament, par le miraculeux, se situe tres exactement
LES MIRACLES DB J^SUS. 365
de faire des miracles pour changer des pierres en pains, pour
se donner en spectacle au monde, pour contenter la curiosite"
morbide de ses contemporains, pour s'eviter fatigues et
souffrances au cours de son ministere, pour se concilier les
bonnes graces des puissants, tels qu'Herode Antipas et
Ponce Pilate.
Relisons 1'Evangile de ce point de vue. Ghaque detail du
miraculeux n'y est pas immediatement et evidemment edi-
iiant : c'est un grand signe de la sincerite des narrateurs.
Pour eux, a yrai dire, et I'extre'me habilete rejoint ici la
parfaite simplicite, la question d'edification ne se pose pas :
la pensee m6me de juger les enseignements ou les ceuvres
du Maitre ne tombe pas dans leur esprit. Actes et paroles
sont de lui, il suffit. Certains modernes se montrent plus
difficiles. On connait les scrupules parfois un peu risibles de
quelques graves rationalistes en face de la panique des pores
de Gerasa, et la supputation des pertes eprouvees de ce
chef par les possesseurs du troupeau 1 . D'autres ont voulu
dans les entours populaires de son epoque, ou de relever, avec Kloster-
mann, Das Markusevangelium*, 1926, p. 18-19, dans les miracles du
Christ, les traits de style qui leur sont communs avec les r6cits miracu-
leux de I'antiquit6 : par exemple, pour les gurisons, I'anciennet6 et la
gravit6 du mal, rinutilite des remedes jusque-la employes , le renvoi des
indignes (ou simplement des importuns?); les gestes du thaumaturge et
son appel au malade ; la r6alit6 de la gu6rison attested par des t6moins
oculaires, etc. Tous les topiquesdes anciens, ajoute bonnement 1'auteur,
se retrouvent dans les miracles 6vang61iques. > Sans doute ; et, r6duits k
ces g6n6ralites, ces traits font partie de ce qu'on pourrait appeler le
commun du miracle. Partout ou Ton racontera dans un but d'edification
line intervention divine se traduisant par une gii6rison, des details de ce
genre se rencontreront : 1'ame humaine, et 1'ame religieuse, est partout
la meme.
Nous voudrions seulement que, a cot6 de ces analogies banales, souvent
major6es, et ramassSes pour la contre-partie non-chretienne dans
des sources infiniment vastes, d'6poque et d'esprit divers, on tint compte
aussi des differences profondes : de 1'originalite, de la densit6, de la qua-
lity du miraculeux 6vang61ique.
1 . Voir ci-dessus, t. II, p. 339. L'on peut chercher des d6tails et des conjec-
tures dans W. Menzies Alexander, Demonic possession in the N. T., p. 194-
215; L. Fonck, Die Wunder des Herrn im Evangelium, I 3 , Innsbruck,
1907, p. 267 suiv. ; J. Smit, De Daemoniacis in historia evangelica. p. 334-
427.
366 JESUS CHRIST.
voir un mouvement de colere deplacee dans le geste tres
signifiant pourtant, et de haute portee morale, du figuier des-
seche J . Ge sont la, dans le premier cas surtout, des episodes
dont plusieurs circonstances nous echappent : leur sens
general ne fait pas de doute, et il est sage de les interpreter
par les masses des autres prodiges evangeliques.
Geux-ci sont manifestement orientes dans le sens le plus
noble, le plus eleve, le plus divin, mais encore le plus na-
turel. Les miracles sont la suite et, pourrait-on dire, le
debordement, dans 1'ordre materiel, de 1'ceuvre spirituelle
du Maitre : ils sont le Royaume de Dieu en actes. Une
harmonie profonde existe entre 1'enseignement de Jesus et
ses gestes, que toute Interpretation authentique a relevee.
Ils ont, observe saint Augustin, une langue pour qui sait
les entendre. Gar le Christ etant lui-me'me le Verbe de Dieu,
ses actions aussi sont pour nous verbe et parole 2 . Mais
bien avant Augustin cette exegese etait classique, et le
quatrieme eVangile nous en offre des exemples inegales. Dans
ces histoires, qu'il tient pour veritables et donne pour telles,
Jean sait distinguer des symboles extremement frappants et
de haute portee. La guerison de cet aveugle de naissance,
racontee en detail au chapitre neuvieme de Tevangile, nous
montre en Jesus la lumiere du monde. II se proclame tel,
mais encore il agit comme tel, et cette action provoque chez
les temoins une variete" d'attitudes aussi riche que dans une
foule un soudain rayon de soleil pergant les nuees : depuis
le parti pris 1 passionne, tetu, processif, finalement exaspere,
des meneurs pharisiens, jusqu'a la bonhomie pleine de sin-
cerite et de finesse du miracule, en passant par la circons-
pection servile de ses parents. La resurrection de Lazare,
au chapitre onzieme, met en scene Jesus, comme maitre de
la vie, dans un recit singulierement pathetique.
Lors done que Jesus la vit (Marie) en pleurs, et en pleurs les
1. Voir en particulier Bossuet, Meditations sur I'Evangile, Derniere
Semaine, 20* jour, (Euvres, ed. Lachat, VI, p. 124 suiv. ; L. Fonck, Die
Wunder, etc., ed. italienne Rossi-di-Luca, I, Rome, 1914, p. 580-611.
2. < Habent enim (miracula), si intellegantur, linguam suam. Nam quia
ipse Christus Verbum Dei est, etiam factum Verbi verbum nobis est. >
Tract, in Jo., xxiv, 2; ML, XXXV, col. 1593.
LES MIRACLES DE JESUS. 367
Juifs qui Tavaient accompagnee, il fremit en esprit et se troubla
lui-meme, et dit : Ou 1'avez-vous mis? Eux lui disent : Sei-
gneur, viens et vois. Jesus pleura.
Les Juifs disaient la-dessus : Voyez comme il 1'aimait!
Mais quelques-uns d'entre eux dirent : Ne pouvait-il, lui qui
a ouvert les yeiix de 1'aveugle, faire aussi que celui-ci ne mourut
point?
Or Jesus, i'remissant derechef en lui-meme, vient vers le
tombeau. C'6tait.un caveau, et une pierre etait posee dessus.
Jesus dit : . Levez la pierre. La sceur du mort, Marthe, lui dit :
Seigneur, il sent deja, car il est de quatre jours ! Jesus lui
dit : Ne t'ai-je pas. dit que si tu avais la foi, tu verrais la gloire-
de Dieu ? Us leverent done la pierre, et Jesus leva les yeux en
haut et dit :
Pere, je te rends graces car tu m'as exauce:
moi, je savais que tu m'exauces toujours,
mais je 1'ai dit pour la foule qui se tient alentour,
pour qu'ils croient que tu m'as envoye.
Et ce disant, il jeta un grand cri : Lazare, viens dehors ! *
Le mort sortit, les mains et les pieds Ii6s de bandelettes, et son,
visage 6tait couvert d'un suaire. Jesus leurdit: Deliez-le et le-
laissez aller'.
Une telle narration, si humaine par la plupart de ses traits T
si divine par 1'autorite qui s'y deploie, etait bien propre a
mettre en relief le pouvoir vivifiant du Christ, et c'est pour
celasans doute que Jean 1'a choisie, et lui a donne eette place-
de premier plan. Mais chaque cycle des miracles evangeli-
ques : 1'expulsion des demons par exemple, ou la pe'che mira-
culeuse, avec sa conclusion : Dorenavant, c'est des homme&
que tu prendras ! ou le redressement de cette pauvre femme
courbee depuis trente-huit ans, aurait pu fournir le motif de
commentaires symboliques aussi riches de sens.
On saurait difficilement trop insister la-dessus. Exception
faite pour quelques ex-voto que leur naivete et leur concision
sauvent de la puerilite, le merveilleux, le miraculeux tel que
le presentent la plupart des recits de 1'antiquite hellenique,
rabbinique, ou m^me chretienne dans les apocryphes, oscille
entre le romanesque, la grosse fable populaire, et le recit
1. Jo., xr, 33-45. Je renvoie, pour 1'exegese, aux commentaires detailles
de M. Lepin, La valeur historique du quatrieme JEvangile, 1910, I, p. 106-
180; et M. J. Lagrange, Evangile selon saint Jean, 1925, p. 294318
368 JESUS CHRIST.
d'edification cousu, pourrait-on dire, de fil blano : anima nau-
seat super cibo isto levissimo! II n'en est pas ainsi des mira-
cles de Je'sus : signes de re*alites plus hautes, spirituelles,
eternelles, ceuvres de lumiere et de bonte, ils sont encore des
<Buvres de puissance et, comme tels, commencent d'instaurer
le Royaume de Dieu, qu'ils representent au vif. Par leur e*clat,
ils tirent les regards de ceux qui sont plus eloignes de croire,
plus indolents, ou plus frivoles. Mais ils vont aussi a promou-
voir directement 1'oeuvre de relevement. Les esprits malins
sont humilies, contredits, chasses; les infirmite's, les tares, les
miseres du peche d'origine sont mitige'es, eliminees, vaincues.
Le mal, sous toutes ses formes, recule. L'empire heureux
exerce par le premier homme au temps de 1'innocence du monde,
et dont 1'image enchantait comme un beau re've les yeux de
I'humanite' vieillie 4 , reparait soudain, comme un premier trait
d'aurore, humble debut de redressement total, gage du jour
ou les ames et ensemble les corps seront sauve's, pour vivre
a Dieu.
1. La croyance a cet age heureux, d'innocence, se retrouve avec des
variantes importantes chez presque tous les peuples. Ce n'est pas ici le
lieu de se livrer a un travail extremement delicat, de comparaison et de
classement, mais le fait est inconteste : L'humanit6 vit avec le regret
d'un paradis perdu, la conscience douloureuse d'une d6ch6ance... I' Age
d'or est certainement une des conceptions les plus vieilles et les plus gene-
rales de I'humanite ; Paul Mazon, dans son Commentaire sur les Travaux
et les Jours d'Hesiode, Paris, 1914, p. 59. C'est dans Hesiode que ce qu'on
a coutume d'appeler le mythe des ages, ou des races et ce mot ne pre-
juge pas de 1'origine de la croyance se trouve sous sa forme datee la plus
ancienne; mais il est hors de doute que les textes posterieurs des litte-
ratures iranienne et hindoue sont 1'echo de traditions immemoriales.
Charles Peguy, dans son poeme ftEve, 1914, a, comme on sait, repris ce
theme dans un style qui s'egale souvent a 1'auguste ampleur du sujet.
GHAPITRE IV
LA RESURRECTION DE JESUS
1. Le fait de la Resurrection.
Si le Christ n'est pas ressuscite, vaine est done notre pre*-
dication, et vaine egalement notre foi 1 . Ainsi ecrivait saint
Paul, vingt-cinq ans apres la Passion, et se referant a la cate-
chese donnee par lui, en premier lieu , aux neophytes de
Gorinthe, durant 1'hiver de 50-51 ou le suivant. Les chre-
tiens de tous les temps ont ratifie ce jugement et vu dans la
resurrection de Jesus 1'un des fondements les plus essentiels
de leur foi. La critique historique, de son c6te, coniirme cette
opinion et constate que c'est sur la base de la foi a la resur-
rection que s'est construit 1'edifice du christianisme 2 .
Le simple enonce d.e ces faits dissipe, comme un rayon de
soleil matinal, les ombres des dieux morts et ressuscites ,
evoques autour du Christ de Paques, par Jes erudits de 1'E-
cole comparatiste : Osiris, Attis, Adonis, figures intemporelles,
surgeons de 1'impure vegetation pullulant sans fin du vieux
mythe naturiste de la mort hivernale et du renouveau. Ces
analogies ont leur interet; et nous ne les esquiverons pas
plus que les maigres episodes recueillis dans I'immensite des
lettres helleniques ou rabbiniques 3 . Mais nous les recusons
comme impertinentes, si Ton sous-entend qu'il y ait rien en
elles qui rappelle, fut-ce de tres loin, pour la proximite,
1'etendue et la valeur des temoignages, ou pour 1'importance
historique, la resurrection de Jesus.
1. I Cor. ; xv, 14.
2. Maurice Goguel, Le Christ ressuscite et la tradition sur la Rdsurrec-
tion dans le Christianisme primitif, dans les Actes du Congres interna-
tional d'Histoire des Religions de 1923, Paris, 1925, II, 225.
3. Sur les mythes des dieux morts et ressuscites, voir plus bas, p. 510,
la note P 2 . Sur les faits de resurrection a 1'epoque classique et dans le
.Tudai'sme, voir plus bas, p. 464, la note G 2 , Resurrection de morts dans les
recits helleniques et rabbiniques.
369 jgsUS CHRIST. II. 24
370 JESUS CHRIST,
Les richesses de ce fait immense sont telles par ailleurs
qu'il importe a la clarte de notre expose, de les inventorier
sommairement. Que Jesus ait ete rendu a la vie par 1'action
d'une vertu divine, c'est la un evenement atteste par voie de
temoignage, et s'inscrryant k, son heure dans la trame de This-
toire. II s'est demontre vivant (a ses ap6tres) par maint indice
probant, se manifestant a eux durant quarante jours, et le&
entretenant (iu Royaume, 4e Pieu 1 . Dieu le ressuscita le
troisieme jour et lui donna de se manif ester (comme vivant) r
non sans doute au peuple entier, mais aux temoins elus par
Dieu pour ce r61e, a nous qui avons mange et bu en sa com-
pagnie depuis qu'il est ressuscite" des morts ?. Ges passages,,
choisis entre vingt autres, visent la realite de la resurrection,,
abstraction faite de son caractere particulier, unique et myste-
rieux.
Ge caractere, a son tour, n'est pasmoins fortement souligne
dans les textes. La vie que le Seigneur manif esta alors ne fut
pas en effet la vie commune, telle qu'il 1'avait menee pendant
les jours de sa chair. Nouvelle, glorieuse, elle deborde et
d^concerte, par plusieurs de ses manieres d'etre, notre con-
naissance actuelle. En ce sens, elle est, nous avertissent les.
theologiens, pleine de myst^re, et objet de foi, non de vue 3 .
Ges deux aspects de la realite, qu'il faut distinguer, ne s'op~
posent pas pour autant. Ni le fait, tel que les temoignages
d'histoire Tetablissent, n'explique integralement cette vie
surhumaine ; ni le mystere de cette vie n'offusque la valeur
des te'moignages concernant le fait luwne'me. Independam-
ment des qualites merveilleuses et nouvelles, constatees par
les temoins chez le ressuscite, 1'identite personnelle de celui-ci
avec Jesus de Nazareth est objet de eonnaissance. L'incompa-
tibilite pre"tendue des modalites mysterieuses avec la certitude
du message pascal : Christ est ressuscite! n'est que la
1. Actes, i, 3. Npter I'expression techniqije, des.indices probants, d6ci-
sifs : Iv noXXoi? tex^pfois,
2. Actes, x, 40-41.
3. Christus resurgens non rediit ad vitam communiter notam, sed ad
quamdam vitam immortalem et Deo conformem,... (quae) transcendebat
comwunem notitiam et mysterii plena est ; Saint Thomas, Summa Theo-
log., Ill, qu. LIU, art. 2,
LA RESURRECTION DU CHRIST. 371
reprise, a propos d'un detail, de la negation massive : Gela
ne peut e"tre.
Aujourd'hui, pour Thomme moderne, dit M. Ed. Stapfer,
une resurrection veritable, le retour a la vie organique d'un
corps r^ellement mort, est 1'impossibilite des impossibilite"s i .
La reanimation, ou la transformation soudaine en quelque
chose qui ne.serait nitout a fait mate>iel, ni encore tout a fait
spirituel, d'un corps r^ellement mort, comporterait la violation
des lois les plus assurement connues de la physique, de la
chimie et de la physiologie. Le te"moignage, fut-il cinquante
fois plus fort qu'il ne Pest, n'importe quelle hypothese serait
recevable de pr6f6rence a celle-la 2 . Dans cette parole du
philosophe H. Rasdhall nous trouvons, formulae en toute fran-
chise, la fin de non-reoevoir fondamentale qui est constamment
opposee, par Phistorien rationaliste, au fait de la resurrection.
Les preuves fussent-elles cinquante fois plus fortes, ^exclusion
syste'matique s'imposerait encore, au nom de 1'inviolabilite des
lois naturelles.
Sous ce rapport, le radicalisme d'hier a beaucoup rabattu de
ses preventions. Les lois de la nature sont rentrees, on 1'a
note plus haut, dans la categoric des hypotheses indispensa-
bles, mais livrees a des corrections, complements, et extensions
incessantes. Nous ne croyons pas nous tromper, toutefois, en
estimant que le dogmatisme negatif des scientistes , d^bus-
que des templa serena ou la veritable science s'edifie, exerce
encore son empire plus ou moins conscient sur de nombreux
esprits, les detournant meme d'etudier, comme de*cid^ d'avance,
le probleme de la resurrection. Avec tous ceux qui sont libres
des postulats d'une conception philosophique particuliere, et
au surplus surannee, nous revenons a 1'histoire.
1. La mort et la resurrection de Jfeus-Christ, Paris, 1898, p. 26.
2. Were the testimony fifty times stronger than it is, any hypothesis
would be more possible than that ; H. Rashdall, Memoire in6dit, cit6 par
Kirsopp Lake, The historical evidence for the Resurrection of Jesus Christ,
London, 1907, p. 269. Consequemment, Rashdall conjecture, comme base
possible de la foi des ap6tres, des apparitions de Jesus qui seraient un
evenement psychologique, reel, bien que supernormal : a real though super-
normal psychological event >.
372 JESUS CHRIST.
La mori de Jtsus.
Epuise" par une longue et affreuse agonie, Je*sus fut inter-
roge" par des juges indignes qui pousserent la bassesse de
cceur jusqu'a 1'outrager et a le laisser brutaliser par leurs
gens. On ne peut que conjecturer ce qu'il eut a souffrir ensuite,
attach^, condamne, grelottant dans le froid de la nuit. Trains
ensuite, toujours lie, de pretoire en pretoire, sans repit, sans
nourriture, presse de questions insidieuses, flagelle a laromaine
dans le but d'emouvoir la plebe a compassion, bafoue, conspue,
soufflete', couronne d'epines,.il ne put porter sa croix jusqu'au
lieu de 1'execution. On dut requisitionner, chemin faisant, un
homme originaire de Gyrene, Simon, pere d'Alexandre et de
Rufus. Cloue sur le bois, epuise* de sang et devore de soif,
Jesus rendit 1'esprit dans un grand cri. Un soldat lui donna
le coup de grace, et il fut enseveli dans cent livres d'aromates
qui 1'eussent acheve s'il avait respire encore.
Mais il e"tait mort auparavant. Nous 1'apprenons du te"moi-
gnage concordant : de Pilate, qui, surpris de cette mort rela-
tivement rapide, commit un centurion pour enque'tera ce sujet
et ne livra le corps a Joseph d'Arimathie qu'apres avoir eu la
reponse ; des soldats qui acheverent a coup de massue les lar-
rons crucifies, voyant qu'ils vivaient encore ; des amis de Jesus,
qui le detacherent de la croix, soignerent son corps et, apres
1'avoir bande et entoure de parfums, le deposerent au tombeau;
des ennemis enfm qui, craignant une fraude, durent prendre
leurs precautions i .
II n'est pas non plus de fait plus solidement document6
que I'ensevelissement du Sauveur. Les quatre evangelistes
le mentionnent en termes expres. Tous le decrivent dans ses
grandes lignes. Saint Pierre en parle le jour de la Pente-
1. A vrai dire, la meilleure garantie que poss&de 1'historien sur un
point de cette nature, dit avec un peu d'exageration Ernest Renan, c'est
la haine soupconneuse des ennemis de Jesus. II est tres douteux que les
Juifs fussent des lors pr6occupes de la crainte que Jesus ne passat pour res-
suscite; mais, en tout cas, ils devaient veiller a ce qu'il fut bien mort.
Quelle qu'ait pu etre a certaines epoques la negligence des anciens en
tout ce qui etait ponctualite legale et conduite stricte des affaires, on ne
peut croire que, cette fois, les interesses n'aientpas pris, pour un point qui
leur importait si fort, quelques precautions ; Vie de Je'sus u , p. 444-445.
LA RESURRECTION DU CHRIST. 373
c6te ; saint Paul n'enonce pas seulement le fait, dans 1'enonce
catechetique des points qu'il estime fondamentaux, mais fonde
sur sa realite une ample theologie. Tousles symboles primi-
tifs en font etat. M. E. von Dobschtitz dit done tres bien que
le : II a ete enseveli, est un des points les plus anciens de
la predication apostolique. Saint Paul 1'a trouve e"tabli ,
quand il est devenu chretien i .
Or Jesus, apres cette mort certaine, s'est manifesto certai-
nement comme vivant. G'est dans cette affirmation que con-
siste, independamment des modalites nouvelles de la vie
seconde, et substantiellement, le Message de Paques. Sur
quels temoignages est-il fonde?
Le Temoignage de Paul.
Rappelant dans une lettre ecrite au plus t6t en 53, et tres
probablement en 55, une part essentielle de son message
apostolique a ceux-la me'me qui, peu d'annees auparavant,
pendant 1'hiver 50-51, 1'avaient accueilli 2 , saint Paul s'expri-
mait en ces termes :
Je vous rappelle, Freres, 1'Evangile que je vous ai annonce,
et que vous avez recu, et dans lequel vous perse verez,
et par lequel aussi veus etes sauve^s, si vous le retenez bien tel que
[je vous Tai annonce^
a moins que vous n'ayez cru pour rien !
Je vous ai done transmis premier ce que moi-meme j'airecu :
Que le Christ est mort pour nos pech6s, conformement aux Ecri-
[tures,
et qu'il a ete enseveli ;
1. Ostern und Pfingsten, Leipzig, 1903, p. 11 : Das begraben ist eines
der aeltesten Stiicke des Kerygma. Paulus hat es schon vorgefunden. > Sur
la sepulture de Jesus, voir la note L 2 : KAI OTI ETA*H, ci-dessous, p. 493.
2. Sur ces indications chronologiques, Ferd. Prat, La Chronologic de
I'dge apostolique, dans RSJt, III, 1912, p. 372-392. On a rappe!6 plus haut,
tome I er , p. 22, comment la rencontre de saint Paul a Corinthe avec le
proconsul Gallion, frere de S6neque (Actes, xvm, 12), peut etre dat6e sure-
ment, a une ou deux ann6es pres : 51-53, grace a 1'inscription de Delphes
(rescrit de Claude a Gallion : on peut voir le fac-simile des fragments re-
trouves et la restitution, dans le DAGL, III, 2, col. 2963, 2964, s. v.
Corinthe, avec bibliographic complete : H. Leclercq). Sur la date de 55,
W. L. Knox, .$. Paul and the Church of Jerusalem, Cambridge, 1925,
p. 301 suiv.; 309suiv.
374 JESUS CHRIST,
et qu'il est ressuscite le troisieme jour, conformement aux Ecri-
[tures,
et qu'il est apparu a Cephas, en suite aux Douze;
Ensuite il est apparu a plus de cinq cents freres en une fois,
desquels la plupart yivent encore a ce jour,
mais quelques-uns sont morts.
Ensuite il est apparu a Jacques, ensuite a tous les ap6tres,
de tous, comme a 1'avorton, il est apparu a moi aussi.
Car moi, je suis le dernier des apotres, indigne d'etre appele ap6tre,
puisque j'ai persecute 1'Eglise de Dieu.
Mais par grace de Dieu je suis ce que je suis,
et sa grace en moi n'a pas et6 sterile,
il s'en faut : plus qu'eux tous j'ai travaille
Non pas moi, a la verite, mais la grace de Dieu avec moi.
Or sus, que ce soitmoi, que ce soient eux,
ainsi nous prechons, et ainsi vous avez cru.
Mais le Christ, si Ton preche qu'il est ressuscite des morts,
comment done certains d'entre vous disent-ils que resurrection
[des morts il n'y a pas?
Si resurrection des morts il n'y a pas,
le Christ non plus n'est pas ressuscit^!
Mais si le Christ n'est pas ressuscite,
vaine done est notre predication, vaine aussi votre foi :
Et nous, nous sommes convaincus d'etre faux temoins de Dieu,
car nous avons temoign6 contre Dieu qu'il a ressuscit^ le Christ
qu'il n'a pas ressuscite^ si les morts en effet ne ressuscitent
[pas.
Car si les morts ne ressuscitent pas, le Christ non plus n'est
[pas ressuscite.
Mais si le Christ n'est pas ressuscite,
vaine est votre foi : vous etes encore dans vos pech^s,
et, davantage, ceux qui sont morts dans le Christ ont peri entiere-
[ment.
Or si dans cette seule vie-ci nous esperons au Christ,
Nous sommes les plus malheureux de tous les hommes !
Mais, au fait, le Christ est ressuscit6 des morts,
premier de ceux qui sont morts 4
1. I Cor., xv, l-20a. Sur la construction adoptee dans la premiere phrase,
R. Cornely, Commentarius in 7 am ad Corinthios, Paris, 1890, p. 451, 452.
On peut consulter, sur I'ensemble du texte, avec Cornely, E. Mangenot,
La Resurrection de Jteus, Paris, 1910, p. 40 suiv. et F. A. Barcena dans
les Estudtos eclesiasticos, V, Madrid, 1926, p. 138 suiv., 373 suiv. Parmi
les commentateurs liberaux, les plus utiles semblent etre Joh. Weiss,
LA RESURRECTION DU CHRIST. 375
Je n'al pas voulu couper par des gloses ce te*moignage capi-
tal. II inquietait deja Strauss, qui lie pouvait prendre avec lui
les libertes qu'il s'allouait si genereusement pour les Evan-
giles. Son authenticite est incontestable, et il a e'te' t)Cfit
vers Fan 59 apres Jesus-Christ, par consequent moiiis de
trente ans apres la resurrection. D'apres ce renseignement
nous devons croire que plusieurs membres de la premiere
coramunaute encore vivants au temps de la redaction de
1'epitre, et, entre autres, les apdtres, etaient convaincus qu'ils
avaient eu des apparitions du Christ ressuscite l . Ne chica-
nons pas le grand amateur -de chicanes que fut 1'auteur de la
Vie de J6sus! On ignorait de son temps 1'inscription trouvee
a Delphes, qui force de rabattre encore plusieurs aniiees sur
I'intervalle assigne ici. Observons plut6t que la catechese de
Paul nous ramene, par la predication de I'ap6tre a Corinthe
qu'elle reproduit, a Fan 50-51^ a vingt ans; par 1'identite
de la doctrine avec celle qu'a regue Paul en entrant dans
1'Eglise, a trois ans, ou moins encore, de la passion du Sei^
gneur !
Le developpement est episodique, et d'autant plus digne
d'attention. Les Corinthiens ne se divis^aieilt pas sur la resur-
rection du Christ, dont ils n'avaient g'afde de douter. d'est la
resurrection des corps, en g i eneral, qui faisait difficulte a
quelques-uns d^entre eux. Totit 1'effort de I'ap6tre ira done a
rendre manifeste la connexion des deux faits : si le Christ
est ressuscite et mil chretien ne saurait le mettre en ques-
tion sans miner le fondement m^me de sa foi la resurrec-
tion des corps est done possible ! Gette conception avait besoin
d'etre acclimatee dans I'atmosphere hellenique, ou 1'immor-
I)er erste Korinlher brief, Goettingen, 1925, p. 343-380; et H. Lietzmann,
An die Korinther I, 7/ 2 , Tubingen, 1923, p. 76-88.
Pour la restitution du rythme primitif, qui est manifeste, mais ne me
parait pas comporter dans 1'etat actuel des recherches scientifiques, de
regie certaine (les strophes d'A. Loisy, Style rythme" dans I Corinthiens,
dans Acles du Congres international d'Ristoire des Religions, de 1923,
Paris, 1925, II, p. 321-329, sont fondees exclusivement sur t la d6clama-
tion a haute voix ), je la donne comme un essai, invitant a mieux faire,
mais dans la meme ligne.
1. Vie de Jesus, III 6 Partie, ch. iv, 136; trad. Littre a ,Paris, 1853, II,
p. 649.
376 JESUS CHRIST.
talite de Fame etait admise par beaucoup, mais non la resur-
rection dos corps. Pour Platon, on s'en souvient, le corps
etait un mal , une chaine , une ge61e ,voire une
tombe 1 . Quelle apparence de le voir figurer, me'me glorieux T
dans la vie future et toute bonne, qu'on escomptait? Ge pre-
juge, qui divise 1'homme, n'existait pas dans le peuple de
Dieu, ou la resurrection comportait, pour ceux qui y croyaient,
la presence d'un corps transforme. Mais ailleurs il etait cou-
rant, et nous savons par saint Justin qu'il survecut, chez cer-
tains chretiens, a la polemique de Paul 2 .
Gelui-ci s'applique a montrer que, entendue comme il faut,
la resurrection de Jesus, dont il rappelle en passant les preu-
ves irrefragable s, assure le fidele de sa propre resurrection
et justifie, du me'me coup, 1'esperance chretienne de la vie
efcernelle. Alleguer, contrela realite dufait, le caractere theo-
logique du morceau, serait tout a fait vain. La mention de la
mort redemptrice :
t
Le Christ est mort pour nos peches conformement au Ecritures,
offusque si peu la realite de cette mort que le dogme, fonde
sur le fait, s'ecroulerait avec lui. De me'me s'effondrerait,
avec le fait de la resurrection, toute la theologie que Paul
fonde sur elle. On ne gagnerait pas davantage a souligner la
mention des Ecritures dans l'affirmation fondamentale :
1. Kaxo'v, 8eop{, aG[j.a-aT)(jia, etc. ; voir d'autres textes reunis dans J. Weiss,
Der erste Korinther brief , p. 344, 345. Pour Platon, il ne s'agitpas d'un
simple fait, mais d'une necessity : S'il est impossible en effet de connaitre
quoi que ce soit en sa puret6 par le moyen du corps, il faut de deux
choses 1'une, ou qu'on ne puisse jamais acqu6rirlavraie science, ou qu'on
ne puisse seulement 1'obtenir qu'apres la mort, car 1'dme, d6tachee du
corps, nepeut s'appartenir a elle-meme qu'alors, chose impossible aupa-
ravant... Libres et purs alors de la folie du corps, nous vivrons, etc. >
Phedon, tr. M. Meunier, 1922, p. 82, 83. Sur la question en general, la
Psyche d'Erw. Rohde, 8 ed. par F. Boll et 0. Weinreich, Heidelberg, 1920 r
trad. angl. W. B. Hillis, London, 1925, notamment II, ch. xin et xiv,
p. 463-580.
2. Justin, Dialogue, ch. LXXX, 4. II s'agit de gens qui se pretendent chr6-
tiens, sans 1'etre r6ellement. Parmi ces h6t6rodoxes, il s'en trouve qui
disent : II n'y pas de resurrection des morts, mais sur le coup de la mort
les ames sont enlev6es au ciel. Textes analogues dans H. Lietzmann, An
die Korinther*, p. 78-80.
LA RESURRECTION DU CHRIST. 377
Le Christ est mortpour nos peches, conforrnement aux Ventures,
et il a ete enseveli ;
Etil est ressuscite le troisieme jour, conformement aux Ecritures,
etil est apparu a Cephas, ensuite auxDouze, etc.
Chacune des parties de cette antithese : mort redemptrice
de Jesus, rendue sensible par la sepulture, et resurrection en
gloire du me'me Jesus, rendue sensible par les apparitions, se
retrouve au fond de tous les enseignements de saint Paul.
Toute la partie doctrinale de ceux-ci se resume a montrer le
chretien mourant au peche par le bapte"me, laissant dans ce
sepulcre, comme un suaire, les passions de Thomme charnel,
puis ressuscitant a une vie meilleure et deja, en germe et
en droit, glorieuse, sur le modele et par la vertu du Christ
ressuscite. Ges points substantiels sont formules ici en termes
qui sentent leur symbole, avec la precision et la concision
d'un catechisme 1 . (Test a ce caractere traditionnel et peda-
gogique, souligne par I'ap6tre en termes techniques :
Jevousai done transmis, premier, ce que moi-memej'ai recu...
Or sus, que ce soit moi, que ce soient eux (les autres apdtres),
Ainsi nous prechons, et ainsi vous avez cru 2 ,
qu'est due I'allusion aux Ecritures dont quelques adversaires-
de ce grand temoignage ont tente d'abuser. L'appel a la Bible
efcait en effet, dans 1'apologetique primitive, un indispensable
lieu commun, les Livres inspires offrant aux evangelistes le
terrain ou ilspouvaient joindre normalement leurs auditeurs.
Au debut, en effet, ceux-ci etaient tous, ou des Israelites,.,
ou des proselytes, ou des personnes craignant Dieu et,
comme telles, convaincues de la divinitedes Ecritures. Mais ce
renvoi a la parole de Dieu, qui etait constant et, pour ainsi
dire, de style (onpeut s'en convaincre en lisant les epitres de
saint Paul, mais encore, tous les exposes apologetiques rap-
1. F. Prat, La TMologie de saint Paul 6 , II, 1923, p. 35. J. Weiss : Bin
Stiick urchristlicher wapaSoat; ; Der erste Korintherbrief i0 /p. 347.
2. IlaplSwxa yap O^tv ev ^poitots (il ne s'agit pas d'une priority de temps^
mais d'une primaut6 d'importance) o xal nap^XaSov... oStw? xr)puj<jop.6v xal
OUTW? eretaT6\j(jaTg. On remarquera le changement de mode : C'est ainsi que
les Corinthiens ont cru ; et c'est ainsi que les apotres, Paul et ses collegues,
prechent, continuent de precher. Tout le passage est satur6 d'expressions
techniques, y compris
378 JBSUS CHRIST.
porte*s dans les Actes : ceux de Pierre, d'Etienne, et de Paul
lui-merae)ne dispensait pas d'autres preuves et, ffioins encore,
n'annulait celles-ci.
Ges preuves, dans 1'espece, sont les apparitions du Christ.
Rien n'autorise a penser que 1'apdtre ait voulu en dresser line
liste complete. Toutes les vraisemblances sont au contraire
pour un choix raisonne, 1'auteur retenant et enOn<jant, dans
un ordre que les transitions nous donnent, en gros, pour chro*
nologique, les temoins juges par lui les plus propres a emou-
voir ses correspondants. D'abord, Cephas : on sait que 1'auto-
rite de Pierre etait si grande a Corinthe qu'elle balangait
celle meme de 1'apdtre fondateur l . Ensuite le College des
Douze 2 . Puis la grande apparition collective, a plus de cinq
cents freres en une fois , qu'on a vainement cherche a iden-
tifier avec une de celles que rapportent les Evangiles. La
mention de la survivance de la plupart des te*moins est un
indice clair de 1'intention apologetique : Volis pouvez les
interroger , semble dire Paul. L'apparition a Jacques avait
une importance speciale pour les fideles d'origine ou de ten-
dance judaique. Les apotres , tous les ap6tres men-
tionnes ensuite en bloc, sont ceux qui avaient rang dans 1'E-
glise de te'moins autorises de la resurrection. L'expression
semble viser un cercle encore etroit, mais distinct des Douze 3 .
Enfin, a la suite de tous les autres, Te'crivam se met lui-meme
a sa place : la dernier e, en dehors de la serie primitive et
normale des temoins. Etranger a l'glise, voire persecuteur,
il a e^e* enfante au Christ dans une crise violente, arrache
1. I Cor., i, 12.
2. Le undecimde la Vulgate et des mss. D, G, semble le reflet d'une cor-
rection, nee d'un scrupule d'exactitude. Meme sans Judas, et avant rejec-
tion de Matthias, le College restait celui des Douze.
3. Ce sens, contrairement & ce que peiWe Hariiack, Sitzungsberichte der
Berlin. Akademie, 1922, p. 62 suiv., me semble impliqu6 par le contexte,
comme plus probable. On ne voit pas, si Ton entend tous les apatres
des Douze seulement, ce que cette mention ajouterait de substantiel a celle
du verset 5. Au lieu que, si on 1'etend a ces < temoins predestines par
Dieu dont parle Pierre, Actes, x, 41 et que rien n'autorise a reduire
aux seuls Douze on a un sens plus satisfaisant. Voir la dissertation de
W. L. Kiiox, S. Paul and the Church of Jerusalem, Cambridge, 1925,
p. 363-371.
LA HESURHBCTION DU CHRIST. 379
avant terme au flanc de la Synagogue par un miracle; et iln'a
fallu rien de moins que la grace de Dieu pour faire, avec cet
avorton, le plus laborieux des ap6tres.
Nonobstant ces particularites, 1'apparition du chemin de
Damas est egalee a celles dont furent favorises^ avant FAs-
cension, les autres disciples : elle est introduite par le meme
mot, evidemment consacre, w<p0Yj : il a etc vu . Gette
assimilation ne porte pas sur les circonstances, mais sur la
valeur de la vision, soit pour engendrer la foi en la resurrec-
tion, soit pour qualifier le beneficiaire comme temoin de cette
foi. Sur la nature meme de 1'apparition, les termes employes
par Paul, ici et ailleurs *, impliquent tous un element de connais-
sance immediate, lumineuse, interpretant avec certitude le
phenomene exterieur. C'est une vue , une revelation ,
t de cette intuition resulte une certitude inebranlable tou-
chant 1'identite personnelle de celui qui apparait.
Sans doute, pour Paul (nous 1'apprenons, entre autres in-
dices, des qualites qu'il assigne aux futUrs eius, dont Jesus est
a la fois les premices et le modele), le corps du Christ ressus-
cit6 est tres different de son corps mortel. G'est un corps
spirituel et glorieux, qui n'est plus asservi aux contingences
et aux necessites qui affectent I'humanite... Geci est peut-etre
confirmepar le fait que, quand Paulparle des apparitions, ilse
sert du mot w^Oyj avec un datif, comme s'il voulait indiquer
que, dans ces moments, 1'initiative appartient au Christ. II se
montre plutdt que ses disciples ne le voient. Mais, il ne faut
pas presser 1'expression dont se sert Paul jusqu'a reduire dans
SB. pensee les apparitions a de simples visions sans realite en
dehors de la conscience de ceux qui en etaient iavorises 2 .
La resurrection a introduit Jesus dans Une vie nouvelle,
glorieuse, tout a fait distincte d'une simple reanimation qui
1. "QfOyj, I Cor., XV, 8; Itfipaxot, I Cor., ix, 1 ; St' inoxaXtS<{(oj, Gal., i, 12;
tyai TOV uibv OWTOO, Gal., I, 16. Les trois r6cits des Actes, ix, 1-20;
XXH, 4-17; xxvi, 9-19, confirment, a travers leurs nuances modales, les
indications personnelles des 6pitres. Voir Tarticle de V. Rose dans /?#,
XI, 1902, p. 321-346.
2. M. Goguel, La Resurrection dans k Christianisme Primitif, dans
Actes duCongrds international d'Histoirtdcs Religions de 1923, Paris, 1925,
p. 231, 232.
380 JESUS CHRIST.
lui aurait fait reprendre, pour quelque temps, la vie des jours-
de sa chair . Mais tout de meme que les elus, dans leur
corps ressuscite, s'ils menent une existence nouvelle pleine de=
gloire et de mystere, sont bien les me'mes hommes qui ont
pati, et travaille, et espere :
... et nous, nous serons change's,
car il faut que cet 6tre corruptible revete 1'incorruption,
et que cet etre mortel revete 1'immortalite 1 ;
ainsi, le Christ de Paques est celui qui a souffert, est mort
pour nos peches et a etc" enseveli . Assurement, il n'esfc plus
le meme homme de chair et d'os, transporte, transplant^
pour un temps dans on ne sait quelle terre lointaine, et qui
reparaitrait a 1'heure providentielle, comme on 1'avait pense
d'Alexandre, comme on allait le penser de Neron 2 . Encore-
moins est-il le double fantomal, le pale demon des legendes
populaires, apparaissant pour reclamer vengeance, ou evoque
par une conjuration magique. Vivant et vivifiant, ressuscite
en incorruption, en force et en gloire 3 , Jesus ne doit plus
rien aux miseres humiliantes de la chair et du sang. Mais
loin de mener une existence ralentie, chetif decalque de celle
qu'il abandonna au Galvaire, il manifeste une plenitude de vie-
appelant 1'hymne triomphal :
La mort a ete ensevelie dans la victoire :
Mort, ou est ta victoire ? Mart, ou est ton aiguillon P
Graces a Dieu, qui nous donne victoire par Notre Seigneur Jesus--
[Christ 4 !
II reste que Paul, dans cette lettre ecrite vingt-cinq ans
1. I Cor., XV, 53 : Aei yap f(J (fOa^rdv TOVTO IvBusaoOai t(pOapafav, etc. C'est
le meme homme : fidelibus tuis, Domine, vita mutatvr, non tollitur, tra-
duit la liturgie romaine des defunts.
2. Sur ces croyances, voir Erwin Rohde, Psyche 8 , tr. Hillis, 1925, ch. xiv,
2, n. 3 suiv., p. 533 suiv., et les notes, p. 562 suiv. Sur la conception des
Manes, on peut consulter, avec precaution, J. P. Jacobsen, Les Mdnes, trad.
Philipot, Paris, 1925, I, p. 28 suiv.
3. I Cor., xv, 42, 43. Le ressuscite en incorruption, en force, etc. ,.
est dit par saint Paul des elus ressuscit6s, mais avant, a plus forte raison,.
du Christ, conformement auquel ils ressuscitent.
4. I Cor., xv, 55-57; Isai'e, xxv, 8 (hebr. : il fera disparaitre la mort.
pour toujours (Condamin) ; Osee, xni, 14.
LA RESURRECTION DU CHRIST. 381
apres la passion, donne la resurrection de Je*sus comme un
article fondamental de la for de 1'Eglise : 1'enseignement qu'il
a rec.u lui-me'me en se consacrant au Nazareen 1 , il le transmet
sans alteration. Sur cet enseignement qui fonde I'esperance
chretienne, aucune distinction, aucune nuance : il est identi-
quement celui des autres ap6tres. Le fait a ete recu des
Corinthiens depuis qu'ils ont adhere au Christ : ce qui leur
st ici rappele", parce que ce fait emporte une consequence
considerable et, pour eux, malaisee a croire, c'est que les
temoignages sur lesquels ils ont cru sont indiscutables. G'est
celui de Pierre, dont Paul, ici et ailleurs, de'tache 1'autorite
principale 2 ; c'est le college des Douze; c'est Jacques, le tres
fidele ze*lateur de la Loi; ce sont tous les ap6tres ; c'est la
foiile des cinq cents disciples, nuee de tdmoins dont plus
d'un sera aisement accessible a qui voudrait dissiper ses
derniers doutes. G'est Paul enfin, qui termine d'authentique
la liste glorieuse. Tous ont vu le Christ ressuscite'. Gonfor-
mement aux Ecritures , mais non par un choc en retour de
celles-ci 3 . Ils 1'ont vu, et s'en portent garants, y mettant leur
parole et leur vie.
1. J'entends ici le 8 xat naplXaSov, conformement au sens du mot, au
contexte et a toute vraisemblance, de 1'enseignement traditionnel, et non
d'une illumination directe de Dieu. H. Lietzmann, An die Korinther z ,
1923, p. 78, observe justement que le < inb TOU xopfou est absent ici, et que
cela est caracteristique . C'est trop presser quelques expressions de 1'Epitre
aux Galates, que de gloser avec le P. Comely, Commentarius in I Cor.,
p. 452, voir aussi p. 336, 337 : mxp&afov, sc. immediate a Domino, homi-
nis mim'sterio non interveniente .
2. Voir X. Roiron, Saint Paul temoin de la primaute de saint Pierre, dans
fiSR, IV, 1913, p. 489-531. 11 est probable que la premiere forme cateche-
tique du message pascal comportait deja la mention de Pierre : OVTWS
7)Yp6r] 6 KiSpto; x<*t &<pO*i SfjjLwvt, Lc., xxiv, 34. J'emprunte cette remarque a
M. Albertz, Zur Formengeschichte der Auferstehungsberichte, dans ZNTW,
XXI, 1922, p. 259.
3. M. Loisy reconnait de bonne grace, Jesus et la Tradition e"vange'lique }
1910, p. 200, qu'il est de toute invraisemblance que les textes de 1'Ancien
Testament aient sugg6re d'abord aux disciples la resurrection de leur
Maitre. Pour trouver cette resurrection dans les textes, il fallait etre con-
vaincu ,premierement qu'elle devait y etre ; c'est-a-dire qu'il fallait y
croire pour la d6couvrir dans 1'Ecriture .
382 ' JESUS CHRIST.
Leg Rlcits evangeliques de la Resurrection.
Les re"cits concernant la resurrection, tels que nous les ont
gardes nos evangiles, ont ete probablement rediges, sous leur
forme actuelle, apres les epltres aux Gorinthiens, et indepen-
damment d'elles. Us nous disent, en tout cas, plus et moins
que celles-ci. Une rapide allusion 1 a 1'apparition du Seigneur
a Pierre, si considerable et mise par Paul en un relief singu-
lier; pas un mot de Tapparition a Jacques 2 . En revanche, plu-
sieurs episodes cir constancies dont Paul ne souffle mot. Soit
a cause de leur importance, soit a cause des difficultes qu'ils
soulevent, ces re" cits s'imposent a notre attention. Apres les
avoir cite*s dans leur integrality, nous etudierons brievement
leur condition litte'raire. Puis, ayant rapproche" l.es fragments
anciens qui pourront, a c6te d'eux, presenter quelque intere't,
nous formulerons les resultats historiques de notre enqu&te.
Le Matin de Pdques au Sdpulcre.
Mt., XXVIH, 1-10. Me., xvr, 1-8. Lc., xxiv, 1-12. Jo., xx, HO.
Apres le sab- Et le sabbat
bat 3 , passe,
1. Lc., xxiv, 34.
2. L'jfivangile selon les Hebreux, sorte de doublet judai'sant, tres ancien,
de notre premier evangile, dont saint Jerdme nous a gard6 quelques frag-
ments (voir la note D du tome I, p. 210 suiv.), se chargera de combler
cettelaciine : L'evangile qu'on appelle selon les Hebreux, quej'ai naguere
traduit en grec et en latin et qu'Origene utilise souvent, raconte apres la
resurrection du Sauveur : < Le Seigneur, quand il eut donn6 le suaire au
serviteur du pretre, vint vers Jacques et lui apparut (car Jacques avait fait
le serment de ne pas gouter de pain a partir de 1'heure ou il avait bu le
calice du Seigneur jusqu'au moment ou il le verrait ressusciter des.
morts) > ; et, un peu plus loin : Apportez, dit le Seigneur, une table et
du pain , et immediatement apres on ajoute : II prit du pain, rendit
grace, le rompit, et en donna a Jacques le Juste, et lui dit : Mon frere,
mange ton pain, car le Fils de 1'homme est ressuscite d'entre ceux qui
reposent. > Saint Jerome, De viris inlu$tribus^ 2.
3. Cette traduction, qui s'appuie sur des exemples, dans lesquels &tyi
signifie apr&s : Moulton et Milligan, VGT, p. 470, et les renvois ibid.,.
empruntes a Blass-Debrunner, supprime 1'incoherence denoncee, apres.
d'autres, par P. Gardner-Smith, EniO>aSKEIN, dans JTS, XXVIII, 1926 7
p. 179, 180.
LA RBSU1IIIBCTION DU CHRIST.
383
& 1'aube du pre-
mier jour de la
semaine, Marie
deMagdalaetl'au-
tre Marie vinrent
visitor la tombe,
etvoiciqu'eutlieu
un grand trem-
blement de terre ;
un ange du Sei-
gneur, descen-
dant du ciel, vint
rouler la pierre
et s'assit dessus.
Sa face brillait
comme 1'eclair et
son vehement
etait blanc com
me la neige. De
la peur qu'ils en
eurent, les gar-
diens furentfrap-
p6s d'epouvante
et comme morts.
Marie de Magdala
et Marie de Jac-
ques et Salom6
acheterent des
aromates pour
embaumerJ6sus,
et
de tres bonne
heure le premier
jour de la semai-
ne, elles vinrent
au tombeau com-
me le soleil se
levait.
Or le premier
jour de la semai-
ne, de grand ma-
tin, elles vinrent
au tombeau por-
tant les aromates
qu'elles avaient
pr6par6s.
Elles se disaient
entre elles : Qui
roulera la pierre
hors de la porte
du tombeau ?
Et ayant regarde,
elles virent que
la pierre avait
6t6 roulSe par
cotS ; or elle 6tait
fort grande. Et
entrant dans le
tombeau, elles vi-
rent .un jeune
homme, assis a
droite, rev 6 tit
Et elles trouve-
rent la pierre rou-
lee devant le torn-
beau, et, entrant,
elles ne trouve-
rent pas le corps
du Seigneur J6
sus. Et comme
elles ne savaient
qu'en penser, ! voi-
ci que deux horn-
Or le 'premier
jour de la semai-
ne, Marie de Mag-
dala vint de bon
matin comme il
faisait encore
noir, au tombeau
et elle vit la pier-
re 6t6e de devant
le tombeau.
384
JESUS CHHIST.
Mais 1'ange re-
partit et dit aux
femmes :
Ne cfaignez
point, vous. Car
je sais que c'est
Jesus le crucifix
que vous cher-
chez. II n'est pas
ici, il est ressus-
cit6 comme il 1'a-
vait dit;
d'une robe blan-
che, et elles fu-
rent saisies d'ef-
froi.
Mais lui leur
dit :
Ne vous effrayez
pas. C'est Jesus
que vous cher-
chez, le Naza-
reen, le crucifi6 :
il est ressuscite,
il n'est pas ici;
Venez et voyez
la place oil il gi-
.sait, et vite, allez,
dites a ses disci-
ples qu'il est res-
suscite des morts,
et voici qu'il vous
precede en Gali-
lee. La vous le
verrez. Voici, je
vous 1'ai dit. > Et
quittant bien vite
le tombeau avec
crainte etgrande
joie, elles couru-
rent avertir les
disciples.
Voici la place ou
on 1'avait depose ;
mais allez, dites
a ses disciples et
a Pierre qu'il vous
precedera en Ga-
lilee. La vous le
verrez, comme il
vous 1'a dit. Et
sortant, elles
s'enfuirent du
tombeau, car le
tremblement et le
saisissement les
avaient saisies,
et elles ne dirent
rien a personne,
car elles avaient
peur*...
mes se presente-
rent a elles, dans
un vetement
eblouissant. Com-
me elles etaient
saisies d'effroi et
portaient le vi-
sage en terre, ils
leur dirent :
Pourquoi cher-
chez-vous le vi-
vant parmi les
morts ? II n'est
pas ici, mais il
est ressuscite.
Vous vous rappe-
lez ce qu'il vous
avait dit etant
venu en Galilee,
disant du Fils de
1'homme qu'il faut
qu'il soit Iivr6 aux
mains des pe-
cheurs,etcrucifie,
et ressuscite le
troisieme jour?
Elle court done,
et vient vers Si-
mon Pierre et
1'autre disciple
que Jesus aimait,
et leur dit : On
a enlev6 le Sei-
gneur du tom-
beau et nous ne
savons ou on 1'a
mis!
1. Marc decrit admirablement le premier moment, tout a 1'etonnement
LA RESURRECTION DU CHRIST.
S85
Et Yoici que J-
us se pr6sente a
elles, dissent :*'Sa-
liutl > Mais elles,
s'avancant, saisi-
rent ses pieds et
i'adorerent. Alars
.J6sus leur dit :
'N'aye': crainte.
Allez, annonceza
ines freres qu'ils
aillent en Galilee,
et Ik ils me ver-
ront. >
Et elles se sou-
vinrent deses pa-
roles. Et revenues
du tombeau elles
annoncerent tout
cela aux Onze et
a tous les autres.
Or c'6taient Marie
de Magdala et
Jeanne et Marie
de Jacques ; et
leurs compagnes
en dirent autant
aux apotres. Et
ces discours leur
parurent du ra-
dotage, et ils ne
les en crurent
pas.
Toutefois Pierre
se leva, courut
au tombeau, et,
se penchant ne
vit que les ban-
delettes seuies, e
il s'en retourna
Pierre sortit
done, etaussil'au-
tre disciple, et ils
vinrent au tom-
beau. Tous deux
couraient ensem-
ble et 1'autre dis-
et k la crainte. f-Nous savons que les saintes femmes se ressaisirent, que la
joie se m61a, comme il arrive, a 1'effroi initial, et les rendit capables de
transmettre leur message. Voir H. 8. Swete, The Gospel according to
S. Mark*, 1920, p. 398, 399. Sur la coupure du texte apres e<po6ouvco
voir plus bas, p. 500, la note M 2 : les Finales de Marc et de Jean.
JESUS CHRIST. II. 25
380
JESUS CHRIST.
ce qui etait ar-
rive.
Et comme elles
cheminaient, voi-
ci, quelques hom-
mes de la garde
vinrent en ville
annoncer aux
princes des prS-
tres tbut ce qui
s'etait passe. Et
s'etant rassem-
bl6s en conseil
avec les Anciens,
ceux-ci donne
rent la forte som-
me aux soldats,
disant : < Expli-
quez : ses disci-
ples sont venus
la nuit et 1'ont
vole tandis que
nous dormions ;
et si le Procura-
teur a vent de
cela, nous 1'apai-
serons, et nous
vous couvri-
rons. Eux pri-
rent 1'argent ,et
repeterent leur
lee. on. Et cette
version s'est re-
pandue parmi les
Juifs jusqu'a ce
jour.
Apparitions a Jerusalem : i. Marie de Magdala.
Me., xvi, 9-11. Jo., xx, 11-18.
f f
Etant ressuscite le Or Marie se tenait debout pres du torn-
matin, le premier jour beau, en dehors, en pleurs. . Tout en pleu-
de la semaine, il ap- rant, elle se pencha dans le tombeau, et elle
parut d'abord a Marie apergoit deux anges vetus de blanc, assis a
se demandant ciple courut plug
avec etonnement vite que Pierre et
vint le premier
an tombeau. Etse
penchant il vit
les bandelettes 4
terre, et toutefois
il n'entra pas. Si-
mon Pierre vient
done sur ses pas
et entre dans le
tombeau, et voit
les bandelettes h
terre, et lesuaire
qui etait sur sa
tete non pas gi-
sant avec les ban-
delettes, mais
roulekpartenson
lieu. Alors done
entra aussi 1'au-
tre disciple, ar-
riv6 le premier
au tombeau. 11
vit et il crut. Car
ils ne compre-
naient pas encore
par 1'Ecriture
qu'il devait res-
susciter des
morts. Lea disci-
ples s'en retour-
nerent done chez
eux.
LA INSURRECTION J>U CHniST.
387
de Magdala,' de la-
quelle il avail chass6
sept demons. Orcelle-
ci alia 1'annoncer a ses
disciples, pi on go's
dans le deuil et les
pleurs. Etl'entendant
dire qu'il vivait et
avait 6te" vu par elle,
ils ne crurent point.
la place ou avait repose" le corps de Je'su*,
1'un a la tfete, 1'autre aux pieds Eux lui di-
sent : Femme, qu'as-tu a pleurer? Elle :
C'est qu'on a pris mon Seigneur, et je ne
sais ou on 1'a mis , Ce disant elle se re-
tourna ct apergoit Je"sus qui se tenait la, et
elle ne savait pas que c'est Jesus. Je"sus lui
dit : Femme, qu'as-tu k pleurer? Qui cher-
ches-tu? Elle, pensant que ce fut le jardi-
nier, lui dit : Seigneur, si tu 1'as emporte,
dis-moi ou tu 1'as mis, et je le prendrai.
Je"sus lui dit : Mariam ! Elle, se tournant,
luiditen he"breu : Rabboni (ce qui signifie
Maitre). J6sus lui dit : Ne me touche pas,
car je ne suis pas encore remonte" vers le
Pere, mais va vers mes freres et dis-leur :
Je monte vers mon P6re et votre Pere,
mon Dieu et votre Dieu.
Marie de Magdala vint annoncer aux dis-
ciples : J'ai vu le Seigneur! et ce qu'il
lui avait dit.
2. Les Disciples d'JSmmaiis.
Me., xvi, 12-13.
Apres cela il appa-
rut, sous une autre
forme, a deux d'entre
eux qui cheminaient
s'en allant a la cam-
pagne.
Lc., xxiv, 13-35.
Et voici que deux d'entre eux chemi-
naient le mme jour vers un bourg eloigne
de soixante stades de Jerusalem et nomine"
Emmaiis 1 . Et ils s'entretenaient entre eux
de tous ces accidents. Or tandis qu'ils devi-
saient et cherchaient ensemble, voici que Je-
sus Iui-m6me s'etant approch^, faisait route
avec eux; mais leurs yeux e talent tenus, de
fagon qu'ils nele reconnaissaient pas. II leur
dit : Quels sont ces discours que vous
echangez en marchant? Et ils s'arreterent,
tout tristes. R6pondant, 1'un d'eux, du nom
de Cleophas, lui dit : Tu es bien dans J6ru-
salem le seul etranger ^ ne pas savoir ce qui
s'yest passe" ces jours-ci! Quoi? leur
dit-il. Mais eux : Concernant J6sus de Na-
zareth, qui etait, h la face de Dieu et de tout
le peuple, un prophete puissant en osuvres
1. Voir D. Buzy, Emmaus, dans RSR, V, 1914, p. 395 suiv.; et Strack et
Billerbeck, KTM, II, p. 269-272.
288 JESUS CHRIST.
>etien paroles :eomment:les princes des
tresiet nqsfmagistrats il'antlivre pour etre
mis;a mort et crucifie. Or ,nous, nous espe-
rions qu'il etait celui qui devait racheter Is-
rael. Mais avec :lout cela voila le troisieme
:j0ur;dej3uisii'evenement..A vrai dire quelques
famines, de celles qui sont avec nous, ,nous
out iien surpris : allees ,des le imatin au tora-
;beau et nlayant pas;trouve son .corps, :elles
sQnt .venues .nous ;par.ler :d'une apparition
qu'elies;ontivue, et d'anges qui disent que
Jesus vit. Quelques-uns des n6tres ont e"te
.au tombeau, et ojit itrouve les choses con-
formes aux dires de qes femmes, mais lui, Us
.inejl'ont pas vu.
Lors, il leur dit : Gens lourds d'esprit,
lents de coeur a.croire tout ce qu'ont dit les
prqplietes! Ne fallait-ii pas que le Christ
souffrit ces peines, pour entrer dans sa gloi-
re-? Eticommencant par Moi'se et par tous
les prophetes, ille.ur interpreta ce qui, dans
toutes les iEcritures, le concernait. Or, ils
approchaient du bourg ou ils se rendaient,
e,tlui, fit semblant de pousser au dela. Mais
eux le presserent en disant : Reste avec
nous, car le soir vient, et deja'ie jour de-
cline. iEt'il entra pour rester avec eux. Et
il advint, comme il i6tait a table avec eux,
'qu'il prit le pain, le benit etile rompant il le
leur idonnait. Et leurs y^e.ux : se dessillerent,
etils le Teconnurent : mais il devint invisi-
ble pour eux. Et ils se dirent entre ,eux :
Notre cceur n'etait-il pas brulant en nous,
lorsqu'il nous parlait sur le chemin, tandis
qu ? il nous ouvraitle 'sens des Ecritures?
Et^se levant a 1'heure meme ils retourne-
rent a Jerusalem, ettrouverent assembles les
Onze-et leurs compagnons, qui leur dirent :
fls revinrent Tan- Effectivement le Seigneur est ressuscite,
Boncer aux autres, et Simon Tavu! Mais eux raconterent les
maisonnelescrutpas incidents de la route, et comme il avait e"te
won plus "*. reconnu par eux a la fraction du pain.
1. M6me remarque que plus haut, Mc. ; xvi, 11.
LA RESURRECTION; DU CHRIST.
389
3. EevOnzeh Jerusalem : Jesus se fait reconnoitre.
Me:,, xvr, 14.
Enflhil apparat aux
Onze eux-memes tan-
dis qu'ils 6taiefiit a ta-
ble, et irieurreprocha
leur incredulity, et la*
durete* de leur cceur,
parce qu'ils n'avaient ;
pas ajoute" foi a ceux
qui ravaient' vn res-
suscitd.
Lc., xxiv, 36-43.
Comme ils parlaient
ainsi, Iui-m6me parut
debout au milieu
d'eux. Et il leur dit :
Paix a vous ! Mais
tout saisis et pleins
d'effroi, ils croyaient
voir un esprit. Et il
leur dit : Pourquoi
etes-vous trouble's ?
Pourquoi ces pensees
de doute montent-
elles dans vos cceurs?
Voyeztoes mains et
mespieds. C'estmoi-
mme . Tpuchez et
voyez : un esprit n'a
pas chair et os comme
vous voyez bien que
j'ai. (Et, ce disant, il
leur montra ses mains
et ses pieds.) Mais
comme ils ne croyaient
pas encore, si grande
etaitleur joie ! et qu'ils
restaient ebahis, il
leur dit : Avez-vous
quelque nourriture
ici? Ils mirent de vant
lui un morceau de
poisson roti et a leurs
yeux il en prit et en
mangea.
Jo., xx, 19-29.
Et comme il
tard ce jour-la, pre-
mier de la semaine,
et,parcrainte desJuifs
les portes etant clo-
ses du lieu ou sc
tenaientles disciples,
Jesus vint, se tint de-
bout au milieu et leur
dit : Paix a vous !
Et ce disant, il leur
montra ses mains et
son c6te. Les disci-
ples se rej'ouirent
done, voyant le Sei-
gneur. Derechef il
leur dit done : Paix
a vous !
Comme mon P6re m'a
[envoy6
moi aussi je vous ea-
[voie.
Et disant cela, il
souffla et leur dit :
Recevez 1'Esprit
Saint.
Ceux a qui vous remet-
[trez. les p6ch6s,
ils leur seront remis.
Ceux a qui vous les re-
[tiendrer,
ils seront retenus.
Or 1'un des Douze,
Thomas, nomme Di-
dyme, n'etaitpas avec
eux quand vint Jesus.
Les autres disciples
lui dirent done :
Nous avons vu le
Seigneur. Mais U
300
jit US CHRIST.
lour dit : Si jo ne
vois dans ses mains
la marque des clous,
et si je ne mets mon
doigt dans la marque
des clous, et si je ne
mets ma main dans
son c6te, je ne croirai
pas. Et huit jours
apres, les disciples
etant de nouveau a
1'interieur, et Thomas
avec eux, Jesus vint,
les portes closes ; il se
tint debout au milieu
et dit : IK Paix a vous!
Ensuite il dit a Tho-
mas : Donne ton
doigt ici et vois mes
mains; et donne ta
main, et mets-ia dans
mon c6te, et ne sois
pas incre^dule, mais
croyant. Thomas re-
partit et dit : Mon
Seigneur et mon
Dieu ! Jesus lui dit :
Parce que tu m'as
vu, tu as cru : bien-
heureux ceux qui,
n'ayant pas vu, ont
cru!
Apparitions en Galilee : i. Le Grand Message.
Mt., xxvni, 16-20.
Or les onze disciples allerent
en Galilee, sur la montagne que
leur avait marquee Jesus, et, le
voyant ils seprosternerent, mais
quelques-uns douterent. Et s'ap-
prochant, Jesus leur parla en
ces termes :
Toute puissance m'a et6 donnee
au ciel et sur la terre
Allez done, et faites de toutes les
[nations des disciples,
(Me., xvi, 15-18.
Et il leur dit : Allez dans le
monde entier; pr^chez 1'Evan-
gile a toute creature. Qui croira
et sera baptise sera sauv6; qui
ne croira pas sera condamne. Or
voici les signes qui accompa-
gneront ceux qui auront cru : en
mon nom ils chasseront les de-
mons; ils parleront des langues
nouvelles ; ils prendrontdes ser-
pents dans les mains; et s'ils
LA RESURRECTION DU CHRIST. 391
les baptisant au nom du Pere et du boivent quelque breuvage mor-
[Fils et du Saint Esprit, tel, il ne leur nuira pas ; ils im-
leur enseignaut & garder tout ce que p0 seront les mains aux malades,
... . t> e vous ai P" 80 ' 1 *- et eux seront gueris.
Et voici : je suis avec vous tons les B
(jours
jusqu'a la consommation des sie-
[cles*. >
2. U Apparition sur le Lac.
Jo., xxi, 1-24.
Apres cela, Jesus se manifesta de nouveau a ses disciples, sur la
mer de Tibe>iade : il se manii'esta ainsi. Ensemble etaient Pierre
et Thomas surnomm6 Didyme, Nathanael, de Cana de Galilee, (les
ills de Zeb6dee) et deux autres de ses disciples. Simon Pierre leur
dit : Je vais pecher. Eux lui disent : Nous aliens aussi avec toi.
Ils sortirent, monterent dans la barque et cette nuit-la ne prirent
rien. Or, le matin deja venu, Je"sus se tenait sur le rivage, mais les
disciples ne savaient pas que c'eiait Jesus. II leur dit done : En-
fants, n'avez-vous rien a manger? Ils repondirent : Non ! Lors
il leur dit : Jetez le filet a droite du bateau, etvous trouverez. Ils
le jeterent done et ne pouvaient plus le relever a cause de 1'abon-
dance des poissons. Ce disciple que Jesus aimait dit done a Pierre :
C'est le Seigneur! Simon Pierre, entendant dire que c'est le
Seigneur, mit son vetement autour de ses reins (car il etait nu) et
se jeta dans la mer. Les autres disciples vinrent dans la barque,
car ils n'etaient pas loin de la terre, mais a deux cents coude"es a
peu pres, tirant le filet des poissons. Quand done ils furent des-
eendus a terre, ils virent un feu de braise, un poisson place dessus,
et du pain. Jesus leur dit : Apportez les poissons que vous venez
de capturer. Simon Pierre monta done et releva le filet plein de
gros poissons : cent cinquante-trois. Et nonobstantce grand nom-
bre, le filet ne se rompit pas. Je"sus leur dit : Venez, dejeunez.
INul de ses disciples n'osait lui dire : Qui es-tu? sachant que
c'etait le Seigneur. J6sus s'approche, prend le pain et le leur donne
et semblablement le poisson. Ce fut la troisieme fois que Jesus se
manifesta a ses disciples apres etre ressuscite des morts.
Lors done qu'ils eurent dejeune\ Je"sus dit a Simon Pierre : Si-
1. Sur la tradition de ce texte, voir J. Lebreton, Les Origines du
Dogme de la Trinite*, 1927, p. 599-610, note E. L'erudit plaidoyer du
R. P. Lagrange, allant a supprimer la suite du verset Yib : 01 8e eBc'ataaav,
se rapportant au passe : eux qui avaient doute , Evangile selon saint
Matt/lieu, 1923, p. 543, 544, ne me convainc pas. II n'y a, me &emble-t-il,
aucune objection decisive centre le sens naturel, & prendre le mot
de ce trouble instinctif qui peut survivre k une conviction motiv6e.
392 JESUS caniST.
mon, filsde Jean, m'aimes-tit plus que ceux-cif II lui dit: Oui r
Seigneur, tu sais que je t'aime. II liii dit : Pais mes agneaux.
Derechef; une seconde fois il lui dit : Simon, fils de Jean,
m'aimes-tu? II lui dit : Oui, Seigneur, tu sais que je te
cheris. II lui dit : Fais paitre mes brebis. II lui dit une troi-
sieme fois : Simon, fils de Jean, nd'aimes-tutf Pierre fut contriste
qu'il lui ait dit une troisieme fois : M'aimes-tu P et il lui dit : Sei-
gneur, tu sais tout, toi. Tu sais que je t'aime. Je"sus lui dit :
Pais mes brebis. En verite, en verite je te le dis : quand tu etais
jeune tu te ceignais et tu te promenais ou tu voulais. Mais quand
tu auras vieilli, un autre te ceindra et te menera ou tu ne voudras-
pas. (Cela, il le lui dit pour indiquer par quelle mort Pierre glo-
rifierait Dieu.) Ayant ainsi parl^, il lui dit : Suis-moi. S'etant
retoui*n^i Pierre voit, les suivant, le disciple que J6us aimait et qui
peridant la Gene feposa sur sa poitrine et lui dit : Qui est celui
quite trahira? Voyant done celui-ci, Pierre dit a Jesus : Seigneur,
celui-ci, qu'en sera-t-il? J6sus lui dit : Si je veux qu'il reste jus;-
qu'a ce que je vienne, que t'importe? Toi, suis-moi. Ge bruit se
repandit done parmiles disciples, que ce disciple nemourrait pas;
Or Jesus ne lui ditpas qu'il nemourrait pas, mais : Sije veux qu't
restejusgu'a ce que je vienne y que fimporteP
C'est ce diseiple-lk qui a temoigne sur ces choses et qui les a*
mises par ecrit, et nous savons que son temoignage est v^ridique 1 \-
Les Instructions finales et I'Ascension.
Me., xvi, 19-20. Lc., xxiv, 44-49. Actes, i, 1-9.
Or il leur dit : Ce J'ai parle, 6 Theo-
sont bien les paroles phile, dans mon pre-
que je vous ai dites mier livre, de ce que
quand j'etais encore Jesus fit et enseigna
avec vous : qu'il faiit depuis le ddbut jus-
que soit accompli tout qu'au jour ou ayant
ce qui est e"crit de moi intime ses preceptes
dans la loi de Moi'se, par le Saint-Esprit,
les prophetes et les aux ap6tres qu'il avait
psaumes. Alors il choisis, il fut enleve
leur ouvrit Tesprit au ciel. Devant eux
pour entendre le sens il s'affirma vivant,
dcs Ecritures, et il apr6s sa passion, par
leur dit : Ainsi etait- maint indice certain,
il ecrit que le Christ s'etant montre a eux
p^tit, et ressuscitat pendant quarante
1. Sur ce chapitre Jo., xxi, voir plus bas, p. 500, la note M a : les Finales
de Marc et de Jean.
CA RESURRECTION DU CHRIST.
39$
Or le Seigneur Je-
sus, apres leur avoir
ainsi parle, fut eleve
an del et it s'est assis
a la droite de Dieu.
Mais eux s'en al-
lerent precher, le Sei-
gneur confirmant la
Parole par les signes
qui I'accompagnaient.
desmorts le troisleme
jour, etqu'on prechat
en son nom la peni-
tence, en remission
des peche's, a toutes
les nations en com-
mencant par Jerusa-
lem.
< Detout cela votfs 6tes
[temoins
et voici que j'envoie sur
vous ce qu'a promis
[mon Pere :
Mais vous, restez dans
[la ville,
hisqu'a ce que vous
[soyez
revetus de la force
[d'en haut.
Et it les emmena
jusqu'a B^thanie, et
ayant eleve la main,
il les benit, et tandis
qu'il les benissait il
s'eloigna d'eux et il
etait enlevei dans le
ciel. Et eux, 1'ayant
adore, retournerent a
Jerusalem en grande
liesse et il 6taient
assidument dans le
Temple, b 6 n i s s a n t
Dieu.
jours et parlant
Royaume de Dieu. Et
se trouvant a table
avec eux il leur pres-
crivit de ne pas s'eloi-
gner de Jerusalem,
mais d'attendre ce que-
le Pere avait promis;
et dont je vous ai
parle : Jean baptisait
dansl'eau ; vous, vou&
serez baptises dans-
1' Esprit Saint Sous
peu: de jours . Or
ceux qui 6taient reu-
nis lui demandaient :
Seigneur, est-ce
presentement que tu
retablis le Royaume-
d'lsrael? Mais ii
leur dit : Ce n'est
pas a vous de connai-
tre les moments que-
le Pere a fix6s de sa
propre autorit^. Mais
vous recevrez la force-
du Saint-Esprit qut
viendra sur vous, et
vous serez mes te-
moins a Jerusalem,
dans toute 1st Judee et-
laSamariejetjusqu'au
boutdumonde. Etc&
disant, il s'eleva sous
leurs yeux, et une-
nueele deroba a leurs
regards.
A ces recits, Ton joint d'ordinaire 1 quelques indications.
1. (Test ce que fait, par exemple, P. W. Schmiedel dans le tableau qu'ili
a joint a son m6moire Resurrection and Ascension Narratives, dans EB, IV,
col. 4039-4087; le tableau est en face des col. 4053, 4054. Get article releveet
f ait ressortir, avec une Erudition et un parti pris 6galement dignes de Strauss,,
toutes les difficultes, heurts ou antinomies qu'on peutrelever ou soupconner-
dans les r6cits. Voir plus has, p. 503, la note N 2 : le Tomdeau trouve" vide.
I/usage des fragments non canoniques est, par contre> absolument
394 JESUS CHRIST.
emprunte*es aux e*vangiles non canoniques les plus anciens,
Un des exegetes qui en font etat, H. B. Swete, apres sMtre
explique" sur la faible valeur qu'il attache a ce detail, aioute :
Quand nous sortons du Nouveau Testament, les e*chos de
la tradition primitive se font rares et, pour la plupart, ne
meritent pas confiance. J'ai cite" plus haut integral ement le
fragment de Yfivangile dit des Hdbreux, qui raconte 1'appa-
rition du Seigneur a Jacques, apparition qui est mise hors de
doute.par le temoignage de saint Paul. Un morceau conserve*
en copte et en e*thiopien, et qui peut remonter au 11" siecle,
decrit 1'apparition aux saintes femmes, pres du tombeau vide,
en des termes qui permettent de croire ce re"cit particuliere-
ment independant, non de 1'Evangile johannique, mais des
synoptiques. Marie, Marthe et Madeleine qui sont allies
embaumer le corps du Seigneur, trouvent le sdpulcre vide,
se troublent, se lamentent. Jesus leur apparait, leur defend
de pleurer, les console et depe'che 1'une d'entre elles vers
les apdtres. Marthe y va, sans parvenir a les persuader;
Marie, qui la suit, n'est pas plus heureuse. Alors le Seigneur
ae derange, et adresse la parole aux disciples. Us le prennent
d'abord pour un fant6me, mais lui se fait reconnaitre, soit
en rappelant ses paroles anciennes, soit en les invitant a le
le toucher : Pourquoi doutez-vous encore et e"tes-vous
Incredules?... Mets, Pierre, ton doigt dans le trou des clous
de mes mains, et toi-meme, Thomas, mets ton doigt dans
1'ouverture faite par la lance a mon c6te... et toi, Andre,
remarque mes pieds, et vois s'ils s'appuient bien d'aplomb
ur terre ' .
correct, lorsqu'on n'en majore pas la valeur. F. Loofs, Die Auferstehungs-
berichte und ihr Wert z , Tubingen, 1908, p. 38, 39; H. B. Swete dans
Appearances of Our Lord after the Passion, p. xv; Ms r P. Ladeuze,
dans sa belle legon sur la ftdsurrection de Jesus- Christ devant la critique
contemrioraine, 1907, p. 8, 9, etc., ne dedaignent pas ces glanes.
1. Cette piece qui existe en ethiopien et, fragmentairement, en copte
(quelques lignes ont meme 6te retrouv6es d'une traduction latine), pubH6e
d'abord dans la Patrologia Orienlalis de Graffin et Nau, IX, 3, par L. Guer-
rier, sous le nom de Testament de Notre-Seigneur en Galilee, a et6 r6edit6e
d'apres les deux textes, avec un commentaire considerable, par Carl
Schmidt, Gespraeche Jesu mit semen Jungern nach der Auferstt hung, etc.,
dans TU, XLIII, Leipzig, 1919. Le texte cite se trouve ch. xn (23) ethiop.,
LA RESURRECTION DU CHRIST. 305
Seul pourtant, YEvangile dit de Pierre vaut, semble-t-il,
d'etre largement cite ici. Ge qu'il dit, allant a complete? nos
evangiles, et, plus encore, la fac.on dont il le dit, merite atten-
tion. On peut mesurer sur cet ouvrage, le plus sobre, le plus
ancien des evangiles non canoniques dont il ne nous reste
plus qu'une poussiere de fragments 1 , la difference qui separe
des meilleurs parmiles autres, les livres retenus et canonises
par 1'Eglise.
Le morceau essentiel debute apres la condamnation de
Je"sus, prononeee, a ce qu'il semble, par He"rode. Avant me"nie
1'execution de la sentence, Joseph (d'Arimathe'e), 1'ami de
Pilate et du Seigneur , intervient aupres du Procurateur
pour obtenir le corps de Je"sus : Pilate transmet la requite
a He"rode, qui repond : Frere Pilate, personne ne nous
l'eut-il demande, que nous Teussions enseveli, puisque e'est
1'aurore du sabbat. Gar il est e*crit dans la Loi que le soleil ne
don pas se couchersur un homme mis a mort, Suit un recit
de la Passion de Jesus, fortement teinte de doc^tisme. Puis,
Aprbs la mort du Christy
(Voyantles signes qui suivaient la mort du Seigneur) les Juifs,
les Anciens et les pretres, se rendant compte du grand mal qu'ils
sMtaient fait a eux-m6mes, commencerent a battre leur coulpe et a
dire : Malheur sur nous pour nos peches : le jugement et la fin
de Jerusalem approchent.
Moi (c'est Pierre qui parle), et mes compagnons, dans la peine
et navres au fond de Fame, nous nous etions cache's ; car on nous
recherchait comme des malfaiteurs et voulant incendier le Temple.
Avec tout cela nous jefinions etrestions assis dans les larmes et le
deuil, nuit et jour, jusqu'au Sabbat.
Or les scribes, les Pharisiens et les pretres se rassemblerent,
copte iv, loc. laud., p. 43 ; et dans The Apocryphal New Testament de
M. R. James, Oxford, 1924, p. 488.
1. On sait que le fragment de VEvangile de Pierre que je traduis ici,
a ete trouve a Akhmim en Egypte, en 1886, et public par M. Bouriant en
1892. Sur 1'epoque h laquelle il a ete compose, le plaidoyer de P. Gard-
ner-Smith, pour une date tres ancienne (vers 90!), ne m'a pas con-
vaincu : The Date of the Gospel of Peter, dans JTS, XXVII, 1926, p. 401-
407. La date ordinairement admise : vers 180, ou un peu avant, assure
encore une valeur appreciable au document. Je suis le textede E.Preuschen,
Antilegomena*, p. 16 suiv.
306 JESUS CHRIST.
car ils entendaient dire que le peuple murmurait et se frappait la
poitrine disant : Si a sa inort de; tels prodiges ont lieu, vpyez
quel juste c'&ait! Tres effrayes,, les Anciens vinrent prier Pilate
en ces termes : Donne-nous des soldats, pour qu 1 ils gardent
la tombe pendant trois jours, de crainte que ses disciples n'aillent
le volier, et que le peuple, estimant qu'il est ressuscite" des morts,
ne nous mette a mal. Et Pilate leur donna le centurion Petronins;
avcc des soldats pour garder le sepulcre : des pr&tres et. des-
scribes allerent avec eux a la tombe, et tous ensemble, avec<le
centurion etles soldats, roulant une grande pierre, ils la placerent
sur 1 la porte de la tombe et la scellerent de sept sceaux. Et
ayant plante la une tente, ils veillaient.
La Resurrection.
Et de bon matin, a Taube du sabbat, une foule- de gens vint;
de Jerusalem et des environs,, voir le tombeau scelleY
Or la nuit qui precedait 1'aube du dimanche, comme les soldata
montaient la garde, deux par deux, une grande voix se fit entendre
dans le ciel, et ils virent les cieux s'ouvrir, et deux hommes
cclatants de: lumiere en descendre et s!approcher du; tombeau;
Or la pierre qu'on avait mise sur la porte, roula d'elle-meme et se
plaga de c6t4, etla tombe s'ouvrit, etles deux jeunes gens entrerent
ensemble. Ce que voyant, ces soldats eveillerent le centurion et
les Anciens (car il y en avait aussi la qui veillaient}. Et comme ils
expliquaient ce qu'ils avaient vu, derechef ils voient trois hommes
sortant du tombeau : deux soutenaient le troisieme, et une croix
les suivait. Et la tete de ceux qui soutenaient attergnait le ciel r
mais celle de celui qu'ils soutenaient depassait les cieux. Et ils
cntendirent une grande voix, venue du ciel qui disait : As-tu
prfiche aux niorts? Et une reponse partit de la croix : Oui .
Et comme ils se concertaient pour s'en aller pr6venir Pilate de-
1'afFaire, les cieux- apparurent de nouveau s'duvrir : un homme en
descendit et entra dans le se"pulcre.
1 . On p6n6trait dans la chambre fun6raire de certains tombeaux par une
ouverture en forme de puits, dont on pouvait recouvrir 1'ouverture d'une
grosse pierre. La forme plus commune, d'une chambre fim6raire creusee
dans le roc et fermee par une porte, r6pond mieux aux indications des
evangiles. Cette porte elle-meme 6tait souvent constitute par une pierre
considerable qu'on faisait glisser pour ouvrir la tombe. J. Klausner, Jesus
of Nazareth, 1925, p. 355, cite a ce propos une Baraita : < II arriva qu'un
homme de Beth-Dagan en Judee mourut le soir de la Paque : on vint et on
1'ensevelit. Les hommes, attacherent une corde autour de la pierre rou-
lante (fermant le tombeau) ; du dehors ils tirerent, et les femmes entrerent
dans le tombeau, et accomplirent 1'ensevelissemerit.
LA RESURRECTION DU CHRIST. 397
Le JRaj>por.t a Pilate.
Voyant cela, rceux'qui 'etaient avecle centurion, se %aterent, en
pleinenuit, Iaissa3i!tlat0.inbe qu'ils gardaient, ;d';aJlertr,ouver(Pilate,
.et lui racontersemt tout-ce qu'.ils avaient vu, .gj^aaideinent troubles
el disant: Vraiment il etait Fils deDieu! Pilate leur repondit :
Je suispur du sang du Fils de Dieu : c'est vous quiTavez voulu.
Ensuite, comme 'tous le pria'ient instamment d'ordonner au cen-
turion et aux;s6ldats 'de ne Tien dire de ce qu'ils avaient vu, car
il est meilleur, idisaient-ils, .:pour^nous,^de .porter devant iDieula
responsabilite de :ce ; grand :peche, que de tomber aus mains ; du .
peuple juif po.ur etre lapides , Pilate ordonna, done au centurion
t aux soldats de ne rien dire.
Les Saintes Femmes .au Tombeau,
Le dimanchej.airaurore, Marie;de,Magdala, disciple du, Seigneur,
craignant les Juifs enflammes de colere, elle n'avait ,pas accompli
au .tombeau du Seigneur ce .que les femmes ont accoutume de
faire pour les morts qu'elles ont aimes, ay ant pris avec elle ses
vamies, vintau sepulcre ou on Tavait depose. Et elles craignaient
que les Juifs ne les .vissent, et disaient : a Si nous n'uvons pu, le
jour meme qu'il a ete crucifie, pleurer et,no.us,lamenter, .du moins
i'aisons-le maintenant sur son tombeau. Mais qui roulera pour nous
la pierre placee sur la.p.orte de la tombe, afin que nous puissions
^ntrer pres de lui, et accomplir ce qui convient? Car la pierre
etait grande, et nous craignons que quelqu'un ne nous voie. 'Mais
si nous ne pouvons pas, du moins, en memoire .de lui, nous
jetterons a la porte ce que nous apportons, nous pleur.er.ons et
nous lamenterons jusqu'a notre retour a la maison.
Or en arrivant, elles trouverent la tombe ouverte, et comme
elles se penchaient en s'approchant, elles virent la, assis au
milieu de la tombe, un beau jeune homme vetu d'une robe splen-
dide qui leur dit : Pourquoi etes-vous venues? 'Qui cherchez-vous ?
Ce crucifie, n'estrcepas? II est ressuscite, et il s'en est alle. Si
vous ne croyez pas, penchez-vous et voyez le lieu ou il gisait :
il n'est plus la, car il est ressuscite, et s'en est alle la d'ou il avait
416 envoye. Alors, effrayees, les femmes s'enfuirent.
Or c'etait le dernier jour des Azymes, et beaucoup de gens s'en
allaient chez eux, la fete passee. Mais nous, les :Douze disciples
du Seigneur, nous etions dans les pleurs de tristesse, et chacun,
consterrie de ce qui etait arrive, s'en retourna chez lui. Or moi,
Pierre, et Andre, mon frere, ayant pris nos filets, nous partimes
vers la mer, etil y avait avec nous Levi d'Alphee, que le Seigneur...
De la narration ainsi interrompue, 1'interet principal reside
308 JBSUS CHRIST.
dans son caractere manifestement secondaire et derive.
Des que 1'auteur quitte pour une glose, voire pour une expli-
cation, le solide fond de la tradition vanglique, lea fautes
de gout, les anachronismes, les invraisemblances pullulent.
A propos de la Passion, 1'auteur met dans la bouche d'He>ode
Antipas Pappellation, confinant au grotesque, de Frere
Pilate! Ailleurs, et re'gulierement, les traits indiqu^s par
les evangelistes sont soulignes, dilue"s, major^s jusqu'au ridi-
cule. Les precautions des Anciens sont circonstanciees, et
Ton nous montre ces Juifs orgueilleux, mettant la main a la
besogne, en compagnie des soldats romains, et vivant avec
eux de pair a compagnon. La resurrection est decrite, et avec
des traits de deplace", de faux, de gigantesque, qui sont pro-
prement la signature du faiseur d'apocryphes. Si les reflexions
des femmes ne sont que prolixes, celles des Anciens sont
invraisemblables. II est a peine un detail, en dehors de ceux
qui-recouvrent les traits evangeiiques ou pauliniens, qui ne
se presente comme suspect ou inadmissible. Par centre, la
moisson canonique, si elle n'est pas aisee a recueillir et a Her
en gerbes, est abondante.
Le Message Pascal : sa condition historique.
Exception faite pour les onze derniers versets de saint
Marc et 1'appendice du quatrieme evangile 1 , la condition lit-
teraire des textes cites plus haut n'est pas differente de celle
des autres recits de 1'Evangile. II n'en va pas de me'ine quand
on considere ces m^mes textes du point de vue de 1'histoire.
Une disproportion eclate entre 1'importance du fait de la
resurrection, telle qu'elle ressort a 1'evidence de tout 1'ensei-
gnement chretien primitif, et la brievete relative, les lacunes,
les heurts de la tradition ecrite.
Nous entendions saint Paul repeter aux Gorinthiens, sous
vingt formes et comme allant de soi, que la croyance en la
resurrection est capitale, fait partie de la substance la plus
indispensable de leur foi. Vaine est celle-ci, vaine la predi-
cation des ap6tres, si le Christ n'est pas ressuscite : les
fideles sont les plus malheureux de tous les hommes, et leurs
1. Voir ci-dessous, p. 500, la note M a : Les Finales de Marc et de Jean.
LA RESURRECTION DU CHRIST. 399*
evangelistes de faux te'moins, voire des blasphemateurs. Ges
enseignements ne sont pas isoles : tous les discours re'unis-
dans les Actes, qu'ils soient de Pierre, de Jean ou de Paul, ,
qu'ils s'adressent aux membres du grand Gonseil, aux ne"o-
phytes des premieres Eglises, juifs ou hellenes, aux Athe-
niens i'e'rus de nouveautes ou au prince e'claire' qu'etait Agrippa,.
partent de la resurrection ou y conduisent 1 . Le Procurateur
Festus veut-il re"sumer la querelle qui divise Paul et ses
adversaires, c'est encore la resurrection qui fait centre dans
la grossiere esquisse du Romain : il s'agit pour lui d'un cer-
tain Jesus mort et dont Paul affirme qu'il vit 2 . Les e"pitres
de Pierre comme celles de Jacques et PApocalypse de Jean 8
ramenent comme un refrain, comme un theme essentiel d'en-
seignement et le garant certain de la vie eternelle, le m6me
fait de la resurrection.
Cela 6tant, on ne peut qu'admirer Textreme sobrie'te, ce
n'est pas assez dire, I'^trange pauvret^ de nos recits evang&-
liques en ce point. D'apparitions, certaines, nettement classees
par saint Paul qui en avait frriquente 1 les b&ae"ficiaires* et dont
le detail eut tant importe* : apparition a Pierre, apparition a
Jacques, on n'y trouve qu'une seche mention, ou moins encore.
II a fallu, pour que nous possedions la precieuse liste de te-
moins dressee par Fapdtre, que des Gorinthiens pr6tassent une
1. Actes, H, 22-26 : Pierre, au peuple de Jerusalem ; in, 15-26 : Pierre aiv
meme peuple; iv, 10, 20, 33 : Pierre et Jean, au peuple ; v, 29-33 : Pierre
et Jean, au Sanhedrin ; x, 37-44 : Pierre au centurion Cornelius et a sa
maison; xin,' 27-40 : Paul aux Juifs et aux < craignant Dieu > d'Antioche de
Pisidie; xvu, 3, 18, 31-32 : Paul aux Atheniens, i PArSopage; xxyi, 22-26 :.
Paul au roi Agrippa et & sa suite.
2. Actes, xxv, 19.
3. Pierre : I Petr., i, 3-21 ; in, 18, 22 ; Jacques : Jac., n, 1 ; Hebr.
vi, 17-20; Jean : Apoc., I, 5 et 18; Paul : Rom., i, 4; iv, 23, 24; vi,
4-10; Vii, 4; vm, 10, 11 et34; x, 9 : < Si tu confesses de bouche que Jesus-
est le Seigneur et si tu crois dans ton cceur que Dieu 1'a ressuscite des.
morts, tu seras sauv6 (sur ce texte voir Actes, xvi, 31 ; et Gt' Milligan,.
The Epistle to the Thessalonians, Londres, 1908, p. 139) ; xiv, 9; I for.,
Vi, 14; xv, 1-5, 13-19; II Cor., iv, 13, 14; I Thess., i, 7-10; iv, 12, 13,
Ephes., i, 16-23; Philipp., n, 5-12; Coloss., n, 12; in, 1-4; I Tim.,,
in, 16; II Tim., H, 8-10.
4. Galat, i, 18, 19 ; et F. H. Chase, Cambridge Theological Essays, Lon-
don, 1905, p. 392.
HOO JESUS CHRIST.
oreille trqp facile aux adversaire.s de la r^eurpection des
corps! Ces faits constants sont hautement sigoifioatifs. 11 en
ressort que la tradition primitive, orale r se bowiait a J- affirma-
tion du fait, a la production des t.emoins autorises, a. I'exploita-
tion religieuse e,t spirituelle des .consequences :,au deb.ut, un
renvoi aux Ecritures, par allusion generale ou citations., ,s'im-
sposait, comme nous Tavons dit.
Quand les evangelistes entreprirent, dans des conditions et
pour des fins bien differences, demettre par ecrjt ce qui concer-
aiait la resurre ction, ils se trouverent done en fac.e 4e ; peu de nia-
tier.e.Leseul episode vraimefttxletailleetforuiantnarrationqu!on
trouve dans les Synoptiques, .est celui des disciples d'Emmaiis,
que saint Luc recuejllit probahlement sur place. v de.la bou.che
d'un des survivajits 1 . Le q^iatrieme evangile est un pe.u plus
riche et s'affirme, ici autant et plus qu'ailleurs, I'oauvre d'un
temoin autorise : .la perspe.ctive .des recits est celle du c.ercle
apostolique, et c'est beaucoup plus P.attitude de Jesus envers
les siens, et ses institutions, qui sont mises en relief, qua le
'fait merae de la resurrection.
Dans cette indigence relative mais tres reelle, et qui fprme
une disparate singuli&re avec 1'importance reconnue des 1'ori-
gine a la foi de Paques, il faut faire grande la part de la pos-
session tranquille, incontestee, quant a , la substance du fait :
. Reellement le Seigneur est ressuscite, et il est apparu a
Pierre 2 . Gette forwule :suffit. Tout au plus le prophete
Chretien, le missionnaire itinerant qui la propage dans les
Eglises, l'etoffera-t-il, en developpant la seconde partie, d'at-
testations, comme nous voyons que Paul le lit a Gorinthe.
Mais la premiere fut tournee d'abord en article de foi, ce qui
la soustrayait en grande jpartie aux curiosites-de detail.
La nature de la vie du ressuscite, extraordinaire, nouvelle,
exempte des conditions communes jusque-la acceptees par le
Maitre, explique ce qu'il y a, dans ces traditions si lacunaires,
de moins net, de flottant, de moins coherent. Les apparitions
-ont toutes commence par Tetonnement, 1'effroi, le doute m6me,
1. L'auteur raconte, dans son journal de route insere dans les Actes,
qu'il vint a Jerusalem avec saint Paul (au printemps de 1'an 56, a ce qu'il
semble) ; Actes, xxi, 15 suiv.
2. Lc., xxiv, 34.
LA RESURRECTION DU CHRIST. 401
de ceux qui les subissaient : c'etait Jesus qu'on voyait, qu'on
entendait, qu'on pouvait toucher; ce n'e"tait plus le Jesus
d'autrefois! II fallait, pour le reconnaitre, un effort, urie abs-
traction des habitudes de la vie ordinaire : de la des incer-
titudes, des fluctuations, des oscillations sentimentales qui ont
laisse trace en ce qui touche le temps et la localisation des
apparitions, presque toujours soudaines, de"routant les attentes
et les desirs.
Le caractere des documents, tel qu'on vient de Tesquisser,
tout en rendant a 1'historien sa tache delicate et difficile, a de
quoi le rassurer sur la valeur des pieces qu'il emploie. Des
tempins deshonne'tes, observe excellemment A. Plummer 1 ,
eussent rendu la deposition plus harmonieuse. II faut ajou-
ter que des homines possedes des preoccupations apologetiques
que leur suppose la critique rationaliste, eussent arrondi, com-
plete, majore les pauvres traditions dont ils disposaient 2 . Les
exegetes contemporains qui present a la Communaute primi-
tive un don si riche de creation, ne sont pas moins severement
contredits par les faits. G'etait le cas ou jamais de broder,
d'improviser en esprit les paroles et les enseignements du
Christ glorieux 3 !
1. < Dishonest witnesses would have made the evidence more harmo-
nious ; The Gospel according to S. Luke*, 1901, p. 546.
2. Rien de plus instructif que de comparer aux recits les intentions pre-
tees aux narrateurs par M. Arnold Meyer, par exemple, Die Auferstehttng
Chrisli, Tubingen, 1905, p. 14 suiv. D'apres ce critique, Pevangile de la
resurrection etant le principal, le plus sujet a contestation et a fausse
interpretation (ce qui est tres vrai !), il fallut beaucoup ajouter aux tradi-
tions primitives, harmoniser, arranger, etc. Pour satisfaire les neophytes
engages dans le courant syncretiste des religions orientales, il fallut, de
plus, faire une part a la chair du Christ, aux miracles, aux repas sacres.
D'ou, nouvelles additions : p. 16, 17. Enfin la tendance apologetique et
evhemeriste de la Communaute doit entrer en ligne de compte, comme
aussi la necessite de montrer les propheties accomplies : p. 18, 19. On
se demande, apres cela, comment tant d'intentions, tant de nScessites,
tant de motifs d'interpoler, d'etendre, de multiplier la matiere primitive,
ont abouti a nos maigres, brefs et fragmentaires recits !
3. On 1'a fait, en realite, dans la suite, tout comme les causes signalees
par M. A. Meyer ont agi, et Ton pent voir les resultats dans les apo-
cryphes : I'Evangile de Barthelemy, par exemple, ou VEpitre des Apdtres
(appelee par M. Guerrier : Testament de Nolre-Seigneur en Galilee ; par
JESUS CHRIST. H. 26
402 JESUS CHRIST.
II n'en eat rien. La seche enumeration de saint Paul cinq
lignes episodigues ajoute en re*alite" beaucoup a oe que nos
evangiles nous ont transmis du message pascal. Taut hit grand
le scrupule des narrateurs! Tant tut efficace le souci, releve
par le tree ancien disciple qui documenta, au debut dun e siecle,
Papias d'Hierapolis, de ne pas oserle moindre mensonge 1 !
Le Message Pascal : les Fails.
On n'attend pas de nous une histoire suivie des apparitions :
les elements de cette histoire existent, et on les a transcrits
plus haut. A vouloir les ordonner chronologiquement, onobtient
des arrangements divers, dont Tun ou 1'autre est probable,
aucun certain. Mais quand, nous e*levant un peu, nous consi-
derons Fensemble des temoignages apostoliques, quelques
traits se degagent assuretnent. La divergence des points de
vue, les raccourcis didactiques 2 , les simplifications peuvent
bien brouiller ces lignes : elles se reforment sous le regard
attentif, comme ces faits humains constants qui tiennent
aux realites geographiques, et que dissimule a 1'observateur
superficiel le fourmillement confus et en apparence anarchique T
des generations d'hommes 3 .
M. Carl Schmidt, Gespraeche Jesu mil seinen Jungern). Les textes sont
commodement reunis dans The Apocryphal New Testament, de M. R.
James, Oxford, 1924, p. 166 suiv. ; 485 suiv.
1. M^ <j*uaaa8a TI Iv -autor?, dans Eusebe HE, III, 39.
2. II est incontestable, observe justement le R. P. Lagrange, Evangile
selon saint Luc, 1921, p. 613, que si Luc n'avait pas ecrit les Actes, on
croiraitque son intention est de placer ces instructions (xxiv, 44-49) ausoir
de la resurrection, qui seraitaussi le jour de 1'Ascension. Comme cetecri-
vain soigneux n'a pu se contredire a ce point, il faut done que le raccourci
del'Evangile tienne lieu des quarante jours des Actes. Mais ilfaut induire
de la ce principe general que certaines apparences d'affirmation histori-
que ne doivent pas etre serrees deirop pres... II faut de plus constater que
Luc n'attache pas beaucoup d'importance aux modalites historiques de
chronologie et de chorographie. II a completement neglige les apparitions
de Galilee qu'il ne pouvait ignorer, parce qu'elles ne rentraient pas dans
son plan. L'ordre de demeurer a Jerusalem en fait partie.
3. Apres avoir note que 1'humanite forme, sur la face de la terre, un
revetement mobile et d'une densit6 fort inegale, Jean Brunhes, La Ge'ogra-
phie Hwnaine*, 1912, p. 61, ajoute : D'ailleurs cette mobilite est plus
restreinte, et cette inegalite de distribution est beaucoup plus persistante
LA RESURRECTION Dfl CHRIST. 403
Un premier trait fort notable, encore que negatif, est 1'ab-
sence de toute indication temporelle et de tonte description,
quant au fait capital. En une matiere qui retenait si puis-
samment l'inte"ret des premiers Chretiens, la tentation devait
6fere forte de combler par 1'imagination des lacunas de cette
dtendue. Les .plus anciens apocryphes, 1'^vaftgile de Pierre
en te"te, n'ont pas manque de le faire 1 . Mais aucune tradition
digne de foi ne les ayant renseigne"s la-dessns, nos narrat^urs
n'ont rien dit.
Le second trait commun a leurs re"cits concerne le tombeau
trouve Tide 2 , a Fatibe du dimanehe, par des femmes, au pre-
mier rang desquelles figure invariablement Marie de Magdala.
La vue du sepulttre ouvert et la disparition du corps qu'elles
venaient honorer de soins plus attentifs, ne se liisrenl pas
d'abord, dansi'esprit de ces fideles amies du Christ, avee 1'ide'e
de la resurrection. II ressort nettement,atravers les differences
de presentation et les incertitudes chronologiques, qtie 1'inter-
pr^tation des faits, ainsi que la commission d'en informer les
disciples, vint du dehors aux femmes. Une intervention person*
nelle dn Maltre acheva de les convaincre. Le r61e actif de
Marie de Magdala est mis en relief dans tontes les sotirces,
bien que le quatrieme evangile seul nous ait donne" le mo'fc
de ce divin Episode. Nous voyons e"galement que let^moignage
des femmes reussit a emouvoir quelques-uns des ap6tres,
notamment Pierre qui vint contr61er sur place Texactitude de
Tinformation. Mais ce ni6me t^nioignage fut radicalement im-
puissant a faire naitre, chez les disciples, la foipascale : tout cela
leurparut suspect, invraisemblable, propos de femmes exalt^es.
et constants qu'on ne pourrait d'abord le penser : chaque individu, chaque
petit groupe isolement peut se deplacer, et de fait se meut; il rien est pas
moms vrai que sur la carte du monde les grandes laches d'humanile vivante
se marquent longtemps aux monies places. >
1. P. W. Schmiedel ne peut s'empecher de faire remarquer : < La rdsur-
rection meme de Jesus qui est, dans les recits canoniques, avec une reserve
notable, toujours suppos6e comme ayant eu lieu deja et jamais decrite, est
repr6sentee ici(dans VEvangilede Pierre) comme ayant lieu sous les yeux
des Remains et des Juifsqui gardaientle sepulcre, etd'une facon qu'on ne
peut qualifier que de grotesque. Resurrection... narratives, dans EB, IV,
col. 4047.
2. Voir plus has, p. 503, la note N 2 : Le Tombeau 'trouve" vide.
404 JESUS CHRIST.
Aucune raison serieuse n'autorise, quoi qu'on en ait dit, a
mettre en doute la substance de ces traditions : ni la diffi-
culte d'en concilier certains details, dont Incoherence fait
plutdt ressortir 1'identite de fond, ni le caractere de la nar-
ration. Rien, au contraire, de plus naturel que ces notations,
dont toute harmonisation posterieure est absente, et qui nous
mettent aux yeux 1'agitation, 1'effroi, le va-et-vient trepidant
du petit groupe des Galileennes, en ces heures inoubliables.
Enfin le Maitre se manifeste directement a ses disciples. A
Pierre d'abord, nous le savons par le temoignage concordant
et absolument nu, non circonstancie, de Paul et de Luc. Puis
au groupe apostolique pris d'ensemble, ensuite a d'autres ou
aux me'mes, en des lieux divers, a des heures et dans des
circonstances fort differentes. Gette manifestation se produit
a riraproviste et, loin de trouver un milieu vibrant, surexcite,
aise a convaincre, se heurte d'abord, et jusqu'au bout, semble-
t-il, a 1'incertitude, au doute, a cet effroi me"le d'inquietude
que suscite le contact inattendu du surnaturel. La me'me
impression de defiance et de defense scande, sous des formes
diverses, plus oumoins naive s, tous lesrecits. Elle est vaincue
par Finsistance du Maitre, qui multiplie les marques de son
identitd personnelle nonobstant les conditions nouvelles
ou il se meut avec le Jesus qu'avaient connu les disciples.
G'est le geste familier de la fraction du pain qui jette a ses
pieds, les yeux ouverts, les pelerins d'Emmaus; c'est un
nom, un accent dans un appel qui rend a Marie de Magdala
celui qu'elle avait tant aime. Parfois m^me c'est une sorte
d'enqu&te en regie, et d'assurance centre 1'hallucination ou la
vision fant6male ; paroles, toucher, nourriture prise enqu^te
a laquelle se prete Jesus, ou qu'il provoque. L'apparition ne
eonsiste jamais, que nous sachions, dans une simple vision
en esprit , dans la transe ou le songe que tous consideraient
alors comme le moyen par excellence de transmission du
divin. Et, non plus, dans tin de ces sentiments de presence,
puissants et vagues, dont les mystiques sont parfois favorises.
Quand Jesus se fait voir, plusieurs sens, et souvent tous, sont
affectes, non pour un moment mais d'une fagon durable : il y
a echange de paroles, promesses, prescriptions, actions
impliquant des changements d'attitude, des allees et venues,
LA RESURRECTION DU CHRIST. 405
des pauses, des pertes et des reprises de contact; le tout, a
1'etat de veille. Bref une conversation suivie avec une per-
sonne vivante.
Ainsi se forme, et c'est le dernier trait, dans ces esprits
lents a croire, une conviction in^branlable qui change et
renverse leur etat d'ame anterieur, leur faisant un cceur nou-
veau. Dans ces desillusionnes, dans ces hommes de'courage's,
abattus par 1'effroyable catastrophe ou avait sombre", avec
Thonneur et la vie de leur Maitre, 1'esperance me"me d'un
avenir meilleur, la foi au ressuscite suscite des te'moins
inconfusibles, ddvoues jusqu'au sang. Entre le petit troupeau
disperse" qui se cachait, demoralise et apeure, et le groupe
rallie", compact, conquerant, qui fut le noyau de la Commu-
naute primitive, il y. a plus qu'une modification : il y a trans-
formation, refonte heroi'que des sentiments, trempe nouvelle
des volont^s. Anticipant de quelques anne"es la frappe du mot,
on peut dire que, desormais, il existe des Chretiens ,
c'est-a-dire des hommes pour qui le Christ est la vie, et qui
subordonnent tout a son service. Us n'he'sitent plus, n'ater-
moient plus, ne cedent plus que par instants a leur rve
charnel. Efc le secret de ce prodigieux changement, c'est la
foi de Paques. Reellement le Christ est ressuscite' ! Get
homme qu'ils avaient abandonne et qu'ils avaient vu aban-
donne par son Pere celeste, somme en vain par ses ennemis
de se sauver lui-meme ; ce condamne, ce pendu, ce mort ense-
veli eh bien! on 1'a vu derechef, il vit, il est ressuscite! II
est le Seigneur, il est assis a la droite de Dieu! Conviction
victorieuse qui n'est pas le fruit d'une longue incubation
mentale, le terme d'une elaboration doctrinale, le contre-coup
et la revanche imaginaire des persecutions subies, la projec-
tion des prophecies anciennes. Elle n'est pas une consequence,
mais une cause : elle existe, soutient tout, explique tout a
l'origine. Elle n'est pas une suite et un progres, mais le branle
initial et le premier fremissement de la vie chretienne.
Que 1'apotre Paul n'ait pas ete le premier a mettre ainsi 1'im-
portance de la mort du Christ et 1'importance de sa resurrection au
premier plan, mais qu'il se soit rencontre dans cette con ession
avec la communaute primitive cela appartient aux faits histori-
ques, les plus certains. Je vous ai transmis, ecrit-il aux Corin-
406 JESUS CHRIST.
thiens, ce que moi-m&me j'ai regu par tradition : savoir que le
Christ, est mort po>ui' nos peehes et est ressuscite au troisicme jour.
Sans doute Paul a fait de la mort et de la resurrection du Christ
1'objct d'une speculation ulterieure et il a, pour ainsi dire, resume
tout rijlvangile en ces deux eve"nements mais ces faits, le cercle
des disciples personnels de Jesus et la communautd primitive les
tenaientdejapourfondaroentaux. On peut 1'affirmer ; la reeonnais'
sance dupable de, la dignite de Jesus Christ, la veneration* 1'adora-
tion qu'on lui a port6es> ont la leur point de depart. Sur le double
i'ondement de ces pierres s'est edifice toute la christologie. Mais
deja avait-on dit de Jesus Christ, durant les deux premieres g6ne-
rations, tout ce que les hommes peuvent dire de plus sublime.
Farce qu'on le savait vivant, on le loua eomme celui qui est eleve
a ia droite de Dieu, le vainqueur de la mort, le prince de la vie,
la puissance d'une nouvelle creation comme la voie, la verite et
la vie,.. Mais surtout on sentit qu'il etaitle principe actif de la vie
personnelle : Je ne vis plus, c'est le Christ qui vit en moi. II
est ma vie, et percer jusqu'a lui &. travers la mort est un gain.
Ou, dans 1'histoire de I'humamte, esUl arrive quelque chose de
pareilr* Que ceux qui avaient mange et bu avec leur Maitre et
I'avaient vu sous, les traits de son humanite, 1'aient annonce non
seulement comme le grand Prophete et le revelateur de Dieu, mais
comme le guide divin de 1'histoire, comme le commencement
de la creation de Dieu et comme la force intime d'une nouvelle
vie? Jamaie les disciples de Mahomet n'ont ainsi parle de leur
prophete! Jl ne suffit pas de dira qu'on a transports siraplement
sur J^sus tous les attributs du Messie, et d'expliquer tout par Tat-
lente du retour glorieux dont les rayons se seraient projet6s en
arriere. Assur^ment 1'esperance certaine de la resurrection faisait
qu'on d^tournait les yeux de la venue en humilite . Mais qu'on
ait p.a fonder et maintenir fernae cette esperance certaine elle-
m<me; qu'a travers les souflrances et la mort on ait vu en lui le
Messie elu; que, a cote de 1' image, messianique vulgaire, et dans
cette image, on ait senti qu'il etait, on ait serre sur son cceur le
Maitre present et le Sauveur voila 1'etonnant! Et la, c'est bien
la mort pour nospeches , c'estbienlar^surrection qui ont confirme
1'impregsion faite par la personne, et qui ont donne a la foi son point
de depart certain : II est mort pour nous en victime, et il vit.
... Que ces deux affirmations aient ete pour la communaute pri-
mitive les points substantiels (de sa foi), nul n'en a encore doute\
Meme Strauss ne le contcste pas, et le grand critique F. C. Baur
reconnait que la chretiente la plus ancienne a ete batie sur la con-
fession de ces (verites) * .
1. Ad. von Harnack, Das WesendesChristenlums*, p. 97, 98. J'ai traduit
a nouveau le texte, que serre encore trop pen la seconde traduction fran-
caise, Paris, 1907, p. 188-191.
LA RESURRECTION DU CHRIST. 407
Gette union indissoluble entre la realite du fait de la resur-
rection et la foi pascale qui a fonde 1'Eglise et transforme le
monde, confirme de la facon la plussolide la verite du temoi-
gnage appstolique, tel que Paul 1'a motive, tel que tous les
documents anciens nous 1'ont transmis, tel que les recits
evangeliques 1'ont. assez pauvrement en somme, mais suffi-
gamment circonstancie, Assimiler toute croyance, des la
qu'elle est sincere, et dire a ce propos que la realite du fait
generateur de la foi n'importe pas, est une grande erreur,
en droit et en fait. II est indeniable, dit par exemple M.
P. W- Schmiedel, que 1'Eglise a ete" fondee, non directement
sur le fait de la resurrection de Jesus, mais sur la croyance
en sa resurrection; et cette foi travaillait avec une egale
energie, que la resurrection fut un fait reel ounon 1 . Gette
doctrine ou plutot cette defaite, veritable suicide de 1'intel-
ligence, suppose a la verite et a 1'illusion le me'me ppuvoir
de creer, la m&nae valeur feconde. Laissons Renan degonfler
le sophisnae : Rien ne dure que la verite... Tout ce qui la
sert se conserve, comme un capital faible, mais acquis; rien
dans son petit tresor ne se perd. Ge qui est faux, au con-
traire, s'ecroule. Le faux ne fonde pas^ tandis que le petit
edifice de la verite est d'acier et monte toujours 2 . De
son cote, le penseurle plus original et le plus sincere, parmi
ceux qui ont fait plus que cdtoyer le modernisme, estime que
si, pendant un temps, 1'illusion sincere peut bander I'energie
liumaine jusqu'a 1'heroJsme, et, par consequent, lui faire
produire des fruits notables, une plus longue duree remot
toute chose a sa place : Ge qui est pure chimere illusoire,
pure hallucination morbide, sans valeur de verite, peut sans
doute susciter momentanement la foi la plus complete. Mais
une telle foi n'est pas nourrissante ni fructueuse au point de
vue moral ; elle ne produit rien de solide ; elle ne se transmet
pas bien loin ; elle ne rassemble pas beaucoup d'ames dans
1. And this faith worked with equal power, whether the resurrection
was an actual fact or not ; Resurrection.., narratives, dans EB, IV, col.
408G, II est superflii de faire observer que la foi en la resurrection se fon-
dait, en derniere analyse, pour les temoins, sur le fait reel : 5vru; TJ
* xuptog, Lc., xxiv, 34.
5i. Histoire du peuple d' Israel, V, Paris, 1891, p. 421.
408 JESUS CHIIIST.
une -communion qui les vivifie ; elle ne resiste pas a 1'action
reductive et dissolvante de la duree, al'epreuve de la raise en
usage pratique ; elle se solde toujours en fin de compte par
un echec ou se devoile son caractere mensonger 1 .
Ce que Renan presente ici comme un fait d'experience, en
historien, et M. I^douard Le Roy en philosophe, prend une
valeur religieuse, indubitable, pour qui admet que le monde,
en particulier le monde des esprits, n'est pas livre aux con-
vulsions d'un hasard aveugle, mais oriente vers une fin par
une Puissance sage et bonne. Dans cette hypothese, hors de
laquelle il n'est pas de religion, 1'immense realite chretienne
postule a son origine une croyance fondee en realite". C'est
ce qu'a recohnu, a la fin d'une carriere tout entiere consacree
a 1'exegese, interpreted avec une complete independance, un
exegete protestant des plus considerables. Apres avoir renou-
vele, autant qu'homme au monde, les etudes scripturaires
chez ses coreligionnaires des deux c6tes du Rhin, et anticipe,
des 1834, avec un coup d'ceil genial , la plupart des idees
qui rendirent celebres les noms de Graf, d'Abraham Kuenen,
de Jules Wellhausen et de leurs innombrables disciples T
Edouard Reuss ecrivait 2 :
Quant au fond du fait principal, nous voulons dire do la
resurrection elle-meme, 1'exegese ne peut que constater que jamais
et nulle part les ap6tres n'ont exprime le moindre doute, la
moindre hesitation a son egard. L'apologetique, de son cote,
peut aujourd'hui s'epargner la peine de discuter s^rieuscment
certaines explications imaginees autrefois pour ecarter le miracle,
telles que la supposition d'une simple lethargic, de laquelle
Jesus serait peu a peu revenu; ou celle d'une fantasmagorie
organisee par des chefs de parti occultes, a 1'effet de faire pren-
dre le change aux disciples ; ou celle d'un mensonge sciemment
mis en circulation par ces derniers, et autres pareilles, tout aussi
romanesques et singulieres; 1'histoire et la psychologic, la physio-
logic et le bon gout en ont fait justice depuis longtemps. L'expe-
dient de reduire le fait a un simple my the se heurte surtout centre
la brievete de 1'espace de temps ecoule entre 1'evenement et les
1. Dogme et Critique, Paris, 1907, p. 224.
2. La Bible, trad, nouvelle avec Introduction et Commentaires, le Nouveau
Testament, I, Paris, 1876, 'Ilistoire e'vange'lique, p. 101. Les mots, cites entre
guillemets, sur le coup d'oeil genial de Reuss, sont de P. Lobstein dans la
i, XVI, p. 694.
LA RESURRECTION DU CHIUST. 409 1
premieres predications, etle recours a une illusion visionnaire est
impossible en face de I'universalite et de la fermete des convictions
au sein de 1'Eglise. Lors m6me qu'aucun de nos evangiles n'aurait
pour son reeit la garantie d'un temoignage oculaire imme'diat, il
resterait celui de Paul, dont les affirmations ne pcuvent etre que
la reproduction de celles des personnages qu'il nomme. Nous pour-
rons reconnaitre que beaucoup de choses dans cette histoire sont
pour nous incomprehensibles, que nous n'arriverons jamais a
nous rendre compte de la nature de 1'existence do Jesus ressuscite,
que notre raison est arretee a chaque fois, quand ellc essaie de
concevoir et d'accorder les elements des divers recits : il resterait
toujours ce fait incontestable, que 1'Eglise qui subsiste depuis dix-
huit siecles, a ete batie sur ce fondement, qu'elle en est done pour
ainsi dire une attestation vivante, et qu'a vrai dire, c'est elle qui
est sortie du tombeau du Christ, avec lequel, selon toutes les pro-
babilites, elle y serait autrement restee enterree a jamais.
2. Les Essais d'Explication Naturelle.
Parmi les hypotheses romanesques et singulieres qua
Reuss conseillejustement de laisser tomber, nous ne rappel-
lerons que pour memoire celle de Samuel Reimarus, dans les-
celebres Fragments publics par Lessing 1 : le corps de
Jesus aurait ete enleve par ses apotres, dans le but d'en,
imposer, et de faire croire a la resurrection de leur Maitre.
Gottlob Paulus imagine une syncope, survie d'un reveil de
quelques jours et de la mort definitive 2 . Ges fictions ridi-
cules, comme aussi les variantes a peine plus vraisembla-
bles par lesquelles on a essaye de les rajeunir, ont fait leur
temps. Les critiques les plus radicaux, un P. W. Schmie-
del, un Arnold Meyer 3 , en ont reconnu 1'inanite : avant eux
leur maitre a tous, David Frederic Strauss, s'en etait gausse.
Toutes comportent une part d'insincerite et de fraude qui
1. Von dem Zwecke Jesu und semen Jiinger, ed. G. E. Lessing, Bruns-
wick, 1778. Depuis Lessing 1'hypothese d'un enlevement du corps a 6te
reprise sous des formes diverses. On peut voir la-dessus E. Mangenot, La
Resurrection de Jesus, Paris, 1910, p. 233 suiv. ; J. M. Shaw, Resurrection
of Christ dans DACH, II, 1918, p. 359 suiv.
2. Das Leben Jesu ah Grundlage einer reinen Geschichle des Urchristen-
tums, Heidelberg, 1828. L'hypothese avait 6t6 defendue parK. A. Hasedans-
sa Leben Jesu, 1&19, 5 1865; et a 6te reprise par les theosophes en general.
3. P. W. Schmiedel, Resurrection... narratives, dans YEB, IV, col. 4066,.
4067; Arnold Meyer, Die Auferstehung Christi, p. 117 suiv.
JESUS CHRIST.
ai ? est pas settlement rebutante en elle^me'me, mais invraisem-
blable, qu'on 1'attribue aux apdtres ou au Sanhedrin, dont elle
.nurait manifestement desservi lea intere'ts. Strauss s'est
espace en parfciculier sur 1'hypothese d'une survie, succ^dant
;a une mort apparente. Abstraction faite des difficultes ou
elle s'engage, cette conjecture, dit-il, ne remplit me'me pas
la tache qu'elle s'est donn^e, d'expliquer la fondation de
1'Eglise chretienne par la croyance du retour du Messie Je*sus
.a la vie. Un demi-mort qui se glisse en rampant hors de sa
tombe, un debile qui r6de de-ci de-la, un miserable qui a
jrecours aux soins medicaux, aux bandages, aux fortifiants,
aux managements et qui, a la fin, succombe a ses blessures,
.ne pouvait absolument donner aux disciples 1'impression du
vainqueur de la tombe et de la mort, du prince de la vie, qui
cst a la base de leurs demarches ulterieures 1 . L'enle-
vement du corps par les gens du Sanhedrin, auquel s'est
arrete, faute de mieux, Albert Reville 2 , n'explique aucu-
/nement le changement qu'on est bien oblige de constater chez
.les apdtres, sans parler de 1'insigne maladresse, en ce cas,
-des ennemis de Jesus. La piece a conviction etait entre leurs
'mains : ils pouvaient ebranler d'un seul geste, d'une parole,
la foi nouvelle dont les progres rapides les inquie'taient, et,
apres avoir tue" le prophete, miner son oeuvre pour toujours.
:Si les Sanhedrites se sont tus, s'ils n'ont pas oppose ce
-dementi e'clatant, c'est parce qu'ils n'etaient pas en etat de le
fournir 3 .
Aussi, fuyant ces impasses, la presque unanimite des
adversaires de la resurrection s'engage dans d'autres voies,
aussi decevantes parfois, mais moins evidemment condamnees.
Apres avoir disjoint de leur mieux, et rdtr^ci la base de fait
:supposee par les recits, ils recourent, pour expliquer le
1. Das Leben Jesu fur das deut. Volk bearbeitet 3 , Leipzig, 1874, p. 298.
f ette Vie de Jesus pour lepeuple allemand est post^rieure de trente ans a
la premiere Leben Jesu do Strauss. Centre Paulus, Strauss s'est explique
'dans le troisieme ecrit polemique suscite par sa Vie de Jesus, Streitschrif-
.ten zur Verteidigung meinen Schrift fiber das Leben Jesu, Tubingen, 1837.
2. Jesus de Nazareth, Paris, 1907, I, p, 461 suiv.
3. V. Rose, Etudes sur les Evangiles*, Paris, 1905, p. 311-316; J. Orr,
The Resurrection of Jesus, London, 1908, p. 213 suiv.
LA INSURRECTION 0U CHRIST. 411
reliquat > que le t^moignage de Paul et la foi apostolique ne
permettent tout de mme pas d'e'liminer a deux expedients
principaux : celui des visions subjeetives, et celui de croyan-
ces preexistantes qui auraient agi par voie d'infiltration ou
d 'inspiration sur la premiere generation chretienne. Sous ces
influences, une impression d'abord fugitive et fluide aurait
pris du corps, se serait pr<Scisee en affirmations eonsistantes,
developpe"e enfin en recits adaptes aux besoins apologetiques
de la religion naissante.
La s'arr&te Taccord. Des que, sortant de ces generality's,
on examine la triple e"tape fournie par les critiques radicaux :
reduction des textes; nombre, epoque, emplacement, nature
des visions; designation des traits, des mythes, des attentos
prophetiques qui auraient re*agi sur la formation de la legende
evangelique de Paques, ie gros des ecrivains s'e'miette en
individus. Cbacun, dans le champ pratiquement indefini des
conjectures, trace un, sentier, au gre de ses preferences, au
nom de aes postulate philosophiques, au basard de sa compe-
tence particuliere. Ge qui paralt possible a Fun est par
1'autre declare contraire aux lois de la nature . Pour
celui-ci, ilne peut s'agir d'une resurrection proprement dite.
Paiiez^lui, si vous voulez, d'immortalite 1 ! Gelui-lja suggere
une resurrection purement spirituelle, dans 1'a-me des disci-
ples de Jesus 2 . Un troisieme estime que les apotres ont
cru aun enlevement au ciel.de leur Maltre, interprete ensuite
dans les te'rmes d'une resurrection 3 . Gette partie d'explica ! -
tion positive est livree a 1'anarchie, au point qu'on peut se
1 . Kirsopp Lake, The historical evidence of the Resurrection, London,
1907, p. 268,269; Alfred Loisy, Simples reflexions surle de'cret Lamenta-
Mli*... , Paris, 1908, p. 170.
2. Cette Strange conception, nee dans 1'Ecole ritschlienne et popularised
par A. von Harnack, distingue entre e la foi de Paques > c'est-a-dire la
conviction que le crucifie a vaincu la mort,... et qu'il est le premier-ne
entre beaucoup de freres , et le messa,ge de Paques : reellement le
Christ est ressuscit6 ! La foi de Paques serait ind^pendante du message, et
justified par la seule resurrection en esprit* ; L 'Essence du Ghvisliani&me,
nouvejle tr. fr., Paris, 1907, p. 196suiv. Sur les complaisances de quelques
Anglicans pour cette id6e, voir J. M. Shaw, dans DACff, II, p. 363-365.
3. El. Bickermann, Das leere Ch-ab, dans ZNTW, XXIII, 1924, p. 281 suiv.
La-dessus, voir ci-dessus, p. 503, la note N 2 , Le Tombeau trouve vide.
412
JESUS CHRIST.
demander si les auteurs de ces subtiles fictions y voient
autre chose qu'un jeu d'esprit. Seule, la partie critique prdte
a une discussion serieuse.
La reduction des textes.
Deux moyens de preuve sont employes pour evincer bon
nombre de textes, et consequemment de faits : lla comparaison
des apparitions mentionnees par saint Paul avec les evangeli-
ques : il en ressortirait que plusieurs de celles-ci sont a
biffer del'histoire ; 2 1'existence de deux traditions evangeliques
ou apostoliques entre lesquelles il faudrait choisir.
La premiere difficulte urge*e avec acharnement par Schmie-
del 1 part du suppose" tres arbitraire que la liste des appa-
ritions transcrites dans le fragment de catechese de saint
Paul est complete et disqualifie tout ce qui n'y figure pas.
On nous assure que, vu 1'importance qu'il attachait a la
resurrection, 1'apotre a du rapporter tout ce qu'il en savait ;
que les transitions monies employees par lui: alors, ensuite r
cnsuite, alors, finalement , excluent toute omission de la
maniere la plus decisive 2 ; qu'il n'y avait aucune raison de ne
pas mentionner le temoignage des femmes, au cas que 1'epis-
tolier 1'eut connu. Gette argumentation ne convainc pas. Il
est au contraire hautement improbable que, dans une breve
parenthese, destinee a i'ournir aux Gorinthiens des garants-
irreprochables, officiels et, autant qu'il se pouvait, accessibles T
du fait de la resurrection, Paul en ait appele a des appari-
tions d'un caractere prive, comme celles des femmes ou des
disciples d'Emmatis. Nous avons vu que chacun des temoi-
gnages retenu par lui avait sa raison d'etre, portait coup dans
1'esprit de ses correspondants. Mille exemples enfin nous
1. P. W. Schmiedel, dans le Hand-Commentar zum NT, ed. H. J. Holtz-
raann, II, 1, Freiburg i. B., 1891; et Resurrection... narratives, dans EB r
IV, col. 4057.
2. EB, IV, col. 4058. F. H. Chase, Cambridge Theological Essays, London,
1905, p. 395, note 1, remarque avec justesse que Yensuite, KneiTa marque
1'ordre des apparitions mentionnees, les Douze apres Cephas, etc., mais
n'exclut nullement d'autres apparitions. De meme, le finalement, Icr/a-cov.
Loisy estime que 1'intention de 1'apotre est d'enoncer dans 1'ordre chro-
nologique les apparitions principales du Christ ressuscit6 > ; Les Evangiles
Synopliques, II, p. 738.
LA RESURRECTION DU CHRIST. 413
avertissent de ne pas expliquer trop vite par 1'ignorance
d'un auteur, le silence qu'il garde sur tel ou tel detail d'un
Episode auquel il fait allusion.
Plus spe"cieuse est la dichotomie pratiquee sur la matiere
^vangelique. La moins violente consists a distinguer, pour
les opposer, deux courants dans la tradition, sous-jacents a
nos recits. Le plus ancien serait represente par I'injonction
faite aux disciples d'aller en Galilee, ou ils verront leur Mai-
tre ; par les derniers versets incontestes de saint Marc et le
dernier chapitre de saint Matthieu. L'apparition sur le lac
t la fin de VEvangile de Pierre favoriseraient cette tradition,
dans le cadre de laqiielle rentrerait plus naturellement le
te"moignage de saint Paul. Suivant ces indications, le Christ
aurait apparu a ses disciples en Galilee seulement, a une
epoque impossible a preciser, mais peu eloignee de sa mort *.
L'autre courant, posterieur et done plus riche en details,
serait a chercher dans le troisieme evangile, le debut des
Actes, le chapitre vingtieme de saint Jean. II localiserait a
Jerusalem les apparitions du Seigneur, les faisant commencer
le dimanche matin, et finir, ou le soir mSme (dernier chapitre
<le saint Luc), ou apres un temps que les Actes evaluent a
quarante jours. Jean laisserait la chose en suspens, excluant
1. Me., xiv, 28; xvi, l-8;Mt., xxvi, 32etxxvm;Jo., xxi;Ev. Petri, versets
59, 60.
Ce schema si commode ne laisse pas de preter flanc, du point de vue de
1'histoire et de la psychologic, aux plus graves objections. Si le redresse-
ment apostolique ne s'est opere qu'en Galilee, loin de Jerusalem, apres
>un temps notable, on se demande comment il a ete si radical et si efficace.
Tout ce qu'on pouvait attendre du temps, c'etait 1'apaisement et la reprise
<des espoirs passes, encore bien charnels, non une refonte totale et ime
initiative conquerante. De plus, en cette hypothese, le retour a Jerusalem,
ville de la honte et de la defaite, aurait ete, pour ces Galileens, une demar-
che infiniment couteuse, un d6but laborieux qui aurait laisse qtielque
trace. Est-ce le sentiment de ces difficultesqm a amene Joh. Weiss, dans
son dernier ouvrage, a representer toute la tradition galileenne comme
secondaire et nee d'un malentendu sur la parole de Jesus : Apres que je
serai ressuscite, je vous precederai en Galilee , Me., xiv, 28? voir Das
Urchristenlum, Goettingen, 1917, p. 1.1 suiv. Abstraction faite de 1'hypo-
1hese, extremement fragile, qu'il substitue a celle de la < critique d'au-
jourd'hui , il y a, croyons -nous, chez I'auteur, I'aperception vague d'une
-erreur singuliere.
414 JESUS CHRIST.
toutefois riiypothese (Tune journee unique d'apparitions *
Nos recits actuels, en particulier la finale de Marc 2 , mais-
deja les evangiles de Matthieu et de Jean, auraient commence
de juxtaposer, en les harmonisant, les deux couches de tra-
dition, la galileenne et la jude'enne. A 1'appui de cette ana-
lyse, qui comporte de tres nombreuses variants s, on apporte
des vraisemblances, fondees elles-me'mes sur le postulat de
rimpossibilite anterieure d'une resurrection proprement dite,,
et 1' etude serree des narrations elles-me'mes.
Mieux avertis des abus auxquels pretent ces dissections
litteraires, les critiques plus recents proposent des divi~
sions, a leur avis, moins artificielles, M. Maurice Goguel, par
exemple, croit discerner dans nos documents deux notions de
la resurrection. L'une, plus spirituelle, comparable a
de Paul, admet que le ressuscite n'est plus soumis aux
ditions ordinaires de 1'existence humaine : c'est une simple
glorification. L'autre est celle de la revivification. Le Ghrist
ressuscite reprend son existence terrestre au point me'me ou
la mort 1'a interrompue. De ces deux conceptions, deja
combinees dans nos recits, mais qui seraient inconciliables-
entre elles , la premiere est plus anoienne et doit 4tre
retenue : tout ce qui porfcerait trace de 1'autre serait par
consequent secondaire 3 .
II esfc impossible de discuter en detail des hypotheses-
livrees a un perpetuel devenir : nous risquerions de fanimer,
pour les combattre, des conjectures deja abandonnees par
leurs auteurs. Ge qui est possible et semble opportun, c'est
d'indiquer les lignes generates commandant toute la question-
On n'exclutpas, est-ilbesoin dele rappeler? la recherche et
la distinction des sources, d'autant qu'il est certain que nos-
evangelistes en eurent : le troisieme en fait meme profession..
Seulement, les discerner exactement est une besogne tres-
delicate et qui risque d'etre decevante. Dans une etude tre*
1. Lc., xxiv ; Actes, r, 1-9; Jo., xx.
2. Me., xvi, 9-20.
3. La Resurrection dans le Christianisme primitif, dans les Actes dti
Congres international d'Histoire des religions d0 1923, Paris, 1925, II, p. 23S>
et passim.
LA RESURRECTION DU CHRIST. 415-
fine sur la matiere litt&raire de saint Luc, M. F. G. Burkitt
observe, nous 1'avons vu en son temps 1 , que nous eussions
ete bien incapables de reoonstruire, en partant des textes
lucaniens, les mof ceaux du second evangile qui lui ont cer-
tainement servi de source ; tant 1'auteur a su, en respectant
la substance, fairs sienne la forme du re"cit ! Mais apres
cela, et sous le benefice de ces remarques, il est parfaite*
ment loisible de distinguer, et d'essayer de restituer con-
jecturalement, les traditions que nous avons appelees gali-
leenne et judeenne, du nom des lieux ou les apparitions sont
localisees, Tout le point est de savoir si ces traditions sont
complementaires, ou exclusives 1'une de 1'autre.
II est egalement permis, et peut-e'tre est-il plus utile, de
rechercher quelle a pu (Hre la conception apostolique tou-
chant la nature de 1'evdnement pascal. On n'a aucun droit
d'exclure d'avance les notions d'enlevement au ciel, sous le-
mode d'apres lequel on imaginait la disparition d'Henoch et
d'Elie; ou les differents modes de resurrection decrits par
M. Goguel. II est m4me fort probable que tous les premiers
disciples n'ayaient pas, anterieurement, une notion precise
et une categorie toute pre'te dans laquelle ils pussent faire
rontrer le cas de leur Maltre. Saint Paul, pourvu d'une ins-
truction pharisaiique complete, possedait une conception de
ce genre, qu'il a exposee dans sa premiere lettre aux Go-
rinthiens. M.ais ses predecesseurs et collegues dans le college
apostolique etaient beaucoup moins erudits. Leur concept de
la resurrection s'est forme par Tiriterpretation des apparitions
de Je*sus, et modele sur elles, beaucoup plus qu'il ne s'est
impose a ces m^mes apparitions. Les disciples n'etaient
point des doctrinaires, ou des theoriciens ; mais des temoins T
tachant d'exprimer ce que leurs yeux avaient vu ; leurs
oreilles, entendu; leurs mains, touche, du Verbe de Dieu 2 .
G'est pourquoi ils n'ont pas trie, dans leurs souvenirs, les>
traits, de fa<jon a en faire un ensemble logique, et coherent
avec une conception antecedente. Ils ont mieux aime juxta-
poser, appuyant seulement sur ce qui fermait les voies sans-
1. Voir le tome I, p. 85.
2. I Jo., i, 1.
416 JKSUS enniST.
issue : de la, leur insistance a exclure la notion de demon
incorporel , du double fantomal que beaucoup de gens
imaginaient comme survivant, pour un temps, pres du mort,
et capable de faire sentir sa presence 1 . Non, celui qui
leur apparaissait etait Jesus, et, dans un etat different, mys-
terieux, celeste, la m4me personne, glorifiee en corps et en
ame. G'est la proprement 1'objet du message pascal, et c'est
pourquoi les distinctions modernes n'arrivent pas a mordre
dans son ciment. G'est pourquoi le subtil avocat des deux
conceptions, d'apres lui inconciliables, de la resurrection,
est oblige de reconnaitre loyalement, comme entree de jeu,
qu'il a contre lui tous les documents evangeliques : II n'y
a... aucun recit soit canonique, soit extracanonique, ou, a la
conception de la revivification, ne se mle quelque trait de
la conception de glorification. II ajoute, a vrai dire, que
la conception spiritualiste se rencontre chez Paul dans
toute sa purete, sans combinaison d'aucun element apparte-
nant a la conception de la revivification . Malheureusement
pour la theorie, cette derniere prevention est elle-me'me
insoutenable. Gar premierement, saint Paul assimile expres-
sement son enseignement sur ce point a celui qu'il a recu
par tradition en entrant dans I'&glise, et a celui que donnent
actuellement tous ses collegues :
Or sus, que ce soitmoi, que ce soient eux,
ainsi nous prechons, et ainsi vous avez cru (I Cor., xv, 11).
1. Ce souci a survecu aux evangelistes. Nous le voypns encore vivant
<chez saint Ignace d'Antioche, Smyrn., Ill, 2; dans YlSpitre des Ap6tres
publi6e par Guerrier et C. Schmidt, ou le Christ dit a Andr6 de s'assurer
quesespiedspressent la terre, car il estecrit dans le prophete (?) : un fan-
t&me demoniaque ne marque pas son empreinte sur le sol. > Voir C. Schmidt,
Gespraeche Jesu mil seinem Jilngern, etc., TU, XLIII, 1919, p. 42,43, texte ; et
p. 298 suiv., commentaire; dans Tertullien, De resurrections carnis, II, etc.
C'est que la croyance extraordinairement repandue, a la presence et ii
1'action possible d'un demon incorporel (ame desincarnee, on esprit du
mort, ou malm d&non venu pour s'emparer de 1'ame du mort), aupres du
cadavre, dans les premiers jours qui suivent la mort, etait a exorciserdan?
les milieux populaircs non seulement hel!6niques, mais juifs. Sur cette
croyance, nombreux details dans les vingt-cinq memoires Death and the
disposal of the Death, reunis dans ERE, IV, p. 41 1-51 1 . Sur les Juifs en par-
ticulier, W. H. Bennett, p. 498, 6; sur les Grecs, E. Rohde, Psyche*, XIV,
2; trad. W. B. Hillis, London, 1925, p. 524 suiv., 550 suiv.
LA RESURRECTION DU CHRIST. 417
Qu'on pese Kien le : nous pre'chons . II ne s'agit pas ici
d'explication, ^interpretation, de gnose, mais de la predi-
cation fondamentale, mere et forme de la ioi. Or, il est
inadmissible que, si la predication apostolique commune e*tait
toute spiritualiste, anterieurement a saint Paul et concurrem-
ment avec sa predication aux Goririthiens, aucun recit soit
canonique, soit extracanonique , ne 1'ait gardee telle. C'est
qu'aussi bien elle ne I'Stait pas dans saint Paul. L'ele'meiTt
-de reviviiication , entendue non au sens grossier d'une
reprise pure et simple de son existence terrestre sens qui
,ne se trouve dans aucun de nos ecrits canoniques mais
dans le sens de 1'identite" personnelle du ressuscite avec Je"sus
de Nazareth, poss^dant un corps re"el, encore que glorifi6 et
soustrait aux conditions communes, cet element, dis-je, est
clairement implique dans le concept paulinien de la resurrec-
tion.
L'apparition de Je"sus qui a fait du persecuteur de 1'Eglise
un temoin de la resurrection, est en effet mise par le narra-
teur a part et dans une autre categorie, que toutes les visions
en esprit , post^rieures, revendiquees par saint Paul. Et,
quand, dans la suite du me'me passage, Fapdtre explique le
genre de resurrection qui attend les fideles, par la vertu
et sur le modele de Jesus, il a soin de marquer, dans les
termes les plus forts, 1'identite personnelle, corps et ame,
ressuscites, avec les vivants d*ici-bas :
Gar il faut que cet etre corruptible revete 1'incorruption et
que cet etre mortel revete rimmortalite' 4 !
Sur le meme fait, de 1'unite fondamentale et certaine des
1. I Cor., xv, 53 suiv. M. Goguel admet lui-rafeme, non sans une
legere incoherence mais avec une parfaite loyaute, que le Christ ressus-
cite n'est pas, pour saint Paul, un pur esprit, mais seulement qu'il est doue
d'un organisme particulier, dont les attributs sont differents et, dans une
certaine mesure, opposes a ceux de Forganisme terrestre ; et qu'ily a
identite personnelle entre lui (le Christ glorifie) et le Jesus dont le corps a
et6 depose dans la tombe , loc. laud., p. 231, 232. Fort bien, mais cette con-
ception n'est pas spiritualiste dans toute sa puret6 , et est fort conci-
liable, si elle s'en distingue meme par quelques nuances, avec la conception
qui ressortdes recits evangeliques. Seule est exclue par elle la revivifica-
tion au sens grossier du mot, qui aurait ramene Jesus a une vie simple-
ment humaine, aux jours de sa chair >.
JESUS CHRIST. II. 2?
418 JESUS CHRIST.
deux traditions, pretendument incompatibles, viennent se
briser les analyses litteraires de 1'Ecole liber.ale. Aussihaut
que nous puissions remonter, en effet, pour le premier et le
quatrieme evangile (aucun indice critique ne permettant de
conjecturer que celui-ci ait jamais existe sans le chapitre xxi),
nous trouvons les deux courants m61es : c'est done qu'on les
considerait comme complementaires. Le troisieme evangile,
si on 1'interprete, comme il est raisonnable, a 1'aide du debut
des Actes qui y renvoie formellement, offre un cadre assez
elastique pour qu'on /y puisse faire rentrer sans violence les
apparitions galileennes. II n'est nullement indispensable de
recourir a la conjecture, non deraisonnable, mais gratuite t
de deux groupes de disciples, Tun en Judee, 1'autre en Ga-
llic" e. Du second evangile, brusquement interrompu avant
tout recit d'apparitions, on ne peut rien conclure. II y a des
probabilites pour que la finale, si elle a jamais existe, diffe-
rente de 1'actuelle, contint a peu pres ce que nous donne la
fin du premier evangile 1 . Quant a la finale presente, elle
unit manifestement les deux traditions, et, a plus forte rai-
son, les fragments non canoniques anciens. L'hypothese de&
versions exclusives ne peut done se reclamer d'aucun des
recits existants. Resultat de la critique interne des documents,,
elle oppose comme inconciliables des traits que les plus
anciens redacteurs n'ont pas fait difficulte d'unir, et ne se
sont pas soucies d'harmoniser.
Un autre indice tres defavorable a la conjecture de nos
adversaires, c'est la necessite ou ils se mettent de rejeter r
avant toute enquete, des episodes aussi bien attestes que 1'en-
sevelissement de Jesus par Joseph d'Arimathie, et le tombeau
trouve vide le dimanche matin. Ges critiques en effet donnent
presque tous la preference a la version galileenne, comme sou-
tenue par les plus anciens temoins, Marc, Matthieu, Paul,
comme plus vraisemblable en elle-me'me et fournissant a la
preparation psychologique des apparitions le temps, Teloigne-
ment, les moyens de suggestion necessaires. Mais alors, le plus
qu'on puisse garder a Jerusalem, c'est une demarche des
i'emmes, termmee par une deception et une fuite eperdue. Gon-
1. F. H. Chase, dans le JTS, VI, 1905, p. 482 suiv.
LA INSURRECTION DU CHRIST. 419
trairement a tous les textes, il faut traiter de le*gende la cbns-
tatation du tombeau vide, ou recourir, pour expliquer la dis-
paritiqn du corps, aux expedients use's dont personne ne veut
plus. Aussi voyona-nous MM. Kirsopp Lake, Arnold Meyer.,
P. W- Schmiedel, A. Loisy, etc., faire de plus en plus grande
la part de la pure fiction. Le dernier de ces ecrivains en arrive,
tres logiquement, a ne pas garder un seul des traits ci-dessus
designed, quitte a trouver pour chacun une raison apologe-
tique qui aurait amene a 1'imaginer. L'apologetique qui a mau-
vaise reputation dans cette Ecole, reprend ses avantages quand
il s'agit de lui prater la creation des episodes dont on veut se
de"barrasser ! Mais qui ne voit qu'a ce degre 1'arbitraire froisse
et maltraite a merci les textes 1 , auxquels 1'historien ale devoir
de se soumettre, dans toute la mesure du possible, s'il veut
bien les interpreter?
Enfin le temoignage de saint Paul, qu'aucun critique de
sang-froid n'ose revoquer en doute, et dont au contraire tous
se servent comme d'une norme pour mesurer les autres, favo-
rise nettement le parti adopte par nos evangelistes. Bien
que Paul n'indique ni le lieu, ni le temps des apparitions, re-
connait M. Loisy, il donne suffisamment a entendre qu'elles
se sont produites en des endroits differents et a des intervalles
plus ou moins inegaux et eloignes 2 . Parmi ces endroits, il
est impossible de ne pas mettre d'abord Jerusalem. La pre-
miere apparition mentionnee est celle de Pierre, et le seul
evangeliste qui en parle, la place a Jerusalem. G'est ajouter
au texte que d'assimiler fort probablement cette vision avec
celle qui est racontee au dernier chapitre de saint Jean : la,
Pierre est dans la compagnie d'autres disciples, en particulier
des fils de Zebedee; Paul, au rebours, distingue d'abord Pierre
1. Un historien protestant, M. A. Arnal, dit a propos de ces proc6d6s
violents, dont il souligne 1'emploi dans 0. Pfleiderer, justement sur cet
exemple des r^cits de la resurrection : < Pfleiderer extrait ce qu'il croit
6tre le noyau r6el des r6cits immaginaires ; ensuite il continue sa marche,
insoucieux des dif&cult6s qui surgissent de ses theories... Au cours de
cette e"tude, Pfleiderer invoque encore I'histoire, mais ce n'est plus This-
toire ordinaire, c'est I'histoire faite par Dieu et corrigee par Pfleiderer *;
La Personne du Christ et le Ralionalismc allemand contemporain,
1904, p. 209, 210..
2. Les JEvangiles Synoptiques t II, p. 739.
420 JBS-US CHRIST.
tout seui, des groupes dont Pierre faisait partie, au (premier
rang : les Douze, tous les ap6tres, etc. L'apparition a Jacques
ne peut guere non plus etre localise'e ailleurs qu'a Jerusalem
et la seule mention posterieure que nous en ayons^ dans le
fragment de YlZvangile des H&breux, 1'y suppose manifeste-
ment.
Goneluons que Les souvenirs rounds dans les narrations evan-
geliques ne s'excluent pas. Jesus apparut aux siens a Jerur
salem et en Galilee. L'ordre et le temps exact des apparitions
nous echappenit en parfcie, de par la nature des recits. On ne
doit pas faire difficulte de reconnaitre que 1'analyse et la dis-
% tiniction des sources, dont on a tant abuse, ne sont pas sans
fond erne at dans Les textes. Si nous ne possedions qu'une des
series, nous mettrions sans doute toute la vie glorieuse a Jeru-
salem,, QU' en Galilee, de me"me que si nous n'avions que les
evangile.8 synoptiques, ou le johannique, la perspective his-
tori<ju.e, la clu?oiaologie et le theatre habituel de la vie de Jesus
seraient pour nous singulierement et indument simplifies. II
est pourtant tel detail, nous 1'avons remarque en son lieu,
dans I'enseignement ou les actes du Seigneur tels que les rap-
portent les Synoptiquies, qui ne prend tout son sens que dans
la .perspective jofaannique; et, a son tour, le recit de Jean
met en scene; des personnages supposes connus par les Synop-
tiques, sans lesquels on ne saurait s'expliquer leur attitude.
Ces considerations amenent les historiens de la vie du Christ
a completer discretement les traditions, encore que si divers^s,
I'une par 1'autre. II en va de m6me pour les recits de la resur-
rection. : tout en reconnaissant dans les textes Techo de sou-
venirs divers, plut6t rapproches qu'harmonieusement fondus,
nous refusons, avec les evangelistes, d'opter entre eux. Le eas
se pres'ente souvent en histoire de faits solidement attestes,
mais dont il faut renoncer a fixer avec certitude la suite exacte
et la coherence avec d'autres : traiter les premiers comme
non avernus est un precede commode mais peu digne d'un his-
torien. Les premieres impressions catholiques de saint Augus-
tin nous en ont fourni naguere un exemple interessant.
Partant des differences manifestes de ton et de perspective
qui existent entre le recit des Confessions et les notations
LA RESURRECTION DU CHRIST. 421
eparses dans les. Dialogues du saint, beaucoup plus proches
de sa conversion, bon nombre de critiques, auxquels avait
prelude Ernest Havet, ont pretendu rejeter comme secon-
daire,. dramatisee a Fexces et en somme inutilisable pour la
biographie d'Augustin, Femouvante narration des Confessions.
Une etude plus approfondie 1 , tout en mettant au jour les dif-
ferences de presentation, a montre la compatibilite des deux
ouvrages et restitue au plus recent une valeur d'histoire in-
contestable.
La nature des Apparitions.
La critique rationaliste, me" me, la plus intempe'rante, laisse
toujours subsister une ou plusieurs apparitions du Christ. De
quelque fac.on qu'on les conceive et qu'on les explique, ces
visions d'outrcftombe sont le postulat imperieux de la foi des
ap6tres en la resurrection. La tendance actuelle va plut6t a
elargir qu'a diminuer cette base de fait. Une vue plus saine
des origines chretiennes amene en eifet a constater la place
immense tenue, dans la genese de la religion nouvelle, parle
message et la foi de Paques. La disproportion flagrante qui
eclate entre les resultats et la cause ou, pour mieux dire, 1'oc-
casion, le pretexte, assigne jadis a ce prodigieux mouvement
spirituel, engage a ouvrir un peu plus larges les avenues du
possible ! Ajputez que les recherches recentes, plus precises,
de psychologie comparee; fournissent un materiel d'analogies,
un jeu de manifestations posthumes qui permettent, avec un
peu de virtuosite, de faire rentrer celles qu'on estimait autre-
fois inacceptables, dans un courant de faits classes et naturels.
Enfin 1'importance donnee justement au temoignage de saint
Paul ne permet pas de reduire a moins de six ou sept le nombre
des apparitions principales.
G'est dire que nous pouvons negliger Fhypothese de Thallu-
cination fugitive, sous la forme ridicule que Renan lui a
donnee 2 .
1 . On peut voir un excellent resume 1 de cette controverse et Ie=s argu-
ments qui. ont pen a peu remis sur la. bonne voie 1'opinion des erudits
dans V Introduction de M. P. de Labriolle a son texte des Confessions,
Paris, 1925, p. xii-xxm.
2. Ed. Le Roy, Dogme et Critique, Paris, 1907, p. 219. Ce n'est pas
422 JESUS CHRIST.
Les conjectures qu'on a substitutes a la sienne forment
un echeveau passablement embrouille, echantillonne a la cou-
leur des opinions de chaque critique. Onpeut distinguer toute-
fbis les traits suivants, presents a peu pres dans tous les
systemes : ' ' ' .
Jesus n'a pu ressusciter, au sens propre et traditionnel du
mot : il n'y a pas eu reanimation de son corps mortel. Sous
quelque forme qu'elle se presente, cette notion doit e"tre reje-
tee, et les episodes ou elle se presente, taxes de legendaires.
Les apparitions sont ramenees a un sentiment de presence
avive jusqu'a 1'hallucination, c'est-a-dire jusqu'a une per-
ception sensible, eprouvee dans Fetat de veille, sans objet
reellement present ce qui n'exclut pas la presence d'une
cause spirituelle 1 .
Ges apparitions ont eu lieu a plusieurs reprises, probable-
seulement dans ses premieres ceuvres : Vie deJdsus* 3 , 1863, p. 449,450;
Les Aptitres, 1866, p. 13 suiv., que Renan attribue aux saintes femmes, et
surtout a Marie de Magdala, 1'hallucination qui aurait ressuscite le Christ
dans le coeur de ses disciples. Cette page de mauvais roman n'apas cess6
de charmer son auteur. La derniere r6plique qu'il lui ait donn6e, a la fin
desa vie, se trouve an tome V et dernier de YHistoire dupeuple d 1 Israel,
1891, p. 418 : Sur de vagues indices, les femmes de la suite de J6sus,
en particulier Marie de Magdala, s'imaginerent que J6sus 6tait ressuscit6
et parti pour la Galilee ; ce fut la, surement le miracle supreme de 1'amour.
11 fut plus fort que la mort, il rendit la vie a 1'objet aime. Une ombre pale
commeun mythe, un etre vulgaire n'eutpas op6r6 ce miracle. Faire porter
tout le fardeau d'amour des origines chretiennes sur un pedoncule trop
faiblepour le soutenir serait contraire a la statique de 1'histoire. J6sus a
e"t6 charmant ; seulement son charme n'a ete connu que d'une douzaine
de personnes. Celles-ci raflblerent de lui a ce point que leur amour a et6
contagieux ets'est impose au monde. Le monde a adore celui qu'elles ont
tant aim6. Etnunc, erudimini...
1. Cette definition est en gros celle du Vocabulaire de la Societ6 franchise
de Philosophic, dans son Bulletin, VII, 1907, p. 318, 319. La difference
entre illusion et hallucination est finement exprimee dans ce mot de
Lasegue, cit6 dans le Traite de Pathologic medicale d'Emile Sergent, VII,
1, Psychidlrie, Paris, 1921, p. 43 : L'illusion est a 1'hallucination ce que
la medisance est a la calomnie. L'illusion interprete mal une perception
reelle; 1'hallucination invente son objet de toutes pieces. La reserve de
la fin vise les auteursqui veulent maintenir une certaine realite aux appa-
ritions du Christ, sans admettre pour autant la resurrection en corps.
Ainsi Kirsopp Lake, The historical evidence of the Resurrection, p. 270 suiv.
Voir aussi Ed. Le Roy, Dogme et Critique, p. 218 suiv.
LA RESURRECTION DU CHRIST. 423
ment en Galilee, dans des circonstances qu'il est impossible
de determiner, a une date e*galement incertaine, mais suffi-
samment tardive pour rendre vraisemblable un travail sub-
conscient, la reaction... profonde, mais progressive, qui per-
mit a la foi des apdtres en Jesus Messie de se ressaisir dans
le milieu ou elle etait nee 1 , et de se projeter en visions.
La nature de ces visions nous echappe. Le point de compa-
raison generalement adopte est 1'apparition du Christ a saint
Paul sur le chemin de Damas. On en spiritualise Fobj.et, en
pressant quelques-uns des termes employes a ce propos par
I'ap6tre. Puis on enonce, on rappelle, un certain nombre de
faits analogues, tels que les visions posthumes de saint Thomas
Becket etde Savonarole a leurs disciples, les voix de Jeanne
d'Arc, les prophetes Gevenols au xvn e siecle, etc... Enfin on
s'oriente dans le sens des experiences fant6males proprement
dites : les recueils etablis par la Societd des Recherches psy-
chiques de Londres, et surtout les ouvrages de F. W. H. Myers
sont mis a profit dans ce but 2 .
Ges hypotheses ont cela de commun qu'elles se tiennent
fort loin des donnees de fait que les documents nous livrent :
elles sont moins une interpretation de ces donnees qu'une
reconstruction des evenements tels qu'ils ont du se passer.
Au cours de eette restitution, on tente naturellement de re-
1. Alfred Loisy, LesEvangiles Synoptiques, II, p. 748.
2. La Society for Psychical Research a 6t6 fondle en 1881 par F. W. H.
Myers et E. Gurney : ses Proceedings constituent le plus riche dossier
cxistant de faits touchant a la psycho'logie extra et supra normale. En
collaboration avec F. Podmore, les fondateurs 6diterent en 1886, a part,
les Phantasms of the Living (adaptes en francais par Leon Marillier, Paris,
1891). Apres la mort de F. W. H. Myers, survenue en 1901, on publia son
vaste ouvrage, Human Personality, London, 1903, souvent reimprime :
adaptation francaise tres abreg6e, par Jankelevitch, Paris, 1905. C'est dans
le second volume, au ch. vn de 1'ouvrage entier, Phantasms of the Dead,
ed. 1915, II, p. 1-81, et p. 315-400, que se trouvent les faits interessant la
question pr6sente.
Dans le Glossaire qui precede le livre, Fred. W. H. Myers, apres avoir
defini 1'hallucination : toute perception supposee sensible, n'ayant pas
de contrepartie objective dans le champ visuel, auditif, etc. , distingue
entre hallucination veridique a laquelle repond une realite existant ail-
leurs, et hallucination delusive ou fausse, a laquelle rien ne repond nulle
part.
424 JESUS CHRIST,
prendre contact avec les textes, mais on commence par s'en
separer sur la substance et la suite ; et, des details me'mes, on
ne garde que eeux qu.i se pretent aux cadres anterieurement
traces.
Par exemple, tous les documents assignent aux experiences
des temoins une cause sensible, encore que sui generis. Gette
cause est le corps du Seigneur, non tel qu'il etait avant sa
mort, mais constitue dans un nouvel etat, mysterieux assu-
rement, laissant cependant a la presence de Je"sus, quand elle
se manifesto, une realite perceptible. Les ap6tres et saint
Paul, dit a ce propos M. Loisy, n'entendent pas raconter des
impressions subjectives; ils parlent d'une presence du Christ
objective, exterieure, sensible, non d'une presence ideale,bien
moins encore d'une presence imaginaire. Quoique le corps de
Jesus ait ete en quelque sorte spiritualise par la resurrec-
tion, les disciples ne se representent pas le Sauveur comme
un pur esprit, ni la resurrection comme la permanence de son
ame immortelle... Pour eux le Sauveur etait vivant, par con-
sequent avec le corps qu'il avait eu avant sa mort. Les condi-
tions d'existence de ce corps etaient differentes, mais c'efcait
le me'me qui avait ete mis dans ie tombeau, et que Ton croyait
n'y etre pas demeure 1 . G'est 1'evidence meme quand on lit
les textes sans parti pris. On aura beau rafiner sur le pos-
sible, developper avec M. Ed. Le Roy par exemple, une theorie
nouvelle sur la matiere et 1'incorporation, ces vues pourront
6tre interessantes, mais il aut d'abord reconnaitre de fait,
qu'aucun des temoins n'a parl^ dans 1'hypothese d'une pre-
sence mystique, incorporelle ; ou dans celle d'une vision en
songe; ou dans celle d'une apparition fant6male.
Pour saint Paul en partieulier, il est certain qu'il a toujours
distingue le fait du chemin de Damas, qui 1'a constitue apotre
et temoin de la foi de Paques, des visions extatiques, d'ordre
prive", dont il parle ailleurs 2 . Gelles-ci, m^me la principale, et
1. Les Evangiles Synoptiques, II, p. 743, 744.
2. Job. Weiss, Der ersle Korintherbrief, 1925, p. 351 : Puisque cette
apparition (du chemin de Damas) est la derniere (ea^arov jtavtwv, I Cor., xv,
8), il s'ensuitque toutes les autres visions du Christ posterieures, qui n'en-
trentplus enligne de compte comme temoignage de la resurrection, appar-
tiennent pour Paul a une autre categoric.
LA RESURRECTION DU CHRIST. 425-
qui fait epoque dans sa vie, lui laissent un doute positif sur
la mode : S'il fauf stfglorifier (ce quine convient guere) j'en
viendrai aux visions et revelations du Seigneur. Je connais un
homme dans le. Christ, clove", il y a quatorze ans corporel-
lement, j,e ne sais ; incorporellement, je ne sais, Dieu le salt
jusqn'aii troisieme ciel, etc. . Dans cet e"tat, impossible a pre-
ciser (et il j insiste), Paul entend des paroles ineffables,.
qu'il' ne sied pas a Fhomme de dire 1 . Au rebours, 1'appari-
tion premiere ne lui laisse aucun doute touchant la facon dont
il a vu le Seigneur; elle i'inscrit, tardivement, mais en pleni-
tude, sur la liste glorieuse, debutant par Pierre, des temoins-
de la resurrection. La doctrine, beaucoup plus elabore'e, de la
resurrection des corps, identifie, nous 1'avons observe plus
haut, avec le corps charnel, mortel et corruptible, le corps
glorifie, transmue, spiritualise. Tous les etais scripturaires
cherches a des visions subjectives s'ecroulent done 1'un apres-
Fautre.
Quant a 1'hypothese fondamentale, faite a dessein d'expli-
quer les faits, on ne peut qu'en souligner 1'invraisemblance,
soit qu'il s'agisse des disciples auxquels on pr^te ces visions-
sans objet sensible, soit qu'il s'agisse de I'hallucination elle-
m^me, ou de ses re"sultats. La preparation psychologique qu'on
postule a Torigine des apparitions : regrets profonds du Maitre
adore tournant peu a peu en conviction qu'il n'a pu mourir
(les heros ne meurent pas!); travail subconscient des paroles
autrefois entendues; reminiscences et application des prophe"-
ties du Vieux Testament ; besoin de se reprendre, par dessus-
la catastrophe du vendredi saint, aux espoirs d'antan : autant
de conjectures sorties tout arme'es du cerveau des critiques
modernes. M. Loisy n'estpas, de son cdte", plusheureux, quand
1. II Cor., xu, 2-4. De 1' exuberant conamentaire de H. Windisch, Der
zweile Korintherbrief, Goettingen, 1924, p. 369 x suiv., il faut retenir la
double difference qu'il assigne, quant au genre de vision et quant an
contenu, entre 1'apparition sur le chemin de Damas et 1'experience du
troisieme ciel >, la premiere etant infiniment plus importante pour Paul
et sa nouvelle vocation que la paradisiaque . Que celle-ci fut plus sainte,
parce qu'elle ne traitait plus des choses de la terre, snfyeta, mais vraisem-
blablement des seuleschoses du ciel, inoupavia , loc. laud., p. 380, c'est
un autre point de vue, discutable, mais qui n'a rien a faire dans la ques-
tion presentc.
'426 JESUS CHRIST.
il presente, dans un brillant couplet, ecrit a la maniere de
'Renan, la foi de Paques comme un cas caracte'risd de genera-
tion spontanee :
Ainsi naquit spontanement, onpeut le dire, la foi a la resurrection
F de Jesus. La foi de ses disciples en son avenir messianique futassez
forte pour ne pas se dementir elle-meme, pour ne pas accepter le
-dementi que lui avait donne l'ignominie de la croix. Elle fit entrer
Jesus.dans la gloire qu'il attendait; elle le proclama toujours vivant,
parce qu'elle-meme ne voulut pas mourir. Aiguillonnee par
1'epreuve, elle se suggera les visions qui calmerent son inquietude
et qui raffermirent en elle-meme. C'est avec les morceaux de ses
esperances brisees, c'est sur la mort de Jesus qui semblerait avoir
.du la tuer ellQ-meme, que la foi des apdtres fonda la religion du
Christ. Ceux-la seulement s'6tonneront que la foi ait pu faire un
tel miracle qui ne savent pas ce que c'est que la foi dans un groupe
enthousiaste qui est bien entraine; la foi se procure a elle-meme, in-
consciemment, toutes les illusions qui sont necessaires a sa conser-
'vation *.
On peut en effet dire tout cela, parce qu'on peut s'evader
du reel, et reconstruire a coups d'affirmations peremptoires,
.contrairement a toutes les indications positives, une histoire
ancienne telle qu'on veut qu'elle se soit passee. II est plus
malaise de 1'e faire croire. Tout nous montre, au contraire,
dans le groupe apostolique disperse", decourage, decapite, des
^defiants et des vaincus. Ni ils ne s'attendaient a revoir leur Mai-
tre, ni ils ne le reconnurent d'abord. Les visions qui convain-
quirent ces hommes de peu de foi ne ressemblent aucunement
aux fant6mes de vivants entrevus par certaines personnes, ou
.aux hallucinations dont 1'histoire a garde un souvenir plus ou
moins net. Ici, 1'objet reste vague, ne s'impose communement
-qu'a un sens, rarement a plusieurs, jamais, chez un homme
sain, a tous, hormis le cas de sommeil naturel ou provoque 2 .
1. Les Mystdres patens et le Mystere Chretien, Paris, 1919, p. 216. L'his-
toire protests centre ces paradoxes : les compagnons de Jeanne d'Arc, qui
certes avaient cru en sa mission, furent completement deconcert6s par
sa mort : il leur fallut un quart de siecle, et des succes nouveaux, pour se
reprendre. Dans un ordre different mais analogue, les mar6chaux de
Napoleon les plus confiants en son genie et en son etoile, apres Waterloo,
virent parfaitement que tout etait perdu pour 1'Empereur.
2. Parce que, fautede controle, la reaction est alors impossible. Voir sur
4out cela P. Janet, L'Automatisme psychologique*, p. 451 suiv. ; 457'suiv.
LA RESURRECTION DU CHRIST. 427
Mais les disciples ne dormaient pas, n'etaient pas des detra-
ques ou des debiles. Us voulaieiit positivement reagir. Leur
passe, leur avenir ne permet pas de les assimiler aux petits
ercles exaltes, bien entraines , des disciples de Savona-
role ou de Gamisards cevenols, avec lesquels on se donne le
tort de les comparer. Loin enfin de pouvoir creer son objet,
dans un elan desespere, et fonder la religion du Christ avec
les morceaux de ses esperances brisees , c'est la foi aposto-
lique elle-me'me qui avait besoin d'etre renouvelee, refaite,
recreee. La parole des femmes n'y suffitpas, non plus que le
tombeau trouve vide; encore moins un jeu de metaphores suf-
fira-t-il a expliquer ce prodigieux changement.
L'hallucination enfin, a la supposer me 1 me veridique, au sens
ou quelques modernes la prennent, c'est-a-dire la perception
sensible d'un objet reel, bien qu'absent, reste sterile, parce
qu'elle est fondee sur Fillusion et 1'erreur. Ou bien elle tend
a. devenir habituelle et, sous ce stigmate morbide, 1'equilibre
>de la vie mentale et morale flechit peu a peu, pour s'ecrouler
enfin dans la manie. Ou, restee a 1'etat d'incident sans lende-
main dans une vie normale, elie n'y exerce pas d'influence
durable. Son milieu reprend 1'homme sain d'esprit, et tout est
dit : il ne subsiste dans son souvenir qu'une inquietude, un
point sensible. Est-il besoin de montrer quelle difference se-
pare ces phenomenes anormaux, partant infeconds, capables
eulement d'une contagion vite epuisee, et la conviction se-
reine, ferme, invincible, qui, sans arracher les apdtres du
Christ a leurs traditions, a leur ambiance, a leurs habitudes
d'esprit, les redressa, les transforma, centupla leurs energies,
interpreta pour eux tout le passe et fit de ces hommes, de
longues annees durant, des chefs, des convertisseurs et des
heros? Que Ton songe a 1'influence exercee par les Douze, non
seulement a 1'origine, dans un cercle relativement ^troit de
disciples qui avaient eux-m^mes connu le Seigneur, mais dix,
quinze, vingt ans apres, quand des hommes comme Paul,
Apollos, Silas et cent autres, se referaient a leurs temoignages
et a leur enseignement comme a la voie sure, hors de la-
quelle on courrait en vain 1 .
i. Gal., ii, 2.
428 JESUS CHRIST.
Infiltrations Pa'iennes.
Au de"but du xx siecle, les pionniers de 1'Ecole cpmpara-
tiste n'Ont pas manqug d'appliquer, aux recits de la Passion et
de la resurrection du Christ,, la clef magique a Jaquelle aucun
mystere ne devait resist er. On sait que, pour ces erudits, les
plus hautes realites spirituelles resultent de 1'evolution natu-
relle, sous la poussee d'une force immanente, des formes reli-
gieuses ou prereligieuseg les plus grossieres : preanimisme,
scrupules et tabous, zoolatrie et dendrolatrie (adoration des
betes et des arbres}, anterieurs a 1'anthropomorphisnie . Le
dogme evolutionniste, seul capable d'evineer definitivement
Fhypothese gratuite et puerile d'une revelation primitive 7
est a ce prix. G'est pourquoi, continue M. Salomon Reinach^
le plus clair theoricien de 1'Ecole, il faut chercher 1'origine
des religious dans la psychologie de I'tiomme, non pas de
1'homme civilis^, mais de celui qui s'en eloigne le plus T
1'homme anterieur a I'feistoire , en s'aidant de trois termes
de comparaison : la psychologie des sauvages actuels, celle
des enfants et celle des animaux superieurs * . G'est pourquoi
encore, dans le eas des origines chretiennes, si les grandes
religions mysterieuses, officielles et fossilisees , comme
Eleusis, ne fournissent pas d'analogies et de sources d'inspi-
ration suffisantes a une explication naturelle, il faut chercher
plus bas. Le monde oriental et hellenique ne manquait pas de
petits mysteres pratiques dans de pe.tites Eglises .
A cette religion des mysteres obscurs se rattache le christianisme ;
alors memo que nous n'aurions aucun indice pour rendre cette hy-
pothese vraisemblable, il faudrait y recourir pour etablir, en dehors.
de toutc intervention transcendante, la continuite des fails reli-
gieux 2 .
1. Guiles, Mythes et Religions, I 2 , Paris, 1908, p. I-HI. Les cinq gros
volumes de ce recueil, I-IV, 1904-1912, V, 1923, constituent, pour cette these,
un long plaidoyer avec exemples a 1'appui, sans crainte de rabacher
et de vulgariser : voir les Introductions aux tomes.1 et IV. La theorie, dans
sa generality, est parfaitement exposee et critiqu6e par H. Pinard de la
Boullaye, L' Elude comparte des Religions, II, Paris, 1925, p. 37 suiv., 183-
220.
2. Revue Archtologique, 5 Serie, XII, juillet 1920, p. 150. M. S. Reinach
fccrit encore : Partout ou les elements de mythe ou de rite comportent
LA RESURRECTION 0U CHRIST. 429
La recherche, dans les recits de la resurrection du Christ,
^'infiltrations mythologiques ou magiques, est Fondee sur cette
conviction antecedente, qui s'exprime souvent avec moins de
franchise, mais oriente toujours les erudits comparatistes. Le
plus eminent d'entre eux, Sir J. G. Frazer, ne suggerepas autre
chose lorsque, dans une image magnifique, il dit que le coup
frappe sur le Golgotha fit vibrer a I'unissbn mille cordes ex-
pectantes, partout ou 1'humanite avait connaissance de la
tres vieille histoire du dieu qui meurt et ressuscite i .
Cette histoire, chaque critique e*volutionniste en decouvre
plus qu'une ebauche dans les textes qui forment 1'objet de sa
competence speciale. Les assyriologues H. Zimmern, P. Jen-
sen, Ch. Virolleaud nous renvoient naturellement a Babylone,
a Marduk, aux pantheons sumerien ou assyrien. O. Pfleide-
rer, T. K. Cheyne, et, avec une science plus solide, H. Gun-
kel, R. Reitzenstein, W- Bousset, J. G. Frazer recourent de
preference aux religions orientales, egyptiennes, iraniennes,
:sans oublier naturellement 1'Hellenisme. Leurs vulgarisateurs,
qui sont legion, prennent de toute main et de toute fable les
traits qui leur paraissent susceptibles d'une application quel-
conque. On n'attend pas que nous nous attardions a ressus-
citer des systemes sans lendemain. Deja, disait de fictions
analogues le vieux philosophe berlinois Adolf Lasson, per-
mi animal ou un v6g6tal sacr6, un dieu ouunh6ros dechir6 ou sacriifie,...
le devoir de I'ex6gete inform^ est de chercher le mot de l'6nigme dans
1'arsenal des tabous et des totems. Agir autrement, apres les resultats acquis,
c'est tourner le dos a Te>idence, je dirais presque h la probite 1 scientifi-
que ; Cultes, Mylhes et Religions, I 2 , Introduction, p. vr.
1. J. G. Frazer, The Golden Bough 9 , III, The dying God, fin : dans la
traduction P. Sayn, sous le titre : Le Bouc dmissaire, Paris, 1925, p. 376. II
faut ajouter que Sir J. G. Frazer conclut sa note sur le Crucifiement du
Christ par ces paroles d'un scepticisme respectueux, Ibid., p. 376 : < Dans
1'innombrable arm6e des martyrs qui, aucours des siecles,... ontsubiune
mort cruelle dans le role de dieux, le Chretien convaincu reconnaitra sans
doute des prototypes et des pr6curseurs du Sauveur futur, astres qui
annon^aient dans le ciel matinal la venue du Soleil de justice... Le scep-
tique, par contre,... ramenera J6sus de Nazareth an niveau d'une multi-
tude d'autres victimes d'une superstition barbare... Profonde est la diver-
.gence des points de vue. Lequel est le plus exact ?Lequel finira par 1'em-
porter? Le temps se chargera de repondre a la deuxieme question, sinonk
la premiere.
430 JESUS CHRIST.
sonne n'en connait plus la trace, si ce n'est dans les catalo-
gues des bibliotheques ou dans les citations des livres de
texte, ou ils menent une vie dans le crepuscule comme des-
defunts dans 1'enfer d'Homere 1 .
Observons seulement que la theorie d'un emprunt direct,,
fait par les evangelistes ou saint Paul a des sources pai'ennes,
n'est plus soutenue, en ce qui touche du moins la passion et la
resurrection du Christ, par personne 2 . On se rejette sur des
influences indirectes, le milieu juif etant prevenu d' avoir servr
d'intermediaire entre le christianisme naissant et les mytho-
logies babylonienne, iranienne, hellenique, egyptienne, ou les
cultes orientaux. On peut resumer les vues comparatistes, sur
le sujet present, dans ces deux propositions : la notion chre-
tienne de resurrection a du e"tre influencee par les croyances,.
anciennes et largement repandues, des dieux mourant et re-
venant a la vie ; la fixation de la date : Jesus est ressuscite
le troisieme jour, doit probablement son origine a des calculs
et speculations d'ordre mythologique. Nous sortirons du vague
par 1'analyse des pages consacrees a nos recits par Hermann
Gunkel, assurement Tun des plus solidement erudits, et avec
Sir J. G. Frazer, le plus estime des tenants de la methods
historico-religieuse 3 .
Jesus n'est pas le seul, ou le premier, des etres divins a la re-
surrection duquel on ait cru. La croyance a la mort, suivie d'un
retour a la vie, des dieux, existait principalement en Egypte, mais
1 . Congres international de Philosophic, 11 Session, tenu a Geneve en
1904, Geneve, 1905, p. 62. On trouvera les indications essentielles dans
la seconde edition de la Religionsgeschichtliche Erklaerung des Neuen.
Testaments 2 de Carl Clemen, Giessen, 1924, p. 96suiv. ; 255 suiv. ; et passim.
2. II n'en vapas de meme des recits de 1'Enfance. Voir en dernier lieu.
Ed. Norden, Die Geburt des Kindes, Leipzig, 1924, p. 76-116; et I'expos6 de
C. Clemen, loc. laud., p. 192-212.
3. Religionsgeschichtliche : la traduction litterale en franQais ne rend pas-
te sens de cette expression, recue en Alle-magne pour tout ce qui touche
1'Ecole comparatiste. Je resume tres exactement Gunkel, les mots entre
guillemots etant des citations textuelles : Zum religionsgeschichtlichen:
Verstaendnis des Neuen Testaments, Goettingen, 1903, p. 76-82. On peut
voir, dans le meme sens, la dissertation de W. Bousset, Am dritlen Tage,.
dans Kyrios Christos 2 , Goettingen, 1921, p. 22-26; et les termes de compa-
raison dans W. Bousset-H. Gressmann, Die Religion des Judentums im
spaethellenistischen Zeitalter, Tubingen, 1926, p. 269 suiv. ; p. 509 suiv.
LA RESURRECTION DU CIIKIST. 431 1
aussi on Babylonia, en Syrie, en Phenicie. Originairement, il<
s'agissaitd'evenementsnaturelspris comme les moments (Tune vie
divine : les dieux du soleil ou de la vegetation renaissent au matin
pu au printemps. II est bien malaise sans doute de supposer que
ees symboles et ces croyanees eurent une influence directe sur les
disciples du Christ. Mais, dans lejudaisme meme, n'y avaik-il pas
quelques traces de notions apparentees ? Les morceaux mysterieux
de 1'Ancien Testament concernant le Servitour de lah.ve n'ont-ils-
pu suggerer la pensee d'un Christmourantetrendualavie?Certes,
le judaisme ofliciel, al'epoque de Jesus, ignorait tout cela. Qui dira
que cette notion n'avait pu se former dans certains cercles particu-
liers, ecartes?
D'autant que la date assignee a la resurrection du Christ rend'
1'hypothese plus vraisemblable. La resurrection eut lieu, nous dit-
on, le matin du dimanche de Paques, au lever du soleil. Est-ce un,
hasard que ce'tte coincidence? Le dieu mort, dans les religions
orientales, renaissait au.matin, avec le soleil (qu'il personnifiait), et
au printemps. Allons plus loin : le Christ est ressuscite & le troisieme
jour ou au troisieme jour . Pourquoi? Les premiers chre"tiens-
disaient : parce que cela etait predit! Mais chacun sait que c'est
apres coup qu'on a trouve dans 1'Ecriture cette indication. Si Ton.
veut expliquer d'ou vient cette notion du troisieme jour et 1'impor-
tance qu'on lui attribue, il faut recourir aux religions etrangeres.
Troisest en effetun nombre sacre dansbeaucoup de religions orien-
tales. Dans la tradition juive, il joue egalement un role : Jonas reste-
trois jours dans le poisson, et c'est la un trait appartenant proba-
blement a un mythe solaire. Trois et demi est le nombre des temps
durant lesquels, selon Daniel (echo de mythes anciens concernant
le chaos) le mal doit avoir puissance sur terre. Dans 1'Apocalypse
johannique, le jeune heros solaire doit grandir durant trois temps
et un demi-temps, avant sa victoire surle Dragon. Dans lamytho-
logie gre^que, Apollon, le quatrieme jour (sic) apres sa naissance,
vasurleParnasseettue le serpent Pytho. En somme, trois ou, plus
exactement, trois et demi, est 1-e temps du mal triomphant, du Chaos,,
de la puissance maligne, auquel succede la victoire du bien, de la
Lumiere, de la puissance bienfaisante. L'hiver, auquel succedent le
printemps et la renaissance du soleil, dure trois mois ou un peu
plus. De tout cela ressort done une explication du merveilleux
nombre trois applique a la resurrection de Jesus, et cette explication,
est derechef qu' avant Jesus il existait, dans les milieux judeo-syn-
cretistes, une croyance en la mort et en la resurrection du Christ.
On prend ici sur le vif un bon specimen de la methode, a
1'heure ou, encore sure d'elle-meme et liere de sa gloire neuve,
elle ne craint pas les a-peu-pres. II n'y manque m.e'me pas le
coup de pouce destine a faire concorder les trois temps et.
432 JESUS CHRIST.
demi , voire le quatrieme jour , avec le troisieme jour .
Malheureusement pour M. Gunkel et ses e"mules, 1'hypothese
des emprunts et infiltrations, me'me indirects, demeure dans
le domaine des pures conjectures. Tout le positif, sur lequel
'doit tabler Fhistoire, va centre elle.
11 n'y a pas, en effet, dans nos recits, trace d'une allusion a
des croyances pre*existantes, ou a des antecedents, palens ou
m^rne juil's. Tout est concret, tout est, comme disent les
Anglais, matiere de fait. Nulle generalisation, mil appel au
reveil de 1'annee, a la renaissance des saisons, a la victoire
d'un Heros sur le Chaos ou le Dragon. Les notations de temps,
en particulier, dont on fait etat, ne donhent lieu a aucun com-
mentaire, et sont destinees simplement a mettre hors de doute
la realite du fait : les disciples n'avaient rien compris aux pre-
dictions de Jesus sur ce point, et les Ecritures ne leur sugge-
rerent rien 1 .
Mais il y a plus. Outre que I'ide'e que le dieu meurt et res-
suscite pour conduire ses fideles a la vie dternelle n'existe
dans aucune religion hellenique a mysteres 2 , la contradic-
tion eclate si Ton rapproche la resurrection du Christ do la
reviviscence des heros solaires ou demi-dieux de la vegetation,
Osiris, Adonis, Attis, le Dionysos des Orphiques. fitrangeres
par leur contenu aux doctrines chre'tiennes essentielles de la
mort redemptrice et de la resurrection dans la chair, ces fables
ne sont pas moins eloignees, par les figures qu'elles mettent en
scene, de 1'histoire evangelique et de 1'histoire tout court. Ici,
unhomme veritable, Jesus de Nazareth, fils de Marie, 'jst reel-
lement pris, juge, tourmente, immole par ses ennerais, Ponce
Pilate etant procurateur, Joseph Gaiiphe, grand pre'tre, et
Tibere, empereur , alalumiere du soleil, dans Jerusalem sur-
peuplee pour la fete de Paques, sous les yeux de ses disciples.
Ettres t6t apres cette mort, ces me'mes disciples sont convain-
cus, non par raisonnements et conclusions, mais par des faits,
que leur Maitre est ressuscite. Leur vie entiere est changee
par la. Vingfc ans plus tard, en Fan 50 ou 51, Paul de Tarse,
en plein accord avec ses predecesseurs de la premiere heure,
1. Voir ci-dessous, p. 506, la note 2 : Ressuscite le troisieme jour .
2. Andr6 Boulanger, Orphee, Rapports de VOrphisme et du Christia-
nisme, Paris, 1925, p. 102.
LA RESURRECTION DU CHtUST. 433
et apportant un temoignage pareil au leur, enseigne aux Gorin-
thiens, comme point substantial de la religion du Christ, que
Je"sus est re*ellement ressuscite, et qu'il est apparu le troisieme
jour, conformement aux Ventures, a Pierre, puis a Jacques,
aux Douze, a cinq cents freres en une fois, a tous les ap6tres,
enfin a Iui-m4me.
Demi-dieux saisonniers de la vegetation, symboles vague-
raent humanises d'expedients grossiers destines a rendre ou a
garder la terre feconde, heros distingues ou sauves par la
grande De"esse, figurants lunaires dansun couple divin, ou la
premiere place appartient a la femme 1 comme, dans
les rites sur lesquels ces fleurs impures ont pousse, cette place
appartient a la Terre Mere Attis, Tammouz, Adonis, sont
d'une autre e"toffe. D'une autre e"toffe, le petit cornu taureau
ou chevreau, Dionysos Zagreus, ne de 1'horrible Persephone a
quatre yeux. Les experiences posthumes qui assurent a Osiris
une vie nouvelle dans 1'autre monde, ne sont pas moins fan-
tastiques 2 . A tous ces dieux 1'on peut assignor avec vrai-
semblance, une patrie d'origirie : le reste est intemporel, incon-
sistant. Leur histoire ales contours vagues de la legende, la
plasticite et 1'impudeur tranquille des gestes immemoriaux
qu'elle represente. Gar sous des noms divers, que le syncre-
tisme finira par rendre a peu pres interchangeables, c'est le
culte de la puissance generatrice et du desir qui laprovoque 3 ;
ce sont les grandes forces amorales et anonymes de la vie
feconde, qui occupent le fond de la scene, commandent les
rites et les symboles, determinent les phases majeures du
drame. La-dessus, la fantaisie debridee des poetes, artis-
tes et mythographes, s'est donne carriere ; la-dessus, 1'applica-
1. Franz Cumont, Les Religions orientales dans le Paganisme romain,
Paris, 1907, p. 60. Sur la Terre Mere, Albert Dieterich, Mutter Erde, Bin
Versuchuber Volk&religion 3 , ed. Bug. Fehrle, Leipzig, 1924 ;Th. Zielinski,
La Religion de la Grdce antique, Tr. A. Fichelle, Paris, 1926, p. 24 suiv.,
belles pages d'un optimisme excessif !
2. Sur ces mythes : Osiris, Adonis, Dionysos Zagreus, Attis et Cybele,
on trouvera 1'essentiel ci-dessous, p. 510, dans la note P 2 : Dieux morts et
ressttsdle's.
3. J'emprunte ces mots au mSmoire longtemps inddit de F61ix Ravais-
*on, Hellenisme, Judaisme et Chris tianisme, r6dig6 vers 1850, publi6 par
P. Bottinelli dans la Nouvelle Journe"e, V, 1922, p. 250.
CHRIST. II. 28
434 JESUS CHRIST.
defl! pretj?esi r soucieux d'etayeE le-ursr specuflafcioaa a,. des
liturgies vene'rees, a spe^cule. Hies details, 1'ordre,,. le nom
ila qiualite d'e& geniteurs die ces pauvEesdieuxvairient
lea souspcea : leur fable- 0'allcmgft, set modifie iBftftss-am-
menfc, infkiene.aat se& voisimes,. iafluenMe p,aj? elles;; et lies
efforts desevhemeristes pour trouver a leurs explications natu-
ralistes unipoinfrfernie dans la le^endeyqui la rattaeh al'his-
toice, fait: ressortir, pair leur echec manifested 1'irrealifce; de e&
figures. Quel rapport en;toui6 ceei et rhissfeoire de; la vie, de la
mort, de la resMrreGtiont de Jiesais.'B
Mais, e'en est assez, ettrop peut-4tre,. suedes difficiiltea qui
ont du moins; 1'ayantage dje: manitrer a quel pointt 1'esprit de
systeme: et.le parti priss contee le surnaturel peuvent fourvfoyer
certams erudifcs. Apres avoir, passe eii revue ces; objections, ii
est,permis de les- troicver legeresj;: mcapables ea to.mt cas de
Gonteepeser le temoignageides; conteraporaros;, Pierre 1 , Jacques,
Paoil et.tous ceux q;ui ont.vutle Seigneur ressusciter.
3. La Resurrection de Jesua et sa Mission.
Le lien qui unit a sa mission la resurrection de Jesus est mani-
festo : si le Christ est re"eilement ressuscite, il est fils de Dieu-
de cette inference, c'est tout 1'e N'ouveau Testame-nt qui fait
foi 1 . Jesus ressuscite, voila le fait apol'ogetique qui domine
les origines chretiennes, le motif de credibilite en quelque
sorte unique, qui a ebranle les ap6tres et leur auditoire et les
a ameries & donner leur assentiment au divin mysterieux, non
encore epanoui, qui se cachait dans la personne du Sauveur 2 .
Les modernes n'en jugent pas autrement, et ce serait temps
perdu' que de s'arre'ter a le prouver. Mais il est indispensable
de montrer que c'a bien etelapensee de Jesus lui-meme.
Aquatre reprises, dans des propheties 1 qui out eta trans crites
et commenteesi en le.ur lieu,, le Maltre acheve le tableau des
d'ouleurs du Fils de Fhomme- par le trait glorieux de sa resur-
1. On; pent s'en convaincre en lisant die suite, dans; les Actes, les
passages suivants: : I, 3 et 21-22; 11^ 22-3ft; w,. 15-26;; iv, 10, 20, 33; v,
29-33; x, 37-44; xm, 27-40; xvii, 3, 18, 31 et 32; xxn, 14-15;; xxv, 1ft;
xxvfy 22-23; et 28; ou, dans une seule epitre de saint Paul, RODOL, i, 4;
iv, 23-24; vi, 4-10; vir, 4 ! ; vm, 10-11 et34,; x, ft; xiv, 9:
2. V. Rose, Etudes sur les Evangiles*,. Paris,, 1903, p. 273.
LA RESUMlBCXIONi DU CHRIST. 435
rection. Nous savons par le temoignage- de. cans qui nous les
ont rapportees, que ces paroles demeurerent incomprises pen-
dant la courte carriere du Sauveur, et me"me au delft. Gravdes
dans la memoir e des. disciples, par leur allure paradoxale,
autant que par leur for,me rythmee et sentencieuse, ces pre"-
dictions s'illuminerent arcs clartes de Paques., Ell;es;re : vieiment
alors, comme il arrive aux fornmles d ( e haut relief fixe'es, sans
e'tre assimilees,. dans, le souvenir des simples et des enfants :
rintelligence posterienre de ces legons est assuree par la pos-
session imperturbable; de; la lettre, comme le savent et 1'es-
comptent tous les bons catechistes.
En dehors de ces anticipations, deux paroles du Seigneur se
rapportent plus exclusivement, sinon plus clairement, a notre
objet. Ellea comptent d'aiUeurs, a cause de leur importance et
de leur difficulte, parmi les plus discutees de 1'Evangile.
LE SIGNE DE JONAS.
Groupe A. Dans un contexts oil il est question principalement
de I'bppositwn faite a Jesus, les signes merveilleux qu'U donnait
de sa mission etaient attribues a BeelzebuZ, chef des demons ;
Mt., xn, 38-42. Lc., XT, 29-32,
Lors quelques-uns des scribes Les foules s'etant assembl^es^
et P-harisiens lui r6pli ; qu6rent
disant : Maitre, nous voulons : ,
voir un signe venu de toi !
II leur dit en reponse : il commen<ja de leur dire :
Une generation maligne et Cette g^neration-ci est malt-
adultere reclame un signe, et gne : elle requiert un signe, et
signe ne lui sera pas donne, signe ne lui sera pas donnS, hor-
hormis le signe de Jonas, le pro- mis le signe de Jxmas.
pliete.
Car tout ainsi que Jonas fut Car toufainsi que Jonas futun
dans le centre du poisson trots signe aux Nmivrtes',
jours ettrois nuits* ,
ainsi sera le Fils de 1'homme ainsi en sera-t-il du B T ils de
dans le coeur de la terre trois 1'homme pour cette generation-
jours et trois nuits. ci.
Les Ninivites se leveront au
jugement de cette generation-ci,
et ils la condamneront,
1. Jonas-, i, 17 (ii, 1).
436
JESUS CHRIST.
car ils firent penitence a la pr6-
dication de Jonas,
et voici plus que Jonas, ici.
La Reine du Midi se dressera
au jugement centre cette g6n6-
ration-ci
et la condamnera,
car elle vint du bout du monde
ecouter la sagesse do Salomon,
et voici plus que Salomon ici.
La Reine du Midi se dressera
au jugement contre les homines
de cette ge'ne'ration-ci
et les condamnera,
car elle vint du bout du monde
6couter la sagesse de Salomon,
et voici plus que Salomon ici.
Les Ninivites se leveront au
jugement contre cette g6nera-
tion-ci,
et la condamneront,
car ils firent penitence a la pre-
dication de Jonas,
ct voici plus que Jonas, ici.
Groups B. Aprbs la seconds multiplication des pains:
Mt;, xvi, 1-4.
Et survenant, des Pharisiens
et des Sadduce*ens, pour 1'eprou-
ver, reclamaient de lui qu'il leur
montrat un signe venu du ciel.
En reponse, il leur dit :
Lc soir vous dites : Beau
temps ! car le ciel est rouge ;
et le matin : Demain, mauvais
temps; car le ciel est rouge et
sombre.
Ainsi vous savez juger de 1'as-
pect du ciel,
mais des signes des temps,
vous ne le pouvez pas!
Une generation adultere et
maligne reclame un signe,
et signe ne lui sera pas donne,
hormis le signe de Jonas.
Et les laissant la, il s'en alia.
Me., vin, 11-13.
Etles Pharisiens survinrentet
ils commencerent & le prcsser,
reque"rant .de lui un signe venu
du ciel, pour 1'eprouver.
Etgdmissant du fond de l'am,
il leur dit :
a Qu'a cette ge'ne'ration-ci
chercherun signe? Jele disen
verite... s'il est donne un signe a
cette generation !
Et les quittant, il remonta en
barque et s'en alia vers 1'autre
bord.
Autour de ces textes, les questions se pressent, qui ne sent
pas toutes a discuter ici. Jesus prononca-t-il deux fois les
paroles essentielles, dans des circonstances analogues et diff^-
LA IlBSUIinECTION DU CHRIST. 437
rentes? Gela est probable sans etre certain. Ge qui eat clair,
c'est que, fideles interpretes en cela des aspirations de leur
race ( les Juifs reclsiment des signes 1 ), un groupe de Phari-
siens pretendait exiger du Sauveur des marques eVidentes,
dclatantes, materiellement constatables, de sa mission. Les
miracles e"vangeliques, avec les dispositions morales et reli-
gieuses requises pour leur interpretation, e*taient trop spirituels
pour ces homines charnels. Us reclamaient en consequence des
prodiges diff^rents, des mete'cres venus du ciel ou des per-
turbations atmospheriques, dans le genre de ceux que la voix
d'Elie le Thesbite, faisant tomber la foudre, ouvrant et fer-
mant le eiel a la pluie , avait autrefois provoques 2 .
Les evangelistes s'accordent pour -exclure les enqu6teurs
du privilege de la bonne foi : leur demande n'e*tait pas sin-
cere. Us voulaient, par cette mise en demeure, ^prouver le
Maitre et le tenter, quittes sans doute a attribuer au Malin les
miracles qui pouiTaient se produire. Mais la ruse fut dejouee ;
ces exigences se heurterent aun refus categorique, touchant les
signes venus du ciel . Saint Marc n'a consigne que ce refus;
dans saint Matthieu et saint Luc, Jesus dlargit sa re*ponse, par
une allusion a un signe particulier qui serait donne par Dieu
a cette generation-ci , et dont I'inmtelligence coupable la
condamnerait : le signe de Jonas. Quelle est done la nature,
et la porte*e de ce signe?
Nous en serions re*duits aux conjectures, si nous ne posse-
dions que le groupe B. Les episodes de 1'histoire du prophete
les plus frappants, et aussi les plus populaires 3 , eiaient siire-
ment le sacrifice volontaire de Jonas, sa survie miraculeuse,
et le succes, presque aussi merveilleux, de sa predication
a Ninive. Us symbolisent fort bien la mort redemptrice du
Christ, sa resurrection, et le succes poste'rieur de TEvangile.
La presence, dans nos documents, du groupe de textes A,
precise 1'allusion et ensemble complique le probleme. L'obsti-
nation des gens de cette generation maligne et adultere
1. I Cor., i, 22.
2. I (III) Reg., XVH, 1 ; XVIH, 36 suiv., 41 suiv. ; II (IV) Reg., i, 10 suiv.
Ces prodiges 6taient populaires. Voir Lc., iv, 25; Jac., v, 17.
3. La tradition rabbinique sur Jonas a 6t6 recueillie par H. Strack et
P. Billerbeck, KTM, J, p. 642-649.
438 JESUS 'CHRIST.
rs-era oondamne'e a*i dernier jour, et les examples de docility
qui font, par o*aste,TessGrtir leur infidelite, sont empruntes
aux Grentils. 'C'est la Reine de 'Saba, "venue de si. loin pourse
metope a fe'eole de la sage-ss-e de Salomon : les MB dlsrael,
Dependant, refri'sent d'&ocrater, ou flM'aignent mre bien -aut-re
sages'se'! de sont les M-nivi'tes, princes ent-Ste, qu'i e conver-
tiss'ent et font penitence -a la voix de Jonas : cependant,
les fils d'fsraWl sont d ; e glace a la voix d'un bi-en aritre Pro-
ph-elel
Paiiant de la, on est amene a chercner, dans la mission
entiere de Jonas, le prototype du 'signe promis par J^sus t le
message du premier fut aeeepte par -des paiens, f ifrvangile
du second -s-era rejet^ par la grande maj'orit-e les His -du
'Royaume. 'G'est la, ineonte'st'ablement, le sens general du
passage. Qu el r6le y joue la r^s-urrection du Fil de rhomme?
L-a plupart d<es exe^getes libe'raux, en denonc/ant comme une
simple glos-e 1 verset 40 -de 'saint Matthieu :
Car tout ainsi que Jonas fut dans le ventre du poisson,
trois jours et trois nuits,
ainsi sera le Fils 4e rhomme 'dans le cceur de la terre,
trois jours et tnois nmits,
suppriment pratiquement le probleme 1 . II ne reste, en ce cas,
1 . G'est par <exinple 'Ge *que fait A. H. Me NeMe,TAe Gospel -according to
St Matthew., London, 1S15, j>. 182., avec sa concision itranchante : * Le ver-
sst 40 -no peut etre authentique .: (1) iJ differe de Luc^ (2) le ^titre de Fils
de Thomraeque Jesus s'applique a lui-ineme., arrive trop tot(voirMt., xvr,
20) ; (3) la prediction serait inexacte, car le 'Seigneur fut dans le coeur
de la terre > non pas trois, mais deux nuits. > Cette critique chirurgicale
iperd de -son prestige. L''etranget6 m6me des < trois jours t trois nuits >,
oomparee a la fopm^ule .uaiversellement repue .: < le troisieme jour (voir
ci-dessous,p. 506, la note O a , < ftessuscite le troisieme jour ,),, rend une ,glose
pen vraisemblable. II est tout a fait arbitraire de pr6tendre que J6sus n'a
pu s'attribuer le titre de Fils de rhomme qu'apres la confession de Pierre.
Quant a la difference d'a^ec le texte de saint Luc, elle s'explique au mieux
par la citation textuelle du passage de Jonas, i, 17 (LXX, u, 1). M. Loisy,
qui estime probablement interpole tout ce qui concerne le signe de Jonas,
Les Evangiles Synopttques, I, p. 994, dit qu'il faut, en ce cas, renvoyer
1'interpolation a une epoque fort ancienne, voisine de celle ou la redac-
tion des Synoptiques peut etre consider6e comme arret6e d6fmitivement>.
C'est reconnaitre que rien, dans la teneur du texte, ne le disqualifie.
LA RESURRECTION U .CHRIST. 439
dans le signe de Jonas, aucune allusion positive efc certaine
a la resurrection. Tout au plus, dans la comparaison des deux
missions, 1'aventure dti propheite vomi par le jpoisson oifave-
t-elle un tenme de comparaison ittteressant avec I'evangile de
Paques. Mais Hen ne justifi'e eette eviction, d'autant que la
parole est caracteristique, et formulee dans des termes diffe-
rents de ceux qui etaient universellement rieQus dans la Com-
munaute primitive,, et qu'une glose n'aurait pas manque d'en-
dossier. Ua =bon nombre >de critiques catholiques, -tout en
raaintenamt.le verset^d'exipliquent comme un simple renvoi, al-
lant a majorer, par un a fortiori, la. comparaison entre le Ghrist
et Jonas 1 . D 'autr.es su^gerent ^qu'ici comme ailleurs, le [pre-
mier evangeliste a pu r.eunir,, ; en Les .soudant au mpyen d'une
transition dont il ne faudrait pas ipresser le sens, deux paroles
du Seigneur prononc^es >en ^des temps differents,, mais ,se rap-
portant au : m^me ob jet. Bans roes hypotheses, rallusion a la
resurrection subsiste et garde valeur de prophetic ; mais il
faut reconnadtre qu'elle perd de son relief.
Nous preierons I'eiJLiBgese qui garde a la transition de saint
Matthieu son sens aaturel, '.et ^an inot .signe i, la portee
ordinaire qu'il a dans I'JBvangile : indice revdlateur de 1'action
divine pour 'ceux qui sont rbons, il motive pour ceux >qui ; par
leur faute 1'interpreteiit a contre-sens, un jugement plus .se-
vere. Le signe de Jonas, oe sont les traits essentiels .de la
destinee de Jdsus, apparaissant en filigrane dans rhistoire
du vieux prophete. Gette histoire, telle qu'alors tous la
connaissaient d'apres le livre de Jonas, c'etait d'abord la
mission du ills d'Amifctai' a des pai'ens, et la fuite de 1'elu,
cherohant a e soustraire aux ordres de lahve. En vain! Dans
le vaisseau, monte aussi par des paiiens, qui Temporte, la
1. Le .grand Maldonat a d6jci ouvert cette voie comme une issue
possible, t plausible. Elle a ete reprise, entreautres,parA. van Hoonadker,
Les 'Bouze Petits 'Prophttes, Paris, 1908, p. 320 suiv. Le signe de Jonas >ne
serait pas un motif de croire propos6 aux Juifs, mais un argument qui
les condamnerait jpdur n'avoir pas voulu croire, alors que, sur de bien
moindres indices, les Ninivites avaient cru. Le verset 40 serait une
simple allusion au recit biblique : * Respondeo hac explicatione nihil
aliud Christum docere voluisse quam se esse ludaeis quod lonas fuerat
Ninivitis, eo etiam maiorem quo maius est mortuum resurgere quam
evomi devoratum >., Maldonat, in loc.
440 JESUS CHRIST.
main du Seigneur va le chercher, le force a avouer sa faute.
Jete a la mer sur sa demande, il sauve ses compagnons par
son sacrifice. lavhe suscite un grand poisson pour Tenglou-
tir 7 et du fond de cet abirae, ou il reste trois jours et
trois nuits , Jonas adresse a Dieu son fameux cantique.
Rendu miraculeusement a la vie, il reussit a peine moms
miraculeusement dans sa mission : princes en tdte, les Nini-
vites se convertissent a la parole de 1'envoye de lahve, qui
leur pardonne. Et cette misericorde pour des Gentils parait
au Prophete excessive, abusive; il faut que Dieu ; lui rappelle,
par- des signes palpables, qu'il est le Pere de toutes ses
creatures. Get admirable ensemble contient tous les elements
d'un machal, d'une de ces paraboles en action, conformed
au genie d'Israel, comparaison et cotitraste, rayons et ombres,
clarte pour les ames droites, et aveuglement pour les mechants.
II n'y a pas, dans tout 1'Ancien Testament, de prophetie plus
propre a symboliser 1'avenement tel qu'il s'est accompli, en
Jesus et par lui, du Royaume de Dieu. Le sacrifice volontaire
du Fils de Thomme, et jusqu'a ses repugnances humaines
en face de la passion proche; la mort et 1'ensevelissement,
suivis de la survie; 1'Evangile de Paques pre'che aux pai'ens,
et reussissant parmi eux jusqu'a provoquer le scandale des
chretiens venus d'Israel : toute cette prodigieuse aventure est
preformee dans le livre, la personne et la mission de Jonas
le Prophete .
Gette generation maligne , finalement adultere , au
sens biblique du mot, et repudiee en consequence, cherche
des signes? Signe ne lui sera pas donne, hormis celui
de Jonas le prophete ! Mais dans ce signe me" me, Tepisode
majeur, autour duquel s'accomplira le grand partage, durant
la generation apostolique, c'est le message de la resurrection,
le Fils de 1'homme dans le cceur de la terre, trois jours et
trois nuits , et Jesus, nouveau Jonas, echappe aux ombres
du tombeau et a 1'etreinte de la mort :
De Tangoisse ou j'etais, j'ai crie vers lahve et il m'exauce,
du ventre du scheol, j'ai appele, tu ecoutes ma voix...
et de la fosse tu fis remonter ma vie, Iahv mon
1. Jonas, ii, 3 eilb: A. van Hoonacker, ^oc. laud., p. 331,332.
LA RESURRECTION DU CHRIST. 441
Toute Fantiquite chretienne 1'a compris ainsi, depuis saint
Paul e'crivant aux Remains : Si tu confesses de bouche
Jesus comme Seigneur, et si tu crois dans ton cceur que
Dieu 1'a ressuscite des morts, tu seras sauve 1 , jusqu'aux
artistes des plus anciennes Gatacombes qui ne se lassent
pas de representer le Christ Sauveur en Jonas, rendu a la vie-
par le monstre inexorable. Gette interpretation tire une nou-
velle probabilite de 1'etude du signe jumeau, sur le Temple;
reddifie.
LE SIGNE DU TEMPLE REEDIFIE,'
Jesus vient de chasser les vendeurs du Temple :
Jo., H, 17-22.
Ses disciples se souvinrent qu'il est ecrit : le zele de ta maison
me devore. Cependant les Juifs repartirent, en lui disant : Quel
signe nous mohtres-tu, pour agir de la sorte? Jesus repartit et
leur dit : .
Detruisez ce temple et en trois jours je le releverai.
La-desus, les Juifs lui dirent : Quarante-six ans durant a ete
edifie ce temple-ci; et toi, en trois jours, tu le releveras? Mais
lui parlait du temple de son corps. Quand done il fut ressuscite des
morts, ses disciples se souvinrent qu'il avait dit cela, et ils crurent
a 1'Ecriture et a la parole qu'avait dite Jesus.
Pendant I'interrogatoire de Jdsus, la nuit qu'il fut livre,
on cherche des temoignages contre lui :
Mt., xxvi, 61. Me., xiv, 57-59.
Finalement deux (faux te- Et quelques-uns se levant, de-
moins) s'avancerent disant : posaient faussement contre lui,
Get homme a dit : disant : Nous 1'avons entendu-
Je puis detruire le temple de dire : Je detruirai ce temple fait
Dieu de main d'homme,
et en trois jours le reedifier. et en trois jours j'en reedifierai
un autre, non fait de main*
d'hommo.
1. Rom., x, 9.
442 JJBSUS CHRIST.
Sur le Calvaire :
Mi., xxvii, 39-40. Me,, xv,
Etxreux qui passaierrt la, le Et'cetixqui paseaient la, lefoa-
'bafouaient, branlant lewr t$te { fouaient, brawlant dear $&te* et
-et disarit : .disant : i Va -ctone !
Toi qui d6truis le Temple Toi qui d^truis le Temple
et en trois jours le ree"difies, et le rdeclifies en trols jours,
sauve-toi ! sauve j toi
Si tu es fils de Dieu, descends en descendant de la croix'!
-de la croix !
Le diacre Etienne est traine devant le Sanhedrin : Actes, vi, 13-14.
Us presenterent des temeins menteurs qui disaieni ,: Get
liomme-ci ne cesse de deblaterer contrele Lieu Saint et la Loi, car
aious 1'avons entendu dire que : Ce Jesus le Nazareen detruira ce
'Lieu-ci et changera les coutumes que Molse nous a transniises.
Gette parole de J^s^s ieut un retentissement coasiderable,
et son caractere enigmatique pr4ta largement a interpretation
analigne, voire calomnieuse 2 . II va sans dire qu'en la mettant
dans la bouche de ? faux t^moins , les .Sjnoptiques n'-enten-
dent muMement contester Tautheiaticite du dire ;: Ffitrangete
de celui-ci le pfece au>-dssus d'e totrt doute. Le faux temoi-
.gnage portait sur la signification reVolutionniaire et anarc'hique
-donnee a une parole myst^rieuse. Rien dans la carriere et 1'at-
titude de Je"sus ne permettait (et bien au contraire) de presu-
mer ce sens. Quant a la portee veritable de cette declaration,
elle nous a efce livree par le quatrieme evangeliste, qui prend
vsoin d'observer que Fintelligence de la parole ne se fit jour
dans la t6te meme des disciples, qu'apres la resurregtion.
1. Psaume xxn (xxi), 7; cix (cvm), 25.
2. On pent voir, au sujet de Jo., ji, 17 suiv., J. Knabenbauer, Commen-
>tarius inJohannem, Paris, 1898, p. 132 suiv. ; J. G. BelseiyZtas Evangelium
des heil. Johannes, Freiburg i. B., 1905, p. 85 suiv. ; Th. Zahn, Das Evan-
gelium des Johannes*, Leipzig, 1921, p. 172-180; R. A. Hoffmann, Das
WortJesu von der Zerstoerung und dem Wiederaufbau des Tempels,, dans
N. T. Studien G. Henrici... dargebracht, Leipzig, 1914, p. 130-139. Le
.premier commentaire de M. Loisy, Le Quatritme Evangile, Paris, 1903,
p. 288-300, est tres complet et, sur bien des points, tres penetrant. II est
smalheureusement domine par ies vues systematiques de 1'auteur sur le
.caractere general de 1'Evangile.
LA RESURRECTION OH CHRIST. '443
Jusque-la, <ce lut lettre -close $m<r leBmis, pier-re -de scandale
pour ies adversaires.
Le 'sigae^ en 'effet, qui <est n^e r4pliqu j e de crelw. de ' Jonas,
eat, plus exdiusivement "encore, prophetique. II we vise Ies
4u Sauveur *gu'en tant ^pi'ils appartienn'ent a la
t&aoin >de la isort /et de la premiere glorifi-ca'tion
du Fils d:6 I'homsnae. Le^s Juifs -q^ii c^nl/e^taient IB bien4ond^
fds pcravoirs exerc^s par fe Mattrescmt assi-g'nes a'oe^our pro-
(cfeain : alors le myBteTe s'^ciairoira ; Ten veira de tquel ic^be
est IB bcm4r>it...
Le jgrand dtiel tragi^e de de l mx 'espri%s, 'le ju4afeant et
le Jcskr6tie4i, e resume 'etse symbolise 'dans 4eux Temples. ATI
cuite -c^liBbr4 iexclusivemeTat dans le magaMque Edifice '"(<( <qul-
les pierres et qaelle batisse! ), Qii r^sidait, pour toal; bon
Israelite, la gloire de la'hve, Dieu va siibstititer nne religion
plus large, en esprit et en verite. Mais toute cette immense
re*alitd se cache presentemenk, pour ce qui est visible, en
Jesus : son corps est le fre'le temple ou resident, mieux que
jaiaais dans un -edifice fait4e main d'homme, Mt-oe aiipsrix de
quarante-six ans -d'eifforts, la gloire et Ies complaisances du
Pere. Et a tous ces grands de chair, ! a tses UlusionniBS recla-
mantdes signes 'dansle ciel et discutant son autori^, le
jette ie mot profond qui est a la Ms un defi 'et une
Detruisez ce Temple, et en trois jours je le releverai!
II n'importe pas que Ies esprits des auditeurs s'egarent
presentement sur 1'edifice materiel, en supputent la grandeur,
opposent ironiquemeint aux forces pr^sum6es dti Nazareen
Veiiormit^ de la tache qu'il aastime! Ge sont la erreurs 'd'in-
torpretation que Jdsus n'a pas a corriger : Ies esprits droits
ne s'y tromperont pas : celui qui parle ainsi a fait ses preuves.
Eux attendent en paix le signe divin -annomce. L'avenir se
chargera de donner le mot de 1'enigme, par le renverseme-nt
de toate'S Ies vnes humaines. 1 ! 1 iferagermer, dans le tom'beau
ou son corps, travailld jusqu'a la mort par ses ennemis, sera
enfin depose, la gloire du Fils de Thomme. II batira sur cette
pierre rejetee par Ies maltres officiels de 1'oeuvre, un Temple
non fait de main d'homme, que nulle tempete ne pourra ebran-
ler, qu la dent du temps n'entamera pas.
444 JESUS CHRIST.
Lea deux signes allegues par le Christ s'eclairent ainsi mu-
tuellement, et tous deux renvoient a la resurrection. Sous les
traits du vieux prophete jailli de 1'abime et reprenant pied sur
le rivage des vivants, ou du nouveau Temple Sieve" de main
divine parmi les ruines du Temple e*croule, c'est le vainqueur
de lamort, c'est 1'auteur de la vie, c'est le Seigneur ressuscite
qui monte sur 1'horizon e'vange'lique. Les termes restent e"nig-
matiques pour ses disciples eux-me'mes; les indifferents s'en
moquent; les adversaires s'en irritent pu y cherchent des armes
centre le Maltre. Laissons ceux-ci conspirer, etceux-la brouil-
ler. L'heure viendra, et elle est proche, ou les dires, graves
par leur forme incisive dans la m^moire de tous, prendront
tout leur sens a la lumiere des e*ve"nements. Alors Pierre pro-
clamera : Sache done toute la Maison d'lsrae"! quo Dieu 1'a
fait Seigneur et Christ, ce Jesus que vous avez mis en croix !
Conclusion.
S'ajoutant aux oeuvres de sagesse et de puissance que nous-
avons passees en revue, ce fait miraculeux les couronne,
achevant en lignes sublimes une carriere que tout demontre
plus qu'humaine. II y a entre la vie du Sauveur et sa resur-
rection une harmonie interne qui rend celle-ci plus croyable.
Le triomphe final de 1'esprit non aux depens, mais a 1'avantage
eternel de la chair; le divorce noble en apparence *, mais au
1. Centre ce divorce, source de tous les docetismes et de tousles gnosti-
cismes, un contemporain fait dire aSocrate, excellemment : < Ce corps est
un instrument admirable, dont je m'assure que les vivants, qui 1'ont tous
a leur service, n'usentpas dans sa plenitude. Us n'en tirentque duplaisir,
de la douleur, et des actes indispensables comme de vivre. Tantot ils se
confondent avec lui; tantot ils oublient quelque temps son existence; et
tantot brutes, tantot purs esprits, ils ignorent quelles liaisons universelles
ils contiennent, et de quelle substance prodigieuse ils sont faits. Par elle
cependant, ils participent de ce qu'ils voient et de ce qu'ils touchent : ils
sont pierre, ils sont arbres ; ils echangent des contacts et des souffles avec
la matiere qui les englobe. Ils touchent, ils sont touches... mon corps...
donnez-moi de trouver dans votre alliance le sentiment des choses vraies;
moderez, renforcez, assurez mes pensees. Tout perissable que vous soyez,
vous 1'etes bien moins que mes songes... Instrument que vous etes de la
vie, vous etes a chacun de nous 1'unique objet quise compare a I'univers. >
Paul Valery, Eupalinos ou I'Archilecte, Paris, 1924, p. 117-119. Ce deve-
LA nEsunnECTioN DXJ ctinistf. 445
fond chime'rique et dangereux, du corps avec Fame, de'passe';
la victoiredu juste, dubien, du sacrifice volontaire, et toute
justice ainsi accomplie ; la foi au Fils de Dieu motivee sans
4tre contrainte et devenant raisonnable sans eesser d'etre
me"ritoire : tels sont les premiers aspects religieux du message
pascal.
II en est d'autres qui, pour n'e"tre pas plus importants peut-
4tre, sont mis plus explicitement en lumiere dans le christia*
nisme ancien : mourir pour vivre ou plutdt mourir pour
ressusciter : mourir au mal, au charnel, a F^phemere, a la
nature e"gofste, taree et dechue, pour revivre en grace, en
purete*, en esprit... Mais ces nouveautes, qui sont moins des
notions chre*tiennes que le christianisme meme, appellent des
developpements qui feront 1'objet du dernier Livre de cet
ouvrage. Ge qu'il fallait noter des a present, c'est que la re"sur-
rection de Jesus n'est pas seulement le symbole de ce grand
changement : elle est le gage de sa realite, 1'assurance donnee
par Dieu a ceux qui s'y appliquent, qu'ils ne perdront pas leur
peine et que leur vie vaut d'etre vecue. G'est avec et par le
Seigneur ressuscite que cette esperance a conquis le monde
et s'irapose encore, dans une certaine mesure, et pour leur
bonheur, a ceux qui, nes en pays chretien, ont cesse de croire
a la realit^ dufait de la resurrection. Sousce rapport, William
Sanday dit bien que ce fait est la pierre d'angle du mysti-
cisme chretien * .
G'est la ce que nul penseur ne tiendra pour negligeable et,
moins qu'un autre, celui qui pretend juger d'une doctrine, au
moins pafrtiellement, par ses aptitudes a contenter rintelli-
.^ence et a guider noblement 1'action. Sans accorder a cette
fa^on de voir une valeur decisive, et surtout exclusive, nous
avons le droit de rappeler, a ce propos, la maxime evangelique
qui conseille de juger 1'arbre par ses fruits ; et de marquer le
loppement que j'abrfege k regret, rejoint la doctrine que les scolastiques
de la grande 6poque exprimaient en disant : < 1'ame a pour le corps un
appetit naturel , que la resurrection de la chair contentera : < anima...
a corpore separata, est aliquo modo imperfecta, sicut omnis pars extra
suum totum existens >. Saint Thomas, Contra Gentiles, 1. IV, ch. LXXIX,
t parall.
1. Jesus Christ dans DBH, II, p. 642, A.
446 JESUS; CHRIST.
contrast e qui existe entr& ees hautes vues; et lea fins de non-
re cevoir opposees par nos adversaires aux eeuvres- me-rveil?-
leuses di* Christ. Mai fondees en histoire', ces negations; ae
sont pas r en) philosophie meme, defendables : ellesr sent le-
relicpiat; de conceptions; determini&tes rigides^, actueM&iaent
depassees, ou de ces soi-disant theories de 1'e'volutionnism.e
radicaly stigmatisees par Henri Poincare dans ses; Dernidres
Pens^es, qui se reduisent a des comparaisons groesier,es.
conatme celles* des societes avec les organismes i .
Jesus^ sou bien des formes a repete, il a maintenn a Ven-
eontre des attentes passionnees de, ses disciples et des ejd-
gences chimeriqnies de; se& adYersaires;, que la foi ne s'iraposait
pas par des: signes: prestigieux,. et qu'il fallait porter a la- re-
cherehe du Royaume- dei Dieu^ une vue nettoyee des mirages
charnels, une simplicity d'enfant, une droiture, u-ne sincerite
entieres, et 1'amour antecedent du bien entreYu. A ceux qui
chercfent ainsi, ses ceuvres parlent assez haut. Puissent les-
autres y trouver du moins ua motif de cultiYer en eux ces dis-
positions, et cueillir ,, en attendant m-ieux, surcette Sagesse
plus (ju'humaine, ce que le vieux poete a appelait le fruit im-
parfait de I'humaine sagesse .
1. Henri Poincar6, Dernieres Pens&s; VIII, La Morale et la Science j
Paris, MS', p. 241.
2. 'ATeXrj CTotpfas xapnov Spijretv, Pindare, fragment 86; 6d. A. Puecliy IV r
Paris, 1923, p. 226.
NOTE B*
LE MIRACLE DANS LE BOUDDHISME ANCIEN
ET DANS L'ISLAM
J'ai dit tout & 1'heure, observait deja le grand Burnouf, que le
moyen employe par C&kya pour convertir le peuple a sa doctrine
etait, outre la superiorite de son enseignement, Feclat de ses- mira-
cles. Les preuves d'e cette assertion se rencontrent a ehaque page
des Sutras, et je vois sans cesse repetee cette espeee de maxime :
Les miracles operes par une puissance surnaturelle attirent bien
vite les Hommes ordinaires ; Introduction a V'histoire 1 dw Boudt-
dhisme Indien, Paris, 1844, I, p. 195.
Le progres des etudes bouddhiques a confirme ces vues en decou-
vrant aux origines m6mes. dur Bouddftisme et anterieurement a la
formation du Canon de ses Ecritures, le culte du Bouddlia adore
comme un dieu : voir A. Earth-, Quarante ans d'lhdianisme 1 ,.
GEuvres d'Auguste Bar^Psa-is, 1914-1918, I, p. 344; IV, p. 121;
p. 323-325 : Ce que cette decouverte (des inscriptions d'Agoka
Piyadasr, par D r Puhrer a Kapiliavastu)' etablit incontestablemeniy,
c'est Tantiquite dans !e bouddhi'sme de son element mythologiquev
et ell'e fournit un argument 1 de 1 . plus a eeux qui pensent ou soup^onH
nent que le bouddhisme- a bien pu commencer par la.
Non seulement le Bouddhisme' populairej le Bouddhisme des-
inscriptions d'Agoka, dies Stupas et des reliques, des pelerinages,
des legendes epiques, le Bouddhisme des laics, est suvtout une
bhakti r ou devotion, une puja ou culte -, observe L. de la V'allee
Poussin, mais le Bouddhisme monastique lui-meme n'est nullement
etranger a 1'a l^gende et a Fapotheose du Bouddha, en depit de
rimpression que certains textes de rationalistea (comme les
appelle A. B. Keitter dkns son Buddhist Philosophy in India and
Ceylon^ 1923) veulent incul^quer 1 . Ee i canon monastique donne tort a
ces puristes tard venus. G'est 1'evidence meme que les moines
furent les patrons et les- beneficiaires des pelerinages que le
Bouddha leur ordonne comme aux laics et du culte des Stupas ;
qu'ilis partagerent et creerent les pieuses convictions ou s'alimente
la devotion des simples fideles-; qu'ils consignerentdans leurs-livres-
'4'l8 JESUS CHRIST.
mythes, legendes, hagiographie ; L. dela Yallee Poussin, Nirvdna,
Paris, 1925, p. 2 suiv., 7 suiv.
De m6me tout le Bouddhisme posterieur se developpe en religion
.a dieux personnels : Le Bouddhisme imite le Brahmanisme en fai-
rsant un dieu du Bouddha : des images du Bouddha furent dressees,
.la devotion a sa divinite personnelle developp^e... Malgre la ten-
dance des rigoristes, pourlesquels Cakyamouni n'etaitqu'un homme,
plus saint et plus penetrant que les autres, un initiateur et non un
dieu, le Petit- Vehicule lui-meme (Hinayana) se developpa en
un polytheisme populaire : le Bouddha historique fut glorifie, et
jneme divinise... le Bouddha est le Dieu par-dessus les dieux, deva-
.tideva; il connait tout, il pent tout, bien qu'aucune relation ne soil
.definieentreradorationetl'objetdu culte . Quant au Grand- Vehi-
cule (Maha-yana), de beaucoup le plus repandu et le plus vivant, il
-est essentiellement une religion a dieux personnels, une devotion,
am culte; et c'est par la qu'il a conquis et, en partie, garde 1'Extreme
.Orient. Voir S. Radhakrishnan, Indian philosophy, London, 1923,
I, ch. x, Buddhism as a religion, p. 580-610. Les phrases citees
.sont p. 583 et 588.
Si Tapparition de Bouddha fut un grand tournant de 1'histoire,
.cela vient non pas de la nouveaute de 1'enseignement, mais de
,1'impression durable produite par une personne exceptionnelle... Ce
-qui a agi sur les coeurs, c'est le Bouddha transfigure par 1'amour et
^'admiration de ses dcvots. Idealisee, entourde de 1'aurdole du mer-
veilleux, enrichie d'elements empruntes a d' autres religions, mais
.profondement populaires, plus la personne du Bouddha dtait mise
liors des conditions de I'liumanite, plus elle etait une force vive a
laquelle les fideles pouvaient avoir recours. A 1'origine, le culte
-.s'adrcsse au soul Bouddha, et sa vie estl'unique type de vie parfaite.
Avec le temps,... un pantheon se forme et se peuple de grands dis-
ciplcs, de saints et de bodhisattva. Paul Oltramare, L'Histoire
des idees theosophiques dans I'Inde. II. La Theosophie bouddhique,
Paris, 1923, p. 484.
Mahomet, dc son cote, fait etat dans le Coran : Sour. 3, 43; 7,
101 suiv., 160, etc., des miracles des Prophetes, ses prede"cesseurs :
Moise et Jesus, en particulier. Pour Iui-m6me, dit D. S. Margo-
liouth, les miracles qu'il revendique sont les victoires gag^nees par
1'assistance des anges, et le Coran lui-mme, soit a cause de son
contenu, naturellement inconnaissable au Prophete, soit a cause de
son inegalable eloquence ; Muhammad, dans ERE> VIII, p. 878, B.
Voir le Coran, Sour. 46, 1 suiv. ; 53, i suiv. Ajoutez le don de pro-
phetic proprement dit, Coran, Sour. 30, 2 suiv.
LE MIRACLE DANS LE BOUDDHISME ANCIEN ET DANS L'lSLAM. 449
Des 1'origine, on a majore ces donnees par une foule de prodiges,
dont la collection est devenue sous le litre : Preuve de la Mission,
un lieu communde 1'apologetique musulmane. Ainsi dans le manuel
classique de Razi, II, Theologie positive, 1 : THESE : Mahomet est
Venvoye de Dieu. Ceci est nie par les Juifs, les Chretiens et beau-
coup de Dahrites, etc... PREUVES DE NOTRE THESE : Mahomet a rendu
temoignage de son inspiration prophetique, et il a fortifie ce temoi-
gnage par le moyen de miracles. Tels sont : 1 le Goran, etc. ; 2 (le
Prophete) nourrit une grande foule .d'hommes, avec peu de nourri-
ture, par une merveilieuse multiplication des pains ; 3 il fit couler
de 1'eau de ses doigts (pour abreuver son armee) ; 4 il entretint
conversation avec des animaux incapables de parler ; et bien d'autres
miracles qu'une tradition ininterrompue confirme, etc. M. Horten,
Die spekulative und positive Theologie des Islam, nach Razi (f 1209)
und ihre Kritik durch Tusi (*f* 1273), nach Originalquellen iiber-
setzt, etc., Leipzig, 1912, p. 82, 83.
Par ailleurs la croyance que Mahomet est monte une fois au
ciel pendant le cours de sa vie a ete consideree pendant pres de
douze siecles par les Musulmans comme un article essentiel de leur
foi religieuse ; A. A. Bevan, Mohammed's Ascension in Heaven,
dans Studien zur semitisch. Philologie und Religionsgeschiehte...
J. Wellhausen gewidmet, Giessen, 1914, p. 51. Que cette croyance
ait ete deliberement inculquee par le Prophete, les trois passages du
Cor an, Sour. 81, 19 suiv. ; 53, 1-18; 17, 1 suiv., ne permettent pas
d'en decider surement (Bevan, loc. laud., p. 51-54), mais la croyance
generale dans le miracle est certaine, et agit des le debut, comme
en temoignent unanimement les plus anciennes biographies de
Mahomet.
JliSUS CHHIBT. II. 29
NOTE C 2
UNE VERIFICATION SCIENTIFIQUE DU MIRACLE
EST-ELLE POSSIBLE?
On ne peut repondre a cette question sans, regler au prealable
une question de vocabulaire. Bon nombre de contemporains, en effet,
reduisent le r61e de la science a une observation coordonnee de
la nature. Elle enregistre et classe des faits et des successions habi-
tuelles de faits. Des qu'elle veut aller plus loin et interpreter, comme
elle y cst naturellement conduite... elle (la pensee humaine) outre-
passe le domaine de la Science propremeht dite, au sens ou on Ten-
tend habituellement aujourd'hui ; Louis de Launay * .
De meme M. Pierre, Termicr observe : Ce que, de nos jours, on
appelle le plus communement Science, c'est la connaissance des.
phenomenes naturels et des lois qui les regissent. Cette science des
phenomenes naturels et de leurs lois c'est-a-dire de leurs con-
ditions d'apparition, etc., a 1' exclusion de leurs causes parait
aujourd'hui a beaucoup de personnes moyennement instruites, la
seule science... II est clair que la science ainsi comprise n'aurait rien
a nous apprendre sur les questions do causes et d'origines. Le
domaine scientifique, ainsi compris, serait, par definition meme r
entierement distinct du domaine philosophique et religieux 2 .
Dans ce sens, il est manifesto qu'une verification scientifique
du miracle, quant a 1'originalite et a la transcendance du fait, est
impossible. Tout ce qui reste possible scicntifiquement a qui
cmploie ce vocabulaire, c'est la constatation d'un fait nouveau, aber-
rant, actuellement inexplicable, merveilleux . Le Savant
comme tel, n'ira pas plus loin; mais, s'il est sage, il tiendra (conti-
nue I'eminent geologue) pour factice, conventionnelle et, des lors,
franchissable, la limite qui scpare, du domaine philosophique, le
domaine particulier de n'importe quelle science . II tiendra que la
philosophic, si elle est distincte des sciences particulicres par son
1. Dans YEnqirfte du Figaro , 2-22 mai 1926 (cf. la revue fitudes, 5 juilleL
1926, t. CLXXXVIII, p. 13-14); a paru aux Editions Spes , Paris, 1928.
2. Ibid. (cf. titudes, t. CLXXXVIII, p. 19-20).
/i50
UNB VERIFICATION SCIENTIFIQUE DU MIRACLE EST-ELLE POSSIBLE? 451
objet et par sa methods, n'en est pas profondement separee; que
les conclusions des sciences particulieres doivent etre interpretees
ct fecondees par elle . Ayant le souci, non seulement des pheno-
menes ct des lois, mais encore des causes etdes origines, qui, pour
lui, ne sontpaisriecessaire/nentmcomia.issa.bles , il abordera 1'inter-
pretation philosophique et, au besoin, religieuse, des faits etonnants
par lui constates.
Get examen, s'il amene a reconnaitre une intervention divine,
merite-t-il le titre de scientifique ? Surement non, si Ton restreint
Tepithete aux limites assignees plus haut. Mais certainement oui,
si on 1'etend, comme la plupart des auteurs anciens, aux conclusions
correctement tirees, par la pensee reflechie, de consta,tations empi-
riques. i
NOTE D 2
INVOLUTION EPIGENETIQUE ET LE MIRACLE
On donne parfois le nom d'Evolution epigenetiqUe a I'hypothese
transformiste suivant laquelle, sous Tinfluenee de causes voulues
et prevues par Dieu, des formes ou forces nouvelles apparaitraient
dans la Nature qui, jusque-la, n'y auraient preexiste que virtuel-
lement, a 1'etat d'involution et d' implication. Fort differente dans
son concept de la simple evolution : voir la-dessus Fr. von
Hiigel, Eternal Life, Edinburgh, 1912, p. 268 suiv., cette construc-
tion progressive du monde (epigenese) est compatible avec le
transformisme theiste, generalise ou restreint : de ces differentes
hypotheses, tres claires definitions dans R. de Sinety, Evolution-
nisme, dans le Dictionnaire pratique des Connaissances religieu-
ses, II, 1925, col. 101 suiv. Un catholique ne peut done refuser de
la considerer : Pour le transformisme chretien, dit P. Teilhard
de Chardin, 1'action creatrice de Dieu n'est plus congue comme
poussant intrusivement ses ceuvres au milieu des etres preexis-
tants, mais comme faisant naitre au sein des choses les termes
successifs de son outrage, Elle n'en est ni moins essentielle, ni
moins universelle, ni moins intime pour cela ; Le Paradoxe
transformiste, dans Revue des Questions Scientiftques, LXXXVII,
1925, p. 80. Voir aussi H. de Dorlodot, Le Darwinistne au point
de vue de Vorthodoxie catholique^ I, Bruxelles, 1921. Cette hypo-
these, entrevue sous une forme particuliere par saint Augustin :
voir, avec precaution, Henry Woods, Augustine and Evolution,
Santa Clara, 1924, et R. Macaigne, La Creation, Paris, 1924; ne
parait pas repugner a 1'esprit, sinon a la lettre, de la philoso-
phic de saint Thomas : A. D. Sertillanges, Saint Thomas d'A-
guin 3 , 1921, II, p. 20-30. Elle semble rendre par contre plus
malaise le discernement du miracle : F. R. Tennant, Miracle, its
philosophical presuppositions, Cambridge, 1925, p. 44 suiv. Un
fait considere a bon droit, en un temps, comme depassant les
forces naturelles, peut ensuite trouver son explication dans les
memes forces majorees, arrivees a un stade ulterieur de leur
evolution : miracle jusqu'a cette phase, phenomene naturel au dela !
/i 52
DEVOLUTION EPIGENETIOUE ET LE MIRACLE. 453
Dans 1'hypothese du transformisme progressif athee, moniste,
la question n'a pas de sens. Dans celle du transformisme theiste,
la seule qui doive nous arreter, le recours a la Providence permet
de resoudre le probleme, etant manifesto que Dieu, auteur a la
fois du progres des forces naturelles dans leur ligne, et de Tinter-
vention miraculeuse, ne peut permettre, touchant celle-ci, une
meprise resultant de 1'ignorance invincible de celui-la. Outre cette
reponse generale, reposant sur la double finalite concurrente de
1'ordre naturel et du miracle, on observera que les progres dans
1'evolution des puissances naturelles, a les supposer reels, etant,
comme il conste de 1'observation directe temoignant de la stabi-
lite ordinaire du cours des choses, extraordinairement rares,
une coiincidence entre cette avance epigenetique et le fait candidat
au titre de miracle, est anterieurement extremement improbable.
Elle est, de plus, positivement excluedans tous les cas ou, poste-
rieurement.au fait etudie, la Constance des lois naturelles sur ce
point est demeuree certaine.
NOTE E 2
L COLE ESCHATOLOGIQUE : 1890-1915.
Le mot REcole ne doit pas etre pris ici au sens abstrait, car les
critiques qui ont, dans 1'Evangile, attribue une place preponde-
rante a 1'element eschatologique, apocalyptique, ne forment pas
un groupe defini, se reclamant d'un maitre, comme par exemple
1'Ecole de F. C. Baur a Tubingen. Mais 1'idee qui les rassemble
est assez unifiante et les amene a des conclusions generates assez
voisines, pour qu'on puisse les ranger sous la meme denomi-
nation.
L'histoire de la notion eschatologique, consideree comme une
des clefs, ou meme la clef principale de 1' interpretation des origines
chretiennes, a ete retracee, avec competence et complaisance, par
le plus brillant champion du groupe, Albert Schweitzer, dans son
ouvrage fameux, Von Reimarus zu Wrede, Tubingen, 1906,
refondu et complete sous le titre Geschichte der Leben-Jesu-
Forschung, Tubingen, 1913, ch. xv, p. 222-235, et passim.
Le precurseur fut le protestant franc.ais, Timothee Colani,
professeur a Strasbourg, travaillant sur les donnees apocalyptiques
*ournies par Dillmann, edition du Litre d'Henoeh, 1851, et Ad.
Hilgenfeld, Judische Apokalyptik, 1857. L'ouvrage de Colani,
Jesus-Christ et les croyances messianiques de son temps, Stras-
bourg, 1864, influenza puissamment 1'exegese evangelique, soit
en France, par Renan, soit en Allemagne et en Suisse, ou
W. Weiffenbach, Der Wiederkunftsgedanke Jesu, 1873, et G. Volk-
mar, Jesus Nazarenus und die erste christliche Zeit, 1882, repri-
rent plusieurs de ses id6es.
Les vrais fondateurs de 1'Ecole, au sens large defini plus haul,
furent le professeur alsacien G. Baldensperger, Das Selbst-
bewusstsein Jesu im Lichte der messianischen Hoffhungen seiner
Zeit, Strasbourg, 1888, 2 1892, 3 I, 1903, et Joh. Weiss, professeur
a Goettingen, dans son court memoire, Die Predigt Jesu vom
Reiche Gottes, Goettingen, 1892, devenu un livre en 1900, sous
le meme titre.
L'ECOLE ESCHATOLOGIQUE : 1890-1915. 455
Albert Schweitzer, enfin, ne en 1875 a Kaysersberg en Haute-
Alsace, pasteur puis professeur a Strasbourg, et, depuis 1913,
missionnaire au Congo, est sans contredit la figure la plus atta-
chante du groupe. Esprit curieux et universel, musicien, philo-
sophe, medecin, historien, il est un tenant fervent de la religion
de 1'Esprit, et ne demande guere a 1'Evangile qu'une mystique.
Son livre mordant et vigoureux, radical a la fois et religieux, a
obtenu un tres vif succes, notamment en Angleterre, ou il a ete
traduit en 1911 et a fait sensation. Les idees de 1'auteur orit eu
d'autant plus d'influence, peut>-etre, qu'elles s'inserent, a leur
heure, dans la trame d'un expose ou est retracee Fhistoire des
recherches concernant les origines chretiennes, depuis Reimarus
jusqu'en 1913. L'eschatologisme consequent explique dans la
Geschichte der Lelen-^Jesu-Forschung, p. 390-443, ressort, nous
dit-on, de 1'etude du probleme souleve par W. Wrede, dans son
travail sur le secret messianique dans les Evangiles, Das Messias-
geheimnis in den Evangelien, 1901, et par Schweitzer lui-meme,
dans son memoire, Das Alessianitaets-und Leidensgeheimnis, paru
la meme annee. Seulement, Wrede a mal resolu le probleme
parce qu'il a d'avance renonce a expliquer 1'Evangile de Jesus
par 1'apocalyptique juive de son temps .
Les idees de J. Weiss ont fortement influence les commentaires
de M. Alfred Loisy, Les fivangiles Synoptiques, Ceffonds, 1907,
1908, et tous ses ecrits de cette epoque. Sans professer 1'eschato-
logisme integral Schweitzer lui reproche cette inconsequence, et
de n'avoir pas senti toute 1'importance des problemes souleves
par Wrede et par moi-meme , Leben-Jesu-Forschung, p. 568
Loisy met dans un relief singulier 1'element apocalyptique de
1'Evangile de Jesus. II va jusqu'a revendiquer pour cet element
la preponderance , et a faire de 1'Evangile un enseignement
essentiellement eschatologique, enthousiaste et mystique ; Jesus
et la tradition, 1910, p. 144, 190.
Depuis, M. Loisy s'est fait Techo de 1'Ecole religionsgeschichtlich
de H. Gunkel, W. Bousset, R. Reitzenstein, G. P. Wetter, etc.,
commeil s'etait, auparavant, inspire de H. J. Holtzmann, J. Reville,
A. Julicher, etc...
C'est en Angleterre que 1'escliatologisme a provoque le plus
d'emotion : le nombre d' ecrits consacres a cette question est con-
siderable, notamment entre 1904 : Lewis A. Muirhead, Eschatology
of Jesus, Melrose, et 1914 : H. L. Jackson, The Eschatologij
of Jesus, London. C. Emmet a repete Schweitzer dans The eschato-
logical question in the Gospels, Edinburgh, 1911. Parmi les tra-
456 JESUS CHRIST.
vaux recents, il faut mentionner 1'essai incomplet, discutable, mais
profond et original, du Baron Friedrich von Hiigel, The Apoca-
lyptic Element in the Teaching of Jesus, paru dans ses Essays and
Addresses on the Philosophy of Religion, l ro serie, London, 1921.
2 1924, p. 119-143. Sur 1'auteur. je me suis explique dans RSR, XV,
1926, p. 167 suiv.
La vogue de l'eschatologisme ayant coincide avec la phase de la
crise moderniste, les idees de J. Weiss et dcs autres tenants de
1'Ecole ont ete vulgarisees, discutees et souvent faussees dans
une quantite d'ecrits mediocres eritre 1900 et 1910. Les principaux
autcurs modernistes : A. Loisy, G. Tyrrell, Christianity at the
Cross Roads, London, 1909, etc., leur ont fait une tres large place.
Les refutations et exposes n'ont pas manque du cote catholique.
La question a ete traitee deja dans des ouvrages anciens car elle
est aussi vieille que 1'exegese chretienne : on trouvera les opinions
des Peres resumees dans L. Atzberger, Geschichte der Christlichen
Eschatologie , Freiburg i. B., 1896; ou dans les Commentaires de
J. Maldonat et de J. Knabenbauer sur le ch. xxiv de saint Mat-
thieu. Bossuet a de tres belles pages, qui n'ont pas vieilli, dans
ses Meditations sur PEvangile ecrites en 1695, publiees en 1731.
journees 67 a 86. On indiquera seulement encore, comme plus
accessibles et plus pe"netrants, les travaux du P. M. J. Lagrange.
RBj XV, 1906, p. 382 suiv.; tivangile selon saint Marc, 1911,
p. 310-330; fivangile selon saint Luc, 1921, p. 520-537; Evangile
selon saint Matthieu, 1923, p. 454-474; de E. Mangenot, DBV, II,
col. 2262-2278 (exegese), et DTC, V, col. 2054-2552 (theologie);
d'Yves de la Briere, DAFC, I, col. 1219-1248, et de A. Lemonnyer,
Ibid., col. 1911-1928; de Karl Weiss, Exegetisches zur Irrtumslo-
sigkeit und Eschatologie Jesu Christi, Miinster i. W., 1916; du
cardinal Louis Billot, ^ La Parousie, Paris, 1920; de J. Huby.
Verbum Salutis, Evangile selon saint Marc 7 , 1927, p. 329-353.
NOTE F 2
CETTE GENERATION NE PASSERA PAS...
Ainsi vous, quand vous verrez tout cela
Connaissez qu'il est proche, aux portes.
En verite, je vous le dis :
Cette generation ne passera pas [o5 \a\ rcapEXOr) T\
avant que tout ceci n'arrive [i'w? [av] rcavca tau-ca yevY|-cai].
Mt., xxiv, 33-34.
Ainsi vous aussi, quand vous verrez cela arriver [lau-ra ytvo'[j.eva],
Connaissez qu'il est proche, aux portes.
En verite je vous le dis :
Cette generation ne passera pas
devant que tout ceci n'arrive [{is^pt? o5 taura jca-na Y^Tai].
Me., xiii, 29-30.
Ainsi vous aussi, quand vous verrez cela arriver [tauta ytvo'p.sva]
Connaissez qu'est proche le Regne de Dieu.
En verit6 je vous le dis :
Cette generation ne passera pas
avant que tout n'arrive [w; [av] xidtvca ylv/irai]. (Lc., xxi, 31-32.)
Ces textes posent, on le salt, la question la plus difficile concer-
nant les propheties de Jesus. Us semblent bien en effet annonccr
comme certain, dans les limites de la generation alors vivante,
1'accomplissement de tout ce qu'a predit le Christ, y compris 1'avc-
nement du Fils de 1'homme comme Juge universel, et le rassem-
blement de tous les homines devant son tribunal. Des lors, 1' igno-
rance du jour et de 1'heure, dont I'affirmation suit immediatement,
ne pourrait s'entendre que de 1'ignorance du jour precis, de 1'heure
exacte. jour et heure devant tomber au cours de la generation
actuelle.
Cette difficulte est surtout d'ordre litteraire et redactionnel. Car,
nous le vefrons, c'est moins le contenu des propheties qui la cree
que la suite du discours, et son enchainement. Avant cVen proposer
la solution, il convient d' examiner attentivement le sens des termes,
et de passer brievement en revue les explications donnees a ce
sujet.
457
458 JESUS CHRIST.
ciri *
H ysvsa avrij.
Le mot de generation (ysvect; heb. dor) signifie habituellement,
dans lo grec commun, race, famille, Ugnage; bref, une collectivite
issue d'un meme sang : Moulton et Milligan, VGT, p. 122. Le sens
biblique est analogue, et aussi etendu, notamment dans le grec des
Scptante : J. Knabenbauer, Commentarius in Evangelium sec.
Matthaeum, II, p. 343.
On ne peut done debouter, par voie philologique, ceux des Peres
anciens ou des exegetes modernes qui ont entendu 1'expression,
dans notre passage :
ou de la communaute des croyants, consideres comme une race,
une famille spirituelle : Origene, Chrysostome, Theophylacte ;
ou de la race humaine en general, de 1'humanite : saint Jerome,
comme explication possible, ainsi quo la suivante, J. Maldonat;
ou de la race juive, prise d'ensemble : saint Jerdme, comme
possible, Bisping, Dorner, Knabenbauer, loc, cit.; Zorell, NT
Lexicon, p. 105; Ferd. Prat [RSR, 1927, p. 316-324].
Cctte interpretation, couverte par des autorites considerables,
est, de plus, sous sa derniere forme, plausible ct ingenieuse. Elle
coupe la difficulte par la racine. II est manifesto en effet que, ainsi
comprise, la parole de Jesus ne peut plus provoquer d'etonnement.
Mais le fait seul qu'elle en a tant provoque, et depuis si longtemps,
doit faire craindre que cette voie, si aisee, ne soit pas la plus
sure.
Pour mon compte, je ne pense pas pouvoir la suivre.
1 S'il est excessif de dire, avec H. J. Holtzmann et Th. Zahn,
que 1'expression y V a " T5f ) a toujours, dans le grec evangelique,
le sens de generation contemporaine , il est difficile de nierque,
dans beaucoup de cas, ce sens ne s'impose; et que, dans la plu-
part des autres, il est le plus naturel : Preuschen-Bauer, Grie-
chisch-Deutsches Woerterbuch zu den Schriften des NT, 2 ed.,
1925, col. 241, 242. H. B. Swete fait remarquer que si occasion-
nellcment, dans les Septante, y V( * (dor] signifie une classe
d'hommes sans reference a une epoque donnee, dans les evangiles
Texpression se rapporte apparemment, en tous les cas, a la gene-
ration a laquelle appartenait le Seigneur lui-meme : The Gospel
according to S. Mark*, 1920. p. 315. Les epithetes qui sont donnees
a cctte generation, et la stigmatisent par comparaison avec
d 1 autres generations d'hommes, semblent decisives en ce sens. Par
cxcmple, dans Mt., xi, 16 suiv.
CETTE GENERATION NE PASSERA PAS... 459
A qui comparerai-je cette generation-ci ?
Elle est pareille a de petits enfants assis sur les places et qui s'interpel-
lent en criant :
Nous vous avons chante du gai, et vous n'avez pas dans6,
Nous vous avons chant6 du triste, et vous n'avez pas g6mi.
Vint en effet Jean Baptiste, ne mangeant ni ne buvant,
et 1'on dit : Possede !
Vint le Fils de 1'homme, mangeant et buvant,
et 1'on dit : Glouton, buveur, ami des publicains et des pecheurs !
N'est-il pas manifesto, par les exemples allegues, que cette gene-
ration de malcontents, interpretant tout en mal, est celle meme oil
vit le Christ? Plus clair encore est le passage ou il est dit que
les gens de Ninive, au jour du jugement, se leveront centre cette
generation-ci, et la condamneront, parce qu'ils se sont convertis
a la predication de Jonas, et il y a plus que Jonas id, etc. , Mt., xn,
39 suiv. ; Me., vin, 12; Lc., xi, 29-32. Voir aussi Mt., XVH, 17, et
parall. : O generation sans foi et perverse, jusqu'a quand serai-je
avec vous? Jusqu'a quand vous supporterai-je? Me., ix, 19;vm,
38, etc.
2 Dans le texte meme, le sens devient faible jusqu'a 1'insigni-
fiance, si Ton entend cette generation-ci , de la race humaine
en general, ou de 1'ensemble des croyants. La solennite de la
declaration : En verite, je vous le dis... et de la conclusion :
Le ciel et la terre passeront, mais mes paroles ne passeront pas ,
ne s'explique plus en ce cas.
Si Ton entend cette generation de la race juive, qui durerait
jusqu'a la fin, temoin vivant de la faute et du chatiment, on
obtient un sens meilleur. Mais cette interpretation, qui ne peut se
prevaloir d'un appui patristique aussi imposantqueles precedentes,
est exclue, me semble-t-il, par le contexte. La question posee par
les ap6tres, des le debut, porte sur le temps : Dis-nous quand cela
sera ; Mt., xxiv, 3; Me., xm, 4; Lc., xxi, 7. La reponse de Jesus
porte egalement surle temps : la parabole du figuier qui 1'introduit
le montre a 1' evidence : Quand ses branches (du figuier) devien-
nent tendres et que son feuillage pousse, vous connaissez que
proche est I'ete. Ainsi vous, quand vous verrez tout cela, etc... .
Les expressions memes employees : ou w irapeXOTj , etle contexte
immediat imposent le sens temporel. Voir Karl Weiss, Exege-
lisches zur Ivrtumslosigkeit und Eschatologie Jesu Chrhti, 1916,
p. 107 suiv.
Nous entendons par consequent rj yevea auir], de la generation
d'hommes contemporaine du Christ. On peut. apres Swete, se
dcmander si le mot de Yevedc n'a pas etechoisi meme a cause de son
460 JESUS CHRIST.
fndetcrmination 1 . Mais cotte hypotliese semble moins probable
quand on relit lo passage dans son ensemble.
Taira, navrot, TUVTU.
L'autre mot important est : ceci; tout ceci; toutes ces clioses :
Tautoc, rcavTa Tauta . En quel sens 1'entendre?
II s'agit naturellemcnt de la reponse donnee a la question du
debut. Et, pour Marc et Luc, la chose nesoufire pas difficulte; carle
/ravta rauta deMc., xm, 30 est le pendant exact du TUT... iravTa de
Me., xm, 4. Semblablement, le tout arrivera, -rcavta de Lc., xxi,
31,faitecho auTixtrca deLc., xxi, 7. Dans les deux cas, une seule ques-
tion est posee, qui portc exclusivement sur la ruine du Temple et
les evenements concomitants.
Cette interpretation, qui leve 1'obscurite principale, est d'autant
plus plausible quo le : Quand vous verrez ces choses arriver, raCta
Yivo'|/.eva de Me., xin, 29, etLc., xxi, 31, ne peut s'appliquer qu'aux
signes demandes au debut par les disciples, et naturellement visi-
bles. C'est bien de la sorte que 1'entend le Maitre dans la para-
bole du figuier, offrant dans son eveil printanier des indices qui
pretent a interpretation certaine. Or des signes de ce genre prece-
deront le premier evenement> previsible et evitable, puisque Jesus
conseille dc le fuir; tandis que 1'evenement ultimo sera foudroyant,
inevitable, sans recours possible.
Cette solution est la plus simple, et solidement fondee. Voir
M. .1. Lagrange, Evangile selon saint Marc 2 , 1920, p. 324 suiv. ;
LHubyjEvangileselonsaintMat'c 1 , 1927, p. 347, 348, etc. E. Klos-
tcrmann, Das Markusevangelium'*, 1926, p. 148, observe justement
la-dessus quo la reponse au quand (TCOTE) du verset Me., xm, 4,
exige des signes visibles. II en va de meme pour le troisieme
evangile.
Le premier evangile presente un cas plus complique, mais dont
1'etude achevera de mettre au clair la valour de la reponse que
nous venons d'esquisser pour les autres Synoptiques.
Au debut du discours, tel que le rapporte Matthieu, deux ques-
tions sont posees distinctement :
Dis-nous quand cela (tau-ca) sera (la ruine de Jerusalem qui
vicnt d'etre preditc) ;
et quel sera le signe de ton avenement (rr)? a^ Trapoucrtai;) etdela
consommation des siecles? Mt., xxiv, 3.
1. M. L. G. Pillion, Vie de Notre-Seigneur Jesus-Christ, III, 1922, p. 583,
va plus loin et admet que nous devons comprendre a la lumiere de lout ce
qui precede, que les mots : celle generation, ont en cet endroit un double sens .
CETTE GENERATION NB PASSERA PAS... 461
II semble, a premiere vue, que le tout ceci, Travra Tau-ca du
verset 34, couvre les deux reponses et s'applique a la fois aux
deux avenements, a la ruine de Jerusalem et a la Parousie finale.
Cette impression, a vrai dire, constitue la difficulte principale
detoutle passage; et il est instructif de voir que, parce qu'elle
repond a leur desir de prendre en defaut 1'enseignement du Christ,
une inference rapide et, osons le dire, superficielle, est acceptee
pour argent comptant par les critiques d'extr^me gauche, depuis
S. Reimarus jusqu'a nos jours.
Une etude plus objective du texte entier, c'est-a-dire de son
contenu, et de sa forme et structure litteraires, nous convainc, au
contraire, que le Travra TOCUTOC de Mt., xxiv, 34 repond chez lui
comme chez Marc et Luc au T<XUT<X de Mt., xxiv, 3, et vise exclusi-
vement la premiere question des disciples. La seconde question
reQoit egalement sa reponse, mais au verset 36 : wpl tt
EXEIV/K xa\ wpa? ouSsU OIOEV.
Mt., xxiv, 3. Mt., xxiv, 33, 34; 36.
Elid %7v TTOTC tauta !<TT ai, oi5tW5 xai fyet? ^tav i$i\te. Travra tauira,
yivcoffxeTC 5n IYY^? ICTTIV, ITTI Oupai?.
'A|JL^V XfiYW b\UV OTl
ou (x^ TtapeXOr) ^ ysvei au
av Travta rau-ra
x\ TI TO <rK][Utov TTJI; ar]? Trapouota? Trept Si TVJ? ^{xg'pa; ixeivrj? xal wpa?
xal duvTeXsia? TOU aiwvo? ; ouoel? oTSsv
ouSe ol ayY^oi "swv oupavwv
ouSs 8 uid?,
et [x^| 6 Trat^ip (xovo;
Que le TtavTa Tauta s'applique a Tavenement premier du Fils de
Thomme dont les signes avant-coureurs ont ete detailles plus
haut, cela ressort de la nature des choses predites, et de 1'usage
de Matthieu dans un passage parallele, oii apres avoir dit que :
tout le sang innocent verse sur la terre, depuis le sang d'Abel le
juste, jusqu'a celui de Zacharie, fils de Barachie, viendra, eX8r)
sur les scribes etles Pharisiens, qui mettent le comble aux crimes
paternels, Jesus conclut :
VJ^EI TotuTa Travra ETTI T^JV Y ev v
En verite, je vous le dis,
tout ceci viendra sur cette generation-ci. Mt., xxm, 36.
Sur ce texte, voir Ant. Malvy dans RSR, 1924, p. 539-544; et sur
Topportunite, a cette place, de la declaration solennelle qui suit :
462 JESUS CHRIST.
Le ciel et la terre passeront, mes paroles ne passeront pas ,
voir supra, p. 289, 305.
Quant a IVj %s'pa Ixsi'vv] de Mt., xxiv, 36, pour signifier le dernier
jour, 1'avenement supreme (^ laya-cri %ep : Jo., vi, 39 suiv. ; xi, 24;
xii. 48; I Petr., i, 5; *i %epa tout court :Mt., xxv, 13; IThess., v,
4), c'est un terme consacre : Mt., vn, 22; Lc., xxr, 34; II Thess., i,
10 II Tim., i, 18.
Aux deux questions posees, fort differentes, bien qu'en conti-
nuite, et appartenant au meme dessein de Providence, dont elles
concernent les phases decisives, des reponses sont donnees, tres
differentes aussi.
Precede par des signes multiples, et partiellement lisibles. le
premier avenement, dont la ruine de Jerusalem forme le trait
saillant, pourra etre prevu par une sage interpretation des signes
des temps, comme on escompte la venue de la belle saison d'apres
1'eveil printanier d'un figuier. Et tout ceci s'accomplira au
cours dela generation presente. Ce grand jour estproche.
Mais (itEpl 8i) , de signe decisif touchant la Parousie finale du
Fils de L'homme et la consommation du siecle il ne sera pas
donne. Car de ce Jour-la, le Pere s'est reserve la connaissance, ct
11 ne la partage avec personne. Tout ce qu'on en doit savoir, c'est
que ce jour ne s'annoncera pas plus qu'un eclair et que le coup de
filet enserrera dans ses mailles le genre humain tout entier. On ne
peut mieux le comparer qu'au deluge : Mt., xxiv, 37. Le cataclysme
alors surprit tous les contemporains de Noe, et ne laissa rien hors
de son atteinte : il en sera ainsi de la Parousie du Fils de
1 homme . Quant a la consommation du siecle, oruvTe^eia TOU
aiwvo? , elle indique toujours dans Matthieu la fin du monde, et est
invariablement consideree comme un terme eloigne : le temps de
la moisson apres toutes les vicissitudes de la lutte entre 1'ivraie et
le bon grain, Mt., xni, 39; la conclusion d'une longuejournee de
peche, Mt., xm, 49 ; etenfin, en clair, Tachevement de I'ceuvre apos-
tolique et de 1'expansion du Royaume de Dieu : Et voici, je suis
avec vous tous les jours, jusqu'a la consommation du siecle : I'M?
TV}; atmeXei'on; TOU atwvo; , Mt., xxvni, 20. La perspective ouverte par
ces derniers mots n'exclut-elle pas, a elle seule, 1'interpretation qui
attribuerait a Jesus 1'attente, et la prediction certaine, de 1'immi-
nence du dernier jifiur?
La structure m^me du discours, dans les divers evangelistes, est
tres digne d'attention, par le grand nombre de traits communs,
de paroles rythmees, de suites caracteristiques ct de points de
repere, encore visibles quand ils sont deplaces, que tous contien-
a CETTE GENERATION NE PASSERA PAS... 463
nent. Cette identite du fond, pour les parties communes, ne per-
met pas de douter qu'il y ait, a la base de notre triple synopse,
une premiere collection des oracles de Jesus sur ce sujet, un dis-
cours principal ou, prenant texle des batiments du Temple, le
Maitre avail prophetise, dans le style apocalyptique qui convenait
a ce jugement de Dieu, la ruine de Jerusalem, et ce qu'on peut
appeler son premier avenement. De la, et peut-tre tout d'une
haleine, il avait passe au second, a la Parousie, terme de 1'expan-
sion du Royaume sur terre : chacun de ces faits immenses avait
ete caracterise par des traits, dont la presence, dans nos redac-
tions actuelles, nous a permis de distinguer les plans.
Apres cela, une etude litteraire un peu poussee montre que cha-
cun de nos evangelistes a la, comme ailleurs, mais plusqu'ailleurs,
imprime sa marque propre a sa redaction. A c6te des paroles du
Seigneur qui figurent dans la triple synopse, il en est d'autres qui
sont propres a chaque version. Dans celle deMatthieu, cette partie
originale, sil'on prendle discours dans son entier, c'est-a-dire en y
comprenant le ch. xxv, qui en fait evidemment partie, egale, si elle
ne depasse en etendue, les parties communes. Ainsi que l'a tres
bien vu le P. Lagrange, dans le dernier des ouvrages oil il ait re-
pris la question, fivangile selon saint Matihieu, 1923, p. 454 suiv.,
le pole principal du discours passe, chez Matthieu, du premier avene-
ment au second. Des le debut, celui-ci est envisage, et 1'apotheose
finale le decrit avec ampleur. II en resulte une admirable compo-
sition , une veritable cuvTa^i; TWV xupiaxwv XOYI'WV a ce propos. Mais
si nous observons ce qu'elle ajoute aux autres, et comment s'in-
serent dans sa trame des paroles qui sont rapportees par Marc et
Luc ailleurs, dans des contextes plus naturels, nous devons recon-
naitre qu'il y a, dans ce vaste ensemble, une part de redaction
relativement considerable.
La comparaison de Marc et de Luc entre eux n'estpas moins
instructive.
NOTE G 2
RESURRECTIONS DE MORTS DANS LES RECITS
HELLENIQUES ET RABBINIQUES
Sur ce theme, voici, traduit integralement et litteralement, le
florilege collige par R. Bultmann : Die Geschichte der Synoptis-
chen Tradition, Goettingen, 1921, p. 143.
Resurrection de morts.
Fiebig (Jild. Wundergesch., 36 sniv.) cite un texte de la Mechilta qui
exprime la croyance d'apres laquelle un Rabbi pourrait ressusciter des
morts : toutefois, je ne connais aucune histoire d'origine juive, qui raconte
un fait de ce genre. An contraire, quelques-unes de ces histoires nous ont
ete conservees dans la tradition hellenistique. D'apres Weinreich, 172, la
resurrection des morts jouait un role dans la legende des philosophes :
Heraclide le Pontique racontaitune resurrection de mort opereeparEmpe-
docle(Diog. Laert., VIII, 6, 1) : 'HpaxXet'Sy)? [*EV y^P T * n P^ TJV arcvouv 8iY|p]<j<x-
(AEVo? &s 2Bo!-aaOY) 'EiiTceS'ox.X^s dbrocrcefXa; TTJV vexpav avOptojtov (Weinreich, 172,
1). Dieterich cite une formule magique jpour ressusciter les morts,
Abraxas, 167 suiv. (Kleine Texte, 79, p. 27; Reitzenstein, Hellenist. Wun-
dererzahl.,4.1, 3). Dans Lucien, Philops., 26, le medecin Antigonos demande:
TI 0au[xao-cdv;... eywyap olSii Ttva (JLETJC eixodTr)V ^[j.epav rj ?j Itaipr) avaaravia, Ospa-
ftEuaas xat Ttpb TOU Oavirou xa\ eTTEtBT) avsctr] TOV avOpconov. Et Alexandre
d'Abonotichos Se vante qiie ivt'ous 81 xa\ rjBr) a:roOavo'yTas ivaarrlcrstE (Llicien,
Alex., 24).
Philostrate raconte, VitaApollon., IV, 45, une histoire detaillee. Apollo-
nius rencontre le cercueil d'une fiancee, suivi par le fiance en larmes
avec d'autres gens en deuil ; Apollonius ressuscite la fiancee, npoaajc[jLEvo;
a - j7^s xa( TI acpavtos ETjetTcaSv.
Pline raconte 1'eveil d'un homme qui semblait mort : Hist, nat., VII,
124 (37) ; XXVI (III, 7), et la meme histoire reparait, embellie, dans Apu-
lee, Florida, 19 (Kl. Texte, 79, 18-20).
C'est tout, et c'est peu, quand on songe a 1'enorme masse des
deux litteratures, rabbinique ethellenique, qui a fourni ces glanes.
Encore perdent-elles a peu pros toute valeur de comparaison,
quand on prend la peine de les lire dans leur contexte.
Heraclide le Pontique, cite par Diogene Lae'rce, VIII, 11, ed. Co-
bet-Didot, p. 220, raconte en effet, a propos de la mort d'Empedo-
cle, que celui-ci ayant acquis de la gloire pour une femmequ'il
RESURRECTIONS DANS LES RECIT3 HELLENfQUES ET RABBINIQUES 465
aurait rappelee a la vie offrit un sacrifice suivi d'un banquet, au-
quel il invita sesamis, et que, le lendemain, on le chercha en vain.
Or le meme Diogene Laerce, a la memo place ct a pi'opos du
meme episode, rapporte la version d'Hermippe, precise et circons-
tanciee, d'apres laquclle, ayantgueriunecertainePanthee,femme
(T Agrigente, dont les medecins desesperaient, Empedocle offrit un
sacrifice enactions de graces, y invita quatre-vingts personnes , ct
.a la suite du banquet, disparut. Suivent d'autres versions de la
mort d'Empedocle. J. Bidez, La biographie d' Empedocle, Gand,
1894, p. 32 suiv., voit la une simple legende. Ettor. Bignone,
Empedocle, Studio critico, Turin, 1916, p. 72 et note, admettrait
la guerison d'une femme tombee en catalepsie .
La formule citee par Dieterich et Reitzenstein atteste seulement
la croyance de certains magiciens, estimant que 1'initiation con-
ieraitun tel pouvoir au theurge, que, par le moyen des paroles
ineffables il ne parlait plus en homme, mais participait au pou-
voir des dieux : yoir le texte du grand papyrus magique de Paris,
cite par H. Hubert, Magia, dans DAGR, III, 2, p. 1510, B.
Les citations de Lucien sont encore plus inoperantes. Dans le
dialogue intitule le Menteur par plaisir ou I'lncredule, les person-
n ages racontent une serie de contes incroyables, de plus fort en
plus fort! Cleodeme vient de dire qu'il a ete visitor les enfers, ouil
a ete presente a Pluton et a recueilli de sa bouche certaincs predic-
lions. Qu'y a-t-il d'etonnant a cela? riposta Antigonos. Je con-
nais bien un homme qui est ressuscite vingt jours apres qu'on
il'avait entcrre! Je Tai soigne avant sa mort, et depuis qu'il est
rcvenu a la vie. Et comment, lui dis-je, son corps n'a-t-il pas
ipoum pendant ces vingt jours, et n'est-il pas mort de faim, a
moins que vous n'ayez soigne la un autre Epimenide ( qui etait
cense avoir dormi cinquante ans de suite)! Philopseustes, 26;
trad. Eugene Talbot, II, p. 247.
Pour Alexandre d'Abonotichos, Lucien le presente comme un
maitre charlatan : II avait envoye dans les pays etrangers des
emissaires charges de semer chez les differents peuples des bruits
favorables... ils repandaient partout qu 1 Alexandre decouvrait et
faisait retrouver les esclaves fugitifs et les voleurs, denongait les
brigands, revelait les tresors caches, guerissait les malades, et
aneme avait ressuscite quelques morts ; Alexandre ou le Faux
Prophete, 24; Talbot, I, p. 463. Ce sont la de pures vantardises,
donnees comme telles, et Lucien est tres capable d'avoir corse le
dernier trait pour mieux camper son personnage.
Pline, et apres lui, Apulee, qui I'embellit en effet, conte une
JESUS cimisT. ii. 30
466 JESUS CHRIST.
Iiistoriette a 1'honneur d'Asclepiade, 1'un des princes delamede-
cine . II rencontre un homme qu'on tenait pour mort, et qu'on se
preparait a mettre en terre. Lui cependant 1'examine, note atten-
tivementquelques signes, palpe et repalpe le corps de 1'homme, y
trouve la vie qui s'y recele. Aussitot il crie : Get homme est
vivant, etc. . Apulee, Florida, 19, ed. Paul Vallette, 1924, p. 168.
Restele recit de Phil ostrate dans la vie d'Apollonius de Tyane,
ecrite precisement dans un but depropagande philosophique ; voir
plus haut, t. II, p. 219, note A 2 , Apollonius de Tyane et sa Vie .
. Une jeune fille nubile passait pour morte, son fiance suivait lelit
mortuaire en poussant des cris, comme il arrive quand 1'espoir d'un
hymen a etetrompe, et Rome entiere pleuraitaveclui, car la jeune
fille etait defamille con sulaire. Apollonius, s'etant trouve temoin
de ce deuil, s'ecria : Posez ce lit, je me charge d'arr^ter vos
larnies. Et il demanda le nom de la jeune fille. Presque tous les
assistants crurent qu'il allait prononcer un discours, comme il
s'en tient dans les funerailles pour exciter les larmes. Mais Apol-
lonius ne fit que toucher la jeune fille et balbutier quelques mots ;
et aussitot cette personne qu'on avait crue morte parut sortir du
sommeil. Elle poussa un cri et revint a la maison paternelle,
comme Alceste renduea la vie parHercule. Les parents firent pre-
sent a Apollonius de cent cinquante mille drachmes, qu'il donna
en dot a la jeune fille. Maintenant trouva-t-il en elle une derniere
etincelle de vie, qui avait echappe a ceux qui la soignaient? Car on
dit qu'il pleuvait et que le visage de la jeune fille lumait. Ou bien
la vie etait-elle en effet eteinte, et fut-elle rallumee par Apollonius?
Voila un probleme difficile a resoudre, non seulement pour moi,
mais pour les assistants eux-memes ; Vie d'Apollonius, IV, 45 ;
tr. Chassang, p. 184. Par son debut cet episode rappelle singulie-
rement, comme une replique pedantesque et empdtee, la resurrec-
tion du fils de la veuve de Nairn. Quoi qu'il en soit, 1'auteur lui-
meme ne prend pas sur lui de decider si la mort de la fiancee etait
apparente ou reelle.
En resume, dans 1'immense masse des recits populaires ou
legendaires de 1'Hellenisme, en depit du theme classique du retour
des enfers, la resurrection d'un mort ne figure quasimentjamais.
Dans les trois ou quatre traits qu'on peut citer, 1'hypothese de la
mort apparente est defendue, ou comme certaine ou comme plau-
sible, par le narrateur. Je ne sais sur quels textes se fonde M. Ch.
Guignebert pour affirmer que : II y a dans la tradition pai'ennc
des premiers temps de 1'Empire une abondance de resurrections.
Non seulement Alexandre d'Abonotique, mais Apollonius de Tyane
RESURRECTIONS DANS LES RECITS HELL^NIQUES ET RABB1NIQUBS. 467
aussi ressuscite. Ce n'etait pas evidemment quelque chose d'abso-
lument courant, mais tout de meme c'etait une chose reconnue
comme parfaitement faisable ; Actes du Congres International
d'Histoire des Religions de 1923, Paris, 1925, II, p. 252. On a vu ce
qu'il faut penser des deux faits allegues. Quant aux autres, nous les
attendons.
La litterature rabbinique n'est pas moins pauvre. Le passage de
la Mekilta Vajehi, ed. M. Friedmann, 1870, p. 53 b, auquel fait
allusion P. Fiebig, Judische Wundergeschichten des NT Zeitalters,
Tubingen, 1911, p. 36, 37, raconte apropos de la crainte reyeren-
tielle due aux Rabbis, que Giezi, serviteur du prophete JElisee,
charge par son maitre d'aller deposer son baton sur 1'enfant de la
Sunamite (II (IV) Reg. iv, 29), fut interpelle par des passants :
Ou vas-tu, Giezi ? II repondit : Rendre un mort a la vie !
Et comme on lui objectait que cela etait au dela de ses forces, que
lahve seul donne ou 6te la vie, Giezi leur dit : Mon maitre
(Rabbi) aussi tue et donne vie ! C'est la une anecdote destinee
a rehausser la personne du grand prophete et, indirectement,
les maitres qui ont herite de sa place et de son nom, les Rabbis.
II ne s'ensuit nullement que ces derniers puissent, comme Elisee,
ressusciter des morts*
Quant aux faits de resurrection, Bultmann dit n'en connaitre
aucun. En realite, il y en a, mais extrSmement peu, eu egard a la
quantite d'ceuvres merveilleuses attributes aux Rabbis. P. Fietygj
loc. laud., p. 37, mentionne le principal, mais n'en fait pas etat,
ce recit figurant dans un morceau de basse epoque, posterieur
aux bornes qu'il a fixees a son enquete. Strack et Billerbeck,
KTM, I, p. 560, le citent au long sous sa double forme : il est, dans
les deux cas, rapporte a 1'ecole du celebre maitre Jehuda ha-Nasi.
le compilateur de la Mischna, vers 200 apres Jesus Christ, et fait
partie du cycle d'anecdotes qui mettent le Rabbi en rapport avec
1'empereur Antonin (sur I'identitS de cet Antonin , et 1'his-
toricite de ces rapports : H. L. Strack, Einleitung im Talmud und
Midras 5 , 1921, p. 133). La morale de ces deux traits est la meme :
Aaron et ses fils , Lev., vm 10 c'est-a-dire, figurement, le
Rabbi et ses eleves sont capables des gestes les plus extraor-
dinaires, conformement a ce qui est ecrit, Proverbes, xxiv, 11 :
Delivre ceux qu'on mene a la mort
et ceux qu'on conduit au supplice, arrete-les en chemin!
Un jour done, Antonin vint chez le Rabbi et le trouva entoure
de ses eleves : Sont-ce la ces disciples dont tu dis merveilles ?
468 JESUS CHRIST.
Certes ! Et le moindre d'entre eux peut ressusciter les morts !
Peu de jours apres, un serviteiir d'Antonin mourut; son maitre fit
dire au Rabbi : Envoie-moi done un de ces disciples qui font revi-
vre les morts ! II lui depecha un de ses eleves : d'aucuns disent
R. Simeon b. Chalaphta, qui trouva le serviteur etendu tout de son
long, et lui dit : Comment restes-tu ainsi etendu, pendant que ton
maitre se tient debout? Et le serviteur remua et se tint debout'
L'autre anecdote est encore plus fantastique. Antonin avait
un passage souterrain qui mettait sa demeure en communication
avec celle du Rabbi : chaque jour il prenait avec lui deux esclaves,
et tuait 1'un devant la porte du Rabbi, 1'autre devant sa propre
porte, et, pour que ces entrevues restassent secretes, il avait dit aii
Rabbi : Je ne veux, quand je viens chez toi, rencontrer personne. >>
Un beau jour, cependant, il rencontra en arrivant R. Chanina b.
Chama, un des eleves du Rabbi, et s'ecria : Ne t'ai-je pas dit :
quand je viens chez toi, je ne veux rencontrer personne? Aussi
bien, repondit le Rabbi, celui-ci n'est pas un homme (mais plus
qu'un homme) ! En ce cas, dit 1'empereur, qu'il aille dire a 1'es-
clave qui est a la porte de venir. R. Chanina alia voir, et trouva
1'esclave mort. Tres embarrasse, il se dit : Que faire? Si je reviens
dire que Thomme est mort, je porte un message de mauvais
augure. Si je le laisse la, j'aurai Fair de faire peu de cas de la
puissance imperiale! II implora done la Misericorde pour 1'esclave,
le ramena a la vie et le fit entrer. Sur quoi Antonin : Je sais de
reste que le dernier de ceux qui sont avec vous, remet les morts en
vie : tout de meme, quand je viens, je ne veux rencontrer personne
chez toi !
Dans la meme veine, le traite Baba Qamma (cite par Strack et
Billerbeck, KTM, II, p. 545) dit queR. Jochanan (f 279 ap. J. C.)
s'apercevant que Rab Kahana avait les levres pincees, s'imagina
qu'il riait de lui. La-dessus il perdit le sens, de colere, et assena un
tel regard a Rab Kahana, que celui-ci en mourut. Le lendemain,
R. Jochanan dit aux Rabbis : Avez-vous vu ce que le Babylonien
(Rab Kahana) a fait? Mais eux : C'est sa facon habituelle de
tenir les levres ; (il n' avait done pas de mechante intention). La-
dessus, R. Jochanan alia sur la tombe de R. Kahana, et vit un
serpent qui 1'entourait. II lui dit : Serpent, serpent, ouvre la
porte, pour que le maitre entre pres de son disciple ! Le serpent
n'ouvrit pas (ne livra pas passage). II lui dit : Pour que le
collegue entre pres de son collegue! Le serpent n'ouvrit pas.
Pour que le disciple entre pres de son maitre ! Alors le serpent
ouvrit. R. Jochanan implora la Misericorde (c'est-a-dire Dieu) et fit
RESURRECTIONS DANS LES RECITS HELLENIQUES ET RABBIN1QUES. 469
revivre Rab Kahana. II lui dit : Si j'avais su que c'etait 1'habitude
du Maitre, je n'aurais pas perdu le sens. Maintenant le Maitre peut
revenir parmi nous. Rab Kahana repondit : Si tu peux obtenir
que je ne meure plus, je viens. Sinon, je ne viens pas : quand
1'heure est passee, elle est passee ; (c'est-a-dire : le miracle ne se
reproduirait peut-etre pas une autre fois) . II le reveilla, le redressa,
et 1'interrogea sur tous ses doutes que Rab Kahana eclaircit.
Desrecits encore posterieurs, pour mettre en relief les rejouis-
sances de la fete des Purim ^ JE, X, p. 274-279, nous content que
Raba, celebre maftre de la quatrieme generation des Amoraim,
mort a Babylone en 352 (H. L. Strack, Einleitung, p. 145), avait
dit qu'on doit ce jour-la s'enivrer jusqu'a ne plus distinguer entre
les cris : Maudit soil Aman! etBenisoit Mardochee! Deux rabbis,
Rabbah b. Nachmani et R. Ze'ira se rencontrerent done au banquet
des Purim. Rabbah s'enivra si bien qu'il tua son collegue. Le len-
demain, il implora la Misericorde et ressuscita sa victime. On lui
disait dans la suite : Fasse le ciel que nous nous rencontrions un
jour de Purim ! Mais il repondit : Les miracles ,n'ont pas lieu
tous les jours ! .
Ainsi completee, la collection reunie par Bultmann n'acquiert
pas, on Tavouera, beaucoup plus de force. Dans leur contexte, ces
traits prennent leur veritable caractere, qui est d'illustrer, d'une
fagon frappante, une these chere aux rabbins. Us ressortissent
plut6t a 1'apologue, au jnachal, qu'a Thistoire, et la resurrection y
joue un role manifestement commande par le but de l'6pisode.
Leur raret^, par ailleurs, merite reflexion, quand on sait le cas
que les compilateurs et commentateurs de la Mischna faisaient
du cycle biblique des miracles oper6s par les grands prophetes :
JE, s. Y. Elijah, Elisha^ Gehazi, V, p. 122 suiv. ; 136 suiv.; 580.
NOTE H 2
AAIMOXEZ ET DEMONS
Le mot oat.uwv est tres ancien, et son etymologic reste douteuse.
On peut, avec probabilite, rattacher Sat'^wv a Saiopou, partager, dis~
tribuer, ce qui donne a Forigine le sens assez satisfaisant de dis-
pensateur, distributeur, celui qui fait les parts. Voir E. Boisacq,
Dictionnaire etymologique de la langue .grecque, 1916, p. 162.
La monographie la plus solide reste encore celle de J. A. Hild,
Etude sur les demons dans la lilterature et la philosophic des
Grecs, Paris, 1881, resumee par 1'auteur : Daemon, dans DAGR,
II, 1, p. 9-19, a completer par le savant memoire d' Andres dans le
3 e Supplement de la RECA de Pauly-Wissowa-Kroll, Stuttgart,
1918, col. 267-322. On peut consulter les etudes de Abt, Die Apologie
desApuleius von Madaura unddie antike Zauberei, Giessen, 1908,
etdeJ, Zambornino, De AntiquorumDaemonismo, Giessen, 1909,
RVV, IV, 2 et VII, 3; Paul Vallette, L' Apologie d'Apulee, Paris,
1908, p. 221-263; et 1'excellent Commentaire de J. P. Waltzing sur
VApologetique de Tertullien, Liege, 1919, p. 103-116.
Les articles de von Sybel, Daimon, dans Roscher, LGRM, I,
col. 938, 939; de Waser, Daimon dans RECA, IV, 2, coL 2010-
2012 ; de Ch. Michel, Les bons et les jnauvais esprits dans les
croyances populaires de Tancienne Grece, dans RHLR, II, 1, 1910,
p. 192-215, sontplutot decevants.
Des chapitres de cette histoire ont ete plus completement ecrits
en ce qui touche les Satfjiove? d'origine mortelle : iv0pw7roSai^ove<;, vexu-
Si|xove^ dans la Psyche d'Erwin Rohde, 1893, 8 edition par F. Bol
et 0. Weinreich, 1920; trad, anglaise W. B. Hillis, London, 1925;
sur les manes chez les Romains, J. P. Jacobsen, Les Manes, tr.
E. Philipot, I, Paris, 1925, p. 18-179 ; les demons a formes ani-
males, dans le memoire de R. Wunsch, Tierdaemonen dans Ros-
cher, LGRM, V, 1924, col. 937-953 ; les demons de Plutarque
et, en general, des philosophes, dans B. Latzarus, Les idees reli-
gieuses de Plutarque, Paris, 1920, ch. x, p. 98-120.
L'ensemble des faits a comparer est commodement reuni dans
les vingt memoires de ERE, Demons and Spirits, IV, p. 565-636.
470
AAIMONE2 ET DEMONS. 471
Sur les rapports du christianisme antique avec la demonologie,
voir Andres, Die Engel-und Daemonenlehre der griech. Apologeten
des II lahrh. und ihre \erhaeltnis z. griech -rom. Daemojiologie,
Paderborn, 1914.
Dans Homere, Saipwv est, en gros, synonyme de 650?. Plus preci-
sement, il designe la puissance souveraine a laquelle participent
les dieux et qui regie, pour heur ou malheur, mais d'une fagon ine-
luctable, le sort des mortels. On voit s'esquisser la le concept
posterieurde la Fortune (Tyche). Hesiode voit dans les Saty-ove? des
etres surhumains, des personnages de 1'age d'o'r, devenus media-
teurs entre les liommes et les dieux. II leur prete en consequence
un role, generalement bienveillant, de vigilance et d'intervention,
devolu jusque-la aux seules divinites.
Les anciens philosophes : Heraclite, Democrite', Empedocle
appelerent encore 8ai{xwv 1'element superieur, dme ou esprit, par
quoi rhomme participe, selon eux, au divin universel, ame unique
de 1'univers. En ce sens, qui .rejoint 1'acception homerique pre-
miere, et se maintiendra jusqu'au bout, notamment dans les in-
scriptions, to Si|xovtov est a peu pres synonyme dexb ftetov : le numen
divin, dont le sort des mortels depend, etou ce sort est inscrit.
C'est toutefois la notion hesiodique qui connut la plus grancle
fortune. Auxiliaires et interpretes des dieux, les Sa Cloves TrpoTto)ioi
furent innombrables, et tres populaires : ainsi Themis, Nemesis,
Dike, les Muses, les Parques, les Grdces, les Heures. Les plus re-
doutables, parmi ces demons, par consequent les plus invoques,
sont ceux qui servent d'intermediaires et de satellites aux divinites
infernales, telles que Hades, Demeter et Core-Proserpine. Terriens
et souterrains (chthoniens et hypochthoniens), ces demons: Hypnos,
Thanatos, Ate, Ananke, Bia, Phobos, les Songes, les Erinyes et
autres compagnes de la fatale Hecate dans ses courses nocturnes,
jouent dans la Fable, et dans la croyance des peuples, un role con-
siderable. Voir la-dessus E. Rohde, Psyche*, Append. VI et VII,
Hekate and .the 'Exa-nxi tpacr^ofTa ; Hillis, p. 590-595.
C'est a cette notion de demons individualises, intermediaires
entre les dieux et les mortels, participant a la puissance des pre-
miers et aux imperfections des seconds, que, docile peut-etre a
une vieille inspiration prphique, se rallia Platon, dont 1'influence
fut immense sur 1'elite pensante. II attribua formellement un de-
mon a chaque homme, et la definition mise par lui dans la bouche de
Socrate : rcav TO 5at(/.o'viov [jLEta^u IffTi Osou T xal OVTQTOU, Banquet, 202 D,
lit autorite. Son disciple Xenocrate developpa la these dualistc,
repartissant les demons en deux classes, les bons et les mauvais.
472 JESUS CHRIST.
Les poetes, notamment les tragiques, exploiterent le c6te pathe-
tique de cette croyance, et firent beaucoup pour introduire dans-
la categorie des Sai^ove*; les manes des heros, ames desincarnees
des morts illustres. Ainsi enrichi, le monde d^monique pourvut
d'un double, congu d'ailleurs bien diversement, mais ordinairement
sous une forme vaguement spirituelle, le monde humain tout
entier. On preta des demons non seulement aux heros, mais a cha-
que individu, a chaque famille, aux lieux et aux cit6s, aux actes
majeurs de la vie, aux professions, etc...
Mais alors meme qu'ils furent personnifies, nommes, parfois
nantis d'une legende et d'un culte, les Satfxov?; n'acquirent jamais le-
relief intense des grands dieux ou des heros. Us restent plut6t des-
influences que des figures distinctes. Les bons demons sont
favorables, porte-bonheur, et les mediants demons , nefastes.
redoutables : leur caractere moral est inexistant ou extremement
faible. Commentant Virgile, Aenetd., VI, 743, Servius dit bien :
Cum nascimur, duos genios sortimur : unus hortatur ad bona,
alter depravat ad mala . Mais Serfius ecrivait au v e siecle de notre
ere. Voir Andres, Daimon, dans RECA, Supplement, 3, col. 287
suiv., sur les demons gardiens .
Ce qu'on craint dans les demons, ce qu'onvenere, ce qu'on essaic-
de prevenir, d'apaiser, de capter, c'est Vinslrument et I'interprete
du mystere de nos destinees, qu'ils sont censes etre. Tout ce qui
interessele sort des mortels, tout ce qui le presage, 1'annonce, ou
est capable de 1'ameliorer, de le changer, de le briser, de 1'accom-
plir, d'un mot, tout ce qui est fatidique, rentre de droit dans le
cercle d&nonique. Sans doute, les Scupove? no font pas les destins,
mais c'est par eux qu'on a chance d'en connaitre quelque chose, et
de les influencer dans la mesure du possible. Bons ou mauvais-
genies, ils sont eux-memes soumis et lies, mais par une chaine
moms etroite, et qui permct un certain jeu dont ils peuvent nous-
i'aire profiter, aux decisions de la Destinee, sous quelque forme
d'ailleurs : identifie avec lavolonte de Zeus, ou anterieur et superieur
a celle-ci, qu'on imagindt le Fatum.
Quant a la SeiuiSaifxovta proprement dite, d'abord veneration inten-
sive du divin, peu a peu degradee jusqu'a la superstition, avec
toutes ses suites pueriles, morbides ou perverses, elle doit, en
grande partie. son origine et sa deviation au culte, si repandu, des
demons infernaux, dont elle est, a vrai dire, la forme gauche et
scrupuleuse.
La difference la plus essentielle entre la demonologie hellenique
et la juive, c'est que, chez celle-ci, par suite du monotheisme con-
AAIMONE2 BT DEMONS. 473
sequent d' Israel, les esprits intermediaires, bienveillantsoumalins,
n'pnt pas le caractere fatal, vaguement divin, et le plus souvent
amoral, des oai^ovsc. Creatures proprement dites, ils restent. rebelles
ou fideles, dans une dependance constante de lahve.
Dans les Apocryphes contemporains du Christ, ou anterieurs, en
remontant jusqu'aux temps macchabeens, la terminologie est encore
tres confuse, et les conceptions melees : voir E. Mangenot dans
DTC, IV, 1, col. 328 suiv. ; et, sur 1'angelologie du document Sa-
docite, J. B. Frey, dans DBVS, I, col. 401. Le Lwre (FHenoch, qui
exerga une si vaste influence, distingue deux grandes categories
d'esprits, nettement tranchees : ceux qui sont fideles au Seigneur
des esprits , bienveillants, bons, et ceux qui sont infideles, enne-
mis dubien et des bons. Maisparmi ces derniers, ily a des classes
fort differentes. Par exemple les satans des Paraboles, bien
qu'ils soient accusateurs d'oflice des elus et adversaires-nes, peu-
vent se presenter devant le Seigneur, et ne sont pas voues, comme
d'autres anges dechus, aux tourments localises de 1'enfer. Voir
F. Martin, Ze Lwre d'Henoch, p. xxvi-xxxi.Il faut observer toute-
fois que Satan, personnage unique, estdesigne : LIV, 6, comme le
chef des esprits celestes qui jadis pervertirent la terre ; Leon
Gry, Les Paraboles d'Henoch, 1910, p. 59-60. En realite, 1'angelo-
logie touffue de ce recueil tres composite, parvenu a nous a tra-
vers une mediocre tradition litteraire, ne se laisse pas sans violence
ramener a 1'unite.
Par contre, et ceci est extremement notable, dans le Nouveau
Testament, les Sctt'pove? (bien plus souvent oat[*ovi) sont toujours
mechants, et opposes contradictoirement aux anges, instruments
deDieu pour le bien. Les esprits, imuiJiata, quandil s'agitde demons,
sont qualifies de malms (rowjpflf, 6 fois), impurs (dtxaOxpta, 23 fois),
au lieu que Sat(/.ov(eff0at (13 fois), e^eiv Saifxoviov, etc., s'entendent
d'eux-memes. Luc reunit une fois ces deux notions : lyew imufjia
oi.oviou axaOaptou, iv, 33; mais c'est la presence de7cveu(x qui appelle
le qualificatif. La seule exception au sens pejoratif de Satjjiovtov, et
elle confirme la regie, puisque ce sont des Hellenes pai'ens qui par-
lent, est dans lesActes, xvn, 18 : Et d'autres (Atheniens) disaient :
II (Paul) semble etre un prcheur de divinites etrangeres, parce
qu'il annoncait Jesus et la Resurrection : Sevwv SatjjLovfwv Som xa-
TaYY^^<: ?vai. Voir sur ce texte E. Jacquier, Les Actes des Apo-
tres, 1926, p. 524. Sur 1'usage evangelique des termes, J. Smit,
De Daemoniacis in historia evangelica, Rome, 1913, p. 173 suiv.;
et sur 1'usage paulinien, Ferd. Prat, La Theologie de saint Paul,
II 6 S 1923, Note P : Anges et Demons.
NOTE I 2
ROIS DIVINS ET ROIS GUERISSEURS
Une croyance existe, assez repandue et cultivee delibere*ment
en certains pays, d'apres laquelle les rois tiennent des dieux, dont
ils ne sont pas les simples representants, mais les descendants,
les heritiers, et meme 1'incarnation vivante, une puissance uni-
verselle, non encore difTerenciee. Cette croyance s'est el.aboree
quelquefois en un systeme religieux et politique complet, dont le
Japon shintoi'stc et 1'Egypte ancienne offrent les exemples les plus
frappants. Sur 1'Egypte, voir en particulier A. Moret, La Royaute
dans VEgypte primitive : Pharaon et Totem, dans Mysteres Egyp-
tiens, Paris, 1923, p. 143-199; et Le Nil et la Civilisation Egyp-
tienne, Paris, 1926, I, ch. in et iv; et II, ch. i et n, p. 68-219. De
ces rdis^ successeurs des dieux et investis de leur puissance, on
trouve ailleurs des exemples, cliez les peuples civilises, et les
peuples dits non-civilises.
Ces faits ont ete mis en un vif relief et expliques d'une fagon
tres contestable, pour ne rien dire de plus, par Sir J. G. Frazer,
dans les vastes ouvrages qu'il a consacres a la question : Lectures
on the early History of Kingship >, reedite sous le titre The Magical
Origin of Kings; tr. fr. P. H. Loyson, Les Origines Magiques de
la Royaute, Paris, 1920 ; et les deux premiers volumes de 1'edition
definitive du Rameau d'Or, The Golden Bough 3 , Part. I, The
Magic Art and the Evolution of Kings. Les idees de Frazer ont ete
adoptees, et adaptees a la sociologie de Durkheim, par G. Davy
et A. Moret, Des Clans aux Empires, L' Organisation Sociale chez
les Primitifs et dans I'Orient ancien, Paris, 1923. L'hypothese
fondamentale est que lorsqu'un certain nombre de tribus ou clans
totemiques, et Ton sait que pour Durkheim (car Sir J. G. Frazer
est revenu la-dessus a des idees plus sages dans Tolemism and
Exogamy] 1'organisation totemique est un stade pratiquement
universel, se transforment en monarchic, le mana, le pouvoir
magique jusque-la diffus dansle clan, se concentre dans lapersonne
du chef unique, qui devient ainsi comme le dieu de son peuple.
Des textes certains, inclependants de ces hypotheses et ne par-
ROIS DIVINS ET ROI8 GUEUISSEURS. 475
ticipant done pas a leur caducite, nous montrent en tout cas les
Pharaons en Egypte (comme plus tard le Mikado au Japon, a cer-
taines epoques) veneres sur terre comme la force primordiale
des etres et des choses . ' Le Roi, enseigne a ses enfants, vers
1' an 2. 000 avant Je"sus Christ,, un noble de la XII 6 dynastie, c'est
le dieu Sa (la science) qui est dans les coeurs (les esprits) ; ses yeux
explorent toute conscience; c'est Ra, il est visible par ses rayons,
il eclaire les deux terres plus que le disque solaire, il fait germer
la terre plus que le Nil en crue, quand il remplit les deux terres de
force et de vie... Stele de Sehetepibra, citee par Moret, Mysteres
figyptiens, 1923, p. 171. Cette conception qui persevera jusque
dans le Nouvel Empire : G. Jequier, Histoire de la Civilisation
Egyptienne, Paris, 1923, p. 283 suiv., se transmit dans une large
mesure, avec les titres des Pharaons, aux Ptolemees.
Dans 1 Hellenisme, c'est Philippe de Macedoine, nous disent
les historiens grecs, qui le premier osa s'associer aux dieux
immortels . Son fils Alexandre, non seulement continua la tra-
dition, mais, par son immense prestige dans le monde oriental
tout entier, 1'etablit. Elle persista pour ses successeurs, non en
Macedoine, mais en Egypte et en Syrie. Voir E. Beuiiier, De
divinis honoribus quos acceperunt Alexander et successores ejus,
Paris, 1890; et Jul. Kaerst, Geschichte des Hellenismus*, Leipzig,
1917, I, p. 476 suiv.
A Rome, Fapotheose imperiale, timidement commencee da
vivant de Jules Cesar, s'accomplit apres sa mort et se transmit
depuis, non sans resistance en Occident, mais avec des conse-
quences politiques et religieuses d'une immense portee. Voir
E. Beurlier, Essai sur le culte rendu aux Empereurs Remains,
Paris, 1890, ou le sujet est traite tres solidement.
La divinite des rois. qu'elle soit congue comme heritee selon
la conception la plus ancienne et la plus repandue, ou qu'elle se
presente comme le resultat d'une apotheose, a pour consequence
1'exercice d'un pouvoir divin, ou quasi divin. La-dessus, le temps,
les caracteres differents des peuples, leur organisation sociale,
la secularisation croissante des services, la distinction des pouvoirs
spirituel et temporel, amenerent de grandes inegalites dans la
pratique. L'apotheose posthume permit aux empereurs remains
d'esquiver les requites indiscretes et les devoirs compromettants.
Mais la meme ou le pouvoir divin du prince prit et garda un
caractere relativement platonique, quant a son exercice extraordi-
naire, 1'idee populaire se maintint. Dans les regions habituees aux
rois, successeurs des dieux, comme la Syrie et surtout 1'Egypte,
476 JESUS CHRIST.
beaucoup croyaient ce pouvoir sans bornes. C'est ainsi qu'en
Alexandrie deux pauvres heres, avertis par Serapis , deman.
dcrent a Vespasien, alors candidat a 1'Empire. de les guerir, 1'un
d'un mal d'yeux, 1'autre d'une faiblesse dela jambe (d'apresSuetone,
Vespasieji, 7), ou dela main (d'apres Tacite, Histoires, IV, 8 et Dion
Cassius, LXVI, 8). Les chroniqueurs assurent que le futur empe-
reur he'sita beaucoup. Ala fin, dit Tacite, il ordonne aux medecins
d'apprecier si cette cecite et cette paralysie pouvaient etre vaincues
par des moyens humains. Les medecins, apres avoir developpe
des arguments divers, repondirent que des deux infirmes, 1'un
n'avait pas la force visuelle rongee et qu'elle reviendrait si on
chassait 1'obstacle; 1'autre avait les articulations devices et, si on
exerc.ait sur elles une pression salutaire, elles pourraient reprendre
la position normale;... enfin, que si le remede etait efficace, la
gloire en appartiendrait au prince, tandis que s'il etait vain, le
ridicule en serait pour ces miserables. Done Vespasien, persuade
que tout serait possible a sa fortune, ... prit un air satisfait, et, au
milieu de la foule qui etait la, 1'attention eveillee, il executa ce qui
lui etait prescrit (c'est-a-dire qu'il mit de sa salive sur les joues et
autour des yeux du premier patient, et qu'il foula de son pied la
main ou la jambe du second). Aussitot la main reprit ses fonctions,
et 1'aveugle vit de nouveau briller le jour. Tacite, loc. cit., tr.
II. Goelzer, 1924, p. 284.
Nous voyons la comment s'etablit le lien entre le roi, heritier
des dieux, et le pouvoir de guerir. C'est Serapis, le grand dieu
guerisseur, qui envoie ses pratiques a Vespasien : si ce dernier les
guerit, ce sera une designation divine, une adoption. Dans le
cas, le dieu fit bien les choses : il fut pour Vespasien le plus
ingenieux des courtisans , dit Bouche-Leclercq, Histoire de la
Divination dans VAntiquite, HI, 1880, p. 382, qui croit a un
artifice concerte avec les pretres de Serapis. Quoi qu'il en soit, le
futur empereur, convaincu ou non, voulut consulter ce dieu qui
1'avait choisi pour accomplir ses desseins; il s'enferma dans son
temple et il y eut, parait-il, une sorte d'hallucination . G. Lafaye,
Hisloire du Culte des Div inites d' Alexandrie, Paris, 1884, p. 60, 61.
II n'y a pas lieu, croyons-nous, de se montrer sceptique sur la
possibilite des faits, qui ne semblent pas depasser, dans le cas,
les pouvoirs de la suggestion. Quant a la realite des maladies et,
par consequent, des guerisons, le caractere politique, si manifesto
dans tout 1'episode, ne permet pas de porter up jugement assure.
Tacite note que ces miracula etaient destines a manifester la
faveur celeste et la sympathie des dieux pour Vespasien , alors en
ROIS DIVINS ET ROIS GTJERISSEURS. 477
instance d'empire. Quand on salt 1'impudente campagne menec
alors par Josephe en favour des Flavii, le concours de flatterie
qui mettait tout 1'Orient aiix prises (E. Renan, L'Antechrist, p. 492),
et enfin, quand on se souvient que le gouverneur d'Alexandrie etait
le juif rallie Tibere Alexandre, qui avait ,pris parti pour Vespasien,
on jugera qu'une grande reserve s'impose.
A plus forte raison, les histoires d'aveugles gueris par Hadrien
sont-elles negligeables. Une femme, avertie en songe de conseiller
a 1'empereur de ne pas se tuer et privee de la vue pour ne 1' avoir
pas fait, obeit a un second songe lui promettant la guerison si
elle transmettait son message. Elle le transmet, et est guerie. Un
aveugle de naissance, venu de Pannonie, guerit Tempereur de la
fievre en le touchant et fut, du meme coup, gueri de sa cecite. Le
compilateur Spartien, qui raconte ces episodes dans VHistoire
Auguste (Hadrien, XXIII), ajoute que Marius Maximus, sa source
unique apparemment, attribue lui-m&me ces prodiges a la fraude :
quamvis Marius Maximus haec per simulationem facta comme-
moret . L'entourage du prince, voulant le detourner du suicide,
avait imagine ces artifices.
La conception religieuse de 1'autorite commise a Tempereur,
chef designe par la Divinite, survecut, on le sait, au paganisme.
Elle passa a Constantin et a ses successeur,s Chretiens, de la Rome
ancienne et de la seconde Rome, Byzance. Les empereurs, dit
justement Alb. Grenier, persisterent a considerer la direction des
hoses religieuses comme Tune des fonctions essentielles de leur
pouvoir ; Le Genie Romain dans la Religion, la Pensee et I' Art,
Paris, 1925, p. 461.
II ne faut pas toutefois abuser de cette constatation et croire
que rien ne fut change, ou conclure de la survivance des formes a
1'identite des pensees qu'elles traduisent : les rites evoluent plus
lentement que les croyances; des ceremonies, des formules, qui
furent d'abord une liturgie, peuvent se degrader et devenir enfm
un protocole. Voir la-dessus les observations decisives de L. Brehicr
ct P. Batiffol, Les Survivances du, Culle imperial romain a
Vepoque chretienne et byzantine, A pj'opos des rites shintoi'stes,
Paris, 1920.
Pareillement, dans le cas si interessant des rois thaumaturges,
en France et en Angleterre, doit-on se garder de voir une suite,
ou une replique a pcine demarquee des rois successeurs des dieux
ct, comme tels, guerisseurs. L'auteur du plus recent memoire sur
la question, M. Marc Bloch, resiste avec une sagesse meritoire aux
478 JESUS CHIUST.
inductions aventureuses de Sir J. G. Frazer et de son ecole. Sans
doute, certains princes de la famille de Clovis, et plus encore les
Carolingiens, se reclamerent-ils des traditions imperiales, et des
prerogatives attachees a cette fonction, crue de droit divin. Mais
parmi les prerogatives, <jue la conception chretienne rattacha
vers le vii e -vm e siecle, non plus au sang ou a une designation
immediate, mais a la ceremonie biblique et quasi sacerdotale du
sacre, de 1'onction, le pouvoir de guerir les malades ne figure pas.
Aussi le seul lien retenu par 1'histoire des rois thaumaturges entre
la conception ancienne et celle qui prevalut en Angleterre et en
France, a partir du x siecle, est-il celui du sacre . L'onction
chrismatique des rois Chretiens, en les faisant passer dans cette
categoric du sacre , les aurait rendus aptes a 6tre les instru-
ments privilegies de la Divinite. Dans cette generalite, la these
est incontestable, mais ces considerations ne suffisent pas a
expliquer, comme M. Blochle reconnait de bonne grace, 1'appa-
rition en France et en Angleterre du rite du toucher miraculeux.
Sur tout cela, Marc Bloch, Les Rois Thaumaturges } Etude sur le
Caraclere surnaturel attribue a la Puissance royale, particulie-
reinent en France et en Angleterre, Strasbourg et Paris, 1924,
ch. n, p. 51-75. Ibid., bibliographic complete du sujet, p. 1-14.
Les premiers rois dont nous sachions qu'ils aient revendique
comme possedant, au titre royal r hereditaire, en tant que represen-
tarits et christs du Seigneur , le don de guerir en les touchant
les malades atteints des ecrouelles (affection scrofuleuse, adenite
tubcrculeuse ganglionnaire), sont : en France, Philippe I or (1060-
1108). petit-fils de Robert II, considere lui-meme comme thauma-
turge sans qu'on puisse dire si son pouvoir en ce point venait
de sa 1'onction royale ou de sa saintete personnelle ; et en Angle-
terre. Henri I er Beauclerc, devenu roi en 1100, dont le pouvoir
guerisseur remontait, selon la version officielle, sans doute pos-
terieure. au roi Edouard le Confesseur. Quoi qu'il en soit de leur
origine. les deux traditions se maintinrent pendant tout leMoyen
Age, et an dela meme, interrompues seulement en Angleterre par
la Rei'ormc, en France par la Revolution. Encore, un dernier
toucher du roi eut-il lieu a Reims, le 31 mars 1825, apres le
sacre de Charles X.
Nous n'avons pas a raconter ici 1'histoire de ce rite, qui fut imite
en d'autres contrees chretiennes, mais sporadiquement. En Angle-
terre et en France, au contraire, il se pratiqua pendant de longs
siecles, regulierement, officiellement, provoquant des emotions,
des pelerinages, des guerisons; tout un cycle d'habitudes, de
HOIS DIVINS ET ROIS GUERISSEURS. 479
crpyances et de legendes. On trouvera les details, avec 1'indication
des sources, dans les Rois Thaumaturges de M. Bloch, livre II,
p. 89-409.
Le seul point qui doive nous arreter ici, c'est qu'entre le don
divin, charismatique, exerce paries rois de France et d'Angleterre,
de guerir par le toucher un certain genre de maladies on attri-
buera posterieurement un pouvoir thaumaturgique a 1'eau dans
laquelle le roi s'etait lave les mains apres avoir touche les scro-
fuleux, ou aux pieces de monnaie remises a ceux qui venaient se
faire guerir et le pouvoir illimite, attribue jadis aux Rois, suc-
cesseurs des dieux, il n'y a continuite ni historique, ni logique.
Tout au plus, les deux traditions ont-elles en commun la croyance
que le roi legitime, 1'clu de Dieu, possede par le fait meme un
caractere sacre et des prerogatives tres speciales, allant parfois
jusqu'au miracle.
Mais tandis que Fancienne conception place le prince dans
1'ordre divin, la conception chretienne maintient les distances,
et fait remonter le bienfait a sa source, la mediation royale etant
tout instrumentalc. La formule en usage, dans le rite franc,ais,
depuis le xvi e siccle : Le Roi te touche, Dieute guerit , exprime
ce que les gestes traditionnels : priere anterieure, imploration,
beniediction, paroles saintes et devotes , etc., contenaient depuis
toujours. Voir M. Bloch, Les Rois Thaumaturges, p. 90 suiv. sur
les rites frangais et anglais, avec les textes cites. Quoi qu'on doive
done penser de la realite des faits et il est difficile de les revo-
quer tous en doute, en face du nombre, de la continuite et de la
diversite des temoignages les Rois Chretiens guerisseurs ne
doivent pas etre confondus avec les Rois divins d'Egypte et
d'ailleurs.
NOTE Jo
LA FOI QUI GUERIT
L'expression est nouvelle, mais Tidee ancienne. Charcot, qui
Ta mise a la mode sur la fin du xix e siecle, attachait au role de
la foi dans les cures de cette sorte, une efficacite exclusivement
humaine. II s'agit pour lui (et pour tous ceux qui adherent a la
philosophic positiviste) d'une variete particulierement interessante
<le la guerison par suggestion. Envisagee de ce biais, la ques-
tion appartient a la note suivante : La Suggestion Victorieuse,
Mais un tres grand nombre d'hommes, autrefois et aujourd'hui,
tiennent que la foi qui guerit quelque role instrumental qu'ils
lui assignent est une foi d'ordre religieux, incommensurable
avec la confiance simplement naturelle dont se servent les mede-
cins et les magnetiseurs. C'est de cette conception, et d'elle seule,
que nous traiterons ici.
Toute Tantiquite hellenique a cru, meme apres qu'un art medical
issu d'observations precises et usant de remedes profanes se fut
constitue, que 1'invocation aux dieux, a certains dieux surtout,
proposes a ce genre d'intervention, pouvait guerir. Des rites, des
pratiques tenant a la fois de la religion et de la therapeutique,
moitie devotion et moitie regime, se constituerent en certains
lieux : imaginons un centre de pelerinage qui serait en meme
temps une ville d'eaux. Des temples, pourvus de vastes depen-
dences, s'offraient aux clients, plus ou moins interesses, des dieux
guerisseurs. Le Serapeum que les Alexandrins eleverent dans
Memphis aupres du temple egyptien d'Osor-Api, se composait,
outre Tedifice principal, d'un vaste pastophorion contenant les
cellules des cenobites 4 , d'un hemicycle ou figuraient des statues
de philosophes grecs, et de plusieurs chapelles accessoires con-
1. Sur ces reclu?, qui ont fait divaguer tant d'erudits, voir les dtudes si
consciencieuses de Ph. Gobillot, Les origines du Monachisme chretien et
I'ancienne religion de fEgyple, dans RSR, IX, 1920, p. 303 suiv., XII, 1921,
p. 2i suiv., 168 suiv., 328 suiv.; XIII, 1922, p. 46 suiv.
480
LA FOI QUI GUERIT. 481
sacrees & Esculape, A Anubis fit a Astarte". On y deposait des
candelabres et autres offrandes et des inscriptions grecques gravees
sur des tables en pierre rappelaient les noms des bienfaiteurs. On
y tenait un marche* a 1'interieur meme, et peut-tre y logeait-on les
etrangers qui "venarent des pays voisins, y faire leurs devotions ou
chercher une guerison ; G. Lafaye, Histoire du Culte des divi-
nites d'Alexandrie, Se'rapis, his, Harpocrate et Anubis, hors de
FEgypte, 1884, p 176.
Les grands dieux guerisseurs, grands par la fortune plus que
par 1'origine : Asklepios (Esculape) et Serapis, secondes par d'in-
nombrables bons demons (dont Tun ou 1'autre, Hygee et Panacee,
par 'exemple, filles d'AsMepios, et 1'absurde serpent Glykon, con-
nurent des heures de gloire) avaient leurs sanctuaires a eux^ con-
siderables et achalandes. Ceux d'JEpidaure t d'Athenes (Ascle-
pieions), celui d'Alexandrie (Serapeuni), furent particulierement
celebres. Des fouilles heureuses ont permis de restituer, avec
une haute proba'bilite, le plan et les parlieularites du premier, le
fameux Hieron d'Epidaure ; voir le magnifique Epidaure, Restau-
ration et Description des principaux monuments du sanctuaire
d'Asclepios, par A. Deifrasse et H. Lechat, Paris, 1895. On a pu
retrouver 1'emplacement, maintenant dess^che, du puits sacre;
determiner les grandes lignes du temple, du dortoir (abaton) ou les
pelerins venaient pratiquer le rite d'incubation (lYxot'(XYi<ji?), c'est-
-a-dire reposer dans 1'attente des communications du dieu, gene\
ralement faites au cours d'un songe. Tout un monde de ministres
d'Asclepios, mi-pretres, mi-empiriques, vivait aux entours du
Hieron, et de lui.
Dans 1'enceinte sacree, six steles de calcaire fin et dur, se dres-
-saient, veritables archives lapidaires, portant, graves en lettres du
iv e siecle avant Jesus Christ, les recits des plus beaux miracles : les
<Guerisons operees par Apollon et par Asklepios. De ces steles,
deux ont e"te retrouvees, la premiere en fort bon etat, la seconde,
encore lisible dans la plus grande partie de son texte; plus, des
.fragments des autres. Ge document si interessant mentionne, en
chapelet d'anecdotes detachees, dans un style plein de bonhomie,
et sous un titre aidant la memoire, 43 prodiges (t'raduction inte-
grale dans ^pidaure^ p. 142-148). II y a la des historiettes mani-
festement fabuleuses, comme celle-ci, la premiere :
Cle'6 fut cinq ans enceinte.
II n'y a pas lieu d'admirer la grandeur du tableau (votif), mais admirez
la divhrite : pendant cinq ans Cleo porta dans son sein le poids de son
enfant, et enfin elle vint dormir ici et le dieu lui rendit la sani6.
JESUS CHRIST. II. 31
482 JESUS CHRIST.
D'autres ressemblent a des canto's populaires. En voici une
tres jolie : -
La Coupe.
Un esclave, le dos charge^ allait au Hieron ; quand il en fut a quelque
dix stades, il tomba par terre. Apres s'etre releve, il ouvrit son sac et
constata que tout etait en morceaux; et, en voyant brisee la coupe ou
son maitre buvait d'habitude, il se d6sola et, s'asseyant, tacha de rajuster
les tessons. Un voyageur qui le vit lui dit : < Ah ! malheureux, pourquoi
perdre ta peine a rajuster cette coupe ? Pas meme le dieu d'Epidaure,
Asklepios, ne pourrait la guerir. > A ces mots le garcon remit les tessons
dans son sac, et se rendit au Hieron ; quand il fut arrive, il ouvrit le sac et
en retira la coupe guerie ! II racohta a son maitre ce qui s'etait fait et
s'etait dit, et le maitre, 1'ayant appris, offrit la coupe au dieu.
D'autres enfin narrent des guerisons :
Alketas d'Holike.
Cet homme, etant aveugle, eut un songe ; il lui semblait que le dieu,
s'approchant de lui, lui ouvrait les yeux avec les doigts, et il voyait pour
la premiere fois les arbres du Hieron. Le jour venu, il sortit gueri.
Thyson d'Hermione, enfant aveugle.
Cet enfant (ceci est un fait r6el [c'est-a-dire, non accompli en songe,
comme les autres]), fut soigne par un des chiens du Hi6ron qui lui lecha
les yeux, et il s'en alia gu6ri.
Ces recits, destines a exalter la foi des pelerins, sont naturelle-
ment inverifiables. Quand et comment s'est constitu6 ce cycle?
M. Lechat, dont nous avons cite" 1'elegante traduction, pense que,
pour quelques episodes, les pretres se sont servis des inscriptions
votives, les resserrant et les stylisant (c'est manifestement le cas
pour I'histoire de Cleo, qui ouvre toute la serie). Mais la plupart,
pense-t-il, proviennent de traditions orales, histoires extraordi-
naires, tresanciennes, nees onne sait comment, on ne sait ou, mais
racontees avec des details precis par des gens qui, a la fin, croyaient
fermement avoir ete temoins de la chose . Epidaure, p. 149.
La popularite des dieux guerisseurs fut immense : leur culte
finit par s'etablir, chapelle preferee du vaste temple, dans les
lieux saints les plus celebres du monde hellenique. Des divinites
armees et, a 1'origine. redoutables, Artemis a Ephese, Apollon a
Claros, virentleur culte s'humaniser et leurs titres s'enrichir d'in-
vocations empruntees aux humbles 6eot cumipe? xal ITT^XOOI. Voir
Ch. Picard, Ephese et Claros, Recherches sur les sanctuaires et
les Cultes de I'lonie, Paris, 1922, p. 382 suiv. , 389 suiv. Ailleurs,
a Delos par exemple, les guerisseurs egyptiens eurent leurs
LA FOI QUI GUERIT. 483
temples a eux, qui hrent une serieuse concurrence au sanctuaire
principal : Pierre Roussel, Delos, Paris, 1925, p. 33 suiv.
Peii a peu, le caractere merveilleux de ces cures s'attenua et,
dit H. Lechat, le Hieron tourne a la station thermale : on y suit
des traitements, on y vient faire une cure , $pidaure f p. 154.
Les descriptions les plus etendues de ces milieux, ou pelerins
et malades venaicnt en foule chercher un soulagement a leurs
maux corporels, et dont Aristophane a trace une image caricaturale
mais prise sur le vif, Plutus, v. 653-763, se trouvent dans les six
Discours sacres d'Aelius Aristide, contemporain de Marc Aurele.
Nevrose, vaniteux jusqu'a 1'inconscience, ce rh&eur hypocondre
nourrit une devotion presque touchante envers Askl^pios, sau-
veur universel et gardien des immortels , qu'il ne balance pas
a egaler, dans son culte, a Zeus lui-meme : Discours XLH, 4, ed.
B. Keil; dans A. Boulanger, Aelius Aristide, Paris, 1923, p. 191.
C'est qu'Aristide doit au grand dieu guerisseur une sante precaire,
reconquise par une suite de regimes et pelerinages accomplis a
Pergame, a Gyzique, a Ephese, etc., avec force bains paradoxaux
dans la mer, dans les rivieres et les piscines, des incubations ,
des songes et des remedes infiniment plus prosai'ques. La cure
dura d'abord neuf ans entiers, puis apres une amelioration, reprit
jusqu'a la fin de la vie du sophiste : son journal de malade, bien
qu'incomplet, represente trente mille lignes d'ecriture ! C'est dire
qu'on doit remercier M. Andre Boulanger de les avoir lues, et
resumees a notre avantage, avec de longs extraits, loc. laud., p. 163-
210 ; et sur la chronologic, p. 469 suiv.
A travers ce fatras, dont la longue inscription de Julius Apellas
a Epidaure, publiee en 1883 ettraduite integralement par H* Lechat,
Epidaure, p. 152-153, offre, dans son raccourci, un pendant exact,
on distingue les traits des clients habituels d'Esculape, de Sera-
pis, et de la menue monnaie de ces dieux : une credulite a peu
pres sans bornes, une imagination tres vive, accompagnee d'une
foi nai've et exigeante chez le patient ; des medications variees :
dietes, lustrations, hydro therapie, regimes, mais encore toute une
pharmacopee de remedes compliques et saugrenus' , quelquefois
meilleurs : Mets du miel dans ton lait pour qu'il soit purgatif ;
Inscription d 1 Apellas. C'est generalement en songe que le dieu
marque ses volontes et donne ses consultations : parlbis en clair,
parfois en visions, que le personnel attache au temple se char-
gera d'interpreter. Des guerisons obtenues sont constatees par des
ex-voto; une quantite d'yeux, de mains, de pieds, etc., represen-
tant les membres de patients gueris etaient gardes dans les depen-
484 JESUS CHRIST.
dances des sanctuaires et plusieurs ont ete retrouves. On ne peut
douter que de nombreux maux aient ete ameliores et gueris
dans les Asclepieions et les Se*rapeums. A en juger par la dys-
pepsie d'Apellas et la nevrose multiforme d'Aelius Aristide,
deux enthousiastes de ces cures, la guerison etait parfois tres
laborieuse, precaire et obtenue au prix d'une longue medication.
La foi qui gu6rit a survecu au paganisme et fleurit en notre
temps, dans les pays surtout ou les croyances eVangeliques pri-
mitives a la foi qui sauve et a la vertu sans limite de la Parole de
Dieu, subsistent encore en 1'esprit de beaucoup d'hommes, eman-
cipes par ailleurs de tout contr61e ecclesiastique autorise.
Le plus caracteristique des mouvements contemporains, le plus
connu aussi, juxtapose dans son titre meme les deux elements,
religieux et medical (il faut, dans le cas, dire : empirique), signa-
les dans les cultes antiques des dieux guerisseurs. L'histoire de
la Science Chretienne (The Christian Science] est encore a ecrire :
et il est bon de savoir que les notices officielles, inserees dans les
recueils de valeur, comme The Encyclopedia Americana, New-
York et Chicago, 1922, articles Christian Science, VI, p. 612 suiv.,
Eddy, IX, p. 577 suiv., et meme VERB, Christian Science, III,
p. 576 suiv., sont a la fois lacunaires et tendancieuses. On trou-
vera des exposes objectifs, non expurges, dans H. Thurston,
Christian Science, London, 1910; L. Roure, Au pays de I'Occul-
tisme, Paris, 1925, p. 85-127. Du point de vue medical, D r Stephen
Paget, The Faith and Works of Christian Science, by the Author
of Confessio Medici, London, 1909 ; Pierre Janet, Les Medications
Psychologiques, I, Paris, 1909.
La Christian Science est 1'ceuvre d'une femme, Mary Beker, nee
en 1821 a Bow, New Hampshire, U. S. A., morte presque nona-
genaire en 1910, et devenue par son troisieme mariage (G. W.
Glover, en 1843, meurt 1'annee meme; D. S. Patterson en 1853 :
divorce obtenu en 1873 ; A. G. Eddy en 1877, meurt en 1882)
Madame Eddy. Tres sensible, mediocrement instruite, ayant une
longue pratique du spiritisme, guerie elle-meme d'une maladie
fonctionnelle consecutive a une chute sur la glace, par le celebre
magnetiseur Ph. P. Quimby (mort en 1866), qui luilegua ses papiers
et dont elle demarqua les methodes, Mrs Eddy commenga vers
1865-1870 a pratiquer la mind-cure. Son originalite, et la cause
principale de son succes, fut d'unir etroitcment, aux precedes de
la therapeutique par suggestion, alors comme aujourd'hui floris-
sante en Amerique, 1'evangelisme litteral, et de donner ainsi une
base biblique, religieuse, on n'ose dire philosophique, car la
LA FOI QUI GU^RIT. 485
partie the"orique de la Christian Science est miserable, a un
mouvement qui, sans cela, aurait eu le sort de tant d'autres. Favo-
rise"e par la longe"vite et rhabilete" de Mrs Eddy, propagee par son
manuel qui se donne pour une revelation, Science and Health
with Key to the Scriptures, 1875, 1'^glise scientiste a pris un vaste
essor qui commence settlement a faiblir. Les statistiques officielles de
1918 accusentl.766.groupes d'adherents, dont 1.582 aux Etats-Unis.
Les principes thdologiques, longuement de'veloppe's dans les
exposes officiels, ou la regie est de se desolidariser de 1'empi-
risme originel, sont ne"gligeables. C'est une forme, entre cent
autres, de 1'e'vange'lisme liberal, choisissant, pour des raisons d'op-
portunite", dans la revelation chretienne, un certain nombre de
doctrines, et rejetant le reste. Le point inte"ressant est la croyance
hautement professee, et raise sous le patronage de Jesus, sous la
sauvegarde des textes 6vangeliques choisis et interpretes ad hoc,
que le mal, sous toutes ses formes, en particulier maladie, infir-
mite" et mort, est une illusion, comme la matiere m&me qui lui
sert de support et de pedoncule. II s'ensuit que la maladie et la
mort n'existent que par une erreur pernicieuse, fruit d'un esprit
materialise. La cure consiste done a se remettre laborieuse-
ment, et par voie surtout de croyance vehementement excitee en
I'enseignement (suppose) de Je'sus, et a son exemple dans la
verite. Alors le mal, meme physique, disparaitra aussi naturelr
lement et aussi necessairement que les t6nebres devant la
lumiere ; Science and Healthy VI. C'est tres simple, on le voit,
et les commentaires, partiellement scientistes, partiellement mille-
naristes, recouvrant les formules chr6tiennes, eVangeliques, d'une
vegetation incoherente, y ajoutent peu. Les quatre propositions
soi-disant e" videntes dela Metaphysique divine sont les suivantes:
God is All in all. Dieu est Tout en tout.
God is good, good is mind. Dieu est bon ; bon est 1'entende-
ment.
God spirit being all, Dieu esprit etant tout,
nothing is matter. rien n'est matiere.
Life, God, omnipotent, good, deny Vie, Dieu, omnipotent, bon, nient
death, evil, sin, disease. mort, mal, p6che, maladie.
II est inutile d'insister. Ces formules puissamment suggerees,
tirant un surcroit de force persuasive du fond de croyance eVan-
gelique qui survit dans un tres grand nombre d'ames, en ces pays,
atoute foi positive, sont mises au service des proced^s classiques
de therapeutique mentale, dont ils majorent I'efficacite. II n'y a
done pas lieu de nier la'possibilite de faits de redressement et de
486 JESUS CHRIST.
guerison ; mais on a le devoir de so tenir en garde contre les
recueils officiels de prodiges publics par la Christian Science.
Apres enquete serieuse, une autoritd m^dicale, le D r Stephen Paget,
conclut : II est elair par ces exemples, et le precedent chapitre,
que la Christian Science accepte toute espece de te"moignages,
meme les plus fantastiques et les plus obtus. Qu'elle embellit ce
qu'elle public. Qu'elle elude les verifications. Que sa prevention
de guerir des maladies organiques fond sous 1'application des
regies les plus elementaires de la critique, Qu'elle guerit des mala-
dies fonctionnelles . Qu'elle n'a jamais ope're' et n'operera
jamais de cures autres que celles qui ont et6 obtenues,
cent mille.fois, par la therapeutique mentale. Depuis I'elevation du
serpent d'airain dans le desert, et les gue"risons dans le temple
d'Esculape, 1'humanite s'est servie, pour heur ou malheur, de the-
rapeutiques mentales. Nous vivons et nous nous mouvons dans
une atmosphere de suggestion ; nous subissons la suggestion de
nos berceaux a nos tombes. The Faith and Works of Christian
Science, London, 1909, p. 165, 166.
Nous avons donne quelques details sur la Science Chr6tienne, soit
a cause de son succes, soit parce que ce mouvement nous semble
representer excellemment (et c'est sa seule excellence) la foi qui
gue>it, sous sa forme moyenne, celle qui melange, en proportions
acceptables au grand public, la cure mentale et le ressort de foi
religieuse.il existe,.dans les pays anglo-saxons, et aussi ailleurs,
d'innombrables 6coles ou sectes, analogues et parfois sorties d'elle.
Les unes, telles que VEmmanuelism en Amerique et, en Angle-
terre, le New Thought Movement (la-dessus, H. Thurston, The
New Thought Movement dans The Month, CXXX, CXXXI, oct.
et nov. 1917, janv. 1918) ; en France, les Amities Spirituelles de
Sedir (la-dessus L. Roure, Les Amities Spirituelles de Sedir,
dans Au Pays de I'Occultisme, Paris, 1925, p. 168-201), sont plus
sobres, plus sages, au-dessus, en somme, dela Christian Science.
D'autres, comme VAntoinisme, secte fondee vers 1880 par le mi-
neurliegeois Louis Antoine (voir L. Roure, Ibid., p. 146-167) ; ou
le prophetisme delirant de J. Al. Dowie, qui s^vit a New- York
vers 1900-1905, sont tres au-dessous et rentrent dans ces parties
honteuses des archives humaines qui sont un scandale pour 1'es-
prit. Mais en tous ces mouvements, deux facteurs psychologiques
puissants qu'ils agissent dans un temple correct ou un bouge
se rencontrent, qui leur assurent une certaine vitalite : la foi reli-
gieuse et la suggestion.
NOTE K 2
LA SUGGESTION VICTORIEUSE
II est plus aise de parler de la suggestion que de la definir.
L'excellent Larousse Medical de 1924 (Galtier-Boissiere et P. Bur-
nier) lui consacre un article, mais esquive la definition. Littre
articule severement : insinuation mauvaise , tout en concedant
qu' il se dit parfois en bonne part ; et au mot suggerer il note,
comme sens derive mais appuye d'exemples classiques : faire
naitre dans 1'esprit par insinuation, par inspiration . Chez les
modernes, nous allons le voir, le mot a pris un sens plus impe-
rieux : Alfred Binet, par exemple, nous parle d' affirmations auto-
ritaires amenant une obeissance automatique du sujet et suspendant
sa volonte et son sens critique ; La Suggestibilite, Paris, 1900,
p. 2. Rud. Eisler, Woerterbuch der Philosophischen Begriffe*,
Berlin, 1910, III, p. 1464, distingue justement un sens premier, de
simple suggestion, qui repond bien a Temploi classique enregistre
par Littre ; et un sens moderne, plus fort, de persuasion imperative,
tente"e dans les conditions les meilleures possibles, de psychoplas-
ticite (le mot est d'Ernest Dupre, et commode) du sujet. Le Voca-
btilaire Philosophique publie par la Societe frangaise de Philo-
sophie, tome II, Paris, 1926, p. 828, constate que au sens
technique, il n'a pas ete possible de faire accepter... une definition
generale . M. Lalande proposait : II y a suggestion quand un
acte est fait ou qu'une croyance est accepted sous Tinfluence
d'une idee, sans que le sujet ait conscience de cette influence (et le
plus souvent sans avoir conscience de 1'idee elle-meme) . On
peut voir, ibid., la definition proposeeparM. Boirac,.P. Janet, Dela-
croix, etc. La description de Th. Lipps, ZurPsychologieder Sugges-
tion, 1897, p. 10, citee dans. R. Eisler, et traduite dans le Bulletin,
loc. laud., p. 832, note 1, reste, bien que longue et embarrassee,
Tune des plus exactes : a La suggestion consiste a faire naitre chez
un sujet un effet psychique qui depasse la simple presence d'une
representation, mais qui resulte de ce qu'une personne ou chose
distincte de ce sujet ont provoque I'&veil d'une representation; et
cela, en tant que cet effet psychique a pour condition un arret ou
487
488 JESUS CHIUST.
une inhibition d'une intensite exceptionnelle dans Tactivite" repre
sentative qui depasse les effets immediats de la suggestion elle-
meme.
On a beaucoup discute sur les rapports entre la persuasion et la
suggestion, sans arriver a montrer autre chose que 1'identite" fonda-
mentale des deux : la suggestion est une variete de la persuasion ,
et elle existe deja dans les influences efficaces, quelles qu'elles-
soient : education, formation, ent'raihement, reforme, conver-
sion, etc. On peut cependant et, si Ton veut eviter les confusions t
on doit' re"server le mot de suggestion a cette varied de persuasion
qui vise, par des moyens appropries, a obtenir d'une k personne ce
que la simple proposition des motifs n'obtiendrait pas. On peut
en ce sens la- de"finir : un appel imperieux, conscient ou non, venu
du dedans (autosuggestion) ou dii dfehors (he'te'rosuggestion), qui
eveille avec force et orienle d'autorite nos puissances interieures
d'imaginer et d'agir. Elle sera naturellement d'autant plus efficace
que le sujet est plus souple a I'empire de celui qui suggere : cette
plasticity, cette reaction facile et disproportionnee de 1'organisme
a des causes pisychiques (Ernest Bupre, La constitution emotive,
dans Pathologie de V Imagination et de Vfrmotivite, Paris, 1925,
p. 255) est naturelle chez les emotils, les i'maginatifs, les debiles,
et les rend emihemment pfopres a la suggestion. Elle est augmentee
chez tous par le sommeil naturel ou artificie! (hypnose), qui nous
soustrait aux Jivers contrdles exerces' par la raison, 1'e milieu ou
nous vivons, etc;
On a remarquc? dbpttis qu j il y a dies hommes, et qui cherchent a
s'influencer mutuellement, le pouvoir de; la suggestion, On 1'a
utilise pour bien et' pour mat et,. naturellement, pour guerir. Une
histoiire de la suggestion medicate restte a ; faire : les esquisses
trac^es dians certains ouvrages, par exempl'e H'. Bernheim, Hypno-
tisme et Suggestion* t Paris, 19fO, p. 1-23, d'apres Kurt Sprengel;
et m&rae P. Janet, La JMvdecine psychologique, Evolution des
Psychotkerapies, Paris, 1923, p. 7-86", laissenfr vraiment trop a de-
sirer; surtout pour I r antiqui'tl6' : la confusion entre religion, mede-
cine et magpie, est loin d'avoir et6 aussi generale qu'on nous le dit!
On peut voirpour I'antrquite classique : S'. Reinach, Medicus, dans
DAGR, III, 2, p. 1<6-17Q&; J. L. Heiberg, Exacte Wissenschaften
und Medezin, dans MEinleitang in die Altertumswzssensohaft 3 , de
Gercke et Norden, Leipzig, 1922, p. 317 suiv. ; Iitt6rature, p. 345
suiv. ; pour rantiquite* 1 jadaique, A. Macalister, Medicine, dans
DBH, III, p. 321-333. Les etudes precises sur ' la suggestion,
largement amorcees au Moyen Age, dans d*es travaux que les
LA SUGGESTION VJCTORIEUSE. 489*
historiens modernes n%lgent beaucoup trap* (Voir pan- exemple,
L' Hypnotisms aw. Moyen Age ; Awcennw et Richaj-d de Middle-
town,* par Eugene; Povte&e,. fitades, LV, 1892, p\. 481 suiv.; 577
sum,),, out 6t6 surtout provoxjues r dans les. temps; maderaes, par les
travaux. et essais <fes magnetiseurs, inspires; euxvmemes par les-
recberches ayentureuses) des demiiers alcbimistes. C'est a Mesmer
et SL ses contonxpoEams, le P. Hell,, L'abbe LeoMe;, qu'on doit,
an dernier quart duixvm? sieclej. Tessar du raiagnetisme (mineral
celeste, animal) doirt la grandeur et la decadence s&s suivirent de
pres. Les nomsiqui se d^gagent ensuite somb ceux;de'l?abb6 Faria,
vers 1820; de James Braid, Neurhypnotogy< r ov the rationale of
Nervous Sleepy considered im relation txn Animal Magnetism,. 1843 r
qui appliqua 1'hypnotismej aui traitemsent des malades. Le premier^
semble-tril,. le D r Liebeault, de Nancy, Z>w Sommeil et des Etats
analogues, 1866, etablifi < franchement et definitivement la doctrine-
de la suggestion therapeutique; ; H. Bernheims,. Hypnotisme et
Suggestion*, 1910, p. 22. C'est de lui qu'est sortie 1'Ecole de Nancy-
tout entiere.
Depuis, la suggestion est devenue une province de la medecine
normale, combinee; lei plus souvent avec un-traitement ou r du moins r
un regime de repos, de silence relatif^ de suralimentation., d'alir-
mentation surveillee. On la: pratique encore^ sur des sujets pr6alar-
blement endormis, mais souvent aussi a Tetat de veiU'e, en s'effor-
^ant d'obtenir d patient urae intelligente collaboration. L'tntima-
tion imperative^, a la.maniere forte, fait.place aloes aux; inspirations),
aux conseils, a une sortede direction. Dubois (de Berne), Dejerine: r
Camus, Yittoz, MM. Pierre Janet, Bemheim, et leurs> oleves^. etc; r
s'y sont fait um nomv L'Ameuique du> Noitdi et L'Angleterre cant
donne une importance considerable a ces therapeutiques: : on peut
voir des dietaila dans Les Medications Psy,chologiq!ue& de Pierre
Janet, 3 Yol. r Paris,. 1919-19201
Le seul point qui: nous interesse ici. (et c& n 'est pas; le 1 mieux traite
dans les ouvrages cites: plus haut), c'est la? suggestion) que j'appel-
lerai victorieus& r pour mettre en relief: son. caraeiesBe soudain^
imprevu, au sens etymalogique) du mot, miraculous. La, en effet, et
la seulement, on trouve une action naturelle produisant des eifets
analogues aux miracles evangdliques, ou eccliesiastiques (c'est-a~
dire reconnus comme authentiquesi apres enquete, par les auto-
rites religieuses) : voir la^Iessus D r Le Bee, Critique et Controls
medical des guerisanssurnaturelles f Paris, 1920 ; Preuvesmedieales
du Miracle, Parisi, 1921 ; J. de Tonquedee, Introduction a I 'Etude-
du Merveilleux et du Miracle, Paris, 1916, livrell, p. 249-421.
490 JESUS CHRIST.
II est malheureusement tres malaise d'e"tudier ces effets. On est
-actuellement d'accord pour admettre que, dans les cliniques du
moins, si la suggestion victorieuse reussit parfpis, c'cst dans des
limites fort etroites. Apres avoir constate" que les pretentions
des magnetiseurs n'ontpu etre verifiers scientifiquement, M. Pierre
Janet conclut que la suggestion ne semble pas determiner des
actes ou des modifications corporelles et mentales superieures a
celles que la volonte normale peut d'ordinaire r^aliser... Nous
avons du renoncer a la plupart de ces illusions (nourries par les
pionniers de la suggestion) et constater que 1'etat hypnotique
n'ajoute aucune puissance nouvelle superieure a I'activite moyenne
.des hommes. II faut renoncer a demander a la suggestion ou a
.1'hypnose des actes qui de'passent le pouvoir de la volonte humaine
inormale ; La Medecine psychologique, Paris, 1923, p. 129. Cette
'Conclusion de toute une vie consacr6e a 1'elude theorique et pra-
tique de ces problemes, semble sonner le glas des miracles de
la suggestion.
Le meilleur theoricien de 1'Ecole de Nailcy, Bernheim, ecrit de
son c6t6, que sa therapeutique suggestive ne ressemble pas a une
.pseudo-thaumaturgie experimentale... La suggestion, traitement
psychique, s'adresse a 1'element psychique : a condition que cet
element soit une simple perturbation fonctionnelle autosugges-
tive . Elle tend a guerir un reflexe sans lesions coexistant ou
succedant a une affection organique et rendant la cure de celle-ci
difficile, instable, parfois impossible : Hypnotisms et Suggestion 3 ,
1910, p. XXVI-XXXHI. Bref, la suggestion est 1'auxiliaire de la
medication commune, visant un mal purement psychique, qui
accompagne trop souvent et aggrave presque toujours la maladie
xjorporelle.
A plus forte raison les psychanalystes restreignent-ils les succes
de la suggestion : En depit des pretentions exagerees des hypno-
tiseurs professionnels, dit Ernest Jones, dans lequel on entend
toute 1'Ecole freudienne, il est generalement reconnu que les
resultats obtenus par 1'hypnotisme et la suggestion laissent beau-
-coup a desirer au point de vue de la duree. Certes, des psychone-
vroses benignes peuvent etre ameliorees d'une fagon durable, bien
<jue, meme dans ces cas, le succes soit inc.ertain et inconstant; mais
pour ce qui est des cas plus ou moins grave*, la critique fondee
sur Texperience n'a pas de peine a refuter 1'optimisme irraisonne
-qu'on entend si souvent precher ; Traite theorique et pratique de
Psychanalyse, Paris, 1925, p. 481; et voir tout le contexte.
Seul le petit groupe qui se donne le nom de Nouvelle Ecole de
LA SUGGESTION VICTORIEUSE. 491
Nancy et a trouve" son the'oricien en M. Ch. Baudouin de Geneve :
Suggestion et Autosuggestion, Neuchatel et Paris, 1921, 4 8 Edition
sous le litre : Psychologic de la Suggestion et de V Autosuggestion,
1924, mais dont 1'animateur est le pharmacien Emile Coue, pretend
elargir jusqu'a la rapprocher des effets miraculeux, la competence
de la suggestion ou, pour mieux dire, de 1'autosuggestion. Car,
c'est a celle-ci, agissant par 1'imagination (ou 1'inconscient : ce sont
la synonymes pour M. E. Coue"), qu'un pouvoir curateur tres vaste
est attribue 1 . Beaucoup de maladies spnt le produit d'une erreur
d'imagination : sugge'rez-vous Tidee, ou plutdt 1'image contraire,
et le mal disparaitra : non seulement la neurasthenic, les phobies,
le b^gaiement, mais 1'asthme, I'ecz6ma, le mal de Pott, etc... Le
traitement est expose dans la Maitrise de soi-meme par F auto-
suggestion consciente. Les tourne'es de Coue en Angleterre et en
Ame'rique ont provoque un vif enthousiasme. Voir L. Roure, Au
Pays de VOccultisme, Paris, 1925, p. 127-145.
Les psychologues, en depit de la caution fournie par M. Baudouin,
ont refuse" de prendre au se"rieux, sinon 1'efficacite en certains cas
de la cure simpliste et optimiste de Coue" et sa foi dans la puis-
sance de 1'imagmation a detruire ce qu'elle a d'abord edifie", du
moins 1'amplitude pretendue de sa the>apeutique : avec les gue-
risons par suggestion de phtisie, de metrites, d'eczemas ou de
maux de . Pott, dit seVerement M. Henri Pieron, on rejoint le
Christian Scientism t mais on s'^loigne de la science . Annee
Psychologique, XXII, 1922, p. 501, voir ibid., XXV, 1925, p. 635,
636. Ce qui est clair, en tous cas, c'est que les precedes de Coue
consistent, avec des mots nouveaux, a exciter la confiance du ma-
lade, globalementet.persev6ramment, mais sansl'appareilimperieux
de la suggestion magistrale et sans 1'aide du sommeil, artificiel ou
naturel.
En resume, les effets proprement merveilleux de la suggestion
sont aujourd'hui tenus pour illusoires par 1'unanimite des psycho-
logues et psychiatres. II y a, pensons-nous, dans ce pessimisme,
une reaction un peu outree contre les espoirs demesures congus
jadis sous 1'influence deCharcot. Les philosophes scolastiques attri-
buaient au pouvoir de 1'imagination des limites beaucoup plus
larges. Toute idee con?ue dans 1'ame, dit saint Thomas, est un
ordre auquel obeit 1'organisme; ainsi une vive representation de
1'esprit produit dans le corps ou la chaleur ou le froid ; elle peut
meine suffire a engendrer ou a guerir une maladie. Et ailleurs :
L'imagination, si elle est vive, force le corps a lui obeir parce que,
selon la doctrine du Philosophe (Aristote), elle est dansl'animal un
492 JESUS CHRIST.
principe naturel de mouvement. L 'imagination en effet,, commando
toutes les forces de la sensibilite, celle-ci a son tour gouverne les
battements du coeur et par lui met en mouvementles esprits vitaux :
ainsi tout 1'organisme est-il bient6t modifie. > Sitmma Tkeol., I,
qu. 110, art. 2, obj. 1 etad l um ;III, qu. 13, art. 3, ad!3 nra . Voiraussi
III c. Gentes, 103. J'emprunte la traduction de ces textes au P. E.
Portalie, L'Hypnotisme au Moyen Age, dans: fitudes, LV, 1892,
p. 487, 488. On trouvera la beaucoup d'autres temoignages non
moms curieux.
II est probable qu'un clinicien moderne, s'il etait rompu a la me-
thode scolastique, distinguerait la premiere proposition de saint
Thomas touchant le pouvoir de Timagination : il Taccorderait d'une
maladie purement fonctionnelle (ou du stade encore presque exclu-
sivement fonctionnel d'une maladie) ; et le nierait d'une maladie
organique, tant soit peu inveter6e et fixee. Les raisons apportees
par le grand Docteur, dans le second texte, favorisent d'ailleurs
cette distinction, puisque le pouvoir de 1'imagination surrorganisme
y est ramene a la commande que cette faculte exerce sur la circula-
tion et les fonctions qui en dependent. II va sans dire que, meme
dans le cas d'un mal organique, 1'imagination confiante, surexcitee
par une suggestion personnelle ou collective, peut beaucoup pour
faciliterla guerison, la hater, la confirmer.
Mais il reste que 1'explication des miracles par la suggestion vic-
torieuse se reduit a une interpolation formidable. On assimile a
des cures encore rares et souvent instables de maladies fonction-
nelles et psychiques, des guerisons de toute sorte, instantanees,
completes, sans analogues parmi les faits que la science, mme la
plus patiente et la mieux avertie, a pu jusqu'a present reproduire.
NOTE L 2
KAI OTI ETA4>H
LA SEPULTURE DE JESUS DANS LES TEXTES ANGIENS.
1. Saint Paul.
Car je vous ai transmis en premiere ligne ce qu'aussi j'avais recu :
que le Christ est mort pour nos p6ches conformement aux Ecritures,
et qu'il a et6 enseveli (xa\ on l-r&prj)
et qu'il est ressuscit6 le troisieme jour conformement aux Ecritures,
et qu'il est apparu a C6phas, ensuite aux Douze, etc. (I Cor., xv, 3-5).
Ne savez-vous pas que tous, tant que nous sommes, qui avons 6t6 baptises
[dans le Christ,
c'est dans sa mort que nous avons 6te baptised ?
Car nous avons 6te co-ensevelis avec lui par le bapteme dans la mort (ouve-
[T<epr)[ji,ev ouv auTw)
afin que, comme le Christ est ressuscite des morts pour la gloire du Pere,
semblablement, nous aussi, nous marchions en nouveaut6 de vie, etc.
(Rom., vi, 3-4).
En lui, vous avez 6t6 aussi circoncis,
d'une circoncision non faite de main d'homme pour la purification du
[corps de chair, (mais)
dans la circoncision du Christ,
co-ensevelis avec lui dans le bapteme (auvTcup^vies autw), etc.
(Coloss., n, ll-12a).
Car vous etes morts, et votre vie est cachee avec le Christ en Dieu.
(Coloss., m, 3).
Mt., xxvn, 57-61.
Le soir etant
arrive^
vintimhommeri-
che d'Arimathie,
du nom de Jo-
seph, qui lui aussi
avait 6t6 disciple
de Jesus.
493
2. Les Evangiles.
Me., xv, 42-47. Lc., xxm, 50-56.
Et deja le soir
etant arrive, com-
me c'etait la pre-
paration c.-a-d.
la veille du sab-
bat, 6tant venu,
Jo., xix, 38-42.
Et apres eel a
demanda a Pi-
late
un
Joseph d'Arima-
thie,conseiller
important,
Et voici
homme
du nom de Jo- Joseph d'Ari-
seph, qui 6tait mathie, qui 6tait
conseiller, horn- disciple de Jesus,
me bonet juste mais cach6 par
494
JESUS CHRIST.
Celui-ci,seren-
dant pres de Pi-
late,
demanda le corps
de Jesus.
Alors Pilate
ordonna de lui
dormer
et, ayant pris le
corps, Joseph
enveloppa dans
unlinceulpropre,
qui attendait, lui
aussi le Regne de
Dieu,
osa se rendre au-
pres de Pilate
et demanda le
corps de J6sus.
Pilate se de-
manda avec 6ton-
nement s'il 6tait
deja mort, et ap-
pelant le centu-
rion il s'enquit
pres de lui s'il
6tait dej'a mort.
Et 1'ayant appris
du centurion,
il octroya le cada-
vre a Joseph.
Et ayant achet6
un linceul
il n'avait pas pris crainte des Juifs,
part a leur con-
seil et a leurs ac-
tions d' Arima-
thie, ville juive,
qui attendait le
Regne de Dieu.
Celui-ci se ren-
dantpres de Pila-
te,
demanda le corps de lui donner
de J6sus. le corps deJ&sus
Et le d6posant,
il 1'entoura
linceul
du il 1'enveloppa,
d'un linceul,
Et Pilate 1'oc
troya.
Hsvinrentdonc
et le d6poserent.
Vint aussi Nico-
deme (qui 6tait
venu d'abordpen-
dant la nuit),
portant un me"-
lange de myrrhe
et d aloes, environ
cent livres.
Ils prirentdonc
le corps de Jesus,
et le lierent de
bandelettes avec
des parfums,
comme les Juifs
ontcoutumed'en-
sevelir. II y avait
dans le lieu oil il
avait 6t6 crucifid
KAI OTi ETA*H.
495
et le plac.a dans et le plac.a dans
un tombeau neuf un sepulcre qui
qu'il avait creus etait taillS dans
dans la pierre la pierre
et ayant roul& et il roula une
une grande pi erre pierre sur 1'ouver-
surl'ouverture du ture du tombeau.
tombeau, il s'en
alia.
et le plaga dans
un tombeau tail!6
dans la pierre ou
personne encore
n'avait et6 de-
pose.
Etc'etaitlejour
de la preparation,
et le sabbat se le-
vait.
II y avait 1&
Marie la Magda-
leenne et 1'autre
Marie,
assises en face du
sepulcre.
Le lendemain
qui etait apres la
preparation, les
princes des pre-
tres et les Phari-
siens serendirent
pres de Pilate et
lui dirent : t Sei-
gneur, nous nous
sommes sduve-
nus que cet im-
posteur, encore
vivant, a dit :
Apres trois jours
je ressuscite. Or-
donne done de
garder la tom-
be jusqu'au troi-
sieme jour, de
crainte que ses
disciples ne le
d6robent et ne
disentau peuple:
II est ressuscit6
Or Marie laMag-
daleenne
et Marie (mere)
de Jose
regardaient ou il
avait 6t6 place.
Et les femmes
qui avaient suivi,
celles qui 6taient
venues de Galilee
avec lui,
regarderent le
tombeau,
et comment son
corps avait et6
place.
Et s'en etant
retournees,
elles preparerent
aromates et par-
fums.
Et le jour du
sabbat elles res-
terent en repos,
conformementau
pfccepte.
unjardin, et dans-
le jardin un tom-
beau neuf dans
lequel personne:
encore n'avait ete-
depose.
Ladonc, acause-
de la preparation,
des Juifs, parce-
que le tombeau
etait pres, ils pla-
cerent Jesus.
496 JESUS CHRIST.
<des morts. La
derniere impos-
ture serait pire
que la premiere.
Pilate leur dit :
Vous avez une
garde, allez, gar-
'dez comme vous
i'entendez.
Et i-ls allerent
et s'assurerent du
tombeau, 'scellant
la pierre, avec
une garde.
3. Les Actes.
Discours de Pierre, le jour de la Pentecdte : Car David dit a
sonpropos : (de Jesus) [Psaume xvi (xv), 8-11]
Je voyais toujours le Seigneur devant moi :
il est a ma droite pour que je ne sois pas ebranle.
C'est pourquoi mon coeur s'est rejoui,
et ma langue a fremi d'allegresse,
et ensemble ma chair meme reposera en esperance.
Parce que tu n'abandonneras pas mon ame dans le She'd,
tu ne permettras pas que ton Saint voie la pourriture :
tu m'as fait connaitre les chemins de vie,
tu me rempliras de joie par (1'ostension de) ta Face.
Homines, mes freres, qu'il me soit permis de vous dire confidemment
du patriarche David, qu'il est mort et qu'il a ete enterre ; et son tombeau
est parmi nous jusqu'a ce jour. C'est done comme prophete, et sachant
que Dieu s'etait engage par serment a faire asseoir sur son trdne un fruit
sorti de son flanc (II Sam., vn, 12; Psaumes LXXXIX (LXXXVUI), 4-5 et cxxxn
(cxxxii), 11), qu'il a, par prevision, parle de la resurrection du Christ, et
dit :
qu'il n'a pas 6t6 abandonne dans le Sheol,
et que sa chair n'a pas vu la pourriture.
Ce Jesus, Dieu 1'a ressuscite, et nous en sommes tous temoins.
Actes, n, 25-32.
Discours de Paul, a Antioche de Pisidie :
i Hommes, mes freres, fils de la race d' Abraham, et vous qui craignez
Dieu, c'est a vous qu'a ete adressee cette parole de salut. Car ceux qui
habitent a Jerusalem, et leurs chefs, ayant meconnu Jesus, ainsi que les
paroles des Prophetes celles memes qu'on lit chaque sabbat ont
accompli ces paroles en le condamnant. Et sans avoir trouv6 en lui rien
KAI OTI ETA4>H. 497
qui m6ritat la mort, ils ont demands a Pilate de le faire perir. Et apres
qu'ils eurent accompli tout ce qui 6tait ecrit de lui, 1'ayant detach 6 du
bois, ils le deposerent dans un tombeau. Mais Dieu 1'a ressuscitS des
morts, etc. >. Actes, xm, 26-30.
4. Les Symboles.
La-dessus F. Kattenbusch, Das Apostolische Symbol, seine Enste-
hung, etc..., II, Leipzig, 1900, p. 639-641; Alf. Seeberg, Der Kate-
chismus der Urchristenheit, Leipzig, 1903, p. 85, 141, 202; Arnold
Meyer, Die Auferstehung Christi, Tubingen, 1905, p. 117 et 351;
Hans Lietzmann, Symbolstudien dans ZNTW, XXI-XXVI (1922-
1927); K. Holl, A. v. Harnack, H. Lietzmann, dans SBA r 1919;
P. Feine, Die Gestalt des apostolischen Glaubensbekenntnisses in
der Zeit des Neuen Testaments, Leipzig, 1925, p. 105-107.
L'incise : et enseveli, xai Tatpevta, et sepultus figure, comme
un article distinct, dans le plus ancien symbole Remain, devenu,
avec des modifications d'assez faible etendue, notre symbole des
Apotres, et meritant, plus qu'aucun autre, par son caractere primi-
tif et traditionnel, ce nom glorieux. La plupart des symboles an-
tiques Font conservee : ceux de Jerusalem, de Constantinople
(profession de foi du concile tenu en 360), d'Antioche (concile
de 341, forme IV), de Sirmium, sous sa forme niceno-constantinor
politaine; de Macaire 1'Egyptien, de Nestorius; les Canons d'Hip-
polyte, sous leur forme latine : voir les textes dans Lietzmann,
Symbolstudien, ZNTW y XXI, p. 16, 17. Reinhold Seeberg dans sa
restitution des plus anciennes professions de foi, orientale et occi-
dentale, Zeitschrift fur Kirchengeschichte, XL, 1922, p. 1-41 (voir
Lietzmann, ZNTW, XXII, p. 259) fait figurer le : et enseveli .
Quand on relit ces textes, on ne peut manquer d'etre frappe de
leur force. Dans saint Paul, qui ecrit a vingt-cinq ans des evene-
ments et rappelle une formule cat^chetique deja fixee, 1'incise OTI
Iracpy) ne pretend montrer la realisation d'aucune prophetic. Elle
enonce simplement un fait incontestable , etqui n'a de valeur que
pour eliminer 1'hypothese d'une translation imm6diate.au ciel : Job.
Weiss, Der erste Korintherbrief, 1925, p. 348. Quant au recit
evangelique, il est, dans son ensemble, inattaquable. Renan ne
fait aucune difficult^ pour 1'accepter; et D. F. Strauss se contente
de pointiller sur les details, son effort principal tendant a susciter
un doute sur Thistoricite de 1'embaumement : Vie de Jesus, 3 e sec-
tion, ch. iv, n. 133, tr. Littre 2 , 1853, p. 594 suiv. J. Klausner,
Jesus of Nazareth, tr. H. Danby, 1925, p. 355, montre, avec Tauto-
rite qui lui appartient en cela, que, du point de vue du judai'sme
JESUS CHRIST. II 32
498 JElSUS CHRIST.
ancien, on ne peut Clever, dans le cas eoncret, aucune objection
fondle. T. K. Cheyne lui-m^me declare, Joseph of Arimathaea f
dans EB, II, col. 2595, 2596 : Les assertions d'apres lesquelles la
personne qui fit les arrangements pour 1'ensevelissement du corps
de Jesus fut un membre du cercle des disciples lointains, un homme
riche d'Arimathie, nomine" Joseph, etle tombeau ou il plac.ale corps
de Jesus, le sien propre, sont mises en question par peu de cri-
tiques. Ce sont la des points qu'il n'est pas vraisemblable que la
tradition ait inventes... Nous devons en, tout cas accepter comme
une certitude historique le ITOKM] de 1 Cor., xv, 4.
En presence de ces faits, on admirera I 1 assurance de M. Loisy
quand il e"crit, perdant tout, sentiment de la mesure : L'enseve-
lissement par Joseph d'Arimathie et la decouverte du tombeau vide,
le surlendemain de. la passion, n'offrant aucune garantie d'authen-
ticite, Ton est en droit de conjecturer que, le soir de la passion, le
corps de Jesus fut detache" de la croix. par les soldats et jete" dans
quelque fosse commune, ou Ton ne pouvait avoir Tid6e de Taller
chercher ; Quelques Lettres sur des Questions Actuelles, Paris,.
1908, p. 93, 94. Ailleurs, Les Livres du Nouveau Testament, Paris^
1922, p. 277, 278, le tout est mis sur le compte d'une simple fic-
tion apoatolique . C'est ainsi qu'au mepris des textes, on pretend
recrire I'histoipe.
Beaucoup plus, modere, et sous forme dubitative, M. Maurice
Goguel, a la fin de son memoire sur la resurrection dans le chris-
tianisme primitif : Actes du Congres international d'Histoire des
Religions de 1923, Paris, 1925, II, p. 250, suggere que les necessites
apologetiques, notamment le besoin de repondre aux objections
de diverses natures que Ton opposait a la foi chretienne, a dA forte-
ment influencer les recits et amener, la creation de cycles entiers
de traditions, comme celle du tombeau vide, peut-6tre aussi comme
celle de la mise au sepulcre .
II est sans doute tentant de mettre au compte de 1'apologetique
primitive, sous forme de fiction, de creation non plus sponta-
nee mais, dans le cas, deliberee ; on estime sans doute que la fin
justifie les moyens ! les episodes,, voire les cycles entiers de-
traditions , qui embarrassent., Mais e'est la un prbcede trop com-
mode, et la critique serieuse ne saurait s'en contenter. II fut un
temps ou les textes anciens furent ainsi corriges, par voie d'erudite
divination : les difficultes, les pretendues impossibilites, disparais-
saient comme par enchantement! Mais deux decouvertes ont,
dans ces dernieres annees, jete un grand discredit sur la critique
conjecturale, autrel'ois tenue en grande estime. Les papyrus, re-
KAI OTI ETA4>H. 499
trouves en tres grand nombre , ne confirment pas en general
observe Sir F. G. Kenyon les conjectures des philologues mo-
dernes... En aucun cas, on peutle dire surement, un changement
considerable n'a etejustifiepar les papyrus. D'autre part, le rythme
de la prose ancienne, et specialement des clausules, a confirme
d'ordinaire les logons, censees fautives, des manuscrits ; L. Lau-
rand, Critique des Textes, dans Manuel des Etudes Grecques et
Latines, Paris, 1920, p. 799 suiv., etles exemples cite"s.
On peut en dire autant, et plus, des restitutions historiques con-
jecturales, obtenues par le precede : Entweder... oder... On range
les divers traits en series antinomiques qu'on declare incompos-
sibles, et alors on choisit 1'une ou 1'autre! M. Goguel en fournit un
bel exemple dans le meme memoire, ou deux theories de la re"sur-
rection, Tune spiritualiste, paulinienne, et 1'autre plus mat6rielle,
dite de revivification, sont par lui retrouve'es et opposees, la pre-
miere 6tant iinalement preferee : Ibid., p. 234 suiv. Cette mthode
commence a Itre discredit6e. Un tres grand nombre des details
ainsi ex6cut6s comme invraisemblables, ou purement symboliques,
ou l^gendaires, ont ete en effet coniirm4s par I'dtude approfondie
des sources juives ou antiques; ou mme simplement par une
reflexion plus sereine. Nous avonsvuM. Loisy lui-m<hne abandon-
ner une grande partie de ses exegeses johanniques, et denoncer
des legendes a pretention historique dans ce qu'il tenait, au temps
de la mode symboliste, pour des allegories pures et simples. Sur
nombre de points, le vieil historien Eduard Meyer a rappele a la
realite ses nouveaux collegues les ex^getes. Nous pensons qu'il reste
beaucoup a faire, et qu'un fait atteste par un nombre imposant de
temoignages concordants, proches des faits et circonstancies,
comme le KAI OTI ETA4>H, a droit de ne pas e" tre sommairement
evince, m6me s'il gene certaines vues philosophiques.
NOTE M 2
LES FINALES DE MARC ET DE JEAN
i. La Finale du second vangile, Marc., xvi, 9-20.
C'est deliberement que j'ai distingue, par un artifice typogra-
phique, des huit premiers versets du ch. xvi de Marc, ce qu'on est
convenu d'appeler sa finale . On sait, d'une part, que 1'eiat de la
critique textuelle ne permet pas d'assimiler, sans plus, les ver-
sets 9-20 de ce chapitre, aux premiers. La-dessus, on peut voir la
dissertation du R. P. Lagrange, fevangile selon saint Marc* , 1920,
p. 426-439. D'autre part, la canonicite de ce morceau est incontes-
table, et un Decret de la Commission Biblique, du 26 juin 1912 :
texte dans F. Cavallera, Thesaurus Doctrinae Catholicae, Paris,
1920, p. 112, II, ne permet pas a un catholique d'affirmer, comme
une verite demontree ce qui serait d'ailleurs du simple point de
v.ue critique, tem^raire que saint Marc n'est pas 1'auteur de ces
versets. Voir sur le sens de ce Decret et sa portee Ferd. Prat, La
Question Synoptique, dans les Etudes, CXXXIII, 1912, p. 598-615.
II ne peut etre question de trancher ici cette question d'auteur.
Qu'on attribue le morceau a une reprise posterieure, par 1'auteur,
de son travail reste, pour une cause inconnue, inachev6; ou qu'on
avoue bonnement son ignorance, on ne sort pas des probabilites.
L'inachevement du texte a xvi, 8 : espoSouvto YP, pris comme accorde
par beaucoup d'ex^getes, n'est pas pour autant incontestable. R.
R. Ottley dans le JTS, XXVII, 1926, p. 407 suiv., a prouve, par
des exemples tires des auteurs profanes et des Septante, qu'une
phrase peut finir par yofp.
Trois points, par centre, paraissent certains :
1 La finale offre avec ce qui precede un contraste qui reste sen-
sible, meme a travers une traduction. Outre que le morceau entier
est un resume assez vague, impersonnel, sans analogue dans le
second evangile, il y a une manifesto solution de continuite entre
le verset 8 et le verset 9, qui reprend 1'histoire de la resurrection a
pied d'osuvre, comme si les huit premiers versets n'existaient pas,
t comme si Marie de Magdala n'etait pas nominee au premier :
Toir H. B. Swete, The Gospel according to S. Mark 3 , 1920, p. CHI-
CXIII.
500
LES FINALES DE MARC LT DB JEAN. 501
2 L'etat du texte, Tabsehce de la finale dans plusieurs des manus-
crits les plus ariciens, notamment le Vaticanus et les Sina'itiques
grec et syriaque; la presence, dans d'autres mariuscrits, de deux
finales differentes (uneplus longue dans L, W, quelques minuscules
et les versions coptes; une plus courte, attestee par saint Jer6me,
etretrouvee recemment dans le tres ancien et considerable ms. W) ;
les doutes d'Eusebe, de saint Jerdme, et tres probablement d'Ori-
gene; Tincertitude des stichometries, tous ces indices fortifienA
1'impression de discontinuity signalee plus haut.
3 Le fragment can onique 1'emporte sans comparaison, en valeur
et en antiquite, sur les autres finales qui paraissent ca et la, ou a sa
place ou conjointement avec lui, dans des manuscrits relativemenit
clairsemes. II figure dans ACDEG(H)KMSUVX, etc. ; dans
d'importants manuscrits de la vieille version latine ; dans la Vul-
gate ; dans les versions syriaques moins la Sinai'tique, etc. II est
cite et exploite par des Peres du n e siecle : saint Justin, saint Irenee,
Tatien, et accepte pratiquement par toutes les Eglises a cette
epoque. S'ajoutant a ces indices, le caractere sobre et traditionnel
du morceau nous autorise a voir en lui une authentique relique
de la premiere generation chretienne ; H. B. Swete, loc. laud.,,
p. CXH, et voir T. S. Roerdam dans The Hibbert Journal, III, 1905,
p. 790 suiv. Nous 1'utilisons comme tel. Le dernier mot sur la
question n'est pas encore prononce , observe sagement H. J. Vo-
gels, apres Tavoir resumee avec I'autorit^ qui lui appartient, Grun-
driss der Einleitung in das NT, Miinster i. W., 1925, p. 65, note.
2. La Finale de saint Jean, xxi.
Contrairement a la finale du second evangile, le chapitre xxi eft
dernier du quatrieme n'offre pas, du point de vue textuel, prise au
doute. Non seulement il n'existe aucune trace du fait que 1' evan-
gile aurait ete lu, ou transcrit, ou traduit, quelque part et a quelque
epoque que ce soit, sans le ch. xxi; mais de plus, cet epilogue est
plutot, avec le prologue, le morceau le mieux atteste du livre .;
Th. Zahn, Das Evangelium des Johannes*, Leipzig, 1921, p. 11. On
peut voir la preuve de cette affirmation dans YEinleitungde Zahn.,
II 3 , p. 492-507; tr. angl. Jacobus et Thayer, III, p. 232-254; et
W. Bauer, Das Johannes-Evangelium*, Tubingen, 1925, p. 228
suiv., ouTopinion contrairedeEd. Meyer, UrsprungundAnfaenge,
I, 1921, p. 311, est demontree intenable.
II demeure que des indices clairs : la presence d'une premiere
finale xx, 30-31 ; le caractere retrospectif des faits narres xxi, 20 suiv..;
502 JESUS CHRIST.
1' attestation formulee xxi, 24, amenent a voir dans ce chapitre un
appendice, qui ne ren trait pas dans le plan primitif de Tauteur :
B. Weiss, Das Johannesev angeliurn als einheitliches Werk, Berlin,
1912, p. 354, 355. Quoi qu'il en soit de la question litte'raire soule-
vde par le verset 24 (voir M. J. Lagrange, fivangile selon saint Jeaji,
1925,. p. 534-535), les souvenirs consignes ici sont manifestement
tres anciens (M. A. Loisy lui-meme, Le Quatneme fivangile, 1903,
p. 916, en juge ainsi), etleur historicite n'est pas moins solide que
celle des faits narres dans le corps du livre : M. Lepin, La Valeur
historique du Quatri&me IZvangile, 1910, I, p. 621 suiv. Sur le
detail et 1'accord avec les autres traditions, H. B. Swete, The Ap-
pearances of Our Lord after the Passion, Londres, 1907, p. 51-66.
NOTE N 2
LE TOMBEAU TROUVE VIDE
La reelle importance de ce fait ne vient pas de ce qu'il ait et6 alle-
gue dans la tradition ancienne, comme une preuve de la resurrec-
tion : on sait que ce n'est pas le cas; mais, au contraire, de ce qu'il
se presente comme une constatation objective, faite par des person-
nes qui ne s'y attendaient nullement. Aussi n'est-il guere d'expedient
dpnt on ne se soit avise pour en ebranler la certitude. M. Kirsopp
Lake suppose bravement que les saintes femmes se sont trompees
de tombeau. Les environs de Jerusalem sont pleins de tombes
taillees dans le roc, et il ne serait pas aise de distinguer Tune de
1'autre, sans la presence de marques distinctives. Suit une expli-
cation tendant a montrer que cette confusion n'a rien que de vrai-
semblable dans le cas! The historical evidence for the Resurrec-
tion of Jesus Christy London, 1907, p. 250.
Avec moins de candeur, mais non moins d'aplomb, M. P. W,
Schmiedel adjuge tout T&pisode a la legende'. Apres avoir renvoye
a un autre memoire de M Encyclopaedia Biblica : Gospel, EB, II,
col. 1879-1880 et ibid., col. 1782, 1783, M. Schmiedel poursuit :
Les trois points desquels nous devons partir (dans la demons-
tration de la non-historicite du tombeau vide) sont : 1 le silence
de Paul, comme aussi de tout le Nouveau Testament, a part les
Evangiles ; voir en particulier Actes, n, 29-32. Ce silence serait
entierement inexplicable si Thistoire ^tait vraie. 2 L'affirmation
deMc., xvi, 8, selon laquelle les femmes ne dirent rien de leurs
experiences au sepulcre : affirmation qui doit etre entendue dans
le sens que Marc etait le premier en 6tat de publier les faits ; en
d'autres termes, que toute 1'histoire est une fiction de tres basse
epoque. 3 Enfin, si, comme nous Tavons vu, les premieres
apparitions de J6sus eurent lieu en Galilee, les nouvelles de ces
apparitions seraient arrives trop tard pour permettre un examen
du sepulcre donnant des resultats satisfaisants. Si 1'on avait
trouve un corps, il aurait ete dans un etat de decomposition trop
avancee pour permettre une identification ; si Ton n'en avait pas
trouv^, la chose aurait ete tres facilement explicable sans postuler
503
504 JESUS CHRIST.
une resurrection. Resurrection and Ascension Narratives , dans
EB, IV, col. 4066.
Le ton doctoral des formules souligne 1'insigne faiblesse de ces
raisonnements. Paul, rappelant un fragment de la catechese pri-
mitive ou il 6tait positivement dit que le Christ qui avait ete
enseveli, xcu #ri fracpni, e"tait ressuscite , n'avait pas a ajouter la
mention distincte du tombeau vide. Elle allait de soi, et n'aurait
porte aucun element de conviction nouveau dans 1'esprit des
Coi inthiens. Le silence des femmes, Me., xvi, 8, concerne le
premier moment, durant lequel pleines d'effroi et hors d'elles-
memes, elles ne dirent rien a personne. Le re"cit, brusquement
interrompu sur ces mots car elles avaient peur , ne permet
nullement d'affirmer que les femmes ne dirent jamais rien a
personne, ni sur le coup, ni ensuite. Ce silence perseverant est
contredit par tous les re"cits plus complets. Ces memes recits
contredisent unanimement 1'hypothese que les premieres appari-
tions auraient eu lieu en Galilee. Mais a supposer meme qu'il en
ait ete ainsi, le dilemme final (developpe ailleurs encore par
1'auteur, EB, col. 1880 s. v. Gospel), est simplement ridicule.
M. Schmiedel, qui suppose que la premiere apparition en Galilee
put avoir lieu le troisieme jour apres la mort de Jesus , et que
la nouvelle put en etre portee sur-le-champ, forthwith , a
Jerusalem, estime-t-il que le corps ne pouvait etre identifie apres
six jours, apres huit jours ?
De tels exces jugent une methode. Et comme on ne fait pas a
1'arbitraire sa part, M. Loisy constatant que I'^pisode de 1'enseve-
lissement par Joseph d'Arimathie est lie avec le tombeau trouve
vide, se d^barrasse sommairementde.tout a la fois : Cette preuve
de fait (le tombeau vide)... parait avoir ete imaginee, d'apres les
vraisemblances, comme une scene de roman, par un esprit de
mediocre invention, pour des lecteurs tres credules ; Jesus et la
tradition evangelique, Paris 1910, p. 205; details dans les fivan-
giles Synoptiqu.es, II, 1908, p. 696-737. On peut se reporter a la
solide discussion d'E. Mangenot, La Resurrection de Jesus,
Paris, 1910, p. 177-240.
Plus originale et encore plus aventureuse, est 1'hypothese deve-
loppee par El. Bickermann, Das leere Grab, dans ZNTW, XXIII,
1924, p. 281-293. La tombe vide se rapporterait d'apres lui a une
epoque diff^rente et bien plus ancienne de la foi chretienne , que
les croyances en la resurrection de Jesus. Les premiers disciples
auraient cru, non a une resurrection proprement dite, mais a 1'en-
levement, a la translation, a Tascension de Jesus, ravi par Dieu en
LE TOMBEAU TROUVE VIDE. 505
corps et en ame, et glorifie. Un florilege d'anecdotes, emprunte'es.
aux milieux et aux temps les plus diffe"rents, allant d'Henoch a
Mahomet, de 1'epiphanie de Romulus et de Tenlevement de
Ganymede a Tensevelissement de Sime'on le Simple, sous Jus-
tinien, est apporte a 1'appui de cette conjecture. La croyance en
la resurrection, represented par saint Paul, I Cor., xv, ne serait
done ni la seule, ni la plus ancienne formule du culte Chretien en
cette matiere, et c'est dans le sol hellenique qu'elle aurait pris
naissance, la ou les traits des dieux morts et ressuscites etaient
bien connus paries mysteres , loc. laud.,$. 292.
Toute cette erudition, qui nous reporte aux beaux jours de la
ferveur comparatiste, est inoperante dans le cas. Bickermann, qui
n'ose tout de meme pas supposer que les ap6tres ne crurent pas a
la mort veritable de Jesus, s'en tire en disant qu'on passa tout
simplement par profits et pertes ces courtes heures de mort : man
kiimmerte sich schlechterdings nicht um diese kurzen Todes-
stunden ; p. 290! II est admirable, apres cela, quele dogme chre-
tien de la mort redemptrice se soit fait accepter comme fonda-
mental en 1'an 50, non seulement par Paul, et dans des chretientes
d'origine partiellement hel!6nique, telles que Corinthe, mais qu'il
ait ete preche par tous les ap6tres :
Or sus, que ce soit moi, que ce soient eux,
ainsi nous pr^chons et ainsi vous avez cru (I Cor., xv, 11)
et regu dans des Eglises, telle celle de Rome, ou Paul n'avait
jamais mis les pieds, et pour laquelle, selon toute apparence,
avait ete ecrit cet evangile meme de Marc dont un verset fournit
a M. Bickermann son fragile point de depart. Ces faits constants
nous font rentrer sur le terrain de Thistoire, datee et documented,
loin de ce que Johannes Weiss, dans son dernier ouvrage, appelait
justement les fantdmes de ceux qui pretendent faire de la mort
du Christ, un cas particulier des dieux de la Vegetation, mourant
et ressuscitant chaque annee , celebres dans les mysteres : Das
Urchristentum, 1917, p. 379 note.
On notera d'ailleurs, sans etonnement, mais non sans inte"ret,
que le tombeau trouve vide, proscrit comme une simple legende r
fiction mediocre d'un esprit peu inventif, par M. Loisy et le gros
des critiques liberaux d'antan, devient, pour le nouvel essaim, le
trait primitif, essentiel, r^velateur de la plus ancienne tradition
chretienne 1
NOTE 2
a RESSUSCITE LE TROISIEME JOUR n.
Le Christ est mort pour nos peches, confonnement aux Ecritures,
et il a ete enseveli ;
et il est ressuscitd le troisieme jour, conforme"ment aux Ecritures,
et il est apparu a Cephas, ensuite aux Douze... (I Cor., xv, 3-5).
Le troisieme four ; ou : apres trois jours P
La mention du troisieme jour figure a mainte reprise, on le
sail, dans les predictions de Jesus concernant sa fin. Mais on la
trouve sous deux formes : Tune recouvre exactement la fornrale
paulinienne : le troisieme jour , TflTprryj -fin-epa : Mt., xvi, 21; xvn,
23; xx, 19; Lc., ix, 22 et xvm, 33 (dans ce dernier cas, avec une
difference modale tres legere : TTJ ^'pa TTJ rpitY] ); 1'autre est parti-
culiere a saint Marc : apres trois jours, JAET& Tpe?c^po< : Me., VHI,
31 : ; ix, 31; x, 34. Les trois jours et trois nuits du signe de
Jonas : rpeT? ^e'poc x\ -rpeT; voxtac, Jonas, i, 17 (n, 1, LXX) et Mt. , XH,
40, ont pu servir d'intermediaire entre les deux formules, comme
le penseM. J. Lagrange, fivangile selon saint Luc, 1921, p. 266.
Je s"uggererais egalement, comme agissante en ce sens, la parole
du Christ sur le Temple d6truit et re^difi6 en trois jours, $i&Tpto>v
-f,jx6piov , Mt., xxvi, 61 ; Me., xiv, 58; ?v ipfmv %lpatc , Mt., XXVH,
40; Me., xv, 29; Jo., n, 19 et20. Cette parole a en effet vivement
frapp6 les contemporains.
Quoi qu'il en soit, c'est la premiere fornrale : le troisieme
jour , d'ailleurs identique pour le sens avec 1'autre, mais plus
precise, qui triompha. C'est elle que donne la catechese la plus
ancienne transcrite par saint Paul, I Cor., xv, 4. Elle obsede les
transcripteurs de I'^vangile, comme en temoigne l'e"tat du texte de
aint'Marc, oil elle tend a s'introduire, et est attestee par un
; grand nombre de manuscrits aux trois seuls endroits, Me., VHI, 31;
ix, 31 ; x, 34, ou figure le apres trois jours . On peut voir les
variantes dans Burton et Goodspeed, A Harmony... in Greek,
p. 143, 152, 223. Enfin, c'est le troisieme jour qui figure sans
exception dans tous les symboles, orientaux et occidentaux, ou
mention est faite de la date, c'est-a-dire moralement dans tous.
506
nES*JSCIT6 LE TROISIKME JOUR . 07
Textes dans H. Lietzmann, Symbolstudien, dans ZNTW, XXI,
1922, p. 16, 17. -
Conformement aux ficritures .
Par centre, 1'incise : Conformement aux Ecritures , a disparu
de la plupart des symboles (exception faite de celui d'Antioche,
du Niceno-constantinopolitain transcrit par saint Epipharie, Anco-
ratus, 118, et du Nestorieri). La mention des Ecritures qui vise tres
surement, dans saint Paul, le fait de la resurrection, comme il
appert des te"moignages scripturaires abondamment mis en usage
dans les premiers discours sur la resurrection, ne couvre pas aussi
clairement (Joh. Weiss, Der erste Korintherbrief '* ', 1925, p. 348,
1'a tres bien reconnu) la date du troisieme jour . Nous ne lisons,
dans tout le Nouveau Testament, aucun temoignage scripturaire
sur ce point. Le seul en dehors du signe de Jonas que Jesus s'est
applique a lui-meme qu'on ait pu trouver, etson application parait
tardivement, est le texte d'Osee, vi, 1 suiv. Ce prophete met en scene
les Israelites revenant a Dieu, a la suite d'une e"preuve, dans un
moment 6ph6mere de devotion :
Venez, revienons & Iahv6,
Car il a d6chir6, mais il nous guerira (ou : pour nous guerir),
il a frappe, mais il nous pansera (ou : pour nous panser) ;
II nous fera revivre (ou : nous restaurera) apris deux jours,
au troisitme jour, il nous rdtablira (ou : nous fera lever) pour que nous
[vivions devant lui.
Pour que nous sachions poursuivre la connaissance de lahve,
sa sortie est paree (ou : sure) comme 1'aurore ;
pour qu'il vienne sur nous
comme la pluie tardive (de printemps) qui arrose la terre.
Le P. J. IMeyrand, auquel je dois cette traduction, fait remarquer
qu'au verset 2 : II nous fera revivre , le verbe haia : vivre,
revivre, a probablement le sens de gudrir, comme dans Josue,
v, 8.
Les mots soulignes, sur lesquels on a edifi6 mainte conjecture
fragile, possedent par contre un commentaire rabbinique ancien,
assez copieux. Us sont toujours interpretes dans le sens d'un
prompt secours accorde par le Seigneur a ceux q'ii se confient en
lui : Jamais Dieu ne laisse les justes plus de trois jours dans le
besoin : nous Tapprenonsde Texemple de Joseph (Genese, xm, 17),
de Jonas, de Mardoche'e, du roi David. Et au reste, il est ecrit :
II nous fera revivre apres deux Jours, etc., Osee, vi, 2. Berechit
Rabba Gen., xci, dans H. Strack et P. Billerbeck, KTM, I, p. 747;
autres exemples, p. 760.
508 JESUS CHRIST.
Si done Ton veut appliquer le conformdment aux Ecritures a
la date de la resurrection, 1'explication la plus naturolle est celle
qui va chercher des temoignages scripturaires dans les textes ou
1'intervention de Dieu en faveur de ses amis et de ses enfants est
rapportee au troisieme jour . L'expression, dans I'opinion popu-
laire, visait une periode tres courte, plutot qu'un laps de temps
determine : on peut voir les exemples apportes par A. van Hoonac-
ker, Les Petits Prophetes, Paris, 1908, p. 330 :I Sam. (I Reg.), xxx,
12 suiv. ; Esther, iv, 16 suiv., rapproche de v, 1. Si le terme s'est
precise, c'est sous 1'influence de 1'evenement.
Analogies mythologiques.
Cette explication parait trop simple a beaucoup de critiques, en
mal d'infiltrations mythologiques. Ne pouvant bonnement soutenir
que la mention du troisieme jour a etc" suggeree par 1'Ancien Tes-
tament, ils cherchent et actuellement trouvent, un peu partout, des
echeances de trois jours, ou d'a peu pres trois jours. Elles ne sont
pas rares. Apres H. Gunkel, W. Bousset a releve celles qui lui
paraissent le plus frappantes : Osiris, dont la mort est commemoree
le 17 du mois d'Athyr, et 1' invention , le 19 ; Attis, dont la mort r
a Rome du moins, sous 1'Empire, etait rappelee le 22 mars, et la
reviviscence, les Hilaries , le 25 : Kyrios Christos*, 1921, p. 25.
Au reste ces analogies ne le satisfont guere : toutes ces combinai-
sons ne sont nullement stires ! II se rallie done, pour son compte,
comme a une probability moins lointaine, a la croyance populaire,
d'origine persane, d'apres laquelle Tame du mort restait trois jours
pres du cadavre. Mais ilfaut reconnaitre que cette croyance, fut-elle
reconnue existante dans le Judaisme contemporain du Christ, ce
qui est loin d'etre, est mal propre a prouver la these. Entre elle et
la resurrection, il y a un abime, puisque c'est justement le dernier
lien du corps avec 1'ame qui acheve de se briser le troisieme
jour , la mort definitive succedanta la premiere mort.
Parmi les autres hypotheses suggerees (on en trouvera le denom-
brement complet dans Carl Clemen, Religionsgeschichtliche Erklae-
rung des Neuen Testaments 2 , 1924, p. 96 suiv*) une seule merite
d'etre relevee, plut6t suggeree que poussee a bout, dans 1'ele-
gant memoire de M. Gustave Glotz, Les Fetes d' Adonis sous Pto-
le'me'e II, dans la Revue des fitudes Grecques, XXXIII, 1920, p. 152
suiv. Partant d'un papyrus contenant les comptes de menage d'un
Egyptien du temps ptolemai'que (Papyrus Flinders Petrie III r
n. 142) et le completant av^c une erudition murie, M. Glotz distin-
gue, dans les fetes automnales annuelles du retour d'Adonis r un
RESSUSC1TE LE TROISIEME JOUR . 509
triduum : un jour d'allegresse, un jour de deuil et d'absti-
nence , enfin le jour des mysteres, durant lequel 1'adoniaste va
au SetxT^ptov oil se joue la pantomime sacree de la resurrection .
Voila une resurrection le troisieme jour! Seulement, comme 1'a
justement note" le P. Lagrange, RB, XXXI, 1922, p. 309-311 (et
outre qu'il n'existe aucune trace d'une influence des Adonies sur la
communaute primitive, entierement judai'sante, de Jerusalem, qui
les eut tenues pour de simples abominations) , le retour escompte
d' Adonis des enfers n'est nullement une resurrection.
II suffit de relire les Syracusaines de Theocrite, principale source
a laquelle puise M. Glotz en vue de completer les maigres donnees
de son papyrus, pour voir que la remontee du jeune demi-dieu a la
lumiere du soleil n'etait rien moins qu'un retour a la vie. Parta-
geant ses favours entre Persephone et Aphrodite, Adonis etait
rendu pour quelque temps, chaque annee, par la permission de
Zeus, a 1'amour de celle-ci. C 'etait cet anniversaire qu'on celebrait,
quand les Heures cheries, les plus lentes des deesses, ramenaient
Adonis, avec le douzieme mois, de 1'intarissable Acheron . Mais,
le reste de 1'annee, le jeune heros beneficiait des sombres caresses
de la deesse chthonienne. Et c'est justement ce partage regulier
entre les deux amantes, 1'infernale et la celeste, qui distinguait la
legende d' Adonis : Tout.seul, parmi les demi-dieux, cher Adonis,
tour a tour tu viens sur terre et tu vas aux Enfers. Ni Agamemnon
n'a eu cette fortune, ni le grand Ajax, etc. Les Syracusaines,
vers 100 suiv., 136 suiv. Trad. Ph. E. Legrand, Bucoliques grecs,
I, Theocrite, Paris, 1925, p. 125, 127.
En resume, la mention du troisieme jour n'a rien a faire avec
ces lointaines mythologies. Elle figurait dans les predictions du
Christ, conformes elles-memes . a la croyance, surement repandue
alors enlsrae'l, selon laquelle Dieu ecoute et secourt tres vite, le
troisieme jour , les justes qui se confient en lui. Mais ni les pro-
pheties du Seigneur n'avaient ete comprises par ses disciples ; ni la
croyance a 1'aide divine du troisieme jour n'impliqua,it un lapt
de temps fixe, determine. C'est le fait qui a tout eclaire et qui a
dicte la catechese primitive que Paul, entrant dans FEglise, regut
Iui-m6me et transmit a ses fideles.
NOTE P 2
DIEUX MORTS ET RESSUSCITES
II n'est guere de ibrmule plus repandue et plus insidieuse, en
depit de la faiblesse des raisons apporte"es a 1'appui, que celle des
dieux mortset ressucites . C'est que les historiens des religions
antiques, soucieux de rattacher a des notions connues et vivantes
les fables lointaines dont Us font les honneurs aux lecteurs de notre
temps, sont naturellement portes a les traduire en langage contem-
porain, c'est-a-dire chre'tien. Dieu sait s'ils y ont manque! L'on ne
parle pas ici des polemistes grossiersqui ne voient dans ces mythes
et ces croyances qu'un arsenal ou leur sectarisme va s'approvision-
ner a bon marche" : de ceux-la, Garde-toi, et passe ! Mais des
savants qualifies n'hesitent pas a employer un vocabulaire et a for-
muler des analogies generates, qui font rentrer, sans plus, le mystere
chretien dans la plebe obscure des mysteres pai'ens. C'est, par
exemple, M. A. Moret disant dans sa Passion d' Osiris : Rep6ter
sur un cadavre d'homme les mutilations jadis subies par Osiris.
c'etait agir directement sur le dieu m6me ; simuler sur une statue
le demembrement d'Osiris, c'etait le d^membrer a nouveau... A
chaque sanglant mystere accompli dans une tombe ou dans un
temple... Osiris, subit sa passion, meurt, renait. II est sacrifie
sur chaque autel*. C'est M. Raff. Pettazzoni, qui, apres avoir r
tres loyalement, marque les differences capitales qui separent
le christianisme des religions a mysteres, ajoute cependant :
Christ meurt et ressuscite comme Adonis, comme Osiris, comme
Attis, et si I'initid aux mysteres est regen^re par la vertu desactes
sacres qui le rendent participant du destin du dieu et consequem-
ment aussi de sa resurrection, le Chretien aussi revit en Christ par
la communion avec le Christ, par la participation sacramentelle
aux graces du Christ 2 . Et M. Loisy n'a pas craint d'ecrire : Dans
tous les mysteres et jusque dans le culte chretien nous trouverons
des rites de sacrifices et des mythes de sacrifices... aussi varies les
1. Rois el Dieux d'Egypie s , Paris, 1923, p. 103.
5J. IMisleri, Bologne, s. d. (1924), p. 316.
510
DIEUX MORTS ET RESSU8CITES. 511
uns que les autres. Faons de"chires tout vifs'et manges par les bac-
chantes, petits pores immoles a Demeter, tauroboles et crioboles de-
la Grande Mere, cene de Mithra, eucharistie oil saint Paul nous fera
voir la communion au Christ mort et ressuscite :telssont les rites....
Zagreus de"vore par les Titans, Core" ravie au pays de la mort, Attis
mutile, Osiris demembre 1 et ressuscite", Mithra tuant le taureau, le-
Christ de Paul livre a la mort pour effacer les pe"ches des hommes r
tels sont les mythes * .
II ne suffit pas de protester centre des assimilations, sommairea
parfois jusqu'au blaspheme. II faut voir encore ce qu'il en reste-
quand on sort des geneYalites. On n'a pas la prevention de faire
tenir dans une note ce qu'il faudrait un livre pour exposer, mais de
rechercher, sur le- point precis de la mort et de la resurrection du
Christ, quelles analogies nous offrent les religions antiques a mys-
teres. C'est pourquoi, sans essayer de retracer la genese et 1'histoire-
des mythes dans lesquels est implique" un dieu mort et ressuscite r
nous preciserons les traits essentiels de ces fables, a l'poque-> oil
elles purent inspirer la religion- chretienne, et entreren concurrence
avec elle. Sur chacune, nous renverrons seulement a quelques-
ouvrages et memoires particulierement accessibles, on considira-
bles 8 .
1. Osiris.
De tous les dieux morts, sinoa ressuscit^s au sens reel du mot r
le mieux documente est certainement Osiris, soit a cause de 1'abon-
1. Les Mysteres paiens et le Myslere chrelien, Paris, 1919, p. 22-23.
'2. Citons ici, une fois pour toutes, les livres de Franz Cumont, Les Religions
orientales dans le Paganisme romain, Paris, 1907, 2 1909; J. Toutaih, Les Cultes
patens dans I' Empire romain, I, 2, les Guiles orientaux, Paris, 1911; Paul Wend-
land, Die Hellenislisch-roem, Kultur in ihren Beziehungen zu Judentum und Chris-
tenlum 2 - 3 , Tubingen, 1912; A. Loisy, Les Mysleres patens et le Myslere Chretien,
Paris, 1919; R. Reitzenstein, Die hellenistischen Myslerienreligionen*, Leipzig, 1920;
U. Fracassini, II mislicismo greco e il Crislianesimo, Citta di Castello, 1922 ; R.
Pettazzoni, IMisleri, saggio diuna teoria storico^religiosa, Bologne, 1924; J. Leo-
poldt, Slerbende und auferstehende Goelter, Leipzig, 1923.
Les deux premiers cit<Ss sont assur6ment les plus objectifs. Extremement
erudits et riches en suggestion, les ouvrages de P. Wendl'and et R. Reitzenstein
sont a contrdler de pres, et, plus encore, les parties du Golden Bough 3 , de Sir
J. G. Frazer, qui concernent le sujet : Part III, The dying God; Part IV, Adonis,
A llis, Osiris. Lecharmant petit livre de Thadde"e Zielinski,Z,a Religion de la Grece
antique, tr. Fichelle, Paris, 1926, qui touche ces questions aux ch. H, iv et vn
avec la maiirise habituelle de 1'auteur, est malheureuseraent gate par un double
parti pris : d'optimisme a regard de rHell^nisme, et d'injuste s6v6rite pour tout
ce qui est judaique.
512 JESUS CHRIST.
dance des monuments concernant la religion e"gyptienne, soit parce
que Plutarque a consacre" a son cycle un opuscule considerable, que
nous posse*dons. La litte'rature est immense 1 .
Filsaine de Qeb, le dieu-terre, et de Noui't, la deesse-ciel, Osiris
personnifie en meme temps la vegetation, la nature fertile de
1'Egypte et 1'eau vivificatrice du Nil. Sa le"gende le donne avant
tout pour le roi civilisateur qui fit passer ses sujets de la barbaric,
danslaquelle Thomme etait pour 1'homme un loup, a l'6tat de societe
une, moralisee et policee. II regie et organise le chaos, avec 1'aide
intelligente de sa sceur et femme, Isis. En face de ce fauteur d'ordre
t de progres, se dresse une figure de reaction brutale, Seth le
rouge, personnification du desert brulant, frere jumeau d'Osiris.
Jaloux de son frere, Seth le prend par ruse, 1'enferme dans un coffre
de bois, le jette a la mer et usurpe son trone.
Isis s'enfuit dans le Delta, ou, aidee des dieux qui lui etaient restes
fideles, elle recherche les restes de son mari, en retrouve tous les
membres (sauf un que le poisson oxyrhinque avait devore*). Alors,
en magicienne experte, elle essaie de faire revivre ce corps recons-
titue. Malgr6 tous ses efforts, elle ne peutle rappeler a la vie, mais
elle obtient au moins une compensation, celle d'etre fecondee par lui
et de mettre au monde un fils, qui devait devenir le vengeur de son
pere , Horus. Le premier soin de celui-ci, quand il a grandi, est,
aide d'Anubis, d'embaumer le corps de son pere, instituant du coup
Jes rites fune"raires qui assurent au deTuntla vie d'outre-tombe. Grace
A cette momification et aux ceremonies d'Horus, Osiris peut enfin
etre deifie", comme tous ses predecesseurs, les rois, et jouir d'une
vie nouvelle dans le sejour des morts, ou il etablit, comme jadis sur
lerre, 1'ordre et la paix.
Tel est, dans ses grandes lignes 2 , le mythe d'Osiris. Et s'il com-
1. Je signalerai, .parmi la plus r^cente, A. Moret, Rois el Dieux d'figypte 3 ,
Paris, 1923, p.77-]W;Mysteres gypliens 3 ,Paris, 1925, p. 3-102; LeNilel laCivili-
falion fyyplienne, Paris, 1926; H. Gressmann, Tod und Auferstehung des Osiris,
Leipzig, 1923; G. Roeder, Usire, dans Roscher, LGRM, IX, 1925, col. 122-140;
H. Junker, Die Mysterien des Osiris, dans le Comple rendu analylique de la HI"
Semaine d'Elhnologie religieuse, Enghien, 1923, p. 414-426.
Le trait6 de Plutarque sur Isis et Osiris a 6te traduit fidelement par Mario
Meunier, Paris, 1924, avec un commentaire moins sur. Toutes les histoires de la
religion egyptienne traitent le sujet plus ou moins longuement. On peut voir,
par exemple, T. E. Peetdans The Cambridge Ancient History, I 2 , Cambridge, 1924,
ch. ix, p. 332 suiv. ; H. 0. Lange, dans le Lehrbuch der Reiigionsgeschichte*, de
Chantepie de la Saussaye, Tubingen, 1925, 1, p. 456 suiv. ; et 1'excellente bibliogra-
phic de G. J^quier, Hisloire de la Civilisation figyplienne, Paris, 1923, p. 311-320.
2. J'ai suivi, etparfois transcritG. J^quier, Hisloire de la Civilisation figyplienne,
Paris, 1923, p. 39-42.
DIEUX MORTS BT RE8SUSCITES. 513
porte un bon nombre de variantes importantes, il est toutefois
beaucoup moins flottantque ceuxd'Attis oud 1 Adonis. Nous n'avons
a nous attacker ici qu'aux traits coneernant la mort et la resurrec-
tion du dieu. Ce sont aussi ces faits qui, au cours des mysteres
d'Osiris, etaient, nousdit-on,representes et mimes dans degrandes
f6tes dramatiques , jouees partie en plein air, devant le grand
public, partie a I'interieur des temples, et parfois dans des edifices
speciaux, les chapelles d'Osiris * . Ces mysteres comportaient trois
drames ou representations principales : la mort, 1'ensevelissement
et le triomphe d'Osiris. Le premier de ces actes coi'ncidait avec la
fete de la gerbe, ou de la vegetation ; le second, avec celle de la
moisson ; le troisieme, beaucoup moins bien atteste, consistait dans
le redressement d'un pilier symbolique, le Ded ; ou dans 1'introni-
sation dans un naos a deux sieges, d'une double effigie du dieu, en
costume de roi de la Haute et Basse Egypte.
En tout cela, la resurrection d'Osiris ne figure pas. M. A. Mo-
ret la postule, comme indispensable a 1'economie du mystere. Mais
il reconnait tres loyalement qu'il n'y en a pas trace dans les monu-
ments, ou les textes-; la representation de la Passion et de la Mort
d'Osiris, ecrit ce savant, s'accompagnait certainement de la Re"sur-
rection du dieu. Or, dans lagrande Procession etla fete de la Mois-
son, nous nevoyons pas figure's les rites qui provoquent cette resur-
rection d'Osiris ; c'est pourtant le nceud de ce drame sacre. Sans
doute cet acte, repute secret, se jouait-il hors de la vue du public :
aussi n'est-il pas revele par les inscriptions et les tableaux. On
peut supposer que la curiosite du peuple se tenait satisfaite du
denouement du drame : puisque Osiris est ramene triomphant dans
son temple, c'est qu'evidemment il a vaincu Seth, il s'est releve" de
la mort. A Medinet-Habou, on proclame 1'avenement au trone d'Ho-
rus, fils d'Isis et d'Osiris ; c'est-a-dire qu'Osiris est ressuscit^ sous
la forme de son fils 2 .
Autant dire qu'il n'est pas ressuscite, sinon en metaphore, ou par
personne interposee. Les mysteres secrets vont-ils nous mener plus
loin ? M. Moret 1'affirme avec assurance. Dans le long rituel a vingt-
quatre scenes qui constituait le culte quotidien d'Osiris, on nous dit
qu 1 il y a progression dans le rite, qui aboutit, par etapes, a la
resurrection du dieu . Mais il faut s'entendre, et voir en quoi conr
siste cette resurrection.
Isis, en depit de ses pouvoirs et de sa science magique, n'avait
1. A. Moret, Mysteres tigyplienss, 1923, p. 7.
2. Mysleres figyptiens 3 , p. 1-12.
CHRIST. n. 33
514 JESUS CHRIST.
pu, apres avoir retrouve", rassemble", rapproche", tous les membres
d'Osiris sauf un rappeler son mari a la vie. Son fils Horus,
aide de sa mere et de leurs dieux allies, Thot, Anubis et Nephthys,
sera-t-il plus heureux ? Oui, nous dit M. Moret ; mais voici 1'expli-
cation : Isis, Horus, etc., rassemblent les membres epars, mettent
al'abri de la corruption ces chairs perissables (par un embau-
mement soigne, exemplaire pour tous ceux qui, parle m&me moyen,
chercheront la m&me fin). Ils en font un corps eternel (zet, la pre-
miere momie) dans laquelle Osiris revivra ajamais* . II revivra;
mais oil ? mais comment ? Aux enfers, dans le royaume des morts r
n'e"tant plus sur terre qu'un roi faineant. Toutefois, ajoute M. Mo-
ret, cette vie nouvelle est celle d'un roi retire du monde, d'un heros
divinise", qui, tout en restant le protecteur de sa race, laisse la di-
rection des affaires a son successeur 2 . Plus loin, resumant ce-
qu'il appelle la doctrine osirienne , le m6me savant explique
ainsi les choses : Nous avons dit comment Seth avait cause" la
mort d'Osiris, et par quels moyens, techniques et magiques, Isis
et ses allies avaient sauve son cadavre de la putrefaction. Le corps
d'Osiris, desinfecte par le natron, fut preserve" du contact de 1'air
par un reseau de bandelettes. Anubis e"tait, selon la le"gende, 1'inven-
teur de 1'emmaillottement... Isis paracheva 1'ceuvre par son art
magique : les formules, les charmes sortis de sa bouche (creatrice
comme celle de toutdieu) transformerentce cadavre en corps 4ternel.
Osiris fut la premiere momie. Limitation des mouvements rendit k
ce cadavre incorruptible la vie apparente qui lui manquait. Ces
ceremonies assurent a Osiris, dans 1'autre monde, la spiritualisa-
tion qui marie son zet (corps momifie", done eternis6) a son Jta
(element d'ordre spirituel) 3 .
Si Ton veut appeler cette serie d'op6rations, avec ses resultats,
une resurrection, nous ne discuterons pas sur les mots. Mais nous
demandons ce qu'il y a, en tout cela, d'analogue avec une resurrec-
tion proprement dite, corporelle, et en particulier avec celle du
Christ. Tout de meme que nous demandons quelle analogic permet
d'appeler 1'assassinat d'Osiris par son frere, une passion , au
sens chretien du mot. Et nous preierons la fae.on de parler de
M. T. E. Peet, qui conclut, apres avoir expose" brievement les opi-
nions touchant 1'origine du mythe osirien : Dans les deux cas, le
fait essentiel qu'il faut retenir, c'est qu'il (Osiris) est d'abord et
1. A. Moret, Le Nil et la Civilisation jgyptienne, 1926, p. 104.
2. Ibid., p. 104.
3. Ibid., p. 445-446.
DIEUX MORTS ET RESSUSCIT^S. 515
avant tout un roi mort : the essential fact to be grasped is that he is
first and foremost a dead king (soulign6 dans le texte) 4 .
Plus encore : Osiris est un roi tue. Dans sa carriere royale et, par
consequent, d'apres la conception egyptienne, divine, de laquelle de-
pendent a la fois la fecondite du sol et le bonheur du peuple, il est
arrete brutalement par la fourberie de son detestable jumeau, le
rouge Seth; ainsi, au printemps, la vegetation deja exuberante et
pleine de promesses est parfois arretee, devoree, fletrie, par un
vent brulant venu du ddsert. Tous les rites qui portent le sens du
mythe vont a montrer la carriere royale d'Osiris, type a la fois et
condition dubien-etre de sespeuples, reprenant, grace aux charmes
puissants et au devouement d'Isis, son cours normal. G'est ce
redressement sauveur qui est commemore et ce!6bre, ce sont les
precedes magiques employes par Isis, son fils Horus et leurs dieux
amis, pour procurer ce redressement, qui sont mimes dans les mys-
teres d'Osiris. Mais la carri6re de celui-ci, sur terre, est terminee a
sa mort : il ne ressuscite done nullement. Seulement et ceci suf-
fit pour assurer les graves consequences pratiques qu'on en attend
et qui en dependent cette reprise est obtenue dans 1'autre monde,
ou Osiris, d6sormais pourvu d'un corps reconstitue", et dument
momifie, peut poursuivre le cours, tragiquement interrompu ici-bas,
de sa destinee royale et divine.
2. Dionysos Zagreus.
On ne s'attend pas a trouver ici un expose de 1'Orphisme : avec
un peu d'humeur, M. F^ranz Cumont disait naguere qu'on en a sin-
gulierement abuse dans ces dernieres ann6es, et exagere son action
sur la litterature, sur 1'art et sur la religion de 1'epoque romaine 2 .
Quoi qu'il en soit de ce trait qui vise surtout la savante fantasma-
gorie de M. Vitt. Macchioro 3 , il est impossible d'aborder meme
1'ensemble des notions dispersees, maigrement documentees pour
la plupart, et inextricablement emmelees dans les theories reli-
gieuses, philosophiques ettheosophiquesposterieures, quiserecom-
mandent du nom d'Orphee 4 .
1. Nature of Osiris, dans Egyptian Life and Thought, The Cambridge Ancient
History, 1 2 , 1924, p. 333.
2. Revue de I'Histoire des Religions, LXXXV, 1922, p. 85.
3. Zagreus, sludi sull' orfismo, Bari, 1920.
4. Je renvoie li-dessus aux m^moires de MM. Paul Monceaux, Orpheus, Or-
-phici, dans Daremberg-Saglio-Pottier, DAGR, IV, i, p. 241-256 ; Ch. Dubois,
Zagreus, Ibid., V, 2, 1034-1037; d'CX Gruppe, Orpheus et Phones, dans Roscher,
LGRM, III, i, col. 1058-1207 ; III, 2, col. 2248-2271 ; et au brillant exposS de
516 JESUS CHRIST.
Laissons de c6t, comme sans ported sur la question prdsente, la
periode tres obscure des origin,es, et ne cherchons pas a d6partager
les influences subies. Nous entrons sur un terrain solide au sixieme
siecle avant J6sus-Christ ; alors existe, a Athenes et en Grande-
Grece, un culte religieux, bachique, non pas officiel mais pratique
par des fideles associ6s en confreries ou thiases. Ces grpupes recru-
tes librement se r^clament, comme initiateur de leurs mysteres, du
heros thrace Orpheus, poete, devin et musicien. Le principal souci
des Orphiques porte sur 1'au-dela, le monde futur. Us tachent de s'y
assurer le salut, en pratiquant une regie assez severe, apparentee
aux coutumes pythagoriciennes, et en celebrant des rites appuyes
du moms en droit : on sait qu'en fait il convient le plus souvent
de renverser le rapport, les mythes etant poste"rieurs aux rites, et
destines a les justifier sur des croyances mythiques appartenant
au vaste cycle dionysiaque. Dans la suite, et c'esta cestade de lente
dissolution et defiguration que 1'orphisme en etait arrive aux temps
apostoliques, les loges ou thiases places sous le patronage d'Or-
pheus evoluerent vers une sorte de theosophie, a nuance philoso-
phique chez les doctes, a tendance magique chez les autres.
Le mythe fondamental de 1'Orphisme ancien, religieux (toute
reserve etant faite sur sa prehistoire, fort mal connue encore) est
celui de Dionysos Zagreus, que toutes les sources nous donnent
comme originaire de la Thrace. Les cultes de cette province etaient
celebres par leur caractere orgiastique : ils etaient celebres de
nuit, sur la cime des collines, a la lueur douteuse des torches : une
musique sourde et insistante en exasperait la erudite. Ni hymnes
ni chants mesures; mais des cris pergants et repetes, scandant une
danse fr6n6tique. C'^taient surtout les femmes qui ballaient, dans
ces rondes, jusqu'a l'6puisement complet. Elles Etaient 6trangement
vetues, portant des bassarai, longues robes flottantes faites de
peaux de renard cousues ensemble : par-dessus, des peaux de daim,
E. Rohde, Psyche 8 , ch. x etvm, trad, anglaisede W. A. Hillis, 1925, p. 335suiv
Apr^s M. S. Reinach, deux 6rudits, M. 0. Kern en ALlemagne et, plus r6cem-
ment, M. A. Boulanger, en France, ont fait de 1'Orphisme leur domaine. Au pre-
mier, nous devons la meilleure Edition des textes : Orphicorum Fragmenta,
Berlin, 1922, et Orpheus, eine religionsgeschichtliche Unlersuchung, Berlin, 1920;
a M. A. Boulanger, OrpMe, Rapports de 1'Orphisme et du Christianisme, Paris,
1925, prelude d'un ouvrage beaucoup plus considerable. Les exposes italiens sont
nombreux et copieux : U. Fracassini, II Misticismo greco, etc., 1922, p. 72-116;
R. Pettazzoni, / Misleri, 1924, p. 57-71, N. Turchi, etc. La question des rapports
avec le Christianisme, abordee avec plus d'6rudition que de jugement par
V. Macchioro, Orphismo e Paolinismo, 1922, est trait6e par A. Boulanger, OrpMe,
1925, p. 85-134, et le R. P. Lagrange, Revue Biblique, XXIX, 1920, p. 424-435,
d'une faQon tres complete.
DIEUX MORTS ET RESSUSCITES. 517
dont les comes m&mes surmontaient leur t&te. Les cheveux d^noues
flottaient au vent : elles portaient dans leurs mains les serpents
consacres a Sabazios et brandissaient des poignards ou des thyrses
dontle fer etait cache* dans des feuilles de lierre. Ainsi accoutres,
elles se demenaient furieusement, jusqu'a ce que, ayant atteint le
paroxysme de 1'excitation, en etat de fre'ne'sie sacree, elles se
jetassent sur 1'animal ehoisi pour victime et dechirassent, membre
par membre, leur proie capturee. Alors elles saisissaient entre
leurs dents la chair saignante et la devoraient toute crue 1 . v
II n'est pas indifferent d'evoquer la fieVreuse atmosphere thrace,
pour situer Vomophagie (manducation de la chair crue de la vic-
time) qui figure dans le culte orphique, comme rite fondamental ;
et aussi le mythe essentiel comme*more par ce rite, et que voici :
Zeus et Rhea, unis sous la forme de serpents, avaient eii une
fille, Persephone, &tre monstrueux qui avait quatre yeux et des
comes. S'etant une seconde fois metamorphose en serpent, Zeus fit
violence a sa fille et de cette union naquit Dionysos Zagreus, qui,
comme sa mere, avait des comes. Nonnos 1'appelle xspoev ppfpo;, le
petit cornu. Craignant pour lui les pieges de Hera (Juiion), Zeus
lui donna comme gardiens les Curetes qui 1'avaient garde lui-me'me
dans son enfance; n6anmoins, le jeune dieu fut surpris par les
Titans, envoyes par He"ra, qui I'amuserent en lui pr^sentant des
jouets. II chercha a leur echapper, se transformant successivement
en lion, en tigre, en cheval, en serpent, en taureau; mais il fut tue
par eux, et ses meurtriers, apres 1'avoir depece, en devorerent les
morceaux. Zeus ordonna a Apollon de recueillir et d'ensevelir ses
membres : le dieu de Delphes les ensevelit a cote du tre"pied. Quant
au coeur, reste intact, Pallas 1'emporta et le remit a Zeus qui, apres
1'avoir absorbe, donna naissance a un second Dionysos, destine a
partager desormais la gloire et la souverainete de son pere. D'apres
une variante de la legende, Sem61e aurait avale le coeur de Zagreus
et aurait enfante ainsi le second Dionysos, le Dionysos Thebain.
Les Titans furent precipite"s dans le Tartare, reduits en cendres, et
de ces cendres naquit le genre humain... Po'ur les Orphiques,
Zagre'us Dionysos est le dieu premier-ne de Zeus, associe au pou-
voir souverain de son pere; il est le monarque universel.... Tame
du monde , dont il assure la perpetuite. Sa lutte contreles Titans,
sa mort, sa resurrection expriment les vicissitudes de la vie dans
la nature, dans le monde physique et moral. Car il est le principe
du bien, tandis que les Titans represented 1'energie destructrice
1. Erwin Rohde, Psyche*, tr. anglaise W. A. Hillis, 1925, p. 257; les textes
anciens, qui garantissent tous ces traits, p. 306 suiv.
518 JESUS CHRIST.
du mal. C'est pourquoi 1'homme, no" des cendres des Titans qui
s'etaient nourris de Dionysos, est un compose de bien et de mal.
II doit expier la peine de ses ancetres et degager en lui les bons
elements en se consacrant a Dionysos. Tel est le but de 1'initiation
orphique 1 . J'ai transcrit ce resume a cause de sa severe objectivite
et de sa clarte en une matiere ou il est difficile d'etre clair.
Dans 1'initiation orphique, le rite principal e"tait 1'omophagie,
le repas ou les fideles depecaient et mangeaient la chair crue d'un
taureau , qui representait Dionysos lui-m^me : ainsi participaient-
ils a sa vie, devenaient ses fe"aux et etaient reconnus de lui quand
ils arrivaient dans 1'autre monde.
Le mythe principal, dont il existe des variantes, qui le rappro-
chent (c'est le cas du Dionysos cretois) du mythe osirien, est appa-
rente, selon V. Macchioro, a 1'initiation chretienne*.
La comparaison, a vrai dire, est ancienne, puisque vers le milieu
du deuxieme siecle, Justin, et, trente ans apres, Celse, la mention-
nent. Origene repliquait a celui-ci : Qu'y a-t-il de venerable dans
ce Dionysos furieux, v6tu en femme, pour qu'on 1'adore? Que si ses
apologistes recourent aux allegories, autre chose est d'examiner ces
allegories pour voir si elles renferment quelque partie saine, autre
chose est de douer de personnalite" et de juger dignes de culte et
d'adoration des etres dechires par les Titans et pre"cipites du tr6ne
celeste 3 . Justin revient a deux reprises sur un deVeloppement qui
devait lui etre familier : la comparaison de 1'histoire de Jesus avec
certains traits des mythes anciens. Parmi eux il mentionne, pour
en attribuer 1'invention aux demons , celui de Dionysos, fils de
Zeus; ils pre"tendirent qu'il avait de"couvert la vigne; ils introdui-
sirent le vin (ou : Tane; la legon ovov est preferee par Otto, Har-
nack et Julicher) dans ses mysteres, et ils enseignerent qu'il monta
au ciel apres avoir ete mis en pieces 4 . Ailleurs, et a peu pr6s
dans les memes termes 5 : Lorsqu'on dit que Dionysos est ne de
Zeus par I'union de celui-ci avec Semele, qu'il a d6oouvert la vigne ;
lorsqu'on raconte qu'il mourut mis en pieces, qu'il est ressuscite
et monte au ciel; lorsqu'ils produisent dans ses mysteres un ane
(ou : du vin), est-ce que je ne comprends pas que le diable a imit6
la prophetic du patriarche Jacob, etc.? J'ai soulign6 les mots qui
se rapportent, dans le cycle dionysiaque, a Zagreus ; Justin, qui
1. Charles Dubois, Zagreus, dans DAGR, V, 2, p. 1034.
2. Orfismo e cristianesimo, dans Gnosis, I, 1921, p. 92 suir.
3. C. Celsum, IV, 23. 6d. Koetschau, I, p. 219-220.
4. I Apol., LTV, 6; (5d. et trad. Pautigny, p. 114-115.
5. Dialog., LIX, 2; e"d. et tr. Archambault, II, p. 332-335.
DIEUX MORTS ET RESSUSCITES. 519
veut montrer 1'astuce diabolique de 1'imitation, traduit le mythe
en termes Chretiens : xa\ arcoOavovTa
On n'a done pas le droit d'ecarter sans discussion 1'analogie pro-
posee par les comparatistes. Elle porte beaucoup plus sur la mort,
ou, potfr employer leur langage, la passion de Dionysos Zagreus,
que sur sa resurrection. Celle-ci, dans les variantes qui nous sont
irapportees : le cceur du jeune dieu dissous dans un breuvage bu
par Zeus, ou par Seme'le, qui ensuite 1'enfante a nouveau; ou le
taureau repoussant, comme un grain, de son coaur seme par
Apollon sous 1'Omphalos de Delphes, est une reprise, par-dessus
une accidentelle coupure, de 1'athanasie propre aux dieux, et non
une resurrection proprement dite. Ce n'est pas epiloguer que de
distinguer ces notions, fort diflerentes en effet.
Dionysos est, comme Osiris, normalement immortel : s'il meurt,
comme Osiris meurt, c'est par suite d'une violence contre nature.
Mais les forces de desordre, de chaos et de mort n'ont jamais le
dernier mot. Apres la victoire ephemere de 1'hiver, ou du vent
brulant (des Titans, de Seth ou Typhon), vient la revanche du
printemps, de la vie, de 1'ordre : Osiris et Zagreus reprennent
done, apres une eclipse, le cours de leur destinee, un moment
obnubilee, suspendue, et non brisee. La resurrection de Zagreus
ne saurait etre assimilee, dit fort bien M. Andre Boulanger 1 , a
eelle du Christ. Le jeune dieu devore par les Titans renait sous
une autre forme; c'est encore Dionysos, mais ce n'est plus Zagreus.
Autant pourrait-on en dire de 1'Osiris celeste, compare au terrestre.
Leurs -fideles celebrent cette victoire de leurs dieux et tachent d'y
participer, soit en imitant l'embaumement et les rites efficaces
moyennant lesquels Isis, Horus et leurs acolytes ont rendu a Osiris
un corps necessaire a sa vie d'outre-tombe ; soit en mangeant la
chair crue de 1'animal qui representait Zagreus, afin de s'assimiler
a. lui, d'apres cette idee tres repandue qu'en mangeant la chair
d'un heros, on s'assimile son courage (en 1649, les Iroquois qui
martyriserent les PP. Jean de Brebeu! et Gabriel Lallemant leur
arracherent le coeur et le mangerent sur place, pour faire passer
en eux I'heroi'sme de leurs victimes 2 ) .
S'il n'y a pas resurrection, au sens propre et chretien du mot, il
n'y a pas non plus passion. Osiris est surpris et mis a mal par son
affreux jumeau ; Zagreus, attire dans un piege par les Titans, ser-
1. Orphee, Paris, 1925, p. 95.
2. G. Goyau et G. Rigault, Martyrs de la Nouvelle France, Extrails des Rela-
tions et Lettrcs, etc., Paris, 1925.
520 JESUS CHRIST.
viteurs de la jalousie d'Hera, essaie en vain de fuir sa destinee. II
n'estpas commele Christ une victime volontaire. Bien loin d'avoir
consenti a subir la mort, par un acte libre de justice et d'abne"gation.
il a tout fait pour echapper a ses ennemis. II auraitete bien en peine
d'appliquer aux hommes le benefice de ses souffrances, puisque la
race humaine est issue des cendres de ses meurtriers. D'ailleurs, la
passion de Zagreus, si on veut la concevoir comme un sacrifice utile
au monde, devrait etre a la fois la faute originelle et le remede au
mal qui en resulte, conception absurde, contradictoire et tout a fait
etrangere a la notion grecque de justice 1 .
3. Adonis (Echmoun, Tammouz).
Le heros ou demi-dieu qui figure sous le nom d'Adonis dans la
religion populaire de I'Hellenisme, depuis le septieme ou sixieme sie-
cle avant Jesus Christ, est originellement, son nom meme I'indique
(qui est un nom commun et semitique : mon Seigneur ), un dieu
syrien. II compte parmi les Baals maudits dans la Bible, et son nom
propre est probablement Echmoun 2 . Adonis est-il venu de M6sopo-
tamie ou, sous le nom de Tammouz, il tenait une place importante
dans le Pantheon sumerien ? Est-il, comme le conjecture W. von Bau-
dissin, le frere syrien de Tammouz, tous les deux e"tant issus d'un
dieu semitique plus ancien? En tout cas, les deux divinites sont e"troi-
tement apparentees, etleur culte, avec les mythes qui s'y rattachent,
se recouvrent en grande partie, comme elles recouvrent (avec des
variantes plus notables, mais qui n'atteignent pas la substanca) les
mythes et le culte de 1'Adonis grec. II s'agit toujours d'un jeune
heros, de race divine, amant d'une grande deesse, separ6 d'elle par
une mort prematuree, et rendu, dans une mesure diff&rente, a son
amour. Dans ce couple : Ichtar-Tammouz en Babylonie; Astarte (ou
Baalathj-Echmoun (ou Adon) en Syrie; Aphrodite-Adonis en Grece,
c'est toujours la partie feminine qui est au premier plan ; et la chose
ost naturelle. Dans le drame annuel de la vegetation, le grain qui
porit pour revivre et fructifier est subordonne a la Grande Mere, la
Terre feconde, dans 1'ample sein de laquelle il eclora, et dont depend
1. A. Boulanger, loc. laud., p. 94. Voir aussi M. J. Lagrange, RB, XXIX, 1920,
p. 427. On nous permettra de n6gliger iciles brillantes fantaisies, d'ailleurs fort
Erudites, deR. Eisler, Orphisch-Dionysische Mysteriengedanken in der chrisllichen
Anlike, Leipzig, 1922-1923 ; qui, aussi bien, concernentplutflt Fart Chretien antique.
Voir J. Lebreton dans RSR, XVI, 1926, p. 36 suiv.
2. Voir A. Jeremias, Semitische Voelker in Vorderasien, 31, dans Chantepie
dela Saussaye,LehrbuchderReligionsgeschichie l , I, 1925, p. 368 : ontrouve des
composes Echmoun-Ad6n, et Ad6n-Echmoun.
DIEUX MORTS ET RESSUSCITES. 521
toute sa destineV. Nous parlons dedrame, parce que c'est sous la
forme d'un mystere, repre"sente et mime, que le culte de ces vieilles
divinite's agraires se presente surtout a nous. Sur les grandes lignes
essentielles, les mythes out jete leur brillant manteau anthropomor-
phique, mais, en les recouvrant, ils les laissent reconnaissables 2 .
Le culte de Tammouz est mentionne" dans 1'Ecriture, et nomme-
ment, parmi les abominations pratiquees a Jerusalem, desormais
livree auxGentils (c'est la sixieme [d'apres les Septante, cinquieme]
anne"ede la captivite du roi Joachim). Le prophete Ezechiel, qui les a
vues en esprit, denonce avec le culte egyptien de divinites a figures
d'animaux, les femmes assises a la porte de la maison de lahve
qui regarde le septentrion et pleurent le dieu Tammouz ; Ezech.,
vin, 14. Le double de Tammouz, le Baal syrien de Byblos, Adon-
Echmoun, n'est pas nomme dans la Bible, mais des allusions a son
culte, trop attrayant pour les fils d'Israel, se retrouvent probable-
ment dans Zacharie, xn, 11, et Daniel, xi, 36; presque certaine-
ment dans Isai'e, xvu, 10, ou la sterilite du culte idolatrique est
comparee aux jardins d' Adonis , a ces graines semees en terre
l^gere au iort de 1'ete, qui croissaient vite et se ianaient de meme,
symbolisant la courte carriere du jeune dieu :
Voila pourquoi tu plantes des jardins d' Adonis;
la tu mets les pampres d'un (dieu) etranger.
Le jour ou tu les plantes, tu les vois s'elever;
le lendemain ton plant porte des fleurs.
(Mais) la recolte est nulle au jour du malheur,
et c'est la douleur irremediable 3 .
Les solennites de Tammouz, sur lesquelles nous possedons des
documents assyriens en nombre, ont le caractere bien marque d'une
1. Voir Alb. Dieterich, Mutter Erde*, <d. E. Fehrle, Leipzig, 1924, etTh. Zie-
linski, La Religion de la Gr&ce antique, tr. Fichelle, Paris, 1926, p. 12 suiv., 24
suiv.
2. Le livre fondamental reste celui du comte W. W. von Baudissin, Adonis
und Esmun, Leipzig, 1911, dont les dl^mentsse retrouvent dans 1'article Tamnrnz
de la Realencyklopaedie fur die prolestanl. Theologie^j XIX, p. 334-377. Sur
Tammouz, M. J. Lagrange, Eludes sur les religions sdmitiques 2 , Paris, 1905, p. 306
suiv.; sur Tammouz et Adonis dans la Bible, 1'excellent article du P. A. Lemon-
nyer, Le Culte des dieux etr angers en Israel, II, Revue des Sciences Phil, et TMo-
logiques, IV, 1910, p. 271-282. La partie affe"rente du Golden Bough 3 , IV, 1, do
Sir J. G. Frazer, a e"t6 traduitepar Lady Frazer, Adonis, fitudes de Religions
orienlales compare'es, Paris, 1921 : c'est un expose" tres brillant, mais domine" par
les idees the"oriques de 1'auteur et fort dilu6 dans son exub6rante Erudition.
Sur les origines babyloniennes, A. Beimel, Pantheon Babylonicum, Rome, 1914;
S. Langdon, Tammuz and Ishtar, Oxford, 1914.
3. Trad. Condamin, p. 124; et voir la note, ibid.
522 JESUS CHRIST.
fete destinee a c61ebrer la mort dela vegetation 1 . Onpleurait surle
jetme amant de la deesse Ichtar, personnifiant la puissance feconde,
generatrice : chaque annee, Tammouz etait cense mourir, et Ichtar
allait le recherclier aux enfers d'ou, non sans resistance des divinites
souterraines, ellele ramenait pourun temps. Mais pendant 1'absence
de la deesse,
Plus d'amour, partant plus de joie !
D'ou des lamentations funebres, parfois toucliantes, qu'on chantait
autour de la statue du dieu, prealablement lavee, revetue d'une
robe cramoisie et entouree des vapeurs de 1'encens. La fete avait-
elle son denouement joyeux, triomphal? On Ta conjecture, sans en
apporter de preuves certaines.
Les mythes grec et syrien, tout a fait analogues, nous sont assez
bien connus en substance (car les details, discordants et parfois repu-
gnants de 1'affabulation posterieure, importent assez peu) parlecultc
d'Adonis, dont nous possedons deux descriptions passablement
detaillees 2 . Interpretees paries monuments figures, ces descriptions
nous montrent en Adonis un dieu engage dans le cycle domine par
la deesse de la fecondite : Ichtar, Astarte, Aphrodite, Venus Gene-
trix, hominum divumque voluptas . Dans ce cycle, 1'episode
d'Adonis represente le moment pathetique ou la vie vegetante, acca-
blce par la chaleur torride de 1'ete, coupee par la faux du moissonneur
ou cnsevelie sous les brumes hivernales, est brisee, non sans
espoir de retour! Les fetes commemorant cette mort temporairc
peuvent done se placer, soit apres la moisson des cereales, soit a la
fin de 1'annee agricole, soit au moment ou la vegetation printaniere
cst brulee par le soleil. Chez les Sumeriens, puis chez les Semites,
ellesemble avoir occupe les deux premieres places 3 . Mais a Athenes,
il scmble que la fete d'Adonis ait ete cclebree au mois de mai-juin,
qui, sous le ciel de la Grece, est en eflct le moment indique ''.
Selon le mythe hellenique, le jeune heros aime d' Aphrodite suc-
combe sous la defense d'un sanglier et cst ramene tout sanglant a
son amante. Puis, revendique a la fois par la Venus terrestre et
1. E. Cavaignac, Calendriers el Felcs rcligicuses, dans Revue de I'Histoire des
religions, XCJI, 1925, p. 9.
2. Lueien, De Dea syria, 6; voir le commentaire de C. Clemen, Miszellen zu
Lukians Schrift uber die syrische Goeltin, dans les Abhandlungen sur semitisch.
Religionskunde, offerts aBaudissin, Giessen 1918, p. 83 suiv., notamment 85-86;
ct Thdocrite, Les Syracusaines, texte ct tr. Ph. E. Legrand, Les Bucoliques grecs,
I, Paris, 1925, p. 119-127.
3. Baudissin, Adonis und Esmun, p. 100 suiv.
4. E. Cavaignac, Calendriers et FSles religicuses, RIIJR, XCII, 1925, p. 9.
DIEUX MORTS ET RESSt SCITES. 523
la Reine infernale Proserpine (Persephone), il est, sur arbitrage de
Zeus, partagp, pour ainsi dire, entre les deux mondes, accordant a
chaque de*esse une partie de 1'annee. Allusion transparente aux
saisons qui eveillent la vie au printemps, 1'accablent en ete", 1'ense-
velissent en hiver. Ce qui est tres notable, c'est que, dans ce mythe
saisonnier, le point mis en relief par les ftes est essentiellement
la mortd'Adonis. Toutes les ceremonies que decrit Lucien : orgies,
pendant lesquelles les habitants de Byblos se frappent la poitrine,
pleurent et menent un grand deuil par tout le pays... ils envoient
des presents funebres a Adonis en sa qualite" de mort... se rasent la
tete... les femmes qui ne veulentpas sacrifier leur chevelure paient
une amende (sous forme de prostitution rituelle) toutes ces
ceremonies, renouve!6es des antiques lamentations de Tammouz,
ou paralleles a celles-ci, sont funebres, comme 1'a tres bien vu W.
von Baudissin 1 . II est vrai que Lucien dit au passage : Quand il y
a assez deplaintes et de larmes, ils envoient des presents funebres a
Adonis en sa qualite de mort; mais le lendemain ils racontent qu'il
est vivant, et le placent dans le ciel : jxe-rJi Si T/| Step-/] %epY] weiv ti puv
ftu6oXoyeouai xctl Is TOV ^p irfrou<Ji 2 .
La traduction des derniers mots : Ils le placent dans le ciol
est stylise'e. Ils 1'envoient au ciel serait plus juste, et, dans la
langue de Lucien, cela signifie plutot, conformement au contextc :
Us 1'envoient en 1'air. Quoi qu'il en soit, c'est sur ce texte, dont
le sens est extremement discutable, qu'on fonde la presence, dans
le culte syrien d' Adonis, d'une r6surrection ! II s'agit bien plutot,
a ce qu'il semble, d'une maniere honnete de mettre fin a des solen-
nites funebres qui ont assez dure" : Nous avons fait a Adonis nos
presents, maintenant, a I'ann^e prochaine! il vit; on le retrouvera.
C'est aussi le sens des Adonies alexandrines, a suivre la description
de The"ocrite : tout 1'essentiel git dans les lamentations, et 1'exposi-
tion en pompe, sur une sorte de reposoir magnifiquement decore,
de la statue du jeune dieu pr6maturement enlev6 a 1'amour d'Aphro-
dite. C'est la fin de Tet6 : Adonis, bien que frappe a mort, n'est pas
encore enseveli dans le Hades, oul'appelle son amante chthonienne,
la noire Persephone. Aphrodite, la blonde Cypris, le possede encore
pour un jour : Lui, appartient a Cypris ; elle, a Adonis aux bras
de rose... Maintenant, que Cypris soit heureuse de posseder son
amant. Nous, domain, a 1'aurore, a 1'heure de la rosee, toutes ensem-
ble, nous le porterons hors de la villc, la ou les flots ecument sur
1. Adonis undEsmun, p. 142 suiv. ; Clemen, loc- laud., p. 82 suiv.
2. De Dea tyria, 6, trad. E. Talbot, II, p. 441
524 JESUS CHRIST.
lerivage; et, les cheveux e"pars, laissant trainer nos robes jusque
sur nos talons, la gorge d^couverte, nous entonnerons un chant
pergant*.
Ce sont la ceremonies incontestablement funebres; mais Adonis,
mais le jeune dieu printanier, s'il s'eclipse chaque annee, ne meurt
jamais tout a fait. II reviendra, il s'arrachera aux sombres embras-
sements de 1'hivernale Persephone. C' est done egalement sur un :
Au revoir , a 1'annee prochaine ! que se termine la fete : Accorde-
nous ta bienveillance maintenant, cher Adonis, et garde-la-nous
pour une annee nouvelle; avec joie nous t'avons accueilli mainte-
nant, Adonis; et, lorsque tu viendras, en ami nous t'accueillerons 2 .
Dans tout ce cycle, ou il est trop clair qu'on ne saurait situer une
passion , au sens chre"tien du mot, puisque la victime est tout a
fait involontaire, la resurrection est done extr6mement estompee,
sinon inexistante. Les mythographes comparatistes se battent les
flancs pour lui assignor, dans les fetes ou tout eiait deuil et larmes
consoles par la perspective du retour annuel, ce qui permettait
d'en gouter sans arriere-pensee le rituel excitant et le pathe"tique
fleuri, une place quelconque. Mais le vrai sens des Adonies est
exprime au plus clair dans cesvers d'un poete peu erudit, sinon aux
choses de 1'amour :
Puisque sur une tombe on voit sortir de terre
Lebrin d'herbe sacr6 qui nous donne le pain,...
Aime, et tu renaitras, fais-toi fleurpour eclore...
4. Attis et Cyb&le.
Nous abordons, avec les divinites phrygiennes, le groupe le plus
inquietant et sans doute fmalement le plus populaire, que nous
presentent les religions orientales. Les rites anciens de la fecondite,
inextricablement melanges de croyances astrales, se refletent dans
le cycle d' Attis, Episode printanier et tragique du culte de Cybele,
avec toute 1'impudeur de mythes naturistes aggraves ici d'une
caracteristique odieuse, sur 1'origine et le sens exact de laquelle la
lumiere n'est pas encore faite : la castration du heros 3 .
1. Syracusaines, v. 127-136; 6cl. et tr. Ph. E. Legrand, p. 126-127.
2. Ibid., v. 143-145.
3. Les textes, nombreux et dispersed, sont r6unis pour la plupart et commen-
tes avec erudition et une vive imagination pat 1 H. Hepding, Attis, seine Mylhen
widsein Kull, RVV, I, Giessen, 1903 j tout ce qui concerne Cybele, dans H. Grail-
lot, Le Culle de Cybele mere des dieux, A Rome etdans V Empire romain, Paris, 1912.
Sur les rapports avec le christianisme, on a 1'excellent et considerable mdmoiro
du R. P. Lagrange, Altiset le -Ghristianisme, dans Ja Revue Biblique, XXYHI,
DIEUX MORT8 ET RESSUSCITES. 525
On n'a pas ici a prendre parti sur les origines et le culte primitif
de Cybele. La question de savoir si la deesse aux lions fut d'abord
une divinit^ des montagnes, puissante et terrible, mais sans attache
avec la> deesse mere, Rhe'a, avec laquelle on 1'aurait plus tard con-
fondue, divise les savants les plus qualifies. II est certain qu'a
I'^poque qui actuellement nous int^resse, au moment ou la Phry-
gienne, accompagn^e de son paredre Attis introduite officielle-
ment a Rome depuis 204 avant Je"sus Christ commence de benefi-
cier, vers le milieu du i er siecle de notre ere, dans le monde remain
tout entier, d'un culte qui ira se developpant jusqu'au iv siecle,
Cybele 4 est incontestablement la grande deesse mere, la Mere des
dieux et des hommes , la Mere tout court.
Dans le culte, c'est elle qui tient la plus large place. Attis vit
dans son ombre, objet a la fois et victime de son amour. Sur les
monuments innombrables, actuellement classes, il ne parait seul
que trois fois, et il parait meme rarement : Cybele est presque
toujours nommementdesigneeseule 2 . Parmi les rites des mysteres
de la Grande Mere (car son culte devint, bien que tardivement, une
religion a mysteres) le plus connu, le plus souvent decrit, n'a pas a
ligurer dans notre etude. L'aspersion quasi baptismale dans le sang
d'un taureau (taurobolium] oud'unbelier (crioboliuni), qu'on immo-
lait sur un plancher perce de trous, et dont le fidele recevait sur la
t6te et sur tout le corps le sang fumant, ne s'est introduite en effet
que tardivement dans le culte de Cybele et d' Attis. On n'en trouve
aucune trace avant le 11 siecle de I'ere chretienne , observe
M. J. Toutain 3 . De meme, le rite de la cernophorie : offrande et
ostension processionnelle de certains obiets sacres dans des vases
1919, p. 419-480. M. J. Toutain a relev6, avec sa sure Erudition, les monuments,
inscriptions, etc., se rapportant au culte de Cybele et d'Attis, dans les Culles
pa'iens dans I' Empire romain, I, 2, les Culles orientaux, ch. in, p. 79-119. La
fameuse basilique de"couverte en 1917 a Rome, pres de la Porte Majeure, com-
porte, dans sa riche decoration, pour tout emprunt aux mythologies orientales
aucun symbole isiaque, mithraique, adoniquel quatre figures d' Attis fune-
raire. M. J. Carcopino, La Basilique de la porte Majeure, dans la. Revue des Deux
Mondes, vii e p6riode, XXXV, 15 octobre 1926, p. 799 suiv., en conclut que ces
images coincident avec la -r6forme tres relative des cultes phrygiens accom-
plie sous Claude, done entre 41 et 54 apres Jesus Christ.
1. Cybele, Rhe'a, De'me'ter, la Mere, la Grande Mere, I'Ide"enne, la Be're'cyn-
thienne : sur ces noms, voir C. F. H. Bruchmann, EpUhela Deorum, Suppl. au
LGRM de Roscher, s. v. Ku64Xv), p. 167-168, et 'P^a, p. 201, 203.
2. J. Toutain, Les Cultes pa'iens dans I' Empire romain, I, 2, p. 74.
3. LOG. laud, p. 88. M. L. A. Deubner, Die orienlalischen Religionen, Die Roe-
mer, 8, dans Chantepie de laSanssaye, Lehrbuch der Religionsgeschichle 4 , II, 1925,
p. 497, note de son c6t6 que le taurobole n'est atteste" que depuis le u" siecle
526 JESUS CHRIST.
(cerni, xe'pvot), semble s'6tre e"tabli dans le culte de Cybele a une date
relativement tardive, en imitation des ceremonies pratiquees a
Eleusis. Le mythe d'Attis se pr6sente a nous, abstraction faite des
details, sous quatre formes principales, qui ne s'accordent que sur
le nom du heros, etla triste caracte"ristique indiquee ci-dessus. L'unc
de ces legendes, racontee par Pausanias d'apres Hermesianax de
Colophon * , est contaminee par le mythe lydien d'Adonis. Pausanias
en cite ensuite une seconde, tres differente, celle del'Agdistis, re-
prise et completeepar Arnobe, quiprovient de Pessinonte, eta done
chance d'etre la plus ancienne. C'est aussi le plus repugnant tableau
de cette impure galerie. Le recit evhemeriste de Diodore ne me-
rite pas de fixer 1'attention a . Reste la version qu'on peut obtenir
en combinant avec beaucoup de bonne volonte, les traits fournis
par Ovide, 1'empereur Julien, et 1'ami de ce dernier, Salluste : Attis,
expose a sa naissance dans les roseaux qui bordent le fleuve Gallus,
est sauve" par Cybele, qui 1'aime et lui fait promettre de n'aimer
jamais d'autre femme. Vaine promesse ! Le jeune berger, epris de
la nymphe Sangaria, est infidele a la deesse. Avertie par un lion,
Cybele, dans un acces de furieuse jalousie, fait pe"rir sa rivale et
affole Attis qui va se mutiler sous un pin. La Mere des dieux le
reprend alors, inseparable compagnon qu'elle promene sur un qua-
drige attele de lions dont Attis est le conducteur. Dans cette fable,
le berger phrygien ne meurt pas apres sa mutilation, comme dans
les autres. II serait vain de passer en revue celles-ci, sur lesquelles
on reviendra plus bas. Ce qui doit nous retenir ici, c'est 1'ensemble
de rites, tels qu'ils se pratiquaient a Rome, dans la seconde moitie
du i er siecle de notre ere, et dont 1'eclat tres grand aurait pu agir,
par voie d'inspiration ou d'infiltration, sur la religion chre-
tienne a son aurore. Ces rites nous sont bien connus dans leurs
lignes principales, et presentent une base d'etudes beaucoup plus
ferme que les mythes destines a les justifier.
Les fetes de Cybele et d'Attis se deroulaient chaque annee au
moment de I'^quinoxe de printemps, du 15 au 28 mars. Nous n'avons
done pas affaire a une fete automnale, comme c'est le cas pour
Osiris et Adonis : Attis est le he"ros d'une fete exclusivement prin-
taniere, et M. L.-A. Deubner 3 en conclut que les traits qui le pre-
sentent comme un dieu mort et ressuscite sont tardifs dans sa le-
gende. Cette observation est a retenir, et anticipe une conclusion
que l'6tude des textes concernant le mythe d'Attis nous imposera.
1. Descriplio VII, 17, 9-10 ; <5d. Dindorf-Didot, 343.
2. P. Decharme, Cybdle, dans Daremberg-Saglio-Pottier, DAGR, 1, 2, p. 1681,
3. Dans le Manuel de Chantepie de la Saussaye, 4" ed., II, 1925, p. 496.
DIEUX MORTS ET RESSUSCITES
52*?
Le cycle festival comportait trois actes ou phases principales,
qu'on pourrait appeler : la preparation, la consecration et la glori-
fication.
Premier acte, en deux episodes. Le 15 mars, des officiants (can-
nophores) allaient couper des roseaux qu'on transportait en cere-
monie au temple de Cybele, sur le Palatin. Cependant le grand
pretre (archigalle) sacrifiait un taureau de six ans. C'etait 1'entree
duroseau : canna intrat . Deuxieme scene, faisant doublet avec la
premiere et qui pourrait bien a 1'origine n'avoir fait qu'un avec elle,
1'entree de Tarbre : arbor intrat , 20 mars. On abattait dans la
foret un pin qu'on apportait en grande pompe, entoure de bande
lettes de laine et enguirlande de violettes, au Palatin. Ce pin repre-
sentait 1'arbre sous lequel Attis avait ete (ou s'e"tait) mutile ; sous
lequel meme, selon certaines formes de la legende, il etait mort. II
representait surtout le jeune h6ros lui-meme, dans 1'etat de muti-
lation, et, par consequent, d'oblation a sa farouche arnante, qui for-
mait le pivot de la legende et provoquait, chez les futurs pr^tres de
la deesse, une emulation barbare.
Le deuxieme acte, 24 mars, etait en effet le jour du sang :
sanguen, ou dies sanguinis . II avait ete prepare, pour ceux qui en
allaient etre les tristes h6ros et pour les plus fervents des fideles
de la Grande Deesse, par une.peViode d'abstinence de certains ali-
ments et peut-6tre aussi de continence : le castus. La f&te elle-
meme, ou se d6ployait un appareil de frenesie capable d'impres-
sionner les Romains, biases pourtant sur les spectacles sanglants,
s'achevait pour les malheureux qui devenaient a ceprix de nouveaux
Attis, des galles, pretres de la d6esse, par unehonteuse mutilation.
Get affreux hommage a Cybele, accompli dans un paroxysme d'exci-
tation indescriptible, et considere comme le rite essentiel, n'a pas
encore rec.u d'interpr6tation certaine 1 . M. J . Lagrange 2 estimeque
si la mutilation volontaire etait cense"e contribuer a la fecondite
dans I'int6r6t du groupe social, c'etait a la maniere des restrictions
et sacrifices chez les peuples primitifs. Quelques-uns se privent ou
sont prives, afin que le grand nombre jouisse du bien entrevu et
desire sans exciter la jalousie des dieux qui ont euJeur part . C'est
sur cette jalousie et sur son corollaire, 1'idee de rachat aux dieux,
que, pour ma part, j'insisterais, en voyant dans la mutilation et son
horrible sceur, la prostitution sacree, des formes, relativement
adoucies, de sacrifices humains. Le fameux saut de Leucade ,
i consistait, au dire de Strabon, a precipiter chaque annee, le
1. Voir L. A. Deubner, Die orienlalischen Religionen, loc. laud., p. 496.
2. A Hi* et le Christianisme, loc.laud., p. 421-423.
528 JBSUS CHRIST.
JOUF de la f6te d'Apollon, un condamne" du haut du cap Leucade,
pour detourner les malheurs qui pouvaient menacer le pays, et les
rites analogues, qui ne sont pas rares, sont d'autres expressions
realisees de la meme croyance * .
Le troisieme acte durait trois jours : 25, 26, 27 mars. C'etait
proprement Iaf6te de la deesse, rendue propice par le sang qui avait
fume devant son image. Est-ce pour suppleer le sacrifice supreme
que le taurobole et le criobole furent introduits posterieurement
dans le culte de Cybele, comme un rite de sang, permettant de se
presenter devant la redoutable Mere ? Toujours est-il qu'a Rome,
apres le dies sanguinis, venait le jour de joie, hilaria . On faisait
bonne chere, avec couronnes de fleurs et musique. Le lendemain,
repos, requietio , ce qui, apres les Emotions des jours precedents,
se passe de commentaire. En(in, la derniere journee, tres solennelle,
etait le jour du bain, lavatio . On plagait sur un char le simu-
lacre de la deesse venu de Pessinonte, la fameuse pierre noire.
Devant le char onexbibait les plus precieuses oeuvres d'art. La pro-
cession, que les plus nobles se faisaient un honneur de suivre pieds
hus, se deroulait jusqu'a 1'Almo, affluent du Tibre, ou le char et la
deesse elle-m^me etaient laves. Puis on revenait au Palatin. Ce jour-
la, il etait permis de se masquer et de se deguiser ; c'etait le proto-
type antique du Carnaval remain 2 .
C'est au matin des hilaria que M. H. Hepding, suivi par
M. R. Pettazzoni 3 et par M. A. Loisy, place la resurrection
de I'e'quivoque demi-dieu. Attis ressuscitait le 25 mars : le jour de
joie, hilaria, etc. 4 . Ainsi parler n'est pas seulement, comme le
dit tres bien le P. Lagrange, gloser en termes Chretiens un rite
pai'en . C'est y ajouter. Heros pitoyable d'une obscene aventure
d'amour B , victime de la jalousie de la deesse, Attis est avant tout
1. Sur ce rite, J. Toutain, L'Idee religieuse de la Redemption et I'un de ses
principaux riles dans I'Anliquite, dans VAnnuaire de V&cole des Haules filudes,
Sciences religieuses, 1916-1919, p. 1-18. L'dnorme recuell de faits colliges par Sir
J. G. Frazer, dans son Golden Bough 3 , VI, The Scapegoat, trad. P. Sayn, Paris,
1925, doit 6tre utilis6 avec beaucoup de circonspection. IA comme ailleurs, et
peut-etre encore plus qu'ailleurs, le brillant drudit a r6uni en une gerbe compo-
site des pis glanes dans tous les champs, et rapproch6s souvent tres arbitrai-
rement. Th. Zielinski, La Religion de la Grece antique, p. 103, abuse de la parole
de Joseph Cai'phe, rapportee par saint Jean, xi, 50, pour identifier le rite ef-
froyable du sacrifice humain expiatoire, avec 1'offrande volontaire du Christ
pour le salut du monde.
2. M. J. Lagrange, Atlis et lechrislianisme, loc. laud., p. 434, 435.
3. / Misleri, Bologne, 1924, p. 129.
4. A. Loisy, Les Mysteres patens et le Myslere chretien, Paris, 1919, p. 104.
5. F. Cumont, Les Religions orientales dans lePaganisme remain, Paris, 1907, p.60.
DIEUX MORTS ET RESSUSCITES. 529
un inutile". Dans 1'inextricable complication des mythes qui le con-
cernent, ce trait distinctif se retrouve partout, imprimant a ces ver-
sions divergentes un meme stigmate, semblable a ceux quo les
pretres de Cybele, nouveaux Attis, gravaient dans leur chair en
signe de consecration a la de"esse. Ces fables confuses s'accordent
en cela seul. Du reste, autant de mythographes, autant d'histoires
differentes! Le temoignage de Catulle' 1 , qui est un des plus anciens,
est fort loin des deux explications quo rapporte Pausanias. Commc
aussi de celle de Porphyre, et de celle qui a ete resume'e plus haul
-d'apres Ovide, Salluste et 1'empereur Julien. La version de Diodore
si'estpas celle d'Hippolyte, qui n'est pas celle d'Arnobe 2 . Celui-ci
se relere, comme a sa source, au distingue theologien Timo-
Ihee ; et 1'affreuse hantise de la castration marque cette fable
jusqu'a la nause"e et au delire.
Au contraire, les rares traits qui repr^sentent Attis en dieu mort,
on ressuscite, sont, comme 1'a tres bien vu M. L. A. Deubner 3 ,
adventices dans sa le"gende. Us y dnt ete introduits par contamina-
tion avec les histoires plus ou moins analogues d'Adonis (dont le
sanglier figure $a et la) ou d'Osiris ; peut-etre aussi, pour repondre
aux aspirations des gens de l'e"poque imperiale vers une vie d'outre-
stombe. La pretendue resurrection, en particulier, absente de toutcs
les versions, de tous les textes pai'ens, ne figure que dans quelques
stextes Chretiens de tres basse epoque. Les deux seuls qui me'ritcnt
mention se trouvent dans le vehement pole'miste Firmicus Maternus,
dont 1'ecrit, compose entre 346 et 350, De errore profanarum
religionum, se donne pour tache de denoncer les fraudes des
j>r6tres des idoles, afin de faire fermer les temples. Le passage
unique, et d'application malheureusement incertaine, ou il est
question d'une commemoration cultuelle de la mort et de la resur-
rection d'un dieu 4 , se rapporte presque certainement a Osiris",
comme M. Loisy en convient. Au chapitre in du meme ouvrage 6 ,
Firmicus accuse les pretres d'Attis d'avoir, pour complaire a la
deesse irritee, ou desolee, dont la vengeance avait cause la mort
1. Carmen 63, ddit. G. Lafaye, Paris, 1922, p. 51-53.
2. Adv. Naliones, V, 5 suiv., 6d. Reifferscheid, CV, IV, p. 177 suiv., comple-
,tant laseconde version de Pausanias, VII, 17, 10-12, e*d. Dindorf-Didot, p. 344.
'C'est Arnobe qui donne, dans le my the d'Agdistis (1'amandier), le r^cit detaille
dont MM. Hepding et Loisy font le plus d'Usage.
3. Die orientalischen Religionen, dans le Manuel de Chantepie de la Saussaye,
4' ed., II, 1925, p. 496-497.
4. F. Boll, Firmicus, dans Pau'ly-Wissowa-Kroll, RECA, VI, 2, col. 2377.
5. De errore, 22 (alias 23), <5d. Halm, dans CV, II, p. 111-112.
6. Ibid., p. 78-79.
JESUS CHHIST. II. 31
530 JESUS CHRIST.
de son amant, institue* des rites iunebres annuels; <c pr&endant que
celui qu'ils avaient eux-m6mes enseveli naguere, avait reve"eu, ils
eleverent des temples a 1'adolescent mort ..
Ce texte isole et tard vemj ne suffit pas a suppleer, ou a inter-
prater tous les autres. II est possible qu'a 1'heure ou ecrivait Fir-
micus, a la pensee de la resurrection ,ait pen^tre dans les sanctuaires
d'Attis , comme dans ceux de tous les cultes rivaux 1 . Mais il est
possible aussi qu'il y ait la simplement une confusion, la gen^rali-
sation d'un apologiste trop zele. Le syncretisme qui sevlssait des
longtemps, amenait naturellement les defenseurs du christianisme
a faire, dans la critique des faux Christs, qui etait devenue un lieu
commun de leur apologetique, une place e*ventuel!e au Berger
phrygien. Cette contamination des mythes n'est pas une conjecture,
mais un fait atteste par maint texte contemporain de Firnnicus, ou
anterieur a lui. On peut en juger par ces fragments d!un hy-mne
gnostique a Attis, rapporte par Hippolyte dans sa Refutation de
toutes les heresies*.
Fils bienheureux de Chronos ou de Zeus,
ou de la grande Rhea, salut, 6 triste
echo de Rh6a, Attis!
,Les ^Assyriens t'appellent Adonis, le trois fois desirable;
toute 1'Egypte, Osiris ;
la -Sagesse grecque, Corne celeste deMen;
les Samothraciens, venerable Adamna;
les gens de 1'Hemus, Corybante ;
et les Phrygiens, tantot Papas, ou quelquefois
encore mort, ou dieu, ou 1'Infecond,
ou le Chevrier, ou Epi vert moissonne,
ou Joueur de flute qu'engendra le fertile Amandier (Agdistis).
Cette eifroyable confusion de mythes et de noms sacres, dont on
pourrait citer dix autres exemples, transcrits par les apologistes
eux-mSmes,, les amenait naturellement a ranger Attis, comme
Adonis (ITammouz) et Osiris, parmi les dieux dont la legende appe-
lait une comparaison avec la mort et la resurrection du Christ. Ce
n'est pas une raison de les imiter.
1. M. Jt. Lagrange, .Altis el le chrislianisme, loc. laud., p. 449.
2. Appel6e souvent PMlosophoumena, Y, 9, 8-9. Jc traduis sur le texte restitu6
par Paul Wendland dans le CB, Hippolylus Werke, IV, 1916, pp. 99-100. Men
ou Lu mis est, on le salt, un dieu lunaire, masculin. J'ai traduit cho de
Rhea. Le texte manuscrit, conserve par Wendland, porte axouqAot. G. Hermann
a conjecture axpicrtta, qui ne semble pas.existeren.grec : du.moins le dictionnaire
de Liddell et Scott, recite" sous la direction de ,H. St. Jones, I, Oxford, 1925,
ne contient pas
DIEUX MORTS ET RB88USCITES. 531
Conciuons avec M. Andre Boulanger 1 : L'idee que le dieu
naeurt et ressuscite pour conduire ses fideles a la vie 6ternelle
n'existe dans aucune religion hell^nique a mysteres. Cette vietoire
du dieu sur les souffranees et la mort est bien pour I'initie, aecab.le
par les rniseres de la vie terrestre, le symbole et la garantie d'une
vie bienheureuse dans 1'au-dela. Ce sont en effet ces souffranees et
eette mort qui, rapprochant le dieu de I'hoinine, donnent a ae}ui-ci
1'eepoir de s^assimiler totalement a }a condition divine. Mais la
mort du dieu n'est pas un sacrifice expiatoire. Ce n'est pas elle qui
procure le salut. Pas plus au Zagreus orpbique qu'a Attis ou a
Tammouz ne pourrait s'&ppliquer 1'essentiel du credo paulinien :
a Christ est mort pour nos peches. Bien plus, I'^pithete de
Soter ifSauveur) n'est nullement caracteriatique des divinit^s des
mysteres, et ne leur est pas attribuee avant 1'epoque chretienne .
Ed. Meyer, auquel sont empruntes ees derniers ' mots., declare
de son c6te, avec 1'autorite que lui donne une connaissance a peu
pres unique de toute 1'histoire ancienne>de 1'Occident, qu'a son avis,
1'influence des religions a mysteres sur le christianisme aneiea n'est
nullement attestee. C'est de concurrence qu'il faut parler : leur
developpement y compris les mysteres de Mathra court
plutot parallelement a celui du christianisiae, et a ete isouvent dans
sa forme ultSrieure influence par lui. II est clair du rest .que le
concept chretien de la redemption, de la comipfo, n'a passses rapines
dans des precedents hellenistiques et pai'ens, mais dans ceux de
1'Ancien Testament et du Judaisme. Meme Bousset 2 , conclut non
sans ironie le vieil historien, doit reconnaitre le fait, bien qu'a son
corps defendant 3 .
Profondement etrangers par leur esprit aux doctrines chretiennes,
les mythes que nous avons brievement recenses ne sont pas moins
eloignes, par leur lettre, du message pascal. La carriere de ces
demi-dieux morts et ressuscites ne comporte, en effet, ni
passion, ni resurrection, au sens recu de ces mots. Brisee par un
accident tragique et involontaire, elle est suivie d'un redressement
durable : la s'arrete 1'analogie; des qu'on veut-en presser 1'un ou
1'autre terme, tout se derobe. Osiris retrouve vie et royaut6, mais
dans 1'autre monde. A Dionysos Zagreus, assassine et devor^, une
1. Orphte, Paris, 1925, p. 102; et voir B. Allo, Les dieux sauveurs du paga-
nisme. grdco-romain, dans Revue des Sciences phil. et thdologiques, XV, 1926,
p. 5-34.
2. W. Bousset, Kyrios Chrislos 2 , Gcettingen, 1921, p. 297.
3. Ursprung und Anfaenge des Chrislenlums, III, Stuttgart et Berlin, 1923,
p. 393 et note 1, 2.
532 JESUS CHRIST.
replique est fournie : Pallas sauve le cceur et 1'apporte a Zeus :
celui-ci 1'avale, epouse Sem61e, fille de Cadmos, qui lui donne un
second Dionysos*. Adonis retrouve chaque anne"e, apres sa
reclusion hivernale dans le Hades, une p6riode reguliere de vie et
d'amour terrestre. Le triste Attis, fidele par force, aura desormais
sa place sur le char, et dans le culte, de la Grande Deesse Mere.
Ce sont la des essais laborieux, greffe"s vaille que vaille sur des
rites immemoriaux, pour resoudre les problemes de la destinee
humaine, ici-bas et outre-tombe; ou des symboles, plus ou moms
humanises et romances, du rythme de la vie des saisons. Sauf pour
quelques eVhemeristes qui appliquent indistinctement leur theorie
a toute la tradition religieuse, la question de savoir si ces aventures
avaient reellement dans le passe des repondants historiques, ne se
pose meme pas! Ni pour les simples, qui s'edifient ou s'excitent
au contact de liturgies, dont la splendeur et 1'antiquite' voilent a
leurs yeux 1'horreur originelle; ni pour les sages, qui les subissent
ou les exploitent. A le prendre au mieux, tout est ici instruction et
parabole, poesie et mythe, c'est-a-dire fable.
La foi de Paques, elle, proclame comme un fait que Jesus de
Nazareth, reellement mort pour nos peches en 28 ou 29, crucifie
sous Ponce Pilate, et enseveli, est ressuscite reellement, et est
apparua Simon Pierre : OVTW? ^y 6 '?^ S xupio; xi <Scp6rj 2(|xcovt 2 .
1. Th. Ziclinski, La Religion de la Grece antique, 192*3, p. 118.
2. Lc., xxiv, 34.
LIVRE VI
LA RELIGION DE JESUS
533
CHAPITRE PREMIER
L'ETABLISSEMENT DE LA RELIGION DE JESUS
1. Le mystere Chretien et les my stores pa'iens.
A vous a ete donne le mystere de Dieu ; mais pour les
autres tout arrive en figures 1 . Ainsi le message de Jesus ne
tient pas en entier dans le rappel de verites connues, ou natu-
rellement accessibles : an co3ur de 1'Evangile se cache un
noyau sacre, un mystere. Ou plutot, parce que 1'esprit huinain,
incapable de saisir d'un seul regard 1'ampleur de la revelation
divine, est oblige de la considerer sous differents aspects, le
Royaume des cieux a ses mysteres 2 . Proposes en clair aux
ap6tres, ils ne furent d'abord communiques a ceux du dehors
qu'en figures et en paraboles 3 . Or cette notion d'une doctrine
reservee a une elite, et le terme me" me de mystere employe
pour la designer, existaient a cette epoque avec un senss deter-
mine, dans plusieurs religions palennes : entre elles et le mys-
tere chretien, une comparaison s'impose done.
On risquerait de la rendre vaine si Ton ne distinguait pas
dans ce probleme des elements differents. Analogic n'est pas
emprunt ; et, en matiere d'emprunfcs, il convient de ne pas con-
fondre les temps, et de determiner quel fut 1'emprunteur.
Est-on fonde a soutenir que les Chretiens de la premiere ge-
neration, et notamment saint Paul, se sont inspires en choses
d'importance, deliberement ou non, de religions mysterieuses
alors existantes? Voila, elairement posee, la seule question
que nous ayons a traitor ici.
1. Me., iv, 11.
2. < A vous a 6t6 donne de connaitre les mysteres du Royaume, etc... >;
M't., xm, 11 ; Lc., vm, 10.
3. On a not6, tome I p , III 8 Partie, ch. r, p. 3S8 suiv., les raisons de Cette
disposition temporaire.
535
536 JESUS CHRIST.
Les analogies generates en soulevent une autre. Les sen-
timents eternels de Fame religieuse, avide de purification, de
lumiere et de certitude^ ou criant sa misere, cherchant des-
intercesseurs aupres de la majeste" de Dieu trop haute, et de
sa justice trop exacte, s'orientent naturellement dans le m&me
sens. L'aspiration n'est pas moins universelle vers un Maltre
assez proche pour que nous puissions mettre nos pas dans ses-
pas, et ensemble assez saint pour qu'en le suivant nous arri-
vions stirement au salut. Degrades parfois jusqu'a devenir
presque illisibles, ces traits se retrouvent danstous les milieux,,
a toutes les epoques, d'autant plus nets que la preoccupation*
religieuse est davantage eveillee : il ne serait pas malaise de
les ddgager chez les peuples de 1'Inde, par exemple, aux mo-
ments decisifs de leur developpement spirituel. Le premier
siecle de notre ere, en Occident, offre toutefois, de cet appel
providentiel de 1'ame humaine, un cas particulierement impor-
tant et, en ce sens, unique. Les disciples de Jesus ne s'y
tromperentpas. Qu'ils aient voulu montrer 1'offre divine re"pon-
dant a la demande humaine; qu'ils aient annoncd ce que
les meilleurs des paiens adoraient sans le connaitre , re-
present en tout homme le Dieu dont les plus religieux de
leurs contemporains cherchaient, en tatonnant, la presence
sensible dans des rites antiques, ou la connaissance imme*-
diate dans 1'extase; qu'ils aient decrit et nomine" le Sauveur
humilie jusqu'a devenir Tun d'entre nous, initiateur par son
exemple, sa mort re"demptrice et sa resurrection en gloire,
d'une vie nouvelle, enfin donnant pouvoir de devenir enfants
de Dieu,
a ceux qui croient en son nom,
qui non du sang, ni d'un vouloir de la chair, ou d'un vouloir d'homme r
mais de Dieu sont nes,
cela est hors de doute. Et si Ton soutient qu'ainsi le mystere
chre'tien donnait satisfaction, avec son histoire pathetique, son
systeme sacramentel et ses assurances de vie eternelle, a
l'immense esperance qui, a cette epoque, soulevait le monde
des esprits, c'est 1'evidence m6me. Mais il n'est pas moins clair
que ce fait laisse intact le probleme des emprunts.
L'ETABLISSEMENT DE LA RELIGION DE JESUS. 537
i
Quand Paul, quand Jean, Pierre, Barnabe, Apollos, Silas ou
Timothe'e annonc.aient le salut de tous dans le Christ Jesus r
les cultes initiatiques etaient nombreux. II n'est pas besoin
d'avoir lu les travaux considerables qui ont renouvele, en ces
derniers temps, F etude de ces religions, pour en connaitre
quelque chose. Tout le monde a entendu parler des Eleusinies,
des mysteres d'Isis et de la Grande Mere Gybele; ceux de
Mithra ont e"te plus rdcemment mis en lumiere. Le fait com-
mun de posse*der une doctrine secrete et des rites interdits
aux profanes 1 , autorise 1'usage qui a prevalu d'englober sous
une me'me designation des realites si peu semblables. La plus
visible diversite, a 1'epoque ou ces religions purent entrer en
contact avec le christianisme, est d'ordre social. Tous les
mysteres recrutaient indrviduellement leurs adeptes; mais
quelques-uns ceux par exemple des loges orphiques, ou des
serviteurs de Mithra creaient entre leurs bene'ficiaires un
lien confraternel assez etroit; d'autres, tels que les grands
mysteres d'^lleusis, n'unissaient pas leurs mystes en un corps-
de fideles 2 . Ge qui, a travers ces differences et tant d'autres T
1. On n'apas arechercher ici ce que pouvaient etre les cultes primitifs
des Cretois, qui se targuaient d'avoir des < mysteres ouverts a tous >. A
i'6poque qui nous occupe, tous les cultes myst6rieux comportaient une
initiation, et le secret gard6 sur 1'essentiel de ce qui 6tait alors revele. Us
etaient done affaire personnelle, et nous n'avons pas a tenir compte de
la distinction, d'ailleurs fond6e pour un temps plus ancien, entre mys-
teres nationaux et mysteres personnels > : R,. Reitzenstein, Die Helle-
nistischen Mysterienreligionen*, Leipzig, 1920, p. 7 suiv. La distinction
proposee par Werner Foerster, Herr ist Jesus, Giitersloh, 1924, p. 81 suiv.,
entre mysteres religieux > et c philosophiques >, a sa raison d'etre. Nous
reservons le nom de mysteres aux premiers, et, parmi les seconds, h, ceux
qui comportaient une initiation 6sot6rique. Les autres 6taient plutot une
sagesse >,une < gnose > qu'un < mystfere >;bien qu'on ne puisse 6tablir
de limite absolument certaine, a partir surtout de la crise de syncr6tisme
qui sevit depuis la seconde moiti6 du n e siecle apres J6sus Christ.
2. F. M.GoTnfoT&, Mystery-Religions dans The Cambridge Ancient History f
IV, Cambridge, 1926, p. 527. Les reflexions du meme auteur sur la nature
intime des religions a mysteres, loc. laud., p. 524-526, sont domin6es u
I'exces par 1'identite fondamentale supposee, conformement aux id6es de
Sir J. G. Frazer, entre les notions spScifiquement chr6tiennes et celles qui
sont i la base des mysteres antiques. L'idSe commune d'une vie nouvelle,
ou renouvelee, ne permet nullement d'assimiler les sacrements chr6tiens
avec les rites de fecondit6 et de purification rituelle, d'initiation Ji la pu-
538 JESUS CHRIST.
rapproche toutes les religions .mysterieuses, c'est le secret
jalousement garde* sur ce qui e"tait revele" dans Finitiation ;
c'est encore le caractere dfcamatique et realiste des rites par
lesquels 1'aventure divine ori'ginelle etait jouee, mime'e, repre"-
sentee, reproduite. Associe"s par des moyens repute's efficaces
a ces experiences, instruits des doctrines qu'elles symboli-
saient, les inities e"taient en quelque sorte apparentes aux
divinite's dont41s devenaient les clients en, ce monde et dans
l'autr&, Ges traits incont.estes suffifient a determiner Fobjet
de la presente recherche.
En se faisant agreger a 1'un de ces cultes alors florissants,
un paien, hiomme Libre, vivant aux derniers siecles de la Repu-
biique, ou aux premiers de 1'Empire (disons, pour fixer 1'esprit :
depuis 1'introduction de la Grande Mere a Rome : 204 av. J.
G., .jusqu'a la mort d'Elagabaile : 222 ap,. J. G.), posait unacte
tres person-nel de religion. Ge n' etait jamais le seul, ni le
plus visible. Des dieux qu'il n'avait pas choisis s'imposaient
premier ement a cet homme, adepte plus ou moins conscient
de la culture hellenicfue, et appartenant en quelque mesure a
la Romanite (Respublica, Res romana, Imperium romanum 1 }.
Sous ce rapport, les habitants des marches de TEmpire efc
des Etats limitropihes, reputes barbares, s'accordaient du reste
avec leurs puissants voisins; parfcout le culte des divinites
protectrices de la Cite etait ofliciel, indispensable. L'esquiver
mettait au ban de la comntuaiiiaute politique; le refuser cons-
tituait un abte d'impi^te, voire d'atheisme, aucnn dieu ou sei-
gneur ne pouvant se substituer valablement a ceux de la
patrie. G'est pourq.uoi les premiers Chretiens et, avant eux,
bien qu'avec moins d'eclat, les Israelites de la Dispersion 2 ,
berte. Par centre Cornfoud reagit justement centre le seepticisme de
L..R. Farnelltouchant la valeur des renseignements donnes par Clement
et Hippolyte sur les formules des Eleusinies : < les quelques formules
reveleestardivementpar les^Peres Chretiens portent la marque d'une haute
antiquite, etc. ; p. 527, et voir ci-dessous,.p. 540, note 1.
1. Des 48 apres Jesus Christ, Claude, agissant comme censeur, enregis-
trait sept millions de citoyens remains.
2. Les Zelotes refusaieflt, assure JosephC) de donner a aucun homme le
nom de Chef ou de Maitre d'Irael : ^ep >0 ' va xV8etncdT7]v. Voir G. Dalman,
Die Worte Jesw, p. 112. Mais 1'immense majorite des Juifs dans la Disper-
sion acceptaient d'appelerl'empepeutf 8^owoTa,.Kataapxi5pte, x\5pti(jLu; voir les
L'ETABLISSEMENT BE LA RELIGION DE JESUS. 539
i
qui pretendaient vivre dans une Cite terrestre sans en adopter
les dieux, furent accuses, assez logiquement, d'atheisme.
Jure par la Fortune de Ce"sar, r-eviens au ban sens, crie :
Plus d'athees! hu-rle a saint Polycarpe la' populace reunie
dans 1'amplaitheatre de Smyrne, en 155 ou 156. Alors, prome-
nant son regard s*ir la tourbe sans foi ni loi qui encombrait le
stade, et etendant la main vers elle, le saint leva les yeux au
ciel avec un prof ond soupir, et s'ecria : $lus d'athees 1 ! Get
episode revele 1'ablme creuse dans le monde spirituel ;par la
religion nouvelle.
Au cultequi maintenait dans chaque Cite un certain nombre
d'institutions sacrees, soustraites en principe a la discussion,
s'ajou-tait ordmairement chez les anciens pai'ens une religion
moms officielle, individuelle ou familiale, ou pratiques en union
avec un gxoupe d'hommes de m4ms aspirations. On avait
1'embarras du choix. D'innombrables divinites animaient la
nature, sanctifiaient les gestes essentiels de la vie et du tra-
vail humains, cbassaient les mechants demons, favorisaient
leurs devots. Sur des rites sans age, dont le sens premier
s'etait perdu ou deforma, des fables avaient pullule que les
statues, les inscriptions, les ex-votos des temples^ les tradi-
tions populaires, lespoemes classiques, les recueils des mytho-
gr.aphe5, les formules-rnagiques transmettaient, en les embel-
lissant, en les enchevetrant. Des dieux d'origine et d'attributs
tres- diiFerents, indigenes ou etrangers, parce qu'ils -4taient
proposes a des taches semblables, pourvus de types artisti-
ques analogues, ou rapproches par quelque point de legende,
s'etaient influencies, fondus, identiiies.. D'autres, en grand
exemples dans W. Foerster, fferr ist Jesus, 1924, p. 107suiv. Onpeut com-
parer Pattitude des Juifs maranos en3spagne, au xv e siecla,
I. Martyrium Polycarpi, 9; ed. A, Lelong, Paris, 1910, p. 140. Sur
1'accusation d'ath6isme, que paiiens et Chretiens se renvoient aux pre-
miers siecles, voir le m6moire d'A. von Harnack, Der Vorwurf des Atheis-
miis in den drei ersten Jahrhunderten, dans TV, XXXIII, 4, Leipzig, 1905,
p. 5-16, surtout p. 8 suiv. La derivation qui conclut, d'uneerreur capitals
sur Dieu, a rdcOsoT^ est visible- dans saint Ir6nee, Adv. Haer., Ill, 25, 3,
oii 11 est dit que < Marciontue Dieu : Marcion... interimit Deum >. Assez
rare, 1'atheisme, au sens moderne du mot, etait eonnu, et le type, plus ou
moms 16gendaire, en 6tait fourni par le vieux poete Diagoras de M61os,
v e siecle avant J6sus Christ.
540 JESUS CHRIST.
nombre, avaient ete dedoubles, brises en figures distinctes; les
patrons de chaque pays reunissaient sur eux, par une sorte de
devolution, la plupart des offices divins et des e"pithetes souve-
raines. Dans I'Hellenisme en general, les divinites olympiennes,
humanise'es, avaient relegue" a 1'arriere-plan, mais non e*limine
de la devotion du peuple, des grandeurs plus anciennes : le
Ciel-Pere, la Terr e-M ere, les astres et constellations; pour no
pas parler de la foule obscure mais redoute*e des daimones.
Aventures des dieux, theogonies, metamorphoses, mythologies
heroiques formaient une jungle sacree, occasion pour les sages
de speculation et de simplifications, pour la foule, de supers-
titions sans fin. Ghaque province, chaque territoire, chaque
ville avait ses puissances tutelaires, ses lieux de pelerinage,
ses rites de propitiation, ses temples pourvus de fondations,
de sacerdoces et de legendes. Les families heureuses des
cent dernieres annees, qui nous ont rendu plusieurs villes
antiques dans la Grande Grece, I'Afrique du Nord, la Grece
propre et insulaire, le proche Orient, permettent de mesurer
la place qu'on y faisait aux dieux. Parmi eux, ceux dont se
recommandaient les religions a mysteres comptaient pour
beau coup, a 1'aurore de 1'ere chretienne.
Les plus anciens et en tous cas les plus considerables des
mysteres celebres sur le sol hellenique ou hellenise sont ceux
d'Eleusis 1 . Quoi qu'il en soit de leur prehistoire, peut-^tre
contemporaine de 1'epoque mycenienne, leur existence et Tes-
1. L'ouvrage le plus consid6rable reste celui de Paul Foucart, Les Mys-
teres d'Eleusis, Paris, 1914. Le solide et charmant opuscule de Maurice Bril-
lant, Les Mysteres d'Eleusis, Paris (1920), merite d'etre distingue. Les
memoires du R. P. Lagrange, Les Mysttres d'Eleusis et le Christianisme,
RB, XXVI, 1919, p. 157-217, et de J. De Caluwe, Mysteres d'Eleusis, dans
Semaine d' Ethnologic Religieuse, III, Enghien, 1923, p. 441-455, sont aussi
ii signaler. Parmi les travaux plus anciens, ceux de L. R. Farnell, The
Cults of the Greek Stales, III, Oxford, 1907, ch. in et iv, quelque meritoires
qu'ils soient, sont gates par une defiance injustifiee pour les renseigne-
ments transmis par les auteurs Chretiens : excellent resum6 par 1'autetir,
s. v. Mystery, dans ]' Encyclopedia Britannica, 11, Cambridge, 1911, p. 117
suiv. Les points de vue plus nouveaux sont exposes par Martin Nijsson,
Die Enstehung der griechischen Goelterwelt, dans Chantepie de la Saus-
saye, Lehrbuch der Religionsgeschichte, 4 e ed. refondue par Bertholet et
Lehmann, Tubingen, 1925, p. 313 suiv.
L'ETABLISSEMBNT DE LA RELIGION DE JESUS. 541
senfciel de la fable qu'ils commemorent, sont attestes au
vii e siecle avant Jesus Christ par le fameux hymne homerique
a Demeter, qui n'est pas indigne du grand nom ainsi usurpe*.
Solennise'es chaque annee, au mois Boedromion, aout-sep-
tembre, du 13 au 23 (les ceremonies preliminaires furent en-
suite, pour la commodity des candidats, accomplies une pre-
miere fois dans un faubourg d'Athenes, les 20 et 21 du mois
Anthesterion, fin fevrier), les fe"tes prirent avec le temps un
tel eclat qu'elles devinrent pour toute 1'Attique une veritable
institution d'Etat. Elles durerent, en cette qualite, presque
un millenaire. A qui se soumettait aux epreuves, I'initiation
n'etait refusee, pour autant que nous sachions, qu'aux bar-
bares c'est-a-dire a ceux dont la langue n'etait pas intelli-
gible 1 et aux meurtriers qui avaient du sang sur les mains.
On nous assure que Neron s'exclut lui-me'me des mysteres
apres I'assassinat de sa mere Agrippine 2 .
Le mythe eleusinien est manifestement composite : la pre-
paration a la vie d'outre-tombe, qui fut a 1'epoque ici etudiee
le principal attrait du mystere, se juxtaposa ou se superposa,
ans parvenir a les eliminer, aux rites d'un culte agraire de fe-
condite. Nous n'avons pas a de'brouiller ici les questions de
genese, sur lesquelles on discutera sans doute longtemps
encore. Dans sa teneur classique, la fable est relativement
transparente.
Pendant qu'elle cueillait des narcisses, Gore (Persephone,
Proserpine), fille de la de*esse de la Terre feconde, Demdter
(Deo, Geres), a ete enlevee, avec la connivence de Zeus, par
le dieu du monde souterrain Plutos (Hades, Pluton), qui en a
fait sa compagne et la reine de ces bas-lieux. La mere en
pleurs se met a la recherche de sa fille. Apres diverses aven-
tures, elle finit par apprendre ce qui s'est passe : indignee,
1. M. P. Foucart interprfete la qualit6 exig6e des candidate aux mysteres
par une certaine justesse de la Voix, permettant de donner aux formules
sacrees le ton voulu, hors duquel ces formules auraient perdu leur efficacite.
C'6tait le cas pour les incantations 6gyptiennes. G. Maspero, Etudes de
Mylhologie et d'Archeologie egyptiennes, II, 1893, p. 373, observe que leur
r6sultat, heureux ou ma]heureux7 d6pendait entierement de la justesse de
leur voix > (de ceux qui les modulaient).
2. t Eleusiniis sacris... interesse non ausus est >; Su6tone, Nero, 34.
;1
542 JBSJJS CHRIST,
elle frappe alors d'inter.dit tous les champs de la terre, que
sa malediction sterilise. L'humanite vaperir, quand Zeus in-
terment et ordonne au ravisseur de rendre sa pr.oie. ,Mais
Pluton a pris ses assurances en faisant accepter a Gore un
pepin de grenade, dont la vertu magique contraint la jeune
deesse a revenir chaque annee, trois mois durant, partager
le tr6ne infernal. Un arrangement intervient : eonlente de
recouvrer safille les trois quarts de l'anne, Demeter s'apaise
et rend aux champs leur fertilite. Des elements dionysiaques
s'insererent ensuite dans cette traine sans la deformer heau-
coup= : son caractere ag.raire, saisonnier, saute aux yeux.
L'initiation ou mu&sis 1 se celebrait,, nous 1'av.ons difc., en
deux iois. Une phase preliminaire, les .petits mysteres de
fevrier, ayait lieu a Agra, autant dire a Athenes, et les
grands , ceux d.e septerobre, a Eleusis, separee d' Athenes
par cinq bonnes lieues : laroute afttuelle, qui suit assez exac-
tement Fancier trace, compte exactemeiit 22 kilometres. II
semhle qu' il y ait, dans ce partage entre les deux cites,
comme aussi dans la distribution des changes mystiques entre
deux families : les Eumo^lpides, d'origine thrace mais r.esidant
a Eleusis, et les lieryces, Athaniens, le res.ultat d'un com-
ppomis. Dedids a Gore, les p&tits myster.es consistaient sur-
toutieninstriuctions, closes parun.bain ,dansJ'IUsso3. Les^:r,ands
mysteres, celebres dans le monde greco-romain tout entier,
comjnenc.aient le 13 du mois Boedromion par une excursion
des jeunes inscrits d'Athenes, les ephebes, qui allaient cher-
cher dans de grandes corbeilles d'osier dojat le couvercle
efcait assujetti par des bandelettes de laine teinte en pour-
pre )e>, les objets sacres (hiera) des deessas. Quels etaient ees
objets? Nous I'ignorons. Les conjectures les moins impcobables
nous orientent vers des representations tres archaiques, demi-
symboles, demi-statues des deesses; ou simplement des em-
blemes de fecondite.
1. Ce terrne ettous : ceuydesafamille : pstv, initier, [*u<m)?, initi6; j
conccrnant les mystferes;; |j.uarr{pio.v, chose ojic^r^inonie secrete, se rap-
portent a .la iracine [xiw, sesfermer, etre :clos ^l&vres., ^eux, plaie),; .E . Boisacq,
Dictionnaire dlymologique de la lanffw grecqye, 19jiB,, p. 654. Sur ladfiriva-
tionde ces mats, voir J.. de Guib.ert, Mystique,, dans MA M, Vil, 1926, p. 3-16.
L ETABLISSEMENT DE LA RELIGION DE JESUS.. 543
Le 15, les candidats a 1'initiation, dument instruits, pre-
pares par des lustrations et abstinences de caractere rituel,
etaient officiellement reunis et decomptes. Le 16, au cri de
les m^stes a la irier ! purification generale, chacun trai-
nant apres soi dans les vagues un jeune pore, qu'il devaifc
ensuite sacrilier lui-me'me a De'me'ter. Les 17 et 18, f&tes in-
tercalates. Enfin le 19 s'organisait, precede de la statue d'lac-
chos 1 , accompagne de cris et d'acclamations, le cortege qui
ramenait sur un lourd chariot a boeufs, entoures par des pre-
tresses en magnifique arroi et suivis d'une foule immense, les
objets sacres a ^lleusis. Plusieurs stations etaient menagees
sur le parcours, et 1'une des premieres, au passage du Ce-
phise athenien, donnait lieu a une bordee d'injures, vestige
des antiques rusticites. Les mysteres proprement dits, pre-
pares par des visites a divers lieux saints, tels que la pierre
dolente 2 )) ou Geres, relusant d'etre consolee, s'etaitassise, et
le puits Galli chores, point de depart traditionnel de son culte,
commenc.aient le 20. Us s'accomplissaient dans un vaste edifice
appele du nom de I'institution qu'il abritait, le telestenori (lieu
d'initiation). La se deroulaient, au cours de deux veilles noc-
turnes, les ceremonies d'une initiation a deux degres : 1'essen-
tielle muksis, rendant myste d'Eleusis, et 1'intuition (6popteia],
qui nous est encore plus mal connue.
Je dis : encore plus mal; car sur la mu&sis elle-me'me, nous
sommes imparfaitement documentes. Le secret, defendu par
des sanctions tres severes, et qui ne restaient pas toujours
lettre morte, a ete bien garde. II parait toutefois certain que
le t&lesterion voyait se derouler un drame sacre, au cours du-
quel etaient representes le rapt de Gore, la qu^te doulou-
reuse de Deo, et la reunion des deesses; peut-e"tre aussi
Tarrivee de Demeter a Eleusis. Un double rite, a ce qu'il
semble, agre"geait le postulant a la clientele divine ; Glement
d'Alexandrie nous en a conserve laformule, selonlaquelle cha-
1. lacchos a fait couler des flots d'encre. L'identifi cation post6rieure a
Bacchus n'estpas douteuse. Aristophane, Grenouilles, v. 324 suiv. ; 395 suiv.,
repr6sente simplement lacchos comme le ehorege divin'de la procession.
2. 'Ay^Xaawis TCibpa : sur tout cela> P. Pbucart, Les Mysteres d'Eleusis,
p. 340 suiv.
544 JESUS CHRIST.
que initie disait : J'ai jeune ; j'ai bu le ciceon (sorte de cordial,
compose d'eau et de farine aromatisees a la menthe, premiere
nourriture que Deo eut consenti a prendre, apres son jeune
de neuf jours). Puis : J'ai pris dans la corbeille, apres avoir
manic" j'ai remis dans le boisseau, et du boisseau dans la cor-
beille 1 . La premiere declaration est claire, et caique un
geste de la de*esse. La seconde exprime une prise de contact
avec des objets sacres, emblemes ou gateaux, que 1'initie sai-
sissait dans une des corbeilles (ciste), et remettait, apres les
avoir touches, dans 1'autre (calathos). L'exhibition, en grande
pompe, par le maitre des rites (hierophante), au milieu d'une
lumiere eclatante, des hi6ra, finissait la ceremonie.
Ou se pla^aient, dans le cycle eleusinien, les allusions et
instructions concernant la vie d'outre-tombe? 11 est impos-
sible de le dire surement. Get itineraire dans le monde in-
fernal, ou les souverains, Gore et Pluton-Eubouleus, devaient
accueillir ensuite leurs devots et les acheminer vers un
bonheur durable, etait-il independant, comme le veut M. Paul
Foucart, du drame resume plus haut? En faisaifc-il partie in-
tegrante? II est sur dumoins par le te"moignage de Plutarque,
qu'il constituait le rite le plus touchant, celui qui laissait aux
inities, ramenes des tenebres a la lumiere, 1'impression la plus
reconfortante.
L'dpojpteia se celebrait la nuit suivante, du 21 au 22, pour
les mystes ayant un an d'initiation, et desireux d'aller jus-
qu'au bout des mysteres. Elle consistait principalement dans
1'ostension aux parfaits de 1'epi moissonne en silence . La
mention du silence rappelle ici, comme souvent ailleurs, 1'at-
mosphere exigee pour 1'execution decente et peut-^tre meme
efficace des rites divins 2 . Quant a 1'epi de ble, c'est un sym-
bole naturel de la fertilite des champs, et il doit remonter
aux origines les plus recule'es. Le hierophante, nous rapporte
1. Protrepticos, II, 20, 2. 0. Staehlin, CB, I, p. 16, maintient justement
la le<jon des manuscrits, ipYa<jctjji8vo{, qui donne un sens excellent. La con-
jecture de Lobeck : lYYeucfyevos, n'a aucun fondement reel.
2. Tous les textes sont r&mis et commented par G. Mensching, Das hei-
lige Schweigen, eine religionsgeschichtliche Untersuchung, RW, XX, 2,
Giessen, 1926; J. Souilhe, Le silence mystique, dans RAM, IV, 1923, p. 128-
140.
L'ETABLISSEMENT DE LA RELIGION DE JESUS. 545
Hippolyte *, expliquait la lecon de 1'intuition, en criant, de
toute savoix, au milieu des flambeaux allume's, dans 1'accom-
plissement des grands et ineffables mysteres : La divine Brimo
a enfante Brimos, I' enfant sacre! c'est-a-dire : la Forte a
enfante le Fort 2 . L'epi representerait done le fruit d'une
union entre dieux, une de ces hierogamies frequentes dans
la Fable antique, et innombrables dans la legende de Zeus.
Est-ce 1'union de celui-ci avec Demeter, ou avec Persephone,
qui etait sugge"ree, dans ses lignes generales, en traits atte-
nue"s mais encore trop clairs (et provoquant 1'ardente protes-
tation des auteurs chretiens), aux participants des mysteres
d'Eleusis? On n'en saurait guere douter; et il convient de
rappeler que ces mythes n'eveillaient pas necessairement chez
les initie's les idees impures qu'ils sembleraient devoir impo-
ser. De nos jours encore, certains traits d'une horreur egale
ou plus grande, dans les religions hindouistes, sont parfois
eouverts aux yeux des croyants par le privilege sacre" qui les
soustrait a leur jugement.
Les mysteres de Samothrace, petite ile montagneuse a 1'ex-
tr^me nord de la mer Egee, furent egalement officiels, et leur
popularite restee considerable dans le monde latin, durant la
periode qui nous occupe, balanca m^me, au iv e siecle avant
Jesus Christ, celle des Eleusinies. II semble qu'on ait cherche
dans 1'initiation des Gabires, moins des assurances pour Fautre
vie que des gararities contre les perils de celle-ci, notam-
ment les perils de mer. Les dieux dont la fable formait la
trame des mysteres, les enigmatiques Axieros, Axiokersos,
Axiokersa et Cadmilos, font bande a part dans le Pantheon
olassique, qui a essaye en vain de se les assimiler. Sur leur
origine, peut-etre phenicienne, pese une obscuriteproverbiale,
encore epaissie par les identifications variees des mythogra-
phes. Une bonne partie des grands dieux ouraniens, terres-
tres etinfernaux, Zeus, Demeter, Pluton, Persephone, Hermes,
Apollon, Hera, Aphrodite, mais aussi des heros et de simples
daimones, ont pr^te aux Gabires leurs noms et des traits de
1. Elenchos (Philosophoumema), V, 8, 40; 6d. P. Wendland, CB, ffippo-
lytus Werke, III, p. 96.
2. Brimo signifie proprement la Terrible , et cette 6pithete, assez
rare, n'est donn6e qu'aux deesses infernales, Core-Pers6phone ou Hecate.
JESUS CHRIST. II. 35
546 JESUS CHRIST.
leur legende, recouvrant des mythes beaucoup plug anciens y
originaux, dont la genese reste inconnue.
Des mysteres d'Andania, en Messenie, analogues a ceux
d'Eleusis, puisque la divinite principale y etait Gore la Sainte
(Hagne ou Hagna), on ne connait guere, avecle nom, que des
details de rituel, reveles par une inscription datee de 91 avant
Jesus Christ.
Les mythes professes et les rites pratiques dans les grou-
pes de libres croyants, organises en thiases ou confreries, qui
se reclamaient du nom d'Orphee (Orpheus), devin et poete
thrace presque surement legendaire, possedaient une ample
litterature, dont des fragments importants ont survecu 1 . On
trouve la, comme dans les cultes analogues, des elements
heterogenes ramenes par des speculations complaisantes a une
relative unite. Favorises par les disciples de Pythagore en
Grande Grece et, a Athenes, par les tyrans (vi e siecle avanb
J. G.), les cercles orphiques ont exerceune reelle influence sur
la pensee non seulement religieuse mais philosophique de
rhellenisme. Ils expliquaient 1'existence du mal dans le monde
humain par le mythe dionysiaque de Zagreus, dieu cornu
(taureau ou chevreau), fils de Zeus et de Persephone. Se-
duit par des jouets et mis a mort par les Titans, le heros enfant
avait ete depece et devore, sauf le coeur. De ce cceur, moyen-
nant des aventures qui varient avec les versions de la fable T
un second Zagreus etait issu, tandis que des Titans foudroyes
et reduits en cendres naissait l'homme, animal ambigu, tirant
sa noblesse de Dionysos Zagreus, et son abjection, des Titans.
Sur ces histoires laborieuses se greffait une methode de re-
dressement, partie ascetique et partie mystique, destinee a
assurer aux 4mes humaines, engagees dans une suite de re-
naissances, une purification assurant la delivrance finale. Or-
phee etait cense avoir revele ces mysteres, qui evoluerent
peu a peu dans le sens d'une theosophie. La preoccupation de
guider 1'initie en lui enseignant les mots de passe et les points-
de repere de 1'autre monde, se fait jour dans des textes
tres interessants du m e siecle avant Jesus Christ, qu'on tient
1. Ontrouvera les renseignements essentiels sur le mythe de Dionysos
Zagreus, et la bibliographic indispensable, dans la note P 2 , Dieux morts et
ressuscites, 2, ci-dessus, t. II, p. 515.
L'ETABLISSEMENT DE LA RELIGION DE JESUS. 547
assez generalement pour orphiques. Us ont ete dechiffres sur
de minces feuilles d'or trouvees dans des tombeaux, en Italie
et en Crete 1 .
Par -exemple, le mort est avert! qu'a un carrefour de la
route infernale il trouveraune source, pres d'un cypres blanc.
Qu'il se garde d'en approcher, mais au contraire prenne a
droite. II rencontrera le lac de Memoire, et s'en fera ouvrir
1'acces en rappelant au gardien qu'il est initie : Je suis fils
de la Terre et du Giel etoile. Ainsi ma race est celeste. Sachez
cela, vous aussi, etc. . Aux dieux des enfers, il dira : Je viens
d'une communaute de purs, 6 pure souveraine des enfers.,
Eucles-Eubouleus, et vous autres dieux immortels. Gar je me
flatte d'appartenir a votre race bienheureuse... J'ai bondi hors
du cycle des lourdespeines et des douleurs, et me suis elance
d'un pied prompt vers la couronne desiree... A quoi la deesse
repond : fortune, 6 bienheureux! tu es devenu dieu,
d'homme que tu etais. Et Tinitie conclut, faisant allusion au
petit cornu dont 1'heritage explique sa propre delivrance :
Ghevreau, je suis tombe dans le lait , autant dire : De-
venu un autre Zagreus, j'entre dans Telement divin !
A ces ensembles, qui se presentent comme ayant dans le
sol hellenique, en y comprenant la Grande-Grece : Italie du
Sud et Sicile, leurs maitresses racines sinon toutes leurs
racines et une longue existence de fait, se juxtaposaient,
et allaient en partie se substituer dans la devotion des pai'ens,
des cultes mysterieux plus exotiques. Les principaux, en lais-
sant de c6te les Adonies qui sont plutdt des fe'tes populaires,
furent les mysteres isiaques, ceux de la Grande Mere Gybele
et de son paredre Attis, et enlin la religion solaire, tard venue,
du dieu iranien Mithra. Egyptiens, phrygiens, perses d'ori-
gine, ces cultes firent aux mysteres hellenises une concurrence
1. Edition tres commode, aprescelledeD. Comparetti, Lammette orfichq,
Florence, 1910, par Alex. Olivieri, Lamellae aureae orphicae, dans les Kleins
Texte de Lietzmann, n. 133, 1915. Pour les traductions, je cite A. Bou-
langer, OrpMe, Paris, 1925, p. 39, 40. Eucles, Eubouleus, semblent bien
deux epithetes visant Pluton-Hades, et destinies a capter sa bienveillance.
Eucles est rarissime, ne se trouvant sous sa forme grecque qu'ici, et dans
une autre inscription : Eucles et Eubouleus, et vous autres daimone&,
etc. > Voir Jessen, EukUs, 1, dans/?.E(M, VI, 1, col. 1053.
548 JESUS CHRIST.
importante, souvent victorieuse. II ne faut pas d'ailleurs ima-
giner de frontieres bien nettes : les emprunts, les surcharges,
les imitations conscientes ou indeliberees foisonnent dans les
religions initiatiques, a 1'envi des mythologies communes.
Les mysteres d'Isis sont les plus anciens et, avant d'avoir
trouve a Rome, dans la seconde partie du i er siecle de notre
ere, une reconnaissance quasi officielle, ils s'y etaient cre"e,
comme dans tout le monde mediterraneen, une clientele assez
fervente. Deesse aux mille noms, aux mille formes, ayant
annexe peu a peu les attributs de toutes les divinites femi-
nines una quae es omnia, dit une inscription de Gapoue la
scaur et femme d'Osiris a garde, de la fable originelle, ces
traits distinctifs : le sistre a la main, la fleur de lotus au front,
le nceud visible fermant son manteau. Son culte, tres deve-
loppe", comportait, avec de grandes ftes annuelles, des rites
quotidiens qui entretenaient la ferveur des fideles. Par ses
mysteres, il se rapprochait des Eleusinies : a la place de la
quete, par Demeter, de sa fille Gore, figurait la recherche et
1'invention par Isis, du corps d'Osiris ^ que son jumeau Seth
(Typhon) avait lachement assassine. Une narration d'Apulee
a la fin de son romantres libre, I'Ane d'Or, nous fait connaitre
assez bien les details d'une ' initiation isiaque, au 11 siecle de
1. Le necessaire a et6 dit plus haut dans la note P 2 , Dieux morts et
ressuscite's, 1, Osiris, tome II, p. 511. Sur Isis, on peut consulter, avec
G. Lafaye, Histoire des Divinites d'Alexandrie hors de VEgypte, Paris,
1884, G. Roeder, Isis, I, dans REG A, IX, 2, col. 2084-2132, ou toute
la litterature est recens6e jusqu'en 1916 ; et Pierre Medan, Le Guile d'Isis
a Rome au n e siecle apres Jesus-Christ, Introduction a 1'etude critique
du Livre XI des Metamorphoses, Paris, 1925, p. vn-xxvin. L. A. Deubner
fait remarquer justement, Die Orientalischen Religionen, dans Chantepie
de la Saussaye, Lehrbuch der Religionsgeschichte, 4 ed., Tubingen, 1925,
II, p. 493, a propos de I'universalit6 des titres attribues a Isis, comme
aussi du caractere abstrait et spirituel de certains de ces titres figurant
dans le grand papyrus de Paris (n e siecle apres Jesus Christ), qti'il y a dans
ces litanies beaucoup de convention. L'Isis vraiment populairen'estpas la
panthea d'un syncretisme academique, mais la deessedu salut, guerisseuse
et consolatrice, invoquee par Tibulle :
Nunc dea, nunc succurre mihi, nam posse raederi
Picta docet templis multa tabella tuis.
Voir les textes et documents reunis par Drexler dans Roscher, LGRM,
II, 1, col. 522 suiv.
DE LA RELIGION DE JESUS. 549
notre ere. Lucius, le heros e'ehappe de son Strange aventure 1
sur une intervention d'Isis, et redevenu homme, se joint au
cortege de la de"esse, a Cenchrees pres de Gorinthe. Apresune
sorfce de retraite passee dans le jeune, il est admis a la puri-
fication par 1'eau, alaquellesuccede, dix jours apres, l&mu&sis
proprement dite. L'initiation a ete precedee d'une longue veil-
lee : ensuite, sous la conduite du mystagogue, le candidat a
vu se derouler, mime oudrame sacre", lemythe divin, etabene-
ficie des revelations decisives. Arrive a ce point, 1'auteur em-
ploie a dessein un langage enigmatique : J'approchai des
limites du trepas; je foulai du pied le sol de Proserpine, et
j'en revins en passant par tous les elements. Au milieu de la
nuit, je vis le soleil briller d'un eclat ^blouissant. Je contem-
plai face a face les dieux de 1'enfer, les dieux du ciel : je les
adorai de pres. Voila tout ce que je puis vous dire 2 . Gette
premiere initiation eut un lendemain, une intuition (dpopteid),
durant laquelle les secrets de Serapis (doublet d'Osiris) furent
reviles a Lucius.
Le principal des mysteres semble done avoir eonsiste, ici
encore, dans un voyage aux enfers, au cours duquel l'initie,
presente auxdivinites d'enbas, etait reconnu par elles et ache-
mine vers les dieux ouraniens qui, a leur tour, 1'accueillaient
comme etant de leur race.
Plus anciennement recus a Rome que les isiaques, mais
n'ayant pris un developpement considerable que vers la meme
epoque, et leur couronnement final par la procession des
hiera (cernophorie) et le fameux rite du sang (taurobole, crio-
bole) que plus tard encore, au n e siecle de notre ere,
les mysteres de la Grande Mere n'en furent pas moins tres
populaires en Occident. Nous avons decrit plus haut 3 la f6te
1. D'apr6s unth^me de folklore tres repandu : voir pour le theme Leon
Wieger, Histoire des Croyances religieuses etdes Opinions philosophiques
en Chine 2 , 1922, Lecon 70, p. 651-652. Lucius avait ete metamorphose en
ane, la sorciere a laquelle il s'adressa pour etre change en oiseau s'etant
trompee d'onguent.
2. Metamorphoses, XI, 23. Tr. P. Monceaux, Les Africaines, V, Apulee de
Madaura, p. 329; texte critique dans P. Medan, Metamorphoses, Livre XI,
Paris, 1925, p. 64.
3. Voir ci-dessus la note P 2 , Dieux morts et ressuscite's, 4, Attis et Cybele,
tome II, p. 524. On trouvera la les indications bibliographiques.
550 JESUS CHRI'ST.
du printemps au cours de laquelle se recrutait 1'affreuse co-
horte des Galles, pre'tres mutiles de Gybele. Le candidat a
1'initiation, prepare par diverges abstinences, devenait tauro-
boliatus ou crioboliatus en recevant sur la t6te et tout le
corps, a travers des trous menages dans le plancher, le sang
chaud d'un taureau ou d'un belier : ce rite symbolisait la
consecration a la Grande Mere qui semble avoir fait le fond
du culte phrygien.
Issus de la religion des mages persans, les mysteres de
Mithra 1 , les derniers parmi ceux qui comptent (car la vogue
des cultes de ce genre fut telle qu'on vit un aventurier,
Alexandre d'Abonotichos, sous Marc Aurele, en organiser un
de toutes pieces), sontles plus nobles, les moins engages dans
les langes d'un naturisme obscene. Transportes en Occident,
par dessus le monde grec ou ils ne prirent jamais racine, un
peu posterieurement a la premiere expansion chretienne, par
des groupes de soldats ou de marchands inities en Orient, ces
rites se cel^braient dans des cavernes, naturelles ou artifi-
cielles (spelaeum, specus, spelunca, antrum], au fond des-
quelles s'e'rigeait le groupe de Mithra immolant le taureau.
Bonnombre de ces cryptes ont ete retrouvees avec leurs sculp-
tures et une partie de leur mobilier. Les groupes qui prenaient
part au culte, peu nombreux, severement choisis et hierarchi-
ses, portaient des noms de guerre : le Gorbeau, 1'Occulte,
le Soldat, le Lion, le Persan, le Gourrier du Soleil, le Pere.
1. Ici tout le monde est tributaire, et pour longtemps, de Franz Cumont,
Textes et Monuments figures relatifs aux mysteres de Mithra, Bruxelles,
1896-1899; Les Mysteres de M ithra 3 , Bruxelles, 1913. Du meme, Iesm6moi-
res sur Mithra fansDAGR et LGJRM. On doit consulter egalement J. Tou-
tain, Les Cultes pa'iens dans I' Empire Romain, II, Paris, 1911, p. 121-177.
Sur les rapports avec le christianisme, L. Patterson, Mithraism and Chris-
tianity, Cambridge, 1921 ; A. d'Ales, Mithra, dans DAFC, III, col. 578-591 ;
C. van Crombrugghe, Les Mysteres de Mithra, dans Semaine d'Ethnologie
religieuse, III, Enghien, 1923, p. 427-441. La pretendue liturgie de
Mithra *, restituee par A. Dieterich d'apres le grand Papyrus magique de
Paris, 1. 475-723, Eine Mithrasliturgie, 1910, 2 1923, ni n'est, declare
R. Reitzenstein apres Cumont, une liturgie au sens strict du mot, ni ne
peut servir a la restitution d aucune forme connue de la religion de
Mithra ; Religionsgeschichte und Eschatologie, dans ZNTW, XIII, 1912,
p. 12.
L'ETABLISSEMENT DB LA RELIGION DE JESUS. 551
Partant d'une theogonie assez abstruse, la doctrine fonda-
mentale du mithracisme tient que tout ce qui existe, dieux,
daimones et hommes, precede d'un couple divin, Ciel etTerre,
issu lui-m^me du Temps infini 1 . A ce couple bienfaisant,
accompagne parfois d'un fils, 1'Ocean, s'en oppose un autre
(Ahriman et sa femme Hecate), de m6me origine, qui en forme
le pendant exact, mais dans 1'ordre de destruction, d'anarchie
et de chaos. Le monde actuel resulte de la lutte incessante
entre ces Puissances antagonistes. Mithra, dieu solaire etlumi-
neux, est le mediateur et le guide qui apprend a ses disciples a
faire triompher en eux le principe bon. Gomme le feu nait du
silex frappe, comme le soleil emerge de 1'horizon montagneux,
Mithra est ne de la pierre , et cet episode, tardif dans la
legende, ne laisse pas d^tre represente sur les monuments
figures, ainsi que les rapports de Mithra avec une autre divi-
nite solaire. Mais le mythe principal est la prise par le Heros
celeste et 1'immolation du Taureau primordial, fecondateur.
Mithra le saisit, le traine a reculons dans la caverne, et la,
sur 1'avertissement du Gorbeau, messager du Soleil, il lui
plonge dans le poitrail un couteau. Avec le sang jaillit la vie
ve"getante, que les be"tes d'en bas, tenebreux complices d'Ah-
riman : scorpions, serpents, fourmis, s'efforcent en vain de
capter (ou qu'elles tachent d'empoisonner?). On a reconnu la
scene represented plastiquement dans la plupart des cavernes
mithriaques.
En dehors des rites accoutumes de lustration et d'invoca-
tion, et de la fe"te annuelle de la renaissance du Soleil (dies
natalis Solis invicti] le 25 decembre, se deroulait, vers 1'equi-
noxe du printemps, le mystere qui faisait monter, par etapes,
le postulant jusqu'au grade qu'il devait occuper. Un initie du
plus haut rang, le Pere, Pater sacrorum, dirigeait les ceremo-
nies, faisantrdle de mystagogue. Par des gestes symboliques,
appropries aux designations des divers offices, et parfois tres
1. Zervan-Akarana, en termes occidentaux Aidn-Saeculum ou Kronos-
Saturnus. Le couple divin issu de lui fut tres vite assimile a Zeus-H6ra,
Jupiter-Junon : les autres divinit6s qui formaient 1'eseorte barbare de
Mithra dans ses travaux , regurent 6galement des noms greco-romains,
'tout comme la femme du dieu infernal Abriman, qui herita naturellement
de celui d'Hecate.
552 JESUS CHRIST.
beaux (celui du Soldat enparticulier) *, le candidat etait agrege"
a la race lumineuse des purs, et sa felicite future assuree du
coup. Au cours des reunions, un repas sacre* etait celebre, ou
certains ecrivains chretiens ont denonce une contrefac,on dia-
bolique de la cene eucharistique. En realite, ce rapproche-
ment, dont on a bien abuse, ne fournit aucune analogie pre-
cise 2 .
Si Ton resume 1'essentiel des traits ici indiques plut6t que
creuses a fond, on verra sans peine que les religions a mys-
teres, en. depit de dissemblances profondes, ont en commun
d'etre, au dela ou en marge des cultes officiels, une religion
secrete et, au sens precis du mot, personnelle. Des Hindous
diraient : une voie de devotion, bhaktimarga. Toutes en effet
supposent une initiation, done une initiative de la part de ceux
qui y adherent. Les devots des mysteres formaient, dans la
grande republique des ames, des partis fermes, relativement
fervents, ou, Fencens banal une fois donne aux Immortels T
protecteurs de la Cite, la piete vraiment sentie s'exprimait
envers des divinites plus proches et plus pathetiques. Gela
vaut me*me pour les Eleusinies. On honorait ces dieux sau-
veurs 3 par des rites plus ou moms jalousement derobes aux
profanes; on attendait de leur protection, parfois cherement
achetee, le salut en ce monde, et surtout en 1'autre. Gar une
inquietude avait traverse la serenite un peu courte -et reduite
1 . Le myste qui aspirait an titre de miles se voyait presenter sur une
6p6e une couronne. II la repoussait de la main en disant que Mithra etait
sa seule couronne. Desormais il n'en portait plus jamais, ni dans les
festins, ni meme si on lui en d^cernait une comme recompense militaire,
et il repondait a celui qui la lui offrait : Elk appartient & mon dieu ;
F. Cumont, Les Mysttres de Mithra, p. 130. C'est ce que Tertullien appe-
lait, de Praescriptione, XL, ed. de Labriolle, Paris, 1907, p. 86 : sub gla-
dio redimere coronam .
2. W. M. Groton, The Christian Eucharist and the Pagan Cults, London,
1914. Dans son important memoire, Mystery, Mysteries, du DACH, II,
1918, p. 49 A-62 B, Groton conclut, p. 61 A De Jong a tout a fait
raison (Das antike Mysterienwesen, Leiden, 1909, p. 60) de rejeter
entierement la these d'apres laquelle le christianisme aurait emprunt6
quoi que ce soit au culte mithriaque .
3. Voir B. Allo, Les dieux sauveurs du paganisme gre'co romain, dans
la Revue des Sciences philosophiques et the'ologiques , XV, 1926, p. 6r34.
L'ETABLISSEMENT DE LA RELIGION DE JESUS. 553'
a lamesure d'une vie humaine, des anciens temps. L'au-dela,.
1'outre-tombe, dont la preoccupation etait ancienne dans-
1'Egypte et en Iran, avait commence", grace peut-e'tre aux
rites dionysiaques venus de Thrace, a entrer en ligne de
compte meme en terre hellenique et romaine. Les speculations-
philosophiques travaillaient, de leur c6te, une elite de pen-
seurs, notamment les Pythagoriciens 1 , les Stoiciens, les Pla-
toniciens. Avec ce qu'elle implique de curiosite et de crainfce,
la pensee de la vie future occupait done une place conside-
rable dans tous les culfces initiatiques, et preponderate en
plusieurs.
Gependant les pratiques grossieres de lamagie imitative on
sympathique, aggravees par des myfches qui les fournissaient,
pour ainsi parler, d'un etat civil divin, sont restees au premier
plan des mysteres. Leurs symboles impurs, leur affabulation
bizarre ou inhumaine temoignent d'un passe dont ceux-la
me'me qui en rougissent et les expliquent par de subtiles alle-
gories, comme Plutarque 2 et d'autres avant lui, ne peuvent
se liberer. Y toucher serait tout renverser, car les croyants
tiennent passionnement a ce rituel immemorial. On s'efforca
done d'epurer ces traits, de les charger d'un sens nouveau;
on les racheta par des exercices ascetiques, parfois assezr
rudes : mais apres tout ils demeurent la, pierres de scandale
pour les yeux dessilles. Les apologistes ne manqueront pas
de s'en emparer pour lapider les faux dieux.
Tellesquelles, ces sectes a mysteres, refuges au debut d'une
etroite elite d'hommes religieux, envahies ensuite et submer-
gees par des curieux en mal d'initiation, des sensuels avides
d'emotions fortes et des devots interesses, out cree un Ian-
gage, repandu des idees, popularise des esperances et des
1 . Sur les croyances des Pythagoriciens a cette' 6poque, voir J. Carco-
pino dans Etudes Romaines, I, La Basilique Pythagoricienne de la Porte-
Majeure, Paris, 1927 ; p. 153-386.
2. Plutarque, Sur Isis et Osiris, 20, declare qu'il a resum le mythe en
1'amputant des details les plus repugnants; car, ajoute-t-il, s'il se trouve
des homines assez malheureux pour croire que des aventures de cette
sorte soient reellement arrivees aux immortels, il n'y a qu'a redire avec
Eschyle : Crache et rince-toi la bouche ! Voir sur 1'apologetique de
Plutarque, B. Latzarus, Les Idees religieuses de Plutarque, Paris, 1920 r
ch. vn a x.
.554 JESUS CHRIST.
craintes, determinant a la longue un courant plus noble dans
les masses paiennes, livrees par ailleurs de plus en plus a la
divination, au demonisme et a la magie. II ne faut pas hesiter
a mettre, parmi les constituants de ce que certains Peres ont
appele la preparation evangelique, le developpement des
suites a mysteres. Beaucoup moins aptes a comprendre et a
gouter le message du Christ que les groupes craignant
Dieu qui al'ecole de la Bible avaient deja rompu avec 1'es-
sentiel du paganisme, les clients de Dionysos Sabazios ou de
Dionysos Zagreus, ceux me'me d'Isis et de Demeter, de Cybele
ou de Mithra etaient plus eveilles que beaucoup de leurs con-
temporains a I'lnterSt des choses divines. Us cherchaient a
tatons, dans des voies souvent fangeuses, ce que les mission-
naires Chretiens leur apportaient.
On se tromperait du reste en pensant que tout fut gain pour
1'Evangile dans cette avance confuse de Tame paienne. Ne
parlons pas de la concurrence faite a la religion nouvelle par
des cultes vivants, excitants, pourvus de traditions anciennes,
-de fetes et de liturgies elaborees : apres Renan et bien d'au-
tres erudits, J. Geffcken estime que le christianisme trouva
en eux ses rivaux les plus redoutables 1 . Mais de plus, par le
seul fait qu'elles n'exigeaient qu'une adhesion compatible avec
ies religions d'Etat, et des purifications ou le coaur n'avait pas
a se changer, 1'initiation aux mysteres etaitune mediocre anti-
chambre du bapte'me. L'exclusivisme chretien, sans retour ni
condition, paraissait redoutable a des hommes qui pouvaient
trouver ailleurs, a meilleur compte, sans engager a fond leur
esprit, sans compromettre toute leur vie sociale et civique,
des rites pleins demotion et des symboles capables d'inter-
pretations elevees. Le christianisme , observe Duchesne avec
profondeur, en s'introduisant dans 1'Empire n'a pas trouve
la place vide. II lui a fallu extirper des ames qui s'ouvraient
:k hiinonseulementl'attachementparticulier atel ou tel culte,
1. Assur6ment, ces cultes secrets ont, ainsi qu'on I'a remarqu6 deja,
.prepare au christianisme ses obstacles les plus serieux ; et c'est seulement
parce qu'il possedait lui-meme des mysteres et qu'il acquit, lui aussi, sous
1'innuence de 1'esprit du temps, une terminologie mystique, qu'il put con-
jurer ce danger. Das Christentum im Kampfund Ausgleich mit der grie-
chisch-roemischen Welt z , Leipzig, 1920, p. 30.
L'&TABLISSEMENT DE LA RELIGION DE JESUS. 555
mais encore une certaine sympathie pour tous les paganismes
qui s'etaient peu a peii croises et superposes dans la devotion
vulgaire 1 . Or rien n'entretenait plus cette sympathie gene-
rale que les mysteres, d'autant que bon nombre de gens ne
craignaient pas de cumuler les initiations. Une des colonnes
du paganisme sous Julien, Vettius Agorius Pr#textatus, Pre-
teururbain, Proconsul d'Achai'e, homme consulaire, s'intitule
augure, pontife de Vesta, pontife du Soleil, quindecemvir,
curiale d'Hercule, prtre de Liber, hie'rophante des Eleusinies,
neocore, initie* par le taurobole, Pere des Peres . Sa femme,
Fabia Aconia Paulina, est de son c6te initiee en !Eleusis au
dieu lacchos, a Geres et a Gore; en Lerne, au dieu Liber, a
Ceres et a Gore; dans File d'Egine, aux dee sses; initiee par le
taurobole ; consacre'e a Isis ; hierophante de la deesse Hecate 2 .
Deux siecles avant, sous Marc Aurele, Apulee reconnait
qu'il a ete initie en Grece a un grand nombre de cultes
secrets, et qu'il en a garde" chez lui, avec soin, les symboles
et souvenirs qui lui en ont ete conlies par les pre"tres 3 . Le
recouvrement des fables ; Fhabitude d'attribuer au dieu, quel
qu'il fut, actuellement invoque, les epithetes souveraines ; les
efforts m^mes des sages pour unifier le divin morcele, tout
inclinait 1'esprit a une incroyable largeur d'accueil, a un choix
instinctif ou reflechi, mais toujours revocable, parmi les
croyances et les pratiques qui sollicitaient son adhesion. Tout '
emoussait le sens de 1'intransigeance doctrinale professee
dans la religion de Jesus.
Les purifications en usage dans les cercles initiatiques
(Faffreux culte de Gybele etd'Attis avait lui-meme son castus]
n'etaient pas non plus la purete chretienne ! II ne serait pas
juste de denier anterieurement toute vertu morale a ess pre-
parations, abstinences et exercices rituels : nous croyons
1. L. Duchesne, Histoire ancienne de I'Eglise, I, Paris, 1906, p. 9.
2. Corpus Insc. Lat., VI, 1, p. 397, n. 1779; et p. 399, n. 1780; et voir le
commentaire, ibid.
3. Sacrorum pleraque initia in Graecia participavi. Eorum quaedam
signa et monumenta tradita mihi a sacerdotibus sedulo conserve... Cui-
quam mirum videri potest hominem tot mysteriis deum conscium
quadam sacrorum crepundia domi adservare, etc.? Apologia, 55-56 :
6d. P. Vallette, Paris, 1924, p. 67, 68, et voir 1' Introduction, p. ix.
556 JESUS CHRIST.
qu'une intention droite assurait en bien des cas a ces efforts
couteuxune certaine efficacite. Mais si ce s pratiques ont port e
d'heureux fruits, combien d'excitations et d'illusions n'ont-
elles pas provoquees ou nourries ! En tout cas, le but poursuivi
etait une purete toute materielle. Que plus tard les philoso-
phes aient voulu y voir une image, un symbole de la purete
de Fame bien superieure a celle du corps; que dans quel-
ques inscriptions de Fepoque greco-romaine le reglement
prescrive au visiteur du dieu d'avoir Fame pure aussi bien que
les mains, c'est possible. Mais parmi les temoignages qui nous
sont parvenus sur la preparation aux Mysteres, il n'y a pas
trace d'instruction ou de purification morale, pas de prescrip-
tions pour reparer ou expier les fautes commises, pas d'exhor-
tation a les eviter a Favenir 1 . Nous serions tentes, dit a son
tour Erwin Rohde, de supposer que ces pratiques de purifi-
cation ont marque une avance dans Fe'thique grecque, un
^approfondissement et une delicatesse de conscience plus
grande. Mais pareille interpretation (si a la mode qu'elle
soit) est eliminee par Fetude de Fessence reelle et de la signi-
fication de la chose. Dans les temps plus recents ceux
qui nous occupent ici les mdfchodes de purification fur ent
presque toujours en competition et en conflit, rarement en
alliance cordiale, avec la conscience. Dans son origine et son
essence, la purification rituelle n'a rien a faire avec la moralite
et ce que nous pourrions appeler la voix de la conscience. Au
contraire, elle usurpait une place qui chez un peuple plus
avance et moralement plus developpe aurait du appartenir a
une moralite veritable, fondee sur le sentiment interieur de ce
qui est juste. Et elle n'a pas manque d'entraver le libre et
franc developpement d'une telle moralite. Les pratiques
cathartiques ne demandaient ni n'impliquaient aucun senti-
ment de la faute, de la culpabilite personnelle, de la respon-
1. Paul Foucart, Les Mysteres d'Eleusis, Paris, 1924, p. 289. L'auteur
proteste a bon droit centre la formule indument christianis6e de P. De-
charme, dans sa Mythologie de la Grece antique, p. 357 : Les pratiques
des mysteres avaient pour objet de purifier Tame de ses souillures, et cette
purification etait la condition indispensable du salut. C'est peindre les
mysteres tels qu'ils auraient du 6tre, et non tels qu'ils etaient.
L'ETABLISSEMENT DE LA RELIGION DE JESUS. 557
sabilite personnelle 1 . Gette page severe et que, pour mon
compte, je flechirais dans le sens de 1'indulgence car enfin,
bien ou mal, nombre de candidats a 1'initiation tendaient les
mains, levaient les yeux vers un Sauveur, et un tel geste
n'est jamais tout a fait vain met vigoureusement en relief
un des cotes de la question qu'il n'est pas permis de negliger.
Le mystere chretien. nous introduit dans un autre monde.
Etendue de Tappel, contenu religieux, methodes d'instruction
et de purification morale, tout diifere, au point que la plus sure
fagon de prendre a contre-sens le christianisme primitif, quel-
que jugement qu'on en doive finalement porter, c'est de 1'etu-
dier en partant d'une analogic, censee generale, avec les
religions secretes du paganisme ambiant. Assez promptement
sans doute, des rapports de vocabulaire s'etablirent, et aussi
4es comparaisons s'imposerent, que le zele, a premiere vue
peu eclaire, de certains apologistes tendit a multiplier eta ma-
jorer. Ne leur soyons pas trop severest Le programme resume
dans 1'hymne de saint Thomas :
Nova sint omnia :
corda, voces et opera,
ne peut s'appliquer completement, quant aux voces et aux
conceptions exprimees par les paroles, que dans un milieu ou
le culte a jete de profondes racines et atteint son plein deve-
loppement. Au debut, la frele plante evangelique dut, en depit
de son autonomie et de sa force divine d'expansion, se frayer,
-conformement aux lois providentielles, une place dans la silve
de croyances et de rites au milieu de laquelle les premiers
ap6tres Favait semee. II etait inevitable qu'on fit des compa-
raisons, qu'on cherchat des points de contact, qu'on se servit,
sans y regarder de trop pres, de toute analogic, capable de
fournir un terrain commun a la discussion et a la conqu^te.
Les sauvageons que la grace allait transformer etaient issus
de Fame humaine et de Tame religieuse : ils offraient done a
la greffe divine, avec 1'aprete d'une seve brute, des affinites
et des points d'insertion favorables qu'on gagnerait a decou-
vrir. Saint Paul avait donne 1'exemple, usant d'une inscrip-
tion au Dieu inconnu, lue tout de travers dit Renan avec
1. Erw. Rohde, Psyche*, tr. W. A. Hillis, 1925, p. 294-295.
558 JESUS CHRIST.
suffisance 1 , pour annoncer le Dieu veritable 2 . Ge que 1'apdtre
recherche, c'est une plate-forme ou il puisse joindre ses audi-
teurs. Les allusions des apologistes du n a siecle aux mythes
et aux mysteres des Gentils sont done fort explicables : encore
sont-elles de nature a fourvoyer ceux qui les retireraient du
contexte de fait qui les encadre.
Pour commencer par le mot me'me de mystere, le premier
point a decider est la valeur qu'il a dans PEvangile et, en
general, dans le Nouveau Testament. Faut-il 1'entendre au
sens technique, alors a.^ez largement repandu dans le monde
pai'en, d'une initiation religieuse esoterique, agregeant une
elite au service d'un dieu particulier? Ou bien au sens com-
mun de chose secrete, cachee et, comme nous disons a pre-
sent, mysterieuse?
Avant de repondre, nousdevons nous souvenir que le chris-
tianisme est ne en Judee, et que tous ceux qui, les premiers,
avant la conversion de Paul et le martyre me'me d'Etienne, en
ont formule les croyances essentielles, etaient des Israelites,
et fideles. G'est done aux sources bibliques et judaiques pre-
chretiennes qu'il faut recourir d'abord : il y a une haute pro-
babilite antecedente pour que Tacception du mot de mystere,
usitee alors en Palestine et, en general, chez les Juifs, ait ete
la premiere a se presenter.
Or cette acception ne fait pas doute. Huit des dix exem-
ples qu'on a pu relever dans les Livres deutero-canoniques T
et les quatre passages du Livre d'Henoch pour lesquels il
nous reste un texte grec contenant ce mot, ont le sens general
de chose secrete, cachee, non le sens technique. II en va de
meme de 1'unique passage ou le terme figure dans les Synop-
tiques, et des quatre de 1'Apocalyse (il n'est pas dans le qua-
trieme evangile). Partout, il s'agit d'un arcane, ou d'un sym-
1. Voir J. A. Culloch, Nameless Gods, dans ERE, IX, p. 178-185. Que
de tels autels comme celui dont parle saint Paul a Athenes y fussent
bien connus, c'est ce qui est prouv6 par plusieurs allusions litleraires.
Pausanias s'y refere deux fois, une fois aux autels de dieux appeles
inconnus et de heros >, vus par lui a Athenes, et une fois a un autel
de dieux inconnus , a Olympie (Descriptio, I, \, 4; et V, 14, 8). Philos-
trate et Tertullien se referent tous deux aux autels de dieux inconnus r
existant a Athenes, etc.
2. Actes, xvn, 23.
L ETABLISSEMENT DE LA RELIGION PE JESUS. 559 1
bole comportaiit une signification cachee. Partout, le pendant
du mystere est la revelation, qui en decouvre la portee jus-
qu'alors inaccessible 1 .
Ges faits sont incontestes. Reste 1'usage paulinien qui doit
nous retenir un peu plus longtemps, puisque, sur vingt-huit
allegations du mot dans le Nouveau Testament, vingfc et une
figurent dans les Epitres. Un premier classement distingue
quelques cas ou le terme, difficile et discutable, n'a surement
du moins rien afaire avec la langue des religions a mysteres..
Suivent ceux ou il signifie simplement, comme dans le reste
du Nouveau Testament, 1'objet de la revelation chretienne,,
prise d'ensemble ; et un assez grand nombre d'exemples ou il
revet une nuance speciale propre a saint Paul. Ges derniers
passages se lisent dans les lettres aux Remains (1) ; aux Colos-
siens (4); aux Ephesiens (5 ou 6). En les lisant avec attention, on
voit qu'ils sont etroitement apparentes entre eux, et renvoient
comme les precedents aux secrets du gouvernement divin..
Mais le dessein providentiel est ici considere dans une de ses
applications, que Paul tient pour le point vif de son mes-
sage, constituant dans la revelation commune son evangile-
propre. II est impossible de le dire en termes plus clairs que
Tap6tre lui-meme : ses declarations se recouvrent pour le
fond et se commentent mutuellement. Nous n'en citerons que-
trois, suivant 1'ordre chronologique.
Doxologie finale de 1'Epitre aux Remains 2 :
A Celui qui peut vous affermir selon mon Evangile et le message-
[de Jesus Christ,
selon la revelation du mystere tu durant des p^riodes seculaires,
mais devoile maintenant et, par les Ecritures prophetiques,
1. Je resume d'apres Texcellent m6moire de J. A. Robinson, On the
meaning of MTSTHPION in the New Testament, appendice a Epistle to the
Ephesians*, London, 1922, p. 234-240; voir aussi F. Prat, Le mystere de
Paul et les myste'res patens, 1, dans Theologie de saint Paul, II 6 , 1923 r
note L, p. 467-469. Les deux seuls passages des livres de I'Ancien Testa-
ment ecrits en grec, ou figure le mot de mystere au sens technique, sont
dans le meme chapitre de la Sagesse, xiv, 15 et 23, et confirment la regie
1'auteur entend designer ici express6ment, et avec le vocabulaire en
usage (jiuutifpta xal TeXeTif?, TsXeraj ^ xptftpia jj.u<iTr{pta), les mysteres pai'ens qu'il
attaque en bloc, avec les autres formes d'idolatrie.
2. Rom., xvr, 25, 26.
560 JESUS CHRIST.
selon 1'ordre du Dieu eternel, notifie a tous les Gentils pour qu'ils
[obeissent a la foi,
auseul Dieu sage, par Jesus Christ, a lui la gloire aux siecles des
[siecles; amen.
Paul se rejouit de souffrir, parce qu'il accomplit ainsi, dans
sa chair, pour 1'Eglise, corps mystique du Christ, ce qui man-
que, de la part des collaborations humaines, a la passion de
son Maitre. En effet il est devenu le ministre de 1'Eglise,
selon la charge divine a moi confiee de vous annoncer toute la
[parole de Dieu,
le mystere cache aux siecles et aux generations ;
mais a present il a ete manifesto a ses saints,
auxquels Dieu a voulu notifier la richesse glorieuse de ce mystere
[chez les Gentils ;
c'est : le Christ en vous, 1'esperance de la gloire J !
Le Christ en vous , Gentils! et, avec lui, en lui, toute
la richesse du don divin : n'est-ce pas egalement le mystere
explique plus en detail aux Ephesiens 2 ?
Par rev61ation m'a ete notifie le mystere, selon que je vous 1'ai
ecrit en bref. Vous pouvez en le lisant connaitre 1'intelligence que
j'ai du mystere du Christ: mystere qui n'a pas, durant les prece-
dentes generations, ete notifie aux fils des hommes, comme main-
tenant il 1'a ete a ses saints apotres et aux prophetes spirituels :
les Gentils sont coheritiers, concorporels et copartageants de - la
promesse dans le Christ Jesus, par 1'Evangile dont je suis devenu
ministre... A moi, le dernier des saints, a et6 departie cette grace
d'evangeliser aux Gentils 1'insondable richesse du Christ et de
mettre en lumiere I'economie du mystere cache des 1'origine des
siecles en Dieu, createur de toutes choses.
II est manifesto que le mystere dont Paul fait tant d'etat,
est la disposition providentielle jusqu'alors cachee a tous
(Pierre lui-meme s'en emerveillait), qui admet les Gentils,
sans stage prealable et sur un pied d'egalite pai'faite avec
les fils d'Israel, a la participation totale du don divin, dans le
Christ Jesus. Au terme de cette enqu&te, nous n'avons
done trouve, dit justement M. J. Armitage Robinson, aucune
connexion entre 1'usage, dans le Nouveau Testament, du
mot jnystere, et son acception dans la religion pai'enne popu-
laire : un rite sacre que les inities sont tenus de garder invio-
1. Colossiens, i, 26-27; dans le meme sens ir, 2; iv, 3.
2. Ephes., in, 3-10; dans le meme sens i, 9-10; vi, 19.
L'ETABLISSBMBNT DE LA RELIGION OB JESUS. 561
lablement secret. Le terme n'a fait sa place dans la termino-
logie biblique qu'apres efcre entre dans le langage ordinaire
avec le sens d'un secret quelconque. Les ecrivains du Nou-
veau Testament 1'ont trouve en usage dans ce sens banal et
lui ont ouvert une nouvelle carriere en 1'appropriant aux
grandes verites de la religion chretienne, qui n'avaient pu
etre connues des hommes que par une confidence divine, une
revelation. Un mystere, en ce sens, n'est pas une chose qui
doive 4tre gardee secrete. Au contraire, c'est un secret que
Dieu veut faire connaitre, et qu'il a charge ses ap6tres
d'expliquer a ceux qui ont des oreilles pour 1'entendre l .
Est-ce a dire que pour Paul et ses collegues, Barnabe,
Silas, Apollos, Epaphras, etc.,levocabulaire et les conceptions
des religions initiatiques soient restes inconnus, lettre morte,
ou totalement depourvus d 'interest? Nous allons dire tout a
1'heure le contraire; et nous avons deja observe que 1' atmos-
phere creee par ces cultes, et une partie au moins des aspi-
rations qu'ils entretenaient, ont aide, en lui preparant des
auditeurs eveilles aux realites spirituelles, la propagande
evangelique. Mais ces verites partielles seraient pires que
1'ignorance meme si Ton y cherchait le sens general du mys-
tere chretien. Aborder son etude par ce biais, c'est imiter
(avec moins d'excuses) les critiques europeens qui, sous cou-
leur que certains ecrivains hindous, tels que Rabin dranath
Tagore, sont entres en rapport avec la pensee chretienne,
pretendent interpreter leur mystique par des infiltrations
occidentales, sans tenir compte de la Bhagavad-GitjL et de
la pensee religieuse de 1'Inde.
2. Les Origines de la Religion de J6sus.
Une lampe, luisant dans un lieu obscur , c'est le petit
nombre de faits certains qui eclaire 1'origine de la religion de
Jesus. En depit du recit initial des Actes, des anticipations
evangeliques, des lettres de saint Paul et des autres ecrits
anciens, nous connaissons tres imparfaitement la genese du
monde spirituel que Dieu appelle alors a 1'existence. La suite
des sept jours , les demarches qui vont identifier le Royaume
1. J. A. Robinson, Epistle to the Ephesians*, London, 1922, p. 240.
JESUS CHRIST. II. 36
562 JESUS dHRIST. "
des cieux, sous sa forme militante et visible, avec MSglise du
Christ, voila ce que nous en savons le mieux. Ailleurs 1'om-
bre, ici ou la plus claire, pese sur le quart de siecle ecoule
entre la mort de Je"sus et 1'apparition etincelante, incomplete
encore, mais assuree dans ses grandes lignes, qu'evoque la
lecture des epitres aux Thessaloniciens, aux Gorinthiens, aux
Galates et aux Romains.
Le caractere le plus notable de ces annees 'decisives est
leur brievete me'me. Les ecrits de maint critique liberal sur la
fecondite" creatrice de la communaute primitive, nebuleuse a
laquelle chacun pr6te les contours et revolution qui cadrent
avec ses propres theories, donnent 1'impression d'une vaste
periode d'obscurite", au cours de laquelle les temoins anciens
ayant disparu, des croyances capitales ont pu se former, ou se
perdre, des traditions, s'etablir, des recits, se forger, des
institutions, se creer. Un peu comme pendant les deux siecles .
qui s'etendent entre la mort du Bouddha et la conversion
d'Acoka. Quand ony regarde de plus pres, que voit-on? En
Tan 55, a Gorinthe, voiciune Eglise chretienne, pourvue d'une.
instruction catechetique regue et transmise par tradition,
d'une vie liturgique intense, d'une formation ascetique mora-
lement complete. Rien d'un champ d' experience dans lequel
aurait pu se donner carriere 1'imagination d'un fondateur, et
ouvert a sa seule main. A c6te, et parfois aux depens de son
influence, Paul signale comme s'exergant a Gorinthe 'celle de
Pierre, celle de Jacques de Jerusalem et des chretiens judaii-
sants, celle du brillant missionnaire et prophefce alexandrin
Apollos, celle des freres du Seigneur et de Barnabe. Les
rapports avec 1'Eglise-mere de Jerusalem et les Eglises-
soeurs de Macedoine, d'Asie et de Syrie, sont de tous le&
jours. Des chretiens venus de Rome, Aquila et Prisca, ont
precede en Achaie Paul lui-meme, qui s'est d'abord installe
chez eux : ils forment lien entre les communautes de Grece,
d'Asie (car FAp6tre va les retrouver a Ephese) et cette
Eglise romaine dont la foi est deja celebre dans la chretiente
entiere 1 . Nous avons depasse le stade des premieres origines,
1. Rom., i, 8. Sur Aquila et Prisca, voir Actes, xvni, 2; I Cor., xvi, 19;
Rom., xvi, 3 et 4.
L'ETABLISSEMENT DE LA RELIGION DE JESUS. 563
de la plasticity que Ton peut suppose? presque inde'finie, per-
mettant a une forte personnalite je parle toujours dans
1'hypothese des adversaires de modifier profondement, en
y introduisant des nouveautes ou en y pratiquant des coupes
sombres, une institution religieuse encore mal definie.
Or cette epoque, ou le christianisme se prdsente a nous
comme e"tabli, comme une pierre taillee qui a sa forme et son
poids , soustrait par un enseignement traditionnel aux ini-
tiatives les plus hardies et aux intrigues les plus heureuses,
est .date"e. -Laissant derriere lui Antioche de Syrie, Ghypre,
Antioche de Pisidie, Lystres et Derbe; laissant les Eglises
fondees a Thessalonique, a Philippes, a Beree; laissant
Athenes une premiere fois evangelisee, Paul arrive en 50 a
Corinthe. Vingt ans, ou un peu plus se sont ecoules, breve
mortalis aevi spatium, depuis la mort de Jesus. Voila le fait
qu'il ne faut pas se lasser de rappeler, parce qu'on peut lire
bien des ouvrages doctes, Jupiter, et laborieux! de cri^-
tique radicale, sans s'en douter, sans se rendre reelles siir-
tout les consequences qu'il emporte.
Le premier tressaillement de la communaute chretienne
s'eveillant a la vie fut la croyance de Paques : Reellement,
le Christ est ressuscite, et il est apparu a Pierre! Get eve-
nement capital est un point de depart : il a transforme en reli-
gion propremeht dite la veneration religieuse que, des long-
temps, les disciples de Jesus portaient a leur mattre. De ce
jour, celui-ci est leur Seigneur, le Seigneur. Ge titre (Maran,
Kyj'ios, .Dominus), possedait, dans 1'usage et la langue du
temps, chez les peuples semitiques comme chez les Hellenes
et les Romains, une gamme de sens allant de 1'appellation
honorifique sans grande consequence : Monsieur, Monsei-
gneur, a 1' expression d'une soumission personnelle sans con-
dition : Mon Seigneur et mon Dieu! La notion generale qui
domine toute la serie est celle de suzerainete, de domination^
de puissance royale 1 . De la, bien qu'elle-m^me n'eut rien
1 . Cette derivation semantique, partant du sens premier de : Souverain,
roi ; a ete debrouillee dans les articles si neufs de L. Cerfaux, sur le Titre
Kyrios > et la dignite royale de Jesus, dans Revue des Sciences Philoso-
phiques et Theologiques, XI, 1922, p. 40 suiv.; XII, 1923, p. 125 suiv. C'est
564 JESUS CHRIST.
que de civil et appartint a 1'etiquette des cours, une apti-
tude a se colorer d'un sens religieux. Soit que (c'etait le cas
en $gypte, et ailleurs encore) on Mt habitue a considerer
les rois comme descendants et successeurs des dieux, incar-
nations temporaires de 1'Osiris immortel. Soit que (c'etaifc le
cas dans le monde grec depuis Alexandre, et dans le remain,
depuis Cesar) on con^ut le Prince ou quelques Princes comme
eleves, par 1'apotheose, au rang des dieux. Soit enfin (c'etait
le cas chez les Juifs) qu'on voulut exprimer, en parlant du
Dieu unique et en evitant le nom divin, 1'attribut qui le qua-
lifie comme roi de tout ce qui existe. Dans la langue des
Septante, Kyrios est lahve-roi } .
Par son origine et son sens, 1'appellation convenait parfai-
tement au Messie, mais elle n'etait pas, pour autant, syno-
nyme de Christ ou interchangeable avec ce titre. Le Kyrios,
c'est le Messie, considere comme roi. Dans le langage chre-
tien, c'est proprement le Fils de I'homme glorifte par Dieu,
etabli dans son regne et assis a la droite de la Puissance
divine. Gomme tel, on 1'invoque dans les fervents appels a sa
Parousie, c'est-a-dire a son retour, escompte et espere pro-
chain, sur les nuees du ciel , imposant sa souverainete a
tous les hommes et associant a sa gloire ses feaux serviteurs.
Le seul fragment de priere chretienne primitive adressee au
Christ, surement authentique, que nous ayons conserve en
langue arameenne, est : Marana thai Notre Seigneur,
viens ! Cette invocation etait si populaire que Paul et 1'au-
teurde la Didache, ecrivant en grec, lacitent telle quelle, et
une mise au point necessaire dans une matiere que le Kyrios Christos de
W. Bousset, 2 1921, d'ailleurs extr^mement savant, avait bien obscurcie.
Pour 1'usage du mot dans le christianisme ancien,' le consciencieux tra-
vail de W. Foerster, Herr ist Jesus, Giitersloh, 1924, laissepeu ad^sireret
confirme, sur beaucoup de points, les m6moires de Cerfaux, que 1'auteur ne
connait pas : voir par ex. p. 101 suiv. En particulier, le chapitre sur 1'em-
ploi, rare, m&me chez les Isiaques, encore plus ailleurs, de Kyrios (Do-
minus) dans les religions a mysteres, est tres int6ressant, p. 79 suiv.
1. Sur 1'emploi de Kyrios dans les Septante, W. W. von Baudissin,
Kyrios als Gottesname im Judentum und seine Stelle in der Religionsges-
chichte, 6d. 0. Eissfeldt, Giessen, 1927, Parties I et II. Sur 1'usage de deus,
divinitas, etc., voir les d6pouillements de Gudeman, dans le grand The-
saurus Linguae latinae.
L'ETABLISSEMENT DE LA RELIGION BE JESUS. 565
que Jean, a la fin de 1'Apocalypse, la traduit litteralement.
Les passages les plus archai'ques des Actes, decelant des
sources (sinon une premiere redaction) arameennes, sont
encore plus instructifs. Us mettent en lumiere, a la fois, et
1'attribution publique du titre de Seigneur a Jesus, et la
garantie divine de cette attribution : la resurrection.
Apres avoir rappele la carriere visible du Nazareen,
homme approuve de Dieu parmi vous, par des ceuvres de
puissance, des miracles et des signes , Pierre declare que
Dieu Taressuscite,... 1'a eleve jusqu'a le placer a sa droite ;
et il conclut : Sache done surement toute la maison d'Israel
que Dieu 1'a fait Seigneur et Christ, ce Jesus que vous avez
crucifie 1 . Dans la force de 1'expression semitique, ici a fleur
de texte, faire un Seigneur, c'est le proclamer tel authenti-
quement, 1'introniser, 1'introduire en cette qualite pres de
ceux qui lui devront le service. Le tifcre de Christ ne fait pas
double emploi, car le Messie n'etait pas seulement roi, mais
juge, prophete et revelateur des secrets divins.
Un peu plus tard, devant le Sanhedrin, Pierre et Jean con-
fessent : Le Dieu de nos ance"tres a ressuscite Jesus... et il
1'a eleve a sa droite, grand chef et Sauveur 2 . Encore plus
frappant est le temoignage d'Etienne, dont le caractere pri-
mitif est inconteste, et en effet manifeste. Traine au dehors
par des auditeurs enrages de colere, et lapide par eux, le
premier diacre s'ecrie : Je vois les cieux ouverts, et le Fils
de I'homme assis a la droite de Dieu 3 . C'etait proclamer :
1. Actes, n, 22, 32 et 36. II est A peine croyable que des hommes
comme Bousset, Loisy et, apres d'autres, E. Lohmeyer, Christuskult und
Kaiserkult, Tubingen, 1919, recourent, pour expliquer cette attribution de
Kyrios, a des infiltrations posterieures venues de la Gentilite, alors que
c'etait Texpression qui s'offrait d'abord pour caracteriser le Messie-roi;
et alors que, par ailleurs, le titre de Kyrios, employe par les Gr6co-
Romains, en Orient, a 1'adresse des rois, n'a par lui-meme aucune rela-
tion avec le culte. Attache a la personne des empereurs,... il signifie
concretenienU'ewpej'ewr... Simple titre d'honneur ou plutot de function,...
sans qu'on puisse voir de lien necessaire et essentiel entre 1'appellation
Kyrios et le culte imperial ; L. Cerfaux, Revue des Sciences Philos. et
The'ol., XI, 1922, p. 40-71, avec les exemples a 1'appui.
2. Actes, v, 31 : ap^yov xal awtTjpa : le premier titre 6quivaut, comme
souvent ailleurs, a celui de Seigneur.
3. Actes, vir, 56.
566 JESUS CHRIST.
J6sus est le Seigneur, au sens fort et religieux du mot.
11 faut chercher dans cette veine les associations de
croyances, de pensdes, de souvenirs et de sentiments qui
expliquent, pour autant qu'on peut 1'expliquer humainement,
le fait ge"nerateur de tout le dogme chretien, 1'adoration
commune de Jesus, des la premiere heure, par tous ses
fldeles * . Que ce culte remonte aux debuts de la communaute
de Jerusalem, c'est ce qu'on ne met plus en doute. II faudrait
plutdt faire des reserves sur une reaction trop radicale, qui
refuserait de reconnaitre les transitions providentielles, ou
pousserait une vue plus juste des choses jusqu'a 1'exces et a
Terreur. Quand M. A. G. Me Giffert declare par exemple
que, si le culte divin rendu a Jesus par ses disciples ne peut
etre conteste, on peut, par centre, se demander si ceux-ci
eurent un autre culte que le sien, et si tous adoraient lahve,
le Pere de Jesus, cet historien se met, sur ce dernier point,
hors de toute vraisemblance 2 . Les m&mes textes des premiers
chapitres des Actes, dans leurs parties les plus semitisantes,
montrent au contraire 1'adoration et la priere de la commu-
naute montant vers Dieu le Pere. Lui seul est appele Seigneu?*,
au vocatif, et Jesus est son ft saint enfant .
Mais il reste tres veritable que Jesus fut reconnu comme
Dieu, et qu'on lui adressa des prieres des Forigme, avant
1'entree dans 1'Eglise des disciples helleniques et de saint
Paul. Pour incroyable que semble le fait, et anterieurement im-
probable, il s'impose. Les scrupules qui plus tard se firent jour,
jusque chez un Origene 3 , et amenerent des distinctions subtiles
entre prieres adressees au Christ et prieres directes au Pere,
entre titres assignes au Christ et titres reserve's au Pere,
bref, la crainte de diviser la monarchic divine , sont, a ce
qu'il semble, des preoccupations posterieures. En tout cas, si
1. Fernand Menegoz, Le Problems de la priere, Paris et Strasbourg, 192a>
p. 285. Sur la priere a Jesus, A. Klawek, Das Gebel zu Jesus, seine Berech-
tigungund Uebung nach den Schriflen des N. T., Minister i. W., 1921.
2. A. C. Me Giffert, The God of the early Christians, New-York, 1924]
Voir la-dessus J. G. Machen, dans The Princeton Theological Review,
octobre 1924, p. 544-589.
3. Voir le chapitre de J. Lebreton, dans son Histoire du Dogme de la
Trinite, II, Paris, 1928, sur la priere etle culte dans PEgIiseant6niceenne,
p. 174-247.
L'ETABLISSEMENT DB LA RELIGION DB JESUS. 567
un sentiment tres juste dicta aux premiers disciples, parlant
publiquement de leur Maitre, des formules nuancees et mo-
destes, il n'empecha aucunement ces hommes qui avaient
mange, bu, converse avec Jesus ces Juifs formes par un
monotheisme rigide a ne rien comparer a Dieu, instruits par
le Sauveur lui-m^me que Dieu seul est bon , et s'en sou-
venant de mettre en leur Seigneur, finalement et sans res-
triction d'aucune sorte, leur esperance. Us se fierent a lui
d'esprit et de coeur, pour le siecle present et pour le futur :
ils 1'adorerent. Les critiques qui ne partagent plus cette foi,
reconnaissent du moins le fait, et conviennent que TeVangile
<ie Marc, le plus ancien selon eux et, de 1'aveu general, le
plus naif et le moins precautionne, ne pre*sente pas de diffe-
rence, sous ce rapport, avec I'epiphanie du quatrieme evan-
gile 1 . II n'est pas moins clair que Paul, en entrant dans
1'Eglise, trois ou quatre annees apres la passion, n'entendit
nullement adopter une doctrine, mais participer a un culte 2 .
II ne vit pas dans le Nazareen un maitre, fut-il de la taille
d'un Hillel, mais son Seigneur et son Dieu. II est tres certain
que les Douze, Barnabe, Paul et tous leurs confreres, etabli-
rent et propagerent non la religion ancestrale (de la verite de
laquelle ils ne douterent cependant jamais), mais une religion
nouvelle, celle du Seigneur Jesus.
Comment rendre compte de ce fait, sans analogue dans
1'histoire religieuse de 1'humanite? II convient de rappeler
d'abord les souvenirs tres vivants'd'une bonte, d'une sagesse,
d'une puissance, d'une autorite surhumaines 3 ; mais ces motifs
n'agirent clairement qu'interpretes par le triple temoignage
1. Voir ci-dessus, tome I er , 1. I, ch. u, p. 174-175. Le christia-
nisme.... a 6t6 une religion nouvelle et cela des le lendemain de la mort
de Jesus, longtemps avant le moment ou I'hostilif6 des Juifs d'une part, la
necessit6 de pouvoir accueillir les pai'ens de 1'autre, auront contraint les
oroyants a s'organiser en un groupement independant de la synagogue ;
Maurice Goguel, J6sus de Nazareth, Paris, 1925, p. 306.
2. C'est ce qu'oublient trop ceux qui decrivent la religion de saint Paul,
des les premieres annees de sa conversion, a travers 1'etude de sa theo-
logie (ramenee plus ou moins heureusement a ses sources), comme W. L.
Knox dans son livre d'ailleurs meritant, Saint Paul and the Church of
Jerusalem, Cambridge, 1925, p. 98 suiv.
3. Voir ci-dessus, 1. IV, ch. i et n, et 1. V, ch. i.
568 JESUS CHRIST. :
du sang, de la gloire et de 1'esprit. G'est a 1'un ou a 1'autre
de ces moyens de preuve que font appel les formules de foi
les plus anciennes, celle par exemple que saint Paul, vers 50^
transmettait aux Gorinthiens, et qui remonte dans sa substance
aux toutes premieres anne"es de 1'Evangile :
Le Christ est mort pour nos peches, conformement aux Ecritures,
et il a 6te enseveli,
et il est ressuscite le troisieme jour, conformement aux Ecritures,
et il apparut a Pierre, puis aux Douze, etc... * .
Semblablement, des le jour de la Pentec6te, la remission
des peche's par le bapteme donne au nom de Jesus, la resur-
rection, le temoignage spirituel des prophe'ties accomplies et
des dons extraordinaires, sont presentes ensemble par Pierre r
Tenseignement doctrinal et 1'apologetique n'etant pas encore
differ encies.
La genese du premier de ces articles : la redemption dans
le sang de Jesus, n'est pas la plus aisee a expliquer. Nous>
avons dit plus haut combien cette notion etait etrangere au
Judaisme de ce temps et a la pensee me'me du cercle aposto-
lique. Le rdle du Messie paraissait a ces esprits, seduits par
des mirages temporels, incompatible avec la douleur, la
honte, Phumiliation. Ge prejuge si fort n'etait pas toutefois
invincible : 1'idee de satisfaction subsistait dans la conscience
populaire, offrant une terre favorable ou la nouvelle croyance
pourrait jeter ses racines. Quant a la figure du Messie souf-
frant et redempteur, elle etait si fortement marquee dans les
livres prophetiques alors les plus goutes 2 les Psaumes et
Isaie qu'on s'etonne qu'elle ait pu echapper aux medita-
tions des homines , religieux de ce temps. Dans ces intelli-
gences obnubilees, les premiers rais de lumiere penetrerent
sans doute, un peu de force, avec les predictions du Maitre
touchant sa passion, et la parole profonde :
1. I Cor., xv, 36-5.
2. Les Psaumes et le Livre d'lsa'ie sont alleguSs, a eux seuls, dans le
Nouveau Testament, presque aussi souvent que tout le reste de la Bible :
on peut voir les listes tres soign6es de W. Dittmar, Vetus Testamentum in
Novo, I, Goettingen, 1899, p. 170-175, pour les 6vangiles et les Actes ; II,
1903, p. 285-356, pour les epitres et 1'Apocalypse.
L'ETABLISSEMENT DE LA RELIGION DE JESUS. 569
Aussi bien le Fils de I'homme n'est pas venu pour etre servi, mais
[pour servir,
et donner sa vie en rancon pour beaucoup 1 .
Le geste de la derniere Gene, renvoyant au sang de Pan-
cienne Alliance, fut egalement impressionnant. Toutefois rien
n'etait fait encore et ce fufc la radieuse aurore de Paques qui
eclaira de'finitivement ces hommes lents a croire. A cette
preuve decisive des complaisances de Dieu en son Christ, les
anticipations n'avaient pas manque, et toutes ne furent pas
vaines. Le temoignage de Jean Baptiste et le bapteme de
Jesus, les actes de foi evoques par certaines osuvres de puis-
sance, la confession de Pierre, la transfiguration jalonnent
1'Evangile comme les pierres d'attente d'un monument; mais
il restait a Tedifier. Les notations tres fines du recit johan-
nique enregistrent egalement le lent progres de la foi aposto-
lique, depuis le naif : Nous avons decouvert le Messie !
des premiers contacts, jusqu'a la confession de Thomas. Les
derniers mots de Jesus a I'ap6tre enfin conquis Bienheureux
ceux qui n'ont pas vu, et qui ont cru! ne sont pas seulement
un eloge, donne sous la forme semitique d'une beatitude, aux
disciples qui croiraient sans avoir beneficie personnellement
des apparitions du crucifie. Us sont aussi un reproche, dis-
cret mais certain, aux intimes dont tant de signes anterieurs-
auraient du fixer la foi. Ce me'me reproche est place par les
Synoptiques sur les levres du Sauveur vivant et conversant
avec les siens. G'esfc qu'entre temps, recouvrant les premieres-
assises de cette foi, a la faQon d'un raz de maree, le grand
scandale du Galvaire avait deferle, remettant tout en ques-
tion : Nous esperions !
Mais ce doute affreux une fois dissipe par la resurrection,
tout le passe revecut et prit un sens. II arrive ainsi que des
traits observes par nous, ou inconsciemment enregistres, tou-
chant le caractere, la sincerite, la nature vraie d'une per-
sonne, demeurent en suspens, donnant lieu a un jugement
revisable. Puis, sur une attitude, une reaction profonde, un epi-
sode qui les interprete de fagon definitive, ces indices se rejoi-
gnent, se fondent. Le mot de 1'enigme est donne, le chiffre du
1. Me., x, 45.
570 JESUS CHRIST:
cryptogramme humain decouvert : tout est dor^navant clair et
lisible. G'est une evidence de cette sorte qu'apporta aux ap6-
tres le jour de Paques : la mission, la dignite supreme, 1'in-
tercession redemptrice du Maitre leur apparurent desormais
sous le signe divin. Les Ecritures livrerent leur secret; 1'Evan-
gile du Juste souifrant et sauveur fut epele dans les Psaumes
d'abord 1 , puis dans Isaiie :
II a ete mis au rang des impies !....
S'il oftresa vie en sacrifice pour le pech6...,
en ses mains I'o3uvre de lahve prosperera...
Le Juste, mon Serviteur, justifiera des multitudes,
il se ehargera de leurs iniquites 2 .
Qu'il fut besoin d'un mediateur et d'une reconciliation
entre Dieu et les hommes pecheurs et profanes, cela allait
sans dire et ressortait de tout I'enseignement de Jesus 3 , quoi
qu'en pretende une critique dont on ne sait si elle est plus
1. L'admirable Psaume XXH (xxi) et son satellite le Psaume LXIX (LXVIU),
semblent avoir ete les premiers interpretes. Isai'e ne vint done qu'ensuite,
a ce qu'il parait. Voir Mt., xxvii, 34 (Me., xv, 23) = Psaume LXIX (LXVIH),
. 22; Mt., xxvir, 35, Me., xv, 24 = Psaume xxir (xxi), 19; Lc., xxm, 35 =
Psaume xxn (xxi), 7; Mt., xxvii, 39, Me., xv, 29 '= Psaume xxn (xxi), 8;
Lc., xxm, 36 = Psaume LXIX (LXVIU), 22 ; Mt., xxvii, 43 = Psaume x.\n
(xxi), 9; Mt., xxvii, 46, Me., xv, 34 = Psaume xxii (xxi), 2; Mt., xxvii, 48,
Me., xv, 36 = Psaume LXIX (LXVIII), 22; Jo., xix, 24 = Psaume xxn (xxi),
19; Jo., xix, 28= Psaume xxn (xxt), 16; Jo., xix, 29 = Psaume LXIX
(LXVIII), 22.
2. Isai'e, Lin, 104, 11* : Condamin.
3. Quand H. Weinel, par exemple, ecrit, Biblische Theologie des Neuen
Testaments 3 , Tubingen, 1921, p. 227 : II ressort clair comme le jour de
toute sa predication (de Jesus) qu'il n'a pas fait dependre 1'amour de Dieu
d'une satisfaction pour son honneur outrag6, ou d'une satisfaction pour sa
justice et sa saintete violees. D'un enseignement touchant la reconcilia-
tion, il n'est pas question chez lui, fut-ce par un mot. Le Dieu de Jesus
n'a pas besoin d'etre reconcile : il pardonne au pecheur qui vient vers
lui. II est le pere de ses enfants * ; il applique au temps evang61ique et a
Fenseignement du Sauveur un etat d'esprit moderne, contraire a tous les
documents positifs et, j'ajoute : faiblement religieux. Voir sur ce dernier
point Rud. Otto, Das Reilige, ch. in, vm et xi ; sur le premier, les textes
reunis par A. Medebielle, U Expiation dans I'Ancien et le Nouveau Testa-
ment, I, Rome, 1924. Le Dieu de Jesus est infiniment bon, mais aussi
inexprimablement saint et infiniment juste : voir ci-dessus tome I cr ,
livre III, ch. n, 1, p. 363 suiv.
L'ETABLISSEMENT DE LA RELIGION DE JESUS. 571 ,
superficielle ou, religieusement, plus indigente. Sur cette
necessite generale, et la satisfaction apportee a ces besoms,
en plenitude, par le sang de 1'Agneau , on ne peut que
constater 1'unanimite des ecrits chretiens, de la premiere
lettre aux Thessaloniciens a 1'Apocalypse de Jean et a 1'epifcre
aux Hebreux. Gette doctrine est si fondamentale qu'on ne
cherche pas a la justifier : la pierre que les evangelistes et
;saint Paul s'efforcent de mettre hors de la voie des neophytes,
c'est le comment, le mode de redemption choisi, son carac-
tere humiliant et douloureux; bref, le Christ crucifie. Us
expliquent ce renversement des vues humaines ou par les
Ecritures, temoins irrdfragables d'un dessein divin preconcu,
ou par une intention de providence, Dieu voulant mater par
ce coup d'apparente folie la courte sagesse des sages et des
prudents selon la chair. Mais sur le fait meme de la reconci-
liation de tous avec Dieu, dans le sang du Christ, point de
discussion ni d'apologie; non plus que sur la surabondance
de la satisfaction, incluse dans la dignite personnelle de
Jesus.
Le temoignage de 1'Esprit ne fut pas, dans ces lointaines
origines, moins agissant. II a ete peut-e"tre le plus persuasif;
car, au dela du cercle, restreint en somme, des temoins
appointes et privilegies, il atteignit ordinairement les nou-
veaux chretiens, affermissant du coup tous les autres dans
leur foi. L'interpretation donnee par les disciples des faits de
la vie de Jesus recevait, de ces effusions divines, une eclatante
confirmation. Hors de cette perspective, 1'audace des ap6tres,
leur confiance inebranlee, leur perseverance a construire et
a mettre enterre, a arracher et a planter, ne s'expliquent pas.
Mais Dieu avait pris parti pour eux! Et a ces assurances
renouvelees, provoquant des sentiments de joie et de re"conforfc
inexprimables, les doutes et les apprehensions fondaient
comme cire au feu. Des le matin de la Pentec6te, les charis-
mata, c'est-a-dire les manifestations extraordinaires et gra-
cieuses qui accompagnaient le bapt^me dans 1'Esprit Saint
sont expliques par Pierre comme les signes, nettement predits,
de 1'avenement du temps messianique. Ce que vous voyez,
c'est ce qui a ete dit par le prophete Joel :
572 JESUS CHRIST.
Et ainsi sera dans les derniers jours, dit Dieu,
Je repandrai de rnon Esprit sur toute chair,
et prophetiseront vos fils et vos filles,
et vosjeunes gens verront des visions,
et vos vieillards songeront des songes.
Et void, sur mes serviteurs et sur mes servantes
en ces jours-la je repandrai de mon Esprit f et Us prophetiseront*,
Propheties done, ces paroles inspirees qui depassaient ou
debordaient par leurs modalites les faculte"s normales de
celui qui les pronongait : soit qu'elles fussent dites en des
langues qu'il ne connaissait pas ; soit que, dites en sa langue,
elles fussent entendues en une autre par ceux qui etaient la;
soit enfin qu'interpretees prophetiquement, leur application
aux secrets caches dans les coeurs temoignat d'une penetration
surhumaine 2 . Sous toutes ces formes, le parler en langues
1. Actes, n, 16-18 ; Joel, in, 1-3. On salt que, dans les prophetes, les
temps messianiques sont < les derniers >, tous les autres appartenant a
leur preparation. Sur les analogies dans le mouvement < pentecotiste
moderne, notamment en Suede, les ouvrages de Briem et de Lindernholm,
Stockholm, 1924, ont 6t6 resume's par L6on Pineau, Journal des Debats,
23 mars 1925.
2. Beaucoup d'auteurs (au point que le fait est accept^, sur leur foi,
comme constant, par des 6crivains pretendant r6sumer 1'opinion com-
mune) pretendent identifier entre elles les diverses formes du don des
langues et les ramener a la glossolalie pathologique : Au plus bas
degr6, des cris inarticule's, des Emissions vocales confuses, souvent
acoompagn6es de convulsions, de hoquets, etc. Puis, c'est un pseudo-
langage, analogue a celui des glossolales de Corinthe, inintelligible a
1'auditeur, parfois meme au glossolale... Plus haut encore, c'est un
langage veritable;... la contrefagon plus oumoins adroited'unlangage;...
contrefacon linguistique ou il entre une part de fabrication intentionnelle >
H. Delacroix, Le Langage et la Pensee, Paris, 1924, p. 325. Bruckner
dans RGG, III, col. 1203-1204, s. v. Geist und Geistesgaben im N. T., alle-
gue en exemples, apres et d'apres H. Gunkel, les pr6tendues < 6coles de
prophetes : I Sam. (I Reg.), x, 5 suiv. ; xix, 20 suiv., les devins pai'ens,
les Corybantes, les membres des sectes d'enthousiastes, et des revivals >.
On ne saurait protester trop haut centre ces assimilations globales et
sommaires. Plusieurs commencent a s'en apercevoir. K. L. Schmidt, Die
Pfingsterzaehlung und das Pfingstereignis, Leipzig, 1919, s'61eve centre
ceux ce sont la plupart de ses collegues qui pr6tendent expliquer
le fait de la Pentecote par le parler en langues dont saint Paul s'occupe
I Cor., xi suiv. II s'agit en r6alit6, reconnait Schmidt, de ph6nomenes
tres diff6rents. Sur les langues > ou les varies de langues > a Corinthe
L'ETABLISSEMENT DE LA RELIGION DE JESUS. 573
produisait une grande impression : celui qui en beneficiait
n'e"tait pas le moins touche, se sentant agi par une force qui
1'investissait et qu'il ne pouvait provoquer a son gre. D'autres
charismes accompagnaient souvent ceux-ci : guerisons des
malades, liberation des obsedes, force divine allant a con-
vaincre, a servir, a consoler, a administrer 1 . Us accompa-
gnaient le plus souvent le bapteme confere au nom de Jesus,
mais leur effusion n'etait pas restreinte a ce rite auguste.
D'autres fois, pendant des reunions chretiennes intimes,
1'Esprit survenait, tombait sur les assistants, repondant
a leurs prieres, et leur donnant de parler avec confiance les
paroles de Dieu . En certains hommes exceptionnellement
fideles, a ces irruptions soudaines, inattendues, succedait
une possession durable et tranquille, qui faisait de ces pri-
vilegies les instruments ordinaires et comme la bouche
de Dieu . Tel fut Etienne, plein de foi du Saint Esprit ,
plein de grace et de puissance , temoignant dans 1'argu-
mentation d'une . sagesse et d'un Esprit irresistibles :
son visage meme brillait parfois d'un eclat angelique, rappe-
lant la transfiguration de Jesus. Plein du Saint Esprit ,
il meurt sous les pierres de la lapidation en invoquant son
Maitre : Seigneur Jesus, recois mon esprit! ,.. Puis, de
toute la force de sa voix : Seigneur, ne leur impute pas ce
peche !
wv : car Paul ne parle pas de glossolalie >) et les
rapprochements anciens, voir la dissertation biais6e, mais tres complete de
J. Weiss, Der erste Korintherbrief, 1925, p. 335-339.
1. I Cor., xif, 8-10, 28-30; Rom., xii, 6-8; Ephes., iv, 11. Sur ces dons,
voir F. Prat, Thdologie de saint Paul, 1 7 , 1920, p. 498-503, et Trepat, dans
Analecta Sacra Tarraconensia, I, Bareelone, 1925, p. 83-114; en attendant
la monographic complete qui nous manque encore. Pour les critiques
liberaux, il va sans dire que ces dons ont leur explication totale dans le
contexte humain, a 1'exclusion de toute intervention surnaturelle. De la
chez eux, une double tendance a unifier, a simplifier, a niveler les faits ;
a expliquer les plus elev6s par les plus simples et, encore mieux, par
ceux dont la description exterieure oifre des analogies avec des etats
morbides deja classes. Parce qu'il existe incontestablement une glosso-
lalie pathologique, et aussi des preventions chimeriques ou delirantes a
la prophetic, on ramenera d'instinct a ces categories connues, et humaines
(trop humaines), tout ce qui, dans toutes les religions y compris le
christianisme ancien y ressemble en quelque maniere.
574 JESUS CHRIST. '
II serait difficile d'exagerer, dans le premier e'tablissement
de la religion de Jesus, 1'importance des dons spirituels,
ordinaires ou extraordinaire s. Quelques episodes nous la
feront entendre, et qu'on regardait ces signes comme un
veritable jugement de Dieu 1 .
Le diacre Philippe avait, au cours d'une mission, marquee
par de nombreux prodiges, converti et baptise un nombre
important de Samaritains, y compris le fameux magicien
Simon, auquel, petit ou grand, tout le monde se confiait,
disant : G'est la Puissance de Dieu, la grande! Ge qu'appre-
nant, les Douze deciderent d'envoyer la Pierre et Jean, afin
que les neophytes recussent le Saint Esprit. Gar il n'etait
encore survenu en aucun d'entre eux , et, par ainsi, le
passage a la foi chretienne de ces demi-paiens n'avait pas
encore recu la sanction divine 2 . Or 1'intervehtion des deux
1. Au debut des Eglises particulieres, a d'autres epoques, des mouve-
ments spirituels de ce genre se sont produits, qui nous fournissent 1'ana-
logie la moins imparfaite de la vie charis'matique du christianisme ancien.
L'exemple le plus iriteressant est peut-etre celui de la conversion du
pays de Galles, de 1'Irlande, et d'une partie des barbares encore pa'iens,
ou semi-pai'ens, de TAngleterre et de 1'Europe continental, par les saints
Bretons du vi e siecle : Patrice, Gildas, Aidan, et les moines d'lona, David,
Colomba, etc. Voir la-dessus, avec les ouvrages excellents de Dom L. Gou-
gaud, Les Chretienles celtiques, Paris, 1911, Devotions et Pratiques ascdti-
ques du Moyen Age, Paris, 1925, 1'etude du reveil spirituel dont ces saints
furent 1'instrument, dans Jacques Chevalier, Essai sur la Formation de
la nationality et les Reveils religieux au Pays de Galles, des originesa
la fin du vi e siecle, Lyon et Paris, 1923, p. 378-434. Le souffle de 1'Esprit
anime tout ce que font ces homines. Sa puissance rayonne en eux, par
les miracles qu'ils operent : la nature entiere obeit a leur empire... C'est
a cette communication de 1'Esprit qu'ils doivent leurs dons prophetiques,
et les privileges spirituels dont ils jouissent... Us le savent. Et c'est
pourquoi ils ne considerent pas ce message (de 1'Evangile) comme leur
bien propre, mais comme un bien dont ils sont les simples depositaires :
ils se le passent de main en main, pareils aux porteurs antiques du feu
sacre... Ainsi se noue une chaine solide d'experiences religieuses, ainsi
s'etablit une tradition ininterrompue de vocations apostoliques qui permet
a 1'action de 1'Esprit de se perp6tuer dans le temps ; p. 403, 405, 406. II
faudrait citer aussi ce qui est dit de 1'apostolat itinerant, guid6 par 1'ins-
piration.
2. J'emprunte cette excellente formule a E. Jacquier, Les Actes des
Apdtres, 1926, p. 254-267, sur tout 1'incident; et ajouter les memoires de
L. Cerfaux sur la Gnose simonienne, dans US ft, XVI, XVII, 1926-1927.
ETABLISSEMENT DE LA RELIGION DE JESUS. 575
ap6tres et 1'imposition de leurs mains provoquent, en me'me
temps que la confirmation dans leur croyance, une telle effusion
spirituelle que Simon de Samarie, tout entente' encore de ses
chimeres, essaie d'obtenir a prix d'argent un pouvoir sem-
blable. II faut que Pierre le rappelle se'verement a des vue&
moins grossieres. A quelque temps de la, ce sont des pai'ens,
en la personne du centurion Cornelius et de sa maison, qui
recoivent, avant m6me leur bapte"me, et a la grande admi-
ration de tous, Pierre non excepte, des charismes en abon-
dance. Us parlent en langues, ils sont remplis du Saint Esprit.
C'est sur cette garantie divine que le chef des apotres, par
deux fois, justifiera 1'entree, sans adhesion prealable a la Loi
de Moiise, des Gentils dans 1'Eglise de Dieu.
Interroge par les judaisants, Pierre raconte en effet son
aventure. Dans la maison de Cornelius, a Gesaree de la mer r
conclut-il, comme je commencais de parley 1'Esprit Saint
tomba sur eux comme sur nous a Porigine. Et je me souvms
de la parole du Seigneur, comme il disait : Jean a baptise
dans I'eau, vous, vous serez baptises dans 1'Esprit Saint.
Si done Dieu leur a octroye le me'me don qu'a nous qui avon&
cru au Seigneur Jesus, qui etais-je, moi, pour empe"cher
Dieu? Ayant oui cela, ils se calmerent, et glorifierent Dieu
en disant : Mais alors, Dieu a donne aussi aux Gentils
la penitence pour la vie eternelle! Plus tard, quand on
cherche noise aux apotres de I'mcirconcision Barnabe et Paul,
une grande dispuste s'etant elevee , c'est Pierre encore
qui prend la parole, et il fait valoir le m^me argument :
Freres, vous savez que des les jours anciens Dieu a choisi
parmi nous, pour que les Gentils entendissent de ma bouche
la parole de FEvangile, et qu'ils crussent. Or Dieu, qui con-
nait les cceurs, a temoigne en leur faveur, leur donnant
1'Esprit Saint tout comme a nous. Et il n'a fait aucune diffe-
rence entre eux et nous, purifiant leur coeur par la foi.
Jacques soutint alors Pierre, appuyant sa these par 1'argu-
ment des Ecritures prophetiques ; mais le signe decisif, qui
autorise tout le reste, c'est 1'effusion charismatique.
Non qu'elle sanctifie par elle-mme, a la facon d'un sacre-
ment. Ce n'est pas son r61e, surtout quand il s'agifc de ces
dons voyants, mineurs, destines a eveiller et en quelque
r
57d JESUS CHRIST.
sorte a forcer 1'attention des infideles, comme le parler en
langues 1 . Saint Paul lui compare, pour fixer sur ceux-ci les
desirs de ses neophytes, les plus grands charismes 2 , telsque
1'apostolat, la grace prophetique permettant de voir dans les
coeurs et amenant les temoins a reconnaitre que Dieu est la.
Tels encore les dons d'enseigner, d'interpreter, de guerir :
. les langues ne viennent qu'en dernier lieu; encore leur
emploi dans les reunions est-il severement contr61e, surveille
chez tous, interdit aux femmes 3 . Par dessus. tous les cha-
rismes, me'me les plus precieux, Paul exalte enfin comme
une voie incomparablement plus elevee, celle de la charite*,
c'est-a-dire ici surtout, comme il appert par le contexte, de
la dilection fraternelle, fors laquelle les dons les plus mer-
veilleux, science intuitive du divin, foi des miracles, depense
du sien et de soi, ne servent de rien a qui les possede. Ainsi
se hierarchise le double organisme spirituel, celui des signes
niiraculeux, destine a devenir intermittent, et celui des vertus
interieures, qui ne passera pas, sans qu'aucun fut sacrifie
ou fausse dans son usage.
Telles ont ete, pour autant qu'on peut les restituer, les
principales, sinon les seules raisons, qui amenerent les plus
anciens disciples de Jesus a lui rendre 1'hommage supreme
de 1'adoration. Telles furent les garanties divines qui cou-
vrirent a leurs yeux une demarche de si grande portee. Les
premiers actes de cetfce religion, accomplis sous 1'influence
de 1'Esprit de Dieu, s'organiserent assez vite en un culte
suivi, dont la commemoration du Seigneur, la priere en com-
mun et la fraction du pain furent les elements generateurs.
Le service des synagogues qui, dans toute la Dispersion,
mais encore en Palestine et a Jerusalem me'me 5 , groupait en
communautes spirituelles des Israelites de me'me origine ou
1. I Cor., xiv, 22.
2. ZvjXouTe ol Ta ^ap(a(iaTa T& [is^ova, I Cor., XII, 31.
3. I Cor., xir, 28 suiv. ; xiv, 26-40.
4. I Cor., xii, 316-xiu, 4.
5. Voir le commentaire de Strack et Billerbeck sur Actes, vi, 9, KTM,
II, p. 661-665. Sur les rapports du service juif avec les plus anciennes
liturgies chretiennes, W. 0. E. Oesterley, The Jewish Background of
the Christian Liturgy, Oxford, 1925.
L'ETABLISSEMENT DE LA RELIGION DE JESUS. 577
d'affmitos pareilles, fut manifestement le berceau de la liturgie
chretienne. Et comme ce service ne supplantait pas le culte
public du Temple, on s'explique sans peine que les premieres
Eglises, celle de Jerusalem en particulier, n'eprouverent
nullement au debut 1'impression d'un exode, ou d'un divorce
d'avec le Judaisme officiel. Loin de Ik! On nous montre les
premiers chretiens assidus dans le Temple et trouvant, dans
leur foi nouvelle, Poccasion d'un renouveau de piete" juive 1 .
G'est tres lentement, et sous la pression d'une ndcessite
1'initiative venant de la Synagogue, dont les chefs semblent
avoir percu avant les apotres eux-me'mes rincompatibilite
croissante des deux religions que 1'autonomie chretienne,
douloureusement et laborieusement, devint un fait accompli.
La dualite m6me, toute partielle qu'elle est demeure"e, ne
fut pas apercue a 1'origine : les raisons profondes qui ame-
nerent les disciples de Jesus a adorer leur Seigneur et, par
consequent, a suivre enfin leur voie propre, sont enfoncees
dans le tuf judaique le plus authentique, et c'est pour cela
qu'elles agirent suavement tout a la fois et puissammeht.
G'est une imagination en verite bien etrange, de supposer des
fideles Israelites, en garde centre toute infiltration et me'ine
toute annexion paienne, au point de ne pas concevoir qu'on
put devenir chretien sans passer par la porte de la Loi, et
sans, pour ainsi dire, sucer le lait de I'antique foi, appliquant
a Jesus les precedes paiiens de Tapotheose ! La seule pensee
en eufc fait horreur a ces monotheistes intransigeants : A
Cesar ce qui est a Cesar, mais a Dieu ce qui est a Dieu !
Au lieu que 1'invocation du nom de Jesus n'dfce rien a la
gloire incommunicable de lahve; car Jesus, le Fils unique
et bien-aime, tient tout ce qu'il est, tout ce qu'il a, du Pere
des cieux. Gette invocation ne degrade ni n& dedouble ce qui
doit rester unique et fixer, a 1'exclusion de toute grandeur
cre"ee, la seule louange parfaite. Revele et autorise par 1'Es-
prit, le Christ est le mediateur indispensable pour aller au
Pere; il est le Seigneur qui sauve, en reconciliant, par la
dignite infinie de son intercession, au seul Dieu. Les for-
mules qui plus tard exprimeront ces nuances delicates et
1 Actes, n, 46; in, 1 suiv. ; v, 12 et 42, etc.
JESUS CHRIST. ii. 37
r
578 | JESUS CHRIST.
distingueront des termes personnels dans 1'unite* de la nature
divine, n' existent pas encore; mais les realite's concretes de
foi, d'amour, de piete, sont presentes. Les attitudes interieures
et exterieures s'ebauchent de'ja, ou s'affirment, que ces for-
mules rendront explicites en leur temps.
Tout autant que les dogmes catholiques, les gestes des
saints qui s'appelleront demain Ignace d'Antioche et Irenee
de Lyon, Augustin et Benolt, Francois d'Assise et Vincent
de Paul, sont deja preformes chez les disciples de la premiere
heure. Les temoins les plus persuasifs, dans un monde charnel T
de la primaute du spirituel, du detachement par amour et
du service de'sinteresse de leurs freres, que feront-ils de plus
qu'Etienne, Barnabe, Pierre et Jean, et ces humbles ne for-
mant qu'un coeur et qu'une ame? Nul n'appelait sien ce
qu'il possedait, mais tout etait commun entre eux... Geux qui
possedaient des terres ou des maisons les vendaient et en
apportaient le montant aux pieds des ap6tres : on le distri-
buait a chacun selon ses besoms 1 . Gette poussee de seve
heroique se fixera ensuite dans certaines branches du grand
arbre chretien; ces activites un peu confuses s'ordonneront
sous la pression d'autres devoirs : elles sont deja la, nourri-
cieres de vertus qui ne furent pas depassees. Un penseur
ecrit : Aucune origine n'est belle. La beaute veritable est
au terme des choses 2 . G'est une constatation lourde de
verite humaine ; mais ici il y a plus que I'homme. L'origine de
la religion de Jesus, dans son dessein et sa realite, dans sa
tige, ses primes fleurs et son fruit, est divinement belle.
3. La religion de Je"sus au milieu du I 01 ' siecle.
Ecrites durant les toufces dernieres annees du regne de
Claude (41-54), et les premieres de celles de Neron (55-67),
les lettres de saint Paul nous reportent a un temps fertile en
troubles et en fermentation religieuse. Parmi les indices plus
recemment decouverts de cet e'tat de choses, il suffit de
signaler I'ornementation et Fetat de la basilique, probable-
ment pythagoricienne, exhumee en 1917 pres de la Porte-
1 Actes, iv, 32, 34-35.
2. Ch. Maurras, Anthinea, Paris, 1912, p. 218.
L'ETABLISSBMBNT DB LA RELIGION DE JESUS. 579
Majeure, a Rome, et lea mesures de 1'empereur Claude visant
les Juifs d'Alexandrie 1 .
Les epitres elles-mmes sont si riches en details authen-
tiques, et la personnalite qu'elles revelent, si forte, qu'il est
difficile de rendre justice a celle-ci et d'exploiter ceux-la,
sans s'exposer a fausser la perspective de la chretiente
d'alors. On est tente de n'y plus voir que le grand ap6tre
des Gen,tils, et de resumer toute la vie des Eglises en la
sienne, ne laissant subsister hors de son champ direct
d'influence qu'un maigre lot de judai'sants attardes, guides
par Jacques de Jerusalem. G'est la, est-il besoin de le dire?
une vue tres inexacte. Jamais Paul n'a pretendu a ce r61e
exclusif et encombrant : l'eut-il fait, que les circonstances ne
lui auraient pas permis de s'y e"galer. Une nouvelle cause
d'erreui"s, moins excusable, est consequente a I'invasion
heureuse par d'autres c6tes! de I'ex^gese paulinienne et
chretienne, vers le debut de ce siecle, par une troupe deter-
minee de philologues classiques. Us ont pretendu tirer Paul
a rHellenisme de son temps, jusqu'a 1'y annexer, comme s'il
avait introduit a dose massive certaines conceptions du
pag.anisme ancien dans le christianisme, suppose alors amor-
phe et sans defense. Ges exces deplorables, soutenus par
une science ingenieuse, sont en train de succomber a leur
propre faiblesse. Mais les brillants tableaux dans lesquels les
critiques ont accueilli certaines de ces idees, ne laissent pas x
d'influencer encore bien des esprits. En voici quelques traits,
empruntes a M. Alfred Loisy. On y voit a quelle deformation
do 1'histoire la hantise d'une these nouvelle peut mener, en
depit d'une information .hors ligne, un historien trop impres-
sionnable 2 .
1. H. Idris Bell, Jews and Christians in Egypt, The Jewish Troubles in
Alexandria, etc., London, 1924. Dans la vaste litterature provoquee par
cette publication, on peut signaler 1'article d'A. d'Ales, Les Juifs d'Alexan-
drie et Vempereur Claude, dans les Etudes, CLXXXII, 1925, p. 692-701, qui
contient une traduction elegante des pieces elles-m&mes. Sur la basilique
de la Porte Majeure, brillant expose de J. Carcopino, La Basilique pytha-
goricienne de la Porte Majeure. Etudes Romaines, I, Paris, 1927.
2. A. Loisy, Les Mysteres paiens et le Mystdre Chretien, Paris, 1919,
p. 239, 247 suiv. ; 286. Ces formules, et celles de Reitzenstein, G. P. Wetter,
etc., ont trouve leur route dans 1'ouvrage, par ailleurs si personnel, de
580 JESUS CHRIST.'
Le Dieu universel (de saint Paul) qui prend ses elus dans toutes
les families humaines, comme les dieux des mysteres, a regie" aussi
leur salut sur le type commun des mysteres pa'iens. Un personnage
a ete" charge* de le realiser. Car le Christ de saint Paul n'est plus
celui de la premiere communaute'... telle est la theorie du salut que
Paul a comjue... Cela n'est pas plus consistant qu'un mythe, et
e'en est un... C'est le mythe pai'en du Dieu immole, comme il se
rencontre dans le mythe de Dionysos... non seulement Paul est
entre dans le christianisme comme dans un mystere,... il a vecu
dans le christianisme comme dans un mystere... Par exemple, dans
la cene primitive, formule d'actions de graces et fraction dupain ,
I'ap6tre introduit la notion du Christ mort et ressuscite : c'est
ainsi que le cceur d'Osiris etait dans tous les sacrifices et.que la
cene de Mithra commemorait un repas que le dieu e"tait cense avoir
pris fraternellement avec le Soleil. Dans 1'imagination ardente de
1'apotre le repas du Seigneur s'assimile au Christ crucifie pour
1' elimination du peche", le vin de la coupe s'identifie a son sang
Robert Will, Le Guile, I, Strasbourg et Paris, 1925, livre II, B, p. 117
suiv.
On voudra bien distinguer les temps et noter que nous parlous ici des
origines premieres du culte Chretien, au cours desquelles les influences
apostoliques sont toutes puissantes, et les Eglises en grande partie
composers de neophytes autrefois ^craignant Dieu , avec une propor-
tion appreciable d'Israelites (sur les Eglises d'Asie, voir plus bas ce qui
est dit de 1'Apocalypse, p. 616). Ensuite, les influences venues de la Genti-
lite se sont fait sentir davantage : soit qu'il s'agit de conceptions religieuses,
comme le sacrifice spirituel 6pur6, la XOYIXT) Ouai'a deja signaled en termes
equivalents par saint Pierre, Xoftxov..... Y^*> 1 Petr., n, 2, et saint Paul,
XOY$) Xatpeta, Rom., xii, 1, mais soulign6e avec insistance, a propos de
1'eucharistie, par les apologistes : Dom 0. Casel, Jahrbuch fur Liturgiewis-
semchaft, IV, Minister, 1925, p. 37-47, soit qu'il s'agit de gestes, tels
que 1'orientation, le salut au soleil levant, etc. Ces traits, dont certains
sont 1'expression toute naturelle du sentiment religieux et se retrouvent
partout : ainsi 1'inclination de la tete, 1'habitude de lever, en priant, les
yeux au ciel, etc. (J. Lebreton); et les autres, susceptible? d'une inter-
pretation chrelienne : le silence liturgique, 1'orientation des sepultures,
la date de certaines fetes, ont et6, a partir du second siecle surtout, recus
et parfois consacres par 1'usage eccl6siastique. Non sans danger de r6mi-
niscence ou de reviviscence pa'iennes : les Peres durent souvent protester
ii ce propos, et rappeler les principes ; mais ces instincts, habitudes et tra-
ditions ont paru capables d'etre baptises et sanctifies.
Cette adaptation delicate et prodigieusement interessante commence
d'etre mieux connue, grace aux travaux de J. Doelger, notamment Sol
Salulis 2 , Miinster i. W., 1926, et des Benedictins de 1'Ecole de Maria Laach :
en particulier voir Mysterium, Gesammelte Arbeiten Laacher Moenche,
Miinster, 1926.
L ETABLISSBMENT DE LA RELIGION DE JESUS. 581
repandu pour le salut des hommes. Mais ces symboles qu'il perc.oit,
Paul s'en attribue d'autant moins la paternite qu'il ea est frapp6
davantage, et spontan&nent , devant son esprit visionnaire, se
forme la representation du Christ instituant, la veille de sa mort,
la cene eucharistique, et la definissant lui-meme dans le sens oil
Paul veut 1'entendre.
Ces suggestions, ces assimilations, ces inventions de
quelque fac.on et a quelque prix que 1'auteur s'efforce ensuite
de les nuancer 1 nous contraignent de rappeler quelques
points essentiels, dont la negligence expose a de facheux
errements. Le premier est que Paul, Juif de race , et non
des pe"cheurs de la Gentilite 2 , Paul, circoncis le huitieme
jour, de la race d 1 Israel, de la tribu de Benjamin, Hebreu
fils d'Hebreux; en ce qui concerne la Loi, pharisien; en ce
qui conc'erne le zele, persecuteur de 1'Eglise; en ce qui con-
cerne la justice legale, sans reproche 3 , Paul n'a jamais
renie ses origines, et reste profondement engage dans le
judalsme. La fac.on me" me dont il exalte le mystere chretien
et, dans ce mystere, son evangile a lui, confirme cette
ve"rite avec eclat. Que la voie du salut soit ouverte aux Gen-
tils toute grande, que le privilege d'Israel ait cesse, c'est
pour lui 1'objet d'une admiration, mais d'abord d'un etonne-
ment sans fin! Qu'on se rappelle encore les traits enflammes
de 1'Epitre aux Remains : G'est la verite que je dis dans le
Christ, je ne mens pas; ma conscience me rend temoignage
dans PEsprit Saint. J'ai un chagrin poignant, une peine qui
me travaille le cceur sans relache. Oui, je souhaiterais d'etre
moi-meme anatheme, separe du Christ pour mes freres, mes
parents selon la chair, les Israelites. A eux 1'adoption filiale,
et la gloire, et les Alliances, et 1'octroi de la Loi, et le culte
1. Dans le m6me ouvrage, p. 368, 1'auteur reconnait que les Juifs
convertis *, a 1'Evangile desquels Paul se rallia, sauf a 1'interpreter a sa
fagon,... attaehaient a la mort du Christ une signification pour le salut
des hommes . La doctrine capitale de la mort redemptrice pr^existait
done a saint Paul, dans la chretient6 ancienne. Mais alors, il ne faut pas
rattacher aux mysteres le mythe pai'en du Dieu immo!6 . Alors, 1'identi-
fication du sang de Jesus repandu pour le salut des hommes a la celebra-
tion de 1'eucharistie peut avoir une autre origine que 1'imagination
ardente de 1'apotre >.
2. Gal., II, 15 t vip-ei? cpuoEi 'louBaibt xl oux I? SOvaiv ai^
3. Phil., m, 5-6.
582 JESUS CHRIST.
et les promesses; a eux les Peres, et d'eux est le Christ
selon la chair, qui est par dessus toute chose Dieu beni dans
les siecles, amen 1 . Et plus loin : Dieu a-t-il repudie son
peuple? Cela, jamais! car moi aussi je suis Israelite, de
la race d'Abraham, de la tribu de Benjamin : Dieu n'a pas
rejete le peuple qu'il a predestine... Si leur reste (suffit a
constituer) la richesse des Gentils, gue sera leur plenitude 2 ?
Voila ou sont les sources de la pensee, et les racines de la
sensibilite pauliniennes. Toute son ceuvre est fille, encore
qu'emancipee et transformed par l'espritnouveau,de la culture
biblique. Iln'estpas question en tout celad'Osiris, deDionysos
et de Mithra; outre qu'on n'a pas trace que ces derniers mys-
teres aient encore penetre, quand Paul ecrivait, dans 1'Em-
pire !
Mais si c'est une erreur pernicieuse de couper I'ap6tre de
sa race et de la formation qu'il en a reue, e'en est une pire
de le, repre"senter comme independant du christianisme le plus
ancien, anterieur a son entree dans 1'Eglise, ou contempo-
rain de ses propres travaux. Repliquant aux philologues
intemperants dont s'inspire ici pour une tres large part
M. Loisy, Albert Schweitzer ecrivait des 1911 : Dans I'hy-
pothese de Dieterich et de Reitzenstein, le Paulinisme serait a
separer du christianisme primitif et a adjuger a la theologie
grecque. G'est le contraire qui est le vrai. II est avec le pre-
mier en etroite union, tandis qu'avec la seconde, cette union
n'apparait pas. Theologien professional et historien des
religions, quiconque represente 1'enseignement de 1'apotre
des Gentils, en quelque maniere que ce soit, comme une
helle'msation de l'!Evangile, est tombe dans le radicalisme des
ultras de 1'Ecole de Tubingue 3 . Nous avons d^ja cite, peut-
etre trop souvent, quelques-uns des textes qui etablissent les
faits rappeles par Schweitzer.
Or sus, que ce soit moi, que ce soient eux (les Douze),
ainsi nous prechons, et ainsi vous avcz cru 4 .
1. Horn., ix, 1-5.
2. Rom., xi, 1 suiv.
3. Alb. Schweitzer, Geschichte der paulinischen Forschung, Tubingen,
1911, p. 179-180.
4. I Cor., xv, 11.
L'ETABLISSEMENT DB LA RELIGION DE JESUS. 583
... Je leur exposai (aux chefs de 1'ljJglise de Jerusalem : il va nom-
mer Jacques, Pierre et Jean) TEvangile quo je preche parmi les
Gentils; je 1'exposai en particulier a ceux qui etaient les plus consi-
dered, de peur de courir ou d'avoir couru en vain 1 .
Les Corinthiens ne doivent pas s'attacher a un homme en
particulier, fut-il Pierre, Paul ou Apollos : Qu'est-ce done
qu'Apollos? et qu'est-ce que Paul? Des serviteurs, par le
moyen desquels vous avez cru...
Ainsi, que nul ne se glorifie dans les hommes, car tout est a vous,
Soit Paul, soit Apollos, soit Pierre,
Soit le monde, soit la vie, soit la mort,
Soit les choses pr6sentes, soit les futures,
Tout est a vous, mais vous au Christ, et le Christ a Dieu 2 .
Plus instructifs que ses paroles, pourtant claires, sont les
rapports de^Paul avec 1'Eglise de Rome. Quand il ecrit aux
Romains, il ne les a jamais vus, et ne leur parle pas en mai-
tre 3 . Mais il sait que leur foi est celebre da$s tout I'univers ,
et cette foi est celle meme que lui, Paul, tient pour la racine
du salut. II veut se consoler avec eux par cette foi qui leur
est commune, a eux et a lui*. Tout le long de ce vaste
expose, le plus didactique du corpus paulinien, 1'apdtre traite
du mystere chretien, considere dans ses parties essentielles :
de 1'Incarnation, de la Redemption, de la question juive et
palenne, de 1'attitude a garder en face de 1'autorite civile, de
I'idolatrie, etc. II en parle comme de grandeurs parfaitement
connues de ses lecteurs, objet de croyances qu'ils partagent
avec lui. II met les Romains en garde centre les semeurs de
zizanie qui viendraient dogmatiser chez eux au dela de la
formation catechetique qu'ils ont regue 5 . A qui fera-t-on
admettre que son Christ etait different de celui auquel
croyaient ses correspondants ; ou que ceux-ci celebraient une
eucharistie differente de celle que 1' e sprit visionnaire de
Paul aurait con^ue sur le modele des mysteres pai'ens? Ge
sont la de purs fantdmes.
1. Gal., n, 2.
2. I Cor., m, 5, 21-23.
3. Rom., xv, 15.
4. Rom., 1, 12 : Su 4 ujtapaxXYi6?jvai... 8i& trjs... Ttfatews ujiaiv re xou Ipii.
5. Rom., xvi, 17.
584 . JESUS CHRIST.
Et qu'on ne dise pas que 1'epistolier s'est trompe" sur Tetat
d'esprit des Romains, le jugeant d'apres ses idees et ses
desirs. Car des liens innombrables les unissaient : ses anciens
et fideles collaborateurs Aquila et Priscille, dans 1'atelier
desquels il a travaille en arrivant a Gorinthe, sont alors a
Rome. A Rome son cher Epe'nete, premices de 1'Asie , ses
allies et compagnons de chaine, Andronic et Junias, honores
parmi les apdtres, chretiens avant lui . A Rome son cher
Ampliatus,... son collaborateur Urbain et son cher Stachys,
son allie Herodias et la chere Persis;... Rufus, 1'elu du Sei-
gneur, et sa mere quiest aussi la mienne ; Asyncrite, Phlegon,
Hermas, Patrobe, Hermes;... et ceux de la maisoh d'Aristo-
bule, et ceux de la maison de Narcisse, les chre'tiens, s'en-
tend . Et voila, pres de Paul, des disciples qui envoient
leurs commissions aux freres de R.ome : Timothee, Lucius,
Jason, Sosipatre, et le scripteur de la lettre Tertius, et Gaius,
I'h6te de Paul, avec toute sa famille, Eraste et Quartus 1 ...
Dans ce petit monde de fide.les, recrute dans le judai'sme et
la Gentilite pour parts qui tendent a s'^galiser, on se con-
nait, on s'aime : les rapports personnels sont constants. Us
le sont avec 1'Eglise-mere de Jerusalem, pour laquelle Paul
ne cesse de tendre la main, et vers laquelle il va sous peu
s'acheminer en personne. Pierre et la plupart des Douze
sont vivants, veneres de tous, et parfois preferes a Paul, dans
cette Eglise de Gorinthe dont il est pourtant 1'unique pere .
Vivants, les freres du Seigneur et Jacques de Jerusalem,
et ces temoins de la resurrection plusieurs centaines
auxquels renvoie I'ap6tre.
Juif de race, mais encore d'instinct et de coeur, Paul est
devenu, par un grand miracle, chretien : d'abord persecuteur
de FEglise de Dieu, il s'est attache d'autant plus a elle qu'il
est plus conscient de son unite, hierarchisee dans la diversite
des fonctions et des ministeres sous une seule t^te : le Christ.
Faire de lui le createur ou le transformateur du.christianisme
ancien, est done une lourde meprise : Paul, disait le vieil
Auguste Sabatier, etait ap6tre avant d'etre theologien. Le
besoin de conserver etait chez lui plus imperieux que celui
1. Rom., xvi, passim.
L'ETABLISSEMENT DE LA RELIGION DE JESUS. 585
d'innover. Son Elvangile etait avant tout un message qu'il
avaitrec.u, qu'il devaittransmettre, et qu'il devait defendre 1 .
Apres cela, on ne fera pas difficulte de recbnnaitre que
saint Paul a pu et du connaltre les mouvements religieux qui
bouillonnaient dans le paganisme de son temps. II a dti en
tenir compte. Une certaine hellenisation de sa pensee et de
son vocabulaire est done probable : si nous sommes amenes
a la restreindre, ce n'est pas qu'elle soit anterieurement in-
vraisemblable ou inacceptable 2 . 11 est certain que Tarse etait
un centre de culture hellenistique, et qu'avec la langue et les
relations inevitables, quelque chose devait en passer, en depit
des precautions familiales les plus severes, dans un enfant ad-
mirablement doue 3 . Le but poursuivi par I'ap6tre, et son hardi
programme : Je me dois aux Grecs et aux Barbares, aux
sages et aux simples! devaient 1'incliner dans le me'me sens.
Ne disait-il pas encore :
Etantlibre a 1'endroitde tous je me suis constitue 1'esclave de tous,
aim d'en gagner davantage ; ,
et je me sui.s fait pour les Juifs, comme Juif,
afin de gagner les Juifs ;
1. L'ApdtrePaul*,?. 286.
2. C'est d'ailleurs chose manifests, et confirmee par la pratique eccle-
siastique en pays de mission, que des gestes, des formules, des usages
acceptables, et sans danger dans une chretiente adulte, une fois la cou-
pure accomplie avec le paganisme, ne peuvent etre to!6r6s tant qu'ils
risqueraient d'etre entendus au sens superstitieux ou idolatrique. Les ter-
mes mSmes des definitions dogmatiques ont travers6 cette 6preuve : Tcpo-
atoTOV, persona, ont6te suspect&s, et parfois proscrits, avant de devenir, une
fois leur signification epuree et nettement determinee, des normes d'or-
thodoxie.
3. Sur ces precautions, nous sommes renseignes de premiere main par
le petit traite de la Mischna intitule A boda Zara, qui discute et r6sout les
cas de conscience incessants poses devant le Juif orthodoxe par sa vie
dans un milieu tout p6n6tre d'esprit et de pratiques idolatriques. II a 6t6
excellemment" 6dit6, avec des notes, par W. A. L. Elmslie dans les
TS de Cambridge, VIII, 2, The Mishna on Idolatry, Aboda Zara, Cam-
bridge, 1911. Le fond de traditions et decisions r6uni la, vers 200 apres
Jesus Christ, serapporte, d'apres Is. Abrahams, Cambridge Biblical Essays,
p. 184, 185, au Judaism e contemporain de 1'age apostolique ou sub-apos-
tolique.
586 JESUS CHRIST.
pour ceux qui sont sous la Loi, comme sous la Loi,
alors que moi-m6me je ne suis pas sous la Loi,
afin de gagner ceux qui sont sous la Loi ;
pour ceux qui sont sans loi, comme sans loi,
alors que je ne suis pas sans loi de Dieu, mais en loi du Christ,
afin de gagner ceux qui sont sans loi;
pour les faibles, je suis devenu faible,
afin de gagner les faibles ;
pour tous je me suis plie" a tout,
afin d'en sauver du moins quelques-uns '.
Gette liberte d'allures et ce souci passionne de joindre
chacun sur le terrain le plus favorable semblent, en fait de
relations avec le paganisme contemporain, avoir ete restreints,
chez Paul, par une repugnance heritee envers tout ce qui
sentait le culte des demons , abominable pour tout Juif, et
dont la vie de dispersion attenuait les manifestations exte-
rieures plus qu'elle n'affaiblissait le sentiment. II n'y a point
de beaute pour lui dans les idoles, dit justement du Juif exem-
plaire un grand poete forme par la Bible, il n'y a point d'inte-
re't dans Satan, il n'y a point d'existence dans ce qui n'est
pas 2 . De cette horreur, ce passage d'une lettre de 1'apotre
aux me'mes correspondants fournit un temoignage non sus-
pect :
Ne devenez pas compagnons de joug des infideles :
car quelle communication entre justice et anomie?
ou quelle communaute entre lumiere et te"nebres?
et quel accord entre le Christ et Beliar?
ou quel partage entre fidele et infidele ?
et quelle entente entre temple de Dieu et idole?
Car nous sommes les temples du Dieu vivant,
selon que Dieu 1'a dit :
Thabiterai chez eujc etje sejournerai au milieu d'eux y
etje serai leur Dieu et Us seront mon peuple 3 .
1. I Cor., ix, 19-22. On peut voir le commentaire de Jon. Weiss, Der
crste Korintherbriefw, 1925, p. 243-246.
2. Paul Claudel, Cinq grandes Odes*, Paris, 1913, p. 107. On peut voir
aussi la-dessus V Anthologie Juive n , d'Ed. Fleg, Paris, 1923,1, p. 258 suiv.
3. II Cor., vi, 14-16. Onn'a pas manque de jeter un doutepour des rai-
sons de pure critique interne sur ce morceau d'une originalit6 si frappante
et d'une allure s6mitique si marquee. On allegue que certains mots : {%>{,
ou^oivriats, ffUYxa-ciOsais, ne se trouvent que Ik chez saint Paul; que le ton
du passage n'est pas paulinien ; que le contexte est bris6. Seule, cette der-
I/ETABLISSEMENT DE LA RELIGION DB JESUS. 587
La prohibition estgenerale, observe F. Prat; c'estl'esprit
du paganisme qu'il faut fuir en tout *. Mais naturellement le
doraaine religieux est le premier vise : 1'antithese entre le
temple, sanctifie par la presence de Dieu, que sont les chre-
tiens, et les idoles, par quoi il faut entendre certainemenfc
les dieux du paganisme 2 , est tout a fait caracteristique. Ge
mot met en relief 1'exclusivisme du culte chretien : on peut se
faire initier aux mysteres d' Osiris et a ceux de Dionysos, mais
non a ceux du Christ et a ceux de Dionysos 3 .
A cette repulsion innee s'ajoutait chez I'apdtre, a Tegard
des religions mysterieuses, une incuriosite provenant de sa
conviction profonde que tout ce qu'elles pourraient promettre,
et vainement, se trouvait en realite dans le Christ Jesus,
d'autant que la plenitude de la Divinite habitait en lui 4 .
Pourquoi chercher, dans des citernes bourbeuses et crevas-
sees, 1'eau qu'une source pure assure a tous ceux qui rcvc-
tent le Christ ?
Le seul mot de plenitude (pleroma), employe par saint Paul
en ce sens, nous avertit pourtant que le disciple de Jesus ne
craint pas d'emprunter aux cultes ambiants certaines de leurs
expressions. Le contraire serait invraisemblable : on ne pou-
niere raison a quelque apparence, et elle a impressionne divers exegetes
qui, sans contester que le morceau soit de saint Paul, estiment qu'il pro-
vient d'une autre lettre de 1'apotre, et a ete interpole a cette place. Le
dernier commentateur de 1'epitre, Hans Windisch, pense que les versets
Y, 42-vn, 1 occupaient primitivement ime place un peu anterieure, dans la
meme epitre. 11s auraient suivi immediatement la doctrine sur les conse-
quences spirituelles de la resurrection du Christ : v, 14- vr, 2. Cette trans-
position a quelques versets de distance etablit en effet une suite plus
logique. Mais 1'ordre present peut fort bien se defendre ; et au surplus, ce
detail est ici sans portee. Voir H. Windisch, Der zweite Korinther brief,
Goettingen, 1924, p. 219-220. Quant a 1'origine paulinienne du passage,
Windisch montre tres bien, p. 211 suiv., qu'il n'y a aucune raison serieuse
d'en douter. Le nom de Beliar (Belial, Belian) est un synonyme de Satan
fort usite chez les Juifs. On peut voir la note d'E. Tisserant dans V Ascen-
sion d'Iscfie, Paris, 1909, p. 23-25; ou W. Bousset et H. Gressmann, Die
Religion des Judenlums*, 1926, p. 334 suiv.
1. The'ologie de saint Paul, II 6 , 1923, p. 48, note 1.
2. Actes, vn, 41 ; xv, 20.; Rom., n/22; I Jo., v, 21; Apoc., ix, 20.
3. Hans Windisch, Der zweite Korintherbrief, p. 215.
4. Colos., r, 19; n, 9; et F. Prat, The'ologie de saint Paul, F, 1920, p. 352-
358.
588 JESUS CHRIST.
vait pas plus esquiver alors ces termes, si Ton voulait se
faire entendre, et sin-tout ecouter, qu'on ne peut actuellement
eviter ceux de vie, devolution, de mystique, d'experience re-
ligieuse, etc. Et puisque I'ap6tre ne iuyait nullement ce que
nous appellerions 1'actualite, jusqu'a emprunter a la langue
des sports et du stade un nombre respectable de mots tech-
niques et une coloration tres particuliere de son vocabulaire
ascetique, serait-il possible qu'on ne trouvat pas trace chez lui
de la langue usitee" dans le paganisme de son temps? Un pas-
sage caracteristique sous ce rapport, retenu a ce titre par
Reitzenstein, figure au debut de la premiere lettre aux Gorin-
thiens. Apres avoir rappele a ses neophytes qu'il n'a, des
1'origine, voulu savoir pres d'eux que Jesus Christ,' et Jesus
crucifie, I'ap6tre continue :
C'est en faiblesse, en crainte et en grand tremblement que je me
suis present^ devant vous. Et mon discours, ma predication, n'a
pas consiste en discours de sagesse visant a persuader, mais en
manifestation d' Esprit et de puissance, afin que votre foi ne futpas
fondle sur la sagesse des homines, mais sur la puissance de Dieu.
Aussi bien, nous parlons sagesse avec les parfaits,
mais non sagesse de ce siecle, et des princes de ce siecle, qui sont
[disqualifies,
mais nous parlons sagesse dans le mystere,
la sagesse cachee que Dieu a prddestinee devant les siecles pour
[notre gloire,
et qu'aucun des princes de ce siecle-ci n'a connue;
(s'ils 1'eussent connue, ils n'auraient pas crucifie le Seigneur de la
gloire). Mais selon qu'il est ecrit :
Ce que I'oeil n'a point vu ni Voreille entendu,
et ce qui n'est pas monte dans le cceur de I'liomme,
c'est cela que Dieu a prepare a ceux qui Caiment.
A nous en effet, Dieu 1'a revele par 1'Esprit, car 1'Esprit scrute
tout, et jusqu'aux profondeurs de Dieu ^ .
Le coloris de cette belle page est tout mystique : elle con-
tient notamment des expressions usitees dans un sens precis
par les religions initiatiques, et encore plus en vogue dans
lesloges syncretistes, ulterieurement qualifiees de gnostiques.
1. I Cor., n, 3-10.
L'ETABLISSBMENT J>E LA RELIGION DE JESUS. 589
Laliste de ces expressions est d'ailleurs a reviser : nous at-
tendons un texte quipermette d'assimiler les chretiens par-
faits , c'est-a-dire pleinements instruits et spirituels, avec des
inities , au sens technique du terme 1 . Reste que saint Paul
vis.e ici cette partie haute de 1'enseignement religieux qui
n'est revelee, ou ne se revele, qu'aux plus avances. II s'agit
en eifet du noyau le plus cache du dessein providentiel :
I'ap6tre 1' oppose aux secrets et precedes de la sagesse hu-
maine etauxparangons de celle-ci, les princes de ce monde ,
c'est-a-dire, en clair, les demons 2 . Ges esprits de malice 3 ,
bien qu'ayant soupconne des I'abord et denonce nettement,
en Jesus, le Fils de Dieu, ont fait fausse route. Leur astuce
meme les a decus : ils n'ont rien compris aumystere de Dieu,
auparadoxe de la croix. La gloire eternelle du Fils de 1'homme
et sa redemption ont surgi de la mort mdme, cruelle et igno-
minieuse, que ses ennemis, sous 1'inspiration des demons, lui
ont infligee. Plus sages, ces derniers se fussent bien gardes
de pousser a bout une immolation qui allait ruiner leur em-
pire. G'est ce mystere, avec ses corollaires du salut ouvert
desormais a tous et de la vie nouvelle menee a 1'image du
Christ ressuscite, que Dieu revele a ses amis. Dans les temps
anciens, il etait enfoui aux profondeurs divines que, seul,
1'Esprit de Dieu peut penetrer et scruter entierement.
Quant aux sources de Tenseignement spirituel auquel allu-
sion est faite ici et ailleurs, il f aut la chercher avant tout
dans la Bible et les croyances judaiques de cette epoque,
celles du moins que Jesus avait faites siennes. La conception
fondamentale d'esprit, oppose a la chair, et celle, a peu pres
1. Voir ci-dessous la note R 2 , Par fails et Inilies >, p. 625.
2. La seule raison d'en douter est 1'opinion contraire des Peres Grecs.
Saint Jean Chrysostome voit dans ces princes du monde les gens dans les
honneurs et dans les charges, estimaht leur pouvoir sans bornes; et aussi
lesphilosophes et les rheteurs. Theodoret nomine Anne etCa'iphe, Pilate et
Herode. Mais cette opinion n'est plus tenable en face des paralleles tires de
1'usage juif ancien, surtout du Livre d'Henoch et de V Ascension d'Isa'ie. Ce
dernier ouvrage, composite, mais fort ancien dans ses ch. ix et x (d'origine
chretienne, datant de 100 & 150 environ) contient les analogies les plus
frappantes. Voir la traductiond'E. Tisserant, Ascension rf'/sai'e, Paris, 1909,
p. 177 suiv. ; 191 suiv. ; avec les notes.
3. T& Tmu^a-cixi t?js TOVY)pt'as, Ephes., VI, 12.
590 JESUS CHRIST.
f
synonyme, de Sagesse divine opposed a 1'humaine, ont leur
origine dans la Genese et leur developpement dans les livres
prophetiques et sapientiaux. II est divertissant de voir Reit-
zenstein revendiquer, comme caracte'ristiques des cultes helle-
niques a mysteres, les manifestations d'Esprit et de puissance
accompagnant la predication apostolique J , alors que les pro-
phetes d'Israel, copieusement cites par saint Paul, les Actes
et tous les anciens ecrits chretiens, avaient clairement predit,
et dans les termes me'mes repris par ces ecrits, cette effusion
spirituelle et ces prodiges. Toute la litterature palestinienne
du temps leur fait echo 2 . Sur quoi il est piquant de rappeler
le principe elementaire excellemment formule par un savant
historien des religions antiques, qui ne 1'a pas toujours, pour
son compte, applique : Parmi les plus lourdes fautes de la
recherche comparatiste qui sevit aujourd'hui, toujours plus
pleine d'assurance, observe Albert Dieterich, on doit signaler
le fait de laisser inobserve voire ignore et oublie ce qui
est naturellement proche, tandis qu'on va fouiller ce qui est
loin et, la, degager, par les me'thodes les plus recherchees,
des analogies qui souvent sont absolument invisibles au regard
non prevenu 3 .
Pour nous guider surement dans 1'interpretation des textes
chretiens, et notamment de ceux de Paul, ecrits de circons-
tance avant tout, nous avons enfin la nature des erreurs visees
par 1'auteur : Dis-moi qui tu combats, je te dirai qui tu es. II
convient done d'etudier les deviations et dangers qui mena-
c.aient alors, au concret, 1'integrite ou, comme disait l'Ap6tre,
la virginite de lafoi, chez ses neophytes. Gette etude, tres de-
licate, ne conduit pas toujours a des resultats certains, mais
1. Die HellenistischenMysterienreUgioneri*, p. 99.
2. Voir Ik-dessus W. L. Knox, qui concede encore trop a Reitzenstein,
S. Paul and the Church of Jerusalem, Cambridge, 1925, p. 136-149; H. Strack
etBillerbeck, KTM, II, p. 615suiv. ; W. Bousset H. Gressmann, Die Reli-
gion des Judentums*, 1926, p. 394 suiv. ; A. Fridrichsen, Le Probleme du Mi-
racle dans le Christianisme primitif, 1925, p. 36-40; et surtout J. Lebreton,
Origines 6 , 1927, p. 342-378 et 381-386.
3. Alb. Dieterich, Eine Mithrasliturgie*, ed. R. Wiinsch, 1910. Alb.
Schweitzer, auquel j'emprunte cette citation, Geschichte der paulinischen
Forschung, Tubingen, 1911, p. 152, a fortement releve cet abus, dans le
sujet qui nous occupe.
L'ETABLISSBMBNT DE LA RELIGION DB JESUS. 591
les conclusions assurees qu'elle atteint sont extre'mement pre-
cieuses. Quel est 1'ecueil alors aredouter? Est-ce une conta-
mination de la religion du Christ par celle des divinites
orientales? Sont-ce des objections ou comparaisons tirees des
mythes ou des cultes a initiations? Jamais, a ce qu'il sem-
ble ; et cette omission s'explique parfaitement a une date ou,
en dehors des mysteres helleniques classes, comme ceux
d'Eleusis ou de Samothrace, les cultes de ce genre, par exem-
ple d'Isis et de Mithra, commencaient a peine d'etre toleres
ou connus dans 1'Empire. Gent ans, cent cinquante ans plus
tard, le pe*ril apparaitra dans cette voie, et alors la question
sera posee et maintenue a 1'ordre du jour : les apologistes
chre'tiens, saint Justin, saint Irenee, Tertullien, Clement
d'Alexandrie, ne nous le laissent pas ignorer. Mais entre 50
efc 70, le danger etait ailleurs : dans 1'ambiance idolatrique et
la liberte de mceurs pai'enne, d'une part, et, d'autre part,
dans les exigences et deformations judaisantes. La reprobation
des cultes idolatriques, citee plus haut, est generale et vise la
religion populaire; ge'ne'rale aussi la lec.on donnee a propos
des viandes offertes dans les temples :
C'est pourquoi, nos tres chers, gardez-vous de 1'idolAtrie. Je
parle a des hommes avises ; jugez vous-m6mes de ce que je dis :
Le calice de benediction que nous benissons,
n'est-il pas une communion au sang du Christ?
le pain que nous brisons,
n'est-il pas une communion au corps du Christ?
Car nous sommes un seul pain, un seul corps,
tous tant que nous sommes a participer au meme pain.
Voyez 1'Israel selon la chair. Est-ce que ceux qui mangent de
I 1 oblation n'entrent pas en communion de 1'autel? Que dis-je done?
L'idole serait-elle quelque chose? Mais ce qu'ils immolent,
c'est aux demons et non a Dieu qu'ils I'imrnolent, et je ne veux pas
vous voir entrer en communion avec les demons !
Vous ne pouvez boire le calice du Seigneur et le calice des
[demons,
vous ne pouvez participer a la table du Seigneur et a la table
[des demons.
Ou bien allons-nous provoquer le Seigneur? Sommes-nous plus
[forts que lui * ?
1. I Cor., x, 14-22.
592 J&SCS CHRIST.
Ailleurs, aux Galates, aiix Philippiens^ les adversaires de"-
nonce"s sont les mauvais bergers qui veulent faire rentrer les
brebis du bercail chretien sous un joug charnel, restaurer
sur eux 1'empire de la Loi, mettre de c6te* ou me" ma rejeter
la croix de Je"sus. Ge sont ceux qui veulent ramener les Go-
lossiens, des enseignements d'une foi adulte, aux rudiments,
aux anonnements, pourrait-on dire, d'un formulaire enfantin
pratiques judai'santes, ascese indiscrete, speculations sur le
monde des esprits. De ces bizarres mixtures, les apoeryphes
de ce temps offrent maint exemple.
Comment done se presente, d'apres les documents lus dans
leur jour naturel, la religion de Jesus alors crue et prati-
quee dans les Eglises? Gomme une religion; c'est-a-dire
une voie complete pour aller a Dieu, avec 1'assurance de se
le rendre favorable, les moyens de Padorer dignement et de
le servir comme il faut. Ensemble, comme un-moyen efficace
de salut, puisque ce dernier element, secondaire en soi et
subordonne, ne laisse pas de suivre de 1'idee veritable de
religion. Que celle-ci, en effet, soit essentiellement un com-
merce personnel, d'esprit a esprit, avec le Dieu infini, c'est
ce que les hommes religieux ont toujours cru ; et cette verite
a ete rappelee naguere par un certain nombre de theologiens
reformes a leurs coreligionnaires qui les savants sur-
tout et les sages 1'aVaient trop oubliee *. Si je releve le
fait, c'est pour montrer qu'au dela des chetives polemiques
1. Par exemple Fr. Heiler, DasGebefi, Miinchen, 1920; Der Katholizis-
mus, seine Idee und seine Erscheinung, Miinchen, 1923; et surtout Rud.
Otto, Das Heilige, depuis 1917 nombreuses editions et traductions.
J'ai esquisse les traits principaux de ce mouvement dans mes Bulletins
de Litte'rature religieuse des RSR de 1924 et 1926. On peut mesurer 1'effet
produit par cette reaction de 1'esprit religieux a Finterieur du protestan-
tisme liberal, par le livre, si caracteristique, de FernandMenegoz, Le Pro-
bleme de la Priere, Principes d'une revision dela methode the'ologique, Stras-
bourg et Paris, 1925, p. 1-204. La faiblesse des theologiens reformes dans
cette lutte pour la vie religieuse de leurs freres (car il n'y va de rien
moins), c'est le subjectivisme qui a pes6 sur la pensee protestante, visi-
blement depuis Rousseau, Kant et Schleiermacher, logiquement depuis
Luther. Un penseur aussi vigoureux qu'Ernst Troeltsch, n'a pas reussi S
briser le cercle magique, en depit d'un effort digne d'admiration : voir F.
von Hiigel, Essays and Addresses on the Philosophy of Religion, l re serie,
London, 1924, p. 144-194.
L'ETABLISSEMENT DE LA RELIGION DB JESUS. 593
d'ecole, il y va ici de >l tout le christianisme et de toute la reli-
gion. Autour de la fontaine apostolique, les philologues libe-
raux avaient edifie une respectueuse mais epaisse barriere
de discussions contentieuses; les comparatistes Font masquee
derriere une foire d'oripeaux arraches a tous les cultes et a
toutes les theosophies. Maintenant que nous avons fraye une
piste a travers ces obstacles, nous pouvons boire a la source.
Paul et les apdtres, et tous les chretiens d'alors, venus de
la Synagogue ou de la Gentilite, croient en un seul Dieu.
Us y croient de tout leur coeur, de tout leur esprit, de toutes
leurs forces. Gela creuse un abime entre eux et leurs con-
temporains paiiens, me'me ceux (encore rares, mais ils le
deviendront moins ensuite, par emulation du christianisme)
qui s'efforcent de reduire a 1'unite le divin epars dans la
nature et dans 1'histoire. Car c'est encore la une construction
d'homme, un objet fabrique, une idole. Pour le chretien, le
Dieu unique est une foi, et le mot de tout ce qui existe :
... Nul Dieu qu'un seul !
Car bien qu'il y ait de pretendus dieux soit au ciel, soil en terre,
comme il y a nombre de dieux et nombre de seigneurs
pour nous, certes, un seul Dieu, le Pere,
duquel toutes choses, et nous, pour lui ;
et un seul Seigneur, Jesus Christ,
par lequel toutes choses, et nous, par lui 1 .
G'est pourquoi les paiens (Paul ne craint pas de leur
retorquer le trait decoche par eux aux monotheistes, Israelites
ou chretiens, refusant d'adorer indistinctement les dieux de
la Cite), les paiens sont sans esperance et sans Dieu dans
le monde . Athees? Oui, parce qu'objectivement les
Gentils, et avant tous autres ceux desquels a dependu la
funeste deviation initiale, sont inexcusable s, du fait qu'ayant
connu Dieu, parce que, ce qui est connaissable de Dieu, ils
le lisent en eux-memes,... ils ne 1'ont pas honore comme
Dieu et ne lui ont pas rendu graces... Se disant sages, ils
sont devenus insenses, et ont echange la gloire da Dieu
incorruptible pour la ressemblance d'une image d'homme
perissable 2 . Suit le denombrement des vices issus de cette
1. I Cor., vui, 46-6.
2. Rom., I, 20 c, 19,21, 23; Psaume cvi (cv), 20; Deut, iv, 15-19.
JESUS CHRIST. II. 38
594 JESUS CHRIST.
erreur. On sent fremir assure'ment dans cette page terrible,
le zele atavique du Juif centre tout ce qui e"tait idolatre. Et,
pas plus que les theologiens ne songent a rendre personnel-
lement responsable chacun des hommes vivant dans une
confession religieuse erronee qu'il a regue de ses parents
et maitres naturels, il ne faut refuser a tous les paiens le
privilege de la bonne foi. Paul ne le leur conteste pas, quand
il fait appel aux souvenirs des neophytes venus de la Gen-
tilite *. En est-il moins vrai que cette intransigeante religion
du Dieu unique perce et dissout le brouillard d'indifferen-
tisme et d'anthropomorphisme ou vivait et, dans son elite,
gemissait Thumanite paienne? Malgre les efforts faits pour
assainir les fables et les unifier, 1'horrible polytheisme avec
la degradation religieuse qu'il entralne, e*tait encore general.
G'est alors son image ou, tout au plus, son ideal que 1'homme
adore ; et comment invoquer serieusement, sans reserve et
arriere-pensee, ce qui n'est, a le prendre au mieux, qu'une
mosaique d'attributs empruntes a notre misere et sublimes
par nos desirs 2 ?
Le vrai Dieu, auteur de tout ce qui existe, non seulement
quant a Fordre et a la disposition, mais quant a I'e'tre et a
1'etoffe, par voie non d'emanation mais de creation, est bien
different, disaient les chretiens, de tout ce que.vous pensez.
II est totalement autre. II est ante"rieur et superieur infiniment
a vos imaginations ; invisible et tout puissant. Nul ne saurait
le jauger, ni le juger. II ne fait pas acception de personne,
1. I Thess., 1,6 ; Phil., i, 5; Gal., iv, 13-14; Actes, xvu, 22 suiv.
2. Voila qui condamne en principe toute religion de 1'humanite, celle de
M. A. Loisy comme celle d'Auguste Comte et de Feuerbach. Si le dieu
unique est notre ideal humain >, Loisy, La Religion, Paris, 1917, p. 313,
il aura beau s'incarner dans une elite ou toute la collectivity je pourrai
I'admirer ou le plaindre, le servir ou m'en ctesinteresser ; je ne pourrai pas
1'adorer, leprier,.ine. n'er alui sans condition, croire en lui de toute mon
ame, 1'aimer d'un amour de preference absolue et cela, c'est toute la
religion. P. Menegoz, Le ProbUme de la Priere, p. 55, n. 3, cite justement
a ce propos le mot de Louis Menard, Poemes et Reveries d'un paien mys-
tique, ed. 1896, p. 97 : Quiconque ne croit pas aux dieux personnels des
religions ne peut voir dans la priere qu'un monologue ; et dans le sacri-
fice, qu'une illusion ; dans 1'adoration, qu'une erreur ; dans le salut, qu'un
myths ; dans I'idSe meme de divinity qu'une fiction anthropomorphique.
L'^TABLISSEMENT UK-LA. RELIGION DE JESUS. 595
et ainsi atiicim homme ne peratse flatter. de> se. le readrfr pro-
pice qui n'est pas droit et sincere : Bienheureux les purs
de coeur, ils le verront. A ces .dispositions;, pas de privilege
qui puisse suppleer :
Tribulation et angoisse sur toute ame d'homme qui fait: lemal,
Juif. d'ab0i?d, et Guec .ensuite;,
Gloire,. honneur et paix a tout artisan du bien,
Juif d'abord,. et Grec ensuite!
Car tous ceux qui ont peeh6 sans (connaissance de la) Lor,
sans (etre: convaineus de d^sob6issance & cette)'Loi pe^riront
[aussi :
et tous ceux qui ontpecb.^ en (puissance de la) Loi^,
seront condamnes par la Loi *.
Et Paul de nous montrer les Gentils, vivant hors, dtt rayon
de la promulgation de la Lor, ayant en eux-m^mes, ecrits
en leur coeur par la conscience morale, les commandements
que la Loi precise et formule. On arriverait sans doute, en
cherchant bien, a colliger dans les auteurs paiens 4 quelques
dchos de ces doctrines de^vre. Mais on peut dire hardiment
qu'il n'existait pas, hors des groupes d'lsraelites et des pre-
mieres communauteff chre^tiennes, d'e religion mettant ainsi
Dieu a sa place et Fhomme a la sienne, en exigeant pour le
seul digne un culte sans partage et sans condition.
Adorateurs du Dieu unique, comme ceux qui se reclamaient
d'Abraham, de Moiise et des Prophetes, les disciples de
Pierre, de Jacques, de Jean, de Barnabe et de Paul faisaient
de plus profession de trouver la vie eternelle dans le Christ
Jesus 2 . Gar le culte divin ne se reduit pas a la reconnais-
sance de la grandeur incommunicable du Createur. Dieu a
droit a des hommages publics, il a droit, s'il daigne mani-
fester une volonte positive, a ^tre obei et, s'il veut bien
reveler quelque particularite du mystere de sa providence,
a etre cru. Ges verites elementaires n'avaient guere besoin
d'etre rappelees, au premier siecle de notre ere, car la
deviation fondamentale d ; e 1'idolatrie les avait epargnees. Le
besoin d'une religion positive, le sentiment des devoirs con-
sequents a une intervention gracieuse de la divinite, survi-
1. Rom., ii^ 9-12.
2._Rom. ; vi,
596 JESUS CHRIST.
vaient dans les masses pai'ennes, comme les problemes res-
tent poses devant ceux qu'une erreur liminaire empe'che de
decouvrir la solution veritable. Ges errants ne laissent pas
d'en proposer qui, parfois, s'en rapprochent, et e'e*tait le cas
pour la conception religieuse, alors en favour, d'une vie
immortelle ou chacun recevrait selon ses oeuvres. Le redres-
sement et 1'epanouissement chretiens, relativement aises aux
hommes craignant Dieu, qui compterent si grandement dans
les premieres Eglises, pouvaient done s'appuyer chez beau-
coup d'autres, sur un esprit religieux fourvoye, mais vivant.
A ces ames de bonne volonte, la predication evangelique
presentait ensemble la doctrine de 1'unicite divine et celle
de la seigneurie universelle de Jesus. Anterieure logiquement,
la premiere ne semble pas avoir constitue d'ordinaire une
etape distincte. Sans doute 1'instruction devait se nuancer
differemment quand elle avait lieu dans une Synagogue, ou
s'adressait a des groupes recrutes surtout de Gentils. L'ar-
gument scripturaire, ailleurs preponderant, devait se limi-
ter dans ce dernier cas. II etait rarement absent, comme
etaient rares aussi, parmi les auditeurs des evangelistes,
ceux qui n'avaient jamais entendu parler des Livres Saints,
la veneration dont la Bible jouissait ayant en bien des
villes depasse les limites d'Israel. En tout cas, il ne fut
jamais question de presenter le Christ en dehors de la
croyance au Dieu unique : le premier article du symbole bap-
tismal, sous sa forme orientale ou occidentale, comme les
professions de foi des plus anciens Peres, de Clement de
Rome a Tertullien, a toujours ete ce qu'il est reste pour
nous : Je crois en un seul Dieu, le Pere tout-puissant *.
Mais cet article etait suivi d'un second, le but propre de
la predication apostolique etant d'annoncer Jesus. Qu'on prit
texte des Ecritures, ou simplement qu'on fit appel aux aspi-
rations religieuses de 1'auditoire, on en arrivait done au
Christ crucifie et ressuscite. Car aussi bien :
Les Juifs reclament des signes et les Grecs cherchent la sagesse :
mais nous, nous prechons le Christ crucifie,
1. F. Kattenbusch, Das Apostolische Symbol, II, p. 515-540; H. Lietzmann,
Symbols tudien, dans ZNTW, XXI, 1922, p. 6 suiv.
I/ETABLISSEMBNT DE LA RELIGION DE JESUS. 597
scandal e pour les Juifs, folie pour les Gentils,
mais pour les appeles eux~m&mes, et Juifs et Grecs,
le Christ, vertu de Dieu et sagesse de Dieu ' .
D'ou vient cette insistance sur Faspect le plus deconcertant,
pour Fame antique et m4me juive, du message chretien?
Est-ce gout du paradoxe? Est-ce mepris de la raison?
G'est au contraire sens juste et pe'ne'trant des reality's sur-
naturelles. L'Evangile aussi fournit des signes, et il est aussi
une sagesse. Mais cette sagesse est si elevee au-dessus des
vues courantes, ces signes, si differents des prodiges es-
compte's, qu'on les annoncerait en vain a des hommes encore
enfonce*8 dans le charnel. Place done a la predication de la
croix de Jesus : soutenue par les ceuvres de puissance et
1'effusion charismatique, elle etablira les premiers croyants
dans une atmosphere de foi pure, ou les choses spirituelles
et divines prendront leurs proportions veritable s. Ges fai-
blesses, ces humiliations se demontreront alors force de
Dieu et sagesse de Dieu . Jesus crucifie apparaltra le Sau-
veur unique : Nul autre nom n'a ete dbnne aux hommes qui
les assure d'etre sauves 2 .
Mais ce Jesus, qui est-il done, et qu'a-t-il fait? A cette
question fondamentale repondait une catechese, fixee tres
anciennement dans ses grandes lignes et enchassee en des
rythmes de style oral qui en assuraient Texacte transmission.
Nous en trouvons 1'echo dans nos evangiles synoptiques, dont
cette catejchese fut la source commune. Elle affleure aussi
dans de nombreux fragments des epitres apostoliques. D'au-
tres fois, ce sont des formules breves qui resument, en peu de
mots, tout 1'essentiel de 1'Evangile. Quel a ete le theme initial
de la predication de saint Paul a Thessalonique ? II rappelle
a ses neophytes : Comment vous vous 6tes tournes vers
Dieu, vous arrachant des idoles pour servir le Dieu vivant
et veritable, et attendre des cieux son Fils, qu'il a ressuscite
des morts, Jesus qui nous sauve de la colere a venir 3 . On
observera dans ce raccourci le relief donne a 1'element escha-
tologique : surexcitee par des prophetes sans mandat, 1'imagi-
1. I Cor., i, 22-24.
2. Actes, iv, 12.
3. I Thess., i, 96-10.
598 JESUS 'CHRIST.
nation des Thessaloniciens travaila la-4essus d'nne iagon
inquie'tanfce, qui coritraignit saint Paul a Tae'ttre- les ohoses au
point, etl'inclina dans la suite a estomper, sans jamais Feili-
miner, oette face mysterieuse dfe 1'Evaiigil'e. Ce qui doit .nous
retenir, e'est le r-61e ^altribue a Je"sus idans cette lettre, la plus
aiicieirne de I'antiquit'e chre^tieniie, etaoalt : separee de lamort du
dhrist par un quart >de siecle. DeB la Buscription, le .Fils de
rhomme- est mis a ea place, a la droite du jPere.
Paul et 'Silvanus et Timothee & 1'Eglise des Thessaloniciens en
Dieule Fere et le Seigneur Jesus Gbrist : grace a voias, etpaix 1 !
D&sla, le culte de Jesus s'impose : le Seigneur est en effet
connumere avec Dieule Pere, constituant avec lui le milieu
divin o4 s'-est fondee, et continue de s'edifier, 1'Eglise de
Thessalonique, Le grand trait de separation entre les termes
que toute religion se propose d'unir : Dieu et 1'homme, est
trace au-dessous de Jesus, le laissant du c6te divin. Le reste
de la lettre confirme cette impression : Jesus, c'est 1'espoir,
c'est Ja propitiation; son Evangile est 1'Evangile de Dieu,
comme il est 1'Evangile du Christ. Le Fils est invoque
avec le Pere pour qu'il lacilite .a I'apdtr^ uu retoui' en Ma^e-
doine. En attendant, on rappelle AUX Thessaloniciens les
commandements a eux donnes au nom du Christ
Jesus , et<que la foi en sa mort redemptrice <et en sa resur-
rection assure., de par Dieu, a ce.ux qui meurent dans le
Christ , participation a. sa. .gloire,. 11 faut rendre .graces sans
se lasser, parce que c'est la volonte de Dieu dans le Christ
Jesus , a Ja ^race duquel les neophytes sont finalement
coniie's. On voit assez que toute leur vie religieuse est congue
dans une dependaiace constante de la personne de Jesus :
,Nul ne vient au Pere que par lui.
Ces formules initiales annoncent celles qui les etofferont,
1. IThess., i, 1. lei, comme souvent ailleurs, 1'article ri'est pas mis
devant Oeo's : Dieu Pere est pris comme wn nom propre, .et en effet, il
est unique. Semblablement 1'article manque devant wJpios. Litteralement,
il faudrait traduire : a la communaute des Thessaloniciens (vivant) en
Dieu Pere et en Seigneur J6sus Christ >. Sur cette suppression caracte-
ristique de 1'article, voir F. Kattenbusch, Das Apostolische Symbol, II,
p. 515suiv.,et B. F. Wescott, Ontheuseoffo^and 6 Oeo's, dans The Epistles
of St John*, London, 1909, p. 172-174.
L'ETABLISSEMENT OB LA RELIGION DE JESUS. 599
les nuanceront, les enrichiront : elles en sont, pour aiiisi dire,
pregnantes et, moins claires, elles ne sont pas moms riches
en substance religieuse. Quelques-unes reviennent a satiete,
par exemple dans le Christ Je"sus (environ 164 fois dans
saint Paul!), et il faut reconnaitre que, dans sa brievete, ce
refrain inculque puissamment 1'incorporation totale du chre-
tien, pensee et action, souffrance et amour, a celiii qui est
son chef, son esperance et son Dieu.
Parmi les allusions a Jesus qui sont plus que des mentions,
il n'estpas arbitraire de distinguer les resumes catechetiques,
a aretes vives, souvent completes par la mention du Pere et de
1'Esprit, des allusions et effusions mystiques ou s'abandonne
1'elan spirituel de Paul. Formules trinitaires d'accent liturgi-
que : 1'apdtre s'excuse aupres des Remains : s'il leur a parle
d'un ton magistral, c'est qu'il a recu de Dieu, grace
pour etre pretre celebrant du Christ Jesus parmi les Gentils,
administrant religieusement 1'Evangile de Dieu,
aim que T oblation des Gentils devienne agr6able,
etant sanctifiee par 1' Esprit Saint 1 .
La distribution des dons spirituels provoque des declara-
tions plus precises. Jadis, quand vous etiez paiiens, vous
etiez conduits comme un troupeau en face des idoles
muettes. A cette attitude gregaire doit succeder une religion
plus personnelle, qui permettra aux Gorinthiens de controler
les manifestations charismatiques, en distinguant les inspira-
tions divines de leurs contrefagons :
Je vous declare que nul, parlant en Esprit divin, ne dit :
[Anatheme a Jesus!
et nul aussi ne peut dire : Seigneur Jesus f sinon dans 1'Esprit
[Saint.
Certes, il y a difference de dons,
mais c'est le meme Esprit;
et il y a difference de ministeres ,
mais c'est le meme Seigneur;
et il y a Difference d'operations,
mais c'est le meme Dieu qui opere tout en tous 2 .
1. Rom., xv, 16. Onremarquera le caractere liturgique, si accus6, de ce
morceau: efsto eTvai [ie XeiToupYbv XptOToS'liqaou UpoupYoQvT'a TO euaYY^Xtov,...
I'va YV7)Tat TJ Trpcxnpopa TOJV 0v5iv eirtpotjBsxToSjrjY^'^ri. Voir aussi Rom., XV, 30,
2. I Cor., XH, 3-6. Voir Ephes., iv, 4-6.
600 JESUS CHRIST.
Vceu final de la seconde epitre :
La grace du Seigneur Jesus Christ,
et la charite de Dieu,
et la communion du Saint Esprit, avec vous tous ' !
Par ces touches rapides et leurs semblables, le mystere de
Jesus allait s'epanouir, sans violence et sans heurfc, dans le
dogme trinitaire. D'autres fois, le souci d'enseigner porte sur
le salut procure par Jesus, et la prodigieuse metamorphose
qui s'ensuit dans ses fideles, agreges par le bapt^me au
Christ mystique et engages ainsi dans une destinee nou-
velle, dont les etapes sont calquees sur celles de la vie du
Maitre :
Ou bien ignorez-vous que nous tous qui avons ete baptises dans
[le Christ Jesus,
c'est en sa mort que nous avons ete baptises ?
Car nous avons ete ensevelis avec lui par le bapteme, pour la
mort, afin que, comme Christ est ressuscite des morts pour la
gloire du Pere, ainsi, nous marchions, nous aussi, en nouveaute de
vie.
Car si nous avons etc greffes sur lui, par similitude de sa mort,
nous le serons aussi par celle de sa resurrection ;
sachant ceci : notre vieil homme a ete crucifie avec lui
afin que fut amorti le corps du peche et que nous ne soyons plus.
[asservis au p6che r
car le mort est libere du peche.
Mais si nous sommes morts avec le Christ,
nous croyons que nous vivrons aussi avec lui,
sachant que le Christ ressuscite des morts ne meurt plus :
la mortn'a plus d'empire sur lui 2 .
Ailleurs, 1'apdtre tire, et de quel accent ! les conclusions de-
cette belle theologie :
Si done vous etes ressuscites avec le Christ,
recherchez les choses d'en-haut,
ou le Christ est assis a la droite de Dieu ;
ayez a coeur les choses d'en-haut,
non celles qui sont sur terre.
Car vous etes morts et votre vie est cachee avec le Christ en
[Dieu 3 .
1. II Cor., xm, 13.
2. Rom., vi, 4-10.
3. Colos., in, 1-4.
L'ETABLISSEMENT DE LA RELIGION DE JESUS 601
Les candidats aux mysteres demandaient surtout a 1'ini-
tiation une assurance contre les risques de la vie future :
plusieurs (nous le tenons d'eux-mfrmes, et ils estimaient que
ce n'etait pas peu de chose) y trouvaient du moins 1'esperance
d'etre accueillis alors par une divinite propice a laquelle ils se
seraient consacres et quiles reconnaltrait pour siens. A cette
esperance aussi, la religion de Jesus donne satisfaction, mais
en la de*bordant par la conception de la vie e"ternelle, en la
sanctifiant par 1'exigence d'une vie pure et, des ici-bas T
ressuscitee, en la fondant surtout. Elle substitue a des fables
incoherentes, dans lesquelles la divinite etait moins engaged
que compromise, une histoire proche, sainte, prophetisee
dans des Livres que beaucoup tenaient pour sacre"s, que tous
savaient du moins e"tre tres anciens. Des signes enfin, de
puissance et de renovation spirituelle, attestent que Dieu
approuve cette voie et 1'a pour agreable. De tout ceci, Jesus
est le mediateur et le garant : vivre cette vie, c'est vivre
de lui et en lui.
Tout en assimilant le croyant a son Seigneur, le realisme
chretien maintient pourtant les distances, soit en rapjpelant
1'absolue et universelle primaute du Christ, soit en 1'associant
si efcroitement a Dieu que 1'unite ne soit pas brisee, et l'homme
fourvoye" dans un re"ve fou d'egalite avec son Greateur. Tout
ce que la christologie ulterieure s'efforcera de preciser, fer-
mant la voie aux erreurs subtiles ou superbes, est deja,
mais a 1'etat de lave incandescente, dans certains morceaux
episodiques des epitres, ou s'exprime au plus vif la religion
de Jesus. G'est, par exemple, I'hymne intraduisible au Christ
aneanti et glorifie, qui eclate soudain, dans une exhortation
morale adressee aux Philippiens. Ou plut6t (car ce mot
d'exhortation morale est moderne et decevant : il n'y a pas
pour les premiers Chretiens de morale hors de leur religion;
tous les devoirs sont compris dans le service de leur Sei-
gneur) dans une provocation a imiter leur Maitre :
Ayez entre vous les sentiments que vous avez pour le Christ Jesus ;
lui qui, subsistant en forme de Dieu,
n'a pas considere comme une proie d'etre egal a Dieu,
mais il s'est vide de lui-meme, prenant forme d'esclave, devenu
[semblable aux homines
602 JESUS CHRIST
et reconnu pour homme par ses dehors ; il s'est abaisse* lui-m^me,
devenu obeissant jusqu'a la mort, et la mort de la croix.
C'est pourquoi aussi Dieu Ta exalte au-dessus de tout,
et 1'a gratifie du Norn au-dessus de tout nom,
afm qu'au nom de Jesus tout genou fle'chisse des (etres) celestes,
[terrestres et infernaux,
et que toute langue confesse :
SEIGNEUR JESUS CHRIST, a la gloire de Dieu le Pere 4 .
On s'expose a preciser indument les termes employes par
saint Paul, quand on perd de vue le caractere inspire, pro-
phetique, de ce passage. II est au moins douteux que ces
expressions aient ete employees dans un sens technique : la
suite generale de la pensee et 1'appel des images nous sem-
blent de meilleurs guides. L'exemple de Jesus vaut ici pour
un modele incomparable du don de soi, un miracle d' abnega-
tion, reconnu par Dieu d'une fagon digne de lui. Suivant ces
indications, nous arrivons a cette glose litte"rale : Aimez-
vous parfaitement entre vous, a la chretienne 1 Prenez les
uns pour les autres les sentiments que vous avez pour le
Christ Jesus lui-me'me : mettez-vous a son e"cole... II etait
pres de Dieu, il dtait Dieu 2 . Eh bien! il ne s'est pas laisse"
charmer, attacher, comme a une proie cherement conquise,
aux privileges ravissants a lui assures de ce chef 3 . Au con-
traire, riche, il s'est re"duit a la misere 4 . II s'est dessaisi,
depouille, vide de toute cette opulence de gloire : de la forme
de Dieu, en forme d'esclave ! Voyez-le devenu, par tout le
dehors, semblable aux hommes : dans cette condition servile,
il trouve encore moyen de se mettre au plus bas. II obe"it, il
se soumet a la loi portee contre ses freres humams. II descend
jusqu'a la mort, et la male mort d'un crucifie.
1. Phil., ii, 5-11.
2. Jo., i, 1. Je nevois pas de meilleur Equivalent au TO elvai 1'aa 6ea5.
3. Oux. pna-]fjj.bv T)fvjca-co : ces mots ont suscit6 toute une litterature.
Le sens adopt6 ici me semble ressortir du terme, rare et violent, choisi
par 1'apotre ; voir les exemples donn6s dans la nouvelle edition du grand
Dictionnaire Liddell et Scott, ed. H. Stuart-Jones, etc., II, Oxford, 1926,
s. v. aprcaY&iv, apx6%n>, apjiaif, aprcaot? : et Preuschen-Bauer, Griechisch-Deuts-
ches Worlerbuch zu den Schriften des N. T., 1925^ col. 170-171, avec les
auteurs cites.
4. Ai' u[j.as JreTci5)(.u<Tev nXoiato? &v, II Cor., VHI, 96.
L'ETABLIS^EMENT O>E .LA RELIGION DE JESUS. 603
Ge ;pre;iMer rythme, qui chaate r&n#anitis&emeiit du Christ
incamc, rebojadit imme'diate.nient dans le rythme .parallels de
I'exaltation, r&poaise du Pere a la demarche 4u Fils humilie :
Mais Dieu ne se laisse pas vaincre'! Son Christ, ainsi
afoaisse, il 1'exalte au-dessas .d tout, il le fait iSeoir a sa
droite; il kii coniere le Nom supreme, .au-?dessus des noms
royaux et divins pour lesquels on exige 1'hoiamage des
homines 1 . Au-dessus de tout nom! Voyez4e s'elever, des
1 . On salt 1'importance .reconnue ;au noin, chez tous les peuples. Cf. J.
Vendryes, Le Langape, Introduction linguistique d.l'Jvistoire, Paris, 1921,
p. 216 suiv. Le nom vaut pour la personne m6me qu'il repr6sente, a ce
point gu'ihsnlter le no-m, c'est faire tort a la personne ; 1'exalter, c'est
glorifier la personne ; : H'eifacer, c'est -supprimer, autant qu'il est en sol, la
personne. Amssi nommerun etre, c'est en quelque sorte d'appeler a Texis-
tence; jusque4a il est v^gue et .sans individualite : voir Genese, i, 19-20,
23. Sur cette identification pratique dunom'et de la.personne, et les conse-
quences qui en decoulent, on peut lire les m6moires reunis dans ERE,
IX, p. 130-178, s. v. Names. Bien qu'elle prete a abus (dans toutes les
magres connues, 'le nom devient 1'un des intermediaires census eificaces,
parfois Je principal, pour ^tteindre u in^luencer celui qui le porte), cette
facon de voiriest naturelleet.fondee. Edle s'exjprime, dans 1'Ancien Testa-
ment, par le culte du nom diving sur la forme prise par le culte aux
temps evangeliques, W. Bousset et H. Gressmann, Die Religion des
Judentums im spaethellenistischen 'Zeitalter 3 , 1926, p. 307 suiv. ; et J.
Le'breton, Engines 6 , 1927, p. 149.
Dans le Nouveau Testament, Jesus nous enseigne a dire : Notre
Pere,... que votre nom soit glorifie ! Dans toute I'antiquit6 le nom d'un
dieu ou d'un seigneur,, AU sens religieux .du mot, vaut pour la reality : on
lui attribue en consequence une valeur sacree et, parfois, superstitieuse.
Les Chretiens eurentnaturellementune grande devotion au nom de J6sus,
et ce fut une des formes 'de leur culte pour le Sauveur. -Apres F. C.
Conybeare, Christian Dem&nology, dans Jewish Quarterly .Review, VIII et
IX, 1894-1895, et, jplus tard, Myth, Magie and Morals, London, 1919,
ch. xni, W. HeitmiiMer a -r6uni les faits principaux dans son memoire
substantieil : Im Namen Jesu, Goettingen, 1903, resume-par 1'auteur dans
RGG, IV, col.<661^666.es travaux, et la compilation confuse deP. A.. Gor-
don Clark, Name, dans DACH, II, p. 64-76, sont gates par I'assimilation
du cutte rendu au:n&m de Jesus,, dans FEglise ancienne, avec les pratiques
superstitieuses du Judaisme rabbinique d'alors, et du paganisme de tous
les temps. Ges auteurs supposentque 1'action spirituelle se degrade neces-
sairement en'empruntantun vehicule materiel, 'om en s'aidantd'un objet
sensible. Elle deviendrait, par le fait meme, -magique, theurgique ; ce qui
est la condamnation igtobale du principe sacramentel et liturgique. Dans
le cas particulier, ils .ne distinguent pas 1'usage religieux du nom de
604 JESUS CHRIST.
enfers sur terre, puis au ciel ; a son passage tout genou
flechit, toute creature fait le geste d'adoration et entonne
la louange supreme : JESUS CHRIST EST LE SEIGNEUR, a la
gloire de Dieu le Pere !
Un commentaire detaille, justifiant ces choix, n'est pas a sa
place ici 1 . Ge qui impose, au moins en general, le sens adopte,
c'est 1'architecture, incontestablement syme'trique, du mor-
ceau, et son identity fondamentale avec les formules paral-
leles du christianisme ancien. Parti du sein de Dieu, ou il est
chez lui, le Fils, par I'assomption d'une nature humaine, se
disqualifie, se vide de ce qui, dans sa condition glorieuse, est
susceptible de renoncement : il le fait spontanement et par
amour. II mene cette nature creee, done capable d'humiliation
et de souffrance, jusqu'a 1'extreme limite de 1'abaissement.
Mais de cet abime, Jesus est ramene par son Pere, avec sa
nature humaine desormais imposee a 1'adoration de tous, en
partant du monde infernal ou la mort 1'a engage, a travers les
mondes humainet celeste, jusqu'a la gloire originelle. Entermes
johanniques : Le Verbe, qui etait des le commencement en
Dieu, qui etait Dieu, s'etant fait chair et ayant etabli sa tente
parmi nous, apres avoir consomme par sa vie et sa mort
1'ceuvre a lui confjee par son Pere, rentre aupres de lui dans
la gloire qu'il possedait devant que le monde fut. En termes
synoptiques : Le Fils de 1'homme, ayant accompli ce qui
efcait ecrit de lui et donne sa vie en rancon pour beaucoup,
est desormais assis a la droite de la Puissance divine.
L'epitre aux Golossiens temoigne decisivement de la memo
Jesus, d'abus qui semblent avoir 6t6 ordinairement confines dans des
milieux de foi douteuse, ouverts au syncr6tisme du temps.
1. VoirF. Prat, The'ologie de saint Paul, I 7 , 1920, p. 371-386; 533-543;
J. Lebreton, Origines 6 , 1927, p. 416-421; H.Schumacher, Christus in seiner
Praeexistens und Kenose nach Phil., If, 5-8, Rome, 1914. Parmi les
memoires lib"6raux les plus recents, je distinguerai celui de M. Ch. Gui-
gnebert, Quelques remarques d'exegese sur Philippiens, II, 6-ii, dans
Acles du Congres international des Religions de 1923, Paris, 1925, II,
p. 290-316, 6tonnant melange de bon sens et de parti pris. Autant la dis-
cussion du texte est serieuse et profitable a lire (mais il ne faut pas dire
que 1'absence de 1'article dans ev p-op^TJ 0sou suggere : d'tw Dieu , p. 292,
note 2; voir ci-dessus p. 598, note 1), autant la recherche des sources
dans une combinaison syncretiste des conceptions gnostiques et des
mythes des religions helleniques a mysteres > est decevante et inacceptable.
L'ETABLISSBMBNT DE LA RELIGION DE JESUS. 605
croyance. La primaute de Jesus y est rappelee dans le but de
raviver 1'enseignement donne jadis a Golosses par Epaphras,
premier ap6tre de cette Eglise. II faut se garder des infiltra-
tions dangereuses qui menacent la doctrine authentique :
Gomme done vous avez recu le Christ, Jesus le Seigneur,
marchez en lui, enracines et edifie's en lui, et affermis dans la
foi en laquelle vous avez ete instruits 1 . Ges metaphores sont
claires pour qui se souvient que le Sauveur est constammment
represente comme une voie dans laquelle 1'homme religieux
doit marcher, s'il veut arriver au but; comme une terre, oil
la vie spirituelle jette des racines pour fructifier; comme un
fondement, sur lequel s'edifie la destinee eternelle du chretien,
que Dieu a transporte dans le royaume du Fils de son amour .
La, on trouve la redemption et remission des peches ; la,
on devient homme parfait dans le Christ et, partant, agreable
a Dieu. Ce rdle essentiel de Jesus, pres de ceux qu'il sauve et
reconcilie avec son Pere, est motive par un rapport primordial
d'origine et de fin :
Parce que c'est en lui que tout a ete fait aux cieux et sur la terrc,
les choses visibles et les invisibles :
tout a ete fait par lui et pour lui 2 .
II esfc ainsi V alpha et V omega, le principe et la fin : en lui
sont tous les tresors de la sagesse et de la connaissance ca-
ches 3 . Etce qu'il est pour chaque croyant, il Test pour la com-
munaute : II estlate'te du corps mystique, vers laquelle tous les
membres setendent pour recevoir d'elle 1'influx vital et croitre,
chacun selonla forme a lui departie. On ne sait que citer ici :
Car de meme que le corps est un et a beaucoup de membres,
et tous les membres du corps, nombreux qu'ils sont, ne font qu'un
[corps,
ainsi en va-t-il du Christ :
car c'est en un seul esprit que tous nous avons ete baptises pour faire
[un seul corps,
soit Juifs, soit Grecs,
soit esclaves, soit libres,
et tous nous avons ete abreuves d'un seul Esprit*.
1. Coloss. ,11, 6-7.
2. Coloss., i, 16, 17.
3. Coloss., u, 3.
4. I Cor., xn, 12-14.
606 JESUS CHRIST..
On se laisse aller a multiplier le& citations* parce, qa'elles
sont belles. Mais comme elles donnent Fimpression de la riche,
vie religieuse centre, auto.ur de Jesus! II oecupe-tout Fhorizon.
Anterieuff,, non seulement au mon.de* juif de la promesse, mais
au monde auinain et a Fangeliquer, present a ses, fideles des
cette vie, et.leur terme bienaeureux en i'auke, il eat celui qui
appelle et qsiii jug, qui sauve et qui recom|iense. Don da Dieu
en plenitude (qu'estrce que Dieu pourpait. donner d'aussi bon
que lui-meme?) le Seigneur est a oe titre Fobjet d^ laudes
passionnees, qui n'ont,. dans les lettres anciennes, ; ni egales,
ni semblablea.
Qui nous separera de 1'amour du Christ?
tribulation, angoisse, persecution,, f aim, nudite, peril, glaive?
Selon qu'il est ecrit :
A cause de toi nous sommes Iwres a la mort tout te jour,
nous sommes comptes eomme brebis d*aSattoir...
Mais en tout cela nous sommes plus que vainqueurs par celui qui
[nous a aimeV!
Avecle Christ, je suis crucifiie.
Je vis, mais non,, plus moi, mais en moi' vit le Christ,
et ce que je vis riiaintenant en chair,
je le vis dans la.foi du Fils, de Dieu qui m'a aimel et S;'est livre pour
[moi 2 .
Pour moi, a Dieu ne plaise que je me glorifie,
sinon dans la croix dfe Notre Seigneur Jesus Christ,
par lequel le monde m'est erucifie, et moi, au mondfr.
Car ni circoncision ne serfr de rien, ni incirconcision,
mais une nouvelle creaturre..
Et quiconque se conforme a cette regie,
paix sur lui, et misericorde sur 1'Israel de Dieu!
Davantage, que nul ne me fasse des affaires,
car je porte en mon corps les stigmates de Jesus 3 .
Si quelqu'un n'aime pas le Seigneur, qu'ilsoit anatheme!
Notre Seigneur, viens *!
Ges paroles, oii 1'amour de Paul pour son Maitre s'exprime
1. Rom., vm, 35-37.
2. Gal., n, 20-21.
3. Gal., vi, 14-17.
4. I Cor., xvi, 22.
L'ETABLISSEMENT DE LA RELIGION DE JESUS. - 607
en images redoutables (le monde : entendez celui qui ne con-
nait pas Jesus, est pour 1'apdtre un objet d'horreur et de pitie,
tm de oes malheureux qui agonisent sur une croix, cloue,
exsangue, livre aux chiens, a la soif et aux vautours. Et lui,
Paul, a ce monde, il parait tel); ces paroles sont bien autre
chose que des effusions. Elles achevent de mettre en lumiere
la nouvelle creation que fut, dans le cadre elargi mais non
brise, de 1'unique Dieu, createur et Pere, la religion de
Jesus.
Geux qui s'associaient pour y chercher de concert le mot des
grands problemes, le modele des devoirs couteux, la force de
bien agir, les moyens de plaire a Dieu, formaient, par le fait
me" me, une collectivite spirituelle que saint Paul comparait
-plus haut a un corps. Loin d'etre un simple groupement de
libres croyants orientes dans le m6me sens ^-~ un peu comme
les loges orphiques la communaute chretienne etait des
lors une Eglise. II y a un quart de siecle, il eut ete opportun
d'insister sur ce point que beauooup de critiques, par ailleurs
competents, contestaient ; exeraple notable d'une preoccupa-
tion s'imposant a Vhistoire. L'individualisme religieux, alors
en faveur, occultait deux faits attestes par des textes nombreux
et concordants : le fait sacramentel, le fait bierarchique. Ge
n'est pas sans repugnance que j'emploie des termes qui peuvent
sembler prejuger la question et prater a anachronisme : 1'usage
les impose a qui veut 6tre clair.
Le fait sacramentel consiste simplemeht en ce qu'on attri-
buait a certains rites, reveles, du moins agrees positivement
par Dieu, une efficaoite re.ligieuse.du premier rang : admi-
nistre comme il le fallait, et rencontrant les dispositions indis-
pensables dans le sujet, le bapt&ne agregeait au Gbrist, puri-
fiait de toute tache et faisait passer celui qui en beneficiait a
une vie nouvelle, sur le modele et par la grace de Jesus.
Me'me ceux qui ne croient plus a cette vertu dans le present,
contestent de moins en moins, et ne devraient plus contester,
qu'on y croyait alors. On oroyait egalement que par la parti-
cipation a Teucharistie on communiait au corps et au sang du
Seigneur. L'intQrpretation qu'on a depuis appel^e realiste, etait
sans aucun doute celle des premiers cbretiena : Le pain
608 JESUS CHRIST.
est le corps du Christ, le vin est son sang; il faut y parti ci-
per dig-Dement et en esprit de charite ; c'est ainsi que
M. Loisy resume 1'enseignement de saint Paul a Gorinthe 1 .
Aveclebapte'me, avec 1'eucharistie, avec I'imposition des mains
qui conferait le Saint Esprit 2 , les Eglises chre'tiennes posse-
daient au milieu du premier siecle un organisme sacramentel
deja considerable, et bien a elles. A la gestion de ces moyens
efficaces de salut, qu'on croyait fermement tenir du Christ et,
par lui, de Dieu m&ne, des hommes choisis etaient proposes,
qui restaient soumis aux apdtres et a leurs delegues.
Des lors en effet, nonobstant Teffusion des dons spirituels,
dont 1'abondance confere a ceux qui les possedent une influence
de fait, la hierarchic des fonctions existe, ebauche dejarecon-
naissable d'un pouvoir ordinaire. Ge pouvoir s'exerce a Jeru-
salem, mais aussi dans les communautes de la Gentilite. Le
mystique eminent qu'est Paul est un homme d'autorite, cham-
pion de 1'Eglise visible. II regie de tres haut 1'usage des
charismata departis a beaucoup de fideles. II previent les
abus, non par de simples dispositions prudentielles, mais en
rappelant les principes. Du meme accent dont il celebre
1'union au Christ, il revendique 1'indispensable mediation du
corps ecclesiastique. Mieux : ce ne sont pas pour lui deux rea-
lites juxtaposees, ou meme coordonnees, mais une seule, dont
Tunite et 1'existence meme exigent une etroite connexion et
subordination de parties inegales. Tout un jeu de comparai-
sons admirables le montre a 1'evidence : Jesus est la pierre
d'angle et la clef de voute de 1'ediiice religieux qui s'eleve,
temple saint dans le Seigneur , ou chaque fidele, image en
miniature et part integrante du temple total, occupe la place
a lui assignee par le Saint Esprit. Mais le fondement de 1'edi-
fice est forme de pierres privilegiees, desquelles 1'edifice tient
a solidite : les ap6tres et les prophetes 3 .
1. Les Livres du Nouveau Testament, 1922, p. 41.
2. Sur I'imposition des mains, travaux excellents de P. Galtier, Imposi-
tion des mains, dans DTC, VII, 2, 1923, col. 1302-1425; et de J. Coppens,
L'lmposition des mains et les rites connexes dans le Nouveau Testament et
dans VEglise ancienne, Wetteren et Paris, 1925.
3. Prophetes dela Nouvelle Loi : Eph6s., in, 5; iv, 11 ; voir J. A. Robin-
son, Epistle to the Ephesians 2 , London, 1922, p. 263.
L'ETABLISSEMENT DE LA RELIGION DB JESUS. 6C9
Ailleurs 1 Paul consider e que 1'Eglise est un corps vivant,
organique, dont le Christ est le chef. Divers sont naturelle-
ment les membres de oe corps, comme sont differentes les
fonctions qu'ils ont a remplir; divers, mais aussi inegaux en
importance et hierarchises : Tous sont-ils ap6tres? tpus sont-
ils prophetes? La t6te doit jouer son r61e, qui n'est pas celui
de la main ou du pied. Dans cet ensemble regne une etroite
solidarite de sympathie et d'intere' ts, et de vie. Chacun travaille
pour tous les autres et, a son tour, revolt de chacun d'eux
quelque chose. Si l'un souffre ou prospere, tous participent a
sa peine ou a son bien. Le meme esprit les inspire ; la me'me eau
baptismale les purifie ; le m^me pain eucharistique les alimente.
Separe du corps, coupe delate'fce, unmembre peut-il se flatter
de vivre? Alors seulement' Un chretien pourra se targuer
d'avoirpart, hors de FEglise, a la redemption du Christ.
Une troisieme image, encore plus touchante 2 , applique a
1'Eglise les allegories des anciens prophetes ou Dieu se disait
TEpoux d' Israe'l. Dans un sens plus releve et plus rigoureux,
1'Eglise est 1'Epouse du Christ Jesus : sauvee par lui, soumise
a lui, non servilement, mais par tendresse, aimee de lui jusqu'a
la mort, nourrie et cherie, os de ses os, chair de sa chair, une
seule chose avec lui! Elle est purifiee et sanctiiiee pour efcre
enfin lagloire de son Epoux, sans tare et sans tache, sainte et
immaculee. Quel grand mystere ! L'union la plus etroite entre
humains, le mariage, n'en fournit qu'une lointaine analogie
et trouve, dans 1'union du Christ avec son Eglise, un inac-
cessible modele.
4. La Religion de J6sus
. la fin de la Generation Apostolique.
Tandis qu'en accord avec les premiers apotres, Barnabe,
Jacques et les freres du Seigneur , mais dans les termes
de son genie originel et de son inspiration personnelle, Paul
ddgageait ainsi les caracfceres de la religion nouvelle : sa
transcendance et sa philanthropic, sa profondeur et son
charme, d'autres hommes, egalement muspar 1'Esprit, recneil-
1. I Cor., xn, 4-31.
2. Ephes., v, 21-23.
JESUS CHRIST. II. 39
610 JESUS CHRIST.
laient des temoins survivants 1'Evangile terrestre de Je'sus
Us 1'ordonnaient en recits suivis dont 1'usage, non seulement
spirituel, mais liturgique, remonfce aux temps les plus an-
ciens. La lecture des Ecrituresfaisait en effet partie, en toute
premiere ligne, du service des synagogues, dont s'inspirerenfc
inevitablement, tout en 1'adaptant aux besoins du culte de
Jesus, les communautes chretiennes. A cdte des passages les
plus caracteristiques de la Loi et des Prophetes, ceux en
particulier oii Ton pouvait voir une annonce ou une figure
des gestes du Maitre, une place etait pr<He pour le rappel de
ceux-ci, et des paroles de salut qui les accompagnaient.
Quoi qu'il en soit des details de redaction et d'e'dition, dans
lesquels il ne convient pas de rentrer ici *, nos evangiles
synoptiques remplirent cette place, longtemps avant la fin du
i er siecle. La foi chretienne trouva en eux sa justification et
ensemble son aliment.
II est extre 1 moment remarquable que 1'image de 1'activite
de Jesus y soit restee si pure, si modeste, si peu marquee par
le choc en retour des institutions sacramentelles et des
croyances de"veloppees, indubitablement communes dans les
Eglises quand cette image fut tracee. Ge fait s'explique en
partie par la tradition orale, redigee et rythmee, qui rendait
presque inalterable en langue arameenne, et tres rebelle a
1'interpolation et a la refonte substantielle, me"me en langue.
hellenique, 1'Evangile primitif. En depit de ce trait, qu'on a
justement qualifie de paleontologique, Toauvre synoptique
nous permet d'apprecier, avec les paroles et les actes de
Jesus, 1'idee que se faisaient de" sa personne les fideles des
premieres communautes, palestiniennes ou dispersees. II est
manifeste a qui lit sans prevention le texte de Marc, ou celui
de Matthieu et de Luc, que Je"sus est presente la, non comme
un maitre respecte, ou un prophete, mais comme le Messie et
le Fils de Dieu, au sens propre et religieux du mot. D'autre
part, on doitreconnaitre que les hautes theologies de I'ap6tre
Paul celles aussi des autres docteurs qui lui servaient d'e-
mules et de satellites : Barnabe, Apollos, Timothee, Silas, Epa-
phras, le maitre des Golossiens, etc. avaient besoin, pour ne
1. Voir ci-dessus, livre I, ch. H, 2 (tome I, p. 35-125).
L'ETABLISSBMBNT DE LA RELIGION DE JESUS. 611
pas prater a un developpement unilateral qui eut volatilise le
c6te huraain, laborieux, palestinien de la earriere du Christ,
d'un contre-poids d'histoire et de catechese littdrale. A cette
tache, apres les instructions evangeliques des Douze, qu'il
resume, I'mstrument s.ynoptique servit a souhait. II rendait a
la chair du Christ, a ses demarches humaines, au detail de ses
enseignements, un temoignage irrecusable, sur lequel les
doctrines subtiles, faussement spiritualistes, qu'on appelle
docetiques, viendraient briser leurs dents. Par ailleurs, les
transitions etaient ainsi maintenues : mises par ecrit en un
temps ou la foi des simples et la theologie apostolique avaient
pousse jusqu'a leur terme la logique intime de leurs de*mar-
ches, les paroles du Seigneur gardent, dans nos premiers
evangiles, un accent particulier, un caractere implicite et sou-
vent mysterieux, marque indelebile de leur authenticite. Les
questions memes qu'elles posent, et dont quelques-unes (celle
en particulier du retour en gloire et de la fin des temps) re$u-
rent, a Tepoque apostolique, des solutions conjecturales que
les evenements ne confirmerent pas, repondent de leur histo-
ricite substantielle.
Telles quelles, ces paroles, en m^me temps qu'elles rap-
pellent les prerogatives souveraines du Christ, suggerent,
encore qu'avec une discretion bien notable, le r61e essentiel
de son Eglise. On a vu plus haut comment un petit nombre
de textes, profondement engages dans la gangue judaiique, et
d'autant moins suspects, montraient les pouvoirs du Christ :
droit de Her et de delier, de paitre et de gouverner, d'ensei-
gner au nom de Dieu, eternises par leur delegation aux dis-
ciples elus. Une assistance spe*ciale du Maitre et de 1'Esprit
assurera 1'exercice de cette tache surhumaine, confiee d'une
maniere eminente a Pierre, puis a tout le college apostolique.
Ainsi armee, la religion de Jesus semblait pouvoir affronter
les perils qui Tattendaient.
Quelque chose cependant restait a dire. Les deux faces de
1'histoire du Christ : 1'evangile de la chair, raconte en un cer-
tain detail par les Synoptiques, et 1'evangile de 1'esprit, qui
replac.ait Jesus dans la perspective de Te'termte, annonce ou
m^me formule par eux dans plusieurs de ses traits, puis deve-
612 JESUS CUBIST.
loppe magnifiquement par saint Paul, etaient toutes deux
reconnues. Elles constituaient le bien comnmn desfideles. Ges
images restaient eependant distinctes, plutot juxtaposees que
fondues. Qu'elles fussent unies dans la personne et la mission
de Jesus, on n'en doutait pas. Neanmoins un malaise pouvait
naitre, quand les reflexions suggerees par des objectants suc-
cedaient aux affirmations de la foi. L/elude des premieres
deviations doctrinales nous montre qu'en effet 1'attachement
exclusif a Tun des deux elements presents dans le Sauveur
tendit a faire prevaloir successivement des vues incompletes,
ou posibivement erronees. Sous des formes moms elaborees,
1'antithese autour de laquelle on a menetant de bruit naguere,
entre le Christ de 1'histoire et un pretendu Gbrist de la foi, se
faisait jour, des lors, sa et la. Pour user des termes du temps,
on divisait le Christ. G'est a cette heure que Jean, le dis-
ciple du Seigneur, reste le dernier de tous et constatant
que les faits corporels avaient ete relates par les autres evan-
gelistes, a la requite instante des disciples, et avec 1'inspira-
tion de 1'Esprit, composa Pevangile spirituel . Disons plutdt
qu'il le mit definitivement par ecrit.
Dans ce livre, ce qui est revelateur, dit tres bien J. Le-
breton, c'est Tunion ou plutdt la compenetration intime de la
doctrine et de la vie du Christ. Des deux groupes de docu-
ments qu'on distingue jusque-la, les uns ont surtout decrit la
vie humaine de Jesus, les autres, les mysteres de sa preexis-
tence et de sa gloire. Ici tous les traits se fondent dans 1'unite
d'une me 1 me figure; elle brille d'une clarte plus qu'humaine,
et pour la meconnaitre il faut la voiler, comme firent les boui*-
reaux de la Passion; et eependant on sent bien qu'elie est
reelle et vivante, et que ce n'est pas la speculation theologi-
que qui Fa formee, mais Timpression laissee par un homme
comme nous, sur un cceur d'homme 1 . Ge temoignage ainsi
rendu par le vieux disciple ferma, quand il le fallait, les deux
voies d'erreurs ou quelques-uns commenQaient de s'engager.
Jean, certes, n'a pas ete le premier ni le seul a prevenir les
fideles centre les dangers des speculations gnostiques. Mais
il adit, avec 1'autorite qui lui appartenait, et de telle sorte
1. Origines 6 , 1927, p. 475.
L ETABLISSEMENT DE LA RELIGION DE JESUS. 613
qu'aueun chretien de bonne foi ne put en ignorer, que Jesus
etait, pendant les jours de sa chair, pleinement conscient de
sa dignit^ surhumaine et divine. II a dit que, distinct du Pere,
ayant tout recu de lui, sujet et dependant en tant qu'homme,
il ne laissait pas d'etre, moyennant une participation pleniere,
egal au Pere et un avec lui. Ilest dans le Pere, et le Pere est
en lui; qui le voit, voit le Pere. L 'elaboration theologique de
ces donnees restait a faire, mais le progres tres reel qui s'ac-
complit dans la clarte des notions et la nettete des formules,
ne fut pas une nouveaute. Pas une seule des definitions cecu-
meniques concernant 1'adoration du Maitre, sa distinction
d'avec le Pere, son egalite avec lui, ou 1'efiicace universel de
sa redemption, qui ne fut justifiee a 1'avance par le quatrieme
evangile. En affirmant ce qu'il avait vu de ses yeux, oui' de
ses oreilles, touche de ses mains, Jean rendait croyable aux
autres que Jesus de Nazareth, homme d'un temps et d'un
pays, homme de chair et d'os, etait, par identite, le Fils eter-
nel du Dieu vivant. II identifia a jamais le Christ de Thistoire
avec le Christ de la foi.
Sans insister sur une antithese sterile, recueillons dans
1'evangile spirituel une autre lecon. Elle n'y est pas nettement
formulee comme chez saint Matthieu, ou exposee au long
comme dans les epitres apostoliques ; conformement aucarac-
tere del'ouvrage, elle ressort de tout le recit a la fagon d'un
rayonnement, d'une photosphere chaude et lumineuse. Dans
ce livre ou 1'Eglise n'est pas nommee, elle est partout. Et je
dis bien 1'Eglise universelle, catholique en droit et en puis-
sance, mais exclusive de toute opinion particuliere en matiere
de foi, jalouse de son unite, et par cela meme reduite en fait
au troupeau choisi de ceux qui acceptent integralement sa
doctrine et ses autorites. Constamment supposee, cette notion
est clairement suggeree par les episodes qui permettaient de
lui faire une place plus large 4 . Toute 1'histoire, eternelle ou
temporelle, de Jesus, est ramenee par Jean a 1'histoire de la
vocation, del'adhe'sion au Maitre, et de la formation par celui-
1. Ainsi l'6pisode des Samaritains, Jo., iv, 39-43 ; du Bon Pasteur, x,
6-17; des Grecs introduits pres de Jesus par Philippe et Andre, xir,
20 suiv.
614 JESUS CHRIST.
ci du groupe privilegie qui est le germe, I'e'Ie'ment determi-
nant et, pourrait-on dire en style scolastique, la forme de la
grande Eglise. Gette conception s'exprime magnifiquement
dans la priere sacerdotale, couronne du discours apres la
Gene et de 1'evangile entier : F application a 1'avenir est la
complete, mais, a vrai dire, depuis 1'appel des premiers disci-
ples, tout allait en ce sens. Sibien qu'on a pu definir 1'inten-
tion prpfonde de Pevangeliste en disant qu'il a voulu de"crire,
et a decrit en effet, 1'histoire de la fondation de I'l^glise : la
formation du groupe elu auquel le Christ s'est revele et a im-
parti son don de vie * .
Par la, le haut mystique de I'^vangile spirituel se manifesto
homme de tradition et d'autorite", homme d'^lglise. Tout ce
qu'apporte Jesus, et c'est la lumiere, la verite", le pain du
ciel, 1'eau de laquelle on doit renaitre a la vie nouvelle,
1'Esprit consolateur, avocat-conseil des justes, exe"gete infail-
lible duVerbeincarne, tout cela appartient aux seuls fideles,
au cercle des intimes, derriere lesquels Jesus, a sa derniere
heure, voit et benit ceux qui, par eux, croiront en lui....
ceux qui garderont sa parole . Agneaux et brebis de 1'uni-
que bercail, sarments nourris par la-seve de la vigne ve"rita-
ble, disciples tires a lui par le Pere, ils sont les siens ; et
c'est I'&glise hierarchique, sacramentelle et apostolique, celle
qu'Augustin, apres d'autres, mais avec une insistance jamais
lassee, appellera la .Catholica 2 . Gette equivalence ne pouvait
1. E. F. Scott, The Fourth Gospel, Us purpose and Theology, Edin-
burgh, 1906, p. 209. Tout le chapitre iv de ce livre (dont les dires ne sont
pas aadmettre sans'contrdle) "met fort bien en lumiere les buts ecc!6sias-
tiques, ecclesiasticals aims > du quatrieme evang61iste. Semblablement,
dans son m6moire tres discutable, mais original, John (Gospel ofSt) dans
1' Encyclopaedia Britannica ^, XV, p. 455, le Baron F. von Hugel observe
avec profondeur que c l'6vangile spirituel est le plus explicitement eccle-
siastique et sacramentel des quatre, the most institutional and sacramental
of the four >.
2. Sur cette appellation, Dom 0. Rottmanner, Catholica, dans la Revue
Be'ne'dictine,XVIl, 1900, p. 1-9; 1'auteur estime que ce nom employe tout
seul pour : 1'Eglise catholique, se trouve environ 240 fois dans saint Augus-
tin. Dans le Psaume rime contre la faction des Donatistes, Augustin faisait
chanter a son peuple :
Scitis Catholica quid sit, et quid sit praecisum a vite...
Ego Catholica dicor, et vos de Donati parte.
L'ETABLISSEMENT DE LA RELIGION DE JESUS. 615
faire doute pour ceux qui lisaient, a 1'extreme fin du siecle
apostolique, les paroles divines consignees par Jean. Quelle
predication d'unite"! Quelle lee. on donnee aux sectaires de tout
genre, fauteurs d'individualisme ou fondateurs de petites
chapelles! Mais aussi, quelle fusion miraculeuse des deux
elements religieux primordiaux : le conservateur et 1'inspira-
teur, le dogmatique et le personnel, Tappel interieur de
1'Esprit sans lequel tout est formalisme, et la communion visi-
ble dans une m^me ve'rite, hors de laquelle un corps se dis-
sout et pe"rit.
Je ne prie pas seulement pour ceux-ci,
mais pour ceux qui croirontpar leur parole en moi :
Que tous soient un !
comme toi, Pere, es en moi, et moi en toi, qu'ils soient aussi en
[nous,
et que le monde croie que tu m'as envoye.
Et moi, la gloire que tu m'as donne'e, je la leur ai donnee,
pour qu'ils soient un comme nous sommes un,
moi en eux et toi en moi,
pour qu'ils soient consommes en unite :
afin que le monde connaisse que tu m'as envoye,
et que tu les as aimes comme tu m'as aime.
Pere, ce que tu m'as donne"
je veux que la ou je suis, eux aussi soient avec moi,
pour qu'ils contemplent ma gloire que tu m'as donnee,
car tu m'as aime avant la fondation du monde.
Pere juste, ah ! le monde ne t'a pas connu,
mais moi je t'ai connu et eux ont connu que tu m'as envoye,
et je leur ai fait connaitre ton nom, et le leur ferai connaitre,
afm que 1'amour dont tu m'as aime soit en eux, et moi en eux ' .
Sur la religion de Jesus, au terme de la premiere genera-
tion chretienne, nous sommes renseignes par quelques ouvra-
ges datant de cette epoque 2 . Le plus considerable, sinon le
plus clair, trop bien defendu par son genre litteraire et, a cause
de cela, laisse souvent aux recherches arides des specialistes
1. Jo., xvn, 20-26.
2. L'Apocalypse, si sa redaction derniere nous reporte au regne de
Domitien, selon toute probability comprend des elements anterieurs
centres autour du regne de Neron, 55-67. Voir ci-dessus, livre I, note 1,
t. I, p. 228 suiv.
616 JESUS CHRIST.
ou aux supputations des prophetes, est FApocallypse johan-
nique. La premiere partie du livre consiste, on le sait, dans
une longue lettre tres soigneusement composee et adressee
aux sept Eglises principals, repr^sentant sans doute, en son
universalite, la chretiente" d'Asie Mineure : Ephese, Smyrne,
Pergame, Thyatire, Sardes, Philadelphie et Laodicee, On n'a
pas a decider les questions de detail soulevees a ce propos :
quelques-unes sont des plus ardues. Faut-il voir dans ces cha-
pitres une sorte d'ency clique ou chaque communaute rece-
vrait du Maitre les exhortations et reproches dont elle a spe-
cialement besoin, tout en prpfitant de.s lemons donnees aux
autres? Ou bien la redaction- actuelle est-elle la reprise unifiee
de billets adress^s d'abord separdment a chaque Eglise? Peu
importe pour le but que nous poursuivons. Nous n'avons pas
nonplus a discuter sur ce que sont au juste les anges des
Eglises, destinataires de chaque message. Jean les identifie
avec les sept e"toiles , qui sont elles-m^mes manifestement
synonymes des sept candelabres , c'est-a-dire des commu-
nautes elles-m^mes 4 . Ainsi dans . quelque ordre, celeste, ideal,
ou humain, qu'on doive rechercher ces anges, ils sont les
representants autorises et, dans une certaine mesure, respon-
sables, des diverses Eglises. Et cettei approximation nous suf-
fit presentement.
Etant done pour la parole de Dieu et le temoignage de
Jesus dans Pile appelee Patmos , Jean regoit, au coursd'une
extase, ordre d'ecrire aux sept Eglises d'Asie. Geluiqui intime
cette commission est le Fils de 1'homme, tel que les grands
prophetes, et notamment Daniel dans sa celebre vision, Tont
represent^. A Vccable par cette majeste, le voyant tombe a ses
pieds comme mort. Maiail mit sur moi sa droite disant :
Ne crains pas : je suis le Premier et le Dernier et le vivant,
et j'ai ete mort, et voici j.e suis vivant aux siecles des siecles,
et je possede les clefs de la mort et de 1'enfer 2 .
Ensuite le Seigneur dicte pour chacune des Eglises un mes-
sage approprie, enserre dans un cadre identique : au debut,
Tadresse : Al'ange de 1'Eglise qui est a... Ephese, Smyrne,
1. Apoc., r, 206.
2. Apoc., r, 17-18.
L ETABLISSBMENT DE LA RELIGION OE JESUS. 617
etc. , ot qualification de 1'auteur : Ainsi-parle celui qui a
les sept esprits de Dieu, la clef de David, etc. . Suit le corps
du message, contenant les particularites. Et enfin la double
conclusion d'avertissement general :
Qui a des oreilles entende ce que^'Esprit diiaux Eglises!
et de promesse : Le vainqueur car il s'agit dans tous
les cas d'un redressement religieux et moral, compare a une
lutte et impliquant un effort couteux Le vainqueur, je lui
donnerai... de lamanne cachee, du fruit de 1'arbre de vie, etc.
Ges lettres, tres hautes en couleur apocalyptique, redi-
gees en Langage deliberement allegorique, et profondement
engagees dans des circonstances de fait, ne laissent pas
d'etre intelligibles et pleines de substance religieuse,. On
peut les comparer a ces fruits des iles, defendus et succu-
lents, comme les ananas. II faudrait un volume pour les com-
menter 1 . Le seul point qui. nous retienne ici, e'est le r61e du
Mattre et les titres qu'il prend, litanie qui reflete incontesta-
blement la foi des chretientes d'Asie, tout en temoignant de la
lenteur avec laquelle, dans ces Eglises ou la grosse majorite
devait alors appartenir aux neophytes venus de la Gentilite,
la coupure se fit d'avec la souche israelite. Non seulement la
terminologie est biblique, et les noms allegorique& iatelligi-
bles aux seuls familiers de l'histoire ti\i peuple de Dieu (on
parle, sans explication, de Balaam, de Jezabel), mars Jerusa-
lem est la cite sainte, et les Gentils sont opposes aux Juifs r
comme pai'ens a fideles 2 .
AINSI PARLE celui qui tient les sept etoiles dans sa main,
qui marche emmi les sept chandeliers d'or...
AINSI PARLE le premier et le dernier,
qui a etc mort, et a reve"cu...
AINSI PARLE celui qui a 1'epee affile'e a deux tranchants...
1. Tout le monde est tributlaiue en ce point, depuis qu'il aparu, du livre
de Sir William Ramsay, The Letters to the Seven Churches of Asia, Lon-
don, 1909. J'ai utilis6 surtout H. B. Allo, L' Apocalypse, Paris, 1921, et
R. H. Charles, The Revelation. of St John, let II, Edinburgh, 1920. Depuis,
la premiere partie du commentaire de Th. Zahn, Die 0/fenbarung des
Johannes, I, Leipzig et Erlangen, 1924, et les commentaires de A. Loisy,.
L' Apocalypse de Jean, Paris, 1923, de E. Lohmeyer, Die Offenbarung de
Johannes, Tubingen, 1926.
2. Apoc., H, 9; II, 14; il, 20;; Hi, 9.
618 JESUS CHRIST.
AINSI PARLE le Fils de Dieu,
celui qui a les t/eux comme une flamme de feu,
et les pieds pareils a I'airain en fusion. . .
AINSI PARLE celui qui possede les sept esprits de Dieu,
et les sept 6toiles...
AINSI PARLE le saint, le veritable,
celui qui a la clefde David :
qui ouvre, et nul ne ferme,
qui ferine, et nul rfouvre...
AINSI PARLE YAmen, le temoin fidele et veritable,
le principe de la creation de Dieu *...
La litanie des sept couronnes, promises aux vainqueurs,
n'est pasmoins instructive 2 : le Christ apparait ici comme juge
<et re'munerateur, mais aussi comme fin derniere de 1'homme,
<et sa recompense.
Au VAINQUEUR je donnerai de manger de Varbre de vie,
qui est dans le paradis de Dieu. , .
LE VAINQUEUR ne sera pas atteint par la seconde Mort...
Au VAINQUEUR ye donnerai de la manne cachee,
et je lui donnerai une pierre blanche
et sur cette pierre un nom nouveau, ecrit,
que nul ne connait hors qui le regoit...
ET LE VAINQUEUR qui garde jusqu'au bout mes oeuvres,
Je lui donnerai puissance sur les Gentils
et il les regira en verge de fer,
comme vases d'argile Us seront brises,
comme j'ai rec.u moi-meme de mon Pere,
et je lui donnerai 1'etoile du matin...
LE VAINQUEUR sera ainsi revetu d'habits blancs
ety'e n'e/faceraip&s son nom du livre de la vie
t je confesserai son nom en face de mon Pere et en face de ses
[anges.
3L.E VAINQUEUR, j'en ferai une colonne dans le temple de mon Dieu,
^et il ne sortira plus dehors,
>et j'ecrirai sur lui le nom de mon Dieu,
et le nom de la ville de mon Dieu,
la Jerusalem nouvelle, descendant du ciel, d'aupres de mon Dieu,
et mon nom a moi, le nouveau I
LE VAINQUEUR, je le ferai asseoir avec moi sur mon tr6ne,
'Comme moi aussi j'ai vaincu et me suis assis avec mon Pere sur
[son trone.
1. Apoc., n, 1, 8, 12, 18; in, 1,7, 14.
2. Apoc., n, 7, 11, 17, 26; in, 5, 12, 21. Dans les deux series, les mots
en italiques sont emprunt6s a 1'Ancien Testament.
L'ETABLISSEMENT DE LA RELIGION DE JE'SUS. 619
Ces beaux rythmes, tout rutilants d'expressions bibliques,
s'entendent assez, quant a leur sens general. Bon nombre de
details y font figure de citations, ceux par exemple qui carac-
terisent le Fils de Dieu dans des termes prophetiques souli-
gnant sa gloire : II a les yeux comme une flamme de feu ,
etc.; il donne puissance sur les Gentils , et de haut! etc.
D'autres sont des reminiscences e"vangeliques, claires pour
tous les Chretiens de ce temps : Jesus est mort et ressuscite ;
il delegue aux siens, avec mesure, le pouvoir qu'il a recu lui-
meme, sans mesure, de son Pere; il confessera en face de son
Pere et des anges du ciel ses te'moins fideles; le Fils de
1'homme estassis desorinais aladroitede Dieu; Juge supreme,
il decide en dernier ressort de la destine'e des hommes; il
exempte de la seconde Mort , eternel exil de Dieu; il efface
du livre de la Vie , ou le r61e des elus est tenu a jour. Lui
seul use de la clef de David , sa sentence e"tant sans appel ; il
fait asseoir les vainqueurs sur son tr6ne , copartageants de sa
gloire comme ils 1'ont etc" de ses tribulations. Nulle crainte pour
eux d'etre jamais elimines, car ils sont devenus des colonnes
dans le temple divin qu'est Fassemblee des saints. Tout
cela estlimpide : d'autres allusions appellent une glose rapide.
Les sept e"toiles et les sept chandeliers d'or sont les
Eglises elles-m6mes. Jesus a pouvoir sur elles, pour les cor-
riger, les purifier, les re"compenser; il a: marche au milieu
d'elles par 1'examen severe qu'il fait de leurs dispositions
religieuses et morales : rien n'echappe a son ceil de Maitre.
Les sept esprits de Dieu sont les archanges principaux,
ministres du Seigneur : ils apparaissenticinonseulement soumis
au Christ, mais a son service. L'epee affilee,adeuxtranchants,
est la parole divine considered comme une arme, alaquelle rien
ne resiste : la metaphore est reprise quelquesversets plus bas;
le Seigneur presse 1'Eglise de Pergame de se convertir, autre-
ment je viens a toi promptement, et je lutterai centre toi
avec le glaive de ma bouche 1 , e'est-a-dire avec la sentence
1. Apoc., n, 16. Saint Paul parle du glaive de 1'Esprit qui est la parole
de Dieu , Ephes., vi, 17. Car elle est vivante, laparole de Dieu, efficace
et plus ac6r6e qu'une epee a deux tranchants : pen6trant au point de sepa-
rer Tame et 1'esprit, les jointures et les moelles, d6m61ant les pensees et
sentiments du coeur >, Hebr., iv, 12.
620 JBSUS CHRIST.
qui agrege au Royaume de Diera, ou separe de lui, a jamais.
Toute une serie de titres augustes se rapporte a 1'infaillibi-
lite du temoin divin qui parle : il' est le saint et le veritable ,
le temoin fidele et veritable- ; il est, d'un mot intraduisible,
I 1 Amen en personne, c'estr-a-dire I'affirmation la plus solen-
nelle du vrai, valant pour la verite me"me, faisant foi a la ma-
mere d'un sceau. Cette expression qui nous parait insolite
1'etait alors beaucoup moins. Saint Paul avait ecrit jadis aux
Gorinthiens ! dans le m^me sens : le Fiis de Dieu, le Christ
Jesus qui a ete parmi vous pr4che par nous par moi, par
Silvanus et par Timothee n'a pas ete out et non, mais c'est
le out qui a ete en lui. Gar autant qu'il. y a de promesses en
Dieu, c'est en lui qu'elles sont le oui (realisees) : aussi est-
ce par lui que nous disons Y A men A la gloire de Dieu . G'est-
a-dire que la predication apostolique n'a pas presente la foi au
Christ comme une opinion, sujette a discussion, mais comme
une affirmation irreformable, un oui pur et simple. Et en effet T
Jesus a realise en lui toutes les promesses de Dieu : apres lui r
rien ne reste plus a attendre comme revelation ou mediation
pres de Dieu ; de quoi temoigne 1'usage liturgique, quand il
ajoute a 'la formule consacree de 1'action de graces a Dieu :
Par le Christ Notre Seigneur , le mot final : Amen! Sem-
blablement, dans 1'Apocalypse, Jesus est dit YAmen, c'est-a-
dire la verite definitive, indiscutable. G'est qu' aussi bienil est
et ici encore Jean recouvre Paul, d'une fac.on d'autant plus
frappante que les destinataires sont les Laodiceens, qui furent,
sur 1'ordre de l'Ap6tre, mis jadis en possession de 1'epitre
adressee a leurs voisins de Golosses 2 le principe de la
creation de Dieu , celui que les: Golossiens avaient appris a
connaitre comme le premier-ne de toute creation ;
parce que c'est en lui que tout a ete fait, aux cieux et sur la terre,.
les choses visibles et les invisibles,...
tout a ete fait par lui et pour lui 3 .
1. II Cor., i, 19-20. C'est probablement dans ce sens qu'il faut entendre-
les qualifications que se donne Mahomet: le sceau des prophetes , Qoran,
sour. 33, 40 : Mahomet serait le dernier des prophetes parce qu'il
estampille h, la facon d'un sceau la pr6dication de ses pr6decesseurs >^
H. Lammens, L' Islam, Beyrouth, 1926, p. 57
2. Coloss., iv, 15-16.
3. Coloss., i, 16-17.
L'ETABLISSEMENT DE LA RELIGION DB JESUS. 621
En deux mots que Jean aime a repeter : Jesus est V Alpha
et Y Omega; il est le Premier et le Dernier : il tient les
deux bouts de la creation totale, et de ce petit monde, aufco-
nome dans le grand Univers, qu'est une destinee humaine.
Ses promesses ne vont pas en effet moins loin que ses
ordres et exhortations. Elles ne portent pas toutes, il s'en
faut de beaucoup, et cela est manifesto aux yeux dessilles du
mirage eschatologique, sur les biens de la vie future. D'autres
biens, ordonnes a ceux-ci mais distincts, et destines a nous
acheminer vers eux, seront le lot des fideles de Jesus. A eux,
participation de la manne cachee qui est la parole de
Dieu, mais encore, certainement ici, 1'eucharistie. A eux,
. la petite pierre blanche, sur laquelle un nom nouveau est
ecrit, que, hormis celui qui le rec.oit, nul ne connait .
Blanche, c'est-a-dire heureuse, signe et cause de bonheur :
Jean affectionne cette couleur; 1'eelat candide symbolise
pour lui tout ce qui est de bon augure, beau, pur et celeste 1 .
La petite pierre est-elle le caillou blanc qui marquait
les bons jours des Anciens? Est-elle la gemme pre"cieuse
enchassee dans un anneau, ou la boule blanche de suffrage,
signe d'acquittement et de succes? Elle porte en tout cas,
c'est ce qui en fait le prix, un nom grave, selon 1'usage uni-
versel de la consecration, qu'il s'agisse d'une amulette ou
d'un temoignage d'appartenance sans arriere-pensee magique.
Ici, le nom est nouveau et, chose etrange, bien qu'il consacre
a Jesus, ce n'est pas son nom, mais celui qui va faire du
disciple un autre Jesus. Gar il designe certainement ce que
saint Paul appelle Fhomme nouveau , la nouvelle crea-
ture 2 opposee a 1'homme ancien, a Fhomme de peche 3 . II
represente done au vif (et celui-la seul le sait bien qui est
le sujet de cette admirable reforme) la refonte, la transfor-
mation par 1'esprit chretien du vieil Adam. Aux yeux des pro-
fanes, rien ne parait, tant du moins que la configuration du
fidele a son Seigneur n'est pasproche de son achevement. Mais
deja tout est nouveau pour le chretien. Aucune des valeurs
anciennes qui reste pour lui la meme... G'est aussi qu'avec
1. B. Allo, La couleur blanche dans I 'Apocalypse, op, laud., p. 48-50.
2. II Cor., v, 17.
3. Rom., vi, 6.
622 JESUS CHIUST.
les dons, il a recu le Donateur, celui que Jean appelle plus
loin Petoile eclatante du matin , c'est-a-dire le Christ Jesus.
Gar pour Jean, comme pour Pierre, Paul ou les Synop-
tiques, pour tous ceux qui Tadorent, Jesus n'est pas un Maitre
au passe, un personnage d'histoire : il vit. Sa presence parmi
les siens, dans les siens, est un des dogmes principaux du
christianisme, et 1'un de ceux dont I'efficacite est le plus
visible. Par le bapte'me, par 1'eucharistie, par la grace sanc-
tifiante, mais encore par une conversation interieure fondee
sur la foi, entretenue par la priere, et dont le sentiment
mystique de presence n'est que 1'etat fort et extraordinaire-
ment savoureux, Jesus reste au milieu des siens tous les
jours, jusqu'a la consommation des siecles . II a sans doute
ses lieutenants, ses delegues, ses images. De divers points
de vue, les detenteurs du pouvoir spirituel^ successeurs de
Pierre et des ap6tres, les pauvres, les purs, les enfants, les
saints, font revivre parmi nous 1'autorite, la condition humi-
liee, 1'innocence, la religion personnelle du Seigneur. Mais
s'il est rappele, represente, le Christ n'est jamais remplace
ou supplee; 1'amour de preference revendique pendant sa vie t
il persiste a le reclamer et 1'obtient.
D'autres maitres, d'autres hommes, ont su se faire aimer,
et leur genie continue ses conqu^tes dans les generations qui
se succedenl :
Du moment qu'on 1'ecoute, on lui devient ami.
Toutefois cet ascendant a ses limites, et cette amitie n'est
guere qu'admiration retrospective, nuancee d'un peu de ten-
dresse; elle ne peut balancer des presences moins hautes et
combien moins pures, mais reelles, mais proches. Malheur a
ceux qui ne sont plus : la religion du souvenir est un culte
qui a peu de lideles, encore, intermittents. Jesus, lui, n'est
pas un absent : son amitie balance victorieusement les plus-
dures passions, les plus fortes attirances, amour et haine,
dans des millions de coeurs d'hommes. Ges coeurs ne sont pa&
les moins chauds, les moins purs : au contraire, les amis du
Christ forment une elite distinguee par les plus rares vertus.
Us se donnent et s'oublient; ils se taisent; ils fondent; ils
L ETABLISSEMENT DE LA RELIGION DE JESUS. 62$
perseverent. Leur activite est de'sinte'resse'e et reglee : elle
n'est pas enfievree par les ambitions egoi'stes, ou livre*e aux
hasards des circonstances. II ne s'agit pas, pour eux, de se
faire un nom, d'augmenter d'une unite* le nombre des sectes r
de construire un temple de main d'homme glorieux pour
son ouvrier. G'est dans le respect, ou, mieux, dans le culte
de 1' unite, dans la soumission aux autorites legitimes
incarnees pourtant en des hommes et parfois bien humaines r
dans la communion visible maintenue au prix de durs
sacrifices, que les apdtres travaillent. En eux 1'Esprit et
FEpouse , c'est-a-dire le Maitre interieur et le magistere
assiste, ont des eleves dociles, parce qu'en tous deux, c'est
Pecho authentique de leur unique Maitre qu'ils discernent
et auquel ils obeissent.
Le temoignage ainsi rendu par 1'Esprit d'age en age est
un des signes les moins equivoques de la mission divine de
Jesus, et il reste, tout diversifie qu'il est par les aspirations,
d'une humanite toujours en mue et en travail, un et con-
cordant. Ge n'est pas un ideal malleable, amorphe, dans
lequel notre race projetterait son re"ve du meilleur, sans autre
continuite qu'elle-me'me. L 'ideal incarne dans Jesus est actif
et determinant : loin d'etre cree par les hommes a leur image r
il les reforme selon un ordre prefixe" et les oriente, d'autant
plus efficacement qu'ils s'y present mieux, dans la me 1 me voie,.
par les me'mes etapes, sous les me'mes chefs, a travers des
luttes semblables, vers le me'me but : le Regne de Dieu-
Les disciples de Jesus se reconnaissent entre eux, de peuple
a peuple, et de siecle en siecle : les memes actions de louange
et d'amour naissent spontanement sur leurs levres ; de m^me
attraits imperieux les configurent a un type d'autant plus
reconnaissable qu'il laisse subsister les particularites de race
et de culture. Des temoins recents ont retrouv^ dans les
geoles chinoises et core"ennes les reponses des anciens mar-
tyrs 1 . Autant que nos anc^tres latins ou barbares, les noirs.
1. Par exemple, on peut comparer les Actes de Colombe Kiang, jeune-
femme Coreenne, de Hou-Siang, martyrisee a S6oul en 1801, le 22 du cin-
quieme mois lunaire, avec ceux de sainte Perpetue de Carthage, 7 mars 202 1
ou 203. Toutes deuxs'occupentdemaintenirle moral de leurs compagnons,.
dans des prisons oi la chaleur6tait le supplice principal. Perp6tue,
"624 JESUS CHRIST.
d'Afrique se montrent oapables de la sainte nouveaute qu'est
TEvangile de Jesus. Le fait est constant, il reste, en termi-
nant cet ouvrage, d'en apporter quelques ;preuves concretes.
blessee, ditasonfrere et an catechumene Rusticus, de tenirbon dans la
foi et dene passe scandaliser de ses souffrances i : Passio, 20, ed. J. Armitage
Robinson, Texts and Studies, I, 2, p. 93. Colombe dit a son fils Philippe, que
les souffrances de la geole commentjaient a flechir : Crie d'une voix forte,
Jesus est au-dessus de ta tete : il te voit.... L'enfant reprend cceur et
subit le martyre : Actes, dans H. Leclercq, Les Martyrs, XIV, 1922,
p. 34-35. Toutes deux vont a la mort comme a une fete : Perpetue s'avance
je cite les splendides versions latines, petit-etre de Tertullien, dignes de
iui en tout cas : lucido incessu, ut matrona Christi, ut Dei delicata, vigore
oculorum deiciens omnium conspectum... Perpetua psallebat: Passio, 18,
p. 87-88; Colombe monte sur la charrette fatale < avec un airde satisfac-
tion et de joie. Elle recitait des prieres ci haute voix . On vent imposera
Perpetue et a ses compagnons des defroques mythologiques ; Perpetue s'y
refuse hautement : Nous sommes venus ici de plein gre ; qu'on ne nous
contraigne pas ! Nous donnons notre vie justement pour ne rien faire de
tel > (d'idolatri'jue). Le tribun acquiesce. Et quand ensuite, exposee a une
vache tres feroce, la jeune femme est projetee en 1'air, son premier mou-
vement est un geste de modestie chretienne : tunicam a latere discissam
ad velamentum... reduxit, pudoris potius memor quam doloris : Passio,
18 et 20, p. 89-90. Colombe Kiang ne montre pas moins de sainte liberte,
ni de pudeur : sur le lieu de Texecution, elle declare : Les lois prescri-
vent d'oter les habits a ceux qui doivent Stre supplicies ; mais il ne doit
pas en etre ainsi de nous, femmes. Avertissez promptement le mandarin
superieur que nous demandons a mourir habillees. Le mandarin consent.
Acles, p. 35. Pour decrire le courage de ces femmes admirables, c'est la
m6me image qui se presente : Perpetue se voit luttant comme un homme,
changee en athlete : Passio, 10, p. 77-79 ; Colombe etait comme un
guerrier intrepide et, bien qu'il y eut des hommes dans la chretiente,
tous Iui cedent >. Elle est comme le chef de cette Eglise persecutee :
p. 33.
NOTE R 2
PARFAITS ET INITlfiS
Nous parlons sagesse avec les parfaits : cotpfav 81 XaXoufxev iv TOI;
I? ; I Cor., n, 6. Depuis Reitzenstein, Die Hellenistischen
Mysterienreligionen * , Leipzig, 1920, p. 190, il a passe en usage
cTidentifier ces parfaits, TE'AEIOI , avec des inities aux mysteres
tereXea^evot . Ainsi M. A. Loisy ecrit, a propos de ce texte, Les Li-
vres du Nouveau Testament, Paris, 1922, p. 44 : Paul a bien une
sagesse superieure, qu'il dit seulement aux parfaits, aux inities .
Voir aussi Ch. Bricka, Le Fondement christologique de la Morale
Paulinienne, Strasbourg et Paris, 1923, p. 52. C'est Bousset qui a,
je crois, reuni le plus de textes a 1'appui de cette assimilation :
Kyrios Christos*, Goettingen, 1921, p. 197, note 1.
La parente des mots est manifeste, tous deux se referant a la
notion d'achevement, de perfection, d'accomplissement. Mais cette
affinite ne suffit pas a etablir 1'emprunt fait par saint Paul d'un
terme appartenant au vocabulaire technique des mysteres. Les TS-
XEIOI ne sont pas des JAUHTOU, consacres par la teXe-rn] : ces dernieres
expressions sont absolument classiques pour designer les inities
aux mysteres ; la premiere ne se trouve, que nous sachions, en ce
sens, dans aucun texte pai'en. Appliquee aux dieux memes, elle a
un sens particulier qui n'a rien a voir avec une initiation quelcon-
que. E. Eitrem, Teleioi 7%eo/,dans Roscher, LGRM> VIII, col. 259.
De textes pai'ens oft le mot TE'XEIO? figurerait en ce sens, nous trou-
vons deux en tout, cites par Reitzenstein et W. Bousset. Le second,
restitue par H. Diels, recemment, dans lesAbhandlungen der Ber-
liner Akademie de 1915, publies en 1916, est une maxime du philo-
sophe epicurien Philodeme de Gadara (vers 50 avant J. C.) ; sur
lui, W. von Christ - W- Schmidt, Geschichte der Griechischen
Literatur\ II, 1, p. 284-286. Nous estimons, declare Philodeme,
que tous les dieux ensemble ne peuvent effrayer celui qui est par-
i'aitement parfait : ou3 TOV TE[XE(CO<;] TsXio[v ot 0sol TT] avTEc fijxa [tpoSetv] ye
v[o[AtovTai]. II s'agit ici du parfait Epicurien, dont Lucrece est le
type, qui brave tous les dieux! H. Diels ajoute : tAsto; est 1'expres-
sion stylisee, empruntee par les Epicuriens a la langue des mys-
teres, pour signifierrhomme distingue en opposition avec laplebe.
C'est reconnaitre que le terme, ici, a un sens qui n'a rien de com-
025 JESUS CHRIST. II. 40
626 JESUS CHRIST.
mun avec les mysteres ; mais de plus 1'autorite de Diels ne suffit pas,
enl'absence de tout texte, a prouver que ce terme soit empruntea
la langue des mysteres . Cette langue ases motsregus, sans cesse
employes : nous attendons qu'on nous signale TsXeio; dans le voca-
bulaire incontestable d'une religion initiatique ancienne.
Aussi W- Bousset, apres Reitzenstein, fait-il fond plutot sur
1'autre texte paiien, d'epoque incertaine mais posterieure au christia-
nisme. Or ce passagedes Livres hermetiques : Hermetica,lV, 4. ed.
W. Scott, Oxford, 1924, I, p. 150-151, voit dans les TeXetoi non des
initi6s, mais des sages, des philosophes qui, par la meditation de
leur. nature vraie et de leur fin derniere, sont devenus gnostiques r
et participent auA r OMs (intelligence superieure). Dans le contexte r
Hermes explique a Tat que tous les hommes, helas! ne sont pas
tels. Etpourquoi? Parce que, repart Hermes, le Nous est une
recompense athletique que les hommes doivent gagner . II est
d'ailleurs offert a tous : Dieu a rempli de Nous un grand cratere
(coupe, bassin), et a envoye un heraut charge de proclamer au
*,ceur de tous les hommes : Plonge-toi dans ce cratere, si tu le veux
'ou : si tu le peux), reconnaissant le but de ta destinee, et recon-
idissant que tu dots remonter vers celui qui a envoye le cratere!
Tous ceux done qui ont fait bon accueil a cette proclamation, et se
sont plonges dans le bain de Nous, ceux-la regoivent la connais-
sance, et ayant recu le Nous, deviennent des hommes parfaits,
teXeioi IYSVOVTO avdpwTroi, TOV vouv Seljaasvoi . Ici encore, il s'agit d'une
perfection, d'un achevement d'ordre intellectuel, que 1'homme ac-
quiert, non moyennant une initiation, mais parses propres moyens;
ce qui est justementle contraire.
Restent les textes chrdtiens, tous naturellement posterieurs a
saint Paul. Anterieurement a ceux que j'ai cites, il faut faire etat
des passages ou saint Ignace emploie le terme. lie sont nombreux
et clairs.
Aux Ephetiiens, i, 1 : Devenus imitateurs de Dieu,...vous avez
accompli en perfection (TeXe?w<;) 1'ceuvre de charite si conforme a
votre excellent naturel ; xiv, 1 : Vous n'ignorez rien de cela, si
vous avez en perfection (teXefox;) la foi et 1'amour pour Jesus Christ ;
xv, 2 (tres remarquable!) : apres avoir dit que Jesus avait prechenon
seulement par ses paroles, mais par ses ceuvres, accomplies en.
silence :
Celui qui possede en verit6 la parole de J6sus,
celui-l^i peut entendre son silence m6me, et il sera parfait ('iva
il agira par ses discours,
et se fera connaitre (comme ami de Dieu) par son silence.
PARFAITS KT INITIES. 627
Aux Philadelphiens, i, 2 : Je felicite votre eveque : son silence
a plus de force que de vains discours... j'ai pu appreeier la vertu et
la peri'ection de ses dispositions... T^V.... aikou Yvtfyxvjv, Ivripoui; IvapsTov
xal TeXsiov ouaav .
Aux Smyrniotes, iv, 2 : Je*sus s'estfait homme reellement, dans
toute la force du.terme : auirou TeXeiou avOpunrou YHVOJASVOU; x, 2 : Jesus
Christ, qui est la fidelite meme, ne rougira pas de vous : ou&e {i^Ss
iTtaiff^uvOiqffeTai ^ TeXetairtaTis, 'lr,<jou<;Xpi<n:o<; ; xi, 1, 2, 3 : Je demande
que me soit donnee la grace parfaite.,. Pour parfaire votre oeuvre
(de pacification) il sieraitque votre Eglise choisit un digne ambassa-
deur... vous etes parfaits : proposez-vous done d'accomplir desccu-
vres parfaites : teXeiqi ovre;, TsXsia xal <ppovs7te .
A Polycarpe, i, 3 : Porte les infirmites de tous, comme un
athlete accompli, 6? T&EIOS aOXri-c^? .
II ressort nettement de ces textes que 1'eveque d'Antioche emploie
le mot de Te'Xeio; au sens ordinaire et spirituel : pour ce qui est com-
plet, accompli, parfait dans son genre. Nulle part n'apparait le sens
initiati^ue. Quand on sait a quel point Ignace depend de la pre-
miere Epitre aux Corinthiens, oil se trouve le ootpCav XaXoufxev Iv TOI;
TeXeioi;, Ignace a du connaitre cette epitre presque par cceur :
W. R. Inge dans The New Testament in the Apostolic Fathers,
Oxford, 1905, p. 57, on peut dire que 1'interpretation du ts'Xsio;
paulinien dans ce sens technique d'initiation, est a peu pres eli-
minee du coup.
Passons aux textes releve"s par Bousset. Le plus ancien : Justin^
Dialogue, VIII, ed. G. Archambault, I, p. 42, est un simple echo de
1'Apotre et vise tous les hommes de bonne volorite : Si tu veux te
sauver, la porte est ouverte, il ne tient qu'a toi de connaitre le
Christ de Dieu, de devenir parfait et d'etre heureux : Trapes-riv ITCIYVOVU
ffol TOV XptffTOV TOO 06ou xal TeXeiw YevofAevw su3at(jiovetv . L'editeur, loc.
laud., p. 41, 42, semble admettre que TEXEIO;, de par sa parente avee
TeXeffT^ptov, appartient a la langue des mysteres . Mais le TeXsioi;
n'est pas le TSTeXe<i[XEvo? beneficiaire de la TeXe-rrj ! Ici, TeXeio? n'a pas
plus un sens esoterique que son voisin e58at(ju>veiv n'a un sens
magique. S'il y a la une allusion au bapteme, elle est tout a fait
implicite. Le renvoi a saint Paul, I Cor., n, 6, est inoperant, puisque
les Te'Xetot parmi lesquels Tap6tre parle sagesse , ne sont pas les
baptis6s en tant que tels, mais les Chretiens plus avances dans
leur foi, ceux qui ont cesse d'etre des vvfriot, des enfants dans le
Christ, incapables encore de nourriture substantielle et ne suppor-
tant quele lait d'un enseignement elementaire : I Cor., in, 1-2.
Dans Clement d'Alexandrienous trouvons la perfection : ^ 7eXe(w<7t^
628 JESUS CHRIST.
rb re'Xfitov, nettement attribute au baptise, parce que baptise : Pae-
dagogos, I, 5 et 6, 6d. Staehlin dans CB, I, p. 96-121. Encore faut-il
se rappeler le but de Clement dans tout ce passage. II polemique
centre les gnostiques h6terodoxes (car, pour lui, 1'appellation de
gnostiques n'a rien que d'honorable ; comme Irenee, quand il
1'attribue aux heretiques, il ajoute toujours un qualificatif, ou parle
de pseudognose : E. de Faye, Clement d' Alexandria*, Paris, 1906,
p. 77-78, note). Les adversaires attaques ici sont les gnostiques de
la grande epoque, notamment les Valentiniens, qui distinguaient
les hommes en trois classes : 1 les materiels ou terrestres, inca-
pables comme tels de salut; 2 les psychiques ou animaux, posse-
dant la foi simple mais non la sagesse parfaite (T^JV yvwaiv
teXeiav), encore qu'ils fussent baptises et membres de 1'Eglise;
3 les spirituels ou pneumatiques, seuls detenteurs de cette sagesse.
Voir saint Irenee, Adv. Haer., I, 11, 14.
Clement argumente contre cette erreur capitale, qui n'allait a
rien de moins qu'a couper en deux classes, en castes, les Chretiens.
II affirme avec force, et repete sous diverses formes que tout
homme baptise est, par le seul fait de son bapteme, capable de
perfection, illumine, regenere, fils de Dieu, virtuellement parfait,
TeXeioc. II Test en ce sens qu'il a regu le don parfait, et n'a plus
qu'a le garder pour parvenir au salut; qu'a le faire valoir, pour
arriver a la sagesse accomplie, a la TeXeta yvw<*K. Aussitot done
que regeneres, nous avons regu la perfection vers laquelle nous
tendons. Car nous avons ete illumines : 1' illumination consistant
a connaitre Dieu... Baptises, nous sommes illumines; illumines,
nous recevons 1'adoption filiale; adoptes, nous sommes rendus
parfaits; parfaits, nous recevons Timmortalite : pa7rTi^o'(Xvoi <pum!;o'i/.e8a,
f(i)Tt^d{jt,evot utoirotouiAcOa, uto7cotou[xevot TeXetoupieOa, TiXstoup-evoi djraQavaTi-
ttptfa-o-Paedagog.,1, 6, 25, 26; CB, I, 104, 105. Plus loin, Clement
revendique 1'egalite du salut, ^ tddtrji; rfa crwTKjpta? pour tous les
Chretiens baptises. II va sans dire qu'il ne pretend pas contester
1'inegalite des dons recus, ou leur amissibilite, ou la necessite de
les faire valoir pour arriver a la perfection. Ce qu'il inculque, c'est
la mise en possession du baptise, par le sacrement meme, de la
grace essentielle qui le rend fils de Dieu, heritier du salut, capable
de tout bien. Plus loin il se fait objecter : Mais le baptise n'a pas
encore regu le don parfait (par 1'adoption de la vie eternelle : T/JV
TeXetav Swpeav)! J'en conviens, moi aussi, repond-il; mais il n'en
est pas moins dans la lumiere, et les tenebres n'etouffent pas cette
lumiere : or il n'y a pas d'etat intermediate entre lumiere et tene-
bres ; dans la resurrection (par le bapteme) de ceux qui ont cru, la
PARFAITS ET INITIES. 629
fin est (done virtuellement) comprise ; Paedagog., I, 6, 28; ibid.,
p. 106, 107. Te'Xsio;, en tout cela, a le sens classique d'etre complet,
parfait dans son espece, pourvu de tous les organes essentiels a sa
vie propre.
Les gnostiques heterodoxes firent grand usage du mot et de la
notion de perfection . Us les reservent a ceux qui, au dela de la
foi commune, acceptent leur interpretation esoterique du christia-
nisme. Ces derniers sont designes, en consequence et a 1'exclusion
de tous autres, comme parfaits ou gnostiques parfaits :
Ts'Xetoi, Yvw<JTixo\ Ts'Xeioi : voir 1'index a YElenchos [Philosophoumena]
de saint Hippolyte, ed. P. Wendland, dans CB, Hippolytus, III, s. v.
TsXeto;, p. 333. Hippolyte nous de"criten particulier 1'horrible melange
de mythologie et de christianisme fait par certaine secte gnostique,
qui rapprochait des donnees bibliques sur le premier homme et du
debut du quatrieme evangile, des fables helleniques, telles que
celle de Geryon, du dieu Men et les mysteres de Samothrace :
C'est la, disent-ils, le grand et ineffable mystere des Samothra-
ciens, que nous, les parfaits, pouvons seuls connaitre : TOUT' 2<m,
cpvjat, TO (Asya xai dtppyjTOv 2a|/.o6paxwv jxoffT^ptov, 8 [AOVOI; g!je<mv elSevai TO?<;
TeXetou;, cpyjofv, jjfjitv ; Elenchos, V, 8, 9; CB, III, p. 90.
Voila enfin 1'expression de -reXetoi dans un contexte qui se rapporte
incontestablement a des mysteres pai'ens! Mais nous sommes en
plein ni e siecle, et en plein syncretisme. Surtout les mots employes
par ces gnostiques delirants ne doivent pas etre traduits : Nous,
les inities , mais nous, les parfaits . Car ce n'est nullement a
une initiation qu'ils attribuent la connaissance du mystere, dans
sa verite secrete et complete. C'est leur sagesse superieure, ^ teXsia
Yvwci;, qui leur revele ce que les mythologies anciennes, les fables
des poetes et les mystes pai'ens eux-memes, n'avaient que tres
imparfaitement connu, et exprime par des symboles indigents. En
d'autres termes, eux, les seuls TeXeiot, savent ce que tous les autres,
y compris les inities des mysteres de Samothrace, n'ont que pres-
senti. Et, loin qu'ils considerent cette connaissance transcendante
comme un secret, ils pretendent 1'expliquer en clair.
Nous n'avons pas a suivre la destinee de 1'expression de par-
fait . On sait qu'elle a passe dans les scctes cathares des xn et
xiii 6 siecles, pour designer ceux qui, au prix de retranchements
douloureux, avaient recu le consolamentum, et etaient devenus
ainsi purs et divins. On peut voir, en dernier lieu, la these d'Ed.
Broeckx, Le Catharisme, Etude sur les doctrines... de la Secte
catkare, Louvain et Hoogstraete, 1926.
Nous croyons pouvoir conclure de cette note :
630 JESUS CHRIST.
que le mot Te'Xsto; ne doit pas etre maintenu, jusqu'a preuve du
contraire, dans la tres courte liste d'expressions empruntees par
saint Paul au paganisme de son temps ;
que, jusqu'ici, aucun texte pai'en ne permet d'affirmer que le mot
ait appartenu a la langue technique des religions dites a mysteres ;
qu'apparente par une racine commune, et le sens general d'ache-
vement, d'accomplissement, de perfection qui en de"coule, avec les
expressions usitees dans ces religions pour designer 1'initiation, il
s'en distingue par une nuance plus intellectualiste, moins reli-
gieuse. II semble avoir ete surtout goute des philosophes. Adopte
comme designation courante, par des sectes gnostiques d'origine
chretienne, il signifie ordinairement cette sagesse superieure, ce
discernement qui permet d'interpreter en verite, ce que le vulgaire
ne confesse qu'en symboles et ne connait qu'en images. A la limite,
cette sagesse eleve celui qui croit la posseder au-dessus des gens
du commun, regardes par lui comme etant d'une caste inferieure
et d'une essence plus grossiere. Si Ton veut appeler ces privi-
legies des inities, on le peut fort bien, mais a condition d'oter au
mot la coloration technique qu'il possede dans les cultes initia-
tiques.
CHAPITRE II
T&MOINS DE jfiSUS DANS L'HISTOIRB
.1. L 'Antiquity.
Livre aux betes vers Tan 107, a Rome, et probablement
dans le Colisee inaugure en 80, I'eve'que d'Antioche Ignace
est aujourd'hui reconnu, parmi les Peres apostoliques, comme
le plus grand. Sa valeur personnelle comme chretien et
comme ecrivain, ecrit M. A. von Harnack, le rapproche plus
que tous les autres des grands ap6tres, Paul et Jean, bien
qu'il en reste encore loin. En meme temps, il represente si
bien FEglise catholique naissante que c'est precisement pour
ce motif que beaucoup de savants protestants, pendant plus
de deux siecles, se sont refuses a reconnaitre dans ses lettres,
des documents authentiques du temps de Trajan 1 . Ce qui
nous rend cette voix venerable, ce n'est pas d'ailleurs son
antiquite seule, mais le ton personnel, penetre", passionne, qui
la distingue entre toutes.
Je suisle froment de Dieu, et par les dents des betes je suis moulu
pour devenir le pain blane du Christ!
1. Ad. von Harnack, Die Briefsammlung des Apostels Paulus und die
anderen vorkonstantinischen christlichen Briefsammlungen, Leipzig, 1926,
p. 28-29. Dans le meme contexte, 1'auteur compare au jugement du vieux
Lachmann, ne voyant dans les lettres d'Ignace que niaiseries >, celui
du grand philologue Ed. Norden : Les lettres d'Ignace sont ce que cette
epoque nous a laisse de plus magnifique; elles nous ravissent par la
flamme et l'6clat d'une ame qui aspire a 6tre arrachee a la terre par une
mort affreuse et celeste. Harnack ajoute : Les voix de ceux qui atta-
quaient I'authenticit6 de ces lettres se sont presque completement
^eteintes. Parmi ces voix, se distingua jadis celle de Renan, Les Evan-
giles, 1877, p. xix suiv. ; p. 488 suiv. II rejetait six des lettres sur sept,
pour la principale raison qu'une doctrine ecclesiologique a ce point deve-
loppee ne pouvait remonter au temps de Trajan '
631
632 JESUS CHRIST.
Je suis moulu , au present; le candidat au martyre se
voyant deja dans 1'arene :
Quand serai-je en face des b6tes qui m'attendent!... au besoin
je les flatterai... Que si elles se font prier, je les provoquerai.
Pardonnez-moi ; je sais, moi, ce qui m'importe. C'est a present que
je commence d'etre un vrai disciple. Loin, toute creature, visible
ou invisible, qui m'empecherait de posseder le Christ! Feu et croix,
corps a corps avec les betes, plaies, e'cartelement, dislocation des
os, mutilation des membres, broiement du corps entier viennent
sur moi les plus cruels tourments du diable, pourvu que seulement
j'entre en possession de Jesus Christ!
Rien ne me serviraitde posseder lemonde entier, oules royaumes
du siecle present. II m'est bon de mourir pour le Christ Jesus,
plus que de regner sur tout le monde. C'est lui que je cherche,
celui qui est mort pour moi ; c'est lui que je veux, celui qui est
ressuscite pour moi. Ma delivrance est la... De grace, freres,
laissez-moi arriver a la lumiere pure : alors je serai vraiment
homme. Laissez-moi imiter la passion de mon Dieu. Si quelqu'un
possede ce Dieu en son coeur, celui-la comprendra mes desirs,
et se rendra reelle, en la partageant, 1'angoisse qui me presse.
Si, quand je serai parmi vous, il m'arrivait de vous supplier,
ne m'ecoutez pas : faites selon ce que je vous ecris aujourd'hui :
c'est en pleine vie que je vous ecris, epris de mourir.
Mes passions terrestres ont ete crucifiees,
le feu des desirs materiels n'est plus en moi,
mais une eau vive murmure en moi,
me disant dans 1'intime : Viens vers le Pere!
Je n'ai plus de gout aux nourritures terrestres,
ou aux voluptes de cette vie-ci.
Pain de Dieu je veux, qui est chair de Jesus Christ, fils de David,
etbreuvage je veux, son sang, qui est amour incorruptible 1 .
1. Aux domains, v-vn. cL'eauvive est celle dont parle Jesus a
la Samaritaine; celle dont il dit qu'elle coulera comme un fleuve du
sein de ceux qui croiront en lui : Jo., iv, 10; vn, 38, et voir A. d'Ales, La
source d'eau vive, dans RAM, V, 1924, p. 105-126. Le froment de Dieu >
se trouve dans la lettre aux Remains, iv .
Sur le sens de : 6 Ipo? k'pcos IcrcaipcoTai : mes passions terrestres, ou
charnelles (litt. : mon amour), ont et6 crucifiees , il n'y a guere de doute,
depar le parallelisme evident dumqrceau, qu'il faille prendre fpw; comme
synonyme de nup eptXo'uXov et traduire en consequence. L'argument qu'on
tire dans le meme sens, de la signification generate d'k'pu;, n'est pas sans
valeur, mais ne parait pas decisif. II est sur que e'pws est incontestable-
ment 1'amour profane, mais nombre de Peres grecs, & commencer par
Origene, 1'ont interpret6 ici dans le sens d'amour sacr6 : Mon amour
TEMOINS DE JESUS DANS I/HISTOIRE. 633-
Ces effusions, et le reste y repond, ne sont pas d'un homme-
s'exaltant, de tete, sur d'imaginaires souffrances. C'est un
condamne qui parle, en route pour son supplice, lie le jour et.
la nuit, remis a la discretion de dix soldats, dix leopards,
plut6t, d'autant plus mechants qu'on leur fait plus de bien 1 ..
Ignace, ainsi tourmente, se voit deja livre aux b^tes, et fait
de ses miseres une ecole ou il se forme. Qu'on n'aille pas;
s'imaginer d'ailleurs qu'absorbe par la pensee du martyre, le
saint oublie ce qu'il doit a ses freres. Ses lettres sont pleines-
de conseils et de doctrine; et d'abord de Jesus : il vient de-
denoncer aux Ephesiens les miserables semeurs d'heresie,
chiens enrages qui mordent en traltrise . Ou sera le re-
mede? II n'y en a pas deux :
Un seul medecin, chair et esprit,
engendre et non engendre,
Dieu fait chair,
Vie veritable au sein de la mort,
ne de Marie et ne de Dieu,
d'abord passible et ensuite impassible :
Jesus Christ Notre Seigneur 2 .
Jesus? II est 1'inseparable principe de notre vie la-
vie veritable hors de laquelle il ne faut rien aimer . II est
la connaissance de Dieu notre Dieu notre
unique maitre notre unite d'esprit notre commune
esperance . Ses paroles sont nos regies et notre lumiere;-
son silence me'me nous enseigne 3 .
c'est-a-dire J6sus a6t6 crucifi6. > L'excellent hel!6niste qu'est Ad. d'Ales-
ne craint pas, loc. laud., p. 122-125, de se rallier & ce sens, se r6f6rant h,
Gal., n, 19; mais le texte de la m6me 6pitre, selon lequel < le monde-
m'est crucifie, et moi au monde >, Gal., vi, 146, fait plus que contrepeser
cette autorit6. Sur la derivation du sens vers 1'araour sacr6, on peut voic-
G. Horn dans HAM, VI, 1925, p. 378-380.
1. Aux Romains, v.
2. Aux fiphesiens, v.
3. Aux EpMsiens, xv. Ce dernier mot, si frappant, temoigne de la.
sagesse de 1'eveque, en 6cartant de lui tout soupgon d'exaltation : dans
ce passage, Ignace deconseille toute profession de foi inutilement provo-
cante. II rappelle les vertus solides qui, dans un silence impost par la
prudence, ne laissent pas de precher FEvangile, tout de meme que Jesus
1'a preche non seulement quand il parlait, mais encore quand il se.
taisait : son silence est digne de son Pere, a l'6gal de ses paroles.
-634 JESUS CHRIST.
Temoin irre"pro enable, cet ardent ami du Christ fut en.
me'me temps le plus ancien theologien, apres Paul et Jean,
de 1'Eglise catholique. G'est dans les lettres de saint Ignace
<que I'^pithete glorieuse est jointe pour la premiere fois au
nom d'eglise :
Ou parait 1'eveque, la soit la communaute :
de mfone que, ou que soit le Christ, la est 1'rLglise catholique '.
Ainsi, Feveque incarne son Eglise particuliere, absolument
comme lagrande Eglise universelle est 1'incarnation continuee
du Fils de Dieu. Ne croirait-on pas lire un des champions de
1'unite ecclesiastique en notre temps : un Adam Moehler, un
Jacques Balmes, un Louis-Edouard Pie? Et ce n'est pas la un
mot lance en passant, un eclair dans la nuit. Les sept lettres
-d'Ignace sont remplies, Ton pourrait presque dire jusqu'a sa-
turation, par Fidee de 1'Eglise une, sainte, apostolique, hie-
rarchique, qui est pour lui comme le systeme meme du salut
dans tous les temps, sans en excepter le passe de 1'histoire
d'Israel 2 .
Traversons a regret Fere des martyrs : quelle moisson nous
pourrions y recueillir ! Voici du moins quelques formules du
pere de la tradition catholique, Irenee de Lyon. Contempo-
raines de Marc Aurele, ces doctrines ont nourri dans le Christ
1' admirable esclave Blandine et ses compagnons de supplice,
en 177. Elles definissent, en termes irreformables, cette
nouveaute, contenant toutes les autres, que Jesus nous a
apportee en sa personne 3 . Pourquoi est-il venu? A cause
<le son immense amour : il s'est fait ce que nous sommes pour
nous rendre enfin ce qu'il est 4 . Mais le Christ de 1'histoire,
1. A ux Smyrniotes, vm, 2. Je traduis r\ xaOoXixr} par le mot qui a pre-
valu, et qui exprime surement la pensee de 1'ecrivain. Le meme mot,
dans son sens exclusif, en comparaison avec ce qui pretend etre Chretien
sans etre catholique, se trouve pour la premiere fois, sauf erreur, dans
le Martyrium Potycarpi, xyi, 2 : voir A. Lelong, Les Peres apostoliques,
II, Paris, 1910, p. LXXI-LXXIII.
2. H. de Genouillac, L' Eglise ehretienne au temps de saint Ignace
tfAntioche, Paris, 1907, p. 106.
3. < Quid igitur novi Dominus attulit veniens ? Cognoscite quoniam
omnem novitatem attulit, semetipsum afferens. Adv. Haer., IV, 34,
1 ; MG, VII, col. 1083.
4. c Propter immensam suam dilectionem factus est quod sumus nos,
TEMOINS DE JESUS DANS I/HISTOIRB. 635
1'humble Jesus des jours de la chair, est-il le Verbe exalte au-
dessus de tout ? Ou Men le premier n'a-t-il e'te que 1'occasion
pour les hommes d'incarner leur ideal religieux? Le premier
est le vrai, n'en doutez pas : G'est bien cette vieille chair tiree
par Dieu, en Adam, du limon de la terre , qu'a assumee le
Verbe de Dieu. Les gnostiques ont beau dire ; ils ont beau
diviser ce que Dieu a uni : G'est bien 1'unique et le m&ne
qui est Verbe et Fils unique, et Vie et Lumiere, et Christ et
Fils de Dieu; et c'est le meme qui s'est incarne pour nous...
c'est le Verbe meme de Dieu, incarne, qui a ete pendu au
bois de la croix 1 . Ne rougissons pas de ces abaissements
qui sont pure misericorde ; en rapetissant I'lmmense a la me-
sure d'un esprit d'homme, ils etaient la condition pour que
nous atteignit le Verbe divin, et, plus encore, pour que nous
1'atteignissions : G'est pourquoi, auxpetits que nous sommes,
le pain substantiel du Pere s'est donne lui-meme comme un
lait... c'est pourquoi le Fils de Dieu a fait le petit enfant avec
rhomme, lui le parfait, non a cause de lui, mais se rendant
ainsi capable de la petitesse humaine, pour que rhomme devint
aussi capable de lui 2 .
Puisqu'il faut choisir parmi les Peres, interrogeons, au
debut du Y siecle, le grand coaur d'Augustin de Thagaste. Le
fils de Monique nous a dit lui-meme pourquoi, durant les neuf
annees d'egarement au cours desquelles, ses etudes achevees,
il resta empetre dans les rets des Manicheens, son esprit ne
put trouver le repos en aucune philosophic profane. Le
nom de mon Sauveur, votre Fils, (6 mon Dieu), c'est par
le lait de ma mere que mon coeur tendre en avait ete im-
pregne jusqu'au fond. La ou manquait ce nom, nonobstant
toute litterature, toute beaute, toute vraisemblance, je n'etais
pas pleinement conquis 3 .
Aussi quand apres des annees de lutte et cette conversion
uti nos perficeret esse quod est ipse ; Adv. ffaer., V, Praefatio, MG,
VII, col. 1120.
1. Seep!- 8e IdTtv v) ap/^ai'a ex. TOU y u ou xata TOV 'ASajji r] yeyovuia TtXaai? 67:6 TOVJ
6eou, xrX.; Adv. Haer., I, 9, 3; MG, VII, col. 544; coll. V, 18, 1, col.
1172.
2. Adv. Haer., IV, 38, 1 et 2, MG, VII, col. 1106, 1107.
3. Conftssiones, III, 4, 8.
636 JESUS CHRIST.
memorable, Augustin s'est lentement degage des brumes de
1'intelligence, et arrache, tout meurtri et saignant, aux liens
de chair, Jesus devient le point d'orientation de son ame 1
et son etoile du matin. Homme, il est 1'unique voie pour aller
au Pere; Dieu, il est le terme et la patrie des esprits. II est
le Verbe divin : c'est 1'aspect qui retient surtout la pensee
theologique du docteur; mais le Christ humilie dans Tlncar-
nation, le Christ exemplaire et professeur d'humilite, est
1'objet de s a predilection marquee 2 . Auxpieds du Maitre humble
et doux, la superbe humaine, autrement invincible, se de-
gonfle etmeurt; 1'homme veritable, dont la premiere demarche
est de se mettre a sa place, peut naitre. Platoniciens, neo-
platoniciens, sectateurs de Mani, mauvais maitres! A tous
manqua 1'exemple de l'humilite divine ; aussi ces conduc-
teurs d'aveugles sont-ils restes aveugles. Voulez-vous la force
d'accomplir ce qui se presente a vous comme bon et meil-
leur? Cherchez-vous la grace d'egaler votre conduite a votre
ideal? Vous chercherez en vain, loin du Christ humilie :
croyez-en mon experience : J'etais en que'fce de la force
necessaire, et je ne trouvais pas..., car je ne tenais pas
encore entre mes bras mon Seigneur Jesus, humble eleve
d'un humble Maitre : non enim tenebam dominum meum
lesum, humilis humilem 3 .
L'amant impenitent de la beaute qu'est Augustin va-t-il
6tre sevre de ce qu'il a tant goute jadis? La simplicite des.
evangiles, les paradoxes du sermon sur la montagne, et, pour
tout dire, le Christ crucifie, la maigre image d'un Dieu ti-
raille par des clous 4 , cela est rude, et ne croyons pas.
qu'Augustin ne 1'ait pas eprouve. Mais non, le Christ est beau :
Si tu consideres la misericorde qui 1'a amene la, il est
beau, m^me la. Beaute toute morale? Elle est encore
intellectuelle : il faut comprendre, essayer de comprendre la
demarche du Verbe incarne, etonlatrouvera belle, tres belle :
1. Et. Portalie, Augustin, dans DTC, I, 2, col. 2361.
2. OttoScheel, Die Anschauung Augustins tiber Chris ti Person vnd Werk,
Tubingen, 1901, p. 347 suiv. On trouvera les textes, auxquels on fait
allusion ici.
3. Confe&siones, VII, 18, 24.
4. Ernest Renan,jPanc<?, dans Fragments intimes et romanesques, p. 96.
TEMOINS DE JESUS DANS I/HISTOIRB. 637
intellegentibus autem et Verbum caro factum est, magna
pulchritude est . Est-ce assez? L'homme profane n'ira
pas plus loin : mais le fidele a des yeux nouveaux, et plus
percants : Pour nous, croyants, 1'Epoux est beau, ou qu'il
apparaisse. II est beau comme Dieu, Verbe aupres de Dieu;
beau dans le sein de la Vierge ou, sans perdre sa divinite,
il assume une nature humaine. II est beau, le Verbe petit
enfant, meme quand il est sans parole, quand il suce le lait
maternel, quand on le porte dans les bras... II est beau au
ciel, et sur terre, beau dans le sein et dans les mains de ses
parents; beau quand il opere des prodiges et quand il s'offre
aux fouets; beau quand il invite a la vie, et quand il meprise
la mort; beau quand il depose son ame et quand il la reprend :
beau sur le bois de la croix, beau dans le sepulcre, beau dans
le ciel. Gomprenez le cantique 1 en esprit, et que rinfirmite
de la chair ne detourne pas vos yeux de la splendour de sa
beaute 2 .
En Dieu m6me, c'est la sagesse substantielle du Pere, la se-
conde personne de la Trinite" sainte, c'est le Fils qui, au
moment supreme de sa contemplation,, ravit Tame d'Augustin :
En ce Principe, 6 Dieu, tu fis le ciel et la terre; en ton
Verbe, en ton Fils, en ta Vertu, en ta Sagesse, en ta Verite :
merveilleusement dit, merveilleusement fait... Qu'est cela
qui pour moi luit par intervalles et me porte sans blessure un
coup au cceurPJe ressensun effroi qui m'interdit et ensemble
une ardeur qui m'enflamme : effroi pour autant que je ne lui
ressemble pas; ardeur pour autant que je lui ressemble. G'est
la Sagesse, la Sagesse me'me qui pour moi luit par inter-
valles, fendant ma nuee, laquelle de nouveau me couvre,
tandis que je defaille sous ces tenebres et sous I'amas de
mes peches 3 .
1. Le cantique est le Psaume XLV (XLIV) que commente Augustin.
2. Enarrationcs in Psalmos, In Psalm, xciv, 3; ML, XXXVI, col. 495,
496.
3. Confessiones, XI, 9, 11 : Et inhorresco et inardesco : inhorresco
in quantum dissimilis ei sum ; inardesco, in quantum similis ei sum.
Sapientia, Sapientia ipsa est, quae interlucet mihi. >
Ce passage admirable, dont je dois la traduction a L. de Mondadon,
est commente par Dom C. Butler, Western Mysticism 2 , London, 1927,
p. 63 suiv., qui observe justement qu'Augustin use du vocabulaire plato-
638 JESUS CHRIST.
Peut-etre est-ce an livre de La Sainte Virginit6 qu'il faut
chercher les plus touchantes effusions du fils de Monique. II
anticipe la ce que les plus suaves amis du Christ diront de
meilleur. Pourquoi ne pas citer les mots d'une emouvante et
melancolique beaute par lesquels Augustin souhaite a de plus
heureux que lui la seule nuance d'intimite avec son Maitre
que son passe lui interdise?
Get Agneau, dit-il en commentant un texte celebre de 1'Apoca-
lypse, cet Agneau marche dans un chemin virginal. Comment
pourraient le suivre la ceux qui ont perdu un don qui ne se peut
retrouver? Vous, suivez-le, a la bonne heure, vierges du Christ...
Suivez-le, en gardant avec perseverance ce que vous avez voue dans
1'ardeur de vos ames... Toute la multitude des fideles qui ne peut
en cela suivre I 1 Agneau vous verra : elle vous verra et ne vous en-
viera pas; et, en se rejouissant avec vous, elle trouvera en vous ce
qu'elle ne possede pas en elle-meme l .
La derniere parole, toute paulinienne, montre a quel point
le grand Africain sentait la douceur de la communion des
saints. Le contraire eut-il ete possible ? G'est a 1'Eglise
qu'Augustin se reconnaissait redevable de 1'Evangile, c'est-
a-dire de Jesus : J'ai cru a 1'Evangile sur la predication
des catholiques 2 . Ge n'est pas la un hommage ephemere :
toute la vie de 1'adversaire implacable des donatistes, de 1'au-
teur du De unitate ecclesiae, du De moj^ibus ecclesiae caiho-
licae, est un hymne a la Catholica*. Les theologiens protes-
tants sont les premiers a donner au lils de Monique le titre,
entendu ici au sens litteral et plein du mot, de docteur de
1'Eglise 4 . Toutes les convictions catholiques se formulent
nicien aussi naturellement et de franc coeur que saint Thomas de celui
d'Aristote > ; p. 86, 87. Le meme passage est une des colonnes du livre de
R. Otto, Das Heilige, ch. v.
1. De sancta virginitate, ML^lAl, col. 412.
2. Ipsi evangelic catholicis praedicantibus credidi ; Contra epistulam
Fundamenti, V, 6; ML, XLII, col. 176. C'est par cette parole qu'il faut
commencer pour penetrer le vrai sens du mot celebre : Evangelic non
crederem nisi me catholicae ecclesiae commoveret auctoritas. > Voir
L. de Mondadon, Bible et Eglise dans I'Apologetique de saint Augustin,
dans HSfi, II, 1911, p. 217 suiv.
3. Voir ci-dessus, p. 614, note 2.
4. Voir par exempleAd. von Harnack, LehrbuchderDogmengeschichte*,
III, p. 77 suiv. ; p. 143 suiv. ; et sur 1'ensemble, P. Batiffol, Le Catholi-
cisme de saint Augustin, Paris, 1920.
TEMOINS DE JESUS DANS l/HISTOIRE. 639
chez lui avec une plenitude et une energie incomparables.
Jeanne d'Arc retrouvait les mots d'Augustin quand, harcele&
de difficultes captieuses, elle repondait a ses juges : que luy
est advis que c'est tout ung de Nostre Seigneur et de 1'Eglise r
et qu'on n'en doit point faire de difficulte 1 . L'Eglise, dit
encore I'eve'que, c'est le Christ visible, motif permanent de
croire a la mission divine du Christ presentement invisible :
Regardez-moi, vous dit 1'Eglise, regardez-moi : vous me voyez,
voulussiez-vous ne pas me voir. Ceux qui dans ces temps-la, sur la
terre de Judee. furent dociles a la foi, purent apprendre de la Vierge
la nativite merveilleuse, et la passion, la resurrection et 1'ascen-
sion du Christ : presents, ils apprirent comme presentes toutes
ces choses divines, actes et paroles. Vous ne les voyez plus, et
pour cela vous refusez de croire. Regardez-moi done, tournez vos
regards et vos reflexions sur ce que vous voyez, sur ce qui n'est
pas narration du passe ou annonce de 1'avenir, mais ostension du
present 2 .
Qu'ont dit de plus le cardinal Dechamps et les Peres du
concile du Vatican? II n'est pas jusqu'a 1'adage : Hors de
1'Eglise pas de salut , auquel Augustin ne fasse echo, en
soulignant du reste le cote volontaire et coupable de 1'etat
ainsi reprouve 3 .
A peine d'une generation plus jeune qu'Augustin, mais dans
un cadre combien different, aux ultimes confins de ce monde
1. Pierre Champion, Proces de Condamnation de Jeanne d'Arc, seance
du 17 mars 1431, matin; Paris, 1920, I, p. 142; II, p. 101. Textes augusti-
niens : Christi et ecclesiae unam personam ; praedicat ergo Christus
Christum, praedicat corpus caput suum ; totus Christus caput et
corpus est ; De Doctrina Christiana, III, 31 ; Sermo CCCLIV, 1 ; De-
unitate Ecclesiae, 7. Voir L. de Mondadon, RSR, II, p. 569 suiv.
2. Me attendite, vobis dicit ecclesia, me attendite quam videtis, etiam-
si videre nolitis, etc. > De fide rerum quae non videntur, IV, 7 ; ML, XL,
col. 176.
3. Saint Augustin distingue des autres .les heretiques de bonne foi :
Ceux qui defendent leur opinion, encore qu'elle soit erronee et perverse,
mais qui la defendent sans s'y obstiner, surtout quand cette opinion n'est
pas le fruit d'une temeraire presomption personnelle, mais 1'heritage
recu de parents seduits et tombes dans 1'erreur, et qui cherchent d'ailleurs
la verite avec scrupule, prets a se corriger des qu'ils 1'auront trouvee, ne
sont nullement a tenir pour heretiques > (an sens formel du mot);
Epistul. 43, 1. Voir d' autres textes dans P. Batiffol, Le Catholicisme de
saint Augustin, Paris, 1920, p. 241.
640 JESUS CHRIST
remain dont Tecroulement sous les coups des barbares avait
inspire au grand docteur son livre De la Cite de Dieu,
I'ap6tre d'Irlande, saint Patrice, resumait a 1'usage de ses
rudes convertis, en langue celtique et sous une forme amie
de la memoire, toute sa predication de Jesus. Un grand
nombre d'imitations temoignent de 1'efficacite de cette cui-
rasse spirituelle, pour adapter aux besoins d'un peuple
encore peu capable d'abstraction, la doctrine de la primaute
universelle du Christ et la vie dans le Christ Jdsusi
Le Christ avec moi, le Christ devant moi, le Christ derriere moi,
le Christ au dedans de moi, le Christ au-dessous de moi, le Christ
[au-dessus de moi.
Le Christ a ma droite, le Christ a ma gauche ;
le Christ dans la forteresse,
le Christ sur le siege du char,
le Christ sur la poupe du navire ;
le Christ dans le coaur de tout homme qui pense a moi,
le Christ dans la bouche de tout homme qui parle de moi,
le Christ dans tout ceil qui me voit,
le Christ dans toute oreille qui m'entend ' !
Quelques annees apres la mort du grand Breton, naissait a
Nurcia 2 , vers 480, 1'homme sage, pacifique, Romain au sens
le plus grand du mot, qui, par lui-me'me et son innombrable
posterite spirituelle, a fait autant qu'homme au monde pour
que le monde restat ou devint chretien. De cet ap6tre
1. Cette priere est appel^e lorica, la cuirasse, parce qu'elle preserve
des traits du diable. Voir Healy, The Life and Writings of St Patrick,
Dublin, 1905; G. Dottin, Les Livres de saint Patrice, Paris, 1909, p. 56,
donne pour le < cri du daim, Fedh Fiadha , dont ce rythme est un frag-
ment, un texte legerement different. Sur 1'ensemble, L. Gougaud, Etude
sur les loricae celtiques, dans le Bulletin d'ancienne Litte'rature et dArche'o-
logie chretiennes, 1911, p. 271, 272; 1912, p. 106-110; et Acta Sanctorum...
Novembris IV, 1925, p. 155-157.
2. VoirDom S. du Fresnel, Saint Benoit; I'ceuvre et I'dme du Patriarche,
'Paris-Maredsous, 1926. On trouvera au debut de cet excellent resume,
p. xvm-xix, la bibliographie essentielle. Je depends surtout, pour ces quel-
ques lignes, de Dom G. Morin, Uideal monastique et la vie chre'tienne,
des premiers jours 3 ; Dom Cuthbert Butler, Benedictine Monachism,
London, 1919, trad. fr. Ch. Grolleau, Paris, 1924; Dom Columba Mar-
'mion, Le Christ, ideal du moine, Maredsous, 1922 ; et du Commentaire sur
la r egle de saint Benoit*, par Dom Paul Delatte, Paris, 1913.
TEMOINS DE JESUS DAWS I/HISTOIRB. 641
insigne, nous avons un portrait passant toute hagiographie :
la Regie qu'il a lui-me'me composee, d'apres les monuments
anciens, mais en y mettant sa marque sobre, discrete et
geniale. Le programme de vie be'nedictine est simple : wpriere
quotidienne, pain quotidien, travail quotidien, chaque jour
ressemblant au precedent, sauf qu'il rapproche d'une etape
du grand, du dernier jour . Ges paroles de Newman 1 resu-
ment assez bien ce que saint Benoit appelle le saint service ;
une ecole du (Service du Seigneur ; une institution dans la-
quelle rien de trop dur ni de trop lourd n'est impose . Gette
moderation exemplaire, autant que le sens de la ve>ite evan-
gelique, et la naturelle et ferme souplesse d'un cadre fami-
lial, sous Tautorite presque discretionnaire mais spirituelle et
pateraelle de 1'abbe, explique I'-immense succes de la Regie
benedictine. Elle n'est au fond que la vie chretienne men^e
en commun, avec juste ce qu'impose de sacrifices et tout ce
que propose d'ideal cette vie, a un homme qui a quitte le
siecle, et suivi Jesus.
Suivi Jesus, car le conseil evangelique est a .la base, avee
ses deux faces, sdparante et unissante :
A saeculi artibus se facere alienum.
Nihil amori Christi praeponere 2 .
Gette derniere injonction est si importante que le l^gisla-
teur y revient en finissant : Favant-dernier et admirable
chapitre de la Regie, sur le bon zele que doivent posseder
les moines entendez ici par zele ce qui dans une vie
1. Mission of St Benedict 3 , dans Historical Sketches, II. II va sans dire
que le portrait trac6 par Newman appelle, comme sa connaissance de
1'histoire benedictine, des reserves.
2. Regula, IV, 20, 21. La Regie a 6t6 excellemment traduite par Dom A.
Wilmart, Paris, 1926. Les maximes citees ici, empruntees au chapitre
capital des directions generates (Quae sint imtrumenta honnrum operum)
peuvent etre traduites : c Se rendre etranger aux oeuvres du siecle ; ne rien
faire passer avant I'amour du Christ. La seconde est un echo de saint
Cyprien, De Oratione dominica, 15; elle formule si blen la religion de
Jesus que les Chretiens parfaits la retrouventd'instinct; ainsi Jeanne d'Arc :
Interrogata utrumne credit quod ipsa sit subjecta Ecclesiae quae est in
terris, etc... respondit quod sic, Domino nostro primitus servito, gallice
Notre-Seigneur premier servi ; Proces de condamnalion, 31 mars 1431,
ed. Pierre Champion, Paris, 1920, I, p. 261 ; II, p. 199.
jSUS CHRIST. H. 41
642 JESUS CHIUST.
htimaine est le moteur intime, 1'ardeur secrete, la passion,
1'amour enfin reprend ces mots comme un viatique et un
refrain : Crainte de Dieu, soumission cordiale a 1'Abbe
(car il est ici-bas le pere, image et lieutenant du Pere ce-
leste), et enfin ne rien faire passer avant 1'amour du Christ;
rien absolument : Christo omnino nihil praeponant . La est
le foyer cache", la 1'aiguillon d'une vie ou saint Benoit pro-
pose comme ideal de chercher Dieu, mais serieusement :
si revera Deum quaerit , et, pour cela, d'y tendre sans exal-
tation, avec mesure et sobriete, dans la paix. Non un laisser-
aller qui n'en est que la contrefacon, mais la liberte inte"rieure T
la subordination acceptee des freres, qui met a sa place
chaque action, et chaque desir a son rang. Le mot quasi sacra-
mentel de la vie benedictine est PAX, autant dire Jesus, car
aussi bien c'est lui qui est notre paix : ipse enim est pax
nostra .
2. Le Moyen Age.
Gette paix chretienne, avec un esprit de suave liberte spi-
rituelle, respire dans la devotion benedictine et ses filiales T
monde extraordinairement varie, de saint Gregoire le Grand
au severe Pierre Damien, efc de 1'admirable archevdque
Anselme de Cantorbery aux grandes moniales saxonnes-
d'Helfta, Mechtilde et Gertrude. Alors s'ouvre une ere ou
nous rencontrons les amis de Jesus les plus tendres, peut-
etre, dont 1'histoire fasse mention. Les plus nombreux aussi ;
et qu'on a de peine a choisir dans cette foule de toute race,
de toute langue efc de toute nation ! Quels temoins plus qua-
lifies pourtant que Hugues et Richard de Saint-Victor an
xii' siecle; saint Thomas et saint Bonaventure, au xm e ; puis
la bienheureuse Leila de Foligno avec sa troupe, sainte Cathe-
rine de Sienne et sa brigade ? Franciscains, Chartreux,
Freres et Soeurs de la Penitence de saint Dominique, Cister-
ciens, Servites, Premontres, Amis de Dieu, reclus, seculiers,
tertiaires allument a travers la chretiente, du sud au nord,
depuis la Sicile jusqu'a 1'Angleterre et a la Suede lointaine,
en illuminant d'un eclat magnifique les deux bords du Rhin
et Timmense delta de ses affluents, des foyers lumineux et
brulants. Un peu plus tard, le debut du douloureux xv e siecle
TEMOIN3 DB JESUS DANS I/HISTOIRE. 643
sera e'claire, en France, par Jeanne d'Arc et sainte Colette
de Corbie. Les pieces qui permettront d'ecrire 1'histoire
authentique de cette prodigieuse floraison spirituelle ne sont
pas encore toutes publiees 1 .
Dans cette elite d'amis de Jesus, apres avoir salue 1'auteur
de la premiere Vie du Christ, le Saxon Ludolphe le Char-
treux, distinguons seulement, en raison du caractere de leur
pie'te', Bernard de Clairvaux et Francois d'Assise, qui sont
aussi bien, en cette matiere, les chefs de chceur incontestes.
Faut-il appeler leur devotion, d'un mot qui a fait fortune en
notre temps, christocentrique? Dans leur amour pour Jesus,
le trait le plus notable est, en tout cas, la part faite a 1'appli-
cation individuelle de la redemption : II m'a aime! II s'est
livre pour moi! L'accent est mis, en consequence, sur la
contemplation des mysteres de la vie terrestre du Seigneur.
S'y rendre present par le recueillement; se les rendre pre-
sents par la lecture de TEvangile, les commemorations de la
sainte liturgie, la meditation des figures et symboles du
Vieux Testament, la restitution de scenes ou I'imagination
cherche moins 1'exactitude historique ou la couleur locale
qu'un cadre pour limiter son inquietude : tout cela -est assu-
rement aussi ancien que le christianisme. L'Orient chretien
s'y est applique a 1'envi de notre Occident 2 ; mais alors, et
en grande partie sous 1'influence de Bernard et de Francois,
ces pratiques se sont intensifiees, popularisees, organisees en
methode.
Apres 1'avoir pratiquee pour son compte, Bernard en parle
ainsi dans ses fameux Sermons sur le Cantique des cantiques,
sources tres pures de vie spirituelle et mystique. Familier
du langage biblique, le saint compare ses meditations sur les
souff ranees de son Maltre a un bouquet de myrrhe. Ge bou-
quet,
Je le composai de toutes les amertumes et de toutes les angoisses
de mon Seigneur, d'abord de ses souilrances d'enfant, puis des
1. Un premier depouillement dans le second volume de La Spiritualite
chretienne de P. Pourrat, Le Moyen Age 4 , Paris, 1925. Les monographies
sont innombrables.
2. Premieres indications dans N. von Arseniew, Oslkirche und Mystik,
Mflnchen, 1925.
644 JESUS CHRIST.
labeurs et des fatigues qu'il endura dans ses courses et sespre'di-
cations, de ses veilles dans la priere, de ses tentations dans le desert,
de ses larmes de compassion,... des injures, des crachats, des
soufilets, des sarcasmes, des moqueries, des clous... Et parmi ces
menues tiges de myrrhe odorante, je n'oubliai pas de placer la
myrrhe dont il fut abreuve sur la croix, ni celle dont il a ete oint
pour sa sepulture. Tant que je vivrai, je savourerai le souvenir dont
leur parfum m'a impregne... C'est en ces mysteres que resident la
perfection de la justice et la plenitude de la science... C'est pour
cela que je les ai souventa la"bouche, vous le savez, toujours dans
le coeur, Uieu le sait et tres frequemment au bout de ma plume,
mil ne 1'ignore *.
L'efficacite de cette pratique, Bernard 1'explique en un
autre sermon, le vingtieme : quiconque aime le Christ,
Quand il prie, 1'image sacree de rHomme-Dieu est devant lui : il
le voit naitre, grandir, enseigner, mourir, ressusciter et monter au
ciel, et toutes ces images allument necessairement dans son coeur
Tamour de la vertu, et apaisent les desirs mauvais.
Bernard parle ailleurs de la grande et suave blessure
d'amour : grande et suave vulnus amoris : on voit si TEsprit
Saint avait navr^ son coeur de cette blessure pour Jesus de
Nazareth.
Faut-il rappeler apres cela que ce grand mystique fut un
prodigieux homme d'action, et que, synthese de son siecle ^
il personnifie tout le systeme politique et religieux d'une
epoque... dominee par le pouvoir moral de 1'Eglise 2 ? L'his-
torien liberal auquel j'emprunte ces mots, apres un tableau
des contrastes qui font de la figure de saint Bernard le plus
etonnant des hommes du moyen age, ajoute : Qui dit con-
traste ne dit pas incoherence. Une logique secrete en saint
Bernard, concilie tout et les contradictions ne sont qu'appa-
rentes; logique fondee d'abord sur la foi, une foi absolue qui
n'admet aucun temperament; puis sur 1'idee que Bernard se
faisait de I'mtere't superieur de 1'Eglise. G'est la le criterium
supreme, le principe auquel il subordonne tous ses actes,
auquel il sacrifie sans pitie ses propres inclinations, ses
affections les plus cheres, les inter^ts particuliers de ses
1. Sermo 43 in Cantic., 4. Trad. E. Vacandard, Vie de saint Bernard.
2. Achille Luchaire dans UHistoire de France d'E. Lavisse, II, 2, p. 266.
TEMOINS DE JESUS DANS I/HISTOIRE. 645
amis... et jusqu'a la cohesion interieure de sa pense"e et de
sa conduite... tout s'efface a ses yeux devant le bien general
del'Eglise*!
C'est egalement de la vie humaine et terrestre du Christ
que partit Francois d'Assise. Bien different du grand moine
de Glairvaux, il ne fut ni savant, nitheologien, ni me'me prtre.
Sa courte existence ne lui permit pas d'accomplir person-
nellement les ceuvres immenses d'apostolat qui ont illustre la
vie d'un Vincent Ferrier ou d'un Francois Xavier. Humble-
ment soumis aux autorites de 1'Eglise, il n'ambitionna jamais
le titre de re'formateur; et cependant les ames religieuses,
unanimement, onfr reconnu et saluent en lui un he"ros incom-
parable de I'Esprit. Or c'est par la contemplation du Sauveur
et Peffort perseverant d'une imitation qui put paraltre aux
superficiels litt^rale a 1'exces, que Francois s'eleva si haut. II
finit par dtre a ce point pen^tre de 1'esprit, de Tamour, des
enseignements, soufFrances et predilections de son Maltre,
qu'il apparut aux hommes de sa generation et n'a pas cesse
de nous apparaitre (c'est le secret de son incomparaible ascen-
dant) comme un autre Jesus. Un disciple plus zel& que sage,
Barthe'lemy de Pise, a souligne" jusqu'a 1'outrance legendarre
les conformites de la vie de Francois avec celle du Christ 2 .
Exagerations inutiles : ce n'est pas dans les traits materiels
que cette conformite eclate; elle est ailleurs et plus pro fonde.
Doux et humble de coeur, pauvre comme les oiseaux du ciel,
simple comme un enfant, tressaillant de joie dans 1'humilia-
tion et la souffrance, vivant commentaire des huit beatitudes,
le Poverello d'Assise pouvait dire qu'il ne vivait plus : le
Christ vivait en lui. Les stigmates furent chez lui plutdt effet
que cause ; ils consommerent dans la chair du saint une confi-
guration deja accomplie en esprit.
Quelle vive flamme d'amour jaillit de 1'ame et des ievres
1. A. Luchaire, ibid., p. 267.
2. De Conformitate vitae beati Francisci ad vitam Domini lesu, 6crit
entre 13S3-1390; r66dition dans les Analecta Franciscana de Quaracchi,
1906-1912. II va sans dire qu'on n'attendit pas jusque-la pour souligner cette
C5onformit6 : elle est exploit6e dans la seconde Legenda de Th. de Celano,
redigee avant 1250. Voir I'etude de M. Beaufreton sur les sources de la
Tie de saint Frangois, dans Saint Francois d'Assise, Paris, 1925, p. 275 SUIT.
646 JESUS CHRIST.
de Francois, tous ceux-la le savent qui ont lu quelque vie
moderne de ce grand ami du Christ. On ne comprendra rien
a cette vie, dit excellemment G. K. Chesterton, tant qu'on ne
verra pas que sa religion e'tait, pour ce grand mystique, non
pas quelque chose d'abstrait et d'ideal oomme une theorie,
mais une affaire de cceur, et 1'amour d'un e'tre reel 1 . Cons-
ciemment, continument, il voulut vivre comme son Maitre,
avcc son Maitre, de son Maitre. Sa Regie, telle qu'il la
concut, n'est que 1'Evangile en action; elle etait d'abord
composee presque exclusivement de versets empruntes a saint
Matthieu. Et quand le nombre croissant des Freres, les ne"ces-
sites d'apostolat, les miseres humaines eurent impose une
serie d'additions, de corrections et de precisions, ce sont
encore les expressions inspirees qui dominent. Jusque dans
1' effusion sublime qui termine la Regula prima, unceil attentif
discerne, sous les images et les appels tendrement passionne's,
la lettre evangelique affleurant partout, comme le roc dans
une prairie de montagne. Et quelles prieres !
Qui es-tu, mon cher Seigneur et Dieu, etqui suis-je?le plus hum-
ble des vers de terre entre tes serviteurs ?
Mon Seigneur bien-aime", combien je voudrais t' aimer! Mon Sei-
gneur et mon Dieu, je te donne mon coeur et mon corps mais
avec quelle joie je voudrais faire davantage, par amour pour toi, si
je savais comment!
Jamais Francois ne separe le Fils du Pere : au point culminant
de sa carriere, sur le mont Alverne, c'est encore Jesus, et
Jesus crucifie, qui 1'introduit dans le secret du roi et la
grande joie divine. Jusqu'au bout cefc illustre serviteur de
Dieu resta Tadorateur extasie du Maitre de Nazareth 2 .
Mais ce Maitre, cela est bien notable, Francois ne va pas
le chercher par sa route a lui, guide par son seul amour, hors
des sacrements, doctrines et traditions ecclesiastiques. La-
dessus, le theologien evangelique F. Heiler dit justement que
Frangois est le modele du saint catholique. Tous les traits
1. G. K. Chesterton, Saint Francois d'Assise, tr. I. Riviere, Paris, 1925,
p. 13 suiv.
2. Les oeuvres authentiques du saint ont et6 discernees et parfaitement
editees a Quarracchi. Opuscula sancti Patris Francisci, 1904; tr. Ubald
d'Alen$on, Paris, 1905.
TEMOINS DE JESUS DANS L ? HISTOIRE. 647
-de l'ide*al de saintete catholique sont visibles sur sa face. Toute
la richesse de la piete catholique vit dans son ame large et
grande; les puissantes antinomies religieuses que la chretiente'
catholique embrasse sont manifestoes dans sa vie interieurc
-et exterieure. Qui veut faire connaitre le catholicisme a un
lalque pieux, simple et sans theologie, doit retracer devant
lui la figure du Pauvre d'Ombrie. Frangois n'est nullement
un demi-here'tique ; nullement un reformateur, encore moins le
heros d'une religiosite moderne ; bien plutdt un exemplaire
acheve de la piete catholique, dont Teclat rayonnant ne s'est
point, jusqu'a cette heure, affaibli 1 . G'est qu'il savait que
nul n'aura Dieu pour Pere s'il n'a 1'Eglise pour mere 2 . A
mainte reprise il proteste done de sa soumission pleine et par-
faite a Tautorite; il impose cette soumission a ses disciples;
il exalte la ne*cessite de 1'intermediaire autorise, consacre, du
pretre catholique, en des termes ou 1'allusion aux terribles
<abus du temps met une note vraiment heroiique :
La regie et la vie des Freres mineurs est celle-ci, a savoir d' ob-
server le saint Evangile de Notre Seigneur J6sus-Christ. . . Frere
Frangois promet obeissance et reverence au Seigneur pape Honorius
et a ses successeurs canoniquement elus et a 1'Eglise romaine 3 . Que
<nul des Freres ne preche centre la forme ct les regies de la sainte
Eglise romaine... que tous les Freres soient catholiques et qu'ils vi-
vent et parlent en catholiques. Si 1'un peche centre la foi... catho-
lique... et ne s' amende pas, qu'on le chasse absolument de notre
fraternite 4 .
Le Seigneur m'a donne a moi, Frere Frangois, la grdce de com-
mencer ainsi a faire penitence... le Seigneur me donna et me donne
encore une si grande foi aux pretres qui vivent selon la forme.de la
sainte Kglise romaine, a cause de leur caractere, que, s'ils me per-
secutaient, c'est a eux-memes que je veux recourir. Et si j'avais au-
tant de sagesse que Salomon, et si je trouvais des pauvres pre" tres
de ce siecle, je ne veux pas prcher contre leur volonte dans les pa-
roisses oil ils demeurent. Et eux ettous les autres, jeveux les craindre,
les aimer et les honorer comme mes seigneurs ; et je ne veux pas
1. Fr. Heiler, Der Katholizismus, seine Idee und seine Erscheinung,
Miinchen, 1923, p. 133, 134.
2. Saint Cyprien, De Unitate Ecclesiae, ML, IV, 508.
3. R&gle des Freres Mineurs, texte de 1223, n. 1 ; tr. Ubald d'Alengon,
^oc. laud., p. 81.
4. Wqle des Freres Mineurs, texte de 1210-1221, n. 17 et 19; tr. Ubald
d'Alencon, p. 63 et 66.
648 JESUS CHRIST.
consid6rer en eux le peche'i car je discerne on eux le Fils de.Dieu et
ils sont mes seigneurs * .-
Dans les temps qui suivirent, fin du moyen age, Renais-
sance, reformation catholique, 1' amour des chre*tiens pour leur
Dieu rec.ut sa norme et ses formules, et 1' experience reli-
gieuse ses expressions principales, d'ouvrages plus elabore's.
Le plus lu, le plus influent et de beaucoup le plus touchant
est le traite : Du Mepris du monde , ou do L'internelle
consolation , mieux appele Limitation de Jesus Christ. QEu-
vre probable du moine rhenan Thomas de Kempen, a peu pr6s
contemporain de Jeanne d'Arc, un peu anterieur a sainte Ca-
therine de Ge"nes, cet admirable livret sort en tout cas de
1'Ecole dite de Windersheim, congregation fondee pres de
Deventer, dans les Pays-Bas neerlandais, et reunissant aux
Fr&res de la vie commune des chanoines reguliers de saint
Augustin.
Le but de cette somme de vie spirituelle, car e'en est une,
et elle resume dans sa succulente brievete les legons essen-
tielles de la grande ^poque anterieure, est de montrer dans
la vie et les legons de Jesus la regie d'ime vie interieure
parfaite. L'auteur y a reussi. Visant avant tout les moines,
ses confreres, Thomas atteint par surcrott tout ce qui porte
un cc3ur d'homme. On peut dire de lui, comme de son Mai-
tre : a Tous ceux qui sont pour la ve"rite, aux depens de leur
egoi'sme,, ecoutent sa voix. Dans une latinite affranchie du
moule classique,. encombree de termes familiers, suivant, sans
aucun souci de methode, un plan tres lache, ou se succedent
en gros les trois etapes de la vie spirituelle : purification, re"-
forme de Tame, transformation et union (le quatrieme livre
est un supplement eucharistique), son petit traite contient,
avec les plus solides lemons d'ascetisme et les analyses les
plus deliees, des effusions brulantes. Est-il rien de beau comme
1'eloge de 1'amour, au livre IIP? Mais, qu'on y prenne garde,
c'est Tamour de Jesus qui 1'a inspire, ce noble amour de
Jesus qui pousse au grand et excite sans relache au desir du
par fait .
Rien de plus doux que 1'amour, et rien de plus fort. Rien de plus
1. Testament de saint Francois, ibid., p. 94, 95.
TEMOINS DE JESUS DANS I/HISTOIRB. 649
haut, de plus large, de plus delicieux, de plus plein ni de meilleur
au ciel ou sur terre... Gelui qui aime vole, court, est en Hesse; il;
est libre et ne connait pas d'entraves. II donne le tout pour le tout...
11 ignore souvent la mesure, passe les limites, n'estime rien impos-
sible.
Ah !' mon Seigneur bien-aime, chanter le cantique d' amour, vous
suivre en haul! DeTaillir en vous louant dans la jubilation de ma
tendresse. Vous. aimer plus que moi, ne m'aimer qu'en vous 1 ...
3. Les Temps Modernes.
Plus didactiques, plus refMchis, les livres qui ont oriente
et forme la piete moderne n'offrent pas d'autre doctrine que
celle de limitation : doctrine mise en drame 2 et reduite en
legons precises dans 1'es Exercices spirituels de saint Ignace
de Loyola (milieu du xvi e siecle); doctrine desserree et ren-
due plus assimilable, sans detriment; de sa force native, dans
V Introduction a la Vie devote de saint Francois de Sales (vers
1610) 3 . Ce sont la les codes d'e la vie chretienne depuis trois
siecles : tout le reste en sort, s'en sert, s'en inspire, les com-
mente ou, tout au plus, les complete. Or, ici et la, sous des
formes differentes commandoes par leur but particulier, ces
methodes pour aller a Dieu font au Christ Jesus la premiere
place : s'affectionner a sa personne et se former sur ses exem-
ples est Talpha et 1'omega de leur enseignement.
Entre ces deux maitres-livres s'epanouit, fleur du plus beau
1. limitation de Jesus Christ, 1. Ill, ch. v, n. 4-6.
2. Ce caractere explique la deception et les erreurs d'interpr6tation de
ceux qui lisent les Exercices spirituels, et pretendent ensuite en juger. En
dehors des Rdgles, qu'aucun connaisseur en psychologic ne pent s'empe-
(*ier d'admirer, ces gens ne connaissentde Treuvre ignatienne que 1'ecorce
et le dehors ; du drame, que le livret indiquant la suite des scenes et les
attitudes conseillees. Voir mon article sur les Exercices spirituels de saint
Ignace dans Vedition des Monumenta (Madrid, 1919)", dans /?/?, X, 1920,
p. 391 suiv. ; Alex. Brou, Les Exercices spirituels de saint Ignace de Loyola,
Paris, 1922; P. Pourrat, La Spirituality chretienne, III, Paris, 1925,
p. 35-75.
3. L 1 Introduction parut en 1609. Voir H. Bremond, Histoire littdraire du
Sentiment religieux en France, I et II, Paris, 1921 ; F. Vincent, Saint Fran-
(Dis de Sales directeur d'ames, Paris, 1923; P. Pourrat, La Spirituality
chretienne, III, 1925, p. 406-441
650 JESUS CHRIST.
printemps spiritual qui ait rejoui la chretiente* occidental^
1'ceuvre des mystiques du Garmel espagnol : Terese de Jesus,
Jean de la Groix.
La gloire de cette ceuvre va grandissant, et grandira
encore 1 . D'autres femmes, peut-dtre, ont aime autant que
Terese de Ahumada; personne n'aparle comme elle de 1'amour
de son Seigneur : avec un realisme plus sense, une sponta-
neite plus vive, une purefce" plus ravissante. Dans ses ecrits,
mieux qu'ailleurs, on prend conscience de la qualite propre et
incommunicable de 1'amour de Jesus.
Amour reel pour une personne reelle, sans rien de platoni-
que ou d'illusoire; mais amour fort, et substantiel, et pere
d'heroi'sme : non forge dans notre imagination, mais atteste
par des ceuvres 2 ; amour de qui naissent sans discontinue?
des O3uvres, des reuvres 3 ... . Et la sainte de prendre, centre
certaines Maries trop amies de leur quietude, la defense de
Marthe et d'une juste activite apostolique.
Amour supreme et definitif, non de transition et de passage.
II medie et n'interfere pas entre le Greateur et sa creature,
mais laisse celle-ci sola con El solo*. Et qu'on n'objecte pas
a Terese que cette voie, qui part des mysteres de la tres
sainte humanite de Notre Seigneur Jesus Christ , est bonne
pour les debutants, les imparfaits, les progressants, mais
qu'une heure arrive ou 1'ame, arrive e a la contemplation di-
vine, doit laisser deliberement de cote le Christ incarne. Eh
bien! repond la fondatrice (et c'est a la fin du plus sublime
de ses ouvrages), malgre tout, on ne me fera pas avouer que
ce chemin soit bon... Comment nous eloignerions-nous yolon-
tairement de ce qui fait tout notre tresor et tout notre remede,
1. Parmi les innombrables monograpliies, il faut distinguer Rod. Hoor-
naert, Sainte Tdrese dcrivain, Paris, 1922 ; ouvrage dont le contenu depasse
bien le titre. Voir aussi Louis Bertrand, Sainte The'resc, Paris, 1927.
2. < Le Seigneur veut des oauvres > ; Le Chateau interieur, V, ch. in; ed.
Silverio de santa Teresa, Obras de santa Teresa de Jesus, en un volume,
Burgos, 1922, p. 604; tr. fr. des Carmelites de Paris, tome VI, Paris, 1910,
p. 156.
3. < De que nazcan siempre obras, obras > ; Le Chateau, VII, 4; 6d. Sil-
verio de santa Teresa, p. 704.
4. < Solas con El solo (il s'agit des Carmelites reformees) ; Vie par
elle-mtmc, XXXVI, 29 ; ed. Silv. de santa Teresa, p. 305.
liSMOINS DE JESUS DANS L/HISTOIRB. 651
la tres sainte humanite* de Jesus Christ?... Lui-nie'me a dit
quil est le chemin. II a dit aussi qii'j7 est la lumiere; que
nul nepeut alter au Pere que par lui, et encore que celui qui
le voit, voit son Pere. On allegue que ces paroles doivent se
prendre dans un autre sens. Pour moi, je ne connais pas cet
autre sens, le premier est celui que mon ame a toujours senti
etre le vrai 1 .
Par dessus tout, 1'amour de Jesus est pur, et sans aucune
contamination de la chair ni du sang, tres eloigne de toute
complaisance pour ce qui dans 1'instrument humain, surmene
ou rebelle, fre*mit ou defaille de fac.on encore trop humaine.
Ce n'est pas seulement, qu'on le note bien, le malsain et le
troublant qui sont ainsi condamnes, sans appel et sans phrase ;
c'est encore 1'imparfait, le mesquin et 1'e'phe'niere.. Toute la
mauvaise litte'rature expire ici, moins dangereuse mais encore
plus sotte que I'^quivoque melange du sensuel et du divin.
Une ascension couteuse mene, dans la lumiere ou les tnebres,
mais toujours plus haut, le fidele disciple de Je*sus, des vains
plaisirs aux saints plaisirs, et de ceux-ci a la grande joie di-
vine. Et par quelle route! L'itineraire en est releve* dans le
detail, avec une justesse d'accent et une penetration psycho-
logique qui ne laissent rien a desirer; 1'action mutuelle du
corps sur 1'esprit est debrouillee, sans expressions techniques,
avec une maitrise consommee. Tous les perils sont de"nonces
sans emphase, depuis les savoureuses duperies 2 , les re-
tours larves d'une sensualite frustree, jusqu'aux faiblesses in-
nocentes, mais non inoffensives, jeux pue"rils d'une sensibilite
indiscrete, excessive, et pensant froler 1'extase alors qu'elle
s'imbibe du neant 3 ! Rien de tout cela! Par la ge'ne'rosite pra-
1. Le Chateau interieur, VI, 7; 6d. Silv. de santa Teresa, p. 654, 655; tr.
des Carmelites de Paris, VI, p. 232.
2. Fondations, VI, 2; ed. Silv. de santa Teresa, p. 827. Voir la belle
etude de R. Hoornaert sur la psychologie teresienne : Sainte Te'rdse dcri-
vain, p. 538-575.
3. Voir les admirables descriptions des Fondations, VI et VII. Elles
donnent un prix infini aux pages ou Terese decrit les vrais ravissements,
le vol de 1'esprit et cette mort mystique ou Dieu arrache Fame a ses puis-
sances propres, et la fond proprement, au sens pascalien, 1'abetit : la
ha echo Dios boba del todo pour mieux imprimer en elle la vraie
Sagesse ; Le Chateau, V, 1 ; ed. Silv. de santa Teresa, p. 590.
652 JESUS CHRIST.
tique et le bon sens, par la mortification et le contrdle auto-
rise, moyennant une ascese souple et impitoyable aux illusions,
depassez ce stade, et vous pourrez, dit la sainte, sans danger
et sans indecence, nous parler mystique et amour spirituell 1
Alors avec des levres purifiees, vous pourrez balbutier le divia
poeme...
Elle-me'ine ne s'en fait pas faute, de"crivant 1'essor de I ; 'me :
G'est comme un vol..., car je ne trouve pas d'autre compa-
raison ; un vol suave, un vol delicieux, un vol. sileneieux* .
Elle parle des transports, et de la blessure d'amour qui na-
vre a tres savoureusement . G'est cbmme un coup terrible,
comme une fleche de feu, quoiqu'it n'y ait, en realite", ni
coup, ni fleche . Encore mieux, c'est un rayon acere, qui
blesse 2 . Terese d^couvre ailleurff avec e*tonnement et une
sorte d'horreur sacree, rimmense capacite de I'e'tre humain,
les ablmes que recele notre esprit born^ quand il a ecoute et
suivi la legon ^vangelique, abandonne les contentements
sensibles pour les gouts divins, le cre6 pour I'^ternel, et
le Rien pour le Tout. II faudrait citer longuement ces pages,
si elles n'e*taient dans toutes les mains. Voici Famour qui se-
pare : a Souventes fois, a Timproviste, surgit un desir, et
Ton ne sait d r ou il vient. Et de ce desir qui penetre en un
moment Tame entiere r elle commence d'etre si harass^e
qu'elle monte bieii au-dessus d'elle-m6me et de tout le cre^.
Et Dieu Tetablit dans une telle separation de tout que, pour
tant qu'elle y peine, il n'est chose, lui semble-t-il, qui puisse
desormais lui tenir compagnie en terre ; et aussi bien elle n'en
cherche aucune, hors de mourir en cette solitude 3 . Mais
1'Amour ne se*pare que pour unir, a ce qui n'est pas, Gelui qui
est :
O Beaute" qui surpasses
toutes les beaut6s,
sans blesser tu fais mal,
et sans faire mal tu defais
1'amour des creatures.
1. < Mas es veto suave, es vuelo deleitoso, vuelosin miedo ; Vie, XX, 24;
6d. Silv. de santa Teresa, p. 148.
2. Le Chateau, VI, 11; ed. Silv. de santa Teresa, p. 679.
3. Vie, XX, 9; ed. Silv. de santa Teresa, p. 140-141.
T^MOINS DE JESUS DANS I/HISVOIRB. 653
nceud qui lies ainsi
deuac choses tant inegales,
pourquoi done te desserrer,
alors que, serre", tu donnes force
de tenir pour bien, jusqu'aux maux?
Tu lies celui qui ne tient pas 1'etre (de son propre fonds)
avec I'fitre qui n'a pas de fin;
sans jamais finir, tu acheves,
sans avoir qui aimer, tu aimes,
tu magnifies notre rien 1 !
A ces strophes impr.oviseea, avec d'autres que la sainte
avait oubliees, dans une oraison profonde , on preferera
encore la prose ailee de Terese, racontant comment futavivee
en elle r.estime des biens spirituels et divins, par la verite
m6me qui est le Seigneur Jesus :
De cette divine Verite qui me fut represented sans que je susse
comment ni quelle elle ,etait, une verit6 demeura gravee en moi,
qui m'a inspire un nouveau respect envers Dieu, rendant reclles
pour moi sa majeste et sa puissance d'unefagon qui ne se peut dire :
je compris du moins que c'est la une grande chose. II m'en est
demeure un grand d6sir de ne parler plus que des choses tres v6ri-
tables, allant bien au dela de ce qui a cours dans le monde, tant
que je commengai d'avoir peine a y vivre. Je demeurai -en grande
tendresse, et joie, ethumilite'. II me semblait que (sans savoir com-
ment) le Seigneur me donnait la beaucoup : aucune apprehension
d'etre la-dessus dans I'lllusion. Jene vis rien, mais je compris quel
grand bien c'est de ne faire 4tat que de ce qui nous rapproche de
Dieu; et je compris aussi ce que c'est qu'une Ame qui marche en
v6rit6 devant la face de la Verite meme. C'est ce que je compris; le
Seigneur me donna a entendre qu'il est la Verite meme 2 .
Une autre vision, vers la m6me epoque, 'symbolise bien,
avec la vie de Terese, son oeuvre entiere, Gomme dans tons
les saints et dans toutes leurs ceuvres, mais avec un eclat
particulierement attirant, c'est un beau miroir de Jesus que
nous admirons en elle.
1. Poesias, III; 6d. Silv. de santa Teresa, p. 1067. Je lis, au dernier
vers : Engrandeceis nuestra nada, avec toutes les editions anciennes. Le
vuestra de 1'edition de Burgos ne parait pas avoir de sens defendable.
2. Es darme el Senor a entender que es la misma Verdad > ; Vie, XL,
3 ; ed. Silv. de santa Teresa, p. 342. Pour la construction, elle est celle de
Corneille : Sais-tu que ce vieillard fut la mdme vertu la vaillance et
1'honneur de son temps, etc... > pour : la vertu meme.
654 JESUS CHRIST.
Une fois que j'e'tais aux Heures avec tout le monde, mon ame
entra soudain en recueillement et me parut &tre tout entiere comme
un clair miroir, sans revers ni cdte"s, ni haut, ni has qui 1'emp^chat
d'etre toute claire; et en son centre se repre"senta a moi le Christ
Notre Seigneur, comme je le vois d'ordinaire. Et daes toutes les
parties -de mon ame je le voyais clairement, comme dans un miroir 1 .
Un peu en retrait et, d'abord, dans le sillage de la gloire
teresienne, apparait le plus profond des mystiques Chretiens,
saint Jean de la Groix. Moins humain, moins accessible, sur-
tout moins psychologue que son illustre Mere et institutrice,
il I'emporte par la science, la suite logique et constructive, et
un don de poe"sie qui Tegale, dans ses Cantiques, aux plus
grands e"crivains de sa race. De cette figure si attachante un
seul trait doit nous retenir ici, sa religion pour Jesus ; et nous
n'en citerons qu'un te"moignage, capital, il est vrai, parce
qu'il resume tout.
Gonscient a la fois de son neant originel, de ses fautes,
et de son infinie capacite, Jean cherche le moyen de combler
un abime creuse par Dieu, et que lui seul peut remplir. Une
priere, I'oraison de I'dme enamouree* 1 , donne la solution de
ce probleme fondamental de toute vie religieuse. Apres avoir
tatonne, demande le pardon de ses fautes, offert ses pauvres
ocuvres, son denier comme il dit, et finalement implore
une grace, hors de laquelle aucune liberation des tares et
infirmites humaines n'est me 1 me possible, car :
Comment se levera jusqu'a toi Thomme qui a ete engendre et qui
a grandi dans la bassesse, si tu ne le leves, toi, Seigneur, avec la
main donttulefis?
Jean songe a Jesus, et aussitdt il reprend coeur :
Tu ne m'oteras pas, mon Dieu, ce que, une fois, tu me donnas
en ton unique Fils Jesus Christ, en qui tu me donnas tout ce que je
veux...
et il conclut, dans une envolee d'une concision et d'une ple-
nitude qu'on ne peut comparer qu'a saint Paul, par cet bymne
triomphal :
1. Ibid., p. 343. Sur 1'amour de T6rese pour la propret6, la puret6, la
Iimpidit6, et par consequent, Peau et la lumiere, Rod. Hoornaert, Sainte
TdrUse dcrivain, Vesthetique physique et I'image, p. 528 suiv.
2. Oration de alma enamorada. C'est le titre de cette priere dans le
celebre manuscrit autographe d'Andujar.
TEMOINS DB JESUS DANS I/HISTOIBB. 655
Miens sont les cieux et mienne est la terre;
miens sont les hommes : les justes sont miens et miens les pe'cheurs;
les anges sont miens, et la Mere de Dieu et toutes les choses sont
[miennes;
et Dieu meme est mien, et pour moi :
car le Christ est mien et tout pour moi.
Eh bien, done, que demandes-tu et cherches-tu, mon ame?
Tien est tout ceci et tout est pour toi < .
Aux siecles suivants, nous ne trouvons plus de livres aussi
pene"trants, bien que certains, comme les opuscules de piete
de saint Alphonse de Liguori, aient atteint peut-6tre autant
d'ames que I' Introduction a la Vie devote. Mais ces opuscules
ne sont que des reprises, tres devotes et tres humaines, du
me'me cantique. On pourrait tout resumer dans la grande parole
de Je"sus : Philippe, qui m'a vu, a vu le Pere 2 .
Rien de bien nouveau en cela, hormis la me"thode et 1'accent.
Ce qui est caracteristique, c'est 1'insistance avec laquelle, a
la difference de 1'auteur de 1' Imitation, les maltres modernes
(et leurs disciples ou emules) appuient sur I'indispensable
necessity de la soumission a 1'Eglise. Au xv e siecle, en de"pit
des incertitudes et des scandales du Grand Schisme, la chose
allait encore sans dire. Mais I'mdividualisnie pessimiste et
passionne" du premier reformateur est intervenu. Rejetant tout
interme'diaire personnel autoris^ entre Dieu et 1'ame, ne gar-
dant que deux sacrements, expliques a sa mode, et la lettre
de TEcriture, pliable a toutes les fantaisies du sens propre,
Luther a pretendu se faire un christianisme hors de 1'Eglise
catholique, apostolique et romaine. Depuis, il est vrai, epou-
vantes par une audace que le novateur lui-m^me ne percevait
pas entierement, ses disciples et rivaux redigerent a nouveau
des formulaires, se chercherent des ancetres, se constituerent
en Eglises separees. II fallut plus de deux siecles pour que le
principe lutherien portat tous ses fruits dans le protestantisme
liberal, simple collection des formes religieuses de la libre
pensee .
1. Je suis le texte et la traduction de Jean Baruzi, Aphorismes de saint
Jean de la Croix, Bordeaux, 1924, p. 12-15, ou Ton trouvera la transcrip-
tion minutieuse du manuscrit original, et le fac-simile photographique du
passage essentiel, planche 2,
2. Jo., xiv, 9.
JESUS CHMIT.
Mais le mal, plus cache", existait des le d6but, le mal et
1'erreur qui veulerit qu'on puisse rester fidele a 1'Epoux en
x-eniant TEpouse, et chretien non catholique. Aussi les amis
de Jesus, Ignace de Loyola, Philippe de Ndri, Terese .d'Avila,
Charles Borromee, Francois de Sales, Vincent de Paul, plus
tard Alphonse de Liguori, mettent au premier plan de leurs
conseils 1'union a 1'Eglise, le sens de la hierarchie et le souci
de 1'orthodoxie traditionnelle. Les Exercices spirituels s'ache-
yent sur des Regies pour conformer exactement son senti-
ment avec celui de notre Mere la sainte Eglise hierarchique .
Autant et plus que leurs ceuvres ecrites, les families reli-
gieuses qui se reclament de ces saints et il i'aut en dire
autant des grands Ordres anciens, -reformes ou rajeunis :
Benedictins, Franciscains, Dominicains, etc., . temoignent
de eette ardente sollicitude.
Finissons sur deux temoins emprunt^s au xvn sie.cle fran-
gais. Je les choisis a dessein dans deux ^coles aussi opposees
que possible, et dont la premiere est aux confins extremes
de 1'orthodoxie, et souvent au dela.
Ici un homme, un penseur, un savant genial. Blaise Pascal
fut-il, sur la iin de sa courte vie, detache" des opinions parti-
culieres et des erreurs du Jansenisme, qu'il avait si aprement
dei'endues et servies? .Des decouvertes et travaux recents
ont rendu la chose probable sans Timposer absolument 1 . Tou-
|ours est-il que le philosophe et 1'homme religieux que fut
Pascal doit son immense ascendant a la religion personnelle
de Jesus. En me'me temps que le plus haut sommet des let-
tres francaises, les pages consacrees par 1'auteur des Pense.es
a son Maifcre sont un des plus emouvants temoignages qu'on
ait rendus au Christ :
La connaissance de Dieu sans celle de samisere fait 1'orgueil. La
connaissance de sa misere sans celle de Dieu fait le d^sespoir. La
connaissance de J6sus Christ fait le milieu, parce que nous y trou-
Tons et Dieu et notre misere.
Nous ne connaissons Dieu que par Jesus Christ. Sans ce Media-
1. Voir par exemple Ernest Jovy, Pascal inedit, Ont conclu dans le
meme sens, entre autr.es pasealisants, MM. H. Bremond, F. Strowski,
J. Monbrun, M. Blondel, Jacques Chevalier, Henri Massis, etc. On peut
voir la discussion de J. Chevalier, Pascal, 1922, appendice V, p. 361 suiv.
TEMOINS DB JESUS DANS I/HISTOIRB, 657
teur est 6tee toute communication avec Dieu; par Jesus Christ nous
connaissons Dieu.
Non settlement nous ne connaissons Dieu que par Jesus Christ,
mais nous ne nous connaissons nous-memes que par Jesus Christ.
Nous ne connaissons la vie, la mort que par Jesus Christ. Hors de
Jesus Christ, nous ne savons que c'est ni que notre vie, ni que
notre mort, ni que Dieu, ni que nous-memes *.
Console-toi, tu ne me chercherais pas, si tu ne m'avais trouve".
Je pensais a toi dans mon agonie, j'ai verse telles gouttes de
sang pour toi.
Laisse-tpi conduire a mes regies, vois comme j'ai bien conduit
la Vierge et les saints qui m'ont laisse agir en eux.
Le Pere aime tout ce que je fais.
Je te suis present par ma parole dans TEcriture, par mon
esprit dans 1'Eglise et dans les inspirations, par ma puissance
dans les pretres, par ma priere dans les iideles.
Les me'decms ne te gueriront pas, car tu mourras a la fin. Mais
c'est moi qui gueris et rends le corps immortel.
Je te suis plus ami que tel et tel, car j'ai fait pour toi plus
qu'eux, et ils ne souffriraient pas ce que j'ai souffert de toi et ne
mourraient pas pour toi dans le temps de tes infldelites et cruautes.
Si tu connaissais tes peches, tu perdrais coeur.
Je leperdrai done, Seigneur, car je crois leur malice sur votre
assurance.
Non, car moi, par qui tu 1'apprends, t'en veux guerir, et ce
quejetedis est un signe que je te veux guerir. A mesure que tu
les expieras, tu les connaitras, et il te sera dit : Vois les peches
qui te sont remis.
Seigneur, je vous donne tout 2 .
Vers le meme temps, une humble Visitandine sans lettres
et tout abimee en son neant , mar chant dans une voie
ouverte avant elle, mais singulierement illuminee pour elle
par Dieu, resumait Tceuvre du Christ dans son amour, honore
sous le parlant symbole de son coeur. La piete des foules, le
suffrage des saints, 1'autorite de 1'Eglise ont confirm^, en la
recevant, une devotion si touchante.
Depuis cette epoque, le temoignage de 1'Esprit de Dieu,
s'exprimant par les ames chretiennes, n'a pas cesse de se
faire entendre. 11 serait doux de prater 1'oreille a telle ou
1. Pensees, 6d. L. Brunschvicg maior, II, n. 527, 547, 548.
2. Pensees, ibid., n. 553.
JESUS CHRIST. II. 42
658 JHBSUS CHttlST.
4
telle de cea voix, entre lesquelles on aurait Tembarras du
choix. Les plus pures, lea plus disertes ont Bien parle de
Jesus; mais comment decider entre le saint Cure d'Ars et
Lacordaire ; entre Ozanam et Gontardo Ferrini ; entre John
Henry Newman et Charles de Foucauld?
Gomme autrefois, autant que jamais, Jesus est aime : on
meurt pour lui, on vit de lui. Sa vie et sa crorx, son evangile
et son ctieur fixent 1'inquietude, provoquent 1'imitation gene-
reuse, et parfois heroique, de millions d'hommes. Beaucoup
ne Font jamais perdu; d*autres 1'ont reconquis : tous sont
dignes de lui, puisqu'ils 1'aiment plus que leur pere et leur
mere, leurs freres et leurs soeurs, leurs fils et leurs lilies .
Les feiits sont proches de nous et ne requierent pas d'etre
appuyes par des textes; 1'experience quotidienne y suffit.
Therese de Lisieux est morte hier; des martyrs chinois et
orientaux, par milliers, furent nos contemporains 1 .
Gette grand nuee de te"moins que nous avons evoquee, est
venue des quatre vents, et contient des esprits de toute sorte :
savants et simples. Tous confessent que Jesus leur a revele
le fere, et voient en lui leur Sauveur. Loin que son culte
personnel empeche, divise ou fourvoie 1'hommage souverain
du a Dieu seul, il y sert et il Fincarne. Ou ce culte subit
une eclipse, la notion meme de la divinite s'affaiblit et
s'obscurcit.
L'exemple du Christ n'est pas moins siir : en suivant ses
traces, le chercheur de Dieu trouve une issue vers les cimes
du bien parfait ; et notre marche a nous, pauvres faibles
honnetes gens, une route droite vers le but. Essaie-t-on de
modifier ou (a plus forte raison) de renverser les valeurs
chretiennes, on retrograde vers les bas-fonds, vers les terres
maudites des discordes fratricides; on s'egare dans le desert
de 1'egoisme ou les hauteurs irrespirables de 1'orgueil humain.
L'experience vaut pour les societes comme pour les particu-
1'iers, et ce n'est pas le moindre paradoxe de 1'Evangile que
son aptitude certaine a ameliorer la condition d'une existence
qu'il ne vise d'abord qu'a sanctifier.
1. On trouvera les pieces r6unies, pour les martyrs du xx e siecle & ses
d6buts, dans le tome XIV de Dom H. Leclercq, Les Martyrs.
TEMOINS DB JESUS DANS I/HISTOIRE. 659
Ges constatations sont anciennes : ce qui est plus nouveau,
c'est, dans la chretiente longtSmps et cruellement dechiree,
mne aspiration generate a Tunion. Le visage de I'unite est si
beau qu'il seduit ceux-la m6me que I'individualisme religieux
arait le plus farouchement verrouilles dans une religion toute
personnelle. Deja ancien dans 1'Anglicanisme, ce mouvement
se fait sentir avec force dans des chretientes non catholiques
jusque-la fermees a toute influence romaine. Un des obser-
vateurs les plus aigus de la Conference universelle du Ghris-
tianisme pratique tenue en 1925 a Stockholm, M. le pasteur
Wilfred Monod resume fort bien 1'esprit du message de cette
importante reunion : II s'agit de reformer la Reforme,
d'accomplir un effort de concentration, de remembrement ;
il s'agit de lutter centre ranarchisme au sens propre par
un retour decisif au principe de 1'ordre, de I'unit6... Bref,
c'est un retour au sens de I'universalisme et de la catholicite...
La Conference a voulu briser le courant centrifuge de la
dispersion, de reparpillement protestant 1 .
Hors de France, notamment en Amerique, en Suede, en
Suisse et en Allemagne, un certain nombre de theologiens
protestants se sont fails les apotres de ce qu'ils appellent :
la catholicite evangelique 2 . Et, chez les Israelites eux-me'mes,
des vues analogues se font jour ca et la 3 , bien que tres discre-
tement.
Des efforts, parfois tres meritoires, vers une entente entre
tous les chretiens, nous n'avons pas a retenir ici ceux qui
visent 1'union des Eglises. Un autre element, qu'on semble
laisser trop souvent de cote, c'est I'unite dans la religion de
Jesus. Tous ceux qui le reconnaissent de plein creur comme
1. Allocution prononc6e dans la reunion convoqude 5, 1'Oratoire de Paris
par la Federation protestanle, le 29 novembre 1925 : cit6e dans Henri
Monnier, Vers l> Union des Eglises : la Conference universelle de Stockholm,
19-29 aout 1925; Paris, 1926, p. 78.
2. Les principaux sont 1'archeveque luth^rien d'Upsal, le D r Nathan
Soederblom, qui a r6sum6 ses positions dans Evangelische Katholizitqet,
Giessen, 1927 ; et Friedrich Heiler, Evangelische Katholizitaet, Gesammelte
Aufsaetze und Vortraege, I, Miinchen, 1926 : voir notamment Wege zur
Einheit der Kirche Christi, ibid., p. 280-351.
3. Aim6 Palliere, Le sancluaire inconnu : ma conversion > au judaisme,
Paris, 1926.
660 JESUS CHRIST.
*
leur Dieu et Sauveur confessent en mme temps que la
volonte divine sur 1'huraanite va a tout rassembler sous un
chef unique, dans le Christ, ce qui est au ciel et ce qui est
sur terre . Dans le Christ Je"sus, car c'est lui qui est notre
paix : il reunit en un les deux parties et renverse la muraille
de separation 1 , quelque haute que soit cette muraille, et
apparemment infranchissable, qu'elle soit fondee sur la race,
la caste ou la nature me'nie,
Car vous etes tous fils de Dieu par la foi au Christ Jesus,
Tous les baptises dans le Christ, vous avez revetu le Christ.
Aussi, dorenavant,
>'
il n'y a plus Juif, et Grec ;
il n'y a plus esclave, et homme libre ;
il n'y a plus homme, et femme :
car tous vous etes un seul dans le Christ Jesus 2 .
Ce terrain d'union a fait ses preuves, dans le passe et le
present. N'est-il pas vain, par centre, de pretendre, je ne
dis pas allier loyalement pour un temps, en vue de taches
morales et sociales determinees, mais unir enun seul corps,
par un lien religieux profond, les adorateurs de Jesus avec
ceux qui se re"clament de lui comme on se pare du nom d'un
heros, ou comme on se refere a un maitre humain, encore
qu' eminent? L'expose du probleme du Christ, et des solutions
qu'on donne a ce probleme hors de 1'Eglise catholique 3 ,
montre ce que la theologie liberale laisse subsister de certi-
tudes, touchant la personne et la mission du Sauveur. A
peine plus qu'un franc rationalisme. Dans les conflits d'opinion
ct la poussiere des dissections critiques, le fonds meme du
christianisme tend a se volatiliser, ou s'ob nubile de telle
sorte que le croyant demeure le cosur et les mains vides :
Us ont pris mon Seigneur, et je ne sais ou ils 1'ont mis 4 !
1. Eph6siens, i, 7-10; u, 14.
2. Galates, in, 26-29. On remarquera le masculin : TravTej y&p &jT{ e?s lore
EV Xptatw 'Iqaou. II ne s'agit pas d'un Edifice mort, ou d'une collectivit6,
mais d'un corps vivant, d'un organisme anim6 par un seul esprit.
3. Voir ci-dessus, livre IV, ch. m; t. II, p. 180 suiv.
4. Jo., xx, 13
CONCLUSION
L'ambition de cet ouvrage eut ete de mettre en meilleure
lumiere la personne de Jesus, le plus grand fait de 1'histoire
religieuse. Un long commerce avec les textes evangeliques
et leurs entours nous a en effet persuade que bien des chre-
tiens connaissent imparfaitement la force des motifs qui
appuient leur foi. Par centre, nombre d'incroyants sinceres
majorent etrangement les raisons qu'ils croient avoir de
rejeter le message du Christ. Une sorte de prescription s'est
etablie a ce propos, et beaucoup d'hommes s'y plient comme
a une verite demontree. Nous voudrions avoir ebranle cette
assurance : docile aux exclusives d'une philosophie bornee,
elle n'obtient ses conclusions qu'en imposant aux donnees de
fait certaines hypotheses de 1'ordre scientifique. Fecondes
peut-etre dans leur domaine propre, ces hypotheses neppuvent
sans abus s'appliquer aux contingences humaines. Ne reiidons
pas Thistoire complice, ou serve, de ces fautes de methode.
Sans doute une virtuosite mediocre suffit aux vulgarisateurs
(et la vulgarisation, en ce genre, est venue parfois de tres
haut) pour opposer des autorites, imaginer des vraisem-
blances, transformer des analogies en emprunts, solliciter
des textes et conclure par un Non liquet universel, touchant
la vie et la doctrine de Jesus de Nazareth. Mais le meme
travail, soutenu des me'mes passions, ne laisserait subsister
de 1'histoire ancienne que d'informes debris.
Les etudes critiques poursuivies avec acharnement depuis
tant6t deux siecles, autour des origines chretiennes, ont con-
tribue elles-m^mes a ebranler, en quelques espribs trop
prompts, le credit de. 1'histoire evangelique. Dans la pous-
siere qui monte de l'6norme chantier, les lignes du monu-
ment, soustrait jadis aux curiosites purement humaines,
661
662 CONCLUSION,
semblent parfois se deformer, ou s'abolir. G'est la une impres-
sion sans fondement. Nous avons vu, au contraire, que moyen-
nant de nouv.elles precisions chronologiques, des analyses
plus penetrantes, des textes nouveaux ou mieux compris, des
comparaisons patientes de critique textuelle, un nombre
croissant de faits incontestables s'est degage. Seuls, des
amateurs peuvent mettre encore en doute le semitisme fon-
cier de nos evangiles, y compris le quatrieme; ou le carac-
tere primitif, contemporain des plus anciennes origines, du
culte d'adoration rendu a Jesus. Nous croyons aussi tres
assurement que la comparaison qui se poursuit sous nos yeux,
du christianisme avec les religions antiques dites a mysteres,
mettra dans un relief encore plus saillant I'originalite du
premier.
De ces conclusions, et des semblables, les raisons out etc
allegue'es plus haut : en y renvoyant le lecteur reflechi, nous
lui demandons de proceder par Iui-m4me a toutes les verifi-
cations qui n' exigent pas une formation technique. Un contact
intime, et prolonge, avec les actes et les paroles de Jesus,
tels que nous les ont racontes ceux qui ont ete les tdmoins
des origines, et les serviteurs de la Parole , est le seul
moyen de se rendre re*el le message du Christ. Tous les
travaux des speciaKstes ne valent que pour nous donner acces
a la source : arrive pres d'elle, que celui qui a soif s'age-
nouille, et qu'il boive.
II trouvera la une force interieure, une seve de vie spiri-
tuelle, une purete" (entendons sous ce mot Fabsence de toute
ambition personnelle, de toute politique humaine) sans paral-
lele dans 1'histoire religieuse. II y apprendra, ou y rap-
prendra, s'emerveillant d'aventure de les avoir si peu com-
prises! des prieres qui mettent Dieu a sa place, et 1'homme
a la sienne. Une morale sainte, et saine aussi, en partie
implicite, sincere, sans pose et sans fard; entre 1'heroi'sme
sugg^re et le devoir necessaire, les proportions y sont si jus-
tement gardees, que les abus, partout a 1'oeuvre, sont ici
tenus en echec, ou du moiris denonces, partant, e*vitables. Un
culte spirituel, confessant que Dieu seul est bon , et qu'il
est le Pere de tous; que nul ne le connait, hormis le Fils ,
et que nul ne 1'ignore; qu'il est le seul a craindre, et le
CONCLUSION. 663
premier qu'on doive aimer. Ensemble, justice est.faite a
1'homme tout entier, traite non en pur esprit ou en animal de
plaisir et de gloire, mais en 6tre sensible et social. II est une
creature adoptee, gracieusement prevenue et non contrainte;
un pecheur qu'on note ce trait al'encontre des chimeres de
tous les temps! rachete, mais ayant besom de remission;
un pelerin en marche, dans un monde obscur. et divise, vers
le Royaume des cieux. De cette religion magnifique, oil
beaucoup des plus grands et les meilleurs parmi les bons ont
trouve* leur paix, Je*sus est 1'auteur, le Maitre, et le tout.
Historiquement, il apparait a son heure, s'inserant dans une
tradition auguste, immemoriale, qu'il acheve sans 1'abolir :
les psaumes, les prophetes d'Israel sont pleins d'une immense
esperance qu'il a realisee au sens le plus spirituel. Ses
gestes, ses paroles, son message si personnels, si directs
restent, pour lumineux qu'ils soient, pleins de mystere
et d'une ombre sacree. Et c'est la sans doute le plus haut
de ses attributs, le plus divin.
Si done les jours semblent revenus que decrivait le vieux
prophete :
Voici, des jours viennent
oracle du Seigneur lahve
quej'enverrai mafaim surterre :
non une faim de pain, et non une soif d'eau,
mais d'entendre les paroles de lahve.
Et ils erreront d'une mer a 1'autre,
et du Septentrion a 1'Orient;
Et ils iront <ja et la cherchant la parole de lahve",
et ils ne la trouveront pas.
En ces jours-la, seront e'puise'es les belles vierges,
et les jeunes hommes par la soif *;
si c'est bien la faim et la soif de Dieu qui travaillent obscure*-
ment une generation rebutee par 1'aridite rationaliste, et la
mettent en qu6te des religions les plus diverses, du Sep-
tentrion a 1'Orient , qu'elle s'oriente vers la source evange-
lique, et s'offre, en se mettant a 1'ecole du Maitre, humble et
doux, par 1'humiliation, a 1'inspiration , qui lui revelera
la seule chose, apres tout, qu'il importe de savoir.
1. Amos, VHI, 11-13.
TABLE DES MATIERES
DU TOME SECOND
LIVRE QUATRIE>fR
LA PERSONNE DE JfiSUS
Pages
.CHAPITRE I. Le Tlmoignage du Christ 3
Preliminaires 3
1. Le Maltre de la Loi nouvelle 8
2. Jesus s'affirme 19
3. Jesus se revele 26
4. Jesus se declare 40
5. J6sus s'explique sur lui-meme 46
Conclusion 57
NOTES :
Q. Sur I'hymne de jubilation (Mt., XI 25 6-30; Lc., X, 21-22). 60
R. Sur I'authenticitt et le sens de Mt., XVI, 13-20 63
S. Le re'oit de la Transfiguration el son interpretation ratio-
naliste 66
T. Les re"cils de la Cene du Seigneur, et son sens 69
U. Texle de la Confession supreme de J6sus (Me., XIV, 55-64). 74
V. Je suis la Veritd * 77
CHAPITRE II. La Personne de J6sus 79
Le probleme de Jesus : les donnees 79
1. La Religion de Je"sus 85
2. La Conversation de Jesus avec ses f reres . . . 99
3. La Vie intime de Jesus 107
MOTES :
X. Sur la sanle .mentale de Jesus 122
Y. Jesus fut-il extatique? 126
Z. La femme surprise en adultere (Jo., VII, 53-YI1I, 11) 128
CHAPITRE III. Le Probleme de J6sus. Les solutions et la solution.... 130
1. Le Christ vu du dehors : Pai'ens, Juifs, Musulmans. 130
Les Patens 130
Les Juifs 144
Les Musulmans 157
2. La crise de la Foi chretienne a I'intdrieur du Christianisme 162
CC5
666 TABLE DBS MA.TIERES.
Pagfig.
Les Ant6christs de la Renaissance , . 162
Les rationalistes du xvin" siecle 170
Les protestants liberaux. Les modernistes. Les libres penseurs. 178
Les rationalistes du xix et du xx e siecle . . . . 193
3. Le Mystere de J&sus 202
NOTE :
Aj. Apollonius de Tyane et set * Vie 219
LIVRE CINQU1EME
LES (EUVRES DU CHRIST
. '
CHAPITRE I. Introduction 4 1'etude des miracles e~vange"liques 225
1. Des Signes divins en general. 225
2. Le Miracle dans la Nature 228
3. Notion chretienne du Miracle 239
4. Prophete et Prophetic 246
CHAPITRE II. Jesus prophete 256
1. Prophecies de J5sus sur lui-mSme 258
2. Propheties de J6sus sur le Royaume de Dieu. 271
3. Prophecies de J6sus sur la consommation des choses 280
Les Textes 281
La these de 1'eschatologie conse'quente 292
Le genre litteraire des Textes 295
Exegese sommaire des Textes 299
Le Discours eschatologique. . ........... 305
CHAPITRE III. Les miracles de Jesus 313
1. Le Miraculeux dans 1'fivangile. 317
2. La Critique Moderne des Miracles 6vangliques 322
3. Les Miracles et la Mission de J6sus 330
4. Rdalit6 des Miracles 335
Les expulsions de demons 341
Miracles de gueYisons 354
Le doigt de Dieu est la , 364
CHAPITRE IV. La resurrection de Jfisus 369
1. Le Fait de la Resurrection 369
La Mort de J&sus 372
Le T^moignage de Paul 373
Les R6cits eVange'liques de la Resurrection 382
Le Message pascal : sa condition historique , 898
Le Message pascal : les faits 402
5. Les Essais d'explication naturelle. 409
La reduction des Textes 412
La nature des Apparitions 421
.Les infiltrations paiennes. . . . 428
3. La Resurrection de Jesus et sa Mission * 434
Le signe de Jonas 435
Le signe du Temple reedifli 441
Conclusion 444
TABLE DES MATIERES. 667
Pages.
NOTES :
Ba. Le Miracle dans le Bouddhisme ancien el dans I' Islam. 447
Ca. Une verification scienlifique du Miracle est-elle possible?. 450
D 3 . L'fivolution tpigdnetique et le Miracle 452
E a . L'Bcole eschalologique : 4890-1915 454
Fa. Cette Generation ne passera pas 457
Ga. Resurrections de morts dans les r foils helle'niques et rab-
biniques 464
H a . AAIMONES el Demons 470
la. Rois Divins et Rois GuMsseurs 474
Ja. La Foi qui gudrit 480
Ka. La Suggestion viclorieuse 487
La.' KAI OTI ETA*H , 493
Ma. Les Finales de Marc et de Jean 500
Na. Le Tombeau trouve" vide 503
Oa. Ressuscite' le troisieme jour 506
Pa. Dieux Morts et Ressuscites 510
1. -fyOsiris t 511
2. Dionysos Zagreus 515
8. A donis (Echmoun, Tammouz) 520
4. Attis et Cybele 524
LIVRE SIXIEME
LA RELIGION DE JfiSUS
CHAPITRE I. L'dtablissement de la Religion de Je"sus 535
1. Le Mystere chr6tien et les Myst6res paiens 535
2. Les Origines de la Religion de J6sus 561
3. La Religion de Je"sus au milieu du i cr siecle 578
4. La Religion de Jdsus & la fin de la g6ne>ation apostolique 609
NOTE :
Ra. Parfails et Inities 625
CHAPITRE II. TSmoins de J6sus dans 1'Histoire 631
1. L'Antiquit< 631
2. Le Moyen Age ... 64i
3. Les Temps Modernes 649
CONCLUSION 661
TABLE DES TEXTES DU NOUVEAU TESTAMENT
N. B. On n'a relcvd que les tcxtcs comments. Lcs deux chiffrcs de gauche indiquent
1'un le chapitre, 1'autre lc verset; les chiffres de droite indiquent le tome ct la page oil
le tcxte est cit6.
s.
MATTHIEU
11,28
I, 375
23, 8-9
II, 38
.
11, 28-30
II, 14
23, 13 sq.
II, 105
1,1
I, 60
12, 1-4
I, 96
23, 23
I, 61
2, 1-16
I, 62-63
12, 5-8
11, 26
II, 17
3, 7-12
I, 207
12, 28
II, 349
23, 34-36
II, 282 sq.
a
I, 298
12, 38-42
II, 436 sq.
23, 37
I, 177
3, 16-17
1,305
12, 39
I, 61
24, 1-43
II, 282 sq.
4, 3-11
I, 307
12, 41-42
11, 26
24, 27 sq.
II, 110
4,17
I, 377 sq.
13, 11
II, 535
24, 33-34
II, 457 sq.
5,3
I, 373 sq.
13, 16
I, 333
24, 36
I, 360
5, 17
11, 11
13, 16-17
II, 26
25, 31-46
II, 36
5, 18-19
II, 13
13, 24-30
II, 276
26, 26-28
II, 38
5,20
II, 15
13, 33
II, 273
26, 57-68
II, 41 sq.
5, 21-22
I, 395
13, 34-35
I, 328
26, 61
II, 442 sq.
5, 27-28
II, 15
13, 36-43
II, 34
26, 63-65
II, 291 sq.
5, 31-32
II, 15
13, 47-49
II, 276
27, 39-46
II, 442 sq.
5, 38-42
I, 395
13, 52
1,60
27, 40
II, 45
5, 43-48
I, 397
14, 6-12
I, 98
27, 41-43
II, 45
6, 9-10
I, 360
14, 33
II, 30
27, 46
II, 91
6,33
1,367
15, 3-9
I, 208
7, 12
I, 389
16, 1-4
II, 436 sq.
S.
MARC
7, 21-24
II, 22
16, 4
I, 61
I, 1
I, 73
7, 28-29
II, 8
16, 17-20
II, 31
I, 306
8, 10-12
11, 274
tt
II, 63 sq.
1,4
I, 298
8, 35-37
1,376
16, 21-23
II, 32
1, 7-8
I, 208
9,2-9
11,20
16, 24-25
II, 23
1, 10-11
1,305
9, 15
II, 21
16, 25-26
1,376
1, 12-13
I, 307
9, 16-17
11,24
16, 26-28
II, 281
1, 15
I, 377 sq.
10,2
II, 22
17, 1-9
II, 66 sq.
1, 22
II, 8
10, 21-24
II, 285
18, 19-20
II, 33
2, 3-12
II, 20
10, 29-31
I, 368 ~
19, 3-8
11, 16
2, 18-21
II, 265
10, 32-33
II, 22
19, 10-12
1,384
2, 19-20
11,21
10,34
II, 23
19, 17
I, 359
2, 21-22
11,24
10, 34-39
II, 23
II, 86 sq.
2, 23-26
I, 96
11, 2-6
II, 331
20, 28
II, 268 sq.
3,4
II, 96
11, 12
I, 325
21, 30-43
II, 37 '
3, 6
I, 251
11, 16-20
II, 110
22, 16
1,251
3, 13-14
II, 22
11, 21-24
II, 27
22, 29-33
II, 108
3, 20-35
1,327
11, 25-30
II, 28
22, 39
I, 388 sq.
3, 22
I, 326
II, 60
23, 2-3
I, 263
4, 10
I, 330
669
670 TABLE DBS TEXTES DU NOUVEAU TESTAMENT.
4,11
II, 535
5, 36-38
II, 24
22, 54-55
II, 41 sq.
4, 33-34
1,328
6, 1-4
I, 96
22, 63-71
II, 41 sq.
6,3
1,310
6, 12-13
II, 22
22, 66-71
II, 291 sq
6, 12
1,390
6, 20-24
I, 87
23, 26-27
II, 22
6, 17-18
I, 339
6, 20-26
I, 372
23, 34
II, 90 sq,.
6, 21-2S
I, 98
6, 27-30
I, 395
23, 46
II, 92
7, 1-9
I, 253
6, 31
I, 389
24, 26
II, 107
7, 6-13
I, 208
6,46
II, 22
7, 17-24
I, 253
7, 18-23
II, 331
S. JEAN
8, 11-13
II, 436 sq.
8, 10
II, 535
8, 17-18
I, 329
9, 22
II, 32
1, 1-2
I, 163
8, 31
II, 32
9, 23-24
II, 23
II, 9
8, 34-35
11,23
9,24-25
I, 376
1, 1-5
I, 167
8, 38-42
II, 281 sq.
9, 26-28
II, 281 sq.
1,5
I, 336
9,2-8
II, 66 sq.
9, 28-36
II, 66 sq.
1, 6-8
I, 306
9, 9-14
II, 266
9, 60
II, 113
1,9
I, 387
9, 30-32
II, 267
10, 21-22
II, 28
1, 9-14
I, 167
10, 1-12
II, 16
II, 60
1, 16-17
I, 171
10, 17-18
II, 86 sq.
10, 23-24
II, 26
1, 32-35
I, 305
10, 18
I, 359
11, 2
I, 360
1,41
I, 315
10, 32-34
II, 267
11, 20
II, 349
I, 316
10, 3541
I, 147
11, 29-32
II, 435 sq.
2, 5
II, 20
II, 268
11, 31-32
II, 26
3, 29-30
I, 305
10,45
II, 268 sq.
11, 39-44
II, 105
4, 22
I, 180
11, 10
1,378
11, 49-51
II, 282 sq.
5, 17
II, 48
12, 13
1,251
12, 4-7
I, 368
5, 30
II, 107
13, 1-37
II, 282 sq.
12, 8-9
II, 22
6, 14-15
II, 257
13, 29-30
II, 457
12, 31
I, 367
6, 45
II, 50
13, 32
I, 360
12, 49
II, 274
6, 53-56
I, 174
&
II, 79 sq.
12, 51-53
II, 23
7, 49
1,251
14, 9
II, 279 sq.
13, 18-19
II, 273
8,44
II, 348
14, 9-20
II, 500 sq.
13, 20-21
II, 273
10, 7-8
I, 182
14, 17-32
II, 270 sq.
13, 32
II, 105
10, 22-38
II, 53
14, 22-24
II, 38
13, 34
I, 177
10, 24
I, 312
II, 69 sq.
15, 25-32
II, 102
10, 30
II, 48sq.
14, 51-52
I, 75
15, 31
II, 90
11, 33-45
II, 367
14, 53-65
II, 41 sq.
16, 16
I, 325
12, 34
I, 317
tt
II, 74 sq.
16, 18
II, 16
12, 37-42
I, 331 sq.'
14, 57-59
II, 442 sq.
16, 19-31
I, 87
13, 1
II, 54
14, 61-63
II, 291 sq.
I, 372
13,23
II, 97
15, 29-30
II, 442 sq.
II, 245
13, 31
II, 298
15, 34
II, 91
17, 7-10
I, 364
14, 2
I, 383
17, 20-21
II, 272
14, 8-10
I, 158
S. Luc
17, 24
II, 288 sq.
14, 16
I, 103
17, 26-27
II, 290 sq.
14, 28
II, 79 sq.
1, 1
I, 111
17, 33
II, 23
17, 1
II, 298
1, 1-4
I, 82
17, 34-35
II, 290 sq.
20, 31
I, 159
3, 1-2
1,4
17, 37
II, 288 sq.
21.
II, 501 sq.
I, 247
18, 7
I, 363
21, 15-17
II, 279
1,297
18, 19
I, 359
21, 18-25
I, 150
3, 7-9
I, 207
II, 86 sq.
3, 16-17
I, 298
I, 207
19, 12-13
21, 5-37
II, 290 sq.
II, 282 sq.
ACTES
DBS AP0TRES
3, 21-22-
I, 305
21, 31-32
II, 457
1,3
II, 370
4, 2-13
I, 307
22, 19-20
II, 38
1, 7*
II, 303
4, 16
I, 107
22, 25
II, 99-
2, 16-18
II, 572
5, 18-26
II, 20
22, 31-33
II, 279
2, 44-46
I, 87
5, 34-35
II, 21
22, 40-44
II, 90
4, 34-37
I, 87
TABLE DBS TEXTES DU NOUVEAU TESTAMENT.
671
5, 1-12
I, 87
II" EPITRE AUX CORINTHIE
0, 13-14
II, 442 sq.
3, 14 I, 19
10, 2 '
, 245
5, 12 I, 33
10, 22
, 245
y ~ *j w
5, 14-18 I, 32
10, 38
, 306
6, 14-16 II, 586
13, 16
13, 26
, 245
, 245
10, 3-4 II, 272
13, 43
, 245
EP!TRE AUX GALATES
13, 50
, 245
2, 1-9 I, 148
16, 14
, 245
3, 26-29 II, 660
20, 35
, 29
6, 14-17 II, 606-607
22, 3
I, 23
' 7
EpiTRE AUX EPHESIENS
EPiTRE
AUX ROMAINS
3, 3-9 II, 560
5, 21-23 II, 609
6, 4-10
II, 600
5, 31 II, 14
9, 3
I, 397
*/y v
15, 16
II, 599
EP!TRE AUX PHILIPPIENS
16, 25-26
II, 559
2, 5-11 I, 29
II, 602 sq.
I EPiTRE
AUX CORINTHIENS
2, 7 II, 204 sq.
3, 5 I, 31
1, 22-24
II, 597
I, 259
1, 24
2, 3-11
I, 165
II, 588
EPITRE AUX COLOSSIENS
7, 10
I, 34
1, 16-17 II, 605
8, 4"-6
II, 593
1, 19 II, 587
9, 19-22
II, 586
1, 26-27 II, 560
10, 14-22
II, 591
2, 6-7 II, 605
10, 20
I, 283
2, 9 II, 587
11, 23-26
II, 38
4, 10 I, 71
II, 69 sq.
4, 11 I, 72
12, 4-31
12, 12-14
13, 9-12
II, 609
II, 605
II, 93
I EPITRE
AUX THESSALONICIENS
15, 1-12
II, 261
1, 1 II, 598
15, 1-20
II, 374 sq.
1, 9MO II, 597
15, 3-5
15, 11
II, 506 sq.
I, 28
I" EpiTRE A TIMOTHE'E
15, 53
II, 380
3, 16 II, 298
EPITRE AUX HEBREUX
1, 1-2
3, 5
II, 85
II, 85
I" EPITRE DE S. PIERRE
5, 13 I, 72
I EpiTRE DE S. JEAN
2, 7
3, 8"
I, 161
II, 348
APOCALYPSE
1,4
II, 250
1,7
I, 234
2.
I, 231
2, 1
II, 619 sq.
2, 7
II, 619 sq.
2, 8
II, 619 sq.
2, 11
II, 619 sq.
2, 12
II, 619 sq.
2, 17
II, 619 sq.
2, 19
II, 619 sq.
2, 24
I, 161
2, 26
II, 619 sq.
3.
I, 231
3, 1
II, 616 sq.
3, 5
II, 619 sq.
3,7
II, 619 sq.
3, 12
II, 619 sq.
3, 14
II, 619 sq.
3, 21
II, 619 sq.
4.
I, 230
5.
I, 230
12, 1-17
I, 232
19, 13
I, 234
19, 23
I, 165
20, 1-10
I, 235
22.
I, 235
TABLE DBS AUTEURS CITES
Abbahu (rabbi), II, 148.
Abbott (Ed. A.), I, 157, 228; II, 357.
Abelson (J.), II, 152.
Abodah Zarah, II, 9,' 585.
Abou al Quasim Kaabi, II, 161.
Abrahams (Is.), I, 180, 249, 265, 269;
II, 41, 151, 585.
Abt, II, 470.
Ada apostolorum, apocrypha, I, 149.
Acles deJean (apocryphes), I, 149.
Aelius Aristide, II, 364, 483, 484.
Aha ben Hanina (rabbi),.-!!, 9.
A-han-king, I, 343.
Albertz (M.), I, 42; II, 381.
Albright, I, 178.
Ales (A. d'), I, 12, 80, 171, 287, 299,
310, 351; II, 550, 579, 632,633.
Alexander (W. M.), II, 344, 365.
Alexandre d'Abonotichos, II, 464, 465.
Alexandre d'Alexandrie (saint), I, 167.
Alfaric (P.), I, 342, 345.
Al Hallaj, 1,386; II, 77, 78, 160, 161.
Allard (P.), II, 138.
Allen (C. W.), I, 62, 106, 114.
Allo (B.) I, 165, 167, 228, 230, 231, 232,
235, 290, 292, 318, 344; II, 252, 298,
531, 552, 617, 621.
Alphonse de Liguori (saint), II, 655.
Aman (E.), I, 211.
Ambroise (saint), I, 167.
Ammon (C. F. von), I, 125.
Am monies, I, 93.
Analecla franciscana, II, 645.
Andersen (A.), II, 269.
Andler (C.), II, 197.
Andres, II, 471, 472.
Andresen (G.), 1, 13.
Anesaki (M.), II, 142.
Angus (S.), I, 291.
Antoine (Louis), II, 486.
Apocalypse de Molse, 1, 284.
Apollinaire de Hie'rapolis, I, 132.
Apollinaire deLaodicde, 1,212; II, 135.
673 J&3US CHRIST. T. H.
. Apollonios, I, 132, 405.
Apollonios de Tyane, I, 40, 129; II,
133 sq., 219 sq.
Apophthegmala Palrum, I, 44. *
Appasamy (A. J.), I, 47; II, 127.
Appel (G.), I, 349.
Apule"e, II, 464, 465, 466, 548, 549, 555.
Aqiba (rabbi), II, 45.
Aristophane, II, 483, 543.
Aristote, I, 349, 350, 358, 368.
Arnal (A.), II, 419.
Arnobe, II, 526, 529.
Arnold (M.), II, 183.
Arrhenius (S.), II, 232.
Arseniew (N. von), II, 643.
Ascension d'lsaie, I, 294; II, 589.
Asin Palacios, II, 160.
Assomplion de Molse, I, 276, 378.
Athanase (saint), I, 167.
Athenagore, I, 132, 405.
Atzberger (L.), II, 456.
Aube (B.), II, 131, 132, 220.
Augustin (saint), I, 33, 58, 93, 167, 173,
239, 331 ; II, 135, 136, 220, 286, 302,
303, 313 sq., 366, 635 sq.
Baba-Bathra, II, 71.
Babinski, II, 360.
Bacher (W.), I, 9, 279, 288.
Bacon (B. W.), II, 189.
Baldensperger (G.), I, 5, 302; II, 268,
454.
Baldensperger (W.), I, 275, 292.
Barcena (F. A.), II," 374.
Bardenhewer (0.), I, 141, 325.
Bardy(G.), 1, 162, 192; II, 136, 137.
Barnett, I, 354.
Barnes (W. Emery), I, 8, 192.
Earth (A.), I, 354, 361, 399, 400, 402;
II, 447.
Barthelemy de Pise, II, 645.
Bartmann (B.), I, 377.
Baruch (apocalypse de), 1, 276, 314, 385
43
674
TABLE DBS AUTEURS CITES.
Baruzi (J.), II, 655.
Basset (II.), I, 54, 205.
Batiffol (P.), I, 8, 12, 13, 102, 191, 192,
377, 404, 408; II, 68, 109, 211, 476,
638, 639.
Baudin (E.), I, 168, 377.
Baudissin (W. W. von) II, 351, 520,
521,522,523,564.
Baudoin (Ch.), II, 491.
Bauer (B.), II, 182, 193.
Bauer (W.), I, 16, 142, 143, 155, 157,
158, 164, 175, 179, 180, 182, 302, 336,
342, 379, 384; II, 19, 51, 53, 54, 97,
128, 325, 501.
Baur (P. C.), I, 118, 127, 216, 217; II,
"193, 219, 220, 221, 454.
Beaufreton (MO, II, 645.
Beker (M.) (M" Eddy), II, 484, 485.
Bell (H. I.), I, 12; II, 579.
Belser (J.), I, 171, 182, 223; II, 442.
Bennett (W. H.), II, 416. .
Benoit (saint), II, 640-642.
Berendts (A.), I, 192, 340.
Bergh van Eysinga (G. A. van den), I,
21.
Bergson, II, 123, 208, 232.
Berguer (G.), II, 123, 125, 208.
Bernard (saint), 1,27, 157; II, 111, 643-
645.
Bernheim, II, 360, 488, 489, 490.
Berthelot (M.), II, 232.
Bertholet (A.), 1, 278, 280, 281, 283, 285,
291.
Bertram (G.), I, 42.
Bertrand (L.), II, 650.
Besant (A.), II, 147.
Bethune-Baker (J.), H, 20G, 211.
Beurlier (E.), I, 290, 339; 11, 475.
Bevan (A. A.), II, 449.
Beveridge (A. S.), II, 161.
Beyschlag (W.), I, 403.
Bhagavad-Gila, I, 353, 354; II, 250, 561.
Bhandarkar, I, 354.
Bickermann (E.), II, 411, 504, 505.
Bidez (J.), II, 135, 136, 138, 139, 141,
465.
Bignone (E.), II, 465.
Bigot (L.), I, 320.
Bisping, II, 458.
Billot (L.), II, 253, 300, 456.
Binet (A.), II, 487.
Binet-Sangle, II, 122.
Blake (R. P.), II, 91.
Blanchet (L.), II, 167.
Blass (P.), I, 303.
Blau (L.), II, 9, 10, 343.
Bloch (L.), II, 1$.
Bloch (MO, II, 154, 477, 478, 479.
Blondel (M.), II, 656.
Blount (Ch.), II, 170, 221.
Bodin (J.), II, 168, 221.
Boehlig (R.), I, 24.
Boehmer (J.), I, 269, 270.
Boirac (E.), II, 487.
Boisacq (E.), I, 310; II, 470, 542.
Boissier (G.), I, 352; II, 131.
Bolingbroke, II, 170, 171.
Boll(F.), II, 529.
Bonhoeffer (A.), I, 353.
Bonsirven (J.), I, 270.
Bord (G.), II, 175.
Borel (E.), II, 237.
Bories (E. von), II, 139.
Bosc (E.), II, 147.
Bossuet, II, 98, 366, 456.
Botinelli, II, 433.
BoucheVLecIercq, II, 476.
Bougie (C.), I, 198.
Boulanger (A.), II, 364, 432, 483, 516,
519, 520,531,547.
Boule (L.), II, 360.
Bourguet (E.), I, 22.
Bouriant (M.), II, 395.
Bousset (W.), I, 42, 44, 46, 123, 217,
226, 228, 232, 278, 285, 290, 317, 341,
345, 409; II, 9, 72, 82, 188, 190, 199,
203, 429, 430, 455, 508, 531, 564, 565,
625, 626, 627.
Bousset-Gressmann, II, 430, 587, 590,
603.
Boutroux (E.), 11,232.
Bover(J. M.), 1, 171.
Bovon (J.), I, 403.
Box (G. H.), I, 9, 257, 261, 288; II, 145.
Braid (J.), II, 489.
Brandt (W.), I, 341, 342.
Brassac (A.), I, 22.
Brevier (E.), I, 281 ; II, 135, 476.
Breitsclmeider (C. Th.), I, 125, 126.
Bremond (A.), I, 349, 350.
Bremond (H.), II, 163, 649, 656.
Bricka (Ch.), II, 625.
Bridel (Ph.), II, 189.
Briem, II, 572.
Briere (Y. de la), I, 267, 379, 409; II,
211, 456.
Brillant (M.), II, 540.
Brochard (V.), I, 350.
Broechx (E.), II, 629.
Brooke (A. E.), I, 133.
Brou (A.), II, 649.
Bruce (A. B.). II, 166.
Bruchmann (C. F. H.), II, 525.
Bruckner, II, 572.
Brunhes (J.), II, 402.
Bruno (G.), II, 167, 168.
TABLE DBS AUTEURS CITES.
675
Bruno d'Asti, I, 68.
Brunschvicg (L.), II, 232.
Buber (M.), I, 44.
Buchanan, I, 81, 136.
Biichler (A.), I, 249.
Bugge(C.A.), I, 332; II, 9.
Bultmann (R.), I, 24, 42, 43, 51, 62,
105, 128, 147, 165, 174, 175, 198, 311,
312, 342, 409; II, 29, 60, 64, 65, 102,
113, 189, 328, 329 sq., 363, 464, 466,
469.
Bundy (W. E.), II, 122.
Burldtt (F. C.), I, 8, 20, 85, 92, 173, 192,
291, 362; II, 84,160,415.
Burney (C. F.), I, 131, 149, 168, 178,
179, 202, 226, 227, 233, 234.
Burnouf, II, 447.
Burton et Goodspeed (E. .1.), 1, 93, 95,
99; II, 282, 506.
Bury(J. B.), 1,46.
Butler (dom C.l, II, 637, 640.
Buttenwieser (M.), I, 278.
Busson (H.), II, 167, 168,221.
Buzy (D.), I, 299, 330, 332 ; II, 4, 387.
Byron (G.), II, 196.
Cadlniry (H. J.), I, 83, 89, 219, 220.
Cadman (W. H.), I, 312.
Caetani (L.), I, 358; II, 273.
Caird(E.), I, 349; II, 181, 182.
Caius, I, 134, 135, 187.
Gales (J.), I, 381.
Calmet (dom), II, 343.
Caluve (J. de), II, 540.
Calvin, II, 167.
Camerlynck (A.), I, 94, 102, 22-1.
Campanella (I.), II, 167, 168.
Campbell (J.), II, 189,201.
Canney(A.), 11,221.
Canon de Muralori, I, 78, 81, 132; 136.
Cantarelli (L.), I, 22.
Carcopino (J.), II, 525, 553, 579.
Cardan (J.), II, 167.
Carlyle, II, 202.
Carnoy (A.), I, 293.
Carpenter (J. E.), I, 128; II, 357.
Carra de Vaux, I, 385, 386 ; II, 157.
Cascua (J.), I, 377.
Casel (dom 0.), II, 73, 580.
Castillon (J. de), II, 221.
Castries (H. de), II, 162.
Calechisme du Concile de Trente, I,
360.
Catherine de Genes (sainte), II, 120.
Catulle, II, 529.
Causse (A.), I, 251.
Cavaignac (E.), I, 297; II, 522.
Cavallera (F.), I, 115, 224; II, 98, 500.
Celse, I, 405 ; II, 131-133, 136, 146, 147
149, 169, 322, 518.
Cerfaux (L.), II, 351, 563, 565, 574.
Cerinthe, I, 162.
Chalaphta ben Dosa (rabbi), II, 34.
Champion (P.), II, 40, 639, 641.
Chanina ben Teradion (rabbi,), II, 34.
Chantepie de la Saussaye, II, 512, 520,
525, 526, 529, 540, 548.
Chapman (dom J.), I, 141,223, 224.
Charcot, II, 356, 480, 491.
Charles (R. H.), 1, 10, 149, 154, 165, 169,
226,228, 230, 232, 233, 258, 259, 260,
275, 276, 278, 291, 344, 37S, 379 ; II,
147, 250, 259, 294, 617.
Chase (F. II.), II, 399, 412, 418.
Chassang (A.), II, 134,221.
Chateaubriand, II, 140.
Chauvire (M.), II, 168.
Cheikho (L.), I, 206.
Chenier (A.), I, 55, 374.
Cherbury (H. de), II, 170, 221.
Chesterton (G. K.), II, 106, 646.
Chevalier (J.), II, 574, 656.
Cheyne (T. K.), II, 190, 429, 498.
Christ (W. von), et Schmid (W.), II,
220, 221, 222, 625.
Christie (W. M.), II, 145, 146, 149.
Ciccron, I, 243, 351.
Cichorius, I, 297.
Gladder (H.), I, 38, 58, 63, 111,162,
201. .
Clark (A. C.), 11,91.
Clark (P. A. Of.), II, 603.
Claudel (P.), II, 580.
Cleanthe, 1, 24, 350.
Clemen (C.), I, 292 ; II, 430, 508, 522,
523
Clement d'Alexandrie, I, 19, 56, 69, 70,
71, 132, 134, 135, 167, 210, 213, 236,
367, 405; II, 543, 544, 627, 628.
Clement de Rome (saint), 1,50, 218; II,
269, 538, 596.
Cobern (C. M.), II, 111.
Cochet (A.), II, 122.
Codex Bezae, I, 18.
Colani (T.), II, 454.
Coleridge, II, 183.
Colin (J .),I,22.
Collins, II, 170.
Colson (F. H.), I, 83.
Comparetti (D.), II, 547.
Comte (A.), II, 594.
Condamin (A.), I, 35, 201, 202, 278,
292, 332, 355 ; II, 4, 39, 246, 248, 254,
266, 342.
Conrad (J.), I, 177.
Conybeare (F. C.), II, 603.
676
TABLE DBS AUTEUKS CITES.
Coppens(J.), I, 303; II, 221, 354, 608.
Coppieters (C.), 1, 216.
Coran, I, 53, 330, 358, 365, 385, 386, 387;
11,2.
Cornelius a Lapide, I, 95, 270.
Comely (R.), 1, 221 ; II, 93, 374, 381.
Comely et Zorell, I, 270.
Gornford (F. M.), II, 537, 538.
Corpus insc. lat., II, 555.
Corssen (P.), I, 13, 193.
Cotelier, I, 341.
Gouchoud (P. L.), I, 27; II, 182, 193.
Goue(E.),II, 491.
Creed (J. M.), I, 325, 346.
Croiset (A. et M.), II, 134,222.
Crombrugghe (C. van), II, 550.
Culloch (J. A.), II, 558.
Gumont (F.), II, 132, 138, 139, 219, 433,
'511, 515, 528, 550, 552.
Gyprien (saint), 1, 398 ; II, 641, G47.
Cyrille d'Alexandrie (saint), I, 167 ; II,
80.
Cyrille de Jerusalem (saint), I, 167.
Cuthbert (F.), 1, 185.
Cuq (E.), II, 131.
Czarnowski (G.), I, 46.
Dalman (G.), I, 41, 60, 106, 265, 269,
270, 275, 278, 279, 290, 299, 344, 395;
II, 8, 12, 31, 38, 53, 87, 91, 145, 146,
147, 259, 538.
Damis de Ninos, II, 219.
Danby (H.), II, 357.
Dante, 1, 86.
Daremberg-Saglio-Pottier, II, 515, 526.
Darmesteter (J.), 1, 292;- II, 153, 154, 156,
247.
Darwin (Ch.), II, 179.
Davidson (A. B.), II, 256, 258.
Dechamps (C al ), II, 240.
Decharme (P.), II, 526.
Defrasse et Lechat (H.), II, 481, 482,
483.
Deimel (A.), II, 521.
Deissmann (A.), 1, 20, 22, 35, 41, 79, 104,
106, 129, 186, 216, 217, 228, 398 ; II,
268, 351, 365.
Delacroix (H.), II, 487, 572.
Delafosse (H.), I, 131.
Belatte (A.), I, 129, 143 ; II, 220.
Delatte (dom P.), II, 640.
Delehaye (H.), I, 50, 52, 74, 137, 153.
Delff (II.), I, 146, 226, 227.
Dell, II, 64.
Delporte (L.), I, 398.
Denier (J.), 11,99.
Dennefeld (E.), 291.
Denney (J.\ II, 213.
Denys bar Salibi, I, 136.
Denys d'Alexandrie, I, 140, 152, 156,
230, 234; II, 91.
Denys (pape), II, 215.
Deploige (S.), I, 198.
Desnoyers (L.), I, 289.
Deubner (L. A.), II, 525, 526, 527, 529,
548.
Dhorme et Vincent, II, 296.
Diagoras de Melos, II, 539.
Dibelius (M.) I, 42, 44, 51, 65, 129, 175;
II, 298, 328.
DidacM, I, 50 ; II, 352.
Diderot, II, 171.
Didyme, I, 17.
Dieckmann (H.), 1,383,408; II, 65,211.
Diels (H.), II, 625.
Dies (A.), I, 347.
Dieterich (A.), I, 232; II, 433, 464, 465,
550, 582, 590.
Dill, I, 348.
Diodore de Sicile, II, 526, 529.
Diogene Lae'rce, II, 464.
Dion Cassius, II, 476.
Dirichlet (H.), II, 64.
Dittmar (W.), II, 568.
Dix (G. H.), I, 278, 320 ; 11,259.
Dobschutz (E. von), I, 62, 245; II, 268,
373.
Dodwell et Harvey, 1, 138.
Doelger (F. J.), I, 383; II, 73, 580.
Dolet (E.), II, 168.
Dore (H.), II, 354.
Dorlodot (H. de), II, 452.
Dorner, II, 458.
Dostoiewsky (F.), II, 339 sq.
Dottin (G.), II, 640.
Dowie (J. A.), II, 486.
Drews (A.), II, 182. ;
Drexler (W), II, 548. 1
Driver (S. R.), I, 344 ; II, 286.
Drummond (J.), I, 171.
Dubois (Ch.), II, 515, 518.
Duchesne (L.), I, 51,71, 153; II, 134,
140, 554, 555.
Dufourcq (A.), 1,50.
Duhem (P.), II, 232.
Dunin-Borkowski (S. von), I, 293, 408;
II, 153.
Duplessis d'Argentre, II, 162.
Dupre (E.), I, 487, 488.
Dupreel (E.), I, 349.
Durand (A.), I, 307, 310, 332; II, 79,
109.
Durkheim (E.), 1, 195, 196, 197, 198, 199;
II, 474.
Dykes, II, 204.
TABLE DBS AUTEURS CITES.
677
Edersheim (A.), 1, 185.
Ehrhard (A.), II, 178.
Eichhorn (J. G.), I, 93.
Eisler (Rob.), I, 192.
Eisler (Rudolf), II, 487, 520.
Eitrem (E.), II, 625.
Eitrem et Fridrichsen, II, 351.
Eleazar (rabbi), II, 10.
Eleazar Kalir, II, 147.
Elmslie (W. A. L.), II, 585.
Emmet (C.), II, 455.
EmpSdocle, II, 471.
Enelow (H. G.), II, 151, 156.
Ephrem (saint), I, 58, 167, 213.
Epictete, I, 352, 353.
Epiphane (saint), I, 57, 133, 135, 210,
212, 213, 305, 341 ; II, 91, 305, 507.
Epitre de Barnabe, I, 324.
Epitre des Apdlres, II, 416.
Erasme, I, 142; II, 166.
Eschyle, 1, 352, 396.
Esdras (IV), I, 274, 320, 321, 385.
Estienne (Robert), I, 36.
Eucken (R.), II, 232.
Eusebe, I, 15, 19, 29, 42, 56, 57, 58, 59,
68, 69, 82, 93, 103, 107, 121, 134, 136,
137, 139, i52, 156, 167, 192, 210,212,
213, 22t, 230, 252, 341; II, 135, 136,
220, 305, 322, 401.
Evangile de Pierre, I, 18, 19, 52; II,
395-398, 413.
Evangile des Douze Apdtres, I, 213.
Evangile des Ebioniles, 1, 18, 212-213.
Evangile des Egypliens, I, 18.
Evangile selon les He'breux, I, 18, 52,
210, 211, 212, 213, 214; II, 382,
420.
Evansers (E.), I, 125.
Fairweather (W.), I, 291.
Faria, II, 489.
Farmer (G.), I, 185.
Farnell (L. R.), II, 249, 538, 540.
Fascher (E.), II, 246, 328.
Faye (E. de), 1, 136; II, 132, 219, 628.
Feine (P.), 1, 90, 403 ; II, 261, 497.
Felder (H.), 1, 193.
Felten (J.), I, 290.
Feuerbach (L.), II, 182, 594.
Fiebig (P.), 1, 41, 101, 344, 397; II, 110,
344, 464, 467.
Field, II, 279.
Pillion (L.), II, 178, 460.
Firmicus Maternus, H, 529.
Fleg (E.), II, 145, 152, 156, 586.
Fleury (M. de), II, 358.
Foerster (W.), II, 537, 539, 564.
Fogazzaro (A.), II, 359.
Fonck(L.), 1, 115, 332, 334; II, 65, 365,
366.
Forget (J.), II, 170.
Foucart (P.), II, 540, 541, 543, 544, 556.
Foucauld (Ch. de), 1, 54, 205.
Fox-Pitt (S. G. L.), II, 313.
Fracassini (N.), I, 293; II, 511, 516.
Fragments-Nous, I, 78, 79.
Fragments of a Zadokile Work, I, 258,
Frame (J. E.), I, 20.
France (A.), II, 198.
Frangois d'Assise (saint), I, 157, 185,
367-368, 396; II,'lll, 645-648.
Francois de Sales (saint), II, 163, 649.
Frazer (J. G.), II, 329, 429, 430, 474, 478,
511,521,528,537.
Frederic II, II, 171.
Freind (J.), 1, 88.
Freud (S.) 5 II, 123, 358.
Frey (J. B.), I, 170, 259, 285, 377, 387;
II, 35, 473.
Fridrichsen (A.), II, 320, 322, 323, 349,
590.
Fries (S. A.), 1, 241, 280.
Frischkopf (B.), II, 69.
Frommel (G.), II, 123.
Fronton, II, 129.
Galenus, I, 405.
Galtier (P.), II, 107, 608.
Gamaliel II (rabbi), II, 17, 144, 145, 150.
Garbe (R.), I, 353, 354.
Gardner (P.), I, 152; II, 382, 395.
Garvie (B. W.), II, 189, 207.
Gaster (M.), I, 44; II, 342.
Geffcken (J.), I, 246; II, 139, 554.
Geiger (A.), I, 288.
Geldner (K.), I, 343, 345.
Genouillac (H. de), II, 634.
Gentilis, II, 168.
George (A.), II, 232, 237.
Georges le Moine (Hamartolos), I, 151,
152.
Gercke et Norden, II, 488.
Gilbert (0.), I, 349, 368.
Giscala (J. de), I, 194.
Glaister (R.), II, 111.
Gloeckner (0.), II, 132.
Glotz (G.), II, 508, 509.
Gobillot (Ph.), II, 480.
Goelzer (H.), I, 13.
Goerres(F.), 11,322.
Goethe, II, 117, 179, 241, 343.
Goguel (M.), I, 102, 125, 130, 407, 409,
410; II, 68, 127, 189, 369, 379, 414, 415,
417, 498, 499, 567.
Goldziher (L), I, 358, 362, 365; II, 6, 236,
273, 274.
678
TABLE DBS AUTEURS CITES.
Gore (Ch.), II, 204.
Gougaud (dom L.), II, 574, 640.
Goyau (G.), 1, 398 ; II, 175, 178, 185.
Goyau (G,), et Rigault, II, 519.
Graebner(F.), I, 351.
Graetz (H.), II, 154.
Graf, II, 408.
Graffm (R.), 1, 153; II, 394.
Graillot (H.), II, 524.
Gr6goire de Nazianze (saint), II, 80.
Gr6goire de Nysse (saint), I, 153, 154.
Gr6goire le Thaumaturge (saint), I,
405. -
Grenfell et Hunt, I, 37.
Grenier (A.), II, 477.
Gressmann (H.), I, 41, 345; II, 512.
Gribaldi, II, 168.
Grierson (G. A.), I, 354.
Griesbach (J.) 3 1, 56, 93.
Grimme (H.), II, 5.
Grisar (H.), II, 166, 326.
Groton (W. M.), II, 552.
Gruppe (0.), II, 515.
Gry (L.), I, 344; II, 35, 473.
Guenon (R.), II, 313.
Guerrier (L.), II, 394, 401.
Guibert (J. de), II, 542.
Guignebert (Ch.), II, 466, 604.
Gunkel (H.), I, 41, 42, 232; II, 66, 190,
248, 429, 430, 432, 455, 508, 572.
Guyau (J. M.), II, 357.
Hackspill (L.), I, 290.
Haeckel (E.), II, 232.
Haenser (P.), I, 325.
Hague (W. V.), I, 291. '
Hall (G. H. L.), I, 308.
Hall (G. S.), II, 115, 118, 122, 125, 126,
178, 347.
Ilamann, I, 405.
Hamelin (0.), II, 230.
Handmann (R.), 1,211.
Harent (S.), II, 316.
Harnack (A.), I, 8, 13, 14, 18, 19, 71, 78,
80, 81, 89, 90, 110, 112, 113, 116, 118,
124, 131, 133, 134, 140, 164, 192, 216,
219, 222, 223, 234, 253, 371, 384, 405,
407; 11,29, 60, 65, 84, 91, 118, 136, 185,
187, 188, 191, 208, 218, 323, 326, 327,
357, 378, 406, 411, 497, 518, 539, 631,
638.
Harris (J. R.), I, 36, 108, 131, 165.
Harris (J. R.) et Mingana (A.), 1, 131.
Base (K. A.), II, 409.
Hastie(W.), II, 221.
Hastings (J.), 1, 245, 351.
Hatch et Redpath, I, 318.
Havet(E.), II, 421.
Hawkins (J.), 1, 78, 100, 111, 112, 113, 219.
Healy, II, 640.
Hegel, II, 179, 181, 183, 193.
Hegesippe, I, 215, 341.
Heiberg (J. L.), II, 488.
Heiler (P.), I, 47, 240, 348, 361; II, 163,
592, 647, 659.
Heinisch (P.), I, 281.
Heinrici (G.), I, 41, 292.
Heitmiiller (W.), I, 132, 133, 144, 146,
147, 152, 153, 191, 310,317; 11,62, 84,
189, 324, 325, 327, 332, 357, 603.
Hell, II, 489.
Hempel (J.), II, 219, 222.
Hennecke (E.), II, 321.
Htfaoch (livre d'), I, 169, 240, 274, 275,
276, 284, 292, 314, 321, 322, 323, 324,
345,355,385; 11,558, 589.
Henson (H.), 328.
Hepding (H.), II, 524, 528, 529.
Heracleon, I, 132, 133, 187.
H6raclide le Pontique, II, 464.
Heraclite, I, 168; II,. 471.
Herbigny (M. d'), II, 211.
Herder, I, 93 ; II, 179.
Herford (R. T.), 1, 257, 260; II, 146, 147,
151, 153, 155.
Hermann (G.), II, 530.
Hennas, I, 229.
Hermesianax de Colophon, II, 526.
Hermelica, II, 626.
Hermippe, II, 465.
Herrmann (W.), II, 209, 210.
Herzog (G.), I, 327. '
Hesiode, 11,341,368,471.
Hess (M.), II, 154.
Hetzenauer (M.), I, 404.
Hickson, II, 328.
Hierocles, II, 134, 137, 138, 220.
Hilaire (saint), I, 167.
Hild (J. A.), II, 341, 470.'
Hilgenfeld, I, 216; II, 454.
Hillel (rabbi), II, 9, 10, 42.
Hinneberg (P.), II, 188.
Hippolyte (saint), I, 72, 135, 136; II, 91,
529, 530, 538, 545, 629.
Hirsch (G.), II, 145.
Hisloire et Sagesse d'Ahikar I'Assyricn,
I, 293.
Historia aposlolica d'Abdias, 1, 149.
Hobart (W. K.), I, 80. '
Hodge (C. W.), I, 356.
Hodgson (R.), II, 313.
Hoeffding (II.), II, 228, 242.
Hoennicke (G.), I, 293.
Hoffmann (R. A.), II, 442.
Hoh (J.), I, 19, 221, 223.
Holbach (d' II, 171.
TABLE DBS AUTBURS CITBS.
679
Holl (K.), I, 133,135; 11,497.
Holtzmann (II. J.)*I, 33, 34, 45, 87, 89,
160, 167, 173, 179, 180, 216, 344, 368,
371, 377, 403; II, 19, 66, 109, 126, 189,
260, 293, 307, 325, 455, 458.
Homere, II, 341, 471.
Hoonacker (A. van), I, 278, 280, 289;
II, 439, 440, 508.
HoornaSrt (R.), II, 650, 651, 654.
Hopkins (E. W.), I, 245.
Horn (G.), I, 141 5 IT, 633.
Homer, I, 38.
Hort (F. J.A.), 1,38.
Ilorten (M.), II, 449.
Houbaut (H.), 1, 299.
Hove (A. van), II, 240.
Howard (W.E.F.), 1,65.
Hubert (H.), II, 350, 465.
Huby (J.), 317, 327, 329, 333, 349, 351 ;
II, 43, 47, 456, 460.
Hugel (F. von), 1, 158; II, 452, 456, 592,
614.
Hugo (V.), I, 352; II, 221.
Hull (E.), I, 348.
Hunzinger (A. W.), 11, 241.
Husik (I.), II, 151.
Hymneshomeriqucs, 11,541.
Ibn Ilazmde Cordoue, II, 159.
Ibnlshak, II, 161.
Ignace d'Antioche (saint), I, 59, 130,
157, 214,216, 217; II, 416, 626, 627,
631 sq.
Ignace de Jesus, I, 342.
Ignace de Loyola (saint), II, 649, 656.
Illingworth (J. R.), II, 217.
Imitation de J6sus-Christ, II, 648, 649,
655.
Inge (W. R.), H, 627.
IrenSe (saint), I, 19, 57, 58, 59, 69, 70,
71, 77, 81, 132, 133, 135, 136, 137, 138,
140, 141, 152, 162, 167, 187, 210, 221,
223, 224, 225, 229, 236; II, 91, 539,
628, 634, 635.
Isaac (rabbi), II, 8.
Jackson (H. L.), II, 455.
Jackson (F. J. F.) et Lake (K.), I, 123,
192, 317.
Jacobs (J.), 1, 11; II, 151.
Jacobsen (J. P.), II, 380, 470.
Jacquier (E.), I, 218; II, 303, 473, 574
Jalabert (L.), I, 22.
Jamblique, I, 143.
James (R.),I, 16, 149, 211; II, 395, 402.
James (W.), II, 232.
Janet (Pierre), II, 358, 361, 426, 484,
487, 488, 489, 490.
Jankelevitch, II, 423.
Jean Chrysostome (saint), I, 57, 151,
167, 182, 332, 333; II, 280, 408,
589.
Jean de Cronstadt, II, 314.
Jean de la Croix (saint), I, 167, 365 ;
II, 654 sq.
Jehuda (rabbi), II, 9.
Jensen (P.), II, 429.
Jdquier (G.), II, 475, 512.
Jeremias (A.), I, 292; II, 520.
Jerome (saint), I, 58, 117, 135. 167, 210,
212, 213, 214; II, 135, 382, 458,
501.
Jerphanion (G. de), I, 16.
Jessen, 11,547.
Jochanan (rabbi), II, 12.
Joe'l (K-.), I, 349.
Joergensen (J.), I, 185; II, 54.
Jonathan (rabbi), II, 10.
Jones (E.), II, 358, 490.
Jones (II.), II, 213.
Jong (de), II, 552.
Josephe, 1,7,8, 185, 189, 191, 193,241,
244, 247, 252, 255. 261, 262. 264, 275,
298, 300, 339, 340, 384; 11, 538.
Jousse (M.), I, 54, 202, 204 sq., 334 ; II,
36, 62.
Jovy (E.), II, 656.
JubiUs(lwre des), I, 276, 284,379.
Juda Hale"vi, II, 155.
Juda ha-Nasi (rabbi), II, 11.
Jugie (M.), II, 314.
Jiilicher fA.), I, 21, 45, 86, 99, 180,
311, 332; II, 19, 155, 188, 325. 455, 518.
Julien 1'Apostat, II, 138, 139, 140,
141, 322, 526, 529.
Junker (H.), 11,512.
Juste de Tiberiade, I, 7, 191, 194.
Juster (J.), I, 190,243,244.
Justin (saint), I, 10, 15, 36, 42, 80, 108,
132, 187, 236, 303, 341, 398, 405; II,
44, 91, 146, 148, 266, 322, 376, 518,
627.
Kaehler, II, 208.
Kaerst (J.), II, 475.
Kahveit, II, 324.
Rang Yu Wei, 11,143.
Kant (E.), I, 388; II, 173 sq., 193.
Kardec (A.), II, 239.
Karge (P.), I, 270, 292.
Kattenbusch (F.), I, 131; II, 497, 596,
598.
Kaufmann-Kohler, II, 105.
Kautsky, I, 87.
Keitter (A. B.), II, 447.
Kelman(A. J.), 11, 111.
680
TABLE DBS AUTEURS CITES.
Kennedy (H. A. A.), 1, 283, 292.
Kennett (R. H.), I, 289.
Kenyon (F. G.), II, 499.
Kern (H.), II, 244, 516.
Kessler (K.), I, 342.
Ketter (P.), II, 344.
Kidd (B. J.), II, 138, 139.
Kilpatrick (T. B.), II, 204.
Kirch (C.), I, 13.
Kittel (G.), II, 150.
Klausner (J.), I, 7, 123, 280, 371 ; II,
19, 154, 155, 259, 344, 357, 396, 497.
Klopstock, 1,405.
Klostermann (E.), I, 35, 78; II, 262,
269, 365, 460.
Knabenbauer (J.), I, 182, 332, 339; II,
442, 456, 458.
Kneib (Ph.), II, 122.
Knopf (R.), I, 72.
Knox (J.), II, 254, 590,
Knox (W. L.), II, 373, 378, 567.
Knur (K.), II, 360.
Koester(F. B.), I, 201.
Kohler (K.), I, 11, 23, 251,257,290; II,
151.
Krauss (S.), 1, 11, 194; II, 147, 149, 151.
Krebs(E.), 1,283,292.
Kretschmer, II, 330.
Kriiger (G.), I, 131 ; II, 132.
Krumbacher (K.), I, 152.
Kuenen (A.), II, 183, 251, 408.
Kuhnert, II, 351.
Kuiper, I, 353.
Laberthonniere (L.), II, 235.
Labourt (J.), 1, 293.
Labourt (J.) et Batiffol (P.), I, 131.
Labriolle (P. de), I, 135; II, 421.
Lachelier (J.), II, 174.
Lachenmann (E.), II, 186.
Lachmann, II, 631 .
Lactance, I, 405.
Ladeuze (P.), II, 394.
Lafaye (G.), II, 476, 481, 548.
Lagrange (M. J.), I, 8, 11, 12, 35, 37,
57, 58, 65, 78, 79, 82, 83, 84, 87, 89,
92, 99, 100, 102, 111, 112, 113, 115,
116, 130, 131, 138, 139, 140, 142, 145,
148, 155, 157, 164, 167, 171, 176, 178,
179, 182, 187, 211, 213, 214, 245, 265,
269, 270, 275, 278, 281, 290, 293, 299,
300, 305, 309, 320, 321, 332, 339, 340,
342, 344, 350, 355, 367, 377, 384, 385;
II, 28, 32, 35, 43, 44, 61, 79, 91, 111,
113, 183, 184, 194, 262, 274, 279, 367,
391, 402, 456, 460, 463, 500, 502, 506,
509, 516, 520, 521, 524, 527, 528, 530,
541.
Lagrange (M. J.) et Lavergne (C.), I,
94.
Laible (H.), II, 146.
Lake (K.), I, 409; II, 91, 201, 371, 411,
419, 422, 503.
Lalande, II, 486.
Lammens (H.), I, 53 ; 11,5, 77, 620.
Lanchester (N. C. 0.), I, 246.
Lang (A.), 1, 351.
Langdon (S.), II, 521,
Lange (H. 0.), II, 512.
Laqueur (R.), I, 193.
Larfeld (W.), I, 93.
Larousse medical, II, 487.
Lasegue, II, 422.
Lasserre (P.), I, 164; II, 215.
Lasson (A.), II, 429.
Latte (K.), 1, 349.
Lattey (C. F.), I, 178.
Latzarus (B.), II, 470, 553.
Launay (L. de), II, 231, 450.
Laurand (L.), II, 499.
Lauterbach (J. Z.), I, 249, 256, 288.
Le Bee, II, 489.
Lebreton (J.), I, 164, 165, 167, 169, 211,
281, 282, 284, 290, 293, 352, 360, 408;
II, 43, 61, 71, 73, 80, 84, 86, 88, 122,
135, 200, 391, 520, 566, 580, 590, 603,
604, 612.
Le Camus (E.), II, 302.
Leclercq (H.), II, 131, 373, 624, 658.
Leconte de Lisle, II, 196.
Le Forestier (R.), II, 175.
Legge(F.), 1,293.
Legouis (E.) et Cazamian (L.), I,
179.
Leibniz, II, 179.
Lelong (A.), II, 539, 634.
Lemonnyer (A.), II, 456, 521.
LSopoldt (J.), II, 511.
Lepin (M.), I, 126, 141, 142, 176; II, 47,
87, 367, 502.
Le Roy (E.), II, 232, 235, 242, 359, 408,
421, 422, 423.
Lessing, I, 93, 211, 371; II, 179, 409.
Leszynski (R.), I, 288.
Leltre d'Aristde, I, 284.
Leucius Charinus, I, 149.
Levesque (E.), I, 95, 111.
Le>y (A.), II, 181, 183.
Le>y (G.), II, 156.
Lichtenberger (H.), I, 45.
Liddell-Scott, II, 530, 602.
Lidzbarski (M.), I, 342.
Liebeault, II, 489.
Lietzmann (H.), I, 40, 71, 228, 344; II,
73, 132, 344, 375, 376, 381, 497, 507,
547, 596.
TABLE DBS AUTEURS CITES.
681
Lightfoot(J. B.), I, 71, 78; II, 343.
Lindernholm, II, 572.
Lipps (Th.), II, 487.
Littr<, II, 111.
Lobstein (P.), II, 408.
Lodge (0.), 11,201.
Lods (A.), I, 355.
Loeb (I.), I, 11, 251.
Logia, I, 17, 18, 213, 367.
Lohmeyer (E.), I, 228; II, 66, 565, 617.
Loisy (A.), I, 4, 22, 24, 80, 87, 122, 127,
129, 142, 143, 154, 155, 157, 164, 167,
174, 175, 182, 187, 198, 202, 206, 217,
218, 219, 220, 228, 231, 233, 283, 306,
309, 332, 364, 407, 409; II, 29, 32, 42,
60, 61, 71, 72, 74, 75, 84, 91, 113,
128, 156, 183, 198, 199, 201, 229, 247,
260,269,293, 325, 326, 327, 357, 375,
381, 411, 412, 419 y 423, 424, 425, 426,
438, 442, 455, 456, 498, 499, 502, 504,
505, 510, 511, 528, 529, 565, 579, 582,
594, 608, 617, 625.
Loman, II, 182.
Loofs (F.), I, 177, 178; II, 202, 204, 205,
208, 215, 394.
Loosten (G. L. de), II, 122.
Luce (A. A.), II, 208.
Luchaire (A.), II, 644, 645.
Lucien, I, 405; II, 132, 219, 220, 464,
465, 522, 523.
Liitgert (W.), I, 171, 304.
Luther, I, 91, 125; II, 163, 164, 180, 655.
Macaigne (R.), II, 452.
Macalister (A.), II, 488.
Macarius de Magnetic, II, 136.
Macchioro (V.), 11, 515, 516, 518.
Macdonald (D. B.), 1, 358,365 ; II, 157, 159.
Mac Giffert (A. C.), II, 566.
Machen (J. G.), I, 27, 34, 125; II, 122.
Mackie (G. M.) et Ewing (W.), I, 304.
Mackintosh (H. R.), II, 162, 204, 206.
Mac Neile (A. H.), I, 57; II, 45, 62, 438.
Mac Taggart (E.), II, 181.
Mah&bhdrala, I, 353.
Mahomet, voir Coran.
Maimonide (M.), I, 9; II, 151, 152.
Mainage (Th.), II, 319.
Maistre (J. de), II, 175.
Maldonat, I, 66, 95, 307, 316, 325, 332;
II, 47, 439, 456, 458.
Male (E.), I, 16; II, 163.
Malvy (A.), II, 461.
Manen (van), II, 182.
Mangenot (E.), I, 102, 283, 292, 404;
H, 262, 344, 374, 409, 456, 473, 504.
Manville (0.), II, 232.
Marc Aurele, I, 352, 405; II, 131.
Marcion, I, 18, 80, 81, 91, 132, 133,
134, 140, 187, 216, 225.
Marechal (J.), I, 362; II, 77, 78, 94, 160.
Margoliouth (D. S.), I, 358; II, 157,
158, 448.
Maries (L.), I, 201.
Marillier (L.), II, 423.
Marmion (dom C.), II, 640.
Marmorstein (A.), II, 8, 49.
Martin (A. S.), II, 178.
Martin (F.), I, 290; II, 473.
Martin (G.), II, 175.
Martindale (C. C.), I, 349.
Martineau (J.), II, 106.
Maspero (G.), II, 541.
Massignon (L.), I, 362, 386; II, 77, 78,
81, 157, 158, 160, 161.
Massis (H.), II, 656.
Masson(P. M.), 11,177.
Massuet, I, 221.
Maurras (Ch.), II, 478.
Mauthner (P.), II, 169, 170, 171, 175.
Mayor (J. B.), I, 351.
Mazon (P.), II, 368.
Mead (G. R.), II, 147, 221.
Medan (P.), II, 548, 549.
Medebielle (A.), II, 40, 269, 570.
Megilla, II, 12.
Meige (H.), II, 360.
Meinertz (M.), I, 371.
Meir (rabbi), II, 10.
Mekhiltha, II, 92, 464, 467.
Meliton de Sardes, 1, 19, 132.
Menard (L.), II, 196, 594.
Menegoz (E.), II, 232, 242, 566, 592, 594.
Mensching (G.), II, 544.
Mesmer, II, 489.
Methode, II, 135.
Metz (A.), II, 232.
Meunier (M.), II, 513.
Meyer (A.), 1, II; II, 189, 324, 401, 409,
419,497,501.
Meyer (Ed.), I, 48, 143, 146, 190, 288,
327, 374; II, 5, 28, 39, 47, 60, 61, 67,
70, 74, 75, 146, 200, 219, 222, 262,
323, 329, 357, 499, 531.
Meyerson (E.), II, 232, 234, 238, 249.
Michel (A.), II, 107.
Michel (Ch.), II, 470.
Midrasch, II, 17, 49, 105.
Midrasch Pesiqlha, II, 20.
Mignot (E. I.), II, 228.
Milligan (G.), I, 20; II, 399.
Minucius Felix, 1,405; II, 131.
Mischna, I, 9, 256, 292; H, 585.
Moeragenes d'Athenes, II, 220.
Moffatt (J.), I, 60, 126, 177, 241,
682-
TABLE DBS AUTEURS CITB's.
Mogatil,!!, 157.
Mommsen (Th.), 1, 139.
Monbrun (J.), II, 656.
Monceaux (P.), II, 515.
Mondadon (L. de), II, 638, 639.
Monnier (H.), 1, 120; II, 84, 260, 659.
Monod (A.), II, 176, 659.
Montaigne, II, 233.
Montan, I, 133, 187.
Montefiore (C. G.), I, 269; II, 151, 156,
269.
Moore (G. F.), I, 164, 184, 291, 355; II,
147, 155.
Moret (A.), II, 474, 475, 510, 512, 513,
514.
Morin (dom G.), I, 68; II, 640.
Moss (R. W.), I, 242.
Moulton (J. H.), I, 25, 41, 65, 79, 82,
106, 219, 228, 292.
Moultou et Milligan, I, 151, 171 ; II, SO,
95,96, 99, 101, 210, 272, 279, 327, 351,
382, 458.
Moxon (D r ), II, 360.
Muirhead (L. A.), II, 455.
Mulert (H.), II, 209.
Muller (D. H.), I, 201.
Muller (Iw.), II, 224.
Muller (J.), II, 178.
Muller (K.), II, 163.
Murry (J. M.), I, 120; II, 194, 202.
Mundle (W.), I, 312; II, 65.
Myers (F. W. H.), II, 423.
Nathan (rabbi), II, 17.
Nau (F.), I, 341.
Nestle (E.), I, 56, 299; 11,279.
Newman (J. H.), II, 229, 340, 316, 332,
641.
Newton (I.), II, 179.
Neyrand (J.), II, 507.
Nice"phore, I, 210, 211, 213.
Nicephore Calliste, I, 85.
Nic6tas de Remesiana, II, 138.
Nicholson (R. A.), II, 77.
Niese (B.), I, 8, 190, 191.
Nietzsche (F.), I, 240; II, 196, 197.
Nilsson (M.), I, 349; 11,540.
Noel (G.), II, 181.
Noeldeke-Schwally, I, 53; II, 5, 159.
Norden (E.), 24, 41, 190; II, 28, 60, 61,
74, 430, 631.
Novation, I, 405.
Ochser (S.), I, 255.
Odes de Salomon, 1, 131, 157, 336; II, 299.
Oesterley (W. 0. E.), I, 9, 291; II, 87,
145, 576.
Olivieri (dom), I, 155.
Oltramare (P.), I, 361; II, 448.
Omodeo (A.), II, 72.
Oracles Sibyllins, I, 246, 276.
Origene, 1, 10, 58, 151, 152, 167, 172, 190,
191, 210, 212, 213, 214, 238, 336, 367
405; U^ 91, 132, 146, 147, 322, 458,
Orose, II, 302.
Orr (J.), H, 410.
Ottley (R. R.), II, 500.
W R 4 W 57 ' 158 ' 196 > 356; JI > 59 '
o4d, 570, 592.
Otto (Th.), I, 341 j II, 518.
Otto (W.), I, 247, 248, 251, 340.
Oudenrijn (A. van den), II, 246, 254.
Oula, II, 9.
Ou-t'ing-Fang, II, 143.
Ovide, II, 526, 529.
Pacatus, II, 135.
Paget (S.), II, 484, 486.
Palladius, I, 44.
Palliere (A.), II, 659.
Papias, I, 29, 42, 57, 58, 59, 68, 107, 121,
138, 139, 140, 141, 146, 151, 152, 210;
11,402.
Papini (G.), I, 86, 366, 396; II, 114,
115.
Papyrus d'Oxyrhynchus, I, 367.
Parodi (D.), II, 232.
Pascal, II, 23, 62, 90, 93, 98, 239, 312,
325, 355, 656, 657.
Patrice (saint), I, 384; II, 574, 640.
Patterson (L.), II, 550.
Paulus (G.), II, 322, 409, 410.
Pauly (J. de), I, 44.
Pauly-Wissowa-Kroll, II, 470, 529.
Pausanias, II, 526, 529, 558.
Peet (T. E.), II, 512, 514.
P<5guy (Ch.), II, 368.
P6rennes (H.), I, 201.
Perles (F.), II, 113.
Pesachim, II, 11.
Petazzoni (R.) 5 1, 351; II, 510, 511, 516,
Peters (N.),'I, 289.
Pfleiderer (0.), II, 419, 429.
Philippe - de Side, I, 151.
Philodeme de Gadara, II, 625.
Philon, I, 3, . 128, 164, 245, 246, 252, 264,
275, 281 ; II, 49, 109. '
Philostrate, I, 40, 129; II, 134, 219, 220,
364, 464, 466, 558.
Photius, I, 7; II, 220.
Picard (Ch.), II, 482.
Picard (E.), II, 233.
Pie X, II, 18.
Pieron (H.), II, 491.
TABLE DBS AUTEURS CITES.
683
Pinard de la Boullaye (H.), I, 281, 292,
351; II, 16, 166, 180, 316, 428.
Pindare, I, 82; II, 446.
Pineau (J. B.), II, 167.
Pineau (L.), II, 572.
Pionius (Pseudo-), 1, 137.
PirMAbolh, 1, 10, 60, 203,260, 261, 265,
284, 373; II, 9, 10, 12, 150.
Pirot (L.), I, 77.
Planck (M.), II, 234.
Platon, I, 40, 137, 349, 350; II, 376,
471.
Pline I'Ancien, I, 252; II, 464, 465.
Pline le Jeune, I, 13, 14, 15; II, 97,
130.
Plotin, I, 40; II, 135.
Plummer (A.), I, 32, 33, 62, 85, 86, 89,
99; II, 401.
Plutarque, I, 352; II, 553.
Podmore (F.), II, 423.
Poincare (H.), II, 232, 246.
Pollock (F.), II, 153.
Polybe, II, 50.
Polycarpe (saint), I, 132, 187, 216.
Polycrate d'Ephese, I, 132.
Pommier (J.), II, 230.
Pomponace (P.), II, 167.
Poricky (J.), II, 314.
Porphyre, I, 43; II, 135, 136, 137, 138,
322, 529.
Portalie (E.), II, 489, 492, 636.
Pourrat (P.), II, 163, 643, 649.
Power (E.), 1,365; 11,5.
Prat (F.), I, 21, 22, 24, 29, 31, 32, 71, 90,
91, 124, 173, 218, 247, 285, 297, 318,
355; II, 93, 205, 261, 373, 377, 458,
473, 500, 559, 573, 587, 604.
Preuschen (E.), I, 12, 211, 379; II, 82,
395.
Preuschen Bauer, II, 272, 458,
603.
Proclus, I, 40.
Psaumes de Salomon, I, 276, 292.
Ptolemee, I, 132, 133, 187.
Punger (B.), II, 221.
Quimby (Ph. P.), II, 484.
Rab, II, 8, 9.
Radhakrishnan (S.), II, 143, 448.
Radin (P.), I, 351.
Ramsay (W ), I, 23, 77, 232 ; II, 617.
Rashdall (H.), II, 371.
Rasmussen (E.), II, 122.
Rasp (H.), I, 257.
Ravaisson (F.;, I, 352; II, 433.
Raymond de Capoue, I, 374.
Razi, II, 449.
Rccogniliones, I, 341.
Redpath (II. A.), I, 246.
Regnier (A.), II, 4.
RSgnon (Th. de), II, 80.
Reimarus, I, 371; II, 175, 176, 184, 409,
461.
Reinach (A. J.), I, 22.
Reinach (S.), I, 192; II, 156, 428-429,
488, 516.
Reinach (Th.), 1, 6, 8, 190, 192, 243, 244.
Reitzenstein (R.), I, 42, 283, 292, 317,
342, 345, 349; II, 190, 199, 429, 455,
464, 465, 511, 537, 550, 579, 582, 588,
590, 625, 626.
Renan (E.), 1, 5, 8, 12, 26, 27, 40, 51, 68,
77, 86, 118, 126, 175, 176, 177, 180, 211,,
214, 215, 252, 255; II, 23, 81, 104, 183,
194, 195, 196, 198, 225, 230, 325, 357,
372, 375, 407 sq., 421, 422, 477, 497,
554, 557, 631, 636.
Renaudet (A.), II, 167.
Retel (A.), II, 314.
Reuss (Ed.), I, 8, 403; II, 183, 408, 409.
Reville (A.), II, 189,220,221, 410.
Reville (J.), 1, 127, 129, 142; II, 189, 455.
Richard de Middletovvn, II, 356.
Rickaby (J.), II, 201, 249.
Ridder (A. de), II, 93.
Riley (I. W.), II, 5.
Ritschl (A.), II, 185.
Ritschl (0.), II, 185.
Roberts (R.), II, 201.
Robertson (A. T.), I, 106.
Robin (G.), I, 349.
Robinson (J. A.), I, 334; II, 559, 500, 561,
608, 623, 624.
Roeder (G.), II, 512, 548.
Roerdam (T. S.), II, 501.
Rohde (E.), II, 134, 222, 376, 380, 416,
470,471,516, 517,556, 557.
Roi (J. de le), II, 151.
Roirbn (X.), II, 381.
Rose (H. J.), I, 25.
Rose (V.), II, 379, 410, 434.
Roslagni (A.), II, 139.
Rottmanner (dora 0.), II, 614.
Rougier (L.), II, 132.
Roure (L.), II, 243. 486, 491.
Rousseau (J. J.), I, 405; II, 177, 332,
333.
Rousselot (P.), I, 108, 329.
Rueh (Ch.), II, 69, 72.
Rufin, I, 59.
Ryle (R. J.), II, 360.
Sabatier (A.), I, 90,371, 408; II, 183,
185 sq., 191, 242, 247, 584.
Saint John Thackeray (H.), I, 246.
684
TABLE DBS AUTEURS CITES.
Salluste, II, 526, 529.
Salvador (J.), II, 153.
Salvien, II, 302.
Sanday (W.), I, 34, 101, 241, 317; II, 84,
178, 204, 205, 206, 207, 318, 445.
Sanday (W.), Souter (A.) et Turner
(C. H.), I, 221.
Sanday (W.), et Turner (C. H.), I, 20.
Sanders (P.), II, 189.
Saulcy (F. de), I, 2-1S.
Savonarole, II, 7.
Sayn (P.), II, 429.
SchammaV, I, 9.
Schanz, I, 167.
Schechter (S.j, II, 145.
Scheeben (J.), II, 245.
Scheel (0.), II, 636.
Scheftelowitz (G.), 285, 345.
Schemone Esre, 1, 265; II, 144.
Schepens (P.), II, 65.
Schlatter (A.), I, 180.
Schleiermacher (F.), I, 93, 102; II, 178,
180 sq., 185, 241.
Schmidt (C.), I, 137; II, 394, 402, 416.
Schmidt (K. L.) 5 J, 42, 43, 45, 47, 48,
49, 95, 129, 173,198, 317,409; II, 328,
572
Schmidt (W.), I, 202, 351, 356; II, 118.
Schmidtke (A.), I, 211, 212, 213, 214.
Schmiedel (P. W.), I, 175; II, 66, 201,
393, 403, 407, 409, 412, 419, 503, 504.
Schopenhauer, II, 123.
Schracler (E.), I, 292.
Schuhl (M.), II, 150.
Schuhmacher (H.), I, 60; II, 604.
Schulthess, I, 106.
Schiirer (E.), I, 8, 190, 191, 192, 219,
220, 243, 245, 247, 249, 253, 268, 290;
II, 342.
Schutz (R.), I. 36, 409.
Schwalm (M. B.), 1, 185, 290.
Schwartz (E.), I, 22, 57, 133, 137, 142,
146, 148, 149, 150, 153, 154, 155.
Schweitzer (A.), J, 125; II, 83, 122,
126, 176, 178, 183, 189, 190, 294, 309,
454, 455, 582, 590.
Scott (E. F.), II, 614.
Seche (A.\ I, 16.
Seeberg (R.), 11,208, 218,241, 268,490.
Sell (E.), 1,365; II, 157.
Senart (E.), I, 353.
Se"neque, I, 352.
Sentences des Peres, voir Pirke Aboth.
Sergent (E.), II, 422.
Sertillanges (A. D.), II, 105, 452.
Servet (M.), II, 168.
Ser-vius, II, 472.
Shaftesbury, II, 170.
Shaw (J. M.), II, 409, 411.
Shelley, II, 196.
Sickenberger (J.), I, 102.
Sieffert, I, 254, 288.
Sierp (H.), I, 48.
Sievers (E.), I, 21.
Simeon ben Jocha'i (rabbi), II, 13,
Simon de Tournai, II, 162.
Sinety (R. de), II, 452.
Sinnett (A. P.), II, 221.
Skinner (J.), I, 356.
Slijpen (A.), I, 193.
Smit (J.), I, 285; II, 343, 344, 365, 473..
Smith (D.), I, 185.
Smith (G. A.), I, 201, 249.
Smith (W. B.), II, 182, 183.
Socin (F.), II, 169.
Socin (L.), II, 168.
Soden (H. von), I, 167; II, 38, 53, 128.
Soederblom (N.), I, 292, 351; II, 189,.
659.
Soiron (T.), I, 95, 101.
Souilhe" (J.), II, 544.
Soury (J.), II, 122.
Spartien, II, 477.
Spencer (H.), II, 179.
Spinoza, H, 151, 152, 153.
Sprengel (K.), II, 488.
Staehelin (F.), I, 244.
Staehlin (E. 0.), I, 69.
Staerck (A.), II, 314.
Stamouli (A. A.), I, 254.
Stanton (V. H.), I, 79, 99, 108, 120, 219,.
220, 291 ; II, 262.
Stapfer (E.), 1, 265, 291 ; II, 371.
Steinmann (A.), I, 303.
Stern, II, 170.
Stevens (G. B.), I, 403.
Strabon, II, 527.'
Strack (II. L.), I, 9, 10, 41,242, 249; II,
145, 146, 150, 467, 469.
Strack et Billerbeck, I, 60, 116, 164,
165, 180, 265, 268, 279, 324, 374, 384,
397; II, 9, 12, 13, 16, 17, 20, 21, 38,
39, 42, 43, 44, 51, 53, 65, 87, 113, 146,
147, 148, 149, 256, 259, 268, 342, 348,
352, 387, 437, 467, 507, 576, 590.
Strauss (D. F.), I, 5, 118, 119, 126; II,
181, 183 sq., 193, 198, 323, 324, 375,
409, 410, 497.
Streeter (B. H.), I, 37, 47,. 57, 99, 113,
114, 116, 149, 155, 159, 160, 235; II,
46, 47, 67, 76, 91, 127.
Strohl (H.), II, 164, 165.
Strowski (F.), II, 656.
Suarez (F.), II, 243, 356.
Suetone, 1, 12, 13, 275; II, 131, 476, 54L
Sundar Singh (sadhu), II, 93.
TABLE DBS AUTEURS CITES.
685
Swete (H. B.), I, 67, 71, 75, 77, 103,
114, 226, 232; II, 385, 394, 458, 459,
501, 502.
Swift, II, 170.
Sybel (von), II, 470.
Synave (P.), II, 244.
Szekely (S.), I, 290.
Tacite, I, 13, 193, 275; II, 131, 476.
Tagore (Rabindranath), 1, 179; II, 561.
Taille (M. de la), II, 38.
Taine (H.), II, 169, 196, 232.
Talmud, I, 9, 257.
Tasker (J. G.), I, 389.
Tatien, I, 92, 132, 133, 143, 187, 405;
II, 91.
Taylor (R. B.), I, 254. .
Teilhard de Chardin (P.), II, 452.
Telang(K. T.), I, 353.
Temple (W.), II, 204.
Tennant (F. R.), II, 228, 241, 452.
Terese (sainte), I, 27, 157; 11,650 sq.,
656.
Termier (P.), II, 450.
Tertullien, I, 10, 19, 36, 132, 136, 149,
167, 218, 236, 247, 321, 405; II, 146,
322, 416, 552, 558, 596.
Testament des douze Palriarches, 1, 276,
278, 284.
Tharaud (J. et J.), I, 44.
Theocrite, II, 509, 522, 523.
Theodore le lecteur, I, 85.
Theodbret, I, 165 ; II, 589.
Theophile d'Antioche, 1, 132, 405.
Theophylacte, I, 332; II, 458.
Thesaurus linguae latinae, II, 564.
Thomas d'Aquin (saint), 1, 316, 331 ; II,
92, 224, 229, 239, 242, 243, 244, 246,
249, 250, 313, 370, 445, 491, 492, 557.
Thompson (R. C.), II, 342.
Thorndike Lynn, II, 350.
Thurston (H.), II, 484, 486.
Tibulle, II, 548.
Tillmann (F. R.), I, 102, 317, 318, 344.
Timothee, II, 529.
Tindal, II, 170.
Tirmidhi, II, 160.
Tisserant (E.), II, 587.
Titius (A.), II, 344.
Tobac (E.), I, 291, 318; II, 266.
Tocqueville (A. de), I, 387.
Toland, II, 170.
Toledot Jeschu, I, 11; II, 133, 146, 147.
Tolstoi' (L.), II, 114, 309.
Tonquedec (J. de), II, 240, 489.
Torrey (M. C. C.), I, 178.
T'ou-hyao-chen, II, 143.
Toutain (J.j, II, 511, 525, 528, 550.
Touzard (J.), I, 255, 270, 571, 278, 280,
286, 290, 320.
Treen (H. M.), I, 301.
Trepat, II, 573.
Tricot (A.), I, 193.
Troeltsch (E.),1, 87; II, 164, 166, 183, 592.
Turchi (N.), II, 516.
Turner (C. H.), I, 73, 74, 121 ; II, 178,
270, 286.
Tyrrell (G.), II, 188, 192, 201, 247, 456.
Vacandard (E.), I, 410.
Vaganay (L.), I, 17.
Valensin (Alb.), 1, 290.
Valentin, I, 132, 225.
Valery (P.), II, 444.
Valle (Pietro della), I, 342.
Vallce Poussin (L. de la), t I, 53, 203,
354, 361, 401 ; II, 276, 447, 448.
Vallette (P.), II, 470.
Vanini, II, 168.
Vannutelli (P.), I, 106.
Venard (L.), I, 162.
Vendiddd, I, 343.
Vendryes (J.), II, 603.
Verdier (P.), II, 353.
Vicomercato, II, 168.
Vigile de Thapse, I, 341.
Vigouroux (F.), II, 178.
Vincent (F.), II, 649.
Vincent (II.), I, 255.
Virolleaud (Ch.), II, 429.
Vischer, 1, 234.
Viteau (J.), I, 288; II, 54.
Voelter, I, 232.
Vogels (H. J.), I, 92, 167, 228, 231; II,
129, 279, 346, 501.
Volkmar (G.), II, 454.
Voltaire, II, 141, 171 sq., 184, 221.
Volz (P.), I, 270, 272, 275, 291.
VostS (J. M.), I, 218.
Vourch (A.), II, 356.
Waffelaert (G.), II, 314.
Wagner (Ch.), II, 115.
Walker (J. K.), 1, 89, 268.
Waltzing (J. P.), 11,471.
Warfield (B. B.), II, 87,' 279.
Waser (de), II, 470.
Watkin (E. I.), II, 314.
Weber, 1, 268.
Wehrte (J.), II, 240, 243.
Weiffenbach (W.), II, 454.
Weinel (H.), I, 157, 377, 403; II, 69,
155, 178, 191, 260, 570.
Weinreich, II, 465.
Weiss (B.), I, 327,403; 11,502.
686
TABLE DBS AUTEURS CITES.
Weiss (J.), I, 21, 23, 24, 28, 32, 41, 42,
73, 75, 76, 108, 117, 121, 130, 146, 154,
157, 175, 217, 243, 263, 278, 318, 377;
II, 29, 62, 84, 109, 154, 190, 260, 352,
374, 376, 377, 413, 424, 454, 455, 456,
497, 505, 507, 573, 586.
Weiss (K.), II, 273, 282, 456, 459.
Weizsaecker (C.), 1, 126.
Wellhausen (J.), I, 41, 146, 148, 154,
308, 314, 344, 371; II, 29, 60, 70, 74,
84, 189, 260, 269, 408.
Wendland (P.), I, 41, 74, 175, 187,293;
II, 84, 109, 241, 511, 530.
Wendt (H. H.), I, 161, 303.
Wensinck (A. J.), I, 386; If, 258.
Werner (H.), II, 122, 262.
'Wernle(P.), II, 188.
Westcott (B. F.), I, 38, 73, 161 ; II, 80,
274, 320, 598.
Wette(de),!, 127.
Wetter (G. P.), I, 409; II, 71, 72, 190,
199, 455, 579.
White (H. G. E.), I, 18.
Whitehead (A. N.), II, 232.
Wieger (L.), I, 263, 343, 387, 389; II,
143, 235, 549.
Wieland, I, 405.
Wien(W.), 11,231.
Wikenhauser (A.), I, 4, 77, 84.
Wilamowitz-Moellendorf, II, 321.
Wilcken, I, 14.
Will (R.j, II, 166, 580.
Wilmart (dom A.), II, 641.
Winckler (H.), 1,292.
Windisch 01.), 1, 128, 220; II, 425, 587.
Wogue (L.), II, 154.
Wood (H. G.), II, 111.
Wood (I. P.), I, 385.
Woods (H.). II, 452.
Wordsworth et White, I, 339.
Wrede (W.), I, 311, 312, 317; II, 260,
455.
Wright (A.), I, 101.
Wright (Th.), II, 317.
Wrzol (J.), I, 20.
Wundt (W.), I, 195.
Wunsch (R.), II, 350, 470. .
X6noerate, II, 471.
Xenophon, I, 40, 43, 146, 349.
Zahn (Th.), I, 36, 42, 78, 93, 140, 142,
143, 145, 146, 149, 151, 152, 167, 211,
213, 228, 232, 353; II, 128, 442, 458,
501, 617.
Zambornino (J.), II, 470.
Zeller (E.), II, 219, 220, 221.
Zenner (J. K.), I, 201.
Ziegler (K.), I, 349.
Zielinski (Th.), I, 348, 361 ; II, 433, 511,
521, 528, 532.
Zimmern (H.), I, 292; II, 429.
Zoeckler (6.), II, 169,
Zohdr, I, 44.
Zola (E.), II, 357.
Zorell (F.), II, 272,458.
INDEX ALPHABETIQUE DES MATIERES
Abomination de la desolation, II,
285-286.
Actes des Apotres, authenticity, I,
78-82; unite, I, 219-220; langue
et style, I, 79, 219-220; sources
aram6ennes, II, 565.
Adonis, 16gende et mysteres, II, 369,
432, 433, 520-524, 531-532.
Age d'or, II, 368 n. 1.
Agonie de Jesus, II, 90-91.
Agrapha, I, 17, 367 n. 1.
Akbar, II, 161.
Alexandria, colonie juive, I, 12 n. 1,
245-246, 280; II, 579.
Allegorisme alexandrin et quatri6me
evangile, 1, 172 n. 1.
Alliance de Dieu, dans 1'A. T., I, 270-
271; dans le N. T., II, 38-40, 569,
570-571.
Aloges, I, 184-185.
Ame humaine, II, 92 n. 1 ; II, 444-445.
Amen, II, 620.
Am-ha-arez, I, 184 n. 1, 251 n. 1,
260 n. 1, 325 n. 2,' 373 n. 1; II,
'10-11.
Amidisme, I, 386, 401 n. 1.
Amour pour Dieu, I, 359-365 ; pour
le Christ, II, 23-24, 81, 99, 622-624,
631-663.
Analogies, Iitt6raires avec les evan-
giles, I, 41-47; cultuelles entre le
mystfere Chretien et les mysteres
paiiens, II, 510-532, 535-536, 557-561,
580.
Anani, I, 324 n. 2.
Anath&me, I, 397.
Andania (mysteres d'), II, 546.
Antechrists, dans saint Jean, I, 161-
162; a la Renaissance, II, 162-168.
Antilegomena, 1, 17, 210, 213.
Apocalypse de Jean, date, I, 229;
langue, I, 229-230, 234 ; com-
position, I, 230-232; comparaison
687
avec le quatrieme 6vangile, I, 222-
236 ; son message aux Eglises, II,
616-622; sa christologie, II, 617-
622.
Apocalypse synoptique, II, 116,
282-292, 305-309.
Apocalyptique (litterature) dans 1'A.
T. et le judai'sme, 1, 265-268, 291-299;
II, 295-296; dans le N. T., I, 228-
236; II, 116, 280-292, 295-312, 616-
622.
Apollos, I, 52, 102; II, 561, 583.
Apologetique juive, I, 282; chre-
tienne primitive, II, 565, 567-568,
571-576.
Apotheose des rois et empereurs
pai'ens, II, 474-476, 564, 577.
Apotres, leur election, II, 22 ; leur
formation par J6sus, 1, 337; leur
foi en Jdsus, de son vivant, I, 316,
338; 11,30-31; apres sa resurrection,
II, 405-409, 426-427, 563, 565, 569-
570, 576-578, 582, 612-613.
Apparitions du Christ ressuscite, II,
374,378-393, 399-402, 412-427; leur
localisation en JudSe et en Galilee,
II, 413-414, 417-420.
Arameenne (langue), I, 58, 106;
parlee par Jesus, I, 106 n. 2.
Aristion, I, 58, 106.
Aristote. sa conception de laDivinite,
I, 349-350; n6gation de la Provi-
dence, I, 350, 368 n. 2.
Arminiens, 11,169.
Asklepios, dieu guerisseur, II, 481-
484.
Atheisme (accusation d'), aux pre-
miers siecles, II, 539, 593.
Attis, 1,4; 11,369, 432,433,524-532,547.
Attgustin (saint} et le fait synoptique,
I, 93, 114 n. 2; temoin de J6sus,
II, 635-639; de-PEglise catholique, II,
638-639.
688
INDEX ALPHABETIQUE DBS MAT1ERES.
Bakti, devotion personnelle dans 1'ln-
de, I, 52 n. 2, 354, 399-400, 401 n. 1;
II, 552.
Bapteme, de Jean, I, 189, 299-300,
310; regu par J&sus, I, 214, 304,
305-306; Chretien, I, 173, 306; II,
600, 607-608, 628.
Beatitudes dvangeliques, I, 55 n. 1,
87 n. 1, 370-375.
Beni (nom divin), II, 41.
B6r, II, 10.
Bouddha, tentatlon, I, 343; pre-
tendus miracles, 11,447-448; culte,
I, 52 n. 2, 401-402; II, 447-448.
Bouddhiques (livres) et evangiles,
I, 52 n. 2.
Bouddhisme, I, 52 n. 2, 361, 401;
. II, 447-448, 562.
Cabires, II, 545.
Canons d'Eusebe, I, 93.
Gatechese apostolique, I, 28-29, 33,
101 n. 2, 105-106, 107-108; II, 597,
599.
Cathares, II, 629.
Catholique (Eglise), II, 614, 634, 638-
639.
Gene du Seigneur, II, 38-39, 69-73,
580-581, 583.
Cerinthe, I, 162 n. 3.
Chalcedoine (concile de), II, 214-218.
Charismes, II, 571-576, 590, 608.
Charite fraternelle, I, 388-398; II,
15, 576; sonmodele dansle Christ,
II, 99-103.
Chassidim (secte des), I, 44-45.
Ghastete chr&ienne, I, 383; II, 15-
16.
Chinois et Chi'istianisme, II, 142-143.
Christ de 1'histoire et Christ
de la ioi , I, 240; II, 612-613, 634-
635.
Ghristianisme.son excellence comme
religion, I, 399-402; II, 658-663.
Christian Science , II, 484-486.
Chronologic evang&ique, I, 4, 94,
99, 247, 297; paulinienne, I, 21-22,
71 n. 1.
Gommandements de la Loi, grands
et petits, II, 13.
Communaute chretienne primitive,
son r61e a 1'egard de la tradition
evang&ique, I, 43, 49,52; sa cons-
titution eccl^siastique, I, 383, 407-
410; sa foi en Jesus, II, 563-578;
son culte et sa liturgie, II, 576-
578, 610.
Comparatiste (Ecole), I, 41 ; II, 199,
428-434, 510-532, 579-581, 593, 662.
Condescendance divine, II, 16 n. 1.
Confucius, I, 389 n. 1.
Gonuaissance des cceurs par Je-
sus, II, 257-258.
Conscience messianique en Jdsus,
II, 83-85.
Contre-Reforme, II, 169.
Goran et dvangiles, I, 52 n. 2; et
histoire du Christ, II, 157-159.
Corps mystique du Christ, II, 584,
603, 609.
Craignant Dieu (les), I, 245.
Gulte Chretien, I, 51-52, 108; II, 69-
73, 566-568, 576-577, 597, 610; inte-
rieur, I, 363 ; ext6rieur, I, 363.
Cybele, I, 351; II, 524-532, 537, 538,
547.
Daimones et demons, II, 341-354,
470-473, 540, 589.
Deistes, II, 168, 170-171.
Destinee humaine, I, 361-362; II, 621.
Diaspora, I, 6, 23, 54, 107, 163, 241-
247, 279-283 ; II, 579.
Diatessaron de Tatien, 1, 92, 133,143.
Dieu, chez les non-civilis6s, I, 350-351 ;
chez Platon, I, 349-350; chez
Aristote, I, 349-350, 368 n. 2; ^- .dans
le stoi'cisme, I, 352-353; dans 1'A.
T., sa paternite, I, 355 ; sa saintet6,
I, 356-357; dans le N. T., sa trans-
cendance, 1, 357-358, 360; II, 87, 593-
595; sa saintetd, I, 360, 362; II, 86; sa
bonte, I, 359-360; II, 87; sa provi-
dence, I, 365-369; II, 86; attitude
de Jesus envers Dieu le Pere, II, 85-
98, 107. Voir aussi Monotheisme.
Dieu inconnu (autel au), II, 557-558.
Dionysos Zagreus, II, 432, 433, 515-
520, 531-532, 546-547, 580, 582.
Dispersion (Juifs de la), voir Dias-
pora
Docetes, I, 225.
Doublets dans les evangiles, I, 110-
111.
Douceur e>angelique, I, 110-111.
Ebionites, I, 86, 210, 212, 225.
Echmoun, II, 52Q-524.
Economic dans 1'enseignement
de Jdsus, I, 311, 315.
Education juive, I, 184-185.
Eglise, dans 1'Evangile, I, 383, 407-
410; II, 278-279, 611; dans les
Actes, II, 576-577; dans saint Paul,
II, 607-609; dans saint Jean, II,
INDEX ALPHADETIQUE DBS MATIBRE8.
689
613-615; dans saint Ignace d'Antio-
che, II, 634; dans saint Augustin,
II, 638-639; dans saint Francois
d'Assise, II, 647-648 ; chez les saints
modernes, II, 655-656.
.Elephantine, colonie juive, I, 242,
280.
Eleusis (mysteres d'), II, 537, 540-545,
548, 552, 591.
Elie, precurseur du Messie, II, 266-
267.
Elu de Dieu, titre messianique, I,
322-323; II, 35 n. 1.
Emmaus, II, 387.
Endurcissement des Juifs, I, 329-
336; II, 27, 52.
Enseignement oral, chez les Juifs,
I, 10, 54, 202; de Jesus, sa dialec-
tique. II, 108-109; son tour image,
II, 108-112, 117; ses rythmes, II,
__ 109; ses paradoxes, II, 113.
Epictete et le Christianisme, I, 352-
Epidaure (sanctuaire d'), 11,481-353.
483.
Epitre aux Ephe"siens, authenticity
paulinienne, I, 20, 216-217.
Epitre aux Hebreux, sa redaction,
I, 218; ses destinataires, I, 218;
sa valeur historique, I, 5, 217-218.
Erasme, II, 166.
Eschatologie, voir Fin du monde.
Eschatologique (ecole), II, 292-295,
308, 454-456.
Esculape, voir Asklpios.
Esprit-Saint, temoin de Jesus, 'I,
103-104; ses dons, I, 103-104,- II,
571-576. Voir Charismes.
Esseniens, I, 252-254.
Eucharistie, I, 172; II, 38-39, 69-73,
580-581, 583.
Evangiles canoniques, appellation,
I, 35-36; texte, I, 36-38; genre
Iitt6raire, I, 38-56; 82; dates de
composition, I, 118, 221-225; leur
preparation orale, I, 104-106; ca-
ractere liturgique, I, 51; II, 610;
comparaison avec les livres bouddhi-
ques, I, 52 n. 2; avec le Goran, I, 52
n. 2. Voir Historicity des Evan-
giles; Matthieu, Marc, Luc et
Jean.
Evergetes, II, 99.
Evolution et evolutionnisme, II,
179-180, 181-182, 191, 428; et mira-
cle, II, 452-453.
Faith-Healing, II, 356-364, 479-486.
Fatalisme de 1'Islam, I, 364-365.
JESUS CHRIST. T. II.
Fatum, II, 472.
Femmes dans 1'fivangile, I, 88-89;
tdmoins de la resurrection du Christ,
II, 384-387, 394, 403-404.
Fils de Dieu (Jesus), I, 304, 305, 306;
II, 27-31, 41-45, 48-56, 79-80, 107, 211-
212, 216-218, 577, 597-598, 604, 613,
620, 633, 635, 637.
Fils de I'homme, emploi de Pexpres-
sion dans 1'A. T., fizechiel, I, 318,
324; Daniel, I, 319-321; dans le livre
d'Henoch, I, 321-323 ; dans les evan-
piles, I, 310-312, 323, 324; dans
1'Eglise primitive, I, 318 n. 2, 324;
souffrant, II, 33; juge univer-
sel, II, 33-35, 299; son avenement,
II, 281, 288, 297-299, 310; - sa session
a la droite du Pere, II, 291, 298, 304,
310, 565, 619.
Fin du monde, dans les apocalypses
juives, I, 286; dans les propucties
de Jesus, II, 281, 288-289, 294-295, 297-
299, 300, 302-303, 306-311, 457463.
Foi, sa preparation, I, 315, 333-334; II,
52; ses vicissitudes chez les disci-
ples, I, 316, 338; II, 30-31, 405-409,
426-427, 563, 565, 569-570; lumiere
de foi, I, 334-336; II, 52, 637; foi
et miracle, II, 362-364.
Folklore et 6vangiles, I, 50.
Formules dogmatiques, II, 214-217.
Franc- Magonnerie, II, 175.
Freres du Seigneur , I, 175-176,
309-310; II, 609.
Glossolalie, II, 572.
Gnosticisme et Gnostiques, I, 132-
133, 136-137, 162 n. 1, 3, 169; II, 40,
613, 628-629, 635.
Grande Mere, voir Gyfoele.
Guerisons (miracles de), II, 354-364.
Hallucination et resurrection du
Christ, II, 421-427.
Hellenigue (religion), 1, 347-351. Voir
Jlff'trs't fe 1*6 S
Hellenisme et A. T., I, 280-281 ;
et judai'sme, I, 279-287; et N. T.,
I, 54, 109; II, 109, 535-536, 561, 579-
594.
Herakles, dans le stoicisme, I, 353.
Hermgtiques (ecrits), I, 164.
Herode le Grand, I, 4, 247-248;
Antipas, I, 4, 189, 247, 248, 300, 301
n. 1, 303; Archelaiis, I, 247;
Agrippa I or , I, 4, 252; Aggrippa II,
1, 4, 190.
Herodiade, I, 189, 300, 339-340.
44
690
INDEX ALPHABETIQUE DBS MAT1ERES.
Herodiens, I, 251, 312; leur oppo-
sition a Je"sus, I, 326 ; II, 265.
H6roisme chre'tien, I, 395-398.
Historicity des evangiles, synopti-
ques, I, 118-125; II, 610-611; johan-
nicme, I, 171-183.
Humanisms paien, II, 138, 163, 166-
168, 196; Chretien, II, 163 n. 1.
Humanit6 du Christ, I, 173 n. 1 ; II,
96-97, 108, 212-213, 612-613.
Hymnes au Christ, I, 14; II, 298-299,
566, 601, 640.
Hypocrisie pharisaiique, II, 17.
Incarnation (dogme de 1'), II, 210-
218.
Inde (religions de 1'), I, 353-354; 399-
402; II, 143, 552. Voir Bouddha.
Irenee (saint), son te"moignage sur
le T6tramorphe, I, 221-225; sp6-
cialement sur le quatrieme 6vangile,
I, 133, 136-138; temoin de Je"sus, II,
634-635.
Isis, I, 351; II, 511-515, 537; ses
mysteres, II, 548-550, 591.
Islam, monoth&sme, I, 358 n. 1 ;
fatalisme, I, 364; conception du
paradis, I, 385 n. 1 ; caractere po-
litique, I, 387 n. 1 ; sa mystique,
I, 361 n. 1, 386; sa pole"mique
anti-chre"tienne, II, 159 n. 6.
Jacques de Jerusalem, I, 44, 148, 190,
191, 214, 215; II, 381, 382, 575, 583,
609.
Jacques, flls de Zeb6de"e, I, 145-147.
Jean, fils de Ze"bedee, son pr^tendu
martyre, I, 146-154.
Jean (epitres de), 1, 132, 160-161.
Jean (evangile de), son attestation
traditionnelle, I, 130-141 ; son in-
tegrite, I, 143; II, 501-502; son
unite litte"raire, I, 154-159; son
but, 1, 159-163; II, 46-47; son plan,
I, 172; son historicite, I, 171-183;
II, 47-48; son exactitude gelogra-
phique, I, 175-176; son re"alisme,
I, 173; son sacramentalisme, I,
173-174; son caractere eccle"sias-
tique , I, 174; II, 613-615; son
mysticisme, I, 157-158; son carac-
tere spirituel , II, 612-613 ; son
eschatologie, 1,234; 11,310-311;
langue et style, I, 156-157, 178-179 ;
hypothese d'un original arameen,
I, 178-179, 227; eouleur se'mitique,
I, 178-183; comparaison avec les
Synoptiques, I, 159-160, 174-175, 177-
178, 338; II, 46; d<5pendance a
regard de Marc, I, 159; rappro-
chements avec Philon, I, 163-164;
chapitre final, II, 501-502.
Jean Baptiste, son ministere, I, 4, 7,
297-305; sa mort, I, 189, 300-301;
ses disciples, I, 301-305, 341-342.
Jeanne d'Arc (sainte), I, 27; II, 40.
426 n. 1, 639.
Jerusalem, prediction de sa ruine.
II, 282-283, 285-287, 303, 305.
Jesus Christ : voir Fils de Dieu,
Fils de 1'homme, Logos, Sei-
gneur.
Jonas (signe de), II, 435-441.
Josephe et le Christianisme primitif,
I, 7-8, 189-194.
Judaisme, dans la Dispersion, 1, 241-
247; palestinien, I, 247-263;
rapports avec I'Heltenisme, II, 279-
287.
Jugement de Dieu, I, 273-274; II,
295-296; du Fils de 1'homme, II, 33-
36, 299.
Juifs, sens du mot dans le quatrieme
evangile, I, 170 n. 2, 181-182.
Justice, legale, I, 170-171; II, 11, 15,
17, 18; dans le N. T., I, 171, 393 ;
II, 14-18.
Kenose (theorie de la), II, 204-206.
Krishna, I, 4, 353-354; II, 143.
Langage de J6sus, I, 106 n. 2.
Langues (don des),II, 572-573.
Legalisme, chez les Juifs, I, 357; II,
8-10.
Logia, 1, 17-18, 101 n. 1, 213, 367 n. 1;
dans Papias, I, 57, 59 n. 1.
Logos, en dehors du N. T., I, 128 n.
2, 163-165, 168; et Sagesse, I, 165-
169; dans le N. T., I, 163, 165-
169, 234; independance a l'e"gard
de Philon, I, 164; dans saint Ire-
nee, II, 635; dans saint Augustin,
II, 637.
Loi de Moise, et Pharisiens, II, 165,
259-262; et Rabbins, II, 8-11;
et Jesus, II, 11-18, 38, 115.
Loi nouvelle, II, 11-18, 38, 115.
Luc (6vangile de), I, 28, 36, 48;
temoignage traditionnel, I, 77-82;
style, I, 82, 89, 115; langage medi-
cal, I, 89 n. 5; plan, I, 84; traits
caracteristiques, I, 82-91 ; rapports
avec Marc, I, 111-112; avec Mat.
INDEX ALPHABETIQUE DES MATIERES.
691
thieu grec, I, 113-114; paulinisme,
1,90.
Xiumiere, dans le quatrieme e" vangile,
I, 168, 170.
Mahomet, I, 3, 52 n. 2, 358; ses
preventions prophe"tiques, II, 5-6;
ses dires sur J6sus, II, 157-159 ? con-
ception politique, 11,273; pre"tendus
miracles, II, 448-449; sceau des
prophetes , II, 620 n. 1.
Makom, I, 60 n. 3, 260 n. 2.
Mai (problems du), I, 369-370.
Mandeens, I, 342.
Manicheisme, I, 168.
Marc (evangile de), I, 36, 48-49, 51,
59, 67-77; te'moignage traditionnel,
I, 68-70; date de composition, I,
70-71, 221-225; traits caracteristi-
ques, I, 72-77, 120, 175; relation
avec Pierre, I, 68-70, 75, 77, 114;
rapports avec Pevangile de Luc, I,
1 1 1-1 12; avec Pe" vangile de Matthieu,
I, 114-115; Marc et le paulinisme,
II, 261-262; la finale de Marc, II,
500-501.
Mariage chr6tien, I, 385; II, 15-16.
Marie, mere de J6sus, I, 89.
Martyrologes sur la mort de Jean
PapOtre, I, 152-154.
Martyrs chr&iens, II, 573, 623-624,
631-633, 634, 658.
Matthieu (Evangile de), I, 36, 48;
te'moignage traditionnel, I, 56-58;
date de composition, I, 58-59, 221-225 ;
traits caract^ristiques, I, 59-66,
116-118; priority relative, 1, 115;
rappbrts avec Marc, I, 114-115; avec
Luc, I, 112-113; langue et style,
I, 66, 115-117; relation avecl'tfvan-
gile selon les Hdbreux, I, 212-215.
Mediation du Christ, voir Redemp-
tion.
Memra, I, 60 n. 3, 164.
Messianisme et Messie, concep-
tions juives, I, 275-278, 313-314;
echo chez les paYens, I, 275, 311 ;
dans le N. T., I, 310, 315; II, 31-
32, 41-44, 84-85, 565, 610-611 ; souf-
frances du Messie, I, 277-279 ; II, 259.
Millenarisme, I, 273; II, 275.
Minim, II, 145.
Miracle, notion, II, 226; discerne-
ment, II , 226-228, 450-453; miracle
et existence de Dieu, II, 229-230;
et ordre surnaturel, II, 240 ; inter-
pretation du signe, II, 242-245, 313-
317; conditions morales et reli-
gieuses de sa connaissance, II, 243-
245 ; dans 1'Evangile, historicit6 des
miracles, II, 317-322; lien avec la
mission de J6sus, II, 330-335; va-
leur probante, II, 335-368 ; sym-
bolisme, II, 366-368; miracles et
foi, II, 362-364; dans le christia-
nisme primitif, II, 320, 565, 567-568,
569, 571-576.
Misericorde du Christ pour les p6-
cheurs, II, 100-103.
Mithra, I, 351 ; II, 537, 550-552, 580,
582, 591.
Modernisme, II, 200-201, 456.
Monotheisme, dans le Judaisme, I,
24-287; dans la religion chr6tien-
ne, I, 358-359; II, 593-595.
Montanistes, I, 184-185.
Morale Svang&ique, I, 383-384; II,
14-16, 601, 662.
Mormons, II, 5.
Mystere chr6tien, II, 535-536, 558-
561, 583, 589, 663.
Mysteres (religions a), I, 351-352,
361 ; II, 199, 428, 432-433, 510-532,
535, 537-557, 590-591, 601, 625-626, 629,
662.
Mystiques chrdtiens, I, 157-158, 365
n. 1; II, 92-95, 643-644, 646, 650-655;
hindous, I, 361, n. 1 ; musul-
mans, I, 361 n. 1, 386; II, 160.
Mythique (hypothese) au sujet du
Christ, I, 5, 8, 26 n. 1 ; II, 182 n. 2.
Nazareth, II, 147.
Nicolaites I, 162 n. 3.
Nirvana, 1, 52 n. 2, 361-362, 401 n. 1.
Noachiques (pre"ceptes), I, 245, 282.
Nom, son importance chez les An-
ciens, II, 603.
Nouveaute de PEvangile, II, 24-26,
567, 621-622.
Obeissance de J6sus a son Pere, II,
88, 92, 107.
Optimisme de PEvangile, 1, 365-369.
Oracles du Seigneur, I, 57, 59.
Oraison Dominicale, II, 89.
Oral (style), I, 23, 54-55, 61-62, 107-
108, 178-179, 206-209; II, 61-62.
Orpheus, 1,4; 11,515-516, 546.
Orphisme, II, 515-516, 537, 546-547.
Osiris, II, 369, 432, 433 ; mythe et
mysteres, II, 511-515, 531, 582.
Fadoue (6cole de), II, 167.
Pai'ens, allusions a Phistoire du Christ,
I, 12-15; polemiques contre le
692
INDEX ALPHABETIQUB DBS MATIERES.
christianisme, aux temps anciens, 11,
130-142, 220: anx temps modernes,
II, 143, 196-197.
Pain de vie, II, 49-50.
Palestine, 6tendue, I, 248 n. 1 ;
population, I, 241 ; 6tat politique,
I, 247-250.
Palestiniens (livres), I, 284-286.
Paraboles, leur place et leur but
dans 1'enseignement de J6sus, I,
328-336.
Paradis de Mahomet, I, 385-386.
Parallelisme, dans le style oral, I,
204.
Pardon Svangelique, I, 390-391.
Parfaits , dans saint Paul, II,
625; dans les premiers e'crivains
Chretiens, II, 626-630.
Parousie, II, 297-298, 300, 302-303, 564.
Passion, du Christ, prgdite, II, 21,
32, 258-271.
Paul (saint), ses lettres, I, 20-21 ;
sa carriere, I, 21-22 ; sa forma-
tion, I, 23-24; son style, I, 24-26,
216-217; son caractere, I, 21-22;
temoignage qu'il rend au Christ
historique, I, 4, 27-34, 110 n. 2 ; II,
373-381 ; son accord avec les au-
tres disciples, I, 124; II, 582-585;
sa doctrine du Christ, I, 29-33 ; II,
597-607 ; sa conception du mys-
tere chre"tien, II, 559-561 ; rapports
avec l'Hell6nisme, II, 579-597 ; avec
le Judaisme, II, 581-582.
Paulinisme et 6vangiles, I, 90-91,
117 n. 1, 124; II, 261-262.
Pauvres en Israel, I, 251 n. 1 ,
dans le N. T., I, 86-87, 371-374.
P6cheurs et Jesus, II, 100-103.
Pentecote, II, 571-572.
Perfection chretienne, I, 397-398; II,
14-18.
Persecutions centre les Chretiens,
I, 13-15; II, 277.
Pharisiens, origine du nom, I, 288;
doctrines et tendances, I, 254-264;
legalisme, I, 259-262 ; influence,
I, 261-262; opposition a J6sus, I,
262, 326-328, 335 ; II, 265 ; anathemes
cleJdsusa leuradresse, II, 104-106.
Pierre (saint), sa primaute, I, 105,
407; II, 63-65, 279, 381, 571, 575;
son martyre a Rome, I, 71 n. 1.
Platon, sa conception de la divinite
1,349-350; II, 109, 133.
Polytheisme greco-romain, I, 347-
348; II, 537-540, 554-555, 593-594.
Voir Mysteres.
Preparation evangelique dansle*
monde pai'en, II, 536, 552-554, 595-
596.
Priere chez les pai'ens, I, 347-348 ,
dans la religion grecque, 1, 347 n. 2;
dans le N. T., exemple de Jesus,.
88-90; ensignement de Je"sus, I, 360,
362-363; II, 89-90; adressde a 36-
sus, II, 566-567.
Prochain (amour du), I, 388-398.
Progres dans 1'enseignement de Jesus,
I, 337-338.
Prophete et Proph6tie, II, 3-4, 57,
59, 246-255; caractere et valeur de
1'argument proph6tique, 250-255;
proph6tie et histoire, II, 252-253, 300,-.
prophecies messianiques, I, 271-
272, 278-279, 319-320; interprdta-
tion litteraliste des Juifs, I, 273-274,.
314; II, 301-302; prophecies de J6-
sus, 11,256-311.
Proselytes, 1,244-245; II, 377.
Protestantisme de Luther, II, 163-
166, 665 ; - liberal, II, 180-192, 592,
655, 660.
Providence divine, I, 365-369; et
miracle, II, 227, 408.
Puissance (nom divin), 11,41.
Purifications dans les religions a-
mysteres, II, 555-556.
Pythagore et Fythagoriciens, I,.
43, 129 n. 1; 11,546, 553,578.
Q (source), 1, 102, 113, 118, 177; es-
sais de restitution, I, 113 n. 1.
Rabbinique (litte"rature), I, 9-11, 268-
n. 2; 11,144-148.
Rabbinisme, meChode d'enseigne-
ment, I, 10, 202; d6votion a la Loi,
I, 165 ; II, 9-1 1 ; attitude envers le
Christ, I, 9-11, 321 n. 2 ; II, 144-150.
Rationalistes et probleme du Christ,.
II, 167-169, 170-178. 181-185, 187, 193-
202.
Redemption par le Christ, II, 258,.
261, 263-264, 268-269, 377, 531, 568-
569, 570-571, 581 n. 1.
Regie d'Or , 1, 389.
Religion, ses 616ments primordiaux,
1, 402; II, 592, 615; personnel^
de Je"sus, II, 85-98. Voir Christia-
nisme .
Remission des peches dans le N.
T., II, 19-20.
Renaissance (epoque de la), II, 166-
168.
Renoncement chreCien, II, 23-24.
INDEX ALPHAS ETIQUE DBS MATIERES.
693
Resurrection des corps, II, 375-
376,377,380,444-445.
Resurrection du Christ, prSdite,
II, 262, 266-271 ; re'alite' historique,
II, 372-409 ; r61e dans la foi des
ap6tres, 11,405-409,426-427, 563, 565,
569-570 ; essais d'explication natu-
relle, II, 409-434, par la fraude, II,
409-410, par les croyances prdexis-
tantes, 11,411-412, par I'hallucination,
II, 422-427, par des infiltrations
pai'ennes, II, 428-434 ; valeur pro-
bante, II, 434-446 ; analogies dans
les rdcits helle'niques et rabbiniques,
II, 464-469.
Revelation du Christ, son 6co-
nomie ., I, 315-316 ; II, 7-59.
Richesses dans le N. T., I, 86-87.
Rois thaumaturges, II, 477-479.
Rome, sa colonie juive, I, 6, 12; son
oglise chr6tienne, 12-13 ; II, 562
583-584.
Royaume de Dieu, ou des cieux, I,
60 n. 3 ; notion dans 1'A. T. et le
judaisme, I, 269-279 ; dans le N.
T. , 1, 361-362, 377-388 ; II, 271-280, 561-
562; sa consommation, II, 297-299,
306, 462-463. Voir Fin du monde.
SacrementSj II, 607-608. Voir Bap-
tfime, Eucharistie.
Sadocites (fragments), I, 258.
Sadduceens, I, 254-259; origine
du nom, I, 288-289.
Sagesse chretienne, II, 597.
Saintete du Christ, II, 92-98; sa fe-
condite, II, 623-624, 658.
Samothrace (mysteres de), II, 545-
546, 591, 629.
Sanhedrin, I, 249.
Sante mentale de J6sus, II, 81, 122-
125.
Sauveur, II, 531, 597, 600.
Schekhina, I, 60 n. 3; II, 33 n. 2.
Schema, I, 242.
Scribes en Israel, I, 242, 254-255;
opposition a Jesus, I, 326-328.
Secret messianique, I, 311 n. 7;
II, 33.
Seigneur, nom donne au Christ, II,
7, 563-567, 603-604.
Sepulture du Christ, II, 372-373, 493-
499.
Serapis, dieu guerisseur, II, 480-481,
483.
Sermon sur la Montague, I, 366-
369, 371-374; II, 114-115.
Service de Dieu dans le N. T., I,
363-365; du prochain, I, 392-
393
Serviteur de lahve, I, 278, 324; II,
32, 39-40, 263-264, 568, 570.
Simon le Mage, I, 308 n. 2; II,
574.
Sociniens, II, 169.
Sociologique (Ecole), I, 195-200.
Socrate, I, 349; et Jesus, I, 405-
406.
Soufls, I, 361 n. 1, 386.
Souffrant (Messie), I, 278-279; II,
259, 568, 570.
Sources des Svangiles, orales, I,
101 ; e"crites, I, 109-112; theo-
rie des Deux Sources, I, 101-105.
Stoiciens, I, 161 n. 2, 168, 352-353;
II, 553.
Subconscient et Christologie, II, 206-
207.
Suggestion et miracle, II, 356-364,
487-492.
Symboles de foi, II, 267 n. 1, 497-
499.
Symbolique (explication) du quatrie-
me evangile, I, 127-128.
Synagogues, I, 242-243 ; et litur-
gie chre"tienne, II, 576-577.
Syncretisme pai'en, II, 539-540,
544-555; et judaisme, I, 282-283;
et christianisme, II, 530, 554-
555.
Talmud ethistoire du Christ, I, 9-11;
II, 146-150.
Tammouz, II, 433, 520-524, 531.
Temples juifs, I, 241-242.
Tentation de Jesus, I, 306-309; II,
84-85.
Testament (Ancien et Nouveau),
origine de 1'appellation, I, 19 n. 2.
Tetramorphe, I, 18, 92. Voir fivan-
giles canoniques.
Texte du Nouveau Testament, I, 36-
38.
Tombeau de Jesus, II, 503-505.
Tradition orale de PEvangile, 1, 101,
109-110.
Transfiguration de Jesus, II, 32-
33, 66-68.
Trinite (Sainte), II, 80, 213 n. 1, 215
' n. 2, 217-218, 596-599, 635, 637.
Tubingue (Ecole de), II, 182-183,
582.
694 INDEX ALPHABETIQUE DBS MATJERES.
Universalisme chr6tien, I, 64, 371, Vie, dans saint Jean, I, 168, 170.
393-394; II, 33, 54; 575, 595, 604, 658- Vie eternelle, I, 369-376, 387-388
660. II, 601.
Urmarkus, I, 102 n. 1, Vigilance, II, 300.
' Virginite, I, 384; II, 638.
Verbe-de Dieu, voir Logos.
Verite, dans saint Jean, 1, 168, 170. Zelotes, 1, 251-252, 312.
ACHEVE D'IMPRIMER
EN LA FETE DE LA
NATIVITE LE XXV
DECEMBRE MCMXXVIH
PAR FIRMIN-DIDOT AU
MESNIL POUR GABDIEL
BEAUCIIESNE A. PARIS
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