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R. P. LfiONCB DE GRANDMA18ON 
de la Gompagnie de J6sus 



JESUS CHRIST 



SA PERSONNE, SON MESSAGE, 
SES PREUVES 



HUITI&ME EDITION 



II 





MCMXXIX 



JESUS CHRIST 



II 



Droils de reproduction, de traduction et d' adaptation* 

reserves pour tous pays. 
Copyright by GABRIEL BEAUCHESNE 1928. 



R. P. LfcONCE DE 
de la C 






JESUS CHRIST 

SA PERSONNE, SON MESSAGE, 
SES PREUVES 



HUIT ifeME EDITION 



II 




GABRIEL BEAUCHESNE, ^DITEUR 
A PARIS, RUE DE RENNES, 117 



MCMXXIX 



obstat 

Lutetice Parisiorum die XIX" martii 1928 

JOSEPH HUBY 



IMPRIMATUR 



Lutetiae Parisiorum die XXI a martii 1928 

t LOUIS CARD. DUB01S, 
arch, dc Paris. 



LIVRE IV 
LA PERSONNE DE JESUS 



iflESUS CURIST. II. 



862894 



CHAPITRE PREMIER 

LE TEMOIGNAGE DU CHRIST 

Pour soucieux qu'il soit d'effacer sa personne derriere son 
message, un prophete ne peut s'empe'cher de se mSler, dans 
une large mesure, a 1'enseignement qu'il transmet. La for- 
mule des grands voyants d'Israe'l si humbles par ailleurs, 
si p^netres de la transcendance absolue de Dieu Ainsi 
parle le Seigneur lahve , ne les dispense pas de donner, sur 
les circonstanees de leur appei et leuf qualification comme 
prophetes, les renseignements ne"cessaires. Parfois aussi, les 
conditions d'une revelation particuliere les amene a se mettre 
en scene. G'est le cas, par exemple, quand leur personne 
m6me doit prophetiser, leurs actions et demarches servant a 
la communication divine de symboles plus expressifs que ne 
sauraient 1'etre de simples paroles : 

Ainsi me parla lahve : Va, achete une cruche d'argile; prends 
avec toi des anciens du peuple et des anciens des pretres, et sors vers 
la vallee de Ben-Hinnum, qui est en lace de la porte de la Poterie; et 
la tu proclameras ce que je te dirai. Tu diras : Ecoutez la parole de 
lahve, rois de Juda et habitants de Jerusalem. Ainsi parle lahve des 
armees, Dieu d'lsrael : Voici, je t'ais venir un fleau sur ce lieu-ci ; tous 
ceux qui 1'entendront, les oreilles leur tinteront, parce qu'ils m'ont 
abandonne et ont aliene ce lieu, etqu'ils y ont encense d autres dieux ; . .. 
ils ont rempli ce lieu du sang des innocents. Us ont construit les 
hauls lieux de Baal pour bruler leurs fils dans le feu en holocauste a 
BaaJ . je ne leur ai jamais prescrit ni dit cela... Aussi, voici que des 
jours viennent, declare lahve. oil... je ferai de cette ville un desert, un 
objet de risee ; quiconque passera presd'elles'etnnneraetricanera... 

Et tu briseras la cruche sous les yeux des hommes venus avec toi.; 
et tu leur diras : Ainsi parle lahve des armees : Je briserai ce peuple 
etcettevillecommeonbrisela cruche dargilequ'onne peut reparer... 

Pashour, fils d'Immer, pretre et inspecteur dans le temple de 
lahve, entendit J6r6mie pronongant cette prophetic. Et il lit frapper 



4 JESUS CHRIST. 

leprophete Jere'mie et le fit mettre aux ceps, a la Porte Supericure 
de Benjamin * . 

Les contre-coups de son ministere dans la vie dti prophete : 
foi ou incredulite des auditeurs ; opposition faite a son mes- 
sage; persecutions suscitees par les ennemis de Dieu; puis- 
sance irresistible d'inspiration, 1'amenent aussi a des confi- 
dences personnelles i 

Tu m'as seduil, lahve, et je me suis laisse seduire; 
tu etais le plus fort et tu as triomphel 
Je suis la riseede tois les jours, 
la fable 4e tout le monde. 



j chaque fois que je parle, je dois crier, 
proclamer violence et ruine; 
Car la parole -de lalive st pour moi 
opprobre et honte tout le jour. 

Je me suis dit : je n'y penserai plus; 

en son nom, je ne (jarlerai plus! 
Et c'etait dans mon sein comme un feu dcvorant, 

enferme dans -mes os. 
Je m -epuisais ;a le coutenir 

,etje ne pouvaisle porter 2 . 

En depit de son dessein forme d'effacemenfc, et en partie pour 
le r^aliser, nous avons entendu Jean Baptiste lui-mme, Ic 
dernier et le plus grand des prophetes de 1'Ancien Testa- 
ment, preciser la nature e.t les limites de sa mission. 

Si aaous sontons d'Israel, nous voyons tous les hommes qui 
out provoqu^ 'eonsciemment un mouvement religieux, iamenes 
par des Taisons analogues a de'finir leur r61e et I'autorite 

1. J^r6mie 3 KIX, 1-11 ; xx, l-5;tead. A. Condanain. Onnerelfevera ici que Je 
fait du 'prophete se. mettant en scene. La pant de ;la i<6alite dans certaines 
de ces 'actions symboliques prescrites aux voyamts : 'Osee, i-ti\ ; Jeremie, 
xvi, etc., n'est pas 4 -etudier ici. On pent voir ia-dessiis dams le sens 
r6aliste, D. Buzy, Les xymboles d l'Anc.wn Testament, Paris, 1923 ; et 
dans .Pautre, A. ftegnier, Le rdalisme 'dans les .Symboles des prophetes, 
RB, 1923, p. .383-408. 

2. Jeremie, xx, 7^9;:trad. A.'Condamin. Sur les modalites He cette ins- 
piration, onpeut voir la belle 6tude du meme auteur : s. v. Prophe'ttsme 
isr.ae'lite, n. IV, DAFC, W, col 395-405. 



LE TEMOIGNJLGE DU CHRIST. ' 5 

qu'ils s'attribuaient. G'est une ne*cessite de situation qui s'im- 
pose a tous, des plua grands aux plus manifestement aber- 
rants, du Bouddha Qakyamouni an fondateur des saints des 
derniers jours 1 , Joseph Smith. Le cas de Mahomet est par- 
ticulierement instructif. Quelque part qu'il faille attribue.r an 
facteur social dans les origines et le premier succes de sa 
predication 2 ,, il est certain que le prophete poursuivit,, des le 
debut, principalement sinan exclusivement,, une fin. d'ordre 
religieux, et qn'il s'est cru, a la suite de songes,. appele a 
travailler au relevement moral de ses compatriotes 3 . Aussi, 
me'me apres que lea cir, Constances politiqn,es ; et personnelles 
Teurent amene a mettre sons le coinvept de la revelation des 
solutions; de simple prudence, on des expedients qn'il ne pour 
vait bonnement croire d'origine divine,, ne cessa-t-il pas de se 
proclamer 1'envoye de Dieu et le Scean des psrophetes . 
G'est dans la sourate la plus audaciense du Goran T celle; ou il, 
se fait octroyer par le Seigneur un blanc-seing pour les infrac- 
tions, presentes et futures, aux lois promulguees par Iui-m6me 
et maintenues pour tous les autres, touchanfc le mariage et 
les femmes, que se trouvent les declarations les plus nettes 
de son mandat prophetique*. 

1. C'est le nom officiel des Mormons. Voir Saints (Lalter-Day) dans 
KREy XI, 82-90, par I. Woodbridge Riley; et Ed. Meyer, Ursprung und 
tietckichte der Mormonen, Halle, 1922. 

2. Hubert Grimme, M'ohammed, Munster i. W., I, 1892, cfa. H,. p. 24 
suiv. La plupart des sp6cialistes ont refuse^ de suivre L'auteur jusqu'afli 
bout dans; sa these principale, d'apresi laquelle e 1'Islam n'est nuldement 
venu a 1'existence comme im systeme religieux, mais comme une tenta^ 
live d'ordre socialiste, destinee k remedier a eertains abus . terrestres 
extremement criants >, ibid., p. 14. Voir les appreciations de Th. NoeLdeke, 
Appendice, Die muhammedanischcn Quellen vnd die neuere christliche 
Forschung, etc. (2, B>. Die Christlichen Biographen des Prapheteri), a sa, 
Gcschichle des Qorans 2 , ed. F. Schwally, II, Leipzig, 1919,. p. 205; et d'Ed. 
Power dans Chris tus*, p. 769. 

3. Henri Lammens, Mahomet fut-il sincere ? et tout le contexte, dans 
RSR, II, 1911, p. 32 suiv. 

4. La sourate 33,. dite t les Conf6d6r6s , datant de L'epoque m6dinoise. 
Les versets cit6s ici, dans le texte et en note, sont attribues par Th. Noel- 
deke, Geschichte des Qorans*, ed. SehwalJy, I, Leipzig, 1909, p. 206-209, 
aux environs de Tan V de l'H6gire, A. D. 627, done peu d'annees avant la 
mort du Prophete, en 633. 



6 JESUS CHRIST. 

Mohammed n'est le pere d'aucun de vous. II est I'envoye" de 
Dieu et le Sceau des prophetes. Dieu connait tout. 

prophete! nous t'avons envoye pour 6tre temoin, pour annon- 
cer nos promesses et nos menaces. 

Tu appelles les humains a Dieu, tu es le flambeau lumineux. 

Annonce aux croyants les tresors de la muniticence divine 1 . 

On doit done s'attendre a trouver dans le message de Jesus 
des revelations sur sa personne. L'originalite de 1'^vangile en 
oe point consiste justement dans 1'etroite union allant, 
pour une grande part, jusqu'a Pidentification de la per- 
sonne avec le message. On pourrait grouper les indices de ce 
genre autour des titres donnes au Maitre ou revendique's par 
hii : Roi des Juifs, Prophete, Messie, Temoin de la verite^ Kils 
de David, Fils de l'homme, Fils de Dieu. Avec de serieux 
avantages de clarte, ce precede presente I'mconvenient de 
Brouiller les plans, et de reunir, sans souci du contexte et de 

1. Le Koran, trad. Kasimirski, XXXIII, v. 40, 44-46. Dans la mSme sou- 
rate, et aussitot apres, Mahomet se fait dire par Dieu : prophete ! il t'est 
permis d'epouser les femmes que tu auras dotees, les captives que Dieu 
a fait tomber entre tes mains, les filles de tes oncles et de tes tantes 
maternelles et paternelles qui ont pris la fuite avec toi, et toute femme 
fidele qui aura donn6 son ame (eile-meme) au prophete, si le prophete 
veut 1'epouser. C'est une prerogative que nous t'accordons sur les autres 
eroyants. 

Nous connaissons les lois du mariage que nous avons etablies pour les 
croyants. Ne crains point de te rendre coupable en usant de tes droits. 
Dieu est indulgent et misericordieux. 

e Tu peux donner de 1'espoir a celle que tu voudras, et recevoir (dans ta 
coHche) celle que tu voudras, et celle que tu desires de nouveau apres 
Favoir negligee. Tu ne seras point coupable en agissant ainsi ... Ib>d., 
XXXIII, 49-51. Auparavant, Mahomet s'estdonne en exemple aux croyants : 
< Vous avez un excellent exemple dans votre prophete, un exemple pour 
ceux qui esperent en Dieu et croient aux jours derniers, qui y pensent 
souvent > (v. 21). 

Goldziher dit avec beaucoup d'indulgence a ce propos : II semble 
qu'il ait eu, de tres bonne foi, conscience de sa faiblesse humaine, et il 
veut que ses croyants voient en lui un homme avec toutes les imperfections 
d'un mortel ordinaire... il ne s'est jamais senti un saint et il ne veut pas 
non plus passer pour tel. Les dor/mes e' la loi de V Islam, trad. F. Arin, 
Paris, 1920, p. 19. Mais cette reflexion n'est appuy6e d'aucun texte, et 
nous craignons que 1'emirient islamisant ne voie ici le Prophete plut6t 
tel qu'il a du 6tre, que tel Qu'il fut. 



LE TEM01GNAGE DU CHRIST. 7 

la chronologie, des indications fort differ entes d'origine et de 
portee. Nous n'essayerons pas me'me de classer, comme cer- 
tains auteurs 1'ont fait excellemment, dans un ensemble or- 
donne mais encore un peu artificiel, les e (fusions, les declara- 
tions, les suggestions au moyen desquelles Je"sus a donne de 
sa personne 1'impression que toute 1'antiquite chretienne a 
traduite en ces mots : Jesus est le Seigneur : Kyrios Chris- 
tos . 

Diminuant, dans toute la mesure du possible, la part d'ar- 
rangement et de presentation personnelle, nous viserons a 
donner, des documents, le sentiment le plus immediat, le plus 
direct. Selon le mot si expressif de Savonarole, dans son 
Triumphus Crucis, nous mettrons en tas les confidences et 
les aveux du Christ, relevant, dans nos evangiles synoptiques 
d'abord, puis dans le quatrieme, avec un minimum d'interpre- 
tation destine surtout a les situer, les paroles constituant le 
temoignage rendu par le Maitre a sa mission'. A notre tour, 
nous lui posons la question qui tient en 'suspens, depuis pres 
de deux millenaires, toute ame religieuse et non encore mi- 
tie e, abordant pour la premiere fois la lecture des evangiles : 
Vous, que dites-vous de vous-me'me? 

1. II est impossible de ne pas prendre parti, puisque la matiere synop- 
tique n'est pas disposee dans le meme ordre en nos trois premiers Evan- 
giles. Nous nous sommes efforc6 du moms de reduire au minimum les 
choix sttbjectifs en adoptant les divisions generalement recues : L La 
Predication surlout Galileenne, allant des debuts du ministere de J6sus, 
apres la Tentation (Mt., iv, 12 ; Me., i, 14; Lc., iv, 14), jusqu'a la derniere 
montee vers Jerusalem, marquee par la confession de Pierre, suivie des 
episodes et enseignements qui s'y rattachent manifestement (Transfigu- 
ration, etc.) ; II. La tmrntee vers Jerusalem, depuis le depart de Galilee 
(Mt., xix, 1; Mc.,x, 1.; Lc., ix, 51) jusqu'a 1'entree solennelle dans la Cite 
sainte (nous avons fait rentrer dans cette partie, avec la presque ima- 
nimite des exegetes, les enseignements essentiels que saint Luc nous a 
gardes et qui se trouvent aux chapitres x-xix deson evangile); III. Les der- 
niers jours et la consummation, apartir des Rameaux (Mt., xxi, 1; Me., xr, 
1 ; Lc., xix, 29) jusqu'a la fin. 

Dans 1'inte'rieur de ces sections, qui sont pratiquement incontestees, nous 
avons suivi ordinairement 1'ordre adopte dans la synopse de Burton et 
Goodspeed, A Harmony of the Synoptic Gospels in Greek, Chicago, 1920. 
Sur 1'exception faite pour Luc, iv, 26-30, voir supra, tome I cr , liv. Ill, 
p. 316, n. 1. 



8 JESUS CHRIST. 



d. Le Maitre de la Loi nouvelle. 

Us e*taient stupefaits de son enseignement, car il les ensei- 
gnait comme un qui a puissance, et non comme leurs scribes 1 . 
Ges paroles, qui traduisent 1'impression des bonnes gens T 
premiers auditeurs de Jesus, nous introduisent bien dans notre 
etude. x 

II y avait, certes, lieu de s'etonner, car jd'emblee Je*sus 
s'etablissait en maitre 2 sur le terrain legal, a une epoque ou 
de plus en plus, en Judee surtout, la Loi etait 1'objet d'une 
veneration allant jusqu'au culte, jusqu'a la superstition, jus- 
qu'a une sorte d'apothepse. On en viendrait a representer Dieu 
assujetti Iui-m6me a la Loi, recitant sa priere quotidienne, se 
purifiant apres avoir enseveli Moise 3 ou encore s'asseyant 



1. Mi, vn, 28i-29; Me., i, 22. 

2. Ceci, moins encore par la forme de son discours : Moi, je vous dis , 
formule dont on retrouvait parfois 1'equivalent litteraire chez les rabbins, 
que par sa fagon de decider par lui-meme, sans s'etayer a une autorite 
anterieure, ecrite ou traditionnelle. G. Dalman dit tres bien que : Pour 
Jesus il ne s'agit pas d'opposer une interpretation scripturaire personnelle 
a 1'interpretation des scribes. Lui n'interprete pas, mais annonce, ind6- 
pendamment de la lettre legale, ce qui est juste dans le Royaume de Dieu. 
Son Moi, je vous dis n'est done semblable que par 1'expression exte- 
rieureau Moi,je vous dis > d'un rabbin . Jesus- Jeschua, Leipzig, 1922, 
p. 69. 

3. A. Marmorstein dans REJ, LXVIII, 1914, Quclques Probtemes de Van- 
cienne Apologdtique juive, p. 165-166 : Si Dieu observe le sabbat, la 
Loi ? j Au 111 siecle, cette these est exposee avec le plus de force par Rab, 
R. Johanan, R. Elazar, R. Isaac, et R. Aha ben Hanina, p. 167. Rab 
(rapporte par R. Jehuda) : Le jour a" douze heures dont trois sont consa- 
crees par Dieu a 1'etude de la Loi. 

R. Johanan (rapport6 par R. Berekhia et R. Hiyya) enseigne que Dieu 
s'est enveloppS d'un vetement garni de cicith et a montre a Mo'ise com- 
ment on doit proclamer solennellement la nouvelle lune. 

R. Elazar dit : Dieu ne pent pas etre compare a un roi mortel. 
Celui-ci edicte des lois et des ordres auxquels les autres doivent se con- 
former, mais dont lui-meme ne tient pas compte. Dieu au contraire a 
donn6 des lois et les a observees. 

R. Isaac va plus loin : Selon lui Dieu met tous les jours des phylacteres 
tradition de R. Abin ben Ada) et il admet que Dieu s'est fait relever, par 



LE TEM01GNAGE DU CHRIST. 9' 

pour tudier la Torah 1 . Chaque lettre de celle-ci est une 
creature vivante et a contribue a la creation du monde 2 . Sous 
des formes diverses, parfois tres elevees dont 1'exemple- 
classique est le Psaume cxix, qui compte autant de strophes de 
8 versets que 1'alphabet hebraiique compte de lettres [22] 
c'est un hymne a la Loi, une aerie de variations sur le theme 
unique de la beaute, de la douceur, de 1'amour de la Torah. 
Gefcte exaltation inouiie etait un fait acquis aux temps evan- 
geliques. On a fait remarquer tres justement, avec pieces a 
1'appui, que tous lea attribute donnes au Verbe de Dieu par 
s,aint Jean au del>ut de son e"vangile Au commencement etait 
le Verbe, et le Verbe etait aussi de Dieu, et le Verbe etait 
Dieu, etc... sont donnes par les anciens Rabbins a la Torah 
identified a la Sagesse de Dieu 3 . 

Les parties les plus anciennea des traditions recueillies- 
dans-le Talmud emportent temoignage et font, par une conse- 
qnence naturelle, de 1'etude de la Loi et de son exe"gese casuis- 

les docteurs de la Loi, du voeu qu'il avait fait d'an6antir les Israelites- 
lorsque ceux-ci ont commis le p6che du veau d'or. 

R. Aha ben Hanina imagine une 16gende semblable a celle-la. Lorsque 
Moi'se entra au ciel pour recevoir la Loi, il trouva Dieu discutant sur la 
question de la Vache rousse et mentionnant les opinions des docteurs. 

Rappelons encore deux sentences qui ne tendent autre chose qu'a 
montrer que Dieu e"tudie avec ardeur la Torah (de Oula, et de R. Jehuda. 
qui 1'avait certainement entendu 6mettre par son maitre Rab >). Ibid., 
p. 167-168. 

1. La-dessus W. Bousset, Die Religion des Judentums im N. T. Zeital- 
ter 2 , Berlin, 1906, p. 136-162. Les paroles du fameux Rabbi Hillel sont 
conm\es(Pirfie'Abot!i, ed. R.Travers Herford, II, 8; 6d. H. L. Stracfc, II, 7) r 

Plus de chair, plus de vers, 
Plus de richesse^plus de soucis, 
Plus de servantes, plus de libertinage, 
Plus de serviteurs, plus de volerie, 
Plus de femmes, plus de superstition, 
[Mais :] Plus de Torah, plus de vie, 

Plus de sagesse, plus d'eleves (chez un rabbin), 
Plus de bienfaisance, plus de paix. 

2. Abodah Zarah, 3 6, dans L. Blau, JE, XII, 197, B, s. v. Torah. 

3. Cf. Eccle., xxiv, 1-21, coll. xxiv, 22 suiv. ; Baruch, in, 15 suiv., coll.. 
IV, 1. Cf. Strack et Billerbeck, KTM, II, 353 a 358, et Ch. Bugge dans la-. 
fievue d'ffistoire et de Phil. Relig. (Strasbourg), 1924, p. 453-454. 



10 JESUS CHRIST. 

tique la plus noble occupation de 1'homme. Chacun de ceux 
qui se livrent a 1'etude de la Torah pour elle-me'nie, dit Rabbi ! 
Meiir, disciple d'Aqiba, est digne de toutbien. G'est trop peu 
dire : le monde entier dans sa plenitude ne vaut pas plus 
que lui (Pirke" Aboth, vi, 1). Plus grande est la Torah que 
le sacerdoce et la royaute, car la royaute est acquise moyen- 
nantSO qualifications, et le sacerdoce, 24! Mais pour [la science 
de] la Torah, il en faut48 (Pirke Aboth, vi, 6; vi, 5, Strack). 
Etudier la Torah vaut mieux que le salut d'une vie d'homme, 
que 1'edification du Temple, que 1'honneur qu'on rend a ses 
pere et mere (L. Blau, JE, XII, 197 B). Un jour passe a etu- 
dier la Torah vaut mieux que mille sacrifices. La Torah est 
la raison d'etre du monde et son dgide : elle protege le monde 
entier . Aussi un Gentil qui etudie la Torah est aussi grand 
-que le grand pretre (L. Blau). 

Au rebours, qui ignore ou neglige 1'etude de la Loi ignore 
tout, neglige 1'essentiel. Un tel homme, rhomme de la glebe, le 
croquant, le manant, Yam-ha-arez, n'est pas seulement un 
malheureux, c'est un miserable, indigne de toute pitie, un 
paria qui s'est mis Iui-m6me au ban de la societe. Le pur, le 
vrai Pharisien, ne doit ni lui vendre, ni lui acheter aucun fruit, 
frais ousec, ni recevoir de lui ni lui donner Thospitalite 1 . En- 
core moins peut-on lui ouvrir sa maison par un mariage 2 . Son 
lemoignage n'est pas recevable en justice ; il est inapte a toute 
fonction; c'est un danger public, et aussi bien si 1'avenement 
des temps messianiques est retarde, si les malheurs fondent 
.sur Israel, la faute en est a son impiete. Bref et c'est le doux 
Hillel qui formule cette loi Un manant (bdr) n'a pas de 
-conscience, un homme sans culture legale (am-ha-arez) n'a 
pas de piete 3 . 

Rabbi Jonathan dit : Un homme sans culture legale, on 
doit le fendre en deux comme un poisson. Et Rabbi Eleazar, 
surencherissant : Un am-ha-arez, il est permis de le percer 
d'outre en outre, meme un jour de Reconciliation qui tombe- 

1. e Am-ha-arez, laisse avant d'entrer dans une maison ton habit du 
dehors, et la maison ne sera pas cens6e profaned. > 

2. A une pareille union s'appliquerait la malediction de 1'Ecriture 
.(Deut., xxviu, 21). - 

3. Pirkt Aboth, II, 5. B6r est le superlatif, un am-ha-arez renforc6. 



LE TEMOIGNAGB DU CHRIST. 11 

rait le jour du sabbat (done deux fois sacre") . Dites, 
Maitre, repartirent les disciples : on peut 1'immoler. Mais 
iui : Immoler implique 1'usage d'une benediction; percer n'en 
implique pas 1 ! Et le grand Rabbi lui-m^me (Juda ha-Nasi) 
ayant en temps de disette ouvert ses greniers dit : Peuvent 
venir chercher du pain ceux qui connaissent la Loi, la Mischna, 
la Gemara, la Halalca, la Haggada. mais non les amme-ha- 
arez / Or Jonathan b. Amram se trouva dans le besoin et 
vint Iui dire : Rabbi, nourris-moi . II Iui dit : As-tu ap- 
pris la Loi? II repondit : Non . As-tu repete la Mischna? 
II repondit : Non . Alors comment pourrais-je te nour- 
rir? Et celui-ci : Nourris-moi comme tu nourrirais un chien 
ou un corbeau. Quand 1'homme fut parti, Rabbi s'assit et 
s'aflligea dans son coeur, disant : Malheur a moi ! J'ai donne 
mon pain a un am-ha-arez 2 / 

La position adoptee par Jesus en face de la Loi est haute- 
ment revelatrice. Elle s'ecarte autant du litteralisme superfi- 
ciel et paresseux des Sadduceens que du formalisme decisif 
de beaucoup de Pharisiens. Elle repudie a la fois la negligence 
des indifferents, et le litteralisme sans ame des scribes. Elle 
concilie le respect le plus entier pour I'mspiration divine de 
1'Ecriture, : et notamment de la Loi, avec la liberte la 
plus singuliere. 

Ne pensez pas que je sois venu annuler la Loi et les Prophetes; 
Je ne suis pas Venu annuler, mais accomplir 3 . 

1. Pesachim, 49 b. 

2. Baba-hathra, 8 a. II y a quelques paroles moins dures, et il faut 
tenir compte dans ces traits du grossissement p6dagogique, mais 1'en- 
semble est clair. Sur tout cela voir les dissertations tres moderees de George 
F. Moore, The Am-ha-arez and the Haberim dans The Beginnings of Chris- 
tianity, I, London, 1920, appendice E, p. 439-445; etsurtout H. L. Strack 
et P. Billerbeck, KTM, II, 1924, p. 509-519, depouillement exhaustif de la 
litterature rabbinique. 

3. Mt., v, 17. Le sens de cette declaration capitale est fort clair si on 
la replace dans la pensSe et la terminologie du temps. II s'agit de toute 
la revelation, de toute l'6conomie ancienne : < la Loi et les Prophetes >, 
expression consacr6e pour indiquer 1'Ecriture : Mt., VH, 12; xi, 13; xx, 
40; Lc., xvi, 16; Jo., i, 45; Rom., m, 21, etc... 

Annuler, Iitt6ralement delier (xaTaXuoat) et accomplir (nXyipousBat) se 
r6pondent et s'6clairent mutuellement. Le second traduit 1'hebreu Kijjem 



12 JESUS CHIHST. 

Et tout aussit6t, par une de ces hyperboles familieres qui' 
gravaient son enseignement dans une image ineffacable, le 
Maitre va repousser loin de la pens&e de ses disciples toute- 
idee d'anarchie, d'anoniie, de liberte charnelle. Nous enten- 
drons Paul rappeler quie son rejet des eontraintes* legales dtaii 
une substitution, non une abrogation,, et que 

S'ctant fait esclave de tous : 
II s'est fait pour les Juil's comme un Juif, 

pour ceux qui sont sous (lejougde) la Loi, comme (sous le jmig de}la 

[Loi y 

n'etant pas sous (le joug de) la Loi, 

afin de gagner ceux qui etaient sous (le joug de) la Loi. 

II s'etait fait (egalement) sans-Loi pour les sans-Loi. 

Alors qu'il n'est pas sans-Loi de Dieu, mais en-Loi de Christ,. 

Afin de gagner les sans-Loi... 

I Cor., ix, 19-21. 

Ainsi, et pour la meme raison, Jesus inculque puissamment r 
et j'allais dire materiellement,, comme il conyenait a un peuple- 
dont la nuque etait raide et la tete dure, que la Loi de lavhe- 
n'a rien a craindre de lui : 

Oui, je vous le dis, jusqu'a ce que passent ciel et terre, 
Un iota, un trait, ne passera pas de la Loi, 
Jusqu'a ce que tout soit arrive. 



(aram. Kajjem) : confirmer, homologuer, ratifier, tenir pour valable et' 
mener eifectivenaent a bien, accomplir. Le premier traduit rh6breu 
bUtel (aram. batfel) : interrompre, laisser tomber, abolir, abroger, inva- 
lider (nichtig machen, nullify), require effectivement a rien, annuler. 
Un chacun qui, dans la pauvret6, accomplit la Loi, I'accomplira dans- 
la richesse, et qui, dans la richesse, laisse tomber la Loi, la laisse comple- 
tement tomber dans la pauvretS > (Pirke Aboth, IV, 9). Sur le cot6 lexi- 
cographique, voir G. Dalman, Der Erfuller des Geseizes, dans Jesus-Jes- 
chua, Leipzig, 1922, p. 52-57. 

Jesus se defend, non d'innover, mais d'abolir, d' annuler. Loin de laf 1 
II est venu au contraire pour achever, mener effectivement a son terme 
et a sa perfection 1'oeuvre divine personnifiee en Israel par la Loi et les- 
Prophetes . Si ensuite, il n'est plus question quede la Loi, c'est que les- 
scribes donnaient a celles-ci une pr6cellence stir les autres parties de 
1'Ecriture : Prophetes, ou Prophetes et Hagiogiaphes. Rabbi Jochanan 
(f <!79) ira jusqu'a dire que : Les Prophetes et les Hagiographes seront 
finalement (au temps messianique) abrog6s, invalides; mais les cinq 
livres de la Loi ne le seront pas ; Pal. Megilla, I, 70, rf; autres textes 
dans Strack et Billerbeck, KTM, I,"p. 246. C'est acepropos de la Loi que 
les scandales pouvaient se produire et qu'il importait de les pr6venir. 



LB TEMOJGNAGE DU CHRIST. 13 

Celui done qui deliera un de ces eommandements, je dis : des plus 

[p.etits... et.enseigne ainsi les gens, 
II sera moindre dans le Royaume des cieux. 
TMais, qui les accomplira et les enseignera, 
Celui-la sera grand dans le Royaume des cieux. 



La revelation coritenue dans les Ecrilures est integrale- 
ment divine dans son inspiration. Jesus n'est pas venu pour 
vn .repudier la moindre parcelle : dans une page ecrite du 
doigt du Pere, anatheme a qui bifferait la plus petite lettre, 
le moindre trait 1 ! Ce temeraire cnoisirait dans le depdt divin 
<ju'on doit garder en entier. Qu'il n'aille pas non plus s'auto- 
riser des distinctions ca'suistiqu-es entr-e grand et moin- 
dre commandement 2 . Les uns t les autres sont divins. A ce 
litre, tons ont une valeur inestimable. Celui-la done qui les 
tient pour n.egligeables .et enseigne aux aulres a les trailer 
comme tels, ne 4oit pas ,se flatter d'entrer dans le Royaume 
des eienx. La peine du talion lui sera appliquee : ces injonc- 
tions qu'il recommandait comme inspirees, il les a jugees 
peti'tes, trop petites pour meriter d'etre observees ou ensei- 
gnees ; lui a son tour sera trouve petit, trop petit pour entrer 
dans le Royaume! Au contraire, celui qui traitera avec lion- 

1. Ces expressions etaient fam$liferes aux scribes, et, comme de toutes 
Jes lettres la plus petite est le Yod (1'iota grec), c'est celle que J.6sus choisit. 
Rabbi Simeon ben Jochai (vers 150.) raconte que Je livre du Deut^ronome 
se jeta aux pieds du Tres-Haut et lui dit : Seigneur du Monde, tu as 
ecrit dans la Loi que tout Testament dont une partie est abrogee est entie- 
rement aboli. Et voila que Salomon cherche a aneantir un Yod de mon 
4exte '(en changeant fe texte Deut., xvn, 17, de yrbh en 'rbh, ce qui 
.autoriserait sa polygamie). Et IMseu lui r^pondit : Salomon et mille de 
sfis pareils peuvent passer, mais un mot de moi aie passera pas (Sanhti- 
drin, II, 20; Strack, KTM, I, 244; Ibid., sur le trait de la lettre he n 
>comme le plus petit). 

2. On sait que les Rabbis comptaient dans la Loi 613 preceptes : 248 
positifs : Fais ceci! et 365 negatifs : Ne fats pas ccci! On divisait egale- 
ment'les preceptes en I6gers on en lourds *, selon qu'ils exigeaicnt 
d'un homme pen .ou .beaucoup de son -effort ou .de son argent. De la on 
passa a Tappreciation du precepte en lui-meme., grand j> ou petit , 
selon la valeur et 1'importance du commandement. C'est a cette derniere 
distinction, alors connue de tons, qu'il est fait allusion ici, et aussi Mt., 
xxii, 36 : Quel est le grand commandement, evtoXi] H,EY<&)? La-dessus 
on peut voir Strack et Billerbeck, KTM, I, p. 900-905. 



14 JESUS CHRIST. 

neur, observera et enseignera a observer ces moindres pre*- 
ceptes montrant qu'ils sont grands pour lui des la qu'ils 
portent le sceau divin celui-la sera traite comrae une 
personne d'importance, et, dansle siecle a venir, le Royaume 
ouvrira toutes grandes ses portes devant lui. 

Si done J6sus refuse de mettre le vin nouveau dans le& 
vieilles outres, s'il delie pour de justes raisons le joug des 
servitudes legales appesanti par les traditions trop humaines- 
des scribes, si le Maitre convie tous les pelerins de la dure 
voie litterale, lasses d'une maitrise insistante et hau- 
taine : 

Venez tous a moi, les fatigues, les accables, 
et moi, je vous soulagerai. 

Prenez sur vous mon joug, et vous mettez & mon ecole : 
je suis doux ct humble de cojur. 
Et vous trouverez le repos de vos ames : 
car mon joug est suave et mon fardeau leger. 

Mt., xi, 28-30; 

qu'on se garde d'en conclure a un affranchissement du 
joug divin, ou a je ne sais quelle liberte" charnelle! L'Evangile 
n'est pas une doctrine de moindre effort et une religion a 
bon marche. Moins encore est-il une anarchie, ou une cou- 
pure revolutionnaire avec le passe d'Israel dans le genre de 
celle qu'un Marcion, cent ans apres, imaginera. Jesus, lui r 
edifie sur les fondements anciens, et rien ne passera de la Loi 
divine, a moins qu'on ne veuille dire qu'un bouton de rose 
passe quand la fleur s'epanouit; qu'une esquisse au trait 
s'abolit quand la peinture definitive vient 1'etolFer, la fixer a 
jamais. La Bonne Nouvelle est une justice , j'entends par 
la une voie , une regie de croire et d'agir qui, pratiquee r 
rend juste devant Dieu. Mais loin que cette voie soit une 
repudiation de lajustice ancienne, legale, e'en est 1'accomplis- 
sement et le defmitif epanouissement. Loin qu'elle soit une 
regression ou une facilite par rapport a la justice hy bride, 
melangeant des elements humains et caducs a 1'element 
revele jadis, que preconisaient alors les Scribes et les Phari- 
siens observants, elle constitue par rapport a celle-ci un pro- 
gres impliquant une perfection plus couteuse. Elle 1'emporte 
sur la leur comme le ciel sur la terre, et n'ouvre son 



LE TEMOIGNAGB DU CHRIST. 15> 

Royaume que devant ceux qui sont disposes a des sacrifice* 
plus grands. 

Oui, je vous le dis, si yotre justice 
ne 1'emporte sur celle des Scribes et des Pharisiens, 
vous n'entrerez pas dans le Royaume des cieux. 

Mt., v, 20. 

Suivent des exemples qui concretisent et precisent cette- 
legon generate : 

<oTu ne tueras pas , dit la Loi! cela veut dire en termes 
de la justice nouvelle, que ces mouvements de coiere, d'in- 
humanity qui ont leur dernier aboutisbement dans la violence 
brutale, doivent e"tre deceits, prevenus ou elimine's, des 
1'apparition des sentiments mechants qui les preparent, des- 
expansions malignes qui les annoncent. Et qu'aussi 1'amour 
fraternel doit primer dans 1'ordre du temps et des mani- 
festations exteiieures jusqu'au culte divine Gar Dieu est 
patient, et notre durete de cceur, elle, n'attend pas, si on n'y 
porte un prompt remede, pour fructifier en Iruits de mort. 

Tu ne te parjureras pas , dit la Loi. Gel a va jusqu'a 
eviter tout jurement, jusqu'a assurer a la parole humaine un& 
sincerity conciliant a une simple affirmation Oui, Non, 
la valeur d'une attestation assermentee. 

CEil pour ceil et dent pour dent ... Loi de talion neces- 
saire a un age de fer. La justice evangelique suggere de 
ne pas resister au mechant et de vaincre son mal par le bieit 
de la patience. Elle commande d'aimer tous les hommes et 
jusqu'a son ennemi. 

Vous avez entendu qu'il a etc dit faux anciens) : 
Tu ne commeltras pas d'adultere (Kxode, xx, 14; Deut., v. 18). 
Moi je vous dis quequiconque regardeune femmepour laconvoiter,. 
a deja dans son cceur commis 1'adultere avec elle... 
Et il a ete dit : 

Quiconque renvoie sa fcmme, 
qu'il lui donne un acte de divorce (Deut., xxiv, 1). 
Moi, je vous dis que quiconque renvoie sa femme 

hormis le cas d'infidelite, 
la met dans le cas d'etre adultere, 
et quiconque epouse la repudiee commet 1'adultere. 

Mt., v, 27-28, 31-32, 



16 JESUS CUBIST. 

Ramene plus tard a eette decision qui semblait bien abroger, 
abolir une disposition positive de la Loi, Je"sus fait une r4- 
ponse qui e"claire tout le sujet. Un groupe de Pharisiens veut 
le mettre a 1'epreuve et lui objecte les termes mmes de 
1'Ecriture. A entendre avec cette rigueur 1'indissolubiiite du 
lien conjugal, que fait-on du precepte de Moise : donner un 
actede divorce, et renvoyer (Deut., xxiv, 3)? Je.^us repli- 
4jue : C'est a cause de votre durete de coaur que Moise vous 
a permis de repudier vos femraes (en certains cas et dans eer- 
-taines formes) ; MAIS AU COMMENCEMENT IL N'EN FUT PAS AINSI . 
Jl vient de rappeler en effet, d'apres 1 Ecriture que, au com- 
mencement, Dieu les fit homme et femme, et dit en conse- 
quence : A cause de cela, I'homme laissera pere et mere, et 
3' attacker a a sa. femme, et les deux seront une seule chair^,. 
Que 1'homme ne separe done pas ce que Dieu a uni 4 ! Ainsi 
la decision de Jesus n'abolit pas la Loi, qu'elle ramene au 
contraire a son premier dessein. On ne mutile pas un ensemble 
architectural en supprimant une passerelle de fortune rendue 
sans objet par le degagement d'une terrasse, temporairement 
inaccessible, mais faisant manifestement corps avec le plan 
primitif de 1' edifice. 

Ges exemples-sont bien instruetifs, nous mettant aux yeux, 
avec la perfection de lavoienouvelle, la facon dont Jesus en- 
tendait accomplir la Loi anoienne. Celle-ci avait codilie, sous 
une inspiration divine, mais pour Israel en particulier, les 
rapports essentiels de ce peuple avec Dieu, et ceux des bommes 
de ce peuple entre eux et avec les autres peuples. II ne 
s'agit pas de reformer ce code ou d'y faire un choix, mais 
de le mener a sa perfection, d'en i'aire la loi de tous les 
peuples, sous un regime ou la lettre s'epanouisse en une reli- 
gion spirituelle. 

1. Mt., xix, 3-8; Me., x, 1-12; Lc., xvi, 18 ; Eph., v, 31 ; Gen., r, 27; ir, 
24. Sur 1'interpretation judai'que de ces derniers textes, voir Strack et Bil- 
lerbeck, KTM, I, 801-805. 

Sur la these de la condescendance divine (auYxaraSaats), tolerant et per- 
mettant pour un temps une disposition qui, sans etre un mal positif, 6tait 
un moindre bien, mais plus accessible a la misere humaine, et 1'inter- 
pretation patristique de notre texte, voir le beau memoire d'H. Pinard de 
la Boullaye, dans RSR, IX, 1919, p. 197-221. 



LE TEMOIGNAGK DU CHRIST. 17 

Toute la pratique du Sauveur, tout son enseignement s'ins- 
pirent de cette vue. Ge qu'il reproche avec perseverance et 
parfois avec passion, a la justice des Scribes et des Phari- 
siens, ce n'est done pas la fidelit^ aux moindres prescriptions 
de Moi'se, ou 1'usage de la casuistique, ou 1'emploi de la 
tradition dans 1'interpr^tation de la Loi. Ges explications, 
qu'on a proposers, paraitront incompletes et superficielles a 
qui prendra la peine de rapprocher les faits et parviendra a 
les dominer. 

Jesus veut, au contraire, que les plus petits preceples 
soient respected, mais a leur rang : 

Malheur vous, Scribes et Pharisiens hypocrites, 
ear vous dimez ponctuellement la menthe, le fenouil etle cumin, 
et vous laissez tomber les plus graves obligations de la Loi : 
la justice, la mise'rieorde et la bonne foi. 
C'est celles-ci qu'il fallait accomplir sans omeltre cclles-la 4 \ 

De m4me, le Maltre resout les difficultes posees de bonne 
foi, mais sa casuistique fine et aceree ne sent jamais 1'exer- 
cice d'ecole. II vivifie sa decision par un rappel de la meilleure 
justice, ou il 1'equilibre par la proclamation du principe qui 
precise un devoir en le limit ant. A certaines conditions qui 
assurent le bon propos, on doit pardonner jusqu'a sept fois 

1. Mt., xxiii, 23. Cette terrible apostrophe et tout le discours qui la con- 
tient sur les torts des Pharisiens et des Scribes, s'ils n'impliquent pas 
sans doute que tons les Pharisiens 6taient infectes de ces vices d'hypo- 
crisie, supposent pourtant qu'une tres large partie des purs, et notamment 
ceux qui donnaient le ton alors, en 6taient atteints. II faut reconnaitre 
apres cela que 1'enseignement rabbinique condamne severement 1'hypo- 
crisie en tant que telle. De grands maitres, tel Rabbi Gamaliel II ; au cours 
de la generation qui suivit la ruine de Jerusalem, declarent par exemple 
qu' un disciple dont 1'interieur ne r6pond pas a I'extdrieur, ne doit pas 
entrer a la salle d'6tude (rabbinique) >. Mais les memes sources t3moignent 
6galement que 1'hypocrisie n'6tait que trop fre'quente en Judee, et surtout 
quand 1'affectation du zele de la Loi n'exposait pas a de grands dangers et 
donnait de grands avantages, comme c'etait le cas au temps de Jesus. Une 
tradition, recueillie sous le nom de Rabbi Nathan (n e siecle apres J. C.), 
interpr6te ainsi la parole de J6remie xxm, 15, centre les prophetes de son 
temps : < Sur dix parties d'hypocrisie qui sont dans le monde, neuf sont 
a Jerusalem et une dans le reste du monde > (Midrash sur Esther, I, 3). 

Voir sur tout cela Strack et Billerbeck, KTM, I, 921 suiv., et la disser- 
tation Pharisder und Sadduzaer, n. 2. 

J&SUS CHRIST. II. 2 



18 JESUS CHRIST. 

(Lc., xvii, 4). Mais Pierre interroge : Jusqu'a sept fois? . 
Jesus liui dit : Je ne te dis pas jusqu'a sept fois^mais jusqu'a 
septante fois sept fois ! (Mt,,, xvnr, 21), II faut rendre le 
tribut a C^sar, mais a Dieu , qu'on ne 1'oublie pas! la 
part de Dieu (Mt., xxn, 21 et paralL). 

Pour jiustifier une infraction materielle aux regies quand 
le besour la justifie, Jesus* ne craint paa de faire appel aux 
precedents bibliques, a Fautorite (Me., n^ 25 et paralleles). 

En tout, ce qui distingue sa justice de celle de ses- 
adversaires, ce n'eat done pas> une conception de la Loi qui 
sacrilierait ou ravalerait celle-ci ; ce n'est pas un recours a 
1'inspiration qui dispenserait d'appliquer la sagesse humaine ;. 
ou la perfection impost e indiscretement a toua. G'est encore 
moins Fanomie, une liberte trop> accommodante a la nature : 
1'esprit a comme la lettre, et plus qu'elle, ses exigences, 
mais s'il' demande beaucoup, il place nrieux ses demandes. 
Gelles-ci n'engagent pas; seulement le geste, raction mate- 
rielle,, mais, le coeur me'me et 1'intention. Plus profondes, elles 
sont aussi plus humaines. 

La dillerence des deux conceptions git finalement dans le 
recours constant suggere par Jesus, par dela les recettes 
codifiees et les interpretations kumaines, aux principes qui 
leur sont anterieurs et superieurs, aux fondements naturels- 
et dmns ' de toute action morale. 

Gette attitude du Christ, en cette matiere si grave, et vrai- 
ment capitale, est une manifestation singuliere de son autorite^ 
persjonnelle. II ne se reclame d'aucun precedent; il ne fait 
appel aucune justification didactique. II parle en son nom 
propre et avec: un accent direct qui s'impose, comme un fife- 
dans la maison paternelle. 

Ge faisant, Jesus rouvre a jamais la veine pure ouverte 
jadis par les Prophetes, dont les interpretations les plus spiri- 
tuell.es etaient restees presque non avenues pour la theologie 
des scribes 2 . II realise la plus belle de leurs predictions- 
(Eze'ch., xxxvi, 25-26). 

1. Expression de Pie X, dans sa Lettre d I'fipiscopat Francais sur le- 
< Sillon. , 25 aout 1910. 

2. t Pres du Pentateuque, consider^ comme 1'Ecriture tout court, te 
monde de pensees religieuses consign^ dans les ecrits des Prophetes res- 



LB TEMOIGNAGE DU CHRIST. 



2. J&BUS s'affirme. 

J'e*susne manifesto pas dans ses choix et ses decisions une* 
autorite* moms souveraine. 

Passant le long die Ik men de Galilee, il vit Pierre et 
Andre", freres de Simon, jetant leurs filets dans la mer (ils 
etaient pcheurs), et Jesus' leur dit : - Venez' a> r ma suite, je 
vous ferai devenir pe'ckeurs d'hommes (Me., I, 16-17; Mt., 
iv, 18-19; Lc., v, 10). 

Ils viennent a Capharnaum, et Jesus; commence d'enseigner 
a la Synagogue. <o Et justement, il y avait dans leur synago- 
gue un homme possede d'iin esprit impur. H e mit a crier : 
Qu'y a-t-il entre nous et toi, Jesus le Nazar^en? Es-tu venu 
nous perdre? Je sais quitu as : le Saint de Dieu.! Or Jesus 
le menaga : Tais-toi, et sors de lui! Et le secouant, 
1'esprit impur, avec un grand crij. sortit de lui. Et tous furent 
.stupelaits au point de s'interroger et de dire : Qu'est ceci? 
Doctrine nouvelle I D'autorite il commando jusqu'aux esprits 
impurs, et ceux-ci lui obelssent! (Me., i, 23-29; Lc., iv, 
33-37):. 

Un lepreux se prdsente en suppliant : Si t.u, veux, tu peux 
me purifier. Je*sus, emu de pitie", 6tend la main,, le touche: 
et lui dit : Je le veux, sois purifie , et; aussitdt la lepra 
disparalt, 1'homme est gueri (Mc M r, 40-42; Mt., vm, 2-3 ; ; 
Lc M ,v, 12-13). 

Un peu plus tard, Jesus entre sur un terrain deux fois 
reserve a Dieu seul : le pardon despeches, etla aonnaissance 
intime du coeur. Les temps messianiques escomptes se pre"*- 

tait. un, tr6sor enfoui n'ayant pour la th6ologie des scribes qu'une valeur 
d'appoint. j> H. J. Holtzmann, Lehrbuch der N. T. Theologie' 2 , 6d. A. Juli- 
cher ct.W. Bauer, Tiibingen, ( 1911, I, p. 51. Le principal biographe isra6- 
lite de. Jesus, J. Klausner, Jesus of Nazareth, London, 1925, p. 405,. 
reconnait formellement : . 11 n'y a pas de doute que les Pharisiens et les 
Tannai'm/ meme les plus anciens, aient surcharge la mesure des preceptes 
de pratique et multiplie a 1'infini les details dans leur exposition (de ces 
pr6ceptes) : ainsi, et par la seule masse de ces raffiuements, ils etaient 
causer qu'on oubliait le but divin vis6 par ces preceptes, Jesus, condamne 
justement cet abus. > 



20 JESUS CHRIST. 

sentaient sans doute comme riches en pardons et abondants 
en misericorde ; mais on ne connait aucun texte oil le Messie 
lui-meme soit represente comme pardonnant, de sa grace, les 
fautes d'un homme. La remission des peches reste partout 
le droit exclusif de Dieu 1 . Quant a savoir ce qui est dans 
1'homme (Jo., H, 25), qui s'en pourrait flatter, hormis Dieu 
seul? 

Le coeur est plus profond que tout 
et plein de malice ; 
qui le connait? 
Moi, lahve, je scrute le coeur, 
je sonde les reins, 
pour rendre chacun selon ses voies 
selon le fruit de scs ceuvres. 

Jerdmie, xvii, 9-10 (A. Condamin). 

Ge double pouvoir plus que messianique, Jesus le reven- 
dique sans trembler, comme allant de soi, et, en face de 
1'etonnement scandalise de certains spectateurs, loin d'excuser 
son initiative, il la soutient en principe et fait appel au 
miracle. 

Et ils vinrent lui apporter un paralytique, porte par quatre 
hommes. Et ne pouvant le lui presenter, a cause de la foule, ils 
defirent la toiture du toit, la oil il etait, et, ayant pratique un trou, 
ils firent descendre le grabat oil gisait le paralytiquo. Et voyanf, 
leur foi, Jesus dit au paralytique : Enfant, tes peches te sont 
remis. 

Or il y avail la quelques scribes assis, qui raisonnaient en leur 
cceur : Comment celui-ci parle-t-il de la sorte ? 11 blaspheme ! Qui 
peut remettre les peches, hormis Dieu seul ? Mais incontinent, 
Jesus ayant perce par son esprit les raisonnements qu'ils faisaient, 
leur dit : Qu'avez-vous a raisonner ainsi dans vos coeurs? Quel 
est le plus aise de dire au paralytique : tes peches te sont remis, 
ou de dire : leve-toi, prends ton grabat et t'en va? Afin done 
que vous connaissiez la puissance que possede le Fils de riiomme 
de remcttre les peches sur la terre , il dit au paralytiquc : C'est 
a toi que je le dis, 16ve-toi, prends ton grabat, et va dans ta 
maison. Et il se leva, et incontinent prenant son grabat, il s'en 
alia devant tout le monde, si bien que tous etaient hors d'eux-memes 
et rendaient gloire a Dieu en disant : Jamais nous n'avons ricn vu 
de pareil! (Me., n, 3-12; Mt., ix, 2-9; Lc., v, 18-26.) 

1. Strack et Billerbeck, KTM, I, 495. La aussi, p. 495-496, explication 
de la seule apparente exception, Midrash Pesiqtha, 149 a. 



LE TEMOIGNAGE DU CHRIST. 21 

Un certain Levi appele aussi Matthieu, fils d'Alphee, etait 
assis a son bureau de douane quand Jesus 1'appela. Laissant 
tout pour suivre le Maitre, le pe"ager fit ses adieux a ses 
compagnons anciens, en les invitant avec les nouveaux a un 
grand diner. De la, chez les adversaires de Je*sus, des ricane- 
ments et des observations : Votre Maitre mange avec ces 
brigands de publicains! A quoi Je'sus repond,: Les gens 
bien portants n'ont pas besoin de medecin, mais les malades : 
je ne suis pas venu appeler les justes mais les pe"cheurs. 

One autre fois, la critique portait sur 1'absence d'auste'rite 
dans le petit cercle apostolique. Les disciples de Jean Baptiste 
et les plus zeles des Pharisiens rivalisaient de jeunes, quo 
ceux-ci, par leur attitude affectee, ne laissaient ignorer a 
personne. Mais ce sont les autres, les fideles de Jean, qui 
posent la question au Maitre : Pourquoi tes disciples n'en 
font-ils pas de mdme? 

Les gens de la noce 1 peuvent-ils, 

tandis que 1'epoux est avec eux, 

jeuner? 
Tout le temps qu'ils ont 1'epoux avec eux 

Us ne peuvent jeuner : 

Viendront les jours ou 1'epoux sera arrache d'(aupr6s d')eux; 
Ils jeuneront en ce jour-l& ! 

Me., ii, 19-20; Mt., ix, 15; Lc., v, 34-35. 

Gette replique ou la parabole du debut se mue insensible- 
ment en allegoric, ou les joies breves de la lune de miel 
messianique se nuancent de gravite au rappel de la fin tragique 
dejapre"sente al'esprit du Maitre, estprofondement dmouvante. 
Son rythme, la sure audace de ses allusions, son caractere 
mysterieux, lui conferent par ailleurs un cachet d'authenticite 
litt^rale qui s'impose. Tout ce que nous voulons en retenir 
ioi, c'est la maitrise tranquille de celui qui 1'a prononcee. 

Gette autorite*, non moins que 1'etendue et la surete de ses 
desseins, se marque dans le choix parmi les disciples qui: 

1 . Litt6ralement, < les fils de la chambre riuptiale >, c'est-a-dire, en gros, 
les h6tes pries, privil6gi6s, invites aux noces ; et non seulement les deux 
gardens d'honneur > qui jouaient dans toute la negotiation matrimo- 
nialeunrdlede choix : voirStrack et Billerbeck, KTM, I, p.500-o!8, v6ri- 
table anthologie rabbinique des solennites nuptiales. 



22 JESUS CHRIST. 

suivaient son enseignement, de douze hommes de confiance. 

II advint en ces jours-la qu'il alia SUP la montagnc? pour prier, 
et il passa la nuit enttere a prior Dieu. Le jour venu, il appela 
ceux que lui meme voulait, et ils vinrent a lui. Et il en etablit 
douze qu'il appela apotres,, pour etre avec lui, et afm de les envqyer 
preclier avec pouvoir de'Chasser les demons. 

Lc., vi, 12-13 a; Me., in, 13 -14; cf. Mt., x, 2. 

Geste encore plus considerable, il arrive fre'quemmenl; a 
Je*sus d'identifier pratiquement sapersonne avec son message, 
qu'il donne indubitablement pour divin. Etre persecute" a 
cause de lui, c'est :donc nn grand bien, dont il faut exulter, 
puisque c^est souffrir pour la justice 11 . Lui rendre temoignage, 
o'est s'assurer le ; sien au dernier jour, et c'est le salut : 

Quiconque se confessera mien a la face des hommes, 
moi, je me cont'esserai sien a la lace de mon Pere qui est auxcieux. 

Et quiconque me reniera a la I'ace des hommes, 
moi, je le renierai a la face de mon Pere qui est aux cieux 

Mt., x, 32-33; Lc., xn, 8-9. 

C'est que la volonte de Je"sus, c'est la volonte du Pere. 
Negliger celle-ci et vouloir surprendre 1'aveu de celle-la par 
une .affectation de loyalisme ou un luxe d'invocations publi- 
ques, illusion grossiere! 

Ce n'est pas tout homme qui me dit : 'Seigneur, Seigneur! 

qui entre dans le Royaume des cieux, 

Mais celui qui fait la volonte de mon Pere qui est aux cieux. 
fieaucoup me diront, en ce jour-la : Seigneur, Seigneur! 
N'est-ce pas en ton nom que nous avons prophetise? 
En ton nom que nous avons chasseles demons? 
En ton nom que nous avons fait cent miracles? 
Moi, je rendrai temoignage sur eux : Jamais je ne vous ai connus. 
Loin de moi, les artisans d'iniquite! 

Mt., vii, 21-24; Lc., vi, 46; xm, 26-27. 

A ceux qu'il Teut bien reconnaitre comme siens, le Maitre 
,ne propose pas d'ailleurs les biens passagers : il ne laisse 
subsister aucune equivoque sur le caractere spirituel et a 
longue echeance de la recompense. Ses promesses, en atten- 
dant, ici-bas, ne sont pas concerts a dilater le coaur , 
visions de tranquillite et de cette large abondance a portee de 

1. Mt., v, 11-12. 



LE TEMOIGNAGB DU CHIUST. 23 

I'ceil fit de la main ou le coeur de Thomme risque de /boraer 
ses desirs. Tout le contraire ; il est venu apporter le co-uteau 
et non pas la-paix 1 . Reprenant les paroles d'un prophefce, il 
fait passer devant ses disciples des visions austeres ,de pau- 
vrete, des perspectives crucifiantes. II decrit avec uno force 
impressionnante les effets de son &|>pel dans un milieu ihumain 
et ou tous no ;sont pas .dociles. 

Et apres cela il faiit 1'aimer ! 1'aimer plus que ipere etmej-e, 
plus que ills' ou filles, .raim-er jusqu'au .chemin douloureux 
do la croix, jusqu'a la morfc. 

l^e pensez pas que je sois venu jeter (le rameau) de paix sur Aerrc. 
Je Be suis pas v.enu jeter (le rameau) de paix,, mais le glaiva. 
Car je suis venu diviser 1'homme d'avec son pere, 

la fille d'avec sa mere, 
la t>ru d'avec sa belle-mere, 

et (rendre!) ^nnemis de 1'Jiomme ceux de ; sa maison. 
Qui aime son pere au sa mere j>lus que moi 

n'est pas .digne de moi, 
et qui aime son ills ou sa iille plus que moi 

n'est pas digne de moi. 
Et qui ne prend pas sa croix pour m'accompagner, derriere moi, 

n^est pas digne -de moi. 
Qui aura trouv6 : sa vie la perdra 
eit,qui aura perdu sa ^ae a. cause de moi, la trouvera 2 . 

Gette redoutable litanie indigne Renan 3 : Une ardejir etrange 
anime tous ces discours..,.. on dirait que dans ces moments 
de guerre centre les besoins les plus legitimes du coeur, il 
(Jesus) avait oublie le plaisir de vivre, d'aimer, de voir, de 
sentir. Depassant toute mesure, il osait dire : Si quelqu'un 

1. Mt.,x, 34. Traduction de Pascal, Leltre 24 A M. et d M n de Roannez, 
ed. des Grands Ecrivains, CEvvres, V, p. 410-411. 

2. Mt., x, 34-39; xvi, 246-25,; coll. Lc., XH, 51-53,; xvi, 26-27; xvn, 33; 
ix, 236, 24; et Me., vin, 346-35. La derniere sentence, .qui revient & 
plusieurs reprises dans I'Evangile, oppose, a lamodehebra'ique, le sort de 
ceux qui trouvent leur viepr6sente,is'y attachent corame a une proie, 
et resolvent ici-bas leur recompense dans une existence confortable, hono- 
ree, assuree, insoucieuse du Regne de Dieu, au sort de ceux qui < pour 
I'Evangile de Jesus (Me., vin, 35) aventurent cette meme vie et la 
perdent, ou du moins se mettent en cas de laperdre, en la subordonnant 
a 1'avenement du Regne de Dieu. 

3. E. JRenan, Vie de Jdsus, edition definitive, eh. xix, p. 325-326. 



24 JESUS cuniST. 

veut efcre mon disciple, qu'il renonce alui-m<lme et me suiveT 
Gelui qui aime son pere ou sa mere plus que moi n'est pas 

digne de moi Que sert a Thomme de gagner le monde 

entier et de se perdre lui-meme? 

Mais non, Jesus n'oublie rien, et ne meconnait rien. Seule- 
ment il sait que le plaisir de vivre, d'aimer, de voir, de sentir T 
doit souvent etre depasse, et parfois contredit. II sait que cette 
guerre est juste et qu'elle peut e"tre ne'cessaire. II sait encore 
que les besoins les plus legitimes du coaur risquent d'entre- 
prendre sur d'autres devoirs, de se deregler, de cantonner 
rhomme dans un bien ennemi du mieux, s'ils ne sont pas 
mesures, mis ou remis a leur place dans 1'ordre eternel par 
le Premier Amour. 

La verite ainsi rappelee, il faut reconnaitre la des exigences 
et des promesses qui passent de bien haut toute maltrise 
humaine et toute mission temporaire. Mais aussi les oeuvres 
parlent, et par I'irreTutable voix des oracles accomplis desi- 
gnent Jesus comme celui qui doit venir. Jean, on 1'a vu, 
renvoyait a un plus grand que lui; chaque voyant ancien se 
donnait pour un anneau de la chaine sacree, et annongait 
d'autres envoyes divins. Jamais Je*sus ne renvoie a un autre, 
amais il ne s'encadre a son rang dans la lignee prophe*tique. 
II y marque la place des autres; la sienne est ailleurs. Avec 
lui, c'est toute Teconomie du salut qui change : le jour succede 
aux ombres; le reel, aux figures. Aux disciples de Jean, non 
rallies a lui, qui essayaient de promouvoir une reforme dans 
les cadres etablis par le parti des Purs, le Maitre oppose la 
necessity d'un renouvellement complet. 

Nul ne coud un morceau de drap ecru 

a un vieil habit, 
sinon la piece en emporte avec cllc, le neuf du vieux, 

et pire dcchirure s'ensuit. 
Nul aussi no verse du vin nouveau 

dans de vieilles outres, 
sinon le vin fait eclater les outrcs 
et le vin est perdu, et les outres. 
Mais le vin nouveau dans des outres neuves ! 

Me., n, 21-22; Mt., ix, 16-17; Lc., v, 36-38 b. 

Ges paroles expliquent et-motivent I'impression de nou- 
veaute, de commencement, d'aurore, qui eclate dans tous les 



LE TEMOIGNAGE DU CHRIST. 25- 

Merits chrefciens les plus anciens. C'est bien 1'enfantement 
d'un monde jeune, la novitas florida mundi du poete : ensei- 
gnement nouveau 1 ; Nouveau Testament 2 ; commandement 
nouveau 3 ; nom nouveau*; cantique nouveau 5 ; vie nouvelle 6 ; 
seconde genese du monde 7 . Ge que les disciples ravis decou- 
vrent alors, le Maltre 1'a voulu des le debut, et Fa dit nettc- 
ment : il renouvelle tout ce qu'il touche. Aussi le moindre de 
ses fideles depasse, non en merite personnel, mais en bon- 
heur de vocation et en dignite" d'eeonomie, Jean Baptiste lui- 
m6me, pourtant prophete, et le plus grand des prophetes. 

Qui etes-vous alles contempler dans le desert?... 

Un prophete? 
Oui, je vous le dis, et plus qu'un prophete. 

C'est celui-la dont il est ecrit : 
Voici, j'envoie mon messager devant ta face 

qui preparera ta voie davant toi. (Mai., in, 1.) 

En verite, je vous le dis : 
11 ne s'est point love parmi les fils des femmes 

plus grand que Jean le Baptiste, 
mais le moindre dans le Royaume des cicux 

est plus grand que lui... 
Car tous les prophetes et la Loi, jusqu'a Jean, ont prophetise, 

et si vous youlez bien 1'entendrc, 
Lui-m&me est Elie, celui qui doit venir. (Mt., xi, 7, 9-15. )< 

Les Prophetes sont morts apercevant et saluant de loin, 
confessant qu'ils sont des Strangers et des pelerins 8 , en. 
marche vers la terre de promission. Mais Elie lui-me'me, en- 
tant que precurseur, ce nouvel Elie, 'qu'a et6 Jean, n'a fait, 
que preparer les voies. Voici le but ; voici le Roi-Messie. 

Bienheureux vos yeux 
parce qu'ils voient, 

et vos oreillcs 
parce qu'elles entendent. 

1. Me., r, 27. 

2. Mt., xxvi, 28; I Cor., xi, 25; II Cor., HI, 6, etc... 

3. Jo., xm, 34; I Jo., n, 7; II Jo., 5. 

4. Apoc., n, 17. 

5. Apoc., v, 9. 

6. Rom., vi, 4. 

7. Jo.,i, 1, Sv ipxfi fait allusion h Gen6se, i, 1. 

8. H6br., xi, 13. 



'26 JESUS CHRIST. 

fEn veritd, je vous le-dis : beaueoup de prophetes et de justes 
out de'sire de voir ce que vous voycz, 

et ne 1'ont pas vu, 
et d'entendre ce que vous entendez, 
et ne Font pas <entcndu. 

.Ml.., xin, 16-17; Lc., x, 23-24. 

Qu'on .n'oppose pas a oes preventions line defaite rtiree .des 
eoufrumes le*gales, de 1'obserYance du sabbat, du Temple, des 
exemples du passe. II y a ici plus grand .que ce temple, ou 
Iahve.se complaisait a 1'exclusion de tout -autre Jieu .de ,c.ulte 
public, plus grand que la .Loi sabbatique. II y a ici plus que 
>rois et prophetes, plus que Jonas -et Salomon! 

... N'avez-vous pas lu dans la ; Loi 
que les jours de sabbat, les pr&tres, dans le 'Temple, 

violent le sabbat et sont sans Teproche? 
Or, je vous le dis : il y a ici plus grand que lo Temple... 
car le Fils de rhomme est maitre du .sabbat. 
Ml., xn, 5, .6, .8; .cf. Me., ,n, 27^28; Lc., vi, 5. 



gens de Ninive sedresseront au (jour du) Jugemcnt contrccelto 

[ge'ne'ration 
et la condamnerorit, 
car ils firent penitence a la predication de Jonas, 

et il y a plus quo Jonas ici; 

l,a Heine du Midi se dressera au (jour du) Jugemerit centre cetle 

[generation 
et la condamnera, 

-car tllle vint du bout du monde pour entendre la sagesse de Salo- 

[mon; 
et.il y a plus quC:Salomon ici. 

Mt., xn, 41-42; Lc., xi, 31-32. 



3. J6sus se r^vele. 

Qu'y a-fc-il done ici ? Et d'ou vienfc a Jesus cette assu- 
rance tranquille? Lui-m^me va nous le .dire dans une suite 
de paroles ou le Maitre se revele plus explicitement que dans 
les declarations citees jusqu'ici. Elle est rapportee, quant 
a 1'essentiel, en termes sensiblement identiques, par nos pre- 
mier et troisieme evangiles, "mais dans un contexte un peu 
different. Matthieu la place aussit6t apres 1'apostrophe terrible 



LE TBMOIGNAGB DU CHRIST. 27 

4u Sauveur aux villes coupables plus coupables que Tyr et 
Sidon, plus endurcies qu0 Sodome -^ qui ont oppose" a la pre- 
dication, dans un trop grand nombre de leurs habitants, un 
rempart d 'indifference. Les signes qpe'r&s par Jesus n'ont pu 
vaincre la durete de leur cceur; aussi serorit-elles, -de la part 
de Dieu, 1'objet d'un jugement impitoya'ble. 

Et il commenga reprocher aux villes ou avait en lieu le plus 
rgrand nombre de ses miracles, de ne pas s'&tre converlies ~. 

Malheur a toi, Cliorozain! 
Malheur a toi, BetlisaTda! 

Car si dans Tyr et Sidon avaient eu lieu les miracles survenus 
n vous, des longtemps, dans le sac et la cendre,, elles se ,1'ussent 
converges. 

Aussi vous dis-je que 

A 1 Tyr et Sidon sort meilleur sera fait, -an jour du Jugement, qu'a 
vous ! 

Et toi, Capharnaum, jusqu'au ciel elevde, 
jusqu'a Tenfer tu seras abaissee (IsaV'e, xiv, 13-15). 
Car si dans Sodome avaient eu lieu les miracles survenus en toi, 
Elle eut subsiste jusqu'au jour d'aujourd'hui. 

Aussi vous dis-je que 

A la terre de Sodome sort meilleur sera fait au jour du Jugement 
<iu'atoi! (Mt.,. xi, 20-24.) 

Et, de ces grander lecons, le Christ avait passe*, en ce 
temps-la (expression qui ne va pas, nous Favons vu, sans 
laisser une marge notable), a la louange des secrets juge- 
inents du Pere, par ou debute i'e"pisode. Entre cette Jouange 
et Tapostrophe que nous venons de transcrire,, saint Luc inter- 
cale le retour de mission des se.ptante-de.ux disciples. Tout 
joyeux, ceux-ci disent a Jesus : Seigneur, les demons mdmes 
nous sont soumis, quand nous les commandons en ton nom'! 
A ces mots, le Maitre elargissant a 1'infmi le geste de lib^ra- 
tion accompli par cette poignee d'hommes agissant en son 
nom, et jugeant sur ce debut Tamplitude de Toauvre redemp- 
trice, s'ecrie : Je voyais Satan tomber du ciel comme un 
^cluir. 

Puis, apres quelques mots d'instruction a ses disciples, a 
cette heure m6me, il exulta dans TEsprit-Saint et dit... -.. 

Nous pensons (sans vouloir attacher une trop grande impor- 
tance a cette modalite) que ce contexte plus riche, et ou 1'ele- 
ment de jubilation et d'enthousiasme, si frappant dans les 



28 JESUS CHRIST. 

paroles raSmes, trouve une explication plus naturelle, doit &tr& 
preTere *. 

Je te rends gloire, P6re, Seigneur du ciel et de la terrc, 
d'avoir cache ces (mysteres) aux sages et aux avisos 
ettu les as reveles aux pelits enfants! 
Oui, Perc, tel a etc* ton bon plaisir. 

Tout m'a etc livre' par mon Perc, 

et nul ne connait le Fils 

sinon le P6re. 

Et le Pere, nul ne le connait 

sinon le Fils, 

et celui a qui le Fils voudra bien le reveler. 

Venez tous a moi, les fatigues, les accables, 

et moi je vous soulagerai. 
Prenez sur vous mon joug et vous mettez a mon ecolc, 

je suis doux et humble de coeur, 

et vous trouverezle repos de vos ames (Je'remie, vr, 16 he'br.) r 
car mon joug est suave et mon fardeau leger. 

Mt., xi, 256-30; Lc., x, 21-22 (jusqu'a : Venez a moi). 

Pur echo de la Sagesse d'Israel et belles entre les divines r 
ces paroles se presentent a nous par surcroit, comme un fruit 
fraichement cueilli. Elles ont conserve presque intactes, sous 
la delicate transparence des mots grecs, les particularity 
les plus certaines du style semitique oral 2 . Nous possedona 

1. C'estaussi I'opiniondu R. P. Lagrange, Evangile selon saint Matt hieu,. 
p. 226 et (implicitement) p. 322; par centre, le texte que nous traduisons,. 
non seulement comme plus complet, mais comme formant une Recitation' 
rythmee impeccable, ayant toute chance d'etre primitive, est celui de 
saint Matthieu. 

Sur I'authenticite 1 des paroles et les controverses recentes, voir, infra r 
p. 60, la note Q : L'hymne de jubilation (Mt., xi, 25; Lc., x, 21). 

2. Ed. Meyer, dans 1'interessante dissertation consacree k ce passage, 
Dcr Jubelruf fiber die Erfolge des Christentums (Ursprung undAnfaenge r 
I, 1920, p. 280-291), a tres bien fait ressortir 1'unite, I'mt6grit6, 1'origine 
semitique du morceau ( < Konzipiert ist er, wie dieser (Jesus Sirach), in, 
semitischer Sprache, hebraeisch oder aramaeisch ; dass erdarauswoertlich 
iibersetzt ist, tritt vielfach deutlich hervor > ; p. 283). L'erreur de I'illustrfr 
savant est d avoir confondu les caract6ristiques du style 6crit, litte'raire, 
done secondaire et compose apres coup, avec celles du style oral. Li-des- 
sus, Ed. Norden 1'a fourvoye, tandis que sur le point d'une pr6tendue 
dependance des ecrits herm6tiques, il rejette avec beaucoup de decision- 



LE TEMOIGNAGE DU CHRIST. 29 

en elles un specimen accompli de ces improvisations, ou les 
themes ve'ne'rables et les expressions consacrees servent a 
point, loin de la figer dans le convenu, 1'inspiration propheti- 
que. Tout est ancien, et tout est nouveau; 1'accent le plus per- 
sonnel ^rneut et nuance les accents traditionnels et familiers 1 . 
Mais venons au fond et prenons-y garde. Israel etait le fils 
de lahve" 2 , et tout homme juste peut se vanter' d'avoir Dieu 
pour pere 3 . Outre ces privilegies, il y a les innombrables fils 
du Pere qui est aux cieux, duquel toute paternite decoule. Le 
titre filial do ceux-ci est la creation; de ceux-la, une election 
gratuite qui retient sur eux un regard de complaisance. Mais 
le titre de filiation qu'invoque ici Jesus, est different et le 
met dans un autre ordre : c'est une parente de nature et non 
d'adbption. Elle egale ceux qu'elle reiie. Quel il est, dans 
son fohds, ce Fils bien aime, le Pere le sait bien, et lui seul ! 
II ne faut rien de moms que le pergant du regard divin pour 
puiser cette richesse, tout comme le regard du Fils est le seul 
qui puisse scruter et comprendre 1'Etre immense du Pere. 
Tout ce que les autres en savent, au dela des rudiments de 
la connaissance commune et naturelle, est le fruit d'une effu- 

la suggestion de son collegue. Dans son memoire Das Logion Mt., xi, 25-30 
(dans Neutestamentliche Sludien G. Heinrici ... dargebracht, Leipzig, 
1914, p. 220-229), apres avoir constate que la forme m6trique, poetique, du 
onorceau, n'est aucunement un obstacle a son authenticity (p. 126), Joh. 
Weiss fait tres bien ressortir la force du paralle'lisme : L'objet de la con- 
naissance (au verset 27 a) est la quality du Fils : il demeure, quant au 
trefonds de son etre, cache aux hommes, mais il est visible a Dieu. Ainsi 
cette ligne (que Wellhausen et autres proposent de supprimer) se rattache 
par une liaison tres etroite a la ligne parallele (27 b). II ne s'agit pas de la 
connaissance de Dieu qu'a le prophete inspire", mais du secret de la 
personne de Jesus ; p. 126. 

1. Dans son dernier Evangile selon Luc, Paris, 1924, p. 300, 301, M. A. 
i-oisy comprend et fait valoir le sens profond du texte que Wellhausen, 
'Harnack, Bultmann ont essay6 vainement de ramener aux proportions 
d'une sentence morale, en 6liminant ce qui regarde la connaissance du 
Fils par le Pere > ; mais il voit dans ce cantique inspir6 < 1'oeuvre d'un 
prophete Chretien, de plusieurs peut-6tre parlant au nom de J6sus 1 Lui 
aussi, confondant le style ecrit avec le style oral, nousparle d'un < psaume 
artificiellement construit >, la oil il y a au contraire une improvisation 
prophetique, pleine de fraicheur et de naturel. 

2. Ainsi parle Iahv6 : Israel est mon fils premier ne >. Ex,, iv, 22. 

3. Sagesse, 11, 16. 



30' JESUS CHRIST. 

sion gracieuse, une communication hdndvole de la science- 
filiale. 

Aussi le Fils est-il depositaire de; tons les secrets; pater- 
nels^ participant de. sa toute-puissancei Initiateur indispensa- 
ble au mystere de la vie divine, 11 at de-quoi consoler etre'con>- 
forter tous eeux qui se veulent mettre a, son e"cole; 

Non qu'iisonge a detourner Fhomme des: tches necessaires^ 
ou I'e'manciper d'un joug qu'il lui est; bon de porter des son 
jeune ag.e , parce que telle est Ia.v6rit& de rinstitntion natu- 
relle et divine;, maia le Bon Maitre est sans morgue et sans 
orgueil r doux et humble de coaur . II a des pardons pour 
toutes les faiblesses*. du baume pour toutes les Measures. 

Gette revelation avanQa-tT-elle, pour le cercle* int^rieur 
des disciples, Fkecure de: la derniere mise en demeure? Dieu 
se servit-il de cet eclair pour illuminer 1'esprit de SimonrPierre'- 
au. dela de ce que toute inference naturelle ( la chair et 
le sang .) pouvait alors lui suggdrer ? IL est sur en tons- 
cas que la lente action des paroles du Maitre, 1' experience 
qui resultait de sa conversation familiere sans aucun peche r 
le choc provoqud- par les signes, et notamment celui de la 
tempSte apais^e 1 , avaient engendrd chez ces hommes droits 
une estirae tres haute, non seulement de la puissance, 
mais de la dignite personnelle du, Seigne.ur. II importaifc 
toutefois d!affermir v en la prdcisanfr, en la; formulant, cette 
foi pratiquement inconditionnee, mais vague encore et 
fragile, pour qu*elle put supporter lie poids des supr&mes 
epreuves. G'est pourquoi, k une epoque q.u'il est impossible: 
de determiner exuctement, mais qui coincide en gros avecr 
la fin du ministere; galileen, et: dont le rappel fait 6tape et 
ressaut dans la triple narration synoptique, Je"sus provoqua- 
une explication decisive. A partir de cet Episode, des r6V6- 
lations plus claires succedent aux insinuations p^netrantes- 
mais voilees de Tenseignement ante>ieur. G'est qu'aussi r 
1'heure approchait de la montee douloureuse, orientee (an 
grand scandale des jugements humains) vers la trahison, la 
s honte et la croix. 

1. Ce signe avait amend spontan6riient sur les levres des Apotres cette 
profession de foi : Vraiment tu es Fils de Dieu ; Mt., xiv, 33. 



LE TEMOIGNAGE DU CHRIST. 3-1'' 

An cours d'une excursion en terre hellenisee etenmajeure 
partie paSenne, sur les confins classiques de la Palestine 
septentrional e, pres de Dan, en allant vers des villager 
dependant de Gesaree do Philippe Fantique Pandas,, 
devenue naguere, par 1'a grace du tetrarque Philippe, fils 
d'Ee'rode le Grand, G^sarde, etsurnommee, pour la distinguer 
de la e"sare"e Maritime, la petite Cesare'e. de Palestine,. 
Cesaree de Philippe 1 ^ Jesus posa a ses disciples rinterro- 
gatioii capitale : Qui dit-on qu'est le Fils de I'liomme? 

Eux dirent : Les uns : Jean le Baptiste; d'autres : 
Elie; d'autres encore : J^remw ou quelqu'undes prophetes. 
II leur dit : Mais vous, qui dites-vous que je. suis? 
Repondant, Pierre lui dit : Tu es le Christ, le Fils du 
Dieii vivant. 

Gette profession die for marque une avance considerable- 
dans les croyances apostoliques. Aussi le Maitre ne se borne 
pas a la ratifier par une promesse qui embrasse tout runivers- 
eb engage tout 1'avenir. II en exalte 1'inspiration, rendant 
du meme coup manifeste le sens profond impliqu^; dans, la 
1'ormule do son disciple. Pour le confesser Ghrist, Fils du 
Dieu -vivant , avec cette plenitude de sens, il n'a falhi rien 
de moins qu'une revelation du Pere : Repondant, Je"su& 
lui dit : 

Bienheureux es-tu, Simon, fils de Jona, 
car ce n'est pas la chair ni le sang qui font revele (ce mystere),. 

mais mon Pere qui est aux cieux. 

Etmoi. je te dis que tu es Pierre 
cfc sur cette pierre-la j'edifierai mon eglise, 
et les pontes de Tenter ne prcvaudront point centre elle. 

Jete donnerai les clefs du Royaume des eieux ); 
ct ce que tu licras sur terre sera lie dans les cieux, 
el cc quetu delicras sur terre sera delie dans les cieux. 

Mt., xvr, 17-20 2 . 

1. Liirdessus, G. Dalmanj Orte und Wege Jesu 3 , Giitersloh, 1924 ; p. SOS- 
SSI. 

S. On a, incident^ sans fin sur le sens et I'authenticit6 de ces paroles si 
fortes, d'une solidit6 textuelle 5, toute dpreuve, d'une teneur archa'ique et 
semitisante indiscutable. Enrealite, ce qu'on leur reproche surtout, c'est 
leur port6e, c'est leur clart6. L'antithese entreles versets 13 et 16 semble- 
rait pr.eluder a la distinction de deux natures dans le Christ. Les termes- 
&G la r6ponse de Jesus a Pierre ne conviennent qu'au Christ immortel > j. 



32 JESUS CHRIST. 

Une recommandation severe de discretion suit imme'dia- 
tement : les disciples se donneront bien garde d'annoncer 
publiquement que Jesus est le Christ. Mais le fondement 
est desormais pose dans 1'esprit de ses fideles, et le Maitre 
va pouvoir edifier. Son premier soin ( Dorenavant, il com- 
menca... Mt., xvi, 21) est de s'appliquer la plus frappante 
des propheties anciennes, en s'identifiant ouvertement avec 
le Serviteur de lahve que les grands voyants d'Israel avaient 
discerne dans le lointain des ages, souffrant pour reparer 
les prevarications du peuple de Dieu, caution des pecheurs, 
ullant a une gloire eternelle par la honte, la souffrance et 
la mort. 

Dorenavant Jesus commenga do remontrer a ses disciples 

<fu'il lui faut monter a Jerusalem ct beaucoup souffrir 

<le la part des Anciens, et des Princes des pretres ct des Scribes, 

ct etre mis a mort, 

et ressusciter le troisieme jour. 

Mt., xvi, 21; Me., vin, 31; Lc., ix, 22. 

Et, note Marc, il leur disait la chose en face . Pierre 
s'indigne, et venant a la rescousse 1 : Dieu t'en garde, 
Seigneur! cela ne t'arrivera pas. Mais Jesus se retournant 
dit a Pierre : 

Arriere dc moi. Satan ! tu m'es une pierre de scandale, 
Tes sentiments ne sont pas ceux de Dieu, 
mais ccux des homines (Mt., xvi, 22-23). 

Toutefois, une echappee sur la gloire future va e"tre donnee 
a quelques-uns de ceux qui sont presents; ceux qui seront 
les te"moins de 1'agonie a Gethse'mani, ceux que Paul, 
vingt ans apres, appellera les colonnes (Gal., n, 9) : 
Pierre, Jacques et Jean. 

Et apres six jours Jesus prend avec lui Pierre et Jacques et Jean, 
et les conduit a 1'ecart, sur une haute montagne, seuls. Et il fut 
transfigure* en leur presence, ses vetements devinrent resplendis- 
sants de Wanchcur, tcls que foulon sur terre ne saurait blanchir 
i. Et leur apparurent Elic avec Moise, s'entretenant avec Jesus. 



A. Loisy, Les Livres du Nouveau Testament, Paris, 1922, p. 327. Sur le 
detail, voir la note R, infra, p. 63. 

1. Sur le sens de :;poaXa66(Xvos, "voir Lagrange, Evangile selon saint 
Matthieu, p. 330. 



LE TEMOIGNAGE DC CHRIST. 33 

Intervenant, Pierre dit a Jesus : Maitre, nous sommes bien ici ! 
et nous allons faire trois tentes, une pour toi, et une pour Moi'se, 
et une pour Elie x, car il ne savait que dire; car ils etaient tout 
tremblants'. 

Et une nuee survint qui les couvrit, et voici, de la nuee, une voix : 
Celui-ci est mon fils, le bien-aime, ecoutez-le. Et tout aussit6t 
regardant autour d'eux, ils ne virent plus perspnne avec eux, que 
Jesus, tout seul (Me., ix, 2-8; Mt., xvn, 1-8; Lc., rx, 28-36). 

Gette vision splendide 1 n'etait qu'une anticipation; aussi, 
comme ilsredescendaient de la montagne, Jesus leur defendit 
de la raconter a personne, sinon quand le Fils de 1'homme 
serait ressuscite d'entre les morts. Et ils gardaient la con- 
signe tout en se demandant ce que signifiait : ressuscite des 
morts ? (Me., ix, 9-10.) 

En attendant, et nonobstant le vif cbagrin des siens (xal 
IXuff^Orjcrav a<p6Spa, Mt., xvu, 23), Jesus va reprendre et accen- 
tuer sa prediction jusqu'a deux fois. La derniere fois, c'est 
pendant la route et il parle aux Douze, privement : 

Voici, nous montons a Jerusalem 

et le Fils de 1'homme sera livre aux Princes des pretres et aux Scribes, 
et ils le condamneront a mort, 
et ils le livreront aux Gentils, 
pour elre bafoue, 
flagelle, 
crucifie, 
et le troisieme jour il ressuscitera. (Mt. , xx, 18-19.) 

Vers la victime de'signee, les attributs divins convergent. 
Jntercesseur universel, il sera toujours present au milieu 
de ceux quiprieront en son nom. Remunerateur tout puissant, 
il assure le centuple des biens spirituels en ce monde, et la 
vie eternelle en 1'autre, a ceux qui quitteront biens ou affec- 
iions temporels pour s'attacher plus ^troitement a lui. 

Davantage, je vous dis en verite, 
si deux d'entre vous sur terre s'accordent 
sur 1'objet quel qu'il soit, qu'ils demanderont, 
il leur viendra par mon Pere qui est aux cieux : 
car la oil sont deux ou trois reunis en mon nom, 
la, je suis au milieu d'eux (Mt., xvm, 19-20) 2 . 

1. Voir infra, p. 66, la note S, Le recit de la Transfiguration. 

2. Cette parole si frappante a d'assez nombreux passages paralleles dans 

J&3US CHRIST. II. 3 



34 JESUS CHRIST. 

\ 

Apres avoir promis a ses disciples pour le jour de la 
regeneration, quand le Fils de I'homme serait assis sur le 
tr6ne de sa gloire , qu'ils participeront a ce grand acte du 
jugement, Jesus ajoute qu'aussi bien, 

Quiconque aura quitte maison, 

pere, ou mere, ou enfants, ou champs, a cause de mon nom, 
recevra beaucoup plus et heritera la vie eternelle. 
Mt., xix, 29; Me., x, 29-30; Lc., xvm, 29-30. 

Que le Fils de 1'homme entre de plain-pied dans le r61e 
de Juge universel, prerogative essentielle du Messie, on 
ne saurait s'en etonner. Ge qui est nouveau, c'est de voir 
comment, dans les paraboles, des modalites de toutes sortes 
rehaussent i'independance et le caractere personnel de cette 
auguste fonction. Jesus n'est pas la en delegue*, mais en fils 
de famille, qui engrange sa moisson apres Pavoir purifies 
de toute trace d'ivraie. 

II leur dit (en reponse a une question sur la parabole de 1'ivraie) : 

Celui qui seme le bon grain, c'est le Fils de l'homme; 

le champ, c'est le monde. 

Le bon grain, ce sont les fils du Royaume; 

1'ivraie, ce sont les fils du Malin, 

et 1'ennemi qui les seme, le diable. 

La moisson, c'est la consommation du siecle. 

les moissonneurs, les anges. 

Comme done on recueille 1'ivraie et on la brule dans le feu, 

ainsi en sera-t-il a la consommation des siecles. 

la tradition juive, celle qui a cristallise dans les Pirke Aboth. Par deux fois, 
des Rabbis celebres, posterieurs a J6sus d'un siecle ou d'un siecle et demi,. 
ont repris cette pensee en attribuant a la Schekhina, a la Gloire divine 
c'est-a-dire a Dieumeme, consider^ comme present (Strack et Billerbeck, 
KTM, II, 314-315) le role que Jesus s'attribue ici. Rabbi Chanina ben 
Teradion (t vers 135) disait : < Quand deux sont assis ensemble, et que la 
parole de la Torah n'est pas entre eux (comme sujet de conversation), c'est 
la le cercle des moqueurs > (Ps. i, 1) ;... mais quand deux sont assis 
ensemble et que la parole de la Torah est entre eux, alors la Gloire est au 
milieu d'eux ; Pirke Aboth, III, 26, Strack; III, 3, R. Travers Herford. 
Une generation apres, vers 180, Rabbi Chalaphta ben Dosa, le Galileen, 
enseignait que quand dix personnes sont assises et s'occupent de la Loi, 
la Gloire est au milieu d'elles . Puis, justifiant, 5, la fa<jon classique, ses 
assertions par les paroles scripturaires, il revendique le meme privilege 
pour 5, 3, 2, et finalement 1 personhe. Pirkd Abuth, III, 6, Strack ; III, 
8, Travers Herford. 



LE TEMOIGNAGE DU CHRIST. 35 

Le Fils de 1'homme enverra ses ang-es 

et ils recueilleront dans son Royaume toutes (les pierres de) scandale 

et tous les artisans d'iniquite, 
et ils les jetteront dans la fournaise de feu : 
Lh sera le pleur et le grincement de dents. 

Alors les justes luiront comme le soleil dans le Royaume de leur Pere 
Quia des oreilles entende! (Mt., xin, 36-43). 

Jesus est encore le Roi dont les anges sont les serviteurs^ 
et il est le Dieu (comment justifier autrement cette prevention 
inouie?) qui fonde la sentence finale sur les rapports qu'oa 
aura entretenus avec lui. Gomme la pecheresse dont saint Luc 
nous a garde la touchante histoire, a qui beaucoup de peches 
furent pardonnes , mais aussi qui avait beaucoup aime le 
Maifre (Lc., vn, 36-50), un homme qui aura servi Je"sus dans 
ses freres sera sauve, tandis que les coaurs durs et e"goistes 
qui ne Tauront pas reconnu, par leur faute, dans ses humbles 
substituts, seront rejetes loin delui. Ge qu'on I era pour lui, 
sera fait pour Dieu 1 . 

Lors done que viendra le Fils de 1'homme dans sa gloire et 
tous les anges avec lui (Zach.,xiv,5),ils'assierasurletrdne 
de sa gloire et seront rassemblees devant sa face toutes les na- 
tions, et il les se"parera les unes des autres, comme un berger 
separe les brebis des boucs, et il.placera les brebis a sa droite 
et les boucs a sa gauche. Alors le Roi dira aceux de sa droite ::, 

Venez les benis de mon Pere, 

Heritez du Royaume a vous prepare depuis la creation du monde, 
car j'ai eu faim, et vous m'avez donne a manger, 
j'ai eu soif, et vous m'avez desaltere, 
j'etais etranger, et vous m'avez accueilli, 
nu, et vous m'avez vetu. 
J'etais malade et vous m'avez visite, . 
j'etais en prison, et vous vintes vers moi. 

1. M. J. Lagrange, Evangile selon saint Matthieu, 1923, p. 486 c M6me 
1'Elu d'Enoch c'est-a-dire la figure messianique la plus transcendante 
n'agit qu'au nom du Seigneur des Esprits, tandis qu'ici le Fils de 
1'homme vient en Juge souverain dans sa propre gloire et sur son trone 
de gloire. Sur le Messie-Juge des Paraboles d'Enoch, si superieur a 
toutes les representations similaires, et notamment a celle du IV" livre 
d'Esdras, qui semble a la fois s'en inspirer et la ramener d61ib6rement 
a des proportions plus humaines, voir Leon Gry, les Paraboles d'Enoch et 
leur Messianisme, Paris, 1910, p. 106 suiv., 171 suiv.; J. B. Frey, 
1, col. 359, 360 ; et supra, t. I, p. 319 suiv. 



36 JESUS CHRIST. 

Alors lui repondront les justes : 

Seigneur, quand t'avons-nous vu affame, et t'avons-nous nourri ? 

Vu avoir soif, et t'avons-nous desaltere? 

Quand t'avons-nous vu etranger, et t'avons-nous accueilli, 

ou nu, et t'avons-nous vetu? 

Quand t'avons-nous vu malade... 

ou en prison, et sommes-nous venus vers toi? 

En reponse, le Roi leur dira : 

En verite, je vous le dis, 

Chaque fois que vous 1'avez fait a 1'un de mes freres des plus petits, 
C'est a moi que vous 1'avez fait! 

Alors, il dira a ceux de sa gauche : 

Allez-vous-en, loin de moi, maudits, - 

Au feu eternel prepare pour le diable et pour ses anges. 

Car j'ai eu faim, et vous ne m'avez pas donne a manger, 

J'ai eu soif, et vous ne m'avez pas desaltere! 

J'etais etranger, et vous ne m'avez pas accueilli, 

Nu, et vous ne m'avez pas vetu, 

Malade et en prison, et vous ne m'avez pas visite. 

Alors lui repondront ceux4a aussi : 

Seigneur, quand t'avons-nous vu affarne, 

ou ayant soif, 

ou etranger, 

ounu, 

ou malade, 

ou en prison, 

et ne t'avons-nous pas servi ? 

En reponse, il leur dira : 

En verite, je vous le dis, 

Chaque fois que vous ne 1'avez pas fait a l'un de ces plus petits, 
C'est a moi que vous ne 1'avez pas fait! 

Et ceux-ci s'en iront au chatiment eternel. 

dK 

Mais les justes a la vie eternelle. 

Mt., xxv, 31-46 ^ 

Les perspectives me'mes de la Passion, et celles qu'ouvre 
trop surement 1'incre'dulite des dirigeants du peuple juif, sont 

1. M. Jousse, dans son memoire sur le Style Oral, fait observer juste- 
ment la perfection de ces Recitatifs. Tons les precedes de la composition 
orale apparaissent clairemont : simplification, parallelisme, appel mne- 
motechnique par les mots-agrafes, opposition, repetition, gestes evoqu6s, 
et refrain. 



LB TEMOIGNAGE DU CHRIST. 37 

au Maitreune occasion de rappeler sa dignite plus que messia- 
nique : 

Ecoutez une autre parabole : 

II y avail un maitre de maison qui planta une vignc, 

Pentoura d'une haie, 
y creusa un pressoir, 
et batitune tour de guet (IsaTe. v, 1) ; 
la loua a des cultivateurs, et partit en voyage. 
Quand la saison des fruits approcha, il envoya ses serviteurs aux 

[cultivateurs pour recevoir ses fruits. 
Mais les cultivateurs, se saisissant de ses serviteurs, 

battirent 1'un, tuerent 1'autre, lapiderent le troisieme. 
Derechef, il leur envoya d'autres serviteurs, 
phis nombreux que les premiers, 
et ils les traitfcrent de meme sorte. 

Finalement, il leur envoya son fils, disant : Ils respecteront mon 

[iils! 

Mais les cultivateurs, voyant le fils, se dirent entre eux : 
Celui-ci estl'heritier. Sus ! Tuons-le, et nous aurons son heritage. 
Etle saisissant, ils le jeterent hors de la vigne et le tuerent. 
Quand done le maitre de la vigne reviendra, que fera-t-il a ces cul- 

[tivateurs-la? 

Eux, de dire : Ces mediants, il les fera perir de male mort, 
et il louera sa vigne a d'autres cultivateurs 
qui lui donneront les fruits en leur saison. 
Jesus leur dit : N'avez-vous jamais lu dans les Ecritures : 

La pierre qu'ont dedaignee les b&tisseurs, 
cette meme pierre est devenue la Maitresse-pierre d'angle. 
Chose faite par le Seigneur, 
merveille a nos yeux ? (Ps. cxvm (cxvn), 22.) 
Aussi je vous dis que le Royaume de Dieu vous sera retire 
et qu'on le donnera au peuple qui en fera les fruits. 

Mt., xxi, 33-43; Me., xn, 1-11; Lc., xx, 9-17. 

Ailleurs, provoquant ses adv^grsaires : 

Que vous semble du Christ? De qui est-il fils? Ils lui dirent : 
De David. Mais lui : Comment done David, parlant sous 1'ins- 
piration, i'appelle-t-il Seigneur et dit-il : 
Le Seigneur a dit a mon Seigneur : Sieds-toi a ma droite, 
Jusqu'a ce que je place tes ennemis sous tes pieds (Ps. ex (cix), 1). 
Si done David Tappelle Seigneur, comment est-il son fils? 

Mt., xxn, 42-45; Me., xn, 35-37; Lc., xx, 41-44. 

Gomme ils n'ont qu'un Pere, au sens premier et transcen- 
dant du mot, les disciples de Jesus n'ont qu'un Maitre, etpour 



38 JESUS CHRIST. 

I'ame'me raison : tout enseignement authentique se refere done 
finalement au sien, comme toute paternite descend, en der- 
niere analyse, de celle de Dieu : 

Vous, ne vous faites pas appeler Rabbi : 
Un seul est votre Maitre et vous etes tous freres. 
Et n'appelez personne votre Pere, sur terre : 
Un seul est votre Pere,celui du ciel. 

Mt., XXHI, 8-9. 

Ge Maitre unique suffit a tous les temps, comme a tous les 
hommes, car : 

Le ciel et la terre passeront : mes paroles ne passeront pas. 

Mt., xxiv, 35 '. 

Et ce que son enseignement fournit dans 1'ordre de la con- 
aaissance : une Loi desormais immuable, son sacrifice va 
1'accomplir dans 1'ordre de la propitiation et de 1' Alliance : 

Or, tandis qu'ils mangeaient, Jesus prenant du pain et ayant dit 
la benediction, le rompit, et, le donnant a ses disciples, dit : 
Prenez, mangez, 
Ceci est mon corps. 

Et ayant pris une coupe, apres avoir rendu graces, il la leur donna, 

[disant : 
Buvez-en tous, 

Ceci est mon sang, (sang) dc 4' Alliance (Exode, xxiv, 8), 
repandu pour beaucoup en remission des pcches. 

Mt., xxvi, 26-28; Me., xiv, 22-24; Lc., xxn, 19-20 et 
[I Cor., xi, 23-26; cf. Heb., ix, 20. 

Ges paroles 2 ramassent, dans un prodigieux raccourci, les 
plus grands souvenirs d'Israel et les plus profondes de ses 

1. Jesus assimile ici son enseignement k celui de la Loi qu'il amene & 
perfection. La duree et la valeur etern^lles de la Loi etaient un lieu com- 
mun : Strack et Billerbeck, K TM, I, p. 244-247. 

2. Sur les allusions bibliques, rabbiniques, et la teneur verbale primi- 
tive (en arameen-palestinien), voir G. Dalman, Jesus -Jeschua, Leipzig, 
1922, p. 122-160. Sur la theologie, M. de la Taille, Mysterium h'idei 2, 
Paris, 1924, p. 53-57. Dans le verset 28a de Mt., touro yap E<JTIV TO atjia 
IAOU T5)s BtaOrjxrjs >, la variante T% xawrj? 8taOr}y.7]s est defendable, et H. von 
Soden 1'adopte dans son edition major : die Schriften des N. T , Text und 
Apparat (Goettingen, 1913), p. 103, qui ne 1'accepte pas cependant dans 
le verset parallele de Me., 246, ibid. f p. 215. La version plus courte semble 
toutefois mieux appuyee. Sur I'historicit6 generale, note T : Les rfaits de la 
Cene du Seigneur; infra, p. 69. 



LE TEMO1GNAGE DU CHRIST. 39 

prophecies. Moise, apres avoir promulgue la Loi, asperge le 
peuple en disant: Voici le sang de 1'Alliance que Dieu a 
conclue avec vous ; ce que Jesus donne ici est aussi sang 
de 1'Alliance * , mais c'est : 

une Alliance nouvelle, 

non comme 1'Alliance que j'ai faite avec leurs peres 
au jour que je les pris par la main 
pour les faire sortir de la terre d'Egypte 

Mais voici quelle sera 1'Alliance 
que je ferai avec la Maison d'lsrae"!. 
Quand ces jours-la seront venus, declare lahve : 
Je mettrai ma Iqi en eux 
et dans leur coaur je 1'ecrirai. 
Et je serai leur Dieu 

et Us seront mon peuple 

Car je pardonnerai leur iniquite 

et de leur peche, je ne me souviendrai plus. 

Jer., xxxi, 31-34 (A. Condamin). 

Que ce pardon, rendant possible cette intimite avec Dieu, 
ne se fasse pas sans effusion de sang, ce n'est pas seulement 
le parallelisme avec 1'ancienne Alliance qui Fimplique 2 , mais 
le profond dessein attachant la rentree en grace de 1'homme 
pecheur a la mediation du Juste souffrant, volontaire sacrifice 
du Serviteur de lahve, dont il est predit : Je te fais Alliance 
de mon peuple (Isaiie, XLII, 6, et XLIX, 8) 3 , et : 

... II a pris sur lui nos souffrances, 
et de nos douleurs il s'est charge.., 

II a dte transperce pour nos peches, 
broye pour nos iniquites ; 
Le chdtiment qui nous sauve a pese sur lui, 
et par ses plaies ftous sommes gueris... 

lahve a fait tomber sur lui 
1'iniquite de nous tous. 

1. Cette expression (dam berit) dans 1'usage rabbinique poster! eur, est 
souvent employee pour le sang qui coulait sous le couteau de la circon- 
cision, signe sensible de 1'Alliance premiere, conclue entre Dieu et 
Abraham : Strack et Billerbeck, KTM, I, 991-992. 

2. Car dans, un sacrifice, et surtout un sacrifice juif, le sang est la 
chose principals; > Ed. Meyer, Ursprung und Anfaenge, I, 179. 

3. Cf. sur cette expression, A. Condamin, Le livre d'lsctie, p. 335-336. 



40 JESUS CHRIST. 

Non en vain, car son sang* sera repandu pour beaueoup, 
pour des multitudes qu'il sauvera : 

S'il offre sa vie en sacrifice pour le peche, 
il aura une posterite, il multipliera ses jours, 
en ses mains I'oauvre de lahve prospe'rera... 

Le Juste, mon Serviteur, justifiera des multitudes, 

il se chargera de leurs iniquite's; 

C'est pourquoi je lui donnerai pour sa part des multitudes; 

il recevra des foules pour sa part de butin : 

Parce qu'il s'est livre a la mort, 
et qu'il fut compte parmi les pecheurs, 
Tandis qu'il portait les fautes d'une multitude 
et qu'il intercedait pour les pecheurs. 

Isaie, LIII, 1, 4-6, 10J-12 (A. Condamin) 1 . 

Ges admirables prophe'ties sont evoquees d'une fac.on a la 
fois si discrete qu'un remaniement tendancieux n'est pas 
soutenable, et si juste qu'il est impossible, quand on les a 
presentes, d'en meconnaitre le reflet. 

4. Jesus se declare. 

A la lumiere de ces paroles : suggestions, affirmations, 
promesses et propheties, nous pouvons aborder le temoignage 
supreme, celui du martyre (au sens justement que 1'exemple 
de Jesus a donne au mot), en marge duquel onpourrait ecrire 
ce que le greffier du proces de Jeanne d'Arc ecrivit- en face 
de la declaration ou la Pucelle affirma decisivement 1'origine 
divine de sa mission : RESPONSIO MORTIFERAA G'est qu'en effet 

1. Voir A. M6debielle, L' Expiation dans I'Ancien et le ' Nouveau Tes- 
tament, I, Rome, 1924, 187-230. 

2. Proces de rechnte, seance du 28 mai 1431 ; vpir dans Pierre Champion, 
Proces de condamnation de Jeanne d'Arc,' Paris, 1920-1921, vol. I, p. 375, et 
pi. IV, le fac-simile du folio 198 du Ms (Bibl. Nation., fonds latin 5.966) du 
proces portant a la marge les mots du greffier. 

Champion, I, 375 : Item, quia ab aliquibus nos, judices, audieramus r 
quod illusionibus suarum revelationum praetensarum, quibus antea re- 
^untiaverat, adhuc inhaerebat, ipsam interrogavimus. Respondit quod Deus 
mandavit sibi.... magnam pietatem illius grandis proditionis in qua ipsa 
Johanna consenserat, faciendo abiurationem et reuocationem pro saluando 
uitam suam....Item dixit quod si ipsa diceret quod Deus non misisset earn, 
ipsa damnaret se, et quod ueraciter Deus ipsam misit. 



LE TEMOIGNAGE DU CHRIST. 411 

Jesus varevendiquer, au peril manifesto de sa vie, enpre'sence- 
de la Haute Gourde son peuple, et interroge au nomde Dieu, 
sa dignite supreme. 

Us emmenerent Jesus chez le Grand Pr6tre, et s'assemblerent 
tous les grands pretres', les Anciens et les Scribes. Pierre 1'accom- 
pagnait de loin, jusqu'a I'interieur de la cour du Grand Pretre et 
s'etant assis avec les valets il se chauffait pres du feu. 

Or les grands pretres et tout le Sarihedrin cherchaient contre- 
Jesus un temoignage pour le faire mourir et ils n'en trouvaient 
point. Car beaucoup deposaient faussement contre lui et les deposi- 
tions n'etaient pas concluantes. Et quelques-uns, s'etant leves,. 
deposaient contre lui en ces termes : Nous 1'avons entendu dire : 
Moi je detruirai ce temple fait de main d'homme 
et en trois jours j'en editierai un autre, 

non de main d'homme. 

Mais, pas m&me la-dessus, leurs depositions n'etaient concordantes. 
Lors le Grand Pretre se levant au milieu interrogea Jesus, disant: 
Tu ne reponds rien? Qu'est-ce done que ces gens-ci deposent 
contre toi ? Mais lui se taisait et ne repondait rien. 

Derechef le Grand Pretre I'mterrogea en ces termes : Es-tu 
le Christ? le Fils du Beni 2 ? Et Jesus repondit : 

Je lesuis 3 , 

et vous verrez le Fils de rhomme assis a la droite de la Puis- 

[sance- 
etvenantavec les nuees duciel (Daniel, vn, 13; Ps. ex (crx), 1). 

Lors le Grand Pretre dechirant ses vetements dit : Qu'avons- 
nous encore besoin de temoins ? Vous avez entendu le blaspheme ?' 
Que vous en semble? Et tous le prononcerent digne de mort. Et 
quelques-uns commencerent a le conspuer et a lui couvrir le visage, 
et a le souffleter en lui disant : Fais le prophete ! et les valets- 
le recevaient avec des soufflets. 

Me., xiv, 53-65; Mt., xxvi, 57-68; cf. Lc., xxir, 54-55; 63-71.. 

1. Le m6me mot d'ipx. l6 P li s est employ^ ici soit pour le Grand Pretre 
en fonction, Joseph Cai'phe, soit pour les membres des grandes families- 
sacerdotales qui, pourun tiers, avec les Anciens et les principaux Scribes, 
composaient la Haute Cour du Sanhedrin. 

2. Le beni (6) uXoYY)To'e (Earuk on Meborak) est comme plus bas la Puis- 
sance (T) 8uva[Hs=/7a^e6owmA,aram. Ge6owe^/ia),unsubstitutrespectueux. 
du nom divin, abreg6 de la formule pleine : Le Saint (aram. : la Saintete), 
beni so't-il ! 

3. 'EyoS ei[j.t. Dans Mt., xxvi, 64 : 23b elrca?- [ou SI* eTnas;] cf. Lc., xxn,. 
706 : Tfj-sts XeysteoTt eyc6 sf^t . Sur le sens du Eu efaas, voir le memoire- 
d'l. Abrahams dans les Studies in Pharisaism, II e serie, Cambridge, 1924,. 
p. 1 suiv. 



42 JESUS CHRIST. 

Gette scene capitale est decrite en termes si clairs qu'elle 
se passe presque de commentaire. Le Sanhe"drin entier (a 
quelques exceptions pres pe.ut-6tre : Nicodeme ou quelque 
membre moins stir ) est reuni pour juger le dangereux pro- 
phete enfin capture, lie", depouille de ses moyens d'action 
sur le populaire>. Mais rien n'est i'ait tant qu'on n'a pas obtenu 
contre lui un jugement en forme, tel que la culpabilite de 
1'accuse soit acquise et verite legale. On fait done jouer 
1'appareil des temoins qui etait a la base de la procedure cri- 
minelle (Deut., xvn, 6; xix, 15). Mais ceux que, hativement, 
on avait assembles, n'arrivent pas a se mettre d'accord et 
1'affaire n'avanee pas. Une parole allegorique de Jesus sur 
le sort du Temple et le sien propre, interpreted au sens. 
litteral, semble offrir un terrain d'attaque plus favorable, 
mais la m3me les malheureux qui ont assume le r61e de 
denonciateurs ne sont pas capables de fournir un temoignage 
concordant. Gette evocation du Lieu saint et 1'audace inoui'e 
de 1'affirmation font pourtant rebondir le debat qui trainait : 
Gai'phe sent qu'on entre la sur le vrai terrain, celui des reven- 
dications souveraines de Jesus. 11 presse le prevenu : Tu 
ne reponds rien? Qu'est-ce done que ce grief? Explique-toi. 
Mais le Maitre persiste a se taire. Le Grand Pre"tre recourt 
.alors a la conscience de 1'accuse, et lui defere le serment 
judiciaire sous sa forme la plus solennelle *. Puis : h,s-tu le 
Christ, le Fils du Beni 2 ? Interrogation qui allait siirement 

1. Mt., xxvi, 636 : Je t' adjure, au nom du Dieu vivant, de nous le dire. 
Ce serment judiciaire est distinct du serment dit rabbinique, qui n'appa- 
rait qu'au temps talmudique. Sur les modalites du premier, voir Strack et 
Billerbecfc, KTM, I, p. 323, 321. 

2. Me., xiv, 61c; Mt., xxvi, 636 : Je t'adjure de nous dire si tu es 
le Christ, le Fils de Dieu. Lc., xxn, 66-70, a un contexte different. Dans 
une reunion, tenue a la pointe du jour, il fait poser d'abord la seule ques- 
tion du Messie : Si tu es le Christ, dis-le nous. Jesus, apres avoir releve 
le caractere captieux de la demande ( Si je vous le dis, vous ne me crei- 
rez pas; si je vous interroge de mon cote, vous ne me reporidrez pas >), 
repond par 1'affirmation que dorenavant le Fils de 1'homme sera assis & 
la droite de la Puissance de Dieu . Tous alors de dire : Tu es done le 
Fils de Dieu? Et il leur dit : Vous 1'avez dit, je le suis. Ce qui ne 
signifie nullement : C'est vous qui 1'avez dit ! comme une exegese trop 
subtile 1'a parfois imagine, mais simplement : Je le suis. > Jesus, 
reconnait M. Loisy, Evangile selon Luc, 19'<J3, p. 542, s'est bien dit Messie 



LE TEMOICNAGE DU CHRIST. 43 

au dela d'un aveu pur et simple de messianite*. Suffisant, 
par les repercussions d'ordre politique qu'il permettait d'evo- 
quer, pour niotiver une denonciation aupres de 1'autorite 
romaine, et c'est en effet le grief que les dirigeants firent 
valoir pres de Pilate (Lc., xxiit, 1-3; Mt., xxvn, 11; Mo., xv, 
1-2; Jo., XVIH, 33-40; xix, 12, 15) et que Fironie du Procura- 
teur retint pour la motivation de la sentence : le Roi DES JUIFS 
(Me., xv, 26; Mt , xxvn, 37; Lc., xxm, 38; Jo., xix, 19), 
1'aveu n'eut pas suffi a justifier 1'accusation de blaspheme, et 
la reprobation unanime, scandalisee, qui s'ensuivit. Si biaise'e 
qu'ait ete la procedure, et si prevenus que fussentles juges, 
il fallait a 1'eclat de Gaiphe et a la joie mauvaise des autres, 
un- pretexte legal suffisant. Gapables d'un crime, les pires 
ennemis (le Jesus restaient, comme il arrive, des formalistes 
enrages 1 . Or, s'avouer Messie n'etait pas manifestement un 
crime ou un blaspheme 2 . C'est pourquoi la question de 

et Fils de Dieu ; d'autre part, il est clair que les interrogateurs prirent 
cette reponse comme un aveu formel, et rien n'invite a supposer qu'ils 
se soient trompes. 

1. Mt., xxm, 23-27. Cf. Lc., xi, 39-42; Me., vir, 1-23; surtout Jo., xvm, 28; 
xix, 31. 

2. J. Huby, L'Evangile selon saint Marc 7 , 1927, p. 395 suiv. ; M. J. La- 
grange, Evangile selon saint Luc, 1921, p. 572 suiv. ; J. Lebreton, Origines 6 , 
1927, p. 328; Strack et Billerbeck (ou la question du blaspheme, de ses 
formes di verses, des penalites qu'il entrainait, est traitee a fond, KT.M, 
I, 1007-1025). P. 1017 : Le Grand Pretre n'a pas trouve le blaspheme 
dans le fait que Jesus, interroge s'il etait le Messie, ait repondu affirmati- 
vement, mais dans celui que Jesus ait pretendu d'ores et deja, au sens 
propre du mot, prendre place a la droite de la Toute-Puissance. La pensee 
que IP Messie designe par Dieu se reconnut pour etre le Messie, et se de- 
clarat tel, n'etait pas un scandale pour le Judai'sme. Sans doute nous 
trouvons exprimee 1'opinion que le prophete Elie reparaissant ferait re- 
connaitre et introduirait le Messie, mais nous en trouvons une autre, 
d'apres laquelle c'est le Messie lui-meme qui se revelerait comme tel. Le 
Grand Pretre ne pouvait done voir un blaspheme dans un temoignage de 
ce genre que Jesus se rendait a lui-meme. Meme la session a la droite de 
Dieu, ou sur le trone de Dieu, est un trait que le Judai'sme, en partant du 
Psaume ex, n'a pas laisse tomber dans 1'image glorieuse de son Messie. 
M;ns on s'attendait ace que cette intronisation du Messie s'accomplit d'une 
facon visible sous les yeux de tous, dans la sphere terrestre et sur I'in- 
jonction de Dieu. Mais qu'au contraire Jesus, des a present, et, apparem- 
ment, par sa propre puissance, et sans 1'autorisation divine, vouiut pren- 



44 JESUS CHRIST. 

Gaiphe s'etait faite insinuante, captieuse : Tu es le Christ? 
le Fils du Bdni? La seconds parole n'est pas synonyme de la 
premiere, ou simple glose ; elle va au dela, piege tendu au jeune 
temeraire dont les ambitions demesurees sont connues. La 
parole sur la mine du Temple venait d'en rappeler 1'une 
des expressions les plus fortes : il y en avait eu d'autres Deux 
fois les e"vangelistes ont signale 1'impression produite sur lea 
adversaires de Jesus par certaines de ses declarations etse tra- 
duisant de me'me sorte : II blaspheme ! G'etait quand, reven- 
diquant une prerogative divine, le Maitre avait, d'un geste r 
remis les peches (Mt., ix,3; Mc.,ir, 7; Lc., v, 21); et quand il 
avait prononce que cc moi et le Pere, nous sommes un (Jo., x r 
30-33). Voici que maintenant, repondant au Grand Pr&tre ea 
plein Gonseil, non settlement il se disait le Messie, mais il 
assignait d'ores et de"ja ses juges. Bien plus y de son propre 
chef, moins en serviteur qu'enlils, il fixait sa place a la droite 
du Tout-Puissant, dans les termes me'mes de la prophe'tie de 
Daniel. Autorisant et couvrant les declarations anterieures de 
Jesus, cette audace a s'egaler en quelque sorte a la Majeste 
supreme, voila le blaspheme! Pour ces hommes, dont les 
plus instruits, et les plus passionnes, attendaient un Messie 
liomme et fils d'homme 1 , 1'attitude de 1'accuse constituait 

dre comme lui revenant de droit, dans le monde surhumain, place a la 
droite de la Toute-Puissance et exercer sa souverainet6 comme Messie 
voila qui sembla au Grand Pretre un attentat centre la Majest divine et 
)c fit s'6crier : II a blasphem6 (Dieu)! (Textes et renvois a 1'appui, 
p. 1018). C'est sans doute bien pr6ciser, au dela peut-etre de ce qui est 
bonnement certain. II reste que le vrai motif de scandale, et la cause im- 
mediate du verdict de condamnation, c'est moins la revendication de la 
dignite de Messie, que les modalites plus que messianiques dont cette re- 
vendication s'accompagnait dans le cas de Jesus. 

1. Ka\ y^P JKXVT65 Jjp.Eis tbv Xpiatbv avOptoTCov 1^ avOpaHwov npoo8oxSitj.EV yevrjaeaOai, 
declare a Justin son interlocuteur Tryphon (Dialogue, ch. 49). Ce temoi- 
gnage, note le P. Lagrange, Le Messianisme chez les Juifs, p. 218, con- 
corde parfaitement avec tout ce qu'on trouve dans les ecrits rabbiniques 
au temps des Tannas (c'est-a-dire des generations de docteurs qui se 
succedent a partir de Hillel et de Schammai, done pratiquement a parti r 
du Christ, jusque vers 200 environ ou un peuapres). Voir aussi strack et 
Billerbeck, KTM, II, 1924, p. 333-352 : La Synagogue, pour nombreiuses 
que soient les figures de Messie qu'elle se soit creees, n'eleve jamais ses 
inessies au-dessus de la commune humanite : ils restent pour elle un 



LE TEMOIGNAGE DTJ CHRIST. 45 

un empietement sacrilege sur le droit incommunicable de 
Dieu. La cause qui provoqua la condamnation n'est done pas 
douteuse, et si, pour obtenir de Pilate un jugement qui con- 
duisit la sentence a son terme effectif, il fallut rentrer sur le 
terrain politique, ii est certain que le motif determinant les 
Sanhedrites fut d'ordre religieux. ^C'est d'ailleurs la me'me 
indignation qui grohde dans les invectives atroces du lende- 
main, au Galvaire. Ge ne sont pas en effet seuLement les 
<c passants qui injuriaient Jesus en branlant la te"te et 
redisaient la fameuse parole rappelee a dessein par les me- 
neurs : Eh ! le destructeur du Temple et son rebatisseur 
en trois jours! sauve-toi toi-meme, descends de la eroix! 
(Me., xv, 27-29; Mt., xxvii, 38-40; cf. Lc., xxm, 35)*. II y 
a aussi, ricanant entre eux , des Princes des pre'tres, 
Scribes et Anciens, qui disaient : Les autres, il les asauves; 
lui, il ne peut se sauver! G'est le roi d'Israel : qu'il descende 
done de la croix, et nous croirons en lui. IL s'est fid a Dieu, 
que Dieu le delivre maintenant, s'il I'aime. Car il a dit : Je suis 
le Fits de Dieu! (Mt., xxvii, 41-43; Me., xv, 31-32 (cit. Ps, xxn 
(xxi), 8). Le theme du juste jamais abandonne de Dieu,repris 
ici par les ennemis de Jesus, est sans cesse rappele par les 
Psaumes, mais les Scribes 1'entendent ici au sens immediat et 
materiel, negligeant 1'interpretation spirituelle donnee a ces 
passages dans les propheties concernant le Serviteur de 
lahve, et par le livre de la Sagesse (n, 13, 16-20). 



, p. 352. Moias de cent ans apres la raort du Christ, 
Rabbi Aqiba ({ 135) pour sortir de la difficult^ cr6ee par deux paroles de 
la prophetie de Daniel (vii, 9) son trone 6tait flamme de feu > et jus- 
qu'a ce que les trones (au pluriel) fussent places >, s'6tant avis6 de dire : 
II n'y a pas contradiction : un tr6ne est pour Dieu et 1'autre pour Da- 
vid *, s'attira la vehemente reprobation de son ain6 Jos6 le Galileen (f 
vers 110) : < Aqiba, jusques a quandprofaneras-tulaGloire?Bien plutotun 
trone est pour la Justice (de Dieu) et 1'autre pour la Misericorde ! Et 
Aqiba acquiesga; Chagiga, 14 a; dans Strack et Billerbeck, KTM, II, 
p. 338. 

1. Si tu es le Fils de Dieu, descends de la croix de Mt., xxvii, 40 b, 
est un 6cho de la parole de Satan au moment de la tentation : Si tu es Fils 
de Dieu, dis que ces pierres se changent en pain... Si tu es Fils de Dieu, 
jette-toi en bas (du Temple), Mt., iv, 3, 6 ; A. H. Me Neile, The Gospel 
according to $. Matthew, London, 1915, p. 420. 



46 JESUS CHRIST. 



5. J6sus s'explique sur lui-m&me. 

Le quatrieme evangile, que nous abordons maintenant, ne 
nous menera pas plus avant. Comment le pourrait-il? 
Plusieurs des declarations que nous venons de transcrire 
ne le cedent, en force persuasive ou en porte'e, a aucune 
formule johannique. Nous avons rappele plus haut, et les 
critiques les plus pe'netrants commencent a s'en apercevoir, 
a quelque ecole qu'ils appartiennent, que la difference sous 
ce rapport entre le dernier dvangile et les Synoptiques a te 
fort exageree : ils different surtout comme 1'explicite de 
I'implicite 1 . Ge que nous avons dit du but, de I'origine, du 
caractere du quatrieme evangile rend compte de cette diffe- 
rence de presentation, et explique pourquoi nous avons deli- 
berement renonce, non certes a faire valoir les declarations 
du Maitre rapportees par Jean, mais a les insurer dans la 
trame formee par les recits synoptiques. Elles feraient avec 
ceux-ci une disparate trop sensible. Pour Jean, en effet, il 
s'agit beaucoup moins de raconter Jesus que de 1'expliquer, 
de faire resplendir dans sa parole et son activite et la dignite 
transcendante et la verite de la chair du Fils de Dieu ; celle-ci 
autant que celle-la, mais pour toutes les deux la preoccupation 
est moins d'histoire que de doctrine, encore que la doctrine 
suppose la realite de 1'histoire. 

Geux que vise 1'auteur sont des hommes qui connaissent, 
au moins en gros, les enseignements et la vie du Seigneur, 
mais que tentent ou troublent les profondeurs de Satan 
(Apoc., n, 24), les exegeses du philosophisme ambiant, le 
spiritualisme excessif, irreel, des plus anciens gnostiques 2 . 
A ces theoriciens fourvoyes, le disciple plus aime rappelle le 
fait du Christ. Cette realite, a la fois humaine et surhu- 
maine, spirituelle et consistante, historique et eternelle, il 

1. Voir t. I cr , p. 174 suiv. 

2. Ce n'est pas sans hesitation qu'on emploie ce mot a cette epoque : il 
est entendu qu'il vise cette premiere forme de 1'erreur gnostique, carac- 
teriseepar 1'interpolation, entre Dieu etl'homme, de Puissances vaguement 
hypostasiees, ni franchement hum-aines, ni vraiment divines, et par la 
croyance en la malignite fondamentale et irremediable de la matiere. Voir 
la-dessus B. H. Streeter, The Four Gospels, London, 1924, p. 386. 



LE TEMOIGNAGE DU CHRIST. 47 

* ' 

1'a vue de ses yeux, ouie de ses oreilles, touche*e de ses- 
mainis. Aux deductions, aux gloses, aux hypotheses, Jean 
oppose son temoignage, et c'est dans ce temoignage que 
celui de Jesus arrive a nous. Aussi la j/ersonnalite de Pevan- 
geliste est-elle beaucoup plus visible ici que dans les Synop- 
tiques ; le style a lui seul^ ce style si particulier, original, en 
fait foi *. 

Seulement, cette ame m6me a ete murie d'abord et ce style 
s'est forme par la meditation perseverance des enseigne- 
ments, de 1'attitude, de 1'exemple de Jesus. Et que 1'evangile- 
selon Jean reste bien 1'evangile du Christ, nonobstant les- 
interpretations explicites et tres conscientes de 1'ecrivain,, 
nonobstant d'inconscients rudiments d'interpretation, et 
de fond et de forme , resultant du choix des materiaux, de- 
leur agencement, de leur presentation, c'est ce que nous* 
garantit Pacceptation unanime et pratiquement incontestee de 
1'ouvrage par les Eglises chretiennes, deja en possession 
des Synoptiques 2 . G'est ce que confirme 1'appel confiant, 
repete, de 1'auteur a 1'enseignement primitif, recu des le 
debut de la predication, par ceux auxquels il destine son 
ouvrage 3 . 

Sans attribuer a Jesus chaque detail de leur teneur inte- 
grale 4 , encore que nombre de ces mots brefs et pleins, aigus 

1. Dans certains cas, note M. Lepin (Lavaleurhistorique du qualrieme 
Evangile, Paris, 1920, t. II, p. 102 note), il semble que 1'evangeliste a en- 
richi un discours authentique d'un commentaire personnel ; c'est le cas dm 
discours final de Jean-Baptiste : Jo., m, 31-36, et du discours de Jesus a 
Nicodeme : Jo., in, 16-22. L'auteur ne prend pas la peine d'observer qu'il 
ajoute cela de son fonds, il donne tout d'un seul trait comme si ses re- 
flexions propres etaient le prolongement naturel du souvenir rapporte. - 
II est notable que Maldonat admet le fait pour des raisons de pure exegese,. 
comme plus probable, dans le cas de Jo., m, 16. 

2. II (le quatrieme Evangile) a et6 accepte vite et au loin, mais n'a. 
pas supplante les autres Evangiles. Ceux-ci etaient deja trop profondement 
implantes dans leurs domaines propres, ettrop precieuxaux croyants. Ed, 
Meyer, Ursprung und Anfaenge, III, 1923, p. 648. Voir aussi B. H. Streeter, 
The Four Gospels, 1924, p. 393 suiv. 

3. Voir t. I or , p. 159 suiv., et J. Huby, Saint Jean (dans les Etudes, 20 oc- 
tobre et 5 novembre 1921). 

4. Vouloir etablir dans chaque cas ce qui revient avec vraisemblance 
au travail de Fevangeliste serait un effort infini et souvent sterile de divi- 



48 JESUS CHRIST. 

et luisants comme des epees, portent en eux-me'mes IB. preuve 
de leur authenticity litterale, nous devons faire confiance aux 
declarations johanniques. Elles repercutent sureme'nt la pense"e 
exprimee du Maitre. 

Pour saint Jean, le Christ est la Lumiere, la Verite et la 
Vie 1 . II possede d'original, done en plenitude, et donne a qui 
lui plait, ces biens spirituels et supremes. II en est non seu- 
lement le dispensateur souverain et normalement unique, 
mais la source. Et il est tel (nous rejoignons ici 1'incompa- 
rable declaration rapporte"e plus haut d'apres les textes des 
.Sypnotiques) parce qu'il est le Fils de Dieu, unique, coeternel 
au Pere, et une seule chose avec Lui : eyo) xal 6 -rcarqp ev ea{Aev 2 ! 
II faudrait, a 1'appui, transcrire tout notre evangile. Gonten- 
tons-nous de quelques paroles plus touchantes ou plus signi- 
ficatives. 

Jesus repondit (a cette femme de Samarie) et lui dit : 

Si tu savais le Don de Dieu 
et qui est celui qui te dit : Donne-moi a boire , 
Cest toi qui lui aurais deraande 
et il t'aurait donne une eauvive... 
Qui boit de cette eau-ci aura soif encore, 

Mais qui boit de 1'eau que je lui donnerai n'aura plus soif jamais. 
Mais 1'eau que je lui donnerai deviendra en lui 

une source d'eau jaillissante a la vie eternelle. 

Jo., iv, 10-14. 

Aux Juifs 3 qui le poursuivaient parce qu'il avait gueri 
un infirme le jour du sabbat, Jesus repond : 

Mon Pere travaille jusqu'a cette heure, 
Moi aussi je travaille (Jo., v, 17)*. 

nation. Nous ne disposons presque jamais ici, comme nous disposons pour 
les Synoptiques, de textes' paralleles, dont les divergences nous forcent a 
constater 1'existence d'une part de redaction et nous permettent de la deli- 
miter en quelque mesure. 

1. Sur le sens de ces expressions, voir t. I* r , p. 169-171. 

2. Jo., x, 30. 

3. On sait que par cette expression Jean designe habituellement soit la 
masse du peuple Juif, finalement .infidele a la grace de Dieu, soit, et le 
plus souvent, les meneurs, les chefs de 1'opposition faite a la predication. 
Voir t. I er , p. 170, note 1. 

4. La conciliation de I'activit6 divine ininterrompue avec le repos 
divin mentionne par la Genese, ch. if, 2, et 1'imposition par Dieu de la loi 



LE TEMOIGNAGE DU CHRIST. 49 

Bt comme cette parole scandalise certains auditeurs, Jesus, 
loin de la retirer, revendique une autre prerogative divine : 

Car, ce que le Pere fait 
le Fils semblablement lefait... 
Comme le Pere eveille les morts et donne vie, 
ainsi le Fils donne vie a ceux qu'il yeut. 
Le Pere aussi ne juge personne, 
mais il a remis toute judicature au Fils, 
aim que tous honorent le Fils comme ils honorent le Pere. 

Jo., v, 19, 21-22. 

Jesus est le Pain de vie, aliment de 1'intelligence, apaise- 
menfc de Pinquietude humaine, principe de la vie superieure 
et divine. Mais c'est le Pere qui donne cePain; c'est lui 
aussi qui en revele la substantielle vertu : et par une inspi- 
ration pressante, une aimantation sainte, et par un enseigne- 
ment qu'il ne suffit pas d'ecouter, mais qu'il faut entendre. 

du Sabbat, 6tait un sujet de difficulte chez les Juifs. Philosophique ou ca- 
suistique, le probleme 6tait r6solu (quand il l'6tait raisonnablement : des 
rabbins admettaient couramment que Dieu observait lui-meme le sabbat ; 
cf. A. Marmorstein, Quelques problemes de Vancienne apologe'tique Juive, 
dans REJ, LXVIII, 1914, p. 165-166), par le recours a la transcendance di- 
vine. Voir les textes de Philon, reunis par W. Bauer, Das Johannes-Evan- 
gelium*, Tubingen, 1925, p. 78. Un Midrash (Exode Rabba, 30, dans Strack 
et Billerbeck, KTM, II, 462) met en scene a ce propos quatre rabbis fameux 
dont Gamaliel II et Aqiba. Au cours d'un voyage a Rome, vers 95, Tun d'eux 
s'ecria : Le pouvoir de Dieu ne s'exerce pas comine celui de la chair et 
du sang. Un roi humain Sdicte une loi et en laisse 1'accomplissement aux 
autres : lui-meme n'en a cure.-Dieu ne proceds pas ainsi. Une mauvaise 
tete 1'entendant lui dit : Tout ce que vous racontez la n'est qu'imposture. 
Vous dites : Dieu ordonne et obeit lui-meme aux ordres qu'il donne. Alors 
pourquoi n'observe-t-il pas le sabbat, puisqu'il est sans cesse a 1'oeuvre? 
Miserable sacrilege, r6pondent les rabbis ; est-ce qu'un homme, le jour 
du sabbat, ne peut pas porter quelque chose a 1'interieur de sa propre me- 
tairie, chez lui? Oui. Eh Men! le monde d'en haut et celui d'enbas, 
sont la metairie de Dieu, car tout I'univers estplein de sa gloire (Isaie, vr, 
3) et meme si un homme commet une faute (en portant un objet le jour 
du sabbat), ne peut-il le porter (sans faute) la longueur de son corps 
(environ 4 aunes)? Oui. Eh bien! il est 6crit : Est-ce que je ne rem- 
plispas le del et la terre. Parole de la/we" > (J6r., xxnr, 24). 

La parole de J6sus est l'6quivalent du mot releve plus haut dans les 
synoptiques : le Fils de 1'homme est le maitre meme du sabbat (Mt., 
xii, 8; Me., n, 28; Lc., vi, 5). Seulement ici Jesus le motive : pas plus 
que celle du Pere, son activite n'est sujette a aucune loi. 

JESUS CHRIST. ii. 4 



50 JESUS CHRIST. 

Transcrivons quelques-unes de ces paroles qiii de'couragenfr 
tout commentaire. Les plus haute* verites spirituelles s'y 
expriment avec une plenitude que rehausse la - simplicite : 
fruits murs, lourds de sue, qu'urie main d'enfant peut deta- 
cher, qu'une faira d'homme n'epuise pas 1 . 

Mon Pere vous donnera le pain du Ciel, le veritable, 
car le pain de Dieu est celui qui descend du Ciel 

et donne la vie au monde. 

Eux lui dirent : Seigneur, donne-nous toujours cc pain! 
Jesus leur dit : 

Je suis le pain de vie. 

Qui vient a moi n'aura plus faim, 

Qui croit en moi n'aura plus soif jamais... 

Nul ne peut venir a Moi 
si le Pere, qui m'a envoye', ne le tire 1 ... 
II est ecrit dans les Prophetes : ilsserontlous enseig?ies deDieu** 

Quiconque ecoute le Pere et 1'entend 3 vient a moi... 

G'estmoi qui suis le pain vivant, celui qui descend du ciel, 
si quelqu'un mange de ce pain, il vivra a jamais, 
etle pain que je luidonnerai est ma chair pour la vie du monde. 
Sur quoi les Juifs s'excitaient entre eux: Comment cet homme-ci 
peut-ilnous donner sa chair t manger ? 

Jesus leur dit done : 

En verite, en verite, je vous le dis : 

Si vous ne mangcz la chair du Fils de I'liomme, 

et si vous ne buvez son sang, 

vous n'aurez pas la vie en vous... 
Car ma chair est vraie nourriture, 
et mon sang est breuvage veritable. 
Qui mange ma chair et boit mon sang, 
en moi demeure, et moi en lui. 

Jo., vi, 32c-35; 44-45; 51-53; 55-56. 

Pour la longue suite de discussions tenues au cours de-la F6 te 

1. Cf. Os6e, xr, 4. 

2. Cf. Isaie, LIV, 13; Jer., xxxr, 33-34. 

3. 6 ay.ouaas... xai [iaOajv. W. Bauer renvoie opportun^ment a Polybe de- 
clarant (Histor., Ill, 52, 10; Didot, I, 140) que son Histoire d' ensemble 
1'emporte autant sur les r6cits de detail que le [j-aOetv 1'emporte sur le 
simple dtxouaai. Cette notation souligne en roeme temps la Iibert6 de 
Fhomme tir6 par Dieu. 



LE TEMOIGNAGtf Dti CHRIST. 5 

des Tenths qui dirrait sept jours entiers 1 , 1'es droits' du Maitre, 
et ses titres a eHre cru, sont presentes sous' d f es formed 
diverses, profortd'ement engage* es dans les formes dialectiques 
alors enhohneur chez les Rabbis. Mais dans cet appareil peu 
families a nos habitudes de raisonnement v et qui nous par alt 
so-uvent inoperant ou suranne, le genie du Maitre ouvre des 
trainees lumineuses. 

Au ! dernier jour, le plusJsolennel de la f6te, Jesus : sedressa-et 

s'ecria : 
Si quelqu'un a soif, qu'il vienne a moi et qu'il boive! 

Qui croit en moi (comme parle rEcriture) 
IJe son sein couleront des torrentis d'eau vive. 

Jo;, vn, 37', 



Au cours d'une argumentation sur les temoignagessuscite'e' 
par des scribes, Jesus se refer e au temoignage de son Pere. 
La-dessus on lui coupe la parole: 0u esttonpere? Maislui: 

Vous ne connaissez ni moi, ni mon Pere : 
Si vous me connaissiez, vous connaitriez aussi mon Pere. 

Jo., Viil, 19. 

Aune autre reprise, ayantaffirme une fois de plus son union 
avec le Pere, Jesus repete sa promesse : 

Si quelqu'un garde ma parole (en fait la r6gle de ses actions) , 
II ne verra jamais la mort. 

Ge mot provoque une nouvelle vague d'indignation : 

A' present nous voyotis bien que tu es-un poss^de ! Abrahami est 
mort, et- les Prophetes, et toi tu dis : si quelqu'un garde ma parole^ 
il ne tatera jamais de la. mort! Es-tu plus grand que notre pere 
Abraham, qui est mort! Les Prophetes aussi sont morts. Que pre- 
tcnds-tuetre? 

Jesus repond que la gloire qu'il s'arrogerait de lui-meme 
serait vaine. G'est son Pere qui le gloriiie, et cette gloire a sa 
racine hors du temps : 

Abraham, votre pere, s'est rejoui parce qu'il devait voir mon jour* 
Et ilTa vu, et il s'est rejoui. 

1. Voir la dissertation definitive de Strack et Billerbeck, Das Laubhilt- 
lettfest; KTM, II, p. 774 a 812. 

2: Gf. Isaie, .XLIV, 3; LV, 1; LVIII, 11. 

3. Sur le sens de fva, cf. W. Bauer, Das Johannes- Evangelium'*, p. 
et les autorit6s al!6gu6es. 



52 JESUS CHRIST. 

La-dessus, les Juifs lui dircnt : Tu n'as pas cinquante ans, et tu 
as vu Abraham? Mais Jesus : 

En verite, en verite, je vous le dis, 
Devant qu'Abraham Mt, je suis (Jo., vin, 52-58). 

Une derniere scene de ce drame se joue a la fete de la De"di- 
cace' 1 ou des Lumieres, en hiver. Jesus se promenait dans le 
Temple dans la portique de Salomon, quand un groupe 1'en- 
toura et le mit en demeure de se proclamer le Messie : Jus- 
ques a quand nous tiendras-tu en suspens? Si tu es le Christ, 
dis-le nous tout net! Le Maitre, en multipliant ses ddclara- 
tions messianiques, et plus que messianiques, avait en effet 
evite, pour des raisons de juste prudence 2 , de sedire publi- 
quement le Messie. Quelques simples, en dehors du cercle 
intime, lafemme samaritaine (Jo., iv, 26), 1'aveugle de nais- 
sance (Jo., ix, 37), avaient seuls recu cette confidence. Ici en- 
core, les provocateurs seront dec, us. Plus que jamais, le Maitre 
affirmera sadignite souveraine, mais il le fera en des termes 
tels que les hommes de bonne volonte 1'entendent pour leur 
bonheur, et que les adversaires triomphant de"ja, et criant au 
blaspheme, viennent se meurtrir a la majeste des Ecri- 
tures. 

Apres en avoir appele au temoignage des ceuvres accomplies 
au nom de son Pere, Jesus explique pourquoi ses contradic- 
teurs n'en croient pas leurs yeux, c'est que lamechante dispo- 
sition de leur coeur les aveugle. 11s ne sont pas accordes avec 
lalumineuse doctrine, parce qu'ils aiment leurs tenebres. Us 
n'entendent pas la voix du Maitre, parce qu'iis ne sont pas tels 
qu'ils puissent faire partie du troupeau. 

Vous ne croyez pas parce que vous n'etes pas de mes brebis. 
Mes brebis entendent ma voix, 
Et je les connais, 
Et elles me suivent, 
et je leur donne la vie eternelle, 
et elles ne periront pas a jamais. 
Etnul ne les ravira de ma main. 

1. Institute par Judas Macchab6e, le 25 du mois de Kasleu, 165 avant 
J6sus Christ [I Macch., iv, 36 suiv.]. Les Juifs i'appelaient Chanukka; gr. 



2. Voirplus haut, 1. 1, p. 307 suiv. 



LB TEMOIGNAGE DU CHRIST. 53 

Ce que mon Pere m'a donne est plus grand que tout, 
et nul ne peut le ravir de la main du Pere : 
Moi et le Pere, nous sommes un. 

Derechef les Juifs saisissent des pierres pour le lapider. 
Mais Jesus leur repondit : 

N'est-il pas ecrit dans votre Loi : 
J'aidit : vous etes des dieux* ? (Ps. LXXXII (LXXXI). 
S'il appelle dieux ceux ^uxquels la parole de Dieu etait adressee 
(et on ne peut annuler 1'Ecriture), 

Moi que le Pere a consacre et envoye dans le monde, 
Vous m'accusez de blaspheme parce que j'ai dit : je suis fils de Dieu? 
Si je ne fais pas les ceuvres de mon Pere, ne me croyez pas, 
mais si je les fais et que vous ne vouliez pas m'en croire, 

croyez-en les ceuvres 

et (par elles) apprenez et sachez que mon Pere est en moi, et moi 

[en mon Pere (Jo., x, 22-38). 

Gependant 1'heure de Jesus etait venue et cette fois, 
avec la f^te de Paques. Parmi ceux que cette fe"te avait attires 
a Jerusalem, Jean nous montre un petit groupe de Grecs, 
c'est-a-dire de ces Gentils craignant Dieu , demi-prose'lytes, 
affilies au peuple d'lsrael sans avoir ete incorpores a lui par la 
circoncision, qui formaient aux synagogues de la Dispersion 
une discrete clientele. La manducation de 1'agneau leur etait 
interdite, mais il leur etait loisible d'apporter des offrandea, 
vouees ou volontaires, qui lesfaisaientparticiper, dans une cer- 
taine mesure, a la joie des fils de lahve. Un peu timidement et 
par interme'diaires : Philippe, qui estde Bethsaideen Galilee, 
ville de population et de langue me'le'es 2 , puis Philippe et Andrd, 

1 . Cette argumentation vise 1'emploi du mot conforme k 1'usage scrip- 
turaire, et par consequent inattaquable (Jesus aurait pu renvoyer a la Loi 
elle-meme : Exode, vn, 1, et xxu, 8. Mais les paroles des Psaumes 6taient 
alors couramment citees comme faisant partie de la Loi. Exemple dans 
Strack et Billerbeck, KTM, II, 542-543). Sur le fond, J6sus ne retire rien. 
Dans le verset 386, je suis la leQon yvwre xa\ fi^n^e, tres solidement 
fondee (voir 1'etat du texte dans H. von Soden, Die Schriften, ed. major, 
p. 442) et plus conforme par sa subtile progression a 1'esprit johannique. 
Cf. dans le meme sens ^IVIOOXTJ, Jo., xvn, 23. 

2. G. Dalman, Orte und Wege Jesu 3 , 1924, p. 177. L'expression de 
"EXX7)v6s et le souci de trouver un introducteur parlant grec n'impliquent pas 
n6cessairement que ces gens 6taient de race hellenique. Pour d6signer 
un Gentil, le Juif ou le Chretien du temps n6o-testamentaire n'a guere 
d'autre mot que "EXXTjv >. W. Bauer, Das Johannes-evangelium 3 , p. 156. 



54 JESUS CHRIST. 

ces gens demandent a voir le Maitre. En eux, Jesus discerne 
les premices d'une .moisson abondante, puisque 1'Evangile 
devait trouver parmi leurs pareils un tres grand nombre de 
ses premieres et meilleures recrues. II Jeur dit done : 

Elle est venue, 1'heurede 1'exaltation du Fils de I'homme 4 . 

En'verite, en verite,je vous le dis : 
si le grain de ble tombe en terre ne meurt, il reste seul, 
mats s'il meurt, il porte beaucoup de fruit. 

Qui aime savielaperd, 

et qui hait sa vie-en ce-monde-ci la garde pour la vie eternelle. 
. . . Maintenant-mon ame est troublee, et que dirai-je? 

Pere, sauve-moi de cette heure. 

Maifi c'est pour cela que je suis venu, pour cette heure-la : 
Pere, glorifie ton nom! (Jo., xn, 20-28). 

JOans le c,ero.le intime, le ton du Maitre se nuance, en ces 
heures decisives et tragigues, d'une penetrante douceur. II 
faudrait tout transcrire de ces divines paroles, et ,malheur a 
qui n'en reconnait pas I'unique accent ! Un mot de revangeliste 
nous y introduit dignement : Avant done le jour de la f^te 
.pascale, Jesus, sachant que son he,ure etait venue de passjer 
de ce monde-ci a son Pere, ayant aime les siens qui etaient 
en ce monde, il les.aima jusqu'a laiin 2 . 

, You-s m'appelez le Seigneur et le Maitt\e, et vo.us :dites;bien::.je 
le suis. .Si done je vous ai lav.e les pie.da, mo.i le Seigneur, mpi le 
Maitre, vous devez aussi vous lavcr les pieds les uns aux .autr.ca. 
(Jo., xiii, 13-14.) 

Que votre coeur ne se trouble pas. 
Croyez en Dieu, .croyez aussi en moi... 

Si je vais vous preparer la place 
je reviendrai et vous prendrai pres de moi, 
pour que, oiije suis, vous soyez aussi; 
et du lieu oil je vais, vous savez le chemin... 

1. Sur la 4raduction de fva ; J. Viteau, Etudes sur le grec du Nouveau Tes- 
tament, Paris, 1898, p. 74. 

2. Jo., xiii, 1, t jusqu'a la fin , et < jusqu'a 1' extreme 'limite dti possible; 
jusqu'au 'bout , : tk T!).OS signifie les deux (exemples dans W. Bauer, .Das 
Johannes-evangelium'*, p. 162) et sans doute est-ce pour cela que Jean 1'a 
choisi. Le meilleur commentaire, le plus honorable pour la nature 
'humaine, est celui de saint Francois : Mon Seigneur et Dieu, je te donne 
mon coeur et mon corps, mais ayec quelle joie je voudrais faire davan- 
tage, par amour pour toi, si je savais comment! J. Joergensen, Saint 
'Francois d'Assise, trad, frangaise, ed. 1909, p. 106. 



LE TEMOIGNAGE 1XU CHIUST. :&5 

Thomas lui dit : Seigneur, nous ne savons >ou tu vas, comment 
saurions-nous le .chemin ? J,esus lui dit : C'est moi qui suis le 
chemin, et la verite* et la vie. 

N.ul <ne vient au Pere que par .moi (Jo.., xiv, 1; 



Philippe lui dit : Seigneur, montrez-nous le Pere, et cela nous 
suffit. Jesus lui dit : 

Depuis si longtemps, je.suis av,ec vous, et tu.ae m'as pas connu, 

[Philippe? 

.Qui m'a vu, a vu le Pere. 
Comment dis-tu : jnontre-Jious le Pere? 
Ne crois-tu pas qi*e je suis dans le Pere <et ,que le 
[Pere est en moi? (Jo., xiv, 8-10a). 

Je suis la vigne veritable et mon Pere est le jardhrier. 
Tout pampre en moi qui ne porte pas fruit, il le retranche, 
1 et tout pampre portant fruit, il Temonde, 

afin qu'il porte plus de fruit. . . 
Comme le pampre ne peut porter fruit de lui-m&me (de son fond) 

s'il ne reste attache au cep de la vigne, 
ainsi vous non plus, si vous ne demeurez en moi. 
Je suis la vigne, et vous les pampres (Jo., xv, 1-5). 

Ceci est mon commandementa.moi 
Quo vous vous aimiez les uns les autres comme je vous ai 

[aimes. 

Plus grand amour nul ne possede, 
que I'liomme qui met sa vie pour ses amis. 
Vous etes mes amis si vous faites ce queje vous ai commande. 

Je ne vous appelle plus serviteurs, 
Car le serviteur ne sait pas ce que fait son maitre; 

Je vous ai appeles amis, 

car tout ce que j'ai entendu de mon Pere, je vous 1'ai fait con- 

[nailre (Jo., xv, 12-15). 

Prenez coeur, j'ai vaincu le monde (Jo., xvi, 33c). 

Ay ant ainsi parle, Jesus leva les yeux au ciel et dit : 

Pere, Theure est venue, 
Glorifie ton fils, pour que le fils te glorifie, 
Selon que tu lui as donne pouvoir sur toute chair 
Afin que tout ce que tu lui as donnc, il le leur donne : la vie 

[cternelle. 

Or voici la vie eternelle : 

qu'ils te connaissent, toi, soul, le Dieu veritable, 
etcelui quetu as envoye, Jesus Christ. 

1. Sur le cri fameux pr6t6 a al-Hall^j : Ana al Haqq, Je suis la VERITEJ , 
voir infra, p. 77, la note V : Je suis la verile. 



56 JESUS CHRIST. 

Moi, je t'ai rendu gloire sur la terre 
consommant 1'oeuvre que tu m'as donnee a faire : 
Maintenantdonc, toi, glorifie-moi, Pere, pres de toi, 
De la gloire que j'eus, pres de toi, devant que le monde fut. 

(Jo., XVH, 1-6.) 

Je ne suis plus en ce monde, 
mais eux sont en ce monde, 

et moi je vais a toi ! 
P6re saint, garde en ton nom ceux que tu m'as donnes, 

qu'ils soient un comme nous ! 

Quandj'etais avec eux, je gardais en ton nom ceux que tu m'as 

[donnes. 

Et je les ai bien gardes, et nul d'entre eux n'a^eri hors le fils 

[de perdition, pour que 1'Ecriture s'accomplit. 

Je leur ai donne ta parole 
et le monde les a hai's... 
Je ne demande pas que tu les tires du monde, 

mais que tu les gardes du Malin. 

Us ne sont pas du monde, comme moi je ne suis pas du monde, 
Consacre-les dans la verite, 
ta parole a toi est verite... 

Je ne prie pas seulement pour ceux-ci 
mais pour ceux qui croiront par leur parole en moi : 

Que tous soient un : 
Comme toi, Pere, es en moi, et moi en toi, 

qu'ils soient aussi en nous. 
Et que le monde croie que tu m'as envoye. 

(Jo., xvn, 11-13; 140, 15-17; 20-21.) 



Conclusion. 

II est loisible apres cela, de chicaner sur tel ou tel des- 
textes alldgues, voire sur une se"rie entiere. L'ensemble tien- 
dra par sa masse, mole sua stat, et 1'historicite substantielle 
des documents suffit a mettre hors de doute le sens et la 
porte*e du tdmoignage de J6sus. II ne s'agit pas en effet d'in- 
terpolations, de details, de broderies surchargeant c.a et la 
1'histoire evangelique, mais de sa trame entiere. Incontesta* 
blement, Jesus s'est donne" pour un prophete, un envoye* 
d'en-haut, un fils de Dieu. 

Or s'il est bien des fac.ons de revendiquer ces titres, on 
peut, sur le point essentiel, les reduire a deux. 

La premiere est celle qu'ont adoptee, apres les grands- 
voyants d'Israe'l, Jean Baptiste et les ap6tres du Christ, de- 
puis Pierre et Paul jusqu'a nos contemporains, les mission- 
naires chretiens de toute confession, un David Livingstone- 
ou un Charles de Foucauld. Tout en reclamant pour le mes- 
sager de Dieu une autorite indispensable, ce genre de mai~ 
trise ne le tire pas de son r61e pe'dagogique, le prophete se- 
presente comme un homme parlant a des hommes, un servi- 
fceur conversant de plain-pied avec ses freres en humanite. 
Gomme Pierre entrait, Cornelius, venant a lui, tomba a ses^ 
pieds, mais Pierre le releva, disant : Et moi aussi, je suis- 
un homme! (Act., x, 25, 26.) 

Le Maitre est alors une voix, un ambassadeur commis- 
sionne par Dieu; meme dans la plus relevee de ses fonctions, 
il se rappelle et rappelle que ses droits sont strictement me- 
sures par les exigences de sa mission. En dehors d'eile, il a^ 
des opinions, des preferences, des desirs, tout cela demeure- 
humain, precaire et discutable. 

Chacun de vous dit : Moi, je suisThomme de Paul. Et moi r 
d'Apollos. Et moi de Cephas. Et moi, du Christ! Voyons r 
est-ce que le Christ est divise V Est-ce que Paul a ete crucifie pout 
vous, ou si vous avez ete baptises au nomde Paul?... 

57 



.58 JESUS CHRIST. 

Que personne done ne mette sa gloire dans les hommcs. 

Tout est a vous 

Soit Paul, soit Apollos, soit Cephas , 

rsoit le monde, soit la vie, soit la mort, soit le present, soit le futur, 
Tout est a vous, mais vous au Christ, et le Christ a Dieu. 

I Cor., i, 12-13; m, 21-23. 

Un bon professeur en commencant son service, vise a se 
<rendre inutile et n'a plus qu'a disparaitre, une fois son dis- 
ciple suffisamment initie". Ainsi les nraitres excellents de 1'or- 
dre religieux ne pretendent pas a Tine autorite sans condi- 
tions. 11s sont des e"veilleurs; ils transmefrtent le "flambeau 
qu'ils ont recu. Et mieuxils comprennerit leur r61e, plus pro- 
fond apparalt 1'hiatus, plus grande la distance qui separe le 
.serviteur du Maitre unique, rinitmteur humain de celui qui 
I'-envoie et le commissionne : 

Et je tombai a ses pieds pour 1'adorer. Mais (1'ange) me dit : 
Garde-toi de le faire! Je suis ton compagnon de service et celui 
>de tes freres qui gardent le temoignage de Dieu. Adore Dieu! 
(Apoc., xix, 10.) 

On peut concevoir toutefois un autre genre de maitrise, 
exempt de ces limitations. II abaisse en faveur du ma'itre la 
barriere infranchissable d'autant plus visible que Thomme 
est spirituellement mieux informe separant le ,cree -do 
Tinfini. L'autorite du prophete n'apparait plus limitee a une 
fonction, a une epoque, a une mission de'terminee. 11 ne se 
presente plus comme un instructeur initial et temporaire, mais 
comme un exemplaire universe! que tous doivent avoir a 
-cceur d'imiter. Ses actions sont considerees comme norma- 
tives, son influence comme inepuisable. L'heure n'est pas 
prevue ou, la legon etanfc suffisamment penetree, 1'initiation 
complete, les disciples peuvenfc metfcre de cote, respectueuse- 
ment, un magistere desormais sans objefc. Bref, le maitre n'esfc 
plus considere comme un moyen d'illummation ou de pro- 
gres, mais comme le mediateur unique et necessaire. Jl n'est 
pas seulement canal, mais source. 11 vaut par ce qu'il ensei- 
gne, mais aussi par ce qu'il est, par la dignite de sa personne 
encore plus que I'importance de ses lecons. II n'est pas une 
voie, mais la voie; il ne transmetpas la vie, mais la donne. II 
'.n'est pas une lumiere dans le monde, il est la lumiere du 



CONCLUSION. 59 

monde. G'est pourquoi il fait des promesses que Dieu seul 
peut garantir; il reclame pour lui ce que Dieu seul peut 
exiger. 

Gette seconde sorte de maitrise fut celle que revendiqua, 
seul des hommes sains d'esprit que nous connaissions par 
1'histoire, Jesus de .Nazareth 1 . 

1 . Apres avoir distingu'6 dans le sens religieux des hommes des degres 
diff6rents, et attribu6 le plus 61ev6 au profj/itte dont le role est, dans la 
sphere -Feligieuse, celui de Tartiste cr6ateur dans >celle de 1'art, -Rudolf 
Otto conclut son.farneux opuscule Das Heilige* (1926), p. 221 : Toutefois 
le prophete ,ne ,repr6sente pasle plus haut degre. Nous spouvons en ima- 
giner un. troisieme, encore plus el eve, ,un degre de revelation qu'on ne 
peut pas plus d6river de celui du prophete ^que le don pro.phetique de 
celui des simples mortels. Nous pouvons regarder par dela le prophete 
vers le seul dans lequel 1'Esprit existe en toute plenitude, et qui, tout a la 
lois, dans sa personne et dans son osuvre, est devenu 1'objet le plus ad6- 
quat de la faculte discretive du divin, dans lequel la Saintet6 se soi 
rendue manifeste. Un tel etre est plus que prophete. 11 est le Fils. 



NOTE Q 

SUR L'HYMNE DE JUBILATION 

Mt., xi, 256-30; Lc., x, 21-22. 

Ce cantique si important, si caracteristique, devait etre et a ete- 
1'objet de travaux et aussi le point de mire d'attaques innombra- 
bles. Ontrouvera une histoire consciencieuse de 1'exegese jusqu'en 
1922, dans le memoiredu Docteur H. Schumacher, Die Selbstoffen 
barungJesubeiMt., XI, 27 (Lc., X,22), Freiburg i. B., 1922. 

1 Avant meme que la forme litteraire de ces paroles eut donne 
lieu a des discussions passionnees, menees sur des lignes assez- 
differentes parM. A. Loisy, Les Evangiles Synoptiques, Ceffonds, 
1907-1908, I, p. 905-915 et A. von Harnack, Spriiche und Reden 
Jesu, Leipzig, 1907, p. 189-216 ; et brillamment renouvelees par le- 
celebre philologue classique Eduard Norden dans son Agnostos- 
TheoSf Untersuchungen zur Formengeschichte religioeser Rede, 
Leipzig, 1913, p. 277-308, on en avail conteste 1'authenticite au 
nom de leur saveur johannique. Chose piquante, Renan lui-mSme 
(dont on sait qu'il fait etat du quatrieme evangile comme source 
d'histoire) esquiva la portee de la declaration de Je'sus par cette 
raison : Matthieu, xi, 27 et Luc, x, 22, representent dans le sys- 
teme synoptique une tardive intercalation conforme au type des dis- 
cours johanniques (Vie de Jesus, ed. definitive, p. 255, note 2).. 

Harnack, qui avaitete precede dans cette voie par J. Wellhausen 
(Das Evangelium Matthaet, Berlin, 1904) et a ete suivi partiellc- 
ment par Rud. Bultmann (Die Geschfchte des Synoptischen Tra- 
dition, Goettingen, 1921) accepte, au lieu de la legon critiquement 
certaine Imyw&aMi de Matthieu, xi, 273 = Ytvw<rxei de Lc,, x, 226, la 
forme sans appui dans les manuscrits grecs eyvw (Ed. Meyer prefere- 
dans Mt., xi, 276, eiceYvw). Maissurtout, abusant d'une variante pa- 
tristique fort explicable, et assez naturelle, qui place le Pcre avant 
le Fils, Harnack efface le stique qui concerne la connaissance du 
Fils par le Pere ! Ainsi diiment amende et allege, le texte, explique 
de la seule connaissance historiquc privilegiee, que ? Jesus posseda 
do son Pere, prend un sens acceptable et doit etre considered 
comme aulhentique ! 

La restitution tout a fait arbitraire et indefendable de Harnack a 

60 



SUR L'HYMNE DE JUBILATION. 61 

ete parfaitement r6futee par le R. P. Lagrange dans son Evangile 
selon saint Luc, Paris, 1921, p. 304-305. 

2 A. Loisy (en 1907), puis Ed. Norden(en 1913), avecbeaucoup 
plus d'etendue et de precision, soutiennent a la fois et 1'unite litte- 
i-aire, et I'inauthenticit4 totale du morceau. qui serait une sorte de 
eantique compose par un ou des prophe.tes Chretiens, a une 
epoque relativement basse, en imitation des cantiques scripturaires, 
et notamment de celui qui termine le Livre de 1'Ecclesiastique 
(Jesus Sirach), ch. LI. Norden admettrait volontiers une infiltra- 
tion des ecrits hermetiques et notamment du Poimandres (ed. 
R. Reitzenstein, Strasbourg, 1904, p. 27-28). Eduard Meyer (dans 
Ursprung und Anfaenge des Christentums, Stuttgart et Berlin, 
1921-1923, vol. I, p. 282-291), refusant de le suivre sur ce point, 
adopte pour le reste, en les mitigeant, les vues de Norden. Tout ce 
qu'il accorde comme authenticite, c'est que 1'improvisation du pro- 
phete chretien surement se relie a des pense"es, qui etaient vi- 
vantes aussi dans Jesus : Gewiss kntipft er an Gedanken an, die 
.auch in Jesus lebendig waren ; p. 291. Dans son dernier ouvrage 
sur les Evangiles : Evangile selon Luc, Paris, 1924, p. 300-301, 
M. Loisy accentue le caractere rythmique et strophique du pas- 
sage, demeurant fidele pour le reste a son ancienne position. 

On trouvera la refutation de cette hypothese, 1'une des plus vio- 
lentes qui se soient produites dans la critique litteraire des evan- 
.giles, dans la dissertation de J. Lebreton, Origtnes du Dogme de la 
Trinite (note D ; 6 e ed. , p. 591-598) et dans l'vangile selon saint Mat- 
thieudu R. P. Lagrange, Paris, 1924, p. 226-230. Des 1903, je me 
uis explique sur la pretendue imitation litteraire del'Ecclesias- 
tique, Etudes du 20 Janvier 1903, p. 164-169. 

On peut dire que les travaux recents sur les precedes du style 
oral, notamment chez les Semites, ont acheve de rendre intolerables 
ces conjectures d'imitation litteraire, en faisant tomber les dernieres 
difficultes soulevees par Ed. Meyer et A. Loisy. C'est une habitude 
et, pour ainsi parler, une regie du style oral, que 1'improvisateur, sur 
les matieres generalement simples et en nombre limite qui lui ser- 
vent de themes, utilisent, comme bien" commun, un nombre consi- 
derable d'expressions synonymes a peu pres interchangeables, et 
d'images qui s'appellent mutuellement. Possedant a 1'etat deja 
stylise les elements de sa composition, le Recitateur improvise sans 
peine des rythmes ou les critiques modernes, familiers exclusifs du 
style ecrit, sont portes a voir un travail litteraire, nourri decentons. 
d'imitations et d'emprunts. Des excmples sans nombre, anciens ou 
eontemporains, empruntes aux Afghans comme aux Yagans de la 



62- JESUS CHRIST. 

Terre de Feu, aux Merinas de Madagascar,, comme auxr Berbere> 
du Maroc et aux Tai'toqs du Sahara bref a tous les peuples* de' 
style oral montrent au. contraire que de telles improvisations 
sur des pensers nouveaux, mais nourris de cliches tradition- 
nels, sont de tous les jours. Dans une redaction orale (s'il est per- 
mis de s'exprimer ainsi) le genie personnel du Recitateur trouve 
fort bien le moyen de marquer son empreinte; L'improviBateur de 
style oral, quand il est genial, pourrait s'appliquer le mot de; Pas- 
cal : Qu'on ne dise pas que je n'ai rien dit' de nouveau : la dispo^ 
sition des matieres ajoutons la maniere,, la fagon de charger 
d'emotion des expressions anciennes, de rajeunir par une juxtapo* 
sition subtile les metaphores usees, de faire valoir par Tantithese,. 
1'alliteration, le parallelisme, Fenseignement regui est nou^ 
velle; quand on.jpueala paume v r c'est une meme balle dbnt joue 1'uii- 
et Tautre, mais Tun la place mieux (Bensees,, ed.. Brunschvicg, 
n. 22). Sur les particularitiss du style oral, voir le Memoire de- 
M. Jousse, Le Style oral, rythmique et mnemotechnique, chez les 
verbo-moteurs, dans Archives de Philosophic, II, 4, Paris, 1925; et. 
mon article sur le Style oral dans Etudes du 20 juin.1925, CLXXXIII,. 
685-706. 

/ 

3 Un bon nombre de critiques de 1'Ecole liberale et la presque 
unanimite des exegetes anglicans, ont defendu. 1'unite litteraire et 
Tauthenticite substantielle du morceau. On peut se reporter, pour 
les derniers mentionnes, a la note substantielle de A.H 1 . MacNeile,. 
The Gospel according to s. Matthew, London, 1915, p. 163-167. 

Parmi les autres, W. Heitmueller, RGG, III, Tubingen, 1912, 
col. 374, reconnatt que le passage appartient a la source des' 
logia, done la plus ancienne. En depit de beaucoup d'hesitations,. 
nous^avonsle droit de tenir ferme a son authenticite substantielle .. 
C'est aussi la position, beaucoup plus ferme et mieux motivee de 
Johannes Weiss, dans sa dissertation- Das Logion Mt-., Xf, 25-30, 
dans les N. T. Studien G. Heinrici...dai'gebracht, Leipzig, 1914;. 
p. 120-129. Apres avoir expose tres correctement le sens des 
paroles, il reconnait qu'elles ont une saveur johannique incontes- 
table, mais que leur forme litteraire n'est nullement un obstacle a 
leur authenticite, et trahit nettement, sauf pour les tout premiers, 
mots, une origine judeo-palestinienne. 



NOTE R 

UR L' AUTHENTICITY ET LE SENS 

de Mt., xvi, 13-20. 

Nous n'avons a examiner ici ce passage que dans sa partie origi- 
nate, versets 16c-19'. Pour 1'e reste, on sait qu'il ne presente avec 
Icrecii'deMc., vm, 27-30, suivi parLc., ix, 18-21, que des differences 
modales. Mais 1'importance capitale de cette partie a retenu de tout 
temps I'attention etexercela virtuosite des exegetes. La voici : 

2u ei 6 Xpictoi; [Me. : 2b si 6 XpiffTo's; Lc. : Toy Xpiaiov tou Qsoo] 

6 ulbq.Tou sou tou WVTO?. 

'ATioxpiOsli; 8s 6 'Iviffou? slnev UTW' 

Maxapio; e? 2i(jwov Baptwva 

OTI c&p^ xalatiia oOx dbrexXu'j;v sot 

aXX ' 6 Ttar^p (^ou 6 iv LTOI?] otjpavoTi;' 

Ka'Yjt*) Se' aot.Xe'Y.to o*ti tru si DeTpoi;, 

xal enl tavTY] T?) irg-cpa otxoSo^ao) |jtou TVJV IxxX'/ifftstv, 

xai TruXai aSou ou xari<Jj(u<TOUfftv aSiS);'. 

owffw sot ti<; xXetSa? Trfc pa<nXei<; iwv oupavaiv, 

xai 8 ectv S^crv); iwi Tr,t y9fc E<rTt.SsSs[Asvov sv TOI? oupavo"?, 

x\ 8 liv Xuffv-j? ITT! T/J<; Y^? sffrat XeXuixsvov EV TOI; oupavot<; 



<r Tu es le Ghrisi 

Le Fils du Uieu vi.vant. 

R^pondant, J&stislui dit : 

Bienheureux es-tu, Simon fils de Jona, 

Car ce n'est pas (la) chair et (le) sang qtii font revele (ceci) r 

Mais mon Pere qui estaux cieux. 

Et moi je te dis que Tu es Pierre 

Et sur- cette pierre-lci j'edifierai mon eglise 

et (les) portes de 1'enfer ne pr6vaudront point centre elle. 

Je te dbnnerai les clefs du Royaume des cieux, 

Et ce que tu lieras sur terre sera lie dans les cieux 

Et ce que-tti d61ieras sur terre sera deli6 dans les cieux. 

Le sens est tres clair en gros, et la suite, manifesto. A la confes- 
sion de foi explicite et, dans sa teneur complete ( le Fils du Dieu 
vivant ), nmivelle, de Pierre, Jesus repond par une approbation 
solennellequi. en souligne la portee capitale. Suit une benediction 
qui est en merne temps une promesse et une prophetic. Reprenant 



'64 JESUS CHRIST. 

et expliquant le nom de Kepha (Cephas) donne jadis a Simon fils de 
-Jona, Jesus en prend texte pour lui assignor un role de premier 
plan dans son oeuvre. De memo quo la confession de Jesus, Fils du 
Dieu vivant, fonde la foi chrctienne, de meme la personne de Pierre, 
representee et symbolisee par son nom, fondera, pierre vivante, 
I'ediftce que Jesus va edifier. Cc fondement est un roc : comme la 
maison du sage (Mt., vn, 24-25), la communaute de Jesus ne sera 
done pas ebranlee ou, du moins, renversee. Les portes de 1'enfer, 
ces avancees fortificcs et redoutables de la Cite d'en has (mort et 
enfer), ne parviendront pas a triompher de 1'e'glise fondee sur Pierre. 
Et celui-ci aura la garde des portes de la Cite d'en haul, du Royaume 
-des cieux : 

< Je mettrai sur son epaule la clef de la Maison de David, 
et s'il ouvre, nul ne fermera, 
et s'il ferme, nul n'ouvrira. 

Isai'e, xxir, 22 (trad. Condamin). 

Lecaractere semitique, et archa'ique de tout le passage n'est pas 
-contestable. Je ne vois pas que les circonstances pour la redaction 
aient pu se rencontrer quelque part ailleurs que dans la plus 
ancienne Communaute de Jerusalem , dit le tres radical critique 
R. Bultmann. C'est ce que prouve aussi bien la teneur verbale des 
paroles que la suite des pensdes qu'elles expriment. Le jxaxapio? el 
(v. 17) est manifestement 1'equivalent de la forme de felicitation 
semitique avec le pronom (suffixe) de la 'deuxieme personne du 
singulier. La formule [/.axcxpto? et se trouve tres rarement dans les 
formules de felicitation (macarismes) grecques (voir H. L. Dirich- 
let, De veterum macarismis, RVV, 4, 1914, p. 15, 3; 42, 1, et aussi 
( p. 26). L'appcllation adressee a Pierre : 2t'(xwv Ikpuova n'a pu qu'a 
peine etre formulee d'abord en grec (cf. Jo., i, 42; xxi, 15 suiv.). 
2ap5 xa\ ocTy-a est un semitisme connu. Au verset 18, le jeu de mots 
sur le nom de Pierre n'a surement pas ete conc.u en langue grecque 
(les eliminations proposees par Dell : ZNTW, XV, 1914, p. 14 suiv., 
sont, de ce chef, totalementinsoutenables). Car, entoutehypoth6se, 
on aurait cvite, dans un jeu de mots d'origine grecque, le change- 
mentde genre Trerpo? Tr=Tpa. II s'explique tres bien, au contraire, par 
le fait que dans le texte arameen primitif, il y avait deux fois le mot 
Kepha ( tu es une Kepha etsur cette Kepha ); mais comme au 
temps du traducteur grec ireipo; etait consacre comme nom propre 
de Pierre, ce traducteur devait naturellement 1'inserer tel quel, tout 
en ecrivant, conformement a 1'original, Inl Tauiyj ty iti-ipa. De plus, les 
a5ou sont un semitisme connu. Finalement les S?i<iai etXuaat sont 



SUR L'AUTHENTICIT^ DE MTV, xvi, 16-19. 65 

les equivalents classiques dans la terminologie rabbinique pour 
defendre et permettre, et Topposition terre-cielrepond. a 1'usage des 
langues semitiques ; R. Bultmann, Die Frage nach dem messianis- 
ehen Bewusstsein Jesu und der Petrusbekenntnis, dans ZNTW, 
XIX, 1920, p. 170-171; et Die Geschichte der Synoptischen Tradi- 
tion^ Goettingen, 1921, p. 84. On peut voir les rapprochements 
rabbiniques innombrables dans le KTMde H. L. Strack etP. Biller- 
beck, I, p. 730-746. 

II faudrait egalement insister sur le rythme evidemment semi- 
tique, de tout le morceau. Mais ce peu de remarques suffit a e*li- 
miner les conjectures de ceux qui ont cherche* a 1'expliquer comme 
la creation posterieure totale, ou partielle, de 1'figlise de Rome. En 
dernier lieu A. von Harnack a voulu y voir le developpement, sur le 
sol romain, d'un logion authentique ou Jesus auraitpromis a Pierre 
qu'il ne mourrait pas avant 1'avenement du Royaume. Der Spruch 
fiber Petrus als den Felsen der Kirche dans les Sitzungsberichte 
de rAcaddmie de Berlin (20 et 27 juin 1918). Voir la refutation 
detaillee dans P. Schepens, RSR de!920, p. 269-302; etL. Fonck, 
dans Biblica de 1920, p. 260-263. On peut dire que, sur ce point de 
1'origine tres ancienne et palestinienne du morceau, la cause est 
entendue, du simple point de vue critique. 

L'hypothese de R. Bultmann, Die Geschichte der Synoptischen 
Tradition, Goettingen, 1921, p. 84, et p. 156-157, etc... d'une 
creation petrinienne de la plus ancienne Communaute do Jeru- 
salem, fait du moins justice au caractere primitif des paroles. Mais 
elle est entierement gratuite, et s'etaie moins a 1'etude des textes 
qu'a un ensemble de conjectures sur le caractere tardif et timide 
de la croyance en la messianite de Jesus, qui est exclu par tout ce 
<que nous avons dit dans cette partie. Cf. supra, t. I, p. 312, ou nous 
avons resume la critique decisive de Bultmann par Mundle, Die Ges- 
ehichtlichkeit des messianischen Bewusstseins Jesu, dajis ZNTW, 
XVI, 1922, p. 299-322. Les conjectures de Bultmann sont d'une rare 
faiblesse : Le fait que Je"sus prend ici rinitiative avec sa question 
estdeja une marque du caractere secondaire du recit... Pourquoi 
Jesus interroge-t-il sur une chose sur laquelle il pouvait etre aussi 
3>ien renseigne que ses disciples? etc., p. 156. L'etat de la ques- 
tion est bien resume par H. Dieckmann, Neuere Ansichten iiber 
die Echtheit der Primatstelle (Mt., xvi, 17 sqq.) dans Biblica, IV, 
1923, p. 169-200. 



jtsus cimiST. n. 



NOTE S 

LE REGIT DE LA TRANSFIGURATION ET SON 
INTERPRETATION RATIONALISTS 

Ce recit que nous avons reproduit dans sa forme la plus fraiche 
et qui figure avec des modalites interessantes mais sans portee 
pour 1'objet de la prdsente note, dans Mt. et Lc., a donne lieu aux 
plus etranges commentaires. Admettre une vision reelle est pour le 
critique rationaliste (et surtout etait, il y a quelque trente ans) un 
scandale! II fallait done qu'elle ait etc" invente'e de toutes pieces, 
apres coup. Partant de la, on a mis en branle pour en expliquer la 
genese tout un appareil d'hypotheses : suggestion du Vieux Testa- 
ment, choc en retour des visions futures du Christ ressuscile, 
decalque d'apocalypses posterieures, etc. Chaque detail a donne 
lieu a des recherches de sources ou d'analogies, etl'on sait qu'a ce 
genre, qui cherche bien trouve toujours ! 

Un exegete aussi rassis que H. J. Holtzmann voit dans ccs 
simples paroles O&TO'S e<mv 6 uid; [xou, & Ayaur/pos, un conglomerat c'e 
trois textes bibliques (Ps. H, 7; Isai'e, XLII, 1; Deut., xvm, 15)! 
H. Gunkel fournit un arsenal d'analogies ramassees dans les mytho- 
logies antiques (Zumreligionsgeschichtlichen VerstaendnisdesN. T., 
p. 71); il est encore depasse en cela par E. Lohmeyer, Die Verklac- 
rung Jesu nach dem Markus-Evangelium dans ZNTW, XXI, 1922, 
p. 185-215, ou Ton retrace devant nous toutes les etapes de la 
longue et aventureuse histoire qu'a par devers lui le recit de la 
transfiguration de Jdsus avant sa premiere mise par ecrit dan& 
1'Evangile de Marc ; p. 212. Un premier noyau de 1' episode est 
juif, profondement racine dans le sol juif , et en somme c'est 
une confession en la messianite de Jesus habillee en histoire . 
Cette legende est nee dans un petit cercle intimement lie avec le& 
premiers disciples (sans quoi la presence d'une parole authentique 
de Pierre ne s'expliquerait pas). Une fois nee, et solidement 
implanted en sol juif, uniquement intelligible a des judai'sants, la 
legende voyage, emigre en sol hellenistique, et la s'assimile un 
fragment, ou du moms un motif de mythe pai'en : la transfiguration 
de Jesus. Alors 1'episode devient intelligible aux fideles de la Gen- 
tilite : et ainsi se rencontrent en ce rare recit ce qui s'est sou- 

66 



LB RECIT DE LA TRANSFIGURATION BT SON INTERPRETATION. 07 

vent repete dans 1'histoire du christianisme antique I'element 
juif extreme et I'extreme Element pa'fen, et tous deux servent a la 
plus grande gloire du Kyrios Jesus Christos , p. 213. De son 
cote P. W. Schmiedel (EB, IV, 4570-4571) accepterait le fond^ 
pourvu que tout se soit passe dans la conscience de Jdsus! La 
participation de Pierre, Jacques et Jean devient en ce cas bien moms 
active. Qu'ils fussent alors presents, on n'a pas ale nier, mais leur 
activit6 se serait limitee aceci : que, peut-6tre en se reveillant, ils 
recurent une puissante impression de I'imposante majeste avee 
laquelle Je*sus les aborda, apres avoir entendu la voix celeste. En 
ce cas, ils n'auraient pas entendu eux-meines les termes dans les- 
quels cette voix est rapportee, mais ils les auraient appris ensuite 
delabouche de Jesus (Loc. cit., col. 4571). 

Le celebre historien Eduard Meyer proteste avec vivacite contre 
cet abus. L'histoire de la Transfiguration est consideree par 
les critiques theologiens (Ed. Meyer ne connait, et ne cite presque 
que des exegetes protestants liheraux) en regie generate, comme 
tout a fait depourvue d'historicite, comme un mythe ou un doublet 
secondaire des apparitions du Christ ressuscite. J'ai deja combattu 
cette interpretation dans mon livre Origine et Histoire des Mor- 
mons (1912), et je renouvelle ici ce que j'en ai dit. Cette interpre- 
tation si repandue est encore, sans le savoir, entierement domine'e 
par le prejuge rationaliste ; elle ne comprend rien a ces phenomenes 
anormaux, non rationnels, dela vie de 1'ame, quijouent un si grand 
role dans la vie de toutes les religions. II note ensuite que le 
recit de la Transfiguration de Marc porte au plus haut degre le 
caractere d'une vision reelle, que ses traits sont on ne peut plus 
realistes (durchaus realistische Ziige), qu'il n'y a pas dans 1'histoire 
biblique de vision decrite de fagon plus naturelle; qu'il n'y -a 
nullement a douter que Pierre ait vecu cet dpisode, 1'ait raconte et 
ait cru i'crmement a sa realite ; et qu'enfin s'expliquer le detail 
par une analyse psychologique de me'canique mentale n'est pas 
la tache d'un historien; ce fait lui suflit que des traits de ce genre 
sont arrives tres frequemment dans tous les temps, et qu'ils ont 
joue assez souvent une influence tout a fait decisive sur le deve- 
loppement religieux, et memo quelquefois, comme par exemple 
c'est le cas pour la Pucelle d'Orleans, sur le developpement 
politique Ursprung und Anfaenge, I, 1921, p. 152-157. 

B. H. Streeter fait de son c6te (et sans connaitre, semble-t-il, 
la protestation d Ed. Meyer) des reflexions absolument semblablos 
(The Four Gospels, London, 1924, p. 546). D'apres lui, une des 
erreurs fondamentales de 1'Ecole de Tubingen est d'avoir assume 



68 JESUS CHRIST. 

que Le'fait d'etre .guide par une vision est pour le document qui 
1'admet ,un signe xl'origine leg-endaire. iDans la nroitie do Ja vie 
des saints, >ajoute-t-il, le tournant decisif s'accompagne 'de visions 
regardces par eux comme.r.expression de la volonte .divine, et 
de nos jours, dans Undo, et en .Af'rique, et en Europe,, la ,m&me 
chose .arrive conformement a la;psy.ckologie humaine (cf. Dream 
Psychology and .the Mystic Vision du m6me auteur dans Hibbert 
Journal ;de Janvier .1925). 

Ces jRemar.qu.es sont entierement fondees .etrexemple de Jeanne 
d!Arc heureusement choisi, mais on aurait s pu donner aussi bien 
celui do .la vision de saint Raul sur ,le chemin de Damas. -En 
eliminant .a priori :de la trame de ,1'histoire les faits <de.ce ; geni'e, 
on exerce sur les documents \une violence arbitraire que-laipsycho- 
logic .rellgieuse ne -desavoue pas moins que la saine 'Cciti'que. Et 
j'ajoute que ces.exclusions developpent chez ceuxxju';une philosophie 
particuliere, et bornee, ,amene a ies prononcer, des .habitudes 
deplorables xle vir-tuosite A tommer, a amender, a interpreter en 
lermes .contemporains, les .textes anciens. Nous retrouverons le 
meme defaut, a.sa plus haute puissance, dans la critique rationa- 
liste des .apparitions du Christ ressuscite. 

Voir dans Jc mfime sens jq.ue .Lohmeyer, M. Goguel, Esquisse 
d'une .interpretation du ?:e'cit de la Transfiguration^ Rev. de I' Hist, 
des Religions, LXXXI, 1920, p. 145-157, 



NOTE T 

LES RECITS DE LA GENE DU SEIGNEUR, ET SON SENS 

II. serait iniini.de retracer ici, m6me en. groSvl'Mstoire da 1'mte.r- 
pretation de ces. recits dans la, critique liberals. et rationalist de 
notre temps. On trouvera le principal dans les. travaux. de;M e? Ch. 
Ruch,, Eucharistie d'apres, la Sainte Eariture, DTC, V (1913.) 
coli. 989-1121; de M Br P., Batiffol, L'Eucharistie (ed. definitive), 
Paris, 1913, p. 76-163; et pour la litterature plus re.cente dans 
B. Erischkopf, Die neuestem EiiOBrtevu.ngen'uber-die. Ahend/nahls- 
frage, Miinster i.. W., 1921, p,, 100-155. 

II est peu de textes, qui. aient donne: lieu a? des travaux plus 
divergents et, il 1'aut le reconnattre, plus tendancieux. On en a, un 
bon specimen dans les pages consacrees a la question par un 
exegete relativement moderej, personnel, et so,uvent,mioux,ihspirei 
Dans sa Theologie du Nouveau Testament (BibliscHe Theologie 
desNeuen Testaments i.Ttibingen, 1921 r n. 11, p. 69-76) M. H. Weir 
nel reussit, du point de vue de la critique f'ormelle, independante 
de 1'histoire, line dissection qu'on n'aurait pas erne possible. 
Son parti pris centre tout sacramentalisme se heurtant aux recits 
de la Gene, il pratique la methode (que nous retrouyerons quand 
il sera qjnestion des recits de la resurrection:) dii Divide etimpera, 
D'apres lui, les narrations se resolvent en deux; types entierement 
in conciliates, quant a leur contianut et quant a leur teneur- : 
celui de Marc (xiv, 22-25), et celui.de; Paul (I. Cor., xi, 23r25) (Mat- 
thiett est jete par dessus bord comme teinte de sacramenitalisjne. 1 ; 
Luc est un conglomerat dont on ne paut. r,ien tiner de certain, 
p. 73^74). Restentdonc Paul et Marc, etentre eux il fant clioisir. : 
Entweder... oder..., p. 74. Or, ; le recif de Paul, e&t le plus ancien 
ettoutefois nous avons a nous decider centre lui , p. 74. Pourquoi? 
Parce qu'il est empretnt de sacramentalisme ! Si'- done nous 
avons du dernier repas de Jesus deux reeils, Vun avec et I'aulre 
sans pense'e sacramentelle^ c'est ce dernier qu'il faut prefer&r, 
p. 74, Car il est sur, en tous cas, que Jesus n-a vaulus instituer 
aucun; sacrement , p^., 75:. <c D'ailleurs la teneur du recit dans Paul 
se laisse developper en partant de celui de Marc, et non rdcipco* 
quement ,. etc.. Rentrons dans 1'histoire,, 

69 



70 JESUS CHRIST. 

Ici encore 1'historien Eduard Meyer nous y ramene. II nous 
rappello que la tradition (relative a la Gene) appartient au plus 
ancien etat de 1'Evangile, celui que Paul a rec.u par tradition a 
Damas , au lendemain de sa conversion. II fait remarquer qu'il 
faut, pour attribuer a Paul comme 1'a fait J. Wellhausen (et apres 
lui bien d'autres) une tradition speciale distincte de celle de la 
grande Eglise, donner au texte (I Cor., xi, 23) un sens entiere- 
ment faux . II constate ensuite que le recit de Marc s'accorde 
en general littdralement avec celui de Paul . Les quelques diffe- 
rences modales sont insignifiantes, car les chretientes pour 
lesquelles Marc e'crit savaient a quoi s'en tenir (Ursprung und 
An/aenge des. Christentums, I, 1921, p. 174-176). C'est 1'evidence, 
et Ton voit ce qui peut subsister des incompatibility pretendues 
de Weinel. 

Pourquoi faut-il que, apres cette ferme reaction de son sens his- 
torique, Ed. Meyer lui-meme, hante par la meme crainte de sacra- 
mentalisme, estime haulement problematique la question de 
savoir si quelque partie des paroles mises ici dans la bouche de 
Jesus est authentique ? L'unique raison qu'il donne de son doute 
est celle-ci : La pense"e que la communaute, par la reception 
du Pain et du Yin au cours de 1'agape commune, entre avec lui en 
union immediate, participea une communion mystique ou magique 
(sic) et regoit reellement son corps et son sang, ne peut jamais 
avoir ete exprimee par Jesus, du moins dans un repas auquel 
hii-meme encore en vie assiste et prend part , p. 179. II faut done 
1'attribuer, d'apres Meyer, a une creation de la plus ancienne 
Communautd chretienne pre-paulinienne : un pas de plus, et on 
aura la conception de 1 Eglise Corps du Christ. D'ailleurs, 1'auteur 
ne veut voir la aucune infiltration pai'enne : la conception est 
sortie tout entiere du sol Chretien (p. 180, note 2). 

C'est ainsi que, pour eviter des dilFicultes d'ordre prejudiciel, 
un historien de grand merite se laisse aller a recrire Thistoire, 
non d'apres les textes qui sont clairs, et unanimes a attribuer a 
Jesus ces paroles; non d'apres les vraisemblances, qui toutes 
eonfirmcnt cette solution (on le voit par l'arc-en-ciel d'hypotheses 
bizarres, contradictoires et parfois saugrenues qu'on a tentd de 
lui substituer), mais d'apres de deplorables preoccupations d'ecole. 
Comment ne voit-on pas que si les premiers disciples, au lendemain 
de la mort de leur Maitre, avant la conversion de Paul, ont pu 
avoir et formuler cette conception tout entiere sortie du sol 
ehretien , leur Maitre a pu 1'avoir lui-m&me? Comment ne voit-on 
pas que plus cette conception est extraordinaire et nouvelle (tout 



LES RECITS DE LA GENE DU SEIGNEUR, ET SON SENS. 71 

en ay ant ses racines dans les propheties de 1'Ancien Testament), 
plus grande aussi est 1'assurance avec laquelle on la presente des 
forigine et sans conteste comme enseignee par le Seigneur , 
plus droit elle nous conduit a la Personne meme de Jesus ? 

Parmi les etudes recentes, plus originales et qui ont chance 
d'orienter pour un certain nombre d'annees la critique liberate 
des origines chretiennes, il faut distinguer celles de M. Gillis 
P. Wetter sur les anciennes liturgies chretiennes (Altchristliche 
Liturgien : I. Das christliche Mysterium, Studie zur Geschichte des 
Abendmahles, Goettingen, 1921 ; et II. Das christliche Op/er t Neue 
Studien zum Geschichte des Abendmahles, ibid., 1922). 

Avec une singuli6re audace, 1'auteur pretend y restituer, par 
divination, les divers stades du culte chretien ancien. C'aurait 

7 > 

d'abord ete une commemoration de la mort et de la resurrection 
du Christ analogue aux mysteres pai'ens provoquant Tapparition, 
1'epiphanie, la presence sensible du Dieu et les acclamations de 
ses fiddles. Tout le reste ( anaphores ), rappel de la carriere 
terrestre du Seigneur, idee de sacrifice, etc., serait posterieur. 
Quant a 1'oflrande chretienne, elle aurait consiste d'abord a pre- 
senter a Dieu du pain et du vin a la mode juive. De la presence 
de ces elements, epiphanie de Jesus au milieu des siens, offrande 
du pain et du vin, serait ne le sacrifice chretien, la Messed 

M. Alfred Loisy s'est rallie dans ses ouvrages les plus recents 
a des vues encore plus avancees, jusqu'a soutenir : que non 
sculement la legende de Je"sus et 1'enseignement lui attribue sont 
pour la presque totalite un produit de la tradition chretienne, 
mais que la litterature evangelique est, fond et forme, une litte- 
rature liturgique concue et redigee en vue de la lecture dans les 
assemblies chretiennes ; Evangile selon Luc, 1924, p. 23-24. 

La formation de ce qui, dans cette legende stylisee, concerne 

1. J. Lebrelon, RSR, 1924, p. 344-346 a bien montre comment les deux concep- 
tions que Wetter s'efforce de dissocier sont inse'parablement unies dans les 
premiers documents Chretiens; onn'y trouve pas, comme le suppose cette hypo- 
these factice, d'un c6te le pain et le vin offerls a Dieu, de 1'autre la presence du 
Seigneur; on trouve, au contraire, des la premiere Epitre aux Gonnlhiens, la 
mention expresse de ces paroles de 1'institulion qui genent tant M. Wetter, et 
celte consequence qu'en tire saint Paul : quiconque mange le pain et boit le 
calice du Seigneur indignement sera responsable du corps et du sang du Sei- 
gneur. Des lors aussi apparait clairement le caraclere propre du sacrifice 
eucharistique : le corps est le corps livre" pour vous , le calice est la nou- 
velle alliance dans mon sang , et de me'me que les pai'ens et les Juifs parlici- 
paient, par des repas sacra's, aux victimes du sacrifice, de meme les chr6tiens, 
en participant au calice que nous bdnissons et au pain que nous rompons 
participent au sang et au corps du Christ. 



72 JESUS CHRIST. 

1'institution de 1'eucharistie, est attribute par M. Loisy a 1'imagi- 
nation creatrice de Fap6tre Paul. Au recit primitif de la Gene du 
Seigneur, simple repas d'adieux, traverse par le pressentiment 
d'une fin imminente et le rappel de 1'avenemcnt glorieux escompte 
(vainement) comme prochain, se serait substitute sous 1'influence 
de Paul, influence lui-meme par la mystique pai'enne, sinon quant 
au detail des rites, du moms quant a la conception gendrale, une 
version nouvelle. Cette version que Paul tenait ou croyait tenir 
(car ici, pour nous, vision et fiction se touchent , Les livres du 
Nouveau Testament, 1922, p. 11) d'une vision, d'une sorte d' apoca- 
lypse (cf. I Cor., xi, 23-26), transforma 1'episode amical en une 
gnose sacramentelle, ou le corps et le sang du Christ, la Nou- 
velle Alliance , la communion, le caractere sacrificiel et propi- 
tiatoire furent introduits. Imposee par I'ap6tre visionnaire aux 
Eglises fondees par lui, cette interpretation de la Gene passa a 
la chretiente entiere. Nos recits evangeliques actuels et meme 
celui de Marc, ou les elements redactionnels sont moins 
visibles et moins nombreux, seraient un compromis entre les 
deux traditions, des vestiges de la premiere subsistant sous le 
triomphe complet de la seconded 

On n'attend pas que nous preventions une critique suivie de cette 
restitution souverainement arbitraire. Elle suppose dans Paul 
Iui-m6me un melange d'habilete semi-consciente et d'imagination 
hallucinatoire, qui n'est pas plus conforme a ce que nous savons 
de 1'apotre que n'est vraisemblable la passivite et, a vrai dire, 
1'insigne et coupable stupidite pretee aux temoins survivants de la 
vie du Maitre, et notamment aux Douze. Mais 1'audacieuse fiction 
de M. Loisy fait partie d'un ensemble qui, une fois admis, rendrait 
vaine toute discussion de details. C'est cet ensemble meine qui, 
nous esperons 1'avoir montre au livre I de cet ouvrage, n'est pas 
recevable en histoire. 

De tels exces, faits pour disqualifier une methode, ne doivent 
pas nous fermer les yeux sur le fait que, a c6te d'intolerables 
erreurs, les etudes de G. P. Wetter, celles de son maitre W. Bous- 
set et les autres qui, comme celles-la, partent de rctude directe de 

1. Voir les Livres du Nonveau Testament, 1922, p. 9 a 12; tlvangile selon 
saint Luc, 1924, p. 40, p. 506 suiv., RllLR, 2" s6rie, VII (1921), p. 517-520, a 
propos de 1'ouvrago de M. A. Omodeo, Prolegomena alia sloria dell' eta aposto- 
lica, Messine, 1921 ; VIII (1922), p. 576. Les vues analogues, mais plus couvertes, 
pr6sente"es par M. Loisy dans sea fivangiles synoptiques, II, Ceffonds, 1908, 
p. 517 a 544, sont Ires clairement expos^es et refut6es avec solidit6 et ampleur 
par M" T Ruch, DIG, 5, col. 1083 & 1090. 



LKS RECITS DE LA GENE DTJ SEIGNEUR, ET SON SENS. 73"- 

la plus ancienne liturgie et du milieu ; religieux contemporain de- 
1'age apostolique, s'engagent dans une voie moins artificielle quo 
celle de leurs predecesseurs immediats, can tonnes dans une 
methode presque exclusivement litteraire. C'est un fait (et les tra- 
vaux de F. G. Dolger, Die Sonne der Gerechtfghkeit und der 
Schwarze\ Sol Salutis, etc..., Mtinster i. W , 1919, 1920, et ceux 
de Dom Odo Casel et de ses collaborateurs du Jahrbuch fur Litur- 
giewissemchaft, Munsteri. W., depuis 1920, notamment III (1923),. 
p. 1-17, 1'ont mis en bonne: lumiere) que la liturgie chretienne s'est. 
developp^e dans les lignes ge"nerales que les besoins fondamentaux 
de I'ame humaine imposent par une necessite naturelle et 
divine a. tout developpement religieux, quand celui-ci n'est pas- 
totalemeni fausse ou corrompu. II faut done s'attendre a rencon- 
teer,; et Ton rencontre en effet, des points de contact considerables 
entre la partie la plus haute des religions antiques et le christia- 
nisme, non. seulement dans le 1 formulaire (emploi d'une -prose 
rythm^e et nombreuse), le ceremonial (representation, action ,. 
mimique) et le symbolisme (seala mentis, ascension reglee du mate- 
riel au spirituel, le premier etant 1'image du second), mais dans 
les fins poursuivies : union avec Dieu moyennant la victime 
immolee, rite de propitiation et de delivrance, apprehension anti- 
cipee de la vie eternelle. La question n'est pas la et il faut evitcr- 
la reaction excessive que les abus de la methode comparative tea- 
dent a soulever chez beaucoup de Chretiens instruits a ce sojet 
(Voir J. Lebreton, RSR, 1924, p. 350-351) '. 

1. [Depuis que cette note a 616" dcrite, a paru le livre de H. Lietzmann,. 
Messe und flerrenmahl, Eine Stadie zur Geschichte der Liturgie. Gf. 
1927, p. 329-333.] 



NOTE U 

TEXTE DE LA CONFESSION SUPREME DE JESUS 

Me., xiv, 55-64. 

J. Wellhausen, Das Evangelium Marci, Berlin, 1903 ( 2 1909), 
p. 132, s'etait permis, en gardant le reste, de rayer la seconde 
demande du grand pretre ( Es-tu le Christ, le Fils du Beni ) et la 
reponse de Jesus : Me., xiv, 616-62. Cette audacieuse suppression n'a 
etc, que je sache, admise par personne. Apres M. Loisy (Les'^van- 
giles Synoptiquettyll, 1908, p. 604, n. 4), Ed. Norden, Agnostos 
Theos, 1913, p. 195, 2, a tres bien vu qu'elle brisait absolument la 
suite du recit. Ed. Meyer a repris la question (Ursprung und An- 
faenge, I, 1921, p. 187 suiv.) et donne a ce propos une severe legon, 
non seulement a Wellhausen, mais a tous ceux qui pratiquent une 
methode devenue tres commune dans la critique des Deux Testa- 
ments et qui mene a tant de bevues . Cette methode (ou absence 
de methode) consiste a confondre la critique historique qui s'occupe 
avant tout de 1'auteur et de son recit, avec la critique de vraisem- 
blance appliquee de fac.on tranchante, et decidant a priori ce qui, 
4ans un recit, peut e"tre exact ou non. 

Dans ce cas, la suppression de la confession de Jesus (Me., xiv, 
62) entrainerait non seulement dans le recit du jugement, mais 
dans toute 1'histoire ulterieure de la passion une dechirure irrepa- 
rable a laquelle Wellhausen ne remedie que par des expedients 
desespere's (p. 193 et note). Conclusion : II est tres comprehen- 
sible que la thdologie liberate desire mettre de c6t6 la tradition 
d'apres laquelle Jesus s'est reconnu ouvertement comme Messie et 
en arrive logiquement a biffer cette confession du plus ancien recit 
que nous ayons. Si cela etait correct, J6sus serait en fait et tout juste 
1'annonciateur d'une meilleure morale et connaissance de Dieu. 
Tout au plus, lui serait-il arrive que ses disciples 1'aient tenu a part 
eux pour le Messie, mais il aurait en realite tenu loin de lui toute 
inspiration transcendante. 

C'est done au probleme fondamental de la conception du Jesus de 
1'histoire que nous touchons ici.:... Or, apres ce que nous avons 
itj il ne peut y avoir aucun doute que Jesus, questionn6 devant le 



TEXTE DE LA CONFESSION SUPREME DE JESUS. 75 

( 

Sanh6drin par le grand pretre, s'est reellement reconnu comme le 
Messie , loc. cit., p. 193-194. 

La conclusion d'Ed. Meyer atteint a fortiori ceux qui, avec 
M. A. Loisy, dans ses derniers ouvrages (Les Livres du Nouveau 
Testament, etc., Paris, 1922, p. 275), presenteraient toute la scene 
du jugement comme tine simple fiction apolog^tique . Et 1'auteur 
<le reconstruire la genese du texte a partir d'un premier recit plus 
simple , qu'on. ne peut qu'entrevoir. Avec 1'interpolation fcheuse 
du triple reniement do Pierre et les preliminaires aussi insigni- 
fiants qu'invraisemblables de cette seance nocturne, la scene du 
jugement par le grand pretre a ete construite au moyen de trois 
elements qui sont faciles a discerner : 1 ce qui est dit des faux 
temoins et de la parole de Jesus sur le Temple, parole qui a chance 
d'etre authentique ; 2 1'aveu formel par Jesus de sa qualite de 
Fils de Dieu entierement inventee pour corriger par avance 
1'impression douteuse que donne la mention de roi des Juifs , et 
pour expliquer la condamnation de Jesus par 1'aveuglement fana- 
tique des autorites juives devant le Christ du mystere (sic] ; 
3 la scene d'outrages imaginee pour 1'accomplissement des pro- 
phe"ties. 

Cette restitution resume et aggrave, avec une secheresse sure 
d'elle-meme, 1'hypothese presentee avec plus de developpements 
et d'une fagon plus modeste, dans le premier ouvrage de 1'auteur : 
Les Evangiles Synoptiques, II, p. 592-611. Seulement, la scene des 
outrages est presentee dans la premiere version comme 1'anticipa- 
tion de la scene du pretoire, p. 599. L'hypothese gene"rale est que 
Marc a voulu transporter toute la responsabilite de la mort du 
Christ sur le Sanhedrin : de la, la fiction d'un premier proces, ante- 
rieur a celui qui eut lieu reellement devant Pilate, et dans lequel 
on montre, decidee et preformee par les autorites juives, la mort 
de Jesus. On ne nie pas qu'il y ait eu le matin, chez Cai'phe, dans 
la reunion qui prepara la denonciation... une sorte d'information et 
de concert preliminaire entre les accusateurs et les temoins. Rien 
n'estplus vraisemblable... ilest possible egalement que CaTphe ait 
interroge le Sauveur et qu'il 1'aitlaisse maltraiter par les valets". , 
p. 599. 

De cette hypothese, qui reconnait 1'historicite substantielle du 
fond, presentee deja avec defaveur dans 1'ouvrage de 1908 , le seul 
vestige qu'on retrouve dans celui de 1922 est que dans la source 
de Marc , il devait etre question d' une reunion preliminaire 
ou les accusateurs concerterent la denonciation qu'ils allaient porter 
devant Pilate ; Les Livres du Nouveau Testament, p. 276. 



76 JESUS CHIUST. 

En r6alite, c'est la un edifice de nu6es, un tissii de conjectures 
tres arbitraires. De Tintention pretee a Marc de noircir les autorities 
juives et du transfcrt de responsabilites qui s?ensuivrait, il n'y a 
pas de trace dans I'histoire, non plus que d'une source qu'il aurait 
retravaillee et recrite a sa fantaisie. On lui prete en toute cette 
affaire une maladresse jointe a une rouerie qui est bien le comble 
de I'invraisemblance. II ne sait pas construire un triptyque dont 
les scenes se suivent selon un, rapport logique . Son recit 
manque d'equilibre , est invraisemblable, incoherent, etc... et r 
en m&me temps, il est plein, d'astuce et- d'artifice. II garde le& 
formes du langage rabbinique en remplaant le nom de Dieu par 
un qualificatif ou un nom abstrait qui en tienne la place. La 
description de la gloire du Christ est prise du Ps. ex ; celle de 
1'avenement messianique est prise de Daniel. 6vangiles Synopti- 
ques, p. 606, etc. 

Qu'il s'agisse de faits anciens ou contemporains, de la mort de 
Cesar ou de la bataille de la Marne, aucun, rdcit d'histoire ne resiate- 
rait. a i'application aussi massive de la methode de divination, de 
correction, de dissection critique. Le meilleur remede seratoujours 
de rccourir au texte et de le replacer dans son milieu historique 
reeL II y a surement des savants, remarque a ce propos 
B. II. Streeter, The Four Gospels, London, 1924, p. 495-496, qui se 
fourvoient... en voulant rajeunir au maximum la date de cet evan- 
gile (de saint Marc). Ms ne s'apergoivent pas que le probleme re'el 
est d'expliquer la date, relativement tardive, a laquelle la tradition 
eccldsiastique assigne ces recits officiels de la vie de son fondateur; 
ct aussi de rcndre compte du caractere naif et primitif de la presenr 
tation du Christ telle qu'elle est faite dans Marc, en assumant que 
cet evangile a ete ecrit apres beaucoup d'aniiees ; de developpement 
cultuel et de speculation theologique qui sont presupposes dans 
les epitres de saint Paul. Ecelesia&tiquement, meme en lui assir 
gnant comme date Tannee 65, Fevang^le de Marc retarde deja de 
dix ans, pour ainsi dire, sur Fepoque ou il a ete ecrit. Sa naivete 
et ses caracteristiques primitives ne peuvent s'expliquer que par 
la dependanee de son auteur par rapport a une tradition ancienne 
etpure (unsophisticated). 



NOTE V . 

JE SUIS LA VERITfi 

Celebre en Perse et dans tout le monde musulman, mais ignore 
du^grand public occidental, discute par les rares speciaTistes qui 
en connaissaient plus que le nom, Al-Hosayn-lbn-Mansour Al 
Halldj (le Gardeur de coton) est entre dans la pleine lumiere de 
1'histoire, grace aux admirables travaux ,de Louis Massignon : 
AlHallaj, Kitdb a I Tawdstn, texte arabe public pour la premiere 
fois, Paris, 1913 ; Quatre textes inedits r.elatifs a la Wographie 
d'Al Halldj, Paris, 1914 ; La Passion d'dl H6sain-ib?i-Mansour al 
Halldj, martyr mystique de Vlslam (deux volumes de xxxi, 942 
-j- 105 pages in-8), Paris, 1922; Essai sur les origines du lexique 
technique de la mystique musulmane, Paris, "1922. Voir aussi 
H.Lammens, AlHallaj, dans :RSR, V, 1914, p. 123-125; J. Mare- 
-chal, Le Probleme de la Grace Mystique en Islam, dans RSR } 
Xni,1923,p. 244-292; R.,A. Ts T icliolson, ''ER'E,"Vl, 480-482. 

Ne vers 864 ; (,hegire 244) a ,Al-Tia (province de Fars au sud de 
la Perse), ascete et mystique, eleve des maitres soufis, il rompt 
avec eux vers 896 (h. 283), voyage en prilchant sa doctrine dans 
toutel'.Asie centrale et se fixe, au retour de son pelerinage a la 
Mecque, a Bagdad. II y fait ecole. Denonce comme charlatan, puis 
<;omme heretique, il est arrete en 913 (h. 301), et passe huit annees 
en prison, dans une liberte relative. Son proces est repris alors 
pour des raisons .d'ordre, semble-t-il, plutot personnel, et il est 
finalement flagelle, exposd sur un gibet, enfin decapite le 26 mars 
922 (h. 309) sur 1'esplanade de la prison neuve a Bagdad. Voir El 
s. v. Al Halldj, II, p. 254-255. 

C'est au moment de sa rupture avec son maitre soufi Al Jonayd 
que Al Hallaj est cense avoir prononce la parole fameuse que la 
tradition musulmane lui attribue : Une fois, raconte Al Baghdad! 
(t 1037, h. 429), il (Al Hallaj) vint trouver Al Jonayd et lui dit : 
Ana.' al Haqq! Je suis la Verite! Mais Al-Jonayd lui repliqua : 
a Non, c'estpar la Verite que tu existes ! Quel gibet tu souilleras 
de ton sang ! 

Cette version, au jugement de L. Massignon, est legendaire. 
Quant au mot : Ana' al Haqq! Je suis la Verite , ainsi attribud 

77 



78 JESUS CHRIST,. 

a Al-Hallaj, rien ne permct d'affirmer qu'il 1'ait prononce, mais 
toute la tradition theologique musulmane en a fait le symbole de 
sa doctrine sur 1'union mystique (La Passion... de Al Hallaj , 
I, p. 61-62). 

D'apr6s cette doctrine, en effet, il peut arriver un moment dans 
1'union avec Dieu, ou cette union devient transformante, ou le moi 
humain disparait en quelque sorte, tant l'tre divin se Test soumis, 
accorde, pdnetre, tant il a bu et consume* 1'essence humaine 
dont il se sert comme de porte-parole. 

A ce moment, investi par la lumiere divine, 1'homme reste la,, 
sans substance, ni vestige (de sapersonne). Etilpeut dire, bal- 
bulier : 

Est-ce Toi ? Est-ce moi ?. . . 

II y a une Ipsdite tienne (qui vit) dans mon neant desormais 
pour touj ours. 

II reste toutefois une dualite" pergue, encore que faiblement : 

a Entre moi et Toi (il traine) un c'est moi ! (qui) me tourmente.. 

Ah! enleve, de grace, ce c'est moi! d'entre nous d'eux . 

Cette derniere piece, conclut Massignon (La Passion d'Al Hai- 
ldj\ II, p. 523 suiv., ou Ton trouvera les renvois aux sources) r 
nous aide a interpreter le cri prete a Al Hallaj : Ana' al Haqq ! Je 
suis la Verite ! Ce mot qui resumera pour la posterite, de fagon 
un peu trop concise, la doctrine d'Al Hallaj sur 1'union mystique, 
nous parait une mise au point des formules de Bistami (le plus 
celebre des mystiques soufis, Bayazid al Bistami, mort vcrs 875, 
hegire 261, ou peu apres : El, I, p. 704) : Toi, qui es la 
Reunion de tout, Tu ne m'es plus un autre mais moi-meme ! 

Quoi qu'il en soit de cette interpretation qui ecarterait tout soup- 
gon de pantheisme, on voit que la parole pretee au plus cel6bre 
des mystiques de 1'Islam, canonise par la devotion populaire , 
en depitdes juges qui Tont condamne (El, II, p. 254), a la supposer 
authentique et elle ne Test pas sous cette forme n'aurait 
encore qu'un rapport verbal avec la parole de Jesus : Je suis la 
Verite *. Car, prononcee dans 1'etat de transe mystique, elleexpri- 
merait seulement ce haut etatde 1'ame, frequemment exprime dans 
les mystiques Chretiens orthodoxes, dans lequel 1'impression de 
1'fitre de Dieu est si puissante qu'elle semble consumer et abolir 
le moi humain qu'elle investit, et faire de celui-ci une seule chose 
avec Dieu . 

1. Sur la part faite a Jdsus dans la tWologie mystique d'Al Hallaj,. voir 
J. Marshal, Le Probleme de la Grace Mystique en Islam, RSR, XIII, 1923, 
p. 277-281. 



GHAPITRE II 

LA PERSONNE DE J&SUS 

Le probl&me de J6sus : Les donne'es. 

En face de ces revendications, c'est un etrange sentiment 
d'etonnement, de depaysement qu'on eprouve d'abord. Volon- 
tiers on ferait echo a ces serviteurs du Sanhedrin, mis en 
demeure d'arre"ter le Nazareen et s'excusant de ne pas 1'avoir 
fait parce que jamais homme n'a parle" comme parle cet 
homme-la! (Jo., vn, 46). 

Qu'on pese en particulier le role attribue a la personne du> 
Maitre dans 1'oeuvre du salut et de la redemption, les desti- 
nees desames et du Royaume de Dieu regleessur les rapports 
de 1'homme, indrviduel et social, avec 1'enseignement, 1'exem- 
ple, la vertu purificatrice et Tamour personnel de Jesus; ces. 
echelles et hierarchies de valeurs si deconcertantes, alors- 
m4me, alors surtout peut-e"tre que le Christ proclame une limi- 
tation pu une impuissance de sa nature humaine. Ges paroles 
dont 1'authenticite est criante et incontestee valaienl 
done d'etre dites ! 

Touchant ce jour-la, ou 1'heure, personne ne sait, 

non pas mSme les anges du ciel, 
Pas meme le Fils, 

Mais seulement le Pere (Me., xm, 32). 
Le Pere est plus grand que moi (Jo., xiv, 28) 1 . 

1. Le sens de cette parole ressort du contexte ou Jesus dit a ses apotres : 
Si vous me cherissiez, vous vous rejouiriez de ce que je vais vers le- 
Pere, car le Pere est plus grand que moi. II s'agit done ici du Christ 
viateur, en marche vers une gloire dont Tlncarnation avait comprime et 
comme Iimit6 le rayonnement > (Alfred Durand, Le discours de la C&ne, 
dans RSR, I, 1910, p. 538). Cette interpretation est egalement celle du 
P. M.-J. Lagrange, Evangile selon saint Jean, 1925, p. 394 suiv. Tous deux. 

79 



$0 JESUS CHRIST. 

A 

Semblablement dans les relations filiales que Jesus suggere 
a ses disciples envers Dieu, Jesus n'identifie jamais sa posi- 
tion et la leur. II apprend a ses disciples a dire : notr.e Pere, 
mais lui-me'me ne parle pas ainsi, il dit : votre Pere et : mon 
Pere 4 . 

Ses exigences ne sont pas moins exorbitantes que ses pro- 
messes. L'amour de preference qu'il exige est presente comme 
un motif indiscutable de justification, un gage de salut e*ter- 
nel; c'est un devoir de religion primant les obligations de 
famille les plus sacrees obligations pourtant renforcees et 

:se referent au florilege patristique reuni par B. F. Wescott sur ce passage, 
The Gospel, according to S. John, Additional note on Ch. xiv, 26-28; eft en 
partioulier a 1'opinion de saint Cyrille .d'Alexandrie dans son vaste Com- 
menlaire sur saint Jean, X, 1, PG, 74, col. 308-325. Le Docteur Alexandrin 
y glose en somme la fameuse description de 1'Incarnation dans 1'Epitre 
aux Philippiens, n, 5-10. Egal a .son Pere en essence parce qu'il est en 
forme de Dieu , le Verbe s'est aneanti en prenant une nature humaine, 
forme servile , qtii le rend capable d'une glorification ult&ieure. Le 
Pere la lui conferera par la resurrection, et ainsi Jes disciples doiyent se 
rejouir de voir cette heure approcher. 

Cette opinion n'exclut pas la raison apportee par la plupart des Peres 
.anciens de cette majorite ou primaut6 ou presSance >, TO (JLEI^OV, 
du Pere. E lie la suppose plutot, puisque toute la mission du Verbe incarn6 
convient ex,cellemment a son caractere de Fils, done engendr6, tenant du 
Pere ce qu'il est et second par rorigine. Et c'est ce qu'entendaient les 
Docteurs anciens quand ils mettaient en luiniere < cette delicate nuance 
d'une preseance paternelle sans sup6riorite de gloire ; Th. de Regnon, 
Eludes de Theologie positive sur la sainte Trinite", III, Th6ories grecques 
des Processions divines, Paris, 1898; 6tude XV, 3 : la Primaut6 du Pere. 
On trouve la tons les textes essentiels, en particulier celui de saint Gre- 
.goire de Nazianze qui adopte et hierarchise les deux opinions, Oral. Theo- 
logic,, IV, 7, PG, 36, col. 1HM13. 

1. J. Lebreton, Origines 6 , p. 304. M6me lorsqu'il s'adresse a eux, il 
observe cette distinction : Je dispose en wire faveur du Royaume 
comme mon Pere en a dispos6 en ma faveur , Voici que je fais des- 
cendre sur vous le promis de mon Pere (Lc., xxn, 29; xxiv, 49). Et 
d'autre part : Votre Pere qui est au ciel donnera ce qui est bon a 
ceux qui le prient , Votre Pere celeste sait que vous avez besoin de 
tout cela .(Alt., vii, 11; Lc., xr, 13). II y a la evidemment, conclut M. :J. 
Lebreton, plus qu'une habitude de langage, chez un maitre si humble 
et si soucieux de precher d'exemple. Ce soin constant de distinguer sa 
priere de cello de ses disciples et sa filiation de la leur, ne pent qu'etre 
imp6rieusement commande par la conscience de .oe qu'il est et de ce 
-qu'ils sont. > 



LA PERSONNE DE JESUS. 81 

restituees avec 1'institution qui les fonde dans leur dignit6 
premiere. G'est une source vive, inepuisable, de purete morale 
et de reconfort. 

De ces constatations surgit le dilemme : ou Jesus etait et 
savait qu'il e"tait ce qu'il disait e"tre, ou quel pitoyable illu- 
sionne fut-il? 

Geux qui ne veulent pas du premier membre de Talternative, 
tachent d'echapper au second. II ne parait pas en effet opportun, 
nim^me convenable, de discuterici avec des adversaires fictifs 
ou scientifiquement inexistants, les hypotheses d'apres les- 
quelles Jesus aurait etc" un simple imposteur 1 ou un dement. 
D'un geste dedaigneux et peremptoire, Renan ecarte cette 
derniere sottise : Le fou ne reussit jamais. II n'a pas ete 
donne" jusqu'ici a 1'egarement d'esprit d'agir d'une fac.on se- 
rieuse sur la marche de I'humanite 2 . 

Jesus fut au contraire un homme religieux, un sage, un 
saint : il est 1'honneur commun de tout ce qui porte un cosur 
d'homme. Place au plus haut sommet de la grandeur hu- 
maine..., superieur en tout a ses disciples..., principe inepui- 
sable de connaissance morale, la plus haute de ces colonnes 
qui montrent a rhomme d'oii il vient et ou il doit tendre. En 
lui s'est condense tout ce qu'il y a de bon et d'eleve dans notre 
nature 3 . 

1. Reprise pour la honte de 1'humanite' aux xvi e etxvm* siecles, cette 
absurdity avait scandalise le Moyen Age a travers le conte dit des Trots 
Imposteurs dont 1'origine fut attribuee jadis a 1'empereur Fr6d6ric II 
(f 1250) qui s'en dSfendit. On en trouve des attestations un peu plus 
anciennes en Occident. L'origine de la 16gende, ou Mahomet figure sur un 
pied d'6galite avec Moi'se et J6sus, est orientale et islamique. L. Massi- 
gnon en a fait la preuve dans la Revue de I'Histoire des Religions, t. 82, 
La legende < De tribus impostoribus > et ses origines islamiques, 1920, II, 
p. 74-78. Le plus ancien 6crit ou ce parallele est 6tabli est un texte ini- 
tiatique dil a une secte musulmane h6t6rodoxe, les qarmates, dont la pro- 
pagande secrete aboutit a la proclamation d'un Kalifat dissident, celui des 
Fatimites, a Mahdiyah (Tunisie) en Tan 909 (Hegire 397). L'editeur du 
document, Baghdildi, est mort en 1037. On retrouve I'id6e sous diverses 
formes dans d'autres ouvrages qarmates du xi e siecle, redig6s en persan. 

2. Vie de Je'sus**,?. 80. Voir infra, note X, Sur la sante mentale de Jesus. 

3. Vie de Jesus **, p. 465, 468, 474. J'entends d'ailleurs toutes les reti- 
cences perfides qui accompagnent ces hautes louanges. Mais je transcris 
ici 1'opinion d'un adversaire, je ne releve pas le t6moignage d'un juste. 

JESUS CHIUST. H. 6 



82 JESUS CHRIST. 

Les ex^etes conl/emporains les plus radicaux ; ne sont pas 
mains nets. Je choisls a 'desseiii partm eux celui peu1>4tre qui 
ale plus renouvele les questions qu'il atouchees, feu Wilheltti 
Bousset i : Dans sa contenattce tottt heToiqu'e, 'dans ;son 
absolu devotrement, d#ns so'n e'stinle exclusive allatot ijusqti'ati 

7 -a Jl 

mepris du reste pour ce qui est le plus haut et 1'u-ltime, J^su : s 
delftetire, il'est vt<ai, par rapport a noufs aune distance infran- 
chissable; -dans Jane ; aut^Htte, une solitude, 'uwe inacce'ssi- 
bili>te 2 -deva'fit laq'tielle nous entrt>ns eh craiwte. Noiis n ? os'ons 
nous Miesuretalui 1 , nous placer a c6te"'du Heros. Mis ilresto 
la conscience de fceux <j'tii 'croient enlui; ses paroles devien- 
nent raiguilloti qui ne leur perraet pas ie repos. 11 fixe avec 
une clartie ^souvefaine la diirecti^on dans la>quelle nous demons 
marcher, ; si loin de lui qu'il toous -faille renter 3 , 

Voila pour la saintete du Maitre. Voici pour :sa douceur : 
Dans son attitude &nvers les ipecheurs, Jesus troave son .plus 
royal trioniphe. ; G'est iei le miracle des miracles que lui, qui 
se pr^sente a ses 'disciples avec des exigences morales si laau- 
tes, si serieuse's, si rudes, puisse dtre en na^me temps plein 
de misericorde et d'une tendresse de femme la ou il trouvait 
une ume humalne, ;se tordant, impuissante, dans le peche. Lui, 
pour lequel personhe ne faisait jamais assez, se cbntentait des 
plus humbles vouloirs ; lui qui plac. ait son but si haut^ a l'infihi\ 
se rejouissait en constatant la moindre avance d'un pas encore 
chancelatit stir la route notrvelle; lui qui voulait allumer 1111 
incendie, exultait a voir la moindre etincelle du divin briller 
sur une anie d'homme 4 . 

Et voici pour sa dignite : 

(En matiere de religion) J^esus avait conscience de dire le 
dernier mot, la parole decisive ; il avai't la certitude d'etre le 
Gonsommateur apres lequel nul autre ne viendrait. La surete r 
la force simple de son action, le rayonnement lumineux, la 

1. Mort a Giessen le 15 mars 1920, dans la force de l'age. Personne, 
disait'a ce propos E. Preuschen, ZNTW, X'lX, 1920, p. 50, ne s'entendait 
comme lui a faire lever, des sillons qu'il ouvrait, line nuee de problemes 
nouveaux; son Jesus, 4 e ed., par K. L. Schmidt, 1922. 

2. Furchtbarkeit. II faudrait ici le mot italien lerribilitd*. 

3. Jesus, p. 72. Je traduis sur Ia3 e edition, Tubingen, 1907. 

4. Ibid., p. 73-74. 



LA PJEHSONNB BE JESUS. #3 

clarte, la fraicheur de tout son e"tre s'appuient a ce fondement. 
Onne peut rayer de son portrait, sans le detruire, cette cons- 
cience plus que prophe'tique, cette conscience d'etre le GOTI- 
sommateur a la personne duquel le cours de tons les temps et 
tout le sort des disciples sont attaches 1 . . 

Qu'un telhomme ait adopt e, en priv6 comma en public, dans 
les effusions de sa pie*te* comme sous le coup des contradic- 
tions, devant ses intimes comme en face d'indiffSrents et d'en- 
nemis, 1'attitude prise par Jesus de Nazareth, qu'il s'y sort 
tenu, qu'il y ait mis sa t^te, cela est considerable et meri'te 
reflexion. Savait-il re element ce qu'il disait? Voulait-il vrai- 
ment le dire? Ge que nous potivons connaitre de ses habitudes 
d'esprit, de son caractere, de sa personne, nous autorise-t-il a 
voir en fui tin homme exafe, bizarre, excessif, porte a fillu- 
sionPToila le probl'eme. Avant d'a'border I'etude des solutions 
qu'on en a proposers, il convient d'examiner attentivement les 
donnees de fart. Mais pour interpreter ces donn^es, il laudra 
renoncer d'emblee aux facilites que se donnait Renan, et que 
tant d'autres ont prises apres lui. D'un developpement, au 
cours de sa carriere publique, de Fidee que Jesus se faisait de 
sa personne, il n'y a pas trace. La brievete meme de cette 
carriere rend a elk seule peu vraisemblable cette commode 
hypothese. Surtout, les documents sont la, et ce qu'on appelle 
a present la conscience messianique de Jesus y apparait, 
des le premier moment, chose formee et parfaite. Simple cons- 
tatation, devant laquelle croule cet echafaudage de subtile 
psychologic s'everfcuant a expliquer ensuite de quelles sugv 
gestions, sous quelles pressions des hommes et des circons- 
tances le doux predicateur du Royaume, le modeste prophete 
de Nazareth, en serait arrive aux declarations plus que mes- 
sianiques de la fin. Les auteurs les plus divers, et jusqu'aux 
rationalistes les< plus decides, ont du reculer sur ce point- 
Marc, dit brutalement Albert Schweitzer 2 , ne sait rien d'un 
developpement de Jesus. II ne sait rien des considerations 
pedagogiques qui auraient dicte 1'attitude reservee de Jesus en 
face de ses disciples et du peuple; il ne sait rien du conflit qui 



1. /Wd.,p. 82. 

5. Geschichte der Leben-Jesu-Forschung, Tubingen, 1913, p. 370. On sait 
que le radicalisme de Schweitzer n'autorise pas a le trailer de rationaliste. 



84 JESUS CHRIST. 

se serait livre dans le coeur de Jesus entre une idee messia- 
nique toute spirituelle et une autre politique et populaire; il 
ne salt pas non plus qu'une difference ait existe* sur ce point 
entre la conception de Jesus et celle du peuple, etc. Avec 
plus de nuances, efc un plus juste sentiment de 1'e'conomie de 
la manifestation messianique de Jesus, W. Sanday, J. Well- 
hausen, Ad. von Harnack, P. Wendland 1 , F. G. Burkitt, Jo- 
hannes Weiss 2 , ne sont pas moins affirmatifs sur le point essen- 
tiel 3 . M. A. Loisy observe meme avec justesse que les faits 
eussent du influer dans le sens inverse de celui que conjec- 
turent les historiens liberaux et decourager, loin de 1'exalter, 
le premier enthousiasme de Jesus *. 

Nous le voyons en effet, des le debut de sa predication, 
penser, parler, agir en Messie : quails ab incepto. L'histoire 
evangelique s'ouvre par le re"cit de la tentation : or cette 
tentation est essentiellement et, pour ainsi dire, specifique- 
ment messianique. Tout le but du tentateur est de faire devier 

1. Die Urchristlichen Literatur-Formen 5 , Tubingen, 1912, p. 269, note 1 : 
Jesus est assur6ment des le d6but en sure possession de sa dignite et 
puissance messianique. > 

2. Das Urchristentum, I, Goettingen, 1917, p. 546. 

3. On peut voir d'autres auteurs : MM. H. Monnier, W. Wrede, cites dans 
le meme sens par J. Lebreton, Origlnes, p. 216, 217 et notes (6 e 6d., 
p. 262-263, notes). 

Ceux des contemporains qui croient devoir maintenir 1'existence d'un 
developpement de la conscience messianique de J6sus pendant sa vie 
publique, appuient cette conjecture sur des vraisemblances psycholo- 
giques, elles-memes commandoes par leur these, et non sur les textes. 
Voir par exemple le Jesus de W. Heitrnueller, Tubingen, 1913, p. 86 suiv. 
Vers la fin de la carriere publique (de J6sus) se multiplient les indices 
de conscience messianique, nous ne savons done rien sur le moment ou 
elle s'est form6e, nous pouvons conjecturer que cette conscience de sa 
dignite messianique s'est fait jour en lui au cours de son ministere, vers 
la fin. Sur la facon dont s'accomplit cette illumination, nous ne savons 
yien non plus... 

4. Les Evangiles Synoptiques, Ceffonds, 1907, I, p. 212 : On ne voit 
pas bien comment les experiences faites par Jesus auraient pu 1'amener 
a se croire Messie dans le cas ou il n'en aurait pas ete d'abord persuaded 
Les difficultes qui ne tarderent pas acompenser les succes, auraient plutdt 
suggere le doute que la certitude... Les 6vangiles ne contiennent pas 
reellement le t6moignage d'une evolution qui se serait accomplie dans 
la conscience du Sauveur. 



LA PERSONNE DE^ JESUS. 85 

dans le sens egoist e, charnel et prestigieux, un appel dont 
le tente a pleine conscience. Aussit6t apres, a Gapharnatim 
comme a Nazareth, Je'sus decide, enseigne d'autorite, s'ap- 
plique les propheties anciennes, chasse les demons, s'attache 
des disciples (qu'il e*leve a la dignite de p^cheurs d'hommes )., 
remet les pe'ches, gu^rit, dispose souverainement des obser- 
vances legales. Nulle trace d'atermoiement, d'hesitation, de 
crainte; nul vestige d'une vocation entrevue, combattue, fina- 
lement acceptee. De plus, et cela est de"cisif, Jesus domine 
a tous les moments son message : il n'est entralne en aucune 
mesure par les esperances, les enthousiasmes, les oppositions 
qui se font jour. Selon le mot de saint Paul, son esprit lui 
est 'soumis . II impose silence aux energumenes, ferme les 
levres des miracules, fuit les honneurs royaux, attempere 
son action aux dispositions de ses auditeurs, aux circonstances 
et aux opportunites. 11 defend a ses disciples de dire qu'il est 
le Messie. Bref, le seul developpement qu'on puisse consta- 
ter dans les e*vangiles, c'est la croissance dans 1'ame des dis- 
ciples, de leur foi en leur Maitre nullement celui de la foi 
du Maitre en sa mission. 

Gette -premiere remarque pose*e nous amene a 1'etude di- 
recte de ce que fut en realite le temoignage de Jesus sur 
Dieu. 

1. LA RELIGION DE JESUS 

Ayant bien des fois et de bien des fagons parle jadis a 
nos peres par les prophetes, Dieu nous a finalement parle, en 
ces jours, par le Fils qu'il a etabli 1'heritier de toutes choses 
et par lequel il a aussi cree les mondes... Moise a ete fidele 
dans toute la maison, eomme un serviteur de Dieu, pour dire 
ce qu'il avait a dire. Le Fils a ete fidele comme un Fils, pre- 
pose sur sa maison. Ges paroles de FEpltre aux He'breux, 
i, 1-2; in, 5, caracterisent excellemment 1'attitude du Maitre., 
et en des termes qui rappellent ceux que lui-me'me employa 
dans la Parabole des Vignerons ingrats : voyant ses servi- 
teurs maltraites, le Pere de famille se ravise : Ils respecte- 
ront mon lils ! 

La est la clef qui ouvre Pintelligence de la vie religieuse de 



86 JESUS CHRIST. 

Je"sus,i'l em-use avec Dieu conwne un fils unique etMen-aime 1 . 
Nul assTiTement ne pouss-e plus loin le respect d'u Pere celeste, 
nul ne donne de hii une idee phis epuree, plus spirituelle et 
plus hauie 2 , eJfc cette religion n'est pas une legon apprise et 
transmise, c'est I'&'me ime'ine de son ame, qui s'exprime naive- 
ment a toute occasion. De la proposition sacrilege du ten- 
tateur, Je'susneretien'tque le droit souverain mis en question : 
Tu adoreras le Seigneur -ton Dieu et *fcu le serviras lui 
seull A la raoine des devoirs et des; q-uerelles po'Htiques, 
c'est encore le droit divin qu'il diseerne : Oui, certes, rendre 
a Cesar ce qui est a Gesar, mais d'abord a Dieu ce qui est 
a ! Diem! 

Non an dieu d ; es pMlosophes et des savants, mais au Dieu 
d'Ahraham, d'lsaac et de Jacob, au Dieu vivant, au Dieu 
ds vivants (Mt., XXH, 32), au Dieu de perfection, qui veut 
des enfants a son image, au Oieu de misericorde dont la pro- 
vidence rev^t le lis des champs et vient en aide au passereau ; 
au Dieu interieur qui voit dans le secre i t et fait justice au 
coeur, an Dieu tre-s saint que la droite simp'licite des purs et 
des petits decouvre sans peine derriere le voile transparent 
des choses creeps; a : u Dieu juste qui agriee 1'hommage sincere 
et non 10s grimaces, qui exa-uce 1'appel implicite et dedaigne 
les longs discours. 

Pour le tenter, un docteur de la loi 1'interroge, touchant le 
plus grand des commandements . Tu aimeras le Seigneur 
ton Dieu de tout ton coeur, de toute ton ame et de tout ton 
esprit, voilale grand conimanden*ent, etle premier ! (Mt., xxn, 
35-38; Mo.-, xn, 28-30; of. Lc., x, 27). Au jeune homme 
insinuant, nai'vement obsequieux, qui s'approche en 1'appe- 
lant Bon Maltre ! Jesus rappelle rudement que Dieu seul 
est bon , grande parole et qui, remise dans son contexte his- 
torique, est tres claire. L' appellation eta-it, en fait, inoui'e a 
cetie epoque. Jesus -ne 1'accepfce ni ne la refuse, il la differe : 
Pourqu-oi ; m'appel'les-tu bon? Nul n'est bon hormis Dieu 



1:. Sur l'6quival.ence de ces epithetes donnees a, J6sus : iyajrjjto's, pre- 
paries Synoptiques, et (XOVOY&VT)'; par saint Jean, voir la note de J. Le- 
breton, Origines*, p. 268, n. 1, et p. 324, n. 2 ; et JTS, XX, 1919, p. 339- 
344, et XXVII, 1926, p. 113-129. 

2.. Cf. ci-dessus/tome I cr , livre III, p. 357 suiv. sur le Message de Jesus. 



LA PERSOIS1NE. DB.J$SUS. 817 

senJL 1 ., Pan l.a, ee je.u.ne esprit encprnlwe de vu.es tpop> 
humaiaes e,st; ramente. d'autorite; a la vj-aie question,. qui est 
alors pour lui la question prealable. Av.an,t d'appuecier Ija per-* 
sonne. d,u, Prophets, avanj. 4'appuejaclr, e> de lui, les, conditions de 
la vie m,eilleur$, : il fau;t d'a&Q?ci $'elever.j,usqu?a I)ieu, seu-le 
Bqn;be abs.olue;, s,eule ; nQrme ; cle toui Men HLorai, 

Apnes, settlement apres,, la jeune.hp.mine; inquiel; d'e perfec* 
tiqn po,un;ait orienteD drQitement son effort, e;fr pr.ofiter do. la 
maitKise de JTes ; u,s. 1^'illusiQDi, de- oe QUerQheur- de Dieiu (illu- 
sion i'requente et fatale), etait de substituer des yejijleites; de 
vie: pajifaite. et un^desir, defSoun^issionihiUjpftainer a; La. recherche 
et a racQeptatioB, inconditjonpee du bpn pMsir divin. L'issue 



1. II exjste svp : c.e,tte piaroj.^ (tout on at.ant abusj> urxe litt^ratmtQ cpnsi- 
derable,. Parini IQS. plus r^centes. inQno.gi;aphies la plus i^poijtaiite e$i; 
cell.e de B. B. Warfield. dans la, Princeton Theological Review,, ayr.il 1914, 
p. 117 a 229. Stir la formule d'interrogation : T( [XeYeis *y*0o'v r ; (Me., x, 
IS',' Luc., xviif, W), ^>s- ipwTas nEp\ To3 dy*^ ; (Mt., xix, 17), voir M. Le- 
pin, JWsus Messie-et Fits dp DieUj Paris, 1917, p. 336 suiv>. IDu titre 
e, * (Rdbbi toba), le seul e^einple qounu d]a,ns la litterature- 
g. est. r,elativem,Qnt recent (Tq?anith ) %4i l b). Raba.ben Joseph; ben 
Chauca (mort en 352 ; vqir W. Oesterley et G. Box, A short Survey of 
the literature of rabbinical and medieval Judaism, Londpn, 1920, p. 123) 
etant 1 arriv6 4 Babylone (Hargronya) en temps de s6cheresse, avait ordonn6 
un jeune. propitiatoire. La pluie n'6tant pas venue, il fit continue!; le jeAne 
durantla nuit et le ; renden\ain dit '. Sii quelqu'un a.eUiUn s.page, qu'll; le 
raconte ! > 41ors Ra,bbi E16.azar de; Babylone (JE, V,.p, 99) d^clai;a qu'il lui 
avait ete dit en songe : Bonne nouv-elle att bon- Mai.tre de ; la part du bpn 
Seigneur qui dans sa Bonte donne du bon a son peuple. > Sur quoi Raba 
conelut que le songe annonc.ait: un temps de mis6ricord'e, et en effet la 
pluie viijt. 

G. Dalman, Die WorteJesK,,!,'^, rjQtg que cette designation d'Eleazar 
comme bon maitre le place tres b,aut, puis^u'elle lui donne \e meme 
attribut qu'& Dieu. Mais il faut tenir compte du caractere sentencieux de 
la phrase pergue en songe, qui est tout entiere sur le theme de bonte 
et.rend.re 1 pith ete moins significative ici. 

Dalman observe justement que le sens de Rabbi toba, dans le passage 
vang61ique, est certainement < Maitre c!6ment > (bienveillant, miseri- 
cordieux). J'esus a d6clin6 cet attribut parce qu'il ne veut pas qu'on 1'em- 
ploie inconsid6rement, et parce qu'il entend renvoyer tout honneur a son 
Pere. c Le rejet de cette designation (par J6sus) n'implique nullement que 
Dieu seul serait bon moralement, comme on 1'entend souvent; mais que 
lui seul est la Bonte en personne. > H. L. Strack et P. Billerbeck estiment 
cette interpr6tation exacte sans auc.un doute , KTM, II, 1924, p. 25.. 



88 JESUS CHRIST. 

montrabien que, tout sincere et pur qu'il etait, le jeune homme 
riche n'etait pas pret a perdre sa vie pour le Royaume 
fut-ce a la suite de Jesus. 

On a tres justement note que 1'effacement du Fils devant 
son Pere implique dans cette parole, est un des traits distinc- 
tifs de toute 1'attitude de Jesus : saint Jean lui-me'me n'a pas 
craint de le marquer dans son evangile, ou Dependant son but 
avoue etait de mettre en lumiere la transcendance du Fils de 
Dieu 1 . Saint Paul, pourrait-on ajouter, n'a pas moins insiste 
sur ce trait. 

Cette religion profonde, Jesus la fait passer en acte. La 
priere est son recours constant, la fontaine ou s'alimente sa 
vie d'activite. Jnaugurant sa mission par le bapteme, il prie 
(Lc., in, 21); puis cedant a 1'Esprit qui le pousse a la soli- 
tude, il donne quarante jours continus au jeune et a 1'oraison 
eprouvante du desert. G'est en inspire qu'il aborde son minis- 
tere galileen (Lc., iv, 14). Apres ses premiers miracles, a Ga- 
pharnaum, il sort a la pointe du jour, cherchant la retraite 
pour y prier (Me., i, 35; Lc., iv, 42); il se soustrait a la 
presse, va dans les lieux inhabites, y prie longuement (YJV 
TrpcasuxoiAsvoc, Lc., v, 16; Me., i, 35c). Au soir de ses jour- 
nees pleines, le missionnaire, le guerisseur, fait 1'ascension 
de quelque colline, s'y recueille et passe la nuit entiere a 
prier : En ces jours-la, il se retira sur la montagne pour prier, 
et il passa toute la nuit a prier Dieu (Lc., vi, 12). G'est a 
Faube d'une de ces nuits sanctifiees qu'il appelle ceux de son 
choix parmi ses disciples et distingue les Douze (Me., in, 13, 
14; Lc., vi, 12-14). Pour hater 1'oeuvre du Royaume, c'est 
d'abord la priere qu'il recommande aux siens : 

Voyant les foules, il en eut pitie, car Us etaient epuises et gisants 
qa et la comme des brebis sans pasteur. Alors il dit a ses disciples : 

La moisson est grande et les ouvriers rares. 
Pricz done le maitre de la moisson qu'il envoie des ouvriers a 

[sa moisson. 
Mt., ix, 36-38. 

Quand il multiplie les pains, la priere est au debut de la 
merveille et a la fin. Puis il force ses disciples a se rembar- 

1. J. Lebreton, Origines 6 , p. 313; cf. Jo., xiv, 28. 



LA PERSONNE DE JESUS. , 80> 

quer, lui-me'me renvoie les foules ets'en va dans la montagne r 
seul, pour prier (Mt., xiv, 22-23, 25; Me., vi, 45-46, 48) 
jusqu'a la quatrieme veille (environ trois heures du matin). 
G'est dans la priere solitaire qu'il murit 1'interrogation qui 
provoquera la confession de Pierre et marquera le tournant 
de la vie publique (Le., ix, 18). 

Parfois - quelques intimes sont emmenes : au cours de la? 
longne contemplation, Pierre, Jacques et Jean qui s'etaient 
assoupis, apercoivent soudain leur Maitre investi d'une 
lumiere divine, transfigure (Lc., ix, 28, 29, 32). Quand les- 
disciples au retour d'une mission fructuouse racontent joyeu- 
sement leurs succes, Jesus tressaille d'allegresse, ct c'est 
un liommage a son Pere, un eloge de sa Providence, qui 
monte de son coeur a ses levres. Un peu plus tard, son atti- 
tude durant 1'oraison est telle, qu'emerveilles, mais n'osant 
l'interrompre, on attend qu'il ait fini (w; ETrataa-o ; Lc., xi, 1).. 
L'un des siens lui demande de leur apprendre a prier. 

Jesus cede a ce desir et recite le Notre Pere : autour de- 
cette formule exemplaire, il groupe d'autres avis sur 1'insis- 
tance, la perseverance, une certaine impudence filiale qu'il' 
faut porter dans le recours au Pere : 

L'un de vous a un ami, et va chez lui a la minuit, disant : . Ami, 
prete-moi trois pains, car un mien ami arrive de voyage et jo n'at 
rien a lui offrir. Mais lui, du dedans, vous re"ppnd : Ne me fais 
pas d'ennuis! Deja la porte est close, mes enfants sont au lit avec 
moi ; je ne puis pourtant pas me lever pour te donner ! Je vous le- 
dis, s'il ne se leve pas pour lui donner, du fait qu'il est son ami, 
vaincu par son importunite, il se levera et lui donnera tout ce dont 
il a bcsoin. Or moi, je vous dis: 

Dcmandez et il vous sera donne, 

Cherchez et vous trouverez, 
Frappez et il vous sera ouvert. 

Lc., xi, 5-9. 

Mais la priere de demande n'est pas la seule ni la plus- 
haute. Sous combien de formes Jesus n'inculque-t-il pas la> 
necessite, la sublimite, la douceur de 1'oraison d'union! 
. Marie a choisi la meilleure part (Lc., x, 42). A la louange,, 
classique en Orient, qui proclame bienheureux le sein qui 1'ai 
porte, bienheureuses les mamelles qu'il suga, le Maitre repli- 
que : . Heureux plut6t ceux qui ecoutent la parole de Dieu 



'.90 JESUS CHRIST. 

et la gardent! (Lc., xi, 28). J usque dans les parabolqs, et 
quan.d on ne 1'attendait pas, il sait faire revenjr la mdme 
logon. Le frere aine du Prodigue se plaint-nil cle 1'accueil 
magnifique fait a son cadet repentant : Enfant, lui dit le 
pere, tu es toujours avec moi, et tout ce qui est a moi eat a 
toi (Lc., xv, 31). Trait penetrant, qui exalte d'un seul inot,s 
par dessus tous les biens, la familiarite avec Bieu. La lec.on 
.semble-t-elle trop enveloppee? "- Jesus va la rendre claire, 
et s'ingenie a montrer qu'il. faut prier coastamment et ne pas 
se lasser (Lc., xvm, 1). Son exeniple vivifie ses conseils. Pen- 
dant la derniere seniaine, lo Maitre donne le jour a renseigne- 
,ment dans le Temple, et la nuit moins au repos qu'aux 
tongues prieres sur le Mont des OUviers (Lc., xxi, 37). Au 
.-soir de la Gene, apres tan.t d' emotions, c'est encore la qu'il 
monte, selou sa coutume et il faut ici transcrire un 
-episode qui decourage tout comiwentaire et quo celui de Pas- 
cal, dans le Mystbre de Jesus 1 , rend du reste inutile. 

f 

Etant arrivd sur le lieu, il leur dit : Priez pour n'entrer pas en 
tentation , et lui-m.eme s.'arracha d'aup^es d'eux, apeu pres la dis- 
tance d'un jet do pierre Qt. mettant les genqux en tcrre, ij priait, 
disant : Pere, si tu veux, eloigne cc calice de moi : toutefois. non 
ma volonte, mais que la tiennc arrive! ... Et, reduit a 1'agonie, il 
jjpriai't plus intensement, et sa sueur devint comme de grosses gouttcs 
de sang coagule decoulant jusqu'a tcrre 2 . 

On ne peut guere que conjecfcurer I'attitude interieure de 
Jesus durant les heures qui sujvirent. Son recueillement, sa 
maitrise de soi, ses reparties penetran.tes et calroes, son 
silence heroiique, disent assez ou etajt son cqpur. L/a compas- 
sion rouvre ses levres surle chemin dii Calvaire, puis, tandis 
qu'on le cloue a la croix : Pore, disait-il, pardonne-leur 
(ce crime), car ils no savenfc ce qu'ils font 3 . 

1. Voirplus bas, livre VI, p. 657. 

2. Lc. ; xxii, 40-44. Sur la traduction d'aywvt'a, le contexte impose le 
sons fort, bien que le mot, dans la langue populaire ; soit souvent employ^ 
an sens plus faible d'anxiete, craiute, d^tresse : voir J. II. Moulton et 
G. Milligan, The Vocabulary of the Greek Testament, I, p. 8, London, 1914. 
Gpo'^ot ai'f/.aTos ne sont pas do simples gouttes de sang, mais des grumeaux, 
-caillots de sang, gouttes de sang coagule. Sur I'authenticit^ des versets 43 
<ot 44, cf. la note qui suit. 

3. Lc., XXHI, 34. On sait quo cette parole, comme les versets 43, 44 du 



LA PBRS0NWE DE JESUS. 91 

H accueille la requite du> larron, confie sa mere au disci- 
ple aim6, s'assure que tout est accompli. Alors, s'ecriant 
d'une grande YOIX , il s'approprie 1'appel poignant du Juste 
persecute : Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu aban- 



chap, xxn (sjir la sueur de sang) manquent dans un nombre respectable de 
nianuscrits, quelques-uns tres importants, B, W, 579, la version syria- 
quede Sinai, les deux versions coptes, etc.; de plus, pour xxui, 34, le Ms de 
Koridetbi et son importante famille (sur cette famille K. Lake et R. P. 
Blake dans Harvard theological Review, juillet 1923). Par contre, les deux 
textes figurent dans N, L, la syriaque de Cureton, la plupart des versions 
latines, 1'armenienne, etc... (pour xxn, 43, 44, dans D, 0, lapresque unani- 
mity des versions latines anciennes). Trois indices convergents, du simple 
point de vue critique, font pencher decidmejit la balance du cote de 
I'authenticite : 1 L'usage patristique, car le premier texte est atteste par 
saint Justin (Dialogue, ch. 153), saint Ifenee, Tatien et Hippolyte, Denys 
d'Alexandrie ; le deuxieme par lTen6e, Tatien, Origene ; 2 La teneur 
verbale, comme le remarque A. Lojsy, Evangik selon Luc, 1924, 
p. 527 : . La consideration du style (cf. Act.,, JX,. 19 ; XH, 5) semble. con- 
firmer 1'hypothese de l'authenticite ; et B. H, Streeter, The Four Gos- 
pels, London, 1.924, p. 137 : The passage short as it is, betrays several 
characteristically Lucan expressions , apres A. von Harnack, Lukas der 
Arzt, Leipzig, 1906, p. 135, note 3, et, plus completement, Sitzungsbe- 
richte der Preuss. Academie, 28 fevrier 1901 ; 3 La vraisemblanee in- 
terne,, qui favorise plutot I'bypoth6se d'une omission, que. celle, .d'une ad- 
dition. Saint Epiphane, qui defend la version comme primitive, reeou- 
naitqu'elle donne des difficultes aux apologistes. La-dessus Loisy, p. 527 : 
L'omission volontaire pourrait s'expliquer aussi facilement que 1'iaddi- 
tion. > Ce n'est pas assez dire; voir M. J. Lagrange, Evangile selon saint 
Luc, 1921, p, 562^563^587-588; et B. H. Streeter, p, 137-138. Le meme 
Streeter montre excellemment, d'apres A. G. Clark, The Descent ofManu&- 
cripls, Oxford, 1918, que la maxime de critique textuelle, brevior lectio 
polior, est un postulat que 1'etude attentive des manuscrits ne confirme 
pas, en particulier dans le cas des evangiles, lib. laud., p. 131-148. . 

1. Psaume xxn (Vulg., xxi), 2; le verset 1 est un titre : Mt., XXVH, 46; 
Me., xv, 34. Les deux evang61istes nous ont rapport6 la parole en 'tongue 
semitique telle qu'elle sortit des 16vres du Maitre. Les manuscrits ne per- 
mettent pas de decider entre la forme hebrai'que pure : Eli, fili, lamma 
'azabtani, et la forme arameenne pure : Elahi, Elahi, lema schebaktani. 
Le Targum d'Onkelos donne une forme mixte, qui se rapproehe de celle 
de plusieurs manuscrits : Eli, Eli, lema schebaktani. G. Dalman, /esus- 
Jeschua, Leipzig, 1W22, p. 184 ft 187, incline nettement vers la forme 
hebraique, qui est vraisemblable en effet, et explique mieux la confusion 
avec le nom d'Elie (Mt., xxvn, 47; Me., xv, 35). Les exegfctes jiiifs an- 
ciens ont eux-memes apporte ce texte < Mon Dieu, won Dieu >, en 



92 JESUS CHRIST. 

Ge n'est pas un cri de doute ou d'impatience. Le psaume 
prophetique qu'evoque ce verset liminaire s'acheve au con- 
traire en un acte de confiance et d'abandon. Epuise, suivant 
la loi de moindre effort de la nature humaine qu'il a assumee, 
le crucifie retombe naturellement sur la formule familiere qui 
exhale a la fois sa peine dechirante et son invincible espbir. 
Puis, tendrement, acquiescent au vouloir souverain, obeis- 
sant jusqu'a la mort de la croix , mais coulant cette fois 
encore sa pensee supreme dans le moule des mots consacres : 

Pere, en tes mains je remets mon esprit. 
Et, ce disant, il rendit 1'ame. 
Lc., xxiii, 46 (Cf. Ps. xxxi (Vulg. xxx), 6). 

Ges traits qui nous peignent son incessant commerce avec 
son Pere du ciel, permettent de ddgager le caractere particu- 
lier, personnel et, dans un sens qui n'appartient qu'a lui, 
filial, de la religion de Jesus. 

Le respect ne se nuance jamais chez lui de ce trouble , de 
cet effroi qui faisait trembler les saints. Toute union prof onde 
et tendant a devenir immediate avec Dieu, implique en effet,, 
pour peu qu'elle soit re*elle et fondee en verite, une vue, 
d'abord accablante, de la distance qui separe le cree de Fin- 
cree. Unir un esprit a peine esprit *, rive au sensible par son 
mode essentiel de connaitre, attire" en bas par le poids de la 
chair, toujours en mal de changement et de desir, a TEsprit 
pur, a celui qui n'est qu'acte et perfection, a celui qu'on 
n'atteint ici-bas que par 1'impuissance du reste a exister sans 
lui, que Ton ne pressent qu'a travers Tinanite de ce qui 
passe, tel est le paradoxe mystique. Toute ma connaissance 

preuve de la regie qui veut que cette appellation Eli [cf. Celui-ci 
est mon Dieu ? Exode, xv, 2], mette en relief en Dieu 1'attribut de la 
misericorde, non du jugement : Mekilta sur 1'Exode, xv, 2, dans Strack 
et Billerbeck, KTM, I, p. 1042. 

1. Reprenant et faisant siens quelques-uns des termes du vieux livre de 
Proclus connu alors sous le nom de Traite des Causes, saint Thomas d'A- 
quin situe 1'ame humaine < a Phorizon pour ainsi dire, et a la frontiere du 
corporel et du spiriluel . II la montre non totalement emmuree dans la. 
matiere, ou noyee en elle. .. quasi quidam horizon et confinium corporeorum 
et incorporeorwn... non totaliter comprehensa amateria aut ei immersa >. 
Contra Gentiles, lib. II, cap. LXVIII. 



LA PERSONNE DE JESUS. 93 

de Dieu est precaire, avoue Tun des plus grands : langue, 
sentiments, pensee, c'est comme une connaissance de petit 
enfant. Naturelle ou infuse, gnose ou prophetic, elle est ici- 
bas incertaine, mediate, en figure et en enigme. 

Car nous connaissons imparfaitement et imparfaitcment nous pro- 

(phelisons '; 

quand viendra la consommation, alors, 1'imparfait element sera 

[elimine; 

quand j'etais pelit enfant, je parlais en petit enfant, 
je sentais en petit enfant, je raisonnais en petit enfant, 
quand je suis devenu homme j'ai elimine ce qui etait du petit 

[enfant. 

Nous voyons presentement (les choses divines), dans un miroir, en 

[6nigmc, 

alors (nous verrons) face a face. 
Presentement, je connais imparfaitement, 
alors jc connaitrai comme je suis connu. 

Ge n'est pas assez de cette infirmite. La religion chretienne, 
et deja celle d'Israel 2 , exaspere encore le conflit. L'homme 
n'est pas seulement un <Hre de chair, un ephemere, un neant, 
il est un coupahle, un ingrat, un dechu. Dieu n'est pas seu- 
lement le Bien incree, le Beau sans ombre, 1'Eternel. II est le 
Maitre, il est 1' Amour, le Maitre mal servi, 1'Amour offense. 
Quelle apparence d'unir ceci a cela? Chaos magnum firmatum 
est. Or, c'est justement a ce point que debute chez les mys- 
tiques veritables la vie seconde et superieure. Elle commence 

1. I Cor., xin, 9-12. Nous proph6tisons , dans le sens d6fini par Pas- 
cal : Proplie"tiser, c'est (penser et) parler de Dieu, non par preuves du 
dehors, maispar sentiment interieuret immediat (Pense'es, e"d. Brunsch- 
vicg, n. 732). Pour saint Paul, done, toute connaissance actuelle du divin, 
naturelle ou meme charismatique, est imparfaite, fragmentaire, < par, 
morceaux , ex ^pou?, opposee a ce qui est accompli, parfait en son genre; 
TO -ceXetov. Ce sont des actes enfantins, balbutiants, incertains, vagues, ce 
n'est pas une vision face a face, mais re"fl6chie et trouble, celle d'un objet 
vu dans un miroir de me'tal, 8t' laompov. Les miroirs antiques, jusqu'a 1'ere 
chr6tienne, 6taient en metal, faciles a ternir, ne fournissant souvent 
qu'une image incertaine. Voir Speculum dans DAGR, IV, 2, p. 1122, A; 
A. de Ridder. Ce n'est pas un enseignement donn6 en clair, mais en 
chiffre et en dnigme, v ?v(yfia-ci. Voir R. Comely, Commentarius in 
S. Pauli Epistulas, II, Paris, 1890, p. 401-408. 

2. Voir la-dessus le P. F. Prat, La TMologie de saint Paul, I 7 , 1920, p. BIG- 
SIS; IIS 1923,p.66suiv. 



94 JESUS CHRIST. 

par une vue pergante, accablante, de ce double abime d'ia- 
dignite ici T et la de souveraine saintete : Dieu est le Bien 
supreme;, et ce bien m'est inaccessible ! Le peche* acheve de- 
murer 1'acces, il rend inconcevable -une union que la bass- 
sesse de la chair semblait a elle seule interdire. De ce vertige, 
les paroles des grands voyants d'Israel, depuis Moi's'e jus- 
qu'a Isaie, d'Elie a Je>emie;, portent les traces manifestos, et 
on le retrouve en quelque mesure partout ou le sentiment 
religieux s'e'panouit. Les plus hauts mystiques Chretiens 
1'ont a leur tour dprouve ; avant d'entrer dans la tenebre di- 
vine, leurs yeux ont du etre dessilles a cette flamme 1 . 

Il s'ensuit naturellement en eux tous un desir T c'est trop 
peu dire, un imperieux besoin, une soif de purification, de 
spiritualisation. Tout candidat a 1'union divine se double d'un 
ascete et d'un penitent. II faut se degager des soins materiels r 
bannir Fencombrement interieur, chatier les revoltes du vieil 
homme, mater ce corps rebelle et pesant. L'on sait jusqu'ou 
ont avance dans cette voie les plus grands serviteurs de E>ieti' r 
les plus authentiques disciples du Christ. 

Or, et c'est le trait le plus etonnant de la religion per- 
sonnelle de Jesus, il n'y a dans son ame aucune trace de 
ce trouble, de cette crainte, de cette juste colere contre soi- 
me'me qu'engendre d'une part lia. vue de notre neant, d'autre 
part celle de notre indignite positive. Les plus purs n'e"chap- 
pent pas a cette necessity, ne se soustraient pas a cette pro- 
bation : une Catherine de Sienne, un Jean de la Croix. Par 
contre, on cherche en vain dans nos evangiles un vestige de 
I'eflroi et de 1'horreur sacree qui prepare et approfondit 
cliez les plus grands saints 1'impression directe de Dieu. Non 
que le Maitre ne ressentit pas cette impression, tant s'en 
faut; seulement, elle ne s'accompagnait chez lui d'aucun 
remords, d'aucune fievre. II possedait d'emblee et en perfec- 
tion cette purete complete, cette ressemblance, cet accord 
avec 1'Ami divin (on dirait en termes d'Ecole cette connatu- 
ralite avec 1'Etre de Dieu) vers laquelle tend I'extre'me per- 
fection de la vie interieure. Gelle-ci, onle sait, la purification 

1 . Sur tout ceci, voir J. Marechal, Etudes sur la psychologic des mystiques, 
t. I cr , Louvain, 1974. 



LA PERSONNE BE JESUS. 95- 

aehevee, devienb d'autant plus calme, plus apaisee, plus lumi- 
neuse, qu'elle s'dleve davantage 1 . Pout la mtJine raison, nous 
ne trouvons pas dans la vie de Jesus ces etats violents de- 
transe., d'insensibilite, dfe contraste, ou d'absorptions tempo- 
raires, qui soustraient parfois le mystique, surtout debutant r 
aux conditions communes de son milieu. Ranc.on de la faiblesse 
humaine succombant sous 1'assaut d'une puissance trop 
grande et trqp nouvelle, ces defaillances extraordinaires- 
n'avaient pas .de place en celui qui vivait de plain-pied avec- 
son Pere 2 . 

Pas plus qu'il ne Jut un extatique, Jesus ne fut un penitent 
a-u senspropre du mot. Sans en excepter le long jeune initial 
qui le remettait dans la gfande tradition prophetique, toute 
son ascese fut exemplaire. ;Elle ne laissa pas d'etre rigoti- 
reuse. Sacrifice des affections les plus cheres, les plus sa- 
crees 3 ; .a;pplieation incessante et exclusive -de 'ses forces a 
rexpansion du Royaume dans les conditions les plus eprou- 
vantes et jusqu'a I'^puisement 4 ; abnegation sans limit e de 
ses aises, de son inte're't, de son agrdment propre, veritable- 
inent le Christ n'a pas vecu pour lui-me'me , et Paul,, 
rappelant ce ,grand exemple aux Remains 5 , n'avait pas besoin 
de le rnotiver. Pauvret^ singuliere; comme il marchait sur la 
route, un ihoimme .lui dit : Je te suivrai ou que tu ailles r 
mais Jesus lui dit : Les rehards Orit des tanieres, les oiseanx 
d\i ciel des hids, mais le Fils de rhomme n'a pas ou reposer 
sa t^te (Lc., ix, 57-58; Mt., VHI, 19-20). Mais en tous ce& 
traits, et dans ceux qu'on pourrait y ajouter, on ne relevera 

1. Le Sadhu Suhdar Singh, tiindou Convert! en 1904, dit tres bien : 
t There are those \Vho Speak of Christ as thfe Supreme Mystic... That is tho- 
tendency of those Who are hot inclined to accept the divinity of Christ. 
: Ghrist is not the Supreme Mystic. -He is tlie Master of Mystics, the Saviour 
of mystics. i> The Sadhu, a Study in mysticism and practical religion, by B. 
H. Streelier and A. J. Appasartiy, London, 1921, p. 65; JTS, XXIII, octo- 
bre 1921, p. 101. 

2. Voir ci-dessous, p. 126, Is'ote Y, Jesus fut-il exlatique ? 

3. Lc., u, 42-49 ; Me., in, 31-35, etc. 

4. Me,, i, 35-39; n,2-3; in, 20; v, 30-32; vi, 30-44, etc. ; Lc., XXH, 26-27;. 
Jo., iv, '6, etc. 

5. Rom.., xv, 3. Sur le sens de -/jpsasv dans la langue commune d'alors,. 
J. H. Moulton et G. Milligan, VGT, p. 75. 



"96 JESUS CHRIST. 

pas une hesitation on un scrupule, pas un mot de repentir 
<ou de desaveu. Jamais d'intercession cherchee entre le Pere 
et lui; aucune allusion a une faute passee, a une conversion, 
a un changement de vie, fut-il du bien au mieux, non plus 
qu'a une perfection ulterieure desiree ou demandee. 

Vivant de sauterelles ou de miel sauvage, habille de poil 
de chameau, familier des lieux desertiques, Jean Baptiste 
Cut un rand penitent, ne mangeant ni ne buvant . Jesus 
mange et boit . Les disciples de Jean etaient astreints a 
des jeunes severes efc ceux de Jesus auront a pratiquer aussi 
la penitence pour leur compte, leur qualite d' ami de 
1'Epoux ne les en dispense pas 1 , mais la presence de celui- 
-ci parmi eux exclut toute idee de mortification. A combien 
plus forte raison TEpoux n'a-t-il pas a faire penitence pour 
lui-meme ! 

G'est un homme sans doute. Rien d'une figure de conven- 
tion ou de vitrail. Ouvrons presque au hasard les evangiles 
ou la touche du temoin oculaire est le plus visible (le second 
-et le quatrieme) : 

Et il rentra dans la Synagogue. Or il y avait la un homme ayant 
la main desseclice, ct [les scribes] observaient [Jesus] pour voir s'il 
le guerirait un jour de sabbat, afin dc 1'accuser. II dit a I'liomme 
.ayant la main dessechee : Leve-toi, [viens] an milieu. Puis il 
.leur dit : Est-il permis 2 , les jours de sabbat, de faire le bien ou 
de faire le mal; de sauver une vie ou de tuer? Eux se taisaient. 
Lors jetant sur eux, a la ronde, un regard (irrite) de colere, navre 
de rendurcissement de leur casur, il dit a I'homme : Etends ta 
main ; il 1'etendit ct sa main fut rendue a la vie (Me., in, 1-6). 

Et sortant de la ils traversaient en hate la Galilee, et (Jesus) ne 
voulait pas que personne le sut... Ils vinrent a Capharnaiim, et entre 
.dans la maison, il les interrogea : De quoi discutiez-vous pendant 
la route? Eux so taisaient, car ils avaient discute entre eux pen- 
.dant la route, quel ctait le plus grand. S'etant done assis, il appela 
les Douze ct leur dit : Si quclqu'un veut etre le premier, il se 
fera le dernier de tous et de tous le serviteur. Et prenant un petit 

1. Voir ci-dessus, t. II, p. 21. 

2. *E?eaTtv. On pourrait traduire : Est-il indifferent ? Comme dans I Cor., 
-vi, 12 (Voir J. H. Moulton et G. Milligan, VGT, p. 223). Le sens est clair : 
J6sus oppose la qualite morale intrinseque d'une action a sa Hceit6 
.]6gale, formalite respectable, mais qui doit c6der devant un bien consi- 
d6rable a procurer. 



LA PERSONNB DE jijSUS. 97 

-enfant, il le iit inettre au milieu d'eux, et apres 1'avoir embrasse 
il leurdit : Quiconque accueillera un de ces petits en mon nom, 
m'accueille, et celui qui m'accueille, ce n'est pas moi qu'il 
.accueille, mais celui qui m'a envoy6! (Me., ix, 30-38). 

CJ'est le m6me homme que nous peint 1'evangile de Jean, 
dont le programme est pourtant de montrer en Jesus le pain 
'celeste, la vie efc la lumiere du monde. Le- Maltre ne laisse 
;pas d'etre chair et de le manif ester : il pleure, il prie, ii 
est recru de fatigue et de faim, il a ses preferences et ses 
angoisses, il s'indigne et s'emeut, s'enthousiasme et se cons- 
terne 

Ce disant, Jesus se troubla en esprit et declara et dit : En verite, 
en verite, je vous le dis qu'un de vous me livrera ! Les disciples 
se regardaient les uns les autres, interdits, se demandant duquel il 
parlait. Pres de Jesus, dans son sein 1 , etait etendu a table un de ses 
disciples, celui que Jesus aimait. Simon Pierre lui fit done signe de la 
tete et lui dit : Dis qui est celui dont il parle ? S'inclinant sim- 
plement sur la poitrine de Jesus, ce disciple lui dit : Maitre, qui 
est-ce? Jesus lui repond en consequence : C'est celui auquel je 
donnerai la bouchee que je trempe. Trempant done la bouchee, 
il la prend et la donne a Judas, fils de Simon Flscariote. (Et apres 
cette bouchee c'est alors que Satan entra en celui-ci.) J6sus 
lui dit done : Ce que tu fais, fais-le au plus vite. Mais cela, 
personne de ceux qui etaient etendus a table ne sut pourquoi (Jesus) 
le lui dit. D'aucuns pensaient, parce que Judas avaitla bourse, que 
Jesus lui dit : Achete ce dont nous avons besoin pour la fete , ou 
qu'il donnat quelque chose aux pauvres. Ayant done pris la bou- 
chee, (Judas) sortit incontinent. II etait nuit (Jo., xni, 21-30). 

Mais cet homme a qui rien d'humain n'est etranger, est etran- 
^er au mal moral, au regret, au remords. S'il s'agit d'inter- 
cession et de pardon, de p6ch6 et de componction, e'est a 
propos des autres. Jesus exhorte a la penitence etne se repent 
pas; il recommande la vigilance et avertit un chacun de 

1 . Dans un repas prive, les convives etaient 6tendus sur un divan. En suite 
<de cette disposition si incommode (DAGR, s. v. Coena, I, 2, p. 1273, B : 
Ch. Morel) il arrivait qu'on fut plutot devant son^voisin qu'a cote, et que 
lui itournant presque le dos, on eiit la tete a la hauteur de sa poitrine. 
Pline decrit la meme scene dans les m ernes termes, a propos d'un repas 
de 1'empereur Nerva : Cenabat Nerva cum paucis ; Veiento proximus 
atque etiam in sinu recumbebat : Epist. IV, 22, cite dans W. Bauer, Das 
.Johannes-evangelium 2 , p. 168. Voir aussi F. Prat, dans US ft, 1925, 512-522. 
jsus CHRIST. IL 7 



98 JESUS CHRIST. 

pourvoir a son ame : la sienne est en sur etc* . II conseille aux 
autres de craindre, lui, aime; de chercher, lui n'a pas a trou- 
ver. Aussi accueille-t-il sans trouble les publicains et les pe- 
cheresses : Faiguillon charnel dont les plus preserves et les 
plus purs de nous ressentent ou doivent toujours s'attendre 
a sentir la pointe 4 , il 1'ignore ; son toucher purifie, son amour 
sauve. II est du c6te de celui qui pardonne, non de ceux qui 
ont besoin de pardon. Son intelligence n'est pas moins natu- 
ralise e au divin : dans ces hauts mysteres de la predestination 
et du salut, ou Paul adore et se trouve deborde, ou nous 
balbutions, ou toute tentative de precision risque de jeter sur 
un ecueil, d'abimer notre franc-arbitre ou de 1'eriger en cause 
premiere, Jesus est aTaise. On sent qu'iln'en est pas etonne, 
qu'il est ne (c'est Bossuet qui parle) dans ce secret et dans 
cette gloire . II en parle comme il faut. Un artisan qui 
parle des richesses, dit a ce propos Pascal, un procureur qui 
parle de la guerre, de la royaute, etc. , trahit vite son 
ignorance et laisse voir la corde ; mais le riche parle 
bien des richesses, le roi parle froidement d'un grand don 
qu'il vient de faire, et Dieu parle bien de Dieu 2 . 

Gette alliance unique d'une confiance assuree avec la reli- 
gion la plus profonde, d'une familiarite innee et tendre qui n'a 
rien a se faire pardonner, avec la vue la plus nette de Fhor- 
reur du peche et des exigences de la justice, d'une securite 
imperturbable avec le sens infaillible de ce qu'est Dieu et 
de ce que nous sommes, c'est une des portes qui introdui- 
sent au mystere de Jesus. N'essayons pas d'en franchir 
actuellement le seuil, mais reconnaissons qu'un homme ainsi 
doue n'est pas a prendre a la legere quand il parle des cho- 
ses de son Pere et des siennes. 

1. Cette conscience poignante de notre misere s'exprime puissamment 
dans les decrets du Concile de Trente sur la Justification (sessio 5 du 
17 juin 1546 ; dans F. Cavallera, Thesaurus Doctrinae Catholicae, Paris, 
1920, p. 481). < Que le foyer de la concupiscence demeure meme chez les 
baptises, le saint Concile 1'avoue et le sent : manere autem in baptizatis 
concupiscentiam vel fomitem haec sancta Synodus fatetur et sentit. > 

2. Pensdes, edition L. Brunschvicg, n. 799. 



LA PERSONNB DE JESUS. 



2. LA CONVERSATION DE JESUS AVEG SES FRERES 

La conversation de Jesus avec les hommes presente, par 
un contraste analogue, un melange unique de douceur et de 
majeste, d'autorite consciente et de devouement total. Dans 
sa concision, la formule johannique ramasse les traits que tous 
nos evangiles presentent a 1'etat disperse : 

Lors done qu'il leur cut lave les pieds, qu'il eut repris ses vete- 
ments et se fut etendu derechef a table, (Jesus) leur dit : Savez- 
vous ce que je vous ai fait? Vous m'appelez : le Seigneur et le 
Maitre, et vous dites bien : je le suis. Si done je vous ai lave les 
pieds, moi le Seigneur, moi le Maitre, vous, vous devez aussi vous 
laver les pieds les uns aux autres, car c'est un exemple que je vous 
ai donne. En verite, en verite je vous le dis, le serviteur n'est pas 
au-dessus de son Maitre, 1'envoye plus grand que celui qui 1'envoie 
(Jo., xiii, 12-16). 

D'autres passages ne sont pas moins instructifs. Mais pour 
en sentir la force, il faut se rappeler les exigences du Maitre, 
et sa prevention a 4tre imite en tout, servi et aime par dessus 
tout, sa liberte royale d'action. II chasse les vendeurs du 
Temple, exorcise, guerit, absout, gourmande les flots et com- 
mande aux vents. Que tout lui soit du, cela va sans dire; que 
les forces d'inertie auxquelles se brise 1'ingeniosite des plus 
habiles cedent a son empire, il le trouve naturel. 

G'est cet homme qui dit a ses disciples : 

Les rois des Nations les traitent de haut, et ceux qui exercent sur 
eux 1'autorite regoivent le nom d'Evergetes *. Mais entre vous non 
pas ; que le plus grand d'entre vous se fasse comme le dernier venu,, 
et celui qui gouverne comme le serviteur. Qui est le plus grand : 
celui qui est etendu a table ou celui qui sert? Est-ce pas celui qui 
est etendu? Moi, je suis au milieu de vous comme celui qui sert! 
(Lc., XXH, 25-27). 

1. Bienfaiteurs des homines; Amis du Peuple; Sauveurs ou Peres de la 
Patrie : titres honorifiques d6cernes aux princes ou hommes considerables, 
non settlement en Egypte, ou Evergete devint le surnom de deux des Lagi- 
des, Ptolemee III (f 222) et VII (f 166), mais dans tout le monde antique. 
Dej le roi Antigone le Cyclope, un des generaux et successeurs d'Alexandre, 
est ainsi qualifie, dans une inscription de Priene en 334 avant Jesus Christ. 
Exempies innombrables dans Pauly-Wissowa, RECA, VI, 1, col. 978-981 
(J. Denier), et J. H. Moulton et Milligan, VGT, p. 261. 



100 JESUS CHRIST. 

Car aussi le Fils de 1'homme n'est pas venu pour etre servi, mais 
pour servir et Conner sa vie en rangon pour beaucoup (Me., x, 45). 

Mettez-vous a mon 6cole : je suis doux et humble de coeur (Mt., 
xi, 29). 

Accessible, familier, misericordieux, il s'apitoie sur la 
foule, brebis sans pasteur ou, ce qui est pire, livrees aux 
mauvais bergers. Le denuement physique ne le laisse pas in- 
different : 

J'ai pitie" de la foule, car voici trois jours qu'ils me sont attaches, 
et ils n'ont pas de quoi manger, et si je les renvoie a jeun chez eux, 
ils vont tomber en route : quelques-uns venus de si loin! (Me., vm, 
2,3.) 

Lui est venu pour sauver, non pour perdre. II s'applique 
aveo predilection la plus douce des promesses messianiques : 

L'esprit du Seigneur lahve est sur moi, 

car lahve m'a consacre par 1'onction : 
II m'a envoye porter la bonne nouvelle aux malheureux, 

panser les ccsurs meurtris ; 
Annoncer aux captifs la liberte, 

aux prisonniers la delivrance, 
Annoncer un an de grace de lahve... 

Isai'e, LXI, 1-2; Lc., iv, 18-19. 

Aux impetueux disciples qui veulent faire tomber le feu du 
ciel sur les Samaritains inhospitaliers, il inflige une repri- 
mande severe : Vous ne savez pas de quel esprit vous 6tes ! 
(Lc., ix, 55.) II ne veut pas qu'on repousse les malades, les 
importuns, les etrangers (Jo., xn, 20 suiv.), les enfants. Des 
meres lui presentaient un jour leurs petits enfants pour qu'en 
les touchant il les benit et 

les disciples les grondaient. Ce que voyant, Jesus le prit mal et 
leur dit : Laissez les petits venir a moi, ne les empechez pas, car 
le Royaume des cieux est a ceux qui leur ressemblent. Oui, je vous 
le dis, qui ne recevra pas le Royaume de Dieu comme un petit enfant, 
n'y entrera pas. Et ayant embrasse ces enfants, il les benissait 
en leur imposant les mains (Me., x, 13-16). 

Les pecheurs partagent, au grand scandale de quelques 
pharisiens, le bon accueil fait aux enfants. Bien plus, Jesus 
manifeste a leur endroit une sorte de preference. II accepte 
de bon coeur les festins que ces pauvres gens, dans leur joie 



LA PERSONNE DE JESUS. 101 

expansive, lui offrent. On en murmure, et les paroles de di- 
sapprobation coulees dans 1'oreille des disciples, arrivent jus- 
qu'au Maitre : Ge ne sont pas les gens bien portants qui ont 
besoin du me'decin, replique Jesus, inais les malades. Je ne 
suis pas venu appeler les justes a penitence, mais les pe- 
chetirs (Lc., v, 31-32). Gette parole ne met pas fin aux re- 
criminations; elles reprennent de plus belle 'pendant le minis- 
tere galileen, et be*nies soient les plaintes qui nous ont valu 
les divines paraboles de la pitie et du pardon ! car e'est en re- 
ponse aux reflexions malveillantes des scribes : Get homme 
accueille les pe*cheurs et mange avec eux! (Lc., xv, 2), que 
Jesus raconta 1'histoire de la brebis perdue pour laquelle 
le bon berger laisse les quatre-vingt-dix-neuf dociles, et qu'il 
ramene, non, qu'il rapporte sur ses e*paules, avec une joie naive 
et exube'rante ; 1'histoire de la drachme e*gare*e ; 1'histoire 
de 1'enfant prodigue... Faut-il redire ce qui est dans toutes 
les memoires? 

Un homme avait deux fils et le plus jeune des deux dit au pere :j 
P6re, donne-moi la part de biens qui me revient , et lui, leur di- 
visa la fortune. 

Or, peu de jours apres, ramassant tout ce qu'il avait, le plus 
eune fils s'en fut dans un pays lointain et la, dissipa son bien en 
menant joyeuse vie 1 . Quand il eut tout dissipe, survint une forte 
disette dans ce pays-la, et il commenga de sentir le besoin. Et il 
alia s'attacher & 1'un des bourgeois de ce pays-l& qui 1'envoya dans 
les champs paitre les pourceaux. Et il aurait bien voulu se remplir 
le ventre des caroubes que mangeaient les pourceaux, et personne 
ne lui en donnait. 

Rentrant done en lui-mme, il dit : Combien de mercenaires aux 
gages de mon p&re, ont plus de pain qu'il ne leur en faut, et moi 
ici, je pe"ris de misere. Je me leverai, j'irai vers mon pere et je lui 
dirai : Pere, j'ai peche centre le ciel et devant toi ; je ne suis plus 
digne d'etre appele ton fils ; prends-moi comme 1'un de tes merce- 
naires! Et se levant il alia vers son pere. 

Comme il etait encore loin, son pere 1'aperc.ut et fut pris aux en- 
trailles, et accourant, il se jeta a son cou et le baisa. Son fils lui 
dit : Pere, j'ai pe'che centre le ciel et devant toi, je ne suis plus di- 
gne d'etre appele ton fils... 

Mais le pere dit a ses serviteurs : Vite, apportez la plus belle 
robe et Ten rev^tez, et mettez-lui anneau au doigt et chaussures 
aux pieds, et amenez le veau gras, tuez-le et mangeons, faisons 



1. Zfliv <Jo(6Tw$ : sur riawtfa, voir Moulton et Milligan, VGT, p. 89. 



102 JESUS CHRIST. 

bonne chere, car mon fils que voici etait mort et II est revenu a la 
vie, perdu et il est retrouve ! Et ils commencerent a faire grande 
ehere... 

Or son fils, 1'aine, etait a la campagne, et a son retour, comme 
il approchait de la maison, il entendit des chants et des danses,. et 
appelant un des serviteurs, il lui demanda ce que signifiait tout 
cela. Mais lui dit (a son maitre) : que ton frere est revenu et ton 
pere atue le veau gras parce qu'il 1'a retrouve en bonne sante . 
II se mit en colere et ne voulait pas entrer et son pere sortit pour 
1'y engager. Mais lui replique, disant au pere : Voici tant d'annees 
queje te sers etjen'ai pas une fois transgresse un de tes ordres, et 
pas une fois tu ne m'as donne un chevreau pour faire bonne chere 
avec mes amis ! Mais des que ton fils celui qui a mange ta for- 
tune avec des filles de joie est revenu, tu as tue le veau gras ! 
Et il lui dit : Mon enfant, tu es toujours avec moi et tout ce qui 
est a moi est a toi!... Mais il fallait faire bonne chere et se rejouir, 
parce que ton frere que voici etait mort et il est revenu a la vie ; 
perdu, et il est retrouve (Lc., xv, 11-32) 1 . 

L'exemple de Je*sus donne a ces preceptes de pardon le plus 
touchant des commentaires : c'est la Samaritaine, c'est la 
pecheresse de Magdala, c'est le publicain Zachee, c'est la 
femme surprise en adultere 2 , ce sont les bourreaux du Gol- 
gotha, c'est le larron crucifie. Ge Maitre, si terrible aupeche, 
ee tendre ami des cceurs purs et des enfants, cet homme qui, 
rencontrant un jeune homme chaste, le vit et 1'aima (Me., x, 
21), ce moraliste rigide qui releve autour du mariage la haute 
barriere de 1'union infrangible, ce juge austere qui condamne 
L'intention etlapenseeme'mequand elle est consentie, du mal; 
ce Jesus qu'un soup$on n'effleura jamais, se laisse appeler, et 

1. Plaignons les exegeles qui chipotent sur 1'episode final de cette divine 
histoire ou pretendent le corriger! II est pris, comme le reste, en pleine 
humanite. L'indignation de 1'aine (comme nous la comprenons quand 
nous nous interrogeons sincerement !), la demarche tendre, un peutimide, 
plaidant presque coupable, du pere de famille, sa reponsequi remettoutes 
choses a sa place, son excuse du Prodigue, tout cela est exquis et tres 
digne de ce qui forme le coeur de la parabole. Quand done R. Bultmann 
nous dit apres d'autres, Die Geschichte der Synoptischen Tradition, Goet- 
tingen, 1921, p. 109, que les versets 25-32, avec leurs pointes nouvelles, 
semblent etre une addition posterieure >, il applique a un recit vivant 
les cadres rigides de la theorie qui voudrait reduire toute parabole a une 
seule lecon : comme si les Fables d'Esope empechaient celles de La Fon- 
taine d'etre de vraies fables ! 

2. Voir infra, p. 128, note Z, La femme surprise en adultere. 



LA PERSONNE DE JESUS. 103 

est en effet, 1'ami des publicains et des pecheurs . II les 
aime de cette tendresse insistante et inquiete qu'ont les meres 
pour des enfants longteraps menaces, et qu'elles ont, pour 
ainsi dire, enfantes une seconde fois dans les larmes. Mais 
cette predilection n'6te rien aux disciples fideles. Quelle 
patience a les instruire ! quelle douceur et quelle force ! Lais- 
sons ce malheureux pour lequel il eiit mieux valu n'Stre pas 
ne (Mt., xxvi, 24). Encore le Maitre le traitert-il jusqu'aubout 
avec une infinie delicatesse, faisant appel a son coeur, puis a 
sa conscience, evitant de le diffamer devant les autres. Son 
dernier mot est: Ami, pourquoies-tuici? (Mt.,xxvi, 50). Les 
autres sont de braves cceurs, des hommes devoues assurement, 
mais si grossiers parfois, souvent peu ouverts aux lecons du 
Maitre, toujours si au-dessous de sa pensee et de son cceur ! II 
les aime cependant, et de ces bons serviteurs il fait peu a peu 
ses amis. Illeur apprendle support mutuel, 1'aide fra1;ernelle, 
et 1'humble, I'honne'te service qui humilie sans de"grader : II 
explique a Pierre etonne, pour qui pardonner sept fois a son 
frere etait exorbitant, qu'il faut pardonner jusqu'a septante 
fois sept fois ! et pour justifier cette misericorde, il evoque 
devant ses disciples le Juge auquel nous aurons tous tant de 
pardons a demander : au prix de ces dettes, que sont les 
miseres pour lesquelles nous serions tentes d'etre impitoya- 
bles! (Mt., XVHI, 21 suiv.). 

Ges traits, sur lesquels on pourrait insister, ne sont pas 
seulement propres a nourrir la piete des croyants, ils impor- 
tent singulierement a I'enqu^te que nous poursuivons. L'union^ 
de la grandeur avec la simplicite est le fruit d'une heureuse 
nature affinee par une education exquise : chacun y reconnait 
la marque de la plus haute distinction. Habitudes de gentil- 
homme, qui sont moms encore la parure d'une vie humaine 
qu'une force et une armure, mettant a 1'abri de bien des com- 
promissions, au-dessus de certaines faiblesses. G'est qu'il y 
faut un equilibre, -un sens des vraies grandeurs, un discer- 
nement des nuances, une possession et un oubli habituel de 
soi qu'aucun dressage ne procure, qu'aucun genie ne sup- 
plee. Quand par surcroit cet alliage de bonte profonde et 
d'autorite souveraine resiste a 1'epreuve, ne se dement ni 
devant 1'injustice, ni devant la calomnie, ni devant Tmsuffi- 



104 JESUS CHRTST. 

sance des amis, ni devant laperfidie des adversaires; quand 
un homme salt condescendre sans s'abaisser, se devouer sans- 
perdre de son ascendant, se donner sans s'abandonner, ne 
faut-il pas le proclamer parfait? Qui ne voit I'abime existant 
entre cette attitude habituelle et la malleability aux circons- 
tances et aux pressions, Toutre Guidance naive, I'lnsinceritS 
demi-consciente, 1'appetit et le vertige des grandeurs que 
supposent en Jdsus les theories des exegetes rationalistes 
qu'elles sont forcees de suppose? 1 ? 

Ge qu'on a releve comme pouvant jeter une ombre sur 
1'exquise bonte" du Maltre ne peut faire difficulte qu'a de& 
esprits vetilleux! Ne gardens que ce qui merite un instant 
de discussion; le premier grief vise le langage de J&sus r 
1'autre son attitude. Gertaines personnes se sont 6mues des 
anathemes prononces par le Maitre a 1'adresse des Pharisiens : 

Mais malheur a vous, scribes etpharisiens hypocrites! Insenses, 
aveugles et conducteurs d'aveugles qui filtrez le moucheron et ava- 

1'ez le chameau 

Vous ressemblez a des tombeaux recrepis qui paraissent superbes 

[dudehors, 
mais au dedans sontpleins d'ossements demorts etdetoutessortes 

[d'immondices. 

Vous aussi, du dehors, vous paraissez justes aux gens, 
mais au dedans, vous etes pleins de faux-semblants et cTiniqiiites... 
Vos peres ont peche quand ils ont tue les prophetes ; vous en etes 

[les dignes fils. 

1. Personne plus que Renan n'a insists sur ce trait : Les consciences, 
troubles ne sauraient avoir la nettete 1 du bon sens; or, il ri'y a que les 
consciences troubles quifondent puissamment... L'6tat des documents ne- 
permet pas de dire en quel cas 1'illusion a 6t6 consciente d'elle-meme. 
Tout ce qu'on peut dire, c'est qu'ellel'a 6t6 quelquefois. On ne peutmener 
"la vie de thaumaturge sans 6tre dix fois accu!6, sans avoir la main forced 
par le public. On commence par la naivet6, la cr6dulit6, 1'innocence 
absolue, on finit par des embarras de toutes sortes, et pour soutenir la 
puissance divine en d6faut, on sort de ces embarras par des exp6dients 
d6sesp6r6s... Vie de Je"stts, Preface de la 13 e 6d., p. 24; voirdans lememe 
sens les chapitres xv, xvi, xix et passim. Certes, de pareilles declarations, 
rep6tees a sati6t6, sont d6sobligeantes. Mais on ne doit pas perdre de 
vue que, dans 1'hypothese rationaliste, il faut en arriver a des explica- 
tions > de ce genre : < Jesus ne doit pas etre juge sur la regie de nos 
petites convenances. L'admiration de ses disciples le d6bordait et 1'entrai- 
nait. * 



LA. PERSONNB DE JESUS. 105* 

V 

Comblez la mesure de vos peres. 

Serpents, race de viperes, comment echapperez-vous au jugement 

[de la gehenne * ? 

Ailleurs, c'est Herode Antipas qui est qualifie de renard : 

Allez, dites a ce renard : voici, je chasse les demons et j'accom- 
plis les guerisons aujourd'hui, et demain, et le .surlendemain c'est 
ma fin a . 

L'objection n'a de portee qu'en ce qui touche la seve'rite- 
du fond, car le ton et le langage de Jesus dans ces passages- 
sont ceux que les habitudes et le langage prophetique ame- 
naient naturellement sur ses levres. II serait aussi vain de 
s'en etonner que de se formaliser de details de regime oui 
d'habillement alors en usage. 

Sur le fond 3 , on observera que le conflit etait inevitable 
entre le conservatisme abusif et sterile des meneurs Phari- 
siens, la sceptique mondanite des Sadduceens, la basse poli- 
tique d'Herode Antipas, et la verite libe"ratrice qu'apportait- 
Jesus (Jo., VHI, 32). La fermentation genereuse du vin nou- 
veau devait faire eclater des outres roidies et cassantes. Ge 
conflit, Jesus n'en eut pas 1'initiative : ses precautions respec- 
tueuses envers la Loi, ses explications (Mt., v, 17), son souci 
de menager, quand elle se contenait dans de justes limites r 
1'autorite doctrinale des scribes (Mt., xxm, 3), le prouvent 
assez. Mais douceur n'est pas faiblesse ; la bonte n'empe'che- 
pas que 1'amour soit fort comme la mort , le zele jaloux 
de la gloire de Dieu, dur x comme 1'enfer . La mission du 
Sauveur devait 4tre accomplie, les ames desabusees a tout 
prix, les maitres d'erreur denonces, les fanatiques confondus, 
les hypocrites demasques. Aussi Jesus parle. Mais avec quel; 
accent, avec quelle evidente volonte de ramener, non d'acca- 
bler! II maintient, apres 1'avoirretablie, la notion veritable du 
Royaume, il proclame les droits de Dieu, il degage de la< 

1. Mt., xxm, ISsuiv. et passim. Cf. Lc., xi, 39-44. 

2. Lc., XIH, 32. 

3. A. D. Sertillanges, Msus, Paris, 1900, chap, vr, et du cote juif, Kauf- 
mann-Kohler dans la JE, IX, 665 B, expliquent les reproches de Jsus comme 
s'appliquant a des abus r6els : Les hypocrites sont conspues exactement 
de la m6me fac.on (que Mt., xxm, 5 suiv.) dans le Midrasch > Pes [iqthafy 
R [abbathi], 22, ed. Friedmann, Vienne, 1880, p. 111. 



106 JESUS CHRIST. 

\ 

gangue pesante des gloses et des prescriptions humaines le 
noble filon religieux. Ge faisant, loin d'etre infidele a son 
appel de misericorde, il 1'acheve : ses se'verites sont bienveil- 
lantes, les blessures qu'il fait sont franches et vont a debrtr 
der des plaies, non a les rendre inguerissables. 11 pleure sur 
Jerusalem, il prie pour ses persecuteurs, il prepare la con- 
version de tous ceux scribes et pharisiens au premier rang 
(Act., vi, 7; ix, 20; xv, 5; xxi, 21 suiv.) qui ne voulu- 
rent pas pecher contre lalumiere. 

Et le double aspect, de force et de douceur, ce que Jean 
appelle la colere de 1'Agneau (Apoc., vi, 16), ne fait dispa- 
rate que pour les simplificateurs, amenes par leurs preven- 
tions geometriques et leur petitesse d'ame, a oublier que la 
grandeur veritable eclate au contraire dans la possession 
maitrisee de quality's opposees qui s'equilibrent, sans pour 
autant se contredire. Peu d'exegetes de profession ont mieux 
mis a nu la misere de ces critiques que 1'essayiste G. K. 
Ghesterton : 

Renan a separe la pitie de Jesus de sa combativite ; il a m&me 
represents sa juste colere a Jerusalem comme une simple crise 
nerveuse venant apres les espoirs idylliques de la Galilee. Comme 
s'il y avait quelque contradiction entre le fait d'aimer 1'humanite et 
le fait de la hair! Les altruistes, d'une voix grele et faible, accu- 
sent le Christ d'etre un ego'iste. Les egoi'stes (avec des voix encore 
plus greles et encore plus faibles) 1'accusent d'etre un altruiste. 
Mais la haine d'un heros est plus genereuse que 1'amour d'un phi- 
lanthrope. II y a la une sante enorme, une sante heroi'que dont les 
modernes ne pourraient recueillir que les restes... Us ont lacere 
1'amedu Christ en bandes ridicules, etiquetees egoismeet altruisme, 
et s'effarouchent egalement de sa folle magnificence et de sa folle 
douceur. Us se sont partage son vetement et ont tire sa robe au 
sort, bien qu'elle fut sans couture et tissue d'un seul jet *. 

L'objection developpee par J. Martineau 2 , et selon laquelle 
la conscience, ou du moins la revendication publique de la 
dignite messianique, serait incompatible avec la saintete et 
1'humilite parfaites, procede d'un raffinement morbide et 

1. G. K. Chesterton, Orthodoxy, trad. Ch. Grolleau, 1923, p. 55-56. 

2. The Seat of Authority in Religion, London, 1890, p. 577 suiv. La- 
dessus on peut voir la discussion de A. Balmain Bruce, Apologetics 3 , Edin- 
burgh, 1892, p. 364 suiv. 



LA PERSONNE DE JESUS. 107 

inintelligent. Humilite", saintete", toutes les vertus qu'on vou- 
dra invoquer sent fondees sur la verite ou ne sont que des 
attitudes, et combien vaines ! Si Ton croit que Jesus etait vrai- 
ment le Messie, on doit admettre qu'il connaissait sa dignite 
et, dans la mesure d'une sage discretion, la proclamait : le 
contraire rabaisserait 1'envoye divin a la taille d'un instrument 
inconscient, animal, instinctif, ou le re*duirait a une passivite 
tout a fait indigne de sa mission., II faut noter d'ailleurs que la 
gloire remonte finalement tout entiere a Dieu : doctrine, 
sagesse, puissance, tout vient du Pere, et Jesus ne peut rien 
faire de lui-me'me (Jo., v, 30). Encore qu'il agisse libre- 
ment comme un fils dans la maison paternelle, non comme un 
serviteur introduit par grace ; encore qu'il possede en pleni- 
tude, par tradition totale, et non selon une mesure plus ou 
moins grande, les richesses de la Divinite, Jesus tient tout de 
son Pere, et il lui renvoie tout honneur. La vocation messia- 
nique comportait sans doute une haute dignite et une pure 
gloire, mais presque toute a venir : dans le present elle faisait 
de son elu un signe de contradiction , une cible offerte a 
despeines etades douleurs incompre'hensibles 1 . Jesus accepta 
librement les unes et 1'autre. Mais il e"puisa la partie doulou- 
reuse du programme messianique et, pendant sa vie mortelle, 
n'accepta de la dignite que ce qu'il. ne put refuser, ne cher- 
chant pas sa gloire (Jo., vm, 50). II ne se complut pas 
en lui-me'me , mais ayant durant les jours de sa chair offert 
avec de grands cris et des larmes ses prieres et supplica- 
tions a celui qui pouvait le sauver de sa mort... il apprit, tout 
Fils qu'il est, par ses propres souffrances, ce que c'est 
qu'obeir... (Hebr., v, 7-8) *. 

3. LA VIE INTIME BE JESUS 

La vie intime, ou s'affirme par la pensee et 1'amour, ou 
s'exprime par le verbe interieur rincommunicable personna- 

1. Isai'e, XLJX, 1; LI, 16; LII, 13; LUI, 12; Lc., n, 34, 35; xxiv, 26 : ne 
fallait-il pas que le Christ souffrit? >... Phil., n, 5-11, etc. 

2. Touchant cette obeissancede Jesus a son Pere, et les questions theolo- 
giques qu'elle souleve, onpeutvoir A. Michel, Jesus-Christ, dans leDTC, 
V111, 1, col. 1295-1308; et PaulGaltier, Obeissant jusqu'ala mart , dans 
RAM, I, 1920, p. 113-149. 



108 JESUS CHRIST. 

lite de chacun de nous, est chose sacre*e, une sorte de sanc- 
tuaire dont, s'aglt-il*du dernier des homines, on ne franchit 
le seuil qu'avec respect. Gombien plus quand on approche d'un 
de ces hommes extraordinaires qui ont entraine" apres eux des 
milliers de leurs freres,.etfourni aux generations suivantes un 
ideal, des exemples, des lemons. Au demeurant I'originalite' 
qui se"pare du commun ces hautes figures est d'espece fort 
differ ente, bien que tous s'isolent de leur milieu et le dominent 
plus ou moins. 

Les uns retiennent surtout 1'attention par 1'etrangete, le 
caractere original de leurs allures, en contraste frappant 
avec celles de leurs contemporains. Les a*utres, lesplus grands, 
se distinguent moins par la singularite que par la supe"riorite 
de leurs dons. Us regardent ce que les autres regardent, et 
semble-t-il dans la me'me perspective, mais ils y voient ce que 
les autres ne voient pas. Leur merite est en profondeur : ils 
sont moins differents de leur entourage qu'eleves au-dessus de 
lui. A ne le considerer qu'humainement, c'est a cette derniere 
famille qu'appartient sans conteste Je*sus de Nazareth. 

Sa pehsee habituelle s*e meut dans la sphere familiere aux 
ames religieuses de son temps et de son pays. Veut-il illustrer 
sa doctrine en la rendantplus accessible et plus concrete, c'est 
aux comparaisons, aux paroles scripturaires, aux grands faits 
et aux grands hommes de 1'histoire d'Israe'l qu'il recourt. Les 
sentences bibliques montent spontanement a ses levres. Moiise 
et David, Salomon et la Reine lointaine, Isai'e et Jonas lui ser- 
vent d'autorites, de garants, de termes de comparaison. II n'en- 
seigne pas; certes, comme les scribes, mais la dialectique qu'il 
emploie, quand il daigne discuter, est celle des maltres d'ls- 
rael, non la dialectique de 1'Inde ou de la Grece. Au cas de 
conscience bizarre et captieux des Sadduceens, ridiculisant la 
doctrine de la resurrection par Taventure d'une femme marie& 
successivement (et legalement) a sept freres, quand les inter- 
rogateurs concluent triomphalement : A la resurrection, 
duquel des sept sera-t-elle la femme? car tous 1'ont posse- 
dee! 

... Repondant, Jesus leur dit : Vous errez, ignorants que vous 
etes et de 1'Ecriture et de la puissance de Dieu. A la resurrection, 
ni on ne se mariera, ni on ne donnera en mariage, mais on sera 



LA PERSONNE DE JESUS. 109 

comme des anges dans le ciel! Touchant la resurrection, n'avez- 
vous pas lu cette parole de Dieu : Je suis le Dieu d' Abraham, et 
le Dieu d'Isaac, et le Dieu de Jacob ? II n'est pas le Dieu des morts. 
maisdes vivants, Eten 1'ecoutant les foules etaient frappees d'ad- 
iniration par sa doctrine (Mt., xxn, 29-33). 

Nous aussi, en lisant ces sublimes paroles. Mais on y en- 
tend 1'accent authentique d'Israel, et ni Platon, ni Aristote 
n'ont passe" par la. Ni mme Philon 4 . 

Gomme sa dialectique, le style de Jesus est marque" a 1'em- 
preinte de sarace etde son temps 2 . Penetrants et images, ses 
dires ressortissent aux genres litteraires bibliques : on y en- 
tend 1'echo des prophetes, on y retrouve le tour enigmatique 
et se'ntencieux des Livres Sapientiaux 3 . A mainte reprise, 
les discours plus etendus prennent Failure de rythrnes 4 , et 
s'il faut en cela faire la part des evangelistes (la comparaison 
des textes rapportant les me'mes paroles, dans le meme con- 
texte, nous y invite parfois imperieusement), il reste que le 
moule prophetique fut surement celui ou coula le plus souvent 
le pur metal de la parole du Maitre. Quant a ses aphorismes 
.et discours familiers, la sagesse d'Israel y est justifiee par 



1. La predication du Christ n'a aucun lien avec I'hellenisme. Christi 
iPredigt hat kein Verhaeltnis zum Hellenismus >, observe un excellent 
connaisseurde la culture classique, Paul Wendland, Hellenistisch-Roemische 
Kultur 2 , p. 212. < Pas le moindre soupcon d'alexandrinisme, kein alexan- 
.drinischer Anflug >, dit de son cot6 H. J. Holtzmann, Lehrbuch der N. T. 

Theologie*, I, p. 211. Le premier biographe juif de Jesus, J. Klausner, 
.admet 6galement que J6sus fut exclusivement un fruit de la terre 
d'Israel, du juda'isme pur, sans un trait venu de la gentilite. Bien qu'iJ y 

eut alors beaucoup de gentils en Galilee, il ne fut pas influenc6 par eux , 
Jesus of Nazareth, London, 1925, p. 396. 

2. La-dessus, entre autres, P. Batiffol, L'Enseignement de Jesus 1 , Paris, 
1905; Alfred Durand, Pour qu'on Use VEvangile, dans les Etudes du 

15 juillet 1912. 

3. Quelques remarques penetrantes de J. Weiss, Literaturgeschichle des 
.N. T., dans RGG, III, col. 2176 suiv. 

4. Rythmes, que nos habitudes de style 6crit et les seules analogies 
.qui nous soient familieres, nous porteraient a assimiler aux strophes des 
tragiques grecs, ou de nos poetes occidentaux. II faut se garder de le 
faire (voir plus haut, t. I cr , p. 201 suiv.). C'est aux compositions impro- 
vis6es mais sur des themes 6tudi6s, et avec 1'aide d'un vocabulaire et 
d'une phraseologie traditionnels; possed6s a merveille des R^citateurs 
*de style oral, qu'il faut les comparer. 



110 JESUS CHRIST. 

1'emploi de ses precedes classiques : alliteration, comparai- 
son, antithese, parallelisme : 

A qui comparerons-nous cette gent? Elle est pareille a de pe^-. 
tits enfants assis sur les places et s'interpellant les uns les autres : 

Nous vous avons chante gai, et vous n'avez pas danse, 
Nous avons chante triste, et vous n'avez pas gemi. 

Vint en effet Jean ne mangeant ni ne buvant, et Ton dit : II est 
possede! 

Vint le Fils de 1'Homme, mangeant et buvant, etl'on dit : Voici 
un glouton et un buveur, ami des publicains et des pecheurs! (Mt., 
xi, 16-20.) 

S'agit-il de decrire Pangoisse des derniers jours et la crise 
precedant 1'avenement du regne de Dieu, le style des apoca- 
lypses qui s'etait, depuis les grands prophetes, impose a ces 
tableaux, se retrouve dans les discours du Maitre. 

Comme 1'eclair part de 1'Orient et brille jusqu'a 1'Occident, telle 
sera 1' apparition du Fils de 1'homme : ou git le cadavre, se rassem- 
bleront les aigles. Et aussitot apres la tribulation de ces jours le soleil 
s'obscurcira, etc... (Mt., xxiv, 27 suiv.) 

Suivent des citations textuelles prises des apocalypses 
d'lsaie, de Daniel, de Zacharie. 

Jusque dans la partie la plus originale par la forme qu'y 
reve"t son enseignement, dans ce genre parabolique qu'il n'in- 
ventapas 1 , mais qu'assurement il aime de preference etpousse 
a sa perfection, Jesus reste Israelite, et Israelite palestinien. 
Allegoric ou fable, ou (c'est le cas tres souvent) subtil melange 
des deux, ses paraboles se deroulent selon les lois de la pen- 
see semitique. Sous la plume du plus Hellene, du plus huma- 
niste des evangelistes, les paraboles les plus touchantes ou 
les plus tragiques, V Enfant Prodigue, lesM6chants Vignerons, 
restent encore, par leur absence de composition, apparentees 
a la litterature de Sapience, dont elles sont la fleur la plus 
exquise. Ges beaux recits se developpent par plans reguliers, 
plut6t lentement, sans autre enchalnement que la suite des 
faits, sans aucune peripetie 2 , sans la recherche d'un effet dra- 

1 . La-dessus, Paul Fiebig, A Itjudische Gleichnisse und die Gleichnisse 
Jesu, Tubingen, 1904. 

2. J'entends 6videmment le mot au sens litteraire : peripetie, terme 



LA PERSONNE DE JESUS. Ill 

matique quelconque. Tout le pathe'tique est dans les choses. 
Mais autant que 1'ordonnance, c'est 1'etoffe des discours 
de Jesus, les mots et les images, qui sont exactement ceux 
qu'on pouvait attendre d'un predicateur.galileen 1 . Le monde 
qui se reflete dans les paraboles et les entretiens du Maitre- 
n'est pas celui d'un visionnaire, d'un homme abstrait ou forme 
dans les livres. Un developpement spirituel intense tend par- 
fois (on 1'a note de saint Bernard) a emousser le sentiment 
concret ou esthetique des choses visibles. On n'a pas a regret- 
ter cette lacune dans le Sauveur; Francois d'Assise ne fut 
pas plus ami de la nature. L'Evangile en te*moigne a chaque 
page. G'est toute la Galilee d'alors qui s'y reflete, avec ses 
deuils et ses fetes, son ciel et ses saisons, ses troupeaux et 
ses vignes, ses moissons et 1'ephemere parure de ses ane- 
mones, son beau lac et la robuste population de ses pecheurs 
et de ses cultivateurs aises. Le monde exterieur existe- 
pour Jesus : il n'est pour lui ni un simple chiffre, un pur sym- 
bole qu'il s'agirait d'interpreter, ni une fantasmagorie vaine, 
une illusion, un torrent des mobiles chimeres , qu'il fan- 
drait dissiper ou traverser. Loin d'etre un mensonge ou un 
piege, ces humbles choses ont leur prix a qui sait y voir des 
dons et des vestiges du Pere du ciel. Les details familiers de 
la vie des pauvres gens, Failure hautaine, le luxe, la morgue- 
des riches, les yeux clairs des enfants, le geste du semeur etr 
de la broyeuse de froment, du berger et du marchand, les 
veillees de noce et I'embauchement des ouvriers, tout cela esfr 



de literature >, d6finit E. Littr6 dans son Dictionnaire, c'est-a-dire la 
mise en relief, par une exposition accentu6e, d'un fait, d'une circons- 
tance qui amenera le denouement. Si Ton entend par peripetie 1'expose 
pur et simple, nullement souligne dans le recit, du meme fait, de la 
meme circonstance, on trouvera naturellement des peripeties dans les 
Paraboles. Et c'est ainsi que le P. Lagrange en signale jusqu'a trois 
dans 1'Enfant Prodigue : la conversion, I'accueil du Pere, la bouderie 
de 1'aine >. On pourrait aj outer la famine consecutive a la ruine du- 
cadet. Sur le dramatique dans le quatrieme Evangile, voir le P. La- 
grange, Evangile selon saint Jean, p. LXXXIV. 

1 . Quelques remarques peuvent servir dans les articles du Dictionary 
of Christ and the Gospels, a. v. Animals, I, 62 B-69 B (H. G. Wood); 
Illustrations, I, p. 776 B-778 A (R. Glaister); Metaphors, II, p. 179 1 
A-181 B (C. M. Cobern); Poet, II, 372 A-377 (A. J. Kelman). 



112 JESUS CHRIST. 

peint d'un trait sans insistance, mais net et d'une exactitude 
topique. Ni les arbres, ni les b6tes ne sont oublies : la crois- 
.sance du ble* est cherement de"crite, les oiseaux du ciel tra- 
versent 1'horizon, la brebis perdue s'y profile, point blanc au ' 
lointain desertique. 

Les impressions acquises ont peu a peu forme dans 1'esprit 
du Maitre ce bon tresor ou la legon religieuse trouvera sa 
forme naturelle et appropriee. Mais ces images rapides ou 
'detaille'es sont celles qu'on s'attendait a trouver dans un 
homme de cette race et de ce pays, forme par la tradition bi- 
blique, heritier du verbe prophetique et de la sagesse des 
peres, grandi au milieu de la saine activite et des decors har- 
imonieux du terroir galileen. Osons dire que ces images, ces 
reminiscences, ces gouts existaient en quelque mesure, sous 
une forme plus ou moins rudimentaire, chez tous les Israe- 
lites pieux, contemporains et compatriotes de Jesus. 

Son originalite n'est pas la. Elle est dans la fac.on unique 
dont ces elements sont transfigures, transmues, spiritualises 
et cons dqu eminent universalises, par le Sauveur. Ges legons 
;si particulieres, si bien datees et localisees, donnees a quel- 
ques milliers d'auditeurs, dans un coin du monde aisement 
reconnaissable et peu hospitalier aux idees et aux gens du 
dehors, il se trouve qu'elles restent comprises et conque- 
rantes en tous les temps, sous tous les cieux. L'esprit y eclate 
au point que nous pouvons presque nous passer de leur 
intelligence litterale et detaillee. A la difference des paroles 
mystiques ordinaires, toujours un peu troubles, ou la pro- 
fondeur ne s'obtient guere qu'aux depens de la clarte, ou la 
puissance des impressions se traduit par des metaphores heur- 
tees et des alliances de mots qui semblent s'exclure, ou le 
de"sespoir de rendre Tintensite du sentiment tend le langage 
jjusqu'a le disloquer, ces simples notations evangeliques, 
pleines de details familiers, de visions precises, de mots lumi- 
iieux, vont allumer et nourrir la flamme religieuse au coeur 
des croyants de toute race. Aucun homme vraiment homme 
n'est au-dessus ni au-dessous de leur atteinte. Nulle part au 
monde la transparence d'une ame profonde ne s'est miree ea 
*ine eau plus calme : 



LA PERSONNB DE JESUS. 113 

Bienheureux les purs de coour : ils verront Dieu! 
Bienheureux les artisans de paix : ils seront appeles fils de Dieu ! 

Mt., v, 8-9. 

Vous etes la lumiere du monde. On n'allume pas une lampe 
pour la placer sous le boisseau, mais sur le chandelier, etelle brille 
devant tous ceux qui sont dans la maison. Qu'ainsi luise votre 
lumiere devant les hommes : qu'ils voient vos bonnes ceuvres et 
rendent gloire a votre Pere qui est aux cieux! (Mt., v, 14-17). 

Faites attention, tenez-vous prets, vous ne savez quand sera 
1'heure. C'est comme un homme s'en allant au loin qui laisse sa 
demeure, remet tout a ses domestiques, a chacun sa tAche; il a 
recommande au portier de veiller. Veillez done ; car vous ne savez 
pas quand le maitre de la maison reviendra : le soir, ou a la mi- 
nuit, ou au chant du coq, ou a 1'aube pour que, survenant a 
1'improviste, il ne vous trouve endormis. Ce que je vous dis, je le 
dis a tous : Veillez (Me., xm, 33-37). 

II est vrai que cette parole si franche aparl'ois ses outrances, 
ses ironies; le torrent deborde. Elle a, plus souvent encore, 
ses paradoxes, le grossissement pedagogique indispensable a 
un enseignement populaire, oral : 

...Or les Pharisiens sortirent et se mirent a lui chercher noise, 
reclamant de lui un signe du ciel pour le mettre a Tepreuve. Et, 
gemissant du fond de Tame, il dit : Pourquoi cette generation-ci 
reclame-trelle un signe? En verite, je vous le dis : Point de signe 
a cette geheration-ei * . Et les laissantla, ii remonta en barque 
pour aller sur 1'autre rive (Me., vm, 11-14). 

Mais je vous dis a vous qui m'ecoutez : A qui te frappe sur une 
joue, presente aussi 1'autre. A qui t'enleve ton manteau, ne dispute 
pas la tunique (Lc., vi, 27, 29). II dit aun autre : Suis-moi! Mais 
lui : Laisse-moi d'abord aller ensevelir mon pere. Et il lui dit : 
Laisse les morts ensevelir leurs morts 2 . Toi, va et annonce le 

1 . Sur le sens donn6 a eZ SoOiJoe-cai, voir la note du P. Lagrange, Evan- 
gile selon saint Marc, p. 196. 

2. On a essaye d'expliquer ou d'emousser cette apre parole. Une inge- 
nieuse retraduction en aramSen amene F. Perles a 1'insignifiant : laisse 
les morts 4 leur ensevelisseur , ZNTW, XIX, 1920, p. 96. Mais le mot 
ainsi restitue par conjecture pour ensevelisseur > n'existerait meme 
pas, d'apres Strack et Billerbeck, KTM, I, p. 489. D'autres (R. Bultmann, 
Geschichte der Synopt. Trad., p. 14; A. Loisy, Evangite selon Luc, p. 289) 
veulent voir la un dicton ou proverbe, mais reconnaissent que son ori- 
gine est inconnue. Son sens egalement, ajouterons-nous ! La parole, dans 
le contexte evangelique, oil elle a toute sa portee, est au contraire fort 
claire : Laisse a ceux qui n'ont pas le souci du Royaume, laisse aux 

JESUS CHRIST. II. 8 



114 JESUS CHRIST. 

Royaume de Dieu! Un autre lui dit : Je te suivrai, Seigneur, mais 
permets-moi d'aller prendre conge des miens. Mais Jesus lui dit : 
Personne ayant mis la main a la charrue, s'il regarde en arriere, 
n'est propre au Royaume de Dieu (Lc., ix, 59-62). 

Ges fortes paroles, dont 1'imagination chimerique d'un Leon 
Tolstoi * a si souvent abuse, avec autant d'inintelligence que 
d'eloquence, rec.oivent leur veritable interpretation de tout 
1'Evangile. Leur sens doit e"tre cherche dans 1'ideal qu'elles 
proclament, dans les sentiments qu'elles inspirent et Torien- 
tation qu'elles donnent, dans les limitations que d'autres 
enseignements du Maitre, son exemple, et la nature mime 
des choses, leur imposent. 

Non moms eloquent que Tolstoi, et mieux defendu par sa 
foi meme centre la chimere, G. Papini a donne du Discours sur 
la Montagne un commentaire qui se ressent encore trop, ?a 



morts selon 1'esprit (of. le : < Je connais tes oeuvres : tu portes le nom de 
vivant et tu es mort , de 1'Apocalypse, in, 1) le soin d'ensevelir les morts 
selon la chair ! Toi ; tu te dois tout entier a d'autres taches, a 1'oeuvre de 
vie, a la resurrection de ces morts spirituels, par la predication de 1'Evan- 
gile. 

Semblablement, 1'autre maxime, tiree du code de la vie paysanne, insiste 
sur le serieux et 1'urgence de la vocation apostolique. Pour ceux qui y sont 
veritablement appeles, rien ne doit passer < d'abord >. Us doivent cher- 
cher d'abord le Royaume de Dieu, non settlement pour eux, mais pour 
les autres. C'est centre la tiedeur des deux candidats au Royaume que 
Jesus proteste avec une rigueur impitoyable, exemplaire. 

1. A cent reprises le ceJebre romancier est revenu sur ces textes, 
notamment ceux du Discours sur la Montagne, pour motiver 1'interdiction 
de tuer, meme dans une guerre juste ; de preter en aucun cas un serment 
quelconque, etc... Nulle part il ne s'est explique plus clairement que dans 
son Court expose des Evangiles, public d'abord a Geneve en 1890 (trad. T. 
de Wyzewa, Paris, 1896). Dans 1'Avant-Propos de cet ouvrage (extrait de la 
3 e partie du livre beaucoup plus considerable public posterieurement sous 
le titre : Les Evangiles}, 1'auteur exprime tres nettement son dessein, et 
fait preuve, il faut le reconnaitre, d'une incroyable ignorance de la cri- 
tique des evangiles. II dit en propres termes que c'est apres la mort du 
Christ, cent ans apres environ, que les homines se sont avises de la 
grande importance des paroles du Christ, et ont eu 1'idee d'en mettre la 
relation par ecrit ; p. 5 ; que les evangiles canoniques renferment presque 
autant de passages fautifs qu'il y en a dans les evangiles rejetes comme 
apocryphes; et que les evangiles apocryphes renferment presque autant 
de bonnes choses >, p. 6, etc. On croirait lire Voltaire! 



LA PERSONNE DE JESUS. 115 

ot la, du besoin de jeter Fanatheme a des abus tres reels et 
vivementsentis, comme s'ils pouvaient prescrire centre 1'usage 
d'institutions qu'ils de'figurent, ou les rendre moins indispen- 
sables. Par centre, il dit tres bien que les disciples du Christ 
avec une egale horreur (s'ils sont clairvoyants) de 1'homme 
passe et present refusent, a la suite du bon Maitre, de 
s'enferrer dans le desespoir du nullisme ! Et ils apprennent 
de lui mais de lui seul le moyen d'echapper au gouffre; 
changer de route, transformer, creer des valeurs nouvelles, 
nier les anciennes, dire le NON de la saintete au Oui fallacieux 
du Monde... Avec Jesus s'ouvre la Loi nouvelle... a chaque 
exemple, il commence par ces mots : II a ite dit. Et aussit6t, 
au vieux commandement qu'il renverse ou purifie d'un para- 
doxe, il oppose le nouveau : mais moi, je vous dis... Une 
nouvelle phase de 1'education humaine commence avec ces 
mais, et ce n'est pas la faute de Jesus si nous tatonnons 
encore dans le crepuscule du matin 1 . 

II reste que les paroles du Maitre, si elles sont neuves et 
inoui'es, neuves pour nous encore, helas! puisque non-en- 
tendues, non-imitees, non-obeies par la plupart, ne sont 
pas d'un excessif, d'un homme genial mais mal e"quilibre 2. 
Rien de plus frappant au contraire, que la fac.on dont Jeaus 
domine sa matiere et reste maitre de lui jusqu'en ses plus 
vives apostrophes. Homme veritable, homme complet, homme 
d'un temps et d'une race passionnes dont il ne refusa que les 
etroitesses et les erreurs, il a ses enthousiasmes et ses 
saintes coleres. II connait ces heures ou la force virile s'enfle 
comme un fleuve et semble se decupler pour se repandre. 

1. Storia di Cristo, trad. P. H. Michel, Paris, 1922, pp. 86-90 et passim, 
Tout le reste du commentaire du Discours est de cette force et appellerait 
egalement ca et la les memes reserves. Mais 1'au-teur pretend moins donner 
une ex6gese rigoureuse qu'6voquer intensement 1'esprit meme de celui 
qu'il appelle le supreme paradoxiste . Et il y reussit tres bien. Le 
pasteur Ch. Wagner est revenu sur ces textes pendant la guerre dans ses 
Glaives d deux tranchants, Paris, 1917. 

2. Le psychologue americain, G. Stanley Hall, dit bien a ce sujet que 
Jesus omet souvent de considerer les relations de ce qu'il dit a d'autres 
verites, se confiant a 1'unite profonde de son ame propre plutot qu'a une 
superficielle unite de doctrine ou de logique . Jesus the Christ in the 
light of Psychology 2 , New- York, 1923, p. 545. 



116 JESUS CHRIST. 

Mais ces mouvwnents extremes restent lucides : pas d'exage"- 
ration de fond, pas de petitesse, de vanite, nul enfantillage, 
aucune trace d'amertume egoiste et interessee. Agite*es, fre- 
missantes, bouillonnantes, les eaux d'ungave restent limpides. 
Ainsi Jesus, s'il voit Satan tpmber comme un e'clair , s'il 
revele a ses disciples (de quel accent penetrant et tendre!) 
leur bonheur, s'il tressaille en face du renversement des vues 
humaines opere par la sagesse de son Pere, s'il s'indigne a 
la vue du coupable endurcissement des scribes, il garde tou- 
jours le commandement de sa parole et de sa pensee. Quand 
il chasse les vendeurs du Temple, quand il tonne contre les 
villes impenitentes, quand il rebute 1'affection sincere mais 
charnelle encore de Simon Pierre, quand il reprend le zele 
indiscret des Fils du tonnerre, ce sont les grands interets de 
sa mission qui 1'inspirent : la gloire de Dieu, le bien des 
ames, 1'avenement du Royaume. On ne trouvera pas dans les 
Evangiles ces mots amers et injustes, ces recriminations, ces 
doleances egoistes qui echappent, dans les moments de crise, 
aux plus genereux amis des hommes. Mime en adoptant le 
style et la maniere apocalyptiques, consacres alors en matiere 
de fins dernieres, les paroles du Maitre restent sense es, les 
images qu'il reprend ou cree, relativement modestes. II n'est 
pour apprecier cette sobriete que de comparer le discours 
(qui sera plus bas traduit dans son integralite) appele I' apo- 
calypse synoptique, avec les descriptions des apocalypses a 
peu pres contemporaines. 

Passant des paroles de Jesus, prises comme de surs indices 
de sa vie interieure, a ses actes, nous remarquerons le meme 
caractere de sublimite dans 1'equilibre. La hauteur morale et 
religieuse, I'heroiisme que les plus prevenus des adversaires 
sont forces de reconnaitre a cette courte vie, reside moins 
dans 1'etrangete et la singularite de quelques gestes, que dans 
la bonte constante des actions et leur qualifce soutenue. On 
n'y voit pas de ces brusques alternatives, de ces sautes de 
vent, de ces elans genereux suivis de depression profonde, 
dont la vie des hommes eminents (et celle meme des saints, 
si elle est sincerement contee) offre des exemples. Le trait 
releve plus haut a propos de la religion de Jesus, doit etre 
souligne ici comme jetant un jour singulier sur le calme de 



LA PERSONNE DB JESUS. 117 

cette ame. Jesus n'a pas d'extase proprement dite, 1'extase 
disant a la fois la hauteur de 1'appel divin et la faiblesse du 
sujet humain qui le subit. II n'a pas non plus de ces balbu- 
tiements, de ces abstractions du reel, de ces distractions qui 
sont la rangon babituelle d'un effort supreme. Son naturel est 
parfait, sa spontane'ite entiere : rien de guinde ou de convenu. 
Comme ses paroles, sa vie coule de source et sur un lit de 
sable, pourrait-on dire, tant sa serenite inte'rieure est cons- 
tante 1 . II a les gouts que cette perfection implique : il aime 
les enfants, les simples, les petits. 

...La note dominante (en Jesus) est celle d'un recueille- 
ment silencieux, toujours egal a lui-m&me, toujours tendant 
au me"me but. Jamais il ne parle en extase et le ton de 1' exci- 
tation prophetique est rare chez lui. Charge* de la plus haute 
mission, il a toujours 1'ceil ouvert et 1'oreille tendue a toutes 
les impressions de la vie qui 1'entoure : quelle preuve de 
paixprofondeetd'absolue certitude! ... Le depart, 1'auberge, 
le retour, le mariage et I'enterrement, les palais des vivants 
et les tombes des morts, le semeur et le moissonneur dans 
les champs, le vigneron au milieu de ses ceps, les ouvriers 
inoccupes sur la place, le berger cherchant ses brebis, le 
marchand en qu6te de perles; et puis, au foyer, la femme 
s'occupant de sa farine, de son levain ou de sa drachme perdue ; 
la veuve se plaignant au juge inique, la nourriture terrestre 
et comme elle passe, les rapports spirituels du maitre et du 
disciple; ici la pompe des rois et 1'ambition des puissants; la 
1'innocence des petits enfants et le zele des serviteurs, toutes 
ces images animent sa parole et la rendent accessible meme 
a des esprits d'enfants. Et tout cela ne signifie pas seule- 
ment qu'il parlait en images et en paraboles; cela temoigne, 
au milieu de la plus forte tension, d'une paix interieure et 
d'une joie spirituelle telles qu'aucun prophete avant lui ne 
les a connues... Lui qui n'a pas une pierre pour reposer sa 
tete ne parle pas cependant comme un horn me qui a rompu 

1. La vie interieure de Jesus, non troublee, non empechee par ses 
actions, au-dessus de cette faiblesse que Goethe a si bien formulee 
(Faust, !,!): Las! nos actions meme aussi bien que nos douleurs, elles 
font obstacle au cours de notre vie (interieure) ; Ach ! unsre Taten selbst 
so gut als unsre Leiden sie hemmen unsres Lebens Gang. > 



118 JESUS CHRIST. 

avec tout, comme un heros de 1'ascese, comme un prophete 
extasie, mais comme un homme qui connait la paix et le repos 
interieur et peut les dormer aux autres. Sa voix possede les 
notes les plus puissantes, il place 1'homme en face d'une 
option formidable, sans lui laisser aucune echappatoire, et 
pourtant ce qui est le plus redoutable lui parait comme 
allant de soi, et il en parle comme d'une chose naturelle : il 
rev4t (ces terribles ve'rite's) de la langue dans laquelle une 
mere parle a son enfant 1 . 

Souvent aussi, dans ses paraboles, Je"sus, comme un bon 
ouvrier, parle de ce qu'il connait et aime : Jesus avait un 
penchant pour les symboles de ce qui est solide et durable : 
Jesus est surnomme le roc, la pierre d'angle de 1'Eglise. Giel 
et terre passeront, mais pas un atome de ses paroles. Ses 
disciples doivent tenir ferine et ne pas chanceler. En qualite 
de mac.on aussi bien que de charpentier, Jesus sentait la force 
de ces similitudes 2 . La douleur est un reactif qui sait mettre 
en liberte les elements les plus fonciers d'une nature, en 
detruisant les attitudes artificielles qu'un long effort a pla- 
quees sur nos vies jusqu'a nous les rendre habituelles. En 
face de la douleur, surtout quand elle est intense, durable, 
efc atteint a la fois le corps et 1'esprit, le masque tombe, 
1'homme reste ... Jesus, dans une epreuve sans limites, 
demeure egalement eloigne de toute forfanterie et de toute 
faiblesse ; nul stoicisme, nul defi, nulle attitude composee. II 
ne nie pas le mal, il ne 1'attenue pas. Sans faire fle'chir sa 
volonte", arretee et lixee sur celle du Pere, sa sensibilite 
s'emeut, fremit, rend de beaux sons purs, tendres ou dechi- 
rants : 

J(5sus parcourait toutes les villes et les bourgs, enseignant dans 
les synagogues, et pr^chant 1'evangile du Royaume, et guerissant 
toute maladie et toute infirmite. Or voyant les foules, ses entrailles 

1. Adolf von Harnack, Das Wesen des Chrislentums 3 , Berlin, 1901, 
p. 23, 24. Dans la traduction frangaise nouvelle de 1907 (que je retouche 
ici et la), p. 50-52. Les Anmerkungen de l'6dition allemande de 1908, 
p. 10, avertissent que le passage entre guillemots est emprunte a la 
Geschichte Jesu de P. W. Schmidt, vol. I, Tubingen, 1899. 

2.. Stanley Hall, Jesus the Christ in the light of Psychology*, 1923, 
p. 550, a propos de. la maison batie sur la pierre, Mt, VH, 24-27. 



LA. PERSONNE DB JESUS. 119 

s'e'murent sur eux, parce qu'ils etaient harasses et rompus de 
fatigue, comme des brebis n'ayantpas depasteur 4 . Lors, il dit a 
ses disciples : La moisson est grande et les ouvriers rares. Priez 
done le maitre de la moisson qu'il envoie des ouvriers dans sa 
moisson (Mt., ix, 35-38). 

Malheur a vous, scribes et pharisiens hypocrites... C'est pour- 
quoi voici quo je vous envoie des prophetes, des sages et des 
docteurs; desquels vous tuerez et crucifierez (les uns), vous fouet- 
terez (les autres) dans vos synagogues et les poursuivrez de ville 
en ville : pour que retombe sur vous tout le sang pur repandu sur 
la terre, depuis le sang du juste Abel jusqu'au sang de Zacharie, 
fils de Barachie, que vous avez egorge entre le Temple etl'autel... 
Oui, je vous le dis, tout cela retombera sur cette generation-ci. 
Jerusalem, Jerusalem, qui tues les prophetes et lapides ceuxqu'on 
t' envoie, combien de fois ai-je voulu rassembler tes enfants, comme 
une poule fait ses poussins sous ses ailes et vous n'avez pas 
voulu! (Mt., xxin, 34-39). 

Comme Jesus etait a Bethanie dans la maison de Simon le 
lepreux, une femme s'approcha de lui tenant un vase d'albatre 
plein d'une myrrhe de grand prix et repandit (le parfum) sur son 
chef, tandis qu'il etait etendu a table. Ce que voyant les disciples le 
prirent mal, disant : A quoi rime cette perdition? on pouvait 
vendre celacher etle donner aux pauvres. Jesus, s'en apercevant, 
leur dit : Pourquoi cherchez-vous querelle a cette femme? C'est 
une belle action qu'elle a accomplie a mon endroit. Car toujours 
vous avez les pauvres avec vous, moi, vous ne m'avez pas tou- 
jours. En versant cette myrrhe sur mon corps, elle 1'a fait pour 
ma sepulture. Oui, je vous le dis, ou que soitpreche cet evangile, 
dans le monde entier, on dira aussi ce qu'a fait cette femme , en 
memoire d'elle! (Mt., xxvi, 6-14). 

Lors il leur dit : Mon ame est triste a en mourir ; restez ici 
et veillez avec moi. Et s'avangant un peu il tomba sur sa face, 
priant et disant : Mon Pere, s'il est possible, que ce calice passe 
loin de moi. Toutefois, non comme je veux, moi, mais comme toil 
Et il vient vers les disciples, et les trouve endormis, et dit a 
Pierre : Ainsi vous n'avez pas pu veiller une heure avec moi ? 
Veillez et priez pour n'entrer pas en tentation : 1'esprit est 
prompt, la chair est faible (Mt., xxvi, 38, 40-42). 

Si 1'on essaie de resumer, dans son trait le plus frappant, 
la vie intime du Sauveur, on s'arre'tera peut-eHre a ce qu'on 
me permettra d'appeler sa limpidite'. Une sincerite qui ne 

1. Nombres, xxvn, 17. 



120 JESUS CHRIST. 

s'accommode ni des exagerations interessees, ni des vaines 
promesses : 

Que votre parole soil : Oui... Oui... Non, Non. Ce qui 
s'ajoute a cela vient du Malin (Mt., v, 3). 

Un nature!, une droiture d'intention que toute duplicite, 
toute finesse blesse, comme une poussiere offusque 1'oeil : 

La lampe de ton corps, c'est 1'ceil. 
Si done ton ceil est simple, 

tout ton co3ur sera lumineux, 

Mais si ton 031! est malin, tout ton cceur sera tenebreux. 

Mt., vi, 22. 

Une telle ardeur dans la charite fraternelle qu'elle fond 
et volatilise les plus dures scories de I'amour-propre. Mieux 
que les autres, plus haut ! comrae Dieu meme ! 

Moi je vous dis : 
Aimez vos ennemis, 

et priez pour ceux qui vous persecutent, 
afin de devenir fils de votre Pere 

qui est dans les cieux. 
Car il fait lever son soleil 

sur les mediants et sur les bons 
et il pleut sur les justes 

et sur les injustes. 
Que si vous aimez ceux qui vous aiment, 

quelle recompense avez-vous (a esperer)? 
Les publicains ne le font-ils pas aussi? 
Et si vous saluez vos freres seulement, 

que faites-vous de surcroit? 
Les pai'ens ne le font-ils pas aussi? 
Yous done, soyez parfaits 

comme votre Pere celeste est parfait. 

Mt.,v, 44-48. 

Apres cela, nulle politique, nul intere't propre, point de 
collusion avec les grands de chair, ou les hommes de plaisir. 
Un abandon a la Providence qui rejette les sollicitudes tem- 
porelles pour s'attacher de toutes ses forces a 1'expansion du 
Regne de Dieu... Ges indices nous permettent de ramasser 
nos impressions dans le mot qu'employait de preference la 
grande mystique ge"noise, sainte Catherine Fiesca Adorna, 



LA PERSONNE DE JESUS. 121 

pour rendre tout ce qu'elle contemplait en Dieu : Nettezza ! 
De la pure plenitude de 1'Etre divin, la vie intime de Jesus 
offre la plus belle image qu'il ait ete donn aux hommes de 
contempler. Les richesses evangeliques, pour autant qu'on 
peut sommairement les inventorier, trouvent leur ordre, leur 
equilibre et leur achevement dans 1'inooraparable limpidite 
de cette ame. 



NOTE X 
SUR LA SANT& MENTALE DE jsus 

Cette question a ete soulevee tardivement. Jules Soury, qui fut 
le secretaire de Renan, la resout dans le sens pathologique : Jesus 
et les Evangiles, Paris, 1878 (3 e Edition : Jesus et la religion 
d' Israel, 1898). Dans la Preface de cette nouvelle edition, 1'auteur 
exprime son regret la-dessus, et a biffe ce qui concernait la psychia- 
trie. Cf. A. Schweitzer, Geschichte der Leben-Jesu-Forschung, 
Tubingen, 1913, p. 362, note 2, ou toute la litterature est minu- 
tieusement relevee. 

D'obscurs psychi&tres tels que le danois E. Rasmussen, Jesus, 
&tude psycho-pathologique (Trad. all. Rothenburg, Leipzig, 1905), 
1'allemand De Loosten (G. Lomer), Jesus Christus vom Standpunkte 
.des Psychiaters, Bamberg, 1905, je descends a regret jusqu'a 
1'ignare et grossier pamphlet du frantjais Binet-Sangle, La Folie de 
Jesus, Paris, 3 volumes, 1906-1910, ont souleve la question de la 
sante mentale de Jesus. LeProfesseur Philippe Kneibapris la peine 
-de traiter la question ex-professo : Moderns Leben-Jesu-Forschung 
unter dent Einflusse der Psychiatrie, Mainz, 1908, et aussi Her- 
mann Werner, Die Psychische Gesundheit Jesu, Berlin, 1909. 
O. S. Hall, Jesus the Christ in the light of Psychology, 2 vol., 
New-York, 1917, 2 e <d., 1923; W. E. Bundy, The Psychic Health 
of Jesus, New-York, 1922 (cf. J. G. Machen, Princeton Theological 
Review, avril 1923, p. 310 sqq. et J. Lebreton, RSR, 1925, p. 348 
sqq.). Nonobstant le dedain qu'ils marquent tres justement pour 
des productions aussi negligeables, quelques the'ologiens liberaux 
isentent le besoin de se justifier sur ce point; de montrer par 
exemple que 1'absorption eschatologique qu'ils present au Sau- 
Teur ne permet pas de mettre en doute s'il etait sain d'esprit : 
ainsiAlb. Schweitzer, Die psychiatrische Beurteilung Jesu, Tubin- 
gen, 1913. Ce souci est tres fonde, et constitue a lui seul une 
forte objection au systeme qui mene a de pareilles consequences. 

Dans la question generale des rapports pretendus du genie avec 
la folie, question qui a fait deraisonner bien des gens, on peut dire 

122 



SUR LA SANTE MENTALE DE JESUS. 123 

que le bon sens reprend ses droits. Tous les alienistes reconnais- 
sent que, si certains fous ou dcmi-fous (tels qu'Auguste Comte et 
Fr. Nietzsche) ont eu du genie, ce genie ne s'est, manifesto qu'aux 
heures et dans la mesure ou leur mentalite fut saine. 

II fallait s'attendre a ce que la psychanalyse s'attaquat au pro- 
blemc de Je"sus. On n'a pas, que nous sachions, essaye d'expliquer 
les particularites de la vie du Maitre par le freudisme sous sa forme 
originale etcrue; mais un certain nombre de psychanalistes suisses, 
notamment de Zurich, ont adopte 1'ensemble des ide'es de S. Freud 
en elargissant le sens de la passion fondamentale, la libido. Au 
lieu d'y voir specifiquement et toujours, Finstinct sexuel, ces clini- 
ciens presentent la libido comme la synthese de toutes les energies 
vitales. C'est dans cette ligne, a la fois moins basse et moins pre- 
cise, que le pasteur George Berguer a tente de rcplacer quelques 
traits psychologiques de la vie de Jesus (Geneve, 1920). Se mettant 
sur le terrain experimental et excluant de son etude, a priori et 
par methpde, tout element transcendant, M. Berguer admet que les 
instincts populaires sexuels, refoules par 1'imposition d'une disci- 
pline sociaie, cherchent une revanche dans des r6ves, des legendes, 
des mythes, ou ces memes instincts, sublimes, mais encore recon- 
naissables a 1'observateur attentif, se donnent carriere. La religion, 
consideree psychologiquement, serait fille de la libido, et I'liomme 
religieux superieur serait la creation propre de celle-ci, 1'explosion 
de la puissance creatrice au moment et au lieu ou cette puissance 
se trouverait condensee. Les heros de 1'ordre religieux scntent en 
eux et traduisent, chacun a sa fagon, dans le vocabulaire de leur 
temps, cet influx vital , cette poussee interieure d'energie, ce 
que Gaston Frommel a appele Yobligalion morale, ce que les 
psychanalistes ont denomme la libido, Schopenhauer, le couloir 
vivre, et Bergson, 'I' elan vital. Cette force intime, Jdsus 1'a 
ressentie differemment sans doute, mais dans le meme sens, comme 
le Pere. 

Cette genese du sentiment religieux en general et, en particu- 
lier de la religion de Jesus, prete, est-il besoin de le noter? aux 
objections les plus fondees. L'objet de la religion, partout ou on 
peut I'etudier, n'est pas une grandeur seulement ou principalement 
d'ordre sensible : il cst aussi une grandeur d'ordre intellectuel et 
moral. A ne le considerer que psychologiquement, il repond au 
besoin d'expliquer, de motiver, et aussi de regler, de guider, de 
faire toute justice, tout autant qu'au besoin d'aimer et de se confier. 
II est l'tre premier et dernier, le Principe d'ordre et de raison; 
il est le Juste Juge et le Temoin irreprochable, comme il estle Pere 



124 JESUS CHRIST." 

et 1'Amour. Cela etant, il est desespere de soutenir que la religion 
nous ne disons pas certaines formes religieuses aberrantes, cer- 
taines maladies du sentiment religieux provient du refoulement 
et de la sublimation de 1'instinct primitif animal dont le type, essen- 
tiel et unique selon les Freudiens radicaux, ou, du moins, principal 
et majeur selon 1'Ecole de Zurich 1 , est 1'instinct genesique. Une 
telle origine frapperait necessairement toute religion d'une triple 
tare : d'anormalite, puisqu'elle serait fruit d'un refoulement; d'irrea- 
lite, puisqu'elle serait le substitut imaginatif d'un desir inavouablc; 
et d'erotisme d'autant plus dangereux et subtil qu'il serait masque 
et larve. Semblablement, toute religion devrait tendre a disparaitre 
dans la mesure ou 1'instinct frustre ct refoule trouverait sa juste 
satisfaction et un homme serait d'autant moins religieux qu'il serait 
plus un homme au sens plein et normal du mot. L'observation la 
plus simple, pour peu qu'elle soit objective, infirme positivemcnt 
ces vues dcs la qu'elle porte sur une religion reelle, historique 
si pauvre ct elementaire qu'on la suppose et non sur la contre- 
fagon religieuse d'une maladie de la volonte. II y a la une confusion 
grossiere entre 1'objet propre de la religion et certaines de ses 
perversions. II est tres certain que toute conception religieuse 
veritable met en branle 1'homme tout entier, qu'elle implique chez 
lui une attirance, un desir, un amour. Mais cet amour superieur et 
premier qui meut les etoiles , cet appel de tout ce qui est en 
desir et en travail vers une satisfaction et un repos definitifs, ne 
peut etre congu sans une erreur impardonnable, sous les especes 
exclusives de la forme animale, et proprement sexuelle, qu'il prend 
chez certains etres, a certaines heures, pour 1'accomplissement d'une 
partie determinee de leur destinee complete. Cette fonction natu- 
relle et divine a sa noblesse, certes, et sa portee indispensable 
dans la creation humaine. On ne lui rend pas hommage en neglt- 
geant tout le reste; on lui ote, au contraire, les raisons d'etre qui 
la justificnt et la classent dans 1'ordre universel. 

Ceci etant rappele en general, 1' application, respectueuse, incom- 
plete et gauche, de cette conception au cas particulier de Jesus, 
perd presque tout interet autre que pour 1'histoire des errements 
psychologiques de notre temps. La purete de Jesus est hors de 

1. Gar enfln, si eloignee que soit 1'^cole de Zurich, dit justement M. A. Co- 
chet, Psychanalyse et Mysticisme, dans Revue de Philosophic, XXVII, 1920, 
p. 557, le refoulement sexuel est aussi a sa base, et M. Berguer est d'autant 
moins autoris^ a 1'oublier qu'il pose le fameux complexe d'CEdipe (instinct qui 
pousserait le flls a ddsirer sa mere et a hai'r son pere) a propos du Christ. Or, 
le complexe d'CEdipe repose exclusivement sur la sexualH6. 



SUR LA. SANTE MENTALE DE JESUS. 125 

discussion, et, pour M. Berguer comme pour tout homme sense, 
elle est eclatante; mais de plus cette purete fut totale. Tout psycba- 
naliste consequent doit expliquer ce dernier trait par 1'introversion, 
c'est-a-dire par un exces anormal, morbide, et d'autant plus que 
la force vitale du Maitre etait manifestement plus grande et plus 
forte. M. Berguer ne veut pas de cette consequence, mais il n'y 
echappe que par des mots. Engage dans une voie d'erreur, il 
n'evite les questions precises qu'en se refugiant dans le symbolisme 
et le verbalisme. Toute reserve faite sur les intentions de 1'auteur, 
on doit rappeler ici le vieil adage scolastique : posito absurdo, 
sequitur quodlibet. 

Le jugement de G. Stanley HallJ dans son enorme et confus 
ouvrage Jesus the Christ in the light of Psychology, ed. definitive, 
New-York et London, 1923, p. 244, merite d'etre cite; parce qu'ici 
Tauteur parle de ce qui a fait 1'objet des etudes de toute sa carriere 
de psychologue : Ainsi Jesus resume en lui toutes les bonnes 
tendances de rhomme. II incorpore toutes ses resistances au mal, 
a travers les ages. En contemplant son caractere, ses actions et 
ses enseignements, rhomme se rappelle son meilleur moi, son moi 
d'avant la chute, et de voir ainsi inoarne le vrai ideal de sa race 
fait quelque chose pour evoquer en lui le pouvoir de resister au mal 
du dedans et du dehors, lui donne quelque stimulant pour se rap- 
procher de son moi d'avant la chute, et peut meme mettre en 
branle des forces subliminales qui amenent a une vie regendree, 
apportent un sens nouveau du devoir, une nouvelle passion pour 
le service, et donnent a 1'homme un nouveau respect pour lui- 
meme, une nouvelle connaissance de lui-meme, un nouveau con- 
trole sur lui-meme. 



NOTE Y 

JESUS FUT-IL EXTATIQUE? 

G. Stanley Hall, Jesus' Character, dans Jesus the Christ in the 
light of Psychology*, 1923, p. 167 et suiv., n'accepte pas la compa- 
raison de Jesus avecles extatiques proprement dits, a transes, bien 
qu'il y en ait eu de geniaux. Sans doute Jesus depensa des heures 
dans un etat de priere ravie (in a rapt state of prayer), mais nous 
n'avons aucune indication qu'il ait jamais perdu conscience de lui- 
meme, ou memoire... Bien qu'il eut sue des gouttes de sang au 
Jardin, il gardait encore le contr61e de lui-meme et la cause etait 
suffisante pour expliquer 1'effet , p. 168-169. 

Dans son opuscule War Jesus Ekstatiker? Tubingen, 1903,. 
Oskar Holtzmann confond, ainsi que le lui reproche tres justement 
A. Schweitzer, Geschichte der Leben-Jesu-Forschung, 1913, p. 331, 
note 1, la preoccupation passionnee de 1'avenement du Royaume 
avec 1'extase proprement dite, etatanormal ou le sujet est soustrait 
aux conditions ordinaires de sa vie et de son milieu. Schweitzer 
ajoute que, dans une certaine mesure, Jesus fut un extatique, au 
sens propre, au moment de son bapteme et, peut-etre, de la trans- 
figuration . Mais il faut s'entendre. 

Le bapteme de Jesus s'accompagna pour lui d'une vision sen- 
sible (Me., i, 10, d$sv <J;(IO(ASVOU? Tob? oupavou?) et durant la transfigu- 
ration, il arriva que, tandis qu'il priait, 1'aspect de son visage 
devintautre, et son vehement d'une blancheur eblouissante , Lc., ix,. 
29, cf. Mt., XVH, 2; Me., ix, 2. 

Ce sont la des phenomenes surnaturels souvent lies chez les- 
saints a 1'extase proprement dite. Si Ton veut les traiter d'exta- 
tiques , c'est une question de mots. Ce qui est important, c'est de 
distinguer ces faits, extraordinaires et miraculeux comme ils sont, 
de ceux qui accusent dans le sujet, par suite de 1'invasion d'une 
force divine, une rupture d'equilibre interieur se traduisant au de- 
hors par la rigidite, 1'absorption, I'arrachement au milieu. De 
phenomenes de cette espece qui sont des extases, tres frequentes 
120 



JESUS FUT-IL EXTATIQUE? 127 

dans la vie des mystiques, au debut surtout, on ne trouve pas la 
moindre trace dans les evangiles. 

A ce propos, un homme dont on a gross! indument les ceuvres, 
mais dont le sens religieux est incontestable, le Sadhu Sundar 
Singh dit bien : II y a des personnes qui parlent du Christ comme 
du plus grand des mystiques... c'est la tendance de ceux qui ne- 
sont pas enclins a admettre sa divinite. En realite, le Christ n'est 
pas le plus grand des mystiques, il est le Maitre des mystiques r 
le Sauveur des mystiques (cite par B. H. Streeter et A. G. Appa- 
samy, The Sadhu. A study in mysticism and practical religion, 
London, 1921, p. 65). 

Dans Jesus de Nazareth, Paris, 1925, p. 262, note 3, M. Goguel 
ajoute comme vision possible de Jesus, Lc., x, 18 : J'ai vu Satan, 
tomber du ciel comme un eclair. Encore faut-il se demander s'il 
y a la autre chose qu'une expression imagee. 



NOTE Z 

LA FEMME SURPRISE EN ADULTERE 

(Jo., VII, 53-VIII, 11). 

Get episode, on le sait, manque a cette place dans les plus anciens 
manuscrits grecs (K, A, B, C, L, W, etc.), dans les versions syriaques, 
copies, la plupart des latines anciennes (a, f, 1, q),dans lescommen- 
tateurs anciens les plus autorises, Origene, saint Jean Chrysostome, 
Theodore t. Sur 1'etat precis de la question, on peut consulter (en 
depit de 1'arbitraire de 1'auteur dans le groupement des materiaux) 
le depouillement exhaustif de H. von Soden, Die Schriften des Neuen 
Testaments, I, 1, Goettingen, 1902, p. 486-524 : resultat dans le 
volume Text und Apparat, 1913, p. 427-428. Plus brievement dans 
la dissertation V de Th. Zahn, en appendice a son commentaire sur 
saint Jean, Das Evangelium des Johannes s , Leipzig et Erlangen, 
1921, p. 723-731. Ce dernier resume ainsi les faits principaux : 1 le 
morceau dans ce contexte (Jo., VH, 53-vni, 11) n'a aucun temoin 
certain anterieur a 350; 2 par centre, Fexistence du morceau aussi 
bien en grec qu'en arameen, independamment du quatrieme evan- 
gile, est prouvee pour le in 8 et meme pour le n e siecle; 3 sous 
aucune des formes a nous connues, la pericope n'est redigee en 
style johannique ; 4 la mise de cote posterieure d'un morceau du 
quatrieme e'vangile qui aurait trouve avant la fin du n e siecle une 
large circulation, serai t inexplicable. 

Zahn conclut avec la plupart des modernes que le morceau appar- 
tient a la tradition evangelique authentique, mais non au texte du 
quatrieme evangile ou il aurait fini par trouver place. C'est aussi 
Fopinion des critiques les plus radicaux, par exemple, W. Bauer, 
Das Johannes-Evangelium 2 , Tubingen, 1925, p. 111-113. A. Loisy, 
Le Quatrieme Evangile 2 , Paris, 1921, p. 278-281, dit : morceau Ires 
ancien de la tradition evangelique , mais tout concourt a prouver 
que ce morceau est dans le quatrieme evangile un morceau tardive- 
inentsurajoute... . C'est grace a des textesnon officiels, evangile des 
Hcbreux, evangile de Pierre? mais lus dans certains cercles eccle- 
siastiques, grace aussi a des traditionistes comme Papias, que cette 

128 



LA FEMME SURPRISE EN ADULTERE 129 

page evangelique s'est gardee et qu'elle est entrde ensuite dans les 
evangiles ecclesiastiques. L'excellent critique catholique, H. J. 
Vogels, Grundnssder Emleitungin das Neue Testament, Miinster 
i. W., 1925, p. 99-100, conclut que le morceau est manifestement 
une interpolation (dans le texte johannique)... et toutefois sa haute 
antiquite est indiscutable... Tout le monde conviendra que la peri- 
cope de I'adultere doit etre comptee parmi les plus precieuses perles 
de la tradition. Mais quelle est rorigine premiere du morceau, et 
comment a-t-il trouve Ba voie jusque dans reVangile de saint Jean, 
est une question qui reste entierement inexpliquee. C'est done un 
fragment authentique de la tradition que ;nous utilions dans >ce 
travail. 



J^SUS CHUIST. II. 9 



GHAPITRE III 

LE PROBLEMS DE JESUS 
LES SOLUTIONS ET LA SOLUTION 

d. Le Christ vu du dehors : Paiens, Juifs, Musulmans. 

11 est du plus grand intere't de rechercher ce qu'ont pense 
du Christ ceux qui Font juge sans avoir adhere a sa doctrine 
(ce qui ne va pas loin, sans adhesion a sa personne). Parmi 
ces critiques du dehors, nous pouvons distinguer les Paiens, 
les Juifs, les Musulmans. 

Les Paiens. 

Les anciens pai'ens n'ont commence a s'occuper du Christ 
que lorsque les chretiens sont devenus a leurs yeux une 
grandeur appreciable. Ce qui s'est fait d'ordinaire lorsque 
magistrats, moralistes, voire peres de families ou proprie- 
taires d'esclaves ils ont rencontre en face d'eux la cons-.- 
cience chretienne, le non oppose par un fidele (ou un groupe 
de iideles) a un regime, ou a une habitude jusqu'alors recue. 
De pareils heurts et des prises de contact qui s'ensuivent, 
nous ne pouvons guere esperer que des jugements sommaires, 
ge"neraux, ou la personne me'me de Jesus est impliquee au 
seul titre de fondateur de secte. C'est la secte elle-meme 
qui retient 1'attention par ses abstentions, ses scrupules r 
ses moeurs, parce que la sont les points de friction avec 
1'ordre social, public ou prive. Par exemple, le refus que 
font les chretiens d'acheter les viandes immolees aux dieux 
et le contre-coup economique de cette repugnance donnent 
a Pline le Jeune une idee concrete du nombre des fideles : 
il enquete et ne trouve rien de serieux a leur actif, sinon 
de 1'exces, du fanatisme *. En general, ce qui rend les chre- 

1. < Superstitionem prauam, immodicam >; Epist. X, 96, 8. 

130 



LE PROBLEMS DE JESUS. 131 

tiens suspects, c'est qu'ils se apparent et pratiquent leur 
religion entre eux, sans temoins. Us sont done des oiseaux 
de nuit qui ont peur de la lumiere 4 ! Mais qui se cache s'ae- 
cuse : que font-ils dans leurs conciliabules? Sans doute 
des. rites superstitieux, des malefices, des horreurs. Ge sont 
des magiciens, des ennemis publics par consequent 2 ! A ces 
premiers griefs d'origine populaire et d'une injustice gros- 
siere, d'autres s'ajouteront bient6t, plus reflechis, mieux 
observes : refus de certaines charges publiques, abstention 
du culte de Rome et de Cesar, impliquant a la fois impiete 
et lese-majeste. 

Peu a peu aussi, des discussions s'amorcent, des apolo- 
gies s'ebauchent ; nous voyons des paiens instruits prendre 
au serieux une secte qu'ils ne coni'ondent plus avec les Juifs, et 
qui commence, ne fut-ce que par le nombre et la convic- 
tion, a devenir redoutable. Le premier de ces adversaires 
mieux informes a nous connu est le rheteur africain Fronton, 
maitre de Marc Aurele. Son ecrit ou sa declamation centre 
les Chretiens ne nous est connu que par VOctavius de Minu- 
cius Felix, et encore a titre de fait 3 . Son contenu ne pent 
qu'Stre conjecture par le plaidoyer d'Octavius lui-m^me en 
faveur des chretiens, ou la personne de Jesus n'est me'me 
pas mentionnee. 

Avec un contemporain de Fronton, Gelse, dont la vie est 
fort mal connue, et dont 1'ceuvre, si elle n'avait e"te signalee 
par le mecene d'Origene, Ambroise, a son savant ami, auraifc 

1. Latebrosa et lucifuga natio ; Ociavius, 3, 8, 4. 

2. Genus hominum superstitionis... maleficae , Su6tone, Vita Nero- 
nis, 16 ; exitiabilis superstitio... odio humani generis conuicti (coniuncti) , 
Tacite, Annales, XV, 44,8. Sur Y odium obscurum, et le sens de magie 
noire et malefiqtie de ces expressions, voir H. Leclercq, Accusations contre 
les Chretiens, dans DACL, I, 1, Col. 267-276, et les auteurs cites, notam- 
ment E. Cuq, De la nature des crimes imputes aux Chretiens d'apres Tacite, 
dans Melanges de VEcole FrancaisR de Rome, 1886, 115 suiv. 

3. Divers auteurs, tels que B. Aube, La polemique paienne a la fin du 
Il e siecle 2 (Hisioire des Persecutions d<- I'Eylise, II), Paris, 1878, p. 91-104, 
tiennent pour probable que le discours de Caecilius dans le Dialogue de 
Minucius Felix represente en gros les idees de Fronton sur le Christia- 
nisme. G. Boissier, La Fin du Payanismc, I, Paris, 1891, p. 314 suiv., 
combat cette hypothese, dont le moins qu'on puisse dire est qu'elle n'est 
pas prouvee. 



132 JESUS .CHRJST. 

!> 

,peri itout sntiere, nous entrons sur un .terrain .plus ferine. 
JEcrit vers La -fin du-regne.de Marc .Aurele f (177-181), le.Z)- 
cawrs Veritable vise les Chretiens 'etisubsidiairemeaxt JesJluifs. 
XU'est .l!ouvra^e d'un ;homme .cultiv.e, ; grand bourgeois .., 
a-t-on \dit j,olime.nt, .encore q.iae mediocrement po.urvu.de sens 
.critique 1 , .eclectiq.ue en .philosophic, passionnement attacke 
a,ux institutions de 1'iEmpire <et, >comme .tel, eimemi .de to.ute 
jiouv.eaute. Amidu.rieur Lucien de Samosate .^s'.il eat bien l,e 
-aruquel .est .dedie r.qpuscule : .Alexajidre ou ie Faux 
^, ,1'auteur .est, lui^aussi, font caustique; inais il a 
etudie son sujet : Je sais tout sur vous , aimaitril a repetser 3 , 
fit il arrgumente au iond. ,La refutation d'Qrigene qui noois a 
.garde ; pres des g.uatr^ cinquienies du JDiscaujis, ue t permet 
>malhe,ur.eusement pas uae restitution .certaine de ,son,plaii4. 
Du moins nous ifait--elJ,e connaitre .tres assurement .e.t dans 
JeurSjprx>pres termes,,.le8;pi?in.cipales opinions.de Gelse. Assea 
samblable ,en-ce point -a Voltaire .auquel on 1'a souvent com- 
:j>are, .Gfiiuitci .detestait , preaque autant 1'e judai&me .que -le 
ckristiaaaisine, ce qui vne ,l'empe,ch!e pas de ,commenoer sa 
jpoJemique antichretieime par I'.expojse ,des .calomnifisjudai- 
-ques 5 ,. 

:S!il attaque.bfiauooup -plus les -chretieas que le Ghri&t lui- 
meme, Gelse n'epargne pas celui-ci. 11 adopte.sur son .origine 
.la ,gr<ossierfl fable juivedont les Talmuds nous ipresentent 

1. Hoechst unkritiscli 1st , dit G. .Kriiger, Jfandbuch der Kirchen- 
gesdhichte, I, 'Das Attertum, par E. Preuschen -et G. 'Krtiger, '2 e Edition 
par G. Krtiger, Tubingen, ,1923, p. .69. Grand bourgeois , est une expres- 
sion de E. de Ea-ye : Origdne, sa vie, son ceu re, sa pense'e, I, Paris, 1923. 

2. Sur I'identite du Celse auquel est d6di6 YAlexandre, avec Tauteur-dti 
Discours Veritable, F. Cumont dit qu'il serait moins affirmatif qu'autre- 
fois : Alexandra d'Abonotichos et le Ne'o-Pythagorisme, RffA ) LXXX.Vl } 
1922,,p. 203, n. 3; de Faye, Orifjene, I, p. 141, est contre 1'identification. 

.3. Ilavta yap o!8a, dans Origene, C. Celsum, I, 12; II, 31. 

4. Cette restitution a ete souvent tentee, notamment par B. Aube, lib. 
laud., p 277-370 ; ed. h part, du texte de .Celse par Otto Gloeckner, Celsi 
Aoctm divots dans les Kkine Texte de H. Lietzmann, Bonn, 1924. Voir 
aussi E. de Faye, Origene, I, Paris, 19. ; 3, p. 138-162 et L. Rougier, Celse 
ou ^ Con/lit de la civilixalwn ant que et du chrislianisme primilif, Paris, 
1925; sur ce dernier livre, cf. RSR, 1926, p. 363-366. 

5. II est probable que dans cette partie Celse utilise un ecrit de .po!6- 
mique juive contre les Chretiens. 



LE PROBLKME 1KB JESUS. 133 

les traits epacs et qni cristailliserent finalement dans, les 
Taledot Jescku,^ :. la naissance de. Jesu-s fu>t illegitime ; t les 
prestiges, qui Font fait, passer pour thaumaturge sont magie 
pure, apprise au cours d'un se|oair en Egypte; Toute la vie du 
Maitre est digne da ses debuts. B apres^ lea 6vangiles< eux- 
m6mes v il n ? apu convertir. en tout qu'un petit groupe d'hom- 
mes grossiersy et e:ne,ore sii mal q,ue ce,ux-ci 1'ont finaleiment 
ahandonne.. Les memes evangiles le repr^sentant comme un 
homme irritable, sujet, aux. maseres. humaines^ reduit, a sei 
plaindre pendant son agxmie, soumis aux plus; ig^iominieuix 
supplices, bref incapable de, se sauver lui-m^ime. Tout e.ela 
est indigne. d'un. die.u. Les recits de- lai resurrection sonfe 
fondea sur le, temoignage. dfune^ femme e^gaffeey, et. peut!-4tre 
sur le temoignage de quelqjue autre raetmbre; di'ujie' petite 
troupe d'exaltes. 

D'ailleurs v a raisonner en philosophe,, la^ venue d'un, dienj 
sur, terre et son incarnation soni a* priori ineroyabljeSi,, Lea 
raisons. de convenance qu'en donnent; les> Juifsi, a propos- diti 
Messie, et les chretiens, ne so.utiennent, pas la discussiioni, 
II est inadmissible, que Dieu s'oecupe> ainsi du detail des 
chases humaines et y intervienne en- personne. .,. . . L'Eyangille, 
renferme,, il est vrai,, quelques beaux passag.es;,, mais ceuxrei 
sont pilles dans Platon,, les, aiitres philosophes. hellenes, csnt 
quelques mythes mal compris. 

Le Discours Veritable,, on le voit, antieip.e en bien desi points 
des critiques qui. ont e"te reprises* En ce qui coucecne la 
personne me'me du Christ, et abstraction faite des originea 
de ceiui-ci, la polemique de Ge/lse,. toute virulente qu'elle 
est, garde une- certaine moderation deton-., Ge; trait, va passer 
a ses success.eurs; et : s'y accentuer, ao-tamment dans les^ 
ouvrages des principaux d'entre eux, les Neo-Platomciens, 

Mais avant d'ea venir a ceux-ci, il convient de relever un 
trait significatif, encore qu'indirec.t, dans la Vie. d'Apollonius, 
de Tyane. Get ouvrage ceiebre, posterieur d'une quarantaine 
d'annees au Discours, retrace, on ; le sait, la carriere d'un 
Pythagoricien, sage et mage, Apollonius, qui aurait VPCU 
sous Neron. II n'y a pas de raison de revoquer en doute 

1. Voir plus bas, p. 146 siiiv. 



184 JESUS CHRIST. 

^existence du philosophe ou de rejeter en bloc comme de 
simples fictions tout ce que dans son roman Philostrate raconte 
a son sujet. II est par ailleurs manifests que sur le canevas 
qui lui fut fourni, I'auteur broda largement, empruntant a 
droite et a gauche et prenant j usque dans les evangiles chre"- 
tiens les traits les plus propres a relever 1'importance et les 
vertus de son heros . Quelque but qu'ait poursuivi la belle 
imperatrice Julia Domna, en inspirant Philostrate (et il est 
infiniment probable que son dessein fut moms de pol^miquer 
oontre le christianisme que de grouper autour d'un ideal les 
aspirations religieuses et philosophiques du cercle de beaux 
esprits qu'elle avait reunis autour d'elle), Philostrate reussit. 
En depit de sa mediocrite, son livre fit fortune et atteignit 
par surcroit un rdsultat que I'auteur n'avait pas directement 
vise. Acceptee comme vraie, lale"gende d'Apollonius permit 
d'opposer a 1'Evangile une belle vie pure, pieuse, devoue"e, 
pleine de miracles et de bienfaits. Ajoutons : et de beaux 
discours, delices des rheteurs. Hierocles et d'autres ne man- 
querent pas de s'en prevaloir 1 . 

Ce qui doit nous retenir ici, c'est que pour incarner Pideal 
alors dominant dans le cercle d'hommes eclaires, religieux, 
desireux d'unite, attires par Julia Domna des quatre coins de 
l-Empire, on ait fait choix, non d'une philosophie ou d'une 
religion, mais d'un homme, et que la biographic de ce sage 
ideal se soit, plus ou moins consciemment, mais certainement, 
modelee sur la figure du Christ, telle que les evangiles la 
retracent. 

Les philosophes neo-platoniciens des m e et iv e siecles qui 
exploiterent dans un sens antichretien la Vic d'Apollonius ne 
cachent nullement leur dessein polemique. Us combattentaciel 

1. L. Duchesne, Histoire ancienne de Vtiglise, I, 362-364. Sur la legende 
d'Apollonius consider6e comme machine de guerre centre le christianisme, 
voir plus bas la note A 2 : Apollonius de Tyane, et sa Vie . Sur la valeur 
du livre, on peut voir ce que disent les historiens du roman grec : Chas- 
sang (le meme a donne du livre de Philostrate une traducaon accompa- 
gnee d'eclaircissements : Apollonios de Tyane, Paris, lh'62), et Erwin 
Eohde, Der Griechische Roman, Leipzig, 1906 (du meme, 1'article recueilli 
dans Kleins Schriften, II, 1901, p. 192 suiv.) et la grande Histoire de la 
Litleralure grecque de A. et M. Croiset, V, p. 763-767. 



LE PROBLEMS DE JESUS. 135 

ouvert, qu'il s'agisse d'un magistrat persecuteur corame Hiero- 
cles, d'un empereur de"vot jusqu'a la theurgie comme Julien, 
et m6me du disciple et biographe de Plotin, Porphyre (233- 
304). Pour Plotin, je crois volontiers, avec M. E Brehier 1 
et J. Lebreton 2 , que le petit traite Confreres Gnostiques vise 
a travers les fantaisies de ces sectaires la doctrine chretienne 
du salut en tant qu'elle declasserait 1'individu, 1'exalterait 
indument, brisant ainsi 1'unite et la moderation, le Rien de 
trop de la vision hellenique du monde. II me parait certain 
en tous cas que le passage 10 va plus loin que les gnostiques 
proprement dits : Examinez beaucoup d'autres points de leur 
doctrine et me" me tous les points de leur doctrine, etc. 3 ... . Et 
en fait, c'est bien dans le sens d'une critique generale du 
christiamsme que Porphyre entendit la mission a lui confiee 
par son maitre centre les Gnostiques . De tous les paiiens 
qui ont ecrit sur le christianisme, 1'opinion de Porphyre sur 
Jesus serait pour nous la plus interessante a connaitre dans le 
detail. Porphyre en effet, soit par 1'etendue de sa culture phi- 
losophique, soit par la dignite relative de sa vie 4 , soit enfin par 
la qualite de son esprit, avant tout critique, est bien de tous les 
.adversaires anciens de la foi du Christ le plus attachant. Mal- 
Iheureusement, 1'edit des empereurs Valentinien III et Theo- 
dose II, en 448, qui proscrivit les quinze livres de Porphyre 
Contre les chrttiens, reussit trop bien a les supprimer, et, par 
une singuliere malchance, nous ne posse* dons plus aucune des 
refutations chretiennes, pourtant nombreuses (Methode, Eu- 
sebe de Gesaree, Pacatus, Apollinaire de Laodicee, etc.) qui 
lui furent opposees. Les fragments qui nous ont ete conserves, 

1. Notice du chap, ix de la deuxUme Enneade, dans Plotin, Enne'ades, 
M. E. Brehier, II, Paris, 1924, p. 107-1 10. 

2. Dans les /?S#;l925,p. 385 suiv. 

3. E. Brehier, op. laud., p. 125. 

4. La-dessus voir J. Bidez, Vie de Porphyre, le philosophe ne'o-platoni- 
cien, Gand, 1913. En particulier le ch. xn, sur le mariage tardif de Por- 
phyre et la lettre a Marcella. II est vrai que plusieurs des Peres anciens 
ont fort malmene le philosophe (saint Jerome 1'appelle un sceleYat >), 
mais ils visent moins 1'homme que le polemiste. Saint Augustin, beaucoup 
plus modere, appelle Porphyre < le plus savant des philosophes, encore 
que le plus acharne ennemi des Chretiens , De Civitate Dei, XIX, 22, 
dans le Corpus de Vienne, XL, 2, p. 411. 



136 JPBSU.S CHRIST., 

ceux surtout qui figurent dans VApowiticus de Macarius de 
Magnesie etrendent certainement lapensee, sinon les termes 
expres de Porphyre, nous, permettent de nous faire une idee 
n.ette du jugement porte sur. Jesus: par le plus subtil et sans 
doute le plus convaincu de ses, ennemis paiens 1 . 

La critique de Porphyre, qui reprend sur plusieurs points 
celle de Gelse, est beaucoup plus precise et serieuse,, dans 
leton du moms. Le neorplatonicien prend soin de marquer la 
difference qu'il fait entre le Christ et ses sectateurs, les 
evangelistes et surtout saint Paul qu'il abomine, particu- 
lierement. Du premier, il parle avec respect dans un ecritde 
sa jeunesse, et saint Augustin,, apres Eusebe 2 , n'a pas manque 

1. M. A. von Harnack a faitdu Ka-cJc. Xpi<j,-ciavfiiv, de> Porphyre une sorte de 
bien personnel. C'est lui qui a revendiqu6, non le premier, mais le premier 
d'une fa<jon convaincante et approfondiie, pour Porphyre, lies fragments du 
phHosophe inconnu qui argumente centre les Chretiens dans 1'ceuTre de 
Macarius Magnes> Die im Apocriticuz dies Macarius Magnes enlhaltene 
Streitschrift, dans TU, XXXVII,. 4. Leipzig, 1911 ;, depuis, le m6me 
sayant a, publi6 dans les comptes. rendus de l'Acad6mie de Berlin. (Phil. 
Histor. Klasse) Abhandl., 1916, I,, p. 3-104, et Sitzungsberichte, 1921,, 
p, 266-284, tous les fragments conserves du Ka-c3c Xpiauavfiv. On peut voir 
le jugement d'ensemble de Harnack sur Porphyre dans la derniere Edition 
de son ouvrage : Die Mission und Ausbreitung, 4 6d., Leipzig, 1923-1924, 
p. 520*524. Les fragments deMacaire ont 6t6 tres bien comments par 
G.. Bardy, Les Objections d'un. Philosophe pa'ien d'apres VApowiticus de 
Macaire de Magnesie, dans le Bulletin d'ancienne Litterature et d'Archeo- 
logie chreliennes, HI, 1913, p. 95-111; et J. Bidez, He de Porphyre, p. 94 
suiv. 

2". Eusebe, Demonstration e'vangeliqwe, III, 6, 39-VII, 5 ; 6d. I. A. Heikel 
dans l.e CB, Eusebe, VI, p. 139-141.. C'est au meme passage du livret de 
Porphyre sur la philosophic des oracles que se r6fere saint Augustin, De 
Civitate Dei, XIX, 23; 6<L G. Hoffmann, dans le CF,.XL, 2, p. 411-418. 
Repondant &, un homme qui voulait savoir quel dieu il devait se rendre 
propice pour retirer sa femme du Christianisme, Apollon lui aurait repondu, 
d'apres Porphyre, qu'il serait plus ais6 d'ecrire sur de 1'eau que de cor- 
riger le sentiment de cette femme 6garee. - Laisse-la done, Gonclut-il, 
obst,in6e dans ses vaines erreurs, rendre un culte a un Dieu mort et jus- 
tement condamn6. Apres avoir raconte cet episode et < oubliant les 
paroles injurieuses qu'il vient de decocher au Christ, Porphyre ajoute : 
ce que je vais dire paraitra.sans doute a plusieurs paradoxal. Car les 
dieux ont declar6 le Christ un homme tres pieux et admis al'immortalite... . 
Hecate 1'a declar6, dans un oracle, le plus religieux des hommes... 
encore que les chr6tiens aient tort de 1'adorer... done ne blaspheme pas 



LE PROBLEMS BE JESUS. 137 

relever ce fait;, raais, dans son Irvre Contre les, ehrdtiens, 
Porphyre argumente de la facpn, la plus s.erree et la plus 
rude. Rejetant toute interpretation allegorique, il; s?en tient 
au sens litteral et; s'efforce de deraontrer en detail les contra-* 
dictions^ les impos&ibilite's, ; les inv,raisemblanees des, re.cits 
evangeliques. Sous ce rapport ill devangait,, si nous, e,n-jugeons 
d'apres les debris subsistants.de ;Son,c&uvre, Strauss et Renan. 
Mais le fond.de son.plaidoyer et,. ajputons-nous, .de son impulse 
sance a comprendre le Christ, est d'ocdre philosophique. Gette 
inintelligence est totale : Lorsque Jesus tente par ie demon 
refuse de se< precipiter du teniple; T n,'agit-il pas par crainteB 
Lorsqu'il demande qiie le calice de la Pas&ion s'eloigne de, 
lui, une telie prier, e n'es,t pas digne du Fils de Dieu T ni m^me 
dfuns simple; philosoph,, habitue a mepriser, la mort. Conduit 
devant Pilate, a'auraik-il pas du. lui adresser quelques exhor- 
tations capables de le toacher et d'amdliorer sess auditeurs, 
dansr le genre des ; discours/ pr4tes> par Philostrate. a, Apollor- 
nios de-Tyane, an lieu de setaire et de se laisser battre, de 

Yarges? Et qua signifient les paraholes sur le Royaume 

des cieux, et ses comparaisons grossieres, et inintelligibles 
du regne, de Dieu, avee, un grain de raoutarde o.u. avec un 
levaia? PouKC[;Uoi Jesus s'adresse-tril seulement aux, petits et 

aux pauYres?,... Et pmspourquoLest-r-ilvenu sitard? Gonir 

mentun.Dieu, peutr.il souffirir? comment un mortpeut-ilressus- 
citer 1 ? . 

Nous prenons la sur le vif le conflit fondamental entre la sa- 
gesse chretienne et la sagesse seculiere et paiienne, si nette- 
ment denonce par saint Paul a propos dumystere ou ce conflit 
atteignait son paroxysme : le Christ crucifie. Celui^ci etait 
Yraiment folie pour les Gentils formes a Vecole de la phi- 
losophie neo-platonicienne. Mais pas ce seul mystere : le grand 5 
scandale de la Croix mettait le comble a une suite de demar- 
ches divines ou Porphyre, apres ses maitres, un Longin, un 
Plotm, et avec ses disciples futurs, un tiierocles, un Julien, 
ne voyaifc qu'un tissu d'invraisemblances. Que Dieu ait ainsi 

celui-la, mais prends en piti6 la d6mence de ceux-ci . J'utilise la traduc- 
tion de Louis. Moreau. 

1;. G. Bardy, Les Objections d'un Pliilo&ophe paien : lor,, laud., p. 104- 
105. Ibid., les renvois aux fragments conserves dans Macariiis. 



138 JESUS CHRIST. 

aime le monde, que le Verbe se soit aneanti en prenant 
forme d'esclave , qu'il se soit incarne au sein d'une femme *, 
qu'il se soit reve"l6 auxpetits, aux humbles, aux purs de cceur, 
et que le salut consiste a croire et a donner plus qu'a connaitre 
et a supporter, ces conceptions les de*bordaient et contredi- 
saient trop. Leur religion, il est vrai (et Porphyre comme 
Plotin, comme Julien a sa fagon, etaient des hommes religieux), 
comportait des mythes et des prises directes sur la divinite, 
pres desquels les mysteres Chretiens pouvaient paraitre timi- 
des. Mais jusque dans cette partie theologique et theurgique de 
'leur vie interieure, ces Hellenes cultives restaient des huma- 
nistes, au sens ou ce mot designe une philosophie d'apres la- 
quelle 1'homme reste la mesure unique et le juge dernier de 
ce qu'il fait et de ce qu'il croit. Et partout ou cette doctrine 
pre*vaut, le christianisme ne peut trouver d'echo. 

Le brutal Hierocles, tres au dessous de Porphyre, ne vaut 
d'etre mentionne ici que pour avoir introduit la Vie d'Apollo- 
-nius de Tyane dans 1'apologetique paienne. II n'en va pas 
de m6me de 1'empereur Julien. De son ouvrage Contre les 
'Galileens, ecrit a Antioche en Janvier 363, nous n'avons 
'Conserve* que la premiere partie a peu pres en totalite, et 
elle porte sur la comparaison des chretiens avec les juifs 
et les paiiens, et sur 1'Ancien Testament. Des deux autfes 
livres qui composaient 1'ouvrage, il ne reste que de courts 
fragments 2 . QEuvre native et contentieuse, le livre de Julien 

1. Toi du moins, 6crira Julien a I'h6r6siarque Photin de Sirmium, 
.qui contestait la v6rit6 de 1'incarnation, tu sauves les apparences et tu 
restes pres du salut, en te gardant avec raison d'introduire dans le ventre 
d'une mere celui que tu prends pour un dieu. > Lettre 99, alias 79, 6d. 
.J. Bidez, L'Empereur Julien, CEuvres completes, I, 2, Paris, 1924, p. 174. 
,B. J. Kidd, A History of the Church to A. D. Ml, vol. II, Oxford, 1922, 
jp. 200, fait jtistement observer a ce propos que, a peine une generation 
apres, Nicetas de Remesiana (-j- 414), dans son Te Deum, sp6cifiera parmi 
les plus glorieuses condescendances de la Divinit6 que Dieu n'a pas eu 
iiorreur du sein d'une vierge : non horruisti virginis uterum >. 

2. L'6dition de MM. J. Bidez et F. Cumont, Juliani Imperatoris Epis- 
tulae, Leges, Poematia,Fragmenta uaria, Paris et Oxford, 1922, annuleprS- 
sentement les autres. Sur les circonstances oil 1'ouvrage a et6 compose, 
voir le solide chapitre de Paul Allard, Julien I'Apostat 3 , Paris, 1906-1910, 
vol. Ill, ch. in; et aussi la, preface si vivante etsi nourrie des Lettres ecrites 
<d'Antioche par Julien (juillet 362-mars 363), dans le temps meme qu'il 



LE PROBLEMS DE JESUS. 139 

n'a pas le charme et la fraicheur de quelques-unes de ses 
lettres farailieres. Sa detestation du nom chretien arrive alors 
a son comble et, comme s'il voulait user jusqu'au bout de la 
force qui va lui echapper, les mesures de violence vont se 
raultipliant, s'aggravant. G'est, dit un historien admirable- 
ment informe, et plutdt favorable a 1'empereur, un dechai- 
nement de 1'anatisme 4 . II faut donner la chasse a Atha- 
nase d'Alexandrie 2 , expulser i'ev^que Eleusius de Gyzique 3 , 
pressurer les chretiens a fond : au besoin mettre une ville 
comrae Edessea feu eta sang 4 ; ne point secourir Nisibe centre 
les Perses : c'est une ville chretienne, done impure . Guerre 
aux morts : bruler ou demolir les chapelles des martyrs, ex- 
humer leurs corps; finalement, defense de celebrer en plein 
jour aucune espece d'obseques 5 . Guerre aux vivants : lapre- 

composaitfievreusementsonouvrage. J. Bidez, UEmpereur Julien. (Euvres 
completes, I, 2, Paris, 1924, ch. iv, Julien a Antioche, p. 92-132. 

Sur le caractere et la religion de 1'Apostat, les monographies abondent. 
On peut citer parmi les plus recentes celles de J. Geffcken, Kaiser Julianus, 
Leipzig, 1914; 1'etude tres soignee de E. von Borries, Julianas (Apostata}, 
dans Pauly-Wissowa, REG A, X, 1 (1917), col. 26-91 ; A. Rostagni, Giuhano 
I' Apostata, Turin, 190; et 1'excellent resume de B. J. Kidd, A History of 
the Church toA.D. 461, Oxford, 1922, II, p. 182-218. 

1. J. Bidez, VEmpereur Julien. (Euvres completes, I, 2, Paris, 1924, 
p. 106. 

2. Lettres de Julien, ibid. Lettre 112 : e Je jure par le grand Serapis 
quo, si avanl les calendes de decembre, Athanase, 1'ennemi des dieux, 
n'est pas sorti de cette ville-la, je frapperai d'une amende de cent livres 
d'or 1'omcier qui est sous tes ordres (d'Ecdicius, prefet d'Egypte) et, 
ajoute de la main de Julien : c Non, par tous les dieux, tu ne peux rien 
faire que je voie, ou plutdt que j'apprenne avec plus de plaisir que de 
chasser de tous les endroits de 1'Egypte Athanase. L'infame ! II a ose, sous 
mon regne, baptiser des femmes grecques de distinction. Qu'on me 1'ex- 
pulse! (p. 192). 

3. Jithani Imperatoris Epistulae, Leges, Poematia, ed. J. Bidez et 
Fr. Cumont, Paris, 192<f, n. 55. 

4. Lettres de Julien. (Euvres computes, I, 2. Lettre 115, p. 196-197. 

5. Leltres de Julien, ibid. Lettre 136, p. 198-200. Les raisons de cette 
mesure sont indiquees en clair et toutes d'ordre religieux. II ne faut 
pas que la rencontre d'un convoi funebre souille les yeux d'un paien qui 
ne pourrait ensuite entrer au temple sans se purifier. II ne faut pas que le 
passage d'un mort devant le temple y fasse penetrer des Emanations et 
surtout des bruits de pleurs qui sont de mauvais augure : surtout il ne 
faut pas que les funerailles qui appartiennent aux dieux infernaux empie- 



140 JESUS CHRIST. 

tresse Theodora a des esclaves ehreVfiiensy c'est un tort et um 
danger, qu'elle les chasse M On doit exclure les> ehretiens noni 
seulement de tout enseignement, mais encore: de la garde* 
prefcorienne, de Pa-rmeev de I'admmistration, des fonctions ju- 
dieiaires: 2 -, etc... Par contre, stimuler le: zele du clerge paEem, 
organiser des bureaux de bieafaisance etdes ceuvres de cha- 
rite>; etablir des catechismes suivis et des penitences, d'ordre 
spirituely telle 1' excommunication t:&mporair& prononcee contrc; 
un fonctionnair civil a ; creer une.' sck&la, coMtorum paienne;; 
en> un mot rivaliser sur- toua les terrains airec les Galileens<*: 
II etaii impossible qu'ua livre- compost dansi cette atmos- 
phere surchanffee; ne s ? en ressentit pas. On s'etonnerait plur 
t6t? q^i'ilne s*en ressente pas davantage. G'est que, com.men.cee 
par le hideux spectacle des mtrigues. ariennes a; la cour de 
Constance, consommee dans son coeur, alors que la necessite 
politique le contraignait encore a pratiquer le christianisme, 
I'apostasie de Julien fut moins un abandon q i u'une adhesion. 
La. poesie. des legendes antiques dans une intelligence qui 
reste tou jours- celle. d'un, 6leve trea distingue 5 , 1'attrait en- 
sorcelant de la theurgie que lui revele Maxime d'Ephese, 
la pompe d'un culte encore prestigieux, avaient fait du jeune 
Cesar un devot sincere, un pratiquant de 1'occultisme. Ce 
trait essentiel de la religion de Julien explique le caractere 
impeFsonnel de sa poleniique en ee qui touche la figure du 
GHrist. Gertes la colere de I'imperial pamphletaire contre la 
secte dite des Galileens est enflammee, envenimee par le senr 

timent de la resistance qu'ils opposent a 1'ceuvre de sa vie, a 

' ' ,> 

tent SUP le domaine des dieux du jour; que la, purete du jour reste vouee 
aiix oauvres pures et aux dieux olympiens. 

1. Lettres de Julien, ibid. Lettre 86, p. 144-146. 

2; Ibid. Lettre 83 j a Atarbius, gouverneur de VEwphrateusis, p. 143-144. 

3. Ibid. Lettre 88, p. 149-151. 

4. Ibid. Lettres 83 a 89, p. 143-174. 

5. L. Duchesne> Histoire ancienne del'Egli&e, II a ; p. 327: . II avait beau 
avoir atteint la trentaine, c'etait toujours un disciple. II faut aussi faire 
la part, du temperament. Dans une etude inegale, mais encore digne d'etre 
lue, Chateaubriand dit a sa fagon : Julien ne pouvait etre ni chr6tien, 
ni philosophe a demi : la nature ne lui avait. Iaiss6 que le choix du fana-r 
tisme >; Etudes Ilistoriques, 1831, II, 2 p.artie^ dans (Euvres compldtes^ 
6d. Gamier, 1859, IX, p. 240. 



LE PROBLEME DE JESUS. 141 

sa -mission. Mais le Nazareen, s'il est un ennetni ; et un rival, 
n'est plus pour Ini une epreuVe et ; une angoisse comrne il le 
reste pour beaucoup de ceux -qui 'font quitle, sans trouver t 
on reussir 'a se faire, Tine autre foi qui les satisf-asse, Jesus 
aux yeux du pa^en 'mystique d'Antiocii'e, est definitivement 
juge * et, ce qui est bien plus, remplace. G'est pourquoi Juaien 
en parleaveemalveillance, certes, mais sans cet accent inju- 
rieux et Tancunier 2 que d'autres, plus divis^s : eontne eux- 
5mes, emploieroBl;. ^ans ce -qui aous -reste d^u iivre (Contre 
IKS Chretiens il ri'y a que pen d'allusions 4 ia personue du 
Sauveur. G'est un tard'venu. II n'est <connu 'que d-epuis 
cents ans. : I1 ri''a rien fait -d'Hlustre hormis de 

Tnis'erables... a moins de regarder oomme un ^ 
^exploit la 'gu^rison de quelques "boiteux, d'aveuiglers, iet 
cisme de quelques possede's, dans ls feourgs -de Bethsafde 
et de Bethanie. " Sujet de } Giesar, il n'a pas :pn, en ;depit 
-de ses prodig-es, changer pour ler propre salutlles 
4e -ses amis et $e -ses parents . Bref, c'est um .mort :j 
'dorent ls cnrtStiens. 'Ni Paul, 'ni.Matthieu, ni Lu'G, ui Marc, 
^'avaient 0s6 dire 'qu'il fut Dieu . G'eet Jean qui le premier, 
ayant appris sans ^oute que les toitfbeaux <de Pierr setide 
Paul ^etaient honores en secret , s'avisa de oette 'dootrie, 
encore I'msinua-t-il plus qu'il nela declara. Ce que -dit Julien 
dans ses Lettres, ou il parle plus librement, va dams ;le ;m^jne 
sens. Le grand crime des ; Galileens, on le leur repete a satiete 
e't dans les m^mes^rmes, c'est d'etre des impies, les impies 
par excellence, puisqu^ils refusent de rendre aux dieux de 
rHellenisme le culte dti aux Immort/els 3 . Le signe de >la 



1 . Oji CQimait le billet lecrit par Julien aux eveques pour se moquer 'de 
Ja Iitt6rature chre'tienne : * avdyvwv, lyvtov, xa-ceyvtov : J'ai lu, j'ai compris, 
j'ai condamn6 ; L'Empereur Julien, Wuvres completes, 1,2, p. 207. 

2. Je fais ici allusion en particulier a Voltaire. En re^ditant la traduc- 
tion du Contre les GaliUens par le marquis d'Argens, il ajoute au texte 
des notes rncomparablement ptos virulenteB, t vraiment atroces. Discours 
(le I'Empereur Julien, etc... dans '(Euvres completes, Philosophie, IJ, ^d. 
Lequien, Paris, 1821, XXXII, p. 484^572. 

3. 0( 8ims6sr s : Lettres 79, 84, 89 (2 Ms), 107, 114; dans 1'Mition 
J. Bidez, loc. laud., p. 86, 145, 155, 173, 185, 194. A Iaou3al6sia des Chretiens 
est opposed la OEoae6aa, Lettre 1 14, p. 195. Une fois les>Galil<ens sont trait6s de 
< fourbes jjnavoupYotjime fois d' odieux , ^flccrrot, Lettre 111, p. 189-191. 



142 JESUS CHRIST. 

est en consequence le signe de Timpie 1 . Jesus est un dieu 
nouveau, soi-disant incarne, ce qui est un comble d'invrai- 
semblance, mdigne de la divinite 2 . II est invisible, et les Alexan- 
drins sont fous qui refusent d'adorer a cause de lui le Soleil 
et la Lune, dieux visibles et comblant les homraes de leurs 
bienfaits 3 . 

Si, des paiens anciens, dont Julien fut sans doute le dernier T 
j'entends qui compte et dont 1'opinion ait laisse trace, nous 
passons aux modernes, 1'embarras n'est pas petit. Ge n'est 
pas manque de matiere! Les non-chretiens sont legion qui 
ont exprime leur avis sur la personne, et surtout 1'oeuvre de 
Jesus. Parmi ces jugements, il en est qui offrent un veritable 
inter&t parce qu'ils proviennent d'hommes cultives et intelli- 
gents : Hindous, Ghinois, Japonais, etc..., mais ilsvalent moina 
comrae des appreciations objectives que comme des indices 
de la penetration et de la liberte d'esprit des opinants, ou 
encore de la nature des sources employees par eux. Les plus 
personnels sont (parrai ceux dont j'ai pu retrouver les conclu- 
sions motivees) beaucoup plus preoccupes en effet de trouver 
dans le christianisme des analogies avec leur religion et leur 
morale, ou encore d'evaluer sa valeur pratique pour la civili- 
sation de leur peuple, que de comprendre la personne du 
Christ. Le professeur M. Anesaki, de Tokyo, esquisse unparal- 
lele entre le Bouddha et Jesus, les deux Seigneurs , mai- 
tres de bonne vie le premier par voie de contemplation 
intellectuelle purifiant 1'activite humaine par une calme illu- 
mination , le second prechant un Evangile d'amour et d'es- 
perance et ayant, au surplus, formule d'une facon defini- 
tive la morale eternelle quand il a dit : Nul n'est bon hormis 
Dieu 4 . Mais il s'arrete a ces generalites. De son c6te S. 



1. Tou SuCTaeSou; un()[AVYi[xa, Lettre 79, p. 86. 

2. Lettre 90, p. 174. 

3. Lettre 111, p. 190. 

4. How Christianity appeals to a Japanese Buddhist, dans The Hihberl 
Journal, IV, 1906, p. 10-12. Get article fait partie d'une serie : Impr-ssions 
of Clinxtianiiy from the point of view of the non-Christian Religions, 
commencee dans la meme revue, vol. Ill et IV, et qui s'est arretee, pro- 
bablement faute d'articles bonnement inserables, en Janvier 1906. La 
meme revue a toutefois continue de publier des opinions de ce genre & 
intervalles plus ou moms eloignes. 



LB PROBLEMS DE JESUS. 143- 

Radhakrishnan, professeur de philosophie a runiversite* de 
Calcutta, declare que 1'Hindou acceptera cordialement lea 
traits essentiels de la religion de Jesus, a la seule condition 
qu'on ne considere pas celui-ci comme 1'unique maltre, a 1'ex- 
clusion de Rama, de Krishna, de Bouddha et qu'on ne lui 
attribue pas une filiation divine d'une autre nature que la 
n6tre, car 1'Hindou croit que Dieu peut s'incarner en tout 
homme autant qu'il le fit dans Jesus ou le Bouddha * . Autant 
parler d'un christianisme sans Christ. 

La plupart des jugements analogues qu'on pourrait citer 
a ce propos sont fondes sur une connaissance extrtlmement 
superficielle des origines chretiennes. Beaucoup refletent,. 
avec une naive satisfaction dans la science ainsi manifested, 
les opinions prises toutes faites dans quelque livre.de vulga- 
risation, ou encore les vues censees dominantes dans les 
cercles qui resument, pour les paiens consultes, la culture 
occidentale 2 . D'un jugement vraiment desinteresse, eclaire r 
personnel, il n'y a le plus souvent que 1'ombre ou 1'illusion.. 

1. The Heart of Hinduism, dans The Hibbert Journal, XXI, 1922, p. & 
et 9. 

2. Certains de ces jugements ne sont guere & vrai dire que des inter- 
views au cours desquels des personnages paiens expriment, avec un visible 
desir de se rapprocher de leurs auditeurs ou lecteurs Chretiens, des vues- 
tres generates et exclusivement livresques. On peut voir en ce genre celles 
du celebre reformateur cantonais Rang Yu Wei, A Chinese Statemari's view 
of religion, dans The Hibbert Journal, VI, 1908, p. 19-27. Beaucoup plus- 
interessants sont les articles des revues chinoises sur la religion et notam- 
ment le christianisme, traduits dans la Chine moderne de L. Wieger, II, 
Shien-Shien, 1921, pieces 7, 25, p. 19-101. Voici quelques fragments- 
caracteristiques d'une conference de M. Ou-t'ing-Fang, 7 mars 1921 : 
< II nous faut retourner droit k I'homme de Nazareth, a 1'humble et popu- 
laire ouvrier. Le Sermon sur la montagne, si simple et si modeste,. 
1'Evangile social de Jesus, voila 1'avenir (a 1'exclusion de toute croyance 
dogmatique); p. 23. Parfois ce sont des echos de la plus basse polemique' 
europeenne : Pour les temps modernes la doctrine de Jesus est sans- 
valeur. Elle exprime les idees du milieu juif ou il vecut jadis et contribua. 
a hater la ruine de la faineante nation juive. Lemonde a march6 depuis 
lors, etc... ,p.36. D'une conference donn6e a Pekin par M. T'ou-hyao-chen, 
le 26 Janvier 1921 : Les historiens accordent generalement que les fon- 
dateurs des grandes religions, le Bouddha, Jesus, Mahomet, eurent des 
vues elevees et firent bonne figure dans leur temps, mais ils n'admettent 
leur oeuvre que comme relative, non absolue, etc... >, p. 38. 



144 JESUS 'QHUIST. 

11 est plus iirteressant de constater que dams IBS congress 
ou savants non Chretiens et Chretiens se reneontrent idans 
des vues d'entente -on. Jde progres scientifique, les .premiers 
ne'se lasserit'pas, ordmairement, de relever dans les 'doctrines 
qu'ils professent, les traits qui se Tapprocbent de e<ux qua 
distinguent le christianisme : ou, d'apf&s ux, s'y e"galent. iGe 
dernier est ainsi tacitement, mais r^ellemenl;, utilis6 comme 
une norme, a laquelle les autres -religions soat ramenees 
comme a un ideal, au moins relatif . 

Les Fuifs. 

Nous 1'avons -rappele -ati d^but de -cet outrage : la l^gende 
de Jesus qui "va le Tepre'senter oomme 'un ^magici^en <et otn 
^iangereux seducteiiT, ; a'Commec'e / du 'vivattt ^dii M^iitne. I>es 
scribes aigris attribuerettt ses CBuvr-es de piuissawce an Malin 
en -persomie (Me., m, 22; Mt., xn, 24; Lc., xi, 15 et-cf. Mt., 
ix, 34), dette semence .'de haine ne fr^ictiiia ^que trop, ^a pamfcir 
surtout du moment ou la masse des chretiens meme issus 
du judai'sme accentueren't leur coupure d'avec leurs freres 
en Abraham. Ge n'est pas le lieu de narrer cette histoire 
qiii :fut longue et donfc beaucoup de details r,estent obscurs 
pour nous 1 , Ge iqui nous interesse ici, c'est la fa?on dont les 
dirigeants du peuple juii, pris d'ensemfole, appr^cierent la 
personne du Christ. 

C'est pendant la periode qui separa les deux grandes 
catastrophes d'Israel : ruine de Jerusalem ^en ,70, ecrasement 
eit dispersion du joidaisme palestinien en 135, que s'elabora 
surement dans ses grandes lignes la veTsion -calomniense dont 
nous retrouvons des traits soit dans la controverse judeo- 
chretienne du il e siecle, soit dans les Talmuds. C'est alors en 
eil'et, vers Fan 100 de notre ere, que Gamaliel II prit 1'initia- 
tiv.e d'introduire dans les prieres quotidiennes des Benedic- 
tions* une imprecation qui permit d'eliminer du culte des 

1. L'essentiel dans DTC, s. v. Judeo-chrdtiens (L. Marchal). 

2. LvsSc/temone Esre (Iitl6ralement les dix-huit Benedict ions : la version 
:pr6sentement usi1i6e chez les Israelites en compte dix-neuf, par-ce qu'une 
sentence de la recension palestinienne a 6t6 coup6e ;en deux, et forme la 
quatorzieme et la qtiinzieme dans la recension babylonienne, qui a pre- 



LE PROBLEMS DE JESUS. 145 

synagogues les elements douteux, et notamment les judeo- 
chre'tiens. On a egalement note avec justesse 1 que les prin- 
cipaux Rabbins auxquels sont rapportees dans le Talmud des 
paroles concernant Jesus ou des chre'tiens : Gamaliel II, 
R. Eliezer ben Hyrcan 2 , appartiennent a cette generation 
dite de Jabne (Jamnia), du nom de la ville ou Jochanan ben 
Zaccaii fonda la celebre Ecole rabbinique qui fut pour I'Isra&l 
palestinien d'entre les deux guerres le centre intellectuel et 
religieux. G'est pendant ce temps que la controverse avec 
les Minim, la majorite desquels etaient surement des judeo- 



valu) sont issues de prieres fort anciennes contenant d'abord 12 peut- 
etrememe 16 et ensuite 17 formules de benedictions. Une dix-huitieme 
(dans 1'ordre actuel de recitation, la douzieme) visant les heretiques 
d'Israel, fut introduite par Gamaliel II, peut-etre par 1'intermediaire de 
Samuel le Petit. Elle est ainsi redigde dans sa forme actuelle : 
Pour les calomniateurs, qu'il n'y ait pas d'esperance ! 
Que les Minim soient detruits sur 1'heure. 
< Le royaume de 1'orgueil, arrache-le et brise-le. 

Beni sois-tu, o Seigneur, qui brise les ennemis etabaisse les orgueilleux ! 
M. Edmond Fleg, dans la traduction qu'ii donne des Schemone Esr& 
(Anthologie Juive" 1 , Paris, 1923,1, p. 120), traduit minim par mediants*, ce 
qui est tout de m&me trop general. En realite, le texte actuel est revu, 
corrige et edulcore, comme la variete des versions anciennes en fait 
foi ; cf. G. Hirsch, JE, XI, p. 281 b, s. v. Schemoneh Esreh. A la place 
de < calomniateurs , le texte ancien portait apostats, renegats >. Quant 
aux minim dissidents, sectaires, heretiques, il n'est pas douteux que 
les Chretiens y fussent compris, si meme au debut ils n'etaient pas les 
seuls design6s sous ce nom. Un texte tres ancien des Benedictions, de la 
recension palestienne, d6couvert et publi6 par S. Schechter en 1898, 
nomme en toutes lettres, a cot6 des minim et avant, les Nazareens, c'est- 
a-dire les Chretiens : 

Que les Nazareens et les Minim perissent en un instant, 
Qu'ils soient effaces du livre de vie et ne soient pas comptes parmi les 

[justes 

traduction M. J. Lagrange, Le Mcssianisme, p. 339, sur le texte amends 
par G. Dalman, p. 294 (traduction). Sur la teneur et 1'histoire des Schcmone, 
excellent resum6 dans W. 0. E. Oesterley et G. H. Box, A short survey of 
rabbinical and- medieval Judaism, London, 1920, p. 164 a 180. 

1 . Sur ces rabbins de la fin de la Premiere et Deuxieme generation des 
Tannai'm (70-135), H. L. Strack, Einleitung in Talmud und Midras*, 1921, 
p. 120-128. 

2. W. M. Christie, The Jamnia Period in Jewish History, dans JTS, 
XXVI, 1925, p. 347-364. 

JESUS CHRIST. II. 10 



146 JESUS CHRIST. 

chretiens , battit son plein; et en fait, les rabbis de cette 
periode paraissent avoir possede une connaissance serieuse 
du contenu de 1'iEvangile... Nous trouvons [dans leurs dires] 
des paralleles a pratiquement toutes les Beatitudes 1 . Enfin, 
et ceci est ddcisif, les traits les plus lermes de la Idgende 
talmudique de Jesus, et faisant par consequent partie de la 
polemique classique des Juifs, sont deja signales par saint Jus- 
tin dans son Dialogue et utilises par Gelse, d'apres une source 
ecrite, dans son Discours Veritable. 

Les griefs reproches aux Juifs par Justin ont ete repris 
par Tertullien, Origene et 1'unanimite des auteurs chretiens 
qui ont aborde ce sujet. Une e"tude attentive des passages 
talmudiques ou il est question de Jesus 2 , corifirmeleur opinion 
et nous permet de degager les traits qui, plus tard, reunis r 
aggraves, etoffes, formeront la trame de la trop fameuse Vie- 
(Generation) de Jesus, Toledot Jeschu, honte durable du 
judaiisme anti-chr^tien. Gette arme n'a pas laisse d'empoi- 
sonner bien des esprits au cours des siecles. Aujourd'hui 
encore on reedite les Toledot dans les juiveries pouilleuse& 



1. W. M. Christie, loc. laud,, p. 360-3G1 et textes a Tappui. 

2. Ces passages ont et6 r^unis a, maintes reprises dans des recueils 
scientifiquement etablis et ce n'elait pas chose aisee, soit it cause du carac- 
tere occasionnel des allusions faites 4 Jesus dans les documents juifs 
anciens, soit parce qiie la plupart des attaques sont dissimul6es dans de& 
sermons pre'te's a J6sus ou a son entourage. Les meilleurs de ces florileges 
sont ceuxde H. Laible, Jesus Christus im Talmud, Berlin, 1891 ; 2 Edition,, 
avec les textes transcrits par G. Dalman, Leipzig, 1900; de M. R. Travers 
Herford, Christianity in Talmud and Midrash, London, 1913, p. 401-436, 
textes; 35-97, trad, anglaise et commentaire; de H. L. Strack, Jesus, die- 
Haerctiher und die Christen nach den aeltesten judischen Angaben, Leipzig, 
1910,. textes traduits en allemand, roriginal en appendice; de Arnold 
Meyer, Jesus im Talmud, dans le Handbuch zu dem N. T. Apokryphen 
de E. Hennecke, Tubingen, 1904, p. 47-71. II faut computer ces textes 
par les citations dispersees dans 1'immense Kommentar zum N. T. aus 
Talmud und Midrasch de H. L. Strack et P. Billerbeck, I, Miinchen, 1922; 
II, 1924; III, 1926. 

Sur les Toledot, je n'ai pas le courage d'insister ; c'est im ramas de 
fables ineptes a la fois et d6goutantes ; le texte assez court, une trentaine 
de pages, est d'ailleurs loin d'etre fixe; chaque Sditeur ajoute et modifie 
;i sa guise. Details dans S. Krauss, Das Leben Jesu nach judischen Quel- 
len, Berlin, 1902, resum6 par 1'auteur dans JE, VII, 170-173. 



LB PROBLEME DE JESUS. 147 

de la Pologne et de 1' Ukraine 1 . Oiose moins -pardonnable, 
c ? est dans cette infame le*gende que les dirigeants de la 
SoeiSte" Th'e'osophique 'n'ont pas en honte de puiser Tessentiel 
de ; lewr 'version des origiwes chretiennes 2 . 

Je'sus de Nazare'th (Jeslra iha-Nosri) 3 , sou vent 'appele' fils 
de Pandora (ben Pandera, ben Panthera) ou fils de Stada 
(ben Stada), est encore designe dans les Talinuds sous le nom 
figure" de Balaam, fils'de Be'or, le faux prophete qud'fit errer 
Israel* . D'autres fois ii est introduit sons une designation 
vague ou malveillante : un certain , un 'quidam , le 
batard . Jesus en effet n ? 6tait pas letfls du mari de samere, 
Pappos ben Jiida (nom d'un contemporain 'd Rabbi Aqiba, 
mort vers 135 apres Jesus Christ), maisbien le fils de Panthera 5 

1. R. Travsrs Herford, Christ.in Jewish Literature, DG^II,)881, A., On 
troiivera .^gaiement dans ce mfemoire, p. :879^880, le ^esumfi d'un certain 
nombre d'ouvrages juifs .medi6vaux concernant J6sus. 

2. E. Bosc, La Vie e'soterique de Jesus et les Origines orientales du Chris- 
I ianisme, Paris, 1902; G.R. 'Mead, DidJesuslive 100 B. C.? London et Bena- 
res, 1903; Annie Besant, Esoteric 'Christianity, Trad.frangaise, Paris, 1903. 

3. Sur ce nom et son origine, G. F. Moore, Nazarene and Nazareth, dans 
les Beginnings of Christianity, 1920, I, p. 426-432. L'auteur montre 
qu'aucun obstacle philologique lie s'oppose a ce qu'on derive Na?wpocto? r 
Not5ap7iv6s du nom de la ville de Nazareth >, p. 429. : Arguer de 1'absence du 
nom de cette ville dans Josephe et les Talmuds serait < un abus extraor- 
dinaire de Targument du ; silence . G. Dalman a montrfe d'ailleurs que ce 
silence meme n'etait pas dans le cas aussi profond qu'on Yeut bien le dire. 
Dans une liste des localit&s galileemies ou, apres la ruine de Jerusalem, 
en 70, les vingt-quatre- classes sacerdotales chercherent un refuge, Naza- 
reth figurait. Nous J'apprenons par un cantique de deuil du poete juif 
Eleazar 'Kalir (vii e ou viir 8 siecle) qui localise a Nazareth la classe sacer- 
dotale ffappizzez(Yn\g. Aphses;l Paralip., xxiv, 15). Voirla-dessus ; et sur 
toute la question, Orte und Wege Jesu s , Giitersldh, 1923, ch. ni; le texte 
d'Eleazar, p. 65. 

4. Sur ce surnom de Balaam, cf. Apoc. Jo., 11, 14, et le commentaire de 
R. H. Charles : The Revelation of Saint John, 1920, I, p. 63 mi v. 

5. Panthera, Pandera, gr. IlavOvip (7rav9rjpa='panthere). Sur ce nom qui 
est le plus usitS, et dans les plus anciens textes ne semble pas avoir le 
sens de derision qu'il prit ensuite, voir Strack et Billerbeck, KTM, I, p. 36- 
38. La premiere mention connue de ce mot appliqu6 au pere de J6sus se 
trouve dans le Discours Veritable de Celse, ecrit vers 177, qui fait de 
Panthera > un soldat et renvoie a une source ecrite (Qrigene, Centre 
Cilse, I, 28) surement juive. Les nombreux textes rabbiniques qui appel- 
lent Jesus ben Pandera sont cit6s int6gralement par Strack, loc. laud. 



148 JESUS CHRIST. 

ou encore de Stada 1 . Sa'mere, une coiffeuse pour femmes, 
s'appelait Miriam. Le paratre de Jesus, Josue ben Perahia 
(qui vivait au temps du roi Asmoneen, Alexandre Jannee, 
104-78 avant J. C.) emmena son disciple en Egypte ou Je*sus 
apprit lamagie. (L'Egypte, on le sait, etait la terre classique 
des magiciens.) A son retour, une remarque inconvenante 
de 1'eleve le lit renvoyer et excommunier par son maitre 2 . 
G'est alors que Jesus commenga de me'riter le surnom de 
faux prophete Balaam, fils de Beor, qui seduisit et mit hors 
de la voie droite les fils d'Israel . Par ses prestiges, le 
Nazareen seducteur et sorcier fit de meme 3 ; ses heresies et 
son insolence envers les maitres et chefs de son peuple le 
firent excommunier. II se disait en effet Dieu et fils de 
rhomme*. Finalement, il fut mis en jugement a Lydda en 
qualite de sorcier et de fauteur d'apostasie. Pendant les qua- 
rante jours qui pre'ce'derent 1'execution, Jesus fut mis au pilori 
et un heraut criait a haute voix : Gelui-ci doit e"tre lapide 
parce qu'il a exerce la magie et fourvoye Israel. Quiconque 
sait quelque chose pour sa justification, qu'il approche et 

1. Ben Stada. Le nom est parfois applique au pere 16gal ou meme & la 
mere de Jesus! Texte dans Strack, loc. laud., p. 39. 

2. Sur tout cela, Sam. Krauss, Jesus in Jewish Legend, dans JE, VII, 
170-171. 

3. Ces traits sont les plus fermes de la legende. (Sur Balaam, voir le 
livre des Nombres, XXH sulv.) Deja du vivant de Jesus plusieurs repon- 
daient a ceux qui disaient : C'est un homme admirable ! Nullement, 
mais il sdduit le peuple: &\\ot H\tyw ou, aXXa TtXava TOV 8/^Xov . Jo., vu, 
126. Et aussi : II est possede par Beelzeboul, c'est par le Prince des 
demons qu'il chasse les demons. > Me., m, 22 ; Mt , xif, 24 ; Lc., xr, 15. 

Saint Justin, Dialogue contre Tryphon, LXIX, edition G. Archambault, 1, 
p. 338, dit de son cot6 que les Juifs < osent bien appeler Jesus magicien et 
seducteur du peuple, xa\ y*? ^"Y 07 ' vai *"tM e'<5^^wy \lynv xal XaonXxvav . 
Voir d'autres textes dans Strack et Billerbeck, KTM, I, p. 631. Quant aux 
allusions rabbiniques, on peut dire qu'elles sont unanimes, C'etatt done 
la le point central de 1'apologetique juive contre Jesus! et il est tres 
interessant par le temoignage indirectqu'il apporte 4 la realite des auvres 
de puissance accomplies par le Christ. 

4. Discussion la-dessus apropos du texte des Nombres, xxnr, 19, dans Ta'- 
anith (palestinien) 2, 65 b, cite dans KTM, I, p. 486. Rabbi Abbahu (vers 
300) dit : * Si un homme te disait : Je suis Dieu : il ment; Je suis 
le Fils de 1'homme : il aura a s'en repentir finalement; Je monte au 
ciel : il dit ce qu'il n'est pas en son pouvoir d'accomplir. 



LE PROBLEMS OE JESUS. 149 

fasse valoir son temoignage! Mais on ne trouva rien en ce 
sens et ainsi on le pendit le jour de la preparation de la Paque 1 . 
D'autres disent : on le lapida . II avait trente-trois ans 
et Pilate eut part a sa mort 2 . II est re'prouve' et puni en enfer 
par le supplice de 1'ordurebouillante. Je*sus avait des disciples 
parmi lesquels les Talmuds nomment Matthai (Matthieu), 
Nakai (Nicodeme ou Luc) et Toda (Thaddee) 3 . 

Les allusions certaines aux doctrines ou aux paroles de 
Jesus sont rares dans le Talmud, encore que nombre des faits 
ou des sentences attribues aux rabbins de I'dpoque de Jamnia 
portent un reflet e"vangelique, atte'nue' peut-dtre de'libere- 
ment 4 . La seule citation textuelle est celle du mot de Jesus 
concernant la loi : Je ne suis pas venu 1'abolir, mais Paccom- 
plir 5 . Le passage vaut d'etre cite, d'autant qu'il met en 
scene le plus fameux rabbin de la generation qui suivit la 
destruction du Temple, Gamaliel II. Sa soeur Emma Schalom 
avait e'pouse' le rabbi Elie'zer ben Hyrcan (vers 90). Or dans 
leur voisinage vivait un sage chretien qui avait x la reputation 
d'etre inaccessible aux presents. Gamaliel et sa soeur vou- 
lurent le berner : 

1. Sanhedrin, 43 a, Baraita. Autre texte dans Strack, KTM, I, p. 1023- 
1024. Voir aussi S. Krauss, JE, VII, 172. La lapidation, suivie de la pen- 
daison sur le bois, etait la peine prevue dans la Loi pour les blasphema- 
teurs, c'est pourquoi on la restitue dans la version rabbinique. 

2. Un heretique (Miri) disait a R. Chanina (vers 225) : < As-tu peut- 
etre entendu direjusqu'a quel age Balaam (Jesus) est parvenu? > 13 
repondit : La-dessus, aucun temoignage scripturaire precis n'existe, 
mais d'apres ce qui est ecrit au psaume LV, 24 : Les hommes de sang 
et les se'ductfiurs n'atteindront pas la moilid de leurs -^jours, disons : ii 
est parvenu a 33 ou 34 ans >. Le Min repliqua : Tu as bien repondu, car 
j'ai vu de mes yeux une chronique de Balaam, ou il est ecrit : 33 ans 
avait Balaam le boiteux (?) quand Pinchas le brigand (Ponce Pilate) le mit 
a mort > ; Sanhedrin, 106 ; KTM, I, 1025. 

3. Celse, mieux informe, parle des 10 ou 11 disciples du Christ. Les 
Toledot ont une liste differente : aux quatre evangelistes, ils ajoutent 
Simon Pierre et Thaddee (S. Krauss, JE, VII, p. 1716). Strack et Biller 
beck discutent au long 1'assimilation de Nakai (Naqqai, Nicodeme) avec 
Naqdemon ben Gorion dans la litterature rabbinique : KTM, II, p. 412- 
419. 

4. W. M. Christie, The Jamnia Period in Jewish History, dans JTS, 
XXVI, 1925, p. 360 suiv. 

5. Mt., v, 17, dans Schabbat, 116. 



150 JESUS CHRIST. 

Emma apporta done (au sage) un chandelier en or, puis ils 
se presentment ensemble devant lui, et elle.lui dit : (c Je; voudrais 
qu'une part me revint, de la, fortune laissee dans ma maison 
paternelie. II lui repondit : Partagez! R. Gamaliel dit alors : 
II est ecrit pour nous : a la place du fits [c'est-a-dire toutes ibis 
qu'il y aun fils], la ftllenedoitpas heriter (cf. Nombres,, XXVTI, 8). 
lie philosophe repliqua : Au jour ou vous avez etc bannis 1 de 
votre pays, la Loi de Moi'se a. ete abolie et 1'Evangile donnd a sa 
place, et la il est ecrit : .FHs et fille doivent heriter egalement *. 
Le lendemain Gamaliel amena au sage un ane de Lybie. Alors le 
philosophe leur declara : J'ai regarde plus avant dans rEvangile, 
et la il est ecrit : Je suts venu non pour abolir la lot de Molse, 
mais pour Vaecomplir. Or il esiecrit dans: cette loi la la place du 
fils, la fille ne doit point heriter!. 

Alors' Emma dit au philosophe : Puisse ta lumiere. briller 
comme celle du chandelier! Mais R. Gamaliel conclut : L r ane 
est survenu, et II a renverse le chandelier 2 ! 

En sonune les auteurs et compilateursdu Talmud, s'ils- ont, 
comme nombre d?indicesr ne no.us permettent pas d'en douter, 
pense souivent a Jesus ert a ce/ux qui se re'clamaient de 1m, ont 
adopte a son egard une attitude barre'e r defensive, OIL 1'hoati- 
lifce, la haine meme eclatent, mais encore plus le souci d'ecar- 
ter leurs disciples d'un sujet dangereux 3 . A 1'endroit des Naza- 
rdens et de leur Dieu toute curiositd est deplace*e; ce qu r on 
leuu doit, c'est Fimprecation introduite par R. Gamaliel IL dans 
la priere quotidienne : Qu'ils perissent sur Pheure! qu'ils 
soient effaces du Ltvre de Vie ! 

Si nous nous sommes arr6te"s un peu longuement sur ce que 
Renan appelle justement une legende burlesque et obs- 
cene , ee n'est pas, on le pense, pour sa valeur intrinseque, 
mais parce qu'elle a en fait, jusqu'au milieu du xix 8 siecle, 

1. Inutile de dire que ce mot n'est pas dans 1'Evangile! Le philosophe 
le fabrique pour les besoins de sa causei 

2. Mo'is'e Schuhl, Sentences et Proverbes du Talmud et du Midrasch, 
Paris, 1878, p. 99, cite ranecdote, mais fait du philosophe un < juge paien 
(sic): 

3. Cette meme attitude apparait plus elairement encore k I'egardde 
saint Paul que les rabbins n'ont pu ignorer et touchant lequel ils ont 
gard6 un profond silence. Le consciencieux effort de G. Kittel, Rabbinica, 
Panlus im Talmud, Leipzig, 1920, p. 1-17, pour retrouver Paul dans wie 
parole du Talmud (Pirke ALoth, III, 11, ed. H. L. Strack), n' arrive pas 4 
rendre solidement probable le fait d une allusion a Actes, xxi, 27 suiv. 



LE PROBLEMS DE JESUS. 151 

doming et empoisonne Tame juive, touchant Jesus de Naza- 
reth. A part quelques mouvements de pensee, considerables 
par la valeur de certains initiateurs, mais confines dans une 
etroite caste d'intellectuels, on peut dire que le Talmud a etc 
Paliment spirituel principal, sinon unique, du peuple juii 1 . 
Ge n'est pas un livre, dit Is. Abrahams, mais une litte- 
rature... II a ete 1'unique lien entre les juifs disperses, un 
instrument spirituel et intellectuel incomparable pour mainte- 
nir Fidentite du judai'sme parmi les nombreuses tribulations 
auxquelles les Juifs furent soumis 2 . Les plus grands pen- 
seurs Israelites eux-memes et a 1'epoque de la plus grande 
liberte de pensee, ont ete, tel Molse Maimonide, des talmu- 
distes pratiquants 3 . 

II pourra done suffire, pour jalonner la route qui mene des 
legendes anciennes au judai'sme modefne, de rappeler Fopi- 
nion des deux plus grands penseurs (et les plus inde- 
pendants) qu'ait comptes Israel au cours de ces dix ou douze 
siecles : Maimonide et Spinoza. Le premier, vers 1175, dans 
son grand ouvrage (le seul redige par lui en hebreu) intitule 
la seconde Loi (Mischneh Torah, 1'equivalent de) Deute- 
ronome, et surnomme la Main forte, s'exprime sur Jdsus Christ 
en termes peremptoires, mais moderes. Si le philosophe judai- 

1 . Ce renseignement et quelques-ims de ceux qui suivent sont empruntes 
au memoire de R. Travers Herford, Christ in Jewish Literature, dans 
le Dictionary of Christ and the Gospels, livre II, 1908, p. 876 B-882-A.; on 
peut consulter aussi le recueil de M. J. de le Roi, Judische Stimmen ilber 
Jesum Christum gesammeU, Leipzig, 1910. Le principal et le plus repre- 
sentatif des travaux contemporains est pour le judai'sme < conservateur 
1'article Jesus de la Jewish Encyclopedia, vol. VII, New- York, 1904, p. 163 
suiv., par MM. Jacobs, Kohler et Krauss ; pour le judai'sme liberal 
les livres de C. G. Montefiore, The Synoptic Gospels, London, 1909 ; 
Outlines of liberal Judaism, London, 1912, et nombreux articles dans le 
Ilibbert Journal ; H. G. Enelow, A Jewish view of Jesus, Hew York, 1920 : 
J6sus n'est pas Dieu, ni le Messie, mais qui pourrait evaluer ce que 
Jesus a ete pour I'humanite, Tamour qu'il a inspire, la consolation qu'il a 
donn6e, le bien qu'il a provoque, 1'espoir et la joie qu'il a allumes, tout 
cola est inegale dans 1'histoire humaine. 

2. Is. Abrahams, A Short History of Jewish Literature, London, 1906, 
p. 25; et Talmud, dans ERE, XII, 1921, p. 185-187. 

3. Voir Isaac Husik, A History of Medieval Jewish Philosophy, New 
York, 1918, p. 236 suiv. 



152 JESUS CHRIST. 

sant voit en lui un illusionne gravement coupable, il recon- 
nait que le mouvement d'iddes provoque par le christianisme 
doit s'interpreter comme une preparation providentielle au 
vrai Messie. 

Quant a cet homme qui se donne pour 1'Oint (le Christ), 
mais qui, dans la suite, subit justement la peine de mort,... y 
a-t-il plus grande erreur (que lasienne)? Tous les prophetes 
avaient dit que le Messie rach^terait Israel et 1'affranchirait de 
ses souffrances, qu'ilrassemblerait les disperses, etc... tandis 
que cet homme a contribue a ce qu'Israel (en tant que nation) 
fiit aneanti par Tepee, disperse et humilie. II a provoque un 
changement de la Loi, et induit le monde dans 1'erreur d'ado- 
rer quelque chose en dehors du vrai Dieu. 

Gependant aucune pense'e humaine ne peut saisir les des- 
seins du Createur, car ses voies ne sont pas les notres, de 
sorte que cefc homme, et les autres fondateurs de religions qui 
Font suivi, ont contribue a aplanir les voies pour le Messie 
veritable, qni doit instituerle culte duDieu unique pour tous 
les peuples de la terre, comme il est dit dans Sophonie, III, 9 . . . 
Grace a ces religions nouvelles, le monde entier s'est rempli 
de 1'idee d'un Redempteur-Messie, et des paroles de la Loi et 
des commandements. Ges paroles se sont repandues jusqu'aux 
iles lointaines et parmi de nombreux peuples qui n'ont aucune 
civilisation 1 . 

Ces vues presageaientcellesdeBaruch de Spinoza. Gelui-ci, 
dans ses Traites theologico-politiques (1670), et dans ses Let- 
tres 2 , parle de Jesus avec honneur, non comme d'un Dieu, 
certes, mais comme d'un tres grand prophete, et meme duplus 
grand des prophetes, au sens ou il entendait le mot. Selon lui, 
Dieu s'est communique auxhommes par 1'esprit de Jesus. On 

1. Mischneh Torah, XIV, 6, trad. Ed. Fleg dans Anthologie juive' 1 , II, 
Paris, 1923, p. 61-62. On peut voir la quelques specimens de la contro- 
verse juive centre les Chretiens : Moise ben Nachman en 1263, p. 121-122 ; 
La lettre a un Min du Prophiat Duran (Isaac ben Mos6 Hal6vi) vers 1395, 
ibid., p. 122-124. Cette pol6mique fait ressortirpar contraste la moderation 
du ton de Mai'monide. Le Mischneh Torah a ete 6crit vers 1175 : sur son 
importance, J. Abelson dans ERE, VIII, p. 341a. 

2. Tractalus Theologico-Politici, ch. i et iv, B. de Spinoza Opera 3 , 6d. 
van Vloten et Land, Leyden, I, p. 362-363; II, p. 7; Lettre &H. Olden- 
burg, Epi'st., 75, 78 : ibid., II, p. 414-416, 422-424. 



LE PROBLEMS DE JESUS. 15& 

peutappeler la voix du Christ, voix de Dieu, tout comme celle 
que jadis Molse entendait. Et on peut dire aussi en ce sens que 
la Sagesse de Dieu, c'est-a-dire une sagesse surhumaine, apris 
clans le Christ une nature humaine. Et que le Christ est la voie 
du salut. Bref, J^sus a perc.u si profonde*ment les choses de 
Dieu, etles a exprimeessi excellemment, qu'on peut 1'appeler 
non pas tant un prophete, que la bouche me'me de Dieu . 
On abuserait de ces expressions en representant Spinoza 
comme un chretien 1 . 11 voit dans Jesus le plus grand de& 
hommes, mais enfin un homme, et il n'admet sa resurrection 
que dans le sens spirituel. II n'en reste pas moins que 1'auteur 
de VEthique, excommunie ofBciellement par la Synagogue, 
mais ayant continue d'exercer une tres prol'onde influence par 
ses ceuvres sur l'6lite de ses anciens coreligionnaires, ouvre- 
avec eclat la voie qu'a suivie le judaisme liberal 2 . 

Le commencement de celui-ci, en ce qui touche la personne- 
de Jesus, apparalt, semble-t-il, dans les ouvrages d'un homme 
auquel James Darmesteter a donne* la premiere place parmi 
ses Prophetes d' Israel, Joseph Salvador 3 . Dans ses ouvrages- 
eloquents, personnels, Salvador parle longuement de Je"sus v 
La premiere etude qu'il lui consacre est une longue note de- 
son Essai sur la Lot de Molse, paru en 1822. II y soutient que- 
le proces de Jesus n'a pas besoin d'etre revise, ayant ete juge- 
selon les formes : on peut regretter la sentence ; legalement r 
elle est inattaquable. Dans Jesus Christ et sa doctrine (1838) r 
1'auteur aborde la question en general. Salvador reprend la,, 
mais en la developpant largement, la pensee de Maimonide : le 
Christianisme est une etape providentielle entre le polytheisme 
et le monotheisme israelite, qui est la verite, mais dont le monde 
antique n'etait pas capable. Partant de la, 1'auteur explique 

1. Voir li-dessus Sir Frederick Pollock, Spinoza, his Life and Philo- 
sophy 2 , London, 1912, p. 341-344; et surtout S. von Dunin-Borkowski, 
Derjunge De Spinoza, Minister i. W v 1910, p. 460-465, oil la question est. 
tres bien traitSe. 

2. Cf. R. Travers Herford, Christ in Jewish Literature, dans DCG, II,. 
p. 881, 882. 

3. N6 a Montpellier en 1796, d'un pere Israelite d'origine lointaine 
espagnole et d'une mere chr6tienne, mort en 1873. Voir Darmesteter, Les- 
PropMtes d' Israel, Paris, 1895, p. 279 suiv. 



154 JESUS CHRIST. 

la formation de PiEJvangile de Je"sus comme le confluent de 
deux elements : le prophetisme messianique et les aspirations 
de la mythologie hellenique. Si l'historicit& de la personne de 
Jesus est ainsi, pour une tres large part, volatilisee, le ton 
grave et respectueux de Salvador tranche nettement sur le 
dedain ou le violences des ecrivains juifs ses contempo- 
rains. 

Dans le troisieme volume de son Histoire des Juifs, paru en 
1856 *, Henri Graetz pre"sente Jesus comme un Essenien, tout 
entier preoccupe" de reforme morale et fort eloigne" de vouloir 
>rien changer a la religion juive de son temps; mais en mime 
temps, il rend justice a la hauteur de son earactere et a la purete 
-de sa vie. Jost, J. K. Weiss, et nombre de savants Israelites 
suivirent, avec des differences considerables dans 1'apprecia- 
tiondes faits, 1'impulsion donn4e par Graetz. Il f s s''appliquerent 
a montrer en Jesus soit un prophete injustement condamn^, 
soit un sage, mal inspire dans le choix de sesmoyens, mais pour- 
suivant une fin elevee. Avec beaucoup plus de science, les 
-auteurs contemporains qui ont trace, danal* Encyclopedic juive, 
la figure du Sauveur, manifestent aussi plus de penetration cri- 
tique et un egal respect. Pour eux, tout en admettant certaines 
pratiques de 1'essenisme, Jesus se s^parait des Esseniens et des 
autres Juifs de son temps, sur des points capitaux. La cause de 
.sa mort violente et injuste fut, non une revendication mes- 
sianique qu'il ne rendit pas publique, mais l'autorite qu'il s'ar- 
rogea en face des representants du legalisme de son temps. 
Jesus de Nazareth eut une mission de la part de Dieu; il dut 
avoir le pouvoir spirituel et les aptitudes qui conviennent a 
cette election. 

Le plus grand effort accompli jusqu'iei par un Israelite or- 
thodoxe pour apprecier la personne et 1'oeuvre de Jesus est 
celui de Joseph Klausner, dans Fouvrage ^crit en hebreu sur 

1. Les volumes I et II ne parurent qu'en 1874-75. L'histoire enticrc 
allant des origines a 1848, compte onze volumes et douze tomes, rediges 
en allemand, etpublies entre 1853 (vol. IV) et 1875 (vol. I et II). Elle est 
la plus complete qui existe et a 6t6 traduite partiellement en francais par 
M. Hess, L. Wogue et M. Bfoch. Sur Graetz, voir JE, VI, 64-67; et J. Dar- 
mesteter, L'Histoire d'lsrael et M. Graetz, dans les Prophetes d'IsraM, 
Paris, 1895, p. 227-245. 



LE PROBLEME DE JESUS. 155 

Jdsus db Nazareth, son temps, sa vie, son enseignement { . 
Apres une etude sur les sources, oil il adoptey en ce qui tou- 
-eke lea documents ^chre'tiens, les vues de Fexegese liberate 
telle quo A. Julicher par exemple, et H. Weinel les exponent, 
I'auteur decrit 1'etat du milieu social ou parut le Sauveur, 
raconte assez brievement sa. vie et earaeterise son action. 
D'apres' lui, <t J6sus tut semblable a un Pharisien et k un 
scribe; ua rabbi . galile en, pr^cheur ambulant, different des 
^tutres par certains traits :; la pre'dication; du Royaunie comme 
prochain;;- I'aecent mis sur les preceptes moraux a I'ex elusion 
des formaiismes; le caractere original et;direet de son ensei- 
^gnement qui. ne se presentait pas comrae une glose scriptu- 
raire; enn la part faite au miracle dans; sa. mission. L'oppo- 
sition lui vint des; Pharisiens, choques par sa liberte de 
'langag-e et d'allure. Le peuple, qui 1'avait d'abord acclame, 
e retira de lui.. Apr 6s avoir fait reconnaitre son caractere de 
Messie, (cdont il etait persuade des le debut de sa mission , 
par ses disciplea, EtCesaree de Philippe, Ji^sus monta a J f eru- 
salem T et la,, se brisa contra la colere des chefs de son peu- 
ple. Israelite dans les maelids, J6sus ne ut pas un simple 
maltre parmi les maitres de son temps : son origiualite est in- 
comparable et, comme moraliste, comma spirituel, personne 
en Israel ne I'egala jamais. Son erreur But de n^gliger laterre, 
les cadres sociaux, nationaux, la lettre necessaire a i'esprit : 
cet exclusivisme devait amener sa rupture d'avee son peuple. 
Gonsidere du point de vue de 1'humanite en general, Jesus 
a ete cependant, conclut Klausner, Une lumi&re pour les 
<Gentils* Ses disciples ont porte la iainpe de la Torah d'Israel 
devant les Gentils, encore qua sous une. forme defectueuse et 
imparfaite, aux quatre coins du monde.. Nul Juif ne peut ou- 
blier ce que signifient par la Jesus et son enseignement dans 
Fhistoire du monde. Malmonide ne 1'a pas oubhe, ni Juda 
Halevi 2 . Mais considere du point de vue juif, Jesus ne peut 

1. J&hu/ia-Notzri, J6rusalem, 1922. Une traduction anglaise a 6t6 publi6e 
par Danby, London, 1925. Voir R. Travers Herford, The Hibberl Journal, 
XXII, juillet 19iJ4, p. 805-815; et G. F. Moore dans Harvard Theological 
Review, Janvier 1923, p. 93-103. 

2. Juda Halevi, Juif espagnol du xu siecle, consid6re comme le plus 
grand poete d'Israel au moyen age. 



156 JESUS CHRIST. 

pas e"tre le Messie ; le Royaume des cieux, les jours du Messie 1 
ne sont pas encore arrives. On ne peut me'me regarder Jesus 
comme un prophete, au moins dans le sens national et poli- 
tique du mot. Mais il reste me'me pour les Israelites un 
moraliste inegale, et 1'enseignement moral de 1'Evangile d& 
Jesus, si on le separe du reste, est un des joyaux les plus 
magnifiques de la litterature d'Israel dans tous les ages 1 . 

Le judaisme e"largi de M. G. G. Montefiore (auquel repond r 
mais avec une nuance plus radicale, celui de M. le rabbin- 
Germain Le"vy en France) va plus loin encore dans la voie du 
respect et, disons-le, de la ve'ne'ration pour la personne du 
Christ. Pour M. Montefiore, Jesus fut un prophete succes- 
seur authentique des anciens prophetes, surtout des grands- 
prophetes d'avant 1'exil : Amos, Osee, Isaie ~ & . Je"sus se 
sentait inspire de Dieu, comme les prophetes du passe , mais 
sa croyance a la fin prochaine des choses (nous trouvons ici 
I'mfluence dominante, d'ailleurs reconnue par Montefiore, de 
M. Loisy) I'empe 1 cha probablement de se regarder pendant 
sa vie comme le Messie 3 . Quoi qu'il en soit, 1'esprit de Jesus- 
lui survit et possede une vertu que personne, les Israelites 
pas plus que les autres, ne peut negliger sans dommage. Gar 
cet esprit porte les traits caracteristiques du ge*nie. II est 
grand, stimulant, he*ro!que 4 ... . 

A cote des Juifs croyants, conservateurs ou liberaux, un 
nombre croissant d' Israelites restent fideles a leur race et & 
leurs traditions, sans professer la religion de lahve. En ma- 
tiere religieuse, ils sont humanistes : les Juifs de cette espece r 
dont James Darmesteter a ete le plus sincere et le plus elo- 
quent, dont M. Salomon Reinach est le representant le plu& 
connu, n'ont pas droit a figurer en cette place. Leur concep- 
tion du Christ les classe habituellement a 1'extre'me gauche- 
des critiques. 

1. On peut comparer (cf. supra, t. II, p. 151, n. 1) lemagnifique 61oge de 
Jesus par le rabbin H.G. Enelow, A Jewish view of Jesus, New York, 1920, 
traduit enpartiedansEd. F\eg,Antholoyiejuwe 7 , Paris, 1923, II, p. 274suiv. 

2. The Synoptic Gospels, London, 1909, vol. I, p. 100. [2 ed., London^ 
1927], 

3. Ibid., p. 95. 

4. Ibid., p. 105. 



LE PROBLEME DE JESUS. 157 



Les Musulmans, 

Jesus occupe, on le salt, une place considerable dans le 
Goran et, par consequent, dans 1'Islam, ou le Livre appris 
par coaur des 1'enfance, est un systeme du monde positif et 
reve'le, reglant 1'experimentation, 1'explication et 1'appre'cia- 
tion de tout e vehement 1 . Par malheur, Mahomet connut 
plutdtles apocryphes que les evangiles canoniques. II nepuisa 
pas sa connaissance (du christianisme) a des sources purement 
-chretiennes, mais dut 6tre instruit seulement par les judeo- 
chretiens 2 . G'est a cette deviation originelle que les donnees 
coraniques sur Jesus doivent leur incoherence partielle, et les 
erreurs de fait qui les constellent. 

Appele a la vie par le fiat divin, Isa 3 naquit d'une mere 
vierge,Mariam : Seigneur, repondit Marie, comment aurai-je 
un Ills? aucun homme ne m'a touchee. G'est ainsi, 
reprit 1'ange, que Dieu cree ce qu'il veut. II dit : Sois , et 
il est 4 . Aussi Je*sus est auxyeux de Dieu ce qu'est Adam . 
II est le Verbe de Dieu qu'il jeta dans Marie; il est un es- 
prit venant de Dieu 5 . Mais il n'est pas Fils de Dieu au sens 
propre, car Dieu est unique. Gloire a lui! comment aurait-il 

1. Louis Massignon, Al-HallAj, Paris, 1922, II, p. 466. 

2. B. Carra de Vaux, Indjil, dans Encyclopedic de V Islam (= El), II, 
1921, p. 535 a. 

3. Sur ce nom, D. B. Macdonald, 7sa, dans Ef, II, p. 558, 6; et E. Sell 
et D. S. Margoliouth, Christ in Mohammedan Literature, dans DCG, II, 
p. 882 a, note. 

4. Goran, 3, 42, cf. 3, 52. Le premier grand commentateur du Goran, 
Mogatil (mort en 767 = hegire 150) note que la mention de 1'acte crea- 
teur par la parole n'intervient que huit fois dans le Goran, et toujours 
au sujet de Jesus et de la resurrection ; L. Massignon, Alffalldj, II, 
p. 520, note 2 et 3. 

5. Goran, 4, 169, 1'Islam posterieur nomine meme Jesus 1'Esprit >, 
1' Esprit de Dieu > : D. B. Macdonald, El, II, 558 b. La notion d'esprit, 
et d'Esprit-Saint dans le Goran, est tres confuse (Mahomet 1'applique a 
1'ange Gabriel : B. Carra de Vaux, Dejabra'il, dans El, I, p. 1017-1018). 
Sur les notions de verbe, parole (Kal&m) et d'esprit (Rouh) dans la dog- 
matique musulmane ancienne, L. Massignon, Al-ffalldj, II, p. 652-664, 
et Essai sur les origines du lexique technique de la mystique musulmane, 
Paris, 1922. 



15B JESUS CHRIST. 

unfils? Le Messie (Jesus) ne d^daigne pas d'etre le serviteur 
de Dieu 1 . Le fils de Marie..., Jesus, n'est qu'un serviteur... 
Quand il vint au milieu des hommes, accompagne* de signes,. 
il dit ^ Je vous apporie la sagesse... Graignez done Dieu et 
obdissez-rmoi. Dieu est mon Seigneur et le vdtre, .adorez4e r 
c'est le chemin droit 2 . 

Isa est un projphete constitue* par Dieu 3 , 1'envoye* >de Dien r 
I'ap6tre de Dieu 4 , pourvu .par lui d'une mission ;qui est un 
sigue et une misericorde, fit de laquelle il a donne .des|xreu- 
ves manifestos par ceuvres ^et paroles. Allah 1'a investi en 
effet de la puissance de fairfi des miracles, de i-essusciter le& 
morts, de ;gu<srir les malades 5 . Ses contemporains me I'ont 
pas regu : ils .ont.menie cru le tuer. lls diserit : . Nous avons 
mis a mort le Messie, Jesus fils de Marie, Fenvoye de Dieu, 
Non,.ilsne rontpastue", ils/ne 1'ont pas crucifie : unJiomme 
qui lui ressemblait fut mis a sa place 6 . Dieu 1'a enleve au rciel 
d'ou il reviendra dans les derniers jours 7 pourmettre teuton 
ordre, achever la conversion du monde, ;mourir r^ellement, t 
finalement manifester le Jugement prononce par Dieu sur tou& 
les hommes 8 . 

En consequence de ces dons et prerogatives recus ide 
Dieu, Jesus est digne des plus hautes louanges : Jesus, -fils 
de Marie, illustre dans ce monde et dans 1'autre, est un de& 
familiers de Dieu 9 ; Beni partout o.u il s.e trouve 10 . 

1. Goran, 4, 169. 

2. Goran, 43, 63, 64, cf. 19, 31, 37. 

3. Goran, 19, 31. 

4. Goran, 4, 156. 

5. Goran, 3, 43, 44; 5, 110. 

6. Goran, 4, 156 : mais voyez 3, 48. 

7. * 11 seral'indice de 1'approclie de 1'heure ; Goran, 43, 61. Ce mot 
tres obscnr a donn6 lieu a toute une litterature dans 1'Islam, et sert de 
base a 1'identification de Jesus avec le Mahdi, profess6e par bon nom'bre 
de musulmans. Voir D, S. Margoliouth, Mahdi, dans ERE, VIII, p. 337-a; 
et sur le retour et 1'action de J6siis dans les derniers temps : D. B. Mac- 
donald, 'Isa, El, II, p. 559. 

8. Surce role de Jesus comnie juge, dans les th6ologiens et les mysti- 
ques de I'lslam ancien, L. Massignon, Al-IlallAj, II, p. 683, 689 et les 
auteurs cites par lui. 

9. Goran, 3, 40. 

10. Goran, 19, 32. 



LE PROBLEMS DE JESUS. 159 1 

En somme Mahomet .salt, a sa fac.on, plus de choses :SUP 
Jidsus que sur n'iinporte quelle figure religieuse du passe. 
Mais Foil voit aussi qu'il omet quelque chose. Le Goran ne- 
nous donne aucune explication de 1'apparition sur la terre de 
cette figure unique d'un deuxiemB Adam, d'un demiurge, d'un 
Logos... II n'explique pas comment il est un signe , une- 
grace , un exemple et une parabole 1 . Par contre r 
le Goran sait toujours fort Men v mais sur tout dans lessourates- 
me'dinoises de la fin, pour les besoins de sa cause, ajouter a- 
1'Evangile. 

Alors que le point de vue politique avait prevalu, et qu& 
la coupure avec les ohretiens 6tait plus profonde, le Prophete 
affirme de son cru, et illustre par le rappel de signes mer- 
veilleux, que le Messie, fils de .Marie, n'est qu'un ap6tre- r 
d'autres apdtres Tont precede. (Sans doute.) sa mere etait juste r 
(mais) il se nourrissait de mets (comme un simple mortel) "*-. 
Plus loia, dans la mdme sourate, 1'une des toutes dernieres s \ 
sinon la derniere de toutes, Jesus est mis en demeure par 
Dieu lui-me'me, au jour ou celui-ci jugera ses envqyes, de re- 
nier sa divinite et celle de sa mere 4 . Dieu dit,alors a Jesus r 
As-tu jamais dit aux hommes : Prenez pour Dieux moi et ma 
mere, a edte* du Dieu unique?... Par ta Gloire! Non. Comment 
aurais-je pu dire ce qui n'est pas vrai 5 ? 

Les ancieas auteurs musulmans ont peu ajoute a ce que 
Mahomet avait dit de Jesus' 6 : dans deux directions seulement,. 

1. B. D. Macdonald, l <Isa, dans El, II, p. 560 a. 

2. Goran, 5, 79. 

3. La-dessus, Noeldeke-Schwally, Geschichle des QorAns*, Leipzig, 1909- 
1919, 1, p. 227 suiv. 

4. On sait que pour Mahomet la trinite chretienne se compose du Pere,. 
du Fils, et de la sainte Vierge. 

5. Goran, 5, 108-116. 

6. Les th6ologiens de 1'lslam consacrent au christianisme, apres le 
judaisme, une refutation sommaire. La plus importante de ces refutations 
est sans doute d'Ibn Hazra de-Courdoue (mort en 1064) dans son ouvrage 
considerable El Fisal filmilal (reedite au Caire en 5 vol., en 1900-1904 = 
hegire 1317-1321). L'auteur critique durement la religion chretienne,-repre- 
nant i sa fagon les arguments classiques de Celse et des n6o-Platoniciens 
du iv e siecle. L'Incarnation est inconcevable, attentatoire a la majeste de- 
Dieu; les premiers Chretiens, et notamment Paul, ont falsifie sur ce point 



160 JESUS CHRIST. 

la legende d'Isa a pris en Islam de vastes deVeloppements : 
la premiere, eschatologique, concerne Jesus dans le r61e de 
Mahdi ou dans ses rapports avec le futur Malidi et ne nous 
interesse pas ici. L'autre est essentiellement religieuse et a 
son point d'insertion dans les passages du Goran ou il est 
parle du Fiat divin de TEsprit 1 , et du jugement final des 
ap6tres ou envoyes divins au dernier jour 2 . G'est une doctrine, 
pour autant qu'on en peut juger par ce qu'en a dit le savant 
'qui 1'a etudiee le plus a fond 3 , plutot d'inities, un peu esote- 
rique, en tous cas combattue par un certain nombre de 
theologiens rigides. Elle a atteint son expression parfaite 
dans 1'ecole mystique des siecles d'or de 1'Islam, en Mesopo- 
tamie et en Perse. 

Parmi ces mystiques, le premier en date qui a pre'te a Jesus 
un rdle de premier plan, semble avoir ete Tirmidhi (mort 
en 898 = hegire 285), le premier aussi dans lequel une 
influence hellenistique et chretienne apparaisse*. II reven- 
dique la preseance du saint (Wall) sur le prophete (Nabi), et, 
pour Jesus, Feminence dans 1'ordre de saintete : Jesus est 
done le sceau des saints comme Mahomet est le sccau 
des prophetes 5 . Apres d'autres, Al-Hosayn-ibn-Mansour 
al-Hallaj, le martyr mystique de 1'Islam mort le 26 mars 

sla doctrine de Jesus, etc... Voir le memoire d'Asin Palacios, dans Discur- 
.sos leidos ante la Real Academia de la ffistoria, Madrid, 1924, r6sum6 par 
A. Bel, RHR, XC, 1924, p. 107 suiv. 

1. Coran, 2, 111; 3, 42 et 52; 6, 72, etc., et Goran, 17, 87, de 1'esprit, 
.Rou\i. 

2. Coran, 5, 108-120. 

3. Louis Massignon, Al-Hallaj, II, ch. XH, notammentp. 514-521, 683 suiv.; 
739, 750-753, 768-770; voir aussi J. Marechal, Le ProbUme de la grace mys- 
tique en Islam, danstfSfl, XIII, 1923, p. 273 suiv. 

4. Les deux vont ensemble et ont ete transmises par les memes canaux : 
c La philosophic et la th6ologie islamiques, dit a ce propos avec sa grande 
autorite Miguel Asin Palacios, sont sous la dependance effective de la pensee 
classique et de la pensee chretienne. Saint Jean Damascene et son disci- 
ple, Abou Qorra, derniercs lumieres de la th6ologie byzantine, sont les 
initiateurs et les maitres des theologiens mulsumans d'Orient. > Discursos 
leidos, etc., 1924 : trad. A. Bel dans RHR, XC, 1924, p. 107. Sur les sources 
chretiennes de la mystique mu'sulmane, voir ce que dit F. C. Burkitt, 
-d'apres A. G. Wensinck, dans le JTS, octobre 1924, p. 81-86. 

5. Louis Massignon, lib. laud., p. 739, 752, 753, et textes, ibid. 



LE PROBLEME J)B JESUS. 161 

922 ( = he'gire 309) pousse a bout ces vues. N6 de PEs- 
prit, Jesus est conside"re comme possede par cet Esprit divin 
et, par consequent, comme 1'exemplaire de toute saintete : 
quand il ne reste plus d'attache charnelle (dans 1'ascete), 
alors descend en lui cet Esprit de Dieu, de qui naquit Jesus, 
fils de Marie 1 . Second Adam, Jesus presidera le jugement 
supreme, puisque mil plus que lui n'a ete sincere et uni a 
Dieu. Dieu va reunir les esprits sanctifies lorsque Jesus 
reviendra sur la terre. II y aura sur terre un tr6ne place 
pour lui, et dans le ciel un tr6ne place pour lui. Dieu qui a 
ecrit un livre contenant la Priere, la Dime, le Jeune et le 
Pelerinage definitifs (devoirs essentiels de tout croyant), lui 
remettra ce livre par le heraut des Anges (Michel) en disant ; 
Irradie! au nom du Roi absolu 2 . 

Encore presentement, les Musulmans croyants ne parlent 
jamais de Jesus qu'avec respect, et de sa mere qu'avec vene- 
ration. Toutefois, sauf de rares exceptions, situees plutdt au 
dela qu'en deck des confins de 1'Jslam, ils ne connaissent le 
Sauveur que par les allusions nombreuses et detaillees,, mais 
enigmatiques et parfois peu coherentes, du Goran. Presque 
seuls, les conciliateurs a tendance syncretiste de 1'Inde, qui 
.suivent de loin et avec plus de discretion la tradition du 
Grand Mogol Akbar (1542-1605) 3 , oat. souci d'une informa- 
tion plus complete 4 . Quant aux Musulmans liberaux de la 

1. Doctrine de Al-HaMj resumee par un th6ologien adverse contempo- 
rain, probablement AboH al Qasim Eaabi (mort en 931 = hegire 319) 
ap. Massignon, lib. laud., II, 515 et note 2. 

2. Al-Hallaj, Riw&y&t, 23; dans Massignon, lib. laud., II, p. 902; cf. 
ibid., II, p. 684, 685. Irradie , c'est-a-dire proclame le jugement , 
jnais dans 1'etat de transfiguration, d'illumination, d'irradiation obtenu par 
la grace transformante, tajalli. Sur cette notion, ibid., I, p. 68, 255; II, 
p. 495, 595, 697. 

3. Sur la tentative d'Akbar pour fonder la religion divine > (Diu-Ilahi), 
theisme eclectique, ou des elements musulmans, hindous, parsis, et memo 
Chretiens figuraient, voir par exemple A. S. Beveridge, s. v. Akbar dans 
El, I, p. 232, 233. 

4. Un de ces croyants qui signe Ibn-Ishak, a donne au Hibbert Journal, 
VII, 1909, p. 523-540 : Islam and common sense, une apologie un peu sim- 
.pliste, encore que respectable sous sa plume, de sa religion. II rappelle le 
titre coranique de Jesus : < esprit de Dieu>, et serait assez dispose a parta- 
-ger le monde entre les trois religions qui lui paraissent principales : 1'Islam, 

CHRIST. ii. 11 



162 JESUS CHRIST. 

Jeune Turquie, ils s'adressent plut6t pour se renseigner sur 
Jesus, aux critiques rationalistes les plus avances. 



2. La Grise de la Foi Chr6tienne a I'intSrieur 

du Ghristianisme. 

Les Antichrists de la Renaissance. 

Brebis et bergers, docteurs et simples, le peuple chretien 
vecut durant dix siecles de la foi au Christ confessee des 
1'origine, proclamee a Nicee en 325, formulee a Ghalcedoine 
en 451. 

La theologie, necessaire pour couper court aux erreurs 
subtiles, n'abolit done ni n'obnubila les traits du Maitre, 
humain et Sauveur, adorable et accessible. II y eut sans 
doute, au cours de ce millenaire, me'me aux epoques les moms 
tourmentees, maint sceptique et plus d'un apostat, auquel le 
Christ incarne parut une folie ou un scandale 1 , mais la chre- 
tiente prise dans son ensemble, soit qu'elle edifiat dans la 
serenite des Sommes de pierre et des cathedrales de doc- 
trine, soit qu'elle s'attendrlt dans les effusions de ses pau- 
vres et les elans de ses mystiques, trouva et gouta dans 
1'enseignement commun le Jesus de 1'Evangile 2 . 

le christianisme, et le bouddhisme. Une pensee analogue a s6duit un cer- 
tain nombre de musulmans 6claires, notamment l'6mir Abd-el-Kader, 
mais celui-ci, plus fidele aux vues du prophete, restreignait la tolerance 
mutuelle qu'il revait aux tenants des trois religions monoth6istes. II com- 
parait Mo'ise, J6sus et Mahomet a trois homines dont le pere est unique 
et les meres diff6rentes. Voir les textes dans L'Islam, du C te Henry de 
Castries, Paris, 1896, p. 245. 

1. II suffit de se rappeler le libertinage intellectuel de la cour de 1'Em- 
pereur Frederic II au temps m6me de saint Louis. Duplessis d'Argentre 
(Collectio indiciorum de novis erroribus, etc., Paris, 1724 suiv., I, p. 126) 
nous assure que le fameux conte Des Trois Imposteurs (Mo'ise, J6sus, 
Mahomet) 6tait enseign6 comme v6rit6 a Paris par Simon de Tournai en 
1301. 

2. Longtemps fourvoy^e par le d6sir d'exalter Luther, de le montrer 
ressuscitant des morts 1'Evangile apostolique , cens6 jusqu'alors 
obrue sous les d6combres de la scolastique m6dievale ou perdu dans un 
dedale de superstitions, la th6ologie r6form6e revient a une vue plus juste 
du pass6. L'ouvrage, d'ailteurs 6rudit, de H. R. Mackintosh, The Doctrine 



LE PROBLEME DE JESUS. 163 

Get etat de possession tranquille prit fin pour la chre"tiente 
avec le xv e siecle, sous 1'influence de causes diverges, 
parmi lesquelles deux se pre*sentent d'abord comme decisives : 
les hardiesses de 1'Humanisme 1 paien, etla revision generale 
des valeurs religieuses provoque*e par 1'explosion protestante. 
Les auteurs responsables de celle-ci, Luther en te"te, se 
fussent estimes criminels s'ils avaient biffe de leur credo, 
ou meme revoque en doute, les dogmes concernant la divi- 
nite du Christ ; il reste que leur dedain de la theologie scolas- 
tique, leur impatience de tout contrdle autorise* et, par dessus 
tout, le r61e assigne par eux, en dernier ressort, a 1'expe- 
rience religieuse subjective, permirent de discuter et d'e*bran- 
ler la dogmatique chre'tienne entiere. 

L'influence de Luther, qui fut capitale, ne s'exerga done 
pas moyennant sa christologie particuliere. Ge nom me"me 

of the Person of Jesus Christ 3 , Edinburgh, 1914, p. 230 suiv., est encore 
domine par les prejug6s anciens. Dans ce mcme Vvre, saint Augustin et 
toute la theologie m6di6vale jusqu'a la Reforme, ovniennent juste le nom- 
bre de pages consacre a la christologie de 1'ecole de Hegel ! Des idees plus 
justes prevalent desormais ; on pent voir ce que dit sur la religion de la 
fin du Moyen Age Karl MM er dans la Geschichte der Christlichen Religion* 
(Kultur der Gegenwart, I, IV, 1), Leipzig, 1922, p. 263 suiv., et, moins 
solidement erudit mais plus brillant et d' esprit plus libre, Friedrich Heiler, 
Der Katholizismus, Seine Idee unde seine Erscheinung, Miinchen, 1923. 
Dans ce dernier ouvrage, large justice est rendue non settlement aux 
grands mystiques medievaux, un Bernard de Clairvaux, un Francois d'As- 
sise, un Thomas de Kempen, mais aux grands docteurs scolastiques, un 
Anselme, un Thomas d'Aquin, un Bonaventure. 

Peu de livres, parmi ceux d' auteurs catholiques, sont plus aptes a faire 
comprendre la pi6te du Moyen Age jusqu'i la R6forme que les adml- 
rables ouvrages d'Emile Male sur YArt religieux en France. 

On peut voir aussi avec profit le second volume de la Spirilualite Chrd- 
lienne de P. Pourrat, Paris, 1921 . 

1. C'est a regret qu'on emploie une expression de sens aussi large, aussi 
hospitalier, mais elle est ici inevitable. II va sans dire qu'on sait toujours 
distinguer humanisme et humanisme ; qu'on appr6cie a savaleurla cul- 
ture antique et qu'on la croit capable d'une feconde entente avec la dog- 
matique chrStienne ; qu'on connait et admire les grands humanistes 
Chretiens contemporains de ceux dont il est question ici ; enfin que 1'on 
n'ignore pas 1'humanisme devot de saint Frangois de Sales et de ses pa- 
reils. Sur 1'expression et la conception chr6tienne de 1'Humanisme, voir 
Henri Bremond, Histoire Litteraire du Sentiment Religieux en France, 
VHumanisme de'vot, Paris, 1916, p. 1-18, etpassim. 



164 JESUS CHRIST. 

detonne quand on veut decrire 1'attitude du reformateur 
envers Jesus : il ne s'agit guere pour lui de theologie, apeine 
de doctrine. Pecheur, foncierement corrompu, traque par la 
meute diabolique de passions irresistibles, Luther court au 
Christ avec une confiance qui ressemble parfois a de la fureur, 
comme une b6te alteree se jette dans une eau vive. II trouye 
la le sentiment d'etre pardonne, justifie, rentre en grace. 
Pour lui, Christ seul est la justice et la verite de Dieu, 
1'unique reelle manifestation de 1'essence de Dieu, de son 
amour, de sa grace justifiante 1 . Aussi refuse-t-il parfois de 
distinguer dans le Verbe incarne 1'element humain du divin : 
il fond celui-la dans celui-ci. Non qu'il soutienne une these 
monophysite, mais parce que tout est divin pour lui dans son 
Sauveur. Ges vues, exprimees avec une force et un pathe- 
tique incontestables, relevent moins d'un systeme que d'un 
instinct. 

Ce qui ouvrit la voie au liberalisme en permettant a 1'esprit 
propre de s'exercer sur tout, sans excepter le dogme fonda- 
mental de la divinite du Christ, ce fut la maniere dont Luther 
comprit et definit, d'apres son experience a lui, la religion 
elle-me'me, le commerce amical et sanctifiant de l'homme 
avec Dieu 2 . Les Chretiens avaient cru, des 1'origine, que 
Dieu daignait s'associer pour collaborer 3 avec lui, dans 
1'ceuvre du salut, des instruments crees, ministres et rites 
visibles. Dieu pouvait se passer de ces intermediaires sacra- 
mentels et personnels ; il s'en servait ordinairement, et 
Thomme instruit du dessein divin ne pouvait s'y soustraire 
sans prejudice pour son salut. C'est au cceur que cette eco- 
nomic est atteinte par la conception lutherienne de la justifi- 
cation du pecheur et, si la pensee du reformateur, encore 

1. J'emprunte ces expressions a U Epanouissement de la pensee religieuse 
de Luther de 1515 d 1520, par Henri Strohl, Strasbourg et Paris, 1924, 
p. 63. D'autre part, nous dit le meme auteur, Luther emploie couram- 
ment comme synonyme^ les termes Dieu, Christ, Esprit et Grace (p. 66). 

2. Ce point, et 1'interpretation generale adoptee ici, a ete mis en bonne 
lumiere par le plus profond des historiens protestants de la Reforme, 
Ernst Troeltsch, dans la Geschichte der Christlichen Religion* : Kultur der 
Gegenwart, I, IV, 1 B, Leipzig, 1922 : Der Proteslantismus in seinem allgc- 
meinen Verhaeltnis zu Mittelalter und moderner Welt, p. 456 suiv. 

3. SEOU yap iff[j.EV ouvepyof. I Cor. ; III, 9. 



LE PROBLEME DE JESUS. 165 

engage*e dans les cadres traditionnels, ne coneut jamais la 
suppression effective de tout intermediaire sacramentel, il 
posa le principe que d'autres pousserent logiquement a ses 
dernieres consequences. Ecoutons un the'ologien lutherien tres 
penetrant nous expliquer la genese de cette attitude. 

Le sentiment du devoir a accomplir, exalte par Pecole 
d'Occam, a mene Luther au desespoir de soi, a 1' experience 
de la convoitise invincible, du mal radical, du pe"che perma- 
nent, de 1'incapacite de la volonte humaine a parvenir a la 
perfection entrevue. 

L'illumination soudaine qui lui fit comprendre que ce 
n'est pas la presence de Dieu qui peut provoquer ce senti- 
ment de reprobation absolue, le rejette sur 1'autre p61e de la 
vie chre"tienne. II voit Dieu a I'ceuvre en lui, et s'abandonne 
a son activite redemptrice. II devient passif, et subit avec 
un effroi et une joie indicibles 1'action d'une volonte surhu- 
maine, sainte, regeneratrice... 

II y a une formule pour definir 'eette experience : justi- 
fication par Dieu, par la grace, par 1'interme'diaire de la foi. 
Et il ne se lasse pas d'en parler... Elle implique deux choses : 
une certitude absolue d'avoir Dieu pour lui, un sentiment 
de securite interieure qui ne 1'a plus jamais abandonne... 
S'il cherche une formule dogmatique pour expliquer ce qu'il 
soutient et il ne le fera que passionnement il la trou- 
vera dans la doctrine de la predestination de saint Paul et 
de saint Augustin... 

Le contact direct etabli entre Dieu et l'homme par la grace 
et realise par la foi du chretien, entraine I'affranchissement 
de toutes les dominations metaphysiques : colere de Dieu, 
Loi, Mort, Diable, Enfer, et de toutes les tyrannies eccle- 
siastiques de la hierarchie, de ses moyens de grace, etc... 
L'Eglise consideree comme institution divine, seule dispen- 
satrice du salut, devient inutile. Par centre PEglise, com- 
munion des croyants attaches a la parole de Dieu, seul 
organe de 1'esprit divin, subsiste comme re*alite effective 
mais invisible *... 



1 . Henri Strohl, L'Epanouissement de la pensde religieuse de Luther, etc., 
p. 4-6. Voir aussi p. 45 suiv., 129 suiv., 371 suiv. ; pour la justification J 



166 JESUS CHRIST. 

II est manifeste que 1'experience exemplaire ainsi decrite, 
affranchissant de toute hierarchic et des moyens de grace 
traditionnels, cantonne 1'essentiel de la religion dans le sub- 
jectif et 1'invisible, rend caducs tout contr61e exterieur, toute 
autorite distincte de 1'esprit de Dieu agissant immediatement 
en chaque croyant. 

Longtemps obnubile et parfois combattu dans la Reforme 
devenue un faisceau d'Eglises, et comme telle favorisant le 
maintien d'une autorite et de moyens de communion visibles, 
le principe lutherien de la subjectivity et de I'autonomie 
absolue de la vie chretienne n'a jamais cesse de travailler a 
la maniere d'un levain le monde protestant. En attendant 
qu'il I'emiettat et 1'atomisat, il fournit durant deux siecles, 
aux novateurs moins Chretiens ou totalement emancipes de la 
Hoi, un pretexte a leur hardiesse, et un milieu partiellement 
desarme en face de leurs negations. 

Les novateurs n'avaient pas attendu la Reforme pour 
exister et m6me pour semer plus ou moins discretement leur 
ivraie; mais il y eut entre ces deux forces ulterieurement 
divergentes, et devenues parfois antagonistes, un echange 
initial et durable de services inestimables. Les humanistes 
detaches et inquiets, disciples de Le Fevre d'Etaples et 
d'Erasme, fournirent aux initiateurs du protestantisme des 
auditeurs tout prepares et des recrues de choix. En retour, 
Ites reformes, une fois fermement etablis, assurerent aux 
humanistes de gauche une relative liberte de pensee, et aux 
autres une via media qui parut acceptable a beaucoup : assez 
de tradition chretienne pour eviter la rupture brusque avec 
le passe, assez de simplifications pour que les desirs des 
Erasmiens fussent satisfaits *. II s'etablit ainsi, pendant 

et Rob. Will, La liberte chretienne, Etude sur le principe de la pie'le chez 
Luther, Strasbourg, 1922, p. 114 suiv. Parmi les auteurs catholiques, 
Hartmann Grisar, Luther*, Fribourg-en-Brisgau, 1912, I, p. 186 suiv., 
246 suiv.; H. Pinard de la Boullaye, Experience religieuse, dans DTC, V, 
2, col. 1787 suiv. 

1. Restds chretien pour son compte, au moins de profession, et adver- 
saire personnel de Luther, Erasrae revendiquait un christianisme de 
plus en plus elementaire et simplifie, presque rationnel... Iiber6 de cere- 
monies et de formules. J'emprunte ces expressions, qui vont loin, a 



LB PROBLEMS DE JESUS. 167 

tout le xvi" siecle entre ces freres ennemis, avec des points 
de friction 1 , des echanges favorables a tous deux, favorises 
par des affinites communes, des haines communes, des inte- 
rets communs. Mais tandis que les protestants, a quelques 
sectaires pres, restaient fideles au dogme chretien fonda- 
mental, un nombre appreciable, et bientdt considerable, 
d'humanistes accueillirent les arguments et negations de 
leurs lointains ancetres paiiens, transmis jusqu'a eux par 
1'apologetique juive et musulmane. 

G'est en Italie, et probablement dans les cercles averroistes 
de Padoue 2 que s'elaborerent, sous la direction de Pierre 
Pomponace et de J. Cardan j les doctrines allant a separer la 
philosophic naturelle des anciens (codifie'e et en partie deviee 
par les commentateurs neo-platoniciens, arabes et juifs) de 
la foi chretienne ; puis a les opposer ouvertement 3 . D'autres 

A. Renaudet, Pr ere for me et Humanisme a Paris, 1^9^-1517, Paris, 1916, 
p. 695-700. Voir aussi J. B. Pineau, Erasme, SaPenstereligieuse, Paris, 1924. 

1. Certains protestants, Calvin a Geneve en particulier, montrerent aux 
humanistes trop confiants que le christianisme evangelique conservait une 
puissance de reaction allant jusqu'a 1'execution des heterodoxes. Mais en 
regie generate, c'est dans les Universites des Reformes que les novateurs 
les plus hardis trouverent un asile au moins precaire. Voir E. Troeltsch, 
Die humanislische Theologie dans Geschichte der Christl. Religion*, 1922, 
p. 478. II reste d'autre part incontestable que les deux humanistes italiens 
les plus oses de la fin du xvi siecle, G. Bruno et T. Campanella, se pro- 
noncerent vivement contre la Reforme, au nom de la philosophic et de la 
raison. Voir dans le Campanella de Leon Blanchet, Paris, 1920, V, 2, Vhos- 
tilite contre la Reforme, p. 356-375. 

2. Cette influence preponderante de 1'ecole de Padoue, heritiere elle- 
meme de 1'averroisme du xm siecle, a ete mise en lumiere, avec preuves 
a 1'appui, par H. Busson, Les Sources et le De'veloppement du Rationalisme 
dans la litterature francaise de la Renaissance, Paris, 1922. Bien que 
1'auteur vise surtout le xvi c siecle francais, il est amene par le cosmopo- 
litisme de la plupart des fauteurs du rationalisme, a les chercher ou a les 
suivre hors de France. Sur Pomponace en particulier (P. Pomponazzi), 
voir p. 29-64; sur Jerome Cardan, p. 231 suiv., 394 suiv. ; sur les 
achrists >, p. 315-389. Je prefere les appeler antechrists > car qui 
ne confesse pas que Jesus Christ est venu en chair est un seducteur et un 
antichrist , I Jo., iv, 7. 

3. Sur la dechristianisation du sentiment religieux par la pensee phi- 
losophique de la Renaissance italienne, voir Leon Blanchet, Campanella, 
Paris, 1920, V, 4, p. 402-422 passim. Dans le meme ouvrage, on trouvera 
les renvois aux importants travaux italiens sur le sujet. 



168 JESUS CHRIST. 

influences favoriserent le libertinage intellectual : les afous 
de la scolastique occamiste, 1'esprit satirique, les exces des 
pseudo-mystiques, par dessus tout la licence ,des moeurs cle- 
ricales. Pourtant c'est par des humanistes italiens, enseignant 
dans leurs universites ou venus outre^montsi ;c'est par des 
lettres, des medecins, des juristes, des philosophes formes a 
leurs ecoles de Ferrare, de Pavie, de Padoue, que le ratio- 
nalisme s'infiltra largement en France, en Allemagne, en 
Suisse, en Angleterre, en Espagne meme, et s'etablit sur des 
bases raisonnees. Les deistes, les pyrrboniens, les anti-trini- 
taires, ariens et antechrists principaux du xvi e siecle : Gri- 
baldi, Etienne Dolet, Gentilis, Vicomercato, Lelio Socin, 
T. Gampanella, Jean Bodin, Micbel Servet Iui-m6me a travers 
ses initiateurs frangais, dependent des maltres padouans, 
dont 1'influence se prolonge jusque sur les athees de la fin 
du siecle, un Vanini, un Giordano Bruno. 

Dans la voie du doute et des negations en ce qui touche 
la personne de Jesus, nombre d'hommes allerent alors jusqu'au 
bout. Aucun peut-e'tre avec plus de verve que le juriste 
demonomane Jean Bodin, dans son Collogue des Sept Savants { . 
Ce livre, ou une vaste erudition se juxtapose a des notions 
scientifiques de tout aloi, parfois enfantines ou absurdes, 
presente sous une forme dialoguee, imitee du De Natura 
Deorum de Giceron, et avec un maximum de virulence, toutes 
les objections faites par les pai'ens des troisieme et quatrieme 
siecles a 1'Incarnation : Gela se peut persuader aux chre- 
tiens et aux ignprants, mais nullement aux philosophes, qu'un 
Dieu eternel... soit descheu de cette nature excellente pour 
se revestir d'un corps comme nous, compose de sang, de 
chair, de nerfs, et d'os, et pris une figure nouvelle pour 
s'exposer aux tourments d'une mort ignominieuse... Tout 
cela est non seulement contraire a la nature de Dieu et a 
son essence, mais encore indecent a son auguste Majeste 2 ... . 
Ainsi parle Diego Toralba, champion de la religion natu- 

1. Sur Jean Bodin, voir les ouvrages de M. Chauvir6, Jean Bodin; et 
Colloquium Heptaplomeres de abditis rerum sublimmm areanis, Colloque 
de Jean Bodin, etc., Paris, 1914. 

2. J'emprunte Ices citations a M. H. Busson, Les Sources et le Develop- 
pement du ftationalisme, p. 554-555. 



LE PROBLEMS DB JESUS. 169 

relle. Le rabbin Salomon Barcassi reprend de son c.6te contre 
les evangiles les arguments de Celse, et le musulman Qctur 
Fagnola la iegende islamique de la confession de Jesus, 
avouant qu'il est unpur homme *.. Le septieme savant, Je"rdme 
Senamy, qui traduit la pensee de 1'auteur, conclut que 
toutes les religions se valent. Au style pres, on croirait lire 
un opuscule de Voltaire. 

Bodin n'osa montrer son livre qu'a des amis surs. C'est 
qu'a ce moment (in du xvi e siecle) la reaction catholique dite 
parfois de la Contre-Reforme d'une part, et le redressement 
doctrinal des eglises protestantes provoque par cette reaction 
d'autre part, avaient se"rieusement restreint dans 1'Europe 
continentals la liberte de parole et d'opinions. Non que les 
lois fussent devenues plus severes pour les heterodoxes ; mais 
sous Faction des papes reformateurs et du Goncile de Trente 
(1545-1563), la theologie s'etait reprise, 1'apolog^tique for- 
tiliee, la discipline resserree. L'epuration des moeurs cleri- 
cales, le renouveau de science et de piete chretiennes 
auquel restent attaches, avec les noms de saint Pie V, du 
grand cardinal Charles Borromee, de saint Philippe de Neri, 
ceux d'Ignace de Loyola et de ses fils : un Pierre Ganisius r 
un J. Maldonat, un Robert Bellarmin, etc., avaient arrache* 
aux novateurs le meilleur de leurs arguments. Aussi les plus 
hardis de ces novateurs, et le fondateur de la theologie uni- 
tarienne, Faust Socin 2 , tout en niant la filiation divine de 
Jesus, pretendent rester chretiens. Us conferent au Christ 
une dignite et des offices qui depassent 1'homme; bien plus 
ils lui decernent une veritable apotheose. D'apres le cate- 
chisme socinien, Jesus, s'il n'est qu'un homme par son ori~ 
gine, est devenu 1 Dieu. Les Arminiens iront encore moins loin 

1. Coran, 5, 108-116. Voir plus haut, t. II, p. 159. 

2. Fausto Sozzini, neveu et h6ritier des pens6es de Lelio Sozzini r 
Siennois d'origine, ne en 1539, oscille entre les deux confessions, catho- 
lique et r6form6e ; se recueille a Bale pendant quatre ans et y elabore, en 
s'aidant des travaux de Lelio, une doctrine anti-trinitaire, qu'il enseigne 
et r6pand en Pologne, ou il fonde entre 1579 et 1604, une petite 6glise 
unitarienne dont le catechisme parait en 1605. Sur les Socin et leur doc- 
trine, memoire exhaustif d'O. Zoeckler dans REP*, XVIII, p. 459-480; et 
F. Mauthner, Der Atheismwvnd seine Geschichte im Abendlande, I, p. 492- 
647. 



170 JESUS CHRIST. 

et maintiendront la Trinite, se contentant de subordonner 
le Fils au Pere. G'est en Angleterre que les libertine, clair- 
seme's ailleurs et maintenus en echec au xvn e siecle, vont 
prendre leur revanche, dans le groupe puissant des deistes ou 
1'exclusion du surnaturel est un dogme, ou Jesus est ramene 
aux proportions d'un moraliste, et parfois ravale jusqu'a 
celles d'un charlatan. Encore faut-il remarquer apres Taine 
que les deistes anglais, combattus avec succes par les apo- 
logistes serieux, et incapables de conquerir 1'elite morale du 
pays, ne trouverent que sur le continent la descendance et 
les succes qu'ils escomptaient 1 . Us les y trouverent par 
<jontre largement, et, en France surtout, mais alors la France 
litteraire s'etendait jusqu'a Berlin et a Saint-Petersbourg, 
les_antechrists dirent leur dernier mot. 

Les rationalistes du XVHP siecle. 

Gomme les rationalistes du xvi e siecle avaient eu partie 
liee avec les humanistes et tiraient le meilleur de leurs 
forces du fait que leurs negations semblaient a beaucoup 
liees aux theses des philosophies naturelles alors en vogue, 
ceux du xvni 6 siecle font de la negation du surnaturel et 
<de toute religion positive, le corollaire des decouvertes 
scientifiques qui depuis deux cents ans renouvelaient la con- 
ception du monde physique. Us combattent dans le Christia- 
nisme le principal obstacle au progres des idees, des sciences 
et en un mot qui date justement de cette epoque, 
de la civilisation. Gette persuasion, s'ajoutant a d'autres 

1. Hip. Taine : < En vain au commencement du [xvn e ] siecle les libres 
penseurs s'elevent ; quarante ans plus tard ils sont noyes dans 1'oubli. Le 
d6isme et 1'atheisme ne sont ici qu'une eruption passagere. Les profes- 
.seurs d'irreligion rencontrent des adversaires plus forts qu'eux ; Hist, 
de la Litterature anglaise, III, p. 60-61. Jugement interessant mais insuf- 
fisamment nuance, quand on songe a ce que Swift et Stern, tous deux 
clergymen, ecrivaient en plein xviii 6 siecle! Sur les deistes anglais : Lord 
-Herbert (de Cherbury), mort en 1648; Ch. Blount, mort en 1693; Shaftes- 
bury, mort en 1713; Collins, mort en 1729; Bolingbroke, mort en 1751 ; et 
les plus dangereux, Tindal, mort en 1733, et Toland, mort en 1722, voir 
.3. Forget, DTC, IV, 1, col. 234 suiv., et Fr. Mauthner, Der Atheismus und 
.seine Geschichte im Abendlande, II, Stuttgart et Berlin, 1921, p. 372-530. 



LE PROBLEMS OE JESUS. 171 

motifs infiniment moins honorables, explique, sans 1'excuser, 
le ton injurieux et souvent crapuleux qui caracterise la pole- 
mique antichr^tienne de cette epoque. Le christianisme, pen- 
sent ces hommes qui ne 1'ont etudie qu'en partisans et pour 
le miner, est fonde sur un amas de fables pueriles et de fautes 
palpables : toutes les armes sont bonnes pour le combattre, 
pour ecraser 1'Infame . On reste etonne quand on lit 
cette litterature, non dans un pamphletaire inconnu, mais 
dans ses representants les plus illustres, un Diderot, un 
d'Holbach, un Frederic II, un Voltaire, de la somme de 
niaiseries, d'infamies, de contradictions pr^tees aux disciples 
de Jesus. 

Quand on s'est impose la tache de lire le livre le plus 
eloquent, le plus profond et le plus fort qu'on ait encore ecrit 
contre le fanatisme (c'est airi&i que 1'Avis au lecteur pre- 
sente VExamen important de Milord Bolingbroke) 1 , on hesite 
a en rien transcrire. Pourtant cet'ouvrage resume et reprend 
les arguments communs a cette epoque. Voltaire n'y a mis 
que son style et le ton; il n'y a aucune de ces vilenies et de 
ces grossieres confusions de faits, qui ne se retrouvent sous 
la plume de ses amis et correspondants Claire's : 

(Jesus) : Jesus est evidemment un paysan grossier de la 
Judee, plus eveille sans doute que la plupart des habitants 
de son canton. II voulut, sans savoir, a ce qu'il parait, ni 
lire, ni ecrire, former une petite secte pour 1'opposer a celles 
des Recabites, des Judaistes, des Therapeutes, des Esseniens, 
des Pharisiens, des Sadduce"ens, des Herodiens car tout 
etait secte chez les malheureux Juifs depuis leur etablisse- 

1. L'ouvrage est antidate par Voltaire; en r6alite il a paru en 1767. Je 
cite sur Tedition des (Euvres completes, de Lequien, Paris, 1821, XXVII, 
1-174. On peut voir dans le meme volume toute une serie d'opuscules : 
Dieu et les hommes, par le Docteur Obern, Conseils raisonnables d Monsieur 
Bcrgier, Examen du discours de Vempereur Julien, etc... qui sont absolu- 
ment de la meme veine. Sur 1'antichristianisme a cette epoque, l'6tude la 
plus considerable est celle de Fr. Mauthner, Der Atheismus und seine 
Geschichte, III, 1922, 1-370. C'est dans les Lettres juives, chinoises et catho- 
liques, 1738-1769, du marquis d'Argens, place par Frederic II a la tete 
d'une des sections de 1'Academie de Berlin, que les infames Toledoth sont 
exploitees, pour la premiere fois, par un Chretien, d'apres 1'edition de 
1705. Voltaire n'a fait que lui emboiter le pas. 



172 JESUS CHRIST. 

ment en Alexandrie; je 1'ai deja compart a notre Fox 1 qui 
etait comrae lui un ignorant de la lie du peuple, pr^chant 
quelquei'ois comme lui une bonne morale et pr&chant surtout 
Fe'galite' qui flatte tant la canaille... Les lois etant plus 
humaines en Angleterre qu'en Judee, tout ce que les prdtres 
purent obtenir c'est qu'on mit Fox au pilori ; mais les pr^tres 
juifs forcerent le president Pilate a faire fouetter Jesus et a 
le faire pendre a une potence en forme de croix comme un 
coquin d'esclave. Gela est barbare ; chaque nation a ses 
moeurs. De savoir si on lui cloua les pieds et les mains, c'est 
ce dont il ne faut pas s'embarrasser... 

Les disciples demeurerent aussi attaches a leur patriarche 
pendu que les quakers 1'ont ete a leur patriarche pilorie. 
Les voila qui s'avisent, au bout de quelque temps, de repan- 
dre le bruit que leur Maitre est ressuscite en secret... Le 
platonisme qui etait fort a la mode a Alexandrie, et que plu- 
sieurs juifs etudierent, secourut bient6t la secte naissante ; 
et de la tous les mysteres, tous les dogmes absurdes dont 
elle est farcie 2 . 

(Conversion de saint Paul) : Je prends le ciel et la terre 
a temoin (s'il est permis de se servir de ces mots impropres : 
le ciel et la terre), qu'ii n'y a jamais eu de legende plus folle, 
plus fanatique, plus degoutante, plus digne d'horreur et de 
mepris 3 . 

(Les Evangiles) : Des que les societes de demi-juifs T 
demi-chretiens, se furent insensiblement etablies dans le bas 
peuple a Jerusalem, a Antioche, a Ephese, a Gorinthe, dans 
Alexandrie, quelque temps apres Vespasien, chacun de ces 
petits troupeaux voulut faire son Evangile. On en compte 
cinquante-quatre, et il y en eut beaucoup davantage. Tous se 
contredisent, comme on le sait, et cela ne pouvait e"tre autre- 
ment puisque tous etaient forges dans des lieux differents. 
Des gens de bon sens demandent comment ce tissu de fables 
qui outragent si platement la raison, et de blasphemes qui 

1. II faut se souvenir que c'est un Anglais qui est cense parler. 

2. Chapitre xi. Quelle id6e il faut se former de Jesus et de ses disciples, 
loc. laud., p. 50-51. 

3. Chapitre xir. De la secte chretienne et particulierement de^Paul, 
loc. laud., p. 57-58. 



LE PROBLEME DE JESUS. 173 

imputent tant d'horreurs a la Divinite", put trouver quelque 
creance,... mais une canaille abjecte s'adressait a une popu- 
lace non moins meprisable... Autant de mots, autant d'erreurs 
dans les Evangiles. G'est ainsi qu'on reussit avec le peuple 1 . 

II est certain que nul juif n'esperait, ne desirait, n'an- 
nongait un Oint, un Messie au temps d'Herode le Grand, sous 
lequel on dit que naquit Je"sus... Le peu de Galileens qui 
composaient la secte nouvelle... trouverent quelques gens un 
peu lettres qui se mirent a leur tete et ecrivirent en leur 
faveur contre les Juifs. Ge fut ce qui produisit cette enorme 
quantite d'evangiles... chacun donnait une Vie de Jesus; 
aucunes n'etaient d'accord, mais toutes se ressemblaient pour 
la quantite de prodiges incroyables gu'ils attribuaient a leur 
fondateur. La synagogue, d'un c6te, voyant qu'une secte 
nouvelle nee dans son sein, debitait une Vie de Jesus tres 
injurieuse au Sanhedrin et a la nation, rechercha quel etait 
cet homme auquel elle n'avait point fait attention jusqu'alors. 
II nous reste encore un mauvais ouvrage de ce temps inti- 
tule : Sepher Toldos Jeshut. II parait qu'il est fait plusieurs 
annees apres le supplice de Jesus, dans le temps que Ton 
compilait les Evangiles. Ge petit livre est rempli de prodiges... 
Mais tout extravagant qu'il est, on est force de convenir qu'il 
y a des choses beaucoup plus vraisemblables que dans nos 
Evangiles 2 . 

Beaucoup de francs athees, dans la seconde partie du 
xvm e siecle, ne retenaient du plaidoyer pour la religion natu- 
relle auquel sont empruntes ces passages que les considerants 
de cette espece. Us laissaient pour compte a Voltaire ses 
arguments en faveur de la seule religion qu'on doive pro- 
fesser;... celle d'adorer Dieu et d'etre honn^te homme 3 . 
Mais la grosse majorite des hommes instruits qui, en pays 
protestant ou catholique, se detachaient du christianisme, 
restaient deistes. La position religieuse des moins sentimen- 
taux tendait generalement vers le rationalisme ethique dont 
Emmanuel Kant donna vers la fin du siecle la systematisation 



1. Chapitre xnr. Des Evangiles; loc. laud., p. 58; 65-66. 

2. Chapitre x. De la puissance de Jesus; loc. laud , p. 41-43. 

3. Chapitre xxxvm. Conclusion; loc. laud., p. 61. 



174 JESUS CHRIST. 

la plus coherente et la plus rigoureuse, sa Religion dans les 
limites de la Raison. Tout ce qui, dans le christianisme (et 
les autres religions positives) est historique ou doctrinal, en 
dehors du dictamen de la Raison pratique, ne garde dans 
cette conception qu'une valeur precaire, pedagogique, de sym- 
bole ou de mythe. La seule religion veritable, sanctifiante, 
est la foi morale dont le Christ n'a e"te que le predicateur le 
plus eloquent et le temoin le plus persuasif. Son enseigne- 
raent n'a done pas besoin de signes, comme s'il surajoutait 
quelque chose a ce que la raison rdvele a tout humain; quant 
a sa personne, on peut dire qu'elle represente 1'ideal de 
rhumanite* agreable a Dieu , 1'homrne moral par excellence 1 . 
Les simples ont encore besoin de croyances historiques, mais 
on doit leur apprendre peu a peu a s'en passer. Quant aux 
homines eclaires, s'il arrive qu'une charge pastorale les force 
a enseigner leurs ecoliers au catechisme et leur communaute 
suivant le symbole de 1'Eglise qu'ils servent 2 , c'est la un 
devoir professionnel qui n'oblige que 1'homme prive; ce fai- 
sant, rhomme public, le penseur, 1'ecrivain n'aliene rien de 
sa liberte. Pas plus qu'un officier ou un percepteur. Le pre- 
mier dit, dans son service : Ne raisonnez pas, faites 1'exer- 
cice! et le second : Ne raisonnez pas, payezl Ainsi le 
pasteur eclaire dit a ses ouailles : Ne raisonnez pas, croyez ! 
Mais il garde le droit de contr61e et de libre discussion en 
matiere de foi, quand il n'est plus dans son r61e ecclesias- 
tique, tout comme rofficier peut discuter librement sur la 
discipline militaire, et le percepteur, sur la repartition de 
I'imp6t. Gette discussion, reprise plus tard par les Ritschliens, 
permettait a des libres penseurs de garder et d'exercer une 

1. E. Kant, La Religion dans les limites de la raison, 1793, III, 2; trad. 
Tremesaygues, Paris, 1915, p. 252-254. Je n'ignore pas que quelques pen- 
seurs, notamment Jules Lachelier, ont tente de dormer au rationalisme 
de Kant un prolongement mystique hors du temps, dans 1'ex-degre ou 
1'au-dela. Mais ils reconnaissent eux-memes que cette interpretation de la 
pensee de Kant est largement conjecturale. On peut voir les paroles de 
Lachelier dans le Bulletin de la Societe 1 francaise de philosophic, V, 1905, 
p. 7 suiv. 

2. E. Kant, Beantwortung der Frage : Was ist Aufklaerung, dans la 
Berlinische Monatschrift de decembre 1784 ; Imm. Kants Werke, ed. Ernst 
Cassirer, IV, Berlin, 1913, p. 169-176. 



LE PROBLEMS DE JESUS. 175< 

charge pastorale ou professorale dans line Egliseparticuliere. 
A cette emancipation intellectuelle, survivaient chez bean- 
coup le gout et le besoin des formes essentielles de la reli- 
gion. Pour ceux qui trouvaient les rites chre"tiens surannes 
ou compromettants, 1'initiation a la Franc-Magonnerie 1 tres 
en vogue alors dans les cercles deistes et me"me au dela,, 
ofFrait une doublure opportune, un Equivalent ne tirant pas 
a consequence. La plupart des penseurs, ecrivains et politi- 
ques de la seconde partie du siecle frequentaient des Loges 
magonniques dans une mesure et des desseins fort differents T 
mais non sans subir une orientation commune, allant a les 
detacher du christianisme positif 2 . 

A la meme dpoque un professeur de Hambourg, polygraphe 
distingue et officiellement irre"prochable qu'il ecrivlt une- 
Psychologie des Animaux ou se mit a la disposition du Senat 
Hambourgeois pour composer un catechisme Hermann 
Samuel Reimarus 3 composait dans le plus grand secret un< 
enorme ouvrage intitule Apologie et Defense pour les ado- 
rateurs raisonnables de la Divinite. En mourant (1768), it 
leguait le manuscrit a ses enfants avec la consigne de ne le 
communiquer qu'a des amis discrets. Par mi ceux-ci se trouva 
Lessing qui, d'accord avec quelques libres penseurs du temps, 
publia sous le titre de Melanges d'Histoire et de Literature- 
tires des tresors de la Bibliotheque du chateau de Wolfen- 

1. Sur cette influence, encore tres imparfaitement Studie'e, on peut 
voir R. Le Forestier, Les Illumines de Bavidre et la Franc- Maconnerie alle- 
mande, Paris, 1915, surtout, 1. II, III, p. 140-345; G. Bord, La Franc-Macon- 
nerie en France des origines a 1815, I, Paris, s. d. (1908) ; Georges Goyau, 
La pense'e religietise de Joseph de Maistre, Paris, 1922 ; Me'moire adress6 au 
Due de Brunswick, 1782, par Joseph de Maistre sur la Franc-Maconnerie, 
public par Emile Dermenghem, Paris, 1925. 

2. Le premier principe, commim a tous les macons, est le rationa- 
lisme. Catholiques, protestants ou libres penseurs qui y fr6quentent sont 
tous des gens de libre examen. Us rejoignent ainsi... les humanistes du 
xvi e siecle... les Temples sont des Socie'te's de pense'e, nous dirions de libre- 
pensee si nous ne craignions, ce faisant, de perpetuer une equivoque. La 
Maconnerie du xvm c siecle demeure, en effet, comme sa philosophic, 
deiste. Gaston Martin, La Franc- Maconnerie francaise et la preparation 
de la Revolution, Paris, 1926, p. 83. 

3. Sur H. S. Reimarus, voir 1' etude tres complete de Fr. Mauthner, Der 
Atheismus und seine Geschichte, II, 1922, p. 273-305. 



176 JESUS CHRIST. 

biittel, trois fragments suecessifs (en 1774, 1777, 1778) dulivre 
de Reimarus. Ges fragments, fort etendus, donnaient en 
quintessence la pensee de Flnconnu et si bien que, jusqu'a 
ce jour, le reste du manuscrit est reste" inedit. Le troisieme 
des morceaux, le plus fort, a pour titre : du but de Jesus et 
de ses disciples. La critique de 1'auteur, aussi vive que celle 
de Voltaire (et s'inspirant des monies soucis) quand elle 
porte sur FAncien Testament, se tempere ici dans une cer- 
taine mesure, Reimarus sait gre* a Jesus d'avoir enseigne 
1'amour du prochain et Fimmortalit6 de Fame ! Lapersonne 
du Maitre est moins respecte"e. On enonce le temoignage du 
Baptiste comme resultant d'une entente prealable entre 
; Messieurs lea cousins , et on attribue 1' absence de miracle 
a Nazareth au fait que Jesus et ses comperes y e"taient trop 
bien connus. Auxmysteres qu'on a mis dans; son enseignement 
Jesus n'a jamais pens^; ses' miracles sont des inventions de 
ses disciples; la resurrection en partieulier est entierement 
incroyable, independamment de la faiblesse des preuves qu'on 
en donne. 

Les fragments eurent un succes de scandale qui ouvrit 
tres large la route a 1'exegese rationaliste du xix siecle. 
Albert Schweitzer les appelle, en niusicien qu'il est, la 
grande ou r verture ou tous les motifs de la future Recherche 
sur la vie de Jesus resonnent deja 1 . 

Assaillis par les virulents pamphlets de Voltaire et les 
raisonnements de l'Inconnu de Wolf enbiittel , amenuise's et 
presque annulespar le moralisme integriste d'EmmanuelKant, 
la personne et I'Evangile de Jesus avaient dans les pays 
Chretiens de trop profondes racines pour disparaitre. Abstrac- 
tion faite des croyants dont les apologies ne manqu'erent ni 
du cote catholique, ni du cote de Forthodoxie protestante, 
<et ne sont pas toutes negligeables, des parties importantes 
de la societe ouvertes aux infiltrations rationalistes ne se 
resignerent pas a ce qui leur paraissait justement, dans 
Fordre religieux, une sorte de suicide. Ge sentiment s'ex- 

1. Geschichte der Leben-Jesu-Forschung, Tubingen, 1913, p. 26. Cf. 
Albert Monod, De Pascal a Chateaubriand, les ddfenseurs francais du Chris- 
tiamsme, de i670 a 1802, Paris, 1916, notamment liv. VII i XII, p. 290- 
516. 



LE PROBLEMS DB JESUS. 177 

prime avec force et trouve son porte-parole retentissant dans 
celui qui ecrivait a Jacob Vernes en 1758, au moment ou les 
Philosophes e"taient a 1'apog^e de leur succes : J'ai de la 
religion, moi aussi 1 . Or, pour Jean-Jacques, comme pour 
1'immense majority de ceux que sa voix trouble et puissante 
ebranla, toute religion veritable prenait inevitablement une 
forme chretienne. Des longtemps, Rousseau meprisait les 
basses et sottes interpretations que donnaient a Jesus-Christ 
les gens les moins dignes de 1'entendre 2 . Gelle qu'il leur 
substitue, pour inacceptable et incoherente qu'elle soit, 
est incomparablement plus juste. Pour la restituer dans son 
integrite il ne faut pas la chercher seulement dans la Pro- 
fession de foi du Vicaire Savoyard ou les Lettres de la Mon- 
tagne, la Lettre a M. de Beaumont, mais dans la correspon- 
dance familiere de Jean-Jacques. Ici, nous ne retenons que 
ce qui a emu les contemporains, et a cree en beaucoup, 
sinon une foi au sens fort et sauveur du mot, du moins un 
culte pour Jesus et 1'Evangile. Gelui-ci est vdridique, et 
celui-la est un 4tre sublime, surhumain, divin. L'fivangile 
n'est que 1'oeuvre des hommes, et celui dont il parle est plus 
qu'un homme. Qu'on le mette en parallele avec ce que la 
sagesse antique a produit de plus noble et de plus vertueux, 
on sent assez que sa grandeur est d'un autre ordre et qu'il 
depasse les plus grands; il est le juste pre'dit par Platon, il 
est le saint par excellence : Si la vie et la mort de Socrate 
sont celles d'un sage, la vie et la mort de Jesus sont d'un 
Dieu ; le vol sublime que prit sa grande ame Peleva tou- 
jours au-dessus des mortels, et, depuis 1'age de douze ans 
jusqu'au moment ou il expira dans la plus cruelle ainsi que 
dans la plus infame de toutes les morts, il ne se dementit pas 
un moment 3 . 
II ne faut pas sans doute presser ces paroles pour y 

1. Je cite d'apresa Religion de J.-J. Rousseau, de Pierre-Maurice Mas- 
son, 3 vol., II, la Profession de foi de Jean-Jacques, p. 29. C'est a ce 
livre excellent que je suis redevabledes indications essentielles. 

2. Confessions, VIII, OEuvres, ed. Anguis, Paris, 1824, XVIII, 211. 

3. P. M. Masson, loc. laud., p. 107-108 ; 159; 244 suiv. et passim. Des 
paroles citees entre guillemots la premiere est de la Profession de foi; la 
derniere, de la Lettre a M. de Franguiere. 

jfisus CHRIST. ir. 12 



178 JBSU.S (PURIST. 

chercher la preuve d'une eroyance ferme e la divinite du 
Christ, mais on peufc dire qu'.elles n'en sont que plus repre- 
sentatives d'un etat d'esprit tres general, non seulement 
dans le protestantisnie, inais chez beaucpup de eatboliques 
tiedes et ineonsequents, religieux toutefois, de cette epoque. 
Sans aller aussi loin., nombre de spinozistes et Ton sait 
quelle veneration 1'on nourrit alors pour le saint excom<- 
munie" Spinoza , coroine 1'appelle Schleiermacher > trou- 
vaient dans le J^sus de Rousseau les eminentes, les sur- 
humaines qualifications que leur roaitre avait jadis donnees 
au Christ 1 . 

Les protestants liberaux, les modernistes , les libres penseurs* 1 . 

Les formes d'incroyance ou d'irreligion que nous avons 
rencontrees a 1'interieur du Christianisme, se sont mbdelees 
jusqu'a un certain point sur des mouvements scientifiques ou 

1. Cf. supra, t. II, p. 152^153. 

2. On me fera greLce, dans ce paragraphs, des indications bibliogra- 
phiques; elles seraient inflnies. Sur la personne meme du Christ^ on peut 
consulter, parmi les auteurs catholiques, F. Vigouroux, Les Livres saints 
et la Critique rationaliste, I, II, Paris, 1901; Georges Goyau, L'Allemagne 
religieuse, I, Le Protestantisme, Paris, 1898, et le Protestantisme allemand 
moderne du DAFC, IV, 1925, col. 675-690; Cl. L. Pillion, Les etapes du 
rationalisme dans les atlaques contre les Evangiles et la vie de Jesus-Christ, 
Paris, 1911 ; La guerre sans trSve a I'Evangile et a Jesus-Christ, Paris, 1913; 
Jacob Miiller, Der ffistorische Jesus der Protestantischen freisinnigen 
Leben-Jesu-Forschung dans ZKT, 1912, p. 425 suiv. ; 665 suiv. ; Alb. 
Ehrhard, Das Christusproblem der Gegenwart, Mayence, 1914; Pierre 
Charles, La Robe sans couture, un essai de luthe'ranisme catholique, Bruges, 
1923. 

Parmi les auteurs anglicans, W. Sanday, The Life of Christ in recent 
research, Oxford, 1907; C. H. Turner, The Study of the N. T. } i883 and 
i920, Oxford, 1921 ; surtout le travail confus mais considerable deA. S. Mar- 
tin, Christ in Modern Thought dans DCG, II, p. 867-876. 

Les travaux liberaux les plus importants sont ceux de H. Weinel, Jesus 
im neunzehnten Jahrhundert 2 , Tubingen, 1907, ed. anglaise, refondue^ 
1914 ; et d' Albert Schweitzer, Von Reimarus zu Wrede, Tubingen, 1906; 
Geschichte der Leben-Jesu-Forschung, Tubingen, 1913, 2 e edition refondue 
du precedent ouvrage, original, nourri de faits et surtout tendancieux. 
Voir enfin, avec precaution, car 1'erudition estplus exuberante que solide,. 
G. Stahley Hall, Jesus, the Christ, in the light of Psychology*, New York, 
1923, ch. ii et HI, p. 39-246. 



LE PROBLEMS DE JESUS. 179 

litte*rairejs qui semblaient d'abord d'un autre ordre, ayant 
participe* a la force d'expansion que nous avons constate*e 
pour 1'humanisme, en lui-me'me indifferent a une interpre"- 
tation chre'tienne ou paienne, et pour le renouveau scientifique 
qui commence au xvi e siecle, atteignit ayec Leibniz (f 1716) 
et Isaac Newton (f 1727) son maximum de retentissement 
dans le grand public 1 . Le libertinage inteliectuel du 
xvi e siecle et le deisme du xviii 6 siecle sont en grande partie 
solidaires de ces mouvements, comme si toute nouveaute 
tendait a ebranler les esprits et a leur faire remettre en 
question, avec inquietude, leurs croyances anterieures. 
Gette loi se verifie une fois de plus dans les origines et les 
succes de la cbristologie liberal e et moderniste. Us sont 
etroitement lie's aux destinees des hypotheses que Lessing, 
Herder et Goethe ont appliquees a 1'histoire, consider ee par 
eux comme celle d'un developpement continu, progressif, 
1'education divine de I'humanite' 2 . Generates et un peu 
vagues, ces vues tendaient a substituer 1'action spontanee des 
collectivites aux influences individuelles, la premiere e"tant 
censee un organe mieux approprie" a la nature de la grande 
Force divine, immanente, impersonnelle, qui meut Phuma- 
nite vers sa fin. Des philologues, comme F. A. Wolf, Greuzer, 
Niebuhr, les freres Grimm, appliquaient ces vues a des points 
d'histoire ou de mythologie, Hegel les integrait, apres les 
avoir definies a sa mode et etendues a tout, dans une synthese 
grandiose. Finalement Charles Darwin, reprenant des voies 
partiellement ouvertes avant lui, fit triompher 1' evolution 
pour un temps considerable, sur le terrain des sciences 
naturelles. Ge terme, employe d'abord en ce sens par Herbert 
Spencer, est encore celui quitrahit le moinsl' ensemble d'ide"es 

1. Newton 6tait octogenaire, et son ouvrage capital, les Philosophiae 
Naluralis Principia Mathematica, remonte a 1687. On sait que Newton 
etait croyant et composa des ouvrages d'ex6gese et de th6ologie. Sur la 
faQon dont Voltaire adopta Newton et annexa son prestige au deisme 
incroyant, voir Leon Bloch, La Philosophic de Newton, Paris, 1908, 
p. 522 suiv. 

2. C'est le titre meme d'un livre de Lessing, 1780, suivi et depasse par 
Les Idees sur la Philosophic de VHistoire de VHumanite, de Herder, 
1784 suiv. Hegel meurt en 1831. L 'Origins des Esptces de Charles Dar- 
win est de 1859; les Premiers Principes de H. Spencer, de 1860. 



180 JESUS CHIIIST. 

directrices et de postulate 1 qui ont domine en general le 
classement et Interpretation des faits innombrables decou- 
verts, ou mieux observes, depuis un siecle. 

La premiere application de ces tendances a la personne 
de Jesus, la plus personnelle et la plus influente, fut faite par 
Frederic Schleiermacher dans sa Foi Chrdtienne (1821-1822), 
livre paradoxal s'il en fut, ou 1'auteur trouve moyen de dis- 
poser dans des cadres dogmatiques une philosophic relevant 
a peu pres exclusivement du sentiment. II en resulte une 
equivoque incessante, que 1'art et la religiosite profonde de 
1'auteur ne parviennent pas a pallier, entre une lettre encore 
engage"e dans 1'orthodoxie lutherienne, et un esprit ou respire 
de"ja 1'individualisme moderniste. Gomme jadis celui de Luther, 
le Christ de Schleiermacher est celui que postule une 
experience religieuse dont le dogme ne sera que 1'expression 
symbolique. Moins fougueux, moins realiste que le grand 
ance'tre, le theologien moderne a trouve en son Maitre, avant 
tout, un mediateur et un exemple. Jesus, par sa saintete 
irreprochable, est la voie, et il est aussi la vie parce qu'en 
lui s'est accompli et par lui se transmet 1'acte de remise 
inconditionnee a Dieu, premier et dernier mot de la vie reli- 
gieuse. De ces constatations, admises par Schleiermacher 
pour indiscutables, un raisonnement va faire sortir la doc- 
trine : sera vrai du Christ tout ce qu'implique son r61e de 
mediateur, d'exemplaire parfait (Urbild) de I'homme religieux, 
d'ideal indefiniment fecond, etc... 

Gette doctrine, on le voit assez, peut se developper en deux 
sens fort differ ents. Si Ton prend comme objectivement, 
universellement valables, ces donnees ou un ensemble 
d'autres donnees sur le Christ, une theologie chretienne 
est concevable. Mais si Ton considere ce point de depart 
comme 1'une des experiences chretiennes possibles, sans lui 
en substituer une autre de valeur egale, on reduit toute 



1. Par exemple : le developpement du monde est un progres, sensi- 
blement continu, partant du plus infime, 1'evolution s'opere sur le mode 
biologique, en suivant des lois identiques, etc... Voir H. Pinard de la Boul- 
laye, L 'Etude comparee des Religions, II, Ses Methodes, Paris, 1925, p. 184- 
205, et passim. 



LE PROBLEMS DE JESUS. 181 

christologie a 1'histoire critique des opinions successivement 
professees sur la personne de Jesus. 

La premiere hypothese a ete embrassee en general, au 
moms comme point de depart, par la dogmatique protestante 
moderne, non sans de grandes differences dans le choix et la 
qualification de la donnee fondamentale. La seconde mene 
logiquement au modernisme ; mais les deux mouvements, dont 
nous verrons tout a 1'heure les aboutissements principaux, 
ont garde ce trait de ressemblance, he'rite de leur commun 
pere, qu'ils pretendent rester religieux et, dans un sens a de- 
terminer, chretiens. 

Au temps meme ou Schleiermacher donnait 1'edition defini- 
tive de sa Foi chretienne (1832), la philosophic herderienne du 
devenir, unifiee dans 1'abstrait et puissamment systematise^ 
par Hegel, allait engager Interpretation de la personne et 
de 1'oeuvre du Christ dans une voie .pleinement secularisee, en 
i'aire des objets de science pure, etudies (theoriquement) ayec 
le me'me detachement que 1'embranchement des Vertebres, ou 
1'histoire des revolutions de Byzance. Ge fut 1'oeuvre de Da- 
vid-Frederic Strauss, qui se montra en cela le disciple le plus 
consequent, sinon le plus respectueux des intentions person- 
nelles du maitre, de Hegel. 

Des la, en effet, qu'on admet que le progres total du monde, 
dont le progres religieux n'est qu'un des aspects, s'opere par 
avances fatales, et constamment orientees dans le me'me sens, 
le terrain gagne ne pouvant plus se perdre et la synthese 
d'aujourd'hui depassant de toute necessite, tout en 1'englo- 
bant partiellement, celle de la veille, on ne peut manifeste- 
ment reconnaitre en Jesus qu'un anneau de 1'immense chaine 1 . 
On ne peut voir dans sa carriere qu'un pas, considerable tant 



1. Je d6cris brievement ici rh6g61ianisme historique, celui qui a agi en 
fait sur le terrain de 1'histoire religieuse, celui qui a inspir6 Strauss et 
Renan. Qu'il y ait de la philosophic de Hegel d'autres interpretations pos- 
sibles, plus subtiles et plus nuanc6es, c'est ce que jen'ignorepasapres les 
travaux d'Ed. Caird, de MM. Georges Noel, E. Mac Taggart, etc. Mais par- 
lant ici exegese, nous n'avons pas a entrer dans ces discussions, restant 
incontestable que c'est cette interpr6tation-la de I'h6g61ianisme qui a agi 
et continue d'agir sur ce terrain. Sur Strauss en particulier, voir Albert 
Levy, David-Frederic Strauss : la vie et 1'oeuvre, Paris, 1910, ch. in etiv. 



182 JESUS CHRIST. 

qu'on vondra, mais enfin un pas vers la realisation finale de 
1'idee, une synthese qui deviendra these a son tour 
pour tre contredite par une antithese et enfin depasse"e. 
Si les faits ne lui semblent pas s'accorder avec ces causes 
philosophiques, ce pur he"gelien donnera tort aux faits, et 
toute explication lui sera bonne qui fera rentrer le Maitre de 
Nazareth dans le grand courant panthe"iste ou il sera finale- 
ment niveie. 

L'essentiel de ces vues est commun a tous les disciples de 
Hegel, mais elles sont exposees parfois chez les ecrivains de 
la droite hegelienne 4 avec une moderation, un ton de respect, 
tin souci de mettre 1'accent sur le earaetere divin de 1'evolu- 
tion totale et, en particulier, sur l'incomparable realisation 
de 1'idee que fut J4sus de Nazareth, qui font illusion a beau- 
coup de chretiens. Dans la gauche (si 1'on me permet d'user 
d'expressions classiques en Pespece) il faut distinguer de 1'aile 
extreme ou L. Feuerbach et Bruno Bauer sacrifient a 1'Idee 
1'existence me'me de Je*sus, faisant de lui, 1'image sous la- 
quelle 1'unite de 1'espece se presente a la conscience popu- 
laire 2 , la gauche radicale ou se classe David-Frederic 
Strauss, et enfin la gauche universitaire avec F. G. Baur et 

1. Les plus eloquents sont sans deute les deux freres John et Edward 
Caird. Ce dernier a realise dans son Evolution of Religion (1890-1892), 4 
ed., Edinburgh, 1907, II, lecture 4-10, p. 85-244, le plus brillant essai de 
conciliation entre la transcendance de la religion et de la personne du 
Christ, avec le dogme hegelien de developpement homogene. II n'arrive 
qu'a sacrifier finalement celle-la a celui-ci, attribuant au christianisme 
une transcendance c relative , attendu que si 1'importance du develop- 
pement introduit par J6sus dans le developpement du divin dans Phu- 
manite est exceptionnel et semble unique, il n'en reste pas moins que 
chaque pas, chaque progres fait en ce sens, est unique, lui aussi : II, 
p. 267. < Le Christ est divin justement parce qu'il est le plus humain des 
hommes, 1'homme dans lequel 1'esprit qui anime toute I'humanite' a trouv6 
son expression la plus complete >, II, p. 233. 

2. L. Feuerbach, L 'Essence du Christianisme, 1841 ; Bruno Bauer, Cri- 
tique de I'Histoire Evangdlique, Johannique,.. Synoptique, 1840-1842. C'est 
a ces extr^mistes que se rattache la petite 6cole des Mythomanes, hol- 
landais comme Loman et Van Manen; anglais comme T. K. Cheyne 
(dans la seconde periode de sa vie scientifique) ; americains ou allemands 
comme W. R. Smith et Arthur Drews ; frangais comme le D r P. C. Cou- 
choud. 



LE PROBLEMB DE JESUS. 183 

la puissante Nicole de Tubingue. Par ces hommes et par leurs 
disciples, I'lnspiration h^gelienne a domine, an cours de ces 
trois derniers quarts de siecle (1850-1925), I'exe'gese libe"rale 
entiere : celle-ci s'est de'veloppe'e surtout en Allemagne on 
par des e'crivains de culture allemande. Dea tres nombreux 
critiques qui Tont fait progresses ceux4a me'me qui ne sont 
pas de race allemande, lea ecrivains scandinaves, anglais, 
americains, neerlandais, suisses, frangais, d'Edouard Reuss 
a Abraham Kuenen, de W. Robertson Smith a M Alfred Loisy, 
dependent, pour la presque totalite de leur theologie, des 
philosophes et historiens de 1'Allemagne du Nord. G'est la un 
fait tres digne de remarque : il est arrive que certaines doc- 
trines, fussent exposees avec plus de bonheur en Angleterre 
ou en France qu' en Allemagne m^me. Mais Coleridge et Mat- 
thew Arnold, comme Ernest Renan et Auguste Sabatier sont, 
pour le fond des idees, tributaires de 1'Allemagne : nulle part 
ne s'applique mieux qu'icile Germaniadocet*. 

Parmi ces maitres de la critique rationaliste, D; F. Strauss 
occupe, avec sa Vie de Jdsus, la premiere place. Non qu'il 
ait fait ecole au sens propre du mot, inais parce que son in- 
fluence a etc la plus profonde 2 . Son livre ne semble guere 
d'abord justifier le vaste retentissement qu'il a eu : compost 
en pleine intoxication hegelienne,. il mele audacieusement les 
vues les plus syste'matiques a la critique des textes et des 
faitsj aucune tentative pour etablir I'enchainement (de 
ceux-ci), pour les rattacher a rhistoire gen^rale \ ils sont seu- 

1. E. Troeltsch dit tres justement : Die Theologie des Neuprotestan- 
tismus, dans Geschichte der Christl. Religion, KGg, IV, 1, B, Leipzig, 1922, 
p. 741 : La theologie allemande est deveflue en fait, par suite de la par- 
ticuliere importance de ses Facultes de 1 Th6o]ogie, la theologie dominante 
du Protestantisme... En Hollande, France, Angleterre, et generalenlent 
aussi en Amerique, etc. On sait que par < theologie protestante , il faut 
surtout entendre I'ex6gese. 

2. Sur Strauss, Alb. Schweitzer, Geschichte der Leben-Jesu Forschung, 
1913, p. 69-124, avec le precieux appendice, p. 643-646 ; Albert Levy, D. F. 
Strauss, la vie et I'ceuvre, Paris, 1910; M. J. Lagrange, Le sens du Chris- 
tianisme dans Vexege&e allemande, Paris, 1918, p. 128-163. Premiere Vie 
de J4sw, 1835, Sceonde Vie de Jesus pour le peuple allemand, 1864. C'est 
la premiere Vie seule qui a exerc6 une action etendue : Das Leben Jesu 
kritisch bearbettet, II, vol. II, 1480 pages, Tubingen, 1835. Littre traduit 
tres bien : Vie de Jesus, ou examen critique de son histoire. 



184 JESUS CHRIST. 

lement passes en revue chacun a soil tour * . Enfin, beaucoup 
de positions adoptees par 1'auteur sont des longtemps discre- 
ditees 2 . Avec tout cela cet enorme ouvrage, hativement ecrit, 
echappe a 1'ennui mieux que beaucoup d'autres plus modernes. 
Strauss critique avec verve les pitoyables expedients des ra- 
tionalistes honteux de 1'ecole de Paulus et de Venturini; il 
discute les textes, non sans parti pris de defiance, mais serieu- 
sement et, parfois, retablit avec sagacite leur sens litteral. 
Enfin, plein de la pensee fumeuse mais forte de son maitre 
Hegel, il deploie dans la construction de ses hypotheses une 
richesse d'imagination et une ingeniosite qui manquent a la 
plupart de ses successeurs. Ges dons expliquent le succes de 
scandale provoque par la Vie de Jesus et sa durable influence. 
Conforme'ment au scheme hegelien, qui tend a reduire les 
personnalites superieures a de simples moments du develop- 
pement de PIdee, la personne du Christ reste dans 1'ouvrage 
de Strauss, singulierement pale etirreelle. A vrai dire, Jesus 
de Nazareth n'interesse 1'auteur que comme symbole du vrai 
Christ, 1'Humanite. G'est elle qui est le Dieu fait homme, 
un en deux natures, ne de la mere visible et du Pere invisi- 
ble, de la nature et de 1'Esprit . C'est d'elle qu'on peut dire 
qu'elle est impeccable, qu'elle fait des miracles, qu'elle meurt 
et ressuscite, etc. Tout 1'effort de Strauss tendra done a subs- 
tituer dans la vie de Jesus aux faits reels, ce qu'il appelle 
le mythe evangelique , c'est-a-dire des conceptions ideales 
posterieurement traduites en termes d'histoire. 

Le probleme a resoudre est ainsi d'expliquer sans interven- 
tion surnaturelle, bien entendu, mais aussi sans recourir aux 
conjectures ridicules du rationalisme vulgaire, ou a Fhypo- 
these meprisable de la fraude telle que la proposaient Rei- 
marus et Voltaire, la genese del'histoire evangelique. Strauss 
y parvient en trois avances : 1 designation et delimitation des 
actes, paroles et doctrines anterieurement incroyables; 2 eli- 
mination de ces episodes indesirables par la decouverte de 
leur origine mythique (realisation d'une prophetic an- 

1. Lagrange, loc. laud., p. 142. 

2. Notamment sur la modernit6 relative des redactions evangeliques ; 
sur^la dependance litteraire complete du second evangile par rapport au 
premier et au troisieme, etc. 



LE PROBLEME DE JESUS. 18J> 

cienne ou d'un trait de 1'ideal messianique, etc...); 3 justifi- 
cation de ces coupes sombres par 1'examen et la dissection 
critique des textes. On a depuis complete cette strategic et 
surtout on 1'a applique e avec plus de virtuosite que Strauss : 
on ne 1'a pas, en somme, alteree en ses demarches essen- 
tielles. 

Ce serait un travail infini de denombrer ici les formes prin- 
cipales qu'a revenues 1'image du Christ Jesus dans la descen- 
dance intellectuelle de Schleiermacher et de D. F. Strauss. 
Relevons seulement celles qui, soit dans la theologie liberale 
et moderniste, soit dans le rationalisme, paraissent le plus di- 
gnes d'intere't. 

Rattache' par Albert Ritschl, qui lui donna une armature 
par sa the*orie des jugements de valeur et le revivifia en 
y faisant rentrer Thistoire positive, au sentimentalisme elo- 
quent de Schleiermacher 1 , le protestantisme liberal a trouve 
a.u tournant du dernier siecle ses interpretes les plus remar- 
quables, Auguste Sabatier et Adolf von Harnack. 

Gelui qu'on a nomine* avec un peu d'emphase le plus grand 
theoricien de la Reformation qui ait ecrit depuis Calvin, celui 
qu'on appellerait plus justement le pere du modernisme en 
France, Auguste Sabatier, mort en 1902 doyen de la Faculte 
de theologie protestante de Paris, a beaucoup ecrit sur Jesus- 
Christ. Le portrait qu'il en a trace s'est modifie avec les annees, 
amesure que 1'attitude generale de 1'auteur s'orientait a gau- 
che, dans le sens radical et rationaliste. Ses premiers ecrits 
(Le temoignage de J&sus-Christ sur sa personne, 1863 ; Jesus, 
de Nazareth, 1867) sont d'un croyant, et il fut choisi, de pre- 
ference a un candidat liberal, sur la recommandation de Gui- 
zot, en 1867, comme professeur adjoint de theologie dogmati- 
que a la Faculte de Strasbourg. Dans le manifeste qu'il publia 
alors, il ecrit : 

Entre toutes les questions agitees parmi nous, la plus grave, la 
question vraiment decisive est celle qui concerne la personne de, 

1. Sur Ritschl, mort en 1889 en laissant comme principal ouvrage La 
Doctrine chretienne de la Justification et Filiation, 3 vol., 1870-1874, voir 
1'excellent expose de Georges Goyau, L'Allemagne Religieuse, I, le Protes- 
tantisme, et 1'article oil 0. Ritschl resume la vie et la pens6e de son pere, 
REP 3 , XVII, p. 22-34 ; ibid., bibliographic complete. 



186 JESUS CHRIST. 

Jesus-Christ. Je'sus n'est-il qu'un homme? Alors, quielque grand 
qu'on le fasse, le christianisme perd son caractere d'absolue verite" 
et devient une philosophic. Si Jesus est le Fils de Dieu, le christia- 
nisme reste une revelation. Sur ce point capital, apres de longues 
t serieuses reflexions, je me suis range du cote" des apotres. Je 
crois et jeconfesse, avce saint Pierre, que Jesus estle Christ, leFrls 
du Dieu vivant 1 . 

On ne pouvait mieux poser la question. Sabatier ne resta 
pas, malheureusement, fidele a sa premiere response. Insen- 
siblement, le rationalisme humanitariste envahit son esprit, et 
dans ses livres definitifs il contredit formellement sa profes- 
sion de foi iriitiale. G'est a ces ouvrages : Esquisse d'une Phi- 
losophic de la Religion d'apres la Psychologic et I'Htetoire, 
Paris, 1896, et Les Religions d'autoritd et la Religion de t'es- 
prit, Paris, posthume, 1903, que nous demanderons les ele- 
ments de son portrait du Christ. C'est par ces livres en effet 
que Sabatier fttt ce qtt'il fut, et continue d'agir sur les esprits. 

Dans le dernier des ouvrages cites, qui est le testament de 
i'auteur et expose sous sa forme la plus nette, et dans ses 
consequences les mieux suivies, sa doctrine, la doctrine pro- 
testante liberale, Jesus est represent^ comme n'ayant ^te et 
voulu dtre, par sa personne et son exemple, qu'un initiateur, 
un maitre, un excitateur dans Tordre des choses relrgieuses. 
Prophete assurement, mais dans le sens (bien qu'a un degre 
superieur et sublime) ou les grands conducteurs d'hommes et 
les grands genies furent des inspires. Les declarations et les 
revendications du Sauveur devraient, eonsequemment, s'en- 
tendre comme des confidences, des effusions destinees a faire 
valoir son enseignement, a le rendre plus pen^trant, plus 
<3fficaee. Voyant Dieu son Pere dans le miroir filial de la plus 
belle ame qui fut jamais, conscient de le connaltre et de 
1'aimer plus et mieux que ceux qui 1'entouraient, indigne du 
rigorisme litteraliste que les Pharisiens imposaiefit aux 
feommes sous couleur de garder la Loi y seutant en lui^m^me 
une force et une ardeur capables de changer le monde, le 
Maitre Nazareen a pu sans blaspheme dire ce que les evan- 
.giles lui font dire et prendre le& attitudes qu'ils lui pretent. 

t 

1. J'emprunte cette citation a 1'article du Pasteur Eugene Laehenmann 
sur Sabatier, dans l&REP*, XVII:, 1906, p. 278. 



LB PROBLEMS DB JESUS. 187 

Encore enfonce 1 par certaines de ses esperances et de ses 
ignorances dans le milieu juif de son temps et les illusions de 
sa race, Je*sus s'en evada par 1'esprit interieur; et le vol de 
son ame le porta au point le plus haut qu'un homme, fils 
d'homme, puisse atteindre. II considera la vie, en de"pit des 
durete"s qu'elle impose, de la tyrannie des forces materielles 
qu'elle subit, de 1'obsession du mal moral qui pese sur elle, 
comme un don divin dans lequel tous les hommes qui se 
mettraient a sa suite et referaient son experience pourraient 
communier. Jesus n'a ete qu'un homme, mais l'homme dans 
le coeur duquel s'est revele le plus completement le coeur 
paternel de Dieu. 

A e6te de cette conception, qui rejoint au fond la conception 
rationaliste, dont elle ne se differencie que par le postulat 
inavoue de la perfection definitive et inegalable du Sauveur,. 
il faut placer celle du plus ce"lebre theologien protestant de 
1'Allemagne contemporaine. M. Adolf von Harnack va 
beaucoup plus loin que Sabatier et, au rebours de celui-ci, 
toujours plus, dans le sens traditionnel. II admet que, cons- 
cient des le debut de sa haute dignite personnelle, Jesus s'est 
donne (tout en gardant une sage et prudente economie) pour 
la voie, le mediateur unique entre Dieu et les hommes, pour 
le consolateur et le juge supreme de I'humanite. 

Personne avant lui n'a connu le Pere comme il le connait, 
et il apporte aux hommes cette connaissance. Par la il rend 
a beaucoup un incomparable service. II les. conduit a 
Dieu non seulement par ce qu'il dit, mais encore par ce qu'il 
est, par ce qu'il fait, et enfin par ce qu'il souffre... II sait 
qu'il ouvre une ere nouvelle ou les petits seront, par leur 
connaissance de Dieu, plus grands que les plus grands du 
temps passe ;... il sait qu'il est le semeur qui repand la bonne 
semence; a lui le champ, a lui la semence, a lui la moisson. 
Ge ne sont pas la des theories dogmatiques, encore moms 
des transformations de 1'Evangile lui-m^me, c'est 1' expres- 
sion d'un fait, d'une realite que Jesus voit naitre deja. Les 
aveugles voient, les boiteux marchent, les sourds entendent, 
la Bonne Nouvelle est annoncee aux pauvres par Lui. A 
la lumiere de ces experiences, il apercoit au milieu m6me de 
la lutte, sous 1'accablant fardeau de sa vocation, la gloire que 



188 JESUS CHRIST. 

le Pere lui a donnee... II est le chemin qui conduit au Pere, 
et, comme 1'Elu de Dieu, il est aussi le'Juge 1 . ' 

Toutefois et nonobstant ces magnifiques et uniques prero- 
gatives, la personne meme de Jesus n'est pas entree, d'apres 
le celebre professeur de Berlin, dans sa predication faite au 
noni de Dieu : le Pere seul, et non le Fils, fait partie inte- 
grante de 1'Evangile tel que Jesus 1'a pre"che 2 . II faut 
croire pour 4tre sauve, a ce que dit le Fils : il n'est pas 
indispensable de croire au Fils. 

On reconnait la cette fuyante philosophie ritschlienne, qui 
croit pouvoir se servir des choses et des hommes sans se 
prononcer, sans meme s'engager a fond sur leur valeur 
reelle; qui, a jamais decouragee des certitudes rationnelles, 
heritiere, a travers le criticisme kantien, de la vieille defiance 
lutherienne envers 1'intelligence applique e aux choses de la 
foi, essaie d'y suppleer par des affirmations sentimentales et 
precaires, des jugements subjectifs, interesses, utilitaires, 
dits : jugements de valeur (Werturteile). Peu importe ce que 
fut au vrai Jesus, s'il a pour moi la valeur religieuse deci- 
sive ! Dire que Jesus a ete Fils de Dieu, au sens objectif et 
reel du mot, declare M. Harnack, c'est ajouter quelque 
chose a 1'Evangile . Mais, continue-t-il, qui accepte 1'Evan- 
gile, et s'efforce de connaitre Gelui qui Ta apporte, temoi- 
gnera qu'ici le Divin est apparu, aussi pur qu'il peut appa- 
raitre sur la terre, et il sentira que Jesus lui-me'me fut pour 
les siens la puissance de cet Evangile. Goncilie qui pourra 
ces antinomies ! 

Depuis celui de M. von Harnack, les portraits du Sauveur 
traces par les theologiens protestants liberaux se sont multi- 
plies. Nous avons eu, rien qu'en Allemagne ou en Suisse 
allemande, ceux de MM. Paul Wernle 3 , Adolf Jtilicher 4 , 

1. Adolphe Harnack, L' Essence du Chrislianisme, trad, frangaise de 
1907, p. 175-176, legerement retouch6e. 

2. Ibid., p. 175. 

3. Die Anfaenge unserer Religion*, Tubingen, 1904. Cet ouvrage traduit 
en anglais a fourni les donnees utilisees surtout par George Tyrrell dans 
la conception qu'il s'est faite finalement des origines chretiennes. 

4. Die Religion Jesu, dans Pimportante collection publieepar P. Hinne- 
herg sous le titre : Die Kultur der Gegenwart, I, 4, Leipzig, 1906. 



LE PROBLEMS DE JESUS. 189 

Wilhelm Bousset 1 , Arnold Meyer 2 . Nous venons d'avoir 
ceux de MM. W. Heitmtiller 3 , Heinrich WeineH, Rudolf 
Bultmann 5 . Je ne retiens ici que les Merits qui ont eu un cer- 
tain retentissement. L'hegemonie allemande est telle dans le 
protestantisme liberal que, nommer ces auteurs, c'est nommer 
a peu pres tout ce qui compte. En dehors de la Nouvelle 
theologie 6 du Reverend R. J. Campbell, qui est probable- 
ment ce qu'on a ecrit de plus faible sur la question, c'est 
dans les livres precedemment cites et leurs pareils (H. J. 
Holtzmann, Alb. Schweitzer, J. Wellhausen) que les theolo- 
giens liberaux, anglais, suisses, fran<?ais, scandinaves et 
ame*rieains ont ete chercher les elements de leur connaissance 
du Christ 7 . Avec des nuances diverses et un talent tres 
indgal, les auteurs de ces portraits de Jesus restent dans les 
lignes que leur impose leur philosophic religieuse : tous 
admettent que le Maitre Nazareen a-depasse la stature com- 
mune de I'humanite, qu'il a inaugure la vie religieuse verita- 
blement pure et qu'a ces titres il a ete un prophete et un 

1. Jesus, dans la collection des Religiomyeschichtliche Volksbucher, ed. 
F. M. Schiele, Tubingen, 1904. Ce petit livre a obtenu un tres vif succes 
parmi les protestants Iib6raux; il a et6 traduit en anglais par Mrs Trevelyan, 
fille de Mrs Humphrey Ward. 

2. Jesus, dans le recueil d'articles : Unsere Religioesen Erzieher, I, 
Leipzig, 1908. 

3. Jesus, tir6 a part, compl6t6, de 1'article Jesus von Nazareth de Die 
Religion in Geschichte und Gegenwarl, Tubingen, 1913. 

4. Jesus, dans la collection : Die Klassiker der Religion, Berlin, 1912. 

5. Jesus, Berlin, 1926. 

6. The New Theology, London, 1907. 

7. II faut mentionner les ouvrages des protestants liberaux francais, 
M. A. et J. Reville, de M. Phil. Bridel. On peut voir les reponses de 
MM. Percy Sanders, E. A. Garvie, B. W. Bacon, du D r N. Soederblom, etc., 
a I'enqu6te Jesus or Christ? London, 1909. Malgr6 son titre general : 
Jesus de Nazareth, Paris, 1925, 1'ouvrage distingue de M. Maurice Goguel 
est surtout un plaidoyer convaincant pour 1'existence historique du Christ. 
Quant k sa personne, elle est coupe"e d'une fa<?on abrupte de son oeuvre : 
Le Christianisme est une religion nouvelle... le Christianisme n'est pas 
la religion qu'a eue J6sus... c'est celle des adorateurs de Jesus... , p. 307. 
L'influence du Maitre est r6duite an domaine moral et, pour tout le reste, 
a une impression, k une impulsion sous 1'action de laquelle s'est d6ve- 
Iopp6e (en des croyances non pre" vues par J6sus et des institutions non 
voulues par lui) toute la pens6e chr^tienne > ; ibid., p. 307. 



190 JESUS CHRIST* 

heros de 1'ordre spiritual. Aucun n'admet, au sens traditionnel 
du mot, la divinite* du Seigneur. Presque tous se re"fugient 
dans 1'admiration de la personnalite de Je'sus, insistent 
sur sa sublimite, son sens du re* el (Wirklichkeitssinn),. etc. .. 
Pour faire pleine justice au protestantisme liberal, il faut 
noter que des signes d'une renovation, ou plut6t, d'une nou- 
velle phase de dissolution, se manifestent dans son sein, en 
ce qui touche la conception des origines du christianisme. Le 
seul trait commun des auteurs qui tentent de s'evader du 
moralisme classique, pr^tant a Jesus une conception 
moderne et plus ou moins kantienne, est le sentiment du 
concret, le desir de replacer 1'Evangile dans son milieu histori- 
que. Les uns, avec Johannes Weiss et surtout Albert Schweit- 
zer, restituent dans 1'enseignement du Christ le c6te" escha- 
tologique, apocalyptique , arbitrairement diminue dans la 
conception liberale. Mais leur reaction les mene jusqu'a 
1'exces, jusqu'a 1'absorption dans cet element de presque tout 
le reste. D'autres, apres H. Gunkel et avec W. Bousset, 
dans son dernier ouvrage (Kyrios Christos, Goettingen, 1913, 
2 1921), font aux elements religieux preexistants et ambiants T 
une part de plus en plus grande. Sous couleur de replacer 
les origines chretiennes dans 1'histoire generale, ces auteurs 
et leurs emules ont tendu a diminuer 1'importance historique 
de Jesus, d'autant que les infiltrations paiennes, venues des 
religions a mysteres, sont si manifestement etrangeres au 
Maitre et a ses premiers disciples qu'on est oblige pour leur 
donner quelque vraisemblance de les mettre au compte d& 
Paul et de ses auxiliaires venus de la gentilite. Parallelement 
a cet element venu du dehors, les exegetes de cette ecola 
font une part plus grande et parfois preponderante au deve- 
loppement liturgique et notamment au culte de Jesus 
dans les plus anciennes communautes chretiennes. Les ou- 
vrages de G. P. Wetter, de R. Reitzenstein, vont en ce 
sens. Mais a vrai dire nous avons deja outrepasse en les 
mentionnant, pour entrer dans le domaine de la pensee ratio- 
naliste, la limite incertaine qui les separe de celui ou va sec 
cantonner le protestantisme liberal. II n'entre pas dans le plan 
du present travail d'instituer la critique detaillee des posi- 
tions de celui-ci. Visant un but positif, on espere montrer 



LE PROBLEME DE JESUS. 191 

directement que la position chretienne eatholique n'est pas- 
seulement la meilleure, mais la seule qui fasse justice aux 
textes et a 1'histoire. II est impossible pourtant de ne pas 
faire observer rineonsistance de la solution presentee par le& 
theologiens libe'raux au probleme du Christ. Ou bien ils retro- 
gradent jusqu'a la conception d'un prophete , plus grand r 
meilleuT que les autres, plus inspire , mais ne differant 
pas essentiellement de ses predecesseurs. Jesus serait a peu 
pres ce que Mahomet pretendit e"tre : le seeau des pro- 
phetes y>. G'est Topmion de Sabatier sur la fin de sa vie. Mais 
alors, et si Ton admet comme vraie sur le terrain religieux 
1'hypothese ^volutionniste, de quel droit donne-t-on rexemple r 
les leons, 1'enseignement, la seigneurie de Jesus comme 
normatives, essentielles, definitives? Qu'en sait-on? Jesust- 
peut, disons qu'il doit, selon toute vraisemblance, 4tre depasse. 
II n'est que 1'anneau, jusqu'ici le plus brillant, d'une chaine 
dont le metal s'^pure et s'affine continuellement, necessaire- 
ment. Si Ton affirme le contraire, si Fon garde au Maitre 
Nazareen cette transcendance relative, c^est par une survi- 
vance chretienne, au nom d'une appreciation sentimentale, 
heritee, que la raison, si elle est convaincue de la loi d'evo- 
lution, loin de justifier, contredit. En realite, on n'est plus 
chr^tien qu'au sens ou tel philosophe se donne pour platoni- . 
eien ou spinoziste. L'interpretation des textes est purement 
et logiquement rationaliste. - 

Ou bien, avec M. von Harnack et plusieurs protestants 
liberaux, Ton veut garder davantage. On pose des premisses 
d'histoire et de critique qui suffiraient a conclure dans le sens 
du christianisme traditionnel 1 , mais des raisons de philosophie 
religieuse, un prejuge agnostique et la repugnance soulevee 
par les conclusions entrevues viennent a la traverse, renforces 
par ce vieux levain d'individualisme et d'autonomie absolue 
qui est au fond du protestantisme. On conclut a une transcen- 
dance precaire, insaisissable ! On fait du Christ une person- 
nalite sui generis, ni Dieu, ni simplement homme. On essaie 
des compromis qui rapprochent beaucoup leurs auteurs 
de I'arianisme ancien. On distingue parmi les textes ceux 

1. L 'Essence du Christianisme, Trad, de 1907, p. 32, 45 suiv. 



192 JESUS CHRIST. 

que Ton peut garder et interpreter, de ceux que les besoins 
de la cause forcent de declarer posterieurs, secondaires, 
interpoles. Dans le dernier de ses ecrits, publie posthume, 
G. Tyrrell a fmement marque 1'inconsistance de cette position. 
Ils voudraient tenir Jesus pour divin, en un certain sens, 
ou a un degre infe'rieur; ils voudraient voir en Je'sus une 
incarnation de toutes les idees liberates et liberatrices qui 
caracterisent notre temps. Ils voudraient faire remonter 
a lui 1'esprit et les sentiments modernes comme en sa premiere 
source, a sa premiere impulsion. En ce sens, il serait le 
Sauveur, la Voie, la Verite, la Vie; bien plus, il serait Dieu 
a la fac.on d'un vicaire, d'un representant, la manifestation 
en chair de ce que Dieu signifie pour nous. Quelques-uns 
vont jusqu'a lui conceder une sorte de divinite metaphysique, 
mais a la condition d'accorder la me'me dignite, a un degre 
moindre, a tous les hommes. Mais, manifestement, 1'imma- 
nence de Dieu dans 1'esprit humain comme co-principe de 
sa vie, n'implique nullement une identite de personne ou de 
substance. Par 1'union libre et morale avec ce co-principe, 
1'homme devient semblable a Dieu, il ne devient pas Dieu. 
Done, dans 1'hypothese liberale, Jesus serait tout au plus le 
plus semblable a Dieu des hommes. Mais 1'homme ne doit 
ni adoration, ni remise inconditionnee de son etre, meme au 
plus semblable a Dieu des hommes seulement a 1'Absolu 
divin. Entre Dieu et semblable a Dieu la distance est 
infinie l . 

Cette fin de non-recevoir, prononcee par le prophete du 
modernisme, est irrefutable. Elle ne doit pas nous faire 
meconnaitre des efforts qui seraient touchants, s'ils n'etaient 
<3ommandes par un fond de rationalisme inavoue, pour sauver 
le christianisme sans proclamer que Jesus est le Fils de 
Dieu position instable, moins tenable logiquement, bien 
que religieusement plus feconde et plus respectueuse des 
faits, que la position nettement rationaliste qu'il faut exposer 
a present. 

1. G. Tyrrell, Jesus or Christ? London, 1909, p. 15 (supplement au 
Hibbert Journal). 



LE PROBLEME ;DE JESUS. t!93 



: Les rationalistes du XIX et du XX 6 sfecle. 

.L'interpr^tation .naturaliate des origines :chr,etiennes est 
devenue .moins ..aise'e, plus complexe,et,plus subtile ,a mesure 
,que l.'historlcite fondamentale des &vangiles ,s!est imposes 
davantage. :Le .prqgres fjui s'est affirme en ce sens, depuis 
D. .K. .Strauss et E. Q. vBaur, ,r,end sing.ulieremeiit .plus .deli- 
cate la -ta.che critig.ue ,de leurs.success,eur.s. Tel.d'entre eux, 
et .des ,;plus temeraires, disciple attarde .de -Bruno Bauer, 
adraet que les eroyants ,regoient de front et accep.tent en 
leur sens complet les ..documents gue les critiques .(rationa- 
listes) ipr^nnent de .hiais et ou ils tentent un hasar.deux 
triage... Si le ,Fils .de Dieu .existe... r.exeges.e orfchodoxe a 
tous .les .avantages .. Mais ,quoi? 1'idee que Dieu se soit 
incarne... nous .heurte. G'est une conception prekantienne. 
.Ellevest .entree uniment ,en ,de grands esprits comme saint 
.Aifgustin, saint Thomas, Pascal ;,mais aujourd!hui elle resle 
inassimilable 1 . Sans iavouer ioujours .aussi hautement que 
la recherche historique est subordonnee chez eux aux pre- 
supposes philosophiques, Tqpinion des rationalistes sur Jesus 
n' est .pas moins nette :M n'a ete .qu'un homme, sujet comme 
tel a toutes.les.faiblesses, erreurs et illusions.de 1'jiumanite 
-commune, soumis a toutes les limitations de son temps et de 
sa race. 

.En consequence, rintei^pretation traditionnelle est fondee 
sur un malentendu ; la solution donnee au probleme du Christ 
par la .premiere , generation .chr.etienne, ;acceptee par des 
milliards. d'e'tres humains, attestee par des.milliers de martyrs, 
de sages et de saints, est .une solution illusoire, irreelle, un 
cas .d'evhemerisme .caracterise. 

ll.reste apres cela de faire cadrer ces .theses avec 1'histoire 
-et les textes, et d'abord d'expliquer le fait generateur qui est 
le temoignage du Christ sur lui-meme. Pour y arriver, deux 
voies sont ouvertes au critique. Dans la premiere, acceptant 
1'historicite gene"rale des principaux documents evangeliques, 

1. P.-L. Gouchoud, Le Mystere deJdsus, Paris, 1924, p. 110-111. J'ai dit 
plus haut pourquoi,;sans exclure 1'influence de Kant, celle de Hegel a 6t6 
predominante dans Tex6gese rationaliste depuis Strauss. 

JESUS CHRIST. n. 13 



194 JESUS CHRIST. 

1'auteur met toute sa subtilite a restituer avec un minimum 
d'illusion et de fraude, la suite des etats d'ame qui auraient 
amene* Jesus a croire et a dire qu'il etait le Messie, Fils de 
Dieu. En depit du ton d'ironie condescendante qui rend son 
re*cit choquant, je ne pense pas qu'aucun e*crrvain rationa- 
liste ait depense a exposer cette these plus d'experte vir- 
tuosite qu'Ernest Renan. Sa Vie de Jesus, par tant de cotes 
superficielle et decevante, conserve par celui-la de Pinte're't 1 . 
II a garde le moins mauvais des explications propose es avant 
lui, ajoute les siennes, et ceux qui ont repris depuis le 
probleme, sur des donnees analogues, n'ont guere fait avancer, 
ou me'me ont fait reculer la solution. 

Pour Renan done 8 , le sentiment que Jesus avait de son 
union au Pere celeste, la reaction sur son esprit des pro- 
phe"ties anciennes opportunement rappelees, la pression des 
circonstances, I'eiithousiasme des siens, la logique du succes t 
le besoin de repondre a 1'opposition sournoise ou violente 
de ses adversaires auraient amene le Maltre a repousser 
mollement, puis a accepter, finalement a revendiquer un titre 
qu'au de"but il eut juge blasph^matoire de s'arroger. Sa 
legende s'elaborait de son vivant et lentement il se prenait 
a y croire. Bien des hommes sont ainsi debordes par leurs 
disciples; pourquoi ne pas comparer Je"sus a d'autres grands 
initiateurs de 1'ordre religieux : le Bouddha, Mahomet? 
Objecte-t-on que 1'infatuation confinerait ici a la demence; 
on nous fait entendre que le Nazareen n'^tait pas tou jours 
dupe de ce qu'il disait ou laissait dire. Si Ton proteste au 
nom de la loyaute, Renan replique par une ironique legon 
de psychologic orientale; puis, anticipant la theorie nietz- 
sche"enne des droits du Surhomme, il declare qu'il faut 
reconnaitre hautement plusieurs mesures pour la franchise, 
et qu'il nous sied mal de mesurer les grands hommes a notre 
aune, en les jugeant du haut de notre timide honne'tete . 



1. Voir une critique autorisee dans M. J. Lagrange, La Vie d 
d'Ernest Renan, Paris, 1921. La plupart de ceux qui, comme M. J. Mid- 
dleton Murry, Jesus Man of genius, New-York et London, 1926, ne veulent 
reconnaitre en Jesus qu'un homme, le plus divin des hommes, recon- 
naissent la superiorite relative de Renan : lib. laud., p. xi. 

2. Vie de Jesus", ch. xv-xvn, p. 245-302; xix-xx, p. 320-348. 



LE PROBLBMB DE JESUS. 195 

Ce nonobstant, iidele a sa methode contrasted et souventt 
contradictoire, Renan conclut que son parfait idealisms 
(de Je"ss) est la plus haute regie de vie detache'e et vertueuse. 
II a cre'e' le monde des ames pures ou se trouve ce qu'on 
demande en vain a la terre, la parfaite noblesse des enfants 
de Dieu, la saintete* accomplie, la totale abstraction des souil- 
lures du monde, la liberte* enfin... Le premier, il a proclame 
la royaute de 1'Esprit; le premier il a dit, au moins par ses 
actes : Mon royaume n'est pas de ce monde. La fondation 
de la vraie religion est bien son ceuvre *. Vers la fin de 
1'ouvrage et de la vie du Seigneur on avoue Texaltation-: 
Entraine par cette effrayante propension d'enthousiasme... 
Jesus n'etait plus libre; il appartenait a sonr61e, et enun sens 
a 1'humanite. Quelquefois on eut dit que sa raison se trou- 
blait... la grande vision du Royaume de Dieu lui donnait le 
vertige. Sa notion du Fils de Dieu se troublait et s'exage- 
rait... la loi fatale qui condamne l'ide"e a de"choir des qu'elle 
cherche a convertir les hommes s'appliquait a J6sus. Les 
hommes en le touchant 1'abaissaient a leur niveau. Le ton 
qu'il avait pris ne pouvait e 1 tre soutenu plus de quelques 
mois ; il e"tait temps que la mort vint denouer une situation 
tendue a 1'exces 2 . 

Sur quoi il est aise et tres veritable de dire que cea 
tableaux, brosses de chic, ne retiennent des faits que ceux 
qui vont a la these ; qu'en particulier 1'effrayante progression 
d'enthousiasme signalee, contredit positivement les textes 
les plus clairs qui nous montrent 1'opposition grandissante, 
les foules divise'es, les disciples atermoyants, attristes, decou- 
rag^s, Jesus seul, maitre de lui et dominant de haut les 
evenements. Cette critique, faite a 1'envi par les exegetes 
de toutes dcoles, est encore un coup tres fondee ; mais qu'on y 
prenne garde ! II faut revenir a la maniere de Renan, et on 
y revient dans une large mesure, quand on veut maintenir 
jusqu'au bout 1'explication rationaliste sans volatiliser entiere- 
ment les textes. Aussi ce dernier parti, tout violent qu'il esfc, 
constitue la grande tentation pour les critiques liberaux, e4 



1. Vie de Jdsus**, p. xxvnr, 461. 

2. Vie de Jesus", p. 331-333. 



:196 i JESUS CHRIST. 



voir f a,L'ceuyre,/iLcottYi.ent 
,de ? mentionner, ipacces qu' elle. a inspire uu.bon- nomhr e des, e or i- 
vains des plus influents de .ces.trois der.niers quarts de>siecle, 
;une r concep,tion,.du: ;Ghriatiqui idepassant ,les J'ormules. du jans:e- 
.nisme le plus .oute^, .v<oit n ,lni le.contempteur.desibeautes 
naturelles,, l-ennemLde taut .amour -sain ..et .simple. JEn .face .du 
Grucifie , symbole ekhe'rQS) d'une ,asce&e inhumaine, an .e.vpque, 
d'une i antiquit^ fortement ; expui|gee et .pousse'e ^au clair, 
<le miracle ^grec, de , sourire d'Athena, .les libres divinit^s .d'.un 
paganisme .heureux. Fondee ; sur ?une , double !,_erreur,de rfait, 
cette antithese , a ; obtenu -en Jitterature ; un .succes .durable. 
Elle alimente; encore, dans, presquetous les pays, la poleraique 
antichr^tienne. Par les jgrands jpaiens angdais, Byron et 
s.urtout Shelley (f 1822) iqui la, repripeni dans Je mode lyrique, 
au;debufrdu;Xix ? ; siecle, elle rejoint les vues de .certains huma- 
-nistes de.la Renaissance. Mais c'est versde milieurd.u>xix e siecle 
^qu'elle .est .deyenue commune et pour ainsi dire classique. 
i-Un des ;premic;rs, Renan 1'a enonc^e, dans Jes fragments, (Tun 
uoman inacheve, Patrice (1849). ,11 s'en veutid!avoir ete chre- 
;tien'et, comme itel,;d'avoir meprise rApollon,^Diane v Minerve, 
Venus, la snatute saineet tranquille. Je leur preferais... la 
maigre image d'un Dieu tiraille par des clous. Preferences 
irdonnees-a 1'anormal, : a l'.exeeptionnel,.au maladif, voila l.'esthe- 
,-tique vchretienne, ; Yoila les idees qui nous .ont.perdus . Au 
rcontraice, le ipaganisme; antique, c'etait : le vrai, le simple, 
>le ;.naturel... -que le christianisme a profondement interv.erfcis 
par? son surnaturalisme, en pr chant sans cesse le renoncement, 
le combat contre- la nature... ToutesJes idees>fausses quisont 
-dans le;monde-en lait de.morale! sont venues du ehristianisme. 
La Grece, avec sun-tact divin, ; avaitsaisilaparfaite mesure *. 
Gette page, -que j'abre.ge, resume la critique oppose e au 
:christianisme, sinon toujours a son.fondateur, dans les lemons 
id'art de Taine jeune, Les Poemes Antiques ei.Les Po&mes 
Barbares de Leconte de Lisle et, ^pour ne pas parler de vingt 
autres ouvrages moins connus, les celebres Reveries d'un pa'ien 
, mystique .de Louis = Menard 2 , et les Aphorismes du plus deter- 

1. Patrice, dans Fragments intimes et romanesques, p. 96-98. 

2. Les reveries d'un Pa'ien Mystique, de Louis M6nard, oeuvre d'un 



LK PROBLEMS DE JESUS. 197 

A antichrist de notre temps, Fredemo Nietzsche; Avant 
d'eerir/e le pamphlet qui porte ce tititer.et our les stigmates de 
la.d&nenee imminente. apparaissent ga et la,, le malheureux: 
philosophe ; avaitv dans ses litres ,. ouvses .carnetsi intimBS,,beaui^ 
coup: e'erit, de^ Jdsus,- A vrai dire, ces. aperxj.us* fragmentaires^ 
sont; plus. importants pour, I'histoir.e de la f pensSe 1 de> Fauteiir 
que pour celle de<la doetrine du Christ, Au,>jugement du plus 
penetrant de&l)iographes det Nietzsche,. ils. prennent L'aspect 
d'une autobiographie nietzschdenne l * Dans V Antichrist on, 
trouve une critique amere et parfois umpeu.pu.erile.-dUtchrisr 
tianisme . CEuvre des ap6tres.de. Jesus, et surtout < de; Paul, 
raauivrais message, dysdvang^lium et ; non: 6Yangeliumh, 
doctrine de chimere;,d?egalitarisme r d'humanitarisme^ de de-r 
mission et de decadency La- personne du M^ltre, inaompris^- 
de ses .propres disciples, interprete e . a contrersens^ est .relati-, 
vement epargnee par; Nietzsche ; Jesus. ignor.a tout. des valeurs 
humaines terrestr.es, exterieures, devla culture : lesr valeurs* 
interieur.es seules existerent.pour lui. : dansile reste;il.ne vit 
que signes et symboles. La< git s\ noblesse etsa-Iaiblesse: le 1 
salut est pour lui dans un dtat du coeur, detaohe de:tout,se- 



homme qui connaissait beaucoup:mieuxi^rantiqiut^ sont aussi beaucoup' 
plus nuanc6es ; seul ou presque seuly 1'auteuri a retrouvd I'acGent'd'iinipaien 
veritable, admirateur 6clectique de tout ce qu'il.estimait divin, comma un. 
Alexandra Severe avait pu 1'etre. On ne trouve pas chez lui, ordinairement, 
ce ton aigre du chretien retburn6, qui blaspheme ce qu'il a v6n6r6. 

1. Ch. Andler; Nietzsche, savieetsapense'e,\a\. V, Paris, 1922; p; 132. 
Apres avoir r6sum6, d'apres; Nietzschej le problerae-dff J6sus> Gh. Andler 
conclut : Admirable analyse ou Nietzsche; croyant deviher le secret dies 
Jesus, confesse les tares de son; ame propre , ibid., p.; 134^ L'Antdchr.i&t; 
essai d'une critique du chrislianisme, devait constituer la premiere partie 
d'une tetralogie intitulee : la Vblontd de puissance, Essai de transva- 
htation de toutes 1 les valeurs. Dans les mois qui suivirent la mise par ecrit 
de cette partie, septembre 1888> 1'espritfded'auteur acheva-de'setroubler: 
II composa' une sorte d'autobiographie delirantej Ecce Homo, ou. il se 
presente a la foiscomme un Antechrist et un nouveau Christ. De.mfime que\ 
le Christ est homme et Dieu, Nietzsche est homme et surhomme ; seule- 
ment a tandis que Jesus en croix est un anatheme de la vie, Dionysos 
(Nietzsche) mis en pieces (par la sottise et Pincomprehension.de ses con- 
temporains), est une promesse de vie indestructible et a jamais renais-. 
sante . Dans les premiers jours de Janvier 1889, la demence se manifesta 
consommee, irremediable, jusqu'i la mort en 1900. 



198 JESUS CHRIST. 

rein, negatif, et par consequent sterile : ne point se de"fen- 
dre, ne point se mettre en colere, ne point rendre responsa- 
ble . Dans cette mSnae veine et sur ces me'mes antitheses, 
sous des formes ironiques ou detachees, Anatole France (mort 
en 1925) s'est espace pendant les quarante ans de sa vie litte- 
raire, des Noces Corinthiennes a la Rdvolte des Anges. II a 
manque" a ce parfait artiste une connaissance de premiere 
main de 1'antiquite classique qu'il fait profession d'adorer, et 
une intelligence elementaire du christianisme veritable, qu'il 
eonfond avec le fanatisme. 

Critique avant tout, d'ailleurs analyste a entrance, M, Al- 
fred Loisy ne reussit pas, dans les ouvrages de sa maturite, 
k fournir une solution consistante du probleme du Christ. Je 
ne pense pas qu'on ait, depuis Strauss, trac^ du Sauveur 
une esquisse plus fuyante. On se croirait en face d'une de 
ces peintures evanescentes que lesmurailles de certaines ca- 
tacombes perpetuent plut6t qu'elles ne les conservent. 

L'exclusive qu'il donne (a la difference de Renan) aux textes 
historiques du Quatrieme Evangile 1 , les traits posterieurs 
theologiques , pauliniens, redactionnels, qu'il decouvre en 
nombre mfini dans les recits des Synoptiques, les infiltrations 
palennes qu'il denonce, la hantise apocalyptique qu'il prSte 
au Maitre amenent 1'auteur a un appauvrissement systemati- 
que et extreme de la matiere evangelique. Jesus se designa- 
t-il sous le nom de Fils de 1'homme? On ne sait : Si Jesus 
a employe quelquefois pour se 1'appliquer a lui-meme le titre 
de Fils de 1'homme , il n'y aura pas sans doute attache 
d'autre signification que celle de Messie 2 ... Mais qu'enten- 
dait il par Messie? Un roi des Juil's prince des elus, chef 
des bienhenreux (qui) devait presider a leur joie, assiste des 
douze disciples qui siegeraient sur des trdnes pour gouverner 
les douze tribus 3 . Mais non pas un juge des vivants et des 
morts : tout au plus le Christ se presente-t-il en temoin 
(au jugement) et ce r6le, tout entier d'apparat sterile, ce 

1. Le Quatrieme Evangile, Paris, 1903; Les Evangiles Synoptiques, 
2 vol., Ceffonds, 1907-1908 : toute la partie g6n6rale est reproduite dans 
Je"sus et la tradition e'vangdlique, Paris, 1910. 

2. Jesus et la tradition dvangdlique, p. 167. 

3. Ibid., p. 162. 



LE PROBLEMS DE JESUS. 199 

r61e d'ordonnateur en chef des joies celestes, Je'sus pensait-il 
le tenir? On nous repond quelquefois oui, generalement 
non : Gomme roi messianique, Jesus sera le vicaire de 
Dieu. Tant qu'il preche 1'avenement du Royaume, il n'est pas 
encore entre dans sa fonction providentielle... Lui-m^me, en 
ve"rite, n'^tait pas plus Christ dans le present que ceux qui 
croyaient sa parole n'etaient actuellement citoyens du royaume 
celeste 1 .)) Redempteur? Rancon? Victime? Nullement, 
tout ce qui semble 1'insinuer provient de predictions ficti- 
ves , nees elles-m6mes de speculations christologiques . 
Le Christ a regarde sa mort comme possible et, dans cette 
eventualite, comme la condition providentielle du royaume 
celeste, mais non comme un element necessaire de sa fonction 
messianique, ill'a envisage e comme un risque a courir 2 ... 
Au total, Je'sus precha une morale de ville assiegee, dans 
1'hypothese d'un bouleversement qu'il ne cessa de conside"rer 
comme imminent. Thaumaturge presque malgre lui , 
etranger a toute idee de redemption, illusionne" mais noble- 
ment, il vecut jusqu'au bout ave.c courage le re"ve de 1'Evan- 
gile . 

On voit par ces breves indications ce que devient le Sauveur 
sous la plume de M. Loisy : un personnage falot, chimerique, 
exsangue et tellement simplifie qu'on s'etonne de ce que, 
dans 1'hypothese, on le laisse encore dire et faire. 

Dans ses travaux plus recents, domines par les vues de R. 
Reitzenstein, Wilhelm Bousset et G. P. Wetter, M. Loisy 
ouvre la porte encore plus grande, dans la tradition evange- 
lique, aux infiltrations des religions, dites mysterieuses, de 
1'hellenisme, aux libres creations des prophetes, aux initiatives 
de la liturgie primitive. Les parties d'histoire les plus incon- 
teste"es sont mordues par une critique corrosive de plus en 
plus arbitraire : Les evangiles ne racontent pas la mort de 
Jesus... ils expriment le my the de salut realise par sa mort... 
Rien dans les recits evangeliques n'a consistance de fait si 
ce n'est le crucifiement de Jesus, par sentence de Ponce 

1. Ibid., p. 164, 254; M. Loisy recommit pourtant que Jesus a c fini 
par s'avouer et se d6clarer Messie >, mais < qu'il avait peu parl^ de sa 
mission >. Alors de quoi pouvait-il bien parler? 

2. Ibid., p. 168. 



200 JESUS CHRIST* 

Pilate, pour: cause de'raessianisme;.. Si J&susc -a-existe*? 1 ... 
Nous sommes ramene's: sur un< terrain plus vsolide par: le 
celebre historien de I'antiquite^ Eduard Meyer. Laique, ra<- 
tionaliste decide ^tard venu danslerdomaine? des origines chre- 
tiennes dontdl connalt' par .ailleur.s mieux .qtu'homme* au monde 
les entours et la preparation, Eduard Meyer a compose^ se* 
Origines et Debuts du Gkristianisme? pendant les^loisirs qu.e 
lui laissait le reetorat'de 1'Uniyersite^de- Berlin'. G'est dans': le, 
second volume que se= trouve ad'etat dispersie, mais a-peiu pr.es 
complet, uir- portrait de Jesus; Gomme.-main-i< autre artisan 
juif, Jesus avait'6tudie les JScrituresi Eveille-par la^e'dio'a^ 
tion de Jean Baptiste, il s decide; a pl-^cher, lui aussL La 
lettre* de son message, ne deborde guere la doctrine. des-Pha^ 
risiens de son temps^, bien que 1' esprit, pene'tre d'une foi-.vive 
en Dieu et d'un sens moral puissant, en soit profondement 
diif<6rent. Unigroupe de disciples 'Sefornte^ autour.de lui, et il 
opere des merrveilles de: guerisons' tenues alors pour des mi- 
racles. Jesus- se oroit^et se dit Messie, fils de 1'homme efc fils 
de Dieu,- dans un sns qui toutefois; n'implique pas pour lui 
la possession de la nature divine. Mais il expose avee une 
sage prudence cette conviction,^ que la confession de Pierre T 
suivie de la^transfig^U'ration^ atteste et consacre. Par. contre, la 
doctrine cKretienne de; la: Redemption ne remonte pas a 1'en- 
seignement personnel du Ghrist. Loin de se derober ad'oppo- 
sition soulevee par sa predication, Jesus decidade L'afFronter. 
Mais il avait aifaire a'plus fort que lui : livre a ses-ennemisy 
le jeune niaitre gadileen ne regoit pas de Dieu; le secours 
extraordinaire qu'il escomptaitv et il meurt sur la^croi-x- en 
poussant la plainte supreme du Juste souffrant. Ge qui reste 
de lui, transmis parades disciples -dont la foi le ressuscita, c'est 
s a morale, diamant indestructible et'Sans prix, que la dog.ma- 
tiquefchretienne, gangue mythologique de nulle valeur en elle- 
meme, a transmis jusqu'a nous^. 



\, Yoir dans la RHLR, 2 sdsrie, VIII, 1922, La Passion de Marduh,^, 
suiv. ; La Legends de Jesus, p. 394 suiv., 433 suiv., et Les Livres du Nou- 
veau Testament, Paris; 1922; Introduction. 

2. Ursprung<und;AnfaengedcsChristentums,$vo\., Stuttgart, 1921-23 r 
vol. 1I ; Die Entwicklung des'Judentums und-Jesus'Von Nazareth, Voir.ua 
jugement d'ensemble dans J. Lebreton, KSH de 1925, p. 320-329. 



LE PROBLBME DE JESUS. 201 

Ges vues-sont rejpintes par 1' extreme* pointeides< modernisr- 
tes anglicana, qu'e le professeuri Kirsopp Lake A, un de leurs- 
chefs* appelle. < experimentalistes -. Pou-r. eux Jesus- est un 
des grands; prophetes 1 de 1'Histoire, un propliete, c'est-a^direv 
un homme dont ^ide'alisme ireligieiux* et mofcal est fort ;et jaillis* 
sant, encore, qu.'une>saine raison.doive en contrdler les appels. 
L'enseignement du Christ est dans, sa-.lettee, an moins--par- 
tiellement caducv et ce qu?il faut-en; retenir'doit dtr.e^ admis, 
non parce qe Jesus l?a dit, mais'parce que nous- voyons q.ue- 
Jesus a dit vrai. en. cela. 

Finalement, pour Thomme de notre. temps, Jesus- est u 
inspirateur et un guide, parce qn'il a dit des verites du 
Royaume de Dieu ce qai'iL avai* a en< dire, ; et y^ a mis sa viev. 

Les autres specimens d'explication rationaliste, ebauches- 
dan&certains,commentaires,impliqiiesdans:desromansiOu pre- 
cises dans des essais com me. la plttpart de ceux; quei provoqiua 
I'enqu4te du Reverend R. RobeTtSy Jesm or Christ 1 *, donnent 
surtout-une impression d'inconsistance. Appreciant cette en- 
qu4te dans son. ensemble, M. Loisy<ieclare-q.u^apres Tavoir lue 
on est bien tente de penser que la^the'ologie'Contempopame 
exception faite pour les- catholiques remains chez qui 1'ortbo* 
doxie traditionnelle a toujours force de:loi est une veritable^ 
tour de Babel ou la contusion; des idees est encore plus 
grande que la diversite des langues 3 . En ce. qui touche la 
theologie lib^rale 1 et surtout, rationaliste, aux prises aveo le- 
probleme du Christ, ce verdict severe neparalt que jutei 
C'est que tous ces essais impliqnient un dafaut radical ; qoii 
vicie 1'efFort souvent considerable 1 des: auteursv Leurs opinions- 
philosophiques amenent ceux-ci, premierement a simplifier in- 
dument les textes evangeliqcu.es et.les' donnees historiques du 
christianisme anoien, deu-xiemement multiplier parallelement 
les conjectures les moins plausibles : infiltrations paiennes, 
pastiche litteraire, redaction compliquee, supposition d'un 
premier etat des documents auquel on attribue ce qu'oni 

1. Jesus, dans le Hibbert Journal, XXIII, 1924-25, p. 1-20. 

2. Ces essais, qui vont du R6v. R. J. Campbell an R. P. Joseph Rickaby, 
en passant par G; Tyrrell, Paul Schmiedel et Sir Oliver Lodge; ont 6t6- 
publies en supplement au Hibberl Journal, London, 1909. 

3. Jdsus ou le Christ? dans Hibbert Journal, avril 1910 > p. 486i> 



202 JESUS CHRIST. 

veut conserver comme authentique, suivi de remaniements 
tendancieux ou Ton relegue les traits indesirables. Tel ecri- 
vain ne veut d'aucun miracle; tel autre laisse subsister 
celles des gue'risons qu'il estime possibles ; celui-ci recourt 
a la mythologie babylonienne ; celui-la a 1'eschatologie ira- 
nienne, beaucoup d'autres a I'instinct createur de la commu- 
naute primitive. L'e"tude des documents sous-jacents aux 
evangiles permet a la virtuosite des exegetes de multiplier 
les versets contested, les artifices re*dactionnels, les interpola- 
tions; un critique signale trois couches documentaires sous 
une parole e'vangehque, soyez surs que le suivant en recla- 
mera une de plus. Aheurtes aux details, ils p<erdent de vue le 
-certain etles grandes lignes ; les arbres les empechent de voir 
la fort. 

Get embarras, ces simplifications executees a priori et justi- 
fiees ensuite, vaille que vaille, par une critique coraplaisante, 
me resolvent pas pourtant toute la difficulte. M4me apres ces mu- 
tilations, il en reste trop. Et Ton voit les exegetes rationalistes 
recourir, pour eliminer ce reliquat de surnaturel, aux conjec- 
tures les plus extravagantes, les plus irrespectueuses, les plus 
incompatibles avec la grandeur morale qu'ils sont bien forces 
de reconnaitre en Jesus. 

De cette faillite du naturalisme (le mot est de M. Frederic 
(Loofs 1 et le fait sous nos yeux) la solution chretienne rec.oit un 
surcroit de probabilite qui n'est pas meprisable. Mais la force 
de cette solution est avant tout dans sa coherence, et dans la 
ilumiere qu'elle projette sur les documents. En abordant cette 
etude directe, on serait tente de se derober, de repe"ter apres 
darlyle : Qu'un silence sacre 1 medite ce mystere ! Le croyant 
qui s'en prend a 1'image traditionnelle du Christ se fait a lui- 
meme 1'efFet d'un Vandale, et sa main tremble. 

3. Le Mystere de J6sus. 

Qu'il y ait eu en Jesus de Nazareth quelque chose de divin, 
ou tout au moins de surhumain, c'est ce que reconnaissent 

I. F. Loofs, What is the Truth about Jesus Christ? Edinburgh, 1913, 
'lectures II et III. Voir , dans le m6me sens les reflexions confiantes de 
J. Middleton Murry, Jesus Man of Genius, London, 1926, p. ix suiv. 



LE PROBLEMS DE JESUS. 203 

unanimement ceux de nos contemporains qui n'ont pas, en suite 
d'options philosophiques dont ils n'entendent pas se de*partir, 
leur siege fait . Bien que fecondee par 1'hypothese de 1'evo- 
lution, la the"orie hegelienne perd du terrain. Ni tous les pro- 
testants liberaux, ni (et beaucoup moins) les conservateurs et 
les Anglicans, ne se refusent a admettre en Je*sus la presence 
d'une etincelle divine. Les premiers nomme's ont die", dansce 
qui precede, soraraes de definir 1'element prophe*tique ou, 
selon le mpt de W.'Bousset, plus que prophetique qu'ils 
revendiquent pour Jesus. Leur position est instable; il leur 
faut ou re*trograder vers un rationalisme consequent et ne voir 
dans le Sauveur qu'un prophete semblable aux autres, peut- 
e"tre (a condition de renoncer a 1'hypothese evolutionniste) le 
plus grand des prophetes ; ou aller au dela, et reconnaitre en 
lui quelque chose de proprement divin. 

Gette derniere position est celle qu'adoptent, avec nous et 
tous les ehre'tiens des Eglises non unies, les protestants con- 
servateurs et les Anglicans. Mais quand il s'agit pour ceux-ci 
de definir ce quelque chose , cet element divin, c'est une 
confusion qui n'a d'egale que celle des explications, des com- 
ment proposes pour rendre vraisemblable 1'union, dans le 
Christ, de cet Element transcendant avec 1'humain. La question 
est surtout d'ordre theologique, et nous pourrions ne pas nous 
y attarder ici, contents de souligner ce qui nous rapproche 
des auteurs auxquels il est fait allusion. Toutefois, cette atti- 
tude ne parait ni habile, ni meme tout a fait loyale. Plusieurs 
protestants en effet, et m^me quelques Anglicans aheurtes a 
cette difficult^ et 1'esprit preoccupe d'un rationalisme incons- 
cient, proposent des solutions qui se ramenent, en fin de 
compte, a celle des protestants liberaux. A ces derniers, nous 
n'avons rien a dire pour 1'instant. C'est tout ce travail qui doit 
montrer que leur prevention est religieusement, et historique- 
ment, insoutenable. 

Restent done finalement ceux des protestants conservateurs 
et des Anglicans qui, renongant au dogme chretien defini a 
Ephese et a Chalcedoine 1 , pretendent maintenir 1'existence en 

1 . Parmi ceux qui acceptent ces dogmes, et bien qu'il y ait de graves 
r6serves a presenter sur la facon dont il propose d' entendre la Self-limi- 



204 JESUS CHRIST; 

Jesus d ? un element divin. G'est le cas A& bBaucoup le; plu< 
general. Un specialiste;en hiistbire dies dograes eimotamment; 
en christologiev M. Fr. Loofs^ nous? assure (oqu^iLyaiaipeinB; un? 
theologiien' '(protestaat)- ihstruit je n?en connais:pas un? seul' ;. 
en Allemagne qui de" f ende la^christologie rorthodoxe tdans; sa 
formie pure * ; De' son c6t , lef professeur Ti B * Rilpatrackv- 
parlant pour les; thieologiens; d'Angleterre? et d ; Amerique r 
adop fce le verdict sommaire dii Principal Dykes^ selon. leq<uel le- 
dogme defini a Ghalcedoine, n?est demature a satislaire nile^ 
cceur ni la t^te 2 . Le -Ti r < Hi. R; Mackintosh pense d:e:m^me !3 . 
Avec plus 'de mesure et;de- respect; et tout 'en plaid-ant,' pour le- 
dogme ds deux natures, leS' circonstances attenuantes v 
M. William Sanday n ? y voit pourtant qw'une conceptionindisf^ 
pensable en son tempsj mais; precaire et actuellementi ddpas^ 
see 4 . 

N'acceptant pas la^ solution chretienne definie 1 aux iy e et 
V siecles, ces>theologiensis'engagent a^ en fournir une autre, 
meilleure. B^aircoupt ont CPU la trouver dans.le passage celebrv 
de 1'Epltre aux Philippiensrou le- Christ est montr^s se depouil-^ 
lant ,- se vidanfr en qu-elque sorte 1 de lui-meme : l/ivuxysv' 
eatiTcv : exinanivit semetipsum. De la^aconclure que le Verbe- 
s'etait depouille, en s'incarnant, de tout ou partie de'ses.attri- 
buts divins, la: pente>etait facile. Tout en perm ettant d'echapper 
a Tidee (insoutenable en efFet, mais aussi formellement here- 
tique) selon- laquelle. 1'union hypostatique se serait accomplie 

tation du Christ incarn6 ; il faut mettre au. .premier, rang, le D' r Charles 
Gore : The Incarnation of the Son of God, London, 1891, et surtout Disser- 
tations on subjects connected with the Incarnation ! , London, 1907. L'au- 
teur s'efforce d'expliquer dans ce dernier ouvrage; p. ; 207 J a 213,' comment 
ces 'hypotheses sont consistante& avec le:sens:plenier; des* decrets .: conci- 
liaires, en particulier avee celui qui enseigne 1'integrite des< deux .natures- 
dans le Christ. Dans un sens analogue, mais avec moms* de fermete et 
d'unite, voir le D r W. Temple, Christus Veritas, An Essay, London, 1924. 

1. What is the Truth about Jesus Christ, Edinburgh, 1913,' p. 184. 
M". Loofs, en plus de s&Dbomengeschichte*; Halle, 190&, et'de sa Symbolik,. 
Tubingen, I, 1902, a compose: les articles Christologie, Kenosis,, etc... 
de la REP 3 . 

2. Dictionary of Christ and the Gospels, 1, 1906, s. v. Incarnation, p. 812 Ik 

3. Dans son livre, The Doctrine of the Person of Jesus Christ, Edinburgh,. 
1914j p. 292 a 299. 

4. Christologies ancient and modern, Oxford, 1910, p. 54-55. 



LE PROBLEM EBB JESUS. . 205 

: |)arle melangetdesdeu'X matures, divine^etihumaia^ppesentes 
dans^e Christ, ce utepouillement, icette <kenose ^,'ipouvait 
<se diversifier *et<se>doser'.a> 1'infini. 'Ghacun-mesura ^aux exi- 
.gences'de^sa'philosophiejparticulierele sacrifice spretendument 
'Consentrpar'le Verbe., Pour certains lutheriens du sieole ?der- 
riier, le Christ aurait, duranfcsa vieshumame, cesse d'e'tre Dieu ! 
La plupart sont moinsrradicaux, et .distinguent, des^attributs 
antrinseques et foridamentauxique le Verbe incarne ^aurait 
retenus, certains attributs extrinseques propres-a-la forme de 
Dieu et non-a-la ;forme; d'homme> (=tels -roraniscience , 1'ubi- 
^quite, etc.). Sous.Fune ou 1'autre'de -ces :modalite's,'Cette theo- 
rie, foridee sur une -fausse interpretation -du ^passage de saint 
Paul 'qui liiisertde point de depart ! , nous met par surcroit, sous 
couleur d'eviter le mystere,'en ;face ^d'une contradiction. Dans 
sa'forme- extreme , -elle 'nous presente une personne r se depouil- 
lant de ; ce qui la constitue personne. Gette enormit^ merite 
assurement les'severites ; de M. F. Loofs, -concluant un long 
memoire sur la kenose par ces- paroles : Toutesles theories 
que nous faisons, pauvres homines, sur Tlncarnation divine, 
sont deficientes, mais de toutes la plus deficiente est la-moderne 
th^oriede la'kenose 2 . Ailleurs le meme th^ologien s'exprime 
pflus fortement encore centre cette theorie morte la 
du-moins ou elle a:pris -naissance, en Allemagne et qui 
releve plut6t de la'mythologie que de la^theologie 3 . On ne 
saurait Triieux dire. 

Toutefois la conception du depouillement peut, nous 
1'avons vu, s ? attenuer, se degrader, pour ainsi dire parler, 
de bien'des manieres. 'Et sous teile ou telle de ces formes 
ad6ucies, elle a joue un >graad T61e, qu'elle tiejit encore 
parti ellement, dans la theologie anglicane 4 . La limitation 

1. Le Verbe * se depouille,.non en rejetant la forme diyine, <jui etait 
ins6parable de son 6tre, mais en cacharit sa forme divine sous une forme 
humaine et en renoncant ainsi pour un temps aux honneurs divins qui 
lui Staient dus > ; F. Prat, La Thfologie de saint Paul, II, Paris, 1912, 
p. 187. On peut voir egalement 1'excellente dissertation consacr6e par le 
meme auteur au Depouillement du Christ, ou"K6nose ;ibid. } p. 239 a 243. 

'2. Kenosis, dans la REP*, X, 1901, p. 263. 

3. What is the Truth about Jesus Christ? 1913, p. 222 suiv., 226. 

4. La-dessus, W. Sanday, Chrislologies ancient and modern, 1910, p. 73 
suiv. 



206 J&JUS CHRIST. 

volontaire que, d'apres le Docteur Gore, s'imposa le Christ,. 
1' abandon re* el , la remise qu'il fit de tel de ses attributs 
divins extrinseques, permettent de ranger le savant anglican 
parmi les tenants mode'res de la ke'nose; le D r Mackintosh 
marche plus avant dans la me'me voie 1 , efc le Professeur J. Be- 
thune Baker, de Cambridge, ne craint pas de dire qu'il ne 
voit pas, pour sa part, d'autre moyen propre a concilier 
une veritable experience humaine en Notre Seigneur avec la 
croyance en sa divinite' 2 , 

Mais il faut s'entendre. S'il s'agit d'une limitation dans- 
1'usage et 1'exercice de certaines prerogatives divines, on 
n'aura nulle difficult^ a reconnaitre ce depouillement r 
cette humiliation , cet aneantissement qu'imposait 
la pratique d'une vie humaine reelle. Si Ton veut aller plus- 
loin (et toute veritable theorie de la ke'nose va jusque-la) en 
soutenant que le Verbe inearne renonga en fait, abandonna 
quelqu'une des proprietes constitutives de sa nature divine,, 
ou conse"cutives a la possession de cette nature, on se met 
hors du terrain de la religion chretienne. 

Beaucoup d'Anglicans le font deliberement. Les autres, et 
Tunanimite (moralement parlant) des protestants conser- 
vateurs, mecontents de cette conjecture de la kenose, 
cherchent d'autres voies. Mais il n'est pas aise d'en ouvrir 
de tout a fait nouvelles, et nous voyons qu'il n'esfc presque 
aucun des errements anciens, de 1'arianisme et de 1'adoptia- 
nisme au monophysisme, qui n'ait trouve de nos jours un 
tenant plus ou moins conscient et complet. Plus originaux r 
sinon plus heureux, sont les essais qui s'inspirent d'une- 
theorie philosophique contemporaine. Gelle qui definit la 
personne par la conscience psychologique, a fait de nom- 
breuses victimes. Le Professeur Sanday, tout en maintenant 
explicitement la divinite du Christ, recourt aux observations et 
aux generalisations conjecturales qui ont elargi jusqu'a l'inlini r 
pourrait-on dire,le domaine et la competence du subconscient 3 . 

1. The Doctrine of the Person ofjesus Christ, Edinburgh, 1912. 

2. t It is the only theory known to me which allows for the genuinely- 
human experience of Our Lord and the Christian belief in His Godhead. i> 
The Journal of Theological Studies, XV, octobre 1913, p. 108. 

3. Christologies, lectures VI et VII. Je me suis longuement expliqu6- 



LB PROBLEMS DE JHSUS. 207' 

D'apres lui, la conscience elaire du Christ aurait etc 
entierement, exclusivement humaine ; mais cette conscience- 
n'est pas la mesure de I'e'tre humain, et beaucoup moins du 
Christ. Au-dessous du moi superficiel s'etend en profondeur 
le moi subconscient, et c'est la, dans ce fonds subliminal de 
tout I'e'tre, qu'auraient reside* ces tresors divins ine'puisables- 
dont saint Paul nous dit qu'ils e"taient caches dans le Christ. 
G'est de la que serait monte peu a peu, jusqu'a la con- 
naissance et manifestation distinctes, sous forme de pressen- 
timents, de vues partielles, d'anticipations, tout ce qu'une 
conscience, une pensee, une parole humaine, pouvaient porter 
et transmettre du divin, present en Jesus. 

Cette theorie trop ingenieuse, fondee elle-me'me sur des- 
donnees hypothe"tiques et tres contestees, n'a guere trouve 
d'echo. Elle vient se briser centre cette difficult^ majeure- 
qu'en ce cas, Jesus n'eut pas conscience d'etre Dieu quoiqu'il; 
le fut; que ni sa parole, ni sa pense"e distincte, n'allerent 
jusque-la; que notre jugement sur Jesus de Nazareth depasse 
done celui que lui-meme pouvait porter, et porta en fait,, 
sur sa personne; que notre profession de foi : Je*sus est 
Dieu doit s'expliquer ainsi : Au-dessous du moi super- 
ficiel, conscient, s'etendait en Jesus de Nazareth, integrant 
le moi humain total, un moi profond, ineffable, subconscient,. 
lieu et siege d'une Deite, en continuite avec 1'infini de la 
divinite* 1 . M^me parmi ceux que n'eut pas decides rincom- 
patibilite de cette conjecture avec les positions catholiques- 
traditionnelles, bien des gens ont pense, non sans raison r 
quQ c'etait la expliquer obscurum per obscurius. 

Faut-il mentionner d'autres essais? II n'est guere de con- 
ception totale des choses, de philosophic nouvelle (ou censee 
telle) qui ne puisse donner lieu a des applications de ce genre,, 
fruits d'une science beaucoup moins bien informee que celle 

h, ce sujet dans les Recherches de Science Religieuse, 1911, p. 190 h 208.. 
Depuis, le D r Sanday a tent6 de repondre aux objections opposees a sa- 
these, en particulier a celles de M. Alfred Garvie, dans Personality in 
. Christ and in Ourselves, Oxford, 1912. 

1 . Christologies, p. 166 sui v. Je resume brievement ici 1'argumen- 
tation developpee dans 1'article precite des Recherches de Science Reli- 
gieuse, mars 1911. 



,:208 JBSUS : CHRIST. 

jde M. :Sanday,;Nous avons releve ,eM#sSiUS les explications 
><demandees .a la psychanalyserpariG. , f Beuguer. Vk)iei, d'amtre 
i part, u-ne theorie >de 1' Incarnation ; etablie ,dans les lignes ide la 
iphilosophie ,de .M. Henri sBergsoal. Les -votes tentees par 
les protestants conservateurs >du continent sonfc ?encore rmoins 
-engageantes. Gelui 'quLa le plus 3tudie la question, et 
, met hors ;de pair sa coniiaissance sde ytoute ,la .tb^ologie c 
tienne, y compris (chose : infinimettt rare ohe.zrles protes,tants 
efc :qui ,a trop man:que a son -rival, M. von fHarnack) la theo- 
tlogie medievale, M.;Heirihold Seeherg,;de Berlin, ne rdonne 
ipas ce rqu'il \ semblait promettre d'abord 2 . rFarlant .du .mystere 
-de la Trinit^, et observant toes justement ique la notion :de 
- personne , ; appliquee a ce ^mystere, est londde sur.les 
.relations :des Termesjdivins, M. Seeteijgipease que la divi- 
>nite ;de Jesus ;a ete coiistit.uee par un infl-ux, un.e energie, 
une sorte d' idee-force .divine, faisant, de I'homme Jesus 
-de Nazareth, Tor,gane ,de : Die.u, son instrument pour la 
fondation sur terre .du .Royaume des cieux. Jesus n'eut 
/d'autre personnalite que son humaine .personnalite; mais la 
Tolont^ ; personnelle de ;Dieu collaborait de telle sorte avec 
4a sienne, que la vie de Jesus devenait, en quelque maniere, 
tune -seule. chose ;avec la volonte*. personnelle.de Die u. Tout 
>en utilisant au debut ;certains Elements traditionnels authen- 
tiques, cette theorie n'est; pas sans : rapports av.ec.la vieille 
jheresie des Adoptianistes, que M. R. :Seebergtraite.d'ailleurs 
..avec 'faveur dans ?son Traite id'kistaire des dogmes*. Quoi qu'il 
en soit, elle parait a M. Loofs trop definie, trop , ; affirmative, 
trop explicite sur la fagon :dont .Finhabitation divine dans le 
Christ a fait de Jesus de 'Nazareth le. mddiateur indispensable 
ntre Dieu et les homines. .M. Loofs ;lui-m4me, adoptant en 
les modifiant certaines idees de Kaehler, s'arrete ia une oon- 

1. Onannongait, en 1920, A. A. Luce, Monophysit ism past and present : 
an attempt to interprets catholic Christology in terms of Berysonian psy- 
chology. (Ala Society for promoting Christian Knowledge yJLondon.) 

2. M. R. Seeberg a expose ses idees sur ce point dans son ouvrage Die 
-Grundwahrheiten der christlichen Religion^, Leipzig, .1910, et le memoire 
Wer .war Jesus? insere dans le second tome xle son recueil d'articles Am 
Religion .und Geschichte, II, Leipzig, 1909, p. 226 suiv. 

3. Lehrbuch der Dogmengeschichte*- 3 , III, Leipzig, 1913, p. p3-58. 



LE PllOBLEME DE JESUS. 209 

ception analogue, mais plus vague. La personne historique 
du Christ a ete une personne humaine, settlement humaine; 
imais enrichie, transformed par une inhabitation de Dieu (ou 
de 1'Esprit de Dieu) d'un caractere unique, qui restera 
inegalee a jamais, et a fait de Jesus le Fils de Dieu , 
a'evelateur du Pere et initiateur d'une humanite nouvelle. 
Un ecoulement, une effusion, une inhabitation divine analogue 
anais inferieure, sera le lot final de ceux qui sont rachetes 
par le Christ 1 . Si Ton demande de quelle nature etait cette 
inhabitation, cet ecoulement divin, M. Loofs repond : Mys- 
ttere! 

Plus radical et fidele a 1'esprit du Kantisme, le celebre 
theologien reforme W- Herrmann declare vaine toute tentative 
d'explication, et renvoie dos a dos, comme egalement four- 
voyees, les dogmatiques protestante et catholique 2 . A son avis, 
>la foi chretienne consiste dans le fait de trouver en la personne 
liistorique de Jesus, la seule Puissance spirituelle a laquelle 
I'liomme religieux puisse et doive se soumettre sans condition, 
-la seule solution au probleme angoissant pose a riiomme 
moral paries exigences de la moralite comparees avec 1'impuis 
sance et la culpabilite humaines. Le chretien, en consequence, 
croit, pour 1'avoir eprouve, que Jesus est la revelation de 
Dieu, son mediateur unique aupres de Dieu, et, en ce sens, 
qu'il est divin. Mais tout essai pour vouloir traduire cette foi 
en une croyance dogmatique aboutit a 1'erreur, parce que la 
categoric religion et moralite est incommensurable avec la 
categoric intellectuelle 3 . 

En resume, les theories continentales des protestants 
conservateurs, des qu'elles pretendent depasser 1'agnosticisme 
dogmatique absolu, abandonnent carrement ce que 1'Eglise 
catholique a toujours considere comme la pierre d'angle du 
dogme de 1'Incarnation. Pour les auteurs que j'ai cites, et 
ils font autorite dans leurs Eglises, la personne de Jesus ne 
futqu'une personne humaine. Un influx, un don, une effusion 

1. LJi-dessus, la derniere lecture de What is the Truth about Jesus Christ? 
-specialement p. 228 a 241. 

2. Christlich-protestantische Dogmatik z , dans KGg, I, IV, 2, Berlin et 
Leipzig, 1909, p. 178. 

3. Voir H. Mulert, W. Herrmann, dans RGG, II, coll. 2138-2142. 

JKSUS CHRIST. H. 11 



210 JESUS CHRIST. 

de 1'Esprit de Dieu survint, analogue a 1'inspiration prophe- 
tique, mais d'une espece plus haute, d'une richesse plus 
large, et ainsi creatrice de prerogatives plus singulieres. 
Jesus de Nazareth est un homme divinise d'une fac.on myste- 
rieuse, mais capable de lui conferer la dignite de Fils de 
Dieu et les autres pouvoirs que nous connaissons par les 
Ecritures. A parler proprement, il ne faudrait pas dire : 
la Divinite du Christ , mais la Divinite dans le Christ . 
Pour bien faire, il ne faudrait plus adorer le Christ, mais Dieu 
dans le Christ. Et c'est avec tristesse que nous enregistrons- 
ces conclusions si etrangeres au christianisme authentique 1 . 
II n'est pas sans interest, ni sans importance, de remarquer 
que ces solutions nouvelles donnees au probleme christologique 
en arrivent nonobstant 1'insistance de leurs auteurs res* 
ponsables sur le c6te mysterieux de la question a attenuer,. 
ou meme a supprimer le mystere de 1'Incarnation. C'est ce 
qui permet de croire que ces auteurs sont guides loin des- 
voies traditionnelles par un rationalisme inconscient. Que 
Jesus de Nazareth ait ete investi par une grace meilleure, une- 
inspiration du genre prophetique mais d'une intensite unique, 
il n'y a la en effet qu'une question de plus ou de moins. II n'y 
a pas de mystere nouveau, proprement dit, ajoute a celui 
que pose la conversation amicale du Cre*ateur avec ses- 
creatures raisonnables. 

La position catholique du probleme ou, pour mieux dire,, 
la position chretienne, ignore ces timidites : refusant, selon 
1'expression energique chere a saint Paul 2 , d'infirmer, d'obs- 
curcir, d'annuler le mystere du Christ, elle tient et proclame- 

1. De la aussi, la facon embarrass6e dont W. Herrmann, par exemple,. 
parle de la priere au Christ. Elle ne serait une priere veritable, que lors- 
que pour le chr6tien toute difference aurait disparu entre la personne de 
Jesus et 1'unique Dieu personnel. Une priere au Christ qui ne serait pas- 
une elevation a cet unique Esprit personnel hors duquel il n'est pas de 
Dieu, ne serait pas une priere chretienne. Ces mots peuvent etre 
.entendus en un bon sens, mais aussi ouvrir la porte a un subordinatia- 
nisme origeniste qui n'est pas le christianisme authentique : Worum han- 
delt es sich in dem Streit um das Apostolikum*, 1898, p. 12. 

2. Sur cette expression, xatapy^a), rare ailleurs, mais tres familiere 6. 
saint Paul, Moulton et Milligan, VGT, p. 3316. 



LE PROBLBME DE JESUS.' 211 

que Tunion dans une mdme personne prdexistante comme 
telle, de deux elements, de deux principes d'action dis- 
tincts, de deux natures la divine et 1'humaine est un 
mystere qui passe 1'esprit de Thomme. 11 ne saurait done etre 
question de justifier directement la doctrine de 1'Incarnation, 
de la montrer par raisons intrinseques, comme la seule veri- 
table. Se fier a Jesus de Nazareth, Seigneur et Fils de Dieu, 
d'une facon inconditionnee en matiere religieuse, sera la der- 
niere conclusion de ce travail. Un pas plus avant mene a 
1'Eglise chretienne catholique, depositaire et interprete de 
la doctrine authentique du Christ 1 , et c'est d'elle que nous 
recevons, sans crainte d'erreur, le dogme de I'lncarnation. 

Toutefois, et sans pretendre I'imposer d'autorite comme la 
solution mysterieuse mais assured du probleme de Jesus, il 
n'est pas interdit, et il sera tres opportun de re'sumer ce 
dogme dans ses grandes lignes. Non seulement il formule 
celle de toutes les solutions historiquement presentees qui a 
sans comparaison reuni le plus d'adhe"rents, et au meilleur 
titre, mais lui seul, a vrai dire, fait justice aux donnees de la 
redoutable enigme. De 1'aveu du Professeur J.Bethune Baker, 
quiconque accepte pour de 1'histoire au sens ordinaire du 
mot, ce qu'implique le quatrieme evangile (et m^me la teneur 
complete des trois autres), touchant la conscience du Christ 
durant sa vie terrestre, n'a pas a se pr^occuper d'une refonte 
de la doctrine traditionnelle. Sitels sont les faits de la vie de 
Notre Seigneur, et sicet hommefonde sa doctrine surles faits, 
il n'arrivera pas a une coordination meilleure que celle de la 
christologie traditionnelle 2 . 

Nos lecteurs savent par le livre I er de cet ouvrage pour- 
quoi nous avons le droit de conside"rer, et, sur le terrain ou 
nous nous confinons, dans quelle mesure nous considerons 
les documents eVangeliques comme de 1'histoire. Nous n'avons 
pas eu besoin de presser cette valeur substantielle jusqu'a 

1 . Voir dans le Dictionnatre Apologttique 1'article Eglise par Yves de 
la Briere, vol. I, col. 1219-1301. Batiffol, L' Eglise naissante et le catholi- 
cisme, Paris, 1909. D'Herbigny, Theologica de Ecclesia, 2 vol., Paris, 1920- 
1921. Dieckmann, De Ecclesia, 2 vol., Freiburg i. Br., 1925. 

2. The Person of Jesus Christ, dans le Journal of Theological Studies, 
XV, octobre 1913, p. 111-112. 



212 JESUS ciiniST. 

1'inerrance du detail pour dresser, des revendications mes- 
sianiques de Jesus, un tableau d'ensemble qui ne laisse pas 
place au doute. Des actes du Sauveur, et en particulier des 
signes accomplis par lui (qu'on nous permette ici d'anticiper 
sur les conclusions du livre suivant), ressort une lumiere 
qui interprete les declarations et les effusions transcrites 
plus haut. A ce c6te transcendant et surhumain de 1'Evan- 
gile, la qualite de Seigneur et de Verbe divin reconnue au 
Maitre de Nazareth fait justice. Elle est une clef qui ouvre 
chacune des chambres ou luit, dans 1'obscurite du texte, la 
lampe sacree. La ligne de demarcation claire aux yeux de 
tout homme que ne seduit pas le mirage pantheiste, le fais- 
ceau lumineux qui replonge, en s'eclipsant, Fesprit dans un 
obscene chaos, cette ligne laisse decidement Jesus de 
Nazareth du c6te divin. Dans cette perspective, on s'explique 
que, pour connaitre le Fils, il ne faille rien de moins que la 
science infinie du Pere ; on eomprend la valeur sans limite 
attribute par Jesus a sa mediation, a son sang, a son ceuvre; 
on adore (ce qui est ici le seul moyen d'excuser) ses extraor- 
dinaires exigences, cette confiance sans condition faite a 
l.'amour du Maitre, presentee comme supreme et puriiiant par 
sa propre vertu. Hors de cette perspective nous n'avpns plus 
qu'interpretations tendancjeuses et forcees, promesses deme- 
surees, ambition exorbitante, actes injustifiables. Ge n'est 
pas seulement Fexegese destextes, ce sontles vraisemblances 
psychologiques qui nous inclinent en ce sens. La superiorite 
dans 1'equilibre, la sante morale et intellectuelle manifestee 
sur les plus hautes cimes, la limpidite d'une ame tres pure 
unie a la conscience de la plus extraordinaire mission, tous 
ces traits concourent a ecarter 1'hypothese de pretentions 
hyperboliques et sacrileges, maintenues jusqu'a la mort 
inclusivement. 

D'autre part, Jesus de Nazareth fut un homme de chair et 
d'os, un roseau pensant, s'inclinant, comme nous tous, sous 
les dures rafales qui 1'assaillirent. II pleura, il eut faim, il 
manifesta jusqu'aux larmes et jusqu'au sang ses repugnances 
et ses affections. II fut homme de son temps, de son pays, de 
sa race. II eut une mere, des amis, des adversaires; il fut 
eheri jusqu'a 1'adoration et hai jusqu'a la folie. Sous le lourd 



LE PROBLEME DE JESUS. 218 

soleil de la Samarie il se laissa tomber un jour epuise", tel 
qu'il etait , a m6me le bord du puits de Jacob. Aux avances 
d'Herode Antipas, curieux de le voir faire ses irierveilles a 
decouvert, et tenant le condamne a sa merci, Jesus ne re"pondit 
rien. A Gaiiphe, a Pilate, il parla, selon les vues de sa pru- 
dence ou de sa bonte. Ge n'est pas la un ange sous forme 
humaine, un fantdme, un semblant d'homme. 

Et c'est aussi ce qu'affirme le dogme chretien centre les 
chimeres de tous les temps. II ne craint pas d'appuyer, d'affip- 
mer, de tirer les consequences : Jesus possede une nature 
humaine veritable, non apparente seulement, un corps veri- 
table, forme de la pure substance de sa mere, un corps pas- 
sible, un creur sensible, une ame raisonnable. Ne de la race 
d'Adam, il nous est consubstantiel . Il n'est pas un Dieu 
consentant a une experience e'phemere d'humanite, a un avatar 
de trente annees. II eut des infirmites humaines, une vo- 
lonte humaine, des passions humaines. Ghacun ,sait que je 
pourrais mettre sous chacun de ces mots des references aux 
definitions conciliaires et aux ecrits des Peres 1 . 

A travers ces elements si divers et en apparence incompa- 
tibles, le divin et I'humain, resplendit dans 1'image evange- 
lique du Christ une indeniable unite. Gette dualite n'entraine 
pas un dualisme, comme on s'y attendrait. Us ne sont pas 

1. Des penseurs tres libres comme Sir Henry Jones s'elevent justement 
centre la defiance que 1'emploi de termes techniques eveille en certains 
esprits. Citant le D r J. Denney qui, dans son Essai Jesus and the Gospels 
estime en finir avec la proposition : Christ est consubstantiel au Pere >., 
sous couleur que c'est la une proposition purement metaphysique >, 
H. Jones reprend avec beaucoup de sens : < Consubstantiel peut etre un 
terme metaphysique, mais il n'y a pas de terme qui ne puisse etre, peu 
ou prou, metaphysique. Dire d'une expression ou d'une doctrine qu'elle 
est metaphysique, peut aider certaines personnes a les rejeter; pourtant 
les doctrines metaphysiques sont justement comme les autres, les unes 
vraies et les autres fausses, et une pensee metaphysique n'est pas diffe- 
rente d'une autre pensee, sauf en ce qu'elle est (ou devrait etre) plus 
coherente et approfondie, et decrit un objet plus exactement et pleine- 
ment. Et quoi que signifiat consubstantialite quand le mot etait en vogue, 
il impliquait et implique encore, meme pour des simples, que Jesus de 
Nazareth est en quelque maniere un avec Dieu; et 1'acceptation ou le 
rejet de cette vue etait regard6 comme une question de vie ou de mort. > 
The Idealism of Jesus, dans Jesus or Christ f London, 1909, p. 86. 



214 JESUS CHRIST. 

deux. G'est un seul moi qui pense et parle, contemple et 
souffre, guerit et pleure, pardonne et se plaint. On arrive 
parfois a donner 1'impression ou 1'illusion d'une personne 
unique avec deux portraits adroitement superposes; mais a la 
regarder de pres, 1'image se dedouble, la suture apparait, 
Nulle part dans ce que nous savons de Je*sus, on ne trouvera 
le joint par ou s'introduirait la lame aigue qui ferait, dans 
cette activite soutenue, deux parts. Nulle part on ne peut 
dire : ici s'arrete, avec la puissance d'un pur homme, la 
vraisemblance, la suite, 1'impression de vie re"elle donnee par 
cette vie. L'essayez-vous, vous EC ramenez pas cette sublime 
physionomie aux proportions humaines, vous lui enlevez tout 
relief, toute vraisemblance; vous en faites une entite vague, 
incoherente, impossible. 

Mais a priori, cette union en une seule personne de. deux 
principes d'etre et d'action si differents, n'est-elle pas a 
rejeter? Ici, nous avouons, ou mieux, nous proclamons le 
mystere, mais en observant qu'il est la ou nous devions 
1'attendre et, pour ainsi dire, qu'il est bien place. G'est un 
fait aussi que des activites fort diverses se subordonnent et 
se hierarchisent dans la plus stricte unite que nous puissions 
experimenter du dedans, celle de notre moi. Vegeter, penser, 
dependre de conditions materielles au sens le plus etroit du 
mot et s'en liberer par la conception de 1'universel ou 1'as- 
piration au bien desinteresse, ne sont-ce pas la des disparates 
singulieres, a premiere vue, des qualites incompatibles? Je 
suis cependant tel, et je pousse comme je pense, a la fois 
chair et esprit. Gette comparaison, qui n'esfc qu'une compa- 
raison, aide pourtant a concevoir 1'unifce dans la personne 
du Christ, de deux natures , de deux principes d'action 
distincts. Les formules du concile de Ghalcedoine etdes syriodes 
anterieurs et ulterieurs ne doivent pas faire illusion. II est 
loisible aux theologiens de s'emparer de ces termes consa- 
cres, d'en etablir le sens precis, d'y chercher des suggestions 
ou des arguments pour telle theorie preferee. Mais ces recher- 
ches et ces hypotheses ne sauraient faire perdre de vue le but 
des Peres et leur fayon constante de proceder. Qu'on ne 
parle done pas ici d'intrusion philosophique , d'opinions 
humaines incorpore"es au dogme, d'une christologie, nee 



LE PROBLEMS DE JESUS. 215 

sous 1'influence d'idees philosophiques grecques, qu'il nous 
est devenu impossible de partager 1 . 

II est tres notable, au contraire, de voir les Peres s'appli- 
quer a garder pure d'alliage, par des enonciations coupant 
.court a toute equivoque, la verite revelee, 1'objet de foi. Leur 
unique souci est de repousser les concepts inexacts, les for- 
mules qui mettraient en peril une parcelle de ce que 1'Eglise 
a toujours cru, de cette tradition non ecrite, ou suggeree 
plutot que precisee dans les Ecritures, mais vivante au cceur 
des fideles, inspiratrice de la devotion publique, postulat 
constant de la liturgie et du culte. De la vient que le meme 
terme, le meme adage, dans 1'espace d'un siecle, passe par 
des fortunes diverses, accepte, suspect, enfin triomphant, 
selon que 1'explication qu'on en donne se conforme ou non a 
la re"alite superieure, a la chose du dogme qu'il s'agit de 
definir 2 . 

Loin d'introduire avec eux dans la croyance de 1'Eglise 

1. Fr. Loofs, What is the Truth about Jesus Christ,^. 185. Toute la seconde 
partie de cette legon V, p. 185-201, est consacree a jetablir cette these. 
J'ai traite cette question des formules dogmatiques bien avant que I'effort 
raoderniste tendit a obscurcir et a pervertir la notion de dogme; L'elasti- 
cite des formules de /b, ses causes et ses limites, Etudes, 5-20 aout 1898, 
t. LXXVI, p. 341 suiv., p. 478 suiv. ; et derechef a propos du Drame de 
la Metaphysique chretienne de M. P. Lasserre, La Jeunesse d'Ernest Renan, 
II, Paris, 1925, dans les Etudes du 5 septembre 1925, t. CLXXXIV, 
p. 525-553. 

2. C'est ainsi que vers la fin du n siecle le dogme de 1'unite divine 
avait trouv6 une formule energique dans la Monarchic appliqu^e au gou- 
Ternement divin. Mais en un temps ou 1'etude des doctrines trinitaires 
donnait lieu a tant de controverses et d'erreurs, Pexpression etait dange- 
reuse surtout par ce qu'elle ne disait pas. A 1'aube du ni e siecle, Tertul- 
lien la d6nonce comme le mot de ralliement de tous ceux qui, sous 
couleur de defendre 1'unite divine, detruisaient le concept de Trinite. En 
depit de cette usurpation, qui fit donner aux heretiques antitrinitaires de 
ce temps le nom commun de monarchiens >, la formule ambigue et 
suspecte fut reprise par le pape Denys (259-268) et entra dSfinitivement 
dans 1'orthodoxie ecclesiastique par suite de 1'explication magistrale qu'il 
en presenta centre les Sabelliens. Des vicissitudes analogues attendaient 
les mots de personne >, nature >, consubstantiel >, etc. Aujourd'hui, 
1'abus qu'on fait du terme d' < immanence oblige ceux qui s'en servent 
pour exprimer, comme il convient, la presence intime de Dieu dans son 
oeuvre, a s'expliquer avec soin. 



216 JESUS CHRIST. 

une philosophie systematique, les notions employees par le 
Peres et les vocables exprimant ces notions eurent a se puri- 
fier ou, au rebours, a se charger d'un sens rajeuni. Leur 
pouvoir de suggestion et d'expression dut se mesurer a la 
foi, loin de la modifier. On a des exemples de termes evides- 
jusqu'a e*tre entierement detournes de leur usage courant, 
et remplis d'une vigueur authentiquement chretienne. G'est 
ainsi qu'un reste du sens theatral et scenique flottait a la 
maniere d'un relent equivoque autour des mots : rcpodcoTcov, per- 
sona, figurant, personnage en representation. II suscita de- 
telles tempetes qu'il fallut des annees de controverses et de 
purification pour faire accepter le terme, avant qu'il devint la 
norme de 1'orthodoxie. On peut juger par la si les Peres pre- 
tendaient philosopher ou canoniser une philosophie systema- 
tique, en definissant le dogme de Chalcedoine ! Ces definitions 
sont sacrees pour nous; elles gardent nos esperances. Mais- 
leur lumiere indique recueil et n'appelle pas comme la flamme 
d'un foyer ami. Forgees dans un dur metal au cours du long 
combat contre les erreurs et les detorsions subtiles, elles- 
sont une armure plutdt qu'un aliment. Pour nourrir sa vie 
spirituelle et rechauffer son coeur, le chretien leur preferera 
toujours les paroles inspirees, pleines de sue, recueillies dans, 
les Ecritures. 

Nul ne connait le Fils, sinon le Pere, 
et le Pore, nul aussi ne le connait sinon le Fils, 
ct celui a qui le Fils veut bien le reveler. 

Vencz tous a moi, les fatigues, les accables, 

et moi je vous soulagerai. 
Prenez sur vous mon joug, et vous mettez a mon ecole 

et vous trouverez le repos de vos ames, 
car mon joug est suave, et mon fardeau leger. 

Seigneur, a qui irions-nous? Tu as les paroles de la vie eternellev 
Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant! 
Le Pere est en moi et je suis dans le Pere. 

Mon Seigneur et mon Dieu! 
Et voici, je suis avec vous, tous les jours, 

jusqu'a la consommation des siecles. 

11 est vrai que, pour defendre la croyance traditionnelle 
contre des erreurs parfois contraires entre elles, on fut amend 



LB PPOBLEME DE JESUS. 217 

a la formulation abstraite, rempart indispensable (Tune verite^ 
intellectuelle, une seule personne, deux natures . Qu'est- 
ce a dire? un seul Christ, un seul ego, agissant en homme, 
et possedant done le principe premier d'operations humaines,. 
la nature d'un homme, agissant en Dieu et, comme tel r 
possedant la nature divine. Ge sont la des notions de philo- 
sophic elementaire, auxquelles une maieutique bien dirige& 
amenera tout homme sense, et dont 1'emploi ecarte les detor- 
sions, les fausses imaginations, les simplifications arbitraires 
qui mettraient en peril 1'image evangelique de Jesus. 

Une personne qui, en dlepit de son e*vidente humanite,. 
nous impressionne d'un bout a 1'autre comme etant chez elle 
dans deux mondes , le divin et 1'humain; cette phrase du 
D r J. R. Illingworth 4 me semble rendre excellemment 1'im- 
pression faite par la lecture de nos evangiles. Transposez-la 
en termes abstraits, vous avez la formule de Ghalcedoine. 
Ghangez de methode, et, conformement a la regie erronee 
seulement quand on la presse jusqu'a en tirer toute une phi- 
losophic se suffisant a elle-meme qui commande de juger 
1'arbre par ses fruits et la justesse des notions par 1'efficacite 
des applications qui s'y appuient, demandez-vous sur quoi est 
fondee en realite la religion chretienne, et de quelles croyances- 
ont germe ces fruits infinis. Devotion et devotions, formes de 
priere et actes de culte, attitude sociale ou privee des chre- 
tiens, supposent egalement que Jesus Christ, 1'unique Jesus r 
personne tres sage et tres bonne, adorable et accessible, est 
n6tre par toute une part de sa vie, consubstantiel a notre- 
humanite et, pour une autre part, qu'il est tout divin, di- 
gne objet de l'hommage inconditionne qu'est 1'adoration 
qu'il est Dieu. Essayez de le dire en termes abstraits et net- 
tement : vous retomberez dans les lignes de la definition con- 
ciliaire. 

Les theologiens protestants, qui ne pensent pas que cette 
definition ait dit le dernier mot sur la question, tachent, a 
leur dam, d'aller plus avant, et risquent, pour esquiver le mys- 
tere, de perdre la chose me'me du dogme . La plupart re- 
connaissent pourtant 1' excellence relative de la formule 

1. Divine Immanence, London, 1898, ch. iv; 6d. de 1904, p. 50. 



218 JESUS CHRIST. 

Chalce'dome. Elle donna, dit M. Reinhold Seeberg, sinon 1'edi- 
fice, du moins le plan de cet edifice. Et il souligne tres bien 
1'importance de 1'ceuvre, meme reduite a ces termes : Gomme 
on avait reconnu a Nicee, une fois pour toutes, qu'il n'y a 
qu'un Dieu, et en consequence que celui qui dit Dieu, doit 
concevoir toujours le meme Dieu, non un demi-dieu, de sorte 
que le Christ comme Dieu, est un avec le Pere; ainsi, a 
Chalcedoine fut fixe'e cette doctrine que, quand on parle du 
'Christ comme homme, il faut 1'entendre d'un homme con- 
substantiel a I'humanite, non d'un homme semi-deifie. Comme 
alors la notion mythologique de demi-dieu avait ete exter- 
minee du concept de Dieu, ainsi, a Chalcedoine, fut-elle 
exterminee de la notion du Christ fait homme 1 , II serait 
difficile de mieux mettre en lumiere la portee, le character e 
religieux, et 1'absence d'intrusion systematique dans 1'oeuvre 
conciliaire. 

Sous benefice des precisions ulterieures qu'apporterait a ce 
travail une etude theologique 2 , tenons-nous-en done a cette 
formule venerable comme a celle qui traduit le mieux, pour 
nos esprits d'hommes, le mystere de Jesus. 

Mais a nous borner aux conclusions de la recherche histo- 
rique, nous avons le droit de dire qu'aucune preterition, ou 
attenuation, ou accommodation de 1'element proprement divin 
present en Jesus ne fait pleine justice aux documents. Dequel- 
que fa?on qu'on 1'enonce ou qu'on tente de la concilier avec 
Funite divine, cette donne"e est fondamentale, et toute synthese 
se condamne, qui refuse de 1'embrasser ou s'efforce de 1'obs- 
curcir. 

1. Lehrbuch der Dogmengeschichte*, II, Leipzig, 1910, p. 247. Le juge- 
ment de M. A. von Harnack sur la formule de Chalcedoine est au contraire 
tres injuste et, il faut le dire, fortement empreint de literature ; 
Lehrbuch der Dogmengeschichte*, II, Tubingen, 1909, p. 396 suiv., sur- 
iout p. 397. 

2. Voir dans DAFC, 1'article Trinitc. 



NOTE A a 

APOLLONIUS DE TYANE ET SA n VIE 

Peu d'ouvrages ont donne lieu autant que celui de Philostrate 
sur Apollonius de Tyane, a d'etranges abus. C'est dans les pre- 
mieres, annees du in 6 siecle, entre 210 et 215 environ, que la Vie 
<T Apollonius fut composee, sur le desir de rimperatrice syrienne, 
Julia Domna, seconde femme de Severe et mere de Geta et de Cara- 
-calla. Julia fournit aussi, selon toute apparence, au biographe, le 
principal de ses documents, les Memoires d'un certain Damis de 
Ninos (Ninive). Quelques auteurs (F. Ch. Baur et Ed. Zeller en 
particulier) ont voulu voir dans ce Damis une simple fiction litte- 
raire. Ed. Meyer, Apollonios von Tyane und Philostratos, dans 
Hermes, 1917, p. 371-424, reprend a peu pros cette these, eleve 
<Ies doutes sur les sources de Philostrate, estimant qu'il les a 
lui-me'me en grande partie fabriquees. J. Hempel, Unlersuchungen 
zur Ueberlieferung von Apollonius von Tyana, Stockholm (moins 
radical), est d'avis que la comparaison des evangiles avec la tra- 
dition d' Apollonius n'a aucune valeur concluante et reelle 1 . Mais 
on n'a aucune raison decisive pour legitimer tant de suspicion : le 
rccit de Philostrate, pour romance qu'il soit, presente Apollonius 
commeun grand magicien, doue de pouvoirs merveilleux, ce qui 
Concorde avec le plus ancien temoignage, independant de Philos- 
trate, qui nous reste sur Apollonius, celui de Lucien. Dans son Ale- 
xandre* ou le Faux Prophete, dedie a Celse, n. 5 et 6, Lucien 
represente en effet Apollonius comme un charlatan, exergant la 
magie, et exploitant la credulite publique. 

1. GiW dans K. L. Schmidt, Die Stellung der Evangelien in der allegemei- 
nen Literaturgeschichte, ETXAPISTHPION, II, Goettingen, 1923, p. 81-83. 

2. Alexandra d'Abonotichos ; 14-dessus F. Gumont, Alex. d'Abonotichos et le 
ndo-Pythagorisme dans RHR, LXXXVI, 1922, p. 202-210. Nous avons signale 
plus haul, t. II, p. 132, note 2, le doute de M. Cumont touchant I'identit6 du 
Celse ami de Lucien et de 1'auteur du Discours Veritable. Dans le radme sens, 
cf. aussi E. de Faye, Origene, I, 1923, p. 141. 

219 



220 JESUS CHRIST. 

Avcc les Memoires de Damis, Philostrate a eu en main, pour 
composer sa VieJ'\m livre de Maximo d'Aegae en Cilicie, quatre 
livres de Mocragenes d'Athenes, et quatre-vingt-quinze courtes 
lettres d'Apollonius lui-meme, qui sont surement apocryphes '. 

Sur ces pieces ou, dans beaucoup de paille legendaire, il pouvait 
rester un peu de grain historique, Philostrate composa une bio- 
graphic exemplaire, a la mode pythagoricienne 2 , dans laquelle, 
suivant le gout qu'atteste un autre de ses ouvrages, LHero'ique, il 
lit une large part au merveilleux. En bon rheteur, il prit son bien, 
ou il le trouvait, pour embellir son roman historique. Or le cercle 
de beaux esprits dans lequel et pour lequel il travaillait, qui s'etait 
forme autour de la brillante et docte imperatrice Julia, etait, en. 
maliere religieuse, deliberement syncretiste. Le christianisme y 
ctait naturellement connu, et nullement deteste; la conduite- 
d'Alexandre Severe le prouve assez. On s'explique done fort bien, 
quo les recits evangeliques, en particulier ceux des miracles du. 
Christ, aient servi a Philostrate, sinon de sources, au moins de 
tcrme de comparaison et de stimulant. 

Ce fait, qu'il cst difficile de contester quand on lit 1'ouvrage (et. 
c'cst cc qui reste des theses excessives de Baur, de E. Zeller, d'Alb. 
Reville et dc B. Aube, La Polemique pa'ienne a la fin du n siecle 2 ^ 
Paris, 1878, p. 462 suiv.), n'implique pas necessairement dans 
Tauteur une intention de polemique antichretienne. Eusebe nous 
dit au contraire, positivement, que Hierocles fut le premier et le- 
seul parmi tous ceux qui ont attaque la foi chretienne , tirer 
argument centre le Christ d'une comparaison de ses miracles avec 
ceux d'Apollonius de Tyane (Adv. Hieroclem, MG, 22, col. 797).. 
II cst sur du moins qu'a partir de la le roman de Philostrate devint 
un champ de bataille de 1'apologetique. Reprenant les traces de 
Lucien, certains Peres du iv siecle ne virent guere dans son heros 
qu'un magicien pousse a 1'apotheose par un biographe sans scru- 
pules. D'autres, en particulier saint Augustin, attribuent quclque- 
credit a 1'ouvrage, et parlent avec une certaine consideration de 
1'homme. Chez les Byzantins, a cote de Photius qui ne voit dans- 
la Vie qu'un tissu de fables impertinentes, une tradition se foirme- 

1. Sur les sources de Philostrate, voir W. von Christ et W. Schmid, Geschi- 
chte der Griechischen Literatur 5 , II, 1, Miinchen, 1911, p. 290-291, et notes* 
A. Ghassang a traduit int6gralement les pretendues Lettres d'Apollonius a la 
suite de la Vie. 

2. Sur ces Vies, ou un maitre 6tait presente comme de*positaire d'une vertu. 
divine, habile par un dieu, voir A. Delalte, La Vie de Pythagore de Dio 
gene Laerce, Bruxelles. 1922. 



APOLLOMUS DE TYANE ET SA VIE . 221 

.oil Apollonius devient une sortc de thaumaturge et de saint du 
paganisme*. 

Ce flottement, cettc appreciation ambigue subsistent encore au 
temps de la Renaissance. Aide Manuce ne public 1'edition princcps 
(1501) de la Vie qu'en Taccompagnant comme d'un antidote du 
'livre d'Eusebe contre Hi6rocles. Jean Bodin (f 1596) etablit dans 
-son dialogue Heptaplomeres (reste manuscrit, public seulement 
en 1841) un parallele entre Jesus et Apollonius 2 . 

Au xvii e siecle, le delsme anglais avec Herbert de Cherbury 
et Ch. Blount (voir B. Piinger, W. Hastie, History of the Chris- 
tian Philosophy of religion from the Reformation to Kant, Edin- 
burgh, 1887, p. 314) reprend la these et les arguments d'Hierocles. 
Blount public une traduction partielle de la Vie avcc des notes 
lendancieuses dues peut-etre a H. de Cherbury, en 1680. Voltaire 
lui emboite le pas dans 1'Introduction a YEssai sur les Mccurs, 
Introduction ecrite beaucoup plus tard que 1'ouvrage et publieo 
en 1765 sous le titre de Philosophic de I Histoire, chap. Miracles 
(dans GEuvres completes, ed. Lequien, Paris, 1820, XV, p. 148). 
La question est reprise beaucoup plus librenient dans la traduc- 
tion de la Vie par J. de Castillon, 1779, accompagnee des notes 
de Blount et precedee d'une ironique dedicace au pape Clement XIV, 
signee Philalethe et attribute a Frederic II. Ce dernier joua en 
tous cas un role decisif dans la publication. Quelque chose do cctte 
fievre subsiste encore au xix siecle. Dans son poeme, les Mages, 
date de 1856 (les Contemplations, VI, 23, ed. J. Vianey, 1922, III, 
(p. 376), Victor Hugo juxtapose Apollonius a saint Jean : 

L'un a Patmos, 1'autre a, Tyane. 

Vers le meme temps, les Svedenborgiens, les spirites, les 
adeptes de la nouvelle theosophie, A. P. Sinnett et surtout G. R. S. 
Mead, Apollonios of Tyana, the Philosopher-Reformer of the 
first century A. /)., London, 1901, revendiquent naturellement, a 
des titres divers, Apollonius comme leur prccurscur ou letir 
patron. Voir M. A. Canney, ERE, I, p. 611, b. 

Cependant, sous 1'influence des travaux, biaises mais appro- 
fondis, do F. Ch. Baur, de E. Zeller, d'Alb. Reville, et surtout des 
ouvrages plus objectifs d'A. Chassang, Apollonius de Tyane, 

1. W. von Christ et W. Schmid, GescMckte der Griechischen Literatur 5 , II, 
1, p. 291, note 2. Sur les miracles d'Apollonius, voir J. Coppens, L'fmposition 
des mains et les riles connexes, Paris, 1925, p. 96-97. 

2. Sur ce dialogue, voir H. Busson, Les sources et le developpement du ratio- 
nalisme dans la literature franfaise au xvi e siecle, Paris, 1922, p. 552 a 555. 



222 JESUS CHItlST. 

Paris, 1862, d'lw. Miiller, d'E. Rohde, Der Griechische Roman? 
Leipzig, 1876, et des memoires, cites plus haul, d'Ed. Meyer, de 
J. Hempel, etc., une opinion ferme et fondee s'est lentement sub- 
stituee a ces chimeres. Avec des nuances et des divergences de 
details, les points suivants sont aujourd'hui considered comme 
acquis : 1 la Vie d'Apollonius n'a pas ete ecrite dans un but de 
polemique religieuse, antichrdtienne, mais de propagande philo- 
sophique, notamment pythagoricienne, et sur le modele des Vies 
preexistantes de Pythagore; 2 dans ce but, Philostrate a utilise 
tres librement des sources anciennes deja romancees, et surtout 
les a epurees, faisant d'un magicien assez vulgaire un thaumaturge 
moralisant; 3 ce qui peut rester de 1'histoire dans son oeuvre- 
ne va guere plus loin que le nom d'Apollonius et, peut-etre, un 
certain cadre de 1'activite et des voyages d'un mage, qui semblc 
avoir excite, au premier siecle, une curiosite relativement etendue.. 
Non seulement Philostrate etait incapable de degager de ces- 
recits confus ce qu'ils contenaient de verite, mais il n'eut, aaucun 
degre, le souci de le faire. Le dessein qu'il declare fut de montrer 
qu'Apollomus n'etait pas un sorcier... mais un homme vraiment 
doue d'une vertu divine, ou, pour mieux dire, une sorte de dieu.... 
En consequence, le surnaturel etait le fond meme de la vie de son 
personnage tel qu'il le concevait. Du moins, ce surnaturel aurait 
pu avoir sa beaute... Mais il aurait fallu, pour degager cette 
superiorite, que le biographe eut lui-mme une raison elevee et 
une grande ame. Sophiste de nature et de profession, il n'a pu> 
faire de son heros qu'un sophiste insupportable : Histoire de La 
Litterature Grecque* par Alfred et Maurice Croiset, vol. V, p. 764.. 
765. Voir aussi la Griechische Literaturgeschichte de \V. von 
Christ et W. Schmid, 5 edition, II, 2, Munchen, 1913, p. 612, 613, 
avec les ecrits qui y sont cites ; 4 dans 1'execution de son dessein. 
Philostrate s'est inspire des recits evangeliques a lui connus, sans 
qu'on puisse etablir avec certitude qu'il les ait deliberement imites- 
on demarques. Mais il a naturellement transporte dans son romau 
les traits que son but I'amenait a utiliser. 



L1VRE V 
LES CEUVRES DU CHRIST 



CHAPITRE PREMIER 

INTRODUCTION A L'ETUDE DBS MIRACLES 
EVANGELIQUES 

1. Des signes divins en g6n6ral. 

Deux moyens de preuve, les miracles et 1'accomplisse- 
ment des propheties, pouvaient seuls, d'apres 1'opinion des 
cpntemporains de Jesus, etablir une mission ^urnaturelle 1 . 
En quoi ces gens raisonnaient juste. Le temoignage du Christ 
.sur sa personne tirait sans doute une grande force de la 
(religion profonde du temoin et d'un admirable gquilibre 
mental, incompatibles avc les tares qui eussent rendu vrai- 
semblable une outrecuidance poussee jusqu'au desire. Mais 
a xses raisons de le croire sur parole, d'autres devaient 
s'ajouter. 

Les homines religieux ont toujours pensd, en effet, que la 
Divinite peut intervenir, et reellement intervient pour accre- 
-diter ceux qui parlent en son nom. On n'a jamais confondu les 
iprophetes avec les philospphes, maitres de ^agesse humaine. 
II peut suffire a ceux-ei d'avoir raison, ou d'en-donner 1'im- 
ipression, pour se faire des disciples ; de ceux-la on reclame des 
;garanties d'une autre espece, Le fait constant de cette exi- 
.gence n'est pas infirme par 1'attitude des initiateurs religieux 
dont on serait tenfe^ de tirer objection. Ni le Bouddha Qakya- 
mouni, ni Mahomet n'ont fait, a-t-on dit, appel au miracle. Ge 
;serait a voir ; il est sur du moins que Foeuvre de ces hommes 
*n'a gagne des fideles en nombre, et n'est devenue une reli- 
.gion distinete, qu'en se ehargeant de merveilleux, et en 

1. E. Renan, Vie de Jesus, 6d. definitive, p. 265. 

225 jgsUS CHRIST. II. 15 



226 JESUS CHRIST? 

majorant par des prodiges innombrables, les predications du 
Bouddha, les appels du Prophete l au jugement d'Allah. 

Ge recours a Dieu est naturel des qu'une croyance se 
presente comme categorique, et pretend computer ou deter- 
miner d'autorite, des points certains de religion naturelle. Si 
rudimentaire que soit son intelligence (qu'il faut se garder de 
mesurer sur le degre atteint de civilisation materielle) r 
1'homme, en cette matiere, ne s'incline pas sans motif : avant 
de donner une adhesion confiante, a plus forte raison, defini- 
tive et sans condition, il demande des titres. Et ces titres T 
quand il s'agit d'une revelation, distincte des verites naturel- 
lement connues, ne peuvent 4tre que des signes positifs et T 
dans une certaine mesure, contr61ables. Le prophete qui 
soltycite pour son enseignement un assentiment religieux, 
doit au prealable se qualifier comme interprete de la Divi- 
nite. 

Ge qu'on lui demande, c'est un temoignage divinrendant 
manifesto 1'intervention en sa faveur de la force et de la ve*rite 
divines 2 ; et Ton donne communement a ce temoignage le 
nom de miracle qui met vivement en lumiere un de ses 
aspects : celui par lequel il s'impose a 1'admiration. 

L'efficacite de ces signes, propheties et miracles, a ete 
longtemps incontestee, et 1'Eglise catholique enseignait 
naguere qu' ils sont tres feconds et capables de s'accom- 
moder a tous les esprits : omnium intellegentiae accommo- 
data 3 . Ges graves paroles nous avertissent de n'en pas 
faire dependre la valeur religieuse de precisions qui ne seront 
jamais accessibles qu'a peu d'hommes. II faut done se garder 
d'exiger, pour la constatation de la transcendance des faits T 
des conditions qui rendraient 1'interpretation certaine du 
signe le privilege de rares philosophes, doubles de savants 
tres avertis. Que ces philosophes, ces savants, poussent la 
discussion aussi avant que possible, et mettent le caractere 

1. Voir ci-dessous, p. 447, la note B 2 , Le Miracle dans le Eouddhi&me 
indie n et dans I' Islam. 

2. Quoddam divinum testimonium indicativum virtutis et veritatis 
divinae . Saint Thomas, De Polentia, q. vi, art. 5. 

3. Conslilutiones Concili Vaticani, cap. in, de Fide, dans F. Cavallera, 
Thesaurus Doctrinae Catholicae, Paris, 1920, n. 149. 



DES SIGNES DIVINS EN GENERAL. 227 

i 

surhumain d'un miracle dans un jour plus e"clatant ; qu'ils 
I'imposent, s'ils peuvent, aux esprits difficiles, pointilleux, 
prevenus, c'est la un grand bien et une ne'cessite' d'apologe- 
tique. Mais le signe s'adresse a tout homme religieux, et 
n'a pas besoin, pour valoir, de ces recherches abstruses et 
tres dedicates. Son point d'appui, sa force de persuasion, il les 
trouve dans des notions gdnerales, etrangeres aux subtiles 
discussions sur les confins de la biologie ou de la physique 
mathematique. II suffit que, dans un cas concret, le sceau 
divin apparaisse d'emblee, soit qu'il s'inscrive dans un champ 
ou nulle force naturelle ne saurait atteindre : realisation 
d'une prophetic proprementdite, resurrection d'un mort; soit 
que la soudainete du fait, sa grandeur, la disproportion ecla- 
tante des moyens employes inclinent puissamment'1'esprit a 
admettre une intervention surhumaine. 

On en doit dire autant de la perception des caracteres qui 
autorisent un signe negativement (comme non indigne), ou 
positivement (comme digne, tres digne), par son excellence 
morale et spirituelle, d'etre employe par Dieu; et de ceux 
qui etablissent une connexion manifesto entre ce signe et un 
ensemble doctrinal, ou une personne en particulier. On ne peut 
marquer ici de limite absolument fixe, eviter tous les inci- 
dents de frontiere. Les indices qui font ressortir ces carac- 
teres n'agissent pas sur 1'esprit d'une facon geometrique, 
maispar voie d'insinuation, de haute probabilite,-de certitude 
morale et concrete. II n'y a pas deux cas tout a fait sembla- 
bles. 

Le recours a la Providence achevera ordinairement de 
rendre certaine une interpretation fortement suggeree par la 
grandeur du fait et sa qualite religieuse. Si, au lieu d'un 
signe, on se trouve, comme nous allonsl'e'tre tout a Fheure, 
en presence d'un ensemble considerable manifestement lie a 
une initiative spirituelle de premiere valeur, on beneficie d'un 
cas privilegie. Mais ordinairement, meme alors, le jugement 
pratique, celui qui engage 1'homme, aura le plus souvent 
toute son assurance avant 1'exclusion reflechie et explicite des 
autres interpretations possibles. 

De nos jours encore le signe divin n'a rien perdu de sa 
force persuasive, et 1'experience montre assez que 1'appel au 



228 JESUS CHRIST. 

miracle ne laisse personne indifferent. On ne peut nier toute- 
fois que des malentendus, des confusions de toutes sortes 
foisonnent, a la fac.on de lianes, autour des notions du mer- 
veilleux et du miraculeux, dans maint ouvrage consacr^ a la 
question en general ou, en particulier, aux miracles evan- 
geliques, a ceux de Lourdes, de Lisieux, etc. Le trouble 
ainsi produit dans les intelligences est tel qu'un apologiste 
fort autorise ne craignait pas d'e'crire naguere : A 1'heure 
presente, et pour beaucoup d'esprits, les miracles sont plutot 
un obstacle a croire qu'un moyen de croire. L'intelligence 
moderne, faconnee dans le moule 'soi-disant scientifique, se 
trouve plut6t mal a 1'aise en face d'un miracle. Chez ceux-la 
meme que le surnaturel n'effraie pas, on devine une gene, une 
hesitation, une incertitude, un pourquoi, un peut-etre 1 . De 
son c6te, le philosophe Harald Hoeffding concluait : En 
realite, pour un nombre croissant d'hommes, les miracles, qui 
etaient autrefois une preuve et un appui de la religion, sont 
maintenant plut6t une pierre d'achoppement; leurs apologistes 
ont a les defendre, et, au fond du coeur, ils doivent bien 
souvent souhaiter en etre debarrasse's 2 . 

Ges impressions analogues, venues de milieux si differents, 
refletent plus que de raison 1'epoque si proche, et deja 
lointaine ou elles ont ete formulees. L'archev^que d'Albi 
ecrivait, comme le professeur de Gopenhague, a 1'heure ou 
le desarroi mental, issu du triomphe 4phemere du scientisme, 
etait a son comble, inquietant jusqu'aux bons esprits. Nous 
a'en devons pas moins essayer de dissiper, en les ramenant a 
leurs causes, des confusions si dommageables. 

2. Le Miracle dans la Nature. 

Les principales de ces confusions portent sur la place du 
signe miraculeux dans la nature, soit qu'on forge a celle-ci un 

1. Ms r E. I. Mignot, Lettres sur les Etudes ecclesiastiques, Paris, 1908, 
p. 119. 

2. H. Hoeffding, Philosophic de la Religion, 1901 ; tr. franpaise corrigee 
par 1'auteur, 1908, p. 27, 28. F. R. Tennant, Miracle, its philosophical pre- 
suppositions, Cambridge, 1925, p. 90 suiv., a presente de ce passage une 
critique modeste, mais decisive. 



DBS SIGNBS DIVINS EN GENERAL. 229 

cadre de lois immuables, soit qu'au rebours on rende ce cadre 
si incertain qu'une intervention de Dieu y devienne indis- 
cernable. 

Mais d'abord il faut denoneer un malentendu fondamental, 
qui vicie profondement certains exposes consacres a la ques- 
tion presente. Ge malentendu nait de la survivance, en 
d'assez nombreux esprits, de 1'idee de miracle a ce qui en est 
la condition indispensable : 1'existence d'un Dieu personnel. 
Avant d'attribuer a la Divinite la manifestation, par un signe 
sensible, d'une intention particuliere (c'est la ce que tout 
homme religieux atoujours entendu sous le nom de miracle), 
il faut admettre qu'un Dieu existe, capable d'avoir et de 
manif ester cette intention 1 . Saint Thomas d'Aquin observait 
deja, non sans profondeur, que les deformations infligees a la 
notion du miracle proviennent finalement d'erreurs concer- 
nant 1'Etre et 1'activite de Dieu 2 . 

Voici maintenant un ecrivain qui accepte, avec M. Alfred 
Loisy, comme evident , que la notion de Dieu n'a jamais 
ete qu'une projection ideale de la personnalite humaine , et 
reduit la doctrine d'un Dieu personnel a une mythologie 
plus epure*e 3 . Un pareil homme ne peut voir, de toute evi- 
dence, dans le miracle, qu'un mot, une notion chimerique, 
surannee, irreelle. II en parlera comme nous parlons de la 
licorne ou de Vhireocerf, de 1'horreur du vide ou du phlogisti- 
que ! S'il ecrit a propos de faits censes merveilleux, son but 
ne sera pas d'en discuter la realite la question, pour lui, 
ne Se pose plus mais de rechercher les motifs qui ont amene 
a creer, ou a subir, ou a propager cette illusion. II n'y a pas 
de place, dans les cadres de ce penseur, ou dans ceux de ses 
amis, pantheistes immanentistes, positivistes consequents, 

1. On parle ici d'une ant6riorit6 logiqtie. II peut arriver en fait, comme 
Newman 1'a bien remarque, que le miracle rende visible en meme temps, 
a la faon d'un eclair, avec 1'intervention extraordinaire de Dieu, Pordre 
ordinaire et divin du monde. II revelerait ainsi 1'existence de Dieu, avee 
son intention particuliere. Mais outre qu'un tel procd6 est accidentel, il 
ne peut etre efficace que si 1'exclusive n'a pas eti antSrieurement donn6e 
a cette notion d'un Dieu personnel. 

2. De Potentia, q. vi, art. 1 . 

3. Alfred Loisy, Choses Passdes, Paris, 1913, p. 313, 314. 



230 JESUS CHRIST. 

monistes, pour une re"alite de ce genre. Le seul probleme qui 
subsiste pour eux est celui de la croyance erronee d'unhomine 
ou d'un groupe d'hommes en des signes estime's a tort divins : 
de religieuse et d'actuelle la question est devenue purement 
historique et retrospective 1 . Mais il arrive tres souvent que, 
faute d'y voir clair, ou par crainte de paraitre avoir leur 
siege fait, ces ecrivains discutent comme si tout n'e"tait pas 
deja resolu de*finitivement sur le terrain philosophique : ils 
mettent ou semblent remettre les faits en question, sur le ter- 
rain de 1'histoire. 

Maint ouvrage d'exe"gese ou de vulgarisation scientifique se 
traine, de ce chef, dans une inexprimable confusion. 

Pour ceux qui 1'avouent, la position deniant d'avance au 
miracle toute realite, est difficile a tenir : ces memes hommes 
font, sur tant d'autres points beaucoup plus evidents, profes- 
sion d'ignorance ! Aussi voit-on les plus avises nier moins la 
possibilite des miracles que leur existence averee et certaine. 
Q'a ete, apres des fluctuations tres caracteristiques, 1'attitude 
finale d'Ernest Renan 2 . G'est celle de beaucoup de nos con- 
temporains non croyants. 

Un certain nombre parmi ceux-ci estime encore, toutefois 
dernier carre d'une armee jadis formidable que la 
science moderne suffit a disqualifier n'importe quel evenement 
qui se presente comme un signe divin. De cette incroyable 
prevention les exemples abondent, j usque chez des pen- 
seurs dignes d'un meilleur sort. Tant il est malaise a un 
homme de se soustraire au courant scientifique de son 
temps 3 ! 



1. C'est ce qu'ont apercju, sans toujours le discerner ou dire nettement, 
les personnes qui ont pris part & la discussion de la Societd Francaise 
de Philosophic, sur le probleme du miracle. Voir Bulletin de la Socie'te' 
frangaise de Philosophic, XII, 1912, p. 85-168, notamment p. 118 
(D. Parodi). 

2. Les textes assez commodement reunis dans J. Pommier, La Penste 
veligieuse d'Ernest Renan, Paris, 1926, p. 33-47. 

3. Est-il interdit de juger qu'un penseur aussi eminent qu'O. Hamelin 
n'eut pas ecrit, en un autre temps, du miracle, dont il ne va pas jusqu'a 
nier la possibilite : Peut-etre meme est-il au fond inconciliable avec 
1'idee d'un Dieu createur de personnes libres. A de telles personnes, Dieu 



DBS SIGNES DIVINS EN GENERAL. 231 

Or c'est un fait, explicable d'ailleurs, et en quelque me- 
sure excusable par un prodigieux essor et des succes ecla- 
tants, que le postulat deterministe applique aux sciences 
naturelles a ete, par toute une Ecole de la seconde moitie du 
xix e siecle, erige en principe absolu. Ge qui etait precede de 
methode et hypothese de recherche, la supposition d'un 
monde exterieur determine, existant de maniere objective et 
gouverne par des lois immuables 1 , est devenu verite de- 
montree, conclusion universelle et certaine. Et comme cette 
exaltation comcidait avec le triomphe ephemere, mais alors 
presque inconteste, de theories me'caniques, ramenant le 
monde a un systeme d'equations differentielles , on ima- 
gina tous les agents naturels soumis a des lois d'airain, con- 
cues sur le mode geometrique. Tout dut s'expliquer dans 
1'Univers par des interactions quantitative s, dont le rythme 
peut bien nous e'chapper et la complexite nous derouter, mais 
d'ou toute contingence, tout jeu, toute intervention libre quel- 
.conque etait bannie par hypothese. II est manifeste que, dans 

a du abandonner, pour en disposer a leur gre et a leurs risques, le cycle 
de determinisme qui sert de matiere a leur activite >, Essai sur les 
'elements de la representation, Paris, 1907; dans la seconde edition, 1925, 
p. 493. On ne voit pas du tout pourquoi un monde a delerminisme foncier, 
Jivre aux libertes secondes comme champ d'essai et d'epreuve, exclurait 
toute intervention, subordonnee a des fins tres sages, d'une liberte divine 
qui serait, par hypothese, connaissable comme telle. Ni 1'intelligence des 
personnes humaines n'en serait deconcertee, ni leur libre activite con- 
tredite. 

1. W. Wien, Am der Welt der Wissenschaft, Leipzig, 1921, cite dans 
Meyerson, La Deduction relativiste, 1925, p. 29etnotel. Surle passage du 
postulat deterministe, utilis comme tel par methode, et indument trans- 
forme en conclusion philosophique, M. L. de Launay ecrit : . On entend 
souvent dire que la notion meme du miracle est incompatible avec la 
science, tandis qu'elle est inherente a toute religion. Cela revient a affir- 
mer sans preuve que tout fait a une cause naturelle anterieure. C'est 
exprimer, sous une autre forme, que la science est deterministe . 
Conclure de ce postulat indemontre et indemontrable que toute religion 
contredit la science est un cercle vicieux. L'amrmation deterministe, qui 
elimine de parti pris, par maniere de simplification, toute metaphysique, 
a constitue un progres necessaire dans la pratique, etc. ; dans YEnqu&te 
publiee par le Figaro du 2 au 22 mai 1926, sur La science el le sentiment 
religieux (cf. mon article des Etudes, 5 juillet 1926, t. L CLXXXVIII, 
p. 5-27). [UEnquSte a paru aux Editions Spes , Paris, 1928]. 



232 JESUS CHRIST. 

cette perspective, une apparence miraeuleuse ne pent 3tre 
qu'une illusion, nee d'une sufvivance spiritualiste 4 . 

Gette belle assurance, qui avait gagne jusqu'a des theolo- 
giens reformes 2 , n'existe plus. A 1 'image rigide du monisms 
mecaniciste, concevant la Nature a I'instar d'un formidable 
zeppelin, d'autres vues se sont substitutes, infiniment plus 
modesfces. Les initiateurs de ce qu'on a appele la nouvelle 
philosophie : Emile Boutroux, WiHiam James, Rudolf Euc- 
ken, Henri Bergson, mais avec eux des savants de profes- 
sion 3 : Pierre Duhem, Henri Poincare, Edouard Le Roy ont 
denonce 1'equivoque du dogmatisme determmiste, et montr6 
comment il erigeait en loi de toute realite des formules pro- 
visoires, appf ochres, groupant pour des fins surtout pratiques T 
un nombre croissant de rapports exacts. Us ont note que ces 

1. Sur cette conception mecanique d'un Univera soumis au dStermi- 
nisme absolu dont s'enchante 1'esprit d'un Taine, conception d'un Renan 
ieune, d'un M. Berthelot, et qu'une legion de scientistes du second et 
du. troisieme ordre, dont Ernest Haeckel est demeure' le type accompli, 
transforma en une religion de la Science, voir, par exemple, la belle 
pagedeA. N. Whitehead, The Concept of Nature, Cambridge, 1920, p. 70 
suiv., et surtout Emile Meyerson, Identity et Rdalite*, Paris, 1912. On 
trouvera la^ p. 294, 295, les textes dans lesquels E. Haeckel et m6me 
S. Arrhenius refusent d'admettre les consequences du principe de Carnot, 
par suite d'une tendance apribristique> ant6rieure et sup^rieure a toute 
experience . 

2. Avec les homines de science, nous croyons au caractere immuable- 
des lois de la nature ; Et. M6n6goz, Le Miracle etla Volonte" de Dieu, dan's- 
Publications diverses sur le Fideisme, III, Paris, 1913, p. 199. Sur la position 
de M. A. von Harnack, voir plus bas, p. 326-327. 

3. L'histoire de cette evolution est bien marquee, en ses grands traits,, 
dans les etudes de 0. Manville, A. George, Andr6 Metz, Ed. Le Roy, 
Qu'est-ce la Science ? Paris, 1926. L'explication mecaniste ne consiste 
qu'en images , et ces images int6ressent moins la structure propre de- 
la science que la psychologie du savant... bref, ce sont dds schemes 
commodes, d'une commodity relative a 1'individu qui les manie . Plus 
g6n6ralement, ces conceptions rigides r6duisant ce qu'il y a d'objectif 
et de certain dans la science a un systeme d'6quations diff6rentielles 
sont des hypotheses issues de I'lmagination et qui ne sont que pour 
1'imagination >. Les lois conQues dans cette hypothese t ne sont plus 
immediatement Ii6es aux donnees de fait, et ne peuvent plus e~tre poshes 
comme des v6rit6s objectives . L. Brunschvicg, L'CEuvre d'Henri 
Poincare', dans le numSro special de la Revue de Mttaphysique et de Morale 
consacre a Henri Poincare, XXI, 1913, p. 591, 593. 



DBS SIGNES DIYINS EN GENERAL. 233 

rapports, dement observes, demeurent, constituent 1'etoffe in- 
dechirable du progres scientifique; mais d'autres, nouvelie* 
ment on mieux connus, viennent sans cesse s'y ajouter, for- 
gant de rejeter au creuset les lois aneiennes. Elles en sortent 
rajeunies, inoins inexactes, plus iecondes en applications 
toujours precaires. Nos theories scientifiques, ecritM. Emile 
Pioard 1 , sesuccedent avec une rapidite parfois deconcertante, 
prenant un caractere de plus en plus formel et symbolique.. 
L'histoire des sciences est pleine de mines, et, comme les 
livres, les theories ont leur destin. Notre notion de loi natu- 
relle a prodigieusement varie depuis cinquante ans. G'est 
ainsi que la theorie des quanta est venue modifier nos idees- 
sur la continuite. D'autrepart ie calcul des probabilites prend 
une grande importance dans les sciences physiques : de ce 
point de vue, les lois de la nature n'apparaissent qu'avec un. 
caractere de probabilite, et n'ont plus la rigidite familiere a 
nos predecesseurs. Laissons a leur dogmatisme ceux qui 
font de la science une idole. Gertes, comme le disait deja 
Montaigne, c'est un grand ornement que la science et un 
outil de merveilleux service; mais nous devons reconnaitre 
ses limites et ne pas nous illusionner sur ce qu'on pent 
attendre d'elle. 

Ge temoignage resume avec autorite I'oauvre des penseurs- 
qui ont etudie, soit dans leur histoire, soit dans leur rapport 
avec 1'experience, ees avancees de la science que sent les lois r 
theories et hypotheses. A la base de ces conceptions, ils ont 
constate le choix humain, conventiormel ; ils ont montre que 
le fait scientifique n'exprime de la realite qu'une faible partie r 
isolee et schematisee. Ils ont decele, dans la construction de- 
ces va&tes hypotheses qui fournissent a une ou a plusieurs 
generations de chercheurs la forme m^me de leur imagination 
scientifique, un certain nombre de tendances reparaissant a 
peu pres regulierement. Ges tendances s'imposent aux faits 
d'observation a la facon de cadres appropries, mais elles sont 
tenues en echec, limitees constamment et enfin brisees 
non dans leur direction generate, mais dans leurs contours et 

1. Emile Picard dans Fenqu6te du Figaro, . cit6e plus haut (Cf JSlttdes r 
5 juillet 1926, t. CLXXXVIII, p. 24). 



234 JESUS CHRIST. 

leur imagerie par ces monies faits 1 . A c6te d'exagerations, 
les maitres de la philosophie nouvelle ont ddnonce des erreurs : 
celle du positivisme voulant que la science s'abstint de 
toute supposition sur 1'^tre veritable des choses, en consti- 
tuant, comme on 1'a dit, un systeme de rapports sans sup- 
ports..., precede aussi eloigne que possible de celui dont la 
science se sert reellement 2 ; celle du monisme materialiste, 
comme si le psychique et le spirituel se reglaient sur les ma- 
nieres d'agir de la matiere et finalement s'y resorbaient, 
alors qu'ils la debordent de toutes parts et 1'expliquent seuls 
en lui donnant un sens. Plus encore, ils ont cm remarquer, 
dans le comportement des agents inanimes eux-me'ines, une 
part d'inexplique, d'irrationnel, de discontinu, d'imprevisible... 

1. C'est aux travaux de M. Emile Meyerson, De V Explication dans les 
Sciences, Paris, 1921, et La Deduction relativiste, Paris, 1925, que nous 
devons sin-tout cette connaissance du formel de la conception scientifique. 
Ces belles analyses, fondees sur une connaissance historique de premiere 
main, ont mis en lumiere certains caracteres immuables de ^explication 
dans les Sciences du moins de celles de ces explications qui reussissent, 
qui s'imposent en fait : r6alisme dans le but, qui est la decouverte du 
vrai et pas settlement du legal; de la cause et pas settlement de la con- 
dition ; postulats de 1'imite et de 1'identite du rationnel et du reel, du 
mesurable et du reel, du quantitatif et du reel, constamment battus en 
breche par 1'experience, mais aussi tendant constamment a s'irnposer a 
elle; superiorite pratique de la methode geometrique et de 1'imagerie 
spatiale ; difficulte de 1'imprevu, de Firrationnel, a se faire reconnaitre. 
quand il amene a changer la conception generate, le concept de totalite 
admis a une 6poque donnee, mais aussi discredit profond et immerite 
de ce concept, des la qu'un nouveau a reussi a expliquer les faits aber- 
rants et a faire reculer 1'anthropomorphisme. Voir Max Planek, Physika- 
lische Rundbliclte, Leipzig, 1922. 

M. Meyerson montre tres bien, sur 1'exemple contemporain de 1'explica- 
tion relativiste, einsteinienne, qu'il accepte pour sa part comme un 
progres, comment ces caracteres jouent sous nos yeux, et dans quelle 
mesure la deduction c'est-a-dire 1'hypothese, le postulat aprioristique, 
generalise suggeree par les faits et justiiiee par 1'explication, plus 
veritable ou simplement plus commode, de ces meme faits, tend imme- 
diatement a unifier, a rationaliser et h geometriser tout le reel; dans 
1'espece, a r6sorber dans 1'espace, enrichi de dimensions nouvelles, apres 
la matiere, le temps lui-meme ; La Deduction relativiste, 1925, ch. v, VH, 
XH, xv, xx suiv. 

2. E. Meyerson, La Deduction relativiste, p. 24; De ^Explication dans 
les Sciences, I, p. 4-32. 



DBS SIGNES DIVINS EN GENERAL. 235 

Us ont ainsi restitue a la Nature, c'est-a-dire a 1'image ordon- 
nee que nous nous faisons du monde sensible, une indetermi- 
nation, une contingence, une souplesse qui laisse aux libertes 
spirituelles toute possibilite d'intervention. Les traits de ce 
qu'on pourrait appeler la face de 1'Univers se sont detendus, 
et son immobilite marmoreenne s'est adoucie en un enigmati- 
que sourire. 

L'autre danger serait de pousser la reaction jusqu'a reduire 
notre connaissance de la Nature a des probability's, capables 
seulement de guider une action pratique. On en vient ainsi a 
concevoir toute re'alite sur le modele d'e"tres libres et indeter- 
mines. Impossible sous la rigide armure deterministe, 1'inter- 
vention miraculeuse est indiscernable dans une evolution sans 
loi connue et certaine. Gette tendance a conduit certains pen- 
seurs catholiques a extenuer 1'element visible dans leurs 
theories du signe divin *. 

Mais la critique fondee du determinisme n'implique aucu- 
nement une imprevisibilite totale 2 . Dieu qui cree le monde 

1. Ed. Le Roy, Essai sur le Miracle, dans Ahnales de Philosophic c/ire'- 
tienne, CLIII, 1906, p. 5 suiv., 166 suiv., 225 suiv. ; Edition revue et 
amendee, mais encore insuffisamment, dans Bulletin de la Socie'td fran- 
caise de Philosophic, XII, 1912, p. 85 suiv. Le meme point de vue a et6 
pousse plus loin encore par le P. L. Laberthonniere, Ibid., p. 139 suiv.; 
et la reponse de M. Le Roy, maintenant a 1'ordre naturel, observable 
scientifiquement, une coherence permettant de constater 1'intervention 
d'une cause 6trangere au determinisme ordinaire des faits observes, 
ibid., p. 148, 149, est beaucoup plus satisfaisante. 

2. Cette imprevisibilite totale est le corollaire de 1'anomie dans les mi- 
lieux oulamagie a jete de profondes racines et completement perverti la 
notion d'un ordre naturel. II va sans dire qu'une pareille conception du 
monde ou doit s'inscrire, par hypothese, le signe miraculeux, ote a celui- 
ci toute espece de portee. De tels milieux ne se trouvent pas que chez 
les peuples non-civilises. Dansuntrait6 tao'iste du rx e siecle, le Koan-yinn- 
tzen, il est dit : En dehors du Principe tout est neant... Immateriel, le 
Principe se joue a volont6 dans la matiere tenue emise par lui et non 
distincte. II ne faut done pas parler de lois naturelles, et de pr6tendues 
derogations a ces lois, comme seraient les changements de figure ou de 
sexe, les cas ou le feu ne brulepas, etc., qu'un cadavre se leveetmarche... 
qu'on entre et sorte par une porte peinte sur un mur, et autres choses 
semblables, ce ne sont pas des anomalies puisqu'il n'y a pas de norme. 
Ce sont jeux du Principe dans la matiere tenue qui forme son nimbe ; 
dans Leon Wieger, Histoire des Croyances religieuses et des Opinions 



236 JESUS CHRIST." 

materiel en vae et au bene'fice dn spirituel, a de'parti aux 
agents physiques une certaine mesure d'etre une nature, 
une forme, une idee direetrice qui fait d'eux des forces 
originales, des puissances en quelque mesure determinees. 
En vain notre raison tente-t-elle de fondre tout le donne 
sensible dans un milieu homogene, differencie seulement par 
la quantite et 1'ordre des parties. Les quality's ne se laissent 
pas reduire, se manifestant a la fois par des diversites fon- 
cieres, et par un ordre indeniable. Des rapports uniformes 
se decouvrent a Fobservation, qui permettent avec le temps 
de formuler des lois, et la connaissance de ces lois nous- 
donne, sur le monde tel qu'il est, un empire qui ne permet 
pas de lui attribuer une indetermination semblable a celle 
des e"tres spirituels. La reussite constante et croissante de 
la science temoigne au contraire que le point de depart 
de ces inductions, s'il est conventionnel, n'est pas arbitraire T 
et n'est pas imaginaire, s'il est etroit. Nos lois n'expriment 
qu'une partie des manieres d'agir de la nature, mais une 
partie certaine; car elle donne lieu a des previsions assurees. 
Gette assurance garde, nous Favons note plus haut, une 
nuance de precarite, puisqu'elle se produit dans un ordre 
surement contingent, et peut-4tre progressif. Ce second 
caractere est purement hypothetique 1 ; mais le premier est 
certain et ne permet pas de declarer antecedemment et 
mathematiquement improbable un fait quelconque. On peut 
toutefois le plus souvent traiter de quantite negligeable la 
marge ainsi laissee en principe : elle est inferieure a celle 
qui, dans nos decisions graves, merite consideration. Les. 
theoriciens les plus hardis du calcul des probabilites n'en 
disconviennent pas. S'ils disent d'une conclusion scientifiqu& 

philosophiques en CAme 2 , 1922, p. 572. A un moindre degr6, les musul- 
mans Ach'arites (disciples de al-Ach'ari, f Bagdad en 935, hegire 324) 
substituent a la notion de loi naturelle, celle d'habitude. < Ce n'est pas. 
en vertu d'une loi, mais seulement d'une habitude etablie par Dieu dans 
la nature, que certains phenomenes sont consecutifs a d'autres... II n'est 
pas necessaire que 1'absence d'aliments et de boisson entraine la faim et: 
la soif, mais il en est habituellement ainsi... Le Nil croitou decroitpar 
habitude, non par suite de causes naturelles. I. Goldziher, Le Dogme et la 
Loi de I Islam, tr. Arin, 1920, p. 107 suiv. 
1. Voirplus bas, p.452,lanote D 2 : L 'Evolution e'pige'ne'tiqve et le Miracle. 



DES SIGNES DIVINS EN GENERAL. 237 

(par exemple de 1'interpretation du principe de Garnot dans 
le sens de la croissance de 1'entropie), qu'elle n'autorise rigou- 
a-eusement qu'une prevision extremement probable, non 
.absolument certaine , ils ajoutent aussit6t que les proba- 
bilite*s de ce genre donnent lieu a des jugements pratiques 
tres certains 1 . 

Nos interventions libres elles-memes mettent en lumiere, 
loin de 1'offusquer, le cours regulier des choses. Le vieil 
-adage, portant qu'on ne domine la nature qu'en lui obeissant, 
s'applique la de plein droit. Constructeur d'aeroplanes, 
j'utilise les lois d'inertie, d'equilibre, de resistance pour 
obtenir un resultat qui peut sembler, aux regards superficiels, 
suspendre ou contredire ces lois. Medecin, j'eVoque, j'active, 
j 'oppose Tune a 1'autre des forces vivantes, subordonnees 
dans une certaine mesure a mon intervention, mais conservant 
et j'y compte, et c'est la-dessus que je table leur 
direction, leurs facons d'agir, leur automatisme foncier. Notre 
activite libre se meut dans le cours naturel des choses sans 
de forcer. 

Seulement 1'efficacite de nos interventions est restreinte. 
iLe monde materiel est plut6t surpris par artifice que soumis 
:par force, et nous connaissons, pour nous y e'tre meurtris, les 
; bornes etroites de notre pouvoir. L' experience humaine est 
faite de millions, de milliards de constatations uniformes. 
:Si nous ne savons pas toujours ce que nous pouvons, nous 

1. On peut cependant... affirmerque Ton n'observera jamais scienti- 
^quement un ph6nomene aussi peu probable que par exemple 1'elevation 
. spontanee d'une brique a la hauteur d'un premier 6tage par mouvement 
'brownien ; si des observateurs affirmaient en effet avoir assiste a tin tel 
.phenomene, on devrait admettre qu'ils ont et6 victimes. d'une halluci- 
nation collective ou que pour toute autre raison leur temoignage ne cor- 
respond pas a une r6alite objective, car quelque grande que soit la con- 
fiance que Ton ait en eux ; cette eventualite serait encore enormement 
jplus probable que la production de l'6venement consider^ ; Emile Borel, 
Traitd du Calcul des Probabilites et de ses Applications, t. II, 3, par 
:Emile Borel et P. Perrin, Paris, 1925, p. 146. 

C'est dans le meme sens qu'il faut interpreter la categoric de com- 
jnodite , substitute par Henri Poincare a celle de verite , mais qui 
ai'est, dans beaucoup de cas, qu'un synonyme modeste de celle -ci. Voir 
-Andre George dans Qu'est-ce que la science ? Reponse de Henri Poincare", 
^aris, 1926, p. 76-84. 



238 JESUS CHRIST. 

savons tres souvent et stirement ce que nous ne pouvons pas. 
Avec de la farine, de 1'eau, du feu, dans certaines conditions 
et a travers bien des peines, nous pouvons faire du pain; 
nous ne pouvons pas, avec cinq pains d'orge et quelques 
petits poissons ,.nourrir des milliers d'affames. Contestez 
le fait, si vous le pouvez, a la bonne heure ! S'il est constant, 
il depasse les forces humaines. 

II est de meme des deroulements, des suites qu'on peut 
qualifier d'irreversibles 1 , parce qu'aucune puissance natu- 
relle n'en peut suspendre le cours, a partir d'un certain point, 
et, moins encore, le renverser. Gertaines alterations physio- 
logiques mettent par exemple un organe, condition du con- 
sensus vital, dans un tel etat de perturbation qu'il n'est 
plus au pouvoir de personne d'y remedier. Quand la serie 
de morts partielles ainsi declenchee s'est propagee jusqu'au 
centre de coordination, de nutrition et d'equilibre, survient 
la mort derniere, la mort sans phrases. 

L'experience ainsi faite par tant de generations d'hommes 
places dans les circonstances les plus diverses, permet 
d'assigner une limite a 1'intervention efficace des energies 
naturelles : limite impossible a preciser dans son dernier 
detail, mais certaine. Toute probabilite serieuse manque a 
Phypothese d'un renversement naturel de certains processus 
de dissolution, parvenus a un point donne. On ne ressuscite 
pas un mort ; on ne refait pas en un instant des tissus pro- 
fondement, physiologiquement -leses, cette refection exigeantj 
apres les emonctions necessaires, 1'apport et 1'elaboration 
sur place de milliers de cellules differenciees. Or on peut 
verifier, de facon a ecarter tout doute prudent, la mort reelle, 
1'alteration physiologique profonde. Les phases de ces divers 
phenomenes, et celles des refections correspondantes, dans 
le cas des lesions, ont ete etudiees avec une patience admi- 
rable qui permet de declarer inconcevables les circonstances 
exigees par un retour instantane a la vie ou a la sante. S'il 
s'agit des forces humaines, done en partie spirituelles : 
enthousiasme, courage, patience, etc..., les limites, pour 

1 . Sur I'irr6versibilit6, voir Emile Meyerson, De V Explication dans les 
Sciences, 1921, I, p. 199 suiv. ; II, p. 405-406. 



DBS SIGNES DIVINS EN GENERAL. 239 

tre moins apparentes, n'en sont pas moins reelles, et, en 
gros, connaissables. II en est ici comme de la localisation 
precise de certaines raies du spectre solaire : elle est impos- 
sible a determiner ; pour d'autres, le doute serait deraison- 
nable : elles coupent nettement la zone verte, ou la rouge. 
Le cadre de la Nature est done assez souple pour que 
1'intervention d'une liberte superieure y soit. possible, et 
ensemble assez determine pour que cette intervention s'y 
inscrive lisiblement. Or une telle liberte existe : et tout 
est possible a Dieu 4 . Les puissances d'action, automatique- 
ment mises en branle ou capables de choix, dont 1'inertie ou 
la faiblesse oppose une limite aux forces naturelles, restent 
soumises au Greateur, qui peut en majorer 1'efficacite ou la 
suppleer. Non qu'il puisse vouloir 1'impossible, realiser 1'in- 
concevable, faire penser une pierre ou agreer un acte for- 
mellement mauvais. Non qu'il intervienne arbitrairement, 
ou s'avise de retoucher un ordre providentiel pris en defaut. 
Grossieres imaginations anthropomorpbiques ! Mais, pour de 
fins dont il est juge, Dieu s'est reserve d'employer parfois 
miraculeusement un pouvoir au regard duquel rien de ce qui 
arrive n'est miraculeux 2 . Gette plaie qu'il faudrait normale- 
ment des semaines pour fermer, se guerit par la formation 
instantanee d'un tissu assaini; cet equilibre vital qui s'etait 
rompu, est derechef rendu possible et restitue par un chan- 
gement extraordinaire des elements corporels. Ces debile 
vouloirs d'homme beneficient d'une confirmation qui les rend 
superieurs atoute epreuve. En presence de faits de ce genre, 
e'tonnes et mesurant d'un coup d'oail la disproportion flagrante 
entre les causes naturelles actuellement en jeu et la grandeur 
de 1'effet, nous crions au miracle. Ubi est Deus tuus? les 
miracles le montrent et sont un eclair 3 . 

3. Notion Ghretienne du Miracle. 



En regie avec la philosophic naturelle et le Dieu de& 

1. Mc.,x, 27. 

2. Saint Thomas, S'umma Theologica, I, qu. cv, a. 8 : Nihil potest 
dici miraculum ex comparatione ad divinam potentiam. > 

3. Pascal, Penstes, ed. Brunschvicg maior, III, p. 283. 



"240 JESUS CHRIST. 

ipbilosophes et des ^savants , la notion de miracle peut 
jsembler vague, quand on 1'etudie en general : elle se precise 
<et prend tout son sens aux mains du Dieu de Jesus Christ . 
La foi chretienne en effet se resume dans I'adtoption filiale, 
par Dieu, des creatures infimes, infirmes et naturellement 
.serves, que nous sommes. Adoption qui implique une parti- 
cipation reelle, encore que mysterieuse, k la vie divine 
elle-me'me,, et depasse de ce chef toute exigence et toute 
capacite normale de la nature adoptee, 

Gette magnifique esperanee est-elle fondle? Avons-nous 
4es raisons solides de prater a Dieu des vues aussi liberales ? 
Ge n'est pas ici le lieu d'en decider; mais on doit recon- 
naitre que, dans cette hypothese, le signe extraordinaire 
-qu'est le miracle devient anterieurement probable, comme est 
extraordinaire et inattendu, 1'amour dont il doit temoigner. 
Ge qui dans 1'ordre habituel de Providence pouvait sembler 
un double emploi, ou un expedient masquant une insuffisance, 
-devient normal dans 1'ordre superieur, gratuit, surnaturel, 
ou nous introduit 1'incomprehensible bonte du Greateur. 
II a tant aime le monde! De ce faitinoui', c'est le miracle 
qui est charge de faire la preuve , et cela est bien ainsi 1 . 

1. J. Wehrl6, Le Miracle, sa nature, sa flnalit^ sa frequence, fans Etudes 
religieuses de Bruxelles, n. 112, 1924, p. 17, 18. Cette vue a 6t6 d6velopp6e 
fiuperieurementpar J. H. Newman, Two Essays an biblical and ecclesiastical 
Miracles, Essay I (ecrit en 1825), section 2; et J. de Tonqu6dec, Miracle, 
dans DAFC, III, col. 546 suiv. [La th6ologie du miracle a 6te r6cemment 
expos6e par A. van Hove, La doctrine du miracle chez saint Thomas et son 
accord avec les principes de la recherche scientifique (these de 1'Universite 
de Louvain), Paris, 1927. La finality .surnaturelle du miracle est 6tablie, 
-d'apres saint Thomas, p. 127-137.] 

En disant que le miracle Chretien nous introduit dans un ordre surna- 
turel, on ne pretend pas dirimer la controverse touchant 1'appartenance 
du signe miraculeux au surnaturel, entendu an sens technique du mot. 
L'opinion de M. Wehrl, loc. cit., p. 16 suiv., nous plait, admettant avec 
le cardinal Dechamps que : Rien n'appartient intrinsequement au sur- 
naturel (strictement dit) que ce <jui doit etre compte au nombre des 
conditions de la vie de la grace et de la gloire ((Euvres, ed. de Malines, 
VII, p. 177), et concluant que le miracle, dans la rigueur des termes, 
n'est pas un fait surnaturel. En droit absolu, il reste simplement une 
donnee preternaturelle . Mais distinguer n'est pas separer : Entre le 
preternaturel consid^re dans le miracle et le .surnaturel envisage dans la 



DBS SIGNES DIVINS EN G^N^HAL. 241 

G'est pourquoi rien n'est moins chre"tien que la tendance a 
faire rentrer le miracle dans les cadres naturels. Sous la 
pression du rationalisme delste, une tradition s'est etablie en 
ce sens, dans la theologie protestante, depuis Schleierma- 
cher au moins. Le miracle, assurait celui-ci, est le nom 
religieux d'un evenement. Toute interpretation religieuse 
d'un fait quelconque permettrait done d'y voir un miracle. 
Autant dire avec Goethe que le miracle est 1' enfant cheri 
de la foi 1 , loin qu'il puisse la faire naitre. Les theologiens 
reformes plus recents, J. Wendland, A. W- Hunzinger, ont 
senti la faiblesse de cette position, sans nettement Taban- 
donner. M. Reinhold Seeberg range dans la meme categoric, 
bien qu'en groupes distincts, 1'activite" de Dieu s'exercant 
dans une vie humaine par des evenements purement natu- 
rels et ordinaires , et cette activite se revelant comme 
divine par des evenements physiques extraordinaires 2 . Qui 
ne voit pourtant que ce second groupe, et lui seul, a toujours 
ete considere comme miraculeux? II est assurement loisible 
a chacun de reconnaitre, dans le detail de sa vie, les atten- 
tions, les favours, et, si Ton veut, les miracles d'une Provi- 
dence paternelle. Mais a parler exactement, cette extension 
degrade le sens du terme : si tout est miracle, rien n'est plus 
miracle. 

A cette confusion, nombre de protestants liberaux ont ajoute 
une concession qui les livre aux rationalistes. Us gardent la 
definition de Schleiermacher, ou la precisent en disant que 
le miracle est 1'exaucement de la priere . Mais cette 
reponse divine ne pourrait, selon eux, s'inscrire que dans les 
limites du cours ordinaire des choses, des lois immuables 

grace, il y a une solidarite qui fait que le miracle peut etre legitimement . 
rapporte a Pordre de la grace comme une d6pendance de cet ordre . 

1. Voix du ciel, pourquoi me cherchez-vous, puissantes et donees, 
dans la poussiere ? R6sonnez la oii sont les homines au cosur tendre. 
J'entends bien le message (dePaques), mais la foi me manque ; le miracle 
st 1'enfant ch6ri de la foi ; Faust, I, I, tr. H. Lichtenberger, p. 112. 

2. R. Seeberg, Winder, dans HEP 3 :XXI, p. 567. Voir A. W. Hunzinger, 
3)as Wunder, Leipzig, 1912 ; J. Wendland, Der Wunderglaube im Chris- 
lentum, Goettingen, 1912. Sur la notion de miracle dans la theologie 
anglicane contemporaine, F. R. Tennant, Miracle,its philosophical presup- 
positions, Cambridge, 1925, Lecture III. 

JESUS CHRIST. ii. 16 



242 JBSUS CHRIST. 

etant cense"es s'opposer a toute intervention extraordinaire 
de Dieu *. N'est-ce pas exclure a priori, du domaine religieux, 
les seuls faits que tout le monde ait toujours regard&s comme 
des miracles? 

La notion traditionnelle du signe divin est bien autre. 

Son point de depart est 1'eclat d'un fait sensible, au moins 
dans ses effets 2 , et extraordinaire, inattendu, inexplicable, 
faisant contraste et ressaut dans la suite phenomenale 
connue 3 )). De la I'etonnement, 1'admiration qui eveille etiixe 
1'attention sur le prophete ou sa doctrine. Ge trait est indis- 
pensable, et d'autant plus que le miracle vise d'abord les 
infideles, incapables de percevoir des indices plus delicats 4 . 
.Mais il s'en faut de beaucoup que 1'element visible, exte- 
rieur, teratologique, suffise; dans ce corps une ame spirituelle 
doit reveler sa presence, et c'est 1'ensemble qui conduit a 
voir dans le fait merveilleux une intervention divine. 

L'interpretation comporfce normalement trois etapes. 

D'abord, 1'assurance du caractere miraculeux : il n'y a pas 
eu illusion, erreur des sens ; il existe une disproportion mani- 
feste entre 1'effet produit et les forces de nature, physiques 

1 . Aug. Sabatier, Esquisse d'une Philosophic de la Religion d'apres la 
Psychologic et I'Histoire^, p. 85 suiv. ; E. Menegoz, Publications diverses sur 
le Fide'isme, I, Paris, 1900, p. 161 suiv. ; 204 suiv. H. Hceffding a observ6 
dans sa Philosophie de la Religion, ed. fr., 1908, p. 176 suiv., que Sabatier 
et ceux qui le suivent, en admettant le postulat rationaliste des lois ira- 
muables, s'enlevent le droit dont ils ne se lassent pas d'user par ail- 
leurs d'en appeler a une intervention particuliere de Dieu, i une reve- 
lation proprement dite. 

2. Soit dit pour exclure les effets tout interieurs produits par les; 
sacrements, etc... 

3. Ed. Le Roy, Le Probleme du Miracle, dans Bulletin de la Socie"te 
francaise de Philosophie, XII, 1912, p. 96. 

4. Le don de parler en langues est un signe non pour les fideles, mais 
pour les infideles ; I Cor., xiv, 22. Saint Thomas expose ce texte, a mainte 
reprise, des miracles en general, et insiste sur le caractere rudimentaire 
et initial du miracle, comme signe. Voir ses Expositions sur les Evan- 
giles, InEv.Joannis, cap. iv, lect. VII, n. 3; cap. vn, lect. Ill, n. 9; lect. V, 
n. 6, dans 1'edition de Parme, X, p. 377 ; 434; 439, etc. En realite, saint 
Paul oppose an signe du parler en langues > un autre signe plus spi- 
rituel et, comme tel, mieux adapts aux fideles, celui du parler en pro- 
pheties >. 



DBS SIGNES DIVIKS EN GENERAL. 243 

ou psychiques, ou m4me spirituelles 1 , qu'on peut bonnement 
supposer & 1'ceuvre. 

Ge premier indice, tout important qu'il est, ne peut abso- 
lument suppleer au reste. On doit me'me dire qu'il est plut6t 
un eveil, un point de ddpart. A vouloir qu'il s'impose abso- 
lument, sans discussion possible, rendant superfine s par son 
evidente transcendance les dispositions religieuses et morales 
des temoins, on irait droit a la position des Pharisiens recla- 
mant des signes dans le ciel et, de ce chef, deboutes par 



1. Ce mot souleve une question assez subtile, mais inevitable. D'une 
part le miracle proprement dit suppose une intervention divine ; c'est la 
doctrine constante de saint Thomas : Contra Gentites, III, 102, et parall. ; 
la-dessus J. Wehrle, Le Miracle, etc., p. 4 suiv. D'autre part, en admet- 
tant qu'un ph6nomene depasse les forces humaines, il n'est pas demontre 
pour autant qu'il faille 1'attribuer directement a Dieu. Des puissances 
d'action surhumaines, spirituelles, bonnes ou mauvaises, sont conce- 
vables, dont 1'intervention pourrait expliquer des faits apparemment 
miraculeux. C'est la du moins une hypothese qui n'est pas deraisonnable. 

Accordons-le. Mais outre que certains cas excluent cette hypothese 
(Saint Thomas, de Polentia, q. vi, art. 3 suiv. ; F. Suarez, Tract, de An- 
gelis, lib. IV, cap. xxxix), il faut se souvenir que les forces spirituelles 
dont il est question sont, en tout cas et assurement, soumises a la Provi- 
dence deDieu. 

Bonnes, elles ne peuvent etre que des instruments dociles favorisant 
le bien spirituel des hommes. Malicieuses ou capables, selon les heures, 
de bienet de mal (cette hypothese que nous savons n'etre plus r^alisee, 
ne repugne pas en elle-meme, et elle est a la base des croyances spi- 
rites : voir Allan Kardec, Le Livre des Esprits, Paris, 1857, 52 1912, et 
Lucien Roure, Le Merveilleux Spirite, Paris, 1917, Le Spiritisme d'aujour- 
d'hui, Paris, 1923), elles ne sont pas laissees sans controle a leur initia- 
tive bizarre ou malfaisante. Estimer qu'elles puissent creer des pertur- 
bations dans 1'ordre naturel, sans raisons graves, est deja malaise a con- 
cevoir et "peu conciliable avec la veritable notion de Providence. Mais 
admettre que de telles ingerences se produisent la ou des interets reli- 
gieux sont en jeu, dans des circonstances qui non seulement n'excluent 
pas, mais appellent ou suggerent une intervention divine, c'est la propre- 
ment sortir du terrain ou nous nous sommes places dans toute cette etude, 
et hors duquel la notion de miracle n'est plus qu'une coque vide, une chi- 
mere, un synonyme d'anomalie. C'est mettre en doute, equivalemment, 
1'existence ou la sagesse infinie de Dieu. 

Sur les textes evangeliques concernant 1'intervention des esprits separes 
dans le monde humain, notamment Mt., xxiv, 23-25 et parall., voir plus 
bas, p. 341 suiv. 



244 JESUS CHRIST. 

le Christ 1 . Le miracle est un langage divin, mais enveloppe : 
en face des ceuvres merveilleuses de Jesus, plusieurs lignes 
d'interpretations se dessinent dans la foule qui assists aux 
prodiges, et la grandeur de ceux-ci n'aurait pas, estime saint 
Thomas, suffi a rendre inexcusables ceux qui refusaient d'y 
croire, si les miracles ne se fussent accompagne's pour eux 
d'une grace inte>ieure d'illumination 2 . 

Secondement, 1' excellence globale du fait : que dans son 
mode, son but, ses repercussions legitimes, il soit approprie 
au sens divin qu'il doit suggerer, et apte a convoyer cette 
haute signification. On exigera done de lui des dehors de 
decence, de convenance, de modestie excluant ce qui sentirait 
le charlatanism e, le truquage, la fantasmagorie , ce qui ten- 
drait a favoriser 1'orgueil, la sensualite, les inte're'ts prives 
du prophete. On peut d'emblee rejeter, ou du moins tenir 
pour suspect, un prodige qui se presente dans un contexte 
malsain, absurde, ou visiblement pueril (les exemples abon- 
dent dans les evangiles apocryphes, a plus forte raison dans 
les recits merveilleux du Bouddhisme 3 ). On laissera tomber 
de meme tout phenomene bizarre, futile, isole, sans attache 
visible avec un intere't religieux. 

II faut enfin que le fait miraculeux soit nettement lie avec 
une doctrine, ou une personne, propre a recevoir le sceau 
divin. La connaissance prealable du thaumaturge, 1'estime 
fondee qu'on a pour son enseignement, influe legitimement 

1. Me., viii, 11 suiv. ; Mt., xvi, 4. Voir plus bas, p. 332-335. 

2. InEv. Joannis, cap. xv, lect. v, n. 4; 6d. de Parme, X, p. 573. Ce qui 
rend les Juifs inexcusables (Jo., xv, 24) c'est que le Christ, tout en leur 
donnant exterieurement des signes visibles, touchait et pressait inte- 
rieurement leur cceur : Ce que dit le Seigneur : Si je n'avais pas fait 
parmi eux des ceuvres telles qu'aucun autre n'en a fait, Us n'auraient point 
de peche, ne doit pas s'entendre settlement des osuvres visibles, mais de 
1'instinct interieur, et de 1'attrait de la doctrine ; s'il ne les avait pas pro- 
duits en eux, ils n'auraient point de peche (d'infidelite). Sur 1'authen- 
ticit6 du commentaire sur saint Jean, P. Synave, Les Commentaires Scrip- 
turaires de saint Thomas d'A quin, dans La Vie Spirituelle, VIII, 1923, 
p. 459 suiv. 

3. Voir par exemple H. Kern, Histoire du, Bouddhisme dans Vlnde, tr. 
fr. G. Huet, Paris, 1901, I, p. 73 suiv. II faut d'ailleurs tenir compte de 
1'etat des esprits et des moaurs : rudesse n'est pas grossierete, simplicite 
n'est pas sottise. 



DES SIGNES DIVINS EN GENERAL. 245 

sur la decision, dispose Tesprit de telle sorte qu'un signe, 
insuffisant pour un profane, soit surabondant pour un temoin 
justement prevenu. Les dispositions de celui-ci ne sont pas 
a prendre en moindre consideration : un virtuose, un artiste 
aura reconnu et dechiffre correctement une phrase de Beetho- 
ven, sur des indices et a un moment ou de me'diocres musi- 
ciens hesiteraient encore, non sans raison, touchant 1'attri- 
bution de la phrase et sa teneur. J. Scheeben note tres bien 
la-dessus que 1'interpretation des signes depend essentielle- 
ment de la clarte, de la vivacite", de la force de nos disposi- 
tions morales, surtout de notre amour pour la verite, de notre 
respect pour 1'autorite de Dieu, de notre confiance en sa 
bonte* et en sa providente sagesse . Au'contraire, si ces 
dispositions morales n'existent pas, si 1'esprit craint ou redoute 
la verite", ou s'efforce de briser le lien vivant qui rattache ces 
signes a 1'autorite ou a la veracite de Dieu, on se laisse 
persuader ou que ces signes ne viennent pas de lui, ou qu'il 
ne les emploie pascomme des temoignages de sa revelation 1 . 
Nous sommes loin, on le voit, de coups de force qui agiraient 
sur les spectateurs du miracle par une sorte de contrainte, 
au detriment de leur responsabilite. La finale de la redou- 
table parabole du riche inhumain nous le rappelle avec force 2 . 
Repousse" dans sa reque'te personnelle, ce malheureux insiste 
aupres d' Abraham pour que les siens, reveilles par un pro- 
dige, changent leur vie et soient preserves de ce qu'il souffre : 
Je te prie done, Pere, de 1'envoyer (le pauvre Lazare) dans 
la maison de mon pere, car j'ai cinq freres, pour qu'il temoigne 
pres d'eux (de la verite des choses), afin qu'ils ne viennent 
pas, eux aussi, dans ce lieu de tourments. Abraham lui 
dit : 11s ont Moise et les Prophetes, qu'ils les ecoutent! 
Mais lui : Non, dit-il, Pere Abraham, mais si quelqu'un 
vient a eux de chez les morts, ils se convertiront. Mais il 
lui dit : S'ils n'ecoutent pas Moi'se et les Prophetes, me'me 
si quelqu'un ressuscitait des morts, ils ne se laisseraient pas 
con vainer e. Le mechant coeur ne cede pas au miracle; tout 
1'Evangile nous en est garant. 



1. Dogmatique, 1873-1887, I, trad. B61et ; p. 491. 

2. Lc., xvi, 19-31. 



246 JESUS CHRIST. 

Avant d'appliquer ces observations generales aux ceuvresr 
merveilleuses du Christ, il convient de dire un mot des pro- 
pheties. 

4. Prophete et Proph6tie. 

Le prophete l , c'est 1'homme en puissance de Dieu et agis- 
sant comme tel, porte-parole inspire de la Divinite. Le don 
qui confere, a I'e'tat passager ou habituel, cette haute prero- 
gative, est de 1'ordre intellectuel 2 , mais il se double tres 
souvent d'une action sur la volonte, donnant a 1'inspire cons- 
cience d'un devoir de transmission et de proclamation. 

Les connaissances ainsi communiquees d'en haut peuvent 
depasser en elles-m4mes, et depassent toujours par leur mode 
d'appre'hension, celles que l'homme acquiert par la voie com- 
mune. Elles participent ainsi, d'une fac.on inegale mais cer- 
taine,- aux revelations divines dont le Prophete est normale- 
ment 1'instrument. Ce qui ne veut pas dire (et bien au 
contraire) que ces connaissances violentent a quelque degre 
1'esprit de celui qui en beneficie. Les obscurites, les equivo- 
ques, accumulees par la polemique moderniste, echo confus 
de Timmanentisme hegelien, ne doivent pas donner le change. 
Tout ce brouillamini resulte, dans ce cas comme dans celui 
du miracle, de 1'intrusion, par les modernistes, des formules 
et notions traditionnelles, dans une hypothese de philosophie 
generale incompatible avec les realites supposees par ces 
formules et notions. Gelles-ci partent de 1'existence d'un Dieu 
personnel, transcendant a la lois et immanent. Abandonnez 
cette conception pour celle d'un Divin purement immanent, 
impersonnel, sorte d'ame de 1'univers et de racine cachee des 
choses, con^u, selon les opinions de chacun, comme une Idee 



1. Upoip7{Tir)s (hebr. nabi, interprfete, h6raut >; tres rarement ro'6, 

voyant ). Sur le mot et la fonction proph6tique, voir A. Condamin, 
PropMtisme Israelite, I, dans DAFC, IV, 1924, col. 368 suiv.; la question 
a ete reprise dans le vaste memoire d'Eric Fascher, IIPO^HTHS, Eine 
sprach-und religionsgeschichtliche Untersuchung, Giessen, 1926. Sur le 
sens des diverses expressions hebra'iques, plus ou moins apparentees, M. 
A. van den Oudenrijn, Nebuah, De Prophetiae charismate in populo israe- 
litico, Rome, 1926, p. 11-71. 

2. Saint Thomas, Summa Theologica, H a II ae , q. CLXXI. 



DBS SIGNES DIVINS EN GENEIIAL. 247 

qui cherche a s'exprimer dans I'absolu, com me une Force 
obscure qui tend a se r<5aliser dans la lumiere, comme une 
Conscience diffuse aspirant a se concentrer dans 1'esprit : 
n'est-il pas manifesto que la notion correlative de revelation, 
de prophetic, de communication divine faite a 1'homme va 
changer, prendre un sens nouveau et different, s'adulterer et 
fmalement s'abolir 1 ? 

Dans la conception traditionnelle, les difficult^s incrimi- 
nees par les modernistes fondent comme la cire au feu. Qu'un 
Dieu Esprit et Amour puisse se communiquer aux creatures 
qu'il a douees de raison, c'est 1'evidence meme. Qu'au dela 
du sentiment qu'il donne parfois de sa presence, et qui est 
deja un langage, mais enveloppe", indistinct, susceptible d'in- 
terpre"tations diverses, il puisse confier a une intelligence 
d'homme un message clair et certain, cela peut-il faire doute? 

On n'a pas du reste a supposer toujours une revelation 
proprement dite. Le Maitre divin utilise les connaissances 
antecedentes du Prophete; son action est comparable a celle 
d'un maltre humain qui met en ceuvre, pour se falre entendre, 
les notions acquises de son disciple, quitte a lui communiquer 
les idees nouvelles, compl^mentaires, dont une lecon plus 
difficile aurait besoin. 

Toute sorte d'enseignement peut 4tre 1'objet d'une mission 
prophetique, mais la premiere place y revient aux choses 
lointaines, cachees, mysterieuses : au secret des co3urs, aux 
profondeurs de la vie et des predilections divines, aux evene- 
ments futurs, bref, a ce qui depasse la connaissance humaine 
laissee a ses propres moyens. La perception de 1'avenir en 
rapport avec les destinees du Royaume de Dieu, a toujours ete 
consideree comme lavue prophetique par excellence 2 ; elle est 

1. Sur ce point et les indices equivoques qui s'ensuivent, je me suis 
explique dans un memoire, Le Developpement du Dogme Chretien, 3 partie, 
I : Revue pratique d'Apologe'tique, VI, 1908-1909, p. 402-414, contre Au- 
guste Sabatier, Esqwsse d'une Philosophic de la, Religion 1 , p. 40suiv. ; 
George Tyrrell, Through Scylla and Charybdis, London, 1907, ch. vni, xi, 
xn ; Alfred Loisy, Simples Reflexions sur I'Encyclique t Pascendi , Ceffonds, 
1908, p. 52suiv. ; 142 suiv. Ladependance directe, ou indirecte, de tous les 
historiens disciples de Hegel est manifeste. 

2. Mais non comme la seule. Reagissant contre cette idee etroite de la 
prophetic, James Darmesteter a ete jusqu'a dire que en fait la predic- 



248 JESUS CHRIST.. 

aussi la plus apte a devenir un signe diyin. G'est ainsi 
qu'elle est presentee dans les passages du Livre d'lsaie ou 
s'exprime avec sublimite la croyance universelle. 

Le Dieu qui a forme la terre, 

lui qui 1'a faite et affermie , 
II ne 1'a pas creee en vain ; 

il 1'a formee pour qu'on Fhabite : 

C'est moi lahve, et personne autre ! 

Ce n'est point en cachette que j'ai parle, 
dans un coin obscur de la terre. 
Je n'ai pas dit a la race de Jacob : 

(i Cherchez-moi en vain ! 
C'est moi lahve, dont la parole est juste, 

et sure la benediction ! - 

Assemblez-vous, venez, approchez ensemble, 

survivants des nations ! 
Us ne savent rien, ceux qui portent une idole de bois, 

et supplient un dieu qui ne sauve pas ! 

Parlez, exposez,.oui, consultez ensemble! 

Qui jadis a public cela? 

qui autrefois en a parle ? 
N'est-ce pas moi, lahve, 

et nul autre Dieu, si ce n'est moi? 
De Dieu juste et sauveur il n'en est point que moi ! 

Et encore : Idoles et peuples idolatres, 

Venez plaider votre cause, 

dit lahve ; 
Produisez vos preuves, 

dit le roi de Jacob. 

Qu'ils approchent et nous predisent . 

ce qui arrivera ! 
Le passe, comment 1'ont-ils predit, 

nous 1'examinerons ! 
Ou 1'avenir, qu'ils nous 1'annoncent, 
nous en verrons Tissue ! 

tion proprement dite est la marque qui distingue 1'apocryphe du prophete.. 
Le Prophete ne pr6dit jamais ; les Prophetes d'Israel, p. 137; A. Conda- 
min, PropMlisme israttite, V, DAFC, IV, col. 405suiv. ; met parfaitement 
au point ce paradoxe insoutenable. H. Gunkel observe plus justement que 
les plus anciens prophetes ont 6t6 des pr6diseurs de 1'avenir >, et que- 
en consequence, nous devons nous attendre a trouver le plus anci en- 
style proph6tique dans les morceaux ou 1'avenir est d6crit > ; Propheten, II,. 
seit Amos, dans RGG, IV, col. 1881. 



DBS SIGNES OIVINS EN GENERAL. 249> 

Annoncez ce qui sera plus tard, 

et nous saurons que vous fetes des dieux! 

Aliens, bien ou mal, faites quelque chose, 
et nous pourrons nous mesurer!... 

Eh! bien, vous n'etes rien, 
et votre oauvre est neant : 
abominable celui qui vous choisit 1 1 

Si Dieu peut annoncer un fait qui est, pour nous, encore a 
venir, ce n'est pas pour 1'avoir appris ou prevu, mais parce 
que ce fait lui est present, toute re'alite tenant de lui tout 
ce qu'elle est, dans toutes ses modalites 2 . De cette science 
creatrice, immediate, 'de cet acte qui mesure Pe'tre en le 
dispensant, rien, dans notre connaissance indigente, a base 
d'abstraction et d'assimilation, ne peut donner une idee 
distincte 3 . Gar le flux qui nous entraine, nous et les instru- 
ments me'mes dont nous nous servons pour le mesurer, est 
necessairement partiel, successif, irreversible. Nous ne pou- 
vons telegraphier dans le passe , observe Einstein 4 , et, moin& 
encore, dans 1'avenir. Pour le passe, nous ne disposons que du 

1. Isai'e, XLV, 18d-22; XLI, 21-25. Trad. Condamin. 

2. II faut concevoir la volonte divine comme existant hors de 1'ordre- 
des choses ephemeres, a la fagon d'une cause qui produit 1'etre tout 
entier, avec toutes ses manieres d'etre, velut causa quaedam profundens 
totum ens et omnes eius differentias , dit admirablement saint Thomas 
dans son Commentaire sur Aristote Perihermeneias, lib. I, lect. XIV ; ed. 
de Parme, XVIII, p. 35. 

3. C'est pourquoi L. R. Farnell, The Attributes of God, Oxford, 1925, 
p. 254, 255, apres avoir note, avec I'autorite que lui confere sa vaste con- 
naissance des religions antiques : Que 1'existence divine soit eternelle 
de par son essence meme, est et a ete un dogme inevitable de toute 
croyance avancee : 1'idee de divinites temporaires ou perissables, bien 
que Platon et les Stoi'ciens aient pu jouer avec elle, appartient a la periode 
d'enfance de la pensee religieuse >, observe qu'on n'a pas reussi a conci- 
lier positivement les notions d'eternit6 et de creation. Le mystere est, en 
elfet, indeniable en ce qui touche le comment. Nous connaissons Dieu 
comme 1'Absolu , et partant, Peternel, et nous le connaissons comme- 
notre Cr6ateur. Mais nous ne pouvons unifier ces deux aspects, tout comme 
nous ne pouvons voir & la fois les cotes Nord et Sud d'une tour carree, 
bien que nous les ayons vus separement : Jos. Rickaby, Studies on God 
and his Creatures, London, 1924, p. 106 et voir toutle contexte. 

4. Dans E. Meyerson, La Deduction relativiste, 1925, p. 104. 



250 JB8U8 CHRIST. 

souvenir et, parfois, de la comparaison avec des 3vnements 
analogues a celui que nous voudrions faire revivre jamais 
lesm^mes! Pour 1'avenir, nous conjecturons, avec une certi- 
tude pratique quand il s'agit de re"sultats provenant d'agents 
n^cessaires, comme une eclipse ou une grande maree; avec 
une assurance variant de la haute probability a la plausibi- 
lite., quand des causes libres sont al'oeuvre. Ainsi, imprudente 
ou fondee, timide ou decisive, notre affirmation est toujours 
le fruit d'une interpretation. La vision du present tient pour 
nous dans un moment evanescent, dans un eclair. 

Or Dieu, nous dit I'&criture, en notre langage temporel, 
mais nous elevant par la violence faite a ce langage, au- 
dessus des conceptions anthropomorphiques, son nom est : 
IL EST, IL ETA.IT, IL viENT 1 . G'est-a-dire que nos mesures et 
nos images fondees sur avant, pendant, apres, ne s'appli- 
quent plus a Dieu, et n'existent mtjine pour lui que dans la 
vue qu'il a de nos pensees. Ge qui, pour nous, a eti ou sera, 
pour lui est. La seule comparaison qui vaille est done celle 
par laquelle, si fugitif et imparfait que soit ce regard, nous 
apprehendons le present. Un homme observant, du haut d'une 
montagne, une armee en marche dans la plaine, embrasse 
d'un coup d'oeil, sur la route qui se deroule a ses pieds, ceux 
qui ont passe, ceux qui passent et ceux qui passeront, tandis 
que le pieton cheminant a son rang, dans un des bataillons, 
a perdu de vue les premiers et ignore tout de ceux qui vien- 
nent apres lui : ainsi note saint Thomas, et ce n'est qu'une 
comparaison, mais instructive Dieu, infiniment e"leve au- 
dessus du temps, voit ce qui pour nous n'est pas encore, ou 
n'est plus 2 . II nomme ce qui n'est pas comme ce qui est 3 . 
Et puisqu'il le voit et le nomme, il peut le dire. Si par des 
images appropriees aux conditions de 1'instrument humain 

1. Apoc., i, 4 et parall. J'emprunte la traduction de B. Allo, L 'Apocalypse, 
1921, p. cxLViii-cxLix. R. H. Charles, The Revelation of 5. John, 1920, I, 
p. 10-11, cite un certain nombre de paralleles, tires de.PEcriture et 
d'autres livres religieux. A ces derniers, on pourrait ajouter la Bhaga- 
vadgitd, XI; tr. E. Senart, Paris, 1922, p. 119-123. 

2. Saint Thomas, Quodlibet. XI, art. 3. La raeme comparaison est deja 
dans le Commentaire cite plus haut, et ailleurs encore. 

3. Rom., iv, 17. 



DBS SIGNES OIVINS EN GENEIUL. 251 

il le montre a un mandataire choisi, ce sera un cas de pro- 
phetie au sens le plus etroit, ma is le plus eleve du mot ; et 
s'il peut conster que Dieu 1'a fait, c'est le sceau divin imprime 
sur le message du prophet e. 

Un tel genre de revelation est-il antecddemment, ne disons 
pas inconcevable (ce serait nier equivalemment 1'existence 
d'un Dieu personnel), mais improbable? P^ombre de gens 
I'ont affirme, soit qu'ils vissent dans Telimination de la pro- 
phetie un corollaire du caractere immuable preHe par eux 
aux lois de la nature, soit qu'ils voulussent ramener toute 
croyance dans les limites de la raison pure. L'histoire compare e 
des religions et la psychologic furent cjiargees en conse- 
quence de reduire et d'expliquer les faits proph^tiques an- 
ciens. On a defense a ce travail enormement d' Erudition et 
d'ingeniosite 1 , et pas en pure perte : le caractere veritable et 
la valeur religieuse du proph^tisme ont etc ainsi de"gages 
de superietations qui alteraient la purete de ses lignes. Sur 
le fond, nous observerons une fois de plus que le conflit est 
anterieur a 1'etude historique et critique : c'est 1'inconfort 
produit chez beaucoup par la seule pensee d'une interven- 
tion positive de Dieu, c'est la crainte d'une irruption dans 
Tautonomie rationaliste, qui les incline d'avance a 1'interpre- 
tation purement naturelle des donnees prophetiques. Et il ne 
faut pas dissimuler non plus que, chez maint apologist e, le 
desir de vaincre et de confondre cet etat d'esprit par des 
preuves accablantes, a cree line idee beaucoup trop minu- 
tieuse et materielle de la proph^tie. On a cherche d'instinct 
des precisions temporelles ou effectives, comme si les eve- 
nements rdels devaient se couler, en epousant rigidement 
ses contours, dans le moule de la description prophetique. 
Cette exigence implique, entre autres inconv^nients, qiie 
Dieu revele, par un prodige inoui et d'ailleurs inutile, toutes 
les conditions de vie, et les habitudes mentales completes, 
de Fepoque ou se deroulera 1'episode du Royaume prdsente 

1. Le travail fundamental reste celui d' Abraham Kuenen, dans le second 
volume de sa Recherche Historique et Critique sur la composition et la col- 
lection des Livres du Vieux Testament, II (en neerlandais), Leide, 1863, 
2 1889, ouvrage traduit en allemand, en anglais, en francais, et qui a ins- 
pire toute la critique liberate. 



252 JESUS CHRIST. 

a 1'oeil spirituel du voyant. Un tel depaysement re'duirait 
celui-ci au r61e d'instrument passif; il rendrait son message 
non settlement mysterieux, mais inintelligible a ses contem- 
porains. Mais tant s'en faut qu'il en soit ainsi : il convient au 
contraire de se defier de predictions trop circonstanciees. 
Continuant de parler sa langue, imprimant a ses visions le 
caractere de sa race, les couleurs de son temps, de la cul- 
ture litteraire qu'il a recue et de son genie propre, le pro- 
phete est le heraut du grand Roi, non le transmetteur auto- 
matique d'une lecon. 

G'est la fin religieuse du message qui mesure 1'etendue 
et determine le caractere des visions. Et ce.tte fin, par sa 
grandeur, son universalite, son epanouissement progressif, 
deborde infiniment chacune des predictions particulieres. 
Ainsi s'explique ce qu'on appelle justement la perspective 
prophetique. La realisation du plan divin, qui comporte des 
etapes distinctes, separees par des laps de temps conside- 
rables, n'en est pas moins une ,dans son ensemble et se pre- 
sentera done au prophete sous des images enchainees entre 
elles, faisant abstraction des intervalles, et amenant a la 
lumiere, hors du fleuve anonyme des evenements futurs, les 
seuls faits et les seuls traits qui marquent la continuite 
du dessein providentiel. Les precisions numeriques et les 
coincidences de detail, sans 4tre necessairement exclues, 
sont ici de peu ; notre vieille tendance au litteralisme sera 
decue. L'optique de la prophetie n'est pas celle de 1'histoire. 
L'histoire a sonposte d'observation dans laplaine, elle suit 
les evenements pas a pas, au fur et a mesure qu'ils se 
deroulent. G'est un cinematographe qui, ayant d'abord enre- 
gistre la marche et la succession des faits, les presente ensuite 
par ordre les uns apres les autres, sans jamais enjamber 
sur les intermediaires, en autant de tableaux correspondants 
et distincts. Mais la prophetie, au contraire, se tient sur ces 
hauts sommets qui dominent tout le cours du temps, illu- 
mines qu'ilssont par le seul soleil de la prescience de Dieu... 
Quoi d'etonnant alors que la description prophetique ne soit 
pas assujettie aux memes regies que la narration historique? 
qu'il lui arrive de bruler les etapes qui relativement a nous 
jalonnent la route de 1'avenir? et que souvent, franchissant 



DBS SIGNES DIVINS EN GENERAL. 253 

comme d'un bond tous les interme'diaires, elle joigne, dans 
un m&ne tableau, des evenements que devront pourtant 
separer les uns des autres de longues series de jours, d'an- 
ne"es, voire m6me de siecles J . 

Ges modalite"6 si particulieres vont-elles a depouiller le signe 
prophetique de sa valeur probante? II s'en faut de beaucoup : 
elles doivent seulement mettre en garde contre une inter- 
pretation superficielle. Gette impasse condamnee, la grande 
route est ouverte. Elle part d'une etude de la personne du 
prophete : non que Dieu ne puisse utiliser comme interprete 
un homme tres indigne de ce r61e, un Balaam, un Joseph 
Gaiphe. Ges choix qui manifestent la souveraine liberte de 
1'inspirateur, ont par ailleurs 1'avantage d'exclure chez 1'ins- 
pire tout soupcon de complaisance et de parti pris. Mais 
habituellement le Seigneur emploie des instruments plus 
dociles, et les qualifie comme siens. Des prerogatives moins 
relevees, mais du meme ordre que la vision d'avenir : la vue 
a distance, la lecture des pensees et sentiments intimes, 
sont comme 1'aube du jour prophetique et inclinent a recon- 
naitre, chez celui qui les possede habituellement, la realite 
du don divin. Encore plus doit-on tenir compte des vertus 
morales, du desinteressement, de la solidite d'esprit, de 1'hu- 
milite. II peut arriver que, pour un temps, la personne du 
prophete discerne son message et le garantisse, la saintete 
du heraut couvrant une prediction dont 1'accomplissement est 
necessairement futur. II n'y a la que 1'apparence d'un cercle 
vicieux, puisqu'un signe visible, et contr61able, est deja 
present et a 1'ceuvre. 

Toutefois, Pargument prophetique le plus persuasif est 
celui des propheties accomplies et il n'est pas strictement 
^dependant, Men qu'il doive en tenir le plus grand cas, de 
la personne du prophete. Si nous cherchons en cet argument 
les trois elements" dont le faisceau constitue Farmature du 
signe, nous verrons que toute la complication git dans la 
>constatation du premier : insuffisance des causes naturelles 
a expliquer la prediction. S'agit-il d'evenements dependant 
d'une cause necessaire et connaissable, 1'annonce n'aura de 

1. Cardinal Louis Billot, La Parousie, Paris, 1920, p. 22. 



254 JESUS CHRIST. 

merveilleux que 1'apparence : tout comme parait merveilleux 
dans le cas d'une maladie le succes d'un spe"cifique inconnu 
du vulgaire. La prophe*tie veritable porte sur des faits pro- 
venant de causes libres, partant impre'visibles. Encore sa 
teneur ne doit-elle pas rester ambigue, justifiable en tout 
etat de cause, a la facon de maint oracle antique. Elle ne 
sera pas non plus probable et conjecturale, ce qui peut fort 
bien s'accorder avec des declarations de forme categorique. 
Gar une assurance fondee sur des convictions fermes tend 
naturellement a s'exprimer par des affirmations nettes. Mes 
garants, dans ce que j'annonce, ne sont pas, disait le refor- 
mateur e"cossais John Knox *, les merveilles de Merlin, ni 
les sentences obscures de prophecies profanes. Mais d'abord 
la simple verite de la parole de Dieu, ensuite la justice invin- 
cible du Dieu Eternel, et enfin le cours ordinaire des cha- 
timents et fleaux qu'il envoie, tel que ce cours apparait 
depuis les origines : voila mes garants et assurances. On 
peut assimiler a son cas celui d'esprits pe'netrants et expe- 
rimentes, pronostiquant sans hesitation les consequences d& 
certains ebranlements politiques ou sociaux : plusieurs pre- 
dictions de Vico, de J. Balmes, d'Alexis de Tocqueville se 
sont realisees assez exactement. On n'appellera pas pour 
autant ces hommes distingues, des prophetes. 

Le fait mSme de parler au nom de Dieu n'implique pas- 
necessairement une revelation proprement dite 2 , notamment, 
chez les peuples qui ont accoutume de rapporter a Dieu 
toute activite bienfaisante, abstraction faite des causes, 
secondes. Ge n'est pas une formule qui est alors decisive,, 
mais tout 1'ensemble de 1'attitude et des declarations du. 
prophete. Enfin, avant de tirer argument de sa prediction 
accomplie, nous aurons a nous assurer qu'elle etait assez:. 
determinee, assez en dehors des probabilites serieuses,, 
dependant d'un jeu assez complexe des volontes libres, pour- 

1. J'emprunte ce trait an Prof. A. B. Davidson, Prophecy and Prophets,. 
dans DBH, IV, p. 121 note. 

2. Voir la-dessus, et sur 1'application aux prophetes d'Israel, A; Conda- 
min, Prophetisme Israelite, dans DAFC, IV, col. 395-420; M. A. Van dent 
Oudenrijn, Nebuah, De Prophetiae charismate in populo Israelitico, Rome,. 
1926, p. 141-357. 



DBS SIGNES DIVINS EN GENEItAL. _ 255 

qu'une simple prevision n'ait aucune chance de tomber juste. 
Ge sont la des exigences legitimes, aussi fondees que le sont 
peu celles qui iraient a proscrire 1'apparence enigmatique 
et 1'obscurite du langage des prophetes, ou s'attacheraient 
puerilement a la lettre des images. 



GHAPITRE II 

jSUS PROPHfiTE 

La disparition des prophetes i avait laisse en Israel un vide 
senti. Au cours des purifications rituelles qui suivirent la 
reprise de Jerusalem par Judas Macchabee en 165, on detrui- 
sit 1'autel des holocaustes, parce qu'il avait ete profane" par 
les Gentils. Quant aux pierres qui le formaient, elles furent 
deposees en lieu sur, . jusqu'a ce qu'un prophete parut qui 
donnat une reponse' divine a leur sujet 2 . Plus tard, signa- 
lant 1'autorite conferee a Simon Macchabee comme chef et grand 
pr^tre perpetuel, 1'historien ajoute cette restriction caracte- 
ristique : jusqu'a ce que se leve un prophete fidele 3 . Si la 
prediction fameuse de Moise : Du sein de ton peuple et du 
milieu de tes freres, le Seigneur ton Dieu te suscitera un pro- 
phete comme moi : tu 1'ecouteras 4 , a trouve peu d'echo dans 
la tradition rabbinique ancienne, cela s'explique de reste, puis- 
que les maitres d'Israe'l tenaient justement la place des pro- 
phetes absents. Mais nous savons qu'il n'en etait pas ainsi 
dans le peuple. Quand le prestige du Baptiste attire a lui les 
i'oules, la premiere question qu'on lui pose est celle-ci : Es- 
tu Elie? es-tu le Prophete 5 ? Plus tard, les oeuvres merveil- 
leuses de J^sus lui font attribuer par tous 1'inspiration pro- 
phetique. G'est ^llie qui reparait; c'est Jeremie ou quelqu'un 

1 . Ce fait, tin des plus constants de 1'histoire d'Israel, demeure un des 
plus obscurs. Ce qu'en dit A. B. Davidson, dans DBff, W, p. 112, est peu 
satisfaisant. 

2. I Macch., iv, 42-46. 

3. I Macch., xiv, 41. 

4. Deut., xviii, 15, coll. 18, 18. Sur 1'interpretation de cette prediction 
dans le juda'isme ancien, Strack et Billerbeck, KTM, II, p. 479 suiv. ; 
p. 626, 627. Saint Pierre se refere a ce texte dans les Actes, in, 22. 

5. Jo., i, 21. 

556 



JESUS PROPHETE. 257 

desautres Prophetes 1 . D'autres disaient : c'esfc simplement 
ufl prophete eomme les autres 2 ! Apres la multiplication 
des pains, les gens enfchousiasmes s'e'crient : Plus de doute I 
Gelui-eiest vraiment le Prophete qui doit venir , et ils ve- 
lent s'emparer de sa personne pour le mettre a leur t$te 3 . 

Prophete est en ce dernier cas un synonyms de f Messie, 
raais cette Equivalence me"ine montre assez 1'importance atta- 
che'e alors a 1'inspiration prophe"tique dont tous les evange- 
listes attribuent a Je^sus de Nazareth, d'emblee et en pleni- 
tude, la possession ordinaire. Elle comportait, nous 1'avons 
vu, des pouvoirs differents allant de la prophetie proprement 
dite a la facultd de voir a distance et aussi de connaifcre les 
choses secretes, de lire dans le secret deer coeurs. Saint Jean, 
.qui souligne avec insistance 1'usage de ce dernier don, n'est 
pas plus explicite, sur le fait, que les Synoptiques. 

Agre'ablement surpris de I'appreciation favorable portee 
.ur lui par Je*sus, 

Nathanael lui dit : D'ou me connais-tu? Je'sus repartit et lui 
dit : Devant que Philippe t'appelat, quand tti etais sous le figuier, 
je t'ai vu, toi. Nathanael de se re*crier. Mais le Maitre sourit. Tu 
verras de plus grandes choses 4 ... 

Semblablement, efc c'est ici Marc qui parle, 

de premier jour des Azymes, comme on immolait la Paque, ses dis- 
ciples lui dirent : Ou veux-tu que nous allions appreter pour que 
>tu manges la Paque ?' Lors, il envoya deux de ses disciples et 
deur dit : Allezr vers la ville, un homme se presentera a vous, por- 
:tant une cruehe d'eau-. Aceompagiiez-le, et, ou qu'il entre, dites au 
raaitre de la maison : Le Maitre dit : Ou est ma salle,. ou je mange 
,la Paque avec mes disciples ? Etlui vous indiqueraune haute cham- 
J)re, vaste, tendue, toute preparee : appretez-nous la 3 . 

Bien plus nombreux et plus caracteristiques sont les traits 
de lecture des pensees. Les riches formules jphanniques : 
Mais lui, Jesus, ne se fiait pas a eux, parce qu'il les con- 
tiiaissait tous et qu'il n'avait pas besoin qu'on lui rendit compte 

1. Mt., xvi, 14. 

2. Me., vr, 15. 

3. Jo., vi, 14, 15. 

4. Jo., i, 47-50. 

5. Mo., xiv, 12-16. 

JESUS CHRIST. II. 17 



258 JESUS CHRIST. 

(des pensees) de 1'homme. Gar lui savait ce qu'il y avait dans 
1'homme , Gar des Porigine Jesus savait qui e"taient les 
non croyants, et qui le trahirait 1 , resument en clair ce que 
les Synoptiques nous de*crivent souvent au concret. 

Dans la Synagogue ou entre le Maitre, un jour de sabbat, 
pour enseigner, 

un homme se trouvait dont la main droite etait dessechee. Or scri- 
bes et Pharisiens observaient Jesus, pour voir s'il guerirait lejour 
du sabbat, afin de trouver matiere a 1'accuser. Mais lui, qui pe"ne- 
traitleurs pensees secretes, dit a 1'homme qui avait la main s6che : 
Leve-toi debout, au milieu ! et se levant, il se tint debout. Et 
Jesus leur dit : 

Je vous demande s'il est permis lejour du sabbat 
de faire du bien, ou de faire du mal, 
de sauver une vie, ou de la perdre ? 

e^fixant sur tous son regard, a la ronde, il dit a 1'homme r 
Etends ta main. Lui le fit, et sa main fut remise en etat 2 . 

Gette extraordinaire et infaillible clairvoyance ne constitue 
pourtant, nous 1'avons dit, que 1'aube du jour prophetique. II 
convient, pour appre"cier la plenitude de ce don en Je*sus, de 
grouper 1'etude de ses predictions autour de trois objets prin- 
cipaux : sa personne, les destinies de son oauvre sur terre T 
et la consommation des ehoses. 



1. Proph6ties de Jesus sur lui-mdme. 

G'est la partie la plus obscure, la plus meconnue de sa) 
mission, que vont d'abord a mettre en lumiere les propheties de 
Jesus. Tres nettement rattachee au salut d'lsrae"! et a 1'eta- 
blissement du Regne de Dieu dans les visions concernant le 
Serviteur de Iahve,la redemption douloureuse etait cependant 
restee a peu pres lettre morte, inoperante dans rimagination- 
populaire, exclue des speculations des doctes. G'est seulement 
au milieu du second siecle de notre ere que I'id6e d'un Messie 
souffrant ou mourant retiendra 1'attention des rabbins, et les 
figures n'arriveront pas a s'uniiier, a se fixer en un portrait 

1. Jo., ii, 24, 25; vi, 64. 

2. Lc,, vi, 6-12 et parall.; voiraussi Lc., v, 21-22 et passim. 



JESUS PROPHBTB. 259 

coherent 1 . Aux temps e'vange'liques, a peine peut-on relever 
une ou deux anticipations fugitives 2 . Tandis qu'avidement 
relev6s dans les Prophetes, les traits glorieux et prometteurs 
donnaient texte a des gloses, a des amplifications mfinies, 
1'Evangile du Juste souffrant restait dans une pe'nombre sacre'e 
ou nul ne se souciait d'aller le dechiffrer. Les meilleurs fils 
d'Israe'l, temoins les Douze, non seulement n'entraient pas 
volontiers dans ce courant, mais nos evangiles en te"moignent 
copieusement refusaient de s'y laisser porter. G'est done 
en d6pit de son milieu, en reaction contre les idees de son 
temps, en opposition avec son entourage le mieux dispose", 
que Je"sus va e*voquer sa Passion, en detailler les troublants 
episodes avec une clarte* croissante, et en de*gager le sens 
divin. 

Les textes qui temoignent de ces vues prophe"tiques sont si 
explicites qu'ils deviennent pour les rationalistes de tous les 
temps, dans un autre sens que pour les disciples du Christ 
mais a un degre e"gal, une pierre d'achoppement. Aussi s'ef- 
forcent-ils de la mettre hors de leur chemin. Plusieurs criti- 

1. Le silence general du judai'sme ancien sur le Messie souffrant est 
d'autant plus 6trahge qu'il n'exclut pas de nombreuses allusions au 
caractere purifiant, meritoire et, dans une certaine mesure, expiatoire, 
de 1'epreuve infligee par Dieu, de la souffrance reparatrice. Mais le fait 
reste incontestable ; et les recherches de G. Dalman, de J. Klausner, de 
Strack et Billerbeck 1'ont decidement continue. Quand, a partir du milieu 
du n siecle apres Jesus-Christ, la notion se fait jour d'un Messie souffrant 
ou mourant, elle se partage entre deux figures, le Messie souffrant devant 
etre fils de David, et la mort etant reservee au Messie guerrier, fils de 
Joseph (ou d'Ephraim). Dans aucun cas, une tradition un peu ferine et 
suivie n'arrive a s'etablir. Voir ci-dessus, tome I or , p. 278, note 2. Les 
passages si clairs des anciens prophetes, notamment Isai'e, Lin, et Zacha- 
rie, xiv, 1 suiv., sont demeures a 1'exclusion de quelques allusions dans 
les Paraboles du Livre d'ffdnoch, XLVI, 4 suiv. ; LII, 6 suiv., et peut-etre 
Testament des XII Patriarches, Benjamin, m, 8; dans R. H. Charles, 
APOT, II, p. 356 sans echo. Encore ces allusions restent-elles fort 
contestables. Les tableaux de l'6re messianique dans toutes les apocalypses 
anterieures au christianisme ne prevoient pour le Messie que gloire et 
puissance : H. L. Strack et P. Billerbeck, KTM, II, p. 282; et le memoire, 
ingenieux, mais aventureux, de G. H. Dix, The Messiah ben Joseph, dans 
JTS, XXVII, 1926, p. 130-144. 

2. Simeon : Lc., H, 35; Jean Baptiste : Jo., i, 29; peut-etre Cai'phe : Jo., xr, 
49-53. 



260 JESUS CHRIST. 

ques re*cents, ordinairement peu a court de raisons, estiment 
qu'il y a chose jugee, et refusent de s'attarder sur 
ees predictions : II y a beau temps qu r on a reconn'u en 
elles des creations posterieures de la communaute chre- 
tienne 4 \ W- Wrede admettait du moins qu' il serait teme- 
raire de pre"tendre que Jesus n'a jamais pu, avaut les derniers 
jours, exprimer des press entiments touchant sa passion et sa 
mort . Mais la se bornent ses concessions : aller plus loin 
serait attribuer a Jesus des propheties ve>itables : il faut done 
voir dans nos textes actuels un court sommaire de 1'histoire 
de la Passion, racontee, a vrai dire, au mode futur , en rea- 
lite calque*e sur les evenements 2 . On prend ici sur le fait, 
dans sabrutalite, replique M. Henri Monnier 3 , le proce*de de 
la critique negative; il n'y a pas de propheties! Ges histo- 
riens, asservis a leurs prejuges philosophiques, ne s'arretent 
pas au fait que ces predictions figurent dans des Episodes 
d'une historicite certaine dont elles font partie integrante. En 
vain leur representera-t-on que les tenir pour inauthentiques, 
equivaut a tout rejeter dans 1'Evangile , Leur siege est 
fait. Les propheties doivent 3tre reduites a 1'etat d'interpola- 
tions posterieures. 

Les evangelistes, nous explique M. A. Loisy, auront voulu 
repondre aux preoccupations des premieres generations chre- 
tiennes. II fallait que le Christ eut pr^vu sa mort; il fallait 
expliquer que les disciples avaient ete lents a comprendre ce 
mystere ! Aux questions ainsi soulevees, Marc aurait cherche 
des solutions dans la doctrine de saint Paul, dont il etait un 

1 . Ich verweile jedoch nicht bei den Leidens-und Auferstehuugsweis- 
sagungen, die laengst als sekundare Gemeindebildungen erkannt sind > ; 
R. Bultmann, Die GeschichtederSynoptischen Tradition, Goettingen, 1921, 
p. 93. 

2. Das Messiasgeheimnis in den Evangelien'*, Goettingen, 1913, p. 92; 
p. 85 suiv. Dans un Appendice, ibid., p. 263-275, Wrede bouscule avec son 
entrain ordinaire ceux de ses collegues, H. J. Holtzmann, J. WeUhausen, 
J. Weiss, H. Weinel, etc., qui pretendent sauvegarder un noyau authen- 
tique dans 1'ensenible des propheties de Jesus touchant sa fin. Et bien 
que ces auteurs se trompent moins que lui sur le fait, sa critique est 
justifi6e ad hominem. II montre en effet que ces demi-raesures sont arbi- 
traires, et incoh6rentes avec les positions admises par ces auteurs. 

3. La Mission historique de Jesus 2 , Paris,. 1914, p. 263, n. 4. 



JESUS PROPHETE. 261 

disciple ardent. L'eyangeliste mit done (et ses confreres apres 
lui) sur les levres de Je"sus, et en style direct, la notion pau- 
linienne de la marl re"demptrice, en conformant le detail con- 
cret au re*cit traditionnel de la Passion 1 . 

Get dtonnant e*ehafaudage d'hypotheses montre, sur un bon 
specimen, lea vices a la fois et le spe'cieux de la me'thode ap- 
plique"e par les critiques liberaux aux textes evange'liques. On 
ne se demande guere si ces conjectures, prises toutes en- 
semble T restent vraisemblables et rentrent, sans le fairs cla- 
ter, dans le cadre des faits certains. II soffit que chacune, a 
son heure, paraisae possible, tout en servant efficacement a 
eliminer les textes genants. Mais il ne fault pas y regarder de 
trop pres. 

Le paulinisme de Mare, en effet, base de tout le sya- 
tcme, est une hypothese sans fondement dan les textes^ La 
iheologie de Paul sur la mort r4demptrice de Jesus est le 
developpement magnifique de ce qui se trouvait en germe 
dans les prophetes, et surtout de ce que le Seigneur avait 
clairenient 4none4. Que 1'apotre rut en ce point tributaire de la 
plus ancienne tradition chr^tienne r et en accord avec la cate- 
chese des Douze, on n'a pas a le conjecturer. Lui-mSme 1'a 
dit expresse'ment dans sa premiere lettre aux Gorinthiens. 
La mort du Christ pour nos p^ch6s y est mentionnee au 
premier rang des traits de l'^)vangile primitif T recu par Paul 
a tike de tradition T et prechee par lui comme indispensable, 
en- conformite avec Pierre, Jacques, les Douze, tous les ap6- 
tres 2 . Or c'est justement cette notion fondamentale de la r- 
demption, preexistante a Paul dans la communaute, et noyau 
de la catechese apostolique^ que nous trouvons dans saint 
Marc. Les developpements ult^rieura particuliers a l'Ap6tre, 
ne s'y rencontrent pas : ni Tefficace de la redemption appre- 
hende et approprie* par la foi, ni le changement d^economie 
substituant la foi a la Loi, ni aucune des autres modalite*s 

1. Les Evangiles Synoptiques, Ceffonds, 1908> II A p. 16 ; 60, 233 suiv. 

2. Uap^Btoxa ^ip fyjuv 2v npaSToij & xal apXa6ov, 8ti Xptatos anlGavev 6nlp 
-wv 4{iapTiu5v /JifiGv... el'ts ouv lytlj el'^s exstvot, oStw? xyipiaorojiev. I Cor., X.V, 3, 
11. Voir la-dessus F. Prat, La TMobgie de saint Paul 6 , 1923, II, p. 35 
suiv. ; Paul Feine, Theologie des Neuen Testaments, Leipzig, 1919, p. 233 
suiv., notamment p. 238-241. 



262 JESUS CHRIST. 

pau-liniennes n'a m6me une amorce dans le second evan- 
gile*. 

Plus modestes, et soucieux de motiver 1'exclusive donne'e 
par eux aux predictions du Maltre, la plupart des exegetes 
libe>aux font valoir, avec la forme e'labore'e et comme ste"- 
re'otype'e des trois prophecies principales, I'invraisemblance 
psychologique de 1'^tat d'esprit des apdtres, au moment de 
la Passion et de la resurrection. Ainsi prdvenus, prepares par 
les avertissements clairs de Je"sus, comment sont-ils reste"s 
refractaires a cet enseignement? Comment la prise, le proces, 
la mort du Seigneur les ont-ils surpris, frappe"s d'e"tonnement, 
d^sesperes? N'est-il pas plus vraisemblable d'admettre qu'apres 
coup, la communaute posse"dant deja 1'embryon de son Credo, 
on 1'a mis, par une sorte de choc en retour, sur les levres du 
MaHre, pour pre"venir le scandale de cette fin ignominieuse, 
et non prevue par lui? 

Le biais rationaliste est si fort que des e*rudits conscien- 
cieux et mode'res 2 se contentent de ces raisons ! Us oublient 
le caractere deliberementsentencieux, elaborejusqu'aurythme 
inclusivement, reconnu par eux aux paroles du Christ les 
plus authentiqueSi Surtout ils ne voient pas que, sous couleur 
de pre'venir une invraisemblance ignoree de la psychologie 
reelle, ils installent a Torigine m4me de la foi chretienne et 
contrairement aux documents, un monstre psychologique. 

Ce credo de la premiere communaute, ces croyances en la 
mort re"demptrice, en la resurrection, cette infaillible et an-* 

1. Voir E. Mangenot, Le Paulinisme de Marc, dans Revue du Clergti 
Francais, LIX, 1905, p. 385 sniv. ; LX, p. 129 suiv. ; 275 suiv. ; V. H. Stan- 
ton, The Gospels as Historical Documents, II, Cambridge, 1909, p. 175 
suiv. ; M. J. Lagrange, Evangile selon saint Marc a , 1920, p. CLX-CL. La 
question a ete trait6e dans le plus grand detail, avec une nuance de parti 
pris, mais decisivement sur le point essentiel de 1'independance de Marc, 
par Martin Werner, Der Einfluss paulinischer Theologie im Markusevan- 
gelium, Giessen, 1923. 

2. Comme Erich Klostermann, Das Alarkusevangelium*, Tubingen, 1926, 
p. 89. Ou comme 1'historien Eduard Meyer, qui admet pourtant un fond 
authentique a la base des predictions detaillees cens6es < secondaires . 
Jesus en aurait assez dit, d'apres lui, sur sa destinee, pour justifier I'indi- 
gnation de Pierre et la severe reprimande de Jesus a ce dernier : Me., VIH, 
32, 33; Ursprung und Anfaenge, I, 1921, p. 116 suiv. 



JESUS PROPHETE. 263 

tece'dente clairvoyance de leur Maitre, si elles furent etran- 
geres a Je"sus, si l'6cho en fut place apres coup dans sa 
bouche, qui done les a creees? Qui en a persuade* les apdtres 
^ux-me'mes, surpris dans I'hypothese, desempares et ne pos- 
sedant rien dans les paroles du Seigneur qui put expliquer 
ou atte"nuer pour eux le scandale de la croix? Qui en a fait, 
avant que 1'eloquence de Paul put les magnifier, le nceud et 
le centre de la foi nouvelle? 

Mais si, laissant a leur inanite* ces Edifices de nue"es, nous 
revenons aux textes, nous trouvons une suite organique et 
vivante, bien qu'inattendue et defiant toute provision, une 
trame enfin comme celle que 1'histoire nous decouvre, quand 
selle est interrogee nalvement. Et quelle vraisemblance supe- 
rieure ressort de ces notations dispersees, iievreuses, etran- 
geres a toute rhetorique d'ecole ! Nous sommes loin du fauteur 
incertain de reforme, loin du Messie-sans-le-savoir qu'on nous 
presente parfois. Manifestement Jesus, et lui seul, envisage 
des 1'origine le fait de sa mort tragique, et mesure le contre- 
coup de cette fin sur sa mission. Lui seul a compris les tex- 
Ses 1 que tout Israel connait et que les rabbis savent par 
coeur. 

Voici que mon Serviteur prosperera : 

il montera, grandira, s'elevera bien haut... 

Et lui dont le visage etait deiigure 

et ne ressemblait plus a une i'ace humaine, 
La multitude des nations Tadmirera, 

et les rois fermeront la bouche devant lui!... 

Qui croira ce que nous avons entendu? 

et le bras de lahve, a qui sera-t-il revele? 

II a grandi devant lui comme un rejeton, 

comme le jet d'une racine sur un sol aride; 
Sans grace, sans eclat pour attirer les regards, 

et sans beaute pour plaire. 

Meprise', rebut de 1'humanite, ; 

homme de douleurs et familier de la souffrance, 
Devant qui on se voile la lace, 

meprise et, a nos yeux, neant! 

1. Isai'e, LII, 13, 14, 15; LIII, 1-7, 9-12. Trad. A. Condamin. 



264 JESUS CHRIST. 

Mais il a pris sur lui nos souffranccs, 
et de nos douleurs il s'est charge.; 

II pflraissait a nos yeux chatie, 
frappe de Dieu et humilie. 

II a ele transperce pour nos peches, 

broye pour nos iniquites ; 
Le chatiment qui nous sauve a pese sur lui, 

et par ses plaies nous sommes gueris. 

Tous nous etions errants nomine des brebis; 

chacun suivait sa proprevoie; 
Et lahve a fait tomber sur lui 

riniquite de nous tous. 



II etait maltraite et lui se resignait, 

il n'ouvrait pas la bouche; 
Comme un agneau qu'oii porte a la boucherie; 

comme la brebis muette aux mains du tondeur..r 

On lui prepare une tombe avec les impies, 

il meurt avec les malfaiteurs ; 
Pourtant il n'y eut point d'injustice dans ses couvres, 

et point de mensonge en sa bouche; 
mais 51 plut a lahve de le broyer par la souffrance. 



S'il offre sa vie en sacrifice pour le peche, 

il aura une posterite, il multiphera ses jours, 
en ses mains 1'ceuvre de lahve prosperera... 

Le Juste, mon Serviteur, justifiera des multitudes, 

il se chargera de leurs iniquites ; 
C'est pourquoi je lui donnerai, pour sa part, des multitudes, 

il recevra des foules pour sa part de butin : 

Parce qu'il s'est livre a la mort 

et qu'il fut comptd par mi les pecheurs, 
Tandis qu'il portait les fautes d'une multitude 

et qu'il intercedait pour les pecheurs. 

Ge qui maintenant nousparaitsi clair, estalors (nousl'avons 
rappele) cache aux yeux de tous. Lagloire escomptee du juge- 
ment messianique fixe seule les regards eblouis. Les disciples 
de Je"sus sont la-dessus comme les autres, aussi fermes, aussi 



JJSSUS PROPHKTE. 265- 

mures dans une conception ou 1'humiliation et la mort du 
Messie apparaissent derision et blaspheme. A les de"senchan- 
ter, a dessiller leurs yeux, le Maltre emploiera sa breve car- 
rier e, rdservant aux dernieres semaines 1'annonce de toute 
la verite, bien que, des 1'origine, il oriente .vers elle lapensde 
des siens. Le pathStique de cette lutte, car e'en est une,. 
puisqu'il fallut faire breche pour que Ja lumiere filtr&t a tra- 
vers 1'opacite de ces esprits, revit d'autant mieux dans les 
recits e'vange'liques qu'il est exempt de preoccupation litte- 
raire. 

Tres tdfc, Jesus fait allusion a sa mort comme a une even- 
tualite relativement prochaine, et envisage les consequences 
qui en re"sulteront pour ses fideles. Ghoques par les allure* 
plus libres de ceux-ci, et forts de leur auste'rite, les Phari- 
siens et les disciples de Jean qui avaient accoutume de 
jeuner s'en prennent au Maltre et on lui pose la question : 
Pourquoi les disciples de Jean et ceux des Pharisiens jeii- 
nent-ils, et tes disciples, pas? Et Je"sus leur dit : 

Les gens dela noce peuvent-ils, 
tandis que 1'^poux est avec eux, jeftner? 

Tout le temps qu'il s ont I'^poux avec eux, ils ne peuvent jeuner;. 
viendront les jours que I'^poux leur sera arrache", 
et alors ils jeuneront, en ce jour-la*. 

Dans cetfce petite parabole que le temps se chargerait 
d'eclaircir, Jesus compare son se" jour ici-bas aux breves solen- 
nites des noces palestiniennes. On se hate d'en profiter. Ainsi 
ses disciples ne doivent songer qu'a jouir de sa presence, sans 
se soucier de rien autre. Le Maitre ne leur sera enleve, 
arrache , que trop t6t I Alors il sera temps pour eux de faire 
penitence. La perspective de a catastrophe est ouverte par 
ces mots profonds, qui menagent la lumiere aux yeux encore 
faibles. Mais le jour est proche, et 1'evangeliste qui sait main- 
tenant, nous montre des lors les Pharisiens et les partisans 
d'Herode en conciliabule pourperdre Jesus 2 . Gependant, quand 
la foi des disciples est mieux affermie, le Seigneur n'hesite 
plus a parler sans figures ; aussi bien les temps sont courts, et 

1. Me., ir, 18-21 ; Mt., ix, 15; Lc., v, 34, 35. 

2. Me., in, 6. 



:266 JESUS CHRIST. 

Ja confession de Pierre, a Cesaree de Philippe, provoquee efc 
magnifie'e par Je"sus, vient de marquer une e"tape decisive dont 
il convient de profiler. 

Et il commenc.a de leur enseigner : 
II faut que le Fils de I'homme souffre beaucoup, 
et soil excommunie par les anciens, les princes des Pre"tres etles 

[scribes, 
etapres trois jours ressuscite. 

Et il leur disait la chose ouvertement. Or Pierre, le tirant a lui, 
commenc.a de le reprendre. Mais lui, s'&ant retourne et voyant ses 
disciples, reprit Pierre et lui dit : Arriere, loin de moi, Satan ! tes 
-sentiments ne sont pas ceux de Dieu, mais ceux des hommes '. 

Gette dure re'primande enfonce le trait. Dorenavant Jesus 
ne va pas cesser d'insister. Apres! la grande Emotion lumi- 
neuse de la Transfiguration, 

comme ils desoendaient de la montagne, il leur prescrivit de ne 
raconter a personne ce qu'ils avaient vu. Etils garderent la defense, 
^tout en se demandant entre eux ce que signifiaitce ressusciter des 
morts . Et ils Tinterrogeaient, disant : Que disent done les 
scribes, qu'il faut qu'Elievienne auparavant? II leur dit: Oui, Elie 
revient d'abord et remet tout en ordre... Et comment est-il ecrit du 
Fils de 1'homme qu'il souffrira force douleurs et sera meprise ? Or, 
je voiis le dis, Elie est deja venu, etils lui ont fait tout ce qu'ils ont 
voulu, selon qu'il est ecrit de lui 2 . 

Le spectacle qu'ils viennent de contempler et la mention, 
-enigmatique pour eux, de la resurrection, ontramene, tout en 
les intriguant, 1'imagination des disciples sur le personnage 
d'Elie, que chacun considerait comme le prdcurseur de 1'avc- 
^nement du Messie. Alors, ne faut-il pas remettre tout espoir 
aux temps qui suivraient sa venue? Mais Je*sus ne laisse pas 
les esprits s'egarer : oui, Elie a un r61e pr^alable a jouer, 
selon la prophetic de Malachie 3 , mais ce r6le a de"ja ete rempli 
par Jean Baptiste, et il s'est termini conformement aux Ecri- 
tures, par la souffrance et la mort violente. Semblablement, et 

1. Me., vin, 31-33 et parall. 

2. Me., ix, 9-13 et parall. 

3. Malachie, iv, 5, 6, coll. in, 1. Voir la-dessus Mt, xvn, 11-13 compare 
>avec Mt., xi, 14 et Lc., j, 17. E. Tobac, Les Prophdtes d'Israel, 11-111, 
Malines, 1921, p. 557 suiv.; et A. Condamin, JRPA, XXXIV, 1922, p. 108, 
109. La difficulty tiree de la venue prealable d'Elie survecut au temps 
apostolique, et Tryphon en fait 6tat dans saint Justin, Dialogue, XLIX. 



JESUS PROPHETE. 267 

.elon les mSmes Ecritures, la carriere du Fils de Fhomme 
s'achevera dans 1'abjection etla douleur. De ces notations, som- 
jnaires comme celles d'un aide-memoire, la grande le^on res- 
.sorten clair, etc'esfcavec une sorte d'impatience que le Maitre 
e"carte 1'exception tiree du r6le d'EHe, pour ramener les yeux 
.sur la fin tragique, prophetisee comme telle, et du Pre"curseur 
et du Messie. 

Les occasions d'y revenir vont d'ailleurs se multiplier. Mais, 
-au besoin, Je"sus les fait naitre. 

Etpartant de la, ils traversaient en hate la Galilee et Jesus ne 
voulait pas qu'ame qui vive le sut. Car il enseignait ses disciples 
et il leur dit : 

Le Fils de 1'homme est livre en mains d'hommes, 

et ils le tueront, 

et, immole, apres trois jours il ressuscitera. 

Mais eux ne comprenaient pas la chose, et craignaient de 1'inter- 



Suit une nouvelle periode, d'ailleurs courte, d'enseignement 
public et priveY 

Or, comme ils etaient en route, montant vers Jerusalem, Jesus 

marchait en tete, et eux etaient atterres, et ceux qui suivaient 

avaient peur. Et dereclief, tirant les Douze a part, il se mit a leur 

dire ce qui allaitlui arriver. Voici, nous montons a Jerusalem, et 

le Fils de I'liomme sera livre aux princes des pretres et aux 

[scribes, 

et ils le condamneront a mort, 
et ils le livreront aux Gentils 

et ils le bafoueront, et ils le conspueront, et ils le flagelle- 

[ront et tueront, 
et apres trois jours il ressuscitera a . 

1. Me., ix, 30-32 et parall. Je traduis TO prjjxa dans le sens s6mitique, 
certain ici. 

2. Me., x, 32-34 et parall. Quand on compare les paroles de la triple 
annonce : Me., vm, 31 ; ix, 31, et x, 33, 34, on echappe malaisement a la 
conviction que Jesus resumait dans un rythme a trois membres la destined 
du Fils de 1'homme, exclu par les autorites juives des privileges du peuple 
de Dieu et livre aux Gentils ; tourmente, humilie, immole ; ressuscitant le 
troisieme jour. 11 n'est pas douteux que ces articulations essentielles se 
retrouvent dans les plus anciens symboles. Mais les differences modales 
ne sent pas moins frappantes. Dans le premier membre (Jesus est rejete 



268 JESUS CHRIST. 

Toutes les declarations ulterieures du Maltre, amene'es par 
des faits precis et cir constancies, vont dans le me'me sens. 
Quand les fils de Zebe'de'e sollicitent, en grands enfants, ose- 
rait-on dire*, une place d'honneur qui les mette hors de pair 
dans le futur Royaume : Vous ne savez pas ce que vous 
demandez , repond vivement Jesus. La question n'est pas la 
maintenant : Pouvez-vous boire le calice que moi je bois? e"tre 
baptises du baptSme dont moije suis baptise" a ? Et comme 
1'ambition des deux freres a excite* Findignation des autres, le 
Seigneur tourne 1'incident en lecon d'humilite, et cpnclut : 

Aussi bien le Fils del'homme 

n'est pas venu pour etre servi mais pour servir, 

et donner sa vie en ranc.on pour beaucoup 3 . 

Gette parole fondamentaleporte, comme une tige Pe*pi, toute 
la tradition primitive sur la mort redemptrice de Jesus, tradi- 
tion explicitement mentionnee par saint Paul comme pre"exis- 
tante a son entree dans la communaute" chretienne. Son meil- 

de son peuple) c'est 1'autorite juive (Anciens, princes des pr6tres, scribes) 
qui est mise en cause dans les predictions 6vangeiiques : dans les textes- 
symboliques, aussi haut que nous puissions remonter, le meme acte est 
presente dans son denouement, et c'est 1'autorite pai'enne qui est toujours 
mentionnee. Voir G. Baldensperger, II a rendu temoignage sous 
Ponce Pilate, Strasbourg, 1922. 

Le second membre, dans les rudiments de symbole, ne detaille pas la 
passion du Christ, mais mentionne constamment la sepulture, comme un 
point considerable. Voir E. von Dobschiitz> Ostern und Pfingsten, Leip- 
zig, 1903, p. 11, et A. Seeberg, Der Katechismus der Urchristenheit^ 
Leipzig, 1903, p. 85, 141, 202. 

1. Jacques et Jean, les fils de Z6b6d6e vont &, lui, disant : t Maitre, 
nous voulons que tu fasses pour nous ce que nous allons te demander ! > 
Me., x, 35. 

2. Me., x, 38. Sur cette metaphore du calice, profondement engage> 
dans les fa^ons bibliques de concevoir et d'exprimer, voir Strack et 
Billerbeck, KTM, I, p. 836-838. 

3. Kali fotp 6 uto; TOO ivflpaiftou 

< oix 3jX0ev StaxovrjOrfvat, XXa Staxov^<Ji 

x1 Souvat T^V ({(uy^v autou Xurpov 5vt\ noXXwv. Me., X, 45; Mt., XX, 28. 
Les critiques radicaux ont applique k cette parole leurs precedes 
habitilels, qui d'ailleurs se montrent contre elle particulierement mope- 
rants. Le sens est incontestable. Sur le mot capital, Xtopov, ranc.on, prix 
derachat (d'un esclave, par exemple), A. Deissmann, Licht vom Osten*, 
p. 278; Moulton et Milligan, VGT, p. 389, 383; sur les antecedents judai- 



JESUS PROPHETE. 269 

leur commentaire est la parabole que le Maitre va, peu de 
jours apres, proposer a ses ennemis memes, en plein Temple. 
Partant de I'allegorie ou le Prophete avait exprime 1'amour de 
lahve pour Israel, sa vigne cherie : 

Un homme planta une vigne, I'entoura dune haie, creusa un 
pressoir,bdtit une tour de guet*, puis il la confia a des vignerons 
et quitta le pays. Au temps propice, il envoya vers les vignerons un 
serviteur afin d'avoir par eux des fruits de la vigne. S'emparant de 
lui, ils le battirent et le renvoyerent les mains vides. Derechef il 
leur envoya un autre serviteur, et celui-la aussi ils le blesserent et 
1'insulterent. II leur en envoya un autre quHls tuerent, et beaucoup 
d'autres : ils battirent les uns, tuerent les autres. 

II lui restaitun fils unique etbien-aime 2 . II le leur envoya fina- 
lement, disant : Ils resoecteront mon fils ! 

ques, A. M6debielle, La Vie donnde en rangon, dans Biblica, IV, 1923, 
p. 4-40. II est instructif et, en toute autre matiere, il serait divertissant 
de voir les expedients imagines pour eliminer ce texte facheux. Comme 
on n'ose rejeter tout I'e'pisode, criant de verit6 humaine, dont il formule 
la morale, on s'Svertue a montrer que la premiere partie (concernant le 
service) peut subsister sans la seconde (concernant la mort redemptrice). 
Absolument rien dans 1'etat des manuscrits ou des versions n'autorisant 
cette dichotomie, on recourt a la divination. La fin du verset c appar- 
tient aun autre courant ; A. Loisy, Les fivangiles Synoptiques, II, p. 241. 
J. Wellhausen estime que passer du service au sacrifice de la vie 
<5onsid6r6e comme rancon constitue une incoherence, {ma6aai$ tf; SXXo 
Y^vos , Das Evangelium Marci, Berlin, 1903, p. 91. L'honn6te Juif, 
. G. Montefiore, avoue qu'il trouve au contraire les notions tres apparen- 
t6es, The Synoptic Gospels, London, 1909, I, p. 260. Et c'est ce qui 
est manifesto pour tout lecteur non pr6venu : le plus grand service, 
<;omme le plus grand amour, n'est-il pas de donner sa vie pour ceux 
qu'on aime? Axel Andersen, Zu der Iv-rqor-Stelle dans ZNTW, IX, 1908, 
p. 164 suiv., conclut de 1'absence de notre texte dans la premiere Epitre 
de saint Clement que la chr6tiente romaine, en 95, ignorait sans doute la 
doctrine qu'il porte, et que dans 1'hypothese de 1'authenticite, le silence 
de C16ment est < un mystere insoluble . Andersen oublie settlement 
deux faits : qu'aucun texte de nos 6vangiles n'est cit6 distinctement 
dans la Lettre de C16ment; que les seuls textes du Nouveau Testament 
al!6gu6s tres certainement, sont justement emprunt6s aux Epitres aux 
Remains, aux Corinthiens, I, et aux Hebreux, qui sont saturies par la 
doctrine de la mort r6demptrice du Christ (sur les faits, The New Testa- 
ment in the Apostolic Fathers, Oxford, 1905, p. 37 suiv., 137, 138). Tant 
le parti pris peut aveugler un 6rudit, par ailleurs consciencieux ! 

1. Isai'e,v, 1 suiv. 

2. Surla traduction, voirE. Klostermann, Das Markusevangelium*, 1926, 



270 JESUS CHRIST. 

Or les vignerons se dirent entre eux : Celui-ci est 
Venez, tuons-le, etl'heritage est a nous ! Et s'emparant de lui, ils* 
le tuerentet jeterent son corps hors de la ville. Que fera le Maitro 
de la vigne? II viendra, perdra les vignerons, et confiera sa 
vigne a d'autres... N'avez-vous jamais lucette Ecriture 1 : 

Lapierre qu'ont dedaignee les bdtisseurs, 

c'est cells qui est devenue la mattresse pierre d' angle f 

c'est le Seigneur qui I'a /ait, 

la merveille est sous nos yeux a ? 

Desormais les evenements se precipitent; mais si la vague 
qui entraine les disciples, les roule et les aveugle, Jesus con- 
tinue a la dominer, et sa clairvoyance souveraine n'en est pas 
altere'e. II donne aux siens des lecons pour les joursprochains r 
quand 1'Epouxleur aura ete arrache" . Un incident provoque 
des precisions ou passe un fre"missement impossible a me"con- 
naitre. Survenant au milieu d'un repas donne par Simon le 
Le"preux, une femme repand sur le chef du Maltre un parfum 
de prix. Murmures des disciples; les pauvres sont frustrdfr 
d'autant! 

Mais Jesus dit: Laissez-la. Pourquoilui faites-vous des ennuis? 
C'est une belle action qu'elle vient d'acco-mplir a mon endroit. Car 
toujours vous aurez des pauvres avec vous; et chaque fois que vous 
le voudrez, vous pourrez les secourir mais moi, vous ne m'aurez 
pas toujours. Ce qu'elle pouvait faire, elle I'a fait : d'avance elle a 
verse sur mon corps les parfums de I'ensevelissement 3 . 

Or, le premier jour des Azymes, 

au soir tombant, il vint avec les Douze, et comme, etendus a table, 
ils mangeaient, Jesus dit : En ve>ite, je vous dis qu'un de vous 
me livrera, un qui mange avec moi *. Ils commencerent de s'at- 
trister et de lui dire, 1'un apres 1'autre : Serait-ce moi? Mais 
lui leur dit : Un des Douze, qui met avec moi la main au plat. Or 
le Fils de 1'homme s'en va selon ce qui est ecrit de lui; mais 
malheur a rhomme par qui le Fils de rhomme est livre. Bon pour 
lui s'il n'etait pas ne, cet homme la! 

p. 136 : < (Da) hatte er (nur) noch einen einzigen und geliebten Sohn ;. 
et le memoire definitif de C. H. Turner, H02 ATAHHTOS, dans JTS- y 
XXVII, 1926, p. 113-130. 

1. Me., xn, 1-12; Mt., xxi, 33-46; Lc., xx, 9-19. 

2. Psaume cxvm (Vulg. cxvii), 22. 

3. Me., xiv, 6-9; Mt., xxvi, 10-12. 

4. Psaume, XLI (Vulg. XL), 10. 



JESUS PROPHETIC. 271* 

Et tandis qu'ils mangeaient, prenant du pain, ayant prononce 
une benediction, il le rompit et le leur donna, disant : Prenez, 
ceci estmon corps. Et prenant une coupe, ayant rendu graces, il 
la leur donna et tous en burent et il leur dit : Ceci est mon. 
sang, (celui) de I' Alliance* repandu pour beaucoup. En veriteje 
vous dis que je no boirai plus du fruit de la vigne jusqu'au jour oir 
je boirai le nouveau, dans le Hoyaume de Dieu. 

Et apres le chant des hymnes, ils sortirent vers le Mont des Oli- 
viers. Et Jesus leur dit : Tous vous broncherez sur la pierre, selon. 
qu'il est ecrit : je frapperai le pasteur et les brebis seront disper- 
se'es 2 ; mais apres ma resurrection je vous precederai en Galilee. 
Lors Pierre lui dit : Quand tous les autres broncheraient, certes, 
pas moi! Jesus lui dit : En veriteje te le dis : toi-m6me,. 
aujourd'hui, cette nuit-ci, avant que le coq ait chante deux fois, tu. 
me renieras trois fois. Mais lui disait de plus belle : Me fallut-il. 
mourir avec toi, non, je ne te renierai pas ! Et tous les autres en 
disaient autant 3 . 

Get ensemble imposant de predictions, que j'ai transcrites- 
de eelui des e'vangelistes que la presque unanimite de nos 
adversaires tient pour le plus ancien, montre a 1'evidence. la 
realite", la plenitude du don prophe"tique possede par Jesus. 
Ge don ni ne s'etale, ni ne s'e"gare sur des objets etrangers a 
la mission du Maitre ; les traces qui nous en restent s'in~ 
serent, par ailleurs, dans la trame de 1'histoire, amenees par 
des demarches naturelles, des circonstances de fait, contre; 
lesquelles aucun motif d' exclusion ne peut etre formule, et 
avec lesquelles elles font corps. Leur rejet se fonde done, 
plus ou moms explicitement, sur des considerations qui ne 
relevent ni de la critique des textes, ni de 1'histoire. 

A cette premiere serie de propheties, desormais accomplies, 
ajoutons-en une autre dont raccomplissement se poursuit 
sous nos yeux : elles ont trait, non plus a la personne, mais- 
a Poauvre du Seigneur. 

2. Propheties de J6sus sur le Royaume de Dieu. 

Tres different du Royaume tel qu'on 1'escomptait alors : 
national, plantureux, inaugure par un coup de foudre et s& 
developpant en apothe'ose, le Royaume de Dieu predit par 

1. Exode, xxiv, 8 coll. Zacharie, ix, 11. 

2. Zacharie, xin, 7. 

3. Me., xiv, 17-32 et parall. 



212 JBSUS CHRIST. 

Jesus commencera humblement, sans attirer les regards du 
(profane. On aura peine, apres coup, a discerner ses origines, 
comme il arrive au voyageur qui de*eouvre enfin, au pied do 
la pente herbeuse de la colline, le mince fuseau d'eau jaillis- 
santequi sera, et est de*ja le grand fleuve. Surtoutle Royaume 
est spirituel : a ses vrais fils s'applique de plein droit le 
beau mot de saint Paul : Marchant dans la chair, ils ne 
militent pas selon la chair; les armes de leur milice ne sont 
pas charnelles 1 . Compost d'hommes et non d'ames desin- 
carnees, done visible et soumis aux conditions pre"caires qu'im- 
iplique le recrutement humain, le Royaume des cieux ne fait 
pas, pour autant^ appel a l'e*clat impe'rieux de la force triom- 
phante, ou aux prodiges simplificateurs dont se bercait 1'illu- 
rsion juive. 

Interroge par les Pharisiens : Quand vient le Royaume de Dieu, 
Jesus leur repondit en ces termes : Le Royaume de Dieu ne 
vient pas comme un objet d'observation. Et Ton no dira pas : il 
est ici ! ou : il est la ! car voici, le Royaume de Dieu est parmi 
vous 2 . 

A quoi done le comparer? A une graine presque imper- 
ceptible mais douee d'une vitality puissante, capable de doii- 
>ner un arbre. Sa croissance est caracteristique : elle s'operera 
dans le monde spirituel, par un de'veloppement spontane et 
mysterieux comme une force de nature; par une action de 
presence sourde et progressive, une fermentation semblable 
a celle du levain dans la masse amorphe. 

Pareil est le Royaume des cieux au grain de seneve 
qu'un liomme a pris et seme dans son champ : 
c'estla plus petite des semences, 
mais, quand il a cru, 

1. II Cor., x, 3, 4. 

2. Lc., xvii, 20, 21. Sur le sens de Tcapaiijpriais, observation attentive, 
*cientifique, scrupuleuse, jesuis F. Zorell, NT Lexicon, col. 430, A; etle 
sens gn6ral est certain : le Royaume n'arrive pas comme un mete'ore, un 
signe du ciel, s'imposant aux regards. Pour IVTO'?, Moulton et Milligan, 
VGT, p. 218, font remarquer que le mot, dans legrec commun, a un sens 
temporel, ou local, que le contexte peut seul determiner. Ici ; il signifie 
non au dedans de vous (dans vos ccaurs), mais au milieu de vous 
Voir Preuschen-Bauer, Griechisch-Deulsches Woerterbuch zu den Schriften 
des N.T., Giessen, 1925 suiv., col. 418. 



JESUS PROPHETE. 273 

ii est plus grand que les legumes et devient un arbre, 
si bien que les oiseaux da del viennent et ils trouvent a nicker 

[dans ses branches * . 

A quoi est semblable le Royaume de Dieu ? Voici : 
Un homme a jete le grain en terre, 
etildort, et il s'eveille, la nuit, lejour : 
etle grain germe etpousse, comment, il ne sait, 
spontandment la terre fructifie : 

d'abord 1'herbe, puis 1'epi, puis le ble forme dans 1'epi, 
etquand le fruit s'y prete, vite, on met lafaucille, car la moisson 

[est la 2 . 

Pareil est le Royaume des cieux au levain 
qu'une femme a pris et enfoui dans trois mesures de farine 
jusqu'a ce que tout ait fermente 3 . 

Toute la pate est susceptible de lever : nul coeur d'homme 
n'est neglige de parti pris, comme trop endurci : les limita- 
tions de race et de peuple sont abolies ; arrachdes, ces haies 
vives que les Pharisiens faisaient leur capital d'entretenir et 
d'epaissir. Gar ce n'esfc plus dans un coin du monde que se 
recrutera le Royaume : la Palestine ne le mesure pas, non 
plus que I'lsrael selon la chair. Non, le Pere du ciel, qui est 
esprit, peut trouver, en tout esprit d'homme, un adorateur : 
mais il le conquiert par une voie pacifique. Son envoye, son 
lieutenant, son Verbe devenu visible ne brandit pas le glaive 
comme tant de reveurs d'apocalypse 1'avaient r6ve, comme 
le futur prophete du combat et de la guerre Mahomet, le 
fera par lui-meme et par ses mandataires 4 . L'epee du Christ 

1. Mt. ; xin, 31, 32; Me., iv, 30-32; Lc., xm, 18, 19; les mots soulignes 
dans Daniel, iv, 12, 21 (Vulg., iv, 9, 18). 

2. Me., iv, 26-29. Les derniers mots, dans Joel, iv, 13. Le comment il 
ne sait , est generalement rapporte au semeur, mais pent aussi bien 
s'interpreter du grain. Sur cette parabole, voir 1'etude exhaustive de Karl 
Weiss, Voll Zuversicht : zur Parabel Jesu vom zuversichllichen Saemann, 
Miinster i. W., 1922, ou la note confiante et sure de 1'avenir, dominante 
du morceau, est mise en un vif relief. 

3. Mt., xm, 33; Lc., xm, 20, 21. 

4. Quoi qu'il en soit des vues de Mahomet durant la premiere periode 
de sa carriere, il est certain (les travaux de L. Caetani 1'ont 6tabli d'une 
facon definitive, au jugement d'l. Goldziher) que durant la periode finale 
et decisive de sa vie, le Prophete conc.ut retablissement du Regne de 
Dieu en politique et en guerrier. II passa a la conception d'un royaume 
qui est de ce monde. Son caractere eut des consequences fatales que le 

J&3US CHRIST. II. 18 



274 JESUS CHRIST, 

est la parole, et le feu qu'il est venu Jeter sur terre, et qu'il 
veut ardemment voir s'allumer 1 , est, comme Dieu me'me, 
un feu consumant 2 , mais tout spirituel. 

Le semeur de bon grain est le Fils de I'homme, et le champ (ou 
il seme) est le monde 3 . 

^merveille par la foi d'un centurion remain, Jesus declare : 

En verite, je vous le dis : chez personne, en Israel, je n'ai trouve 
foi pareille. Or je vous dis que beaucoup viendront, d'Orient et 
d'Occident, et s'attableront avec Abraham, Isaac et Jacob dans le 
Royaume des cieux, cependant que les fils du Royaume seront 
jetes dans la tenebre exterieure { . 

Me"me prophetie en finale de la parabole des Vignerons : 

C'est pourquoi je vous dis que le Royaume des cieux vous sera 
enleve, et sera donne au peuple qui en fera les fruits b . 



changement politique suscite en Arable par le succes de sa predication,, 
aussi bien que son propre role dirigeant, rendaient inevitables. II porta 
le glaive clans le monde... ce n'est pas seulement du souffle de ses- 
levres qu'il extermine les impies ; c'est la vraie trompette guerriere 
qu'il sonne ; c'est le glaive sanglant qu'il brandit pour etablir son royaume. 
D'apr&s une tradition musulmane qui synthetise bien sa carriere, il por- 
terait dans la Thora 1'epithete de prophete du combat et de la guerre ... 
et cette lutte materielle et terrestre fat le legs qu'il laissa a ses succes- 
seurs. II n'avait pour la paix aucune predilection. vous qui croyez,. 
obeissez a Allah et obeissez a I'Envoye... ne vous relachez pas, et ne con- 
viez pas (les infideles) a la paix, pendant que vous avez le dessus... > 
Goran, Sour. 47, 35, 37, coll. 2, 245; 4, 97, 98; 9, 5, etc. I. Goldziher, Le 
Dogme et laLoide I'Islam, tr. Arin, 1920, p. 20, 21. 

1. Lc., xii, 49. Le xou TI OIXw el vjSri avrJ(pO.Yj; pourrait se traduire : < et 
que veux-je encore s'il est deja allum6 ? Ce sens est exclu, comme lo 
note bien M. J. Lagrange, Evangile selon saint Luc, p. 373, par le mem- 
bre parallele, qui conditionne 1'expansion du feu par la reception du 
baptfeme de sang. 

2. Carnotre Dieu est un feu consumant , H6br., xii, 29, citantDeut^ 
iv, 24 ; Isaie, xxxiu, 14. Sur 1'image, on peut voir la note de B. F. West- 
cott, The Epistle to the Hebrews*, London, 1920, p. 424, 425. 

3. Mt., xiii, 37, 38. 

4. Mt., vin, 10-12. Le Royaume est ici represent6 dans son etat de con- 
sommation, sous 1'image traditionnelle d'un festin, d'une salle resplendis- 
sante ou les elus s'attablent au banquet prepare pour eux >. Dehors,. 
c'est la nuit, 1'exil, le pleur eternel. 

5. Mt., xxi, 43. 



JESUS PROPHKTE. 275 

Et qu'on ne songe pas a la substitution d'un autre peuple 
a Israel; toutes les nations sont co'nviees : 

Get Evangile du Royaume sera precne" dans la terre entiere, en 
t6moignage a toutes les nations 4 . 

Nos peres ont adore sur cette montagne, objectait cette Sama- 
ritaine, et vous, vous dites que Jerusalem est le lieu ou il faut 
adorer? Jesus lui dit : Crois-moi, femme, i'heure vient que ce 
n'est plus sur cette montagne, ni a Jerusalem, que vous adorerez 
le Pere. Vous adorezce que vous ne connaissez pas, nous adorons 
ce que nous connaissons, parce que le salut vient des Juifs. Mais 
1'heure vient, et la voici, ou les veritables adorateurs adoreront le 
Pere en esprit et en ve'rite, car le Pere se cherche des adorateurs 
de cette sorte. Dieu est esprit : les adorateurs doivent adorer en 
esprit et en ve'rite 2 . 

II n'y aura pas, he'las ! que de tels adorateurs dans le 
Royaume. Jesus le de"crit et aucune de ses propheties 
n'est plus frappante, parce qu'elle est en contraste avec le ton 
absolu, tranche, uniforme, abondant en un sens, d'ailleurs 
optimiste ou pessimiste, des grands Voyants, me'me inspires 
non tel qu'il devrait e'tre, mais tel qu'il est en effet, Un 
monde drvise", indecis, changeant, ou dominent tour a tour 
sans jamais s'eliminer les rayons et les ombres. 

Geux qui escomptent une ere de gloire paisible, un regne 
terrestre et inconteste" du Christ et de ses saints, durant le- 
quel le vieux dragon serait enchaine", cedent done a 1'incura- 
ble illusion du mille'narisme charnel. Autre est 1'avenir pro- 
phetise par Jesus : une vaste patrie des esprits, s'annexant 
jusqu'a la fin les hommes de bonne volonte", mais combattue, 
pressed, parfois d^faite et aux abois 3 ; une arene ou s'affron- 
tent des forces antagonistes ; un drame ou la responsabilite 
humaine, aidee mais jamais absorbee par 1'action divine, 
sortit tous ses effets, magnifiques tour a tour et de*cevants. 
Au cours de cette phase militante, les fils du Royaume 
pourquoi ne pas dire 1'Eglise 4 ? ne constitueront pas une 
secte e'sote'rique, ehichement ouverte a quelques inities, ou 
une petite chapelle d'elus de Dieu, formant oasis dans un 

1. Mt., xxiv, 14; Me., xm, 10. 

2. Jo., iv, 20-25. 

3. Lc., xvm, 7-8 ; Mt. ; xxiv, 10-14 ; 21-28 et parall. 

4. Mt., xvi, 18; xvm, 17. 



276 JESUS CHRIST. 

cUsert d'hommes. Us ne seront pas non plus un Ordre, une 
congregation de parfaits, analogue a la premiere communaute" 
bouddhique et fuyant, docile a la predication d'un solitaire, 
un monde en flammes 1 . Le Royaume predit par Je'sus 
contient dans son vaste sein des bons et des mauvais, des 
fideles et des mecreants. Ge champ du Pere commun de la 
famille humaine a beau e"tre ensemence de pur froment, it 
est, des I'origine, et restera jusqu'a la fin accessible au se- 
meur d'ivraie. 

Le Royaume des cieux? on le comparera a 1'homme qui seme de 
bon grain dans son champ. Tandis qu'on dormait, survint son 
ennemi qui sema de 1'ivraie par-dessus, au milieu du ble, et s'en 
alia. Quand done 1'herbe eut pousse et grene, alors 1'ivraie apparut, 
elle aussi. Les servitcurs du maitre vinrent vers lui et lui dirent : 
Seigneur, n'est-ce pas du bon grain que tu as seme" dans ton 
ehamp? D'oii vient done 1'ivraie? II leurdit : C'est 1'homme 
ennemi qui a fait cela! Eux, de lui dire : Veux-tu que nous 
allions le recueillir? Mais lui : Non, de peur qu'en recueillant 
les brins d'ivraie vous n'arrachiez le ble avec : laissez-les tous deux 
croitre jusqu'a la moisson 2 . 

Davantage, le Royaume des cieux est semblable a un filet jete 
dans la mer et ramassant (du poisson) de toute sorte : quand il est 
rempli, on le tire sur la greve, on s'assied et on recueille les bons 
dans des vases; les mauvais, on les jette dehors 3 . 

Gette largeur d'accueil entrainera des difficultes sans nom- 
bre : faux prophetes, predicateurs sans sincerite ou sans 
courage, dont la conduite dement la profession. Bien plus, 
parmi ceux qui se vanteront d'accomplir, au nom du Christ, 
d'authentiques merveilles, tous n'auront point part a la vie 
eternelle, dans le Royaume consomme. 

Gardez-vous des faux prophetes, qui viennent a vous vetus en 
brebis, mais au dedans sont des loups ravisseurs. A leurs fruits, 
vous les reconnaitrez... 



1 . On sait que le nom meme donn6 au Bouddha Gautama, Qakyamouni, 
signifie : < le solitaire des Qakyas >, et que les moines seuls, dans la con- 
ception bouddhique ancienne (et meme moderne : L. de la Vall6e Poussin, 
Nirvana, 1925, p. 2 suiv.) peuvent aspirer a la delivrance. 

2. Mt., xnr, 24-30. 

3. Mt., xin, 47-49. Voir dans le meme sens la parabole des indignes 
ehass6s de la salle du festin, nonobstant leur appel et leur presence. 



JESUS PROPHETE. 277 

Non, tout hommc qui me dit : Seigneur! Seigneur! 

n'entrera pas dans le Royaume des cieux, 

mais celui qui fait la volonte" de mon Pere qui est aux eieux. 

Beaucoup me diront en ce jour-la : Seigneur! Seigneur! 

n'est-ce pas en ton nom que nous avons prophetise ? 

en ton nom que nous avons chasse des demons ? 

en ton nom que nous avons fait maint prodige ? 

Et alorsje prononcerai sur eux cette sentence : 

Jamais je ne vous ai connus... 

Retirez-vous de moi, artisans d'iniquite 1 ! 

Ajoutez a ces dangers interieurs, la persecution ouverte 
ou sournoise. Gar la force ne sera pas toujours, il s'en faut 
du tout, au service du droit : tribulations prochaines, sus- 
citees par les Juifs : Voici, je vous envoie comme des 
brebis parmi les loups... ils vous meneront devant leurs 
conseils, et dans leurs synagogues ils vous fouetteront. 
Tribulations lointaines, generalise es : Ils vous livreront au 
tourment, et ils vous tueront, et vous serez en haine a toutes 
les nations a cause de mon nom. Et alors beaucoup succom- 
beront 2 ... 

Ges sombres perspectives ne doivent pas faire perdre coeur 
aux disciples : Je*sus n'abandonnera pas les siens. II sera 
present par une vertu dans le plus humble groupe re"uni en 
son nom 3 ; son exemple reconfortera les eprouves 4 ; son 
Esprit, le Saint Esprit, les inspirera quand il leur faudra 
rendre te*moignage 5 , et habituellement, ordinairement, leur 
rappellera et interpretera pour eux les lemons du Maitre 6 , 
en alle pour un temps quant a sa presence sensible, toujours 
present dans 1'Eucharistie 7 . 

Confiance done! L'expansion du Royaume est une oeuvre 
divine, un enfantement qui mene ceux qui s'en font les 
ouvriers, a travers- des douleurs poignantes, a une joie du- 
rable. Et puis Jesus a prie" pour eux, non seulement pour 

1. Ml, VH, 15,21-23. 

2. Ml, x, 16, 18 ; xxiv, 9, 10 et parall. 

3. Ml, xvm, 19-21. 

4. Ml, x, 24-26 ; Jo.,' xv, 18-22. 

5. Me., XHI, 11; Ml, x, 19, 20 ; Lc., xxi, 14, 15. 

6. Jo., xv, 26, 27 ; xiv, 25, 26. 

7. Jo. ; vi, 51-60. 



278 JESUS CHRIST. 

ceux de la premiere generation, mais pour tous ceux qui, par 
eux, croiront en lui. Sa force, qui n'a pas de limite, les gar- 
dera jusqu'a la fin. 

La femme, quand elle enfante, a de la tristesse, parce que son 
heure est venue, mais quand le petit enfant est ne, elle ne se 
souvient plus dc son travail, par la joie qu'elle a : un homme est 
ne dans le monde! Vous aussi maintenant, vous avez de la tris- 
tesse, mais de nouveau je vous verrai, et votre coeur se rejouira, et 
votre joie, personne ne vous 1'arrachera 4 . 

Ce n'est pas pour eux seulement que je prie, mais aussi pour 
ceux qui croiront en moi par le moyen de lour parole 2 . 

En s'approchant, Jesus leur adressa la parole en ces termes : 
Toute puissance m'a etc donnee, au ciel et sur terre. Allez done, 
enseignez toutes les nations, les baptisant au nom du Perc, et du 
Fils, et du Saint-Esprit, leur apprenant a garder toutes les pres- 
criptions que je vous ai faites. Et voici, je suis avec vous, tous les 
jours, jusqu'a la consommation des siecles 3 . 

Mais en plus de cette presence efficace et invisible, le 
Maitre se survivra par des homines choisis a cette fin. II leur 
communique ses pouvoirs d'enseignement et de pardon; il les 
investit de son autorite, il en fait d'autres lui-me'me. 

Qui vous ecoute m'e'coute, et qui vous meprise me meprise. 
Or qui me meprise, meprise Celui qui m'a envoye 4 . 

Qui vous accueille, m'accueille, 

et qui m'accueille, accueille Celui qui m'a envoye B . 

En ve'rite, je vous le dis : 

tout ce quo vous lierez sur terre sera lie dans le ciel, 

et tout ce que vous delierez sur terre sera delie dans le ciel 6 . 

II leur dit derechef : Paix a vous, 

comme mon Pere m'a envoye, moi, je vous envoie. 

Ce disant, il souffla sur eux et leur dit : Recevez 1'Esprit-Saint; 

ceux a qui vous remettrez les peclies, ils seront remis : 

ceux a qui vous les retiendrez, ils seront retenus 7 . 

L'unite de 1'immense edifice spirituel ainsi constitue sera 

1. Jo., xvi, 21, 22. 

2. Jo., xvu, 20. 

3. Mt. ; xxvin, 19, 20. 

4. Lc., x, 16. 

5. Mt., x, 40. 

6. Mt., xvin, 18. 

7. Jo., xx, 21-23. 



JESUS PROPHETE. 279 

assured par celle de eon fondement : visible a la fois et 
immortel comme Pedifiee me'me. Ce r61e est de*volu a Pierre, 
qui a justement recu ce nom, en symbole de la stabilite 
robuste centre laquelle ne pre"vaudront pas les puissances 
d'en bas. Gette faiblesse humaine ainsi rendue invincible est 
un paradoxe inoui, que 1'histoire evangelique souligne, en 
accusant la fragilite de Pierre. II est tente, et il tombe; mais 
Jesus a prie pour lui : il se relevera, et une triple profession 
d'amour recouvrira le triple reniement. 

Simon, Simon, voici que Satan vous a demandes 
pour vous passer au crible comme du ble ; 
mais moi j'ai prie pour toi, afin que ta foi ne defaille pas, 
et toi, un jour, revenu au bien, affermis tes freres *. 

Lors done qu'ils eurent dejeune, Jesus dit a Simon Pierre : 
Simon, fils de Jean, m'aimes-tu plus que ceux-ci? II lui dit : 
Oui, Seigneur, tu sais que je t'aime. II lui dit : Pais mes 
agneaux. 

Derechef, une seconde fois, il lui dit : Simon, fils de Jean, 
m'aimes-tu? II lui dit : Oui, Seigneur, tu sais que je te cheris. 
II lui dit : Fais paitre mes brebis. 

II lui dit une troisieme fois : Simon, fils de Jean, nx'aimes-tu? 
Pierre fut contriste qu'il lui ait dit une troisieme fois : irfaimes-tu P 
Et il lui dit : Seigneur, tu sais tout, toi. Tu sais que je t'aime. 
Jesus lui dit : Pais mes brebis 2 (Jo., xxi, 15-17). 

Ne laissons pas tomber enfin une prediction episodique, 
mais concrete et touchante, que nous verifions une fois de 
plus en la rappelant. 

Tous les evangelistes ont mentionne cette femme qui versa, 
sur le chef du Seigneur, un parfum precieux et brisa le vase 
d'albatre pour qu'aucune goutte du nard de choix ne fut 
perdue. Profusion inutile , grondaient certains disciples 
scandalises. Apres avoir justiHe" le geste, Jesus ajouta : Je 

1. Lc., xxii, 31-33. L'^T)TrJ<i*To du verset 31 signifie : Satan vous a de- 
mandes avec succ6s, comme 1'a bien vu Field : comparer Job, i, 10 suiv., 
et Moulton et Milligan, VGT, p. 221. 

2. Le sens general est tres clair. Je lis, aux versets 16 et 17, -ci 7tprf6aTa 
H-ou avec Lagrange et H. J. Vogels. Nestle, suivantB, C, quelques minus- 
cules et b (Veronensis), lit les deux fois : tot npo6aTia [AOU (b, oviculas). Je 
n'ai pu rendre en francais la nuance, peut-etre non voulue, entre ayana; 
et iftXetj, qu'amer et cMrlr ne traduit pas. Sur cette famille de mots, 
voir B. Warfield, fansla, Princeton Theological Review, Janvier 1918, p. 1-45. 



280 JESUS CHRIST. 

vous le dis en verite, parfcout ou 1'Evan'gile sera pre'che, dans 
le monde entier, Ton redira ce qu'elle a fait, en meraoire 
d'elle*. 

Dans ses homelies apologetiques de 387, au cours des- 
quelles 1'arguraent tire des propheties du Christ est naturel- 
lement mis en lumiere, saint Jean Ghrysostome comments 
ainsi ces paroles : 

Cette prediction s'est-elle realisee, ou est-elle tombee a terre?. . 
Dans toutes les egliscs, nous entendons 1'eloge de cette femme,- 
ou que tu ailles, dans 1'univers entier, tous ecoutent en un profond 
recueillement le recit de cette belle action : pas un lieu du monde 
ou on 1'ignore. Tant de rois ont comble les villes de leurs bien- 
faits, mene a bout des guerres, eleve des trophees, organise mille 
triomphes : eux et leurs exploits sont ensevelis dans le silence! 
Tant de reines, de femmes illustres ont comble leurs sujets de 
mille biens : on ne sait plus leurs noms ! Mais cette femme de rien, 
pour avoir seulement verse son parfum, est celebre dans le monde 
entier, et ce long espace de temps n'a pas enseveli sa memoire 
ne 1'ensevelira jamais. Ni 1'acte pourtant n'etait eclatant, ni la per- 
sonne eminente, ni les temoins nombreux, ni le lieu fixant les 
regards : la chose ne se passa pas sur un theatre, mais dans tine 
maison particuliere, devant dix personnes. Rien de tout cela n'a 
prevalu : cette femme est plus celebre desormais que toutes les 
reines et tous les rois, et jamais le cours du temps n'abolira le- 
souvenir de ce qu'elle a fait 2 . 

Des propheties de Jesus touchant son oauvre, nous n'avons 
rappele qu'une partie. A la considerer d'ensemble, et a la 
confronter avec une histoire, meme sommaire, de la religion 
chretienne, on reste frappe d'etonnement. De quel propheto 
pourrait-on citer des anticipations de cette ampleur, pareil- 
lement verifiees? 

3. Propheties de Jesus 
sur la Gonsommation des Ghoses. 

Une derniere serie de propheties se presente a nous, qui 
n'est pas moins interessante par sa portee apologetique que 
par les difficultes d'interpretation qu'elle souleve : celle qui 

1. Me., xiv, 9. 

2. Adversus Judaeos, V, 2; MG, XLVIII, 885. (J'abrege un peu le d6tail, 
toujours copieux, du grand Docteur.) 



JESUS PROPHETE. 284 

decrit, et semble presenter comme imminent, avec la mine du 
monde juif en 70, 1'avenement glorieux du Christ et la con- 
sommation des choses. 

Pour que 1'expose", auquel nous voulons donner 1'ampleur 
qu'il merite, se poursuive dans la lumiere, il convient de 
transcrire integralement les textes principaux. Us se classent 
en cinq groupes, dont le premier seul esfc parfciculier a mi 
evangelist e. 

4 or Groupe : L'Avenement du Fits de I'Homme. 

Instructions du Christ a ses disciples envoyes en mission 
temporaire : Mt., x, 21-24. 

(Vous serez persecutes...) vous serez haTs de tous a cause de mon- 
nom : mais qui tiendra bon jusqu'au bout, celui-la sera sauve. 
Lors done qu'ils vous poursuivront dans telle ville, fuycz dans 
une autre. En verite je vous le dis : vous n'acheverez pas les villes. 
d'lsrael jusqu'a ce qu'advienne le Fils de 1'hommc. 

5 e Groupe : La Vision du Regne de Dieu. 
Aussitot apres la confession de Pierre : Mt., xvi, 27-28;- 
Mc., vm, 38-ix, 1; Lc., ix, 26-28. (Que sert a Thornine de- 
gagner le monde entier s'il vient a perdre son ame?) 

Mt, Me. Lc. 

Car celui qui rougi- Car celui qui rougi- 
rait de moi et de mes rait de moi et de mes. 
paroles, paroles, 

dans cette generation 
adultere et peche- 
ressc, 

Car le Fils de leFilsdel'hommerou- de celui-la le Fils de 
1'homme doit gira aussi de lui, 1'homme rougira, 

venir dans la gloire de quand il viendra quand il viendra 
son Pere dans la gloire de son dans sa gloire et celle 

P6re du Pere 

avec ses anges, avec les anges saints, et des saints anges. 

et alors il rendra a 
chacun selon ses ac- 
tes 4 . 

Et il leur disait : 

En verite je vous dis En verite je vous dis Je vous dis en ve~ 
qu'il en est de ceux qu'il en est de ceux rite : II en est de ceux 

1. Psaume LXH (Vulg. LXI), 12. 



.282 JESUS CHRIST. 

presents ici qui ne presents iciquinegou- presents ici qui ne 
gouteront pas de la teront pas de la mort goMeront pas de la 
mort qu'ils n'aient vu qu'ils n'aient vule Re- mort qu'ils n'aient vu 
le Fils de 1'homme ve- gne de Dieu venant le Regne de Dieu. 
jiant dans son Regne. en puissance. 

Suit le recit de la Transfiguration dans les trois Evangiles. 

5 e Group e : Le Sang des Justes. 

A la fin du discours sur les torts des Pharisiens : Mt., xxm, 
34-36; Lc., xi, 49-51. (Vous mettrez le comble aux crimes de 
vos peres) : 

Mt. Lc. 

G'est pourquoi, voici que je C'est pourquoi la Sagesse de 

vous envoie des prophetes, des Dieu a dit, elle aussi : Je leur 

sages et des scribes, enverrai des prophetes et des 

et vous en tuerez et crucifierez, apotres, et vous en tuerez, 
et vous en fouetterez dans vos 
synagogues, 

et vous en poursuivrez de ville et poursuivrez, 
en ville, 

pour que vienne sur vous tout T3our que soit redemande a cette 

.le sang juste re"pandu sur terre, generation le sang de tous les 

prophetes 

depuis la creation du monde; 

depuis le sang du juste Abel jus- depuis le sang d'Abel 

qu'au sang de Zacharie, fils de jusqu'au sang de Zacharie 
Barachie, 

que vous avez assassin^ entre le qui a peri entre 1'autel et la Mai- 
Temple et 1'autel. son de Dieu. 

En verite, je vous le dis, tout Oui, je vous le dis, il sera re- 

cela viendra sur cette genera- demand^ a cette generation-ci, 
tion-ci. 

Suit 1'apostrophe : Jerusalem, Jerusalem, toi qui tues les 
Prophetes... 

4 e Group e : Fin d'un Monde et Fin du Monde : 

I 1 Apocalypse Synoptique*. 

A Jerusalem, au debut de la derniere semaine : Mt., xxiv, 
1-43; Me., xiii ; Lc., xxi, 5-37. 

1 . Dans la division du Discours, je suis Burton et Goodspeed, A Har- 
mony of the Synoptic Gospels in Greek, Chicago (1920), p. 258-268. On 
consultera aussi avec fruit 1'analyse tres soignee de Karl Weiss, Exege- 
tisches zur Irrtumslosigkeit und Eschatologie Jesu Chrisli, Minister i. W., 
J916, p. 121-148. 



JESUS PROPHETE. 



283 



Mt. 

Et sortant du Tem- 
ple, Jesus cheminait. 
Et ses disciples s'ap- 
procherent pour lui 
montrer la bAtisse du 
Temple. 

En reponse il leur 



Me. 

Et comme il sortait 
du Temple un de ses 
disciples lui dit : 
Maitre, vois quelles 
pierres et quelle ba- 
tisse? 

Et Jesus lui dit : 



Vous voyez tout Tu vois ces im- 
cela? Je vousle dis en menses bdtisses? 
verite, 

il ne restera pas ici il ne restera pas ici 
pierre sur pierre qui pierre sur pierre qui 
ae soit detruite ! ne soit detruite ! 

La grande Tribulation 

Et quand il se fut Et quand il se fut 
-assis sur le Mont des -assis sur le Mont des 
Oliviers, Oliviers, face au Tem- 

ple, 

ses disciples s'appro- Pierre 1'interrogea en 
cherent en particulier, particulier, avec Jac- 
disant : Dis-nous ques, Jean et Andre : 
-quand cela sera, et Dis-nous quand cela 
quel sera le signe de sera, et quel sera le 
ton avenement, signe que tout cela va 

et de la consomma- se consommer? 
tion des siecles? 

En reponse, Jesus Or Jesus se prit a 
leur dit : Voyez a ce leur dire : Voyez a 
que nul ne vous ce que nul ne vous 
trompe : car beaucoup trompe : beaucoup 
viendront en mon nom , viendront en mon nom 
disant : je suis le disant : c'est moi! et 
Christ !et ils en trom- ils en tromperont 
.peront beaucoup. beaucoup. 

Vousentendrezpar- Quand vous enten- 
ler guerres et bruits drez parler guerres et 
dc guerre, voyez, ne bruits de guerre, ne 
vous troublez pas, car vous troublez pas, il 
il faut que cela ar- faut que cela arrive* , 



Lc, 

Et comme certains 
disaient parlant du 
Temple qu'il etait fait 
de belles pierres et 
orne d'offrandes, 

il dit : 

Ce que vous con- 
templez la, les jours 
viendront, dans les- 
quels il ne sera pas 
laisse ici pierre sur 
pierre qui ne soit de- 
truite! 



Ils 1'interrogerent, 
disant : Maitre 
quand done cela scra- 
t-il, et quel sera le 
signe que ces choses 
vont s'accomplir? 



Et il dit : Voyez a 
n'etre pas trompes : 
car beaucoup vien- 
dront en mon nom di- 
sant : c'est moi ! et : le 
grand jour approche! 
Nelessuivezpas. 

Quand vous enten- 
drez parler guerres et 
bouleversements, ne 
vous effrayez pas, car 



ilfaut que cela arrive* 

riv.e\ mais ce n'est mais ce n'est pas en- d'abord, mais ce n'est 
,pas encore la fin. core la fin. pas tout de suite la fin. 

1. Daniel, u, 28. 



284 JESUS CMllIST. 

Car on se dressera, C&ronsedressera, On se dressera, 
peuple contre peuple peuple contre peuple peuple contre peuple 
et royaume contre et royaume contre et royaume -vontre 
royaume*, etilyaura royaume*, il y aura royaume*, il y aura 
des famines et des des tremblements de de grands tremble- 
tremblements de terre terre en divers lieux, ments de terre et en 
en divers lieux : il y aura des famines : divers lieux des pes- 

tes, des famines, des 
apparitions et de 
grands signes dans 
le ciel. 

tout cela est le com- cela est le commence- 
mencement des dou- ment des douleurs. 
leurs. 

Alors on vous me- Veillez sur vous : Mais avant tout cela 
nera aux tourments, on vous menera de- ils mettront leurs 
et Ton vous tuera; vantlesconseils, vous mains sur vous et vous 

serez fouettes dans persecuteront, vous 
les synagogues, et menant dans les syna- 
vous comparaitrez de- gogues et les ge61es, 
vant gou'verneurs et vous faisant compa- 
rois, a cause de moi, raitre par devant rois 
en temoignage pour et gouverneurs, a 
eux. cause de mon nom : 

vous serez mis en de- 
meure de rendre te- 
moignage. 
Et il,faut d'abord 
que 1'Evangile soit 
annonce dans toutes 
les nations. 

Et quand on vous Mettez-vous bien 
menera pour vous li- dans 1'idee de ne pas 
vrer, ne vous preoccu- vous faire d'avanco 
pez pas de ce que des soucis pour votre 
vous direz, defense, car je vous 

car ce n'est pas vous donnerai des levres et 
qui parlerez, mais unesagesse,aquoine 
1'E sprit-Saint. pourront resister ni 

contredire tous vos 
adversaires. 

Et le frere livrera Et vous serez livres 
son frere a la mort et memo par des peres 
le pere son enfant, et meres, et des freres, 

1. Isai'e, xix. 2. 



JESUS mOPHETE. 



285 



et les enfants se dres- 
seront contre leurs 
parents*, et les met- 
tront a mort, 

et vous serez hai's de et vous serez hai's de 
tous les peuples a tous a cause de mon 
cause de mon nom. nom. 



Et alors beaucoup 
succomberont au 
scandale*, se livre- 
ront, se hai'ront mu- 
tuellement. Et beau- 
coup de fauxprophetes 
s'cleveront et sedui- 
ront blendes gens. Et 
<le par la recrudes- 
cence de 1'iniquite la 
charite* du grand nom- 
bre se refroidira. 

Mais qui tiendra Mais qui tiendra 
jusqu'au bout, celui-la jusqu'aubout, celui-la 
sera sauve. sera sauve. 

Et cet h/vangile du 
Royaume sera preche 
dans toutl'univers, en 
temoignage a toutes 
les Nations, et alors 
la fin. 



et des allies et des 

amis; et ils en rnek- 

tront a mort parmi 

vous, 

et vous serez hai's de 

tous a cause de mon 

nom, 

et pas un cheveu de 

votre t6te ne perira : 



par votre endurance, 
vous sauverez vos 
ames. 



L 'Abomination de la Desolation. 

Quand done vous Quand done vous Quand vous verrez 
verrez I'abomination verrez I' abomination entouree de soldats, 
de la desolation, an- de la desolation* 
moncee par Daniel le 
prophete, 

dressee dans le saint dressee oil il ne con- Jerusalem, 
'lieu 3 , vientpas, 

1. Michee, vn, 6. 

2. Daniel, xi, 41 (LXX). 

3. Daniel, ix, 17; xn, 11. Ce poO^y,"* T% Jprjawaews que Marc declare 
dressd (au masculin, non au neutre, 1'enteudant ainsi d'un homme ou 
d'une image d'homme, ^, ce qu'il semble) ou il nc convient pas (dans le 
saint lieu, dit Matthieu qui transcrit Daniel), est sans doute dans le pro- 



286 



JESUS CHRIST. 



(Que celui qui lit 
comprenne!) 

Alors que ceux qui 
sont en Judee se sau- 
vent aux montagnes; 
quo celui qui est sur 
laterrassenedescende 
pas rien prendre de ce 
qui est dans sa mai- 
son; 

que celui qui est aux 
champs nc retourne 
pas prendre son man- 
teau. 



(Que celui qui lit 
comprenne!) 

Alors que ceux qui 
sont en Judee se sau- 
vent aux montagnes ; 
que celui qui est sur 
la terrasse ne des- 
cende pas, qu'il n'en- 
tre pas rien prendre 
de ce qui est dans sa 
maison; 

que celui qui est aux 
champs ne retourne 
pas en arriere prendre 
son manteau. 



alors sachez que- 
sa desolation est pro- 
che. 

Alors que ceux qui 
sont en Judee se sau- 
vent aux montagnes ; 
que ceux qui sont 
dans la ville s'en e*loi~ 
gnent; 



Malheur aux fem- 
mes enceintes, et a 
celles qui nourriront 
dans ces jours la ! 

Priez pour que votre 
fuite n'arrive pas 1'hi- 
ver, ou un jour de sab- 
bat. 



Malheur aux fem- 
mes enceintes, et a 
celles qui nourriront 
dans ces jours-la ! 

Priez pour que la 
chose n'arrive pas 
I'liiver. 



que ceux qui sont a 
la campagne ne ren- 
trent pas a la ville; 

car ce sont la jours 
de vengeance* pour 
que s'accomplisse en 
eux tout ce qui est 
e"crit. 

Malheur aux fern- 
mes enceintes, et a- 
celles qui nourriront 
en ces jours-la ! 



phete une allusion a la profanation du Temple par 1'erection d'une idole- 
sur 1'autel des holocaustes (I Macch., i, 33 suiv.; vm, 13; xir, 11) : abomi- 
nation qui rend le lieu saint ddsott. Voir S. R. Driver, DBH, I, p. 12. Dans 
1'Evangile, il s'agit surement d'une profanation semblable, et il y en eut 
plusieurs au cours des annees troublees qui finirent par la mine de Jeru- 
salem. L'expli cation la plus probable est celle qui vise 1'exposition d'em- 
blemes idolatriques (enseignes romaines ou statue ou image de 1'Empereiir 
divinise) dans le Temple. 

La parenthese qui suit : que celui qui lit, comprenne > n'a rien a faire, 
semble-t-i), avec une lecture publique de 1'Evangile. II s'agit ici d'attirer 
1'attention du lecteur, qui est toujours cense lire tout haut, 6 avayivciaxwv 
(la lecture a voix basse ou par les yeux seuls etait consid6ree dans 1'anti- 
quite comme une exception, digne de remarque : cf . saint Augustin, Confes- 
sions, VI, 3). Le sens de voeTv est : discerner, lire entre les lignes * 
(Apoc., xin, 18). Sur tout le passage, C. H. Turner, Marcan Usage, IV, dans 
JTS, XXVI, 1925, p. 153, 154. 

1. Os6e, ix, 7. 



JESUS PROPHETE. 287" 

Car ce sera alors Car ces jours-la se- Car ce sera detresse 

une tribulation ront tribulation telle grande sur la terre, 

grande, telle qu'il n'y qu'iln'y eneutpas de et colere s'exergant 

en eut pas depuis le pareitte depuis I'ori- surcepeuple; 

commencement du gine des choses , quand 

monde jusqu'a pre- Dieu crda, jusqu'a 

sent, et qu'il n'y en present 4 et qu'il n'y 

aura plus 1 . en aura plus. 

Et si ces jours n'eus- Et si le Seigneur 

sent ete raccourcis, n'eut raccourci ces 

aiicune chair ne serait jours, aucune chair ne 

sauvee; mais a cause serait sauvee ; mais a 

des elus ces jours-la cause des elus qu'il a 

seront raccourcis. choisis, il a raccourci 

les jours. 

et ils tomberont sur 
la gueule du glaive,, 
et ils seront emme- 
nes, charges de fers r 
parmi toutes les na- 
tions, 

ei Jerusalem sera/ow- 
lee par les nations*, 
jusqu'a 1'accomplisse- 
ment du temps des 
nations. 

(VoirLc., XYII, 23).. 
Alors si Ton vous Alors si Ton vous 

dit : Voici le Christ dit : Voici le Christ 

ici , ou ici , ne le ici , ou le voici la , 

croyez pas, car des ne le croyez pas, car 

faux Christs se leve- de faux Christs se 16- 

ront. et de faux pro- veront etdefauxpro- 

phetes*, et ils feront phetes* et ils feront 

des grands signes et des signes et des pro~ 

des prodiges brnduire diges a induire en 

en erreur, si possible, erreur, si possible, 

m6me les elus. les elus. 

Voici, je vous 1'ai Vous done, veillez. 

predit. Je vous ai tout predit. 

Si done on vous dit : 

1. Daniel, xir, 1. 

2. Zacharie, xir, 3 (LXX); Isai'e, LXIII, 18; Psaumes LXXIX (Vulg. LXXVIII),. 
1 ; Daniel, vm, 10. 

3. Deuter., xiu, 1. 



288 JESUS cunisT. 

Le voici au desert , 

nesortezpas; (Voir Lc., xvn, 24). 

Le voici a I'inte- 
rieur , ne le croyez 
pas. Car comme 1'e- 
clair part d'Orient, et 
brille jusqu'en Occi- 
dent, ainsi sera Tave- 
nemcnt du Fils de 
1'homme. 

Oiique soitle corps, 
la s'assembleront les 
aigles. (Voir Lc., XVH, 37). 

L'avenement du Fils de 1'homme. 

Or, aussitot apres Mais dansces jours- Et il y aura des signes 
la tribulation de ces la, apres cette tribu- dans le soleil, la lune 
jours-la, lation, et les etoiles, et sur 

le soleil s'obscurdra le soleil s'obscurcira terre, angoisse des 
et la lune ne donnera et la lune ne donnera nations, inquietes du 
plus sa lumiere, plus sa lumiere, bruit de la mei\ et de 

les etoiles tomberont les etoiles tomberont sesflots 4 , leshommes 
du del du del, sechant de peur, dans 

et t les puissances des et les puissances ce- 1'attente de ce qui 
deux seront ebran- lestes seront ebran- doit arriver a 1'uni- 
.lees 2 . lees 2 . . vers, car les puissan- 

ces des deux seront 
ebranlees 2 . 
Et alors apparaitra 
le signe du Fils de 
1'homme dans le ciel ; 
<et alors toutes les tri- 
bus de la terre se frap- 
peront la poitrine*, 

et ils vcrront le Fils Et ils verront alors Et ils verront alors 
4e Vhomme venant le Fils de Vhomme ve- le Fils de 1'homme 
sur les nuees du del" , nant dans les nuees 4 venant dans la nuee* 
.avec puissance et avecgrande puissance avec puissance et 
grande gloire. et ^loire. grande gloire. 

Et il enverra ses lit alors il enverra 
anges, a grand eclat les anges 

1. Psaume LXV (Vulg. LXIV), 8. 

'2. Isaie, xui, 10 et xxxiv, 4. 

.3. Zacharie, xn, 2. 

4. Daniel, YJI, 13. 



JESUS PROPHETE. 289 

de trompette*, et ils et reunira ses el us 

rduniront ses elus des des qualre vents, 

quatre vents, d'une d'une extremite de la 

extremite des deux a terre a f extremite du 

Vautre extremite*. del*.. 

Quand ces choses 
commenceront d'ar- 
river, reprenez cceur 
et relevez vos tetes, 
car votre redemption 
approche ! 

L'Heure que nut ne connait. 

Et il leur dit une 
parabole : 

Du figuier appre- Du figuier apprenez Voyez le figuier, et 
nez la parabole r'quand la parabole : quand tousles arbres: quand 
ses rameaux devien- ses rameaux devien- ils commencent de 
nent tendres, et que nent tendres, et que bourgeonner, en les 
les feuilles lui pous- les feuilles lui pous- regardant, par eux 
sent, vous conhaissez sent, vous connaissez vous connaissez que 
que proche est 1'ete. que proche est 1'ete. deja proche est 1'ete. 

Ainsi, vous aussi, Ainsi, vous aussi, Ainsi, vous aussi, 
quand vous verrez quand vous verrez quand vous verrez 
tout cela, cela arriver, cela arriver, 

connaissez qu'il est connaissez qu'il est connaissez qu'est pro- 
proche, aux portes. proche, aux portes. che le Regne de Dieu. 

En yerite, je Vous En verite, je vous le En vente, je vous 
le dis : dis : le dis : 

Cette generation ne Cette generation ne Cette generation ne 
passera pas, passera pas, passera pas, 

avant que tout ceci devant que tout ceci avant que tout n'ar- 
n'arrive. n'arrive. rive. 

Le ciel et la terre Le ciel et la terre Le ciel et la terre 
passeront, passeront, passeront, 

mais mes paroles ne mais mes paroles ne mais mes paroles ne 
passeront pas. passeront pas. passeront pas. 

Quant a ce jour-la et Quant a ce jour*la et 
a 1'heure, nul ne les a 1'heure, nul ne les 
connait, connait, 

ni les anges des ni les anges dans 
cieux, ni le Fils > le ciel, ni le Fils 
hormis le Pere seul. hormis le Pere. 

1 . Isai'e, xxvn, 13. 

2. Zacharie, n ; 6; Deuter., xxx, 4. 

JESUS CHRIST. II. 19 



290 



JESUS CHRIST. 



(VoirLc., xvii, 26-27 . 



(VoirLc., xvn, 34-35.) 



Veillez done... 

Comme les jours de 
Noe, ainsi sera 1'ave- 
nement du Fils de 
riiomme; comme ils 
etaient en ces jours- 
la, d'avant le deluge, 
mangeant et buvant, 
se mariantet donnant 
a marier, jusqu'au 
jour ou Noe entra 
dans I'arche*, et ils 
ne connurent rien jus- 
qu'a ce que vlnt le 
deluge qui les em- 
porta tous, ainsi en 
sera-t-il de 1'avene- 
ment du Fils de 
I'homme. 

Lors ils seront deux 
aux champs : 1'un 
sera pris et 1'autre 
laisse ; 

deux moudront a la 
meule : 1'une seraprise 
et 1'autre laissee. 

Voyez, veillez, vous (VoirLc., xix, 12-13.) 

ne savez pas 1'heure. 

C'est comme un 

homme qui part en 

voyage : en quittant 

sa maison il laisse ses 

pouvoirs a ses ser- 

viteurs, donne a cha- 

cun son travail, et 

recommande au por- 

tier de veiller. 

Veillez done, car Veillez done, car Veillez sur vous, de 
vous ne savez pas quel vous ne savez pas peur que vos coeurs 
jour votre Seigneur quand le maitre de ne s'alourdissent dans 
viendra. maison viendra : le la crapule, 1'ivresse, 

soir, a minuit, ou au les sollicitudes du 



1. Gen., VH, 7. 



JESUS PROPHETS. 



291 



(Suivent des para- 
boles renforgant la 
m6me legon de vigi- 
lance, et 1'impression 
d'incertitude et d'obs- 
curite sur le jour du 
jugement.) 



coq, ou a 



chant du 
Taurore. 

Survenant a 1'im- 
proviste, qu'il ne vous 
trouve pas endormis. 

Ce que je vous dis, 
je le dis a tous : 
veillez. 



temporel, et que ce 
jour-la ne tombe sur 
vous a 1'improviste, 
comme un filet. 

Car il viendra ainsi 
sur tous ceux qui 
sont assis sur la face 
de toute la terre*. 

Non, veillez et priez 
en tout temps, pour 
etre en etat d'echap- 
per a ce qui se pre- 
pare, et de paraitre 
debout devant le Fils 
de l'homme. 



5 e Groupe : Le Fils de l'homme assis a la droite de Dieu. 

Devant le Sanhedrin, la nuit qui suivit 1'arrestation : Mt., xxvi, 
63-65; Me., xiv, 61-63; 
Devant le Sanhedrin, a la seance de 1'aube : Le., XXH, 66-71. 

Mt. Me. Lc. 

Mais Jesus se tai- Mais lui se taisait, 
sait, etle grand pr&tre et ne repondit rien. 
lui dit : Derechef le grand 



Je t'adjure par le 
Dieu vivant de nous 
dire 

si tu es le Christ, 
le Fils de Dieu. 

Jesus lui dit : 
Tu 1'as dit. 

Aussi bien, je vous le 
dis : dorenavant vous 
verrez le Fils de 
rhomme assis a la 
droite de la Puissance 
etvenantsur les nuees 
du del 2 . 
Alors le grand 



pr<Hre Tinterrogea, et 
lui dit : 



Tu es le Christ, 
le Fils du Beni? 

Et Jesus dit : 
Je le suis, 



et vous verrez le Fils 
de l'homme assis a la 
droite de la Puissance 
et venantsur les nuees 
du ciel*. 
Et le grand pretre, 



1. Isai'e, xxiv, 17. 

2. Daniel, vii, 13; Psaume ex (Vulg. cix), 1 suiv 



292 JESUS CHRIST. 

pretre dechira ses ve- ayant de'chire ses tu- 

tements en disant : niques, dit : Qu'a- 

II a blaspheme; vons-nous encore be- 

qu'avons-nous encore soin de temoins? 

besom de temoins? Vous avez cntendu 

ses blasphemes ? 

Et comme le jour 
se levait, s'assemblc- 
rent le corps des an- 
ciens du peuple, 
princes des pretres et 
scribes, et ils Fame- 
nerent devant leur 
tribunal, disant : Es- 
tu le Christ? dis-le 
nous. 

II leur dit : Si je 
vous le dis, vous ne 
croirez pas; etsi j'in- 
terrogeais, vous ne 
repondriez pas. 

Dorenavantle Fils 
de I'homme sera assis 
a la droite de la Puis- 
sance divine*. 

Tous lui dirent: Tu 
es done le Fils de 
Dieu? 

Mais lui leur dit : 
Vous Favez dit, je le 
suis. Eux dirent : 
Qu'avons-nous be- 
soin de temoignage? 
vousl'avezentendu de 
sa propre bouche. 

La These de V eschatologie consequents . 

Partant de ces textes, ou de plusieurs d'entre eiix (car 
tons n'en admettent pas Fauthenticite integrale), et leur 
donnant une importance relative qu'ils sont loin d'avoir dans 
1'Evangile, divers critiques modernes ont elabore une inter- 
pretation nouvelle des engines chretiennes. Aujourd'hui 

1. Daniel, vn, 13; Psaume ex (Vulg. cix), 1. 



JESUS PROPHETE. 293 

rejetee dans Tombre par des hypotheses nouvelles, cette 
conception a doming 1'exegese rationaliste pendant les quinze 
premieres annees de ce siecle 1 . 

Gomme d'autres theories ruineuses, la these dite escha- 
tologique (parce qu'elle assigne une part preponderante a 
1'enseignement de Jesus touchant les fins dernieres, T sayxm), 
est issue d'une reaction justifiee, en principe, et contient, 
de ce chef, une ame de verite. L'exe"gese libe'rale, represented 
dans son meilleur par H. J. Holtzmann et son Ecole, tendait 
a humaniser la vie du Christ, mais aussi a la sublimer 
jusqu'a en estomper, voire a en effacer, des traits reels. On 
ne voulait guere voir en lui qu'un admirable pre"dicateur de 
morale ; le commentaire du Discours sur la montagne tendait 
a eliminer celui des pages evange"liques transcrites ci-dessus. 
Elles sont pourtant d'une historicity incontestable; elles 
appartiennent a un genre litteraire defini, date, essentielle- 
ment se*mitique. Elles ont, des les plus anciennes origines 
chretiennes, donne lieu a des interpretations, a des attentes 
et a des espoirs qu'il n'appartient a personne de rayer de 
1'histoire. 

La faute des champions de la nouvelle Ecole n'est done pas 
d'avoir ramene 1'attention sur des textes trop negliges, ou 
revendique la presence, dans 1'enseignement authe'ntique de 
Jesus, d'un element apocalyptique relativement considerable. 
Leur erreur est d'avoir abonde dans leur sens, au point de 
donner a cet element une place preponderante , et pre"- 
sente 1'Evangile comme un enseignement essentiellement 
eschatologique, enthousiaste et mystique 2 . De la a tout 
expliquer par la croyance de Jesus en la consommation immi- 
nente des choses, a chercher dans cette illusion absorbante 



1 . Sur cette Ecole, voir, infra, p. 452, la note E a : L 'Ecole Eschatologi- 
que 1890-1915. 

2. Ces expressions sont empruntees au plus brillant des tenants fran- 
cais de 1'Ecole eschatologique, M. Alfred Loisy, Jesus et la Tradition, 
Paris, 1910, p. 144, 190. Depuis, docile aux souffles nouveaux, M. Loisy a 
modifie profondement ses vues touchant les origines chretiennes. Mais la 
part la plus etudiee et la plus infiuente de son oeuvre exSgetique, ses vastes 
commentaires des annees 1900-1910, est dorainee par I'hypothese escha- 
tologique. 



294 JESUS CHRIST. 

la clef de 1'attitude du Maitre en face des autorites palesti- 
niennes, des ndcessites de la vie, des devoirs individuels et 
sociaux, il n'y avait qu'un pas, que les eschatologistes con- 
sequents (j'emprunte ce mot an. plus brillant d'entre eux, 
Albert Schweitzer) ont franchi. Dans leur hypothese, les 
predictions que nous venons de transcrire sont a prendre au 
sens le plus cru, a la lettre et sans glose. Jesus aurait 
enseigne que la fin du monde, indissolublement associe'e par 
eux a 1'avenement du Regne de Dieu, etait prochaine, a 
portee de vue. Du jour et de 1'heure exacts, il aurait avoue 
ne rien savoir, mais pour maintenir avec une inflexible obsti- 
nation qu'une generation d'hommes ne passerait pas avant 
que tout ne fut accompli. A considerer les choses histori- 
quement, ajoutent ces critiques, Je"sus s'est trompe. Reli- 
gieusement, iV ne s'est pas trompe" ajoutent quelques-uns, 
dont Schweitzer. Gar le monde present n'est pour I'homme 
religieux qu'un lieu de passage, un moment fugitif, une 
simple transition : le non oppose par Jesus a ce monde ephe- 
mere est au fond plus veritable que le oui d'un naturalisme 
beat et lourdement materiel 1 ! 

Sans donner dans ces exces, nombre d'exegetes, trop desi- 
reux d'eluder les difficultes, recourent a des explications qui 
sauvegardent sans doute la veracite et la prescience infaillible 
du Christ, mais aux depens du caractere historique des 
textes transcrits ci-dessus (en particulier du groupe 4, le 
plus considerable). Us voient dans ces discours une sorte de 
conglomerat, forme de fragments apocalyptiques preexistants, 
et de paroles authentiques du Maitre. Ges paroles auraient 
ete, en bien des cas, biaisees jusqu'a donner une perspective 
proprementerroneepar la persuasion ou etaientles redacteurs 
evangeliques de l'imminence de la fin. De tres nombreux 
critiques, protestants ou anglicans, se sont naguere avances 
dans cette voie 2 ou les achemine la presence de citations pro- 

1. Alb. Schweitzer, Geschichte der Leben-Jesu-Forschung, Tiibingen, 
1913, ch. xxi et xxv. 

2. On a reconstitue, avec plus ou moins d'ingeniosite, la petite apo- 
calypse juive, qui aurait servi de trame aux paroles authentiques de 
Jesus. Un des essais les plus recents est celui de R. H. Charles, qui attri- 
bue au document insere les versets7-8, 14-20, 24-27, 30, 31, du ch. xm de 



JESUS PROPHETE. 295 

phetiques ou apocalyptiques anterieures, dans les discours 
eschatologiques de Je"sus. 

L'exegese traditionnelle repousse avec raison une simpli- 
fication dont 1'antiquite chretienne ne s'est jamais a vise e, 
encore "qu'elle ait senti la difficulte creee par les textes, tels 
qu'ils nous ont ete transmis. G'est dans une intelligence plus 
reelle de ces me'mes textes que nous chercherons, a notre 
tour, la solution d'un probleme dont la gravite n'est ni a 
contester, ni a exagerer, et que le recul des eschatolo- 
gistes permet d'aborder desormais en toute serenite. 

Le genre litteraire des Textes. 

Tous les passages que nous avons cites appartiennent au 
genre prophetique, dont ils adoptent la perspective tres par- 
ticuliere 1 . Mais encore ils ressortissent, dans ce genre, a la 
variete la plus haute en couleur : 1'apocalyptique. Pour de- 
crire ces phases critiques de 1'histoire du Royaume de Dieu, 
durant lesquelles, a la maniere d'une femme en travail, une 
ere en s'achevant met laborieusement au jour, dans le sang et 
les pleurs, un age nouveau, les prophetes ont use d'un style a 
part. Leur langue, deja si riche en images hardies, s'eleve 
et se tend pour s'egaler au jugement de Dieu de ces der- 
niers jours : fin d'un regime, fin d'une cite ou d'un empire, 
fin d'une civilisation, fin d'un monde. Deja les grands Voyants 
d'avant 1'Exil avaient employe dans la peinture de catastro- 
phes prochaines, circonscrites du point de vue de Sirius mais 
immenses pour Israel, des expressions d'une ampleur decon- 
certante. La defaite d'Edom ou d'une armee egyptienne, la 
ruine de Babylone, et moins encore, mettent en branle le ciel 
et la terre, dans des images qui anticipent celles que Jesus 
employa : 

Voici le jour de lahve qui vient, 

cruel, avec colere et fureur ardente, 
Pour changer la terre en desert, 

pour y exterminer les pecheurs. 

saint Marc, et leurs paralleles dans Matthieu et Luc. The Revelation of 
S. John, Edinburgh, 1920, 1, p. 158 suiv. 
1. Voir sur cette perspective ce qui est dit plus haut, tome II, p. 252. 



296 JESUS CHRIST. 

Les astres des cieux et leurs constellations 

ne feront plus briller leur lumiere ; 
Le soleil s'obscurcira a son lever 

et la lime ne fera plus luire sa lumiere... 

Je rendrai les homines plus pares que Tor fin, 
plus rares que le metal d'Ophir. 

\ 

C'est pourquoi j'ebranlerai les cieux; 

la terre tremblera et sera secouce, 
Par la colere de lahve des armees 

au jour de sa colere ardeate,- 4 .. 

Episodique chez les anciens prophetes et confin^ dans cer- 
taines parties de leur ceuvre, le style d'apocalypse devient 
habitue! dans les ouvrages posterieurs qui se donnent pour 
tache de relever les coeurs en appelant, d'un present sombre 
et parfois tragique, aux revanches, aux reparations, aux ven- 
geances divines. Ges livres, auxquels les propheties de Da- 
niel fournirent un modele, allerent se multipliant durant les 
deux siecles ant^rieurs a notre ere. Aux images tirees des 
perturbations cosmiques et des convulsions du monde, s'ajou- 
terent, bien plus frequemment qu'autrefois, des traits em- 
pruntes aux anciennes legendes : puissances celestes (soleil, 
lune,planetes) personnifiees, monstres composites ou stylises, 
allegories laborieuses 2 . Relativement sobres dans les Ecri- 
tures inspirees, ces symboles s'affranchissent de toute mesure, 
et parfois de toute vraisemblance, dans Fapocalyptique contem- 
poraine du Seigneur, ou de peu anterieure a sa venue. La 
prophetie de Daniel elle-meme, dans ses parties principales, 
offre un ensemble de visions allegoriques, d'une interpreta- 
tion tres delicate. 



1. Isai'e, xnr, 9-10, 12-13; tr. Condamin. II s'agit d'un oracle concer- 
nant la prise de Babylone. Dans le meme sens on pourrait citer Isai'e, 
xxxiv ; Ezechiel, xxxu ; Joel, 11, etc. 

2. Dans son Apocalypse, Paris, 1921, le R. P. E. B. Allo a reuni les 
principaux traits : Essai de synthese de la tradition apocalyptique, p. xxxvi- 
XLVI. Pour se rendre compte de 1'etendue de ces emprunts et de 1'extreme 
complication des recherches que leur etude precise exige, on consultera 
la belle etude des PP. Dhorme et Vincent, sur les Kirubi assyriens: dans 
RB, 1926, p. 328-358, 481-495. 



JESUS PROPHETE 297 

Ces remarques nous avertissent de ne pas traiter les pre- 
dictions ecrites en oe style corame si elles etaient de 1'histoire 
redige'e simpleinent au futur. La nature des choses de"crites> 
pre"te deja a d'apparentes incoherences. A travers les phases 
qui se succedent, un ordre nouveau surgissant des ruines- 
de 1'ancien, c'est, en effet, un me'me plan divin qui se pour- 
suit, a Fachevement duquel sont ordonnees destructions et 
renaissances. Les termes recus pour designer le dessein 
dans son amplitude, ou les tournants principaux de son his-r 
toire, renvoient done necessairement a des faits successifs, 
bien qu'en progression et en connexion intime. Ainsi, dans un 
de nos textes, et des plus pressants, celui qui amene la 
comparaison du figuier, Jesus declare qu'a la vue de certains- 
signes ses disciples sauront que : le Regne de Dieu est 
proche* . Or, d'apres le me'me evangeliste, le Maitre avait. 
dit auparavant, a mainte reprise, que le Regne de Dieu 
etait pre'che' publiquement depuis Jean Baptiste ; que- 
assurement il etait parvenu jusqu'a ceux qui 1'ecoutaient ; 
et qu'il etait parmi eux 2 . Ge rapprochement nous invite a 
une interpretation prudente : dans un sens veritable le Regne 
de Dieu avait ete inaugure non pas meme dans sa realite r 
mais dans sa phase decisive par la predication de Jean - T 
il existait au milieu de la generation qui pouvait en apprendre 
les mysteres des levres du Sauveur. Mais dans un autre 
sens, plus complet, sinon plus vrai, nous 1'attendons encore : 
jusqu'a ce qu'il soit consomme, ou peut dire que tout reste a 
faire. De cette consommation elle-me'me, encore future quant 
au grand corps des elus, mainte parabole, mainte prescrip- 
tion evangelique parle comme d'un fait acquis, ou prochain. 
G'est qu'il est alors question d'une personne particuliere, ou 
d'une generation d'hommes : ce sont la points de vue comple- 
mentaires, non contradictoires 

S'agit-il maintenant de cette haute modalite du Regne de Dieu. 
qu'est le final av&nement du Fits de. I'homme. l&parousie, 
le four, le retour en puissance, la gloire du Christ Jesus ? 
Elle comporte, comme le plan divin lui-me'me qu'elle acheve 



1. 'EY^U; la-ccv T] pauiXet'a -cou 6eou. Lc., XXI, 31. 

2. Lc., xvi, 16; xi, 20; xvn, 21. 



298 JESUS CHRIST. 

'*v 

et couronne, des avancees successives. De son vivant, le 
Maitre se presente, au t^moignage de saint Jean, a la fois 
comme glorifie, et comme attendant encore sa glorification 1 . 
L'aube d'un beau jour n'est pas son midi, mais deja la lumiere 
brille. Pendant la vie humaine de Jesus s'opera, au contact 
de sa personne et de sa parole, un premier depart, un pre- 
mier jugement. Et nonobstant Finfidelite des dirigeants et 
I'instabilit6 des masses, il suffisait, pour que le Fils de Thomme 
e dit a bon droit glorifie, de cette poignee de disciples 
croyant en lui, derriere lesquels il voyait ceux qui, par eux, 
croiraient un jour. 

Plus grande sans comparaison, et justifiant des expressions 
plus fortes, fut la glorification de Jesus aux yeux de la gene- 
ration qui le condamna. Le dernier jugement et le retour en 
puissance eurent, a cette heure privilegiee, une premiere 
realisation, image et arrhes de 1'heritage 2 messianique 
complet. Le peuple juif, 1'Israel de la chair, considere comme 
une personnalite morale et un tout, etant alors juge et 
convaincu, 1'execution de la sentence, ruine de Jerusalem et 
dispersion du peuple, fut precedee de tels signes et poussee 
.a un tel point de rigueur que les hommes de ce temps durent 
j voir la repetition et le premier acte des grandes assises 
finales, la fin d'un monde avant la fin du monde. Cette oeuvre 
de justice s'accompagna pour le Fils de rhomme, dont le 
-nom au-dessus de tout nom fut alors pr6che aux Gentils 
<et confesse par beaucoup, venus d'Orient et d'Occident , 
d'une glorification qui 1'assit sur le tr6ne celeste, aux cotes de 
la puissance de lahve. Ainsi le virent, au temoignage de saint 
Paul 3 , les premiers chretiens qui exaltaient dans leur hymne 
. le grand mystere de leur culte pieux , Jesus 

1. Jo., xui, 31 : Jesus dit : Maintenant le Fils de 1'hoinme a ete 
glorifie et Dieu a ete glorifie en lui ; et Jo., XVH, 1 : Pere, 1'heure est 
venue : glorifie ton Fils, afin que le Fils te glorifie. 

2. Ephes., /, 14. 

3. I Tim., in, 16. Le fcStxatoSOr) Iv nveijiaTi du second membre de 1'hymne 
a une valeur religieuse, qui place la personne de J6sus dans 1'ordre pro- 
prement divin, sans insinuer pour autant que ce soit la le resultat d'une 
* divinisation , comme le voudrait M. Dibelius dans le Handbuch zum N. 
T. de Lietzmann, in locum, III, 2, 1913, p. 165. On sait que ce beau frag- 



JESUS PROPHETS. 299 

Manifest^ dans la chair, 
Proclame Saint dans 1'esprit, 
Contemple par les Anges, 
Pre"che parmi les Nations, 
Cru dans le monde, 
Enleve dans la gloire. 

Si eclatant qu'ait ete ce jour du Seigneur , il n'est ce- 
pendant que 1'amorce et 1'aurore du retour ultime. Alors, ce 
ne sera plus le seul Israel qui serareuni et juge, ce ne seront 
plus les seuls fideles prdvenus par la grace qui rendront 
gloire au Fils de 1'homme; 1'Evangile ayant ete preche a 
toute nation , la responsabilite humaine aura porte ses fruits, 
et tous ceux qui, dans 1'ordre spirituel, peuvent e"tre consi- 
deres comme adultes, auront pris parti. Alors s'accomplira, a 
la face du Christ Roi, Redempteur et Juge, le formidable 
partage qui ne comportera plus de reunion; alors sera pro- 
noncee la sentence que nul ne revisera. Alors retentira le 
cantique de la fin : 

A Cclui qui est assis sur le trone, et a 1'Agneau, 
la benediction et 1'honneur et la gloire et la puissance 
dans tous les siecles des siecles * . 

Exegese sommaire des Textes. 

Si nous revenons aux textes, apres nous e"tre mis en etat 
de les mieux entendre, nous verrons que tous se rapportent, 
dans une mesure qui reste a determiner, au double avene- 
ment, ou plut6t a la double phase de 1'unique avenement du 
Fils de I'homme. Nous employons ce dernier terme a dessein, 

ment a son pendant dans la finale de I'Ode 19 de Salomon, 9-10, ou il est 
chante de la Vierge Mere que : 

Elle enfanta son Fils comme homme, de son fonds, 

elle 1'enfanta en exemple ; 

elle le posseda en grande puissance, 

et le ch6rit en vigilance salutaire; 

elle le garda en suavit6, 

et le manifesta en grandeur. 

Le premier stique est Equivoque dans le syriaque. Gressmann retraduit 
en grec : 6; ^vOpwrcov ETextv Sxouua; Batiffol : tJ)g ocvOpwjtov !y!vvY|aev Ix OeXTfjiaTog. 
On peut traduire : < De son plein gre ; de sa propre volonte. L'id6e 
suggeree semble plus naturelle. 

1. Apoc., v, 136. 



300 JESUS CHRIST. 

parce qu'il donne sa tonalite et communique quelque chose 
de son mystere a tout cet ensemble prophetique. L'usage 
constant qu'en fait Jesus en cette matiere avertit que nous- 
entrons la dans le domaine, inaccessible aux vues humaines, 
que le Pere s'est reserve. Bien plus, dans cet inconnu s'en- 
veloppe d'une obscurite plus profonde un point qui est pro- 
prement le secret du Roi, ignore des Anges, etranger au Fils 
lui-meme, pour autant que sa science est communicable. 

Quant a ce jour-la, et a 1'heure, 

nul ne les connait, 
Ni les anges dans le ciel, ni le Fils, 

hormis le Pere seul. 

Cette incertitude permanente est un motif de vigilance, 
d'autant plus pressant et universel que des paraboles 1 eten- 
dent 1'ignorance du jour et de 1'heure, avec ses lecons nor- 
males, a toute mort humaine, anticipation secrete du juge- 
ment dernier, apres laquelle, observe justement le cardinal 
Billot, ne reste plus que la publication, la mise au grand jour 
de la sentence, reservee a la Parousie visible et eclatante de 
la fin des temps 2 . Ge point de vue, pour important qu'il soit, 
etant laisse presentement de c6te, il reste que les cinq 
groupes de textes apocalyptiques transcrits plus haut vont 
tous a ouvrir dans la nuit de 1'avenir des percees lumineuses 
qui aideront les disciples de Jesus a surmonter le scandale 
des epreuves supre'mes. Tout se rapporte, soit aux temps 
troubles qui precederont, puis verront la premiere glorifica- 
tion, parfcielle et terrestre, du Fils de I'homme; soit a son 
retour definitif, a la consommation du siecle. 

Conformement a 1'unite du dessein divin et a la perspec- 
tive prophetique, les deux evenements sont vus dans le pro- 
longement 1'un de 1'autre, et decrits dans des termes egale- 
ment empruntes au langage classique des apocalypses. 
L'inegalite flagrante de leur etendue et la diversite de leurs 
circonstances n'apparaissent done que tres estompees. Leur 
independance elle-m^me est rendue moins visible, par suite 
de la condition litteraire des textes 3 . 

1. Mt , xxiv, 45-51 ; xxv, 1-13; xxv, 14-30 et parall. 

2. L. Billot, La Parousie, Paris, 1920, p. 206 suiv. 

3. Voir infra, p. 457, la note F a : Cette ge'ne'ration ne passera pas... 



JESUS PROPHETE. 301 

Apres ce que nous avons dit, la premiere de ces difficulty's 
semblera sans doute moins considerable. Elle s'evanouira 
tout a fait si nous nous rendons re"elle 1'importance donnee 
constamment, dans 1'Evangile, a la generation apostolique. 
G'est qu'aussi bien la se de"cida le sort de la divine semence ; 
la emergea des tenebres la lumiere indefectible ; la fut 
pose"e, par la confession de la seigneurie de Jesus, la pierre 
de fondement de la religion chretienne. Et ce fait immense, 
qui realisait 1'esperance immemoriale d'lsraSl, s'accomplit par 
le renversement le plus complet de 1'attente et des previsions 
juives de ce temps. Dans toute 1'apocalyptique contempo- 
raine, Jerusalem est en effet le centre de la glorification 
messianique, et la race d'Abraham au sens le plus charnel du 
mot en est le premier, parfois le seul be^neficiaire. Entendues 
a la lettre, les grandes propheties du Livre d'lsaie autori- 
.saient, semblaient imposer ces vues : Jerusalem, 

Debout! sois radieuse! car ta lumiere se leve, 
de la gloire de lahve" c'est pour toi 1'aurore, 

Tandis que les tenebres s'etendent sur la terre 
et 1'ombre sur les peuples. 

Voici sur toi 1'aurore de lalive, 

et sa gloire sur toi se manifesto ; 
Et les nations marchent a ta lumiere, 

les rois aux clartes de ton aurore... 

Les fils de 1'etranger rebdtiront tes murs, 

leiirs rois seront tes serviteurs ; 
Car dans ma colere je t'ai frappee, 

et dans ma clemence j'ai prie pour toi... 

Vers toi viendront, humilies, les fils de tes tyrans; 

a tes pieds se prosterneront ceux qui t'ont honnie. 
Us t'appelleront la Cite de lahve, 

la Sion du Saint d'Israel. 

D'abandonnee que tu etais, 

haie et detestee, 
Je vais faire de toi un miracle e*ternel, 

les delices des siecles. 

Tu suceras le laitdes nations, 

tu suceras la mamelle des rois... 
Tes murs on les appelera Salut , 

et tes portes Gloire . 

Isa'ie, LX, 1-3, 10, 15, 16, 18. Tr. Condamin. 



302 JESUS CHRIST. 

G'est centre une interpretation trop mate'rielle, dont nous 
ne pouvons plus mesurer la force mais qui enivrait les con- 
temporains du Seigneur, que Je"sus s'elevait. En la contredi- 
sant, il les touchait tous a la prunelle de 1'oeil. Quand, avec 
une autorite sure d'elle-m^me, il montrait, non dansun avenir 
illimite', mais dans les limites d'une generation d'homme, Je- 
rusalem entouree, le Temple en ruines, 1'abomination des 
idoles au lieu Saint, la Synagogue repudiee, 1'Israel de chair 
remplace" par un peuple nouveau venu des quatre vents, cette 
prodigieuse revolution tout cela, Tcavra Tauta frappait de 
stupeur ceux qui 1'ecoutaient, et d'abord ses disciples. II 
nous est aise, maintenant que le dessein providentiel a suivi 
son cours, de nous abstraire de cette vision d'epouvante et 
de ce scandale : alors, elle barrait tout 1'horizon; et de cette 
impression comment s'e'tonner que nos documents portent 
trace? 

11s portent trace aussi d'une autre impression : 1'incertitude 
ou se trouvaient les evangelistes touchant le second avene- 
ment. Suivrait-il le premier? Serait-il le dernier et fulgurant 
episode de la grande calamite? Plusieurs pouvaient s'imagi- 
ner ainsi la suite des evenements; car beaucoup de Juifs 
fideles ne concevaient pas que le monde put durer apres une 
catastrophe pareille, survivre a la ruine et a I'e'parpillement 
d' Israel. Des chre"tiens, Romains ou romanises, ne penserent- 
ils pas de me"me, quatre siecles plus tard, et ne virent-ils 
pas, dans 1'effondrement de 1'Empire qui etait pour eux 1'ar- 
mature mehne de la civilisation, le prodrome immediat de la fin *? 



1. On salt comment cette idee s'exprima au v e siecle, provoquant les 
reponses de saint Augustin, d'Orose, de Salvien. Saint Augustin est revenu 
plusieurs fois sur les propheties eschatologiques du Christ, en particulier 
dans ses Lettres, dont Tune ou 1'autre, sur ce sujet, a 1'etendue d'un 
m6moire. II y explique les textes au sens le plus johannique, d^passant 
meme son maitre en matiere de spiritualisation. Pour lui, les traits apo- 
calyptiques les plus forts s'expliquent de la venue premiere du Christ, de 
son avenement dans les ames et le monde pai'en. Voir les Lettres 196-199 
surtout 1'immense Epitre 199 a Hesychius, CV, Epislulae, IV, p. 243-293. 
Quelques exegetes modernes, entre autres M8 r E. Le Camus, ont repris sur 
ce point, en les poussant a bout, les idees augustiniennes, ou il y a une 
ame importante de verite, que nous avons tache de faire passer dans 
notre essai d'ex6g6se. 



JESUS PROPHETE. 303 

II ne pouvait s'agir que d'une impression, car apres 1'aver- 
tissement final de Jesus, reprenant sous une forme directe la 
grande parole de 1'ignorance du jour et de 1'heure : II ne 
vous appartient pas de connaitre les temps et les moments 
que le Pere a fixes de son autorite propre l , il est clair que les- 
redacteurs n'ont pu se prononcer la-dessus, ou mettre sur les 
levres du Maitre des precisions qui eussent contredit son en- 
seignement formel. Reste qu'en rapportant, soit dans le con- 
texte qui les avait amenees, soit en les groupant autour de 
themes analogues, les paroles du Seigneur, les auteurs de- 
nos evangiles les ont disposees dans un certain ordre. Res- 
sort-il de cette disposition, qu'ils voyaient pour leur compte 
le second avenement suivant le premier, ou se"pare de lui par 
une transition breve? On ne peut, croyons-nous, en partant 
des seuls textes, donner a cette question une reponse absolu- 
ment certaine ; nous constatons d'ailleurs que les critiques- 
modernesquilatranchent par raffirmative sont obliges de pren- 
dre avec les documents et les vraisemblances, des libertes- 
fort peu scientifiques. 

Quoi qu'il en soit des vues particulieres des redacteurs 
evangeliques, le contenu de leurs ecrits non seulement 
souffre, mais suggere imperieusement une distinction tres- 
nette entre le jugement de Dieu, promis a la generation pre- 
sente et culminant dans la ruine de Jerusalem, et le Jugement- 
final, qui constitue par excellence la Parousie du Fils de= 
rhomme. Si done des indices positifs et concordants tire's de 
ces monies textes et du reste de 1'Evangile, nous amenent a 
postuler, entre les deux avenements, un laps de temps consi- 
derable, pratiquement indefini, notre interpretation ne fera 
aucune violence aux pieces que nous avons transcrites. Tout 
au plus nous faudra-t-il resister a un premier mouvement r 

1. Actes, i, Ib. Sur le sens precis de 1'expression, 1'explication de saint 
Augustin, Epist. 197, 2, parait encore la meilleure : xP^ v s marque le v 
temps lui-meme, le laps, les periodes d'annees ; xaipoj, les temps, propre- 
ou impropre a certaines institutions humaines, qui reviennent periodi- 
quement, telles que la moisson ou les vendanges. Voir E. Jacquier, Le& 
Actes des Apdtres, Paris, 1926, p. 16. 

Au don de lumiere sur le temps de 1' etablissement du Royaume ^ 
qui leur est refuse^ Jesus oppose le don de force, pour rendre temoignage 
de leur foi, qui est accorde aux Apdtres. 



304 jtisus CHRIST. 

provoque* dans noire esprit moins par les paroles du Christ 
que par la suite etla juxtaposition de certaines de ces paroles, 
Ges remarques ne valent d'ailleurs que pour le grand dis- 
cours apocalyptique, les autres predictions (groupes 1, 2, 
3, 5) s'appKquant sans conteste au premier avenement de 
Jesus. 

Plusieurs de ceux qui cheminaient avec lui sur la piste 
inenant a Cesare'e de Philippe, ne gouterent pas de la mort 
.avant d'avoir vu la gloire du Fils de 1'homme, venant en puis- 
sance . Non seulement, en effet, Pierre, Jacques et Jean 
allaient assister a la Transfiguration, premices lumineuses de 
la gloire future : ils furent encore les tdmoins du premier 
triomphe de Je"sus. Tous participerent a 1'effusion spirituelle 
de la Pentec6te. Un d'entre eux, avec d'autres disciples du 
cercle apostolique, vit s'accomplir de son vivant, en y prenant 
une part active, le drame inoui qui ruina, sans qu'il en de- 
meurat pierre sur pierre, le Temple de lahve", et a Israel 
disperse substitua, sous le signe du Fils de 1'homme, un peu* 
pie nouveau, comble des dons merveilleux de 1'Esprit. 

Gloire pour le Maltre, mais pour ses disciples persecutions. 
Heureusement, celles-ci, pre*vues et predites, auront unterme 
relativement prochain. Ils n'auront point acheve le tour 
des cites d'Israe'l , avant 1'avenement du Fils de rhomme,. 
mettant fin, une fois pour toutes, a ce qui pouvait rester de 
cohe'sion visible, d'autonomie et de pouvoirs judiciaires chez 
ses ennemis. Geux qui avaient abuse contre lui de ces pou- 
voirs, le Sanhe'drin preside par Joseph Gaiphe et inspire par 
Hanan, les sycophantes qui avaient crie' au blaspheme quand 
Jesus s'etait dit Messie et Fils de Dieu, ces me'mes hommes 
pris d'ensemble virent de leurs yeux, et subirent en coiipa- 
bles, la rigueur du premier jugement. Ils virent Je"sus associe 
-a la puissance, apparemment incommunicable, de lahve. Ils 
le virent place par 1'adoration des fideles au-dessus des anges 
et de la Loi, assis a la droite du Pere . Ils virent 1'edifice 
spirituel de la communaute monte sur la pierre rejete'e par 
eux, et contre laquelle leur orgueil charnel s'etait brise*. 

Sur leur generation enfin retomba le sang verse par leurs 
peres, depuis celui d'Abel le Juste jusqu'a celui de Zacha- 
rie, fils de Barachie, immole entre le Temple etl'autel. En 



JESUS PROPHETE. 305 

verite le prix du sang innocent leur, a ete redemande, en quel 
appareil de terreur et de justice ! 

Oui, tout cela qu'on veuille bien npfcer ces mots qui 
sent dans saint Matthieu 1 est venu sur cette generation . 



LE DISCOURS ESCHATOLOGTQUE 

Dans le groupe de predictions qui restent a expliquer, il 
convient de distinguer parmi les textes qui les rapprochent, 
et a travers la similitude des images apocalyptiques qui leur 
sont consacrees 2 , deux avenements du Christ. Des traits con- 
siderables, caracteristiques, les opposent en effet nettement. 

La premiere venue en puissance est annoncee par des 
signes qui la rendent, en gros, previsible. Avant son de- 
nouement, la fuite est possible, conseillee meme par le Sei- 
gneur 3 . L'on veillera done; Ton se tiendra pr6t; malheur a 
qui serait pris dans le remous des legions romaines, encerclant 
la Ville divise*e centre elle-mSnae . et terrorisee par des ban- 
dits! Deux series d'indices avant-coureurs sont enume'rees, 
d'une faon concordante, par nos trois evangelistes 4 : com- 
mencement des douleurs , seduction des faux prophetes et 
des faux messies, persecutions dans lesquelles la puissance 
de la Synagogue s'exerce encore, mentionnee a c6te des tri- 
bunaux de la Gentilite. Puis, a Tissue de ces temps de de- 
tresse , le trait qui resume et passe tous les autres : 1'abo- 
mination de la desolation predite par Daniel le Prophete ; 
c'est-a-dire le culte idolatrique installe, sous une forme visi- 
ble, dansle Lieu saint, consommant et, pour ainsi dire, consa- 
crant sa profanation 5 . Gette generation ne passera pas avant 
que tout ceci n'arrive 6 . 

Apres quoi, Jerusalem sera foulee aux pieds par les Na- 

1. Mt., xxin, 36. 

2. Voir ci-dessous, p. 457, la note F 2 : Cetle generation ne passera pas. 

3. Eusebe, HE, III, 5, 3; saint Epiphane, Liber de Mensuris, 15, MG, XLM, 
-col. 261 ; coll. de Haer., 29, 7. 

4. Mt, xxiv, 4-12; 15-28; Me., xm, 5-13; 19-23; Lc., xxi, 8-19; 20-24. 

5. Mt, xxiv, 15; Me., xnr, 14; Lc., xxi, 20, ou la desolation est trans- 
mte pour des lecteurs pa'iens. 

6. Mt., xxiv, 34; Me., xm, 30; Lc., xxi, 32. Sur ce texte, voir la note F 2 . 

JESUS CHRIST. II. 20 



306 JESUS CHRIST. 

tions, jusqu'a I'accomplissement du temps des Nations 1 . 
Temps indetermine, mais manifestement long, comme 1'oeuvre 
m6me qui doit s'y accomplir : et cet evangile du Royaume 
sera pre'che dans tout 1'univ.ers en temoignage a toutes les 
nations, et alors viendra la fin 2 . Et il faut premierement 
que dans toutes les nations 1'Evangile soit pre'che 3 . Or la 
predication du Royaume de Dieu sur terre ne s'accomplira pas 
soudainement, a la maniere d'un coup de theatre. Elle sera, 
nous 1'avons vu, lente, laborieuse, progressive, son allure 
etant calculee sur celle des instruments humains qu'elle em- 
ploiera. On la compare a la croissance d'un arbre, a la con- 
tagion d'un levain. On nous montre un champ, ou 1'ivraie s'in- 
troduit, croit avec des fortunes diverses, pe'le-me'le avec le 
froment, jusqu'au temps de la moisson; une pe"che, ou la dra- 
gue infatigable ramene tout, bons et mauvais poissons, jus- 
qu'au soir ou s'opere le tri de la prise de la journee 4 . 

Gombien different 1'avenement final! Precede, lui aussi, par 
une crise decrite dans le style apocalyptique le plus fort 5 , il 
sera foudroyant, et absolument general. L'autre permettait 
une fuite in extremis, ce qui suppose une realisation succes- 
sive dans le temps, et partielle dans 1'espace. Au dela du 
centre du cyclone, on entrevoit des zones maniables; loin de 
Jerusalem et de ses environs, il existe des lieux d'abri, des t> 
refuges ou le fleau ne parviendra pas. La parousie finale, elle r 
est universelle, absolument soudaine : comme un coup de 
foudre 6 . II serait done vain de chercher a le fuir. G'est un. 
filet qui s'abat 7 . Et, de la premiere aussi, on aurait pu l& 

1. Lc., xxr, 246; Zacharie, xn, 3 (LXX); Isai'e, LXIJI, 18; Psaume LXXIX 
(Vulg. LXXVIII), 1 ; Daniel, vm, 13. 

2. Mt. ; xxiv, 14. 

3. Me., XIH, 10. 

4. Mt., XIH, 24 suiv. ; 36 suiv. ; 47 suiv. 

5. Mt., xxiv, 29-31 ; Me., xin, 24-27; Lc., xxr, 25-28. 

6. "Qanep Y) afftpanTJ. Mt., XXIV, 27 ; Lc., XVII, 24. 
Tons deux citent aussi le dicton : 

Ou que soit le corps, 

la s'assembleront les aigles , 

pour marquer la force imp6rieuse, ineluctable comme un instinct, qui 
reunira les homines devant le tribunal du Fils de 1'homme. 

7. Lc., xxi, 35. 



JESUS PROPHETE. 307 

dire; mais tandis qu'alors 1'epervier ne retenait dans ses 
mailles que la Cite sainte et la vaste population qui s'y etait 
entassee, le coup de filet s'etendra, cette fois, a tous ceux 
qui sont assis sur la face de la terre . On ne pourra pas 
plus 1'eviter que les contemporains de Noe ne purent se 
soustraire au deluge. II s'agira done, non d'echapper au filet 
divin, mais d'etre tel qu'on soit juge de bonne prise pour le 
Royaume, et digne de se tenir debout devant le Fils de 
1'homme 1 . 

Gelui-ci apparaitra, en effet, dans son appareil de Juge 
supreme, et toutes les nations seront reunies en face de 
lui, et il les separera les unes des autres, comme le berger 
separe les brebis des boucs 2 . 

L'heure et le jour , indetermines pour le premier ave- 
nement, mais certainement compris dans les limites, relative- 
ment breves, d'une generation d'hommes, sont, pour le second, 
totalement imprevisibles. G'est le grand mystere : 

Quant a ce jour-la et a 1'heure 

nul ne les connait : 
ni les anges des cieux, ni le Fils . 

hormis le Pere seul 3 . 

Tout indique pourtant qu'ils se feront attendre : et le 
temps des nations suffisant a I'evangelisation universelle ; 
et les paraboles de vigilance, qui s'accordent a decrire comme 
tardif le retour du Maitre et de 1'Epoux 4 ; et la gravite" me 1 me 
de la formule employee par Jesus. Expliquer ces paroles, 
comme le font les eschatologistes , du jour precis, de 
1'heure exacte d'un avenement par ailleurs tres proche, c'est 
donner a cette declaration solennelle un sens etrique, misera- 
blement e"troit. Des critiques fort radicaux, comme H. J. 
Holtzmann, 1'ont bien senti, et ce verset leur est suspect 
pour cette raison. Mais qui Peut invente? 

L'Evangile entier apporte, a cette interpretation qui leve 

1. Lc., xxi, 346-36. 

2. Mt., xxv, 32. 

3. Mt., xxiv, 36; Me., xnr, 32. 

4. Mt., xxiv, 45-51 : xpvtei H-" 6 xupto?, 486; xxv, 1-13 : x.povt'ovcos 81 TOU 
vu[icptou, 5a; xxv, 14-19 : (J-eTa 8s ^oXuv ^pdvov Ip^eTat 6 xiiptos, 19a; Lc., xn, 
45. 



308 JESUS CHRIST. 

toute difficulte de fond 1 , un appoint decisif. L'opinion de ceux 
qui nous representent Jesus domine par la preoccupation de 
la crise finale, determinement predite par lui comme immi- 
nente et succe"dant sans transition appreciable a la ruine de 
Jerusalem, n'est pas seulement indefendable en regard de 
1'ignorance professee par le Maitre touchant le jour et 1'heure 
de sa Parousie. Elle ne devient plausible que si Ton arrache, 
au prealable, les trois quarts des pages evangeliques. La vie 
intime que celles-ci nous revelent est au p61e oppose de 
1'attente fievreuse pre'tee a Jesus par nos adversaires. Est-il 
rien de plus oppose" que cette limpidite d'ame, cette maitrise 
de soi, cette condescendante et clairvoyante bonte, a 1'ardeur 
sombre d'un visionnaire hante par 1'approche d'un cataclysme 
universel? Est-il rien de pueril comme de borner a ce mur de 
flammes 1'horizon sans limites du Fils de 1'homme? Et puis, 
quelle apparence de faire tenir 1'oeuvre predite, ebauchee, 
eommencee, dans les quelques annees que pouvait se pr,o- 
mettre un monde agonisant? Loin d'etre un interim, un regle- 
ment de ville assiegee, la morale evangelique envisage la 
reforme durable de toute I'institution humaine, de la base 
au faite, et dans les conditions precaires et combattues d'ici- 
bas 2 . Comme ses fondations, les promesses du Christ embras- 
sent un avenir indefini, qu'elles engagent et dont elles repon- 
dent. Gonstruit-on une cite sur un sol qui tremble? l^gifere- 
t-on a la veille d'une revolution instante et sans lendemain? 
La grande faiblesse de 1'hypothese eschatologique, c'est 
1'etroitesse de son point de depart. Laborieux dechiffreurs 
d'apocalypses juives, des erudits retrouvent dans les prophe- 
ties de Jesus sur la fin des choses, quelques-unes des formules 
de ces vieux livres, et le reflet distinct d'images, d'ailleurs 
consacrees en cette matiere. Us connaissent d'autre part, et 
sont pr6ts a majorer les incertitudes, les esperances, Tattente 
inquiete de beaucoup des premiers Chretiens, escomptant le 
retour prochain du Fils de Fhomme, venant sur les nuees du 
ciel 3 . Aheurtes a ces traits, reels certes, et significatifs, mais 
concourant avec beaucoup d'autres, encore plus considerables, 

1. Sur le probleme Iitt6raire, voir la note F 2 , infra, p. 457. 

2. Voir ci-dessus, tome I, livre III, ch. 11, p. 380 suiv. 

3. Ci-dessus, t. II, p. 293, 302. 



JESUS PROPHETE. 309 

a former un ensemble oil tout s'explique et se tient, nos 
critiques shnplificateurs oublient le reste, ou, ce qui est pire, 
interpretent par la le reste. Nous avons vu plus haut un Leon 
Tolstoi', enivre des divins paradoxes du Discours sur la mon- 
tagne, les presser comme des textes legislatifs, jusqu'a en 
tirer un evangile de 1'anarchie, sublime et irreel. Semblable- 
ment, Schweitzer et ses emules ne veulent voir en Jesus que 
le prophete des Jugements de Dieu, preparant a une fin ine- 
vitable et imminente une terre condamnee... 

Le Christ veritable est plus grand; son enseignement, 
combien plus riche ! Nul n'a le droit de mutiler 1'Evangile en 
choisissant au noin de ses preferences ou competences per- 
sonnelles, une serie de textes auxquels les autres devraient, 
bon gre mal gre, se reduire. Encore moins peut-on pretexter 
de I'incompatibilite, dans 1'ame de Jesus, d'une suavite ravis- 
sante et d'une abnegation farouche. Moins superficielle, la 
psychologie nous apprend que des traits de caractere qui 
s'excluent chez les malingres, s'allient et s'exaltent mutuel- 
lement chez un heros. Des ardeurs de passion dont une seule 
devorerait nos vies mediocres, brulent ensemble un grand 
coeur sans le consumer. 

Pour denoncer le neant de ce qui doit passer, pour empe- 
cher ses disciples de succomber au scandale de la croix, 
la sienne et la leur, pour remettre a 1'echelle des biens et 
des maux eternels nos miseres et nos vanites, le Maitre a 
evoque, toutes proches et a portde de la main, selon 1'esprit 
et 1'usage des apocalypses, I'efficace des interventions divines 
et la terreur des jugements a venir. Ges images, si prenantes 
alors, et si impressionnantes pour les hommes de tous les 
temps, il les a deployees en prophete, dans une perspective 
intemporelle ou mille ans sont comme un jour ; de m^me 
qu'il s'etait jadis servi, en poete, centre le souci absorbant 
du confort, des comparaisons idylliques empruntees au prin- 
temps de Galilee. L'Apocalypse synoptique rejoint le Discours 
sur la montagne : ni celui-ci ne condamne la vie humaine, ni 
celle-la ne contredit ses conditions normales, mais toutes deux 
denoncent 1'erreur et le contresens dangereux, que commet- 
tent trop d'hommes sur le sens et la valeur de cette vie. Elle 
a son prix, et infiniment plus grand que ces esprits grossiers 



310 JESUS CHHIST. 

ne Timaginent, mais settlement si elle s'oriente a la vie 
eternelle. La tirer de cette perspective, la soustraire a Dieu, 
c'est la perdre, Pengager dans une impasse, Pacheminer vers 
cette tenebre exte"rieure ou sera le pleur et le grincement 
des dents , ou le ver ne ineurt pas, ou le feu ne s'eteint 
pas 1 . Entendues comme il faut, les paraboles de vigilance 
et les visions d'epouvante repetent, sur le ton qui convient aux 
transes et aux surprises des heures supremes de la vie 
humaine et du monde humain, la lecon que suggerait la 
simple beaute des lis des champs et des oiseaux du ciel : 
Gherchez avant tout le Royaume de Dieu et sa justice. 

Elles nous revelent en outre le sens vrai de la mission du 
Fils de Thomme et la dignite souveraine de sa personne. Et 
c'est, a ce propos, d'un triple avenement qu'il conviendrait 
de parler. Le premier, destine au cercle intime des disciples, 
consiste dans la resurrection dont la conviction, fomente'e par 
1'action illuminatrice de PEsprit de Dieu, exalta en eux, d'une 
fagon definitive, leur Maitre, et Passit a la droite du Pere. La 
grande tribulation de Jerusalem, et la predication victorieuse 
chez les Gentils, glorifia Jesus devant la generation entiere, 
amis et ennemis. Elle ouvrit du meme coup les temps des 
nations et annonca, dans une repetition formidable, Pave- 
nement qui consommera le siecle present en imperant 
d'autorite a tous, sans distinction de croyants ou d'incroyants, 
la glorieuse judicature du Fils de Phomme. 

G'est en ce sens que le disciple aime entre tous, au lende- 
main du premier avenement et instruit par Penseignement, 
longuement medite, de celui dont il avait contemple la 
gloire 2 , interpretait deja, dans son temoignage solennel 
et autorise, la predication de Jesus. Dans son evangile spi- 
rituel, Jean met en puissant relief ce qui, derriere les 
images apocalyptiques (qu'il connait et qu'il emploie), consti- 
tuait le fonds religieux des propheties eschatologiques. Pour 
lui, le jugement du Fils a deja commence de s'exercer : le 
Fils, pas plus que le Pere, ne cesse son travail divin 3 . 
La predication de Jesus est en effet, pour chaque homme 

1. Mt., vnr, 126; Me., ix, 48; Isai'e, LXVI, 24. 

2. Jo., i, 14. 

3. Jo., v, 17. 



JESUS PROPHETS. 311 

venant au monde, 1'occasion du choix decisif : mis en contact 
avec elle, chacun se juge soi-meme et, selon la qualite de 
ses oeuvres, vient a la lumiere ou se perd dans les tenebres. 
La sentence finale qui, au dernier jour, dans 1'eclat d'un appa- 
reil inoui, separera le troupeau humain en groupes irreduc- 
tibles, cette me'me sentence se prononce deja dans le secret 
du choix humain, semence de vie eternelle pour les uns, 
germe de mort pour les autres 1 . Gette option n'est pas le 
fruit d'un instinct spontane, aveugle, irreflechi : dans 
chaque elu capable de Tentendre, 1'appel du Pere se con- 
somme par un libre choix. Le temoignage des oeuvres, mer- 
veilles de saintete ou de puissance, le temoignage de 1'Es- 
prit, 1'exaltation du Fils de l'homme mort et ressuscite : 
autant de motifs de bien choisir, et qui rendent inexcusable 
celui qui choisit mal. Mise en demeure de se prononcer, la 
generation contemporaine de Jesus, dans la masse de ses 
representants officiels, a fait son choix, qui est mauvais. Elle 
n'a pas ete attiree par le Pere. Elle a prefere des intere'ts 
humains a la gloire de Dieu. Laissez-les faire, ils sont deja 
condamnes : sans doute le salut vient des Juifs ; en posant 
sa tente sur la terre d'Israel, le Verbe incarne est venu 
chez les siens . Mais 1'heure arrive que toutes les barrieres 
charnelles s'abaisseront devant les adorateurs en esprit et en 
verite; 1'heure est venue a laquelle Dieu se choisit, aux lieu 
et place de ceux qui se sont endurcis, des iils d'adoption, 
aussi nombreux que ceux qui ont rec.u le temoignage du Fils 
unique . L'evenement premier est ici montre dans ses resul- 
tats definitifs, acquis, lorsque Jean ecrivait, au soir de la 
generation primitive. L'adoption par toute 1'Eglise chretienne 
de 1'evangile johannique et de 1'interpretation qu'il donne sur 
ce point, tout en jetant un jour singulier sur 1'etat d'esprit 
des croyants a cette epoque, n'elude pas pour autant les 
paroles prophetiques rapportees par les Synoptiques. En 
approfondissant le cdte interieur et spirituel des predictions, 
Jean n'abolit pas les autres, et 1'influence des graves aver- 
tissements du Maitre n'a pas cesse de s'exercer. 



1. Jo., v, 21 suiv. 



312 JESUS CHRIST. 

Les me'mes devoirs de vigilance continuent de s'imposer 
dans 1'attente de la venue du Fils de I'homme de celle qui 
consommera sa gloire et le jugement du monde. L'accom- 
plissement eclatant des predictions concernant la ruine et la 
dispersion d'Israel, est un garant de la verite des autres. La 
realite du don prophetique de Jesus reste done, en tout ce 
qu'on peut verifier, au-dessus de toute contestation fondee. 

Alors Jesus Christ vient dire aux hommes qu'ils n'ont point 
d'autres ennemis qu'eux-m&mes, que ce sont leurs passions qui 
les separent de Dieu, qu'il vient pour les detruire et pour leur 
donner sa grace, afin de faire d'eux tous une Eglise sainte, qu'il 
vient ramener dans cette Eglise les pa'iens et les Juifs, qu'il vient 
detruire les idoles des uns et la superstition des autres. A cela 
s'opposent tous les hommes... Tout ce qu'il y a de plus grand sur 
la terre s'unit : les savants, les sages, les rois. Les uns ecrivent, 
les autres condamnent, les autres tuent. Et nonobstant toutes ces 
oppositions, ces gens simples etsans force resistent a toutes ces 
puissances et se soumettent meme ces rois, ces savants, ces sages, 
et 6 tent 1'idolatrie de toute la terre. E$ tout cela se fait par Id 
force qui I' avail predit *. 

1. Pascal, Pensees t sect. XII, ed. Brimschvicg. vnaior, 111, D. 225. 



CHAPITRE III 

LES MIRACLES DE JESUS 

Avant de s'en servir pour autoriser un prophete ou une 
doctrine, on doit naturellement s'assurer que les faits alle- 
gues comme miraculeux sont constants. Toute 1'Angleterre 
entendit parler, il y a un demi-siecle, de prodiges accomplis 
dans les loges occultistes qui professent, sous le nom de 
Nouvelle Thdosophie, un pantheisme emanatiste assez eclec- 
tique, emprunte surtout aux religions de PInde. Au recit des 
merveilles dont le sanctuaire d'Adyar, pres de Benares, etait 
le theatre, la Sociiti de Recherches psychiques de Londres r 
s'emut. Elle delegua sur place une commission composee 
d'observateurs rompus a ce genre d'enque"tes; un rapport 
detaille fut ensuite redige par M. R. Hodgson 1 . On peut le 
lire dans le Gompte rendu de la Societe : il conclut a 1'inanite 
pure et simple des faits pretendus. 

Me'me a le supposer reel, un miracle ne couvre pas d'ail- 
leurs indistinctement tout ce que croit ou pratique celui qui 
en est 1'instrument : le temoignage divin est toujours verita- 
ble, mais confirme exclusivement le point a Fappui duquel il 
est apporte 2 . G'est en ce sens que les theologiens catholiques- 
interpretent les favours merveilleuses accordees par Dieu. 
hors de la veritable Eglise, et jusque dans le monde pai'en 3 . 

1. Proceedings of the Society for psychical Research, London, d6cein- 
bre 1884: Report on Phaenomena connected with Theosophy, p. 200-401.. 
Sur la Nouvelle Theosophie, 1'expose, court et modeste, de M. S. G. Lane' 
Pox-Pitt, Theosophy (Oriental) dans la derniere edition de V Encyclopedia 
liritannica ia , XXVI, p. 789 suiv., donne Tessentiel. En francais, on peut 
consulter Rene Guenon, Le Thdosophisme, Paris, 1921 ; Th. Mainage, Les: 
Pr,ncipes de la Theosophie, Paris, 1922. 

2. Miracula semper sunt vera testimonia eius ad quod inducuntur r 
saint Thomas, Summa Theologica, 11 H ae , qu. CLXXVJII, art. 2, ad 3 lum . 

3. La-dessus, saint Augustin, De diversis Quaestion. LXXXI1I, qu. LXXJX, 

313 



314 JESUS CHRIST. 

G'est ainsi que ceux qui admettent la materialite des gueri- 
sons operees naguere par lepope Jean Serguief, aumoyen de 
1'eucharistie, n'en concluent nullement a la canonisation de 
1'orthodoxie russe professee par le Pere Jean de Cron- 
stadt 1 . 

II arrive enfin qu'on doive re"cuser, comme indignes de 
Dieu, des prodiges solidement attestes et lies manifestement 
au mouvement religieux qu'ils vont a autoriser. Par exemple-, 
les nierveilles dont se prevalurent les convulsionnaires janse"- 
histes a partir de 1730 environ, se produisaient dans une 
atmosphere malsaine, et s'accompagnaient de circonstances 
deraisonnables et indecentes 2 qui suffisaient a les disqua- 
lifier. 

D'un signe divin vraiment lisible, echappant a toutes ces 
fins de non-recevoir, la Bible nous offre un exemple excellent 
au premier livre des Rois : 

Et Elie dit : Par la vie de lahve dont je suis le serviteur, 
aujourd'hui en ve'rite je me pre'senterai a lui ! (Achab). 

Et Abdias alia trouver Achab et lui annon<ja la chose, et- Achab 
alia au-devantd' Elie. Et quand Achab vit Elie, Achab lui dit : 
Te voila donc^ 6 destructeur d'Israel ! II dit : Ce n'est pas moi 
qui ai detruit Israel, mais toi et ta famille en abandonnant les 
preceptes de lahve et en suivant les Baal. Mais maintenant fais- 
rnoi amener tout Israel au Mont Carmel avec les quatre cent cin- 
quante prophetes de Baal (et les quatre cents prophetes d'Achera) 
convives de Jezabel ! Et Achab envoya des gens parmi tous 
les Israelites rassembler les prophetes et les amener au Mont 
Carmel. 

EtElie s'approcha de tout le peuple et dit : Jusques a quand 
boiterez-vous sur deux opinions (bequilles ? jarrets ?) ; si c'est 
lahve qui est le (vrai) Dieu, suivez-le ! Et si c'est Baal, suivez le ! 

n. 4; ML, XL, col. 92; saint Thomas, De Potentia, qu. vi, art. 5, ad 5 et 
parall. ; et tous les traites s6rieux de theologie. J'ai repris la question 
dans le Sadhu Sundar Singh et le Probleme de la Saintete hors de I'Eglise, 
RSfi, XII, 1922, p. 17-29. 

1. Sur le Pere Jean de Cronstadt , et ses miracles, qui restent fort 
contestes, voir A. Staerck, dans la Preface de Ma Vie en Dieu, du Pere Jean, 
Paris s. d. (1905); UAmi du Clerge de 1900, p. 117-122; J. Poricky dans 
Slavorum Litlerae Theologicae, Prague, III, 1907, p. 69 suiv. ; les Echos 
d'Orient de 1906, p. 44 suiv., A. Retel; de 1913, p. 57-60, M. Jugie. 

2. Voir le memoire de M* r G. Waffelaert, Convulsionnaires, dans 
DAFC, I, col. 705-713. 



LES MIRACLES DE JESUS. 315 

Et ils ne lui re"pondirent rien. Et Elie dit au peuple : Je suis 
rest6 seul prophete de Iahve\ et les prophetes de Baal sont quatre 
cent cinquante. Qu'on nous donne deux taureaux, et qu'ils en 
choisissent un pour eux, qu'ils le depecent et qu'ils le mettent sur 
le bucher; mais ils ne doivent pas allumer de feu. Et moi j'ap- 
preterail'autre taureau et jele mettrai sur le bucher, maisje n'allu- 
merai pas de feu. Et vous invoquerez le nom de votre Dieu et moi 
j'invoquerai le nom de lahve", et c'est le dieu qui repondra par le 
feu qui sera le (vrai) Dieu. 

Et tout le peuple repondit : La chose est bonne. 

Et Elie dit aux prophetes de Baal : Choisissez-vous un taureau 
et appretez-le les premiers, puisque vous etes les plus nombreux, 
et invoquez le nom de votre dieu; mais vous n'allumerez pas de 
feu. Et ils prirent le taureau qu'on leur avait donne, et ils 1'ap- 
preterent, et ils invoque^ent le nom de Baal depuis le matin 
jusqu'a midi, disant : Baal! exauce-nous! Mais on n'enten- 
dait pas de voix et personne ne r6pondait; et ils se mirent a danser 
pres de 1'autel qu'ils avaient eleve. Et a midi Elie se prit a les 
railler et dit : Appelez plus fort, car c'est un dieu ! II est occupe 
(ouil est parti) ou il est en voyage; il dort peut-6tre, il faut le 
reVeiller! Et ils appelerent plus fort, et il se tailladerent 
selon leur coutume avec des epees et des lances, jusqu'a ce que le 
sang se repandit sur cux, et, midi passe, ils prophetiserent jusqu'a 
1' oblation du soir ; mais on n'entendait pas de voix, personne ne 
repondait, personne ne pretaitl'oreille. 

Et Elie dit a tout le peuple : Approchez-vous de moi ! Et tout 
le peuple s'approcha de lui. Et il re"para 1'autel de Iahv6 qu'on 
avait renverse. Et Elie prit douze pierres, conformement au nom- 
bre des fils de Jacob a qui Iahv4 avait dit : Israel sera ton nom. 
Et il disposa les douze pierres en autel au nom de Iahv6, et il 
fit un canal pouvant contenir a peu pres deux sea (mesures) de 
semence, tout autour de 1'autel. Et il disposa le bucher, et il depega 
le taureau et le mit sur le bucher. Et il dit : Remplissez quatre 
outres d'eau et versez-les sur 1'holocauste et sur le bucher (et ils 
firent ainsi), etildit : Faites-le une seconde fois , etilsle fircnt 
une seconde fois, et il dit : Faites-lc une troisieme fois , et ils le 
firent une troisieme fois. Et les eaux vinrenttout autou-r de 1'autel, 
et il remplit aussi le canal d'eau. 

Et au moment de Toffrande du soir, Elie le prophete s'approcha 
etdit: lahve, Dieu d' Abraham, d'Isaac etd'Israel, qu'il soit mani- 
festo aujourd'hui que tu es Dieu en Israel, et que je suis ton ser- 
viteur, et que sur ta parole j'ai fait tout cela. Exauce-moi, lahve, 
cxauee-moi, pour que ce peuple sache que toi, lahve, tu es le 
(vrai) Dieu, et que tu as ramene leur cceur. Et le feu de lahve 
tomba et deVora 1'holocauste et le bucher (et les pierres et la terre), 
et lecha 1'eau du canal. Et tout le peuple le vit et se prosterna face 



316 JESUS CHRIST. 

centre terre ; et ils dirent : C'est lahve* qui est le vrai Dieu) * I 

Un miracle parfaitement atteste permet,.fut-ii unique, une 
interpretation certaine. Toutefois, il n'est personne qui ne 
sente combien le cas devient meilleur si, la base historique 
s'elargissant, on n'a plus affaire a un phenomena isole, mais 
a tout un groupe de faits pr&tant a des constatations multi- 
ples, donnant lieu a des temoignages dont les differences de 
notation rehaussent 1'accord substantiel. Du coup 1'interpre- 
tation devient infiniment plus rassurante : elle rentre dans le 
genre des certitudes sur lesquelles nous vivons. C'est en 
effet des conclusions de cette sorte, fruits d'inductions multi- 
ples, qui fondent le commerce d'amitie et le commerce tout 
court, 1'entente familiale, la paix sociale. Les choix les plus 
considerables de notre vie sont eclaires par une foule d'indices 
concordants, plus ou moins confuse'ment percus. Newman dit 
la-dessus, dans sa Grammaire de V Assentiment : C'est par 
la force, la variete, la multiplicity de premisses seulement 
probables, non par d'invincibles syllogismes ; par le fait de 
voir Jes objections surmontees, les theories adverses neutra- 
lisees, les difficultes s'evanouissant graduellement, les excep- 
tions pro uvant la regie, des relations imprevues se decouvrant 
avec les verites de"ja acquises; par 1'arr^t dans la marche et 
le delai s'achevant en avances triomphales ; c'est par toutes 
ces voies, et bien d'autres, qu'un esprit forme et experimente 
arrive a une sure divination de la conclusion. Conclusion 
inevitable, encore que des raisonnements lineaires ne la 
mettent pas actuellement en possession de 1'esprit. C'est ce 
qu'on entend quand on parle d'une proposition aussi certaine 
que si elle etait prouvee, d'une conclusion aussi indeniable 
que si elle &tait demontree*. 

1. I (III) Regum, XVIH, 5-39. Traductiondu P. Joseph Neyrand. On peut. 
voir dans H. Pinard de la Boullaye, L'Etude compare des Religions, II, 
Paris, 1925, p. 81-82, la discussion des explications naturelles du fait 
propos6es par certains erudits. 

2. An Essay in aid of a Grammar of Assent, 1859; 6d. Longmans 
de 1892, p. 321. On peut voir, tres bien expose 1 e par S. Harent, la diffe- 
rence entre cette doctrine et la proposition 25 du d6cret Lamentabili, sur 
1' accumulation des probability's ; Foi dans JDTC, VI, 1, col. 194-200. 
Voir aussi le m6moire de H. Pinard de la Boullaye, La demonstration 



LES MIRACLES DE JESUS. 317 

Mieux encore qu'a celle d'evenements quelconques, ces 
vues subtiles et profondes s'appliquent a 1'interpretation des 
signes miraculeux. Gombien devient-elle plus assure e quand 
c'est la mSme personne, au service et dans i'exercice de la 
meme mission, qui se presente aureolee d'un pouvoir surhu- 
main habituel ! Chaque element de ce vaste ensemble pretant 
a une estime reflechie, on arrive a discerner avec certitude 
1'orientation du tout, a en apprecier la dignite morale et la 
valeur religieuse. II arrive ainsi que certains details obscurs, 
difficiles a expliquer si on les prend a part, se fondent dans 
1'harmonie generate comme des dissonances dans une sym- 
phonie. Noscuntur e sociis. 

Ge cas privilegie est celui que nous presente 1'histoire evan- 
gelique. 

1. - Le Miraculeux dans l'6vangile. 

La plus superficielle lecture convainc que les miracles ap- 
partiennent a la substance de 1'Evangile. 

Des faits de ce genre occupent en effet, dans nos quatra 
recits, une place, meme materielle, considerable. On n'y a pas 
releve moins de quarante et un miracles, ou groupes de mira- 
cles,' distincts, desquels vingt-quatre figurent dans saint Mat- 
tbieu, vingt-deux dans saint Marc, vingt-quatre dans saint Luc, 
neuf dans saint Jean *. Dix-sept seulement sont particuliers a 
un livre : six sont relates par deux evangelistes, seize par 
trois, quelques-uns par les quatre. Si nous passons du nombre 
au genre des miracles, nous verrons que la triple, la quadruple 
narration contient des miracles de toute sorte ; non seulement 
des guerisons et des exorcismes, mais des resurrections de 
morts, la premiere multiplication des pains, des p4ches mira- 
cnleuses, etc. 

Gette distribution n'est pas celle qu'on attendrait d'une 
interpolation. Dans cette bypothese, le merveilleux devrait 

par convergence d'indices probables, en appendice i L'Etude comparee des 
Religions, II, 1925, p. 381-424. 

1. Je suis la liste dressee tres soigneusement par T. H. Wright, dans 
DCG, II, p. 189. Dans cette liste ne figurent que les miracles op6res par 
Jesus en personne. 



3i8 JESUS CHRIST. 

remplir les parties les moins attestees de 1'histoire e"van- 
gelique, introduit la tardivement, moyennant des gloses, des 
traditions pariiculieres accueillies par Tun ou 1'autre des 
narrateurs. On ne trouverait dans le double et, a plus forte 
raison, le triple, le quadruple recit, que ies miracles plus aise- 
ment explicables : guerisons de paralytiques, expulsions de 
demons, etc. Ges previsions sont celles m4mes qui guident 
nos adversaires dans l'e"tude presente. Mais les faits dejouent 
ces calculs aprioristiques : au lieu d'alfleurer ga et la, blocs 
erratiques deposes par une coulee recente a la surface des 
recits, les prodiges les plus inoui's, les plus naturellement 
impossibles, saturent egalement la double, la triple synopse. 
Aussi haut qu'on puisse remonter, par conjecture, dans les 
traditions orales sous-jacentes aux narrations, on les trouv 
tout comnie ils figurent dans les lettres de Paul et ces frag- 
ments des Actes des Ap6tr:es ecrits a la premiere personne, 
ou tous les critiques reconnaissent les feuilles d'un journal 
redige par un temoin oculaire. Les distinctions rationalistes j 
entre miracles et miracles n'ont pas de fondement dans les 
textes J . 

Plus toutefois que la place mate'rielle qu'ils occupent, c'est 
le r61e attribue aux prodiges qui ne permet pas de les evincer. 
Ils sont supposes en effet par les particularity's les plus frap- > 
pantes, les circonstances les moins attendues, de nos evangiles. 
Les eliminer equivaut, pour de longs chapitres, non pas a 
laisser uncanevas depouille, maisa dechirer ce eanevasme'me.. 

Les miracles sont intimement lies, d'abord, a la foi des dis- 
ciples en leur Maitre. Le refrain johannique : Tel fut le- 
debut des signes de Jesus a Gana de Galilee, et il manifesta 
sa gloire, et ses disciples crurent en lui 2 , fait echo auxim- ^ 
pressionsnotees par les Synoptiques. Apres la tempe"te apaisee,. 
et ils eurent grand'peur, et ils se disaient entre eux : Qui 
done estcelui-ci, quele vent meme et lamer luiobeissent 3 ? 
Geux qui etaient dans la barque Fadorerent en disant : Vrai- 
ment, tu es fils de Dieu 4 ! 

1. W. Sanday, Jesus Christ, dans DBH, II, p. 624-626. 

2. Jo., n, 11 ; voir Jo., in, 2 ; VH, 31 ; XH, 9-11, etc. 

3. Me., iv, 41. 

4. Mt., xiv, 33. 



LES MIRACLES DE JESUS. 319* 

L'emotion des foules et 1'envie haineuse des adversaires ne 
sont pas moins nettement rattachees aux miracles. II faudrait 
ici transcrire vingt textes. En voici quelques-uns : *^ 

Quand la foule cut ete conge"diee, Jesus entra et prit la main (de 
la petite morte), et la fillette se leva. Et le bruit s'en repandit dans 
tout le pays 4 . 

Au soleil couchant, tous ceux qui avaient des infirmes atteints 
de differentes maladies, les lui amenaient, ct lui, imposant les- 
mains a chacun, les guerit... Or, au lever du jour, il sortit, allant 
dans un lieu desert, mais les foules le recherchaient et 1'atteigni- 
rent, et le retinrent pour qu'il ne les quittat pas 2 . 

Alors quelques-uns des scribes et des Pharisiens 1'entreprirent 
en disant : Maltre, nous voulons voirun signe accompli par toi 3 . 

En ce temps-la, Herode le tetrarque oui't parler de la renommee 
de Jesus et dit a ses gens : C'est Jean Baptiste! C'est lui qui est 
ressuscite des morts, et par ainsi des puissances miraculeuses ope- 
rent en lui 4 . 

Les princes des pretres et les Pharisiens reunirent done le Con- 
seil, et:ils disaient : Qu-'allons-nous faire? Get homme accom- 
plit beaucoup de miracles. Si nous le laissons faire ainsi, tous- 
croiront en lui 5 . 

Toute 1'activite du Maitre : son enseignement, ses contro- 
verses, les missions qu'il donne, supposent larealite des signes 
merveilleux, et souvent n'ont de sens que par eux. Telle la 
discussion a propos d'un homme gueri le jour du sabbat 6 : la 
guerison est hors de cause, c'est le jour choisi qu'on incrimine. 
Ailleurs, les ap6fyres sont investis eux-memes de la puissance 
de guerir 7 . La foule rassasiee par miracle ne songe qu'a ma- 
gnifier le thaumaturge et Jesus doit la rappeler a des peiisees 
plus spirituelles 8 . 

La puissance thaumaturgique du Seigneur est, nous aliens 
le voir, une partie integrante de la tradition la plus ancienne : 

1. Mt, ix, 26 j voir Mt, iv, 23-24; xn, 22-23; xv, 30-31. 

2. Lc., iv, 40, 42. 

3. Mt., xn, 38. 

4. Mt., xiv, 1, 2. 

5. Jo., xi, 47, 48. 

6. Lc., vi, 7 suiv. 

7. Mt., x, 1-8 etparall. 

8. Jo., vi, 26 suiv. 



320 JESUS CHRIST. 

elle est encore au point de depart de 1'expansion chretienne, 
constituent son originalite la plus caracteristique. La mission 
du christianisme primitif se distinguait de la mission juive et 
de la propaganda de vulgarisation philosophique en ce qu'elle 
titait etroitement liee au miracle i . Paul est des premiers a 
s'en prevaloir, soit qu'il oppose aux propagandes qui s'accom- 
plissent seulement en paroles , 1'Evangile qui agit aussi 
en puissance 2 ; soit qu'il rappelle aux Remains sa propre 
activite apostolique en parole et en oeuvre, en puissance 
prouvee par signes et miracles, en puissance de 1'Esprit 
de Dieu , attestee par les dons spirituels 3 ; soit enfin qu'il 
declare aux Gorinthiens que, comparee a celle des apotres 
par excellence , sa carriere n'a pas ete moins riche que la 
leur, en patience, en signes, en miracles, en puissance * . 

En tout ceei, Paul est un temoin de la pratique missionnaire 
du christianisme primitif, ajoute le theologien nor vegien Anton 
Fridrichsen. Des le debut, 1'Evangile se presentait au milieu 
de prodiges eclatants... II faut serendre attentif a ce fait que 
1'element miraculeux. . . se trouve deja a 1'origine de 1'Eglise. 
Et pour expliquer tous ces faits, il ne faut pas oublier un 
point essentiel : le souvenir tres vivant des miracles de Jesus. 
Les disciples et serviteurs apres lui ne faisaient que les con- 
tinuer en son nom 5 . 

1. Anton Fridrichsen, Le Probleme du Miracle dans le Christianisme 
jprimitif, (Oslo et) Strasbourg, 1925, p. 34. 

2. IThess., i, 5. 

3. Rom., xv, 19. 

4. II Cor., xn, 11. 

5. A. Fridrichsen, Le Probleme du Miracle, p. 35 suiv. Voir par exemple, 
TVIc., xvi, 17; Hebr., 11, 4, ou il est ecrit magnifiquement : Si la parole 
{de la Loi) dite par les anges a ete ratifies (par Dieu), chaque transgres- 
sion, chaque desob6issance recevant sa juste retribution, comment fuirons- 
nous (la vengeance divine) si nous negligeons un tel salut, ayant son 
origine dans les paroles du Seigneur, son etablissement en nous par 
ceux qui ont entendu ces paroles, et sa confirmation dans le temoignage 
de Dieu : signes, miracles, ceuvres diverses de puissance, dons du 
Saint-Esprit distribues selon sa volont6? Sur le texte, B. F. Westcott, 
The Epistle to the Hebrews 3 , 1920, p. 37-41. On voit assez que la presence, 
dans la communaute primitive, du miraculeux sous son double aspect : 
03uvres de puissance et dons spirituels, est presentee ici comme ordinaire, 
et ne souffrant pas de contestation. 11 n'est pas, observe Fridrichsen, 



LBS MIIUCLBS DE JB8US. 321 

G'est ce que nous rappelle, des le de"but, le livre des Actes : 
le jour mme de la Pentec6te, Pierre en appelle aux ceuvres 
de puissance acoomplies par le Maitre, et il les presente 
.comme un fait de notoriete publique : 

Hommes d'lsrael! 6coutez ces paroles. Je*sus de Nazareth, 
'homme accredite de Dieu aupres de vous par des miracles, des pro- 
diges et des signes que Dieu a faits par lui au milieu de vous, 
comme vous le voyez vous>m6mes * . . . 

Me"me rappel en presence du centurion Cornelius et de sa 
maison, a Cesaree de la mer : 

Vous savez ce qui s'est passe dans toute la Judee... Jesus de 
Nazareth, comment Dieu repandit sur lui Vonction d' Esprit Saint 
et de puissance, et qu'il a passe (parmi nous) faisant le bien et 
guerissant toUs ceux que le diable tenait en son pouvoir; car Dieu 
ctait avec lui. Et nous, nous sommes temoins de tout ce qu'il a 
iiait etdans la region des Juifs et a Jerusalem 2 . 

La premiere finale du quatrieme evangile observe que Jesus, 
.en dehors des signes retenus, pour diverses raisons, dans le 
livre, opera beaucoup d'autres miracles en presence des dis- 
ciples 3 , et toute la tradition antique contirme le fait, qu'elle 
soit hostile ou favorable au Christ. Car la critique de ses ad- 
versaires ne va nullement a contester ses oeuvres merveil- 
leuses, mais a les expliquer, k les interpreter en les retour- 
nant centre lui. C'est un sorcier dangereux, qui a un pacte 
-avec le diable, chuchotaient les scribes, et c'estpar le prince 

jusqu'aux Actes apocryphes qui ne rendent t&noignage, aleur.facon, a 
cette large effusion ; mais, tandis que dans ces Actes, le c6t6 tgratologique 

et edifiant (ou suppos6 tel) prend souvent le pas sur le reste, le livre 
canonique des Actes dont le titre signifie cependant sans doute actions 
merveilleuseSi miracles des Apdlres : M. von Wilamowitz-Moellendorf 
dans KGg, I, VIII 3 , 1912, p. 262, se maintient encore a un niveau tel 

>que lemiraculeux se trouve subordonne au grand but religieux ; Le Pro- 
bleme du Miracle, p. 38. Les passages de 1'ancienne Htt6rature chr6tienne 
concernant les miracles de J6sus ont 6te r6unis dans les Neutestamenlliche 

.Apokryphen 2 de Edgar Hennecke, Tubingen, 1924, p. 76. 

1. Actes, n, 22, 23; sur aTtoSeoetyfjufvov, Moulton et Milligan, VGT, 
$. 60. 

2. Actes, x, 37-39; Isai'e, LXI, 1. 

3. Jo., xx, 30. 

JESUS CHRIST. II. 21 



322 JESUS CHRIST. 

des demons qu'il chasse les demons * . Balaam, faux prophete, 
necromant! feront echo les rabbins. Magicien, irnposleur! 
ricane un informateur de Gelse, et tous les humanistes anti- 
chretiens apres lui, jusqu'a Julien et Porphyre 2 . 

Les Peres, de leur c6te, insistent, non sur la re'alite, 
mais sur la qualite des miracles de Jesus. Us ont ete* pre"dits, 
observent Justin et Tertullien. Leurs eifets e"taient durables, 
soutient dans son apologie presente'e a 1'empereur Hadrien 
(117-138) le disciple des ap6tres. Quadrat : 

Les ceuvres de notre Sauveur, parce qu'elles etaient 
ve*ritables (et non, comme les tours des charlatans, des 
simulations habiles) s'attestaient durables. Geux qu'il a gue- 
ris, ceux qu'il a ressuscites des morts, non seulement ont 
etc* vus gue"ris et ressuscites, mais sont reste's tels pendant 
la vie, et, apres le depart du Sauveur, durant un laps de 
temps considerable, au point quo quelques-uns ont surve"cu 
jusqu'a nos jours 3 . D'autres insistent sur 1'absence de 
toute preparation, de toute application de remede dans les 
gue"risons. Origene fait ressortir admirablement la grandeur 
du thaumaturge, .son desmteressement, la hauteur de ses 
vues, la purete et la porte'e de ses oauvres de puissance*. 



2. La Critique Moderns des miracles dvangeliques. 

La faiblesse et 1'imprudence m^me de leurs de'faites prou- 
vent a leur fagon 1'embarras des antechrists anciens en face 
des miracles de Jesus. Get embarras persiste. II n'est rien 
dans tout 1'Evangile qui cause plus d'ennui aux critiques 
rationalistes et, en aucun point probablement, la contre- 
apolo#e'tique n'a accumuld plus de conjectures arbitrages et 
d'explications violentes. Les interpretations du theologien 
re'forme' Gottlob Paulus (mort en 1851), qui pretendait garder 

1. Mt., ix, 34. 

2. Sur la po!6mique paienne et juive, voir supra, tome II, p. 130-156. 

3. Quadrat (KoBpdEtos) cite dans Eusebe, HE, IV, 3, 3; CB, I, p. 302, 304. 
Voir Franz Goerres dans REP, XVII, p. 354-356. 

4. Contra Celsum, 1, 6, 28, 38, 46, 60, 6S; II, 9, 14 suiv., 32, 35, 44, et 
passim. Surtout cela, voir A. Fridrichsen, Le Probttme du Miracle dans le 
Chris tianisme primitif, p. 62 suiv. 



LES MIHACLES DB JESUS. 323 

la substance des faits tout en les expliquant riaturellemfint, 
ont sombre* jadis sous le ridicule. D. F. Strauss, qui con- 
tribua beaucoup a ce resultat, s'en tira d'une fagon infiui- 
ment plus commode. II rejeta comme inauthentique tout ce 
qui, dans nos documents, de"crit ou suppose un miracle. Pro- 
ce"de radical, mais vraiment trop sommaire : on n'osa main- 
tenir un parti pris aussi e'clatant. Mais ce merveilleux! 
Tous ces recits de miracles! Bien d'autres que Strauss se 
sont laisse" e"pouvanter par eux, reconnalt Ad. von Harnack, 
au point d'en prendre texte pour nier en bloc la credibility 
des 6vangiles. Mais la science historique a fait encore, pen- 
dant la derniere ge'ne'ration, le grand progres d'apprendre a 
traiter ces recits avec plus d'intelligence et de sympathie : 
aussi peut-elle reconnaitre une valeur documentaire appre*- 
ciable, me'me aux recits des miracles 1 . $ 

Nous verrons comment le celebre critique saura, lui aussi, 
solliciter doucement les textes, selon les besoms de sa phi- 
losophie. La plupart de ses collegues n'y mettent ou plut6t 
n'y mettaient, car un mouvement de reaction commence a se 
dessiner 2 pas tant de fagons. A 1'edition revue, tres 
amende e, de Paulus que propose M. von Harnack, ils pre- 

1. L'Essence du Christianisme, tr. fr. de 1907, p. 37. 

2. Cette reaction est assez nette dans VUrsprung und Anfaenge d'Ed. 
Meyer, 1921-1923, etnous en avons plus haut releve quelques traits. Elle 
est plus accus6e encore dans 1'ouvrage d'Ant. Fridrichsen. Ce dernier 
critique, tout en renoncant & c une certitude, meme approximative , sur 
I'historicit6 des faits, ce qui le met a 1'aise avec ses collegues les plus 
radicaux, proteste avec discretion, mais nettement, centre leurarbitraire. 
Parlant de la theologie liberate >, et des exclusives qu'elle prononce, 
il note : Quand on avait declare que ces recits etaient inauthentiques ou 
legendaires, et quand ils portaient cette estampille, tout etait dit... 
D'autre part, on ne saurait recommander une methode qui consiste a 
circotiscrire exactement le domaine du possible. Notre confiance dans la 
connaissance scientifique de la realite n'est pas aussi naive aujourd'hui 
qu'elle 1'etait autrefois; nous sommes devenus tres sceptiques meme 
quant a la connaissance scientifique (des lois) de la nature. II en resulte 
que pour ce qui est des recits historiques, nous ne sommes pas moins 
critiques, mais moins sceptiques que 1'ecole liberale , Le ProbUme du 
miracle dans le Christianisme primitif, 1925, p. 20-21. Pour sentir toute 
1'ironie de ces paroles, et leur force, il ne faut que les comparer & celles 
des theologiens liberaux cites ici. 



324 JESUS CHRIST. 

lerent una Edition e'dulcorde, nuance* e, mais encore recon- 
uaissable de Strauss. - 

Voici,, par ezemple.,, comment precede M, W. Heitmtiller, 
dans le plus considerable Dictionnaire des sciences reli- 
gieuses-de 1'Allemagne protestante libe*rale l . L'auteur recon- 
nait franchement ce que nous avons etabli plus hauit tou- 
chant la place occupe'e par le miraculeux dans les textes. 
Le plus ancien de nos e>angiles, celui; de Marc, est 
abstraction faite du re"cit concernant le sejour final a Jeru- 
salem et la Passion -a peu pres uniquement une; longue 
suite de recits de gu^risons et d'autres faits merYeilleux, 
coupde seulement <ja et Ik par des discours de Jesus 2 . 
Get aveu est suivi d'une profession de foi : Sur la question 
de la possibilite des miracles, au sens fort du mot, 1'histoire 
oomme telle n'a rien a dire. Mais une telle rigueur dans la 
methode a un grand, defaut : elle n'est pas possible a main- 
tenir., Garl'historien,des laqu'il sort du r61e de chroniqueur, 
3?apportant sans les critiquer ce que ses sources contiennent, 
fait necessairement appel au penseur, a 1'homme pourvu 
d'une logique et d'une philosophie, consciente ou non, qu'il 
est. II a des normes qui lui font juger vraisemblables, moins 
vraisemblables, invraisemblables, tout a fait impossibles, les 
faits allegues dans ses documents. Bref, pas plus que le 
savant, et pour les me'mes raisons, 1'historien ne peut pre- 
tendre a une objectivite totale, a presenter les faits et rien 
que les faits, et la pire illusion serait de croire- qu'il le peut. 

Gette observation generale a toute sa force ici. M. Heitmul- 
ler sait comme nous que c'est leur caractere mtrinseque, et 
independamment de toute attestation historique, qui rend 
suspects ou positivement inacceptables aux historiens ratio- 
nalistes, les recits de miracles. Quand un homme admet 

1. Die Religion in Geschichte und Gegenwart , 1909-1913. W. Heitmiiller, 
dans 1'article Jesus Chrisius, RGG, III, col. 370 suiv. Dans l'6dition tir6e 
apart sous le titre Jesus, Tubingen, 1913, la partie des miracles est trait6e 
a partir de la p. 59. Le m6me dictionnaire, a 1'article Wunder, RGG, 
V, col. 2144-2168, offre un recueil de memoires, allant du rationalisme le 
plus cm: Arnold Meyer, Wunder im NT, jusqu'a un th6isme qui laisse 
ouverte, dans le mystere de Dieu , la question du miracle : Kalweit, 
Wunder : Dogmatisch, col. 2157 suiv. 

2. RGG, III, col. 370. 



LES MIRACLES DE JESUS. 325 

comme valable, avec I'unanimite morale des critiqw.es liberaux 
d'ily : a vingt ou trente ans, la conception indispensable a 
nos sciences mathdmatique, physique, chimique, bioiogique 
et astronomique, d'un mecanisme de la Nature excluant toute 
intervention ipersonnelle 1 , quand il en conclut a des lois 
naturelles a la fois connaissables et infrangibles, il a beau 
vouloir traiter en pur historien les pieces qu'il emploie, sa 
formation meritale lui interdit d'accepter comme rSpondant .a 
une re'alite' le re"cit d'un 'fait miraculeux qu'il y trouve. Et 
M. Heitmuller Iui-m4me essaie bien de fonder sur textes 2 sa 
propre icritique des miracles ^vangeliques : non seulement 
nous pouvons, -dit^il, mais nous devons traiter avec m^fiance 
tout ce qui porte le caractere du prodige extraordinaire, et 
surtout nous ne devons admettre dans le domaine du possible 
que ceux des traits merveilleux, dans lesquels la confiance 
personnelle du malade a pu jouer un rdle ; mais les consi- 
de"rants re'els de ce jugement, qui ne retient comme histo- 
rique qu'un nombre, d'ailleurs respectable, de guerisons^ 
debordent 1'histoire pure^ puisqu'ils sont emprunt^s a la 
medecine moderne et a ce qu'elle enseigne ou es't 
censee enseigner sur les maladies nerveuses, et la foi qui 
gu&rit. Partout ou il s'agit de maladies de cette sorte, nous 
n'avons done, en principe, aucun droit de mettre en doute 
I'historicit6 des faits. Nous nous mouvons sur un terrain 
ferme, etc. 3 . 

G'(tait ^galement 1'avis d'Ernest Renan qui, sauf les termes 
mis a la mode depuis, et d'ailleurs en train de passer de 
mode, ne dit pas autre chose. Son chapitre sur les miracles 
de Jesus est connu : au lieu de le citer, nous emprunterons 
a M. Alfred Loisy le resume ou il s'est approprie les ide"es., 
et parfois les mots me'mes de Renan. 

1. Der fiir unsere Mathematik, Physik, Chemie, Biologie tind Astro- 
nomie unabkoemmliche Begrilf eines Naturmechanismus, zu dem es kein 
persoenliches Verhaeltnis gibt. > H. J. Holtzmann, Lehrbuch der NT 
Theologie^, 6d. A. Jiilicher et W. Bauer, 1911, I,p. 213. 

2. < Deux traits de la plus ancienne tradition (Me., vm, 11 suiv. et 
parall.; Me., vi, 5-6 et parall.),- nous fournissent deux normes historiquei 
inattaquables ., RGG, III, col. 372. Sur ces textes, voir ci-dessous, p. 332 suiv.. 

3. RGG, III, col. 372, 373. 



326 JESUS CHRIST. 

Jesus... faisait des miracles. II en faisait presque malgre" lui. 
Des son premier se'jour a Capharnaiim, on lui amene des malades 
a guerir. Sa propre popularite 1'eflraie; il craint que le thauma- 
turge ne fasse tort au predicateur du royaume et il s'e"loigne de 
Capliarnaiim. Vaine precaution. L'elan une fois donne", le mouve- 
ment ne s'arrete pas; J6sus veut prcher et comertir, il fautqu'il 
guerisse. Peut-6tre alla-tron m^me jusqu'a lui prater la r^surrec- 
tion de morts... Etait-il en droit de se refuser au soulagement que 
Dieu operait par ses mains? II agissait avec une efficacite particu- 
Here sur la categoric des malades que Ton regardait comme spe- 
cialement possedes du demon, les malheureux atteints d'ailections 
nerveuses et de troubles c6r6braux. II leur parlait avec autorite", 
ordonnait aux demons de les laisser, et le calme revenait, au moins 
pour quelque temps, dans ces ames troubles et inquietes 4 . 

M. A. von Harnack prend plus de peine. II ne dedaigne 
pas de re"duire par les precedes classiques I'e'tendue de l'6ld- 
ment merveilleux dans 1'Evangile. Le miracle, a cette e"po- 
que 6tait chose presque quotidienne ... (Alors, se demande 
le lecteur, pourquoi 1'emotion profonde suscit^e par ceux de 
Je"sus? Pourquoi cette alfluence, ces contradictions, cette foi?) 
De tout temps, d'ailleurs, Ton a attribue" des miracles 
aux personnalites exceptionnelles ... (Gela est vite dit. On 
ne voit pas que les disciples de Jean Baptiste 1'aient tenu 
pour thaumaturge, ni ceux de Platon, ni les fideles de 
Napoleon, ni, abstraction faite de quelques fanatiques tard 
venus 2 , ceux de Luther). Troisiemement, nous avons 
1'inebranlable conviction que tout ce qui arrive dans le temps 
et dans 1'espace est soumis aux lois generales du mouvement, 
qu'il ne peut done y avoir, en ce sens, comme rupture de 
1'ordre naturel, de miracles... Mais, si 1'ordre naturel est 
inviolable , il existe des forces psychiques, encore mal con- 
nues, et qui peut dire jusqu'ou elles vont? Qu'une temp^te 
ait ete apaisee d'un mot, nous ne le croirons jamais, mais que 
des paralytiques aient march^, que des aveugles aient vu, 
nous ne le nierons pas sommairement, comme s'il n'y avait 

1. A. Loisy, Jdsus et la tradition dvang&ique, 1910, p. 61, 62 (comparer 
Renan, We de Jesus, ch. xvi). Ces paroles repr6sentent 1'opinion de 
M. Loisy au moment leplus influent de sa carriere exeg6tique. 

2. Lk-dessus, Hartm. Grisar, Luther, Freiburg i. B., 1912, II, p. 125 suiv.; 
Ill, p. 653, 763 suiv. 



LES MIRACLES DE JESUS. 327 

la qu'une illusion 1 . L'exclusion donnee aux miracles de la 
premiere sorte est un postulat de philosophie materialiste, 
des maintenant exorcise par 1'unanimite des savants avertis 2 . 
L'auteur la rejette du reste equivalemment deux pages plus 
loin 3 . 

Ayant ainsi prepar^ son lecteur, Harnack distribue en cinq 
classes le miraculeux eVangelique : 1 recits provenant de 
l'exage>ation d'evenements naturels frappants; 2 recits pro- 
venant de discours, de paraboles, d'impressions interieures, 
tournees en faits ; 3 recits provenant de I'intere't que 1'on 
attachait a la realisation de predictions de 1' A ncien Testament ; 
4 guerisons surprenantes operees par la puissance spirituelle 
de Jesus; 5 recits de provenance impossible a determiner* . 

On pourrait multiplier ces analyses, sans autre avantage 
que de nous faire connaitre les opinions philosophiques des 
auteurs ainsi resumes. Rien dans les textes n'autorise, entre 
iles faits retenus, et les elimines, ces decoupages. Us ne 
coincident pas avec les degres de probability qu'un historien 
peut etablir au moyen des indices critiques : recits attestes 
par un temoignage unique, double, triple, etc.; episodes 
appartenant a une source reconnue plus ancienne, etc. Le 
criterium employe par les adversaires du miracle est syste- 
matique. Pa*' exemple, les miracles de nature (tempe'te 
apaisee, multiplication de pains, etc.) seraient impossibles, 
t les miracles de guerison ne repugneraient pas a priori. 
Encore faudrait-il distinguer entre guerisons et guerisons : 
celles qui s'operent par suggestion sont seules possibles, 
pour M. A. Loisy, W Heitmuller, etc. M. von Harnack et 

1. U Essence du Christianisme, tr. fr. de 1907, p. 37-41. 

2. Voir ci-dessus, tome II, p. 230 suiv. 

3. Ce ne sont pas quelques miracles qui sont en jeu, mais la question 
decisive de savoir si nous sommes engages sans espoir dans 1'engrenage 
d'une impitoyable necessite, ou s'il existe un Dieu qui regne et dont la 
force s'imposant a la nature peut etre invoquee et vecue. /bid., p. 43, 
d'apres la traduction francaise, corrigee legerement sur 1'original alle- 
mand, p. 19. Plus loin, 4 e conference, n. 2, 1'auteur admet comrae certaine 
la seconde alternative, hors de laquelle, aussi bien, il n'est pas de reli- 
gion veritable... Mais alors, pourquoi maintenir une restriction qui est 
un pur postulat de la premiere? 

4. L'Essence"du Christianisme, p. 42. 



328 jsus CHRIST. 

un nombre croissant de critiques inddpendants tolereraient 
des gueYisons d'ordre plus materiel. II ne leur semble pas 
impossible que des boiteux aient marche, des paralytiques r 
recouvre le mouvement, et des aveugles, la vue. D'autres 
enfin, notamment en Amerique et en Angleterre, etendent 
tellement la competence des forces spirituelles, qu'aucun des 
prodiges racontes du Christ a F exception peut-e'tre des resur- 
rections ne leur semble impossible 1 . Ces nuances ont 
leur inte're't; mais qui ne voit qu'avec elles, nous sommes tout 
a fait sortis du domaine de 1'histoire ? 

Nous y rentrons ou, du moins, nous nous en rapprochons 
avee les critiques de la jeune Ecole qui pretend s'appuyer 
sur 1'histoire comparee des religions et 1'etude approfondie 
des formes litteraires de 1'histoire 2 . Avec eux, la question 
s'est notablement deplacee. En general, ils ne veulent pas 
plus des miracles que leurs predecesseurs de I'&cole liberale, 
Mais moins portes a philosopher, moins asservis a 1'illusion 
scientiste, au lieu d'eliminer le miraculeux comme exorbitant 
les limites du possible, ils cherchent a le volatiliser, en expli- 
quant naturellement sa presence dans 1'Evangile. Les recit& 
merveilleux seraient, a entendre ces critiques, la creation 
spontanee et normale d'une communaute de simples croyants T 
occup^e a magnifier 1'obje.t de son culte : de cette loi gene- 
rale, les origines chretiennes pr^sentent un cas interessanL 
On 1'aura assimile aux autres, avec une simple difference de 
degre", quand on aura range chaque recit, d'apres son sujet r 
son but et ses moindres particularites de redaction, dans 
une variete classee de litterature populaire. La demonstration 
s'acheve par le rapprochement d'un certain nombre d'episodes 
merveilleux, vaguement analogues, empruntes aux religions 
les plus differentes 3 . 

1 . C'est lea position, par exemple de Hickson, Heal the Sick, 1924. Voir 
> Spiritual Healing, par le D r H. Henson, dans The Hibbert Journal, XXIII^ 

1925, p. 385-401. 

2. Sur cette Ecole, voir ci-dessus, tome I, p. 41 suiv., et E. Fascher, 
Die formgeschichtliche Methode, Giessen, 1924, dans les Beihefle de la 
ZNTW, 2. 

3. Ainsi font les maitres de la jeune Ecole, MM. M. Dibelius, 
K. L. Schmidt, Rud. Bultmann, etc... Ce dernier a appliqu6 ces m6thodes 



LBS MIRACLES DE JESUS. 329' 

Nous avons discute" plus haut le postulat general de cette 
methode l : la communaute cre"atrice. Sur les deux precedes 
essentiels de 1'application au miraculeux, on observera d'a- 
bord que, pour ramener les narrations evangeliques au niveaa 
des cycles legendaires, helle"nique, rabbinique ou raoderne 
(Eduard Meyer descend jusqu'aux Mormons 2 !), on commence 
par soumettre les recits a une analyse minutieuse et, pour 
ainsi dire, atomique. G'est comme un panneau de tapisserie 
qu'on deferait lil par fil : on aurait a la fin, juxtaposee a un 
canevas denude*/ une serie d'aiguillees de laine rangees par 
couleur et par taille. Naturellement le dessin primitif aurait 
disparu, mdme si chaque brin avait ete correctement classe 
et echantillonne'. Semblablement, dans les recits miraculeux 
de TEvangile, la signification de 1'ensemble, si forte et sou- 
vent si criante de v^rite, p^rit completement lorsqu'on livre 
les textes a cette artificieuse decomposition. Aucune page 
d'histoire ne r^sisterait a cette chimie. 

Quant aux florileges de prodiges analogues, compiles selon- 
les recettes de la methode comparatiste la moins raffinee, ils 
ont (si interessants qu'ils soient par ailleurs) le commun de- 
faut d'estomper ou de laisser tomber tout ce qui separe, et 
de majorer tout ce qui rapproche 3 . Et meme ainsi, telle est 

au miraculeux evangdlique dans sa Geachichte der Synoptischen Tradi- 
tion, Goettingen, 1921, p. 129-150. Dans ces 6tudes, ce sont les prodiges 
empruntes aux sources hel!6niques, juives anciennes, ou patristiques, qui 
sont surtout utilises. D'autres auteurs, d^fendus contre 1'arbitraire par 
une moins solide erudition, vont chercher des analogies dans le folklore 
de tons les peuples. La carriere ou les comparatistes puisent de pr6- 
ference est naturellement I'o3uvre immense de Sir J. G. Frazer, The- 
Golden Bough 3 , 12 yolumes : avec les cycles completifs : Totemism and' 
Exogamy, 4 vol.. Folk-lore in the Old Testament, 4 vol., etc., plus de vingt 
tomes. G'est un monument composite, inegalement solide, ou une 6rudi 
tion prodigieuse et une Ioyaut6 incontestable, se traduisant par d'inces- 
santes reprises et des retraits motives d'opinions, sont mises au service 
d'une vive imagination, d'un gout Htt6raire tres sur et d'un sens critique 
assez souvent en d6faut. 

1. Voir plus haut, tome I, p. 195, note B : La Collectivitd crfatrice. 

2. Ursprung und Anfaenge, II, 1921, p. 418 suiv. 

3. Sous ce rapport, on peut recommander l'6tude des recueils de traits- 
colliges par R. Bultmann, Geschichte der Synopt. Tradition, p. 140-146. 
Cewx qui concernent la resurrection de morts, sont analyses plus bas r 



-330 JESUS CHRIST. 

1'indigence et la faiblesse des materiaux rapproche*s (dont la 
veine reparaitra dans les apocryphes) qu'ils rendent temoi- 
.gnage, malgre 1 eux, a la pure beauts' et a la simple grandeur 
des recits evangeliques. Parfois, selon le vieux proverbe pro- 
vencal, le diable aussi porte pierre . 

3. Les Miracles et la Mission de J6sus. 

Le lien est par ailleurs visible qui unit les ceuvres prodi- 
gieuses de Jesus a sa mission. Les miracles ope>s par Dieu 
en sa faveur, et ceux par lesquels le Maitre r^compensait la 
loi de ceux qui croyaient en lui 1 , vont clairement en ce sens. 
Ainsi du centurion de Capharnaum dont le serviteur fut gueri 
a distance ; des aveugles de Je"richo, et de cette pauvre femme 
syrophenicienne 2 , dont 1'invincible perseverance arracha au 
Sauveur un cri d'admiration. 

Si Ton dit que la connexion entre ces faits et la legation 
divine, tout assuree qu elle est, reste implicit e, voici des 
'Cas ou elle s'exprime. L'envie des scribes les portait a inter- 
preter en mauvaise part la prevention de Je*sus a remettre les 
peches. Mais lui : 

a Quel est le plus ais6, de dire au paralytique : Tes peches te 
sont remis ou de dire : Leve-toi, prends ta couchette et t'en 
vas ? A fin done que vous sachiez que le Fils de 1'homme a pouvoir 
de remettre les peches sur la terre : Je te le dis (dit-il au par.a- 
lytique), leve-toi, prends ta couchette et retourne dans ta mai- 
son 3 . 

Une autre fois, les disciples restes dans la mouvance du 
Baptiste sont surpris des miracles de Jsus. 

,p.464, note Gg : Resurrection de marts dans les rfaits helldniques et rabbi- 
niques. Au m6me endroit, Bultmann dit qu' c un cas d'attribution i J6sus 
d'une histoire qui n'a rien i faire avec lui, c'est celui du morceau apo- 
cryphe Jo., vii, 53-vm, 11 (la femme adultere). La raison unique apportee 
est admirable : < Un parallele a ce trait se trouve dans les Lfycndes 
neo-grecqnes, 6d. Kretschmer, Jena, 1917, p. 153 : les deux voleurs defigues, 
recit dans lequel le caractere humoristique, manifestement primitif, res- 
sort nettemeiit ! p. 141, note 1. 

1. Me., ii, 1-12 et parall. ; v, ,22-43 et parall. ; Ml, vm, 5 suiv. ;Mt., xx, 
29 suiv. 

2. Me., vn, 26 suiv. et parall. 

3. Me., n, 9-10. 



LES MIRACLBS DE JESUS. 331 

Les disciples de Jean le mirent (dans sa prison) au courant de 
lout cela (les signes operes par Jesus et 1'effet produit : les temoins 
de ces merveilles etaient saisis de crainte, et ils rendaient gloire 
a Dieu, disant : Un grand prophete s'est leve parmi nous ! et : Dieu 
a visile son pcuple! Et 1'on ne parlait que de lui dans toute la 
Judeej. Or, ayant appele deux de ses disciples, Jean les deputa vers 
le Seigneur avec ces paroles : 

Es-Tu Celui qui vient 1 , 

ou en attendrons-nous un autre?... 

Dans cette heure m6me, il en guerit plusieurs de maladies, de 
plaies et des esprits malins, a plusieurs aveugles il accorda de 
voir. Puis il leur repondit : Allez, rapportez a Jean ce que vous 
avcz vu et entendu : 

Les aveugles voient, les boiteux marchent, 

les lepreux sont purifies, et les sourds entendent; 

les morts ressuscitent et les pauvres sont evangelises. 

Et bienheureux est celui qui ne sera point scandalis6 en moi 2 ! 

Le dernier mot suggere, et cette impression est confirmee 
par d'autres textes, que les merveilles accomplies. par Jesus 
deconcertaient bien des gens qui n'etaient pas tous des 
adversaires, puisque les disciples de Jean doivent 6tre mis en 
garde contre la tentation. Elles paraissaient bien sobres, un 
peu grises ; on escomptait des prodiges autrement eclatants, 
tels que toute hesitation, tout doute fut impossible. Dissipant 
cette illusion, le Maitre en_appelle ouvertement a la qualit^ 
de ses ceuvres, qui repond au portrait authentique du Messie 
tel qu'il figure dans les Prophetes. 

Plus encore que ses pre"decesseurs synoptiques, Jean met 
en relief ce trait. II rapporte par exemple, qu'avant de res- 
susciter Lazare, 

Je"sus leva les yeux en haut et dit : Pere, je te remercie de 
m'avoir exauce. Moi, je savais bien que tu m'exauces toujours, 
mais je Pai dit pour la foule qui est la tout autour, afin qu ils 
croient que tu m'as envoye 3 . 



1. '0 Ipx/fyievoj, au sens fort du mot, absolument, Celui dont la venue 
importe par-dessus tout, le Messie. Ailleurs on explique souvent : Celui 
qui vient au nom du Seigneur. 

2. Lc., vu, 18-23; Mt., xi, 2-6; Isa'ie, LXI, 1. 

3. Jo., xi, 41, 42. Sur le temoignage des oeuvres explicitement invoqud, 
Jo., v, 36; x, 25; xiv, 12; xv, 24; xx, 30. 



332 JESUS CHRIST. 

La chose, a vrai dire, allait de soi. Amis et ennemis, Juifs 
et Gentils, disciples et jaloux, simples et doctes, divises sur 
Interpretation des faits, s'accordenta penser qu'ils sont abso- 
lument lie's, a la mission de Je"sus. Les foules galileennes 1 ne 
pensent pas la-dessus autrement que celles de Judee 2 . Un 
croquant, comme l'aveugle-ne, e"nonce aussi clairement la 
connexion 3 que des gens plus instruits : Nicodeme *, les amis 
de Lazare 5 , Pofficier de Capharnaum 6 , le centurion du Gol- 
gotha 7 . En re'alite, si Ton a cru en Jesus, $'a ete, pour une 
tres grande part, a cause des miracles qu'il opSrait. 

Il serait vain d'insister, si une difficult^ serieuse ne se pre- 
sentaifc, d'autant plus notable qu'a 1'examiner de pres elle se 
tourne, suivant 1'observation de Newman transcrite plus haut, 
en argument positif. Deux traits de la plus ancienne tradi- 
tion, dit W- Heitmiiller, nous fournissentdeuxnormeshistori- 
ques inattaquables pour reduire a leurs justes proportions 
Petendue et la portee du miraculeux dans 1'Evangile. Ge sont 
les passages ou Jesus refuse un signe du ciel aux Pharisiens 
qui le demandent; et le mot de Marc : Et (Jesus) ne put 
faire la (a Nazareth) aucun miracle, si ce n'est qu'il guerit 
quelques malades en leur imposant les mains. Et il etait 
etonne de leur incredulite 8 . 

II n'est, pour faire valoir 1'objection, que de citer les pro- 
pos de celui qui 1'a popularisee, Jean-Jacques Rousseau : La 
preuve de sa mission par le miracle? Non seulement 
Jesus ne (P) a pas donnee, mais il (P) a refusee expresse- 
ment! 



1. Mt., xv, 30 suiv. etparall.; Jo., vi, 14. 

2. Jo., vii, 31. 

3. Jo., ix, 16 et 32, 33 : Depuis que le monde existe, on n'a pas ou'i- 
dire qu'on ait ouvert les yeux d'un homme n6 aveugle : si celui-ci ne 
venait pas de Dieu, il n'aurait rien pu faire (de tel). 

4. Jo., in, 2. 

5. Jo., xr, 45; xir, 11. 

6. Jo,, xiv, 53. 

7. Me., xv, 39 : Or, voyant qu'il 6tait mort de la sorte, le centurion 
qui se tenait debout, en face de lui, dit : t Vraiment, cet homme 6tait 
fils de Dieu! 

8. RGG, III, col. 372 : Me., vm, 11 suiv. et parall. ; Me., vi, 5-6 j Mt., xin, 
58. 



LES MIRACLES DE JESUS. 333 

Voyez la-dessus toute 1'histoire de sa vie; e*coutez surtout sa 
propre declaration :elle estsi decisive que vous n'y trouverez rien 
a repliquer. 

Sacarriere etait deja fort avancee quand les Pharisiens, le voyant 
faire tout de bon le prophete au milieu d'eux, s'aviserent de lui 
demander un signe. A cela, qu'aurait du repondre Jesus, d'apres 
VQS messieurs (les theologiens de Geneve) ? Vous demandez un 
signe, vous en avez eu cent.,. Cana> le eentendery le lepreux, les 
.aveugles, les paralytiques, la multiplication des pains, toute la 
Galilee, toute la Judee deposent pour moi. Voila mes signes. 

Au lieu de cette rdponse que Jesus ne fit point, voici, Monsieur, 
celle qu'il fit : La nation me'chante et adultere demande un signe 
et ilne lui sera pas donne. Ailleurs ii ajoute: II ne lui sera pas 
-donne d'autre signe que celui de Jonas le prophete. Et, leur tour- 
nant le dos, il s'en alia *. 

On ne peut donner au second passage qu'un sens qui se rapporte 
-au premier; autrement Jesus se serait contredit. Or dans le premier 
passage ou 1'on demande un miracle en signe, Jesus dit positive- 
ment qu'il n'en sera donne aucun. Doncle sens du second passage 
n'indique aucun signe miraculeux 2 . 

Pour ^tre sophistique et confondre, avec toute espece de 
signe miraculeux, les signes dans le ciel , les prestiges 
aveuglants, ne laissant place ni a la bonne volonte, ni a la foi 
meritoire, reclames par ces Pharisiens, le passage de Rous- 
seau ne laisse pas d'etre pressant. On pourrait d'ailleurs ren- 
forcer la these en recueillant, dans le quatrieme evangile 3 , 
les paroles qui vont dans le me'ine sens : Si vous ne voyez 
desprodiges et des signes, vous ne croirez done pas? Et : 
Heureux ceux qui n'ont pas vu et qui ont cru 4 ! On note- 
a*ait enfin que tres souvent, au debut surtout de son ministere, 
le Maitre ferma la bouche aux miracules qui voulaient pro- 
clamer leur guerison 5 . N'etait-ce pas marcher a 1'encontre du 
but, s'il pretendait autoriser sa mission par des ceuvres de 
puissance? 

1. Me., vin, 12; Mt., xvi, 4. Pour abr6ger, j'ai fondu ensemble ces 
deux passages. Mais j'ai conserve" la distinction essentielle i la question 
(Note de Rousseau). 

2. J.-J. Rousseau, Leltres e'crites de la montagnc, l re partie, 3 C Lettre. 

3. Jo., iv, 48. 

4. Jo., xx, 29. 

5. Me., i, 34, 44; HI, 12; vii, 36; vm, 26 et parall., uotamment Mt., xu, 
16. 



334 JESUS CHRIST. 

Gette difficulte n'en est une que pour ceux qui n'auraient 
pas saisi 1'economie de la manifestation messianique, telle 
qu'on 1'a exposee plus haut *. Gardons-nous pourtant de passer 
outre : I'e'tude de ces textes e"claire d'un jour nouveau Tame 
de J6sus. 

Embrassons plut6t dans leur ampleur les faits qu'on noua 
oppose. Oui, Je"sus a refuse" constamment d accomplir un cer- 
tain genre de miracles; oui, dans ceux-la me 1 me qu'il accorde,. 
on peut relever une double restriction ou si Ton veut, une 
double limitation. Pas de signe qui autoriserait, par contre- 
coup, la notion charnelle et prestigieuse du Royaume d& 
Dieu. Pas de prodige qui ne soit un signe, proportionne aux 
dispositions des auditeurs, et par consequent dans une cer- 
taine mesure, limits par elles. A Nazareth, le Seigneur fera 
done peu de miracles, a cause de 1'incre'dulite de ses compa- 
triot es : il ne put faire la que peu de miracles . Mot ad- 
mirable de 1'evangeliste, d'autant plus qu'il n'est pas cherche r 
et nous revele jusqu'au fond la qualite spirituelle et religieuse 
de la puissance thaumaturgique de Jesus. Qu'on n'imagine 
pas une force inconsciente, une puissance d'action sans frein> 
ni but. Le Sauveur n'impose pas plus la force bienfaisante 
qui gue"rit que la lumiere qui sauve. 

La divulgation des faits merveilleux est, elle aussi, limitee r 
soumise comme le reste, au m6me titre que 1'enseigne- 
ment et les paraboles, a la marche progressive et d^libere*- 
ment dosee, de la manifestation totale. Ne fallait-il pas s'y 
attendre? Pourquoi le miraculeux serait-il aberrant, e'chap- 
perait-il seul au plan providentiel ? II y a ici intention mani- 
festo de corriger non seulement la notion alors courante du 
miracle, mais celle de la foi naissant du miracle contemple, 
ou accrue a son contact. Ni celui-ci n'est un prodige acca- 
blant, s'imposant comme un coup de tonnerre, dispensant le 
candidat au Royaume des preparations obligees : purete de 
coeur, sincerity, bonne volonte ; ni celle-la n'est une lumiere 
crue, discernant pour tous, sans egard a leurs dispositions- 
intimes, les realit^s surnaturelles. 

Gette discretion constante, ces limitations impose' es du, 

1. Voir tome I, p. 305-338. 



LBS MIRACLES BE JN&SUS. 335 

dedans, non du dehors, marque de sageese et non aveu 
d'infirmite 1 , conferent aux miracles e"vangeliques un carac- 
tere unique, et aux recits qui les relatent, un cachet d'histori- 
cite* hors ligne. G'est en eifet le propre des embellissements- 
posterieurs de surencherir, de chercher le plus e"clatant, 
1'irre'cusable, 1'inoul. Les oeuvres de Jesus, telles qu'on nous 
les decrit, sont au contraire si modestes, si spirituelles, si 
mortifie*es, qu'elles interpretent la vie et 1'enseignement du. 
Maitre sans les tirer de 1'histoire, du reel, de tout ce que- 
nous savons par ailleurs du Saint de Dieu. 

4. R6alit6 des Miracles. 

Rattaches par un lien certain a la mission divine de Je*sus* 
de Nazareth, des faits extraordinaires, en nombre, figurent 
dans des histoires d'une valeur reconnue : quoi qu'il en soil/ 
done de tel detail ou de tel Episode en particulier, leur rea- 
lite globale s'impose a un bon esprit. II reste a decider,, 
apres cela, si ces phenomenes merveilleux, que nous avons 
appele*s des miracles, meritent vraiment ce nom. Est-il cer- 
tain que, dans le cas, il y a eu effet qui excede la force 
naturelle des moyens qu'on y emploie 2 ? Cette conclusion, 
n'est-elle pas ebranlee par les objections subtiles qu'on tire 
en notre temps, de 1'action des forces naturelles encore mal 
connues, de la suggestion, de la foi qui gttrit? Enfin, 1'en- 
semble des ceuvres de puissance du Christ, si elles sont 1 
reconnues surhumaines, est-il assez noble, assez spirituel, 
assez pur pour que nous puissions voir en lui un signe, un. 
sceau divinement imprim^ sur la-mission du Fils de 1'homme?' 

Le Miraculeux, tel qu'il se presente dans I'Evangile. 

A un choix de prodiges divers, glanes c.a et la et juxta- 
poses, on preferera sans doute une suite de faits transcrite: 
d'un de nos evangiles, sans interpolation ou omission notable- 
La presentation sera ainsi reduite au minimum 3 . 

1. Les textes les plus clairs en t6moignent : Mt., iv, 3 suiv. ; xxvi, 53. 

2. Pascal, Pennies, XIII ; ed. Brunschvicg mnior, III, p. 242. 

3. Lc., JY, 33-ix, 18. Dans ces chapitres du troisieme evangile, nous, 
laissous tomber lei faits et ies discours sans rapport direct avec le mira- 
culeux. 



336 JESUS CHRIST. 

Des le ctebut de la predication du Seigneur, a Caphar- 
viiaum, sur les bords du lac de Tibe'riade, 

II y avait dans la synagogue un liomme poss6de par 1'esprit j 
'd'un demon impur, et il criait a voix haute : Laisse! qu'y a-t-il 
cntre nous et toi, Jesus de Nazareth? Es-tu venu nous perdre? 
Je sais qui tu es : le Saint de Dieu. De tres haut, Jesus lui dit : 
Tais-toi, et, sors de cet homme. Et le jetant par terre, au 
milieu, le demon sortit sans lui faire aucun mal. Et tous, 
saisis d'epouvante, se disaient les uns aux autres : Qu'est 
ceci? II commando d'autorite et avec puissance aux espritsim- 
purs, et ils sortent * ! 

Immediatement apres, s'etant leve, Jesus 

sortit de la synagogue et entra dans la maison de Simon; Or la 
belle-mere de Simon souffrait d'une grosse fievre, et ils le prie- 
rent pour elle,.Il se pencha sur elle et commanda a la fievre, qui 
ia quitta. Et incontinent elle se leva et les servait. 

Au soleil couchant tous ceux qui avaientdes infirmes, atteints 
-de diverses maladies, les lui amenaient, et lui, imposant les 
mains a chacun, les guerit. Des demons aussi sortaient de plu- 
-sieurs, criant et disant : Tu es le Fils de Dieu! Et les mena- *"" 
yant, il ne les laissait pas parler, parce qu'ils savaient qu'il 6tait 
le Christ 2 . 

Apres une instruction faite de la barque de Simon a la foule *~ 
masse e sur la berge, 

Quand il eutfmi de parler, il dit a Simon : Pousse au large, \*- 
ctjetez vos filets pour la pche. Maftre, repondit Simon, 
toute la nuit nous avons peine sans rien prendre, mais sur ta 
parole je jetterai les filets. L'ayant fait, ils prirent une masse 
-enorme de poissons, mais leurs filets se rompaient. Et ils firent 
signe a leurs camarades de 1'autre barque de venir leur preter 
main-forte : eux vinrent, etils remplirentles deux barques a couler 
bas. Voyant cela. Simon Pierre se jeta aux genoux de Je"sus, 
disant : Retire-toi de moi, parce que je suis un homme pecheur, 
Seigneur! Car I'^pouvante 1'avait saisi, lui et tous ses compa- 
gnons, sur la peche des poissons qu'ils avaient pris. Et pareille- 
ment Jacques et Jean, fils de Zebedee, qui 6taient compagnons de 
Simon. 

Mais Jesus dit a Simon : N'aie pas peur. Dorenavant, c'est des 
hommes que tu pecheras. Et ayant tire leurs barques a terre, 
laissant tout, ils le suivirent. 

1. Lc., iv, 33-37. 

2. Lc., iv, 38-41. 



LES MIRACLES DE JESUS. 337 

Et il advint, comme il etait dans une des villes (riveraines du 
lac), voici qu'un homme couvert de Icpre, voyant J6sus, se pros- 
terna, face en terre, et le priait, disant : Seigneur, si tu veux, 
tu peux me rendre pur. Etendant la main, Jesus le toucha, 
disant : Je le veux, sois purifie.* Et sur-le-champ, la lepre 
s'enallade lui, et Jesus lui enjoignit de ne le dire a personne... 
Mais de plus en plus on parlait de lui, et les gens s'amassaient 
autour de lui, en troupes nombreuses," pour 1'entendre et se faire 
gu^rir de leurs infirmit6s. Mais lui se retirait dans les endroits 
solitaires, et priait. 

II arriva, un jour qu'il enseignait, et qu'avec lui e"taient assis 
des Pharisiens et des docteurs de la Loi venus de tous les bourgs 
de la .Galilee, de Jude"eet de Jerusalem, la Puissance du Seigneur 
1'incitait a guerir. Et voici des gens portant sur un lit un homme 
atteint de paralysie, et ils cherchaient a 1'introduire et a le placer 
devant lui. Et ne trouvant pas ou 1'introduire a cause de la foule, 
ils monterent sur le toit et le descendirent par les tuiles, avec 
son lit, au milieu du cercle, en face de Jesus. Et lui, voyant leur 
foi, dit : Homme, tes peches te sont remis. Et scribes et Pha- 
risiens se mirent a raisonner, disant : Quel est ce discours de 
blasphemes? Qui peut remettre les peche's, hormis Dieu seul? 
Mais ayant p6netr6 leurs raisons, Jesus repartit et leur dit : 
Qu'avez-vous a raisonner dans vos coeurs? Quel est le plus 
aise, de dire : Tes p6eh6s te sont remis; ou de dire : Leve-toi ct 
marche ? Or pour que vous sachiez que le Fils de rhomme a pou- 
voir, sur la terre, de remettre les peches il dit au paralytique : 
Je te le dis, leve-toi, prends ta couchette et va dans ta mai- 
on. Et incontinent s'etant leve" devant tous, il prit le lit ou 
il gisait, et s'en alia en sa maison, rendant gloire a Dieu *. 

Un peu plus tard, un homme dont la main etait dessechee, 
est gudri par simple commandement, dans la synagogue, 
un jour de sabbat 2 . Puis vint le choix des Douze. 

Descendant avec eux, il prit place en un lieu uni avcc une 
.grosse troupe de ses disciples, et une grande multitude do 
peuple venu de toute la Judee, de Jerusalem ot des contrees mari- 
times de Tyr et de Sidon. Ils eiaient venus pour Tentendrc ct 
pour etre gueris de leurs maladies, et ceux qui 6taient tour- 
mentes par des esprits impurs etaient gueris. Et tout le mondc 
cherchait a le toucher parce qu'une puissance sortait de lui et les 
.gu&rissait tous 3 . 

1. Lc. s v, 4-26. 

2. Lc., vi, 6-12. 

3. Lc., vi, 17-19. 

JESUS CIIIUST. II. 22 



338 JESUS CHRIST. 

Apres le grand discours qui suit et le retour aupres du lae> 
on apprend qu'un centurion a un de ses serviteurs, de ceux 
auxquels il tenait le plus, a toute extremite*. On interceda 
aupres du Maitre : ce centurion est ami d'Israe'l, et a me'ino 
edifie u-ne synagogue. Or, tandis que Jesus se dirige vers la 
demeur.e de 1'officier, des amis du solliciteur se presentent 
en son nom disant : 

Seigneur, ne prends pas tant de peine, car je ne suis pas 
digne que tu entres sous mon toit. Aussi n'ai-je pas meme ose 
venir jusqu'a toi; mais dis unmot, et que mon gargon soitgueri. 
Car moi-meme qui suis un homme constitu6 sous une autorite^ 
ayant sous moi des soldats, je dis a 1'un : Marche, et il marche; 
et a un autre ; Viens, et il vient. Et a mon serviteur : Fais ceci,. 
et il le fait. 

Oyant ceci, Jesus admira cet homme et se tournant vers la 
foule qui 1'accompagnait, il dit : Je vous declare qu'en Israel 
meme je n'ai pas trouve une si grande foi ! Et retournes a la 
maison, les envoyes trouverent le serviteur revenu en sante. 

Ensuite il se rendit dans uneville appelee Nai'm, et ses disciples 
faisaient route avec lui, ainsi qu'une i'oule nombrcuse. Or comme 
il approchait de la porte de la ville, voici qu'on portait en terre 
un mort, fils unique de sa mere qui etait veuve, et des gens de 
la ville en nombre etaient avec elle. La voyant, Jesus fut emu do 
compassion sur elle et lui dit : Ne pleure pas. Et s'etant 
approcheil toucha la biere, et les porteurs s'arreterent; et il dit : 
Jeune homme, je te le dis, leve-toi ! Et le mort se dressa sur 
son seant et commenQa de parler. Et il le rendit a sa mere. Et 
la crainte s'empara de tous les temoins, et ils rendirent gloire- 
aDieu*. 

Suit, avec les envoyes du Baptiste, 1'entrevue, transcrite- 
plus haut, au cours de laquelle Jesus opera plusieurs miracles. 

II arriva, un jour, qu'il monta en barque avec ses disciples, eb 
leur dit : Passons a 1'autre bord du lac , et ils gagnerent Ic- 
large. Et comme ils naviguaient, lui s'endormit. Et un tourbillon 
s'abattit sur le lac, et ils faisaient eau, et etaient en peril. Ils 
s'approcherent et i'eveillerent, disant : Maitre, Maitre, nous 
perissons! Mais lui, se levant, gourmanda le vent etlatrombc 
d'eau, et ils s'apaiserent, et le calme se fit. II leur dit : Oii est 
votre foi? Mais eux, pleins de crainte et emerveilles, se disaient 
1'un a 1'autre : Quel est done celui-ci qui commande jusqu'aux 
vents et aux flots et ils lui obeissent? 

1. Lc., vir, 66-17. 



LES MIRACLES DE JESUS. 339 

Puis ils aborderent dans la region des Ge"raseniens, sise vis-a- 
vis de la Galilee. Comme il descendait a terre, se presenta devant 
lui un homme de la ville possede; depuis longtemps il ne portait 
plus de vetements, et n'habitait pas dans une maison, mais dans 
des tombeaux. Voyant Jesus il se mit a crier et tomba a ses pieds, 
criant a pleine gorge : Qu'y a-t-il entre toi et moi, J^sus, fils du 
Dieu tres haut? Je te prie, ne me tourmente pas ! Car il ordon- 
nait a 1'esprit impur de sortir de 1'homme. (A bien des reprises, 
en effet, il s'etait empare de lui. Et on gardait l'homme lie de 
chaines et d'entraves; et, brisant ses liens, il etait pousse par le 
de"mon aux lieux deserts). Jesus Finterrogea : Quel est ton 
nom? Mais lui : Legion! car beaucoup de demons etaient 
entres en lui. Et ils le priaient de ne pas leur enjoindre d'aller 
dans l'abime. 

Or il y avait la, paissant sur la montagne, un troupeau de pores 
assez nombreux; et ils le priaient de leur permettre d'entrer en 
eux, et il le leur permit. Sortis de rhomme, les demons entrerenit 
dans les pores et le troupeau s'elanga du haut de 1'escarpement 
dans le lac, et fut noye. Ce que voyant les bergers s'enfuirent et 
1'annoncerent dans la ville et dans les champs. Ils sortirent pour 
voir ce qui etait advenu, vinrent a Jesus, et trouverent l'homme 
duquel etaient sortis les demons, vtu et assagi, assis aux.pieds 
de Jesus. Et ils furent eflfrayes; et ceux qui avaierit vu leur racon- 
taient comment le demoniaque avait ete sauve 1 . 

Sous le coup de la peur qui les prit, et probablement aussi 
plus sensibles que de raison a la perte materielle, les gens 
de Gerasa prierent le Maitre de s'eloigner. Tout en mettant 
en vif relief la malfaisance des demons, cette perte etait 
pourtant plus que compens^e par la delivraiice du redoutable 
energumene. Nu, hurlant, gitant dans les tombeaux en sau- 
vage, ce malheureux qu'on avait dti renoncer a entraver, 
etait un danger public. Or chaeun pouvait le voir mainte- 
nant, convenablement v^tu, rendu a la dignite humaine, aux 
pieds de son liberateur 2 . 

1. Lc., VIH, 22-36. 

2. Le commentaire le plus significatif de cet episode est peut-etre le 
roman de Fedor Dostoiewsky, Les Possess, 1871, qui a justement pour 
epigraphe Lc., vin, 32. L'auteur y incarne, a travers une intrigue assez 
broussailleuse, mais avec vigueur, les forces malefiques, anarchiques, 
diaboliques, de certains agents de revolution, qui fixent pour ainsi dire en 
eux les ferments morbides d'un corps social; en 1'espece, la Russie. 
L'elimination de ces pourceaux rend un pays a la sante, et alors le 
malade, delivr6, gueri, s'assiera aux pieds de Jesus >. La lecon est 



340 



JESUS CHRIST. 



A peine de retour sur la rive galileenne du lac, recu avec 
joie par une foule qui 1'attendait, 

voici qu'arrive un homme du nom de Jai'r, Icquel etait chef de 
la synagogue. Tombant aux pieds de Jesus, il le priait d'entrer en 
sa maison, parce qu'il avail une fille unique, d'environ douzc ans 
qui se mourait. 

Comme Jesus s'y rendait, les foules le serraient a 1'etouffer. Or 
une femme souflrant depuis douze ans d'un ilux de sang qui n'avait 
pu 6tre gueri par personne, s'approcha par derriere et toucha la 
houppe de son manteau, et sur-le-champ son flux de sang s'arreta, 
Et Jesus dit : Qui m'a touche? Comme tous s'en deTendaient. 
Pierre dit : Maitre, la foule te presse et t'accable! Mais Jesus 
dit : Quelqu'un m'a touche, car j ; ai senti qu'une vertu sortait 
de moi. Se voyant decouverte, la femme vint en tremblant se 
jeter a ses pieds, et raconta devant tout le peuple pourquoi elle 
1'avait touche, et comme elle avait etc guerie sur-le-champ. Mais 
lui : Ma fille, ta foi t'a sauvee; va en paix. 

II parlait encore quand survint quelqu'un de chez le chef.de .la 
synagogue, disant : Ta fille est morte; n'importune pas le 
Maitre plus longtemps. Co qu'entendant, Jesus dit au pere : 
N'aie pas peur; crois seulement et elle sera sauvee. Arrive a 
la maison, il ne laissa entrer personne avec lui, sauf Pierre, Jacques 
et Jean, le pere et la mere de 1'enfant. Cependant tout le monde 
pleurait et se lamentait sur elle. II dit : Ne pleurez pas : car elle 
n'est pas morte, mais elle dort. Et ils se moquaient de lui, 
sachant qu'ellc etait morte. Mais lui, la prenant par la main, 
1'interpella en disant : Enfant, reveille-toi. Et 1'esprit lui 
revint, et elle se leva sur-le-champ, et Jesus commanda de lui 
donner a manger. Ses parents etaient dans la stupeur; mais il 
leur defendit de dire a personne ce qui s'6tait passe". 

Ayant convoque les Douze, il leur donna force et puissance sur 
tous les demons, et de guerir les maladies. Et ils les envoya prfr- 
cher le Royaume de Dieu... 

Revenus, les apotres lui raconterent tout ce qu'ils avaient fait. 
Et les prenant avec lui, il se retira a l'e*cart, en tirant vers 
Bethsaide. Mais 1'ayant su, les foules le suivirent, et il les 
accueillit, leur parlant du Royaume de Dieu et guerissant ceux 
qui en avaient besoin. 

Or le jour commencait a baisser. S'approchant, les Douze lui 
dirent : Renvoie la foule : qu'ils aillent dans les villages et la 
campagne tout autour, cherchcr abri et subsistance, car ici nous 
sommes dans un desert. II leur dit : Donnez-leur a manger 

d'autant plus frappante que Dostoievsky avait ete Iui-m6me moins 6par- 
gn6 par 1'autorite. 



LES MIRACLES DE JESUS 341 

vous-memes! Mais eux : Nous n'avons pas plus de cinq pains 
etde deux poissons... a moins peut-e'tre que nous n'allions nous- 
m6mes acbeter des vivres pour tout ce monde ! Car il y avait la 
quelque cinq mille hommes. 

Il'dit a ses disciples : Faites-les asseoir par tables de cin- 
quante, plus ou moins. Et ils agirent ainsi, les faisant tous 
s'elendre. Mais lui, prenant les cinq pains et les deux poissons, 
les yeux au ciel, il les benit, les rompit et il les donnait aux dis- 
ciples pour Stre servis a la foule. Et ils mangeaient, et tous furent 
rassasies, et on emporta de leur surplus : douze corbeilles de 
morceaux*. 

Gette suite de miracles qui se presse en moins de six cha- 
pitres d'un de nos e*vangiles permet une discussion sur 
pieces. On a remarque* surement la place considerable que 
tient, dans I'actiyite' merveilleuse du Seigneur, la lutte contre 
les mauvais esprits. Quelques explications sur ce point ne 
paraitront done pas inopportunes. 

Les Expulsions de Demons. 

La croyance aux demons 2 occupe une telle place dans le 
monde antique qu'un excellent erudit a pu ecrire qu'en son 
histoire seule, tout 1'esprit helldnique se reflefce 3 . G'est assez 
dire sa complexite, et comme elle repugne a toute description 
precise. Au temps apostolique, la notion de 8a([Ao>v, orientee 
jadis par Homere et Hesiode dans ses directions essentielles, 
elabore'e par les philosophes et les poetes, enrichie et de*- 
gradee par la superstition populaire, avait atteint son plein 
developpement. Celestes ou infernaux, sans caractere moral, 
sans relief personnel accuse, participant tous, bien qu'inega- 
lement, a la puissance supreme qui regie la destine*e humaine, 
et dont ils sont les instruments et les interpretes, les dai- 
mones se partagent en deux grandes classes, les bons 
et les mechants demons ce qu'il faut plut6t entendre : 
bienfaisants, porte-bonheur ; ou, malfaisants et nefastes. Quel- 
que origine qu'on leur attribuat : dieux retrogrades, demi- 
dieux, morts desincarnes, genies tutelaires d'une race ou d'un 
homme, d'une profession ou d'une cite, on les concevait 

1. Lc., VHI, 41-56; ix, 1; 10-17. 

2. Voir infra, p. 470, la note H a , AAIMONES et Demons. 

3. J. A. Hild, Daemon, dans DAGR, II, 1, p. 9, 6. 



342 jijsus CHRIST. 

comme des forces avec lesquelles il fallait compter : soitque, 
redoutables, il convint de les apaiser, en se les rendant 
propices; soit que, detenteurs d'e"nergjes surhumaines, on 
tentat de les faire serviiv par imploration, ruse ou contrainte, 
a des fins determinees. 

A ces images incertaines, surgies du vieux fbnds helle*nique 
et auxquelles les lettres et la philosophic grecques assuraient 
un immense empire dans le monde mediterrane'en, d'autres 
figures, analogues et innombrables, s'etaient juxtaposees, ou 
amalgamees, venant des terres classiques de la magie : Egypte, 
Babylonie, Perse ou Thrace. Et si le demonisme egyptien, si 
1'angelologie iranienne offraient certaines formes relativement 
nobles, celles qu'apportait le vent soufflant de Babylone a 
travers la Syrie, etaient d'ordinaire impures et malefiques. 

Placee au centre de ces influences, assiegee au nord par 
Fhellenisme, limitrophe et longtemps tributaire des deux civi- 
lisations-meres, assises sur les fleuves divins : le Nil -a 
1'ouest, TEuphrate et le Tigre a Test, la Terre Sainte ne pou- 
vait echapper a la contagion. Depuis PExil surtout, Tantique 
severite s'etait detendue qui condamnait comme un" crime 
capital le commerce avec les demons, et denoncait dans tout 
ce qui s'y rapportait, une saveur idolatrique ^. Les idees cou- 
rantes en Babylonie 2 , ou 1'on devinait des e sprits malins a 
1'origine de la plupart des maladies, firent leur chemin dans 
lie peuple de Dieu, amenant avec elles la croyance qu'bn 
pouvait centre carrer ou neutraliser, par certains precedes, 
Faction des mauvais demons. On attribuait globalement au 
3?oi Salomon les fbrmules les plus puissantes, et sous ce 

1. Deuter., xviu, 10-11 ; II (iv) Reg., xxr, 6; II Paral., xxxm, 6; Isa'ie, XLVII, 
9, 12; Jer6mie, xxvu, 9 suiv. ; Mich6e, v, 11 suiv., etc. Voir L. Blau, Das 
Alljudische Zauberwesen, Strasbourg, 1898, r6sume par Fauteur, JE, VIII, 
p. 255 suiv. Sur la magie en Israel dans les temps posterieurs, E. Schiirer, 
Geschichte des jild. Vol/tes*, III, p. 414-420; M. Caster, dans ERE, VIII, 
p. 300 suiv.; Strack et Billerbeck, Altjildische Daemonologie, dans KTM, 
W. 

2. R. Campbell Thompson, Devil and Evil Spirits of Babylonia, 
lLondon, 1904, 1905; Semitic Magic, 1908; Demons and Spirits (BabyL) 
dans ERE, IV, p. 568. Voir aussi les Bulletins des Religions Assyriennes 
et Babyloniennes d'Albert Condamin, dans HSR, notamment XIII', 1923, 
p. 92 suiv. 



LES MIBACLES DE JESUS. 343 

patronage, se mettait aussi, au temoignage de Josephe, la 
designation d'une racine dont 1'usage renforgait 1'energio des 
exoreism.es. 

Le monotheisme intransigeant d' Israel n'avait pas permis 
,a ces croyances de dege"ne>er comme ailleurs, ou au mdme 
point qu'ailleurs, en superstition. Surtout 1'austerite d'autre- 
fois, dont la Loi perpetuait les anathemes, imposait au demo- 
nisme palestinien un caractere moral accuse. Les esprits se 
repartissaient en classes tranchees, et leur action, bonne ou 
mauvaise, diabolique ou angelique, n'etait jamais demoniaque d 
au sens serai-profane du mot, c'est-a-dire de simple inspira- 
tion, sans qualite definie. Mechants, impurs , les demons 
sont incapables de tout bien, fAt-ce de servir d'instrument 
dans une guerison miraculeuse 2 . Us peuvent se preter a 
certains pactes limitant leur activite visible, mais celle-la 
seulement : ces noires pratiques se solderont toujours par un 
inal plus grand, et sont exclues des exorcismes licites 3 . 

Ges derniers s'etaient en effet multiplies, avec 1'idee meme 
que bien des maladies, celles par exemple qui entralnaient 
des convulsions, des agitations frenetiques, des troubles men- 
taux apparents, etaientle fait de mauvais esprits 4 . Pour guerir 

1. Sur cette notion de demonique, distincte du diabolique (le mot 
manque en frangais, demoniaque etant toujours pejoratif, mais le mot 
demon est employe en ce sens) voir par exemple Rud. Otto, Das Heilige, 
eid. anglaise Harvey, 1924, p. 126 suiv. ; 155 suiv. Goethe 1'a developpee 
avec predilection, et elle est differente, a la fois de la notion juive et 
chretienne, a caractere moral defini, et de la notion hel!6nique ou 
pai'enne, proprement superstitieuse, a caractere religieux defini, de la 



2. Apres la predication du Christ qui suiyit la guerison de 1'aveugle 
ne, les opinions des auditeurs divergent : Plusieurs parmi eux disaient : 
II a un demon en lui, et il delire, 8at(idviov '^st xa\ p-aive-cat, pourquoi 
I'ecoutez-vous? D'autres disaient : Ces paroles ne sont pas d'unpossede; 
est-ce qu'un demon pent ouvrir les yeux des aveugles? Jo., x, 20-21. 

3. Me., in, 22 suiv. ; Mt., xir, 24 suiv. ; Lc., xi, 15. 

4. J. Smit, De Daemoniacis in historia evangelica, Rome, 1913, p. 146- 
172. Deja Dom Calmet au debut du xvm siecle, dans les Dissertations 
jointes a ses Commentaires publics entre 1707 et 1716, et, avant lui, le 
vieux John Lightfoot, dans ses Ilorae Hebraicae et Talmudicae, parues a 
Cambridge et Londres entre 1658 et 1678 (voir 1'edition R. Gandell, 
Oxford, 1829, II, p. 249), ont reconnu et explique le fait. 



344 % JESUS CHRIST. 

ces lunatiques, demoniaques ou energumenes, qu'on estimait 
e*tre posse*des, une therapeutique speciale s'etaitetablie, tenant 
a la fois de Pempirisme, de la religion et de la magie. Je*su& 
fait allusion a ces cures ^tentees frequemment par les hommes 
de son temps, hors d'lsrael et en Israel. 

Nous avons d'ailleurs constate plus haut que Je'sus lui-me'ine 
proceda souvent a la delivrance des possede's 2 . Les malheu- 
reux quHl delivrait ainsi etaient-ils simplement des malades : 
epileptiques agites, grands nerveux, indument classes parmi 
les victimes des mauvais esprits? Des critiques modernes, en 
bon nombre, 1'ont cru, et tous ceux pour qui 1'existence et 
Faction d'esprits separes est un scandale et une impossibilite, 
doivent naturellement expliquer ainsi les textes, si c'est lales 
expliquer. Les uns admettront done que le Maitre a partage 
la-dessus les idees et les erreurs de son temps, et qu'ainsi il 
a cru de bonne foi delivrer du Malin les pauvres gens dont 

1. Me., in, 22; Mt., xir, 27; Lc., xi, 18-19. Jesus parle ici ad hominem, 
sans appr6cier au fond la valeur des moyens mis en oeuvre. Ses adver- 
saires, obliges de reconnaitre I'efficacit6 de ses interventions pres des 
possedes, en attribuaient I'efficacit6 a un pacte, conclu avec un demon- 
chef, et tres m6chant, Beelzeboul (sur B6elzeboul, Strack et Billerbeck, 
KTM, I, p. 631, 632; et J. Klausner, Jesus of Nazareth, 1925, p. 272). t Mais 
vos disciples (litt. : vos fils), pr^tendent bien chasser les demons, et 
parfois efficacement, repond Jesus. Au nom de qui? 11s seront done les 
premiers a retorquer centre vous cette interpretation sinistre ! Ailleurs, 
Me., ix, 38-40, le Maitre defend qu'on s'oppose a 1'expulsion de demons, 
pratiqu6e en son nom par un exorciste sans mandat. 

2. Sur la question en general, W. Menzies Alexander, Demonic Posses- 
sion in the Neva Testament, Edinburgh, 1902 ;E. Mangenot, De'mon dans 
laBibleet laTheologicjuive, dans DTC, IV, 1, 1911, col. 322-339; A. Titius, 
Ueber Heilung von Daemonischen im Neuen Testament, dans Festschrift 
fur Bonwe'sch, Leipzig, 1918, p. 25-47. Le meilleur ouvrage de beaucoup 
est celui de J. Smit, De Daemoniacis in historia evangelica, Rome, 1913, 
veritable somme de la question. Sur le cot6 philosophique, Edw. Ingram 
Watkin, The Philosophy of Mysticism, London, 1920, p. 237-240. 

Les recueils de prodiges, juifs et pai'ens, 6dites par Paul Fiebig, et 
qu'il est tres instructif de comparer aux miracles du Nouveau Testament, 
font une large part a 1'expulsion de d6mons. Voir P. Fiebig, Rabbinische 
Wundergeschichten des neutestamentl. Zeitalters; Antike Wundergeschich- 
tenzm Stadium der Wunder des N. T. zusammengestellt*, Bonn, dans les 
Kleine Texte de H. Lietzmann, n. 78, 79. Voir en particulier, dans ce 
dernier opuscule, les nn. 6, 18, 20, 22. 



LE6 MIRACLES DH JESUS. 345> 

son ascendant moral, et son prestige bienfaisant ame'lioraient 
ou transformaient 1'etat physique. D'autres estiment que le 
Sauveur, sachant a quoi s'en tenir pour son compte, se serait 
pr^te,. dans un but de charite, a une erreur inoffensive. Quel- 
ques-uns enfin font retomber toute la confusion sur les seuls 
evangelistes. 

Aucune de ces fagons de voir, ni la premiere, ni les autres, 
plus respectueuses mais encore plus arbitraires et gratuites, 
ne fait justice a 1'histoire et aux textes. La question, obser- 
vons-le, n'est pas de vocabulaire. Que conformement a la lan- 
gue de leur temps, refle"tant elle-me'me la conception d'apres 
laquelle t un groupe d'infirmites etait considers" comme etant 
d'origine diabolique, les evangelistes aient qualifie de de"mo- 
niaques et d' energumenes , oude lunatiques , de simples 
malades, cela n'auraitpas lieu d'etonner, et on ne saurait le 
nier a priori. On trouverait la le pendant des expressions 
bibliques, tres repandues, qui rapportentimmediatement a Dieu, 
en excluant ce que nous appelons maintenant.les causes se- 
condes, toute sorte de bien, me"me celui qui s'opere par des- 
intermediaires naturels, comme une maladie guerie moyennant 
des remedes appropri^s, ou le succes d'une entreprise habi- 
lement conc.ue et executee. Ge qui rend insoutenables les 
explications des critiques liberaux, fondees sur une confusion 
entre malades et possedes, ce sont done moins les expressions 
de 1'Evangile que 1'ensemble de ce qu'il rapporte, et tout 
d'abord le langage et 1'attitude mfime du Christ. 

Des le debut de son ministere Jesus s'est mesure a une 
Puissance spirituelle qui a essaye, par voie de seduction et 
d'intimidation, de faire devier sa mission 1 . Si mysterieux que 
reste cet episode en plusieurs de ses details, il n'en atteste 
pas moins, avec force, la pensee du Maitre, touchant 1'exis- 
tence et 1'intervention, allant jusqu'a 1'action directe et phy- 
sique, de Satan. 

Cette initiative maiigne n'epargne pas plus les disciples que 
le Maitre : 



1. Me., r, 12-13; Mt., iv, 1-11; Lc., iv, 1-13. On peut voir sur la tenta- 
tion la monographic de P. Ketter, Die Versuchung Jesu nach dam Berichte 
der Synoptiker, Miinster i. W., 1918. 



"346 JESUS CHRIST. 

Simon, Simon, voici que Satan vous a demands 
pour vous passer au crible comme du b!6, 
mais moi, j'ai prie" pour toi 1 ... 

Quatre faits majeurs figureront dans la double ou la triple 
Synopse, ne laissant d'ailleurs aucun doute sur le caractere 
{personnel, et intelligent, de 1'obsession diabolique. A la sy- 
nagogue de Capharnaiim, 1'homme en puissance d'esprit 
impur 2 prend 1'offensive, ressent comme une brulure, a 
'1'approche du Maitre, et manifesto sapeurpar des cris affreux, 
mais aussi par une angelique puissance de divination : 

Laisse! Qu'y a-t-il entre nous et toi, Jesus de Nazareth? 

Tu es venu nous perdre? 
Je sais qui tu es : le Saint de Dieu ! 

L'energumene de Gerasa, decrit par Marc avec un realisme 
^poignant, s'il est un furieux, n'est pas un malade ordinaire. II 
Interpelle Jesus, longtemps avant la confession de Pierre, 
comme : Fils du Dieu Supreme! et, avant Caiiphe, ill'ad- 
jure par Dieu; puis, contraint de lacher sa proie, le demon 
>marchande, et cherche encore a nuire, dans 1'abjecte retraite 
r qu'il implore 3 . La delivrance de la fillette syrophenicienne est 
racontee seulement en gros ; mais 1'influence victorieuse des 
forces morales en pareil cas y est soulignee** II en va de 
one'me pour 1'adolescent qu'un demon rendait sourd et incapa- 
ble de se faire comprendre : centre des esprits de cette es- 
pece la priere seule assure le triomphe 5 . 

En dehors de ces faits circonstancies, tous les rappels de 
l'activite miraculeuse du Sauveur 6 mentionnent expressement, 
-a c6te des malades gueris, les demoniaques liber^s. Jesus lui- 
.me'me, s'il envoie ses disciples en mission temporaire, les in- 

1. Lc., xxu, 31. 

2. Me., i, 23-28; Lc., iv, 33-37. 

3. Me., V, 1-20; Ti Ipoi (Mt. : r)(Jitv) xl cot, 'Irjoot) oU Toil sou TOU u^t'otou; 
*ifo aJ tbv Oso'v, etc. Mt., vin, 28-34; Lc., vin, 26-39. 

4. Me., vii, 24-30; Mt., xv, 21-28. 

5. Me., ix, 18-29; Mt., xvn, 14-21; Lc., 9, 37-42. A la priere comme 
moyen efficace d' exerciser TOUTO TO ysvo;, les versions syriaques, la Vulgate, 
et nombre de manuscrits grecs, suivis par H. J. Vogels, ajoutent le jeune. 

6. Mt., iv, 24; Me., I, 32, 34, 39; Mt., vm, 16; Lc., iv, 40, 41; Me., m, 
dO; Lc., vi, 17-19; Lc., vn, 21. 



LBS MIRACLES DE JESUS. 347 

vestit du double pouvoir *. Le quatrieme evangile n'est pas 
moms formel : il coraprend incontestablement 1'expulsion du 
diable parmi les oeuvres du Christ . Bien plus : il resume 
fcoutes celles-ci en celle-la. Maintenant, declare le Maitre, 

C'est maintenant le jugement de ce monde-ci, 
maintenant le prince de ce monde va etre jete dehors. 
Et moi, quand j'aurai ete leve de terre, 
je les tirerai tous a moi. 

La lutte finale se livre au jpur de la Passion. En montant au 
Jardin des Oliviers, Je"sus dit : 

)e ne vous en dirai plus Men long, 
car il vient, le prince du monde, 
et il n'a aucune part en moi. 

Mais, virtuellement, il y a bataille gagnee : le prince de 
-ce monde est deja juge . De ce jugement, et de cette vic- 
toirej la delivrance des posse"des est L'annonce et le debut 2 . 

A c6te des faits averts, qu'on place 1'enseignement positif 
de Jesus, soit qu'il decrive la puissance du demon et sa tac- 
iique, soit qu'il expose les f aeons de le combattre et montre, 
dans Toeuvre messianique entiere, la contre-partie triomphale 
de Fentreprise du Malin. Gette derniere serie de textes ne 
laisse aucune vraisemblance al'opinion qui interprete Fattitude 
-de Jesus comme une accommodation volontaire a des erreurs 
alors generates, censees inoffensives. 11 est vain d'assimiler 
une conception de ce genre aux locutions selon les apparences. 
Dire que le soleil se leve, ou se couche; parler de la voute du 
ciel, etc... c'est employer le langage de tout le monde, et les 
plus avertis continuent justement d'en user. Quelle comparai- 
son 6tablir entre des facons de parler qui ne trompent per- 
sonne, et la tolerance ou plut6t 1'enseignement d'une erreur 
attribuant a des e"tres surhumains de graves maux d'ordre 
physique et Forganisation, dans Funivers entier, du mal mo- 

1. Me., m, 15; vr, 7, 12, 13 et parall.; xvi, 15-18. 

2. Jo., XH, 31-32; xvi, 11; xrv, 30. G. Stanley Hall n'en ecritpas moins, 
avec son manque habituel de sens historique : Jean ne dit rien de 
1'expulsion des demons, comme si cette odieuse superstition etait deja 
sur son deelin ! Jesus the Christ in the light of Psychology, New- York, 
1923, p. 625. 



348 JESUS CHRIST. 

ral? Nous sommes la sur le terrain religieux et, bien plus,, 
messianique. Or 1'antithese johannique *, selon laquelle 

a cette fin est apparu le Fils de Dieu : 
defaire les oeuvres du diable, 

est I'e'cho fidele de la predication la plus constante du Maltre r 

Quand, arme de toutes pieces, le fort garde son chateau, 

son bien est en surete". 

Mais que plus fort que lui, survenant, le vainque, 
il lui enleve I 1 arsenal ou (1'autre) mettait sa confiance 

et distribue ses de"pouilles a . 

Parabole saisissante, qui resume 1'oeuvre de Jesus, telle que- 
lui-me'me la concevait. Les oeuvres du diable , c'est le 
mensonge, sous toutes ses formes, du plus homicide au plus 
impudent. Gar Satan est.l'ennemi de la verite non par nature, 
ce qui le soustrairait a la creation de Dieu, mais par chute et 
depravation d'orgueil qui 1'a fait sortir de la verite de son etat : 

II ne s'est pas tenu dans la verite, 

parce qu'il n'y a pas de verite eh lui. 

Quand il profere le mensonge, c'est de son fonds qu'il parle, 

parce qu'il est menteur, et pere du mensonge 3 , 

Menteur il est, quand il vient sous couleur de distraction 
6ter du cceur des hommes les bonnes semences de verite je- 
tees par la predication evangelique. Pere et patron du men- 
songe, quand il va la nuit semer 1'ivraie dans le champ de 
Dieu. Menteur, jusque dans ce titre qu'il s'arroge, de prince 
de ce monde. Non qu'il ne soit fort : il a fait reellement, du 
monde tel qu'il apparait, une sorte de chateau, ou ses biens 
semblent en surete ; une cite dont il est le prince ; un Royaume 
ou, avec ses anges 4 invisibles et visibles, il exerce un 
veritable empire. De cet empire, les malheureux hommes qu'il 
possede sont les herauts, d'autant plus eloquents et pitoyable& 
parfois, que, enfants, ou adolescents, ils sont moins person- 
nellement coupables. Eh bien! c'est la, c'esb sur ce territoire 
usurpe, sur cette irredenta divine ou Satan s'espace, que va 

1. IJo., in, 8b. 

2. Lc., xi, 21; voirMt., xii, 29; Me., in, 27. 

3. Jo., vin, 446. 

4. Mt., xxv, 41 ; cf. Apoc., xn, 7, le Dragon et ses anges >; Strack et 
Billerbeck, KTM, I, p. 983 suiv. 



LES MIRACLES DE JESUS. 349 

e livrer et se gagner le premier combat, qui marque Tarrivee 
definitive du Royaume de Dieu. Le merveilleux pouvoir du 
Sauveur sur les demons intrus en est le signe certain. 

Mais si par le doigt de Dieu je chasse les demons, 
Done, c'est qu'il est arrive" a vous, le Royaume de Dieu ' 1 

Get avenement est un combat singulier, un duel formidable 
a la suite duquel le Malin deconfit, deboute" des droits qu'il 
pretend, affaibli dans le pouvoir de fait qu'il de"tient, sera mis 
en deroute. Un retour offensif est pre"dit, partiellement victo- 
rieux : ce sera le lot et le chatiment de cette generation 
perverse 2 . Puis la lutte se poursuivra, au cours de laquelle 
le chef du Royaume messianique et ses serviteurs s'affronte- 
ront sans tre"ve au prince de ce monde-ci et a ses auxiliai- 
res, et finalement en auront raison. 

Cette conception, les apdtres la partagent. Quand ils 
reviennent de leur mission, pleins de joie et de confiance, le 
premier mot des disciples est : Seigneur, les demons me'ines 
nous sont soumis. Et le Maitre de conclure.: 

Je voyais Satan tomber du ciel comme un eclair! 
Et voici qu'a vous, les Douze, j'ai donne pouvoir de fouler aux 

[pieds serpents et scorpions, 
et toute la puissance de 1'Ennemi; 
et rienne vous fera nuisance 3 . 

Puis, a cette heure meme , Je"sus tressaillit de joie dans 
le Saint-Esprit, et dit : Pere, je te rends graces . 

Require toute cette doctrine a une suite de m^taphores, 
y voir une antithese en quelque sorte litteraire, personnifiant 

1. Lc., xi, 20; Mt., xif, 28 substitue au biblique < doigt de Dieu : 
Exode, vm, 14 suiv., le plus intelligible esprit de Dieu >. C'est en com- 
binant ces deux textes qu'on est arriv6 k qualifier le Saint-Esprit : digi- 
tus paternae dexterae . Sur tout ce passage, A. Fridrichsen, Le Probttme 
du Miracle dans le Christianisme Primitif, 1925, p. 49 : Cette conclu- 
sion exprime la pensee de 1'Eglise primitive, mais nous donne sans doute 
aussi celle de Jesus lui-meme. Elle montre quelle grande importance, a 
1'epoque la plus ancienne, on attribuait aux exorcismes : ils sont un des 
signes caracteristiques du royaume de Dieu. > 

2. Mt., xn, 43-45; Lc., xi, 24-26. 

3. Lc., x, 17-19 : Psaume xci (Vulg. xc), 13. Sur le contexte et 1'enchai- 
nement avec Lc. ; x, 21 : Je vous rends graces, etc. voir ci-dessus, 
tome I], p. 27. 



350 JESUS CHRIST. 

les puissances humaines du Mai pour les rendre plus con- 
cretes, c'est prater au Sauveur un etat d'esprit moderne,. 
romantique, totalement inintelligible a ses auditeurs. Une 
telle exegese peut se faire agreer d'un lecteur, desireux avant 
tout de ne pas elre depayse : aucun historian ne s'en conten- 
tera. En realite, Jesus a constamment agi dans 1'hypothese,. 
et il a formellement enseigne", quo des puissances spirituelles,. 
appelees mdistmctementparlese>angelistes e sprits malins 
ou esprits impurs , s'opposant a 1'etablissement du Regne 
de Dieu, exercaient dans et par des corps d'hommes une 
activite visible, exprimaient des jugements marques parfois 
d'une penetration surhumaine 1 . 

II faut done reconnaitre que les cas de possession etaient 
alors tres frequents, et 1'action des mauvais esprits plus, 
visible qu'elle ne Test communement aujourd'hui, en pays 
chretien. Sur les causes de cet empire etonnant du prince 
de ce monde a cette epoque, nous avons mieux que des 
conjectures : les paroles me'mes de Jesus decrivant les efforts 
du Malin pour defendre ou recouvrer un pouvoir qu'un 
plus fort que lui venait lui arracher. Gette lutte, dont lea 
expulsions de demons forment 1'episode le plus parlant, est 
a 1'arriere-plan de tout 1'Evangile. 

Quant au fait m6me, et a 1'etendue des pratiques demo- 
niaques au temps apostolique, on ne saurait les mettre en 
doute. L'etude de la magie antique, qui est fort loin d'etre 
achevee 2 , revele une prodigieuse vitalite de pratiques, au 
fondpeu variees : charmes, philtres, amulettes, sorts, malefices; 
formules d'evocation, d'execration et d'exorcisme; drogues 
et recettes efficaces. L'effort pour conjurer, contraindre ou 
capter des forces diaboliques ou divines, tourne en un cercle 

1. Me., i, 23, 24; Lc., iv, 33-35; Me., i, 34; Lc., iv, 41 ; Me., ill, 11- 
12; Me., V, 7; Mt., vm, 29; Lc., vm, 28. 

2. On peut voir H. Hubert, Magia dans DAGiR, III, 2, col. 1494-1521 ; et, 
parmi les memoires reunis dans ERE, Charms and Amulets, Greek, par 
L. Deubner, III, p. 443 suiv. ; Roman par R. Wiinsch, p. 461 suiv. ; et 
^Magic, Greek and Roman, par K. F. Smith, VIII, p. 269-289. L'histoire 
suivie de Lynn Thorndike, A History ofMagy and Experimental Science 
during the thirteen first Centuries of our Era, New- York, 1923, I, Book 
I et II, p. 39-551, est un expose touffu, actuellement le plus complet; mats 
la competence de 1'auteur est surtout medievale. 



LES MIRACLES DE JESUS. 351' 

assez etroit, trace par les plus vaines et les plus viles pas- 
sions : la curiosite, la peur, la jalousie, 1'amour charnel,. 
la cruaute". Partout se revelent les tares qui font de la magie,. 
si proche de la religion et vivant sur elle, le poison et le 
chancre du sentiment religieux veritable : amoralite absolue 
dans les moyens, prostitution du divin a des fins coupables 
ou simplement humaines. On ne peut douter, apres cela, que 
la lutte centre la magie noire n'ait ete une partie integrante 
de cette defaite ou dissolution des oeuvres du diable ,. 
que le Christ est venu procurer. 

Sous ce rapport, la lecture des plus anciens documents 
chretiens commente efficacement 1'Evangile : partout la 
predication apostolique se heurte a la magie. A Samarie r 
Simon le Mage exerce une sorte de dictature de fait 1 ; en 
Chypre, le sorcier juif Elymas dissuade le proconsul Sergius- 
Paulus de croire 2 ; a Philippes de Macedoine, saint Paul 
delivre une esclave pythonisse 3 ; a Ephese, des exorcistes- 
Israelites, et notamment les fils du prdtre Sceva, tentent 
d'exploiter le nom de Jesus pour leur Industrie. A Ephese 
encore, dociles aux predications de I'apdtre, les neophytes 
livrent aux flammes une masse de grimoires et de livres. 
magiques, representant une somme enorme 4 . Dans ses lettres r 
Paul nomme la sorcellerie, immediatement apres 1'idolatrie,. 
parmi les oeuvres de la chair , ennemies de 1'Esprit de 
Dieu; et il demande aux Galates qui les a ensorceles au 
point de leur faire perdre de vue Jesus crucifie 5 . II met en 
garde les Golossiens contre les vaines observances 6 , 



1. Actes, vin, 9 suiv. Voir sur la Gnose simonienne les m&noires de- 
L. Cerfaux, RSfi, XV-XVII, 1925-1927. 

2. Actes, xni, 4-12. 

3. Actes, xvi, 16 suiv. 

4. Actes, xix, 13-17 et 19. Sur les Ephesia Grammata, Kuhnert dans- 
RECA,V, 2, col. 2771 suiv. etsurtout Ad. Deissmann, Ephesia Grammata, 
dans les Abhandlungen zur semitischen Religionskunde, offerts a W. W. 
von Baudissin, Giessen, 1918, p. 121-125. Les livres brules valaient 
50.000 * pieces d'argent >. Si Ton estime la drachme d'argent a 0,93 c.,. 
on arrive 4 pres de 50.000 francs. 

5. Gal., v, 2 : cpap[Aot/.i'a; Gal., m, 1 : Tt's uiiS? e6aa>cavev; Voir Moulton et. 
Milligan, VGT, p. 106 ; et Eitrem u. Fridrichsen, Bin christliches Amulet 
auf Papyrus, Kristiania (Oslo), 1921. 

6. Coloss., ir, 16-23. 



352 JESUS CHRIST. 

Corinthiens, centre le culte des demons , qu'il identifie 
avec celui des idoles 1 , et les Thessaloniciens, centre les 
seductions d'une sorte de parousie diabolique, s'accomplis- 
sant selon Faction de Satan, en toute eorte de miracles, de 
signes et de prodiges menteurs 2 . 

Dans son Apocalypse, Jean rapproche constamment de 
I'impurete la pratique de la magie, et voit en elle une des 
maitresses branches poussees sur le tronc idolatrique 3 . G'est 
par ses philtres que la grande prostituee, Babylone (la ! Rome 
palenne) a affole toutes les nations 4 . Aux sorciers, entre 
les fornicateurs et les idolatres, est re*6eryee la seconde 
mort 5 . Les trois memes classes de grands pe*cheurs sont 
derechef enumerees, avec les meurtriers, parmi les chiens 
exclus de la cite sainte oft regne 1'Agneau immole' 6 . Le second 
commandement de la Didache apostolique porte, de son c6te : 
Tu ne pratiqueras pas la magie, ni la sorcellerie. Et plus 
loin : Voici le chemin de la mort : meurtres, adulteres,... 
idolatrie, magie, sorcellerie 7 . 

Le caractere miraculeux des expulsions de demons racontees 
dans 1'Evangile est par ailleurs manifesto. L'interpretation 
rationaliste qui reduit les divers cas de possession a des 
formes variees de maladies mentales ou nerveuses : a I'epi- 
lepsie, a la manie, a la grande nevrose, a Fasth^nie chronique, 
ne facilite aucunement Texplication naturelle des cures 
accomplies par Jesus. On reconnait en effet de plus en plus la 
rarete', 1'extreme lenteur et rinstabilite' des gu^risons obtenues 

1. I Cor., x, 20, 21. On peut voir les textes compares par J. Weiss, Der 
erste Korintherbrief* , Goettingen, 1925, p. 261 suiv. 

2. II Thess., II, 9 : ou !<rc\v rj napouata xat' evIpYetav TOU oaTava iv naor) 8uvi[xet 
y.a\ cj|iefoi; xal tepafftv tfisuSou;. 

3. Apoc., ix, 21. 

4. Apoc., XVUI, 23 : b T^ fappiaxeia oou ^7uXavi58rio*v navTa Ti lOvrj. Pour 
marquer Thorreur consommee de son chatiraent, il est dit que la grande 
Babylone est devenue un habitat de demons, un lieu de refuge pour 
tout esprit impur et pour tout oiseau sinistre et de mauvais augure >, 
tout I'arsenal de la sorcellerie, Apoc., xvm, 2. 

5. Apoc., xxi, 8 : ropvotg xl <pap(iy.ot5 xal eJSwXoXtxTpat?; et sur la seconde 
mort >, Strack et Billerbeck, KTM, III, p. 380 suiv. 

6. Apoc., xxn, 15. 

7. Didache, n, 1; v, 1. 



LBS MIRACLES DB JESUS. 353 

n pareille matiere : les illusions se sont evanouies avec les 
theories memes qui les avaient fait naitre, et en particulier 
celle de la grande hysterie. 

A ceux qu'un parti pris injustifiable n'empe"che pas d'admet- 
tre Fexistence d'esprits sdpares, les delivrances de possedes 
operees par Jesus ne paraitront pas moins merveilleuses. Les 
methodes employees alors pour exorciser etaient fort con- 
testables, et toujours laborieuses, complique'es : les precedes 
du Sauveur sont sommaires et souverains. Quelques mots, un 
signe, un ordre, et le resultat est obtenu, instantane, complet, 
durable. Par la simplicite, I'efficaee, 1'empire qu'ils attestent 
dans un domaine trouble et mal connu, ou une force intelli- 
gente tient en echec les efforts humains, les gestes du Maitre 
ne different pas moins radicalement des exorcismes ordinaires, 
que sa fac.on de guerir les maladies ne differait de la thera- 
peutique en usage.' 

La portee religieuse et spirituelle de ces victoires n'est 
pas moins digne d'attention. Le Regne de Dieu n'eut pas a 
s'etablir, nous venons de le rappeler, dans un monde innocent, 
libre d'attaches, ou tout se rendrait au premier occupant. 
Tel qu'il se presentait a 1'elan conquerant du Fils de 1'homme, 
le milieu humain etait profondement gate, envieilli dans 
des maux de toutes sortes, physiques, moraux et religieux. 
Les influences malefiques s'y donnaient carriere au point d'y 
>exercer une sorte d'hegemonie : une puissance spirituelle 
ennemie de tout bien tenait parfois captifs les corps avec les 
4mes. Jesus a fait reculer 1'adversaire sur tous les terrains, 
en particulier sur celui de 1'obsession physique, de la pos- 
session. L'envie du prince de ce monde a du se borner 
ordinairement, depuis, en pays chre"tien, a des suggestions 
tout interieures. Mais dans les regions ou 1'Evangile penetre 
.pour la premiere fois avec intensite, il se heurte encore, 
comme aux jours anciens, a une sorte de. pouvoir occulte, 
usurpe mais etabli, qui rappelle tout a fait, par ses re"sis- 
iances et ses manifestations, les convulsions des mechants 
demons en face de Jesus 1 . Iln'y a guere de missionnaire en 

1. Ce beau sujet reste k 6tudier scientifiquement. L'ouvrage de Paul 
Verdier, Le Diable dans les Missions, 2 vol., Paris, s. d. (1896), laisse tout 
JESUS CHRIST. ii. 23 



354 JESUS CHRIST. 

ces contrees qui ne s'y soit heurte, et ne puisse confirmer ainsi, 
par voie d'analogie, la verite et le caractere miraculeux 
des faits evangeliques ci-dessus commentes. 

Miracles de Gu&risons. 

L'impression que donnent les narrations evangeliques 
consacrees aux miracles de Jesus, est celle d'un pouvoir 
souverain dans tous les domaines. Ge pouvoir se limite 
parfois volontairement, du dedans, ou s'astreint, dans un but 
d'enseignement, a certaines formes, comme 1'imposition des 
mains 1 . Mais au dehors, la puissance merveilleuse du Sau- 
veur ne connait pas d'obstacle : ni 1'inertie des forces natu- 
relles dechainees, ni la progression fatale d'elementsmorbides. 
Aucune de ces morts partielles : plaies, fievre, lepre, paralysie, 
cecite, qui ne soit vaincue, et la derniere mort, celle a 
laquelle nul n'ouvre de bon coeur , recule, elle aussi, la chant 
sa proie. 

Dans cette oauvre extraordinaire, la maniere de Jesus est 
d'autre part tres simple, tres grande; si eloignee de toute 
complaisance, de tout ce qui sentirait Fostentation ou le 
charlatanisme ! Quelques mots, un vouloir, un geste, le 
toucher symbolique des yeux qui s'ouvrent, des langues qui 
se delient. Et toujours 1'assurance d'un fils qui se meut dans 
la maison de son pere, et se sait obei des qu'il manifeste 
un desir. 

En face de ces faits, dont 1'historicite globale est certaine, 
des hypotheses explicatives qui ne seraient pas denuees de 
probabilite en d'autres circonstances, paraitraient pueriles. 
Gelle qui mettrait en avant 1'habilete du thaumaturge est 

a faire pour la critique des faits. La Revue et la Bibliotheque Anthropos, 
depuis 1906, offrent, entre autres, de precieuses sources d'information 
contr616e. L'admirable recueil du P. Henri Dor6, Recherches sur les 
Superstitions en Chine, Chang-Hai', 14 volumes illustres parus entre 1911 
et 1920, est d'autant plus interessant que la croyance aux esprits tient 
une place plus considerable dans la religion chinoise, et que beaucoup des 
superstitions decrites, avec documents a 1'appui, recouvrent a peu pres 
exactement celles de I'antiquite classique et semitiqtie. 

1 . Sur ces formes, voir 1'ouvrage de J. Coppens, L' Imposition des Mains 
et les rites connexes, dans le Nouveau Testament, Wetteren et Paris, 1925, 
II, L' Imposition des mains, rite de guerison, p. 28-110. 



LBS MIHACLES DE JESUS. 355 

simplement ridicule. Le plus adroit metteur en scene ne 
reussit qu'un genre de prodiges assez restreint, avec des 
a-coups et a 1'aide de complicity's qui finissent par eveiller les 
soupgons de ceux qui ont interet a le prendre en faute. Parmi 
les ennemis de Jesus, aucun ne s'est avise de cette conjec- 
ture. 

Gelle de forces occultes, utilisees par le Maitre, n'est guere 
plus digne de consideration, bien qu'elle soit le refuge de la 
contre-apologetique populaire. C'est qu'il est aise de la resu- 
mer en formules assez frappantes : Miracles d'hier, expe- 
rience de demain! Ne voyons-nous pas des energies aujour- 
d'hui captees, ou en voie de Te'tre : electricite, hypnose, 
radium, etc., qu'on ignorait jadis, et dont une application 
fortuite eut passe pour merveilleuse? Telle ou telle de ces 
forces agissait alors en Judee. 

Sous cette forme, la diffieulte ne tient pas devant un peu 
de reflexion. Tout un groupe de miracles evangeliques echappe 
a 1'explication : qu'une qualite occulte ait permis de multi- 
plier les pains, de calmer instantanement une tempete ou de 
ressusciter un mort, si quelqu'un peut le croire, il est bien 
inutile de poursuivre la discussion. Limitant celle-ci aux faits 
moins evidemment refractaires, on observera de plus que les 
forces inconnues, pour etre restees telles, doivent sortir 
rarement leur effet naturel : leur intervention sera done clair- 
semee dans la vie d'un homme, si heureux ou habile qu'on le 
suppose. Dira-t-on que ces energies s'etaient, par une sorte 
d'harmonie preetablie, donne rendez-vous dans un coin de 
Judee, pre'tes a agir quand Jesus passerait? II commande, et 
une force occulte purifie ce lepreux; il veut, et une force est 
mise en branle qui va guerir a distance le serviteur du centu- 
rion; il dit a Pierre : Viens , et une force affermit les flots 
sous les pas de I'ap6tre. Pascal dirait surement : Que je 
hais ces sottises 1 ! 

Aussi bien les adversaires serieux des miracles ne s'en 
contentent-ils pas. A des effefcs extraordinaires, ils assignent 
une cause mysterieuse, encore mal definie mais deja relati- 
vement maniable, et deconcertante par 1'etrangete et 1'am- 

1. Pascal, Pensees, 6d. Brunschvicg, n. 224. 



356 JESUS CHRIST. 

plitude de certains de ses effets. Sous quelque nom qu'on la 
ddsigne, ajoute-t-on : suggestion victorieuse ou foi quiguerit 1 , 
il semble que le Christ en ait eu quelque idee ; il Fa en tout 
cas constamment utilisee. Ses points d'appui sont rimagina- 
tion et 1'e'motivite du malade, soit qu'elles se presentent, dans 
Thypnotisme naturel ou provoque, plus maniables, plastiques, 
libres des contr61es ordinaires de 1'etat de veille; soit que, 
montees par 1'espoir et 1'attente, echauffees par un milieu 
fervent, elles s'oifrent d'elles-memes a 1'appel d'une person- 
nalite superieure 2 . Dans les deux cas, docile a la suggestion 
inconsciente, ou stimulee par la parole imperative, une image 
ou idee-force nait qui occupe en un instant le champ mental 
d'un faible, rassemble ses virtualites eparses, et les dresse 
en un elan soudain. Gette commotion violente est parfois salu- 
taire; ce qui paraissait impossible s'accomplit. Issue appa- 
remment on ne sait d'ou, en realite surgie des profondeurs de 
1'organisme, une vague deferle et balaie alors des obstacles 
invetere's, des maux reputes incurables. Ainsi, jadis les rois 
ont-ils gueri 3 . Des faits de ce genre, en nombre, sont reven- 
diques par les sectes qui professent la vertu curative de la 
foi 4 . Plus modestes, les praticiens de la suggestion obtiennent 
parfois des resultats mieux contr61es, et apparentes, sinon 
aussi surprenants 5 . Un malade qui se croyait incapable de 

1. Faith-Healing : la foi qui guerit, est le titre de 1'etude de Charcot, 
parue d'abord en anglais dans The New Review, decembre 1892, qui a 
popularise ces idees dans une partie du monde m6dical, Archives de Neu- 
rologie, I, 1893, p. 74 suiv., tir6 a part, 1897. Ce memoire eut un immense 
retentissement, et provoqua une foule de travaux, pour et contre, actuel- 
lement surannes. On peut voir 1'expose tres clair du D r A. Vourch, Quel- 
ques cas de gue'rison, et < la foi qui guerit , Bordeaux et Paris, 1913. 

2. D'autres se sont trouves pour dire que les osuvres (miraculeuses) 
du Christ ont pu s'operer ou par la vertu et efficace du temperament 
corporel exquis du Maitre, ou par la vertu de son imagination ; ainsi que 
Richard de Middletown (Franciscain anglais enseignant a Paris vers 1280) 
le rapporte > ; Fr. Suarez, De Incarnatione, Disp. 31, s. 2, n. 1 ; Opera, 
ed. Vives, XVIII, p. 93. Je dois cette reference au regrette P. E. Portalie. 

3. Voir plus loin, p. 474, la note I 2 : Jtois divins et Hois gue"risseurs. 

4. Sur ces sectes, dont la Christian Science est la plus connue, et 1'An- 
toinisme, la plus sordide, voir plus loin, p. 480, la note J 2 : La Foi qui 
guerit. 

5. Voir plus loin, p. 487, la note K 2 : La Suggestion Victorieuse. 



LES MIRACLES DE JESUS. 357 

manger, ou de Be mouvoir, ou de se passer a"un stupe*fiant, 
mange, marche ou s'abstient, sur 1'injonction du docteur 
auquel il a fait confiance. Tel est, en gros, le mecanisme 
psycho-physiologique, qu'une e"tude plus scientifique utilisera 
mieux en le precisant. 

Or, de ce mecanisme, nous voyons quelque chose dans 
TEvangile : avant de guerir les malades, Jesus exige la foi : 
Ma fille, ta foi t'a sauvee ; Si tu peux croire, tout est 
possible a celui qui croit ; Va, ta foi t'a sauve 1 . 'Ailleurs, 
pas de foi, peu ou pas de miracles 2 . 

Gette hypothese, a laquelle se rallient, a des nuances pres, 
les critiques liberaux, explique selon eux, les faits merveilleux 
dont ils reconnaissent la re"alite. Pour mieux dire, ils ne 
reconnaissent comme reels, parmi ces faits, que ceux dans 
lesquels la confiance personnelle du malade a pu jouer un 
rdle 3 . D'Ernest Renan a M. Alfred Loisy, de J. M. Guyau a 
Emile Zola 4 , de M. Estlin Carpenter au docteur Edwin Abott 5 , 
de M. A. von Harnack a Eduard Meyer et a J. Klausner 6 , le 
theme reparalt, avec des variantes actuellement negligeables. 

Ce sont la noms d'hier plutdt que noms d'aujourd'hui ; et il 
est manifesto que chez les plus capables, parmi les adver- 
saires memes du miraculeux, la foi dans la foi qui gu6rit 
a baisse. II faudra bien pourtant, pensons-nous, sous une 
forme ou sous une autre, si 1'on veut maintenir la these ratio- 
naliste, y revenir. En effet, les mecomptes et les echecs des 

1. Me., v, 34 et parall. : dit a la femme atteinte d'un flux de sang; 
Me., ix, 23 et parall. : dit au pere du jeune energumene; Me., x, 52 et 
parall. : dit a 1'aveugle de Jericho. 

2. Me., vi, 5 et parall. Sur ce texte, voir ei-dessus, p. 332-334. 

3. Wir... werden nur diejenigen wunderbaren Vorgaenge in den 
Bereich der Moeglichkeit einbeziehen, bei denen persoenliches Vertrauen 
eine Rolle spielen konnte. > W. Heitmuller, Jesus, Tubingen, 1913, p. 65. 

4. J. M. Guyau, L'Irreligion de I'Avenir, Paris, 1886, p. 64; E. Zola, 
Lourdes, Paris, 1894, p. 193 suiv., 592. 

5. The real force which worked the patient's cure dwelt in his own 
mind : the power of Jesus lay in the potency of his personality to evoke 
this force : J. Estlin Carpenter, The First three Gospels 3 , London, 1904, 
p. 145. 

6. L'opinion de M. von Harnack a ete rapportee ci-dessus. Ed. Meyer, 
Vrsprung und Anfaenge, 1921-1923, II, p. 442; voir aussi I, 70 suiv.; II, 
p. 416 etc. J. Klausner, Jesus of Nazareth, tr. H.Danby, 1925, p. 270 suiv. 



358 JESUS CHJUST. 

medications psychophysiologiques 1 , la regression ou, si Ton 
veut, revolution qui achemine les psychiatres vers des me- 
thodes plus compliquees, plus specialisees, plus lentes par 
consequent, et reduit a fort peu de chose I'amplitude laissee 
aux effets soudains de la suggestion 2 , n'ont pas eu leur contre- 
coup dans le domaine du miracle. Comment le pourraient-ils? 
Le caractere instantane des guerisons rend sans intere't la 
comparaison de celles-ci avec les precedes minutieux, labo- 
rieux, a tres longue echeance, de la Psychanalyse 3 par exem- 
ple. Quoiqu'il en soit, et si compromise qu'elle paraisse aupres 
des cliniciens serieux, la foi qui guerit reste I'argument prin- 
cipal de tous les historiens en mal d'explication naturelle des 

1. La psychotherapie pas plus que 1'hypnotisme n'a donne tout ce 
qu'on attendait d'elle... Une th6rapeutique fond6e sur deslois doit surtout 
nous indiquer les conditions dans lesquelles telle ou telle medication doit 
etre employee... Des indications de ce genre existent encore moms dans 
la psychotherapie. Les denominations et les diagnostics des troubles 
psychologiques sont tres vagues et tout a fait livres a 1'arbitraire des con- 
ventions d'6cole. Quant au diagnostic proprement psychotherapique qui 
serait indispensable, nous avons vu qu'il existait a peine. Sans doute... la 
psychotherapie semble bien avoir une action efficace d'une maniere 
g6n6rale; mais dans les applications pratiques a des cas particuliers, elle 
ne presente pas la certitude ou meme la probabilite que Ton obtient dans 
nombre de therapeutiques, chirurgicales ou medicales. > Pierre Janet, 
La mddecine psychologique, Paris, 1923, p. 279-280. L'auteur resume dans 
cet ouvrage ses vastes travaux sur les Medications Psychologiques, 3 vol., 
Paris, 1919, 1920. 

2. < La suggestion hypnotique n'est plus une theriaque vague que Ton. 
peut discuter. C'estun traitement et en somme d'application restreinte... 
Pierre Janet, La Me'decine psychologique ^ p. 281. < Trente ans d'observa- 
tion attentive m'ont prouve que Ton ne peut point, par suggestion, repro- 
duire 1'un quelconque des symp tomes neurastheniques chez un sujet qui 
ne 1'avait pas encore, ni, par persuasion, 1'abolir >, D r Maurice de Fleury, 
Les Etats de"pressifs de la Neurasthenic, avec une Pre'face sur la Classi- 
fication des Psychoses, Paris, 1924, p. 159. 

3. Le traitement (psychotherapeutique) exige, en outre, de grands 
sacrifices de temps. Dans certains cas, rares il est vrai, Freud s'est 
meme vu oblige de consacrer aux malades une heure par jour pendant 
trois ann6es cons6cutives. L'effort exig6 du patient n'est pas moins con- 
siderable, etc. > D r Ernest Jones, Traile" thdorique et pratique de la Psycha- 
nalyse, tr. Jankeievitch, Paris, 1925, p. 393. Le D r E. Jones est, on le salt, 
le r6pondant et le principal propagateur de la Psychanalyse dans les 
pays de langue anglaise. 



LES MIRACLES DB JESUS. 359 

miracles rivangeliques. II arrive, sur ce terrain aussi, qu'une 
theorie deja depassee et decriee aupres de 1'elite intellec- 
tuelle, demeure le refuge des vulgarisateurs. II faut done 
insister un peu. 

Gette interpretation du miraculeux laisse hors de ses prises 
une grande partie des faits a expliquer. Accordons tout aux 
objectants : 1'alternative subsisterait, ou de nier en bloc tous 
les miracles distincts de guerisons proprement dites operees 
par action de presence : tempete apaisee, pains multiplies, 
malades gueris a distance et sans preavis, morts ressuscites, 
etc. ; ou de recourir au surnaturel. Une breche aurait ete 
ouverte dans la these chretienne : ce ne serait pas encore 
son ecroulement. Et il resterait qu'un nombre considerable 
d'evenements, racontes dans des documents d'ailleurs dignes 
de foi, serait ecarte a priori, pour des raisons que 1'histoire 
ne connait pas. 

Mais a s'en tenir aux miracles de guerisons, operees sur 
place, les seules visees ici (en y comprenant, bien entendu, 
les expulsions de demons qui forment, pour nos adversaires, 
une simple variete de guerisons), faut-il faire confiance aux 
pouvoirs mysterieux de la suggestion? 

Notons, avant de re"pondre au fond, que si Pexplication es- 
quissee ci-dessus pretend nous informer du comment, non de 
la cause profonde, des guerisons de 1'Evangile ; si elle se 
reduit a la description imagee d'une poussee extraordinaire, 
d'une activite majoree qui suivrait, mais en brulant les etapes, 
les lignes normales d'une guerison naturelle comme la 
vitesse centuplee d'une automobile ne laisserait pas de lui 
faire franchir chaque accident de terrain de la piste parcou- 
rue nous pouvons trouver la conjecture plausible. Ge ne 
sont pas, du moins, des raisons de doctrine qui la feront 
ecarter. Si 1'on veut me'me, allant plus loin, accorder dans 
cette revolution organique, dans cette reviviscence soudaine, 
un r61e instrumental preponderant a 1'element psychique ou 
nerveux 1 , cela est encore une question libre, tout a fait inde- 
pendante de la realite du miracle. 

1. C'est ainsi qu'expliquent les choses, par example A. Fogazzaro dans 
II Santo, III, 3, 1907, et M. Ed. Le Roy, dans le Bulletin de la Societe 
Frangaise de Philosophic, XII, 1912, p. 100 suiv. 



360 JESUS CHRIST. 

Le point vif est de savoir, non pas comme les choses se 
sontpassees, mais si, avecles seules forces naturelles actuel- 
lement et concretement a I'oauvre, elles ont pu se passer de 
la sorte. II s'agit de savoir si les cas connus et bonnement 
verifiables de suggestion medicatrice, d'autorite fulgurante, 
de guerison soudaine obtenue par voie de confiance, rendent 
compte des miracles operes par le Christ Jesus, en donnant 
une base solide a Pexplication de ces faits par la foi qui 
guerit. 

Premiere constatation qui jette un rayon de lumiere sur 
une matiere restee dans I'etat present de la science, et des- 
tinee peut-e"tre a rester longtemps, de par Pinsuffisance de 
nos moyens d'observation directe, un peu trouble et nebu- 
leuse : la suggestion salutaire guerit parfois les maux que la 
suggestion morbide a faits, mais ceux-la seulement. A mal 
n'offrantque des sympt6mes sans lesion appreciable des tissus, 
encore uniquement ou presque uniquement psychique (on dit 
quelquefois : mal fonctionnel ou sans matiere), remede egale- 
ment psychique, suggere ou impere, selon les cas. Ge principe 
d'equivalence entre le pouvoir createur de l'imagination et 
son pouvoir curateur, est souvent enonce et constamment 
suppose* dans les discussions des savants autorises 1 . Le 
D r Moxon, par exemple, le formule ainsi : Dans la mesure 
ou le mal est un manque de foi, dans cette mesure exacte, 
la guerison du mal est un cas de foi qui guerit 2 . Ges cas ne 

1. Par exemple dans les discussions sur la definition et la classification 
des affections nerveuses et des psychoses. On peut voir le resum6 des 
seances de la Societ6 de Neurologic de Paris, avril-mai 1908, ou la defini- 
tion de 1'hysterie proposee par Babinski et H. Meige, a 6t6 discutee par 
les plus illustres specialistes franc.ais et beiges. L. Boule, Le Concept 
actuel d'hyste'rie, dans fiQS, LXVIII, 1910, p. 459 suiv.; LXIX, 1911, 
p. 185 suiv. 

2. In so far as the disease is a lack of faith, just so far is cure of the 
disease a case of faith-healing , cit6 dans R. J. Ryle, The neurotic theory 
and the miracle of Healing, dans The Hibbert Journal, V, 1907, p. 584. 
Voir aussi K. Knur, Christm Medicus, Freiburg i. B., 1905. 

Bernheim de Nancy dit tres clairement : Partout et toujours, j'ai 
professe et ecrit que la suggestion, traitement psychique, s'adresse a 
I'e'le'ment psychique : a condition que cet element soit une simple pertur- 
bation fonctionnelle autosuggestive, c'est-a-dire ne soit pas cree par une 
evolution organique, toxique ou infectieuse du cerveau, telle qu'une 



LES MIRACLES DE JESUS. 361 

sont pas chime'riques : il existe, en plus grand nombre chez 
les civilises, mais part out, des faibles debiles chroniques 
ou simples anemies dans Fetat maladif desquels Fimagina- 
tion, la defiance, les craintes, les emotions, le facteur moral 
enfin, ont une part preponderate . Ge sont les propres sujets 
de la cure par suggestion. Encore ne le sont-ils que dans la 
mesure ou le mal est surtout imaginaire, et Test reste. Si 
1'etat des deprimes est du, comrae il arrive souvent, plut6t a 
la fatigue, ou si des indices plus materiels, provenant de la 
mauvaise circulation du sang, de 1'ankylose, du deperisse- 
ment, etc., ont succe'de aux seuls symptdmes psychiques, les 
patients ne* sont pas, ou ne sont plus immediatement acces- 
sibles a la cure mentale. Untraitement somatique doit la pre- 
ceder et, presque toujours, 1'accompagner. 

Enfin, et pour rester exclusivement sur le terrain des 
maux qui relevent plus ou mbins de la suggestion, il est trop 
clair que le facteur temps n'y est pas moins indispensable 
que dans les autres provinces de la pathologic . Les psycho- 
logues les plus habiles, les specialistes les plus heureux des 
maladies nerveuses savent combien elles se defendant, el 
qu'il faut ordinairement, pour en venir a bout ce qui trop 
souvent n'arrive jamais de longues medications poursui- 
vies dans des conditions d'isolement, de regime et de reprises 
extraordinairement complexes. Depuis qu'on a etabli sur de 
bases raisonnees et avec des techniques tres etudiees, le 
traitement a suivre dans ce genre d'affections, on a pu se 
convaincre que, pour 6tre aussi naturelles que les autres, 
les cures de la psychotherapie n'etaient ni plus rapides, 
ni plus aisees a reussir que celles qui viennent des maladies, 
organiques. 

Gar il n'y a pas (est-il besoin d'insister la-dessus?) que des 
psychopathes. Les neuf dixiemes des affections qui eprouvent, 
tourmentent, et enfin tuent le vieil Adam ; toutes celles qui 
comportent des plaies ; 1'ulceration profonde des organes ou 
leur atrophie ; la lesion des tissus musculaires et nerveux; 

meningite, une u'r6mie, une maladie mentale. Celles-ci ne sont pas 
justiciables de la psychotherapie > ; Hypnotisms et Suggestion 3 , Paris, 1910^ 
p. xxxii. Voir aussi Pierre Janet, La Mddecine psychologique, Paris, 1923^ 
p. 129. 



362 JESUS CHRIST. 

le pullulement morbide des cellules, leur de'ge'ne'rescence, 
ou leur alteration par des microbes pathogenes, echappent a 
la competence principale de la therapeutique emotive et 
volontaire. La plus belle confiance du monde, si elle aide 
de tels malades a guerir, ne les guerir a jamais a elle seule, 
ni, a plus forte raison, instantanement. La refection d'un 
organe physiologiquement altere comporte un laps de temps 
toujours appreciable, ordinairement considerable. La persua- 
sion, 1'autorite du medecin, la sympathie et la confiance 
qu'il inspire ouvrent les voies aux interventions utiles, et 
peuvent rendre leur elasticity a des forces interieures de 
refection qu'une illusion tenace paralysait chez le malade. 
G'est beaucoup, mais c'est tout. 

Gela etant, et nous ne pensons pas qu'il se trouve un 
medecin honne'te pour le contester serieusement, la tentative 
d'explication des miracles par la foi qui guerit est a peu pres 
nulle. 

Gar il est pueril de supposer que tous ou presque tous les 
infirmes amenes a Jesus : paysans galileens, p^cheurs du 
lac, etc., etaient des malades exclusivement ou principalement 
imaginaires. II est constant au contraire qu'un tres grand 
nombre de ces pauvres gens etaient atteints de maux orga- 
niques avec matiere : lepre, atrophie, cecite, hemorragie 
chronique, fievre, etc. 

Dans les cas me'mes ou une maladie surtout psychique reste 
bonnement probable : paralysie, contracture ou mutisme hys- 
terique, la therapeutique du Maitre, comparee a celle des 
plus habiles psychiatres ne parlons pas des virtuoses de 
la suggestion est entierement differente, et d'un autre 
ordre. La foi exigee par le Seigneur, la foi qui sauve , est 
nine disposition religieuse, meritoire, portant souvent sur sa 
personne et sa mission : elle n'est nullement une confiance 
aveugle en sa puissance thaumaturgique. Aussi est-elle 
demande'e parfois avant, parfois apres le miracle, et son 
absence ou son eclipse en ce cas engagent la responsabilite 
morale des temoins. Elle est demandee souvent au patienfc, 
mais souvent aussi a ses parents, a ses proches, a ses amis, 
ce qui exclut un influx d' ordre physique sur le malade. Elle 
aie porte pas enfin que sur des effets materiellement consta- 



LE8 MIRACLES DE JESUS. 363 

tables, comme une gu&rison, mais aussi sur des re'alite's invi- 
sibles et toutes spirituelles : la remission des peches et 
Tinnocence recouvre"e *. Le miracle evangelique ne resulte 
pas, automatiquement, du declanchement d'une force magi- 
que. line nait pas du jeu spontane des energies naturelles. 
II jaillit au point d'intersection de deux forces personnelles, 
incommensurablement inegales, mais toutes deux, normale- 



1. II est frappant de constater le relief donn6 partout au caractere 
spirituel et moral de la foi. La foi qui guerit le paralytique est aussi celle 
de ses amis, expressement mentionnes, et le premier fruit de cette foi 
est invisible : la-remission des peches, Me., ir, 11-12 et parall. Ce meme 
fruit, tout spirituel, est 1'effet de la foi qui sauve chez la pecheresse, 
Lc., vn, 36, 47-50. La foi, fondee sur la vue des miracles, que Jesus 
.reclame de ses Ap6tres est une confiance totale en sa personne : avec 
lui, rien a craindre! Avec lui, on ne peut manquer de rien! Me., iv, 40; 
Lc., XH, 25; Me., vin, 14-21 et parall. Le miracle fait en faveur de 
1'energumene de Gerasa est interpret^ par Jesus comme un grand bienfait 
de Dieu, qui impose au beneficiaire un devoir de reconnaissance et 
d'apostolat, Me., v, 18-20. A lafemme guerie d'un flux de sang, Jesus 
explique que c'est sa foi qui 1'a guerie, et non le geste materiel de toucher 
le manteau du Maitre, Me., v, 34 et parall. La foi qui ressuscitera la 
petite morte est demandee a son pere, Me., v, 37 et parall. ; tout de meme 
que c'est la foi de son pere qui sauve le jeune convulsionnaire furieux, 
Me., ix, 22; la foi de sa mere distinctement son humilit6 confiante qui 
guerit lafille absente de la Syrophenicienne, Me., vn, 26-30; Mt., xv, 28; 
et la foi admirable et exemplaire de 1'officier de Capharnaiim qui 
sauve a distance son serviteur familier, Mt., vin, 5-13; Lc., vn, 9. 

C'est I'incredulit6 a peu pr6s generate des gens de Nazareth qui lie les 
mains de J6sus, ou de peu s'en faut; au rebours, la grande foi de la 
region de Genesareth est recompensee, Me., vi, 1-6 et vi, 53-56 et parall. 
Dans le meme ordre d'idees, le nombre et 1'eclat des miracles accom- 
plis k Chorozai'n et a Bethsai'de creent une lourde responsabilite morale chez 
ceux qui les ont vus, et n'ont pas cru, Mt., xi, 20-24; Lc., x, 13, 15; Me., vi, 
11. C'est la foi en Jesus e Fils de David >, qui sauve 1'aveugle de Jericho, 
Me., x, 46-52. La foi en Dieu , accompagnee de la priere et d'une 
confiance absolue, obtient tout ; Me., xr, 23 comp. Mt., xvii, 20 ; xxi, 21, etc. 
On voit ce qui reste, apres cela, des affirmations de R. Bultmann : Les 
miracles (de Jesus) sont, a ce qu'il semblerait, quelque chose d'indepen- 
dant de son vouloir personnel, etqui agirait automatiquement... II s'ensuit 
que les dispositions intimes des miracules ne sont pour ainsi dire jamais 
prises en consideration. Quand il est par!6 de leur foi, cela ne signifie en 
aucune facon leur relation avec la personne ou le message de Jesus, mais 
exclusivement la foi des miracles ! Die Geschichte der Synopt. Tradition, 
1921, p. 135, 136. 



364 JESUS CHRIST. 

ment, necessaires. La foi est 1'instrument providentiel qui 
les unit ; elle associe a la Puissance creatrice, qui donne 
sans s'imposer, la bonne volonte docile du beneficiaire ; et 
c'est pour cela que son fruit merveilleux n'est pas seulement 
un prodige, mais un signe et une vertu. 

Quant aux modalites de ces cures extraordinaires, elles 
n'ont rien a voir avec les precedes de la suggestion, ou avec 
ses resultats : sans a-coup, sans traitement ante"rieur ou 
preparation concertee, sans rechute, les mSmes enfin pour 
les maux les plus differents, elles agissent parfois a distance, 
sur des personnes ne sachant pas 1'heure ou le Maitre 
interce.dera pour elles, ni mSine s'il consentira a intercede?. 

Le doigt de Dieu est la. 

Abordons le dernier cahier de cette longue enqu&te en 
nous demandant si la puissance extraordinaire qui se mani- 
festo en Jesus d'une facon eclatante, peut e"tre rapportee a 
Dieu. L'invraisemblance de la suggestion pharisai'que, met- 
tant au compte d'esprits pervers les miracles du Seigneur, 
n'a plus besoin d'etre demontree. Jesus, en la retorquant 
centre ses auteurs, n'a pas dedaigne de mettre a neant cette 
vile imputation : son oeuvre entiere, une et lumineuse, est 
une lutte incessante contre les puissances d'en-bas. Gelles- 
ci, en y collaborant, se detruiraient elles-me'mes ! 

Mais ce n'est pas assez dire, 1'action thaumaturgique du 
Christ, par ses traits negatifs autant que par les autres, se 
demontre digne de Dieu. Les taches d'egoiisme et d'os- 
tentation, partout visibles dans le merveilleux non-divin, 
populaire ou stylise, sont ici reduites arien 1 . Le Maitre refuse 

1. Cette difference de qualit6 estfrappante quand on compare ensemble 
a ensemble : par exemple les recits de Philostrate a la louange d'Apollonius 
de Tyane, a un de nos evangiles ; ou ceux-ci aux relations des teratolo- 
gues antiques, tels que Tex-voto d'Apellas a Epidaure ou les Discours 
Sacres d'Aelius Aristide : la-dessus, Andre Boulanger, Aelius Aristide el 
la Sophistique dans la Province d'Asie au n* sidcle denot re ^re, Paris, 1923, 
ch. in, p. 162-209, ou 1'auteur 6crit tres justement que les recits d' Aristide, 
1'extraordinaire vanite du narrateur mise a part, refletent avec v6rite 
les tendances communes de son epoque . 

C'est fort bien de dire avec Deissmann, Licht vom Osten 4 , p. 330, 
que le Nouveau Testament, par le miraculeux, se situe tres exactement 



LES MIRACLES DB J^SUS. 365 

de faire des miracles pour changer des pierres en pains, pour 
se donner en spectacle au monde, pour contenter la curiosite" 
morbide de ses contemporains, pour s'eviter fatigues et 
souffrances au cours de son ministere, pour se concilier les 
bonnes graces des puissants, tels qu'Herode Antipas et 
Ponce Pilate. 

Relisons 1'Evangile de ce point de vue. Ghaque detail du 
miraculeux n'y est pas immediatement et evidemment edi- 
iiant : c'est un grand signe de la sincerite des narrateurs. 
Pour eux, a yrai dire, et I'extre'me habilete rejoint ici la 
parfaite simplicite, la question d'edification ne se pose pas : 
la pensee m6me de juger les enseignements ou les ceuvres 
du Maitre ne tombe pas dans leur esprit. Actes et paroles 
sont de lui, il suffit. Certains modernes se montrent plus 
difficiles. On connait les scrupules parfois un peu risibles de 
quelques graves rationalistes en face de la panique des pores 
de Gerasa, et la supputation des pertes eprouvees de ce 
chef par les possesseurs du troupeau 1 . D'autres ont voulu 

dans les entours populaires de son epoque, ou de relever, avec Kloster- 
mann, Das Markusevangelium*, 1926, p. 18-19, dans les miracles du 
Christ, les traits de style qui leur sont communs avec les r6cits miracu- 
leux de I'antiquit6 : par exemple, pour les gurisons, I'anciennet6 et la 
gravit6 du mal, rinutilite des remedes jusque-la employes , le renvoi des 
indignes (ou simplement des importuns?); les gestes du thaumaturge et 
son appel au malade ; la r6alit6 de la gu6rison attested par des t6moins 
oculaires, etc. Tous les topiquesdes anciens, ajoute bonnement 1'auteur, 
se retrouvent dans les miracles 6vang61iques. > Sans doute ; et, r6duits k 
ces g6n6ralites, ces traits font partie de ce qu'on pourrait appeler le 
commun du miracle. Partout ou Ton racontera dans un but d'edification 
line intervention divine se traduisant par une gii6rison, des details de ce 
genre se rencontreront : 1'ame humaine, et 1'ame religieuse, est partout 
la meme. 

Nous voudrions seulement que, a cot6 de ces analogies banales, souvent 
major6es, et ramassSes pour la contre-partie non-chretienne dans 
des sources infiniment vastes, d'6poque et d'esprit divers, on tint compte 
aussi des differences profondes : de 1'originalite, de la densit6, de la qua- 
lity du miraculeux 6vang61ique. 

1 . Voir ci-dessus, t. II, p. 339. L'on peut chercher des d6tails et des conjec- 
tures dans W. Menzies Alexander, Demonic possession in the N. T., p. 194- 
215; L. Fonck, Die Wunder des Herrn im Evangelium, I 3 , Innsbruck, 
1907, p. 267 suiv. ; J. Smit, De Daemoniacis in historia evangelica. p. 334- 
427. 



366 JESUS CHRIST. 

voir un mouvement de colere deplacee dans le geste tres 
signifiant pourtant, et de haute portee morale, du figuier des- 
seche J . Ge sont la, dans le premier cas surtout, des episodes 
dont plusieurs circonstances nous echappent : leur sens 
general ne fait pas de doute, et il est sage de les interpreter 
par les masses des autres prodiges evangeliques. 

Geux-ci sont manifestement orientes dans le sens le plus 
noble, le plus eleve, le plus divin, mais encore le plus na- 
turel. Les miracles sont la suite et, pourrait-on dire, le 
debordement, dans 1'ordre materiel, de 1'ceuvre spirituelle 
du Maitre : ils sont le Royaume de Dieu en actes. Une 
harmonie profonde existe entre 1'enseignement de Jesus et 
ses gestes, que toute Interpretation authentique a relevee. 
Ils ont, observe saint Augustin, une langue pour qui sait 
les entendre. Gar le Christ etant lui-me'me le Verbe de Dieu, 
ses actions aussi sont pour nous verbe et parole 2 . Mais 
bien avant Augustin cette exegese etait classique, et le 
quatrieme eVangile nous en offre des exemples inegales. Dans 
ces histoires, qu'il tient pour veritables et donne pour telles, 
Jean sait distinguer des symboles extremement frappants et 
de haute portee. La guerison de cet aveugle de naissance, 
racontee en detail au chapitre neuvieme de Tevangile, nous 
montre en Jesus la lumiere du monde. II se proclame tel, 
mais encore il agit comme tel, et cette action provoque chez 
les temoins une variete" d'attitudes aussi riche que dans une 
foule un soudain rayon de soleil pergant les nuees : depuis 
le parti pris 1 passionne, tetu, processif, finalement exaspere, 
des meneurs pharisiens, jusqu'a la bonhomie pleine de sin- 
cerite et de finesse du miracule, en passant par la circons- 
pection servile de ses parents. La resurrection de Lazare, 
au chapitre onzieme, met en scene Jesus, comme maitre de 
la vie, dans un recit singulierement pathetique. 

Lors done que Jesus la vit (Marie) en pleurs, et en pleurs les 

1. Voir en particulier Bossuet, Meditations sur I'Evangile, Derniere 
Semaine, 20* jour, (Euvres, ed. Lachat, VI, p. 124 suiv. ; L. Fonck, Die 
Wunder, etc., ed. italienne Rossi-di-Luca, I, Rome, 1914, p. 580-611. 

2. < Habent enim (miracula), si intellegantur, linguam suam. Nam quia 
ipse Christus Verbum Dei est, etiam factum Verbi verbum nobis est. > 
Tract, in Jo., xxiv, 2; ML, XXXV, col. 1593. 



LES MIRACLES DE JESUS. 367 

Juifs qui Tavaient accompagnee, il fremit en esprit et se troubla 
lui-meme, et dit : Ou 1'avez-vous mis? Eux lui disent : Sei- 
gneur, viens et vois. Jesus pleura. 

Les Juifs disaient la-dessus : Voyez comme il 1'aimait! 
Mais quelques-uns d'entre eux dirent : Ne pouvait-il, lui qui 
a ouvert les yeiix de 1'aveugle, faire aussi que celui-ci ne mourut 
point? 

Or Jesus, i'remissant derechef en lui-meme, vient vers le 
tombeau. C'6tait.un caveau, et une pierre etait posee dessus. 
Jesus dit : . Levez la pierre. La sceur du mort, Marthe, lui dit : 
Seigneur, il sent deja, car il est de quatre jours ! Jesus lui 
dit : Ne t'ai-je pas. dit que si tu avais la foi, tu verrais la gloire- 
de Dieu ? Us leverent done la pierre, et Jesus leva les yeux en 
haut et dit : 

Pere, je te rends graces car tu m'as exauce: 
moi, je savais que tu m'exauces toujours, 
mais je 1'ai dit pour la foule qui se tient alentour, 
pour qu'ils croient que tu m'as envoye. 

Et ce disant, il jeta un grand cri : Lazare, viens dehors ! * 
Le mort sortit, les mains et les pieds Ii6s de bandelettes, et son, 
visage 6tait couvert d'un suaire. Jesus leurdit: Deliez-le et le- 
laissez aller'. 

Une telle narration, si humaine par la plupart de ses traits T 
si divine par 1'autorite qui s'y deploie, etait bien propre a 
mettre en relief le pouvoir vivifiant du Christ, et c'est pour 
celasans doute que Jean 1'a choisie, et lui a donne eette place- 
de premier plan. Mais chaque cycle des miracles evangeli- 
ques : 1'expulsion des demons par exemple, ou la pe'che mira- 
culeuse, avec sa conclusion : Dorenavant, c'est des homme& 
que tu prendras ! ou le redressement de cette pauvre femme 
courbee depuis trente-huit ans, aurait pu fournir le motif de 
commentaires symboliques aussi riches de sens. 

On saurait difficilement trop insister la-dessus. Exception 
faite pour quelques ex-voto que leur naivete et leur concision 
sauvent de la puerilite, le merveilleux, le miraculeux tel que 
le presentent la plupart des recits de 1'antiquite hellenique, 
rabbinique, ou m^me chretienne dans les apocryphes, oscille 
entre le romanesque, la grosse fable populaire, et le recit 

1. Jo., xr, 33-45. Je renvoie, pour 1'exegese, aux commentaires detailles 
de M. Lepin, La valeur historique du quatrieme JEvangile, 1910, I, p. 106- 
180; et M. J. Lagrange, Evangile selon saint Jean, 1925, p. 294318 



368 JESUS CHRIST. 

d'edification cousu, pourrait-on dire, de fil blano : anima nau- 
seat super cibo isto levissimo! II n'en est pas ainsi des mira- 
cles de Je'sus : signes de re*alites plus hautes, spirituelles, 
eternelles, ceuvres de lumiere et de bonte, ils sont encore des 
<Buvres de puissance et, comme tels, commencent d'instaurer 
le Royaume de Dieu, qu'ils representent au vif. Par leur e*clat, 
ils tirent les regards de ceux qui sont plus eloignes de croire, 
plus indolents, ou plus frivoles. Mais ils vont aussi a promou- 
voir directement 1'oeuvre de relevement. Les esprits malins 
sont humilies, contredits, chasses; les infirmite's, les tares, les 
miseres du peche d'origine sont mitige'es, eliminees, vaincues. 
Le mal, sous toutes ses formes, recule. L'empire heureux 
exerce par le premier homme au temps de 1'innocence du monde, 
et dont 1'image enchantait comme un beau re've les yeux de 
I'humanite' vieillie 4 , reparait soudain, comme un premier trait 
d'aurore, humble debut de redressement total, gage du jour 
ou les ames et ensemble les corps seront sauve's, pour vivre 
a Dieu. 

1. La croyance a cet age heureux, d'innocence, se retrouve avec des 
variantes importantes chez presque tous les peuples. Ce n'est pas ici le 
lieu de se livrer a un travail extremement delicat, de comparaison et de 
classement, mais le fait est inconteste : L'humanit6 vit avec le regret 
d'un paradis perdu, la conscience douloureuse d'une d6ch6ance... I' Age 
d'or est certainement une des conceptions les plus vieilles et les plus gene- 
rales de I'humanite ; Paul Mazon, dans son Commentaire sur les Travaux 
et les Jours d'Hesiode, Paris, 1914, p. 59. C'est dans Hesiode que ce qu'on 
a coutume d'appeler le mythe des ages, ou des races et ce mot ne pre- 
juge pas de 1'origine de la croyance se trouve sous sa forme datee la plus 
ancienne; mais il est hors de doute que les textes posterieurs des litte- 
ratures iranienne et hindoue sont 1'echo de traditions immemoriales. 
Charles Peguy, dans son poeme ftEve, 1914, a, comme on sait, repris ce 
theme dans un style qui s'egale souvent a 1'auguste ampleur du sujet. 



GHAPITRE IV 

LA RESURRECTION DE JESUS 

1. Le fait de la Resurrection. 

Si le Christ n'est pas ressuscite, vaine est done notre pre*- 
dication, et vaine egalement notre foi 1 . Ainsi ecrivait saint 
Paul, vingt-cinq ans apres la Passion, et se referant a la cate- 
chese donnee par lui, en premier lieu , aux neophytes de 
Gorinthe, durant 1'hiver de 50-51 ou le suivant. Les chre- 
tiens de tous les temps ont ratifie ce jugement et vu dans la 
resurrection de Jesus 1'un des fondements les plus essentiels 
de leur foi. La critique historique, de son c6te, coniirme cette 
opinion et constate que c'est sur la base de la foi a la resur- 
rection que s'est construit 1'edifice du christianisme 2 . 

Le simple enonce d.e ces faits dissipe, comme un rayon de 
soleil matinal, les ombres des dieux morts et ressuscites , 
evoques autour du Christ de Paques, par Jes erudits de 1'E- 
cole comparatiste : Osiris, Attis, Adonis, figures intemporelles, 
surgeons de 1'impure vegetation pullulant sans fin du vieux 
mythe naturiste de la mort hivernale et du renouveau. Ces 
analogies ont leur interet; et nous ne les esquiverons pas 
plus que les maigres episodes recueillis dans I'immensite des 
lettres helleniques ou rabbiniques 3 . Mais nous les recusons 
comme impertinentes, si Ton sous-entend qu'il y ait rien en 
elles qui rappelle, fut-ce de tres loin, pour la proximite, 
1'etendue et la valeur des temoignages, ou pour 1'importance 
historique, la resurrection de Jesus. 

1. I Cor. ; xv, 14. 

2. Maurice Goguel, Le Christ ressuscite et la tradition sur la Rdsurrec- 
tion dans le Christianisme primitif, dans les Actes du Congres interna- 
tional d'Histoire des Religions de 1923, Paris, 1925, II, 225. 

3. Sur les mythes des dieux morts et ressuscites, voir plus bas, p. 510, 
la note P 2 . Sur les faits de resurrection a 1'epoque classique et dans le 
.Tudai'sme, voir plus bas, p. 464, la note G 2 , Resurrection de morts dans les 
recits helleniques et rabbiniques. 

369 jgsUS CHRIST. II. 24 



370 JESUS CHRIST, 

Les richesses de ce fait immense sont telles par ailleurs 
qu'il importe a la clarte de notre expose, de les inventorier 
sommairement. Que Jesus ait ete rendu a la vie par 1'action 
d'une vertu divine, c'est la un evenement atteste par voie de 
temoignage, et s'inscrryant k, son heure dans la trame de This- 
toire. II s'est demontre vivant (a ses ap6tres) par maint indice 
probant, se manifestant a eux durant quarante jours, et le& 
entretenant (iu Royaume, 4e Pieu 1 . Dieu le ressuscita le 
troisieme jour et lui donna de se manif ester (comme vivant) r 
non sans doute au peuple entier, mais aux temoins elus par 
Dieu pour ce r61e, a nous qui avons mange et bu en sa com- 
pagnie depuis qu'il est ressuscite" des morts ?. Ges passages,, 
choisis entre vingt autres, visent la realite de la resurrection,, 
abstraction faite de son caractere particulier, unique et myste- 
rieux. 

Ge caractere, a son tour, n'est pasmoins fortement souligne 
dans les textes. La vie que le Seigneur manif esta alors ne fut 
pas en effet la vie commune, telle qu'il 1'avait menee pendant 
les jours de sa chair. Nouvelle, glorieuse, elle deborde et 
d^concerte, par plusieurs de ses manieres d'etre, notre con- 
naissance actuelle. En ce sens, elle est, nous avertissent les. 
theologiens, pleine de myst^re, et objet de foi, non de vue 3 . 
Ges deux aspects de la realite, qu'il faut distinguer, ne s'op~ 
posent pas pour autant. Ni le fait, tel que les temoignages 
d'histoire Tetablissent, n'explique integralement cette vie 
surhumaine ; ni le mystere de cette vie n'offusque la valeur 
des te'moignages concernant le fait luwne'me. Independam- 
ment des qualites merveilleuses et nouvelles, constatees par 
les temoins chez le ressuscite, 1'identite personnelle de celui-ci 
avec Jesus de Nazareth est objet de eonnaissance. L'incompa- 
tibilite pre"tendue des modalites mysterieuses avec la certitude 
du message pascal : Christ est ressuscite! n'est que la 

1. Actes, i, 3. Npter I'expression techniqije, des.indices probants, d6ci- 
sifs : Iv noXXoi? tex^pfois, 

2. Actes, x, 40-41. 

3. Christus resurgens non rediit ad vitam communiter notam, sed ad 
quamdam vitam immortalem et Deo conformem,... (quae) transcendebat 
comwunem notitiam et mysterii plena est ; Saint Thomas, Summa Theo- 
log., Ill, qu. LIU, art. 2, 



LA RESURRECTION DU CHRIST. 371 

reprise, a propos d'un detail, de la negation massive : Gela 
ne peut e"tre. 

Aujourd'hui, pour Thomme moderne, dit M. Ed. Stapfer, 
une resurrection veritable, le retour a la vie organique d'un 
corps r^ellement mort, est 1'impossibilite des impossibilite"s i . 
La reanimation, ou la transformation soudaine en quelque 
chose qui ne.serait nitout a fait mate>iel, ni encore tout a fait 
spirituel, d'un corps r^ellement mort, comporterait la violation 
des lois les plus assurement connues de la physique, de la 
chimie et de la physiologie. Le te"moignage, fut-il cinquante 
fois plus fort qu'il ne Pest, n'importe quelle hypothese serait 
recevable de pr6f6rence a celle-la 2 . Dans cette parole du 
philosophe H. Rasdhall nous trouvons, formulae en toute fran- 
chise, la fin de non-reoevoir fondamentale qui est constamment 
opposee, par Phistorien rationaliste, au fait de la resurrection. 
Les preuves fussent-elles cinquante fois plus fortes, ^exclusion 
syste'matique s'imposerait encore, au nom de 1'inviolabilite des 
lois naturelles. 

Sous ce rapport, le radicalisme d'hier a beaucoup rabattu de 
ses preventions. Les lois de la nature sont rentrees, on 1'a 
note plus haut, dans la categoric des hypotheses indispensa- 
bles, mais livrees a des corrections, complements, et extensions 
incessantes. Nous ne croyons pas nous tromper, toutefois, en 
estimant que le dogmatisme negatif des scientistes , d^bus- 
que des templa serena ou la veritable science s'edifie, exerce 
encore son empire plus ou moins conscient sur de nombreux 
esprits, les detournant meme d'etudier, comme de*cid^ d'avance, 
le probleme de la resurrection. Avec tous ceux qui sont libres 
des postulats d'une conception philosophique particuliere, et 
au surplus surannee, nous revenons a 1'histoire. 

1. La mort et la resurrection de Jfeus-Christ, Paris, 1898, p. 26. 

2. Were the testimony fifty times stronger than it is, any hypothesis 
would be more possible than that ; H. Rashdall, Memoire in6dit, cit6 par 
Kirsopp Lake, The historical evidence for the Resurrection of Jesus Christ, 
London, 1907, p. 269. Consequemment, Rashdall conjecture, comme base 
possible de la foi des ap6tres, des apparitions de Jesus qui seraient un 
evenement psychologique, reel, bien que supernormal : a real though super- 
normal psychological event >. 



372 JESUS CHRIST. 

La mori de Jtsus. 

Epuise" par une longue et affreuse agonie, Je*sus fut inter- 
roge" par des juges indignes qui pousserent la bassesse de 
cceur jusqu'a 1'outrager et a le laisser brutaliser par leurs 
gens. On ne peut que conjecturer ce qu'il eut a souffrir ensuite, 
attach^, condamne, grelottant dans le froid de la nuit. Trains 
ensuite, toujours lie, de pretoire en pretoire, sans repit, sans 
nourriture, presse de questions insidieuses, flagelle a laromaine 
dans le but d'emouvoir la plebe a compassion, bafoue, conspue, 
soufflete', couronne d'epines,.il ne put porter sa croix jusqu'au 
lieu de 1'execution. On dut requisitionner, chemin faisant, un 
homme originaire de Gyrene, Simon, pere d'Alexandre et de 
Rufus. Cloue sur le bois, epuise* de sang et devore de soif, 
Jesus rendit 1'esprit dans un grand cri. Un soldat lui donna 
le coup de grace, et il fut enseveli dans cent livres d'aromates 
qui 1'eussent acheve s'il avait respire encore. 

Mais il e"tait mort auparavant. Nous 1'apprenons du te"moi- 
gnage concordant : de Pilate, qui, surpris de cette mort rela- 
tivement rapide, commit un centurion pour enque'tera ce sujet 
et ne livra le corps a Joseph d'Arimathie qu'apres avoir eu la 
reponse ; des soldats qui acheverent a coup de massue les lar- 
rons crucifies, voyant qu'ils vivaient encore ; des amis de Jesus, 
qui le detacherent de la croix, soignerent son corps et, apres 
1'avoir bande et entoure de parfums, le deposerent au tombeau; 
des ennemis enfm qui, craignant une fraude, durent prendre 
leurs precautions i . 

II n'est pas non plus de fait plus solidement document6 
que I'ensevelissement du Sauveur. Les quatre evangelistes 
le mentionnent en termes expres. Tous le decrivent dans ses 
grandes lignes. Saint Pierre en parle le jour de la Pente- 

1. A vrai dire, la meilleure garantie que poss&de 1'historien sur un 
point de cette nature, dit avec un peu d'exageration Ernest Renan, c'est 
la haine soupconneuse des ennemis de Jesus. II est tres douteux que les 
Juifs fussent des lors pr6occupes de la crainte que Jesus ne passat pour res- 
suscite; mais, en tout cas, ils devaient veiller a ce qu'il fut bien mort. 
Quelle qu'ait pu etre a certaines epoques la negligence des anciens en 
tout ce qui etait ponctualite legale et conduite stricte des affaires, on ne 
peut croire que, cette fois, les interesses n'aientpas pris, pour un point qui 
leur importait si fort, quelques precautions ; Vie de Je'sus u , p. 444-445. 



LA RESURRECTION DU CHRIST. 373 

c6te ; saint Paul n'enonce pas seulement le fait, dans 1'enonce 
catechetique des points qu'il estime fondamentaux, mais fonde 
sur sa realite une ample theologie. Tousles symboles primi- 
tifs en font etat. M. E. von Dobschtitz dit done tres bien que 
le : II a ete enseveli, est un des points les plus anciens de 
la predication apostolique. Saint Paul 1'a trouve e"tabli , 
quand il est devenu chretien i . 

Or Jesus, apres cette mort certaine, s'est manifesto certai- 
nement comme vivant. G'est dans cette affirmation que con- 
siste, independamment des modalites nouvelles de la vie 
seconde, et substantiellement, le Message de Paques. Sur 
quels temoignages est-il fonde? 

Le Temoignage de Paul. 

Rappelant dans une lettre ecrite au plus t6t en 53, et tres 
probablement en 55, une part essentielle de son message 
apostolique a ceux-la me'me qui, peu d'annees auparavant, 
pendant 1'hiver 50-51, 1'avaient accueilli 2 , saint Paul s'expri- 
mait en ces termes : 

Je vous rappelle, Freres, 1'Evangile que je vous ai annonce, 
et que vous avez recu, et dans lequel vous perse verez, 
et par lequel aussi veus etes sauve^s, si vous le retenez bien tel que 

[je vous Tai annonce^ 
a moins que vous n'ayez cru pour rien ! 
Je vous ai done transmis premier ce que moi-meme j'airecu : 
Que le Christ est mort pour nos pech6s, conformement aux Ecri- 

[tures, 
et qu'il a ete enseveli ; 

1. Ostern und Pfingsten, Leipzig, 1903, p. 11 : Das begraben ist eines 
der aeltesten Stiicke des Kerygma. Paulus hat es schon vorgefunden. > Sur 
la sepulture de Jesus, voir la note L 2 : KAI OTI ETA*H, ci-dessous, p. 493. 

2. Sur ces indications chronologiques, Ferd. Prat, La Chronologic de 
I'dge apostolique, dans RSJt, III, 1912, p. 372-392. On a rappe!6 plus haut, 
tome I er , p. 22, comment la rencontre de saint Paul a Corinthe avec le 
proconsul Gallion, frere de S6neque (Actes, xvm, 12), peut etre dat6e sure- 
ment, a une ou deux ann6es pres : 51-53, grace a 1'inscription de Delphes 
(rescrit de Claude a Gallion : on peut voir le fac-simile des fragments re- 
trouves et la restitution, dans le DAGL, III, 2, col. 2963, 2964, s. v. 
Corinthe, avec bibliographic complete : H. Leclercq). Sur la date de 55, 
W. L. Knox, .$. Paul and the Church of Jerusalem, Cambridge, 1925, 
p. 301 suiv.; 309suiv. 



374 JESUS CHRIST, 

et qu'il est ressuscite le troisieme jour, conformement aux Ecri- 

[tures, 

et qu'il est apparu a Cephas, en suite aux Douze; 
Ensuite il est apparu a plus de cinq cents freres en une fois, 

desquels la plupart yivent encore a ce jour, 

mais quelques-uns sont morts. 

Ensuite il est apparu a Jacques, ensuite a tous les ap6tres, 
de tous, comme a 1'avorton, il est apparu a moi aussi. 
Car moi, je suis le dernier des apotres, indigne d'etre appele ap6tre, 
puisque j'ai persecute 1'Eglise de Dieu. 
Mais par grace de Dieu je suis ce que je suis, 
et sa grace en moi n'a pas et6 sterile, 
il s'en faut : plus qu'eux tous j'ai travaille 
Non pas moi, a la verite, mais la grace de Dieu avec moi. 
Or sus, que ce soitmoi, que ce soient eux, 
ainsi nous prechons, et ainsi vous avez cru. 

Mais le Christ, si Ton preche qu'il est ressuscite des morts, 
comment done certains d'entre vous disent-ils que resurrection 

[des morts il n'y a pas? 

Si resurrection des morts il n'y a pas, 
le Christ non plus n'est pas ressuscit^! 

Mais si le Christ n'est pas ressuscite, 
vaine done est notre predication, vaine aussi votre foi : 
Et nous, nous sommes convaincus d'etre faux temoins de Dieu, 
car nous avons temoign6 contre Dieu qu'il a ressuscit^ le Christ 
qu'il n'a pas ressuscite^ si les morts en effet ne ressuscitent 

[pas. 

Car si les morts ne ressuscitent pas, le Christ non plus n'est 

[pas ressuscite. 

Mais si le Christ n'est pas ressuscite, 
vaine est votre foi : vous etes encore dans vos pech^s, 
et, davantage, ceux qui sont morts dans le Christ ont peri entiere- 

[ment. 

Or si dans cette seule vie-ci nous esperons au Christ, 
Nous sommes les plus malheureux de tous les hommes ! 

Mais, au fait, le Christ est ressuscit6 des morts, 
premier de ceux qui sont morts 4 

1. I Cor., xv, l-20a. Sur la construction adoptee dans la premiere phrase, 
R. Cornely, Commentarius in 7 am ad Corinthios, Paris, 1890, p. 451, 452. 
On peut consulter, sur I'ensemble du texte, avec Cornely, E. Mangenot, 
La Resurrection de Jteus, Paris, 1910, p. 40 suiv. et F. A. Barcena dans 
les Estudtos eclesiasticos, V, Madrid, 1926, p. 138 suiv., 373 suiv. Parmi 
les commentateurs liberaux, les plus utiles semblent etre Joh. Weiss, 



LA RESURRECTION DU CHRIST. 375 

Je n'al pas voulu couper par des gloses ce te*moignage capi- 
tal. II inquietait deja Strauss, qui lie pouvait prendre avec lui 
les libertes qu'il s'allouait si genereusement pour les Evan- 
giles. Son authenticite est incontestable, et il a e'te' t)Cfit 
vers Fan 59 apres Jesus-Christ, par consequent moiiis de 
trente ans apres la resurrection. D'apres ce renseignement 
nous devons croire que plusieurs membres de la premiere 
coramunaute encore vivants au temps de la redaction de 
1'epitre, et, entre autres, les apdtres, etaient convaincus qu'ils 
avaient eu des apparitions du Christ ressuscite l . Ne chica- 
nons pas le grand amateur -de chicanes que fut 1'auteur de la 
Vie de J6sus! On ignorait de son temps 1'inscription trouvee 
a Delphes, qui force de rabattre encore plusieurs aniiees sur 
I'intervalle assigne ici. Observons plut6t que la catechese de 
Paul nous ramene, par la predication de I'ap6tre a Corinthe 
qu'elle reproduit, a Fan 50-51^ a vingt ans; par 1'identite 
de la doctrine avec celle qu'a regue Paul en entrant dans 
1'Eglise, a trois ans, ou moins encore, de la passion du Sei^ 
gneur ! 

Le developpement est episodique, et d'autant plus digne 
d'attention. Les Corinthiens ne se divis^aieilt pas sur la resur- 
rection du Christ, dont ils n'avaient g'afde de douter. d'est la 
resurrection des corps, en g i eneral, qui faisait difficulte a 
quelques-uns d^entre eux. Totit 1'effort de I'ap6tre ira done a 
rendre manifeste la connexion des deux faits : si le Christ 
est ressuscite et mil chretien ne saurait le mettre en ques- 
tion sans miner le fondement m^me de sa foi la resurrec- 
tion des corps est done possible ! Gette conception avait besoin 
d'etre acclimatee dans I'atmosphere hellenique, ou 1'immor- 

I)er erste Korinlher brief, Goettingen, 1925, p. 343-380; et H. Lietzmann, 
An die Korinther I, 7/ 2 , Tubingen, 1923, p. 76-88. 

Pour la restitution du rythme primitif, qui est manifeste, mais ne me 
parait pas comporter dans 1'etat actuel des recherches scientifiques, de 
regie certaine (les strophes d'A. Loisy, Style rythme" dans I Corinthiens, 
dans Acles du Congres international d'Ristoire des Religions, de 1923, 
Paris, 1925, II, p. 321-329, sont fondees exclusivement sur t la d6clama- 
tion a haute voix ), je la donne comme un essai, invitant a mieux faire, 
mais dans la meme ligne. 

1. Vie de Jesus, III 6 Partie, ch. iv, 136; trad. Littre a ,Paris, 1853, II, 
p. 649. 



376 JESUS CHRIST. 

talite de Fame etait admise par beaucoup, mais non la resur- 
rection dos corps. Pour Platon, on s'en souvient, le corps 
etait un mal , une chaine , une ge61e ,voire une 
tombe 1 . Quelle apparence de le voir figurer, me'me glorieux T 
dans la vie future et toute bonne, qu'on escomptait? Ge pre- 
juge, qui divise 1'homme, n'existait pas dans le peuple de 
Dieu, ou la resurrection comportait, pour ceux qui y croyaient, 
la presence d'un corps transforme. Mais ailleurs il etait cou- 
rant, et nous savons par saint Justin qu'il survecut, chez cer- 
tains chretiens, a la polemique de Paul 2 . 

Gelui-ci s'applique a montrer que, entendue comme il faut, 
la resurrection de Jesus, dont il rappelle en passant les preu- 
ves irrefragable s, assure le fidele de sa propre resurrection 
et justifie, du me'me coup, 1'esperance chretienne de la vie 
efcernelle. Alleguer, contrela realite dufait, le caractere theo- 
logique du morceau, serait tout a fait vain. La mention de la 
mort redemptrice : 

t 

Le Christ est mort pour nos peches conformement au Ecritures, 

offusque si peu la realite de cette mort que le dogme, fonde 
sur le fait, s'ecroulerait avec lui. De me'me s'effondrerait, 
avec le fait de la resurrection, toute la theologie que Paul 
fonde sur elle. On ne gagnerait pas davantage a souligner la 
mention des Ecritures dans l'affirmation fondamentale : 

1. Kaxo'v, 8eop{, aG[j.a-aT)(jia, etc. ; voir d'autres textes reunis dans J. Weiss, 
Der erste Korinther brief , p. 344, 345. Pour Platon, il ne s'agitpas d'un 
simple fait, mais d'une necessity : S'il est impossible en effet de connaitre 
quoi que ce soit en sa puret6 par le moyen du corps, il faut de deux 
choses 1'une, ou qu'on ne puisse jamais acqu6rirlavraie science, ou qu'on 
ne puisse seulement 1'obtenir qu'apres la mort, car 1'dme, d6tachee du 
corps, nepeut s'appartenir a elle-meme qu'alors, chose impossible aupa- 
ravant... Libres et purs alors de la folie du corps, nous vivrons, etc. > 
Phedon, tr. M. Meunier, 1922, p. 82, 83. Sur la question en general, la 
Psyche d'Erw. Rohde, 8 ed. par F. Boll et 0. Weinreich, Heidelberg, 1920 r 
trad. angl. W. B. Hillis, London, 1925, notamment II, ch. xin et xiv, 
p. 463-580. 

2. Justin, Dialogue, ch. LXXX, 4. II s'agit de gens qui se pretendent chr6- 
tiens, sans 1'etre r6ellement. Parmi ces h6t6rodoxes, il s'en trouve qui 
disent : II n'y pas de resurrection des morts, mais sur le coup de la mort 
les ames sont enlev6es au ciel. Textes analogues dans H. Lietzmann, An 
die Korinther*, p. 78-80. 



LA RESURRECTION DU CHRIST. 377 

Le Christ est mortpour nos peches, conforrnement aux Ventures, 
et il a ete enseveli ; 

Etil est ressuscite le troisieme jour, conformement aux Ecritures, 
etil est apparu a Cephas, ensuite auxDouze, etc. 

Chacune des parties de cette antithese : mort redemptrice 
de Jesus, rendue sensible par la sepulture, et resurrection en 
gloire du me'me Jesus, rendue sensible par les apparitions, se 
retrouve au fond de tous les enseignements de saint Paul. 
Toute la partie doctrinale de ceux-ci se resume a montrer le 
chretien mourant au peche par le bapte"me, laissant dans ce 
sepulcre, comme un suaire, les passions de Thomme charnel, 
puis ressuscitant a une vie meilleure et deja, en germe et 
en droit, glorieuse, sur le modele et par la vertu du Christ 
ressuscite. Ges points substantiels sont formules ici en termes 
qui sentent leur symbole, avec la precision et la concision 
d'un catechisme 1 . (Test a ce caractere traditionnel et peda- 
gogique, souligne par I'ap6tre en termes techniques : 

Jevousai done transmis, premier, ce que moi-memej'ai recu... 
Or sus, que ce soit moi, que ce soient eux (les autres apdtres), 
Ainsi nous prechons, et ainsi vous avez cru 2 , 

qu'est due I'allusion aux Ecritures dont quelques adversaires- 
de ce grand temoignage ont tente d'abuser. L'appel a la Bible 
efcait en effet, dans 1'apologetique primitive, un indispensable 
lieu commun, les Livres inspires offrant aux evangelistes le 
terrain ou ilspouvaient joindre normalement leurs auditeurs. 
Au debut, en effet, ceux-ci etaient tous, ou des Israelites,., 
ou des proselytes, ou des personnes craignant Dieu et, 
comme telles, convaincues de la divinitedes Ecritures. Mais ce 
renvoi a la parole de Dieu, qui etait constant et, pour ainsi 
dire, de style (onpeut s'en convaincre en lisant les epitres de 
saint Paul, mais encore, tous les exposes apologetiques rap- 

1. F. Prat, La TMologie de saint Paul 6 , II, 1923, p. 35. J. Weiss : Bin 
Stiick urchristlicher wapaSoat; ; Der erste Korintherbrief i0 /p. 347. 

2. IlaplSwxa yap O^tv ev ^poitots (il ne s'agit pas d'une priority de temps^ 
mais d'une primaut6 d'importance) o xal nap^XaSov... oStw? xr)puj<jop.6v xal 
OUTW? eretaT6\j(jaTg. On remarquera le changement de mode : C'est ainsi que 
les Corinthiens ont cru ; et c'est ainsi que les apotres, Paul et ses collegues, 
prechent, continuent de precher. Tout le passage est satur6 d'expressions 
techniques, y compris 



378 JBSUS CHRIST. 

porte*s dans les Actes : ceux de Pierre, d'Etienne, et de Paul 
lui-merae)ne dispensait pas d'autres preuves et, ffioins encore, 
n'annulait celles-ci. 

Ges preuves, dans 1'espece, sont les apparitions du Christ. 
Rien n'autorise a penser que 1'apdtre ait voulu en dresser line 
liste complete. Toutes les vraisemblances sont au contraire 
pour un choix raisonne, 1'auteur retenant et enOn<jant, dans 
un ordre que les transitions nous donnent, en gros, pour chro* 
nologique, les temoins juges par lui les plus propres a emou- 
voir ses correspondants. D'abord, Cephas : on sait que 1'auto- 
rite de Pierre etait si grande a Corinthe qu'elle balangait 
celle meme de 1'apdtre fondateur l . Ensuite le College des 
Douze 2 . Puis la grande apparition collective, a plus de cinq 
cents freres en une fois , qu'on a vainement cherche a iden- 
tifier avec une de celles que rapportent les Evangiles. La 
mention de la survivance de la plupart des te*moins est un 
indice clair de 1'intention apologetique : Volis pouvez les 
interroger , semble dire Paul. L'apparition a Jacques avait 
une importance speciale pour les fideles d'origine ou de ten- 
dance judaique. Les apotres , tous les ap6tres men- 
tionnes ensuite en bloc, sont ceux qui avaient rang dans 1'E- 
glise de te'moins autorises de la resurrection. L'expression 
semble viser un cercle encore etroit, mais distinct des Douze 3 . 
Enfin, a la suite de tous les autres, Te'crivam se met lui-meme 
a sa place : la dernier e, en dehors de la serie primitive et 
normale des temoins. Etranger a l'glise, voire persecuteur, 
il a e^e* enfante au Christ dans une crise violente, arrache 

1. I Cor., i, 12. 

2. Le undecimde la Vulgate et des mss. D, G, semble le reflet d'une cor- 
rection, nee d'un scrupule d'exactitude. Meme sans Judas, et avant rejec- 
tion de Matthias, le College restait celui des Douze. 

3. Ce sens, contrairement & ce que peiWe Hariiack, Sitzungsberichte der 
Berlin. Akademie, 1922, p. 62 suiv., me semble impliqu6 par le contexte, 
comme plus probable. On ne voit pas, si Ton entend tous les apatres 
des Douze seulement, ce que cette mention ajouterait de substantiel a celle 
du verset 5. Au lieu que, si on 1'etend a ces < temoins predestines par 
Dieu dont parle Pierre, Actes, x, 41 et que rien n'autorise a reduire 
aux seuls Douze on a un sens plus satisfaisant. Voir la dissertation de 
W. L. Kiiox, S. Paul and the Church of Jerusalem, Cambridge, 1925, 
p. 363-371. 



LA HESURHBCTION DU CHRIST. 379 

avant terme au flanc de la Synagogue par un miracle; et iln'a 
fallu rien de moins que la grace de Dieu pour faire, avec cet 
avorton, le plus laborieux des ap6tres. 

Nonobstant ces particularites, 1'apparition du chemin de 
Damas est egalee a celles dont furent favorises^ avant FAs- 
cension, les autres disciples : elle est introduite par le meme 
mot, evidemment consacre, w<p0Yj : il a etc vu . Gette 
assimilation ne porte pas sur les circonstances, mais sur la 
valeur de la vision, soit pour engendrer la foi en la resurrec- 
tion, soit pour qualifier le beneficiaire comme temoin de cette 
foi. Sur la nature meme de 1'apparition, les termes employes 
par Paul, ici et ailleurs *, impliquent tous un element de connais- 
sance immediate, lumineuse, interpretant avec certitude le 
phenomene exterieur. C'est une vue , une revelation , 
t de cette intuition resulte une certitude inebranlable tou- 
chant 1'identite personnelle de celui qui apparait. 

Sans doute, pour Paul (nous 1'apprenons, entre autres in- 
dices, des qualites qu'il assigne aux futUrs eius, dont Jesus est 
a la fois les premices et le modele), le corps du Christ ressus- 
cit6 est tres different de son corps mortel. G'est un corps 
spirituel et glorieux, qui n'est plus asservi aux contingences 
et aux necessites qui affectent I'humanite... Geci est peut-etre 
confirmepar le fait que, quand Paulparle des apparitions, ilse 
sert du mot w^Oyj avec un datif, comme s'il voulait indiquer 
que, dans ces moments, 1'initiative appartient au Christ. II se 
montre plutdt que ses disciples ne le voient. Mais, il ne faut 
pas presser 1'expression dont se sert Paul jusqu'a reduire dans 
SB. pensee les apparitions a de simples visions sans realite en 
dehors de la conscience de ceux qui en etaient iavorises 2 . 
La resurrection a introduit Jesus dans Une vie nouvelle, 
glorieuse, tout a fait distincte d'une simple reanimation qui 



1. "QfOyj, I Cor., XV, 8; Itfipaxot, I Cor., ix, 1 ; St' inoxaXtS<{(oj, Gal., i, 12; 

tyai TOV uibv OWTOO, Gal., I, 16. Les trois r6cits des Actes, ix, 1-20; 
XXH, 4-17; xxvi, 9-19, confirment, a travers leurs nuances modales, les 
indications personnelles des 6pitres. Voir Tarticle de V. Rose dans /?#, 
XI, 1902, p. 321-346. 

2. M. Goguel, La Resurrection dans k Christianisme Primitif, dans 
Actes duCongrds international d'Histoirtdcs Religions de 1923, Paris, 1925, 
p. 231, 232. 



380 JESUS CHRIST. 

lui aurait fait reprendre, pour quelque temps, la vie des jours- 
de sa chair . Mais tout de meme que les elus, dans leur 
corps ressuscite, s'ils menent une existence nouvelle pleine de= 
gloire et de mystere, sont bien les me'mes hommes qui ont 
pati, et travaille, et espere : 

... et nous, nous serons change's, 

car il faut que cet 6tre corruptible revete 1'incorruption, 
et que cet etre mortel revete 1'immortalite 1 ; 

ainsi, le Christ de Paques est celui qui a souffert, est mort 
pour nos peches et a etc" enseveli . Assurement, il n'esfc plus 
le meme homme de chair et d'os, transporte, transplant^ 
pour un temps dans on ne sait quelle terre lointaine, et qui 
reparaitrait a 1'heure providentielle, comme on 1'avait pense 
d'Alexandre, comme on allait le penser de Neron 2 . Encore- 
moins est-il le double fantomal, le pale demon des legendes 
populaires, apparaissant pour reclamer vengeance, ou evoque 
par une conjuration magique. Vivant et vivifiant, ressuscite 
en incorruption, en force et en gloire 3 , Jesus ne doit plus 
rien aux miseres humiliantes de la chair et du sang. Mais 
loin de mener une existence ralentie, chetif decalque de celle 
qu'il abandonna au Galvaire, il manifeste une plenitude de vie- 
appelant 1'hymne triomphal : 

La mort a ete ensevelie dans la victoire : 
Mort, ou est ta victoire ? Mart, ou est ton aiguillon P 
Graces a Dieu, qui nous donne victoire par Notre Seigneur Jesus-- 

[Christ 4 ! 

II reste que Paul, dans cette lettre ecrite vingt-cinq ans 



1. I Cor., XV, 53 : Aei yap f(J (fOa^rdv TOVTO IvBusaoOai t(pOapafav, etc. C'est 
le meme homme : fidelibus tuis, Domine, vita mutatvr, non tollitur, tra- 
duit la liturgie romaine des defunts. 

2. Sur ces croyances, voir Erwin Rohde, Psyche 8 , tr. Hillis, 1925, ch. xiv, 
2, n. 3 suiv., p. 533 suiv., et les notes, p. 562 suiv. Sur la conception des 
Manes, on peut consulter, avec precaution, J. P. Jacobsen, Les Mdnes, trad. 
Philipot, Paris, 1925, I, p. 28 suiv. 

3. I Cor., xv, 42, 43. Le ressuscite en incorruption, en force, etc. ,. 
est dit par saint Paul des elus ressuscit6s, mais avant, a plus forte raison,. 
du Christ, conformement auquel ils ressuscitent. 

4. I Cor., xv, 55-57; Isai'e, xxv, 8 (hebr. : il fera disparaitre la mort. 
pour toujours (Condamin) ; Osee, xni, 14. 



LA RESURRECTION DU CHRIST. 381 

apres la passion, donne la resurrection de Je*sus comme un 
article fondamental de la for de 1'Eglise : 1'enseignement qu'il 
a rec.u lui-me'me en se consacrant au Nazareen 1 , il le transmet 
sans alteration. Sur cet enseignement qui fonde I'esperance 
chretienne, aucune distinction, aucune nuance : il est identi- 
quement celui des autres ap6tres. Le fait a ete recu des 
Corinthiens depuis qu'ils ont adhere au Christ : ce qui leur 
st ici rappele", parce que ce fait emporte une consequence 
considerable et, pour eux, malaisee a croire, c'est que les 
temoignages sur lesquels ils ont cru sont indiscutables. G'est 
celui de Pierre, dont Paul, ici et ailleurs, de'tache 1'autorite 
principale 2 ; c'est le college des Douze; c'est Jacques, le tres 
fidele ze*lateur de la Loi; ce sont tous les ap6tres ; c'est la 
foiile des cinq cents disciples, nuee de tdmoins dont plus 
d'un sera aisement accessible a qui voudrait dissiper ses 
derniers doutes. G'est Paul enfin, qui termine d'authentique 
la liste glorieuse. Tous ont vu le Christ ressuscite'. Gonfor- 
mement aux Ecritures , mais non par un choc en retour de 
celles-ci 3 . Ils 1'ont vu, et s'en portent garants, y mettant leur 
parole et leur vie. 

1. J'entends ici le 8 xat naplXaSov, conformement au sens du mot, au 
contexte et a toute vraisemblance, de 1'enseignement traditionnel, et non 
d'une illumination directe de Dieu. H. Lietzmann, An die Korinther z , 
1923, p. 78, observe justement que le < inb TOU xopfou est absent ici, et que 
cela est caracteristique . C'est trop presser quelques expressions de 1'Epitre 
aux Galates, que de gloser avec le P. Comely, Commentarius in I Cor., 
p. 452, voir aussi p. 336, 337 : mxp&afov, sc. immediate a Domino, homi- 
nis mim'sterio non interveniente . 

2. Voir X. Roiron, Saint Paul temoin de la primaute de saint Pierre, dans 
fiSR, IV, 1913, p. 489-531. 11 est probable que la premiere forme cateche- 
tique du message pascal comportait deja la mention de Pierre : OVTWS 
7)Yp6r] 6 KiSpto; x<*t &<pO*i SfjjLwvt, Lc., xxiv, 34. J'emprunte cette remarque a 
M. Albertz, Zur Formengeschichte der Auferstehungsberichte, dans ZNTW, 
XXI, 1922, p. 259. 

3. M. Loisy reconnait de bonne grace, Jesus et la Tradition e"vange'lique } 
1910, p. 200, qu'il est de toute invraisemblance que les textes de 1'Ancien 
Testament aient sugg6re d'abord aux disciples la resurrection de leur 
Maitre. Pour trouver cette resurrection dans les textes, il fallait etre con- 
vaincu ,premierement qu'elle devait y etre ; c'est-a-dire qu'il fallait y 
croire pour la d6couvrir dans 1'Ecriture . 



382 ' JESUS CHRIST. 

Leg Rlcits evangeliques de la Resurrection. 

Les re"cits concernant la resurrection, tels que nous les ont 
gardes nos evangiles, ont ete probablement rediges, sous leur 
forme actuelle, apres les epltres aux Gorinthiens, et indepen- 
damment d'elles. Us nous disent, en tout cas, plus et moins 
que celles-ci. Une rapide allusion 1 a 1'apparition du Seigneur 
a Pierre, si considerable et mise par Paul en un relief singu- 
lier; pas un mot de Tapparition a Jacques 2 . En revanche, plu- 
sieurs episodes cir constancies dont Paul ne souffle mot. Soit 
a cause de leur importance, soit a cause des difficultes qu'ils 
soulevent, ces re" cits s'imposent a notre attention. Apres les 
avoir cite*s dans leur integrality, nous etudierons brievement 
leur condition litte'raire. Puis, ayant rapproche" l.es fragments 
anciens qui pourront, a c6te d'eux, presenter quelque intere't, 
nous formulerons les resultats historiques de notre enqu&te. 

Le Matin de Pdques au Sdpulcre. 

Mt., XXVIH, 1-10. Me., xvr, 1-8. Lc., xxiv, 1-12. Jo., xx, HO. 

Apres le sab- Et le sabbat 
bat 3 , passe, 

1. Lc., xxiv, 34. 

2. L'jfivangile selon les Hebreux, sorte de doublet judai'sant, tres ancien, 
de notre premier evangile, dont saint Jerdme nous a gard6 quelques frag- 
ments (voir la note D du tome I, p. 210 suiv.), se chargera de combler 
cettelaciine : L'evangile qu'on appelle selon les Hebreux, quej'ai naguere 
traduit en grec et en latin et qu'Origene utilise souvent, raconte apres la 
resurrection du Sauveur : < Le Seigneur, quand il eut donn6 le suaire au 
serviteur du pretre, vint vers Jacques et lui apparut (car Jacques avait fait 
le serment de ne pas gouter de pain a partir de 1'heure ou il avait bu le 
calice du Seigneur jusqu'au moment ou il le verrait ressusciter des. 
morts) > ; et, un peu plus loin : Apportez, dit le Seigneur, une table et 
du pain , et immediatement apres on ajoute : II prit du pain, rendit 
grace, le rompit, et en donna a Jacques le Juste, et lui dit : Mon frere, 
mange ton pain, car le Fils de 1'homme est ressuscite d'entre ceux qui 
reposent. > Saint Jerome, De viris inlu$tribus^ 2. 

3. Cette traduction, qui s'appuie sur des exemples, dans lesquels &tyi 
signifie apr&s : Moulton et Milligan, VGT, p. 470, et les renvois ibid.,. 
empruntes a Blass-Debrunner, supprime 1'incoherence denoncee, apres. 
d'autres, par P. Gardner-Smith, EniO>aSKEIN, dans JTS, XXVIII, 1926 7 
p. 179, 180. 



LA RBSU1IIIBCTION DU CHRIST. 



383 



& 1'aube du pre- 
mier jour de la 
semaine, Marie 
deMagdalaetl'au- 
tre Marie vinrent 
visitor la tombe, 

etvoiciqu'eutlieu 
un grand trem- 
blement de terre ; 
un ange du Sei- 
gneur, descen- 
dant du ciel, vint 
rouler la pierre 
et s'assit dessus. 
Sa face brillait 
comme 1'eclair et 
son vehement 
etait blanc com 
me la neige. De 
la peur qu'ils en 
eurent, les gar- 
diens furentfrap- 
p6s d'epouvante 
et comme morts. 



Marie de Magdala 
et Marie de Jac- 
ques et Salom6 
acheterent des 
aromates pour 
embaumerJ6sus, 
et 

de tres bonne 
heure le premier 
jour de la semai- 
ne, elles vinrent 
au tombeau com- 
me le soleil se 
levait. 



Or le premier 
jour de la semai- 
ne, de grand ma- 
tin, elles vinrent 
au tombeau por- 
tant les aromates 
qu'elles avaient 
pr6par6s. 



Elles se disaient 
entre elles : Qui 
roulera la pierre 
hors de la porte 
du tombeau ? 
Et ayant regarde, 
elles virent que 
la pierre avait 
6t6 roulSe par 
cotS ; or elle 6tait 
fort grande. Et 
entrant dans le 
tombeau, elles vi- 
rent .un jeune 
homme, assis a 
droite, rev 6 tit 



Et elles trouve- 
rent la pierre rou- 
lee devant le torn- 
beau, et, entrant, 
elles ne trouve- 
rent pas le corps 
du Seigneur J6 
sus. Et comme 
elles ne savaient 
qu'en penser, ! voi- 
ci que deux horn- 



Or le 'premier 
jour de la semai- 
ne, Marie de Mag- 
dala vint de bon 
matin comme il 
faisait encore 
noir, au tombeau 



et elle vit la pier- 
re 6t6e de devant 
le tombeau. 



384 



JESUS CHHIST. 



Mais 1'ange re- 
partit et dit aux 
femmes : 
Ne cfaignez 
point, vous. Car 
je sais que c'est 
Jesus le crucifix 
que vous cher- 
chez. II n'est pas 
ici, il est ressus- 
cit6 comme il 1'a- 
vait dit; 



d'une robe blan- 
che, et elles fu- 
rent saisies d'ef- 
froi. 



Mais lui leur 
dit : 

Ne vous effrayez 
pas. C'est Jesus 
que vous cher- 
chez, le Naza- 
reen, le crucifi6 : 
il est ressuscite, 
il n'est pas ici; 



Venez et voyez 
la place oil il gi- 
.sait, et vite, allez, 
dites a ses disci- 
ples qu'il est res- 
suscite des morts, 
et voici qu'il vous 
precede en Gali- 
lee. La vous le 
verrez. Voici, je 
vous 1'ai dit. > Et 
quittant bien vite 
le tombeau avec 
crainte etgrande 
joie, elles couru- 
rent avertir les 
disciples. 



Voici la place ou 
on 1'avait depose ; 
mais allez, dites 
a ses disciples et 
a Pierre qu'il vous 
precedera en Ga- 
lilee. La vous le 
verrez, comme il 
vous 1'a dit. Et 
sortant, elles 
s'enfuirent du 
tombeau, car le 
tremblement et le 
saisissement les 
avaient saisies, 
et elles ne dirent 
rien a personne, 
car elles avaient 
peur*... 



mes se presente- 
rent a elles, dans 
un vetement 
eblouissant. Com- 
me elles etaient 
saisies d'effroi et 
portaient le vi- 
sage en terre, ils 
leur dirent : 
Pourquoi cher- 
chez-vous le vi- 
vant parmi les 
morts ? II n'est 
pas ici, mais il 
est ressuscite. 
Vous vous rappe- 
lez ce qu'il vous 
avait dit etant 
venu en Galilee, 
disant du Fils de 
1'homme qu'il faut 
qu'il soit Iivr6 aux 
mains des pe- 
cheurs,etcrucifie, 
et ressuscite le 
troisieme jour? 



Elle court done, 
et vient vers Si- 
mon Pierre et 
1'autre disciple 
que Jesus aimait, 
et leur dit : On 
a enlev6 le Sei- 
gneur du tom- 
beau et nous ne 
savons ou on 1'a 
mis! 



1. Marc decrit admirablement le premier moment, tout a 1'etonnement 



LA RESURRECTION DU CHRIST. 



S85 



Et Yoici que J- 
us se pr6sente a 
elles, dissent :*'Sa- 
liutl > Mais elles, 
s'avancant, saisi- 
rent ses pieds et 
i'adorerent. Alars 
.J6sus leur dit : 
'N'aye': crainte. 
Allez, annonceza 
ines freres qu'ils 
aillent en Galilee, 
et Ik ils me ver- 
ront. > 



Et elles se sou- 
vinrent deses pa- 
roles. Et revenues 
du tombeau elles 
annoncerent tout 
cela aux Onze et 
a tous les autres. 
Or c'6taient Marie 
de Magdala et 
Jeanne et Marie 
de Jacques ; et 
leurs compagnes 
en dirent autant 
aux apotres. Et 
ces discours leur 
parurent du ra- 
dotage, et ils ne 
les en crurent 
pas. 

Toutefois Pierre 
se leva, courut 
au tombeau, et, 
se penchant ne 
vit que les ban- 
delettes seuies, e 
il s'en retourna 



Pierre sortit 
done, etaussil'au- 
tre disciple, et ils 
vinrent au tom- 
beau. Tous deux 
couraient ensem- 
ble et 1'autre dis- 



et k la crainte. f-Nous savons que les saintes femmes se ressaisirent, que la 
joie se m61a, comme il arrive, a 1'effroi initial, et les rendit capables de 
transmettre leur message. Voir H. 8. Swete, The Gospel according to 
S. Mark*, 1920, p. 398, 399. Sur la coupure du texte apres e<po6ouvco 
voir plus bas, p. 500, la note M 2 : les Finales de Marc et de Jean. 

JESUS CHRIST. II. 25 



380 



JESUS CHRIST. 



ce qui etait ar- 
rive. 



Et comme elles 
cheminaient, voi- 
ci, quelques hom- 
mes de la garde 
vinrent en ville 
annoncer aux 
princes des prS- 
tres tbut ce qui 
s'etait passe. Et 
s'etant rassem- 
bl6s en conseil 
avec les Anciens, 
ceux-ci donne 
rent la forte som- 
me aux soldats, 
disant : < Expli- 
quez : ses disci- 
ples sont venus 
la nuit et 1'ont 
vole tandis que 
nous dormions ; 
et si le Procura- 
teur a vent de 
cela, nous 1'apai- 
serons, et nous 
vous couvri- 
rons. Eux pri- 
rent 1'argent ,et 
repeterent leur 
lee. on. Et cette 
version s'est re- 
pandue parmi les 
Juifs jusqu'a ce 
jour. 



Apparitions a Jerusalem : i. Marie de Magdala. 

Me., xvi, 9-11. Jo., xx, 11-18. 

f f 

Etant ressuscite le Or Marie se tenait debout pres du torn- 
matin, le premier jour beau, en dehors, en pleurs. . Tout en pleu- 
de la semaine, il ap- rant, elle se pencha dans le tombeau, et elle 
parut d'abord a Marie apergoit deux anges vetus de blanc, assis a 



se demandant ciple courut plug 
avec etonnement vite que Pierre et 
vint le premier 
an tombeau. Etse 
penchant il vit 
les bandelettes 4 
terre, et toutefois 
il n'entra pas. Si- 
mon Pierre vient 
done sur ses pas 
et entre dans le 
tombeau, et voit 
les bandelettes h 
terre, et lesuaire 
qui etait sur sa 
tete non pas gi- 
sant avec les ban- 
delettes, mais 
roulekpartenson 
lieu. Alors done 
entra aussi 1'au- 
tre disciple, ar- 
riv6 le premier 
au tombeau. 11 
vit et il crut. Car 
ils ne compre- 
naient pas encore 
par 1'Ecriture 
qu'il devait res- 
susciter des 
morts. Lea disci- 
ples s'en retour- 
nerent done chez 
eux. 



LA INSURRECTION J>U CHniST. 



387 



de Magdala,' de la- 
quelle il avail chass6 
sept demons. Orcelle- 
ci alia 1'annoncer a ses 
disciples, pi on go's 
dans le deuil et les 
pleurs. Etl'entendant 
dire qu'il vivait et 
avait 6te" vu par elle, 
ils ne crurent point. 



la place ou avait repose" le corps de Je'su*, 
1'un a la tfete, 1'autre aux pieds Eux lui di- 
sent : Femme, qu'as-tu a pleurer? Elle : 
C'est qu'on a pris mon Seigneur, et je ne 
sais ou on 1'a mis , Ce disant elle se re- 
tourna ct apergoit Je"sus qui se tenait la, et 
elle ne savait pas que c'est Jesus. Je"sus lui 
dit : Femme, qu'as-tu k pleurer? Qui cher- 
ches-tu? Elle, pensant que ce fut le jardi- 
nier, lui dit : Seigneur, si tu 1'as emporte, 
dis-moi ou tu 1'as mis, et je le prendrai. 
Je"sus lui dit : Mariam ! Elle, se tournant, 
luiditen he"breu : Rabboni (ce qui signifie 
Maitre). J6sus lui dit : Ne me touche pas, 
car je ne suis pas encore remonte" vers le 
Pere, mais va vers mes freres et dis-leur : 

Je monte vers mon P6re et votre Pere, 
mon Dieu et votre Dieu. 

Marie de Magdala vint annoncer aux dis- 
ciples : J'ai vu le Seigneur! et ce qu'il 
lui avait dit. 



2. Les Disciples d'JSmmaiis. 



Me., xvi, 12-13. 

Apres cela il appa- 
rut, sous une autre 
forme, a deux d'entre 
eux qui cheminaient 
s'en allant a la cam- 
pagne. 



Lc., xxiv, 13-35. 

Et voici que deux d'entre eux chemi- 
naient le mme jour vers un bourg eloigne 
de soixante stades de Jerusalem et nomine" 
Emmaiis 1 . Et ils s'entretenaient entre eux 
de tous ces accidents. Or tandis qu'ils devi- 
saient et cherchaient ensemble, voici que Je- 
sus Iui-m6me s'etant approch^, faisait route 
avec eux; mais leurs yeux e talent tenus, de 
fagon qu'ils nele reconnaissaient pas. II leur 
dit : Quels sont ces discours que vous 
echangez en marchant? Et ils s'arreterent, 
tout tristes. R6pondant, 1'un d'eux, du nom 
de Cleophas, lui dit : Tu es bien dans J6ru- 
salem le seul etranger ^ ne pas savoir ce qui 
s'yest passe" ces jours-ci! Quoi? leur 
dit-il. Mais eux : Concernant J6sus de Na- 
zareth, qui etait, h la face de Dieu et de tout 
le peuple, un prophete puissant en osuvres 

1. Voir D. Buzy, Emmaus, dans RSR, V, 1914, p. 395 suiv.; et Strack et 
Billerbeck, KTM, II, p. 269-272. 



288 JESUS CHRIST. 

>etien paroles :eomment:les princes des 
tresiet nqsfmagistrats il'antlivre pour etre 
mis;a mort et crucifie. Or ,nous, nous espe- 
rions qu'il etait celui qui devait racheter Is- 
rael. Mais avec :lout cela voila le troisieme 
:j0ur;dej3uisii'evenement..A vrai dire quelques 
famines, de celles qui sont avec nous, ,nous 
out iien surpris : allees ,des le imatin au tora- 
;beau et nlayant pas;trouve son .corps, :elles 
sQnt .venues .nous ;par.ler :d'une apparition 
qu'elies;ontivue, et d'anges qui disent que 
Jesus vit. Quelques-uns des n6tres ont e"te 
.au tombeau, et ojit itrouve les choses con- 
formes aux dires de qes femmes, mais lui, Us 
.inejl'ont pas vu. 

Lors, il leur dit : Gens lourds d'esprit, 
lents de coeur a.croire tout ce qu'ont dit les 
prqplietes! Ne fallait-ii pas que le Christ 
souffrit ces peines, pour entrer dans sa gloi- 
re-? Eticommencant par Moi'se et par tous 
les prophetes, ille.ur interpreta ce qui, dans 
toutes les iEcritures, le concernait. Or, ils 
approchaient du bourg ou ils se rendaient, 
e,tlui, fit semblant de pousser au dela. Mais 
eux le presserent en disant : Reste avec 
nous, car le soir vient, et deja'ie jour de- 
cline. iEt'il entra pour rester avec eux. Et 
il advint, comme il i6tait a table avec eux, 
'qu'il prit le pain, le benit etile rompant il le 
leur idonnait. Et leurs y^e.ux : se dessillerent, 
etils le Teconnurent : mais il devint invisi- 
ble pour eux. Et ils se dirent entre ,eux : 
Notre cceur n'etait-il pas brulant en nous, 
lorsqu'il nous parlait sur le chemin, tandis 
qu ? il nous ouvraitle 'sens des Ecritures? 

Et^se levant a 1'heure meme ils retourne- 

rent a Jerusalem, ettrouverent assembles les 

Onze-et leurs compagnons, qui leur dirent : 

fls revinrent Tan- Effectivement le Seigneur est ressuscite, 

Boncer aux autres, et Simon Tavu! Mais eux raconterent les 

maisonnelescrutpas incidents de la route, et comme il avait e"te 

won plus "*. reconnu par eux a la fraction du pain. 

1. M6me remarque que plus haut, Mc. ; xvi, 11. 



LA RESURRECTION; DU CHRIST. 



389 



3. EevOnzeh Jerusalem : Jesus se fait reconnoitre. 



Me:,, xvr, 14. 

Enflhil apparat aux 
Onze eux-memes tan- 
dis qu'ils 6taiefiit a ta- 
ble, et irieurreprocha 
leur incredulity, et la* 
durete* de leur cceur, 
parce qu'ils n'avaient ; 
pas ajoute" foi a ceux 
qui ravaient' vn res- 
suscitd. 



Lc., xxiv, 36-43. 

Comme ils parlaient 
ainsi, Iui-m6me parut 
debout au milieu 
d'eux. Et il leur dit : 
Paix a vous ! Mais 
tout saisis et pleins 
d'effroi, ils croyaient 
voir un esprit. Et il 
leur dit : Pourquoi 
etes-vous trouble's ? 
Pourquoi ces pensees 
de doute montent- 
elles dans vos cceurs? 

Voyeztoes mains et 
mespieds. C'estmoi- 
mme . Tpuchez et 
voyez : un esprit n'a 
pas chair et os comme 
vous voyez bien que 
j'ai. (Et, ce disant, il 
leur montra ses mains 
et ses pieds.) Mais 
comme ils ne croyaient 
pas encore, si grande 
etaitleur joie ! et qu'ils 
restaient ebahis, il 
leur dit : Avez-vous 
quelque nourriture 
ici? Ils mirent de vant 
lui un morceau de 
poisson roti et a leurs 
yeux il en prit et en 
mangea. 



Jo., xx, 19-29. 



Et comme il 
tard ce jour-la, pre- 
mier de la semaine, 
et,parcrainte desJuifs 
les portes etant clo- 
ses du lieu ou sc 
tenaientles disciples, 
Jesus vint, se tint de- 
bout au milieu et leur 
dit : Paix a vous ! 
Et ce disant, il leur 
montra ses mains et 
son c6te. Les disci- 
ples se rej'ouirent 
done, voyant le Sei- 
gneur. Derechef il 
leur dit done : Paix 
a vous ! 

Comme mon P6re m'a 

[envoy6 

moi aussi je vous ea- 

[voie. 

Et disant cela, il 
souffla et leur dit : 
Recevez 1'Esprit 
Saint. 

Ceux a qui vous remet- 
[trez. les p6ch6s, 
ils leur seront remis. 
Ceux a qui vous les re- 
[tiendrer, 
ils seront retenus. 

Or 1'un des Douze, 
Thomas, nomme Di- 
dyme, n'etaitpas avec 
eux quand vint Jesus. 
Les autres disciples 
lui dirent done : 
Nous avons vu le 
Seigneur. Mais U 



300 



jit US CHRIST. 



lour dit : Si jo ne 
vois dans ses mains 
la marque des clous, 
et si je ne mets mon 
doigt dans la marque 
des clous, et si je ne 
mets ma main dans 
son c6te, je ne croirai 
pas. Et huit jours 
apres, les disciples 
etant de nouveau a 
1'interieur, et Thomas 
avec eux, Jesus vint, 
les portes closes ; il se 
tint debout au milieu 
et dit : IK Paix a vous! 
Ensuite il dit a Tho- 
mas : Donne ton 
doigt ici et vois mes 
mains; et donne ta 
main, et mets-ia dans 
mon c6te, et ne sois 
pas incre^dule, mais 
croyant. Thomas re- 
partit et dit : Mon 
Seigneur et mon 
Dieu ! Jesus lui dit : 
Parce que tu m'as 
vu, tu as cru : bien- 
heureux ceux qui, 
n'ayant pas vu, ont 
cru! 



Apparitions en Galilee : i. Le Grand Message. 



Mt., xxvni, 16-20. 

Or les onze disciples allerent 
en Galilee, sur la montagne que 
leur avait marquee Jesus, et, le 
voyant ils seprosternerent, mais 
quelques-uns douterent. Et s'ap- 
prochant, Jesus leur parla en 
ces termes : 

Toute puissance m'a et6 donnee 

au ciel et sur la terre 
Allez done, et faites de toutes les 
[nations des disciples, 



(Me., xvi, 15-18. 

Et il leur dit : Allez dans le 
monde entier; pr^chez 1'Evan- 
gile a toute creature. Qui croira 
et sera baptise sera sauv6; qui 
ne croira pas sera condamne. Or 
voici les signes qui accompa- 
gneront ceux qui auront cru : en 
mon nom ils chasseront les de- 
mons; ils parleront des langues 
nouvelles ; ils prendrontdes ser- 
pents dans les mains; et s'ils 



LA RESURRECTION DU CHRIST. 391 

les baptisant au nom du Pere et du boivent quelque breuvage mor- 

[Fils et du Saint Esprit, tel, il ne leur nuira pas ; ils im- 

leur enseignaut & garder tout ce que p0 seront les mains aux malades, 

... . t> e vous ai P" 80 ' 1 *- et eux seront gueris. 
Et voici : je suis avec vous tons les B 

(jours 

jusqu'a la consommation des sie- 

[cles*. > 

2. U Apparition sur le Lac. 

Jo., xxi, 1-24. 

Apres cela, Jesus se manifesta de nouveau a ses disciples, sur la 
mer de Tibe>iade : il se manii'esta ainsi. Ensemble etaient Pierre 
et Thomas surnomm6 Didyme, Nathanael, de Cana de Galilee, (les 
ills de Zeb6dee) et deux autres de ses disciples. Simon Pierre leur 
dit : Je vais pecher. Eux lui disent : Nous aliens aussi avec toi. 
Ils sortirent, monterent dans la barque et cette nuit-la ne prirent 
rien. Or, le matin deja venu, Je"sus se tenait sur le rivage, mais les 
disciples ne savaient pas que c'eiait Jesus. II leur dit done : En- 
fants, n'avez-vous rien a manger? Ils repondirent : Non ! Lors 
il leur dit : Jetez le filet a droite du bateau, etvous trouverez. Ils 
le jeterent done et ne pouvaient plus le relever a cause de 1'abon- 
dance des poissons. Ce disciple que Jesus aimait dit done a Pierre : 
C'est le Seigneur! Simon Pierre, entendant dire que c'est le 
Seigneur, mit son vetement autour de ses reins (car il etait nu) et 
se jeta dans la mer. Les autres disciples vinrent dans la barque, 
car ils n'etaient pas loin de la terre, mais a deux cents coude"es a 
peu pres, tirant le filet des poissons. Quand done ils furent des- 
eendus a terre, ils virent un feu de braise, un poisson place dessus, 
et du pain. Jesus leur dit : Apportez les poissons que vous venez 
de capturer. Simon Pierre monta done et releva le filet plein de 
gros poissons : cent cinquante-trois. Et nonobstantce grand nom- 
bre, le filet ne se rompit pas. Je"sus leur dit : Venez, dejeunez. 
INul de ses disciples n'osait lui dire : Qui es-tu? sachant que 
c'etait le Seigneur. J6sus s'approche, prend le pain et le leur donne 
et semblablement le poisson. Ce fut la troisieme fois que Jesus se 
manifesta a ses disciples apres etre ressuscite des morts. 

Lors done qu'ils eurent dejeune\ Je"sus dit a Simon Pierre : Si- 

1. Sur la tradition de ce texte, voir J. Lebreton, Les Origines du 
Dogme de la Trinite*, 1927, p. 599-610, note E. L'erudit plaidoyer du 
R. P. Lagrange, allant a supprimer la suite du verset Yib : 01 8e eBc'ataaav, 
se rapportant au passe : eux qui avaient doute , Evangile selon saint 
Matt/lieu, 1923, p. 543, 544, ne me convainc pas. II n'y a, me &emble-t-il, 
aucune objection decisive centre le sens naturel, & prendre le mot 
de ce trouble instinctif qui peut survivre k une conviction motiv6e. 



392 JESUS caniST. 

mon, filsde Jean, m'aimes-tit plus que ceux-cif II lui dit: Oui r 
Seigneur, tu sais que je t'aime. II liii dit : Pais mes agneaux. 
Derechef; une seconde fois il lui dit : Simon, fils de Jean, 
m'aimes-tu? II lui dit : Oui, Seigneur, tu sais que je te 
cheris. II lui dit : Fais paitre mes brebis. II lui dit une troi- 
sieme fois : Simon, fils de Jean, nd'aimes-tutf Pierre fut contriste 
qu'il lui ait dit une troisieme fois : M'aimes-tu P et il lui dit : Sei- 
gneur, tu sais tout, toi. Tu sais que je t'aime. Je"sus lui dit : 
Pais mes brebis. En verite, en verite je te le dis : quand tu etais 
jeune tu te ceignais et tu te promenais ou tu voulais. Mais quand 
tu auras vieilli, un autre te ceindra et te menera ou tu ne voudras- 
pas. (Cela, il le lui dit pour indiquer par quelle mort Pierre glo- 
rifierait Dieu.) Ayant ainsi parl^, il lui dit : Suis-moi. S'etant 
retoui*n^i Pierre voit, les suivant, le disciple que J6us aimait et qui 
peridant la Gene feposa sur sa poitrine et lui dit : Qui est celui 
quite trahira? Voyant done celui-ci, Pierre dit a Jesus : Seigneur, 
celui-ci, qu'en sera-t-il? J6sus lui dit : Si je veux qu'il reste jus;- 
qu'a ce que je vienne, que t'importe? Toi, suis-moi. Ge bruit se 
repandit done parmiles disciples, que ce disciple nemourrait pas; 
Or Jesus ne lui ditpas qu'il nemourrait pas, mais : Sije veux qu't 
restejusgu'a ce que je vienne y que fimporteP 

C'est ce diseiple-lk qui a temoigne sur ces choses et qui les a* 
mises par ecrit, et nous savons que son temoignage est v^ridique 1 \- 

Les Instructions finales et I'Ascension. 

Me., xvi, 19-20. Lc., xxiv, 44-49. Actes, i, 1-9. 

Or il leur dit : Ce J'ai parle, 6 Theo- 

sont bien les paroles phile, dans mon pre- 

que je vous ai dites mier livre, de ce que 

quand j'etais encore Jesus fit et enseigna 

avec vous : qu'il faiit depuis le ddbut jus- 

que soit accompli tout qu'au jour ou ayant 

ce qui est e"crit de moi intime ses preceptes 

dans la loi de Moi'se, par le Saint-Esprit, 

les prophetes et les aux ap6tres qu'il avait 

psaumes. Alors il choisis, il fut enleve 

leur ouvrit Tesprit au ciel. Devant eux 

pour entendre le sens il s'affirma vivant, 

dcs Ecritures, et il apr6s sa passion, par 

leur dit : Ainsi etait- maint indice certain, 

il ecrit que le Christ s'etant montre a eux 

p^tit, et ressuscitat pendant quarante 

1. Sur ce chapitre Jo., xxi, voir plus bas, p. 500, la note M a : les Finales 
de Marc et de Jean. 



CA RESURRECTION DU CHRIST. 



39$ 



Or le Seigneur Je- 
sus, apres leur avoir 
ainsi parle, fut eleve 
an del et it s'est assis 
a la droite de Dieu. 



Mais eux s'en al- 
lerent precher, le Sei- 
gneur confirmant la 
Parole par les signes 
qui I'accompagnaient. 



desmorts le troisleme 
jour, etqu'on prechat 
en son nom la peni- 
tence, en remission 
des peche's, a toutes 
les nations en com- 
mencant par Jerusa- 
lem. 

< Detout cela votfs 6tes 
[temoins 

et voici que j'envoie sur 

vous ce qu'a promis 

[mon Pere : 

Mais vous, restez dans 
[la ville, 

hisqu'a ce que vous 
[soyez 

revetus de la force 
[d'en haut. 

Et it les emmena 
jusqu'a B^thanie, et 
ayant eleve la main, 
il les benit, et tandis 
qu'il les benissait il 
s'eloigna d'eux et il 
etait enlevei dans le 
ciel. Et eux, 1'ayant 
adore, retournerent a 
Jerusalem en grande 
liesse et il 6taient 
assidument dans le 
Temple, b 6 n i s s a n t 
Dieu. 



jours et parlant 
Royaume de Dieu. Et 
se trouvant a table 
avec eux il leur pres- 
crivit de ne pas s'eloi- 
gner de Jerusalem, 
mais d'attendre ce que- 
le Pere avait promis; 
et dont je vous ai 
parle : Jean baptisait 
dansl'eau ; vous, vou& 
serez baptises dans- 
1' Esprit Saint Sous 
peu: de jours . Or 
ceux qui 6taient reu- 
nis lui demandaient : 
Seigneur, est-ce 
presentement que tu 
retablis le Royaume- 
d'lsrael? Mais ii 
leur dit : Ce n'est 
pas a vous de connai- 
tre les moments que- 
le Pere a fix6s de sa 
propre autorit^. Mais 
vous recevrez la force- 
du Saint-Esprit qut 
viendra sur vous, et 
vous serez mes te- 
moins a Jerusalem, 
dans toute 1st Judee et- 
laSamariejetjusqu'au 
boutdumonde. Etc& 
disant, il s'eleva sous 
leurs yeux, et une- 
nueele deroba a leurs 
regards. 



A ces recits, Ton joint d'ordinaire 1 quelques indications. 

1. (Test ce que fait, par exemple, P. W. Schmiedel dans le tableau qu'ili 
a joint a son m6moire Resurrection and Ascension Narratives, dans EB, IV, 
col. 4039-4087; le tableau est en face des col. 4053, 4054. Get article releveet 
f ait ressortir, avec une Erudition et un parti pris 6galement dignes de Strauss,, 
toutes les difficultes, heurts ou antinomies qu'on peutrelever ou soupconner- 
dans les r6cits. Voir plus has, p. 503, la note N 2 : le Tomdeau trouve" vide. 

I/usage des fragments non canoniques est, par contre> absolument 



394 JESUS CHRIST. 

emprunte*es aux e*vangiles non canoniques les plus anciens, 
Un des exegetes qui en font etat, H. B. Swete, apres sMtre 
explique" sur la faible valeur qu'il attache a ce detail, aioute : 
Quand nous sortons du Nouveau Testament, les e*chos de 
la tradition primitive se font rares et, pour la plupart, ne 
meritent pas confiance. J'ai cite" plus haut integral ement le 
fragment de Yfivangile dit des Hdbreux, qui raconte 1'appa- 
rition du Seigneur a Jacques, apparition qui est mise hors de 
doute.par le temoignage de saint Paul. Un morceau conserve* 
en copte et en e*thiopien, et qui peut remonter au 11" siecle, 
decrit 1'apparition aux saintes femmes, pres du tombeau vide, 
en des termes qui permettent de croire ce re"cit particuliere- 
ment independant, non de 1'Evangile johannique, mais des 
synoptiques. Marie, Marthe et Madeleine qui sont allies 
embaumer le corps du Seigneur, trouvent le sdpulcre vide, 
se troublent, se lamentent. Jesus leur apparait, leur defend 
de pleurer, les console et depe'che 1'une d'entre elles vers 
les apdtres. Marthe y va, sans parvenir a les persuader; 
Marie, qui la suit, n'est pas plus heureuse. Alors le Seigneur 
ae derange, et adresse la parole aux disciples. Us le prennent 
d'abord pour un fant6me, mais lui se fait reconnaitre, soit 
en rappelant ses paroles anciennes, soit en les invitant a le 
le toucher : Pourquoi doutez-vous encore et e"tes-vous 
Incredules?... Mets, Pierre, ton doigt dans le trou des clous 
de mes mains, et toi-meme, Thomas, mets ton doigt dans 
1'ouverture faite par la lance a mon c6te... et toi, Andre, 
remarque mes pieds, et vois s'ils s'appuient bien d'aplomb 
ur terre ' . 

correct, lorsqu'on n'en majore pas la valeur. F. Loofs, Die Auferstehungs- 
berichte und ihr Wert z , Tubingen, 1908, p. 38, 39; H. B. Swete dans 
Appearances of Our Lord after the Passion, p. xv; Ms r P. Ladeuze, 
dans sa belle legon sur la ftdsurrection de Jesus- Christ devant la critique 
contemrioraine, 1907, p. 8, 9, etc., ne dedaignent pas ces glanes. 

1. Cette piece qui existe en ethiopien et, fragmentairement, en copte 
(quelques lignes ont meme 6te retrouv6es d'une traduction latine), pubH6e 
d'abord dans la Patrologia Orienlalis de Graffin et Nau, IX, 3, par L. Guer- 
rier, sous le nom de Testament de Notre-Seigneur en Galilee, a et6 r6edit6e 
d'apres les deux textes, avec un commentaire considerable, par Carl 
Schmidt, Gespraeche Jesu mit semen Jungern nach der Auferstt hung, etc., 
dans TU, XLIII, Leipzig, 1919. Le texte cite se trouve ch. xn (23) ethiop., 



LA RESURRECTION DU CHRIST. 305 

Seul pourtant, YEvangile dit de Pierre vaut, semble-t-il, 
d'etre largement cite ici. Ge qu'il dit, allant a complete? nos 
evangiles, et, plus encore, la fac.on dont il le dit, merite atten- 
tion. On peut mesurer sur cet ouvrage, le plus sobre, le plus 
ancien des evangiles non canoniques dont il ne nous reste 
plus qu'une poussiere de fragments 1 , la difference qui separe 
des meilleurs parmiles autres, les livres retenus et canonises 
par 1'Eglise. 

Le morceau essentiel debute apres la condamnation de 
Je"sus, prononeee, a ce qu'il semble, par He"rode. Avant me"nie 
1'execution de la sentence, Joseph (d'Arimathe'e), 1'ami de 
Pilate et du Seigneur , intervient aupres du Procurateur 
pour obtenir le corps de Je"sus : Pilate transmet la requite 
a He"rode, qui repond : Frere Pilate, personne ne nous 
l'eut-il demande, que nous Teussions enseveli, puisque e'est 
1'aurore du sabbat. Gar il est e*crit dans la Loi que le soleil ne 
don pas se couchersur un homme mis a mort, Suit un recit 
de la Passion de Jesus, fortement teinte de doc^tisme. Puis, 

Aprbs la mort du Christy 

(Voyantles signes qui suivaient la mort du Seigneur) les Juifs, 
les Anciens et les pretres, se rendant compte du grand mal qu'ils 
sMtaient fait a eux-m6mes, commencerent a battre leur coulpe et a 
dire : Malheur sur nous pour nos peches : le jugement et la fin 
de Jerusalem approchent. 

Moi (c'est Pierre qui parle), et mes compagnons, dans la peine 
et navres au fond de Fame, nous nous etions cache's ; car on nous 
recherchait comme des malfaiteurs et voulant incendier le Temple. 
Avec tout cela nous jefinions etrestions assis dans les larmes et le 
deuil, nuit et jour, jusqu'au Sabbat. 

Or les scribes, les Pharisiens et les pretres se rassemblerent, 

copte iv, loc. laud., p. 43 ; et dans The Apocryphal New Testament de 
M. R. James, Oxford, 1924, p. 488. 

1. On sait que le fragment de VEvangile de Pierre que je traduis ici, 
a ete trouve a Akhmim en Egypte, en 1886, et public par M. Bouriant en 
1892. Sur 1'epoque h laquelle il a ete compose, le plaidoyer de P. Gard- 
ner-Smith, pour une date tres ancienne (vers 90!), ne m'a pas con- 
vaincu : The Date of the Gospel of Peter, dans JTS, XXVII, 1926, p. 401- 
407. La date ordinairement admise : vers 180, ou un peu avant, assure 
encore une valeur appreciable au document. Je suis le textede E.Preuschen, 
Antilegomena*, p. 16 suiv. 



306 JESUS CHRIST. 

car ils entendaient dire que le peuple murmurait et se frappait la 
poitrine disant : Si a sa inort de; tels prodiges ont lieu, vpyez 
quel juste c'&ait! Tres effrayes,, les Anciens vinrent prier Pilate 
en ces termes : Donne-nous des soldats, pour qu 1 ils gardent 
la tombe pendant trois jours, de crainte que ses disciples n'aillent 
le volier, et que le peuple, estimant qu'il est ressuscite" des morts, 
ne nous mette a mal. Et Pilate leur donna le centurion Petronins; 
avcc des soldats pour garder le sepulcre : des pr&tres et. des- 
scribes allerent avec eux a la tombe, et tous ensemble, avec<le 
centurion etles soldats, roulant une grande pierre, ils la placerent 
sur 1 la porte de la tombe et la scellerent de sept sceaux. Et 
ayant plante la une tente, ils veillaient. 

La Resurrection. 

Et de bon matin, a Taube du sabbat, une foule- de gens vint; 
de Jerusalem et des environs,, voir le tombeau scelleY 

Or la nuit qui precedait 1'aube du dimanche, comme les soldata 
montaient la garde, deux par deux, une grande voix se fit entendre 
dans le ciel, et ils virent les cieux s'ouvrir, et deux hommes 
cclatants de: lumiere en descendre et s!approcher du; tombeau; 
Or la pierre qu'on avait mise sur la porte, roula d'elle-meme et se 
plaga de c6t4, etla tombe s'ouvrit, etles deux jeunes gens entrerent 
ensemble. Ce que voyant, ces soldats eveillerent le centurion et 
les Anciens (car il y en avait aussi la qui veillaient}. Et comme ils 
expliquaient ce qu'ils avaient vu, derechef ils voient trois hommes 
sortant du tombeau : deux soutenaient le troisieme, et une croix 
les suivait. Et la tete de ceux qui soutenaient attergnait le ciel r 
mais celle de celui qu'ils soutenaient depassait les cieux. Et ils 
cntendirent une grande voix, venue du ciel qui disait : As-tu 
prfiche aux niorts? Et une reponse partit de la croix : Oui . 
Et comme ils se concertaient pour s'en aller pr6venir Pilate de- 
1'afFaire, les cieux- apparurent de nouveau s'duvrir : un homme en 
descendit et entra dans le se"pulcre. 

1 . On p6n6trait dans la chambre fun6raire de certains tombeaux par une 
ouverture en forme de puits, dont on pouvait recouvrir 1'ouverture d'une 
grosse pierre. La forme plus commune, d'une chambre fim6raire creusee 
dans le roc et fermee par une porte, r6pond mieux aux indications des 
evangiles. Cette porte elle-meme 6tait souvent constitute par une pierre 
considerable qu'on faisait glisser pour ouvrir la tombe. J. Klausner, Jesus 
of Nazareth, 1925, p. 355, cite a ce propos une Baraita : < II arriva qu'un 
homme de Beth-Dagan en Judee mourut le soir de la Paque : on vint et on 
1'ensevelit. Les hommes, attacherent une corde autour de la pierre rou- 
lante (fermant le tombeau) ; du dehors ils tirerent, et les femmes entrerent 
dans le tombeau, et accomplirent 1'ensevelissemerit. 



LA RESURRECTION DU CHRIST. 397 

Le JRaj>por.t a Pilate. 

Voyant cela, rceux'qui 'etaient avecle centurion, se %aterent, en 
pleinenuit, Iaissa3i!tlat0.inbe qu'ils gardaient, ;d';aJlertr,ouver(Pilate, 
.et lui racontersemt tout-ce qu'.ils avaient vu, .gj^aaideinent troubles 
el disant: Vraiment il etait Fils deDieu! Pilate leur repondit : 
Je suispur du sang du Fils de Dieu : c'est vous quiTavez voulu. 
Ensuite, comme 'tous le pria'ient instamment d'ordonner au cen- 
turion et aux;s6ldats 'de ne Tien dire de ce qu'ils avaient vu, car 
il est meilleur, idisaient-ils, .:pour^nous,^de .porter devant iDieula 
responsabilite de :ce ; grand :peche, que de tomber aus mains ; du . 
peuple juif po.ur etre lapides , Pilate ordonna, done au centurion 
t aux soldats de ne rien dire. 

Les Saintes Femmes .au Tombeau, 

Le dimanchej.airaurore, Marie;de,Magdala, disciple du, Seigneur, 
craignant les Juifs enflammes de colere, elle n'avait ,pas accompli 
au .tombeau du Seigneur ce .que les femmes ont accoutume de 
faire pour les morts qu'elles ont aimes, ay ant pris avec elle ses 
vamies, vintau sepulcre ou on Tavait depose. Et elles craignaient 
que les Juifs ne les .vissent, et disaient : a Si nous n'uvons pu, le 
jour meme qu'il a ete crucifie, pleurer et,no.us,lamenter, .du moins 
i'aisons-le maintenant sur son tombeau. Mais qui roulera pour nous 
la pierre placee sur la.p.orte de la tombe, afin que nous puissions 
^ntrer pres de lui, et accomplir ce qui convient? Car la pierre 
etait grande, et nous craignons que quelqu'un ne nous voie. 'Mais 
si nous ne pouvons pas, du moins, en memoire .de lui, nous 
jetterons a la porte ce que nous apportons, nous pleur.er.ons et 
nous lamenterons jusqu'a notre retour a la maison. 

Or en arrivant, elles trouverent la tombe ouverte, et comme 
elles se penchaient en s'approchant, elles virent la, assis au 
milieu de la tombe, un beau jeune homme vetu d'une robe splen- 
dide qui leur dit : Pourquoi etes-vous venues? 'Qui cherchez-vous ? 
Ce crucifie, n'estrcepas? II est ressuscite, et il s'en est alle. Si 
vous ne croyez pas, penchez-vous et voyez le lieu ou il gisait : 
il n'est plus la, car il est ressuscite, et s'en est alle la d'ou il avait 
416 envoye. Alors, effrayees, les femmes s'enfuirent. 

Or c'etait le dernier jour des Azymes, et beaucoup de gens s'en 
allaient chez eux, la fete passee. Mais nous, les :Douze disciples 
du Seigneur, nous etions dans les pleurs de tristesse, et chacun, 
consterrie de ce qui etait arrive, s'en retourna chez lui. Or moi, 
Pierre, et Andre, mon frere, ayant pris nos filets, nous partimes 
vers la mer, etil y avait avec nous Levi d'Alphee, que le Seigneur... 

De la narration ainsi interrompue, 1'interet principal reside 



308 JBSUS CHRIST. 

dans son caractere manifestement secondaire et derive. 
Des que 1'auteur quitte pour une glose, voire pour une expli- 
cation, le solide fond de la tradition vanglique, lea fautes 
de gout, les anachronismes, les invraisemblances pullulent. 
A propos de la Passion, 1'auteur met dans la bouche d'He>ode 
Antipas Pappellation, confinant au grotesque, de Frere 
Pilate! Ailleurs, et re'gulierement, les traits indiqu^s par 
les evangelistes sont soulignes, dilue"s, major^s jusqu'au ridi- 
cule. Les precautions des Anciens sont circonstanciees, et 
Ton nous montre ces Juifs orgueilleux, mettant la main a la 
besogne, en compagnie des soldats romains, et vivant avec 
eux de pair a compagnon. La resurrection est decrite, et avec 
des traits de deplace", de faux, de gigantesque, qui sont pro- 
prement la signature du faiseur d'apocryphes. Si les reflexions 
des femmes ne sont que prolixes, celles des Anciens sont 
invraisemblables. II est a peine un detail, en dehors de ceux 
qui-recouvrent les traits evangeiiques ou pauliniens, qui ne 
se presente comme suspect ou inadmissible. Par centre, la 
moisson canonique, si elle n'est pas aisee a recueillir et a Her 
en gerbes, est abondante. 

Le Message Pascal : sa condition historique. 

Exception faite pour les onze derniers versets de saint 
Marc et 1'appendice du quatrieme evangile 1 , la condition lit- 
teraire des textes cites plus haut n'est pas differente de celle 
des autres recits de 1'Evangile. II n'en va pas de me'ine quand 
on considere ces m^mes textes du point de vue de 1'histoire. 
Une disproportion eclate entre 1'importance du fait de la 
resurrection, telle qu'elle ressort a 1'evidence de tout 1'ensei- 
gnement chretien primitif, et la brievete relative, les lacunes, 
les heurts de la tradition ecrite. 

Nous entendions saint Paul repeter aux Gorinthiens, sous 
vingt formes et comme allant de soi, que la croyance en la 
resurrection est capitale, fait partie de la substance la plus 
indispensable de leur foi. Vaine est celle-ci, vaine la predi- 
cation des ap6tres, si le Christ n'est pas ressuscite : les 
fideles sont les plus malheureux de tous les hommes, et leurs 

1. Voir ci-dessous, p. 500, la note M a : Les Finales de Marc et de Jean. 



LA RESURRECTION DU CHRIST. 399* 

evangelistes de faux te'moins, voire des blasphemateurs. Ges 
enseignements ne sont pas isoles : tous les discours re'unis- 
dans les Actes, qu'ils soient de Pierre, de Jean ou de Paul, , 
qu'ils s'adressent aux membres du grand Gonseil, aux ne"o- 
phytes des premieres Eglises, juifs ou hellenes, aux Athe- 
niens i'e'rus de nouveautes ou au prince e'claire' qu'etait Agrippa,. 
partent de la resurrection ou y conduisent 1 . Le Procurateur 
Festus veut-il re"sumer la querelle qui divise Paul et ses 
adversaires, c'est encore la resurrection qui fait centre dans 
la grossiere esquisse du Romain : il s'agit pour lui d'un cer- 
tain Jesus mort et dont Paul affirme qu'il vit 2 . Les e"pitres 
de Pierre comme celles de Jacques et PApocalypse de Jean 8 
ramenent comme un refrain, comme un theme essentiel d'en- 
seignement et le garant certain de la vie eternelle, le m6me 
fait de la resurrection. 

Cela 6tant, on ne peut qu'admirer Textreme sobrie'te, ce 
n'est pas assez dire, I'^trange pauvret^ de nos recits evang&- 
liques en ce point. D'apparitions, certaines, nettement classees 
par saint Paul qui en avait frriquente 1 les b&ae"ficiaires* et dont 
le detail eut tant importe* : apparition a Pierre, apparition a 
Jacques, on n'y trouve qu'une seche mention, ou moins encore. 
II a fallu, pour que nous possedions la precieuse liste de te- 
moins dressee par Fapdtre, que des Gorinthiens pr6tassent une 

1. Actes, H, 22-26 : Pierre, au peuple de Jerusalem ; in, 15-26 : Pierre aiv 
meme peuple; iv, 10, 20, 33 : Pierre et Jean, au peuple ; v, 29-33 : Pierre 
et Jean, au Sanhedrin ; x, 37-44 : Pierre au centurion Cornelius et a sa 
maison; xin,' 27-40 : Paul aux Juifs et aux < craignant Dieu > d'Antioche de 
Pisidie; xvu, 3, 18, 31-32 : Paul aux Atheniens, i PArSopage; xxyi, 22-26 :. 
Paul au roi Agrippa et & sa suite. 

2. Actes, xxv, 19. 

3. Pierre : I Petr., i, 3-21 ; in, 18, 22 ; Jacques : Jac., n, 1 ; Hebr. 
vi, 17-20; Jean : Apoc., I, 5 et 18; Paul : Rom., i, 4; iv, 23, 24; vi, 
4-10; Vii, 4; vm, 10, 11 et34; x, 9 : < Si tu confesses de bouche que Jesus- 
est le Seigneur et si tu crois dans ton cceur que Dieu 1'a ressuscite des. 
morts, tu seras sauv6 (sur ce texte voir Actes, xvi, 31 ; et Gt' Milligan,. 
The Epistle to the Thessalonians, Londres, 1908, p. 139) ; xiv, 9; I for., 
Vi, 14; xv, 1-5, 13-19; II Cor., iv, 13, 14; I Thess., i, 7-10; iv, 12, 13, 
Ephes., i, 16-23; Philipp., n, 5-12; Coloss., n, 12; in, 1-4; I Tim.,, 
in, 16; II Tim., H, 8-10. 

4. Galat, i, 18, 19 ; et F. H. Chase, Cambridge Theological Essays, Lon- 
don, 1905, p. 392. 



HOO JESUS CHRIST. 

oreille trqp facile aux adversaire.s de la r^eurpection des 
corps! Ces faits constants sont hautement sigoifioatifs. 11 en 
ressort que la tradition primitive, orale r se bowiait a J- affirma- 
tion du fait, a la production des t.emoins autorises, a. I'exploita- 
tion religieuse e,t spirituelle des .consequences :,au deb.ut, un 
renvoi aux Ecritures, par allusion generale ou citations., ,s'im- 
sposait, comme nous Tavons dit. 

Quand les evangelistes entreprirent, dans des conditions et 
pour des fins bien differences, demettre par ecrjt ce qui concer- 
aiait la resurre ction, ils se trouverent done en fac.e 4e ; peu de nia- 
tier.e.Leseul episode vraimefttxletailleetforuiantnarrationqu!on 
trouve dans les Synoptiques, .est celui des disciples d'Emmaiis, 
que saint Luc recuejllit probahlement sur place. v de.la bou.che 
d'un des survivajits 1 . Le q^iatrieme evangile est un pe.u plus 
riche et s'affirme, ici autant et plus qu'ailleurs, I'oauvre d'un 
temoin autorise : .la perspe.ctive .des recits est celle du c.ercle 
apostolique, et c'est beaucoup plus P.attitude de Jesus envers 
les siens, et ses institutions, qui sont mises en relief, qua le 
'fait merae de la resurrection. 

Dans cette indigence relative mais tres reelle, et qui fprme 
une disparate singuli&re avec 1'importance reconnue des 1'ori- 
gine a la foi de Paques, il faut faire grande la part de la pos- 
session tranquille, incontestee, quant a , la substance du fait : 
. Reellement le Seigneur est ressuscite, et il est apparu a 
Pierre 2 . Gette forwule :suffit. Tout au plus le prophete 
Chretien, le missionnaire itinerant qui la propage dans les 
Eglises, l'etoffera-t-il, en developpant la seconde partie, d'at- 
testations, comme nous voyons que Paul le lit a Gorinthe. 
Mais la premiere fut tournee d'abord en article de foi, ce qui 
la soustrayait en grande jpartie aux curiosites-de detail. 

La nature de la vie du ressuscite, extraordinaire, nouvelle, 
exempte des conditions communes jusque-la acceptees par le 
Maitre, explique ce qu'il y a, dans ces traditions si lacunaires, 
de moins net, de flottant, de moins coherent. Les apparitions 
-ont toutes commence par Tetonnement, 1'effroi, le doute m6me, 

1. L'auteur raconte, dans son journal de route insere dans les Actes, 
qu'il vint a Jerusalem avec saint Paul (au printemps de 1'an 56, a ce qu'il 
semble) ; Actes, xxi, 15 suiv. 

2. Lc., xxiv, 34. 



LA RESURRECTION DU CHRIST. 401 

de ceux qui les subissaient : c'etait Jesus qu'on voyait, qu'on 
entendait, qu'on pouvait toucher; ce n'e"tait plus le Jesus 
d'autrefois! II fallait, pour le reconnaitre, un effort, urie abs- 
traction des habitudes de la vie ordinaire : de la des incer- 
titudes, des fluctuations, des oscillations sentimentales qui ont 
laisse trace en ce qui touche le temps et la localisation des 
apparitions, presque toujours soudaines, de"routant les attentes 
et les desirs. 

Le caractere des documents, tel qu'on vient de Tesquisser, 
tout en rendant a 1'historien sa tache delicate et difficile, a de 
quoi le rassurer sur la valeur des pieces qu'il emploie. Des 
tempins deshonne'tes, observe excellemment A. Plummer 1 , 
eussent rendu la deposition plus harmonieuse. II faut ajou- 
ter que des homines possedes des preoccupations apologetiques 
que leur suppose la critique rationaliste, eussent arrondi, com- 
plete, majore les pauvres traditions dont ils disposaient 2 . Les 
exegetes contemporains qui present a la Communaute primi- 
tive un don si riche de creation, ne sont pas moins severement 
contredits par les faits. G'etait le cas ou jamais de broder, 
d'improviser en esprit les paroles et les enseignements du 
Christ glorieux 3 ! 

1. < Dishonest witnesses would have made the evidence more harmo- 
nious ; The Gospel according to S. Luke*, 1901, p. 546. 

2. Rien de plus instructif que de comparer aux recits les intentions pre- 
tees aux narrateurs par M. Arnold Meyer, par exemple, Die Auferstehttng 
Chrisli, Tubingen, 1905, p. 14 suiv. D'apres ce critique, Pevangile de la 
resurrection etant le principal, le plus sujet a contestation et a fausse 
interpretation (ce qui est tres vrai !), il fallut beaucoup ajouter aux tradi- 
tions primitives, harmoniser, arranger, etc. Pour satisfaire les neophytes 
engages dans le courant syncretiste des religions orientales, il fallut, de 
plus, faire une part a la chair du Christ, aux miracles, aux repas sacres. 
D'ou, nouvelles additions : p. 16, 17. Enfin la tendance apologetique et 
evhemeriste de la Communaute doit entrer en ligne de compte, comme 
aussi la necessite de montrer les propheties accomplies : p. 18, 19. On 
se demande, apres cela, comment tant d'intentions, tant de nScessites, 
tant de motifs d'interpoler, d'etendre, de multiplier la matiere primitive, 
ont abouti a nos maigres, brefs et fragmentaires recits ! 

3. On 1'a fait, en realite, dans la suite, tout comme les causes signalees 
par M. A. Meyer ont agi, et Ton pent voir les resultats dans les apo- 
cryphes : I'Evangile de Barthelemy, par exemple, ou VEpitre des Apdtres 
(appelee par M. Guerrier : Testament de Nolre-Seigneur en Galilee ; par 

JESUS CHRIST. H. 26 



402 JESUS CHRIST. 

II n'en eat rien. La seche enumeration de saint Paul cinq 
lignes episodigues ajoute en re*alite" beaucoup a oe que nos 
evangiles nous ont transmis du message pascal. Taut hit grand 
le scrupule des narrateurs! Tant tut efficace le souci, releve 
par le tree ancien disciple qui documenta, au debut dun e siecle, 
Papias d'Hierapolis, de ne pas oserle moindre mensonge 1 ! 

Le Message Pascal : les Fails. 

On n'attend pas de nous une histoire suivie des apparitions : 
les elements de cette histoire existent, et on les a transcrits 
plus haut. A vouloir les ordonner chronologiquement, onobtient 
des arrangements divers, dont Tun ou 1'autre est probable, 
aucun certain. Mais quand, nous e*levant un peu, nous consi- 
derons Fensemble des temoignages apostoliques, quelques 
traits se degagent assuretnent. La divergence des points de 
vue, les raccourcis didactiques 2 , les simplifications peuvent 
bien brouiller ces lignes : elles se reforment sous le regard 
attentif, comme ces faits humains constants qui tiennent 
aux realites geographiques, et que dissimule a 1'observateur 
superficiel le fourmillement confus et en apparence anarchique T 
des generations d'hommes 3 . 

M. Carl Schmidt, Gespraeche Jesu mil seinen Jungern). Les textes sont 
commodement reunis dans The Apocryphal New Testament, de M. R. 
James, Oxford, 1924, p. 166 suiv. ; 485 suiv. 

1. M^ <j*uaaa8a TI Iv -autor?, dans Eusebe HE, III, 39. 

2. II est incontestable, observe justement le R. P. Lagrange, Evangile 
selon saint Luc, 1921, p. 613, que si Luc n'avait pas ecrit les Actes, on 
croiraitque son intention est de placer ces instructions (xxiv, 44-49) ausoir 
de la resurrection, qui seraitaussi le jour de 1'Ascension. Comme cetecri- 
vain soigneux n'a pu se contredire a ce point, il faut done que le raccourci 
del'Evangile tienne lieu des quarante jours des Actes. Mais ilfaut induire 
de la ce principe general que certaines apparences d'affirmation histori- 
que ne doivent pas etre serrees deirop pres... II faut de plus constater que 
Luc n'attache pas beaucoup d'importance aux modalites historiques de 
chronologie et de chorographie. II a completement neglige les apparitions 
de Galilee qu'il ne pouvait ignorer, parce qu'elles ne rentraient pas dans 
son plan. L'ordre de demeurer a Jerusalem en fait partie. 

3. Apres avoir note que 1'humanite forme, sur la face de la terre, un 
revetement mobile et d'une densit6 fort inegale, Jean Brunhes, La Ge'ogra- 
phie Hwnaine*, 1912, p. 61, ajoute : D'ailleurs cette mobilite est plus 
restreinte, et cette inegalite de distribution est beaucoup plus persistante 



LA RESURRECTION Dfl CHRIST. 403 

Un premier trait fort notable, encore que negatif, est 1'ab- 
sence de toute indication temporelle et de tonte description, 
quant au fait capital. En une matiere qui retenait si puis- 
samment l'inte"ret des premiers Chretiens, la tentation devait 
6fere forte de combler par 1'imagination des lacunas de cette 
dtendue. Les .plus anciens apocryphes, 1'^vaftgile de Pierre 
en te"te, n'ont pas manque de le faire 1 . Mais aucune tradition 
digne de foi ne les ayant renseigne"s la-dessns, nos narrat^urs 
n'ont rien dit. 

Le second trait commun a leurs re"cits concerne le tombeau 
trouve Tide 2 , a Fatibe du dimanehe, par des femmes, au pre- 
mier rang desquelles figure invariablement Marie de Magdala. 
La vue du sepulttre ouvert et la disparition du corps qu'elles 
venaient honorer de soins plus attentifs, ne se liisrenl pas 
d'abord, dansi'esprit de ces fideles amies du Christ, avee 1'ide'e 
de la resurrection. II ressort nettement,atravers les differences 
de presentation et les incertitudes chronologiques, qtie 1'inter- 
pr^tation des faits, ainsi que la commission d'en informer les 
disciples, vint du dehors aux femmes. Une intervention person* 
nelle dn Maltre acheva de les convaincre. Le r61e actif de 
Marie de Magdala est mis en relief dans tontes les sotirces, 
bien que le quatrieme evangile seul nous ait donne" le mo'fc 
de ce divin Episode. Nous voyons e"galement que let^moignage 
des femmes reussit a emouvoir quelques-uns des ap6tres, 
notamment Pierre qui vint contr61er sur place Texactitude de 
Tinformation. Mais ce ni6me t^nioignage fut radicalement im- 
puissant a faire naitre, chez les disciples, la foipascale : tout cela 
leurparut suspect, invraisemblable, propos de femmes exalt^es. 

et constants qu'on ne pourrait d'abord le penser : chaque individu, chaque 
petit groupe isolement peut se deplacer, et de fait se meut; il rien est pas 
moms vrai que sur la carte du monde les grandes laches d'humanile vivante 
se marquent longtemps aux monies places. > 

1. P. W. Schmiedel ne peut s'empecher de faire remarquer : < La rdsur- 
rection meme de Jesus qui est, dans les recits canoniques, avec une reserve 
notable, toujours suppos6e comme ayant eu lieu deja et jamais decrite, est 
repr6sentee ici(dans VEvangilede Pierre) comme ayant lieu sous les yeux 
des Remains et des Juifsqui gardaientle sepulcre, etd'une facon qu'on ne 
peut qualifier que de grotesque. Resurrection... narratives, dans EB, IV, 
col. 4047. 

2. Voir plus has, p. 503, la note N 2 : Le Tombeau 'trouve" vide. 



404 JESUS CHRIST. 

Aucune raison serieuse n'autorise, quoi qu'on en ait dit, a 
mettre en doute la substance de ces traditions : ni la diffi- 
culte d'en concilier certains details, dont Incoherence fait 
plutdt ressortir 1'identite de fond, ni le caractere de la nar- 
ration. Rien, au contraire, de plus naturel que ces notations, 
dont toute harmonisation posterieure est absente, et qui nous 
mettent aux yeux 1'agitation, 1'effroi, le va-et-vient trepidant 
du petit groupe des Galileennes, en ces heures inoubliables. 

Enfin le Maitre se manifeste directement a ses disciples. A 
Pierre d'abord, nous le savons par le temoignage concordant 
et absolument nu, non circonstancie, de Paul et de Luc. Puis 
au groupe apostolique pris d'ensemble, ensuite a d'autres ou 
aux me'mes, en des lieux divers, a des heures et dans des 
circonstances fort differentes. Gette manifestation se produit 
a riraproviste et, loin de trouver un milieu vibrant, surexcite, 
aise a convaincre, se heurte d'abord, et jusqu'au bout, semble- 
t-il, a 1'incertitude, au doute, a cet effroi me"le d'inquietude 
que suscite le contact inattendu du surnaturel. La me'me 
impression de defiance et de defense scande, sous des formes 
diverses, plus oumoins naive s, tous lesrecits. Elle est vaincue 
par Finsistance du Maitre, qui multiplie les marques de son 
identitd personnelle nonobstant les conditions nouvelles 
ou il se meut avec le Jesus qu'avaient connu les disciples. 
G'est le geste familier de la fraction du pain qui jette a ses 
pieds, les yeux ouverts, les pelerins d'Emmaus; c'est un 
nom, un accent dans un appel qui rend a Marie de Magdala 
celui qu'elle avait tant aime. Parfois m^me c'est une sorte 
d'enqu&te en regie, et d'assurance centre 1'hallucination ou la 
vision fant6male ; paroles, toucher, nourriture prise enqu^te 
a laquelle se prete Jesus, ou qu'il provoque. L'apparition ne 
eonsiste jamais, que nous sachions, dans une simple vision 
en esprit , dans la transe ou le songe que tous consideraient 
alors comme le moyen par excellence de transmission du 
divin. Et, non plus, dans tin de ces sentiments de presence, 
puissants et vagues, dont les mystiques sont parfois favorises. 
Quand Jesus se fait voir, plusieurs sens, et souvent tous, sont 
affectes, non pour un moment mais d'une fagon durable : il y 
a echange de paroles, promesses, prescriptions, actions 
impliquant des changements d'attitude, des allees et venues, 



LA RESURRECTION DU CHRIST. 405 

des pauses, des pertes et des reprises de contact; le tout, a 
1'etat de veille. Bref une conversation suivie avec une per- 
sonne vivante. 

Ainsi se forme, et c'est le dernier trait, dans ces esprits 
lents a croire, une conviction in^branlable qui change et 
renverse leur etat d'ame anterieur, leur faisant un cceur nou- 
veau. Dans ces desillusionnes, dans ces hommes de'courage's, 
abattus par 1'effroyable catastrophe ou avait sombre", avec 
Thonneur et la vie de leur Maitre, 1'esperance me"me d'un 
avenir meilleur, la foi au ressuscite suscite des te'moins 
inconfusibles, ddvoues jusqu'au sang. Entre le petit troupeau 
disperse" qui se cachait, demoralise et apeure, et le groupe 
rallie", compact, conquerant, qui fut le noyau de la Commu- 
naute primitive, il y. a plus qu'une modification : il y a trans- 
formation, refonte heroi'que des sentiments, trempe nouvelle 
des volont^s. Anticipant de quelques anne"es la frappe du mot, 
on peut dire que, desormais, il existe des Chretiens , 
c'est-a-dire des hommes pour qui le Christ est la vie, et qui 
subordonnent tout a son service. Us n'he'sitent plus, n'ater- 
moient plus, ne cedent plus que par instants a leur rve 
charnel. Efc le secret de ce prodigieux changement, c'est la 
foi de Paques. Reellement le Christ est ressuscite' ! Get 
homme qu'ils avaient abandonne et qu'ils avaient vu aban- 
donne par son Pere celeste, somme en vain par ses ennemis 
de se sauver lui-meme ; ce condamne, ce pendu, ce mort ense- 
veli eh bien! on 1'a vu derechef, il vit, il est ressuscite! II 
est le Seigneur, il est assis a la droite de Dieu! Conviction 
victorieuse qui n'est pas le fruit d'une longue incubation 
mentale, le terme d'une elaboration doctrinale, le contre-coup 
et la revanche imaginaire des persecutions subies, la projec- 
tion des prophecies anciennes. Elle n'est pas une consequence, 
mais une cause : elle existe, soutient tout, explique tout a 
l'origine. Elle n'est pas une suite et un progres, mais le branle 
initial et le premier fremissement de la vie chretienne. 

Que 1'apotre Paul n'ait pas ete le premier a mettre ainsi 1'im- 
portance de la mort du Christ et 1'importance de sa resurrection au 
premier plan, mais qu'il se soit rencontre dans cette con ession 
avec la communaute primitive cela appartient aux faits histori- 
ques, les plus certains. Je vous ai transmis, ecrit-il aux Corin- 



406 JESUS CHRIST. 

thiens, ce que moi-m&me j'ai regu par tradition : savoir que le 
Christ, est mort po>ui' nos peehes et est ressuscite au troisicme jour. 
Sans doute Paul a fait de la mort et de la resurrection du Christ 
1'objct d'une speculation ulterieure et il a, pour ainsi dire, resume 
tout rijlvangile en ces deux eve"nements mais ces faits, le cercle 
des disciples personnels de Jesus et la communautd primitive les 
tenaientdejapourfondaroentaux. On peut 1'affirmer ; la reeonnais' 
sance dupable de, la dignite de Jesus Christ, la veneration* 1'adora- 
tion qu'on lui a port6es> ont la leur point de depart. Sur le double 
i'ondement de ces pierres s'est edifice toute la christologie. Mais 
deja avait-on dit de Jesus Christ, durant les deux premieres g6ne- 
rations, tout ce que les hommes peuvent dire de plus sublime. 
Farce qu'on le savait vivant, on le loua eomme celui qui est eleve 
a ia droite de Dieu, le vainqueur de la mort, le prince de la vie, 
la puissance d'une nouvelle creation comme la voie, la verite et 
la vie,.. Mais surtout on sentit qu'il etaitle principe actif de la vie 
personnelle : Je ne vis plus, c'est le Christ qui vit en moi. II 
est ma vie, et percer jusqu'a lui &. travers la mort est un gain. 
Ou, dans 1'histoire de I'humamte, esUl arrive quelque chose de 
pareilr* Que ceux qui avaient mange et bu avec leur Maitre et 
I'avaient vu sous, les traits de son humanite, 1'aient annonce non 
seulement comme le grand Prophete et le revelateur de Dieu, mais 
comme le guide divin de 1'histoire, comme le commencement 
de la creation de Dieu et comme la force intime d'une nouvelle 
vie? Jamaie les disciples de Mahomet n'ont ainsi parle de leur 
prophete! Jl ne suffit pas de dira qu'on a transports siraplement 
sur J^sus tous les attributs du Messie, et d'expliquer tout par Tat- 
lente du retour glorieux dont les rayons se seraient projet6s en 
arriere. Assur^ment 1'esperance certaine de la resurrection faisait 
qu'on d^tournait les yeux de la venue en humilite . Mais qu'on 
ait p.a fonder et maintenir fernae cette esperance certaine elle- 
m<me; qu'a travers les souflrances et la mort on ait vu en lui le 
Messie elu; que, a cote de 1' image, messianique vulgaire, et dans 
cette image, on ait senti qu'il etait, on ait serre sur son cceur le 
Maitre present et le Sauveur voila 1'etonnant! Et la, c'est bien 
la mort pour nospeches , c'estbienlar^surrection qui ont confirme 
1'impregsion faite par la personne, et qui ont donne a la foi son point 
de depart certain : II est mort pour nous en victime, et il vit. 
... Que ces deux affirmations aient ete pour la communaute pri- 
mitive les points substantiels (de sa foi), nul n'en a encore doute\ 
Meme Strauss ne le contcste pas, et le grand critique F. C. Baur 
reconnait que la chretiente la plus ancienne a ete batie sur la con- 
fession de ces (verites) * . 

1. Ad. von Harnack, Das WesendesChristenlums*, p. 97, 98. J'ai traduit 
a nouveau le texte, que serre encore trop pen la seconde traduction fran- 
caise, Paris, 1907, p. 188-191. 



LA RESURRECTION DU CHRIST. 407 

Gette union indissoluble entre la realite du fait de la resur- 
rection et la foi pascale qui a fonde 1'Eglise et transforme le 
monde, confirme de la facon la plussolide la verite du temoi- 
gnage appstolique, tel que Paul 1'a motive, tel que tous les 
documents anciens nous 1'ont transmis, tel que les recits 
evangeliques 1'ont. assez pauvrement en somme, mais suffi- 
gamment circonstancie, Assimiler toute croyance, des la 
qu'elle est sincere, et dire a ce propos que la realite du fait 
generateur de la foi n'importe pas, est une grande erreur, 
en droit et en fait. II est indeniable, dit par exemple M. 
P. W- Schmiedel, que 1'Eglise a ete" fondee, non directement 
sur le fait de la resurrection de Jesus, mais sur la croyance 
en sa resurrection; et cette foi travaillait avec une egale 
energie, que la resurrection fut un fait reel ounon 1 . Gette 
doctrine ou plutot cette defaite, veritable suicide de 1'intel- 
ligence, suppose a la verite et a 1'illusion le me'me ppuvoir 
de creer, la m&nae valeur feconde. Laissons Renan degonfler 
le sophisnae : Rien ne dure que la verite... Tout ce qui la 
sert se conserve, comme un capital faible, mais acquis; rien 
dans son petit tresor ne se perd. Ge qui est faux, au con- 
traire, s'ecroule. Le faux ne fonde pas^ tandis que le petit 
edifice de la verite est d'acier et monte toujours 2 . De 
son cote, le penseurle plus original et le plus sincere, parmi 
ceux qui ont fait plus que cdtoyer le modernisme, estime que 
si, pendant un temps, 1'illusion sincere peut bander I'energie 
liumaine jusqu'a 1'heroJsme, et, par consequent, lui faire 
produire des fruits notables, une plus longue duree remot 
toute chose a sa place : Ge qui est pure chimere illusoire, 
pure hallucination morbide, sans valeur de verite, peut sans 
doute susciter momentanement la foi la plus complete. Mais 
une telle foi n'est pas nourrissante ni fructueuse au point de 
vue moral ; elle ne produit rien de solide ; elle ne se transmet 
pas bien loin ; elle ne rassemble pas beaucoup d'ames dans 

1. And this faith worked with equal power, whether the resurrection 
was an actual fact or not ; Resurrection.., narratives, dans EB, IV, col. 
408G, II est superflii de faire observer que la foi en la resurrection se fon- 
dait, en derniere analyse, pour les temoins, sur le fait reel : 5vru; TJ 
* xuptog, Lc., xxiv, 34. 

5i. Histoire du peuple d' Israel, V, Paris, 1891, p. 421. 



408 JESUS CHIIIST. 

une -communion qui les vivifie ; elle ne resiste pas a 1'action 
reductive et dissolvante de la duree, al'epreuve de la raise en 
usage pratique ; elle se solde toujours en fin de compte par 
un echec ou se devoile son caractere mensonger 1 . 

Ce que Renan presente ici comme un fait d'experience, en 
historien, et M. I^douard Le Roy en philosophe, prend une 
valeur religieuse, indubitable, pour qui admet que le monde, 
en particulier le monde des esprits, n'est pas livre aux con- 
vulsions d'un hasard aveugle, mais oriente vers une fin par 
une Puissance sage et bonne. Dans cette hypothese, hors de 
laquelle il n'est pas de religion, 1'immense realite chretienne 
postule a son origine une croyance fondee en realite". C'est 
ce qu'a recohnu, a la fin d'une carriere tout entiere consacree 
a 1'exegese, interpreted avec une complete independance, un 
exegete protestant des plus considerables. Apres avoir renou- 
vele, autant qu'homme au monde, les etudes scripturaires 
chez ses coreligionnaires des deux c6tes du Rhin, et anticipe, 
des 1834, avec un coup d'ceil genial , la plupart des idees 
qui rendirent celebres les noms de Graf, d'Abraham Kuenen, 
de Jules Wellhausen et de leurs innombrables disciples T 
Edouard Reuss ecrivait 2 : 

Quant au fond du fait principal, nous voulons dire do la 
resurrection elle-meme, 1'exegese ne peut que constater que jamais 
et nulle part les ap6tres n'ont exprime le moindre doute, la 
moindre hesitation a son egard. L'apologetique, de son cote, 
peut aujourd'hui s'epargner la peine de discuter s^rieuscment 
certaines explications imaginees autrefois pour ecarter le miracle, 
telles que la supposition d'une simple lethargic, de laquelle 
Jesus serait peu a peu revenu; ou celle d'une fantasmagorie 
organisee par des chefs de parti occultes, a 1'effet de faire pren- 
dre le change aux disciples ; ou celle d'un mensonge sciemment 
mis en circulation par ces derniers, et autres pareilles, tout aussi 
romanesques et singulieres; 1'histoire et la psychologic, la physio- 
logic et le bon gout en ont fait justice depuis longtemps. L'expe- 
dient de reduire le fait a un simple my the se heurte surtout centre 
la brievete de 1'espace de temps ecoule entre 1'evenement et les 

1. Dogme et Critique, Paris, 1907, p. 224. 

2. La Bible, trad, nouvelle avec Introduction et Commentaires, le Nouveau 
Testament, I, Paris, 1876, 'Ilistoire e'vange'lique, p. 101. Les mots, cites entre 
guillemets, sur le coup d'oeil genial de Reuss, sont de P. Lobstein dans la 

i, XVI, p. 694. 



LA RESURRECTION DU CHIUST. 409 1 

premieres predications, etle recours a une illusion visionnaire est 
impossible en face de I'universalite et de la fermete des convictions 
au sein de 1'Eglise. Lors m6me qu'aucun de nos evangiles n'aurait 
pour son reeit la garantie d'un temoignage oculaire imme'diat, il 
resterait celui de Paul, dont les affirmations ne pcuvent etre que 
la reproduction de celles des personnages qu'il nomme. Nous pour- 
rons reconnaitre que beaucoup de choses dans cette histoire sont 
pour nous incomprehensibles, que nous n'arriverons jamais a 
nous rendre compte de la nature de 1'existence do Jesus ressuscite, 
que notre raison est arretee a chaque fois, quand ellc essaie de 
concevoir et d'accorder les elements des divers recits : il resterait 
toujours ce fait incontestable, que 1'Eglise qui subsiste depuis dix- 
huit siecles, a ete batie sur ce fondement, qu'elle en est done pour 
ainsi dire une attestation vivante, et qu'a vrai dire, c'est elle qui 
est sortie du tombeau du Christ, avec lequel, selon toutes les pro- 
babilites, elle y serait autrement restee enterree a jamais. 

2. Les Essais d'Explication Naturelle. 

Parmi les hypotheses romanesques et singulieres qua 
Reuss conseillejustement de laisser tomber, nous ne rappel- 
lerons que pour memoire celle de Samuel Reimarus, dans les- 
celebres Fragments publics par Lessing 1 : le corps de 
Jesus aurait ete enleve par ses apotres, dans le but d'en, 
imposer, et de faire croire a la resurrection de leur Maitre. 
Gottlob Paulus imagine une syncope, survie d'un reveil de 
quelques jours et de la mort definitive 2 . Ges fictions ridi- 
cules, comme aussi les variantes a peine plus vraisembla- 
bles par lesquelles on a essaye de les rajeunir, ont fait leur 
temps. Les critiques les plus radicaux, un P. W. Schmie- 
del, un Arnold Meyer 3 , en ont reconnu 1'inanite : avant eux 
leur maitre a tous, David Frederic Strauss, s'en etait gausse. 
Toutes comportent une part d'insincerite et de fraude qui 

1. Von dem Zwecke Jesu und semen Jiinger, ed. G. E. Lessing, Bruns- 
wick, 1778. Depuis Lessing 1'hypothese d'un enlevement du corps a 6te 
reprise sous des formes diverses. On peut voir la-dessus E. Mangenot, La 
Resurrection de Jesus, Paris, 1910, p. 233 suiv. ; J. M. Shaw, Resurrection 
of Christ dans DACH, II, 1918, p. 359 suiv. 

2. Das Leben Jesu ah Grundlage einer reinen Geschichle des Urchristen- 
tums, Heidelberg, 1828. L'hypothese avait 6t6 defendue parK. A. Hasedans- 
sa Leben Jesu, 1&19, 5 1865; et a 6te reprise par les theosophes en general. 

3. P. W. Schmiedel, Resurrection... narratives, dans YEB, IV, col. 4066,. 
4067; Arnold Meyer, Die Auferstehung Christi, p. 117 suiv. 



JESUS CHRIST. 

ai ? est pas settlement rebutante en elle^me'me, mais invraisem- 

blable, qu'on 1'attribue aux apdtres ou au Sanhedrin, dont elle 

.nurait manifestement desservi lea intere'ts. Strauss s'est 

espace en parfciculier sur 1'hypothese d'une survie, succ^dant 

;a une mort apparente. Abstraction faite des difficultes ou 

elle s'engage, cette conjecture, dit-il, ne remplit me'me pas 

la tache qu'elle s'est donn^e, d'expliquer la fondation de 

1'Eglise chretienne par la croyance du retour du Messie Je*sus 

.a la vie. Un demi-mort qui se glisse en rampant hors de sa 

tombe, un debile qui r6de de-ci de-la, un miserable qui a 

jrecours aux soins medicaux, aux bandages, aux fortifiants, 

aux managements et qui, a la fin, succombe a ses blessures, 

.ne pouvait absolument donner aux disciples 1'impression du 

vainqueur de la tombe et de la mort, du prince de la vie, qui 

cst a la base de leurs demarches ulterieures 1 . L'enle- 

vement du corps par les gens du Sanhedrin, auquel s'est 

arrete, faute de mieux, Albert Reville 2 , n'explique aucu- 

/nement le changement qu'on est bien oblige de constater chez 

.les apdtres, sans parler de 1'insigne maladresse, en ce cas, 

-des ennemis de Jesus. La piece a conviction etait entre leurs 

'mains : ils pouvaient ebranler d'un seul geste, d'une parole, 

la foi nouvelle dont les progres rapides les inquie'taient, et, 

apres avoir tue" le prophete, miner son oeuvre pour toujours. 

:Si les Sanhedrites se sont tus, s'ils n'ont pas oppose ce 

-dementi e'clatant, c'est parce qu'ils n'etaient pas en etat de le 

fournir 3 . 

Aussi, fuyant ces impasses, la presque unanimite des 
adversaires de la resurrection s'engage dans d'autres voies, 
aussi decevantes parfois, mais moins evidemment condamnees. 
Apres avoir disjoint de leur mieux, et rdtr^ci la base de fait 
:supposee par les recits, ils recourent, pour expliquer le 

1. Das Leben Jesu fur das deut. Volk bearbeitet 3 , Leipzig, 1874, p. 298. 
f ette Vie de Jesus pour lepeuple allemand est post^rieure de trente ans a 

la premiere Leben Jesu do Strauss. Centre Paulus, Strauss s'est explique 
'dans le troisieme ecrit polemique suscite par sa Vie de Jesus, Streitschrif- 
.ten zur Verteidigung meinen Schrift fiber das Leben Jesu, Tubingen, 1837. 

2. Jesus de Nazareth, Paris, 1907, I, p, 461 suiv. 

3. V. Rose, Etudes sur les Evangiles*, Paris, 1905, p. 311-316; J. Orr, 
The Resurrection of Jesus, London, 1908, p. 213 suiv. 



LA INSURRECTION 0U CHRIST. 411 

reliquat > que le t^moignage de Paul et la foi apostolique ne 
permettent tout de mme pas d'e'liminer a deux expedients 
principaux : celui des visions subjeetives, et celui de croyan- 
ces preexistantes qui auraient agi par voie d'infiltration ou 
d 'inspiration sur la premiere generation chretienne. Sous ces 
influences, une impression d'abord fugitive et fluide aurait 
pris du corps, se serait pr<Scisee en affirmations eonsistantes, 
developpe"e enfin en recits adaptes aux besoins apologetiques 
de la religion naissante. 

La s'arr&te Taccord. Des que, sortant de ces generality's, 
on examine la triple e"tape fournie par les critiques radicaux : 
reduction des textes; nombre, epoque, emplacement, nature 
des visions; designation des traits, des mythes, des attentos 
prophetiques qui auraient re*agi sur la formation de la legende 
evangelique de Paques, ie gros des ecrivains s'e'miette en 
individus. Cbacun, dans le champ pratiquement indefini des 
conjectures, trace un, sentier, au gre de ses preferences, au 
nom de aes postulate philosophiques, au basard de sa compe- 
tence particuliere. Ge qui paralt possible a Fun est par 
1'autre declare contraire aux lois de la nature . Pour 
celui-ci, ilne peut s'agir d'une resurrection proprement dite. 
Paiiez^lui, si vous voulez, d'immortalite 1 ! Gelui-lja suggere 
une resurrection purement spirituelle, dans 1'a-me des disci- 
ples de Jesus 2 . Un troisieme estime que les apotres ont 
cru aun enlevement au ciel.de leur Maltre, interprete ensuite 
dans les te'rmes d'une resurrection 3 . Gette partie d'explica ! - 
tion positive est livree a 1'anarchie, au point qu'on peut se 

1 . Kirsopp Lake, The historical evidence of the Resurrection, London, 
1907, p. 268,269; Alfred Loisy, Simples reflexions surle de'cret Lamenta- 
Mli*... , Paris, 1908, p. 170. 

2. Cette Strange conception, nee dans 1'Ecole ritschlienne et popularised 
par A. von Harnack, distingue entre e la foi de Paques > c'est-a-dire la 
conviction que le crucifie a vaincu la mort,... et qu'il est le premier-ne 
entre beaucoup de freres , et le messa,ge de Paques : reellement le 
Christ est ressuscit6 ! La foi de Paques serait ind^pendante du message, et 
justified par la seule resurrection en esprit* ; L 'Essence du Ghvisliani&me, 
nouvejle tr. fr., Paris, 1907, p. 196suiv. Sur les complaisances de quelques 
Anglicans pour cette id6e, voir J. M. Shaw, dans DACff, II, p. 363-365. 

3. El. Bickermann, Das leere Ch-ab, dans ZNTW, XXIII, 1924, p. 281 suiv. 
La-dessus, voir ci-dessus, p. 503, la note N 2 , Le Tombeau trouve vide. 



412 



JESUS CHRIST. 



demander si les auteurs de ces subtiles fictions y voient 
autre chose qu'un jeu d'esprit. Seule, la partie critique prdte 
a une discussion serieuse. 

La reduction des textes. 

Deux moyens de preuve sont employes pour evincer bon 
nombre de textes, et consequemment de faits : lla comparaison 
des apparitions mentionnees par saint Paul avec les evangeli- 
ques : il en ressortirait que plusieurs de celles-ci sont a 
biffer del'histoire ; 2 1'existence de deux traditions evangeliques 
ou apostoliques entre lesquelles il faudrait choisir. 

La premiere difficulte urge*e avec acharnement par Schmie- 
del 1 part du suppose" tres arbitraire que la liste des appa- 
ritions transcrites dans le fragment de catechese de saint 
Paul est complete et disqualifie tout ce qui n'y figure pas. 
On nous assure que, vu 1'importance qu'il attachait a la 
resurrection, 1'apotre a du rapporter tout ce qu'il en savait ; 
que les transitions monies employees par lui: alors, ensuite r 
cnsuite, alors, finalement , excluent toute omission de la 
maniere la plus decisive 2 ; qu'il n'y avait aucune raison de ne 
pas mentionner le temoignage des femmes, au cas que 1'epis- 
tolier 1'eut connu. Gette argumentation ne convainc pas. Il 
est au contraire hautement improbable que, dans une breve 
parenthese, destinee a i'ournir aux Gorinthiens des garants- 
irreprochables, officiels et, autant qu'il se pouvait, accessibles T 
du fait de la resurrection, Paul en ait appele a des appari- 
tions d'un caractere prive, comme celles des femmes ou des 
disciples d'Emmatis. Nous avons vu que chacun des temoi- 
gnages retenu par lui avait sa raison d'etre, portait coup dans 
1'esprit de ses correspondants. Mille exemples enfin nous 

1. P. W. Schmiedel, dans le Hand-Commentar zum NT, ed. H. J. Holtz- 
raann, II, 1, Freiburg i. B., 1891; et Resurrection... narratives, dans EB r 
IV, col. 4057. 

2. EB, IV, col. 4058. F. H. Chase, Cambridge Theological Essays, London, 
1905, p. 395, note 1, remarque avec justesse que Yensuite, KneiTa marque 
1'ordre des apparitions mentionnees, les Douze apres Cephas, etc., mais 
n'exclut nullement d'autres apparitions. De meme, le finalement, Icr/a-cov. 
Loisy estime que 1'intention de 1'apotre est d'enoncer dans 1'ordre chro- 
nologique les apparitions principales du Christ ressuscit6 > ; Les Evangiles 
Synopliques, II, p. 738. 



LA RESURRECTION DU CHRIST. 413 

avertissent de ne pas expliquer trop vite par 1'ignorance 
d'un auteur, le silence qu'il garde sur tel ou tel detail d'un 
Episode auquel il fait allusion. 

Plus spe"cieuse est la dichotomie pratiquee sur la matiere 
^vangelique. La moins violente consists a distinguer, pour 
les opposer, deux courants dans la tradition, sous-jacents a 
nos recits. Le plus ancien serait represente par I'injonction 
faite aux disciples d'aller en Galilee, ou ils verront leur Mai- 
tre ; par les derniers versets incontestes de saint Marc et le 
dernier chapitre de saint Matthieu. L'apparition sur le lac 
t la fin de VEvangile de Pierre favoriseraient cette tradition, 
dans le cadre de laqiielle rentrerait plus naturellement le 
te"moignage de saint Paul. Suivant ces indications, le Christ 
aurait apparu a ses disciples en Galilee seulement, a une 
epoque impossible a preciser, mais peu eloignee de sa mort *. 

L'autre courant, posterieur et done plus riche en details, 
serait a chercher dans le troisieme evangile, le debut des 
Actes, le chapitre vingtieme de saint Jean. II localiserait a 
Jerusalem les apparitions du Seigneur, les faisant commencer 
le dimanche matin, et finir, ou le soir mSme (dernier chapitre 
<le saint Luc), ou apres un temps que les Actes evaluent a 
quarante jours. Jean laisserait la chose en suspens, excluant 

1. Me., xiv, 28; xvi, l-8;Mt., xxvi, 32etxxvm;Jo., xxi;Ev. Petri, versets 
59, 60. 

Ce schema si commode ne laisse pas de preter flanc, du point de vue de 
1'histoire et de la psychologic, aux plus graves objections. Si le redresse- 
ment apostolique ne s'est opere qu'en Galilee, loin de Jerusalem, apres 
>un temps notable, on se demande comment il a ete si radical et si efficace. 
Tout ce qu'on pouvait attendre du temps, c'etait 1'apaisement et la reprise 
<des espoirs passes, encore bien charnels, non une refonte totale et ime 
initiative conquerante. De plus, en cette hypothese, le retour a Jerusalem, 
ville de la honte et de la defaite, aurait ete, pour ces Galileens, une demar- 
che infiniment couteuse, un d6but laborieux qui aurait laisse qtielque 
trace. Est-ce le sentiment de ces difficultesqm a amene Joh. Weiss, dans 
son dernier ouvrage, a representer toute la tradition galileenne comme 
secondaire et nee d'un malentendu sur la parole de Jesus : Apres que je 
serai ressuscite, je vous precederai en Galilee , Me., xiv, 28? voir Das 
Urchristenlum, Goettingen, 1917, p. 1.1 suiv. Abstraction faite de 1'hypo- 
1hese, extremement fragile, qu'il substitue a celle de la < critique d'au- 
jourd'hui , il y a, croyons -nous, chez I'auteur, I'aperception vague d'une 
-erreur singuliere. 



414 JESUS CHRIST. 

toutefois riiypothese (Tune journee unique d'apparitions * 
Nos recits actuels, en particulier la finale de Marc 2 , mais- 
deja les evangiles de Matthieu et de Jean, auraient commence 
de juxtaposer, en les harmonisant, les deux couches de tra- 
dition, la galileenne et la jude'enne. A 1'appui de cette ana- 
lyse, qui comporte de tres nombreuses variants s, on apporte 
des vraisemblances, fondees elles-me'mes sur le postulat de 
rimpossibilite anterieure d'une resurrection proprement dite,, 
et 1' etude serree des narrations elles-me'mes. 

Mieux avertis des abus auxquels pretent ces dissections 
litteraires, les critiques plus recents proposent des divi~ 
sions, a leur avis, moins artificielles, M. Maurice Goguel, par 
exemple, croit discerner dans nos documents deux notions de 
la resurrection. L'une, plus spirituelle, comparable a 
de Paul, admet que le ressuscite n'est plus soumis aux 
ditions ordinaires de 1'existence humaine : c'est une simple 
glorification. L'autre est celle de la revivification. Le Ghrist 
ressuscite reprend son existence terrestre au point me'me ou 
la mort 1'a interrompue. De ces deux conceptions, deja 
combinees dans nos recits, mais qui seraient inconciliables- 
entre elles , la premiere est plus anoienne et doit 4tre 
retenue : tout ce qui porfcerait trace de 1'autre serait par 
consequent secondaire 3 . 

II esfc impossible de discuter en detail des hypotheses- 
livrees a un perpetuel devenir : nous risquerions de fanimer, 
pour les combattre, des conjectures deja abandonnees par 
leurs auteurs. Ge qui est possible et semble opportun, c'est 
d'indiquer les lignes generates commandant toute la question- 
On n'exclutpas, est-ilbesoin dele rappeler? la recherche et 
la distinction des sources, d'autant qu'il est certain que nos- 
evangelistes en eurent : le troisieme en fait meme profession.. 
Seulement, les discerner exactement est une besogne tres- 
delicate et qui risque d'etre decevante. Dans une etude tre* 

1. Lc., xxiv ; Actes, r, 1-9; Jo., xx. 

2. Me., xvi, 9-20. 

3. La Resurrection dans le Christianisme primitif, dans les Actes dti 
Congres international d'Histoire des religions d0 1923, Paris, 1925, II, p. 23S> 
et passim. 



LA RESURRECTION DU CHRIST. 415- 

fine sur la matiere litt&raire de saint Luc, M. F. G. Burkitt 
observe, nous 1'avons vu en son temps 1 , que nous eussions 
ete bien incapables de reoonstruire, en partant des textes 
lucaniens, les mof ceaux du second evangile qui lui ont cer- 
tainement servi de source ; tant 1'auteur a su, en respectant 
la substance, fairs sienne la forme du re"cit ! Mais apres 
cela, et sous le benefice de ces remarques, il est parfaite* 
ment loisible de distinguer, et d'essayer de restituer con- 
jecturalement, les traditions que nous avons appelees gali- 
leenne et judeenne, du nom des lieux ou les apparitions sont 
localisees, Tout le point est de savoir si ces traditions sont 
complementaires, ou exclusives 1'une de 1'autre. 

II est egalement permis, et peut-e'tre est-il plus utile, de 
rechercher quelle a pu (Hre la conception apostolique tou- 
chant la nature de 1'evdnement pascal. On n'a aucun droit 
d'exclure d'avance les notions d'enlevement au ciel, sous le- 
mode d'apres lequel on imaginait la disparition d'Henoch et 
d'Elie; ou les differents modes de resurrection decrits par 
M. Goguel. II est m4me fort probable que tous les premiers 
disciples n'ayaient pas, anterieurement, une notion precise 
et une categorie toute pre'te dans laquelle ils pussent faire 
rontrer le cas de leur Maltre. Saint Paul, pourvu d'une ins- 
truction pharisaiique complete, possedait une conception de 
ce genre, qu'il a exposee dans sa premiere lettre aux Go- 
rinthiens. M.ais ses predecesseurs et collegues dans le college 
apostolique etaient beaucoup moins erudits. Leur concept de 
la resurrection s'est forme par Tiriterpretation des apparitions 
de Je*sus, et modele sur elles, beaucoup plus qu'il ne s'est 
impose a ces m^mes apparitions. Les disciples n'etaient 
point des doctrinaires, ou des theoriciens ; mais des temoins T 
tachant d'exprimer ce que leurs yeux avaient vu ; leurs 
oreilles, entendu; leurs mains, touche, du Verbe de Dieu 2 . 
G'est pourquoi ils n'ont pas trie, dans leurs souvenirs, les> 
traits, de fa<jon a en faire un ensemble logique, et coherent 
avec une conception antecedente. Ils ont mieux aime juxta- 
poser, appuyant seulement sur ce qui fermait les voies sans- 



1. Voir le tome I, p. 85. 

2. I Jo., i, 1. 



416 JKSUS enniST. 

issue : de la, leur insistance a exclure la notion de demon 
incorporel , du double fantomal que beaucoup de gens 
imaginaient comme survivant, pour un temps, pres du mort, 
et capable de faire sentir sa presence 1 . Non, celui qui 
leur apparaissait etait Jesus, et, dans un etat different, mys- 
terieux, celeste, la m4me personne, glorifiee en corps et en 
ame. G'est la proprement 1'objet du message pascal, et c'est 
pourquoi les distinctions modernes n'arrivent pas a mordre 
dans son ciment. G'est pourquoi le subtil avocat des deux 
conceptions, d'apres lui inconciliables, de la resurrection, 
est oblige de reconnaitre loyalement, comme entree de jeu, 
qu'il a contre lui tous les documents evangeliques : II n'y 
a... aucun recit soit canonique, soit extracanonique, ou, a la 
conception de la revivification, ne se mle quelque trait de 
la conception de glorification. II ajoute, a vrai dire, que 
la conception spiritualiste se rencontre chez Paul dans 
toute sa purete, sans combinaison d'aucun element apparte- 
nant a la conception de la revivification . Malheureusement 
pour la theorie, cette derniere prevention est elle-me'me 
insoutenable. Gar premierement, saint Paul assimile expres- 
sement son enseignement sur ce point a celui qu'il a recu 
par tradition en entrant dans I'&glise, et a celui que donnent 
actuellement tous ses collegues : 

Or sus, que ce soitmoi, que ce soient eux, 

ainsi nous prechons, et ainsi vous avez cru (I Cor., xv, 11). 

1. Ce souci a survecu aux evangelistes. Nous le voypns encore vivant 
<chez saint Ignace d'Antioche, Smyrn., Ill, 2; dans YlSpitre des Ap6tres 
publi6e par Guerrier et C. Schmidt, ou le Christ dit a Andr6 de s'assurer 
quesespiedspressent la terre, car il estecrit dans le prophete (?) : un fan- 
t&me demoniaque ne marque pas son empreinte sur le sol. > Voir C. Schmidt, 
Gespraeche Jesu mil seinem Jilngern, etc., TU, XLIII, 1919, p. 42,43, texte ; et 
p. 298 suiv., commentaire; dans Tertullien, De resurrections carnis, II, etc. 

C'est que la croyance extraordinairement repandue, a la presence et ii 
1'action possible d'un demon incorporel (ame desincarnee, on esprit du 
mort, ou malm d&non venu pour s'emparer de 1'ame du mort), aupres du 
cadavre, dans les premiers jours qui suivent la mort, etait a exorciserdan? 
les milieux populaircs non seulement hel!6niques, mais juifs. Sur cette 
croyance, nombreux details dans les vingt-cinq memoires Death and the 
disposal of the Death, reunis dans ERE, IV, p. 41 1-51 1 . Sur les Juifs en par- 
ticulier, W. H. Bennett, p. 498, 6; sur les Grecs, E. Rohde, Psyche*, XIV, 
2; trad. W. B. Hillis, London, 1925, p. 524 suiv., 550 suiv. 



LA RESURRECTION DU CHRIST. 417 

Qu'on pese Kien le : nous pre'chons . II ne s'agit pas ici 
d'explication, ^interpretation, de gnose, mais de la predi- 
cation fondamentale, mere et forme de la ioi. Or, il est 
inadmissible que, si la predication apostolique commune e*tait 
toute spiritualiste, anterieurement a saint Paul et concurrem- 
ment avec sa predication aux Goririthiens, aucun recit soit 
canonique, soit extracanonique , ne 1'ait gardee telle. C'est 
qu'aussi bien elle ne I'Stait pas dans saint Paul. L'ele'meiTt 
-de reviviiication , entendue non au sens grossier d'une 
reprise pure et simple de son existence terrestre sens qui 
,ne se trouve dans aucun de nos ecrits canoniques mais 
dans le sens de 1'identite" personnelle du ressuscite avec Je"sus 
de Nazareth, poss^dant un corps re"el, encore que glorifi6 et 
soustrait aux conditions communes, cet element, dis-je, est 
clairement implique dans le concept paulinien de la resurrec- 
tion. 

L'apparition de Je"sus qui a fait du persecuteur de 1'Eglise 
un temoin de la resurrection, est en effet mise par le narra- 
teur a part et dans une autre categorie, que toutes les visions 
en esprit , post^rieures, revendiquees par saint Paul. Et, 
quand, dans la suite du me'me passage, Fapdtre explique le 
genre de resurrection qui attend les fideles, par la vertu 
et sur le modele de Jesus, il a soin de marquer, dans les 
termes les plus forts, 1'identite personnelle, corps et ame, 
ressuscites, avec les vivants d*ici-bas : 



Gar il faut que cet etre corruptible revete 1'incorruption et 
que cet etre mortel revete rimmortalite' 4 ! 

Sur le meme fait, de 1'unite fondamentale et certaine des 

1. I Cor., xv, 53 suiv. M. Goguel admet lui-rafeme, non sans une 
legere incoherence mais avec une parfaite loyaute, que le Christ ressus- 
cite n'est pas, pour saint Paul, un pur esprit, mais seulement qu'il est doue 
d'un organisme particulier, dont les attributs sont differents et, dans une 
certaine mesure, opposes a ceux de Forganisme terrestre ; et qu'ily a 
identite personnelle entre lui (le Christ glorifie) et le Jesus dont le corps a 
et6 depose dans la tombe , loc. laud., p. 231, 232. Fort bien, mais cette con- 
ception n'est pas spiritualiste dans toute sa puret6 , et est fort conci- 
liable, si elle s'en distingue meme par quelques nuances, avec la conception 
qui ressortdes recits evangeliques. Seule est exclue par elle la revivifica- 
tion au sens grossier du mot, qui aurait ramene Jesus a une vie simple- 
ment humaine, aux jours de sa chair >. 

JESUS CHRIST. II. 2? 



418 JESUS CHRIST. 

deux traditions, pretendument incompatibles, viennent se 
briser les analyses litteraires de 1'Ecole liber.ale. Aussihaut 
que nous puissions remonter, en effet, pour le premier et le 
quatrieme evangile (aucun indice critique ne permettant de 
conjecturer que celui-ci ait jamais existe sans le chapitre xxi), 
nous trouvons les deux courants m61es : c'est done qu'on les 
considerait comme complementaires. Le troisieme evangile, 
si on 1'interprete, comme il est raisonnable, a 1'aide du debut 
des Actes qui y renvoie formellement, offre un cadre assez 
elastique pour qu'on /y puisse faire rentrer sans violence les 
apparitions galileennes. II n'est nullement indispensable de 
recourir a la conjecture, non deraisonnable, mais gratuite t 
de deux groupes de disciples, Tun en Judee, 1'autre en Ga- 
llic" e. Du second evangile, brusquement interrompu avant 
tout recit d'apparitions, on ne peut rien conclure. II y a des 
probabilites pour que la finale, si elle a jamais existe, diffe- 
rente de 1'actuelle, contint a peu pres ce que nous donne la 
fin du premier evangile 1 . Quant a la finale presente, elle 
unit manifestement les deux traditions, et, a plus forte rai- 
son, les fragments non canoniques anciens. L'hypothese de& 
versions exclusives ne peut done se reclamer d'aucun des 
recits existants. Resultat de la critique interne des documents,, 
elle oppose comme inconciliables des traits que les plus 
anciens redacteurs n'ont pas fait difficulte d'unir, et ne se 
sont pas soucies d'harmoniser. 

Un autre indice tres defavorable a la conjecture de nos 
adversaires, c'est la necessite ou ils se mettent de rejeter r 
avant toute enquete, des episodes aussi bien attestes que 1'en- 
sevelissement de Jesus par Joseph d'Arimathie, et le tombeau 
trouve vide le dimanche matin. Ges critiques en effet donnent 
presque tous la preference a la version galileenne, comme sou- 
tenue par les plus anciens temoins, Marc, Matthieu, Paul, 
comme plus vraisemblable en elle-me'me et fournissant a la 
preparation psychologique des apparitions le temps, Teloigne- 
ment, les moyens de suggestion necessaires. Mais alors, le plus 
qu'on puisse garder a Jerusalem, c'est une demarche des 
i'emmes, termmee par une deception et une fuite eperdue. Gon- 

1. F. H. Chase, dans le JTS, VI, 1905, p. 482 suiv. 



LA INSURRECTION DU CHRIST. 419 

trairement a tous les textes, il faut traiter de le*gende la cbns- 
tatation du tombeau vide, ou recourir, pour expliquer la dis- 
paritiqn du corps, aux expedients use's dont personne ne veut 
plus. Aussi voyona-nous MM. Kirsopp Lake, Arnold Meyer., 
P. W- Schmiedel, A. Loisy, etc., faire de plus en plus grande 
la part de la pure fiction. Le dernier de ces ecrivains en arrive, 
tres logiquement, a ne pas garder un seul des traits ci-dessus 
designed, quitte a trouver pour chacun une raison apologe- 
tique qui aurait amene a 1'imaginer. L'apologetique qui a mau- 
vaise reputation dans cette Ecole, reprend ses avantages quand 
il s'agit de lui prater la creation des episodes dont on veut se 
de"barrasser ! Mais qui ne voit qu'a ce degre 1'arbitraire froisse 
et maltraite a merci les textes 1 , auxquels 1'historien ale devoir 
de se soumettre, dans toute la mesure du possible, s'il veut 
bien les interpreter? 

Enfin le temoignage de saint Paul, qu'aucun critique de 
sang-froid n'ose revoquer en doute, et dont au contraire tous 
se servent comme d'une norme pour mesurer les autres, favo- 
rise nettement le parti adopte par nos evangelistes. Bien 
que Paul n'indique ni le lieu, ni le temps des apparitions, re- 
connait M. Loisy, il donne suffisamment a entendre qu'elles 
se sont produites en des endroits differents et a des intervalles 
plus ou moins inegaux et eloignes 2 . Parmi ces endroits, il 
est impossible de ne pas mettre d'abord Jerusalem. La pre- 
miere apparition mentionnee est celle de Pierre, et le seul 
evangeliste qui en parle, la place a Jerusalem. G'est ajouter 
au texte que d'assimiler fort probablement cette vision avec 
celle qui est racontee au dernier chapitre de saint Jean : la, 
Pierre est dans la compagnie d'autres disciples, en particulier 
des fils de Zebedee; Paul, au rebours, distingue d'abord Pierre 

1. Un historien protestant, M. A. Arnal, dit a propos de ces proc6d6s 
violents, dont il souligne 1'emploi dans 0. Pfleiderer, justement sur cet 
exemple des r^cits de la resurrection : < Pfleiderer extrait ce qu'il croit 
6tre le noyau r6el des r6cits immaginaires ; ensuite il continue sa marche, 
insoucieux des dif&cult6s qui surgissent de ses theories... Au cours de 
cette e"tude, Pfleiderer invoque encore I'histoire, mais ce n'est plus This- 
toire ordinaire, c'est I'histoire faite par Dieu et corrigee par Pfleiderer *; 
La Personne du Christ et le Ralionalismc allemand contemporain, 
1904, p. 209, 210.. 

2. Les JEvangiles Synoptiques t II, p. 739. 



420 JBS-US CHRIST. 

tout seui, des groupes dont Pierre faisait partie, au (premier 
rang : les Douze, tous les ap6tres, etc. L'apparition a Jacques 
ne peut guere non plus etre localise'e ailleurs qu'a Jerusalem 
et la seule mention posterieure que nous en ayons^ dans le 
fragment de YlZvangile des H&breux, 1'y suppose manifeste- 
ment. 

Goneluons que Les souvenirs rounds dans les narrations evan- 
geliques ne s'excluent pas. Jesus apparut aux siens a Jerur 
salem et en Galilee. L'ordre et le temps exact des apparitions 
nous echappenit en parfcie, de par la nature des recits. On ne 
doit pas faire difficulte de reconnaitre que 1'analyse et la dis- 
% tiniction des sources, dont on a tant abuse, ne sont pas sans 
fond erne at dans Les textes. Si nous ne possedions qu'une des 
series, nous mettrions sans doute toute la vie glorieuse a Jeru- 
salem,, QU' en Galilee, de me"me que si nous n'avions que les 
evangile.8 synoptiques, ou le johannique, la perspective his- 
tori<ju.e, la clu?oiaologie et le theatre habituel de la vie de Jesus 
seraient pour nous singulierement et indument simplifies. II 
est pourtant tel detail, nous 1'avons remarque en son lieu, 
dans I'enseignement ou les actes du Seigneur tels que les rap- 
portent les Synoptiquies, qui ne prend tout son sens que dans 
la .perspective jofaannique; et, a son tour, le recit de Jean 
met en scene; des personnages supposes connus par les Synop- 
tiques, sans lesquels on ne saurait s'expliquer leur attitude. 
Ces considerations amenent les historiens de la vie du Christ 
a completer discretement les traditions, encore que si divers^s, 
I'une par 1'autre. II en va de m6me pour les recits de la resur- 
rection. : tout en reconnaissant dans les textes Techo de sou- 
venirs divers, plut6t rapproches qu'harmonieusement fondus, 
nous refusons, avec les evangelistes, d'opter entre eux. Le eas 
se pres'ente souvent en histoire de faits solidement attestes, 
mais dont il faut renoncer a fixer avec certitude la suite exacte 
et la coherence avec d'autres : traiter les premiers comme 
non avernus est un precede commode mais peu digne d'un his- 
torien. Les premieres impressions catholiques de saint Augus- 
tin nous en ont fourni naguere un exemple interessant. 

Partant des differences manifestes de ton et de perspective 
qui existent entre le recit des Confessions et les notations 



LA RESURRECTION DU CHRIST. 421 

eparses dans les. Dialogues du saint, beaucoup plus proches 
de sa conversion, bon nombre de critiques, auxquels avait 
prelude Ernest Havet, ont pretendu rejeter comme secon- 
daire,. dramatisee a Fexces et en somme inutilisable pour la 
biographie d'Augustin, Femouvante narration des Confessions. 
Une etude plus approfondie 1 , tout en mettant au jour les dif- 
ferences de presentation, a montre la compatibilite des deux 
ouvrages et restitue au plus recent une valeur d'histoire in- 
contestable. 

La nature des Apparitions. 

La critique rationaliste, me" me, la plus intempe'rante, laisse 
toujours subsister une ou plusieurs apparitions du Christ. De 
quelque fac.on qu'on les conceive et qu'on les explique, ces 
visions d'outrcftombe sont le postulat imperieux de la foi des 
ap6tres en la resurrection. La tendance actuelle va plut6t a 
elargir qu'a diminuer cette base de fait. Une vue plus saine 
des origines chretiennes amene en eifet a constater la place 
immense tenue, dans la genese de la religion nouvelle, parle 
message et la foi de Paques. La disproportion flagrante qui 
eclate entre les resultats et la cause ou, pour mieux dire, 1'oc- 
casion, le pretexte, assigne jadis a ce prodigieux mouvement 
spirituel, engage a ouvrir un peu plus larges les avenues du 
possible ! Ajputez que les recherches recentes, plus precises, 
de psychologie comparee; fournissent un materiel d'analogies, 
un jeu de manifestations posthumes qui permettent, avec un 
peu de virtuosite, de faire rentrer celles qu'on estimait autre- 
fois inacceptables, dans un courant de faits classes et naturels. 
Enfin 1'importance donnee justement au temoignage de saint 
Paul ne permet pas de reduire a moins de six ou sept le nombre 
des apparitions principales. 

G'est dire que nous pouvons negliger Fhypothese de Thallu- 
cination fugitive, sous la forme ridicule que Renan lui a 
donnee 2 . 

1 . On peut voir un excellent resume 1 de cette controverse et Ie=s argu- 
ments qui. ont pen a peu remis sur la. bonne voie 1'opinion des erudits 
dans V Introduction de M. P. de Labriolle a son texte des Confessions, 
Paris, 1925, p. xii-xxm. 

2. Ed. Le Roy, Dogme et Critique, Paris, 1907, p. 219. Ce n'est pas 



422 JESUS CHRIST. 

Les conjectures qu'on a substitutes a la sienne forment 
un echeveau passablement embrouille, echantillonne a la cou- 
leur des opinions de chaque critique. Onpeut distinguer toute- 
fbis les traits suivants, presents a peu pres dans tous les 
systemes : ' ' ' . 

Jesus n'a pu ressusciter, au sens propre et traditionnel du 
mot : il n'y a pas eu reanimation de son corps mortel. Sous 
quelque forme qu'elle se presente, cette notion doit e"tre reje- 
tee, et les episodes ou elle se presente, taxes de legendaires. 

Les apparitions sont ramenees a un sentiment de presence 
avive jusqu'a 1'hallucination, c'est-a-dire jusqu'a une per- 
ception sensible, eprouvee dans Fetat de veille, sans objet 
reellement present ce qui n'exclut pas la presence d'une 
cause spirituelle 1 . 

Ges apparitions ont eu lieu a plusieurs reprises, probable- 

seulement dans ses premieres ceuvres : Vie deJdsus* 3 , 1863, p. 449,450; 
Les Aptitres, 1866, p. 13 suiv., que Renan attribue aux saintes femmes, et 
surtout a Marie de Magdala, 1'hallucination qui aurait ressuscite le Christ 
dans le coeur de ses disciples. Cette page de mauvais roman n'apas cess6 
de charmer son auteur. La derniere r6plique qu'il lui ait donn6e, a la fin 
desa vie, se trouve an tome V et dernier de YHistoire dupeuple d 1 Israel, 
1891, p. 418 : Sur de vagues indices, les femmes de la suite de J6sus, 
en particulier Marie de Magdala, s'imaginerent que J6sus 6tait ressuscit6 
et parti pour la Galilee ; ce fut la, surement le miracle supreme de 1'amour. 
11 fut plus fort que la mort, il rendit la vie a 1'objet aime. Une ombre pale 
commeun mythe, un etre vulgaire n'eutpas op6r6 ce miracle. Faire porter 
tout le fardeau d'amour des origines chretiennes sur un pedoncule trop 
faiblepour le soutenir serait contraire a la statique de 1'histoire. J6sus a 
e"t6 charmant ; seulement son charme n'a ete connu que d'une douzaine 
de personnes. Celles-ci raflblerent de lui a ce point que leur amour a et6 
contagieux ets'est impose au monde. Le monde a adore celui qu'elles ont 
tant aim6. Etnunc, erudimini... 

1. Cette definition est en gros celle du Vocabulaire de la Societ6 franchise 
de Philosophic, dans son Bulletin, VII, 1907, p. 318, 319. La difference 
entre illusion et hallucination est finement exprimee dans ce mot de 
Lasegue, cit6 dans le Traite de Pathologic medicale d'Emile Sergent, VII, 
1, Psychidlrie, Paris, 1921, p. 43 : L'illusion est a 1'hallucination ce que 
la medisance est a la calomnie. L'illusion interprete mal une perception 
reelle; 1'hallucination invente son objet de toutes pieces. La reserve de 
la fin vise les auteursqui veulent maintenir une certaine realite aux appa- 
ritions du Christ, sans admettre pour autant la resurrection en corps. 
Ainsi Kirsopp Lake, The historical evidence of the Resurrection, p. 270 suiv. 
Voir aussi Ed. Le Roy, Dogme et Critique, p. 218 suiv. 



LA RESURRECTION DU CHRIST. 423 

ment en Galilee, dans des circonstances qu'il est impossible 
de determiner, a une date e*galement incertaine, mais suffi- 
samment tardive pour rendre vraisemblable un travail sub- 
conscient, la reaction... profonde, mais progressive, qui per- 
mit a la foi des apdtres en Jesus Messie de se ressaisir dans 
le milieu ou elle etait nee 1 , et de se projeter en visions. 

La nature de ces visions nous echappe. Le point de compa- 
raison generalement adopte est 1'apparition du Christ a saint 
Paul sur le chemin de Damas. On en spiritualise Fobj.et, en 
pressant quelques-uns des termes employes a ce propos par 
I'ap6tre. Puis on enonce, on rappelle, un certain nombre de 
faits analogues, tels que les visions posthumes de saint Thomas 
Becket etde Savonarole a leurs disciples, les voix de Jeanne 
d'Arc, les prophetes Gevenols au xvn e siecle, etc... Enfin on 
s'oriente dans le sens des experiences fant6males proprement 
dites : les recueils etablis par la Societd des Recherches psy- 
chiques de Londres, et surtout les ouvrages de F. W. H. Myers 
sont mis a profit dans ce but 2 . 

Ges hypotheses ont cela de commun qu'elles se tiennent 
fort loin des donnees de fait que les documents nous livrent : 
elles sont moins une interpretation de ces donnees qu'une 
reconstruction des evenements tels qu'ils ont du se passer. 
Au cours de eette restitution, on tente naturellement de re- 

1. Alfred Loisy, LesEvangiles Synoptiques, II, p. 748. 

2. La Society for Psychical Research a 6t6 fondle en 1881 par F. W. H. 
Myers et E. Gurney : ses Proceedings constituent le plus riche dossier 
cxistant de faits touchant a la psycho'logie extra et supra normale. En 
collaboration avec F. Podmore, les fondateurs 6diterent en 1886, a part, 
les Phantasms of the Living (adaptes en francais par Leon Marillier, Paris, 
1891). Apres la mort de F. W. H. Myers, survenue en 1901, on publia son 
vaste ouvrage, Human Personality, London, 1903, souvent reimprime : 
adaptation francaise tres abreg6e, par Jankelevitch, Paris, 1905. C'est dans 
le second volume, au ch. vn de 1'ouvrage entier, Phantasms of the Dead, 
ed. 1915, II, p. 1-81, et p. 315-400, que se trouvent les faits interessant la 
question pr6sente. 

Dans le Glossaire qui precede le livre, Fred. W. H. Myers, apres avoir 
defini 1'hallucination : toute perception supposee sensible, n'ayant pas 
de contrepartie objective dans le champ visuel, auditif, etc. , distingue 
entre hallucination veridique a laquelle repond une realite existant ail- 
leurs, et hallucination delusive ou fausse, a laquelle rien ne repond nulle 
part. 



424 JESUS CHRIST, 

prendre contact avec les textes, mais on commence par s'en 
separer sur la substance et la suite ; et, des details me'mes, on 
ne garde que eeux qu.i se pretent aux cadres anterieurement 
traces. 

Par exemple, tous les documents assignent aux experiences 
des temoins une cause sensible, encore que sui generis. Gette 
cause est le corps du Seigneur, non tel qu'il etait avant sa 
mort, mais constitue dans un nouvel etat, mysterieux assu- 
rement, laissant cependant a la presence de Je"sus, quand elle 
se manifesto, une realite perceptible. Les ap6tres et saint 
Paul, dit a ce propos M. Loisy, n'entendent pas raconter des 
impressions subjectives; ils parlent d'une presence du Christ 
objective, exterieure, sensible, non d'une presence ideale,bien 
moins encore d'une presence imaginaire. Quoique le corps de 
Jesus ait ete en quelque sorte spiritualise par la resurrec- 
tion, les disciples ne se representent pas le Sauveur comme 
un pur esprit, ni la resurrection comme la permanence de son 
ame immortelle... Pour eux le Sauveur etait vivant, par con- 
sequent avec le corps qu'il avait eu avant sa mort. Les condi- 
tions d'existence de ce corps etaient differentes, mais c'efcait 
le me'me qui avait ete mis dans ie tombeau, et que Ton croyait 
n'y etre pas demeure 1 . G'est 1'evidence meme quand on lit 
les textes sans parti pris. On aura beau rafiner sur le pos- 
sible, developper avec M. Ed. Le Roy par exemple, une theorie 
nouvelle sur la matiere et 1'incorporation, ces vues pourront 
6tre interessantes, mais il aut d'abord reconnaitre de fait, 
qu'aucun des temoins n'a parl^ dans 1'hypothese d'une pre- 
sence mystique, incorporelle ; ou dans celle d'une vision en 
songe; ou dans celle d'une apparition fant6male. 

Pour saint Paul en partieulier, il est certain qu'il a toujours 
distingue le fait du chemin de Damas, qui 1'a constitue apotre 
et temoin de la foi de Paques, des visions extatiques, d'ordre 
prive", dont il parle ailleurs 2 . Gelles-ci, m^me la principale, et 

1. Les Evangiles Synoptiques, II, p. 743, 744. 

2. Job. Weiss, Der ersle Korintherbrief, 1925, p. 351 : Puisque cette 
apparition (du chemin de Damas) est la derniere (ea^arov jtavtwv, I Cor., xv, 
8), il s'ensuitque toutes les autres visions du Christ posterieures, qui n'en- 
trentplus enligne de compte comme temoignage de la resurrection, appar- 
tiennent pour Paul a une autre categoric. 



LA RESURRECTION DU CHRIST. 425- 

qui fait epoque dans sa vie, lui laissent un doute positif sur 
la mode : S'il fauf stfglorifier (ce quine convient guere) j'en 
viendrai aux visions et revelations du Seigneur. Je connais un 
homme dans le. Christ, clove", il y a quatorze ans corporel- 
lement, j,e ne sais ; incorporellement, je ne sais, Dieu le salt 
jusqn'aii troisieme ciel, etc. . Dans cet e"tat, impossible a pre- 
ciser (et il j insiste), Paul entend des paroles ineffables,. 
qu'il' ne sied pas a Fhomme de dire 1 . Au rebours, 1'appari- 
tion premiere ne lui laisse aucun doute touchant la facon dont 
il a vu le Seigneur; elle i'inscrit, tardivement, mais en pleni- 
tude, sur la liste glorieuse, debutant par Pierre, des temoins- 
de la resurrection. La doctrine, beaucoup plus elabore'e, de la 
resurrection des corps, identifie, nous 1'avons observe plus 
haut, avec le corps charnel, mortel et corruptible, le corps 
glorifie, transmue, spiritualise. Tous les etais scripturaires 
cherches a des visions subjectives s'ecroulent done 1'un apres- 
Fautre. 

Quant a 1'hypothese fondamentale, faite a dessein d'expli- 
quer les faits, on ne peut qu'en souligner 1'invraisemblance, 
soit qu'il s'agisse des disciples auxquels on pr^te ces visions- 
sans objet sensible, soit qu'il s'agisse de I'hallucination elle- 
m^me, ou de ses re"sultats. La preparation psychologique qu'on 
postule a Torigine des apparitions : regrets profonds du Maitre 
adore tournant peu a peu en conviction qu'il n'a pu mourir 
(les heros ne meurent pas!); travail subconscient des paroles 
autrefois entendues; reminiscences et application des prophe"- 
ties du Vieux Testament ; besoin de se reprendre, par dessus- 
la catastrophe du vendredi saint, aux espoirs d'antan : autant 
de conjectures sorties tout arme'es du cerveau des critiques 
modernes. M. Loisy n'estpas, de son cdte", plusheureux, quand 

1. II Cor., xu, 2-4. De 1' exuberant conamentaire de H. Windisch, Der 
zweile Korintherbrief, Goettingen, 1924, p. 369 x suiv., il faut retenir la 
double difference qu'il assigne, quant au genre de vision et quant an 
contenu, entre 1'apparition sur le chemin de Damas et 1'experience du 
troisieme ciel >, la premiere etant infiniment plus importante pour Paul 
et sa nouvelle vocation que la paradisiaque . Que celle-ci fut plus sainte, 
parce qu'elle ne traitait plus des choses de la terre, snfyeta, mais vraisem- 
blablement des seuleschoses du ciel, inoupavia , loc. laud., p. 380, c'est 
un autre point de vue, discutable, mais qui n'a rien a faire dans la ques- 
tion presentc. 



'426 JESUS CHRIST. 

il presente, dans un brillant couplet, ecrit a la maniere de 
'Renan, la foi de Paques comme un cas caracte'risd de genera- 
tion spontanee : 

Ainsi naquit spontanement, onpeut le dire, la foi a la resurrection 
F de Jesus. La foi de ses disciples en son avenir messianique futassez 
forte pour ne pas se dementir elle-meme, pour ne pas accepter le 
-dementi que lui avait donne l'ignominie de la croix. Elle fit entrer 
Jesus.dans la gloire qu'il attendait; elle le proclama toujours vivant, 
parce qu'elle-meme ne voulut pas mourir. Aiguillonnee par 
1'epreuve, elle se suggera les visions qui calmerent son inquietude 
et qui raffermirent en elle-meme. C'est avec les morceaux de ses 
esperances brisees, c'est sur la mort de Jesus qui semblerait avoir 
.du la tuer ellQ-meme, que la foi des apdtres fonda la religion du 
Christ. Ceux-la seulement s'6tonneront que la foi ait pu faire un 
tel miracle qui ne savent pas ce que c'est que la foi dans un groupe 
enthousiaste qui est bien entraine; la foi se procure a elle-meme, in- 
consciemment, toutes les illusions qui sont necessaires a sa conser- 
'vation *. 

On peut en effet dire tout cela, parce qu'on peut s'evader 
du reel, et reconstruire a coups d'affirmations peremptoires, 
.contrairement a toutes les indications positives, une histoire 
ancienne telle qu'on veut qu'elle se soit passee. II est plus 
malaise de 1'e faire croire. Tout nous montre, au contraire, 
dans le groupe apostolique disperse", decourage, decapite, des 
^defiants et des vaincus. Ni ils ne s'attendaient a revoir leur Mai- 
tre, ni ils ne le reconnurent d'abord. Les visions qui convain- 
quirent ces hommes de peu de foi ne ressemblent aucunement 
aux fant6mes de vivants entrevus par certaines personnes, ou 
.aux hallucinations dont 1'histoire a garde un souvenir plus ou 
moins net. Ici, 1'objet reste vague, ne s'impose communement 
-qu'a un sens, rarement a plusieurs, jamais, chez un homme 
sain, a tous, hormis le cas de sommeil naturel ou provoque 2 . 

1. Les Mystdres patens et le Mystere Chretien, Paris, 1919, p. 216. L'his- 
toire protests centre ces paradoxes : les compagnons de Jeanne d'Arc, qui 
certes avaient cru en sa mission, furent completement deconcert6s par 
sa mort : il leur fallut un quart de siecle, et des succes nouveaux, pour se 
reprendre. Dans un ordre different mais analogue, les mar6chaux de 
Napoleon les plus confiants en son genie et en son etoile, apres Waterloo, 
virent parfaitement que tout etait perdu pour 1'Empereur. 

2. Parce que, fautede controle, la reaction est alors impossible. Voir sur 
4out cela P. Janet, L'Automatisme psychologique*, p. 451 suiv. ; 457'suiv. 



LA RESURRECTION DU CHRIST. 427 

Mais les disciples ne dormaient pas, n'etaient pas des detra- 
ques ou des debiles. Us voulaieiit positivement reagir. Leur 
passe, leur avenir ne permet pas de les assimiler aux petits 
ercles exaltes, bien entraines , des disciples de Savona- 
role ou de Gamisards cevenols, avec lesquels on se donne le 
tort de les comparer. Loin enfin de pouvoir creer son objet, 
dans un elan desespere, et fonder la religion du Christ avec 
les morceaux de ses esperances brisees , c'est la foi aposto- 
lique elle-me'me qui avait besoin d'etre renouvelee, refaite, 
recreee. La parole des femmes n'y suffitpas, non plus que le 
tombeau trouve vide; encore moins un jeu de metaphores suf- 
fira-t-il a expliquer ce prodigieux changement. 

L'hallucination enfin, a la supposer me 1 me veridique, au sens 
ou quelques modernes la prennent, c'est-a-dire la perception 
sensible d'un objet reel, bien qu'absent, reste sterile, parce 
qu'elle est fondee sur Fillusion et 1'erreur. Ou bien elle tend 
a. devenir habituelle et, sous ce stigmate morbide, 1'equilibre 
>de la vie mentale et morale flechit peu a peu, pour s'ecrouler 
enfin dans la manie. Ou, restee a 1'etat d'incident sans lende- 
main dans une vie normale, elie n'y exerce pas d'influence 
durable. Son milieu reprend 1'homme sain d'esprit, et tout est 
dit : il ne subsiste dans son souvenir qu'une inquietude, un 
point sensible. Est-il besoin de montrer quelle difference se- 
pare ces phenomenes anormaux, partant infeconds, capables 
eulement d'une contagion vite epuisee, et la conviction se- 
reine, ferme, invincible, qui, sans arracher les apdtres du 
Christ a leurs traditions, a leur ambiance, a leurs habitudes 
d'esprit, les redressa, les transforma, centupla leurs energies, 
interpreta pour eux tout le passe et fit de ces hommes, de 
longues annees durant, des chefs, des convertisseurs et des 
heros? Que Ton songe a 1'influence exercee par les Douze, non 
seulement a 1'origine, dans un cercle relativement ^troit de 
disciples qui avaient eux-m^mes connu le Seigneur, mais dix, 
quinze, vingt ans apres, quand des hommes comme Paul, 
Apollos, Silas et cent autres, se referaient a leurs temoignages 
et a leur enseignement comme a la voie sure, hors de la- 
quelle on courrait en vain 1 . 

i. Gal., ii, 2. 



428 JESUS CHRIST. 

Infiltrations Pa'iennes. 

Au de"but du xx siecle, les pionniers de 1'Ecole cpmpara- 
tiste n'Ont pas manqug d'appliquer, aux recits de la Passion et 
de la resurrection du Christ,, la clef magique a Jaquelle aucun 
mystere ne devait resist er. On sait que, pour ces erudits, les 
plus hautes realites spirituelles resultent de 1'evolution natu- 
relle, sous la poussee d'une force immanente, des formes reli- 
gieuses ou prereligieuseg les plus grossieres : preanimisme, 
scrupules et tabous, zoolatrie et dendrolatrie (adoration des 
betes et des arbres}, anterieurs a 1'anthropomorphisnie . Le 
dogme evolutionniste, seul capable d'evineer definitivement 
Fhypothese gratuite et puerile d'une revelation primitive 7 
est a ce prix. G'est pourquoi, continue M. Salomon Reinach^ 
le plus clair theoricien de 1'Ecole, il faut chercher 1'origine 
des religious dans la psychologie de I'tiomme, non pas de 
1'homme civilis^, mais de celui qui s'en eloigne le plus T 
1'homme anterieur a I'feistoire , en s'aidant de trois termes 
de comparaison : la psychologie des sauvages actuels, celle 
des enfants et celle des animaux superieurs * . G'est pourquoi 
encore, dans le eas des origines chretiennes, si les grandes 
religions mysterieuses, officielles et fossilisees , comme 
Eleusis, ne fournissent pas d'analogies et de sources d'inspi- 
ration suffisantes a une explication naturelle, il faut chercher 
plus bas. Le monde oriental et hellenique ne manquait pas de 
petits mysteres pratiques dans de pe.tites Eglises . 

A cette religion des mysteres obscurs se rattache le christianisme ; 
alors memo que nous n'aurions aucun indice pour rendre cette hy- 
pothese vraisemblable, il faudrait y recourir pour etablir, en dehors. 
de toutc intervention transcendante, la continuite des fails reli- 
gieux 2 . 

1. Guiles, Mythes et Religions, I 2 , Paris, 1908, p. I-HI. Les cinq gros 
volumes de ce recueil, I-IV, 1904-1912, V, 1923, constituent, pour cette these, 
un long plaidoyer avec exemples a 1'appui, sans crainte de rabacher 
et de vulgariser : voir les Introductions aux tomes.1 et IV. La theorie, dans 
sa generality, est parfaitement exposee et critiqu6e par H. Pinard de la 
Boullaye, L' Elude comparte des Religions, II, Paris, 1925, p. 37 suiv., 183- 
220. 

2. Revue Archtologique, 5 Serie, XII, juillet 1920, p. 150. M. S. Reinach 
fccrit encore : Partout ou les elements de mythe ou de rite comportent 



LA RESURRECTION 0U CHRIST. 429 

La recherche, dans les recits de la resurrection du Christ, 
^'infiltrations mythologiques ou magiques, est Fondee sur cette 
conviction antecedente, qui s'exprime souvent avec moins de 
franchise, mais oriente toujours les erudits comparatistes. Le 
plus eminent d'entre eux, Sir J. G. Frazer, ne suggerepas autre 
chose lorsque, dans une image magnifique, il dit que le coup 
frappe sur le Golgotha fit vibrer a I'unissbn mille cordes ex- 
pectantes, partout ou 1'humanite avait connaissance de la 
tres vieille histoire du dieu qui meurt et ressuscite i . 

Cette histoire, chaque critique e*volutionniste en decouvre 
plus qu'une ebauche dans les textes qui forment 1'objet de sa 
competence speciale. Les assyriologues H. Zimmern, P. Jen- 
sen, Ch. Virolleaud nous renvoient naturellement a Babylone, 
a Marduk, aux pantheons sumerien ou assyrien. O. Pfleide- 
rer, T. K. Cheyne, et, avec une science plus solide, H. Gun- 
kel, R. Reitzenstein, W- Bousset, J. G. Frazer recourent de 
preference aux religions orientales, egyptiennes, iraniennes, 
:sans oublier naturellement 1'Hellenisme. Leurs vulgarisateurs, 
qui sont legion, prennent de toute main et de toute fable les 
traits qui leur paraissent susceptibles d'une application quel- 
conque. On n'attend pas que nous nous attardions a ressus- 
citer des systemes sans lendemain. Deja, disait de fictions 
analogues le vieux philosophe berlinois Adolf Lasson, per- 

mi animal ou un v6g6tal sacr6, un dieu ouunh6ros dechir6 ou sacriifie,... 
le devoir de I'ex6gete inform^ est de chercher le mot de l'6nigme dans 
1'arsenal des tabous et des totems. Agir autrement, apres les resultats acquis, 
c'est tourner le dos a Te>idence, je dirais presque h la probite 1 scientifi- 
que ; Cultes, Mylhes et Religions, I 2 , Introduction, p. vr. 

1. J. G. Frazer, The Golden Bough 9 , III, The dying God, fin : dans la 
traduction P. Sayn, sous le titre : Le Bouc dmissaire, Paris, 1925, p. 376. II 
faut ajouter que Sir J. G. Frazer conclut sa note sur le Crucifiement du 
Christ par ces paroles d'un scepticisme respectueux, Ibid., p. 376 : < Dans 
1'innombrable arm6e des martyrs qui, aucours des siecles,... ontsubiune 
mort cruelle dans le role de dieux, le Chretien convaincu reconnaitra sans 
doute des prototypes et des pr6curseurs du Sauveur futur, astres qui 
annon^aient dans le ciel matinal la venue du Soleil de justice... Le scep- 
tique, par contre,... ramenera J6sus de Nazareth an niveau d'une multi- 
tude d'autres victimes d'une superstition barbare... Profonde est la diver- 
.gence des points de vue. Lequel est le plus exact ?Lequel finira par 1'em- 
porter? Le temps se chargera de repondre a la deuxieme question, sinonk 
la premiere. 



430 JESUS CHRIST. 

sonne n'en connait plus la trace, si ce n'est dans les catalo- 
gues des bibliotheques ou dans les citations des livres de 
texte, ou ils menent une vie dans le crepuscule comme des- 
defunts dans 1'enfer d'Homere 1 . 

Observons seulement que la theorie d'un emprunt direct,, 
fait par les evangelistes ou saint Paul a des sources pai'ennes, 
n'est plus soutenue, en ce qui touche du moins la passion et la 
resurrection du Christ, par personne 2 . On se rejette sur des 
influences indirectes, le milieu juif etant prevenu d' avoir servr 
d'intermediaire entre le christianisme naissant et les mytho- 
logies babylonienne, iranienne, hellenique, egyptienne, ou les 
cultes orientaux. On peut resumer les vues comparatistes, sur 
le sujet present, dans ces deux propositions : la notion chre- 
tienne de resurrection a du e"tre influencee par les croyances,. 
anciennes et largement repandues, des dieux mourant et re- 
venant a la vie ; la fixation de la date : Jesus est ressuscite 
le troisieme jour, doit probablement son origine a des calculs 
et speculations d'ordre mythologique. Nous sortirons du vague 
par 1'analyse des pages consacrees a nos recits par Hermann 
Gunkel, assurement Tun des plus solidement erudits, et avec 
Sir J. G. Frazer, le plus estime des tenants de la methods 
historico-religieuse 3 . 

Jesus n'est pas le seul, ou le premier, des etres divins a la re- 
surrection duquel on ait cru. La croyance a la mort, suivie d'un 
retour a la vie, des dieux, existait principalement en Egypte, mais 

1 . Congres international de Philosophic, 11 Session, tenu a Geneve en 
1904, Geneve, 1905, p. 62. On trouvera les indications essentielles dans 
la seconde edition de la Religionsgeschichtliche Erklaerung des Neuen. 
Testaments 2 de Carl Clemen, Giessen, 1924, p. 96suiv. ; 255 suiv. ; et passim. 

2. II n'en vapas de meme des recits de 1'Enfance. Voir en dernier lieu. 
Ed. Norden, Die Geburt des Kindes, Leipzig, 1924, p. 76-116; et I'expos6 de 
C. Clemen, loc. laud., p. 192-212. 

3. Religionsgeschichtliche : la traduction litterale en franQais ne rend pas- 
te sens de cette expression, recue en Alle-magne pour tout ce qui touche 
1'Ecole comparatiste. Je resume tres exactement Gunkel, les mots entre 
guillemots etant des citations textuelles : Zum religionsgeschichtlichen: 
Verstaendnis des Neuen Testaments, Goettingen, 1903, p. 76-82. On peut 
voir, dans le meme sens, la dissertation de W. Bousset, Am dritlen Tage,. 
dans Kyrios Christos 2 , Goettingen, 1921, p. 22-26; et les termes de compa- 
raison dans W. Bousset-H. Gressmann, Die Religion des Judentums im 
spaethellenistischen Zeitalter, Tubingen, 1926, p. 269 suiv. ; p. 509 suiv. 



LA RESURRECTION DU CIIKIST. 431 1 

aussi on Babylonia, en Syrie, en Phenicie. Originairement, il< 
s'agissaitd'evenementsnaturelspris comme les moments (Tune vie 
divine : les dieux du soleil ou de la vegetation renaissent au matin 
pu au printemps. II est bien malaise sans doute de supposer que 
ees symboles et ces croyanees eurent une influence directe sur les 
disciples du Christ. Mais, dans lejudaisme meme, n'y avaik-il pas 
quelques traces de notions apparentees ? Les morceaux mysterieux 
de 1'Ancien Testament concernant le Servitour de lah.ve n'ont-ils- 
pu suggerer la pensee d'un Christmourantetrendualavie?Certes, 
le judaisme ofliciel, al'epoque de Jesus, ignorait tout cela. Qui dira 
que cette notion n'avait pu se former dans certains cercles particu- 
liers, ecartes? 

D'autant que la date assignee a la resurrection du Christ rend' 
1'hypothese plus vraisemblable. La resurrection eut lieu, nous dit- 
on, le matin du dimanche de Paques, au lever du soleil. Est-ce un, 
hasard que ce'tte coincidence? Le dieu mort, dans les religions 
orientales, renaissait au.matin, avec le soleil (qu'il personnifiait), et 
au printemps. Allons plus loin : le Christ est ressuscite & le troisieme 
jour ou au troisieme jour . Pourquoi? Les premiers chre"tiens- 
disaient : parce que cela etait predit! Mais chacun sait que c'est 
apres coup qu'on a trouve dans 1'Ecriture cette indication. Si Ton. 
veut expliquer d'ou vient cette notion du troisieme jour et 1'impor- 
tance qu'on lui attribue, il faut recourir aux religions etrangeres. 
Troisest en effetun nombre sacre dansbeaucoup de religions orien- 
tales. Dans la tradition juive, il joue egalement un role : Jonas reste- 
trois jours dans le poisson, et c'est la un trait appartenant proba- 
blement a un mythe solaire. Trois et demi est le nombre des temps 
durant lesquels, selon Daniel (echo de mythes anciens concernant 
le chaos) le mal doit avoir puissance sur terre. Dans 1'Apocalypse 
johannique, le jeune heros solaire doit grandir durant trois temps 
et un demi-temps, avant sa victoire surle Dragon. Dans lamytho- 
logie gre^que, Apollon, le quatrieme jour (sic) apres sa naissance, 
vasurleParnasseettue le serpent Pytho. En somme, trois ou, plus 
exactement, trois et demi, est 1-e temps du mal triomphant, du Chaos,, 
de la puissance maligne, auquel succede la victoire du bien, de la 
Lumiere, de la puissance bienfaisante. L'hiver, auquel succedent le 
printemps et la renaissance du soleil, dure trois mois ou un peu 
plus. De tout cela ressort done une explication du merveilleux 
nombre trois applique a la resurrection de Jesus, et cette explication, 
est derechef qu' avant Jesus il existait, dans les milieux judeo-syn- 
cretistes, une croyance en la mort et en la resurrection du Christ. 

On prend ici sur le vif un bon specimen de la methode, a 
1'heure ou, encore sure d'elle-meme et liere de sa gloire neuve, 
elle ne craint pas les a-peu-pres. II n'y manque m.e'me pas le 
coup de pouce destine a faire concorder les trois temps et. 



432 JESUS CHRIST. 

demi , voire le quatrieme jour , avec le troisieme jour . 
Malheureusement pour M. Gunkel et ses e"mules, 1'hypothese 
des emprunts et infiltrations, me'me indirects, demeure dans 
le domaine des pures conjectures. Tout le positif, sur lequel 
'doit tabler Fhistoire, va centre elle. 

11 n'y a pas, en effet, dans nos recits, trace d'une allusion a 
des croyances pre*existantes, ou a des antecedents, palens ou 
m^rne juil's. Tout est concret, tout est, comme disent les 
Anglais, matiere de fait. Nulle generalisation, mil appel au 
reveil de 1'annee, a la renaissance des saisons, a la victoire 
d'un Heros sur le Chaos ou le Dragon. Les notations de temps, 
en particulier, dont on fait etat, ne donhent lieu a aucun com- 
mentaire, et sont destinees simplement a mettre hors de doute 
la realite du fait : les disciples n'avaient rien compris aux pre- 
dictions de Jesus sur ce point, et les Ecritures ne leur sugge- 
rerent rien 1 . 

Mais il y a plus. Outre que I'ide'e que le dieu meurt et res- 
suscite pour conduire ses fideles a la vie dternelle n'existe 
dans aucune religion hellenique a mysteres 2 , la contradic- 
tion eclate si Ton rapproche la resurrection du Christ do la 
reviviscence des heros solaires ou demi-dieux de la vegetation, 
Osiris, Adonis, Attis, le Dionysos des Orphiques. fitrangeres 
par leur contenu aux doctrines chre'tiennes essentielles de la 
mort redemptrice et de la resurrection dans la chair, ces fables 
ne sont pas moins eloignees, par les figures qu'elles mettent en 
scene, de 1'histoire evangelique et de 1'histoire tout court. Ici, 
unhomme veritable, Jesus de Nazareth, fils de Marie, 'jst reel- 
lement pris, juge, tourmente, immole par ses ennerais, Ponce 
Pilate etant procurateur, Joseph Gaiiphe, grand pre'tre, et 
Tibere, empereur , alalumiere du soleil, dans Jerusalem sur- 
peuplee pour la fete de Paques, sous les yeux de ses disciples. 
Ettres t6t apres cette mort, ces me'mes disciples sont convain- 
cus, non par raisonnements et conclusions, mais par des faits, 
que leur Maitre est ressuscite. Leur vie entiere est changee 
par la. Vingfc ans plus tard, en Fan 50 ou 51, Paul de Tarse, 
en plein accord avec ses predecesseurs de la premiere heure, 

1. Voir ci-dessous, p. 506, la note 2 : Ressuscite le troisieme jour . 

2. Andr6 Boulanger, Orphee, Rapports de VOrphisme et du Christia- 
nisme, Paris, 1925, p. 102. 



LA RESURRECTION DU CHtUST. 433 

et apportant un temoignage pareil au leur, enseigne aux Gorin- 
thiens, comme point substantial de la religion du Christ, que 
Je"sus est re*ellement ressuscite, et qu'il est apparu le troisieme 
jour, conformement aux Ventures, a Pierre, puis a Jacques, 
aux Douze, a cinq cents freres en une fois, a tous les ap6tres, 
enfin a Iui-m4me. 

Demi-dieux saisonniers de la vegetation, symboles vague- 
raent humanises d'expedients grossiers destines a rendre ou a 
garder la terre feconde, heros distingues ou sauves par la 
grande De"esse, figurants lunaires dansun couple divin, ou la 
premiere place appartient a la femme 1 comme, dans 
les rites sur lesquels ces fleurs impures ont pousse, cette place 
appartient a la Terre Mere Attis, Tammouz, Adonis, sont 
d'une autre e"toffe. D'une autre e"toffe, le petit cornu taureau 
ou chevreau, Dionysos Zagreus, ne de 1'horrible Persephone a 
quatre yeux. Les experiences posthumes qui assurent a Osiris 
une vie nouvelle dans 1'autre monde, ne sont pas moins fan- 
tastiques 2 . A tous ces dieux 1'on peut assignor avec vrai- 
semblance, une patrie d'origirie : le reste est intemporel, incon- 
sistant. Leur histoire ales contours vagues de la legende, la 
plasticite et 1'impudeur tranquille des gestes immemoriaux 
qu'elle represente. Gar sous des noms divers, que le syncre- 
tisme finira par rendre a peu pres interchangeables, c'est le 
culte de la puissance generatrice et du desir qui laprovoque 3 ; 
ce sont les grandes forces amorales et anonymes de la vie 
feconde, qui occupent le fond de la scene, commandent les 
rites et les symboles, determinent les phases majeures du 
drame. La-dessus, la fantaisie debridee des poetes, artis- 
tes et mythographes, s'est donne carriere ; la-dessus, 1'applica- 

1. Franz Cumont, Les Religions orientales dans le Paganisme romain, 
Paris, 1907, p. 60. Sur la Terre Mere, Albert Dieterich, Mutter Erde, Bin 
Versuchuber Volk&religion 3 , ed. Bug. Fehrle, Leipzig, 1924 ;Th. Zielinski, 
La Religion de la Grdce antique, Tr. A. Fichelle, Paris, 1926, p. 24 suiv., 
belles pages d'un optimisme excessif ! 

2. Sur ces mythes : Osiris, Adonis, Dionysos Zagreus, Attis et Cybele, 
on trouvera 1'essentiel ci-dessous, p. 510, dans la note P 2 : Dieux morts et 
ressttsdle's. 

3. J'emprunte ces mots au mSmoire longtemps inddit de F61ix Ravais- 
*on, Hellenisme, Judaisme et Chris tianisme, r6dig6 vers 1850, publi6 par 
P. Bottinelli dans la Nouvelle Journe"e, V, 1922, p. 250. 

CHRIST. II. 28 



434 JESUS CHRIST. 



defl! pretj?esi r soucieux d'etayeE le-ursr specuflafcioaa a,. des 
liturgies vene'rees, a spe^cule. Hies details, 1'ordre,,. le nom 
ila qiualite d'e& geniteurs die ces pauvEesdieuxvairient 
lea souspcea : leur fable- 0'allcmgft, set modifie iBftftss-am- 
menfc, infkiene.aat se& voisimes,. iafluenMe p,aj? elles;; et lies 
efforts desevhemeristes pour trouver a leurs explications natu- 
ralistes unipoinfrfernie dans la le^endeyqui la rattaeh al'his- 
toice, fait: ressortir, pair leur echec manifested 1'irrealifce; de e& 
figures. Quel rapport en;toui6 ceei et rhissfeoire de; la vie, de la 
mort, de la resMrreGtiont de Jiesais.'B 

Mais, e'en est assez, ettrop peut-4tre,. suedes difficiiltea qui 
ont du moins; 1'ayantage dje: manitrer a quel pointt 1'esprit de 
systeme: et.le parti priss contee le surnaturel peuvent fourvfoyer 
certams erudifcs. Apres avoir, passe eii revue ces; objections, ii 
est,permis de les- troicver legeresj;: mcapables ea to.mt cas de 
Gonteepeser le temoignageides; conteraporaros;, Pierre 1 , Jacques, 
Paoil et.tous ceux q;ui ont.vutle Seigneur ressusciter. 

3. La Resurrection de Jesua et sa Mission. 

Le lien qui unit a sa mission la resurrection de Jesus est mani- 
festo : si le Christ est re"eilement ressuscite, il est fils de Dieu- 
de cette inference, c'est tout 1'e N'ouveau Testame-nt qui fait 
foi 1 . Jesus ressuscite, voila le fait apol'ogetique qui domine 
les origines chretiennes, le motif de credibilite en quelque 
sorte unique, qui a ebranle les ap6tres et leur auditoire et les 
a ameries & donner leur assentiment au divin mysterieux, non 
encore epanoui, qui se cachait dans la personne du Sauveur 2 . 
Les modernes n'en jugent pas autrement, et ce serait temps 
perdu' que de s'arre'ter a le prouver. Mais il est indispensable 
de montrer que c'a bien etelapensee de Jesus lui-meme. 

Aquatre reprises, dans des propheties 1 qui out eta trans crites 
et commenteesi en le.ur lieu,, le Maltre acheve le tableau des 
d'ouleurs du Fils de Fhomme- par le trait glorieux de sa resur- 

1. On; pent s'en convaincre en lisant die suite, dans; les Actes, les 
passages suivants: : I, 3 et 21-22; 11^ 22-3ft; w,. 15-26;; iv, 10, 20, 33; v, 
29-33; x, 37-44; xm, 27-40; xvii, 3, 18, 31 et 32; xxn, 14-15;; xxv, 1ft; 
xxvfy 22-23; et 28; ou, dans une seule epitre de saint Paul, RODOL, i, 4; 
iv, 23-24; vi, 4-10; vir, 4 ! ; vm, 10-11 et34,; x, ft; xiv, 9: 

2. V. Rose, Etudes sur les Evangiles*,. Paris,, 1903, p. 273. 



LA RESUMlBCXIONi DU CHRIST. 435 

rection. Nous savons par le temoignage- de. cans qui nous les 
ont rapportees, que ces paroles demeurerent incomprises pen- 
dant la courte carriere du Sauveur, et me"me au delft. Gravdes 
dans la memoir e des. disciples, par leur allure paradoxale, 
autant que par leur for,me rythmee et sentencieuse, ces pre"- 
dictions s'illuminerent arcs clartes de Paques., Ell;es;re : vieiment 
alors, comme il arrive aux fornmles d ( e haut relief fixe'es, sans 
e'tre assimilees,. dans, le souvenir des simples et des enfants : 
rintelligence posterienre de ces legons est assuree par la pos- 
session imperturbable; de; la lettre, comme le savent et 1'es- 
comptent tous les bons catechistes. 

En dehors de ces anticipations, deux paroles du Seigneur se 
rapportent plus exclusivement, sinon plus clairement, a notre 
objet. Ellea comptent d'aiUeurs, a cause de leur importance et 
de leur difficulte, parmi les plus discutees de 1'Evangile. 

LE SIGNE DE JONAS. 

Groupe A. Dans un contexts oil il est question principalement 
de I'bppositwn faite a Jesus, les signes merveilleux qu'U donnait 
de sa mission etaient attribues a BeelzebuZ, chef des demons ; 

Mt., xn, 38-42. Lc., XT, 29-32, 

Lors quelques-uns des scribes Les foules s'etant assembl^es^ 
et P-harisiens lui r6pli ; qu6rent 

disant : Maitre, nous voulons : , 

voir un signe venu de toi ! 

II leur dit en reponse : il commen<ja de leur dire : 

Une generation maligne et Cette g^neration-ci est malt- 
adultere reclame un signe, et gne : elle requiert un signe, et 
signe ne lui sera pas donne, signe ne lui sera pas donnS, hor- 
hormis le signe de Jonas, le pro- mis le signe de Jxmas. 
pliete. 

Car tout ainsi que Jonas fut Car toufainsi que Jonas futun 
dans le centre du poisson trots signe aux Nmivrtes', 
jours ettrois nuits* , 

ainsi sera le Fils de 1'homme ainsi en sera-t-il du B T ils de 
dans le coeur de la terre trois 1'homme pour cette generation- 
jours et trois nuits. ci. 

Les Ninivites se leveront au 
jugement de cette generation-ci, 
et ils la condamneront, 

1. Jonas-, i, 17 (ii, 1). 



436 



JESUS CHRIST. 



car ils firent penitence a la pr6- 

dication de Jonas, 

et voici plus que Jonas, ici. 

La Reine du Midi se dressera 
au jugement centre cette g6n6- 
ration-ci 

et la condamnera, 
car elle vint du bout du monde 
ecouter la sagesse do Salomon, 
et voici plus que Salomon ici. 



La Reine du Midi se dressera 
au jugement contre les homines 
de cette ge'ne'ration-ci 
et les condamnera, 
car elle vint du bout du monde 
6couter la sagesse de Salomon, 
et voici plus que Salomon ici. 

Les Ninivites se leveront au 
jugement contre cette g6nera- 
tion-ci, 

et la condamneront, 
car ils firent penitence a la pre- 
dication de Jonas, 
ct voici plus que Jonas, ici. 



Groups B. Aprbs la seconds multiplication des pains: 



Mt;, xvi, 1-4. 

Et survenant, des Pharisiens 
et des Sadduce*ens, pour 1'eprou- 
ver, reclamaient de lui qu'il leur 
montrat un signe venu du ciel. 

En reponse, il leur dit : 

Lc soir vous dites : Beau 
temps ! car le ciel est rouge ; 
et le matin : Demain, mauvais 
temps; car le ciel est rouge et 
sombre. 

Ainsi vous savez juger de 1'as- 
pect du ciel, 

mais des signes des temps, 
vous ne le pouvez pas! 

Une generation adultere et 
maligne reclame un signe, 
et signe ne lui sera pas donne, 
hormis le signe de Jonas. 

Et les laissant la, il s'en alia. 



Me., vin, 11-13. 

Etles Pharisiens survinrentet 
ils commencerent & le prcsser, 
reque"rant .de lui un signe venu 
du ciel, pour 1'eprouver. 

Etgdmissant du fond de l'am, 
il leur dit : 



a Qu'a cette ge'ne'ration-ci 
chercherun signe? Jele disen 
verite... s'il est donne un signe a 
cette generation ! 

Et les quittant, il remonta en 
barque et s'en alia vers 1'autre 
bord. 



Autour de ces textes, les questions se pressent, qui ne sent 
pas toutes a discuter ici. Jesus prononca-t-il deux fois les 
paroles essentielles, dans des circonstances analogues et diff^- 



LA IlBSUIinECTION DU CHRIST. 437 

rentes? Gela est probable sans etre certain. Ge qui eat clair, 
c'est que, fideles interpretes en cela des aspirations de leur 
race ( les Juifs reclsiment des signes 1 ), un groupe de Phari- 
siens pretendait exiger du Sauveur des marques eVidentes, 
dclatantes, materiellement constatables, de sa mission. Les 
miracles e"vangeliques, avec les dispositions morales et reli- 
gieuses requises pour leur interpretation, e*taient trop spirituels 
pour ces homines charnels. Us reclamaient en consequence des 
prodiges diff^rents, des mete'cres venus du ciel ou des per- 
turbations atmospheriques, dans le genre de ceux que la voix 
d'Elie le Thesbite, faisant tomber la foudre, ouvrant et fer- 
mant le eiel a la pluie , avait autrefois provoques 2 . 

Les evangelistes s'accordent pour -exclure les enqu6teurs 
du privilege de la bonne foi : leur demande n'e*tait pas sin- 
cere. Us voulaient, par cette mise en demeure, ^prouver le 
Maitre et le tenter, quittes sans doute a attribuer au Malin les 
miracles qui pouiTaient se produire. Mais la ruse fut dejouee ; 
ces exigences se heurterent aun refus categorique, touchant les 
signes venus du ciel . Saint Marc n'a consigne que ce refus; 
dans saint Matthieu et saint Luc, Jesus dlargit sa re*ponse, par 
une allusion a un signe particulier qui serait donne par Dieu 
a cette generation-ci , et dont I'inmtelligence coupable la 
condamnerait : le signe de Jonas. Quelle est done la nature, 
et la porte*e de ce signe? 

Nous en serions re*duits aux conjectures, si nous ne posse- 
dions que le groupe B. Les episodes de 1'histoire du prophete 
les plus frappants, et aussi les plus populaires 3 , eiaient siire- 
ment le sacrifice volontaire de Jonas, sa survie miraculeuse, 
et le succes, presque aussi merveilleux, de sa predication 
a Ninive. Us symbolisent fort bien la mort redemptrice du 
Christ, sa resurrection, et le succes poste'rieur de TEvangile. 

La presence, dans nos documents, du groupe de textes A, 
precise 1'allusion et ensemble complique le probleme. L'obsti- 
nation des gens de cette generation maligne et adultere 

1. I Cor., i, 22. 

2. I (III) Reg., XVH, 1 ; XVIH, 36 suiv., 41 suiv. ; II (IV) Reg., i, 10 suiv. 
Ces prodiges 6taient populaires. Voir Lc., iv, 25; Jac., v, 17. 

3. La tradition rabbinique sur Jonas a 6t6 recueillie par H. Strack et 
P. Billerbeck, KTM, J, p. 642-649. 



438 JESUS 'CHRIST. 

rs-era oondamne'e a*i dernier jour, et les examples de docility 
qui font, par o*aste,TessGrtir leur infidelite, sont empruntes 
aux Grentils. 'C'est la Reine de 'Saba, "venue de si. loin pourse 
metope a fe'eole de la sage-ss-e de Salomon : les MB dlsrael, 
Dependant, refri'sent d'&ocrater, ou flM'aignent mre bien -aut-re 
sages'se'! de sont les M-nivi'tes, princes ent-Ste, qu'i e conver- 
tiss'ent et font penitence -a la voix de Jonas : cependant, 
les fils d'fsraWl sont d ; e glace a la voix d'un bi-en aritre Pro- 
ph-elel 

Paiiant de la, on est amene a chercner, dans la mission 
entiere de Jonas, le prototype du 'signe promis par J^sus t le 
message du premier fut aeeepte par -des paiens, f ifrvangile 
du second -s-era rejet^ par la grande maj'orit-e les His -du 
'Royaume. 'G'est la, ineonte'st'ablement, le sens general du 
passage. Qu el r6le y joue la r^s-urrection du Fil de rhomme? 
L-a plupart d<es exe^getes libe'raux, en denonc/ant comme une 
simple glos-e 1 verset 40 -de 'saint Matthieu : 

Car tout ainsi que Jonas fut dans le ventre du poisson, 

trois jours et trois nuits, 

ainsi sera le Fils 4e rhomme 'dans le cceur de la terre, 

trois jours et tnois nmits, 

suppriment pratiquement le probleme 1 . II ne reste, en ce cas, 

1 . G'est par <exinple 'Ge *que fait A. H. Me NeMe,TAe Gospel -according to 
St Matthew., London, 1S15, j>. 182., avec sa concision itranchante : * Le ver- 
sst 40 -no peut etre authentique .: (1) iJ differe de Luc^ (2) le ^titre de Fils 
de Thomraeque Jesus s'applique a lui-ineme., arrive trop tot(voirMt., xvr, 
20) ; (3) la prediction serait inexacte, car le 'Seigneur fut dans le coeur 
de la terre > non pas trois, mais deux nuits. > Cette critique chirurgicale 
iperd de -son prestige. L''etranget6 m6me des < trois jours t trois nuits >, 
oomparee a la fopm^ule .uaiversellement repue .: < le troisieme jour (voir 
ci-dessous,p. 506, la note O a , < ftessuscite le troisieme jour ,),, rend une ,glose 
pen vraisemblable. II est tout a fait arbitraire de pr6tendre que J6sus n'a 
pu s'attribuer le titre de Fils de rhomme qu'apres la confession de Pierre. 
Quant a la difference d'a^ec le texte de saint Luc, elle s'explique au mieux 
par la citation textuelle du passage de Jonas, i, 17 (LXX, u, 1). M. Loisy, 
qui estime probablement interpole tout ce qui concerne le signe de Jonas, 
Les Evangiles Synopttques, I, p. 994, dit qu'il faut, en ce cas, renvoyer 
1'interpolation a une epoque fort ancienne, voisine de celle ou la redac- 
tion des Synoptiques peut etre consider6e comme arret6e d6fmitivement>. 
C'est reconnaitre que rien, dans la teneur du texte, ne le disqualifie. 



LA RESURRECTION U .CHRIST. 439 

dans le signe de Jonas, aucune allusion positive efc certaine 
a la resurrection. Tout au plus, dans la comparaison des deux 
missions, 1'aventure dti propheite vomi par le jpoisson oifave- 
t-elle un tenme de comparaison ittteressant avec I'evangile de 
Paques. Mais Hen ne justifi'e eette eviction, d'autant que la 
parole est caracteristique, et formulee dans des termes diffe- 
rents de ceux qui etaient universellement rieQus dans la Com- 
munaute primitive,, et qu'une glose n'aurait pas manque d'en- 
dossier. Ua =bon nombre >de critiques catholiques, -tout en 
raaintenamt.le verset^d'exipliquent comme un simple renvoi, al- 
lant a majorer, par un a fortiori, la. comparaison entre le Ghrist 
et Jonas 1 . D 'autr.es su^gerent ^qu'ici comme ailleurs, le [pre- 
mier evangeliste a pu r.eunir,, ; en Les .soudant au mpyen d'une 
transition dont il ne faudrait pas ipresser le sens, deux paroles 
du Seigneur prononc^es >en ^des temps differents,, mais ,se rap- 
portant au : m^me ob jet. Bans roes hypotheses, rallusion a la 
resurrection subsiste et garde valeur de prophetic ; mais il 
faut reconnadtre qu'elle perd de son relief. 

Nous preierons I'eiJLiBgese qui garde a la transition de saint 
Matthieu son sens aaturel, '.et ^an inot .signe i, la portee 
ordinaire qu'il a dans I'JBvangile : indice revdlateur de 1'action 
divine pour 'ceux qui sont rbons, il motive pour ceux >qui ; par 
leur faute 1'interpreteiit a contre-sens, un jugement plus .se- 
vere. Le signe de Jonas, oe sont les traits essentiels .de la 
destinee de Jdsus, apparaissant en filigrane dans rhistoire 
du vieux prophete. Gette histoire, telle qu'alors tous la 
connaissaient d'apres le livre de Jonas, c'etait d'abord la 
mission du ills d'Amifctai' a des pai'ens, et la fuite de 1'elu, 
cherohant a e soustraire aux ordres de lahve. En vain! Dans 
le vaisseau, monte aussi par des paiiens, qui Temporte, la 

1. Le .grand Maldonat a d6jci ouvert cette voie comme une issue 
possible, t plausible. Elle a ete reprise, entreautres,parA. van Hoonadker, 
Les 'Bouze Petits 'Prophttes, Paris, 1908, p. 320 suiv. Le signe de Jonas >ne 
serait pas un motif de croire propos6 aux Juifs, mais un argument qui 
les condamnerait jpdur n'avoir pas voulu croire, alors que, sur de bien 
moindres indices, les Ninivites avaient cru. Le verset 40 serait une 
simple allusion au recit biblique : * Respondeo hac explicatione nihil 
aliud Christum docere voluisse quam se esse ludaeis quod lonas fuerat 
Ninivitis, eo etiam maiorem quo maius est mortuum resurgere quam 
evomi devoratum >., Maldonat, in loc. 



440 JESUS CHRIST. 

main du Seigneur va le chercher, le force a avouer sa faute. 
Jete a la mer sur sa demande, il sauve ses compagnons par 
son sacrifice. lavhe suscite un grand poisson pour Tenglou- 
tir 7 et du fond de cet abirae, ou il reste trois jours et 
trois nuits , Jonas adresse a Dieu son fameux cantique. 
Rendu miraculeusement a la vie, il reussit a peine moms 
miraculeusement dans sa mission : princes en tdte, les Nini- 
vites se convertissent a la parole de 1'envoye de lahve, qui 
leur pardonne. Et cette misericorde pour des Gentils parait 
au Prophete excessive, abusive; il faut que Dieu ; lui rappelle, 
par- des signes palpables, qu'il est le Pere de toutes ses 
creatures. Get admirable ensemble contient tous les elements 
d'un machal, d'une de ces paraboles en action, conformed 
au genie d'Israel, comparaison et cotitraste, rayons et ombres, 
clarte pour les ames droites, et aveuglement pour les mechants. 
II n'y a pas, dans tout 1'Ancien Testament, de prophetie plus 
propre a symboliser 1'avenement tel qu'il s'est accompli, en 
Jesus et par lui, du Royaume de Dieu. Le sacrifice volontaire 
du Fils de Thomme, et jusqu'a ses repugnances humaines 
en face de la passion proche; la mort et 1'ensevelissement, 
suivis de la survie; 1'Evangile de Paques pre'che aux pai'ens, 
et reussissant parmi eux jusqu'a provoquer le scandale des 
chretiens venus d'Israel : toute cette prodigieuse aventure est 
preformee dans le livre, la personne et la mission de Jonas 
le Prophete . 

Gette generation maligne , finalement adultere , au 
sens biblique du mot, et repudiee en consequence, cherche 
des signes? Signe ne lui sera pas donne, hormis celui 
de Jonas le prophete ! Mais dans ce signe me" me, Tepisode 
majeur, autour duquel s'accomplira le grand partage, durant 
la generation apostolique, c'est le message de la resurrection, 
le Fils de 1'homme dans le cceur de la terre, trois jours et 
trois nuits , et Jesus, nouveau Jonas, echappe aux ombres 
du tombeau et a 1'etreinte de la mort : 

De Tangoisse ou j'etais, j'ai crie vers lahve et il m'exauce, 
du ventre du scheol, j'ai appele, tu ecoutes ma voix... 
et de la fosse tu fis remonter ma vie, Iahv mon 



1. Jonas, ii, 3 eilb: A. van Hoonacker, ^oc. laud., p. 331,332. 



LA RESURRECTION DU CHRIST. 441 

Toute Fantiquite chretienne 1'a compris ainsi, depuis saint 
Paul e'crivant aux Remains : Si tu confesses de bouche 
Jesus comme Seigneur, et si tu crois dans ton cceur que 
Dieu 1'a ressuscite des morts, tu seras sauve 1 , jusqu'aux 
artistes des plus anciennes Gatacombes qui ne se lassent 
pas de representer le Christ Sauveur en Jonas, rendu a la vie- 
par le monstre inexorable. Gette interpretation tire une nou- 
velle probabilite de 1'etude du signe jumeau, sur le Temple; 
reddifie. 

LE SIGNE DU TEMPLE REEDIFIE,' 

Jesus vient de chasser les vendeurs du Temple : 

Jo., H, 17-22. 

Ses disciples se souvinrent qu'il est ecrit : le zele de ta maison 
me devore. Cependant les Juifs repartirent, en lui disant : Quel 
signe nous mohtres-tu, pour agir de la sorte? Jesus repartit et 
leur dit : . 

Detruisez ce temple et en trois jours je le releverai. 
La-desus, les Juifs lui dirent : Quarante-six ans durant a ete 
edifie ce temple-ci; et toi, en trois jours, tu le releveras? Mais 
lui parlait du temple de son corps. Quand done il fut ressuscite des 
morts, ses disciples se souvinrent qu'il avait dit cela, et ils crurent 
a 1'Ecriture et a la parole qu'avait dite Jesus. 

Pendant I'interrogatoire de Jdsus, la nuit qu'il fut livre, 
on cherche des temoignages contre lui : 

Mt., xxvi, 61. Me., xiv, 57-59. 

Finalement deux (faux te- Et quelques-uns se levant, de- 
moins) s'avancerent disant : posaient faussement contre lui, 
Get homme a dit : disant : Nous 1'avons entendu- 

Je puis detruire le temple de dire : Je detruirai ce temple fait 
Dieu de main d'homme, 

et en trois jours le reedifier. et en trois jours j'en reedifierai 

un autre, non fait de main* 
d'hommo. 

1. Rom., x, 9. 



442 JJBSUS CHRIST. 

Sur le Calvaire : 

Mi., xxvii, 39-40. Me,, xv, 

Etxreux qui passaierrt la, le Et'cetixqui paseaient la, lefoa- 



'bafouaient, branlant lewr t$te { fouaient, brawlant dear $&te* et 

-et disarit : .disant : i Va -ctone ! 

Toi qui d6truis le Temple Toi qui d^truis le Temple 

et en trois jours le ree"difies, et le rdeclifies en trols jours, 

sauve-toi ! sauve j toi 

Si tu es fils de Dieu, descends en descendant de la croix'! 
-de la croix ! 

Le diacre Etienne est traine devant le Sanhedrin : Actes, vi, 13-14. 

Us presenterent des temeins menteurs qui disaieni ,: Get 
liomme-ci ne cesse de deblaterer contrele Lieu Saint et la Loi, car 
aious 1'avons entendu dire que : Ce Jesus le Nazareen detruira ce 
'Lieu-ci et changera les coutumes que Molse nous a transniises. 

Gette parole de J^s^s ieut un retentissement coasiderable, 
et son caractere enigmatique pr4ta largement a interpretation 
analigne, voire calomnieuse 2 . II va sans dire qu'en la mettant 
dans la bouche de ? faux t^moins , les .Sjnoptiques n'-enten- 
dent muMement contester Tautheiaticite du dire ;: Ffitrangete 
de celui-ci le pfece au>-dssus d'e totrt doute. Le faux temoi- 
.gnage portait sur la signification reVolutionniaire et anarc'hique 
-donnee a une parole myst^rieuse. Rien dans la carriere et 1'at- 
titude de Je"sus ne permettait (et bien au contraire) de presu- 
mer ce sens. Quant a la portee veritable de cette declaration, 
elle nous a efce livree par le quatrieme evangeliste, qui prend 
vsoin d'observer que Fintelligence de la parole ne se fit jour 
dans la t6te meme des disciples, qu'apres la resurregtion. 

1. Psaume xxn (xxi), 7; cix (cvm), 25. 

2. On pent voir, au sujet de Jo., ji, 17 suiv., J. Knabenbauer, Commen- 
>tarius inJohannem, Paris, 1898, p. 132 suiv. ; J. G. BelseiyZtas Evangelium 
des heil. Johannes, Freiburg i. B., 1905, p. 85 suiv. ; Th. Zahn, Das Evan- 
gelium des Johannes*, Leipzig, 1921, p. 172-180; R. A. Hoffmann, Das 
WortJesu von der Zerstoerung und dem Wiederaufbau des Tempels,, dans 
N. T. Studien G. Henrici... dargebracht, Leipzig, 1914, p. 130-139. Le 
.premier commentaire de M. Loisy, Le Quatritme Evangile, Paris, 1903, 
p. 288-300, est tres complet et, sur bien des points, tres penetrant. II est 
smalheureusement domine par ies vues systematiques de 1'auteur sur le 
.caractere general de 1'Evangile. 



LA RESURRECTION OH CHRIST. '443 

Jusque-la, <ce lut lettre -close $m<r leBmis, pier-re -de scandale 
pour ies adversaires. 

Le 'sigae^ en 'effet, qui <est n^e r4pliqu j e de crelw. de ' Jonas, 
eat, plus exdiusivement "encore, prophetique. II we vise Ies 
4u Sauveur *gu'en tant ^pi'ils appartienn'ent a la 
t&aoin >de la isort /et de la premiere glorifi-ca'tion 
du Fils d:6 I'homsnae. Le^s Juifs -q^ii c^nl/e^taient IB bien4ond^ 
fds pcravoirs exerc^s par fe Mattrescmt assi-g'nes a'oe^our pro- 
(cfeain : alors le myBteTe s'^ciairoira ; Ten veira de tquel ic^be 
est IB bcm4r>it... 

Le jgrand dtiel tragi^e de de l mx 'espri%s, 'le ju4afeant et 
le Jcskr6tie4i, e resume 'etse symbolise 'dans 4eux Temples. ATI 
cuite -c^liBbr4 iexclusivemeTat dans le magaMque Edifice '"(<( <qul- 
les pierres et qaelle batisse! ), Qii r^sidait, pour toal; bon 
Israelite, la gloire de la'hve, Dieu va siibstititer nne religion 
plus large, en esprit et en verite. Mais toute cette immense 
re*alitd se cache presentemenk, pour ce qui est visible, en 
Jesus : son corps est le fre'le temple ou resident, mieux que 
jaiaais dans un -edifice fait4e main d'homme, Mt-oe aiipsrix de 
quarante-six ans -d'eifforts, la gloire et Ies complaisances du 
Pere. Et a tous ces grands de chair, ! a tses UlusionniBS recla- 
mantdes signes 'dansle ciel et discutant son autori^, le 
jette ie mot profond qui est a la Ms un defi 'et une 

Detruisez ce Temple, et en trois jours je le releverai! 

II n'importe pas que Ies esprits des auditeurs s'egarent 
presentement sur 1'edifice materiel, en supputent la grandeur, 
opposent ironiquemeint aux forces pr^sum6es dti Nazareen 
Veiiormit^ de la tache qu'il aastime! Ge sont la erreurs 'd'in- 
torpretation que Jdsus n'a pas a corriger : Ies esprits droits 
ne s'y tromperont pas : celui qui parle ainsi a fait ses preuves. 
Eux attendent en paix le signe divin -annomce. L'avenir se 
chargera de donner le mot de 1'enigme, par le renverseme-nt 
de toate'S Ies vnes humaines. 1 ! 1 iferagermer, dans le tom'beau 
ou son corps, travailld jusqu'a la mort par ses ennemis, sera 
enfin depose, la gloire du Fils de Thomme. II batira sur cette 
pierre rejetee par Ies maltres officiels de 1'oeuvre, un Temple 
non fait de main d'homme, que nulle tempete ne pourra ebran- 
ler, qu la dent du temps n'entamera pas. 



444 JESUS CHRIST. 

Lea deux signes allegues par le Christ s'eclairent ainsi mu- 
tuellement, et tous deux renvoient a la resurrection. Sous les 
traits du vieux prophete jailli de 1'abime et reprenant pied sur 
le rivage des vivants, ou du nouveau Temple Sieve" de main 
divine parmi les ruines du Temple e*croule, c'est le vainqueur 
de lamort, c'est 1'auteur de la vie, c'est le Seigneur ressuscite 
qui monte sur 1'horizon e'vange'lique. Les termes restent e"nig- 
matiques pour ses disciples eux-me'mes; les indifferents s'en 
moquent; les adversaires s'en irritent pu y cherchent des armes 
centre le Maltre. Laissons ceux-ci conspirer, etceux-la brouil- 
ler. L'heure viendra, et elle est proche, ou les dires, graves 
par leur forme incisive dans la m^moire de tous, prendront 
tout leur sens a la lumiere des e*ve"nements. Alors Pierre pro- 
clamera : Sache done toute la Maison d'lsrae"! quo Dieu 1'a 
fait Seigneur et Christ, ce Jesus que vous avez mis en croix ! 

Conclusion. 

S'ajoutant aux oeuvres de sagesse et de puissance que nous- 
avons passees en revue, ce fait miraculeux les couronne, 
achevant en lignes sublimes une carriere que tout demontre 
plus qu'humaine. II y a entre la vie du Sauveur et sa resur- 
rection une harmonie interne qui rend celle-ci plus croyable. 
Le triomphe final de 1'esprit non aux depens, mais a 1'avantage 
eternel de la chair; le divorce noble en apparence *, mais au 

1. Centre ce divorce, source de tous les docetismes et de tousles gnosti- 
cismes, un contemporain fait dire aSocrate, excellemment : < Ce corps est 
un instrument admirable, dont je m'assure que les vivants, qui 1'ont tous 
a leur service, n'usentpas dans sa plenitude. Us n'en tirentque duplaisir, 
de la douleur, et des actes indispensables comme de vivre. Tantot ils se 
confondent avec lui; tantot ils oublient quelque temps son existence; et 
tantot brutes, tantot purs esprits, ils ignorent quelles liaisons universelles 
ils contiennent, et de quelle substance prodigieuse ils sont faits. Par elle 
cependant, ils participent de ce qu'ils voient et de ce qu'ils touchent : ils 
sont pierre, ils sont arbres ; ils echangent des contacts et des souffles avec 
la matiere qui les englobe. Ils touchent, ils sont touches... mon corps... 
donnez-moi de trouver dans votre alliance le sentiment des choses vraies; 
moderez, renforcez, assurez mes pensees. Tout perissable que vous soyez, 
vous 1'etes bien moins que mes songes... Instrument que vous etes de la 
vie, vous etes a chacun de nous 1'unique objet quise compare a I'univers. > 
Paul Valery, Eupalinos ou I'Archilecte, Paris, 1924, p. 117-119. Ce deve- 



LA nEsunnECTioN DXJ ctinistf. 445 

fond chime'rique et dangereux, du corps avec Fame, de'passe'; 
la victoiredu juste, dubien, du sacrifice volontaire, et toute 
justice ainsi accomplie ; la foi au Fils de Dieu motivee sans 
4tre contrainte et devenant raisonnable sans eesser d'etre 
me"ritoire : tels sont les premiers aspects religieux du message 
pascal. 

II en est d'autres qui, pour n'e"tre pas plus importants peut- 
4tre, sont mis plus explicitement en lumiere dans le christia* 
nisme ancien : mourir pour vivre ou plutdt mourir pour 
ressusciter : mourir au mal, au charnel, a F^phemere, a la 
nature e"gofste, taree et dechue, pour revivre en grace, en 
purete*, en esprit... Mais ces nouveautes, qui sont moins des 
notions chre*tiennes que le christianisme meme, appellent des 
developpements qui feront 1'objet du dernier Livre de cet 
ouvrage. Ge qu'il fallait noter des a present, c'est que la re"sur- 
rection de Jesus n'est pas seulement le symbole de ce grand 
changement : elle est le gage de sa realite, 1'assurance donnee 
par Dieu a ceux qui s'y appliquent, qu'ils ne perdront pas leur 
peine et que leur vie vaut d'etre vecue. G'est avec et par le 
Seigneur ressuscite que cette esperance a conquis le monde 
et s'irapose encore, dans une certaine mesure, et pour leur 
bonheur, a ceux qui, nes en pays chretien, ont cesse de croire 
a la realit^ dufait de la resurrection. Sousce rapport, William 
Sanday dit bien que ce fait est la pierre d'angle du mysti- 
cisme chretien * . 

G'est la ce que nul penseur ne tiendra pour negligeable et, 
moins qu'un autre, celui qui pretend juger d'une doctrine, au 
moins pafrtiellement, par ses aptitudes a contenter rintelli- 
.^ence et a guider noblement 1'action. Sans accorder a cette 
fa^on de voir une valeur decisive, et surtout exclusive, nous 
avons le droit de rappeler, a ce propos, la maxime evangelique 
qui conseille de juger 1'arbre par ses fruits ; et de marquer le 

loppement que j'abrfege k regret, rejoint la doctrine que les scolastiques 
de la grande 6poque exprimaient en disant : < 1'ame a pour le corps un 
appetit naturel , que la resurrection de la chair contentera : < anima... 
a corpore separata, est aliquo modo imperfecta, sicut omnis pars extra 
suum totum existens >. Saint Thomas, Contra Gentiles, 1. IV, ch. LXXIX, 
t parall. 

1. Jesus Christ dans DBH, II, p. 642, A. 



446 JESUS; CHRIST. 

contrast e qui existe entr& ees hautes vues; et lea fins de non- 
re cevoir opposees par nos adversaires aux eeuvres- me-rveil?- 
leuses di* Christ. Mai fondees en histoire', ces negations; ae 
sont pas r en) philosophie meme, defendables : ellesr sent le- 
relicpiat; de conceptions; determini&tes rigides^, actueM&iaent 
depassees, ou de ces soi-disant theories de 1'e'volutionnism.e 
radicaly stigmatisees par Henri Poincare dans ses; Dernidres 
Pens^es, qui se reduisent a des comparaisons groesier,es. 
conatme celles* des societes avec les organismes i . 

Jesus^ sou bien des formes a repete, il a maintenn a Ven- 
eontre des attentes passionnees de, ses disciples et des ejd- 
gences chimeriqnies de; se& adYersaires;, que la foi ne s'iraposait 
pas par des: signes: prestigieux,. et qu'il fallait porter a la- re- 
cherehe du Royaume- dei Dieu^ une vue nettoyee des mirages 
charnels, une simplicity d'enfant, une droiture, u-ne sincerite 
entieres, et 1'amour antecedent du bien entreYu. A ceux qui 
chercfent ainsi, ses ceuvres parlent assez haut. Puissent les- 
autres y trouver du moins ua motif de cultiYer en eux ces dis- 
positions, et cueillir ,, en attendant m-ieux, surcette Sagesse 
plus (ju'humaine, ce que le vieux poete a appelait le fruit im- 
parfait de I'humaine sagesse . 

1. Henri Poincar6, Dernieres Pens&s; VIII, La Morale et la Science j 
Paris, MS', p. 241. 

2. 'ATeXrj CTotpfas xapnov Spijretv, Pindare, fragment 86; 6d. A. Puecliy IV r 
Paris, 1923, p. 226. 



NOTE B* 

LE MIRACLE DANS LE BOUDDHISME ANCIEN 
ET DANS L'ISLAM 

J'ai dit tout & 1'heure, observait deja le grand Burnouf, que le 
moyen employe par C&kya pour convertir le peuple a sa doctrine 
etait, outre la superiorite de son enseignement, Feclat de ses- mira- 
cles. Les preuves d'e cette assertion se rencontrent a ehaque page 
des Sutras, et je vois sans cesse repetee cette espeee de maxime : 
Les miracles operes par une puissance surnaturelle attirent bien 
vite les Hommes ordinaires ; Introduction a V'histoire 1 dw Boudt- 
dhisme Indien, Paris, 1844, I, p. 195. 

Le progres des etudes bouddhiques a confirme ces vues en decou- 
vrant aux origines m6mes. dur Bouddftisme et anterieurement a la 
formation du Canon de ses Ecritures, le culte du Bouddlia adore 
comme un dieu : voir A. Earth-, Quarante ans d'lhdianisme 1 ,. 
GEuvres d'Auguste Bar^Psa-is, 1914-1918, I, p. 344; IV, p. 121; 
p. 323-325 : Ce que cette decouverte (des inscriptions d'Agoka 
Piyadasr, par D r Puhrer a Kapiliavastu)' etablit incontestablemeniy, 
c'est Tantiquite dans !e bouddhi'sme de son element mythologiquev 
et ell'e fournit un argument 1 de 1 . plus a eeux qui pensent ou soup^onH 
nent que le bouddhisme- a bien pu commencer par la. 

Non seulement le Bouddhisme' populairej le Bouddhisme des- 
inscriptions d'Agoka, dies Stupas et des reliques, des pelerinages, 
des legendes epiques, le Bouddhisme des laics, est suvtout une 
bhakti r ou devotion, une puja ou culte -, observe L. de la V'allee 
Poussin, mais le Bouddhisme monastique lui-meme n'est nullement 
etranger a 1'a l^gende et a Fapotheose du Bouddha, en depit de 
rimpression que certains textes de rationalistea (comme les 
appelle A. B. Keitter dkns son Buddhist Philosophy in India and 
Ceylon^ 1923) veulent incul^quer 1 . Ee i canon monastique donne tort a 
ces puristes tard venus. G'est 1'evidence meme que les moines 
furent les patrons et les- beneficiaires des pelerinages que le 
Bouddha leur ordonne comme aux laics et du culte des Stupas ; 
qu'ilis partagerent et creerent les pieuses convictions ou s'alimente 
la devotion des simples fideles-; qu'ils consignerentdans leurs-livres- 



'4'l8 JESUS CHRIST. 

mythes, legendes, hagiographie ; L. dela Yallee Poussin, Nirvdna, 
Paris, 1925, p. 2 suiv., 7 suiv. 

De m6me tout le Bouddhisme posterieur se developpe en religion 
.a dieux personnels : Le Bouddhisme imite le Brahmanisme en fai- 
rsant un dieu du Bouddha : des images du Bouddha furent dressees, 
.la devotion a sa divinite personnelle developp^e... Malgre la ten- 
dance des rigoristes, pourlesquels Cakyamouni n'etaitqu'un homme, 
plus saint et plus penetrant que les autres, un initiateur et non un 
dieu, le Petit- Vehicule lui-meme (Hinayana) se developpa en 
un polytheisme populaire : le Bouddha historique fut glorifie, et 
jneme divinise... le Bouddha est le Dieu par-dessus les dieux, deva- 
.tideva; il connait tout, il pent tout, bien qu'aucune relation ne soil 
.definieentreradorationetl'objetdu culte . Quant au Grand- Vehi- 
cule (Maha-yana), de beaucoup le plus repandu et le plus vivant, il 
-est essentiellement une religion a dieux personnels, une devotion, 
am culte; et c'est par la qu'il a conquis et, en partie, garde 1'Extreme 
.Orient. Voir S. Radhakrishnan, Indian philosophy, London, 1923, 
I, ch. x, Buddhism as a religion, p. 580-610. Les phrases citees 
.sont p. 583 et 588. 

Si Tapparition de Bouddha fut un grand tournant de 1'histoire, 
.cela vient non pas de la nouveaute de 1'enseignement, mais de 
,1'impression durable produite par une personne exceptionnelle... Ce 
-qui a agi sur les coeurs, c'est le Bouddha transfigure par 1'amour et 
^'admiration de ses dcvots. Idealisee, entourde de 1'aurdole du mer- 
veilleux, enrichie d'elements empruntes a d' autres religions, mais 
.profondement populaires, plus la personne du Bouddha dtait mise 
liors des conditions de I'liumanite, plus elle etait une force vive a 
laquelle les fideles pouvaient avoir recours. A 1'origine, le culte 
-.s'adrcsse au soul Bouddha, et sa vie estl'unique type de vie parfaite. 
Avec le temps,... un pantheon se forme et se peuple de grands dis- 
ciplcs, de saints et de bodhisattva. Paul Oltramare, L'Histoire 
des idees theosophiques dans I'Inde. II. La Theosophie bouddhique, 
Paris, 1923, p. 484. 

Mahomet, dc son cote, fait etat dans le Coran : Sour. 3, 43; 7, 
101 suiv., 160, etc., des miracles des Prophetes, ses prede"cesseurs : 
Moise et Jesus, en particulier. Pour Iui-m6me, dit D. S. Margo- 
liouth, les miracles qu'il revendique sont les victoires gag^nees par 
1'assistance des anges, et le Coran lui-mme, soit a cause de son 
contenu, naturellement inconnaissable au Prophete, soit a cause de 
son inegalable eloquence ; Muhammad, dans ERE> VIII, p. 878, B. 
Voir le Coran, Sour. 46, 1 suiv. ; 53, i suiv. Ajoutez le don de pro- 
phetic proprement dit, Coran, Sour. 30, 2 suiv. 



LE MIRACLE DANS LE BOUDDHISME ANCIEN ET DANS L'lSLAM. 449 

Des 1'origine, on a majore ces donnees par une foule de prodiges, 
dont la collection est devenue sous le litre : Preuve de la Mission, 
un lieu communde 1'apologetique musulmane. Ainsi dans le manuel 
classique de Razi, II, Theologie positive, 1 : THESE : Mahomet est 
Venvoye de Dieu. Ceci est nie par les Juifs, les Chretiens et beau- 
coup de Dahrites, etc... PREUVES DE NOTRE THESE : Mahomet a rendu 
temoignage de son inspiration prophetique, et il a fortifie ce temoi- 
gnage par le moyen de miracles. Tels sont : 1 le Goran, etc. ; 2 (le 
Prophete) nourrit une grande foule .d'hommes, avec peu de nourri- 
ture, par une merveilieuse multiplication des pains ; 3 il fit couler 
de 1'eau de ses doigts (pour abreuver son armee) ; 4 il entretint 
conversation avec des animaux incapables de parler ; et bien d'autres 
miracles qu'une tradition ininterrompue confirme, etc. M. Horten, 
Die spekulative und positive Theologie des Islam, nach Razi (f 1209) 
und ihre Kritik durch Tusi (*f* 1273), nach Originalquellen iiber- 
setzt, etc., Leipzig, 1912, p. 82, 83. 

Par ailleurs la croyance que Mahomet est monte une fois au 
ciel pendant le cours de sa vie a ete consideree pendant pres de 
douze siecles par les Musulmans comme un article essentiel de leur 
foi religieuse ; A. A. Bevan, Mohammed's Ascension in Heaven, 
dans Studien zur semitisch. Philologie und Religionsgeschiehte... 
J. Wellhausen gewidmet, Giessen, 1914, p. 51. Que cette croyance 
ait ete deliberement inculquee par le Prophete, les trois passages du 
Cor an, Sour. 81, 19 suiv. ; 53, 1-18; 17, 1 suiv., ne permettent pas 
d'en decider surement (Bevan, loc. laud., p. 51-54), mais la croyance 
generale dans le miracle est certaine, et agit des le debut, comme 
en temoignent unanimement les plus anciennes biographies de 
Mahomet. 



JliSUS CHHIBT. II. 29 



NOTE C 2 

UNE VERIFICATION SCIENTIFIQUE DU MIRACLE 
EST-ELLE POSSIBLE? 

On ne peut repondre a cette question sans, regler au prealable 
une question de vocabulaire. Bon nombre de contemporains, en effet, 
reduisent le r61e de la science a une observation coordonnee de 
la nature. Elle enregistre et classe des faits et des successions habi- 
tuelles de faits. Des qu'elle veut aller plus loin et interpreter, comme 
elle y cst naturellement conduite... elle (la pensee humaine) outre- 
passe le domaine de la Science propremeht dite, au sens ou on Ten- 
tend habituellement aujourd'hui ; Louis de Launay * . 

De meme M. Pierre, Termicr observe : Ce que, de nos jours, on 
appelle le plus communement Science, c'est la connaissance des. 
phenomenes naturels et des lois qui les regissent. Cette science des 
phenomenes naturels et de leurs lois c'est-a-dire de leurs con- 
ditions d'apparition, etc., a 1' exclusion de leurs causes parait 
aujourd'hui a beaucoup de personnes moyennement instruites, la 
seule science... II est clair que la science ainsi comprise n'aurait rien 
a nous apprendre sur les questions do causes et d'origines. Le 
domaine scientifique, ainsi compris, serait, par definition meme r 
entierement distinct du domaine philosophique et religieux 2 . 

Dans ce sens, il est manifesto qu'une verification scientifique 
du miracle, quant a 1'originalite et a la transcendance du fait, est 
impossible. Tout ce qui reste possible scicntifiquement a qui 
cmploie ce vocabulaire, c'est la constatation d'un fait nouveau, aber- 
rant, actuellement inexplicable, merveilleux . Le Savant 
comme tel, n'ira pas plus loin; mais, s'il est sage, il tiendra (conti- 
nue I'eminent geologue) pour factice, conventionnelle et, des lors, 
franchissable, la limite qui scpare, du domaine philosophique, le 
domaine particulier de n'importe quelle science . II tiendra que la 
philosophic, si elle est distincte des sciences particulicres par son 

1. Dans YEnqirfte du Figaro , 2-22 mai 1926 (cf. la revue fitudes, 5 juilleL 
1926, t. CLXXXVIII, p. 13-14); a paru aux Editions Spes , Paris, 1928. 

2. Ibid. (cf. titudes, t. CLXXXVIII, p. 19-20). 

/i50 



UNB VERIFICATION SCIENTIFIQUE DU MIRACLE EST-ELLE POSSIBLE? 451 

objet et par sa methods, n'en est pas profondement separee; que 
les conclusions des sciences particulieres doivent etre interpretees 
ct fecondees par elle . Ayant le souci, non seulement des pheno- 
menes ct des lois, mais encore des causes etdes origines, qui, pour 
lui, ne sontpaisriecessaire/nentmcomia.issa.bles , il abordera 1'inter- 
pretation philosophique et, au besoin, religieuse, des faits etonnants 
par lui constates. 

Get examen, s'il amene a reconnaitre une intervention divine, 
merite-t-il le titre de scientifique ? Surement non, si Ton restreint 
Tepithete aux limites assignees plus haut. Mais certainement oui, 
si on 1'etend, comme la plupart des auteurs anciens, aux conclusions 
correctement tirees, par la pensee reflechie, de consta,tations empi- 
riques. i 



NOTE D 2 
INVOLUTION EPIGENETIQUE ET LE MIRACLE 

On donne parfois le nom d'Evolution epigenetiqUe a I'hypothese 
transformiste suivant laquelle, sous Tinfluenee de causes voulues 
et prevues par Dieu, des formes ou forces nouvelles apparaitraient 
dans la Nature qui, jusque-la, n'y auraient preexiste que virtuel- 
lement, a 1'etat d'involution et d' implication. Fort differente dans 
son concept de la simple evolution : voir la-dessus Fr. von 
Hiigel, Eternal Life, Edinburgh, 1912, p. 268 suiv., cette construc- 
tion progressive du monde (epigenese) est compatible avec le 
transformisme theiste, generalise ou restreint : de ces differentes 
hypotheses, tres claires definitions dans R. de Sinety, Evolution- 
nisme, dans le Dictionnaire pratique des Connaissances religieu- 
ses, II, 1925, col. 101 suiv. Un catholique ne peut done refuser de 
la considerer : Pour le transformisme chretien, dit P. Teilhard 
de Chardin, 1'action creatrice de Dieu n'est plus congue comme 
poussant intrusivement ses ceuvres au milieu des etres preexis- 
tants, mais comme faisant naitre au sein des choses les termes 
successifs de son outrage, Elle n'en est ni moins essentielle, ni 
moins universelle, ni moins intime pour cela ; Le Paradoxe 
transformiste, dans Revue des Questions Scientiftques, LXXXVII, 
1925, p. 80. Voir aussi H. de Dorlodot, Le Darwinistne au point 
de vue de Vorthodoxie catholique^ I, Bruxelles, 1921. Cette hypo- 
these, entrevue sous une forme particuliere par saint Augustin : 
voir, avec precaution, Henry Woods, Augustine and Evolution, 
Santa Clara, 1924, et R. Macaigne, La Creation, Paris, 1924; ne 
parait pas repugner a 1'esprit, sinon a la lettre, de la philoso- 
phic de saint Thomas : A. D. Sertillanges, Saint Thomas d'A- 
guin 3 , 1921, II, p. 20-30. Elle semble rendre par contre plus 
malaise le discernement du miracle : F. R. Tennant, Miracle, its 
philosophical presuppositions, Cambridge, 1925, p. 44 suiv. Un 
fait considere a bon droit, en un temps, comme depassant les 
forces naturelles, peut ensuite trouver son explication dans les 
memes forces majorees, arrivees a un stade ulterieur de leur 
evolution : miracle jusqu'a cette phase, phenomene naturel au dela ! 

/i 52 



DEVOLUTION EPIGENETIOUE ET LE MIRACLE. 453 

Dans 1'hypothese du transformisme progressif athee, moniste, 
la question n'a pas de sens. Dans celle du transformisme theiste, 
la seule qui doive nous arreter, le recours a la Providence permet 
de resoudre le probleme, etant manifesto que Dieu, auteur a la 
fois du progres des forces naturelles dans leur ligne, et de Tinter- 
vention miraculeuse, ne peut permettre, touchant celle-ci, une 
meprise resultant de 1'ignorance invincible de celui-la. Outre cette 
reponse generale, reposant sur la double finalite concurrente de 
1'ordre naturel et du miracle, on observera que les progres dans 
1'evolution des puissances naturelles, a les supposer reels, etant, 
comme il conste de 1'observation directe temoignant de la stabi- 
lite ordinaire du cours des choses, extraordinairement rares, 
une coiincidence entre cette avance epigenetique et le fait candidat 
au titre de miracle, est anterieurement extremement improbable. 
Elle est, de plus, positivement excluedans tous les cas ou, poste- 
rieurement.au fait etudie, la Constance des lois naturelles sur ce 
point est demeuree certaine. 



NOTE E 2 

L COLE ESCHATOLOGIQUE : 1890-1915. 

Le mot REcole ne doit pas etre pris ici au sens abstrait, car les 
critiques qui ont, dans 1'Evangile, attribue une place preponde- 
rante a 1'element eschatologique, apocalyptique, ne forment pas 
un groupe defini, se reclamant d'un maitre, comme par exemple 
1'Ecole de F. C. Baur a Tubingen. Mais 1'idee qui les rassemble 
est assez unifiante et les amene a des conclusions generates assez 
voisines, pour qu'on puisse les ranger sous la meme denomi- 
nation. 

L'histoire de la notion eschatologique, consideree comme une 
des clefs, ou meme la clef principale de 1' interpretation des origines 
chretiennes, a ete retracee, avec competence et complaisance, par 
le plus brillant champion du groupe, Albert Schweitzer, dans son 
ouvrage fameux, Von Reimarus zu Wrede, Tubingen, 1906, 
refondu et complete sous le titre Geschichte der Leben-Jesu- 
Forschung, Tubingen, 1913, ch. xv, p. 222-235, et passim. 

Le precurseur fut le protestant franc.ais, Timothee Colani, 
professeur a Strasbourg, travaillant sur les donnees apocalyptiques 
*ournies par Dillmann, edition du Litre d'Henoeh, 1851, et Ad. 
Hilgenfeld, Judische Apokalyptik, 1857. L'ouvrage de Colani, 
Jesus-Christ et les croyances messianiques de son temps, Stras- 
bourg, 1864, influenza puissamment 1'exegese evangelique, soit 
en France, par Renan, soit en Allemagne et en Suisse, ou 
W. Weiffenbach, Der Wiederkunftsgedanke Jesu, 1873, et G. Volk- 
mar, Jesus Nazarenus und die erste christliche Zeit, 1882, repri- 
rent plusieurs de ses id6es. 

Les vrais fondateurs de 1'Ecole, au sens large defini plus haul, 
furent le professeur alsacien G. Baldensperger, Das Selbst- 
bewusstsein Jesu im Lichte der messianischen Hoffhungen seiner 
Zeit, Strasbourg, 1888, 2 1892, 3 I, 1903, et Joh. Weiss, professeur 
a Goettingen, dans son court memoire, Die Predigt Jesu vom 
Reiche Gottes, Goettingen, 1892, devenu un livre en 1900, sous 
le meme titre. 



L'ECOLE ESCHATOLOGIQUE : 1890-1915. 455 

Albert Schweitzer, enfin, ne en 1875 a Kaysersberg en Haute- 
Alsace, pasteur puis professeur a Strasbourg, et, depuis 1913, 
missionnaire au Congo, est sans contredit la figure la plus atta- 
chante du groupe. Esprit curieux et universel, musicien, philo- 
sophe, medecin, historien, il est un tenant fervent de la religion 
de 1'Esprit, et ne demande guere a 1'Evangile qu'une mystique. 
Son livre mordant et vigoureux, radical a la fois et religieux, a 
obtenu un tres vif succes, notamment en Angleterre, ou il a ete 
traduit en 1911 et a fait sensation. Les idees de 1'auteur orit eu 
d'autant plus d'influence, peut>-etre, qu'elles s'inserent, a leur 
heure, dans la trame d'un expose ou est retracee Fhistoire des 
recherches concernant les origines chretiennes, depuis Reimarus 
jusqu'en 1913. L'eschatologisme consequent explique dans la 
Geschichte der Lelen-^Jesu-Forschung, p. 390-443, ressort, nous 
dit-on, de 1'etude du probleme souleve par W. Wrede, dans son 
travail sur le secret messianique dans les Evangiles, Das Messias- 
geheimnis in den Evangelien, 1901, et par Schweitzer lui-meme, 
dans son memoire, Das Alessianitaets-und Leidensgeheimnis, paru 
la meme annee. Seulement, Wrede a mal resolu le probleme 
parce qu'il a d'avance renonce a expliquer 1'Evangile de Jesus 
par 1'apocalyptique juive de son temps . 

Les idees de J. Weiss ont fortement influence les commentaires 
de M. Alfred Loisy, Les fivangiles Synoptiques, Ceffonds, 1907, 
1908, et tous ses ecrits de cette epoque. Sans professer 1'eschato- 
logisme integral Schweitzer lui reproche cette inconsequence, et 
de n'avoir pas senti toute 1'importance des problemes souleves 
par Wrede et par moi-meme , Leben-Jesu-Forschung, p. 568 
Loisy met dans un relief singulier 1'element apocalyptique de 
1'Evangile de Jesus. II va jusqu'a revendiquer pour cet element 
la preponderance , et a faire de 1'Evangile un enseignement 
essentiellement eschatologique, enthousiaste et mystique ; Jesus 
et la tradition, 1910, p. 144, 190. 

Depuis, M. Loisy s'est fait Techo de 1'Ecole religionsgeschichtlich 
de H. Gunkel, W. Bousset, R. Reitzenstein, G. P. Wetter, etc., 
commeil s'etait, auparavant, inspire de H. J. Holtzmann, J. Reville, 
A. Julicher, etc... 

C'est en Angleterre que 1'escliatologisme a provoque le plus 
d'emotion : le nombre d' ecrits consacres a cette question est con- 
siderable, notamment entre 1904 : Lewis A. Muirhead, Eschatology 
of Jesus, Melrose, et 1914 : H. L. Jackson, The Eschatologij 
of Jesus, London. C. Emmet a repete Schweitzer dans The eschato- 
logical question in the Gospels, Edinburgh, 1911. Parmi les tra- 



456 JESUS CHRIST. 

vaux recents, il faut mentionner 1'essai incomplet, discutable, mais 
profond et original, du Baron Friedrich von Hiigel, The Apoca- 
lyptic Element in the Teaching of Jesus, paru dans ses Essays and 
Addresses on the Philosophy of Religion, l ro serie, London, 1921. 
2 1924, p. 119-143. Sur 1'auteur. je me suis explique dans RSR, XV, 
1926, p. 167 suiv. 

La vogue de l'eschatologisme ayant coincide avec la phase de la 
crise moderniste, les idees de J. Weiss et dcs autres tenants de 
1'Ecole ont ete vulgarisees, discutees et souvent faussees dans 
une quantite d'ecrits mediocres eritre 1900 et 1910. Les principaux 
autcurs modernistes : A. Loisy, G. Tyrrell, Christianity at the 
Cross Roads, London, 1909, etc., leur ont fait une tres large place. 

Les refutations et exposes n'ont pas manque du cote catholique. 
La question a ete traitee deja dans des ouvrages anciens car elle 
est aussi vieille que 1'exegese chretienne : on trouvera les opinions 
des Peres resumees dans L. Atzberger, Geschichte der Christlichen 
Eschatologie , Freiburg i. B., 1896; ou dans les Commentaires de 
J. Maldonat et de J. Knabenbauer sur le ch. xxiv de saint Mat- 
thieu. Bossuet a de tres belles pages, qui n'ont pas vieilli, dans 
ses Meditations sur PEvangile ecrites en 1695, publiees en 1731. 
journees 67 a 86. On indiquera seulement encore, comme plus 
accessibles et plus pe"netrants, les travaux du P. M. J. Lagrange. 
RBj XV, 1906, p. 382 suiv.; tivangile selon saint Marc, 1911, 
p. 310-330; fivangile selon saint Luc, 1921, p. 520-537; Evangile 
selon saint Matthieu, 1923, p. 454-474; de E. Mangenot, DBV, II, 
col. 2262-2278 (exegese), et DTC, V, col. 2054-2552 (theologie); 
d'Yves de la Briere, DAFC, I, col. 1219-1248, et de A. Lemonnyer, 
Ibid., col. 1911-1928; de Karl Weiss, Exegetisches zur Irrtumslo- 
sigkeit und Eschatologie Jesu Christi, Miinster i. W., 1916; du 
cardinal Louis Billot, ^ La Parousie, Paris, 1920; de J. Huby. 
Verbum Salutis, Evangile selon saint Marc 7 , 1927, p. 329-353. 



NOTE F 2 

CETTE GENERATION NE PASSERA PAS... 



Ainsi vous, quand vous verrez tout cela 

Connaissez qu'il est proche, aux portes. 

En verite, je vous le dis : 

Cette generation ne passera pas [o5 \a\ rcapEXOr) T\ 

avant que tout ceci n'arrive [i'w? [av] rcavca tau-ca yevY|-cai]. 

Mt., xxiv, 33-34. 

Ainsi vous aussi, quand vous verrez cela arriver [lau-ra ytvo'[j.eva], 
Connaissez qu'il est proche, aux portes. 
En verite je vous le dis : 
Cette generation ne passera pas 

devant que tout ceci n'arrive [{is^pt? o5 taura jca-na Y^Tai]. 

Me., xiii, 29-30. 

Ainsi vous aussi, quand vous verrez cela arriver [tauta ytvo'p.sva] 

Connaissez qu'est proche le Regne de Dieu. 

En verit6 je vous le dis : 

Cette generation ne passera pas 

avant que tout n'arrive [w; [av] xidtvca ylv/irai]. (Lc., xxi, 31-32.) 

Ces textes posent, on le salt, la question la plus difficile concer- 
nant les propheties de Jesus. Us semblent bien en effet annonccr 
comme certain, dans les limites de la generation alors vivante, 
1'accomplissement de tout ce qu'a predit le Christ, y compris 1'avc- 
nement du Fils de 1'homme comme Juge universel, et le rassem- 
blement de tous les homines devant son tribunal. Des lors, 1' igno- 
rance du jour et de 1'heure, dont I'affirmation suit immediatement, 
ne pourrait s'entendre que de 1'ignorance du jour precis, de 1'heure 
exacte. jour et heure devant tomber au cours de la generation 
actuelle. 

Cette difficulte est surtout d'ordre litteraire et redactionnel. Car, 
nous le vefrons, c'est moins le contenu des propheties qui la cree 
que la suite du discours, et son enchainement. Avant cVen proposer 
la solution, il convient d' examiner attentivement le sens des termes, 
et de passer brievement en revue les explications donnees a ce 
sujet. 

457 



458 JESUS CHRIST. 



ciri * 

H ysvsa avrij. 

Le mot de generation (ysvect; heb. dor) signifie habituellement, 
dans lo grec commun, race, famille, Ugnage; bref, une collectivite 
issue d'un meme sang : Moulton et Milligan, VGT, p. 122. Le sens 
biblique est analogue, et aussi etendu, notamment dans le grec des 
Scptante : J. Knabenbauer, Commentarius in Evangelium sec. 
Matthaeum, II, p. 343. 

On ne peut done debouter, par voie philologique, ceux des Peres 
anciens ou des exegetes modernes qui ont entendu 1'expression, 
dans notre passage : 

ou de la communaute des croyants, consideres comme une race, 
une famille spirituelle : Origene, Chrysostome, Theophylacte ; 

ou de la race humaine en general, de 1'humanite : saint Jerome, 
comme explication possible, ainsi quo la suivante, J. Maldonat; 

ou de la race juive, prise d'ensemble : saint Jerdme, comme 
possible, Bisping, Dorner, Knabenbauer, loc, cit.; Zorell, NT 
Lexicon, p. 105; Ferd. Prat [RSR, 1927, p. 316-324]. 

Cctte interpretation, couverte par des autorites considerables, 
est, de plus, sous sa derniere forme, plausible ct ingenieuse. Elle 
coupe la difficulte par la racine. II est manifesto en effet que, ainsi 
comprise, la parole de Jesus ne peut plus provoquer d'etonnement. 
Mais le fait seul qu'elle en a tant provoque, et depuis si longtemps, 
doit faire craindre que cette voie, si aisee, ne soit pas la plus 
sure. 

Pour mon compte, je ne pense pas pouvoir la suivre. 

1 S'il est excessif de dire, avec H. J. Holtzmann et Th. Zahn, 
que 1'expression y V a " T5f ) a toujours, dans le grec evangelique, 
le sens de generation contemporaine , il est difficile de nierque, 
dans beaucoup de cas, ce sens ne s'impose; et que, dans la plu- 
part des autres, il est le plus naturel : Preuschen-Bauer, Grie- 
chisch-Deutsches Woerterbuch zu den Schriften des NT, 2 ed., 
1925, col. 241, 242. H. B. Swete fait remarquer que si occasion- 
nellcment, dans les Septante, y V( * (dor] signifie une classe 
d'hommes sans reference a une epoque donnee, dans les evangiles 
Texpression se rapporte apparemment, en tous les cas, a la gene- 
ration a laquelle appartenait le Seigneur lui-meme : The Gospel 
according to S. Mark*, 1920. p. 315. Les epithetes qui sont donnees 
a cctte generation, et la stigmatisent par comparaison avec 
d 1 autres generations d'hommes, semblent decisives en ce sens. Par 
cxcmple, dans Mt., xi, 16 suiv. 



CETTE GENERATION NE PASSERA PAS... 459 

A qui comparerai-je cette generation-ci ? 

Elle est pareille a de petits enfants assis sur les places et qui s'interpel- 
lent en criant : 

Nous vous avons chante du gai, et vous n'avez pas dans6, 
Nous vous avons chant6 du triste, et vous n'avez pas g6mi. 
Vint en effet Jean Baptiste, ne mangeant ni ne buvant, 

et 1'on dit : Possede ! 

Vint le Fils de 1'homme, mangeant et buvant, 
et 1'on dit : Glouton, buveur, ami des publicains et des pecheurs ! 

N'est-il pas manifesto, par les exemples allegues, que cette gene- 
ration de malcontents, interpretant tout en mal, est celle meme oil 
vit le Christ? Plus clair encore est le passage ou il est dit que 
les gens de Ninive, au jour du jugement, se leveront centre cette 
generation-ci, et la condamneront, parce qu'ils se sont convertis 
a la predication de Jonas, et il y a plus que Jonas id, etc. , Mt., xn, 
39 suiv. ; Me., vin, 12; Lc., xi, 29-32. Voir aussi Mt., XVH, 17, et 
parall. : O generation sans foi et perverse, jusqu'a quand serai-je 
avec vous? Jusqu'a quand vous supporterai-je? Me., ix, 19;vm, 
38, etc. 

2 Dans le texte meme, le sens devient faible jusqu'a 1'insigni- 
fiance, si Ton entend cette generation-ci , de la race humaine 
en general, ou de 1'ensemble des croyants. La solennite de la 
declaration : En verite, je vous le dis... et de la conclusion : 
Le ciel et la terre passeront, mais mes paroles ne passeront pas , 
ne s'explique plus en ce cas. 

Si Ton entend cette generation de la race juive, qui durerait 
jusqu'a la fin, temoin vivant de la faute et du chatiment, on 
obtient un sens meilleur. Mais cette interpretation, qui ne peut se 
prevaloir d'un appui patristique aussi imposantqueles precedentes, 
est exclue, me semble-t-il, par le contexte. La question posee par 
les ap6tres, des le debut, porte sur le temps : Dis-nous quand cela 
sera ; Mt., xxiv, 3; Me., xm, 4; Lc., xxi, 7. La reponse de Jesus 
porte egalement surle temps : la parabole du figuier qui 1'introduit 
le montre a 1' evidence : Quand ses branches (du figuier) devien- 
nent tendres et que son feuillage pousse, vous connaissez que 
proche est I'ete. Ainsi vous, quand vous verrez tout cela, etc... . 
Les expressions memes employees : ou w irapeXOTj , etle contexte 
immediat imposent le sens temporel. Voir Karl Weiss, Exege- 
lisches zur Ivrtumslosigkeit und Eschatologie Jesu Chrhti, 1916, 
p. 107 suiv. 

Nous entendons par consequent rj yevea auir], de la generation 
d'hommes contemporaine du Christ. On peut. apres Swete, se 
dcmander si le mot de Yevedc n'a pas etechoisi meme a cause de son 



460 JESUS CHRIST. 

fndetcrmination 1 . Mais cotte hypotliese semble moins probable 
quand on relit lo passage dans son ensemble. 

Taira, navrot, TUVTU. 

L'autre mot important est : ceci; tout ceci; toutes ces clioses : 
Tautoc, rcavTa Tauta . En quel sens 1'entendre? 

II s'agit naturellemcnt de la reponse donnee a la question du 
debut. Et, pour Marc et Luc, la chose nesoufire pas difficulte; carle 
/ravta rauta deMc., xm, 30 est le pendant exact du TUT... iravTa de 
Me., xm, 4. Semblablement, le tout arrivera, -rcavta de Lc., xxi, 
31,faitecho auTixtrca deLc., xxi, 7. Dans les deux cas, une seule ques- 
tion est posee, qui portc exclusivement sur la ruine du Temple et 
les evenements concomitants. 

Cette interpretation, qui leve 1'obscurite principale, est d'autant 
plus plausible quo le : Quand vous verrez ces choses arriver, raCta 
Yivo'|/.eva de Me., xin, 29, etLc., xxi, 31, ne peut s'appliquer qu'aux 
signes demandes au debut par les disciples, et naturellement visi- 
bles. C'est bien de la sorte que 1'entend le Maitre dans la para- 
bole du figuier, offrant dans son eveil printanier des indices qui 
pretent a interpretation certaine. Or des signes de ce genre prece- 
deront le premier evenement> previsible et evitable, puisque Jesus 
conseille dc le fuir; tandis que 1'evenement ultimo sera foudroyant, 
inevitable, sans recours possible. 

Cette solution est la plus simple, et solidement fondee. Voir 
M. .1. Lagrange, Evangile selon saint Marc 2 , 1920, p. 324 suiv. ; 
LHubyjEvangileselonsaintMat'c 1 , 1927, p. 347, 348, etc. E. Klos- 
tcrmann, Das Markusevangelium'*, 1926, p. 148, observe justement 
la-dessus quo la reponse au quand (TCOTE) du verset Me., xm, 4, 
exige des signes visibles. II en va de meme pour le troisieme 
evangile. 

Le premier evangile presente un cas plus complique, mais dont 
1'etude achevera de mettre au clair la valour de la reponse que 
nous venons d'esquisser pour les autres Synoptiques. 

Au debut du discours, tel que le rapporte Matthieu, deux ques- 
tions sont posees distinctement : 

Dis-nous quand cela (tau-ca) sera (la ruine de Jerusalem qui 
vicnt d'etre preditc) ; 

et quel sera le signe de ton avenement (rr)? a^ Trapoucrtai;) etdela 
consommation des siecles? Mt., xxiv, 3. 

1. M. L. G. Pillion, Vie de Notre-Seigneur Jesus-Christ, III, 1922, p. 583, 
va plus loin et admet que nous devons comprendre a la lumiere de lout ce 
qui precede, que les mots : celle generation, ont en cet endroit un double sens . 



CETTE GENERATION NB PASSERA PAS... 461 



II semble, a premiere vue, que le tout ceci, Travra Tau-ca du 
verset 34, couvre les deux reponses et s'applique a la fois aux 
deux avenements, a la ruine de Jerusalem et a la Parousie finale. 

Cette impression, a vrai dire, constitue la difficulte principale 
detoutle passage; et il est instructif de voir que, parce qu'elle 
repond a leur desir de prendre en defaut 1'enseignement du Christ, 
une inference rapide et, osons le dire, superficielle, est acceptee 
pour argent comptant par les critiques d'extr^me gauche, depuis 
S. Reimarus jusqu'a nos jours. 

Une etude plus objective du texte entier, c'est-a-dire de son 
contenu, et de sa forme et structure litteraires, nous convainc, au 
contraire, que le Travra TOCUTOC de Mt., xxiv, 34 repond chez lui 
comme chez Marc et Luc au T<XUT<X de Mt., xxiv, 3, et vise exclusi- 
vement la premiere question des disciples. La seconde question 
reQoit egalement sa reponse, mais au verset 36 : wpl tt 
EXEIV/K xa\ wpa? ouSsU OIOEV. 



Mt., xxiv, 3. Mt., xxiv, 33, 34; 36. 

Elid %7v TTOTC tauta !<TT ai, oi5tW5 xai fyet? ^tav i$i\te. Travra tauira, 

yivcoffxeTC 5n IYY^? ICTTIV, ITTI Oupai?. 

'A|JL^V XfiYW b\UV OTl 

ou (x^ TtapeXOr) ^ ysvei au 



av Travta rau-ra 



x\ TI TO <rK][Utov TTJI; ar]? Trapouota? Trept Si TVJ? ^{xg'pa; ixeivrj? xal wpa? 

xal duvTeXsia? TOU aiwvo? ; ouoel? oTSsv 

ouSe ol ayY^oi "swv oupavwv 

ouSs 8 uid?, 

et [x^| 6 Trat^ip (xovo; 



Que le TtavTa Tauta s'applique a Tavenement premier du Fils de 
Thomme dont les signes avant-coureurs ont ete detailles plus 
haut, cela ressort de la nature des choses predites, et de 1'usage 
de Matthieu dans un passage parallele, oii apres avoir dit que : 
tout le sang innocent verse sur la terre, depuis le sang d'Abel le 
juste, jusqu'a celui de Zacharie, fils de Barachie, viendra, eX8r) 
sur les scribes etles Pharisiens, qui mettent le comble aux crimes 
paternels, Jesus conclut : 



VJ^EI TotuTa Travra ETTI T^JV Y ev v 
En verite, je vous le dis, 
tout ceci viendra sur cette generation-ci. Mt., xxm, 36. 

Sur ce texte, voir Ant. Malvy dans RSR, 1924, p. 539-544; et sur 
Topportunite, a cette place, de la declaration solennelle qui suit : 



462 JESUS CHRIST. 

Le ciel et la terre passeront, mes paroles ne passeront pas , 
voir supra, p. 289, 305. 

Quant a IVj %s'pa Ixsi'vv] de Mt., xxiv, 36, pour signifier le dernier 
jour, 1'avenement supreme (^ laya-cri %ep : Jo., vi, 39 suiv. ; xi, 24; 
xii. 48; I Petr., i, 5; *i %epa tout court :Mt., xxv, 13; IThess., v, 
4), c'est un terme consacre : Mt., vn, 22; Lc., xxr, 34; II Thess., i, 

10 II Tim., i, 18. 

Aux deux questions posees, fort differentes, bien qu'en conti- 
nuite, et appartenant au meme dessein de Providence, dont elles 
concernent les phases decisives, des reponses sont donnees, tres 
differentes aussi. 

Precede par des signes multiples, et partiellement lisibles. le 
premier avenement, dont la ruine de Jerusalem forme le trait 
saillant, pourra etre prevu par une sage interpretation des signes 
des temps, comme on escompte la venue de la belle saison d'apres 
1'eveil printanier d'un figuier. Et tout ceci s'accomplira au 
cours dela generation presente. Ce grand jour estproche. 

Mais (itEpl 8i) , de signe decisif touchant la Parousie finale du 
Fils de L'homme et la consommation du siecle il ne sera pas 
donne. Car de ce Jour-la, le Pere s'est reserve la connaissance, ct 

11 ne la partage avec personne. Tout ce qu'on en doit savoir, c'est 
que ce jour ne s'annoncera pas plus qu'un eclair et que le coup de 
filet enserrera dans ses mailles le genre humain tout entier. On ne 
peut mieux le comparer qu'au deluge : Mt., xxiv, 37. Le cataclysme 
alors surprit tous les contemporains de Noe, et ne laissa rien hors 
de son atteinte : il en sera ainsi de la Parousie du Fils de 
1 homme . Quant a la consommation du siecle, oruvTe^eia TOU 
aiwvo? , elle indique toujours dans Matthieu la fin du monde, et est 
invariablement consideree comme un terme eloigne : le temps de 
la moisson apres toutes les vicissitudes de la lutte entre 1'ivraie et 
le bon grain, Mt., xni, 39; la conclusion d'une longuejournee de 
peche, Mt., xm, 49 ; etenfin, en clair, Tachevement de I'ceuvre apos- 
tolique et de 1'expansion du Royaume de Dieu : Et voici, je suis 
avec vous tous les jours, jusqu'a la consommation du siecle : I'M? 
TV}; atmeXei'on; TOU atwvo; , Mt., xxvni, 20. La perspective ouverte par 
ces derniers mots n'exclut-elle pas, a elle seule, 1'interpretation qui 
attribuerait a Jesus 1'attente, et la prediction certaine, de 1'immi- 
nence du dernier jifiur? 

La structure m^me du discours, dans les divers evangelistes, est 
tres digne d'attention, par le grand nombre de traits communs, 
de paroles rythmees, de suites caracteristiques ct de points de 
repere, encore visibles quand ils sont deplaces, que tous contien- 



a CETTE GENERATION NE PASSERA PAS... 463 

nent. Cette identite du fond, pour les parties communes, ne per- 
met pas de douter qu'il y ait, a la base de notre triple synopse, 
une premiere collection des oracles de Jesus sur ce sujet, un dis- 
cours principal ou, prenant texle des batiments du Temple, le 
Maitre avail prophetise, dans le style apocalyptique qui convenait 
a ce jugement de Dieu, la ruine de Jerusalem, et ce qu'on peut 
appeler son premier avenement. De la, et peut-tre tout d'une 
haleine, il avait passe au second, a la Parousie, terme de 1'expan- 
sion du Royaume sur terre : chacun de ces faits immenses avait 
ete caracterise par des traits, dont la presence, dans nos redac- 
tions actuelles, nous a permis de distinguer les plans. 

Apres cela, une etude litteraire un peu poussee montre que cha- 
cun de nos evangelistes a la, comme ailleurs, mais plusqu'ailleurs, 
imprime sa marque propre a sa redaction. A c6te des paroles du 
Seigneur qui figurent dans la triple synopse, il en est d'autres qui 
sont propres a chaque version. Dans celle deMatthieu, cette partie 
originale, sil'on prendle discours dans son entier, c'est-a-dire en y 
comprenant le ch. xxv, qui en fait evidemment partie, egale, si elle 
ne depasse en etendue, les parties communes. Ainsi que l'a tres 
bien vu le P. Lagrange, dans le dernier des ouvrages oil il ait re- 
pris la question, fivangile selon saint Matihieu, 1923, p. 454 suiv., 
le pole principal du discours passe, chez Matthieu, du premier avene- 
ment au second. Des le debut, celui-ci est envisage, et 1'apotheose 
finale le decrit avec ampleur. II en resulte une admirable compo- 
sition , une veritable cuvTa^i; TWV xupiaxwv XOYI'WV a ce propos. Mais 
si nous observons ce qu'elle ajoute aux autres, et comment s'in- 
serent dans sa trame des paroles qui sont rapportees par Marc et 
Luc ailleurs, dans des contextes plus naturels, nous devons recon- 
naitre qu'il y a, dans ce vaste ensemble, une part de redaction 
relativement considerable. 

La comparaison de Marc et de Luc entre eux n'estpas moins 
instructive. 



NOTE G 2 

RESURRECTIONS DE MORTS DANS LES RECITS 
HELLENIQUES ET RABBINIQUES 

Sur ce theme, voici, traduit integralement et litteralement, le 
florilege collige par R. Bultmann : Die Geschichte der Synoptis- 
chen Tradition, Goettingen, 1921, p. 143. 

Resurrection de morts. 

Fiebig (Jild. Wundergesch., 36 sniv.) cite un texte de la Mechilta qui 
exprime la croyance d'apres laquelle un Rabbi pourrait ressusciter des 
morts : toutefois, je ne connais aucune histoire d'origine juive, qui raconte 
un fait de ce genre. An contraire, quelques-unes de ces histoires nous ont 
ete conservees dans la tradition hellenistique. D'apres Weinreich, 172, la 
resurrection des morts jouait un role dans la legende des philosophes : 
Heraclide le Pontique racontaitune resurrection de mort opereeparEmpe- 
docle(Diog. Laert., VIII, 6, 1) : 'HpaxXet'Sy)? [*EV y^P T * n P^ TJV arcvouv 8iY|p]<j<x- 
(AEVo? &s 2Bo!-aaOY) 'EiiTceS'ox.X^s dbrocrcefXa; TTJV vexpav avOptojtov (Weinreich, 172, 
1). Dieterich cite une formule magique jpour ressusciter les morts, 
Abraxas, 167 suiv. (Kleine Texte, 79, p. 27; Reitzenstein, Hellenist. Wun- 
dererzahl.,4.1, 3). Dans Lucien, Philops., 26, le medecin Antigonos demande: 
TI 0au[xao-cdv;... eywyap olSii Ttva (JLETJC eixodTr)V ^[j.epav rj ?j Itaipr) avaaravia, Ospa- 
ftEuaas xat Ttpb TOU Oavirou xa\ eTTEtBT) avsctr] TOV avOpconov. Et Alexandre 
d'Abonotichos Se vante qiie ivt'ous 81 xa\ rjBr) a:roOavo'yTas ivaarrlcrstE (Llicien, 
Alex., 24). 

Philostrate raconte, VitaApollon., IV, 45, une histoire detaillee. Apollo- 
nius rencontre le cercueil d'une fiancee, suivi par le fiance en larmes 
avec d'autres gens en deuil ; Apollonius ressuscite la fiancee, npoaajc[jLEvo; 
a - j7^s xa( TI acpavtos ETjetTcaSv. 

Pline raconte 1'eveil d'un homme qui semblait mort : Hist, nat., VII, 
124 (37) ; XXVI (III, 7), et la meme histoire reparait, embellie, dans Apu- 
lee, Florida, 19 (Kl. Texte, 79, 18-20). 

C'est tout, et c'est peu, quand on songe a 1'enorme masse des 
deux litteratures, rabbinique ethellenique, qui a fourni ces glanes. 
Encore perdent-elles a peu pros toute valeur de comparaison, 
quand on prend la peine de les lire dans leur contexte. 

Heraclide le Pontique, cite par Diogene Lae'rce, VIII, 11, ed. Co- 
bet-Didot, p. 220, raconte en effet, a propos de la mort d'Empedo- 
cle, que celui-ci ayant acquis de la gloire pour une femmequ'il 



RESURRECTIONS DANS LES RECIT3 HELLENfQUES ET RABBINIQUES 465 

aurait rappelee a la vie offrit un sacrifice suivi d'un banquet, au- 
quel il invita sesamis, et que, le lendemain, on le chercha en vain. 
Or le meme Diogene Laerce, a la memo place ct a pi'opos du 
meme episode, rapporte la version d'Hermippe, precise et circons- 
tanciee, d'apres laquclle, ayantgueriunecertainePanthee,femme 
(T Agrigente, dont les medecins desesperaient, Empedocle offrit un 
sacrifice enactions de graces, y invita quatre-vingts personnes , ct 
.a la suite du banquet, disparut. Suivent d'autres versions de la 
mort d'Empedocle. J. Bidez, La biographie d' Empedocle, Gand, 
1894, p. 32 suiv., voit la une simple legende. Ettor. Bignone, 
Empedocle, Studio critico, Turin, 1916, p. 72 et note, admettrait 
la guerison d'une femme tombee en catalepsie . 

La formule citee par Dieterich et Reitzenstein atteste seulement 
la croyance de certains magiciens, estimant que 1'initiation con- 
ieraitun tel pouvoir au theurge, que, par le moyen des paroles 
ineffables il ne parlait plus en homme, mais participait au pou- 
voir des dieux : yoir le texte du grand papyrus magique de Paris, 
cite par H. Hubert, Magia, dans DAGR, III, 2, p. 1510, B. 

Les citations de Lucien sont encore plus inoperantes. Dans le 
dialogue intitule le Menteur par plaisir ou I'lncredule, les person- 
n ages racontent une serie de contes incroyables, de plus fort en 
plus fort! Cleodeme vient de dire qu'il a ete visitor les enfers, ouil 
a ete presente a Pluton et a recueilli de sa bouche certaincs predic- 
lions. Qu'y a-t-il d'etonnant a cela? riposta Antigonos. Je con- 
nais bien un homme qui est ressuscite vingt jours apres qu'on 
il'avait entcrre! Je Tai soigne avant sa mort, et depuis qu'il est 
rcvenu a la vie. Et comment, lui dis-je, son corps n'a-t-il pas 
ipoum pendant ces vingt jours, et n'est-il pas mort de faim, a 
moins que vous n'ayez soigne la un autre Epimenide ( qui etait 
cense avoir dormi cinquante ans de suite)! Philopseustes, 26; 
trad. Eugene Talbot, II, p. 247. 

Pour Alexandre d'Abonotichos, Lucien le presente comme un 
maitre charlatan : II avait envoye dans les pays etrangers des 
emissaires charges de semer chez les differents peuples des bruits 
favorables... ils repandaient partout qu 1 Alexandre decouvrait et 
faisait retrouver les esclaves fugitifs et les voleurs, denongait les 
brigands, revelait les tresors caches, guerissait les malades, et 
aneme avait ressuscite quelques morts ; Alexandre ou le Faux 
Prophete, 24; Talbot, I, p. 463. Ce sont la de pures vantardises, 
donnees comme telles, et Lucien est tres capable d'avoir corse le 
dernier trait pour mieux camper son personnage. 

Pline, et apres lui, Apulee, qui I'embellit en effet, conte une 
JESUS cimisT. ii. 30 



466 JESUS CHRIST. 

Iiistoriette a 1'honneur d'Asclepiade, 1'un des princes delamede- 
cine . II rencontre un homme qu'on tenait pour mort, et qu'on se 
preparait a mettre en terre. Lui cependant 1'examine, note atten- 
tivementquelques signes, palpe et repalpe le corps de 1'homme, y 
trouve la vie qui s'y recele. Aussitot il crie : Get homme est 
vivant, etc. . Apulee, Florida, 19, ed. Paul Vallette, 1924, p. 168. 

Restele recit de Phil ostrate dans la vie d'Apollonius de Tyane, 
ecrite precisement dans un but depropagande philosophique ; voir 
plus haut, t. II, p. 219, note A 2 , Apollonius de Tyane et sa Vie . 
. Une jeune fille nubile passait pour morte, son fiance suivait lelit 
mortuaire en poussant des cris, comme il arrive quand 1'espoir d'un 
hymen a etetrompe, et Rome entiere pleuraitaveclui, car la jeune 
fille etait defamille con sulaire. Apollonius, s'etant trouve temoin 
de ce deuil, s'ecria : Posez ce lit, je me charge d'arr^ter vos 
larnies. Et il demanda le nom de la jeune fille. Presque tous les 
assistants crurent qu'il allait prononcer un discours, comme il 
s'en tient dans les funerailles pour exciter les larmes. Mais Apol- 
lonius ne fit que toucher la jeune fille et balbutier quelques mots ; 
et aussitot cette personne qu'on avait crue morte parut sortir du 
sommeil. Elle poussa un cri et revint a la maison paternelle, 
comme Alceste renduea la vie parHercule. Les parents firent pre- 
sent a Apollonius de cent cinquante mille drachmes, qu'il donna 
en dot a la jeune fille. Maintenant trouva-t-il en elle une derniere 
etincelle de vie, qui avait echappe a ceux qui la soignaient? Car on 
dit qu'il pleuvait et que le visage de la jeune fille lumait. Ou bien 
la vie etait-elle en effet eteinte, et fut-elle rallumee par Apollonius? 
Voila un probleme difficile a resoudre, non seulement pour moi, 
mais pour les assistants eux-memes ; Vie d'Apollonius, IV, 45 ; 
tr. Chassang, p. 184. Par son debut cet episode rappelle singulie- 
rement, comme une replique pedantesque et empdtee, la resurrec- 
tion du fils de la veuve de Nairn. Quoi qu'il en soit, 1'auteur lui- 
meme ne prend pas sur lui de decider si la mort de la fiancee etait 
apparente ou reelle. 

En resume, dans 1'immense masse des recits populaires ou 
legendaires de 1'Hellenisme, en depit du theme classique du retour 
des enfers, la resurrection d'un mort ne figure quasimentjamais. 
Dans les trois ou quatre traits qu'on peut citer, 1'hypothese de la 
mort apparente est defendue, ou comme certaine ou comme plau- 
sible, par le narrateur. Je ne sais sur quels textes se fonde M. Ch. 
Guignebert pour affirmer que : II y a dans la tradition pai'ennc 
des premiers temps de 1'Empire une abondance de resurrections. 
Non seulement Alexandre d'Abonotique, mais Apollonius de Tyane 



RESURRECTIONS DANS LES RECITS HELL^NIQUES ET RABB1NIQUBS. 467 

aussi ressuscite. Ce n'etait pas evidemment quelque chose d'abso- 
lument courant, mais tout de meme c'etait une chose reconnue 
comme parfaitement faisable ; Actes du Congres International 
d'Histoire des Religions de 1923, Paris, 1925, II, p. 252. On a vu ce 
qu'il faut penser des deux faits allegues. Quant aux autres, nous les 
attendons. 

La litterature rabbinique n'est pas moins pauvre. Le passage de 
la Mekilta Vajehi, ed. M. Friedmann, 1870, p. 53 b, auquel fait 
allusion P. Fiebig, Judische Wundergeschichten des NT Zeitalters, 
Tubingen, 1911, p. 36, 37, raconte apropos de la crainte reyeren- 
tielle due aux Rabbis, que Giezi, serviteur du prophete JElisee, 
charge par son maitre d'aller deposer son baton sur 1'enfant de la 
Sunamite (II (IV) Reg. iv, 29), fut interpelle par des passants : 
Ou vas-tu, Giezi ? II repondit : Rendre un mort a la vie ! 
Et comme on lui objectait que cela etait au dela de ses forces, que 
lahve seul donne ou 6te la vie, Giezi leur dit : Mon maitre 
(Rabbi) aussi tue et donne vie ! C'est la une anecdote destinee 
a rehausser la personne du grand prophete et, indirectement, 
les maitres qui ont herite de sa place et de son nom, les Rabbis. 
II ne s'ensuit nullement que ces derniers puissent, comme Elisee, 
ressusciter des morts* 

Quant aux faits de resurrection, Bultmann dit n'en connaitre 
aucun. En realite, il y en a, mais extrSmement peu, eu egard a la 
quantite d'ceuvres merveilleuses attributes aux Rabbis. P. Fietygj 
loc. laud., p. 37, mentionne le principal, mais n'en fait pas etat, 
ce recit figurant dans un morceau de basse epoque, posterieur 
aux bornes qu'il a fixees a son enquete. Strack et Billerbeck, 
KTM, I, p. 560, le citent au long sous sa double forme : il est, dans 
les deux cas, rapporte a 1'ecole du celebre maitre Jehuda ha-Nasi. 
le compilateur de la Mischna, vers 200 apres Jesus Christ, et fait 
partie du cycle d'anecdotes qui mettent le Rabbi en rapport avec 
1'empereur Antonin (sur I'identitS de cet Antonin , et 1'his- 
toricite de ces rapports : H. L. Strack, Einleitung im Talmud und 
Midras 5 , 1921, p. 133). La morale de ces deux traits est la meme : 
Aaron et ses fils , Lev., vm 10 c'est-a-dire, figurement, le 
Rabbi et ses eleves sont capables des gestes les plus extraor- 
dinaires, conformement a ce qui est ecrit, Proverbes, xxiv, 11 : 

Delivre ceux qu'on mene a la mort 
et ceux qu'on conduit au supplice, arrete-les en chemin! 

Un jour done, Antonin vint chez le Rabbi et le trouva entoure 
de ses eleves : Sont-ce la ces disciples dont tu dis merveilles ? 



468 JESUS CHRIST. 

Certes ! Et le moindre d'entre eux peut ressusciter les morts ! 
Peu de jours apres, un serviteiir d'Antonin mourut; son maitre fit 
dire au Rabbi : Envoie-moi done un de ces disciples qui font revi- 
vre les morts ! II lui depecha un de ses eleves : d'aucuns disent 
R. Simeon b. Chalaphta, qui trouva le serviteur etendu tout de son 
long, et lui dit : Comment restes-tu ainsi etendu, pendant que ton 
maitre se tient debout? Et le serviteur remua et se tint debout' 

L'autre anecdote est encore plus fantastique. Antonin avait 
un passage souterrain qui mettait sa demeure en communication 
avec celle du Rabbi : chaque jour il prenait avec lui deux esclaves, 
et tuait 1'un devant la porte du Rabbi, 1'autre devant sa propre 
porte, et, pour que ces entrevues restassent secretes, il avait dit aii 
Rabbi : Je ne veux, quand je viens chez toi, rencontrer personne. >> 
Un beau jour, cependant, il rencontra en arrivant R. Chanina b. 
Chama, un des eleves du Rabbi, et s'ecria : Ne t'ai-je pas dit : 
quand je viens chez toi, je ne veux rencontrer personne? Aussi 
bien, repondit le Rabbi, celui-ci n'est pas un homme (mais plus 
qu'un homme) ! En ce cas, dit 1'empereur, qu'il aille dire a 1'es- 
clave qui est a la porte de venir. R. Chanina alia voir, et trouva 
1'esclave mort. Tres embarrasse, il se dit : Que faire? Si je reviens 
dire que Thomme est mort, je porte un message de mauvais 
augure. Si je le laisse la, j'aurai Fair de faire peu de cas de la 
puissance imperiale! II implora done la Misericorde pour 1'esclave, 
le ramena a la vie et le fit entrer. Sur quoi Antonin : Je sais de 
reste que le dernier de ceux qui sont avec vous, remet les morts en 
vie : tout de meme, quand je viens, je ne veux rencontrer personne 
chez toi ! 

Dans la meme veine, le traite Baba Qamma (cite par Strack et 
Billerbeck, KTM, II, p. 545) dit queR. Jochanan (f 279 ap. J. C.) 
s'apercevant que Rab Kahana avait les levres pincees, s'imagina 
qu'il riait de lui. La-dessus il perdit le sens, de colere, et assena un 
tel regard a Rab Kahana, que celui-ci en mourut. Le lendemain, 
R. Jochanan dit aux Rabbis : Avez-vous vu ce que le Babylonien 
(Rab Kahana) a fait? Mais eux : C'est sa facon habituelle de 
tenir les levres ; (il n' avait done pas de mechante intention). La- 
dessus, R. Jochanan alia sur la tombe de R. Kahana, et vit un 
serpent qui 1'entourait. II lui dit : Serpent, serpent, ouvre la 
porte, pour que le maitre entre pres de son disciple ! Le serpent 
n'ouvrit pas (ne livra pas passage). II lui dit : Pour que le 
collegue entre pres de son collegue! Le serpent n'ouvrit pas. 
Pour que le disciple entre pres de son maitre ! Alors le serpent 
ouvrit. R. Jochanan implora la Misericorde (c'est-a-dire Dieu) et fit 



RESURRECTIONS DANS LES RECITS HELLENIQUES ET RABBIN1QUES. 469 

revivre Rab Kahana. II lui dit : Si j'avais su que c'etait 1'habitude 
du Maitre, je n'aurais pas perdu le sens. Maintenant le Maitre peut 
revenir parmi nous. Rab Kahana repondit : Si tu peux obtenir 
que je ne meure plus, je viens. Sinon, je ne viens pas : quand 
1'heure est passee, elle est passee ; (c'est-a-dire : le miracle ne se 
reproduirait peut-etre pas une autre fois) . II le reveilla, le redressa, 
et 1'interrogea sur tous ses doutes que Rab Kahana eclaircit. 

Desrecits encore posterieurs, pour mettre en relief les rejouis- 
sances de la fete des Purim ^ JE, X, p. 274-279, nous content que 
Raba, celebre maftre de la quatrieme generation des Amoraim, 
mort a Babylone en 352 (H. L. Strack, Einleitung, p. 145), avait 
dit qu'on doit ce jour-la s'enivrer jusqu'a ne plus distinguer entre 
les cris : Maudit soil Aman! etBenisoit Mardochee! Deux rabbis, 
Rabbah b. Nachmani et R. Ze'ira se rencontrerent done au banquet 
des Purim. Rabbah s'enivra si bien qu'il tua son collegue. Le len- 
demain, il implora la Misericorde et ressuscita sa victime. On lui 
disait dans la suite : Fasse le ciel que nous nous rencontrions un 
jour de Purim ! Mais il repondit : Les miracles ,n'ont pas lieu 
tous les jours ! . 

Ainsi completee, la collection reunie par Bultmann n'acquiert 
pas, on Tavouera, beaucoup plus de force. Dans leur contexte, ces 
traits prennent leur veritable caractere, qui est d'illustrer, d'une 
fagon frappante, une these chere aux rabbins. Us ressortissent 
plut6t a 1'apologue, au jnachal, qu'a Thistoire, et la resurrection y 
joue un role manifestement commande par le but de l'6pisode. 
Leur raret^, par ailleurs, merite reflexion, quand on sait le cas 
que les compilateurs et commentateurs de la Mischna faisaient 
du cycle biblique des miracles oper6s par les grands prophetes : 
JE, s. Y. Elijah, Elisha^ Gehazi, V, p. 122 suiv. ; 136 suiv.; 580. 



NOTE H 2 

AAIMOXEZ ET DEMONS 

Le mot oat.uwv est tres ancien, et son etymologic reste douteuse. 
On peut, avec probabilite, rattacher Sat'^wv a Saiopou, partager, dis~ 
tribuer, ce qui donne a Forigine le sens assez satisfaisant de dis- 
pensateur, distributeur, celui qui fait les parts. Voir E. Boisacq, 
Dictionnaire etymologique de la langue .grecque, 1916, p. 162. 

La monographie la plus solide reste encore celle de J. A. Hild, 
Etude sur les demons dans la lilterature et la philosophic des 
Grecs, Paris, 1881, resumee par 1'auteur : Daemon, dans DAGR, 
II, 1, p. 9-19, a completer par le savant memoire d' Andres dans le 
3 e Supplement de la RECA de Pauly-Wissowa-Kroll, Stuttgart, 
1918, col. 267-322. On peut consulter les etudes de Abt, Die Apologie 
desApuleius von Madaura unddie antike Zauberei, Giessen, 1908, 
etdeJ, Zambornino, De AntiquorumDaemonismo, Giessen, 1909, 
RVV, IV, 2 et VII, 3; Paul Vallette, L' Apologie d'Apulee, Paris, 
1908, p. 221-263; et 1'excellent Commentaire de J. P. Waltzing sur 
VApologetique de Tertullien, Liege, 1919, p. 103-116. 

Les articles de von Sybel, Daimon, dans Roscher, LGRM, I, 
col. 938, 939; de Waser, Daimon dans RECA, IV, 2, coL 2010- 
2012 ; de Ch. Michel, Les bons et les jnauvais esprits dans les 
croyances populaires de Tancienne Grece, dans RHLR, II, 1, 1910, 
p. 192-215, sontplutot decevants. 

Des chapitres de cette histoire ont ete plus completement ecrits 
en ce qui touche les Satfjiove? d'origine mortelle : iv0pw7roSai^ove<;, vexu- 
Si|xove^ dans la Psyche d'Erwin Rohde, 1893, 8 edition par F. Bol 
et 0. Weinreich, 1920; trad, anglaise W. B. Hillis, London, 1925; 
sur les manes chez les Romains, J. P. Jacobsen, Les Manes, tr. 
E. Philipot, I, Paris, 1925, p. 18-179 ; les demons a formes ani- 
males, dans le memoire de R. Wunsch, Tierdaemonen dans Ros- 
cher, LGRM, V, 1924, col. 937-953 ; les demons de Plutarque 
et, en general, des philosophes, dans B. Latzarus, Les idees reli- 
gieuses de Plutarque, Paris, 1920, ch. x, p. 98-120. 

L'ensemble des faits a comparer est commodement reuni dans 
les vingt memoires de ERE, Demons and Spirits, IV, p. 565-636. 

470 



AAIMONE2 ET DEMONS. 471 

Sur les rapports du christianisme antique avec la demonologie, 
voir Andres, Die Engel-und Daemonenlehre der griech. Apologeten 
des II lahrh. und ihre \erhaeltnis z. griech -rom. Daemojiologie, 
Paderborn, 1914. 

Dans Homere, Saipwv est, en gros, synonyme de 650?. Plus preci- 
sement, il designe la puissance souveraine a laquelle participent 
les dieux et qui regie, pour heur ou malheur, mais d'une fagon ine- 
luctable, le sort des mortels. On voit s'esquisser la le concept 
posterieurde la Fortune (Tyche). Hesiode voit dans les Saty-ove? des 
etres surhumains, des personnages de 1'age d'o'r, devenus media- 
teurs entre les liommes et les dieux. II leur prete en consequence 
un role, generalement bienveillant, de vigilance et d'intervention, 
devolu jusque-la aux seules divinites. 

Les anciens philosophes : Heraclite, Democrite', Empedocle 
appelerent encore 8ai{xwv 1'element superieur, dme ou esprit, par 
quoi rhomme participe, selon eux, au divin universel, ame unique 
de 1'univers. En ce sens, qui .rejoint 1'acception homerique pre- 
miere, et se maintiendra jusqu'au bout, notamment dans les in- 
scriptions, to Si|xovtov est a peu pres synonyme dexb ftetov : le numen 
divin, dont le sort des mortels depend, etou ce sort est inscrit. 

C'est toutefois la notion hesiodique qui connut la plus grancle 
fortune. Auxiliaires et interpretes des dieux, les Sa Cloves TrpoTto)ioi 
furent innombrables, et tres populaires : ainsi Themis, Nemesis, 
Dike, les Muses, les Parques, les Grdces, les Heures. Les plus re- 
doutables, parmi ces demons, par consequent les plus invoques, 
sont ceux qui servent d'intermediaires et de satellites aux divinites 
infernales, telles que Hades, Demeter et Core-Proserpine. Terriens 
et souterrains (chthoniens et hypochthoniens), ces demons: Hypnos, 
Thanatos, Ate, Ananke, Bia, Phobos, les Songes, les Erinyes et 
autres compagnes de la fatale Hecate dans ses courses nocturnes, 
jouent dans la Fable, et dans la croyance des peuples, un role con- 
siderable. Voir la-dessus E. Rohde, Psyche*, Append. VI et VII, 
Hekate and .the 'Exa-nxi tpacr^ofTa ; Hillis, p. 590-595. 

C'est a cette notion de demons individualises, intermediaires 
entre les dieux et les mortels, participant a la puissance des pre- 
miers et aux imperfections des seconds, que, docile peut-etre a 
une vieille inspiration prphique, se rallia Platon, dont 1'influence 
fut immense sur 1'elite pensante. II attribua formellement un de- 
mon a chaque homme, et la definition mise par lui dans la bouche de 
Socrate : rcav TO 5at(/.o'viov [jLEta^u IffTi Osou T xal OVTQTOU, Banquet, 202 D, 
lit autorite. Son disciple Xenocrate developpa la these dualistc, 
repartissant les demons en deux classes, les bons et les mauvais. 



472 JESUS CHRIST. 

Les poetes, notamment les tragiques, exploiterent le c6te pathe- 
tique de cette croyance, et firent beaucoup pour introduire dans- 
la categorie des Sai^ove*; les manes des heros, ames desincarnees 
des morts illustres. Ainsi enrichi, le monde d^monique pourvut 
d'un double, congu d'ailleurs bien diversement, mais ordinairement 
sous une forme vaguement spirituelle, le monde humain tout 
entier. On preta des demons non seulement aux heros, mais a cha- 
que individu, a chaque famille, aux lieux et aux cit6s, aux actes 
majeurs de la vie, aux professions, etc... 

Mais alors meme qu'ils furent personnifies, nommes, parfois 
nantis d'une legende et d'un culte, les Satfxov?; n'acquirent jamais le- 
relief intense des grands dieux ou des heros. Us restent plut6t des- 
influences que des figures distinctes. Les bons demons sont 
favorables, porte-bonheur, et les mediants demons , nefastes. 
redoutables : leur caractere moral est inexistant ou extremement 
faible. Commentant Virgile, Aenetd., VI, 743, Servius dit bien : 
Cum nascimur, duos genios sortimur : unus hortatur ad bona, 
alter depravat ad mala . Mais Serfius ecrivait au v e siecle de notre 
ere. Voir Andres, Daimon, dans RECA, Supplement, 3, col. 287 
suiv., sur les demons gardiens . 

Ce qu'on craint dans les demons, ce qu'onvenere, ce qu'on essaic- 
de prevenir, d'apaiser, de capter, c'est Vinslrument et I'interprete 
du mystere de nos destinees, qu'ils sont censes etre. Tout ce qui 
interessele sort des mortels, tout ce qui le presage, 1'annonce, ou 
est capable de 1'ameliorer, de le changer, de le briser, de 1'accom- 
plir, d'un mot, tout ce qui est fatidique, rentre de droit dans le 
cercle d&nonique. Sans doute, les Scupove? no font pas les destins, 
mais c'est par eux qu'on a chance d'en connaitre quelque chose, et 
de les influencer dans la mesure du possible. Bons ou mauvais- 
genies, ils sont eux-memes soumis et lies, mais par une chaine 
moms etroite, et qui permct un certain jeu dont ils peuvent nous- 
i'aire profiter, aux decisions de la Destinee, sous quelque forme 
d'ailleurs : identifie avec lavolonte de Zeus, ou anterieur et superieur 
a celle-ci, qu'on imagindt le Fatum. 

Quant a la SeiuiSaifxovta proprement dite, d'abord veneration inten- 
sive du divin, peu a peu degradee jusqu'a la superstition, avec 
toutes ses suites pueriles, morbides ou perverses, elle doit, en 
grande partie. son origine et sa deviation au culte, si repandu, des 
demons infernaux, dont elle est, a vrai dire, la forme gauche et 
scrupuleuse. 

La difference la plus essentielle entre la demonologie hellenique 
et la juive, c'est que, chez celle-ci, par suite du monotheisme con- 



AAIMONE2 BT DEMONS. 473 

sequent d' Israel, les esprits intermediaires, bienveillantsoumalins, 
n'pnt pas le caractere fatal, vaguement divin, et le plus souvent 
amoral, des oai^ovsc. Creatures proprement dites, ils restent. rebelles 
ou fideles, dans une dependance constante de lahve. 

Dans les Apocryphes contemporains du Christ, ou anterieurs, en 
remontant jusqu'aux temps macchabeens, la terminologie est encore 
tres confuse, et les conceptions melees : voir E. Mangenot dans 
DTC, IV, 1, col. 328 suiv. ; et, sur 1'angelologie du document Sa- 
docite, J. B. Frey, dans DBVS, I, col. 401. Le Lwre (FHenoch, qui 
exerga une si vaste influence, distingue deux grandes categories 
d'esprits, nettement tranchees : ceux qui sont fideles au Seigneur 
des esprits , bienveillants, bons, et ceux qui sont infideles, enne- 
mis dubien et des bons. Maisparmi ces derniers, ily a des classes 
fort differentes. Par exemple les satans des Paraboles, bien 
qu'ils soient accusateurs d'oflice des elus et adversaires-nes, peu- 
vent se presenter devant le Seigneur, et ne sont pas voues, comme 
d'autres anges dechus, aux tourments localises de 1'enfer. Voir 
F. Martin, Ze Lwre d'Henoch, p. xxvi-xxxi.Il faut observer toute- 
fois que Satan, personnage unique, estdesigne : LIV, 6, comme le 
chef des esprits celestes qui jadis pervertirent la terre ; Leon 
Gry, Les Paraboles d'Henoch, 1910, p. 59-60. En realite, 1'angelo- 
logie touffue de ce recueil tres composite, parvenu a nous a tra- 
vers une mediocre tradition litteraire, ne se laisse pas sans violence 
ramener a 1'unite. 

Par contre, et ceci est extremement notable, dans le Nouveau 
Testament, les Sctt'pove? (bien plus souvent oat[*ovi) sont toujours 
mechants, et opposes contradictoirement aux anges, instruments 
deDieu pour le bien. Les esprits, imuiJiata, quandil s'agitde demons, 
sont qualifies de malms (rowjpflf, 6 fois), impurs (dtxaOxpta, 23 fois), 
au lieu que Sat(/.ov(eff0at (13 fois), e^eiv Saifxoviov, etc., s'entendent 
d'eux-memes. Luc reunit une fois ces deux notions : lyew imufjia 
oi.oviou axaOaptou, iv, 33; mais c'est la presence de7cveu(x qui appelle 
le qualificatif. La seule exception au sens pejoratif de Satjjiovtov, et 
elle confirme la regie, puisque ce sont des Hellenes pai'ens qui par- 
lent, est dans lesActes, xvn, 18 : Et d'autres (Atheniens) disaient : 
II (Paul) semble etre un prcheur de divinites etrangeres, parce 
qu'il annoncait Jesus et la Resurrection : Sevwv SatjjLovfwv Som xa- 
TaYY^^<: ?vai. Voir sur ce texte E. Jacquier, Les Actes des Apo- 
tres, 1926, p. 524. Sur 1'usage evangelique des termes, J. Smit, 
De Daemoniacis in historia evangelica, Rome, 1913, p. 173 suiv.; 
et sur 1'usage paulinien, Ferd. Prat, La Theologie de saint Paul, 
II 6 S 1923, Note P : Anges et Demons. 



NOTE I 2 

ROIS DIVINS ET ROIS GUERISSEURS 

Une croyance existe, assez repandue et cultivee delibere*ment 
en certains pays, d'apres laquelle les rois tiennent des dieux, dont 
ils ne sont pas les simples representants, mais les descendants, 
les heritiers, et meme 1'incarnation vivante, une puissance uni- 
verselle, non encore difTerenciee. Cette croyance s'est el.aboree 
quelquefois en un systeme religieux et politique complet, dont le 
Japon shintoi'stc et 1'Egypte ancienne offrent les exemples les plus 
frappants. Sur 1'Egypte, voir en particulier A. Moret, La Royaute 
dans VEgypte primitive : Pharaon et Totem, dans Mysteres Egyp- 
tiens, Paris, 1923, p. 143-199; et Le Nil et la Civilisation Egyp- 
tienne, Paris, 1926, I, ch. in et iv; et II, ch. i et n, p. 68-219. De 
ces rdis^ successeurs des dieux et investis de leur puissance, on 
trouve ailleurs des exemples, cliez les peuples civilises, et les 
peuples dits non-civilises. 

Ces faits ont ete mis en un vif relief et expliques d'une fagon 
tres contestable, pour ne rien dire de plus, par Sir J. G. Frazer, 
dans les vastes ouvrages qu'il a consacres a la question : Lectures 
on the early History of Kingship >, reedite sous le titre The Magical 
Origin of Kings; tr. fr. P. H. Loyson, Les Origines Magiques de 
la Royaute, Paris, 1920 ; et les deux premiers volumes de 1'edition 
definitive du Rameau d'Or, The Golden Bough 3 , Part. I, The 
Magic Art and the Evolution of Kings. Les idees de Frazer ont ete 
adoptees, et adaptees a la sociologie de Durkheim, par G. Davy 
et A. Moret, Des Clans aux Empires, L' Organisation Sociale chez 
les Primitifs et dans I'Orient ancien, Paris, 1923. L'hypothese 
fondamentale est que lorsqu'un certain nombre de tribus ou clans 
totemiques, et Ton sait que pour Durkheim (car Sir J. G. Frazer 
est revenu la-dessus a des idees plus sages dans Tolemism and 
Exogamy] 1'organisation totemique est un stade pratiquement 
universel, se transforment en monarchic, le mana, le pouvoir 
magique jusque-la diffus dansle clan, se concentre dans lapersonne 
du chef unique, qui devient ainsi comme le dieu de son peuple. 

Des textes certains, inclependants de ces hypotheses et ne par- 



ROIS DIVINS ET ROI8 GUEUISSEURS. 475 

ticipant done pas a leur caducite, nous montrent en tout cas les 
Pharaons en Egypte (comme plus tard le Mikado au Japon, a cer- 
taines epoques) veneres sur terre comme la force primordiale 
des etres et des choses . ' Le Roi, enseigne a ses enfants, vers 
1' an 2. 000 avant Je"sus Christ,, un noble de la XII 6 dynastie, c'est 
le dieu Sa (la science) qui est dans les coeurs (les esprits) ; ses yeux 
explorent toute conscience; c'est Ra, il est visible par ses rayons, 
il eclaire les deux terres plus que le disque solaire, il fait germer 
la terre plus que le Nil en crue, quand il remplit les deux terres de 
force et de vie... Stele de Sehetepibra, citee par Moret, Mysteres 
figyptiens, 1923, p. 171. Cette conception qui persevera jusque 
dans le Nouvel Empire : G. Jequier, Histoire de la Civilisation 
Egyptienne, Paris, 1923, p. 283 suiv., se transmit dans une large 
mesure, avec les titres des Pharaons, aux Ptolemees. 

Dans 1 Hellenisme, c'est Philippe de Macedoine, nous disent 
les historiens grecs, qui le premier osa s'associer aux dieux 
immortels . Son fils Alexandre, non seulement continua la tra- 
dition, mais, par son immense prestige dans le monde oriental 
tout entier, 1'etablit. Elle persista pour ses successeurs, non en 
Macedoine, mais en Egypte et en Syrie. Voir E. Beuiiier, De 
divinis honoribus quos acceperunt Alexander et successores ejus, 
Paris, 1890; et Jul. Kaerst, Geschichte des Hellenismus*, Leipzig, 
1917, I, p. 476 suiv. 

A Rome, Fapotheose imperiale, timidement commencee da 
vivant de Jules Cesar, s'accomplit apres sa mort et se transmit 
depuis, non sans resistance en Occident, mais avec des conse- 
quences politiques et religieuses d'une immense portee. Voir 
E. Beurlier, Essai sur le culte rendu aux Empereurs Remains, 
Paris, 1890, ou le sujet est traite tres solidement. 

La divinite des rois. qu'elle soit congue comme heritee selon 
la conception la plus ancienne et la plus repandue, ou qu'elle se 
presente comme le resultat d'une apotheose, a pour consequence 
1'exercice d'un pouvoir divin, ou quasi divin. La-dessus, le temps, 
les caracteres differents des peuples, leur organisation sociale, 
la secularisation croissante des services, la distinction des pouvoirs 
spirituel et temporel, amenerent de grandes inegalites dans la 
pratique. L'apotheose posthume permit aux empereurs remains 
d'esquiver les requites indiscretes et les devoirs compromettants. 
Mais la meme ou le pouvoir divin du prince prit et garda un 
caractere relativement platonique, quant a son exercice extraordi- 
naire, 1'idee populaire se maintint. Dans les regions habituees aux 
rois, successeurs des dieux, comme la Syrie et surtout 1'Egypte, 



476 JESUS CHRIST. 

beaucoup croyaient ce pouvoir sans bornes. C'est ainsi qu'en 
Alexandrie deux pauvres heres, avertis par Serapis , deman. 
dcrent a Vespasien, alors candidat a 1'Empire. de les guerir, 1'un 
d'un mal d'yeux, 1'autre d'une faiblesse dela jambe (d'apresSuetone, 
Vespasieji, 7), ou dela main (d'apres Tacite, Histoires, IV, 8 et Dion 
Cassius, LXVI, 8). Les chroniqueurs assurent que le futur empe- 
reur he'sita beaucoup. Ala fin, dit Tacite, il ordonne aux medecins 
d'apprecier si cette cecite et cette paralysie pouvaient etre vaincues 
par des moyens humains. Les medecins, apres avoir developpe 
des arguments divers, repondirent que des deux infirmes, 1'un 
n'avait pas la force visuelle rongee et qu'elle reviendrait si on 
chassait 1'obstacle; 1'autre avait les articulations devices et, si on 
exerc.ait sur elles une pression salutaire, elles pourraient reprendre 
la position normale;... enfin, que si le remede etait efficace, la 
gloire en appartiendrait au prince, tandis que s'il etait vain, le 
ridicule en serait pour ces miserables. Done Vespasien, persuade 
que tout serait possible a sa fortune, ... prit un air satisfait, et, au 
milieu de la foule qui etait la, 1'attention eveillee, il executa ce qui 
lui etait prescrit (c'est-a-dire qu'il mit de sa salive sur les joues et 
autour des yeux du premier patient, et qu'il foula de son pied la 
main ou la jambe du second). Aussitot la main reprit ses fonctions, 
et 1'aveugle vit de nouveau briller le jour. Tacite, loc. cit., tr. 
II. Goelzer, 1924, p. 284. 

Nous voyons la comment s'etablit le lien entre le roi, heritier 
des dieux, et le pouvoir de guerir. C'est Serapis, le grand dieu 
guerisseur, qui envoie ses pratiques a Vespasien : si ce dernier les 
guerit, ce sera une designation divine, une adoption. Dans le 
cas, le dieu fit bien les choses : il fut pour Vespasien le plus 
ingenieux des courtisans , dit Bouche-Leclercq, Histoire de la 
Divination dans VAntiquite, HI, 1880, p. 382, qui croit a un 
artifice concerte avec les pretres de Serapis. Quoi qu'il en soit, le 
futur empereur, convaincu ou non, voulut consulter ce dieu qui 
1'avait choisi pour accomplir ses desseins; il s'enferma dans son 
temple et il y eut, parait-il, une sorte d'hallucination . G. Lafaye, 
Hisloire du Culte des Div inites d' Alexandrie, Paris, 1884, p. 60, 61. 
II n'y a pas lieu, croyons-nous, de se montrer sceptique sur la 
possibilite des faits, qui ne semblent pas depasser, dans le cas, 
les pouvoirs de la suggestion. Quant a la realite des maladies et, 
par consequent, des guerisons, le caractere politique, si manifesto 
dans tout 1'episode, ne permet pas de porter up jugement assure. 
Tacite note que ces miracula etaient destines a manifester la 
faveur celeste et la sympathie des dieux pour Vespasien , alors en 



ROIS DIVINS ET ROIS GTJERISSEURS. 477 

instance d'empire. Quand on salt 1'impudente campagne menec 
alors par Josephe en favour des Flavii, le concours de flatterie 
qui mettait tout 1'Orient aiix prises (E. Renan, L'Antechrist, p. 492), 
et enfin, quand on se souvient que le gouverneur d'Alexandrie etait 
le juif rallie Tibere Alexandre, qui avait ,pris parti pour Vespasien, 
on jugera qu'une grande reserve s'impose. 

A plus forte raison, les histoires d'aveugles gueris par Hadrien 
sont-elles negligeables. Une femme, avertie en songe de conseiller 
a 1'empereur de ne pas se tuer et privee de la vue pour ne 1' avoir 
pas fait, obeit a un second songe lui promettant la guerison si 
elle transmettait son message. Elle le transmet, et est guerie. Un 
aveugle de naissance, venu de Pannonie, guerit Tempereur de la 
fievre en le touchant et fut, du meme coup, gueri de sa cecite. Le 
compilateur Spartien, qui raconte ces episodes dans VHistoire 
Auguste (Hadrien, XXIII), ajoute que Marius Maximus, sa source 
unique apparemment, attribue lui-m&me ces prodiges a la fraude : 
quamvis Marius Maximus haec per simulationem facta comme- 
moret . L'entourage du prince, voulant le detourner du suicide, 
avait imagine ces artifices. 

La conception religieuse de 1'autorite commise a Tempereur, 

chef designe par la Divinite, survecut, on le sait, au paganisme. 

Elle passa a Constantin et a ses successeur,s Chretiens, de la Rome 

ancienne et de la seconde Rome, Byzance. Les empereurs, dit 

justement Alb. Grenier, persisterent a considerer la direction des 

hoses religieuses comme Tune des fonctions essentielles de leur 

pouvoir ; Le Genie Romain dans la Religion, la Pensee et I' Art, 

Paris, 1925, p. 461. 

II ne faut pas toutefois abuser de cette constatation et croire 
que rien ne fut change, ou conclure de la survivance des formes a 
1'identite des pensees qu'elles traduisent : les rites evoluent plus 
lentement que les croyances; des ceremonies, des formules, qui 
furent d'abord une liturgie, peuvent se degrader et devenir enfm 
un protocole. Voir la-dessus les observations decisives de L. Brehicr 
ct P. Batiffol, Les Survivances du, Culle imperial romain a 
Vepoque chretienne et byzantine, A pj'opos des rites shintoi'stes, 
Paris, 1920. 

Pareillement, dans le cas si interessant des rois thaumaturges, 
en France et en Angleterre, doit-on se garder de voir une suite, 
ou une replique a pcine demarquee des rois successeurs des dieux 
ct, comme tels, guerisseurs. L'auteur du plus recent memoire sur 
la question, M. Marc Bloch, resiste avec une sagesse meritoire aux 



478 JESUS CHIUST. 

inductions aventureuses de Sir J. G. Frazer et de son ecole. Sans 
doute, certains princes de la famille de Clovis, et plus encore les 
Carolingiens, se reclamerent-ils des traditions imperiales, et des 
prerogatives attachees a cette fonction, crue de droit divin. Mais 
parmi les prerogatives, <jue la conception chretienne rattacha 
vers le vii e -vm e siecle, non plus au sang ou a une designation 
immediate, mais a la ceremonie biblique et quasi sacerdotale du 
sacre, de 1'onction, le pouvoir de guerir les malades ne figure pas. 
Aussi le seul lien retenu par 1'histoire des rois thaumaturges entre 
la conception ancienne et celle qui prevalut en Angleterre et en 
France, a partir du x siecle, est-il celui du sacre . L'onction 
chrismatique des rois Chretiens, en les faisant passer dans cette 
categoric du sacre , les aurait rendus aptes a 6tre les instru- 
ments privilegies de la Divinite. Dans cette generalite, la these 
est incontestable, mais ces considerations ne suffisent pas a 
expliquer, comme M. Blochle reconnait de bonne grace, 1'appa- 
rition en France et en Angleterre du rite du toucher miraculeux. 
Sur tout cela, Marc Bloch, Les Rois Thaumaturges } Etude sur le 
Caraclere surnaturel attribue a la Puissance royale, particulie- 
reinent en France et en Angleterre, Strasbourg et Paris, 1924, 
ch. n, p. 51-75. Ibid., bibliographic complete du sujet, p. 1-14. 

Les premiers rois dont nous sachions qu'ils aient revendique 
comme possedant, au titre royal r hereditaire, en tant que represen- 
tarits et christs du Seigneur , le don de guerir en les touchant 
les malades atteints des ecrouelles (affection scrofuleuse, adenite 
tubcrculeuse ganglionnaire), sont : en France, Philippe I or (1060- 
1108). petit-fils de Robert II, considere lui-meme comme thauma- 
turge sans qu'on puisse dire si son pouvoir en ce point venait 
de sa 1'onction royale ou de sa saintete personnelle ; et en Angle- 
terre. Henri I er Beauclerc, devenu roi en 1100, dont le pouvoir 
guerisseur remontait, selon la version officielle, sans doute pos- 
terieure. au roi Edouard le Confesseur. Quoi qu'il en soit de leur 
origine. les deux traditions se maintinrent pendant tout leMoyen 
Age, et an dela meme, interrompues seulement en Angleterre par 
la Rei'ormc, en France par la Revolution. Encore, un dernier 
toucher du roi eut-il lieu a Reims, le 31 mars 1825, apres le 
sacre de Charles X. 

Nous n'avons pas a raconter ici 1'histoire de ce rite, qui fut imite 
en d'autres contrees chretiennes, mais sporadiquement. En Angle- 
terre et en France, au contraire, il se pratiqua pendant de longs 
siecles, regulierement, officiellement, provoquant des emotions, 
des pelerinages, des guerisons; tout un cycle d'habitudes, de 



HOIS DIVINS ET ROIS GUERISSEURS. 479 

crpyances et de legendes. On trouvera les details, avec 1'indication 
des sources, dans les Rois Thaumaturges de M. Bloch, livre II, 
p. 89-409. 

Le seul point qui doive nous arreter ici, c'est qu'entre le don 
divin, charismatique, exerce paries rois de France et d'Angleterre, 
de guerir par le toucher un certain genre de maladies on attri- 
buera posterieurement un pouvoir thaumaturgique a 1'eau dans 
laquelle le roi s'etait lave les mains apres avoir touche les scro- 
fuleux, ou aux pieces de monnaie remises a ceux qui venaient se 
faire guerir et le pouvoir illimite, attribue jadis aux Rois, suc- 
cesseurs des dieux, il n'y a continuite ni historique, ni logique. 
Tout au plus, les deux traditions ont-elles en commun la croyance 
que le roi legitime, 1'clu de Dieu, possede par le fait meme un 
caractere sacre et des prerogatives tres speciales, allant parfois 
jusqu'au miracle. 

Mais tandis que Fancienne conception place le prince dans 
1'ordre divin, la conception chretienne maintient les distances, 
et fait remonter le bienfait a sa source, la mediation royale etant 
tout instrumentalc. La formule en usage, dans le rite franc,ais, 
depuis le xvi e siccle : Le Roi te touche, Dieute guerit , exprime 
ce que les gestes traditionnels : priere anterieure, imploration, 
beniediction, paroles saintes et devotes , etc., contenaient depuis 
toujours. Voir M. Bloch, Les Rois Thaumaturges, p. 90 suiv. sur 
les rites frangais et anglais, avec les textes cites. Quoi qu'on doive 
done penser de la realite des faits et il est difficile de les revo- 
quer tous en doute, en face du nombre, de la continuite et de la 
diversite des temoignages les Rois Chretiens guerisseurs ne 
doivent pas etre confondus avec les Rois divins d'Egypte et 
d'ailleurs. 



NOTE Jo 

LA FOI QUI GUERIT 

L'expression est nouvelle, mais Tidee ancienne. Charcot, qui 
Ta mise a la mode sur la fin du xix e siecle, attachait au role de 
la foi dans les cures de cette sorte, une efficacite exclusivement 
humaine. II s'agit pour lui (et pour tous ceux qui adherent a la 
philosophic positiviste) d'une variete particulierement interessante 
<le la guerison par suggestion. Envisagee de ce biais, la ques- 
tion appartient a la note suivante : La Suggestion Victorieuse, 

Mais un tres grand nombre d'hommes, autrefois et aujourd'hui, 
tiennent que la foi qui guerit quelque role instrumental qu'ils 
lui assignent est une foi d'ordre religieux, incommensurable 
avec la confiance simplement naturelle dont se servent les mede- 
cins et les magnetiseurs. C'est de cette conception, et d'elle seule, 
que nous traiterons ici. 

Toute Tantiquite hellenique a cru, meme apres qu'un art medical 
issu d'observations precises et usant de remedes profanes se fut 
constitue, que 1'invocation aux dieux, a certains dieux surtout, 
proposes a ce genre d'intervention, pouvait guerir. Des rites, des 
pratiques tenant a la fois de la religion et de la therapeutique, 
moitie devotion et moitie regime, se constituerent en certains 
lieux : imaginons un centre de pelerinage qui serait en meme 
temps une ville d'eaux. Des temples, pourvus de vastes depen- 
dences, s'offraient aux clients, plus ou moins interesses, des dieux 
guerisseurs. Le Serapeum que les Alexandrins eleverent dans 
Memphis aupres du temple egyptien d'Osor-Api, se composait, 
outre Tedifice principal, d'un vaste pastophorion contenant les 
cellules des cenobites 4 , d'un hemicycle ou figuraient des statues 
de philosophes grecs, et de plusieurs chapelles accessoires con- 

1. Sur ces reclu?, qui ont fait divaguer tant d'erudits, voir les dtudes si 
consciencieuses de Ph. Gobillot, Les origines du Monachisme chretien et 
I'ancienne religion de fEgyple, dans RSR, IX, 1920, p. 303 suiv., XII, 1921, 
p. 2i suiv., 168 suiv., 328 suiv.; XIII, 1922, p. 46 suiv. 
480 



LA FOI QUI GUERIT. 481 

sacrees & Esculape, A Anubis fit a Astarte". On y deposait des 
candelabres et autres offrandes et des inscriptions grecques gravees 
sur des tables en pierre rappelaient les noms des bienfaiteurs. On 
y tenait un marche* a 1'interieur meme, et peut-tre y logeait-on les 
etrangers qui "venarent des pays voisins, y faire leurs devotions ou 
chercher une guerison ; G. Lafaye, Histoire du Culte des divi- 
nites d'Alexandrie, Se'rapis, his, Harpocrate et Anubis, hors de 
FEgypte, 1884, p 176. 

Les grands dieux guerisseurs, grands par la fortune plus que 
par 1'origine : Asklepios (Esculape) et Serapis, secondes par d'in- 
nombrables bons demons (dont Tun ou 1'autre, Hygee et Panacee, 
par 'exemple, filles d'AsMepios, et 1'absurde serpent Glykon, con- 
nurent des heures de gloire) avaient leurs sanctuaires a eux^ con- 
siderables et achalandes. Ceux d'JEpidaure t d'Athenes (Ascle- 
pieions), celui d'Alexandrie (Serapeuni), furent particulierement 
celebres. Des fouilles heureuses ont permis de restituer, avec 
une haute proba'bilite, le plan et les parlieularites du premier, le 
fameux Hieron d'Epidaure ; voir le magnifique Epidaure, Restau- 
ration et Description des principaux monuments du sanctuaire 
d'Asclepios, par A. Deifrasse et H. Lechat, Paris, 1895. On a pu 
retrouver 1'emplacement, maintenant dess^che, du puits sacre; 
determiner les grandes lignes du temple, du dortoir (abaton) ou les 
pelerins venaient pratiquer le rite d'incubation (lYxot'(XYi<ji?), c'est- 
-a-dire reposer dans 1'attente des communications du dieu, gene\ 
ralement faites au cours d'un songe. Tout un monde de ministres 
d'Asclepios, mi-pretres, mi-empiriques, vivait aux entours du 
Hieron, et de lui. 

Dans 1'enceinte sacree, six steles de calcaire fin et dur, se dres- 
-saient, veritables archives lapidaires, portant, graves en lettres du 
iv e siecle avant Jesus Christ, les recits des plus beaux miracles : les 
<Guerisons operees par Apollon et par Asklepios. De ces steles, 
deux ont e"te retrouvees, la premiere en fort bon etat, la seconde, 
encore lisible dans la plus grande partie de son texte; plus, des 
.fragments des autres. Ge document si interessant mentionne, en 
chapelet d'anecdotes detachees, dans un style plein de bonhomie, 
et sous un titre aidant la memoire, 43 prodiges (t'raduction inte- 
grale dans ^pidaure^ p. 142-148). II y a la des historiettes mani- 
festement fabuleuses, comme celle-ci, la premiere : 

Cle'6 fut cinq ans enceinte. 

II n'y a pas lieu d'admirer la grandeur du tableau (votif), mais admirez 
la divhrite : pendant cinq ans Cleo porta dans son sein le poids de son 
enfant, et enfin elle vint dormir ici et le dieu lui rendit la sani6. 

JESUS CHRIST. II. 31 



482 JESUS CHRIST. 

D'autres ressemblent a des canto's populaires. En voici une 
tres jolie : - 

La Coupe. 

Un esclave, le dos charge^ allait au Hieron ; quand il en fut a quelque 
dix stades, il tomba par terre. Apres s'etre releve, il ouvrit son sac et 
constata que tout etait en morceaux; et, en voyant brisee la coupe ou 
son maitre buvait d'habitude, il se d6sola et, s'asseyant, tacha de rajuster 
les tessons. Un voyageur qui le vit lui dit : < Ah ! malheureux, pourquoi 
perdre ta peine a rajuster cette coupe ? Pas meme le dieu d'Epidaure, 
Asklepios, ne pourrait la guerir. > A ces mots le garcon remit les tessons 
dans son sac, et se rendit au Hieron ; quand il fut arrive, il ouvrit le sac et 
en retira la coupe guerie ! II racohta a son maitre ce qui s'etait fait et 
s'etait dit, et le maitre, 1'ayant appris, offrit la coupe au dieu. 

D'autres enfin narrent des guerisons : 

Alketas d'Holike. 

Cet homme, etant aveugle, eut un songe ; il lui semblait que le dieu, 
s'approchant de lui, lui ouvrait les yeux avec les doigts, et il voyait pour 
la premiere fois les arbres du Hieron. Le jour venu, il sortit gueri. 

Thyson d'Hermione, enfant aveugle. 

Cet enfant (ceci est un fait r6el [c'est-a-dire, non accompli en songe, 
comme les autres]), fut soigne par un des chiens du Hi6ron qui lui lecha 
les yeux, et il s'en alia gu6ri. 

Ces recits, destines a exalter la foi des pelerins, sont naturelle- 
ment inverifiables. Quand et comment s'est constitu6 ce cycle? 
M. Lechat, dont nous avons cite" 1'elegante traduction, pense que, 
pour quelques episodes, les pretres se sont servis des inscriptions 
votives, les resserrant et les stylisant (c'est manifestement le cas 
pour I'histoire de Cleo, qui ouvre toute la serie). Mais la plupart, 
pense-t-il, proviennent de traditions orales, histoires extraordi- 
naires, tresanciennes, nees onne sait comment, on ne sait ou, mais 
racontees avec des details precis par des gens qui, a la fin, croyaient 
fermement avoir ete temoins de la chose . Epidaure, p. 149. 

La popularite des dieux guerisseurs fut immense : leur culte 
finit par s'etablir, chapelle preferee du vaste temple, dans les 
lieux saints les plus celebres du monde hellenique. Des divinites 
armees et, a 1'origine. redoutables, Artemis a Ephese, Apollon a 
Claros, virentleur culte s'humaniser et leurs titres s'enrichir d'in- 
vocations empruntees aux humbles 6eot cumipe? xal ITT^XOOI. Voir 
Ch. Picard, Ephese et Claros, Recherches sur les sanctuaires et 
les Cultes de I'lonie, Paris, 1922, p. 382 suiv. , 389 suiv. Ailleurs, 
a Delos par exemple, les guerisseurs egyptiens eurent leurs 



LA FOI QUI GUERIT. 483 

temples a eux, qui hrent une serieuse concurrence au sanctuaire 
principal : Pierre Roussel, Delos, Paris, 1925, p. 33 suiv. 

Peii a peu, le caractere merveilleux de ces cures s'attenua et, 
dit H. Lechat, le Hieron tourne a la station thermale : on y suit 
des traitements, on y vient faire une cure , $pidaure f p. 154. 

Les descriptions les plus etendues de ces milieux, ou pelerins 
et malades venaicnt en foule chercher un soulagement a leurs 
maux corporels, et dont Aristophane a trace une image caricaturale 
mais prise sur le vif, Plutus, v. 653-763, se trouvent dans les six 
Discours sacres d'Aelius Aristide, contemporain de Marc Aurele. 
Nevrose, vaniteux jusqu'a 1'inconscience, ce rh&eur hypocondre 
nourrit une devotion presque touchante envers Askl^pios, sau- 
veur universel et gardien des immortels , qu'il ne balance pas 
a egaler, dans son culte, a Zeus lui-meme : Discours XLH, 4, ed. 
B. Keil; dans A. Boulanger, Aelius Aristide, Paris, 1923, p. 191. 
C'est qu'Aristide doit au grand dieu guerisseur une sante precaire, 
reconquise par une suite de regimes et pelerinages accomplis a 
Pergame, a Gyzique, a Ephese, etc., avec force bains paradoxaux 
dans la mer, dans les rivieres et les piscines, des incubations , 
des songes et des remedes infiniment plus prosai'ques. La cure 
dura d'abord neuf ans entiers, puis apres une amelioration, reprit 
jusqu'a la fin de la vie du sophiste : son journal de malade, bien 
qu'incomplet, represente trente mille lignes d'ecriture ! C'est dire 
qu'on doit remercier M. Andre Boulanger de les avoir lues, et 
resumees a notre avantage, avec de longs extraits, loc. laud., p. 163- 
210 ; et sur la chronologic, p. 469 suiv. 

A travers ce fatras, dont la longue inscription de Julius Apellas 
a Epidaure, publiee en 1883 ettraduite integralement par H* Lechat, 
Epidaure, p. 152-153, offre, dans son raccourci, un pendant exact, 
on distingue les traits des clients habituels d'Esculape, de Sera- 
pis, et de la menue monnaie de ces dieux : une credulite a peu 
pres sans bornes, une imagination tres vive, accompagnee d'une 
foi nai've et exigeante chez le patient ; des medications variees : 
dietes, lustrations, hydro therapie, regimes, mais encore toute une 
pharmacopee de remedes compliques et saugrenus' , quelquefois 
meilleurs : Mets du miel dans ton lait pour qu'il soit purgatif ; 
Inscription d 1 Apellas. C'est generalement en songe que le dieu 
marque ses volontes et donne ses consultations : parlbis en clair, 
parfois en visions, que le personnel attache au temple se char- 
gera d'interpreter. Des guerisons obtenues sont constatees par des 
ex-voto; une quantite d'yeux, de mains, de pieds, etc., represen- 
tant les membres de patients gueris etaient gardes dans les depen- 



484 JESUS CHRIST. 

dances des sanctuaires et plusieurs ont ete retrouves. On ne peut 
douter que de nombreux maux aient ete ameliores et gueris 
dans les Asclepieions et les Se*rapeums. A en juger par la dys- 
pepsie d'Apellas et la nevrose multiforme d'Aelius Aristide, 
deux enthousiastes de ces cures, la guerison etait parfois tres 
laborieuse, precaire et obtenue au prix d'une longue medication. 

La foi qui gu6rit a survecu au paganisme et fleurit en notre 
temps, dans les pays surtout ou les croyances eVangeliques pri- 
mitives a la foi qui sauve et a la vertu sans limite de la Parole de 
Dieu, subsistent encore en 1'esprit de beaucoup d'hommes, eman- 
cipes par ailleurs de tout contr61e ecclesiastique autorise. 

Le plus caracteristique des mouvements contemporains, le plus 
connu aussi, juxtapose dans son titre meme les deux elements, 
religieux et medical (il faut, dans le cas, dire : empirique), signa- 
les dans les cultes antiques des dieux guerisseurs. L'histoire de 
la Science Chretienne (The Christian Science] est encore a ecrire : 
et il est bon de savoir que les notices officielles, inserees dans les 
recueils de valeur, comme The Encyclopedia Americana, New- 
York et Chicago, 1922, articles Christian Science, VI, p. 612 suiv., 
Eddy, IX, p. 577 suiv., et meme VERB, Christian Science, III, 
p. 576 suiv., sont a la fois lacunaires et tendancieuses. On trou- 
vera des exposes objectifs, non expurges, dans H. Thurston, 
Christian Science, London, 1910; L. Roure, Au pays de I'Occul- 
tisme, Paris, 1925, p. 85-127. Du point de vue medical, D r Stephen 
Paget, The Faith and Works of Christian Science, by the Author 
of Confessio Medici, London, 1909 ; Pierre Janet, Les Medications 
Psychologiques, I, Paris, 1909. 

La Christian Science est 1'ceuvre d'une femme, Mary Beker, nee 
en 1821 a Bow, New Hampshire, U. S. A., morte presque nona- 
genaire en 1910, et devenue par son troisieme mariage (G. W. 
Glover, en 1843, meurt 1'annee meme; D. S. Patterson en 1853 : 
divorce obtenu en 1873 ; A. G. Eddy en 1877, meurt en 1882) 
Madame Eddy. Tres sensible, mediocrement instruite, ayant une 
longue pratique du spiritisme, guerie elle-meme d'une maladie 
fonctionnelle consecutive a une chute sur la glace, par le celebre 
magnetiseur Ph. P. Quimby (mort en 1866), qui luilegua ses papiers 
et dont elle demarqua les methodes, Mrs Eddy commenga vers 
1865-1870 a pratiquer la mind-cure. Son originalite, et la cause 
principale de son succes, fut d'unir etroitcment, aux precedes de 
la therapeutique par suggestion, alors comme aujourd'hui floris- 
sante en Amerique, 1'evangelisme litteral, et de donner ainsi une 
base biblique, religieuse, on n'ose dire philosophique, car la 



LA FOI QUI GU^RIT. 485 

partie the"orique de la Christian Science est miserable, a un 
mouvement qui, sans cela, aurait eu le sort de tant d'autres. Favo- 
rise"e par la longe"vite et rhabilete" de Mrs Eddy, propagee par son 
manuel qui se donne pour une revelation, Science and Health 
with Key to the Scriptures, 1875, 1'^glise scientiste a pris un vaste 
essor qui commence settlement a faiblir. Les statistiques officielles de 
1918 accusentl.766.groupes d'adherents, dont 1.582 aux Etats-Unis. 
Les principes thdologiques, longuement de'veloppe's dans les 
exposes officiels, ou la regie est de se desolidariser de 1'empi- 
risme originel, sont ne"gligeables. C'est une forme, entre cent 
autres, de 1'e'vange'lisme liberal, choisissant, pour des raisons d'op- 
portunite", dans la revelation chretienne, un certain nombre de 
doctrines, et rejetant le reste. Le point inte"ressant est la croyance 
hautement professee, et raise sous le patronage de Jesus, sous la 
sauvegarde des textes 6vangeliques choisis et interpretes ad hoc, 
que le mal, sous toutes ses formes, en particulier maladie, infir- 
mite" et mort, est une illusion, comme la matiere m&me qui lui 
sert de support et de pedoncule. II s'ensuit que la maladie et la 
mort n'existent que par une erreur pernicieuse, fruit d'un esprit 
materialise. La cure consiste done a se remettre laborieuse- 
ment, et par voie surtout de croyance vehementement excitee en 
I'enseignement (suppose) de Je'sus, et a son exemple dans la 
verite. Alors le mal, meme physique, disparaitra aussi naturelr 
lement et aussi necessairement que les t6nebres devant la 
lumiere ; Science and Healthy VI. C'est tres simple, on le voit, 
et les commentaires, partiellement scientistes, partiellement mille- 
naristes, recouvrant les formules chr6tiennes, eVangeliques, d'une 
vegetation incoherente, y ajoutent peu. Les quatre propositions 
soi-disant e" videntes dela Metaphysique divine sont les suivantes: 

God is All in all. Dieu est Tout en tout. 

God is good, good is mind. Dieu est bon ; bon est 1'entende- 

ment. 

God spirit being all, Dieu esprit etant tout, 

nothing is matter. rien n'est matiere. 

Life, God, omnipotent, good, deny Vie, Dieu, omnipotent, bon, nient 

death, evil, sin, disease. mort, mal, p6che, maladie. 

II est inutile d'insister. Ces formules puissamment suggerees, 
tirant un surcroit de force persuasive du fond de croyance eVan- 
gelique qui survit dans un tres grand nombre d'ames, en ces pays, 
atoute foi positive, sont mises au service des proced^s classiques 
de therapeutique mentale, dont ils majorent I'efficacite. II n'y a 
done pas lieu de nier la'possibilite de faits de redressement et de 



486 JESUS CHRIST. 

guerison ; mais on a le devoir de so tenir en garde contre les 
recueils officiels de prodiges publics par la Christian Science. 
Apres enquete serieuse, une autoritd m^dicale, le D r Stephen Paget, 
conclut : II est elair par ces exemples, et le precedent chapitre, 
que la Christian Science accepte toute espece de te"moignages, 
meme les plus fantastiques et les plus obtus. Qu'elle embellit ce 
qu'elle public. Qu'elle elude les verifications. Que sa prevention 
de guerir des maladies organiques fond sous 1'application des 
regies les plus elementaires de la critique, Qu'elle guerit des mala- 
dies fonctionnelles . Qu'elle n'a jamais ope're' et n'operera 
jamais de cures autres que celles qui ont et6 obtenues, 
cent mille.fois, par la therapeutique mentale. Depuis I'elevation du 
serpent d'airain dans le desert, et les gue"risons dans le temple 
d'Esculape, 1'humanite s'est servie, pour heur ou malheur, de the- 
rapeutiques mentales. Nous vivons et nous nous mouvons dans 
une atmosphere de suggestion ; nous subissons la suggestion de 
nos berceaux a nos tombes. The Faith and Works of Christian 
Science, London, 1909, p. 165, 166. 

Nous avons donne quelques details sur la Science Chr6tienne, soit 

a cause de son succes, soit parce que ce mouvement nous semble 

representer excellemment (et c'est sa seule excellence) la foi qui 

gue>it, sous sa forme moyenne, celle qui melange, en proportions 

acceptables au grand public, la cure mentale et le ressort de foi 

religieuse.il existe,.dans les pays anglo-saxons, et aussi ailleurs, 

d'innombrables 6coles ou sectes, analogues et parfois sorties d'elle. 

Les unes, telles que VEmmanuelism en Amerique et, en Angle- 

terre, le New Thought Movement (la-dessus, H. Thurston, The 

New Thought Movement dans The Month, CXXX, CXXXI, oct. 

et nov. 1917, janv. 1918) ; en France, les Amities Spirituelles de 

Sedir (la-dessus L. Roure, Les Amities Spirituelles de Sedir, 

dans Au Pays de I'Occultisme, Paris, 1925, p. 168-201), sont plus 

sobres, plus sages, au-dessus, en somme, dela Christian Science. 

D'autres, comme VAntoinisme, secte fondee vers 1880 par le mi- 

neurliegeois Louis Antoine (voir L. Roure, Ibid., p. 146-167) ; ou 

le prophetisme delirant de J. Al. Dowie, qui s^vit a New- York 

vers 1900-1905, sont tres au-dessous et rentrent dans ces parties 

honteuses des archives humaines qui sont un scandale pour 1'es- 

prit. Mais en tous ces mouvements, deux facteurs psychologiques 

puissants qu'ils agissent dans un temple correct ou un bouge 

se rencontrent, qui leur assurent une certaine vitalite : la foi reli- 

gieuse et la suggestion. 



NOTE K 2 

LA SUGGESTION VICTORIEUSE 

II est plus aise de parler de la suggestion que de la definir. 
L'excellent Larousse Medical de 1924 (Galtier-Boissiere et P. Bur- 
nier) lui consacre un article, mais esquive la definition. Littre 
articule severement : insinuation mauvaise , tout en concedant 
qu' il se dit parfois en bonne part ; et au mot suggerer il note, 
comme sens derive mais appuye d'exemples classiques : faire 
naitre dans 1'esprit par insinuation, par inspiration . Chez les 
modernes, nous allons le voir, le mot a pris un sens plus impe- 
rieux : Alfred Binet, par exemple, nous parle d' affirmations auto- 
ritaires amenant une obeissance automatique du sujet et suspendant 
sa volonte et son sens critique ; La Suggestibilite, Paris, 1900, 
p. 2. Rud. Eisler, Woerterbuch der Philosophischen Begriffe*, 
Berlin, 1910, III, p. 1464, distingue justement un sens premier, de 
simple suggestion, qui repond bien a Temploi classique enregistre 
par Littre ; et un sens moderne, plus fort, de persuasion imperative, 
tente"e dans les conditions les meilleures possibles, de psychoplas- 
ticite (le mot est d'Ernest Dupre, et commode) du sujet. Le Voca- 
btilaire Philosophique publie par la Societe frangaise de Philo- 
sophie, tome II, Paris, 1926, p. 828, constate que au sens 
technique, il n'a pas ete possible de faire accepter... une definition 
generale . M. Lalande proposait : II y a suggestion quand un 
acte est fait ou qu'une croyance est accepted sous Tinfluence 
d'une idee, sans que le sujet ait conscience de cette influence (et le 
plus souvent sans avoir conscience de 1'idee elle-meme) . On 
peut voir, ibid., la definition proposeeparM. Boirac,.P. Janet, Dela- 
croix, etc. La description de Th. Lipps, ZurPsychologieder Sugges- 
tion, 1897, p. 10, citee dans. R. Eisler, et traduite dans le Bulletin, 
loc. laud., p. 832, note 1, reste, bien que longue et embarrassee, 
Tune des plus exactes : a La suggestion consiste a faire naitre chez 
un sujet un effet psychique qui depasse la simple presence d'une 
representation, mais qui resulte de ce qu'une personne ou chose 
distincte de ce sujet ont provoque I'&veil d'une representation; et 
cela, en tant que cet effet psychique a pour condition un arret ou 

487 



488 JESUS CHIUST. 

une inhibition d'une intensite exceptionnelle dans Tactivite" repre 
sentative qui depasse les effets immediats de la suggestion elle- 
meme. 

On a beaucoup discute sur les rapports entre la persuasion et la 
suggestion, sans arriver a montrer autre chose que 1'identite" fonda- 
mentale des deux : la suggestion est une variete de la persuasion , 
et elle existe deja dans les influences efficaces, quelles qu'elles- 
soient : education, formation, ent'raihement, reforme, conver- 
sion, etc. On peut cependant et, si Ton veut eviter les confusions t 
on doit' re"server le mot de suggestion a cette varied de persuasion 
qui vise, par des moyens appropries, a obtenir d'une k personne ce 
que la simple proposition des motifs n'obtiendrait pas. On peut 
en ce sens la- de"finir : un appel imperieux, conscient ou non, venu 
du dedans (autosuggestion) ou dii dfehors (he'te'rosuggestion), qui 
eveille avec force et orienle d'autorite nos puissances interieures 
d'imaginer et d'agir. Elle sera naturellement d'autant plus efficace 
que le sujet est plus souple a I'empire de celui qui suggere : cette 
plasticity, cette reaction facile et disproportionnee de 1'organisme 
a des causes pisychiques (Ernest Bupre, La constitution emotive, 
dans Pathologie de V Imagination et de Vfrmotivite, Paris, 1925, 
p. 255) est naturelle chez les emotils, les i'maginatifs, les debiles, 
et les rend emihemment pfopres a la suggestion. Elle est augmentee 
chez tous par le sommeil naturel ou artificie! (hypnose), qui nous 
soustrait aux Jivers contrdles exerces' par la raison, 1'e milieu ou 
nous vivons, etc; 

On a remarquc? dbpttis qu j il y a dies hommes, et qui cherchent a 
s'influencer mutuellement, le pouvoir de; la suggestion, On 1'a 
utilise pour bien et' pour mat et,. naturellement, pour guerir. Une 
histoiire de la suggestion medicate restte a ; faire : les esquisses 
trac^es dians certains ouvrages, par exempl'e H'. Bernheim, Hypno- 
tisme et Suggestion* t Paris, 19fO, p. 1-23, d'apres Kurt Sprengel; 
et m&rae P. Janet, La JMvdecine psychologique, Evolution des 
Psychotkerapies, Paris, 1923, p. 7-86", laissenfr vraiment trop a de- 
sirer; surtout pour I r antiqui'tl6' : la confusion entre religion, mede- 
cine et magpie, est loin d'avoir et6 aussi generale qu'on nous le dit! 
On peut voirpour I'antrquite classique : S'. Reinach, Medicus, dans 
DAGR, III, 2, p. 1<6-17Q&; J. L. Heiberg, Exacte Wissenschaften 
und Medezin, dans MEinleitang in die Altertumswzssensohaft 3 , de 
Gercke et Norden, Leipzig, 1922, p. 317 suiv. ; Iitt6rature, p. 345 
suiv. ; pour rantiquite* 1 jadaique, A. Macalister, Medicine, dans 
DBH, III, p. 321-333. Les etudes precises sur ' la suggestion, 
largement amorcees au Moyen Age, dans d*es travaux que les 



LA SUGGESTION VJCTORIEUSE. 489* 

historiens modernes n%lgent beaucoup trap* (Voir pan- exemple, 
L' Hypnotisms aw. Moyen Age ; Awcennw et Richaj-d de Middle- 
town,* par Eugene; Povte&e,. fitades, LV, 1892, p\. 481 suiv.; 577 
sum,),, out 6t6 surtout provoxjues r dans les. temps; maderaes, par les 
travaux. et essais <fes magnetiseurs, inspires; euxvmemes par les- 
recberches ayentureuses) des demiiers alcbimistes. C'est a Mesmer 
et SL ses contonxpoEams, le P. Hell,, L'abbe LeoMe;, qu'on doit, 
an dernier quart duixvm? sieclej. Tessar du raiagnetisme (mineral 
celeste, animal) doirt la grandeur et la decadence s&s suivirent de 
pres. Les nomsiqui se d^gagent ensuite somb ceux;de'l?abb6 Faria, 
vers 1820; de James Braid, Neurhypnotogy< r ov the rationale of 
Nervous Sleepy considered im relation txn Animal Magnetism,. 1843 r 
qui appliqua 1'hypnotismej aui traitemsent des malades. Le premier^ 
semble-tril,. le D r Liebeault, de Nancy, Z>w Sommeil et des Etats 
analogues, 1866, etablifi < franchement et definitivement la doctrine- 
de la suggestion therapeutique; ; H. Bernheims,. Hypnotisme et 
Suggestion*, 1910, p. 22. C'est de lui qu'est sortie 1'Ecole de Nancy- 
tout entiere. 

Depuis, la suggestion est devenue une province de la medecine 
normale, combinee; lei plus souvent avec un-traitement ou r du moins r 
un regime de repos, de silence relatif^ de suralimentation., d'alir- 
mentation surveillee. On la: pratique encore^ sur des sujets pr6alar- 
blement endormis, mais souvent aussi a Tetat de veiU'e, en s'effor- 
^ant d'obtenir d patient urae intelligente collaboration. L'tntima- 
tion imperative^, a la.maniere forte, fait.place aloes aux; inspirations), 
aux conseils, a une sortede direction. Dubois (de Berne), Dejerine: r 
Camus, Yittoz, MM. Pierre Janet, Bemheim, et leurs> oleves^. etc; r 
s'y sont fait um nomv L'Ameuique du> Noitdi et L'Angleterre cant 
donne une importance considerable a ces therapeutiques: : on peut 
voir des dietaila dans Les Medications Psy,chologiq!ue& de Pierre 
Janet, 3 Yol. r Paris,. 1919-19201 

Le seul point qui: nous interesse ici. (et c& n 'est pas; le 1 mieux traite 
dans les ouvrages cites: plus haut), c'est la? suggestion) que j'appel- 
lerai victorieus& r pour mettre en relief: son. caraeiesBe soudain^ 
imprevu, au sens etymalogique) du mot, miraculous. La, en effet, et 
la seulement, on trouve une action naturelle produisant des eifets 
analogues aux miracles evangdliques, ou eccliesiastiques (c'est-a~ 
dire reconnus comme authentiquesi apres enquete, par les auto- 
rites religieuses) : voir la^Iessus D r Le Bee, Critique et Controls 
medical des guerisanssurnaturelles f Paris, 1920 ; Preuvesmedieales 
du Miracle, Parisi, 1921 ; J. de Tonquedee, Introduction a I 'Etude- 
du Merveilleux et du Miracle, Paris, 1916, livrell, p. 249-421. 



490 JESUS CHRIST. 

II est malheureusement tres malaise d'e"tudier ces effets. On est 
-actuellement d'accord pour admettre que, dans les cliniques du 
moins, si la suggestion victorieuse reussit parfpis, c'cst dans des 
limites fort etroites. Apres avoir constate" que les pretentions 
des magnetiseurs n'ontpu etre verifiers scientifiquement, M. Pierre 
Janet conclut que la suggestion ne semble pas determiner des 
actes ou des modifications corporelles et mentales superieures a 
celles que la volonte normale peut d'ordinaire r^aliser... Nous 
avons du renoncer a la plupart de ces illusions (nourries par les 
pionniers de la suggestion) et constater que 1'etat hypnotique 
n'ajoute aucune puissance nouvelle superieure a I'activite moyenne 
.des hommes. II faut renoncer a demander a la suggestion ou a 
.1'hypnose des actes qui de'passent le pouvoir de la volonte humaine 
inormale ; La Medecine psychologique, Paris, 1923, p. 129. Cette 
'Conclusion de toute une vie consacr6e a 1'elude theorique et pra- 
tique de ces problemes, semble sonner le glas des miracles de 
la suggestion. 

Le meilleur theoricien de 1'Ecole de Nailcy, Bernheim, ecrit de 
son c6t6, que sa therapeutique suggestive ne ressemble pas a une 
.pseudo-thaumaturgie experimentale... La suggestion, traitement 
psychique, s'adresse a 1'element psychique : a condition que cet 
element soit une simple perturbation fonctionnelle autosugges- 
tive . Elle tend a guerir un reflexe sans lesions coexistant ou 
succedant a une affection organique et rendant la cure de celle-ci 
difficile, instable, parfois impossible : Hypnotisms et Suggestion 3 , 
1910, p. XXVI-XXXHI. Bref, la suggestion est 1'auxiliaire de la 
medication commune, visant un mal purement psychique, qui 
accompagne trop souvent et aggrave presque toujours la maladie 
xjorporelle. 

A plus forte raison les psychanalystes restreignent-ils les succes 
de la suggestion : En depit des pretentions exagerees des hypno- 
tiseurs professionnels, dit Ernest Jones, dans lequel on entend 
toute 1'Ecole freudienne, il est generalement reconnu que les 
resultats obtenus par 1'hypnotisme et la suggestion laissent beau- 
-coup a desirer au point de vue de la duree. Certes, des psychone- 
vroses benignes peuvent etre ameliorees d'une fagon durable, bien 
<jue, meme dans ces cas, le succes soit inc.ertain et inconstant; mais 
pour ce qui est des cas plus ou moins grave*, la critique fondee 
sur Texperience n'a pas de peine a refuter 1'optimisme irraisonne 
-qu'on entend si souvent precher ; Traite theorique et pratique de 
Psychanalyse, Paris, 1925, p. 481; et voir tout le contexte. 

Seul le petit groupe qui se donne le nom de Nouvelle Ecole de 



LA SUGGESTION VICTORIEUSE. 491 

Nancy et a trouve" son the'oricien en M. Ch. Baudouin de Geneve : 
Suggestion et Autosuggestion, Neuchatel et Paris, 1921, 4 8 Edition 
sous le litre : Psychologic de la Suggestion et de V Autosuggestion, 
1924, mais dont 1'animateur est le pharmacien Emile Coue, pretend 
elargir jusqu'a la rapprocher des effets miraculeux, la competence 
de la suggestion ou, pour mieux dire, de 1'autosuggestion. Car, 
c'est a celle-ci, agissant par 1'imagination (ou 1'inconscient : ce sont 
la synonymes pour M. E. Coue"), qu'un pouvoir curateur tres vaste 
est attribue 1 . Beaucoup de maladies spnt le produit d'une erreur 
d'imagination : sugge'rez-vous Tidee, ou plutdt 1'image contraire, 
et le mal disparaitra : non seulement la neurasthenic, les phobies, 
le b^gaiement, mais 1'asthme, I'ecz6ma, le mal de Pott, etc... Le 
traitement est expose dans la Maitrise de soi-meme par F auto- 
suggestion consciente. Les tourne'es de Coue en Angleterre et en 
Ame'rique ont provoque un vif enthousiasme. Voir L. Roure, Au 
Pays de VOccultisme, Paris, 1925, p. 127-145. 

Les psychologues, en depit de la caution fournie par M. Baudouin, 
ont refuse" de prendre au se"rieux, sinon 1'efficacite en certains cas 
de la cure simpliste et optimiste de Coue" et sa foi dans la puis- 
sance de 1'imagmation a detruire ce qu'elle a d'abord edifie", du 
moins 1'amplitude pretendue de sa the>apeutique : avec les gue- 
risons par suggestion de phtisie, de metrites, d'eczemas ou de 
maux de . Pott, dit seVerement M. Henri Pieron, on rejoint le 
Christian Scientism t mais on s'^loigne de la science . Annee 
Psychologique, XXII, 1922, p. 501, voir ibid., XXV, 1925, p. 635, 
636. Ce qui est clair, en tous cas, c'est que les precedes de Coue 
consistent, avec des mots nouveaux, a exciter la confiance du ma- 
lade, globalementet.persev6ramment, mais sansl'appareilimperieux 
de la suggestion magistrale et sans 1'aide du sommeil, artificiel ou 
naturel. 

En resume, les effets proprement merveilleux de la suggestion 
sont aujourd'hui tenus pour illusoires par 1'unanimite des psycho- 
logues et psychiatres. II y a, pensons-nous, dans ce pessimisme, 
une reaction un peu outree contre les espoirs demesures congus 
jadis sous 1'influence deCharcot. Les philosophes scolastiques attri- 
buaient au pouvoir de 1'imagination des limites beaucoup plus 
larges. Toute idee con?ue dans 1'ame, dit saint Thomas, est un 
ordre auquel obeit 1'organisme; ainsi une vive representation de 
1'esprit produit dans le corps ou la chaleur ou le froid ; elle peut 
meine suffire a engendrer ou a guerir une maladie. Et ailleurs : 
L'imagination, si elle est vive, force le corps a lui obeir parce que, 
selon la doctrine du Philosophe (Aristote), elle est dansl'animal un 



492 JESUS CHRIST. 

principe naturel de mouvement. L 'imagination en effet,, commando 
toutes les forces de la sensibilite, celle-ci a son tour gouverne les 
battements du coeur et par lui met en mouvementles esprits vitaux : 
ainsi tout 1'organisme est-il bient6t modifie. > Sitmma Tkeol., I, 
qu. 110, art. 2, obj. 1 etad l um ;III, qu. 13, art. 3, ad!3 nra . Voiraussi 
III c. Gentes, 103. J'emprunte la traduction de ces textes au P. E. 
Portalie, L'Hypnotisme au Moyen Age, dans: fitudes, LV, 1892, 
p. 487, 488. On trouvera la beaucoup d'autres temoignages non 
moms curieux. 

II est probable qu'un clinicien moderne, s'il etait rompu a la me- 
thode scolastique, distinguerait la premiere proposition de saint 
Thomas touchant le pouvoir de Timagination : il Taccorderait d'une 
maladie purement fonctionnelle (ou du stade encore presque exclu- 
sivement fonctionnel d'une maladie) ; et le nierait d'une maladie 
organique, tant soit peu inveter6e et fixee. Les raisons apportees 
par le grand Docteur, dans le second texte, favorisent d'ailleurs 
cette distinction, puisque le pouvoir de 1'imagination surrorganisme 
y est ramene a la commande que cette faculte exerce sur la circula- 
tion et les fonctions qui en dependent. II va sans dire que, meme 
dans le cas d'un mal organique, 1'imagination confiante, surexcitee 
par une suggestion personnelle ou collective, peut beaucoup pour 
faciliterla guerison, la hater, la confirmer. 

Mais il reste que 1'explication des miracles par la suggestion vic- 
torieuse se reduit a une interpolation formidable. On assimile a 
des cures encore rares et souvent instables de maladies fonction- 
nelles et psychiques, des guerisons de toute sorte, instantanees, 
completes, sans analogues parmi les faits que la science, mme la 
plus patiente et la mieux avertie, a pu jusqu'a present reproduire. 



NOTE L 2 
KAI OTI ETA4>H 

LA SEPULTURE DE JESUS DANS LES TEXTES ANGIENS. 

1. Saint Paul. 

Car je vous ai transmis en premiere ligne ce qu'aussi j'avais recu : 
que le Christ est mort pour nos p6ches conformement aux Ecritures, 
et qu'il a et6 enseveli (xa\ on l-r&prj) 

et qu'il est ressuscit6 le troisieme jour conformement aux Ecritures, 
et qu'il est apparu a C6phas, ensuite aux Douze, etc. (I Cor., xv, 3-5). 

Ne savez-vous pas que tous, tant que nous sommes, qui avons 6t6 baptises 

[dans le Christ, 

c'est dans sa mort que nous avons 6te baptised ? 

Car nous avons 6te co-ensevelis avec lui par le bapteme dans la mort (ouve- 

[T<epr)[ji,ev ouv auTw) 

afin que, comme le Christ est ressuscite des morts pour la gloire du Pere, 
semblablement, nous aussi, nous marchions en nouveaut6 de vie, etc. 

(Rom., vi, 3-4). 

En lui, vous avez 6t6 aussi circoncis, 

d'une circoncision non faite de main d'homme pour la purification du 

[corps de chair, (mais) 
dans la circoncision du Christ, 
co-ensevelis avec lui dans le bapteme (auvTcup^vies autw), etc. 

(Coloss., n, ll-12a). 

Car vous etes morts, et votre vie est cachee avec le Christ en Dieu. 

(Coloss., m, 3). 



Mt., xxvn, 57-61. 
Le soir etant 
arrive^ 



vintimhommeri- 
che d'Arimathie, 
du nom de Jo- 
seph, qui lui aussi 
avait 6t6 disciple 
de Jesus. 

493 



2. Les Evangiles. 

Me., xv, 42-47. Lc., xxm, 50-56. 

Et deja le soir 
etant arrive, com- 
me c'etait la pre- 
paration c.-a-d. 
la veille du sab- 
bat, 6tant venu, 



Jo., xix, 38-42. 

Et apres eel a 
demanda a Pi- 
late 



un 



Joseph d'Arima- 
thie,conseiller 
important, 



Et voici 
homme 

du nom de Jo- Joseph d'Ari- 

seph, qui 6tait mathie, qui 6tait 

conseiller, horn- disciple de Jesus, 

me bonet juste mais cach6 par 



494 



JESUS CHRIST. 



Celui-ci,seren- 
dant pres de Pi- 
late, 

demanda le corps 
de Jesus. 

Alors Pilate 



ordonna de lui 

dormer 

et, ayant pris le 

corps, Joseph 



enveloppa dans 
unlinceulpropre, 



qui attendait, lui 

aussi le Regne de 

Dieu, 

osa se rendre au- 

pres de Pilate 

et demanda le 
corps de J6sus. 

Pilate se de- 
manda avec 6ton- 
nement s'il 6tait 
deja mort, et ap- 
pelant le centu- 
rion il s'enquit 
pres de lui s'il 
6tait dej'a mort. 
Et 1'ayant appris 
du centurion, 
il octroya le cada- 
vre a Joseph. 

Et ayant achet6 
un linceul 



il n'avait pas pris crainte des Juifs, 
part a leur con- 
seil et a leurs ac- 
tions d' Arima- 
thie, ville juive, 
qui attendait le 
Regne de Dieu. 

Celui-ci se ren- 
dantpres de Pila- 
te, 

demanda le corps de lui donner 
de J6sus. le corps deJ&sus 



Et le d6posant, 



il 1'entoura 
linceul 



du il 1'enveloppa, 
d'un linceul, 



Et Pilate 1'oc 
troya. 

Hsvinrentdonc 
et le d6poserent. 
Vint aussi Nico- 
deme (qui 6tait 
venu d'abordpen- 
dant la nuit), 
portant un me"- 
lange de myrrhe 
et d aloes, environ 
cent livres. 

Ils prirentdonc 
le corps de Jesus, 
et le lierent de 
bandelettes avec 
des parfums, 
comme les Juifs 
ontcoutumed'en- 
sevelir. II y avait 
dans le lieu oil il 
avait 6t6 crucifid 



KAI OTi ETA*H. 



495 



et le plac.a dans et le plac.a dans 

un tombeau neuf un sepulcre qui 

qu'il avait creus etait taillS dans 

dans la pierre la pierre 



et ayant roul& et il roula une 
une grande pi erre pierre sur 1'ouver- 
surl'ouverture du ture du tombeau. 
tombeau, il s'en 
alia. 



et le plaga dans 
un tombeau tail!6 
dans la pierre ou 
personne encore 
n'avait et6 de- 
pose. 

Etc'etaitlejour 
de la preparation, 
et le sabbat se le- 
vait. 



II y avait 1& 
Marie la Magda- 
leenne et 1'autre 
Marie, 

assises en face du 
sepulcre. 



Le lendemain 
qui etait apres la 
preparation, les 
princes des pre- 
tres et les Phari- 
siens serendirent 
pres de Pilate et 
lui dirent : t Sei- 
gneur, nous nous 
sommes sduve- 
nus que cet im- 
posteur, encore 
vivant, a dit : 
Apres trois jours 
je ressuscite. Or- 
donne done de 
garder la tom- 
be jusqu'au troi- 
sieme jour, de 
crainte que ses 
disciples ne le 
d6robent et ne 
disentau peuple: 
II est ressuscit6 



Or Marie laMag- 
daleenne 
et Marie (mere) 
de Jose 

regardaient ou il 
avait 6t6 place. 



Et les femmes 
qui avaient suivi, 
celles qui 6taient 
venues de Galilee 
avec lui, 
regarderent le 
tombeau, 
et comment son 
corps avait et6 
place. 

Et s'en etant 
retournees, 
elles preparerent 
aromates et par- 
fums. 

Et le jour du 
sabbat elles res- 
terent en repos, 
conformementau 
pfccepte. 



unjardin, et dans- 
le jardin un tom- 
beau neuf dans 
lequel personne: 
encore n'avait ete- 
depose. 

Ladonc, acause- 
de la preparation, 
des Juifs, parce- 
que le tombeau 
etait pres, ils pla- 
cerent Jesus. 



496 JESUS CHRIST. 

<des morts. La 
derniere impos- 
ture serait pire 
que la premiere. 
Pilate leur dit : 
Vous avez une 
garde, allez, gar- 
'dez comme vous 
i'entendez. 

Et i-ls allerent 
et s'assurerent du 
tombeau, 'scellant 
la pierre, avec 
une garde. 

3. Les Actes. 

Discours de Pierre, le jour de la Pentecdte : Car David dit a 
sonpropos : (de Jesus) [Psaume xvi (xv), 8-11] 

Je voyais toujours le Seigneur devant moi : 

il est a ma droite pour que je ne sois pas ebranle. 

C'est pourquoi mon coeur s'est rejoui, 

et ma langue a fremi d'allegresse, 

et ensemble ma chair meme reposera en esperance. 

Parce que tu n'abandonneras pas mon ame dans le She'd, 

tu ne permettras pas que ton Saint voie la pourriture : 

tu m'as fait connaitre les chemins de vie, 

tu me rempliras de joie par (1'ostension de) ta Face. 

Homines, mes freres, qu'il me soit permis de vous dire confidemment 
du patriarche David, qu'il est mort et qu'il a ete enterre ; et son tombeau 
est parmi nous jusqu'a ce jour. C'est done comme prophete, et sachant 
que Dieu s'etait engage par serment a faire asseoir sur son trdne un fruit 
sorti de son flanc (II Sam., vn, 12; Psaumes LXXXIX (LXXXVUI), 4-5 et cxxxn 
(cxxxii), 11), qu'il a, par prevision, parle de la resurrection du Christ, et 
dit : 

qu'il n'a pas 6t6 abandonne dans le Sheol, 
et que sa chair n'a pas vu la pourriture. 
Ce Jesus, Dieu 1'a ressuscite, et nous en sommes tous temoins. 

Actes, n, 25-32. 

Discours de Paul, a Antioche de Pisidie : 

i Hommes, mes freres, fils de la race d' Abraham, et vous qui craignez 
Dieu, c'est a vous qu'a ete adressee cette parole de salut. Car ceux qui 
habitent a Jerusalem, et leurs chefs, ayant meconnu Jesus, ainsi que les 
paroles des Prophetes celles memes qu'on lit chaque sabbat ont 
accompli ces paroles en le condamnant. Et sans avoir trouv6 en lui rien 



KAI OTI ETA4>H. 497 

qui m6ritat la mort, ils ont demands a Pilate de le faire perir. Et apres 
qu'ils eurent accompli tout ce qui 6tait ecrit de lui, 1'ayant detach 6 du 
bois, ils le deposerent dans un tombeau. Mais Dieu 1'a ressuscitS des 
morts, etc. >. Actes, xm, 26-30. 

4. Les Symboles. 

La-dessus F. Kattenbusch, Das Apostolische Symbol, seine Enste- 
hung, etc..., II, Leipzig, 1900, p. 639-641; Alf. Seeberg, Der Kate- 
chismus der Urchristenheit, Leipzig, 1903, p. 85, 141, 202; Arnold 
Meyer, Die Auferstehung Christi, Tubingen, 1905, p. 117 et 351; 
Hans Lietzmann, Symbolstudien dans ZNTW, XXI-XXVI (1922- 
1927); K. Holl, A. v. Harnack, H. Lietzmann, dans SBA r 1919; 
P. Feine, Die Gestalt des apostolischen Glaubensbekenntnisses in 
der Zeit des Neuen Testaments, Leipzig, 1925, p. 105-107. 

L'incise : et enseveli, xai Tatpevta, et sepultus figure, comme 
un article distinct, dans le plus ancien symbole Remain, devenu, 
avec des modifications d'assez faible etendue, notre symbole des 
Apotres, et meritant, plus qu'aucun autre, par son caractere primi- 
tif et traditionnel, ce nom glorieux. La plupart des symboles an- 
tiques Font conservee : ceux de Jerusalem, de Constantinople 
(profession de foi du concile tenu en 360), d'Antioche (concile 
de 341, forme IV), de Sirmium, sous sa forme niceno-constantinor 
politaine; de Macaire 1'Egyptien, de Nestorius; les Canons d'Hip- 
polyte, sous leur forme latine : voir les textes dans Lietzmann, 
Symbolstudien, ZNTW y XXI, p. 16, 17. Reinhold Seeberg dans sa 
restitution des plus anciennes professions de foi, orientale et occi- 
dentale, Zeitschrift fur Kirchengeschichte, XL, 1922, p. 1-41 (voir 
Lietzmann, ZNTW, XXII, p. 259) fait figurer le : et enseveli . 

Quand on relit ces textes, on ne peut manquer d'etre frappe de 
leur force. Dans saint Paul, qui ecrit a vingt-cinq ans des evene- 
ments et rappelle une formule cat^chetique deja fixee, 1'incise OTI 
Iracpy) ne pretend montrer la realisation d'aucune prophetic. Elle 
enonce simplement un fait incontestable , etqui n'a de valeur que 
pour eliminer 1'hypothese d'une translation imm6diate.au ciel : Job. 
Weiss, Der erste Korintherbrief, 1925, p. 348. Quant au recit 
evangelique, il est, dans son ensemble, inattaquable. Renan ne 
fait aucune difficult^ pour 1'accepter; et D. F. Strauss se contente 
de pointiller sur les details, son effort principal tendant a susciter 
un doute sur Thistoricite de 1'embaumement : Vie de Jesus, 3 e sec- 
tion, ch. iv, n. 133, tr. Littre 2 , 1853, p. 594 suiv. J. Klausner, 
Jesus of Nazareth, tr. H. Danby, 1925, p. 355, montre, avec Tauto- 
rite qui lui appartient en cela, que, du point de vue du judai'sme 

JESUS CHRIST. II 32 



498 JElSUS CHRIST. 

ancien, on ne peut Clever, dans le cas eoncret, aucune objection 
fondle. T. K. Cheyne lui-m^me declare, Joseph of Arimathaea f 
dans EB, II, col. 2595, 2596 : Les assertions d'apres lesquelles la 
personne qui fit les arrangements pour 1'ensevelissement du corps 
de Jesus fut un membre du cercle des disciples lointains, un homme 
riche d'Arimathie, nomine" Joseph, etle tombeau ou il plac.ale corps 
de Jesus, le sien propre, sont mises en question par peu de cri- 
tiques. Ce sont la des points qu'il n'est pas vraisemblable que la 
tradition ait inventes... Nous devons en, tout cas accepter comme 
une certitude historique le ITOKM] de 1 Cor., xv, 4. 

En presence de ces faits, on admirera I 1 assurance de M. Loisy 
quand il e"crit, perdant tout, sentiment de la mesure : L'enseve- 
lissement par Joseph d'Arimathie et la decouverte du tombeau vide, 
le surlendemain de. la passion, n'offrant aucune garantie d'authen- 
ticite, Ton est en droit de conjecturer que, le soir de la passion, le 
corps de Jesus fut detache" de la croix. par les soldats et jete" dans 
quelque fosse commune, ou Ton ne pouvait avoir Tid6e de Taller 
chercher ; Quelques Lettres sur des Questions Actuelles, Paris,. 
1908, p. 93, 94. Ailleurs, Les Livres du Nouveau Testament, Paris^ 
1922, p. 277, 278, le tout est mis sur le compte d'une simple fic- 
tion apoatolique . C'est ainsi qu'au mepris des textes, on pretend 
recrire I'histoipe. 

Beaucoup plus, modere, et sous forme dubitative, M. Maurice 
Goguel, a la fin de son memoire sur la resurrection dans le chris- 
tianisme primitif : Actes du Congres international d'Histoire des 
Religions de 1923, Paris, 1925, II, p. 250, suggere que les necessites 
apologetiques, notamment le besoin de repondre aux objections 
de diverses natures que Ton opposait a la foi chretienne, a dA forte- 
ment influencer les recits et amener, la creation de cycles entiers 
de traditions, comme celle du tombeau vide, peut-6tre aussi comme 
celle de la mise au sepulcre . 

II est sans doute tentant de mettre au compte de 1'apologetique 
primitive, sous forme de fiction, de creation non plus sponta- 
nee mais, dans le cas, deliberee ; on estime sans doute que la fin 
justifie les moyens ! les episodes,, voire les cycles entiers de- 
traditions , qui embarrassent., Mais e'est la un prbcede trop com- 
mode, et la critique serieuse ne saurait s'en contenter. II fut un 
temps ou les textes anciens furent ainsi corriges, par voie d'erudite 
divination : les difficultes, les pretendues impossibilites, disparais- 
saient comme par enchantement! Mais deux decouvertes ont, 
dans ces dernieres annees, jete un grand discredit sur la critique 
conjecturale, autrel'ois tenue en grande estime. Les papyrus, re- 



KAI OTI ETA4>H. 499 

trouves en tres grand nombre , ne confirment pas en general 
observe Sir F. G. Kenyon les conjectures des philologues mo- 
dernes... En aucun cas, on peutle dire surement, un changement 
considerable n'a etejustifiepar les papyrus. D'autre part, le rythme 
de la prose ancienne, et specialement des clausules, a confirme 
d'ordinaire les logons, censees fautives, des manuscrits ; L. Lau- 
rand, Critique des Textes, dans Manuel des Etudes Grecques et 
Latines, Paris, 1920, p. 799 suiv., etles exemples cite"s. 

On peut en dire autant, et plus, des restitutions historiques con- 
jecturales, obtenues par le precede : Entweder... oder... On range 
les divers traits en series antinomiques qu'on declare incompos- 
sibles, et alors on choisit 1'une ou 1'autre! M. Goguel en fournit un 
bel exemple dans le meme memoire, ou deux theories de la re"sur- 
rection, Tune spiritualiste, paulinienne, et 1'autre plus mat6rielle, 
dite de revivification, sont par lui retrouve'es et opposees, la pre- 
miere 6tant iinalement preferee : Ibid., p. 234 suiv. Cette mthode 
commence a Itre discredit6e. Un tres grand nombre des details 
ainsi ex6cut6s comme invraisemblables, ou purement symboliques, 
ou l^gendaires, ont ete en effet coniirm4s par I'dtude approfondie 
des sources juives ou antiques; ou mme simplement par une 
reflexion plus sereine. Nous avonsvuM. Loisy lui-m<hne abandon- 
ner une grande partie de ses exegeses johanniques, et denoncer 
des legendes a pretention historique dans ce qu'il tenait, au temps 
de la mode symboliste, pour des allegories pures et simples. Sur 
nombre de points, le vieil historien Eduard Meyer a rappele a la 
realite ses nouveaux collegues les ex^getes. Nous pensons qu'il reste 
beaucoup a faire, et qu'un fait atteste par un nombre imposant de 
temoignages concordants, proches des faits et circonstancies, 
comme le KAI OTI ETA4>H, a droit de ne pas e" tre sommairement 
evince, m6me s'il gene certaines vues philosophiques. 



NOTE M 2 

LES FINALES DE MARC ET DE JEAN 

i. La Finale du second vangile, Marc., xvi, 9-20. 

C'est deliberement que j'ai distingue, par un artifice typogra- 
phique, des huit premiers versets du ch. xvi de Marc, ce qu'on est 
convenu d'appeler sa finale . On sait, d'une part, que 1'eiat de la 
critique textuelle ne permet pas d'assimiler, sans plus, les ver- 
sets 9-20 de ce chapitre, aux premiers. La-dessus, on peut voir la 
dissertation du R. P. Lagrange, fevangile selon saint Marc* , 1920, 
p. 426-439. D'autre part, la canonicite de ce morceau est incontes- 
table, et un Decret de la Commission Biblique, du 26 juin 1912 : 
texte dans F. Cavallera, Thesaurus Doctrinae Catholicae, Paris, 
1920, p. 112, II, ne permet pas a un catholique d'affirmer, comme 
une verite demontree ce qui serait d'ailleurs du simple point de 
v.ue critique, tem^raire que saint Marc n'est pas 1'auteur de ces 
versets. Voir sur le sens de ce Decret et sa portee Ferd. Prat, La 
Question Synoptique, dans les Etudes, CXXXIII, 1912, p. 598-615. 

II ne peut etre question de trancher ici cette question d'auteur. 
Qu'on attribue le morceau a une reprise posterieure, par 1'auteur, 
de son travail reste, pour une cause inconnue, inachev6; ou qu'on 
avoue bonnement son ignorance, on ne sort pas des probabilites. 
L'inachevement du texte a xvi, 8 : espoSouvto YP, pris comme accorde 
par beaucoup d'ex^getes, n'est pas pour autant incontestable. R. 
R. Ottley dans le JTS, XXVII, 1926, p. 407 suiv., a prouve, par 
des exemples tires des auteurs profanes et des Septante, qu'une 
phrase peut finir par yofp. 

Trois points, par centre, paraissent certains : 

1 La finale offre avec ce qui precede un contraste qui reste sen- 
sible, meme a travers une traduction. Outre que le morceau entier 
est un resume assez vague, impersonnel, sans analogue dans le 
second evangile, il y a une manifesto solution de continuite entre 
le verset 8 et le verset 9, qui reprend 1'histoire de la resurrection a 
pied d'osuvre, comme si les huit premiers versets n'existaient pas, 
t comme si Marie de Magdala n'etait pas nominee au premier : 
Toir H. B. Swete, The Gospel according to S. Mark 3 , 1920, p. CHI- 

CXIII. 

500 



LES FINALES DE MARC LT DB JEAN. 501 

2 L'etat du texte, Tabsehce de la finale dans plusieurs des manus- 
crits les plus ariciens, notamment le Vaticanus et les Sina'itiques 
grec et syriaque; la presence, dans d'autres mariuscrits, de deux 
finales differentes (uneplus longue dans L, W, quelques minuscules 
et les versions coptes; une plus courte, attestee par saint Jer6me, 
etretrouvee recemment dans le tres ancien et considerable ms. W) ; 
les doutes d'Eusebe, de saint Jerdme, et tres probablement d'Ori- 
gene; Tincertitude des stichometries, tous ces indices fortifienA 
1'impression de discontinuity signalee plus haut. 

3 Le fragment can onique 1'emporte sans comparaison, en valeur 
et en antiquite, sur les autres finales qui paraissent ca et la, ou a sa 
place ou conjointement avec lui, dans des manuscrits relativemenit 
clairsemes. II figure dans ACDEG(H)KMSUVX, etc. ; dans 
d'importants manuscrits de la vieille version latine ; dans la Vul- 
gate ; dans les versions syriaques moins la Sinai'tique, etc. II est 
cite et exploite par des Peres du n e siecle : saint Justin, saint Irenee, 
Tatien, et accepte pratiquement par toutes les Eglises a cette 
epoque. S'ajoutant a ces indices, le caractere sobre et traditionnel 
du morceau nous autorise a voir en lui une authentique relique 
de la premiere generation chretienne ; H. B. Swete, loc. laud.,, 
p. CXH, et voir T. S. Roerdam dans The Hibbert Journal, III, 1905, 
p. 790 suiv. Nous 1'utilisons comme tel. Le dernier mot sur la 
question n'est pas encore prononce , observe sagement H. J. Vo- 
gels, apres Tavoir resumee avec I'autorit^ qui lui appartient, Grun- 
driss der Einleitung in das NT, Miinster i. W., 1925, p. 65, note. 

2. La Finale de saint Jean, xxi. 

Contrairement a la finale du second evangile, le chapitre xxi eft 
dernier du quatrieme n'offre pas, du point de vue textuel, prise au 
doute. Non seulement il n'existe aucune trace du fait que 1' evan- 
gile aurait ete lu, ou transcrit, ou traduit, quelque part et a quelque 
epoque que ce soit, sans le ch. xxi; mais de plus, cet epilogue est 
plutot, avec le prologue, le morceau le mieux atteste du livre .; 
Th. Zahn, Das Evangelium des Johannes*, Leipzig, 1921, p. 11. On 
peut voir la preuve de cette affirmation dans YEinleitungde Zahn., 
II 3 , p. 492-507; tr. angl. Jacobus et Thayer, III, p. 232-254; et 
W. Bauer, Das Johannes-Evangelium*, Tubingen, 1925, p. 228 
suiv., ouTopinion contrairedeEd. Meyer, UrsprungundAnfaenge, 
I, 1921, p. 311, est demontree intenable. 

II demeure que des indices clairs : la presence d'une premiere 
finale xx, 30-31 ; le caractere retrospectif des faits narres xxi, 20 suiv..; 



502 JESUS CHRIST. 

1' attestation formulee xxi, 24, amenent a voir dans ce chapitre un 
appendice, qui ne ren trait pas dans le plan primitif de Tauteur : 
B. Weiss, Das Johannesev angeliurn als einheitliches Werk, Berlin, 
1912, p. 354, 355. Quoi qu'il en soit de la question litte'raire soule- 
vde par le verset 24 (voir M. J. Lagrange, fivangile selon saint Jeaji, 
1925,. p. 534-535), les souvenirs consignes ici sont manifestement 
tres anciens (M. A. Loisy lui-meme, Le Quatneme fivangile, 1903, 
p. 916, en juge ainsi), etleur historicite n'est pas moins solide que 
celle des faits narres dans le corps du livre : M. Lepin, La Valeur 
historique du Quatri&me IZvangile, 1910, I, p. 621 suiv. Sur le 
detail et 1'accord avec les autres traditions, H. B. Swete, The Ap- 
pearances of Our Lord after the Passion, Londres, 1907, p. 51-66. 



NOTE N 2 

LE TOMBEAU TROUVE VIDE 

La reelle importance de ce fait ne vient pas de ce qu'il ait et6 alle- 
gue dans la tradition ancienne, comme une preuve de la resurrec- 
tion : on sait que ce n'est pas le cas; mais, au contraire, de ce qu'il 
se presente comme une constatation objective, faite par des person- 
nes qui ne s'y attendaient nullement. Aussi n'est-il guere d'expedient 
dpnt on ne se soit avise pour en ebranler la certitude. M. Kirsopp 
Lake suppose bravement que les saintes femmes se sont trompees 
de tombeau. Les environs de Jerusalem sont pleins de tombes 
taillees dans le roc, et il ne serait pas aise de distinguer Tune de 
1'autre, sans la presence de marques distinctives. Suit une expli- 
cation tendant a montrer que cette confusion n'a rien que de vrai- 
semblable dans le cas! The historical evidence for the Resurrec- 
tion of Jesus Christy London, 1907, p. 250. 

Avec moins de candeur, mais non moins d'aplomb, M. P. W, 
Schmiedel adjuge tout T&pisode a la legende'. Apres avoir renvoye 
a un autre memoire de M Encyclopaedia Biblica : Gospel, EB, II, 
col. 1879-1880 et ibid., col. 1782, 1783, M. Schmiedel poursuit : 
Les trois points desquels nous devons partir (dans la demons- 
tration de la non-historicite du tombeau vide) sont : 1 le silence 
de Paul, comme aussi de tout le Nouveau Testament, a part les 
Evangiles ; voir en particulier Actes, n, 29-32. Ce silence serait 
entierement inexplicable si Thistoire ^tait vraie. 2 L'affirmation 
deMc., xvi, 8, selon laquelle les femmes ne dirent rien de leurs 
experiences au sepulcre : affirmation qui doit etre entendue dans 
le sens que Marc etait le premier en 6tat de publier les faits ; en 
d'autres termes, que toute 1'histoire est une fiction de tres basse 
epoque. 3 Enfin, si, comme nous Tavons vu, les premieres 
apparitions de J6sus eurent lieu en Galilee, les nouvelles de ces 
apparitions seraient arrives trop tard pour permettre un examen 
du sepulcre donnant des resultats satisfaisants. Si 1'on avait 
trouve un corps, il aurait ete dans un etat de decomposition trop 
avancee pour permettre une identification ; si Ton n'en avait pas 
trouv^, la chose aurait ete tres facilement explicable sans postuler 

503 



504 JESUS CHRIST. 

une resurrection. Resurrection and Ascension Narratives , dans 
EB, IV, col. 4066. 

Le ton doctoral des formules souligne 1'insigne faiblesse de ces 
raisonnements. Paul, rappelant un fragment de la catechese pri- 
mitive ou il 6tait positivement dit que le Christ qui avait ete 
enseveli, xcu #ri fracpni, e"tait ressuscite , n'avait pas a ajouter la 
mention distincte du tombeau vide. Elle allait de soi, et n'aurait 
porte aucun element de conviction nouveau dans 1'esprit des 
Coi inthiens. Le silence des femmes, Me., xvi, 8, concerne le 
premier moment, durant lequel pleines d'effroi et hors d'elles- 
memes, elles ne dirent rien a personne. Le re"cit, brusquement 
interrompu sur ces mots car elles avaient peur , ne permet 
nullement d'affirmer que les femmes ne dirent jamais rien a 
personne, ni sur le coup, ni ensuite. Ce silence perseverant est 
contredit par tous les re"cits plus complets. Ces memes recits 
contredisent unanimement 1'hypothese que les premieres appari- 
tions auraient eu lieu en Galilee. Mais a supposer meme qu'il en 
ait ete ainsi, le dilemme final (developpe ailleurs encore par 
1'auteur, EB, col. 1880 s. v. Gospel), est simplement ridicule. 
M. Schmiedel, qui suppose que la premiere apparition en Galilee 
put avoir lieu le troisieme jour apres la mort de Jesus , et que 
la nouvelle put en etre portee sur-le-champ, forthwith , a 
Jerusalem, estime-t-il que le corps ne pouvait etre identifie apres 
six jours, apres huit jours ? 

De tels exces jugent une methode. Et comme on ne fait pas a 
1'arbitraire sa part, M. Loisy constatant que I'^pisode de 1'enseve- 
lissement par Joseph d'Arimathie est lie avec le tombeau trouve 
vide, se d^barrasse sommairementde.tout a la fois : Cette preuve 
de fait (le tombeau vide)... parait avoir ete imaginee, d'apres les 
vraisemblances, comme une scene de roman, par un esprit de 
mediocre invention, pour des lecteurs tres credules ; Jesus et la 
tradition evangelique, Paris 1910, p. 205; details dans les fivan- 
giles Synoptiqu.es, II, 1908, p. 696-737. On peut se reporter a la 
solide discussion d'E. Mangenot, La Resurrection de Jesus, 
Paris, 1910, p. 177-240. 

Plus originale et encore plus aventureuse, est 1'hypothese deve- 
loppee par El. Bickermann, Das leere Grab, dans ZNTW, XXIII, 
1924, p. 281-293. La tombe vide se rapporterait d'apres lui a une 
epoque diff^rente et bien plus ancienne de la foi chretienne , que 
les croyances en la resurrection de Jesus. Les premiers disciples 
auraient cru, non a une resurrection proprement dite, mais a 1'en- 
levement, a la translation, a Tascension de Jesus, ravi par Dieu en 



LE TOMBEAU TROUVE VIDE. 505 

corps et en ame, et glorifie. Un florilege d'anecdotes, emprunte'es. 
aux milieux et aux temps les plus diffe"rents, allant d'Henoch a 
Mahomet, de 1'epiphanie de Romulus et de Tenlevement de 
Ganymede a Tensevelissement de Sime'on le Simple, sous Jus- 
tinien, est apporte a 1'appui de cette conjecture. La croyance en 
la resurrection, represented par saint Paul, I Cor., xv, ne serait 
done ni la seule, ni la plus ancienne formule du culte Chretien en 
cette matiere, et c'est dans le sol hellenique qu'elle aurait pris 
naissance, la ou les traits des dieux morts et ressuscites etaient 
bien connus paries mysteres , loc. laud.,$. 292. 

Toute cette erudition, qui nous reporte aux beaux jours de la 
ferveur comparatiste, est inoperante dans le cas. Bickermann, qui 
n'ose tout de meme pas supposer que les ap6tres ne crurent pas a 
la mort veritable de Jesus, s'en tire en disant qu'on passa tout 
simplement par profits et pertes ces courtes heures de mort : man 
kiimmerte sich schlechterdings nicht um diese kurzen Todes- 
stunden ; p. 290! II est admirable, apres cela, quele dogme chre- 
tien de la mort redemptrice se soit fait accepter comme fonda- 
mental en 1'an 50, non seulement par Paul, et dans des chretientes 
d'origine partiellement hel!6nique, telles que Corinthe, mais qu'il 
ait ete preche par tous les ap6tres : 

Or sus, que ce soit moi, que ce soient eux, 

ainsi nous pr^chons et ainsi vous avez cru (I Cor., xv, 11) 

et regu dans des Eglises, telle celle de Rome, ou Paul n'avait 
jamais mis les pieds, et pour laquelle, selon toute apparence, 
avait ete ecrit cet evangile meme de Marc dont un verset fournit 
a M. Bickermann son fragile point de depart. Ces faits constants 
nous font rentrer sur le terrain de Thistoire, datee et documented, 
loin de ce que Johannes Weiss, dans son dernier ouvrage, appelait 
justement les fantdmes de ceux qui pretendent faire de la mort 
du Christ, un cas particulier des dieux de la Vegetation, mourant 
et ressuscitant chaque annee , celebres dans les mysteres : Das 
Urchristentum, 1917, p. 379 note. 

On notera d'ailleurs, sans etonnement, mais non sans inte"ret, 
que le tombeau trouve vide, proscrit comme une simple legende r 
fiction mediocre d'un esprit peu inventif, par M. Loisy et le gros 
des critiques liberaux d'antan, devient, pour le nouvel essaim, le 
trait primitif, essentiel, r^velateur de la plus ancienne tradition 
chretienne 1 



NOTE 2 

a RESSUSCITE LE TROISIEME JOUR n. 

Le Christ est mort pour nos peches, confonnement aux Ecritures, 

et il a ete enseveli ; 
et il est ressuscitd le troisieme jour, conforme"ment aux Ecritures, 

et il est apparu a Cephas, ensuite aux Douze... (I Cor., xv, 3-5). 

Le troisieme four ; ou : apres trois jours P 

La mention du troisieme jour figure a mainte reprise, on le 
sail, dans les predictions de Jesus concernant sa fin. Mais on la 
trouve sous deux formes : Tune recouvre exactement la fornrale 
paulinienne : le troisieme jour , TflTprryj -fin-epa : Mt., xvi, 21; xvn, 
23; xx, 19; Lc., ix, 22 et xvm, 33 (dans ce dernier cas, avec une 
difference modale tres legere : TTJ ^'pa TTJ rpitY] ); 1'autre est parti- 
culiere a saint Marc : apres trois jours, JAET& Tpe?c^po< : Me., VHI, 
31 : ; ix, 31; x, 34. Les trois jours et trois nuits du signe de 
Jonas : rpeT? ^e'poc x\ -rpeT; voxtac, Jonas, i, 17 (n, 1, LXX) et Mt. , XH, 
40, ont pu servir d'intermediaire entre les deux formules, comme 
le penseM. J. Lagrange, fivangile selon saint Luc, 1921, p. 266. 

Je s"uggererais egalement, comme agissante en ce sens, la parole 
du Christ sur le Temple d6truit et re^difi6 en trois jours, $i&Tpto>v 
-f,jx6piov , Mt., xxvi, 61 ; Me., xiv, 58; ?v ipfmv %lpatc , Mt., XXVH, 
40; Me., xv, 29; Jo., n, 19 et20. Cette parole a en effet vivement 
frapp6 les contemporains. 

Quoi qu'il en soit, c'est la premiere fornrale : le troisieme 
jour , d'ailleurs identique pour le sens avec 1'autre, mais plus 
precise, qui triompha. C'est elle que donne la catechese la plus 
ancienne transcrite par saint Paul, I Cor., xv, 4. Elle obsede les 
transcripteurs de I'^vangile, comme en temoigne l'e"tat du texte de 
aint'Marc, oil elle tend a s'introduire, et est attestee par un 
; grand nombre de manuscrits aux trois seuls endroits, Me., VHI, 31; 
ix, 31 ; x, 34, ou figure le apres trois jours . On peut voir les 
variantes dans Burton et Goodspeed, A Harmony... in Greek, 
p. 143, 152, 223. Enfin, c'est le troisieme jour qui figure sans 
exception dans tous les symboles, orientaux et occidentaux, ou 
mention est faite de la date, c'est-a-dire moralement dans tous. 

506 



nES*JSCIT6 LE TROISIKME JOUR . 07 

Textes dans H. Lietzmann, Symbolstudien, dans ZNTW, XXI, 
1922, p. 16, 17. - 

Conformement aux ficritures . 

Par centre, 1'incise : Conformement aux Ecritures , a disparu 
de la plupart des symboles (exception faite de celui d'Antioche, 
du Niceno-constantinopolitain transcrit par saint Epipharie, Anco- 
ratus, 118, et du Nestorieri). La mention des Ecritures qui vise tres 
surement, dans saint Paul, le fait de la resurrection, comme il 
appert des te"moignages scripturaires abondamment mis en usage 
dans les premiers discours sur la resurrection, ne couvre pas aussi 
clairement (Joh. Weiss, Der erste Korintherbrief '* ', 1925, p. 348, 
1'a tres bien reconnu) la date du troisieme jour . Nous ne lisons, 
dans tout le Nouveau Testament, aucun temoignage scripturaire 
sur ce point. Le seul en dehors du signe de Jonas que Jesus s'est 
applique a lui-meme qu'on ait pu trouver, etson application parait 
tardivement, est le texte d'Osee, vi, 1 suiv. Ce prophete met en scene 
les Israelites revenant a Dieu, a la suite d'une e"preuve, dans un 
moment 6ph6mere de devotion : 

Venez, revienons & Iahv6, 

Car il a d6chir6, mais il nous guerira (ou : pour nous guerir), 
il a frappe, mais il nous pansera (ou : pour nous panser) ; 
II nous fera revivre (ou : nous restaurera) apris deux jours, 
au troisitme jour, il nous rdtablira (ou : nous fera lever) pour que nous 

[vivions devant lui. 

Pour que nous sachions poursuivre la connaissance de lahve, 
sa sortie est paree (ou : sure) comme 1'aurore ; 
pour qu'il vienne sur nous 
comme la pluie tardive (de printemps) qui arrose la terre. 

Le P. J. IMeyrand, auquel je dois cette traduction, fait remarquer 
qu'au verset 2 : II nous fera revivre , le verbe haia : vivre, 
revivre, a probablement le sens de gudrir, comme dans Josue, 
v, 8. 

Les mots soulignes, sur lesquels on a edifi6 mainte conjecture 
fragile, possedent par contre un commentaire rabbinique ancien, 
assez copieux. Us sont toujours interpretes dans le sens d'un 
prompt secours accorde par le Seigneur a ceux q'ii se confient en 
lui : Jamais Dieu ne laisse les justes plus de trois jours dans le 
besoin : nous Tapprenonsde Texemple de Joseph (Genese, xm, 17), 
de Jonas, de Mardoche'e, du roi David. Et au reste, il est ecrit : 
II nous fera revivre apres deux Jours, etc., Osee, vi, 2. Berechit 
Rabba Gen., xci, dans H. Strack et P. Billerbeck, KTM, I, p. 747; 
autres exemples, p. 760. 



508 JESUS CHRIST. 

Si done Ton veut appliquer le conformdment aux Ecritures a 
la date de la resurrection, 1'explication la plus naturolle est celle 
qui va chercher des temoignages scripturaires dans les textes ou 
1'intervention de Dieu en faveur de ses amis et de ses enfants est 
rapportee au troisieme jour . L'expression, dans I'opinion popu- 
laire, visait une periode tres courte, plutot qu'un laps de temps 
determine : on peut voir les exemples apportes par A. van Hoonac- 
ker, Les Petits Prophetes, Paris, 1908, p. 330 :I Sam. (I Reg.), xxx, 
12 suiv. ; Esther, iv, 16 suiv., rapproche de v, 1. Si le terme s'est 
precise, c'est sous 1'influence de 1'evenement. 

Analogies mythologiques. 

Cette explication parait trop simple a beaucoup de critiques, en 
mal d'infiltrations mythologiques. Ne pouvant bonnement soutenir 
que la mention du troisieme jour a etc" suggeree par 1'Ancien Tes- 
tament, ils cherchent et actuellement trouvent, un peu partout, des 
echeances de trois jours, ou d'a peu pres trois jours. Elles ne sont 
pas rares. Apres H. Gunkel, W. Bousset a releve celles qui lui 
paraissent le plus frappantes : Osiris, dont la mort est commemoree 
le 17 du mois d'Athyr, et 1' invention , le 19 ; Attis, dont la mort r 
a Rome du moins, sous 1'Empire, etait rappelee le 22 mars, et la 
reviviscence, les Hilaries , le 25 : Kyrios Christos*, 1921, p. 25. 
Au reste ces analogies ne le satisfont guere : toutes ces combinai- 
sons ne sont nullement stires ! II se rallie done, pour son compte, 
comme a une probability moins lointaine, a la croyance populaire, 
d'origine persane, d'apres laquelle Tame du mort restait trois jours 
pres du cadavre. Mais ilfaut reconnaitre que cette croyance, fut-elle 
reconnue existante dans le Judaisme contemporain du Christ, ce 
qui est loin d'etre, est mal propre a prouver la these. Entre elle et 
la resurrection, il y a un abime, puisque c'est justement le dernier 
lien du corps avec 1'ame qui acheve de se briser le troisieme 
jour , la mort definitive succedanta la premiere mort. 

Parmi les autres hypotheses suggerees (on en trouvera le denom- 
brement complet dans Carl Clemen, Religionsgeschichtliche Erklae- 
rung des Neuen Testaments 2 , 1924, p. 96 suiv*) une seule merite 
d'etre relevee, plut6t suggeree que poussee a bout, dans 1'ele- 
gant memoire de M. Gustave Glotz, Les Fetes d' Adonis sous Pto- 
le'me'e II, dans la Revue des fitudes Grecques, XXXIII, 1920, p. 152 
suiv. Partant d'un papyrus contenant les comptes de menage d'un 
Egyptien du temps ptolemai'que (Papyrus Flinders Petrie III r 
n. 142) et le completant av^c une erudition murie, M. Glotz distin- 
gue, dans les fetes automnales annuelles du retour d'Adonis r un 



RESSUSC1TE LE TROISIEME JOUR . 509 

triduum : un jour d'allegresse, un jour de deuil et d'absti- 
nence , enfin le jour des mysteres, durant lequel 1'adoniaste va 
au SetxT^ptov oil se joue la pantomime sacree de la resurrection . 
Voila une resurrection le troisieme jour! Seulement, comme 1'a 
justement note" le P. Lagrange, RB, XXXI, 1922, p. 309-311 (et 
outre qu'il n'existe aucune trace d'une influence des Adonies sur la 
communaute primitive, entierement judai'sante, de Jerusalem, qui 
les eut tenues pour de simples abominations) , le retour escompte 
d' Adonis des enfers n'est nullement une resurrection. 

II suffit de relire les Syracusaines de Theocrite, principale source 
a laquelle puise M. Glotz en vue de completer les maigres donnees 
de son papyrus, pour voir que la remontee du jeune demi-dieu a la 
lumiere du soleil n'etait rien moins qu'un retour a la vie. Parta- 
geant ses favours entre Persephone et Aphrodite, Adonis etait 
rendu pour quelque temps, chaque annee, par la permission de 
Zeus, a 1'amour de celle-ci. C 'etait cet anniversaire qu'on celebrait, 
quand les Heures cheries, les plus lentes des deesses, ramenaient 
Adonis, avec le douzieme mois, de 1'intarissable Acheron . Mais, 
le reste de 1'annee, le jeune heros beneficiait des sombres caresses 
de la deesse chthonienne. Et c'est justement ce partage regulier 
entre les deux amantes, 1'infernale et la celeste, qui distinguait la 
legende d' Adonis : Tout.seul, parmi les demi-dieux, cher Adonis, 
tour a tour tu viens sur terre et tu vas aux Enfers. Ni Agamemnon 
n'a eu cette fortune, ni le grand Ajax, etc. Les Syracusaines, 
vers 100 suiv., 136 suiv. Trad. Ph. E. Legrand, Bucoliques grecs, 
I, Theocrite, Paris, 1925, p. 125, 127. 

En resume, la mention du troisieme jour n'a rien a faire avec 
ces lointaines mythologies. Elle figurait dans les predictions du 
Christ, conformes elles-memes . a la croyance, surement repandue 
alors enlsrae'l, selon laquelle Dieu ecoute et secourt tres vite, le 
troisieme jour , les justes qui se confient en lui. Mais ni les pro- 
pheties du Seigneur n'avaient ete comprises par ses disciples ; ni la 
croyance a 1'aide divine du troisieme jour n'impliqua,it un lapt 
de temps fixe, determine. C'est le fait qui a tout eclaire et qui a 
dicte la catechese primitive que Paul, entrant dans FEglise, regut 
Iui-m6me et transmit a ses fideles. 



NOTE P 2 

DIEUX MORTS ET RESSUSCITES 

II n'est guere de ibrmule plus repandue et plus insidieuse, en 
depit de la faiblesse des raisons apporte"es a 1'appui, que celle des 
dieux mortset ressucites . C'est que les historiens des religions 
antiques, soucieux de rattacher a des notions connues et vivantes 
les fables lointaines dont Us font les honneurs aux lecteurs de notre 
temps, sont naturellement portes a les traduire en langage contem- 
porain, c'est-a-dire chre'tien. Dieu sait s'ils y ont manque! L'on ne 
parle pas ici des polemistes grossiersqui ne voient dans ces mythes 
et ces croyances qu'un arsenal ou leur sectarisme va s'approvision- 
ner a bon marche" : de ceux-la, Garde-toi, et passe ! Mais des 
savants qualifies n'hesitent pas a employer un vocabulaire et a for- 
muler des analogies generates, qui font rentrer, sans plus, le mystere 
chretien dans la plebe obscure des mysteres pai'ens. C'est, par 
exemple, M. A. Moret disant dans sa Passion d' Osiris : Rep6ter 
sur un cadavre d'homme les mutilations jadis subies par Osiris. 
c'etait agir directement sur le dieu m6me ; simuler sur une statue 
le demembrement d'Osiris, c'etait le d^membrer a nouveau... A 
chaque sanglant mystere accompli dans une tombe ou dans un 
temple... Osiris, subit sa passion, meurt, renait. II est sacrifie 
sur chaque autel*. C'est M. Raff. Pettazzoni, qui, apres avoir r 
tres loyalement, marque les differences capitales qui separent 
le christianisme des religions a mysteres, ajoute cependant : 
Christ meurt et ressuscite comme Adonis, comme Osiris, comme 
Attis, et si I'initid aux mysteres est regen^re par la vertu desactes 
sacres qui le rendent participant du destin du dieu et consequem- 
ment aussi de sa resurrection, le Chretien aussi revit en Christ par 
la communion avec le Christ, par la participation sacramentelle 
aux graces du Christ 2 . Et M. Loisy n'a pas craint d'ecrire : Dans 
tous les mysteres et jusque dans le culte chretien nous trouverons 
des rites de sacrifices et des mythes de sacrifices... aussi varies les 

1. Rois el Dieux d'Egypie s , Paris, 1923, p. 103. 
5J. IMisleri, Bologne, s. d. (1924), p. 316. 

510 



DIEUX MORTS ET RESSU8CITES. 511 

uns que les autres. Faons de"chires tout vifs'et manges par les bac- 
chantes, petits pores immoles a Demeter, tauroboles et crioboles de- 
la Grande Mere, cene de Mithra, eucharistie oil saint Paul nous fera 
voir la communion au Christ mort et ressuscite :telssont les rites.... 
Zagreus de"vore par les Titans, Core" ravie au pays de la mort, Attis 
mutile, Osiris demembre 1 et ressuscite", Mithra tuant le taureau, le- 
Christ de Paul livre a la mort pour effacer les pe"ches des hommes r 
tels sont les mythes * . 

II ne suffit pas de protester centre des assimilations, sommairea 
parfois jusqu'au blaspheme. II faut voir encore ce qu'il en reste- 
quand on sort des geneYalites. On n'a pas la prevention de faire 
tenir dans une note ce qu'il faudrait un livre pour exposer, mais de 
rechercher, sur le- point precis de la mort et de la resurrection du 
Christ, quelles analogies nous offrent les religions antiques a mys- 
teres. C'est pourquoi, sans essayer de retracer la genese et 1'histoire- 
des mythes dans lesquels est implique" un dieu mort et ressuscite r 
nous preciserons les traits essentiels de ces fables, a l'poque-> oil 
elles purent inspirer la religion- chretienne, et entreren concurrence 
avec elle. Sur chacune, nous renverrons seulement a quelques- 
ouvrages et memoires particulierement accessibles, on considira- 
bles 8 . 

1. Osiris. 

De tous les dieux morts, sinoa ressuscit^s au sens reel du mot r 
le mieux documente est certainement Osiris, soit a cause de 1'abon- 

1. Les Mysteres paiens et le Myslere chrelien, Paris, 1919, p. 22-23. 

'2. Citons ici, une fois pour toutes, les livres de Franz Cumont, Les Religions 
orientales dans le Paganisme romain, Paris, 1907, 2 1909; J. Toutaih, Les Cultes 
patens dans I' Empire romain, I, 2, les Guiles orientaux, Paris, 1911; Paul Wend- 
land, Die Hellenislisch-roem, Kultur in ihren Beziehungen zu Judentum und Chris- 
tenlum 2 - 3 , Tubingen, 1912; A. Loisy, Les Mysleres patens et le Myslere Chretien, 
Paris, 1919; R. Reitzenstein, Die hellenistischen Myslerienreligionen*, Leipzig, 1920; 
U. Fracassini, II mislicismo greco e il Crislianesimo, Citta di Castello, 1922 ; R. 
Pettazzoni, IMisleri, saggio diuna teoria storico^religiosa, Bologne, 1924; J. Leo- 
poldt, Slerbende und auferstehende Goelter, Leipzig, 1923. 

Les deux premiers cit<Ss sont assur6ment les plus objectifs. Extremement 
erudits et riches en suggestion, les ouvrages de P. Wendl'and et R. Reitzenstein 
sont a contrdler de pres, et, plus encore, les parties du Golden Bough 3 , de Sir 
J. G. Frazer, qui concernent le sujet : Part III, The dying God; Part IV, Adonis, 
A llis, Osiris. Lecharmant petit livre de Thadde"e Zielinski,Z,a Religion de la Grece 
antique, tr. Fichelle, Paris, 1926, qui touche ces questions aux ch. H, iv et vn 
avec la maiirise habituelle de 1'auteur, est malheureuseraent gate par un double 
parti pris : d'optimisme a regard de rHell^nisme, et d'injuste s6v6rite pour tout 
ce qui est judaique. 



512 JESUS CHRIST. 

dance des monuments concernant la religion e"gyptienne, soit parce 
que Plutarque a consacre" a son cycle un opuscule considerable, que 
nous posse*dons. La litte'rature est immense 1 . 

Filsaine de Qeb, le dieu-terre, et de Noui't, la deesse-ciel, Osiris 
personnifie en meme temps la vegetation, la nature fertile de 
1'Egypte et 1'eau vivificatrice du Nil. Sa le"gende le donne avant 
tout pour le roi civilisateur qui fit passer ses sujets de la barbaric, 
danslaquelle Thomme etait pour 1'homme un loup, a l'6tat de societe 
une, moralisee et policee. II regie et organise le chaos, avec 1'aide 
intelligente de sa sceur et femme, Isis. En face de ce fauteur d'ordre 
t de progres, se dresse une figure de reaction brutale, Seth le 
rouge, personnification du desert brulant, frere jumeau d'Osiris. 
Jaloux de son frere, Seth le prend par ruse, 1'enferme dans un coffre 
de bois, le jette a la mer et usurpe son trone. 

Isis s'enfuit dans le Delta, ou, aidee des dieux qui lui etaient restes 
fideles, elle recherche les restes de son mari, en retrouve tous les 
membres (sauf un que le poisson oxyrhinque avait devore*). Alors, 
en magicienne experte, elle essaie de faire revivre ce corps recons- 
titue. Malgr6 tous ses efforts, elle ne peutle rappeler a la vie, mais 
elle obtient au moins une compensation, celle d'etre fecondee par lui 
et de mettre au monde un fils, qui devait devenir le vengeur de son 
pere , Horus. Le premier soin de celui-ci, quand il a grandi, est, 
aide d'Anubis, d'embaumer le corps de son pere, instituant du coup 
Jes rites fune"raires qui assurent au deTuntla vie d'outre-tombe. Grace 
A cette momification et aux ceremonies d'Horus, Osiris peut enfin 
etre deifie", comme tous ses predecesseurs, les rois, et jouir d'une 
vie nouvelle dans le sejour des morts, ou il etablit, comme jadis sur 
lerre, 1'ordre et la paix. 

Tel est, dans ses grandes lignes 2 , le mythe d'Osiris. Et s'il com- 


1. Je signalerai, .parmi la plus r^cente, A. Moret, Rois el Dieux d'figypte 3 , 
Paris, 1923, p.77-]W;Mysteres gypliens 3 ,Paris, 1925, p. 3-102; LeNilel laCivili- 
falion fyyplienne, Paris, 1926; H. Gressmann, Tod und Auferstehung des Osiris, 
Leipzig, 1923; G. Roeder, Usire, dans Roscher, LGRM, IX, 1925, col. 122-140; 
H. Junker, Die Mysterien des Osiris, dans le Comple rendu analylique de la HI" 
Semaine d'Elhnologie religieuse, Enghien, 1923, p. 414-426. 

Le trait6 de Plutarque sur Isis et Osiris a 6te traduit fidelement par Mario 
Meunier, Paris, 1924, avec un commentaire moins sur. Toutes les histoires de la 
religion egyptienne traitent le sujet plus ou moins longuement. On peut voir, 
par exemple, T. E. Peetdans The Cambridge Ancient History, I 2 , Cambridge, 1924, 
ch. ix, p. 332 suiv. ; H. 0. Lange, dans le Lehrbuch der Reiigionsgeschichte*, de 
Chantepie de la Saussaye, Tubingen, 1925, 1, p. 456 suiv. ; et 1'excellente bibliogra- 
phic de G. J^quier, Hisloire de la Civilisation figyplienne, Paris, 1923, p. 311-320. 

2. J'ai suivi, etparfois transcritG. J^quier, Hisloire de la Civilisation figyplienne, 
Paris, 1923, p. 39-42. 



DIEUX MORTS BT RE8SUSCITES. 513 

porte un bon nombre de variantes importantes, il est toutefois 
beaucoup moins flottantque ceuxd'Attis oud 1 Adonis. Nous n'avons 
a nous attacker ici qu'aux traits coneernant la mort et la resurrec- 
tion du dieu. Ce sont aussi ces faits qui, au cours des mysteres 
d'Osiris, etaient, nousdit-on,representes et mimes dans degrandes 
f6tes dramatiques , jouees partie en plein air, devant le grand 
public, partie a I'interieur des temples, et parfois dans des edifices 
speciaux, les chapelles d'Osiris * . Ces mysteres comportaient trois 
drames ou representations principales : la mort, 1'ensevelissement 
et le triomphe d'Osiris. Le premier de ces actes coi'ncidait avec la 
fete de la gerbe, ou de la vegetation ; le second, avec celle de la 
moisson ; le troisieme, beaucoup moins bien atteste, consistait dans 
le redressement d'un pilier symbolique, le Ded ; ou dans 1'introni- 
sation dans un naos a deux sieges, d'une double effigie du dieu, en 
costume de roi de la Haute et Basse Egypte. 

En tout cela, la resurrection d'Osiris ne figure pas. M. A. Mo- 
ret la postule, comme indispensable a 1'economie du mystere. Mais 
il reconnait tres loyalement qu'il n'y en a pas trace dans les monu- 
ments, ou les textes-; la representation de la Passion et de la Mort 
d'Osiris, ecrit ce savant, s'accompagnait certainement de la Re"sur- 
rection du dieu. Or, dans lagrande Procession etla fete de la Mois- 
son, nous nevoyons pas figure's les rites qui provoquent cette resur- 
rection d'Osiris ; c'est pourtant le nceud de ce drame sacre. Sans 
doute cet acte, repute secret, se jouait-il hors de la vue du public : 
aussi n'est-il pas revele par les inscriptions et les tableaux. On 
peut supposer que la curiosite du peuple se tenait satisfaite du 
denouement du drame : puisque Osiris est ramene triomphant dans 
son temple, c'est qu'evidemment il a vaincu Seth, il s'est releve" de 
la mort. A Medinet-Habou, on proclame 1'avenement au trone d'Ho- 
rus, fils d'Isis et d'Osiris ; c'est-a-dire qu'Osiris est ressuscit^ sous 
la forme de son fils 2 . 

Autant dire qu'il n'est pas ressuscite, sinon en metaphore, ou par 
personne interposee. Les mysteres secrets vont-ils nous mener plus 
loin ? M. Moret 1'affirme avec assurance. Dans le long rituel a vingt- 
quatre scenes qui constituait le culte quotidien d'Osiris, on nous dit 
qu 1 il y a progression dans le rite, qui aboutit, par etapes, a la 
resurrection du dieu . Mais il faut s'entendre, et voir en quoi conr 
siste cette resurrection. 

Isis, en depit de ses pouvoirs et de sa science magique, n'avait 

1. A. Moret, Mysteres tigyplienss, 1923, p. 7. 

2. Mysleres figyptiens 3 , p. 1-12. 

CHRIST. n. 33 



514 JESUS CHRIST. 

pu, apres avoir retrouve", rassemble", rapproche", tous les membres 
d'Osiris sauf un rappeler son mari a la vie. Son fils Horus, 
aide de sa mere et de leurs dieux allies, Thot, Anubis et Nephthys, 
sera-t-il plus heureux ? Oui, nous dit M. Moret ; mais voici 1'expli- 
cation : Isis, Horus, etc., rassemblent les membres epars, mettent 
al'abri de la corruption ces chairs perissables (par un embau- 
mement soigne, exemplaire pour tous ceux qui, parle m&me moyen, 
chercheront la m&me fin). Ils en font un corps eternel (zet, la pre- 
miere momie) dans laquelle Osiris revivra ajamais* . II revivra; 
mais oil ? mais comment ? Aux enfers, dans le royaume des morts r 
n'e"tant plus sur terre qu'un roi faineant. Toutefois, ajoute M. Mo- 
ret, cette vie nouvelle est celle d'un roi retire du monde, d'un heros 
divinise", qui, tout en restant le protecteur de sa race, laisse la di- 
rection des affaires a son successeur 2 . Plus loin, resumant ce- 
qu'il appelle la doctrine osirienne , le m6me savant explique 
ainsi les choses : Nous avons dit comment Seth avait cause" la 
mort d'Osiris, et par quels moyens, techniques et magiques, Isis 
et ses allies avaient sauve son cadavre de la putrefaction. Le corps 
d'Osiris, desinfecte par le natron, fut preserve" du contact de 1'air 
par un reseau de bandelettes. Anubis e"tait, selon la le"gende, 1'inven- 
teur de 1'emmaillottement... Isis paracheva 1'ceuvre par son art 
magique : les formules, les charmes sortis de sa bouche (creatrice 
comme celle de toutdieu) transformerentce cadavre en corps 4ternel. 
Osiris fut la premiere momie. Limitation des mouvements rendit k 
ce cadavre incorruptible la vie apparente qui lui manquait. Ces 
ceremonies assurent a Osiris, dans 1'autre monde, la spiritualisa- 
tion qui marie son zet (corps momifie", done eternis6) a son Jta 
(element d'ordre spirituel) 3 . 

Si Ton veut appeler cette serie d'op6rations, avec ses resultats, 
une resurrection, nous ne discuterons pas sur les mots. Mais nous 
demandons ce qu'il y a, en tout cela, d'analogue avec une resurrec- 
tion proprement dite, corporelle, et en particulier avec celle du 
Christ. Tout de meme que nous demandons quelle analogic permet 
d'appeler 1'assassinat d'Osiris par son frere, une passion , au 
sens chretien du mot. Et nous preierons la fae.on de parler de 
M. T. E. Peet, qui conclut, apres avoir expose" brievement les opi- 
nions touchant 1'origine du mythe osirien : Dans les deux cas, le 
fait essentiel qu'il faut retenir, c'est qu'il (Osiris) est d'abord et 



1. A. Moret, Le Nil et la Civilisation jgyptienne, 1926, p. 104. 

2. Ibid., p. 104. 

3. Ibid., p. 445-446. 



DIEUX MORTS ET RESSUSCIT^S. 515 

avant tout un roi mort : the essential fact to be grasped is that he is 
first and foremost a dead king (soulign6 dans le texte) 4 . 

Plus encore : Osiris est un roi tue. Dans sa carriere royale et, par 
consequent, d'apres la conception egyptienne, divine, de laquelle de- 
pendent a la fois la fecondite du sol et le bonheur du peuple, il est 
arrete brutalement par la fourberie de son detestable jumeau, le 
rouge Seth; ainsi, au printemps, la vegetation deja exuberante et 
pleine de promesses est parfois arretee, devoree, fletrie, par un 
vent brulant venu du ddsert. Tous les rites qui portent le sens du 
mythe vont a montrer la carriere royale d'Osiris, type a la fois et 
condition dubien-etre de sespeuples, reprenant, grace aux charmes 
puissants et au devouement d'Isis, son cours normal. G'est ce 
redressement sauveur qui est commemore et ce!6bre, ce sont les 
precedes magiques employes par Isis, son fils Horus et leurs dieux 
amis, pour procurer ce redressement, qui sont mimes dans les mys- 
teres d'Osiris. Mais la carri6re de celui-ci, sur terre, est terminee a 
sa mort : il ne ressuscite done nullement. Seulement et ceci suf- 
fit pour assurer les graves consequences pratiques qu'on en attend 
et qui en dependent cette reprise est obtenue dans 1'autre monde, 
ou Osiris, d6sormais pourvu d'un corps reconstitue", et dument 
momifie, peut poursuivre le cours, tragiquement interrompu ici-bas, 
de sa destinee royale et divine. 

2. Dionysos Zagreus. 

On ne s'attend pas a trouver ici un expose de 1'Orphisme : avec 
un peu d'humeur, M. F^ranz Cumont disait naguere qu'on en a sin- 
gulierement abuse dans ces dernieres ann6es, et exagere son action 
sur la litterature, sur 1'art et sur la religion de 1'epoque romaine 2 . 
Quoi qu'il en soit de ce trait qui vise surtout la savante fantasma- 
gorie de M. Vitt. Macchioro 3 , il est impossible d'aborder meme 
1'ensemble des notions dispersees, maigrement documentees pour 
la plupart, et inextricablement emmelees dans les theories reli- 
gieuses, philosophiques ettheosophiquesposterieures, quiserecom- 
mandent du nom d'Orphee 4 . 

1. Nature of Osiris, dans Egyptian Life and Thought, The Cambridge Ancient 
History, 1 2 , 1924, p. 333. 

2. Revue de I'Histoire des Religions, LXXXV, 1922, p. 85. 

3. Zagreus, sludi sull' orfismo, Bari, 1920. 

4. Je renvoie li-dessus aux m^moires de MM. Paul Monceaux, Orpheus, Or- 
-phici, dans Daremberg-Saglio-Pottier, DAGR, IV, i, p. 241-256 ; Ch. Dubois, 

Zagreus, Ibid., V, 2, 1034-1037; d'CX Gruppe, Orpheus et Phones, dans Roscher, 
LGRM, III, i, col. 1058-1207 ; III, 2, col. 2248-2271 ; et au brillant exposS de 



516 JESUS CHRIST. 

Laissons de c6t, comme sans ported sur la question prdsente, la 
periode tres obscure des origin,es, et ne cherchons pas a d6partager 
les influences subies. Nous entrons sur un terrain solide au sixieme 
siecle avant J6sus-Christ ; alors existe, a Athenes et en Grande- 
Grece, un culte religieux, bachique, non pas officiel mais pratique 
par des fideles associ6s en confreries ou thiases. Ces grpupes recru- 
tes librement se r^clament, comme initiateur de leurs mysteres, du 
heros thrace Orpheus, poete, devin et musicien. Le principal souci 
des Orphiques porte sur 1'au-dela, le monde futur. Us tachent de s'y 
assurer le salut, en pratiquant une regie assez severe, apparentee 
aux coutumes pythagoriciennes, et en celebrant des rites appuyes 
du moms en droit : on sait qu'en fait il convient le plus souvent 
de renverser le rapport, les mythes etant poste"rieurs aux rites, et 
destines a les justifier sur des croyances mythiques appartenant 
au vaste cycle dionysiaque. Dans la suite, et c'esta cestade de lente 
dissolution et defiguration que 1'orphisme en etait arrive aux temps 
apostoliques, les loges ou thiases places sous le patronage d'Or- 
pheus evoluerent vers une sorte de theosophie, a nuance philoso- 
phique chez les doctes, a tendance magique chez les autres. 

Le mythe fondamental de 1'Orphisme ancien, religieux (toute 
reserve etant faite sur sa prehistoire, fort mal connue encore) est 
celui de Dionysos Zagreus, que toutes les sources nous donnent 
comme originaire de la Thrace. Les cultes de cette province etaient 
celebres par leur caractere orgiastique : ils etaient celebres de 
nuit, sur la cime des collines, a la lueur douteuse des torches : une 
musique sourde et insistante en exasperait la erudite. Ni hymnes 
ni chants mesures; mais des cris pergants et repetes, scandant une 
danse fr6n6tique. C'^taient surtout les femmes qui ballaient, dans 
ces rondes, jusqu'a l'6puisement complet. Elles Etaient 6trangement 
vetues, portant des bassarai, longues robes flottantes faites de 
peaux de renard cousues ensemble : par-dessus, des peaux de daim, 

E. Rohde, Psyche 8 , ch. x etvm, trad, anglaisede W. A. Hillis, 1925, p. 335suiv 
Apr^s M. S. Reinach, deux 6rudits, M. 0. Kern en ALlemagne et, plus r6cem- 
ment, M. A. Boulanger, en France, ont fait de 1'Orphisme leur domaine. Au pre- 
mier, nous devons la meilleure Edition des textes : Orphicorum Fragmenta, 
Berlin, 1922, et Orpheus, eine religionsgeschichtliche Unlersuchung, Berlin, 1920; 
a M. A. Boulanger, OrpMe, Rapports de 1'Orphisme et du Christianisme, Paris, 
1925, prelude d'un ouvrage beaucoup plus considerable. Les exposes italiens sont 
nombreux et copieux : U. Fracassini, II Misticismo greco, etc., 1922, p. 72-116; 
R. Pettazzoni, / Misleri, 1924, p. 57-71, N. Turchi, etc. La question des rapports 
avec le Christianisme, abordee avec plus d'6rudition que de jugement par 
V. Macchioro, Orphismo e Paolinismo, 1922, est trait6e par A. Boulanger, OrpMe, 
1925, p. 85-134, et le R. P. Lagrange, Revue Biblique, XXIX, 1920, p. 424-435, 
d'une faQon tres complete. 



DIEUX MORTS ET RESSUSCITES. 517 

dont les comes m&mes surmontaient leur t&te. Les cheveux d^noues 
flottaient au vent : elles portaient dans leurs mains les serpents 
consacres a Sabazios et brandissaient des poignards ou des thyrses 
dontle fer etait cache* dans des feuilles de lierre. Ainsi accoutres, 
elles se demenaient furieusement, jusqu'a ce que, ayant atteint le 
paroxysme de 1'excitation, en etat de fre'ne'sie sacree, elles se 
jetassent sur 1'animal ehoisi pour victime et dechirassent, membre 
par membre, leur proie capturee. Alors elles saisissaient entre 
leurs dents la chair saignante et la devoraient toute crue 1 . v 

II n'est pas indifferent d'evoquer la fieVreuse atmosphere thrace, 
pour situer Vomophagie (manducation de la chair crue de la vic- 
time) qui figure dans le culte orphique, comme rite fondamental ; 
et aussi le mythe essentiel comme*more par ce rite, et que voici : 
Zeus et Rhea, unis sous la forme de serpents, avaient eii une 
fille, Persephone, &tre monstrueux qui avait quatre yeux et des 
comes. S'etant une seconde fois metamorphose en serpent, Zeus fit 
violence a sa fille et de cette union naquit Dionysos Zagreus, qui, 
comme sa mere, avait des comes. Nonnos 1'appelle xspoev ppfpo;, le 
petit cornu. Craignant pour lui les pieges de Hera (Juiion), Zeus 
lui donna comme gardiens les Curetes qui 1'avaient garde lui-me'me 
dans son enfance; n6anmoins, le jeune dieu fut surpris par les 
Titans, envoyes par He"ra, qui I'amuserent en lui pr^sentant des 
jouets. II chercha a leur echapper, se transformant successivement 
en lion, en tigre, en cheval, en serpent, en taureau; mais il fut tue 
par eux, et ses meurtriers, apres 1'avoir depece, en devorerent les 
morceaux. Zeus ordonna a Apollon de recueillir et d'ensevelir ses 
membres : le dieu de Delphes les ensevelit a cote du tre"pied. Quant 
au coeur, reste intact, Pallas 1'emporta et le remit a Zeus qui, apres 
1'avoir absorbe, donna naissance a un second Dionysos, destine a 
partager desormais la gloire et la souverainete de son pere. D'apres 
une variante de la legende, Sem61e aurait avale le coeur de Zagreus 
et aurait enfante ainsi le second Dionysos, le Dionysos Thebain. 
Les Titans furent precipite"s dans le Tartare, reduits en cendres, et 
de ces cendres naquit le genre humain... Po'ur les Orphiques, 
Zagre'us Dionysos est le dieu premier-ne de Zeus, associe au pou- 
voir souverain de son pere; il est le monarque universel.... Tame 
du monde , dont il assure la perpetuite. Sa lutte contreles Titans, 
sa mort, sa resurrection expriment les vicissitudes de la vie dans 
la nature, dans le monde physique et moral. Car il est le principe 
du bien, tandis que les Titans represented 1'energie destructrice 

1. Erwin Rohde, Psyche*, tr. anglaise W. A. Hillis, 1925, p. 257; les textes 
anciens, qui garantissent tous ces traits, p. 306 suiv. 



518 JESUS CHRIST. 

du mal. C'est pourquoi 1'homme, no" des cendres des Titans qui 
s'etaient nourris de Dionysos, est un compose de bien et de mal. 
II doit expier la peine de ses ancetres et degager en lui les bons 
elements en se consacrant a Dionysos. Tel est le but de 1'initiation 
orphique 1 . J'ai transcrit ce resume a cause de sa severe objectivite 
et de sa clarte en une matiere ou il est difficile d'etre clair. 

Dans 1'initiation orphique, le rite principal e"tait 1'omophagie, 
le repas ou les fideles depecaient et mangeaient la chair crue d'un 
taureau , qui representait Dionysos lui-m^me : ainsi participaient- 
ils a sa vie, devenaient ses fe"aux et etaient reconnus de lui quand 
ils arrivaient dans 1'autre monde. 

Le mythe principal, dont il existe des variantes, qui le rappro- 
chent (c'est le cas du Dionysos cretois) du mythe osirien, est appa- 
rente, selon V. Macchioro, a 1'initiation chretienne*. 

La comparaison, a vrai dire, est ancienne, puisque vers le milieu 
du deuxieme siecle, Justin, et, trente ans apres, Celse, la mention- 
nent. Origene repliquait a celui-ci : Qu'y a-t-il de venerable dans 
ce Dionysos furieux, v6tu en femme, pour qu'on 1'adore? Que si ses 
apologistes recourent aux allegories, autre chose est d'examiner ces 
allegories pour voir si elles renferment quelque partie saine, autre 
chose est de douer de personnalite" et de juger dignes de culte et 
d'adoration des etres dechires par les Titans et pre"cipites du tr6ne 
celeste 3 . Justin revient a deux reprises sur un deVeloppement qui 
devait lui etre familier : la comparaison de 1'histoire de Jesus avec 
certains traits des mythes anciens. Parmi eux il mentionne, pour 
en attribuer 1'invention aux demons , celui de Dionysos, fils de 
Zeus; ils pre"tendirent qu'il avait de"couvert la vigne; ils introdui- 
sirent le vin (ou : Tane; la legon ovov est preferee par Otto, Har- 
nack et Julicher) dans ses mysteres, et ils enseignerent qu'il monta 
au ciel apres avoir ete mis en pieces 4 . Ailleurs, et a peu pr6s 
dans les memes termes 5 : Lorsqu'on dit que Dionysos est ne de 
Zeus par I'union de celui-ci avec Semele, qu'il a d6oouvert la vigne ; 
lorsqu'on raconte qu'il mourut mis en pieces, qu'il est ressuscite 
et monte au ciel; lorsqu'ils produisent dans ses mysteres un ane 
(ou : du vin), est-ce que je ne comprends pas que le diable a imit6 
la prophetic du patriarche Jacob, etc.? J'ai soulign6 les mots qui 
se rapportent, dans le cycle dionysiaque, a Zagreus ; Justin, qui 

1. Charles Dubois, Zagreus, dans DAGR, V, 2, p. 1034. 

2. Orfismo e cristianesimo, dans Gnosis, I, 1921, p. 92 suir. 

3. C. Celsum, IV, 23. 6d. Koetschau, I, p. 219-220. 

4. I Apol., LTV, 6; (5d. et trad. Pautigny, p. 114-115. 

5. Dialog., LIX, 2; e"d. et tr. Archambault, II, p. 332-335. 



DIEUX MORTS ET RESSUSCITES. 519 

veut montrer 1'astuce diabolique de 1'imitation, traduit le mythe 
en termes Chretiens : xa\ arcoOavovTa 



On n'a done pas le droit d'ecarter sans discussion 1'analogie pro- 
posee par les comparatistes. Elle porte beaucoup plus sur la mort, 
ou, potfr employer leur langage, la passion de Dionysos Zagreus, 
que sur sa resurrection. Celle-ci, dans les variantes qui nous sont 
irapportees : le cceur du jeune dieu dissous dans un breuvage bu 
par Zeus, ou par Seme'le, qui ensuite 1'enfante a nouveau; ou le 
taureau repoussant, comme un grain, de son coaur seme par 
Apollon sous 1'Omphalos de Delphes, est une reprise, par-dessus 
une accidentelle coupure, de 1'athanasie propre aux dieux, et non 
une resurrection proprement dite. Ce n'est pas epiloguer que de 
distinguer ces notions, fort diflerentes en effet. 

Dionysos est, comme Osiris, normalement immortel : s'il meurt, 
comme Osiris meurt, c'est par suite d'une violence contre nature. 
Mais les forces de desordre, de chaos et de mort n'ont jamais le 
dernier mot. Apres la victoire ephemere de 1'hiver, ou du vent 
brulant (des Titans, de Seth ou Typhon), vient la revanche du 
printemps, de la vie, de 1'ordre : Osiris et Zagreus reprennent 
done, apres une eclipse, le cours de leur destinee, un moment 
obnubilee, suspendue, et non brisee. La resurrection de Zagreus 
ne saurait etre assimilee, dit fort bien M. Andre Boulanger 1 , a 
eelle du Christ. Le jeune dieu devore par les Titans renait sous 
une autre forme; c'est encore Dionysos, mais ce n'est plus Zagreus. 
Autant pourrait-on en dire de 1'Osiris celeste, compare au terrestre. 
Leurs -fideles celebrent cette victoire de leurs dieux et tachent d'y 
participer, soit en imitant l'embaumement et les rites efficaces 
moyennant lesquels Isis, Horus et leurs acolytes ont rendu a Osiris 
un corps necessaire a sa vie d'outre-tombe ; soit en mangeant la 
chair crue de 1'animal qui representait Zagreus, afin de s'assimiler 
a. lui, d'apres cette idee tres repandue qu'en mangeant la chair 
d'un heros, on s'assimile son courage (en 1649, les Iroquois qui 
martyriserent les PP. Jean de Brebeu! et Gabriel Lallemant leur 
arracherent le coeur et le mangerent sur place, pour faire passer 
en eux I'heroi'sme de leurs victimes 2 ) . 

S'il n'y a pas resurrection, au sens propre et chretien du mot, il 
n'y a pas non plus passion. Osiris est surpris et mis a mal par son 
affreux jumeau ; Zagreus, attire dans un piege par les Titans, ser- 

1. Orphee, Paris, 1925, p. 95. 

2. G. Goyau et G. Rigault, Martyrs de la Nouvelle France, Extrails des Rela- 
tions et Lettrcs, etc., Paris, 1925. 



520 JESUS CHRIST. 

viteurs de la jalousie d'Hera, essaie en vain de fuir sa destinee. II 
n'estpas commele Christ une victime volontaire. Bien loin d'avoir 
consenti a subir la mort, par un acte libre de justice et d'abne"gation. 
il a tout fait pour echapper a ses ennemis. II auraitete bien en peine 
d'appliquer aux hommes le benefice de ses souffrances, puisque la 
race humaine est issue des cendres de ses meurtriers. D'ailleurs, la 
passion de Zagreus, si on veut la concevoir comme un sacrifice utile 
au monde, devrait etre a la fois la faute originelle et le remede au 
mal qui en resulte, conception absurde, contradictoire et tout a fait 
etrangere a la notion grecque de justice 1 . 

3. Adonis (Echmoun, Tammouz). 

Le heros ou demi-dieu qui figure sous le nom d'Adonis dans la 
religion populaire de I'Hellenisme, depuis le septieme ou sixieme sie- 
cle avant Jesus Christ, est originellement, son nom meme I'indique 
(qui est un nom commun et semitique : mon Seigneur ), un dieu 
syrien. II compte parmi les Baals maudits dans la Bible, et son nom 
propre est probablement Echmoun 2 . Adonis est-il venu de M6sopo- 
tamie ou, sous le nom de Tammouz, il tenait une place importante 
dans le Pantheon sumerien ? Est-il, comme le conjecture W. von Bau- 
dissin, le frere syrien de Tammouz, tous les deux e"tant issus d'un 
dieu semitique plus ancien? En tout cas, les deux divinites sont e"troi- 
tement apparentees, etleur culte, avec les mythes qui s'y rattachent, 
se recouvrent en grande partie, comme elles recouvrent (avec des 
variantes plus notables, mais qui n'atteignent pas la substanca) les 
mythes et le culte de 1'Adonis grec. II s'agit toujours d'un jeune 
heros, de race divine, amant d'une grande deesse, separ6 d'elle par 
une mort prematuree, et rendu, dans une mesure diff&rente, a son 
amour. Dans ce couple : Ichtar-Tammouz en Babylonie; Astarte (ou 
Baalathj-Echmoun (ou Adon) en Syrie; Aphrodite-Adonis en Grece, 
c'est toujours la partie feminine qui est au premier plan ; et la chose 
ost naturelle. Dans le drame annuel de la vegetation, le grain qui 
porit pour revivre et fructifier est subordonne a la Grande Mere, la 
Terre feconde, dans 1'ample sein de laquelle il eclora, et dont depend 

1. A. Boulanger, loc. laud., p. 94. Voir aussi M. J. Lagrange, RB, XXIX, 1920, 
p. 427. On nous permettra de n6gliger iciles brillantes fantaisies, d'ailleurs fort 
Erudites, deR. Eisler, Orphisch-Dionysische Mysteriengedanken in der chrisllichen 
Anlike, Leipzig, 1922-1923 ; qui, aussi bien, concernentplutflt Fart Chretien antique. 
Voir J. Lebreton dans RSR, XVI, 1926, p. 36 suiv. 

2. Voir A. Jeremias, Semitische Voelker in Vorderasien, 31, dans Chantepie 
dela Saussaye,LehrbuchderReligionsgeschichie l , I, 1925, p. 368 : ontrouve des 
composes Echmoun-Ad6n, et Ad6n-Echmoun. 



DIEUX MORTS ET RESSUSCITES. 521 

toute sa destineV. Nous parlons dedrame, parce que c'est sous la 
forme d'un mystere, repre"sente et mime, que le culte de ces vieilles 
divinite's agraires se presente surtout a nous. Sur les grandes lignes 
essentielles, les mythes out jete leur brillant manteau anthropomor- 
phique, mais, en les recouvrant, ils les laissent reconnaissables 2 . 

Le culte de Tammouz est mentionne" dans 1'Ecriture, et nomme- 
ment, parmi les abominations pratiquees a Jerusalem, desormais 
livree auxGentils (c'est la sixieme [d'apres les Septante, cinquieme] 
anne"ede la captivite du roi Joachim). Le prophete Ezechiel, qui les a 
vues en esprit, denonce avec le culte egyptien de divinites a figures 
d'animaux, les femmes assises a la porte de la maison de lahve 
qui regarde le septentrion et pleurent le dieu Tammouz ; Ezech., 
vin, 14. Le double de Tammouz, le Baal syrien de Byblos, Adon- 
Echmoun, n'est pas nomme dans la Bible, mais des allusions a son 
culte, trop attrayant pour les fils d'Israel, se retrouvent probable- 
ment dans Zacharie, xn, 11, et Daniel, xi, 36; presque certaine- 
ment dans Isai'e, xvu, 10, ou la sterilite du culte idolatrique est 
comparee aux jardins d' Adonis , a ces graines semees en terre 
l^gere au iort de 1'ete, qui croissaient vite et se ianaient de meme, 
symbolisant la courte carriere du jeune dieu : 

Voila pourquoi tu plantes des jardins d' Adonis; 
la tu mets les pampres d'un (dieu) etranger. 
Le jour ou tu les plantes, tu les vois s'elever; 
le lendemain ton plant porte des fleurs. 
(Mais) la recolte est nulle au jour du malheur, 
et c'est la douleur irremediable 3 . 

Les solennites de Tammouz, sur lesquelles nous possedons des 
documents assyriens en nombre, ont le caractere bien marque d'une 

1. Voir Alb. Dieterich, Mutter Erde*, <d. E. Fehrle, Leipzig, 1924, etTh. Zie- 
linski, La Religion de la Gr&ce antique, tr. Fichelle, Paris, 1926, p. 12 suiv., 24 
suiv. 

2. Le livre fondamental reste celui du comte W. W. von Baudissin, Adonis 
und Esmun, Leipzig, 1911, dont les dl^mentsse retrouvent dans 1'article Tamnrnz 
de la Realencyklopaedie fur die prolestanl. Theologie^j XIX, p. 334-377. Sur 
Tammouz, M. J. Lagrange, Eludes sur les religions sdmitiques 2 , Paris, 1905, p. 306 
suiv.; sur Tammouz et Adonis dans la Bible, 1'excellent article du P. A. Lemon- 
nyer, Le Culte des dieux etr angers en Israel, II, Revue des Sciences Phil, et TMo- 
logiques, IV, 1910, p. 271-282. La partie affe"rente du Golden Bough 3 , IV, 1, do 
Sir J. G. Frazer, a e"t6 traduitepar Lady Frazer, Adonis, fitudes de Religions 
orienlales compare'es, Paris, 1921 : c'est un expose" tres brillant, mais domine" par 
les idees the"oriques de 1'auteur et fort dilu6 dans son exub6rante Erudition. 
Sur les origines babyloniennes, A. Beimel, Pantheon Babylonicum, Rome, 1914; 
S. Langdon, Tammuz and Ishtar, Oxford, 1914. 

3. Trad. Condamin, p. 124; et voir la note, ibid. 



522 JESUS CHRIST. 

fete destinee a c61ebrer la mort dela vegetation 1 . Onpleurait surle 
jetme amant de la deesse Ichtar, personnifiant la puissance feconde, 
generatrice : chaque annee, Tammouz etait cense mourir, et Ichtar 
allait le recherclier aux enfers d'ou, non sans resistance des divinites 
souterraines, ellele ramenait pourun temps. Mais pendant 1'absence 
de la deesse, 

Plus d'amour, partant plus de joie ! 

D'ou des lamentations funebres, parfois toucliantes, qu'on chantait 
autour de la statue du dieu, prealablement lavee, revetue d'une 
robe cramoisie et entouree des vapeurs de 1'encens. La fete avait- 
elle son denouement joyeux, triomphal? On Ta conjecture, sans en 
apporter de preuves certaines. 

Les mythes grec et syrien, tout a fait analogues, nous sont assez 
bien connus en substance (car les details, discordants et parfois repu- 
gnants de 1'affabulation posterieure, importent assez peu) parlecultc 
d'Adonis, dont nous possedons deux descriptions passablement 
detaillees 2 . Interpretees paries monuments figures, ces descriptions 
nous montrent en Adonis un dieu engage dans le cycle domine par 
la deesse de la fecondite : Ichtar, Astarte, Aphrodite, Venus Gene- 
trix, hominum divumque voluptas . Dans ce cycle, 1'episode 
d'Adonis represente le moment pathetique ou la vie vegetante, acca- 
blce par la chaleur torride de 1'ete, coupee par la faux du moissonneur 
ou cnsevelie sous les brumes hivernales, est brisee, non sans 
espoir de retour! Les fetes commemorant cette mort temporairc 
peuvent done se placer, soit apres la moisson des cereales, soit a la 
fin de 1'annee agricole, soit au moment ou la vegetation printaniere 
cst brulee par le soleil. Chez les Sumeriens, puis chez les Semites, 
ellesemble avoir occupe les deux premieres places 3 . Mais a Athenes, 
il scmble que la fete d'Adonis ait ete cclebree au mois de mai-juin, 
qui, sous le ciel de la Grece, est en eflct le moment indique ''. 

Selon le mythe hellenique, le jeune heros aime d' Aphrodite suc- 
combe sous la defense d'un sanglier et cst ramene tout sanglant a 
son amante. Puis, revendique a la fois par la Venus terrestre et 

1. E. Cavaignac, Calendriers el Felcs rcligicuses, dans Revue de I'Histoire des 
religions, XCJI, 1925, p. 9. 

2. Lueien, De Dea syria, 6; voir le commentaire de C. Clemen, Miszellen zu 
Lukians Schrift uber die syrische Goeltin, dans les Abhandlungen sur semitisch. 
Religionskunde, offerts aBaudissin, Giessen 1918, p. 83 suiv., notamment 85-86; 
ct Thdocrite, Les Syracusaines, texte ct tr. Ph. E. Legrand, Les Bucoliques grecs, 
I, Paris, 1925, p. 119-127. 

3. Baudissin, Adonis und Esmun, p. 100 suiv. 

4. E. Cavaignac, Calendriers et FSles religicuses, RIIJR, XCII, 1925, p. 9. 



DIEUX MORTS ET RESSt SCITES. 523 

la Reine infernale Proserpine (Persephone), il est, sur arbitrage de 
Zeus, partagp, pour ainsi dire, entre les deux mondes, accordant a 
chaque de*esse une partie de 1'annee. Allusion transparente aux 
saisons qui eveillent la vie au printemps, 1'accablent en ete", 1'ense- 
velissent en hiver. Ce qui est tres notable, c'est que, dans ce mythe 
saisonnier, le point mis en relief par les ftes est essentiellement 
la mortd'Adonis. Toutes les ceremonies que decrit Lucien : orgies, 
pendant lesquelles les habitants de Byblos se frappent la poitrine, 
pleurent et menent un grand deuil par tout le pays... ils envoient 
des presents funebres a Adonis en sa qualite" de mort... se rasent la 
tete... les femmes qui ne veulentpas sacrifier leur chevelure paient 
une amende (sous forme de prostitution rituelle) toutes ces 
ceremonies, renouve!6es des antiques lamentations de Tammouz, 
ou paralleles a celles-ci, sont funebres, comme 1'a tres bien vu W. 
von Baudissin 1 . II est vrai que Lucien dit au passage : Quand il y 
a assez deplaintes et de larmes, ils envoient des presents funebres a 
Adonis en sa qualite de mort; mais le lendemain ils racontent qu'il 
est vivant, et le placent dans le ciel : jxe-rJi Si T/| Step-/] %epY] weiv ti puv 
ftu6oXoyeouai xctl Is TOV ^p irfrou<Ji 2 . 

La traduction des derniers mots : Ils le placent dans le ciol 
est stylise'e. Ils 1'envoient au ciel serait plus juste, et, dans la 
langue de Lucien, cela signifie plutot, conformement au contextc : 
Us 1'envoient en 1'air. Quoi qu'il en soit, c'est sur ce texte, dont 
le sens est extremement discutable, qu'on fonde la presence, dans 
le culte syrien d' Adonis, d'une r6surrection ! II s'agit bien plutot, 
a ce qu'il semble, d'une maniere honnete de mettre fin a des solen- 
nites funebres qui ont assez dure" : Nous avons fait a Adonis nos 
presents, maintenant, a I'ann^e prochaine! il vit; on le retrouvera. 
C'est aussi le sens des Adonies alexandrines, a suivre la description 
de The"ocrite : tout 1'essentiel git dans les lamentations, et 1'exposi- 
tion en pompe, sur une sorte de reposoir magnifiquement decore, 
de la statue du jeune dieu pr6maturement enlev6 a 1'amour d'Aphro- 
dite. C'est la fin de Tet6 : Adonis, bien que frappe a mort, n'est pas 
encore enseveli dans le Hades, oul'appelle son amante chthonienne, 
la noire Persephone. Aphrodite, la blonde Cypris, le possede encore 
pour un jour : Lui, appartient a Cypris ; elle, a Adonis aux bras 
de rose... Maintenant, que Cypris soit heureuse de posseder son 
amant. Nous, domain, a 1'aurore, a 1'heure de la rosee, toutes ensem- 
ble, nous le porterons hors de la villc, la ou les flots ecument sur 



1. Adonis undEsmun, p. 142 suiv. ; Clemen, loc- laud., p. 82 suiv. 

2. De Dea tyria, 6, trad. E. Talbot, II, p. 441 



524 JESUS CHRIST. 

lerivage; et, les cheveux e"pars, laissant trainer nos robes jusque 
sur nos talons, la gorge d^couverte, nous entonnerons un chant 
pergant*. 

Ce sont la ceremonies incontestablement funebres; mais Adonis, 
mais le jeune dieu printanier, s'il s'eclipse chaque annee, ne meurt 
jamais tout a fait. II reviendra, il s'arrachera aux sombres embras- 
sements de 1'hivernale Persephone. C' est done egalement sur un : 
Au revoir , a 1'annee prochaine ! que se termine la fete : Accorde- 
nous ta bienveillance maintenant, cher Adonis, et garde-la-nous 
pour une annee nouvelle; avec joie nous t'avons accueilli mainte- 
nant, Adonis; et, lorsque tu viendras, en ami nous t'accueillerons 2 . 

Dans tout ce cycle, ou il est trop clair qu'on ne saurait situer une 
passion , au sens chre"tien du mot, puisque la victime est tout a 
fait involontaire, la resurrection est done extr6mement estompee, 
sinon inexistante. Les mythographes comparatistes se battent les 
flancs pour lui assignor, dans les fetes ou tout eiait deuil et larmes 
consoles par la perspective du retour annuel, ce qui permettait 
d'en gouter sans arriere-pensee le rituel excitant et le pathe"tique 
fleuri, une place quelconque. Mais le vrai sens des Adonies est 
exprime au plus clair dans cesvers d'un poete peu erudit, sinon aux 
choses de 1'amour : 

Puisque sur une tombe on voit sortir de terre 
Lebrin d'herbe sacr6 qui nous donne le pain,... 
Aime, et tu renaitras, fais-toi fleurpour eclore... 

4. Attis et Cyb&le. 

Nous abordons, avec les divinites phrygiennes, le groupe le plus 
inquietant et sans doute fmalement le plus populaire, que nous 
presentent les religions orientales. Les rites anciens de la fecondite, 
inextricablement melanges de croyances astrales, se refletent dans 
le cycle d' Attis, Episode printanier et tragique du culte de Cybele, 
avec toute 1'impudeur de mythes naturistes aggraves ici d'une 
caracteristique odieuse, sur 1'origine et le sens exact de laquelle la 
lumiere n'est pas encore faite : la castration du heros 3 . 

1. Syracusaines, v. 127-136; 6cl. et tr. Ph. E. Legrand, p. 126-127. 

2. Ibid., v. 143-145. 

3. Les textes, nombreux et dispersed, sont r6unis pour la plupart et commen- 
tes avec erudition et une vive imagination pat 1 H. Hepding, Attis, seine Mylhen 
widsein Kull, RVV, I, Giessen, 1903 j tout ce qui concerne Cybele, dans H. Grail- 
lot, Le Culle de Cybele mere des dieux, A Rome etdans V Empire romain, Paris, 1912. 
Sur les rapports avec le christianisme, on a 1'excellent et considerable mdmoiro 
du R. P. Lagrange, Altiset le -Ghristianisme, dans Ja Revue Biblique, XXYHI, 



DIEUX MORT8 ET RESSUSCITES. 525 

On n'a pas ici a prendre parti sur les origines et le culte primitif 
de Cybele. La question de savoir si la deesse aux lions fut d'abord 
une divinit^ des montagnes, puissante et terrible, mais sans attache 
avec la> deesse mere, Rhe'a, avec laquelle on 1'aurait plus tard con- 
fondue, divise les savants les plus qualifies. II est certain qu'a 
I'^poque qui actuellement nous int^resse, au moment ou la Phry- 
gienne, accompagn^e de son paredre Attis introduite officielle- 
ment a Rome depuis 204 avant Je"sus Christ commence de benefi- 
cier, vers le milieu du i er siecle de notre ere, dans le monde remain 
tout entier, d'un culte qui ira se developpant jusqu'au iv siecle, 
Cybele 4 est incontestablement la grande deesse mere, la Mere des 
dieux et des hommes , la Mere tout court. 

Dans le culte, c'est elle qui tient la plus large place. Attis vit 
dans son ombre, objet a la fois et victime de son amour. Sur les 
monuments innombrables, actuellement classes, il ne parait seul 
que trois fois, et il parait meme rarement : Cybele est presque 
toujours nommementdesigneeseule 2 . Parmi les rites des mysteres 
de la Grande Mere (car son culte devint, bien que tardivement, une 
religion a mysteres) le plus connu, le plus souvent decrit, n'a pas a 
ligurer dans notre etude. L'aspersion quasi baptismale dans le sang 
d'un taureau (taurobolium] oud'unbelier (crioboliuni), qu'on immo- 
lait sur un plancher perce de trous, et dont le fidele recevait sur la 
t6te et sur tout le corps le sang fumant, ne s'est introduite en effet 
que tardivement dans le culte de Cybele et d' Attis. On n'en trouve 
aucune trace avant le 11 siecle de I'ere chretienne , observe 
M. J. Toutain 3 . De meme, le rite de la cernophorie : offrande et 
ostension processionnelle de certains obiets sacres dans des vases 

1919, p. 419-480. M. J. Toutain a relev6, avec sa sure Erudition, les monuments, 
inscriptions, etc., se rapportant au culte de Cybele et d'Attis, dans les Culles 
pa'iens dans I' Empire romain, I, 2, les Culles orientaux, ch. in, p. 79-119. La 
fameuse basilique de"couverte en 1917 a Rome, pres de la Porte Majeure, com- 
porte, dans sa riche decoration, pour tout emprunt aux mythologies orientales 
aucun symbole isiaque, mithraique, adoniquel quatre figures d' Attis fune- 
raire. M. J. Carcopino, La Basilique de la porte Majeure, dans la. Revue des Deux 
Mondes, vii e p6riode, XXXV, 15 octobre 1926, p. 799 suiv., en conclut que ces 
images coincident avec la -r6forme tres relative des cultes phrygiens accom- 
plie sous Claude, done entre 41 et 54 apres Jesus Christ. 

1. Cybele, Rhe'a, De'me'ter, la Mere, la Grande Mere, I'Ide"enne, la Be're'cyn- 
thienne : sur ces noms, voir C. F. H. Bruchmann, EpUhela Deorum, Suppl. au 
LGRM de Roscher, s. v. Ku64Xv), p. 167-168, et 'P^a, p. 201, 203. 

2. J. Toutain, Les Cultes pa'iens dans I' Empire romain, I, 2, p. 74. 

3. LOG. laud, p. 88. M. L. A. Deubner, Die orienlalischen Religionen, Die Roe- 
mer, 8, dans Chantepie de laSanssaye, Lehrbuch der Religionsgeschichle 4 , II, 1925, 
p. 497, note de son c6t6 que le taurobole n'est atteste" que depuis le u" siecle 



526 JESUS CHRIST. 

(cerni, xe'pvot), semble s'6tre e"tabli dans le culte de Cybele a une date 
relativement tardive, en imitation des ceremonies pratiquees a 
Eleusis. Le mythe d'Attis se pr6sente a nous, abstraction faite des 
details, sous quatre formes principales, qui ne s'accordent que sur 
le nom du heros, etla triste caracte"ristique indiquee ci-dessus. L'unc 
de ces legendes, racontee par Pausanias d'apres Hermesianax de 
Colophon * , est contaminee par le mythe lydien d'Adonis. Pausanias 
en cite ensuite une seconde, tres differente, celle del'Agdistis, re- 
prise et completeepar Arnobe, quiprovient de Pessinonte, eta done 
chance d'etre la plus ancienne. C'est aussi le plus repugnant tableau 
de cette impure galerie. Le recit evhemeriste de Diodore ne me- 
rite pas de fixer 1'attention a . Reste la version qu'on peut obtenir 
en combinant avec beaucoup de bonne volonte, les traits fournis 
par Ovide, 1'empereur Julien, et 1'ami de ce dernier, Salluste : Attis, 
expose a sa naissance dans les roseaux qui bordent le fleuve Gallus, 
est sauve" par Cybele, qui 1'aime et lui fait promettre de n'aimer 
jamais d'autre femme. Vaine promesse ! Le jeune berger, epris de 
la nymphe Sangaria, est infidele a la deesse. Avertie par un lion, 
Cybele, dans un acces de furieuse jalousie, fait pe"rir sa rivale et 
affole Attis qui va se mutiler sous un pin. La Mere des dieux le 
reprend alors, inseparable compagnon qu'elle promene sur un qua- 
drige attele de lions dont Attis est le conducteur. Dans cette fable, 
le berger phrygien ne meurt pas apres sa mutilation, comme dans 
les autres. II serait vain de passer en revue celles-ci, sur lesquelles 
on reviendra plus bas. Ce qui doit nous retenir ici, c'est 1'ensemble 
de rites, tels qu'ils se pratiquaient a Rome, dans la seconde moitie 
du i er siecle de notre ere, et dont 1'eclat tres grand aurait pu agir, 
par voie d'inspiration ou d'infiltration, sur la religion chre- 
tienne a son aurore. Ces rites nous sont bien connus dans leurs 
lignes principales, et presentent une base d'etudes beaucoup plus 
ferme que les mythes destines a les justifier. 

Les fetes de Cybele et d'Attis se deroulaient chaque annee au 
moment de I'^quinoxe de printemps, du 15 au 28 mars. Nous n'avons 
done pas affaire a une fete automnale, comme c'est le cas pour 
Osiris et Adonis : Attis est le he"ros d'une fete exclusivement prin- 
taniere, et M. L.-A. Deubner 3 en conclut que les traits qui le pre- 
sentent comme un dieu mort et ressuscite sont tardifs dans sa le- 
gende. Cette observation est a retenir, et anticipe une conclusion 
que l'6tude des textes concernant le mythe d'Attis nous imposera. 

1. Descriplio VII, 17, 9-10 ; <5d. Dindorf-Didot, 343. 

2. P. Decharme, Cybdle, dans Daremberg-Saglio-Pottier, DAGR, 1, 2, p. 1681, 

3. Dans le Manuel de Chantepie de la Saussaye, 4" ed., II, 1925, p. 496. 



DIEUX MORTS ET RESSUSCITES 



52*? 



Le cycle festival comportait trois actes ou phases principales, 
qu'on pourrait appeler : la preparation, la consecration et la glori- 
fication. 

Premier acte, en deux episodes. Le 15 mars, des officiants (can- 
nophores) allaient couper des roseaux qu'on transportait en cere- 
monie au temple de Cybele, sur le Palatin. Cependant le grand 
pretre (archigalle) sacrifiait un taureau de six ans. C'etait 1'entree 
duroseau : canna intrat . Deuxieme scene, faisant doublet avec la 
premiere et qui pourrait bien a 1'origine n'avoir fait qu'un avec elle, 
1'entree de Tarbre : arbor intrat , 20 mars. On abattait dans la 
foret un pin qu'on apportait en grande pompe, entoure de bande 
lettes de laine et enguirlande de violettes, au Palatin. Ce pin repre- 
sentait 1'arbre sous lequel Attis avait ete (ou s'e"tait) mutile ; sous 
lequel meme, selon certaines formes de la legende, il etait mort. II 
representait surtout le jeune h6ros lui-meme, dans 1'etat de muti- 
lation, et, par consequent, d'oblation a sa farouche arnante, qui for- 
mait le pivot de la legende et provoquait, chez les futurs pr^tres de 
la deesse, une emulation barbare. 

Le deuxieme acte, 24 mars, etait en effet le jour du sang : 
sanguen, ou dies sanguinis . II avait ete prepare, pour ceux qui en 
allaient etre les tristes h6ros et pour les plus fervents des fideles 
de la Grande Deesse, par une.peViode d'abstinence de certains ali- 
ments et peut-6tre aussi de continence : le castus. La f&te elle- 
meme, ou se d6ployait un appareil de frenesie capable d'impres- 
sionner les Romains, biases pourtant sur les spectacles sanglants, 
s'achevait pour les malheureux qui devenaient a ceprix de nouveaux 
Attis, des galles, pretres de la d6esse, par unehonteuse mutilation. 
Get affreux hommage a Cybele, accompli dans un paroxysme d'exci- 
tation indescriptible, et considere comme le rite essentiel, n'a pas 
encore rec.u d'interpr6tation certaine 1 . M. J . Lagrange 2 estimeque 
si la mutilation volontaire etait cense"e contribuer a la fecondite 
dans I'int6r6t du groupe social, c'etait a la maniere des restrictions 
et sacrifices chez les peuples primitifs. Quelques-uns se privent ou 
sont prives, afin que le grand nombre jouisse du bien entrevu et 
desire sans exciter la jalousie des dieux qui ont euJeur part . C'est 
sur cette jalousie et sur son corollaire, 1'idee de rachat aux dieux, 
que, pour ma part, j'insisterais, en voyant dans la mutilation et son 
horrible sceur, la prostitution sacree, des formes, relativement 
adoucies, de sacrifices humains. Le fameux saut de Leucade , 

i consistait, au dire de Strabon, a precipiter chaque annee, le 



1. Voir L. A. Deubner, Die orienlalischen Religionen, loc. laud., p. 496. 

2. A Hi* et le Christianisme, loc.laud., p. 421-423. 



528 JBSUS CHRIST. 

JOUF de la f6te d'Apollon, un condamne" du haut du cap Leucade, 
pour detourner les malheurs qui pouvaient menacer le pays, et les 
rites analogues, qui ne sont pas rares, sont d'autres expressions 
realisees de la meme croyance * . 

Le troisieme acte durait trois jours : 25, 26, 27 mars. C'etait 
proprement Iaf6te de la deesse, rendue propice par le sang qui avait 
fume devant son image. Est-ce pour suppleer le sacrifice supreme 
que le taurobole et le criobole furent introduits posterieurement 
dans le culte de Cybele, comme un rite de sang, permettant de se 
presenter devant la redoutable Mere ? Toujours est-il qu'a Rome, 
apres le dies sanguinis, venait le jour de joie, hilaria . On faisait 
bonne chere, avec couronnes de fleurs et musique. Le lendemain, 
repos, requietio , ce qui, apres les Emotions des jours precedents, 
se passe de commentaire. En(in, la derniere journee, tres solennelle, 
etait le jour du bain, lavatio . On plagait sur un char le simu- 
lacre de la deesse venu de Pessinonte, la fameuse pierre noire. 
Devant le char onexbibait les plus precieuses oeuvres d'art. La pro- 
cession, que les plus nobles se faisaient un honneur de suivre pieds 
hus, se deroulait jusqu'a 1'Almo, affluent du Tibre, ou le char et la 
deesse elle-m^me etaient laves. Puis on revenait au Palatin. Ce jour- 
la, il etait permis de se masquer et de se deguiser ; c'etait le proto- 
type antique du Carnaval remain 2 . 

C'est au matin des hilaria que M. H. Hepding, suivi par 
M. R. Pettazzoni 3 et par M. A. Loisy, place la resurrection 
de I'e'quivoque demi-dieu. Attis ressuscitait le 25 mars : le jour de 
joie, hilaria, etc. 4 . Ainsi parler n'est pas seulement, comme le 
dit tres bien le P. Lagrange, gloser en termes Chretiens un rite 
pai'en . C'est y ajouter. Heros pitoyable d'une obscene aventure 
d'amour B , victime de la jalousie de la deesse, Attis est avant tout 

1. Sur ce rite, J. Toutain, L'Idee religieuse de la Redemption et I'un de ses 
principaux riles dans I'Anliquite, dans VAnnuaire de V&cole des Haules filudes, 
Sciences religieuses, 1916-1919, p. 1-18. L'dnorme recuell de faits colliges par Sir 
J. G. Frazer, dans son Golden Bough 3 , VI, The Scapegoat, trad. P. Sayn, Paris, 
1925, doit 6tre utilis6 avec beaucoup de circonspection. IA comme ailleurs, et 
peut-etre encore plus qu'ailleurs, le brillant drudit a r6uni en une gerbe compo- 
site des pis glanes dans tous les champs, et rapproch6s souvent tres arbitrai- 
rement. Th. Zielinski, La Religion de la Grece antique, p. 103, abuse de la parole 
de Joseph Cai'phe, rapportee par saint Jean, xi, 50, pour identifier le rite ef- 
froyable du sacrifice humain expiatoire, avec 1'offrande volontaire du Christ 
pour le salut du monde. 

2. M. J. Lagrange, Atlis et lechrislianisme, loc. laud., p. 434, 435. 

3. / Misleri, Bologne, 1924, p. 129. 

4. A. Loisy, Les Mysteres patens et le Myslere chretien, Paris, 1919, p. 104. 

5. F. Cumont, Les Religions orientales dans lePaganisme remain, Paris, 1907, p.60. 



DIEUX MORTS ET RESSUSCITES. 529 

un inutile". Dans 1'inextricable complication des mythes qui le con- 
cernent, ce trait distinctif se retrouve partout, imprimant a ces ver- 
sions divergentes un meme stigmate, semblable a ceux quo les 
pretres de Cybele, nouveaux Attis, gravaient dans leur chair en 
signe de consecration a la de"esse. Ces fables confuses s'accordent 
en cela seul. Du reste, autant de mythographes, autant d'histoires 
differentes! Le temoignage de Catulle' 1 , qui est un des plus anciens, 
est fort loin des deux explications quo rapporte Pausanias. Commc 
aussi de celle de Porphyre, et de celle qui a ete resume'e plus haul 
-d'apres Ovide, Salluste et 1'empereur Julien. La version de Diodore 
si'estpas celle d'Hippolyte, qui n'est pas celle d'Arnobe 2 . Celui-ci 
se relere, comme a sa source, au distingue theologien Timo- 
Ihee ; et 1'affreuse hantise de la castration marque cette fable 
jusqu'a la nause"e et au delire. 

Au contraire, les rares traits qui repr^sentent Attis en dieu mort, 
on ressuscite, sont, comme 1'a tres bien vu M. L. A. Deubner 3 , 
adventices dans sa le"gende. Us y dnt ete introduits par contamina- 
tion avec les histoires plus ou moins analogues d'Adonis (dont le 
sanglier figure $a et la) ou d'Osiris ; peut-etre aussi, pour repondre 
aux aspirations des gens de l'e"poque imperiale vers une vie d'outre- 
stombe. La pretendue resurrection, en particulier, absente de toutcs 
les versions, de tous les textes pai'ens, ne figure que dans quelques 
stextes Chretiens de tres basse epoque. Les deux seuls qui me'ritcnt 
mention se trouvent dans le vehement pole'miste Firmicus Maternus, 
dont 1'ecrit, compose entre 346 et 350, De errore profanarum 
religionum, se donne pour tache de denoncer les fraudes des 
j>r6tres des idoles, afin de faire fermer les temples. Le passage 
unique, et d'application malheureusement incertaine, ou il est 
question d'une commemoration cultuelle de la mort et de la resur- 
rection d'un dieu 4 , se rapporte presque certainement a Osiris", 
comme M. Loisy en convient. Au chapitre in du meme ouvrage 6 , 
Firmicus accuse les pretres d'Attis d'avoir, pour complaire a la 
deesse irritee, ou desolee, dont la vengeance avait cause la mort 

1. Carmen 63, ddit. G. Lafaye, Paris, 1922, p. 51-53. 

2. Adv. Naliones, V, 5 suiv., 6d. Reifferscheid, CV, IV, p. 177 suiv., comple- 
,tant laseconde version de Pausanias, VII, 17, 10-12, e*d. Dindorf-Didot, p. 344. 
'C'est Arnobe qui donne, dans le my the d'Agdistis (1'amandier), le r^cit detaille 
dont MM. Hepding et Loisy font le plus d'Usage. 

3. Die orientalischen Religionen, dans le Manuel de Chantepie de la Saussaye, 
4' ed., II, 1925, p. 496-497. 

4. F. Boll, Firmicus, dans Pau'ly-Wissowa-Kroll, RECA, VI, 2, col. 2377. 

5. De errore, 22 (alias 23), <5d. Halm, dans CV, II, p. 111-112. 
6. Ibid., p. 78-79. 

JESUS CHHIST. II. 31 



530 JESUS CHRIST. 

de son amant, institue* des rites iunebres annuels; <c pr&endant que 
celui qu'ils avaient eux-m6mes enseveli naguere, avait reve"eu, ils 
eleverent des temples a 1'adolescent mort .. 

Ce texte isole et tard vemj ne suffit pas a suppleer, ou a inter- 
prater tous les autres. II est possible qu'a 1'heure ou ecrivait Fir- 
micus, a la pensee de la resurrection ,ait pen^tre dans les sanctuaires 
d'Attis , comme dans ceux de tous les cultes rivaux 1 . Mais il est 
possible aussi qu'il y ait la simplement une confusion, la gen^rali- 
sation d'un apologiste trop zele. Le syncretisme qui sevlssait des 
longtemps, amenait naturellement les defenseurs du christianisme 
a faire, dans la critique des faux Christs, qui etait devenue un lieu 
commun de leur apologetique, une place e*ventuel!e au Berger 
phrygien. Cette contamination des mythes n'est pas une conjecture, 
mais un fait atteste par maint texte contemporain de Firnnicus, ou 
anterieur a lui. On peut en juger par ces fragments d!un hy-mne 
gnostique a Attis, rapporte par Hippolyte dans sa Refutation de 
toutes les heresies*. 

Fils bienheureux de Chronos ou de Zeus, 

ou de la grande Rhea, salut, 6 triste 

echo de Rh6a, Attis! 

,Les ^Assyriens t'appellent Adonis, le trois fois desirable; 

toute 1'Egypte, Osiris ; 

la -Sagesse grecque, Corne celeste deMen; 

les Samothraciens, venerable Adamna; 

les gens de 1'Hemus, Corybante ; 

et les Phrygiens, tantot Papas, ou quelquefois 

encore mort, ou dieu, ou 1'Infecond, 

ou le Chevrier, ou Epi vert moissonne, 

ou Joueur de flute qu'engendra le fertile Amandier (Agdistis). 

Cette eifroyable confusion de mythes et de noms sacres, dont on 
pourrait citer dix autres exemples, transcrits par les apologistes 
eux-mSmes,, les amenait naturellement a ranger Attis, comme 
Adonis (ITammouz) et Osiris, parmi les dieux dont la legende appe- 
lait une comparaison avec la mort et la resurrection du Christ. Ce 
n'est pas une raison de les imiter. 

1. M. Jt. Lagrange, .Altis el le chrislianisme, loc. laud., p. 449. 

2. Appel6e souvent PMlosophoumena, Y, 9, 8-9. Jc traduis sur le texte restitu6 
par Paul Wendland dans le CB, Hippolylus Werke, IV, 1916, pp. 99-100. Men 
ou Lu mis est, on le salt, un dieu lunaire, masculin. J'ai traduit cho de 
Rhea. Le texte manuscrit, conserve par Wendland, porte axouqAot. G. Hermann 
a conjecture axpicrtta, qui ne semble pas.existeren.grec : du.moins le dictionnaire 
de Liddell et Scott, recite" sous la direction de ,H. St. Jones, I, Oxford, 1925, 
ne contient pas 



DIEUX MORTS ET RB88USCITES. 531 

Conciuons avec M. Andre Boulanger 1 : L'idee que le dieu 
naeurt et ressuscite pour conduire ses fideles a la vie 6ternelle 
n'existe dans aucune religion hell^nique a mysteres. Cette vietoire 
du dieu sur les souffranees et la mort est bien pour I'initie, aecab.le 
par les rniseres de la vie terrestre, le symbole et la garantie d'une 
vie bienheureuse dans 1'au-dela. Ce sont en effet ces souffranees et 
eette mort qui, rapprochant le dieu de I'hoinine, donnent a ae}ui-ci 
1'eepoir de s^assimiler totalement a }a condition divine. Mais la 
mort du dieu n'est pas un sacrifice expiatoire. Ce n'est pas elle qui 
procure le salut. Pas plus au Zagreus orpbique qu'a Attis ou a 
Tammouz ne pourrait s'&ppliquer 1'essentiel du credo paulinien : 
a Christ est mort pour nos peches. Bien plus, I'^pithete de 
Soter ifSauveur) n'est nullement caracteriatique des divinit^s des 
mysteres, et ne leur est pas attribuee avant 1'epoque chretienne . 

Ed. Meyer, auquel sont empruntes ees derniers ' mots., declare 
de son c6te, avec 1'autorite que lui donne une connaissance a peu 
pres unique de toute 1'histoire ancienne>de 1'Occident, qu'a son avis, 
1'influence des religions a mysteres sur le christianisme aneiea n'est 
nullement attestee. C'est de concurrence qu'il faut parler : leur 
developpement y compris les mysteres de Mathra court 
plutot parallelement a celui du christianisiae, et a ete isouvent dans 
sa forme ultSrieure influence par lui. II est clair du rest .que le 
concept chretien de la redemption, de la comipfo, n'a passses rapines 
dans des precedents hellenistiques et pai'ens, mais dans ceux de 
1'Ancien Testament et du Judaisme. Meme Bousset 2 , conclut non 
sans ironie le vieil historien, doit reconnaitre le fait, bien qu'a son 
corps defendant 3 . 

Profondement etrangers par leur esprit aux doctrines chretiennes, 
les mythes que nous avons brievement recenses ne sont pas moins 
eloignes, par leur lettre, du message pascal. La carriere de ces 
demi-dieux morts et ressuscites ne comporte, en effet, ni 
passion, ni resurrection, au sens recu de ces mots. Brisee par un 
accident tragique et involontaire, elle est suivie d'un redressement 
durable : la s'arrete 1'analogie; des qu'on veut-en presser 1'un ou 
1'autre terme, tout se derobe. Osiris retrouve vie et royaut6, mais 
dans 1'autre monde. A Dionysos Zagreus, assassine et devor^, une 

1. Orphte, Paris, 1925, p. 102; et voir B. Allo, Les dieux sauveurs du paga- 
nisme. grdco-romain, dans Revue des Sciences phil. et thdologiques, XV, 1926, 
p. 5-34. 

2. W. Bousset, Kyrios Chrislos 2 , Gcettingen, 1921, p. 297. 

3. Ursprung und Anfaenge des Chrislenlums, III, Stuttgart et Berlin, 1923, 
p. 393 et note 1, 2. 



532 JESUS CHRIST. 

replique est fournie : Pallas sauve le cceur et 1'apporte a Zeus : 
celui-ci 1'avale, epouse Sem61e, fille de Cadmos, qui lui donne un 
second Dionysos*. Adonis retrouve chaque anne"e, apres sa 
reclusion hivernale dans le Hades, une p6riode reguliere de vie et 
d'amour terrestre. Le triste Attis, fidele par force, aura desormais 
sa place sur le char, et dans le culte, de la Grande Deesse Mere. 
Ce sont la des essais laborieux, greffe"s vaille que vaille sur des 
rites immemoriaux, pour resoudre les problemes de la destinee 
humaine, ici-bas et outre-tombe; ou des symboles, plus ou moms 
humanises et romances, du rythme de la vie des saisons. Sauf pour 
quelques eVhemeristes qui appliquent indistinctement leur theorie 
a toute la tradition religieuse, la question de savoir si ces aventures 
avaient reellement dans le passe des repondants historiques, ne se 
pose meme pas! Ni pour les simples, qui s'edifient ou s'excitent 
au contact de liturgies, dont la splendeur et 1'antiquite' voilent a 
leurs yeux 1'horreur originelle; ni pour les sages, qui les subissent 
ou les exploitent. A le prendre au mieux, tout est ici instruction et 
parabole, poesie et mythe, c'est-a-dire fable. 

La foi de Paques, elle, proclame comme un fait que Jesus de 
Nazareth, reellement mort pour nos peches en 28 ou 29, crucifie 
sous Ponce Pilate, et enseveli, est ressuscite reellement, et est 
apparua Simon Pierre : OVTW? ^y 6 '?^ S xupio; xi <Scp6rj 2(|xcovt 2 . 



1. Th. Ziclinski, La Religion de la Grece antique, 192*3, p. 118. 

2. Lc., xxiv, 34. 



LIVRE VI 
LA RELIGION DE JESUS 



533 



CHAPITRE PREMIER 

L'ETABLISSEMENT DE LA RELIGION DE JESUS 

1. Le mystere Chretien et les my stores pa'iens. 

A vous a ete donne le mystere de Dieu ; mais pour les 
autres tout arrive en figures 1 . Ainsi le message de Jesus ne 
tient pas en entier dans le rappel de verites connues, ou natu- 
rellement accessibles : an co3ur de 1'Evangile se cache un 
noyau sacre, un mystere. Ou plutot, parce que 1'esprit huinain, 
incapable de saisir d'un seul regard 1'ampleur de la revelation 
divine, est oblige de la considerer sous differents aspects, le 
Royaume des cieux a ses mysteres 2 . Proposes en clair aux 
ap6tres, ils ne furent d'abord communiques a ceux du dehors 
qu'en figures et en paraboles 3 . Or cette notion d'une doctrine 
reservee a une elite, et le terme me" me de mystere employe 
pour la designer, existaient a cette epoque avec un senss deter- 
mine, dans plusieurs religions palennes : entre elles et le mys- 
tere chretien, une comparaison s'impose done. 

On risquerait de la rendre vaine si Ton ne distinguait pas 
dans ce probleme des elements differents. Analogic n'est pas 
emprunt ; et, en matiere d'emprunfcs, il convient de ne pas con- 
fondre les temps, et de determiner quel fut 1'emprunteur. 
Est-on fonde a soutenir que les Chretiens de la premiere ge- 
neration, et notamment saint Paul, se sont inspires en choses 
d'importance, deliberement ou non, de religions mysterieuses 
alors existantes? Voila, elairement posee, la seule question 
que nous ayons a traitor ici. 

1. Me., iv, 11. 

2. < A vous a 6t6 donne de connaitre les mysteres du Royaume, etc... >; 
M't., xm, 11 ; Lc., vm, 10. 

3. On a not6, tome I p , III 8 Partie, ch. r, p. 3S8 suiv., les raisons de Cette 
disposition temporaire. 

535 



536 JESUS CHRIST. 

Les analogies generates en soulevent une autre. Les sen- 
timents eternels de Fame religieuse, avide de purification, de 
lumiere et de certitude^ ou criant sa misere, cherchant des- 
intercesseurs aupres de la majeste" de Dieu trop haute, et de 
sa justice trop exacte, s'orientent naturellement dans le m&me 
sens. L'aspiration n'est pas moins universelle vers un Maltre 
assez proche pour que nous puissions mettre nos pas dans ses- 
pas, et ensemble assez saint pour qu'en le suivant nous arri- 
vions stirement au salut. Degrades parfois jusqu'a devenir 
presque illisibles, ces traits se retrouvent danstous les milieux,, 
a toutes les epoques, d'autant plus nets que la preoccupation* 
religieuse est davantage eveillee : il ne serait pas malaise de 
les ddgager chez les peuples de 1'Inde, par exemple, aux mo- 
ments decisifs de leur developpement spirituel. Le premier 
siecle de notre ere, en Occident, offre toutefois, de cet appel 
providentiel de 1'ame humaine, un cas particulierement impor- 
tant et, en ce sens, unique. Les disciples de Jesus ne s'y 
tromperentpas. Qu'ils aient voulu montrer 1'offre divine re"pon- 
dant a la demande humaine; qu'ils aient annoncd ce que 
les meilleurs des paiens adoraient sans le connaitre , re- 
present en tout homme le Dieu dont les plus religieux de 
leurs contemporains cherchaient, en tatonnant, la presence 
sensible dans des rites antiques, ou la connaissance imme*- 
diate dans 1'extase; qu'ils aient decrit et nomine" le Sauveur 
humilie jusqu'a devenir Tun d'entre nous, initiateur par son 
exemple, sa mort re"demptrice et sa resurrection en gloire, 
d'une vie nouvelle, enfin donnant pouvoir de devenir enfants 
de Dieu, 

a ceux qui croient en son nom, 

qui non du sang, ni d'un vouloir de la chair, ou d'un vouloir d'homme r 

mais de Dieu sont nes, 

cela est hors de doute. Et si Ton soutient qu'ainsi le mystere 
chre'tien donnait satisfaction, avec son histoire pathetique, son 
systeme sacramentel et ses assurances de vie eternelle, a 
l'immense esperance qui, a cette epoque, soulevait le monde 
des esprits, c'est 1'evidence m6me. Mais il n'est pas moins clair 
que ce fait laisse intact le probleme des emprunts. 



L'ETABLISSEMENT DE LA RELIGION DE JESUS. 537 

i 

Quand Paul, quand Jean, Pierre, Barnabe, Apollos, Silas ou 
Timothe'e annonc.aient le salut de tous dans le Christ Jesus r 
les cultes initiatiques etaient nombreux. II n'est pas besoin 
d'avoir lu les travaux considerables qui ont renouvele, en ces 
derniers temps, F etude de ces religions, pour en connaitre 
quelque chose. Tout le monde a entendu parler des Eleusinies, 
des mysteres d'Isis et de la Grande Mere Gybele; ceux de 
Mithra ont e"te plus rdcemment mis en lumiere. Le fait com- 
mun de posse*der une doctrine secrete et des rites interdits 
aux profanes 1 , autorise 1'usage qui a prevalu d'englober sous 
une me'me designation des realites si peu semblables. La plus 
visible diversite, a 1'epoque ou ces religions purent entrer en 
contact avec le christianisme, est d'ordre social. Tous les 
mysteres recrutaient indrviduellement leurs adeptes; mais 
quelques-uns ceux par exemple des loges orphiques, ou des 
serviteurs de Mithra creaient entre leurs bene'ficiaires un 
lien confraternel assez etroit; d'autres, tels que les grands 
mysteres d'^lleusis, n'unissaient pas leurs mystes en un corps- 
de fideles 2 . Ge qui, a travers ces differences et tant d'autres T 

1. On n'apas arechercher ici ce que pouvaient etre les cultes primitifs 
des Cretois, qui se targuaient d'avoir des < mysteres ouverts a tous >. A 
i'6poque qui nous occupe, tous les cultes myst6rieux comportaient une 
initiation, et le secret gard6 sur 1'essentiel de ce qui 6tait alors revele. Us 
etaient done affaire personnelle, et nous n'avons pas a tenir compte de 
la distinction, d'ailleurs fond6e pour un temps plus ancien, entre mys- 
teres nationaux et mysteres personnels > : R,. Reitzenstein, Die Helle- 
nistischen Mysterienreligionen*, Leipzig, 1920, p. 7 suiv. La distinction 
proposee par Werner Foerster, Herr ist Jesus, Giitersloh, 1924, p. 81 suiv., 
entre mysteres religieux > et c philosophiques >, a sa raison d'etre. Nous 
reservons le nom de mysteres aux premiers, et, parmi les seconds, h, ceux 
qui comportaient une initiation 6sot6rique. Les autres 6taient plutot une 
sagesse >,une < gnose > qu'un < mystfere >;bien qu'on ne puisse 6tablir 
de limite absolument certaine, a partir surtout de la crise de syncr6tisme 
qui sevit depuis la seconde moiti6 du n e siecle apres J6sus Christ. 

2. F. M.GoTnfoT&, Mystery-Religions dans The Cambridge Ancient History f 
IV, Cambridge, 1926, p. 527. Les reflexions du meme auteur sur la nature 
intime des religions a mysteres, loc. laud., p. 524-526, sont domin6es u 
I'exces par 1'identite fondamentale supposee, conformement aux id6es de 
Sir J. G. Frazer, entre les notions spScifiquement chr6tiennes et celles qui 
sont i la base des mysteres antiques. L'idSe commune d'une vie nouvelle, 
ou renouvelee, ne permet nullement d'assimiler les sacrements chr6tiens 
avec les rites de fecondit6 et de purification rituelle, d'initiation Ji la pu- 



538 JESUS CHRIST. 

rapproche toutes les religions .mysterieuses, c'est le secret 
jalousement garde* sur ce qui e"tait revele" dans Finitiation ; 
c'est encore le caractere dfcamatique et realiste des rites par 
lesquels 1'aventure divine ori'ginelle etait jouee, mime'e, repre"- 
sentee, reproduite. Associe"s par des moyens repute's efficaces 
a ces experiences, instruits des doctrines qu'elles symboli- 
saient, les inities e"taient en quelque sorte apparentes aux 
divinite's dont41s devenaient les clients en, ce monde et dans 
l'autr&, Ges traits incont.estes suffifient a determiner Fobjet 
de la presente recherche. 

En se faisant agreger a 1'un de ces cultes alors florissants, 
un paien, hiomme Libre, vivant aux derniers siecles de la Repu- 
biique, ou aux premiers de 1'Empire (disons, pour fixer 1'esprit : 
depuis 1'introduction de la Grande Mere a Rome : 204 av. J. 
G., .jusqu'a la mort d'Elagabaile : 222 ap,. J. G.), posait unacte 
tres person-nel de religion. Ge n' etait jamais le seul, ni le 
plus visible. Des dieux qu'il n'avait pas choisis s'imposaient 
premier ement a cet homme, adepte plus ou moins conscient 
de la culture hellenicfue, et appartenant en quelque mesure a 
la Romanite (Respublica, Res romana, Imperium romanum 1 }. 
Sous ce rapport, les habitants des marches de TEmpire efc 
des Etats limitropihes, reputes barbares, s'accordaient du reste 
avec leurs puissants voisins; parfcout le culte des divinites 
protectrices de la Cite etait ofliciel, indispensable. L'esquiver 
mettait au ban de la comntuaiiiaute politique; le refuser cons- 
tituait un abte d'impi^te, voire d'atheisme, aucnn dieu ou sei- 
gneur ne pouvant se substituer valablement a ceux de la 
patrie. G'est pourq.uoi les premiers Chretiens et, avant eux, 
bien qu'avec moins d'eclat, les Israelites de la Dispersion 2 , 

berte. Par centre Cornfoud reagit justement centre le seepticisme de 
L..R. Farnelltouchant la valeur des renseignements donnes par Clement 
et Hippolyte sur les formules des Eleusinies : < les quelques formules 
reveleestardivementpar les^Peres Chretiens portent la marque d'une haute 
antiquite, etc. ; p. 527, et voir ci-dessous,.p. 540, note 1. 

1. Des 48 apres Jesus Christ, Claude, agissant comme censeur, enregis- 
trait sept millions de citoyens remains. 

2. Les Zelotes refusaieflt, assure JosephC) de donner a aucun homme le 
nom de Chef ou de Maitre d'Irael : ^ep >0 ' va xV8etncdT7]v. Voir G. Dalman, 
Die Worte Jesw, p. 112. Mais 1'immense majorite des Juifs dans la Disper- 
sion acceptaient d'appelerl'empepeutf 8^owoTa,.Kataapxi5pte, x\5pti(jLu; voir les 



L'ETABLISSEMENT BE LA RELIGION DE JESUS. 539 

i 

qui pretendaient vivre dans une Cite terrestre sans en adopter 
les dieux, furent accuses, assez logiquement, d'atheisme. 
Jure par la Fortune de Ce"sar, r-eviens au ban sens, crie : 
Plus d'athees! hu-rle a saint Polycarpe la' populace reunie 
dans 1'amplaitheatre de Smyrne, en 155 ou 156. Alors, prome- 
nant son regard s*ir la tourbe sans foi ni loi qui encombrait le 
stade, et etendant la main vers elle, le saint leva les yeux au 
ciel avec un prof ond soupir, et s'ecria : $lus d'athees 1 ! Get 
episode revele 1'ablme creuse dans le monde spirituel ;par la 
religion nouvelle. 

Au cultequi maintenait dans chaque Cite un certain nombre 
d'institutions sacrees, soustraites en principe a la discussion, 
s'ajou-tait ordmairement chez les anciens pai'ens une religion 
moms officielle, individuelle ou familiale, ou pratiques en union 
avec un gxoupe d'hommes de m4ms aspirations. On avait 
1'embarras du choix. D'innombrables divinites animaient la 
nature, sanctifiaient les gestes essentiels de la vie et du tra- 
vail humains, cbassaient les mechants demons, favorisaient 
leurs devots. Sur des rites sans age, dont le sens premier 
s'etait perdu ou deforma, des fables avaient pullule que les 
statues, les inscriptions, les ex-votos des temples^ les tradi- 
tions populaires, lespoemes classiques, les recueils des mytho- 
gr.aphe5, les formules-rnagiques transmettaient, en les embel- 
lissant, en les enchevetrant. Des dieux d'origine et d'attributs 
tres- diiFerents, indigenes ou etrangers, parce qu'ils -4taient 
proposes a des taches semblables, pourvus de types artisti- 
ques analogues, ou rapproches par quelque point de legende, 
s'etaient influencies, fondus, identiiies.. D'autres, en grand 

exemples dans W. Foerster, fferr ist Jesus, 1924, p. 107suiv. Onpeut com- 
parer Pattitude des Juifs maranos en3spagne, au xv e siecla, 

I. Martyrium Polycarpi, 9; ed. A, Lelong, Paris, 1910, p. 140. Sur 
1'accusation d'ath6isme, que paiiens et Chretiens se renvoient aux pre- 
miers siecles, voir le m6moire d'A. von Harnack, Der Vorwurf des Atheis- 
miis in den drei ersten Jahrhunderten, dans TV, XXXIII, 4, Leipzig, 1905, 
p. 5-16, surtout p. 8 suiv. La derivation qui conclut, d'uneerreur capitals 
sur Dieu, a rdcOsoT^ est visible- dans saint Ir6nee, Adv. Haer., Ill, 25, 3, 
oii 11 est dit que < Marciontue Dieu : Marcion... interimit Deum >. Assez 
rare, 1'atheisme, au sens moderne du mot, etait eonnu, et le type, plus ou 
moms 16gendaire, en 6tait fourni par le vieux poete Diagoras de M61os, 
v e siecle avant J6sus Christ. 



540 JESUS CHRIST. 

nombre, avaient ete dedoubles, brises en figures distinctes; les 
patrons de chaque pays reunissaient sur eux, par une sorte de 
devolution, la plupart des offices divins et des e"pithetes souve- 
raines. Dans I'Hellenisme en general, les divinites olympiennes, 
humanise'es, avaient relegue" a 1'arriere-plan, mais non e*limine 
de la devotion du peuple, des grandeurs plus anciennes : le 
Ciel-Pere, la Terr e-M ere, les astres et constellations; pour no 
pas parler de la foule obscure mais redoute*e des daimones. 
Aventures des dieux, theogonies, metamorphoses, mythologies 
heroiques formaient une jungle sacree, occasion pour les sages 
de speculation et de simplifications, pour la foule, de supers- 
titions sans fin. Ghaque province, chaque territoire, chaque 
ville avait ses puissances tutelaires, ses lieux de pelerinage, 
ses rites de propitiation, ses temples pourvus de fondations, 
de sacerdoces et de legendes. Les families heureuses des 
cent dernieres annees, qui nous ont rendu plusieurs villes 
antiques dans la Grande Grece, I'Afrique du Nord, la Grece 
propre et insulaire, le proche Orient, permettent de mesurer 
la place qu'on y faisait aux dieux. Parmi eux, ceux dont se 
recommandaient les religions a mysteres comptaient pour 
beau coup, a 1'aurore de 1'ere chretienne. 

Les plus anciens et en tous cas les plus considerables des 
mysteres celebres sur le sol hellenique ou hellenise sont ceux 
d'Eleusis 1 . Quoi qu'il en soit de leur prehistoire, peut-^tre 
contemporaine de 1'epoque mycenienne, leur existence et Tes- 

1. L'ouvrage le plus consid6rable reste celui de Paul Foucart, Les Mys- 
teres d'Eleusis, Paris, 1914. Le solide et charmant opuscule de Maurice Bril- 
lant, Les Mysteres d'Eleusis, Paris (1920), merite d'etre distingue. Les 
memoires du R. P. Lagrange, Les Mysttres d'Eleusis et le Christianisme, 
RB, XXVI, 1919, p. 157-217, et de J. De Caluwe, Mysteres d'Eleusis, dans 
Semaine d' Ethnologic Religieuse, III, Enghien, 1923, p. 441-455, sont aussi 
ii signaler. Parmi les travaux plus anciens, ceux de L. R. Farnell, The 
Cults of the Greek Stales, III, Oxford, 1907, ch. in et iv, quelque meritoires 
qu'ils soient, sont gates par une defiance injustifiee pour les renseigne- 
ments transmis par les auteurs Chretiens : excellent resum6 par 1'autetir, 
s. v. Mystery, dans ]' Encyclopedia Britannica, 11, Cambridge, 1911, p. 117 
suiv. Les points de vue plus nouveaux sont exposes par Martin Nijsson, 
Die Enstehung der griechischen Goelterwelt, dans Chantepie de la Saus- 
saye, Lehrbuch der Religionsgeschichte, 4 e ed. refondue par Bertholet et 
Lehmann, Tubingen, 1925, p. 313 suiv. 



L'ETABLISSEMBNT DE LA RELIGION DE JESUS. 541 

senfciel de la fable qu'ils commemorent, sont attestes au 
vii e siecle avant Jesus Christ par le fameux hymne homerique 
a Demeter, qui n'est pas indigne du grand nom ainsi usurpe*. 
Solennise'es chaque annee, au mois Boedromion, aout-sep- 
tembre, du 13 au 23 (les ceremonies preliminaires furent en- 
suite, pour la commodity des candidats, accomplies une pre- 
miere fois dans un faubourg d'Athenes, les 20 et 21 du mois 
Anthesterion, fin fevrier), les fe"tes prirent avec le temps un 
tel eclat qu'elles devinrent pour toute 1'Attique une veritable 
institution d'Etat. Elles durerent, en cette qualite, presque 
un millenaire. A qui se soumettait aux epreuves, I'initiation 
n'etait refusee, pour autant que nous sachions, qu'aux bar- 
bares c'est-a-dire a ceux dont la langue n'etait pas intelli- 
gible 1 et aux meurtriers qui avaient du sang sur les mains. 
On nous assure que Neron s'exclut lui-me'me des mysteres 
apres I'assassinat de sa mere Agrippine 2 . 

Le mythe eleusinien est manifestement composite : la pre- 
paration a la vie d'outre-tombe, qui fut a 1'epoque ici etudiee 
le principal attrait du mystere, se juxtaposa ou se superposa, 
ans parvenir a les eliminer, aux rites d'un culte agraire de fe- 
condite. Nous n'avons pas a de'brouiller ici les questions de 
genese, sur lesquelles on discutera sans doute longtemps 
encore. Dans sa teneur classique, la fable est relativement 
transparente. 

Pendant qu'elle cueillait des narcisses, Gore (Persephone, 
Proserpine), fille de la de*esse de la Terre feconde, Demdter 
(Deo, Geres), a ete enlevee, avec la connivence de Zeus, par 
le dieu du monde souterrain Plutos (Hades, Pluton), qui en a 
fait sa compagne et la reine de ces bas-lieux. La mere en 
pleurs se met a la recherche de sa fille. Apres diverses aven- 
tures, elle finit par apprendre ce qui s'est passe : indignee, 

1. M. P. Foucart interprfete la qualit6 exig6e des candidate aux mysteres 
par une certaine justesse de la Voix, permettant de donner aux formules 
sacrees le ton voulu, hors duquel ces formules auraient perdu leur efficacite. 
C'6tait le cas pour les incantations 6gyptiennes. G. Maspero, Etudes de 
Mylhologie et d'Archeologie egyptiennes, II, 1893, p. 373, observe que leur 
r6sultat, heureux ou ma]heureux7 d6pendait entierement de la justesse de 
leur voix > (de ceux qui les modulaient). 

2. t Eleusiniis sacris... interesse non ausus est >; Su6tone, Nero, 34. 



;1 



542 JBSJJS CHRIST, 

elle frappe alors d'inter.dit tous les champs de la terre, que 
sa malediction sterilise. L'humanite vaperir, quand Zeus in- 
terment et ordonne au ravisseur de rendre sa pr.oie. ,Mais 
Pluton a pris ses assurances en faisant accepter a Gore un 
pepin de grenade, dont la vertu magique contraint la jeune 
deesse a revenir chaque annee, trois mois durant, partager 
le tr6ne infernal. Un arrangement intervient : eonlente de 
recouvrer safille les trois quarts de l'anne, Demeter s'apaise 
et rend aux champs leur fertilite. Des elements dionysiaques 
s'insererent ensuite dans cette traine sans la deformer heau- 
coup= : son caractere ag.raire, saisonnier, saute aux yeux. 

L'initiation ou mu&sis 1 se celebrait,, nous 1'av.ons difc., en 
deux iois. Une phase preliminaire, les .petits mysteres de 
fevrier, ayait lieu a Agra, autant dire a Athenes, et les 
grands , ceux d.e septerobre, a Eleusis, separee d' Athenes 
par cinq bonnes lieues : laroute afttuelle, qui suit assez exac- 
tement Fancier trace, compte exactemeiit 22 kilometres. II 
semhle qu' il y ait, dans ce partage entre les deux cites, 
comme aussi dans la distribution des changes mystiques entre 
deux families : les Eumo^lpides, d'origine thrace mais r.esidant 
a Eleusis, et les lieryces, Athaniens, le res.ultat d'un com- 
ppomis. Dedids a Gore, les p&tits myster.es consistaient sur- 
toutieninstriuctions, closes parun.bain ,dansJ'IUsso3. Les^:r,ands 
mysteres, celebres dans le monde greco-romain tout entier, 
comjnenc.aient le 13 du mois Boedromion par une excursion 
des jeunes inscrits d'Athenes, les ephebes, qui allaient cher- 
cher dans de grandes corbeilles d'osier dojat le couvercle 
efcait assujetti par des bandelettes de laine teinte en pour- 
pre )e>, les objets sacres (hiera) des deessas. Quels etaient ees 
objets? Nous I'ignorons. Les conjectures les moins impcobables 
nous orientent vers des representations tres archaiques, demi- 
symboles, demi-statues des deesses; ou simplement des em- 
blemes de fecondite. 



1. Ce terrne ettous : ceuydesafamille : pstv, initier, [*u<m)?, initi6; j 
conccrnant les mystferes;; |j.uarr{pio.v, chose ojic^r^inonie secrete, se rap- 
portent a .la iracine [xiw, sesfermer, etre :clos ^l&vres., ^eux, plaie),; .E . Boisacq, 
Dictionnaire dlymologique de la lanffw grecqye, 19jiB,, p. 654. Sur ladfiriva- 
tionde ces mats, voir J.. de Guib.ert, Mystique,, dans MA M, Vil, 1926, p. 3-16. 



L ETABLISSEMENT DE LA RELIGION DE JESUS.. 543 

Le 15, les candidats a 1'initiation, dument instruits, pre- 
pares par des lustrations et abstinences de caractere rituel, 
etaient officiellement reunis et decomptes. Le 16, au cri de 
les m^stes a la irier ! purification generale, chacun trai- 
nant apres soi dans les vagues un jeune pore, qu'il devaifc 
ensuite sacrilier lui-me'me a De'me'ter. Les 17 et 18, f&tes in- 
tercalates. Enfin le 19 s'organisait, precede de la statue d'lac- 
chos 1 , accompagne de cris et d'acclamations, le cortege qui 
ramenait sur un lourd chariot a boeufs, entoures par des pre- 
tresses en magnifique arroi et suivis d'une foule immense, les 
objets sacres a ^lleusis. Plusieurs stations etaient menagees 
sur le parcours, et 1'une des premieres, au passage du Ce- 
phise athenien, donnait lieu a une bordee d'injures, vestige 
des antiques rusticites. Les mysteres proprement dits, pre- 
pares par des visites a divers lieux saints, tels que la pierre 
dolente 2 )) ou Geres, relusant d'etre consolee, s'etaitassise, et 
le puits Galli chores, point de depart traditionnel de son culte, 
commenc.aient le 20. Us s'accomplissaient dans un vaste edifice 
appele du nom de I'institution qu'il abritait, le telestenori (lieu 
d'initiation). La se deroulaient, au cours de deux veilles noc- 
turnes, les ceremonies d'une initiation a deux degres : 1'essen- 
tielle muksis, rendant myste d'Eleusis, et 1'intuition (6popteia], 
qui nous est encore plus mal connue. 

Je dis : encore plus mal; car sur la mu&sis elle-me'me, nous 
sommes imparfaitement documentes. Le secret, defendu par 
des sanctions tres severes, et qui ne restaient pas toujours 
lettre morte, a ete bien garde. II parait toutefois certain que 
le t&lesterion voyait se derouler un drame sacre, au cours du- 
quel etaient representes le rapt de Gore, la qu^te doulou- 
reuse de Deo, et la reunion des deesses; peut-e"tre aussi 
Tarrivee de Demeter a Eleusis. Un double rite, a ce qu'il 
semble, agre"geait le postulant a la clientele divine ; Glement 
d'Alexandrie nous en a conserve laformule, selonlaquelle cha- 



1. lacchos a fait couler des flots d'encre. L'identifi cation post6rieure a 
Bacchus n'estpas douteuse. Aristophane, Grenouilles, v. 324 suiv. ; 395 suiv., 
repr6sente simplement lacchos comme le ehorege divin'de la procession. 

2. 'Ay^Xaawis TCibpa : sur tout cela> P. Pbucart, Les Mysteres d'Eleusis, 
p. 340 suiv. 



544 JESUS CHRIST. 



que initie disait : J'ai jeune ; j'ai bu le ciceon (sorte de cordial, 
compose d'eau et de farine aromatisees a la menthe, premiere 
nourriture que Deo eut consenti a prendre, apres son jeune 
de neuf jours). Puis : J'ai pris dans la corbeille, apres avoir 
manic" j'ai remis dans le boisseau, et du boisseau dans la cor- 
beille 1 . La premiere declaration est claire, et caique un 
geste de la de*esse. La seconde exprime une prise de contact 
avec des objets sacres, emblemes ou gateaux, que 1'initie sai- 
sissait dans une des corbeilles (ciste), et remettait, apres les 
avoir touches, dans 1'autre (calathos). L'exhibition, en grande 
pompe, par le maitre des rites (hierophante), au milieu d'une 
lumiere eclatante, des hi6ra, finissait la ceremonie. 

Ou se pla^aient, dans le cycle eleusinien, les allusions et 
instructions concernant la vie d'outre-tombe? 11 est impos- 
sible de le dire surement. Get itineraire dans le monde in- 
fernal, ou les souverains, Gore et Pluton-Eubouleus, devaient 
accueillir ensuite leurs devots et les acheminer vers un 
bonheur durable, etait-il independant, comme le veut M. Paul 
Foucart, du drame resume plus haut? En faisaifc-il partie in- 
tegrante? II est sur dumoins par le te"moignage de Plutarque, 
qu'il constituait le rite le plus touchant, celui qui laissait aux 
inities, ramenes des tenebres a la lumiere, 1'impression la plus 
reconfortante. 

L'dpojpteia se celebrait la nuit suivante, du 21 au 22, pour 
les mystes ayant un an d'initiation, et desireux d'aller jus- 
qu'au bout des mysteres. Elle consistait principalement dans 
1'ostension aux parfaits de 1'epi moissonne en silence . La 
mention du silence rappelle ici, comme souvent ailleurs, 1'at- 
mosphere exigee pour 1'execution decente et peut-^tre meme 
efficace des rites divins 2 . Quant a 1'epi de ble, c'est un sym- 
bole naturel de la fertilite des champs, et il doit remonter 
aux origines les plus recule'es. Le hierophante, nous rapporte 

1. Protrepticos, II, 20, 2. 0. Staehlin, CB, I, p. 16, maintient justement 
la le<jon des manuscrits, ipYa<jctjji8vo{, qui donne un sens excellent. La con- 
jecture de Lobeck : lYYeucfyevos, n'a aucun fondement reel. 

2. Tous les textes sont r&mis et commented par G. Mensching, Das hei- 
lige Schweigen, eine religionsgeschichtliche Untersuchung, RW, XX, 2, 
Giessen, 1926; J. Souilhe, Le silence mystique, dans RAM, IV, 1923, p. 128- 
140. 



L'ETABLISSEMENT DE LA RELIGION DE JESUS. 545 

Hippolyte *, expliquait la lecon de 1'intuition, en criant, de 
toute savoix, au milieu des flambeaux allume's, dans 1'accom- 
plissement des grands et ineffables mysteres : La divine Brimo 
a enfante Brimos, I' enfant sacre! c'est-a-dire : la Forte a 
enfante le Fort 2 . L'epi representerait done le fruit d'une 
union entre dieux, une de ces hierogamies frequentes dans 
la Fable antique, et innombrables dans la legende de Zeus. 
Est-ce 1'union de celui-ci avec Demeter, ou avec Persephone, 
qui etait sugge"ree, dans ses lignes generales, en traits atte- 
nue"s mais encore trop clairs (et provoquant 1'ardente protes- 
tation des auteurs chretiens), aux participants des mysteres 
d'Eleusis? On n'en saurait guere douter; et il convient de 
rappeler que ces mythes n'eveillaient pas necessairement chez 
les initie's les idees impures qu'ils sembleraient devoir impo- 
ser. De nos jours encore, certains traits d'une horreur egale 
ou plus grande, dans les religions hindouistes, sont parfois 
eouverts aux yeux des croyants par le privilege sacre" qui les 
soustrait a leur jugement. 

Les mysteres de Samothrace, petite ile montagneuse a 1'ex- 
tr^me nord de la mer Egee, furent egalement officiels, et leur 
popularite restee considerable dans le monde latin, durant la 
periode qui nous occupe, balanca m^me, au iv e siecle avant 
Jesus Christ, celle des Eleusinies. II semble qu'on ait cherche 
dans 1'initiation des Gabires, moins des assurances pour Fautre 
vie que des gararities contre les perils de celle-ci, notam- 
ment les perils de mer. Les dieux dont la fable formait la 
trame des mysteres, les enigmatiques Axieros, Axiokersos, 
Axiokersa et Cadmilos, font bande a part dans le Pantheon 
olassique, qui a essaye en vain de se les assimiler. Sur leur 
origine, peut-etre phenicienne, pese une obscuriteproverbiale, 
encore epaissie par les identifications variees des mythogra- 
phes. Une bonne partie des grands dieux ouraniens, terres- 
tres etinfernaux, Zeus, Demeter, Pluton, Persephone, Hermes, 
Apollon, Hera, Aphrodite, mais aussi des heros et de simples 
daimones, ont pr^te aux Gabires leurs noms et des traits de 

1. Elenchos (Philosophoumema), V, 8, 40; 6d. P. Wendland, CB, ffippo- 
lytus Werke, III, p. 96. 

2. Brimo signifie proprement la Terrible , et cette 6pithete, assez 
rare, n'est donn6e qu'aux deesses infernales, Core-Pers6phone ou Hecate. 

JESUS CHRIST. II. 35 



546 JESUS CHRIST. 

leur legende, recouvrant des mythes beaucoup plug anciens y 
originaux, dont la genese reste inconnue. 

Des mysteres d'Andania, en Messenie, analogues a ceux 
d'Eleusis, puisque la divinite principale y etait Gore la Sainte 
(Hagne ou Hagna), on ne connait guere, avecle nom, que des 
details de rituel, reveles par une inscription datee de 91 avant 
Jesus Christ. 

Les mythes professes et les rites pratiques dans les grou- 
pes de libres croyants, organises en thiases ou confreries, qui 
se reclamaient du nom d'Orphee (Orpheus), devin et poete 
thrace presque surement legendaire, possedaient une ample 
litterature, dont des fragments importants ont survecu 1 . On 
trouve la, comme dans les cultes analogues, des elements 
heterogenes ramenes par des speculations complaisantes a une 
relative unite. Favorises par les disciples de Pythagore en 
Grande Grece et, a Athenes, par les tyrans (vi e siecle avanb 
J. G.), les cercles orphiques ont exerceune reelle influence sur 
la pensee non seulement religieuse mais philosophique de 
rhellenisme. Ils expliquaient 1'existence du mal dans le monde 
humain par le mythe dionysiaque de Zagreus, dieu cornu 
(taureau ou chevreau), fils de Zeus et de Persephone. Se- 
duit par des jouets et mis a mort par les Titans, le heros enfant 
avait ete depece et devore, sauf le coeur. De ce cceur, moyen- 
nant des aventures qui varient avec les versions de la fable T 
un second Zagreus etait issu, tandis que des Titans foudroyes 
et reduits en cendres naissait l'homme, animal ambigu, tirant 
sa noblesse de Dionysos Zagreus, et son abjection, des Titans. 
Sur ces histoires laborieuses se greffait une methode de re- 
dressement, partie ascetique et partie mystique, destinee a 
assurer aux 4mes humaines, engagees dans une suite de re- 
naissances, une purification assurant la delivrance finale. Or- 
phee etait cense avoir revele ces mysteres, qui evoluerent 
peu a peu dans le sens d'une theosophie. La preoccupation de 
guider 1'initie en lui enseignant les mots de passe et les points- 
de repere de 1'autre monde, se fait jour dans des textes 
tres interessants du m e siecle avant Jesus Christ, qu'on tient 

1. Ontrouvera les renseignements essentiels sur le mythe de Dionysos 
Zagreus, et la bibliographic indispensable, dans la note P 2 , Dieux morts et 
ressuscites, 2, ci-dessus, t. II, p. 515. 



L'ETABLISSEMENT DE LA RELIGION DE JESUS. 547 

assez generalement pour orphiques. Us ont ete dechiffres sur 
de minces feuilles d'or trouvees dans des tombeaux, en Italie 
et en Crete 1 . 

Par -exemple, le mort est avert! qu'a un carrefour de la 
route infernale il trouveraune source, pres d'un cypres blanc. 
Qu'il se garde d'en approcher, mais au contraire prenne a 
droite. II rencontrera le lac de Memoire, et s'en fera ouvrir 
1'acces en rappelant au gardien qu'il est initie : Je suis fils 
de la Terre et du Giel etoile. Ainsi ma race est celeste. Sachez 
cela, vous aussi, etc. . Aux dieux des enfers, il dira : Je viens 
d'une communaute de purs, 6 pure souveraine des enfers., 
Eucles-Eubouleus, et vous autres dieux immortels. Gar je me 
flatte d'appartenir a votre race bienheureuse... J'ai bondi hors 
du cycle des lourdespeines et des douleurs, et me suis elance 
d'un pied prompt vers la couronne desiree... A quoi la deesse 
repond : fortune, 6 bienheureux! tu es devenu dieu, 
d'homme que tu etais. Et Tinitie conclut, faisant allusion au 
petit cornu dont 1'heritage explique sa propre delivrance : 
Ghevreau, je suis tombe dans le lait , autant dire : De- 
venu un autre Zagreus, j'entre dans Telement divin ! 

A ces ensembles, qui se presentent comme ayant dans le 
sol hellenique, en y comprenant la Grande-Grece : Italie du 
Sud et Sicile, leurs maitresses racines sinon toutes leurs 
racines et une longue existence de fait, se juxtaposaient, 
et allaient en partie se substituer dans la devotion des pai'ens, 
des cultes mysterieux plus exotiques. Les principaux, en lais- 
sant de c6te les Adonies qui sont plutdt des fe'tes populaires, 
furent les mysteres isiaques, ceux de la Grande Mere Gybele 
et de son paredre Attis, et enlin la religion solaire, tard venue, 
du dieu iranien Mithra. Egyptiens, phrygiens, perses d'ori- 
gine, ces cultes firent aux mysteres hellenises une concurrence 

1. Edition tres commode, aprescelledeD. Comparetti, Lammette orfichq, 
Florence, 1910, par Alex. Olivieri, Lamellae aureae orphicae, dans les Kleins 
Texte de Lietzmann, n. 133, 1915. Pour les traductions, je cite A. Bou- 
langer, OrpMe, Paris, 1925, p. 39, 40. Eucles, Eubouleus, semblent bien 
deux epithetes visant Pluton-Hades, et destinies a capter sa bienveillance. 
Eucles est rarissime, ne se trouvant sous sa forme grecque qu'ici, et dans 
une autre inscription : Eucles et Eubouleus, et vous autres daimone&, 
etc. > Voir Jessen, EukUs, 1, dans/?.E(M, VI, 1, col. 1053. 



548 JESUS CHRIST. 

importante, souvent victorieuse. II ne faut pas d'ailleurs ima- 
giner de frontieres bien nettes : les emprunts, les surcharges, 
les imitations conscientes ou indeliberees foisonnent dans les 
religions initiatiques, a 1'envi des mythologies communes. 

Les mysteres d'Isis sont les plus anciens et, avant d'avoir 
trouve a Rome, dans la seconde partie du i er siecle de notre 
ere, une reconnaissance quasi officielle, ils s'y etaient cre"e, 
comme dans tout le monde mediterraneen, une clientele assez 
fervente. Deesse aux mille noms, aux mille formes, ayant 
annexe peu a peu les attributs de toutes les divinites femi- 
nines una quae es omnia, dit une inscription de Gapoue la 
scaur et femme d'Osiris a garde, de la fable originelle, ces 
traits distinctifs : le sistre a la main, la fleur de lotus au front, 
le nceud visible fermant son manteau. Son culte, tres deve- 
loppe", comportait, avec de grandes ftes annuelles, des rites 
quotidiens qui entretenaient la ferveur des fideles. Par ses 
mysteres, il se rapprochait des Eleusinies : a la place de la 
quete, par Demeter, de sa fille Gore, figurait la recherche et 
1'invention par Isis, du corps d'Osiris ^ que son jumeau Seth 
(Typhon) avait lachement assassine. Une narration d'Apulee 
a la fin de son romantres libre, I'Ane d'Or, nous fait connaitre 
assez bien les details d'une ' initiation isiaque, au 11 siecle de 

1. Le necessaire a et6 dit plus haut dans la note P 2 , Dieux morts et 
ressuscite's, 1, Osiris, tome II, p. 511. Sur Isis, on peut consulter, avec 
G. Lafaye, Histoire des Divinites d'Alexandrie hors de VEgypte, Paris, 
1884, G. Roeder, Isis, I, dans REG A, IX, 2, col. 2084-2132, ou toute 
la litterature est recens6e jusqu'en 1916 ; et Pierre Medan, Le Guile d'Isis 
a Rome au n e siecle apres Jesus-Christ, Introduction a 1'etude critique 
du Livre XI des Metamorphoses, Paris, 1925, p. vn-xxvin. L. A. Deubner 
fait remarquer justement, Die Orientalischen Religionen, dans Chantepie 
de la Saussaye, Lehrbuch der Religionsgeschichte, 4 ed., Tubingen, 1925, 
II, p. 493, a propos de I'universalit6 des titres attribues a Isis, comme 
aussi du caractere abstrait et spirituel de certains de ces titres figurant 
dans le grand papyrus de Paris (n e siecle apres Jesus Christ), qti'il y a dans 
ces litanies beaucoup de convention. L'Isis vraiment populairen'estpas la 
panthea d'un syncretisme academique, mais la deessedu salut, guerisseuse 
et consolatrice, invoquee par Tibulle : 

Nunc dea, nunc succurre mihi, nam posse raederi 
Picta docet templis multa tabella tuis. 

Voir les textes et documents reunis par Drexler dans Roscher, LGRM, 
II, 1, col. 522 suiv. 



DE LA RELIGION DE JESUS. 549 

notre ere. Lucius, le heros e'ehappe de son Strange aventure 1 
sur une intervention d'Isis, et redevenu homme, se joint au 
cortege de la de"esse, a Cenchrees pres de Gorinthe. Apresune 
sorfce de retraite passee dans le jeune, il est admis a la puri- 
fication par 1'eau, alaquellesuccede, dix jours apres, l&mu&sis 
proprement dite. L'initiation a ete precedee d'une longue veil- 
lee : ensuite, sous la conduite du mystagogue, le candidat a 
vu se derouler, mime oudrame sacre", lemythe divin, etabene- 
ficie des revelations decisives. Arrive a ce point, 1'auteur em- 
ploie a dessein un langage enigmatique : J'approchai des 
limites du trepas; je foulai du pied le sol de Proserpine, et 
j'en revins en passant par tous les elements. Au milieu de la 
nuit, je vis le soleil briller d'un eclat ^blouissant. Je contem- 
plai face a face les dieux de 1'enfer, les dieux du ciel : je les 
adorai de pres. Voila tout ce que je puis vous dire 2 . Gette 
premiere initiation eut un lendemain, une intuition (dpopteid), 
durant laquelle les secrets de Serapis (doublet d'Osiris) furent 
reviles a Lucius. 

Le principal des mysteres semble done avoir eonsiste, ici 
encore, dans un voyage aux enfers, au cours duquel l'initie, 
presente auxdivinites d'enbas, etait reconnu par elles et ache- 
mine vers les dieux ouraniens qui, a leur tour, 1'accueillaient 
comme etant de leur race. 

Plus anciennement recus a Rome que les isiaques, mais 
n'ayant pris un developpement considerable que vers la meme 
epoque, et leur couronnement final par la procession des 
hiera (cernophorie) et le fameux rite du sang (taurobole, crio- 
bole) que plus tard encore, au n e siecle de notre ere, 
les mysteres de la Grande Mere n'en furent pas moins tres 
populaires en Occident. Nous avons decrit plus haut 3 la f6te 

1. D'apr6s unth^me de folklore tres repandu : voir pour le theme Leon 
Wieger, Histoire des Croyances religieuses etdes Opinions philosophiques 
en Chine 2 , 1922, Lecon 70, p. 651-652. Lucius avait ete metamorphose en 
ane, la sorciere a laquelle il s'adressa pour etre change en oiseau s'etant 
trompee d'onguent. 

2. Metamorphoses, XI, 23. Tr. P. Monceaux, Les Africaines, V, Apulee de 
Madaura, p. 329; texte critique dans P. Medan, Metamorphoses, Livre XI, 
Paris, 1925, p. 64. 

3. Voir ci-dessus la note P 2 , Dieux morts et ressuscite's, 4, Attis et Cybele, 
tome II, p. 524. On trouvera la les indications bibliographiques. 



550 JESUS CHRI'ST. 

du printemps au cours de laquelle se recrutait 1'affreuse co- 
horte des Galles, pre'tres mutiles de Gybele. Le candidat a 
1'initiation, prepare par diverges abstinences, devenait tauro- 
boliatus ou crioboliatus en recevant sur la t6te et tout le 
corps, a travers des trous menages dans le plancher, le sang 
chaud d'un taureau ou d'un belier : ce rite symbolisait la 
consecration a la Grande Mere qui semble avoir fait le fond 
du culte phrygien. 

Issus de la religion des mages persans, les mysteres de 
Mithra 1 , les derniers parmi ceux qui comptent (car la vogue 
des cultes de ce genre fut telle qu'on vit un aventurier, 
Alexandre d'Abonotichos, sous Marc Aurele, en organiser un 
de toutes pieces), sontles plus nobles, les moins engages dans 
les langes d'un naturisme obscene. Transportes en Occident, 
par dessus le monde grec ou ils ne prirent jamais racine, un 
peu posterieurement a la premiere expansion chretienne, par 
des groupes de soldats ou de marchands inities en Orient, ces 
rites se cel^braient dans des cavernes, naturelles ou artifi- 
cielles (spelaeum, specus, spelunca, antrum], au fond des- 
quelles s'e'rigeait le groupe de Mithra immolant le taureau. 
Bonnombre de ces cryptes ont ete retrouvees avec leurs sculp- 
tures et une partie de leur mobilier. Les groupes qui prenaient 
part au culte, peu nombreux, severement choisis et hierarchi- 
ses, portaient des noms de guerre : le Gorbeau, 1'Occulte, 
le Soldat, le Lion, le Persan, le Gourrier du Soleil, le Pere. 

1. Ici tout le monde est tributaire, et pour longtemps, de Franz Cumont, 
Textes et Monuments figures relatifs aux mysteres de Mithra, Bruxelles, 
1896-1899; Les Mysteres de M ithra 3 , Bruxelles, 1913. Du meme, Iesm6moi- 
res sur Mithra fansDAGR et LGJRM. On doit consulter egalement J. Tou- 
tain, Les Cultes pa'iens dans I' Empire Romain, II, Paris, 1911, p. 121-177. 
Sur les rapports avec le christianisme, L. Patterson, Mithraism and Chris- 
tianity, Cambridge, 1921 ; A. d'Ales, Mithra, dans DAFC, III, col. 578-591 ; 
C. van Crombrugghe, Les Mysteres de Mithra, dans Semaine d'Ethnologie 
religieuse, III, Enghien, 1923, p. 427-441. La pretendue liturgie de 
Mithra *, restituee par A. Dieterich d'apres le grand Papyrus magique de 
Paris, 1. 475-723, Eine Mithrasliturgie, 1910, 2 1923, ni n'est, declare 
R. Reitzenstein apres Cumont, une liturgie au sens strict du mot, ni ne 
peut servir a la restitution d aucune forme connue de la religion de 
Mithra ; Religionsgeschichte und Eschatologie, dans ZNTW, XIII, 1912, 
p. 12. 



L'ETABLISSEMENT DB LA RELIGION DE JESUS. 551 

Partant d'une theogonie assez abstruse, la doctrine fonda- 
mentale du mithracisme tient que tout ce qui existe, dieux, 
daimones et hommes, precede d'un couple divin, Ciel etTerre, 
issu lui-m^me du Temps infini 1 . A ce couple bienfaisant, 
accompagne parfois d'un fils, 1'Ocean, s'en oppose un autre 
(Ahriman et sa femme Hecate), de m6me origine, qui en forme 
le pendant exact, mais dans 1'ordre de destruction, d'anarchie 
et de chaos. Le monde actuel resulte de la lutte incessante 
entre ces Puissances antagonistes. Mithra, dieu solaire etlumi- 
neux, est le mediateur et le guide qui apprend a ses disciples a 
faire triompher en eux le principe bon. Gomme le feu nait du 
silex frappe, comme le soleil emerge de 1'horizon montagneux, 
Mithra est ne de la pierre , et cet episode, tardif dans la 
legende, ne laisse pas d^tre represente sur les monuments 
figures, ainsi que les rapports de Mithra avec une autre divi- 
nite solaire. Mais le mythe principal est la prise par le Heros 
celeste et 1'immolation du Taureau primordial, fecondateur. 
Mithra le saisit, le traine a reculons dans la caverne, et la, 
sur 1'avertissement du Gorbeau, messager du Soleil, il lui 
plonge dans le poitrail un couteau. Avec le sang jaillit la vie 
ve"getante, que les be"tes d'en bas, tenebreux complices d'Ah- 
riman : scorpions, serpents, fourmis, s'efforcent en vain de 
capter (ou qu'elles tachent d'empoisonner?). On a reconnu la 
scene represented plastiquement dans la plupart des cavernes 
mithriaques. 

En dehors des rites accoutumes de lustration et d'invoca- 
tion, et de la fe"te annuelle de la renaissance du Soleil (dies 
natalis Solis invicti] le 25 decembre, se deroulait, vers 1'equi- 
noxe du printemps, le mystere qui faisait monter, par etapes, 
le postulant jusqu'au grade qu'il devait occuper. Un initie du 
plus haut rang, le Pere, Pater sacrorum, dirigeait les ceremo- 
nies, faisantrdle de mystagogue. Par des gestes symboliques, 
appropries aux designations des divers offices, et parfois tres 

1. Zervan-Akarana, en termes occidentaux Aidn-Saeculum ou Kronos- 
Saturnus. Le couple divin issu de lui fut tres vite assimile a Zeus-H6ra, 
Jupiter-Junon : les autres divinit6s qui formaient 1'eseorte barbare de 
Mithra dans ses travaux , regurent 6galement des noms greco-romains, 
'tout comme la femme du dieu infernal Abriman, qui herita naturellement 
de celui d'Hecate. 



552 JESUS CHRIST. 

beaux (celui du Soldat enparticulier) *, le candidat etait agrege" 
a la race lumineuse des purs, et sa felicite future assuree du 
coup. Au cours des reunions, un repas sacre* etait celebre, ou 
certains ecrivains chretiens ont denonce une contrefac,on dia- 
bolique de la cene eucharistique. En realite, ce rapproche- 
ment, dont on a bien abuse, ne fournit aucune analogie pre- 
cise 2 . 

Si Ton resume 1'essentiel des traits ici indiques plut6t que 
creuses a fond, on verra sans peine que les religions a mys- 
teres, en. depit de dissemblances profondes, ont en commun 
d'etre, au dela ou en marge des cultes officiels, une religion 
secrete et, au sens precis du mot, personnelle. Des Hindous 
diraient : une voie de devotion, bhaktimarga. Toutes en effet 
supposent une initiation, done une initiative de la part de ceux 
qui y adherent. Les devots des mysteres formaient, dans la 
grande republique des ames, des partis fermes, relativement 
fervents, ou, Fencens banal une fois donne aux Immortels T 
protecteurs de la Cite, la piete vraiment sentie s'exprimait 
envers des divinites plus proches et plus pathetiques. Gela 
vaut me*me pour les Eleusinies. On honorait ces dieux sau- 
veurs 3 par des rites plus ou moms jalousement derobes aux 
profanes; on attendait de leur protection, parfois cherement 
achetee, le salut en ce monde, et surtout en 1'autre. Gar une 
inquietude avait traverse la serenite un peu courte -et reduite 

1 . Le myste qui aspirait an titre de miles se voyait presenter sur une 
6p6e une couronne. II la repoussait de la main en disant que Mithra etait 
sa seule couronne. Desormais il n'en portait plus jamais, ni dans les 
festins, ni meme si on lui en d^cernait une comme recompense militaire, 
et il repondait a celui qui la lui offrait : Elk appartient & mon dieu ; 
F. Cumont, Les Mysttres de Mithra, p. 130. C'est ce que Tertullien appe- 
lait, de Praescriptione, XL, ed. de Labriolle, Paris, 1907, p. 86 : sub gla- 
dio redimere coronam . 

2. W. M. Groton, The Christian Eucharist and the Pagan Cults, London, 
1914. Dans son important memoire, Mystery, Mysteries, du DACH, II, 
1918, p. 49 A-62 B, Groton conclut, p. 61 A De Jong a tout a fait 
raison (Das antike Mysterienwesen, Leiden, 1909, p. 60) de rejeter 
entierement la these d'apres laquelle le christianisme aurait emprunt6 
quoi que ce soit au culte mithriaque . 

3. Voir B. Allo, Les dieux sauveurs du paganisme gre'co romain, dans 
la Revue des Sciences philosophiques et the'ologiques , XV, 1926, p. 6r34. 



L'ETABLISSEMENT DE LA RELIGION DE JESUS. 553' 

a lamesure d'une vie humaine, des anciens temps. L'au-dela,. 
1'outre-tombe, dont la preoccupation etait ancienne dans- 
1'Egypte et en Iran, avait commence", grace peut-e'tre aux 
rites dionysiaques venus de Thrace, a entrer en ligne de 
compte meme en terre hellenique et romaine. Les speculations- 
philosophiques travaillaient, de leur c6te, une elite de pen- 
seurs, notamment les Pythagoriciens 1 , les Stoiciens, les Pla- 
toniciens. Avec ce qu'elle implique de curiosite et de crainfce, 
la pensee de la vie future occupait done une place conside- 
rable dans tous les culfces initiatiques, et preponderate en 
plusieurs. 

Gependant les pratiques grossieres de lamagie imitative on 
sympathique, aggravees par des myfches qui les fournissaient, 
pour ainsi parler, d'un etat civil divin, sont restees au premier 
plan des mysteres. Leurs symboles impurs, leur affabulation 
bizarre ou inhumaine temoignent d'un passe dont ceux-la 
me'me qui en rougissent et les expliquent par de subtiles alle- 
gories, comme Plutarque 2 et d'autres avant lui, ne peuvent 
se liberer. Y toucher serait tout renverser, car les croyants 
tiennent passionnement a ce rituel immemorial. On s'efforca 
done d'epurer ces traits, de les charger d'un sens nouveau; 
on les racheta par des exercices ascetiques, parfois assezr 
rudes : mais apres tout ils demeurent la, pierres de scandale 
pour les yeux dessilles. Les apologistes ne manqueront pas 
de s'en emparer pour lapider les faux dieux. 

Tellesquelles, ces sectes a mysteres, refuges au debut d'une 
etroite elite d'hommes religieux, envahies ensuite et submer- 
gees par des curieux en mal d'initiation, des sensuels avides 
d'emotions fortes et des devots interesses, out cree un Ian- 
gage, repandu des idees, popularise des esperances et des 

1 . Sur les croyances des Pythagoriciens a cette' 6poque, voir J. Carco- 
pino dans Etudes Romaines, I, La Basilique Pythagoricienne de la Porte- 
Majeure, Paris, 1927 ; p. 153-386. 

2. Plutarque, Sur Isis et Osiris, 20, declare qu'il a resum le mythe en 
1'amputant des details les plus repugnants; car, ajoute-t-il, s'il se trouve 
des homines assez malheureux pour croire que des aventures de cette 
sorte soient reellement arrivees aux immortels, il n'y a qu'a redire avec 
Eschyle : Crache et rince-toi la bouche ! Voir sur 1'apologetique de 
Plutarque, B. Latzarus, Les Idees religieuses de Plutarque, Paris, 1920 r 
ch. vn a x. 



.554 JESUS CHRIST. 

craintes, determinant a la longue un courant plus noble dans 
les masses paiennes, livrees par ailleurs de plus en plus a la 
divination, au demonisme et a la magie. II ne faut pas hesiter 
a mettre, parmi les constituants de ce que certains Peres ont 
appele la preparation evangelique, le developpement des 
suites a mysteres. Beaucoup moins aptes a comprendre et a 
gouter le message du Christ que les groupes craignant 
Dieu qui al'ecole de la Bible avaient deja rompu avec 1'es- 
sentiel du paganisme, les clients de Dionysos Sabazios ou de 
Dionysos Zagreus, ceux me'me d'Isis et de Demeter, de Cybele 
ou de Mithra etaient plus eveilles que beaucoup de leurs con- 
temporains a I'lnterSt des choses divines. Us cherchaient a 
tatons, dans des voies souvent fangeuses, ce que les mission- 
naires Chretiens leur apportaient. 

On se tromperait du reste en pensant que tout fut gain pour 
1'Evangile dans cette avance confuse de Tame paienne. Ne 
parlons pas de la concurrence faite a la religion nouvelle par 
des cultes vivants, excitants, pourvus de traditions anciennes, 
-de fetes et de liturgies elaborees : apres Renan et bien d'au- 
tres erudits, J. Geffcken estime que le christianisme trouva 
en eux ses rivaux les plus redoutables 1 . Mais de plus, par le 
seul fait qu'elles n'exigeaient qu'une adhesion compatible avec 
ies religions d'Etat, et des purifications ou le coaur n'avait pas 
a se changer, 1'initiation aux mysteres etaitune mediocre anti- 
chambre du bapte'me. L'exclusivisme chretien, sans retour ni 
condition, paraissait redoutable a des hommes qui pouvaient 
trouver ailleurs, a meilleur compte, sans engager a fond leur 
esprit, sans compromettre toute leur vie sociale et civique, 
des rites pleins demotion et des symboles capables d'inter- 
pretations elevees. Le christianisme , observe Duchesne avec 
profondeur, en s'introduisant dans 1'Empire n'a pas trouve 
la place vide. II lui a fallu extirper des ames qui s'ouvraient 
:k hiinonseulementl'attachementparticulier atel ou tel culte, 

1. Assur6ment, ces cultes secrets ont, ainsi qu'on I'a remarqu6 deja, 
.prepare au christianisme ses obstacles les plus serieux ; et c'est seulement 
parce qu'il possedait lui-meme des mysteres et qu'il acquit, lui aussi, sous 
1'innuence de 1'esprit du temps, une terminologie mystique, qu'il put con- 
jurer ce danger. Das Christentum im Kampfund Ausgleich mit der grie- 
chisch-roemischen Welt z , Leipzig, 1920, p. 30. 



L'&TABLISSEMENT DE LA RELIGION DE JESUS. 555 

mais encore une certaine sympathie pour tous les paganismes 
qui s'etaient peu a peii croises et superposes dans la devotion 
vulgaire 1 . Or rien n'entretenait plus cette sympathie gene- 
rale que les mysteres, d'autant que bon nombre de gens ne 
craignaient pas de cumuler les initiations. Une des colonnes 
du paganisme sous Julien, Vettius Agorius Pr#textatus, Pre- 
teururbain, Proconsul d'Achai'e, homme consulaire, s'intitule 
augure, pontife de Vesta, pontife du Soleil, quindecemvir, 
curiale d'Hercule, prtre de Liber, hie'rophante des Eleusinies, 
neocore, initie* par le taurobole, Pere des Peres . Sa femme, 
Fabia Aconia Paulina, est de son c6te initiee en !Eleusis au 
dieu lacchos, a Geres et a Gore; en Lerne, au dieu Liber, a 
Ceres et a Gore; dans File d'Egine, aux dee sses; initiee par le 
taurobole ; consacre'e a Isis ; hierophante de la deesse Hecate 2 . 
Deux siecles avant, sous Marc Aurele, Apulee reconnait 
qu'il a ete initie en Grece a un grand nombre de cultes 
secrets, et qu'il en a garde" chez lui, avec soin, les symboles 
et souvenirs qui lui en ont ete conlies par les pre"tres 3 . Le 
recouvrement des fables ; Fhabitude d'attribuer au dieu, quel 
qu'il fut, actuellement invoque, les epithetes souveraines ; les 
efforts m^mes des sages pour unifier le divin morcele, tout 
inclinait 1'esprit a une incroyable largeur d'accueil, a un choix 
instinctif ou reflechi, mais toujours revocable, parmi les 
croyances et les pratiques qui sollicitaient son adhesion. Tout ' 
emoussait le sens de 1'intransigeance doctrinale professee 
dans la religion de Jesus. 

Les purifications en usage dans les cercles initiatiques 
(Faffreux culte de Gybele etd'Attis avait lui-meme son castus] 
n'etaient pas non plus la purete chretienne ! II ne serait pas 
juste de denier anterieurement toute vertu morale a ess pre- 
parations, abstinences et exercices rituels : nous croyons 

1. L. Duchesne, Histoire ancienne de I'Eglise, I, Paris, 1906, p. 9. 

2. Corpus Insc. Lat., VI, 1, p. 397, n. 1779; et p. 399, n. 1780; et voir le 
commentaire, ibid. 

3. Sacrorum pleraque initia in Graecia participavi. Eorum quaedam 
signa et monumenta tradita mihi a sacerdotibus sedulo conserve... Cui- 

quam mirum videri potest hominem tot mysteriis deum conscium 

quadam sacrorum crepundia domi adservare, etc.? Apologia, 55-56 : 
6d. P. Vallette, Paris, 1924, p. 67, 68, et voir 1' Introduction, p. ix. 



556 JESUS CHRIST. 

qu'une intention droite assurait en bien des cas a ces efforts 
couteuxune certaine efficacite. Mais si ce s pratiques ont port e 
d'heureux fruits, combien d'excitations et d'illusions n'ont- 
elles pas provoquees ou nourries ! En tout cas, le but poursuivi 
etait une purete toute materielle. Que plus tard les philoso- 
phes aient voulu y voir une image, un symbole de la purete 
de Fame bien superieure a celle du corps; que dans quel- 
ques inscriptions de Fepoque greco-romaine le reglement 
prescrive au visiteur du dieu d'avoir Fame pure aussi bien que 
les mains, c'est possible. Mais parmi les temoignages qui nous 
sont parvenus sur la preparation aux Mysteres, il n'y a pas 
trace d'instruction ou de purification morale, pas de prescrip- 
tions pour reparer ou expier les fautes commises, pas d'exhor- 
tation a les eviter a Favenir 1 . Nous serions tentes, dit a son 
tour Erwin Rohde, de supposer que ces pratiques de purifi- 
cation ont marque une avance dans Fe'thique grecque, un 
^approfondissement et une delicatesse de conscience plus 
grande. Mais pareille interpretation (si a la mode qu'elle 
soit) est eliminee par Fetude de Fessence reelle et de la signi- 
fication de la chose. Dans les temps plus recents ceux 
qui nous occupent ici les mdfchodes de purification fur ent 
presque toujours en competition et en conflit, rarement en 
alliance cordiale, avec la conscience. Dans son origine et son 
essence, la purification rituelle n'a rien a faire avec la moralite 
et ce que nous pourrions appeler la voix de la conscience. Au 
contraire, elle usurpait une place qui chez un peuple plus 
avance et moralement plus developpe aurait du appartenir a 
une moralite veritable, fondee sur le sentiment interieur de ce 
qui est juste. Et elle n'a pas manque d'entraver le libre et 
franc developpement d'une telle moralite. Les pratiques 
cathartiques ne demandaient ni n'impliquaient aucun senti- 
ment de la faute, de la culpabilite personnelle, de la respon- 



1. Paul Foucart, Les Mysteres d'Eleusis, Paris, 1924, p. 289. L'auteur 
proteste a bon droit centre la formule indument christianis6e de P. De- 
charme, dans sa Mythologie de la Grece antique, p. 357 : Les pratiques 
des mysteres avaient pour objet de purifier Tame de ses souillures, et cette 
purification etait la condition indispensable du salut. C'est peindre les 
mysteres tels qu'ils auraient du 6tre, et non tels qu'ils etaient. 



L'ETABLISSEMENT DE LA RELIGION DE JESUS. 557 

sabilite personnelle 1 . Gette page severe et que, pour mon 
compte, je flechirais dans le sens de 1'indulgence car enfin, 
bien ou mal, nombre de candidats a 1'initiation tendaient les 
mains, levaient les yeux vers un Sauveur, et un tel geste 
n'est jamais tout a fait vain met vigoureusement en relief 
un des cotes de la question qu'il n'est pas permis de negliger. 
Le mystere chretien. nous introduit dans un autre monde. 
Etendue de Tappel, contenu religieux, methodes d'instruction 
et de purification morale, tout diifere, au point que la plus sure 
fagon de prendre a contre-sens le christianisme primitif, quel- 
que jugement qu'on en doive finalement porter, c'est de 1'etu- 
dier en partant d'une analogic, censee generale, avec les 
religions secretes du paganisme ambiant. Assez promptement 
sans doute, des rapports de vocabulaire s'etablirent, et aussi 
4es comparaisons s'imposerent, que le zele, a premiere vue 
peu eclaire, de certains apologistes tendit a multiplier eta ma- 
jorer. Ne leur soyons pas trop severest Le programme resume 
dans 1'hymne de saint Thomas : 

Nova sint omnia : 
corda, voces et opera, 

ne peut s'appliquer completement, quant aux voces et aux 
conceptions exprimees par les paroles, que dans un milieu ou 
le culte a jete de profondes racines et atteint son plein deve- 
loppement. Au debut, la frele plante evangelique dut, en depit 
de son autonomie et de sa force divine d'expansion, se frayer, 
-conformement aux lois providentielles, une place dans la silve 
de croyances et de rites au milieu de laquelle les premiers 
ap6tres Favait semee. II etait inevitable qu'on fit des compa- 
raisons, qu'on cherchat des points de contact, qu'on se servit, 
sans y regarder de trop pres, de toute analogic, capable de 
fournir un terrain commun a la discussion et a la conqu^te. 
Les sauvageons que la grace allait transformer etaient issus 
de Fame humaine et de Tame religieuse : ils offraient done a 
la greffe divine, avec 1'aprete d'une seve brute, des affinites 
et des points d'insertion favorables qu'on gagnerait a decou- 
vrir. Saint Paul avait donne 1'exemple, usant d'une inscrip- 
tion au Dieu inconnu, lue tout de travers dit Renan avec 

1. Erw. Rohde, Psyche*, tr. W. A. Hillis, 1925, p. 294-295. 



558 JESUS CHRIST. 

suffisance 1 , pour annoncer le Dieu veritable 2 . Ge que 1'apdtre 
recherche, c'est une plate-forme ou il puisse joindre ses audi- 
teurs. Les allusions des apologistes du n a siecle aux mythes 
et aux mysteres des Gentils sont done fort explicables : encore 
sont-elles de nature a fourvoyer ceux qui les retireraient du 
contexte de fait qui les encadre. 

Pour commencer par le mot me'me de mystere, le premier 
point a decider est la valeur qu'il a dans PEvangile et, en 
general, dans le Nouveau Testament. Faut-il 1'entendre au 
sens technique, alors a.^ez largement repandu dans le monde 
pai'en, d'une initiation religieuse esoterique, agregeant une 
elite au service d'un dieu particulier? Ou bien au sens com- 
mun de chose secrete, cachee et, comme nous disons a pre- 
sent, mysterieuse? 

Avant de repondre, nousdevons nous souvenir que le chris- 
tianisme est ne en Judee, et que tous ceux qui, les premiers, 
avant la conversion de Paul et le martyre me'me d'Etienne, en 
ont formule les croyances essentielles, etaient des Israelites, 
et fideles. G'est done aux sources bibliques et judaiques pre- 
chretiennes qu'il faut recourir d'abord : il y a une haute pro- 
babilite antecedente pour que Tacception du mot de mystere, 
usitee alors en Palestine et, en general, chez les Juifs, ait ete 
la premiere a se presenter. 

Or cette acception ne fait pas doute. Huit des dix exem- 
ples qu'on a pu relever dans les Livres deutero-canoniques T 
et les quatre passages du Livre d'Henoch pour lesquels il 
nous reste un texte grec contenant ce mot, ont le sens general 
de chose secrete, cachee, non le sens technique. II en va de 
meme de 1'unique passage ou le terme figure dans les Synop- 
tiques, et des quatre de 1'Apocalyse (il n'est pas dans le qua- 
trieme evangile). Partout, il s'agit d'un arcane, ou d'un sym- 

1. Voir J. A. Culloch, Nameless Gods, dans ERE, IX, p. 178-185. Que 
de tels autels comme celui dont parle saint Paul a Athenes y fussent 
bien connus, c'est ce qui est prouv6 par plusieurs allusions litleraires. 
Pausanias s'y refere deux fois, une fois aux autels de dieux appeles 
inconnus et de heros >, vus par lui a Athenes, et une fois a un autel 
de dieux inconnus , a Olympie (Descriptio, I, \, 4; et V, 14, 8). Philos- 
trate et Tertullien se referent tous deux aux autels de dieux inconnus r 
existant a Athenes, etc. 

2. Actes, xvn, 23. 



L ETABLISSEMENT DE LA RELIGION PE JESUS. 559 1 

bole comportaiit une signification cachee. Partout, le pendant 
du mystere est la revelation, qui en decouvre la portee jus- 
qu'alors inaccessible 1 . 

Ges faits sont incontestes. Reste 1'usage paulinien qui doit 
nous retenir un peu plus longtemps, puisque, sur vingt-huit 
allegations du mot dans le Nouveau Testament, vingfc et une 
figurent dans les Epitres. Un premier classement distingue 
quelques cas ou le terme, difficile et discutable, n'a surement 
du moins rien afaire avec la langue des religions a mysteres.. 
Suivent ceux ou il signifie simplement, comme dans le reste 
du Nouveau Testament, 1'objet de la revelation chretienne,, 
prise d'ensemble ; et un assez grand nombre d'exemples ou il 
revet une nuance speciale propre a saint Paul. Ges derniers 
passages se lisent dans les lettres aux Remains (1) ; aux Colos- 
siens (4); aux Ephesiens (5 ou 6). En les lisant avec attention, on 
voit qu'ils sont etroitement apparentes entre eux, et renvoient 
comme les precedents aux secrets du gouvernement divin.. 
Mais le dessein providentiel est ici considere dans une de ses 
applications, que Paul tient pour le point vif de son mes- 
sage, constituant dans la revelation commune son evangile- 
propre. II est impossible de le dire en termes plus clairs que 
Tap6tre lui-meme : ses declarations se recouvrent pour le 
fond et se commentent mutuellement. Nous n'en citerons que- 
trois, suivant 1'ordre chronologique. 

Doxologie finale de 1'Epitre aux Remains 2 : 

A Celui qui peut vous affermir selon mon Evangile et le message- 

[de Jesus Christ, 

selon la revelation du mystere tu durant des p^riodes seculaires, 
mais devoile maintenant et, par les Ecritures prophetiques, 

1. Je resume d'apres Texcellent m6moire de J. A. Robinson, On the 
meaning of MTSTHPION in the New Testament, appendice a Epistle to the 
Ephesians*, London, 1922, p. 234-240; voir aussi F. Prat, Le mystere de 
Paul et les myste'res patens, 1, dans Theologie de saint Paul, II 6 , 1923 r 
note L, p. 467-469. Les deux seuls passages des livres de I'Ancien Testa- 
ment ecrits en grec, ou figure le mot de mystere au sens technique, sont 
dans le meme chapitre de la Sagesse, xiv, 15 et 23, et confirment la regie 
1'auteur entend designer ici express6ment, et avec le vocabulaire en 
usage (jiuutifpta xal TeXeTif?, TsXeraj ^ xptftpia jj.u<iTr{pta), les mysteres pai'ens qu'il 
attaque en bloc, avec les autres formes d'idolatrie. 

2. Rom., xvr, 25, 26. 



560 JESUS CHRIST. 

selon 1'ordre du Dieu eternel, notifie a tous les Gentils pour qu'ils 

[obeissent a la foi, 

auseul Dieu sage, par Jesus Christ, a lui la gloire aux siecles des 

[siecles; amen. 

Paul se rejouit de souffrir, parce qu'il accomplit ainsi, dans 
sa chair, pour 1'Eglise, corps mystique du Christ, ce qui man- 
que, de la part des collaborations humaines, a la passion de 
son Maitre. En effet il est devenu le ministre de 1'Eglise, 

selon la charge divine a moi confiee de vous annoncer toute la 

[parole de Dieu, 

le mystere cache aux siecles et aux generations ; 
mais a present il a ete manifesto a ses saints, 
auxquels Dieu a voulu notifier la richesse glorieuse de ce mystere 

[chez les Gentils ; 
c'est : le Christ en vous, 1'esperance de la gloire J ! 

Le Christ en vous , Gentils! et, avec lui, en lui, toute 
la richesse du don divin : n'est-ce pas egalement le mystere 
explique plus en detail aux Ephesiens 2 ? 

Par rev61ation m'a ete notifie le mystere, selon que je vous 1'ai 
ecrit en bref. Vous pouvez en le lisant connaitre 1'intelligence que 
j'ai du mystere du Christ: mystere qui n'a pas, durant les prece- 
dentes generations, ete notifie aux fils des hommes, comme main- 
tenant il 1'a ete a ses saints apotres et aux prophetes spirituels : 
les Gentils sont coheritiers, concorporels et copartageants de - la 
promesse dans le Christ Jesus, par 1'Evangile dont je suis devenu 
ministre... A moi, le dernier des saints, a et6 departie cette grace 
d'evangeliser aux Gentils 1'insondable richesse du Christ et de 
mettre en lumiere I'economie du mystere cache des 1'origine des 
siecles en Dieu, createur de toutes choses. 

II est manifesto que le mystere dont Paul fait tant d'etat, 
est la disposition providentielle jusqu'alors cachee a tous 
(Pierre lui-meme s'en emerveillait), qui admet les Gentils, 
sans stage prealable et sur un pied d'egalite pai'faite avec 
les fils d'Israel, a la participation totale du don divin, dans le 
Christ Jesus. Au terme de cette enqu&te, nous n'avons 
done trouve, dit justement M. J. Armitage Robinson, aucune 
connexion entre 1'usage, dans le Nouveau Testament, du 
mot jnystere, et son acception dans la religion pai'enne popu- 
laire : un rite sacre que les inities sont tenus de garder invio- 

1. Colossiens, i, 26-27; dans le meme sens ir, 2; iv, 3. 

2. Ephes., in, 3-10; dans le meme sens i, 9-10; vi, 19. 



L'ETABLISSBMBNT DE LA RELIGION OB JESUS. 561 

lablement secret. Le terme n'a fait sa place dans la termino- 
logie biblique qu'apres efcre entre dans le langage ordinaire 
avec le sens d'un secret quelconque. Les ecrivains du Nou- 
veau Testament 1'ont trouve en usage dans ce sens banal et 
lui ont ouvert une nouvelle carriere en 1'appropriant aux 
grandes verites de la religion chretienne, qui n'avaient pu 
etre connues des hommes que par une confidence divine, une 
revelation. Un mystere, en ce sens, n'est pas une chose qui 
doive 4tre gardee secrete. Au contraire, c'est un secret que 
Dieu veut faire connaitre, et qu'il a charge ses ap6tres 
d'expliquer a ceux qui ont des oreilles pour 1'entendre l . 

Est-ce a dire que pour Paul et ses collegues, Barnabe, 
Silas, Apollos, Epaphras, etc.,levocabulaire et les conceptions 
des religions initiatiques soient restes inconnus, lettre morte, 
ou totalement depourvus d 'interest? Nous allons dire tout a 
1'heure le contraire; et nous avons deja observe que 1' atmos- 
phere creee par ces cultes, et une partie au moins des aspi- 
rations qu'ils entretenaient, ont aide, en lui preparant des 
auditeurs eveilles aux realites spirituelles, la propagande 
evangelique. Mais ces verites partielles seraient pires que 
1'ignorance meme si Ton y cherchait le sens general du mys- 
tere chretien. Aborder son etude par ce biais, c'est imiter 
(avec moins d'excuses) les critiques europeens qui, sous cou- 
leur que certains ecrivains hindous, tels que Rabin dranath 
Tagore, sont entres en rapport avec la pensee chretienne, 
pretendent interpreter leur mystique par des infiltrations 
occidentales, sans tenir compte de la Bhagavad-GitjL et de 
la pensee religieuse de 1'Inde. 

2. Les Origines de la Religion de J6sus. 

Une lampe, luisant dans un lieu obscur , c'est le petit 
nombre de faits certains qui eclaire 1'origine de la religion de 
Jesus. En depit du recit initial des Actes, des anticipations 
evangeliques, des lettres de saint Paul et des autres ecrits 
anciens, nous connaissons tres imparfaitement la genese du 
monde spirituel que Dieu appelle alors a 1'existence. La suite 
des sept jours , les demarches qui vont identifier le Royaume 

1. J. A. Robinson, Epistle to the Ephesians*, London, 1922, p. 240. 

JESUS CHRIST. II. 36 



562 JESUS dHRIST. " 

des cieux, sous sa forme militante et visible, avec MSglise du 
Christ, voila ce que nous en savons le mieux. Ailleurs 1'om- 
bre, ici ou la plus claire, pese sur le quart de siecle ecoule 
entre la mort de Je"sus et 1'apparition etincelante, incomplete 
encore, mais assuree dans ses grandes lignes, qu'evoque la 
lecture des epitres aux Thessaloniciens, aux Gorinthiens, aux 
Galates et aux Romains. 

Le caractere le plus notable de ces annees 'decisives est 

leur brievete me'me. Les ecrits de maint critique liberal sur la 

fecondite" creatrice de la communaute primitive, nebuleuse a 

laquelle chacun pr6te les contours et revolution qui cadrent 

avec ses propres theories, donnent 1'impression d'une vaste 

periode d'obscurite", au cours de laquelle les temoins anciens 

ayant disparu, des croyances capitales ont pu se former, ou se 

perdre, des traditions, s'etablir, des recits, se forger, des 

institutions, se creer. Un peu comme pendant les deux siecles . 

qui s'etendent entre la mort du Bouddha et la conversion 

d'Acoka. Quand ony regarde de plus pres, que voit-on? En 

Tan 55, a Gorinthe, voiciune Eglise chretienne, pourvue d'une. 

instruction catechetique regue et transmise par tradition, 

d'une vie liturgique intense, d'une formation ascetique mora- 

lement complete. Rien d'un champ d' experience dans lequel 

aurait pu se donner carriere 1'imagination d'un fondateur, et 

ouvert a sa seule main. A c6te, et parfois aux depens de son 

influence, Paul signale comme s'exergant a Gorinthe 'celle de 

Pierre, celle de Jacques de Jerusalem et des chretiens judaii- 

sants, celle du brillant missionnaire et prophefce alexandrin 

Apollos, celle des freres du Seigneur et de Barnabe. Les 

rapports avec 1'Eglise-mere de Jerusalem et les Eglises- 

soeurs de Macedoine, d'Asie et de Syrie, sont de tous le& 

jours. Des chretiens venus de Rome, Aquila et Prisca, ont 

precede en Achaie Paul lui-meme, qui s'est d'abord installe 

chez eux : ils forment lien entre les communautes de Grece, 

d'Asie (car FAp6tre va les retrouver a Ephese) et cette 

Eglise romaine dont la foi est deja celebre dans la chretiente 

entiere 1 . Nous avons depasse le stade des premieres origines, 

1. Rom., i, 8. Sur Aquila et Prisca, voir Actes, xvni, 2; I Cor., xvi, 19; 
Rom., xvi, 3 et 4. 



L'ETABLISSEMENT DE LA RELIGION DE JESUS. 563 

de la plasticity que Ton peut suppose? presque inde'finie, per- 
mettant a une forte personnalite je parle toujours dans 
1'hypothese des adversaires de modifier profondement, en 
y introduisant des nouveautes ou en y pratiquant des coupes 
sombres, une institution religieuse encore mal definie. 

Or cette epoque, ou le christianisme se prdsente a nous 
comme e"tabli, comme une pierre taillee qui a sa forme et son 
poids , soustrait par un enseignement traditionnel aux ini- 
tiatives les plus hardies et aux intrigues les plus heureuses, 
est .date"e. -Laissant derriere lui Antioche de Syrie, Ghypre, 
Antioche de Pisidie, Lystres et Derbe; laissant les Eglises 
fondees a Thessalonique, a Philippes, a Beree; laissant 
Athenes une premiere fois evangelisee, Paul arrive en 50 a 
Corinthe. Vingt ans, ou un peu plus se sont ecoules, breve 
mortalis aevi spatium, depuis la mort de Jesus. Voila le fait 
qu'il ne faut pas se lasser de rappeler, parce qu'on peut lire 
bien des ouvrages doctes, Jupiter, et laborieux! de cri^- 
tique radicale, sans s'en douter, sans se rendre reelles siir- 
tout les consequences qu'il emporte. 

Le premier tressaillement de la communaute chretienne 
s'eveillant a la vie fut la croyance de Paques : Reellement, 
le Christ est ressuscite, et il est apparu a Pierre! Get eve- 
nement capital est un point de depart : il a transforme en reli- 
gion propremeht dite la veneration religieuse que, des long- 
temps, les disciples de Jesus portaient a leur mattre. De ce 
jour, celui-ci est leur Seigneur, le Seigneur. Ge titre (Maran, 
Kyj'ios, .Dominus), possedait, dans 1'usage et la langue du 
temps, chez les peuples semitiques comme chez les Hellenes 
et les Romains, une gamme de sens allant de 1'appellation 
honorifique sans grande consequence : Monsieur, Monsei- 
gneur, a 1' expression d'une soumission personnelle sans con- 
dition : Mon Seigneur et mon Dieu! La notion generale qui 
domine toute la serie est celle de suzerainete, de domination^ 
de puissance royale 1 . De la, bien qu'elle-m^me n'eut rien 

1 . Cette derivation semantique, partant du sens premier de : Souverain, 
roi ; a ete debrouillee dans les articles si neufs de L. Cerfaux, sur le Titre 
Kyrios > et la dignite royale de Jesus, dans Revue des Sciences Philoso- 
phiques et Theologiques, XI, 1922, p. 40 suiv.; XII, 1923, p. 125 suiv. C'est 



564 JESUS CHRIST. 

que de civil et appartint a 1'etiquette des cours, une apti- 
tude a se colorer d'un sens religieux. Soit que (c'etait le cas 
en $gypte, et ailleurs encore) on Mt habitue a considerer 
les rois comme descendants et successeurs des dieux, incar- 
nations temporaires de 1'Osiris immortel. Soit que (c'etaifc le 
cas dans le monde grec depuis Alexandre, et dans le remain, 
depuis Cesar) on con^ut le Prince ou quelques Princes comme 
eleves, par 1'apotheose, au rang des dieux. Soit enfin (c'etait 
le cas chez les Juifs) qu'on voulut exprimer, en parlant du 
Dieu unique et en evitant le nom divin, 1'attribut qui le qua- 
lifie comme roi de tout ce qui existe. Dans la langue des 
Septante, Kyrios est lahve-roi } . 

Par son origine et son sens, 1'appellation convenait parfai- 
tement au Messie, mais elle n'etait pas, pour autant, syno- 
nyme de Christ ou interchangeable avec ce titre. Le Kyrios, 
c'est le Messie, considere comme roi. Dans le langage chre- 
tien, c'est proprement le Fils de I'homme glorifte par Dieu, 
etabli dans son regne et assis a la droite de la Puissance 
divine. Gomme tel, on 1'invoque dans les fervents appels a sa 
Parousie, c'est-a-dire a son retour, escompte et espere pro- 
chain, sur les nuees du ciel , imposant sa souverainete a 
tous les hommes et associant a sa gloire ses feaux serviteurs. 
Le seul fragment de priere chretienne primitive adressee au 
Christ, surement authentique, que nous ayons conserve en 
langue arameenne, est : Marana thai Notre Seigneur, 
viens ! Cette invocation etait si populaire que Paul et 1'au- 
teurde la Didache, ecrivant en grec, lacitent telle quelle, et 



une mise au point necessaire dans une matiere que le Kyrios Christos de 
W. Bousset, 2 1921, d'ailleurs extr^mement savant, avait bien obscurcie. 
Pour 1'usage du mot dans le christianisme ancien,' le consciencieux tra- 
vail de W. Foerster, Herr ist Jesus, Giitersloh, 1924, laissepeu ad^sireret 
confirme, sur beaucoup de points, les m6moires de Cerfaux, que 1'auteur ne 
connait pas : voir par ex. p. 101 suiv. En particulier, le chapitre sur 1'em- 
ploi, rare, m&me chez les Isiaques, encore plus ailleurs, de Kyrios (Do- 
minus) dans les religions a mysteres, est tres int6ressant, p. 79 suiv. 

1. Sur 1'emploi de Kyrios dans les Septante, W. W. von Baudissin, 
Kyrios als Gottesname im Judentum und seine Stelle in der Religionsges- 
chichte, 6d. 0. Eissfeldt, Giessen, 1927, Parties I et II. Sur 1'usage de deus, 
divinitas, etc., voir les d6pouillements de Gudeman, dans le grand The- 
saurus Linguae latinae. 



L'ETABLISSEMENT DE LA RELIGION BE JESUS. 565 

que Jean, a la fin de 1'Apocalypse, la traduit litteralement. 

Les passages les plus archai'ques des Actes, decelant des 
sources (sinon une premiere redaction) arameennes, sont 
encore plus instructifs. Us mettent en lumiere, a la fois, et 
1'attribution publique du titre de Seigneur a Jesus, et la 
garantie divine de cette attribution : la resurrection. 

Apres avoir rappele la carriere visible du Nazareen, 
homme approuve de Dieu parmi vous, par des ceuvres de 
puissance, des miracles et des signes , Pierre declare que 
Dieu Taressuscite,... 1'a eleve jusqu'a le placer a sa droite ; 
et il conclut : Sache done surement toute la maison d'Israel 
que Dieu 1'a fait Seigneur et Christ, ce Jesus que vous avez 
crucifie 1 . Dans la force de 1'expression semitique, ici a fleur 
de texte, faire un Seigneur, c'est le proclamer tel authenti- 
quement, 1'introniser, 1'introduire en cette qualite pres de 
ceux qui lui devront le service. Le tifcre de Christ ne fait pas 
double emploi, car le Messie n'etait pas seulement roi, mais 
juge, prophete et revelateur des secrets divins. 

Un peu plus tard, devant le Sanhedrin, Pierre et Jean con- 
fessent : Le Dieu de nos ance"tres a ressuscite Jesus... et il 
1'a eleve a sa droite, grand chef et Sauveur 2 . Encore plus 
frappant est le temoignage d'Etienne, dont le caractere pri- 
mitif est inconteste, et en effet manifeste. Traine au dehors 
par des auditeurs enrages de colere, et lapide par eux, le 
premier diacre s'ecrie : Je vois les cieux ouverts, et le Fils 
de I'homme assis a la droite de Dieu 3 . C'etait proclamer : 

1. Actes, n, 22, 32 et 36. II est A peine croyable que des hommes 
comme Bousset, Loisy et, apres d'autres, E. Lohmeyer, Christuskult und 
Kaiserkult, Tubingen, 1919, recourent, pour expliquer cette attribution de 
Kyrios, a des infiltrations posterieures venues de la Gentilite, alors que 
c'etait Texpression qui s'offrait d'abord pour caracteriser le Messie-roi; 
et alors que, par ailleurs, le titre de Kyrios, employe par les Gr6co- 
Romains, en Orient, a 1'adresse des rois, n'a par lui-meme aucune rela- 
tion avec le culte. Attache a la personne des empereurs,... il signifie 
concretenienU'ewpej'ewr... Simple titre d'honneur ou plutot de function,... 
sans qu'on puisse voir de lien necessaire et essentiel entre 1'appellation 
Kyrios et le culte imperial ; L. Cerfaux, Revue des Sciences Philos. et 
The'ol., XI, 1922, p. 40-71, avec les exemples a 1'appui. 

2. Actes, v, 31 : ap^yov xal awtTjpa : le premier titre 6quivaut, comme 
souvent ailleurs, a celui de Seigneur. 

3. Actes, vir, 56. 



566 JESUS CHRIST. 

J6sus est le Seigneur, au sens fort et religieux du mot. 

11 faut chercher dans cette veine les associations de 
croyances, de pensdes, de souvenirs et de sentiments qui 
expliquent, pour autant qu'on peut 1'expliquer humainement, 
le fait ge"nerateur de tout le dogme chretien, 1'adoration 
commune de Jesus, des la premiere heure, par tous ses 
fldeles * . Que ce culte remonte aux debuts de la communaute 
de Jerusalem, c'est ce qu'on ne met plus en doute. II faudrait 
plutdt faire des reserves sur une reaction trop radicale, qui 
refuserait de reconnaitre les transitions providentielles, ou 
pousserait une vue plus juste des choses jusqu'a 1'exces et a 
Terreur. Quand M. A. G. Me Giffert declare par exemple 
que, si le culte divin rendu a Jesus par ses disciples ne peut 
etre conteste, on peut, par centre, se demander si ceux-ci 
eurent un autre culte que le sien, et si tous adoraient lahve, 
le Pere de Jesus, cet historien se met, sur ce dernier point, 
hors de toute vraisemblance 2 . Les m&mes textes des premiers 
chapitres des Actes, dans leurs parties les plus semitisantes, 
montrent au contraire 1'adoration et la priere de la commu- 
naute montant vers Dieu le Pere. Lui seul est appele Seigneu?*, 
au vocatif, et Jesus est son ft saint enfant . 

Mais il reste tres veritable que Jesus fut reconnu comme 
Dieu, et qu'on lui adressa des prieres des Forigme, avant 
1'entree dans 1'Eglise des disciples helleniques et de saint 
Paul. Pour incroyable que semble le fait, et anterieurement im- 
probable, il s'impose. Les scrupules qui plus tard se firent jour, 
jusque chez un Origene 3 , et amenerent des distinctions subtiles 
entre prieres adressees au Christ et prieres directes au Pere, 
entre titres assignes au Christ et titres reserve's au Pere, 
bref, la crainte de diviser la monarchic divine , sont, a ce 
qu'il semble, des preoccupations posterieures. En tout cas, si 

1. Fernand Menegoz, Le Problems de la priere, Paris et Strasbourg, 192a> 
p. 285. Sur la priere a Jesus, A. Klawek, Das Gebel zu Jesus, seine Berech- 
tigungund Uebung nach den Schriflen des N. T., Minister i. W., 1921. 

2. A. C. Me Giffert, The God of the early Christians, New-York, 1924] 
Voir la-dessus J. G. Machen, dans The Princeton Theological Review, 
octobre 1924, p. 544-589. 

3. Voir le chapitre de J. Lebreton, dans son Histoire du Dogme de la 
Trinite, II, Paris, 1928, sur la priere etle culte dans PEgIiseant6niceenne, 
p. 174-247. 



L'ETABLISSEMENT DB LA RELIGION DB JESUS. 567 

un sentiment tres juste dicta aux premiers disciples, parlant 
publiquement de leur Maitre, des formules nuancees et mo- 
destes, il n'empecha aucunement ces hommes qui avaient 
mange, bu, converse avec Jesus ces Juifs formes par un 
monotheisme rigide a ne rien comparer a Dieu, instruits par 
le Sauveur lui-m^me que Dieu seul est bon , et s'en sou- 
venant de mettre en leur Seigneur, finalement et sans res- 
triction d'aucune sorte, leur esperance. Us se fierent a lui 
d'esprit et de coeur, pour le siecle present et pour le futur : 
ils 1'adorerent. Les critiques qui ne partagent plus cette foi, 
reconnaissent du moins le fait, et conviennent que TeVangile 
<ie Marc, le plus ancien selon eux et, de 1'aveu general, le 
plus naif et le moins precautionne, ne pre*sente pas de diffe- 
rence, sous ce rapport, avec I'epiphanie du quatrieme evan- 
gile 1 . II n'est pas moins clair que Paul, en entrant dans 
1'Eglise, trois ou quatre annees apres la passion, n'entendit 
nullement adopter une doctrine, mais participer a un culte 2 . 
II ne vit pas dans le Nazareen un maitre, fut-il de la taille 
d'un Hillel, mais son Seigneur et son Dieu. II est tres certain 
que les Douze, Barnabe, Paul et tous leurs confreres, etabli- 
rent et propagerent non la religion ancestrale (de la verite de 
laquelle ils ne douterent cependant jamais), mais une religion 
nouvelle, celle du Seigneur Jesus. 

Comment rendre compte de ce fait, sans analogue dans 
1'histoire religieuse de 1'humanite? II convient de rappeler 
d'abord les souvenirs tres vivants'd'une bonte, d'une sagesse, 
d'une puissance, d'une autorite surhumaines 3 ; mais ces motifs 
n'agirent clairement qu'interpretes par le triple temoignage 

1. Voir ci-dessus, tome I er , 1. I, ch. u, p. 174-175. Le christia- 
nisme.... a 6t6 une religion nouvelle et cela des le lendemain de la mort 
de Jesus, longtemps avant le moment ou I'hostilif6 des Juifs d'une part, la 
necessit6 de pouvoir accueillir les pai'ens de 1'autre, auront contraint les 
oroyants a s'organiser en un groupement independant de la synagogue ; 
Maurice Goguel, J6sus de Nazareth, Paris, 1925, p. 306. 

2. C'est ce qu'oublient trop ceux qui decrivent la religion de saint Paul, 
des les premieres annees de sa conversion, a travers 1'etude de sa theo- 
logie (ramenee plus ou moins heureusement a ses sources), comme W. L. 
Knox dans son livre d'ailleurs meritant, Saint Paul and the Church of 
Jerusalem, Cambridge, 1925, p. 98 suiv. 

3. Voir ci-dessus, 1. IV, ch. i et n, et 1. V, ch. i. 



568 JESUS CHRIST. : 

du sang, de la gloire et de 1'esprit. G'est a 1'un ou a 1'autre 
de ces moyens de preuve que font appel les formules de foi 
les plus anciennes, celle par exemple que saint Paul, vers 50^ 
transmettait aux Gorinthiens, et qui remonte dans sa substance 
aux toutes premieres anne"es de 1'Evangile : 

Le Christ est mort pour nos peches, conformement aux Ecritures, 

et il a 6te enseveli, 
et il est ressuscite le troisieme jour, conformement aux Ecritures, 

et il apparut a Pierre, puis aux Douze, etc... * . 

Semblablement, des le jour de la Pentec6te, la remission 
des peche's par le bapteme donne au nom de Jesus, la resur- 
rection, le temoignage spirituel des prophe'ties accomplies et 
des dons extraordinaires, sont presentes ensemble par Pierre r 
Tenseignement doctrinal et 1'apologetique n'etant pas encore 
differ encies. 

La genese du premier de ces articles : la redemption dans 
le sang de Jesus, n'est pas la plus aisee a expliquer. Nous> 
avons dit plus haut combien cette notion etait etrangere au 
Judaisme de ce temps et a la pensee me'me du cercle aposto- 
lique. Le rdle du Messie paraissait a ces esprits, seduits par 
des mirages temporels, incompatible avec la douleur, la 
honte, Phumiliation. Ge prejuge si fort n'etait pas toutefois 
invincible : 1'idee de satisfaction subsistait dans la conscience 
populaire, offrant une terre favorable ou la nouvelle croyance 
pourrait jeter ses racines. Quant a la figure du Messie souf- 
frant et redempteur, elle etait si fortement marquee dans les 
livres prophetiques alors les plus goutes 2 les Psaumes et 
Isaie qu'on s'etonne qu'elle ait pu echapper aux medita- 
tions des homines , religieux de ce temps. Dans ces intelli- 
gences obnubilees, les premiers rais de lumiere penetrerent 
sans doute, un peu de force, avec les predictions du Maitre 
touchant sa passion, et la parole profonde : 



1. I Cor., xv, 36-5. 

2. Les Psaumes et le Livre d'lsa'ie sont alleguSs, a eux seuls, dans le 
Nouveau Testament, presque aussi souvent que tout le reste de la Bible : 
on peut voir les listes tres soign6es de W. Dittmar, Vetus Testamentum in 
Novo, I, Goettingen, 1899, p. 170-175, pour les 6vangiles et les Actes ; II, 
1903, p. 285-356, pour les epitres et 1'Apocalypse. 



L'ETABLISSEMENT DE LA RELIGION DE JESUS. 569 

Aussi bien le Fils de I'homme n'est pas venu pour etre servi, mais 

[pour servir, 

et donner sa vie en rancon pour beaucoup 1 . 

Le geste de la derniere Gene, renvoyant au sang de Pan- 
cienne Alliance, fut egalement impressionnant. Toutefois rien 
n'etait fait encore et ce fufc la radieuse aurore de Paques qui 
eclaira de'finitivement ces hommes lents a croire. A cette 
preuve decisive des complaisances de Dieu en son Christ, les 
anticipations n'avaient pas manque, et toutes ne furent pas 
vaines. Le temoignage de Jean Baptiste et le bapteme de 
Jesus, les actes de foi evoques par certaines osuvres de puis- 
sance, la confession de Pierre, la transfiguration jalonnent 
1'Evangile comme les pierres d'attente d'un monument; mais 
il restait a Tedifier. Les notations tres fines du recit johan- 
nique enregistrent egalement le lent progres de la foi aposto- 
lique, depuis le naif : Nous avons decouvert le Messie ! 
des premiers contacts, jusqu'a la confession de Thomas. Les 
derniers mots de Jesus a I'ap6tre enfin conquis Bienheureux 
ceux qui n'ont pas vu, et qui ont cru! ne sont pas seulement 
un eloge, donne sous la forme semitique d'une beatitude, aux 
disciples qui croiraient sans avoir beneficie personnellement 
des apparitions du crucifie. Us sont aussi un reproche, dis- 
cret mais certain, aux intimes dont tant de signes anterieurs- 
auraient du fixer la foi. Ce me'me reproche est place par les 
Synoptiques sur les levres du Sauveur vivant et conversant 
avec les siens. G'esfc qu'entre temps, recouvrant les premieres- 
assises de cette foi, a la faQon d'un raz de maree, le grand 
scandale du Galvaire avait deferle, remettant tout en ques- 
tion : Nous esperions ! 

Mais ce doute affreux une fois dissipe par la resurrection, 
tout le passe revecut et prit un sens. II arrive ainsi que des 
traits observes par nous, ou inconsciemment enregistres, tou- 
chant le caractere, la sincerite, la nature vraie d'une per- 
sonne, demeurent en suspens, donnant lieu a un jugement 
revisable. Puis, sur une attitude, une reaction profonde, un epi- 
sode qui les interprete de fagon definitive, ces indices se rejoi- 
gnent, se fondent. Le mot de 1'enigme est donne, le chiffre du 

1. Me., x, 45. 



570 JESUS CHRIST: 

cryptogramme humain decouvert : tout est dor^navant clair et 
lisible. G'est une evidence de cette sorte qu'apporta aux ap6- 
tres le jour de Paques : la mission, la dignite supreme, 1'in- 
tercession redemptrice du Maitre leur apparurent desormais 
sous le signe divin. Les Ecritures livrerent leur secret; 1'Evan- 
gile du Juste souifrant et sauveur fut epele dans les Psaumes 
d'abord 1 , puis dans Isaiie : 

II a ete mis au rang des impies !.... 

S'il oftresa vie en sacrifice pour le pech6..., 

en ses mains I'o3uvre de lahve prosperera... 

Le Juste, mon Serviteur, justifiera des multitudes, 
il se ehargera de leurs iniquites 2 . 

Qu'il fut besoin d'un mediateur et d'une reconciliation 
entre Dieu et les hommes pecheurs et profanes, cela allait 
sans dire et ressortait de tout I'enseignement de Jesus 3 , quoi 
qu'en pretende une critique dont on ne sait si elle est plus 

1. L'admirable Psaume XXH (xxi) et son satellite le Psaume LXIX (LXVIU), 
semblent avoir ete les premiers interpretes. Isai'e ne vint done qu'ensuite, 
a ce qu'il parait. Voir Mt., xxvii, 34 (Me., xv, 23) = Psaume LXIX (LXVIH), 

. 22; Mt., xxvir, 35, Me., xv, 24 = Psaume xxir (xxi), 19; Lc., xxm, 35 = 
Psaume xxn (xxi), 7; Mt., xxvii, 39, Me., xv, 29 '= Psaume xxn (xxi), 8; 
Lc., xxm, 36 = Psaume LXIX (LXVIU), 22 ; Mt., xxvii, 43 = Psaume x.\n 
(xxi), 9; Mt., xxvii, 46, Me., xv, 34 = Psaume xxii (xxi), 2; Mt., xxvii, 48, 
Me., xv, 36 = Psaume LXIX (LXVIII), 22; Jo., xix, 24 = Psaume xxn (xxi), 
19; Jo., xix, 28= Psaume xxn (xxt), 16; Jo., xix, 29 = Psaume LXIX 
(LXVIII), 22. 

2. Isai'e, Lin, 104, 11* : Condamin. 

3. Quand H. Weinel, par exemple, ecrit, Biblische Theologie des Neuen 
Testaments 3 , Tubingen, 1921, p. 227 : II ressort clair comme le jour de 
toute sa predication (de Jesus) qu'il n'a pas fait dependre 1'amour de Dieu 
d'une satisfaction pour son honneur outrag6, ou d'une satisfaction pour sa 
justice et sa saintete violees. D'un enseignement touchant la reconcilia- 
tion, il n'est pas question chez lui, fut-ce par un mot. Le Dieu de Jesus 
n'a pas besoin d'etre reconcile : il pardonne au pecheur qui vient vers 
lui. II est le pere de ses enfants * ; il applique au temps evang61ique et a 
Fenseignement du Sauveur un etat d'esprit moderne, contraire a tous les 
documents positifs et, j'ajoute : faiblement religieux. Voir sur ce dernier 
point Rud. Otto, Das Reilige, ch. in, vm et xi ; sur le premier, les textes 
reunis par A. Medebielle, U Expiation dans I'Ancien et le Nouveau Testa- 
ment, I, Rome, 1924. Le Dieu de Jesus est infiniment bon, mais aussi 
inexprimablement saint et infiniment juste : voir ci-dessus tome I cr , 
livre III, ch. n, 1, p. 363 suiv. 



L'ETABLISSEMENT DE LA RELIGION DE JESUS. 571 , 

superficielle ou, religieusement, plus indigente. Sur cette 
necessite generale, et la satisfaction apportee a ces besoms, 
en plenitude, par le sang de 1'Agneau , on ne peut que 
constater 1'unanimite des ecrits chretiens, de la premiere 
lettre aux Thessaloniciens a 1'Apocalypse de Jean et a 1'epifcre 
aux Hebreux. Gette doctrine est si fondamentale qu'on ne 
cherche pas a la justifier : la pierre que les evangelistes et 
;saint Paul s'efforcent de mettre hors de la voie des neophytes, 
c'est le comment, le mode de redemption choisi, son carac- 
tere humiliant et douloureux; bref, le Christ crucifie. Us 
expliquent ce renversement des vues humaines ou par les 
Ecritures, temoins irrdfragables d'un dessein divin preconcu, 
ou par une intention de providence, Dieu voulant mater par 
ce coup d'apparente folie la courte sagesse des sages et des 
prudents selon la chair. Mais sur le fait meme de la reconci- 
liation de tous avec Dieu, dans le sang du Christ, point de 
discussion ni d'apologie; non plus que sur la surabondance 
de la satisfaction, incluse dans la dignite personnelle de 
Jesus. 

Le temoignage de 1'Esprit ne fut pas, dans ces lointaines 
origines, moins agissant. II a ete peut-e"tre le plus persuasif; 
car, au dela du cercle, restreint en somme, des temoins 
appointes et privilegies, il atteignit ordinairement les nou- 
veaux chretiens, affermissant du coup tous les autres dans 
leur foi. L'interpretation donnee par les disciples des faits de 
la vie de Jesus recevait, de ces effusions divines, une eclatante 
confirmation. Hors de cette perspective, 1'audace des ap6tres, 
leur confiance inebranlee, leur perseverance a construire et 
a mettre enterre, a arracher et a planter, ne s'expliquent pas. 
Mais Dieu avait pris parti pour eux! Et a ces assurances 
renouvelees, provoquant des sentiments de joie et de re"conforfc 
inexprimables, les doutes et les apprehensions fondaient 
comme cire au feu. Des le matin de la Pentec6te, les charis- 
mata, c'est-a-dire les manifestations extraordinaires et gra- 
cieuses qui accompagnaient le bapt^me dans 1'Esprit Saint 
sont expliques par Pierre comme les signes, nettement predits, 
de 1'avenement du temps messianique. Ce que vous voyez, 
c'est ce qui a ete dit par le prophete Joel : 



572 JESUS CHRIST. 

Et ainsi sera dans les derniers jours, dit Dieu, 

Je repandrai de rnon Esprit sur toute chair, 

et prophetiseront vos fils et vos filles, 

et vosjeunes gens verront des visions, 

et vos vieillards songeront des songes. 

Et void, sur mes serviteurs et sur mes servantes 

en ces jours-la je repandrai de mon Esprit f et Us prophetiseront*, 

Propheties done, ces paroles inspirees qui depassaient ou 
debordaient par leurs modalites les faculte"s normales de 
celui qui les pronongait : soit qu'elles fussent dites en des 
langues qu'il ne connaissait pas ; soit que, dites en sa langue, 
elles fussent entendues en une autre par ceux qui etaient la; 
soit enfin qu'interpretees prophetiquement, leur application 
aux secrets caches dans les coeurs temoignat d'une penetration 
surhumaine 2 . Sous toutes ces formes, le parler en langues 

1. Actes, n, 16-18 ; Joel, in, 1-3. On salt que, dans les prophetes, les 
temps messianiques sont < les derniers >, tous les autres appartenant a 
leur preparation. Sur les analogies dans le mouvement < pentecotiste 
moderne, notamment en Suede, les ouvrages de Briem et de Lindernholm, 
Stockholm, 1924, ont 6t6 resume's par L6on Pineau, Journal des Debats, 
23 mars 1925. 

2. Beaucoup d'auteurs (au point que le fait est accept^, sur leur foi, 
comme constant, par des 6crivains pretendant r6sumer 1'opinion com- 
mune) pretendent identifier entre elles les diverses formes du don des 
langues et les ramener a la glossolalie pathologique : Au plus bas 
degr6, des cris inarticule's, des Emissions vocales confuses, souvent 
acoompagn6es de convulsions, de hoquets, etc. Puis, c'est un pseudo- 
langage, analogue a celui des glossolales de Corinthe, inintelligible a 
1'auditeur, parfois meme au glossolale... Plus haut encore, c'est un 
langage veritable;... la contrefagon plus oumoins adroited'unlangage;... 
contrefacon linguistique ou il entre une part de fabrication intentionnelle > 
H. Delacroix, Le Langage et la Pensee, Paris, 1924, p. 325. Bruckner 
dans RGG, III, col. 1203-1204, s. v. Geist und Geistesgaben im N. T., alle- 
gue en exemples, apres et d'apres H. Gunkel, les pr6tendues < 6coles de 
prophetes : I Sam. (I Reg.), x, 5 suiv. ; xix, 20 suiv., les devins pai'ens, 
les Corybantes, les membres des sectes d'enthousiastes, et des revivals >. 
On ne saurait protester trop haut centre ces assimilations globales et 
sommaires. Plusieurs commencent a s'en apercevoir. K. L. Schmidt, Die 
Pfingsterzaehlung und das Pfingstereignis, Leipzig, 1919, s'61eve centre 
ceux ce sont la plupart de ses collegues qui pr6tendent expliquer 
le fait de la Pentecote par le parler en langues dont saint Paul s'occupe 
I Cor., xi suiv. II s'agit en r6alit6, reconnait Schmidt, de ph6nomenes 
tres diff6rents. Sur les langues > ou les varies de langues > a Corinthe 



L'ETABLISSEMENT DE LA RELIGION DE JESUS. 573 

produisait une grande impression : celui qui en beneficiait 
n'e"tait pas le moins touche, se sentant agi par une force qui 
1'investissait et qu'il ne pouvait provoquer a son gre. D'autres 
charismes accompagnaient souvent ceux-ci : guerisons des 
malades, liberation des obsedes, force divine allant a con- 
vaincre, a servir, a consoler, a administrer 1 . Us accompa- 
gnaient le plus souvent le bapteme confere au nom de Jesus, 
mais leur effusion n'etait pas restreinte a ce rite auguste. 
D'autres fois, pendant des reunions chretiennes intimes, 
1'Esprit survenait, tombait sur les assistants, repondant 
a leurs prieres, et leur donnant de parler avec confiance les 
paroles de Dieu . En certains hommes exceptionnellement 
fideles, a ces irruptions soudaines, inattendues, succedait 
une possession durable et tranquille, qui faisait de ces pri- 
vilegies les instruments ordinaires et comme la bouche 
de Dieu . Tel fut Etienne, plein de foi du Saint Esprit , 
plein de grace et de puissance , temoignant dans 1'argu- 
mentation d'une . sagesse et d'un Esprit irresistibles : 
son visage meme brillait parfois d'un eclat angelique, rappe- 
lant la transfiguration de Jesus. Plein du Saint Esprit , 
il meurt sous les pierres de la lapidation en invoquant son 
Maitre : Seigneur Jesus, recois mon esprit! ,.. Puis, de 
toute la force de sa voix : Seigneur, ne leur impute pas ce 
peche ! 



wv : car Paul ne parle pas de glossolalie >) et les 
rapprochements anciens, voir la dissertation biais6e, mais tres complete de 
J. Weiss, Der erste Korintherbrief, 1925, p. 335-339. 

1. I Cor., xif, 8-10, 28-30; Rom., xii, 6-8; Ephes., iv, 11. Sur ces dons, 
voir F. Prat, Thdologie de saint Paul, 1 7 , 1920, p. 498-503, et Trepat, dans 
Analecta Sacra Tarraconensia, I, Bareelone, 1925, p. 83-114; en attendant 
la monographic complete qui nous manque encore. Pour les critiques 
liberaux, il va sans dire que ces dons ont leur explication totale dans le 
contexte humain, a 1'exclusion de toute intervention surnaturelle. De la 
chez eux, une double tendance a unifier, a simplifier, a niveler les faits ; 
a expliquer les plus elev6s par les plus simples et, encore mieux, par 
ceux dont la description exterieure oifre des analogies avec des etats 
morbides deja classes. Parce qu'il existe incontestablement une glosso- 
lalie pathologique, et aussi des preventions chimeriques ou delirantes a 
la prophetic, on ramenera d'instinct a ces categories connues, et humaines 
(trop humaines), tout ce qui, dans toutes les religions y compris le 
christianisme ancien y ressemble en quelque maniere. 



574 JESUS CHRIST. ' 

II serait difficile d'exagerer, dans le premier e'tablissement 
de la religion de Jesus, 1'importance des dons spirituels, 
ordinaires ou extraordinaire s. Quelques episodes nous la 
feront entendre, et qu'on regardait ces signes comme un 
veritable jugement de Dieu 1 . 

Le diacre Philippe avait, au cours d'une mission, marquee 
par de nombreux prodiges, converti et baptise un nombre 
important de Samaritains, y compris le fameux magicien 
Simon, auquel, petit ou grand, tout le monde se confiait, 
disant : G'est la Puissance de Dieu, la grande! Ge qu'appre- 
nant, les Douze deciderent d'envoyer la Pierre et Jean, afin 
que les neophytes recussent le Saint Esprit. Gar il n'etait 
encore survenu en aucun d'entre eux , et, par ainsi, le 
passage a la foi chretienne de ces demi-paiens n'avait pas 
encore recu la sanction divine 2 . Or 1'intervehtion des deux 

1. Au debut des Eglises particulieres, a d'autres epoques, des mouve- 
ments spirituels de ce genre se sont produits, qui nous fournissent 1'ana- 
logie la moins imparfaite de la vie charis'matique du christianisme ancien. 
L'exemple le plus iriteressant est peut-etre celui de la conversion du 
pays de Galles, de 1'Irlande, et d'une partie des barbares encore pa'iens, 
ou semi-pai'ens, de TAngleterre et de 1'Europe continental, par les saints 
Bretons du vi e siecle : Patrice, Gildas, Aidan, et les moines d'lona, David, 
Colomba, etc. Voir la-dessus, avec les ouvrages excellents de Dom L. Gou- 
gaud, Les Chretienles celtiques, Paris, 1911, Devotions et Pratiques ascdti- 
ques du Moyen Age, Paris, 1925, 1'etude du reveil spirituel dont ces saints 
furent 1'instrument, dans Jacques Chevalier, Essai sur la Formation de 
la nationality et les Reveils religieux au Pays de Galles, des originesa 
la fin du vi e siecle, Lyon et Paris, 1923, p. 378-434. Le souffle de 1'Esprit 
anime tout ce que font ces homines. Sa puissance rayonne en eux, par 
les miracles qu'ils operent : la nature entiere obeit a leur empire... C'est 
a cette communication de 1'Esprit qu'ils doivent leurs dons prophetiques, 
et les privileges spirituels dont ils jouissent... Us le savent. Et c'est 
pourquoi ils ne considerent pas ce message (de 1'Evangile) comme leur 
bien propre, mais comme un bien dont ils sont les simples depositaires : 
ils se le passent de main en main, pareils aux porteurs antiques du feu 
sacre... Ainsi se noue une chaine solide d'experiences religieuses, ainsi 
s'etablit une tradition ininterrompue de vocations apostoliques qui permet 
a 1'action de 1'Esprit de se perp6tuer dans le temps ; p. 403, 405, 406. II 
faudrait citer aussi ce qui est dit de 1'apostolat itinerant, guid6 par 1'ins- 
piration. 

2. J'emprunte cette excellente formule a E. Jacquier, Les Actes des 
Apdtres, 1926, p. 254-267, sur tout 1'incident; et ajouter les memoires de 
L. Cerfaux sur la Gnose simonienne, dans US ft, XVI, XVII, 1926-1927. 



ETABLISSEMENT DE LA RELIGION DE JESUS. 575 

ap6tres et 1'imposition de leurs mains provoquent, en me'me 
temps que la confirmation dans leur croyance, une telle effusion 
spirituelle que Simon de Samarie, tout entente' encore de ses 
chimeres, essaie d'obtenir a prix d'argent un pouvoir sem- 
blable. II faut que Pierre le rappelle se'verement a des vue& 
moins grossieres. A quelque temps de la, ce sont des pai'ens, 
en la personne du centurion Cornelius et de sa maison, qui 
recoivent, avant m6me leur bapte"me, et a la grande admi- 
ration de tous, Pierre non excepte, des charismes en abon- 
dance. Us parlent en langues, ils sont remplis du Saint Esprit. 
C'est sur cette garantie divine que le chef des apotres, par 
deux fois, justifiera 1'entree, sans adhesion prealable a la Loi 
de Moiise, des Gentils dans 1'Eglise de Dieu. 

Interroge par les judaisants, Pierre raconte en effet son 
aventure. Dans la maison de Cornelius, a Gesaree de la mer r 
conclut-il, comme je commencais de parley 1'Esprit Saint 
tomba sur eux comme sur nous a Porigine. Et je me souvms 
de la parole du Seigneur, comme il disait : Jean a baptise 
dans I'eau, vous, vous serez baptises dans 1'Esprit Saint. 
Si done Dieu leur a octroye le me'me don qu'a nous qui avon& 
cru au Seigneur Jesus, qui etais-je, moi, pour empe"cher 
Dieu? Ayant oui cela, ils se calmerent, et glorifierent Dieu 
en disant : Mais alors, Dieu a donne aussi aux Gentils 
la penitence pour la vie eternelle! Plus tard, quand on 
cherche noise aux apotres de I'mcirconcision Barnabe et Paul, 
une grande dispuste s'etant elevee , c'est Pierre encore 
qui prend la parole, et il fait valoir le m^me argument : 
Freres, vous savez que des les jours anciens Dieu a choisi 
parmi nous, pour que les Gentils entendissent de ma bouche 
la parole de FEvangile, et qu'ils crussent. Or Dieu, qui con- 
nait les cceurs, a temoigne en leur faveur, leur donnant 
1'Esprit Saint tout comme a nous. Et il n'a fait aucune diffe- 
rence entre eux et nous, purifiant leur coeur par la foi. 
Jacques soutint alors Pierre, appuyant sa these par 1'argu- 
ment des Ecritures prophetiques ; mais le signe decisif, qui 
autorise tout le reste, c'est 1'effusion charismatique. 

Non qu'elle sanctifie par elle-mme, a la facon d'un sacre- 
ment. Ce n'est pas son r61e, surtout quand il s'agifc de ces 
dons voyants, mineurs, destines a eveiller et en quelque 



r 



57d JESUS CHRIST. 

sorte a forcer 1'attention des infideles, comme le parler en 
langues 1 . Saint Paul lui compare, pour fixer sur ceux-ci les 
desirs de ses neophytes, les plus grands charismes 2 , telsque 
1'apostolat, la grace prophetique permettant de voir dans les 
coeurs et amenant les temoins a reconnaitre que Dieu est la. 
Tels encore les dons d'enseigner, d'interpreter, de guerir : 
. les langues ne viennent qu'en dernier lieu; encore leur 
emploi dans les reunions est-il severement contr61e, surveille 
chez tous, interdit aux femmes 3 . Par dessus. tous les cha- 
rismes, me'me les plus precieux, Paul exalte enfin comme 
une voie incomparablement plus elevee, celle de la charite*, 
c'est-a-dire ici surtout, comme il appert par le contexte, de 
la dilection fraternelle, fors laquelle les dons les plus mer- 
veilleux, science intuitive du divin, foi des miracles, depense 
du sien et de soi, ne servent de rien a qui les possede. Ainsi 
se hierarchise le double organisme spirituel, celui des signes 
niiraculeux, destine a devenir intermittent, et celui des vertus 
interieures, qui ne passera pas, sans qu'aucun fut sacrifie 
ou fausse dans son usage. 

Telles ont ete, pour autant qu'on peut les restituer, les 
principales, sinon les seules raisons, qui amenerent les plus 
anciens disciples de Jesus a lui rendre 1'hommage supreme 
de 1'adoration. Telles furent les garanties divines qui cou- 
vrirent a leurs yeux une demarche de si grande portee. Les 
premiers actes de cetfce religion, accomplis sous 1'influence 
de 1'Esprit de Dieu, s'organiserent assez vite en un culte 
suivi, dont la commemoration du Seigneur, la priere en com- 
mun et la fraction du pain furent les elements generateurs. 
Le service des synagogues qui, dans toute la Dispersion, 
mais encore en Palestine et a Jerusalem me'me 5 , groupait en 
communautes spirituelles des Israelites de me'me origine ou 

1. I Cor., xiv, 22. 

2. ZvjXouTe ol Ta ^ap(a(iaTa T& [is^ova, I Cor., XII, 31. 

3. I Cor., xir, 28 suiv. ; xiv, 26-40. 

4. I Cor., xii, 316-xiu, 4. 

5. Voir le commentaire de Strack et Billerbeck sur Actes, vi, 9, KTM, 
II, p. 661-665. Sur les rapports du service juif avec les plus anciennes 
liturgies chretiennes, W. 0. E. Oesterley, The Jewish Background of 
the Christian Liturgy, Oxford, 1925. 



L'ETABLISSEMENT DE LA RELIGION DE JESUS. 577 

d'affmitos pareilles, fut manifestement le berceau de la liturgie 
chretienne. Et comme ce service ne supplantait pas le culte 
public du Temple, on s'explique sans peine que les premieres 
Eglises, celle de Jerusalem en particulier, n'eprouverent 
nullement au debut 1'impression d'un exode, ou d'un divorce 
d'avec le Judaisme officiel. Loin de Ik! On nous montre les 
premiers chretiens assidus dans le Temple et trouvant, dans 
leur foi nouvelle, Poccasion d'un renouveau de piete" juive 1 . 
G'est tres lentement, et sous la pression d'une ndcessite 
1'initiative venant de la Synagogue, dont les chefs semblent 
avoir percu avant les apotres eux-me'mes rincompatibilite 
croissante des deux religions que 1'autonomie chretienne, 
douloureusement et laborieusement, devint un fait accompli. 
La dualite m6me, toute partielle qu'elle est demeure"e, ne 
fut pas apercue a 1'origine : les raisons profondes qui ame- 
nerent les disciples de Jesus a adorer leur Seigneur et, par 
consequent, a suivre enfin leur voie propre, sont enfoncees 
dans le tuf judaique le plus authentique, et c'est pour cela 
qu'elles agirent suavement tout a la fois et puissammeht. 
G'est une imagination en verite bien etrange, de supposer des 
fideles Israelites, en garde centre toute infiltration et me'ine 
toute annexion paienne, au point de ne pas concevoir qu'on 
put devenir chretien sans passer par la porte de la Loi, et 
sans, pour ainsi dire, sucer le lait de I'antique foi, appliquant 
a Jesus les precedes paiiens de Tapotheose ! La seule pensee 
en eufc fait horreur a ces monotheistes intransigeants : A 
Cesar ce qui est a Cesar, mais a Dieu ce qui est a Dieu ! 
Au lieu que 1'invocation du nom de Jesus n'dfce rien a la 
gloire incommunicable de lahve; car Jesus, le Fils unique 
et bien-aime, tient tout ce qu'il est, tout ce qu'il a, du Pere 
des cieux. Gette invocation ne degrade ni n& dedouble ce qui 
doit rester unique et fixer, a 1'exclusion de toute grandeur 
cre"ee, la seule louange parfaite. Revele et autorise par 1'Es- 
prit, le Christ est le mediateur indispensable pour aller au 
Pere; il est le Seigneur qui sauve, en reconciliant, par la 
dignite infinie de son intercession, au seul Dieu. Les for- 
mules qui plus tard exprimeront ces nuances delicates et 

1 Actes, n, 46; in, 1 suiv. ; v, 12 et 42, etc. 

JESUS CHRIST. ii. 37 



r 



578 | JESUS CHRIST. 

distingueront des termes personnels dans 1'unite* de la nature 
divine, n' existent pas encore; mais les realite's concretes de 
foi, d'amour, de piete, sont presentes. Les attitudes interieures 
et exterieures s'ebauchent de'ja, ou s'affirment, que ces for- 
mules rendront explicites en leur temps. 

Tout autant que les dogmes catholiques, les gestes des 
saints qui s'appelleront demain Ignace d'Antioche et Irenee 
de Lyon, Augustin et Benolt, Francois d'Assise et Vincent 
de Paul, sont deja preformes chez les disciples de la premiere 
heure. Les temoins les plus persuasifs, dans un monde charnel T 
de la primaute du spirituel, du detachement par amour et 
du service de'sinteresse de leurs freres, que feront-ils de plus 
qu'Etienne, Barnabe, Pierre et Jean, et ces humbles ne for- 
mant qu'un coeur et qu'une ame? Nul n'appelait sien ce 
qu'il possedait, mais tout etait commun entre eux... Geux qui 
possedaient des terres ou des maisons les vendaient et en 
apportaient le montant aux pieds des ap6tres : on le distri- 
buait a chacun selon ses besoms 1 . Gette poussee de seve 
heroique se fixera ensuite dans certaines branches du grand 
arbre chretien; ces activites un peu confuses s'ordonneront 
sous la pression d'autres devoirs : elles sont deja la, nourri- 
cieres de vertus qui ne furent pas depassees. Un penseur 
ecrit : Aucune origine n'est belle. La beaute veritable est 
au terme des choses 2 . G'est une constatation lourde de 
verite humaine ; mais ici il y a plus que I'homme. L'origine de 
la religion de Jesus, dans son dessein et sa realite, dans sa 
tige, ses primes fleurs et son fruit, est divinement belle. 

3. La religion de Je"sus au milieu du I 01 ' siecle. 

Ecrites durant les toufces dernieres annees du regne de 
Claude (41-54), et les premieres de celles de Neron (55-67), 
les lettres de saint Paul nous reportent a un temps fertile en 
troubles et en fermentation religieuse. Parmi les indices plus 
recemment decouverts de cet e'tat de choses, il suffit de 
signaler I'ornementation et Fetat de la basilique, probable- 
ment pythagoricienne, exhumee en 1917 pres de la Porte- 

1 Actes, iv, 32, 34-35. 

2. Ch. Maurras, Anthinea, Paris, 1912, p. 218. 



L'ETABLISSBMBNT DB LA RELIGION DE JESUS. 579 

Majeure, a Rome, et lea mesures de 1'empereur Claude visant 
les Juifs d'Alexandrie 1 . 

Les epitres elles-mmes sont si riches en details authen- 
tiques, et la personnalite qu'elles revelent, si forte, qu'il est 
difficile de rendre justice a celle-ci et d'exploiter ceux-la, 
sans s'exposer a fausser la perspective de la chretiente 
d'alors. On est tente de n'y plus voir que le grand ap6tre 
des Gen,tils, et de resumer toute la vie des Eglises en la 
sienne, ne laissant subsister hors de son champ direct 
d'influence qu'un maigre lot de judai'sants attardes, guides 
par Jacques de Jerusalem. G'est la, est-il besoin de le dire? 
une vue tres inexacte. Jamais Paul n'a pretendu a ce r61e 
exclusif et encombrant : l'eut-il fait, que les circonstances ne 
lui auraient pas permis de s'y e"galer. Une nouvelle cause 
d'erreui"s, moins excusable, est consequente a I'invasion 
heureuse par d'autres c6tes! de I'ex^gese paulinienne et 
chretienne, vers le debut de ce siecle, par une troupe deter- 
minee de philologues classiques. Us ont pretendu tirer Paul 
a rHellenisme de son temps, jusqu'a 1'y annexer, comme s'il 
avait introduit a dose massive certaines conceptions du 
pag.anisme ancien dans le christianisme, suppose alors amor- 
phe et sans defense. Ges exces deplorables, soutenus par 
une science ingenieuse, sont en train de succomber a leur 
propre faiblesse. Mais les brillants tableaux dans lesquels les 
critiques ont accueilli certaines de ces idees, ne laissent pas x 
d'influencer encore bien des esprits. En voici quelques traits, 
empruntes a M. Alfred Loisy. On y voit a quelle deformation 
do 1'histoire la hantise d'une these nouvelle peut mener, en 
depit d'une information .hors ligne, un historien trop impres- 
sionnable 2 . 

1. H. Idris Bell, Jews and Christians in Egypt, The Jewish Troubles in 
Alexandria, etc., London, 1924. Dans la vaste litterature provoquee par 
cette publication, on peut signaler 1'article d'A. d'Ales, Les Juifs d'Alexan- 
drie et Vempereur Claude, dans les Etudes, CLXXXII, 1925, p. 692-701, qui 
contient une traduction elegante des pieces elles-m&mes. Sur la basilique 
de la Porte Majeure, brillant expose de J. Carcopino, La Basilique pytha- 
goricienne de la Porte Majeure. Etudes Romaines, I, Paris, 1927. 

2. A. Loisy, Les Mysteres paiens et le Mystdre Chretien, Paris, 1919, 
p. 239, 247 suiv. ; 286. Ces formules, et celles de Reitzenstein, G. P. Wetter, 
etc., ont trouve leur route dans 1'ouvrage, par ailleurs si personnel, de 



580 JESUS CHRIST.' 

Le Dieu universel (de saint Paul) qui prend ses elus dans toutes 
les families humaines, comme les dieux des mysteres, a regie" aussi 
leur salut sur le type commun des mysteres pa'iens. Un personnage 
a ete" charge* de le realiser. Car le Christ de saint Paul n'est plus 
celui de la premiere communaute'... telle est la theorie du salut que 
Paul a comjue... Cela n'est pas plus consistant qu'un mythe, et 
e'en est un... C'est le mythe pai'en du Dieu immole, comme il se 
rencontre dans le mythe de Dionysos... non seulement Paul est 
entre dans le christianisme comme dans un mystere,... il a vecu 
dans le christianisme comme dans un mystere... Par exemple, dans 
la cene primitive, formule d'actions de graces et fraction dupain , 
I'ap6tre introduit la notion du Christ mort et ressuscite : c'est 
ainsi que le cceur d'Osiris etait dans tous les sacrifices et.que la 
cene de Mithra commemorait un repas que le dieu e"tait cense avoir 
pris fraternellement avec le Soleil. Dans 1'imagination ardente de 
1'apotre le repas du Seigneur s'assimile au Christ crucifie pour 
1' elimination du peche", le vin de la coupe s'identifie a son sang 

Robert Will, Le Guile, I, Strasbourg et Paris, 1925, livre II, B, p. 117 
suiv. 

On voudra bien distinguer les temps et noter que nous parlous ici des 
origines premieres du culte Chretien, au cours desquelles les influences 
apostoliques sont toutes puissantes, et les Eglises en grande partie 
composers de neophytes autrefois ^craignant Dieu , avec une propor- 
tion appreciable d'Israelites (sur les Eglises d'Asie, voir plus bas ce qui 
est dit de 1'Apocalypse, p. 616). Ensuite, les influences venues de la Genti- 
lite se sont fait sentir davantage : soit qu'il s'agit de conceptions religieuses, 
comme le sacrifice spirituel 6pur6, la XOYIXT) Ouai'a deja signaled en termes 
equivalents par saint Pierre, Xoftxov..... Y^*> 1 Petr., n, 2, et saint Paul, 
XOY$) Xatpeta, Rom., xii, 1, mais soulign6e avec insistance, a propos de 
1'eucharistie, par les apologistes : Dom 0. Casel, Jahrbuch fur Liturgiewis- 
semchaft, IV, Minister, 1925, p. 37-47, soit qu'il s'agit de gestes, tels 
que 1'orientation, le salut au soleil levant, etc. Ces traits, dont certains 
sont 1'expression toute naturelle du sentiment religieux et se retrouvent 
partout : ainsi 1'inclination de la tete, 1'habitude de lever, en priant, les 
yeux au ciel, etc. (J. Lebreton); et les autres, susceptible? d'une inter- 
pretation chrelienne : le silence liturgique, 1'orientation des sepultures, 
la date de certaines fetes, ont et6, a partir du second siecle surtout, recus 
et parfois consacres par 1'usage eccl6siastique. Non sans danger de r6mi- 
niscence ou de reviviscence pa'iennes : les Peres durent souvent protester 
ii ce propos, et rappeler les principes ; mais ces instincts, habitudes et tra- 
ditions ont paru capables d'etre baptises et sanctifies. 

Cette adaptation delicate et prodigieusement interessante commence 
d'etre mieux connue, grace aux travaux de J. Doelger, notamment Sol 
Salulis 2 , Miinster i. W., 1926, et des Benedictins de 1'Ecole de Maria Laach : 
en particulier voir Mysterium, Gesammelte Arbeiten Laacher Moenche, 
Miinster, 1926. 



L ETABLISSBMENT DE LA RELIGION DE JESUS. 581 

repandu pour le salut des hommes. Mais ces symboles qu'il perc.oit, 
Paul s'en attribue d'autant moins la paternite qu'il ea est frapp6 
davantage, et spontan&nent , devant son esprit visionnaire, se 
forme la representation du Christ instituant, la veille de sa mort, 
la cene eucharistique, et la definissant lui-meme dans le sens oil 
Paul veut 1'entendre. 

Ces suggestions, ces assimilations, ces inventions de 
quelque fac.on et a quelque prix que 1'auteur s'efforce ensuite 
de les nuancer 1 nous contraignent de rappeler quelques 
points essentiels, dont la negligence expose a de facheux 
errements. Le premier est que Paul, Juif de race , et non 
des pe"cheurs de la Gentilite 2 , Paul, circoncis le huitieme 
jour, de la race d 1 Israel, de la tribu de Benjamin, Hebreu 
fils d'Hebreux; en ce qui concerne la Loi, pharisien; en ce 
qui conc'erne le zele, persecuteur de 1'Eglise; en ce qui con- 
cerne la justice legale, sans reproche 3 , Paul n'a jamais 
renie ses origines, et reste profondement engage dans le 
judalsme. La fac.on me" me dont il exalte le mystere chretien 
et, dans ce mystere, son evangile a lui, confirme cette 
ve"rite avec eclat. Que la voie du salut soit ouverte aux Gen- 
tils toute grande, que le privilege d'Israel ait cesse, c'est 
pour lui 1'objet d'une admiration, mais d'abord d'un etonne- 
ment sans fin! Qu'on se rappelle encore les traits enflammes 
de 1'Epitre aux Remains : G'est la verite que je dis dans le 
Christ, je ne mens pas; ma conscience me rend temoignage 
dans PEsprit Saint. J'ai un chagrin poignant, une peine qui 
me travaille le cceur sans relache. Oui, je souhaiterais d'etre 
moi-meme anatheme, separe du Christ pour mes freres, mes 
parents selon la chair, les Israelites. A eux 1'adoption filiale, 
et la gloire, et les Alliances, et 1'octroi de la Loi, et le culte 

1. Dans le m6me ouvrage, p. 368, 1'auteur reconnait que les Juifs 
convertis *, a 1'Evangile desquels Paul se rallia, sauf a 1'interpreter a sa 
fagon,... attaehaient a la mort du Christ une signification pour le salut 
des hommes . La doctrine capitale de la mort redemptrice pr^existait 
done a saint Paul, dans la chretient6 ancienne. Mais alors, il ne faut pas 
rattacher aux mysteres le mythe pai'en du Dieu immo!6 . Alors, 1'identi- 
fication du sang de Jesus repandu pour le salut des hommes a la celebra- 
tion de 1'eucharistie peut avoir une autre origine que 1'imagination 
ardente de 1'apotre >. 

2. Gal., II, 15 t vip-ei? cpuoEi 'louBaibt xl oux I? SOvaiv ai^ 

3. Phil., m, 5-6. 



582 JESUS CHRIST. 

et les promesses; a eux les Peres, et d'eux est le Christ 
selon la chair, qui est par dessus toute chose Dieu beni dans 
les siecles, amen 1 . Et plus loin : Dieu a-t-il repudie son 
peuple? Cela, jamais! car moi aussi je suis Israelite, de 
la race d'Abraham, de la tribu de Benjamin : Dieu n'a pas 
rejete le peuple qu'il a predestine... Si leur reste (suffit a 
constituer) la richesse des Gentils, gue sera leur plenitude 2 ? 
Voila ou sont les sources de la pensee, et les racines de la 
sensibilite pauliniennes. Toute son ceuvre est fille, encore 
qu'emancipee et transformed par l'espritnouveau,de la culture 
biblique. Iln'estpas question en tout celad'Osiris, deDionysos 
et de Mithra; outre qu'on n'a pas trace que ces derniers mys- 
teres aient encore penetre, quand Paul ecrivait, dans 1'Em- 
pire ! 

Mais si c'est une erreur pernicieuse de couper I'ap6tre de 
sa race et de la formation qu'il en a reue, e'en est une pire 
de le, repre"senter comme independant du christianisme le plus 
ancien, anterieur a son entree dans 1'Eglise, ou contempo- 
rain de ses propres travaux. Repliquant aux philologues 
intemperants dont s'inspire ici pour une tres large part 
M. Loisy, Albert Schweitzer ecrivait des 1911 : Dans I'hy- 
pothese de Dieterich et de Reitzenstein, le Paulinisme serait a 
separer du christianisme primitif et a adjuger a la theologie 
grecque. G'est le contraire qui est le vrai. II est avec le pre- 
mier en etroite union, tandis qu'avec la seconde, cette union 
n'apparait pas. Theologien professional et historien des 
religions, quiconque represente 1'enseignement de 1'apotre 
des Gentils, en quelque maniere que ce soit, comme une 
helle'msation de l'!Evangile, est tombe dans le radicalisme des 
ultras de 1'Ecole de Tubingue 3 . Nous avons d^ja cite, peut- 
etre trop souvent, quelques-uns des textes qui etablissent les 
faits rappeles par Schweitzer. 

Or sus, que ce soit moi, que ce soient eux (les Douze), 
ainsi nous prechons, et ainsi vous avcz cru 4 . 

1. Horn., ix, 1-5. 

2. Rom., xi, 1 suiv. 

3. Alb. Schweitzer, Geschichte der paulinischen Forschung, Tubingen, 
1911, p. 179-180. 

4. I Cor., xv, 11. 



L'ETABLISSEMENT DB LA RELIGION DE JESUS. 583 

... Je leur exposai (aux chefs de 1'ljJglise de Jerusalem : il va nom- 
mer Jacques, Pierre et Jean) TEvangile quo je preche parmi les 
Gentils; je 1'exposai en particulier a ceux qui etaient les plus consi- 
dered, de peur de courir ou d'avoir couru en vain 1 . 

Les Corinthiens ne doivent pas s'attacher a un homme en 
particulier, fut-il Pierre, Paul ou Apollos : Qu'est-ce done 
qu'Apollos? et qu'est-ce que Paul? Des serviteurs, par le 
moyen desquels vous avez cru... 

Ainsi, que nul ne se glorifie dans les hommes, car tout est a vous, 
Soit Paul, soit Apollos, soit Pierre, 
Soit le monde, soit la vie, soit la mort, 
Soit les choses pr6sentes, soit les futures, 
Tout est a vous, mais vous au Christ, et le Christ a Dieu 2 . 

Plus instructifs que ses paroles, pourtant claires, sont les 
rapports de^Paul avec 1'Eglise de Rome. Quand il ecrit aux 
Romains, il ne les a jamais vus, et ne leur parle pas en mai- 
tre 3 . Mais il sait que leur foi est celebre da$s tout I'univers , 
et cette foi est celle meme que lui, Paul, tient pour la racine 
du salut. II veut se consoler avec eux par cette foi qui leur 
est commune, a eux et a lui*. Tout le long de ce vaste 
expose, le plus didactique du corpus paulinien, 1'apdtre traite 
du mystere chretien, considere dans ses parties essentielles : 
de 1'Incarnation, de la Redemption, de la question juive et 
palenne, de 1'attitude a garder en face de 1'autorite civile, de 
I'idolatrie, etc. II en parle comme de grandeurs parfaitement 
connues de ses lecteurs, objet de croyances qu'ils partagent 
avec lui. II met les Romains en garde centre les semeurs de 
zizanie qui viendraient dogmatiser chez eux au dela de la 
formation catechetique qu'ils ont regue 5 . A qui fera-t-on 
admettre que son Christ etait different de celui auquel 
croyaient ses correspondants ; ou que ceux-ci celebraient une 
eucharistie differente de celle que 1' e sprit visionnaire de 
Paul aurait con^ue sur le modele des mysteres pai'ens? Ge 
sont la de purs fantdmes. 

1. Gal., n, 2. 

2. I Cor., m, 5, 21-23. 

3. Rom., xv, 15. 

4. Rom., 1, 12 : Su 4 ujtapaxXYi6?jvai... 8i& trjs... Ttfatews ujiaiv re xou Ipii. 

5. Rom., xvi, 17. 



584 . JESUS CHRIST. 

Et qu'on ne dise pas que 1'epistolier s'est trompe" sur Tetat 
d'esprit des Romains, le jugeant d'apres ses idees et ses 
desirs. Car des liens innombrables les unissaient : ses anciens 
et fideles collaborateurs Aquila et Priscille, dans 1'atelier 
desquels il a travaille en arrivant a Gorinthe, sont alors a 
Rome. A Rome son cher Epe'nete, premices de 1'Asie , ses 
allies et compagnons de chaine, Andronic et Junias, honores 
parmi les apdtres, chretiens avant lui . A Rome son cher 
Ampliatus,... son collaborateur Urbain et son cher Stachys, 
son allie Herodias et la chere Persis;... Rufus, 1'elu du Sei- 
gneur, et sa mere quiest aussi la mienne ; Asyncrite, Phlegon, 
Hermas, Patrobe, Hermes;... et ceux de la maisoh d'Aristo- 
bule, et ceux de la maison de Narcisse, les chre'tiens, s'en- 
tend . Et voila, pres de Paul, des disciples qui envoient 
leurs commissions aux freres de R.ome : Timothee, Lucius, 
Jason, Sosipatre, et le scripteur de la lettre Tertius, et Gaius, 
I'h6te de Paul, avec toute sa famille, Eraste et Quartus 1 ... 
Dans ce petit monde de fide.les, recrute dans le judai'sme et 
la Gentilite pour parts qui tendent a s'^galiser, on se con- 
nait, on s'aime : les rapports personnels sont constants. Us 
le sont avec 1'Eglise-mere de Jerusalem, pour laquelle Paul 
ne cesse de tendre la main, et vers laquelle il va sous peu 
s'acheminer en personne. Pierre et la plupart des Douze 
sont vivants, veneres de tous, et parfois preferes a Paul, dans 
cette Eglise de Gorinthe dont il est pourtant 1'unique pere . 
Vivants, les freres du Seigneur et Jacques de Jerusalem, 
et ces temoins de la resurrection plusieurs centaines 
auxquels renvoie I'ap6tre. 

Juif de race, mais encore d'instinct et de coeur, Paul est 
devenu, par un grand miracle, chretien : d'abord persecuteur 
de FEglise de Dieu, il s'est attache d'autant plus a elle qu'il 
est plus conscient de son unite, hierarchisee dans la diversite 
des fonctions et des ministeres sous une seule t^te : le Christ. 
Faire de lui le createur ou le transformateur du.christianisme 
ancien, est done une lourde meprise : Paul, disait le vieil 
Auguste Sabatier, etait ap6tre avant d'etre theologien. Le 
besoin de conserver etait chez lui plus imperieux que celui 

1. Rom., xvi, passim. 



L'ETABLISSEMENT DE LA RELIGION DE JESUS. 585 

d'innover. Son Elvangile etait avant tout un message qu'il 
avaitrec.u, qu'il devaittransmettre, et qu'il devait defendre 1 . 

Apres cela, on ne fera pas difficulte de recbnnaitre que 
saint Paul a pu et du connaltre les mouvements religieux qui 
bouillonnaient dans le paganisme de son temps. II a dti en 
tenir compte. Une certaine hellenisation de sa pensee et de 
son vocabulaire est done probable : si nous sommes amenes 
a la restreindre, ce n'est pas qu'elle soit anterieurement in- 
vraisemblable ou inacceptable 2 . 11 est certain que Tarse etait 
un centre de culture hellenistique, et qu'avec la langue et les 
relations inevitables, quelque chose devait en passer, en depit 
des precautions familiales les plus severes, dans un enfant ad- 
mirablement doue 3 . Le but poursuivi par I'ap6tre, et son hardi 
programme : Je me dois aux Grecs et aux Barbares, aux 
sages et aux simples! devaient 1'incliner dans le me'me sens. 
Ne disait-il pas encore : 

Etantlibre a 1'endroitde tous je me suis constitue 1'esclave de tous, 
aim d'en gagner davantage ; , 

et je me sui.s fait pour les Juifs, comme Juif, 
afin de gagner les Juifs ; 

1. L'ApdtrePaul*,?. 286. 

2. C'est d'ailleurs chose manifests, et confirmee par la pratique eccle- 
siastique en pays de mission, que des gestes, des formules, des usages 
acceptables, et sans danger dans une chretiente adulte, une fois la cou- 
pure accomplie avec le paganisme, ne peuvent etre to!6r6s tant qu'ils 
risqueraient d'etre entendus au sens superstitieux ou idolatrique. Les ter- 
mes mSmes des definitions dogmatiques ont travers6 cette 6preuve : Tcpo- 
atoTOV, persona, ont6te suspect&s, et parfois proscrits, avant de devenir, une 
fois leur signification epuree et nettement determinee, des normes d'or- 
thodoxie. 

3. Sur ces precautions, nous sommes renseignes de premiere main par 
le petit traite de la Mischna intitule A boda Zara, qui discute et r6sout les 
cas de conscience incessants poses devant le Juif orthodoxe par sa vie 
dans un milieu tout p6n6tre d'esprit et de pratiques idolatriques. II a 6t6 
excellemment" 6dit6, avec des notes, par W. A. L. Elmslie dans les 
TS de Cambridge, VIII, 2, The Mishna on Idolatry, Aboda Zara, Cam- 
bridge, 1911. Le fond de traditions et decisions r6uni la, vers 200 apres 
Jesus Christ, serapporte, d'apres Is. Abrahams, Cambridge Biblical Essays, 
p. 184, 185, au Judaism e contemporain de 1'age apostolique ou sub-apos- 
tolique. 



586 JESUS CHRIST. 

pour ceux qui sont sous la Loi, comme sous la Loi, 
alors que moi-m6me je ne suis pas sous la Loi, 

afin de gagner ceux qui sont sous la Loi ; 
pour ceux qui sont sans loi, comme sans loi, 
alors que je ne suis pas sans loi de Dieu, mais en loi du Christ, 

afin de gagner ceux qui sont sans loi; 
pour les faibles, je suis devenu faible, 

afin de gagner les faibles ; 
pour tous je me suis plie" a tout, 

afin d'en sauver du moins quelques-uns '. 

Gette liberte d'allures et ce souci passionne de joindre 
chacun sur le terrain le plus favorable semblent, en fait de 
relations avec le paganisme contemporain, avoir ete restreints, 
chez Paul, par une repugnance heritee envers tout ce qui 
sentait le culte des demons , abominable pour tout Juif, et 
dont la vie de dispersion attenuait les manifestations exte- 
rieures plus qu'elle n'affaiblissait le sentiment. II n'y a point 
de beaute pour lui dans les idoles, dit justement du Juif exem- 
plaire un grand poete forme par la Bible, il n'y a point d'inte- 
re't dans Satan, il n'y a point d'existence dans ce qui n'est 
pas 2 . De cette horreur, ce passage d'une lettre de 1'apotre 
aux me'mes correspondants fournit un temoignage non sus- 
pect : 

Ne devenez pas compagnons de joug des infideles : 
car quelle communication entre justice et anomie? 
ou quelle communaute entre lumiere et te"nebres? 
et quel accord entre le Christ et Beliar? 
ou quel partage entre fidele et infidele ? 
et quelle entente entre temple de Dieu et idole? 
Car nous sommes les temples du Dieu vivant, 

selon que Dieu 1'a dit : 

Thabiterai chez eujc etje sejournerai au milieu d'eux y 
etje serai leur Dieu et Us seront mon peuple 3 . 

1. I Cor., ix, 19-22. On peut voir le commentaire de Jon. Weiss, Der 
crste Korintherbriefw, 1925, p. 243-246. 

2. Paul Claudel, Cinq grandes Odes*, Paris, 1913, p. 107. On peut voir 
aussi la-dessus V Anthologie Juive n , d'Ed. Fleg, Paris, 1923,1, p. 258 suiv. 

3. II Cor., vi, 14-16. Onn'a pas manque de jeter un doutepour des rai- 
sons de pure critique interne sur ce morceau d'une originalit6 si frappante 
et d'une allure s6mitique si marquee. On allegue que certains mots : {%>{, 
ou^oivriats, ffUYxa-ciOsais, ne se trouvent que Ik chez saint Paul; que le ton 
du passage n'est pas paulinien ; que le contexte est bris6. Seule, cette der- 



I/ETABLISSEMENT DE LA RELIGION DB JESUS. 587 

La prohibition estgenerale, observe F. Prat; c'estl'esprit 
du paganisme qu'il faut fuir en tout *. Mais naturellement le 
doraaine religieux est le premier vise : 1'antithese entre le 
temple, sanctifie par la presence de Dieu, que sont les chre- 
tiens, et les idoles, par quoi il faut entendre certainemenfc 
les dieux du paganisme 2 , est tout a fait caracteristique. Ge 
mot met en relief 1'exclusivisme du culte chretien : on peut se 
faire initier aux mysteres d' Osiris et a ceux de Dionysos, mais 
non a ceux du Christ et a ceux de Dionysos 3 . 

A cette repulsion innee s'ajoutait chez I'apdtre, a Tegard 
des religions mysterieuses, une incuriosite provenant de sa 
conviction profonde que tout ce qu'elles pourraient promettre, 
et vainement, se trouvait en realite dans le Christ Jesus, 
d'autant que la plenitude de la Divinite habitait en lui 4 . 
Pourquoi chercher, dans des citernes bourbeuses et crevas- 
sees, 1'eau qu'une source pure assure a tous ceux qui rcvc- 
tent le Christ ? 

Le seul mot de plenitude (pleroma), employe par saint Paul 
en ce sens, nous avertit pourtant que le disciple de Jesus ne 
craint pas d'emprunter aux cultes ambiants certaines de leurs 
expressions. Le contraire serait invraisemblable : on ne pou- 

niere raison a quelque apparence, et elle a impressionne divers exegetes 
qui, sans contester que le morceau soit de saint Paul, estiment qu'il pro- 
vient d'une autre lettre de 1'apotre, et a ete interpole a cette place. Le 
dernier commentateur de 1'epitre, Hans Windisch, pense que les versets 
Y, 42-vn, 1 occupaient primitivement ime place un peu anterieure, dans la 
meme epitre. 11s auraient suivi immediatement la doctrine sur les conse- 
quences spirituelles de la resurrection du Christ : v, 14- vr, 2. Cette trans- 
position a quelques versets de distance etablit en effet une suite plus 
logique. Mais 1'ordre present peut fort bien se defendre ; et au surplus, ce 
detail est ici sans portee. Voir H. Windisch, Der zweite Korinther brief, 
Goettingen, 1924, p. 219-220. Quant a 1'origine paulinienne du passage, 
Windisch montre tres bien, p. 211 suiv., qu'il n'y a aucune raison serieuse 
d'en douter. Le nom de Beliar (Belial, Belian) est un synonyme de Satan 
fort usite chez les Juifs. On peut voir la note d'E. Tisserant dans V Ascen- 
sion d'Iscfie, Paris, 1909, p. 23-25; ou W. Bousset et H. Gressmann, Die 
Religion des Judenlums*, 1926, p. 334 suiv. 

1. The'ologie de saint Paul, II 6 , 1923, p. 48, note 1. 

2. Actes, vn, 41 ; xv, 20.; Rom., n/22; I Jo., v, 21; Apoc., ix, 20. 

3. Hans Windisch, Der zweite Korintherbrief, p. 215. 

4. Colos., r, 19; n, 9; et F. Prat, The'ologie de saint Paul, F, 1920, p. 352- 
358. 



588 JESUS CHRIST. 

vait pas plus esquiver alors ces termes, si Ton voulait se 
faire entendre, et sin-tout ecouter, qu'on ne peut actuellement 
eviter ceux de vie, devolution, de mystique, d'experience re- 
ligieuse, etc. Et puisque I'ap6tre ne iuyait nullement ce que 
nous appellerions 1'actualite, jusqu'a emprunter a la langue 
des sports et du stade un nombre respectable de mots tech- 
niques et une coloration tres particuliere de son vocabulaire 
ascetique, serait-il possible qu'on ne trouvat pas trace chez lui 
de la langue usitee" dans le paganisme de son temps? Un pas- 
sage caracteristique sous ce rapport, retenu a ce titre par 
Reitzenstein, figure au debut de la premiere lettre aux Gorin- 
thiens. Apres avoir rappele a ses neophytes qu'il n'a, des 
1'origine, voulu savoir pres d'eux que Jesus Christ,' et Jesus 
crucifie, I'ap6tre continue : 

C'est en faiblesse, en crainte et en grand tremblement que je me 
suis present^ devant vous. Et mon discours, ma predication, n'a 
pas consiste en discours de sagesse visant a persuader, mais en 
manifestation d' Esprit et de puissance, afin que votre foi ne futpas 
fondle sur la sagesse des homines, mais sur la puissance de Dieu. 

Aussi bien, nous parlons sagesse avec les parfaits, 
mais non sagesse de ce siecle, et des princes de ce siecle, qui sont 

[disqualifies, 

mais nous parlons sagesse dans le mystere, 

la sagesse cachee que Dieu a prddestinee devant les siecles pour 

[notre gloire, 

et qu'aucun des princes de ce siecle-ci n'a connue; 
(s'ils 1'eussent connue, ils n'auraient pas crucifie le Seigneur de la 
gloire). Mais selon qu'il est ecrit : 

Ce que I'oeil n'a point vu ni Voreille entendu, 

et ce qui n'est pas monte dans le cceur de I'liomme, 

c'est cela que Dieu a prepare a ceux qui Caiment. 

A nous en effet, Dieu 1'a revele par 1'Esprit, car 1'Esprit scrute 
tout, et jusqu'aux profondeurs de Dieu ^ . 

Le coloris de cette belle page est tout mystique : elle con- 
tient notamment des expressions usitees dans un sens precis 
par les religions initiatiques, et encore plus en vogue dans 
lesloges syncretistes, ulterieurement qualifiees de gnostiques. 

1. I Cor., n, 3-10. 



L'ETABLISSBMENT J>E LA RELIGION DE JESUS. 589 

Laliste de ces expressions est d'ailleurs a reviser : nous at- 
tendons un texte quipermette d'assimiler les chretiens par- 
faits , c'est-a-dire pleinements instruits et spirituels, avec des 
inities , au sens technique du terme 1 . Reste que saint Paul 
vis.e ici cette partie haute de 1'enseignement religieux qui 
n'est revelee, ou ne se revele, qu'aux plus avances. II s'agit 
en eifet du noyau le plus cache du dessein providentiel : 
I'ap6tre 1' oppose aux secrets et precedes de la sagesse hu- 
maine etauxparangons de celle-ci, les princes de ce monde , 
c'est-a-dire, en clair, les demons 2 . Ges esprits de malice 3 , 
bien qu'ayant soupconne des I'abord et denonce nettement, 
en Jesus, le Fils de Dieu, ont fait fausse route. Leur astuce 
meme les a decus : ils n'ont rien compris aumystere de Dieu, 
auparadoxe de la croix. La gloire eternelle du Fils de 1'homme 
et sa redemption ont surgi de la mort mdme, cruelle et igno- 
minieuse, que ses ennemis, sous 1'inspiration des demons, lui 
ont infligee. Plus sages, ces derniers se fussent bien gardes 
de pousser a bout une immolation qui allait ruiner leur em- 
pire. G'est ce mystere, avec ses corollaires du salut ouvert 
desormais a tous et de la vie nouvelle menee a 1'image du 
Christ ressuscite, que Dieu revele a ses amis. Dans les temps 
anciens, il etait enfoui aux profondeurs divines que, seul, 
1'Esprit de Dieu peut penetrer et scruter entierement. 

Quant aux sources de Tenseignement spirituel auquel allu- 
sion est faite ici et ailleurs, il f aut la chercher avant tout 
dans la Bible et les croyances judaiques de cette epoque, 
celles du moins que Jesus avait faites siennes. La conception 
fondamentale d'esprit, oppose a la chair, et celle, a peu pres 

1. Voir ci-dessous la note R 2 , Par fails et Inilies >, p. 625. 

2. La seule raison d'en douter est 1'opinion contraire des Peres Grecs. 
Saint Jean Chrysostome voit dans ces princes du monde les gens dans les 
honneurs et dans les charges, estimaht leur pouvoir sans bornes; et aussi 
lesphilosophes et les rheteurs. Theodoret nomine Anne etCa'iphe, Pilate et 
Herode. Mais cette opinion n'est plus tenable en face des paralleles tires de 
1'usage juif ancien, surtout du Livre d'Henoch et de V Ascension d'Isa'ie. Ce 
dernier ouvrage, composite, mais fort ancien dans ses ch. ix et x (d'origine 
chretienne, datant de 100 & 150 environ) contient les analogies les plus 
frappantes. Voir la traductiond'E. Tisserant, Ascension rf'/sai'e, Paris, 1909, 
p. 177 suiv. ; 191 suiv. ; avec les notes. 

3. T& Tmu^a-cixi t?js TOVY)pt'as, Ephes., VI, 12. 



590 JESUS CHRIST. 

f 

synonyme, de Sagesse divine opposed a 1'humaine, ont leur 
origine dans la Genese et leur developpement dans les livres 
prophetiques et sapientiaux. II est divertissant de voir Reit- 
zenstein revendiquer, comme caracte'ristiques des cultes helle- 
niques a mysteres, les manifestations d'Esprit et de puissance 
accompagnant la predication apostolique J , alors que les pro- 
phetes d'Israel, copieusement cites par saint Paul, les Actes 
et tous les anciens ecrits chretiens, avaient clairement predit, 
et dans les termes me'mes repris par ces ecrits, cette effusion 
spirituelle et ces prodiges. Toute la litterature palestinienne 
du temps leur fait echo 2 . Sur quoi il est piquant de rappeler 
le principe elementaire excellemment formule par un savant 
historien des religions antiques, qui ne 1'a pas toujours, pour 
son compte, applique : Parmi les plus lourdes fautes de la 
recherche comparatiste qui sevit aujourd'hui, toujours plus 
pleine d'assurance, observe Albert Dieterich, on doit signaler 
le fait de laisser inobserve voire ignore et oublie ce qui 
est naturellement proche, tandis qu'on va fouiller ce qui est 
loin et, la, degager, par les me'thodes les plus recherchees, 
des analogies qui souvent sont absolument invisibles au regard 
non prevenu 3 . 

Pour nous guider surement dans 1'interpretation des textes 
chretiens, et notamment de ceux de Paul, ecrits de circons- 
tance avant tout, nous avons enfin la nature des erreurs visees 
par 1'auteur : Dis-moi qui tu combats, je te dirai qui tu es. II 
convient done d'etudier les deviations et dangers qui mena- 
c.aient alors, au concret, 1'integrite ou, comme disait l'Ap6tre, 
la virginite de lafoi, chez ses neophytes. Gette etude, tres de- 
licate, ne conduit pas toujours a des resultats certains, mais 

1. Die HellenistischenMysterienreUgioneri*, p. 99. 

2. Voir Ik-dessus W. L. Knox, qui concede encore trop a Reitzenstein, 
S. Paul and the Church of Jerusalem, Cambridge, 1925, p. 136-149; H. Strack 
etBillerbeck, KTM, II, p. 615suiv. ; W. Bousset H. Gressmann, Die Reli- 
gion des Judentums*, 1926, p. 394 suiv. ; A. Fridrichsen, Le Probleme du Mi- 
racle dans le Christianisme primitif, 1925, p. 36-40; et surtout J. Lebreton, 
Origines 6 , 1927, p. 342-378 et 381-386. 

3. Alb. Dieterich, Eine Mithrasliturgie*, ed. R. Wiinsch, 1910. Alb. 
Schweitzer, auquel j'emprunte cette citation, Geschichte der paulinischen 
Forschung, Tubingen, 1911, p. 152, a fortement releve cet abus, dans le 
sujet qui nous occupe. 



L'ETABLISSBMBNT DE LA RELIGION DB JESUS. 591 

les conclusions assurees qu'elle atteint sont extre'mement pre- 
cieuses. Quel est 1'ecueil alors aredouter? Est-ce une conta- 
mination de la religion du Christ par celle des divinites 
orientales? Sont-ce des objections ou comparaisons tirees des 
mythes ou des cultes a initiations? Jamais, a ce qu'il sem- 
ble ; et cette omission s'explique parfaitement a une date ou, 
en dehors des mysteres helleniques classes, comme ceux 
d'Eleusis ou de Samothrace, les cultes de ce genre, par exem- 
ple d'Isis et de Mithra, commencaient a peine d'etre toleres 
ou connus dans 1'Empire. Gent ans, cent cinquante ans plus 
tard, le pe*ril apparaitra dans cette voie, et alors la question 
sera posee et maintenue a 1'ordre du jour : les apologistes 
chre'tiens, saint Justin, saint Irenee, Tertullien, Clement 
d'Alexandrie, ne nous le laissent pas ignorer. Mais entre 50 
efc 70, le danger etait ailleurs : dans 1'ambiance idolatrique et 
la liberte de mceurs pai'enne, d'une part, et, d'autre part, 
dans les exigences et deformations judaisantes. La reprobation 
des cultes idolatriques, citee plus haut, est generale et vise la 
religion populaire; ge'ne'rale aussi la lec.on donnee a propos 
des viandes offertes dans les temples : 

C'est pourquoi, nos tres chers, gardez-vous de 1'idolAtrie. Je 
parle a des hommes avises ; jugez vous-m6mes de ce que je dis : 

Le calice de benediction que nous benissons, 

n'est-il pas une communion au sang du Christ? 

le pain que nous brisons, 

n'est-il pas une communion au corps du Christ? 

Car nous sommes un seul pain, un seul corps, 

tous tant que nous sommes a participer au meme pain. 

Voyez 1'Israel selon la chair. Est-ce que ceux qui mangent de 
I 1 oblation n'entrent pas en communion de 1'autel? Que dis-je done? 

L'idole serait-elle quelque chose? Mais ce qu'ils immolent, 
c'est aux demons et non a Dieu qu'ils I'imrnolent, et je ne veux pas 
vous voir entrer en communion avec les demons ! 

Vous ne pouvez boire le calice du Seigneur et le calice des 

[demons, 

vous ne pouvez participer a la table du Seigneur et a la table 

[des demons. 
Ou bien allons-nous provoquer le Seigneur? Sommes-nous plus 

[forts que lui * ? 
1. I Cor., x, 14-22. 



592 J&SCS CHRIST. 

Ailleurs, aux Galates, aiix Philippiens^ les adversaires de"- 
nonce"s sont les mauvais bergers qui veulent faire rentrer les 
brebis du bercail chretien sous un joug charnel, restaurer 
sur eux 1'empire de la Loi, mettre de c6te* ou me" ma rejeter 
la croix de Je"sus. Ge sont ceux qui veulent ramener les Go- 
lossiens, des enseignements d'une foi adulte, aux rudiments, 
aux anonnements, pourrait-on dire, d'un formulaire enfantin 
pratiques judai'santes, ascese indiscrete, speculations sur le 
monde des esprits. De ces bizarres mixtures, les apoeryphes 
de ce temps offrent maint exemple. 

Comment done se presente, d'apres les documents lus dans 
leur jour naturel, la religion de Jesus alors crue et prati- 
quee dans les Eglises? Gomme une religion; c'est-a-dire 
une voie complete pour aller a Dieu, avec 1'assurance de se 
le rendre favorable, les moyens de Padorer dignement et de 
le servir comme il faut. Ensemble, comme un-moyen efficace 
de salut, puisque ce dernier element, secondaire en soi et 
subordonne, ne laisse pas de suivre de 1'idee veritable de 
religion. Que celle-ci, en effet, soit essentiellement un com- 
merce personnel, d'esprit a esprit, avec le Dieu infini, c'est 
ce que les hommes religieux ont toujours cru ; et cette verite 
a ete rappelee naguere par un certain nombre de theologiens 
reformes a leurs coreligionnaires qui les savants sur- 
tout et les sages 1'aVaient trop oubliee *. Si je releve le 
fait, c'est pour montrer qu'au dela des chetives polemiques 

1. Par exemple Fr. Heiler, DasGebefi, Miinchen, 1920; Der Katholizis- 
mus, seine Idee und seine Erscheinung, Miinchen, 1923; et surtout Rud. 
Otto, Das Heilige, depuis 1917 nombreuses editions et traductions. 

J'ai esquisse les traits principaux de ce mouvement dans mes Bulletins 
de Litte'rature religieuse des RSR de 1924 et 1926. On peut mesurer 1'effet 
produit par cette reaction de 1'esprit religieux a Finterieur du protestan- 
tisme liberal, par le livre, si caracteristique, de FernandMenegoz, Le Pro- 
bleme de la Priere, Principes d'une revision dela methode the'ologique, Stras- 
bourg et Paris, 1925, p. 1-204. La faiblesse des theologiens reformes dans 
cette lutte pour la vie religieuse de leurs freres (car il n'y va de rien 
moins), c'est le subjectivisme qui a pes6 sur la pensee protestante, visi- 
blement depuis Rousseau, Kant et Schleiermacher, logiquement depuis 
Luther. Un penseur aussi vigoureux qu'Ernst Troeltsch, n'a pas reussi S 
briser le cercle magique, en depit d'un effort digne d'admiration : voir F. 
von Hiigel, Essays and Addresses on the Philosophy of Religion, l re serie, 
London, 1924, p. 144-194. 



L'ETABLISSEMENT DE LA RELIGION DB JESUS. 593 

d'ecole, il y va ici de >l tout le christianisme et de toute la reli- 
gion. Autour de la fontaine apostolique, les philologues libe- 
raux avaient edifie une respectueuse mais epaisse barriere 
de discussions contentieuses; les comparatistes Font masquee 
derriere une foire d'oripeaux arraches a tous les cultes et a 
toutes les theosophies. Maintenant que nous avons fraye une 
piste a travers ces obstacles, nous pouvons boire a la source. 
Paul et les apdtres, et tous les chretiens d'alors, venus de 
la Synagogue ou de la Gentilite, croient en un seul Dieu. 
Us y croient de tout leur coeur, de tout leur esprit, de toutes 
leurs forces. Gela creuse un abime entre eux et leurs con- 
temporains paiiens, me'me ceux (encore rares, mais ils le 
deviendront moins ensuite, par emulation du christianisme) 
qui s'efforcent de reduire a 1'unite le divin epars dans la 
nature et dans 1'histoire. Car c'est encore la une construction 
d'homme, un objet fabrique, une idole. Pour le chretien, le 
Dieu unique est une foi, et le mot de tout ce qui existe : 

... Nul Dieu qu'un seul ! 

Car bien qu'il y ait de pretendus dieux soit au ciel, soil en terre, 
comme il y a nombre de dieux et nombre de seigneurs 
pour nous, certes, un seul Dieu, le Pere, 
duquel toutes choses, et nous, pour lui ; 
et un seul Seigneur, Jesus Christ, 
par lequel toutes choses, et nous, par lui 1 . 

G'est pourquoi les paiens (Paul ne craint pas de leur 
retorquer le trait decoche par eux aux monotheistes, Israelites 
ou chretiens, refusant d'adorer indistinctement les dieux de 
la Cite), les paiens sont sans esperance et sans Dieu dans 
le monde . Athees? Oui, parce qu'objectivement les 
Gentils, et avant tous autres ceux desquels a dependu la 
funeste deviation initiale, sont inexcusable s, du fait qu'ayant 
connu Dieu, parce que, ce qui est connaissable de Dieu, ils 
le lisent en eux-memes,... ils ne 1'ont pas honore comme 
Dieu et ne lui ont pas rendu graces... Se disant sages, ils 
sont devenus insenses, et ont echange la gloire da Dieu 
incorruptible pour la ressemblance d'une image d'homme 
perissable 2 . Suit le denombrement des vices issus de cette 

1. I Cor., vui, 46-6. 

2. Rom., I, 20 c, 19,21, 23; Psaume cvi (cv), 20; Deut, iv, 15-19. 

JESUS CHRIST. II. 38 



594 JESUS CHRIST. 

erreur. On sent fremir assure'ment dans cette page terrible, 
le zele atavique du Juif centre tout ce qui e"tait idolatre. Et, 
pas plus que les theologiens ne songent a rendre personnel- 
lement responsable chacun des hommes vivant dans une 
confession religieuse erronee qu'il a regue de ses parents 
et maitres naturels, il ne faut refuser a tous les paiens le 
privilege de la bonne foi. Paul ne le leur conteste pas, quand 
il fait appel aux souvenirs des neophytes venus de la Gen- 
tilite *. En est-il moins vrai que cette intransigeante religion 
du Dieu unique perce et dissout le brouillard d'indifferen- 
tisme et d'anthropomorphisme ou vivait et, dans son elite, 
gemissait Thumanite paienne? Malgre les efforts faits pour 
assainir les fables et les unifier, 1'horrible polytheisme avec 
la degradation religieuse qu'il entralne, e*tait encore general. 
G'est alors son image ou, tout au plus, son ideal que 1'homme 
adore ; et comment invoquer serieusement, sans reserve et 
arriere-pensee, ce qui n'est, a le prendre au mieux, qu'une 
mosaique d'attributs empruntes a notre misere et sublimes 
par nos desirs 2 ? 

Le vrai Dieu, auteur de tout ce qui existe, non seulement 
quant a Fordre et a la disposition, mais quant a I'e'tre et a 
1'etoffe, par voie non d'emanation mais de creation, est bien 
different, disaient les chretiens, de tout ce que.vous pensez. 
II est totalement autre. II est ante"rieur et superieur infiniment 
a vos imaginations ; invisible et tout puissant. Nul ne saurait 
le jauger, ni le juger. II ne fait pas acception de personne, 



1. I Thess., 1,6 ; Phil., i, 5; Gal., iv, 13-14; Actes, xvu, 22 suiv. 

2. Voila qui condamne en principe toute religion de 1'humanite, celle de 
M. A. Loisy comme celle d'Auguste Comte et de Feuerbach. Si le dieu 
unique est notre ideal humain >, Loisy, La Religion, Paris, 1917, p. 313, 
il aura beau s'incarner dans une elite ou toute la collectivity je pourrai 
I'admirer ou le plaindre, le servir ou m'en ctesinteresser ; je ne pourrai pas 
1'adorer, leprier,.ine. n'er alui sans condition, croire en lui de toute mon 
ame, 1'aimer d'un amour de preference absolue et cela, c'est toute la 
religion. P. Menegoz, Le ProbUme de la Priere, p. 55, n. 3, cite justement 
a ce propos le mot de Louis Menard, Poemes et Reveries d'un paien mys- 
tique, ed. 1896, p. 97 : Quiconque ne croit pas aux dieux personnels des 
religions ne peut voir dans la priere qu'un monologue ; et dans le sacri- 
fice, qu'une illusion ; dans 1'adoration, qu'une erreur ; dans le salut, qu'un 
myths ; dans I'idSe meme de divinity qu'une fiction anthropomorphique. 



L'^TABLISSEMENT UK-LA. RELIGION DE JESUS. 595 

et ainsi atiicim homme ne peratse flatter. de> se. le readrfr pro- 
pice qui n'est pas droit et sincere : Bienheureux les purs 
de coeur, ils le verront. A ces .dispositions;, pas de privilege 
qui puisse suppleer : 

Tribulation et angoisse sur toute ame d'homme qui fait: lemal, 

Juif. d'ab0i?d, et Guec .ensuite;, 
Gloire,. honneur et paix a tout artisan du bien, 

Juif d'abord,. et Grec ensuite! 
Car tous ceux qui ont peeh6 sans (connaissance de la) Lor, 

sans (etre: convaineus de d^sob6issance & cette)'Loi pe^riront 

[aussi : 
et tous ceux qui ontpecb.^ en (puissance de la) Loi^, 

seront condamnes par la Loi *. 

Et Paul de nous montrer les Gentils, vivant hors, dtt rayon 
de la promulgation de la Lor, ayant en eux-m^mes, ecrits 
en leur coeur par la conscience morale, les commandements 
que la Loi precise et formule. On arriverait sans doute, en 
cherchant bien, a colliger dans les auteurs paiens 4 quelques 
dchos de ces doctrines de^vre. Mais on peut dire hardiment 
qu'il n'existait pas, hors des groupes d'lsraelites et des pre- 
mieres communauteff chre^tiennes, d'e religion mettant ainsi 
Dieu a sa place et Fhomme a la sienne, en exigeant pour le 
seul digne un culte sans partage et sans condition. 

Adorateurs du Dieu unique, comme ceux qui se reclamaient 
d'Abraham, de Moiise et des Prophetes, les disciples de 
Pierre, de Jacques, de Jean, de Barnabe et de Paul faisaient 
de plus profession de trouver la vie eternelle dans le Christ 
Jesus 2 . Gar le culte divin ne se reduit pas a la reconnais- 
sance de la grandeur incommunicable du Createur. Dieu a 
droit a des hommages publics, il a droit, s'il daigne mani- 
fester une volonte positive, a ^tre obei et, s'il veut bien 
reveler quelque particularite du mystere de sa providence, 
a etre cru. Ges verites elementaires n'avaient guere besoin 
d'etre rappelees, au premier siecle de notre ere, car la 
deviation fondamentale d ; e 1'idolatrie les avait epargnees. Le 
besoin d'une religion positive, le sentiment des devoirs con- 
sequents a une intervention gracieuse de la divinite, survi- 

1. Rom., ii^ 9-12. 
2._Rom. ; vi, 



596 JESUS CHRIST. 

vaient dans les masses pai'ennes, comme les problemes res- 
tent poses devant ceux qu'une erreur liminaire empe'che de 
decouvrir la solution veritable. Ges errants ne laissent pas 
d'en proposer qui, parfois, s'en rapprochent, et e'e*tait le cas 
pour la conception religieuse, alors en favour, d'une vie 
immortelle ou chacun recevrait selon ses oeuvres. Le redres- 
sement et 1'epanouissement chretiens, relativement aises aux 
hommes craignant Dieu, qui compterent si grandement dans 
les premieres Eglises, pouvaient done s'appuyer chez beau- 
coup d'autres, sur un esprit religieux fourvoye, mais vivant. 

A ces ames de bonne volonte, la predication evangelique 
presentait ensemble la doctrine de 1'unicite divine et celle 
de la seigneurie universelle de Jesus. Anterieure logiquement, 
la premiere ne semble pas avoir constitue d'ordinaire une 
etape distincte. Sans doute 1'instruction devait se nuancer 
differemment quand elle avait lieu dans une Synagogue, ou 
s'adressait a des groupes recrutes surtout de Gentils. L'ar- 
gument scripturaire, ailleurs preponderant, devait se limi- 
ter dans ce dernier cas. II etait rarement absent, comme 
etaient rares aussi, parmi les auditeurs des evangelistes, 
ceux qui n'avaient jamais entendu parler des Livres Saints, 
la veneration dont la Bible jouissait ayant en bien des 
villes depasse les limites d'Israel. En tout cas, il ne fut 
jamais question de presenter le Christ en dehors de la 
croyance au Dieu unique : le premier article du symbole bap- 
tismal, sous sa forme orientale ou occidentale, comme les 
professions de foi des plus anciens Peres, de Clement de 
Rome a Tertullien, a toujours ete ce qu'il est reste pour 
nous : Je crois en un seul Dieu, le Pere tout-puissant *. 

Mais cet article etait suivi d'un second, le but propre de 
la predication apostolique etant d'annoncer Jesus. Qu'on prit 
texte des Ecritures, ou simplement qu'on fit appel aux aspi- 
rations religieuses de 1'auditoire, on en arrivait done au 
Christ crucifie et ressuscite. Car aussi bien : 

Les Juifs reclament des signes et les Grecs cherchent la sagesse : 
mais nous, nous prechons le Christ crucifie, 

1. F. Kattenbusch, Das Apostolische Symbol, II, p. 515-540; H. Lietzmann, 
Symbols tudien, dans ZNTW, XXI, 1922, p. 6 suiv. 



I/ETABLISSEMBNT DE LA RELIGION DE JESUS. 597 

scandal e pour les Juifs, folie pour les Gentils, 

mais pour les appeles eux~m&mes, et Juifs et Grecs, 

le Christ, vertu de Dieu et sagesse de Dieu ' . 

D'ou vient cette insistance sur Faspect le plus deconcertant, 
pour Fame antique et m4me juive, du message chretien? 
Est-ce gout du paradoxe? Est-ce mepris de la raison? 
G'est au contraire sens juste et pe'ne'trant des reality's sur- 
naturelles. L'Evangile aussi fournit des signes, et il est aussi 
une sagesse. Mais cette sagesse est si elevee au-dessus des 
vues courantes, ces signes, si differents des prodiges es- 
compte's, qu'on les annoncerait en vain a des hommes encore 
enfonce*8 dans le charnel. Place done a la predication de la 
croix de Jesus : soutenue par les ceuvres de puissance et 
1'effusion charismatique, elle etablira les premiers croyants 
dans une atmosphere de foi pure, ou les choses spirituelles 
et divines prendront leurs proportions veritable s. Ges fai- 
blesses, ces humiliations se demontreront alors force de 
Dieu et sagesse de Dieu . Jesus crucifie apparaltra le Sau- 
veur unique : Nul autre nom n'a ete dbnne aux hommes qui 
les assure d'etre sauves 2 . 

Mais ce Jesus, qui est-il done, et qu'a-t-il fait? A cette 
question fondamentale repondait une catechese, fixee tres 
anciennement dans ses grandes lignes et enchassee en des 
rythmes de style oral qui en assuraient Texacte transmission. 
Nous en trouvons 1'echo dans nos evangiles synoptiques, dont 
cette catejchese fut la source commune. Elle affleure aussi 
dans de nombreux fragments des epitres apostoliques. D'au- 
tres fois, ce sont des formules breves qui resument, en peu de 
mots, tout 1'essentiel de 1'Evangile. Quel a ete le theme initial 
de la predication de saint Paul a Thessalonique ? II rappelle 
a ses neophytes : Comment vous vous 6tes tournes vers 
Dieu, vous arrachant des idoles pour servir le Dieu vivant 
et veritable, et attendre des cieux son Fils, qu'il a ressuscite 
des morts, Jesus qui nous sauve de la colere a venir 3 . On 
observera dans ce raccourci le relief donne a 1'element escha- 
tologique : surexcitee par des prophetes sans mandat, 1'imagi- 

1. I Cor., i, 22-24. 

2. Actes, iv, 12. 

3. I Thess., i, 96-10. 



598 JESUS 'CHRIST. 

nation des Thessaloniciens travaila la-4essus d'nne iagon 
inquie'tanfce, qui coritraignit saint Paul a Tae'ttre- les ohoses au 
point, etl'inclina dans la suite a estomper, sans jamais Feili- 
miner, oette face mysterieuse dfe 1'Evaiigil'e. Ce qui doit .nous 
retenir, e'est le r-61e ^altribue a Je"sus idans cette lettre, la plus 
aiicieirne de I'antiquit'e chre^tieniie, etaoalt : separee de lamort du 
dhrist par un quart >de siecle. DeB la Buscription, le .Fils de 
rhomme- est mis a ea place, a la droite du jPere. 

Paul et 'Silvanus et Timothee & 1'Eglise des Thessaloniciens en 
Dieule Fere et le Seigneur Jesus Gbrist : grace a voias, etpaix 1 ! 

D&sla, le culte de Jesus s'impose : le Seigneur est en effet 
connumere avec Dieule Pere, constituant avec lui le milieu 
divin o4 s'-est fondee, et continue de s'edifier, 1'Eglise de 
Thessalonique, Le grand trait de separation entre les termes 
que toute religion se propose d'unir : Dieu et 1'homme, est 
trace au-dessous de Jesus, le laissant du c6te divin. Le reste 
de la lettre confirme cette impression : Jesus, c'est 1'espoir, 
c'est Ja propitiation; son Evangile est 1'Evangile de Dieu, 
comme il est 1'Evangile du Christ. Le Fils est invoque 
avec le Pere pour qu'il lacilite .a I'apdtr^ uu retoui' en Ma^e- 
doine. En attendant, on rappelle AUX Thessaloniciens les 
commandements a eux donnes au nom du Christ 
Jesus , et<que la foi en sa mort redemptrice <et en sa resur- 
rection assure., de par Dieu, a ce.ux qui meurent dans le 
Christ , participation a. sa. .gloire,. 11 faut rendre .graces sans 
se lasser, parce que c'est la volonte de Dieu dans le Christ 
Jesus , a Ja ^race duquel les neophytes sont finalement 
coniie's. On voit assez que toute leur vie religieuse est congue 
dans une dependaiace constante de la personne de Jesus : 
,Nul ne vient au Pere que par lui. 

Ces formules initiales annoncent celles qui les etofferont, 

1. IThess., i, 1. lei, comme souvent ailleurs, 1'article ri'est pas mis 
devant Oeo's : Dieu Pere est pris comme wn nom propre, .et en effet, il 
est unique. Semblablement 1'article manque devant wJpios. Litteralement, 
il faudrait traduire : a la communaute des Thessaloniciens (vivant) en 
Dieu Pere et en Seigneur J6sus Christ >. Sur cette suppression caracte- 
ristique de 1'article, voir F. Kattenbusch, Das Apostolische Symbol, II, 
p. 515suiv.,et B. F. Wescott, Ontheuseoffo^and 6 Oeo's, dans The Epistles 
of St John*, London, 1909, p. 172-174. 



L'ETABLISSEMENT OB LA RELIGION DE JESUS. 599 

les nuanceront, les enrichiront : elles en sont, pour aiiisi dire, 
pregnantes et, moins claires, elles ne sont pas moms riches 
en substance religieuse. Quelques-unes reviennent a satiete, 
par exemple dans le Christ Je"sus (environ 164 fois dans 
saint Paul!), et il faut reconnaitre que, dans sa brievete, ce 
refrain inculque puissamment 1'incorporation totale du chre- 
tien, pensee et action, souffrance et amour, a celiii qui est 
son chef, son esperance et son Dieu. 

Parmi les allusions a Jesus qui sont plus que des mentions, 
il n'estpas arbitraire de distinguer les resumes catechetiques, 
a aretes vives, souvent completes par la mention du Pere et de 
1'Esprit, des allusions et effusions mystiques ou s'abandonne 
1'elan spirituel de Paul. Formules trinitaires d'accent liturgi- 
que : 1'apdtre s'excuse aupres des Remains : s'il leur a parle 
d'un ton magistral, c'est qu'il a recu de Dieu, grace 

pour etre pretre celebrant du Christ Jesus parmi les Gentils, 
administrant religieusement 1'Evangile de Dieu, 
aim que T oblation des Gentils devienne agr6able, 
etant sanctifiee par 1' Esprit Saint 1 . 

La distribution des dons spirituels provoque des declara- 
tions plus precises. Jadis, quand vous etiez paiiens, vous 
etiez conduits comme un troupeau en face des idoles 
muettes. A cette attitude gregaire doit succeder une religion 
plus personnelle, qui permettra aux Gorinthiens de controler 
les manifestations charismatiques, en distinguant les inspira- 
tions divines de leurs contrefagons : 

Je vous declare que nul, parlant en Esprit divin, ne dit : 

[Anatheme a Jesus! 

et nul aussi ne peut dire : Seigneur Jesus f sinon dans 1'Esprit 

[Saint. 
Certes, il y a difference de dons, 

mais c'est le meme Esprit; 
et il y a difference de ministeres , 
mais c'est le meme Seigneur; 
et il y a Difference d'operations, 

mais c'est le meme Dieu qui opere tout en tous 2 . 

1. Rom., xv, 16. Onremarquera le caractere liturgique, si accus6, de ce 

morceau: efsto eTvai [ie XeiToupYbv XptOToS'liqaou UpoupYoQvT'a TO euaYY^Xtov,... 

I'va YV7)Tat TJ Trpcxnpopa TOJV 0v5iv eirtpotjBsxToSjrjY^'^ri. Voir aussi Rom., XV, 30, 

2. I Cor., XH, 3-6. Voir Ephes., iv, 4-6. 



600 JESUS CHRIST. 

Vceu final de la seconde epitre : 

La grace du Seigneur Jesus Christ, 

et la charite de Dieu, 

et la communion du Saint Esprit, avec vous tous ' ! 

Par ces touches rapides et leurs semblables, le mystere de 
Jesus allait s'epanouir, sans violence et sans heurfc, dans le 
dogme trinitaire. D'autres fois, le souci d'enseigner porte sur 
le salut procure par Jesus, et la prodigieuse metamorphose 
qui s'ensuit dans ses fideles, agreges par le bapt^me au 
Christ mystique et engages ainsi dans une destinee nou- 
velle, dont les etapes sont calquees sur celles de la vie du 
Maitre : 

Ou bien ignorez-vous que nous tous qui avons ete baptises dans 

[le Christ Jesus, 
c'est en sa mort que nous avons ete baptises ? 

Car nous avons ete ensevelis avec lui par le bapteme, pour la 
mort, afin que, comme Christ est ressuscite des morts pour la 
gloire du Pere, ainsi, nous marchions, nous aussi, en nouveaute de 
vie. 

Car si nous avons etc greffes sur lui, par similitude de sa mort, 
nous le serons aussi par celle de sa resurrection ; 
sachant ceci : notre vieil homme a ete crucifie avec lui 
afin que fut amorti le corps du peche et que nous ne soyons plus. 

[asservis au p6che r 
car le mort est libere du peche. 
Mais si nous sommes morts avec le Christ, 

nous croyons que nous vivrons aussi avec lui, 

sachant que le Christ ressuscite des morts ne meurt plus : 

la mortn'a plus d'empire sur lui 2 . 

Ailleurs, 1'apdtre tire, et de quel accent ! les conclusions de- 
cette belle theologie : 

Si done vous etes ressuscites avec le Christ, 
recherchez les choses d'en-haut, 
ou le Christ est assis a la droite de Dieu ; 
ayez a coeur les choses d'en-haut, 
non celles qui sont sur terre. 

Car vous etes morts et votre vie est cachee avec le Christ en 

[Dieu 3 . 

1. II Cor., xm, 13. 

2. Rom., vi, 4-10. 

3. Colos., in, 1-4. 



L'ETABLISSEMENT DE LA RELIGION DE JESUS 601 

Les candidats aux mysteres demandaient surtout a 1'ini- 
tiation une assurance contre les risques de la vie future : 
plusieurs (nous le tenons d'eux-mfrmes, et ils estimaient que 
ce n'etait pas peu de chose) y trouvaient du moins 1'esperance 
d'etre accueillis alors par une divinite propice a laquelle ils se 
seraient consacres et quiles reconnaltrait pour siens. A cette 
esperance aussi, la religion de Jesus donne satisfaction, mais 
en la de*bordant par la conception de la vie e"ternelle, en la 
sanctifiant par 1'exigence d'une vie pure et, des ici-bas T 
ressuscitee, en la fondant surtout. Elle substitue a des fables 
incoherentes, dans lesquelles la divinite etait moins engaged 
que compromise, une histoire proche, sainte, prophetisee 
dans des Livres que beaucoup tenaient pour sacre"s, que tous 
savaient du moins e"tre tres anciens. Des signes enfin, de 
puissance et de renovation spirituelle, attestent que Dieu 
approuve cette voie et 1'a pour agreable. De tout ceci, Jesus 
est le mediateur et le garant : vivre cette vie, c'est vivre 
de lui et en lui. 

Tout en assimilant le croyant a son Seigneur, le realisme 
chretien maintient pourtant les distances, soit en rapjpelant 
1'absolue et universelle primaute du Christ, soit en 1'associant 
si efcroitement a Dieu que 1'unite ne soit pas brisee, et l'homme 
fourvoye" dans un re"ve fou d'egalite avec son Greateur. Tout 
ce que la christologie ulterieure s'efforcera de preciser, fer- 
mant la voie aux erreurs subtiles ou superbes, est deja, 
mais a 1'etat de lave incandescente, dans certains morceaux 
episodiques des epitres, ou s'exprime au plus vif la religion 
de Jesus. G'est, par exemple, I'hymne intraduisible au Christ 
aneanti et glorifie, qui eclate soudain, dans une exhortation 
morale adressee aux Philippiens. Ou plut6t (car ce mot 
d'exhortation morale est moderne et decevant : il n'y a pas 
pour les premiers Chretiens de morale hors de leur religion; 
tous les devoirs sont compris dans le service de leur Sei- 
gneur) dans une provocation a imiter leur Maitre : 

Ayez entre vous les sentiments que vous avez pour le Christ Jesus ; 
lui qui, subsistant en forme de Dieu, 
n'a pas considere comme une proie d'etre egal a Dieu, 
mais il s'est vide de lui-meme, prenant forme d'esclave, devenu 

[semblable aux homines 



602 JESUS CHRIST 

et reconnu pour homme par ses dehors ; il s'est abaisse* lui-m^me, 
devenu obeissant jusqu'a la mort, et la mort de la croix. 
C'est pourquoi aussi Dieu Ta exalte au-dessus de tout, 
et 1'a gratifie du Norn au-dessus de tout nom, 
afm qu'au nom de Jesus tout genou fle'chisse des (etres) celestes, 

[terrestres et infernaux, 
et que toute langue confesse : 

SEIGNEUR JESUS CHRIST, a la gloire de Dieu le Pere 4 . 

On s'expose a preciser indument les termes employes par 
saint Paul, quand on perd de vue le caractere inspire, pro- 
phetique, de ce passage. II est au moins douteux que ces 
expressions aient ete employees dans un sens technique : la 
suite generale de la pensee et 1'appel des images nous sem- 
blent de meilleurs guides. L'exemple de Jesus vaut ici pour 
un modele incomparable du don de soi, un miracle d' abnega- 
tion, reconnu par Dieu d'une fagon digne de lui. Suivant ces 
indications, nous arrivons a cette glose litte"rale : Aimez- 
vous parfaitement entre vous, a la chretienne 1 Prenez les 
uns pour les autres les sentiments que vous avez pour le 
Christ Jesus lui-me'me : mettez-vous a son e"cole... II etait 
pres de Dieu, il dtait Dieu 2 . Eh bien! il ne s'est pas laisse" 
charmer, attacher, comme a une proie cherement conquise, 
aux privileges ravissants a lui assures de ce chef 3 . Au con- 
traire, riche, il s'est re"duit a la misere 4 . II s'est dessaisi, 
depouille, vide de toute cette opulence de gloire : de la forme 
de Dieu, en forme d'esclave ! Voyez-le devenu, par tout le 
dehors, semblable aux hommes : dans cette condition servile, 
il trouve encore moyen de se mettre au plus bas. II obe"it, il 
se soumet a la loi portee contre ses freres humams. II descend 
jusqu'a la mort, et la male mort d'un crucifie. 

1. Phil., ii, 5-11. 

2. Jo., i, 1. Je nevois pas de meilleur Equivalent au TO elvai 1'aa 6ea5. 

3. Oux. pna-]fjj.bv T)fvjca-co : ces mots ont suscit6 toute une litterature. 
Le sens adopt6 ici me semble ressortir du terme, rare et violent, choisi 
par 1'apotre ; voir les exemples donn6s dans la nouvelle edition du grand 
Dictionnaire Liddell et Scott, ed. H. Stuart-Jones, etc., II, Oxford, 1926, 
s. v. aprcaY&iv, apx6%n>, apjiaif, aprcaot? : et Preuschen-Bauer, Griechisch-Deuts- 
ches Worlerbuch zu den Schriften des N. T., 1925^ col. 170-171, avec les 
auteurs cites. 

4. Ai' u[j.as JreTci5)(.u<Tev nXoiato? &v, II Cor., VHI, 96. 



L'ETABLIS^EMENT O>E .LA RELIGION DE JESUS. 603 

Ge ;pre;iMer rythme, qui chaate r&n#anitis&emeiit du Christ 
incamc, rebojadit imme'diate.nient dans le rythme .parallels de 
I'exaltation, r&poaise du Pere a la demarche 4u Fils humilie : 
Mais Dieu ne se laisse pas vaincre'! Son Christ, ainsi 
afoaisse, il 1'exalte au-dessas .d tout, il le fait iSeoir a sa 
droite; il kii coniere le Nom supreme, .au-?dessus des noms 
royaux et divins pour lesquels on exige 1'hoiamage des 
homines 1 . Au-dessus de tout nom! Voyez4e s'elever, des 

1 . On salt 1'importance .reconnue ;au noin, chez tous les peuples. Cf. J. 
Vendryes, Le Langape, Introduction linguistique d.l'Jvistoire, Paris, 1921, 
p. 216 suiv. Le nom vaut pour la personne m6me qu'il repr6sente, a ce 
point gu'ihsnlter le no-m, c'est faire tort a la personne ; 1'exalter, c'est 
glorifier la personne ; : H'eifacer, c'est -supprimer, autant qu'il est en sol, la 
personne. Amssi nommerun etre, c'est en quelque sorte d'appeler a Texis- 
tence; jusque4a il est v^gue et .sans individualite : voir Genese, i, 19-20, 
23. Sur cette identification pratique dunom'et de la.personne, et les conse- 
quences qui en decoulent, on peut lire les m6moires reunis dans ERE, 
IX, p. 130-178, s. v. Names. Bien qu'elle prete a abus (dans toutes les 
magres connues, 'le nom devient 1'un des intermediaires census eificaces, 
parfois Je principal, pour ^tteindre u in^luencer celui qui le porte), cette 
facon de voiriest naturelleet.fondee. Edle s'exjprime, dans 1'Ancien Testa- 
ment, par le culte du nom diving sur la forme prise par le culte aux 
temps evangeliques, W. Bousset et H. Gressmann, Die Religion des 
Judentums im spaethellenistischen 'Zeitalter 3 , 1926, p. 307 suiv. ; et J. 
Le'breton, Engines 6 , 1927, p. 149. 

Dans le Nouveau Testament, Jesus nous enseigne a dire : Notre 
Pere,... que votre nom soit glorifie ! Dans toute I'antiquit6 le nom d'un 
dieu ou d'un seigneur,, AU sens religieux .du mot, vaut pour la reality : on 
lui attribue en consequence une valeur sacree et, parfois, superstitieuse. 
Les Chretiens eurentnaturellementune grande devotion au nom de J6sus, 
et ce fut une des formes 'de leur culte pour le Sauveur. -Apres F. C. 
Conybeare, Christian Dem&nology, dans Jewish Quarterly .Review, VIII et 
IX, 1894-1895, et, jplus tard, Myth, Magie and Morals, London, 1919, 
ch. xni, W. HeitmiiMer a -r6uni les faits principaux dans son memoire 
substantieil : Im Namen Jesu, Goettingen, 1903, resume-par 1'auteur dans 
RGG, IV, col.<661^666.es travaux, et la compilation confuse deP. A.. Gor- 
don Clark, Name, dans DACH, II, p. 64-76, sont gates par I'assimilation 
du cutte rendu au:n&m de Jesus,, dans FEglise ancienne, avec les pratiques 
superstitieuses du Judaisme rabbinique d'alors, et du paganisme de tous 
les temps. Ges auteurs supposentque 1'action spirituelle se degrade neces- 
sairement en'empruntantun vehicule materiel, 'om en s'aidantd'un objet 
sensible. Elle deviendrait, par le fait meme, -magique, theurgique ; ce qui 
est la condamnation igtobale du principe sacramentel et liturgique. Dans 
le cas particulier, ils .ne distinguent pas 1'usage religieux du nom de 



604 JESUS CHRIST. 

enfers sur terre, puis au ciel ; a son passage tout genou 
flechit, toute creature fait le geste d'adoration et entonne 
la louange supreme : JESUS CHRIST EST LE SEIGNEUR, a la 
gloire de Dieu le Pere ! 

Un commentaire detaille, justifiant ces choix, n'est pas a sa 
place ici 1 . Ge qui impose, au moins en general, le sens adopte, 
c'est 1'architecture, incontestablement syme'trique, du mor- 
ceau, et son identity fondamentale avec les formules paral- 
leles du christianisme ancien. Parti du sein de Dieu, ou il est 
chez lui, le Fils, par I'assomption d'une nature humaine, se 
disqualifie, se vide de ce qui, dans sa condition glorieuse, est 
susceptible de renoncement : il le fait spontanement et par 
amour. II mene cette nature creee, done capable d'humiliation 
et de souffrance, jusqu'a 1'extreme limite de 1'abaissement. 
Mais de cet abime, Jesus est ramene par son Pere, avec sa 
nature humaine desormais imposee a 1'adoration de tous, en 
partant du monde infernal ou la mort 1'a engage, a travers les 
mondes humainet celeste, jusqu'a la gloire originelle. Entermes 
johanniques : Le Verbe, qui etait des le commencement en 
Dieu, qui etait Dieu, s'etant fait chair et ayant etabli sa tente 
parmi nous, apres avoir consomme par sa vie et sa mort 
1'ceuvre a lui confjee par son Pere, rentre aupres de lui dans 
la gloire qu'il possedait devant que le monde fut. En termes 
synoptiques : Le Fils de 1'homme, ayant accompli ce qui 
efcait ecrit de lui et donne sa vie en rancon pour beaucoup, 
est desormais assis a la droite de la Puissance divine. 

L'epitre aux Golossiens temoigne decisivement de la memo 

Jesus, d'abus qui semblent avoir 6t6 ordinairement confines dans des 
milieux de foi douteuse, ouverts au syncr6tisme du temps. 

1. VoirF. Prat, The'ologie de saint Paul, I 7 , 1920, p. 371-386; 533-543; 
J. Lebreton, Origines 6 , 1927, p. 416-421; H.Schumacher, Christus in seiner 
Praeexistens und Kenose nach Phil., If, 5-8, Rome, 1914. Parmi les 
memoires lib"6raux les plus recents, je distinguerai celui de M. Ch. Gui- 
gnebert, Quelques remarques d'exegese sur Philippiens, II, 6-ii, dans 
Acles du Congres international des Religions de 1923, Paris, 1925, II, 
p. 290-316, 6tonnant melange de bon sens et de parti pris. Autant la dis- 
cussion du texte est serieuse et profitable a lire (mais il ne faut pas dire 
que 1'absence de 1'article dans ev p-op^TJ 0sou suggere : d'tw Dieu , p. 292, 
note 2; voir ci-dessus p. 598, note 1), autant la recherche des sources 
dans une combinaison syncretiste des conceptions gnostiques et des 
mythes des religions helleniques a mysteres > est decevante et inacceptable. 



L'ETABLISSBMBNT DE LA RELIGION DE JESUS. 605 

croyance. La primaute de Jesus y est rappelee dans le but de 
raviver 1'enseignement donne jadis a Golosses par Epaphras, 
premier ap6tre de cette Eglise. II faut se garder des infiltra- 
tions dangereuses qui menacent la doctrine authentique : 
Gomme done vous avez recu le Christ, Jesus le Seigneur, 
marchez en lui, enracines et edifie's en lui, et affermis dans la 
foi en laquelle vous avez ete instruits 1 . Ges metaphores sont 
claires pour qui se souvient que le Sauveur est constammment 
represente comme une voie dans laquelle 1'homme religieux 
doit marcher, s'il veut arriver au but; comme une terre, oil 
la vie spirituelle jette des racines pour fructifier; comme un 
fondement, sur lequel s'edifie la destinee eternelle du chretien, 
que Dieu a transporte dans le royaume du Fils de son amour . 
La, on trouve la redemption et remission des peches ; la, 
on devient homme parfait dans le Christ et, partant, agreable 
a Dieu. Ce rdle essentiel de Jesus, pres de ceux qu'il sauve et 
reconcilie avec son Pere, est motive par un rapport primordial 
d'origine et de fin : 

Parce que c'est en lui que tout a ete fait aux cieux et sur la terrc, 
les choses visibles et les invisibles : 
tout a ete fait par lui et pour lui 2 . 

II esfc ainsi V alpha et V omega, le principe et la fin : en lui 
sont tous les tresors de la sagesse et de la connaissance ca- 
ches 3 . Etce qu'il est pour chaque croyant, il Test pour la com- 
munaute : II estlate'te du corps mystique, vers laquelle tous les 
membres setendent pour recevoir d'elle 1'influx vital et croitre, 
chacun selonla forme a lui departie. On ne sait que citer ici : 

Car de meme que le corps est un et a beaucoup de membres, 
et tous les membres du corps, nombreux qu'ils sont, ne font qu'un 

[corps, 

ainsi en va-t-il du Christ : 

car c'est en un seul esprit que tous nous avons ete baptises pour faire 

[un seul corps, 
soit Juifs, soit Grecs, 
soit esclaves, soit libres, 
et tous nous avons ete abreuves d'un seul Esprit*. 

1. Coloss. ,11, 6-7. 

2. Coloss., i, 16, 17. 

3. Coloss., u, 3. 

4. I Cor., xn, 12-14. 



606 JESUS CHRIST.. 

On se laisse aller a multiplier le& citations* parce, qa'elles 
sont belles. Mais comme elles donnent Fimpression de la riche, 
vie religieuse centre, auto.ur de Jesus! II oecupe-tout Fhorizon. 
Anterieuff,, non seulement au mon.de* juif de la promesse, mais 
au monde auinain et a Fangeliquer, present a ses, fideles des 
cette vie, et.leur terme bienaeureux en i'auke, il eat celui qui 
appelle et qsiii jug, qui sauve et qui recom|iense. Don da Dieu 
en plenitude (qu'estrce que Dieu pourpait. donner d'aussi bon 
que lui-meme?) le Seigneur est a oe titre Fobjet d^ laudes 
passionnees, qui n'ont,. dans les lettres anciennes, ; ni egales, 
ni semblablea. 

Qui nous separera de 1'amour du Christ? 

tribulation, angoisse, persecution,, f aim, nudite, peril, glaive? 

Selon qu'il est ecrit : 

A cause de toi nous sommes Iwres a la mort tout te jour, 
nous sommes comptes eomme brebis d*aSattoir... 

Mais en tout cela nous sommes plus que vainqueurs par celui qui 

[nous a aimeV! 

Avecle Christ, je suis crucifiie. 

Je vis, mais non,, plus moi, mais en moi' vit le Christ, 
et ce que je vis riiaintenant en chair, 

je le vis dans la.foi du Fils, de Dieu qui m'a aimel et S;'est livre pour 

[moi 2 . 
Pour moi, a Dieu ne plaise que je me glorifie, 

sinon dans la croix dfe Notre Seigneur Jesus Christ, 
par lequel le monde m'est erucifie, et moi, au mondfr. 
Car ni circoncision ne serfr de rien, ni incirconcision, 

mais une nouvelle creaturre.. 
Et quiconque se conforme a cette regie, 
paix sur lui, et misericorde sur 1'Israel de Dieu! 
Davantage, que nul ne me fasse des affaires, 
car je porte en mon corps les stigmates de Jesus 3 . 

Si quelqu'un n'aime pas le Seigneur, qu'ilsoit anatheme! 
Notre Seigneur, viens *! 

Ges paroles, oii 1'amour de Paul pour son Maitre s'exprime 

1. Rom., vm, 35-37. 

2. Gal., n, 20-21. 

3. Gal., vi, 14-17. 

4. I Cor., xvi, 22. 



L'ETABLISSEMENT DE LA RELIGION DE JESUS. - 607 

en images redoutables (le monde : entendez celui qui ne con- 
nait pas Jesus, est pour 1'apdtre un objet d'horreur et de pitie, 
tm de oes malheureux qui agonisent sur une croix, cloue, 
exsangue, livre aux chiens, a la soif et aux vautours. Et lui, 
Paul, a ce monde, il parait tel); ces paroles sont bien autre 
chose que des effusions. Elles achevent de mettre en lumiere 
la nouvelle creation que fut, dans le cadre elargi mais non 
brise, de 1'unique Dieu, createur et Pere, la religion de 
Jesus. 

Geux qui s'associaient pour y chercher de concert le mot des 
grands problemes, le modele des devoirs couteux, la force de 
bien agir, les moyens de plaire a Dieu, formaient, par le fait 
me" me, une collectivite spirituelle que saint Paul comparait 
-plus haut a un corps. Loin d'etre un simple groupement de 
libres croyants orientes dans le m6me sens ^-~ un peu comme 
les loges orphiques la communaute chretienne etait des 
lors une Eglise. II y a un quart de siecle, il eut ete opportun 
d'insister sur ce point que beauooup de critiques, par ailleurs 
competents, contestaient ; exeraple notable d'une preoccupa- 
tion s'imposant a Vhistoire. L'individualisme religieux, alors 
en faveur, occultait deux faits attestes par des textes nombreux 
et concordants : le fait sacramentel, le fait bierarchique. Ge 
n'est pas sans repugnance que j'emploie des termes qui peuvent 
sembler prejuger la question et prater a anachronisme : 1'usage 
les impose a qui veut 6tre clair. 

Le fait sacramentel consiste simplemeht en ce qu'on attri- 
buait a certains rites, reveles, du moins agrees positivement 
par Dieu, une efficaoite re.ligieuse.du premier rang : admi- 
nistre comme il le fallait, et rencontrant les dispositions indis- 
pensables dans le sujet, le bapt&ne agregeait au Gbrist, puri- 
fiait de toute tache et faisait passer celui qui en beneficiait a 
une vie nouvelle, sur le modele et par la grace de Jesus. 
Me'me ceux qui ne croient plus a cette vertu dans le present, 
contestent de moins en moins, et ne devraient plus contester, 
qu'on y croyait alors. On oroyait egalement que par la parti- 
cipation a Teucharistie on communiait au corps et au sang du 
Seigneur. L'intQrpretation qu'on a depuis appel^e realiste, etait 
sans aucun doute celle des premiers cbretiena : Le pain 



608 JESUS CHRIST. 

est le corps du Christ, le vin est son sang; il faut y parti ci- 
per dig-Dement et en esprit de charite ; c'est ainsi que 
M. Loisy resume 1'enseignement de saint Paul a Gorinthe 1 . 
Aveclebapte'me, avec 1'eucharistie, avec I'imposition des mains 
qui conferait le Saint Esprit 2 , les Eglises chre'tiennes posse- 
daient au milieu du premier siecle un organisme sacramentel 
deja considerable, et bien a elles. A la gestion de ces moyens 
efficaces de salut, qu'on croyait fermement tenir du Christ et, 
par lui, de Dieu m&ne, des hommes choisis etaient proposes, 
qui restaient soumis aux apdtres et a leurs delegues. 

Des lors en effet, nonobstant Teffusion des dons spirituels, 
dont 1'abondance confere a ceux qui les possedent une influence 
de fait, la hierarchic des fonctions existe, ebauche dejarecon- 
naissable d'un pouvoir ordinaire. Ge pouvoir s'exerce a Jeru- 
salem, mais aussi dans les communautes de la Gentilite. Le 
mystique eminent qu'est Paul est un homme d'autorite, cham- 
pion de 1'Eglise visible. II regie de tres haut 1'usage des 
charismata departis a beaucoup de fideles. II previent les 
abus, non par de simples dispositions prudentielles, mais en 
rappelant les principes. Du meme accent dont il celebre 
1'union au Christ, il revendique 1'indispensable mediation du 
corps ecclesiastique. Mieux : ce ne sont pas pour lui deux rea- 
lites juxtaposees, ou meme coordonnees, mais une seule, dont 
Tunite et 1'existence meme exigent une etroite connexion et 
subordination de parties inegales. Tout un jeu de comparai- 
sons admirables le montre a 1'evidence : Jesus est la pierre 
d'angle et la clef de voute de 1'ediiice religieux qui s'eleve, 
temple saint dans le Seigneur , ou chaque fidele, image en 
miniature et part integrante du temple total, occupe la place 
a lui assignee par le Saint Esprit. Mais le fondement de 1'edi- 
fice est forme de pierres privilegiees, desquelles 1'edifice tient 
a solidite : les ap6tres et les prophetes 3 . 

1. Les Livres du Nouveau Testament, 1922, p. 41. 

2. Sur I'imposition des mains, travaux excellents de P. Galtier, Imposi- 
tion des mains, dans DTC, VII, 2, 1923, col. 1302-1425; et de J. Coppens, 
L'lmposition des mains et les rites connexes dans le Nouveau Testament et 
dans VEglise ancienne, Wetteren et Paris, 1925. 

3. Prophetes dela Nouvelle Loi : Eph6s., in, 5; iv, 11 ; voir J. A. Robin- 
son, Epistle to the Ephesians 2 , London, 1922, p. 263. 



L'ETABLISSEMENT DE LA RELIGION DB JESUS. 6C9 

Ailleurs 1 Paul consider e que 1'Eglise est un corps vivant, 
organique, dont le Christ est le chef. Divers sont naturelle- 
ment les membres de oe corps, comme sont differentes les 
fonctions qu'ils ont a remplir; divers, mais aussi inegaux en 
importance et hierarchises : Tous sont-ils ap6tres? tpus sont- 
ils prophetes? La t6te doit jouer son r61e, qui n'est pas celui 
de la main ou du pied. Dans cet ensemble regne une etroite 
solidarite de sympathie et d'intere' ts, et de vie. Chacun travaille 
pour tous les autres et, a son tour, revolt de chacun d'eux 
quelque chose. Si l'un souffre ou prospere, tous participent a 
sa peine ou a son bien. Le meme esprit les inspire ; la me'me eau 
baptismale les purifie ; le m^me pain eucharistique les alimente. 
Separe du corps, coupe delate'fce, unmembre peut-il se flatter 
de vivre? Alors seulement' Un chretien pourra se targuer 
d'avoirpart, hors de FEglise, a la redemption du Christ. 

Une troisieme image, encore plus touchante 2 , applique a 
1'Eglise les allegories des anciens prophetes ou Dieu se disait 
TEpoux d' Israe'l. Dans un sens plus releve et plus rigoureux, 
1'Eglise est 1'Epouse du Christ Jesus : sauvee par lui, soumise 
a lui, non servilement, mais par tendresse, aimee de lui jusqu'a 
la mort, nourrie et cherie, os de ses os, chair de sa chair, une 
seule chose avec lui! Elle est purifiee et sanctiiiee pour efcre 
enfin lagloire de son Epoux, sans tare et sans tache, sainte et 
immaculee. Quel grand mystere ! L'union la plus etroite entre 
humains, le mariage, n'en fournit qu'une lointaine analogie 
et trouve, dans 1'union du Christ avec son Eglise, un inac- 
cessible modele. 

4. La Religion de J6sus 
. la fin de la Generation Apostolique. 

Tandis qu'en accord avec les premiers apotres, Barnabe, 
Jacques et les freres du Seigneur , mais dans les termes 
de son genie originel et de son inspiration personnelle, Paul 
ddgageait ainsi les caracfceres de la religion nouvelle : sa 
transcendance et sa philanthropic, sa profondeur et son 
charme, d'autres hommes, egalement muspar 1'Esprit, recneil- 

1. I Cor., xn, 4-31. 

2. Ephes., v, 21-23. 

JESUS CHRIST. II. 39 



610 JESUS CHRIST. 

laient des temoins survivants 1'Evangile terrestre de Je'sus 
Us 1'ordonnaient en recits suivis dont 1'usage, non seulement 
spirituel, mais liturgique, remonfce aux temps les plus an- 
ciens. La lecture des Ecrituresfaisait en effet partie, en toute 
premiere ligne, du service des synagogues, dont s'inspirerenfc 
inevitablement, tout en 1'adaptant aux besoins du culte de 
Jesus, les communautes chretiennes. A cdte des passages les 
plus caracteristiques de la Loi et des Prophetes, ceux en 
particulier oii Ton pouvait voir une annonce ou une figure 
des gestes du Maitre, une place etait pr<He pour le rappel de 
ceux-ci, et des paroles de salut qui les accompagnaient. 
Quoi qu'il en soit des details de redaction et d'e'dition, dans 
lesquels il ne convient pas de rentrer ici *, nos evangiles 
synoptiques remplirent cette place, longtemps avant la fin du 
i er siecle. La foi chretienne trouva en eux sa justification et 
ensemble son aliment. 

II est extre 1 moment remarquable que 1'image de 1'activite 
de Jesus y soit restee si pure, si modeste, si peu marquee par 
le choc en retour des institutions sacramentelles et des 
croyances de"veloppees, indubitablement communes dans les 
Eglises quand cette image fut tracee. Ge fait s'explique en 
partie par la tradition orale, redigee et rythmee, qui rendait 
presque inalterable en langue arameenne, et tres rebelle a 
1'interpolation et a la refonte substantielle, me"me en langue. 
hellenique, 1'Evangile primitif. En depit de ce trait, qu'on a 
justement qualifie de paleontologique, Toauvre synoptique 
nous permet d'apprecier, avec les paroles et les actes de 
Jesus, 1'idee que se faisaient de" sa personne les fideles des 
premieres communautes, palestiniennes ou dispersees. II est 
manifeste a qui lit sans prevention le texte de Marc, ou celui 
de Matthieu et de Luc, que Je"sus est presente la, non comme 
un maitre respecte, ou un prophete, mais comme le Messie et 
le Fils de Dieu, au sens propre et religieux du mot. D'autre 
part, on doitreconnaitre que les hautes theologies de I'ap6tre 
Paul celles aussi des autres docteurs qui lui servaient d'e- 
mules et de satellites : Barnabe, Apollos, Timothee, Silas, Epa- 
phras, le maitre des Golossiens, etc. avaient besoin, pour ne 

1. Voir ci-dessus, livre I, ch. H, 2 (tome I, p. 35-125). 



L'ETABLISSBMBNT DE LA RELIGION DE JESUS. 611 

pas prater a un developpement unilateral qui eut volatilise le 
c6te huraain, laborieux, palestinien de la earriere du Christ, 
d'un contre-poids d'histoire et de catechese littdrale. A cette 
tache, apres les instructions evangeliques des Douze, qu'il 
resume, I'mstrument s.ynoptique servit a souhait. II rendait a 
la chair du Christ, a ses demarches humaines, au detail de ses 
enseignements, un temoignage irrecusable, sur lequel les 
doctrines subtiles, faussement spiritualistes, qu'on appelle 
docetiques, viendraient briser leurs dents. Par ailleurs, les 
transitions etaient ainsi maintenues : mises par ecrit en un 
temps ou la foi des simples et la theologie apostolique avaient 
pousse jusqu'a leur terme la logique intime de leurs de*mar- 
ches, les paroles du Seigneur gardent, dans nos premiers 
evangiles, un accent particulier, un caractere implicite et sou- 
vent mysterieux, marque indelebile de leur authenticite. Les 
questions memes qu'elles posent, et dont quelques-unes (celle 
en particulier du retour en gloire et de la fin des temps) re$u- 
rent, a Tepoque apostolique, des solutions conjecturales que 
les evenements ne confirmerent pas, repondent de leur histo- 
ricite substantielle. 

Telles quelles, ces paroles, en m^me temps qu'elles rap- 
pellent les prerogatives souveraines du Christ, suggerent, 
encore qu'avec une discretion bien notable, le r61e essentiel 
de son Eglise. On a vu plus haut comment un petit nombre 
de textes, profondement engages dans la gangue judaiique, et 
d'autant moins suspects, montraient les pouvoirs du Christ : 
droit de Her et de delier, de paitre et de gouverner, d'ensei- 
gner au nom de Dieu, eternises par leur delegation aux dis- 
ciples elus. Une assistance spe*ciale du Maitre et de 1'Esprit 
assurera 1'exercice de cette tache surhumaine, confiee d'une 
maniere eminente a Pierre, puis a tout le college apostolique. 
Ainsi armee, la religion de Jesus semblait pouvoir affronter 
les perils qui Tattendaient. 

Quelque chose cependant restait a dire. Les deux faces de 
1'histoire du Christ : 1'evangile de la chair, raconte en un cer- 
tain detail par les Synoptiques, et 1'evangile de 1'esprit, qui 
replac.ait Jesus dans la perspective de Te'termte, annonce ou 
m^me formule par eux dans plusieurs de ses traits, puis deve- 



612 JESUS CUBIST. 

loppe magnifiquement par saint Paul, etaient toutes deux 
reconnues. Elles constituaient le bien comnmn desfideles. Ges 
images restaient eependant distinctes, plutot juxtaposees que 
fondues. Qu'elles fussent unies dans la personne et la mission 
de Jesus, on n'en doutait pas. Neanmoins un malaise pouvait 
naitre, quand les reflexions suggerees par des objectants suc- 
cedaient aux affirmations de la foi. L/elude des premieres 
deviations doctrinales nous montre qu'en effet 1'attachement 
exclusif a Tun des deux elements presents dans le Sauveur 
tendit a faire prevaloir successivement des vues incompletes, 
ou posibivement erronees. Sous des formes moms elaborees, 
1'antithese autour de laquelle on a menetant de bruit naguere, 
entre le Christ de 1'histoire et un pretendu Gbrist de la foi, se 
faisait jour, des lors, sa et la. Pour user des termes du temps, 
on divisait le Christ. G'est a cette heure que Jean, le dis- 
ciple du Seigneur, reste le dernier de tous et constatant 
que les faits corporels avaient ete relates par les autres evan- 
gelistes, a la requite instante des disciples, et avec 1'inspira- 
tion de 1'Esprit, composa Pevangile spirituel . Disons plutdt 
qu'il le mit definitivement par ecrit. 

Dans ce livre, ce qui est revelateur, dit tres bien J. Le- 
breton, c'est Tunion ou plutdt la compenetration intime de la 
doctrine et de la vie du Christ. Des deux groupes de docu- 
ments qu'on distingue jusque-la, les uns ont surtout decrit la 
vie humaine de Jesus, les autres, les mysteres de sa preexis- 
tence et de sa gloire. Ici tous les traits se fondent dans 1'unite 
d'une me 1 me figure; elle brille d'une clarte plus qu'humaine, 
et pour la meconnaitre il faut la voiler, comme firent les boui*- 
reaux de la Passion; et eependant on sent bien qu'elie est 
reelle et vivante, et que ce n'est pas la speculation theologi- 
que qui Fa formee, mais Timpression laissee par un homme 
comme nous, sur un cceur d'homme 1 . Ge temoignage ainsi 
rendu par le vieux disciple ferma, quand il le fallait, les deux 
voies d'erreurs ou quelques-uns commenQaient de s'engager. 
Jean, certes, n'a pas ete le premier ni le seul a prevenir les 
fideles centre les dangers des speculations gnostiques. Mais 
il adit, avec 1'autorite qui lui appartenait, et de telle sorte 

1. Origines 6 , 1927, p. 475. 



L ETABLISSEMENT DE LA RELIGION DE JESUS. 613 

qu'aueun chretien de bonne foi ne put en ignorer, que Jesus 
etait, pendant les jours de sa chair, pleinement conscient de 
sa dignit^ surhumaine et divine. II a dit que, distinct du Pere, 
ayant tout recu de lui, sujet et dependant en tant qu'homme, 
il ne laissait pas d'etre, moyennant une participation pleniere, 
egal au Pere et un avec lui. Ilest dans le Pere, et le Pere est 
en lui; qui le voit, voit le Pere. L 'elaboration theologique de 
ces donnees restait a faire, mais le progres tres reel qui s'ac- 
complit dans la clarte des notions et la nettete des formules, 
ne fut pas une nouveaute. Pas une seule des definitions cecu- 
meniques concernant 1'adoration du Maitre, sa distinction 
d'avec le Pere, son egalite avec lui, ou 1'efiicace universel de 
sa redemption, qui ne fut justifiee a 1'avance par le quatrieme 
evangile. En affirmant ce qu'il avait vu de ses yeux, oui' de 
ses oreilles, touche de ses mains, Jean rendait croyable aux 
autres que Jesus de Nazareth, homme d'un temps et d'un 
pays, homme de chair et d'os, etait, par identite, le Fils eter- 
nel du Dieu vivant. II identifia a jamais le Christ de Thistoire 
avec le Christ de la foi. 

Sans insister sur une antithese sterile, recueillons dans 
1'evangile spirituel une autre lecon. Elle n'y est pas nettement 
formulee comme chez saint Matthieu, ou exposee au long 
comme dans les epitres apostoliques ; conformement aucarac- 
tere del'ouvrage, elle ressort de tout le recit a la fagon d'un 
rayonnement, d'une photosphere chaude et lumineuse. Dans 
ce livre ou 1'Eglise n'est pas nommee, elle est partout. Et je 
dis bien 1'Eglise universelle, catholique en droit et en puis- 
sance, mais exclusive de toute opinion particuliere en matiere 
de foi, jalouse de son unite, et par cela meme reduite en fait 
au troupeau choisi de ceux qui acceptent integralement sa 
doctrine et ses autorites. Constamment supposee, cette notion 
est clairement suggeree par les episodes qui permettaient de 
lui faire une place plus large 4 . Toute 1'histoire, eternelle ou 
temporelle, de Jesus, est ramenee par Jean a 1'histoire de la 
vocation, del'adhe'sion au Maitre, et de la formation par celui- 



1. Ainsi l'6pisode des Samaritains, Jo., iv, 39-43 ; du Bon Pasteur, x, 
6-17; des Grecs introduits pres de Jesus par Philippe et Andre, xir, 
20 suiv. 



614 JESUS CHRIST. 

ci du groupe privilegie qui est le germe, I'e'Ie'ment determi- 
nant et, pourrait-on dire en style scolastique, la forme de la 
grande Eglise. Gette conception s'exprime magnifiquement 
dans la priere sacerdotale, couronne du discours apres la 
Gene et de 1'evangile entier : F application a 1'avenir est la 
complete, mais, a vrai dire, depuis 1'appel des premiers disci- 
ples, tout allait en ce sens. Sibien qu'on a pu definir 1'inten- 
tion prpfonde de Pevangeliste en disant qu'il a voulu de"crire, 
et a decrit en effet, 1'histoire de la fondation de I'l^glise : la 
formation du groupe elu auquel le Christ s'est revele et a im- 
parti son don de vie * . 

Par la, le haut mystique de I'^vangile spirituel se manifesto 
homme de tradition et d'autorite", homme d'^lglise. Tout ce 
qu'apporte Jesus, et c'est la lumiere, la verite", le pain du 
ciel, 1'eau de laquelle on doit renaitre a la vie nouvelle, 
1'Esprit consolateur, avocat-conseil des justes, exe"gete infail- 
lible duVerbeincarne, tout cela appartient aux seuls fideles, 
au cercle des intimes, derriere lesquels Jesus, a sa derniere 
heure, voit et benit ceux qui, par eux, croiront en lui.... 
ceux qui garderont sa parole . Agneaux et brebis de 1'uni- 
que bercail, sarments nourris par la-seve de la vigne ve"rita- 
ble, disciples tires a lui par le Pere, ils sont les siens ; et 
c'est I'&glise hierarchique, sacramentelle et apostolique, celle 
qu'Augustin, apres d'autres, mais avec une insistance jamais 
lassee, appellera la .Catholica 2 . Gette equivalence ne pouvait 

1. E. F. Scott, The Fourth Gospel, Us purpose and Theology, Edin- 
burgh, 1906, p. 209. Tout le chapitre iv de ce livre (dont les dires ne sont 
pas aadmettre sans'contrdle) "met fort bien en lumiere les buts ecc!6sias- 
tiques, ecclesiasticals aims > du quatrieme evang61iste. Semblablement, 
dans son m6moire tres discutable, mais original, John (Gospel ofSt) dans 
1' Encyclopaedia Britannica ^, XV, p. 455, le Baron F. von Hugel observe 
avec profondeur que c l'6vangile spirituel est le plus explicitement eccle- 
siastique et sacramentel des quatre, the most institutional and sacramental 
of the four >. 

2. Sur cette appellation, Dom 0. Rottmanner, Catholica, dans la Revue 
Be'ne'dictine,XVIl, 1900, p. 1-9; 1'auteur estime que ce nom employe tout 
seul pour : 1'Eglise catholique, se trouve environ 240 fois dans saint Augus- 
tin. Dans le Psaume rime contre la faction des Donatistes, Augustin faisait 
chanter a son peuple : 

Scitis Catholica quid sit, et quid sit praecisum a vite... 
Ego Catholica dicor, et vos de Donati parte. 



L'ETABLISSEMENT DE LA RELIGION DE JESUS. 615 

faire doute pour ceux qui lisaient, a 1'extreme fin du siecle 
apostolique, les paroles divines consignees par Jean. Quelle 
predication d'unite"! Quelle lee. on donnee aux sectaires de tout 
genre, fauteurs d'individualisme ou fondateurs de petites 
chapelles! Mais aussi, quelle fusion miraculeuse des deux 
elements religieux primordiaux : le conservateur et 1'inspira- 
teur, le dogmatique et le personnel, Tappel interieur de 
1'Esprit sans lequel tout est formalisme, et la communion visi- 
ble dans une m^me ve'rite, hors de laquelle un corps se dis- 
sout et pe"rit. 

Je ne prie pas seulement pour ceux-ci, 
mais pour ceux qui croirontpar leur parole en moi : 

Que tous soient un ! 

comme toi, Pere, es en moi, et moi en toi, qu'ils soient aussi en 

[nous, 
et que le monde croie que tu m'as envoye. 

Et moi, la gloire que tu m'as donne'e, je la leur ai donnee, 
pour qu'ils soient un comme nous sommes un, 

moi en eux et toi en moi, 
pour qu'ils soient consommes en unite : 
afin que le monde connaisse que tu m'as envoye, 
et que tu les as aimes comme tu m'as aime. 

Pere, ce que tu m'as donne" 
je veux que la ou je suis, eux aussi soient avec moi, 

pour qu'ils contemplent ma gloire que tu m'as donnee, 
car tu m'as aime avant la fondation du monde. 

Pere juste, ah ! le monde ne t'a pas connu, 
mais moi je t'ai connu et eux ont connu que tu m'as envoye, 
et je leur ai fait connaitre ton nom, et le leur ferai connaitre, 
afm que 1'amour dont tu m'as aime soit en eux, et moi en eux ' . 

Sur la religion de Jesus, au terme de la premiere genera- 
tion chretienne, nous sommes renseignes par quelques ouvra- 
ges datant de cette epoque 2 . Le plus considerable, sinon le 
plus clair, trop bien defendu par son genre litteraire et, a cause 
de cela, laisse souvent aux recherches arides des specialistes 

1. Jo., xvn, 20-26. 

2. L'Apocalypse, si sa redaction derniere nous reporte au regne de 
Domitien, selon toute probability comprend des elements anterieurs 
centres autour du regne de Neron, 55-67. Voir ci-dessus, livre I, note 1, 
t. I, p. 228 suiv. 



616 JESUS CHRIST. 

ou aux supputations des prophetes, est FApocallypse johan- 
nique. La premiere partie du livre consiste, on le sait, dans 
une longue lettre tres soigneusement composee et adressee 
aux sept Eglises principals, repr^sentant sans doute, en son 
universalite, la chretiente" d'Asie Mineure : Ephese, Smyrne, 
Pergame, Thyatire, Sardes, Philadelphie et Laodicee, On n'a 
pas a decider les questions de detail soulevees a ce propos : 
quelques-unes sont des plus ardues. Faut-il voir dans ces cha- 
pitres une sorte d'ency clique ou chaque communaute rece- 
vrait du Maitre les exhortations et reproches dont elle a spe- 
cialement besoin, tout en prpfitant de.s lemons donnees aux 
autres? Ou bien la redaction- actuelle est-elle la reprise unifiee 
de billets adress^s d'abord separdment a chaque Eglise? Peu 
importe pour le but que nous poursuivons. Nous n'avons pas 
nonplus a discuter sur ce que sont au juste les anges des 
Eglises, destinataires de chaque message. Jean les identifie 
avec les sept e"toiles , qui sont elles-m^mes manifestement 
synonymes des sept candelabres , c'est-a-dire des commu- 
nautes elles-m^mes 4 . Ainsi dans . quelque ordre, celeste, ideal, 
ou humain, qu'on doive rechercher ces anges, ils sont les 
representants autorises et, dans une certaine mesure, respon- 
sables, des diverses Eglises. Et cettei approximation nous suf- 
fit presentement. 

Etant done pour la parole de Dieu et le temoignage de 
Jesus dans Pile appelee Patmos , Jean regoit, au coursd'une 
extase, ordre d'ecrire aux sept Eglises d'Asie. Geluiqui intime 
cette commission est le Fils de 1'homme, tel que les grands 
prophetes, et notamment Daniel dans sa celebre vision, Tont 
represent^. A Vccable par cette majeste, le voyant tombe a ses 
pieds comme mort. Maiail mit sur moi sa droite disant : 

Ne crains pas : je suis le Premier et le Dernier et le vivant, 
et j'ai ete mort, et voici j.e suis vivant aux siecles des siecles, 
et je possede les clefs de la mort et de 1'enfer 2 . 

Ensuite le Seigneur dicte pour chacune des Eglises un mes- 
sage approprie, enserre dans un cadre identique : au debut, 
Tadresse : Al'ange de 1'Eglise qui est a... Ephese, Smyrne, 

1. Apoc., r, 206. 

2. Apoc., r, 17-18. 



L ETABLISSBMENT DE LA RELIGION OE JESUS. 617 

etc. , ot qualification de 1'auteur : Ainsi-parle celui qui a 
les sept esprits de Dieu, la clef de David, etc. . Suit le corps 
du message, contenant les particularites. Et enfin la double 
conclusion d'avertissement general : 

Qui a des oreilles entende ce que^'Esprit diiaux Eglises! 

et de promesse : Le vainqueur car il s'agit dans tous 
les cas d'un redressement religieux et moral, compare a une 
lutte et impliquant un effort couteux Le vainqueur, je lui 
donnerai... de lamanne cachee, du fruit de 1'arbre de vie, etc. 
Ges lettres, tres hautes en couleur apocalyptique, redi- 
gees en Langage deliberement allegorique, et profondement 
engagees dans des circonstances de fait, ne laissent pas 
d'etre intelligibles et pleines de substance religieuse,. On 
peut les comparer a ces fruits des iles, defendus et succu- 
lents, comme les ananas. II faudrait un volume pour les com- 
menter 1 . Le seul point qui. nous retienne ici, e'est le r61e du 
Mattre et les titres qu'il prend, litanie qui reflete incontesta- 
blement la foi des chretientes d'Asie, tout en temoignant de la 
lenteur avec laquelle, dans ces Eglises ou la grosse majorite 
devait alors appartenir aux neophytes venus de la Gentilite, 
la coupure se fit d'avec la souche israelite. Non seulement la 
terminologie est biblique, et les noms allegorique& iatelligi- 
bles aux seuls familiers de l'histoire ti\i peuple de Dieu (on 
parle, sans explication, de Balaam, de Jezabel), mars Jerusa- 
lem est la cite sainte, et les Gentils sont opposes aux Juifs r 
comme pai'ens a fideles 2 . 

AINSI PARLE celui qui tient les sept etoiles dans sa main, 

qui marche emmi les sept chandeliers d'or... 

AINSI PARLE le premier et le dernier, 

qui a etc mort, et a reve"cu... 

AINSI PARLE celui qui a 1'epee affile'e a deux tranchants... 

1. Tout le monde est tributlaiue en ce point, depuis qu'il aparu, du livre 
de Sir William Ramsay, The Letters to the Seven Churches of Asia, Lon- 
don, 1909. J'ai utilis6 surtout H. B. Allo, L' Apocalypse, Paris, 1921, et 
R. H. Charles, The Revelation. of St John, let II, Edinburgh, 1920. Depuis, 
la premiere partie du commentaire de Th. Zahn, Die 0/fenbarung des 
Johannes, I, Leipzig et Erlangen, 1924, et les commentaires de A. Loisy,. 
L' Apocalypse de Jean, Paris, 1923, de E. Lohmeyer, Die Offenbarung de 
Johannes, Tubingen, 1926. 

2. Apoc., H, 9; II, 14; il, 20;; Hi, 9. 



618 JESUS CHRIST. 

AINSI PARLE le Fils de Dieu, 

celui qui a les t/eux comme une flamme de feu, 

et les pieds pareils a I'airain en fusion. . . 

AINSI PARLE celui qui possede les sept esprits de Dieu, 

et les sept 6toiles... 

AINSI PARLE le saint, le veritable, 

celui qui a la clefde David : 

qui ouvre, et nul ne ferme, 

qui ferine, et nul rfouvre... 

AINSI PARLE YAmen, le temoin fidele et veritable, 

le principe de la creation de Dieu *... 

La litanie des sept couronnes, promises aux vainqueurs, 
n'est pasmoins instructive 2 : le Christ apparait ici comme juge 
<et re'munerateur, mais aussi comme fin derniere de 1'homme, 
<et sa recompense. 

Au VAINQUEUR je donnerai de manger de Varbre de vie, 
qui est dans le paradis de Dieu. , . 
LE VAINQUEUR ne sera pas atteint par la seconde Mort... 
Au VAINQUEUR ye donnerai de la manne cachee, 
et je lui donnerai une pierre blanche 
et sur cette pierre un nom nouveau, ecrit, 
que nul ne connait hors qui le regoit... 
ET LE VAINQUEUR qui garde jusqu'au bout mes oeuvres, 
Je lui donnerai puissance sur les Gentils 
et il les regira en verge de fer, 
comme vases d'argile Us seront brises, 
comme j'ai rec.u moi-meme de mon Pere, 
et je lui donnerai 1'etoile du matin... 
LE VAINQUEUR sera ainsi revetu d'habits blancs 
ety'e n'e/faceraip&s son nom du livre de la vie 
t je confesserai son nom en face de mon Pere et en face de ses 

[anges. 

3L.E VAINQUEUR, j'en ferai une colonne dans le temple de mon Dieu, 
^et il ne sortira plus dehors, 
>et j'ecrirai sur lui le nom de mon Dieu, 
et le nom de la ville de mon Dieu, 

la Jerusalem nouvelle, descendant du ciel, d'aupres de mon Dieu, 
et mon nom a moi, le nouveau I 

LE VAINQUEUR, je le ferai asseoir avec moi sur mon tr6ne, 
'Comme moi aussi j'ai vaincu et me suis assis avec mon Pere sur 

[son trone. 

1. Apoc., n, 1, 8, 12, 18; in, 1,7, 14. 

2. Apoc., n, 7, 11, 17, 26; in, 5, 12, 21. Dans les deux series, les mots 
en italiques sont emprunt6s a 1'Ancien Testament. 



L'ETABLISSEMENT DE LA RELIGION DE JE'SUS. 619 

Ces beaux rythmes, tout rutilants d'expressions bibliques, 
s'entendent assez, quant a leur sens general. Bon nombre de 
details y font figure de citations, ceux par exemple qui carac- 
terisent le Fils de Dieu dans des termes prophetiques souli- 
gnant sa gloire : II a les yeux comme une flamme de feu , 
etc.; il donne puissance sur les Gentils , et de haut! etc. 
D'autres sont des reminiscences e"vangeliques, claires pour 
tous les Chretiens de ce temps : Jesus est mort et ressuscite ; 
il delegue aux siens, avec mesure, le pouvoir qu'il a recu lui- 
meme, sans mesure, de son Pere; il confessera en face de son 
Pere et des anges du ciel ses te'moins fideles; le Fils de 
1'homme estassis desorinais aladroitede Dieu; Juge supreme, 
il decide en dernier ressort de la destine'e des hommes; il 
exempte de la seconde Mort , eternel exil de Dieu; il efface 
du livre de la Vie , ou le r61e des elus est tenu a jour. Lui 
seul use de la clef de David , sa sentence e"tant sans appel ; il 
fait asseoir les vainqueurs sur son tr6ne , copartageants de sa 
gloire comme ils 1'ont etc" de ses tribulations. Nulle crainte pour 
eux d'etre jamais elimines, car ils sont devenus des colonnes 
dans le temple divin qu'est Fassemblee des saints. Tout 
cela estlimpide : d'autres allusions appellent une glose rapide. 

Les sept e"toiles et les sept chandeliers d'or sont les 
Eglises elles-m6mes. Jesus a pouvoir sur elles, pour les cor- 
riger, les purifier, les re"compenser; il a: marche au milieu 
d'elles par 1'examen severe qu'il fait de leurs dispositions 
religieuses et morales : rien n'echappe a son ceil de Maitre. 
Les sept esprits de Dieu sont les archanges principaux, 
ministres du Seigneur : ils apparaissenticinonseulement soumis 
au Christ, mais a son service. L'epee affilee,adeuxtranchants, 
est la parole divine considered comme une arme, alaquelle rien 
ne resiste : la metaphore est reprise quelquesversets plus bas; 
le Seigneur presse 1'Eglise de Pergame de se convertir, autre- 
ment je viens a toi promptement, et je lutterai centre toi 
avec le glaive de ma bouche 1 , e'est-a-dire avec la sentence 

1. Apoc., n, 16. Saint Paul parle du glaive de 1'Esprit qui est la parole 
de Dieu , Ephes., vi, 17. Car elle est vivante, laparole de Dieu, efficace 
et plus ac6r6e qu'une epee a deux tranchants : pen6trant au point de sepa- 
rer Tame et 1'esprit, les jointures et les moelles, d6m61ant les pensees et 
sentiments du coeur >, Hebr., iv, 12. 



620 JBSUS CHRIST. 

qui agrege au Royaume de Diera, ou separe de lui, a jamais. 
Toute une serie de titres augustes se rapporte a 1'infaillibi- 
lite du temoin divin qui parle : il' est le saint et le veritable , 
le temoin fidele et veritable- ; il est, d'un mot intraduisible, 
I 1 Amen en personne, c'estr-a-dire I'affirmation la plus solen- 
nelle du vrai, valant pour la verite me"me, faisant foi a la ma- 
mere d'un sceau. Cette expression qui nous parait insolite 
1'etait alors beaucoup moins. Saint Paul avait ecrit jadis aux 
Gorinthiens ! dans le m^me sens : le Fiis de Dieu, le Christ 
Jesus qui a ete parmi vous pr4che par nous par moi, par 
Silvanus et par Timothee n'a pas ete out et non, mais c'est 
le out qui a ete en lui. Gar autant qu'il. y a de promesses en 
Dieu, c'est en lui qu'elles sont le oui (realisees) : aussi est- 
ce par lui que nous disons Y A men A la gloire de Dieu . G'est- 
a-dire que la predication apostolique n'a pas presente la foi au 
Christ comme une opinion, sujette a discussion, mais comme 
une affirmation irreformable, un oui pur et simple. Et en effet T 
Jesus a realise en lui toutes les promesses de Dieu : apres lui r 
rien ne reste plus a attendre comme revelation ou mediation 
pres de Dieu ; de quoi temoigne 1'usage liturgique, quand il 
ajoute a 'la formule consacree de 1'action de graces a Dieu : 
Par le Christ Notre Seigneur , le mot final : Amen! Sem- 
blablement, dans 1'Apocalypse, Jesus est dit YAmen, c'est-a- 
dire la verite definitive, indiscutable. G'est qu' aussi bienil est 
et ici encore Jean recouvre Paul, d'une fac.on d'autant plus 
frappante que les destinataires sont les Laodiceens, qui furent, 
sur 1'ordre de l'Ap6tre, mis jadis en possession de 1'epitre 
adressee a leurs voisins de Golosses 2 le principe de la 
creation de Dieu , celui que les: Golossiens avaient appris a 
connaitre comme le premier-ne de toute creation ; 

parce que c'est en lui que tout a ete fait, aux cieux et sur la terre,. 
les choses visibles et les invisibles,... 
tout a ete fait par lui et pour lui 3 . 

1. II Cor., i, 19-20. C'est probablement dans ce sens qu'il faut entendre- 
les qualifications que se donne Mahomet: le sceau des prophetes , Qoran, 
sour. 33, 40 : Mahomet serait le dernier des prophetes parce qu'il 
estampille h, la facon d'un sceau la pr6dication de ses pr6decesseurs >^ 
H. Lammens, L' Islam, Beyrouth, 1926, p. 57 

2. Coloss., iv, 15-16. 

3. Coloss., i, 16-17. 



L'ETABLISSEMENT DE LA RELIGION DB JESUS. 621 

En deux mots que Jean aime a repeter : Jesus est V Alpha 
et Y Omega; il est le Premier et le Dernier : il tient les 
deux bouts de la creation totale, et de ce petit monde, aufco- 
nome dans le grand Univers, qu'est une destinee humaine. 

Ses promesses ne vont pas en effet moins loin que ses 
ordres et exhortations. Elles ne portent pas toutes, il s'en 
faut de beaucoup, et cela est manifesto aux yeux dessilles du 
mirage eschatologique, sur les biens de la vie future. D'autres 
biens, ordonnes a ceux-ci mais distincts, et destines a nous 
acheminer vers eux, seront le lot des fideles de Jesus. A eux, 
participation de la manne cachee qui est la parole de 
Dieu, mais encore, certainement ici, 1'eucharistie. A eux, 
. la petite pierre blanche, sur laquelle un nom nouveau est 
ecrit, que, hormis celui qui le rec.oit, nul ne connait . 
Blanche, c'est-a-dire heureuse, signe et cause de bonheur : 
Jean affectionne cette couleur; 1'eelat candide symbolise 
pour lui tout ce qui est de bon augure, beau, pur et celeste 1 . 
La petite pierre est-elle le caillou blanc qui marquait 
les bons jours des Anciens? Est-elle la gemme pre"cieuse 
enchassee dans un anneau, ou la boule blanche de suffrage, 
signe d'acquittement et de succes? Elle porte en tout cas, 
c'est ce qui en fait le prix, un nom grave, selon 1'usage uni- 
versel de la consecration, qu'il s'agisse d'une amulette ou 
d'un temoignage d'appartenance sans arriere-pensee magique. 
Ici, le nom est nouveau et, chose etrange, bien qu'il consacre 
a Jesus, ce n'est pas son nom, mais celui qui va faire du 
disciple un autre Jesus. Gar il designe certainement ce que 
saint Paul appelle Fhomme nouveau , la nouvelle crea- 
ture 2 opposee a 1'homme ancien, a Fhomme de peche 3 . II 
represente done au vif (et celui-la seul le sait bien qui est 
le sujet de cette admirable reforme) la refonte, la transfor- 
mation par 1'esprit chretien du vieil Adam. Aux yeux des pro- 
fanes, rien ne parait, tant du moins que la configuration du 
fidele a son Seigneur n'est pasproche de son achevement. Mais 
deja tout est nouveau pour le chretien. Aucune des valeurs 
anciennes qui reste pour lui la meme... G'est aussi qu'avec 

1. B. Allo, La couleur blanche dans I 'Apocalypse, op, laud., p. 48-50. 

2. II Cor., v, 17. 

3. Rom., vi, 6. 



622 JESUS CHIUST. 

les dons, il a recu le Donateur, celui que Jean appelle plus 
loin Petoile eclatante du matin , c'est-a-dire le Christ Jesus. 

Gar pour Jean, comme pour Pierre, Paul ou les Synop- 
tiques, pour tous ceux qui Tadorent, Jesus n'est pas un Maitre 
au passe, un personnage d'histoire : il vit. Sa presence parmi 
les siens, dans les siens, est un des dogmes principaux du 
christianisme, et 1'un de ceux dont I'efficacite est le plus 
visible. Par le bapte'me, par 1'eucharistie, par la grace sanc- 
tifiante, mais encore par une conversation interieure fondee 
sur la foi, entretenue par la priere, et dont le sentiment 
mystique de presence n'est que 1'etat fort et extraordinaire- 
ment savoureux, Jesus reste au milieu des siens tous les 
jours, jusqu'a la consommation des siecles . II a sans doute 
ses lieutenants, ses delegues, ses images. De divers points 
de vue, les detenteurs du pouvoir spirituel^ successeurs de 
Pierre et des ap6tres, les pauvres, les purs, les enfants, les 
saints, font revivre parmi nous 1'autorite, la condition humi- 
liee, 1'innocence, la religion personnelle du Seigneur. Mais 
s'il est rappele, represente, le Christ n'est jamais remplace 
ou supplee; 1'amour de preference revendique pendant sa vie t 
il persiste a le reclamer et 1'obtient. 

D'autres maitres, d'autres hommes, ont su se faire aimer, 
et leur genie continue ses conqu^tes dans les generations qui 
se succedenl : 

Du moment qu'on 1'ecoute, on lui devient ami. 

Toutefois cet ascendant a ses limites, et cette amitie n'est 
guere qu'admiration retrospective, nuancee d'un peu de ten- 
dresse; elle ne peut balancer des presences moins hautes et 
combien moins pures, mais reelles, mais proches. Malheur a 
ceux qui ne sont plus : la religion du souvenir est un culte 
qui a peu de lideles, encore, intermittents. Jesus, lui, n'est 
pas un absent : son amitie balance victorieusement les plus- 
dures passions, les plus fortes attirances, amour et haine, 
dans des millions de coeurs d'hommes. Ges coeurs ne sont pa& 
les moins chauds, les moins purs : au contraire, les amis du 
Christ forment une elite distinguee par les plus rares vertus. 
Us se donnent et s'oublient; ils se taisent; ils fondent; ils 



L ETABLISSEMENT DE LA RELIGION DE JESUS. 62$ 

perseverent. Leur activite est de'sinte'resse'e et reglee : elle 
n'est pas enfievree par les ambitions egoi'stes, ou livre*e aux 
hasards des circonstances. II ne s'agit pas, pour eux, de se 
faire un nom, d'augmenter d'une unite* le nombre des sectes r 
de construire un temple de main d'homme glorieux pour 
son ouvrier. G'est dans le respect, ou, mieux, dans le culte 
de 1' unite, dans la soumission aux autorites legitimes 
incarnees pourtant en des hommes et parfois bien humaines r 
dans la communion visible maintenue au prix de durs 
sacrifices, que les apdtres travaillent. En eux 1'Esprit et 
FEpouse , c'est-a-dire le Maitre interieur et le magistere 
assiste, ont des eleves dociles, parce qu'en tous deux, c'est 
Pecho authentique de leur unique Maitre qu'ils discernent 
et auquel ils obeissent. 

Le temoignage ainsi rendu par 1'Esprit d'age en age est 
un des signes les moins equivoques de la mission divine de 
Jesus, et il reste, tout diversifie qu'il est par les aspirations, 
d'une humanite toujours en mue et en travail, un et con- 
cordant. Ge n'est pas un ideal malleable, amorphe, dans 
lequel notre race projetterait son re"ve du meilleur, sans autre 
continuite qu'elle-me'me. L 'ideal incarne dans Jesus est actif 
et determinant : loin d'etre cree par les hommes a leur image r 
il les reforme selon un ordre prefixe" et les oriente, d'autant 
plus efficacement qu'ils s'y present mieux, dans la me 1 me voie,. 
par les me'mes etapes, sous les me'mes chefs, a travers des 
luttes semblables, vers le me'me but : le Regne de Dieu- 
Les disciples de Jesus se reconnaissent entre eux, de peuple 
a peuple, et de siecle en siecle : les memes actions de louange 
et d'amour naissent spontanement sur leurs levres ; de m^me 
attraits imperieux les configurent a un type d'autant plus 
reconnaissable qu'il laisse subsister les particularites de race 
et de culture. Des temoins recents ont retrouv^ dans les 
geoles chinoises et core"ennes les reponses des anciens mar- 
tyrs 1 . Autant que nos anc^tres latins ou barbares, les noirs. 

1. Par exemple, on peut comparer les Actes de Colombe Kiang, jeune- 
femme Coreenne, de Hou-Siang, martyrisee a S6oul en 1801, le 22 du cin- 
quieme mois lunaire, avec ceux de sainte Perpetue de Carthage, 7 mars 202 1 
ou 203. Toutes deuxs'occupentdemaintenirle moral de leurs compagnons,. 
dans des prisons oi la chaleur6tait le supplice principal. Perp6tue, 



"624 JESUS CHRIST. 

d'Afrique se montrent oapables de la sainte nouveaute qu'est 
TEvangile de Jesus. Le fait est constant, il reste, en termi- 
nant cet ouvrage, d'en apporter quelques ;preuves concretes. 

blessee, ditasonfrere et an catechumene Rusticus, de tenirbon dans la 
foi et dene passe scandaliser de ses souffrances i : Passio, 20, ed. J. Armitage 
Robinson, Texts and Studies, I, 2, p. 93. Colombe dit a son fils Philippe, que 
les souffrances de la geole commentjaient a flechir : Crie d'une voix forte, 
Jesus est au-dessus de ta tete : il te voit.... L'enfant reprend cceur et 
subit le martyre : Actes, dans H. Leclercq, Les Martyrs, XIV, 1922, 
p. 34-35. Toutes deux vont a la mort comme a une fete : Perpetue s'avance 
je cite les splendides versions latines, petit-etre de Tertullien, dignes de 
iui en tout cas : lucido incessu, ut matrona Christi, ut Dei delicata, vigore 
oculorum deiciens omnium conspectum... Perpetua psallebat: Passio, 18, 
p. 87-88; Colombe monte sur la charrette fatale < avec un airde satisfac- 
tion et de joie. Elle recitait des prieres ci haute voix . On vent imposera 
Perpetue et a ses compagnons des defroques mythologiques ; Perpetue s'y 
refuse hautement : Nous sommes venus ici de plein gre ; qu'on ne nous 
contraigne pas ! Nous donnons notre vie justement pour ne rien faire de 
tel > (d'idolatri'jue). Le tribun acquiesce. Et quand ensuite, exposee a une 
vache tres feroce, la jeune femme est projetee en 1'air, son premier mou- 
vement est un geste de modestie chretienne : tunicam a latere discissam 
ad velamentum... reduxit, pudoris potius memor quam doloris : Passio, 
18 et 20, p. 89-90. Colombe Kiang ne montre pas moins de sainte liberte, 
ni de pudeur : sur le lieu de Texecution, elle declare : Les lois prescri- 
vent d'oter les habits a ceux qui doivent Stre supplicies ; mais il ne doit 
pas en etre ainsi de nous, femmes. Avertissez promptement le mandarin 
superieur que nous demandons a mourir habillees. Le mandarin consent. 
Acles, p. 35. Pour decrire le courage de ces femmes admirables, c'est la 
m6me image qui se presente : Perpetue se voit luttant comme un homme, 
changee en athlete : Passio, 10, p. 77-79 ; Colombe etait comme un 
guerrier intrepide et, bien qu'il y eut des hommes dans la chretiente, 
tous Iui cedent >. Elle est comme le chef de cette Eglise persecutee : 
p. 33. 



NOTE R 2 

PARFAITS ET INITlfiS 

Nous parlons sagesse avec les parfaits : cotpfav 81 XaXoufxev iv TOI; 
I? ; I Cor., n, 6. Depuis Reitzenstein, Die Hellenistischen 
Mysterienreligionen * , Leipzig, 1920, p. 190, il a passe en usage 
cTidentifier ces parfaits, TE'AEIOI , avec des inities aux mysteres 
tereXea^evot . Ainsi M. A. Loisy ecrit, a propos de ce texte, Les Li- 
vres du Nouveau Testament, Paris, 1922, p. 44 : Paul a bien une 
sagesse superieure, qu'il dit seulement aux parfaits, aux inities . 
Voir aussi Ch. Bricka, Le Fondement christologique de la Morale 
Paulinienne, Strasbourg et Paris, 1923, p. 52. C'est Bousset qui a, 
je crois, reuni le plus de textes a 1'appui de cette assimilation : 
Kyrios Christos*, Goettingen, 1921, p. 197, note 1. 

La parente des mots est manifeste, tous deux se referant a la 
notion d'achevement, de perfection, d'accomplissement. Mais cette 
affinite ne suffit pas a etablir 1'emprunt fait par saint Paul d'un 
terme appartenant au vocabulaire technique des mysteres. Les TS- 
XEIOI ne sont pas des JAUHTOU, consacres par la teXe-rn] : ces dernieres 
expressions sont absolument classiques pour designer les inities 
aux mysteres ; la premiere ne se trouve, que nous sachions, en ce 
sens, dans aucun texte pai'en. Appliquee aux dieux memes, elle a 
un sens particulier qui n'a rien a voir avec une initiation quelcon- 
que. E. Eitrem, Teleioi 7%eo/,dans Roscher, LGRM> VIII, col. 259. 

De textes pai'ens oft le mot TE'XEIO? figurerait en ce sens, nous trou- 
vons deux en tout, cites par Reitzenstein et W. Bousset. Le second, 
restitue par H. Diels, recemment, dans lesAbhandlungen der Ber- 
liner Akademie de 1915, publies en 1916, est une maxime du philo- 
sophe epicurien Philodeme de Gadara (vers 50 avant J. C.) ; sur 
lui, W. von Christ - W- Schmidt, Geschichte der Griechischen 
Literatur\ II, 1, p. 284-286. Nous estimons, declare Philodeme, 
que tous les dieux ensemble ne peuvent effrayer celui qui est par- 
i'aitement parfait : ou3 TOV TE[XE(CO<;] TsXio[v ot 0sol TT] avTEc fijxa [tpoSetv] ye 
v[o[AtovTai]. II s'agit ici du parfait Epicurien, dont Lucrece est le 
type, qui brave tous les dieux! H. Diels ajoute : tAsto; est 1'expres- 
sion stylisee, empruntee par les Epicuriens a la langue des mys- 
teres, pour signifierrhomme distingue en opposition avec laplebe. 
C'est reconnaitre que le terme, ici, a un sens qui n'a rien de com- 

025 JESUS CHRIST. II. 40 



626 JESUS CHRIST. 

mun avec les mysteres ; mais de plus 1'autorite de Diels ne suffit pas, 
enl'absence de tout texte, a prouver que ce terme soit empruntea 
la langue des mysteres . Cette langue ases motsregus, sans cesse 
employes : nous attendons qu'on nous signale TsXeio; dans le voca- 
bulaire incontestable d'une religion initiatique ancienne. 

Aussi W- Bousset, apres Reitzenstein, fait-il fond plutot sur 
1'autre texte paiien, d'epoque incertaine mais posterieure au christia- 
nisme. Or ce passagedes Livres hermetiques : Hermetica,lV, 4. ed. 
W. Scott, Oxford, 1924, I, p. 150-151, voit dans les TeXetoi non des 
initi6s, mais des sages, des philosophes qui, par la meditation de 
leur. nature vraie et de leur fin derniere, sont devenus gnostiques r 
et participent auA r OMs (intelligence superieure). Dans le contexte r 
Hermes explique a Tat que tous les hommes, helas! ne sont pas 
tels. Etpourquoi? Parce que, repart Hermes, le Nous est une 
recompense athletique que les hommes doivent gagner . II est 
d'ailleurs offert a tous : Dieu a rempli de Nous un grand cratere 
(coupe, bassin), et a envoye un heraut charge de proclamer au 
*,ceur de tous les hommes : Plonge-toi dans ce cratere, si tu le veux 
'ou : si tu le peux), reconnaissant le but de ta destinee, et recon- 
idissant que tu dots remonter vers celui qui a envoye le cratere! 
Tous ceux done qui ont fait bon accueil a cette proclamation, et se 
sont plonges dans le bain de Nous, ceux-la regoivent la connais- 
sance, et ayant recu le Nous, deviennent des hommes parfaits, 
teXeioi IYSVOVTO avdpwTroi, TOV vouv Seljaasvoi . Ici encore, il s'agit d'une 
perfection, d'un achevement d'ordre intellectuel, que 1'homme ac- 
quiert, non moyennant une initiation, mais parses propres moyens; 
ce qui est justementle contraire. 

Restent les textes chrdtiens, tous naturellement posterieurs a 
saint Paul. Anterieurement a ceux que j'ai cites, il faut faire etat 
des passages ou saint Ignace emploie le terme. lie sont nombreux 
et clairs. 

Aux Ephetiiens, i, 1 : Devenus imitateurs de Dieu,...vous avez 
accompli en perfection (TeXe?w<;) 1'ceuvre de charite si conforme a 
votre excellent naturel ; xiv, 1 : Vous n'ignorez rien de cela, si 
vous avez en perfection (teXefox;) la foi et 1'amour pour Jesus Christ ; 
xv, 2 (tres remarquable!) : apres avoir dit que Jesus avait prechenon 
seulement par ses paroles, mais par ses ceuvres, accomplies en. 
silence : 

Celui qui possede en verit6 la parole de J6sus, 

celui-l^i peut entendre son silence m6me, et il sera parfait ('iva 

il agira par ses discours, 

et se fera connaitre (comme ami de Dieu) par son silence. 



PARFAITS KT INITIES. 627 

Aux Philadelphiens, i, 2 : Je felicite votre eveque : son silence 
a plus de force que de vains discours... j'ai pu appreeier la vertu et 
la peri'ection de ses dispositions... T^V.... aikou Yvtfyxvjv, Ivripoui; IvapsTov 
xal TeXsiov ouaav . 

Aux Smyrniotes, iv, 2 : Je*sus s'estfait homme reellement, dans 
toute la force du.terme : auirou TeXeiou avOpunrou YHVOJASVOU; x, 2 : Jesus 
Christ, qui est la fidelite meme, ne rougira pas de vous : ou&e {i^Ss 
iTtaiff^uvOiqffeTai ^ TeXetairtaTis, 'lr,<jou<;Xpi<n:o<; ; xi, 1, 2, 3 : Je demande 
que me soit donnee la grace parfaite.,. Pour parfaire votre oeuvre 
(de pacification) il sieraitque votre Eglise choisit un digne ambassa- 
deur... vous etes parfaits : proposez-vous done d'accomplir desccu- 
vres parfaites : teXeiqi ovre;, TsXsia xal <ppovs7te . 

A Polycarpe, i, 3 : Porte les infirmites de tous, comme un 
athlete accompli, 6? T&EIOS aOXri-c^? . 

II ressort nettement de ces textes que 1'eveque d'Antioche emploie 
le mot de Te'Xeio; au sens ordinaire et spirituel : pour ce qui est com- 
plet, accompli, parfait dans son genre. Nulle part n'apparait le sens 
initiati^ue. Quand on sait a quel point Ignace depend de la pre- 
miere Epitre aux Corinthiens, oil se trouve le ootpCav XaXoufxev Iv TOI; 
TeXeioi;, Ignace a du connaitre cette epitre presque par cceur : 
W. R. Inge dans The New Testament in the Apostolic Fathers, 
Oxford, 1905, p. 57, on peut dire que 1'interpretation du ts'Xsio; 
paulinien dans ce sens technique d'initiation, est a peu pres eli- 
minee du coup. 

Passons aux textes releve"s par Bousset. Le plus ancien : Justin^ 
Dialogue, VIII, ed. G. Archambault, I, p. 42, est un simple echo de 
1'Apotre et vise tous les hommes de bonne volorite : Si tu veux te 
sauver, la porte est ouverte, il ne tient qu'a toi de connaitre le 
Christ de Dieu, de devenir parfait et d'etre heureux : Trapes-riv ITCIYVOVU 
ffol TOV XptffTOV TOO 06ou xal TeXeiw YevofAevw su3at(jiovetv . L'editeur, loc. 
laud., p. 41, 42, semble admettre que TEXEIO;, de par sa parente avee 
TeXeffT^ptov, appartient a la langue des mysteres . Mais le TeXsioi; 
n'est pas le TSTeXe<i[XEvo? beneficiaire de la TeXe-rrj ! Ici, TeXeio? n'a pas 
plus un sens esoterique que son voisin e58at(ju>veiv n'a un sens 
magique. S'il y a la une allusion au bapteme, elle est tout a fait 
implicite. Le renvoi a saint Paul, I Cor., n, 6, est inoperant, puisque 
les Te'Xetot parmi lesquels Tap6tre parle sagesse , ne sont pas les 
baptis6s en tant que tels, mais les Chretiens plus avances dans 
leur foi, ceux qui ont cesse d'etre des vvfriot, des enfants dans le 
Christ, incapables encore de nourriture substantielle et ne suppor- 
tant quele lait d'un enseignement elementaire : I Cor., in, 1-2. 

Dans Clement d'Alexandrienous trouvons la perfection : ^ 7eXe(w<7t^ 



628 JESUS CHRIST. 

rb re'Xfitov, nettement attribute au baptise, parce que baptise : Pae- 
dagogos, I, 5 et 6, 6d. Staehlin dans CB, I, p. 96-121. Encore faut-il 
se rappeler le but de Clement dans tout ce passage. II polemique 
centre les gnostiques h6terodoxes (car, pour lui, 1'appellation de 
gnostiques n'a rien que d'honorable ; comme Irenee, quand il 
1'attribue aux heretiques, il ajoute toujours un qualificatif, ou parle 
de pseudognose : E. de Faye, Clement d' Alexandria*, Paris, 1906, 
p. 77-78, note). Les adversaires attaques ici sont les gnostiques de 
la grande epoque, notamment les Valentiniens, qui distinguaient 
les hommes en trois classes : 1 les materiels ou terrestres, inca- 
pables comme tels de salut; 2 les psychiques ou animaux, posse- 
dant la foi simple mais non la sagesse parfaite (T^JV yvwaiv 
teXeiav), encore qu'ils fussent baptises et membres de 1'Eglise; 
3 les spirituels ou pneumatiques, seuls detenteurs de cette sagesse. 
Voir saint Irenee, Adv. Haer., I, 11, 14. 

Clement argumente contre cette erreur capitale, qui n'allait a 
rien de moins qu'a couper en deux classes, en castes, les Chretiens. 
II affirme avec force, et repete sous diverses formes que tout 
homme baptise est, par le seul fait de son bapteme, capable de 
perfection, illumine, regenere, fils de Dieu, virtuellement parfait, 
TeXeioc. II Test en ce sens qu'il a regu le don parfait, et n'a plus 
qu'a le garder pour parvenir au salut; qu'a le faire valoir, pour 
arriver a la sagesse accomplie, a la TeXeta yvw<*K. Aussitot done 
que regeneres, nous avons regu la perfection vers laquelle nous 
tendons. Car nous avons ete illumines : 1' illumination consistant 
a connaitre Dieu... Baptises, nous sommes illumines; illumines, 
nous recevons 1'adoption filiale; adoptes, nous sommes rendus 
parfaits; parfaits, nous recevons Timmortalite : pa7rTi^o'(Xvoi <pum!;o'i/.e8a, 
f(i)Tt^d{jt,evot utoirotouiAcOa, uto7cotou[xevot TeXetoupieOa, TiXstoup-evoi djraQavaTi- 
ttptfa-o-Paedagog.,1, 6, 25, 26; CB, I, 104, 105. Plus loin, Clement 
revendique 1'egalite du salut, ^ tddtrji; rfa crwTKjpta? pour tous les 
Chretiens baptises. II va sans dire qu'il ne pretend pas contester 
1'inegalite des dons recus, ou leur amissibilite, ou la necessite de 
les faire valoir pour arriver a la perfection. Ce qu'il inculque, c'est 
la mise en possession du baptise, par le sacrement meme, de la 
grace essentielle qui le rend fils de Dieu, heritier du salut, capable 
de tout bien. Plus loin il se fait objecter : Mais le baptise n'a pas 
encore regu le don parfait (par 1'adoption de la vie eternelle : T/JV 
TeXetav Swpeav)! J'en conviens, moi aussi, repond-il; mais il n'en 
est pas moins dans la lumiere, et les tenebres n'etouffent pas cette 
lumiere : or il n'y a pas d'etat intermediate entre lumiere et tene- 
bres ; dans la resurrection (par le bapteme) de ceux qui ont cru, la 



PARFAITS ET INITIES. 629 

fin est (done virtuellement) comprise ; Paedagog., I, 6, 28; ibid., 
p. 106, 107. Te'Xsio;, en tout cela, a le sens classique d'etre complet, 
parfait dans son espece, pourvu de tous les organes essentiels a sa 
vie propre. 

Les gnostiques heterodoxes firent grand usage du mot et de la 
notion de perfection . Us les reservent a ceux qui, au dela de la 
foi commune, acceptent leur interpretation esoterique du christia- 
nisme. Ces derniers sont designes, en consequence et a 1'exclusion 
de tous autres, comme parfaits ou gnostiques parfaits : 
Ts'Xetoi, Yvw<JTixo\ Ts'Xeioi : voir 1'index a YElenchos [Philosophoumena] 
de saint Hippolyte, ed. P. Wendland, dans CB, Hippolytus, III, s. v. 
TsXeto;, p. 333. Hippolyte nous de"criten particulier 1'horrible melange 
de mythologie et de christianisme fait par certaine secte gnostique, 
qui rapprochait des donnees bibliques sur le premier homme et du 
debut du quatrieme evangile, des fables helleniques, telles que 
celle de Geryon, du dieu Men et les mysteres de Samothrace : 
C'est la, disent-ils, le grand et ineffable mystere des Samothra- 
ciens, que nous, les parfaits, pouvons seuls connaitre : TOUT' 2<m, 
cpvjat, TO (Asya xai dtppyjTOv 2a|/.o6paxwv jxoffT^ptov, 8 [AOVOI; g!je<mv elSevai TO?<; 
TeXetou;, cpyjofv, jjfjitv ; Elenchos, V, 8, 9; CB, III, p. 90. 

Voila enfin 1'expression de -reXetoi dans un contexte qui se rapporte 
incontestablement a des mysteres pai'ens! Mais nous sommes en 
plein ni e siecle, et en plein syncretisme. Surtout les mots employes 
par ces gnostiques delirants ne doivent pas etre traduits : Nous, 
les inities , mais nous, les parfaits . Car ce n'est nullement a 
une initiation qu'ils attribuent la connaissance du mystere, dans 
sa verite secrete et complete. C'est leur sagesse superieure, ^ teXsia 
Yvwci;, qui leur revele ce que les mythologies anciennes, les fables 
des poetes et les mystes pai'ens eux-memes, n'avaient que tres 
imparfaitement connu, et exprime par des symboles indigents. En 
d'autres termes, eux, les seuls TeXeiot, savent ce que tous les autres, 
y compris les inities des mysteres de Samothrace, n'ont que pres- 
senti. Et, loin qu'ils considerent cette connaissance transcendante 
comme un secret, ils pretendent 1'expliquer en clair. 

Nous n'avons pas a suivre la destinee de 1'expression de par- 
fait . On sait qu'elle a passe dans les scctes cathares des xn et 
xiii 6 siecles, pour designer ceux qui, au prix de retranchements 
douloureux, avaient recu le consolamentum, et etaient devenus 
ainsi purs et divins. On peut voir, en dernier lieu, la these d'Ed. 
Broeckx, Le Catharisme, Etude sur les doctrines... de la Secte 
catkare, Louvain et Hoogstraete, 1926. 
Nous croyons pouvoir conclure de cette note : 



630 JESUS CHRIST. 

que le mot Te'Xsto; ne doit pas etre maintenu, jusqu'a preuve du 
contraire, dans la tres courte liste d'expressions empruntees par 
saint Paul au paganisme de son temps ; 

que, jusqu'ici, aucun texte pai'en ne permet d'affirmer que le mot 
ait appartenu a la langue technique des religions dites a mysteres ; 

qu'apparente par une racine commune, et le sens general d'ache- 
vement, d'accomplissement, de perfection qui en de"coule, avec les 
expressions usitees dans ces religions pour designer 1'initiation, il 
s'en distingue par une nuance plus intellectualiste, moins reli- 
gieuse. II semble avoir ete surtout goute des philosophes. Adopte 
comme designation courante, par des sectes gnostiques d'origine 
chretienne, il signifie ordinairement cette sagesse superieure, ce 
discernement qui permet d'interpreter en verite, ce que le vulgaire 
ne confesse qu'en symboles et ne connait qu'en images. A la limite, 
cette sagesse eleve celui qui croit la posseder au-dessus des gens 
du commun, regardes par lui comme etant d'une caste inferieure 
et d'une essence plus grossiere. Si Ton veut appeler ces privi- 
legies des inities, on le peut fort bien, mais a condition d'oter au 
mot la coloration technique qu'il possede dans les cultes initia- 
tiques. 



CHAPITRE II 

T&MOINS DE jfiSUS DANS L'HISTOIRB 

.1. L 'Antiquity. 

Livre aux betes vers Tan 107, a Rome, et probablement 
dans le Colisee inaugure en 80, I'eve'que d'Antioche Ignace 
est aujourd'hui reconnu, parmi les Peres apostoliques, comme 
le plus grand. Sa valeur personnelle comme chretien et 
comme ecrivain, ecrit M. A. von Harnack, le rapproche plus 
que tous les autres des grands ap6tres, Paul et Jean, bien 
qu'il en reste encore loin. En meme temps, il represente si 
bien FEglise catholique naissante que c'est precisement pour 
ce motif que beaucoup de savants protestants, pendant plus 
de deux siecles, se sont refuses a reconnaitre dans ses lettres, 
des documents authentiques du temps de Trajan 1 . Ce qui 
nous rend cette voix venerable, ce n'est pas d'ailleurs son 
antiquite seule, mais le ton personnel, penetre", passionne, qui 
la distingue entre toutes. 

Je suisle froment de Dieu, et par les dents des betes je suis moulu 
pour devenir le pain blane du Christ! 

1. Ad. von Harnack, Die Briefsammlung des Apostels Paulus und die 
anderen vorkonstantinischen christlichen Briefsammlungen, Leipzig, 1926, 
p. 28-29. Dans le meme contexte, 1'auteur compare au jugement du vieux 
Lachmann, ne voyant dans les lettres d'Ignace que niaiseries >, celui 
du grand philologue Ed. Norden : Les lettres d'Ignace sont ce que cette 
epoque nous a laisse de plus magnifique; elles nous ravissent par la 
flamme et l'6clat d'une ame qui aspire a 6tre arrachee a la terre par une 
mort affreuse et celeste. Harnack ajoute : Les voix de ceux qui atta- 
quaient I'authenticit6 de ces lettres se sont presque completement 
^eteintes. Parmi ces voix, se distingua jadis celle de Renan, Les Evan- 
giles, 1877, p. xix suiv. ; p. 488 suiv. II rejetait six des lettres sur sept, 
pour la principale raison qu'une doctrine ecclesiologique a ce point deve- 
loppee ne pouvait remonter au temps de Trajan ' 

631 



632 JESUS CHRIST. 

Je suis moulu , au present; le candidat au martyre se 
voyant deja dans 1'arene : 

Quand serai-je en face des b6tes qui m'attendent!... au besoin 
je les flatterai... Que si elles se font prier, je les provoquerai. 
Pardonnez-moi ; je sais, moi, ce qui m'importe. C'est a present que 
je commence d'etre un vrai disciple. Loin, toute creature, visible 
ou invisible, qui m'empecherait de posseder le Christ! Feu et croix, 
corps a corps avec les betes, plaies, e'cartelement, dislocation des 
os, mutilation des membres, broiement du corps entier viennent 
sur moi les plus cruels tourments du diable, pourvu que seulement 
j'entre en possession de Jesus Christ! 

Rien ne me serviraitde posseder lemonde entier, oules royaumes 
du siecle present. II m'est bon de mourir pour le Christ Jesus, 
plus que de regner sur tout le monde. C'est lui que je cherche, 
celui qui est mort pour moi ; c'est lui que je veux, celui qui est 
ressuscite pour moi. Ma delivrance est la... De grace, freres, 
laissez-moi arriver a la lumiere pure : alors je serai vraiment 
homme. Laissez-moi imiter la passion de mon Dieu. Si quelqu'un 
possede ce Dieu en son coeur, celui-la comprendra mes desirs, 
et se rendra reelle, en la partageant, 1'angoisse qui me presse. 

Si, quand je serai parmi vous, il m'arrivait de vous supplier, 
ne m'ecoutez pas : faites selon ce que je vous ecris aujourd'hui : 
c'est en pleine vie que je vous ecris, epris de mourir. 

Mes passions terrestres ont ete crucifiees, 
le feu des desirs materiels n'est plus en moi, 
mais une eau vive murmure en moi, 
me disant dans 1'intime : Viens vers le Pere! 
Je n'ai plus de gout aux nourritures terrestres, 
ou aux voluptes de cette vie-ci. 

Pain de Dieu je veux, qui est chair de Jesus Christ, fils de David, 
etbreuvage je veux, son sang, qui est amour incorruptible 1 . 

1. Aux domains, v-vn. cL'eauvive est celle dont parle Jesus a 
la Samaritaine; celle dont il dit qu'elle coulera comme un fleuve du 
sein de ceux qui croiront en lui : Jo., iv, 10; vn, 38, et voir A. d'Ales, La 
source d'eau vive, dans RAM, V, 1924, p. 105-126. Le froment de Dieu > 
se trouve dans la lettre aux Remains, iv . 

Sur le sens de : 6 Ipo? k'pcos IcrcaipcoTai : mes passions terrestres, ou 
charnelles (litt. : mon amour), ont et6 crucifiees , il n'y a guere de doute, 
depar le parallelisme evident dumqrceau, qu'il faille prendre fpw; comme 
synonyme de nup eptXo'uXov et traduire en consequence. L'argument qu'on 
tire dans le meme sens, de la signification generate d'k'pu;, n'est pas sans 
valeur, mais ne parait pas decisif. II est sur que e'pws est incontestable- 
ment 1'amour profane, mais nombre de Peres grecs, & commencer par 
Origene, 1'ont interpret6 ici dans le sens d'amour sacr6 : Mon amour 



TEMOINS DE JESUS DANS I/HISTOIRE. 633- 

Ces effusions, et le reste y repond, ne sont pas d'un homme- 
s'exaltant, de tete, sur d'imaginaires souffrances. C'est un 
condamne qui parle, en route pour son supplice, lie le jour et. 
la nuit, remis a la discretion de dix soldats, dix leopards, 
plut6t, d'autant plus mechants qu'on leur fait plus de bien 1 .. 
Ignace, ainsi tourmente, se voit deja livre aux b^tes, et fait 
de ses miseres une ecole ou il se forme. Qu'on n'aille pas; 
s'imaginer d'ailleurs qu'absorbe par la pensee du martyre, le 
saint oublie ce qu'il doit a ses freres. Ses lettres sont pleines- 
de conseils et de doctrine; et d'abord de Jesus : il vient de- 
denoncer aux Ephesiens les miserables semeurs d'heresie, 
chiens enrages qui mordent en traltrise . Ou sera le re- 
mede? II n'y en a pas deux : 

Un seul medecin, chair et esprit, 

engendre et non engendre, 

Dieu fait chair, 

Vie veritable au sein de la mort, 

ne de Marie et ne de Dieu, 

d'abord passible et ensuite impassible : 

Jesus Christ Notre Seigneur 2 . 

Jesus? II est 1'inseparable principe de notre vie la- 
vie veritable hors de laquelle il ne faut rien aimer . II est 
la connaissance de Dieu notre Dieu notre 
unique maitre notre unite d'esprit notre commune 
esperance . Ses paroles sont nos regies et notre lumiere;- 
son silence me'me nous enseigne 3 . 

c'est-a-dire J6sus a6t6 crucifi6. > L'excellent hel!6niste qu'est Ad. d'Ales- 
ne craint pas, loc. laud., p. 122-125, de se rallier & ce sens, se r6f6rant h, 
Gal., n, 19; mais le texte de la m6me 6pitre, selon lequel < le monde- 
m'est crucifie, et moi au monde >, Gal., vi, 146, fait plus que contrepeser 
cette autorit6. Sur la derivation du sens vers 1'araour sacr6, on peut voic- 
G. Horn dans HAM, VI, 1925, p. 378-380. 

1. Aux Romains, v. 

2. Aux fiphesiens, v. 

3. Aux EpMsiens, xv. Ce dernier mot, si frappant, temoigne de la. 
sagesse de 1'eveque, en 6cartant de lui tout soupgon d'exaltation : dans 
ce passage, Ignace deconseille toute profession de foi inutilement provo- 
cante. II rappelle les vertus solides qui, dans un silence impost par la 
prudence, ne laissent pas de precher FEvangile, tout de meme que Jesus 
1'a preche non seulement quand il parlait, mais encore quand il se. 
taisait : son silence est digne de son Pere, a l'6gal de ses paroles. 



-634 JESUS CHRIST. 

Temoin irre"pro enable, cet ardent ami du Christ fut en. 
me'me temps le plus ancien theologien, apres Paul et Jean, 
de 1'Eglise catholique. G'est dans les lettres de saint Ignace 
<que I'^pithete glorieuse est jointe pour la premiere fois au 
nom d'eglise : 

Ou parait 1'eveque, la soit la communaute : 
de mfone que, ou que soit le Christ, la est 1'rLglise catholique '. 

Ainsi, Feveque incarne son Eglise particuliere, absolument 
comme lagrande Eglise universelle est 1'incarnation continuee 
du Fils de Dieu. Ne croirait-on pas lire un des champions de 
1'unite ecclesiastique en notre temps : un Adam Moehler, un 
Jacques Balmes, un Louis-Edouard Pie? Et ce n'est pas la un 
mot lance en passant, un eclair dans la nuit. Les sept lettres 
-d'Ignace sont remplies, Ton pourrait presque dire jusqu'a sa- 
turation, par Fidee de 1'Eglise une, sainte, apostolique, hie- 
rarchique, qui est pour lui comme le systeme meme du salut 
dans tous les temps, sans en excepter le passe de 1'histoire 
d'Israel 2 . 

Traversons a regret Fere des martyrs : quelle moisson nous 
pourrions y recueillir ! Voici du moins quelques formules du 
pere de la tradition catholique, Irenee de Lyon. Contempo- 
raines de Marc Aurele, ces doctrines ont nourri dans le Christ 
1' admirable esclave Blandine et ses compagnons de supplice, 
en 177. Elles definissent, en termes irreformables, cette 
nouveaute, contenant toutes les autres, que Jesus nous a 
apportee en sa personne 3 . Pourquoi est-il venu? A cause 
<le son immense amour : il s'est fait ce que nous sommes pour 
nous rendre enfin ce qu'il est 4 . Mais le Christ de 1'histoire, 

1. A ux Smyrniotes, vm, 2. Je traduis r\ xaOoXixr} par le mot qui a pre- 
valu, et qui exprime surement la pensee de 1'ecrivain. Le meme mot, 
dans son sens exclusif, en comparaison avec ce qui pretend etre Chretien 
sans etre catholique, se trouve pour la premiere fois, sauf erreur, dans 
le Martyrium Potycarpi, xyi, 2 : voir A. Lelong, Les Peres apostoliques, 
II, Paris, 1910, p. LXXI-LXXIII. 

2. H. de Genouillac, L' Eglise ehretienne au temps de saint Ignace 
tfAntioche, Paris, 1907, p. 106. 

3. < Quid igitur novi Dominus attulit veniens ? Cognoscite quoniam 
omnem novitatem attulit, semetipsum afferens. Adv. Haer., IV, 34, 
1 ; MG, VII, col. 1083. 

4. c Propter immensam suam dilectionem factus est quod sumus nos, 



TEMOINS DE JESUS DANS I/HISTOIRB. 635 

1'humble Jesus des jours de la chair, est-il le Verbe exalte au- 
dessus de tout ? Ou Men le premier n'a-t-il e'te que 1'occasion 
pour les hommes d'incarner leur ideal religieux? Le premier 
est le vrai, n'en doutez pas : G'est bien cette vieille chair tiree 
par Dieu, en Adam, du limon de la terre , qu'a assumee le 
Verbe de Dieu. Les gnostiques ont beau dire ; ils ont beau 
diviser ce que Dieu a uni : G'est bien 1'unique et le m&ne 
qui est Verbe et Fils unique, et Vie et Lumiere, et Christ et 
Fils de Dieu; et c'est le meme qui s'est incarne pour nous... 
c'est le Verbe meme de Dieu, incarne, qui a ete pendu au 
bois de la croix 1 . Ne rougissons pas de ces abaissements 
qui sont pure misericorde ; en rapetissant I'lmmense a la me- 
sure d'un esprit d'homme, ils etaient la condition pour que 
nous atteignit le Verbe divin, et, plus encore, pour que nous 
1'atteignissions : G'est pourquoi, auxpetits que nous sommes, 
le pain substantiel du Pere s'est donne lui-meme comme un 
lait... c'est pourquoi le Fils de Dieu a fait le petit enfant avec 
rhomme, lui le parfait, non a cause de lui, mais se rendant 
ainsi capable de la petitesse humaine, pour que rhomme devint 
aussi capable de lui 2 . 

Puisqu'il faut choisir parmi les Peres, interrogeons, au 
debut du Y siecle, le grand coaur d'Augustin de Thagaste. Le 
fils de Monique nous a dit lui-meme pourquoi, durant les neuf 
annees d'egarement au cours desquelles, ses etudes achevees, 
il resta empetre dans les rets des Manicheens, son esprit ne 
put trouver le repos en aucune philosophic profane. Le 
nom de mon Sauveur, votre Fils, (6 mon Dieu), c'est par 
le lait de ma mere que mon coeur tendre en avait ete im- 
pregne jusqu'au fond. La ou manquait ce nom, nonobstant 
toute litterature, toute beaute, toute vraisemblance, je n'etais 
pas pleinement conquis 3 . 

Aussi quand apres des annees de lutte et cette conversion 

uti nos perficeret esse quod est ipse ; Adv. ffaer., V, Praefatio, MG, 
VII, col. 1120. 

1. Seep!- 8e IdTtv v) ap/^ai'a ex. TOU y u ou xata TOV 'ASajji r] yeyovuia TtXaai? 67:6 TOVJ 
6eou, xrX.; Adv. Haer., I, 9, 3; MG, VII, col. 544; coll. V, 18, 1, col. 
1172. 

2. Adv. Haer., IV, 38, 1 et 2, MG, VII, col. 1106, 1107. 

3. Conftssiones, III, 4, 8. 



636 JESUS CHRIST. 

memorable, Augustin s'est lentement degage des brumes de 
1'intelligence, et arrache, tout meurtri et saignant, aux liens 
de chair, Jesus devient le point d'orientation de son ame 1 
et son etoile du matin. Homme, il est 1'unique voie pour aller 
au Pere; Dieu, il est le terme et la patrie des esprits. II est 
le Verbe divin : c'est 1'aspect qui retient surtout la pensee 
theologique du docteur; mais le Christ humilie dans Tlncar- 
nation, le Christ exemplaire et professeur d'humilite, est 
1'objet de s a predilection marquee 2 . Auxpieds du Maitre humble 
et doux, la superbe humaine, autrement invincible, se de- 
gonfle etmeurt; 1'homme veritable, dont la premiere demarche 
est de se mettre a sa place, peut naitre. Platoniciens, neo- 
platoniciens, sectateurs de Mani, mauvais maitres! A tous 
manqua 1'exemple de l'humilite divine ; aussi ces conduc- 
teurs d'aveugles sont-ils restes aveugles. Voulez-vous la force 
d'accomplir ce qui se presente a vous comme bon et meil- 
leur? Cherchez-vous la grace d'egaler votre conduite a votre 
ideal? Vous chercherez en vain, loin du Christ humilie : 
croyez-en mon experience : J'etais en que'fce de la force 
necessaire, et je ne trouvais pas..., car je ne tenais pas 
encore entre mes bras mon Seigneur Jesus, humble eleve 
d'un humble Maitre : non enim tenebam dominum meum 
lesum, humilis humilem 3 . 

L'amant impenitent de la beaute qu'est Augustin va-t-il 
6tre sevre de ce qu'il a tant goute jadis? La simplicite des. 
evangiles, les paradoxes du sermon sur la montagne, et, pour 
tout dire, le Christ crucifie, la maigre image d'un Dieu ti- 
raille par des clous 4 , cela est rude, et ne croyons pas. 
qu'Augustin ne 1'ait pas eprouve. Mais non, le Christ est beau : 
Si tu consideres la misericorde qui 1'a amene la, il est 
beau, m^me la. Beaute toute morale? Elle est encore 
intellectuelle : il faut comprendre, essayer de comprendre la 
demarche du Verbe incarne, etonlatrouvera belle, tres belle : 

1. Et. Portalie, Augustin, dans DTC, I, 2, col. 2361. 

2. OttoScheel, Die Anschauung Augustins tiber Chris ti Person vnd Werk, 
Tubingen, 1901, p. 347 suiv. On trouvera les textes, auxquels on fait 
allusion ici. 

3. Confe&siones, VII, 18, 24. 

4. Ernest Renan,jPanc<?, dans Fragments intimes et romanesques, p. 96. 



TEMOINS DE JESUS DANS I/HISTOIRB. 637 

intellegentibus autem et Verbum caro factum est, magna 
pulchritude est . Est-ce assez? L'homme profane n'ira 
pas plus loin : mais le fidele a des yeux nouveaux, et plus 
percants : Pour nous, croyants, 1'Epoux est beau, ou qu'il 
apparaisse. II est beau comme Dieu, Verbe aupres de Dieu; 
beau dans le sein de la Vierge ou, sans perdre sa divinite, 
il assume une nature humaine. II est beau, le Verbe petit 
enfant, meme quand il est sans parole, quand il suce le lait 
maternel, quand on le porte dans les bras... II est beau au 
ciel, et sur terre, beau dans le sein et dans les mains de ses 
parents; beau quand il opere des prodiges et quand il s'offre 
aux fouets; beau quand il invite a la vie, et quand il meprise 
la mort; beau quand il depose son ame et quand il la reprend : 
beau sur le bois de la croix, beau dans le sepulcre, beau dans 
le ciel. Gomprenez le cantique 1 en esprit, et que rinfirmite 
de la chair ne detourne pas vos yeux de la splendour de sa 
beaute 2 . 

En Dieu m6me, c'est la sagesse substantielle du Pere, la se- 
conde personne de la Trinite" sainte, c'est le Fils qui, au 
moment supreme de sa contemplation,, ravit Tame d'Augustin : 
En ce Principe, 6 Dieu, tu fis le ciel et la terre; en ton 
Verbe, en ton Fils, en ta Vertu, en ta Sagesse, en ta Verite : 
merveilleusement dit, merveilleusement fait... Qu'est cela 
qui pour moi luit par intervalles et me porte sans blessure un 
coup au cceurPJe ressensun effroi qui m'interdit et ensemble 
une ardeur qui m'enflamme : effroi pour autant que je ne lui 
ressemble pas; ardeur pour autant que je lui ressemble. G'est 
la Sagesse, la Sagesse me'me qui pour moi luit par inter- 
valles, fendant ma nuee, laquelle de nouveau me couvre, 
tandis que je defaille sous ces tenebres et sous I'amas de 
mes peches 3 . 

1. Le cantique est le Psaume XLV (XLIV) que commente Augustin. 

2. Enarrationcs in Psalmos, In Psalm, xciv, 3; ML, XXXVI, col. 495, 
496. 

3. Confessiones, XI, 9, 11 : Et inhorresco et inardesco : inhorresco 
in quantum dissimilis ei sum ; inardesco, in quantum similis ei sum. 
Sapientia, Sapientia ipsa est, quae interlucet mihi. > 

Ce passage admirable, dont je dois la traduction a L. de Mondadon, 
est commente par Dom C. Butler, Western Mysticism 2 , London, 1927, 
p. 63 suiv., qui observe justement qu'Augustin use du vocabulaire plato- 



638 JESUS CHRIST. 

Peut-etre est-ce an livre de La Sainte Virginit6 qu'il faut 
chercher les plus touchantes effusions du fils de Monique. II 
anticipe la ce que les plus suaves amis du Christ diront de 
meilleur. Pourquoi ne pas citer les mots d'une emouvante et 
melancolique beaute par lesquels Augustin souhaite a de plus 
heureux que lui la seule nuance d'intimite avec son Maitre 
que son passe lui interdise? 

Get Agneau, dit-il en commentant un texte celebre de 1'Apoca- 
lypse, cet Agneau marche dans un chemin virginal. Comment 
pourraient le suivre la ceux qui ont perdu un don qui ne se peut 
retrouver? Vous, suivez-le, a la bonne heure, vierges du Christ... 
Suivez-le, en gardant avec perseverance ce que vous avez voue dans 
1'ardeur de vos ames... Toute la multitude des fideles qui ne peut 
en cela suivre I 1 Agneau vous verra : elle vous verra et ne vous en- 
viera pas; et, en se rejouissant avec vous, elle trouvera en vous ce 
qu'elle ne possede pas en elle-meme l . 

La derniere parole, toute paulinienne, montre a quel point 
le grand Africain sentait la douceur de la communion des 
saints. Le contraire eut-il ete possible ? G'est a 1'Eglise 
qu'Augustin se reconnaissait redevable de 1'Evangile, c'est- 
a-dire de Jesus : J'ai cru a 1'Evangile sur la predication 
des catholiques 2 . Ge n'est pas la un hommage ephemere : 
toute la vie de 1'adversaire implacable des donatistes, de 1'au- 
teur du De unitate ecclesiae, du De moj^ibus ecclesiae caiho- 
licae, est un hymne a la Catholica*. Les theologiens protes- 
tants sont les premiers a donner au lils de Monique le titre, 
entendu ici au sens litteral et plein du mot, de docteur de 
1'Eglise 4 . Toutes les convictions catholiques se formulent 

nicien aussi naturellement et de franc coeur que saint Thomas de celui 
d'Aristote > ; p. 86, 87. Le meme passage est une des colonnes du livre de 
R. Otto, Das Heilige, ch. v. 

1. De sancta virginitate, ML^lAl, col. 412. 

2. Ipsi evangelic catholicis praedicantibus credidi ; Contra epistulam 
Fundamenti, V, 6; ML, XLII, col. 176. C'est par cette parole qu'il faut 
commencer pour penetrer le vrai sens du mot celebre : Evangelic non 
crederem nisi me catholicae ecclesiae commoveret auctoritas. > Voir 
L. de Mondadon, Bible et Eglise dans I'Apologetique de saint Augustin, 
dans HSfi, II, 1911, p. 217 suiv. 

3. Voir ci-dessus, p. 614, note 2. 

4. Voir par exempleAd. von Harnack, LehrbuchderDogmengeschichte*, 
III, p. 77 suiv. ; p. 143 suiv. ; et sur 1'ensemble, P. Batiffol, Le Catholi- 
cisme de saint Augustin, Paris, 1920. 



TEMOINS DE JESUS DANS l/HISTOIRE. 639 

chez lui avec une plenitude et une energie incomparables. 
Jeanne d'Arc retrouvait les mots d'Augustin quand, harcele& 
de difficultes captieuses, elle repondait a ses juges : que luy 
est advis que c'est tout ung de Nostre Seigneur et de 1'Eglise r 
et qu'on n'en doit point faire de difficulte 1 . L'Eglise, dit 
encore I'eve'que, c'est le Christ visible, motif permanent de 
croire a la mission divine du Christ presentement invisible : 

Regardez-moi, vous dit 1'Eglise, regardez-moi : vous me voyez, 
voulussiez-vous ne pas me voir. Ceux qui dans ces temps-la, sur la 
terre de Judee. furent dociles a la foi, purent apprendre de la Vierge 
la nativite merveilleuse, et la passion, la resurrection et 1'ascen- 
sion du Christ : presents, ils apprirent comme presentes toutes 
ces choses divines, actes et paroles. Vous ne les voyez plus, et 
pour cela vous refusez de croire. Regardez-moi done, tournez vos 
regards et vos reflexions sur ce que vous voyez, sur ce qui n'est 
pas narration du passe ou annonce de 1'avenir, mais ostension du 
present 2 . 

Qu'ont dit de plus le cardinal Dechamps et les Peres du 
concile du Vatican? II n'est pas jusqu'a 1'adage : Hors de 
1'Eglise pas de salut , auquel Augustin ne fasse echo, en 
soulignant du reste le cote volontaire et coupable de 1'etat 
ainsi reprouve 3 . 

A peine d'une generation plus jeune qu'Augustin, mais dans 
un cadre combien different, aux ultimes confins de ce monde 

1. Pierre Champion, Proces de Condamnation de Jeanne d'Arc, seance 
du 17 mars 1431, matin; Paris, 1920, I, p. 142; II, p. 101. Textes augusti- 
niens : Christi et ecclesiae unam personam ; praedicat ergo Christus 
Christum, praedicat corpus caput suum ; totus Christus caput et 
corpus est ; De Doctrina Christiana, III, 31 ; Sermo CCCLIV, 1 ; De- 
unitate Ecclesiae, 7. Voir L. de Mondadon, RSR, II, p. 569 suiv. 

2. Me attendite, vobis dicit ecclesia, me attendite quam videtis, etiam- 
si videre nolitis, etc. > De fide rerum quae non videntur, IV, 7 ; ML, XL, 
col. 176. 

3. Saint Augustin distingue des autres .les heretiques de bonne foi : 
Ceux qui defendent leur opinion, encore qu'elle soit erronee et perverse, 
mais qui la defendent sans s'y obstiner, surtout quand cette opinion n'est 
pas le fruit d'une temeraire presomption personnelle, mais 1'heritage 
recu de parents seduits et tombes dans 1'erreur, et qui cherchent d'ailleurs 
la verite avec scrupule, prets a se corriger des qu'ils 1'auront trouvee, ne 
sont nullement a tenir pour heretiques > (an sens formel du mot); 
Epistul. 43, 1. Voir d' autres textes dans P. Batiffol, Le Catholicisme de 
saint Augustin, Paris, 1920, p. 241. 



640 JESUS CHRIST 

remain dont Tecroulement sous les coups des barbares avait 
inspire au grand docteur son livre De la Cite de Dieu, 
I'ap6tre d'Irlande, saint Patrice, resumait a 1'usage de ses 
rudes convertis, en langue celtique et sous une forme amie 
de la memoire, toute sa predication de Jesus. Un grand 
nombre d'imitations temoignent de 1'efficacite de cette cui- 
rasse spirituelle, pour adapter aux besoins d'un peuple 
encore peu capable d'abstraction, la doctrine de la primaute 
universelle du Christ et la vie dans le Christ Jdsusi 

Le Christ avec moi, le Christ devant moi, le Christ derriere moi, 
le Christ au dedans de moi, le Christ au-dessous de moi, le Christ 

[au-dessus de moi. 

Le Christ a ma droite, le Christ a ma gauche ; 
le Christ dans la forteresse, 
le Christ sur le siege du char, 
le Christ sur la poupe du navire ; 
le Christ dans le coaur de tout homme qui pense a moi, 
le Christ dans la bouche de tout homme qui parle de moi, 
le Christ dans tout ceil qui me voit, 
le Christ dans toute oreille qui m'entend ' ! 

Quelques annees apres la mort du grand Breton, naissait a 
Nurcia 2 , vers 480, 1'homme sage, pacifique, Romain au sens 
le plus grand du mot, qui, par lui-me'me et son innombrable 
posterite spirituelle, a fait autant qu'homme au monde pour 
que le monde restat ou devint chretien. De cet ap6tre 

1. Cette priere est appel^e lorica, la cuirasse, parce qu'elle preserve 
des traits du diable. Voir Healy, The Life and Writings of St Patrick, 
Dublin, 1905; G. Dottin, Les Livres de saint Patrice, Paris, 1909, p. 56, 
donne pour le < cri du daim, Fedh Fiadha , dont ce rythme est un frag- 
ment, un texte legerement different. Sur 1'ensemble, L. Gougaud, Etude 
sur les loricae celtiques, dans le Bulletin d'ancienne Litte'rature et dArche'o- 
logie chretiennes, 1911, p. 271, 272; 1912, p. 106-110; et Acta Sanctorum... 
Novembris IV, 1925, p. 155-157. 

2. VoirDom S. du Fresnel, Saint Benoit; I'ceuvre et I'dme du Patriarche, 
'Paris-Maredsous, 1926. On trouvera au debut de cet excellent resume, 
p. xvm-xix, la bibliographie essentielle. Je depends surtout, pour ces quel- 
ques lignes, de Dom G. Morin, Uideal monastique et la vie chre'tienne, 
des premiers jours 3 ; Dom Cuthbert Butler, Benedictine Monachism, 
London, 1919, trad. fr. Ch. Grolleau, Paris, 1924; Dom Columba Mar- 
'mion, Le Christ, ideal du moine, Maredsous, 1922 ; et du Commentaire sur 
la r egle de saint Benoit*, par Dom Paul Delatte, Paris, 1913. 



TEMOINS DE JESUS DAWS I/HISTOIRB. 641 

insigne, nous avons un portrait passant toute hagiographie : 
la Regie qu'il a lui-me'me composee, d'apres les monuments 
anciens, mais en y mettant sa marque sobre, discrete et 
geniale. Le programme de vie be'nedictine est simple : wpriere 
quotidienne, pain quotidien, travail quotidien, chaque jour 
ressemblant au precedent, sauf qu'il rapproche d'une etape 
du grand, du dernier jour . Ges paroles de Newman 1 resu- 
ment assez bien ce que saint Benoit appelle le saint service ; 
une ecole du (Service du Seigneur ; une institution dans la- 
quelle rien de trop dur ni de trop lourd n'est impose . Gette 
moderation exemplaire, autant que le sens de la ve>ite evan- 
gelique, et la naturelle et ferme souplesse d'un cadre fami- 
lial, sous Tautorite presque discretionnaire mais spirituelle et 
pateraelle de 1'abbe, explique I'-immense succes de la Regie 
benedictine. Elle n'est au fond que la vie chretienne men^e 
en commun, avec juste ce qu'impose de sacrifices et tout ce 
que propose d'ideal cette vie, a un homme qui a quitte le 
siecle, et suivi Jesus. 

Suivi Jesus, car le conseil evangelique est a .la base, avee 
ses deux faces, sdparante et unissante : 

A saeculi artibus se facere alienum. 
Nihil amori Christi praeponere 2 . 

Gette derniere injonction est si importante que le l^gisla- 
teur y revient en finissant : Favant-dernier et admirable 
chapitre de la Regie, sur le bon zele que doivent posseder 
les moines entendez ici par zele ce qui dans une vie 

1. Mission of St Benedict 3 , dans Historical Sketches, II. II va sans dire 
que le portrait trac6 par Newman appelle, comme sa connaissance de 
1'histoire benedictine, des reserves. 

2. Regula, IV, 20, 21. La Regie a 6t6 excellemment traduite par Dom A. 
Wilmart, Paris, 1926. Les maximes citees ici, empruntees au chapitre 
capital des directions generates (Quae sint imtrumenta honnrum operum) 
peuvent etre traduites : c Se rendre etranger aux oeuvres du siecle ; ne rien 
faire passer avant I'amour du Christ. La seconde est un echo de saint 
Cyprien, De Oratione dominica, 15; elle formule si blen la religion de 
Jesus que les Chretiens parfaits la retrouventd'instinct; ainsi Jeanne d'Arc : 
Interrogata utrumne credit quod ipsa sit subjecta Ecclesiae quae est in 
terris, etc... respondit quod sic, Domino nostro primitus servito, gallice 
Notre-Seigneur premier servi ; Proces de condamnalion, 31 mars 1431, 
ed. Pierre Champion, Paris, 1920, I, p. 261 ; II, p. 199. 

jSUS CHRIST. H. 41 



642 JESUS CHIUST. 

htimaine est le moteur intime, 1'ardeur secrete, la passion, 
1'amour enfin reprend ces mots comme un viatique et un 
refrain : Crainte de Dieu, soumission cordiale a 1'Abbe 
(car il est ici-bas le pere, image et lieutenant du Pere ce- 
leste), et enfin ne rien faire passer avant 1'amour du Christ; 
rien absolument : Christo omnino nihil praeponant . La est 
le foyer cache", la 1'aiguillon d'une vie ou saint Benoit pro- 
pose comme ideal de chercher Dieu, mais serieusement : 
si revera Deum quaerit , et, pour cela, d'y tendre sans exal- 
tation, avec mesure et sobriete, dans la paix. Non un laisser- 
aller qui n'en est que la contrefacon, mais la liberte inte"rieure T 
la subordination acceptee des freres, qui met a sa place 
chaque action, et chaque desir a son rang. Le mot quasi sacra- 
mentel de la vie benedictine est PAX, autant dire Jesus, car 
aussi bien c'est lui qui est notre paix : ipse enim est pax 
nostra . 

2. Le Moyen Age. 

Gette paix chretienne, avec un esprit de suave liberte spi- 
rituelle, respire dans la devotion benedictine et ses filiales T 
monde extraordinairement varie, de saint Gregoire le Grand 
au severe Pierre Damien, efc de 1'admirable archevdque 
Anselme de Cantorbery aux grandes moniales saxonnes- 
d'Helfta, Mechtilde et Gertrude. Alors s'ouvre une ere ou 
nous rencontrons les amis de Jesus les plus tendres, peut- 
etre, dont 1'histoire fasse mention. Les plus nombreux aussi ; 
et qu'on a de peine a choisir dans cette foule de toute race, 
de toute langue efc de toute nation ! Quels temoins plus qua- 
lifies pourtant que Hugues et Richard de Saint-Victor an 
xii' siecle; saint Thomas et saint Bonaventure, au xm e ; puis 
la bienheureuse Leila de Foligno avec sa troupe, sainte Cathe- 
rine de Sienne et sa brigade ? Franciscains, Chartreux, 
Freres et Soeurs de la Penitence de saint Dominique, Cister- 
ciens, Servites, Premontres, Amis de Dieu, reclus, seculiers, 
tertiaires allument a travers la chretiente, du sud au nord, 
depuis la Sicile jusqu'a 1'Angleterre et a la Suede lointaine, 
en illuminant d'un eclat magnifique les deux bords du Rhin 
et Timmense delta de ses affluents, des foyers lumineux et 
brulants. Un peu plus tard, le debut du douloureux xv e siecle 



TEMOIN3 DB JESUS DANS I/HISTOIRE. 643 

sera e'claire, en France, par Jeanne d'Arc et sainte Colette 
de Corbie. Les pieces qui permettront d'ecrire 1'histoire 
authentique de cette prodigieuse floraison spirituelle ne sont 
pas encore toutes publiees 1 . 

Dans cette elite d'amis de Jesus, apres avoir salue 1'auteur 
de la premiere Vie du Christ, le Saxon Ludolphe le Char- 
treux, distinguons seulement, en raison du caractere de leur 
pie'te', Bernard de Clairvaux et Francois d'Assise, qui sont 
aussi bien, en cette matiere, les chefs de chceur incontestes. 
Faut-il appeler leur devotion, d'un mot qui a fait fortune en 
notre temps, christocentrique? Dans leur amour pour Jesus, 
le trait le plus notable est, en tout cas, la part faite a 1'appli- 
cation individuelle de la redemption : II m'a aime! II s'est 
livre pour moi! L'accent est mis, en consequence, sur la 
contemplation des mysteres de la vie terrestre du Seigneur. 
S'y rendre present par le recueillement; se les rendre pre- 
sents par la lecture de TEvangile, les commemorations de la 
sainte liturgie, la meditation des figures et symboles du 
Vieux Testament, la restitution de scenes ou I'imagination 
cherche moins 1'exactitude historique ou la couleur locale 
qu'un cadre pour limiter son inquietude : tout cela -est assu- 
rement aussi ancien que le christianisme. L'Orient chretien 
s'y est applique a 1'envi de notre Occident 2 ; mais alors, et 
en grande partie sous 1'influence de Bernard et de Francois, 
ces pratiques se sont intensifiees, popularisees, organisees en 
methode. 

Apres 1'avoir pratiquee pour son compte, Bernard en parle 
ainsi dans ses fameux Sermons sur le Cantique des cantiques, 
sources tres pures de vie spirituelle et mystique. Familier 
du langage biblique, le saint compare ses meditations sur les 
souff ranees de son Maltre a un bouquet de myrrhe. Ge bou- 
quet, 

Je le composai de toutes les amertumes et de toutes les angoisses 
de mon Seigneur, d'abord de ses souilrances d'enfant, puis des 

1. Un premier depouillement dans le second volume de La Spiritualite 
chretienne de P. Pourrat, Le Moyen Age 4 , Paris, 1925. Les monographies 
sont innombrables. 

2. Premieres indications dans N. von Arseniew, Oslkirche und Mystik, 
Mflnchen, 1925. 



644 JESUS CHRIST. 

labeurs et des fatigues qu'il endura dans ses courses et sespre'di- 
cations, de ses veilles dans la priere, de ses tentations dans le desert, 
de ses larmes de compassion,... des injures, des crachats, des 
soufilets, des sarcasmes, des moqueries, des clous... Et parmi ces 
menues tiges de myrrhe odorante, je n'oubliai pas de placer la 
myrrhe dont il fut abreuve sur la croix, ni celle dont il a ete oint 
pour sa sepulture. Tant que je vivrai, je savourerai le souvenir dont 
leur parfum m'a impregne... C'est en ces mysteres que resident la 
perfection de la justice et la plenitude de la science... C'est pour 
cela que je les ai souventa la"bouche, vous le savez, toujours dans 
le coeur, Uieu le sait et tres frequemment au bout de ma plume, 
mil ne 1'ignore *. 

L'efficacite de cette pratique, Bernard 1'explique en un 
autre sermon, le vingtieme : quiconque aime le Christ, 

Quand il prie, 1'image sacree de rHomme-Dieu est devant lui : il 
le voit naitre, grandir, enseigner, mourir, ressusciter et monter au 
ciel, et toutes ces images allument necessairement dans son coeur 
Tamour de la vertu, et apaisent les desirs mauvais. 

Bernard parle ailleurs de la grande et suave blessure 
d'amour : grande et suave vulnus amoris : on voit si TEsprit 
Saint avait navr^ son coeur de cette blessure pour Jesus de 
Nazareth. 

Faut-il rappeler apres cela que ce grand mystique fut un 
prodigieux homme d'action, et que, synthese de son siecle ^ 
il personnifie tout le systeme politique et religieux d'une 
epoque... dominee par le pouvoir moral de 1'Eglise 2 ? L'his- 
torien liberal auquel j'emprunte ces mots, apres un tableau 
des contrastes qui font de la figure de saint Bernard le plus 
etonnant des hommes du moyen age, ajoute : Qui dit con- 
traste ne dit pas incoherence. Une logique secrete en saint 
Bernard, concilie tout et les contradictions ne sont qu'appa- 
rentes; logique fondee d'abord sur la foi, une foi absolue qui 
n'admet aucun temperament; puis sur 1'idee que Bernard se 
faisait de I'mtere't superieur de 1'Eglise. G'est la le criterium 
supreme, le principe auquel il subordonne tous ses actes, 
auquel il sacrifie sans pitie ses propres inclinations, ses 
affections les plus cheres, les inter^ts particuliers de ses 

1. Sermo 43 in Cantic., 4. Trad. E. Vacandard, Vie de saint Bernard. 

2. Achille Luchaire dans UHistoire de France d'E. Lavisse, II, 2, p. 266. 



TEMOINS DE JESUS DANS I/HISTOIRE. 645 

amis... et jusqu'a la cohesion interieure de sa pense"e et de 
sa conduite... tout s'efface a ses yeux devant le bien general 
del'Eglise*! 

C'est egalement de la vie humaine et terrestre du Christ 
que partit Francois d'Assise. Bien different du grand moine 
de Glairvaux, il ne fut ni savant, nitheologien, ni me'me prtre. 
Sa courte existence ne lui permit pas d'accomplir person- 
nellement les ceuvres immenses d'apostolat qui ont illustre la 
vie d'un Vincent Ferrier ou d'un Francois Xavier. Humble- 
ment soumis aux autorites de 1'Eglise, il n'ambitionna jamais 
le titre de re'formateur; et cependant les ames religieuses, 
unanimement, onfr reconnu et saluent en lui un he"ros incom- 
parable de I'Esprit. Or c'est par la contemplation du Sauveur 
et Peffort perseverant d'une imitation qui put paraltre aux 
superficiels litt^rale a 1'exces, que Francois s'eleva si haut. II 
finit par dtre a ce point pen^tre de 1'esprit, de Tamour, des 
enseignements, soufFrances et predilections de son Maltre, 
qu'il apparut aux hommes de sa generation et n'a pas cesse 
de nous apparaitre (c'est le secret de son incomparaible ascen- 
dant) comme un autre Jesus. Un disciple plus zel& que sage, 
Barthe'lemy de Pise, a souligne" jusqu'a 1'outrance legendarre 
les conformites de la vie de Francois avec celle du Christ 2 . 
Exagerations inutiles : ce n'est pas dans les traits materiels 
que cette conformite eclate; elle est ailleurs et plus pro fonde. 
Doux et humble de coeur, pauvre comme les oiseaux du ciel, 
simple comme un enfant, tressaillant de joie dans 1'humilia- 
tion et la souffrance, vivant commentaire des huit beatitudes, 
le Poverello d'Assise pouvait dire qu'il ne vivait plus : le 
Christ vivait en lui. Les stigmates furent chez lui plutdt effet 
que cause ; ils consommerent dans la chair du saint une confi- 
guration deja accomplie en esprit. 

Quelle vive flamme d'amour jaillit de 1'ame et des ievres 

1. A. Luchaire, ibid., p. 267. 

2. De Conformitate vitae beati Francisci ad vitam Domini lesu, 6crit 
entre 13S3-1390; r66dition dans les Analecta Franciscana de Quaracchi, 
1906-1912. II va sans dire qu'on n'attendit pas jusque-la pour souligner cette 
C5onformit6 : elle est exploit6e dans la seconde Legenda de Th. de Celano, 
redigee avant 1250. Voir I'etude de M. Beaufreton sur les sources de la 
Tie de saint Frangois, dans Saint Francois d'Assise, Paris, 1925, p. 275 SUIT. 



646 JESUS CHRIST. 

de Francois, tous ceux-la le savent qui ont lu quelque vie 
moderne de ce grand ami du Christ. On ne comprendra rien 
a cette vie, dit excellemment G. K. Chesterton, tant qu'on ne 
verra pas que sa religion e'tait, pour ce grand mystique, non 
pas quelque chose d'abstrait et d'ideal oomme une theorie, 
mais une affaire de cceur, et 1'amour d'un e'tre reel 1 . Cons- 
ciemment, continument, il voulut vivre comme son Maitre, 
avcc son Maitre, de son Maitre. Sa Regie, telle qu'il la 
concut, n'est que 1'Evangile en action; elle etait d'abord 
composee presque exclusivement de versets empruntes a saint 
Matthieu. Et quand le nombre croissant des Freres, les ne"ces- 
sites d'apostolat, les miseres humaines eurent impose une 
serie d'additions, de corrections et de precisions, ce sont 
encore les expressions inspirees qui dominent. Jusque dans 
1' effusion sublime qui termine la Regula prima, unceil attentif 
discerne, sous les images et les appels tendrement passionne's, 
la lettre evangelique affleurant partout, comme le roc dans 
une prairie de montagne. Et quelles prieres ! 

Qui es-tu, mon cher Seigneur et Dieu, etqui suis-je?le plus hum- 
ble des vers de terre entre tes serviteurs ? 

Mon Seigneur bien-aime", combien je voudrais t' aimer! Mon Sei- 
gneur et mon Dieu, je te donne mon coeur et mon corps mais 
avec quelle joie je voudrais faire davantage, par amour pour toi, si 
je savais comment! 

Jamais Francois ne separe le Fils du Pere : au point culminant 
de sa carriere, sur le mont Alverne, c'est encore Jesus, et 
Jesus crucifie, qui 1'introduit dans le secret du roi et la 
grande joie divine. Jusqu'au bout cefc illustre serviteur de 
Dieu resta Tadorateur extasie du Maitre de Nazareth 2 . 

Mais ce Maitre, cela est bien notable, Francois ne va pas 
le chercher par sa route a lui, guide par son seul amour, hors 
des sacrements, doctrines et traditions ecclesiastiques. La- 
dessus, le theologien evangelique F. Heiler dit justement que 
Frangois est le modele du saint catholique. Tous les traits 

1. G. K. Chesterton, Saint Francois d'Assise, tr. I. Riviere, Paris, 1925, 
p. 13 suiv. 

2. Les oeuvres authentiques du saint ont et6 discernees et parfaitement 
editees a Quarracchi. Opuscula sancti Patris Francisci, 1904; tr. Ubald 
d'Alen$on, Paris, 1905. 



TEMOINS DE JESUS DANS L ? HISTOIRE. 647 

-de l'ide*al de saintete catholique sont visibles sur sa face. Toute 
la richesse de la piete catholique vit dans son ame large et 
grande; les puissantes antinomies religieuses que la chretiente' 
catholique embrasse sont manifestoes dans sa vie interieurc 
-et exterieure. Qui veut faire connaitre le catholicisme a un 
lalque pieux, simple et sans theologie, doit retracer devant 
lui la figure du Pauvre d'Ombrie. Frangois n'est nullement 
un demi-here'tique ; nullement un reformateur, encore moins le 
heros d'une religiosite moderne ; bien plutdt un exemplaire 
acheve de la piete catholique, dont Teclat rayonnant ne s'est 
point, jusqu'a cette heure, affaibli 1 . G'est qu'il savait que 
nul n'aura Dieu pour Pere s'il n'a 1'Eglise pour mere 2 . A 
mainte reprise il proteste done de sa soumission pleine et par- 
faite a Tautorite; il impose cette soumission a ses disciples; 
il exalte la ne*cessite de 1'intermediaire autorise, consacre, du 
pretre catholique, en des termes ou 1'allusion aux terribles 
<abus du temps met une note vraiment heroiique : 

La regie et la vie des Freres mineurs est celle-ci, a savoir d' ob- 
server le saint Evangile de Notre Seigneur J6sus-Christ. . . Frere 
Frangois promet obeissance et reverence au Seigneur pape Honorius 
et a ses successeurs canoniquement elus et a 1'Eglise romaine 3 . Que 
<nul des Freres ne preche centre la forme ct les regies de la sainte 
Eglise romaine... que tous les Freres soient catholiques et qu'ils vi- 
vent et parlent en catholiques. Si 1'un peche centre la foi... catho- 
lique... et ne s' amende pas, qu'on le chasse absolument de notre 
fraternite 4 . 

Le Seigneur m'a donne a moi, Frere Frangois, la grdce de com- 
mencer ainsi a faire penitence... le Seigneur me donna et me donne 
encore une si grande foi aux pretres qui vivent selon la forme.de la 
sainte Kglise romaine, a cause de leur caractere, que, s'ils me per- 
secutaient, c'est a eux-memes que je veux recourir. Et si j'avais au- 
tant de sagesse que Salomon, et si je trouvais des pauvres pre" tres 
de ce siecle, je ne veux pas prcher contre leur volonte dans les pa- 
roisses oil ils demeurent. Et eux ettous les autres, jeveux les craindre, 
les aimer et les honorer comme mes seigneurs ; et je ne veux pas 

1. Fr. Heiler, Der Katholizismus, seine Idee und seine Erscheinung, 
Miinchen, 1923, p. 133, 134. 

2. Saint Cyprien, De Unitate Ecclesiae, ML, IV, 508. 

3. R&gle des Freres Mineurs, texte de 1223, n. 1 ; tr. Ubald d'Alengon, 
^oc. laud., p. 81. 

4. Wqle des Freres Mineurs, texte de 1210-1221, n. 17 et 19; tr. Ubald 
d'Alencon, p. 63 et 66. 



648 JESUS CHRIST. 

consid6rer en eux le peche'i car je discerne on eux le Fils de.Dieu et 
ils sont mes seigneurs * .- 

Dans les temps qui suivirent, fin du moyen age, Renais- 
sance, reformation catholique, 1' amour des chre*tiens pour leur 
Dieu rec.ut sa norme et ses formules, et 1' experience reli- 
gieuse ses expressions principales, d'ouvrages plus elabore's. 
Le plus lu, le plus influent et de beaucoup le plus touchant 
est le traite : Du Mepris du monde , ou do L'internelle 
consolation , mieux appele Limitation de Jesus Christ. QEu- 
vre probable du moine rhenan Thomas de Kempen, a peu pr6s 
contemporain de Jeanne d'Arc, un peu anterieur a sainte Ca- 
therine de Ge"nes, cet admirable livret sort en tout cas de 
1'Ecole dite de Windersheim, congregation fondee pres de 
Deventer, dans les Pays-Bas neerlandais, et reunissant aux 
Fr&res de la vie commune des chanoines reguliers de saint 
Augustin. 

Le but de cette somme de vie spirituelle, car e'en est une, 
et elle resume dans sa succulente brievete les legons essen- 
tielles de la grande ^poque anterieure, est de montrer dans 
la vie et les legons de Jesus la regie d'ime vie interieure 
parfaite. L'auteur y a reussi. Visant avant tout les moines, 
ses confreres, Thomas atteint par surcrott tout ce qui porte 
un cc3ur d'homme. On peut dire de lui, comme de son Mai- 
tre : a Tous ceux qui sont pour la ve"rite, aux depens de leur 
egoi'sme,, ecoutent sa voix. Dans une latinite affranchie du 
moule classique,. encombree de termes familiers, suivant, sans 
aucun souci de methode, un plan tres lache, ou se succedent 
en gros les trois etapes de la vie spirituelle : purification, re"- 
forme de Tame, transformation et union (le quatrieme livre 
est un supplement eucharistique), son petit traite contient, 
avec les plus solides lemons d'ascetisme et les analyses les 
plus deliees, des effusions brulantes. Est-il rien de beau comme 
1'eloge de 1'amour, au livre IIP? Mais, qu'on y prenne garde, 
c'est Tamour de Jesus qui 1'a inspire, ce noble amour de 
Jesus qui pousse au grand et excite sans relache au desir du 
par fait . 

Rien de plus doux que 1'amour, et rien de plus fort. Rien de plus 
1. Testament de saint Francois, ibid., p. 94, 95. 



TEMOINS DE JESUS DANS I/HISTOIRB. 649 

haut, de plus large, de plus delicieux, de plus plein ni de meilleur 
au ciel ou sur terre... Gelui qui aime vole, court, est en Hesse; il; 
est libre et ne connait pas d'entraves. II donne le tout pour le tout... 
11 ignore souvent la mesure, passe les limites, n'estime rien impos- 
sible. 

Ah !' mon Seigneur bien-aime, chanter le cantique d' amour, vous 
suivre en haul! DeTaillir en vous louant dans la jubilation de ma 
tendresse. Vous. aimer plus que moi, ne m'aimer qu'en vous 1 ... 



3. Les Temps Modernes. 

Plus didactiques, plus refMchis, les livres qui ont oriente 
et forme la piete moderne n'offrent pas d'autre doctrine que 
celle de limitation : doctrine mise en drame 2 et reduite en 
legons precises dans 1'es Exercices spirituels de saint Ignace 
de Loyola (milieu du xvi e siecle); doctrine desserree et ren- 
due plus assimilable, sans detriment; de sa force native, dans 
V Introduction a la Vie devote de saint Francois de Sales (vers 
1610) 3 . Ce sont la les codes d'e la vie chretienne depuis trois 
siecles : tout le reste en sort, s'en sert, s'en inspire, les com- 
mente ou, tout au plus, les complete. Or, ici et la, sous des 
formes differentes commandoes par leur but particulier, ces 
methodes pour aller a Dieu font au Christ Jesus la premiere 
place : s'affectionner a sa personne et se former sur ses exem- 
ples est Talpha et 1'omega de leur enseignement. 

Entre ces deux maitres-livres s'epanouit, fleur du plus beau 

1. limitation de Jesus Christ, 1. Ill, ch. v, n. 4-6. 

2. Ce caractere explique la deception et les erreurs d'interpr6tation de 
ceux qui lisent les Exercices spirituels, et pretendent ensuite en juger. En 
dehors des Rdgles, qu'aucun connaisseur en psychologic ne pent s'empe- 
(*ier d'admirer, ces gens ne connaissentde Treuvre ignatienne que 1'ecorce 
et le dehors ; du drame, que le livret indiquant la suite des scenes et les 
attitudes conseillees. Voir mon article sur les Exercices spirituels de saint 
Ignace dans Vedition des Monumenta (Madrid, 1919)", dans /?/?, X, 1920, 
p. 391 suiv. ; Alex. Brou, Les Exercices spirituels de saint Ignace de Loyola, 
Paris, 1922; P. Pourrat, La Spirituality chretienne, III, Paris, 1925, 
p. 35-75. 

3. L 1 Introduction parut en 1609. Voir H. Bremond, Histoire littdraire du 
Sentiment religieux en France, I et II, Paris, 1921 ; F. Vincent, Saint Fran- 
(Dis de Sales directeur d'ames, Paris, 1923; P. Pourrat, La Spirituality 
chretienne, III, 1925, p. 406-441 



650 JESUS CHRIST. 

printemps spiritual qui ait rejoui la chretiente* occidental^ 
1'ceuvre des mystiques du Garmel espagnol : Terese de Jesus, 
Jean de la Groix. 

La gloire de cette ceuvre va grandissant, et grandira 
encore 1 . D'autres femmes, peut-dtre, ont aime autant que 
Terese de Ahumada; personne n'aparle comme elle de 1'amour 
de son Seigneur : avec un realisme plus sense, une sponta- 
neite plus vive, une purefce" plus ravissante. Dans ses ecrits, 
mieux qu'ailleurs, on prend conscience de la qualite propre et 
incommunicable de 1'amour de Jesus. 

Amour reel pour une personne reelle, sans rien de platoni- 
que ou d'illusoire; mais amour fort, et substantiel, et pere 
d'heroi'sme : non forge dans notre imagination, mais atteste 
par des ceuvres 2 ; amour de qui naissent sans discontinue? 
des O3uvres, des reuvres 3 ... . Et la sainte de prendre, centre 
certaines Maries trop amies de leur quietude, la defense de 
Marthe et d'une juste activite apostolique. 

Amour supreme et definitif, non de transition et de passage. 
II medie et n'interfere pas entre le Greateur et sa creature, 
mais laisse celle-ci sola con El solo*. Et qu'on n'objecte pas 
a Terese que cette voie, qui part des mysteres de la tres 
sainte humanite de Notre Seigneur Jesus Christ , est bonne 
pour les debutants, les imparfaits, les progressants, mais 
qu'une heure arrive ou 1'ame, arrive e a la contemplation di- 
vine, doit laisser deliberement de cote le Christ incarne. Eh 
bien! repond la fondatrice (et c'est a la fin du plus sublime 
de ses ouvrages), malgre tout, on ne me fera pas avouer que 
ce chemin soit bon... Comment nous eloignerions-nous yolon- 
tairement de ce qui fait tout notre tresor et tout notre remede, 

1. Parmi les innombrables monograpliies, il faut distinguer Rod. Hoor- 
naert, Sainte Tdrese dcrivain, Paris, 1922 ; ouvrage dont le contenu depasse 
bien le titre. Voir aussi Louis Bertrand, Sainte The'resc, Paris, 1927. 

2. < Le Seigneur veut des oauvres > ; Le Chateau interieur, V, ch. in; ed. 
Silverio de santa Teresa, Obras de santa Teresa de Jesus, en un volume, 
Burgos, 1922, p. 604; tr. fr. des Carmelites de Paris, tome VI, Paris, 1910, 
p. 156. 

3. < De que nazcan siempre obras, obras > ; Le Chateau, VII, 4; 6d. Sil- 
verio de santa Teresa, p. 704. 

4. < Solas con El solo (il s'agit des Carmelites reformees) ; Vie par 
elle-mtmc, XXXVI, 29 ; ed. Silv. de santa Teresa, p. 305. 



liSMOINS DE JESUS DANS L/HISTOIRB. 651 

la tres sainte humanite* de Jesus Christ?... Lui-nie'me a dit 
quil est le chemin. II a dit aussi qii'j7 est la lumiere; que 
nul nepeut alter au Pere que par lui, et encore que celui qui 
le voit, voit son Pere. On allegue que ces paroles doivent se 
prendre dans un autre sens. Pour moi, je ne connais pas cet 
autre sens, le premier est celui que mon ame a toujours senti 
etre le vrai 1 . 

Par dessus tout, 1'amour de Jesus est pur, et sans aucune 
contamination de la chair ni du sang, tres eloigne de toute 
complaisance pour ce qui dans 1'instrument humain, surmene 
ou rebelle, fre*mit ou defaille de fac.on encore trop humaine. 
Ce n'est pas seulement, qu'on le note bien, le malsain et le 
troublant qui sont ainsi condamnes, sans appel et sans phrase ; 
c'est encore 1'imparfait, le mesquin et 1'e'phe'niere.. Toute la 
mauvaise litte'rature expire ici, moins dangereuse mais encore 
plus sotte que I'^quivoque melange du sensuel et du divin. 
Une ascension couteuse mene, dans la lumiere ou les tnebres, 
mais toujours plus haut, le fidele disciple de Je*sus, des vains 
plaisirs aux saints plaisirs, et de ceux-ci a la grande joie di- 
vine. Et par quelle route! L'itineraire en est releve* dans le 
detail, avec une justesse d'accent et une penetration psycho- 
logique qui ne laissent rien a desirer; 1'action mutuelle du 
corps sur 1'esprit est debrouillee, sans expressions techniques, 
avec une maitrise consommee. Tous les perils sont de"nonces 
sans emphase, depuis les savoureuses duperies 2 , les re- 
tours larves d'une sensualite frustree, jusqu'aux faiblesses in- 
nocentes, mais non inoffensives, jeux pue"rils d'une sensibilite 
indiscrete, excessive, et pensant froler 1'extase alors qu'elle 
s'imbibe du neant 3 ! Rien de tout cela! Par la ge'ne'rosite pra- 

1. Le Chateau interieur, VI, 7; 6d. Silv. de santa Teresa, p. 654, 655; tr. 
des Carmelites de Paris, VI, p. 232. 

2. Fondations, VI, 2; ed. Silv. de santa Teresa, p. 827. Voir la belle 
etude de R. Hoornaert sur la psychologie teresienne : Sainte Te'rdse dcri- 
vain, p. 538-575. 

3. Voir les admirables descriptions des Fondations, VI et VII. Elles 
donnent un prix infini aux pages ou Terese decrit les vrais ravissements, 
le vol de 1'esprit et cette mort mystique ou Dieu arrache Fame a ses puis- 
sances propres, et la fond proprement, au sens pascalien, 1'abetit : la 
ha echo Dios boba del todo pour mieux imprimer en elle la vraie 
Sagesse ; Le Chateau, V, 1 ; ed. Silv. de santa Teresa, p. 590. 



652 JESUS CHRIST. 

tique et le bon sens, par la mortification et le contrdle auto- 
rise, moyennant une ascese souple et impitoyable aux illusions, 
depassez ce stade, et vous pourrez, dit la sainte, sans danger 
et sans indecence, nous parler mystique et amour spirituell 1 
Alors avec des levres purifiees, vous pourrez balbutier le divia 
poeme... 

Elle-me'ine ne s'en fait pas faute, de"crivant 1'essor de I ; 'me : 
G'est comme un vol..., car je ne trouve pas d'autre compa- 
raison ; un vol suave, un vol delicieux, un vol. sileneieux* . 
Elle parle des transports, et de la blessure d'amour qui na- 
vre a tres savoureusement . G'est cbmme un coup terrible, 
comme une fleche de feu, quoiqu'it n'y ait, en realite", ni 
coup, ni fleche . Encore mieux, c'est un rayon acere, qui 
blesse 2 . Terese d^couvre ailleurff avec e*tonnement et une 
sorte d'horreur sacree, rimmense capacite de I'e'tre humain, 
les ablmes que recele notre esprit born^ quand il a ecoute et 
suivi la legon ^vangelique, abandonne les contentements 
sensibles pour les gouts divins, le cre6 pour I'^ternel, et 
le Rien pour le Tout. II faudrait citer longuement ces pages, 
si elles n'e*taient dans toutes les mains. Voici Famour qui se- 
pare : a Souventes fois, a Timproviste, surgit un desir, et 
Ton ne sait d r ou il vient. Et de ce desir qui penetre en un 
moment Tame entiere r elle commence d'etre si harass^e 
qu'elle monte bieii au-dessus d'elle-m6me et de tout le cre^. 
Et Dieu Tetablit dans une telle separation de tout que, pour 
tant qu'elle y peine, il n'est chose, lui semble-t-il, qui puisse 
desormais lui tenir compagnie en terre ; et aussi bien elle n'en 
cherche aucune, hors de mourir en cette solitude 3 . Mais 
1'Amour ne se*pare que pour unir, a ce qui n'est pas, Gelui qui 
est : 

O Beaute" qui surpasses 
toutes les beaut6s, 
sans blesser tu fais mal, 
et sans faire mal tu defais 
1'amour des creatures. 

1. < Mas es veto suave, es vuelo deleitoso, vuelosin miedo ; Vie, XX, 24; 
6d. Silv. de santa Teresa, p. 148. 

2. Le Chateau, VI, 11; ed. Silv. de santa Teresa, p. 679. 

3. Vie, XX, 9; ed. Silv. de santa Teresa, p. 140-141. 



T^MOINS DE JESUS DANS I/HISVOIRB. 653 

nceud qui lies ainsi 
deuac choses tant inegales, 
pourquoi done te desserrer, 
alors que, serre", tu donnes force 
de tenir pour bien, jusqu'aux maux? 

Tu lies celui qui ne tient pas 1'etre (de son propre fonds) 
avec I'fitre qui n'a pas de fin; 
sans jamais finir, tu acheves, 
sans avoir qui aimer, tu aimes, 
tu magnifies notre rien 1 ! 

A ces strophes impr.oviseea, avec d'autres que la sainte 
avait oubliees, dans une oraison profonde , on preferera 
encore la prose ailee de Terese, racontant comment futavivee 
en elle r.estime des biens spirituels et divins, par la verite 
m6me qui est le Seigneur Jesus : 

De cette divine Verite qui me fut represented sans que je susse 
comment ni quelle elle ,etait, une verit6 demeura gravee en moi, 
qui m'a inspire un nouveau respect envers Dieu, rendant reclles 
pour moi sa majeste et sa puissance d'unefagon qui ne se peut dire : 
je compris du moins que c'est la une grande chose. II m'en est 
demeure un grand d6sir de ne parler plus que des choses tres v6ri- 
tables, allant bien au dela de ce qui a cours dans le monde, tant 
que je commengai d'avoir peine a y vivre. Je demeurai -en grande 
tendresse, et joie, ethumilite'. II me semblait que (sans savoir com- 
ment) le Seigneur me donnait la beaucoup : aucune apprehension 
d'etre la-dessus dans I'lllusion. Jene vis rien, mais je compris quel 
grand bien c'est de ne faire 4tat que de ce qui nous rapproche de 
Dieu; et je compris aussi ce que c'est qu'une Ame qui marche en 
v6rit6 devant la face de la Verite meme. C'est ce que je compris; le 
Seigneur me donna a entendre qu'il est la Verite meme 2 . 

Une autre vision, vers la m6me epoque, 'symbolise bien, 
avec la vie de Terese, son oeuvre entiere, Gomme dans tons 
les saints et dans toutes leurs ceuvres, mais avec un eclat 
particulierement attirant, c'est un beau miroir de Jesus que 
nous admirons en elle. 

1. Poesias, III; 6d. Silv. de santa Teresa, p. 1067. Je lis, au dernier 
vers : Engrandeceis nuestra nada, avec toutes les editions anciennes. Le 
vuestra de 1'edition de Burgos ne parait pas avoir de sens defendable. 

2. Es darme el Senor a entender que es la misma Verdad > ; Vie, XL, 
3 ; ed. Silv. de santa Teresa, p. 342. Pour la construction, elle est celle de 
Corneille : Sais-tu que ce vieillard fut la mdme vertu la vaillance et 
1'honneur de son temps, etc... > pour : la vertu meme. 



654 JESUS CHRIST. 

Une fois que j'e'tais aux Heures avec tout le monde, mon ame 
entra soudain en recueillement et me parut &tre tout entiere comme 
un clair miroir, sans revers ni cdte"s, ni haut, ni has qui 1'emp^chat 
d'etre toute claire; et en son centre se repre"senta a moi le Christ 
Notre Seigneur, comme je le vois d'ordinaire. Et daes toutes les 
parties -de mon ame je le voyais clairement, comme dans un miroir 1 . 

Un peu en retrait et, d'abord, dans le sillage de la gloire 
teresienne, apparait le plus profond des mystiques Chretiens, 
saint Jean de la Groix. Moins humain, moins accessible, sur- 
tout moins psychologue que son illustre Mere et institutrice, 
il I'emporte par la science, la suite logique et constructive, et 
un don de poe"sie qui Tegale, dans ses Cantiques, aux plus 
grands e"crivains de sa race. De cette figure si attachante un 
seul trait doit nous retenir ici, sa religion pour Jesus ; et nous 
n'en citerons qu'un te"moignage, capital, il est vrai, parce 
qu'il resume tout. 

Gonscient a la fois de son neant originel, de ses fautes, 
et de son infinie capacite, Jean cherche le moyen de combler 
un abime creuse par Dieu, et que lui seul peut remplir. Une 
priere, I'oraison de I'dme enamouree* 1 , donne la solution de 
ce probleme fondamental de toute vie religieuse. Apres avoir 
tatonne, demande le pardon de ses fautes, offert ses pauvres 
ocuvres, son denier comme il dit, et finalement implore 
une grace, hors de laquelle aucune liberation des tares et 
infirmites humaines n'est me 1 me possible, car : 

Comment se levera jusqu'a toi Thomme qui a ete engendre et qui 
a grandi dans la bassesse, si tu ne le leves, toi, Seigneur, avec la 
main donttulefis? 

Jean songe a Jesus, et aussitdt il reprend coeur : 

Tu ne m'oteras pas, mon Dieu, ce que, une fois, tu me donnas 
en ton unique Fils Jesus Christ, en qui tu me donnas tout ce que je 
veux... 

et il conclut, dans une envolee d'une concision et d'une ple- 
nitude qu'on ne peut comparer qu'a saint Paul, par cet bymne 
triomphal : 

1. Ibid., p. 343. Sur 1'amour de T6rese pour la propret6, la puret6, la 
Iimpidit6, et par consequent, Peau et la lumiere, Rod. Hoornaert, Sainte 
TdrUse dcrivain, Vesthetique physique et I'image, p. 528 suiv. 

2. Oration de alma enamorada. C'est le titre de cette priere dans le 
celebre manuscrit autographe d'Andujar. 



TEMOINS DB JESUS DANS I/HISTOIBB. 655 

Miens sont les cieux et mienne est la terre; 

miens sont les hommes : les justes sont miens et miens les pe'cheurs; 
les anges sont miens, et la Mere de Dieu et toutes les choses sont 

[miennes; 

et Dieu meme est mien, et pour moi : 
car le Christ est mien et tout pour moi. 
Eh bien, done, que demandes-tu et cherches-tu, mon ame? 
Tien est tout ceci et tout est pour toi < . 

Aux siecles suivants, nous ne trouvons plus de livres aussi 
pene"trants, bien que certains, comme les opuscules de piete 
de saint Alphonse de Liguori, aient atteint peut-6tre autant 
d'ames que I' Introduction a la Vie devote. Mais ces opuscules 
ne sont que des reprises, tres devotes et tres humaines, du 
me'me cantique. On pourrait tout resumer dans la grande parole 
de Je"sus : Philippe, qui m'a vu, a vu le Pere 2 . 

Rien de bien nouveau en cela, hormis la me"thode et 1'accent. 
Ce qui est caracteristique, c'est 1'insistance avec laquelle, a 
la difference de 1'auteur de 1' Imitation, les maltres modernes 
(et leurs disciples ou emules) appuient sur I'indispensable 
necessity de la soumission a 1'Eglise. Au xv e siecle, en de"pit 
des incertitudes et des scandales du Grand Schisme, la chose 
allait encore sans dire. Mais I'mdividualisnie pessimiste et 
passionne" du premier reformateur est intervenu. Rejetant tout 
interme'diaire personnel autoris^ entre Dieu et 1'ame, ne gar- 
dant que deux sacrements, expliques a sa mode, et la lettre 
de TEcriture, pliable a toutes les fantaisies du sens propre, 
Luther a pretendu se faire un christianisme hors de 1'Eglise 
catholique, apostolique et romaine. Depuis, il est vrai, epou- 
vantes par une audace que le novateur lui-m^me ne percevait 
pas entierement, ses disciples et rivaux redigerent a nouveau 
des formulaires, se chercherent des ancetres, se constituerent 
en Eglises separees. II fallut plus de deux siecles pour que le 
principe lutherien portat tous ses fruits dans le protestantisme 
liberal, simple collection des formes religieuses de la libre 
pensee . 

1. Je suis le texte et la traduction de Jean Baruzi, Aphorismes de saint 
Jean de la Croix, Bordeaux, 1924, p. 12-15, ou Ton trouvera la transcrip- 
tion minutieuse du manuscrit original, et le fac-simile photographique du 
passage essentiel, planche 2, 

2. Jo., xiv, 9. 



JESUS CHMIT. 

Mais le mal, plus cache", existait des le d6but, le mal et 
1'erreur qui veulerit qu'on puisse rester fidele a 1'Epoux en 
x-eniant TEpouse, et chretien non catholique. Aussi les amis 
de Jesus, Ignace de Loyola, Philippe de Ndri, Terese .d'Avila, 
Charles Borromee, Francois de Sales, Vincent de Paul, plus 
tard Alphonse de Liguori, mettent au premier plan de leurs 
conseils 1'union a 1'Eglise, le sens de la hierarchie et le souci 
de 1'orthodoxie traditionnelle. Les Exercices spirituels s'ache- 
yent sur des Regies pour conformer exactement son senti- 
ment avec celui de notre Mere la sainte Eglise hierarchique . 
Autant et plus que leurs ceuvres ecrites, les families reli- 
gieuses qui se reclament de ces saints et il i'aut en dire 
autant des grands Ordres anciens, -reformes ou rajeunis : 
Benedictins, Franciscains, Dominicains, etc., . temoignent 
de eette ardente sollicitude. 

Finissons sur deux temoins emprunt^s au xvn sie.cle fran- 
gais. Je les choisis a dessein dans deux ^coles aussi opposees 
que possible, et dont la premiere est aux confins extremes 
de 1'orthodoxie, et souvent au dela. 

Ici un homme, un penseur, un savant genial. Blaise Pascal 
fut-il, sur la iin de sa courte vie, detache" des opinions parti- 
culieres et des erreurs du Jansenisme, qu'il avait si aprement 
dei'endues et servies? .Des decouvertes et travaux recents 
ont rendu la chose probable sans Timposer absolument 1 . Tou- 
|ours est-il que le philosophe et 1'homme religieux que fut 
Pascal doit son immense ascendant a la religion personnelle 
de Jesus. En me'me temps que le plus haut sommet des let- 
tres francaises, les pages consacrees par 1'auteur des Pense.es 
a son Maifcre sont un des plus emouvants temoignages qu'on 
ait rendus au Christ : 

La connaissance de Dieu sans celle de samisere fait 1'orgueil. La 
connaissance de sa misere sans celle de Dieu fait le d^sespoir. La 
connaissance de J6sus Christ fait le milieu, parce que nous y trou- 
Tons et Dieu et notre misere. 

Nous ne connaissons Dieu que par Jesus Christ. Sans ce Media- 

1. Voir par exemple Ernest Jovy, Pascal inedit, Ont conclu dans le 
meme sens, entre autr.es pasealisants, MM. H. Bremond, F. Strowski, 
J. Monbrun, M. Blondel, Jacques Chevalier, Henri Massis, etc. On peut 
voir la discussion de J. Chevalier, Pascal, 1922, appendice V, p. 361 suiv. 



TEMOINS DB JESUS DANS I/HISTOIRB, 657 

teur est 6tee toute communication avec Dieu; par Jesus Christ nous 
connaissons Dieu. 

Non settlement nous ne connaissons Dieu que par Jesus Christ, 
mais nous ne nous connaissons nous-memes que par Jesus Christ. 
Nous ne connaissons la vie, la mort que par Jesus Christ. Hors de 
Jesus Christ, nous ne savons que c'est ni que notre vie, ni que 
notre mort, ni que Dieu, ni que nous-memes *. 

Console-toi, tu ne me chercherais pas, si tu ne m'avais trouve". 

Je pensais a toi dans mon agonie, j'ai verse telles gouttes de 
sang pour toi. 

Laisse-tpi conduire a mes regies, vois comme j'ai bien conduit 
la Vierge et les saints qui m'ont laisse agir en eux. 

Le Pere aime tout ce que je fais. 

Je te suis present par ma parole dans TEcriture, par mon 
esprit dans 1'Eglise et dans les inspirations, par ma puissance 
dans les pretres, par ma priere dans les iideles. 

Les me'decms ne te gueriront pas, car tu mourras a la fin. Mais 
c'est moi qui gueris et rends le corps immortel. 

Je te suis plus ami que tel et tel, car j'ai fait pour toi plus 
qu'eux, et ils ne souffriraient pas ce que j'ai souffert de toi et ne 
mourraient pas pour toi dans le temps de tes infldelites et cruautes. 

Si tu connaissais tes peches, tu perdrais coeur. 

Je leperdrai done, Seigneur, car je crois leur malice sur votre 
assurance. 

Non, car moi, par qui tu 1'apprends, t'en veux guerir, et ce 
quejetedis est un signe que je te veux guerir. A mesure que tu 
les expieras, tu les connaitras, et il te sera dit : Vois les peches 
qui te sont remis. 

Seigneur, je vous donne tout 2 . 

Vers le meme temps, une humble Visitandine sans lettres 
et tout abimee en son neant , mar chant dans une voie 
ouverte avant elle, mais singulierement illuminee pour elle 
par Dieu, resumait Tceuvre du Christ dans son amour, honore 
sous le parlant symbole de son coeur. La piete des foules, le 
suffrage des saints, 1'autorite de 1'Eglise ont confirm^, en la 
recevant, une devotion si touchante. 

Depuis cette epoque, le temoignage de 1'Esprit de Dieu, 
s'exprimant par les ames chretiennes, n'a pas cesse de se 
faire entendre. 11 serait doux de prater 1'oreille a telle ou 

1. Pensees, 6d. L. Brunschvicg maior, II, n. 527, 547, 548. 

2. Pensees, ibid., n. 553. 

JESUS CHRIST. II. 42 



658 JHBSUS CHttlST. 

4 

telle de cea voix, entre lesquelles on aurait Tembarras du 
choix. Les plus pures, lea plus disertes ont Bien parle de 
Jesus; mais comment decider entre le saint Cure d'Ars et 
Lacordaire ; entre Ozanam et Gontardo Ferrini ; entre John 
Henry Newman et Charles de Foucauld? 

Gomme autrefois, autant que jamais, Jesus est aime : on 
meurt pour lui, on vit de lui. Sa vie et sa crorx, son evangile 
et son ctieur fixent 1'inquietude, provoquent 1'imitation gene- 
reuse, et parfois heroique, de millions d'hommes. Beaucoup 
ne Font jamais perdu; d*autres 1'ont reconquis : tous sont 
dignes de lui, puisqu'ils 1'aiment plus que leur pere et leur 
mere, leurs freres et leurs soeurs, leurs fils et leurs lilies . 
Les feiits sont proches de nous et ne requierent pas d'etre 
appuyes par des textes; 1'experience quotidienne y suffit. 
Therese de Lisieux est morte hier; des martyrs chinois et 
orientaux, par milliers, furent nos contemporains 1 . 

Gette grand nuee de te"moins que nous avons evoquee, est 
venue des quatre vents, et contient des esprits de toute sorte : 
savants et simples. Tous confessent que Jesus leur a revele 
le fere, et voient en lui leur Sauveur. Loin que son culte 
personnel empeche, divise ou fourvoie 1'hommage souverain 
du a Dieu seul, il y sert et il Fincarne. Ou ce culte subit 
une eclipse, la notion meme de la divinite s'affaiblit et 
s'obscurcit. 

L'exemple du Christ n'est pas moins siir : en suivant ses 
traces, le chercheur de Dieu trouve une issue vers les cimes 
du bien parfait ; et notre marche a nous, pauvres faibles 
honnetes gens, une route droite vers le but. Essaie-t-on de 
modifier ou (a plus forte raison) de renverser les valeurs 
chretiennes, on retrograde vers les bas-fonds, vers les terres 
maudites des discordes fratricides; on s'egare dans le desert 
de 1'egoisme ou les hauteurs irrespirables de 1'orgueil humain. 
L'experience vaut pour les societes comme pour les particu- 
1'iers, et ce n'est pas le moindre paradoxe de 1'Evangile que 
son aptitude certaine a ameliorer la condition d'une existence 
qu'il ne vise d'abord qu'a sanctifier. 

1. On trouvera les pieces r6unies, pour les martyrs du xx e siecle & ses 
d6buts, dans le tome XIV de Dom H. Leclercq, Les Martyrs. 



TEMOINS DB JESUS DANS I/HISTOIRE. 659 

Ges constatations sont anciennes : ce qui est plus nouveau, 
c'est, dans la chretiente longtSmps et cruellement dechiree, 
mne aspiration generate a Tunion. Le visage de I'unite est si 
beau qu'il seduit ceux-la m6me que I'individualisme religieux 
arait le plus farouchement verrouilles dans une religion toute 
personnelle. Deja ancien dans 1'Anglicanisme, ce mouvement 
se fait sentir avec force dans des chretientes non catholiques 
jusque-la fermees a toute influence romaine. Un des obser- 
vateurs les plus aigus de la Conference universelle du Ghris- 
tianisme pratique tenue en 1925 a Stockholm, M. le pasteur 
Wilfred Monod resume fort bien 1'esprit du message de cette 
importante reunion : II s'agit de reformer la Reforme, 
d'accomplir un effort de concentration, de remembrement ; 
il s'agit de lutter centre ranarchisme au sens propre par 
un retour decisif au principe de 1'ordre, de I'unit6... Bref, 
c'est un retour au sens de I'universalisme et de la catholicite... 
La Conference a voulu briser le courant centrifuge de la 
dispersion, de reparpillement protestant 1 . 

Hors de France, notamment en Amerique, en Suede, en 
Suisse et en Allemagne, un certain nombre de theologiens 
protestants se sont fails les apotres de ce qu'ils appellent : 
la catholicite evangelique 2 . Et, chez les Israelites eux-me'mes, 
des vues analogues se font jour ca et la 3 , bien que tres discre- 
tement. 

Des efforts, parfois tres meritoires, vers une entente entre 
tous les chretiens, nous n'avons pas a retenir ici ceux qui 
visent 1'union des Eglises. Un autre element, qu'on semble 
laisser trop souvent de cote, c'est I'unite dans la religion de 
Jesus. Tous ceux qui le reconnaissent de plein creur comme 

1. Allocution prononc6e dans la reunion convoqude 5, 1'Oratoire de Paris 
par la Federation protestanle, le 29 novembre 1925 : cit6e dans Henri 
Monnier, Vers l> Union des Eglises : la Conference universelle de Stockholm, 
19-29 aout 1925; Paris, 1926, p. 78. 

2. Les principaux sont 1'archeveque luth^rien d'Upsal, le D r Nathan 
Soederblom, qui a r6sum6 ses positions dans Evangelische Katholizitqet, 
Giessen, 1927 ; et Friedrich Heiler, Evangelische Katholizitaet, Gesammelte 
Aufsaetze und Vortraege, I, Miinchen, 1926 : voir notamment Wege zur 
Einheit der Kirche Christi, ibid., p. 280-351. 

3. Aim6 Palliere, Le sancluaire inconnu : ma conversion > au judaisme, 
Paris, 1926. 



660 JESUS CHRIST. 

* 

leur Dieu et Sauveur confessent en mme temps que la 
volonte divine sur 1'huraanite va a tout rassembler sous un 
chef unique, dans le Christ, ce qui est au ciel et ce qui est 
sur terre . Dans le Christ Je"sus, car c'est lui qui est notre 
paix : il reunit en un les deux parties et renverse la muraille 
de separation 1 , quelque haute que soit cette muraille, et 
apparemment infranchissable, qu'elle soit fondee sur la race, 
la caste ou la nature me'nie, 

Car vous etes tous fils de Dieu par la foi au Christ Jesus, 
Tous les baptises dans le Christ, vous avez revetu le Christ. 

Aussi, dorenavant, 

>' 

il n'y a plus Juif, et Grec ; 

il n'y a plus esclave, et homme libre ; 

il n'y a plus homme, et femme : 

car tous vous etes un seul dans le Christ Jesus 2 . 

Ce terrain d'union a fait ses preuves, dans le passe et le 
present. N'est-il pas vain, par centre, de pretendre, je ne 
dis pas allier loyalement pour un temps, en vue de taches 
morales et sociales determinees, mais unir enun seul corps, 
par un lien religieux profond, les adorateurs de Jesus avec 
ceux qui se re"clament de lui comme on se pare du nom d'un 
heros, ou comme on se refere a un maitre humain, encore 
qu' eminent? L'expose du probleme du Christ, et des solutions 
qu'on donne a ce probleme hors de 1'Eglise catholique 3 , 
montre ce que la theologie liberale laisse subsister de certi- 
tudes, touchant la personne et la mission du Sauveur. A 
peine plus qu'un franc rationalisme. Dans les conflits d'opinion 
ct la poussiere des dissections critiques, le fonds meme du 
christianisme tend a se volatiliser, ou s'ob nubile de telle 
sorte que le croyant demeure le cosur et les mains vides : 
Us ont pris mon Seigneur, et je ne sais ou ils 1'ont mis 4 ! 

1. Eph6siens, i, 7-10; u, 14. 

2. Galates, in, 26-29. On remarquera le masculin : TravTej y&p &jT{ e?s lore 
EV Xptatw 'Iqaou. II ne s'agit pas d'un Edifice mort, ou d'une collectivit6, 
mais d'un corps vivant, d'un organisme anim6 par un seul esprit. 

3. Voir ci-dessus, livre IV, ch. m; t. II, p. 180 suiv. 

4. Jo., xx, 13 



CONCLUSION 



L'ambition de cet ouvrage eut ete de mettre en meilleure 
lumiere la personne de Jesus, le plus grand fait de 1'histoire 
religieuse. Un long commerce avec les textes evangeliques 
et leurs entours nous a en effet persuade que bien des chre- 
tiens connaissent imparfaitement la force des motifs qui 
appuient leur foi. Par centre, nombre d'incroyants sinceres 
majorent etrangement les raisons qu'ils croient avoir de 
rejeter le message du Christ. Une sorte de prescription s'est 
etablie a ce propos, et beaucoup d'hommes s'y plient comme 
a une verite demontree. Nous voudrions avoir ebranle cette 
assurance : docile aux exclusives d'une philosophie bornee, 
elle n'obtient ses conclusions qu'en imposant aux donnees de 
fait certaines hypotheses de 1'ordre scientifique. Fecondes 
peut-etre dans leur domaine propre, ces hypotheses neppuvent 
sans abus s'appliquer aux contingences humaines. Ne reiidons 
pas Thistoire complice, ou serve, de ces fautes de methode. 
Sans doute une virtuosite mediocre suffit aux vulgarisateurs 
(et la vulgarisation, en ce genre, est venue parfois de tres 
haut) pour opposer des autorites, imaginer des vraisem- 
blances, transformer des analogies en emprunts, solliciter 
des textes et conclure par un Non liquet universel, touchant 
la vie et la doctrine de Jesus de Nazareth. Mais le meme 
travail, soutenu des me'mes passions, ne laisserait subsister 
de 1'histoire ancienne que d'informes debris. 

Les etudes critiques poursuivies avec acharnement depuis 
tant6t deux siecles, autour des origines chretiennes, ont con- 
tribue elles-m^mes a ebranler, en quelques espribs trop 
prompts, le credit de. 1'histoire evangelique. Dans la pous- 
siere qui monte de l'6norme chantier, les lignes du monu- 
ment, soustrait jadis aux curiosites purement humaines, 



661 



662 CONCLUSION, 

semblent parfois se deformer, ou s'abolir. G'est la une impres- 
sion sans fondement. Nous avons vu, au contraire, que moyen- 
nant de nouv.elles precisions chronologiques, des analyses 
plus penetrantes, des textes nouveaux ou mieux compris, des 
comparaisons patientes de critique textuelle, un nombre 
croissant de faits incontestables s'est degage. Seuls, des 
amateurs peuvent mettre encore en doute le semitisme fon- 
cier de nos evangiles, y compris le quatrieme; ou le carac- 
tere primitif, contemporain des plus anciennes origines, du 
culte d'adoration rendu a Jesus. Nous croyons aussi tres 
assurement que la comparaison qui se poursuit sous nos yeux, 
du christianisme avec les religions antiques dites a mysteres, 
mettra dans un relief encore plus saillant I'originalite du 
premier. 

De ces conclusions, et des semblables, les raisons out etc 
allegue'es plus haut : en y renvoyant le lecteur reflechi, nous 
lui demandons de proceder par Iui-m4me a toutes les verifi- 
cations qui n' exigent pas une formation technique. Un contact 
intime, et prolonge, avec les actes et les paroles de Jesus, 
tels que nous les ont racontes ceux qui ont ete les tdmoins 
des origines, et les serviteurs de la Parole , est le seul 
moyen de se rendre re*el le message du Christ. Tous les 
travaux des speciaKstes ne valent que pour nous donner acces 
a la source : arrive pres d'elle, que celui qui a soif s'age- 
nouille, et qu'il boive. 

II trouvera la une force interieure, une seve de vie spiri- 
tuelle, une purete" (entendons sous ce mot Fabsence de toute 
ambition personnelle, de toute politique humaine) sans paral- 
lele dans 1'histoire religieuse. II y apprendra, ou y rap- 
prendra, s'emerveillant d'aventure de les avoir si peu com- 
prises! des prieres qui mettent Dieu a sa place, et 1'homme 
a la sienne. Une morale sainte, et saine aussi, en partie 
implicite, sincere, sans pose et sans fard; entre 1'heroi'sme 
sugg^re et le devoir necessaire, les proportions y sont si jus- 
tement gardees, que les abus, partout a 1'oeuvre, sont ici 
tenus en echec, ou du moiris denonces, partant, e*vitables. Un 
culte spirituel, confessant que Dieu seul est bon , et qu'il 
est le Pere de tous; que nul ne le connait, hormis le Fils , 
et que nul ne 1'ignore; qu'il est le seul a craindre, et le 



CONCLUSION. 663 

premier qu'on doive aimer. Ensemble, justice est.faite a 
1'homme tout entier, traite non en pur esprit ou en animal de 
plaisir et de gloire, mais en 6tre sensible et social. II est une 
creature adoptee, gracieusement prevenue et non contrainte; 
un pecheur qu'on note ce trait al'encontre des chimeres de 
tous les temps! rachete, mais ayant besom de remission; 
un pelerin en marche, dans un monde obscur. et divise, vers 
le Royaume des cieux. De cette religion magnifique, oil 
beaucoup des plus grands et les meilleurs parmi les bons ont 
trouve* leur paix, Je*sus est 1'auteur, le Maitre, et le tout. 
Historiquement, il apparait a son heure, s'inserant dans une 
tradition auguste, immemoriale, qu'il acheve sans 1'abolir : 
les psaumes, les prophetes d'Israel sont pleins d'une immense 
esperance qu'il a realisee au sens le plus spirituel. Ses 
gestes, ses paroles, son message si personnels, si directs 
restent, pour lumineux qu'ils soient, pleins de mystere 
et d'une ombre sacree. Et c'est la sans doute le plus haut 
de ses attributs, le plus divin. 

Si done les jours semblent revenus que decrivait le vieux 
prophete : 

Voici, des jours viennent 
oracle du Seigneur lahve 
quej'enverrai mafaim surterre : 
non une faim de pain, et non une soif d'eau, 
mais d'entendre les paroles de lahve. 
Et ils erreront d'une mer a 1'autre, 

et du Septentrion a 1'Orient; 
Et ils iront <ja et la cherchant la parole de lahve", 

et ils ne la trouveront pas. 
En ces jours-la, seront e'puise'es les belles vierges, 

et les jeunes hommes par la soif *; 

si c'est bien la faim et la soif de Dieu qui travaillent obscure*- 
ment une generation rebutee par 1'aridite rationaliste, et la 
mettent en qu6te des religions les plus diverses, du Sep- 
tentrion a 1'Orient , qu'elle s'oriente vers la source evange- 
lique, et s'offre, en se mettant a 1'ecole du Maitre, humble et 
doux, par 1'humiliation, a 1'inspiration , qui lui revelera 
la seule chose, apres tout, qu'il importe de savoir. 

1. Amos, VHI, 11-13. 



TABLE DES MATIERES 

DU TOME SECOND 



LIVRE QUATRIE>fR 
LA PERSONNE DE JfiSUS 

Pages 

.CHAPITRE I. Le Tlmoignage du Christ 3 

Preliminaires 3 

1. Le Maltre de la Loi nouvelle 8 

2. Jesus s'affirme 19 

3. Jesus se revele 26 

4. Jesus se declare 40 

5. J6sus s'explique sur lui-meme 46 

Conclusion 57 

NOTES : 

Q. Sur I'hymne de jubilation (Mt., XI 25 6-30; Lc., X, 21-22). 60 

R. Sur I'authenticitt et le sens de Mt., XVI, 13-20 63 

S. Le re'oit de la Transfiguration el son interpretation ratio- 

naliste 66 

T. Les re"cils de la Cene du Seigneur, et son sens 69 

U. Texle de la Confession supreme de J6sus (Me., XIV, 55-64). 74 

V. Je suis la Veritd * 77 

CHAPITRE II. La Personne de J6sus 79 

Le probleme de Jesus : les donnees 79 

1. La Religion de Je"sus 85 

2. La Conversation de Jesus avec ses f reres . . . 99 

3. La Vie intime de Jesus 107 

MOTES : 

X. Sur la sanle .mentale de Jesus 122 

Y. Jesus fut-il extatique? 126 

Z. La femme surprise en adultere (Jo., VII, 53-YI1I, 11) 128 

CHAPITRE III. Le Probleme de J6sus. Les solutions et la solution.... 130 

1. Le Christ vu du dehors : Pai'ens, Juifs, Musulmans. 130 

Les Patens 130 

Les Juifs 144 

Les Musulmans 157 

2. La crise de la Foi chretienne a I'intdrieur du Christianisme 162 

CC5 



666 TABLE DBS MA.TIERES. 

Pagfig. 

Les Ant6christs de la Renaissance , . 162 

Les rationalistes du xvin" siecle 170 

Les protestants liberaux. Les modernistes. Les libres penseurs. 178 

Les rationalistes du xix et du xx e siecle . . . . 193 

3. Le Mystere de J&sus 202 

NOTE : 

Aj. Apollonius de Tyane et set * Vie 219 



LIVRE CINQU1EME 
LES (EUVRES DU CHRIST 

. ' 

CHAPITRE I. Introduction 4 1'etude des miracles e~vange"liques 225 

1. Des Signes divins en general. 225 

2. Le Miracle dans la Nature 228 

3. Notion chretienne du Miracle 239 

4. Prophete et Prophetic 246 

CHAPITRE II. Jesus prophete 256 

1. Prophecies de J5sus sur lui-mSme 258 

2. Propheties de J6sus sur le Royaume de Dieu. 271 

3. Prophecies de J6sus sur la consommation des choses 280 

Les Textes 281 

La these de 1'eschatologie conse'quente 292 

Le genre litteraire des Textes 295 

Exegese sommaire des Textes 299 

Le Discours eschatologique. . ........... 305 

CHAPITRE III. Les miracles de Jesus 313 

1. Le Miraculeux dans 1'fivangile. 317 

2. La Critique Moderne des Miracles 6vangliques 322 

3. Les Miracles et la Mission de J6sus 330 

4. Rdalit6 des Miracles 335 

Les expulsions de demons 341 

Miracles de gueYisons 354 

Le doigt de Dieu est la , 364 

CHAPITRE IV. La resurrection de Jfisus 369 

1. Le Fait de la Resurrection 369 

La Mort de J&sus 372 

Le T^moignage de Paul 373 

Les R6cits eVange'liques de la Resurrection 382 

Le Message pascal : sa condition historique , 898 

Le Message pascal : les faits 402 

5. Les Essais d'explication naturelle. 409 

La reduction des Textes 412 

La nature des Apparitions 421 

.Les infiltrations paiennes. . . . 428 

3. La Resurrection de Jesus et sa Mission * 434 

Le signe de Jonas 435 

Le signe du Temple reedifli 441 

Conclusion 444 



TABLE DES MATIERES. 667 

Pages. 

NOTES : 

Ba. Le Miracle dans le Bouddhisme ancien el dans I' Islam. 447 

Ca. Une verification scienlifique du Miracle est-elle possible?. 450 

D 3 . L'fivolution tpigdnetique et le Miracle 452 

E a . L'Bcole eschalologique : 4890-1915 454 

Fa. Cette Generation ne passera pas 457 

Ga. Resurrections de morts dans les r foils helle'niques et rab- 

biniques 464 

H a . AAIMONES el Demons 470 

la. Rois Divins et Rois GuMsseurs 474 

Ja. La Foi qui gudrit 480 

Ka. La Suggestion viclorieuse 487 

La.' KAI OTI ETA*H , 493 

Ma. Les Finales de Marc et de Jean 500 

Na. Le Tombeau trouve" vide 503 

Oa. Ressuscite' le troisieme jour 506 

Pa. Dieux Morts et Ressuscites 510 

1. -fyOsiris t 511 

2. Dionysos Zagreus 515 

8. A donis (Echmoun, Tammouz) 520 

4. Attis et Cybele 524 

LIVRE SIXIEME 
LA RELIGION DE JfiSUS 

CHAPITRE I. L'dtablissement de la Religion de Je"sus 535 

1. Le Mystere chr6tien et les Myst6res paiens 535 

2. Les Origines de la Religion de J6sus 561 

3. La Religion de Je"sus au milieu du i cr siecle 578 

4. La Religion de Jdsus & la fin de la g6ne>ation apostolique 609 

NOTE : 

Ra. Parfails et Inities 625 

CHAPITRE II. TSmoins de J6sus dans 1'Histoire 631 

1. L'Antiquit< 631 

2. Le Moyen Age ... 64i 

3. Les Temps Modernes 649 

CONCLUSION 661 



TABLE DES TEXTES DU NOUVEAU TESTAMENT 



N. B. On n'a relcvd que les tcxtcs comments. Lcs deux chiffrcs de gauche indiquent 
1'un le chapitre, 1'autre lc verset; les chiffres de droite indiquent le tome ct la page oil 
le tcxte est cit6. 



s. 


MATTHIEU 


11,28 


I, 375 


23, 8-9 


II, 38 




. 


11, 28-30 


II, 14 


23, 13 sq. 


II, 105 


1,1 


I, 60 


12, 1-4 


I, 96 


23, 23 


I, 61 


2, 1-16 


I, 62-63 


12, 5-8 


11, 26 





II, 17 


3, 7-12 


I, 207 


12, 28 


II, 349 


23, 34-36 


II, 282 sq. 


a 


I, 298 


12, 38-42 


II, 436 sq. 


23, 37 


I, 177 


3, 16-17 


1,305 


12, 39 


I, 61 


24, 1-43 


II, 282 sq. 


4, 3-11 


I, 307 


12, 41-42 


11, 26 


24, 27 sq. 


II, 110 


4,17 


I, 377 sq. 


13, 11 


II, 535 


24, 33-34 


II, 457 sq. 


5,3 


I, 373 sq. 


13, 16 


I, 333 


24, 36 


I, 360 


5, 17 


11, 11 


13, 16-17 


II, 26 


25, 31-46 


II, 36 


5, 18-19 


II, 13 


13, 24-30 


II, 276 


26, 26-28 


II, 38 


5,20 


II, 15 


13, 33 


II, 273 


26, 57-68 


II, 41 sq. 


5, 21-22 


I, 395 


13, 34-35 


I, 328 


26, 61 


II, 442 sq. 


5, 27-28 


II, 15 


13, 36-43 


II, 34 


26, 63-65 


II, 291 sq. 


5, 31-32 


II, 15 


13, 47-49 


II, 276 


27, 39-46 


II, 442 sq. 


5, 38-42 


I, 395 


13, 52 


1,60 


27, 40 


II, 45 


5, 43-48 


I, 397 


14, 6-12 


I, 98 


27, 41-43 


II, 45 


6, 9-10 


I, 360 


14, 33 


II, 30 


27, 46 


II, 91 


6,33 


1,367 


15, 3-9 


I, 208 






7, 12 


I, 389 


16, 1-4 


II, 436 sq. 


S. 


MARC 


7, 21-24 


II, 22 


16, 4 


I, 61 


I, 1 


I, 73 


7, 28-29 


II, 8 


16, 17-20 


II, 31 





I, 306 


8, 10-12 


11, 274 


tt 


II, 63 sq. 


1,4 


I, 298 


8, 35-37 


1,376 


16, 21-23 


II, 32 


1, 7-8 


I, 208 


9,2-9 


11,20 


16, 24-25 


II, 23 


1, 10-11 


1,305 


9, 15 


II, 21 


16, 25-26 


1,376 


1, 12-13 


I, 307 


9, 16-17 


11,24 


16, 26-28 


II, 281 


1, 15 


I, 377 sq. 


10,2 


II, 22 


17, 1-9 


II, 66 sq. 


1, 22 


II, 8 


10, 21-24 


II, 285 


18, 19-20 


II, 33 


2, 3-12 


II, 20 


10, 29-31 


I, 368 ~ 


19, 3-8 


11, 16 


2, 18-21 


II, 265 


10, 32-33 


II, 22 


19, 10-12 


1,384 


2, 19-20 


11,21 


10,34 


II, 23 


19, 17 


I, 359 


2, 21-22 


11,24 


10, 34-39 


II, 23 





II, 86 sq. 


2, 23-26 


I, 96 


11, 2-6 


II, 331 


20, 28 


II, 268 sq. 


3,4 


II, 96 


11, 12 


I, 325 


21, 30-43 


II, 37 ' 


3, 6 


I, 251 


11, 16-20 


II, 110 


22, 16 


1,251 


3, 13-14 


II, 22 


11, 21-24 


II, 27 


22, 29-33 


II, 108 


3, 20-35 


1,327 


11, 25-30 


II, 28 


22, 39 


I, 388 sq. 


3, 22 


I, 326 





II, 60 


23, 2-3 


I, 263 


4, 10 


I, 330 



669 



670 TABLE DBS TEXTES DU NOUVEAU TESTAMENT. 



4,11 


II, 535 


5, 36-38 


II, 24 


22, 54-55 


II, 41 sq. 


4, 33-34 


1,328 


6, 1-4 


I, 96 


22, 63-71 


II, 41 sq. 


6,3 


1,310 


6, 12-13 


II, 22 


22, 66-71 


II, 291 sq 


6, 12 


1,390 


6, 20-24 


I, 87 


23, 26-27 


II, 22 


6, 17-18 


I, 339 


6, 20-26 


I, 372 


23, 34 


II, 90 sq,. 


6, 21-2S 


I, 98 


6, 27-30 


I, 395 


23, 46 


II, 92 


7, 1-9 


I, 253 


6, 31 


I, 389 


24, 26 


II, 107 


7, 6-13 


I, 208 


6,46 


II, 22 






7, 17-24 


I, 253 


7, 18-23 


II, 331 




S. JEAN 


8, 11-13 


II, 436 sq. 


8, 10 


II, 535 






8, 17-18 


I, 329 


9, 22 


II, 32 


1, 1-2 


I, 163 


8, 31 


II, 32 


9, 23-24 


II, 23 





II, 9 


8, 34-35 


11,23 


9,24-25 


I, 376 


1, 1-5 


I, 167 


8, 38-42 


II, 281 sq. 


9, 26-28 


II, 281 sq. 


1,5 


I, 336 


9,2-8 


II, 66 sq. 


9, 28-36 


II, 66 sq. 


1, 6-8 


I, 306 


9, 9-14 


II, 266 


9, 60 


II, 113 


1,9 


I, 387 


9, 30-32 


II, 267 


10, 21-22 


II, 28 


1, 9-14 


I, 167 


10, 1-12 


II, 16 





II, 60 


1, 16-17 


I, 171 


10, 17-18 


II, 86 sq. 


10, 23-24 


II, 26 


1, 32-35 


I, 305 


10, 18 


I, 359 


11, 2 


I, 360 


1,41 


I, 315 


10, 32-34 


II, 267 


11, 20 


II, 349 





I, 316 


10, 3541 


I, 147 


11, 29-32 


II, 435 sq. 


2, 5 


II, 20 





II, 268 


11, 31-32 


II, 26 


3, 29-30 


I, 305 


10,45 


II, 268 sq. 


11, 39-44 


II, 105 


4, 22 


I, 180 


11, 10 


1,378 


11, 49-51 


II, 282 sq. 


5, 17 


II, 48 


12, 13 


1,251 


12, 4-7 


I, 368 


5, 30 


II, 107 


13, 1-37 


II, 282 sq. 


12, 8-9 


II, 22 


6, 14-15 


II, 257 


13, 29-30 


II, 457 


12, 31 


I, 367 


6, 45 


II, 50 


13, 32 


I, 360 


12, 49 


II, 274 


6, 53-56 


I, 174 


& 


II, 79 sq. 


12, 51-53 


II, 23 


7, 49 


1,251 


14, 9 


II, 279 sq. 


13, 18-19 


II, 273 


8,44 


II, 348 


14, 9-20 


II, 500 sq. 


13, 20-21 


II, 273 


10, 7-8 


I, 182 


14, 17-32 


II, 270 sq. 


13, 32 


II, 105 


10, 22-38 


II, 53 


14, 22-24 


II, 38 


13, 34 


I, 177 


10, 24 


I, 312 





II, 69 sq. 


15, 25-32 


II, 102 


10, 30 


II, 48sq. 


14, 51-52 


I, 75 


15, 31 


II, 90 


11, 33-45 


II, 367 


14, 53-65 


II, 41 sq. 


16, 16 


I, 325 


12, 34 


I, 317 


tt 


II, 74 sq. 


16, 18 


II, 16 


12, 37-42 


I, 331 sq.' 


14, 57-59 


II, 442 sq. 


16, 19-31 


I, 87 


13, 1 


II, 54 


14, 61-63 


II, 291 sq. 





I, 372 


13,23 


II, 97 


15, 29-30 


II, 442 sq. 





II, 245 


13, 31 


II, 298 


15, 34 


II, 91 


17, 7-10 


I, 364 


14, 2 


I, 383 






17, 20-21 


II, 272 


14, 8-10 


I, 158 




S. Luc 


17, 24 


II, 288 sq. 


14, 16 


I, 103 






17, 26-27 


II, 290 sq. 


14, 28 


II, 79 sq. 


1, 1 


I, 111 


17, 33 


II, 23 


17, 1 


II, 298 


1, 1-4 


I, 82 


17, 34-35 


II, 290 sq. 


20, 31 


I, 159 


3, 1-2 


1,4 


17, 37 


II, 288 sq. 


21. 


II, 501 sq. 





I, 247 


18, 7 


I, 363 


21, 15-17 


II, 279 





1,297 


18, 19 


I, 359 


21, 18-25 


I, 150 


3, 7-9 


I, 207 





II, 86 sq. 






3, 16-17 


I, 298 
I, 207 


19, 12-13 
21, 5-37 


II, 290 sq. 
II, 282 sq. 


ACTES 


DBS AP0TRES 


3, 21-22- 


I, 305 


21, 31-32 


II, 457 


1,3 


II, 370 


4, 2-13 


I, 307 


22, 19-20 


II, 38 


1, 7* 


II, 303 


4, 16 


I, 107 


22, 25 


II, 99- 


2, 16-18 


II, 572 


5, 18-26 


II, 20 


22, 31-33 


II, 279 


2, 44-46 


I, 87 


5, 34-35 


II, 21 


22, 40-44 


II, 90 


4, 34-37 


I, 87 



TABLE DBS TEXTES DU NOUVEAU TESTAMENT. 



671 



5, 1-12 


I, 87 


II" EPITRE AUX CORINTHIE 


0, 13-14 


II, 442 sq. 


3, 14 I, 19 


10, 2 ' 


, 245 


5, 12 I, 33 


10, 22 


, 245 


y ~ *j w 

5, 14-18 I, 32 


10, 38 


, 306 


6, 14-16 II, 586 


13, 16 
13, 26 


, 245 

, 245 


10, 3-4 II, 272 


13, 43 


, 245 


EP!TRE AUX GALATES 


13, 50 


, 245 


2, 1-9 I, 148 


16, 14 


, 245 


3, 26-29 II, 660 


20, 35 


, 29 


6, 14-17 II, 606-607 


22, 3 


I, 23 


' 7 






EpiTRE AUX EPHESIENS 


EPiTRE 


AUX ROMAINS 


3, 3-9 II, 560 






5, 21-23 II, 609 


6, 4-10 


II, 600 


5, 31 II, 14 


9, 3 


I, 397 




*/y v 

15, 16 


II, 599 


EP!TRE AUX PHILIPPIENS 


16, 25-26 


II, 559 


2, 5-11 I, 29 






II, 602 sq. 


I EPiTRE 


AUX CORINTHIENS 


2, 7 II, 204 sq. 






3, 5 I, 31 


1, 22-24 


II, 597 


I, 259 


1, 24 
2, 3-11 


I, 165 
II, 588 


EPITRE AUX COLOSSIENS 


7, 10 


I, 34 


1, 16-17 II, 605 


8, 4"-6 


II, 593 


1, 19 II, 587 


9, 19-22 


II, 586 


1, 26-27 II, 560 


10, 14-22 


II, 591 


2, 6-7 II, 605 


10, 20 


I, 283 


2, 9 II, 587 


11, 23-26 


II, 38 


4, 10 I, 71 





II, 69 sq. 


4, 11 I, 72 


12, 4-31 
12, 12-14 
13, 9-12 


II, 609 
II, 605 
II, 93 


I EPITRE 
AUX THESSALONICIENS 


15, 1-12 


II, 261 


1, 1 II, 598 


15, 1-20 


II, 374 sq. 


1, 9MO II, 597 


15, 3-5 
15, 11 


II, 506 sq. 
I, 28 


I" EpiTRE A TIMOTHE'E 


15, 53 


II, 380 


3, 16 II, 298 



EPITRE AUX HEBREUX 



1, 1-2 
3, 5 



II, 85 
II, 85 



I" EPITRE DE S. PIERRE 
5, 13 I, 72 

I EpiTRE DE S. JEAN 



2, 7 

3, 8" 



I, 161 

II, 348 

APOCALYPSE 



1,4 


II, 250 


1,7 


I, 234 


2. 


I, 231 


2, 1 


II, 619 sq. 


2, 7 


II, 619 sq. 


2, 8 


II, 619 sq. 


2, 11 


II, 619 sq. 


2, 12 


II, 619 sq. 


2, 17 


II, 619 sq. 


2, 19 


II, 619 sq. 


2, 24 


I, 161 


2, 26 


II, 619 sq. 


3. 


I, 231 


3, 1 


II, 616 sq. 


3, 5 


II, 619 sq. 


3,7 


II, 619 sq. 


3, 12 


II, 619 sq. 


3, 14 


II, 619 sq. 


3, 21 


II, 619 sq. 


4. 


I, 230 


5. 


I, 230 


12, 1-17 


I, 232 


19, 13 


I, 234 


19, 23 


I, 165 


20, 1-10 


I, 235 


22. 


I, 235 



TABLE DBS AUTEURS CITES 



Abbahu (rabbi), II, 148. 

Abbott (Ed. A.), I, 157, 228; II, 357. 

Abelson (J.), II, 152. 

Abodah Zarah, II, 9,' 585. 

Abou al Quasim Kaabi, II, 161. 

Abrahams (Is.), I, 180, 249, 265, 269; 

II, 41, 151, 585. 
Abt, II, 470. 

Ada apostolorum, apocrypha, I, 149. 
Acles deJean (apocryphes), I, 149. 
Aelius Aristide, II, 364, 483, 484. 
Aha ben Hanina (rabbi),.-!!, 9. 
A-han-king, I, 343. 
Albertz (M.), I, 42; II, 381. 
Albright, I, 178. 
Ales (A. d'), I, 12, 80, 171, 287, 299, 

310, 351; II, 550, 579, 632,633. 
Alexander (W. M.), II, 344, 365. 
Alexandre d'Abonotichos, II, 464, 465. 
Alexandre d'Alexandrie (saint), I, 167. 
Alfaric (P.), I, 342, 345. 
Al Hallaj, 1,386; II, 77, 78, 160, 161. 
Allard (P.), II, 138. 
Allen (C. W.), I, 62, 106, 114. 
Allo (B.) I, 165, 167, 228, 230, 231, 232, 

235, 290, 292, 318, 344; II, 252, 298, 

531, 552, 617, 621. 
Alphonse de Liguori (saint), II, 655. 
Aman (E.), I, 211. 
Ambroise (saint), I, 167. 
Ammon (C. F. von), I, 125. 
Am monies, I, 93. 
Analecla franciscana, II, 645. 
Andersen (A.), II, 269. 
Andler (C.), II, 197. 
Andres, II, 471, 472. 
Andresen (G.), 1, 13. 
Anesaki (M.), II, 142. 
Angus (S.), I, 291. 
Antoine (Louis), II, 486. 
Apocalypse de Molse, 1, 284. 
Apollinaire de Hie'rapolis, I, 132. 
Apollinaire deLaodicde, 1,212; II, 135. 

673 J&3US CHRIST. T. H. 



. Apollonios, I, 132, 405. 
Apollonios de Tyane, I, 40, 129; II, 

133 sq., 219 sq. 

Apophthegmala Palrum, I, 44. * 
Appasamy (A. J.), I, 47; II, 127. 
Appel (G.), I, 349. 

Apule"e, II, 464, 465, 466, 548, 549, 555. 
Aqiba (rabbi), II, 45. 
Aristophane, II, 483, 543. 
Aristote, I, 349, 350, 358, 368. 
Arnal (A.), II, 419. 
Arnobe, II, 526, 529. 
Arnold (M.), II, 183. 
Arrhenius (S.), II, 232. 
Arseniew (N. von), II, 643. 
Ascension d'lsaie, I, 294; II, 589. 
Asin Palacios, II, 160. 
Assomplion de Molse, I, 276, 378. 
Athanase (saint), I, 167. 
Athenagore, I, 132, 405. 
Atzberger (L.), II, 456. 
Aube (B.), II, 131, 132, 220. 
Augustin (saint), I, 33, 58, 93, 167, 173, 

239, 331 ; II, 135, 136, 220, 286, 302, 

303, 313 sq., 366, 635 sq. 

Baba-Bathra, II, 71. 

Babinski, II, 360. 

Bacher (W.), I, 9, 279, 288. 

Bacon (B. W.), II, 189. 

Baldensperger (G.), I, 5, 302; II, 268, 

454. 

Baldensperger (W.), I, 275, 292. 
Barcena (F. A.), II," 374. 
Bardenhewer (0.), I, 141, 325. 
Bardy(G.), 1, 162, 192; II, 136, 137. 
Barnett, I, 354. 
Barnes (W. Emery), I, 8, 192. 
Earth (A.), I, 354, 361, 399, 400, 402; 

II, 447. 

Barthelemy de Pise, II, 645. 
Bartmann (B.), I, 377. 
Baruch (apocalypse de), 1, 276, 314, 385 

43 



674 



TABLE DBS AUTEURS CITES. 



Baruzi (J.), II, 655. 

Basset (II.), I, 54, 205. 

Batiffol (P.), I, 8, 12, 13, 102, 191, 192, 

377, 404, 408; II, 68, 109, 211, 476, 

638, 639. 

Baudin (E.), I, 168, 377. 
Baudissin (W. W. von) II, 351, 520, 

521,522,523,564. 
Baudoin (Ch.), II, 491. 
Bauer (B.), II, 182, 193. 
Bauer (W.), I, 16, 142, 143, 155, 157, 

158, 164, 175, 179, 180, 182, 302, 336, 

342, 379, 384; II, 19, 51, 53, 54, 97, 

128, 325, 501. 
Baur (P. C.), I, 118, 127, 216, 217; II, 

"193, 219, 220, 221, 454. 
Beaufreton (MO, II, 645. 
Beker (M.) (M" Eddy), II, 484, 485. 
Bell (H. I.), I, 12; II, 579. 
Belser (J.), I, 171, 182, 223; II, 442. 
Bennett (W. H.), II, 416. . 
Benoit (saint), II, 640-642. 
Berendts (A.), I, 192, 340. 
Bergh van Eysinga (G. A. van den), I, 

21. 

Bergson, II, 123, 208, 232. 
Berguer (G.), II, 123, 125, 208. 
Bernard (saint), 1,27, 157; II, 111, 643- 

645. 

Bernheim, II, 360, 488, 489, 490. 
Berthelot (M.), II, 232. 
Bertholet (A.), 1, 278, 280, 281, 283, 285, 

291. 

Bertram (G.), I, 42. 
Bertrand (L.), II, 650. 
Besant (A.), II, 147. 
Bethune-Baker (J.), H, 20G, 211. 
Beurlier (E.), I, 290, 339; 11, 475. 
Bevan (A. A.), II, 449. 
Beveridge (A. S.), II, 161. 
Beyschlag (W.), I, 403. 
Bhagavad-Gila, I, 353, 354; II, 250, 561. 
Bhandarkar, I, 354. 
Bickermann (E.), II, 411, 504, 505. 
Bidez (J.), II, 135, 136, 138, 139, 141, 

465. 

Bignone (E.), II, 465. 
Bigot (L.), I, 320. 
Bisping, II, 458. 
Billot (L.), II, 253, 300, 456. 
Binet (A.), II, 487. 
Binet-Sangle, II, 122. 
Blake (R. P.), II, 91. 
Blanchet (L.), II, 167. 
Blass (P.), I, 303. 
Blau (L.), II, 9, 10, 343. 
Bloch (L.), II, 1$. 
Bloch (MO, II, 154, 477, 478, 479. 



Blondel (M.), II, 656. 

Blount (Ch.), II, 170, 221. 

Bodin (J.), II, 168, 221. 

Boehlig (R.), I, 24. 

Boehmer (J.), I, 269, 270. 

Boirac (E.), II, 487. 

Boisacq (E.), I, 310; II, 470, 542. 

Boissier (G.), I, 352; II, 131. 

Bolingbroke, II, 170, 171. 

Boll(F.), II, 529. 

Bonhoeffer (A.), I, 353. 

Bonsirven (J.), I, 270. 

Bord (G.), II, 175. 

Borel (E.), II, 237. 

Bories (E. von), II, 139. 

Bosc (E.), II, 147. 

Bossuet, II, 98, 366, 456. 

Botinelli, II, 433. 

BoucheVLecIercq, II, 476. 

Bougie (C.), I, 198. 

Boulanger (A.), II, 364, 432, 483, 516, 

519, 520,531,547. 
Boule (L.), II, 360. 
Bourguet (E.), I, 22. 
Bouriant (M.), II, 395. 
Bousset (W.), I, 42, 44, 46, 123, 217, 

226, 228, 232, 278, 285, 290, 317, 341, 

345, 409; II, 9, 72, 82, 188, 190, 199, 

203, 429, 430, 455, 508, 531, 564, 565, 

625, 626, 627. 
Bousset-Gressmann, II, 430, 587, 590, 

603. 

Boutroux (E.), 11,232. 
Bover(J. M.), 1, 171. 
Bovon (J.), I, 403. 

Box (G. H.), I, 9, 257, 261, 288; II, 145. 
Braid (J.), II, 489. 
Brandt (W.), I, 341, 342. 
Brassac (A.), I, 22. 
Brevier (E.), I, 281 ; II, 135, 476. 
Breitsclmeider (C. Th.), I, 125, 126. 
Bremond (A.), I, 349, 350. 
Bremond (H.), II, 163, 649, 656. 
Bricka (Ch.), II, 625. 
Bridel (Ph.), II, 189. 
Briem, II, 572. 
Briere (Y. de la), I, 267, 379, 409; II, 

211, 456. 

Brillant (M.), II, 540. 
Brochard (V.), I, 350. 
Broechx (E.), II, 629. 
Brooke (A. E.), I, 133. 
Brou (A.), II, 649. 
Bruce (A. B.). II, 166. 
Bruchmann (C. F. H.), II, 525. 
Bruckner, II, 572. 
Brunhes (J.), II, 402. 
Bruno (G.), II, 167, 168. 



TABLE DBS AUTEURS CITES. 



675 



Bruno d'Asti, I, 68. 

Brunschvicg (L.), II, 232. 

Buber (M.), I, 44. 

Buchanan, I, 81, 136. 

Biichler (A.), I, 249. 

Bugge(C.A.), I, 332; II, 9. 

Bultmann (R.), I, 24, 42, 43, 51, 62, 

105, 128, 147, 165, 174, 175, 198, 311, 

312, 342, 409; II, 29, 60, 64, 65, 102, 

113, 189, 328, 329 sq., 363, 464, 466, 

469. 

Bundy (W. E.), II, 122. 
Burldtt (F. C.), I, 8, 20, 85, 92, 173, 192, 

291, 362; II, 84,160,415. 
Burney (C. F.), I, 131, 149, 168, 178, 

179, 202, 226, 227, 233, 234. 
Burnouf, II, 447. 
Burton et Goodspeed (E. .1.), 1, 93, 95, 

99; II, 282, 506. 
Bury(J. B.), 1,46. 
Butler (dom C.l, II, 637, 640. 
Buttenwieser (M.), I, 278. 
Busson (H.), II, 167, 168,221. 
Buzy (D.), I, 299, 330, 332 ; II, 4, 387. 
Byron (G.), II, 196. 

Cadlniry (H. J.), I, 83, 89, 219, 220. 

Cadman (W. H.), I, 312. 

Caetani (L.), I, 358; II, 273. 

Caird(E.), I, 349; II, 181, 182. 

Caius, I, 134, 135, 187. 

Gales (J.), I, 381. 

Calmet (dom), II, 343. 

Caluve (J. de), II, 540. 

Calvin, II, 167. 

Camerlynck (A.), I, 94, 102, 22-1. 

Campanella (I.), II, 167, 168. 

Campbell (J.), II, 189,201. 

Canney(A.), 11,221. 

Canon de Muralori, I, 78, 81, 132; 136. 

Cantarelli (L.), I, 22. 

Carcopino (J.), II, 525, 553, 579. 

Cardan (J.), II, 167. 

Carlyle, II, 202. 

Carnoy (A.), I, 293. 

Carpenter (J. E.), I, 128; II, 357. 

Carra de Vaux, I, 385, 386 ; II, 157. 

Cascua (J.), I, 377. 

Casel (dom 0.), II, 73, 580. 

Castillon (J. de), II, 221. 

Castries (H. de), II, 162. 

Calechisme du Concile de Trente, I, 

360. 

Catherine de Genes (sainte), II, 120. 
Catulle, II, 529. 
Causse (A.), I, 251. 
Cavaignac (E.), I, 297; II, 522. 
Cavallera (F.), I, 115, 224; II, 98, 500. 



Celse, I, 405 ; II, 131-133, 136, 146, 147 

149, 169, 322, 518. 
Cerfaux (L.), II, 351, 563, 565, 574. 
Cerinthe, I, 162. 

Chalaphta ben Dosa (rabbi), II, 34. 
Champion (P.), II, 40, 639, 641. 
Chanina ben Teradion (rabbi,), II, 34. 
Chantepie de la Saussaye, II, 512, 520, 

525, 526, 529, 540, 548. 
Chapman (dom J.), I, 141,223, 224. 
Charcot, II, 356, 480, 491. 
Charles (R. H.), 1, 10, 149, 154, 165, 169, 

226,228, 230, 232, 233, 258, 259, 260, 

275, 276, 278, 291, 344, 37S, 379 ; II, 

147, 250, 259, 294, 617. 
Chase (F. II.), II, 399, 412, 418. 
Chassang (A.), II, 134,221. 
Chateaubriand, II, 140. 
Chauvire (M.), II, 168. 
Cheikho (L.), I, 206. 
Chenier (A.), I, 55, 374. 
Cherbury (H. de), II, 170, 221. 
Chesterton (G. K.), II, 106, 646. 
Chevalier (J.), II, 574, 656. 
Cheyne (T. K.), II, 190, 429, 498. 
Christ (W. von), et Schmid (W.), II, 

220, 221, 222, 625. 
Christie (W. M.), II, 145, 146, 149. 
Ciccron, I, 243, 351. 
Cichorius, I, 297. 
Gladder (H.), I, 38, 58, 63, 111,162, 

201. . 

Clark (A. C.), 11,91. 
Clark (P. A. Of.), II, 603. 
Claudel (P.), II, 580. 
Cleanthe, 1, 24, 350. 
Clemen (C.), I, 292 ; II, 430, 508, 522, 

523 
Clement d'Alexandrie, I, 19, 56, 69, 70, 

71, 132, 134, 135, 167, 210, 213, 236, 

367, 405; II, 543, 544, 627, 628. 
Clement de Rome (saint), 1,50, 218; II, 

269, 538, 596. 
Cobern (C. M.), II, 111. 
Cochet (A.), II, 122. 
Codex Bezae, I, 18. 
Colani (T.), II, 454. 
Coleridge, II, 183. 
Colin (J .),I,22. 
Collins, II, 170. 
Colson (F. H.), I, 83. 
Comparetti (D.), II, 547. 
Comte (A.), II, 594. 
Condamin (A.), I, 35, 201, 202, 278, 

292, 332, 355 ; II, 4, 39, 246, 248, 254, 

266, 342. 

Conrad (J.), I, 177. 
Conybeare (F. C.), II, 603. 



676 



TABLE DBS AUTEUKS CITES. 



Coppens(J.), I, 303; II, 221, 354, 608. 

Coppieters (C.), 1, 216. 

Coran, I, 53, 330, 358, 365, 385, 386, 387; 

11,2. 

Cornelius a Lapide, I, 95, 270. 
Comely (R.), 1, 221 ; II, 93, 374, 381. 
Comely et Zorell, I, 270. 
Gornford (F. M.), II, 537, 538. 
Corpus insc. lat., II, 555. 
Corssen (P.), I, 13, 193. 
Cotelier, I, 341. 

Gouchoud (P. L.), I, 27; II, 182, 193. 
Goue(E.),II, 491. 
Creed (J. M.), I, 325, 346. 
Croiset (A. et M.), II, 134,222. 
Crombrugghe (C. van), II, 550. 
Culloch (J. A.), II, 558. 
Gumont (F.), II, 132, 138, 139, 219, 433, 

'511, 515, 528, 550, 552. 
Gyprien (saint), 1, 398 ; II, 641, G47. 
Cyrille d'Alexandrie (saint), I, 167 ; II, 

80. 

Cyrille de Jerusalem (saint), I, 167. 
Cuthbert (F.), 1, 185. 
Cuq (E.), II, 131. 
Czarnowski (G.), I, 46. 

Dalman (G.), I, 41, 60, 106, 265, 269, 

270, 275, 278, 279, 290, 299, 344, 395; 

II, 8, 12, 31, 38, 53, 87, 91, 145, 146, 

147, 259, 538. 
Damis de Ninos, II, 219. 
Danby (H.), II, 357. 
Dante, 1, 86. 

Daremberg-Saglio-Pottier, II, 515, 526. 
Darmesteter (J.), 1, 292;- II, 153, 154, 156, 

247. 

Darwin (Ch.), II, 179. 
Davidson (A. B.), II, 256, 258. 
Dechamps (C al ), II, 240. 
Decharme (P.), II, 526. 
Defrasse et Lechat (H.), II, 481, 482, 

483. 

Deimel (A.), II, 521. 
Deissmann (A.), 1, 20, 22, 35, 41, 79, 104, 

106, 129, 186, 216, 217, 228, 398 ; II, 

268, 351, 365. 

Delacroix (H.), II, 487, 572. 
Delafosse (H.), I, 131. 
Belatte (A.), I, 129, 143 ; II, 220. 
Delatte (dom P.), II, 640. 
Delehaye (H.), I, 50, 52, 74, 137, 153. 
Delff (II.), I, 146, 226, 227. 
Dell, II, 64. 
Delporte (L.), I, 398. 
Denier (J.), 11,99. 
Dennefeld (E.), 291. 
Denney (J.\ II, 213. 



Denys bar Salibi, I, 136. 

Denys d'Alexandrie, I, 140, 152, 156, 
230, 234; II, 91. 

Denys (pape), II, 215. 

Deploige (S.), I, 198. 

Desnoyers (L.), I, 289. 

Deubner (L. A.), II, 525, 526, 527, 529, 
548. 

Dhorme et Vincent, II, 296. 

Diagoras de Melos, II, 539. 

Dibelius (M.) I, 42, 44, 51, 65, 129, 175; 
II, 298, 328. 

DidacM, I, 50 ; II, 352. 

Diderot, II, 171. 

Didyme, I, 17. 

Dieckmann (H.), 1,383,408; II, 65,211. 

Diels (H.), II, 625. 

Dies (A.), I, 347. 

Dieterich (A.), I, 232; II, 433, 464, 465, 
550, 582, 590. 

Dill, I, 348. 

Diodore de Sicile, II, 526, 529. 

Diogene Lae'rce, II, 464. 

Dion Cassius, II, 476. 

Dirichlet (H.), II, 64. 

Dittmar (W.), II, 568. 

Dix (G. H.), I, 278, 320 ; 11,259. 

Dobschutz (E. von), I, 62, 245; II, 268, 

373. 

Dodwell et Harvey, 1, 138. 
Doelger (F. J.), I, 383; II, 73, 580. 
Dolet (E.), II, 168. 
Dore (H.), II, 354. 
Dorlodot (H. de), II, 452. 
Dorner, II, 458. 
Dostoiewsky (F.), II, 339 sq. 
Dottin (G.), II, 640. 
Dowie (J. A.), II, 486. 
Drews (A.), II, 182. ; 
Drexler (W), II, 548. 1 
Driver (S. R.), I, 344 ; II, 286. 
Drummond (J.), I, 171. 
Dubois (Ch.), II, 515, 518. 
Duchesne (L.), I, 51,71, 153; II, 134, 

140, 554, 555. 
Dufourcq (A.), 1,50. 
Duhem (P.), II, 232. 
Dunin-Borkowski (S. von), I, 293, 408; 

II, 153. 

Duplessis d'Argentre, II, 162. 
Dupre (E.), I, 487, 488. 
Dupreel (E.), I, 349. 
Durand (A.), I, 307, 310, 332; II, 79, 

109. 
Durkheim (E.), 1, 195, 196, 197, 198, 199; 

II, 474. 
Dykes, II, 204. 



TABLE DBS AUTEURS CITES. 



677 



Edersheim (A.), 1, 185. 

Ehrhard (A.), II, 178. 

Eichhorn (J. G.), I, 93. 

Eisler (Rob.), I, 192. 

Eisler (Rudolf), II, 487, 520. 

Eitrem (E.), II, 625. 

Eitrem et Fridrichsen, II, 351. 

Eleazar (rabbi), II, 10. 

Eleazar Kalir, II, 147. 

Elmslie (W. A. L.), II, 585. 

Emmet (C.), II, 455. 

EmpSdocle, II, 471. 

Enelow (H. G.), II, 151, 156. 

Ephrem (saint), I, 58, 167, 213. 

Epictete, I, 352, 353. 

Epiphane (saint), I, 57, 133, 135, 210, 

212, 213, 305, 341 ; II, 91, 305, 507. 
Epitre de Barnabe, I, 324. 
Epitre des Apdlres, II, 416. 
Erasme, I, 142; II, 166. 
Eschyle, 1, 352, 396. 
Esdras (IV), I, 274, 320, 321, 385. 
Estienne (Robert), I, 36. 
Eucken (R.), II, 232. 
Eusebe, I, 15, 19, 29, 42, 56, 57, 58, 59, 

68, 69, 82, 93, 103, 107, 121, 134, 136, 

137, 139, i52, 156, 167, 192, 210,212, 

213, 22t, 230, 252, 341; II, 135, 136, 

220, 305, 322, 401. 
Evangile de Pierre, I, 18, 19, 52; II, 

395-398, 413. 

Evangile des Douze Apdtres, I, 213. 
Evangile des Ebioniles, 1, 18, 212-213. 
Evangile des Egypliens, I, 18. 
Evangile selon les He'breux, I, 18, 52, 

210, 211, 212, 213, 214; II, 382, 

420. 
Evansers (E.), I, 125. 

Fairweather (W.), I, 291. 

Faria, II, 489. 

Farmer (G.), I, 185. 

Farnell (L. R.), II, 249, 538, 540. 

Fascher (E.), II, 246, 328. 

Faye (E. de), 1, 136; II, 132, 219, 628. 

Feine (P.), 1, 90, 403 ; II, 261, 497. 

Felder (H.), 1, 193. 

Felten (J.), I, 290. 

Feuerbach (L.), II, 182, 594. 

Fiebig (P.), 1, 41, 101, 344, 397; II, 110, 

344, 464, 467. 
Field, II, 279. 
Pillion (L.), II, 178, 460. 
Firmicus Maternus, H, 529. 
Fleg (E.), II, 145, 152, 156, 586. 
Fleury (M. de), II, 358. 
Foerster (W.), II, 537, 539, 564. 
Fogazzaro (A.), II, 359. 



Fonck(L.), 1, 115, 332, 334; II, 65, 365, 

366. 

Forget (J.), II, 170. 

Foucart (P.), II, 540, 541, 543, 544, 556. 
Foucauld (Ch. de), 1, 54, 205. 
Fox-Pitt (S. G. L.), II, 313. 
Fracassini (N.), I, 293; II, 511, 516. 
Fragments-Nous, I, 78, 79. 
Fragments of a Zadokile Work, I, 258, 
Frame (J. E.), I, 20. 
France (A.), II, 198. 
Frangois d'Assise (saint), I, 157, 185, 

367-368, 396; II,'lll, 645-648. 
Francois de Sales (saint), II, 163, 649. 
Frazer (J. G.), II, 329, 429, 430, 474, 478, 

511,521,528,537. 
Frederic II, II, 171. 
Freind (J.), 1, 88. 
Freud (S.) 5 II, 123, 358. 
Frey (J. B.), I, 170, 259, 285, 377, 387; 

II, 35, 473. 
Fridrichsen (A.), II, 320, 322, 323, 349, 

590. 

Fries (S. A.), 1, 241, 280. 
Frischkopf (B.), II, 69. 
Frommel (G.), II, 123. 
Fronton, II, 129. 

Galenus, I, 405. 

Galtier (P.), II, 107, 608. 

Gamaliel II (rabbi), II, 17, 144, 145, 150. 

Garbe (R.), I, 353, 354. 

Gardner (P.), I, 152; II, 382, 395. 

Garvie (B. W.), II, 189, 207. 

Gaster (M.), I, 44; II, 342. 

Geffcken (J.), I, 246; II, 139, 554. 

Geiger (A.), I, 288. 

Geldner (K.), I, 343, 345. 

Genouillac (H. de), II, 634. 

Gentilis, II, 168. 

George (A.), II, 232, 237. 

Georges le Moine (Hamartolos), I, 151, 

152. 

Gercke et Norden, II, 488. 
Gilbert (0.), I, 349, 368. 
Giscala (J. de), I, 194. 
Glaister (R.), II, 111. 
Gloeckner (0.), II, 132. 
Glotz (G.), II, 508, 509. 
Gobillot (Ph.), II, 480. 
Goelzer (H.), I, 13. 
Goerres(F.), 11,322. 
Goethe, II, 117, 179, 241, 343. 
Goguel (M.), I, 102, 125, 130, 407, 409, 

410; II, 68, 127, 189, 369, 379, 414, 415, 

417, 498, 499, 567. 
Goldziher (L), I, 358, 362, 365; II, 6, 236, 

273, 274. 



678 



TABLE DBS AUTEURS CITES. 



Gore (Ch.), II, 204. 

Gougaud (dom L.), II, 574, 640. 

Goyau (G.), 1, 398 ; II, 175, 178, 185. 

Goyau (G,), et Rigault, II, 519. 

Graebner(F.), I, 351. 

Graetz (H.), II, 154. 

Graf, II, 408. 

Graffm (R.), 1, 153; II, 394. 

Graillot (H.), II, 524. 

Gr6goire de Nazianze (saint), II, 80. 

Gr6goire de Nysse (saint), I, 153, 154. 

Gr6goire le Thaumaturge (saint), I, 

405. - 

Grenfell et Hunt, I, 37. 

Grenier (A.), II, 477. 

Gressmann (H.), I, 41, 345; II, 512. 

Gribaldi, II, 168. 

Grierson (G. A.), I, 354. 

Griesbach (J.) 3 1, 56, 93. 

Grimme (H.), II, 5. 

Grisar (H.), II, 166, 326. 

Groton (W. M.), II, 552. 

Gruppe (0.), II, 515. 

Gry (L.), I, 344; II, 35, 473. 

Guenon (R.), II, 313. 

Guerrier (L.), II, 394, 401. 

Guibert (J. de), II, 542. 

Guignebert (Ch.), II, 466, 604. 

Gunkel (H.), I, 41, 42, 232; II, 66, 190, 

248, 429, 430, 432, 455, 508, 572. 
Guyau (J. M.), II, 357. 

Hackspill (L.), I, 290. 

Haeckel (E.), II, 232. 

Haenser (P.), I, 325. 

Hague (W. V.), I, 291. ' 

Hall (G. H. L.), I, 308. 

Hall (G. S.), II, 115, 118, 122, 125, 126, 
178, 347. 

Ilamann, I, 405. 

Hamelin (0.), II, 230. 

Handmann (R.), 1,211. 

Harent (S.), II, 316. 

Harnack (A.), I, 8, 13, 14, 18, 19, 71, 78, 
80, 81, 89, 90, 110, 112, 113, 116, 118, 
124, 131, 133, 134, 140, 164, 192, 216, 
219, 222, 223, 234, 253, 371, 384, 405, 
407; 11,29, 60, 65, 84, 91, 118, 136, 185, 
187, 188, 191, 208, 218, 323, 326, 327, 
357, 378, 406, 411, 497, 518, 539, 631, 
638. 

Harris (J. R.), I, 36, 108, 131, 165. 

Harris (J. R.) et Mingana (A.), 1, 131. 

Base (K. A.), II, 409. 

Hastie(W.), II, 221. 

Hastings (J.), 1, 245, 351. 

Hatch et Redpath, I, 318. 

Havet(E.), II, 421. 



Hawkins (J.), 1, 78, 100, 111, 112, 113, 219. 

Healy, II, 640. 

Hegel, II, 179, 181, 183, 193. 

Hegesippe, I, 215, 341. 

Heiberg (J. L.), II, 488. 

Heiler (P.), I, 47, 240, 348, 361; II, 163, 

592, 647, 659. 
Heinisch (P.), I, 281. 
Heinrici (G.), I, 41, 292. 
Heitmiiller (W.), I, 132, 133, 144, 146, 

147, 152, 153, 191, 310,317; 11,62, 84, 

189, 324, 325, 327, 332, 357, 603. 
Hell, II, 489. 
Hempel (J.), II, 219, 222. 
Hennecke (E.), II, 321. 
Htfaoch (livre d'), I, 169, 240, 274, 275, 

276, 284, 292, 314, 321, 322, 323, 324, 

345,355,385; 11,558, 589. 
Henson (H.), 328. 
Hepding (H.), II, 524, 528, 529. 
Heracleon, I, 132, 133, 187. 
H6raclide le Pontique, II, 464. 
Heraclite, I, 168; II,. 471. 
Herbigny (M. d'), II, 211. 
Herder, I, 93 ; II, 179. 
Herford (R. T.), 1, 257, 260; II, 146, 147, 

151, 153, 155. 
Hermann (G.), II, 530. 
Hennas, I, 229. 

Hermesianax de Colophon, II, 526. 
Hermelica, II, 626. 
Hermippe, II, 465. 
Herrmann (W.), II, 209, 210. 
Herzog (G.), I, 327. ' 
Hesiode, 11,341,368,471. 
Hess (M.), II, 154. 
Hetzenauer (M.), I, 404. 
Hickson, II, 328. 
Hierocles, II, 134, 137, 138, 220. 
Hilaire (saint), I, 167. 
Hild (J. A.), II, 341, 470.' 
Hilgenfeld, I, 216; II, 454. 
Hillel (rabbi), II, 9, 10, 42. 
Hinneberg (P.), II, 188. 
Hippolyte (saint), I, 72, 135, 136; II, 91, 

529, 530, 538, 545, 629. 
Hirsch (G.), II, 145. 
Hisloire et Sagesse d'Ahikar I'Assyricn, 

I, 293. 

Historia aposlolica d'Abdias, 1, 149. 
Hobart (W. K.), I, 80. ' 
Hodge (C. W.), I, 356. 
Hodgson (R.), II, 313. 
Hoeffding (II.), II, 228, 242. 
Hoennicke (G.), I, 293. 
Hoffmann (R. A.), II, 442. 
Hoh (J.), I, 19, 221, 223. 
Holbach (d' II, 171. 



TABLE DBS AUTBURS CITBS. 



679 



Holl (K.), I, 133,135; 11,497. 
Holtzmann (II. J.)*I, 33, 34, 45, 87, 89, 

160, 167, 173, 179, 180, 216, 344, 368, 

371, 377, 403; II, 19, 66, 109, 126, 189, 

260, 293, 307, 325, 455, 458. 
Homere, II, 341, 471. 
Hoonacker (A. van), I, 278, 280, 289; 

II, 439, 440, 508. 

HoornaSrt (R.), II, 650, 651, 654. 
Hopkins (E. W.), I, 245. 
Horn (G.), I, 141 5 IT, 633. 
Homer, I, 38. 
Hort (F. J.A.), 1,38. 
Ilorten (M.), II, 449. 
Houbaut (H.), 1, 299. 
Hove (A. van), II, 240. 
Howard (W.E.F.), 1,65. 
Hubert (H.), II, 350, 465. 
Huby (J.), 317, 327, 329, 333, 349, 351 ; 

II, 43, 47, 456, 460. 
Hugel (F. von), 1, 158; II, 452, 456, 592, 

614. 

Hugo (V.), I, 352; II, 221. 
Hull (E.), I, 348. 
Hunzinger (A. W.), 11, 241. 
Husik (I.), II, 151. 
Hymneshomeriqucs, 11,541. 

Ibn Ilazmde Cordoue, II, 159. 

Ibnlshak, II, 161. 

Ignace d'Antioche (saint), I, 59, 130, 

157, 214,216, 217; II, 416, 626, 627, 

631 sq. 

Ignace de Jesus, I, 342. 
Ignace de Loyola (saint), II, 649, 656. 
Illingworth (J. R.), II, 217. 
Imitation de J6sus-Christ, II, 648, 649, 

655. 

Inge (W. R.), H, 627. 
IrenSe (saint), I, 19, 57, 58, 59, 69, 70, 

71, 77, 81, 132, 133, 135, 136, 137, 138, 

140, 141, 152, 162, 167, 187, 210, 221, 

223, 224, 225, 229, 236; II, 91, 539, 

628, 634, 635. 
Isaac (rabbi), II, 8. 

Jackson (H. L.), II, 455. 

Jackson (F. J. F.) et Lake (K.), I, 123, 

192, 317. 

Jacobs (J.), 1, 11; II, 151. 
Jacobsen (J. P.), II, 380, 470. 
Jacquier (E.), I, 218; II, 303, 473, 574 
Jalabert (L.), I, 22. 
Jamblique, I, 143. 

James (R.),I, 16, 149, 211; II, 395, 402. 
James (W.), II, 232. 
Janet (Pierre), II, 358, 361, 426, 484, 

487, 488, 489, 490. 



Jankelevitch, II, 423. 

Jean Chrysostome (saint), I, 57, 151, 

167, 182, 332, 333; II, 280, 408, 

589. 

Jean de Cronstadt, II, 314. 
Jean de la Croix (saint), I, 167, 365 ; 

II, 654 sq. 

Jehuda (rabbi), II, 9. 
Jensen (P.), II, 429. 
Jdquier (G.), II, 475, 512. 
Jeremias (A.), I, 292; II, 520. 
Jerome (saint), I, 58, 117, 135. 167, 210, 

212, 213, 214; II, 135, 382, 458, 

501. 

Jerphanion (G. de), I, 16. 
Jessen, 11,547. 
Jochanan (rabbi), II, 12. 
Joe'l (K-.), I, 349. 
Joergensen (J.), I, 185; II, 54. 
Jonathan (rabbi), II, 10. 
Jones (E.), II, 358, 490. 
Jones (II.), II, 213. 
Jong (de), II, 552. 
Josephe, 1,7,8, 185, 189, 191, 193,241, 

244, 247, 252, 255. 261, 262. 264, 275, 

298, 300, 339, 340, 384; 11, 538. 
Jousse (M.), I, 54, 202, 204 sq., 334 ; II, 

36, 62. 

Jovy (E.), II, 656. 
JubiUs(lwre des), I, 276, 284,379. 
Juda Hale"vi, II, 155. 
Juda ha-Nasi (rabbi), II, 11. 
Jugie (M.), II, 314. 
Jiilicher fA.), I, 21, 45, 86, 99, 180, 

311, 332; II, 19, 155, 188, 325. 455, 518. 
Julien 1'Apostat, II, 138, 139, 140, 

141, 322, 526, 529. 
Junker (H.), 11,512. 
Juste de Tiberiade, I, 7, 191, 194. 
Juster (J.), I, 190,243,244. 
Justin (saint), I, 10, 15, 36, 42, 80, 108, 

132, 187, 236, 303, 341, 398, 405; II, 

44, 91, 146, 148, 266, 322, 376, 518, 

627. 

Kaehler, II, 208. 

Kaerst (J.), II, 475. 

Kahveit, II, 324. 

Rang Yu Wei, 11,143. 

Kant (E.), I, 388; II, 173 sq., 193. 

Kardec (A.), II, 239. 

Karge (P.), I, 270, 292. 

Kattenbusch (F.), I, 131; II, 497, 596, 

598. 

Kaufmann-Kohler, II, 105. 
Kautsky, I, 87. 
Keitter (A. B.), II, 447. 
Kelman(A. J.), 11, 111. 



680 



TABLE DBS AUTEURS CITES. 



Kennedy (H. A. A.), 1, 283, 292. 

Kennett (R. H.), I, 289. 

Kenyon (F. G.), II, 499. 

Kern (H.), II, 244, 516. 

Kessler (K.), I, 342. 

Ketter (P.), II, 344. 

Kidd (B. J.), II, 138, 139. 

Kilpatrick (T. B.), II, 204. 

Kirch (C.), I, 13. 

Kittel (G.), II, 150. 

Klausner (J.), I, 7, 123, 280, 371 ; II, 

19, 154, 155, 259, 344, 357, 396, 497. 
Klopstock, 1,405. 
Klostermann (E.), I, 35, 78; II, 262, 

269, 365, 460. 
Knabenbauer (J.), I, 182, 332, 339; II, 

442, 456, 458. 
Kneib (Ph.), II, 122. 
Knopf (R.), I, 72. 
Knox (J.), II, 254, 590, 
Knox (W. L.), II, 373, 378, 567. 
Knur (K.), II, 360. 
Koester(F. B.), I, 201. 
Kohler (K.), I, 11, 23, 251,257,290; II, 

151. 

Krauss (S.), 1, 11, 194; II, 147, 149, 151. 
Krebs(E.), 1,283,292. 
Kretschmer, II, 330. 
Kriiger (G.), I, 131 ; II, 132. 
Krumbacher (K.), I, 152. 
Kuenen (A.), II, 183, 251, 408. 
Kuhnert, II, 351. 
Kuiper, I, 353. 

Laberthonniere (L.), II, 235. 

Labourt (J.), 1, 293. 

Labourt (J.) et Batiffol (P.), I, 131. 

Labriolle (P. de), I, 135; II, 421. 

Lachelier (J.), II, 174. 

Lachenmann (E.), II, 186. 

Lachmann, II, 631 . 

Lactance, I, 405. 

Ladeuze (P.), II, 394. 

Lafaye (G.), II, 476, 481, 548. 

Lagrange (M. J.), I, 8, 11, 12, 35, 37, 
57, 58, 65, 78, 79, 82, 83, 84, 87, 89, 
92, 99, 100, 102, 111, 112, 113, 115, 
116, 130, 131, 138, 139, 140, 142, 145, 
148, 155, 157, 164, 167, 171, 176, 178, 
179, 182, 187, 211, 213, 214, 245, 265, 
269, 270, 275, 278, 281, 290, 293, 299, 
300, 305, 309, 320, 321, 332, 339, 340, 
342, 344, 350, 355, 367, 377, 384, 385; 
II, 28, 32, 35, 43, 44, 61, 79, 91, 111, 
113, 183, 184, 194, 262, 274, 279, 367, 
391, 402, 456, 460, 463, 500, 502, 506, 
509, 516, 520, 521, 524, 527, 528, 530, 
541. 



Lagrange (M. J.) et Lavergne (C.), I, 

94. 

Laible (H.), II, 146. 
Lake (K.), I, 409; II, 91, 201, 371, 411, 

419, 422, 503. 
Lalande, II, 486. 

Lammens (H.), I, 53 ; 11,5, 77, 620. 
Lanchester (N. C. 0.), I, 246. 
Lang (A.), 1, 351. 
Langdon (S.), II, 521, 
Lange (H. 0.), II, 512. 
Laqueur (R.), I, 193. 
Larfeld (W.), I, 93. 
Larousse medical, II, 487. 
Lasegue, II, 422. 
Lasserre (P.), I, 164; II, 215. 
Lasson (A.), II, 429. 
Latte (K.), 1, 349. 
Lattey (C. F.), I, 178. 
Latzarus (B.), II, 470, 553. 
Launay (L. de), II, 231, 450. 
Laurand (L.), II, 499. 
Lauterbach (J. Z.), I, 249, 256, 288. 
Le Bee, II, 489. 
Lebreton (J.), I, 164, 165, 167, 169, 211, 

281, 282, 284, 290, 293, 352, 360, 408; 

II, 43, 61, 71, 73, 80, 84, 86, 88, 122, 

135, 200, 391, 520, 566, 580, 590, 603, 

604, 612. 

Le Camus (E.), II, 302. 
Leclercq (H.), II, 131, 373, 624, 658. 
Leconte de Lisle, II, 196. 
Le Forestier (R.), II, 175. 
Legge(F.), 1,293. 
Legouis (E.) et Cazamian (L.), I, 

179. 

Leibniz, II, 179. 
Lelong (A.), II, 539, 634. 
Lemonnyer (A.), II, 456, 521. 
LSopoldt (J.), II, 511. 
Lepin (M.), I, 126, 141, 142, 176; II, 47, 

87, 367, 502. 
Le Roy (E.), II, 232, 235, 242, 359, 408, 

421, 422, 423. 

Lessing, I, 93, 211, 371; II, 179, 409. 
Leszynski (R.), I, 288. 
Leltre d'Aristde, I, 284. 
Leucius Charinus, I, 149. 
Levesque (E.), I, 95, 111. 
Le>y (A.), II, 181, 183. 
Le>y (G.), II, 156. 
Lichtenberger (H.), I, 45. 
Liddell-Scott, II, 530, 602. 
Lidzbarski (M.), I, 342. 
Liebeault, II, 489. 
Lietzmann (H.), I, 40, 71, 228, 344; II, 

73, 132, 344, 375, 376, 381, 497, 507, 

547, 596. 



TABLE DBS AUTEURS CITES. 



681 



Lightfoot(J. B.), I, 71, 78; II, 343. 

Lindernholm, II, 572. 

Lipps (Th.), II, 487. 

Littr<, II, 111. 

Lobstein (P.), II, 408. 

Lodge (0.), 11,201. 

Lods (A.), I, 355. 

Loeb (I.), I, 11, 251. 

Logia, I, 17, 18, 213, 367. 

Lohmeyer (E.), I, 228; II, 66, 565, 617. 

Loisy (A.), I, 4, 22, 24, 80, 87, 122, 127, 
129, 142, 143, 154, 155, 157, 164, 167, 
174, 175, 182, 187, 198, 202, 206, 217, 
218, 219, 220, 228, 231, 233, 283, 306, 
309, 332, 364, 407, 409; II, 29, 32, 42, 
60, 61, 71, 72, 74, 75, 84, 91, 113, 
128, 156, 183, 198, 199, 201, 229, 247, 
260,269,293, 325, 326, 327, 357, 375, 
381, 411, 412, 419 y 423, 424, 425, 426, 
438, 442, 455, 456, 498, 499, 502, 504, 
505, 510, 511, 528, 529, 565, 579, 582, 
594, 608, 617, 625. 

Loman, II, 182. 

Loofs (F.), I, 177, 178; II, 202, 204, 205, 
208, 215, 394. 

Loosten (G. L. de), II, 122. 

Luce (A. A.), II, 208. 

Luchaire (A.), II, 644, 645. 

Lucien, I, 405; II, 132, 219, 220, 464, 
465, 522, 523. 

Liitgert (W.), I, 171, 304. 

Luther, I, 91, 125; II, 163, 164, 180, 655. 

Macaigne (R.), II, 452. 

Macalister (A.), II, 488. 

Macarius de Magnetic, II, 136. 

Macchioro (V.), 11, 515, 516, 518. 

Macdonald (D. B.), 1, 358,365 ; II, 157, 159. 

Mac Giffert (A. C.), II, 566. 

Machen (J. G.), I, 27, 34, 125; II, 122. 

Mackie (G. M.) et Ewing (W.), I, 304. 

Mackintosh (H. R.), II, 162, 204, 206. 

Mac Neile (A. H.), I, 57; II, 45, 62, 438. 

Mac Taggart (E.), II, 181. 

Mah&bhdrala, I, 353. 

Mahomet, voir Coran. 

Maimonide (M.), I, 9; II, 151, 152. 

Mainage (Th.), II, 319. 

Maistre (J. de), II, 175. 

Maldonat, I, 66, 95, 307, 316, 325, 332; 

II, 47, 439, 456, 458. 
Male (E.), I, 16; II, 163. 
Malvy (A.), II, 461. 
Manen (van), II, 182. 
Mangenot (E.), I, 102, 283, 292, 404; 

H, 262, 344, 374, 409, 456, 473, 504. 
Manville (0.), II, 232. 



Marc Aurele, I, 352, 405; II, 131. 
Marcion, I, 18, 80, 81, 91, 132, 133, 

134, 140, 187, 216, 225. 
Marechal (J.), I, 362; II, 77, 78, 94, 160. 
Margoliouth (D. S.), I, 358; II, 157, 

158, 448. 

Maries (L.), I, 201. 
Marillier (L.), II, 423. 
Marmion (dom C.), II, 640. 
Marmorstein (A.), II, 8, 49. 
Martin (A. S.), II, 178. 
Martin (F.), I, 290; II, 473. 
Martin (G.), II, 175. 
Martindale (C. C.), I, 349. 
Martineau (J.), II, 106. 
Maspero (G.), II, 541. 
Massignon (L.), I, 362, 386; II, 77, 78, 

81, 157, 158, 160, 161. 
Massis (H.), II, 656. 
Masson(P. M.), 11,177. 
Massuet, I, 221. 
Maurras (Ch.), II, 478. 
Mauthner (P.), II, 169, 170, 171, 175. 
Mayor (J. B.), I, 351. 
Mazon (P.), II, 368. 
Mead (G. R.), II, 147, 221. 
Medan (P.), II, 548, 549. 
Medebielle (A.), II, 40, 269, 570. 
Megilla, II, 12. 
Meige (H.), II, 360. 
Meinertz (M.), I, 371. 
Meir (rabbi), II, 10. 
Mekhiltha, II, 92, 464, 467. 
Meliton de Sardes, 1, 19, 132. 
Menard (L.), II, 196, 594. 
Menegoz (E.), II, 232, 242, 566, 592, 594. 
Mensching (G.), II, 544. 
Mesmer, II, 489. 
Methode, II, 135. 
Metz (A.), II, 232. 
Meunier (M.), II, 513. 
Meyer (A.), 1, II; II, 189, 324, 401, 409, 

419,497,501. 
Meyer (Ed.), I, 48, 143, 146, 190, 288, 

327, 374; II, 5, 28, 39, 47, 60, 61, 67, 

70, 74, 75, 146, 200, 219, 222, 262, 

323, 329, 357, 499, 531. 
Meyerson (E.), II, 232, 234, 238, 249. 
Michel (A.), II, 107. 
Michel (Ch.), II, 470. 
Midrasch, II, 17, 49, 105. 
Midrasch Pesiqlha, II, 20. 
Mignot (E. I.), II, 228. 
Milligan (G.), I, 20; II, 399. 
Minucius Felix, 1,405; II, 131. 
Mischna, I, 9, 256, 292; H, 585. 
Moeragenes d'Athenes, II, 220. 
Moffatt (J.), I, 60, 126, 177, 241, 



682- 



TABLE DBS AUTEURS CITB's. 



Mogatil,!!, 157. 

Mommsen (Th.), 1, 139. 

Monbrun (J.), II, 656. 

Monceaux (P.), II, 515. 

Mondadon (L. de), II, 638, 639. 

Monnier (H.), 1, 120; II, 84, 260, 659. 

Monod (A.), II, 176, 659. 

Montaigne, II, 233. 

Montan, I, 133, 187. 

Montefiore (C. G.), I, 269; II, 151, 156, 

269. 
Moore (G. F.), I, 164, 184, 291, 355; II, 

147, 155. 
Moret (A.), II, 474, 475, 510, 512, 513, 

514. 

Morin (dom G.), I, 68; II, 640. 
Moss (R. W.), I, 242. 
Moulton (J. H.), I, 25, 41, 65, 79, 82, 

106, 219, 228, 292. 
Moultou et Milligan, I, 151, 171 ; II, SO, 

95,96, 99, 101, 210, 272, 279, 327, 351, 

382, 458. 

Moxon (D r ), II, 360. 
Muirhead (L. A.), II, 455. 
Mulert (H.), II, 209. 
Muller (D. H.), I, 201. 
Muller (Iw.), II, 224. 
Muller (J.), II, 178. 
Muller (K.), II, 163. 
Murry (J. M.), I, 120; II, 194, 202. 
Mundle (W.), I, 312; II, 65. 
Myers (F. W. H.), II, 423. 

Nathan (rabbi), II, 17. 

Nau (F.), I, 341. 

Nestle (E.), I, 56, 299; 11,279. 

Newman (J. H.), II, 229, 340, 316, 332, 

641. 

Newton (I.), II, 179. 
Neyrand (J.), II, 507. 
Nice"phore, I, 210, 211, 213. 
Nicephore Calliste, I, 85. 
Nic6tas de Remesiana, II, 138. 
Nicholson (R. A.), II, 77. 
Niese (B.), I, 8, 190, 191. 
Nietzsche (F.), I, 240; II, 196, 197. 
Nilsson (M.), I, 349; 11,540. 
Noel (G.), II, 181. 

Noeldeke-Schwally, I, 53; II, 5, 159. 
Norden (E.), 24, 41, 190; II, 28, 60, 61, 

74, 430, 631. 
Novation, I, 405. 

Ochser (S.), I, 255. 

Odes de Salomon, 1, 131, 157, 336; II, 299. 
Oesterley (W. 0. E.), I, 9, 291; II, 87, 
145, 576. 



Olivieri (dom), I, 155. 

Oltramare (P.), I, 361; II, 448. 

Omodeo (A.), II, 72. 

Oracles Sibyllins, I, 246, 276. 

Origene, 1, 10, 58, 151, 152, 167, 172, 190, 
191, 210, 212, 213, 214, 238, 336, 367 
405; U^ 91, 132, 146, 147, 322, 458, 

Orose, II, 302. 
Orr (J.), H, 410. 
Ottley (R. R.), II, 500. 

W R 4 W 57 ' 158 ' 196 > 356; JI > 59 ' 
o4d, 570, 592. 

Otto (Th.), I, 341 j II, 518. 
Otto (W.), I, 247, 248, 251, 340. 
Oudenrijn (A. van den), II, 246, 254. 
Oula, II, 9. 

Ou-t'ing-Fang, II, 143. 
Ovide, II, 526, 529. 

Pacatus, II, 135. 

Paget (S.), II, 484, 486. 

Palladius, I, 44. 

Palliere (A.), II, 659. 

Papias, I, 29, 42, 57, 58, 59, 68, 107, 121, 

138, 139, 140, 141, 146, 151, 152, 210; 

11,402. 

Papini (G.), I, 86, 366, 396; II, 114, 
115. 

Papyrus d'Oxyrhynchus, I, 367. 

Parodi (D.), II, 232. 

Pascal, II, 23, 62, 90, 93, 98, 239, 312, 

325, 355, 656, 657. 
Patrice (saint), I, 384; II, 574, 640. 
Patterson (L.), II, 550. 
Paulus (G.), II, 322, 409, 410. 
Pauly (J. de), I, 44. 
Pauly-Wissowa-Kroll, II, 470, 529. 
Pausanias, II, 526, 529, 558. 
Peet (T. E.), II, 512, 514. 
P<5guy (Ch.), II, 368. 
P6rennes (H.), I, 201. 
Perles (F.), II, 113. 
Pesachim, II, 11. 
Petazzoni (R.) 5 1, 351; II, 510, 511, 516, 

Peters (N.),'I, 289. 
Pfleiderer (0.), II, 419, 429. 
Philippe - de Side, I, 151. 
Philodeme de Gadara, II, 625. 
Philon, I, 3, . 128, 164, 245, 246, 252, 264, 

275, 281 ; II, 49, 109. ' 
Philostrate, I, 40, 129; II, 134, 219, 220, 

364, 464, 466, 558. 
Photius, I, 7; II, 220. 
Picard (Ch.), II, 482. 
Picard (E.), II, 233. 
Pie X, II, 18. 
Pieron (H.), II, 491. 



TABLE DBS AUTEURS CITES. 



683 



Pinard de la Boullaye (H.), I, 281, 292, 

351; II, 16, 166, 180, 316, 428. 
Pindare, I, 82; II, 446. 
Pineau (J. B.), II, 167. 
Pineau (L.), II, 572. 
Pionius (Pseudo-), 1, 137. 
PirMAbolh, 1, 10, 60, 203,260, 261, 265, 

284, 373; II, 9, 10, 12, 150. 
Pirot (L.), I, 77. 
Planck (M.), II, 234. 
Platon, I, 40, 137, 349, 350; II, 376, 

471. 

Pline I'Ancien, I, 252; II, 464, 465. 
Pline le Jeune, I, 13, 14, 15; II, 97, 

130. 

Plotin, I, 40; II, 135. 
Plummer (A.), I, 32, 33, 62, 85, 86, 89, 

99; II, 401. 

Plutarque, I, 352; II, 553. 
Podmore (F.), II, 423. 
Poincare (H.), II, 232, 246. 
Pollock (F.), II, 153. 
Polybe, II, 50. 

Polycarpe (saint), I, 132, 187, 216. 
Polycrate d'Ephese, I, 132. 
Pommier (J.), II, 230. 
Pomponace (P.), II, 167. 
Poricky (J.), II, 314. 
Porphyre, I, 43; II, 135, 136, 137, 138, 

322, 529. 

Portalie (E.), II, 489, 492, 636. 
Pourrat (P.), II, 163, 643, 649. 
Power (E.), 1,365; 11,5. 
Prat (F.), I, 21, 22, 24, 29, 31, 32, 71, 90, 
91, 124, 173, 218, 247, 285, 297, 318, 
355; II, 93, 205, 261, 373, 377, 458, 
473, 500, 559, 573, 587, 604. 
Preuschen (E.), I, 12, 211, 379; II, 82, 

395. 
Preuschen Bauer, II, 272, 458, 

603. 

Proclus, I, 40. 

Psaumes de Salomon, I, 276, 292. 
Ptolemee, I, 132, 133, 187. 
Punger (B.), II, 221. 

Quimby (Ph. P.), II, 484. 

Rab, II, 8, 9. 

Radhakrishnan (S.), II, 143, 448. 

Radin (P.), I, 351. 

Ramsay (W ), I, 23, 77, 232 ; II, 617. 

Rashdall (H.), II, 371. 

Rasmussen (E.), II, 122. 

Rasp (H.), I, 257. 

Ravaisson (F.;, I, 352; II, 433. 

Raymond de Capoue, I, 374. 

Razi, II, 449. 



Rccogniliones, I, 341. 

Redpath (II. A.), I, 246. 

Regnier (A.), II, 4. 

RSgnon (Th. de), II, 80. 

Reimarus, I, 371; II, 175, 176, 184, 409, 

461. 

Reinach (A. J.), I, 22. 
Reinach (S.), I, 192; II, 156, 428-429, 

488, 516. 

Reinach (Th.), 1, 6, 8, 190, 192, 243, 244. 
Reitzenstein (R.), I, 42, 283, 292, 317, 

342, 345, 349; II, 190, 199, 429, 455, 

464, 465, 511, 537, 550, 579, 582, 588, 

590, 625, 626. 
Renan (E.), 1, 5, 8, 12, 26, 27, 40, 51, 68, 

77, 86, 118, 126, 175, 176, 177, 180, 211,, 

214, 215, 252, 255; II, 23, 81, 104, 183, 

194, 195, 196, 198, 225, 230, 325, 357, 

372, 375, 407 sq., 421, 422, 477, 497, 

554, 557, 631, 636. 
Renaudet (A.), II, 167. 
Retel (A.), II, 314. 

Reuss (Ed.), I, 8, 403; II, 183, 408, 409. 
Reville (A.), II, 189,220,221, 410. 
Reville (J.), 1, 127, 129, 142; II, 189, 455. 
Richard de Middletovvn, II, 356. 
Rickaby (J.), II, 201, 249. 
Ridder (A. de), II, 93. 
Riley (I. W.), II, 5. 
Ritschl (A.), II, 185. 
Ritschl (0.), II, 185. 
Roberts (R.), II, 201. 
Robertson (A. T.), I, 106. 
Robin (G.), I, 349. 
Robinson (J. A.), I, 334; II, 559, 500, 561, 

608, 623, 624. 
Roeder (G.), II, 512, 548. 
Roerdam (T. S.), II, 501. 
Rohde (E.), II, 134, 222, 376, 380, 416, 

470,471,516, 517,556, 557. 
Roi (J. de le), II, 151. 
Roirbn (X.), II, 381. 
Rose (H. J.), I, 25. 
Rose (V.), II, 379, 410, 434. 
Roslagni (A.), II, 139. 
Rottmanner (dora 0.), II, 614. 
Rougier (L.), II, 132. 
Roure (L.), II, 243. 486, 491. 
Rousseau (J. J.), I, 405; II, 177, 332, 

333. 

Rousselot (P.), I, 108, 329. 
Rueh (Ch.), II, 69, 72. 
Rufin, I, 59. 
Ryle (R. J.), II, 360. 

Sabatier (A.), I, 90,371, 408; II, 183, 

185 sq., 191, 242, 247, 584. 
Saint John Thackeray (H.), I, 246. 



684 



TABLE DBS AUTEURS CITES. 



Salluste, II, 526, 529. 

Salvador (J.), II, 153. 

Salvien, II, 302. 

Sanday (W.), I, 34, 101, 241, 317; II, 84, 
178, 204, 205, 206, 207, 318, 445. 

Sanday (W.), Souter (A.) et Turner 
(C. H.), I, 221. 

Sanday (W.), et Turner (C. H.), I, 20. 

Sanders (P.), II, 189. 

Saulcy (F. de), I, 2-1S. 

Savonarole, II, 7. 

Sayn (P.), II, 429. 

SchammaV, I, 9. 

Schanz, I, 167. 

Schechter (S.j, II, 145. 

Scheeben (J.), II, 245. 

Scheel (0.), II, 636. 

Scheftelowitz (G.), 285, 345. 

Schemone Esre, 1, 265; II, 144. 

Schepens (P.), II, 65. 

Schlatter (A.), I, 180. 

Schleiermacher (F.), I, 93, 102; II, 178, 
180 sq., 185, 241. 

Schmidt (C.), I, 137; II, 394, 402, 416. 

Schmidt (K. L.) 5 J, 42, 43, 45, 47, 48, 
49, 95, 129, 173,198, 317,409; II, 328, 
572 

Schmidt (W.), I, 202, 351, 356; II, 118. 

Schmidtke (A.), I, 211, 212, 213, 214. 

Schmiedel (P. W.), I, 175; II, 66, 201, 
393, 403, 407, 409, 412, 419, 503, 504. 

Schopenhauer, II, 123. 

Schracler (E.), I, 292. 

Schuhl (M.), II, 150. 

Schuhmacher (H.), I, 60; II, 604. 

Schulthess, I, 106. 

Schiirer (E.), I, 8, 190, 191, 192, 219, 
220, 243, 245, 247, 249, 253, 268, 290; 
II, 342. 

Schutz (R.), I. 36, 409. 
Schwalm (M. B.), 1, 185, 290. 
Schwartz (E.), I, 22, 57, 133, 137, 142, 

146, 148, 149, 150, 153, 154, 155. 
Schweitzer (A.), J, 125; II, 83, 122, 
126, 176, 178, 183, 189, 190, 294, 309, 
454, 455, 582, 590. 
Scott (E. F.), II, 614. 
Seche (A.\ I, 16. 

Seeberg (R.), 11,208, 218,241, 268,490. 
Sell (E.), 1,365; II, 157. 
Senart (E.), I, 353. 
Se"neque, I, 352. 

Sentences des Peres, voir Pirke Aboth. 
Sergent (E.), II, 422. 
Sertillanges (A. D.), II, 105, 452. 
Servet (M.), II, 168. 
Ser-vius, II, 472. 
Shaftesbury, II, 170. 



Shaw (J. M.), II, 409, 411. 

Shelley, II, 196. 

Sickenberger (J.), I, 102. 

Sieffert, I, 254, 288. 

Sierp (H.), I, 48. 

Sievers (E.), I, 21. 

Simeon ben Jocha'i (rabbi), II, 13, 

Simon de Tournai, II, 162. 

Sinety (R. de), II, 452. 

Sinnett (A. P.), II, 221. 

Skinner (J.), I, 356. 

Slijpen (A.), I, 193. 

Smit (J.), I, 285; II, 343, 344, 365, 473.. 

Smith (D.), I, 185. 

Smith (G. A.), I, 201, 249. 

Smith (W. B.), II, 182, 183. 

Socin (F.), II, 169. 

Socin (L.), II, 168. 

Soden (H. von), I, 167; II, 38, 53, 128. 

Soederblom (N.), I, 292, 351; II, 189,. 
659. 

Soiron (T.), I, 95, 101. 

Souilhe" (J.), II, 544. 

Soury (J.), II, 122. 

Spartien, II, 477. 

Spencer (H.), II, 179. 

Spinoza, H, 151, 152, 153. 

Sprengel (K.), II, 488. 

Staehelin (F.), I, 244. 

Staehlin (E. 0.), I, 69. 

Staerck (A.), II, 314. 

Stamouli (A. A.), I, 254. 

Stanton (V. H.), I, 79, 99, 108, 120, 219,. 
220, 291 ; II, 262. 

Stapfer (E.), 1, 265, 291 ; II, 371. 

Steinmann (A.), I, 303. 

Stern, II, 170. 

Stevens (G. B.), I, 403. 

Strabon, II, 527.' 

Strack (II. L.), I, 9, 10, 41,242, 249; II, 
145, 146, 150, 467, 469. 

Strack et Billerbeck, I, 60, 116, 164, 
165, 180, 265, 268, 279, 324, 374, 384, 
397; II, 9, 12, 13, 16, 17, 20, 21, 38, 
39, 42, 43, 44, 51, 53, 65, 87, 113, 146, 
147, 148, 149, 256, 259, 268, 342, 348, 
352, 387, 437, 467, 507, 576, 590. 
Strauss (D. F.), I, 5, 118, 119, 126; II, 
181, 183 sq., 193, 198, 323, 324, 375, 
409, 410, 497. 

Streeter (B. H.), I, 37, 47,. 57, 99, 113, 
114, 116, 149, 155, 159, 160, 235; II, 
46, 47, 67, 76, 91, 127. 
Strohl (H.), II, 164, 165. 
Strowski (F.), II, 656. 
Suarez (F.), II, 243, 356. 
Suetone, 1, 12, 13, 275; II, 131, 476, 54L 
Sundar Singh (sadhu), II, 93. 



TABLE DBS AUTEURS CITES. 



685 



Swete (H. B.), I, 67, 71, 75, 77, 103, 
114, 226, 232; II, 385, 394, 458, 459, 
501, 502. 

Swift, II, 170. 

Sybel (von), II, 470. 

Synave (P.), II, 244. 

Szekely (S.), I, 290. 

Tacite, I, 13, 193, 275; II, 131, 476. 

Tagore (Rabindranath), 1, 179; II, 561. 

Taille (M. de la), II, 38. 

Taine (H.), II, 169, 196, 232. 

Talmud, I, 9, 257. 

Tasker (J. G.), I, 389. 

Tatien, I, 92, 132, 133, 143, 187, 405; 

II, 91. 

Taylor (R. B.), I, 254. . 
Teilhard de Chardin (P.), II, 452. 
Telang(K. T.), I, 353. 
Temple (W.), II, 204. 
Tennant (F. R.), II, 228, 241, 452. 
Terese (sainte), I, 27, 157; 11,650 sq., 

656. 

Termier (P.), II, 450. 
Tertullien, I, 10, 19, 36, 132, 136, 149, 

167, 218, 236, 247, 321, 405; II, 146, 

322, 416, 552, 558, 596. 
Testament des douze Palriarches, 1, 276, 

278, 284. 

Tharaud (J. et J.), I, 44. 
Theocrite, II, 509, 522, 523. 
Theodore le lecteur, I, 85. 
Theodbret, I, 165 ; II, 589. 
Theophile d'Antioche, 1, 132, 405. 
Theophylacte, I, 332; II, 458. 
Thesaurus linguae latinae, II, 564. 
Thomas d'Aquin (saint), 1, 316, 331 ; II, 

92, 224, 229, 239, 242, 243, 244, 246, 

249, 250, 313, 370, 445, 491, 492, 557. 
Thompson (R. C.), II, 342. 
Thorndike Lynn, II, 350. 
Thurston (H.), II, 484, 486. 
Tibulle, II, 548. 

Tillmann (F. R.), I, 102, 317, 318, 344. 
Timothee, II, 529. 
Tindal, II, 170. 
Tirmidhi, II, 160. 
Tisserant (E.), II, 587. 
Titius (A.), II, 344. 
Tobac (E.), I, 291, 318; II, 266. 
Tocqueville (A. de), I, 387. 
Toland, II, 170. 

Toledot Jeschu, I, 11; II, 133, 146, 147. 
Tolstoi' (L.), II, 114, 309. 
Tonquedec (J. de), II, 240, 489. 
Torrey (M. C. C.), I, 178. 
T'ou-hyao-chen, II, 143. 
Toutain (J.j, II, 511, 525, 528, 550. 



Touzard (J.), I, 255, 270, 571, 278, 280, 

286, 290, 320. 
Treen (H. M.), I, 301. 
Trepat, II, 573. 
Tricot (A.), I, 193. 

Troeltsch (E.),1, 87; II, 164, 166, 183, 592. 
Turchi (N.), II, 516. 
Turner (C. H.), I, 73, 74, 121 ; II, 178, 

270, 286. 
Tyrrell (G.), II, 188, 192, 201, 247, 456. 

Vacandard (E.), I, 410. 

Vaganay (L.), I, 17. 

Valensin (Alb.), 1, 290. 

Valentin, I, 132, 225. 

Valery (P.), II, 444. 

Valle (Pietro della), I, 342. 

Vallce Poussin (L. de la), t I, 53, 203, 

354, 361, 401 ; II, 276, 447, 448. 
Vallette (P.), II, 470. 
Vanini, II, 168. 
Vannutelli (P.), I, 106. 
Venard (L.), I, 162. 
Vendiddd, I, 343. 
Vendryes (J.), II, 603. 
Verdier (P.), II, 353. 
Vicomercato, II, 168. 
Vigile de Thapse, I, 341. 
Vigouroux (F.), II, 178. 
Vincent (F.), II, 649. 
Vincent (II.), I, 255. 
Virolleaud (Ch.), II, 429. 
Vischer, 1, 234. 
Viteau (J.), I, 288; II, 54. 
Voelter, I, 232. 
Vogels (H. J.), I, 92, 167, 228, 231; II, 

129, 279, 346, 501. 
Volkmar (G.), II, 454. 
Voltaire, II, 141, 171 sq., 184, 221. 
Volz (P.), I, 270, 272, 275, 291. 
VostS (J. M.), I, 218. 
Vourch (A.), II, 356. 

Waffelaert (G.), II, 314. 

Wagner (Ch.), II, 115. 

Walker (J. K.), 1, 89, 268. 

Waltzing (J. P.), 11,471. 

Warfield (B. B.), II, 87,' 279. 

Waser (de), II, 470. 

Watkin (E. I.), II, 314. 

Weber, 1, 268. 

Wehrte (J.), II, 240, 243. 

Weiffenbach (W.), II, 454. 

Weinel (H.), I, 157, 377, 403; II, 69, 

155, 178, 191, 260, 570. 
Weinreich, II, 465. 
Weiss (B.), I, 327,403; 11,502. 



686 



TABLE DBS AUTEURS CITES. 



Weiss (J.), I, 21, 23, 24, 28, 32, 41, 42, 

73, 75, 76, 108, 117, 121, 130, 146, 154, 

157, 175, 217, 243, 263, 278, 318, 377; 

II, 29, 62, 84, 109, 154, 190, 260, 352, 

374, 376, 377, 413, 424, 454, 455, 456, 

497, 505, 507, 573, 586. 
Weiss (K.), II, 273, 282, 456, 459. 
Weizsaecker (C.), 1, 126. 
Wellhausen (J.), I, 41, 146, 148, 154, 

308, 314, 344, 371; II, 29, 60, 70, 74, 

84, 189, 260, 269, 408. 
Wendland (P.), I, 41, 74, 175, 187,293; 

II, 84, 109, 241, 511, 530. 
Wendt (H. H.), I, 161, 303. 
Wensinck (A. J.), I, 386; If, 258. 
Werner (H.), II, 122, 262. 
'Wernle(P.), II, 188. 
Westcott (B. F.), I, 38, 73, 161 ; II, 80, 

274, 320, 598. 
Wette(de),!, 127. 
Wetter (G. P.), I, 409; II, 71, 72, 190, 

199, 455, 579. 
White (H. G. E.), I, 18. 
Whitehead (A. N.), II, 232. 
Wieger (L.), I, 263, 343, 387, 389; II, 

143, 235, 549. 
Wieland, I, 405. 
Wien(W.), 11,231. 
Wikenhauser (A.), I, 4, 77, 84. 
Wilamowitz-Moellendorf, II, 321. 
Wilcken, I, 14. 
Will (R.j, II, 166, 580. 
Wilmart (dom A.), II, 641. 



Winckler (H.), 1,292. 

Windisch 01.), 1, 128, 220; II, 425, 587. 

Wogue (L.), II, 154. 

Wood (H. G.), II, 111. 

Wood (I. P.), I, 385. 

Woods (H.). II, 452. 

Wordsworth et White, I, 339. 

Wrede (W.), I, 311, 312, 317; II, 260, 

455. 

Wright (A.), I, 101. 
Wright (Th.), II, 317. 
Wrzol (J.), I, 20. 
Wundt (W.), I, 195. 
Wunsch (R.), II, 350, 470. . 

X6noerate, II, 471. 
Xenophon, I, 40, 43, 146, 349. 

Zahn (Th.), I, 36, 42, 78, 93, 140, 142, 
143, 145, 146, 149, 151, 152, 167, 211, 
213, 228, 232, 353; II, 128, 442, 458, 
501, 617. 

Zambornino (J.), II, 470. 

Zeller (E.), II, 219, 220, 221. 

Zenner (J. K.), I, 201. 

Ziegler (K.), I, 349. 

Zielinski (Th.), I, 348, 361 ; II, 433, 511, 
521, 528, 532. 

Zimmern (H.), I, 292; II, 429. 

Zoeckler (6.), II, 169, 

Zohdr, I, 44. 

Zola (E.), II, 357. 

Zorell (F.), II, 272,458. 



INDEX ALPHABETIQUE DES MATIERES 



Abomination de la desolation, II, 

285-286. 
Actes des Apotres, authenticity, I, 

78-82; unite, I, 219-220; langue 

et style, I, 79, 219-220; sources 

aram6ennes, II, 565. 
Adonis, 16gende et mysteres, II, 369, 

432, 433, 520-524, 531-532. 
Age d'or, II, 368 n. 1. 
Agonie de Jesus, II, 90-91. 
Agrapha, I, 17, 367 n. 1. 
Akbar, II, 161. 
Alexandria, colonie juive, I, 12 n. 1, 

245-246, 280; II, 579. 
Allegorisme alexandrin et quatri6me 

evangile, 1, 172 n. 1. 
Alliance de Dieu, dans 1'A. T., I, 270- 

271; dans le N. T., II, 38-40, 569, 

570-571. 

Aloges, I, 184-185. 
Ame humaine, II, 92 n. 1 ; II, 444-445. 
Amen, II, 620. 
Am-ha-arez, I, 184 n. 1, 251 n. 1, 

260 n. 1, 325 n. 2,' 373 n. 1; II, 

'10-11. 

Amidisme, I, 386, 401 n. 1. 
Amour pour Dieu, I, 359-365 ; pour 

le Christ, II, 23-24, 81, 99, 622-624, 

631-663. 
Analogies, Iitt6raires avec les evan- 

giles, I, 41-47; cultuelles entre le 

mystfere Chretien et les mysteres 

paiiens, II, 510-532, 535-536, 557-561, 

580. 

Anani, I, 324 n. 2. 
Anath&me, I, 397. 
Andania (mysteres d'), II, 546. 
Antechrists, dans saint Jean, I, 161- 

162; a la Renaissance, II, 162-168. 
Antilegomena, 1, 17, 210, 213. 
Apocalypse de Jean, date, I, 229; 

langue, I, 229-230, 234 ; com- 
position, I, 230-232; comparaison 

687 



avec le quatrieme 6vangile, I, 222- 
236 ; son message aux Eglises, II, 
616-622; sa christologie, II, 617- 
622. 

Apocalypse synoptique, II, 116, 
282-292, 305-309. 

Apocalyptique (litterature) dans 1'A. 
T. et le judai'sme, 1, 265-268, 291-299; 
II, 295-296; dans le N. T., I, 228- 
236; II, 116, 280-292, 295-312, 616- 
622. 

Apollos, I, 52, 102; II, 561, 583. 

Apologetique juive, I, 282; chre- 
tienne primitive, II, 565, 567-568, 
571-576. 

Apotheose des rois et empereurs 
pai'ens, II, 474-476, 564, 577. 

Apotres, leur election, II, 22 ; leur 
formation par J6sus, 1, 337; leur 
foi en Jdsus, de son vivant, I, 316, 
338; 11,30-31; apres sa resurrection, 
II, 405-409, 426-427, 563, 565, 569- 
570, 576-578, 582, 612-613. 

Apparitions du Christ ressuscite, II, 
374,378-393, 399-402, 412-427; leur 
localisation en JudSe et en Galilee, 
II, 413-414, 417-420. 

Arameenne (langue), I, 58, 106; 
parlee par Jesus, I, 106 n. 2. 

Aristion, I, 58, 106. 

Aristote. sa conception de laDivinite, 
I, 349-350; n6gation de la Provi- 
dence, I, 350, 368 n. 2. 

Arminiens, 11,169. 

Asklepios, dieu guerisseur, II, 481- 
484. 

Atheisme (accusation d'), aux pre- 
miers siecles, II, 539, 593. 

Attis, 1,4; 11,369, 432,433,524-532,547. 

Attgustin (saint} et le fait synoptique, 

I, 93, 114 n. 2; temoin de J6sus, 

II, 635-639; de-PEglise catholique, II, 
638-639. 



688 



INDEX ALPHABETIQUE DBS MAT1ERES. 



Bakti, devotion personnelle dans 1'ln- 
de, I, 52 n. 2, 354, 399-400, 401 n. 1; 
II, 552. 

Bapteme, de Jean, I, 189, 299-300, 
310; regu par J&sus, I, 214, 304, 
305-306; Chretien, I, 173, 306; II, 
600, 607-608, 628. 

Beatitudes dvangeliques, I, 55 n. 1, 
87 n. 1, 370-375. 

Beni (nom divin), II, 41. 

B6r, II, 10. 

Bouddha, tentatlon, I, 343; pre- 
tendus miracles, 11,447-448; culte, 
I, 52 n. 2, 401-402; II, 447-448. 

Bouddhiques (livres) et evangiles, 
I, 52 n. 2. 

Bouddhisme, I, 52 n. 2, 361, 401; 

. II, 447-448, 562. 



Cabires, II, 545. 

Canons d'Eusebe, I, 93. 

Gatechese apostolique, I, 28-29, 33, 

101 n. 2, 105-106, 107-108; II, 597, 

599. 

Cathares, II, 629. 
Catholique (Eglise), II, 614, 634, 638- 

639. 
Gene du Seigneur, II, 38-39, 69-73, 

580-581, 583. 
Cerinthe, I, 162 n. 3. 
Chalcedoine (concile de), II, 214-218. 
Charismes, II, 571-576, 590, 608. 
Charite fraternelle, I, 388-398; II, 

15, 576; sonmodele dansle Christ, 

II, 99-103. 

Chassidim (secte des), I, 44-45. 
Ghastete chr&ienne, I, 383; II, 15- 

16. 

Chinois et Chi'istianisme, II, 142-143. 
Christ de 1'histoire et Christ 

de la ioi , I, 240; II, 612-613, 634- 

635. 
Ghristianisme.son excellence comme 

religion, I, 399-402; II, 658-663. 
Christian Science , II, 484-486. 
Chronologic evang&ique, I, 4, 94, 

99, 247, 297; paulinienne, I, 21-22, 

71 n. 1. 
Gommandements de la Loi, grands 

et petits, II, 13. 
Communaute chretienne primitive, 

son r61e a 1'egard de la tradition 

evang&ique, I, 43, 49,52; sa cons- 
titution eccl^siastique, I, 383, 407- 

410; sa foi en Jesus, II, 563-578; 

son culte et sa liturgie, II, 576- 

578, 610. 



Comparatiste (Ecole), I, 41 ; II, 199, 
428-434, 510-532, 579-581, 593, 662. 

Condescendance divine, II, 16 n. 1. 

Confucius, I, 389 n. 1. 

Gonuaissance des cceurs par Je- 
sus, II, 257-258. 

Conscience messianique en Jdsus, 
II, 83-85. 

Contre-Reforme, II, 169. 

Goran et dvangiles, I, 52 n. 2; et 
histoire du Christ, II, 157-159. 

Corps mystique du Christ, II, 584, 
603, 609. 

Craignant Dieu (les), I, 245. 

Gulte Chretien, I, 51-52, 108; II, 69- 
73, 566-568, 576-577, 597, 610; inte- 
rieur, I, 363 ; ext6rieur, I, 363. 

Cybele, I, 351; II, 524-532, 537, 538, 
547. 

Daimones et demons, II, 341-354, 
470-473, 540, 589. 

Deistes, II, 168, 170-171. 

Destinee humaine, I, 361-362; II, 621. 

Diaspora, I, 6, 23, 54, 107, 163, 241- 
247, 279-283 ; II, 579. 

Diatessaron de Tatien, 1, 92, 133,143. 

Dieu, chez les non-civilis6s, I, 350-351 ; 
chez Platon, I, 349-350; chez 
Aristote, I, 349-350, 368 n. 2; ^- .dans 
le stoi'cisme, I, 352-353; dans 1'A. 
T., sa paternite, I, 355 ; sa saintet6, 

I, 356-357; dans le N. T., sa trans- 
cendance, 1, 357-358, 360; II, 87, 593- 
595; sa saintetd, I, 360, 362; II, 86; sa 
bonte, I, 359-360; II, 87; sa provi- 
dence, I, 365-369; II, 86; attitude 
de Jesus envers Dieu le Pere, II, 85- 
98, 107. Voir aussi Monotheisme. 

Dieu inconnu (autel au), II, 557-558. 

Dionysos Zagreus, II, 432, 433, 515- 
520, 531-532, 546-547, 580, 582. 

Dispersion (Juifs de la), voir Dias- 
pora 

Docetes, I, 225. 

Doublets dans les evangiles, I, 110- 
111. 

Douceur e>angelique, I, 110-111. 

Ebionites, I, 86, 210, 212, 225. 

Echmoun, II, 52Q-524. 

Economic dans 1'enseignement 
de Jdsus, I, 311, 315. 

Education juive, I, 184-185. 

Eglise, dans 1'Evangile, I, 383, 407- 
410; II, 278-279, 611; dans les 
Actes, II, 576-577; dans saint Paul, 

II, 607-609; dans saint Jean, II, 



INDEX ALPHADETIQUE DBS MATIBRE8. 



689 



613-615; dans saint Ignace d'Antio- 

che, II, 634; dans saint Augustin, 

II, 638-639; dans saint Francois 

d'Assise, II, 647-648 ; chez les saints 

modernes, II, 655-656. 
.Elephantine, colonie juive, I, 242, 

280. 
Eleusis (mysteres d'), II, 537, 540-545, 

548, 552, 591. 
Elie, precurseur du Messie, II, 266- 

267. 
Elu de Dieu, titre messianique, I, 

322-323; II, 35 n. 1. 
Emmaus, II, 387. 
Endurcissement des Juifs, I, 329- 

336; II, 27, 52. 
Enseignement oral, chez les Juifs, 

I, 10, 54, 202; de Jesus, sa dialec- 
tique. II, 108-109; son tour image, 

II, 108-112, 117; ses rythmes, II, 
__ 109; ses paradoxes, II, 113. 

Epictete et le Christianisme, I, 352- 

Epidaure (sanctuaire d'), 11,481-353. 
483. 

Epitre aux Ephe"siens, authenticity 
paulinienne, I, 20, 216-217. 

Epitre aux Hebreux, sa redaction, 
I, 218; ses destinataires, I, 218; 
sa valeur historique, I, 5, 217-218. 

Erasme, II, 166. 

Eschatologie, voir Fin du monde. 

Eschatologique (ecole), II, 292-295, 
308, 454-456. 

Esculape, voir Asklpios. 

Esprit-Saint, temoin de Jesus, 'I, 
103-104; ses dons, I, 103-104,- II, 
571-576. Voir Charismes. 

Esseniens, I, 252-254. 

Eucharistie, I, 172; II, 38-39, 69-73, 
580-581, 583. 

Evangiles canoniques, appellation, 
I, 35-36; texte, I, 36-38; genre 
Iitt6raire, I, 38-56; 82; dates de 
composition, I, 118, 221-225; leur 
preparation orale, I, 104-106; ca- 
ractere liturgique, I, 51; II, 610; 
comparaison avec les livres bouddhi- 
ques, I, 52 n. 2; avec le Goran, I, 52 
n. 2. Voir Historicity des Evan- 
giles; Matthieu, Marc, Luc et 
Jean. 

Evergetes, II, 99. 

Evolution et evolutionnisme, II, 
179-180, 181-182, 191, 428; et mira- 
cle, II, 452-453. 

Faith-Healing, II, 356-364, 479-486. 
Fatalisme de 1'Islam, I, 364-365. 

JESUS CHRIST. T. II. 



Fatum, II, 472. 

Femmes dans 1'fivangile, I, 88-89; 
tdmoins de la resurrection du Christ, 
II, 384-387, 394, 403-404. 

Fils de Dieu (Jesus), I, 304, 305, 306; 
II, 27-31, 41-45, 48-56, 79-80, 107, 211- 
212, 216-218, 577, 597-598, 604, 613, 
620, 633, 635, 637. 

Fils de I'homme, emploi de Pexpres- 
sion dans 1'A. T., fizechiel, I, 318, 
324; Daniel, I, 319-321; dans le livre 
d'Henoch, I, 321-323 ; dans les evan- 
piles, I, 310-312, 323, 324; dans 
1'Eglise primitive, I, 318 n. 2, 324; 
souffrant, II, 33; juge univer- 
sel, II, 33-35, 299; son avenement, 
II, 281, 288, 297-299, 310; - sa session 
a la droite du Pere, II, 291, 298, 304, 
310, 565, 619. 

Fin du monde, dans les apocalypses 
juives, I, 286; dans les propucties 
de Jesus, II, 281, 288-289, 294-295, 297- 
299, 300, 302-303, 306-311, 457463. 

Foi, sa preparation, I, 315, 333-334; II, 
52; ses vicissitudes chez les disci- 
ples, I, 316, 338; II, 30-31, 405-409, 
426-427, 563, 565, 569-570; lumiere 
de foi, I, 334-336; II, 52, 637; foi 
et miracle, II, 362-364. 

Folklore et 6vangiles, I, 50. 

Formules dogmatiques, II, 214-217. 

Franc- Magonnerie, II, 175. 

Freres du Seigneur , I, 175-176, 
309-310; II, 609. 

Glossolalie, II, 572. 

Gnosticisme et Gnostiques, I, 132- 

133, 136-137, 162 n. 1, 3, 169; II, 40, 

613, 628-629, 635. 
Grande Mere, voir Gyfoele. 
Guerisons (miracles de), II, 354-364. 

Hallucination et resurrection du 

Christ, II, 421-427. 
Hellenigue (religion), 1, 347-351. Voir 

Jlff'trs't fe 1*6 S 

Hellenisme et A. T., I, 280-281 ; 
et judai'sme, I, 279-287; et N. T., 
I, 54, 109; II, 109, 535-536, 561, 579- 
594. 

Herakles, dans le stoicisme, I, 353. 

Hermgtiques (ecrits), I, 164. 

Herode le Grand, I, 4, 247-248; 
Antipas, I, 4, 189, 247, 248, 300, 301 
n. 1, 303; Archelaiis, I, 247; 
Agrippa I or , I, 4, 252; Aggrippa II, 
1, 4, 190. 

Herodiade, I, 189, 300, 339-340. 

44 



690 



INDEX ALPHABETIQUE DBS MAT1ERES. 



Herodiens, I, 251, 312; leur oppo- 
sition a Je"sus, I, 326 ; II, 265. 

H6roisme chre'tien, I, 395-398. 

Historicity des evangiles, synopti- 
ques, I, 118-125; II, 610-611; johan- 
nicme, I, 171-183. 

Humanisms paien, II, 138, 163, 166- 
168, 196; Chretien, II, 163 n. 1. 

Humanit6 du Christ, I, 173 n. 1 ; II, 
96-97, 108, 212-213, 612-613. 

Hymnes au Christ, I, 14; II, 298-299, 
566, 601, 640. 

Hypocrisie pharisaiique, II, 17. 

Incarnation (dogme de 1'), II, 210- 
218. 

Inde (religions de 1'), I, 353-354; 399- 
402; II, 143, 552. Voir Bouddha. 

Irenee (saint), son te"moignage sur 
le T6tramorphe, I, 221-225; sp6- 
cialement sur le quatrieme 6vangile, 
I, 133, 136-138; temoin de Je"sus, II, 
634-635. 

Isis, I, 351; II, 511-515, 537; ses 
mysteres, II, 548-550, 591. 

Islam, monoth&sme, I, 358 n. 1 ; 
fatalisme, I, 364; conception du 
paradis, I, 385 n. 1 ; caractere po- 
litique, I, 387 n. 1 ; sa mystique, 
I, 361 n. 1, 386; sa pole"mique 
anti-chre"tienne, II, 159 n. 6. 

Jacques de Jerusalem, I, 44, 148, 190, 
191, 214, 215; II, 381, 382, 575, 583, 
609. 

Jacques, flls de Zeb6de"e, I, 145-147. 

Jean, fils de Ze"bedee, son pr^tendu 
martyre, I, 146-154. 

Jean (epitres de), 1, 132, 160-161. 

Jean (evangile de), son attestation 
traditionnelle, I, 130-141 ; son in- 
tegrite, I, 143; II, 501-502; son 
unite litte"raire, I, 154-159; son 
but, 1, 159-163; II, 46-47; son plan, 

I, 172; son historicite, I, 171-183; 

II, 47-48; son exactitude gelogra- 
phique, I, 175-176; son re"alisme, 
I, 173; son sacramentalisme, I, 
173-174; son caractere eccle"sias- 
tique , I, 174; II, 613-615; son 
mysticisme, I, 157-158; son carac- 
tere spirituel , II, 612-613 ; son 
eschatologie, 1,234; 11,310-311; 
langue et style, I, 156-157, 178-179 ; 
hypothese d'un original arameen, 
I, 178-179, 227; eouleur se'mitique, 
I, 178-183; comparaison avec les 



Synoptiques, I, 159-160, 174-175, 177- 
178, 338; II, 46; d<5pendance a 
regard de Marc, I, 159; rappro- 
chements avec Philon, I, 163-164; 
chapitre final, II, 501-502. 

Jean Baptiste, son ministere, I, 4, 7, 
297-305; sa mort, I, 189, 300-301; 
ses disciples, I, 301-305, 341-342. 

Jeanne d'Arc (sainte), I, 27; II, 40. 
426 n. 1, 639. 

Jerusalem, prediction de sa ruine. 
II, 282-283, 285-287, 303, 305. 

Jesus Christ : voir Fils de Dieu, 
Fils de 1'homme, Logos, Sei- 
gneur. 

Jonas (signe de), II, 435-441. 

Josephe et le Christianisme primitif, 

I, 7-8, 189-194. 

Judaisme, dans la Dispersion, 1, 241- 

247; palestinien, I, 247-263; 

rapports avec I'Heltenisme, II, 279- 

287. 
Jugement de Dieu, I, 273-274; II, 

295-296; du Fils de 1'homme, II, 33- 

36, 299. 
Juifs, sens du mot dans le quatrieme 

evangile, I, 170 n. 2, 181-182. 
Justice, legale, I, 170-171; II, 11, 15, 

17, 18; dans le N. T., I, 171, 393 ; 

II, 14-18. 

Kenose (theorie de la), II, 204-206. 
Krishna, I, 4, 353-354; II, 143. 

Langage de J6sus, I, 106 n. 2. 

Langues (don des),II, 572-573. 

Legalisme, chez les Juifs, I, 357; II, 
8-10. 

Logia, 1, 17-18, 101 n. 1, 213, 367 n. 1; 
dans Papias, I, 57, 59 n. 1. 

Logos, en dehors du N. T., I, 128 n. 
2, 163-165, 168; et Sagesse, I, 165- 
169; dans le N. T., I, 163, 165- 
169, 234; independance a l'e"gard 
de Philon, I, 164; dans saint Ire- 
nee, II, 635; dans saint Augustin, 
II, 637. 

Loi de Moise, et Pharisiens, II, 165, 
259-262; et Rabbins, II, 8-11; 
et Jesus, II, 11-18, 38, 115. 

Loi nouvelle, II, 11-18, 38, 115. 

Luc (6vangile de), I, 28, 36, 48; 
temoignage traditionnel, I, 77-82; 
style, I, 82, 89, 115; langage medi- 
cal, I, 89 n. 5; plan, I, 84; traits 
caracteristiques, I, 82-91 ; rapports 
avec Marc, I, 111-112; avec Mat. 



INDEX ALPHABETIQUE DES MATIERES. 



691 



thieu grec, I, 113-114; paulinisme, 

1,90. 

Xiumiere, dans le quatrieme e" vangile, 
I, 168, 170. 

Mahomet, I, 3, 52 n. 2, 358; ses 
preventions prophe"tiques, II, 5-6; 
ses dires sur J6sus, II, 157-159 ? con- 
ception politique, 11,273; pre"tendus 
miracles, II, 448-449; sceau des 
prophetes , II, 620 n. 1. 

Makom, I, 60 n. 3, 260 n. 2. 

Mai (problems du), I, 369-370. 

Mandeens, I, 342. 

Manicheisme, I, 168. 

Marc (evangile de), I, 36, 48-49, 51, 
59, 67-77; te'moignage traditionnel, 
I, 68-70; date de composition, I, 
70-71, 221-225; traits caracteristi- 
ques, I, 72-77, 120, 175; relation 
avec Pierre, I, 68-70, 75, 77, 114; 
rapports avec Pevangile de Luc, I, 
1 1 1-1 12; avec Pe" vangile de Matthieu, 

I, 114-115; Marc et le paulinisme, 

II, 261-262; la finale de Marc, II, 
500-501. 

Mariage chr6tien, I, 385; II, 15-16. 

Marie, mere de J6sus, I, 89. 

Martyrologes sur la mort de Jean 
PapOtre, I, 152-154. 

Martyrs chr&iens, II, 573, 623-624, 
631-633, 634, 658. 

Matthieu (Evangile de), I, 36, 48; 
te'moignage traditionnel, I, 56-58; 
date de composition, I, 58-59, 221-225 ; 
traits caract^ristiques, I, 59-66, 
116-118; priority relative, 1, 115; 
rappbrts avec Marc, I, 114-115; avec 
Luc, I, 112-113; langue et style, 
I, 66, 115-117; relation avecl'tfvan- 
gile selon les Hdbreux, I, 212-215. 

Mediation du Christ, voir Redemp- 
tion. 

Memra, I, 60 n. 3, 164. 

Messianisme et Messie, concep- 
tions juives, I, 275-278, 313-314; 
echo chez les paYens, I, 275, 311 ; 
dans le N. T., I, 310, 315; II, 31- 
32, 41-44, 84-85, 565, 610-611 ; souf- 
frances du Messie, I, 277-279 ; II, 259. 

Millenarisme, I, 273; II, 275. 

Minim, II, 145. 

Miracle, notion, II, 226; discerne- 
ment, II , 226-228, 450-453; miracle 
et existence de Dieu, II, 229-230; 
et ordre surnaturel, II, 240 ; inter- 
pretation du signe, II, 242-245, 313- 
317; conditions morales et reli- 



gieuses de sa connaissance, II, 243- 
245 ; dans 1'Evangile, historicit6 des 
miracles, II, 317-322; lien avec la 
mission de J6sus, II, 330-335; va- 
leur probante, II, 335-368 ; sym- 
bolisme, II, 366-368; miracles et 
foi, II, 362-364; dans le christia- 
nisme primitif, II, 320, 565, 567-568, 
569, 571-576. 

Misericorde du Christ pour les p6- 
cheurs, II, 100-103. 

Mithra, I, 351 ; II, 537, 550-552, 580, 
582, 591. 

Modernisme, II, 200-201, 456. 

Monotheisme, dans le Judaisme, I, 
24-287; dans la religion chr6tien- 
ne, I, 358-359; II, 593-595. 

Montanistes, I, 184-185. 

Morale Svang&ique, I, 383-384; II, 
14-16, 601, 662. 

Mormons, II, 5. 

Mystere chr6tien, II, 535-536, 558- 
561, 583, 589, 663. 

Mysteres (religions a), I, 351-352, 
361 ; II, 199, 428, 432-433, 510-532, 
535, 537-557, 590-591, 601, 625-626, 629, 
662. 

Mystiques chrdtiens, I, 157-158, 365 
n. 1; II, 92-95, 643-644, 646, 650-655; 
hindous, I, 361, n. 1 ; musul- 
mans, I, 361 n. 1, 386; II, 160. 

Mythique (hypothese) au sujet du 
Christ, I, 5, 8, 26 n. 1 ; II, 182 n. 2. 

Nazareth, II, 147. 
Nicolaites I, 162 n. 3. 
Nirvana, 1, 52 n. 2, 361-362, 401 n. 1. 
Noachiques (pre"ceptes), I, 245, 282. 
Nom, son importance chez les An- 

ciens, II, 603. 
Nouveaute de PEvangile, II, 24-26, 

567, 621-622. 

Obeissance de J6sus a son Pere, II, 

88, 92, 107. 

Optimisme de PEvangile, 1, 365-369. 
Oracles du Seigneur, I, 57, 59. 
Oraison Dominicale, II, 89. 
Oral (style), I, 23, 54-55, 61-62, 107- 

108, 178-179, 206-209; II, 61-62. 
Orpheus, 1,4; 11,515-516, 546. 
Orphisme, II, 515-516, 537, 546-547. 
Osiris, II, 369, 432, 433 ; mythe et 

mysteres, II, 511-515, 531, 582. 

Fadoue (6cole de), II, 167. 
Pai'ens, allusions a Phistoire du Christ, 
I, 12-15; polemiques contre le 



692 



INDEX ALPHABETIQUB DBS MATIERES. 



christianisme, aux temps anciens, 11, 
130-142, 220: anx temps modernes, 
II, 143, 196-197. 

Pain de vie, II, 49-50. 

Palestine, 6tendue, I, 248 n. 1 ; 
population, I, 241 ; 6tat politique, 
I, 247-250. 

Palestiniens (livres), I, 284-286. 

Paraboles, leur place et leur but 
dans 1'enseignement de J6sus, I, 
328-336. 

Paradis de Mahomet, I, 385-386. 

Parallelisme, dans le style oral, I, 
204. 

Pardon Svangelique, I, 390-391. 

Parfaits , dans saint Paul, II, 
625; dans les premiers e'crivains 
Chretiens, II, 626-630. 

Parousie, II, 297-298, 300, 302-303, 564. 

Passion, du Christ, prgdite, II, 21, 
32, 258-271. 

Paul (saint), ses lettres, I, 20-21 ; 
sa carriere, I, 21-22 ; sa forma- 
tion, I, 23-24; son style, I, 24-26, 
216-217; son caractere, I, 21-22; 

temoignage qu'il rend au Christ 
historique, I, 4, 27-34, 110 n. 2 ; II, 
373-381 ; son accord avec les au- 
tres disciples, I, 124; II, 582-585; 
sa doctrine du Christ, I, 29-33 ; II, 
597-607 ; sa conception du mys- 
tere chre"tien, II, 559-561 ; rapports 
avec l'Hell6nisme, II, 579-597 ; avec 
le Judaisme, II, 581-582. 

Paulinisme et 6vangiles, I, 90-91, 

117 n. 1, 124; II, 261-262. 
Pauvres en Israel, I, 251 n. 1 , 

dans le N. T., I, 86-87, 371-374. 
P6cheurs et Jesus, II, 100-103. 
Pentecote, II, 571-572. 
Perfection chretienne, I, 397-398; II, 

14-18. 
Persecutions centre les Chretiens, 

I, 13-15; II, 277. 
Pharisiens, origine du nom, I, 288; 

doctrines et tendances, I, 254-264; 

legalisme, I, 259-262 ; influence, 
I, 261-262; opposition a J6sus, I, 
262, 326-328, 335 ; II, 265 ; anathemes 
cleJdsusa leuradresse, II, 104-106. 

Pierre (saint), sa primaute, I, 105, 
407; II, 63-65, 279, 381, 571, 575; 
son martyre a Rome, I, 71 n. 1. 

Platon, sa conception de la divinite 
1,349-350; II, 109, 133. 

Polytheisme greco-romain, I, 347- 
348; II, 537-540, 554-555, 593-594. 
Voir Mysteres. 



Preparation evangelique dansle* 
monde pai'en, II, 536, 552-554, 595- 
596. 

Priere chez les pai'ens, I, 347-348 , 
dans la religion grecque, 1, 347 n. 2; 

dans le N. T., exemple de Jesus,. 
88-90; ensignement de Je"sus, I, 360, 
362-363; II, 89-90; adressde a 36- 
sus, II, 566-567. 

Prochain (amour du), I, 388-398. 

Progres dans 1'enseignement de Jesus, 
I, 337-338. 

Prophete et Proph6tie, II, 3-4, 57, 
59, 246-255; caractere et valeur de 
1'argument proph6tique, 250-255; 
proph6tie et histoire, II, 252-253, 300,-. 

prophecies messianiques, I, 271- 
272, 278-279, 319-320; interprdta- 
tion litteraliste des Juifs, I, 273-274,. 
314; II, 301-302; prophecies de J6- 
sus, 11,256-311. 

Proselytes, 1,244-245; II, 377. 
Protestantisme de Luther, II, 163- 

166, 665 ; - liberal, II, 180-192, 592, 

655, 660. 
Providence divine, I, 365-369; et 

miracle, II, 227, 408. 
Puissance (nom divin), 11,41. 
Purifications dans les religions a- 

mysteres, II, 555-556. 
Pythagore et Fythagoriciens, I,. 

43, 129 n. 1; 11,546, 553,578. 

Q (source), 1, 102, 113, 118, 177; es- 
sais de restitution, I, 113 n. 1. 

Rabbinique (litte"rature), I, 9-11, 268- 

n. 2; 11,144-148. 
Rabbinisme, meChode d'enseigne- 

ment, I, 10, 202; d6votion a la Loi, 

I, 165 ; II, 9-1 1 ; attitude envers le 
Christ, I, 9-11, 321 n. 2 ; II, 144-150. 

Rationalistes et probleme du Christ,. 

II, 167-169, 170-178. 181-185, 187, 193- 
202. 

Redemption par le Christ, II, 258,. 
261, 263-264, 268-269, 377, 531, 568- 
569, 570-571, 581 n. 1. 

Regie d'Or , 1, 389. 

Religion, ses 616ments primordiaux, 
1, 402; II, 592, 615; personnel^ 
de Je"sus, II, 85-98. Voir Christia- 
nisme . 

Remission des peches dans le N. 
T., II, 19-20. 

Renaissance (epoque de la), II, 166- 
168. 

Renoncement chreCien, II, 23-24. 



INDEX ALPHAS ETIQUE DBS MATIERES. 



693 



Resurrection des corps, II, 375- 
376,377,380,444-445. 

Resurrection du Christ, prSdite, 
II, 262, 266-271 ; re'alite' historique, 
II, 372-409 ; r61e dans la foi des 
ap6tres, 11,405-409,426-427, 563, 565, 
569-570 ; essais d'explication natu- 
relle, II, 409-434, par la fraude, II, 
409-410, par les croyances prdexis- 
tantes, 11,411-412, par I'hallucination, 
II, 422-427, par des infiltrations 
pai'ennes, II, 428-434 ; valeur pro- 
bante, II, 434-446 ; analogies dans 
les rdcits helle'niques et rabbiniques, 
II, 464-469. 

Revelation du Christ, son 6co- 
nomie ., I, 315-316 ; II, 7-59. 

Richesses dans le N. T., I, 86-87. 

Rois thaumaturges, II, 477-479. 

Rome, sa colonie juive, I, 6, 12; son 
oglise chr6tienne, 12-13 ; II, 562 
583-584. 

Royaume de Dieu, ou des cieux, I, 
60 n. 3 ; notion dans 1'A. T. et le 
judaisme, I, 269-279 ; dans le N. 
T. , 1, 361-362, 377-388 ; II, 271-280, 561- 
562; sa consommation, II, 297-299, 
306, 462-463. Voir Fin du monde. 



SacrementSj II, 607-608. Voir Bap- 

tfime, Eucharistie. 
Sadocites (fragments), I, 258. 
Sadduceens, I, 254-259; origine 

du nom, I, 288-289. 
Sagesse chretienne, II, 597. 
Saintete du Christ, II, 92-98; sa fe- 

condite, II, 623-624, 658. 
Samothrace (mysteres de), II, 545- 

546, 591, 629. 
Sanhedrin, I, 249. 
Sante mentale de J6sus, II, 81, 122- 

125. 

Sauveur, II, 531, 597, 600. 
Schekhina, I, 60 n. 3; II, 33 n. 2. 
Schema, I, 242. 
Scribes en Israel, I, 242, 254-255; 

opposition a Jesus, I, 326-328. 
Secret messianique, I, 311 n. 7; 

II, 33. 
Seigneur, nom donne au Christ, II, 

7, 563-567, 603-604. 
Sepulture du Christ, II, 372-373, 493- 

499. 
Serapis, dieu guerisseur, II, 480-481, 

483. 
Sermon sur la Montague, I, 366- 

369, 371-374; II, 114-115. 



Service de Dieu dans le N. T., I, 

363-365; du prochain, I, 392- 

393 
Serviteur de lahve, I, 278, 324; II, 

32, 39-40, 263-264, 568, 570. 
Simon le Mage, I, 308 n. 2; II, 

574. 

Sociniens, II, 169. 
Sociologique (Ecole), I, 195-200. 
Socrate, I, 349; et Jesus, I, 405- 

406. 

Soufls, I, 361 n. 1, 386. 
Souffrant (Messie), I, 278-279; II, 

259, 568, 570. 
Sources des Svangiles, orales, I, 

101 ; e"crites, I, 109-112; theo- 

rie des Deux Sources, I, 101-105. 
Stoiciens, I, 161 n. 2, 168, 352-353; 

II, 553. 
Subconscient et Christologie, II, 206- 

207. 
Suggestion et miracle, II, 356-364, 

487-492. 
Symboles de foi, II, 267 n. 1, 497- 

499. 
Symbolique (explication) du quatrie- 

me evangile, I, 127-128. 
Synagogues, I, 242-243 ; et litur- 

gie chre"tienne, II, 576-577. 
Syncretisme pai'en, II, 539-540, 

544-555; et judaisme, I, 282-283; 

et christianisme, II, 530, 554- 

555. 



Talmud ethistoire du Christ, I, 9-11; 

II, 146-150. 

Tammouz, II, 433, 520-524, 531. 
Temples juifs, I, 241-242. 
Tentation de Jesus, I, 306-309; II, 

84-85. 
Testament (Ancien et Nouveau), 

origine de 1'appellation, I, 19 n. 2. 
Tetramorphe, I, 18, 92. Voir fivan- 

giles canoniques. 
Texte du Nouveau Testament, I, 36- 

38. 

Tombeau de Jesus, II, 503-505. 
Tradition orale de PEvangile, 1, 101, 

109-110. 
Transfiguration de Jesus, II, 32- 

33, 66-68. 

Trinite (Sainte), II, 80, 213 n. 1, 215 
' n. 2, 217-218, 596-599, 635, 637. 
Tubingue (Ecole de), II, 182-183, 

582. 



694 INDEX ALPHABETIQUE DBS MATJERES. 

Universalisme chr6tien, I, 64, 371, Vie, dans saint Jean, I, 168, 170. 

393-394; II, 33, 54; 575, 595, 604, 658- Vie eternelle, I, 369-376, 387-388 

660. II, 601. 

Urmarkus, I, 102 n. 1, Vigilance, II, 300. 

' Virginite, I, 384; II, 638. 

Verbe-de Dieu, voir Logos. 

Verite, dans saint Jean, 1, 168, 170. Zelotes, 1, 251-252, 312. 



ACHEVE D'IMPRIMER 
EN LA FETE DE LA 
NATIVITE LE XXV 
DECEMBRE MCMXXVIH 
PAR FIRMIN-DIDOT AU 
MESNIL POUR GABDIEL 
BEAUCIIESNE A. PARIS 



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