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Full text of "Les sociétés secrètes chez les Musulmans [microform]"

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CHEZ 



LES MUSULMANS 



PAR 



ROUQXTETTE 

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x de la Societe des Missions africaines de, Lyon 




LIBRAIRIE DELHOMME ET BRJGUET 
J. BRIGUET, EDITEUR 



PARIS 
83, rue de Rennes, 83 



LYON 
3, avenue de I'Archevfiche, 3 



1899 



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LES SOClMS SECRETES 



CHEZ 



LES MUSULMANS 



LES 



SOCIETES SECRETES 



CHEZ 



LES MUSULMANS 



PAR 



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L'AbbS ROUQUETTE 

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de la Societe des Missions africaines de Lyou 




LIBRAIRIE DELHOMME ET BRIQUET 
J. BRIGUET, EDITEUR 



PARIS 
83, rue de Rennes, 



LYON 
3, avenue de I'ArchevSchS, 3 



1899 



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LiBRARIHJS 




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PREFACE 



Je riavais que vingt-deux ans, quandje jetai 
a la hate sur le papier ces quelques notes, qui, 
contre mon intention, sont devenues un grbs 
volume ipublie sous ma seule responsabilite. Ge 
fut V affair e de six mois. . 

Cetait, en effet, une veritable collaboration 
que le docteur Hacks iriavait proposee. Je 
devais lui fournir les documents, et profiler de 
ma connaissance assez approfondie de la lan- 
gue arabe, pour donner au volume une tour- 
nure assez orientale, qui put le faire mieux 
apprecier. 

Au mois de septembre 1894, parurent, dans 
la Revue Mensuelle, les premieres pages de 
cette etude. Dans ce meme numero, le docteur, 
que nous salmons tous alors commenotre chef, 



II LE DIABLE.CHEZ LES MUSULMANS , - . 

presenta au public catholique M.Margiotta,$t 
publia le premier chapitre de son ouvrage sur 
Lemmi. 

fecrivis aussitot audocteur Bataille pour '- l 
meplaindre de m' avoir donne unpseudonyme 
que je tenais peu a porter apres Leo Taxil, et 
d" avoir publie sous ma seule responsabilite une 
etude d'une si grande importance, sans y faire 
les corrections queje jugeais necessaires. 

Ce fut Leo Taxil quime repondit : ilm'ap- 
prit qu'il avait ete nomme secretaire de la, 
redaction de la Revue : c'etait a lui que j'au- 
rais affaire. J'etais done ne, a la vie litter air e t 
sous le patronage de deux Marseillais a cette 
epoque le docteur Racks-Eataille voulait faire 
oublier son origine bavaroise. L'un, dans 
les Msirs que lui laissait Vexercice de son art. 
ecrwait a Toccasion dans le Figaro, ou exer- 
cait le metier de cloivn, selon les circonsiances ; 
. I'aulre, franc-macon ou catholique selon les 
besoinsdumoment, etait toujours reste le memet 
UYI espion et un Judas. 

On se rappelle Tengouement qui saisit une 
grande parlie du clergb a V apparition despre^ 
miers fascicules du Diable au xix e Siecle. Mal- 
gre la discordance de quelques voix, bien rares 
au debut, guidees plulot par T instinct que par 
des preuves cerlaines, le docteur obtinl un 
grand succes. Tous ators,jeunes gens pleins 
d'ardeur quinedemandions qu'alutterpour le 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS III 

triomphedu catholicisme et la mine de la franc- 
maconnerie et de la juiverie, nous saluions, 
pour notre chef, cet homme. hier encore in- 
connu, et qui venait, du premier coup, d'at- 
teindre a la celebrite de I'ecrivain. Ses infor- 
mations paraissaie:it sures, aussi sures que 
celles de Leo Taxil; mais, de plus, c'etait un 
homme qui savait ecrire : quelle difference 
entre son style court, alerte, vif, degage, et la 
phrase longue,enibarrassee, se tramant avec 
peine, de Leo Taxil. Cette fois, nous disions- 
nous, la cause anti-maconnique a trouv& son 
Drumont : nous avons un ecrivain. 

Tout cela disparut comme un beau reve : les 
resultats furentnuls : non seulement le docteur 
Hacks jeta le discredit sur son oeuvre person- 
nelle, mais encore il mit en mefiance le public 
catholique contre les ecrits les plus documentes. 
Leo Taxil, eternel hableur, appona le der- 
nier coup de pioche a cet edifice eleve avec 
taut de peine par ses propres mains. II aura 
beaufaire pourtant line detruira pas d'une 
parole ce fait de Thistoire, cette lutte eternelle 
dubien contre le mal. 

Que la San-Uo-ttoe'i existe ou qu'elle riexiste 
pastelleque le docteur Hacks Va decrite, nous 
soutenons que la franc-maconnerie a etendu 
dans I'univers entier ses filets per fides. En Asie, 
ellefait alliance avec les sectateurs de Bouddha 
et de Confucius, comme en Afrique elle prete 
secours aux Musulmans et aux fetichistes. Par- 



IV LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

tout ou va le missionnaire portant, dans 
plis de sa pauvre soutane, les bienfaits du 
christianisme civilisateur, il rencontre cet 
ennemi que nous devons combaitre en Europe. 

Abd-el-Kader, le chef des Qadrya de 
TAlgerie, ne voulut jamais embrasser iecatho- 
licisme ; il aurait fallu renoncer a la doctrine 
de Mahomet; mais il ne crut pas apostasier 
en se faisant initier a la franc-maconnerie. 
Jusqu'a la fin de sa vie, il fut un bon Qadry, 
et les francs-macons d'Europe peuvent le 
regarder comme un des enf ants. les plus fidetes 
auoo prescriptions de la Veuve. 

C'est pour premunir ceuoc qui president aux 

destinees de TAlgerie que nous avons ecrit cette 

etude. Quelque vague pressentiment nous dit 

que nous aurons depense en Afrique tant dor 

et de sang pour donner une immense province 

de plus au vaste empire britannique. Les 

Snoussyade Djegboub riont qu'un but: chasser 

les Francais. La liaine du Frangais, c'est-a- 

dire du Catholique : voila le mot de ralliement 

de tons les adoraieurs du diable. La ou le 

Francais ne peut reussir parce qu'il est trop 

bon, et qu'il ne veut pas, comme la race anglo- 

saxonne en Amerique et en Australie, faire 

disparaitre la race vaincue, la T Anglais 

reussira a merveille. Anglais et Musulmans 

s'entendrontbien entre eux, parce qu'ils sont 

tous deux enf ants de lamemefamille : riont-ils 

pas le diable pour pere? El nous aurons 

depense des millions; nous aurons arrose cette 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS V 

terre de notre sang, nous I'aurons fertilisee de 
nos sueurs, tout cela pour permettre aux 
Anglais de V exploiter a leur profit. 

Depuis quatre ans, deux faits se sont pro- 
duits que nous devons mentionner : la mort du 
grand maitre des Taibya et la mort en exil 
du fils de Cheikh-el-Haddad. 

Ces deux evenements riont amene aucun 
changement dans la direction de ces deux 
grands ordres. Les Taibya, esperons-le, com- 
prenant que I'interet du Maroc exige I'amitie 
de la France, saurontreprimer, aufond de leur 
coeur, le dedain et le mepris que tout bon Musul- 
man eprouve instinctivement pour nosprogres 
modernes. Le Cheikh des Taibya sera noire 
ami comme son predecesseur . 

La mort du fils de Cheikh-el-Haddad a 
passe pour ainsi dire inapercue : ses compa- 
triotes de Kdbylie, tout en saluanl en lui le 
grand martyr de I'independance, riont pas 
oublie et ses fautes en 1871 et sa soumission 
feinte ou reelle au Gouvernement francais, 
aux pieds duquelils'estprosternepourdbteniv 
sa grace. A notre avis, le grand ennemi de la 
domination francaise en Afrique, soit en 
Algerie, soit au Soudan, soit au Tchad, c'est 
le Snoussy : Ayons toujours les yeux fixes sur 
le fils de Snoussi, celui que les Musulmans 
saluent du Hire de El-Madlu. 

En terminant ces quelques lignes de preface, 



TI LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

je dois adresser mes remerciements a M. de 
la Rive pour linteret qu'il a porte a cette 
etude, dans te cours de sa publication, dans, la 
France Ghretienne. Nous esperons qu'il saura 
reprendre.sur un nouveau terrain la lutte 
contre la Bete de T Apocalypse, et que, autour 
de lui, il saura grouper des jeunes gens de 
talent, pleins de foi.et de soumission a I'Eglise. 

Lyon, ifi juillet 1898 



LE DIABLE 

CHEZ LES MTJSULMANS 



GHAPITRE PREMIER, 

Caractere general des societes secretes musul- 
manes. Hi&toire du mal dans le monde : 
paganisme, mahometisme. 

Quand nous par Ions de societes secretes 
musulmanes, nous ne devons pas nous les 
figurer semblables en tout aux societes secretes 
de 1'Europe, de 1'Asie ou de I'Amerique. Satan a 
su varier, suivant les pays et les peuples, -les 
differents moyens d'attaque. Sur toute la terre, 
il pours uit le meme but : detruire 1'empire de 
Dieu, pour s'asseoir iui-meme sur le tr6ne qui 
n'appartient qu'a Dieu seul. Proportionnant ses 
efforts au temperament divers des peuples et 
aux moyens que leur f ournit leur religion pour 
resister au mal, il ne se conduira pas avec les 
peuples indolenls et anemies deTAMque com me 
avec les hommes robustes de 1'Europe chretienne. 
Les generations europeennes naissent et se deve- 
loppent a 1'abri du christianisme qui leur com- 
munique sa force. Le bapteme nous fait enfants 



6 LE .DI ABLE CHEZ LES MUSULMANS 

de Dieu el rompt les chames qui nous attachent 
au peche". Puis, aux heures d'accablement et de 
defaiilance, nous, catholiques, nous aurons sur le 
bord de la route ces fontaines d'eau Vive que 
Jesus^Christ a fait jaillir, dans sa misericorde, 
de son c6te ouvert. Grace a ce secours surna- 
turel, nous pourrons goiiter une partie de ce 
bonheur qui etait notre apanage avant la chute 
originelle. Notre nature ne sera plus autant 
bouleversee, 1'equilibre entre la chair etl'esprit 
sera re"tabli ; et si. encore bien sou vent nous 
sentons en nous les re" voltes du Vieil homme, au 
moins Fesprit sera toujours assez prompt et 
assez fort pour reprimer ce premier mou- 
vement. 

Jesus-Christ a jete le fondement de sa religion 
dans la partie noble de nous-meme ; il est venu 
nous retablir dans notre premier etat autant 
que c'etait possible. Quelques etres privilegies 
que Dieu a aimes davantage sont seuls parvenus 
a jouir par intervalles, dans desextases sublimes, 
presque du meme equilibre, des deux parties qui 
nous composent, qu' Adam dans leparadis. Voila 
done 1'oeuvre de Jesus-Christ ; il a voulu nous 
retablir dans notre premier etat, et, pour y par- 
venir, il nous a oblige a combattre la partie 
inferieure de notre etre, la chair et ses pas- 
sions. 

Le demon a pris-le contrepied de 1'oeuvre de 
Jesus-Christ : il a enseigm5 aux hommes a faire 
dominer les sens sur 1'esprit, la partie inferieure 
sur la partie superieure. Etafin de singer encore 
plus 1'ceuvre du Sauveur, il a voulu avoir des 
adeptes qui jouiraient, eax aussi, d'extases, et 



LE DIABLE CHEZ LES. MUSULMANS I 

pourraient, eux aussi, faire des prodiges. Et, de' 
mekne que dans le catholicidme ces 6tres privi- 
le"gies sont spgcialement consacres a Dieu, et 
s'adonnent aux oeuvres pieuses apres des enga- 
gements solennels et irrevocables, ainsi le diable 
a vonlu avoir dans son royaume des serviteurs 
plus devoues et plus fideles, qu'il favorise 
quelquefois de visions et d'extases. 

Voila done les deux grandes manieres dont le 
de"mon a singe 1'oeuvre divine. C'est par lui que 
tout mal est entre -dans le monde, c'est par lui 
qu'il s'est de"veloppe surtout, et n'est-ce pas a lui 
qu'il faudrait attribuer beaucoup de ces maladies 
nouvelles qui apparaissent de nos jours? Tou- 
jours est-il que si nous ne pouvons lui attribuer 
la plus grande partie des maladies qui deciment 
1'humanite, toujours est-il, dis-je, qu'il sait, par 
des moyens vraiment sataniques, profiler de la 
faiblesse constitutionnelled'un peuple pour 1'aba- 
tardir encore davantage. Ainsi, pour ne parler que 
des peuples musulmans, personne ne niera 1'in- 
fluence nefaste de 1'oeuvre satanique sur ces 
peuples malheureux. Accable par une chaleur 
excessive, vivant dans un pays n'ayant aucun 
des avantages des regions temperees, endurant 
quelquefois pendant de longs jours la faim et la 
soif, 1'homme habitant de la mer Rouge a 
FAtlantique est sujet par temperament aux 
maladies nerveuses. Le catholicisme aurait su 
retablir 1'equilibre, donner une plus large part a 
1'intelligence, faire dominer la raison et enlever 
a 1'imagination tout ce qu'elle pourrait avoir 
d'excessif. Qu'a fait Satan par le moyen de 
Tislamisme ? II a exalte I'lmagination, il lui a 



8 LE DIA.BLE CHEZ LES MUSULMANS 

fait un domaine plus grand qu'a la raison, et 
1'a fait dominer dans 1'homme. On verra plus 
tard quels sont les moyens employes par Satan 
et la betise de la pauvre nature humaine. 
L'Afrique du Nord aura ses fakirs. N'anticipons 
pas. 

II serait curieux maintenant de suivre 1'action 
du demon dans le monde depuis Jesus-Christ, et 
de voir les moyens et les hommes dont il s'est 
servi. Nous tacherons de les indiquer en quelques 
mots. Des son apparition, le ehristianisme futle 
representant de la vraie civilisation et du vrai 
progres ; car c'etait la lumiere qui se levait sur 
le monde. Satan lui opposa d'abord la lumiere 
de 1'esprit humain : le gnosticisme naquit, fut 
epure et perfectionne en quelque sorte par le 
neo-platonisme d'Alexandrie : Simon le Magicien 
et les here"tiques du l er siecle, Porphyre et les 
philosophes d'Alexandrie en furent les princi- 
paux repre'sentants. Le diable fut vaincu ; malgre 
toutes les entraves dont il avait seme la route du 
catholicisme naissant, celui-ci atteignit 1'apogee 
de sa gloire et de sa force au quatrieme siecle. 

Au moins, se dit le demon, si je n'ai pu 
detruire mon ennemi par le glaive de 1'intelli- 
gence.je Tabattrai parl'epee etje le noieraidans 
des flots de sang. Du fond de 1'Asie et de la Ger- 
manie, il appela les barbares.. Qu'arriva-t-il ? 
L'Eglise les convertit et s'agrandit de leurs 
depouilles. 

Le demon n'etait pas a bout de ressources. II 
jeta les yeux sur une petite tribu des environs 
de la Mecque, scruta d'un regard les dispositions 
des habitants de 1'Afrique, et entreprit de ren- 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 9 

verser le christianisme en fondant une nouvelle 
religion base*e sur le mepris de la femme, la 
satisfaction des passions les plus basses et les 
plus abjectes, et uue haine a mort centre tout ce 
qui e"tait Chretien et voulait faire sortir 1'huma- ' 
nite des tenebres qui I'enveloppaient pour la con- 
duire a un etat superieur. Je ne veux pas retracer 
cette lutte de plusieurs siecles ou la victoire 
resta toujours a la croix. Poitiers, Lopante, 
Vienne, marquent les diverses etapes de la vic- 
toire de la croix sur le croissant. Qui pourra 
jamais dire tous les maux que le Goran a faits 
au vieux monde? N'est-ce pas a lui que nous 
devons d'etre restes si longtemps sans marcher 
dans les decouvertes que nous n'avons faites que 
depuis qu'il n'est plus un danger pour nous? 

Le glaive d'acier n'a pas reussi entre les 
mains de Satan : il a dii s'incliner et s'avouer 
vaincu; il a essaye d'un autre moyen beau coup 
plus perflde, mais qui ne r^ussit pas a'vec le . 
secours de Dieu et de Marie. II s'est cach6 dans 
Tombre, il a rampe comme le serpent, et de nos 
jours a voulu nous combattre comme il avait 
agi envers Eve. Le croissant perdait tous les 
jours son prestige ; la franc-maconnerie naquit 
avec son cortege de socie"tes secretes. Et c'est la, 
il me semble, le troisieme moyen employe par 
Tenfer pour combattre 1'Eglise catholique. A 
mon avis, c'est le plus terrible, parce que c'est 
le plus perflde. Quel est 1'enjeu de cette terrible 
lutte entre Dieu et le demon ? 1'enjeu, c'est 
1'homme ; d'un c6te Dieu veut nous elever a un 
etat meilleur, il veut^nous faire,' marcher a la 
^^~~ 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 1. 



10 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

quelques parcelles de la verite souveraine ; en un 
mot, pour parler la langue de notre epoque, 
sur 1'etendard de Dieu nous voyons ecrits ces 
mots : science et progres. Satan ne vent qu'une 
chose : abrutir 1'nomme, le livrer tout entier a 
ses passions, pour le posse"der plus facilement 
et regner en maitre absolu sur son coeur ; sur 
son Standard on voit grave : erreur, mensonge 
et abrutissement. Pour nous, ces deux mots 
science et christianisme, progres et christia- 
nisme, sont synonymes en ce sens, quephiloso- 
phiquement parlant nous mettons au defi qui 
que ce soit, de nous prouver qu'il puisse y avoir 
une vraie science en dehors de la religion catho- 
lique; et dans ce mot de progres nous com- 
prenons necessairement loutes les decouvertes 
faites par 1'homme. Voici done la conclusion 
que nous tirons : toute societ6 qui s'oppose an 
progres de rhomme est une societe mauvaise, 
peryerse, diabolique, egalement condamnable 
par la societe et 1'Eglise. Or, c'est la le but qu$ 
se proposent presque toutes les societes secretes 
musulmanes. Ge qu'elles veulent, le but qu'elles 
poursuivent aujonrd'hui non pas avec Tepee de 
leurs ancStreSj mais perfldement cachees a la 
maniere de nos francs-macons d'Europe, et 
avouant eux-memes publiquemeut leur but, c'est 
de detruire tout gouvernement etabli, n'importe 
lequel : qu'il soit Chretien ou Musulman. G'est 
ce que disait le Madhi, dont nous aurons a nous 
occuper plus loin. Je les detruirai tous : Turcs 
et Chretiens . 

G'est la un vrai danger pour 1'Eiirope chre- 
iieune, et, quand on a etudi^ un peu cette question, 



- LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 11 

quand on voit la marche effrayante que fait le 
mal dans le monde, quand on voit dans toutes le^ 
parties da monde des societes organisees a peu 
pres sur le meme modele, ayant' le mdme but, 
prenantles m&nes moyens, on se demande en 
verile comment 1'Eglise'pourra sortir victorieuse. 
Plaise a Dieu que bientot nos jeunes gens de 
France ne soient pas obliges de se croiser de 
nouveau pour aller combattre cet ennemi qui 
menaca de renverser 1'Europe chretienne, de 
detruire toute civilisation, et qui, de nos jours, 
cherche a nous fermer le vasle continent noir. 



t GHAPITRE II. 

Panislamisme. Tolerance cles Chretiens. 

Avant de dormer les notions generates sur les 
societes secretes musulmanes, il faut, pour des 
lecteurs qui n'ont peut-etre jamais visite 1'Afrique 
et n'ont eu aucun rapport avec les Musulmans, 
parler des doctrines politiques de 1'Islam. Nous 
verrons que les socie'te's secretes sont inlimement 
liees avec Fexistence meme de la religion musul- 
mane, et que celle-ci est un danger permanent 
pour la civilisation. 

De nos jours, on parle beaucoup du pansla- 
visme, panhelle"nisme, pangermanisme. Rien de 
plus beau que cette theorie, que de vouloir reu- 
nir en un seul peuple et sous un mme gouver- 
nement tous les homines ayant la mme langue, 
les monies moeurs, les mmes aspirations et les 
memes inter^ts. Rien de tout cela dans la the'orie 
du panislamisme. Ge mouvement est ne et s'est 
d^veloppe a la suite des progres continuels de 
1'Europe civilised en Turquie et en Orient. Le 
vieux t'anatisme.Hiusulman s'est rallum^ quand 
il a vu que le sultan de Stamboul, meconnaissant 
les obligations que lui impose le Goran, faisait 
alliance avec les Chretiens, et laissait entrer peu 
a peu dans ses Etats toutes les commodites, tous 
les avantages que la civilisation nous adonnes. 
Dernierement encore, n'a-t-il pas adhere" au.con- 
gres de Berlin et a la conference de Bnixelles? 
n'a-t-il pas abolil'esclavage, proscrit la traite des 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS IB 

noirs ? En un mot, n'a-t-il pas laisse les Chretiens 
s'occuper des affaires de 1'Etat et faire la police 
et mme la loi j usque dans son empire ? Si les 
evenements se succedent, bientot il n'y aura plus 
d'Islam. Voila ce que re"petetout bon Musulman. 
Aussi, des rivages des lies de la Sonde aux bords 
de 1'Atlantique, un mouvement tres prononce 
s'accentue de jour en jour. II faut retablir 1'ima- 
mat, il faut que les croyants soient libres .chez 
eux, que le chien de Chretien y soit esclave s'il 
veut habiter parmi eux, mais qu'il n'y commande 
jamais. Toutes les autorites musulmanes de nom 
se sont laisse"es envahir par les idees civilisa- 
trices de 1'Europe ; il faut renverser ces gouver- 
nemerits, et reconnaitre un seul chef : 1'imam. 
Dieu seul sera le roi de I'lslam, l'imam en sera 
le Khalife ou vicaire. Ainsi sera retablie dans 
toute sa purete la doctrine politique de I'lslam : 
Tunivers entier ne sera qu'une the"ocratie, car le 
globe doit etre la propriete des cioyants, et Dieu 
transmettra ses ordres par son vicaire. 

Pour peu qu'on r^flechisse a cette theorie, on 
sera frappe de sa ressemblance avec la religion 
catholique. Je"sus-Christ veritable roi, lePape, 
son Vicaire commandant a tous les fideles; mais, 
tandis que Jesus-Christ, dans sa sagesse,asepare 
sans les de*sunir le temporel et le spirituel, Satan 
veut les unir dans une mme personne ; aussi les 
premiers Khalifes dtaient a la fois souverains, 
prtres et vicaires du Prophete. Pourquoi toutes 
ees guerres qui ensanglanterent I'lslam si long- 
temps, sinon la necessite que rsconnaissaient 
tous les musulmans de maintenir 1'lmamat? Aussi 
longtemps que Ali voulut combattre pour cette 



10 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

quelques parcelles de la ve"rite souveraine ; en un 
mot, pour parler la langue de hotre e*poque, 
sur 1'etendard de Dieu nous voyons ecrits ces 
mots : science et progres. Satan ne vent qu'une 
chose : abrutir 1'nomme, le livrer tout entier a 
ses passions, pour le posse"der plus facilement 
et regner en inaitre absolu sur son coeur ; sur 
son e"tendard on voit grave : erreur, mensonge 
et abrutissement. Pour nous, ces deux mots 
science et christianisme, progres et christia- 
nisme, sont synonymes en ce sens, que philoso- 
phiquement parlant nous mettons au defl qui 
que ce soit, de nous prouver qu'il puisse y avoir 
une vraie science en dehors de la religion catho- 
lique; et dans ce mot de progres nous com- 
prenons necessairement loutes les decouvertes 
faites par 1'homme. Voici done la conclusion 
que nous tirons : toute societe" qui s'oppose an 
progres de 1'homme est une societe mauyaise, 
peryerse, diabolique, egalement condamnable 
par la societe et 1'Eglise. Or, c'est la le but que 
se proposent presque toutes les societes secretes 
musulmanes. Ge qu'elles veulent, le but qu'elles 
pours ui vent aujourd'hui non pas avec Tepee de 
leurs anctres ; mais perfidement cachees a la 
maniere de nos francs-macons d'Europe, et 
avouant eux-memes publiquemeut leur but, c'est 
de detruire tout gouvernement etabli, n'importe 
lequel : qu'il soit chretien ou Musulman. G'est 
ce quo disait le Madhi, dont nous aurons a nous 
occuper plus loin. Je les detruirai tous : Turcs 
et Chretiens . 

C'est la un vrai danger pour 1'Europe chre- 
tienne, et, quand on a etudie un peu cette question, 



- LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 11 

quand on voit la marche effrayante que fait le 
mal dans le monde, quand on voit dans toutes le*. 
parties du monde des societes organisees a peu 
pres sur le mme modele, ayant" le meme but, 
prenantles m^mes moyens, on se demande en 
verite comment I'EgliseJpourra sortir victorieuse. 
Plaise a Dieu que bientot nos jeunes gens de 
France ne soient pas obliges de se croiser de 
nouveau pour aller combattre cet ennemi qui 
menaca de renverser 1'Europe chretienne, de 
detruire toute civilisation, et qui, de nos jours, 
cherche a nous fermer le vasle continent noir. 



GHAPITRE II. 

* 

Panislamisme. Tolerance cles Chretiens. 

Avant de donner les notions generates sur les 
societe's secretes musulmanes, il faut, pour des 
lecteurs qui n'ont peut-etre jamais visite 1'Afrique 
et n'ont eu aucun rapport avec les Musulmans, 
parler des doctrines politiques de 1'Islam. Nous 
verrons que les socie'te's secretes sont intimement 
liees avec 1'existence m&ne de la religion musul- 
mane, et que celle-ci est un danger permanent 
pour la civilisation. 

De nos jours, on parle beaucoup du pansla- 
visme, panhelle'nisme, pangermanisme. Rien de 
plus beau que cette theorie, que de vouloir reu- 
nir en un seul peuple et sous un mme gouver- 
nement tous les homines ayant la meme langue, 
les mmes moeurs, les mmes aspirations et les 
memes inter^ts. Rien de tout cela dans la the"orie 
du panislamisme. Ge mouvement est ne et s'est 
de"veloppe a la suite des progres continuels de 
1'Europe civilise"e en Turquie et en Orient. Le 
vieux tanatisme .musulraan s'est rallume quand 
il a vu que le sultan de Stamboul, meconnaissant 
les obligations que lui impose le Goran, faisait 
alliance avec les Chretiens, et laissait entrer peu 
a peu dans ses Etats toutes les commodite"s, tous 
les avantages que la civilisation nous adonnes. 
Dernierement encore, n'a-t-il pas adhere" au.con- 
gres de Berlin et a la conference de Brnxelles ? 
n'a-t-il pas abolil'esclavage, proscrit la traite des 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 13 

noirs ? En un mot, n'a-t-il pas laisse les Chretiens 
s'occuper des affaires de 1'Etat et faire la police 
et mme la loi jusque dans son empire ? Si les 
evenements se succedent, bientot il n'y aura plus 
d'lslam. Voila ce que re"petetout bon Musulman. 
Aussi, des rivages des iles dela Sonde auxbords 
de PAtlantique, un mouvement tres prononce 
s'accentue de jour en jour. II faut rotablir 1'ima- 
mat, il faut que les croyants soient libres chez 
eux, que le chien de Chretien y soit esclave s'il 
veut habiter parmi eux, mais qu'il n'y commande 
jamais. Toutes les autorites musulmanes de nom 
se sont laisse"es envahir par les idees civilisa- 
trices de 1'Europe ; il faut renverser ces gouver- 
nements, et reconnaitre un seul chef : 1'imam. 
Dieu seul sera le roi de 1'lslam, Timam en sera 
le Khalife ou vicaire. Ainsi sera retablie dans 
toute sa purete la doctrine politique de 1'Islam : 
Tunivers entier ne sera qu'une the"ocratie, car le 
globe doit etre la propriete des ci oyants, et Dieu 
transmettra ses ordres par son vicaire. 

Pour peu qu'on r^flechisse a cette theorie, on 
sera frappe de sa ressemblance avec la religion 
catholique. Jesus-Christ veritable roi, lePape, 
son Vicaire commandant a tous les fideles ; mais, 
tandis que Jesus-Christ, dans sa sagesse,asepare 
sans les desunir le temporel et le spirituel, Satan 
veut les unir dans une mme personne ; aussi les 
premiers Khalifes etaient a la fois souverains, 
preltres et vicaires du Prophete. Pourquoi toutes 
ees guerres qui ensanglanterent 1'Islam si long- 
temps, sinon la necessite que reconnaissaient 
tous les musulmans de maintenir 1'lmamat? Aussi 
longtemps que Ali voulut combattre pour cette 



14 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

cause, il f lit soutenu par de nombreux partisans ; 
quand il se fat reconcilie avec son adversaire, il 
tomba sous le poignard des puritains de 1'Islam. 
L'Imamat ? G'est Tun des dogmes fondamentaux 
de la religion rausulmane. 

Les Musulmans (1) doivent tre gouvernes 
par un imam qui ait le droit et 1'autorite de 
veiller a i'observation des prdceptes de la loi, 
de faire executer les peines le"gales, de defen- 
ce dre les frontieres, de lever les armees, de per- 
cevoir les dimes fiscales, de re"primer les 
rebelles et les brigands, de cele"brer la priere 
publique du vendredi et des fe'tes du Beyram, 
de juger les citoyens, de vider les differends 
qui s'elevent entre les sujets, d'admettre les 
preuves juridiques dans les causes litigieuses, 
de marier les enfants mineurs de 1'un et de 
1'autre sexe qui manquent de tuteurs naturels, 
de proceder enfin au partage du butin l^gal. 

Tout 1'Islamisme est dans ces mots ; et voici 
comment 1'un des plus grands commentateurs 
arabes Sad-ed-din-Tefhzani, mort a Boukhara en 



(i) Ce passage est tire (run livre de Nedjem-ed-din-Nassafi, mort 
a Bagdad ea 537 de 1'hegire (1442 de J.-C.). Ce livre, qui est entre, 
les mains de tous les enfants frequentant les eeoles en Orient. . 
resume en 58 articles toute la doctrine musiilmane. 

Nous citons la tradnction qui se trouve dans 1'otivrage remark 
quable public a Alger par le commandant Rinn. Marabouts e 
Khonan ; etude tout a fait remarquable sur la situation politique et 
religieuse de 1'Islam en Algerie. Qtiek|ueibis nous ferons remarquer 
les contradictions dans lesquelles il est tombe, et nous en dirons la 
cause : son ouvrage serait excellent s'il n'etait depare par-ci par-la 
de quelques utopies vraiment irrealisables, et si 1'auteur n'avait 
montre autant d'iudifference, pour ne pas ecrire un autre mot 
vis-a-vis de notre sainte religion'. Les autres sources ou nous avons 
puise sout Dnveyrier et la Revue Africairie. C'est surtout a M t 
Rinn que nous renverrqns. Nous regrettons que notre foi ue nous 
permette pas de le suivre en tout et nous oblige quelquefois a le 
comlmttre. 



,.. . LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 15 

808 de 1'hegire , (1405 de J.-C.), les explique et 
les complete : L'etablissement d'un iman est un 
:, point canonique avere et statue par les fideles 
du premier siecle de Tlslam. Ge point, qui fait 
partie des regies apostoliques et qui interesse 
d'une maniere absolue la loi et la doctrine, est. 
base sur cette parole du Prophete : Gelui qui 
<< meurt sans reconnaitre I'autorite de rimam de 
Tepoque, est cense niort dans 1'ignorance, 
c'est-a-dire dans 1'mfidelite. Le peuple musui- 
man doit done tre gouverne par un .imam. 
<< Get imam doit dtre seul, unique : son autorite 
doit tre absolue, elle doit tout embrasser, tous 
doivent s'y soumettre et la respecter. 

Voila la doctrine qui est enseignee dans tout 
1'Islam ; c'est ce qu'enseigoent les maitres dans 
leurs cours, le marabout dans sa mosquee et ce 
que repete 1'Arabe dans sa tente : la terre au 
Musulman qui doit y commander en maitre, et 
n'avoir qu'un seul et unique chef, voila en deux 
mots la the"orie politique. Gouvert de ses haillons, 
devore par la vermine, portant sur son visage 
les traces des souffrances de la faim et de toutes' 
les miseres, le malheureux sectateur de 1'Islam 
regarde le vainqueur sans courber son front; 
ilcoudoie les triompha leurs revetus de la soie 
et de la pourpre, et, sur les trottoirs d'Alger, 
jamais vous ne le verrez ceder la place ; d'un 
coup de coude il jettera dans la rue le chien 
de Chretien ; n'est-il pas le maitre, et Allah n'a- 
t-ilpas promis la terre a ses fideles? Apres 
soixante ans de conqugte, 1'Arabe ne nous obeli 
que parce que nous tenons le sabre, qu'il a vu 
debarquer des canons ^normesj et qu'il voit tous 



16 "LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

les jours defiler DOS nombreux bataiUons . Ala 
premiere occasion, il se levera, prendra son 
fusil, et alors conlmencera entre lui et nous une 
guerre de tirailleurs. Plaise a Dieu~que la France . 
soit aussi heureuse a ce moment qu'en 1871 ! 
Ce n'est pas settlement la haine de la France 
qui tient au coeur du Musulman, c'est la haine 
de toute civilisation, de tout progres. II se ligue 
non pas pour arrester les progres du catholi- 
cisme, mais de la civilisation . Voyez-le, depuis 
quatorze siecles, il est tou jours le me"me : il a une 
tente, un chameau ou un cheval, quelques mou- 
tons, et il court avec toutes ses richesses d'une 
oasis a une oasis. II n'y a pas'grande difference 
entre le nomade et le sedentaire. Meme a Alger, 
quels progres ont-ils fait depuis Parrivee des 
Francais ? Tandis que la ville frangaise peut lutter 
d'elegance et de beaute avec les villes d'Europe, 
qu'elle en a toutes les commodites, la ville arabe 
a garde ses rues tortueuses, etroites, obscures. 
Quels progres 1'instruction n'a-t-elle pas faits 
partout, depuis un demi-siecle ? le Japon lui- 
m^me vient d'entrer dans le concert des nations 
europe"ennes. L'Islamisme empgchera TArabe 
d'etudier et de s'instruire ; 1'Islamisme, c'est la^ 
haine de tout progres, et tout Musulman qui veut 
se mettre sur le m6me pied que les gens civi- 
lises, doit tre en contradiction avec sa doctrine. 
Aussi nous repeterons avec M. Rinn que ce 
mouvement de panislamisme est un veritable 
danger pour tous les peuples europeens ayant 
des interets en Afrique et en Asie (Preface, 
page 1) ; et si jamais Dieu permettait qu'il 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS .17 

reussit, FEurope serait replongee.dans les tene- 
bres de 1'ignorance et de la barbaric. 

Mainteriant, si ce mouvement est un danger, 
si ce mouvement est base sur 1'essence meme 
de rislamisme, comment prendre ces paroles de 
Rinn : Lorsque, sans parti pris ni passion, on 
regarde autour de soi en pays musulman, qu'on 
interroge 1'histoire ou qu'on etudie les livres des 
docteurs de I'lslam, on s'apercoit bien vite que 
le caractere dominant de la religion musulmane 
n'est ni I'intolerance ni le fanalisme. Ge qui 

'domine et deborde dans 1'oeuvre de Mohammed, 
c'estl'ideethe"ocratique; et ce qui frappe chez ses 
adeptes, c'est 1'ardeur des convictions religieuses. 
Tous les Musulmans sans exception ont cette 
foi robuste qui n'admet ni compromis ni raison- 
nement et qui na'ivement se complait dans son 
Credoquia absurdum (chapitre I er , debut du 
livre). M. Rinn n'est pas le seul a soutenir une 
pareille theorie ; elle semble @tre a 1'ordre du 
jour, et M. Mas-Latrie semble avoir eu pour but 
de la prouver dans un ouvrage ou il parle des 
relations commerciales de 1'Afrique du Nord 
avec TEurope pendant le moy en-age. Nous ne 
voulons pas nous arreter a la refuter : il n'y a 

* qu'a prendre 1'histoire, et appeler au tribunal 
tous les martyrs de la tolerance de I'lslam. 

Ne croyons pas que, depuis la mort d'Ali, la 
thdorie que nous venons d'exposer soit tombee 
dans 1'oubli meme pratiquement (1). Ghaque 

(1) Apres I'assassinat d'Ali par ses partisans, qui ne pouvaient 
supporter 1'idee d'une reconciliation et d'un saeriGce si grand que 
1'imamat, ses partisans, au lieu de se reunir anx autres Musulmans, 
prefererent s'en separer. Les Musulmans qui suivirent Moaviah fes 
qualiflerent de Kharedji (sortis, heretiques) ; mais eux, toujours 



18. LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

souverain aspirait a tre 1'imam et a ranger 
sous son autorite toutes les populations musul- 
manes ; une dynastie mme, les Alm'ohades, a 
pris ce nom de ce qu'elle poursuivait ce but si 
cher a tous les croyants. Mais, de nos jours, a 
cause des progres de 1'Europe'et de la civili- 
sation, Flslamisme, accule au pied du mur, s'est 
reveille de sa lethargic et a pousse de nouveau 
son cri de guerre conlre 1'Europe et la civili- 
sation. Quels sont surtout les moyens dont. il 
dispose ? Qui est a la tete de ce caouvement ? Les 
moyens .dont il dispose sont les societes secre-" 
tes; et ce sont elles qui sont a la tete de ce mou- 
vement et le dirigent. Ainsi, de m&ne que dans 
le catholicisme les ordres religieux occupent la 
premiere place, propagent au loin la parole de 
Dieu et la defendent, de meme, dans le royaume > 
de Satan, nous trouvons des hommes ayant un 
meme but, lies par les mernes serments et con- 
courant plus energiquement que les simples 
fldeles a 1'oeuvre du demon. Nos religieux vivent 
dans une atmosphere plus pure ; prenant a la 
lettre les preceptes de 1'Evangile, ils veulent que 
la chair soit abaissee au profit de 1' esprit : le 
cilice, la cendre, la discipline, le jeiine, les veilles 
imposeront un f rein d'acier aux passions ; tous 
les sens seronl parfaitement soumis, et jamais 
chez eux on ne constatera ces etats d'exaltation 
qui denotent un cerveau rnal equiiibre". Loin de 
faire dominer 1'esprit sur la chair, la raison sur 

fermes dans leur foi, roelamerent leur imam, et 1'attendirent avec 
toute la perseverance des Juifs pour leur Messie. De nos jours, ces 
puritains sont representes en Tunisie par les habitants de Pile de 
Djerba dans le golfe de Gabes, et en Algerie par les lialjitants du 
Mzab . 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 19 

les sens et rimagination, les ordres religieux 
musulmans placeront Tame dans un milieu ener- 
vant et desorganisateur ; 1'ame n'aura plus 
cette force que quelquefois la nature seule, sans 
le secours de la grace, donne a quelques carac- 
teres bien trempes : Satan favorisera de son 
mieux le developpement du caractere de ces 
pays ; au lieu de combattre 1'imagination, il 
1'exaltera soil par des moyens naturels, Topium, 
le hachisch et les autres plantes solanees, soit 
par d'autres moyens, qui, placant 1'ame endor- 
mie dcja a moitie par les opiaces, dans ce demi- 
milieu de sommeil et de veille, fait naitre en elle 
une sensibilite excessive, active 1'ardeur de 
rimagination, et lui fait prendre des mensonges 
et des illusions pour la realite. La saintete de 
nos- ordres religieux repose sur 1'humilite et 
1'Evangile ; les ordres religieux musulmans re- 
posent sur 1'orgueil et le Soufisme. 



GHAPiTRE III. 
Soufisme. Extases et visions. 

Tout ce qui precede sert, pour ainsi dire, d'in- 
trpduction et de point d'attache aux societes 
secretes. Nous savons d'ou elles de"coulent; 
penetrons maintenant dans leur constitution. 
Quelle est done la doctrine qu'elles professent? A 
quelle philosophic se rattachent-elles? A la phi- 
losophie indienne, au Soufisme. Le Soufisme est 
aux ordres religieux musulmans ce que 1'Evan- 
gile est aux ordres religieux catholiques. 

La premiere association musulmane remonte 
a 1'origine mgme de 1'Islamisme. D'apres les 
historiens arabes (au rapport de Brosselard, les 
Khouan, page 29), la premiere annee de 1'hegire, 
90 habitants de la Mecque et de Medine, con- 
vertis recemment a la nouvelle religion, se 
reunirent et formerent une sorte d'association 
ayant pour objet d'eHablir entre eux la com- 
munaute des biens, et de s'acquitter tous les 
jours de certaines pratiques reh'gieuses, dans 
un esprit de penitence et de mortification. 
Dans cette institution, il faut reconnaitre 1'in- 
fluence du christianisme ; on sait, en effet, com- 
bien nombreux etaient a cette epoque les monas- 
teres de la Thebaide et quelle gloire ils avaient 
jetee sur cette contree. Ge ne furent pas les doc- 
trines ni la maniere de vivre des momes, mais 
bien les doctrines et la maniere de vivre des 
Soufi qui furent adoptees. 



LE DlABLE CHEZ LES MUSULMANS .- - . 21 

Soufi(delaracine arabe Sofa = lire, choisir, 
tre pur) designe, dans la langue mystique, tout 
homme qui rngprise les bieris de la terre, et ne 
s'attache qu'aux biens celestes. Nous livrons a 
la sagacite de nos linguistes de trouver les rap- 
ports entre ce mot et le mot grec sophos. 

Nous pouvons Tafflrmer sans aucune hesi- 
tation : le Soufisme vient de 1'lnde ; que de 
rapports entre cette philosophic indienne qui 
trouve la perfection dans la plus absolue absten- 
tion de tout acte meme intellectuel, et cette 
doctrine enervante, dissolvante, qui fait croire 
que la perfection consiste dans une union pure- 
ment passive avec la divinite ! Qui d'ailleurs 
mieux que les Arabes pourra nous renseigner a 
cet egard? Nous allons citer d'abord le fondateur 
des Djenidya, auxquels, suivant le mot du 
cheikh Snoussi, presque tous les ordres vien- 
nent se rattacher. Aboul-Kacem-el-Djenidi 
est ne a Bagdad ou il est mort entre les annees 
296 et298 de Thegire (908-911 de J.-G.). On 
accourait en foule Tecouter a Bagdad, et il a 
laisse plus de 180 ouvrages sur les matieres les 
plus ardues et les plus difficiles. Ge fut lui qui 
introduisit dans 1'Islam les doctrines pantheis- 
tiques de 1'Inde et leur donna tout le poids~de 
son autorite. Voici comment il d^finissait le Sou- 
fisme : Delivrer 1'esprit des instigations des 
passions, se defaire d'habitudes contractees, 
extirper la nature humaine, dompter les sens 
acquerir des qualites intellectuelles, s'^lever 
par la connaissance de la ve"rite et faire le 

bien .Nous n'avons pas appris le Soufisme 

de tel on tel, mais de la faim, du renoncement 



22 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

au monde et a ses habitudes. (Cite par Rinn, 
-page 169.) II faut remarquer surtout la derniere 
phrase, qu'on ne comprendra que lorsqu'on 
aura lu cette etude. Pour faire pene"trer dans 
1'Islam ces doctrines perversives et he"retiques, 
puisqu'elles detruisent 1'unite de Dieu, il fit ce 
qu'ont toujours fait les heretiques : il donna aux 
mots un sens different et put ainsi, sous le voile 
de 1'orthodoxie, exprimer les erreurs indiennes. 
Gette doctrine s'est transmise a travers les 
siecles d'ordres en ordres ; elle est, comme nous 
1'avons dit, la base, nous dirons mme 1'ame 
des societe"s musujmanes. Ge qui forme V es- 
sence de tout le systeme des Soufi, dit 1'histo- 
rien Ibn-Khaldoun qui vivait au xiv c siecle de 
notre ere, c'est cette pratique d'obliger souvent 
1'ame a se rendre compte de toutes ses actions 
et de tout ce qu'elie ne fait point, et en outre 
1'exposition et le de"veloppement de ces gouts et 
de ces eoctases qui naissent des combats livre"s 
aux inclinations naturelles, puis deviennent, pour 
le disciple de la vie spirituelie, des stations dans 
lesquelles il s'eleve progressivement en passant 
de 1'une a 1'autre. Le degagement des sens arrive 
le plus souvent aux hommes qui pratiquent le 
combat spirituel, et alors ils obtiennent une per- 
ception de la nature veritable des tres ; car la 
meditation est comme la nourriture qui donne la 
eroissance al'esprit... Les notions fournies par 
le Soufisme se pretent encore plus difflcilement 
que les autres a une classification scientifique. 
Gela tient a ce que les Soufi pretendent resoudre 
tous les problemes au moyen de perceptions 
dbtenues par eux dans le monde spirituel. 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 23 

A ces paroles du grand historien arabe, ajou- 
tons ce que dit sur les devoirs des Soufi le cheikh 
algerien Mohammed- el -Missoum, khalifat de 
i'ordre des Ghadelya : . Les devoirs d'un veri- 
table Soufi consistent dans Taccomplissement 
des prescriptions de Dieu : jeune, priere, au- 
m6ne, pelerinage ; connaitre Dieu et le prier 
sans cesse, en proclairiant ses louanges, en di- 
sant : II n'y a pas d'autre divinite que Allah ! 
louange a. Dieu, Dieu est tres grand. La pre- 
miere condition pour le Soufi est de mettre en- 
tierement de c6te" ce bas monde et ceux qui 
Thabitent ; c'est d'avoir continuellement devant 
les yeux la vie future, de terrasser 1'orgueil et 
Tenvie; c'est de ne point s'exposer a la mort dans 
des entreprises au-dess'us de ses forces. En effei, 
Dieu a dit : Ne travaillez pas a votre mort. 
Tous les efforts du Soufi doivent tendre a trou- 
ver sur terre une place ou ii pourra librement et 
surement s'occuper de ses exercices de pie"te". 
(Cite par RINN, page 69.) 

On serait dans 1'erreur de croire que, dans 
tous les ordres religieux, le Soufisme a eu les 
memes honneurs. Le Soufisme a eu aussi ses 
martyrs, victimes de Tintol^rance gouvernemen- 
tale, pour trnployer le jargon des societes se- 
cretes. Le plus celebre de ces martyrs est 
Ghabed-din-es-Scherourdi, surnomm^ Gheikh-el- 
Mektoul, qu'il ne faut pas confondre avec le fon- 
dateur de Scherourdya, dont nous parlerons 
plus loin ; il se fit un grand renom comme phi- 
losophe, repeta dans des traites celebres les doc- 
trines des Platoniciens et des Aristoteliciens. 
Accuse de magie et d'heresie, il fut mis a mort 



24 tE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

en 1190 de J.-G. au Caire par Salah-ed-din 
(Saladin). Un ordre, celui des Khelouatya, 
a condamne le Soufisme ; mais c'est une ex- 
ception. Et mgme, ne rejetons pas sur 1'ordre 
tout entier ce qui n'est propre qu'a un individu 
formant Tun des anneaux de la chaine de 
cet ordre, Abd-el-Ouhab-ech-Charani. II nous 
semble que les quelques lignes que nous allons 
citer esl ce qu'il y a de mieux pour nous f aire 
comprendre la funeste influence du Soufisme : 
Ces hommes (les Soufi) finissent par tomber 
dans les aberrations et par etre le jouet de vi- 
sions futiles quand ils ont epuise les forces de 
leur corps par les jeunes, le silence, les insom- 
nies et la solitude. Alors ils apergoivent, dans 
leur imagination bouiilonnante, des lantdmes 
qu'a formes leur exaltation ; quelquefois ces 
fant6mes leur parlent ; quelquefois il se croient 
enveloppes de lumiere ou de tenebres, et voient 
de hideuses images, telles que des chiens, des . 
viperes, etc... Gharani nous rapporte les paroles 
de 1'un de ces maitres, Ali-el-Karouas ; celui-ci^ 
ayant rencontre un de ces cierviches qui vivait 
ainsi dans la solitude, fuyant la societe de ses 
semblables afln de parvenir a une plus grande 
saintete : Mon frere, mon frere, laisse-la la so- 
litude, lui disait-il ; ce qui doit t'arriverarrivera; 
la vraie saintete ne s'obtient pas par des actes ; 
elle est un don de Diou ; aucune de nos oeuvres 
ne peut nous la meriter ; cependant, il y a une 
saintete inferieure et ordinaire qui peut etre le 
fruit de nos efforts, selon que le dit le Goran : 
Mon serviteur est celui qui sans cesse s'ap- 
proche de moipardes actes depie"te,afinque je 



, LE DIABLE GHEZ LES MUSULMANS 25 

1'aime >. Frere, si ton Gheikh te commandait de 
rester pendant trente ans dans cette solitude, et 
d'y souflrir la faim pendant trente ans, tu n'at- 
teindrais pas a la hauteur de cette saintete a 
laquelle tu aspires et que tu veux acquerir par 
tes souffrances. Je n'abandonnerai pas ma 
solitude, reprit 1'ascete. Laisse-la ton funeste 
dessein. Adore ton Dieu selon ses desirs, car ta 
fin approche. Le derviche s'obstina dans sa 
resolution ; quelques jours apres, il etait mort de 
faim. 

Nous ne nous arreterons pas a refuter les er- 
reurs de doctrine ; on voit que c'est une anec- 
dote musulmane ou tout est musulman; mais 
nous doutons qu'on puisse f aire d'une maniere plus 
piquante et plus pittoresque la critique du Sou- 
fisme. Tout homme de sens doit comprendre 
ce qui se passe dans un pauvre cerveau humain 
deja affaibh" par la chaleur et les souffrances de 
toutes sortes, qui doit dans une mme journee 
repeter sans cesse la m^me phrase, passer dans 
le jeune et le recueillement le plus profoad cha- 
cune de ses journe*es, et chasser loin de son es- 
prit la moindre distraction qui pourrait le deta- 
cher de Dieu. Que penseraient, nous le de man- 
dons, non pas lesdirecteurs de seminaires, mais 
les medecins, de cette contention d'esprit ? Et 
qu'on rie dise pas que nous exagerons. Plus loin, 
quand nous indiquerons ce que chaque adepte 
doit reciter par jour, nos prStres catholiques 
s'estimeront heureux d'etre nes sous le regime 
vraiment liberal de Jesus-Christ, et nous autres 
laiques, nous trouverons que vraiment le joug 
de Notre-Seigneur est Men doux en compa- 

LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS i.. 



26 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

raison de celui que le demon impose a ses 
adeptes. 

Les derviches, fakirs, khouans, pen importe le 
nom sous lequel on les designe (1), quoique ce- 
pendant entre ces mots il y ait une difference, 
sont-ils vraiment favorises d'apparitions, d'ex- 
tases ? Le de"mon, deguise en ange de lumiere, 
leur apparait-il quelquefois pour leur devoiler 
1'avenir ou leur tracer leur ligne de conduite ? 
Avant de repondre, nous devons auparavant 
faire remarquer que celui qui voudrait entre- 
prendre dans les socie"tes secretes musulmanes 
les explorations que le D r Bataille a ope"rees 
dans la franc-maconnerie universelle, ne s'en 
tirerait pas a aussi bon compte. Nous ne voulons 
pas dire que sa vie fut plus exposee dans la ca- 
pitale des Snoussya que dans un des temples 
de la San-ho-hei ; mais nous soutenons que le 
premier pas a faire doit etre un pas sur la croix, 

(1) Ces trois mots sont presque synonymes, et le valgaire ne met 
pas de difference :' fakir et derviche ont le meme sens, Tun en 
arabe, 1'autre en turc, et signifient tons deux <' pattvre . Khouan est 
lepluriel du raotkhou qui signifie frere, affllie a une meme con- 
gregation. II y a done une difference. En Algeria et en Tuaisie, on 
distingue aussi le derviche du khouan. Le derviche est I'homme qui 
a un tic, ne fait rien comme les autres, vit dans la salete la plus 
degoutante ; le derviclie joue dans les villages arabes la role des 
fous a la cour du roi de France. On jugera de leur influence par ce 
fait. J'etais un jour dans un village arabe, non loin fie Tunis ; le 
Cheikh (c'est-a-dire le premier citoyen) m'invita a venir prendre le 
cafeavec lui. Je m'y rendis ; lorsque le kahouadji cut remplinos 
petites tasses ea porcelaine, je vis approcher un individu tout 
deguenille; on se demandait quelle etaitl'etoffe primitive de son 
burnous ; sans rien dire, il prend la tasse du Cheikh, degnste promp- 
tement le cafe, qu ! il avale brulant. Je trouvai cet individu tout a 
fait impertinent, et je me promettais bien de n'etre pas aussi facile 
que le Cheikh, si ce malpropre individu essayait seulement de tou- 
cher ma tasse ; il s'en alia reclamant encore deux kaioubes (eavi- 
ron huit centimes), et le Cheikh les lui donna aussitot. C'est un 
derviche, me dit-il, qtiand 1'autre se fut eloigne. Ab uno disce oinncs : 
sales, degoiitants, vivant aux depens d'autrui, prenant quand ils 
ne donnent pas, gens toques ; voila les derviches. 



,LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 27 

et nous avouoDS que, malgre" tous les de"sirs que 
nous ayions eus d'arriver a cette fin, nous 
n'avons pu sacrifier la foi du Chretien et du 
Francais. Simple la'ique, je conserverai, je 1'es- 
pere avec la grace de Dieu, jusqu'a mon dernier 
soupir, la grace de mon bapteme, et plus de dix 
ans en Afrique n'ont pas pu diminuer la ferveur 
de ma foi. 

De nos jours, Dieu semble avoir apaise sa 
colere centre les fils de Cham : un nouveau jour 
semble luire sur le malheureux continent noir. 
Peut-etre Dieu permettra-t-il bientot. que les 
mysteres qui se passent dans cette terre maudite 
soient mis a decouvert. Et pourquoi n'arriverait- 
ii pas pour ces societes ce qui est arrive pour 
la franc-magonnerie ? II y a trente ans, connais- 
sait-on la dixieme partie de ce qu'on sait mainte- 
nant, avant que Leo Taxil et le D r Bataille eussent 
enfinleve le voile? Nous savons que des Francais 
peuvent Stre inities aux societe's secretes musul- 
manes ; nous savons qu'avec des metaux on peut 
visiter les diverses zaouia des diffe"rents ordres ; 
nous savons que des Francais y ont pu penetrer. 
Ren6 Gaille aussi a pu faire sans danger le par- 
cours de Saint Louis (Senegal) a Tanger ; mais 
nous ne croyons pas qu'il soit possible de le 
faire sans renier sa foi. Les Arabes forceronl 
toujours a repeter la formule : II n'y a de Dieu 
que Dieu, et Mohammed est son prophete ; pro- 
noncer cette formule est une vraie apostasie, et 
quandonnela prononcerait que de la bouche, les 
Musulmans nous considereront toujours comme 
des apostats, comme des vrais croyants. M&ne 
en pronongant cette formule, ne croyons pas que 



28 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

. * 

to.ut Khouan puisse visiter et fouiller dans tous les 
rituels. Plus tard, quand nous parlerons des 
Snoussya, nous montrerons toutes les precau- 
tions qui sont prises. 

Pour moi, je suis convaincu que vraiment les 
Khouan qui pratiquent .fldelement les observa- 
tions de leur ordre sont favorises de visions et 
d'extases. Tousles ordres, en enrolantdessujets, 
leur promettent cette faveur ; et il serait eton- 
nant que cette promesse ne fut pas realisee, et 
que les adeptes s'accrussent a ce point. Sans 
doute, au commencement, ce ne sont point de 
vraies visions, ce sont plutot des hallucinations ; 
nous croyons tout dire en un mot, en disant que 
les pratiques religieuses des Khouan doivent 
necessairement et infailliblement produire dans 
1'esprit et I'lmagination le meme effet que Topium 
dans le cerveau de ceux qui s'y adonnent. 

J'ai admire, dans le docteur Bataille, la des- 
cription qu'il fait des danses au Dahomey et ce 
qu'il nous a dit des derviches tourneurs et hur- 
leurs de Constantinople. Ne croyons pas que ce 
que dit le docteur s'applique settlement aux 
derviches tares : pour peu qu'on ait habite 
1'Afrique du Nord et sejourne dans les tribus ou 
1'Europeen n'a encore fait que de rares appari- 
tions, on s'apergoit bien vile de 1'action dissol- 
vante et de 1'influence nefaste qu'ont sur les 
individus les ceremonies et fetes de la religion 
musulmane. 

G'etait au mois d'aout. Tous ceux qui ont par- 
couru ou habite 1'Algerie et la Tunisie savent 
qeulle chaleur regne dans la contree a cette 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS ., 29 

epoque. De neuf heures du matin a quatre heures 
du soir, le thermometre marque ordinairement 
de 25 a 30 degre*s dans les endroits les plus frais 
des maisons europeennes, et il n'est pas rare de 
voir dans la rue le thermometre monter jusqu'a 
35 et40 degres, surtout dans les villages arabes, 
ou les rues sont de veritabtes entonnoirs. On 
devine foute 1'influence de ce climat sur le sys- 
teme nerveux, et combien a ete sage Mahomet 
le jour ou il proscrivit 1'usage des liqueurs fortes. 
On celebrait la fte du Mouled ou anniversaire 
de la naissance du Prophete. C'e"tait la premiere 
fois que je passais cette fete dans un village 
presque exclusivement compose de Musulmans. 
Toute la journee fut calme ; coname les jours 
ordinaires, personne ne se montra dans les 
ruelles ; mais le goir, a peine le soleil avait dis- 
paru derriere rhorizon, que peu a peu la foule 
s'amassa au souk ou lieu du marche. Tous arri- 
vaient lentement et nonchalamment; leur figure 
portait Tempreinte de la fatigue, et leurs pau- 
pieres enflees semblaient reclamer le sommeil. 
Ne cherchez pas dans ces hommes abrutis par 
les exces, pourris par les passions, beaucoup 
d'expansion dans la conversation, et un Francais 
s'ennuie vite avec eux s'il se respecte ; quelques 
monosyllabes, plus ou moms gutturaux, sortaient 
seuls de leur poitrine, et ils s'asseyaient sur les 
banes de pierre du souk, enveloppes toujours de 
leur burnous. Quand la foule fut assez nom- 
breuse, j'entendis un premier coup de tam-tam, 
et ators toutes les voix commencerent en ca- 
dence a reciter la fatiha, ou premiere sourate du 
Goran. II faut entendre ce chant monotone pour 

LE MABLE CHEZ LES MUSULMANS 1. .. 



30 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

s'en faire une idee. Pendant plus de trois heures, 
ils crierent tous, a tue-tete, ces cinq ou six 
versets de leur livre sacre : tant6t la voix mon- 
tait et arrivait ati point le plus aigu que peut 
atteindre une voix humaine ; tant6t elle descen- 
dait presque subitement au grave. Qu'e'prouve-je 
pendant ces longues heures ? J'etais a peine a 
cinquante metres du lieu de la scene, et je trou- 
vais bien longues ces heures d'insomnies. Je 
souffrais non pas tant du bruit que de cette 
modulation qui troublait mon cerveau sur- 
excite et me placait dans un etat menteur; 
non, je ne puis dire ce que j'ai senti. Une seule 
chose dans ma vie m'a paru se rapprocher de 
ce que j'eprouvai alors ; vers 1'age de 12 ans, j'eus 
le delire pendant quatre jours : pendant ces trois 
heures, je croyais elre dans le delire. Quelle 
influence nefaste et desastreuse ne devait pas 
avoir cette musique dissolvante sur ces pauvres 
Arabes, dont 1'imagination, chez la plupart 
d'entre eux, est surexcitee par le haschich, et 
dont beaucoup pensent que, si Mohammed a 
defendu de boire des liqueurs fermentees, il ne 
faut pas comprendre dans cette categoric 1'alcool 
et ses accessoires et surtout 1'absinthe. 

Nous nous sommes etendu a dessein sur ce 
sujet; car, pour nous, le Souflsme est la'base el 
1'ame de toutes les societes secretes : nous avons 
cite" plus haut les paroles du cheikh Snoussi, que 
toutes les societes musulmanes se'rattachent aux 
Djenidya. Le Souflsmelapporta a 1'Islamla philo- 
sophic malsainede ITnde, laquelle sut admirable- 
ment s'adapter a I'indolence du peuple arabe, 
tout en favorisant grandement son amour du 



- - LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 31 

merveilleux. Pouvoir jouir de visions, d'extases, 
avoir commerce avec les esprits superieurs, et 
mme avec Dieu, n'est-ce pas le plus grand 
desir de 1'Arabe ? II se voit entoure de la venera- 
tion de ses concitoyens, qu'il fascine en ope"rant 
des prodiges ; et il devient, dans sa solitude ou 
viennent le consulter les grands de la tribu, 
Thomme le plus influent et le plus celebre de la 
contree. Tandis, en effet,que Textatique veritable, 
favorise des dons de Dieu, vit dans la plus grande 
humilite, 1'extatique diabolique, au contact de 
1'ange revolte, sent redoubler son orgueil. 

Nous allons, essay er, pour notre part, de pene- 
trer dans cet antre de Satan. Gertes. nous ne 
dirons pas le dernier mot ; mais ce que nous 
dirons fera soupconner toutes les pratiques sata- 
niques auxquelles se livrent les affilie"s. Avoir 
fait tourner les yeux de quelques hommes 
eclaires vers cette partie de la terre, avoir sou- 
leve un coin du voile qui couvre les mysteres de 
Satan, c'est pour nous tout ce que nous voulons 
et de"sirons. Nous avons lu quelques livres sur la 
franc-masonnerie ; nous avons suivi attentive- 
men t le D r Bataille : nous n'avons encore rien 
trouve d'aussi clair, d'aussi explicite sur les 
apparitions dont peuvent tre favorises les 
affilies aux societes secretes et les moyens de 
lesobtenir. 

Nous croyons qu'on pourrait diviser en deux 
grandes categories ies affilies aux ordres reli- 
gieux favorises d'extases : le khouan Moham- 
medi, et le khouan Touhidi. Le khouan Moham- 
medi serait celui auquel le prophete Mohammed 
so montre en visions, extases, sommeil; tandis 



32 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

que le Touhidi qui serait parvenu an dernier et 
supreme degre de 1'extase serait celui qui jouit 
de la vue de Dieu. Nous prions les prStres qui 
nous liront de ne pas juger une pareille theorie 
d'apres leur the"ologie : les Arabes ne sont pas si 
logiques. Nous la ferons connaitre de notre 
mieux, et nous y joindrons a la fin les di verses 
interpretations de songes ; ce sera un comple- 
ment a ce qu'a dit le docteur Bataille. 

Tout Khouan qui veut vraiment entrer dans 
1'esprit de son ordre doit tendre de toutes ses 
forces a 1'extase, comme Is religieux doit tendre 
a la saintete que prescrit sa regie. Au fond, les 
ordres musulmans ont le meme but que les 
nOtres : sanctifier leurs adeptes ; settlement, ils 
errent sur les moyens et la veritable fin. L'ex- 
tase, en effet, ne peut s'acquerir, c'est un don de 
Dieu; si Ton y arrive par des efforts suprSmes de 
1'imagination, c'est plut6t de rhallucination et 
une ruse du diable . 

Nous le disons done, tout ordre musulman 
tend a 1'absorption de ses membres dans la 
contemplation du Prophete, et, comme dernier 
effort, dans I'esseoce divine. L'affilie a 1'ordre. 
des Seddikya (fonde par Abou-Beker-es-Seddik, 
mort 1'an 13 de 1'hegire, 635 de J.-G.) doit y tendre 
de tous ses efforts : actes, paroles, pensees, tout 
son etre en un mot doit tre dirige vers ce but 
unique. Jaaaaisil ne doit retourner les yeux en 
arriere pour voir le chemin parcouru ; mais,plein 
d'ardeur pour sa sanctification, partout, dans la 
solitude comme sur la place publique, toujours, 
lejour comme la.nuit, dans le sommeii comme 
dans les veilles, il doit avoir ce but, cet unique" 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 33 

but, voir et contempler le Prophete, etre en 
rapport avec le Prophete, pour que le Prophete 
dirige toutes ses actions. Quand il sera parvenu 
a ce point, quand cette idee sera devenue son 
idee fixe, alors le Prophete commencera a lui 
apparaitre, d'abord dans le sommeil, ensuite 
dans ses moments difficiles, et enfin 1'extase 
vers laquelle il a porte tous ses efforts, 1'extase 
arrivera. Quelle joie alors, quelle puissance de 
voir tous ses efforts couronnes de succes ! il faut 
Tavoir goiitee pour s'en faire une idee. Le mal- 
heureux voyageur, qui dans le de*sert, a eventre 
son dernier chameau pour ne pas succomber a 
la soif, et qui tout a coup parvient a une source 
pure, ne peut nous en donner qu'une bien faible 
idee : Tun sauve une vie perissable et cette 
source d'eau vive ne lui conserve une vie que 
pour souffrir davantage ; l'autre,aucontraire,est 
parvenu a une vie superieure. Sur de"sormais de 
gouter pendant Teternite les delices que le Pro- 
phete a promises a ses fideles croyants, il est 
dans 1'allegresse ; car, mdme dans ce sejour, les 
malheurs et les souffrances ne pourront plus 
Tatteindre. Le Prophete 1'assistera toujours de 
sa puissance : ii veillera sur son fideleinitie, et 
aucune autre creature n'aura de pouvoir sur lui. 
Inutile d'ajouter que, selon la regie des Seddi- 
kya, le but supreme et dernier, c'est la glorifica- 
tion de 1'Etre supreme. 

La encore il faut etablir une distinction entre 
les gens de nature vulgaire et les intelligences 
d'e"lite. Tous, n'importe a quelle categorie qu'on 
les range, doivent en effet tendre a la com- 
plete absorption de leur tre dans le Prophete. 



34 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

A ce degre", ils devront reciter 1'oraison Selat-el- 
Tama, qui est une des prieres dites El-Techchi- 
dat-el-Abderramia. Mais les adeptes d'un esprit 
plus eleve ne s'arreteront pas la : ils devront 
marcher dans les voies de la perfection. Geux 
qui veulent se distinguer du vulgaire doivent 
s'astreindre a dire chacune de ces prieres douze 
fois de suite, et lorsqu'ils en auront pene"tre le 
sens secret, quand ils auront compris toute la 
moelle de cette doctrine, le coeur purifie de 
toutes ses souillures, detache de tous liens ter- 
restres, ils passeront a une autre oraison pour 
invoquer plus specialement et avec plus de fer- 
veur le Prophete de Dieu.Voici cette oraison : 
Dieu, repandez vos benedictions sur notre sei- 
gneur Mohammed (ici dire la quantite), que ces 
benedictions soient aussi nombreuses que les 
choses que vous avez creees en ce monde, les 
etoiles, les arbres, brins d'herbe, etc. Recom- 
mandationtresimportante : nepas oublierle mot 
Sidna (notre Seigneur) ; sous ce nom, se cache 
un mystere que commit seul celui qui fait 
cette oraison avec ferveur. Gette priere purifie 
le coaur, eclaire 1'ame qui ne doit alors pronon- 
cer que des paroles saintes et des formules 
. sacress : II n'y a de divinite* que Allah ; 
Mohammed est son Envoye , et autres sembla- 
bies que Ton trouvera plus loin quand noiis par- 
lerons du diker. Ges invocations, qui doivent etre 
repetees a chaque instant de la vie, donnent a 
1'ame une vigueur- et une force que peuvent sou- 
tenir les forts seuls. Enfln, quand toutes ces 
prieres, quand toutes ces invocations auront 
produit dans 1'ame tout 1'effet desire et attendu, 



LE DIABLB CHEZT LES MUSULMANS 35 

quand toutes les forces de Tame seront tournees 
vers un seul but : Dieu ; alors seulement on 
pourra aborder la priere qui eleve Tame vers le 
Seigneur Tres-Haut. Voici cette priere* : Que le 
Dieu Tout-Puissant soit glorifie i ODieu, repandez 
vos benedictions sur notre seigneur Mohammed, 
sa famille et ses compagnons, et sur eux le 
saint. 

Voila done le Khouan en cor responds nee 
avec Tame de Mahomet. Suivant Snoussi, que 
nous n'avons fait qu'analyser, les visions se 
produisent soit al'etatde veille, soit al'etat de 
sommeil. L'ame sainte du Prophete nourrit, 
dirige et conduit j usque dans les degresles plus 
eleyes de riiluminisme les Khouan qui ont 
voulu se donner a lui. 

Voila done le premier e'tat, et les rapports du 
Khouan Mohammedi avec le Prophete, ou plut6t 
avec le demon : car.ainsi que tout le monde le 
sait,les morts unefois danslatombe n'en sortent 
que rarement et avec Ja permissioa seule de 
Dieu ; les visions qui, comme dans le cas pre- 
sent, n'ont pour but que de flatter I'individu, ne 
peuvent <3tre I'oeuvre de Dieu, il faut y recon- 
naitre 1'oeuvre- du diabie. Nous nous hatons de 
le dire, nous sommes persuade, et tout homme 
de sens le sera avec nous quand nous aurons 
fini cette etude, quelesneuf dixiemesdes visionsne 
sont que des hallucinations. Le Khouahia cela 
dans son esprit qu'il peut et doit lomber en ex- 
tase , il prend pour cela des moyens que nous 
iudiquerons au chapitre de 1'organisation de ces 
societes. Quoid'etonnantjque dans leurs veilleSj 
leurs insomnies et leur sommeil, rimagination 



36 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

leur retrace 1'image telle qu'ils se sont plu a se 
la representer. 

Mais le Khouan Mohammedi ne s'arr&era pas 
a ce degre ; il voudra devenir touhidi, c'est-a-dire 
etre en rapport non plus avec une creature, mais 
avec la divinite elle-meme. Le touhidi est 1'affi- 
lie" parvenu a ce degre d' absorption avec Dieu 
ou le mystique disparait si completement a ses 
propres yeux et a sa pensee, qu'il riest plus oc- 
cupe m&ne de la consideration des attributs 
divins : toutes ses faculte"s et tout son tre etant 
aneantis et absorbes en Dieu. Dans ce dernier 
etat, il n'y a plus de moi : le mystique a disparu, 
ses qualites, ses membres, ses actions ne sont 
plus a lui, tout cela est Dieu (1). 

Ou trouverons-nous exprimee d'une maniere 
plus categorique Taffreuse doctrine du pan- 
theisnie. 

"Voyons maintenant les moyens que pre"conisent 
les auteurs musulmans pour que le Khouan ar- 
rive a 1'aneantissement de son individualite 
absorbee dans 1'essence divine . Gheikh Snoiissi 
nous les fera connaitre, quand dans son livre 
des appuis, ii donne la doctrine, et de"crit les 
ceremonies des Nakechibendya. Nous aliens 
citer presque mot a mot la traduction donnee 
par RINN, p. 286.(Gfr. RINN : p. ; 283-290.) 

Le premier moyen consiste a reciter les prieres 
qui plongent 1'esprit dans les attributs de la divi- 
nite et a repeter les paroles qui lui conviennent 
le mieux, c'est-a-dire : il n'y a de divinite que 
Allah. Pour cela, il faut prendre la m6me pos- 
ture que pour les prieres ordinaires : fermer les 

(i) Tire rtii livre de tliehab-efl-tlin-Abon-Hap-es-Sch:roan dl 
cite par RINN, page 207. 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 37 

yeux, serrer les levres, replier la langue contre 
le palais et placer ses mains contre les cuisses. 
Alors on commence par menager son haleine et 
on dit gravement : II n'y ade divinite que Allah, 
en elevant la tte a partir du milieu du corps et 
en la reportant a sa position naturelle (1). On 
repete cette m&ne invocation en replacant 
la tete au m&ne point de depart, et en la diri : 
geant vers I'epaule droite, puis enfin vers 
l'e"paule gauche, toujours avec la plus grande 
ferveur. Get acte se fait un nombre de fois impair. 
Ensuite on oblique la tete a droite, et, retenant 
son haleine, on ajoute : Mohammed estl'envoye 
de Dieu , puis: divinite, vous etes monbut, 
je crois en vous et je vous implore ; apres 
quoi on donne libre cours a sa respiration pour 
recommencer encore et ainsi de suite. On a soin 
d'observer scrupuleusement de rejeter de son 
esprit toute pense*e autre que celle de la priere 
et de s'imposer le recueiliement et la ferveur 
qui conviennent a une pareille situation . 

Le deuxieme moyen se borne a la repetition 
mentale de 1'invocation : il n'y a de divinite que 
Allah, qui a pour but d'accelerer le resultat vers 
lequel on tend. 

Le troisieme moyen, qui consiste a s'absorber 
dans Tesprit de son Gheikh, n'est profitable qu'a 
celui qui est naturellement porte a Fextase. Poui- 
atteindre ce but, il faut se graver dans 1'esprit 
1'image de son Gheikh et la considerer comme 
son epaule droite, ensuite tracer de l'e"paule au 
cceur une ligne destinee a donner passage a 
1'esprit du Gheikh, pour qu'il vienne prendre 

(1) Nous ferons remarquer, pour 1'intelligence de cc passage, (|iic 
dans beaucoup d'ordres relisjieux, quancl on veut prier. ilfjuit 
placer sa tete en face du nombril. 

LE DIABLE CHEZ LES MtiSULMANS 2 



38 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

possession de cet organe. Get acte doit se renou- 
veler jusqu'a ce que le chef religieux que Ton 
invoque vienne prendre possession du COBUF et 
vous absorber dans la plenitude de son Sire. 

Le quatrieme moyen repose sur la conscience 
que 1'homme a d'etre constamment vu et observe 
par Dieu. II offre deux manieres d'arriver au 
but : la premiere consiste a surveiller son coeur 
et a 1'empecher d'etre accessible aux pensees 
mondaines, jusqu'a ce qu'il soit penetre de la 
ferveur la plus parfaite. Le coeur arrive ainsi a 
percevoir la verite. Apres quoi il se trouve as- 
soupli par le feu qui fait briller la majeste et la 
grandeur de Dieu de leur plus vif eclat. Cet etat 
d'extase conduit a la vue de son Gheikh. ' 

La deuxieme maniere est celle qui amene le 
plus vite au resultat desire", mais elle n'est pra- 
ticable que pour ceux qui sont doues d'une foi 
sincere, ardente et ine"branlable. Si on la choi- 
sit, on doit s'absorber avec recueillement dans 
tout ce qui a trait a la Divinite et au nom de 
Dieu, sans s'attacher a remarquer si Ton. s'ex- 
prime en langue arabe ou etrangere; il faut 
faire abstraction complete de son etre, absolu- 
ment comme si on n'existait pas, et agir comme 
si Ton s'ignorait soi-meme, an'n de faire affluer 
les forces physiques et les perceptions des sons 
vers le coeur vital, en s'aidant de toute sa fer- 
veur. Si ces pratiques presentent des difficultes, 
on se contente d'abord de s'absorber dans 
1'esprit de la Divinite", consideree comme un feu 
invisible recouvrant tout ce qui est cree ; et 
persister dans cet etat jusqu'a ce que le coeur 
se soit Ruliisarnment prepare a passer a un 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 39 

degre plus eleve", et que 1'image des choses pro- 
fanes s'evanouisse. 

Voila done quelques-uns des moyens vantes 
par le fondateur des Nakechibendya, d'apres 
Snoussi. II est bien entendu que ces moyens ne 
sont pas les seuls, mais qu'il faut y joindre les 
autres design es plus haul. Dans ce mme ordre, 
on vante beaucoup, comme moyenle plus apte a 
faire atteindre le but, la recitation des prieres 
dites Sebehan, qu'il fait faire pendant trois nuits 
conse"cutives ? apres s'etre bien purifie, avoir 
fait ses ablutions, s'etre parfume", avoir jetine" 
trois jours, etrevelu deux habits neufs. 
. On serait vraiment tente de rire des moyens 
employes et de la btise humaine, si on n'e"tait a 
c6te de Satan, si on ne voyait que, par ces 
moyens ridicules, Satan va faire tomber avec 
lui dans les abimes tant d'ames qui devraient 
louer Dieu pendant 1'eternite . G'est bien triste 
quand on considere tout cela ; c'est bien plus triste 
encore quand on songe que, depuisplus de mille 
ans, le demon opere son oeuvre sur ce vaste conti- 
nentsansquepersonnevienneluidisputerlaproie. 
Enfin, le bras de Dieu a cesse de s'appesantir sur 
les malheureux enfants de Cham . Le grand Car- 
dinal qui est mort depuis un an a peine a engage 
avec les sectes musulmanes un combat corps a 
corps : six de ces flls sont tombes sous leur 
poignard ; il avait eu le courage de devoiler a 
1'Europe leurs agissements et leurs affreux des- 
seins. Les Peres Blancs, que deja Funivers con- 
nait a cause des progres etonnants et extraordi- 
naires qu'ils ont fait faire a la civilisation dans 
les Grands Lacs, semblent etre les pionniers de la 



40 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS '' ', 

civilisation dans le Nord de 1'Afrique. Saluons 
avec eux Faurore d'un jour nouveau qui s'est 
leve pour ces tribus malheureuses. Nous repar- 
lerons de cette oeuvre admirable qui seule suffi- 
rait a perpetuer le nom du cardinal Lavigerie. 

Continuons notre analyse de Fextase. Le 
Khouan qui veut devenir touhidi doit parcourir 
divers degres avant de parvenir a jouir parfai- 
tement de 1'objet de ses desirs. Ge sera tou jours 
Snoussi qui nous expliquera parfaitement les 
divers degres par ou 1'ame doit passer avant 
d'arriver a la parfaite possession de Dieu, a 
1'aneantissement de 1'individualite. dans 1'essence 
de Dieu. Voici. done ce que le cheikh Snoussi 
nous dit sur la doctrine des Khelouatya : nous 
completerons de lasorte cette etude. (Gfr. RINN: 
290-302.) 

Les visions ne peuvent f rapper 1'individu que 
dans le recueillement et la retraite : tout d'abord 
il voit la lumiere resultant de ses prieres et pu- 
rifications, puis celle du demon en mme temps 
que celle des honneurs. La Verite se manifeste 
alors dans toute sa gloire, soit sous la forme de 
choses inanimees cornme le corail, soit sous 
celle de plantes et d'arbres tels que le palmier, 
ou sous celle d'animaux , ou sous la sienne 
propre, ou enfin sous celle de son Cheikh. 
Ensuite, Tadepte jouit d'un nombre infini d'autres 
lumieres qui sont pour lui le plus parfait des 
talismans. 

Leur nombre s'eleve a soixante-dix mille, il se 
subdivise en plusieurs series et compose les 
sept degres par lesquels on parvient a Vetat 
parfait de Tame. Le premier de ces degres 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 41 

est I'lramaiiite (1). On y apercoit dix mille lu- 
mieres que pea vent voir seulement ceux qui 
.peuvent y arriver": leur couleur est terne, elles 
s'entremelent les unes dans les autres ; cet etat 
permet, en outre, de voir les genies. Ce degrees! 
.facile a franchir, i'ame etant naturellement 
poussee a fair les tenebres et a chercher la 
lumiere. Pour atteindre le second, il faut que 
le coeur soit purifie, alors on atteint le second 
degre, celui de Fextase passionnee : dix mille 
autres lumieres T'eclairent, leur couleur est 
bleu clair. 

Le bien acquis appelle sur cette ame d'autres 
biens : alors elle arrive au troisieme degre qui 
est 1'extase du coeur. La on voit i'enfer et ses 
accessoires, et dix mille autres lumieres dont la 
couleur est rouge ; mais si on veut jouir de la vue 
de ces lumieres, il faut se mortifier dans la nour- 
riture et ne pas prendre ce dont on est le plus 
friand ; ces choses font paraitre ces lumieres envi- 
ronnees d'une f umee qui en ternit 1'eclat. Si ce 
phenomene se produit, il faut s'arrgter la : c'est 
un signe que 1'esprit ne veut pas laisser avancer 
davantage dans la perfection, et qu'il faudra re- 
noncer pour la vie a etre touhidi et mohammedi. 

Mais si on peut franchir ce degre, on arrivera 
au quatrieme : I'etat d'extase de I'ame immate*- 
rielle. Dix mille lumieres viendront toujours 
eclairer le Khouan qui s'aventure dans cette 
voie etlui indiquer le vrai chemin. La, les ames 

(!) Nous erons remarquer que le mot humanito estici synonyme 
de commencement, initiations. Cheikh Snoussi nous fait connaitre 
ici comment ie simple Khouan purvientau dernier dejrrede 1'extase 
depuis le moment oti il est illumine jusqu'a ce qivil se penle dans 
i'essence divine. Pour devenir Rhouan Mohammedi, il faut par- 
conrir les cinq premiers degres. 



42 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

du Prophete et des saints viendront consoler, 
soutenir, encourager et fortifier celui qui voudra 
parcourir toute la voie de la perfection. La cou- 
leur des lumieres est d'un jaunetres accentue". 

Le cinquieme degre est celui de 1'extase mys- 
terieuse : on y contemple les anges et dix mille 
autres lumieres d'un blanc eclatant. 

L'extase d'obsession est le sixieme degre, 
les dix mille lumieres qu'on y apergoit sont 
autant de miroirs limpides. Parvenu a ce point, 
le Khouan ressent un delicieux ravissemeut 
d'esprit qui a pris le noin d'El-Khadir (1), qui 
est le principe de la vie spirituelle. Alors on voit 
le Prophete Mohammed. 

Enfin, on arrive aux dix mille autres lumieres 
cachees, et on atteint le septieme degre, qui est 
la beatitude. Ces lumieres sont vertes et blanches, 

(1) El-Khadir est done le principe de la vie spirituelle ; on nous 
permettra tie citer a ce sujet les paroles de Rinn (Marabouts et 
Khouan, page 59) : Sidi-el-Khadir c'est le prophete Elie, qui, comme 
le prophete Idris (Henoeh), a bu a la soure de vie et a ete 
exempte de la mort. Sa personnalite est dedoublee: Elias erre 
sur terre. El-Khadir vit au fond de la mer. Un jour par an, ils 
se rencontrentpour se concerter : El-Khadir est alors 1'intermediaire 
ordinaire entre Dieu et les homines, il leur devoile 1'avenir, 
et surtout leur conlere les dons de la Baraka-et-Tessarouf. c'est-a- 
dire le pouvoir de faire des 'miracles et d'etre exauces dans tout 
ce qu'ils demandent pour eux ou pour les autres. 

On comprend combien I'investituj-e par un tel personnage, . 
donne du relief a son elu, chez un peuple plein de loi et credule 
comme le peuple musulman. 

Aussi est-ce en grande partie au caractere surnaturel de la 
revelation 1'aite a leurs I'ondateurs qu'il f<iut attribuer 1'intluence 
considerable dont jouissent les sectes des Aouissya, Khadirya, 
Snoussya et autres. Tons les membres; en eflet, participent a 
la Baraka > transmise par les heritiers de ces I'ondateurs, par les 
chefs d'ordre qui peuvent. daus de certaines conditions connues 
et nettement Ibrmulees dans les livres de doctrine, entrer en 
communication directe et secrete avec El-Khadir et le Prophete . 
(Pages 59 et 60) . 

Le lecteur comprendra done ce qu'il faut entendre par Baraka : 
c'est la faculte qu'ont tous les Khouan de certains ordres, de voir 
toutes leurs prieres exaucees. Voila la principale cause, avec le 
don de vision, de la prosperite des ordres religieux musulmans. 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 43 

mais elles subissent des transformations succes- 
sives, passent successivement par toutes les 
couleurs. Le Khouan est alors touhidi : il a du 
franchir les cinq premiers degre"s avant de 
devenir Mohammedi. A co dernier et sublime 
degre" de 1'extase, les lumieres qui eclairent les 
attributs de Dieu se devoilent et on entend les 
paroles du Seigneur : alors on n'appartient plus 
ace monde, les choses terrestres s'evanouissent, 
on ne se sent plus soi-meme, on est perdu dans 
1'inflni. 

Nous avons dit que lese.Jatiques pbuvaierit se 
diviser en deux grand es categories : les moham- 
medi et les touhidi : on ne peut pas donner, en 
effet, le nom de vraie vision ou d'extase aux cinq 
premiers degres que nous avons enumeres ; ce 
sont plut6t des hallucinations, de meme que dans 
le catholicisme nous ne donnons le nom d'extase 
et de vision que lorsque la Sainte Vierge et un 
saint ou Notr.e-Seigneur apparaissent a une ame 
privilegiee . Mais nous savons que jamais la divi- 
nite elle-m6me ne s'est montree aaucun homme, 
excepte peut-etre une fois a la Sainte Vierge. 
Par consequent, le Khouan touhidi est une im- 
possibilite, mais n'est-ce pas la ce qui montre le 
doigt et I'inspiration de Satan. Qui se montre a 
eux sous 1'apparence de la divinite si ce n'est 
Lucifer lui-meme ? Done les Khouan parvenus a 
ce dernier degre rendent un vrai culte a Lucifer 
qui, pour le moment, prend la place de la divinite. 
Ne nous etonnons pas de voir les adeptes de 
Satan, parvenus a ce degre d'observation, 
eprouver des joies et des plaisirs dont nous ne 
pouvons nous faire une idee. Ne nous etonnons 
pas de les voir sans cesse vouloir s'unir a ce 



44 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

dieu qui les trompe malheureusement. Les 
extremes setouchent, dit-on vulgairement : ilest 
certain, en effet, que Fhomme parvenu au der- 
nier degre d'abaisseroent eprouve des joies non 
certes aussi pures, aussi grandes que Tame pu- 
rifiee et sanctifiee qui vit sans cesse dans la pre- 
sence et 1'amour de son Dieu, mais elle eprouve 
des joies immenses que Satan se plait pour ainsi 
dire a leur deverser sans mesure pour les attirer 
et les Her pour toujours a son service. II est a 
remarquer que nulle part on ne trouve que le 
Khouan doive s'attendre a eprouver et a subir de 
peines interieures comparables a celles qu'ont 
souffertes quelques saints avant d'arriver a ce 
degre de saintete ou 1'ame tombe dans i'extase. 
Voila ce qui nous explique 1'aveuglement de ces 
pauvres gens, qui nous traitent d'aveugles. Nous 
ne pouvons expliquer tous ces phe"nomenes que 
par la possession : ces malheureux sont reelle- 
ment possedes de 1'esprit des tenebres. Tel 
Khouan qui etait celebre dans la contree par ses 
visions, ses extases et le nombre de prodiges 
qu'il accomplissait, n'a pas pu supporter la vue 
du Pere Blanc, et quand on a voulu le faire 
entrer dans la chapelle, <j'a ete impossible. Nous 
ne voulons pas nous elendre ici plus longuement 
sur cette question. Quand nous parlerons des 
divers ordres, particulierement des Aissaoua, 
nous parlerons de leurs jongleries, et aussi de 
le;irs operations vraiment diaboliques. Nous ne 
voulions que constater la possession du Khouan 
par le demon foutes les fois que 1'affllie parvient 
a I'extase. 

Tout adepte ne parvient pas du premier coup 
an dernier degre de I'extase : il lui faut du temps 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 45 

pour atrophier son intelligence et s'abrutir ; pen- 
dant ce temps il ne doit pas rester oisif . Nous 
avonsvu aussi precedemment, quandnous avons 
parle du Khouan Mohammedi, que quelquefois 
le prophete lui apparaissait en songe pour lui 
faire connaitre tout ce qu'il doit faire. Toujours 
aussi le de"mon ne doit pas Stre de bonne humeur, 
et franchement 1'homme est trop exigeant de 
vouloir consulter le diable pour ses actions les 
plus ordinaires, quelquefois les plus ridicules 
de la vie. Aussi les hommes qui, malgre tout, 
veulent le faire intervenir dans toutes les actions 
de leur vie, ont imagine 1'interpretation des 
songes ; ils ont cru que 1'ange des tenebres, 
assez occupe ailleurs a des oeuvres autrement 
importantes que leurs vains desirs, veut cepen- 
dant satisfaire les prieres de ses clients, et 
leur repond par ce moyen. Dans le Diable 
au XIX* Siecle, le D p Bataille nous a enumere 
quelques-unes de ces interpretations; grace a 
elles, on peut ?e passer du devin et mSme, a 
1'occasion, se faire diseur de bonne aventure. Le 
lecteur" nous permetlra de lui mettre sous les 
yeux quelques interpretations : il verra que les 
Africains adonnes a cette science n'ont rien a 
envier a leurs congeneres d'Europe. 

Snoussi, que nous allons citer, distingue entre 
la vision et la perception : il appelle vision ce 
qui nous apparalt en songe, et perception ce qui 
nous apparait dans cet etat intermediaire, entre 
le sommeil et 1'etat de veille : il y aura, dans ces 
deux etats, des circonstances qui ne meritent 
aucune attention ; d'autres, au contraire, sont 
susceptibles de recevoir une certaine interpre- 
tation ; ces dernieres ne doivent jamais avoir eu 

LE DIABLE CHEZ LES MITSULMANS 2. 



46 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

lieu dans Fetat de veille. Avant de donner les 
diverses interpretations, nous donnerons une 
remarque tres fine de Snoussi : II faut, dit-il, bien 
reroarquer Fetat dans lequel se trouvait celui 
qui a eu la vision. Dans quelque etat d'eoctase 
que se trouvent les visionnaires, bien peu arri- 
veronl a nepas se laisser eblouir. Maintenant, 
nous aliens ciler (d'apres RINN, page 296) : Voir 
1'essence du Prophete (que Dieu repande sur lui 
ses benedictions et lui accordele salut) veut dire 
que Ton jouira de 1'apparition de 1'Etre incom- 
mensurable (Mohammed). Voir ses enfants, 
signifle que ceux-ci seront assistes. Voir son 
pere, indique une intelligence qui se ferajour. 

Voir son Cheikh, est un indice de sagesse. 
Voir Tame, represente le monde et tout ce qu'il 
comporte. Voir ce que Ton possede dans le 
monde, c'est-a-dire sa mere, sa femme, sa fille, 
son flls, indique les vertus du coeur et ce qui en 
decoule. Voir des aliments, indique une decou- 
verte de richesses. Voir quelque chose de la 
nature des aliments, signify un rang illustre 
avec tout ce qui y est attache. Voir les attri- 
buts de cette qualite, est un signe de turpitude. 

Voir un animal mort ou une de ses parties, 
telle que son sang ou autre, annonce des choses 
defendues. Voir des fruits, tels que des raisins 
ou autres semblables. est une marque de bonnes 
oeuvres. Voir des beles de somme dont la 
chair est illicite, indique une tendance de Fame 
a se rapprocher du bien dans les limites de sa 
nature. Voir des boissons, telles que le vin, 
le lait aigre, Feau, le miel, doit etre interpret^ 
d'apres les observations relevees sur le vision- 
naire : ainsi le vin indique la science de la theo- 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 47 

logie absolue; le lait aigre,les sciences occultes; 
1'eau, la theologie pratiquee par les ames agrea- 
bles a Dieu ; le miel, les sciences mystiques. 
Voir des fruits en general, tels que des dattes, 
des olives ou autres, est une marque de bonnes 
ceuvres. La priere signifie la proximite du 
Dieu Tres-Haut vers lequel on arrivera. Un 
bain general indique la purification des souil- 
lures et des peches. Voir une reunion de per- 
sonnes priant ensemble ou une assemblee de 
docteurs, veut dire qu'un concile s'occupe des 
choses sacrees. Voir un cercle de chanteurs, 
de musiciens ou autres semblables, comme aussi 
voir la forme du demon, est un signe que le 
visionnaire doit se purifier de la maniere qui lui 
sera indiquee par son Cheik. Voir vivant un 
homme qui est mort, est un signe de bonnes 
oeuvres. L'in verse indique la chose contraire. 
Voir sa mere ou son ami, indique que Ton 
s'aper<joit de sa propre conduite. Voir un 
echange est un signe d'autorite exterieure en 
rapport aveo la valeur du visionnaire. Gelui-ci 
doit e"tre assez sage pour savoir ce qu'il lui est 
permis de faire ou de ne pas faire en cette cir- 
constance. 

Nous en avons fini avec tous ces contes de 
vieilles f emmes ; toutes ces reponses plus ineptes 
les unes que les autres doivent avoir ete donnees 
par un demon de mauvaise liumeur, furieux du 
role vraiment trivial qu'on lui faisait jouer. Pour 
nous, nous y voyons la faiblesse d'esprit et la 
stupidite des gens qui se sont donnes au demon. 
Us ajouteront foi a une de ces interpretations, 
mais traiteront de niaise et de faible d'esprit une 
bonne vieille femme qui, satis faite de savoir son 



48 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

catechisme, croira en Dieu et en Jesus-Christ. 
Nous ferons remarquer, en outre, 1'habilete de 
Satan : nous avons voulu confronter les divers 
songes que donne Snoussi avec leurs interpreta- 
tions, avec celles que donoe le D r Bataille : nous 
n'y en avons trouve qu'une ou deux qui soient a 
peu pres semblables. Le peuple arabe, en effet, 
a d'autres soucis et preoccupations que nos 
dames de salon, et Lucifer n'est jamaisde mau- 
vaise humeur quand il faut, par un moyen quel- 
conque, gagner quelque ame. 

Nous nous sommes bien etendu sur ce sujet ; 
nous avons dirige le lecteur a travers les diver- 
ses sortes de visions et d'extases, nous lui en 
avons fait parcourir tous les degres ; enfln, nous 
avons donne un specimen de la maniere dont 
les songes sont interpretes dans I'lslam ; nous 
voudrions flnir ce chapitre en disaut quelques 
mots de ce que nous appellerions la mystique 
des ordres religieux. Le lecteur a du se deman- 
der, en effet, si vraiment dans ces ordres on ne 
parlait que de visions et d'extases ; si on se con- 
tentait de reciter d'innombrables prieres, ainsi 
que nous le disons a propos du diker, si enfln 
chaque ordre ne proposait pas une vertu particu- 
liere a acque*rir. 

Tandis que tous les ordres catholiques placent 
1'humilite comme la base de toute sanctification, 
les ordres religieux semblent preferer le re- 
pentir. Sans cesse ce mot revient dans les 
diverses [instructions que donne le Moqaddem ; 
et dans presque tous les diker nous trouverons 
la formule : Que Dieu me pardonne ! Le 
repentir reel et effectif est, d'apres les Chadelya, 
la premiere des conditions ante"rieures qu'il faut 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 49 

avoir pour bien reciter le diker. Dans ce meme 
ordre, les cinq principes fondamentaux sur les- 
quels il repose sont : Avoir la crainte de Dieu, 
se conformer a la sonna, se detacher du monde, 
etc., etc. ; mais on voit toujours cette pense"e du 
repentir occuper la premiere place. Abd-el- 
Kerim,2 c successeur de Chadeli, dansuneouassia 
(instruction) envoyee aux moqaddem de 1'Occi- 
dent, disait a ses coaffilies de montrer toujours 
un repentir sincere, car c'est sur le repentir 
que repose ce qui doit suivre, et les benedictions 
dont un Khouan sera 1'objet se reporteront sur 
ce qui 1'a precede. En tout temps, on a besoin 
du repentir. Les etats ne seront purs, les actions 
agre"ables a Dieu, qu'autant que le repentir aura 
e"te sincere : le Prophete 1'a dit de sa bouche 
divine : Musulmans, soyez repentants, alors 
peut-tre vous serez heureux. La preuve de son 
immense efflcacite, c'est 1'eloge qu'en ont fait 
ous les docteurs de 1'Islam. Vous assurer le 
repentir, c'est, de la part de Dieu, vous e*tre plus 
utUe que de vous faire connaitre soixante-dix 
mille secret? et de vous les faire perdre apres. 
Nous pourrions en citer bien d'autres passages ; 
mais nous n'ajouterions rien a ce que nous avons 
dit. Apres le repentir, il n'y a pas de vertu qui 
semble trancher beaucoup et attirer sur elle 
specialement les regards des Khouan : 1'humi- 
lite (oui, 1'humilite, non la vertu chre"tienne, car 
elle leur est impossible), la reconnaissance en- 
vers Dieu, les actions de graces, la patience, 
la charite fraternelle, voila a peu pres tout ce 
que recommande le systeme de morale des 
ordres religieux ; que c'est triste ! Malgre soi, 
quand on a parcouru un peu les rituels et ins- 



50 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

tractions adresse*es aux Khouan, on ne peut 
s'empecher de de"tourner ses regards pour les 
porter sur le catholicisme . Tandis que nos 
ordres religieux sont un magnifique jardin oil 
croissent toutes les vertus, les ordres religieux 
musulmans, images du pays, ne sont qu'un 
vaste desert ou croissent de distance en dis- 
tance quelque arbrisseau rabougri, que le mi- 
rage du desert vous fait croire un arbre gigan- 
tesque. Helas ! la milice de Satan a passe par la. 
Prions, prions pour ce malheureux peuple ! ! 



GHAPITRE IV. 

Les ordres religieuoc en general; Orthodoscie. 

Ge fut a la suite des exces sans nombre et des 
troubles presque sans fin qui suivirent la mort 
des trois premiers Khalifes que le Soufisme pene- 
tra dans 1'Islamisme qui lui ouvrit ses portes. 
C'etaitun nouvel element destructeur ajoute a 
un autre, ces deux elements reunis allaient 
miner toute une partie du monde et la Jeter dans 
un aveiiglement que nous avons peine a conce- 
yoir. Le Goran favorisait surtout les sens exte- 
rieurs et les faisait dominer sur 1'esprit : toutes 
les voluptes etaient permises a ses fideles, et 
d'autres encore plus nombreuses et plus raffi- 
nees leur etaient promises pour la vie future. 
Ges plaisirs convenaient bien au peuple ; mais 
la corruption de I'homme n'etait pas complete : 
Satan completa son oeuvre par le Soufisme, et 
le transporta des bords du Gauge aux bords du 
Nil et de 1'Atlantique ; c'etaient des plaisirs 
plus raffines, plus doux a savourer, car ils 
e"taient places dans cette partie de nous-meme 
qui semble tenir le milieu entre le corps et Tame : 
1'imagination : en la faisant dominer, on enle- 
vait une force de plus a la raison, on abrutissait 
rhomme davantage, sous pretexte de lui faire 
gouter un bonheur plus pur ; enfin, on donnait 
a rislamisme une teiate de mysticisme et de 
purete qui lui sieyait bien. 

La grande difflculte pour ces hommes qui- 
voulaient entrer dans cette nouvelle voie, etait 



52 LE DIABLB CHEZ LES MUSULMANS 

/ 

de paraitre orthodoxes. La plus grande insulte, 
en eft'et, que puisse faire un MusulmaD, c'est 
d'appeler son ennnemi apostat, heretique. II elait 
done de toute uecessite pour tout ordre de prou- 
ver sou orthodoxie. Au fond, la question se re- 
solvait a une simple genealogie de 1'ordre et il 
suffisait que tout fondateur indiquat a source 
d'ou il decoulait pour qu'aussitot son orthodoxie 
fut reconnue; de m&ne que chez nous, nous re- 
connaissons qu'un ordre est orthodoxe lorsqu'il 
nousaindique 1'arbre dont il est le rameau,et de 
mome que tout ordre catholique remonte a 
Jesus-Christ par Fintermediaire de ses vicaires, 
de meme tout ordre musulman remonte ou est 
cense remonter au propheto par une cha'ine non 
interrompue de saints et de docteurs. En tete de 
toutes les selsela (chaines), vous voyez figurer 
1'ange Gabriel, Mohammed (le prophete), Abou- 
Bekr, ou, a la place de ce dernier, Abou-Taleb, 
ou encore quelquefois Omar. On pourrait done 
diviser tous les ordres musulmans en deux 
graudes categories : ceux qui se rattachent au 
prophete par Abou-Bekr, et ceux qui s'y ratta- 
chent par Abou-Taleb . A Abou-Bekr se ratta- 
chent, soit directemeot, soit indirecte.ment, les 
Seddikya, les Nakechibendya, les Qadrya, les 
Snoussya, etc. A Omar et Abou-Taleb, les 
Aoussya, les Khadirya, etc. 

D'autres ordres ajoutent la noblesse du fonda- 
teur a leur noblesse d'origine : ils ont ete fondes 
par un che"rif, c'est-a-dire par un descendant de 
Mahomet : de ce nomore se trouvent les 
Qadrya, les Snoussya, etc. 

Est-ii meme toujours ne*cessaire, pour qu'un 
ordre soit regarde comme orthodoxe, qu'il 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 53 

puisse etablir sa chaiue jusqu'a Mahomet. 
C'estunsujet qui est bien debattu par les doc- 
teurs musulmans. Le -peuple, amoureux du mer- 
veilleux, croit trop facilement aux revelations 
soit d'El-Khadir, soit de Mohammed, soit de 
Gabriel. On peut dire, d'une maniere generate, 
que les docteurs etrangers a 1'ordre considerent 
ces apparitions comme des mensonges et n'en 
font nul cas. La raison sur laquelle ils s'appuient 
me parait excellente, mais elle fait crouler 1'Is- 
lamisme. et la mission de Mahomet : S'il ya 
vraiment revelation, disent ils, Thomme doit pou- 
voir le contrdler ; si votre ordre a ete revele et 
institue sur cette revelation, montrez vos preu- 
ves . La raison est bien forte ; et les affirma- 
tions da fondateur et des docteurs qui 1'ont 
suivi ne detruiront pas 1'objection. Mais dans 
I'lslamisme, ce qui fait la force d'un ordre reli- 
gieux n'est pas 1'approbation donnee par 1'auto- 
rite souveraine, mais par le peuple. Nous avons 
vu, dans le chapitre II, la doctrine politique de 
1'Islam, et nous verrons plus loin le peu de 
cas que font les ordres religieux, non seulement 
des desirs, mais des ordres qui viennent de 
Stamboul. G'est done le peuple, ignorant et 
grossier, qui va discuter des questions aussi 
graves ! ! Se figure- t-on nos paysans discutant 
sur les apparitions de la Sainte Vierge ou des 
Saints, et leur donnant une sanction constatant 
d'une maniere irrevocable qu'elles ont eu lieu. 
Gombieu plus de sagesse nous rencontrons dans 
1'Eglise Chretienne, et avec combien plus de 
raison et d'ordre Jesus-Christ a su tout regler 
dans son royaume ! 
Devant les faits, cependant, nous sommes bien 



54 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

obliges de nous incliner. En effet, 1'ordre musul- 
man qui semble appele a jouer le r61e ie plus 
brill ant et le plus actif, c'est-a-dire qui semble 
appele a porter les plus rudes coups a la civili- 
sation et au progres, les Snoussya, n'est que la 
transformation et la continuation des Khadirya, 
de mSme que les capucins continuent I'oauvre 
de saint Frangois d'Assise. Or, 1'ordre des Kha- 
dirya a ete fonde par Sid Abd-el-Aziz-ed-Deb- 
ban (1713 de J.-C., 1125 de 1'hegire), sur un 
ordre regu dans une revelation qui lui fut faite 
au tombeau de Sidi Ali-ben-Herzhoum. Tous les 
docteurs de 1'Islam admettent la possibilite de 
la revelation ; en fait, les legistes la repoussent, 
et les Soufl etrangers a 1'ordre, jaloux de 1'in- 
fluence de 1'ordre revele, contestent la revela- 
tion. Aussi Snoussi, qui peut a juste titre etre 
regarde comme le meilleur e'crivain des societes 
secretes musulmanes, et auquel nous f erons pres- 
que tous les emprunts, Snoussi, afin de Idgitimer 
son ordre, produit toutes les preuves qu'il a pu 
trouver. Pourne pas allonger cette etude, nous 
resumerons brievement ce qu'il en dit, et ce sera 
une nouvelle preuve qui confirmera la realite 
des apparitions dont peuvent etre favorises tous 
les Soufl et auxquelles ils peuvent pretendre. 

D'apres Abou-Beker-el-Mekki, cite par 
Snoussi , le seul moyen assure d'apercevoir en 
vision soit El-Khadir soit le Prophete, c'est de 
reciter 41 fois la priere Ed-Daa-es-sifl, dans la 
nuit ou Ton veut etre favorise de leur presence. 
La recitation ne sufflt pas pour obtenir 1'effet 
desire, et le Cheikh ne s'est pas compromis : il 
faut d'abord, avec la permission de Dieu, que le 
Khouan ait atteint le degre de perfection neces- 



LB DJABLE CHEZ LES MUSULMANS 55 

saire. Pour y arriver, il faudra chaque jour 
reciter ces prieres et se representer jour et nuit 
les ames qu'on veut voir (Cfr. ; chap, in : Ge que 
nous avons dit sur les visions). Quand on con- 
nait la puissance d'imagination des Arabes, 
'quand on sait que deja leur cerveau est bien 
faible,a cause du nombre incalculable de prieres 
qu'ils doivent reciter par jour, et que nous indi- 
querons quand nous parlerons du diker, on verra 
que 1'evocation est vraiment facile a 1'adepte, et 
si, des les premieres fois, la vision n'est que le 
produit de son cerveau malade, ne peut-on pas 
dire d'eux ce que le D r Bataille dit des fumeurs 
d'opium ; c'est qu'a la longue le demon s'en 
mele, et, selon les paroles de 1'auteur que nous 
analysons, Fadepte est alors bien dirige par ces 
visions dans toutes ses actions et les circons- 
tance de sa vie. 

Les legistes auront beau nier le fait de la 
revelation, deTordre, ils ne seront pas crus par 
la masse du peuple, et ce sera une cause de 
prosperite de plus pour I'ordre. II y a pour nous 
un autre renseignement que nous pouvons tirer 
de la necessite de la chaine : chaque ordre, en 
effet, a une chaine historique et une cha'ine 
mystique; la chaine historique nous fait con- 
naitre tous les grands-maitres de Fordre qui se 
sont succedes depuis le fondateur : cette chaine 
a peu d'intere't pour nous ; nous n'etonnerons 
personne en disant que leur valeur historique 
est de peu d'importance, et nous doutons beau- 
coup que la plupart d'entre elles pussent sup- 
porter longtemps la critique d'un historien se- 
rieux : ainsi, par exemple, comment expliquer 
que Gharani, dont nous avons cite ia diatribe 



56 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

centre ie Souflsme, fasse cependant partie de la 
chame des Khelouatya ; au surplus (1), Si Snoussi 
donne plusieurs chaines pour, un ordre. Aussi, Ie 
meilleur souhait que nous puissions faire aux 
ordres religieux musulmans, c'est qu'ils ne ren- 
contrent jamais sur leur chemin des ennemis" 
egaux en fureur et en haine a ceux qui perse- 
cutent nos ordres religieux, car leur orthodoxie 
serait bient6t reconnue fausse, et leur existence 
serait bien courte. 

Le cote Ie plus interessant pour nous est Ie 
c6te mystique de ces chaines. Les saints qui y 
sont invoques comme preuve de 1'orthodoxie ne 
sont pas tous egaux et ont une importance plus 
ou moins grande, de meme que chez nous toutes 
les fetes des saints n'ont pas Ie meme degre", 
mais que nous considerons la Sainte Yierge, les 
Apotres, les Docteurs, comme ayant des titres 
plus ou moins grands a notre veneration, et que 
leurs fStes, dans la liturgie, jouissent de quelques 
privileges. Nous aliens dire quelques mots des 
divers titres donnes a un membre d'une chame 
mystique. Ges titres montrent 1'autorite de 1'in- 
dividu en question Gommengons par Ie dernier. 

Le ouali (2) ou ami de Dieu, c'est 1'homme 
privilege, objet de 1'amour de Dieu, et qui, a 
cause de ses vertus et de ses merites, peut, apres 
sa mort, operer des miracles. Acquerir ce titre, 
avoir une petite kouba sur son tombeau, ou les 
fideles viendront prier et deposer des offrandes, 
est Ie but que se propose tout bon marabout qui 

(1) Nous employons imMeremment Si ou Siil on Sidi.qm signi- 
Ue : Seigneur. Ainsi Si Snoussi siguifie Ie sieur Snoussi. 

(2) 11 ne Hint pas confondre ce mot ouali, qui veut dire saint, 
avec Ie mot ouali, qui signifie gouverneur d'une province 1'or- 
thographe araben'est pas la meme. 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 57 

veut remplir avec zele les fonctions de son etat. 
Une fois declare ouali, il aura un petit oratoire, 
que ses enfants garderont, et qui pourront ainsf 
se faire un petit pecule, grace aux offrandes des 
fideies. C'est le seul litre que ne puisse pas 
porter un homme vivant : les sept autres sont 
tous portes uniquement par des vivants . 

Le nekib est le chef d'un groupe de saints : ils 
sont au nombre de 300, s'ignorent eux-mmes et 
ne sont connus que de leurs supe"rieurs ; 1'Afrique 
est leur sejour. 

Le nedjib(l'excellent) ; 70 composent cet ordre : 
ils habitent surtout 1'Egypte. 

Les abdal (les changeants) recoivent ce nom 
parce que aussitot que 1'un disparait, un autre 
prend sa place : les auteurs ne sont pas d'accord 
sur le nombre, qu'ils font varier entre 7 et 70. 

Les Khiar (les meilleurs) sont au nombre de 
sept, et voyagent constamment pour la propa- 
gation de rislam. 

Les aoutad (piquets de tente) sont au nombre 
de quatre, et sont places, par rapport a la 
Mecque, dans les pays occupant les quatre 
points cardinaux. Leur ame est purifiee de tous 
les vices, et ils sont parvenus a ce degre de 
perfection, qu'ils en ont atteint le sommet : ils con- 
naissent Dieu autant que peut le connaitre une 
creature, et c'est a eux que s'applique litterale- 
ment tout ce que nous avons dit de 1'extase. 

Quant auQoteb-el-Ouoqt, peut-etre serons-nous 
agreables a quelques lecteurs en leur citant un 
passage de Ghadali ou il enumere les cinq qua- 
lit^s necessaires pour etre Qoteb. 

Nous citons d'apres Rinn, page 228. Gelui qui 
veut se faire passer pour Qoteb doit montrer : 



58 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

1 Qu'il a le secours de 1'emanation, de . 
la misericorde, qu'il a le vicariat et la dele- 
gation divine ; qu'il a le secours des porteurs 
du tr6ne de Dieu. 2 Qu'il a reconnu le veri- 
table caractere de Fessence de Dieu, ainsi que 
les attributs qui renferment Dieu, tant exte- 
rieurement qii'mterieurement. 3 Qu'il possede 
la grace du jugement ; qu'il est a meme d'in- 
diquer la separation entre les deux; substances 
dont la nature est d'etre saisie par les sens 
interieurs. 4 u Qu'il est a meme de faire com- 
prendre la disjonction de .la premiere chose 
d'avec son origine et la continuelle dependance 
de cette premiere chose avec son origine jusqu'a 
sa fin. 5 C Qu'il possede la certitude de cette pre- 
miere origine, le jugement interieur, le juge- 
ment posterieur, le jugement de ce qui n'a ni 
priority ni anteriorite ; la science du commen- 
cement, la science qui embrasse toute science, 
ainsi que le tout connu dont la creation est sortie 
du premier inconnu. et en dependra jusqu'a la 
fin de la matiere, pour revenir ensuite a sa 
cause premiere. G'est 1'homme le plus impor- 
tant de son epoque ; mot a mot, ces deux mots 
signifient : etoile polaire du moment ; c'est 
1'homme qui dirige et gouverne ses semblables 
comme f etoile polaire guide les vaisseaux sur 
la mer : G'est le saint par excellence, celui qui 
occupe le sommet de 1'axe autour duquel le 
genre humain accomplit son eternelle et immua- 
ble revolution. BROSSELARD. 

Enfin, au sommet de.l'echelle est le Gouts (pro- 
noncez en gressayant sur le g comme IV parisien). 
Pour donner une idee du Gouts, nous ne pouvons 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 59 

mieux faire que de le comparer a la Sainte 
Vierge. De meme que Marie, en raison de la sura- 
bondance de sa saintete et de la grandeur de ses 
merites, a pu non pas me"riter notre salut, mais y 
cooperer, en sorte que selon que Tenseignent les 
Iheologiens, elle a merite de congruo, ce que 
Je"sus-Ghrist a merited condigno, ainsi le Gouts, 
selon la doctrine musulmane, peut prendre sur 
lui une partie des peches de 1'humanite, sans 
pourtant conipromettre son salut. 

Nous ne nous arreterons pas davantage sur ces 
titres ; d'ailleurs, les auteurs musulmans sont 
loin d'etre d'accord sur leur nombre, leurs qua- 
nta's, etc. Maintenant que nous avons vu le but 
que se proposent les ordres religieux, qui est 
d'abord 1'extase et les visions, et, en second lieu, 
empecher les progres de la civilisation et entra- 
ver les empietements continuels de I'Europe, 
voyons un peu 1'organisation et le fonctionne- 
ment de ces congregations : et dans un autre 
chapitre, nous examinerons comment elles par- 
viennent a atteindre leur second but. On sera 
frappe de la ressemblance qui existe entre les 
societes secretes d'Europe et celles d'Afrique, et 
nous aurons soin de le faire remarquer. Gepen- 
dant, qu'on ne s'attende pas a ce que nous 
disions le dernier mot et que nous devoilions 
tout. Les chefs des ordres religieux musulmans 
ne le cedent en rien a leurs confreres d'Europe, 
et, eux aussi, ils ne laissent voir que ce qu'ils veu- 
lent de leurs rituels. Nous dirons franchement et 
sans crainte ce que nous en savons, nous dirons ce 
qui est certain ; nous ferons connaitre nos conjec- 
tures, et nous demanderons a ceux de nos lecteurs 
qui sont pretres de se souvenir quelquefois a 



60 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

1'autel de ces pauvres malheureux, et aux laiques 
comme nous de prier quelquefois pour la conver- 
sion de 1'un des grands chefs. Qui sail les revela- 
tions queDieu nous reserve a Tavenir ? Qui aurait 
soupconne, ii y a 20 ans, les turpitudes que nous 
ont revelees Leo Taxil et surtout le D r Bataille. 
L'Afilque ne restera pas toujours la terre du 
mystere, ni ses habitants ne porteront pas tou- 
jours sur leur front la marque de la colere de 
Dieu ! 



GHAPlTRE V. 

Recrutement, Organisation et Fonclionnement 
des Ordres Religieux. 

Afin que Satan put ar river a son but et con- 
server a son influence ce vaste continent qu'il 
possede depuis tant de siecles, il fallait qu'il 
1'entourat d'une ceinture vivante, disposee a 
deposer entre les mains de ses chefs tout ce 
qu'elle possede ici-bas : son corps, son ame et ses 
biens. II a su, .dans son habilete, confondre, dans 
un meme ideal, 1'ideal politique et Fideai reli- 
gieux, et il a su enseigner a ceux qui ont voulu 
specialement se vouer a son oeuvre, des moyens 
propres a faire tomber dans 1'abrutissement 
des millions de leurs semblables, afin de pouvoir 
les dominer plus surement et arriver ainsi a 
safin. 

Rien de plus simple que de se faire inscrire 
Khouan (1) : non pas que la aussi il ne faille de 
temps en temps donner des metaux, mais tou- 
jours quiconque desire entrer dans Fordre est le 
bien venu. Quelquefois le noviciat est bien court ; 
dans la plupart des ordres mme il n'y en a pas, et 
le profane devient tout de suite, du jour au len- 
demain, un Khouan fidele et devoue, .digne d'en- 
trer dans ie paradis de Mahomet. Dans d'autres 
ordres, surtout en Turquie, le noviciat est tres 

(1) Pour proiionucr coinme il faut le mot Khouan, et tout mot 
arabe dans lequel ou verra Kli unis ensemble, il iant prononuer 
ces deux lettres comme les Grecs prononmit le X ; en pronou<;aut 
commo s'il y avait un g tres dur, on approclieiuit un pen de la 
vraie prononciation. 

-LE DIABI.E CHEX LES MTJSULMANS 



62 LE DIABLH CHEZ LES MUSULMANS 

long et mme le profane pent demeurer Mourid 
mitte et un jours. Mourid signifie qui desire, qui 
veut, le mot novice, quoique traduisant la pense"e, 
ne traduit done pas le mot ; le mot solliciteur, 
demandeur, est le mot propre traduisant tout 
a la fois 1'idee et le mot. Une fois admis defini- 
tivement dans 1'ordre, le Musulman s'appelle 
Khouan, ou frere. Gomme dans certains ordres, 
ainsi que nous 1'avons dit, il n'y a pas de novi- 
ciat a faire, mais que 1'individu est initie aussitSt 
qu'il Ta demanded il arrive que souvent on con- 
fond ces deux mots Khouan et Mourid et qu'on 
les emploie Tun pour 1'autre. Pour plus de clarte, 
nous avertissons que nous ne les ferons jamais 
synonymes, a moms d'indications contraires, que 
le Mourid sera 1'adepte qui subit son e^preuve 
avant son admission, tandis que le Khouan sera 
1'adepte apres son admission et ses serments. 

Au-dessus du Khouan, se trouve le Mo- 
qaddem, qui a sous son autorile' tous les Khouan 
de la contree environnante. Enfin, au sommet 
de 1'echelle, le chef supreme, qui a plusieurs 
noms : Mouley-el-Triqa, Cheikh-el-Triqa, mots 
qui signiflent le maitre de la voie. Quand 1'ordre 
a quelque importance et qu'il y a au loin des 
groupes d'adeptes, il y a entre le chef supreme 
et le Moqaddem des Khalifa ou na'ib, charge's de 
suppleer le superieur general dans les pays 
eloigne"s. Pour qu'on se fasse une idee bien juste 
de 1'organisation des ordres religieux, nous ne 
pouvons mieux faire que de les comparer aux 
ordres religieux catholiques : un superieur ge- 
neral qui gouverne tout 1'ordre ; des provinciaux 
charges de gouverner au nom et avec 1'autorite 
du superieur general une partie determinee da 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 63 

territoire : des Moqaddem (mot-a-mot, prepose 
correspondant aux supe"rieurs locaux, charges 
de gouverner une maison ; enfin, des Khouan, et 
quelquefois des Mourid, correspondant aux reli- 
gieux profes et aux novices. 

Avant de faire connaitre les obligations de ces, 
divers chefs, leiir nomination, leur pouvoir, 
qu'on nous permette de dire un mot des Kheoua- 
tat ou soeurs. Naturellement, il fallait s'attendre 
a les y voir paraitre ; elles sont pourtant loin 
d'avoir, dans la franc-maconnerie musulmane, 
rimportance qu'elles ont deja en Europe ; il 
sufflt de signaler ce fait, et de faire remarquer 
qtfil y a tel ordre algerien, les Rahmanya, ou 
elles sont tres nombreuses. On devine leur but ; 
leurs congeneres d'Europe -OH. d'Amerique n'ont 
rien a leur envier. Elles sont organisers a peu 
pres cornme les hommes, a cette difference 
qu'elles dependent toujours du superieur general 
de 1'ordre auquel elles sont affiliees. Ainsi, il n'y 
a pas d'ordre exclusivement feminiu ; mais, 
dans les endroits ou elles sont en assez grand 
nombre, elles ont a leur tete une Moqaddema 
qui est elle-m^me soumise, non seulement au 
superieur general, mais encore au Moqaddem 
du lieu. Les soeurs assistent aux reunions des 
Khouan et sont soumises aux m&nes pratiques ; 
la ou il n'y a pas de Moqaddema pour les 
admettre, elles sont admises par le Moqaddem, 
dans des reunions speciales ou rarement les 
Khouan sont admis. Ges quelques mots suffisent; 
ajoutons, pour finir, que quelques ordres seuls 
en admettent tels que les Rahmanya, les Qadrya, 
les Tidjanya. 

Bien que chaque ordre ait une individualite et 



64 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

un caractere propre, cependant, leurs chefs et 
leurs affilies ont des fonctions et des devoirs assez 
semblables pour qu'il soit possible de les de"h'nir 
en bloc, une fois pour toutes, nous reservant, pour 
les choses sjDeciales, d'en parler quand -nous 
decrirons chaque chose en particulier. 

Le superieur general, ainsi que 1'indique le 
mot, a juridiction pleine et entiere sur 1'ordre ; 
c'est de lui que relevent directement tous les 
Khalifa et les Moqaddem. On connaitra toutes 
ces prerogatives, quand nous parlerons des de- 
voirs des Khouan envers leurs Gheikh. En 
passant, entendons-nons sur la signification de 
ce mot : Gheikh signifie vieillard, maitre ; c'est 
en general, surtout en Tunisie, un titre que Ton 
donne a tout individn qui merite notre respect ; 
ce qui nous explique pourquoi lout Khouan em- 
ploie ce mot pour designer non seulement le 
Mouley-el-Triqua (superieur general), mais encore 
les Khalifa et les Moqaddem. Nous n'emploie- 
rons ce mot seul que pour indiquer le superieur 
general, afin d'eviter toute confusion a des 
lecteurs peu familiarises aux coutumes arabes. 

Des fondateurs d'ordre voulant imiter le Pro- 
phete ne designerent pas leur successeur, en 
sorte que celui-ci f ut elu par les Moqaddem, ou 
par ceux qui formaient i'entourage et le conseil 
du Gheikh precedent. II arriva dans ces ordresce 
qui est arrive au mois de septembre 1893 dans la 
f ran c-m agon nerie : la 6u est Satan, la est la dis- 
corde, la haine et la desunion : aussi, une fois 
que le Gheikh etait descendu dans la tombe, 
chaquo Moqaddem, ou au moins les plus in- 
fluents, voulaient devenir superieur general et 
independants. Aussi, dans les societes secretes 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 65 

musulmanes, il faut bien distinguer J'ordre et la 
congregation : celle-ci est nee de 1'orgueil et de 
I'independance d'un Moqaddem qui n'apasvoulu 
reconnaitre le superieur general elu de 1'ordre, 
mais qui reconnait le fondateur . 

Quand on etudie la question de 1'origine des 
ordres, on en reconnait bien peu qui ne se ratta- 
chent a un autre ; nos lecteurs se souviennent 
du mot de Snoussi : presque tous les ordres se 
ratlachent aux Djenidya. Pour sa part, il a eu 
la bonne chance de donner son nom a un ordre 
religieux. Gelui qui devait etre pour les ordres 
musulmans ce qu' Albert Pike a ete pour la 
f ranc-maeonnerie, etait Moqaddem des Khadirya, 
a la Mecque, quand mourut le chef de 1'ordre, 
Si-Mohammed ben Idris-el-Fassy (1835 de J.-C.). 
Nomme pour lui succeder, il rencontra un ter- 
rible competiteur dans Si-Mohammed Salah-el- 
Megherani, et 1'ordre des Khadirya se scinda 
en deux congregations. 

Aussi, pour eviter un pareil malheur, beaucoup 
de chefs d'ordre, imitant en cela Abou-Beker 
qui designa Omar pour lui succeder, designent 
avant de mourir celui qui .doit occuper le rang 
supreme. 11 faut, pour occuper cette place, un 
homme age, aux cheveux blancs, respectable 
par ses vertus et pouvant imposer le respect : 
un homme qui, a 1'amour de la mortification, 
de la priere et de la solitude, joigne une grande 
connaissancedes hommes etun grand art dans le 
maniement des affaires ; en. un mot, sans se 
laisser toujours diriger par la chair, le Gheikh 
mourant se choisit parmi les conseillers celui 
qu'ii croit le plus digne de lui succeder. Quel- 
ques-uns cependant nomment des personnes de 

LE DIABLE CHEZ LES MDSDLMANS 2. . . 



66 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

leur famille ; mais, afin que 1'ordre ne puisse pas 
souffrir soit de la faiblesse d'un enfant appele 
trop jeune a recueillir I'heritage paternel, soit a 
cause du peu de capacite de 1'etre que le supe- 
rieur general a voulu choisir dans sa famille, 
celui-ci nornme ceux qui devront 1'aider de leurs 
conseils, et au besom, sous son nom, ge*rer .les 
affaires de 1'ordre. Voila pourquoi quelques-uns 
de ces ordres, loin de decroitre apres la mort du 
fondateur, n'ont fait qu'augmenter en prosperite 
et etendre partout des rameaux plus forts et 
plus vigoureux. Le cas s'applique surtout aux 
Snoussya auxquels nous devrons un chapitre 
special. Ces hommes, mis ainsi a la tete de 
leur ordre sont de fins politiques ; nous les 
montrerons quand nous parlerons des Rahma- 
nya : ce ne sont pas eux qui dans une revolte 
laissent quelque chose au hasard ; leur corres- 
pondance avec les autorites francaises est ce 
qu'il y a de plus hypocrite ; sans foi envers le 
chien de chretien, envers ce Kafar qui est venu 
s'etablir sur cette terre, d'oii un jour, le fidele 
croyant le jettera dans la mer, devant nous, ils 
rampent jusqu'a terre, et ils violent aussitOt ce 
qu'ils avaient jure d'observer. 

Apres avoir prie, apres avoir passe des jours 
et des jours dans le jeune et la solitude, seul 
avec lui-meme et aussi avec le demon qui ne doit 
pas etre etranger a cette affaire, apres avoir 
invoque le secours d'en haut, et avoir ete favo- 
rise de visions et d'extases, le chef de 1'ordre 
appelle les Moqaddem et ses cbnseillers ordi- 
naires. II leur fait connaitre ses dernieres 
volontes et leur designe son successeur. Tout 
cela est mis par ecrit; pas n'est besoin de deman- 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 67 

der Fapprobation au Sultan de Stamboul : quoi- 
que cependant quelques ordres turcs, par pure 
condescendance, le demandent a leur gouverne- 
ment, qui d'ailleurs s'empresse d'accorder. G'est 
comme si Humbert refusait de reconnaitre 
Lemmi ! ! Aliens done 1 entre fils de Ghitan 
(diable en arabe) on fait les chos es a 1'amiable 
ou plutOt Chitan impose sa volonte. 

II y a cependant quelques ordres qui n'ont pas 
un but aussi satanique, et chez qui la succession 
paternelle s'esl transmise sans interruption sen- . 
sible de pere en flls; ces ordres ne sont pas a 
craindre, et ce ne sont pas eux qui arreteront les 
progres de la civilisation et du catholicisme : les 
ordres dont Satan veut se servir pour operer son 
oeuvre sont mieux organises ; il f aut qu'il puisse 
designer celui qu'il veut au rang supreme : il 
faut qu'il puisse le diriger dans toutes les actions 
de la vie, pour repeter une parole que nous 
avons dite plus haul. 

Quant aux devoirs, fonctions et obligations du 
Mouley-el-Triqua, nous les donnerons plus loin 
quand nous parlerons des devoirs des Khouan 
envers lui. Disons, en un mot, que c'est absolu- 
ment comme dans la franc-maconnerie, tant 
pour les Kbouan que pour les Khouetat : ceux 
qui savent ce que cela veut dire ont compris. 

En general, le chef de 1'ordre reside au torn- 
beau du fondateur de 1'ordre : quand nous parle- 
rons des Saoussya, nous donnerons une idee de 
sa maniere de vivre, de ses coutumes, de son 
habitation, etc. 

Dans les pays eloigne"s, il se fait remplacer par 
des Khalifa, lieutenants qui ont. a peu de chose 
pres, le meme pouvoir sur les Khouan de la 



68 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

contree designeo que lui sur tout 1'ordre. Ce sont 
eux qui communiquent directement avec le chef 
de 1'ordre, lui envoient la redevance que doit 
payer tout Khouan. La ou le chef de Fordre n'a 
pas de Khalifa, par exemple les Qadrya dont le 
centre est a Bagdad ou reside le superieur 
general, celui-ci envoie a peu pres, chaque annee, 
des chefs subalternes visiter les Khouan eloi- 
gnes, rechauffer leur zele contre 1'Europe, et 
renouveler leur ferveur pour les pratiques de 
1'ordre : ce qu'ils demandent surtout, ce qu'ils 
exigent a tout prix de leurs affilies, ce qui pour 
eux est absolument indispensable pour rester 
dans 1'ordre, c'est de fournir la ziara et de reciter 
le diker : la premiere remplit la caisse de 1'ordre ; 
le second rompt les individus a 1'obeissance, en 
les abrutissant, en sorte qu'ils deviennent des 
batons entre les mains de leur Gheikh qui en 
dispose a volonte comme 1'hypnotiseur de 1'hyp- 
notise . Nous avons nomme les Qadrya : leurs 
envoyes, a cause de 1'immense richesse de la 
rnaison-mere de Bagdad, n'ont pas la mSme 
rapacite que les envoyes des autres ordres : ils 
se contentent du logement, de la nourriture que 
doivent leur donner les Khouan qui ne sont 
obliges de fournir rien autre chose, quoique les 
convenances les y obligent. Ges envoyes debar- 
quent dans une ville du littoral, parcourent rapi- 
dement la contree que le chef leur a indiquee, et 
voyagent dans le plus grand incognito, afin 
d'eviter les pieges que pourraient leur tendre 
leurs ennemis, et les faire echouer. 

Enfin, pour correspondre plus facilement avec 
les Moqaddem, il y a des Khouan fldeles et surs 
qui ont uniquement la charge de porter les 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 69 

correspondances, ou plutot de dire verbalement 
presque toujours les volontes duchef de 1'ordre. 
Celui-ci, en effet, est sur de 1'individu, et, afin 
qu'il ne coure pas le danger de voir les lettres 
tomber entre les mains des autorites francaises, 

o * 

toutes les affaires de quelque importance se 
reglent de vive voix. C'est, de plus, ie vraimoyen 
de n'eveiller 1'attention de personne, ni des Mu- 
sulmans ni des Francais . 

o 

Ghaque fois qu'il le juge a propos, le superieur 
general convoque. en assemblee ou hadra tous 
les Moqaddem de 1'ordre. Ceux-ci sont tenus de 
s'y rendre, a moins que,.pour des raisons graves, 
le Cheikh ne leur permette de se faire remplacer 
par un Khouan, choisi toujours parmi les plus 
influents de 1'ordre. Dans ces grandes assem- 
blees, qui ont lieu une ou deux fois par an, on 
traite des grandes questions de 1'ordre ; le Gheikh 
donne ses instructions, encaisse tous les produits 
de la ziara, confere le diplOme de Moqaddem aux 
nouveaux elus et les investit lui-meme, s'ils sont 
presents ; enfin, donne a chaque Moqaddem des 
instructions ecrites et donne sa Baraka a tous les 
Khouan. 

Descendons un degre de la hierarchie, et, sans 
transition, parlous du Moqaddem. Gelui-ci est 
nomme, a peu d'exception pres, par les Khouan 
interesses, qui soumeltent au chef de 1'ordre la 
rectification de leur vote : le chef est trop pru- 
dent pour ne pas acceder a leurs desirs, ou leur 
imposer un Moqaddem de son choix et malgre 
eux. G'est, comme nous 1'avons dit, dans les 
assemblees solennelles presidees par le Gheikh 
que Felu recoit son investiture et son dip!6me. 
Ge dip!6me, ecrit dans la plus belle calligraphic, 



70 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

et d'une longueur pouvant depasser 1 metre 50-, 
contient les instructions du Cheikh au Moqad- 
dem, sur 1'ordre, la genealogie de 1'ordre ; enun 
mot, c'est pour ainsi parler, un resume de toutes 
les questions qu'on peut poser sur 1'ordre, avec. 
la reponse toute faite ; c'est le rituel du Moqad- 
dem. Voici un modele d'unde ces diplomes deli- 
vres par les Rahmanya : 

De la part du cheikh N... Khalifa, au cheikh 
N...; que Dieu le protege dans 1'une et 1'autre 
vie. Ainsi soit-il. . - " 

A tous nos amis qui verront le present man- 
dat, Musulmans, Khouan affectionnes, Disciples 
sinceres, Moqaddem, Eulema, Kadi, Muphti du 
pays ou etrangers ; que le Dieu Tres-Haut leur 
soit misericordieux et les recoive en totality . 

o 

Le salut sur vous, accompagne de la miseri- 
corde et de la benediction de Dieu Tres-Haut, 
pendant toute la duree de la marche du monde. 

Je YOUS informe que j'ai permis et accorde la 
faveur a notre fils, non d'entrailles.mais de cceur, 
le sieur N... ben N... de donner les Ouardat de 
notre voie benie et bienfaisante, a celui qui les 
lui demandera ou auquel il les proposera. 

Sa langue pour vous est la n6tre : par conse- 
quent, celui qui aura regu de lui 1'ordre, sera 
comme s'il 1'avait recu de nous ; s'il plait a Dieu, 
il (1'initie) la recevra avec gout et passion. 

Pden n'est meilleur que la multiplicite des- 
dites recitations de la priere pendant la nuit et 
pendant le jour. Recommande-lui d'avoir la 
crainte de Dieu le Superbe, etant seul aussi bien 
qu'en public ; le Dieu Tres-Haut n'ignore pas les 
choses secretes. - 

Nous pouvons distinguer deux sortes de 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

Moqaddem .(1), cite"s par Rinn (Marabouts et 
Khouan, page" 472) : celui qui est sedentaire et 
celui qui voyage pour le bien de 1'ordre ; a celui-ci 
s'applique tout ce que nous disons plus haut des 
envoyesdont ils ne different que par lespouvoirs 
que leur donne leurs litres. Le Moqaddem seden- 
taire est celui qui est a la tete d'une zaouia. 

Rinn tradutt ce mot par celui de monastere 
(page 14); nous prefererions le motde se"minaire. 
Le monastere est une maison ou des homines deja 
instruits de tout ce que doit connaitre un pretre 
ou un moine vivent dans le silence et la retraite, 
s'occupant uniquement de leur salut. Le semi- 
naire, au contraire, est 1'endroit ou des jeunes 
'gens viennent chercher Instruction et la for- 
mation. Gomme 1'indique la racine du mot, on y 
ensemence ce que plus tard on devra recueillir 
Malgre" toutes les pretenlions des Khouan et 
Moqaddem, ils n'arriveront jamais a la cheville 
de nos moines, et jamais leur zaouia ne sera un 
monastere, parce que, dans la zaouia, les Khouan 
ne se livrent jamais aux pratiques qui donnent 
lavertu : ce sera 'tout au plus une contrefagon 
plus ou moins habile qui pourra tromper les 
yeux de gens peu habibues a ces sortes de 

(1) Nous disons deux sortes de Moqaddem. II arrive, en effet, 
quo, dans les pays soumis a Mnlluence de la France, des chefs 
d'ordre, afm de ne pas attirer 1'attention du gouvernement,nomment 
pour Moqaddem un individu. favorable ineme a la .cause fran- 
caise ; nous 1'appellerons un Moqaddem avec 1'anneau. C'est lui 
que les chefs mettent en avaut afiu de prouver que tons dans leur 
ordre sont loin d'etre ennemis de la France et d'avotr les pensees 
liostiles qiron leur prete ordimiireinent. Le Moqaddem na'if, qui 
sera houreux ds recueillir quelques melaux datis cette place, se 
pretera de lion conir ;V lenrs dtisirs ; mais, derriere lui, il y aura le 
vrai Moqaddem, celui qui vraiment prendra en mains les in terets 
de 1'ordre et imposera la ligne de conduite a suivre par les 
Khouan. Ge moyen ne manque pas dime certaine habilete, etque 
de badands s'y laissent prendre ! 



72 LE DIABLE CHEZ LKS MUSULMANS '. 

choses. Nous avons dit qu'il valait mieux tra- 
duire par seminaire. Dans les zaouia les plus 
importantes, il y a ordinairement une ecole plus 
ou moms frequentee, ou des professeurs nommes 
par le Moqaddem se livrent a 1'education de la 
jeunesse qui leur est confi.ee, surtout dans le but 
d'en faire plus tard des chefs de 1'ordre, instruits 
et capabies de diriger les affaires. On y enseigne 
les branches estimees surtout des Arabes .: la 
theologie, la jurisprudence, la grammaire qui, 
toutes, ne sont qu'une explication ou un com- 
mentaire du Goran, le livre sacre, le livre par 
excellence- qui renferme toute science, et dans 
lequel il faut respecter non pas les points et les 
virgules, il n'y en a pas dans 1'ecriture arabe, 
mais toutes les fautes qui, a la longue,. s'y sont 
glissees par la negligence des copistes. Les etu- 
diants y arrivent de tous les points de I'lslam 
suivant le plus ou moins de reputation de la 
zaouia : ainsi plusieurs chefs d'ordres religieux, 
nes en Algerie, se sont rendus en Egypte pour 
suivre les lecons d'un taleb distingue* qui faisait 
la reputation de sa zaouia. 

Ne nous figurons pas ces etudiants comme 
leurs camarades du quartier latin; des leur 
enfance, ils commenoent a plier leur esprit 
et leur volonte au joug de la volonte de leur 
maitre, et prennent pour des oracles tout ce 
qui tombe de la bouche de ce maitre venere. 

Ils arrivent a la zaouia, portant tout leur Men 
avec eux et mettant deja en pratique le conseil 
du philosophe grec. La zaouia leur fournira le 
logement, voire meme la nourriture, moyennant 
quelques faibles redevances qui seront inscrites 
sous le titre de ziara, Nous voudrioris dire quel- 



LE'DIABLE-CHEZ LES : MUSULMANS 73 

ques mots de 1'organisation de ces ecoles, mais 
cela nous entrainerait loin de notre sujet. 

Ce que nous venons de dire se rapporte evi- 
demment aux grandes zaouias, a celles ou 
reside le chef de 1'ordre ou un de ses Khalifa. 

Ge qui cependant pourrait justifier la traduc- 
tion de Rinn, c'est I'hospitalite que recoivent a 
la zaouia tous les mendiants, tous les pelerins ; ce 
qui rappelle involontairement a 1'esprit 1'hospi- 
talite franche, cordiale et sincere que Ton recoil 
chez les fi Is de saint Benoit ou de saint Bernard 

Ainsi done, il y a des zaouias qui sont de vrais 
villages et on t une grande importance, telle est 
celle de Temacin, ou est la maison-mere de Tune 
des branches des Tidjanya,etcelle de Djerboubou 
setrouvela maison-mere des Snoussya. Les autres 
peuvent avoir plus ou moins d'importance, et 
mme quelquefois ne se composer que de deux 
ou Irois masures. 

A la tte de chacune de ces zaouias se trouve 
un Moqaddem. Pour faire comprendre aux lec- 
teurs ce que c'est qu'un Moqaddem, nous ne 
pouvons guere mieux le comparer qu'a un pas- 
teur protestant dans les contrees meridionales 
de la France : il a autorite sur tous les, gens de 
sa secte dans un district bien determine. La 
principale fonction du Moqaddem est de pouvoir 
conferer 1'ouerd, c'est-a- dire donner 1'initiation, 
non seulement a tous ceux qui sont dans son 
district, mais aussi a tous ceux qui sepresen- 
tent a lui, n'importe d'ou ils viennent et ou ils 
demeurent. On comprend pourquoi ils ont un 
district bien delimite, et pourquoi ils peuvent 
cependant initier n'importe quel individu qui 
se Dresente. On leur a delimite le lieu de leur 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 



74 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

influence a cause des aumSnes qu'ils doivent 
recueiliir des Khouan et envoyer fidelement : au 
chef del'ordre; cons ne medirons de personne 
en disant que tous ces metaux ne vont pas a leur 
destination. Heureux encore les pauvres Khouan, 
quand tous les employes de la zaouia, depuis 
le Moqaddem et 1'Oukil jusqu'au simple profes- 
seur de grammairc, ne viennent pas reclamer 
leur part dans la recolte. 

Le Moqaddem, en effet, n'est pas seal dans 
la zaouia ; il a pour Taider dans ses fonctions 
son vicaire, appele Nejib. Nous avons deja dit 
que lorsqu'il y a des femmes affiliees a 1'ordre, 
celles-ci ont une Moqadema qui est le vicaire du 
Moqaddem pour les personnes de son sexe. 

L'Oukil ou econome est charge de gerer les 
biens de la zaouia; ilremplita peu pres les 
m^mes fonctions que le tresorier ou le pro- 
cureur dans nos monasteres, ou 1'econome dans 
nos seminaires. 

Le Moqaddem reunit ses Khouan, aulant que 
possiblej a des epoques fixes ; dans les villes, tous 
les huit jours. Dans ces reunions, on prie, on 
recite des versets du Goran, on ecoute 1'allo- 
cution du Moqaddem, enfin, on accompli quel- 
ques ceremonies spe"ciales a 1'ordre. Tout se fait 
dans 1'ordre le plus parfait. Le Moqaddem, assis 
au milieu du cercle ou sur une estrade, ne se leve 
que pour reciter les prieres. Autour de lui se 
groupe tout un personnel de Khouan, dont les 
fonctions sont Men delimitees. 

En premiere ligne figure le Gheikh-el-hadra, 
que nous traduirons avec Rinn par maitre des 
ceremonies : c'est lui qui doit veiller a la recita- 
tion des prieres, a ce qu'on les recite dans 1'ordre 



LE 'DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 75 

voulii avec -les inflexions, les pauses determinees 
d'avance, enfin a ce que tout le monde meie sa 
voix a celle des chceurs ; il correspond presque 
au maitre de chapelle. Apres lui, viennent les 
Ghaouch, espece de gendarmes, charges de faire 
la police (c'estle suissedenos eglises) ; les chan- 
tres (1), car noc Khouan ont aussi leurs divertis- 
sements comme les francs-macons d'Europe, et 
lorsqu'ils ont bien diverti leurs freres de leur 
voix monotone et nasillarde, qu'il faut avoir 
entendue pour s'en faire une idee, des Khouan, 
charges de cet office, apportent des rafraichis- 
sements : quelquefois mme ces reunions se ter- 
minent par un repas. Rien n'a done ete neglige 
pour attirer le Musulman naif, qui va tomber 
dans les lacets perfldes que lui ont tendus ses 
coreligionnaires. 

La ceremonie la plus curieuse et la plus inte- 
ressahte pour nous, c'est 1'initiation du Khouan . 
Nous serons f rappes de la ressemblance entre les 

(1) Peut-etre serons-nous agreables a quelques leeteurs, ea leur 
decrivant comment tout se passe dans ces hadra, et la maniere 
dont ils se divertissent. Oa veri-a que si Satan trouve son compte 
dans les divertissements des loges, il nj perd rien dans les diver- 
tissements des zaouias. Void, en effel, comment les choses se passent 
d'apres le rituel des Chadelya-Derqaoua. Ces assemblies ont lieu 
le soir, les portes closes et les lumieres eteintes. Apres s'etre forme 
en cercle aussi compact que possible, et, sans aucune solution, ils 
commenceroht a psalmodier ces mots : 11 n'y a de Dieu que Dieu ; 
d'abord lente, cette psalmoclie devra s'accentuer jusqu'a ce que les 
freres arriveat a la plus grande volubilite possible, Quand leur 
cerveau est arrive a un certain etat de surexcitation, ilsrecitenten 
balangant le corps d'une maniere cadenoee : Allah ! puis hou (lui) I 
puis Ah ! Pendant tout ce temps, le Nekib, tournant autour d'eux, 
recite des vers capables d'augmenter encore leur surexcitation. 
Enfin, a un signal du Moqaddem, qui est toujours reste au milieu, 
les freres s'arre"tent, et on recite de nouvelles prieres. 
Et il faut remarquer que le Khouan a deja recite peut-etre 
10.000 fois une invocation comme celle-ci : 11 n'y a de Dieu que . 
Dieu et Mahomet est son prophete, ou toute mitre priere equiva- 
lant au moms a ce chiffre enorme! Ce cerveau doit otre bien 
equilibre. 



76 LE DIABLE; CHEZ LES MUSULMANS; 

societes secretes d'Europe et celles d'Afrique : 
nous verrons des deux cdte's la meme maniere 
d'agir, 1'iastruction progressive du sujet, le rejet 
dans 1'ombre de quiconque n'a pascompris le but 
de la societe ou dont 1'intelligence est peu ouverte, 
enfin ce langage mystique, a double sens, qui 
seul est compris des vrais inities. 

Avant d'aller plus loin, nous devons faire 
remarqaer que 1'initiation, non seulement n'est 
pas la meme pour tous les ordres, mais que, chez 
beaucoup d'entre eux, cette ceremonie se reduit 
a quelques mots de la part du Moqaddem. Ainsi, 
dans 1'ordre des Taibya, tout se fait a la bonne 
franquette. L'Arabe vient trouver le Moqaddem 
pour solliciter son admission ; apres avoir essaye 
de Ten dissuader, ce dernier convoque les 
Khouan des environs ; on litle diker ; le neophyte 
jure de ne pas abandonner la voie, de ne pas 
trahir ses freres, et autres pratiques communes 
a tous les ordres; on recite la fatiha, et le neo- 
phyte donne ses metaux : le Moqaddem est 
encore moins difficile que Pessina, etsurtout que 
Lemmi : une oufla, petite piece d'une valeur de 
30 centimes environ, suffit ; c'est bien assez pour 
se damner. 

Dans la plupart des ordres, 1'initiation est un 
peu plus compliquee, et est entouree de ce"remo- 
nies qui en rehaussent 1'eclat. Aussi le Mourid, 
apres s'Stre prepare par le jeune et la retraite, a 
dte iastruit de tout ce qu'il devait faire et a appris 
par cneur ce qu'il devait repondre. 

Nous avons dit que quelques ordres faisaient 
faire a ceux qui voulaient entrer parmi eux, un 
noviciat en general fort court. Les Rahmanya 
ont, en effet, dans leur rituel, des ceremonies 



LE- DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 77 

spe"ciales pour cette occasion : ils separent sou- 
vent 1'engagement par lequel le profane devient 
.Mourid ou novice, de 1'initiation proprement 
dite. Voici comment on procede a la premiere 
ceremonie: 

Le Cheikh et le demandeur doivent etre puri- 
fies : il place sa main droite dans la main droite 
du solliciteur, les deux paumes 1'une contre 
1'autre, et tient le pouce du Mourid ; tous deux 
lerment les yeux. Le Gheikh dit : Je fais appel 
a Dieu contre Satan le perfide, au nom du Dieu 
clement et misericordieux. 

J'irnplore le secours de Dieu. 

Je demande pardon a Dieu et a son 
ap6tre. 

mon Dieu, pardonnez-moi ce qui est 
ecoule", et rendez-nous facile ce qui reste de la 
vie. 

Et le Mourid repete chaque jphrase aussitdt 
apres que le Gheikh Fa prononcee. Gelui-ci, apres 
que le Mourid a repute la derniere phrase, recite 
deux ou trois passages du Goran, demande a 
Dieu de nous conduire dans, la vraie voie et 
d'ecarter tout ce qui pourrait nous empcher de 
la suivre, et termine par cette parole : Je 
prends Dieu a temoin de ce que nous disons. 
(Goran, XII, 86.) Et la ceremonie se termine 
par la recitation de la fatiha. Remarquons que 
bien souvent 1'initiation du Mourid et du Khouan 
se font dans la meme ceremonie. 
. Gomme nous parlerons, dans un chapitre a 
part, des Rahmanya, qui apres les Snoussya sont 
pour nous en Algerie et en Tunisie Tordre le 
plus redoutable, nous parlerons en son lieu de 
1'admission du Khouan dans cet ordre. Si nous. 



78 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

avons decrit ici la maniere dont le Mourid est 
admis, c'est pour donner ua exemple de cette 
initiation, aflii que la chame ne fut pas rompue. 
II y a un ordre, le plus repandu des ordres mu- 
sulmans, le plus riche, celui qui a la plus grande 
veneration des .Musulmans :. c'est 1'ordre des 
Qadrya. En raison de la tolerance respective des 1 
doctrines professees par ses membres, cet ordre 
est loin d'etre le plus a craindre pour nous. Aussi 
nous n'en dirons que quelques mots, quand nous 
parlerons des ordres religieux etrangers a 1'Al- 
gerie ou y occupant une place de tres peu d'im- 
portance. Gependant, c'est dans cet ordre des 
Qadrya que nous trouvons pour 1'initiation du 
Khouan les plus grandes ressemblances avec 
la franc-macOnnerie. Le lecteur lui-mdme en 
jugera. 

Nous suivrons toujours Snoussi. II y a, nous 
dit-il, des pratiques preliminaires dont on ne 
peut se dispenser quand on veut recevoir la 
faveur d'etre initie : ainsi renouveler ses ablu- 
tions, etmeme se laver tout le corps, fairedeux 
poses de priere, en renoncant absolument a ses 
idees propres, disant sept fois la Fatiha (pre- 
miere sourate du Goran) et la sourate d'EUkhelas; 
cnfln, s'asseoir devant le Cheikh dans la posture 
habituelle (1) qu'indique ie rituel pour la priere. 
Alors le Cheikh dit, apres avoir pris dans les 
siennes les mains de 1'aspirant : 

(1) Voici, ;i litre de renseignement, la posture que prcnnent les 
Qadrya dans la priere; d'apres Snonssi, presque tons les Ordres out 
uneijosure particuliere : c'est un signe de reconnaissance parmi 
les affllies au meme ordre ; plus loin, quand nous parlerons des 
Snoussya, nous verrons 1'importance qu'attachent les Musulmans' a 
la tenue du corps pendant la priere. Voici done la position des 
Qadrya : Apres s'etre assis les jambes croisees a la maniere orien- 
tale, il fant touclier rextremite du pied droit, puis une artere EI-Kias 
qui contourne le ventre (je doute que nos disciples d'Hippocrate la 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 79 

Ail nom de Dieu clement et mtsericordieux 
(une fois) que Dieu le pardonne (sept fois). Je 
crois en Dieu, a ses anges, a son Livre, a son Pro- 
phete, au jugement dernier, a ses decrets, a ses 
bienfaits, aux cala'mit^s dont il accable, a la 
resurrection (une fois), et le Mourid repond : Je 
suis Musulman, je suis conflrme dans mon culte 
et dans ma foi, je me suis purifie de mes peches 
par le repentir et je rejette 1'heresie et ce qui 
pourrait m'y faire tomber, je confesse qu'il n'y 
a qu'un Dieu unique sans associe, et que Maho- 
met est son serviteur et son Prophete : c'est lui 
qui me re?oit dans I'ordre; je me revets de la 
coiffure qui en est le symbole, je jure entre les 
mains de mon Gheikh d'etre fidele, d'observer 
les lois de Dieu, de faire tout a cause de lui, 
d'accepter lout ce qu'il voudra m'envoyer, m6me 
de le remercier des malheurs dont il lui plaira 
de m'accabler. . 

Alors le Gheikh proclame qu'il est disciple 
d'un tel dont il a recu 1'investiture : il peut reci- 
ter tous les noms des Gheikhs de I'ordre, ordi- 
nairement il se contente d'en citer quelques-uns, 
lit quelques passages du Goran, en particulier, 
la fatiha; puis recommande au neophyte d'ob- 
server les regies do I'ordre. Prenant ensuite 
des ciseaux, il coupe deux cheveux sur le front 
du nouvel adepte ,: Mon Dieu, dit-il, coupe- 
lui ainsi ses. pensees personnelles : rends-le fort 
centre la desobelssance et ferme dans la religion 

connaissent ?) : il faut placer sur le genou la main ouverte, les 
doigts ccartes, en pronongant de la voix la plus grave possible, et 
eu allongeant la derniere syllabe autant que le permet la respi- 
ration du mot Allah (Dieu), qu'on prononce a peu pres aiiis i : 

All a......h. Et il faut prolonger cette action jusqu'a i:e qu'on 

soil parvenu A gouter les donx ravissements de 1'extase et a rece- 
voir les'fevelations. 



80 LE DIABLE CHEZ- LES MUSULMANS ; 

de 1'Jslam . II dit, et lui posant sur la t6te une 
couronne: Mon Dieu, pare-le de la couronne 
de la vertu et du bonheur , ensuite il le fait boire 
a uno coupe, fait deux poses de priere, recite, 
une fois la fatiha et ooze Ms la sourate d'El- 
Ikhelas. L'initie touche alors la main du Cheikh 
et de ses freres. 

Ge que nous venons de dire ne suffiraitpas 
pour donner une idee de la doctrine des so- 
cietes musulmanes ni de lour Ian gage. Nous em- 
prunterons a M. Rinn le questionnaire que fait 
le Cheikh et les reponses de 1'initie. Pour les 
lecteurs qiii n'auraient pas entre les mains le 
livre de Leo Taxil : Y a-t-il des femmes dans la. 
franc-maconnerie, nous les renvoyons a la page 
197 (l re annee) du docteur Bataille. Si les francs- 
macons ont leur tablier, les Khouan ont la cein- 
ture symbolique dont 1'ange Gabriel a rev&u 
Adam apres sa chute ; la chute, le pardon, le re- 
v^tement du manteau et de la ceinture a Adam, 
Abraham, Mahomet, et a ses compagnons, tout 
cela est raconte au long au neophyte dans cette , 
longue instruction ; on y insiste sur Tegalite de 
tous les croyants : car Gabriel, en attachant les 
compagnons du Prophete, placait un pauvre entre 
deux riches. Demme qu'a 1'initiation au grade 
d'Elue on fait manger une flgue conflte, rappe- 
lant le Lotus pour f aire oublier a la rnalheureuse 
sa patrie et tout ce qu'elle devait le plus aimer 
ici-bas; de mgme le Khouan, quand il est initie, 
mange des friandises que lui a preparees lo 
Gheikh, apres lui avoir ceint les reins et 1'avoir lie 
aun autre frere. Alors, dans une courte priere, il 
demande a Dieu de lui servir de refuge contre 
sacolere, dene pas permettre qu'il rejetteau 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 81 

V 

loin la ceinture ni qu'il oublie ses serments, car 
cette ceinture est le gage de 1'amour de Dieu 
pour lui, et de la fidelite du Khouan a son 
service. 

Alors commence I'interrogatoire, afin d'ins- 
truire sur la justice et la bonne voie le compa- 
gnon du tapis, pour parler le jargon de nos 
Khouan. 

D. Qui le premier a recu la ceinture ? 

R. Gabriel. 

D. Ou l'a-t-il recue ? 

o 

R. Au ciel. 

D. Qui Ten a ceint ? 

R. Les anges du ciel par 1'ordre de la 
Verity (que sa gloire soit proclomee). 

D. Qui le second a recu la ceinture ? 

R. N. S.Mohammed. 

D. Qui Ten a ceint ? 

R. Gabriel, par 1'ordre du Maitre de 1'uni- 
vers. 

D. Qui le troisieme a recu la ceinture ? 

R. Ali, flls d'Abou-Taleb. 

D. Qui Ten a ceint ? 

R. Mohammed. 

D. Qui le quatrieme a recu la ceinture ? 

R. Sliman-el-Fars. 

D. Qui Ten a ceint ? 

R. Ali. 

D. A qui appartient la ceinture (au figure, 
fermete) et a qui la main (au figure, puissance) ? 

R. La ceinture est a Ali, fils d'Abou-Taleb, 
et la main a Mohammed, car Dieu a.dit : Geux 
qui se soumettront a lui seront comme s'ils se 
soumettaient a Dieu, et ceux qui so revolteront 
centre lui, se revolteront contre eux-memes, car 

LE DIABLE! CHEZ LES MUSULMANS 3. 



82 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

la main de Dieu est au-dessus d'eux. Gelui qui 
aceomplira ce que Dieu lui a impose comme en- 
gagement, je le re"compenserai d'une maniere 
magniflque. 

D. Gombien y a-t-il de ceintures ? 

R. Deux : la ceinture superieure est a 
Gabriel; elle est dans le ciel ; la ceinture infe"- 
rieure est a Ali, fils d'Abou-Taleb, elle est sur la 
terre, c'est la confrerie. 

D. La ceiuture (confrerie), de combien 
d'ele"ments est-elle composee ? 

R. De trois elements : Le premier est 
Gabriel. Le second, Mohammed, et le troisieme 
Ali, fils d'Abou-Taleb. 

D. Sur combien de bases repose la 
ceinture? 

. R. Sur deux bases, qui sont : Ei-Hacon et 
Hogain, fils d'AlL 

D. Qu'est-ce que la voie (trika). 

R. (Test la science, les continences, la sa- 
gesse,la patience et 1'excellence des successeurs. 

D. Quelles sont les obligations de la voie ? 

R. De rejeter les mauvaises paroles, de 
prononcer sans cesse le nom de Dieu, de mepri- 
ser les biens de la terre, de repousser les 
amours humaines et de craindre le Dieu Tres- 
Haut. 

D. A quels signes se reconnaissent les gens 
dela\oie? 

R. Ges signes sont : la bienfaisance, la rete- 
nue de la langue, la piete, la douceur et 1'eloi- 
gnement des peches. 

D. Quel est ton ouerd et que t'impose-t-il ? 

R. La recherche du salut et de la nourri- 
ture divine ; la douceur des p'aroles ; la confra- 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 83 

ternite el la sincerite du langage etdes oeuvres. 

D. Qu'est-ce que le tapis de la voie ? 

R. G'est le tapis a prieres du Cheikh sur 
lequelon se prosterne et on est purifier c'est 
sur lui que se passent les mysteres. 

D. Le tapis de la voie, combien a-t-il 
d'attributs? 

R. Quatre. 

D. Quels sont-ils ? 

R. Loi diyine, verite supreme; voie droite, 
connaissanee du Dieu Tres-Haut. 

D. Le tapis, combien a-t-il de mots symbo- 
liques et quels sont-ils? 

R. Quatre ; le premier est Gabriel, le se- 
cond Michel, le troisieme El Hacan, et le qua- 
trieme El-Hocein. . _ 

D. Combien y a-t-il de lettres et quelles 
sont-elles? 

R. II y en a quatre : la premiere est ta (t), 
la deuxieme est mim (m), la troisieme ha 
(h aspire"), et la quatrieme naun (n). 

D. Quelle est la signification de ces quatre 
lettres? 

R. La premiere ta, veut dire que le compa- 
gnon du tapis doit tre la poussiere (trab, lerre) 
des gens de la voie ; le mim, qu'il doit tre sem- 
blable a 1'eau (mah,eau)courante etpure; le ha. 
qu'il doit tre comme le zephyr (haoui air) souf- 
flant dans le feuillage des arbres ; le compagnon 
du tapis doit, en effet, e"tre un esprit repandant 
sur les gens de la voie, la perfection et les favours 
legales; le noun indique qu'il doit dtre comme 
le feu (nar, feu) qui embrase la maison du 
pervers. 

D. Vers qui marchez-vous ? 



84 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

R. Vers la place d'Ali. 

1). Quelle est la forme de cette place? qu'y 
a-t-il au-dessus d'elle, que contient-elle? 

R. La place d'Ali est tracee par les vieii- 
lards, compagnons de la fetoua ; sur elle est le 
tapis et au-dessus d'elle est la Verite, le Tout- 
Puissant, le Genereux qui domine ses esclaves 

D. Combien faut-il de pas pour latraverser ? 

R. Quatre pas : un pour chacun des Saluts 
que connait 1'interprete de langue, qui en expli- 
que les secrets et les mysteres. 

D. Combien doit-on passer de ponts pour 
arriver a la place d'Ali et s'asseoir sur le tap* ? 

R. Trois ponts. . 

D. Qu'y a-t-il a votre droite, a votre gauche, 
derriere vous, devant vous, suryotret^te et sous 
vos pieds ? 

R. A ma droite est Gabriel : a ma gauche, 
Michel ; derriere moi, Azrait : devant moi, 
Assafil ; au-dessus de moi, le Souverain 
Glorieux; et sous mes pieds la Mort, qui est plus 
proche de nous que la veine jugulaire ne Test de 
la gorge, confer mement a cette parole divine : 
Toute ame doit gouter de la mort ; vous recevrez 
votre salaire le jour de la resurrection. 

D. Qu'y a-t-il dans votre tele, dans votre 
oreille, dans votre oail, dans votre poitrine et 
dans vos pieds ? 

.R. Dans ma tete : la noblesse des pensees, 
1'intelligence et la connaissance ; dans mon 
oreiile : les paroles de celui qui m'a dirige vers 
1'obeissance de Dieu ; dans mon ceil : la vue de 
la face du Seigneur Genereux (Dieu) ; dans ma 
bouche : laloi divine, la verite, la regie, la con- 
naissance et les paroles de bien ; dans ma poi- 



. LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 85 

trine (coeur) : la patience pour supporter les ca- 
lamites et les mauvaises paroles; et dans mes 
pieds : un moyen pour me rendre aupres des 
maitres de la connaissance sur le tapis :de la 
voie droite en presence des gens de la verite. 

D. Qu'y a-t-il dans volre coeur ? 

R. L'impurete et 1'ignorance que je dois 
racheter par rhumiiite ot la soumission devant 
mon Maitre. 

D. Quels sont vos ternoins ? 

R. Ma main droite et ma main gauche: 
elles porteront temoignage le jour de la compa- 
rution , supreme par-devant le Maitre de TUni- 
vers, et les deux Anges ecrivant par son ordre. 

D. En jse rendant vers la place d'Ali, d'ou 
vient-on, et par ou s'en va-t-on ? 

R. On vient de la maison perissable, et on 
se rend vers la maison de Feternite. Accorde- 
moi la richesse, 6 Riche, et 1'eternite, 6 Eternel ! 

D. Quelle est la maison perissable ? quelle 
est la maison e"ternelle ? 

R. La terre est perissable avec tout ce 
qu'elle contient, car c'est la maison de 1'illusion, 
conformement a cette parole divine : La vie de 
.la terre n'offre que des jouissances Irompeu- 
ses. Quant a la maisou eternelle, c'est la mai- 
son de Tautre vie et ne 1'habitera pour 1'^ternite 
que celui qui aura fait les bonnes ceuvres, multi- 
plie les bienfaits, rejete Timpurete et 1'immora- 
lite, meprise les amours terrestres, et detourne 
ses regards des choses illicites. G'est la reunion 
des serviteurs au plus haut des cieux ; c'est en 
celieuqu'iis obtiendront Tintercession efflcace 
de Mohammed, TEnvoye de Dieu, le Maitre des 
miracles. 



86 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

D. Lorsque vous entrez sur la place et que 
vous vous avancez au milieu des vieillards, com- 
pagnons de la voie, comment vous accueille le 
Gheikh? 

R. II m'accueille avec une invocation sin- 
cere, et m'euveloppe de.son regard bienfaisant 

D. Quels sont vos initiateurs pour entrer 
dans la voie de purete ? 

R. Ge sont les vieiliards sages qui sont 
mes interme'diaires aupres d'Ali. G'est en leur 
presence et dans leur genereuse society qu'on 
estrecu. 

o 

D. Ou est-on TCQU? 

R. Sur le tapis de laverite, sous les pieds 
du trone de Dieu, sur la place d'Ali, et en pre- 
sence des compagnons de la fetoua. 

D. Gombien avez-vous de freres dans la 
voiedroite? 

R. Deux qui sont ma ceinture et mon pacte, 
que je tiens dans ma main, et qui m'accom- 
pagnent dans la vie et dans la mort. 

D. Par quelle porte entre-t-on, et par quelle 
porte sort-on ? 

R. On entre par la porte de 1'amour, et on 
sort par celle de la misericorde et de 1'accueil 
des compagnons de la fetoua. 

D. Ou est cuite notre bouchee, qui 1'a 
humectee et qui Tap porte ? 

R. Elle est cuite au foyer du Mise'ricor- 
dieux (Dieu) et est apportee par les anges du 
paradis de delices. 

D. Ou la depose-t-on ? 

R. Surle tapis de la puissance, entre les 
mains des compagnons de la decision. 



'i 

. 

LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 87 

D. En arrivant dans la reunion des gens de 
la vote droite, sur quoi s'assied-on ? 

R. Sur Je tapis d'ismaiil (que le salut soit 
sur lui). 

D. Comment s'assied-on sur le tapis de la 
voie ? 

R. Par la permission que le Cheikh en 
donne, st avec le coeur rempli d'humilite et de 
modestie en presence des intermediaires. 

D. Qu'est-ce que la fouta? quelle est son 
origine ? et quelle largeur a-t-elle ? 

R. La premiere fouta a ete formee des 
feuilles de flguier dont se sont converts Adam 
et Eve. La iargeur de votre fouta est celle- de 
votre bras droit, et sa longueur celle de votre 
bras gauche. Son origine revient a Omar Ibn- 
Omeia-el-Medowi, car c'est lui qui en fit. present 
al'imam Ali. 

D. Comment entre-t-on dans la voie, et 
comment en sort-on ? 

R. On y entre avec i'ame humble de 1'im- 
pe"trant, et on en sort avec le coeur joyeux de 
celui qui a obtenu. 

D. Lorsqu'on vous bouclela ceinture, qu'y 
a-t-ii dans votre main droite ? 

R. Nous tenons dans notre main droite le 
livre de notre destin, seion cette parole divine : 
mon Dieu, donne-moi mon livre (destin) dans 
ma main droite et non dans ma main gauche. 

D. Qu'y a-t-ii entre votre main droite et 
votre main gauche ? 

R. II y a entre les deux, 1'alliance dn Dieu 
Tres-Haut. 

D. Qu'y a-t-il entre vous et votre initiateur ? 

R. II y a entre nons le pardon du Dieu 



88 'LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

magnifique, Seigneur de Moise et d'Abraham; 
seloQ cette parole divine : vous qui croyez, 
offrez ea entier votre repeatir a Dieu, el deman- 
dez-lui le pardon de vos fautes. Et cette autre 
parole : Gelui qui accomplira 1'engagoment 
contracte envers Dieu, je le recompenserai 
magnifiquement. 

D. Par quoiest-on affranchi? 

R. Par la purete du co3ur de 1'initiateur et 
la sincerite du neophyte. 

D. Qai possede la chose longue, et qui la 
chose courte ? . 

R. L'homme juste a la langue longue, et le 
pecheur, dans son avilissement, a la langue 
courte. 

D. Quelle est la clef du eiel ? 

R. La profession de foi : Il.n'y a de divi- 
nite qu' Allah ! Mohammed est le prophete de 
Dieu (que Dieu repande sur lui ses graces et lui 
accorde le salut). 

D. Quelles choses sont venues du ciel, et 
dont 1'une est superieare a 1'autre ? 

R. Le ble et la viande. La viande est supe*- 
rieure au bl^, car le ble a ete apporte du paradis 
par Adam, tandis que le belier a ete envoye du 
ciel pour servir de rancon a Ismail que son pere 
allait immoler. 

D. Quelle est la maison sans porte, la mos- 
qu^e sans mihrab (1) et le predicateur sans livre. 

R. La maison sans porte, c'est la terre qui 
n'est qu'un sejour d'illusions trompeuses; la 
mosquee sans mihrab c'est la Kaba, que Dieu 
Tres-Haut la protege, et le predicateur sans livre 

(1) Niche pratiquee du cote de 1'Orient, ou se met le predicateur. 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 89 

c'est Mohammed, car ii prechait sans livre et on 
ecrivait au contraire ses paroles sur le livre 

D. Le diademe de I'lslam est-il sur ma 
teleousur la vdtre? 

R. II est sur ma t3te, sur la v6tre et sur 
celle de tous les serviteurs, car Dieu 1'Unique, le 
Puissant, est celui qui dit a une chose : Sois , 
et elle est. 

D. En quoi esperez-vous ? 

R. En la misecorde de Dieu, afln qu'il me 
fasse admettre ainsi que vous au paradis. 

D. Par quoi s'obtiennent la loi, la justice, 
la regie et la connaissance ? 

R. La loi s'obtient par le travail et 1'etude ; 
la justice par la volonte du Dieu Tres-Haut, celui 
qui n'a pas de peril, le dispensateur de tout bien, 
le cre"ateur de toute chose, le viviflcateur et 
rexterminateur de ce quiexiste; on arrive a la 
regie en suivant la voie de la \erite et de la 
sincerite ; enfin, la connaissance consiste dans 
la science des paroles de Dieu, de son livre, et 
dans les efforts pour rester dans 1'obeissance de 
Dieu. 

D. Quelle est la clef de la loi et quelle est 
saserrure! 

R. Sa clef est cette parole : Au nom de 
Dieu clement et misericordieux , et sa serrure 
cette autre parole: Louange a Dieu, maitre 
de 1'Univers ! 

D. En quoi consiste Fobservance ? 

R. Elle consiste a se nourrir de ce qui est 
permis, a rejeter ce qui est illicite, a obeir aux 
deux fils Hacan et Hocein, et a se rapprocher de 
Dieu, 



90 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

D. Silaviande S3 gate, par quoi la rec- 
tifie-t-on ? 

R. Par le sel. 

D. Et si le sel se gate, comment le rectifle- 
t-on? 

R. Par Tassemblee sur la place d'Ali. 

D. Quelle est la signification de ces 
paroles ? 

R. La yiande represente les gens de notre 
sainte societe ; le sel est le Cheikh. Si les mem- 
bres de la confrerie de la voie se gatent, le 
Gheikh les gnerit, et si le Gheikh se gate, on le 
remplace dans I'asseaiblee. . 

D. Quels sont les mysteres qui enveloppent 
le tapis ? . 

R. II est entoure par quatre fatiha, on le 
deroule avec une fatiha, on le roule avec une 
fatiha, et on 1'emporte avec une fatiha. 

D. Que fait le Gheikh en s'approchant du 
tapis ? 

R. II commence par invoquer le saint et 
inrtiquer les prescriptions de la voie. Puis il 
avance son pied droit et soulev 7 e le pied gauche ; 
il recito alors une fatiha, et fait sur le pied 
gauche comme il a, fait sur le pied droit. II 
s'avance ainsi peu a peu en recitant la fatiha et 
termine par la benediction et 1'appel des favours 
divines et du salut de N. S. Mohammed le 
Maitre des Envoy es. 

D. Comment le Gheikh se retire-t-il du 
tapis ? 

R. En prononcant, trois fatiha : la tekbira 
pour le Dieu Tres-Haut, 1'appe' de la benedic- 
tion du salut de N. S. Mohammed, Mallre des 
envoyes, sur sa famiDe et sur ses compagnons, 



LE DIABLE CHEZ tES- MUSULMANS 91 

et 1'invocation du salut pour tous. Enfin, il im- 
plore Dieu de nous pardonner, ainsi qu'a vous et 
a tous les Musulmans et les Musulmanes, les 
croyants et les croyantes. Amen ! amen! par 
les merites de Mohammed, le seigneur des en- 
voyeVCl). (RiNN, pages 190-196.) 

Nous n'avons pas recule devant la longueur de 
cette citation. Mieux que tout ce que nous pou- 
vions dire, elle montre la ressemblance qu'il y 
aentre les societes secretes, et que, au fond, c'est 
toujours 1'ange des tenebres deguise en ange 
de lumiere qui guide les mechants au combat et 
leur promet une facile victoire, sur qu'il est de 
sa defaite ; mais n'est-ce pas pour lui une grande 
victoire que d'enchainer dans les abimes du feu 
une seule ame. Quelle habilete pour perdre les 
homines ! comme il a su varier les moyens et 
favoriser dans chaque peuple la passion a la- 
-quelle il tient le plus. La Franc-Maconnerie, les 
societes secretes de la Chine n'ont paS le mme 



(1) Beaucoup dindividus qui veulent avoir tous les avantages 
spirituels des Khouan ne prennent pas taut de peines pour se 
faire admettre dans 1'ordre. Nos lecteurs savent que beaucoup 
d'ordres religieux font participer a leurs satisfactions des personnes 
qui n'ont pas prononce les voeux. de 1'ordre, mais cependant s'y rat- 
tachent par qaelques liens : ainsi les bienfaiteurs d'un ordrereligienx- 
partioipent non pas au meritedec'haque religieux qui est inalienable 
mais aux diverses oauvres, prieres, mortifications. Ainsi, les gens 
du monde revetus du seapulaire du Mont-Carmel ont une grande 
part des prieres qui sont laites par les Cannes. Cette communion 
de bonnes ceuvres se retrouye chez les Musulmans. On pent tres 
facileraent etre affllie a un ordre, et participer a toutes ses bonnes 
oeuvres. Ainsi, pour avoir sa part des merites des Chadelya, et titre 
Chadely, meme en ne suivant qu'un seal de ses principes, et ne 
s'associant qu'une infime partie de ses idees, il suffil d'aimer les 
affllies. 

Abd-er-Rahman est encore plus large ; il rend vraiment le salut 
trop facile. Non seulement .on est sauve quand on est afQlie a 
1'ordre, mais encore quand on aime son ordre on Ini-meme ; on est 
sauve si on 1'a visite peudant sa vie. si apres sa mort on s'arrete 
anpres de sa tombe; enlin qui I'eut jamais pense, si on a entendu 
reciter son diker. Quelle prolusion d'indiilgences !! 



92 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

but prochain que les societes musul manes, mais 
toutes ont la mme fin eloignee, fin vraiment 
satanique et qui montre. que vraiment 1'ange de 
lumiere est la pour diriger. N'est-ce pas sata- 
nique que d'empecher les progres. du catholi- 
cisme et de la civilisation ; et 1'homme, en cette 
occasion, ne combat-il pas ses propres interets ? 

Laissons la ces reflexions qui nous ont echappe 
et revenons a notre compagnon du tapis. Apres 
ce long catechisme, le Cheikh delivre au nouvel 
initie son diplSme. Nous avons deja donne un 
modele de diplome de Moqaddem ; il est inutile de 
faire remarquer que ce modele n'est pas le meme 
mot pour mot pour chaque ordre ; cependant, 
quant au fond, il differe peu, et on le comprend : 
Fame de tout ordre est le souflsme, avons-nous 
dit, comme 1'ame de la franc -magonnerie c'est 
le materialisme, 1'atheisme; le de"mon arrive au 
meme but dans les deux cas. Dans le premier, 
il arrive a abrutir 1'homme par le plaisir des sens 
du corps ; dans le second, a 1'abrutir par Tabus 
des plaisirs de nos sens internes ; quel est le 
pire des maux? a mon avis, c'est le second. 

Chez les Qadrya, il y a, pour ainsi dire, deux 
pieces justificatives de Tadmission dans 1'ordre. 
Nous pourrions appeler la premiere un certifl- 
cat ; la seconde un vrai diplOme. Le lecteur, 
d'ailleurs, en jugera. Voici un exemplaire de la 
premiere piece : Au nom de Dieu clement et 
misdricordieux. A nos freres musulmans qui 
prendront connaissance du present. Puisse Dieu 
vous diriger en science et en sagesse. 

Le desservant de la mosquee de Sliman el 

Qadri certifle que le porteur de cet ecrlt, N 

derwich profes, s'est presents a Bagdad et a vi- 



LE DI ABLE CHEZ LES MUSULMANS 93 

site" 1'etablissement de son aieul (ici toute. une 
lilanie de titres sur cet illustre a'ieui), le Cheikh 
Abd-el-Kader-el-Djilani. Quiconque lira cet ecrit 
devra tre persua de que le susnomme est vrai- 
ment entre dans Tordre. 

Nous n'avons pas voulu citer le texte m&ne 
car, a nos yeux, cet crit n'est pas un dipldme ; 
on pourrait le comparer aux lettres testimo- 
niales que donne un eveque a un pretre qui sort 
de son diocese. Ges lettres testimoniales ne con- 
ferent pas le pouvoir, elles constatent seulement 
qu'on Ta ; elles different encore des lettres d'or- 
dination qui sont comme le proces-verbal ou est 
enregistree 1'ordination de Telu du Seigneur. 
Pour employer a un usage profane un mot con- 
sacre par 1'usage, nous dirons done que I'esrit 
dont nous venons de donner les principales 
idees est une lettre testimoniale attestant que 
vraiment le porteur a ete regu dans 1'ordre ; mais 
ce n'est pas la le dipl6me. Nous avons deja dit 
quelques mots des diplomes delivres par les con- 
gregations musulmanes, a propos des Moqad- 
dem ; nous avons vu leur utilite tant pour les 
inities et les saints, car ii contient 1'ouerd et les 
principales recommandations et pratiques de 
1'ordre, que pour les profanes ; car, en outre des 
recommandations (ouassia) et des pratiques, il 
contient la chaine de 1'ordre, le tout ecrit dans 
une magniflque ecriture et entoure des plus 
belles enluminures capables de faire naitre Ten- 
vie au coeur'des vieux moines qui, au moyen-. 
age, passaient leurs moments de loisirs et 
d'etude a orner et agrementer leurs manuscrits. 
Gomme nous 1'avons dit aussi, leur longueur 
varie de un a deux metres, sur une largeur de 



94 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

20 a 30 centimetres. Nous empruntons a Rinn, 
page 197, un modele de dipldme de Khouan 
dans I'ordre des Qadrya : 

S'est presente a moi, a Bagdad, Thorn me 
de bien qui se dirige vers Dieu, en s? detour- 
nant de tout ce qui n'est pas lui, qui desire par- 

venir en 1'autre vie, le derviche N , il a vi- 

site la seigneurie de nos ai'eux, 1'etoile des 
mondes, la perle la plus precieuse qui met au 
mgme niveau les grands et les petits, astre de 
la religion, flambeau etincelant, maitre des 
signes et des pensees, le cheikd Abd-el-Kader- 
el-Djilani. 

Apres cette visite, le susnomme est venu a 
nous et nous a demande de 1'instruire de 1'unite 
de Dieu. Je lui ai donne cette science, de m@me 
que je Favais regue de mon maitre, lequel 1'avait 
re?ue (Ici toute la gen6alogie) , 

Apres done que nous eumes appris au 
neophyte la parole de 1'unite de Dieu, nous lui 
avons ordonne de la reciter 165 fois (1) a la suite 
de chaque priere obligatoire et toutes les fois que 
la chose lui sera possible. Et celui qui rompra le 
pacte, le rompra a son detriment. Celui, au 
contraire, qui conser vera 1'alliance faite avec Dieu 
recevra une recompense magniflque. 

(1) Deslecteurs peu habitues aux continues des ordres musulmans 
seront etonnes de voir itnposer par le Glieikh 1'obligation de reciter 
une priere un nombre de Ibis si considerable, et ils se demanderont 
comment un homme peut encore remplir ses devoirs et gagner son 
pain a la sueur de son front. Qu'ils gardent un peu de leur etonne- 
ment et de leur indignation pour plus tard. L'initie a 1'ordre des 
Qadrya est encore heureux relativement ; Tinitie a 1'ordre des 
Rahmanya doit reciter 70.000 (soixante-dix mille fois) pour son 
rachat, sans aucune distraction ni preoccupation terrestre, la 
phrase : 11 n'y a pas d'autre divinite qu'AHah. Que nos lecteurs 
jugent de refTct produit par ce debit snr'le cerveau. Ne vaudrait-il 
pas raieux fumer une foisl'opium que d : avoir une telle obligation a 
remplir. Qu'est-ce qui serait plus fnneste a 1'homme .? Plus tard, nos 
lecteurs pourront y reponcU-e. 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 95 

Voila done notre Musulman quia fait unpas 
de plus dans le inal, et aux chaines que lui avait 
imposees Mahomet, a voulu de lui-mme en 
joindre de plus lourdes dont il ne pourra certes 
pas se de"barrasser a son gre. Sans doute, le 
Gheikh rie pourra pas toujo'irs ouvertement, au- 
jourd'hui comme autref ois, lui imposer sa volonte 
et venir lui ravir une parti e de ses biens qu'ii 
doit donner chaque annee en offrande : le gou- 
vernement francais pourra le proteger contre 
ses superieurs, et ii sera meme heureux de 
trouver une circonstance pour abaisser 1'orgueil 
del'ordre. Mais ceci n'a lieu que lorsqu'il veut 
quitter 1'ordre, et alors, si, en Europe, les chefs 
ne reculent pas devant la mort d'un frere qui les 
a abandonnes, pourquoi, en Afrique, on la vie 
d'un homme n'est pas plus estimee que la vie 
d'un mouton, pourquoi n'agirait-on pas de 
mme ? Qui nous dira jamais le fin mot de ces 
meurtres de gens constitues par Tautorite fran- 
gaise dont on ne peut retrouver les meurtriers ? 
Arrgtons-nous : dans un chapitre special, nous 
parlerons des moyens qu'ils emploient pour arri- 
ver a leur second but : enrayer les progres de la 
civilisation. 

Voyons un peu les nouvelles chaines que le 
Khouan s'est imposees : j'en distingue de trois 
sortes : chaines envers Fouerd, chaines envers 
ses superieurs, chames envers ses confreres. 

Qiie signifle le mot ouerd? Qu'est-ce que Touerd? 
Le mot arabe (ouerd) vientde la racineouarada, 
qui signifie venir a rabreuvoir, s'approcher de : 
ce mot ouerd signifiera done 1'action d'arriver a 
quelquelieu (surtout a 1'abreuvoir), 1'action de 
s'approcher d'un lieu ; mais il y a aussi un autre 



96 LE DIABLE.CHEZ LES MUSULTVIANS 

seas da mot ouerd, il signifie fleur, en particulier 
la rose; pourrait-oii y voir un rapprochement 
entre la rose mystique qu'ori voit figurer sur les 
diplSmes d'e maitresse Templiere et le grade de 
Rose-Groix. M. Rinn pense que le rapproche- 
ment ne peut tre fait. 

Sans voutoir trancher la question, il nous 
semble qu'on pourrait tout concilier. II est cer- 
tain que dans le cas present le sens obvie du 
mot ne semble pas 4ti*e rose, mais plutot semble 
signifier 1'action d'arriver :.le Khouan arrive a 
cette source ou il pourra se desalterer. On con- 
nait aussi le penchant qu'ont les Arabes pour 
donner un sens mystique aux mots ; ici ce nous 
semble etre le cas. Cela devait sourire, en efltet, 
a la sagacite d'esprit d'un chef musulman, d'en- 
tendre appeler la regie qu'il venait d'ecrire,et la 
voie qu'il venait de tracer et d'indiquer une rose 
qui saurait repandre une agreable odeur, ,et 
surpasser autant en perfection tous les autres 
ordres, que la rose surpasse les fleurs en beaute. 
Et pourquoi la rose aurait-elle ete prise pour 
embleme plutot que toute autre fleur? Ah! re- 
pondent les Khouan verses dans toutes les tra- 
ditions musulmanes, c'est que Ja rose a ete for- 
mee de lasueur qui decoulaitun jour du Prophete I 
Touchante et pieuse allegoric, la sueur du Pro- 
phete n'etait-elle pas une rosee qui amenait la 
fraicheur partout ou elle tombait : que d'oasis 
lui doivent leur fecondite ! Voila ce qu'a invente 
1'imagination orientale. 

Que le mot ouerd signifie arrivee, ou rose, peu 
importeala chose, qu'est-ce que Touerd? L'ouerd 
est Fensemblo des regies pratiques, ceremonies 
qui se font dans 1'ordre et le gouvernent 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS : 97 

L'ouerd resume la doctrine qui y est enseignee, 
la loi qui y est observee. Entre 1'ouerd et la trika 
(voie), ii y a peu de difference sensible, et on 
dit indifferemment : trika es-Snoussi et ouerd 
es-snoussi. 

Ne comparons pas 1'ouerd des congregations 
musulmanes avec les regies de nos ordres reli- 
gieux. Bon gre,malgre, il faudra que la religion 
se soumette a sa regie, et, pour employer un mot 
consacre" par 1'usage, tout individu, bien que 
gardant son individualite propre, son caractere, 
ses qualites physiques et intellectuelles, devra 
<lre moule sur ses regies, il faudra qu'il prenne 
I'esprit de son ordre, qu'il en pratique les vertus 
speciales, qu'il prenne a coeur les oeuvres parti- 
culieres. Btsi, par hasard, les superieurs s'aper- 
coivent qu'un individu ne pourra pas etre moule 
convenablement, que pour lui il faudra faire 
quelques dispenses, diminuer la force de telle 
regie, abolir celle-la tout a fait, mitiger celle-ci, 
oh! alors,plutot que de garder un tei individu, le 
superieur reconnaitra qu'il n'est pas appele de 
Dieu, et le priera de se retirer et de se diriger 
ailleurs. Cette inflexibilite montre le caractere 
de nos ordres, ils sont f aits pour mener les indi- 
vidus a la perfection, pour trancher, couper, 
arracher tout ce qu'il y a de mauvais dans 
1'homme, afin d'y faire naitre a la place 1'homme 
nouveau. Satan n'agit pas de mme, et d'aiileurs 
ne peut-on pas se damner partout ; done, pourvu 
que le Khouan promette de ne jamais trahir les 
secrets de 1'ordre, d'obeir aveuglement a son 
Gheikh auquei il devra payer fidelement un petit 
impot, decore du beau nom de ziara, present plus 
ou moins force, et de reciter le diker, pourvu, 

LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 3.. 



98 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

dis-je, qu'il promette ces trois choses, c'est tin 
Khouan qu'on doit garder : peii importe qu'il 
n'observe pas toujours les autres regies bien 
fidelement, peu importe qu'il vive plus ou moins 
en conformite avec la loi naturelle, et qu'il ait 
commis trois ou quatre homicides et un nombre 
incalculable d'adulteres depuis son admission : 
non, ilne faudra pas le chasser, surtout s'il est 
intelligent, il sera en effet d'un grand secours, 
precisement parce que, en commettant ces cri- 
mes, il a montre" que sa conscience n'etait pas 
delicate. L'ouerd, c'est done une balle e"lastique, 
donnant libre passage a tous, laissant entrer le 
vaurien et I'homme vivanL suivant la loi natu- 
relle, sachant varier ses modes d'action divers 
pour le savant et 1'ignorant, le bigot et 1'impie 
qui ne connait le nom de Dieu que par les jurons 
au bout desquels il 1'a place. Le mystique y trou- 
vera de belles speculations, le savant pourra s'y 
livrer a ses investigations, et, marchant sur les 
traces de ses predecesseurs, professer une doc- 
trine plus ou moins orthodoxe, a 1'abri de cer- 
tains mots que les chefs de 1'ordre auront em- 
ployes avant lui a double sens. Ges ordres reli- 
gieux ont produit, dans mon esprit, le mme effet 
que les sectes protestantes. Ghacun y trouve son 
avantage, chacun peut satisfaire ses passions, 
croire ce qu'il veut, faire ce qu'il veut, et c'est le 
demon qui a le dernier mot de tout. 

Apres ces apercus generaux, entrons un peu 
dans les details, et voyons tout d'abord les 
obligations que Touerd impose au Khouan en- 
vers son Gheikh. Nous dirons tout dans un mot: 
le Khouan doit etre entre les mains de son 
Gheikh ou de son Moqaddem comme un cadavre; 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 99 

ecoutez la tradaction de la formule arabe : 
Sois entre les mains de ton Cheikh comme le 
cadavre entre les mains de celui qui le lave. Le 
Moqaddem tient pour le Khouan ia place de Dieu 
me"me, ii doit done lui obeir comme il obeit a 
Dieu meme ; Jesus-Christ nous a dit a peu pres 
la mme chose : Gelui qui vous ecoute m'ecoute, 
disait-il a ses apfitres ; qui vous meprise, me 
meprise . Quelle difference entre I'obeissance 
chretienne et celie du Musulman ; celle du chre- 
tien, c'est celle d'un homme, celle du Musulman, 
c'est celle d'une brute. Un religieux se rend 
loujours compte de son action, il examine et sail 
les motifs de son obeissance. II sait qull n'est 
pas oblige" d'agir quand son superieur lui com- 
mande des choses en dehors des regies, ou con- 
traires a une loi superieure. Rien de tel dans le 
Musulman, et c'est ce qui nous revolte, car on 
ne peut aller plus loin dans le mepris de son 
semblable. Get homme que Dieu a fait a son 
image, que Jesus-Christ a rachete de son sang, 
cet homme ne devient qu'une brute enlre les 
' mains de son Gheikh ; nous n'avancons rien de 
trop. Qu'on Use les paroles des auteurs musul- 
mans : Jamais pareil esclavage n'a regne dans 
nos ordres religieux ; jamais personne n'a oblige 
aucun religieux a penser comme lui, et ne lui a 
de"fendu tout raisonnement bon ou mauvais. Or, 
ecoutez Djenidi, c(Uui des auteurs musulmans 
.qui, pendant sa vie, joiiit de la plus grande renom- 
mee, a tel point, qu'un de ses maitres disait de 
Djenidi jeune homme : Si la raison devait 
s'incarner, elle entrerait dans le corps de 
Djenidi. Eh bien, voici ce que ce grand genie a 
ecrit : Le Khouan doit tenir son co3ur en- 



100 LE'DIABLE CHEZ' LES MUSULMANS 

chame a son (Sheikh... ecarter de I' esprit tout 
raisonnement bon ou mauvais, sans I'analy- 
ser, ni rechercher sa portee, dans la crainte 
que le libre cours donne aux meditations ne 
conduise a 1'erreur. Quel est le saint, fonda- 
teur d'un ordre religieux, qui a jamais impose 
une telle regie a ses disciples. Nous ne sommes 
pas bien verse" dans la mystique, mais il nous 
semble que tout ce qu'un homme peut exiger de 
son semblable, c'est qu'il dise et pense que, 
dans le cas present, la chose commandee par le 
superieur est ce qu'il y a de plus sense et de 
plus raisonnable, et que, bien que lui, subor- 
donne, theoriquement pense autrement que son 
superieur, pratiquement, il fera selpn sa volonte. 
Aussi 1'obeissance chretienne, loin d'etre une 
entrave pour 1'esprit, lui est du plus grand se- 
cours : 1'obeissance nous dirige jusque dans les 
plus hautes questions metaphysiques. Tandis 
que 1'Eglise, tout en exigeaut de nous la plus 
grande obeissance par rapport a ses dogmes, 
nous laisse la liberte de raisonner, de discuter 
ce qu'elle a de plus grand et de plus saint, la 
secte infame, que dirige Lucifer, afin de pouvoir 
dominer plus facilement 1'homme, atrophie son 
coeur et son intelligence ; son coeur par les pas- 
sions, son intelligence par les entraves appor- 
tees sans cesse a son developpement. Qu'y a-t-il 
de plus satanique ? Est-ce la, nous le demandons, 
une invention humaine ? 

Le malheureux qui s'est engage dans 1'antre 
de Satan, non seulement verra atropm'er et 
an^antir meme ce qu'il y a de plus noble dans, 
son tre, mais ce qu'il y a en lui de plus intime, 
de plus sacre, ce qui fait que 1'homme de bien 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 101 

devient le desespoir du tyran, la conscience. 
Eh. bien, cela mme est aneanti sous 1'action dis- 
solvante des societes secretes musulmanes. Le 
Khouan ne doit pas oublier qu'il estl'esclave du 
Gheikh et qu'il ne doit rien faire sans son ordre. 
Et que pourrait-il en effet lui rester, une fois que, 
par la perte de son intelligence, il s'est mis au 
rang des brutes. Ainsi les paroles que nous 
avons citees plus haut : sois entre les mains de 
ton Gheikh comme le cadavre entre les mains 
de celui qui le lave , non seulement s'appliquent 
au corps, mais surtout a la conscience. Comme 
le baton que j'ai entre les mains, ou le fusil que 
je porte sur 1'epaule, le Khouan devra f rapper 
ou tuer au gre de son Gheikh et n'aura pas plus 
de responsabilite dans cet acte, que mon baton 
ou mon fusil. 11 agira parce qu'on ie lui a dit : la 
raison qui a fait agir le Gheikh sera la raison 
qui le poussera a agir. Nous ne voulons pas 
examiner le degre de culpabilite de cet homme ; 
nous voulons montrer seulement Toeuvre de 
Satan. Peut-on avoir plus de mepris pour les. 
hommes, et nos revolutionnaires, qui ont e"te si 
ardents a faire des lois pour aflranchir les reli- 
gieux et les religieuses de la tyrannie de lears 
voeux et leur rendre la liberte, ne devraient-ils 
pas aussi en faire pour emanciper de la vraie 
tyrannic ces malheureux qui sont courbes sous 
le poids des plus lourdes chaines. 

Et afin d'etre tou jours bien dispose a lui obeir, 
le Khouan doit avoir 1'image du Gheikh sans 
cesse pre"sente a sa pensee ; ainsi 1'image de 
Dieu, la pensee de Dieu qui doit toujours occuper 
notre esprit et etre le mobile et la fin de nos 
actions, cette pensee est chassee pour etre rem- 

LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 3... 



102 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

place"e par celle d'un homme. Et ne croyons pas 
que ces paroles doivent tre prises dans un sens 
large, et qu'il suffira an Khouan de se repre*sen- 
ter une fois, deux fois par jour 1'image de son 
Gheikh; le but ne serail pas atteint; ce qu'il faut, 
c'est que cetie idee soit sans cesse dans son 
esprit, il faut qu'il devierme comme possede" par 
cette pensee, comme les saints sont possede"s 
par celledeDieu(l). 

Resumons en peu 'de mots les devoirs du 
Khouan envers le Gheikh : obeissance aveugle, 
allant jusqu'a defendre a tout affilie" tout raison- 
nement bon on mauvais, obeissance en tout* 
dans les bonnes comme dans les mauvaises af- 
faires, obeissance stupide, de"raisonnable, obeis- 
sant parce que le Gheikh 1'a dit, et sans faire le 
moindre jugement. En un mot, les societes se- 



(1) Le leeteur nous permettra de placer ici'une note, nonpas pour 
charger ee tableau deja Men sombre, mais pour repondre quelques 
mots a Rinn qui trouve tout nature! que les choses se passent 
ainsi. Nous le repetons, sans doute nous lui devons beauconp, et 
son ouvrage (Marabouts et Kouan) est riche en documents. Nons 
ne nous sommes pas propose le meme but que lui, et avons seule- 
ment voulu montrer 1'action de Satan semblable en Afrique a ce 
qu'il fait dans le reste du monde. Voici les paroles de Rinn, que 
notre qualite d'homme nous empeche d'approuver : 

II est inutile d'etendre ces citations, qui ne seraient que des 
repetitions avec quelques varietes d'expression : Le but humain de 
tout ordre religieux etant toujours d'annihiler les volontes parti- 
culieres des adeptes, et d'absorber les individualites au profit de 
1'oeuvre impersonnelle poursuivie par la communaute. Nous 
completerons sa phrase : done, ne nous etonnoas pas de trouver 
de pareilles theories dans les societ6s musulmanes, n'en est-il pas 
de meme chez les Jesuites, etc. Continuons a citer : 

Celts soumission est d'autant plus complete, qu'elle est tou- 
jours librement consentie par ceux qui viennent se confier a la 
direction spirituelle des Moqaddem, et que le fidele croit accomplir 
un acte d'in tere't personnel, puisqu'il s'agit dusalut deson dme. 
Pauvre M. Rian, vous etes un boa arabisant, mais un triste philoso- 
phe et un tres pietre logicien. Ges quelques lignes sont si ineptes que 
nous ne nous arreterons pas a les reluter, et nous croyons avoir 
inflige a 1'auteur une assez verte punition en les mettant sous les 
yeux d'un public plus instruit que le public algerien, 



.. LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 103 

cretes musulmanes arrivent a abrutir leurs affilies 
par les moyens adoptes pour maintenir 1'obeis- 
sance. On dirait que Satan prend plaisir a tour- 
menter ces malheureuses creatures qui se sont 
donnees a lui, et que, son plaisir le plus grand, 
c'est de pouvoir atrophier leur intelligence pour 
rendre les hommes semblables aux be"tes. N'est- 
ce pas ce qu'a dit 1'Ecriture Sainte ? Nous le disons 
sous forme de conclusion : le Cheikh s'empare de 
1'esprit de ses affilies et les dominecommerhyp- 
notiseur domine 1'hypnotise, c'est- a-dire lui fait 
faire tout ce qu'il veut, parce que, auparavant, il 
a abruti 1'adepte. Quelle difference voikon entre 
la maniere d'agir et de gouverner des francs- 
macons d'Europe et les Khouan d'Afrique ? 
N'est-ce pas partout les m^mes moyens ? Ne 
dirait-on pas que 1'un est la copie fidele de 
1'autre? Ou plut6t c'est Satan qui est partout le 
mme et qui sait tout preparer suivant les temps 
et les lieux et changer de tactique aVec les peu- 
ples. Tandis que les francs-macons doivent sor- 
tir de la religion catholique, les Khouan n'ont 
qu'a suivre la pente de I'lslamisme pour arriver 
a Tabrutissement et au satanisme. 

Passons sans transition aux devoirs du Khouan 
envers ses coreligionnaires et voyons les liens 
qui les unissent. Leurs relations sont caracte"ri- 
sees par une solidarite a toute ^preuve, une cha- 
rite sans bprnes ; mme, chez les Ghadelya, elle 
est poussee si loin, que la restitution y est incon- 
nue. Jamais sa bouche ne profgrera le moindre 
reproche, le moindre blame a son coaffllie. La, 
comme dans la San-ho-hoei, chacun est prt a 
verser son sang et a donner sa vie pour 1'oBuvre 
commune plutdt que de livrer un secret. Un 



104 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

Khouaa est-il appele devant les tribunaux, aus- 
sitot ses confreres jureront par le cie!, la lerro, 
la mer et les enfers, par la tete de leur pere, 
celle de leur grand-pere, la leurpropre et cellede 
Mahomet (le salut soil sur lui) que jamais, non ja- 
maisceKhouan n'etait capable de faire unpareil 
acte. Bien plus, ils prouveront son alibi le plus 
facilement du monde ; aussi, rien de plus difficile 
a etablir qu'un crime, et que de fois, sur la foi de 
pareils te"moignages, le coupable, le grand cou- 
pable a ete absous. 

Jure, lui a dit le Gheikh apres 1'avoir initie, 
jure que jamais tune trahiras ton frere, ni les 
choses de 1'ordre ; jure que tou jours tu seras 
devoue aux interets de tes freres, que tu leur 
viendras en aide partout et toujours. Et le 
Khouan a jure, et il tiendra sa promesse. Ja- 
mais il ne devoilera que ce que tout le monde 
peut savoir, afin d'attirer de la sorte de nou- 
veaux adeptes a la societe. L'existence de la 
societe, les reunions, les danses, les repas faits 
en commun, tout cela ne sera pas cache" ; mais 
il y a des secrets que personne ne doit connaitre 
en dehors des affilies : ce sont ces secrets qu'il 
faudrait de"voiler, car les choses que nous 
connaissons, et ne sont que trop .certaines, nous 
font soupconner des choses aussi atf oces que 
dans les sectes qui s'adonnent au satanisme. Les 
Khouan ne cachent pas les extases et les ravis- 
sements dont ils peuvent etre favorises. Ils ont 
des moyens propres a atteindre cettefln; que 
se passe-t-il alors dans ces reunions ? Le docteur 
Bataille en a donne un exeinple, a propos de 
son etude sur Fhysterie ; mais, nous le repetons, 
ce n'est pas a Stamboul qu'il faut aller chercher 



LE DIABLE CHEZ -LES MUSULMANS 105 

le vrai Khouan : le vrai Khoiian est dans le 
Sahara, aii sud de 1'Algerie et de la Tripolitaine. 
Le vrai Khouan, celui qui est vraiinent I'instru- 
ment de Satan, n'est pas affllie aux Bektachya, 
Mouleya, Djelouatya, etc., de Turquie et 
d'Orient. Le vrai Khouan, celui qui poursuit le 
but de I'lslam, le panislamisme, et veut le faire 
triompher par tous les moyens, qui porte une 
.egale haine a la civilisation, au progres et au ca- 
tholicisme, ce Khouan-la,ilfautaller le chercher 
a Djegboub, la Charleston des Snoussya, ou 
dans les montagnes de la Kabylie, chez les 
Rahmanya. 

Dans les socie"tes secretes musulmanes, il y a 
les loges et les arriere-Ioges. II y a aussi des 
naifs auxquels on fail croire tout ce qu'on veut 
et qui ne sont admis dans 1'ordre que pour jouer 
le r61e des initie"s de la franc-maconnerie avec 
1'anneau. Qu'il y ait dans les societes musui- 
manes une doctrine particuliere, cachee, esote- 
rique qui n'est devoil^e qu'aux seuls et vrais 
inities, c'est ce qui ne peut faire 1'ombre d'un 
doute pour qui connait le fonctionnement des 
ordres religieux. II y a des choses que personne 
ne cherche a cacher ; quand nous parlerons tout 
au long de la secte des Ai'ssaoua, de leurs pra- 
tiques sataniques qui rappellent en tout les prati- 
ques sataniques que le D r Bataille a dites ausujet 
de Tempire du milieu et des diableries du Dalai- 
Lama, quand nous parlerons, dis-je, des jongle- 
ries des A'issaoua, car il y a, en effet, jongleries, 
mais ajoutons vite, il y a aussi satanisme le plus 
souvent ; on sera etonne de lire, dans le manus- 
crit, qu'il y a cinq pratiques, tandis que le ma- 
nuscrit mis a la disposition du profane n'en con- 



106 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

tient que cieux. Les A'issaoua, disons-le franche- 
ment, soot d'habiles jongleurs, mais nous sotn- 
mes certains que sous ces habiles jougleries 
dont ils amusent les habitants des Allies de TAl- 
gerie, ils cachent vraiment des pratiques sata- 
niques. Meme nous montrerons dans un cha- 
pitre special que le vrai A'issaoua est satauiste, 
car beaucoup de jongleurs s'affublent de cenom 
pour tromper le peuple. Et ce n'est pas seu- 
lement dans cet ordre qu'il y a des secrets. 
Sid Abd-el-Ouhab-ech-Charani ne nous ensei- 
gne-t-ilpas que les Ghadelya ontdes secrets par- 
ticuliers ? 

G'est done toujours le m&ne systeme et les 
m ernes moyens employes par Satan. Quoiquetous 
ne soient pos capables de comprendre les myste- 
res sacres qu'il a voulu faire connaitre a ses 
fldeles, il ne faut cependant rebuter personne, 
ne chasser personne. Quoique d'une intelligence 
au-dessous de lamoyenne, on peut tirer de lui de 
grands avantages. D'abord ceiui dont nous ve- 
nons de parler, qui certes n'est pas petit, etensuite 
quelques metaux : plus il sera faible d'espril, 
plus on pourra lui persuader que, pour le salut 
de son ame, il doit souvent delier sa bourse, et 
verser dans le tronc de Pceuvre d'abondantes 
ziara. Avec cela, le ciel lui est promis. Aussi, 
tout Moqaddem qui veut vraiment Stre le Gheikh 
et Terbia (maitre de 1'education, de la formation 
du Khouan), tout Moqaddem divise ses disciples 
en trois categories, le meilleur des f reres, le 
meilleur ou Felite sans addition de rien, enfln le 
servum Pecus dont on devra faire Instruction 
progressive ; peut-tre pourra-t-on le faire aril- 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 107 

ver a la parfaite lumiere apres Tavoir un peu 
degrossi. 

Le plus important devoir que le Khouan doive 
a ses freres est la discretion : malheur a lui, s'ii 
venait a y inanquer. Quant a la charite qu'ils 
doivent avoir les uns pour les autres, elle est le 
digne pendant de celle qu'ont entre eux les 
francs-magons. II faut d'abord bien distinguer la 
theorie et la pratique, car il est impossible que 
la concorde regne longtemps parmi les adeptes 
de Chitan, et puisque Eblis ne peut pas faire 
regner 1'amour dans son royaume entre ses 
associes, comment reussirait-il sur la terre? Mon 
enfant, ferme les yeux sur les defauts de ton 
frere, et sache que celui qui devoile les peches 
de son frere, enleve le voile qui couvre les siens. 
Quand, devant toi, on dira du mal d'eux,. ferme 
ton oreille pour ne rien entendre. Cheris ceux 
qui les cherissent, aide ceux qui les aident, de- 
tesle ceux qui les detestent, tue ceux qui les 
tuent. Sois envers eux franc, simple et humble; 
dans leurs maladies assiste-les, ferme-leur les 
yeux et ensevelis-les pieusement ; sois avec eux 
d'un m^rne esprit etjfun m^me coeur, et, lorsque 
devant quelqu'un tu paries de ta societe, n'en dis 
jamais du mal, mais vante-la comme si e'etait la 
premiere du monde. Toutes ces maximes sont 
admirables, cependant on y voit toujours la for- 
mule : dent pour dent, ceil pour ceil ; nos philan- 
thropes francs-macons ne voudront pas voir des 
freres dans des hommes ayant de pareilles 
maximes. Que voulez-vous, Satan s'est conforme 
aux mceurs du peuple, etpuis, consolez-vous, ils 
vous ressemblent sous d'autres rapports, comme 



108 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

vous leur ressemblez en mettant en pratique cette 
theorie que vous condamnez. 

Ainsi, comme tout recemment encore, vous 
Favez montre, 6 charmants philanthropes qui 
prchez partout 1'union et 1'amour, et vivez dans 
votre maison comme chiens et chats, les chefs 
des societes secretes musulmanes vous ressem- 
blent en tout point, vous n'avez pas pu vous en- 
tendre pour nommer un successeur et la division 
est parmi vous. G'est precisement la mme choss 
chez vos confreres : aussitOt que le chef a dis- 
paru, chacun oublie la magnifique theorie dont 
nous venons de donner quelques specimens, cha- 
cun veut etre chef, et aussitot, dans 1'ordre, so 
forment autant de congregations que de Moqad- 
dem ambitieux. G'est la la charite de Satan, ses- 
disciples marchent sur les traces de leur mailre. 
La regie recommande la franchise, ah ! oui, un 
Arabe tre franc, ne rien cacher a son Gheikh ! 
le pauvre malheureux, il serait pendu. Devant 
son Moqaddem, il sera doux et humble comme 
Raton, il flattera son maitre, rampera devant lui, 
baisera ses habits, fera tout ce qu'il lui comman- 
dera, mais au foni du coaur il sera plein de 
mepris pour lui, le maudira memo peut-etre, 
mais ii es trop avance dans la voie du mal, son 
intelligence est obscurcie, et sa volonte n'a plus 
la force de vouloir, bien qu'il ait la force de mau- 
dire. On le voit done, si la theorie est tres belle a 
part une ou deux rnaximes. ne croyons pas que 
ces societes soient un paradis ; nous resumerons 
tout dans ce mot : ils s'aiment comme les f rancs- 
magons s'aiment, comme les demons s'aiment. 

Quel a et<5 le motif qui 1'a fait entrer dans ces 
congregations? Pourquoiyreste-t-il?Parce qu'il 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 109 

y trouve son intert. Ici, nous allons fairo con- 
naitre les obligations du Khouan, et ses avan- 
tages. L'ouerd rucommande cinq choses au 
Khouan : 

L'eloignement du monde, 

La solitude, . 

Le jeune, 

La presence aux reunions, 

La ziara, 

La hadia, 

Le dikr. 

Nous allons nous etendre sur chacune de ces 
obligations, ce sera un moyen de faire penetrer 
le lecteur encore plus dans ces congregations 
musulmanes, et Ini en faire connaitre Tesprit. 

La premiere obligation est Teloignement du 
inonde, nous y joindrons la seconde, la sob'tude. 
La plupart des ordres religieux, pour ne pas 
dire tous, prechent en effet ce renoncement, 
cette solitude. JDeja nous en avons dit quelques 
mots, lorsque nous avons parle de 1'extase et de 
ses degre's. Le Khouan, en effet, est cense ne 
plus devoir s'occuper de ce monde. Nous avons 
dit le but de ces congregations : Qui veut la fin, 
veut les moyens ; aussi tout ordre religieux qui 
veut avoir une reelle importance, recommande 
a ses affilies les penibles mortifications de la vie 
ascetique. Dans la mystique de Gorres, nous 
lisons que le corps des saints peut arriver, a 
cause de 1'influence preponderante de Tame sur 
le corps, a se passer de nourriture pendant un 
certain nombre de jours, meme d'annees : que le 
corps n'est plus alors pour Fame d'aucun poids ; 
quetoutes les passions sont eteintes, que tous les 
besoins ne se font plus sentir, ennn que 1'ame 

LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 4 



110 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

jouit sur la terre d'une extase perpetuelle. Ainsi. 
sainte Magdeleine qui vecut tant d'annees, d'apres 
la tradition, sans prendre de nourriture, tant 
d'ames saintes qui vivaient, dans lo desert, de 
quelques herbes sauvages ou de quelques fruits 
que portait le palmier, et tant d'autres saints dont 
la vie sur la terre semblait 3tre plut6t la vie d'un 
ange que celle d'un homrae. Satan a voulu avoir 
des saints a sa facon, il a voulu favoriser ses 
elus d'extases et de ravissements. Aussi le Mo- 
qaddem recommande-t-il a celui de ses disciples 
qui semble avoir mieux compris que les autres 
le vrai but de 1'ordre, de s'habituer peu a peu a 
se passer de nourriture, et d'en prendre le moins 
possible. On a vante la sobriete des Arabes; 
pourquoi faut-il que nous apportions ici une note 
discordante a ces recits fabuleux qui plaisent 
tant a nos poetes. L'Arabe est glouton de sa 
nature, et il suffit d'avoir habite, non pas seule- 
ment visile en touriste 1'Algerie et toute 1'Afrique 
du Nord, pour en etre convaincu, il est sobre 
comme nos malheureux de France qui ne veu- 
lent pas travailler et se contentent, pour leur 
diner, d'un morceau de pain. Manger peu, et 
diminuer progressivement la quantity, eviler 
tout commerce avec les homines, vivre seul, 
retire dans la solitude, voila done la premiere 
recommandation. 11 y a un ordre que nous avons 
deja cite bien souvent, les Kaelouatya (de Khe- 
loua solitude), qui semblent .vouloir imiter nos 
ordres religieux. D'apres la tradition, un Khe- 
louati quelconque (il s'appelle Mohammed en 
Turquie, Omar dans d'autres pays, et serait mort 
au ix e siecle de 1'hegire, vers 1390-1400 de J.-C.) 
avait pris 1'habitude de passer de temps en temps 



LE DIABLE GHEZ LES MVSULMANS 111 

une douzaine de jours au pain et a 1'eau. Un jour, 
sans doute en sortant d'une extase, il entendit 
une voix qui lui disait : 6 Khelouati (Omar ou 
Mohammed, suivant les pays), 6 Khelouati, pour- 
quoi m'abandonnes-tu, et Omar ou Mohammed- 
el-Khelouaty (suivant les pays ou Ton se trouve), 
docile a cette voix du ciel, consacra toute sa vie 
a la retraite et a la penitence. Desormais, le 
Khouan, craignant sans doute d'entendre cette 
voix apres le douzieme jour, en consacra qua- 
rante a la retraite, au jeune et a la priere. Et 
pour qui repand-il ainsi de nombreuses prieres ? 
Pour le salut de son ame, pour le salut general 
de rislam, pour le pardon des peches, pour la 
paix, etc., etc. 

Mais comment faut-il entendre cet eloignement 
des hommes ? Est-ce settlement 1'amour de. la so- 
litude, comme chez nos religieux ? Non. Ge que 
recommandent les chefs religieux, c'est la haine, 
le me"pris de ce monde : le Cheik, voila le seul 
tltre qui doive desormais occuper toutes les pen- 
sees, toutes les affections de ses subordonnes. 
N'allez pas, ecrit Ghadeli a ses fldeles, avec celui 
qui seprefere a vous : c'est un homme mauvais, 
ni avec celui qui vous prefere a lui, ce sentiment 
ne durerait pas. Aimez celui qui aime et prie 
1 )ieu et allez avec lui. La faim et la soif, les 
souffrances physiques et les intemperies des 
saisons sont d'excellents moyens pour etouffer 
les passions de Tame, faire dominer Tesprit et 
arriver au but que se propose tout Khouan. De 
quelle utilite" sera done pour la societe cet indi- 
vidu qui se sera ainsi epuise, et, par une serie de 
jeunes excessifs, aura tellement surexcite le 
systeme nerveux qu'il aura sans cesse Tesprit 



112 LE DUBLB CHEZ LES MUSULMANS 

hant<3 de fantcimes et de visions. Dites a ces 
affili^s des zaouia de faire ce que font sans cesse 
nos religieux : lire, ecrire, refuter les erreurs, 
faire progresser la science, fouiiler toutes les 
vieilles bibliotheques, dechiftrer les manuscrits 
et cultiver encore, par-dessus tous ces travaux, 
toutes ces terres immenses d'ou ils tirent a la 
sueur de leur front, un pain que leur rendent si 
amer les generations ingrates. Ges memes 
hommes,qui proscrivent nos trappistes, nos char- 
treux, nos benedictins, parce qu'iis sont inutiles 
a la societe, feront 1'eloge de ces malheureux 
dont la figure fait reculer d'horreur : la face 
pale et livide, les yeux caves, sans force et sans 
energie, le menton retire, le front charge de 
rides avant 1'heure, 1'imagination sans cesse en 
ebullition; voila Foeuvre de Satan, voila ce qu'il 
faudrait proscrire. Le Khouan fuit la societe 
parce qu'il la meprise, parce qu'il voit dans ces 
hommes des etres qui lui sont inferieurs, il la 
fuit pour atteindre un but mauvais, il ne peut 
tre compare en rien avec nos religieux : le 
Khouan deteste la societe parce que, pour y 
vivre, il faut travailler, et. c'est ce qu'il ne veut 
pas ; ce qu'ii aime, ce qu'il preconise, c'est le 
doux farniente : Qu'on nous permette de 
citer ici quelques passages de Scherourdi (mort 
en Tan 632 de 1'hegire (1235 de J.-G.) Les Sche- 
rourdya nous semblent etre de tous les religieux 
musulmans ceux qui pratiquent le plus fide- 
lement les theories de la philosophie indienne ; 
leurs doctrines sont empreintes du plus affreux 
pantheisme, et tous ces religieux font leurs 
delices de vivre loin du monde, plonges sans 



LE DIABLE CHEZ LES MWSULMANS 113 

cesse dans la contemplation de 1'essence divine ; 
du moins, ils le croient et en sont persuades. 

Quand le soufi est parvenu a un degoiit 
parfait du monde, il ne conceit plus aucun souci 
relativement aux choses necessaires a sa subsis - 
tance : alors, Dieu lui fait connaitre les plus 
legers defauts de ses actions par des signes 
exterieurs qui sont comme une compensation de 
la faute dans laquelle il est tombe. . Par le bon 
usage quo le mystique fait de ces avertissements 
divins, il flnit par ne plus voir en toutes choses 
que 1'action de Die a, qu'il sait pourvoir a tout, 
inde"pendamment d'aucune action etrangere. 
Alors il renonce a tout moyen de gagner sa vie, 
meme a la mendicite, et c'est a ce moment quo 
Dieu fait que les choses dont il a besoin arrivent 
d'elles-m&nes, et qu'il lui ouvre encore la porte 
des bienfaits... Dans cet etat, le mystique est 
favorise" des manifestations de la Divinite, mani- 
festations dont ii y a divers ordres, et des qu'ii 
est arrive aux premiers degres de ces favours 
divines,.il ne reeoit plus sa subsistance que par 
des voies surnaturelles . (Cite par RINN, pages 
207-208.) 

Dieu a nourri les saints dans le desert, 
pourquoi Satan n'en ferait-il pas de meme? 
on le voit, partout et toujours il est le singo 
de Dieu : partout et toujours il favorise les 
passions de rhomme, ici, c'est Tegoisme, pousse 
au dernier degre" ; on ne voit que soi , rien 
que soi. Et puis, dans cette solitude, tranchons 
le mot. paresse, a quoi pensera-t-on ?; On sait 
lemot de 1'Esprit-Saint : Vossoli; et cet autre 
adage : La paresse est la mere de tous les vices. 
Y a-t-il une grande difference entre les fakirs 



114 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

de I'lade et les Khouan d' Afrique ? Nous avons 
demontre que le Soufisme avait apporte dans 
I'lslamisme les doctrines indiennes, et ce pan- 
theisme vague, kidetermine. Plus loin, quand 
nous parlerons du diker, nous verrons que sur ce 
point encore les Khouan ressemblent aux lama, 
avec cette difference, c'est que le Khouan est un 
vrai moulin a paroles, tandis que le sectateur de 
Bouddha fait dire sesprieres par des moulins qu'il 
s'est fabrique (1). Plus que 1'lndien, 1'Arabe est 
amoureux du merveilleux : il n'y a pas de per- 
fection ici : bas, s'il n'esl favorise de visions, et la 
perfection de cet individu est basee et graduee 
sur la quantite d'extases. Voila pourquoi ilfaut la 
solitude: voila pourquoi Satan, en youlant perdre 
les hommes de 1'Afrique, a su choisir si Men ses 
moyens. 

La solitude, les veilles, les jeunes, voila les 
moyens employes par les Cheikh pour dominer 
sur leurs affilies. Certes. ce moyen serait tout a 
fait inefficace en Europe ; mais les Arabes ne 
sont pas des Anglais ou des Allemands. Le diker 
achevera I'oauvre et mettra le malheureux affilie 
completement entre les mains du Gheikh. 

Qu'est-ce que le diker ? Le mot diker (de la 
racine dakara, mentionner) signifie exposition, 
mention. Le diker est 1'oraison particuliere a 
1'ordre, comme le Salve Regina chez les Trap- 
pistes, c'est mme le signe de reconnaissance 
entre les affilies d'un mme ordre. Le plus 
sou vent, c'est une invocation assez courte, tres 
courte meme, quoique, dans certains ordres, ii 
puisse atteindre une longueur vraiment derwe- 

(1) Voyage en Tnrlarie et au Thibet, par M. Hue. 5 mc edition, 
torn. I, page 328. 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 115 

surge, deux pages d'un in-S, caracteres fins, 
lignes serrees. Le diker sert de priere ; le diker 
sert de signe de reconnaissance entre affllies ; 
mais surtout le diker sert a abrutir 1'intelli- 
gence, c'est le moyen employe par les Gheikh 
pour pouvoir dominer certainement Jeurs 
Khouan. 

Qu'on ne se figure pas, en effet, le diker com- 
me le mot sacre ou de passe des affilies de la 
franc-maconnerie : rien de semblable ; le 
Khouan devra reciter son diker 100, 200,500, 
1.000 fois, et cela cinq ou six fois par jour ; ainsi 
cette for mule : II n'y a pas d'autre divinite 
qu' Allah, qui sert de diker a pfesque toutes les 
congregations musulmanes, deyra etre recitee 
JOO fois au moins, a tousles moments de la jour- 
nee ou il faut faire ses prieres. Essayez, ami 
lecteur, de reciter cette phrase rien que ICO fois, 
etvous nous direz 1'effet produit en vous; il n'est 
pas besoin de faire bien attention au sens, il 
suffit de le dire, de s'entendre, et de ne pas avoir 
d'autre preoccupation que de bien le reciter. 
Essayez done de Je dire 100 fois sans distraction 
et vous nous direz 1'efiet produit en vous par 
cette contention d'esprit; evidemment nous ne 
parlons pas auxdirecteursdeGrands-Seminaires 
ni a ceux qui, dans les ordres catholiques, sont 
charges de former les novices ; eux connaissent 
1'affreuse plaie du scrupule : tous les Khouan 
sont scrupuleux, mais sur ce point settlement, la 
loi de Dieu les tracasse peu ; et un meurtre ou 
un adultere est pour eux une petite, tres petite 
peccadille : mais ne pas bien reciter son diker ! 
ne pas y apporter toute son attention ! oh '. c'est 
le peehe" des peches, et le malheureux qui le fait 



116 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

merite 1'enfer. G'est bien a eux qu'on peut appli- 
quer les paroles de Jesus-Christ : Us avalent un 
chameau, et arretent une paille. Ne croyons pas 
que le diker ne soil compose que d'une phrase, 
d'un mot : allons done, ce ne serait pas suffisant, 
et pendant qu'on y est, il faut abrutir lout a fait, 
Nous allons donner,a titre de specimens,qtielques 
diker. Voici celui des Qadrya, 1'ordre le plus 
saint de 1'Islam, fonde par Abd-el-Kader-el- 
Djilani (561 de 1'h., 1165 de J.-C.); il suffitde 
reciter 165 fois, a la fin des cinq prieres obliga- 
toires et aussi souvent qu'on le pourra, la 
parole sainte : 11 n'y a de divinite que Allah ! 
Ge diker est le seul donne par les dipldmes de 
Bagdad ; quelques branches y ajoutent les deux 
prieres suivantes : 

100 fois : (Que Dieu me pardonne). 

100 fois : Dieu, que Dieu repande ses bene- 
dictions sur notre Seigneur Mohammed, le pro- 
phete ignorant comme 1'enfant qui tete. 

Ce n'est pas tout : les plus avances en perfec- 
tion y ajoutent, suivant Snoussi, las prieres suir 
vantes : 

Reciter la fatiha apres les prieres ordinaires : 

121 fois : Dieu repandez vos benedictions 
sur notre Seigneur Mohammed, etsur sa famille, 
un nombre de fois 100.000 fois plus grand que 
celui des atomes de Tair, benissez-le et accordez- 
lui le salut ! 

121 fois : Que Dieu soit glorifie ! Louange a 
Dieu, il n'y a de divinite que Allah, Dieu est tres 
grand, il n'y a de force et de puissance que dans 
le Dieu Tres Haut et Tres Grand. 

121 fois : cheikh Abdel-Kader-el-Djilani, 
quelque chose pour Dieu. l 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 117 

line fois la sourate de Ya-sine. 

41 fois la sourate commencant par : Est-ce 
que je ne m'explique pas. 

121 fois : la sourate commencant par : Lorsque 
viendra le secours de Dieu. . . 

121 fois encore la priere : Dieu repandez, etc. 

Ge n'est pas encore fini : ceux qui savent lire 
doivent reciter 8 fois la sourate de la fatiha, y 
compris la formule : Au nom de Dieu, etc. 

Reciter la sourate d'El-Ikhelas. 

Enfin dire 3 fois : Que Dieu repande ses bene- 
dictions sur le prophete. (Cite par RINN : pages 
184-185.) 

Ges prieres sont tou j ours recitees dans les hadra. 

Presque tous les diker se composent de ce3 
deux phrases : Je demande pardon a Dieu, il n'y 
a d'autre divinite que Allah; mais le nombre de 
fois que chacun le doit reciter varie suivant les 
ordres ; souvent aussi, presque aussi souvent 
que les deux autres, on trouve la phrase suivante : 
ODieu, repandstes benedictions sur le Prophete, 
sa familie et ses compagnons. 

Nous allons donner encore le diker des Cha- 
delya. Chadeli lui a donne son nom, bien qu'il 
n'en soit pas le premier fondateur : il n'est que 
le troisieme superieur general : Abou Median, ne 
a Seville (520 de 1'h., 1120 de J.-C.), cut comme 
"successeur Abd-es-Sellem-ben-Machich, contem- 
porain du sultan Abd-el-Moumen qui fonda la 
dynastie des Almohades et voulait re*tablir 
1'imamat a son profit. La principale gloire d'Abd- 
es-Sellem f ut d' avoir choisi pour son succosseur 
Ghadeli. L'ordre des Ghadelya compte plus de 
vingt ordres differents, qui se declarent tous 
fils du grand Ghadeli. Deplus, beaucoup d'ordres 

LE DIABLE CHEZ LES MDS0LMANS 4. 



118 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

ont a peu pres le mme diker; en citant le diker 
de cet ordre, nous ferons connaitre celui des 
autres. Ben Machich, le maitre de Ghadeli, 
avail donne pour tout diker le mot Allah a dire 
continuellement : il fallait appuyer sur la lettre 
1 et prolonger le son a. Le diker 6tait Men court 
et bien precis et tout individupouvait 1'apprendre 
et le retenir facilement : repeter sans cesse le 
nom de Dieu, que fallait-il de plus, ou trouver 
une priere plus efficace ? Ge diker rappelle invo- 
lontairement 1'invocation de saint Francois 

o 

d'Assise: Deus wtfwseZomma.lNousn'etonnerons 
personne en disant que les tiedes devaient se 
contenter de le dire quelques fois par jour ; et 
1'effet qu'on voulait obtenir n'arrivait pas. Aussi 
Ghadeli y ajouta 1'invocation suivante : Iln'y 
a de Dieu que Allah, la ve"rite souveraine ; 
Mohammed, le vrai, le fidele est le prophete de 
Dieu. Peu a peu le mot Allah du diker primitif 
a fait boule de neige, et voici le diker en usage 
de nos jours (Cite par RINN : d'apresle cheikh 
El Missouri! qu'il avail consulte a ce sujet) : 

100 fois : Je demande pardon a Dieu. 

100 fois : Que les graces divines soient sur 
le Prophete. 

1.000 fois : II n'y a pas d'aulre divinite que 
Allah. 

Ge diker est recite par ceux qui suivent le 
sons litteral des ecritures, tels que les zianya, 
mais ceux qui suivent le sens mystique et cache 
recitent le suivant, en y ajoutant les louanges et 
les attributs de Dieu, etc. : 

100 fois : Je demande pardon a Dieu. 

100 fois : Que les benedictions de Dieu soient 
sur le Prophete. 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 119 

100 fois : II n'y a pas d'autre divinite que 
Allah. 

Peut-etre sommes-nous dans Ferreur: mais 
nous croyons qu'un Khouan doit etre peu dispos 
quand il a recite toutes ces invocations, surtout 
quand on connait les qualites que la recitation du 
diker doit avoir. 

Pour bien s'acquitter de cette obligation, il faut 
remplir, enseignent les cheikh Ghadelya, vingt 
conditions. Avant de reciter il faut : 1 abandon- 
ner toute preoccupation, toute pensee etrangere : 
saint Bernard laissait a la porte de FEglise 
toutes ses preoccupations ; 2 avoir fait ses ablu- 
tions ; 3 remplir son coeur de 1'important devoir 
qu'il va remplir; 4 se figurer le Cheikh donnant 
sa benediction ; 5 demander Fassistance du 
Cheikh.Quand ces conditions seront remplies, on 
pourra reciter le diker. II faudra remplir douze 
conditions, nous n'en enumereronsquequelques- 
unes, qui sont gcne*rales a tous lesordres, elimi- 
nant celles qui sont particulieres aux Ghadelya. 
II faut choisir un endroit sombre et ecarte autant 
qu'on le peut, fermer les yeux pour n'Stre pas 
distrait par les choses exterieures, placer devant 
ses yeux Fimage fictive de-son Gheikh qu'il fau- 
dra tenir au courant de toutes les sensations que 
Fon eprouve, au fur et a mesure qu'on penetre 
dans les choses cachees ; choisir de preference, 
dans le diker, la formule : II n'y a de divinite 
que Allah, qui est la formule la plus efflcace. 
Quant aux conditions qui doivent suivre le diker, 
ce sont le silence, le bannissement de ses propres 
pensees et surtout ['abstention de toute boissou. 
En effet, le diker communiquant a Fame un ar- 
dent desir de s'unir a Dieu, lui communique en 



120 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

meme temps une grande chaleur, qu'il faut bien 
se garder d'etancher, ou empgcherait de la sorte 
les liaisons de 1'ame avec Dieu. 

Le lecteur comprend maintenant ce qu'est le 
diker : e'est une oraison jaculatoire, le plus 
souvent, que les Khouan repetent a satiete en . 
s'aidaut de leur chapelet ; que deviendrions-nous 
si 1'Eglise nous imposait de 50 a 100 chapelets 
a reciter par jour, sans aucune distraction? Voila 
la condition des Khouan. On comprend pourquoi 
les superieurs 4e tout ordre y attachent la plus 
grande importance. Les plus grandes favours 
sont attachees a cette recitation : quiconque a 
entendu dans sa vie une fois tout son diker, et 
1'a re*cite" une seule fois- sans aucune distraction 
est sur de son salut. II est done bien facile de 
gagner le ciel, et on n'est pas etonne que ces 
hommes qui portent un tel mepris au monde, 
s'attachent avec tantde perseverance a leur diker 
Quelle fatale influence doit avoir sur 1'homme 
affllie a ces societes une telle pratique. De quoi 
est capable un homme qui a marmotte quatre, 
cinq, six mille fois dans un jour, des phrases 
comme cellesque nous avons citees. Quelle sera 
son energie morale ? Quelle sera la force de son 
caractere? Quelle sera la force de son intelligence? 
Rien pour le coaur, rien pour Intelligence, rien 
pour la volonte dans ces invocations arides. 
comme le sable du desert, et qui dessechent ces 
pauvres ames d'une maniere plus terrible et plus 
irremediable que le vent brulant qui, apres avoir 
passe sur les sables du Sahara, vient dessecher 
les jardins du Sahel. Est-cela,nousle demandons, 
une invention humaine? Au moins les Chinois ne 
sont victimes que de la funeste habitude de 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 121 

Fopium, mais DOS Khouan, a la passion du 
hachich a laquelle presque tous sont adonnes 
afln de se procurer plus facilement 1'extase, ont 
encore, pour atrophisr leur intelligence, la prati- 
que dissolvante du diker. Aussi, tout ce qui cons^ 
titne le Khouan aux yeux du Cheikh, c'est la reci- 
tation du diker : de lasortecet hommesatanique, 
qui ne poursuit qu'un but : retenir ses semblables 
loin de tout progres et arreter les progres du 
catholicisme, cet homme ou plut6t cette brute 
veut. pour se servir des horames dont il a besoin, 
les dominer et les asservir, leur enlever ce qu'ils 
ont d'homme : leur intelligence et leur liberte. 

A ce principal avantage du diker, il faut en 
aj outer un autre, qui quoique secondaire, est 
cependant d'un grand secours : c'est un moyen 
de reconnaissance entre affilie's d'un mme ordre. 
Voici comment ils precedent a cette reconnaissan- 
ce. On a remarque" que les diker que nous avons 
cites sont composes ordinairement de trois ou 
quatre petites phrases : le premier dit la premiere 
invocation, et 1'autre repond par la seconde ; il 
sufflra de pousser 1'interrogatoire avecletroi- 
sieme pour savoir si vraiment deux affilies sont 
en presence. Bien que, dans beaucoup d'ordres, 
ce soient a peu pres les memes invocations, la 
confusion ne sera pas facile ; chaque ordre, en 
effet, a une intonation de voix differente, des 
pauses differentes, des modulations de voix 
differentes. Enfin,pour se reconnaitre plus facile- 
ment entre eux, quelques ordres ont des signes 
de reconnaissance, soit dans la maniere de prier, 
soit en portant un anneau de fer au chapelet 
comme les Kerzazya, soit un habit de telle cou- 
leur. Bien plus, certains ordres ont plusieurs 



122 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

mots mystiques connus d'eux seuls, afin de se 
reconnaitre d'une maniere certaine. Ces mots 
correspondent aux mots sacres, etc., de lafranc- 
maconnerie. II y a done un tuilage par mi les 
Khouan. et il est aussi complique que celui des 
loges. 

11 y a un ordre marocain, les Taibya, essen- 
tiellement politique, dont nous parlerons au cha- 
pitre suivant, qui a le diker plus complique ce 
nous semble, et rend de la sorte la reconnais- 
sance entre Khouan beaucoup plus facile. Nous 
allons le donner in-extenso-. Ge sont des phrases 
du Goran, prises de ci, de la, et simplement 
juxtaposees. 

I. Toutes les bonnes actions que vous ferez 
dans votre interet, vous les retrouverez aupres 
de Dieu, cela vous sera plus avantageux ; cela 
vous fera gagner une recompense plus grande ; 
demandez pardon a Dieu, car il est bon et mise- 
ricordieux. (Sourate 73, verset 20.) 

II. Louez le nom de Dieu avant le lever et le 
coucher du soleil. 

III. Les anges du prophete prieront pour vous. 

IV. Dieu et les anges honorent le Prophete. 
croyants, benissez son nom et prononcez-le avec 
veneration. v 

V. Sache qu'il .n'y a pas d'autre divinite que 
Allah. 

1) Demandez pardon a Dieu le clement, le 
misericordieux. Repeter 100 fois. 

2) Gelebrez Dieu, chantezseslouanges. 100 fois. 

3) Dieu, repandez vos graces sur notre Sei- 
gneur Mohammed, sur ses femmes et sa famille. 
50 fois. 

4) Dieu, repandez vos graces sur notre Sei- 



LB DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 123 

gneur Mohammed, votre en voye, sur safamille ! 
ses compagnons : qu'on prononce son nom avec, 
veneration, repeter 100 fois. 

5) II n'y a pas d'autre divinite que Allah , 
Mohammed est le prophete de Dieu ; que Dieu 
repande sur lui ses graces ; qu'il regoive le salut. 
100 fois. 

Voici la maniere de reciter ce diker : 

Les phrases marquees du chiffre romain s'ap- 
pellent clef, de la priere marquee par le chiffre 
arabe correspondant au chiffre romain : I, 1; 
II, 2. Ghacun des cinq versets du Goran marques 
d'un chiffre romain doit Stre dit 3 fois ; apres 
quoi, il f aut passer a la priere marquee en 
chiffres arabes, et la dire autant de fois que nous 
rayons indiquee. On passe ensuite au chiffre 
II, etc. 

Quand deux affilies veulent se reconnaitre, 
celui qui demande le mot, prononce la priere, 
celui qui le rend, repond par le verset corres- 
pondant. (RiNN, p. 378.) 

Nous croyoris nous etre etendu assez sur cette 
obligation la plus importante de tout Khouan, le 
diker. 

Le lecteur peut se convaincre maintenant par 
Iui-m6me de la verite de ce que nous annoncions. 
II n'y a pas un seul auteur qui ait ecrit sur ce meme 
sujet que nous, qui n'ait eleve la voix centre cet 
abus qui abrutit 1'homme, atrophie son intelli- 
gence et fait de lui une brute entre les mains de 
son Gheikh. Tous, Brosselard, Hanoteau, Rinn, 
se sont eleves avec indignation contre ces prati- 
ques stupides, sans aucune utilite pour 1'intelli- 
gence et le coeur. 

Ge n'est pas tout cependant d'avoir des hommes 



124 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

et de les dominer, il faut aussi de 1'argent : le 
naif Musulman se laissera enlever le peu qu'il 
a pour satisfaire 1'avidite de ses Moqaddem. 
Gelui-ci a trois sortes de revenus : la ziara, la 
hadia, et la ouada; quelques mots pour faire 
saisir la difference entre ces mots : la ziara 
(visile a une personne superieure, surtout aux 
lieux saints) signifie, dans le vulgaire, offrande; 
earliest entre dans les moeursdesMusulmansde 
ne pas visiter les tombeaux des saints sans faire 
des offrandes ; la hadia (cadeau) est une amende 
imposee pour le profit du saint ordre a tout 
Khouan qui s'est rendu coupable de quelque 
faute ; enfin, la ouada (faire un voeu, promettre) 
est 1'offrande que Ton vient deposer sur le torn- 
beau d'un saint dont on a obtenu une faveur. 
La ouada, evidemment, ne peut etre obligatoire; 
chacun fait des voeux a sa fantaisie, et offre 
comme il a promis. Disons seulement que c'est 
la une source de revenus assez abondants sur- 
tout pour les petits marabouts qui doivent vivre 
du produit du tombeau de leur ancetre declare 
ouali par la voix du peuple. Nous croyons 
cependant que certains ordres doivent retirer 
d'assez gros benefices de ce point, car leurs fon- 
dateurs ont acquis un grand renom de saintete, 
et c'est surtout aux grands saints que le peuple 
a recours. Nous ne nous/occuperons que dela 
ziara et de la hadia . 

La ziara, avons-nous dit, est 1'offrande que 
tout boii Musulman depose sur le tombeau d'un 
ouali qu'il est venu visiter : en appareace, cette 
offrande est libre, au fond elle est obligatoire, et 
le marabout sait bien la reclamer des retarda- 
taires ; c'est la son casuel, c'est avec ces off ran- 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULJ^ANS 125 

des qu'il pourra vivre. Mais le Khouan doit a 
1'ordre cette offrande ; c'est une redevance 
ammelle qu'il lui paie, equivalent a ce que don- 
nent a la Societe dont ils font partie, les francs- 
macons. L'ordre soutiont le Khouan et lui 
accor de de grands avantages, minimes il est vrai 
au temporel, mais immenses au spirituel. II est 
juste et raisonn able que ces avantages soient 
payes. Aussi le Moqaddem, qui doit transmettre 
auchef de 1'ordre toutes les offrandes, envoie le 
chaouch a la maison du retardataire, et le force 
a donner de gre ou de force. Ge ne sont pas eux, 
qui, en general, se plaindront : ce peuple est 
essentiellement religieux, et il respecte ceux 
qui aupres de lui remplissent la place de Dieu . 
Aussi, pas un murmure ne s'echappera de sabou- 
che. 11 n'aura dans son gourbi que la quantile 
d'orge absolument necessaire pour preparer la 
galette a sa femme, a ses enfants, et assez de 
grains pour nburrir son cheval : n'importe, il ne 
se plaindra pas ; le Moqaddem, lui, homme sans 
coeur et sans entrailles, puisera dans le tas, 
prendra la quantite absolument exigee sans se 
mettre en peine si les enfants n'en souffriront 
pas; mais qu'importe ? est-il Moqaddem pour 
rester toujours pauvre ? Aussi, nous louonsplei- 
nement 1'autorite frangaise, qui, dans toute 
1'etendue de territoire soumis d'une maniere 
effective aux armes de la France, a regie" la 
perception des ziara, disons le mot, les a inter- 
dites. Peu a peu, le pouvoir d'en accorder la 
perception a et6 enleve aux autorites locales, 
puis aux commandants de cercle, puis aux gene- 
raux et aux presets. Maintenant, il n'y a que le 
Gouverneur general qui puisse 1'autoriser. 



126 LE DIABLB CHEZ LES MUSULMANS 

Qu'il tienne ferme ; qu'il n'accorde jamais cette 
autorisation qu'autant que le lui permettra la pru- 
dence ; et c'est le vrai moyen, le senl moyen 
politique d'arreter les progres des ordres reli- 
gieux. G'est la ziara surtout qui remplit leurs 
coffres : et sans argent que pourraient-ils faire ? 
Leur oeuvre se reduirait simplement a une ins- 
titution ayant seulement pour but d'abrutir les 
affilies, mais ils no pourraient jamais lutter 
centre la civilisation. 

Dans les pays ou les autorite's du lieu ne pro- 
tegent pas soit celui qui ue veut pas la payer 
soit celui qui ne peut la payer, cette perception 
donne lieu a une suite de vexations dont nous 
ne pouvons nous faire une idee. Ghacun veut 
avoir sa part, chacun doit avoir une ziara qui 
ira remplir sa bourse depuis le chef jusqu'au 
simple Chaouch envoye par le Moqaddem ; que 
restera-t-il au malheureux quand il aura du 
rassasier ces ogres : le Gheikh, le Khalifa, le 
Naib, le Moqaddem, 1'Oukil et le Chaouch? Et ce- 
pendant le Musulman fldele ne se plaint pas : 
Tout ce que nous avons est a Dieu, prenez tout 
ce que vous voudrez,. et que Dieu nous rende 
tous meilleurs ! G'etait ecrit. Voila sa con- 
solation ! 

La hadia est, avons-nous dit, une amende 
infligee aux Khouan negligents qui sont tombes 
dans quelques fautes. Ce mot a aussi un sens 
particulier que nousferons remarquer. Lorsque, 
en temps de trouble et de guerre entreprise 
pour la cause sainte, les. chefs indigenes re- 
fusentde faire cause commune avec les Khouan, 
ils courent grand risque de voir tous leurs biens 
pilles, et eux-mSmes d'etre massacres. Pour 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 127 

e"viter cos malheurs, ils consentent a payer une 
certaine redevance au chef de 1'insurrection, soit 
un cheval, soit des armes, moyennant quoi ils 
sont stirs toujours de se tirer sains et saufs de 
la bagarre : premier avantage, celui qui aura 
paye la hadia ne sera pas assassine, au debut de 
guerre sainte, pour n'avoir pas voulu y prendre 
part ; deuxieme avantage, si les Francais sont 
vaincus, il pourra conserver sa place. Chose 
bizarre, ces chefs qui ont du payer cette rede- 
vance et qui devraient, ace qu'il nous semble, 
embrasser la cause musulmane, viennent com- 
battre dans nos rangs ; n'est-ce pas le moyen de 
manager tout a la fois et la France et les Mu- 
sulmans, et d'etre toujours du cote du vain- 
queur ? 

frous avons fait connaitre les principales obli- 
gations des Khouan. Elies se reduisent a deux 
principales : le diker et la ziara : le premier 
pour former 1'individu a 1'obeissance, lui mettre 
sans cesse devant les yeux 1'image du Cheikh 
et produire dans son elre les plus facheuses con- 
sequences : atrophie de 1'intelligence, surexcita- 
tion du systeme nerveux; perte de tout sentiment 
et de toute affection. Le vrai Khouan adonne, 
selon les recommandations de son Gheikh, a 
la solitude, auxveilles,aux mortifications de toute 
sorte, ne connait personne ici-bas ; 1'image seule 
de son Gheikh hanle sans cesse son esprit : les 
prieres qu'ii doit dire, pour emprunter la pensee 
a un auteur musulman, doivent tellement s'iden- 
tifier avec son ame et tout son etre, qu'on les 
dirait unies par la creation. Inutile a la societe 
qu'il ne veut plus ser^ir, c'est un etre qui est le 
rebut du genre humain . Heureusement qu'il n'es 



128 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

pas consequent toujours avec ses principes. Si 
ce moyen abrutit liionirne et n'en fait qu'une 
machine irresponsable entro les mains de son 
Cheikh, le second .remplit la caisse et fait mar- 
cher I'oeuvre. Quel est le moyen le plus i\6- 
cessaire ? Nous laissons la question alasagacite 
des lecteurs. 

Faisons connaitre a present quelques-uns des 
avantages qui ont pu attirer le Khouan dans 
cet antre maudit. Beaucoup, en Europe,. entrant 
dans les societes secretes parce qu'ils esperent 
en retirer de grands avanlages temporels ; de 
preference ils seront choisis pour remplir tel 
poste ; c'est a eux que les freres viendront faire 
leurs achats, et certes, leur gain est toujours 
considerable. En Afrique, c'est tout le contraire : 
on le comprend. Notre generation est plongee 
tout enliere dans la matiere ; son dieu, c'est Tor ; 
le lucre, voila son plus grand desir, voila le but 
supreme de ses efforts et de sa vie. Aussi, voyez 
comme chacun met des bornes au petit coin de 
terre qu'il possede ; il n'est pas satisfait de lui 
faire produire la quantite ne'cessaire a sa subsis- 
tance. Il'creuse les entrailles de la terre pour 
lui faire produire cent pour un et inonder les 
marches etrangers de son superflu. Le Musul- 
man rit de cette facon d'agir. Parcourez seule^ 
ment FAlgerie, et regardez par la fenfire des 
wagons : tandis que vous serez emporte a toute 
vapeur a travers des plaines magniflques qui 
pOurraient produire nutant que les plus vantees 
de 1'Amerique ; vous voyez par ci par la quel- 
ques touffes de jujubier et d'aubepines ; TArabe 
fera tourner la charruetoutautour, mais il aura 
bien soin de ne pas enlever cette touffe de 



LE VIABLE CHEZ LES MUSULMANS 129 

ronces. II cultivera tout 1'espace qu'elles lais- 
sent libre encore, et bientot, dans 20, 30 ou 40 
ans, ce champ que vous voyez cette annee con- 
vert d'une moisson assez abondante sera recon- 
vert de broussailles. Les preoccupations de 
1'Arabe sont tournees vers 1'autre monde :- ce 
qu'ii veut avant tout, ce qu'il desire avant 
tout, c'est jouir du paradis de delices que 
lui a tant vante son Prophete. Aussi, il prendra 
tous les moyens qu'on voudra bien lui indiquer 
pour y parvenir, et rien ne lui semblera trop 
difficile s'il obtient le ciel. Le malheureux affilie 
de la San-ho-houei, au meurtre duquel a assiste 
le docleur Bataille, nous repre"sente dans ses 
.desirs insenses de voir 1'empire de feu de Luci- 
fer, les desirs si ardents des Arabes d'aller au 
ciel. Entendez-vous ce malheureux suppliant le 
docteur de ne pas retarder davantage sa joie et 
son bonheur ? Le voyez-vous tendre vers lui ses 
deux bras, degoutants de sang? Ce malheureux 
n'avait-il personne sur la terre qu'il aimat? 
Voila Timage du Musulman en general, voila 
1'image surtout du Khouan. Le plus grand bien- 
fait que puisse lui accorder un homme, c'est de 
lui promettre le salut d'une maniere infaillible* 
Voila ce que lui promettent toutes les societes. 
Aussi, beaucoup, pour Sire certains d'atteindre 
le but certainement, se font initier a plusieurs 
ordres a la fois. 

Le second avantage, encore purement spiri- 
tuel, c'est le don d'extase. (lertes, cedonn'est 
pas a dedaigner pour les Musulmans avides de 
merveilleux, chez lesquels on n'est estime qu'en 
proportion de la saintete apparente, et pour 
lesquels un homme est d'autant plus saint qu'il 



130 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

est plus favorise de visions. De quel respect 
n'est-il pas entoure : tout le monde s'incline de- 
vant lui, lui cede la premiere place, baise ses 
habits, et deja pendant sa vie on lui offre des 
presents. Que faut-il davantage pour flatter son 
orgueil? Son mutisme sera regarde comme le 
signe de sa science ; son amour de la solitude, 
ses jeunes continuels, ses veilles sans fin, ses 
mortifications sans nombre feront connaitre 
1'ami de Dieu, celui qu'il a aime et prides- 
tine (1). 

Sans ioute,ce que nous disons-la ne peut s'ap- 
pliquer a tous les Khouan indistinctement; les 
neuf dixiemes se eonlentent du diker qu'ils reci- 
tent bien une fois dans leur vie pour gagner le 
ciel, et de la ziara ; mais le vrai Khouan, celui 
qui veut etre favorise d'extases, qui veut entrer 
en communication avec les esprits, celui, en un 
mot, qui veut mettre en pratique tout ce que 
nous avons dit au sujet des extases, eelui-la 
trouve aupres de ses compatriotes 1'amour, le 
respect et une profonde veneration. 

II y a aussi pour les freres moins zeles, pour 
leur sanctification, des avantages temporels qui 
sont a appre'cier. Si, a propos de la ziara a 
fournir, les chefs de 1'ordre font de vraies razzias 
parmi leurs subordonnes, nous avons vu qu'en 
revanche la restitution etait inconnue parmi eux. 
G'est facile a comprendre. Que peut-on se resti- 

(i) Tout le monde sail que dans Tlslamisme du litre de Marabout 
ne peut pas s'acquerir : on nait Marabout. Aussi, . beaucoup de 
Musulmans restent dans les ordres reiigieux pour pouvoir avoir 
une puissance et nn prestige au moins egaux, sinon superieurs au 
Marabout local. II sail grace au concours de 1'ordre auquel 
il appartient, il peut, sans instruction et malgre Fobscurite de sa 
naissance, ucquerir uu pouvoir reiigieux ogal, et quelquefois bien 
superienr a celni des Marabouts. (Hanateau ct Lelourneur, Ka- 
byles et coutumes kabyles, page 104 du tome II.) 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 131 

tuer entre freres? A cet avantage, ilfaut joindre 
les faveurs des gouvernements. Ainsi, nous 
voyons beaucoup tie congregations dispensees 
de payer 1'impdt : par exemple, dans la Tripoli- 
taine,les Snoussyajouissentdetoutesles faveurs 
de la Sublime Porte qui croit, dela sorte, s'attirer 
leurs bonnes graces. Nous en parlerons soit au 
chapitre suivant, soit quand nous dirons quelques 
mots, dans la 2 partie, sur quelques ordres plus 
importants. A tous ces avantages, il faut en 
joindre un autre pour les chefs de caravanes 
qui veulent traverser le Sahara. On peut dire 
sans crainte que la porte du Sahara est entre les 
mains des societes secretes. Elles laissent entrer 
qui elles veulent, elles laissent voir ce qu'elles 
veulent, faire ce qu'elles veulent. Qui dira jus- 
qu'a quel point elles sont melees a tous les 
desastres des expeditions qui etaient chargees 
d'explorer cette partie de 1'Afrique. Ou a ete 
decretee la mort des missionnaires massacres ? 
Qui saura jamais le dernier mot sur la malheu- 
reuse expedition du colonel Flatters? Etreaffilie 
a ces sectes, est done un moyen sur de voyager 
sans crainte et de voir ses caravanes a 1'abri du 
pillage. 

Enfin, sublime et derniere consolation, quand 
ses freres apprendront qu'il est descendu dans le 
royaume de Lucifer, et que ce n'est plus en 
extase mais en verite qu'il voit le pere du men- 
songe, ils se reuniront pour prier pour le repos 
de son ame. 

Nous croyons avoir suffisamment fait connai- 
tre le fonctionnement de ces ordres religieux ; 
on a vu quels etaient leurs chefs et leurs pou- 
voirs, quels etaient les devoirs des affllies entre 



132 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

eux, et les obligations et avantages du Khouan. 
Le but que se proposent ces congregations, nous 
croyons 1'avoir suffisamment demontre ; d'abord, 
procurer a leurs affllies les visions etles extases, 
et les transporter ainsi loin du monde de la rea- 
lite ; c'est la,. nous le repetons, Tun des buts de 
ces ordres ; sans doute, la plupart des Khouan 
n'y arrivent pas, mais nous sommes convaincus, 
et nous croyons fermement que dans les zaouia 
il y a vraiment des manifestations diaboliques. 
Nous croyons que beaucoup d'adeptes sont en 
relation permanente avec les demons, et qu'ils 
apprennent d'eux la maniere d'agir dans telle 
et telle circonstance. On n'a qu'a se rapporter 
a ce que nous avons dit de 1'extase. II n'est 
pas possible, en effet, que ce sujet revint si 
souvent, dans presque tous les rituels, si de fait 
il n'y en avait pas. 

Dans ces zaouia, ne trouverait-on pas des 
homines qui, seinblables aux fakirs de 1'Inde, se 
laissent tomber en decomposition tout vivants, 
afln de pouvoir jouir plus facilement d'extases 
et de visions, afin de se rendre plus propices les 
demons et leur chef. Nous le repetons ici, aux 
deux derniers degres de 1'extase, il y a vrai- 
ment apparitions non de Dieu, mais du dtimon ; 
les Khouau se prosternent devant lui, Fadorent 
et lui rendent leurs hommages. La aussi done, 
Satan regoit un culte. A-t-on remarque ce qui 
arrive au 3 e degre", cettefumee qui enveloppe les 
10.000 lumieres et qui est un signe que celui qui 
1'apercoit doit renoncer a etre Mohammedi et 
Touhidi ? Ne serait-ce pas la aussi une election 
faite par Satan des Khouan qu'il aime particu- 
lierement I 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 133 

Nous voudrions maintenant penelrer plus loin 
dans ce mysticisme. Nous voudrions faire voir 
combien Satan sait tromper les pauvres malheu- 
reux qui se jettent dans ses bras, et les empe- 
cher de pratiquer n'importe quelle vertu. Quand 
on compare les diverses regies des ordres reli- 
gieux catholiques avec celles des ordres musul- 
mans, on est etonne d'une chose : les premieres 
poussent 1'homme a la vertu, les secondes, sous 
le pre*texte dela vertu, les poussent au crime. Les 
premieres enseignent a ceux qui veulent les 
suivre que la premiere des vertus est 1'humi- 
lite; quetoute amequi veut vraiment faire des 
progres dans la voie de la perfection ne doit 
jamais desirer ces graces extraordinaires, 
visions, extases, dons des miracles, de prophetie 
qui ne sont pas tou jours des signes ele sain- 
tete. Au contraire, les regies des ordres musul- 
mans font un commandement et une obligation 
a tout individu de souhaiter, de vouloir, bien 
plus, de chercher a acquerir, par des moyens 
mauvais, ces faveurs que Dieu n'accorde qu'a 
ceux qu'il a aimes specialement. Aussi, tandis 
que nos saints sont capables des plus grandes 
choses, la plupart des chefs des ordres religieux 
sont incapables d'agir ; nous avons dil; pourquoi; 
et pour nous, c'est encore la un des signes du 
satanisme de ces congregations, car les chefs 
doivent pratiquer ce qu'ils ordonnent, et cepen- 
dant nous verrons Snoussi et ses fils travailler 
avec une ardeur infatigable a etablir leur ordre; 
nous montrerons meme que Albert Pike, malgre 
son activite infatigable, ne 1'atteint pas. On ne 
se figure pas ce que c'est que gouverner un 
ordre qui s'etend du TouataLa Mecque, alors que 

LE DIABLE CHEZ LES MUSULWANS 4.. 



134 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

les voies de communication sout loin d'etre sem- 
blables a celles de 1'Amerique. Quelles vertus fau- 
dra-t-illouer dans ces homines? leur frugalite el 
leur mortification? leurvertus'evanouitainsique 
les merites qu'ils ont acquis a cause du but qu'ils 
se proposent ; leur amour du silence et de la 
retraite ? G'est un moyen de f avoriser leur 
paresse et leur apathie naturelle ; mais cet 
amour de la solitude n'est pas bon, car ils sont 
inutiles a la socie"te. Que faudra-t-il done louer 
en eux ? Nous 1'ignorons; sous tous les rapports, 
sous tous les points de vue, nous ne trouvons en 
eux que des vices : orgueil, paresse, injustices 
sans nombre, du chef de Tordre envers les infe- 
rieurs, jusqu'au pauvre Khouan; voila leurs 
vertus, voila certes ce que nos franc-macons 
loueront en eux. 



GHAPITRE VI. 

Les ennemis des Ordres Religieux. 
Leur caractere politique. Les Taibya. 

Jusqu'ici, nous n'avons vu les ordres religieux 
que livres a eux-memes, prosperantdansl'ombre, 
et faisant de nombreuses recrues. Rien Jusqu'ici 
n'a semble" devoir entraver leur marche, et il a 
du sembler a quelques lecteurs que bientSt leur 
but allait tre atteint, que le panislamisme arrive- 
rait a son but plus vite que le panslavisme et sur- 
tout que le panhellenisme. Qu'ils se detrompent. 
Les ordres religieux musulmans devaient ren- 
contrer do terribles adversaires, qui certes ne 
leur ont pas manque. Nous allons done les voir a 
1'ceuvre ; nous allons voir tous les managements 
des gouvernements qui ont le plus a craindre, et 
aussi toutes les severites qu'ils ont du deployer 
contre eux, suivies tout a coup d'une influence 
plus grande de 1'ordre persecute. Ge seront la les 
deux grands ennemis : ce sera le c6te tragique- 
A c6te de cette grande lutte, nous aurons un peu 
de comedie pour nous egayer, etle lecteur verra 
qu'il n'y a pas qu'en Europe ou les moines et 
capucins soient Tobjetde la risee du peuple. 

En Algerie et en Turquie, il y a ce que nous 
appellerons les Marabouts independantset les Ma 
rabouts salaries par TEtat. Ghaque annee, 1'Etat 
depense en Algerie une somme assez rondelette 
pour payer ses pires ennemis. Nous savons Men 
que quelques-uns de ces gens salaries ne nous 



136 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

feront pas de mal, n'exciteront pas a la revolte 
leurs coreligionnaires, mais croyons-nous nous en 
faire des amis fideles ? Oui, nous reussirons une 
fois sur cent. Le Musulman, nous ne cesserons do 
le repe"ter, a une haine mortelle centre la civilisa- 
tion et le progres ; il est routinier de sa nature, 
a tel point qu'il prefere les pentes abruptes de 
son sentierala magnifique route dont le gouyer- 
nement a dote son pays. A cet amour de la rou- 
tine, il joint un amour presque egal du lucre, et 
pour lui la perfection serait de mener ici-bas une 
vie de delices, pour jouir encore des delices du 
paradis promis aux croyants. Aussi, malgre" la 
defense expresse que fait la tradition d'accep- 
ter aucun salaire pour les fonctions de Marabout 
ou de professeur, il se trouve des ames peu 
scrupuleuses qui veulent bien se faire les amis 
du gouvernement etabli. Les Ehouan, rigides 
observateurs de 1'Islam, criant sans cesse contre 
la corruption de leurs coreligionnaires, ne peu- 
vent pardonner ces transgressions aux repre- 
sentants de la religion et leur jettent sans cesse 
a la face ces paroles du docteur turc Mohammed 
ben-Pir-el-Berkaoui. Tout Musulman ne doit 
faire ni les fonctions d'imam, nirannonco de la. 
priere, n'enseigner ni le Goran, ni la theologio 
pourua salaire .(RiNN, page 9.) De la des haines, 
des querelles et des disputes entre Khouan d'un 
c6te, Marabouts et Eulema de Tautre. 

Ges querelles ne datent pas d'hier. Elles re- 
montent a 1'origine meme de 1'Islamisme, quand 
les Soufi firent leur premiere apparition dans 
I'lslam et voulurent y introduire les doctrines 
pantheistiques de 1'Inde st de la Perse. Gettelutte 
a continue toujours dans I'lslam avec des inter- 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 137 

valles de crise aigue ou de repos plus ou moms 
complet. Nous avons deja dit que plusieurs 
Soufi ont paye de leur tete leur attachement a 
leufs doctrines, et nous avons cite le cas de 
Scherourdi mis a mort au Gaire par Salah- 
ed-din. 

Gette querelle .serait pour nous sans interet ; 
m.3is, de nos jours, elle a repris line recrudes- 
cence qu'elle n'avait pas eue jusqu'a ce moment. 
Depuis 1'occupation d'Alger et de son territoire, 
surtout depuis que la France a pris Tunis et que 
1'Angleterre a e"tabli sa domination effective 
SID on nominale snr 1'Egypte, un cri de fureur et 
de haine s'est eleve de tous les coeurs vraiment 
fideles a 1'Islam. Tous les Khouan ont rejete 
hors de la vraie religion tous ceux qui veulent 
servir les chre"tiens et regoivent d'eux un salaire. 
G'est en vain que les Marabouts ont essaye d'en- 
rayer leurs progres; ils ont voulu d'abord les 
faireparaitreheretiques. Les Khouan ont prouve 
leur orthodoxieparlachame. Alors, ils onl attire 
sur les derwich le ridicule, la ils ont reussi. La 
litterature arabe est remplie d'anecdotes 
piquantes et des railleries les plus fines contre 
les Khouan. Telle fable de Bidpa'i rappelle invo- 
lontairement un des fabliaux du moyen a~ge, ou 
toujours le moine devenait le dindon de la farce. 
G'etaient la des plaisanteries fines, agreables, 
deparees malheureusement trop souvent par de 
la grossierete. 

Ges tracasseries n'ont pas attire sur les Khouan 
les animosity's des fideles, et souvent, loin de 
diminuer leur influence, elles ne font que 1'aug- 
menter. Les Marabouts salaries sentent bien 
d'ailleurs eux-mmes la faussete de leur posi- 

LE DIABLE CHEZ LES MUSUUrANS . 4... 



138 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

tion; ils savent bien que la vraie doctrine de 
1'Islam condamne ces faux Marabouts, qui, par 
amour de 1'argent, transigent avec le pouvoir, 
ils savent bien que, d'apres le Goran, le sacer- 
doce et 1'empire doivent etre dans une m6me 
main, que le sacerdoce doit avoir le pas, que, en 
acceptant un salaire d'un gouvernement quel- 
conque, ils se placent au-dessous de lui, et sont 
par consequent en contravention directe avec la 
vraie doctrine. 

Aussi, malgre tout, envers et contre tous, les 
Khouan font des progres, et menacent peu a 
peu I'inliuence des Marabouts locaux salaries. 
Le peuple court a eux parce qu'il voit en eux les 
vrais representants de la religion. Nous autres 
Chretiens et catholiques, nous ne pouvons nous 
faire une idee exacte de i'etatdespeuples rausui- 
mans. Avant d'etre Turc, Syrien, Algerien, le 
Musulman est Musulman,ou plutot la nationalite 
n'existe pas pour lui; il est Musulman et c'est 
tout. Le pays natal lui tient peu au coaur. Un 
magrebi (marocain) que le sort jettera sur les 
cdtes de Syrie se trouvera tou jours dans sa 
patrie aussi bien qu'un languedocien que le 
hasard amenerait a Paris. Le christianisme a 
developpe chez nous 1'amour de la patrie ; nous 
sommes catholiques et francais, mais nous ne 
voudrions pas etre obliges de choisir entre les 
deux, et nous prefererions la mort plut6t que de 
perdre ces deux titres ; le Musulman n'a pas de 
patrie; il est citoyen de I'lslam, son roi c'est 
Dieu, c'est Allah, maitre absolu, qui, selon la 
saine doctrine du Goran, doit avoir ici-bas un 
vicaire qui commandera a tous les croyants, 
n'importe ou ils se trouvent. On voit que la 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 139 

theorie de la paix universelle remonte bien haul 
dans les siecles, .et que la franc-maconnerie ne 
Fa pas inventee. Chose curieuse : Partout ou 
Satan fait sentir son influence, ii n'est question 
que de philanthropic, de liberte, d'e"galite : ses 
adeptes en parlent precisemenl parce qu'ilsne 
les connaissent pas etque Thomme y aspire sans 
cesse. Ainsi done, malgre tous leurs efforts, les 
Marabouts et Eulema payes par un gouverne- 
ment pour remplir leurs fonctions on donner 
1'enseignement aux jeunes gens musulmans, ne 
pourront jamais contrebalancer 1'influence des 
Khouan. Le peuple, sans doute, s'amusera beau- 
coup de leurs jeunes, de leurs mortifications, et 
aussi de leur rapacite (pour employer le mot du 
P. Faber, c'est une faible compensation a leurs 
jeunes et mortifications), mats au fond il verra 
en eux les representants de la nationality qui, 
pour lui, se confond avec la religion. Longtemps 
encore les populations algeriennes repeteront le 
proverbe qu'ils aiment a faire entendre aux 
oreilles de Tetranger : Mefie-toi de la femme 
par devant, de la mule par derriere, et des 
Khouau de tous les cotes ; mais, malgre cela, 
elles le venereront, lui offriront avec zele et 
abondance tout ce dont il aura besoin, inclinera 
sa tele sous sa benediction, et se prosternera 
devant celui qui est en communication avec les 
esprits, et qui, guide par 1'esprit de Mohammed 
le prophete de Dieu, doit rendre a 1'Islam son 
eclat, sa gioire et sa splendeur (1). 
Le but que se proposent les Marabouts et les 

(1) Nous avons cite la diatribe de Charani contra les Khouan, 
et Tanecdote piquante ou il raconte qu'un denvich fanatique se 
laissa mourir de faim pour avoir voulu trop jeuner. 



140 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

Eulema en attaquant ainsi les Khouan est bon 
el louable ; ils ne triomphent pas, parce que 
Satan est avec les Khouan, parce que les Mara- 
bouts et les Eulema, pour vaincre, devraient se 
trouver dans le camp de Dieu ; or, ils sont dans 
le camp de Satan. Qui pourrait leur donner la 
force de triompher ? Nous en dirons autant des 
gouvernements turcs, qui ont voulu essay er de se 
defaire des ordres les plus ombrageux. G'est en 
vain qu'ils ont essaye, ils n'ont pu reussir. Pour 
les dompter, ils ont essaye deux moyens extr- 
mes : les rigueurs et les faveurs ; aucun des 
deux n'a reussi pour s'attirer leur amitie, et, 
aujourd'hui plus que jamais, la Sublime Porte 
doit craindre el trembler devant leurs exi- 
gences ; car elle doit aussi manager 1'Europe. 
Presse d'un c6te par les Khouan qui veulent bon 
gremalgre le ramener a la doctrine politique 
de I'lslam, arrester les progres toujours crois- 
sants de 1'Europe et de la civilisation et lancer 
sur elle leurs hordes fanatisees, presse d'un 
autre cote par 1'Europe menacante qui ne veut 
pas souffrir a sa porte un e*tat plonge dans la 
barbaric, sachant qu'il n'existe que parce que 
1'Europe le tolere a cause de sa faiblesse, et 
qu'au premier mouvement qu'il fera pour s'op- 
poser a elle, 1'Europe le jettera en Asie, le 
sultan de Stamboul hesite, et cette hesitation le 
perdra. Un jour ou 1'autre il sera victime du 
fanatisme des Khouan et tombera sous leur 
poignard. 

Depuis que 1'imamat n'existe plus, tous les 
gouvernements musulmans ont vu dans les 
ordres religieux de terribles adversaires. Aussi, 
les ont-ils combattus par tous les moyens 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 141 

possibles, ne reculant pas devant le massacre 
d'une foule de Khouan. Quo de fois les sultans 
ont essaye leur force et leur puissance centre la 
force et Ja puissance morale des Khouan : tou- 
jours ces derniers ont triomphe. Quand Si 
Mahmed-Ben-ATssa, fondateur de la secto des 
A'issaoua revint de ses nombreux pelerinages, 
suivi d'un grand nombre de disciples qu'attirait 
sa reputation de saintete, sa gloire fut assez 
grande pour s'attirer la haine du sultan de Md- 
quinez, Mouley-Isma'il. Tout le monde louaitle 
saint, tout le monde venait le visiter, tout le 
monde le vanlait et le glorifiait, en sorte qu'un 
etranger aurait cru que le vrai maitre etait Si 
Mahmed-ben- A'issa, le protege de Fenfer, le 
maitre du puits et de 1'olivier. Ge surnom a ete 
donne au fondateur des A'issaoua parce que, dit 
la legende, un olivier qu'il avait plante lui don- 
nait assez de fruits pour se nourrir lui et ses 
disciples, et qu'un puits qu'il avait creuse suffisait 
a leur subsistance. On voit combien 1'imagination 
populaire exaltait cet homme dont tout le merite 
est d'avoir rapporte de ses nombreux voyages 
quelques notions d'agriculture qui suffisaient a 
faire prpduire le centuple a une terre fertile 
jusque-la inculte. 

Mouley-Ismail ne put supporter plus longtemps 
que le peuple meconnut sa grandeur et cessat de 
lui faire la cour pour se rendre au gourbi d'un 
pauvre malheureux. II ordonna a Ben-A'issa de 
quitter surle champ Mequinez : le saint obeit, et, 
suivi de ses disciples, il sortit de la ville ; en 
route, ses nombreux disciples n'ayant rien a 
manger, avalaient des pierres, des serpents 
veninieux, et trouvaient, dans ces matieres indi- 



142 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

gestes, une excellente nourriture ; c'est la 1'ori- 
gine de ces tours prodigieux et diaboliques 
qu'operent les A'issaoua. Gelui qui fut le plus 
marri, ce ne fut pas le saint : le sultan etait 
occupe a faire batir de magniflques palais ; tous 
les ouvriers abandonnerent les chantiers pour 
suivre le saint dont ils se disaient disciples. 
Mouley-Ismail dut tolerer dans sa ville une auto- 
rite egale a la sienne : il rappela Ben-A'issa et 
lui permit de faire tout ce qu'il voudrait. Gelui-ci 
consentit a.rentrer, mais a une condition : c'est 
que ses disciples seraient dispenses d'impdts et 
clecorvees. , 

Voila quel fut le resultat de cette lutte. Les 
sultans sont convaincus que le tort est de leur 
cote ; un moment ils triomphent parce que la 
force vient a leur aide, mais que peuvent-ils 
quand tout un peuple acclame le saint de 
Lucifer. 

Presque tous les chefs d'ordres importants ou 
leurs successeurs ont eu a souffrir de la part 
des gouvernements musulmans. Ceux-ci ne trou- 
veront jamais un appui dans le peuple. Sans 
doute, comme nous 1'avons deja dit, le peuple 
tournera en ridicule le derwich, le Fakir ou le 
Khouan, il en rira a Foccasion et s'amusera de 
lui comme nous rions du bon capucin; mais 
les pratiques religieuses que s'imposent les 
derwich, et puis cette pensee que ce sont eux 
qui sont les vrais patriotes, qui refusent toute 
transaction avec 1'Europe et avec la croix ; qui 
sans doute s'inclinent devant le sabre du Fran- 
cais vainqueur et meme obeissent a ses lois (1), 

(i) \ r oici, en effet, le raisonnement que font les Klionan ; c'est 
Dieu i\i\ a permis que pour un moment le Francais domine : il 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 143 

si elles ne sont pas opposees a celles de Maho- 
met; mais aussi que ce sont eux qui ne traiteront 
jamais de la paix avec les Chretiens tant que le 
dernier des Musulmans ne sera pas libre chez 
lui et ne dependra pas de l'imam supreme : 
voila la force politique des Kliouan et ce qui 
les rend plus terribles que 1'Europe a la Sublime 
Porte. Elle le sent bien ; elle a essayeapeu pres 
tous les moy ens pour les gagner; de plus, le sul- 
tan sait bien que c'est grace a elles qu'il est 
parvenu au tr6ne, qu'elles 1'ont aide, esperanl 
trouver en lui un heroiique defenseur de 1'Islam. 
Souvent ces princes, inities eux aussi aux sectes 
musulmanes, comprenant le danger que court 
leur tr6ne, ont preferc la paix avec 1'Europe 
qu'avec leurs freres ; de la des massacres nom- 
breux, des suppressions d'ordres religieux qui 
bient6t,renaissantde leurs cendres,apparaissent 
plus terribles qu'avant leur destruction. 

Sous Mohammed IV, le vizir Kouprouli Mo- 
hammed Pacha voulut en finir avec quelques 
ordres : les Mouleya, les Khelouatya, etc., eprou- 
verent tour a tour la fureur de cet homme : 
qu'arriva-t-il ? Les ordres disparurent pour quel- 
que temps dans 1'ombre : ils laisserent passer 
cet homme qui n'usait de son pouvoir que pour 
les persecuter, pousse par 1'envie qu'il leur por- 
tait : le vizir disparut, et ou vit alors 1'impuis- 
sance des sultans ; ces ordres persecutes reparu- 
rent plus forts et plus vigoureux, portant, de 
plus,'sur leur front, 1'aureole de la persecution et 
du martyre. Dans notre siecle, en 1826, le sultan 
Mahmoud est celebre par la destruction du for- 

f aut done se soumettre, mais garder tonjours la ferme esperance 
que le Musulman rentrera dans ses droits. 



144 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

midable corps des janissaires, soldats redou- 
tables et terribles dont Fhistoire est ecrite, dans 
les Annales de la Turquie, avec le sang de leurs 
empereurs : le sultan tremblait devant eux, et 
cependant un d'entre eux parvint a s'en debar- 
rasser. Apres ce maguiflque coup d'essai, il 
voulut se mesurer avec Fhydre aux cent tetes 
qui renaissait toujours sous les coups de ses pre- 
deeesseurs : il commenga par les Bektachya. 
Pour trouver une execution semblable dans 1'his- 
toire nous devrions remonter aux Templiers : 
1'ordre des Bektachya fut juge selonles formes : 
le Cheikli-El-lslam,- le premier des muphti de 
I'lslam, le Papo de ITsIam, presidait lui-meme, 
avec de nombreux Eulema comrae assesseurs, 
le tribunal et 1'echafaud ou furent executes pu- 
bliquement le superieur etses deux Khalifa. 
L'ordre fut supprime, les Moqaddem exiles apres 
avoir vu leurs zaouia renversees, les malheu- 
reux Khouan obliges de changer d'habits et de 
vivre comme un simple Musulman. On croyait 
1'ordre disparu pour toujours, mais 1'hydre a 
cent tStes, coupez-lui en une, dix repousseront ; 
les Bektachya furent bientSt reorganises et re- 
prirent leur place au soleil . G'etait un echec de 
plus a ajouter aux autres si nombreux qu'avait 
deja essuyes le pouvoir du sultan : et le peuple. 
applaudit a cette resurrection, comme devait le 
faire tout vrai croyant. 

Fatiguee de massacrer, la Sublime Porte a 
essaye d'uu autre moyen, elle a voulu gagner 
a elle les ordres religieux. Le sultan a voulu re- 
lever son prestige aux yeux des croyants etfavo- 
riser ce semble ce mouvement de panislamisme. 
Mais 1'Europe est toujours la, qui le pousse sans 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS . 145 

cesse dans la voie du progres et de la civilisa- 
tion. II voudra manager la chevre et le chou, et 
probablement sera un jour la victime de Tun et 
del'autre. Ainsi, dans la Tripolitaine, les Snous- 
sya, qui sont certainement les plus terribles 
ennemis du sultan de Stamboul, les Snoussya 
onttous des postes importants et jouissent des 
plus grands privileges. Tous les Moqaddem et 
Khouan lettres qui desservent les Zaouia du 
littoral sont officiellement exemptes d'impots. 
Les autres affilies, quoique n'etant pas officielle- 
ment exemptes, paient ce qu'ils veulent au gou- 
vernement turc. Les Cheikh et non les employes 
de la Sublime Porte ont influence sur les popu- 
lations : celles du district de Ben-Ghazi sont 
toutes affiliees aux Snoussya, auxquels elles 
paient annuellement la ziara, bien plus fidele- 
ment que I'impdt aux caisses du beylik. Bien 
plus, a Ben-Ghazi mme, le plus grand person- 
nage n'est pas le gouvernement turc, mais 
T Oukil-Ech-Gheikh des Snoussya auquel le 
gouvernement turc alloue par mois la somme de 
500 piastres ; tous les gens qui ont une fonction 
quelconque re"tribuee par 1'Etat sont Snoussya. 
Enfln, dans d'autres districts a Test de Ben-Ghazi, 
les Gaimacans turcs sont plutdt toler^s : leur in- 
fluence est nulle ; et les Snoussya exercent leur 
domination sans contrSle aucun. 

Deja done, dans une province del'empire turc, 
ils commencent a faire la loi, a imposer leur 
volont^, et a agir a leur guise. La Sublime Porte 
croit s'en faire des allies ; elle ne reussira pae ; 
leurs progres continueront avec une marche 
encore plus effrayante si TEurope si la France 
en particulier ne s'y opposent. Et ce ne sont pas 

LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 5 



146. LE DIABLE CHEZ LES MUSTJLMANS 

settlement les Snoussya qui exigent en prin- 
cipe la necessite de revenir aux institutions 
primitives de 1'Islam. La plupart des ordres re- 
ligieux erigent en principe cette parole de 
Chadeli : Obeis a ton Gheikh avant d'obeir au 
souverain temporel. Sous le spe"cieux pretexte 
de vivre dans la solitude, les Khouan devront 
eviter de frequenter tout homme ayant le pou- 
voir. Jamais les Khouan vraiment fideles a 
leurs engagements sacres ne devront prendre 
part au gouvernement. Meme les ordres fran- 
chement devoues aux families regnantes et qui 
ont ete <3tablis afln de contrebalancer 1'influence 
des autres ordres comme les Taibya, au Maroc, 
ou les Madanya en Tripolitaine, dont le gouver- 
nement turc se sert pour combattre les Snoussya, 
ont conscience de leur superiorite et de leur im- 
portance : Ne craignez point, disait a ses dis- 
ciples le f ondateur des Taibya, ne craignez rien 
du gouvernement, ilne pourra vous detruire ja- 
mais et sans vous ilne peut rien, parole qui carac- 
terise bien 1'etat des gouvernements musulmans, 
meme entre les mains des societes qui leur sont 
devouees et la puissance de ces congregations. 

Ne croyons pas que les gouvernements 
n'aient pas, eux aussi, des auxiliaires, et que Fen- 
tente regne parfaitement dans cet antre de Satan ; 
nous avons cite les Taibya et les Madanya 
qui se sont mis a la disposition du gouvernement 
marocain et de la Sublime Porte. 

Nous allons direici quelquesmots deces deux 
ordres; nous verrons ainsi, sous son vrai jour, 
comment les ordres religieux jouent leur role 
politique, 

L'ordre des Taibya est pour ainsi dire 1'ordre 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 147 

national marocain, c'est lui ^qui combat de touto 
son influence (querelle de paroisse et d'ordre) 
la marche toujours envahissante des autres 
ordres religieux. D'apres une croyance assez 
repandue, le fondateur serait Mouley-Idris-Ben 
Abd-Allah, flls du Khalife Ali-Ben-Abou-Taleb, 
fondateur de la dyuastie des Idricites. II aurait 
fonde, a Fez, une celebre universite (vni e siecle 
de notre ere) ou se formerent un grand nombre 
de savants musulmans, qui se constituerent en 
association religieuse : au X\T siecle, elle se 
serait divise"e en deux branches. Le vrai fondateur 
vie cet ordre fut un descendant de Mouley-Idris 
qui s'appelait Mouley-Abd-Allah, affilie" aux Dja- 
'/oulya, branche des Chadelya. Ge fut lui qui 
fonda la celebre zaouia d'Ouezzan. Son but etait 
de porter atteinte a Tinfluence des Qadrya dont 
le siege est a Bagdad et de donner un ordre 
national au Maroc. Aussi la protection officielle 
de I'empereur lui fut toujoursaccordee. Cepen- 
dant il ne donna pas sonnom a 1'ordre qu'il avait 
fond6 ; ce fut son troisieme successeur : les 
Khouan, fiers des regies pleines de sagesse 
qu'il avait su leur donner, voulurent s'appeler 
de son nom : c'etait Mouley Taieb. Ge personnage 
passe pour tre 1'auteur d'une prophetie assez 
vjonnue en Algerie; il aurait promis a ses disciples 
la possession de toute 1'Afrique du Nord ; mais, 
avant que cette promesse recoive son accomph's^ 
semen t, les Francais doivent y commander en 
maitres. II continua les traditions de 1'ordre, et 
suivit toujours la meme ligne de conduite que 
ses predecesseurs. Ge fut lui, dit-on, qui, apres 
-avoir converti de nombeux negres du domaine 
1'Etat, les fit affranchir et en forma la garde 



148 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

noire, si fldele a 1'empereur. Get acte seul suffl- 
raita prouver queles Taibya sont devoues corps 
et ame au cherif, et que 1'empereur da Maroc n'a 
pas d'amisplus devoues. Dans toutes les circons- 
tances difficiles, le cherif d'Ouezzan intervient 
pour sauvegarder les interests de son prince. 
Sans doute, ils ne sont pas ses esclaves ; et, comme 
des serviteurs fideies ayant confiance dans leur 
fortune et leur puissance, ils peuvent dire sans 
exaggeration ce que leur disait Mouley-Taieb : 
Le sultan ne pourra pas se defaire de vous et 
ne fera rien sans vous. 

Ordre plutot politique que religieux, cette 
association ne produira jamais de ces exaltes 
dont nous avons parle au chapitre IE 6 . Les* 
visions, les extases, tout cela est a peu pres 
inconnu chez eux, et le diker que nous avons cite 
plus haut sert plutot de signe de reconnaissance 
que de moyen pour arriver a 1'extase. Le Cherif 
d'Ouezzan, toujours general de 1'ordre, n'est 
nullement hostile a la civilisation et au progres : 
il suit d'uh ceil anxieux la politique de 1'Europe 
et les convoitises des diverses nations sur son 
pays. Bien plus, le Cherif Abd-es-Sellem a voulu 
se placer lui-mme directement sous la protection 
de la France. Comme ici nous ne voulons pas 
parler des relations politiques des ordres reli- 
gieux et de la France, nous reservant de le faire, 
pour chaque ordre en particulier,dans la secbnde 
partie, nous ne citerons pas les nombreux faits 
a 1'appui de ce que nous avangons : il est certain 
toutefois que la France, depuis plus de cinquante 
ans, a de puissants amis aupres de 1'empereur 
du Maroc, et que presque tous les Cherif s 
d'Ouezzan qui se sont succede depuis 1830 nous 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 149 

ont ete favorables. Malgre tous les efforts des 
Taibya pour entrainer le Maroc dans le concert 
des nations europeennes, malgre tous leurs 
efforts pour faire sortir leur pays de 1'orniere 
musulmane, nous doutons qu'ils puisserit long- 
temps encore, livres a eux seuls, soutenir les 
efforts combines des Qadrya, des Derqaoua, 
Tidjanya et surtout des Snoussya. 

L'empereur du Maroc a done, dans les Taibya, 
des allies fideles sur lesquels il peut compter; 
faut-il en penser autant des Madanya? Servent- 
ils avec autant de zele les interests du sultan de 
Stamboul ? Evidemment non. L'empereur de 
Constantinople, qui favorise tant les Snoussya 
dans la Tripolitaine, voudrait cependant opposer 
au torrent qui vatout ravager une digue assez 
puissante. Les Madanya ne sont qu'une branche 
des Derqaoua, qui se rattachent a la grande 
famille de Chadeli. Les plus grands ennemis des 
Turcs sont certainement les Derqaoua; pour eux, 
derqaoui est synonyme de revolte et de rebelle. 
Les Derqaoua et les Madanya ne suivent plus 
la regie de Ghadeli en matiere politique. Nous 
avons cite plus haut la parole qu'il prononcait 
souvent devant ses disciples : Obeis au Cheikh 
avant d'obeir au pouvoir etabli ; el il ordonnait a 
ses disciples de ne pas se meler des choses ter- 
restres.de ne pas s'occuper de politique,et surtout 
de ne pas desirer le pouvoir. Gette theorie,un 
peu platonicienne de resistance augouvernement 
etabli, n'e"tait pas faite pour plaire a quelques 
esprits turbulents : de la naquirent les Derqaoua, 
qui se scinderent encore, et, de cette scission, 
naquirent les Madanya. Ge sont ces derniers, 
veritabies r^volutionnaires, qui ne demandent 



150 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

qu'a renverser tout gouvernement, que la Sublime 
Porte, dans sa sagesse et son habilete, a voulu 
opposer aux autres ordres. Les Madanya n'ont 
qu'un but : chasser les chreliens de 1'Afrique et 
de 1'Asie ; et puis, comme les Snoussya, etablir 
rimamat; en somme, ils ont le meme but, sans 
avoir le mme nom ;< mats nous croyons que les 
Snoussya, par leur habilete, sauront bien vile les 
gagner a leur cause. En attendant, les Madanya 
se rient des Turcs, et, sous pretexte de les servir, 
sont les meilleurs auxiliaires des Snoussya. 

On le voit : les societes secretes musulmanes 
poursuivent leur but avec acharnement et une 
perseverance digne d'une meilleure cause. 
Malgre les railleries et les haines d'un clerge sa- 
larie, malgre les sarcasmes et les railleries que 
leur prodiguent les poetes et auteurs musul- 
mans, malgre les persecutions les plus cruelles 
qu'elles ont eu a subir, les congregations mu- 
sulmanes sont de plus on plus terribles. Elles 
regardent 1'Europe d'un ceil menacant. Dans la 
2 C partie, nous parlerons des progres effrayants, 
en particulier des Snoussya, dans le Soudan, 
oil plusieurs royaumes sont entierement gagnes 
a leur ordre, oil les rois ne sont .que de 
fideles affilies de 1'ordre et en quelque sorte les 
Khalifa du grand maitre de Djegboub. Elles se 
comptent : toutes n'ont qu'un mSme but ; et. a 
part les Taibya, au Maroc, les Bektachya et 
quelques autres plus importantes en Turquie, 
toutes les autres sont prates a jeter dans la mer 
le chien de Chretien et le Tare apostab Qu'est-ce, 
en effet, que les Taibya, en face des legions 
innombrables des Snoussya, des Rahmanya, des 
Qadrya, des Tidjanyo, etc., qui entourent d'un 



LE DIABLE CHEZ LES MJUSULMANS 151 

vaste reseau tout le bassin de la Me"diterranee. 
Du golfe de Gabes a la frontiere du Maroc, la 
France compte settlement 60.000 hommes. Les 
Rahmanya seuls, dissemines sur un espace re- 
lativement restreint de Bone a Alger sont plus 
de 100.000, et, nous pouvons nous y attendre, ils 
nous feront uoe guerre sans merci, aupres de 
laquelle les horreurs de Palestro et de Sarda ne 
seront rien. 

Aussi, en terminant cette premiere partie, et 
avant de montrer la force et Porganisation de 
chaque ordre en particulier, adresserons-nous a 
la France le meme cri que le grand cardinal que 
I'Algerieaperdu : Le danger, le vrai danger est 
la, etnous terminerons par ce mot du fils de 
Snoussi a un personnage etranger, auquel il 
montrait ses magasins bien fournis et tout Tou- 
tillage bien complet pour fabriquer des armes : 
Gontre qui destines-tu cet armement formida- 
ble, lui demanda 1'etranger, est-ce contre les 
Fran^ais ou les Turcs ? Gontre tous les deux, 
je veux tout exterminer le Chretien et le Turc. 

FIN DE LA PREMIERE PARTIE 



DEUXIEME PARTIE 



GHAPITRE PREMIER 



Qadrya (an 561 de I'Hegire; 1166 de J.-CJ. 

Dans la premiere partie de notre etude, nous 
avons surtout vise a faire connaitre les societes 
secretes musulmanes et a faire voir leurs 
points de contact. Nous ne devons pas, encore 
une fois, nous les figurer pareilles aux societe*s 
de 1'Europe : L'Arabe devient Khouanen suivant 
la pente naturelle de la doctrine de l'Islam,tandis 
que le catholique doit sortir de la bonne voie 
pour se lancer dans 1'oeuvre de Satan; le culte 
de Satan, voila le but final de toutes ces societes. 
Chez les Khouan, Satan se transforme en ange 
de lumiere, et, comme nous 1'avons dit, 6tre 
Touhidi, c'est-a-dire elre favorise des visions de 
1'Etre supreme, est le dernier degre de 1'extase ; 
chez les Palladistes, Satan se transforme aussi 
quelquefois en ange de lumiere, mais comme le 
demontre le docteur Bataille par les nombreux 
faits qu'ii raconte, il apparait aussi quelquefois 
avec ses caprices et sa mauvaise humeur. 

La deuxieme partie de notre etude sera bien 
plus interessante : nous suivrons pas a pas depuis 
leur origine chacune des congregations musul- 
manes, no us les verrons a 1'oeuvre, d'abord agis- 
sant lentement, et faisant peu a peu Toeuvre de 

LE aiABLE CHEZ LES MUSULMANS 5. 



154 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

Satan, sans bruit et sans difficultes, puis tout a 
coup, quand Te*pee victorieuse de la France aura 
fait tomber Alger la bien garde"e, el Tunis la 
verte, se levant toutes pour combattre plus ou 
moins ouvertement le progres, la civilisation et le . 
christianisme. C'est a une guerre que nous aliens 
assister, et nous aurons a enregistrer bien des 
defaites de notre cote; comme toujours, nous 
dirons toute la verite, donnant comme certain 
ce qui est certain, et comme des hypotheses 
ce qui n'est qu'une hypothese. Auparavant, le 
lecteur nous permettra de lui faire connaitre ce 
champ de bataille aussi grand que TEurope, et 
les moyens dont dispose la France pour s'op- 
poser a ce torrent. 

De 1'Atlantique a la mer Rouge, de la Mediter- 
rane"e au Congo, s'etend un immense territoire 
arrose seulement par quelques fleuves tres rares : 
le Senegal, la Gambie et le Niger se jettent dans 
1'Atlantique ; le Cheliff, la Seybouse, la Medjerdah 
et le grand Nil, dans la M^diter ranee. Get te 
terre, que nous pouvons a juste titre appeler la 
terre maudite et la terre des mysteres, est encore 
inconnue du genre humain; seuls quelques hardis 
explorateurs ont pu y penelrer, et n'ont vu que 
ce que les indigenes ont voulu leur laisser voir. 
Aucune autre partie du monde ne peut lui etre 
assimilee ; aucune autre ne presente d'aussi 
grands dangers pour les voyageurs. A la chaleur 
tor ride du jour succede la temperature glaciale 
de la nuit, et a part les trois cents kUemetres qui, 
de Nemours a Tunis, longent les c6tes de la 
Mediterranee, et dont nous pouvons faire un des 
plus riches pays du monde, le reste n'est qu'un 
desert, seme" de temps en temps que de quelques 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 155 

oasis. Jamais la main de 1'homme n'avait fait 
jusqu'ici aucun efiort pour ameliorer ce triste 
pays. Bien plus, I'indolence, la negligence, la 
paresse ou le fatalisme ont laisse deperir les 
richesses que, autrefois, on pouvait retirer de ce 
sol, car le Sahara n'a pas toujours ete aride : un 
fleave immense le parcourait, 1'Oued Igharghar 
Tarrosait et le f e*condait ; encore de nos jours, on 
en vpit les vestiges puissants. Ge pays de la deso- 
lation convenait bien a 1'oeuvre de Satan. Tandis, 
en effet, que Dieu semble de preference choisir 
les endroits agreables, et qu'il avail place nos 
premiers parents dans un lieu de delices, Satan 
pr^fere les lieux arides, sans eau, images de 
son ame desolee et de son infernal sejour. La, 
dans 1'ombre et les tenebres du desert, 1'Islam 
de*veloppe pou a peu le germe devastateur qui 
un jour s'unira aux gnostiques d'Europe, comme 
ils voulurent ie faireaumoyen-age, etalors, nous 
le croyons, ce sera une guerre sans merci a 
1'Eglise catholique, .et peut-e'tre le signal de la 
lutte qui precedera 1'Antechrist. La suite de 
cette etude fera connaitre les moyens d'action 
dont dispose cette vaste conspiration pour arreter 
les progres sans cesse envahissants de 1'Europe 
chretienne. 

Quand on songe aux moyens dont : disposent 
la France et 1'Europe, on est saisi d'effroi. La 
vraiment on reconnait la main du Tout-Puissan 
et on est convaincu que le demon ne peut que 
ce que Dieu lui permet. La civilisation dispose 
de deux forces : 1'armee et la religion. Malgre 
tous les efforts des Taibya pour arrester les pro- 
gres des socie*tes musulmanes au=Maroc, cet eta 
est entre les mains des chefs d'ordre; Au jour ou 



156 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

ils le voudront, les Marocains se leveront en masse 
malgr6 les ordres les plus formels de leur empe- 
reur et du Gheikh d'Ouezzan ; nous leprouverons 
dans ce chapitre quand nous parlerons des agis- 
sements d'Abd-el-Kader au Maroc, de 1840 a 
1845, et comment 1'empereur ne put 1'expulser 
de ses e"tats, mais comme malgre lui dut le sui- 
vre dans la guerre centre les Francais, unique- 
ment parce qa'il etait Moqaddem des Qadrya, et 
qu'il faisait la guerre sainte ; la civilisation ne 
peut pas compter sur cet empereur qui est a la 
disposition de tous les Gheikh et doit leur obeir 
sous peine de voir ses sujets se revolter contre 
lui, et mme peut-etre le detrSner. Des frontieres 
du Maroc au golfe de Gabes, la France com- 
mande au nom de la civilisation, et elle impose 
ses volontes grace a 1'appui de 60 . 000 ba'ionnet- 
tes. Sans doute aujourd'hui la paix regne dans 
cettepartie-de 1'Afrique, mais ne nous faisons pas 
illusion. Loin d'avoir gagne en iDfluence depuis 
1871, et d'avoir abattu les ordres religieux, ne 
sont-ce pas eux qui ont pris le dessus; qu'avons- 
nous fait, par exemple, pour enrayer la puissance 
des terribles Rahmanya et prevenir de nouveaux 
massacres comme ceux de Palestro. En 18S9, au 
mois de juillet, je me promenais dans la princi- 
pale rue de Palestro ; la on me montra 1'un des 
principaux acteurs de I'iasurrection de 1871 ; 
malgr^ les quelques annees de prison, il n'avait 
pas perdu de sa flerte, et il sembiait dire (je n'ai 
pas eu le bonheur de 1'entendre comme d'autres) 
qu'il e"tait prt de nouveau a recommencer. Au 
premier signal, cent mille hommes habiles a 
manier hn fusil se leveront comme par enchan- 
tement ; que feront alors les quelques poign^es 



LE DIABLE CHEZ LES' MUSULMANS 157 

de bravesquidevront faire regner 1'ordre dans ces 
montagnes abruptes, dans ces ravins inaborda- 
bles, ou une centaine d'hommes determines 
peuvent arreter une armee. Plaise a Dieu que 
pour la France ne surgisse pas un nouveau 71 . 

Si les choses en sont a ce point a 80 kilometres 
de la c6te, dans un pays sillonne par un chemin 
de fer, ou on ne remarque guere que le Fort 
national capable de tenir en respect les Kabyles, 
car on ne peut compter sur le mur qui entoure 
Bordj-bou-Areridj et autres petits villages, que 
sera-ce quand nous devrons combattre a 500 ou 
600 kilometres dansle sud, quand il faudra tenir 
en respect les Khouan du Touat, etc. ? La, 
pas de chemin de fer; la derniere station est 
Ala Sefra (1), dans le departement d'Oran, Ber- 
.rouaghia (environ 60 kilom. sud de Medeah) dans 
celui d'Alger,et Biskra dans celui de Gonstantine. 
Dans le desert, le vainqueur sera celui qui aura 
les meilleurs mehari et les meilleurs chameaux 
de trait. Pour nous, sans vouloir rien exagerer, 
nous croyons que, dans le cas d'une guerre euro- 
peenne, la victoire pencherait du c6te des Khouan, 
s'ils savaient s'unir ; mais nous montrerons que 
ces diverses soci^tes sont loin de pratiquer la 
charite qu'elles recommandent tant dans leur 
theorie; ils'sont comme les loups qui se de*vorent 
entre eux quand ils ont devore le faible agneau. 

Dans la Tripolitaine, la civilisation n'a aucune 
force a sa disposition ; tous les pouvoirs civils, 
militaires et religieux sont entre les mains des 
Khouan, qui paient toujours tres fidelementia 
ziara a la zaouia, mais rarement I'impSt au 

(1) Le chemin de fer va maintenant a 80 kilometres au sud d'Ai'n 
Sefra. 



158 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

beijlek. Dans beaucoup de districts mme, les 
ca'imacan turcs sont plut6t toleres, et le vrai 
maitre est le chef de la zaouia. Nous avons meme 
dit que Foukii-ech-cheikh de*s Snoussya recevait 
par mois 500 piastres du gouvernement turc. 
Nous completerons en son temps ce que nous 
avons dit au chapitre ou nous avons parle des 
ennemis des ordres religieux, et ou nous avons 
montre que les Turcs se laissent tromper par les 
Madanya, et qu'ils essaient en vain d'apaiser 
les Snoussya. 

En Egypte, 1'Angleterre commande etfective- 
ment a peu pres comme la France en Tunisie. 
Nous ne dirons qu'un mot : partout ou passe 
John Bull, il s'accommode tres bien de I'ceuvre 
de Satan. Malheureusement aussi, un jour vien- 
dra peut-etre ou ils pourront avoir du regret 
d'avoir si bien fait partout 1'ceuvre de Satan ; 
quant a nous, nous croyons que la civilisation doit 
esperer bien peu de chose de leur part, et que 
ce ne sont pas eux qui opposeront une digue 
aux progres toujours croissants du panislamisme. 

Ge moyen que nous venous d'indiquer est, a 
notre avis, seulement un bouclier ; c'est un pro- 
tecteur contre les ordres religieux, ce sera lui 
qui sauvegardera notre influence et notre domi- 
nation, mais n'arrelera pas les ordres religieux 
dans leur marche si rapide. Un second moyen 
doit venir apres celui-la : c'est la reaction contre 
ces ordres ; c'est 1'introduction de notre civili- 
sation et de nos ide'es. Nous n'aurons rien a 
craindre des ordres religieux, mais alors seule- 
ment que lorsque nous aurons fait de tous les 
Algeriens des Chretiens et des Francais. Le 
principal moyen d'action dont dispose notre 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 159 

patrie est, a notre avis, le clerge et le mission- 
naire ; du moment que le but poursuivi par 
toutes les socie"tes musulmanes est d'arrSter les 
progres de la civilisation en Afrique, il n'y a 
qu'un jnoyen de les dompter, c'est de repandre 
parmi eux le vrai progres ; le missionnaire est 
done le vrai pionnier de la civilisation, et, par 
son caractere, 1'ennemi le plus ardent de toutes 
ces socie"tes ; aussi que n'ont pas fait les Moqad- 
dem et Cheikh pour entravo.r leur osuvre, et 
deja six Peres Blancs ont du payer de leur sang 
leur audace et leur amour pour le salut de leurs 
freres. D'ailleurs nous nous reservons de revenir 
sur ce sujet dans notre dernier chapitre. 

Nous ayons fait connaitre tout a fait sommai- 
rement le champ de bataille oii nous aliens voir 
paraitre les combattants et les principaux 
moyens d'action dont nous disposons pour arre- 
ter les progres des ordres religieux ; maintenant, 
nous aliens etudier en particulier chacun des 
principaux ordres qui ont ete fondes en Algerie, 
oii dont beaucoup de membres sont Algeriens. 
Nouscommencerons par les Qadrya, dont Abd-el- 
Kader etait Moqaddem. 

II n'y a pas, dans tout 1'Islam, un saint plus 
ve"nerequeAbd-el-Kader-el-Djelani, ne a Djelan, 
pres de Bagdad, 1'an 471 de 1'hegire et decide a 
1'age de 90 ans, Tan 561 (1166 de Jesus-Christ), 
Desbords du Gange aux rives de 1'Atlantique, 
tout Musulman implore le saint de Bagdad, celui 
que la croyance populaire a surnomme le sultan 
des saints, le roi de la terre et de la mer, la 
colonne de I'lslam : le malheureux qui voustend 
la main pour demander Taumone, la femme dans 
les douleurs de Tenfantement, le pauvre esclave 



160 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

qui meurt sous les coups de son maitre barbare, 
tout le monde implore Abd-el-Kader ; a tous les 
instants de la vie, dans un jour de malheur pour 
lui demander un appui, dans un jour de bonheur 
pour le remercier, sort de la bouche du fidele 
croyant cette invocation : A Sid Abd-el-Kader; 
et cette invocation les console, les soutient et les 
reconforte; le croyant est assure que jamais 
Dieu ne refuse la priere de Sid Abd-el-Kader, 
dont 1'ame plane entre le ciel et la terre, prte 
a venir en aide a quiconque a besoiu de secours 
et a faire encore un miracle en sa faveur ; or, 
tout le monde sait que, par la volonte de Dieu, 
rien n'est impossible a Sid Abd-el-Kader . Qu'a 
done fait cet homme pour acquerir une telle 
reputation ? 

Abd-el-Kader apparalt dans I'Mam comme 
1'une des. plus belles figures de cette fausse reli- 
gion. Descendant du prophete, il etait ne cepen- 
dant de parents pauvres etpeu aises des biensde 
la fortune. Sa mere lui aurait donne une educa- 
tion morale peu commune pour un Musulman, et 
1'enfant aurait toujours suivi fidelement les 
recommandations de celle qui lui avait donne le 
jour. Bien jeune encore, en effet, il se rendait a 
La Mecque, pour faire son pelerinage, emportant 
avec luiquelque argent. Des brigands attaquerent 
la caravane et devaliserent ses compagnons ; le 
voyant si mal habille, ils penserent que c'etait 
un pauvre malheureux : Passe, lui dit le chef, 
je vois que tu n'a's rien . Mais lui, saisissant 
sa petite bourse dans laquelle ii avait enferme 
ses quelques pieces d'argent : Tenez, voila ce 
que j'ai. Pourquoi n'as-tu pas garde cette 
bourse pour toi et passer sans faire cet aveu ?. 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 16J 

Ma mere m'a recommande de ne jamais 
mentir. Le chef des brigands admira cette 
belle reponse, et deposa dans sa bourse, cin- 
quante dinars d'orque Sid Abd-el-Kader distribua, 
dit toujours la legende, aux plus malheureux de 
la caravane (1). 

Ce trait est vraiment beau dans la conduite 
d'un Musulman, quiest menteur par caraclere et 
par temperament ; quelqu'un a dit que Thomme 
mentait comme malgre lui et devait faire sur 
lui des efforts ; le Musulman est menteur et ment 
a chaque instant ; il suffit d'avoir sejourne pen- 
dant quelques jours dans le nord de I'Afrique 
pour en Stre convaincu ; le parjure ne lui coute 
pas plus que le mensonge, et il est aussi grand 
voleur que grand menteur. 

Autant Abd-el-Kader se distinguait par ses 
vertus du reste de ses coinpatriotes, autant 

(i) Nos lectenrs nous sauront gre de Jeur faire connaitre les cinq 
especes differentes de mensonges, d'apres le docteur Tadhely, que 
pent eommettre le Musulman, sans pecher ; on verra avec quelle 
habilete ce dosteur de 1'Islam asu faire des distinctions ; et a quelle 
distance Men loin, bien loin derriere lui il a laisse les Escobars 
modernes. II y a cinq especes de mensonges, nous dit ce casuiste 
relaehe : Le mensonge de- precepte. c'est celui que doit faire le 
Musulman pour defendre centre les infideles ses biens ou ceux de 
ses freres. Le mensonge illicite : c'est celui qui n'est d'aucune 
utilite pour la religion. Le mensonge louable, tel est celui qu'on 
fait aux infideles en leur clisant, pour les detourner de leurs pro- 
jets d'agression ou de. resistance, que les Musulmans font des pre- 
paratifs de guerre. Le mensonge peu convenable : telle est la 
promesse mensongere (d'nn joujou, par exemple) que le mari .fait a 
sa femme pour la rendre de belle humeur, etc. Ge passage est 
extrait de I'ouvrage du docteur Tadhely... Le mensonge n'est 
defendu que qnand il n'est d'aucune utilite pour la loi ; il ne Test done 
pas qnand la loi en recoil un avantage. . . Macromi et ses disciples, 
tous orthodox es,disent : qu'il est licite' et louable d'en (du men- 
songe) faire usage en inventantdes fails, quand ces fails tournent 
a la gloire de Dieu, ou sont en faveur du prophete. Et, quatre ou 
cinq lignes plus bas, pour calmer les scrupules de ceux qui diseat 
quele mensonge est defendu par le Goran, 1'auteur que nons citons 
enseigne que dans le Goran il est defendu de mentir centre le 
prophete {alei'), mais non en sa faveur : ilai' . (La clefdu Goran, par 
1'abbe Bourgade, dialogue 8.) 



162 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

il se distingua par son intelligence, et ii. devint 
Tun des plus grands savants de son epoque et 
Tune des lumieres de 1'Islam. Parmi ses maitres, 
on cite Abou-el-Oufa-el-Kerdi, et Abou-Sa'id-el- 
Mebarek-el-Makh-Zoumi par lequel ii se rattache 
a 1'ordre des Djenidya. Du bant de la chaire 
ou il ne tarda pas a monler, il se fit Tun des plus 
ardents defenseurs et propagateurs du soufisme ; 
marchant sur les traces de Djenidi, il admira 
comme lui la philosophic indienne et y puisa ces 
principes dissolvants qui jettent le trouble et le 
desespoir au fond de 1'ame qui veut vraimeht 
reflechir sur son etat, et qui, pour les demi-sa- 
vants, est le dernier effort de 1'intelligence hu- 
maine; dans cette philosophie, ces intelligences 
vulgaires trouvent une nourriture propre a les 
soutenir ; sans vie, sans energie, sans ardeur, 
ils aiment a passer dans 1'oisivete les quelques 
jours de leur vie, couvrant cette paresse du beau 
nom de piet6, tandis qiie les intelligences d'elite 
souffrent au milieu de ce vaste tourbillon du 
pantheisme, ou 1'etre particulier est absorbe 
dans le grand tout : pas de consolations pour 
cetle pauvre nature, car il n'y a plus pour lui ni 
espoir, ni Dieu. Nous ne nous y arreterions pas 
si nous ne voulions faire remarquer ou va se 
perdre la plus belle intelligence quand elle est 
abandonnee de Dieu, et quand le Seigneur des 
sciences ne la dirige pas. El-Djilani a ete certai- 
nement 1'un des plus grands philosophes de 
1'Islam. 11 n'a pas eu en Europe la reputation 
d'Avicenne et d'Averroes, mais ses coreligion- 
naires lui ont rendu un culte dont nous ne 
pouvons que difficilement nous faire une idee. 
Et ce n'est pas settlement au londateur d'un 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 163 

ordre religieux que ce culteaete voue, c'est 
aussi au philosophe pantheiste qui, marchanl 
sans crainte dans la voie tracee par Djenidi, a 
pu, sous le voile de 1'orthodoxie, inonder llslam 
des doctrines les plus contraires a la religion 
t'ondee par Mahomet. Sa reputation comme pro- 
fesseur et savant fu't immense, et sa gloire fit 
oublier celle de Djenidi, son maitre (1). D'apres 
Thistorien Bou-Ras,il pouvait disserter sur treize 
branches differentes et ecrivait avec une egale 
facilite en arabe, en turc et en hindoustan (2). 
II a compose un nombre Ires considerable d'ou- 
vrages ou opuscules sur des sujets de theologie 
ou de mystique qui sont tres estimes. Les deci- 
sions faisaient force de loi, et dans toutes les 
discussions le dernier mot lui restait : fallait-il 
trancher une question entre les docteurs cha- 
feites et kanbalites, le litige cessait des que 
Abd-el-Kader avait parle ; enfin, telle fut sa 
gloire, que, dans 1'Jrak, I'imamat lui fut abandonne 
par droit de merite. 

Comment s'etonner, apres cela, qu'un de ses 
disciples ait e"crit (3) : Si Dieu n'avait pas 
choisi Sidna-Mohammed (sur lui le salut et la 
priere !) pour tre le sceau des prophetes, il aurait 
envoye Sid Abd-el-Kader, car c'est de tous les 

(1) Djenidi esl mort environ un sieele avant la naissance de El" 
Djilani , quand nous disons son maitre, il faut prendre ce mot dans 
un sens large, comme quand nous disons que saint Augustin esl 
le maitre de saint Thomas. 

(2) Nous prions les lecteurs de remarqaer ce mot : cela nous 
montre encore une Ibis les rapporls qn'il y a entre les differentes 
societes secretes. A mon avis, toutes nous viennentde 1'Indeoude 
la Perse, et la 1'ranc-maconnerie actuelle n'est que la transfor- 
mation dii manicheismc, autre doctrine .indienne; les societes 
secretes musulmanes sorlent certainement de la philosophic 
indienne, nous 1'avons montre quand nous avons parle du Soufisme. 

(3) Cite par Rinn, page 175. 



164 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

homines celui qui, par ses verlus et son esprit 
de charite, s'est montre le plus semblable a 
Sidna-A'issa (Notre- Seigneur Jesus-Christ), sur 
lui la benediction et le salut. Des lecteurs,peu 
habitues a entendre parler de la religion musul- 
mane, qu'ils ne connaissent guere que par le 
fanatisme et le fatalisme dont on accuse ses 
sectateurSjSerontpeut-Stre etonne'sde voir 1'eloge 
de Notre-Seigoeur sorlir d'une telle bouche. 
Gependant, ne soyons pas etonne's si les Musul- 
mans sont pleins de respect pour Jesus-Christ 
qu'ils regardent comme le plus grand des pro- 
phetes, quoique Mahomet soit au-dessus de lui; 
bien avant nous, 1'Jmmaculee-Conception gtait 
pour eux une certitude, et jamais, dans cet 
immonde Coran qu'un honnte homme ne peut 
lire sans rougir presque a chaque page, jamais, 
dis-je, dans ce tres immonde livre, vous ne 
trouverez un mot pour . fle'trir la Vierge des 
vierges ! 

To u jours, dit encore la legende, Abd-el-Kader 
professa uue grande admiration pour Sidna- 
A'issa ; il admirait surtout en lui sa charite sans 
bornes, cette charite qui le faisait prier pour ses 
ennemis, il portabien loin cette admiration, et 
jamais, dans aucun de ses nombreux Merits, il 
ne profera une parole, n'ecrivit aucune ligne 
contre le Fils de Dieu. Bien avant nos modernes 
philosophes, Sidna-Aissa passait pour un homme 
incomparable, et, a mon avis, c'est la une des 
ruses les plus perfides de 1'Ange des tenebres, 
faire passer Jesus pour un homme aussi grand 
que vous voudrez, mais toujours inferieur al'Ange 
qui, dans son orgueil, contemplant sa beaute, 
voulut un jour s'asseoir a c6t6 du tr6ne de Dieu, 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 165 

a la place reservee au Fils de THomme. Plein de 
veneration pour notre chef, Abd-el-Kader se 
montrait encore plein de tolerance pour les 
Chretiens : Prions, disait-il,prions non passeu- 
lement pour nous etpour tous les fideles croyants, 
inais aussi pour les hommes que Dieu a crees 
semblables a nous. Et de cette bouche impure 
sortait souvent cette invocation demandant a 
Dieu d'eclairer les ignorants et de se manifester 
a eux. On croirait entendre Tun des chefs de la 
magonnerie, parlant de tolerance, de fraternite, 
de lumiere, et invitant tous les hommes a la 
connaissance du Dieu-Bon, car, ne 1'oublions 
pas, cet Abd-el-Kader, le soutien de 1'Islam, a 
e"te* favorise plus que tout autre des apparitions 
de 1'Ange des tenebres. Ge n'est pas en vain 
que ses coreligionnaires lui ont donne des titres 
si pompeux ; ce n'est pas en vain que partout 
des chapelles, oratoires ou petites kouba s'elevent 
en son honneur des iles de la Sonde aux rivages 
de 1'Atlantique : on n'en compte, d'apres des 
renseignements bien surs, que 200 ou 300 dans 
la seule province d'Oran. 

Et cependant, on ne peut le nier, cet homme 
surpassa ses contemporains par sa vertu : nous 
avons cite un fait qui montre combien il avait le 
mensonge en horreur : vraiment, pour un 
Musulman, c'etait un acte heroique. On dit aussi 
que le detachement des richesses egalait son 
horreur du mensonge : nous avons vu comment 
11 distribua a ses infortunes compagnons les cin- 
quante dinars d'or qu'il avait recus du chef des 
brigands. Plus tard, quand il fut -parvenu au 
faite de la gloire, quand des quatre coins de 
Tlslam sa reputation de savant lui attirait un 



166 LE DIABLE CHEZ LES MCSULMANS 

nombre incalculable de disciples, quand devant 
lui les princes et les grands de la terre durent 
s'incliner, quand il se vit reve~tu de I'imamat, 
alors meme, au sein de la gloire et au milieu des 
richesses, le grand saint de llslara resta, dit tou- 
jours la tradition, extremement pauvre : imitant 
les vertus de Sidna-A'issa, il distribuait tous ses 
biens aux indigents, et ne gardait pour lui que 
le strict necessaire. Quant a nous, Chretiens, qui 
savons ce que valent toutes ces vertus naturelles 
quand elles ne sont pas soutenues de la grace 
d'en haut, nous ne croyons guere a tout ce 
desinteressement, et il nous semble entendre 
quelqu'un nous vanter chez Abd-el-Kader-el- 
Djilani le desinteressement que nous connaissons 
chez le souverain Grand Maitro actuel de la 
franc-maconnerie. Toujours est-il que si le fon- 
dateur de 1'ordre fut tres pauvre en esprit, ses 
successeurs meme imaiediats ne 1'ont pas imite. 
Sans doute ils ne reclameront pas aussi imperieu- 
sement que d'autres ordres le paiement die la 
ziara, car ils savent que les offrandes des fideles 
ne leur t'eront pas defaut, maisils recevront avec 
empressement toutes ces offrandes, et loin de le& 
donner aux malheureux, ils entasseront richesses 
sur richesses dans leur zaouia de Bagdad, au 
tombeau du grand saint de 1'Islam, qui, meme 
apres sa mort, soutient et nourrit ceux qui se 
disent ses enfants selon la chair. Nous ne croyons 
done guere a tout ce desinteressement d'Abd-ei- 
Kader, et il dut bien poser les premieres assises- 
de ce grand tresor qui se trouve a son tombeau. 
L'enseignement ne suffisait pas a cette ame~ 
ardente, plus preoccupee du salut de ses freres 
que de sa propre gloire, pour parler avec la- 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 167 

tradition. Un jour le zele de la maisou de Dieu 
enflamma son coeur, et, un baton a la main, il 
parcourut 1'Islam precede par son immense repu- 
tation, pre"chant partout les saines doctrines, 
c'est-a-dire le soufisme. De nombreux disciples 
Tentourerent bientot qui voulurent embrasser sa 
maniere de vivre. Ainsi se fonda cet ordre, 1'un 
des plus vigoureux de 1'lslam, qu'il couyre 
encore de ses nombreuses branches. Le siege 
est a Bagdad, au tombeau du saint. 

Nous sommes bien loin de 1'Afrique du Nord, 
et plusieurs lecteurs doivent penser que nous 
nous oublions ; sans doute, 1'ordre des Qadrya 
n'est pas un ordre algerien proprement dit comme 
celui des Rahmanya. Neanmoins, la branche 
algerienne a joue un tel r61e pendant laconqugte 
et nous a donne tant d'embarras par le moyen 
de 1'emir Abd-el-Kader, que Ton nous en vou- 
drait de 1'avoir omis. AussitSt done que le sultan 
des saints eut reuni autour de lui quelques disci- 
ples, il les lanca sur 1'Afrique pour ramener 
les Berberes dans la voie orthodoxe , dit Rinn, 
page 177. A sa mort, 1'un de ses nombreux fils, 
Abd-el-Aziz, prit la direction de 1'ordre, et la sou- 
veraine maltrise s'est perpetuee jusqu'a nos 
jours dans sa famille. 

Gomme tous les ordres religieux, celui des 
Qadrya a pour but d'amener ses affllies assez 
intelligents pour le comprendre, a la pratique du 
satanisme. 11 veut les conduire, par les voies du 
mysticisme, dans ces hauteurs inconnues du 
reste des humains ou Mahomet d'abord, puis 
- TAnge des tenebres lui-meme, se devoilera aux 
yeux duKhouan assez heureux pour etreappele 
Touhidi. II y a dans les manuscrits de cet ordre 



168 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

de belles theories qui semblent admirables et 
ne paraissent respirer que la vertu ; ceux qui ne 
savent pas lire le sens cache .sous ces mots, qui 
n'ont pas su comparer les differents ordres et 
n'ont pas pu, comme nous, pe'netrer dans ce 
dedale de 1'extase, comprendre les moyens 
adoptes pour arriver a cette fin vraiment sata- 
nique ; en un mot, ceux qui se coiitentent de lire 
.un livre et de le Jeter de cote ensuite, sans meme 
daigner le relire, seront etonnes peut-etre de 
nous entendre avancer de telles theories. Ce- 
pendant, le long catechisme que nous avons 
rapporte dans la premiere partie, et qui est 
extrait du Recueil de la Societe archeolo- 
gique (annee 1865, page 410, cite parRinn), 
devra f rapper par sa ressemblance ceux qui 
sont habitues au langage des loges ; il n'y a pas 
jusqu'aux quatre lettres i. n. r. i. dont nous ne 
trouvions Fequivalent dans Fordre des Qadrya, 
a'im, noun, ra, he : qui recoivent la m6me in- 
terpretation que celle donne"e par Ragon. (Cite 
par de la Rive, page 351.) Gelte ceinture que 
donne le Gheikh n'est-elle pas semblable au 
tablier? et puis aussi nous nous souvenons que 
nous ecrivons pour tout le monde et que nous 
aurons soin de ne jamais salir, mme par 
uecessite, notre plume; settlement, ceux qui 
auront lu Leo Taxil et connaitront les differents 
sens donnes par la f ranc-maconnerie , sauront 
deviner sans peine le dernier mot de tout ce 
dialogue que nous n'avons pas voulu abreger 
malgre sa longueur. La aussi, dans ces reunions 
ou le Khouan est initie, ii y a un frere d'elo- 
quence qui, dans lalanguearabe, s'appelle : 1'in- 
terprete des langues ; le Khouan aussi devra 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 169 

avaler la figuo qui, dans la maconnerie arabe, 
sera une friandise, et tous les assistants devront 
y gouter, et on devra en envoyer aux freres 
eloignes, en signe de fraternite ; la aussi le 
Cheikh apprendra au neophyte comment Adam 
est tombe dans le paradis de d61ices, comment 
Dieu Fa revStu du manteau et de la ceinture 
symbolique par les mains de Gabriel. La aussi, 
dans cet ordre des Qadrya, des femmes seront 
initiees ; sera-ce en public, devant d'autres freres 
ou soeurs? oui et non; quelquefois, 1'initiation 
se fera devant les freres ou soeurs, mais aussi 
d'autres fois le Cheikh sera seul avec la 
kheouatat; malgre soi, alors, on songe a ce mo- 
men de 1'initiation de la femme dans la macon- 

o 

nerie feminine, ou 1'initiee se trouve seule avec 
un frere ; quand on connait les moeurs arabes, 
quand on sait la recommandation que fait le 
Goran, que nous ne pouvons faire connaitre 
qu'en latin : utere muliere sicut agrotuos 
ab ante et atergo ; quand on sait qu'il est 
impossible moralement qu'un Arabe voie une 
femme sans bruier d'un feu impur, on se de- 
mande si vraiment nos francs-macpns ont quel- 
que chose a leur envier. Voila 1'ordre qui a ete 
fonde par le saint de 1'Islam. 

Oui, nous savons de quelle utilite sera le 
beau serment que prtera 1'initie ; nous saurons 
ce qu'il veut dire et ce que nous devrons en- 
tendre quand il promettra d'observer les lois 
divines et brillantes, d'accompUr tous ses actes 
en vue de Dieu, d' accepter tout ce qu'il luiplaira 
de lui envoy er, et de le remer tier des malheurs 
dont il I'accdblera. (Rinn, pages 187-188). Le 
Khouan n'observera que deux choses : son ser- 

LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 5.. 



170 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

ment de fidelite et ses obligations de Khouan, 
car il trouvera la dedans un moyen d'activer 
encore la haine qu'il nous porte, mais les lois 
divines et Immaines ne I'embarrasseront guere, 
et un homicide et un adultere ne lui donneront 
pas du scru pule ; mais oublier son diker, ne pas 
le dire ehaque jour et au moment fixe, yoila le 
crime des crimes, le peche sans remission, et 
celui qui 1'a commis court grand risque de 
tomber dans 1'enfer. 

Nous avons donne plus haut le diker propre- 
ment dit des Qadrya, c'est-a-dire ee que chaque 
Khouan est oblige de dire afin de pouvoir bene- 
'flcier de son admission dans 1'ordre ; car, nous 
1'avons dit, le supreme bonheur d'un Khouan, ce 
qu'il de"sire par-dessus tout, c'est l'acquisition 
du ciel dans 1'autre vie, et sur cette terre la 
faveur de tuer un Roumi de sa propre main ; 
nous allons en parler dans quelques instants, 
quand nous parlerons de la guerre sainte, et de 
lapression qu'exercent alors lesordres religieux 
sur la conscience des Musulmans. Quant a la 
premiere partie, nous aliens aj outer ici quelques 
mots pour completer ce que nous avons dit sur 
le diker, et en general sur 1'ouerd ou pratiques des 
Qadrya. Voici, d'apres Si Snoussi, les pratiques 
qui sont la base de cet ordre si puissant. 

La priere a haute voix que les affilies doivent 
faire en se reunissanten rond; les mortifications 
etautres pratiques de la vie ascetique auxquelles 
peu a peu le Khouan fidele doit s'assujettir pour 
dompter son corps aussi completement qu'il le 
pourra, comme nous 1'avons dit quand nous 
avons parle de 1'extase ; de plus, le Khouan 
devra s'habituer a manger peu et diminuer chaque 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 171 

jour la quantity de nourriture ; la societe de ses 
semblables devra lui etre tout a fait etrangere, 
enfin, avant tout, il devra mediter sur la grandeur 
de Dieu et le louer sans cesse. Mais ces pratiques 
ne suffisentpas pour arriver au butque se propose 
le grand maitre : le but de 1'ordre n'est-il pas de 
faire jouir tous les affilies de la vision de Dieu ? 
Aussi, nous dit toujours Snoussi, le Khouan devra 
s'astreindre rigoureusement a la recitation des 
prieres appelees Ouerd-Debered ; celles-ci me- 
nent surement et infailliblement a. 1'anean- 
tissement de 1'individualite de 1'homme dans 
1'essence de Dieu. Elles ont ete etablies par le 
Gheikh des cheikh, le sultan des saints, la 
colonne de 1'Islam, le grand Sid Abd-el-Kader- 
El-Djilani. Pour les faire, il faudra s'asseoir 
les jambes croisees a la facon orientale, toucher 
1'extremite du pied droit, puis 1'artere nommee 
El-Kias qui contourne le ventre, et placer la 
main ouverte, les doigts ecartes sur le genou ; 
alors, portant sa face vers 1'epaule droite, il dit 
ha, puis vers 1'epaule gauche, il dit hou, enfln il 
la baisse en disant hi, et recommence. Ge qu'il 
y a surtout de tres important, c'est que celui 
qui fait ces prieres s'arrete sur le premier de ces 
noms aussi longtemps que le lui permet la respira- 
tion; il agit dela mSmemaniere sur lenomde Dieu 
tant que son ame a encore quelque chose a se 
reprocher et n'a pas ete completement puriflee 
par le repentir; ensuite, quand son ame est com- 
pletement entre les mains de Dieu et disposee a 
faire en tont selon sa volonte, elle passe sur le 
mot hou et agit de meme, enfin quand elle a acquis 
le degro de perfection necessaire, elle prononce 
\Q mot hi, en observant toujours tres exactement 



172 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

les prescriptions. Tous ces actes de piete, toutes 
ces longues meditations ne doivent pas cesser 
aussi longtemps que Fesprit et le coeur neseront 
pas parvenus aux doux ravissements de 1'extase, 
et ne recevront pas les revelations des lumieres 
divines. (Gfr. Rinn, page 185.) 

Voila toutes les nombreuses pratiques aux- 
quelles doit se livrer 1'affilie aux Qadrya, si vrai- 
ment il veut arriver au degre de saintete qui lui 
est commande par les Moqaddem. Les adeptes 
de cet ordre sont un nombre incalculable, re"- 
pandus de 1'Inde^au Maroc, les pays oil ils sont 
le plus nombreux en Afrique sont : le Maroc, le 
Touat et la Tafilalat. En Algerie, on compte une 
trentaine de zaouia, de 250 a SOU Moqaddem, 
et plus de 15.000 affilies . Une fois pour toutes, 
nous avertissons que nous n'avons rien de cer- 
tain sur ce point, que jamais on n'aura surement 
une statistique a 1'abri de tout reproche ; mais 
nous restons toujours au - dessous de la verite. 
Le superieur general reside a Bagdad, avons- 
nous dit, au tomboau de son ai'eul, ce sont les 
Moqaddem qui le remplacent completement 
dans 1'Afrique du Nord, et formenl presque au- 
tant de congregations speciales. dependant, en- 
trefces diverses congregations et le chef supreme, 
il y a toujours des relations saivies, que le grand 
maitre entretient avec assiduite afln de ne pas 
laisser 1'ordre se scinder en diverses branches, 
et voir ainsi toute son autorite perdue. Toutefois, 
son autorite n'est pas absolue et autocratique, et 
il y a une graude difference entre le Gheikh 
des Qadrya et celui des Snoussya. Ge dernier a 
continuellement des emissaires dans les pays 
eloignes charges de surveiller les Moqaddem, de 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 173 

raviver leur zele, de veiller a ce que le diker et 
autres pratiques de 1'ouerd soient accornplies 
parfaitement et selon la regie, enfin et surtout 
a ce que les ziara soient percues ; dans cet 
ordre, regne la plus grande homogeneite, et 
On peut dire qu'il n'est qu'une vaste famille. 
Gelui des Qadrya n'a pas cette union qui est 
indispensable pour faire de grandes choses ; 
chaque Moqaddem, tout en reconnaissant la 
supreme autorite du Cheikh de Bagdad, et lui 
demandant la confirmation de son election, est 
cependant quasi -inde'pendant dans le cercle 
ou il exerce son pouvoir. Chaque Moqaddem, 
au moins pour ceux qui resident loin de Bagdad, 
nomme son successeur avant sa mort avec le 
mme ceremonial que le superieur general, 
comme nous 1'avons vu plus haut. Si la mort 
1'a surpris avant qu'il Tait designe, ou s'il ne 
le veut pas, quand il a ete descendu dans la 
tombe, des Khouan interesses se reunissent en 
hadra, nomment son successeur dont ils soumet- 
tent la ratification de sa nomination au gene- 
ral de 1'ordre, qui n'oppose jamais son veto. 
G'est ce qui nous explique les differences de 
pratiques et de prieres que nous avons signalees 
quand nous avons parle du diker qui n'est pas 
le meme pour tous les Khouan. Gelui donne par 
les dipldmes delivres a Bagdad consiste a re- 
citer settlement 165 fois, a la fin de chacune des 
cinq prieres obligatoires, et aussi loutes les fois 
qu'on le pourra : II n'y a de divinite que Allah! 
mais ce diker e*tait trop court, et la fei'veur des 
adeptes y a ajoute de nombreuses inventions 
que nous avons donnees quand nous avons 
parle du diker en general. 

LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 5... 



174 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

Maigre cette espece d'autonomie dont semble 
jouir chaque Moqaddem,ilne faudrait pas croire 
qii'il soit absolument libre et ne doive pas repon- 
dre de ses actions devant le Grand Maitre. 
Gelui-ci envoie de temps a autre im homme de 
confiance, choisiparmi ses conseillers intimes, 
qui doit venir exciter le zele des affilies et sur- 
veiller les Moqaddem. II debarque dans une de 
no? villes du littoral, et visite toujours dans le 
plus grand incognito chacune des zaouia de 
notre colonie. Ge visiteur es't, en general, assez 
desinteresse", et il ne fait pas une sorte de razzia 
parmi les affllies comme ceux des autres ordres. 
La maison mere possede un tresor d'une tres 
grand e richesse, agrandi tous les jours par des 
offrandes qui viennent des quatre coins de 1'Is- 
lam s'accumuler au tombeau du soutien de 1'Isla- 
misme ; c'est elle qui fournit les frais de voyage, 
et le visiteur ne demande que 1'h.ospitalite ; ie 
produit de la ziara ne va done pas a lacaisse de 
1'ordre, mais reste pour une grande part entre 
les mains du Moqaddem qui doit, avec cet argent, 
sub venir aux depenses Jfaites pour le bien de 
1'oeuvre dans sa circonscription. Peut-tre cette 
facilite de paiement explique autant que la 
reputation de saintete d'Abd-ei-Kader pourquoi 
cet ordre est si rep;mdu. 

Quoique le Moqa'ldem jouisse de cette qdasi- 
independance, et semble n'etre que sous la 
dependance purement nominative du Gheikh, 
celui-ci, cependant, jouit d'un tres grand pres- 
tige aupres de ses affllies. Le fondateur de 1'or- 
dre avait eu pendant sa vie une telle reputation 
de saintete que son descendant, aux yeux des 
Arabes, doit partager la gloire de son ancetres 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 175 

LeCheikh des Qadrya est pour eux une sorte de 
fetiche e.t d'idole devant lequel ils s'inclineraient 
et qu'ils adoreraient sur UQ ordre qu'il leur don- 
nerait. Nullepartailleurs mieuxque dans 1'Islam, 
la gloire du pere ne retombe sur le fils, et si le 
pere a ete possede a un tel degre de 1'esprit de 
Dieu, si tout ce qu'il a desire il 1'a eu, obtenu de 
la puissance deDieu, n'a-t-il pas aussifait passer 
a ses successeurs la faveur de la Baraka : lui 
aussi, il obtient tout ce qu'il veut, et une priere 
de sa bouche est un ordre que Dieu executera 
ponctuellement. N'est-ce pas peut-<3tre a cette 
autorite toute paternelle qu'il exerce sur ses 
freres qu'il doit une partie de cette reputation ; 
a quo! faut-il attribuer cette espece de religion 
que les Khouan lui vouent etqui leur fait aller en 
pelerinage a sa zaouia, comme ils vont a La 
Mecque? A leur retouraupres de leurs coaffilies, 
ils sont entoures d'une aussi grande veneration 
que s'ils avaient vu le tombeau du prophete. 
Jamais le sultan de Stamboul, jamais le Gheikh 
d'Islam n'ont eu une telle influence sur leurs 
coreligionnaires et sujets, et nous ne croyons 
pas que dans toutl'Islam, personne jouisse d'une 
telle celebrite et soit entoure d'uoe telle vene- 
ration, a partSnoussi et ses flls,que le successeur 
de Abd-el-Kader-El-Djilani. 

Comment cet homme si puissant, entoure 
d'une telle veneration, et commandant a des 
millions d'hommes peut-etre, dont il est sur 
d'etre plus obei, quand il le voudra,que le sultan 
de Stamboul ; comment cet homme se sert-il de 
son influence pour arriver au second but que 
poursuivent tous les ordres musulmans : arrter 
lesprogres de la civilisation. Nous ne voulons 



176 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

pas nous occuper de 1'Asie, el voir comment, sur 
les bords de la mer Noire, de 1'Euphrate et de 
la mer d'Oman, ils arr&ent 1'Europe toujours 
envahissante. Nous nous occuperons de 1'Al- 
gerie. de notre Afrique du Nord. 

Rien de plus perfide que les ordres religieux 
musulmans ; en cela ils imitent la franc-macon- 
nerie, ou plutCt celle-ci marche sur leurs traces. 
Aussi longtemps, en effet, qu'elle n'a pas pu par- 
venir au pouvoir et s'emparer des renes du 
gouvernement, elle s'est toujours institute une 
osuvre essentiellement humanitaire, youlant re- 
pandre sur la terre les idees de f raternite, d'ega- 
lite et de liberte . Jamais elle ne devait se meler 
de politique; jamais elle ne devait renier son 
but et sa fin ; rendre ses affilies plus heureux, 
en les rend ant plus vertueux. Je ne m'etends pas 
da vantage, le lecteur sait le reste. A mon avis, 
il en est de meme de ces ordres religieux. Ge 
qu'ils affichent en public, c'est la vertu qu'ils 
veulent enseigner aux homines : ils veulent di- 
riger les pauvres mortels dans les rudes sentiers 
de la mystique et leur faire gouter les doux plai- 
sirs de 1'extase. Les affilies doiventfuir le monde, 
n'avoir plus de commerce avec lui ; par conse- 
quent pas de famille, pas de societe : pas de fa- 
mille, afin de pouvoir plus facilement vivre dans 
la debauche et favoriser encore, par ce moyen, 
le chemin a 1'extase en affaiblissant son corps 
deja rompu par les veilles et les jeunes ; pas de 
societe, car il faut que ces faineants vivent, et ils 
ne peuvent vivre sans voler ; la proprie"te,- en 
effet, n'est-elle pas le fondement d'une societe ? 
Gependant, il y a une loi, et son souverain, le 
Khouan Qadri, vous repondra que tous les 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 177 

hommessont e"gaux, carDieu, enrattachantavec 
la ceinture symbolique chacun des compagnons 
du Prophete, mettait un pauvre a cote d'un riche ; 
son souverain a lui, c'est son Gheikh, a qui il a 
jure obeissance,quand celui qui 1'initiait lui disait 
en lui ctiupaot deux cbeveux sur le front : 
Dieu, coupez ainsi ses propres pensees; defendez- 
le toujours contre la desobeissance. 

Avec de telles doctrines egalitaires, on com- 
prend que cet ordre soil ouvert a tous les Musul- 
mans ; les plus grands princes de la terre peu- 
vent en faire partie et se rencontrer quelquefois 
dans la meme reunion, a c6te du portefaix oude 
son esclave,que, uneheure avant la reunion, il a 
fait rouer de coups. Et ne nous etonnons pas de 
voir des princes se faire affllier a ces ordres, 
ce n'est pas plus etonnant que de voir un 
Louis XVIII ou un Napole*on III se faire les pro- 
tecteurs de leurs plus grands ennemis; et, en 
Turquie comme en France, celui qui veut regner 
doit faire en sorte de ne pas etre hostile aux 
societes secretes. 

Nous ne pensons pas que les Qadrya ne soient 
pas a craindre pour 1'influence francaise dans le 
Norddel'Afrique, on pourra nous citer des Khouan 
et meme des Moqaddem qui nous sont devoue's. 
Les partisans de la tolerance nous diront que, 
en 1879, dans 1'insurrection de FAures, notre 
meilleur appoint contre les rebelles a ete le chef 
des Qadrya de ce pays, le cai'd Si Mah-med-bel- 
Abbes, dont le fils a ete tu6 dans nos rangs . 
(Rinn, page 200.) Nous ne pouvons pas nier ces 
fails, mais nous aussi, nous allons en citer un 
que tout le monde connait, et ou. nous montre- 
rons I'impuissance du sultan du Maroc, et ou celui 



178 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

de Stamboul aurait dti avouer lui-meme sa fai- 
blesse. Avant de parler d'Abd-el-Kader, nous 
vouloQs faire une remarque importante : comme 
la franc-maconnerie, les ordres religieux musul- 
mans mettent en avant des hommes bien vus de 
1'autorite frangaise pour montrer qu'ils ne nous 
sont pas hostiles, tandis que dans 1'ombre, der- 
riere ce mannequin, se trament centre nous 
la rebellion et les perfidies. Ne serait-ce pas 
ainsi dans le cas present ? Pour nous, nous par- 
tageons 1'avis de M. Charveriat ; ne croyoas pas 
que les Arabes que nous engageons sous nos 
drapeaux laissent a la porte de leur caserne leur 
fanatisme et ieur haine centre le Francais ; ils 

O ' 

s'engagent sous nos drapeaux, afin d'avoir une 
occasion de tuer un Roumi dans une guerre ; 
voila, d'apres ce brillant professeur de laFaculte 
d'Alger, mort, helas ! trop jeune, ce qu'il faut 
penser de cette ardeur qu'ont montree, en 1870, 
les Turcos contre les Allemands : on les aurait 
conduits contre nous, ils auraient montre autant 
de barbaric : nous le rc"petons, tant que 1'Arabe 
sera Musulman, nous devons renoncer a Tassi- 
milation. Nous pourrons reussir a faire tomber 
dans 1'indifference quelques rares Musulmaos 
qui auront frequente nos ecoles et qui auront 
adopte nos moeurs et aussi la haine de leurs 
professeurs contre la religion catholique, mais 
1'assimilation n'aura pas fait un pas. Si done nous 
voyons des Moqaddem se faire nos allies et em- 
brasser notre cause, ne croyons jamais qu'ils le 
feront par amour pour nous ; nous le rnontrerons 
quand nous parlerons des Tidjanya; ils agiront 
par politique et afin de passer a nos yeux pour 
des gens que nous ne devons pas craindre, et 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 179 

qui, un jour peut-etre, nous ferons repentir de 
notre aveuglement volontaire a leur endroit. 

El-Hadj-Abd-el-Kader-ben-Mahi-eddin(l)naquit 
dans la province d'Oran, delatribudes Hachem, 
pres de Mascara ; il descendait en droite ligne du 
prophete Mahomet, ainsi qu'il 1'a prouve lui- 
meme au general Daumas, et il pretendait aussi 
descendre du fondateur des Qadrya, Abd-el- 
Kader-el-Djilani. Notre but, en le faisant pa- 
raitre ici, n'est pas de raconter, m&ne le plus 
sommairement que nous pourrions, ses cam- 
pagnes centre la France, nous voulons seule- 
ment montrer de quoi est capable,ea Alge"rie,un 
homme intelligent, qui saura, au moment voulu, 
faire vibrer au coeur du Musulman la fibre de 
la religion, et nous voulons aussi montrer que le 
gouvernement etabli regulieremeDt, comme 
celui du Maroc, e'st incapable d'imposer sa vo- 
lonte aux Khouan qui se levent pour soutenir la 
cause de 1'Islam et arreter les progres de la 
France en Af rique . 

Eleve au milieu des Arabes et ayant regu une 
education distinguee, soit dans la zaouia de son 
pere, soit dans les ecoles d'Oran, on, a la vue de 
la corruption etalee publiquement, il voua une 
haine eternelle aux Turcs, Abd-el-Kader con- 
naisait bien quelle etait la principale force de 
son pays et sur qui il devait s'appuyer pour 
re"gner. II n'avait pas encore vingt-cinq ans qu'il 
etait choisi, sur 1'avis de son pere, emir 
des croyants des environs do Mascara ; il savait 
suffisamment, par 1'histoire, combien peu ii de- 

(i) On appelle Hadj tout horaroe qui a fait le pelerinage a La 
Mecque. G'est un titre (Vhonneur, presque rte noblesse, surtout -en 
Tanisie., 



180 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

vait compter sur la fidelite des deux ou trois 
tribus qui venaient de 1'elire pour leur chef ; il 
trouva une force reelle dans 1'ordre des Qadrya 
et se fit nommer Moqaddem de cet ordre. 
Qu'aurait-il pu faire, ce sultan aux deux 
boudjous (1), qui, le jour de son elevation, 
n'avait pour toute fortune que quelques cha- 
meaux et quelques moatons. AussitSt il pro- 
clama la guerre sainte ou Djehad, et voit accou- 
rir a lui tous les Khouan de I'Ouest. Nous ne 
voulons pas suivre 1'^mir dans ses nombreuses 
campagnes, peindre tant6t la deroute sanglante 
qu'ilinfligea au brave et courageux Trezel dans 
les marecages de la. Tafna, tant6t, aucontraire, 
battu par nos troupes, et ne devant la vie qu'a la 
vitesse de son cheval ; errant d'oasis en oasis, 
de tente en tente, vaincu sans doute, mais, 
comme le, lion, s'enfoncant dans le de"sert pour 
yguerir ses blessures, et reparaitre soudain, 
dans un moment ou personne ne 1'attendait. 
Trahi par les siens, abandonne meme par ceux 

(t) OQ raeonte qtie ee jugurtha moderne qui devait mettre ea 
mouvement plus de cent mille hommes, et plus de cinquaate gene- 
aux qui rappellent par leur bravoure et leurs beaux faits d'armes 
es plus grands capitaines de Tempire, n'avait, le jour de sa 
nomination, qu' une tente de laine, an petit enfant et une femme, 
quelques armes, un beau fusil, trois livres de prieres, un beau 
cheval pur sang arabe, et enftn. . . et enfm. . . deux boudjous : il lu i 
etait facile d'equilibrer son budget, et il n*avait pas besoin de dix 
minis tres. On sait que le boudjou vaut nn peu plus de 3 francs. 
Abd-el-Kader avait clone sept francs pour tenir tfite a la France, 
soigneusement noues dans un coin de son burnous. 11 moutra a son 
beau-frere toutes ses richesses, qai ne put s'empecher de rire et, 
le baisant sur 1'epaule, lui dit : qu'Allah garde le sultan aux 
deux boudjous. Mustapba, repondit Abd-el-Kader, la puissance 
de Dieu est grande ! Et avec d'aussi faibles ressources, il rait aux 
abois plus d'un general francais, et si un jour il rendit sa noble 
epee a La Moriciere, c'etait parce que ses freres 1'avaient aban- 
donne, et que par deux fois ses projets de retablir I'lmamat avaient 
etc entraves par UB traitre. 11 etait fort parce qu'il avait avec lui 
les Khouan. 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 181 

de sa tribu, il ne de*sespere pas. Bugeaud, avec 
40. 000 hommes commandes par Randon , 
Pelissier, Mac-Mahon, Bosquet, Ghangarnier, 
Gavaignac, Yousouf, Lamoriciere et tant d'autres 
lui font une chasse sans merci; a tous ces gene- 
raux, il n'oppose que Ben-Allah, El-Berhkany, et 
son genie. La Smalah tombe au pouvoir du vain- 
queur ; qu'importe, le Musulman est citoyen de 
1'Islam ; achacune de ses nouvelles defaites que lui 
inflige un ennemi superieur, grace a sa tactique 
et a sa discipline, Abd-el-Kader lance un nouvel 
appel a la guerre sainte, et toujours son cri 
d'alarme retentit dans Fame du Khouan. Depuis 
quatorze ans, il faisait la guerre auxFrangais, et 
pendant quatorze ans,il les avait tenus en e*chec. 
Get homme semblait invisible ; il traversait nos 
lignes, s'enfongait dans le desert, reparaissait 
soudain et, de*pistant nos colonnes volantes mises 
a sa poursuite vers le Sud, il reparaissait vers le 
Nord, et rallumait la guerre sur nos derrieres, 
Un jour enfin, il dut quitter 1'Algerie, et se 
re*fugier au Maroc. Les Khouan de 1'Ouest ne 
1'avaient pas abandonne*, et chacun etait encore 
prel a combattre avec lui pour la cause sainte de 
1'Islam. 

Jugeant de I'empereur du Maroc comme il se 
jugeait lui-meme et le croyant dispose* a em- 
brasser la cause sainte, il lui demanda son appui. 
Si d^ja appuye sur les Qadrya et les autres 
Khouan de la province d'Oran (1), il avait pu 
tenir tete a la France, que ne ferait-il pas avec 
les Khouan du Maroc. II comptait sans les 

(i) II ne faudrait pas croire que tous les divers ordres s'attache- 
rent a la fortune d'Abd-el-Kader ; meme parmi les Qadrya, il 
n'avait que ceux sur qui s'exercait directement son autorite. 
Plas tard, quand nous parlerons des Tidjanya, nous raconte- 

LK DIABLfi CHEZ LES MUSULMANS 6 



182 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

Taibya. Ici nous aliens voir 1'impuissance de 
cet empereur et 1'obligation ou il se trouve de 
suivre malgre" lui la cause d'Abd-el-Kader qui 
etait aupres des Musulmans la cause de I'lslam 
elle-mine. Abd-el-Kader allait done infliger un 
double echec a 1'autorite de ce sultan qu'il essaya 
de detrdner. 

A cette epoque, les sympathies de la cour de Fez 
n'etaient pas pour le jeune emir. Nous avons 
parle plus haul des Taibya, et nous avons dit 
quelle influence ils exercent sur la politique de 
1'empire cherifien. Ordre vraiment national, 
plut6t politique que religieux, les Taibya font 
passer les interets du Maroc avant ceux de 
rislam,par tous les moyens ; ils veulent sauve- 
garder 1'independance de leur pays, et pour voir 
du mieux possible a ses interests. A cette epoque, 
ils voyaient bien que la France, victorieuse de 
re"mir, aurait vite impose ses volontes a 1'empe- 
reur, et peut-etre alors la France, pour se ven- 
ger, prendrait une partie des provinces de 
1'empire. 

A celte question de nationality, il fallait 
joindre la question de rivalite entre deuxordres : 
les Qadrya et les Taibya ; les Qadrya, qui comp- 
tent de nombreux partisans au Maroc, et ont 
toujours sur leurs adversaires 1'avantage de 
prefererla cause de I'lslam a celie del'empe- 
reur. De plus, les autres ordres s'unissent aux 
Qadrya, parce que tous ont le mme but : le 
retablissement de 1'imamat ; les Taibya, au 

rons les difllcultcs qu'Abcl-el-Kader cut avec cet ordre auquel il dut 
faire la guerre et assieger ieur zaouia mere. Cliaque ordre a des 
interets particuliers a sauvegarder ; mais un jour viendra ou il 
u'en sera pas ainsi, et oii les Snoussya auront accapare a leur profit 
toutes les di verses autorites des divers ordres. 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 183 

contraire, sont seals, et s'ils ont pour eux la 
coar si e"goiste, ils ont contre eux le peuple. Le 
Maroc, en effet, est la province de 1'Islam oil le 
fanatisme est le plus intense ; aussi les habitants 
saluerent dans Abd-el-Kader le heros et le 
martyr de rislamisme, et malgre tous ses de- 
sirs de conserverlapaix, Tempereur dut ecouter 
la voix du peuple, reclamant la vengeance. 

Nous ne voulons pas ici faire le recit de toute 
cette campagne, qui aboutit a la victoire de 
1'Isly, remportee par nos soldats. Le Maroc 
apprit a ses depens que le fanatisme de ses 
sujets ne pourrait le sauver de nos coups, et il 
sut aussi qu'il n'etait pas maitre d'imposer a ses 
sujets Qadrya, Derqaoua, A'issaoua, etc., sa vo- 
lonte" et son autorite. Lui, cherif, descendant 
direct du prophete, lui empereur orthodoxe, il 
avait du sacrifier les interdts de son empire de- 
vant les exigences d'un aventurier de ge*nie qui 
s'appuyant sur les Khouan venait de lui infliger 
un e"chec a son autorite, echec plus sensible a 
son amour-propre que re*chec subi par ses 
armes. On repare, en effet, une defaite, mais 
comment acquerir de nouveau Tautorite" perdue. 

Nous ne voulions montrer qu'uno chose : c'est 
I'impuissance oil se trouvent les souverains 
musulmans pour faire regner 1'ordre dans leurs 
etats ; si nos gouvernements europeens sont 
gouvernes par les loges, au moins le peuple les 
respecte ; dans I'islamisme, c'est le peuple qui, 
meconnaissantses vrais interets, se jette a corps 
perdu dans une folle entreprise, afln de defen- 
dre toujours les principes de sa religion. Et 
quand 1'empereur du Maroc, qui, sous 1'influence 
de 1'opinion populaire, avait du recevoir dans 



184 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

ses etats 1'emir vaincu, dut, sous la pressioo de 
nos canons, lui signifier 1'ordre de quitter son 
territoire, Abd-el-Kader ne se tint pas pour 
vaincu. II avait alors a peine trente-six ans ; 
il concut le projet grandiose de reconstituer 
rimamat; sortant du Maroc, il entrait dans le 
desert, et, entrainant a sa suite tous les ordres 
religieux, il voulait traverser 1'Afrique, soumet- 
tre 1'Egypte, s'emparer de la Mecque, renverser 
le cherif indolent, qui, jouissant de tous les 
plaisirs, laissait I'lslam succomber au Magrel, 
planter le drapeau du prophete au sommet de la 
Kaba, et ressusciter dans sa gloire et sa purete 
primitives le Khalifa, un seul roi : Allah, un 
seul vicaire ou imam qui commanderait aux 
vrais croyants ,et leur f erait connaitre la volonte 
d' Allah, et qui ne poserait Tepe*e que lorsqu'ii 
aurait delivre le dernier Musulman du joug du 
roumi. G'etait un projet audacieux, mais Abd- 
el-Kader 1'aurait execute ou aurait succombe" a 
la tache. Un homme entrava ses projets, c'etait 
Bou-Maza, que les Derqaoua lui opposerent 
parce qu'il etait trap modere. Nous parlerons 
en son temps des difficultes d' Abd-el-Kader avec 
cette secte, qu'il dut combattre a deux reprises 
les armes a la main. 

Et cependant, depuis la bataille d'Isly, dix-sept 
colonnes volantes sont sur ses traces pour 1'at- 
teindre. [1 deroute ses ennemis, fait des mar- 
ches et des centre-marches, s'enfonce dansle 
desert, reparait dans le Tell et vient enfin se 
cacher de nouveau au Maroc. Quel est son pro- 
jet? Gomptant sur 1'appui de 1'Angleterre, il veut 
renverser la famille regnante et monter sur le 
trone a sa place. Son empire comptera plus de 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 185 

8 millions de sujets, mieux organises et discipli- 
nes que les Algeriens. A la voix de ses Khalifa, 
les Angad, les Ammeur, les Snassen et autres 
tribus du Nord se levent comme un seul homme. 
Mais un traitre devoile ses projets et la ruse 
qu'il voulait employer pour enlever les princes 
marocains envoyes contre lui avec 25.000 hom- 
mes. Abandonne de tous, mOme des Khouan, a 
cause d'une importante decision que venaient de 
prendre les ordres religieux, et dont nous allons 
parler, Abd-el-Kader deposa les armes ; mais 
nous croyons que si les Moqaddem des divers 
ordres, reunis aux Eulema des diverses univer- 
site*s musulmanes de Kairouan, Le Gaire, etc., 
n'ayaient pas permis aux Musulmans de deposer 
les armes, Abd-el-Kader, comptant toujours sur 
les Qadrya, dont son pere et lui avaient ete 
Moqaddem, et sur les autres ordres qui, comme 
les Derkaoua, le trouvaient trop moderg, se 
serait enfonce dans le desert et, au jour de la 
defaite, il aurait pu nous chasser de 1'Afrique. 
Que serait-il arrive si, en 1871, il avait reparu a 
'.la tte de ses fideles compagnons, soulevant les 
Qadrya, les Tidjanya, pour les unir aux Rahma- 
nya qui, a eux seuls, purent tenir en echec, pen- 
dant-plus de trois mois, toutes nos troupes 
d'Algerie. 

Nous ne parlerons plus du Moqaddem des 
Qadrya, Si-el- Hadj -Abd-el-Kader -ben - Mahi- 
Eddin. Gependant, avant de finir, nos lecteurs 
pourraient nous poser une question que nous 
ne voudrions pas laisser sans reponse. Le 
vaillant emir etait-il aussi favorise d'extases? 
Nous repoadrons categoriquement : oui, Abd-el- 
Kader, c'6tait un guerrier ascetique ,nous dit 



186 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

Leon Roche qui 1'avait approche depres(l). Et, a 
ce sujet, il rapporte un fait que nous nous batons 
de mettre sous les yeux du lecteur. C'etait au 
siege de Am-Madhi que Abd-el-Kader avait 
entrepris centre les Tidjanya et que nous racon- 
terons plus tard. Leon Roche devait aller ren- 
dre compte de la situation des ouvrages a I'emir; 
or, il faisait uoe nuit tres obscure; un violent 
orage avait eclate dans la journee ; atteint d'un 
acces de fievre, il devait faire deux kilometres 
avant d'arriver a la tente <T Abd-el-Kader. En 
route, 1'acces redoubla de violence, il heurta un 
obstacle et tomba a terre, la tete mollement 
appuye"e sur quelque chose aussi doux que le 
plus moelleux oreiller. Quand 1'acces fut passe, 
il se reveilla, sentit une odeur fetide et eut un 
frisson : il elait au milieu du cimetiere ou Ton 
enterrait les morts : Mon oreiller, dit-il, qui 
m'avait paru si moelleux etait le ventre tumen'e' 
d'un malheureux soldat recemment enterre. Je 
parvins avec peine a sortir de cet amas de boue, 
de pierres tumulaires et de cadavres, et j 'arrival 
a la tente d' Abd-el-Kader dans un e"tat deplo- 
rable. Mon burnous et mon ha'ik e*taient souilles. 
En deux mots, j'expliquai ce qui venail de m'ar- 
river. Abd-el-Kader me fit donner d'autres a vte- 
nients, et je vins m'asseoir aupres de lui. J'etais 
sous 1'influence d'une excitation nerveuse dont 
je n'etais pas mailre. Gueris-moi, lui dis-je, 
gueris-moi ou je prefere mourir, car, dans cet 
etat, je me sens incapable de to servir. 

II me calma, me fit boire une infusion de 
schiehh, espece d'absinthe commune dans le 
desert, et appuya ma tete, que je ne pouvais 

(1) Trenle-deux cms d Iravers I'Islam, tome II, page 129. 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 187 

plus soutenir, sur un de ses genoux. II etait 
accroupi a 1'usage arabe ; j'etais etendu a ses 
cdtes. II posa ses mains sur ma tte qu'il avait 
d^gagee du haik et du Chechia, et sous ce doux 
attouchement je ne tardai pas a m'endormir. Je 
me re"veillai bien avant dans la nuit ; j'ouvris les 
yeux et je me sentis re"conforte". La meche 
fumeuse d'ane lampe arabe eclairait a peine la 
vaste tente de I'emir. II etait debout a trois pas 
de moi : il me croyait endormi. Ses deux bras 
dresses a la hauteur de sa tte relevaient de 
chaque c6te son burnous et son haik d'un blanc 
laiteux qui retombaient en plis superbes. Ses 
beaux yeux bleus, horde's de cils noirs, etaient 
releves; ses levres, legerement entr'ouvertes, 
semblaient encore reciter une priere, et, pourtant, 
elles etaient immobiles : IL ETAIT ARRIVE A 
L'ETAT EXTATIQUE. Ses aspirations vers le ciel 
etaient telles qu'il semblait ne plus toucher a la 
terre. Admis quelquefois a 1'honneur de coucher 
dans la tente d'Abd-el-Kader,je 1'avais vu en 
prieres et j'avais ete frappe de ses elans mysti- 
ques; mais, cette nuit, il merepresentait 1'image Ja 
plus saisissante de la foi. G'est ainsi que devaient 
prier les grands saints du Christianisme. Je me 
rendormis encore, et, le lendemain, apres avoir 
rempli ma mission aupres de Temir, je revins a 
ma redoute.Depuis cette nuit, JE N'AI PLUS EUUN 
SEUL ACGES DE FiEVRE, et j'ai gueri ma dysenteric 
en mangeant une grenade avec son ecorce, grillee 
sur un feu ardent. 

Devais-je cette guerison instantanee de la 
fievre periodique qui me minait a 1'^motion 
eprouvee au cimetiere, aux attouchements 
magnetiques d'Abd-el-Kader, qu BIEN ENCORE A 



188 LE DJABLE CHEZ LES MUSULMANS 

SES ARDENTES PRIERES ? Ce qu'il y a de certain, 
c'est que, dans tout le camp de 1'emir, ma gue- 
rison fut attribute a la puissance de son inter- 
vention aupres du Tres-Haut. (Leon Roche, 
idem, tome I cr , pages 319-320.) 

Nous savons que ce recit trouvera bien des 
incredules, de ces pretendus esprits forts qui 
sont jaloux de voir les autres leur de"voiler des 
choses ou ils ne comprennent souvent rien, et 
ne peuvent expliquer. Comment, nous diront-ils, 
pouvons-nous constater ce que vous avancez ? 

Pour nous, nous sommes bien resolus de ne 
rien re"pondre aux attaques que notre livre susci- 
tera certainement a ceux qui doutent, a ceux qui 
nient ainsi a priori et sans savoir trop pour- 
quoi ; nous les invitons settlement a venir passer 
quelques aunees en Afrique, et a explorer, s'ils 
le peuvent, les societes secretes musulmanes. II 
est facile de jeter a un auteur un defi, et de nier 
ce qu'il avance. Pour nous, qui avons s^rieuse- 
ment etudie cette question de 1'extase dans les 
ordres musulmans, nous soutenons que tout 
Khouan peut, par les moyens que nous avons 
indiques, et aussi par d'autres que les chefs 
d'ordre n'ont pas voulu communiqner, arriver 
facilement a ce resultat et goiiter les doux plai- 
sirs de 1'extase diabolique. Et croit-on que le 
demon soit done si etranger a toutes nos oauvres 
pour qu'il ne se mle pas, lui aussi, de nous 
diriger, de nous gouverner : les possedes sont 
plus nombreux qu'on ne pense, et avant peut 
etre de vouloir convertir des hommes comme 
Bismark et Ferry et tant d'autres, ne faudrait-il 
pas plut6t les exerciser. Si Abd-el-Kader n'elait 
pas en relation quotidienne avec le demon, nous 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 189 

croyons qu'il serait te*meraire de dire que jamais 
il ne lui a apparu : le cas de Leon Roche nous le 
montre. Entin, il faut remarquer et c'est la le 
point le plus essentiel, de me^me que Dieu, pour 
nous dirigerdansla bonne voie, nenous apparait 
pas, mais nous donne un bon sentiment afin de 
nous faire operer de bonnes actions, ainsi le 
demon, singeant 1'oeuvrede Dieu, sans apparaitre 
reellement, pousse tei horame a faire telle mau- 
v.aise action. Gomme Moqaddem des Qadrya, 
Abd-el-Kader connaissait tous lesrituels et toutes 
les pratiques secretes, et il etait trop intelligent 
pour ignorer le vrai but de 1'ordre ; il fut un 
Khouan aussi zele qu'il futun fervent Musul- 
man, et nous allons voir maintenant le respect et 
I'admiration qu'ont pour lui les divers chefs des 
ordres musulmansreligieux ; nous verrons meme 
un Moqaddem de 1'ordre des Qadrya ne pas 
vouloir apposer sa signature au bas de la fetoua 
dans laquelle on conseillait aux Algeriens de 
de"poser les armes parce que, disait-il, cette 
action semblerait un bllime a Tadresse du grand 
emir. On voit, par ce fait, quelle entente regne 
dans ces ordres; 

Depuis deja neuf ans, Abd-el-Kader luttait 
avec energie centre la France, soutenu fideie- 
ment par les Khouan ; jusqu'a ce moment, il 
n'avait pas eu a regretter la defection des confre- 
ries, excepte celle des Tidjanya ; les Derqaoua 
qui le combattirent, le firent, comme nous 1'avons 
dit, parce qu'ils le trouvaient trop modere. Gepen- 
dant, malgr^ tous ses efforts, malgre tout son 
genie, la France consolidait sa conquete ; les 
populations musulmanes souffraient cruellement 
de la guerre, faudrait-il toujours lutter? ne 

LE DIABLE CHEZ LES MUSDLUANS C. 



190 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMA.NS 

vaudrait-il pas mieux demauder la paix au vain- 
queur, puisque tout' le monde avait fait son 
devoir ; ne pouvait-on pas, pour quelque temps 
au moms, accepter la domination du Chretien s'il 
voulait permettre aux fideles croyants de prati- 
quer librement la religion ; la religion ne per- 
drait rien au changement de gouvernement, et 
n'etait-ce pas a peu pres la meme chose d'avoir 
un Tare ou un Roumi gouvernant d'Alger et im- 
posant sa volunte aux croyants ? De plus, Abd- 
el-Kader prenait tous les jours de 1'influence sur 
les Arabes : ils croyaient de leur devoir qu'il 
fallait combattre conslamment jusqu'a ce que le 
Francais fut jeto a la mer. D'autres ordres, 
jaloux de 1'influence prise par les Qadrya, vou- 
lurent concilier le Goran et leurs doctrines avec 
leur haine et leur jalousie : Sidi-Mohammed-el- 
Tidjani, ennemi irre*conciliable d'Abd-el-Kader, 
qui avait ruiae sa zaouia d'Ai'n-Madhi, le 
Gheikh des Taibya, si El-Hadj-el-Aarbi, Sidi- 
Hamza-des Ouled, Sidi-Gheikh, etc., pensaient 
qu'il fallait desormais demander la paix, et pour 
tranquilliser la conscience des Khouan obtenir 
une fetoua (decision religieuse) des principaux 
Moqaddem et Eul^ma etrangers a 1'Algerie. 
Leon Roche nous raconte tout au long comment 
il s'acquitta de cette mission si perilleuse, gra"ce 
a 1'appui du Gheikh d'Aiin-Madhi qui 1'accredila 
aupres de Sid Abd-Allah-ben-Mahdjoub, un des 
Moqaddem les plus illustres de 1'ordre des 
Tidjanya et Moqaddem de la zaouia de Tordre 
a Kairouan : nous nous faisons une obligation 
de mettre sous les yeux de nos lecteurs cette 
fetoua qui a et^ approuvee au Gaire et a la 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 191 

Mecque, ou elle netrouvaqu'un seul adversaire : 
Snoussi. 

Au nom du Dieu clement et mise'ricordieux, 
qu'ii soil loue et qu'il repande ses benedictions 
sur notre prophete, sur sa famille, ses compa- 
gnons et ceux qui suivent la vraie voie. Et 
d'abord, nous devons adresser le tribut de notre 
admiration a Sidi- el - Hadj - abd- el -Kader -ben- 
Mahhieddin, qui a marche glorieusement dans 
les voies du Seigneur en combattant les infideles 
(que Dieu les maudisse !). Que Dieu nous fasse 
participer aux graces qu'il a repandues sur les 
Moudjehedin (guerriers saints). Emin ? Emin ! 
exclamerent tous les assistants (1). 

Mais la guerre sainte, soutenue avec tant de 
courage par les Musulmans centre les chre"tiens 
qui ont envahi leur pays, guerre qui dure depuis 
onze ans, a-t-elle amene une situation plus avan- 
tageuse pour Tlslam ? 

Nos freres d'Algerie peuvent-ils conserver 
1'espoir de chasser les conquerants Chretiens ? 
Et si leurs chefs n'ont pas cet espoir, se confor- 
ment-ils aux preceptes de notre sainte religion 
en continuant une guerre dont les resultats les 
plus certains sont la mort, la misere et la ruine 
des populations placees sous leur direction ? 



(I) On voit, par ces louanges accordees au vainqueur d'Ai'n-Maihi, 
a celui qui avait detruit la zaonia de Tidjani, parce que cet ordre 
ne voulait pas s'unir a lui, que tous les ordres se regardent soli- 
daii-es les uns vis-a-vis des autres : pas un blame a 1'adresse 
d*Abd-el-Kader ; pour eux, c'est un heros, c'est le defenseur de 
1'Islam, et cepeodant ces paroles sortent de la Louche d'un Tidjani 1 
Mais nos lecteurs s'en convaineront pen a pen, les ordres religieux 
n'agissent pas a 1'aventure et ne conflent rien au hasard. Les 
Tidjanya ne voulurent pas suivre Abd-el-Kader, parce qu'ils etaient 
surs d'etre vaincus ; ici les Moqaddem reunis recommanderent la 
soumission, afip de permettre aux eroyants de se reconstituer plus 
forts que jamais et de aaisir une bonne occasion de se venger. 



192 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

C'est au nom de ces malheureuses popula- 
tions, dont ils sont les oukil et les consolateurs, 
que les Moqaddem de DOS saintes confreries. 
temoins de leurs miseres, elevent leur voix 
vers les illustres interpretes de nos livres sacres, 
afln d'apprendre de leur bouche si la continua- 
tion de la guerre est commandee par le Tres- 
Haut, ou si, en conservant leur religion, les 
tribus algeriennes peuvent accepter de vivre 
raomentanement sous la domination des chre- 
tiens, qu'elles ont vaillamment combattus et 
qu'elles n'ont plus 1'espoir de vaincre ( 1 ) . 

Apres de bien longues discussions, apres avoir 
bien compulse tous les versets du Goran, apres 
'avoir cite tous les commentaires des plus habiles 
docteurs de 1'Islam, les Eulema presents decide- 
rent, a 1'unanimite, que le peuple algerien pouvait 
gouter les douceurs de la paix. Quand un 
peuple musulman, dont le territoire a ete envahi 
par les infldeles, les a combattus aussi long- 
temps qu'il a conserve 1'espoir de les en chasser, 
et quand il est certain que la continuation de la 
guerre ne peut amener que misere, ruine et 
mort pour les Musulmans, sans aucune chance 
de vaincre les infldeles, ce peuple, tout en con- 
servant 1'espoir de secouer leur joug avec Faide 
de Dieu, peut accepter de vivre sous leur domi- 
nation, a la condition expresse qu'ils conserve- 
ront le libre exercice de leur religion et que 
leurs femmes et leurs fllles seront respecte*es. 

Gette fois, les Tidjanya triomphaient d'Abd-el- 
Kader. et lui infligeaient une defaite qui lui 
serait autrement sensible que la prise d'A'in- 

(1) Leon Rodie : Trenle-deux ans a travers Vlslam, tome II, 
pages 11 et 12. 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 193 

Madhi ne Tavait ete a Tidjani. II aurait beau 
faire, aussit6t que cette decision serait connue, 
les Khouan 1'abandonneraient, et il n'aurait plus 
avec lui que quelques centaines, un millier tout 
au plus, de cavaliers faisant la guerre par amour 
du pillage plut6t que pour la defense de la reli- 
gion : 1'emir lui-mdme ne serait plus le repre- 
sentant de la cause sainte; ce ne serait plus 
qu'un homme ordinaire combattant pour sauver 
une couronne qui lui echappe, mais on lui enle- 
vait du coup toutes ses forces. Ces faits se 
passaient a Kairouan, le 19 aout 1841. 

Gependant vu 1'importance d'une telle decision, 
les Eulema demanderent a ce qu'elle flit confir- 
mee par leurs confreres des grands centres 
inlellectuels d'Orient. Dans cette decision, il faut 
reconnaitre 1'influence des Taibya et des 
Tidjanya, les premiers prevoyant qu'Abd-el- 
Kader appellerait bientOt a son secours les 
populations duMaroc, entrainerait I'empire dans 
une guerre centre la France; les seconds par 
jalousie et aussi par politique, comme nous le 
montrerons quand nous parlerons d'eux. Peut- 
etre aussi leur intelligence s'ouvrit-elle tres-faci- 
lement et leur n't interpreter favorablement les 
textes, grace aux belles pieces d'or que Leon 
Roche clissa habilement dans leurs mains. Je 
ne veux pas dire, ajoute-t-il malicieusement, 
que j'ai achete leur conscience, mais j'ai adouci 
leur fanatisme. 

Le 6 novembre, grace a la lettre que lui avait 
donnee Tidjani pour le Gheikh de la grande 
mosquee et de 1'universite de Djemaa-el-Ezha 
(Co., VI, p. 6. La mosquee des flours), et aussi 
grace surtout a Tinfluence de Mehe'met-Ali, et de 



194 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

quelques metaux pour adoucir le fanatisme , 
une seconde fetoua etait delivree a Le"on Roche 
a peu pres dans les me~mes termes que celle du 
Kairouan. Ge fut dans cette reunion que le 
Moqaddem des Qadryale Gheikh El-Kadiri refusa 
d'apposer son sceau au bas de la decision, car 
ce serai t, disait-il, infliger un blame a 1'emir, 
dontil etait le coaffllie. Le Moqaddem Iha'ia 
ben Ahmed-el-Bouzidi, de 1'ordre des Tidjanya, 
ne fut pas si scrupuleux : sur 1'ordre de son 
maitre, il avait accompagne le Francais en 
Egypte; la, il le quitta, et, a son retour en Algerie, 
par haine pour Abd-el-Kader,ilpublia cette deci- 
sion qui avait recu deja la sanction de deux 
grands centres universitaires. Aubsi, an mois 
d'avril 1842, le general de Lamoriciere consta- 
tait-il les heureux effets produits par la publicite 
donnee a la fetoua, obtenue des Eulema du Gaire 
par les arguments irresistibles (lettre de 
Leon Roche a Bugeaud, 10 novembre 1841). 
Cette fetoua fut enfln confirmee par les Eulema 
de la Mecque ; un seul s'y opposa avec fureur, 
cefut Snoussi quinevoulait aaucun prix entendre 
parler de paix avec les infideles. 

Ainsi fut consommee la perte du grand emir ; 
il avait pris Ain-Madhi ; les Tidjanya se ven- 
gerent en obtenant une decision qui le depouil- 
lait de toute autorite aux yeux des Khouan ; ce 
n'etait plus le vaillant chef combattant pour la 
religion, c'etait un vulgaire e"mir, combattant 
pour conserver son rang. Son appel a la guerre 
sainte ue sera plus entendu aussi facilement, et 
le jour ou dans toute 1' Algerie on saura que sa 
conduite est desavouee par les chefs des diffe- 
rents ordres, il n'aura plus que quelques cava- 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 195 

liers. Qu'aurait fait Abd - el - Kader, s'il avait 
pu grouper autour de lui tous les Khouan, et 
n'avait pas dii employer contre ses freres les 
armes qu'il avait fabriquees contre nous. II au- 
rait fallu que tout Moqaddem prefe"rat le bien de 
la religion a son amour-propre; et cependant 
il est curieux de remarquerque dans cettefetoua 
que nous avons citee presque toute entiere, on ne 
voit aucun blame a 1'adresse de Fe"mir. Les 
Qadrya ne condamnent pas sa conduite ; les 
Tidjanya malgre leur haine voient en lui le vrai 
representant de Flslam, et les autres ordres 
comme les Taibya le poursuivent parce qu'il ne 
veut pas transiger avec les principes de son 
ordre. 

Que les Qadrya soient a craindre ou non, la 
n'est pas la question ; il ne suffit pas, en effet, 
d'avoir beaucoup d'hommes bien determines 
pour faire de grandes actions ; il faut un chef 
qui d'une parole, d'un regard, Electrise tous ceux 
qui viennent se ranger sous son autorite". II im- 
prime alors, a ceux qui 1'entourent, son esprit sa 
maniere de voir, et bon gre malgre, ilsle suivent 
a la victoire ou a la mort. Justement a cause de 
leur tolerance cet ordre semble plus specialement 
a craindre car il se livre au premier venu ; au- 
cun ordre ne subit autant que lui les influences 
du milieu ou il se trouve ; lui que M . Rinn trouve 
si tolerant en Algerie, est de son propre aveu, 
tres fanatique a la Mecque. Nous le deman- 
dons a tout homme qui veut reflechir un mo- 
ment sans prevention aucune, est-il possible 
qu'un ordre ayant partout les memes doctrines 
n'ait pas aussi partout le mme esprit. II n'en est 
pas des Qadrya comme dos Tidjanya qui se sont 



196 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

scindes en deux branches rivales ; les Qadrya 
n'ont qu'un seul et mesaie superieur gene"- 
ral qu'ils venerent conime une idole et au- 
quel ils sont prSts a donner tout ce qu'il voudra 
sur un de ses desirs. Sans doute, si loin de 
Bagdad, chaque Moqaddem se cousidere comme 
un peu independant, et chacun semble former 
une petite congregation dans cet ordre, le plus 
repandu et le plus populaire de 1'Islam ; voila pour- 
quoi tous ies Qadrya n'ont pas repondu a 1'appel 
de I'emir. Mais aussi nous devons remarquer 
avec quel respect tous les Moqaddem de 1'ordre 
en ont toujours parle, meme lorsqu'ils prenaient 
une decision contre lui, et le sacriflaient au bien 
de la religion et des Musulmans; mais, si aulieu 
d'un simple Moqaddem, c'eut ete* le vieux Gheikh 
de Bagdad qui eut fait entendre sa voix pour com- 
battre 1'infldele, vous auriez vu tous les Qadrya 
se lever en masse, et marcher en phalanges ser- 
rees contre nous. AI)d-el-KaderBen-Mahi-Eddin, 
Moqaddem des Qadrya, nous a montre par uae 
lutte heYo'ique de pres de quinze ans ce dont est 
capable cet ordre, qui dut non seulement nous 
combattre, mais lutter encore contre les Derqaoua 
et les Tidjanya. Plaise a Dieu que la France 
ne trouve pas un autre Abd-el-Kader, car nous 
ne savons si elle trouverait un medje!6s aussi 
complaisant que celui de Kairouan, du Gaire ou 
de la Mecque, pour donner une decision en notre 
favour en priant lesKhouan dedeposerlesarmes. 



GHAPITREII. 

Chadetya (fondes 656 de I'hegire 1258 
de J.-C.) 

SiSnoussi disait que tous les ordres religieux se 
rattachaient aux Djenidya, car tous avaientpris 
de Djnidi le doctrines du Souflsme. On pourrait 
presque en dire autant de cet ordre dont nous 
allons donner une courte notice : plus de trente 
ordres differents, dont quelques-uns ont une 
reelle importance, comme les Ai'ssaoua, les 
Taibya, etc., se rattachent al'ordre desGhadelya. 
II sera curieux d'observer comment des ordres, 
dont 1'esprit est absolument different, ou plutot 
le semble etre, peuvent sortir d'une meme souche : 
comment des Ghadelya, dontlefondateur recom- 
mandait tant de ne pas s'occuper des affaires de 
la terre, sont sortis les Derqaoua, les Taibya, les 
premiers vouant une haine a mort aux Turcs et 
a tout gouvernement legitimement etabli; les 
seconds au contraire se servant de leur influence 
pour soutenir sur son tr6ne la famille qui regne 
au Maroc. 

Primitivement, les Ghadelya semblent etre 
plut6t une ecole philosophique qu'un ordre 
religieux. Les premiers superieurs furent, en 
effet, de grands savants et jouirent, aupres de 
leurs compatriotes du Magreb, d'une juste 



198 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

reputation. Avant le sixieme siecle de 1'hegire, 
le Soufisme n'etait pas encore connu dans cette 
partie de 1'Islam. Les seuls ordres religieux qui 
s'y trouverent re"pandus, etaient des ordres 
etrangers au pays, et ayant au loin leur centre 
d'action etdegouvernement. Abou-Median-Choa'ib 
ben Hocein - el - Andalousi, importa dans Je 
Magreb les idees de la philosophic indienne : 
disciple de Djenidi et d'Abd-el-Kader-el-Djilani, 
il se posa tout d'abord non comme un vulgaire 
disciple mais comme un vrai fondateur d'ordre. 
Ne a Seville, vers Fan 520 de 1'hegire (1127 de 
J.-C.), ii alia etudier a Fez; puis. quand il eut 
acquis sous deux habiles maitres, la science 
necessaire, ii voulut aller en pelerinage a 
Tlemcen, ou il s'arrSta. Sa science lui attira de 
nombreux disciples ; a la Mecque, il rencontra 
Abd-el-Kader-el-Djilani et se lia d'une etroite 
amitie* avec lui ; 1'ayant suivi a Bagdad, il resta 
aupres de lui jusqu'a sa mort, et y puisa les pures 
doctrines du Soufisme : plus tard, ilretourna dans 
sa patrie pour la faire jouir de ses lumieres : il 
professa a Seville et a Gordoue, et enfin vint 
s'etablir a Bougie. Dans sa vieillesse, il jouissait 
d'une telle reputation, que le roi de Tlemcen fut 
jaloux de sa gloire. Malgre ses disciples qui le 
priaient de ne pas s'exposer a la colere du roi qui 
1'avait mande aupres de lui, Abou-Median partit ; 
mais mourut en arrivant en vuede Tlemcen, 594. 
Abou Median fut vraiment un homme superieur 
et sa reputation n'etait pas usurpee. II fut un 
vrai Soufi dans toute la force du terme; les 
auteurs musulmans vantent tous sa sagesse, sa 
science el son humilite : malheureusement 
1'humilite du Soufl. c'est 1'orgueil des Chretiens. 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMA.NS 199 

Un jour, racontait-ii a ses disciples, Dieu lui 
avail apparu et lui avait dit : Choa'ib, tu as fait 
de nombreux actes d'humilite ; tu m'as toujours 
bien servi ; tu as ete toujours un fidele Soufi ; 
aussi ton merite est bien grand a mes yeux et je 
te pardonne tes peches. Et Dieu mSmeajouta : 
Heureux le mortelqui aurajouit de ta presence; 
heureux meme qm verra celui qui t'a vu. 
Vraiment c'e'tait trop d'humilite ou pour mieux 
dire; ii est le type du vrai Soufi : bouffi d'orgueil, 
plonge dans le mysticisme, abruti par ses nom- 
breuses prieres qu'il recite sans faire attention 
au sens, fuyant la societe de ses semblables 
qu'il ne connait pas ; ayant 1'imagination exaltee 
et en ebullition a cause des jeunes et veilles 
demesures qu'il s'impose, le Soufi qui est par- 
venu a 3tre f avorise* de 1'extase regarde les pau- 
vres mortels d'un ceil de me'pris, il ne connait que 
sa precieuse personne, et dans 1'erreur de son 
jugement, il croit voir Dieu la ou ii n'y a que 
le produit de son imagination, ou quand vrai- 
ment ii y a extase, comme dans le cas present 
il prend les tenebres pour la lumiere et 1'ange de 
1'enfer pour Dieu. II est bien triste de voir des 
hommes souffrir de la sorte, s'imposer des mor- 
tifications plus grandes que n'importe quel saint 
du christianisme, a tel point que nous ne croyons 
pas qu'un Khouan puisse vivre sans une inter- 
vention diabolique, jeuaer des mois et des mois, 
reciter continuellement des prieres, souffrir plus 
que les plus malheureux cles hommes et un jour 
aller bruler pendant une eternite . 

Et cependant, sans cesse sur les levres de ces 
Soufi, vous entendrez des mots comme ceux-ci : 
Mon r61e ici-bas, c'est d'aimer Dieu, de le benir, 



200 LE DIABLE CHEZ LBS MUSULMANS 

de le prier, de faire cpnnaitre son saint nom et 
de lui demander d'exterminer les infideles ; mon 
r6ie, c'est de le servir, c'est de servir mes freres, 
c'est de leur faire du bien ; mon r61e, enfin, c'est 
de parvenir, par la pratique de I'humilite", par la 
mortification, les veilles, les jeiines a 1'etat exta- 
tique. Ge n'elait seulement de lui qu'Abou-Median 
disait un jour : 

Le sentiment de la grandeur et de la toute- 
puissance divine exalte mon ame, s'empare de 
tout mon elre, preside a mes pense"es les plus 
intimes, de me"me qu'aux actes que j'accomplis 
au grand jour et auxyeux du monde. Ma science 
et ma piete" s'illuminent de l'6clat des lumieres 
d'en haut. Quel est celui sur qui se re"pand 
1'amour de Dieu ? G'est celui qui le connait et qui 
le recherche partout, et encore celui dorit le 
coeur est droit et qui se resigne entierement a la 
volonte de Dieu. Sachez-le bien, celui-la seul 
s'Sleve dont tout I'etre s'absorbe dans la con- 
templation du Tres-Haut. . . G'est de lui qu'on 
peut dire : Tu verras les montagnes, que tu 
crois solidement fixe'es, marcher comme mar- 
chent les nuages. (RINN, p. 215-216). 

Les nombreux ouvrages qu'il composa sur le 
Soufisme et les autres branches d'enseignement, 
lui atlirerent une grande reputation. Nul mieux 
que lui, nous dit un auteur arabe, ne sut pene- 
trer dans les mysteres de la vie spirituelle; nul 
mieux que lui ne pene"tra les reculs de la vie 
contemplative ; le monde invisible des esprits 
n'avait pour lui rien de cache. Aussi, c'est avec 
raison qu'on 1'a appele" le Gheikh des Gheikh, le 
qoteb et le g'outs(l) par excellence. Nul nepra- 

(!) Nous avons dit plus haut ce que c'est qu'un qoteb et un g'outs. 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 201 

tiqua plus que lui le renoncement au monde, ne 
s'abima davantage dans la contemplation des 
mysteres divins et.ne penetra plus avant dans la 
recherche des secrets du spiritualisme. C'etait 
un Souflparfait(l). 

Abou-Me'dian n'e*tait done qu'un habile philo- 
sophe et un grand Soufi. Ses nombreux disciples 
prirent le nom de Madanya ; mais le vrai fonda- 
teur de 1'ordre fut Abd-ei-Sellem-ben-Machich, 
dont toute la gloire, aux yeux des Musulmans, 
est d'avoir prepare la voie au grand Chadeli, qui 
futvraiment un fondateur d'ordre et, quoiqu'il 
n'eut rien ecrit par forfanterie, ses lecons, 
recueillies avec soin par ses disciples, contien- 
nent tous les principes qu'invoqueront contre les 
gouvernements etablis, les Derqaoua et les 
autres society's musulmanes qui se reclament de 
son origin e. 

Abou-Hassez-Aliech-Ghadeli naquit pres de 
Geuta, vers Tan 595 de 1'hegire (1200 de Jesus- 
Christ). Initie* tout jeune encore aux doctrines 
du Soufisme par un des disciples de Abou- 
Median, il se fit surtout Feleye de Abd-el-Sellem- 
ben-Machich. A la mort de son maitre et sur 
sa recommandation, il se rendit dans 1'Afrikia 
(Tunisie), cherchant une localite appelee Chadel, 
la il se fit une retraite et commenga a mener 
la vie des saints de 1'Islam, passant ses jours dans 
le jeune et les mortifications, faisant de longues 
prieres et s'efforcant d'arriver a 1'etat extatique 
par les moyens que son maitre lui avait ensei- 
gnes. BientOt, une grande fouie vint le trouver 
dans sa solitude et se mit a celebrer sa vertu; 
Ghadeli se laissait faire ; mais sa reputation 

(i) Brosselard, Revue africaine, 18>0, p. 7. 



202 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

porta ombrage a la jalouse susceptibility des 
detenteurs du pouvoir ; bien plus, un certain 
Ben-el-Berra mil tout en ceuvre pour nuire au 
pieux solitaire, a 1'elu de Dieu. L'accusation 
portee centre lui elait grave etpouvait lui attirer 
la peine capitale : ii etait accuse d'athelsme ; en 
verite, cet ennemi n'etait pas vulgaire et son 
intelligence etait plus developpee que celle de 
ses compatriotes ; il etait facile, en effet, de 
prouver a Ghadeli, imbu des doctrines du Sou- 
fisme, qu'il etait un athe*e parce qu'il etait pan- 
theiste. Aussi, pour fuir sa punition justement 
meritee, il quitta la Tunisie et alia s'enfermer 
dans la solitude, aux environs d'Alexandrie ; 
mais son ennemi avait prevenu les Eulema du 
Gaire. 

Ge fut dans cette retraite que Gabriel lui 
apparut et lui demanda quelle punition il voulait 
voir infliger a son ennemi. Je demande, repon- 
dit Ghadeli a son envoye celeste, que mon 
ennemi perde la memoire et que sa tombe 
devienne un lieu d'immondices. Ges voeux 
furent exauces. Nous ne flnirions pas si nous 
voulions raconter tous les miracles que Dieu fit 
pour prouver la saintete de son serviteur : les 
legendes sont nombreuses a ce sujet. Le souve- 
rain de 1'Egypte partageait vis-a-vis de 1'illustre 
exile les preventions des Eulema; Dieu, pour le 
corriger, permit qu'une nuit il fut roue" de coups 
par les anges, afin de le f aire revenir a de meil- 
leurs sentiments. Ge fait nous rappelle, malgre 
nous, ce qui arriva a Bordone a Toccasion de 
1'admission de Diana Vaughan et que rapporte 
le docteur Bataille (l re annee, page 719). Ges 
deux f aits trouveront des incredules, mais cela 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 203 

n'empechera pas le diable de proteger loujours 
ceux qui se donnent specialemect a lui. Nous au- 
ronsoccasion bientot de coastater que cet homme 
a eii des relations a vecles puissances superieures. 

Cependantdansa retraite d'Alexandrie toutes 
choses n'allaient pas a souhait, et souvent il 
devait jeuner bien longtemps. Plus tard, il ra- 
contait qu'une fois il avait passe trois jours sans 
prendre de nourriture : une voile parut a 1'hori- 
ZOD, se dirigea vers son ermitage; quandles 
matelots eurent jete 1'ancre, ils descendirent a 
terre : G'est un ermite musulman, dirent-ils en 
1'apercevant, et, touches de compassion, ils lui 
offrirent a manger. Ainsi, disait Ghadeli, Dieu 
permit que je fusses secouru par la main des 
infldeles et non par celles des Musulmans. On 
voit que si les sarcasmes .et les mauvais traite- 
ments ne lui manquaient pas de la part de ses 
compatriotes, en retour il savait se venger, et 
que son humilite en faisait tous les frais ; il ne 
lui en coutait guere pour inventer des interven- 
tions divines, et les miracles s'operaient nom- 
breux, grace a sa saintete; une fois meme, 
El-Khadir lui apparut toujours dans le ddsert et 
1'assura que Dieu etait avec lui. 

Quand celui qui gouvernait 1'Egypte a cette 
epoque eut regu la terrible lecon que nous 
avons rapportee et que, grace aux coups de 
fouet que lui donnerent les anges de Dieu, il eut 
acquis une meilleure opinion sur Ghadeli, 
celui-ci vint professer au Caire. Grande etait 
alors sa reputation de saint, II avait deja opere 
de nombreux miracles ; une fois, entre autres, 
de nombreuses hirondelles voltigeant autour de 
sa tete, il avait repondu que c'etait les ames du 



204 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

purgatoire que Dieu avait delivr<5es grace aux 
merites de ses ferventes prieres. Une fois pro- 
fesseur, sa science parut egaler sa saintete et il 
put rivaliser avec les plus illustres docteurs de 
1'Islam. Les adversairesles plus acharnes s'avoue- 
rent vaincus sous le charme de sa parole et par 
la force de ses arguments, et devinrent ses plus 
fideles disciples. Rien ne lui etait cache. A toute 
question il faisait la re"ponse convenable, et il 
conduisait surement ses disciples dans les plus 
apres senders du mysticisme. Nourri de la lec- 
ture des docteurs de 1'Islam, admirateur sincere 
de Djenidi, de El-Djilani et d'Abou-Median, son 
illustre maitre, il trouvait une reponse a tout. 
Peu importait, au reste, la science sur laquelle 
on 1'interrogeait : il connaissait tout. Quel est 
done ton Gheikh ? lui demanderent les disciples 
emerveilles de ce vaste oce"an de science : Dis- 
ciple d'abord d'Abd-el-Sellem-ben-Machich, 
aujourd'hui, je bois a la source de toute verite 
dans dix mers differentes : cinq sont sur la 
terre : Mahomet (le salut soit sur lui), Abou- 
Beker, Omar, OtmanetAli; cinq sont au ciel t 
Gabriel, Michel, Azrazil, Azrail et 1'Esprit de 
Dieu ( Verbum Dei, Jesus-Christ). 

Mais surtout, nous recommandons a nos lec- 
teurs les lignes suivantes, qu'on ne saurait trop 
mediter : Quand je suis interroge sur une 
question scientifique et que je ne sais quelle 
reponse faire, je vois aussitdt cette reponse tra- 
cee par une main invisible sur les murs ou sur 
les tapis. (RiN, 222.) Getaveu est a retenh\ 
Quelle est cette main invisible qui trace la 
reponse! est-co la main de Dieu? nullement, 
Dieu ne ^e derange pas pour si peu. Qui alors ? 



LE DIABLE .CHEZ LES MUSULMANS 205 

Nous ne voyons qu'une reponse convenable,c'est 
d'admettre ia main de Satan. A ceux qui nient 
toujours sans preuves, nous les renvoyons a la 
mystique de Gorres, oil toutes ces questions sont 
traitees de main de maitre, et ou ils verrout les 
nonibreux fails irrecusables que I'eminent auteur 
apporte en preuves de ce qu'il avance. Ges 
paroles de Chadeli ne sont que la confirmation 
de ce que nous avons avance dans la premiere 
partie sur 1'intervention de Satan dans 1'extase. 
Avant d'exposer les particularites de sa doc- 
trine, nous voudrions donner le portrait que ses 
contemporains nous ont laisses de cet nomme 
qui peut etre regarde a juste titre comme Tun 
des plus grands fondateurs des ordres religieux 
musulmans. Si Ghadeli, nous dit un auteur 
cite par Rinn, page 223, etait de grande taille, 
mais son corps etait maigre et frele ; il avail le 
teint olivatre et la barbe peu fournie le long des 
joues. Ses doigts etaient ef files et longs comme 
ceux des gens du Hidjaz. Sa parole etait douce, 
son elocution frele, et il montra toujours une 
grande bienveillance dans son enseignement. II 
ne cherchait nullement a imposer au neophyte 
des fatigues ou des difficultes. II voulait au con- 
traire les lui eviter et n'en parlait pas : On ne 
vient pas a nous, disait-il, pour rechercher les 
fatigues, mais bien le repos. Pourvu que Ton 
cherchat a se reunir a Dieu, qu'on aimat la 
retraite et la priere, il laissait chacun parfaite- 
ment libre d'adopter telle ou telle voie. II ne 
voulait meme pas ojbliger le neophyte a ne pas 
voir d'autre Gheikh que lui. A ce tableau, 
nous n'ajouterons que quelques mots : par sa 
constitution, Ghadeli rappelait maigre lui son 

LE D1ABLE CHEZ LES MUSULMANS 6. . 



206 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

origine : n6 au Maroc, il en avait garde" le fana- 
tisme; bati en hercule, les jeimes avaient affai- 
bli cette constitution qui aurait pu register 
lougtemps. II vecut a peine cinquante ans ; ses 
mortifications et ses veilles lui attirerent une 
reputation de saintete" justement meritee, et 
presque aussi grande que celle de El-Djilani ; 
enfin, sa science profonde et universelle, vaste 
encyclopsdie, resumait toutes les branches de 
1'enseignement arabe, et, comme disaient ses 
disciples, il parlait sur chaque science en par- 
ticulier comme si c'eiit ete sa branche speciale. 
C'est a cette reputation qu'il doit rimmenso 
influence qu'il a exercee sur les ordres religieux. 
lipanit aussi a un moment propice. Djenidi avait 
introduit dans. 1'Islam les doctrines secretes de 
la philosophic indienne : ii avait pu professer les 
erreurs les plus monstrueuses et les plus oppo- 
seesa la saine doctrine, grace a la flexibilite de son 
esprit et de la langue arabe. Mais ces doctrines 
n'avaient pas encore regu la sanction qu'attend 
toujours un peuple croyant, la sanction de la 
saintete : tout le monde s'etait incline devant le 
vaste savoir de Djenidi : tout le monde devait 
s'incliner devant la saintete sureminente d'Abd- 
ei-Kader-el-Djilani. Ges memes doctrines qu'avait 
professees Djenidi, le saint de 1'Islam les mit 
chaque jour en pratique, et leur dut toute la 
saintete a laquelle il parvint. 11 fallait qu'un 
homme parut aiors pour resumer en lui seul et 
la science de Djenidi et la saintete de El-Djilani. 
Ge f ut la le r6le que Satan donna a Ghadeli : 
grace a son ge*nie moins vaste cependantque 
celui de Djenidi, il donna la derniere forme a 
ces idees pantheistiques et egalitaires qui du 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 207 

bord du Gange ont fait irruption dans 1'Islam . 
Apres lui nous ne trouverons que bien peu de 
choses nouvelles, il sera le'vrai fondateur des 
ordres musulmans, le digne pre"curseur de 
Snoussi qui fera le plus grand cas de lui. 

Et Charani, bien avant lui, resumant dans 
quelques lignes les sentiments de son coreligion- 
naire, 1'egalera presque a Abd-el-Kader. Ils ue 
1'appellera pas sans doute le sultan des Saints, 
la gloire de 1'Islam ; non, la gloire de Ghadeli 
est, suivant Charani, d'avoir su re"sumer toute la 
science de la tradition. Non seulement, dit-il, 
son esprit penetra dans le monde des ames et 
des corps, mais encore il rendit facile la connais- 
sance de toute science, et en fit connaitre tous 
les secrets. Aussi, Iss Gheikh de son ordre sont 
de vrais oceans de science, et un simple fakir 
Ghadeli en sail plus que les Gheikh des autres 
ordres. Ghadeli, c'etait le p61e de son temps, le 
phare qui eclairait le monde, le marteau qui 
broyait nos ennemis, le Soufi des Soufi ; en un 
mot, Dieu s'etait plii a reunir en un seul homme 
toutes les perfections. 

Avant de parler des doctrines professe"es et 
enseignees par Ghadeli, recueillies avec raison 
par ses disciples, disons un mot de 1'affiliation 
a cet ordre ; et quand nous aurons fait connaitre 
les doctrines des Ghadelya nous ferons connaitre 
les principales societes qui s'y attachent, en 
particulier les Derqaoua et les Madanya. 

II y a peu d'ordres qui soient aussi larges que 
celui qui nous occupe pour 1'admission des 
Khouan, et nous ne connaissons que celui des 
Rahmanya qui soit encore moins severe. Voici, 
.neffet, comment le Gheikh Ahmed-ben-Moham- 



208 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

med-el-Abbad, definit les regies de cetle admis- 
sion. Pour pouvoir jouir, des privileges -attaches 
a cet ordre, et pouvoir se dire Ghadely, ii suffit 
de suivre un seul des principes de la Congrega- 
tion, pourvu que Ton aime les affilies. Ainsi, 
dire un hizb suffit pourparticiper aux droits des 
Khouan Ghadelya. Gette affiliation est un peu. 
trop primitive etsuccincte,aussile memo Gheikh 
donnant les differentes manieres de se faire affi- 
lieren enumere quatre: la premiere est purement 
exterieure : elle comprend la pression de la 
main et 1'enseignement du diker ; 1'affilie doit 
alors porter le turban, pendant derriere la tete et 
porter la Khirka, morceau d'e"toffe qui sert de 
signe de reconnaissance comme la maniere de 
mettre son turban. La deuxifcme maniere con- 
siste a lire les livres des Ghadelya sans cher- 
cher a comprendre le sens ; ici il ne faudrait 
pas croire que la recommandation faite au Khouan 
signifie qu'il ne doit pas reflechir sur ce qu'il 
dit de maniere a ne pas comprendro meme le 
sens des mots ; mais comme inoi lire lorsque je 
lis du chiuois, sans chercher a comprendre le 
sens signifie sans chercher a penetrer les secrets 
et mysteres particuliers a 1'ordre ; car nous ne 
devons pas oublier que surtout chez les Ghadelya 
on fait la distinction des gens inlelligents et du 
vulgaire, celui-ci se contente des deux pre- 
mieres initiations dont nous venons de parler : 
la troisieme ne differe guere de la deuxieme, 
analyser le livre, tScher d'en comprendre le 
sens, sans toutefois aller jusqu'a 1'action. Bien- 
I6t nous aurons a parler de leurs secrets, et nous 
en dirons plus long a ce sujet. La quatrieme 
fagon de se faire Ghadely est la route que pren- 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 209 

nent les hommes intelligents ; pour parler le 
style de la Maconnerie, ceux qui ne sont pas 
affilies avec 1'anneau, celui -la c'est le vrai 
Ghadely ; il conforme en tout sa conduite aux 
principes que lui donne le Gheikh, et tache le 
ne pas s'en eloigner. 

Gelui qui est entrd de la derniere maniere doit 
encore franchir quatre degres differents, sans 
en omettre aucun :. ces degres rappellent les dif- 
f e"rents grades des ordres magonniques : le pre- 
mier est celui de la contrition ; le deuxieme, de 
la droiture; le troisieme, de la perfection des 
mceurs; le quatrieme, de la proximite". Tous ces 
termes sont bien inoffensifs, et pour celui qui 
n'est pas initie, ils ne peuvent avoir beaucoup 
de sens ; c'est toujours a peu pres le m6me jargon 
que le demon emploie partout ou il se montre, 
il parle <jontinuellement de purete des moaurs, 
de droiture, d'humanit^, de charite, afin de dis- 
simuler son oeuvre sous cette apparence de 
vertu. 

Le diker primitif donne par Abd-el-Sellem- 
ben-Machieh consistait uniquement a dire conti- 
nuellement le mot Allah en appuyant sur le 
lam(/)et en prolongeant le son a de la fin autant 
que le permettait la puissance du souffle de 
Taffilie. Ghadeli y ajouta 1'invocation des invo- 
cations, celle qui est la plus agre"able a Dieu : 
II n'y a de Divinite que Allah, la Verite evi- 
dente, et Mohammed est le Prophete de Dieu. 
II sufflsait de reciter cent fois au moins cette 
invocation dans un jour ; c'etait relativement 
bien modere; plus loin, nous donnerons celui 
des Derquoua-Ghadelya. Nous voudrions, pour 
le moment, tacher de debrouiiler toutes ces 

LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS C. . . 



210 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

branches diverses et ne pas les confondre 
comme 1'a fait Rinn. 

Nous n'ajouterons rien de special a ce que 
nous avons dit sur les reunions de cet ordre ; 
nous avons cite" plus haul, quand nous avons parle 
des moyens employes pour arriver a 1'extase, 
comment ils s'y prenaient dans leurs reunions. 
Gonvaincu que nous sommes que la plus grande 
difficulte", pour nous, est de pouvpir nous faire 
comprendre de lecteurs peu habitues aux coutu- 
mes arabes, nous sommes oblige de nous repe"- 
ter. Gette e*tude que nous composonsne sera pas 
un livre qu'on lit une fois et puis qu'on jette 
dans un coin de la bibliotheque pour le laisser 
se couvrir de poussiere et etre ronge par les 
vers. G'est un livre qu'il faudra etudier, et retire 
par consequent si on veut arriver a comprendre 
ce que sont ces societes, si on veut saisir les 
rapports qu'il y a entre elles et leurs congeneres 
d'Europe. On est e'tonne', quand on y reflechit 
un peu, de voir que le demon prend toujours les 
memes moyens pour perdre I'homme, moyens 
qu'il varie suivant les peuples et adapte si bien 
aux moeurs du pays : nous repetons done que 
les ordres religieux ont deux buts : 1'un la per- 
fection de ses affilie*s par 1'extase, 1'autre, 1'ex- 
pulsion des Chretiens de 1'Afrique etde tout pays 
ou il y a un Musulman ! en un mot, le retablisse- 
ment de 1'imamat, selon que nous 1'avons 
explique. 

Les Ghadelya, primitivemenl, semblaient 
n'avoir qu'un seal but, sanctifler leurs affilie*s 
par 1'extase, bien que dans les instructions don- 
nees par le fondateur a ses disciples, on trouve 
quelques paroles subversives de toute autorite*, 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 211 

mais la plus grande partie traite de la mystique 
et de 1'extase. Quand, dans les reunions, ils veu- 
lent gouter les douceurs de cet etat, ils ferment 
bien les portes, e"teignent les lampes, et mettent 
leurs Moqaddem au milieu d'eux, ils forment un 
cercle sans solution de continuity. D'abord lente- 
ment, puis sur un mode de plus en plus presse, 
ils chantent cette courte phrase, a peu pres tou- 
jours sur la mme note : la Alan ila allah ; ils 
passent ainsi successivemcnt sur toutes les 
modulations, allant du plus grave au plus pre"ci- 
pite. Lorsqu'ils sont arrives a un certain etat 
de surexcitation, ils se levent et recitent en don- 
nant au corps unbalancement cadence Allah ! >. 
puis Hou (lui) ! , puis Ah ! Pendant ce 
temps, le Nekib tourne autour d'eux en recitant 
des vers ou des sentences propres a redoubler 
1'enthousiasme. Puis, a un signal du Moqaddem, 
qui resteau milieu du cercle, les freress'arr&ent, 
le Moqaddem recite des vers, des oraisons, pro- 
nonce la formule : II n'y a pas d'autre divinite 
que Allah et termine la ce"re"monie par la reci- 
tation de la fatiha. 

Voici comment Si-Snoussi decrit les ceremo- 
nies du rituel des Chadelya : nous abregeons un 
peu ce qu'il dit, omettant tout ce qui n'est pas 
directement necessaire a leur intelligence. Tout 
d'abord, il nous donne la posture que doivent 
prendre les affilie"s . Ge point est tres important, 
et nous verrons Snoussi accuse presque d'here- 
sie pour une petite modification apportee a ce 
point. La posture prise dans la priere est, en 
effet, un signe de reconnaissance entre les 
Khouan. Gomme la priere est habituelle et qu'il 
ne se passe pas deux heures dans la journee 



212 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

sans qu'un bon Musulman ne doive adorer Dieu, 
c'est un inoyen bien facile de reconnaissance . 
Voici done la posture des Ghadelya : ils doivent 
s'accroupir les jambes croisees, elever les 
genoux qu'ils enlacent de leurs bras, et, les yeux 
ferme"s, placer Ja tete entre les deux genoux. 
Pendant qu'il releve la tte, a partir du moment 
ou elle arrive a la hauteur du coeur, jusqu'a celui 
ou elle atteint 1'epaule droite, il doit dire : II n'y 
a de divinite que Allah. Bien entendu qu'il faut 
impitoyablement chasser toutes les distractions, 
etmemeprier a haute voix si on ne peut en 
triompher en parlant a voix basse. Quand la 
bouche arrive a la hauteur du coeur, il doit pro- 
noncer les mmes paroles, mais avec vigueur et 
beaucoup de force, afin que les paroles se gra-, 
vent bien dans cet organe et, de la, se repandent 
dans chacun des membres. G'est cequ'on appelle 
le diker es-sef-ou-en-necker, ce qui veut dire : 
prieredela compassion et de 1'expulsion. Elle 
produit dans Tame des effets merveilleux ; elle 
arrache du coeur tous les vices, les principes de 
Ja tiedeur et les pensees mondaines, en rejetant 
tous ces defauts derriere Tepaule droite . 

Quelles sont les principales recommandations 
faites au Khouan? Avant tout,il doit iniperieuse- 
ment s'appliquer a bien dire les prieres et a bien 
observer les pratiques de 1'ordre ; c'est grace a 
1'ordre qu'il parviendra au salul; avant tout, 
done, avant meme les prieres ordonnees par le 
Goran, 1 Khouan devrait remplir ces obliga- 
tions. Seulement, ces hommes ne sont pas logi- 
ques, et les chefs d'ordre, par crainte du peuple, 
veulent garder un livre et des preceptes avec 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 213 

lesquels ils ne sont plus d'accord ; nous Pavons 
suffisamment prouve. 

De plus, nous savons qu'il sufa't de bien re- 
citer une seule fois son diker pour etre sauve 
celte priere est done merveilleuse, et jamais 
Mahomet lui-mme n'a promis une telle efficacite 
auxprieres qu'il ordonnait. Le Khouan Ghadely 
devra done se lesrendreobligatoiresettellement 
familieres qu'elles semblent s'gtre identinees 
avec sa personne et ne faire avec lui qu'un seul 
tout homogene ; a force de les reciter il faudra 
qu'il arrive comme machinalement a les dire, 
aussi bien le jour quo la nuit dans ses reves. 
Quand ii sera arrive a celte quasi identification, 
il passera a Pin vocation du mot Dieuet lapour- 
suivra sans cesse, jusqu'au moment oil ce qui 
lui etait cache se devoilera a ses yeux; sans 
s'arreter il GONTINUERA JUSQU'A EPUISEMENT 
DE SES FORGES. Nous avons pref^re citer ces 
lignes traduites par M. Colas et citees par 
M. Rinn, page 248, que de les traduire nous- 
memes ; a-t-on remarque ces mots : il conti- 
nuera jusqu'a Tepuisement de ses forces. 

Le malheureux Khouan devra s'abrutir com- 
pletement, et employer toutes ses forces, aussi 
bien celles de son intelligence que celles de son 
corps,qu'ildevraitemployerseulementalarecher- 
che et a 1'amour de Dieu; il devra les employer, 
dis-je, a la recherche de ce qui est cache" et qui 
lui sera devoile.Et quand, a force de repeter ce 
mot Allah, ilaura decouvert tout ce qui y est cache*, 
il passera a un aulre mot, autre denomination de 
Dieu: hou, qui signifie litteralement lui : c'est-a- 
dire 1'Etre supreme, mot qu'il devra repeter a 



214 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

satiete jusqu'a ce qu'il parvienne au degre de 
perfection qu'il pourra acque"rir (1). 

Qae les affilies a cet ordre aient des secrets 
connus d'eux seuls, cela ne fait pas 1'ombre d'un 
doute : ici encore nous voulons citer mot pour 
mot la tradnction donne"c par M. Colas (citee par 
RINN, page 248), afin qu'on ne puisse nous ac- 
cuser de ne pas comprendre le texte : Us (les 
Ghadelya) sont en possession de secrets parti- 
culiers qu'ilsappliquententre eux. Ainsi, quand un 
malheur frappe un des leurs, ils recitent dix fois 
la senate de Ya-Sinc, apres 1'aurore : avant la 
priere du matin, ils y ajoutent : Dieu, je 
vous invoque, vous qui etes Dieu , ils conti- 
nuent par ces mots : Yamen horia I Ahoum ! 
Kafadem hamnou, ha. Amen. (Paroles mys- 
tiques qui n'ontaucun sens arabe), qu'ils re"petent 
70 fois, puis ils terminent par : Pour que vous 
m'accordiez telle ou telie chose qui ne peut arri- 
ver que par la permission du Tres-Haut. 

Le Gheikh Abou-Hassan ech. Ghedeli a dit 
que qes-mots mystiques etaient les noms les 
plus eleves que Ton pouvait donner a Dieu. 

Dans un de ses ouvrages, Si Abd-el-Ouhab- 
el-Gherani dit : Les affllies de cet ordre ont 
des secrets particuliers , et il reproduit tex- 
tuellement ce qui est transcrit ci-dessus. 

(i)Nosleoteurs qui ne connaissent pas lalangue arabe se cleman- 
deront vraiment ce que ce mot Allah peut appreudre aux affilies. Ce 
mot Allah doit, a notre avis, avoir les memes proprietes que le 
tctragramme (J. H. V. H. ou Jehovah). En arabe. Dieu s'exprime 
par 1'articleel suivi dupronom hou. Ces deux mots reunis signiflent 
done le lui : 1'etre par excellence, et a par consequent le meme 
sens que le mot hebreu Jehovah : celui qui est. 

Ilestctirieux a remarquerque dans roeciiltisme le tetragramme 
joue un si grand role : c'est encore un nouveau point de coptaqt 
.entre les diverses societes. 



LE CIA6LE CHEZ LES MUSL'LMANS 215 

Quelle est 1'origine de ces mols mystiques qui 
n'ont aucun sens en arabe? Nous ne pouvons 
faire que des hypotheses, mais nous ne 
croyons pas nous avancer trop en disant que 
ces mots sont une formuie magique donnee par 
Satan a Ghadeli. Nous avons vu plus haul 
qu'une main mysterieuse ecrivait sur les murs 
ou le tapis la reponse dont avait besoin le grand 
philosophe. Pourquoi cette main qui, a notre 
avis, n'etait autre que celle de 1'ange de 1'enfer, 
n'aurait-elle pas enseigne* cette formuie comme 
de nos jours le meme ange a inspire Albert 
Pike. Y a-t-il, nous le demandons, une grande 
difference entre les deux societes : Tune 
musulmane et africaine, 1'autre americaine- 
europe*enne. Les Palladistes n'arrivent-ils pas 
aussi a 1'extase ; et Sophie Walder ne pour- 
rait-elle pas rivaliser avec n'importe quel exta- 
tique musulman ? Seulement, il y aura toujours 
cette difference entre les societds d'Europe et 
d'Amerique et celles d'AMque : c'est que les 
premieres sont ouvertement enluttecontreDieu, 
tandis que les societes musulmanes semblent 
restreindre leur but politique a la delivrance du 
Musulman du joug du chre'tien; elles voudraient 
fermer completement le continent noir, pour y 
faire regner le culte de Mahomet et de Satan. 
Rien d'etonnant, par consequent, que les m&nes 
moyens ne soient pas employes, ce qu'il faut a 
1'Arabe, avant tout, c'est 1'extase ; et le second 
but est pour lui assez secondaire. Son desir 
le plus grand, je, dirai mme son seul desir, 
c'est de jouir des douceurs de 1'etat extatique 
et de passer aux yeux de ses compatriotes 
pour un homme en relations quotidiennes 



216 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

avec les esprits. Les chefs seals poursuivent 
avec activite le second but, car, nous le repetons 
encore, nous sommes convaincus que les vrais 
extatiques sont Ires rares, et que les neuf dixie- 
mes des Musulmans affilie"s aux ordres religieux, 
grace aux effets du Hachich, prennent pour des 
realites ce qui n'est que le produit de leur ima- 
gination, et croientvoir certaines choses parce 
qu'onleur a dit que ces choses se passaient ainsi. 
Mais nous avons vu, par le fait que nous avons 
cite" d'Abd-el-Kader, que les vrais initie"s, ceux 
qui sont charges de par le diable d'arreter les 
progres du christianisme, ceux-la sont vraiment 
favorises d'extases et recoivent du demon, 

o * 

pour parler avec un fondateur d'ordre, la 
direction de leurs actes et la maniere dont ils 
doivent agir. 

Nous avons dit plus haut que Ghadeli n'aurait 
e"crit aucun livre pendant sa vie : Mes livres, 
disait-il, sont mes compagnons et mes disciples. 
Geux-ci ne voulurent pas laisser perdre le fruit 
de tant de veilles et d'extases, et l'un d'eux, 
le plus savant, et celui qui avait vecu le plus 
dans rintimite" de Ghadeli, reunit ses paroles et 
ses discours. Ge qu'.on remarque surtout dans 
cet ouvrage, c'est le mepris des choses de la 
terre, le sarcasme deverse a pleines mains sur 
les autorites musulmanes, et m^me 1'excitation 
a la revolte. 

Tu ne pourras connaitre le parfum de la sain^ 
tete que lorsque tu seras completement detache 
des hommes et du monde. Quiconque veut jouir 
de la gloire en ce monde et en Tautre, me suive. 
Qu'il rejette de son coeur tout ce qui n'est pas 
Dieu, qu'il n'aime que Dieu, qu'il ne cherche que 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 217 

lui, et n'agisse qu'en vuedelui. Pleinde doci- 
lile pour son Gheikh, le Ghadely devra lui decou- 
vrir toutes ses pensees, toutes ses affections ; 
dans ses prieres, il devra veiller surtout a ce que 
jamais une distraction ne vienne le detourner de 
Dieu,afindesepe'netrer deplusenplus del'essence - 
divine. Nous ne voulons rien ajouter de special 
a ce sujet, nous en avons assez parle" dans le 
chapitre consacre a 1'extase. Mais nous voulons 
surlout nous etendre sur leur soumission ou 
plut6t sur le me"pris qu'ils professent envers les 
grands de la terre et toute autorite. Ges mots de. 
detachement du monde , du me"pris pour les 
richesses, ne sont qu'un moyen de tromper les 
ignorants et les na'ifs. Nous aliens voir que sous 
ce beau dehors de saintete et d'asce'tisme, se 
cache 1'ordre le plus a craindre pour les gouver- 
nements, et auquel les Turcs ont justement voue 
une haine sans tr6ve ni merci. 

Obeis a ton Cheikh avant d'obeir au souve- 
rain temporel. (Git^ par RINN, page 227.).Avec 
ce principe indiscutable pour tout bon Khouan, 
un chef d'ordre religieux peut faire a n'inaporte 
quel gouvernement une guerre sans merci, une 
guerre qui ne finirait qu'avec la mort du dernier 
Khouan . Tous les chefs d'ordre se souviendront 
de cette parole dont peut-etre Ghadeli ne pre- 
voyait pas tout Tusage qu'en feraient ses succes- 
seurs. II est certain que tout superieur general 
a plus d'aijtorite' sur ses affllies que le sultan de 
Stamboul, qu'il peut se faire obeir plus facile- 
ment, et qu'il peut meme, a un moment donne, 
lui faire une opposition ouverte sans qu'il ait 
rien a craindre : il n'aura qu'a rappeler a ses 
aiEfilies cette terrible parole, pour qu'il soit sur 



218 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

de la victoire. Au fond, c'est 1'anarchie pr^chee 
dans tout 1'Islam ; par tout ou se trouve le de"mon, 
partout on trouve cette haine de toute autorite 
legitime, ces appels a la revolte, n'est-il pas le 
premier des revoltes et n'a-t-il pas me'connu la 
premiere des autorites, celle de Dieu. 

A mon avis, ce mepris de tout pouvoir legitime 
est un des points de contact les plus apparents 
entre la franc-magonnerie et les ordres religieux 
musulmans. La f ranc-maconnerie a ren verse le 

A 

trone, fait monter le roi sur I'echafaud, et de nos 
jours, le premier souverain qui voudrait lui re"- 
sister tomberait vite sous le poignard des 
sicaires. Garcia Moreno nous en est une preuve 
eclatante. Les Khouan n'ont rien a envier a 
leurs congeneres d'Europe : on dit de toutes 
parts que I'lslam s'ecroule, que la dissolution a 
deja penetre dans cette vaste machine, que la 
Turquie marche, de nos jours, dans le concert 
des nations europeennes. L'Islam s'ecroule, oui 
en Europe, 3n Asie, et dansleNord deTAfrique : 
mais Satan a veilie, et tout nomine qui a 
un peu re"flechi sur la situation des souverains 
musulmans vis-a-vis des societes secretes, ne 
pent cesser de craindre pour eux. L'Islam, en ce 
moment, joue sa derniere carte ; pour lui, c'est 
une question de vie ou de mort ; mais peut-tre 
le jour n'est pas loin ou, a la voix du chef de 
Djagboub, les Snoussya se leveront en masse, et 
des rives du Tchad, ou ils sont tout-puissants, ils 
entraineront ces masses sur 1'Af riqne du Nord ; 
les souverains musulmans seront chaties comme 
nous. Ils n'agissent pas encore, parce que le 
moment n'est pas venu, ils attendent 1'heure pro- 
pice, et ils sont aussi roues politiques que nos 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 219 

francs-macons qui, peu a peu, travaillent a de- 
christianiser notre France : de meme, patiem- 
ment mais surement, les Khouan travaillent a 
la regeneration de 1'Islam. Pleins de mepris pour 
leur souverain legitime, qui a leurs yeux n'est 
qu'un apostat, ils tournent leurs" regards vers 
1'Afrique Gentrale, d'ou doit sortir ce Madhi, ce 
prophete qui doit deli vrer tout Musulman du joug 
de 1'infldele et retablir 1'imamat. 

Ge sont les Chadelya surtout qui out mis a 
1'ordre du jour ce mepris pour les autorites le"gi- 
times, les autres ordres n'ont fait que puiser a 
cette source. Aussi, apres la recommandation 
de bien reciter le diker et de payer la ziara, il n'y 
en a pas qui occupe une plus large place que celle 
de Mr les autorites, et dene pas accepter de 
fonction; cachanttoujours ce mepris sous le voile 
du mysticisme, ils fuient le pouvoir an'n de pou- 
voir vivre dans la solitude et de se sanctifier : 
Le monde, dit Tun d'eux, doit tre, pour un 
Khouan fidele, comme un feu d'ou s'echappent 
continuellement des etincelles qui toutes brulent, 
qu'ellos soient petites ou grandes. II faudra 
donceviter leplus possible les relations avecles 
detenteursdu pouvoir ; toujours on ne pourra pas 
s'abstenir de les visiter, alors il faudra imiter 
les Soufi qui emportaient une galette pour ne 
pas tre obliges de manger avec 1'emir. Nous 
voulons mettre sous les yeux du lecteur ce 
curieux passage tire de Si Abd-el-Ouahab-ech- 
Charami (Cite par RINN, page 245) : 

Nous avons connu des Fakir ou simple Soufi 
qui allaient assister aux repas des emirs, quand 
la necessity rexigeait,mais ils n'yprenaient rien 
des aliments servis . Tels furent Sidi Mohammed- 



220 LE. DIABLE CHEZ LES MUSULMANS - 

Ibn-Annan, le cheikh Abou-el-Hagan-el-R'amri, 
etc. Us emportaient avec eux, dans la large 
manche de leur vetement, une galette de pain, 
et, a mesure qu'on servait le repas, ils ne man- 
geaientque de leur galette, s'arrangeantdefacon 
que 1'emir ne s'en apercut pas. 

Gardez-vous, disait le vertueux Ali-el- 
Khawwas, de frequenter aucun des emirs, Ou de 
manger de leur nourriture, ou de rester muets 
sur le mal, que dans leurs reunions vous voyez 
commettre en paroles ou en actes. Autrefois, les 
pieux et saints docteurs ou savants s'abstenaient 
d'aller chez les Khalifes, et si une circonstance 
imperieuse ou si un pretexte suppose les appelait 
a s'y presenter, ces docteurs leur donnaient des 
conseils, les menacaient de la vengeance celeste, 
les gourmandaient, les exhortaient au bien. 
Aujourd'hui, helas! cettemaniere de faire n'est 
plus possible. 

Rinn raconte alors 1'anecdote qui arriva a La 
Mecqueaun saint docteurnomme Tavus. Ayant 
ete force de se rendre aux instances du Khalife 
Hischam qui desirait 1'entretenir, ilse mitaapos- 
tropher etreprimander le souverain si vertement, 
que celui-ci en demeura tout confus et tout 
tremblant ; et Gharani ajoute : Lecteur, mon 
frere, si tu te sens la force d'adresser des paroles 
de cette sorte aux emirs, va, fre"quente-les, sinon 
tienS-toi loin d'eux. 

Et, a cote de ce mepris souverain precho par 
les Gheikh pour rautorite" legitime, dans le falla- 
cieux pretexte de se detacher de plus en plus du 
monde et des biens d'ici-bas, jamais esclave ne 
dut subir conime le Khouan 1'autorite de son 
chef. Nous avons dit d'une facon generale les. 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 221 

obligations des affilie*s envers ceux qui sont 
charges de leurs ames, pourparlerleurlangage. 
Le Gheikh est maitre absolu da malheureux qui 
s'est livre a lui : il devra accomplir fidelement 
tout ce qui lui sera commande, et jamais il no 
pourra-faire la moindre observation; lui com 
mandera-t-on un meurlre, afin de faire disparai- 
tre unhomme qui gene, 1'ordre du Khouan devra 
s'executer fidelement; et en Afrique, moins 
qu'en Chine encore, si c'etait possible, on fait 
peu de cas d'une vie humaine . Mais, la encore, 
nous preferons citer la traduction de Rinn, afin 
qu'on ne puisse nous accuser de travestir les 
textes et de leur donner, dans notre traduction, 
un sens exage*re\ A c6te de la parole que nous 
avons rapportee plus haut : obeis a ton Gheikh 
avant d'obeir au souverain temporel, il faut pla- 
cer, comme complement et commentaire, les 
lignes suivantes (Cite par RINN, page 233) : Us 
(les affilies)informerontleur Cheikh de leurs plus 
Miles pensees, de leurs actes importants comme 
de leurs faits les plus insignifiants.Ils aurontpour 
leur Gheikh une dbeissance passive, et tous les 
instants ils seront entre ses mains comme le ca- 
davre aux mains du laveur des morts. Si ces 
dernieres paroles nous rappellent, malgre nous, 
le fameux dicton des Jesuites : Perinde ac 
cadaver, les premieres lignes nous font penser 
au directeur de conscience : le Gheikh est un 
directeur de conscience, mais un directeur 
infernal (1). 



(I) II est impossible, en effet, de ne pas voir 1'oeuvre des so- 
cietes secretes dans tous ces meurtres f[ui se commettent en 
Kabylie et, en general, dans les tribus arabes. Jamais 1'antorite ne 



222 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

Nous ne voulons pas parler de leurs doctrines 
philosophiques ; elles sontcellesduSoufisme; et, 
d'ailleurs, nous ne voulons nous occuper que des 
ordres musulmans et montrer en particulier, 
dans ceux-ci, le cote satanique et les rapports 
qu'ils ont avec les societes secretes du monde 
entier. Laissant done la Ghadelietses doctrines, 
dontnous n'avons expose que les principes et 
tout ce qui se rapporte a 1'ordre, nous aliens voir 
les conclusions qu'en ont tirees ses nombreux 
disciples; nous ne parlerons cependant ici que 
des Derqaoua et des Madanya, qui peuvent etre 
regardes comme la continuation des Chadelya, - 
tandis que les A'issaoua, Cheikkya, etc., peu- 
venl tre regardes coinme des ordres distincts, . 
bien qu'ayant des relations tres nombreusesavec 
Tordre principal, 1'ordre-mere. 

Plus haut, nous avons cite le jugement porte" 
par un auteur arabe sur le grand Chadeli; peu 
de fondateurs ont eu une si grande renom- 
mee que lui, et il marche presque de pair avec 
celuides Qadrya. De la mer Rouge a 1'Atlanti- 
que, le brillant professeur du Gaire s'attira de 
nombreux disciples, qui, sous divers noms, 
cachent cependant la mme origine. Nous 
allons dire quelques mots des Derqaoua et des 
Madanya qui, tirant les dernieres conclusions 
des principes poses par Chadeli, sont devenus 
de terribles adversaires pour les Turcs et la 
civilisation, et semblent n'etre que 1'avant-garde 
des Snoussya. 

peut trouver Je coupable : Un jour, on vient lui dire qu'on a 
entendu un coup de fusil, qu'il y a un homme de 1'endroit baigne 
dans son sang ; mais on est le meurtrier ? 

Ne dis pas cela, disait un jour un Kliouan a un de mes chefs, 
ne dis pas que je t'ai dit qu'on voulait liriiler le bois, car demaiu 
Je ne serais pas en vie. 



LE DIA.BLE CHEZ LES MUSULMANS 223 

On n'est pas bien d'accord pour savoir quel a 
ete". le fondateur des Derqaoua ; les uns disent 
que ce fut Abou-Hassan-Mouley-Ali-el-Djemal, 
pieux Musulman et grand theologien. D'apres 
M. Rinn, le vrai fondateur serail son disciple 
Mouley-el-Arbi-ben-Ahmed-ed-Dergaoui; le pre- 
mier n'aurait fait que donner, dans 1'ouest du 
Magreb, une nouvelle extension a 1'ordre des 
Chadelya, que les populations delaissaient pour 
se rapprocher de celui des Taibya, deja mfeode" 
a la dynastie regnante . Ne chez les Beni-Zeroual, 
dans la seconde moilie du XVIIF siecle, il suivit 
les cours de Mouley-Ali, a Fez, et devint son dis- 
ciple prefere et son successeur. II pratiqua, dit- 
on, toujours le renoncement au monde et, plein 
de mepris pour les autorites de son pays, il se 
renferma dans 1'abstention la plus complete des 
affaires. Gependant nous avons peine a croire 
qu'il se tint toujours, lui ou ses disciples, dans 
les limites de la prudence et que jamais, dans ses 
actes, il ne se mela de politique. Pourquoi son 
maitre repandit-il avec tant d'ardeur cet ordre, 
si ce n'est pour s'opposer aux progres toujours 
croissants des Taibya, dont le but est de donner 
au pouvoir et a la famille regnante un secours 
contre les autres ordres. Gelte rivalitd prend 
tout de suite une tournure politique : faire subir 
un echec aux Taibya, detourner les populations 
de se faire affllier a cet ordre , n'etait-ce pas 
mettre le gouvernement marocain en echec et 
lui livrer, pour ainsi dire, un combat d'autorite. 
Ge fait seul montre que leur abstention des affai- 
res est plutdt theorique que pratique. 

Le gouvernement turc, en effet, ne les aurait 
pas tant pris en haine, si vraiment ils avaient eu 



224 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

envers rautorite" le respect qu'ont les aiitres 
Khouan ; les Derqaoua, aux yeux des Turcs, 
n'etaient que des re voltes. Voici, en effet, la 
peiriture que fait d'eux un fonclionnaire turc, 
El-Mossedem-ben-Mohammed, secretaire du dey, 
Hassan, a Oran : Les Derqaoua font parade du 
mepris qu'ils ressentent pour toute espece 
d'obeissance ; ils ne se re"unissenl jamais que 
secretement et dans les lieux les plus deserts ; 
ils sont vetus de haillons et pares de colliers de 
coquillages ; ils voyagent avec de longs batons 
ou a dos d'anes ; ils font montre d'un grand asce- 
tisme et ne prononcent le nom de Dieu que dans 
leurs prieres. (Cite par RINN, page 243.) Tels 
ils ont apparu a nos fonctionnaires : sujets peu 
souples et peu faciles a gouverner. Ils refusent 
toute fonction de noire part, excepte les fonc- 
tions du culte et de la justice. Nous aussi, comrae 
les Turcs, nous devons les surveiller et nous 
defier.beaucoup de ces personnages ; ils ont ete 
intimement lies a toules les insurrections diri- 
gees contre nous. Les fails eux-mmes parle- 
ront : alors on verra et on comprendra ce qu'il 
faut entendre par ce de"tachement du monde tant 
prgche par Ghadeli, et du mepris que les affllies 
a cet ordre doivent avoir pour les honneurs et 
les richesses; il y a loindu desinleressement du 
Chretien a celui de 1'Arabe. Tous les deux ont 
du mepris pour ce monde; mais tandis que le 
mepris du Chretien lui est inspire" par le vrai 
amour de Dieu et le de"sir sincere qu'il a d'aller 
vers lui, le mepris de 1'Arabe lui est inspire par 
la haine contre toute autorite ; le Chretien refuse 
une charge afin de pouvoir vaquer a la piete, le 
Khouan la refuse parce que, dans ce detenteur 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 225 

du pouvoir, il yoit un tyran, il voit un apostat 
qui a abandonne les traditions et les regies du 
Goran pour se faire 1'ami de Tinfidele. Voila le 
Derqaoui. Si de la theorie nous passons a la 
pratique, aux faits, nous verrons que toute leur 
histoire n'est qu'une longue suite de revoltes, et 
que tous les gouvernements ont a les redouter. 
Abd-el-Kader Iui-m6me s'est attire" leur haine, 
parce que, a leurs yeux, ainsi que nous 1'avons 
dit, c'e*tait un mode*re . 

Du vivant m&ne fa Mouley-Arbi, le fondateur 
de cette branche, nous voyons ses Kalifa prendre 
part, a deux reprises, aux affaires politiques et, 
les armes a la main, faire opposition au pouvoir 
legitime. La premiere fois, ce fut son Khalifa 
Abd-el-Kader Ben-ech-Cherif-es-Salih, qui leva 
Tetendard de la re volte contrelesTurcs; Her des 
nombreux affilies a son ordre et comptant sur les 
nombreux mecontents, il marcba centre 1'ennemi 
des Arabes, les Turcs, malgre les ordres, de son 
chef spirituel, et allaassieger Oran. Voyant que 
son Khalifa n'dcoutait ni ses en wye's ni les avis 
qu'il lui donnait par lettres, Mouley-el-Arbi se 
rendit aupres de lui ; il le trouva envirpnne de 
nombreuses richesses, portant de magnifiques 
habits et tout convert d'or. A cette vue, Mouley- 
el-Arbi ne reconnut plus le fidele disciple d'au- 
trefois, vivant pauvrement comme ses freres et 
portant des habits en haillons ; il avait oublie 
les sages conseils qu'il lui avait donnes si sou- 
vent, ou plut6t ii les meltait trop bien en pratique 
et etait tres consequent avec lui-m^me ; mais 
son maitre fanatique qui, comme la plupart des 
maitres arabes, avait pose des principes sans se 
preoccuper des conclusions, defendant meme de 



226 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS ' 

les discuter, ne put retenir son indignation, et, 
prenant une poignee de terre, il la jeta au vent : 
Ainsi il sera fait a Ben-Cherif, dit-il. Ge fut la 
toute leur entrevue. Le maitre rentra dans sa 
zaouia de Beni-Zeroual, etonne sans doute de 
ce que son Khalifa eut agi de la sorte et priant 
Dieu que sa prediction fut accomplie. 

Ici nous voudrions placer une reflexion qui 
fera bien comprendre la situation du Khouan 
vis-a-vis de son Cheikh, et comment il doit lui 
obe"ir. On a vu que ce Khalifa n'avait pas accede 
au desir de son maitre, mais que, conformement 
aux lecons qu'il en avail recu, il battait en bre- 
che rautorite" des Turcs. Le Cheikh, loin de se 
rejouir des succes remporte's par son disciple 
et d'y applaudir, et de 1'encourager dans cette 
O3uvre,luienfit au contraire d'amers reproches, 
et lui souhaita et predit mme sa chute. Ge qui 
manque le plus, en effet, dans les livres et ensei- 
gnements des docteurs arabes, c'est la logique ; 
ils ne comprennent pas qu'un disciple intelligent 
tire des conclusions des principes poses par le 
maitre, et ne veulent pas du tout 6tre respon- 
sables des actions operees par ce disciple, con- 
forme"ment a cette conclusion. A leur avis, 
Tob^issance du disciple doit s'arrSter au mot, a 
la lettre ; il ne doit pas argumenter, tirer des 
conclusions et agir en consequence. Toute la 
question se resout a ceci : Le Gheikh a-t-il oui 
ou non dit cette parole ? A-t-il dit qu'il faut atta- 
quer le Turc ou le Fransais ? S'il ne 1'a point dit, 
n'attendez pas qu'il approuve la conduite de son 
disciple ; nullement, il le blamera, le maudira 
et demandera a Dieu de Texterminer et de le 
faire echouerdans ses projets. N'est-ce pas le 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 227 

cas en cette occasion ? L'homme qui avait dit 
qu'U fallait obeir au Gheikh plutot qu'au souve- 
rain temporel, qu'il fallait fair les autorites du 
sieele, avoir pour elle non settlement du me'pris, 
mais aussi de la haine, ne disait-il pas par la 
qu'il fallait s'opposer a leurs actes, et les com- 
battre par tous les moyens. Quand Gambetta 
disait : le clericalisme, voila Tennemi , il ne 
disait pas qu'il fallait combattre, et cependant 
ses disciples ont compris cette parole. Au fond, 
Mouley-Arbi ne condamnait pas Ben-Gherif fai- 
sant la guerre aux Turcs ; ils etaient d'accord 
tous deux sur ce point ; c'est que tous les bons 
Khouan doivent avoir de la haine pour ces apos- 
tats qui ont rejete* la vraie doctrine ; le maitre 
condamnait le disciple parce que celui-ci n'avail 
pas attendu les ordres, parce qu'il avait agi de 
.sa propre autorite et semblait vouloir gagner a 
lui toute 1'influence des Khouan. C'etait done la 
rivalite et la jalousie qui empechaient ces deux 
hommes de s'entendre et d'agir de concert. Le 
maitre etait f roisse de ce que le disciple avait 
montre si peu d'obeissance ; on se souvient, en 
effet, du passage que nous avons cite, oil nous 
lisions que les fakirs devaienl avoir pour leurs 
Gheikh une obeissance passive. Le lecteur 
n'avait pas compris ce mot, il saura maintenant 
ce qu'il faut entendre par ce terme. Voila done 
quel est Tabaissement ou tous les chefs d'ordre 
veulent amener leurs affllies : ils doivent croire 
que toutes les paroles qui tOmbent de la bouche 
sacree de leur maitre sont des paroles saintes, 
auxquelles ils dojvent se conformer absolument, 
sans vouloir raisonner, car, comme nous 1'avons 
deja dit, le Khouan doit s'abstenir de lout rai- 



228 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

sonnement, meme serait-il bon. G'est une page 
a ajouter a ce que nous avons dit plus haut sur ce 
sujet; et ce fait que nous venons de rapporter 
fera comprendre, croyons-nous, les rapports 
qui doivent re*gner entre les affilies et leurs 
superieurs. 

Ce meme Mouley-el-Arbi, qui reprouvait la 
conduite de Ben-Cherif , agit a peu pres de meme, 
quelques annees plus tard. Mouley-Sliman, apres 
avoir regne pres de trente annees, voyait son 
trone chanceler sur ses bases ; a cette epoque 
(1821), comme ii est arrive* si souvent de 
nos jours, les Kabyles s'etaient souleves et 
avaient proclame empereur Mouley-Ibrahim. Les 
rebelles comptaient beaucoup sur les Derqaoua 
et voulaient user de leur influence pour com- 
battre les Taibya; leurs esperances furent 
vaines. Mouley-el-Arbi leur refusa son coacours, 
et ses Khouan, dociles a sa voix, ne prirent pas 
part a la re volte. Mouley-Sliman, en sa qualite 
d'initie, crut pouvoir gagner a sa cause ses 
coaffili^s et ses anciens confreres ; avec un tel 
secours, les rebelles, pensait-il, seraient bientSt 
sounds; iloubliait, le malheureux empereur, que 
danslaconfreriec'etait le Cheikh quicommandait 
et qu'il lui devait obeissance comme a son supe- 
rieur. Si Mouley-el-Arbi avait defendu aux 
Khouan deprendre les armes centre leur confrere, 
il leur defendit aussi de 1'aider a soumettre les 
rebelies. Et il fut obei. Comment appellerez-vous 
cette conduite ? II use de son autorite pour com- 
battre celle de son souverain ; il sail que si ses 
Khouan portaient les armes contre les rebelles, 
ce secours attenuerait le triomphe du sultan. 
Mais sa haine contre I'autorite le"gitime ne serait 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 229 

pas satisfaite ; et il voudrait le voir tomber pour 
qu'on dise qu'il a ete perdu parce que lui, Mouley- 
el-Arbi, superieur des Derqaoua, n'a pas voulu 
aider son disciple revetu du diademe. Son dis- 
ciple comprit alors les chaines pesantes qu'il 
s'e"tait donnees, et, usant de son pouvoir et de sa 
force, il fit Jeter en prison le perfide personnage. 
Sans son secours, il triompha des rebelles, et les 
troubles apaises, il voulut lui rendre la liberte. 
Mais 1'orgueillleux Cheikh ref usa la clemence de 
1'empereur. Je ne sortirai de ma prison, dit-il a 
1'envoye, que lorsque Sliman quittera le tr6ne. 
Gette conduite n'a pas besoin d'etre jugee ; on 
eprouve malgre soi un profond degout centre 
cet ignoble personnage, qui, voyant sa patrie a 
deux doigts de sa perte, emploie toute son auto- 
rite et son prestige a empecher son souverain de 
recruter les soldats indispensables pour sou- 
mettre les re voltes. Remarquons bien quetelle 
fut la conduite d'un superieur general envers un 
sultan; les affllies furent dociles aux lecons 
donnees; ils obeirent au Gheikh avant d'obeir 
au souverain. Plut a Dieu que des homines de la 
trempe de Mouley-el-Arbi ne se fussent rencon- 
tres qu'en Afrique. N'y a-t-il pas eu quelqu'un 
qui a dit : Perisse la France plutot que de la 
laisser chretienne, et dans notre derniere guerre 
n'a-t-on pas vu des hommes trahir leur patrie 
parce qu'ils faisaient partie des societes secretes ? 
La notion de la justice est une notion essentiel- 
lement chretienne, et le Chretien sait tres bien 
faire dans son coeur la part de la justice et de la 
charite qu'il doit avoir pour tous, m&ne pour ses 
ennemis. Satan, au contraire, prend plaisir a 
gtouffer en nous ces nobles sentiments, et la 



230 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

patrie doit disparaitre pour faire place a la 
saiate alliance des peuples... en Satan... 

Plus haut, nous avons mentionne les agis- 
seraents des Derqaoua contre Abd-el-Kader, et 
nous avons dit que le grand e*mir avait ete oblige 
de les combattre. Ge fut, en efiet, a cet ordre que 
les Arabes firent appel avant de penser au flls de 
Mahi-ed-Din ; cette distinction en fait a elle seule 
toute la critique et nous fait connaitre le cas 
qu'en font les perfides Arabes. Get ordre combat- 
tit notre influence avec plus d'acharnement que les 
Qadrya, malheureusement, ils ne rencontrerent 
pas un Abd-el-Kader dans leurs rangs. Peut-6tre 
aussi, faut-il attribuer la haine que se porterent 
les chefs de ces deux ordres a cette occurence, 
ou ils f urent de se voir Tun remplace par 1'autre 
de par la volonte du peuple arabe, dans cette 
meme plaine d'Eghris,ou Abd-el-Kader avait ete 
lu emir (Juin 1832), un autre personnage avait 
ete proclame avant lui : c'e"tait Sidi-Mohammed 
ben-Brahim . 

Un jour que dans son gourbi, pres de 1'Oued- 
el-Abd, cet elu de Dieu etait plonge tout entier 
dans la contemplation, et jouissait, seul avec son 
ame, des douceurs del'extase ; il vitarriver vers 
sa pauvre cabane un groupe de cavaliers, bril- 
lamment caparaconnes. Jamais pareil equipage 
n'avait paru en ce lieu. Le saint ermite se de- 
mandait ce qu'ils venaient faire en cet endroit, 
et il croyait qu'ils venaient en pelerinage pour 
lui demander le secours de ses prieres, et sa 
benediction pour le succes de la guerre sainte 
qa'on allait entreprendre. Son coeur detache des 
choses de la terre, me'prisant les honneurs et les 
richesses, rte demande qu'une chose ; passer le 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 231 

reste de sa vie dans le calme de la retraite et de 
la solitude en compagnie des saints personnages 
qu'il voit dans ses extases. 

Mais quel n'est pas son e"lonnement, quand, 
apres les saluts d'usage, les etrangers lui pro- 
posent de venir lui-mme se mettre a la lete des 
Musulmans et preacher les Djihad. En face des 
nombreuses rivalites de families et de tribus, les 
Musulmans n'avaient pu s'entendre sur le choix 
du chef. C'est a son tribunal plein d'equite et de 
justice, que les chefs de tribu apportaient leur 
diffsreud. Nul mieux que lui ne pouvait remplir, 
avec plus d'equit^, la fonclion d'arbitre. 

Tout en protestant, comtne il f allait s'y attendre 
qu'il voulait toujours vivre dans la solitude, 
s'occuper settlement des choses du ciel, il se 
rendit a leur invitation, et abandonnant sa cabane, 
il les suivit dans la plaine d'Eghris. En vain, 
pendant sept jours, il vouiut leur faire com- 
prendre qu'il f allait que chacun vecut en paix 
chez lui. En vain, appuye sur le Goran et les 
textes des commentateurs, voulut-il leur faire 
comprendre que le vrai bonheur etait de passer 
dans la tranquillity, une vie vouee tout entiere 
aux bonnes oeuvres ; en vain, voulut-il leur faire 
partager ses idees et gagnerquelques hommes a 
ses doctrines, tous ses efforts ne f urent pas cou- 
ronne"s de succes ; il etait venu pour sei vir les 
int6rts politiques de ces notables, non pour 
precher ses doctrines. Aussi, voyant rinutilite de 
ses efforts, il partit dans lanuitdu septieme jour 
et retourna dans son gourbi. 

Quel etait bien le vrai motif d'une telle conduite? 
Faut-il y voir vraiment 1'effet du mepris des 
grandeurs humaines, ou plutdt un effet de 



232 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

1'orgueil froisse ? Dire que ce fut par ddsinteres 
sement, et que cet homme ne voulait qu'une 
chose ici-bas : vivre dans la retraite, loin des 
honneurs, fuyant toute politique serait, a mon 
avis du moins, une erreur. Si, en effet, il n'avait 
pas voulu du tout des honneurs, s'il avait voulu 
que son ordre ne nous fit pas la guerre, comment 
pourrions-nous expliquer sa conduite posterieure 
et celle de ses Khalifa. Si, toujours, il ne s'e"tait 
occupe que de prier et de contempler, Abd-el- 
Kader ne serait pas veuu 1'enlever ; on raconte a 
ce sujet que 1'emir ne put trouver le Derqaoui, 
grace a la protection d' Allah ; il est certain 
qu'Abd-el-Kader trouva dans ce chef d'ordre, un 
puissant ennemi et que, apres Tidjani qui obtint 
la celebre feloua dont nous avons parle, aucun 
Arabe ne lui fit plus de mal. Deux hommes 
saperent la puissance de 1'emir : Abd-el-Rahman- 
Touti, dans 1'ouest, et Sidi-Moussa, dans Test. 

De"cu peut-tre dans ses esperances, car il avait 
pu croire que, a cause de sa sainted et de son 
ordre si puissant dontil etait le chef, ces cavaliers 
etaient les delegues des tribus, charges .de lui 
confier le commandement supreme, Ben-Brahim 
nommaMoqaddemdesDerqaouaAbd-el-Rahman- 
Touli, qui demeure le chef reel de 1'ordre apres la 
mort de son maitre et le depart de Mohammed- 
ould-Soufi pour le Maroc(1840). Abd-el-Rahman 
n'avait qu'un but, jouer le mme r61e que 1'emir, 
et il voulait se servir des Derqaoua pour arriver 
a cette fin. Mais il lui manquait trois choses que 
possedait Abd-el-Kader : la foi du Musulman, 
le genie du guerrier et du diplomate, et enfin, 
pour entrainer les societes musul manes, le don 
de 1'extase. S'il avail joint ses forces a celles de 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 233 

1'emir, si au lieu d'ecouler les ressentiments que 
lui avail Iransmis son mailre, il avail sacrifie loul 
pour saaver la liberle de sa palrie, il aurail pu 
alors acquerir une vraie gloire, else placer peul- 
elre a c6te* du grand emir, mais au second rang. 
11 ne voulut pas ecouler la voix de la conscience 
el de la justice, el tous ses efforts n'aboulirent 
qu'a re"chauftouree de Sidi-bel-Abbes (30 Janvier 
1845). IL croyail surprendre la pelile garnison, 
mais, grace a la trahison d'un de ses coaffilie*s, 
les soldats furenl sur leurs gardes, el cinquanle 
resterenl sur la place, des soixante-six individus 
qui 1'accompagnaient, armesseulemenlde batons 
qui, a sa voix, devaienl se changer en fusils. 

II ne ful pas aussi facile de soumetlre les re- 
voile's de 1'est. Un aulre Derqaoui avail exploile 
1'exallalion religieuse developpee chez les 
Derqaoua par le myslicisme auslere el inlran- 
sigeanl de leurs chefs spiriluels (RiNN, page 240). 
Gel individu etail El-Hadj-Moussa-ben-Ali-ben- 
Hoce'in. Bien des peripelies elaienl venues trou- 
bler la vie de ce Khouan, el 1'avaienl emp^che 
sans doute de s'adonner, comme Ben-Brahim, 
aux pratiques du myslicime el de gotiter, dans la 
solilude, les douceurs de Texlase . Ne en Egyple, 
vers la flu du xvm e siecle, refugie a Tripoli pour 
fuir la juslice de son pays, ii se fail affllier aux 
Ghadelya Derqaoua dans la zaouia de celte ville 
de refuge. En 1828, nous le Irouvons au Maroc, 
charge d'une mission, el en 1830, a Laghouat. La 
nouvelle de la prise d'Alger exalte son fanatisme, 
mais il se trouvail dans un pays ou dominaienl 
les Tidjanya. Ne doutant pas de Tappui de 
1'ordre auquel il esl affilie, il va trouver le Mo- 
qaddem des Derqaoua, Mouley-el-Arbi-ben- 



234 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

Attia(l). Gelui-ci le recut tres mat : Dieu m'a 
decouvert tous les troubles qui doivent arriver 
sur terre depuis mon siecle jusqu'a la venue de 
A'issa(2) (Jesus-Christ). Je n'ai vu personne de 
notre confrerie devenu puissant en ce monde, 
ou tu as tellement a" coeurle desir-de te faire une 
situation politique, que tu es sorti de la voie des 
Soufi, et que tu te conduis d'une fagon contraire 
aux regies de 1'ordre. (Cite par RINN, page 
240.) 

II etait facile certes repondre au dernier 
argument ; car la loi musulmane n'ordonne-t-elle 
pas de faire la guerre sainte ; mais, encore une 
fois, ne demandons pas la logique la ou est le 
diable. 

Moussanefut pas decourage, mais pour un 
moment, il se fit Tallie de 1'emir ; malheureuse- 
ment pour la cause musulmane, ils ne purent 
longtemps vivre dans la paix, et Moussa battu, 
apres avoir vu tous ses partisans massacres, dut 
s'enf uir dans le desert. Leon Roche nous dit que 
1'emir s'empressa d'attaquer cette nouvelle puis- 
sance rivale d'autant plus que deux de ses 
propres cousins et plusieurs personnages influents 
etaient entres dans la secte des Derqaoua . 
(Tom. I. page 146.) Dans le desert, il voulut bien 
encore organiser la defense, et combattre notre 
influence ; mais, poursuivi par Yousouf, il dut 
fuir d'oasis en oasis, et fut tue* dans le siege ds 

(1) 11 ne faut pas le confondre avec Mouley-el-Arbi-el-Derqaoui 
qui, nous Taverns vu, passe pour le veritable fondateur des 
iDerqaoua. 

(2) Pour 1'intelligenee tie cette phrase, nos leeteurs doivent savoir 
que, d'apres le Goran, Jesus-Christ n'a pas etc crucilie, mais qu'nn 
autre a etc mis en croix par les Juifs. Jesus-Christ se lluidilia sans 
doute, et c'est lui qui doit revenir a la lin du monde pour rallier 
tous ls vrais croyants. 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 235 

Zaatcha, il ve"rifiait lui-mme la parole que lui 
avait dite Ben-Alia : Personne ne desirera le 
pouvoir terrestre qu'il ne perisse . Depuis ce 
moment, les Derqaoua nous ont laisse jouir de la 
paix, mais c'est en vain que no.:s avons voulu les 
apprivoiser; ils sont toujours restes etrangers 
au mouvement de civilisation, et se sont conduits 
a peu pres envers nous comme envers les Turcs ; 
ils nous me'prisent, ils nous detestent, ils nous 
fuient, et jamais ils n'accepteronl aucun bienfai^ 
venant de nous. On pourrait, il est vrai, citer 
quelques Derqaoua qui ne ref usent pas d'accepter, 
les postes que nous leur conflons, mais la encore 
ils nous jouent ; ils veuient par la monlrer que 
nous n'avons pas de raison de les craindre. Et 
cependant il y a peu d'ordres dont nous devrions 
nous defier davantage. Nous resumonstout dans 
un mot : Les Derqaoua sont 1'avant-garde des 
Snoussya, avec lesquels un jour ou 1'autre, aiusi 
que leurs confreres les Madanya dont nous aliens 
parier, ils se fondront. 

Disonsun mot a present des ceremonies et du 
rituel particulier a cet ordre . La premiere con- 
dition requise du Khouan qui veut se faire initier 
estune"tatde purete parfaite. Gette condition 
remplie, le neophyte se tient dans la posture d'un 
homme en priere ; le Gheikh lui prend les mains 
dans les siennes et prononce cette courte priere : 
II n'y a pas d'autre divinite qu' Allah, il est tout 
puissant, il n'a point d'associe a sa puissance, a 
lui appartient tout, il peut tout, il donne la vie et 
la mort, re"pandons nos louanges sur lui . Le 
Gheikh fait alors jurer au neophyte qu'il se 
conformera aux statuts de 1'ordre, qu'^1 aimera 
ses freres, qu'il evitera le peche, qu'il fera abne- 



236 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

gation de lui-meme pour tout ce qui concerns 
la vie materielle ; qu'il ne tiendra compte ni des 
injures, ni de la faim, ni de la soif, ni de la mi- 
sere, qu'il ne recherchera pas les satisfaclions de 
la chair, qu'il s'efforcera de pratiquer toutes ces. 
vertus, qu'il s'instruira tout d'abord de ses devoirs 
envers Dieu, qu'il accomplira strictement ses 
ablutions, ses prieres et tout ce qui est d'obli- 
gation divine . (RiNN, page 246.) Une fois im'tie*, 
le Khouan peut assister aux hadra ; nous 
avons dit ce qu'on y faisait, les danses qu'on y 
ex^cutait et les divertissements qu'y prenaient 
les freres en compagnie de leurs soeurs, lorsque 
nous avons parle de 1'extase. L'initiation dif- 
fere peu de celle des autres ordres, on recon- 
nait d'ailleurs que la mme main a preside a 
tout. 

Voici quel est le diker special aux Derqaoua. 
Tout Kouhan doit reciter apresla priere du matin 
et du soir, en egrenant son chapelet : 

Gent fois la formule : queDieumepardonne. 

Gent fois ia formule : Dieu, repandez vos 
benedictions sur le Prophete ignorant, sa famille 
et ses compagnons. 

Quatre-vingt-dix-neuf fois la formule sacree : 
11 n'y a de divinite qu' Allah. Sur le centieme 
grain, il dira : II n'y a de divinite qu' Allah, 
Mohammed est son prophete ; que Dieu repande 
sur lui ses benedictions . 

II y a peu d'ordres qui aient autant que les 
Ghadelya Derqaoua, de pratiques, de prieres, 
de ceremonies ; pourchaque heure de lajourne'e 
lerituel indique une priere speciale. Rinndonne, 
a titre de specimen (pages 254-256), la priere 
que les affilie"s doivent reciter apres la priere 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 237 

de 1'eau; elle ne comporte pas moins de deux 
grandes pages d'un in-8, ligaes tres serrees, ca- 
racteres tres fins. Et encore Rinnl'aabr^ge ; nous, 
calculons qu'il faut plutdt plus que moins, quinze 
minutes pour la reciter, quinze minutes pendant 
lesquelles le malheureux doit tenir son esprit 
occupe sans cesse de la pensee de Dieu, et qu'il 
doit impitoyablement emp^cher de laisser errer 
et voltiger comme 1'abeille de fleur en fleur. Et 
tout cela en plus du diker ordinaire. Vraiment on 
ne peut s'empecher de louer la bonte de notre 
Dieu qui se contente d'une petite priere que nous 
lui adressons matin et soir. Gomme cette bonte 
montre bien que vraiment la main de Dieu est la, 
cette main qui loin d'augmenter le poidsqui nous 
accable, ne cherche qu'a 1'alleger. 

A c6te de ces Derqaoua qui ne se servent de 
leur influence que pour combattre ouvertement 
toute autorite, nous devons placer les Madanya, 
qui sont encore plus perfides ; sous la peau de 
Tagneau, ils cachent leur vrai caractere de loup, 
et ne servent les Turcs dans la Tripolitaine qu'afin 
de pouvoir plus facilement les dominer. La 
maison mere de cette branche des Ghadelya 
est Mesrata dans la Tripolitaine. Nous ne reyien- 
drons pas sur ce que nous avons dit plus haut, 
quand nous avons parle des ennemis des ordres 
religieux; nous les avons mis a peu pres sur le 
meme pied que les Taibya, et nous leur avons 
attribue le mme role. II y a cependant entre 
ces deux ordres une reelle difference ; les Taibya 
forment un ordre ve"ritablement national, prenant 
vraiment en main les interests du Maroc, les 
Madanya, au contraire, sont des traitres : iJs 
servent Constantinople afln de pouvoir tre plus 



238 LE DIABLK CHEZ LES MUSULMANS 

utiles aux Snoussya : Tout en conservant une 
autonomie qui facilite leurs intrigues, dit Rinn, 
les chefs Madanya font surtout les affaires des 
Snoussya. Le sultan les subit et leur obeit bien 
plus qu'il ne les dirige. 



CHAPITRE III. 
Diazoutya-AJissaoua. 



Nous allons parler de celte secte qui etait 
peut-tre la seule dont la plupart de nos lecteurs 
connussent le nom. La renommee des Aissaoua, 
en effet, a traverse la Mediterranee, et meme, 
lors de la grande exposition de 1867, ils ont 
donne, an milieu de Paris, une seance, comment 
dirons-nous, de diabolisme. Nous avouons que 
nous sommes un peu embarrasses pour juger cette 
secte; les auteurs qui en ont parle"ne sont pas d'ac- 
cord ; de plus, c'est unordre qui garde avec le plus 
grand soin ses rituels, et ne laisse voir que ce 
qii'il veut. Dans les manuscrits, en effet, qui 
peuvent tomber . entre les mains des profanes, 
on laisse des espaces en blanc; de plus, si le 
grand-maitre de 1'ordre condamne tous ceux qui 
profitent de la celebrite des Aissaoua pour trom- 
per les na'ifspar leurs prestidigitations, il ne nie 
pas que les affllies ne se livrent aux danses et 
autres operations oil evidemment il faut recon- 
naitre la main de Satan. Nous tacherons de faire 
connaitre cet ordre le mieux que nous pourrons. 
Gertes, personne ne condamne plus que nous les 
auteurs qui voudraient voir le diable partout, 
mais cependant, comme ce sera ici le cas, il fau- 
drait tre ou un naif ou un sot pour ne pas com* 



240 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

prendre avec les documents, tronques il est vrai, 
que nous mettrons sous les yenxde nos lecteurs, 
que nous sommes en presence de Satan. Nos 
lecteurs intelligents qui nous ont suivi a travers 
le de"dale de 1'extase, et ont compris les moyens 
employes, croient-ils qu'ii soit possible d'y arri- 
ver par les seules forces de la nature. Notre ima- 
gination pourra nous donner des fantdmes, mais 
nous fera-t-elle voir des caracteres et des lettres 
comme ceux que tracait la main invisible que 
voyait Chadeli ? Evidemment non ; nous avons 
dit que dans 1'extase dont sont favorises les 
Khouan, il y a beaucoup de naturel, et nous dou- 
tons que personne soit plus large que nous sur 
ce point. De meme, nous dironsque les A'issaoua 
font des choses qui nous paraissent surhumaines 
et qui cependant peuvent s'expliquer par 1'hyste- 
rie et le magnetisme. Ne croyons pas, en effet, 
que sous le rapport de diabolisme les Musulmans 
soient en retard ; ils nous ont devance de beau- 
coup, comme les francs-masons nous ont devances 
dans 1'etude des microbes. Ici nous devrions 
placer une etude sur I'hysterie et les maladies 
nerveuses ; nous renvoyons nos lecteurs a la 
magnifique etude faite sur ce sujet parle docteur 
Bataille dans sa publication : Le Diable au 
XIX* Siecle. Nous ne pourrions mieux que lui 
determiner les limites du naturel et du surnatu- 
rel, et, nous le repetons encore, quand on veut 
juger les Aissaoua, ii faut toujours avoir ces 
notions devant les yeux. 

Si Snoussi, dans son livre ou il cite, pour 
prouverl'orthodoxie de son ordre, les principales 
societes musulmanes, ne parle pas des Aissaoua, 
nous allons en donner deux motifs : d'abord 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS .241 

Snoussi ne voulait pas, pour appui de son ordre, 
une socie"te de saltimbanques et d'individus 
courant de viile en ville pour donner des repre- 
sentations ; en second lieu , - les ennemis des 
A'issaoua disent que ce n'est pas un ordre veri- 
table, car il n'a pas de chame mystique, et a ete 
fonde sur une revelation venue d'El-Khadir : 
invoquer cet ordre n'etait pas une preuve, car il 
aurait fallu prouver I'orthodoxie des A'issaoua ; 
mais il invoque les Djazoulya, dont les A'issaoua 
ne seront que les continuateurs. Get ordre, en 
effet, avait ete fonde par Mohammed-ben-Abou- 
Beka, Sliman-El-Djazouli, ne aux environs de 
Sousse, et a'ieul de Mahmed-ben-Aissa, fonda- 
teur des A'issaoua. Nous avons conserve ce 
nom de Djazoulya, afln de montrer la veritable 
orthodoxie des A'issaoua , et aussi comme 
expression historique. 

Comme tous les fondateurs d'ordre ou Moqad- 
dem celebres, Ben-A'issa, a 1'apogee de sa gloire, 
fut en butte a la persecution : comme Ghadeli 
ii a fui devant ses ennemis, mais il rentra 
triomphant, apres avoir opere des miracles sans 
nombre. Ne a Mequenez, vers 1470 (il mourut 
vers 1525) d'une famille cherfienne se rattachant 
a la famille des Idrisiabes, Mahmed-ben-Ai'ssa 
etudia a la Zaouia de sa ville natale, puis a Fez 
se fit initier aux Ghadelya-Djazoulya par Ahmed- 
El-Haristi, disciple direct de son grand-pere a La 
Mecque, ii semiten relations avec les principaux 
ordres orientaux, surtout les Haidiry(t) etles 

(1) Nous ferons remarqner, au sujet de cet ordre, que son fonda- 
teur passe pour avoir decouvert les proprietes narcotiques de la 
graine de chanvre et dtt hatchich. II s'appelait Ilai'dad, et etait UD 
Soufi indo-persan. 11 employait ces plantes pour produire les 
extases et les hallucinations. Beu-Ai'ssa s'en souvieadra. 

7.. 



242 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

Saadya. Apres avoir ete initie aux secrets des 
socie'te's orientales qui,plus rapproche'es del'lnde, 
avaient pu aussi conserver avec plus de purete' 
la saine doctrine, il rentra dans son pays, pre- 
cede par sa reputation de saintete et d'habile 
thaumaturge. Les moindres actions excitaient 
radmiration de ses concitoyens. En Orient, ii 
avait etudie quelque peu ragriculture ; de retour 
dans son pays, il appliqua les theories qu'il avait 
apprises, et ses efforts f urent couronnes desucces : 
les oliviers donnerent des fruits admirables en 
grosseur et en saveur. G'en fut assez pour ces 
gens avides de merveilleux pour lui decerner le 
titre et les merites d'un grand saint. A 1'aide 
d'habiles prestidigitations, il entretenait aupres 
du peuple de telles idees et se faisait passer pour 
un homme inspire d'en haut. II y avait cependant 
autre chose que de beaux tours, et Ben-A'issa 
etait autre chose qu'un saltimbanque. Si vrai- 
ment il n'avait opere des prodiges, le peuple ne 
lui aurait jamais voue une aussi grande venera- 
tion : necessairement un homme, qui fait un 
metier d'amuser ses semblables par des tours et 
des escroqueries, tombe t6t ou tard sous le 
mepris public. La reputation de Ben-A'issa ne fit 
qu'augmenter, et quand 1'empereur de Mequinez, 
jaloux de I'influence prise par le saint de Dieu, 
voulut le chasser de sa ville, la plus grande 
partie deshabitants qui s'etaient fails ses disciples 
le suivirent dans son exil. 

Get ordre fut marque par de nombreux pro- 
diges, et fut Foccasion pour le saint de montrer 
sa saintete. Dans ce desert qu'ils devaient traver- 
ser il n'y avait ni eau ni vivres ; reduits a la 
derniere extremite ils allaient mourir de faim ; 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 243 

mais le saint pour lequel ils avaient tout aban- 
donne se mit en prieres, et se relevant il leur dit 
de manger les pierres, les scorpions et les ser- 
pents venimeux qui abondaient ; tous en man- 
gerent, et ces animaux, qui devaient leur faire du 
mal et meme leur procurer la mort, f urent pour 
eux UEC excellente nourriture. G'est en souvenir 
d'un tel prodige que les confreres avaient toute 
espece de choses plus ou moins indigestes qui 
cependant ne leur font point de mal. 

Mouley-Ismail, le sultan de Mequinez, dut s'in- 
cliner devant la toute-puissance du grand mara- 
bout; tout le monde avait fui sa capitale, et les 
immenses chantiers de construction n'avaient 
plus de bras pour achever les magnifiques 
palais que voulait batir le monarque. 11 dut 
done s'incliner et rappeler de son exil le Mara- 
bout. Celui-ci, profitant de sa toute-puissance, 
exigea du sultan que desormais tous ses affllies 
seraient exempts de corvees et d'impdts. Les 
Arabes, amoureux de merveilles et de miracles, 
racontent tous les prodiges que le saint accomplit 
dans sa lutte centre 1'autorite. II est curieux de 
constater que, dans ces luttes inegales entre un 
homme faible appuye" seulement sur une force 
morale, sa saintete, et 1'homme tout-puissant 
disposant de grandes forces, le peuple prend 
toujours parti pour le saint. A quoi faut-il 
attribuer ce fait ? G'est que le peuple voyait en 
ces ems les vraisrepresentants de la nationalite"; 
le souverain transigeait avec la loi musulmane, 
mais le Marabout ne se laissait pas influeneer 
par tous ces motifs de politique et de gouverne- 
ment. Do plus, le Marabout r^sistait a la puis- 
sance tyrannigue d'uia sultan, et le peuple qui 



244 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

subit sans se plaindre la cruaute de son souve- 
rain applaudit celui qui, sorti de ses rangs, ose 
resister en face a 1'oppresseur. Voila les causes 
qui ont assure aux chefs d'ordre le succes de 
leur entreprise, en general c'etaient des hommes 
peu ordinaires : Abd-el-Kader et Ghadeli sont 
deux grands philosophes, et Ben-Aissa,aux yeux 
des Musuimans, quoique moins savant et moins 
saint que le grand saint de Bagdad, la colonne 
de 1'Islam, est cependant encore un g'outs et, 
comme tel, a une sainteto peu commune. MSme 
sa vertu est si grande qu'il a merite de Dieu la 
f aveur de gue"rir tous les malades qui 1'appro- 
chaient a un jour de 1'annee, bienfait qui n'a et6 
accorde qu'alui, et faveur encore plus pre*cieuse, 
il a obtenu de Dieu que ce don flit transmis aux 
quarante saints qui vivent dans la solitude dans 
dans la zaouia mere et qui forment le conseil du 
grand maftre. 

Grace a ses miracles et prodiges innombrables, 
Ben-ATssa avait acquis une immense reputation 
et un grand ascendant sur tout le peuple ; ses 
disciples lui e"taient devoues corps et ame et 
etaient prets a se faire hacher pour son ser- 
vice. II voulait, a 1'exemple d'autres Cheikh, 
eprouver leur fldelite etleur amour. Unjour, qu'il 
avait prie longuement dans la zaouia, il sortit et 
se presenta a la foule compacte qui entourait sa 
demeure; comme toujours, il fut 1'objet d'une 
grande ovation. Quand les cris du peuple eurent 
cesse : Aujourd'hui, dit-il, Dieu m'a favorise 
d'une vision : le Prophete m'est apparu, il m'a 
ordonne d'oifrir un sacrifice a Dieu. J'ai jure 
de lui immoler ce que j'avais de plus cher. 
Que celui d'entre mes disciples, dit-il en arti- 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 245 

culant lentement ces paroles, qui m'est le plus 
devout et est le plus attache a ma personne entre 
dans ma maison, afin que je Pimmole au 
Seigneur. Un sourd murmure accueillit ces 
paroles, maisun de sesardents disciples s'avanca: 
ils entrerent ensemble et fermerent la porte; 
on entendit an ge*missement et le sang coula 
avec abondance de la maison du saint; il sortit et 
en demanda un second : il fit de meme, on n'en- 
tendit qu'un ge*missement, et des flots de sang 
coulerent ; quarante fois il sortit pour demander 
une nouvelle victime, quarante fois un de ses 
disciples s'offrit, on n'entendait chaque fois qu'un 
gemissement et on ne voyait que des flots de sang 
qui coulaieht. II va sans dire que la foule etait 
plus compacte au commencement qu'a la fin. 
Quel etait done cemystere? Les disciples avaient- 
ils 6te vraiment inimples? G'etait une ruse 
qu'employait le Cheikh afin de pouvoir choisir 
parmi ses plus fervents disciples ceux aux 
mains desquels il voulait confier le gouverne- 
ment de son ordre. Chaque fois qu'il e"tait venu 
demander quelqu'un pour 1'immoler, il avail 
immole a sa place un mouton. Ges quarante 
moutons furent rotis et distribues aux pauvres. 
Les quarante disciples qui avaient prouve, au 
mepris de leur vie, combien ils lui etaient 
devoues, formerent le chapitre ordinaire de 
1'ordre. G'est a eux que le fondateur, avant 
de mourir, transmit tous ses pouvoirs, sa 
baraka, ou pouvoir d'obtenir de Dieu tout ce 
qu'on lui demande et les dons des miracles. 
Parmi ces dons, il faut enumerer surlout celui 
de pouvoir guerir une fois par an ceux qui les 
approchent a cette occasion. Pendant toute 

7.,, 



246 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

1'annee ces saints de 1'ordre restent enfermes au 
tombeau du saint fondateur et n'en sortent que 
le jour de la fete du Miloud, qui correspond a la 
fte de Noel; ils celebrent ce jour-la 1'anniver- 
saire de la naissance du Prophete. Tous les 
malades ou infirmes qui, ce jour-la, ont la faveur 
de pouvoir approcher de ces quarante individus, 
sont gueris de toutes leurs souffrances, selon le 
degre de foi qu'ils ont dans leur coeur; de la sorte 
on ne peut les accuser de ne pas avoir le don 
de guerir, puisqu'ils font retomber la non reiis- 
sile sur le manque de foi du malade. Mais, 
toujours, le malade obtient un petit soulagement 
s'il n'obtient pas gudrison complete par manque 
de foi. Gette faveur de guerir les maladies 
rappelle celle qu'avaient lesrois de France de 
guerir les e"crouelles. 

Jusqu'a quel point une guerison peut-elle etre 
naturelle? Y a-t-il eu des individus qui vraiment 
aient eprouve cette faveur, et aient obtenu 
des gueYisons subites ? Nous le croyons. Et voici 
comment nous expliquerions ces guerisons. Noiis 
ne parlerons pas des maladies nerveuses qui, 
tout le monde 1'avoue, peuvent 6tre soulagees 
subitement, sans qu'ii y ait pour cela rien de 
diaboh'que; mais unhomme atteint d'une maladie 
organique peut-il tre gueri subitement ? Dans 
le cas de Tafflrmatif, a qui faudrait-il attribuer Ja 
guerison, a Dieu ou au de*mon? Nous ne pouvons 
traiter a fond cette question; car elle nousdeman- 
derait trop de temps et nous entrainerait trop 
loin de notre sujet; mais nous r^pondrons dans 
le cas present. Les individus malades qui 
vont rendre visite a Tun de ces quarante 
favoris d' Lueifer dans ce jour du Miloud, 



LE WABLK CHEZ LES AfUSULMANS 247 

ont une foi vive dans 1'efflcacite des prieres de 
ces hommes : leur imagination pent done les 
gue'rir ou m6me les soulager seulement dans les 
maladies qui dependent du systeme nerveux; 
mais il n'y a pas la quelque chose surpassant les 
forces de la nature, et aos medecins de la Salp- 
triere en font autant. Que faut-il penser de la 
guerison soudaine d'une maladie chronique, par 
exemple les acces de fievre dont Leon Roche se 
plaignait et qui subitement Font abandonne, grace 
aux soins donne"s par Abd-el-Kader. Nous repon- 
drons acela que le demon nous semble capable de 
pouvoir ope*rer un telprodige soit parluisoitpar 
des hommes auxquels il aura donne ce pouvoir : 
mieux que nous en effet, il connait les forces de 
la nature, et il sait le remede a opposer au mal. 
Qu'on n'oublie pas que Lucifer est, apres Marie, 
la plus belie des creatures sorties des mains de 
Dieu, que son intelligence egale sa beaute", et 
que sa chute e"pouvantable, en viciant sa volonte", 
lui a laisse intactes les forces de son esprit. 
Jusqu'a ce point, par consequent, nousne voyons 
pas de difficuite"s a ce que vraiment les quarante 
individus composant le Gonseil des Ai'ssaoua, 
aient la faveur de guerir des maladies de cette 
nature. 

Ges hommes, ou plut6t le demon, ppurraient-ils 
. gue"rir des maladies dont les organes seraient 
atteints,par exemple un poitrinaire?Nous croyons 
que nous pouvons encore re*pondre oui, mais nous 
nous expliquons de suite. Rendrela santeaunindi- 
vidu subitement et de maniere alaisser croire que 
ses organes n'ont jamais e"te malades, ceci est evi- 
demment un miracle, et il n'existe pas, que nous 
sachions, un medecin qui se vante de guerir subi* 



248 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

tement et sans convalescence soit un poitrinaire, 
soittout individu convert de plaies. Mais si la 
science se reconnait impuissante a faire de tels 
prodiges, que certes jamais elle ne pourra 
accomplir, car il faudrait avoir la puissance de 
Dieu, 1'homme qui connaitrait parfaitement les 
forces de la nature, et saurait les employer 
comme ii faut, ferait des merveilles. Or, c'est la 
le cas : si le do"mon ne peut pas faire des mi- 
racles, il peut faire desprodiges ; mettant a profit 
toute sa science, il peut la mettre a la disposition 
de ceux qui se sont donnes a lui afin de gagner 
par leur moyen beaucoup d'adeptes; s'il ne 
peut pas instantanement guerir une plaie, il 
peut cependant lui apporter un grand soulage 
ment et aider puissamment la nature. Telle 
maladie que nos faibles moyens nous repre- 
sentent comme incurable peut cependant se gue- 
rir avec un remede que nous ne connaissons pas. 
Dieu guerit subitement et sans convalescence; 
les chairs renaissent comme par enchante- 
ment, on dirait une nouvelle creation : le diable, 
singe de Dieu, ne peut agir avec cette puis- 
sance, mais ii soulage le malade, aide la nature, 
et guerit a la longue une maladie qui nous 
paraissait incurable. 

Aussi le lecteur admirer a la justesse des paroles 
employees pour dire la maniere dont le prodige 
s'opere. Ne croyons pas que ces paroles : Si le 
malade n'est pas gue"ri tout a fait, il eprouvera un 
grand soulagement ; ne croyons pas, dis-je, que 
ces paroles soient mises par mode de remplis- 
sage. Sans doute, ce sera toujours un e"chappa- 
toire, car le Khouan pourra dire que le fidele 
n'avait pas la foi suffisante, mais aussi ces 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 249 

paroles DOUS font comprendre comment agit le 
demon : Fange des tenebres ne pent pas, comme 
Dieu, soulager tout a coup;mais, afin de s'at- 
tribuer un tel pouvoir, il met tout en ceuvre . II 
agit peu a peu sur noire nature ; voila comment 
il opere des prodiges, voila comment il se fait 
passer pour Dieu aupres de ses adorateurs. 

Ge don que possedent les grands chefs de 
1'ordre des Ai'ssaoua n'a pas peu contribue a 
leur celebrite" ; le vulgaire 1'attribue aussi a tous 
les affilies, convaincu que parmi les gens qui se 
torturent, qui se font roille entaiiles dans le corps, 
il doit y avoir au moins un g'outs, iis veulent les 
amener dans la maison oil se trouve un malade. 
G'est un envoutement d'une nouvelle espece, 
ou celui qui doit se charger de la maladie est 
celui qui vient faire les conjurations. Quel bruit 
et 'quel vacarme, grand Dieu I Aussit6t qu'on a 
decrete" qu'il fallait faire venir un Aissaoui pour 
delivrer le malade et se charger impunement 
de ses souffrances, on prepare tout pour la 
seance. Au milieu du vacarme le plus epouvan- 
lable,le mauvais genie qui est cense occasionner 
le mal du fidele. croyant est adjure de passer 
dans le corps du Khouau invulnerable sur lequel 
la maladie n'aura aucun effet. Evidemment, le 
pauvre diabie continue a souffrir de sa maladie, 
et, de fait, sa mort est memo causee par ces 
bruits ; on ne se figure que difflcilement en 
Europe ce que sont ces bruits discordants, lamen- 
tables, qui vous entrainent malgre vous. On 
souffre cruellement, et on aimerait mieux voir 
a cinq cents lieues de 1'endroit ces personnages 
qui, sous pretexte de vous guerir, viennent faire 
avos oreilles un vacarme d'enfer. Telle est la 



250 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

croyance des Musulmans que, malgre les insuc- 
ces, ils ne veulent pas se desister de cette cou- 
tume, et un flls aime mieux faire mourir son 
pere, plul6t que de ne pas faire venir un des 
Khouan. 

Quelle est done 1'opinion des Arabes sur 'cette 
secle? Les uns regardent les affilies com mo des 
saints remplis de 1'esprit de Dieu, favorises du don 
de faire des miracles et de delivrer des maladies, 
invulne"rables aux poisons, grace a la protection 
de leur grand saint patron Mahmed-ben-Aissa. 
D'autres, au contraire, croient que ce ne sont. 
que d'habiles prestidigitateurs, exploitant a leur 
profit la btis<5 humaine. Dans ces deux opinions, 
il y a du vrai et il y a du faux; ou plut6t elles 
se completent 1'une 1'autre. II' faut, en effet, dis- 
tinguer les vrais inities de ceux qui, s'affublant 
du nom d'A'issaoua, veulent a leur profit exploiter 
leurs compatriotes et satisfaire leur soif d'amas- 
ser des richesses . Dans ce nombre, il faut placer 
tous ceux qui, en public, veulent, comme d 
vulgaires charlatans, faire voir aux na'ifs le soleil 
pendant la nuit. Tels ceux qui ne craignent pas 
d'enroulerautour de leur cou des serpents et des 
viperes, de deposer sous leur Chechia, apres 
avoir rase les cheveux de leur tete,des scorpions 
et autres insectes venimeux; ils oublient seule- 
ment de dire une chose au public des na'ifs, c'est 
qu'ils leur ont enleve le venin, et que ce sont des 
animaux tout a fait inoffensifs. 

Un jour, dans une ville de Tunisie, ou j'etais 
venu passer quelques jours de repos (je ne la 
citerai pas, car mes amis pourraient m'y recon- 
naitre), un de ces charlatans se faisait passer 
pour invulnerable . II moatrait sa tete Iraiche* 



IE DIABLE CHE2 LES MUStJLMANS 

ment rasee, placait queiques scorpions dans sa 
Chechia, faisait une courte priere a Ben-A'issa, 
et, fier de cette protection, il mettait la Chechia 
sur Iat6te; sa meilleure protection et son meil- 
leur garant c'gtait d'avoir enleve le piquant a 
la qu^ue du scorpion, devenu des lors aussi 
inoffensif qu'un ver de terre ou un vulgaire 
khenfous (nom arabe du cole"optere). Maine u- 
.reusement pour le pauvre charlatan, quelqu'un 
voulut e"prouver les scorpions, et on s'apercut de 
la supercherie. Pousse a bout, dans son orgueil, 
il dit qu'il ferait 1'experience avec n'importe quel 
scorpion qu'onlui presenterait; I'infortunevenait 
de signer son arreH de mort. On n'eut qu'a 
soulever queiques pierres de ces nombreuses 
ruines antiques ou modernes qui couvrent le sol 
de la Tunisie pour y trouver quelques-uns de 
ces animaux. Confiant sans doute dans la protec- 
tion de son saint, il placa la Chechia sur sa tte 
apres y avoir depose les scorpions. Mais ceux-ci 
piquaient. On sait quelle est la rage de cet 
animal quand il se voit pris, et on raconte que, 
pour echapper aux soutfrances, il se pique liii- 
mme et se donne la mort quand il n'a plus 
d'espoir de se sauver. La tte du malheureux 
Arabe fut labour^e : il mit fin le plus t6t possible 
a la seance ; mais ie poison avail penetre dans 
son sang : la tte enfla demesurement, et il 
mourut bientSt dans d'horribles convulsions. 

G'est un fait que nous choisissons entre mille 
de mme nature. Si le malheureux qui joue un tel 
role ne succombe pas toujours sur le coup, il en 
rapporte presque toujours le principe d'une 
maladie : que de Khouan, a la sortie de ces soi- 
r^es ou,en compagnie de leurs freres,ilsse sont 



252 LE DIA.BLE CHEZ LES MUSULMANS _ 

livre*s aux danses et autres oeuvres prescrites 
par les rituels, ont ete attaints ou de surdite ou 
de paralysie, mais tous d'hebetement ! La cause 
en est dans la surexcitation extraordinaire de 
leur imagination. 

Ge ne sont pas ces na'ifs charlatans qui s'amu- 
sent a des pratiques diaboliques. Us nous rap- 
pellent malgre nous les pseudo-spirites, ou 
encore ces spirites de salon qui s'amusent a faire 
tourner les tables et n'en voient pas le danger. 
Ges gens4a ne sont pas encore en relation avec 
le'.diable, mais iis sont sur la route qui y mene. 
Pour la plupart des Musulmans, le r61e des 
Aissaoua s'arrete-la. Pour combien de Chretiens 
aussi,tout ce qu'ils savaient du spiritisme, c'etait 
qu'on y faisait tourner tres innocemment quel- 
ques tables, que quelques spirites plus habiles, 
et dont le fluide etait plus abondant, savaient les 
faire parler, pas toujours elegamment ni correc- 
tement, mais peu importe : on disait bien, il est 
vrai, que queJquefois la table etait entree en 
furie et avail renversg tout ce qui se trouvait 
devant elle ; qu'un signe de croix avail trouble 
tous ces beaux amusements, mais c'etaient la des 
contes de vieilles femmes. Voila a peu pres ce 
que pensent les Musulmans des Aissaoua. Aux 
yeux du peuple credule, ce sont des thau- 
maturges ayant surtout le don de guerir des 
maladies ; aux yeux de tous, ce sont d'habiles 
charlatans. 

Le sup^rieur general, dans une lettre par 
laquelle il accr^dite un Tripolitain en Algerie, et 
prie le Moqaddem de lui accorder 1'hospitalite, 
engage ses subordonnes a ne pas trop prendre 
au serieux tous ces charlatans ou magiciens qui 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 253 

usurpent le nom de leur secte pour obtenir 1'hos 
pitalite. Voici le passage de cette lettre que cite 
Rinn (page 330), ou il se plaint de cette usur- 
pation : Apres notre salut sur tous les Fokara 
(fakirs adopte*s)... sachez... que nous avons 
appris que des individus, habiles dans la magie 
(le sens parait etre ici des imposteurs) vont vous 
voir se pre"tendant issus du Cheikh,et que vous leur 
faites du bien. A. partir d'aujourd'hui, si quel- 
qu'un vient vous visiter, ne lui accordez aucune 
confiance. 

Quelle est done la vraie doctrine de cet ordre ? 
Quelies sont les ceremonies que present son 
rituel? Gette lettre du Cheikh laisse soupconner 
bien des choses et donne libre cours a des hypo- 
theses. Et nous allons voir qu'en nous appuyant 
sur les quelques parties du rituel qu'ils veulent 
bien laisser voir aux profanes, nous acquerrons 
la certitude que cette secte a, comme celle de 
Ghadeli, une doctrine esote"rique qu'elle doit 
cacher avec grand soin, car elle doit bien se 
ressentir de 1'influence de Satan, encore plus 
que celle de Ghadeli. Nous suivrons toujours la 
marche que nous avons suivie jusqu'ici : nous 
verrons, en premier lieu, les moyens employes 
pour atteindre les deux fins que se proposent les 
ordres religieux, et, enfin, la doctrine speciale 
professe"e par cet ordre. Des a present, nous 
pouvons afflrmerqu'il n'y a pas un ordre musul- 
man qui ait, comme les Ai'ssaoua, autant de 
moyens pour abrutir ses affilies et leur procurer 
les douceurs de 1'extase. Au surplus, comme 
nous voulons faire le lecteur juge lui-mme de 
cet ordrej nous citerons tout au long des pas- 

LE DIABLE CHEZ LES MU3DLMANS g 



254 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

sages importants afinde resumerde notre mieux 
et par des textes la doctrine de cet ordre. 

En premier lieu, on doit reciter sept fois la 
formule par laquelle on se refugie aupres de 
Dieu, pour eviter les embuches du demon le 
lapide. 

Reciter sept fois : Au nom de Dieu element 
et mise'ricordieux. 

Reciter cent fois : Au nom de Dieu. 

On dira ensuite la louange de Dieu Tres- 
Haiit et on le remerciera de sa bonte, puis on 
ajoutera : 

toi, souverain gardien qui vois tout, qui 
es notre secours, garde-moi ! toi, qui es doux 
et compatissant, qui es bienfaisant, c'est en toi 
que je mets mon appui, 6 Dieu I 6 Dieu ! 6 Dieu l 
On dira de nouveau la formule par laquelle on 
se refugie aupres de Dieu, et celle de : Au nom 
de Dieu, et Ton ajoutera : mon Dieu, j'im- 
plore ton pardon pour toutes mes fautes ve*- 
nielles et mortelles, contre mes peches d'oubli, 
de pensee, contre les omissions dont je me suis 
rendu coupable. 

Apres cela, on louange Dieu, et on lui rend 
grace, puis on ajoutera : 

O toi, le gardien qui vois tout, etc... (comme 
il a ete dit plus haut). Gette formule sera repelee 
au commencement de chaque centaine. On re- 
citera de nouveau la formule du refuge aupres 
de Dieu, et celle-ci : Au nom de Dieu. Puis on 
dira : 

mon Dieu, repands tes graces et tes bene- 
dictions sur notre seigneur Mohammed, ton en- 
voye et le guide de la voie, graces et benedic- 
tions a la faveur desquelles je serai eleve 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 255 

dans les hauteurs de la purete et obtiendrai tes 
recompenses particulieres. Daigne accorder a 
ton prophete un salut ausd etendu que la 
science, aussi infini que les mysteres de ton 
Livre. 

Desormais, le fidele croyant, qui est venu de- 
mander a Ben-A'issa sa complete education, 
pourra assister aux hadra, et sera considere 
comme affiiie ; mais avant de lui livrer les se- 
crets de 1'ordre, il sera ^eprouve ; et ce n'est que 
lorsqu'pn se sera apercu que son esprit est assez 
fort pour supporter la saine doctrine que celle- 
ci lui sera revelee. Tout ce que nous avons dit 
plus haut sur les precautions qu'on prenaittrouve 
ici sa place : il n'est pas d'ordre ou on eprouve 
autant les individus qui se presentent; c'est 
dans cet ordre surtout que 1'instruction est pro- 
gressive et qu'on laisso de cote ceux sur qui on 
ne peut compter ; ceux-la se contentent de reciter 
le diker et de payer les ziara. 

Les Aissaoua sont les Khouan qui, a notre 
avis, ont le plus grand nombre de prieres a re- 
citer; a cote" de leur diker, celui des autres 
ordres n'est rien. Et cela, on le comprend : les 
Aissaoua doivent etre favbrises d'extases et de 
visions : il faut, pour atteindre ce but, prendre 
des moyens, et abrutir le plus qu'on peut les affl- 
lies. Voici done ce diker, donne par le manus- 
crit dont nous avons parle, compose par le 
petit-fils du fondateur. 

Pour la priere du matin : 

Gent fois : Au nom de Dieu clement et 
misericordieux. 

Gent fois : 11 n'y a de divinite que Allah. 

Gent fois : Que Dieu me pardonne. 



256 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

Gent fois : Que Dieu soil loue" sans cesse ; 
que Dieu me pardonne mes peche's. 

Cent fois : Je demande pardon a Dieu, et je 
proclame la louange de mon maitre. 

Gent fois : II n'y a de divinite que Allah ! le 
terrible, le fort, rinvincible. 

Dieu, verse sur notre seigneur Mohammed 
des benedictions aussi nombreuses que les tres 
de la creation, aussi grandes que le poids de 
ton trone, aussi abondantes que 1'encre dont on 
se sert pour transcrire ta parole, aussi immenses 
que ta science et tes miracles. > 

Diker du Doha (vers S heures du matin) : 

Gent fois : Au nom de Dieu clement et 
misericordieux. 

Mille fois : 11 n'y ade divinite" que Allah. 

Mille fois, dis : 11 est le Dieu unique. 

Mille fois : Dieu, verse tes nombreuses 
benedictions sur notre seigneur Mohammed, sur 
sa famille, ses compagnons, et accorde-leur a 
tous le salut. 

Diker du Dohos (apres midi) : 

Miile fois : Au nom de Dieu clement et 
. misericordieux. 

Mille fois : Dieu seul le grand et le sublime a 
force et puissance. 

Mille fois : mon Dieu, verse tes nom- 
breuses benedictions, etc. 

Diker de 1'Acha (milieu entre le midi et le 
coucher du soleil) : 

Mille fois : Au nom de Dieu element et 
misericordieux. 

Mille fois : II n'y a de divinite" que Allah, 
TEtre digne de nos adorations, le saint, le sou- 
verain des anges et de 1'ame. 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 257 

Mille fois : Dieu seul le grand et le sublime 
a force et puissance. 

Mille fois : Dieu, verse tes nombreuses 
benedictions, etc. 

Diker du Magohle (coucher du soleil) : 

Mille fois : Au nom de Dieu clement et 
mise"ricordieux. 

Mille fois : La Sourate et Fatiha. 

Mille fois, la Sourats commencant ainsi, 

* i * 

dis : II est le Dieu unique. 

Mille fois : Dieu, verse tes nombreuses 
benedictions, etc... 

Diker de 1'Acha (soir) : 

Mille fois : Au nom de Dieu clement et 
misericordieux. 

Mille fois : Que tout le monde te loue : tu es 
Dieu, que tout le monde chante ta grandeur et 
ta iouange. Tu es Dieu, 1'Etre infini : que tout 
le monde te loue, tu es Dieu. 

Miile fois : O Dieu, verse tes nombreuses 
benedictions, etc. 

Pour ne pas embrouiller les comptes, et aussi 
pour aider les ignorants dont beaucoup ne savent 
pas compter jusqu'a mille, on a ajoute cette 
priere que chacun devra dire apres chaque 
centaine : 

Protecteur, toi qui vois tout, qui es notre 
protection, prote"ge-moi, toi le clement, le mise- 
ricordieux, le bierfaisant, tu es mon appui : ia 
Allah ! ia Allah ! ia Allah ! 

Apres chaque diker, il faut encore reciter une 
bien longue priere, dont nous ne citerons que 
quelques extraits pour en donner une idee a nos 
lecteurs. Nous donnons latraduction de Rinn: 

Maitre, inspire-moi le bien, et aide-moi a 



258 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

1'accomplir. Maitre, place-moi dans le 
sejour de tes amis ; au jour de la rencontre dans 
le tombeau, annonce-moi que je serai du nombre 
des bienheureux. Maitre, agree complete- 
ment mon repentir, de fagon a ce qu'il ne reste 
plus trace demes pe"ches... Et, sur ce ton etsur 
ce mode rythmee, la priere se continue, longue, 
tres longue pour des gens qui ont deja du reciter 
environ la valeur de cent quarante pages impri- 
mees, en supposant trente-cinq lignes par page, et 
il faudra dire cos longues prieres six foispaf jour; 
et chaque fois la longueur, loin d'etre moindre, 
sera au contraire plus considerable. Et cependant, 
apres avoir recite tout cela, il faudra y joindre 
cette priere, dont nous avons donne* le specimen 
supra cite. Elle ressemble a un psaume, ayant 
comme lui une pause au milieu des versets, et 
chaque verset a un sens complet. On compte de 
21 a 28 versets, plus longs les uns que les autres. 
Nous ne voulons pas citer ce long psaume : il y a 
cependant quelques versets qui sont assez 
curieux et que nous voudrions faire apprecier 
au lecteur : mon maitre, purifie mon coeur 
en lui enlevant le doute, le penchant a I'associer 
.1 d'autres dieuoc, accorde-moi la certitude, 

1'unite de foi et de pense*e avec toi mon 

maitre, fais que je possede mon esprit afin qu'il 
ne me commande pas, car tu es le seui souverain, 
le seul elu actif. 

Ges prieres si longues et qui detourneraient 
les hommes de Dieu, si jamais il en ordonnait 
de pareilles, attirent,au contraire, au demon, de 
nombreux adeptes : telle est la betise de 
rhomme, nous sommes certains que des Euro- 
peens admireront ces doctrines, et demanderont 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 259 

pour leurs adeptes une liberte qu'ils refuseront 
au christianisme. C'estque de pareilles doctrines 
no genent guere, et on n'a mil interet a les pour- 
suivre. Ne croyons pas, cependant, que ces 
prieres suffisent : ce diker est ce que nous 
appellerons avec certains auteurs le petit diker : 
le grand diker, c'est tout autre chose : il se 
compose a peu pres des mmes prieres ; mais, au 
lieu de dire seulement mille fois une formule ou 
un verset du Goran, il faut les dire deux, trois, 
quatre et jusqu'a dix mille fois; la sourate et 
fatiha ne doit pas Sire jalouse de 1'honneur fait 
aux autres versets du Goran, elle y figure plu- 
sieurs fois, et les Aissaoua ont une telle devotion 
pour ces versets du Goran qu'ils les recitent 
continuellement, car il nous semble que quand 
il faut reciter cette sourate deux ou trois mille 
fois dans un jour, on ne doit pas avoir beaucoup 
de temps de reste. 

Nos lecteurs pourront de"ja comprendre la 
verite de ces paroles que rapporte Rinn et que 
lui disait un Musulman : Ge qui caracterise les 
Aissaoua, disait-il, c'est, en matiere religieuse, 
Fexpansion continuelle vers la Divinite, la 
sobriete, 1'abstinence, 1'absorption en Dieu pous- 
see a un tel degre que les souffrances corpo- 
relles et les mortifications physiques ne peuvent 
plus affecter les sens endurcis a la douleur. 

En matiere morale, ne rien craindre, ne 
reconnaitre que 1'autorite de Dieu et des saints, 
et n'obeir qu'a ceux qui laissent pratiquer les 
principes du Livre sacre. 

Les Aissaoua ne sont pas une societe de jon- 
gleurs allant de ville en ville pour amuser les 
naifs, comme les charlatans dans nos foires et il 



260 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

faut bien distinguer les vrais des faux. Les vrais 
Ai'ssaoua, ceux qui ont ete affilie's et pratiquant 
toutes les obligations imposees par 1'ouerd, 
ceux-la forment une socie*te reguliere dont les 
affilies sont favorises, plus que dans aucune 
autre confrerie, d'extases et de visions. Nous 
aliens faire connaitre les moyens employes 
pour obtenir cet effet. 

G'est surtout dans les hadra ou reunions des 
affilies que ceux-ci sont favorises d'extases. Us 
se reunissent en groupe, forment un cercle, 
faisant en sorte de ne pas laisser d'interruption, 
et chacun des assistants commence alors a chan- 
ter sur un ton plus ou moins nasillard, soit son 
diker, soit cette prose rythmee qui finit toutes 
les prieres des A'issaoua. Les instruments de 
musique accompagnent cette eeremonie. Se 
figure-t-on quarante, cinquante, cent, deux cents 
indiyidus, et quelquefois meme plus, se tenant par 
la main et faisant participer aussi leurs soeurs a 
leurs travaux, car les A'issaoua admettent Tele- 
ment feminin dans leurs rangs (il fallait s'y 
attendre) et les laissent prendre part a leurs 
divertissements joyeux et innocents. D'abord, 
lous commencent en choaur surun ton lentet 
grave comme pour disposer leur imagination et 
la detacher des choses de la terre ; peu a peu, ce 
mode s'accentue jusqu'a ce qu'il vienne leplus 
precipite possible; la musique des tambours 
amene vite 1'exaltation, et les paroles elles- 
mgmes, disposees en psaumes, comme nous 
Tavons montre, ne contribuent pas peu a faire 
perdre toute sensibilite aux Khouan. Quand ils 
ont flni de chanter leur diker, ils continuent sur le 
mode de litanies en invoquant tous les saints de 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 261 

I'lslam, depuis El-Kadir jusqu'a leur venire fon- 
dateur Mahmed-ben-Aissa : tous les saints, tous 
les anges du ciel, Gabriel, Michel, Asrafil,Azrail 
et les aii Ires, habitant les sept cieux et les sept 
terres. Et quand toutesces invocations sontflnies, 
quand deja tous les assistants sont envahis par... 
comment dirons-nous. .. est-ce rhyste*rie? est-ce 
la possession ? le lecteur jugera lui-mme et 
mettra le mot qu'il jugera le plus convenable et 
le mieux repondant a son idee ; nous, nous 
croyons pouvoir y mettre le mot : diabolisme, et 
nous pensons que nous pourrons bient6t en justi- 
fler 1'emploi ; quand done le souffle impur de 
Satan est passe dans chacun de ces hommes, ils 
continuent encore toujours a invoquer leur Dieu : 

Que les benedictions de vos saints, ia Allahi 
(6 mon Dieu!) se repandent parmi nous, ia 
Allahi! 

Dans toutes nos assemblees, ia allahi; dans 
cette assemble, ia allahi. 

Que mon Gheikh me soil toujours present a 
Tesprit pour diriger mes actions, ia allahi ; que 
j'entende le cri de mon Seigneur, ia allahi. 

Gonduis-moi par la main, ia allahi. Gonduis- 
moi a ton amour, ia allahi. 

Remplis mon coeur, ia allahi ! Que toujours 
je te sois soumis, ia allahi. . . 

Pardonne-moi mes peches, ia allahi. Inspire- 
moi le respect que je te dois, ia allahi. 
. Les lecteurs qui n'ont jamais entendu des 
Musulmans chanter sur le ton mineur, nasillard, 
ne peuvent se faire une idee de 1'impression que 
leur chant produit sur 1'imagination.- Je suis 
passionne pour la musique ; j'ai entendu jouer 
des morceaux des maitres de 1'art; j'en ai 

LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS S. 



262 ' LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

admire la beaute, mats jo dois avouer que jamais 
musique ne m'a touche ni bouleverse comme 
cette musique que j'appellerai infernale. Je ne 
me charge pas de definir le genre dans lequel 
on doit la classer; mais j'avoue que jamais je 
n'ai senti ce que j'ai eprouve un jour dans la 
plaine de la Mitidja ou je rencontrai une bande 
d'Arabes venant de visiter un Marabout et mar- 
chant bannieres deployees, chautant leur sempi- 
ternel la ala ilia allah. Voila, me disais-je 
tristement et tout emu par celte musique, votta 
1'etendard de 1'erreur et 'de 1'islamisme flotter 
librement sur une terre desormais francaise ; 
et nous, fils de France, nous devons renfer- 
mer, dans nos etroites eglises, les beautes de 
notre culte ; le drapeau de la patrie, le drapeau 
aux trois couleurs, le drapeau de la liberty pro- 
tege les ennemis de la France et persecute ses 
enfants. Une seule musique nous a semble" 
pouvoir balancer cette musique infernale : c'est- 
la musique celeste de I'Eglise ; c'est le chant de 
la Preface, le chant du Pater noster, ecoute" 
religieusement et pieusement derriere un des 
piliers noircis de la sombre cathedrale d'Alger, 
convertie de mosquee en eglise catholique. 
Peut-etre ces reflexions feront sourire les ar- 
tistes qui n'ont jamais eu assez de piete pour 
gouter les beaute"s de ces melodies sublimes 
dont nos peres faisaient leurs delices. Mais nous, 
qui avons entendu les deux religions differentes 
chanter leurs prieres, nous ne pouvons nous 
empcher de constater cette difference. Souvent, 
en entendant la voix du pretre, nous avons ete 
emu ; jamais la voix du Marabout ne nous a 
touches, elle nous a boule verse" ; le ton mineur 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 263 

n'est pas, en effet, le son perpe"tuel de rhomme ; 
et quand nous avons eu entendu ces hommes 
faisant sortir de leur poitrine ou leur coeur impur 
est brule des feux de la concupiscence, et ou 
Satan regne en maitre, nous n'avons pu nous 
empgcher de remercier Dieu de nous avoir fait 
naitre dans une religion ou Ton apprend au 
jeune homme a maitriser ses passions, et a 
conserver toute fraiche la voix qui ne doit tre 
employee qu'a louer Dieu. Malgre nous, ces 
choeurs musulmans nous rappelaient le choeur 
des demons vociferant contre Dieu et blasphe- 
mant contre Dieu. Nous avouons comme une 
faiblesse de notrepartde nousetre plu a ecouter 
ces chants ; car, nous 1'avons deja dit plus haul, 
quand on entend ces sons, ces notes, ces coups 
de tamtam, dominant de temps en temps ces 
voix nasillardes, lentes, puis tout a coup pr6- 
cipite*es, on se sent malgre soi envahi par 1'esprit 
de reverie, et on se laisserait aller a cet etat qui 
tient le milieu entre le sommeii et la veille, ou 
I'imagination est la maitresse du logis, ou tous 
les sens se revoltent pour se satisfaire. Quand 
on veut ne pas se laisser entrainer par ce cou- 
rant, par ce fluide, pour parler comme les 
pseudo-spirites, on souffre cruellement, et on 
dirait que le demon veut se venger du peu de 
docilite et d'attention qu'on prete a cette musique 
dont il est i'auteur. Nous comprenons mainte- 
nant, depuis cette soiree dont nous avons ra- 
conte les impressions que nous avions eprouvees 
en entendant les Arabes chanter leurs prieres, 
comment il est possible de tomber si facilement 
enextase ; nous avouons que nous avons dufaire 
les plus grands efforts pour ne pas nous laisser 



264 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

envahir et dominer par cette lugubre musique 
qu'il y a loin de ces chants qui ne touchent que 
nos sens pour les mettre en re volte centre 
1'esprit, a cette melodie suave de nos cantiques, 
images fideles de la doctrine du christianisme 
et de son action sur nos ames; jamaisnos sens 
n'ont e"prouve tant de douceur et de contente- 
ment, et cependant rien ne les provoque a la 
revolte ; la chair reste soumise tout en eprou- 
vant d'agreables sensations, et quand on sort de 
ces offices ou la voix du prStre s'est fait en- 
tendre et a laquelle a repondu soil la voix ange- 
lique de 1'enfant, soit celle. plus grave de 
1'homme et du vieillard, on sent que la pratique 
du bien nous devient plus facile, car si nos sens 
sont satisfaits, ils n'ont pas ete surexcites, et ils 
sont toujours domines par 1'intelligence et la 
partie noble de nous-m&aes. 

Voila la marque caracte"ristique que, dans un 
tel culte, se trouve la main de Dieu; peut-on 
croire, en effet, qu'une societe mettant en ebulli- 
tion 1'imagination de 1'homme, ayant pour but 
avoue" de lui procurer des extases, prenant, pour 
cette fin, des moyens tout a fait aptes; en un 
mot, une societe affaiblissant la liberte" et 1'in- 
elligence au profit des sens, afin de lui rendre 
plus difficile la pratique du bien, peut-on croire, 
dis-je, que cette societe \ienne, nous ne dirons 
pas de Dieu, mais de 1'homme? Peut-on croire 
que Satan y est absolument etranger ? A ceux 
qui soutiendraient une pareille theorie, nous 
teur demanderions qui apparait dans ces exta- 
ses : ou c'est Dieu ou c'est le demon qui appa- 
rait vraiment, ou sous la forme d'un mort qu'on 
invoque, car Invocation des morts est connue de 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 265 

ces Khouan ; or, onne peut admettre que ce soit 
Dieu qui apparaisse, car aucun homme n'a vu 
Dieu, pendant sa vie mortelle : ce n'est pas noil 
plus generalement un mort ; car nous savons 
que la pierre du sepulcre ne laisse pas sortir, 
sans une permission de Dieu, ceux sur lesquels 
elle s'est refermee ; ce ne peut done 6tre que 
r.espiit du mal, Satan le lapide. 

On aura remarque, sans doute, combien sou- 
vent on recommande aux affilies de bieu se re- 
presenter 1'image du Gheikh, de faire tout en 
presence du Gheikh, et autres tommies que 
nous avons cite"es. Nos lecteurs n'auront pas, 
sans doute compris le vrai sens de ces paro- 
les, et auront cru qu'ii s'agissait d'une sim- 
ple representation imaginaire, comme les direc- 
teurs et maitres de la vie spirituelle recomman- 
dent d'agir en presence de Dieu, sous le regard 
de Dieu qui nous voit ; evidemment,ilsne veulent 
pas dire que cette presence de Dieu sera reelle, 
physique, mais bien inlellectuelle. Gette pre- 
sence ne suffit pas pour ie vrai initie, et il veut 
jouir de la presence sensible de son Gheikh. 
Pourquoi, en effet, ne pas jouir de cette faveur, 
pendant qu'on est en plein dans le mysticisme 
diabolique, et qu'on jouit do la visite du diable. 
Que vraiment le Gheikh mort apparaisse a ceux 
qui Tinvoquent, nous ne pouvons en douter. 
Rinn nous en cite un exemple(p. 333), et il se fait 
Techo de la rumeur publique, d'apres laquelle 
le Khalifa des A'issaoua, en Algerie,Si-el-Atreuchr 
ben-Mohammed passait pour elre en commu- 
nication constante avec Tame de Sidi-A'issa , 
le fondateur de 1'ordre. Nous nous appuierons 
sur les notions que nous avons donnees sur 



266 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

1'extase pour prouver que, en verite, les'Khouan 
corinaissent et pratiquent 1'evocation. 

On se souvient de la distinction que nous avons 
etablie du Khouan Mohammedi et du Khouan 
Touhidi, le premier serait, d'apres les definitions 
des auteurs, 1'affilie favorise" de 1'apparition 
de Mohammed (le faux prophete) ; tandis que le 
second, comme 1'indique la signification du 
mot Touhidi, serait 1'adepte parvenu au dernier 
degre de 1'extase, et dont 1'individualite se 
confondrait dans 1'essence divine : la traduction 
mot a mot du mot Touhidi serait : unitif. Avant 
de montrer que vraiment ces affilies se livrent 
a 1'evocation des morts, nous ferons remarquer 
qu'il j a entre leurs evocations et celles des au- 
tres society's secretes une grande difference : 
les autres societes ne veulent pas faire gouter 
a leurs adeptes les douceurs de 1'etat extatique ; 
dans le Palladisme, par exemple, on evoque les 
demons, mais ce n'est pas, comme le Musulman, 
pour jouir de son agriable presence ; on a des 
formules magiques speciales, composees sous 
1'inspiration de Satan, et qui produisent un effet 
moralement sur. Le Musulman lui aussi a ses 
formules, mais le demon n'apparait pas subi- 
tement a son appel ; ce sera dans une extase que 
1'ange des tenebres viendra se devoiler a lui et 
lui indiquera ses volontes, et tf acera sa ligne de 
conduite. 

Mais ce n'est pas seulement Tame de Mahomet 
qui apparait quelquefois aux Khouan qui 1'evo- 
quent seion les rites, c'est Tame de tous les 
Gheikhs. Dans la franc-maeonnerie, on n'evoque 
que les ames de ceux qui ont dignement precede 
cette institution, ou qui> dans son sein, ont 



LE DIABI.E CHEZ LES MUSULMANS 267 

acquis un droit special a leur reconnaissance . II 
en sera de meme des societes secretes musul- 
manes : les Seddikja, qui etaient le premier des 
ordres, selon Fordre chronologique, ne pou- 
x vaient invoquer que le prophete; deja les 
Aoui'ssya evoquent 1'ame de leur fondateur : les 
Djenidya venus au m e siecle de 1'hegire, auront 
un champ plus vaste : aussi ils invoqueront les 
ames des Cheikhs. Nous allons encore citer 
Snoussi et la traduction de M . Colas, donnee par 
Rinn (page 170) : 

L'ordre des Djenidya est base tant sur la 
stricte observance des preceptes edictes par la 
Sonna de Mohammed que sur le choix des alle- 
gories qu'il pre"sente. II repose egalement sur la 
preference que Ton doit accorder a Vtat lucide 
sur Vetatde torpeur et d' hallucination, tout en 
s'astreignant aux modifications de la vie asce- 
tique spirituelle dans la profondeur des entretiens 
secrets avec Dieu. 

Le fondateur de cet ordre a impose huit obli- 
gations diffe"rentes, qui sont : 

2 La solitude prolongee. Ilconvient ici 

de rappeler, qu'en s'y renfermant, on doit obser- 
ver le meme recueillement que si Ton entrait 
dans une mosquee.etdire : Au nom de Dieu. 

ON EVOQUERA ENSUITE AVEG FERVEUR LES AMES 

DE SES GHEIKHS pour leur demander de convertir 
celte solitude en une sorte de tombeau, dans 
lequel on puisse s'ensevelir pour aller vers le 
Dieu Tres-Haut, en dehors duquel il n'y a point 
d'autre Dieu. GETTE EVOCATION doit 6tre faite 
avec les jambescroisees, commepour les prieres 
ordinaires, si non, elle reste sans efficacite. II 
est obligatoire d'observer un repos d'esprit 



268 LE DIABLE .CHEZ LES MUSULMANS 

absolu, qui ne soit mme pas trouble par les 
elans du coeur, et qui rende insensible aux per- 
ceptions physiques. Dans cette position, il faut 
gtre tourne dans la direction de La Mecque, ne 
faire porter le corps et la tete sur aucun appui 
par respect pour la Divinite, et enfln tenir les 
yeux fermes, en signe de soumission envers ces 
paroles de Dieu, recueillies dans les haddits 
El-Hadsi : Je suis assis avec ceux qui me 
prient. II faut encore placer 1'image de son 
Gheikh dans sa pensee, occuper son coeur a 
prier, dans toute la limite de ses forces, en 
demandant a Dieu, dans cette position, de vous 
accorder ses faveurs. Le co3ur doit tre toujours 
en harmonie avec la langue pendant les prieres 
suivantes ; on dit Dieu (1), en baissant la 
tSte au-dessus du nombril ; puis, en la relevant 
lentement, on ajoute : II n'y a de Dieu que 
Allah. C'est dans cette posture que 1'haleine 
peut se soutenir le plus longtemps. On prolonge 
le son de chacune de ces articulations et on re- 
prend gravement : II n'y a de Dieu que Allah. 
On dirige la face vers l'e"paule droite, toujours 
dans 1'attitude du recueilJement et en se pe"ne"- 
trant de 1'inflmite de la creature devant la gran- 
deur du Createur ; easuite on la tourne vers 
1'epaule gauche, etc 

3 La longue pratique des invocations qui 
viennent d'etre decrites. 

Apres des passages aussi cate"goriques, nous 

(1) Le mot allah (Dieu) se prete bien plus que notre mot a ces 
aspiration:} et a ces mouvements clu coeur vers 1'Etre supreme ; 
pour s'cn convaincre, il siiffit de le prononcer en aecentuant 
beaucoup la premiere syllabe, ou, plutot, en supposant qu'il y a 
cinq ou six 1, et en laissant trainer sur la clerniere toute sa respira- 
tion. (Note de I'auteur.) 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMAMS 269 

necroyons pas qu'onpuisse douter de la pratique 
de 1'evocation dans les ordres musulmans. Nous 
le repetons, nous n'avons rien a leur apprendre ; 
ils connaissaient bien avant nous la pratique du 
magnetisme, comme le prouve le fait que nous 
avons cite plus haut d'Abd-el-Kader. Et il n'y a 
pas que le Khalifa des Ai'ssaoua qui se livre a 
cette infernale pratique ; ce sont tous ces ordres : 
car tous sont diriges plus ou moins par Satan. 
Peut-etre encore se trouvera-t-il quelqu'un qui 
haussera les epaules de pitie et nous regardera 
comme un naif, nous accusant de voir le diable 
par tout : nous le mettons au de*fide nier 1'authen- 
ticite des documents que nous lui avons mis sous 
les yeux : d'autres avant nous, qui n'avaient pas 
notre foi, les ont admis comme nous et leur ont 
donne 1 mme sens que nous. Mais revenons 
aux Aissaoua, dont le Khalifa, qui est en rela- 
tion avec Tame du fondateur de 1'ordre, nous a 
fourni 1'occasion de faire cette incursion dans les 
ordres religieux et de constater une fois de plus 
la main de Satan ; car il n'y a pas de milieu entre 
le bien et le mal, 1'existeDce et le neant, Dieu et 
le diable; la ou n'est pas Dieu, la est le diable. 
Quel est celui qui oserait soutenir que c'est Dieu 
qui a inspire Mahomet, qui lui a permis de 
prendre seize ou dix-huit femmes, et de com- 
mettre toutes les monstruositesdontil s'estrendu 
coupable ? Qui osera soutenir que c'est Dieu qui 
a inspire Abel-el-Kader et Djilani, Ghadeli, 
Ben-A'issa ? Si ce n'est pas Dieu, c'est done le 
diable, il n'y a pas de milieu, et l'indifference ne 
peut exister que dans notre esprit qui y trouve 
un moyen de faire le mal sans remords. 
Quand nous avons dit que le Khouan devait S9 



270 ' LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

metlre toujours en la presence de son Gheikh et 
que cette presence du Gheikh n'etait pas seu- 
lemeut imaginaire raais reelle, nous nous ap- 
puyions sur la distinction que font eux-memes 
les fondateurs d'ordres. Us distinguent tres bien 
les deux cas. Le lecteur se souvient, sans doute, 
du passage que nous avons cit de Si-Chadeli ou 
sont tracees les conditions qui doivent preceder, 
accompagner et suivre le diker. Or, parmi les 
douze conditions consequentes a la recitation 
de la priere, nous trouvons enumeree celle-ci : 
placer devant les yeux I'image ficttie duCheikh. 
Qu'on remarque combien ce mot a ete mis a pro- 
pos : Nous disons, en effet, que 1'esprit du Cheikh 
ou celui de Mohammed ne se montre a 1'affilie 
que dans Pextase, et nous avons assez prouve, 
pensons-nous, que 1'extase n'est que le produit 
des efforts surhumains que fait le Khouan pour 
bien reciter son diker : par "consequent, 1'extase 
n'est que la consequence du diker ; ce n'est done 
qu'a ce moment-la que 1'esprit du Gheikh pourra 
pene"trer dans cet esprit qui n'a maintenant plus 
de forces pour se diriger lui-meme, qui souffre 
dans cette vaste solitude que le diker a operee 
en lui et qui sera remplie par 1'esprit soit do 
Mohammel soit du Gheikh. Ge n'est done pas en 
vain que nous trouvons sans cesse sur les livres 
des Moqaddem ou bien dans les rituels des 
paroles comme celles-ci : ii faut continuellement 
tenir son cceur enchaine a son Gheikh : il faut, 
dans la solitude, abandonner ses idees propres, 
rejeter tout jugement et raisonnement, meme 
serait-il bon, pour se laisser gouverner par 1'es- 
prit du Gheikh . 
Toute cette theorie de revocation des ,mes 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 271 

des Gheikhs se trouve admirablement bleu deve- 
loppee dans les rituels de 1'ordre des Seddikya 
et des Djenidya : comme ce sont des ordres a 
peu pres etrangers a 1'Afrique du Nord et que 
nous n'avons pas eu occasion d'analyser leurs 
doctrines et aussi comme ce sera le moyen de 
bien connaitre lanecromaucie pratiquee par tons 
les ordres on a peu pres, en parti culier paries 
Ai'ssaoua, ainsi que nous 1'avons montre par 
1'exemple de Si-el-Atreuch, nous nous y arrdte- 
rons quelques instants, ce sera le moyen de 
connaitre ces societes sous un jour different. Ge 
sera toujours au manuscrit de Si-Snoussi que 
nous emprunterons ces details, et nous suivrons 
pas a pas la traduction donnee par M. Rinn, afin 
qu'on ne puisse nous accuser de donner aux 
textes une interpretation favorable a notre these. 
L'ordre des Seddikya a ete fonde par Abou- 
Beker-es-Seddik, qui fut beau-pere du Prophete 
et le premier Khalife. Son ordre est done 1'ordre 
le plus saint et le plus parfait : c'est aussi 1'ordre 
le plus orthodoxe, et presque tous se reclament 
de sa protection. Les doctrines et pratiques de 
cette society ont, par consequent, une reelle 
importance et sont autrement concluants en 
faveur de notre these que toutes les theories des 
Seherourdya, d^s Khelouahya et autres mys- 
tiques a la cervelle plus ou moins desequilibree 
dont nous avons cite quelques passages quand 
nous avons parle de 1'extase. 

Les principes fondamentaux de cet ordre, 
dit Snoussi (Cite par RINN, page 159), sont 
1'absorption dans la contemplation du prophete 
(Que Dieu repande sur lui ses benedictions etlui 
accordele salut!) d'une maniere fervente et 



272 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

OSTENSIBLE en paroles et en actions. L'affilie ne 
doit faire usage de sa langue que pour 1'im- 
plorer et se faire de cette obligation un devoir 
imperieux dans presque tous les instants de sa 
vie, qu'il soit dans 1'isolement ou en public, jus- 
qu'a ce qu'il ait gagne son creur et fortifie son 
ame par sa glorification. Arrive a ce degre d'il- 
lumination, il sera protege" par le retentissement 
de ses louanges, son coeur sera vivifie par sa 
presence, et 1'exemple de ses vertus sera tou- 
jours devant ses yeux pour le diriger. Parvenu 
a ce point de perfection, le Prophete repandra 
sur lui ses bienfaits spirituels et corporels : il 
lui apparaitra dans presque tous les etats ou il 
se trouvera, pendant son sommeil surtout, puis 
pendant ses moments difficiles, alors qu'il se 
serait laisse surprendre, et, enfln, pendant ses 
heures d'extase. Gette jouissance ne peut tre 
comprise qu'en la goutant Ge sont ces pra- 
tiques, parfaitement re"glees, dont le but est la 
glorification de VEtre &pr<?we(pourrions-nous 
lui demander si c'est Allah ou Eblis?)qui doivent 
etre scrupuleusement observees, et que nous 
recommandons a la ferveur generate. 

La, plus qu'ailleurs, il fallait une initiation pro- 
gressive ; aussi, a deux ou trois reprises, Snoussi 
parle-t-il des gens d'une nature vulgaire, qu'il 
convient de n'initier aux preceptes que progressi- 
vemenU. Abou-Beker avait, d'ailleurs, tout deter- 
mine et regie, afin d'arriver a la fin propose*e 
d'une maniere certaine. Nous les avons rappor- 
tes plus haut, quand nous avons dit les moyens 
que devait employer le Khouan pour arriver a 
ce degre de 1'extase : Ges pratiques sont conti- 
nuees par les gens pieux, sans interruption, 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 273 

jusqu'a ce que Fame de Mohammed (Que les 
graces et le salut soient sur lui I) leur apparaisse 
pendant le sommeil et pendant qu'ils veillent. 
Gette ame sainte les nourrit, les dirige et les 
conduit vers les degre*s les plus eleves du 
spiritualisme. 

Qu'on ne soit pas etonne de voir Abou-Beker 
paiier seulement de 1'e vocation du prophete. A 
cette epoque, en effet, c'etait la seule Jime de 
I'lslam, qui, apres avoir, sur la terre, joui d'une 
grande reputation de saintete*, etait allee dans 
1'enfer bruler avec Eblis, dont il avait fait 
1'oeuvre Men sciemment. Get homme, que nos 
Tribunaux auraientcondamne et qu'on aurait pu 
traduire, pour ses mauvaises mceurs, en police 
correctionnelle, crachait la luxure comme le 
diable crache les ordures et les blasphemes 
contre Dieu; et cet homme impudique se preva- 
lait de la permission de Dieu, ou plut6t de Satan, 
pour satisfaire ses passions. Parmi les quinze ou 
seize femmes qui satisfirent ses immondes plai- 
sirs, une seule avait ete vierge, avant son 
mariage avec le prophete : c'etait la belle A"icha> 
fille de Abd-Allah, qui, a partir de ce moment, 
prit le titre de Abou-Beker (le pere de la vierge). 
Des lors, entre le gendre et le beau-pere, s'eta- 
blirent des relations que la mort ne devait pas 
interrompre, car le pere de la vierge put se 
mettre en relation avec le prophete, gr3.ce a 
Invocation. Nous ne voulons pas nous arrgter 
davantage devant cet immonde personnage 
qu'on appelle Mahomet : nous voulons cependant, 
avant dele quitter, demander a nos lecteurs si 
vraiment cet homme n'etaitpas inspire de Satan. 
Nous comprenons un homme qui, par faiblesse, 



274 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

tombe une fois, plusieurs fois; mais se prevaloir 
de la permission de Dieu, 1'Etre inflaiment saint, 
infini, ennemi de tout peche : dire que c'est Dieu 
qui lui a ordonne de prendre cette femme, et, 
pour prouver cette assertion, supposer une appa- 
rition de Gabriel apportant du ciel un passage 
du livre, ecrit par Dieu de toute eternite, et dont, 
peu a psu, chaque page est revelee a Mahomet, 
est-ce la vraiment une invention humaine? 
Alloas done, le diable ne pouvait pas etre etran- 
ger a la fondation de cette religion dont il allait 
tirer tant de profit. 

Omar, le deuxieme Khalife, observa constam- 
ment, avec beaucoup de ferveur et de zele, les 
prescriptions du Soufisme ; ii n'eut jamais de 
palais et porta toute sa vie le meme burnous 
rapiece. Ge f ut sous ce regne que surgit un illu- 
mine, Aou'is-ben-Karani, fondateur des Aoui'ssya. 
Un jour, disait-il, Gabriel lui avait apparu et lui 
avait ordonne de continuer cette vie de penitence 
et de redoubler ses mortifications. Quand il eut 
acquis une grande saintete, alors il se mit en 
relations avec 1'ame du prophete, et la tradition 
raconte qu'il eprouva tant de joie de pouvoir 
ainsi converser avec lui, qu'il se cassa toutes les 
dents, afin d'imiter da vantage le prophete de 
Dieu qui en avait perdu deux dans un combat. 
La aussi, dans eel ordre, les initiations sont pro- 
gressives, et, nous dit Snoussi, les adeptes 
recevraient V initiation DE L'AME MEME de Sid- 
Aouis. Tout 1'inter^t que peut nous offrir cet 
ordre oriental est dans cette derniere phrase : 
Si Aoui's e"tait en relation avec Tame de 
Mohammed le prophete , comme El-Atreuch 
avec celle de Ben-A'issa , fondateur des 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 275 

A'issaoua, si Aou'is lui-meme confere 1'ouerd, il 
faut admettre necessairement q-ie revocation 
des morts est connue des Societes secretes 
musulmanes. 

Deja, on voit que cet ordre des A'issaoua est 
plus mechant et plus pervers que les autres, plus 
en rapport avec Satan que les autres; il suffit, 
pour s'en convaincre, d'avoir bien suivi notre 
marche, d'avoir bien compris le but des ordres 
musulmans. Jusqu'ici, nous n'avons vu aucun 
ordre employer des moyens aussi stirs pour 
arriver a 1'extase, ou plutot pour abrutir les 
affllies ; cet abrutissement de I'homme, cette 
degradation qui veut aneantir les forces de 1'in- 
telligence, est-ce la une oeuvre de Dieu? Les evo- 
cations, est-ce la encore une osuvre de Dieu? 
Repondez, sceptiques, par un oui ou par un non. 
C'est la que nous vous attendons ; repondez 
aussi, vous qui penetrez dans le sancluaire du 
vrai Dieu, et en qui nous, simples la'iques. de- 
vrions trouver, non des protecteurs et des defen- 
seurs, mais des devanciers, et qui cependant 
haussez les epaules de pitie et d'indifference. 
Heureusement, ils ne sont pas nombreux ; mais 
il y en a, et nous en connaissons; pourquoi faut-il 
dire que ces gens jugent une. chose qu'ils ne 
connaissent pas, et a priori refusent de lire les 
oiivrages qui traitent de ces questions parce 
qu'ils disent que c'est faux, que c'est impossible, 
que c'etait bon au moyen age. Nous les acculons 
tons au pied du mur, la'iques ou prtres incre- 
dules, et nous leur disons de nous repondre par 
un oui ou par ua non si To3uvre des .ordres 
musulmans est Toeuvre de Satan ou de Dieu. 

Par consequent, aucune creature ne peut se 



276 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

prevaloir d'une superiorite quelconque, car tous 
sont egaux sous cette omnipotence. Dites moi,en 
effet, je vous prie, quel est le superieur : du 
marbre ou de Tor que je jette. Done, la creature 
raisonnable n'aime pas de responsabilite : Diea 
agit en nous jusqu'a nos moindres actions : ce 
n'est pas nous qui faisons le mal, c'est Dieu qui 
le fait, et pour tout dire, suivant la theorie de la 
creation musulmane, Dieu fait chaque homme 
soit pour 1'enfer soit pour le ciel, sans eprouver 
la moindre emotion. Et le malheureux qui aura 
succombe dans les plus terribles chutes et aura 
commis les plus grands crimes, pourra, du fond 
de son ne"ant, prendre une poignee de boue dans 
laquello il est tombe, et la jeter a la face d' Allah 
en lui disant : Mektoub, c'etait ecrit, tyran, c'est 
toi qui as fait le mal en te servant de moi ; pour- 
quoi me punis-tu ? 

Toute monstrueuse qu'elle soit, voila cependant 
depouillee de tous ses ornements, la doctrine de 
I'lslam. On y reconnait toujours 1'eternelle ques- 
tion du bien et du mal, cette question qui a fait 
tomber tant d'hommes dans 1'erreur, et que 
Mahomet a re"solue en faisant Dieu auteur du 
bien et du mal. II admet done deux principes 
eternels dans une meme essence : le principe du 
bien et celui du mal. Quelle difference voyez- 
vous entre cette doctrine et celle du mani- 
cheisme : il y a celle-ci : c'est que Mahomet, a 
mon avis, est encore infe"rieur a Manes : celui-ci 
au moins admettait un Dieubon, et un Dieu mau- 
Vais; au moins, il y avait un Dieu bon; dans 
Mahomet, Dieu est un assemblage de bonte et 
de mechancete", de douceur et de tyrannic, et 
pour dire le fond de notre pensee, ce Dieu, a 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 277 

notre avis, ressemble beaucoup a ces homines 
pervers qui ont sans doule encore garde" quelque 
bon sentiment, mais chez lesquels le vice contre- 
balance ou plutot etouffe ce qu'ii y a de bon. 
N'est-ce pas un principe e"mis par tout le monde, 
que le mal corrompt le bien partout ou ils se 
trouvent en contact, et qu'il faut couper un 
membre gangrene si on veut sauver un malade ? 

Quand, quelques pages plus haut, nous avons 
dit que les Ai'ssaoua reconnaissaient deux dieux, 
que c'etait la raisou pour laquelle ils aviaent 
supprime les passages laisses en blsnc, nous 
avons du surprendre plus d'un lecteur, et nous 
savons aussij que| ce court resume de la doctrine 
de ristom en surprendra plus d'un ; mais que les 
adversaires se consolent; nous avons dit brieve- 
ment notre pensee ; nous y reviendrons ; car, a 
notre avis, tout le mal qui ost maintenant re"pandu 
en Europe a sa source dans la philosophic 
indienne, et le Goran n'en est qu'un faible echo : 
il a fait un melange de doctrines catholiques, 
empruntant a I'Evangile 1'action d'un Dieu 
unique de doctrines maniche'ennes, empruntant 
a Manes la theorie du bien et du mal; enfin, de 
doctrines indiennes, empruntant aux Indiens la 
theorie de 1'extase et du doux farniente. 

Toujours occupes de Dieu, toujours poussant 
vers lui de sublimes aspirations, les A'issaouas 
ont une doctrine qui, a mon avis, n'estpas loin du 
manicheisme : nous venons de dire que le Dieu 
de Mahomet renferme en lui seul les deux dieux 

de Manes. Or, voici ce que dit Ben-Ai'ssa 

Dieu se manifesto et se reunit a 1'ame. L'epou- 
vante cesse par le jeune; le coeur se calme par 
la faim ; la vue s'eclaircit a la clarte de la lu- 

LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 8.. 



278 LE DIABLE CHEZ LES MUSDLMANS 

miere interieure ; 1'oreille se ferme aux x bruits 
exterieurs ; 1'ame se repait de sa souffrance et 
se rejouit de sa douleur ; la solitude plait ; L'EXIS- 

TENGE ET LE NEANT SE GONFONDENT. (Cite par 

RINN, page 39.) 

Aualysons bien ces mots que nous avons sou- 
lignes et nous y trouverons la meme doctrine 
que dans le Goran, avec cetle difference que le 
peuple ignore toutes ces distinctions, et ne croit 
qu'a un seui Dieu, tandis que les A'issaoua com- 
prennent tres bien cette doctrine, au moins ceux 
qui ont ete affllies. Si nous prenons, en effet, un 
manuel de philosophic, nous verrons que 1'etre 
et le bien se confondent : que tout etre, par le fait 
qu'il est, est bon, que le neant et le mal se con- 
fondent ; que le mal n'a pas une existence par 
lui-m&ne, mais existe dans le bien ; par conse- 
quent, Dieu ne pourra jamais etre que la bor.te, 
que l'tre par excellence ; qu'on 1'appelle l'tre, 
qu'on Fappelle le bon, toutle monde comprendra 
etl'idee sera juste, mais jamais, au grand jamais, 
1'Etre supreme ne pourra se confondre avec le 
mal, car le mal est contingent, fini, existant seu- 
lement dans le temps ; pour que 1'existence et le 
neant se confondent, il faudrait que le neant, 
c'est-a-dire le mal, fut e"lernel ; or, nous savons 
que le neant n'a jamais existe, que.avant la crea- 
tion des etres,ceux-ci etaient de tqute eternite en 
Dieu, ou, suivant les docteurs catholiques, ils 
avaient une existence preferable a celle p^ris- 
sable qu'ils ont a present. Done, mettre le ne"ant 
sur le mme rang que 1'existence, c'est dire que 
le premier egaleje second, que le mal peut tre 
mis avec Dieu, 1'Etre supreme, Texistant par 
excellence, dans une m&ne balance, et que les 



LE DIABLE CHEZ LEg MUSULMANS 279 

plateaux de cette balance auront le mme poids : 
en un mot, Ben-A'issa a exprime philosophique- 
ment ce quo Mahomet avail difc : le philosophe 
et fondateur d'ordre dit que 1'existence et le 
nant se confondent dans un seul et mSme etre 
qui serait Dieu, Mahomet dit que Dieu est i'au- 
teur du Men et du mal, de ] r <gtre et du neant. 
Qu'on ne croit pas que Ben-A'issa ne connut pas 
toutes ces distinctions. Deja, quand nous avons 
parle de Ghadeli, nous avons dit que nous regret- 
tions de ne pouvoir faire connaitre ses doctrines 
philosophiques ; nous surprendrions plus d'un 
professeur de philosophic si nous leur mettions 
sous les yeux cette page de Ben-Aissa oil il de"- 
flnit la certitude, la contingence, 1'essence, la 
substance et les autres notions philosophiques ; 
il connaissait done parfaitement le sens des 
mots qu'il employait. Queiques lignes plus bas, 
meme page de Rinn, il y a un autre passage 
dont nous voudrions tirer tout le parti possible : 
* L'amour secret consiste a se renfermer en 
Dieu, a s'abimer dans sa louange, par 1'etude 
de soi-meme, a s'aneantir dans la contemplation 
de 1'essence de Dieu, de facon a se laisser entie- 
rement absorber dans I'Etre divin, a concentrer 
toutes ses facultes dans la vue de son amour en 
faisant abstraction de 1'amour que Ton a pour 
soi. Lorsque 1'amour secret est arrive en com- 
munication avec 1'amour interieur de Dieu, la 
priere fait alors jonction avec la priere et LA 
DUALITE DEVIENT UNITE; on voit alors des esprits 
lumineux, on eprouve des joies spirituelles, des 
visions delicieuses nees du rapprochement avec 
1'objet aime . Quelle est done cette dualite qui 
devient unite? c'est -to uj ours Texistence et le 



280 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

neant qui se confondent. Le mot dualiteicine 
peut representer que deux choses : ou le Dieu 
bon et le Dieu mauvais devenant un seul et 
mme Dieu selon la theorie du Goran que nous 
avons expliquee plus haut : ou bien Dieu et 
1'homme s'unissant par 1'extase, de maniere a ne 
former qu'un seul et m^rne tre. Or, il suffira 
d'un petit raisonnement pour savoir que les 
deux cas sont sembiables et ne peuvent qu'avoir 
le mme resultat. Nous avons parle suffisam- 
ment du premier, parlons du second. Vouloir 
que TEtre inflni s'unisse avec 1'etre fini, 1'ab- 
solu avec le contingent qui, pour nous servir des 
termes m^mes de Ben-Ai'ssa, a pour caractere 
de ne pas durer deux instants et qui n'existe 
pas de soi-m&ne, c'est dire que 1'existence et le 
neant se confondent. Que sommes-nous, en effet, 
vis-a-vis de Dieu, rien du tout : nous sommes le 
neant : si done nous unissons 1'infini avec le 
neant, nous aurons au total un Stre monstrueux 
comme le Dieu invente par Mahomet. Ges mons- 
truosites sont 1'indice certain que nous nous 
trouvons en presence de Satan ; voyez la beaut6 
des Anges, quand pour nous transmettre les 
ordres d'en haut ils sont obliges de prendre une 
apparence humaine : admirez la beautd de cha- 
cun des etres de la creation, 1'admira.ble propor 
tion de toutes ses parties, jamais vous ne trou- 
verez rien de discordant, rien de choquant, rien 
de monstrueux ; chacune des creatures porte 
sur elle-meme le signe que Dieu a opere, que 
Dieu les a faites. Si de 1'ordre physique nous 
passons dans 1'ordre intellectuel et moral, nous 
devrons y admirer les m 4 mes proportions, la 
meme beaute, les mgmes graces. An contraire, 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 281 

quand Satan et ses satellites veulent nous appa- 
raitre, voyez les etranges formes qu'ils revetent : 
nous renyoyons le lecteur aux illustrations dont 
le D r Bataille a orne son ouvrage; il donne la 
forme sous laquelle les demons apparaissent le 
plus souvent; nous resumerons toutes nos im- 
pressions dans un seul mot : c'est un assemblage 
monstnieux des elements les plus divers. Eh 
Men! le Dieu de Mahomet et de Ben-A'issale dis- 
pute aux demons les plus extravagants, en gro- 
tesque, en ridicule, en absurde, en monstrueux. 
Est-ce Dieu, nous le demandons encore, qui a pu 
donner une telle idee ? Est-ce Dieu qui a pu faire 
de lui une telle image, ou ne faut-ii pas, au con- 
traire, y reconnaitre son ennemi qui a voulu le 
travestir et le faire a son image : Est-ce Dieu qui 
a pu dire de lui qu'il e"tait Tauteur du mal, que 
dans son etre le bien et le mal se confondent, que 
1'existence et le neant s'unissent en lui pour 
faire un seul et meme tre ? Nous pourrions y 
aj outer, comme nouvelle puissance, la phrase 
que nousavons rapporte"e page 131 : ODieu, tu 
es le seul souverain, le seul tre actif . 

Voila, a notre avis, la doctrine secrete des 
A'issaoua, c'est-a-dire qu'ils retablissent dans 
toute sa purete la doctrine du Coran, que les 
Musulmans ignorants et de bas etage ne soup- 
connent meme pas. Voila comment nous pouvons 
expliquer 1'elonnante facilite avec laquelle le 
soufisme a pu penetrer dans Flslam et lui appor- 
ter ses doctrines pantheistiques : voila comment 
nous pouvons expliquer pourquoi les chefs de 
1'Islam, comme Abou-Beker et Omar, ont e"te de 
grands Soufi et ont su allier les deux doctrines 
que le peuple regarde cependant comme si 

LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 8. . . 



282 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

contraires, et qui le paraissent de prime abord. 
Ne croyons pas, au surplus, que ce que nous 
avons dit soil propre aux Ai'ssaoua. Nous avons 
dit plus haut que Ben-Aissa, pendant son peleri- 
nage a La Mecque, se lia d'amitie avec le Cheikh 
des Haidarya, et se fit affllier a cet ordre ainsi 
qu'a celui des Saadya. Nous pensons qu'il ne fit 
qu'apporter dans le Magreb les doctrines et les 
pratiques sataniques de ces ordres orientaux. 
Bien avant lui, le fondateur des Besthamya, 
Abou-Azid-el-Besthami, avait dit : Quand les 
hommes .croient adorer Dieu, c'est Dieu qui 
s'adorelui-mme.Deux siecles avant lui, el-Hadi 
Bektach-Knorassani avait dit : Ghaque ame 
huniaine est une portion de la divinite, et la di- 
vinite ne reside que dans I'homme. L'ame e"ter- 
nelle, servie par des organes perissables, change 
constamment de demeure mais sans quitter la 
terre,.. Toute la morale consiste a jouir des 
biens du monde sans nuire a autrui ; et tout ce 
qui ne fait de mal a personne est licite et indif- 
ferent. Le sage est celui qui regie ses jouissances, 
car le plaisir est une science qui a ses degres, 
un mystere, qui, peu a peu, se decouvre a Tceil 
des inities. De toutes ces jouissances, la plus 
vive est la contemplation qui devient la reverie 
et la vision celeste. (Cite par RINN, page 36.) Ne 
croirait-on pas entendre, en verite, nos bons 
macons se livrant avec leurs soaurs aux travaux 

o 

de la construction du temple ; car, pour Pedifica- 
tion de nos lecteurs, nous devons ajouter que 
dans 1'ordre des Ai'ssaoua, les soeurs sont admises ; 
sans elles pourrait-il y avoir du plaisir ? 

De mme que Ben-Aissa a emprunt^ a ces 
ordres orientaux ses doctrines, il leur a emprunte 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 283 

ses pratiques dont nous aliens parler, et oil evi- 
demment il fautadmettre Tintervention de Satan, 
ou nous n'y entendons plus rien. Ben-Ai'ssa semble 
avoir voulu re"unir en un seul ordre trois ou 
quatre ordres orientaux, et ses veritables inities 
se livrent aux memes diableries que ces fakirs 
de 1'Orient. Les Rafaya, les Haidarya, les 
Saadya et les Bektachya sont ses precurseurs. 

Les Rafaya ont ete fondes au vi e siecle de 
l'He"gire (vers 1200 de J.-G.) par Abou-Abbas 
Amned-er-Rafai, grand docteur musulman qui 
forma 1'un des maitres du grand Ghadeli. Aussi 
repandus en Orient que les A'issaoua en Occident, 
ils se livrent a toutes les pratiques sataniques. 
Dans leurs reunions, ils allument de grands feux, 
dansent au milieu des flammes, avalent des 
charbons ardents, et se roulant sur la braise, 
leurs corps de"pouilles de tout v&ement, ils e"tei- 
gnent ainsi le feu qu'ils avaient allume. D'autres 
prennentdes serpents, des scorpions, des pierres, 
et mme des morceaux de verre, et les avalent 
sans eprouver aucun mal ; qu'on ne croie pas 
qu'ils usent de fraude ou de supercherie. Pas 
plus que la vieille Nahmah,dont parle le docteur 
Bataille, et qui semblait reprendre une vie nou- 
velle au milieu des flammes, les Rafaya ne crai- 
gnent le feu, surs qu'il ne leur nuira pas. 

Les Haidarya ne se livrent pas a toutes ces 
pratiques, mais ils ne le cedent en rien au my- 
ticisme des A'issaoua. Nous avons dit que ce fut 
leur fondateurquireconnutles propriete's narco- 
tiques des graines du chanvre, qu'il faisait fu- 
mer a ses disciples pour leur procurer les ex- 
tases et les visions. Get ordre est peut tre le 
seul de son espece ; ils feraient le vceu de chas & 



284 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

tete ; comme signe exte"rieur, afin de se recon- 
naitre, ils portent des anneaux aux mains, aux 
pieds, au cou, et mSme aux parties genitales. Au 
xiv e siecle de notre ere, ils auraient ete tres re- 
pandus dans 1'Inde, et Ibn-Batout a rapporte 
qu'il les rencontra aux environs de Delhi se li- 
vrant a des danses au milieu des flammes. 

. Les Saadya sont repandus en Egypte, mais 
leur centre de direction semble 3tre dans le 
Yemen. Ces- fakirs ont une ceremonie appelee 
doleh : leur Cheikh, monte sur un cheval, 
passe sur les corps des Khouan qui lui servent 
comme de tapis et ne recoiventaucun dommage. 

. Les Ai'ssaoua,dans be-Maghreb, imitent toutes 
ces pratiques. En souvenir de ce quo firent les 
premiers compagnons de leur fondateur dans 
1'exode, a travers le desert, a la suite du decret 
d'expulsion du sultan de Mequinez, ils avalent 
les matieres les plus indigestes et les plus mal- 
saines sans qu'elles leur f assent le moindre mal. 
Ils se promenent sur des charbons ardents, dan- 
sent au milieu des flammes, avalent des char- 
bons enflammes sans ressentir la moindre bru- 
lure : nous sommes loin du naif Ai'ssaoui, de ce 
charlatan dont nous avons parle, qui mourut 
victime de sa credulite dans la protection du 
grand saint de Mequinez . A notre avis, de telles 
choses ne peuvent etre naturelles : de plus, elles 
ne peuvent pas tre attribuees a Thysterie ni a 
une surexcitation nerveuse : 1'hysterique sera 
bien insensible a la brulure, et on pourra lui 
mettre la main dans un brasier sans qu'elle res- 
sente la moindre douleur : mais cette insensibi- 
lite n'emp^chera pas la chair de se carboniser. 
Si nous nous trouvons en presence d'un tel pro- 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 285 

dige, il faut recourir a une protection surnatu- 
relle ; sera-ce 1'oeuvre de Dieu? Evidemment 
non : ilfaudra done admettre que c'estl'oauvre du 
diable. Lui seul, en effet, peut aider ses fideles 
dans raccomplissement de ces prodiges, lui seul 
peut leur faire trouper delicieuses de fraicheur 
ces flammes qui les brulent depuis si longtemps 
et bruleront eternellement ceux qui les suivent. 
Si on pouvait penetrer les mysteres qui cou- 
vrent cette secte, que nous apprendrions des 
choses extraordinaires que nous ne connaissons 
que par la rumeur publique. Dans ces reunions 
secretes,les chefs ne se contenteraient pas d'ava- 
ler du verre, de prendre des scorpions entiers et 
de s'enrouler le cou de serpents :ils s'ouvriraient 
le ventre, mettraient leurs entrailles. dehors, 
et puis,les remettant en place, tout rentrerait 
dans 1'ordro, et le Khouan n'en eprouverait nul 
mal. Us se couperaieut, se feraient de larges 
blessures sur n'importe quelle partie du corps, 
et le sang ne coulerait pas, et ils ne courraient 
aucun danger de perdre leur vie. Voila, dit-on, 
ce qui aurait lieu dans leurs zaouia, dans leurs 
reunions : ces pratiques sataniques ne differe- 
raient pas de celles pratiquees par le Dalai" 
Lama, et nous confirmeraient dans Tidee ou nous 
sommes que 1'Inde est le pays par excellence de 
Satan, c'est le pays ou son culte est le plus re- 
pandu, leplus enracine. Les Aissaoua n'ont pas 
trouve seuls ces pratiques : leur fondateur etait 
initie aux secrets de Rafaya, des Saadya et de 
toutes ces societes orientates qui semblent 
n'avoir qu'un but : adorer et glorifier Satan. 
Abd-el-Kader et Ghadeli ont ete plut6t de grands 
philosophes; ils ont introduit dans TIslam un 



286 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

autre element, I'element indien qui, exterieure- 
ment, lui a donne un peu de couleur, un peu de 
vernis. Us oat voulu surtout faire au catholi- 
cisme une guerre de philosophie et d'idees. 
Sans doute, comme nous 1'avons montre, Satan 
n'y a pas ete" etranger, et il ne pouvait pas s'en 
desinte"resser; mais ces philosophes, versos dans 
toutes les connaissances de 1'Ecole d'Aristote, 
etaient plutdt faits pour discutersur les ideesque 
se livrer a de pareilles pratiques. Ben-Ai'ssa, 
au contraire, est le type du fondateur, peu lui 
importent les doctrines des philosophes, peu lui 
importent les doctrines indiennes : il les adopts 
parce qu'elles repondent a ses besoins ; mais 
1'Islamisme bien compris lui fournit tous les 
materiaux qui lui sont necessaires, et de la for- 
mule necessaire il n'y a pas de divinitd que 
Allah, ii saura faire sortir, sans torture le moins 
du monde, les mots ; il en fera sortir les plus 
monstrueuses doctrines, il se fait de la sortele 
digne successeur des gnostiques. C'est encore 
une question que nous voudrions etudier : voir 
les rapports qu'il y a entre Tislamisme et le 
gnosticisme, entre le gnosticisme et les societe*s 
secretes musulmanes. Rien de nouveau sous le 
soleil, et ce que le de"mon fait aujourd'hui dans 
nos loges il Ta toujours fait par les gnostiques, 
par 1'islamisme. 

J'avais a peine douze ans quand je fus temoin, 
pour la premiere fois, d'une scene que je n'ou- 
blierai jamais, et dont je ne compris pas alors 
toute la portee. G'etait au mois d'aout. J'avais 
ete place au college et nous rentrions dans la 
ville avec quelqtie.s camarades par la route de 
<*onstantine, ouand, avant d'arriver au 



Lfe DlABLE CHEZ LES MtiStJLMAtfg 287 

vard de la Republique, nous fumes temoin d'une 
scene Strange. Une vieille femme, dont la figure 
etait le portrait' tout a fait ressemblant des 
vieilles sorcieres dont on avail amuse mon en- 
fance, e"tait entouree d'une nombreuse troupe 
d'hommes, de femmes et d'enfants. Je n'avais 
encore rien vu de pareil, je dois 1'avouer. et je 
me demandais ce que voulaient faire tous ces 
gens : la belle dame a la figure de sorciere, car 
elle etait tres bien habillee, conduisait un bouc. 
A celte epoque, je ne me souciais guere de m'in- 
former des coutumes arabes, encore moins de 
m'enquerir des pratiques des ordres religieux. 
Depuis, j'ai ete convaincu qu'a ce moment je me 
trouvais en face d'une pratique des Ai'ssaoua, 
dont je vais emprunter le recit a Soleillet, car 
j'avoue qu'a cet epoque je pre"ferais les jeux et 
les amusements avec mes camarades. Pourquoi 
ce bouc? Pourquoi tout cet attroupement? 
M. Soleillet va nous le dire : 

Au mois de septembre 1872, je fus temoin, 
a Djelfa, d'une fte religieuse, celebree par des 
negres avec des rites tenement curieux que je 
ne puis la passer sous silence. 

En descendant de la voiture, qui s'arrete 
quelques heures a Djelfa, mon oreille est frappee 
par le bruit des castagnettes de fer et des gros 
tambours qui forment la musique des noirs. Je 
vois bient6t arriver unecinquantainede ceux-ci : 
hommes et femmes jouant de leurs barbares 
instruments et chantant des refrains dans une 
langue inconnue. Us avaient au milieu d'eux un 
jeune bouc noir, que deux femmes, Tune vieille 
et 1'autre jeune, menaient en le tirant par les 
cornes, qui, ainsi que les sabots, etaient grossie- 



288 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

rement dorees. Gomprenant qu'il allait se passer 
quelque chose d'insoliteje me joins a la foule..... 

Un vieux negre,a la bar-be blanche et au pla- 
cide regard, vient se placer a c6te de moi,et tout 
enmarchant,ilm'explique que Ton va sacrifierle 
bouc. G'est avec peine, me dit-il, qu'on a pu se 
le procurer, car il faut qu'il soil noir, sans tache 
et vieux , et il ajouta que tous ceux qui assiste- 
ront a la ceremonie auront de grands bonheurs, 
que ce que Ton va faire est une priere de son 
pays, dupays desnoirs, bled-el-soudan. 

Nous marchons presses comme un troupeau 
de moutons, et nous parcourons ainsi toute la 
grande rue de Djelfa ; arrives a son extremite 
sud, nous tournons a gauche et nous nous instal- 
lons au milieu d'un terrain vague. La, il y a un 
grand espace sans arbre,sans maison, tout enso- 
leille et rempli de poussiere et de mouches. Les 
musiciens se groupent en masse, un ou deux 
negres font former le rond aux spectateurs. Je 
joue des coudes et je me mets au premier rang. 
La jeune negresse quitient le bouc, et qui est 
vtue de draperies blanches et rouges, s'ac- 
croupit au milieu, maintenant la victime par les 
cornes. 

La bestiole est fort jolie, elle a de longs poils 
noir s, fins et brillants comme de la soie; elle 
bele tristement en nous regardant de son bel ceil 
noir 1'un apres Pautre : on diraitqu'elle comprend 
le sort qui lui est reserve et qu'elle cherche a 
implorer notre secours* A c6te de la jeune 
negresse vient se placer la vieille femme qui 
1'aidait a conduire la victime : elle est toute 
decrepite"e et toute de"guenillee : une vraie sor- 
ciere noire. Elle tient dans la main .un rechaud 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 289 

dans lequel brule de 1'encens, auquel on melange 
du chanvre. Un grand negre, tout jeune, et qui 
n'a pour v&ements qu'un foutha jaune et bleu 
autour des reins, entre aussi dans le rond. 

A ce moment, la musiqueet les chanteurs re- 
commencent leur tapage : le bouc, men e par les 
deux femmes precedees du noir au foutha, fait 
une dizaine de fois le tour du rond : tous revien- 
nent au centre, et la vieille se met avec sa casso- 
lette a parfumer le bouc en tout sens : le negre 
commence a chanter et a sauter, non sans venir 
de temps a autre respirer le melange enivrant 
de Kif (chanvre) et de Bekous (encens) qui brule 
dans le rechaud. 

Voici maintenant que la jeune femme, qui est 
assise par terre, tenant le bouc dans son giron, 
SE MET A LE BAISER AU DERRIERE : son 
exemple estimite par le thurife"raire, le danseur, 
les musiciens, les chanteurs et un nombre assez 
considerable d'hommes et de femmes de couleur 
repandus dans la foule : le bouc tou jours tenu 
par la negresse aux draperies rouges et blan- 
ches, a le cou tranche par la vieille. Des que la 
bete est ainsi frappee, le noir danseur vient 
sucer le sang chaud qui sort de la blessure 
beante pendant que la victime est encore agitee 
des dernieres convulsions de 1'agonie : les fem- 
mes arrachent le negre de dessus le cou et lui 
mettent la t6te sur le ventre ; il dechire a belles 
dents la peau, mange les entrailles, et sa tete 
tout entiere disparait dans le cadavre fumant. 

La jeune negresse trempe sa main dans le 
sang du bouc, et suivie de la noire thuriferairej 
elie se met a faire le tour de Tassemblee : Tune 
vous touche de sa main ensanglantee, au front et 

LE DIABLE! CHEZ LES MUSULMANS 9 



290 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

a 1'epaule, 1'autre vous fait respirer les parfums 
de son fourneau. 

De tous les points de 1'horizon accourent des 
malades de toutes especes, des meres portant 
leurs enfants sur les bras, et des vieillards peni- 
blement appuyes sur leurs bequilles : les uns 
viennent demander a ces etranges ceremonies 
une guerison ; les autres du bonheur pour leur 
progeniture ; les troisiemes le prolongement 
d'une vie qui doit tre bien miserable, a en juger 
par leurs haiilons, leurs faces decharnees et leurs 
membres ankyloses. 

Lorsqu'elles ont fini de distribuer des benddic- 
tions sous la forme de sang de chevreau et de 
vapeurs d'encens et de chanvre, et que le negre 
a terming son immonde festin, les deux ne- 
gresses lui tirent la tete du ventre de 1'animal 
et lui pr^sentent le rechaud, dont il aspire 
bruyamment les acres senteurs : la musique re- 
commence son vacarme, et lui se met a danser 
une sarabande echevelee. 

Je n'ai jamais rien vu qui eut un aspect plus 
demoniaque que ce grand negre se tremoussant 
infernalement au milieu de cettelumiere blanche 
et crue du Sahara : la laine de sa tete est remplie 
des debris rouges et f umants de la victiine qu'il 
vient de devorer; le sang, qui a ruissele" sur tout 
son corps, y forme de larges raies pourpres qui 
tranchent sur sa peau luisante et noire. II saute 
et se demene jusqu'au moment ou, epuise, il 
tombe comme une masse inerte sur le sol. 

Geci, ajoute M. Soleillet, n'est pas une scene 
d'Aissaoua. -Nous ne voulons pas contredire 1'il- 
lustre voyageur ; mais, apres informations prises 
aupres de gens affilies aux Aissaoua, nous 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 291 

croyons que ceux qui, aDjelfa,se livraient a cette 
scene etaient des affilies, ou bien que les Aissaoua 
leur ont emprunte cette ceremonie. 

Je demandais un jour, en effet, a un Aissaoua 
des environs de Tunis, si rien de semblable 
n'etait pratique dans leur secte. Je vis bien, a sa 
figure, que cette question le genaitunpeu, mais 
il m'avoua que vraiment les affilies de Tunis, 
quand ils vont chaque annee faire leur pelerinage 
a Sid-Bou-Said, immolent non pas un bouc mais 
un mouton ; a part cette difference, la scene est 
la meme, et 1'animal est de*pece et mange cru 
par les assistants au milieu d'un detire freneti- 
que. Mais, ajoutai-je, il y a des pays ou a la place 
du mouton (Kebch), on immole un bouc(Atrous), 
appuyant bien sur ces deux mots pour lui faire 
sentir la difference et voir s'il me comprenait. 
Oui,me repondit-il, j'ai aussi entendudirequ'il y 
avait des pays ou cela se faisait : mais a Tunis 
je ne 1'ai pas vu faire. C'est ce m&ne individu 
qui m'affirmait avoir vu des affllies manger du 
verre, des serpents et scorpions : mais a un, mal 
lui en prit : il eut une indigestion d'un scorpion : 
et il en mourut : jamais mon interlocuteur ne 
voulut convenir qu'il fut mort empoisonne par le 
venin de cet animal : a son avis, il e"tait mort 
d'une indigestion de viande crue de mouton : il 
est a croire que, comme le negre qui eventra le 
bouc a belles dents et mangeait tout, TArabe 
avala la laine, la peau et la viande : malgre" 
1'elasticite de son estomac et la force de sa 
pepsine, il ne put digerer le morceau. 

Grande a toujours ete la veneration que les 
adeptes de Satan ont eu pour cet animal immonde 
que nous appelons le bouc; et nous savons que 



292 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

range des tenebres apparait souvent sous cette 
forme. II est curieux de retrouver en Afrique, 
avec la veneration dont 1'entourent les peuples 
adonnes au satanisme, le baisement sur I'en- 
droit specifique : comment expliquer cette ren- 
contre, est-co le hasard ou faut-il y voir de pre- 
ference la main de Satan ? Nous ne voulons pas 
nous arre"ler a de vaines considerations ; il nous 
semble, que le meme esprit dirige des homines 
qui ont les memes pratiques : que ce soient des 
homines du grand monde, frequentant les pre- 
miers salons de la capitale, s'abaissant jusqu'a 
baiser le derriere d'un bouc, ouun pauvre Musul- 
man ignorant et a moitie stupide, a notre avis 
les deux individus agissent sous la meme impul- 
sion, sous 1'impulsion du demon, et tous les deux 
lui rendent un culte plus ou moins avoue. L'homme 
le plus ignorant du monde sail bien qu'en tuant 
un animal, il nepeutpas naturellement obtenirla 
guerison de ses maux : s'il obtient cette faveur, 
ii devra admettre 1'intervention d'une puissance 
surnaturelle. 

Le bouc, pour les luciferiens, est encore le sym- 
bole de la virilite, le mariage est une obliga- 
tion pour tout homme, et la chastete est un 
crime envers 1'humanite. La plus grande gloire 
pour un homme c'est d'engendrer un tre 
semblable a lui, par lequel il se survivra : 
c'est par ce moyen que 1'humanite resiste au 
Dieu mauvais qui a ordonne a ses PrOtres de 
garder la chastete. On dirait que cette theorie, 
developpee tout au long par les rituels de la 
franc-maconnerie feminine divulgues par Leo 
Taxil, n'est qu'un echo ou a trouve son echo 
dans les ordres religieux musulmans. La plus 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 293 

grande injure, en effet, que vous pussiez dired'un 
Arabe, c'est de 1'appeler begel, mulet ; le mulet 
est hybride et nepeutengendrer ; ilestaux yeux 
des Arabesle symboledelasteriliteetderimpuis- 
sance. Aleurs yeux, Facte supreme, c'est i'union 
de Thomme et dela femme, etbeaucoup seraient 
tentes de dire que 1'acte sexuel est 1'acte le plus 
agreable a la divinite : m audit celui qui est in- 
capable d'engendrer : mauditela maison qui reste 
toujoursvided'enfants : c'est ce qui nous explique 
pourquoi la polygamie est en honneur chez eux : 
pourquoi la naissance d'un gargon est une joie 
pour la famille, tandis que la fille, en venant au 
monde, non seulement n'aura pas un sourire de 
son pere, mais 'heureuse sera-t-elle s'il ne la 
macdit pas, et s'il ne bat pas sa femme. 

Quand on viendra maintenant nous parler 
des belles theories de Ben-Ai'ssa sur 1' amour 
mystique, nous saurons ce que nous devons en 
penser. Toutesces belles paroles me font le meme 
effet que lorsque je lis, dans les auteurs francs- 
macons, leurs beaux discours sur la femme, ou 
sur la fraternite. Nous regretterions cependant 
de ne pas mettre sous les yeux de nos lecteurs 
la thgorie de 1'amour qu'on pour ra ranger a cOte 
des cantiques cites par De la Rive, composes 
par les freres pour se distraire dans leurs tra- 
vaux avec leurs soears. 

Prier et jeuner dans la solitude et n'avoir 
aucune compassion dans le coeur, cela s'appelle 
dans la bonne voie, de 1'hypocrisie. Meltez 
a c6te de ces paroles tetles autres citees par De 
laRive, et faites la comparaison, caril nefaut pas 
que nos lecteurs oublient que les femmes peuvent 
entrer dans cette societe. Partout ou il y a le 



294 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

diable, ne faut-il pas aussi que la femme 
paraisse. 

L'amour est le degre le plus complet de la 
perfection. 11 y a quatre sortes d'amour: 1'amour 
par 1'intelligence, 1'amour par le coeur, Fa- 
mour par Tame, Famoar mysterieux. L'amour 
par rintelligence s'appelle Famour spirituel, 
1'amour par le coeur s'appelle passion, 1'amour 
par Fame s'appelle desir de concomitance, 
1'amour secret s'appelle identification avec Fob- 
jet. L'amour par 1'intelligence ou amour spiri- 
tuel c'est 1'amour perpetuel de Dieu, 1'amour qui 
remplit Fetre interieurement et exterieurement, 
ii donne naissance au desir de se confondre 
avec Tobjet aime", de le posseder, de le prier. 
Le desir de posseder 1'objet aiine amene les 
frissons de la chair, les palpitations du coeur, 
les larmes, les soupirs... L'amour par le coeur 
qui s'appelle passion se montre lorsqu'il arrive 
a la face exterieure du coeur. II se Iraduit alors 
par de la langueur, des regrets,des lamentations, 
1'oublidu monde, le desir de Dieu, la compassion, 
le mystere et ses inquietudes, les larmes, la 
faim,la patience, la solitude et le penchant a la 
soumission a Dieu. L'amour par Fame se traduit 
par Fembarras, Fetonnement, le regret, les san- 
glots, la soif, la frenesie, Faneantissement de 
soirm^me en Dieu, la suspension de sesfacultes, 
la presence de Dieu sans tre^ve, 1'amour de 
Fobeissance, Fabandon a Dieu et a son Envoy^, 
la renonciation au libre arbitre, Fabaissement en 
Dieu, la pauvrete. De toutes ces vertus nait une 
lurniere blanche, resultant de la priere et de 
1'amour, et qui s'echappe du tr6ne divin. 

A Fapparition de cette lumiere,le coeur s'ouvre 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 295 

aux fureurs de 1'amour. Une lumiere jaune lui 
suocede, elle sort du trone de Dieu lui-mme. Le 
coeur, en le recevant, est enveloppe de feu : sa 
frdnesie augmente avec ses squpirs et son emo- 
tion. Dieu se manifeste alors et se reunit a 
i'ame. L'epouvante cesse par le jeiine: le coeur 
se calme par la faim ; la vue s'eclaircit a la clarte 
de la lumiere interieure, Toreille se ferme aux 
bruits exterieurs ; Tame se repatt de sa souf- 
france et se rejouit de sa douleur; la solitude 
plait ; Texistence et le neant se confondent. 
(Cite par RINN, pages 318-319 . ) 

Nous avons analyse settlement la derniere 
phrase, et nous y avons trouve une doctrine 
monstrueuse; nous avonn vu que le vrai Dieu de 
I'lslam et des A'issaoua est un tre reunissant 
en lui seul les deux dieux de Manes. Tout ce qui 
precede est un melange d'aspirations ardentes 
vers le ciel, de soupirs vers une beaute qu'il ne 
peut atteindre, en meme temps qu'on y re- 
connait 1'influence de la philosophic indienne ; 
a-t-on remarque ces mots : I'ame se repait de sa 
souffrance et se rejouit de sa douleur ; la soli- 
tude plait. On se croirait transporter dans le 
temple de Mac-Benac ou de la pourriture ; on 
croirait, d'apres ces paroles, que, dans leurs pra- 
tiques sataniques, les Aissaoua souffrent en se 
mutilant : enfermes dans ces solitudes ou plut6t 
ces toml?eaux ou ils doivent evoquer les ames de 
leurs Gheikh et passer dans les jeunes et les 
prieres de longues semaines et de longs mois, il 
nous semble que ces hommes doivent souffrir 
des supplices atroces qu'ils s'imposent pour se 
rendre leur dieu propice. L'ame d'un damne se 
repatt de sa souffrance et se rejouH de sa dou- 



296 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

leur comme le Chretien se repait de la joie et se 
rejouit de sonbonheur.On ne pouvait, a notre avis, 
exprimer d'une maniere plus cate"gorique 1'etat 
de ces ames ; car nous sommes persuade que 
si, un jour, on pouvait pe*netrer dans cesdemeures 
du satanisme musulman, on trouverait des 
choses aussi extraordinaires que dans llnde. 
Nous avons montre" plus haut que les A'issaoua 
ne sont qu'une branche des Haidarya, des 
Saadya, etc. ; que, comme ces fakirs orientaux, 
ils.se roulent dans le feu, et ont autant de pra- 
tiques diaboliques. Pourquoi ne les suivaient-ils 
pas jusqu'a la fin ? Satan veille sur son oeuvre, et 
1'Islamisme est, a notre avis, le dernier refuge ou 
Satan se retirerait s'il venait a 6tre vaincu par- 
tout ailleurs. 

Malgre tout le respect que nous portons a nos 
lecteurs, et meme a cause de ce respect nous de- 
vons tout expliquer : si les femmes sont admises 
dans cet ordre, evidemment ce n'est pas pour les 
laisser a la porte du lieu de reunion. II suffit de 
constater leur presence dans ces scenes de dia- 
bolisme pour que nos lecteurs intelligents, qui 
auront lu les auleurs francs-macons et auront 
devine le sens de certains mots, de certaines 
phrases que nous avons citees de la theorie de 
1'amour, sachent le but que Ton se propose en les 
admettant. Puisque Ben-ATssa a su si bien com- 
prendre la vraie notion de Dieu d'apres Mahomet, 
il a du aussi savoir que la femme n'etait qu'un 
instrument de plaisir. 

Nous nous sommes arrte bien longtemps sur 
cet ordre, qui, a notre avis, n'est pas a redouter, 
pour notre influence autant que les Rahmanya 
et surtout les Snoussya ; mais c'est 1'ordre sata- 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 297 

nique par excellence, et nous esperons bien que 
ce chapitre ne sera qu'une sorte d'introduction a 
une etude plus serieuse que nous ferons de cet 
ordre. II sera curieux d'observer I'influence de 
1'lnde sur 1'Europe sous le rapport du raal, de 
suivre la marche du mal et du satanisme se re- 
pandant progressivement des bords du Gange et 
de 1'Indus jusqu'au Nil et a I'Atlantique. Ge que 
nous avons dit suffit deja pour montrer quelle 
difference ii y a entre cet ordre et les deux dont 
nous avons parle precedemment ; celui-ci, a notre 
avis, est essentiellement satanique ; sa notion de 
la divinite, revocation des morts, les pratiques 
en usage parmi les affilies ne peuvent etre 
1'oeuvre de Dieu. 

Si ce n'est pas parmi les A'issaoua que nous 
rencontrerons peut-etre le plus de resistance po- 
litique, il ne faudrait pas croire non plus que 
nous pourrons nous en faire ses allies. Us sont 
aussi ennemis que n'importe quel Musulman, de 
tout progres et de toute civilisation. S'ils laissent 
les Francais assister aux seances qu'ils donnent 
dans nos villes d'Algerie et de Tunisie, il ne fau- 
drait pas croire que ce soit par sympathie, c'est 
plutdt pour nous tromper, pour nous montrer 
que nous ne devons pas les craindre. Mais ils 
sont d'autant plus a craindre que leurs pratiques 
sataniques, leurs rapports averes avec les esprits 
leur attirent 1'admiration et 1'enthousiasme des 
Musulmans. II suffirait d'un de ces illumines 
pour mettre le pays a feu et a sang. 

On compte, en Algerie, cinq a six mille affilies . 
Nous avons deja dit ce qu'il failait penser de ces 
chiffres,ils sont faux. Chaque Arabe, ou peu s'en 
f aut en effet, appartient a une confrerie, et si Ton 

LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 9. 



298 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

s'en tenait aux chiffres officiels, 250.000 Musul- 
mans algeriens, sur plus de 3.000.000, seraient 
affilies aux sectes. 



GHAPITRJE IV. 
Les Oulecl-sidi-Cheikh, ou Cheikhya. 



Tout homme qui a suivi avec un peu d'atten- 
tion les progres de notre colonisation en Afrique 
a remarque combien souvent nous avons du com- 
battre une tribu du desert appelee les Ouled- 
sidi-Gheikh. Nous voudrions dire quelques mots 
de cette tribu, qui forme une societe musulmane. 
Elle est loin, sans doute, d'avoir 1'importance 
des trois ordres dont nous avons parle dans cette 
etude, mais elle a joue dans la conquete de 
1'Algerie un rdle aussi actif que les Qadrya, et 
Men plus actif que les Chadelya et les A'issaoua. 
Nous ne parlerons pas de leurs doctrines : elles 
sont les monies que celles des Ghadelya : nous ne 
voulons faire mention de ces Khouan que pour 
faire compreiidre a nos lecteurs le sens qu'il faut 
donner a ces belles protestations de desinteres- 
sement et de fuite des grandeurs humaines, dont 
font parade les fondateurs, et qu'ils prescrivent 
a leurs disciples. De plus, comme en ecrivant 
cette etude nous avons voulu travailler pour 
notre patrie, nous ne pouvons omettre de parler 
de cette confrerie qui nous a fait taut de mal, et 
qui peut-6tre, a la prochaine insurrection, sera 
celle qui entrainera par son influence les tribus 
indifferentes ou mgme favorables a notre cause. 



300 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

Sur un espace egalant presque le quart de la 
superficie de la France, a 1'entree du desert 
doat ils semblent vouloir garder les portes, les 
Ouled-sidi-Cheikh promenent leurs tentes et 
leurs troupeaux. Des frontieres du Maroc a la 
province de Constantino, du Touat au Mzab, leur 
autorite s'exerce sans conteste, et une grande 
partie des tribus leur paie une sorte de rede- 
vance pour reconnaitre leur autorite; deux fois 
ils ont mis notre domination en Algerie a deux 
doigts de sa perte, et ils sont plut6t domptes que 
soumis; a la premiere occasion, ils se leveront 
en masse et nous rejetteront dans le Tell et le 
Sahel, avec 1'aide des autres congregations. 

Leur origine remonte jusqu'a Abou-Beker, le 
premier Khalife, et leurs ancetres s'appelaient 
Ouied-bou-Beker, ou encore, Bou-Bekkerya, en 
souvenir de cette illustre descendance. Ghasses 
deLa Mecque a la suite de discussions religieuses, 
ils vinrent chercher, dans 1'Occident, le respect 
el la consideration que leur refusaient leurs com- 
patriotes ; etablis d'abord dans le sud Tunisien, 
traites avec beaucoup d'honneur par les souve- 
rains de Tunis, ils emigrerent encore plus a 
1'ouest, entrainant avec eux quelques tribus qui 
s'etaienl faites leurs vassales, et vinrent s'etablir 
dans le grand Atlas par le 33 de latitude et le 
2 de longitude ouest ; c'est la, entre le Djebel 
Ghegga au sud, et le Djebel Guerdjouma au nord, 
qu'ils placerent le berceau de cette famille qui 
devait un jour tre la plus puissante du sud 
Algerien. Ge fut Maamer-ben-Sliman-el-Alia qui 
les conduisit des bords de la Mediterranee dans 
le desert Algerien ; et sa Koubba, la premiere 
qui fut elevee a un membre de cette famille, en 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 301 

Alge"rie, fut construite a El-Arba-et-Tahtani, an 
commencement du ix e siecle de 1'hegire : vers 
1400 de notre ere. G'est autour de cette tombe 
que s'e"leveront bientdt les mausolees de Ai'ssa- 
Bou-Lala, Bel-Ha'ia, sesflls.Sliman, son arriere- 
petit-fils, mourut a Figuig, tandis que son pere 
etait mort en Egypte. Ge fut ce Sliman-ben-bou- 
Smargha, qui fut le pere de Sidi-Mohammed, 
pere du grand Sidi Gneikh. 

Le grand Sidi Cheikh naquit en 950 de 1'hegire 
(1544 de 1'ere chretienne). II se fit un grand renom 
de saintete, et toute sa vie se passa dans la paix 
et la solitude, remplissant avec zele, piete et fer- 
veur, les fonctions que lui imposait son titre de 
Moqaddem des Chadelya. Par ce moyen, sans 
jamais recourir aux armes, il devint le roi de la 
contree, et exergait sur ses concitoyens une au- 
toriteincontestee. Son prestige etait immense, 
et sa reputation de justice et de saintete le flrent 
le grand justicier du Sahara : tous les diffe- 
rends entre tribus etaient apportes a son tribu- 
nal, et jamais il ne donna tort a quelqu'un 
injustement. II se fit le protecteur des faibles et 
des opprimes, et jamais ies ecumeurs du desert 
n'oserent franchir le seuil du refuge qu'il avait 
accorde aux malheureux. II exercait sans 

o 

conteste une autorite vraiment royale, et tous 
les nomades, dans un rayon de plus de SO lieues, 
roconnaissaient son pouvoir. II arriva alors ce 
qui est toujours arrive dans de pareilles circons- 
tances, les pauvres et les malheureux ne veulent 
plus abandonner celui qui leur a sauve la vie, 
et sidi Cheikh Abd-el-Kader se trouva chef de 
nombreux partisans sans avoir jamais desire 
autre chose que vivre en paix dans la solitude, 



* 



I ' " 

302- LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

observant de son mieux les obligations que M 
imposait la regie des Ghadelya et sanctiflant son 
ame. 

Ge fut alors qu'il crea a El-Abiod, le premier 
des Ksours, celui qui s'appelle Ksar G'erbi (1) 
ou Ksar Sid-el-Hadj Abd-el-Kerim . Ge fut, avec 
la reputation de ses vertus et de sa saintete, lout 
ce qu'il laissa- a ses successeurs. Ge ne fut done 
pas, a proprement parler, un fondateur d'ordre 
et rien dans sa vie ne semble indiquer qu'il eut 
voulu etablir une nouvelle branche greffee sur 
le tronc des Ghadelya. Aussi, en mourant, il 
recommanda a ses enfants de ue rien changer 
aux pratiques de Tordre dont il avail toujours 
ete le fldele affilie et le Moqaddem zele, et de 
dire seulement comme diker special, en plus des 
cinq prieres obligatoires, trois fois la fatiha. 
Et il s'eteignit a 1'age de 84 ans. 

Apres sa mort, la paix ne dura pas longtemps 
dans cette famille, et bientSt ce ne furent que 
guerres et escarmouches entre deux partis. Le 
motif est le mme que celui qui a scinde de nos 
jours les luciferiens : le desir de posseder les 
revenus de 1'ordre et de les administrer. Sidi 
Gheikh, en mourant, designapour lui succeder le 
troisieme de ses fils (il en avait eu dix-huit) El-Had j- 
bou-Hafs. Gelui-ci mourut en 1070 de 1'hegire 
(1660 de J.-G.); et comme il ne laissait que neuf 
enfants en bas age, il confia la charge de supe- 
rieur general asonfrere,quatriemefils du grand 

(1) Nous ecrivons ainsi G'erbi et non R'erhi, parce que nous 
c^oyons qu'il est plus facile de rendre par le g dur le ^ am' de 
1'alphabet arabe. Nous avons ecrit Gouts et uon R'outs pour la 
meme raison. D'ailleurs, il nous semble que cette transcription est 
deja un usage assez repandn ; ainsi nous ecrivons Mostaganem et 
non Mostar'nem ; IBoghar et non Cor'ar. 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 303 

Sidi Gheikh Si-el-Hadj Abd-el-Hakem, qui trans- 
mit rhe"ritage a son flls. Les enfants de Bou- 
Haf s avaient grandi, et ils e talent eapables de 
diriger la zaouia, et d'administrer 1'ordre ; ils 
reclamerent leur part : alors commenca cette 
guerre fratricide, dont cette latte ne fut que le 
prelude, pour ainsi dire pacifique, car le grand 
maitre donna sa demission en favour de son 
cousin et partit pour 1'Orient, ou il mourut ; la 
grande maitrise rentra done dans la famille de 
Bou-Hafs par son fils El-Hadj-ed-din : ses enfants 
n'en furent pas longtemps paisiblesppssesseurs; 
la guerre commenca, une guerre de razzia sous 
le gouvernement de El-Arbi, petit-fils de El- 
Hadj-ed-din. 

Nous avons dit de quelle grande reputation 
avait joui pendant sa vie le grand Sidi Gheikh. 
Apres sa mort, sa gloire s'accrut encore, et 
bientdt toutes sortes de presents et de richesses 
affluerent sur son tombeau. Parmi les fils du 
diable* la charite n'exista pas, et El-Arbi prehait 
pour lui et pour les siens tous les revenus de la 
zaouia. Les descendants de Abd-el-Hakem, alle- 
guant le passage momentane de leurs ancetres 
au souverain pouvoir, disant que la grande 
maitrise n'etait sortie de leurs mains que parce 
que le flls de Abd-el-Hakem avait consenti a leur 
ceder la place, reclamaient une partie des reve- 
nus. Pour appuyer ses pretentious, Sliman-ben- 
Kaddour, chef de la branche opposee, prit les 
armes, malgre sa jeunesse (il avait a.peine dix- 
neuf ans), et apres avoir gagne sa cause sur les 
Hamyan, il razzia les troupeaux des Ouled-El- 
Hadj-bou-Hafs. Appuyant ses droits a la grande 
maitrise des m ernes arguments,El-Arbi opera une 



304 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

excursion sur le territoire de ses parents devenus 
ses ennemis et usa de represailles. Apres une 
longue serie de combats entre les deux maisons 
rivales, la victoire resta aux R'eraba ou partisans 
de Sliman-ben-Kaddour, et le grand maitre de 
1'ordre dut consentir au partage des revenus du 
tombeau de leur ancelre. Ben-Kaddour fonda 
alors tine zaouia sous le vocable de son ancetre 
Sid- el-Had j-Abd-el-Hakem et la paix fut retablie 
pour un moment entre les deux grandes fractions. 

Elle fut de courte duree : les partisans de El- 
Arbise crurentleses dansleurs droits, surlout par 
la construction de cette zaouia; ils en construisi- 
rent une autre dediee a El-Had j-bou-Hafs, et la 
guerre recommenca. Nouvelles razzia, nouveaux 
combats : cette fois, cependant, les Cheraga 
ou partisans des Ouled-bou-Hafs semblerent 
1'emporter. Quand on voulut faire la paix, on 
convint que les revenus seraient partages en 
trois parts egales : une part pour chaque zaouia; 
en soinme, les Cheraga eurent deux parts. 
Depuis cette epoque, ces deux branches des 
Ouled-Sidi-Cheikh sont restees les families prin- 
cipales ayant sous leur autorite les descen- 
dants du grand Gheikh ; entre eux, ca n'a ete" 
qu'une longue suite de guerres intestines, qui 
n'ont cesse que lorsque leur haine contre les 
chretieas les a pousses as'opposer a nosprogres 
en Algerie. Les Gheikkya, en effet, sont 1'un des 
ordres que nous avons eu le plus a combattre. 

Grace a la reputation de saihtete de leur aieul, 
leur prestige est immense dans le Sud Oranais 
et Algerien ; malgre les rivalites de famille, ils 
restent toujours, aux yeux des Arabes, les flls 
du grand justicier, du marabout fldele, qui, 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 305 

mettant en pratique toutes les prescriptions du 
Goran, sut, par son equite, meriter 1'estime de 
leurs ancetres ; du Moqaddem, fidele aux pres- 
criptions des Ghadelya, qui passa sa vie dans la 
retraite et la solitude, uniquement occupe de la 
sanclification de son ame, et de lui procurer le 
doux bonheur de 1'extase. A leurs yeux, les 
Cheikkya sont toujours les descendants d'Abou- 
Beker, le premier Khalife, celui qui, apres le 
prophete, occupa la place d'imam, et fut le 
premier vicaire de Dieu sur laterre. Leur in- 
fluence est immense,non a cause de leurs propres 
merites, mais a cause de leurs a'ieux. Quelques 
families ont voulu abandonner le lieu oil leur 
pere avail plante ses tentes, pour flnir les 
luttes fratricides dont nous venons de parler, 
et se sont retiraes vers le Tell; ces families 
pratiquent par necessity la pauvrete qu'ils 
devaientpratiquerpar vertu. Us n'ont, pour toute 
subsistance, que les quelques aumdnes ou ziara 
que leur font quelques Khouan qu'ils sont par- 
venus a affilier. Ces Moqaddem passent pour 
avoir surtout le don de satisfaire tous les voeux 
que peuvent former leurs affilies. Quand un de 
ceux-ci, se trouvant sans enfant male, veut 
cependant se procurer un heritier, il va trouver 
son chef spirituel, apportant, cela va sans dire, 
quelques presents. Quand ii les a offerts a son 
Gheikh, illui expose I'ohjet de sarequete : celui- 
ci lui fait alors reciter le diker des Ghadelya, 
puis lui fait demander lui-m^me ce qu'il desire 
obtenir : Dieu, donnez-moi un enfant male !... 
6 Dieu, donnez-moi une bonne recolte? etc. 
AussitSt, le Gheikh, reprenant chacun de ces 
vo3ux, prononce les memes paroles : mon 



306 LE DIABLIU CHEZ LES MUSULMANS 

Dieu, donnez-lui, etc., et, grace a la baraka 
que le grand Sidi Cheikh a transmise a tous 
ses Moqaddem, 1'affllie est sur d'etre exauce. 
L,es Gheikkya ne forment pas un ordre distinct, 
tout au plus pourrait-on dire qu'ils forment une 
branche des Ghadelya, et encore, a notre avis, 
ce serait s'avancer beaucoup. La preuve n'est 
pas dans ce que rn&ne les chefs se font affilier a 
d'autres ordres ; ainsi Sliman-ben-Kaddour, 1'an- 
cien agha de Geryville (Sud Oranais), qui etait 
le chef des R'eraba, c'est-a-dire de la famille 
rivale de celle qui possede la grande maitrise, 
etait affilie anx Taibya, et comme tel etait 
dependant du grand maitre d'Ouezzan. II est 
ordinaire, en effet, qu'un chef se fasse affilier a 
plusieurs ordres, et nous verrons que Snoussi 
etait affllie a presque tous, de meme que Ben- 
A'issa etait affllie aux Haidarya. Tout en s'affl- 
liant ainsi a plusieurs congregations , ils demeu- 
rent cependant les vrais Khouan de Tordre qui 
les a adoptes, dont ils suivent les prescrip- 
tions, recitent le diker et auquei ils paient la 
ziara. Les Gheikkya n'ont qu'une chose pour 
laquelle ils pourraient se faire regard er comme 
un ordre religieux : ils pergoivent la ziara : mais 
nous avons deja vu que les Moqaddem qadrya 
percevaient les dons des affilies, sans que pour 
celails formassent un ordre ou m&ne une branche 
a part. II y a loin de cet ordre aux Derqaoua ou aux 
Madanya qui, comme nous 1'avons dit, ne forment 
qu'une branche des Ghadelya : ils ont un diker 
special, et meme un but special ; tandis que les 
Ouled-Sidi-Gheikhontlediker-Chadelienetsuivent 
toutes les prescriptions de cet ordre. G'est done 
plutOt une tribu, un ordre politique qu'un ordre 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 307 

religieux; tousles actes d'ailleurs de ses chefs 
tendent a le montrer. 

Notre but n'est pas de raconter les di verses 
expeditions que 1'armee d'Algerie a dd diriger 
contre les Cheikkya ; mais comme nous nous 
sommes propose, en ecrivant cette e"t:iae, de 
faire voir les dangers que court dans le Nord de 
1'Afrique notre domination, nous n'avons pu 
omettre de parler de cette branche des Cha- 
delya, et nous voulons montrer, par quelques 
exemples, combien nous les devons craindre. 
Le plus terrible ennemi, en effet, que nous 
ayons a combattre, ce ne sont pas les Ouled-Sidi- 
Gheikh, ce sont les fatigues sans nombre d'une 
campagne dans le desert : la soif. Nous aliens ' 
le voir, par 1'insurrection qui eut lieu de 1865 a 
1869. 

Deja un complot contre les Roumis avait ete 
trame a Djelfa, plusieurs avaient succombe. 
Quand Mgr Pavy, evque d'Alger, entra dans la 
ville, en tournee pastorale, il ne rencontra pour lui 
rendre leurs hommages qu'un sacristain, le bras 
fracasse par un coup de fusil, et un jeune enfant 
de chosur dont la tte etait entouree d'un mou- 
choir qui cachait une horrible blessure faite 
avec un yatagan. Heureusement, de Sonis etei- 
gnit les premieres etincelles de cet incendie qui 
devait mettre le feu a toute la colonie, et, arri- 
vant inopinement, il se saisit de cinq ou six des 
conjures et les fit executer. II fallait s'y attendre, 
la presse juive et franc-maconne d'Algerie blama 
severement une telle conduite, fut indignee de 
ce qu'un offlcier francais eut a ce point meconnu 
les lois de 1'humanite, eut montre une telle seve- 
rite et n'eut pas eu pour ces revolte's une plus 



308 LE DIABLEJ CHEZ LES MUSULMANS 

grande indulgence. Inutile de dire que cette 
mme presse applaudira aux persecutions mes- 
quines dont les catholiques seront 1'objet dans 
la colonie. Si entre les Musulmans et les francs- 
masons il o'y a pas union de doctrines, il y a, on 
le voit, une grande propension entre les deux 
Societes, preuve quo Satan n'y est pas etranger. 

Ce coup de main hardi stupefla les Khouan et 
ils attendirent encore quatorze a dix-huit mois. 
Alors eclata la grande insurrection de 186-1 qui ne 
devaitfmir qu'en 1869 pour recommencer, helas 1 
presque aussitOt. C'est alors qu'eurent lieu les 
massacres d'Aiouinet, de Mekhabetet d'El-Menya, 
qui etaient, nous pouvons le dire, le digne pen- 
dant de ceux que les Druses venaient d'accom- 
plir, il y avait quatre ans, sur les pauvres Chre- 
tiens du Liban. Presses de toutes parts par 
Youssouf, poursuivis partout, ils se refugierent 
dans le desert, bien loin de nos posies. 

Alors, les Ouled-sidi-Gheikh levent le masque 
et soulevent tout le desert jusqu'a Am-Madhi, 
sous la conduite de Si-Lalla. Ge ful dans cette 
campagne que de Sonis se revela tel qu'il etait : 
cavalier intrepide, poursuivant sans relache un 
ennemi toujours invisible grace a la vitesse de 
ses mehari, le harcelant sans cesse par des mar- 
ches et des contremarches el le repoussant de 
partout. Toujours il se montra le brillant cavalier 
qui avait excite 1'enthousiasme des Arabes, et 
ce n'est pas peu dire. Rien ne peut 1'arreter; 
poursuivant, avec les goums restes fideles a 
notre cause, les revoltes, il leur donne la chasse 
jusqu'au coeur du desert, s'empare de Metlili qui 
doit reconnaitre notre autorite et payer une forte 
amende. La, il suspendit sa marche, mais Si- 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 309 

Lalla n'etait pas soumis. Ge futl'affaire d'unese- 
conde expedition, on lacolonne toutentiere faillit 
perir de soif au milieu du desert. Traque de 
toutes parts comme une bete fauve, poursuivi 
sans cesse par deux colonnes volantes, Si- Lalla 
e*chappaittou jours. Fatigue de cette lutte ou tout 
1'avantage devait nous rester grace a la superio- 
rite de notre armement et de notre tactique, 
voyant aussi que 1'appui des ordres lui manquait, 
Si-Lalla fit sa soumission, mais a la maniere 
d'Abd-el-Kader. II fit la paix pour mioux faire la 
guerre qu'il allait preparer, et, cette fois, avec 
le concours des Tidjanya. 

En 1869, tout fut prt pour 1'extcrmination des 
Francais. Apres avoir ravage le sud oranais, 
certain de 1'appui du grand maitre des Tidjanya, 
Si Lalla alia camper a quelques lieues de 
Laghouat. La viile d'Ain-Madhi, la forteresse du 
Sahara, dont nous parlerons dans le chapitre 
suivant, lui avait ete livree par le grand maitre 
de 1'ordre ; stir de ce point d'appui qui devait 
servir de base a ses operations, appuye par une 
armee de plus de 15.000 homines, il se croit stir 
du succes : qu'il triomphe, et demain Laghouat 
est pris, et nous devoas reculer jusque dans le 
Tell. Heureusement que le colonel de Sonis les 
arreta, et leur iufligea sous les murs d'A'in 
Madhi une terrible lecon. Mais leur prestige ne 
diminua pas, et, quelques annees apres, nous les 
voyons de nouveau s'armer contre nous. Us ont 
ete meles a toutes les insurrections du sud ora- 
nais ; mais, comme nous n'ecrivons pas 1'histoire 
de TAlgerie, et que nous ne voulons que montrer 
1'infiuence des ordres religleux et les entraves 
qu'ils apportent sans cesse a -nos progres, nous 



310 LE DIABLIJ CHEZ LES MUSUJLMANS 

ne nous arreterons pas a raconter ces expedi- 
tions. En 1881, le colonel Negrier, pour repri- 
mer 1'insurrection, detruisit le tombeau d'El- 
Abiad, et transporta les os du saint a Geryvilie. 
Depuis ce moment, les Ouled-sidi-Cheik ont vi^cu 
avec nous dans une paix plus ou moins parfaite. 



GHAPITRE V. 

Les Tidjanya. 
(La Maison-Mere est a A'in-MadM et Temacinn.) 

L'ordre des Tidjanya est 1'un des trois grands 
ordres fondes depuis un siecle, que le diable 
semble avoir voulu placer a dessein a la porte 
du Sahara. Les Tidjanya n'ont pas peut-tre la 
ferocite des Snoussya, mais ils ne sont pas moins 
a craindre. Presque tous les voyageurs qui ont 
voulu penetrer dans le Sahara so sont recom- 
mandes de leur protection, mais nous verrons 
que le poignard des Snoussya ne craint pas 
d'irriter le saint d'A'in-Madhi ; et Tun des compa- 
gnons du colonel Flatters, arabe cependant, 
expia par sa mort sa complaisance a vouloir 
conduire, dans ce pays que Satan a ferme jus- 
qu'ici, les Chretiens et tout ce qui doit necessai- 
rement les suivre, mme n'observeraient-ils pas 
leur religion. Disons des maintenant que 1'in- 
fluence des Tidjanya a bien deem ; faudrait-il 
1'attribuer a leur condescendance a notre egard ; 
le lecteur jugera. 

A 70 kilometres au sud de Laghouat, au milieu 
d'une plaine couverte d'alfa, dominee au nord 
par les dernier s contreforts du Djebel- Amour, 
s'eleve la petite ville d'Am-Madhi. G'est la que 
vint un jour s'etablir, bien avant la conquete 



3l|E 



312 LE DIABL|E CHEZ LES MUSULMA.NS 

d'Alger par les Turcs, un cherif marocaia : 
Cheikh-sidi-Mohammed : il fonda, dans sa patrie 
d'adoption, une zaouia qui devint tres celebre, et 
A'in-Madhi, peuplee par les Gheurfa et les Tolba, 
devint bientdt le centre intellectuel le plus im- 
portant du Sahara. Ce fut dans cette famille de 
Gheurfa, descendants du Cheikh Mohammed que, 
1'an 1150 de 1'hegire (1738 de notre ere), vint au 
monde Sid-Ahmed-ben-el-Mokhtas-el-Tidjani. 

Des son jeune age, il se fit remarquer par sa 
precoce intelligence, et, disent les recits hagio- 
graphiques, sa piete et ses vertus e*galaient les 
qualites de son esprit ; a seize ans, il succeda a 
son pere dans la chaire qu'il occupait, et, pendant 
cinq ans, a Fage ou d'ordinaire les hommes 
commencent a s'instruire, Sid- Ahmed tenait ses 
auditeurs suspendus a ses levres par son elo- 
quence et la sublimite de ses doctrines. II ne se 
jugeait pas avec la meme complaisance, et, se 
regardant comme un homme qui ne sait encore 
que peu de chose, il voulut frequenter les princi- 
pales universites musulmanes, et faire son pele- 
rinage a LaMecque. 

II commenca par Fez la s^rie de ses longues 
peregrinations ; la, a la zaouia de Bit-el- Alem (la 
maison de la science), il fit 1'admiration de ceux 
qui rinstruisirent; ce fat la aussi qu'il sefit initier 
dans 1'ordre des Qadrya et des Taibya; il se 
rendit ensuite a El-Abiod, puis a Tlemcen, ou il 
professa quelques annees. Du Caire, il se rendit a 
La Mecque. La renommee 1'avait precede; tout 
le monde admira le jeune cherif d'Occident, qui 
unissait en lui Intelligence et la science des 
plus grands docteurs de Tlslam a la piete du 
plus saint des Soufi. Un jour, qu'un des docteurs 



V 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 313 

de la ville sainte lui derrandait ou il avail appris 
toutes ces connaissances, et quel avait ete sou 
Gheikh : Je n'ai pas eu qu'un seul maltre, 
repondit le jeune savant ; j'ai recueilli ma 
science aupres des grands docteurs de I'lslam. 
Et il disait vrai. II avait eu soin, en effet, de se 
faire initier a presque tous les ordres religieux, 
et, dans leurs doctrines, ii sut faire mi choix 
habile : c'est un philosophe eclectique plut6t qu'un 
savant de premier ordre, et son ordre ne sera 
que le fruit de ses veilles. Ce sera, si nous 
pouvons nous exprimer ainsi, un ordre eclec- 
tique ; il laissera de cote tout ce qui pourrait, 
comme les ATssaoua, faire ressembler ses adep- 
tes a des jongleurs, mais il leur empruntera leur 
mysticisme ; a Ghadeli, il laissera son principe 
trop absolu : Obeis a ton Gheikh avant d'obeir 
au souverain temporel ; maisil ne le supprimera 
pas tout a fait, il ne fera que le mitiger, et, en 
pratique, il ne differera guere des autres ordres. 
De retour a Fez, apres avoir passe par Ain- 
Madhi, sa ville natale, il se mit a precher cette 
doctrine, qui lui attira de nombreux disciples. 
Alors il resolut de mettre a execution le projet 
que lui avait suggere au Gaire le Moqaddem des 
Hafnaouya, Sid Mahmoud-el-Kordi, a savoir 
de fonder un ordre special. II jugea cependant 
prudent de ue pas rester a Fez; le sejour dans 
une grande ville, ou s'agitent les grandes ques- 
tions politiques et religieuses, oil les revolu- 
tions sont frequentes, ou le bruit du monde emp- 
che le recueillement, lui semblait peu convenable 
pour la fondation d'une zaouia ou ses disciples 
devraient sans cesse s'occuper des choses 
de la terre, et travailler a sanctih'er leur ame. 

LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 9. . 



314 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

1 se rendit a Bou-Semghoum, en 1782 de J.-C., 
oasis a 120 kilometres sud de 1'endroit ou devait, 
plus tard, s'elever Geryville. La, le Prophete lui 
apparut et, 1'encourageant dans la voie qu'il 
avait prise, il lui dit : Person ne n'aura de 
reproches a te faire, car c'est moi qui serai ton 
intermediate aupres de Dieu, et aussi ton 
auxiliaire . (RiNN, page 419.) 

La premiere regie qu'il imposa a ses disciples 
fut la promesse solennelle qu'une fois admis, 
aucun ne se laisserait affilier a un autre ordre. 
Grace a 1'activite surhumaine du fondateur, qui 
parcourut, pendant dix-huit ans, toute 1'Afrique 
dunord, tra versa le Sahara, penetra dans le 
Soudan pour faire des proselytes, creant partout 
des zaouia, instituant des Moqaddem, Tordre 
acquit une tres grande importance. Jaloux de 
1'influence sans cesse croissante que prenait 
cet ordre dans son propre territoire, voyant les 
richesses affluer vers la zaouia, ou il ne pouvait 
pas commander, ne supportant aussi qu'avec 
peine la popularite de ce grand Soufi, le bey 
d'Oran voulut lui imposer un tribut anauel de 
188 reaux : ce fut peioe inutile ; nous raconterons 
bient6t toutes les difficultes qu'Abd-el-Kader 
dut vaincre pour s'emparer d'Am-Madhi; aussi, 
Mohammed-el-Kebir, qu'on avait j usque-la sur- 
nomm^ 1'Invincible, dut se retirer devant les 
fortes murailles et les puissantes tours d'Am- 
Madhi. 

Apres avoir vaincu les Turcs, Tidjani, tracasse" 
par un parti puissant, qui avait pris le nom de 
Tidjadjna, abandonna sa ville natale et se 
refugia a Fez : accueilli avec beaucoup d'hon- 
neurs par le souverain du Maroc, il termina 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 315 

sa vie dans la retraite, dans un magnifique palais 
que lui avail cede le prince musulman : la, il 
regut les communications du Prophete : favorise 
d'extases et de visions, il gouta un bonheur et 
une paix dont il n'avait pas joui jusqu'alors ; ce 
fut la aussi qu'il ecrivit le livre de doctrine des 
Tidjanya, a la suite d'une revelation. 

A la mme epoque, nous dit Rinn, Sid Amed 
faisait elever a Fez, dans le quartier appele 
Houmed-el-Blida-er-R'arouya, une zaouia ou, 
chaque jour, il allait reciter ses prieres, lire et 
expliquer le Goran et la tradition a ses nombreux 
Khouan et disciples. G'etait alors un beau vieil- 
lard a la barbe eclatante de blancheur, a la 
physionomie inlelligente et reflechie. Bien 
qu'obese et un pen voute comme tous les gens 
d'etude, il avail tres grand air ; sa voix forte et 
sa parole eloquente le servaient admirablement 
dans ses predications. Ge fut la qu'il mourut, le 
19 septembre 1815, apres avoir fait un voyage 
a Am-Madhi. 

A sa mort, 1'ordre des Tidjanya etait trespros- 
pere, et comptait un grand nombre d'affilies ; 
nous voyons de nombreux envoyes, veritables 
missionnaires du diable, parcourir en tout 
sens ie Sahara et le Soudan, penetrer j usque 
dans 1'Adras et le Fouta senegalais, et etablir 
des zaouias jusque dans Timbouclou, la reine, 
helasldechue du desert. 'Ge vaste empire ne 
devait passurvivre longtempsala mortdufonda- 
teur : les successeurs Lie furent pas a la hauteur 
de leur tache, ou plul6t ils voulurent faire cause 
.commune avec nous et, peu a peu, leur prestige 
disparut devant le fanatisme des Snoussya; 
aujourd'hui, les Tidjanya voient le desert ferme 



316 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

devant eux, et peut-^tre le jour n'est pas loin 
oil, a Temacinn et Am-Madhi meme siegeront 
des Moqaddem Snoussya.Nous ne nous arreterions 
pas a faire 1'histoire de cet ordre, et du coup 
nous analyserions leurs doctrines et nous ferious 
voir les avantages que nous pourrions en retirer 
pour la colonisation ou plutot les dangers, qu'ils 
peuvent y apporter : mais leur histoire est trop 
instructive, et malgre 1'aridite d'une simple 
nomenclature de faits, nous voulons faire voir 
comment cet ordre, apres avoir ete un des plus 
puissants del'Algerie, est aujourd'hui a pen pres 
sans puissance. Les documents ne nous manque- 
ront pas ; tous les voyageurs qui ont voulu penetrer 
dans le Sahara se sont mis sous leur protection ; 
Duveyrier meme avait recu un dipl6me d'affilie, 
et cependant presque tous ont echou^ ; ils ont 
du revenir sans avoir atteint leur but ; et les 
missionnaires d'Alger, qui n'avaient d'autre 
protection que celle de la Groix, sont tombes 
victimes de leur devouement, les premiers a 
quelques kilometres de nos avant-postes : les 
seconds a 20 kilometres de Ghadames, ou le 
gouvernement turc pretend commander et veut 
faire respecter ses droits. 

Au lieu de conserver dans une seule main la 
supreme autorite, Tidjani voulut que ses deux 
flls partageassent la grande maitrise : ce fut 
la la premiere faute. II laissait deux enfants 
adolescents : Mohammed-el-Kebir, age a peine de 
vingt ans, et Mohammed-Sr'ir, ne en 1802 et age 
de quatorze ans a peine ; il les placa sous la 
tutelle de Mahommed-ben-Ahmedet Tounsi,qui, a 
cause de Tinexperience de ses proteges, prit en 
main la direction de 1'ordre, avec Sid-el-Hadj- 



. LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 317 

Ali-ben-el-Hadj-A'issa. Malheureusement,Ie grave 
et experiments Mohammed-el-Tounsi leur fut 
bientdt enleve ; et fladj-Ali, prenant en main le 
gouvernement, courutaFaz, prit les deuxenfants 
que les Taibya, jaloux de 1'influence et du 
developpement de 1'ordre, commencaient a 
persecutor, et auxquels, grace a leur influence 
aupres du sultan de Fez ,ils avaient fait enlever 
le palais donne a leur pere. En possession des 
enfants de Tidjani, Hadj-Ali se retira a Temacinn 
d'ou il dirigea 1'ordre, au nom des heritiers. 
Geux-ci, grand-maitres de droit, tinrent a faire 
honneur au nom qu'ils portaient et leur predi- 
lection etait pour Am-Madhi ; trop jeunes encore 
pour pouvoir y soutenir la gloire de leur pere, 
ils y firent venir des servants musulmans, et la 
zaouia s'apercut a peine de la mort du grand 
fondateur. 

Nousavonsvu plus haul quelles tracasseries 
les Tidjadjna exercerent envers le fondateur, 
et nous savons que c'est pour se soustraire a 
leur inimitie que Sid-Ahmed avail fui sa ville 
natale et avait cherche un refuge aupres de 
1'Empereur du Maroc. Expulse"s d'A'm-Madhi et 
refugi^s dans le Djebel-Amour, ils voulurent 
profiler de la faiblesse de deux enfants pour 
rentrer dans Ain-Madhi. Une premiere atta- 
que ayant echoue, ils appelerent a leur aide 
le bey d'Oran, Hassen, qui vint faire untroisieme 
siege de cetteforteresse.Les defenseurs n'eurent 
pas le courage de leur pere, et, moyennant 100.000 
boudjoux (environ 350.000 francs), ils achete- 
rent 1'eloignement de 1'armee turque : le roue 
Hassen prit 1'argent et voulut prendre la ville ; 
apres I'avoir canonne"e pendant pres de quarante 

LE DIABtE CHEZ LES MUSDLMAN8 0. . t 



318 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 



heures et avoir tente quelques assauts infruc- 
tueux, il se retira. 

Quelques voyageurs ontconfondu les Tidjanya 
et les Tidjadjna, ou Tedjedjena, comme Te'crit 
Paul Soleillet, qui a confondu absolument ces 
deux noms eta fait le grand- maitre des Tidjanya 
grand-maitre des Tidjadjna ; cependant, ce sont 
deux ordres tres distincts, si distincts qu'ils 
sont les ennemis 1'un de Fautre. Quel est bien 
1'origine de cette association? Nous savons seu- 
lementquece fut une sorte de coterie dirigee 
centre le grand Tidjani. Jaloux de sa reputation, 
ne voulant pas se soumettre a son autorite qui 
de jour en jour allait grandissant, jusqu'a ce 
qu'iidevint le vrai maitre et roi d'Ain-Madhi, 
quelques habitants formerent cette association. 
D'ou vient ce nom ? faut-il y voir le nom du chef 
de 1'opposition que les partisans auraient pris 
comme signe de ralliement, ou bien ne faut-il y 
voir que le nom de Tidjani lui-meme que ses 
adversaires auraient travesti et dont ils se 
seraient atfubles ? Nous croyons bien probable 
cette derniere hypothese : ce qui est cependant 
certain, c'est que 1'inimitie la plus grande a 
regne entre les deux associations, et que souvent 
ils en vinrent aux mains ; mais le sort des armes 
fut favorable aux h'ls de Tidjani. 

Vainqueurs de leurs ennemis, ayant encore 
repousse le siege que fit de leur ville, en 1822, 
le bey de Tittery, animes d'une grande haine 
contre les Turcs et se voyant a la tete de nom- 
breux contingents, les deux fils de Tidjani, 
devenus les rois du desert, furent appeles par 
les Hachem de Mascara, pour combattre 
1'influence des Turcs. C'est la seule fois peut- 



V 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS . 319 

tre que. nous verrons les Tidjanya s'unir aux 
Qadrya, dont le pere d'Abd-el-Kader, de la tribu 
des Hachem, etait le Moqaddem. Qui vint rompre 
cette entente entre ces deux ordres, qui, unis, 
nous auraient peut-tre chasses de 1'Algerie? 
Vaincu une premiere fois a Souara par un fort 
parti du Zegdou marocain, grievement blesse au 
cou, Mohanmied-el-Kebir rentra a Am-Madhi et, 
pendant plusieursmois ,fut entre la vie et la mort. 
A peine fut-il gueri qu'il reprit ses projets de 
jonction avec les Hachem de Mascara ; deja une 
partie de la ville etait en son pouvoir quand les 
Hachem 1'abandonnerent et il fut massacre" 
avec les siens. C'est dans cette defection qu'il 
faudravoir 1'origine dela haine que Mohammed- 
Sr'ir porta a ceux qui causerent la mort de son 
frere en 1'abandonnant, et nous verrons le fils v 
de Mahi-Eddin oblige de faire le siege de cette 
place parce qu'il n'aura pas voulu s'unir au 
meur trier de son frere. 

Seul desormais, Mohammed Sr'ir recueillit i'he- 
ritage paternel et essaya mme de lui imprimer 
une plus grande extension. Abandonnant Bou- 
Semghou oil il n'etait pas en surete, et ou il 
pouvait tre enleve par un coup de main spit des 
Turcs soit des Hachem eux-memes, le fils de 
Tidjanigagna Ain-Madhi, et la, sur de la protec- 
tion de ses bonnes murailles, il defia tous ses 
ennemis. Adonne tout entier au gouvernement 
de son ordre, il suivit en tout la conduite de son 
pere, et les Tidjanya gagnerent en influence 
dans leDjerid tunisien et le sud du Maroc. 
Mohammed Sr'ir abandonna les projets de 
conqueles et de guerres qu'avait formes son pere ; 
il voulut que son ordre fut un ordre pacih'que 



320 LE DIABLB CHEZ LES MUSULMANS 

et s'etondit de lui-mme sans le secours.du sabre 
et du fusil. II se livra au commerce et attira a'sa 
zaouia toutes les richesses du Soudan. Ai'n- 
Madhi, grace a son habile administration devint 
I'entrepSt du Sahara, la porte du desert. Des 
richesses innombrables encombraient cette ville, 
et la maison du chef de 1'ordre etait un palais 
magnifique ou s'unissait admirablement tout ce 
que 1'Orient et 1'Occident ont de plus beau et de 
plus riche. 

On peut se demander avecraison cequ'etaient 
devenues les belles theories du soufisme : au 
milieu de ces richesses, Mohammed n'e"tait plus 
un fakir, ce n'etait plus le pan vre deDieu, occupe" 
uniquement de la sanctification de son ame ; 
vivant dans la luxure et 1'abondance, entoure de 
tout un harem, il avait delaisse les voies tracees 
par son pere ; c'est la une des raisons pour 
lesquelles il ne voulut pas s'unir a Femir pour 
nous combattre; mais, youlant determiner 
la vraie cause de leur iutte, nous allons voir 
entrer en lice un element dont nous n'avons dit 
que quelques mots, nous reservant de tout 
completer ici. 

Les ordres religieux musulmans rencontrent 
leur plus redoutable ennemi dans le clerge 
offlciel, dans ces Marabouts qui, ayant oublie les 
enseignements du Goran et leur vrai but, trafi- 
quent de leur influence moyennant quelques 
pieces d'argent que leur paie a epoque fixe le 
gouvernement etabliregulierement. LesKhouan 
ne distinguent pas si cet argent vient d'un gou- 
vernement infldele ou d'un gouvernement mu- 
sulman ; pour eux, c'est un crime de recevoir 
n'importe quelle redevance pour des fonctions 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 321 

sacrees. Le peuple est avec eux. Aussi les Mara- 
bouts voient-ils peu a peu diminuer leur influence, 
et les ordres musulmans s'agrandissent et 
s'enrichissent grace aux ziara plus ou moins 
volontaires que chaque neophyte est oblige" 
de faire au Moqaddem. Quelques-uns de ces Ma- 
rabouts, pour conserver toujours la place qu'ils 
occupent, passent du c6te des Khouan, montent 
vite en grade, et les offrandes des fideles vien- 
nent compenser la perte de leur pension. 
11 y a done entre les ordres religieux et le clerge 
salarie la plus grande animosite", et chacun fai 
son possible pour faire le plus grandtort a 1'autre. 
A Tepoque ou nous sommes arrive", Abd-el- 
Kader avait de*ja acquis une juste renomme"e : 
par le traitede la Tafna, la France lui avait trace, 
a lui un parvenu, a lui le Sultan aux deux boud- 
joux, un empire tres vaste, dont nous negardions 
qu'une suzerainete* tout a fait nominale. Nous 
avons fait ressortir son caractere et son but: 
.guerrier ascetique, il ne faisait pas la guerre 
par ambition, mais pour 1'independance de sa 
patrie et de sa religion (1). II voulait done 
grouper autour de lui les chefs des differents 
ordres, les cenduire tous a la guerre contre 



(1) Les historians qui ont raconte la conquetede 1'Algerie ne parlent 
jamais de I'mflnenc-e qu'ont exercee les ordres religieux sur la perte 
de 1'eiriir. Nous ne saurions trop le repeter : nous n'aurions jamais 
vaiacu Abd-el-Kader si les Tidjani et les Taibya ne nous avaient fait 
obtenir la celebre fetoua dont nous avons parle : Ses commence- 
ments ont etc suivant la religion, sa fin sera contre la religion, 
ecrivait, en 1842, le cherif d'Ouezzan a Sid-Ahmed-ben-Merabet, Mo- 
quaddem des Taibya, qui demandaita soa nyer'um la permission 
d'accepter la charge de Khalifa 4e 1'Ouarensenos. Voici d'ailleurs 
1'appreciation de Mouley-Ahmed, affllie anx Qadrya : il repondait 
aux insultes dont un certain Abdallah, Moqaddem des Tidjanya, 
ternissait la conduit e du vaillant emir : 

Sais-tu pourquoi certains Musulmans condamnent la conduite 
d'Abd-el-Kader ? C'est qn'elle etablit un contraste qui les blesse 
entre son desinteressement et leur avarice, entre son mepris da 



322 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS - ' 

nous et, apres nous avoir expulses, apres avoir 
ren verse de son trdne le Sultan de Fez et le bey 
de Tunis, etablir dans le Nord de 1'Afrique le 
noyau du vaste empire dont il serait Timam, 
dont Allah serait le Roi. II fallait done que tous 
les ordres le reconnussent ; nous avons vu les 
luttes qu'il dut engager centre les- Derqaoua. 
Les Tidjanya etaient autrement puissants que 
cette branche des Ghadelya. Leur empire e"tait 
vaste, leurs richesses etaient innombrables 
etleurs contingents aussi bien' armes que 
nombreux. 

Mohammed Sr'ir vOulaitbien reconnaltre 1'auto- 
rite de 1'emir, mais celui-ci voulait autre chose, 
il voulait voir le grand chef des Tidjanya : celui- 
ci refusait, il se souvenait, helas ! de la triste fin 
de son frere massacre dans son triomphe par 
cette mme tribu des Hachem dont le chef 
venait d'etre declare sultan, il n'avait que trop 
raison de craindre pour lui le meme sort. Tout 
en pretextant de ses intentions pacifiques et 
consentant meme a faire les cadeaux d'usage 
pour reconnaitre la suzerainete d'Abd-el-Kader, 
Tidjani refusait de le voir et de lui ouvrir les 
portes d'Am-Madhi. Abd-el-Kader voulait sur- 



repos et du bien-etre et leur amour de 1'oisivete et dn luxe, entre 
la fervenr de ses croyani-es et la torpeur de leur foi ! 

Sicli-Abdallah reproclie a Abd-el-Kader sa condnite vis-a-vis le 
sultan da Mnroc. Ah ! mon coeur se trouble ;i la vision que met de- 
vantmesyeux ce doulonreux souveair! Je vois apparaitre devant 
le Dom de 1'Eteruel le sultan que j'ai servi et appris a respecter, et 
j'entenrts une voix formidable qui lui crie : 

\ T aloin de la presence de Dieu, toi descendant du Prophete,. toi 
lespuverain d'un vaste empire mnsulmandont tu laisses engourdir 
la foi 1 Va snbir le chatiment du crime que tu a? commis en t'alliant 
aux infideles coutre le vrai croyant qui marchait dans mes voies. 
Et je vois en meme temps le fils de Maliihi-ed-din entoure d'une 
lumiere divine et montant an septieme ciel soutenu par Sidna 
Gebril (ange Gabriel). (Leon Roches, Trenle-deux ans a Iravers 
I' Islam, tome II, page 449.) 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 323 

tout obtenir cette derniere concession. Si loin de 
Laghouat, sa capitale eut ete a 1'abri d'un coup 
de main et il aurait pu y renfermer en toute 
n<3cessite ses tresors ; car il voulait recommencer 
la guerre contre nous. Que faisaient pendant ce 
temps les Marabouts ? 

Au lieu de tenter un rapprochement entre 
Tedjini et 1'emir, les Marabouts de 1'Est et de 
1'Ouest, jaloux de son influence, enveniment la 
question. Us disent a Femir que Tedjini est un 
ambitieux qui, fort de son influence et des ri- 
chesses immenses qu'il a amassees, veut deve- 
nir le maitre du desert et tenir en echec son au- 
torite jusque dans le Tell. A Tedjini, ils parlent 
des projets sinistres que Femir nourrit contre 
lui.D'autres chefs du desert vont meme jusqu'a 
pousser ouvertement Tedjini a la resistance en 
lui persuadant qu'Abd-el-Kader est dans Fimpos- 
sibilite de s'emparer de sa ville de vive force. 

En tte du partrqui excite Abd-el-Kader contre 
Tedjini se trouve un Marabout nomme Sid-el- 
Hadj-el-Arbi-ould-sidi-el-Hadj-A'issa, nomme der- 
nierement Khalifa de Laghouat, oil son influence 
est tenue en echec par Ahmed-ben-Salem, chef 
du parti le plus important de ce Ksar (1). 

Nous savons que cet Ahmed-ben-Salem est le 
chef des Tidjanya de cette ville, et, a ce titre, il 
s'opposa a ce que ses affllies s'unissent au 
Derqaoui-Hadj-Moussa qui, deux ans avant 1'epo- 
que ou nous sommes, avait voulu les entrainer 
dans ane guerre contre nous. 

Nous emprunterons a Leon Roches la des- 
cription qu'il fait d'Ai'n-Madhi, et son entre- 

(1) LeOQ Roches : Wente-deux ans, a truvers I'Islam, tome I" 
page 290.' 



324 ; LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

vue avec Mohammed Sr'ir. Abd-el-Kader, voyant 
en effet que la voie des negotiations etaitepuisee 
et qii'il fallait recourir a tin siege en regie, se 
savait dans I'impossibilite de s'emparer de la 
place par surprise. Ce fut alors que Leon Roches, 
malgre les remontrances et les sages avis de 
1'emir, lui proposa d'aller visiter la ville afln 
d'en reconnaitre les points faibles et les moyens 
de defense : Abd-el-Kader lui donna une lettre 
pour le chef des Tidjanya, le priant encore de se 
soumettre aux conditions qu'il lui diclait : nous 
allons voir comment ce malheureux, qui avait 
renie son Dieu pour se mettre au service de 
Fennemi de sa patrie, crime qu'ii racheta plus 
tard par une conversion bien sincere, put visiter 
le centre de la puissance des Tidjanya. Voici la 
description qu'il nous fait de son entrevue, et 
comment il echappa a la mort : 

Gette ville est balie sur un petit monticule, 
au milieu de nombreux jardins admirablement 
plantes, de sorte qu'en dehors de ces jardins on 
n'apercoit que les terrasses les plus elevees et le 
haut des forts. 

Avant de m'approcher, je fls le tour de 1'oasis 
qui formait un cercle entoure d'un mur d'en- 
ceinte de quinze pieds de haut sur deux pieds et 
demi de large, perce de meurtrieres et flanqug 
de distance en distance de petits forts cernes, 
depassant la hauteur des murs de vingt pieds. 
Je comptai sur toute la circonference trente-sept 
forts, dont deux principaux aux portes qui don- 
nent entree dans les jardins. 

Apres avoir altendu quelque temps a la porte 
de la villCj et avoir obtenu, apres quelques diffl- 
cultes, la faveur de remettre a Tidjani lui-mme 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 325 

la lettre dont il e"tatt porteur, il fut hisse par une 
corde au haut du mur, et non sans inquietude, 
dit-il, sur Tissue de cette imprudente demarche. 
En effet, le peuple demanda aussitot sa tete ; il 
arriva au palais de Tedjini porte par cette 
foule, tant elle etait pressee, sans que j'eusse le 
temps, dit-il, de me reconnaitre. 

Je me trouvai seul dans une cour carree en- 
touree d'nne colonnade en marbre soutenant 
des ogives au-dessus desquelies regnait une mu- 
raille ornee de mosa'iques en faience et percee 
de fenetres garnies de grillages a travers les- 
quels je pouvais deviner la presence de femmes 
richement vdtues. Malgre ma jeunesse et mon 
esprit aventureux, le voisinage d'un harem (car 
c'etait celui de Tedjini) ne put m'arracher aux 
tristes reflexions que m'inspiraient les conse- 
quences de mon aventureuse equipee. J'en fus 
distrait tout a coup par 1'apparition d'un jeune 
nmlatre elegamment vtu et dont laphysionomie 
douce et les traits distingues annoncaieat une 
origine aristocratique : Tu es Omar, flls de 
Roches ? me demanda-t-il avec interet. Oui, 
repondis-je, mais toi qui es-tu et comment sais- 
tu mon nom ? Peut'importe, ajouta-Ml. Ecoute, 
Omar, les habitants de la ville demandent ta 
tte. a mon pere, qui n'ose pas la leur refuser. 
La aegresse Messaouda (1), qui t'a reconnu a 

- (1) Quancl il etait a Alger, Leon Roches s'etait epris d*ane jeune 
Musulmane dont Messaouda avail ete Ja nourrice, et corame les 
noumces dont on parle clans nos classiques, elle ayait conserve 
pour cette fille un amour de mere, tloclies ne put epouser cette 
fille, et ce fut en partie pour obtenir sa main qu'il se mit au 
service d' \bd-el-Kader. Le mari de Khadiclja, nom de la jeune 
fllle, etait Koulougli, et affilie aux Tidjanya : il se retira a Ain- 
Madhi, quand il sut que le chef etait menace par Abd-el-Kader : il 
fut tue d'un eclat de Dombe, et, dit Leon Roches, ce fut le seul. 
Khadidja mourut quelques joui's apres, sans avoir la consolation 
de roirson Lioun , comme elle rappel ait. 

LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 10 



326 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

travers les grilles de cette fentre, m'envoie 
pour te sauver. Tiens, prends ce chapelet, c'est 
celui que mon pere envoie a ceux auxquels il 
donne 1'anneau ; la personne qui le tient n'a rien 
a redouter. On vient, que Dieu te soit en aide ! 

C'etaient dix negres qui venaient le prendre 
pour le presenter a Tedjini qu'il trouva . dans 
une vaste salle ornee d'arabesques. au fond de 
laquelle, sur une estrade garnie de coussins 
dores, etaitnonchalamment appuyeunhommede 
quarante ans environ, dont la figure bronzee ne 
manquait nidedignite aide distinction. . Nous ne 
raconteroas pas leur entrevue qui n'aurait nul 
interet pour nos lecteurs : Leon Roches ne dut 
son salut qu'au chapelet qu'il eleva sur sa tte : 
Tidjani lui laissait en perspective, ou la mort, 
ou la trahison et 1'abandon d'Abd-el-Kader . 
Leon Roches refusa la derniere condition. Le 
Marabout, pour lui montrer qu'il n'avait pas peur 
de remir, lui permit de visiter, avec lai'a-ben- 
Salem, le frere du Moqaddem de Laghouat, les 
fortifications et les approvisionnements de la 
ville. Voici la description qu'il en fait : 

La ville est peu grand e, mais bien batie ; 
elle con tient environ quatre cents maisons. Les 
habitants qui portent les armes s'elevent au 
nombre de huit cents. Cinq ou six cents auxi- 
liaires sont venus defendre Tedjini. 

La ville est ronde et entouree d'un mur de 
vingt a trente pieds. II a plus de douze pieds de 
largeur et forme un parapet de huit pieds envi- 
ron qui sert de chemin de ronde tout autour de 
la ville; a partir de cette hauteur, ce mur est 
perce de meurtrieres; il est flanque, dans son 
pourtour, de douze forts faisant saillie de quatre 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 327 

metres, de maniere a battre par les meurtrieres 
le pied du mur et des deux forts a droite et a 
gauche. Us ont au moins vingt metres d'eleva- 
tion ; ils sont combles jusqu'a la hauteur du pa- 
rapet, et sont divises en deux etages. La villo a 
deuxportes, une a 1'ouest, 1'autre aumidi. Les 
battants sont doubles de lames de fer : elles 
sont surmontees d'un fort yemblable a ceux du 
rempart. Un'chemin etroit, horde de deux murs 
de meme dimension, conduit d'un fort interieur 
dont la porte est elle-meme defendue par des 
ouvrages d'une extreme solidite. Ces fortifica- 
tions ont e"te construites il j a trente ans, par un 
Tunisien nomme Mahmoud. 

On me fit ensuite examiner des magasins 
immenses, les uns remplis de ble, les autres 
d'orge, de beurre, de sel, de dattes, de bois a 
bruler. Cinq puits abondants sufflsent a tous les 
habitants. . 

Nous ne ferons pas le recit du siege, oil toute 
la gloire fut pour les assieges. Ge fut le 24 juin 
que les troupes de 1'emir parurent devant la 
ville, qu'il croyait emporter en quelques instants, 
et le 19 novembre seulement les preliminaires 
de la capitulation furent signed. Nous ne ferons 
remarquer que deux choses, qui se presenteront 
peut-tre dans la prochaine guerre entre nations 
europeennes. Gomme le franc-macon, leKhouan 
ne.connait ni feu nilieu, et il doit sauver son 
frere et obeir a son chef spirituel avant de 
songer a defendre sa patrie et a obeir a son 
chef militaire. Voici ce qui arriva a ce siege : 
Du cote d'Abd-el-Kader, il y eut des Tidjanya 
enrSles par force et qui avaient du suivre 
1'emir contre leurs co-affiiies. Or, nous dit 



328 LE DI ABLE CHEZ LES MUSULMANS 

Leon Roches lui-mgme, qui ' dirigeait les tra- 
vaux Ju siege, ils ne purent faire aucun des 
travaux necessaires pour faire capituler la ville, 
sans qu'il ne fut connu des assieges le soir 
rueme; et pour creuser la mine qui decida de la 
reddition de la place, il dut employer des 
hommes qu'il sur veil! ait lui-meme directement, 
et lui seul avec un deserteur autrichien en 
connaissaient 1'entree. 

11 y avait, en outre, dans 1'armee de 1'emir, 
quatre ou cinq cents Coulouglis (on appelait 
ainsi les enfants nes d'un Turc et d'une Arabe), 
tous affilie"s a 1'ordre des Tidjanya : ils combat- 
taient avec peu d'ardeur, ou plut6t avec regret 
leur chef spirituel, et auraient voulu ne pas 
verser le sang de leurs freres ; mais 1'emir, par 
un exces de cruaute, voulait les mettre en tete 
des colonnes et les faire combattre sous ses yeux, 
pour se repaitre, sans doute, de leurs scrupules. 
L3on Roches vint les tirer heureusement d'em- 
barras. II etait plein de reconnaissance pour 
I'liomme qui lui avait sauve la vie,et il tremblait 
a la pensee que les soldats d'Abd-el-Kader ne 
feraient pas quartier dans le pillage de la ville. 
Tout le monde serait massacre sans pitie, sans 
distinction d'age ni de sexe ; bien plus, la tete de 
Tadjini devait eHre une bonne prise pour le 
soldat assez heureux qui, le premier, rencon- 
treraitle grand-maitre.Illeur offrit done de mar- 
cher a leur tete, et, aussitOt que le signal de 
1'assaut aurait ete donne, de courir au palais du 
grand-maitre et de le proteger contre la fureur 
des Arabes. Les Goulouglis accepterent avec 
empressement. La ville capitula, il est vrai, 
avant que la mine eut produit son effet ; mais " - 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 329 

nous pouvons 6tre bien certains que les chosesse 
seraient passees comme Leon Roches 1'avait dit. 
Ne croirait-on pas que nous parlons des socie- 
tes secretes de FEurope, et que nous ajoutons 
quelques lignes a Farticle qui a paru dans la 
Revue du mois de mars : Si les Khouan n'ont 
pas le pavilion de de*tresse, ils ont au moins la 
charite (comme Pentendent les francs-macons) 
qui leur fait sacrin'er les interets de leur patrie 
a ceux de leur congregation . 

Tidjani fut done vaincu ; ii dut remettre entre 
les mains du vainqueur les clefs dela ville; mais, 
dans son orgueil, il ne voulut pas se presenter 
devant 1'emir.Abd-el-Kaderne put pas sevanter 
d'avoir vu devant lui, comme un suppliant, le 
grand-maitre des Tidjanya. 

Noas avons raconte, plus haut, comment 
celui-ci se vengea. Nous pouvons le dire sans 
crainte, c'est gr&ce a Mohammed- Sr'ir que 
1'emir avait vaincu, que nous devons d'avoir vu 
tomber si vite la puissance du sultan. Refugie a 
Laghouat apres avoir vu sa ville detruite, il 
machina dans 1'ombre la perte d'Abd-el-Kader : 
nous avons vu ies moyens qu'il employa dans 
sa haine. Que cet exemple serve a nous instruire : 
ii nous a montre ce doht est capable un chef 
d'ordre, meme vaincu, meme chasse de sa maison. 

II serait curieux et instructif tout a la fois de 
montrer le role que les ordres religieux ont joue" 
en Afrique et d'assister a ces luttes que nous ne 
pouvons comparer qu'aux dissensions qui ioter- 
viennent si souvent entre les loges de la franc - 
maconnerie. Nous regrettons que pour le mo- 
ment nous 'ne puissions nous y arrdter plus long- 
temps. Nous verrions les Taibya jouer le plus 



330 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

grand role dans la province d'Oran, ordonner 
aux affilies d'abandonner la cause de I'emir, sur- 
tout pendant les annees qui suivirent la promul- 
gation de la celebre fetoua que Leon Roches 
etait alle prendre a Kairouan et mme a La 
Mecque. A son retour, afin de servir mieux la 
France, ii demanda a Tedjini de lui envoyer quel- 
ques Khouan, les plus fideles et les plus devoues, 
afin de s'en servir comme d'espions et avoir sur 
les tribus algeriennes les renseignements les 
plus precis. Tedjini acce"da a sa demande, et bien- 
t6t Leon Roches eut a sa disposition sept ou huit 
affilies qui parcoururent le pays afin de pouvoir 
donner des renseignements utiles a nos chefs 
d'armee . 

Nous nous arreterons encore quelques mo- 
ments a 1'incident qui eut lieu entre le general 
Marey-Monge et Mohammed Sr'ir. Nous som- 
mes en 1844 : Le grand-maitre des Tidjanya a, 
depuis le jour ou sa ville fut detruite, profite des 
malheurs d'Abd-el-Kader dont il a prepare la 
mine et releve les murailles de son ancienne 
capitale a peu pres sur le me"me plan. 

Les Marabouts, jaloux de voir cette ville 
relevee si vite de ses ruines, jaloux de voir 1'in- 
fluence de Mohammed Sr'ir s'aocroitre de plus 
en plus loin de diminuer depuis 1'echec terrible 
que lui a inflige I'emir, repandirent dans 1'Algerie 
que le chef des Tidjanya ne se soumettrait pas a 
nos ordres, et ces bruits parvinrent, bien a des- 
sein, aux oreilles du general Marey-Monge, qui 
commandait la province de Tittery. Celui-ei, se 
laissant influencer par les Marabouts, n'avait re- 
solu rien moins que de marcher a la tete de sa 
colonne et d'entrer de vive force, dans la capitale 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS" 331 

de 1'ordre. Mohammed Sr'ir sut encore detour- 
ner ce nouvel orage qui allait foadre sur sa ca- 
pitale renaissante a peine de ses cendres. II 
ecrivit a Leon Roches, ami intime du marechal 
Bugeaud et dont 1'influence se faisait sentir 
jusque dans le conseil du gouvernement, une 
lettre affectueuse mais digne ou il lui faisait 
connaitre ses vrais sentiments. Apres avoir rap- 
pele* tous les services qu'il avait rendus a la 
cause de la France : J'ai, de concert avec toi, 
obtenu la fetoua, qui permet aux Musulmans de 
vivre sous la domination des Francais , apres 
avoir rappele qu'il avait mis au service de la 
France quelques-uns de ses Khouan pour par- 
courir les tribus et nous faire connaitre les dis- 
positions des Musulmans, apres avoir dit que 
c'etait a lui que nous devions les bonnes rela- 
tions qui nous unissaient avec les Taibya, les 
Gheikkya, etc., il ajoutait avec une noble fierte" : 
Je suis pret a acquitter I'impot du au gouver- 
nement. J'enverrai au general les principaux 
personnages d'ATn-Madhi donner 1'exemple de 
soumission a la France ; mais s'il (le general 
Monge) persistaitdans le projet qu'il a manifeste 
de pene"trer avec son armee dans ma ville, je te 
le dis a toi, qui sais que le fils de mon pere (sic) 
conforme ses actes a ses paroles, je saurais 
m'enseyelir sous ses mines, etc., etc. 

Le marechal Bugeaud admira ce noble Ian- 
gage et ordonna a son subalterne de suspendre 
sa marche ; quelques officiers seulement, suivis 
d'une escorte de trente cavaliers purent penetrer 
dans Aiin-Madhi. Avant que les Francais ne pe- 
netrassent dans la ville, Tedjini avait envoye au- 
devant d'eux son Khalifa Ahmed-ben-Salim, et ce 



332 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

frit a Tedjmount que le general francais recut la 
soumission des tribus et des Ksours ; ce fut la 
que lui lut offert en signe d'alliance le chevalde 
soumission donne par Mohammed Sr'ir, qui, se 
retranchant toujours derriere son caractere re- 
ligieux, et apprehendant de se presenter devant 
les grands de la terre, se fit representer, mais 
ne voulut pas sortir de son palais. , 

Gette conduite se passe de commentaires ; il 
est certain qu'elle faisait voir dans le grand- 
maitre des Tidjanya ou mi grand amour pour 
la France, ou un grand desinteressement des 
choses de la terre. Voici, a notre avis, la verite : 
Deja les Tidjanya comme'ncaient a exciter la ja- 
lousie des Marabouts et des autres Khouan qui 
voyaient avec peine cet ordre se relever si vite 
de ses ruines. Mohammed Tidjani le savait bien. 
En homme ruse et experimente, il vit qu'il etait 
dans I'impossibilite de lutter a la fois et centre 
les ordres religieux et conlre la France ; il savait 
en outre que la France se contenterait de la 
suzerainete et d'un tribut, qu'une fois siir de ce 
c6te, il pourrait regarder en face, sans trembler, 
les ordres religieux . En somme, il echappa au 
piege qui fut tendu a ses flls, et dans lequel ils 
tomberent malheureusement. Mais nous ne pou- 
vons croire qu'une telle conduite lui fut dictee 
par son amour de notre patrie, ou par Tesprit de 
son ordre. Bisons le mot : Mohammed Sr'ir etait 
plut6t un marchand ; il voulait la prosperite de 
sa zaouia, voulait vivre dans les richesses et 
1'abondance. Sa ville etait devenue I'entrep6t du 
commerce du Sahara et du Soudan; sesfideles 
associes savaient unir parfaitement le soin du 
negoce avec le zele religieux. Partant d'Ai'n- 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 333 

Madhi, ils allaient jusquo. dans le Senegal, j usque 
sur les rives duTchal chercher les richesses de 
ces contrees, et en meme temps ils repandaient 
dans ces pays, avec les doctrines du Goran, les 
doctrines de leur onire. Voila, a notre avis, la vraie 
raison pour laquelle Tedjini voulut vivre en paix 
avec nous, en nous payant une faible redevance. 
L'imprudent he se doutait pas qu'il travaiilait a 
sa ruine, et que, tandis qu'il n'etait occupe que 
de son negoce, les Snoussya, venus bien apres 
lui, mais observant avec fanatisme les regies de 
leur ordre, allaient le supplanter partout. 

Aussi longtemps qu'il vecut cependant, il sut, 
a force d'habilete et de diplomatic, conserver a 
son ordre le rang qu'ii occupait ; il avait mme 
agrandi sous son gouvernement, et nous pouvons 
dire sans crainte, que cet ordre a atteint son 
apogee avec Mohammed Sr'ir,malgre la terrible 
epreuve que lui avait infligee 1'emir en rasant les 
fortifications de la place. 

Mohammed Sr'ir mourut au mois de mars 
1853, laissant la direction de 1'ordre a Si- 
Mohammed-el-Aid. Gelui-ci continua envers nous 
la m^me politique que Ct3lle de ses predecesseurs, 
et il nous servit avec autant de loyaute et de 
fidelite que Mohammed ; grace a son influence 
et a son appui, la domination de la France s'e- 
tendit sans difficulte dans la vallee de 1'oued 
Righ. Grace a lui encore, Duveyrier put executer 
malgre son jeune age, il avait a peine vingt ans 
quand il commenca ses voyages, 1'exploration 
de tout le Sahara, depuis Rhadames jusqu'au 
Touat. II est vrai que le malheureux dut renier la 
foi de son baptme : il consentit a se laisser affl- 
lier a cet ordre, pensant qu'il pourraitplus facile- 

LE DIABLE CHEZ LES MCSULMANS 10. 



334 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

ment atteindre son but. Mohammed-el-Ai'd lui 
donna mome son chapelet, qui, comme nous 
1'avons vu, est la plus grande surete que puisse 
avoir un etranger dans le Sahara. L'intrepide 
voyageur constataque les beaux jours del'ordre 
etaient finis, et qu'un autre ennemi plus terrible 
lui fermait le chemin du desert ; il vit partoutles 
Snoussyaremplacerpardes zaouia ds leur ordre 
celles de Tidjani. A cette m&ne epoque, unvaste 
complot etait ourdipour renverser complelement 
la puissance des Tidjani. C'etait facile, les deux 
fils de Mohammed Sr'ir n'avaient encore que 
quelques annees. 

Tandis que Mohammed Sr'ir servait avec tant 
de fidelite notre cause, ttindis qu'il consentait a 
laisser entrer nos officiers dans les murs de sa 
ville et a payer un tribut, tandis que ses succes- 
seurs, marchant sur ses traces, tchaient de 
conserver avec nous de bonnes relations a 
A'in-Madhi, se passaient des faits que nous devons 
relater pour bien interpreter sous son vrai jour 
la conduite de ces chefs. 

Le fils du grand Tidjani, en mourant, laissait 
deux fils : 1'aine age de trois ans, le second a^ge* 
d'un an; tandis que le pere confiait la direc- 
tion de 1'ordre a Si-Mohammed-el- A'id, ce fut El- 
Mecheri-Ryan, Oukil de la zaouia d'Am-Madhi, 
qui fut nomme leur tuteur. II attira d'Ai'n-Madhi 
ses deux proteges, et jaloux de 1'influence exer- 
cee par son rival de Temacinn il voulut voir affluer 
dans sa zaouia de nombreux presents. Par ses 
machinations, il voulait, grace a 1'appui que lui 
preiteraient les deux fils de Tidjani, exploiter Tor- 
dre a son pro3t et s'etablir a Ai'n-Madhi comme 
rival de Mohammed-el-Aid. 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 335 

Nous spmmes arrive a 1'annee 1805, ce fat 
l'anne"e des complots ourdis centre la France, 
grace a la haine que nous avaient vpue"e les ordres 
religieux ; nous avons vu plus haut la conduite 
des Ouled-Sidi-Cheikh et les combats que nous 
dumes leur livrer pour sauvegarder notre puis- 
sance. Tous les chefs d'ordre semblerent alors 
vouloir s'entendre pour renverser les Tidjanya. 
Les Qadrya et eeux qui avaient suivi la fortune 
d'Abd-el-Kader se souvenaient que c'etait grace 
a leur appui que les Francjais avaient obtenu la 
! celebre fetoua qui avait demoli la puissance de 
Temir. Les Taibya, jaloux del'influencequ'exer- 
caient les Tidjanya dans la province d'Oran et 
jusque dans le Maroc, grace a leur zaouia deFez, 
s'unirent aux Qadrya et Gheikkya pour les perdre. 

Ge fut comme une recrudescence de haine des 
ordres religieux contre les Tidjanya; dans une 
telle circonstance, il aurait fallu non un jeune 
enfant pour diriger surement les affaires, mais 
un vieillard 'experimented joignant a la science 
du gouvernement 1'habilete du diplomate et le 
coup d'ceil du guerrier. Le vieux Ryan n'avait 
aucune de ces qualit(5s : fanatique, ennemi jure" 
de la France, ne regardant que ses propres inte- 
rts, qu'il faisait passer avant ceux de 1'ordre, 
s'il engagea ses proteges dans une voie qui 
devait les conduire a de grands malheurs. 

A toutes ces brigues que tramaient dans 
Tombre les chefs des plus grands ordres de 
1'Algerie. les Taibya, les Gheikkya, les Derkaoua, 
etc., se joignaient les calomnies que repandaient 
les Marabouts contre les fils de Tidjani; c'etaient 
a leur avis des traitres a la France, des homines 
qui allaient abandonner notre cause et livrer 



336 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

aux mains de nos ennemis la ville d'Aiin-Madhi. 
Faut-il y voir des machinations pour perdre les 
deux jeunes chefs dans 1'estime de ious nos 
commandants de cercle ? Les faits feront mieux 
comprendre les choses que toutes les reflexions. 
Les Ouled-Ziad de Gery ville, serviteurs des 
Tidjanya, avaient du. suivre les Ouled-Hamza, 
serviteurs des Oaled-sidi-Gheikh ; malgre eux et 
a cause de leur faiblesse, iis avaient du se decla- 
rer contre nous ; ils eurent recours aux chefs 
Tidjanyapour qu'ils obtinssent par leur influence 
leur retour dans leur territoire. Ne voulant pas 
abandonner ses fideles serviteurs, Sid-Ahmed en- 
tra en negotiations avec les chefs de 1'insurrec- 
tion. AussitSt, cette conduite parut louche a nos 
Chefs de colonnes, et, oomme il fallait s'y atten- 
dre, les Marabouts grandirent demesurement 
cette faute qu'ils appelerent hautement une 
trahison afln d'attirer sur les Tidjanya la colere 
des Fraugais. Y eut-ii vraiment trahison ? Nous 
ne saurions nous prononcer ; mais, a notre avis, 
s'il n'y eut pas entente prealable avec les rebelles, 
si ces bruits qui couraient sur les fins que pour- 
suivaient les Tidjanya n'etaient que des calom-! 
nies inventees par les Moqaddem Taibya et le 
clerge salarie, nous demanderions pourquoi, a 
quelle fin, pour quel motif-Sid-Ahmed ouvrit les 
portes de la ville devant les contingents des 
Ouled-sidi-Cheikh ? II ne pouvait pas ignorer, 
certes, que la colonne frangaise n'etait qu'a 
quelques kilometres. Si Sid Ahmed et Sid-El- 
Bachir nous avaient ete devoues, ne pouvaient- 
ils pas, sans difficulte et sans crainte aucune, 
attendre derriere leurs epaisses murailles 
1'arrivee, sous leurs murs, des troupes fran- 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 337 

gaises qui accouraient, a marche forcee, 
combattre les rebelles? Comment qualifier la 
conduite de ces deux jeunes chefs qui ne parent 
pas resister une heure, alors que leur a'ieul, avec 
des forces infe'rieures, avait pu arrdter pendant 
cinq mois toutes les forces de 1'emir ? Le colonel 
de Sonis ne s'y tronipa pas ; apres avoir vaincu 
les Cheikkya sous les murs de la ville, le l er fe- 
vrier 1869, il arreta le soir meme Ahmed e.t El- 
Bechir, et le lendemain ii les dirigeait sur Alger. 

C'etait le resultat de la politique de Ryan ; si, 
au lieu de semer la division dans 1'ordre, ii avait 
obei a son chef legitime, lui laissant la complete 
direction de la congregation, nous n'aurions pas 
vu cet ordre si puissant perdre si vite sa gloire 
et sa puissance. 

Pendant que les deux fils de Tidjani, diriges 
par 1'imbecile Ryan, comproinettaient ainsi 
1'existence ou tout au moins la prosperite de 
1'ordre fonde par leur a'ieul, Mohammed-el-Ai'd 
etait etabli dans la zaouia de Tamelhalt, a quel- 
ques kilometres sud de Temacinn. Marchant sur 
les traces de son maitre, il 1'eclipsa presque par 
ses vertus : elles lui procurerent tant de gloire 
et une si grande reputation que, dans le Sahara, 
il n'etait connu que sous ce nom 1'ami de tous . 
Grace a lui, 1'insurrection de 1871 ne put pas pe- 
netrer dans le Sud, et aucun des Khouan rele- 
vant de son autorite ne prit les armes contre 
nous. 

A sa mort, arrivee au mois de novembre 1875, 
les petits-flls du grand Tidjani furent bien decus 
dans leurs esperances. Us pensaient, qu'etant 
parvenus a 1'age d'homme, 1'aine avait vingt- 
cinq ans, ils pourraient prendre la direction de 



338 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

1'ordre. On disait aussi q.ue le fondateur avail 
etabli que le grand-maitre serait pris alternati- 
vement dans la famille des Tidjani et celle de 
Hadj-Ali, celui que nous avons vu 6tre le tuteur 
des flls du. grand Tidjani, le fondateur de Fordre. 
Malgre toute la veneration et le prestige dont 
etaient entoures Sid- Ahmed et Si-Ei-Bechir, leur 
conduite passee qui avait ete si aventureuse et 
les progres effrayants des Snoussya deciderent 
le choix de Mohammed Sr'ir-ben-el'Hadj-Ali, 
vieillard de 55 ans, experimente, et aussi habile 
jurisconsulte que saint soufi . 

Qu'etaient devenus les flls de Mohammed Tid- 
jani, depuis le jour ou de Sonis les emmena a 
Alger ? Pendant un an, les deux freres resterent 
a Alger ; leur conduite louche ne put jamais dis- 
siper tous les soupcons qu'on avait concus contre 
eux. Us ne manquerent cependant aucune occa- 
sion de montrer leur amour pour la France. 
Quand, apres nos premiers desastres, ou les 
Turcos avaient tue avec tant d'acharnement 
beaucoup de Roumis, les Algeriens voulurent 
adresser a ces regiments une lettre de felicita- 
tions, Si Ahmed s'offrit pour aller la porter; 
avant de s'embarquer, il adressa une circulaire 
aux Moqaddem leur recommandant la soumis- 
sion a la France. Son frere le rejoignit bient6t a 
Paris, et tous deux, apres avoir accompli leur 
mission, furent envoyes a Bordeaux par le 
gouvernement de la defense nationale : la ils 
fureat combl^s d'honneurs, et un soir meme, 
quand ils parurent au theatre, 1'assistance salua 
leur entree par une salve d'applaudissements. 

Ge fut dans cette ville que Ahmed se prit 
d'amour pour la fille d'un gendarme, M lle Aurelie 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 339 

Picard, qui abandonna sa patrie et son Dieu pour 
s'attacher a cet homme et s'enfermer dans un 
harem. Voicile portrait que nous fait M. Soleillet, 
de M me Ahmed Tedjini qu'il apercut dans son 
salon, a Laghouat, au mois de decembre 1872. 

Elle forme avec son mari le contraste le 
plus curieux ; lui est tres grand, tres gros, 
presque noir (sa mere etait une negresse), for- 
tement marque par la petite verole : il porte le 
costume arabe dans toute sa splendeur, drape 
dans ses burnous blancs; il a la tte ceinte 
d'une immense corde en poil de chameau qui en 
fait des centaines de fois le tour, retenant son 
haik et formant un enorme turban compose des 
losanges les plus reguliers ; assis dans un grand 
fauteuil et le chapelet a la main, il a bien la phy- 
sionomie voulue. Sa femme est toute mignonne, 
vetue en toilette de bal, couverte de bijoux : 
elle porte generalement sur la tte une sorte de 
diademe : elle a pris sur son mari un tres grand 
empire : elle est fort aimee de tous les serviteurs 
et de tous les clients qui composent la maison 
du Marabout ; elle la dirige completement, elle 
sait commander et elle commande. Seule, elle 
prend soin d'un flls que son mari avait d'une de 
ses fenimes, et cet enfant ne veut plus quitter 
la Dame. 

Son frere Sidel-Bechir etait avec lui. Les 
deux freres etaient en ce moment reunis ; succes- 
sivement ils ont habile Laghouat et Am-Madhi. 
Us n'ont laisse passer aucune occasion d'afflr- 
mer leur origine et de faire croire a Fautorite 
que gra~ce a leur nom ils exercent sur leurs affl- 
lies. Ainsi, en 1881, 1'aine ecrivit une lettre aux 
revoltes pour les faire rentrer dans 1'obeissance ; 



340 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

mais il n'avait pu dissipcr encore les preven- 
tions que le gouvernement francais avait concues 
centre lui, et le gouverneur general Albert 
Grevy le fit garder a vue a Alger. 

Jusqu'ici, nous n'avons entretenu nos lectenrs 
que d'Am-Madhi, et nous ne leur avons dit que 
peu de chosesdeTemacian.ActuellementjTema- 
cinn est le centre de direction de 1'ordre, depuis 
que le successeur de Mohammed Sr'ir s'y retira 
pour laisser a A'in-MadhiRyan etlesn'lsdu gran- 
maitre decede : nous voudrions maintenant 
faire connaitre a nos lecteurs Temacinn et ceux 
qui 1'habitent, comme nous 1'avons fait pour 
Am-Madhi. Voici la description que nous fait 
Brosselard de la zaouia de Tamelhalt; car, ainsi 
que nous 1'avons dit, le chef-lieu de 1'ordre n'est 
pas a Temacinn mme, mais a la zaouia situee a 
quelques kilometres sud de la ville. 

Si-Maammar nous invite a visitor avec lui la 
Kouba principale de Temacinn, ou repose le 
corps de son pere, le venere fondateur de la 
secte des Tidjani (1). 

Nous entrons a sa suite dans le sanctuaire. 
Respectueux observateurs des usages orien 
taux, le colonel, qui nous precedait, s'etait 
mis en clevoir d'6ter ses bottes, mais Si-Maam 
mar le remercia de sa bonne volonte, et nous 
dispensa de nous conformer a cette regie, 
peu genante pour l'Arabe r qui vient a la Mos- 
quee trainant aux pieds des sandales, mais assez 



(1) Jl y a ici evidemment une erreur. Le pere de Si-Maamar et du 
praud-maitre de cette eppque etait Mohammed-el-Aid, fils de Hadj- 
Ali, le meme qui avait ete charge parle fondateur de 1'ordre de diri- 
;j;er les affaires et de veiller a I'education des deux ills : Aloliammed- 
el-Kebir, et Mohammed Sr'ir que nous avons vu defendre sa ville 
contre 1'emir et accepter notre domination. 



LE D I ABLE CHEZ LES MUSULMANS 341 

de'sagreable pour qui se pre"sente chausse de 
bottes fortes. 

La grande Kouba de Temacinn est une cons- 
truction d'une reelle elegance. La forme qua- 
draugulaire, surmontee d'un d6me leger, a une 
hauteur de septante-huit metres, elle n'a rien a 
1'exterieur qui la distingue des autres Koubas 
du voisinage, si ce n'est des proportions plus 
vastes, mais a 1'interieur elle est d'une richesse 
incomparable. Les verres de couleurs vives, dis- 
poses au sommet de la coupole, eclairent d'un 
jour myste"rieux le sepulcre du Marabout, qui se 
dresse au centre du monument ; tout autour, les 
murs disparaissent sous les ciselures et les ara- 
besques, qui font ressembler la pierre a une 
veritable dentelle multicolore ; aux parois, sont 
suspendus des trophees de tout genre, etendards 
des prophetes, ex-voto de toute provenance, ten- 
tures merveiileuses que nous sommes surpris de 
rencontrer la. 

Notre visite terminee, Si-Maammar nous 
reconduit dans sa demeure et nous iutroduit 
dans lasalledu banquet. Gette salle, situee au 
premier etage de la maison, est de dimensions 
majestueuses et surmontee d'un tbit en forme de 
dome. Le long du mur, a hauteur d'homme, 
regne une corniche, ou sont conserves pieuse- 
ment, depuis les temps les plus recules, les pre- 
sents dont les voyageurs ont recompense 1'hos- 
pitalite des -chefs de la zaouia. Parmi tous les 
bibelots bizarres qui composent la collection de 
Si-Maammar, on remarque une curieuse serie 
de pendules, horloges et coucous de tous les 
ages et de tous les model es, des vases de toutes 
formes et de tous usages, objets de 1'admiration 



342 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

et du respect de leur proprietaire. ( Voyage cle 
la mission Flatter's, page 20-21.) 

En suivant pas a pas leur histoire, nous avous 
vules chefs Tidjanya se meler aussi auxaffaires 
publiques et prendre part aux insurrections, soit 
en notre faveur, soit centre nous. Nous n'avons 
pas eu souvent a noas plaindre d'eux, et.si nous 
nous contentions des fails, nous pourrions croire 
que nous avons dans cet ordre un alli<5 fidele ; 
cependant nous croyons que nous dovons les 
redouter autant que n'importe quel ordre; le 
lecteur lui-mme jugera quand nous lui en aurons 
fait connaitre les doctrines et 1'esprit 

Nous n'avons rien a aj outer, a ce que nous 
avons dit sur 1'initiation, de particulier a cet 
ordre. Quiconque veut.etre initie va trouver le 
Moqaddem de 1'endroit qui 1'admet avec les 
ceremonies decrites plus haut. Nous avons d6ja 
dit que Tidjani etait plut6t un eclectique qu'un 
veritable fondateur d'ordre tirant tout de lui- 
m<me. 

Leur diker est relativement court. Com me 
dans 1'ordre des A'issaoua, il y a deux diker, Tun 
petit et 1'autre grand ; ce dernier, que doivent 
reciter les lettres, se compose ainsi qu'il suit : 

100 fois, la formule : Dieu clement. 

100 fois : Que Dieu me pardonne. 

100 fois : II n'y a de divinite" que Allah. 

100 fois : Dieu, repandstesnombreuses bene- 
dictions sur notre Seigneur Mohammed qui a 
ouvert ce qui etait ferme, qui a ferme la liste 
des prophetes qui ont precede, et fait triompher 
la verite par la verite" ; repands aussi tes bene- 
dictions sur sa famille suivant son merite et la 
mesure immense qui lui est due. 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 343 

12 fois : Dieu, repands tes graces et donne 
le salut : a la source de misericorde divine, bril- 
lante comm.e le diamant, certaine dans sa verite, 
environnant le centre des intelligences et des 
pensees; a la lumiere des existences qui a 
forme 1'homme ; a celui qui possede la verite 
divine ; a 1'eclair immense traversant les nuages 
precurseurs de la pluie bienfaisante des miseri- 
cordes divines et qui illumine le coaur de tous 
ceux dont la science a la profondeur de la mer 
et recherche 1'union de Dieu, a la lumiere bril- 
lante remplissant ton Etre qui renferrne tous. les 
lieux. Dieu, repands tes graces et accorde le 
salut : a la source de la ve"rite qui penetre les 
tabernacles des realites; a la source des connais- 
sances ; au plus droit, au plus complet, au seul 
veritable des sentiers. Dieu, repands tes graces 
et accorde le salut: a la connaissancedela verite 
par la ve"rite ; au tresor le plus sublime ; la lar- 
gesse provient de toi et retourne a toi; au cercle 
de la lumiere sans couleur ; que Dieu repande 
ses graces sur lui et sur sa famiile, graces par 
lesquelles, 6 Dieu, tu nous les feras connaitre. 
Nous donnons la traduction de Rinn, page 442. 
Le lecteur a compris que toute eette longue enu- 
meration de litres se rapporte au prophete, a 
Mohammed. 

G'est la le grand diker : mais les illettres, au 
lieude reciter cette longue priere, peuvent se 
contenter de repeter douze fois le verset suivant 
du Coran : 

Dieu est unique et eternel, il n'a pas enfante 
et n'a pas ete enfanto; ii n'a pas eu d'egal en quoi 
que ce soit. 

Trois fois par jour : au lever de 1'aurore, vers 



344 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

trois ou quatre heures du soir,au moment appele 
par les Arabes aceur et, enfin, an coucher du 
soleil, 1'affilie doit reciter ces prieres. II nous 
semble que vraiment, que par leur nombre et 
leur longueur, elles sont bien mode'rees, compa- 
rees a celles ordonnees parBen-A'issa- Ges prieres 
donnent a peu pres la valeur de deux mille 
lignes : en supposant trente lignes a la page, on 
a un total de soixante asoixante-dixpages. G'est 
cependant encore un peu plus long que le bre- 
viaire. En le recitant, il faut prononcer distincte- 
ment les paroles de maniere a s'entendre, 
sans quetoutefois il soit necessaire deprononeer 
a haute voix. G'est une nouvelle fatigue, nos 
pretres ne sont pas, en effet, obliges de s'en- 
tendre,bien qu'ils doivent prononcer tousles mots. 
Dans une des. nombreuses apparitions dont 
Tidjani fut favorise de la part du Prophete pen- 
dant son sejour a Fez, il lui fiit ordonne une fois 
de mettre par ecrit et ses revelations et les ex- 
plications que,dans sa science, il faisait du .livre 
du Prophete. Le titre Min Koul Nach, dont on a 
fait Kounache, signifle le meilleur de tout ce 
qu'on a pu prendre. Nach signifie en arabe pren- 
dre, saisir. Ce fut, nous Favons dit, sur un ordre 
du Prophete qu'il abandonna les voies qu'il avait 
suivies j usque-la, et par cette Vision il vit conflr- 
mer ce que lui avait dit le Moqaddem du Gaire. 
Ge fut encore sur Tordre du Prophete qu'il . 
ecriv 7 it ce livre. Nous insistons adessein sur cela 
pour bien faire comprendre que reellement 
Satan ou un de ses subalternes apparait quelque- 
fois a ces hommes plus intelligents et plus ins- 
truils que le commun des Musulmans, afin que, 
par leur intermediaire, il puisse per'dre encore 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 345 

plus facilement un plus grand nombre d'ames. 

Ge livre est divise en six chapitres ou parties, 
excepte la preface, consacree tout entiere a 
1'etuUe du soufisme; il n'y est question tout le 
temps que du grand Tidjani : on y vante son 
caractere, ses vertas, sa science incomparable ; 
enfln, dans un dernier chapitre, ses nombreux mi- 
racles. Nous n'en citerons que quelques passages 
relatifs a 1'ordre, en les abregeant le plus que 
nous pourrons. 

II f aut q ue le Cheikh perme tte de donner le diker , 
c'est-a-dire de donner 1'initiation. C'est la une 
premiere particularity relative a cet ordre. Nous 
avons vu, en effet, que, d'une maniere generate, 
ce sontles Khouan qui choisissent et elisentleur 
Moqaddem dont ils demandent la confirmation 
au Cheikh qui ne refuse jamais. Chez les 
Tidjanya, au contraire, ce sont les Cheikh qui 
elisentet nomment les Moqaddem et les imposent 
aux affilies. 

A cette particularite, nous deyons en ajouter une 
autre non moins caracteristique, qui est tout a 
.faitl'oppose des Snoussya; onne peuttre que 
Tidjani; on ne peut pas a la fois etre Tidjani et 
Qadry; tout Moqaddem qui initierait a la prati- 
que de 1'ouerd un Qadry qui auparavant n'aurait 
pas renonce a la congregation dont il faisait 
partie, serait aussitot destitue. C'est la Ja regie 
a laquelle le f ondateur ne veut pas qu'on renonce ; 
quelle en est la raison ? Personne ne le sait, pas 
plus le fondateur qu'un autre, et a nptre avis c'est 
une grande faute dans laquelle ne tombera pas 
Snoussi. 

Hoe volOj sic jubeo, sit pro rations voluntas. 

Ge n'est pas, en effet, dit le fondateur, que notre 



346 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

ordre soil plus saint qu'un autre, que notre diker 
produise des effets meilleurs que le diker d'un 
autre ordre ; non, tous les ordres, toutes les di- 
verses congregations conduisent au salut, mais 
c'est la le reglement quej'ai etabli, et je veux 
qu'on s'yconforme. Mais, lui dirons-nous, si 
celui qui embrasse une regie autre que la v6tre 
peut se sauver, celui qui vous abandonne pour 
entrer dans un autre ordre ie pourra-t-il? Oui, 
nous repondra-t-il. Le Habib (1) qui abandonne 
mon ordre n'a rien a craindre ni de son ancien 
Cheikh, ni du Prophete, ni de Die a. 

La vraie raison de cette regie qui fait de cet 
ordre un ordre tout a fait a part, c'est la volonte 
du Gheikh. Nous lerepetons, c'est une faute. 
Snoussi, loin de precher un ordre excliisif, 
comprendra mieux son but, en reunissant sous 
une meme regie les affllies des divers ordres, 
tout en leur permettant de rester dans leur ordre; 
ainsi un Qadry pourra etre Snoussy sans quitter 
1'ordre d'Abd-el-Kader-el-Djilani, tandis qu'on 
ne peut pas en mme temps tre Snoussy et 
Tidjani. 

Quant au superieur general, nous avons vu 
comment on procedait a son election, nous avocs 
vu combien furent decus dans leurs esperances 
Si Ahmed et Si-El-Bachir, quand ils virent un 
descendant de Hadj-Ali occuper encore la grande 
maitrise. Ge fat un bonheur pour 1'ordre, 
et par ce fait nous pouvons juger deja com- 
ment les Moqaddem savent preferer les inte- 
r^ts de la congregation a ceux d'une famille : 

11) Le mot Habib signifle mot a mot ami, compagnon : les 
Tinjanya pi-eferent ce mot a celui dc Khouan, 51 derive de la raciue 
sourde hebb, aimer. 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 347 

avant tout, Us veillent a sauvegarder coux de 
1'ordre, et ils ecartent avec sola tout personnage 
qui pourrait lui porter prejudice. Sid Ahmed 
ne setint pas pour battu, et, s'installant a Am- 
Madhi,ily dirigei plus ou moinsbien une partie 
de la congregation. Nous citerons bientot une 
lettre de lui ou il se fait passer pour grand- 
maitre, ou tout au moins en usurpe les droits.. II 
est certain qu'actuellement la division regne 
dans 1'ordre, et si de droit il n'y a qu'un seul 
Gheikh, de fait il y en a deux : Tun a Tamelhalt, 
1'autre a Ain-Madhi. 

Nous ne savonsaquinous pourrions comparer 
Tautocrate grand-maitre des Tidjani. Noas 
ne croyons pas qu'il y ait sur la terre un 
homme aussi puissant que lui, exercant une 
telle autorite sur ses confreres, excepte" le sou- 
verain grand-maitre de la f ranc-maconnerie uni- 
verselle, le grand-maitre des societes chinoises 
ou celui des Snoussya. Nos lecteurs croiront-ils 
ce que nous allons leur dire ? G'est cependant un 
temoin oculaire, qui certes n'avait aucun interet 
a nous tromper : c'est Brosselard, dans son recit 
de la mission Flatters : 

La secte des Tidjani est une des plus puis- 
santes de ces vastes associations religieuses qui 
se partagent la population arabe, veritables 
francs-maconneries qu'un fanalis me aveuglepeut 
a Foccasion rendre redoutables. Les Tidjani se 
distinguentcomme les plus nombreux et les plus 
envahissants de ces sectaires : les regies de 
1'ordre inspirent a ses adoptes des sentiments 
de superstition et un esprit d'abnegation qui les 
amenent a se depouiller de tons leurs biens au 
PROFIT DE LA GOMMUNAUTE represeiitee par ses 



348 LE DIABLE CHE? LES MUSULMANS 

Marabouts, et a faire au besom sans efforts et 
sans regrets le sacrifice de leurvie. Aussicette 
secte a-t-elle pousse dans toutle Sahara algerien 
des ramifications nombreuses; recemment, dans 
une des oasis les plus .reculees du Sud-Oranais, 
j'ai ete moi-mme surpris de trouver toute-puis- 
sante 1'influence des Tidjani. La, tout leur a ete 
abandonne, tout leur appartient, 1'eau, le sol, les 
maisons, les palmiers, les oiseaux eux-memes. 
Je voulus un jour y tuer des pigeons, mais j'en 
f us empgche par les habitants de 1'oasis, qui me 
representerent que ces heureux volatiles, ap- 
partenant aux Tidjani, etaient inviolables et 
sacres, et' que, les tuer, c'etait attirer sur moi la 
colere celeste. Ilfallut Men me rendre a ces 
irrefutables considerations. (Page 25. ) 

Voila done jusqu'a quel point va s'exercer leur 
toute-puissance : tout leur appartient, et les 
pauvres Khouan ont du entre leurs mains ceder 
tous leurs droits de propriete . Remarquons bien 
que ceci est pour les Khouan habitant loin de 
tout centre, loin de toute zaouia. Que sera-ce de 
ceux qui habitent avec le grand-maitre. G'est 
avec peine que nous nous resolvons a 1'ecrire, 
mais nous le ferons pour demander si vraiment 
nosindifferents a ces questions, qui noasaccusent 
de voir le diable partout, diront que c'est la 
1'oeuvre de Dieu. Eh bien, les femmes elles- 
memes sont la propriete du graad-maitre ; c'est 
lui qui doit les fournir aux affilie"s qui vivent a 
cote de lui. Peut-on pousser plus loin 1'omnipo- 
tence, on plut6t ne faudrait-il y voir qu'une imi- 
tation de ce qui se passe dans les divertissements 
entre freres et soeurs dans la franc-maconnerie? 

o 

Nous ne nous arreterons pas a faire connaitre 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMAtfS 340 

leur doctrine contenue dans le Kounache ; nous 
avons dit que Tidjani n'etait qu'un philosophe 
eclectique, sa philosophie s'en ressent : le pan- 
thelsme indien s'y trouve mele a la theorie 
de 1'unite absolue de Dieu, principe du bien 
et du mal, comme nous 1'avons expose plus 
haul, ou plutCt, par une inconsequence que 
nous ne pouvons comprendre, le mal n'existerait 
pas au dire de Tidjani. Chaque atome des etres 
est une emanation du Tres-Saint, lequel est abso- 
lumentpur... Admettre une souillure dans un 
atome, serait supposer 1'existence d'uneimpurete 
dans les attributs divins, qui sont parfaits et purs 
de toute imperfection ; ce serait detruire la divi- 
nite qui compread tous les atomes. En effet, la 
divinite* est ce degre de Dieu qui embrasse tous 
les etres. Rien n'existe qui ne soit soumis a la 
divinite et tenu de lui rendre hommage par 
1'abaissement, I'humiliati0n, 1'adoration, la pro- 
clamation de ses louanges, la prosternation. Si 
1'atome etait souille, il ne lui serait pas permis 
d'adorer Dieu, de se prosterner devant lui, de le 
prier.L'atome est done pur, puisqu'il est entoure 
par la divinite, qu'il est une emanation de son 
nom tres saint. (Trad, de M. 1'interprete 
Arnaud, cite par RINN, page 147.) 

Ge passage est clair et precis, du moins cela 
nous semble ainsi. G'est une doctrine mons- 
trueuse, c'est le pantheisme le plus pur. Comment 
sur un tel dogme batir un systeme de morale ? 
puisqu'il n'y a pas de mal dans Fatome, toutes 
nos actions sont bonnes, toutes sont dignes de 
Dieu. Nous ferons remarquer que, dans cet ou- 
vrage, Tidjani parle beaucoup des rapports de 
la creature avec la divinite ; il n'a pas compris la 

LE DIABLE CHEZ LES MUSULJJANS 10.. 



350 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

the"orie des idees en Dieu, et a applique a 1'etre 
concretise les qualites qui lui conviennent seule- 
ment dans 1'intelligence divine. Quelquefois, au 
milieu de telles monstruosites, on rencontre des 
passages vraiment beaux et touchants. Tel est le 
recit de la mort de Karoun. 

Karoun s'etait revolte centre Mo'ise, qui de- 
manda a Dieu de le chatier : J'ai mis la terre 
sous ta puissance, repondit Allah, fais-y ce que lu 
voudras. Mo'ise, dans sa colere, ordonna- a la 
terre d'engloutir le revolte. Assis sur son trone 
d'or, Karoun sentit la terre s'ecrouler sous ses 
pieds. Soixaute-dix fois le malheureux pria 
Mo'ise deluipardonner, et sqixante-dix fois Mo'ise 
ordonna a la terre de Fengloutir. Quand le mal- 
heureux fut descendu dans le sein de la terre : 
Comment, dit Allah, Karoun t'a appelS soixante- 
dix fois a son aide, et tu n'as pas eu pitie de lui! 
S'ilm'avait, moi, invoque une seule fois, je 1'eusse 
secouru. Sais-tu, ajouta Dieu,pourquoi tu n'as pas 
eu pitie de lui? Parce que tu ne 1'as pas cree, car 
si tu 1'avais cree, tu aurais eu de la compassion 
pour lui. Je le jure par ma puissance et ma 
grandeur, jamais apres toi il ne m'arrivera de 
confier a quelqu'un le commandement de la 
terre. 

Que peut-on reprocher a ces dernieres lignes ? 
Elle est belle cette reponse de Dieu a Mo'ise. Et 
ces paroles : tu n'as pas eu pitie de lui, parce que 
tu ne 1'a pas cree ? Pourquoi faut-il que de telles 
paroles se trouvent dans un tel fumier ? 

Notre but n'est pas d'analyser les doctrines 
philosophiques de ces fondateurs d'ordre ; nous 
n'en parlons que pour faire connaitre davantage 
1'ordre et faire sentir les ressemblances qu'il y 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 351 

a entre ces doctrines et celles de la franc-ma- 
connerie. II n'yapas, a notre avis du moins, 
une difference sensible quant au fond : Ge Dieu, 
unique cause du bien et du mal, cet Allah, 
seule cause et du bien et du mal, sous 1'autocratie 
duquel toutes les autres creatures ne sont-que 
des automates irresponsables, pareils a un baton 
avec lequel j'assomme mon voisin, ce Dieu 
unique, souverainement bon et souverainement 
mechant, differe-t-il beaucoup du Lucifer du Pal- 
ladisme ? 

Le coupable est celui qui est la cause du 
mal; or, c'est Dieu qui fait par nous le mal; nous 
ne faisons aucune action, nous sommes simple- 
ment passifs, ou plut6t, selon Tidjani, la solution 
est encore plus facile, il n'y a pas de mal ; pour- 
quoi, parce que 1'atome est une partie de Dieu, 
et que le mal ne pourrait pas etre en Dieu; de la 
sorte, on peut commettre les plus grands crimes 
sans remords, la theorie de Tidjani etant aussi 
consolante que celle du Prophete et de Ben-A'issa, 
le fondateur des A'issaoua. 

Ge qui nous oceupe surtout, ce sont les doc- 
trines politiques de cet ordre. Pouvons-nous 
compter sur leur devouement et leur amitie, ou 
devons-nous nous en defler comme d'un ennemi 
irreconciliable ? 

Les chefs, qui ont dirige" cet ordre depuis 
sa fondation jusqu'au jour ou la France fit 
flotter son drapeau sur la zaouia de Am-Madhi, 
n'avaient jamais voulu reconnaltre aucune auto- 
rite musulmane. Us avaient voue aux Turcs ane 
haine mortelle. Dans une de ses nombreuses 
visions, Tidjani posa au Prophete une question 
au sujet du paiement de la zekkat : Est-ce que 



352 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

la zekkat, que percoivent de force les e"mirs et 
tyrans musulmans, affranchit les croyants de 
cette obligation (I'aumone envers les pauvres) ? 

Ai-je done, me repondit le Prophete, ordonne 
aux Musulmans d'obeir a ces princes peu scru- 
puleux? 

Mais que dites-vous, lui repliquai-je, du 
Musulman qui verse la zekkat entre les mains 
des princes dont il n'a rien a redouter ? 

Que la malediction de Dieu soit sur lui. 
A nos yeux, ce passage a trop d'importance 

pour que nous ne nous y arretions pas quelques 
moments. 

II y a deux parties bien distinctes, et la solu- 
tion a deux questions. La premiere : Doil-on payer 
la zekkat a un tyran, fut-il Musulman ? Et la 
deuxieme : Doit-on la payer a un prince musul- 
man fidele, et non tyran? 

A la premiere question, le Prophete de Dieu 
repond d'une maniere negative : il s'indigne 
contre ces petits tyranneaux qui s'elevent des 
quatre coins de 1'Islam pour pressurer les elus 
de Dieu,ceux qui sont entres dans la voie droite, 
et qui mettent les fldeles dans 1'impossibilite de 
faire I'aum6ne en les accablant d'impSt. Ges pe- 
tits roitelets, meconnaissant la loi de Dieu, pen- 
sent d'abord a leur trdne et a leurs interets, 
mais laissent les sectateurs du Prophete sous le 
joug des Chretiens, et n'emploient leurs forces 
qu'a torturer leurs sujets. Aussi, le cceur du 
Prophete est emu de compassion, et il n'ose pas 
faire un crime a ses fldeles croyants de se sou- 
mettre. II le faut bien, sinon le sabre les 
ferait agir. 

Mais le Prophete ne peut retenir son indigna- 



LE DIABLE CHEZ tES MUSULMANS 353 

tion centre les Masulmans qui patent la zekkat 
aussi facilement, sans y etre forces par la crainte 
que leur inspire leur souverain : Qu'il soit mau- 
dit, dit-il, celui qui se soumet a cette obligation 
et qui ne fait pas I'aumone, et cette malediction 
de Dieu est la plus terrible des menaces que 
puisse faire le Prophete . 

Tout Musulman n'est done pas oblige de payer 
la zekkat. De plus, il importe de remarquer les 
mots dont s'est servi le Prophete : il n'a pas dit : 
Ai-je done ordonne de payer ce tribut; mais ai-je 
done ordonne d'obeir : le sens de la reponse est 
beaucoup plus large : on ne doit jamais obeir a un 
tyran, quelque chose qu'il nous commande : la 
revolte est non seulement permise dans ce cas, 
mais elle est obligatoire pour tout bon Musulman. 
Une pareille theorie n'est point faite pour la se- 
curite des Etats, et cependant nous ne croyons 
pas avoir depasse les limites : n'est-ce pas la le 
sens de cette reponse du Prophete ? 

Evidemment au moment ou cette revelation 
etait faite a Tidjani, et elle f ut faite pour 1'occa- 
sion, elle etait dirigee centre le gouvernement 
des Turcs, qui rangonnaient les pauvres popula- 
tions berberes. Tidjani leur voua une haine 
mortelle, comme Abd-el-Rahman, le fondateur 
des Rahmanya. Le Turc et 1'Arabe sont deux 
races ennemies, et il suffit de connaitre 1'histoire 
de la domination turque en Alge"rie pour voir a 
quelles injustices, a queiles cruaut^s les tyrans 
d'Alger se sont Jivres vis-a-vis des populations 
berberes ou arabes. De nos jours encore, le mot 
Turc est une injure dans la bouche de 1'Arabe . 
Gelui-ci, sans secours et sans protecteur, souf- 
frait sans se plaindre les vexations de 1'ennemi 

LE DIABLE CHEZ LES MUSULHANS 10. .. 



354 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

de sa race.il payait non pas volontairement.mais 
force par les fusils et les canons turcs, tous les 
impots qui lui etaient exiges. Mais aussi, de 
temps en temps, un homme superieur sortait de 
cette race meprisee que le vainqueur foulait aux 
pieds.Entoure de 1'aureole dela sainted et de la 
science, operant a la vue de ses coreligionnaires 
des prodiges etonnants, il faisait renaitre 1'espe- 
rance dans leur coeur. Sortant de sa retraite et 
de sa solitude, ou il avait passe de longs jours 
dans le jeune et les veilles, il venait au nom de 
Dieu et du Prophete relever les faibles, consoler 
les malheureux, et raviver dans les coeurs do 
ses compatriotes ces sentiments que nous gar- 
dons toujours au fond de notre coeur, de voir 
notre pays se relever du joug qui 1'accable. Ben- 
A'issa predit qu'un jour les Turcs seraient chas- 
ses par les Chretiens, et qu'apres eux les Arabes 
seraient maitres chez eux. Abd-el-Kader exploita 
habilement ce desir que ressentaient ses compa- 
triotes de posseder eux-memes cette terre que 
leurs ancetres avaient conquise de leur sang. 
Aussi, tous ces hommes extraordinaires, qui ont 
paru pour consoler le peuple arabe vaincu, ont 
ete en butte aux vexations du pouvoir du jour. 
Tidjani vit les Turcs am ener contre sa ville leurs 
janissaires ; il les vainquit : le bey de Tittery 
essaya encore : vains efforts. Ah! c'est que. 
Tidjani avait touche la fibre du coeur de 1' Arabe; 
il avait gagne a sa cause de nombreux 
partisans. 

11 est certain, en effet, que ce fut autant par la 
haine qu'il portait aux Turcs que par ses talents 
et sa reputation que son ordre se repandit 
avec une telle rapidite qu'il vit lui-meme ses 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 355 

missionnaires penelrer jusque dans le Senegal 
et le Soudan. II ne prechait pas cependant ouver- 
tement la rebellion,-et, ainsi que nous 1'avons 
dit, il avait rejete le principe de Chadeli : obeis 
a ton Cheikh avant d'obeir au souverain tempo- 
rel. Aussi f ut-il accueilli avec empressement par le 
sultan de Fez,Mouley-Sliman, quand il dut aban- 
donner sa patrie pour fuir devant les Tedjedjena. 
Get empereur, en effet, voulait reparer les 
maux causes par les guerres civiles qui avaient 
fondu sur son empire ; il compta sur ce nouvel 
element et se 1'attacha, comme il avait fait des 
Taibya. 

Gependant il ne nous semble pas que Tidjani 
ait eu plus de respect qu'un autre fondateur 
d'ordre pour Tautorite legitime. Le fait que nous 
venons de citer en est la preuve, et les actes en 
font foi : Pourquoi n'a-t-il pas obe"i au gouverne- 
ment legitirae de la Sublime - Porte, exerce 
depuis pres de deux siecles en Algerie quand il 
jeta les fondements de son ordre. G'est que 
Tidjani est Arabe, et que le gouvernement est 
turc : la vision qu'il a eue est une de ces visions 
qui viennent juste a point pour satisfaire la 
conscience et la decharger des derniers seru- 
pules qu'elle pourrait avoir. 11 en a ete de cet 
homme comme de tous les grands maitres de 
n'importe quel ordre musulman : ils ont agi di- 
versement selon les circonstances. Ges memes 
Tidjanya, qui avaient ete si insolents envers les 
Turcs et si arrogants, se sont faits humbles et 
petits envers nous qui avions a notre disposition 
des fusils et des canons. Quand Mohammed Sr'ir 
repondait si insolemment a I'emir, c'est qu'il se 
croyait invincible derriere ses murailles qui 



356 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

avaieut arrele* les beys d'Alger, d'Oran et de 
Tittery; peul-tre croyait-il pouvoir, apres avoir 
vaincu 1'emir, se mettre liii-meme a la tete de ses 
Khouan et preacher le Djihad. 

Ge qui caracterise les g rands -maitres des 
Tidjanya c'est la ruse, la politique, et la clair- 
voyance : jamais nous n'avons eii a combattre 
Fordre entier, parce que Mohammed Sr'ir avait 
vu que 1'emir serait vaincu dans sa lutte centre 
nous. II savait bien que les Arabes n'e latent pas 
prets pour engager avec nous un duel a mort, 
et reconstituer le royaume arabe. II transmit 
cette politique a ses successeurs. Mais ne 
croyons jamais que cette conduite lui ait ete dictee 
par son amour pour la France, nous serions dans 
une erreur tres grave. 

Quand le derqaoui El-Hadj-Moussa voulut sou- 
lever la population de Laghouat et 1'appeler 
a la guerre, le Moqaddem des Tidjanya, Amedh- . 
ben-Salem, auquel il avait demande son appui 
aupres de ses Khouan, lui repondit ces mots : 
Nous sommes Tidjanya : mon pere m'a appe!6 
de ce nom, et j'ai avale des ma naissance les 
dattes machees par Tidjani comme faisait le pro- 
phete Mohammed (que Dieu repande sur lui ses 
benedictions) aux enfants de Medine. Puisque tu 
preaches la guerre sainte, je veux te trailer aveu 
bienveillance, et je n'empecherai aucun de ceux 
qui suivent la voie de Tidjani, de te suivre dans 
la guerre contre les Infldeles. Gette reponse 
deconcerta le derqaoui ; il croyait obtenir un se- 
cours efficace, et voila que le chef lui re"pondait 
poliment par un refus. II recruta cependant 
quelques Tidjanya, et s'avanca vers le Tell. 

Gette reponse du Moqaddem de Laghouat 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 357 

nous semble resumer parfaitement 1'esprit de 
cet ordre, c'est comme s'il lui avait dit : Dans 
cette entreprise, tu auras bien probablement le 
dessous, je ne puis m'engager avec toi dans 
cette aventure,les interns de mon ordre me 1'or- 
donnent.Gependant, je ne puis t'empecher de re- 
cruter des individus pour faire la guerre sainte. 
Combats les infideles, et que Dieu te soit en aide; 
compte sur nous si tu es vainqueur. Avec une 
telle reponss, quelle securite peut-on avoir vis- 
a-vis de cet ordre . II ne veut pas engager la 
guerre sainte et lever I'etendard contre nous. 
Le danger est, a notre avis, dans une telle 
conduite ; ils semblent avoir pour but de nous 
bercer de leurs intentions pacifiques et de nous 
faire croire que nous trouverons en eux, sinon 
des allies, au moins des indifferents qui accepte- 
ront notre autorite parce que Dieu a voulu que 
nous nous implantions en Algerie. Groit-on, en 
effet, que ce soit par amour pour nous, que Si- 
Mohammed-Sr'ir obtint la celebre fetoua dont 
nous avons parle? Nullement, deux motifs le di- 
rigerent : sa haine contre 1'emir, et le desir de se 
venger, et enfin sa politique, cette politique astu- 
cieuse qui fait sacrifier les principes aux circons- 
tances. Comment, en efiet, expliquer qu'un grand- 
maitre de cet ordre dont le fondateur avait 
tant parle contre la dime percue par un gouver- 
nement musulman, avait meme fait intervenir 
dans cette affaire le prophete Mohammed, 
consente a recevoir dans ses murs des Francais, 
et a payer un tribut ? Nous ne pouvons 1'expli- 
quer autrement que par cette politique cauteleuse 
qui varie, selon les circonstances, ses moyens 
d'attaque et de defense 



358 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

Supposons pour un moment que, au lieu de 
Mohammed-el- Aid, le grand-maitre de 1'ordre 
eiit ete en 1S6>9 soit Ryan, soit Si- Ahmed : sup- 
posons que son autorite se fut etendue non seu~ 
lement sur les affilies d'A'in-Madhi et des envi" 
rons, mais sur 1'ordre tout entier, et qu'au lieu 
des cinq cents fusils fournis par les Tidjanya aux 
Gheikkya nous eussions eu a combattre toute 
la multitude des affiiies ; qu'auraient pu faire 
ces quelques braves que commandait de 
Sonis: Demain, lui disaient les goum restes fide- 
les, comme pour 1'encourager et lui montrer tout 
leur attachement, demairi nous inourrons a c6te" 
de toi . Et cependant de Sonis n'avait a 
combattre que les Gheikkya. Auxyeux done des 
Arabes eux-memes, la defaite etait certaine, et 
notre limite reculait, du coup, de plus de 80 lieues, 
jusqu'a Djelfa ou bien Boghar. 

Ce qu'il y a aussi de certain, c'est que c'est 
1'un des ordres que nous avons eu le moins a 
combattre et qui nous a fait le moins de mal. A 
nos yeux, cet ordre est plutot commercant : au 
lieu de vouloir diriger depuis 1830 1'opinion mu- 
sulmane contre nous, comme il 1'avait fait centre 
les Turcs, il s'est tourne vers les speculations 
lucratives et le riegoce. De nombreuses cara- 
vanes,partantd'Am-MadhietdeTemacinn,sediri- 
geaient vers le Soudan, et en retourdes bienfaits 
qu'apportaient aux Soudanais les missionnaires 
de 1'ordre, ceux-ci rapportaient dans le sud de 
1'Algerie de nombreuses richesses. Nous ne 
croyons pas qu'il y ait une seule loge dans le 
monde entier qui rapporte autant que la zaouia 
de Temacinn. D'apres nos derniers renseigne- 
ments, elle rapporterait a son proprietaire une 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 359 

valeur de plus de 450.000 francs (quatre cent 
cinquante mille) par an. On vpit que le budget 
dont dispose la franc-magonnerie, 40.000.000 de 
francs par an environ, est, a notre avis, depasse 
par le budget des societes secretes musulmanes. 

Gette altitude vis-a-vis de nous, ce trafic au- 
quel se sont livres les chefs pour s'enrichir ont 
deprecie cet ordre, et il est bien tombe de son 
ancienne prosperite. La cause de sa decadence 
montre bien 1'etat d' esprit dans lequel se trou- 
vent les Musulmans algeriens. Aussi longtemps 
que les Tidjanya ont combattu les pouvoirs 
publics, aussi longtemps leur ordre a ete pros- 
pere ; mais. du jour ou ils n'ont pas voulu user 
de leur influence et de leurs forces pour combat- 
tre I'lnfidele, les Musulmans ont peu a peu de- 
serte leur ordre et se sont fait affllier aux 
Snoussya. 11 est, en effet, digne de remarque que 
tous les voyageurs qui, depuis Duveyrier, ont 
voulu penetrer dans le Sahara eu se recomman- 
dant de 1'autorite du marabout de Temacinn et 
d'Am-Madhi, ont presque tous echoue, et n'ont 
pu parvenir au but de leur voyage, quand ils ont 
pu en revenir en vie. 

Pendant longtemps, en effet, les Tidjanya ont 
ete tout-puissants dans le Sahara. Les Touaregs, 
les maitres du desert, ceux qui ont massacre la 
colonne Flatters et nos missionnaires, etaient en 
grande partie, au dire de Largeau, affilies a cette 
secte. Un de leurs chefs, El-Hadj-Othmann, a 
fonde au pied du plateau de Tassili, une petite 
zaouia qu'il a nommee Temacininn ou Temassa- 
ninn, c'est-a-dire Petite Temacinn . De nos 
jours encore, cet ordre compte de nombreux 
adherents surtout chez les Sa'id-Atba et les 



360 LE DIABLE CHEZ LES MUSU1MANS 

Chaamba-Oulad-Smai'k ; les premiers frequentent 
dans leur parcours A'in-Madhi, les seconds s'affl- 
lient a Temacinn et a El-Alia. Nous ne voulons 
pas dire, certes, que leur influence en ce moment 
est nulle dans le Sahara, et que les Snoussya les 
ont supplante's partout : mais elle est bien dechue 
et le grand-maitre actuel est loin de jouir de la 
grande influence de Mohammed Sr'ir. Quand le 
colonel Borgnis-Desbordes voulut se rendre a 
Segou et au Fouta, il se fit octroyer par 
M. Tirman, alors gouverneur general, une leltre 
de recommandation dont nous extrairons quel- 
ques lignes capables d'interesser et d'instruire 
nos lecteurs. Yoici d'abord celle du grand- 
maitre de Temacinn : 

Louange au Dieu unique ! Que Dieu repande 
ses graces sur hotre Seigneur et notre maitre 
Mohammed ; sur sa famille et sur ses compa- 
gnons, et qu'il leur accorde le salut I 

Cachets (1) de Mohammed-es-Sr'ir-ben-el- 
Hadj-Ali-et-Tidjani et de Maammar-ben-el-Hadj- 
Ali-et-Tidjani. 

Louange a Dieu I que sa majeste soil cele- 
bree, que ses noms et ses attributs soient 
sanctifies. 

Gette lettre est adressee a nos genereux amis; 
a leurs Illustres Seigneuries, le tres considerable 
et 1'excellent Sultan du Fouta et ceux qui Ten- 



(1) II ne faudrait pas croire que la place du cachet dans nne 
lettre soil de peu d'importance anx yeux des Arabes : mettre son 
cachet en tete de la lettre, c'est- dire que notre correspondant 
nous est iaferienr : au contraire, le placer au bas de la lettre, 
c'est dire qu'on est inferieur a. son correspondant ; enfln, le pla- 
cer au verso de la feuille, c'est la marque du plus profond respect 
et d'une inalterable amitie. Aussi, quand le grand-maitre de 
1'ordre ecrit a sesMoqaddem ou a ses affllies, fussent-ils souverains 
comme c'est ici le cas, il met le cachet en tete de la lettre. 



LE D1ABLE CHEZ LES MUSULMANS 361 

tourent. (II demande des nouvelles de sa sante.) 
Nous vous inf ormons, et c'est la un avis sincere, 
que la personne qui vous rernettra cette iettre, 
1'illustre et tres eleve lieutenant colonel Borgnis 
Desbordes, se rend dans vos parages pousse par 
le desir de connaitre vos contre"es et de s'occuper 
de ce qui a trait aux choses de votre royaume. 
Peut-etre vous servira-t-il d'intermediaire, dans 
1'avenir, pour creer des relations commerciales 
au sujet d'articles importants que vous ne 
connaissiez pas auparavant, d'objets precieux, 
vStements et autres marchandises que vous 
obtiendrez a bas prix, contrairement a ce qui a 
lieu maintenant dans vos transactions avec ceux 
qui vous frequentent et commercent avec vous. 
Nous ne vous e"crivons qu'apres avoir attentive-, 
ment etudie tout ce qui IB concerae, et nous tre 
enquis du but qu'il poursuit. Nous avons la certi- 
tude que celui qui le protegera lui indiquera la 
voie a suivre et s'emploiera a lui faciliter sa 
tache, sera recompense dans ce monde et dans 
Tautre, aura droit a la reconnaissance des 
hommes eclaires et se cre"era aupres d'eux des 
litres de gloire. 

Vous n'ignorez pas, illustres seigneurs, que les 
affaires commerciales sont desirees et recher- 
chees, que les lois divines et -liumaines les 
permettent entre tons les peuples, aussi bien 
dans les regions orientates de la terre que dans 
1'Occident et entre les sectateurs de toutes les 
doctrines. 

Vous ne vous laisserez pas abuser par ces 
de"tracteurs aveugles, ces perturbateurs supposes 
du d^mon, qui emploient la calomnie, cette arme 
que re"prouvent toutes les religions, et viendront 

LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS )i 



362 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

vous dire : cesgens veuientceci,desirent cela,oii 
vous tiendronl des propos auxquels ne sauraient 
aj outer foi que des faibles d'esprit ou des creatu- 
res de"nuees d'intelligence. 

Les personnages qui se rendent aupres 

de vous y vont sur 1'ordre des principaux de leur 
pays et entreprennent leur voyage pour obeir a 
leurs chefs. 

Vous savez que leur peuple est Tun des plus 
grands qui aient exists au cours des siecles et 
Tune des plus considerables puissances connues ; 
que toutes les fois qu'ils ont entrepris quelque 
chose ils 1'ont fait ostensiblement et de inaniere 
que chacun en put eHre temoin, agissant avec 
courage, disposant de grandes richesses et d'une 
arm^e puissante et redoutable. Vous nous 
comprenez, et des personnes de votre sagacite 
penetrent le sens de nos paroles. Si les choses 
se passent comme nous Tesperons, vous n'en 
retirerez que repos et tranquillite. 

Nous n'avons eu en vue en vous ^crivant que 
de vous donner de bons conseils et de vous rendre 
la situation plus facile : d'ouvrir des debouches 
a votre commerce, et de vous mettre a m^me de 
war- procurer -aos choses pr-.oci.ousos qoe vous 
n'auriez jatnais vues et dont vous etes encore a 

ignorer 1'existence Ge 27 Moharem 1300 

(8de"cembre 1882). 

Deux fois, dans cette lettre, le grand-maitre 
revient sur la question du commerce : nous les 
avons souligneesadessein. Loin de nous la pensee 
de pretendre que cet ordre estuniquement fonde 
pour ce but, et il n'a rien de comparable, soit a 
la Compagnie des Indes, soit a la Compagnie 
que viennent de fonder, il y a quelques annees, 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 363 

les Anglais dans le Bas-Niger. Les chefs d'ordre 
voudraient accaparer le commerce du Sahara, 
et ils entassent, dans leur zaouia de Temacinn, 
tresors sur tresors. A quoi servira, un jour, cet 
argent ? Ge ne sera pas, nous pouvons en dtre 
coavaincus, pour la bonne cause ; et, peut-etre, 
sera-ce avec cet or que les Khouan nous 
combattront. 

II sera curieux de comparer la lettre que 
donna a ce mme colonel, et dans le mme but, 
Sid-Ahmed. Nous la trouvons encore dans Rinn 
et nous en donnerons quelques lignes qui nous 
feront bien voir le personnage : 

Louange au Dieu unique ! que Dieu repande 
ses graces sur notre seigneur Mohammed et sur 

Sa famille ! (lei cachet de Sid-Ahmed : le serviteur de Dieu, 
Ahmed, flls de notre Maltre, Mohammed-el-Tidjani.) O tOl qui 

connais les secrets, souverain dispensateur des 
biens, de qui viennent tous les dons, pardonne- 
nous nos peches. De la part de notre seigneur, 
de notre interme"diaire aupres de Dieu, Sid- 
Ahmed-ben- Mohammed-el-Tidjani, cheikh de la 
confrerie des Tidjanya, sanctuaire de la science, 
protecteur supreme, soutien des hommes de foi, 
guide de ceux qui savent.- 

A tous nos amis, a ceux qui font partie de 
nous-m@mes ou qui se rattachent a notre per- 
sonne, soit a nos amis qui habitent le territoire 
du Fouta, le salut ! 

.....Je parle a tous ceux qui, grands ou petits, 
saos excepter personne, appartiennent a la 

Gonfre*rie des Tidjanya. . . 

Si vous voulez bien vous informer de ce qui nous 
concerne, nous vous dirons que sous le gouver- 
nement francais nous jouissons de toutesles 



364 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

felicites d'une paix entiere et durable. Nous 
en rendons graces a Dieu. 

Nous n'avons a vous entretenir que de bien. 

L'un des principaux personnages de la France 
se rend avec sa suite dans votre pays. Son inten- 
tion est seulement de parcourir votre contree 
dans le but de nouer des relations commerciales 
avec vous . 

Je desire que vous facilitiez 1'accomplisse- 
ment de ses de"sirs, que vous ne 1'entraviez en 
rien, que vous I'accompagniez en quelque lieu de 
votre pays qu'il dirige ses pas, et, enfin, que 
vous lui pretiez votre concours en toute circons- 
tance, sans jamais chercher a lui nuire en quoi 
quecesoit. 

Veuillez ecouter nos paroles et vous confor- 
mer a nos recommandations. 

En effet, le gouvernement francais nous a 
fait beaucoup de bien, et cela doit suffire pour 
que vous dirigiez votre conduite dans le sens 
que nous indiquons. 

II est curieux de voir cet nomine, que le gou- 
vernement a par deux fois? eloigne de sa patrie, 
vanter les bienfaits de ce gouvernement envers 
lui et son ordre. Deux fois, en effet, le gouver- 
nement lui avait fourni gratis le loger et le con- 
vert. II avait au moms de la reconnaissance, 
pour un Arabe. A nos yeux, cette lettre a une 
grande importance. Ahmed veut arriver a la" 
grando maitrise ; supplante une fois, il voudrait, 
pour arriver a cette haute fonction, gagner les 
bonnes graces du gouvernement. 

Gependant,de nos j ours, 1'ordre est loin d'a voir 
garde son importance ; il a ete supplante" presque 
dans tout le Sahara par les Snoussya : nous n'ea 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 365 

voulons pour preuve que les deiix tehees qu'a 
subis le colonel Flatters. La premiere fois qu'il 
s'etait aventure* dans le desert, le colonel avait 
emmene avec lui un Moqaddem des Tidjanya. 
Si nous en croyons Brosselard, qui faisait parlie 
de cette expedition quand le colonel donna 
1'ordre du retour, il agit avec la plus grande pru- 
dence. Vingt-quatre heures encore et la colonne 
subissait le desastre que lui infligerent la seconde 
fois les Touareg. Tout le long de leur route, ils 
avaient ete" Fob jet d'une etroite surveillance. 
-La veille, dit Brosselard (page 127), nous 
avions trouve", dans le voisinage du camp, deux 
meharis completement harnaches, qui paissaient 
en liberte, sans entraves et sans gardiens. Gette 
circonstance, assez singuliere, ne pouvait que 
nous confirmer dans une pensee que nous avions 
cone ae et que la connaissance du caractere 
arabe rendait tres admissible : que, sans nous en 
apercevoir, sans en avoir la preuve, sans qu'au- 
cune trace vint eveiller notre attention et justi- 
fier nos soupcons, nous devions etre, de la part 
des Touareg, 1'objet d'une surveillance etroite 
et perpetaelle : nous nous sentions epies et 
suivis sans qu'aucune circonstance eut encore 
trahi le secret de 1'espionnage dont nous etions 
1'objet. 

Pour comprendre toutes les difficultes que le 
colonel dut vaincre, il faut lire le recit de ses 
deux expeditions dont la seconde fut suivie d'un 
des plus epouvan tables drames que nous 
connaissions et qui, dans noire siecle, nepeut tre 
compare qu'au naufrage du bane d'Arguin. Les 
chefs des Touareg ne re*pondaient pas aux 
lettres que le colonel envoyait : Hadj-Ikhenou- 



366 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS ' 

khen, seul veritable chef des Azdjer, semblait ne 
pas exister et f aisait attendre le colonel : 
Pourquoi ne repondail-il pas ? D'ou venait son 
hesitation? Quelle etait la cause de ses retards? 
Hadj-Ikhenoukhen bbeissail e"videmment a 
d'autres preoccupations que les chefs inferieurs 
auxquels jusqu'alors nous avions eu affaire. 
(BROSSELARD, page 164.) 

A notre avis, la vraie cause du retard etait 
que Hadj-Ikhenoukhen n'avait pas encore recu 
des ordres des chefs des socle" tes secretes, 
probablement de Djegboub. La rapidite vrai- 
ment etomiante, comme le fait remarquer 
Brosselard, avec laquelle le colonel avail dirige" 
son expedition et avait franchi la distance de 
Touggourt au lac Menghough, les avait surpris 
et ne leur avait pas permis de prendre un parti. 
Les Charrbaa eux-mmes, dont beaucoup sont 
inities aux Tidjanya, commencaient a dire 
tres haul que tout etait perdu et que nous 
allions devenir la proie des Touareg, et, dans 
1'attente d'une catastrophe, cherchaient deja, en 
politiques habiles mais peu scrupuleux, a faire 
alliance avec nos futurs vainqueurs. Je ne puis 
affirmer qu'ils en etaient arrives a trailer de leur 
trahisoD, et a marchander le prix de leur defec- 
tion, mais il est certain qu'ils prenaient leurs 
precautions pour tre appeles au partage de nos 
depouilles . (Id., page 168.) 

Et que f aisait, pendant ce temps, Abd-el-Kader- 
ben-Mrad, Moqaddem des Tidjanya, qui avail 
accompagne 1'expedition? De quelle utilite lui 
f ut-il ? L'accueil que nous avions recu du chef 
des Tidjani, 1'appui qu'il nous offrait, les marques 
de consideration et de sympathie dont,il nous 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 367 

avail entoure, parurent a tous le presage d'un 
heureux voyage. 

C'estqu'eneffetFassistancedeSi-Moammar(l) 
n'etait point adedaigner. Da fond de la zaouia, les 
Marabouts de Temacinn exercent, grace au ca- 
ractere sacre"dont ils sont revetus, une influence 
immense, propage"e et consolide'e chaque jour 
par les emissaires qui parcourent le Sahara et 
le Soudan, et qui ont su, du moins c'etait 1'opinion 
du colonel Flatters, affilier a la sectedes Tidjani 
jusqu'aux peuplades riveraines du Niger. 
(Pages 23-24.) 

II nous semble que ceux qui ont voulu explorer 
le Sahara n'ont pas compte assez avec les 
societes secretes. Largeau, Soleillet, Flatters, 
etc., n'ont demande que 1'appui du Marabout de 
Tamelhalt ou d'A'in-Madhi, alors que Duveyrier 
lui-m&ne, des 1860, constatait la profonde 
decheance de cet ordre, au profit des Snoussya. 
Le colonel Flatters devait en f aire une terrible 
experience. Nous ne voulons pas ici raconter 
tout au long la deuxieme expedition suivie du 
massacre de Flatters et de quelques-uns de ses 
compagnons. Nous ne voulons pas apprecier sa 
conduite, ni 1'accuser soil d'imprevoyanco, soit 
d'une trop grande confiance, quand il aban- 
donna sa colonne et se dirigea seul avec 




qu'il avail laisse a son frere Si-Moammar la direction de la prin- 
cipale zaouia de 1'ordre. Nous rerrons les deux fils du grand 
Snoussi agirde meme. Dans 1'Eglise catholique, nous ne trouvons 
qu'un fait qui puisse faire comprentlre cetle situation a nos lec- 
teurs ; Leon XIII. Pape de tons les catholiqhes, a cepndant, pour 
gouverner 1'Eglise de Home, le cardinal Farocchi ; il en est de 
mime dans le cas present. 



368 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

trois ou quatre compagnons, vers le puits, mal- 

gre les supplications de ses guides lui assurant 

qu'il etait trahi. Go fut son guide principal, 

Sr'ir-ben Cheikh, qui le fit tomber dans cet odieux 

guet apens. G'est ce me'me Sr'ir qui avait 616 

charge de porter les lettres du colonel au Hadj- 

Ikharkharen, dans la premiere expedition. Heu- 

reux ceux qui succomberent aux environs du 

puits ! Us ne connurent rien des horreurs du 

retour. Toule la responsabiiite incombait au 

lieutenant de Dianous. Apres des fatigues 

inou'ies, sentant combien sa responsabilite etait 

grande. souffrant de la faim et de la soif, il per- 

dit la raison, et on fut oblige de le de*sarmer . 

Ce fut lui qui envoya en parlementaire Abd-el- 

Kader-ben-Amida, Moqaddem des Tidjanya ; 

les Touareg, qui en grand nombre avaient recu le 

diker des Tidjanya, eussent du respecter ce 

malheureux qui etait leur chef spirituel : ils le 

massacrerent traitreusement, car 1'influence des 

Tidjanya etait presque nulle chez eux et avait 

ete remplacee par celle des Snoussya : en vain 

le malheureux se recommanda de la protection 

du saint d'Ain-Madhi : ce fut une raison de plus 

pour les sbires de Djegboub. 

Nous est-il permis maintenant de nous deman- 
der quelle fut la cause d'un si epouvantable d6- 
sastre. Quelques-uns ont pense" que le massacre 
6tait decide avant meme le depart de la colonne 
d'Ouargla : cependant ii semble, aujourd'hui, 
certain que le plan fut preme'dite chez les 
Hoggarjustement par ceuxmmes chezlesquels 
le colonel voulait passer pour aller au Soudan, 
ne voulant pas cette fois s'exposer a un ref us de 
la part des Azdjer : ce serait le chef ds Hoggar 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 369 

lui-m&ne qui aurait concu le plan, et ce qu'il y a 
de plus barbare dans tout cela c'estde voir ce 
mme chef repondre favorablement a la lettre 
envoyee par le colonel, et lui offrant le libre 
passage sur son pays. Quel avail e*t6 le mobile 
de ce crime I etait-ce la cupidite ? 11 parait 
presque certain aujourd'hui que ce complot 
n'avait pas eu pour mobile la cupidite ; mais que 
le fanatisme religieux (et nous ajoutons 1'intole- 
rance des societes musulmanes) et la crainte 
assez fondee, il faut bien le reconnaitre, que les 
projets dont 1'envoi de la mission etait 1'indice 
ne dussent s'accomplir aux depens de leur inde- 
pendance, avaient determine les Touareg a atti- 
rer dans un piege le colonel Flatters et ses 
compagnons et a les exterminer. (BROSSELARD, 
pages 217-218.) 

Gertes, cette catastrophe servira a 1'instruc- 
tion des futursexplorateurs; mais nous, nous en 
tirerons cette conclusion; c'est que 1'influence 
des Tidjanya a bien decru et doit tre a peu pres 
nulle, puisque cette expedition qui allait sous son. 
patronage n'a pas pu arriver a ses fins, puisque 
surtout un Moqaddemdecetordre est mis a mort 
par les Touareg, malgr6 son caractere sacre. 
Elle a bien grandi, au contraire, 1'influence des 
Snoussya ! 

Quei secours pourrait nous fournir un ordre 
qui ne peut mmo pas defendre ses affilie*s du 
poignard.des Snoussya? Nous regrettons ici en- 
core de devoir nous separer de Riun et de le 
combattre. II y avail la, pour nous, si nous 
1'eussions voulu, le noyau d'une verilable eglise 
musulmane, alg^rienne, dont les membres eus- 
sent ete, pour notre gouvernement, des auxi- 

- LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 11. 



370 LE DIABLE CHE? LES MUSULMANS 

liaires aussi devoues et aussi stirs quo le sont les 
Taibya pour le gouvernement marocain. Pour 
arriver a ce resultat, nous n'aurions eu qu'a 
faire au chef de 1'ordre une situation ostensible- 
ment superieure a celle de nos plus grands 
Khalifas et Bach-Agha. Aux yeux de nos sujets 
indigenes, comme aux yeux du monde musul- 
man, cela eut e"te parfait, et nous aurions pu 
tirer parti du concours et de 1'influence du chef 
d'un grand ordre religieux. Ainsi mis en relief, 
ce persoanage, officiellement reconnu par nous 
comme le veritable chef de la religion musul- 
mane en Alg&ie, comme hotre Gheikh El- 
Islam , aurait pu tre oppose" avec succes aux 
Gheikh El-Islam de Stamboul, de La Mecque et 
des autres pays musulmans. 

Au lieu de cela, domines par les prejuges de 
notre pass6 catholique, ou emportes par les into- 
terances maladroites (sic), de soi-disant libres- 
penseurs, nous nous sommes, le plus souvent, 
bornes a une bienveillance banaie. qui n'a eu 
d'autre effet que de deconsiderer les Tidjanya 
vis-a-vis des fanatiques. Et, pendant ce temps, 
grandissaient dans 1'ombre les ordres rivaux qui 
puisent leurs aspirations chez les etrangers, 
comme les Saoussya, Taibya, Kheloualya, 
Madanya et autres, sur lesquels notre action ne 
saurait^tre efficace. (Page 450.) ^ 

Nous doutons que ce soit M. Rinn qui ait ecrit 
ces quelques ligaes, ou les sophismes et les 
contradictions abondent. Qu'il etait plus heureux . 
et mieux inspire le jour ou il ecrivait qu'une 
telle protection n'est pas possible et n'est pas 
digue de la France, et cela dans le mSme ouvrage, 
.page 518. Et pour montrer la contradiction ouil 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 371 

iombe, prenons, a la page 449, le paragraphe ou 
il parle du de" veloppement de cet ordre : 

Gette attitude des Tidjanya vis-a-vis .des 
e"mirs et tyrans musuimans turcs ou arabes, 
(Rinn venait de citer la vision de Tidjani ou 
Mohammed condamne le paiement de la zekkat, 
ne contribua pas peu alors a grandir leur popu- 
laritS dans le nord de 1'Afrique, et a leur attirer 
de nombreux adherents. Mais, par contre, leur 
ligne de conduite, toujours si reservee et si cor- 
recte vis-a-vis de i'autorit^ francaise. semble 

o * 

avoir porte un coup fatal a leur influence et a 
arrSte net le d^veloppement de cet ordre. 
(Page 449.) 

Est-ce la m^rne main qui lenaitla meme plume 
pour commencer aussitSt le paragraphe dont 
nous avons donn6 quelques extraits? Comment? 
le gouvernement frangais ne les a pas favorise*s, 
seuls ils ont garde envers nous une attitude 
correcte et ont mme consent! a nous payer tribut 
sans aucune opposition, et ils ont perdu leur 
influence qu'ils auraient conservee et mme 
accrue si nous les avions protege's ? Les Musul- 
mans auraient respecte ce Gheikh El-Islam qui 
aurait regu de 1'argent de llnfidele ! N'avons- 
nous pas dit deja que les Musulmans ne peuvent 
pas admettre qu'un Marabout receive de 1'ar- 
gent pour ses fonctions sacre"es '. Aliens done 
Le jour mme ou les Tidjanya seraient devenus 
nos proteges offlciels, leur ruine eut ^te encore 
plusprompte. 

Nous pousserons plus loin la question, et 
nous demanderons a Rinn s'il etait possible 
de s'attacher les Tidjanya ? Evidemment non : il 
y a et il y aura toujours antipathic entre le Chre"- 



872 LE DIABLE CHEZ LES MpSULMANS 

tien et le Musiilman, et toat homme de sens, qui 
n'est pas aveugle par les prejuge"s de I'impieto 
doit avouer qu'il n'y a qu'un seul moyen de nous 
assimiler les Musulmans, c'est de les convertir 
an catholicisme. Nous y reviendrons dans le 
dernier chapitre. Malgre leur tolerance, en effet, 
nous savons ce que nous devons penser de leur 
respect pour les gouvernements ; si leur chef a 
montr6 tant d'hostilite" et de haine contre les 
Turcs et Abd-el-Kader qui etaient Musulmans, 
que sera-ce contre nous? Qu'on se souvienne de 
la re"ponse que fit le Moqaddem de Laghouat au 
Derkaoui el-Hadj Moussa qui voulait recruter 
parmi les Tidjanya des soldats pour nous 
combattre. 

De l'aveu de tous ceux qui ont voulu e"tudier 
la question de pres, les Tidjanya ont perdu de 
leur influence parce qu'ils ont voulu ne pas se 
montrer hostiles a noire gouvernement . Us 
ont calcule les chances de la victoire, et ils ont 
vu que nous triompherions. Au lieu de s'unir a 
Abd-el-Kader, Mohammed-Sr'Ir, pour se venger 
des Hachem qui avaient assassine son frere, 
les laissa a leurs seules ressources ; s'ils trou- 
verent assez de puissants amis pour tramer 
la perte de 1'emir, il n'en est pas moms vrai que 
les chefs d'ordre, et en particulier les Snoussya, 
n'eurent plus que du mepris pour eux; nous 
avons vu qu'a La Mecque, seul Snoussi s'opposa 
a la fetoua, et ne voulut pas que les Musulmans 
deposassent les armes. Les Tidjanya triom- 
pherent, mais ce fut leur derniere victoire; 
Snoussi allait leur porter des coups plus ter- 
ribles que ceux de remir, et dont ils ne se rele- 
veraientpas. 



GHAPITRE VI. 



Les Khelouatya et les Rahmanya. 



Nous associons ces deux noms parce que les 
Rahmanya se donnent comme les continuateurs 
des Khelouatya. II y a cependant entre les deux 
ordres une grande difference ; le premier, en 
effet, semble ne devoir s'occuper que de la sanc- 
tiflcation des ames, de iss conduire dans les sen- 
tiers du mysticisme, d'extase en extase, et de leur 
faire gouter le bonheur le plus doux. Les Khe- 
louatya, en effet, portent bien leur nom que nous 
pourrions traduire par solitaires ; ils font profes- 
sion de vivre constamment loin du monde, de me- 
priser les biens de cette terre pour ne rechercher 
que ceux de I'autre vie . Les seconds , au contraire, 
semblent 6tre unordre essentieilement militant ; 
sans doute, nous trouverons dans ces doctrines 
ces aspirations yers le mysticisme le plus absolu, 
ce mepris des biens de la terre et tant d'autres 
choses prSche'es par les fondateurs imbus des 
doctrines du soufisme ; mais, dans la pratique, 
ils ne seront pas si detaches des biens de la 
> terre, et nous les verrons sortir de leurs zaouias 
pour paraitre sur le champ de bataille. A notre 
avis, les Rahmanya qui, eux aussi, veuient se 
rattacher a la grande famille de Ghadeli, sont 
avec les Snoussya ceux que nous avons le plus 

i a craindre. Us mettent bien en pratique leurs 

-ji 



374 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

doctrines, et sont plus consequents que les 
Qadrya etles Chadelya purs. Bisons settlement 
quelques mots de Pordre dont ils se dormant 
comme les continuateurs ; nous avons hate 
d'arriver a eux pour faire apprecier 1'oeuvre 
ne"faste des ordres musulmans et les entraves 
qu'ils ont apportees a la civilisation. 

Ce fut au commencement du ix e siecle de 
1'hegire, vers 1'an 1400 de J.-G., que furentfondes 
les Khelouatya. Ge serait 1'ascete Ibranim-ez- 
Zahid-el-Kilani, grand savant, grand theologien 
et grand commentateur, qui aurait fonde eel 
ordre ; mais ce fut son disciple Mohammed-el- 
Khelouati qui, en prenant la direction de 1'ordre, 
lui donna son nom. Enfin, en Turquie, le vrai fon- 
dateur est, dit-on, Omar-el-Kheloaati qui aurait 
vecu an ix c siecle de 1'hegire ; c'est cette date 
que nous avons prise pour fixer 1'annee de la 
fondation de 1'ordre, a la suite de Rinn. Omar 
passait souvent des semaines entieres dans la 
retraite ; la, plonge dans la plus grande contem- 
plation, passant ses jours dans le jeune le plus 
rigoureux, et repandant devantDieu ses plus fer- 
ventes et nombreuses prieres, il eut une vision. II 
avail termine les longs exercices de sa retraite 
qu'and une voix se fit entendre : Omar, Omar. Me 
voici, re"pondit 1'ascete. Pourquoi m'abandon- 
nes-tu pour rentrer dans le monde? consacre tes 
jours dans la retraite a prier Dieu et a gouter les 
douces joies de 1'extase. A partir de ce jour, il 
ne voulut plus abandqnner cede retraite ou il 
avail ete retenu par un ordre du ciel, et, fran- 
chissaut avec la plus grande facilite et a pieds 
joints tous les degres de 1'extase, il jouit 
bientot des plus grandes faveurs. Desormais cet 



LE DIABLE .CHEZ LES MUSUOIANS 375 

tat n'eutplus de secrets pour lui, et il put tracer 
d'une maniere definitive les moyens a prendre 
pour y parvenir. 

Avec Tordre persan des Nakechibendya, celui 
des Khelouatya est 1'ordre ou 1'extase est le 
plus en honneur ; leurs, fondateurs ont su la 
re"duire a une oeuvre d'art, et dans leur sociele 
pu devient extatique comme dans nos univer- 
sile"s on devient docteur. Toute la difficulte est 
dans le vouloir ; une fois qu'on a pu bien se 
pene"trer de ce desir, que ce desir est devenu 
comme 1'idee fixe qu'on poursuit, comme le but 
unique de la vie, alors il n'y a qu'a entrer de 
plein pied dans le sentier qu'a trace le maitre 
pour arriver surement a atteindre 1'objet de 
tous les desirs. G'est a ces ordres que nous 
avons emprunt^ la th^orie de 1'extase : nos 
lecteurs ont pu juger avec quelle facilite on peut 
arriver a 6tre en rapport avec les demons. G'est 
a eux encore que nous avons emprunte Tinter- 
pretation des songes rapportee plus haut. Comme 
on peut s'en convaincre, cet ordre semble avoir 
eu pour mission de determiner les regies de 
1'extase, d'enseigner les moyens les plus efflca- 
ces pour y arriver, et d'etablir en code ce que 
d6ja tous les affilies pratiquaient. Le fondateur 
pouvait parler d'expe*rience, ayant passe toute 
sa vie dans la retraite el le silence, ou il avail 
recu bien souvent la visile de 1'ange des tene- 
bres. Les Rahmanya ont voulu metlre en 
pratique ce que Omar el Khelouati avail en- 
seigne; nous allons lesvoir a 1'oeuvre. 

Ge f ut sur une terre qui un jour devait devenir 
francaise, et donl les habitants ne s'o talent 
jamais courb^s devantr^lranger, que le fonda- 



376 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

teur des Rahmanya vintau monde. II est peu de 
saints qui, en Algerie, aient la reputation de 
Abd-er-Rahman-bou-Qobrein, et aupres des 
Arabes d'Alger il est aussi puissant que le 
grand El-Djilani, tandis que, pour les Kabyles 
du Djurdjura, 1'Islam, que dis-je, 1'univers 
entier n'ajamaisproduitun homme de la taille 
de Bou-Qobrein, Pour cette petite tribu des Beni- 
Ismail qui lui a donn6 le jour, ce n'est pas un 
homme, ce n'est pas un saint, c'est plus qu'un 
dieu, et peu s'en est falluque, dans sa puissance, 
il n'ait un jour de*tr6ne Allah. De"pouillee des 
legendes qui entourent sa vie depuis le berceau, 
jusqu'a la tombe, inclusivement, 1'existence 
d'Abd-er-Rahman n'offre rien que nous n'ayions 
trouve dans la vie des autres f ondateurs d'ordre, 
II pretendait appartenir aune famille Ghe"ri' 
fienne qui, venue du Maroc, se serait etablie 
dans la Kabylie. Apres avoir etudie a Alger, 
il fit le pelerinage de La Mecque (1152 de 
1'hegire, 1740 de J.-C.)- A son retour; il 
s'arreta a cette fameuse zaouia d'El-Ahzar que 
nos lecteurs connaissent et ou Leon Roches, 
grace a 1'appui des Moqaddem Tidjanya et aussi 
gr^ce a 1'appui de quelques metaux, obtint la 
celebre fetoua qui fut comme la condamnation 
d'Abd-el-Kader. Ge fut la qu'il comple"ta son 
education et acquit la science qui un jour devait 
le faire passer pour un homme superieur aupres 
deses compatriotes ignorants. Devenu alors 1'ami 
et le disciple de predilection de Mohammed- 
ben-Salem-el-Hafnaoui, grand maitre des Khe- 
louatya, il se fit affilier a cet ordre : plein 
de veneration pour ce maitre qui le dirigea dans 
la voie de la perfection, il sut romprepres de lui 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 377. 

son coeur et son esprit a la regie qu'il lui 
imposait, et jamais le Gheikh des Khelouatya 
n'avait vu un disciple aussi intelligent ni aussi 
soumis. Prenant a la lettre toutes les recom- 
mandations du fondateur, il decouvrait a son 
maitre toutes ses pensees, et se placait entre 
ses mains comme le cadavre entre les mains 
du laveur. Gelui-ci, fierd'un tel disciple, appre- 
ciant a leur juste valeur toutes ses admirables 
qualites tant de 1'intelligence que de la volonte, 
admirant surtout son obeissance a la regie 
etablie, et son zele pour sa sanctification, jugeant 
qu'il avait enfin acquis le degre de saintete neces- 
saire pour etre un bon Soufi, le chargea de 
plusieurs missions importantes dans 1'lnde, la 
Perse et i'Afrique centraie. Ge fut dans le Soudan 
qu'il sejourna le plus longtemps et qu'il fit le 
plus grand nombre de proselytes. 

Depuisplus d'un quart de siecle,Abd-er-Rahman 
n'avait pas revu sa patrie ; il avait repandu, des 
bords de TEuphrate aux rives du Tchad, la 
bonne nouvelle : il voulut aussi faire beneficier 
de ses lumieres sa petite tribu. 

La tribu des Ait-Ismail (en arabe : Beni-Ismail) 
faisait partie de 1'ancienne confederation des 
Guechtoulas. Elle est situee sur les premiers 
contreforts du Djurdjura et son territoire s'^tend 
delaplainede Boghni jusqu'a celle de Bouira, 
en traversantle Djurdjara a Tizi-Onjaboub. Sa 
population est d'environ 3.000 habitants. 

Gette tribu, la plus populeuse de la confedera- 
tion des Igouchdal, etait aussi le point de depart 
et de ralliement de toutes les guerres intestines 
qui de"chiraient la Kabylie avant 1'occupation 
francaise. Aussi, en l7i,n'avait-elle pas oublie 






378 LB DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

son ancienne influence, et nous la voyons, pro- 
voquant 1'insurrection dans le cercle de I'adnii- 
nistration de Dra-el-Mizan, se mettre a la tte 
des re voltes. 

Avant de faire connaitre 1'ceuvre d'AM-er- 
Rahman en Kabylie, qu'on nous permette de 
donner un petit apergu historique sur cette tribu 
au milieu de laquelie se trouve 1'un des tombeaux 
du saint et la zaouia-mere de Tordre. 

La tribu des Beni-Ism attest certainament la 
plus importante des huit tribus qui formaient 
1'ancienne confederation des Guechtoulas qui 
out joue un si grand r6le dans 1'histoire da la 
Kabylie. D'apres Ibn-Khaldoun, 1'historien des 
Berberes, les Guechtoulas devraient 6tre classes 
dans les Zouaouas (1) qui a leur tour, ne seraient 
qu'une branche des Kelamas. Son histoire est 
remplie de fails remarquables. Ge serait cette 
confederation qui aurait leve* 1'etendard de la 
revolte Tan t7 de J.-G. , et aurait suivi Tacfarinas, 
re volte qui s'^tendit jusqu'au mont Ferratus, 
aujourd'hui montagne des Zouaouas. Nouvelle 
revolte en 261 et on 297, cette dernier e fut repri- 
m6e par Maximien Hercule. Plus tard, en 372, a 
la voix de Firmus, les Zouaouas se revolterent et 
tinrent pendant longtemps les aigles romaines 
en ^chec. 

Depuis cette poque, nous ne les voyons guere 
prendre les armes ; retire's dans leurs montagnes, 
ils voient passer dans leurs vallees comme un 
torrent impe"tueux les Vandales, mais leur in- 
fluence fut nulle ou a peu pres sur ces rudes 

(1) Ce furent, dit-on, des individus de cette confederation 
guerriere qui formerent le premier regiment de nos zouaves. 



LE .DIABLE CHEZ LES MUSULMANS - 379 

montagnards. Soumis par les Musulinans, ils 
embrasseot plus on moms volontairement leur 
religion, et se saumettent aii joug que leur im- 
pose le vainqueur. Aa milieu de 1'anarchie qui 
desola i'Afrique pendant plus dequatre sieoiles,ou 
les dynasties se succederent si rapidement, ou les 
royaumes s'effondrerent aussi vite qu'ils avaient 
ete* fondes, leur . alliance fut recherchee des 
potentats du jour, a cause de leur courage pro- 
verbial, et deleur fidelite tres graade. 11s profile- 
rent de cette situation pour garder une quasi inde- 
pendance, etant plutdt les allies que les sujetsde 
ces rois e"phemeres. Rien de bien important ne 
Tint signaler cette e"poque. Les tribus Borberes, 
retranchees dans leurs montagnes, conserv6rent 
leurscoutumesetleurs traditions : longtemps en- 
core parmi elles on compta des Chretiens, et nous 
savons qu'au xi e siecle il y avail encore des 
adorateurs de J^sus-Ghrist a la cour du roi de 
Bougie. 

Les Turcs vinrent mettre fin a ces troubles, et 
imposer leur domination : jamais le gouverne- 
ment de 1'Odjak n'exerca sur ces tribus une au- 
torits bien effective : tout ce qu'il voulait, c'etait 
que les tribus du Djurdjura payassent un impdt 
chaqueannee ensigne de soumission,moyennant 
quoi elles pouvaient se gouveruer elles-m&nes. 
Quand une annee les tribus refusaient de payer 
le tribut, les janissaires de 1'Odjak partaient 
1'annee d'apres, surprenaient ces populations, 
leur faisaient payer le double, et retournaient 
dans leurs cantonnements. On montre encore, a 
Biskra, le fort ou venaient s'etablir les soldats 
turcs dans ces circonstances, et d'ou ils bombar- 
daient la ville, quand les malheureux habitants 



380 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

ne consentaient pas vite a rentrer dans 1'ordre et 
a payer I'impSt demande. On fit de m&ne en 
Kabylie. An xvni e siecle, les Turcs, voyant que 
les Guechtoulas n'avaient plus le dos aussi 
souple et commencaient a relever la tele, juge- 
rent prudent de construire un fort dans la plaine 
de Boghni, pour les tenir en respect et s'y etablir 
quand les Kabyles refuseraient de payer tribut. 
Ge fort etait garde par une colonie negre. 

A. celte epoque, un Ga'id turc residant a Bordj- 
Sebaou, ayant sous son autorite le Ga'id de 
Boghni, administrait, pour le sultan deStamboul, 
cette contre'e plus ou moins soumise. Quand il 
fallait percevoir I'impSt, ii fallait toujours re- 
courir a la force. Tout proprietaire devait payer 
un impdt annuol : mais cet impdt, d'une mou- 
zouna par charrue, n'etait percu que sur les 
Kabyles qui ayant des proprietes dans la plaine 
devaient abandonner leur nid d'aigle, pour les 
cultiver et prendre la recolte sous peine de voir 
tomber entre les mains des Turcs et leur recolte 
et leurs biens. 

Tel etait 1'etat de la Kabylie et en particulier 
de la confederation des Guechtoulas quand 
naquit le grand Marabout dont nous avons deja 
dit quelques mots. II voulait donner a sa tribu la 
suprematie sur toutes les petites re"publiques du 
Djurdjura, et ajouter a 1'influence politique Fin- 
fluence religieuse, qui tient le premier rang dans 
1'lslam. Aussit6t qu'il fut de retour aux Beni- 
Ismail, il prcha les doctrines des Khelouatya, 
avec le plus grand succes. Bient6t tout le monde 
accourut a lui, et les Marabouts du lieu virent 
leurs mosqueesdelaissees. Ge qui les toucha le 
plus, disons-le, ce n'etait pas de voir les habitants 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 381 

les abandonner, mais les aumones n'etaient plus 
aussi asbondantes, et le moment n'e"tait pas loin 
ou ils seraient reduits a la misere. Le zele de 
leur propre maison les enflamma, et ils suscite- 
rent des difficultes au nouveau prophete. Leurs 
tracasseries ne servirent qu'a accroitre sa popu- 
larite, et bientSt it se vit a la tete d'un grand 
nombre d'affilies qui venaient surtout attires par 
la reputation de sa baraka, ou puissance aupres 
de Dieu. 

Quand il eut fait taire les Marabouts jaloux de 
son influence, et qu'il eut gagne a ses doctrines 
la presque totalite de ses compatriotes, il cher- 
cha un theatre plus digne de son talent et de sa 
reputation. 11 alia s'etablir a Alger, ou de"ja 
1'avait precede" la renomme"e de ses vertus et de 
ses miracles. Mais il n'eut pas plus t6t paru dans 
la chaire ou il devait enseigner ses doctrines 
que les Eulema et Marabouts d'Alger, le muphti 
en t6te, convoquerent un medjel^s afin d'obtenir 
une fetoua contre lui. Le derviche Kabyle dut 
venir se justifier devant ses juges qui en meme 
temps se faisaient ses accusateurs, et il dut 
prouver devant eux la veracite de ses extases et 
de ses visions. Ei-Hadj-Ali-ben-Amine, qui etait 
alors grani muphti d'Alger, presidait lui-m&ne 
le tribunal. II comptait moins sur ses connais- 
sances theologiques pour conflrmer le brillant 
professeur Kabyle, et 1'accuser d'imposture et 
d'erreur, que sur 1'appui du gouvernement qui 
devait voir d'un biec mauvais 031! les Kabyles 
duDjurdjura, des bords du Sebaou et de 1'Isser 
se grouper autourd'un seulhomme et former un 
ordre redoutable. 
Les Kabyles connurent la triste situation dans 



382 LE blABLE CHEZ LES MUSUt 

laquelle se troavait leur Marabout v$n6r6. Us 
savaientbienque,tretraduit devant un tribunal 
turc, etait l'e"quivalent d'une condamnation a 
mort. Aussitot ils se leverent tous comme an 
seal homme et vinrent an secours de leur 
compatriote. Devant cette levee de boucliers, de 
crainte de mecontenter les populations kabyles 
et d'attirer une guerre aux Turcs, le medjeles 
reuni centre Abd-er- Rahman reconnut son 
orthodox ie dans une fetoua. G'etait unnouvel 
e"chec pour 1'influence turque, et, certes, non de 
la moindre importance. 

Abd-er -Rahman jugea pourtant que la 
situation n'e*tait pas sure pour sa vie ; a 
Alger, il etait au milieu de ses ennemis qui 
pourraient bien le faire disparaitre en cachette 
et obtenir ainsi le resultat qu'ils avaient en vain 
attendu du medjeles. II jugea prudent de se reti- 
rer dans sa tribu, ou il mourut dix mois apres 
son retour, apres avoir designe comme son suc- 
cesseur a la grande maitrise de 1'ordre Sid-Ali- 
ben-Aissa-el-Megherbi . 

Dieu, qui avail manifesto sa puissance par de 
nombreux miracles pendant sa vie, opera un 
grand prodige apres sa mort. Nous aliens le 
rapporter, non pas, certes, que le fait ait eu 
lieu, evidemment il y a eu supercherie, mais 
pour montrer quelle est la credulite des Arabes 
aux prodiges, et combien peu de foi nous de- 
vons ajouter aux pre"tendus miracles qu'ils nous 
racontsnt quand ils ne sont pas affirmed soit 
par des homines ayant vu ou enteudu s'ils 
ne sont pas te'moins oculaires, soit par des 
hommes se"rieux et se conduisant plus selon leur 
raison que selon leur imagination. 



LE DIABLE CHEZ~LES MUSULMANS 383 

Nous avons deja e"crit plusieurs fois le surnom 
d'Abd-er-Rahman sans 1'avoir explique : Bou- 
Qobrein, mots qui signifient litte"ralement pere 
ou possesseur de deux tombeaux. 11 etait a peine 
descendu dans la tombe que son tombeau devint 
le centre d'un grand pelerinage. Gelui qui pen- 
dant sa vie avait porte ombrage aux Turcs, les 
offusqua encore de sa gloire apres sa mort. Us 
craignirent que le tombeau du grand derviche 
ne devint le centre de 1'opposition au gouverne- 
ment et un lieu de ralliement pour les ennemis 
du pouvoir. 11s re"solurent done d'enlever le ca- 
davre et de le porter a Alger m3me ou il serait 
enterre" dans une belle kouba et entoure d'hon- 
neurs. Aussitdt que le projet fut concu, on re- 
solut de le mettre a execution. 11s choisirent a 
cet effet quelques Khouan affilie"s a son ordre 
qui, comme nos moines du moyen-age, crurent 
faire un acte de pie"te et s'attirer les bonnes 
graces du saint en transportant ses reliques au 
milieu d'eux. Tandis que quelques-uns d'entre 
eux amusaient les Kabyles, les autres deter- 
raient le cadavre le plus vite qu'ils pouvaient, 
remettaient tout en ordre du mieux qu'il leur 
etait possible, an'n de ne pas eveiller Fattention 
des Kabyles et emportaient le precieux fardeau 
sans etre arr^tes. Aussitdt que les voleurs de 
reliques furent en surete au milieu de la capitale, 
ils publierent partout comment Is avaient pu ac- 
complir leur pieux larcin. A cette nouvelle, uncri 
de colere, de rage et de haine parcourut toute la 
Kabylie, ettout le monde courut aux armes pour 
reprendre 1(3 corps du grand Marabout, du pro- 
tecteur des tribus du Djurdjura et du Sebaou. 
La guerie fut solennellement declaree et chaque 



384 LE DIABLE CHEZ LES MtlStjLMANS 

Khouan jura par la tte du Prophete et celle 
d'Abd-er-Rahman qu'il ne de"poserait pas les 
armes avant que le corps du saint par excellence, 
de ce soutien de 1'Islam ne reposat dans son 
tombeau de Beni-Ismail. 

Tin vieillard, fin matois pour le coup, arreta 
cette ardeur juvenile et fit remarquer qu'il ne 
convenait pas de faire une guerre sans etre au- 
paravant bien assure que vraiment le grand 
Marabout avail abandonne sa tribu.Ilne pouvait 
croire, lui, dans sa foi naive, que celui qui pen- 
dant sa vie etait venu de 1'Egypte pour enseigner 
la vraie voie a ses concitoyens, qui, poursuivi 
par la haine des Turcs d'Alger, etait venu cher- 
cher aide et protection aupres d'eux pendant sa 
vie, put apres sa mort abandonner ses fideles 
amis et consenlit a reposer au milieu de ses plus 
grands ennemis. Ilfallait done auparavant vi- 
siler le tombeau et s'assurer si vraiment le ca- 
davre n'y e"tait plus. Tel avait ete" le langage 
plein de sens du vieillard, chef a la fois de la 
Mosquee et de 1'ecole, reunissant sur sa t^te ve- 
nerable la double fonction de Marabout et 
d'educateur. 

Aussit6t, sur un si sage avis, on deputa des 
Marabouts pour dsiter le tombeau. Quelle nefut 
pas la surprise de ces delegues de trouver dans 
un etat par f ait de conservation le corps d'Abd-er- 
Rahman. Les gens de Beni-Ismail Iraiterent de 
fable le recit que faisaient les Algeriens de 1'en- 
levement du Marabout. Mais quand ceux-ci leur 
eurent prouve que vraiment ils avaient enleve 
leur Marabout, leur joie ne se contint plus. Evi- 
demment, on e"tait en presence d'un miracle, 
et puisque le corps du saint se trouvait en deux 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 385 

endroits a la fois, que dans ces deux endroits, 
Alger et Beni-Ismail, il avait un tombeau, on 
lui donna le surnom de Bou-Qobreiii : le pere de 
deux tombeau x. 

Heureux le peuple qui est assez naif pour 
croire a de pareilles supercheries. Nous n'avons 
pas besoin de dire a nos lecteurs que le corps 
d'Abd-er-Rahman fut enle\e et porte a Alger; 
mais que les Marabouts du lieu lui substituerent 
un individu qui venait de mourir ; c'est en effet, 
disent les Kabyles, le chef de la Mosquee qui 
leur persuada de visiter le tombeau avant de 
faire la guerre. 

Gomme on le pense, cet evenement, loin de 
nuire a la reputation de la tribu, ne fit que 1'aug- 
menter. C'etait, en effet, une belle preuve d'atta- 
chement que le saint lui donnait, puisque au dire 
des anciens, il refusait d'habiter a Alger au mi- 
lieu de ses persecuteurs. Plus que jamais la 
Koubba fut frequentee, de nombreuses graces 
furent obtenues par 1'entremise du grand Mara- 
bout, et la reputation du pelerinage devint telle 
que les fideles accoururent de loutes les parties 
du monde musulman. 

Pendant plus de quarante ans, de 1794-1835, 
Ali-Ben-Aissa-el-Meghrebi dirigea la zaouia- 
mere sans trop de difficultes : sous son habile 
administration, 1'ordre prit de jour en jour une 
plus grande extension : il fut assez heureux 
pour tenir dans ses mains vigoureuses le gou- 
vernement des affaires de 1'ordre entier. Les 
Khouan de 1'Est, oil Abd-er-Rahman avait etabli 
comme son Khalifa Mostapha-ben-Abd-er- 
Rhaman-el-Koulougli, suiyaient encore rimpul- 
sioa que leur donnait le supe"rieur geceral. Ge 

LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 11 .. 



386 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

fut surtout parmi les Goulouglis que, comme "' 
Tidjani,il trouva de nombreux adherents : ceux- 
ci avaient comme les Arabes une grande haine 
centre les Tares qui les avaient chasses de la 
ville d'Alger : mus par ce meme sentiment, il 
flrent alliance pour la m6me cause. 

Avec la mort du successeur de Bou-Qobrein, 
la fortune de 1'ordre periclita, et m@me son exis- 
tence fut mise a deux doigts de sa perte. Le 
troisieme general de Fordre, Bel-Kacem ou El- 
Hafid, venait de mourir empoisonne", dit-on, apres 
avoir dirige", bien peu de temps, les affaires de 
Tordre. Un marocain fut alors elu : El-Hadj-el- 
Bechir el-Mogherbi ; son election fut vivement 
contestee, car tous les Moqaddem n'etaient 
pas reunis. II ne faut voir la que 1'effet de 
la jalousie de quelques Moqaddem qui vou- 
laient se rendre independants et former une 
branche a part : c'est ce qui arriva en effet 
quelques annees plus tard,mais n'anticiponspas. 

Abd-el-Kader, ami intime de El-Bechir, voulut 
intervenir dans la dispute et crut tre utile a son 
ami : 1'emir ne cherchait que ses interests. II 
croyait qu'apres avoir etabli le Gheikh-et-Triqa 
des Rahmanya dans sa zaouia, et 1'avoir fait 
reconnaitre par tous les Moqaddem, celui-ci, dans 
sa reconnaissance, forcerait ses adeptes a em- 
brasser la cause de l'e"mir. II n'en fut rien. Les 
Kabyles, qui jusqu'a ce moment n'avaient 
jamais connu d'autre autorite que celle qu'ils 
s'etaient donnee, refuserent absolument de 
reconnaitre Tautorite religieuse d'El-Bechir, car, 
derriere celle-ci, ils voyaient l'autorit(5 politique 
du nouveau Sullan. Gelui-ci ne poussa pas les 
affaires plus loin. II connaissait trop, en effet, 



LE O1ABLE CHEZ LES MUSULMANS 387 

I'amour que les Kabyles ont pour leur liberte, 
qu'il n'eut voulu les froisser en rien, de peur de 
s'en faire des ennemis. Aussi, dans les parties 
de la Kabyle qu'il avail pu soumeltre a ses armes, 
le voyons-nous recommander a ses gouverneurs 
de ne pas forcer ces rudes montagnards a payer 
I'impdt, mais de se contenter de ce qu'ils veulent 
donner. 

Au milieu de ces rivalites et de ces jalousies, 
1'ordre vit cependant s'accroitre le nombre de 
ses adeptes. Cette prosperite il la dut a une 
femme, Lalla-Khadidja, veuve de Si-Mahmed- 
ben-Aissa. On ne pourra pas nous dire que les 
society's secretes musulmanes n'admettent pas 
des femmes; celle-ci, pendant pres de trois ans, 
occupa la grande maitrise et do'mina son ordre 
par son intelligence et la force du comman- 
dement. Elles sont rares les femmes musul- 
manes qu'on pourrait lui comparer; et nous 
n'he"silons pas a dire qu'elle nous apparait 
comme une exception au milieu de cette socie"te" 
corrompue ou la femme p'est cr6ee que pour la 
satisfaction des plaisirs de 1'homme. 

Elle reconnut cependant qu'elle ne pourrait 
pas gouverner longtemps cet ordre; elle fit 
appel alors a 1'influence de 1'emir, et lui promit 
de faire accepter par les adeptes celui qui avait 
e"te elu auparavant et qui ^tait son ami ; elle 
consentait a le reconnaitre, et a lui ce"der la zaouia 
de Beni-Ismail oil elle 6tait avec ses filles. Abd- 
el-Kader saisit cette occasion avec empres 
senient : c'etait un moyen d'accroitre son in- 
fluence chez les Kabyles, et il obtenait ainsi 
sans combat ce que les Turcs n'avaient jamais pu 
faire, quoique maitres d'Alger. El-Bechir rentra 



388 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

done dans sazaouiaet reprit le gouvernement da 
1'ordre qu'il garda jusqu'en 1842. 

Pendant le gou \rernement d'El-Bechir, profi- 
tantdesrivalites entre les Moqaddem, ceux du 
sud algerien avaient rejete 1'autorite du 
Marabout de Beni-Ismail et s'etaient declares 
independants. Nous avons dit que Bou-Qobrein 
avait etabli dans Test de 1'AIgerie, comme 
Khalifa de son ordre, Mustapha Abd-er- 
Rahman-el-Goulougli.Il eut pour successeur dans 
sa fonction Sid-Mohammed-ben-Azzouz, origi- 
naire du Ziban. Ge fat celui-ci qui abandonna la 
zaouia d'El-Bordj, fondle par son predecesseur et 
seretira a Nefta dans le sud tunisienou ilfonda 
une celebre zaouia qui joua un tres grand rdle lors 
de la conquilte de la Tunisie. II devint ainsi 
comme le grand-maitre des Rahmanya du sud 
algerien ou du Sahara. 

Avant de quitter son ancienne zaouia, il 
avait 6tabli cinq nouveaux Moqaddem : Sid- 
Ali-ben-Amar a la zaouia de Tolga dans 
le Ziban; Gheikh-El-Mokhtar-ben-Khalifa ; Sid- 
Saddok-ben-Hadj qui f ut le principal instigateur 
de 1'insurrection de LS59, et vit sa zaouia detruite 
par le general Dervaux ; aujourd'hui elle a ei6 
reconstruite a Timermacin et a toujours eu avec 
nous des rapports tout a fait hostiles ; enfin Sid- 
Embarek-ben-Kouider et Sid-Abd-el-Hafid. Ceder- 
nier f ut aussi accus^ d'avoir trempe" dans Tinsur- 
rection de 1859, et de s'Stre fait le complice de 
Saddok-bel-Hadj ; 1'accusation n'a pas pu tre 
prouvee, ni le soupcon 61ucide. Ge so.nt alter- 
nativement les deux Moqaddem de Nefta et de 
Tolga qui prennent la direction des affaires. 

Revenons maintenant dans le Nord ou nous 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 389 

avons vii Lalla-Khadidja appeler El-Bechir, et, 
grace a 1'appui d'Abd-el-Kader, le faire recon- 
naitre par les Khouan du Nord. Le succes ne fut 
pas de longue duree, et il ne put jouir longtemps 
de son triomphe : il mourut en effeten 1842, lais- 
sant la grande maitrise a une nullite, Mohammed- 
ben-Belkacem. Grace a son incapacite, la scission 
entre les Moqaddem du Nord et ceux du Sud fut 
complete ; il mourut juste a temps, nous pouvons 
le dire, pour le bonheur de son ordre. Les 
Francais approchaient, en etfet, et il fallait un 
homme pour defendre avec intelligence et e*ner- 
gie 1'independance de son pays. Gertes, nous ne 
voulons pas nous faire les apologistes de ces en- 
nemis de notre patrie qui lui ont fait le plus 
de mal qu'ils ont pu; cependant, nous nous faisons 
un devoir de louer le courage partout ou nous 
le voyons ; de plus, si Cheikh-el-Haddad et son 
fils peuvent a juste litre tre regardes comme des 
revoltes, dont le courage et les beaux faits 
d'armesne peuvent excuser leur crime, a nos 
yeux El-Hadj-Amar combattit loyalement pour 
defendre ses montagnes. Mais, avant lui, la 
Kabylie trouva d'heroiques defenseurs. 

Le 20 mai 1849, le colonel Ganrobert, a la 
tte de ses zouaves, emporta la zaouia d'assaut; 
la veille, les Kabyles avaient ete vaincus dans un 
combat livre a Boghni. 

Repousses de toutes parts, ils prirent la fuite, 
et, le 21, le Marabout de la zaouia demanda 
1'aman tandis que les Zouaouas, dont le courage 
indomptable n'avait pas faibli, se retirerent 
devant 1'ennemi dans leurs montagnes, ayant 
en tte Si-El-Hadj-Djoudi, pleins de mepris pour 
leurs freres qui hier encore les avaient appeles 

LE DIABLE CHEZ LES MUSDLMANS 11... 



390 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

a leur secours el aujourd'hui demandaient 
1'aman aux Chretiens. 

Les Francais ne lacherent pas pied. Nosge'ne"- 
raux experiment^ savaient toutes les difficultes 
qu'ii faudrait vaincre pour e"tablir surement notre 
domination au milieu de ces montagnes parmi 
ces peuplades pleines de bravoure et dont le fa- 
natisme etait excite sans cesse par les predica' ions 
de leurs chefs spirituels. Us avaient cependaat 
Iivr6 11.000 fusils, mais les fonderies e"taient 
nombreuses alors en Kabylie, et ces cnfants des 
montagnes, dont le fusil est le compagnon insepa- 
rable, eurent vite remplace" leur vieux par un 
neuf. Us n'e"taient pas encore prts pour repren- 
dre la lutte ; mais quelques fails qui s'y passerent 
montrerent que le feu couvait sous la cendre ; 
aussi nos ge"neraux se tinrent sous leurs gardes. 

Enjuillet 1851, Bou Bar'la, chasse" de 1'Oued 
Sahel trouve un refuge chez les Guechtoulas ; il 
est battu le SOoctobre de la mme annee ; les 
Guechtoulas et les Flissas font leur soumission 
complete. Au mois d'aoiit 1852, le colonel 
Bourbaki, sur TordredeP^lissier, occupe le poste 
de Dra-el-Mizan. 

Les deux partis etaient done en presence et 
semblaient se mesurer de Toeil avant d'engager 
une lutte a mort. Le^rand-maitre des Rahmanya 
avait vu avec effroi nos progres toujours crois- 
sants et notre etablissement definitifau milieu 
de ses monlagues. 11 preparatout pour un duel a 
mort d'oii devait dependre le sort de sa patrie. 
En 1856, vers la fin d'aout, la guerre commenca ; 
les Guechtoulas et les tribus environnanles vou- 
lurent ouvrir la campagne par un coup d'eclat, et 
surprendre le poste de Dra-el-Mizan dont ils se 



JLE DIABLE CHEZ LES ; MUSULMANS 391 

seraientempares. Un Kabyle trahit le plan de ses 
compatriotes et informa nos offlciers : leurs 
efforts echouerent. Mais ils s'etaient trop a ventu- 
res, la guerre etait declaree. Le general Randon 
avait lui aussi prepare 1'expedition, et iJ ne fut 
pas surpris par cette brusque attaque ; aussitSt 
il donna I'ordreauxge'neraux Renault et Yousouf 
d'aller chacun a la tdte de sa division chatter les 
rebelles. 

Dans cette partie de la Kabylie, le point de 
mire etait la Kouba des Ait-Ismail ; c'e'tait le cen- 
tre de 1'insurrection, le foyer du fanatisme. Ge 
fut Yousouf qui fut charge* de cette partie del'ex- 
pedition. Avec autant de cele"rite et de vitesse 
qu'autrefois quand il poursuivait I'^mir dans le 
desert, le brave general escalada ces montagnes 
que les Kabyles croyaient inaccessibles a d'autres 
qu'a eux-mmes. La zaouia fut prise, les ouver- 
tures de la Kouba murees, et le village rase". Le 
reste de la Kabylie se soumit bien vile, grace a 
1'habilete du general Randon ; ainsi, pour la pre- 
miere fois, 1'ennemi commandait au haut du 
Djurdjura. 

Ge fut alors que les vieillards pleurerent sur 
leur liberte~ perdue ! Le Marabout vene"re, le 
Marabout si puissant aupres de Dieu, que leurs 
peres avaient sauv^ des mains des Turcs,n'avait-il 
plus de puissance aupres d' Allah pour proteger 
ses fldeles disciples ? Ne s'e'tait-il pas montre a 
quelques-uns, et n'avait-ii pas promis certaine- 
mentla victoire? Dans un mois, disait la rev^- 
lation, il ne resterait pas un Roumi dans toute 
1'Algerie, et voiia que Flnfidele, malgre la puis- 
sance de Bou-Qobrein,.avait mur6 son tombeau, 



392 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

de*truit sa zaouia, et son drapeauflottait vainqueur 
au sommet du Djurdjura ! 

Du jour oil le drapeau tricolore fut hisse surle 
minaret de la zaouia, le Cheickh-et-Triqa des 
Rahmanya ne voulut pas vivre sous le joug de 
I'lnfidele. En loyal enuemi, il nous avail fait la 
guerre pour sauver 1'ind^pendance des tribus qui 
avaient confie leur sort entre ses mains. II de- 
manda a se retirer loin de notre domination, et 
il obtint Fautorisation de s'etablir a Tunis d'ou ii 
continua a diriger son ordre et exerca toujours 
ses fonctions de grand-maitre. 

L'expedition de 1857 porta un rude coup a cet 
ordre ; la retraite de son chef le priva de tout 
centre de direction. Plusieurs Moqaddem brigue- 
rent alors la place de venue vacante par le depart 
d'El-Hadj-Amar pour Tunis, ou il couservait, il 
est vrai, sontitre, mais ou il etait dans Timpossi- 
bilite de diriger eftecti cement son ordre trop 
eloigne de son centre d'action. Si-Mahmed-el- 
Djaadi, de la tribu des Beni-Djaad d'Aumale, 
essaya d'accaparer a son profit 1'influence du 
grand-maitre. Quelques Khouan le reconnurent, 
mais il n'avait ni 1'intelligence ni I'habilete ne- 
cessaires pour gouverner cet ordre. II fallait alors 
un homme energique, habile diplomate, et grand 
guerrier, qui sut au besoin imposer aux affilies 
le respect pour les pratiques de 1'ouerd et l'obe*is- 
sance envers les superieurs. II y avail alors, a la 
zaouia de Seddouq, un homme du nom de 
Mohammed-Amzian-ben-el-Haddad, plus connu 
sous le nom de Cheickh-el-Haddad. Quoique n'e- 
tant pas encore e"lu a la grande maitrise, cet 
homme etait considere comme le Moqaddem le 
plus influent de Isrcontree, et la plupart des 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 393 

Rahmanya accouraient alui; il devint ainsi de 
fait,sinon de droit, grand-maitre de 1'ordre dans 
le Tell et la Kabylie. Nous nous reservons de ; 
raconter ses exploits quand nous parlerons du 
danger permanent qu'apporle a notre domination 
1'existence de cet ordre, et nous finirons ainsi 
Fhistorique de cette congregation. 

Nous nous arrgterons, pour jeter un coup 
d'oeil en arriere et faire connaitre 1'ouerd des 
Rahmanya, leur diker et les principales prati- 
ques, et nous verrons ensuite comment iis ont 
su mettre on pratique, en 1871, la theorie que 
leur avait enseignee Si Mahmed-ben-Abd-er- 
Rahman-bou-Qobrein . 

, Les compagnons du Marabout d' Ait-Ismail ne 
s'appellent pas eutre eux Khouan comme dans la 
plupart des congregations, nihebib comme chez 
les Tidjanya ; en Kabylie, les Khouan d'Abd-er- 
Rahman sont appele"s Ourad, mot qui vient pro- 
bablement du mot arabe ouerd, rose, ou aussij 
comme nous 1'avons dit, ordre, regie, maniere 
de se conduire. Gomme I'expression : donner 
1'ouerd signifie initier, les Kabyles aurontpris ce 
mot aux Arabes, et le mot ourad signifiera 
inities, ceux qui suivent le m^me ouerd, la 
mme regie. Les Ourad nous rappellent rnalgre 
nous les rose-croix de la franc-maconnerie ; 
nous avons dit plus haul ce qu'il fallait en 
penser : ici cependant ne faudra-t-il y voir qu'une 
rencontre fortuite de mots ? 

Quand un Kabyle veut se faire initier a cet 
ordre, il vatrouver le Moqaddem : on distingue 
dans cette congregation le noviciat de la profes- 
sion, tandis que, comme nous 1'avons dit, dans 
la plupart des ordres, ces deux ceremonies sont 



394 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

confondues; mme chez lesRahmanya, finitia- 
tion du Mourid (aspirant, novice) a lieu quelque- 
fois en meme temps que celle du vrai Ourad. 
Qaand nous avons parlg de rinitiation en 
general et que nous avons distingu6 les deux 
ce"re"monies, nous avons donne comme type ce . 
qui se passait chez les Rahmanya ; nous n'y 
reviendrons pas et nous completerons ce qui 
regarde 1'initiation en f aisant connaitre les cere"- 
monies qui accompagnent le talkin (mot a mot le 
complement, la fin, la perfection) ; ici nous le 
traduirons par 1'initiation complete : 

Apres avoir fait une priere de deux proster- 
nations, s'6tre mis en e"tat de repentir et avoir 
recite 1'ouerd, le Mourid, tourne" vers la Kibla, 
s'accroupira sur ses talons, a genoux devant le 
Gheikh. Gelui-ci, qui sera dans la me^me position 
et vis-a-vis, donnera uncoup sur latete duMourid, 
fera une priere int^rieure, ayant les mains posees 
sur ses genoux : tous deux auront les yeux 
baisses. 

Le Gheikh dira trois f ois : Ecoute le diker 
que je vais dire, et r^ponds-moi trois fois >. 
< Je t'ecoute , et cela en tenant les yeux fermes. 

Puis le Gheikh invoquera 1'assistance des 
saints, qui sont les anneaux de la chaine, et 
dira : Je vous implore, 6 ap6tre de Dieu. Je 
vous implore, 6 docteurs ou saints de cette confre- 
rie ! Je vous implore, 6 gens de science i Je vous 
implore, 6 P61e du moment 1 Puis il donnera 
rinitiation a 1'adepte, c'est-a-dire lui apprendra 
le diker. . . Le Gheikh priera pour le Mourid, 
avant que celui-ci ne se leve de devant lui, car 
c'est cette priere qui consacre 1'engagement et 
lerend valable. 



Lfi-DiAfcLE CHEZ LES MtfStJLMANS 395 

Pour terminer, 1'initiant ordonnera a son 
disciple de se racheter du feu. Voici la rancon : 
le neophyte re"petera soixante-dix mille fois : II 
n'y a pas d'autre divinite que Allah (1). Puis il 
dira: Mon Dieu, que la recompense attachee aces 
soixante-dix mille fois me servo de rangona moi- 
me"me contre le feu! Gette pratique a ete clai- 
rement exposee par Sid-Mohammed-ben-Youcef- 
es-Snoussi (2) a ses disciples. 

Eusuite, lorsque le nouveau Khouan defiuiti- 
vement admis est ua taleb desireux de s'ins- 
truire des choses de Dieu, on I'initie a la connais- 
sance des sept noms secrets de Dieu qui sont ses 
sept principaux attributs correspondant aux sept 
cieux, aux sept lumieres divines, aux sept cou- 
leurs simples. Ges sept noms sont : 1 Allah, 
Dieu, expression de son unite et de sa toute- 
puissance ; 2 Houa lui, celui qui est (le Jehovan 
des He"breux); reconnaissance authentique de 
son existence immuable ; 3 Hak, la justice ou la 
ve*rite";4 Hai, le vivant; 5 Gaioum, 1'eternel; 
6 J Alem, le savant; 7 Kahar, le dompteur (3). 

(1) Nos lecteurs s'etonneront pent-elre de tronver cette formnle si 
souvent snr les levres des Khouan qui, ponr la plupart, n'en compren- 
nent pas le sens. Nous en avons donne le sens monstrueux quand 
nous avons parle des Ai'ssaoua. Aupres des fondateurs d'ordres 
religieux, cette formnleaautantd'efflcacitequeletetragrammeaupres 
des lueiferiens. L'ange Gabriel dit, eneffet, un jour au Prophete : J'ai 
enlendu le Tout-Puissant dire : 11 n'y a de divinite qu'Allah I 
a c'est la ma forteresse et mon refuge. Celui qni prononcera cette 
formule entrera dans ma forteresse, et celui qni y entrera sera en 
surete contre ma'colere. L'usage si frequent de cette formule et 
1'efflcacite qni y est attachee, est, a notre avis, un nouveau point de 
contact, et non le moindre, avec la frane-maconnerie et la cabale, 
ou, onle sait,le tetragramme est fort en honneur. 

(2) II ne fant pas le confondre avec le fondatenr des Snoussya. Ce 
de Soufl vivait au xv siecle de J.-C. 

(3) Nous croyons etre agreable a quelques-uns de nos lecteurs 
ondonnantici les qnatre-vingt-dix-neuf attributs que les Musulmans 
donnent a Dieu, et qu'ils recitent sur les qnatre-vingt-dix- 
neuf grains dont se compose ordinairement leur chapelet. Ces 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

Apres ces ce"re*monies, Padepte esi Khouan 
complet, ou, pour employer leur terme propre, 
Ourad. II a, en effet, regu 1'ouerd et peu a peu on 
fera son Education. Au surplus, il n'y a pas 
d'ordre qui se montre aussi complaisant que 
celui-ci. Pas n'est besoin, en effet, d'etre affilie a 
cet ordre pour participer aux favours que Dieu a 
promis de deverser avec abondance sur les sec- 
tateurs du grand Bou-Qobrein, car il a eu sept 
visions, et a chacune le Prophete lui a fait des 
promesses de plus en plus grandes. Prophete 
de Dieu, que dis-tu de ma trika (voie) ? lui dit Abd- 
er-Rahman, la premiere fois qu'il le vit. Ta voie 
est semblable a 1'arche de NOe, celui qui y rentre 
va au salut. II lui apparut une seconde fois : 
Prophete de Dieu, ma doctrine est-elle ortho- 
doxe el agreable a Dieu ? Tous ceux qui la 
recoivent de toi ou de tes Moqaddem, reponditle 

noms soiit dans 1'ordre qui suit : Dieu en dehors de qui il n'y a 
pas de Dieu, le Goinpatissant, le Misericordieux, le Rol, le Saint, 
la Paix, le Fidele, le Protecteur, 1'Excellent, le Geant, le Tres- 
Grand, le Createur, le ('.oorrtonnateur, Celni qui donne la forme, 
1'Ami du Pardon, le Triomplmleur, le Liberal, le Proviseur, le 
Vainqueur, le Savant, 1' Immense, Celui qui dilate, Celui quiabaisse, 
Celui qui exalte, Celui qui maguifie, Celui qui humilie, Celui qui 
entend, Celui qui voit, le Juge, le Juste, le Bieul'aisant, 1'Habile, le 
Doux, le Maguifique, le Proxies, le Genereux, 1'Eleve, le Grand, le 
Gardieu, le Noun-icier, Celui qui tieut en ligne de compte, le 
Glorieux, I'Honoralile, 1'Observateur, Celui qui se plait a exaucer, 
Celui qui a le pouvoir de dilater, le Sage, l'A(Tectueux. le Glorifle, 
Celui qui ressuscite, le Temoin, la Verite, Cdni qui preside a tout, 
le Fort, le Valeureux, Celui qui est present, le Lou6, Celui qui 
compte, Celui qui doane, Principe. Celui qui ramene au bien, le 
Maitre de la mort, le Vivant, Celui qui est par iui-meme, 1'Inven- 
teur, le Glorificateur, 1'Unique, 1'Eternel, le Puissant, le Tout- 
Puissant, Celui qui est au principe de tout, Celui qui est a la fin 
de tout, le Premier, le Dernier, 1'Apparent, le Cache, le Directeur, 
le Tres-Haut, le Pur, le Remunerateur, le Vengeur, 1'indulgent, le 
Pieux, le Roi des rois, le Doue de gloire et de magnificence, Celui 
qui mesure juste, Celui qui rassemblera, le Riche, ie Maitre d'en- 
richir, le Maitre des obstacles, le Maitre de nuire, le Maitre du 
secours, la Lumiere, le Guide, Celui qui reproduit, le Permanent, 
le Maitre des heritages, le Conducteur, le Patient. (Cite par 1'abbe 
Bourgade : Passage du Coran al'Evangile : Au commencement.) 



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Proph^le,seront preserves desflammes derenfer 
et je les assisterai au jour du jugement. 11 eut 
une troisieme vision : Prophete de Dieu, j'ai 
ditames disciples que quiconqueauraitcontemple' 
mes traitsjouirait pendant 1'eternite du bonheur 
detaface. Non settlement celui qui fa vu, 
mais celui qui aura contemple la face de ceux 
qui font vu jusqu'a la septieme generation entre- 
ront avec moi dansle sejour de delices. II eut 
une quatrieme vision : Prophete de Dieu, je 
demande que non seulement ceux qui reciteront 
mon diker, mais aussi ceux qui 1'auront entendu 
re*citer soient pr^serv^sdes feux de Tenfer. Ta 
demande est exaucee, r^pondit le Prophete, au 
jour du jugement, je les placerai avec moi du 
cdte droit. > II le revit une cinquieme fois, 
apres la priere du matin : O Prophete de 
Dieu, je te demande que I'lnfldele ne puisse 
visitor mon tombeau. Mais le Prophete lut 
dans le coeur du fidele soufi. < Je faccorde, lui 
dit-il, ce que tu n'osais pas me demander : 
quiconque ne dira pas ton diker sera maudit. 
Une sixieme fois Abd-er-Rahman fut favorise de 
1'extase. II aper^ut alors Mahomet (le salut soil 
sur lui) a la porte du paradis, entoure de nom- 
breux personnages qui recitaienl des prieres. 
Quand ils eurent flni et que Mohammed fut seul, 
le derviche Kabyle s'en approcha : Prophete 
de Dieu, beaucoup d'hommes eproavent de la 
repugnance a reciter mon diker. Malheur a 
1'homme, repondit le Prophete, qui ne craint pas 
de m'irriter ainsi. II est du nombre de ceux que 
ma colere a condamnes a I'enfer, parce qu'au 

LE DIABLE CHEZ LES HVSULHANS 13 



398 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS : . 

dernier jour je leur ai enleve de Tesprit mon 
souvenir. 

Enfin, dans une derniere et suprgme vision 
dans laquelle le pauvre derviche re<?ut la confir- 
mation qu'il etait du sang du Prophete, celui-ci 
lui montra les saints de 1'Islam : Abou-Beker, 
Omar, Othman et Ali, puis la grande merveille 
du Sirat ou pont tres etroit et aussi effile" qu'un 
sabre, sur lequel tous ies mortels doivent passer 
pour par venirauciel. Ilestconstruitsurungouffre 
au fond duquel se trouve 1'enfer, et le malheu- 
reux, pris de vertige, y tombe infailliblements'il 
n'est soutenu par la main toute-puissante de 
Mohammed, le Prophete de Dieu. Prophete 
de Dieu, dit Abd-er-Rahman, 6 Prophete de 
Dieu l comment ferons-nous pour traverser le 
Sirat ? Grains-tu ? dit le Prophete. Oui, je 
crains pour moi et mes amis. Marche dans 
ma voie, repondit le Prophete, etje serai ton 
protecteur au moment du danger. 

. Telles sont, racontent les Kabyles, les sept 
grandes visions dont fut favorise le saint des 
Beni-IsmaiL. Jamais un fondateur n'eut un tel 
pouvoir et ne fat favorise de pareilles favours. 
Que ces visions aient eu vraiment lieu, ou que 
1'imagination feconde des Kabyles les ait enfan- 
te"es pour donner plus de prestige a son ordre, 
c'est une question que nous ne voulons pas tran- 
cher, quoique, a notre avis>. nous croyions que 
vraiment il en ait ete" Mvorise. Ge qu'il y a de 
certain, c'est que, grace a cette supercherie pour 
ceux qui ne \eulent y voir que supercherie, son 
ordre acquit une grande renommee et un grand 
developpement. Les Kabyles, avides du merveil- 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 399 

leux comme tous les Musulmans, accueillirent 
ces revelations avec empressement et se firent 
initier a son Ordre. Us croient fermement, et 
pour eux c'est tine verite aussi hors de doute 
que nos verite du Credo, que quiconque est affilie 
a son Ordre voit un de ceux qui 1'ont vu jusqu'a 
la septieme generation, ou entend seulement 
reciter son diker est assure du salut, et qu'un 
jour Mahomet 1'assistera quand il faudra passer 
le Sirat. 

Nos lecteurs doivent attendre nvec beaucoup 
d'impatience que nous leur fassions connaitre ce 
fameux diker, veritable talisman qui opere tant 
de prqdiges. II est cependant bien court. II se 
compose simplement dela formule que leKhouan 
a du reciter 70. 000 foislors de son initiation pour 
se racheter du feu : II n'y a pas d'autre divinite 
qu' Allah , c'est-a-dire d'autre force, d'autre puis- 
sance ; c'est lui et lui seul qui opere dans 1'uni- 
vers entier, et il opere le bien comme le mal. II 
n'y a pas un nombre fix : 1'ourad devra le reci- 
ter le plus souvert qu'il pourra, le jour et la nuit, 
depuisl'aceur du jeudi jusqu'a 1'aceurdu vendredi. 
Le vendredi est le jour sacr<5 de I'lslamisme : 
les Musulmans commencent leurs jours le soir 
et non le matin ; la journee du vendredi s'etend 
depuis le jeudi soir jusqu'au vendredi soir. Dans 
la journee du vendredi, ils devront reciter 80 fois 
la priere chadelienne :-0 Dieu, repauds tes 
nombreuses benedictions sur notre seigneur 
Mohammed (sur lui le salut), sa famille et ses 
compagnons. On peut la remplacer par celle- 
ci : Dieu, repands tes nombreuses bene- 
dictions sur notre seigneur Mohammed, le Pro- 



400 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS - 

phete ignorant comme 1'enfant sur lesein de sa 
mere, sa famille et ses compagnons. 

Pour le diker a reciter pendant la semaine, il 
n'estpas necessaire d'etre enetatdepuretele"gale; 
cette condition est requise pour le Vendredi. 

En plus du diker, les Rahmanya ont des prati- 
ques que nous ne pouvons passer sous silence. 
Dans quelques-unes de leurs zaouia les affilies se 
relevent constamment la nuit comme le jour afin 
qu'il y ait toujours un groupe occupe" a louer 
Dieu, soil en recitant ces prieres, soil en lisant le 
Goran pour les gens lettres. Dans presque toutes, 
lajournee enliere da Vendredi se passe de la 
sorte ; pendant toute la nuit du Jeudi et le jour 
du Vendredi, les Khouan entrent et sortent dans 
la zaouia et vaquent a la priere al'heure qui leur 
a et6 fixee. 

Mais celle qu'ils affectionnent surtout, c'est la 
pratique que leur a recommande"e le fondateur 
et qu'ils appellent la septaine. Elle se compose 
des prieres faites par Abd-er-Rahman dans le but 
de conjurer les mauvais genies. Pour arriver a 
cette fin il faudra, pendant sept jours, le matin et 
le soir ou tout au moins le matin, lire les pages 
suivantes du Goran : 

1 Trois fois le verset du Trone : Allah est 
le seul Dieu, il n'y a pas d'autre divinite' que lui 
le vivant, 1'immuable. Ni Tassoupissement ni le 
sommeil n'ont de prise sur lui. Tout ce qui est 
dans les cieux et sur laterre-lui appartient. 

Qui peut interceder aupres delui sans sa permis- 
sion ? II connait ce qui est devant et ce qui est 
derriere eux, et les hommes n'embrassent de la 
science que ce qu ? il veut leur apprendre. Son noin 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 401 

s'e*tend sur les cieux et sur la terre, et leur 
garde ne luicoute aueune peine. II est le Tres- 
Hautle Grand. 

2 Sourate de la f atiha ; 

3* Sourate de la delivrance (Sourate 1 12 e ) ; 

4 Sourate de 1'aube du jour (Sourate 113 e ) ; 

5 Sourate des homines. 

Que devient, sous 1'influence des doctrines de 
cet ordre, le Kabyle assez naif pour s'y laisser 
enrdler. II devient, nous pouvons le dire, un etre 
a part : et le portrait que nous allons en tracer 
Pourra s'appliquer egalement a tout Khouan, 
plusou mo ins parfaitement. C'est le portrait que 
nous en faisait un de nos amis qui a pu sejourner 
longtemps en Kabylie . 

Quoique au milieu de ses compatriotes, vivant 
de leur vie, soumis aux mmes lois, il semble 
ne pas tre membre de leur societe. II n'entre- 
tient avec ses voisins que les "rapports absolu- 
ment indispensables ; il n'a de confiance en per- 
sonne, pas mme dans les membres de sa famille. 
Le pere est-il Khouan? il refuse de recevoir a sa 
table ses enfants qui ne sont pas affllies avec lui 
a la mme secte ; il n'aime que ses freres dans la 
meme voie, il ne recherche que leur compagnie, 
il ne vit que pour eux, ses enfants n'existent 
pas pour lui. Et que sera-ce quand il faudra que 
ce mme personnage travaille pour la societe 
et lapatrie, si deja, pour son co3ur, ceux auxquels 
il a donne" le jour n'existent pas. 

Le Cheikh a sur ses subordonnes une autorite 
sans conteste et absolue; ses paroles n'admet- 
tent pas la moindre discussion, il exige 
1'obdissance aveugle. Un jour, un Etouan 



402 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

trouver un de mes amis, et au cours de la conver- 
sation : Si tu voulais m'acheter la moitie" de mon 
bien, lui dit le fervent Kabyle, quo mon ami 
savait etre un fidele ourad, tu me tirerais d'em- 
barras ; il me faut en effet en vendre la moitie. 
Et pourquoi veux-tu vendre ce que tu pos- 
sedes, tu n'es pas bien riche, il est vrai, mais 
tes enfants seront heureux de posseder ces quel- 
ques oliviers. Est-ce pour payer tes dettes que 
tu veux t'en defaire? Nuliement, repondit son 
interlocuteur, je n'ai pas mSme une seule dette ; 
mais mon Cheikh m'a demande lamoitie" de mon 
bien, et je ne puis que lui obeir. Et mon ami 
ajoutait, pour calmer ma surprise, qu'un autre 
Khouan lui avait dit un jour : Pour moi, je ne 
connais pas Dieu. Nous a-t-il faitunprecepte de 
ne pas tuer ou de ne pas voler, ou de ne pas 
mentir et porter faux temoignage, je n'en sais 
rien. JE NE CONNAIS SUR LA TERRE QU'UNE CHOSE : 
CE QUE LE CHEIKH ME COMMANDS. 

Ces deux fails, et nous pourrions en citer bien 
d'autres encore, montrentrinfluence et 1'autorite 
des Cheikh. La parole de celui qui ne savait pas 
mme s'il y avait un Dieu et s'il nous avait fait 
des commandements, se passe de coromentaires. 
Quelle ne doit pas tre la force de cohesion de 
telles confreries, et quel mal ne sont-elles pas 
appelees a nous faire. Ce Khouan dtait dispose a 
tuer et a voler si son Cheikh le lui avait ordonne, 
et celamalgre laloi positive de Dieu. Et que sera- 
ce quand .il faudra combattre llnfldele? Nous 
recommandons ces deux reponses a nos gouver- 
nants et aux fonctionnaires de la colonie.La der- 
niere n'estelle pas vraiment satanique ? 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 403 



Gitons encore un autre fait, et cemi-la nous 
fera voir comment agissent les chefs pour vi- 
siter les subordonne"s. Nous citons presque mot a 
mot Un passage des notes que cet obligeant ami 
a bien voulu nous transmettre. Un Kabyle avait 
sa maison voisine de celle d'un Ourad. Une 
fenStre mme donnait sur la cour, et on pouvait 
entendre tout ce qui se disait (1). Or, il arriva que 
leKhouan regut la visile de son Cheikh. Gelui-ci 
arriva, a la nuit tombante, deguise en colporteur 
(attar) et se dirigea aussitSt vers la maison de 
son confrere. Toute la nuit fut passee en prieres 
et en chants patriotiques, tous amines de la plus 
grande exaltation . \ oici quelques couplets d'un 
de ces chants que le Kabyle put retenir de me- 
moire : 

Je me suis leve" des 1'aurore. 

Je suis alle me laver a la fontaine. 

Sur mon chemiu le gazon pleurait, 

Et mon visage s'est mouil!6 de mes pleurs. 

Tout respirait la tristesse. 

Ma voix s'est glacee sur mes levres, 

A peine ai-je pu faire ma priere... 

Gar rinfidele a foule notre terre. 

Notre Cheikh a fait sa priere, 

Le Prophete de Dieu lui a apparu..., 

II lui a dit : Pourquoi pleures-tu? 

Prophete de Dieu, n'as-tu pas vu 

L'Infldele raser le tombeau du saint Marabout. 



(i) Pour comprendre ce passage, il fant savoir comment sont 
construites les maisons arabes. La porte, an lieu de donaer sur 
la rue, donne sur une cour a peu pres. carree, ou 1'oa parque les 
animaux domestiques. Sur les quatre cc.es de la cour, sont baties 
les maisons. On pent facilement entendre ce qui se passe chez le 
voisin, sur tout si la porte cstouverte. 



404 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

Ne pleure pas, dit le Prophete, 

Mon cceur aime toujours les Ait-Ismail. 

Dieu a maudit le chien de Francais i 

O ' ' ; 

En temps de paix, les Khouan n'exercent pas ) 
une grande autorite sur leurscompatriotes. Ceux- < 
ci, eneffet, ne prodiguentleurs faveurs qu'a ceux 
qui sont vraiment favorises d'extases et prou- 
vent, en operantdes prodiges, qu'ils sbnt en 
relation avec les esprits et que le monde sjrna- 
turel n'a plus de secrets pour eux. Nous rayons 
dit, bien peu en sont favorises re"eliement et 
parviennent au dernier degre". Aussi quand ils 
paraissent a la Djamaa (lieu d'assemblee 
publique), ils n'occupent pas le premier rang; 
c'est le Cheikh de la tribu qui dirige la conversa- 
tion et propose les points a dtscuter. Mais 
aussilSt qu'un e"ve"nement tant soil peu impor- 
tant a eu. lieu, s'il faut activer la haine du 
Musulman contre le chre"tien, alors les Khouan 
entrent dans leur vrai r61e, et ils sont regardes 
par le people comme des gens inspires par le 
Prophete, charges par lui de ranimer le zele 
parmi les sectateurs du Goran, et de precher la 
guerre sainte. Ils parlent le feu, disent-ils dans 
leur langage autant expressif qu 'image, et 
chacune de leurs paroles est consideree par tous 
ces gens na'ifs comme 1'expression de la volonte 
d' Allah. 

Etce que nous disons ici de particulier tou- 
chant les Rahmanya, a son application gene"rale 
a tous les ordres; les t aits seuls que nous venonsde 
rapporter sont des actes de Khouan Rahmanya, 
mais cet esprit n'est pas particulier a cettesecte. Je 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 405 

ne connaisrien d'aussi sataniqueque de s'emparer 
ainsi de la volonte d'un homme et de le contrain- 
dre a faire le mal. Sans doute, les sacrileges 
qui sont commis dans les antres de Satan sont 
plus coupables, car c'est un crime de lese-divi- 
nite ; mais n'est-ce pas un crime horrible aussi 
de ne reconnaitre que la volonte de son supe- 
rieur et d'ignorer si mme en dehors de lui il 
y a un Etre supreme qui nous a donn3 des lois? 

Gette reponse du Khouan nous fait voir com- 
bien la doctrine de 1'lnde repandue dans les 
ordres religieux et dont elle est comme 1'essence 
est bien comprise par les affilies;ils sont conse- 
quents avec eux-mmes et leurs principes. Si en 
effet nous sommes des parceiies de divinite 
pourquoi nous preoccuper d'elle ? 

Gette reponse encore confirme ce que nous 
avons dit sur le vrai sens a donner a la formule : 
il n'y a pas d'autre divinite que Allah, sens 
monstrueux, formule satanique, qui reunit en 
une seule personne les deux principes les plus 
opposes. Nous comprenons maintenant les sym- 
pathies quelesManicheens dumoyen age eprou- 
vaient pour les Musulmans avec lesquels ils 
voulaient se liguer pour combattre la chreTiente", 
et les lamentations hypocrites qu'a. toujours 
fait entendre la presse juive et franc-maconne 
de notre coionie, toutes les fois que 1'autorite 
militaire a du sevir avec rigueur contre des 
revolles. C'est loujours autour des zaouia qu'ont 
eclate les grandes insurrections. Nous avons 
deja vu le colonel \Nfegrier detruire celle d'El- 
Biodh ou reposaient les reliques du grand 
Sidi-Gheikh ; de meme, par deux fois, nos 

fcE D1AQLE CHEZ LES MOSDLMANS 12. 



406 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

braves soldats emporteront d'assaut la zaouia 
des Beni-Ismail. 

Maintenant que nous connaissons les Rahma- 
nya et leurs pratiques, que par deux ou trois 
fails nous avons pu faire apprecier du lecteur 
1'autorite sans contrSle ni conteste que les 
Moqaddem exercent sur leurs inferieurs, nous 
voudrions, en continuant a faire 1'historique de 
cet Qrdre, montrer comment il n'a cesse de nous 
-cornbattre directemenl ou indirectement. Jus- 
qu'au jour ou ie drapeau tricolore deploya ses 
plis aux vents du Djurdjuraet flotta vainqueur sur 
la zaouia de Sid-Mamed-ben-Abd-er-Rahman- 
bou-Qobrein, la secte qu'il avait fondee pouvait 
revendiquer pour ses affilie"s le nom de patriotes. 
El-Hadj-Amar n'e"tait pas un revolte, c'etait un 
ennemi qui nous combattait ayec les monies 
moyens qu'Ab-del-Kader. Rien encore ne les liait 
a notre domination, et personne ne pouvait leur 
faire un reproche de defendre leurs montagnes, 
a eux surtout qui jamais n'avaient subi aucun 
joug qui n'eut e"te plus ou moins volontai- 
rement accepte. Mais une fois qu'ils eurent 
prete le serment de fldelite et pris la terre et le 
ciel a temoin qu'ils ne nous tratiiraient point, 
des ce moment ils devenaient sujets, et touts 
tentative de leur part pour recouvrer leur in- 
Jependance etait une rebellion, ils n'etaieni 
plus des patriotes mais des re voltes. 

Et cependant, pour tout homme qui connait la 
haine que nous portent les Musulmans, ce ser- 
ment n'avait aucune valeur ; les Kabyles devaient 
le violer a la premiere occasion favorable : cette 
occasion se presenta bientOt : en attendant, 



LE DIABLE 6HEZ LES MUSULMANS 407 

ils prdparerent la guerre pour n'etre pas pris au 
de"pourvu. 

A cette epoque, comme nous 1'avons dit, et 
apres le depart d'El-fladj-Amar pour Tunis, qui 
ne voulut pas rester dans un pays soumis aux 
chreTiens, tout en conservant encore le titre de 
general des Rahmanya, ce fut Mahmed-El- 
Djaadi, d'Aumale, qui fut son Khalifa dans le 
Nord, et dirigea de fait 1'ordre. Get homme 
n'avait pas les qualites requises pour les cir- 
constances difficiles que traversait sa congrega- 
tion. Aussi le veritable grand-maitre, colui vers 
lequel se tournerent tousles yeux des Rahmanya 
de la Kabylie comme pour lui recommander la 
revanche, fut le Gheikh El-Haddad, Moqaddem 
de la zaouia de Seddouk. Beaucoup de Khouan 
abandonnerent son adversaire Mahmed-El- 
Djaad, et son fils Mahmed-ben-Mohammed vit 
encore le nombre de ses adeptes diminuer cha- 
que jour. 

Les deux fils du grand Maitre El-Bee hir, 
ceiui que nous avons dit tre 1'ami d'Abd-ei- 
Kader, Mahmei-Salah, et Mohammed El-Bachir, 
avaient aussi profile des desordres et des riva- 
lite"s nombreuses qui suivirent la mort de leur 
pere pour se faire une petite clientele et Texploi- 
ter de leur mieux, toujours, avons-nous besoin 
de le dire, pour leur plus grand bien et le salul 
de leur ame. Le fils de Djaadi fut assez heu- 
reux pour les rallier a son autorite. Gette 
branche, dite de Maatka, du nom de la zaouia 
ou le fils de Djaadi etait Moqaddem, fit cause 
commune en 1871 avec celle de Seddouk des 
partisans de Gheikh El-Haddad. 



408 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

Dans le Sad, on remarqua les m^mes rivalites 
et les m&nes divisions, quoique d'une moindre 
importance que dans le Nord. Deux zaouia 
fournirent alternativement le grand-maitre de 
cette branche : celle de Tolga et de Nefta. 
Tandis que les Khouan de la premiere se mon- 
traient toujours respectueux de notre autorite 
et maintenaient avec nous les meilleurs rapports, 
ceux de Nefta montraientla plus vive opposition, 
et ce f urent leurs menees qui,lors de la conquete de 
la Tanisie, reussirent a soulever centre nous 
les tribus du Sud tunisien. 

Telle etait la situation de cet ordre quand la 
France essuya les terribles revers de 1870. Tout 
e*tait pret en Kabylie pour la revanche. Notre but 
n'est pas de retracer toutes les luttes et les mas- 
sacres de cette re volte, le siege de Fort- 
National, etc. ; nous voulons faire voir tout le 
r61e que joua dans cette circonstance 1'ordre 
des Rahmanya ; on verra la encore la confirma- 
tion de ce que nous avons avance et dont Abd- 
el-Kader nous a donne une premiere preuve 
quand il forga Fempereur du Maroc a nous faire 
la guerre : c'est qu'un chef d'ordre religieux* 
serait-il bien dispose pour nous, devrait suivre 
ses Khouan qui 1'entraineraient a la guerre 
sainte. Tel fut le cas de Gheikh El-Haddad : 
Depuis 1857, il avait ete tres correct envers 
nous, et nous croyons que sans 1'influence de 
son fils, il serait reste neutre avec son ordre el 
aurait contenu la haine du Rahmany contre 
nous; mais ce vieillard de 80 ans ne put arreter 
la fougue du jeune homme, et il fut entraine 
dans le malheur. 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 409 

Pour des raisons politiques en dehors de notre 
sujet, le Bach-Agha-Mokrani avait leve 1'eten- 
dard de la revolte. Si Aziz berbere francise, 
plein d'orgueil et do haine cootre nous profita 
de cette occasioa ; ce fnt le 27 mars, a Seddouq, 
qu'ii prgcha la guerre sainte contre nous, et 
quelques jours plus tard, le 8 uvril, son pere se 
rencontrait avec Mokrani, a Akbou. Vers la 
meme e*poque, Si-Aziz, ecrivait a son beau-frere, 
le ca'id Ben-Araour, de Djidjelli, une lettre trop 
importante pour que nous n'en donnions quelques 
extraits (Gfr RINN page 478.) : 

Nous vous donnons avis, ce sera pour 

le bien, s'il plait a Dieu, que nous nous sommes 
leves pour la guerre sainte, pour soutenirla cause 
divine et que nous nous sommes decides a 
combattre les ennemis de Dieu et de son envoye. 

* Nous avons secoue le joug de la domination, 
louange a Dieu I Quant a vous, ami, vous minede 
gene*rosite et de liberalite, vous homme de race 
antique et illustre, souvenez-vous de ce qui est 
digne de vous, et de la noblesse de votre origine. 

Gertes, anterieurement a 1'heure actuelle, 
nous avons et^ dans Fimpossibilite de faire la 
guerre sainte, pour plusieurs motifs parmi 
lesquels il faut compter Fabsence d'union entre 
les peuples musulmans la puissance du gouver- 
nement francais en argent et en soldats. 

Mais aujourd'hui ce motif a cesse : sur tous 
les points de la terre les Musulmans se sont unis 
pour exalter la parole de 1'Islam : tous out bris3 
les liens de soumission a la France, d'Alger a 
Aumale, Bougie, Setif, et jusqu'aux dernieres 
limites du Hodna. 



410 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

De ce c6te"-ci, le pays s'est entendu pour la 
mme cause. EQ outre, le gouvernement francais 
se trouve dans une situation critique produite 
par la divergence des opinions en France et par 
la domination absolue de la Prusse qui, apres 
avoir detruit ses armees, la spolie de ses 
richesses. 

Telles sont les causes qui ont mis fin aux 
obstacles de la guerre sainte, et il ne reste a un 
homme aussi intelligent que vous, qu'a se lever 
avec nous. 

Je vous prie de me re"pondre comme je 
1'espere de votre part et comme il convient a 
votre gene"rosite, car vous tes un homme de 
science et de religion 

Je vous prie egalement d'operer votre jonction 
avec moi pour attaquer le ca'id Ben-Habyles 
qui resiste et s'oppose a la guerre sainte. 
22Safar 1280(4 mai 1871). 

Dans cette lettre, ce jeune homme qui, dans sa 
haine contre nous et son ardeur toute juvenile 
allait entrainer son pere et sa patrie dans une 
guerre desastreuse, nous donna les vraies 
causes de 1'insurrection : 1'affaiblissement de la 
France, et 1' union entre les Khouan qui vient de 
s'operer. Des lors, tout est pret pour la guerre 
sainte : malheur a celui qui ne voudra pas le 
suivre contre nous : il commencera par lui, 
et lui fera sentir toute sa haine et sa ferocite. 

Pendant que ces faits se passaient a Seddouq, 
que devenaient les Beni-Ismail.La puissante tribu 
ne pouvait rester etrangere a ce grand mou- 
vement qui devait delivrer la Kabylie du joug de 
I'lnfidele : N'a-t-elle pas toujours e*te* la plus 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 411 

puissante da Djurdjura, et Dieu ne l'a-t-il pas 
choisie pour y faire naitre le grand Abd-er- 
Rahman-bou-Qobrein. A la Djemaa, dans les 
reunions publiques et prive"es, dans la zaouia 
surtout, on ne parlait que de guerre sainte, que 
d'extermination de I'lnfidele : tous les coaurs 
e"taient dans Tallegresse et les tetes surexcitees. 

Un homme seul ne partageait pas cet enthou- 
siasme et rappelait ses subordonne"s a la mode- 
ration : c'etait le chef de la zaouia, homme plein 
de foi mais aussi de prudence ; malheureuse- 
ment,il ne put empcher ses compatriotes d'em- 
brasser la cause du Gheikh de Seddouq. Nous 
nous arrelerons un moment pour recueillir ici 
deux enseignements qui nous feront bien 
comprendre 1'organisation et le fonctionnement 
de cet ordre, a la fois si divise et si uni. 

Le premier, c'est que les Khouan Rahmanya 
ne connaissent pas les divisions qui existent 
entre les Moqaddem ; ils sont Ourad- Rahmanya, 
ils suivent tous le m3me oured, recitent tous le 
me me diker, n'ont tous qu'un seul desir, qu'une 
seule haine aucoeur: la haine du Roumi, le desir de 
1'expulser. Aussi, avant d'appartenir au Moqad- 
dem de Seddouq, de Maatka ou de Nefta, ils 
appartiennent a 1'ordre, et, en gens logiques, ils 
suivent celui qui leur parait se conformer davan- 
tage aux instructions du fondateur. C'est ce qui 
nous explique pourquoi des Moqaddem, j usque- 
la desunis, se sont trouves amis le jour ou il a 
fallu nous faire la guerre ; c'est, nous oserions 
dire, 1'etat chronique des Etats diriges par Satan ; 
ils ne peuvent pas vivre en paix entre eux et 
conserver les liens de la charite : ils ne sont 



412 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

tous unis que par un seal amour, une seule haine, 
celle du Wen : ils s'aiment et s'unissent quand il 
faut combattre Diea. 

Le second enseignement que nous pouvons en 
tirer est special a Pordre, mais nos lecteurs sau- 
ront aussi le gendraliser. Ils ont remarque, sans 
doute, que jamais jusqu'ici aucun descendant du 
saint Marabout n'a occupe le rang suprdme : 
toujours des gens etrangers a sa famille ont di- 
rige" dans la voie sainte les fideles Khouan. Jus- 
qu'a. 1'epoque. ou nous sommes parvenus, dans 
cette zaouia ou on ne respire, disent les Kabyles, 
que la saintete, la piete et la paix, jamais la 
moindre contestation ne s'etait elevee .entre ies 
descendants du saint et le Moqaddem de 1'ordre : 
les premiers sacrifiaient les droits qu'ils pou- 
vaient avoir, parce que, disaient-ils, les seconds 
geraient tres bien les affaires de 1'Ordre.Ce sont 
ies Kabyles qui le disent aux visiteurs. Gepen- 
dant, on ne peut nier, pour rester dans le vrai, 
qu'entro les descendants du saint Marabout et 
les chefs de la zaouia,il n'y eut une sourde haine 
qui,de temps a autre, eclatait, an grand scandale 
des fideles croyants. Les fils d'Abd-er-Rahman 
n'e'taient certes pas si dsinte r resses qu'ils n'eus- 
sont voulu avoir une part des bene"fices que rap- 
portait le tombeau de leur aieul : celui-ci, en 
mourant, avait declare tous ses biens et loutes 
ses propriete"s mahabous (1). Ges biens apparte- 
naient a la Koubba et a la zaouia, et, grSce aux 
revenus (dont une parlie etait empochee par le 
Moqaddem et agents subalternes), les pauvres 

(I) Les biens habous sont des legs pieux fails a une mosquee, pom 1 
son entretien. 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 413 

et les pelerins e"taient heberges gratis ; les he"ri- 
tiers n'eurent rien : ce qui ne plut pas aux 
neveux. Grace a la reputation loujours crois- 
sante de saintete de 1'iUustre Marabout, grace 
aux nombreux prodiges operes par son interces- 
sion, chacun, apres avoir fait de nombreux pr&- 
sents peadant sa vie, a sa mort declarait Maha- 
bous un petit coin de terre : et la Koubba s'enri- 
chissait toujours, et les descendants voyaient 
des Strangers se gorger de biens, grace a la 
saintete de leur aieal. La gestion de ces biens 
appartenait de droit au Mojaddem. G'est pour- 
quoi les heritiers, on le concoit sans peine, sup- 
portaient amerement de voir des etrangers 
comme le Magrebi-el-Bachir, s'enrichir sous 
leurs yeux, grace a la renommee de leur ance- 
tre. L'un d'eux voulut y mettre un terme, et 
plonger sa main dans le tresor. Ilreussit a perdre 
le Gheikh. Voici quel moyen il employa : 

Tous les Khouan des Beni-Ismail demandaient 
a grands cris que la guerre fut declaree aux 
Francais et qu'on s'unit au Cheikh-el-Haddad 
pour exterminer le chien de Chretien. Le Mara- 
bout eut vite eoneu un plan pour perdre le 
Cheikh de 1'Ordre. Seul, en eflet, il resistait a 
ses Khouan, et,aussi ruse que le Marabout.il re- 
fasait de preacher la guerre sainte, parce que> 
disait-il, les Kabyles ne pourraient vaincre 1'ar- 
me"e francaise, et, dans ce cas, il savait le sort 
qui 1'attendait. Le Marabout, au contraire, savait 
que le vrai moyen d'arriver a la tele de la zaouia 
etait de compromettre le Gheikh aux yeux des 
Francais. Faisant montre de patriotisme et de 
religion, cachant sous de belles paroles son 



414 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

orgueil et sa jalousie, il excita centre le Gheikh 
tous les e"tudiants. Un jour done que ceux-ci 
1'entouraient et qu'ils 1'exhortaient a prendre en 
main la cause de 1'Islam, le vieux Gheikh essaya 
de les calmer, de les adoucir et de leur faire en- 
tendre le langage du bon sens et de la raison. 
Mais 1'esprit musulman est un esprit de violence 
et nos Khouan ne voulurent pas se rendre a ses 
avis : ils lui ordonnerent de les. meaer sur le 
champ a 1'assaut du fort de Dra-el-Mizan on ils 
allaient le tuer en cas de ref us. Le Cheikh, ra- 
conte-t-on, voyant se tourner contre lui ceux 
auxquels il avait j usque-la consacre toute sa vie 
et qu'il elevait comme ses enfants,ne put s'empe"- 
cher de verser des pleurs : Vous demandez ma 
mort, dit-il a ses subordonne"s, car m'eloigner de 
ces lieux c'est vouloir me faire mourir. II alia 
cependant et, lui qu'on avait vu si pusillanime et 
si craintif parce qu'il ne voulait pas engager la 
tribu dans une guerre desastreuse, se battit 
comme une panthere ; mais il tomba au pouvoir 
des Fran?ais et allafinir ses jours a La Nouvelle. 
Son competiteur sut profiler de la deche"ance de 
son rival, et actuellement ii passe pour le chef 
et legardien du tombeau de Ben-Abd-er-Rahman- 
bou-Kobrein. 

Apres quelques jours de lutte, presque toutes 
les tribus du cercle de Dra-el-Mizan vinrent 
demander Tainan. Deux ne voulurent pas se 
soumettre et opposerent une resistance deses- 
peree. G'etaient les Beni-Kouffi et les Beni- 
Isma'il. II n'y avait qu'un moyen de soumettre 
les revoltes, il fallait prendre la zaouia et le 
tombeau du saint, 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 415 

Non loin d'un village kabyle, nomme Ait-Ali, 
au pied m&ne du massif du Djurdjura, s'e"- 
tend une plaine tres encaisse"e, entouree de 
tous code's par d'immenses rochers, planted de 
chines verts et de cedres magnifiques. Cette 
vallee est quelquefois appelee la vallee des 
Singes. G'est la que les derniers restes de 1'ar- 
me'e s'etaioit retires- Us croyaient la position 
imprenable, mais ils comptaient sans les canons 
francais. Uue colonne arriva par Dra-el-Mizan, 
et, escaladant la montagne, vint camper sur un 
pic eleve en face de la Koubba de Ben-Abd-er- 
Rahman. Le commandant de la colonne, decide 
aeteindrele foyer de Pinsurrection, avail deja 
braque ses canons sur le tombeau. C'etait le 
general Gerez, qui, arrive au mois de juillet, 
avait fait porter ses canons au sommet du pic 
d'Aourir. Encore quatre heures, et le tombeau 
n'e"tait qu'un monceau de cendres, et le cadavre 
du saint Marabout n'etait plus. Un Kabyle des 
plus influents vint trouverle general et demanda 
grace pour la tombe du grand Bou-Qobrein, ; sa 
demande fut exaucee, mais le gene r al exigea 
que toutes les portes de la Koubba fussent 
murees, qu'aucun indigene ne put y entrer sans 
la permission du capitaine du bureau arabe, et 
que la zaouia fut rasee. 

Par un arrete du 6 septembre 1872 et du 
25 Janvier 1875, le sequestre collectif a ete pose 
sur les biens de cette turbulente tribu. Le cin- 
quieme de la richesse territoriaie de la tribu a 
ete evalue a 130.674 fr. 50 c. Une somme de 
100.988 fr. 90 c. a et6 versee a la caisse de 
1'Etat et 29.685 fr. 50 c, ont et<5 payes a titre 



416 Lfi DIABLE CHEZ LES_MUSULMAI*S! V . i 

d'indemnites pour la formation des villages fran- 
cais de Boghni et d'A'in-Zaouia. 

Tel fut pour cette malheureuse tribu, malgre" 
la saintete et Ja puissance de son protecteur, le 
resultat de cette re" volte. Le but poursuivi par les 
Khouan de la zaouia avail certes e"choue", mais 
le Marabout, qui avail use de son influence et de 
sa descendance directe du grand Marabout 
venere en ces lieux, vit ses projets couronnes 
de succes . 

Que faisaient, pendant ce temps, les Khouan 
de Gheikh El-Haddad et de son flls? Gelui-ci 
apres avoir jete 1'appel a la guerre saiate, se fit 
remarquer par des cruautes sans nom : il exerga 
sa sauvage haine contre de pauvres femmes et 
de pauvres enfants desarme"s. Tout le monde 
connait le fameux massacre de Palestro ; ce qui 
se passa la ne fut que la repetition sur un plus 
grand theatre de ce qui se passa dans les f ermes 
ou maisons isole"es. Ge sont des horreurs dont 
on f remit quand on en lit le re"cit detaill^ dans les 
histoires le TAlg^rie. 

Palestro est silue environ a 60 kilometres 
sud-est de la capitale, a laquelle elle est au- 
jourd'hui relive par un magnifique chemin 
de fer. Jamais on n'aurait cru qu'une loco- 
motive passerait dans de tels precipices : les 
gorges de Palestro sont a notre avis plus belles, 
plus grandioses, plus pittoresques que celles de 
la Ghiffa. Quand on sort de ces gorges, emporte 
a toute vapeur, on se trouve tout a coup dans 
une plaine : c'est la qu'est bati le village de 
Palestro. II compte aujourd'bui de 2 a 3.000 
ames. G'est une ville tres coquette, tres agreable, 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 417 

etnous garderons toujours un bon souvenir des 
quelques moments que nous -avons pu y rester. 
En 1871, ce n'e*tait qu'un petit bourg ou de- 
meuraient quelques families europeennes. 
Palestro s'offrait necessairement aux revoltes, 
et, pour deboucher dans la plaiae, ii failait s'em- 
parer des gorges dout le village garde 1'entree. 
Surpris a 1'improviste par une bande de deux a 
trois mille brigands armes de pioches, de poi- 
gnards, de fusils, de faux, etc., les malheureux 
habitants se retrancherent dans . les quelques 
maisons qui oflfraient le plus de garantie de 
solidite*. Pendaat quelques jours, ces braves, 
ayant a leur tete leur cure qui n'avait pas 
voulu les abandonner, se defendirent vail- 
lamment. Vaincus par la fatigue, prives de 
toute nourriture, emus par les pleurs et les 
sanglots de leurs femmes et de leurs enfants, 
ces malheureux voulurent essayer d'un accom- 
modement, et, sur la promesse que leur firent 
les chefs de la bande, ils ouvrirent les portes et 
de*poserent les armes. A peine les premiers 
avaient-ils f ranchi le seuil de la porte, que le 
massacre commenga, un massacre sans quartier. 
Nous ne pouvons pas dire la maniere indigne 
dont ces brutes profanerent ces corps : on 
retrouva celui du cure, tout mutile, ou plut6t on 
ne retrouva que quelques lambeaux de chair de 
ci, de la. Vingt-quatre heures plus tard, la 
colonne de delivrance arrivait d'Alger. 

Gesbarbares ne jouirent pas longtemps des 
fruits de leur victoire. La France n'etait pas 
epuisee ainsi que 1'avait cru Aziz, et malgre les 
nombreuses blessures que lui avail- faites un 



418 LE DIABLE CHE2 LES MUSULMAM 

ennemi implacable, elle pouvait encore donner 
des soldats pour tenir les Kabyles en respect. 
Aussitot que 1'amiral dti Gueydon fut arrive, 
qu'il eut recu quelques renforts et put diriger les 
operations, DOS soldats marcherent contre 1'en- 
nemi,et lacampagne ne fut qu'une longue suite de 
victories. La zaouia de Seddouq, qui avait ete 
le centre et le foyer de 1'insurrection, subit le 
meme sort que celle des Ait-Ismail : elle fut de"- 
truite, son Moqaddem pris ainsi que son fils. 

Tel fut le r61e que jouerent les Rahmanya en 
1871. Nous ne pouvons nier que ce ne fut 
Mokrani (1) qui ne levat le premier, et pour des 
raisons politiques, Tetendard de la re volte; mais 
il est aussi certain que les Rahmanya lui appor- 
terent un puissant secours. Presque toutes les 
branches, malgre" les rivalite"sde Moqaddem, pri- 
rent part a 1'insurrection, ce qui veut dire que tou- 
jours iis seront unis quand il faudra nous 
combattre. On detruisit les deux zaouia qui 
avaient etele centre et le foyer de 1'insurrection, 
et on mura le tombeau du Marabout ; a notre 
avis, on ne fit pas assez et on ne prit qu'una 
demi-mesure ; il fallait au son du tambour et du 
clairon faire sauter le cercueildu pretendu saint 
au nom de qui les Kabyles s'etaient souleves- 
contre nous. II fallait fusilier tous les chefs, et 
ne pas les envoyer en prison soit a Cayenne, 
soit a LaNouvelle;il est facile d'en echapper, et 
presque chaque annee quelques-uns de ces 

({) On sait la reponse que fit ce chef arabe, qui pretendait 
descendre d'un Montmorency, a 1'ofiScier qui lui apporta le decref 
Cremieux ; il lui remit sa croix de la Legion d'honneur et, comme" 
un chevalier du moyen age, il envoya son defi a la France quan* 
elle ne serait plus en guerre avec la Prusse. 11 mourut d'une maniere" 
heroi'que. 



"IE DIABLE^CHEZ LES MUSULMANS 419; 

exile's rentrent en cachelte dans leur pays, ou 
e"videmment per sonne ne les a vus, tandis qu'ils 
signalent, eux, leur presence par la inert de leurs 
ennemis. Les biens furent confisque"s, et sur 
leur emplacement, quand il etait convenable, 
comme a Seddouq ou aux environs, comme 
aux Beni-lsmail, on construisit d^s tillages 
francais. 

o 

Gheikh El-Haddad mourut dans les prisons des 
chretiens,etses compatriotes saluent en luile vail- 
lant guerrier et le grand martyr. Ses fils furent 
internes soit en Corse, soil a la Nouvelle- 
Caledonie. En 1881, Sid-Aziz, celui sur qui doit 
retomber tout le poids de la guerre, 1'homme 
qui, dans cette anne"e ne*faste, nous fit le plus de 
mal en Kabylie, parvint a s'echapper. Le croi- 
rait-on, son fils a fait ses eludes comme boursier 
au iyce*e d'Alger. On se demande dans quelle 
aberration d'esprit sont tombes nos gouvernants. 
Groient-ils, en faisant de lui un athe"e, en lui 
donnant une tournure un peu francaise, en faire 
un Frangais, un homme d^vouo a nos interns, 
et attache" a nous jusqu'a la mort? En 1871, les 
Sieves del'ecoled'artset metiers etablie au milieu 
de la Kabylie ou on les instruisait gratuitement, 
s'unirent aux re voltes et employerent contre 
nous le peu de science que nous leur avions 
enseigne'e. Nous devons renoncer a Tassimila- 
tion du peuple arabe, si nous voulons y arriver 
autrement que par le christianisme. Et, a ce 
sujet, nous voulons meltre sous les yeux de nos 
lecteurs un passage d'une lettre ecrite en 1872, 
a M. Le"on Roche qui avail fait connaitre a un 
de ses anciens amis, Tun des chefs arabes les 



420 LE DIABLE CHE2 LES 

plus influents de la colonie, les accusations 
portees a 1'Assemblee Nationale centre les 
populations musulmanes de TAlgerie (1) : 

Un autre orateur, un de nos amis sans doute, 
aurait avance qu'il n'existe pas d'antagonisme 
entre le peuple arabe et les colons europeens. 

Helas ! affirmer un fait semblable, c'est voir 
la situation avec 1'oeil du desir, mais non avec 
1'ceil de la realite. 

Oui, ily a et il y aura toujours antagonisme ; 
oui, il y a et il y aura toujours des conflits entre 
les Arabes et les Francais juxtaposes sur la 
terre d'Afrique . Et cette situation ne provient 
pas seulement de 1'antipathie du Musulman pour 
le Chretien, de ia diversite des races ou de la 
difference de religion; elle est la consequence 
logique, inevitable; des sentiments de haine que 
nourrit tout peuple conquis a 1'egard du peuple 
conquerant. 

Ges paroles sont pleines de sens, et nous dou- 
*ons qu'un Europeen eut parle avec plus de jus- 
tesse ; elles ont, de plus, une certaine aclualite", 
car elles ont e"te ecrites au lendemain de la sou- 
mission des Rahmanya. 

Interne a la Nouvelle-Caledonie, Gheikh-Aziz (2) 
trouva moyen de s'evader en 1881 ; et, depuis 
cette epoque, il habite soit La Mecque, soit 
Medine. II fait tous ses efforts pour rentrer en 
bonnes graces aupres du gouvernement frangais; 
nous vouions citer une lettra qu'il ecrivit en arabe 
a un de nos consuls d'Orient, elle fera juger le 



(1) Ouvrage cite, tome II, page 338." 

(2) II est mort il y a plus de deax ans. 



p;;^^^ : : j- r 

^ ^^ 421 

personnag.e, et on y admirera son astuce et son 
habilete": 

Mon desir de rentrer en grace n'est pas tou- 
tefois motive par la gene qui resulterait pour 
moi de 1'exiguite des ressources dont je dispose 
ici : et je jure par Dieu que je n'y ai pas meme 
songe, d'autant plus que Ton trouve partout ici 
des moyens de subsistance, surtout si Ton ma- 
nifeste des sentiments hostiles a 1'egard de la 
.France. 

Plusieurs personnes ont iasiste aupres de 
moi afln que je demeure chez elles ; je citerai, 
parmi ces personnes, le reprdsentant a La 
Mecque de la zaouia de Si-Snoussi ; lequel m'a 
declare" qu'il m'enverrait au besoin aupres de 
son Cheikh a Djegboub, c'est-a-dire aupres de 
celui qui s'annonce comme devant etre le Madhi, 
et qui, d'apres ce que me fait savoir son repre- 
sentant, a une affection particuliere pour les 
Algeriens musulmans. J'ai rejete ses off res cap- 
tieuses; ayant ete, en 1871, un chef superieur 
au Snoussi. pouvais-je aujourd'hui m'abaisser au 
point de devenir le jouet d'jin homme, et n'ai-je 
pas ete a mSme de constater, en 1871, la mau- 
vaise foi des hommes ? Aussi ne serai-je jamais 
plus du nombre des rebelles . 

Pour les motifs que je viens de vous exposer, 
je vous prie d'interceder pour moi . Je ne me 
rendrai jamais plus coupable d'aucun acte hos- 
tile contre le gouvernement, et je suis convaincu 
qu'il trouvera son profit a m'accorder ma grace, 
a cause de ce que je pourrai dire a mes compa- 
triotes sur ce que j'ai eprouve et sur ce dont j'ai 
ete temoin. Vous connaissez les Arabes et vous 

LE DUBLE CHEZ LES MUSCLMANS 42.. 



422 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMAfiS 

savez combien faciiement ils ajoutent foi a ce 
qai leur est dit. Moi je saurai detruire dans leur 
coeur la mauvaise impression qu'auront pu y 
laisser tous les propos vides de sens. 

Toutle caractere deceKabyle, recouvert d'an 
leger vernis de civilisation, se montre dans ces 
quelques lignes . II voudrait retourner dans son 
pays ; il voudrait, comme son pere le fit pendant 
plus de douze ans, vivre en bonne intelligence 
avec les autorites, et faire oublier son passe ; 
il ne se glorifie pas de son titre qu'il avail ob- 
tenu en 1871 a cause de ses nombreux exploits 
contre nous ; il etait a cette epoque e"mir des sol- 
dats de la guerre sainte ; mais ce titre, auquel il 
ne veut pas renoncer, est, il le sail bien, le plus 
grand empSchement a son rappel. Aussi il ne 
s'en glorifie pas, il semble plut6t le passer sous 
silence. Si jamais il reussit a tromper le gouver- 
nement, s'il parvient a le persuader de ses bon- 
nes dispositions et de son desir de vivre en paix 
avec les Infideles, alors, plein de fierte et d'arro- 
gance, expioitant a son profit son titre de martyr 
de la cause sainte, il paraitra au milieu des tribus 
comme un liberateur, et, fierement drape dans 
son burnous, ii se promenera dans les rues de 
nos villages construits dans ses montagnes, en 
meditant la vengeance. Tels nous ont apparu 
deux des principaux Kabyles se promenant 
dans la rue principale de Palestro. Nous ne 
comprenons pas, en verite, qu'on ait pu faire 
grace a de pareils bandits. La prison ne les 
deshonore pas; aux yeux de leurs compatriotes, 
c'est un nouveau titre de gloire ; ce sont, pour 
employer un mot dont on fausse si souvent le 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 423 

sens, ce sontdes martyrs, c'est-a-dire des te- 
moins de Terreur...., de Satan.... 

Apres cette violsnte secousse qua venait de 
subir 1'ordre des Rahman ya, en particular la 
branche de Seddouq, ilfallait a 1'ordre une ere 
de paix pour retablir ses cadres et son organi- 
sation. II n'a pas pu encore parvenir a cette 
unite de commandement qui fait toute la force 
d'un ordre. II y a toujours a peu pres le meme 
nombre de Moiaddem, gouvernant tous la por- 
tion qui leur est conh'ee et ne relevant que 
d'eux-mSmes. 

El-Haddad, en mourant dans les prisons des 
Roumi, avait designe, pour lui succeder comme 
chef de la zaouia de Seddouq, dans le cas 
ou son fils serait dans 1'impossibilite de lui suc- 
ceder, un homme paciflque, inconnu, et qui 
etait a peu pres 1'oppose de Cheikh-Aziz. G'dtait 
El-Hadj-El-Hamlaoui, Moqaddem a Chateaudun 
du Rummel. II est certain que c'etait 1'homme 
qu'il fallait pour le moment , et El-Haddad a fait 
preuve d'inteiligence en le designant. A peu 
pres inconnu avant qu'il ne fut appeie a ce rang, 
n'ayant pris a la guerre aucune part active, et 
s'y etant conduit comme tous les adeptes 
d'El-Haddad, cet individu ne devait pas eveiller 
les soupcons de I'admmistration. Le principal 
merite, en effet, d'un chef, apres une telle echauf- 
fouree on sos adeptes avaient excite au dernier 
point le courroux du vainqueur et eveille toutes 
ses moindres susceptibilites, c'etait de faire le 
moins de bruit possible, an'n de reparer dans 
Tombre les ddsastres et les vides fails par la 
guerre, pour tre pret a recommencer a la pre- 



424 .LE DIA.BLE CHEZ LES MUSULMANS 

miere occasion. Le vieux Gheikh, quiaSOans 
avait engage" la lutte contre nous, vit en mou- 
rant combien e"tait triste la situation dans 
laquelle il laissait son ordre, et il donna des 
instructions dans ce sens. 

Aussi, voyons-nous tous ces Ourad, malgre la 
haine qu'ils nous portent, obeir fidelement a 
leurs Cheikk et ne pas combattre directement 
notre influence. Seule, la zaouia de Nefta, en 
Tunisie, qui, en 1871, etait restee etrangere a la 
guerre lors de 1'occupation de la Tunisie, nous 
a montre la plus grande hostilite et nous a 
combattus ouver lenient. Les Italiens trouverent 
de fideles allies dans ces Khouan qui souleve- 
rent contre nous le Sud tunisien ; mais les habi- 
tants de ces contrees ne sont pas aussi braves ni 
aussi courageux que ceux de la Kabylie, et, a 
part quelques petits faits d'armes dont le princi- 
pal fut, sans contredit, le bombardement et la 
prise de Sfax, a part quelques petits combats et 
razzia, la campagne se reduisit a une promenade 
militaire ; les revoltes fuirent devant nous, et se 
retirerent dans la Tripolitaine. Le point le plus 
important de la campagne fut 1'occupation de 
Nefta ; des ce moment, les Moqaddem de cette 
zaouia, 1'une des plus hostilesa la France parmi 
les Rahmanya, etaient places sous le contrSle de 
notre gouvernemeot. 

Nous ne pourrions apprecier qu'imparfaite- 
ment la conduite de cet ordre envers nous, si 
nous ne connaissions que ses rapports avec 1'au- 
torite civile ou militaire. II faut connaitre les tra- 
casseries continuelles, les petites et les grandes 
miseres qu'ils font tant a nos colons qu'a DOS 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 425 

missionnaires etablis au coeur de la Kabylie, que 
dis-je, au centre mme de leur ordre a BemV 
Ismail. 

Qui a allum6 les immenses forets de chne- 
liege qui couvraient les montagnes qui s'e*ten- 
daient de Gollo a Djidjelli et faisaient la richesse 
de cetfe contree ? Qui a transforme en brous- 
sailles ces magnifiques forests ? Les Khouan. Un 
certain M. Besson s'etait associe avec quelques 
Francais, et il exploitait plus de 35.000 hectares 
de fort de ch6ne-liege. Les Arabes de la 
contree, affilie*s presque tous a la secte dontnous 
parlons,en possedaient aussi quelques parcelles ; 
chaque jour des vols etaient commis au preju- 
dice de la Gompagnie : jamais,cela va sans dire, 
on ne pouvait trouver UD coupable. Gependant, a 
leur avis, les pertes de la Gompagnie n'etaient 
pas assez grandes, et ils resolurent d'y mettre le 
feu. Us s'assemblaient dans un endroit bien retire 
de la fordt, et la, chaque soir, ils discutaient sur 
les moyensa prendre pour nuire aux Roumi. Ge 
fut alors qu'un des leurs, gardien en mme 
temps de la fort, avertit le chef de 1'exploitation 
de ce qui allait se passer ! Ne dis pas que c'est 
moi qui t'ai informe, dans vingt-quatre heures je 
ne serais pas en vie. On les surprit biea a 
Tendroitou tous les soirs ils se reunissaient. 
Pouvait-on conduire en prison quatre cents, 
cinq cents individus ? Le feu fut mis a la fort,et 
la Gompagnie ruinee (1). 

(i) Une premiere fois le feu fat mis a la foret, en 1870.Depuis,que 
de Frangais ont vu leur fortune s'envoler rapidement ; desKabyles 
ont brule presque toutes les forets : il est vrai que, de nos jours, 
on a replante, mais qu'il faudra des annees avant de voir de nou- 
vean s'elever ces magnifiques bois. 

LE DIABLE CHEZ LES MUSULUANS 12. . . 



426 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

Que d'autres fails nous pourrions citer, ou 
nous verrions la main du Khouan mettant tout 
en oeuvre pour miner nos malheureux colons ; 
depuis 1871, ils ne nous ont plus fait la guerre 
ouverte et a coups de fusil, mais ils ont fait a nos 
colons une guerre conlinuelle d'escannouches 
qui leur ont fait peut-tre autant de mal que les 
menaces et les devastations de 1871. 

Par mi les Europeens, ceux surtout contre 
lesquels ils eprouvent le plus d'antipathie et de 
haine, ce sont les Peres Blancs. Dans presque 
toules les tribus au milieu desquelles ils ont cons- 
truit leur habitation, ils les ont rencontres tou- 
jours animes des plus mauvaises dispositions a 
leur egard. Tant6t ils empSchent les enfants de 
frequenter, 1'ecole qu'ils ont ouverte, ouun mis. 
sionnaire donne au coeur du petit Kabyle un peu 
d'amour de Dieu et de la France, tant6t ils re*pan- 
dent contre ces bons Peres les calomnies les plus 
noires ; aujourd'hui, ils se re"unissent pour de- 
creter qu'aucun enfant de Khouan n'ira a 1'ecole 
du Pere ; demain, ils empcheront un malade de 
venir au dispensairerecevoirle remede qui pour- 
rait le soulager sinon le guerir. Gette haine du 
Khouan pour le pr^tre catholique est, a nosyeux, 
Tun des signes les plus manifestos du doigt de 
Satan dans les oeuvres des francs-magons musul- 
mans. Un jour, un A'issaoui faisait, sanss'endou- 
ter, 1'eloge du missionnau-e, quand il lui disait : 
Toi, je te connais; unjour, undetesfreresnous 
a empeches de nous livrer a nos pratiques. > EQ 
etfet, il parait que, par un signe de croix, un 
pretre algerien avail interrompu une seance 
donnee par ces agents du diable. Si un signe de 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 427 

croix ge"ne lears jongleries et les empche de les 
accomplir, faadra-t-il n'y voir qu'un effet du l>a- 
sard?Ha'irlepretre, cat nomine revtudu carac- 
teresacre*etdivln,qui passe sa vie entiere a faire 
lebien, a combattre le malet ainterceder aupres 
de Dieu pour nous, en offrant chaque jour la 
victime sans tache; hair cet hommo qui ne nous 
a jamais fait que du bien, et le hair sans autre 
motif uniquement parce qu'il est pre*tre et bon, 
n'est-ce pas satanique ? 

Les missionnaires du cardinal Lavigerie ont 
cinq ou six maisons en Kabylie d'ou ils rayonnent 
sur la contre"e, se faisant les medecins du corps 
avant de se faire les medecins de Tame. Jusqu'a 
ces derniers temps, le gouvernement les a plus ou 
moins tracasses, ne leurlaissant mme pas la 
liberte entiere de faire le bien. Leur predication 
muette, leur conduite de charite leur a gagne 
cependantl'affection de cesKabyles, descendants 
des premiers Chretiens africains . Ce ne sont pas, 
en effet, des Musulmans qui se montrent anime's 
des pi us mauvais sentiments envers ces homines 
de Dieu : ce sont les Khouan, et aussi quelques 
employe's de notre gouvernement soi-disant 
athee. 

II est certain que, depuis la derniere insur- 
rection, les Rahmanya ont pris une grahdc 
influence en Kabylie, et leurs rangs, loin de 
s'eclaicir, n'ont fait que recruter de nouveaux 
adeptes. Plusieurs Gheikh, en effet, se sont leves 
de la masse des Khouan ; tandis que le grand- 
maitre, reste fldele aux prescriptions de son 
predecesseur, suivait une ligne de conduite 
irre"prochable et tachait de se faire oublier 



428 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

autant qu'il e"tait en lui, ses Mdqaddem subal- 
ternes, excites par lui a redoubler de zele pour 
la gloire de leur ordre, se re"pandaient dans 
tout le pays, et usaient du prestige que leur 
donnaient leurs visions et leurs extases pour 
exciter la haine des Kabyles centre nous et nos 
missionnaires. Celui de ces Cheikh qui etail le 
plus en renom en 1889 c'e"tait Cheikh- Aly ; jeune 
encore, plein d intelligence, ii est le type kabyle 
dans toute sa beaute ; il est aide par Cheikh 
Qassy, de la tribu des Ouadhias, un martyr de 
1'independance, et que la police tient dans 
une <5troite surveillance. L'influence qu'ont et 
acquierent chaque jour ces deux personnages 
est etonnante. On jure par leur nom, surtout 
par celui de Cheikh-Aly; leurs adeptes font des 
sacrifices en leur honneur; Tun offre une 
poule, un autre plus riche donne un mouton 
en sacrifice, et ceux qui ne pea vent rien 
offrir dans leur pauvrete se contentent de les 
prier. On ne fera rien sans consulter le Cheikh. 
Lui seul, en effet, est capable de bien ge"rer les 
affaires, car il a le don de lire dans Tavenir 
et aussi de pouvoir dire si un homme est bon ou 
mauvais rien qu'a 1'inspectioh de ses yeux. 
Aussi, les plus fins et les plus ruses, quand iis 
paraissent devout un de ces personnages illustres 
ayant un don si admirable, baissent toujours les 
yeux et ne regardent jamais en face leur terrible 
scrutateur. On sait que Paul Soleillet, dans son 
voyage auAdrar, subit cette operational que le 
Marabout dit que, dans cet homme, il n'y avait 
rien que du bon. 

Pour 1'affaire de la moindre importance, cha- 
cun s'empresse de le consulter. Faut-il se re*con- 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 429 

cilier avec son ennemi? Faudra-t-ii payer la 
ziaraet la dime exige"e par cet habile exploiteur l^ 
le Kabyie se soumettra, heureux encore de 
s'en tirer a aussi bon compte. Faudra-t-il refuser 
le remede du Marabout francais? Faudra-t-il 

o 

retirer son enfant de son ecole ? Le Cheikh 1'a 
dit, il n'y a pas a discuter, il n'y a qu'a agir se- 
lon son desir. Bien plus, un Kabyie aura em- 
prunte de 1'argent au Marabout; il n'est pas 
riche, cependant sa conscience lui dit qu'il faut 
rendre le bion qui ne nous appartient pas. Qu'en 
pense le Cheikh ? Le na'if Kabyie va le consulter, 
et, comme pour tous les avocats, il doit payer sa 
consultation ; mais il sort content, car le Cheikh 
lui a dit qu'il n'etait pas oblige de rendre les 
cinquante francs empruntes, et, pour ce bon 
conseil, 1'avocat fallacieux ne lui a pris qu'un 
douro : J'en ai e*pargne neuf , se dit-ii a lui- 
mme, tout content en rentrant au logis. En 
Kabylie, ii y a aussi des juges, et le missionnaire, 
pour prouver a son dgbiteur que le Cheikh 
consulte n'est qu'un voleur, lui envoie le juge, 
et au lieu de dix douro qu'il aurait du donner, 
il doit en debourser onze. 

Et, malgretous ces me"comptes, les Kabyles 
obeiront aveugle*ment a ce Cheikh qui les trompe 
aussi impudemment. Quel est le motif de cette 
obeissance vraiment aveugle et stupide ? II faut 
Tattribuer a 1'idee que se forment de leur Cheikh 
les adeptes ; a les entendre, le Cheikh salt tout, 
peut tout ; il n'a qu'a vouloir. S'il voulait, il con- 
naltrait le passe et le present; s'il voulait, il de- 
couvrirait Tavenir ; s'il voulait, il jouirait du pri- 
vilege non seulement de la bilocation, mais aussi 



430 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

de 1'ubiquite ; s'il voulait. . ., mais s'il voulait. . ., 
il ne mourrait pas. Bien plus, et ici nous voulons 
citer mot a mot, les lignes que nous ecri- 
vait un do nos amis : Un de leurs adeptes 
(des Rahmanya) qui, pourtant, ne pou^ait pas 
tenir cette idee de lii seul, affirmait que 
Cheikh-Aly etait une incarnation de la divinite ; 
et, en le faisant expliquer sa pensee, il donnait 
presque exactementce que nous appelons r union 
hypostatique, 1' union morale n'etant bonne que 
pour les sectaires du grand Gheikh-Aly. Qui 
peut done leur avoir mis ces elucubrations 
en tte? 

Nos (ecteurs pourront, des a present, nous le 
croyons, re"pondre a cette question. Evidemment, 
une pareille theorie ne peut pas 6tre sortie du 
cerveau d'un Kabyle : il a fallu que quelqu'un 
I'y mit et le lui fit comprendre. 

Gomme en Chine les missionnaires qui vou- 
dront evangeliser les Kabyles et les Arabes se 
trouveront en face des Khouan, leur influence 
sera l>ien minime, et les proges bien lents, comme 
dans rfixtr^me-Orient. Les affllies sont, en effet, 
tres nombreux, et pour convertir 1'Arabe, il ne 
faut pas essayer par les grandes personnes 
mais par i'enfant. Et encore que de precautions 
ne faut-il pas pour n'eveiiier ni les susceptibilites 
d'un gouvernement a peine protecteur plut6t 
hostile qu'ami, ni la vieille haine que garden! 
toujours au coeur ies Kabyles vaincus. II suffit 
de suivre avec attention les progres de cette 
mission (car la aussi la grace de Dieu opere 
lentement mais surement) pour comprendre 
toutes les diflicultes d'une pareille enlreprise. 



LE DIABLE CHE2 LES MtJStfLMANS 431 

ll faudra toujours notar ceci : c'est quo les fils 
de Khouan ne fre"quentent pas leur ecole : cette 
decision a et prise dans une assemblee 
i'adeptes, et les quelques rares qui les avaient 
places chez les mission naires pour leur 1 faire 
donner une bonne Education, ont du les retirer. 
Dans presque tous leurs rapports, les mission- 
naires se plaigaent de ces menees des chefs 
d'ordre; a la station des Beni-Ismail, oil la 
zaouia et le tombeau du saint sont a peine a 
quelques centaines de metres de leur maison 
ils ont, pour voisins, des villages enliers de 
Marabouts : La population, disent-ils, ne nous est 
pas trop hostile : on nous invite a leurs fetes, etc.' 
une seule chose laisse a de"sirer, c'est que les 
eafants ne viennent pas a 1'ecole; ils jouent 
devant la maison avec ceux qui frequentent 
la classe, mais quand la cloche sonne ils restent 
a la porte : rien ne peut les faire venir, ni les 
burnous ni les chechias et tant d'autres presents 
que les missionnaires donnent a leurs eleves 
pour les attirer et gagner leur confiance : la 
cause, 1'unique cause, c'est que leur pere est 
ourad, et le Gheikh a decide qu'aucun affllie ne 
^aisserait ses enfants aller-en classe. Pouradou- 
3ir ces co3urs farouches, pour apaiser un peu de 
leur haine, il a fallu de la patience, de la charite 
a un degre sublime ; il a fallu leur faire du bien 
sans songer a la reconnaissance ; bien plus, a la 
pjrte de la maison, des que vous avez tourne le 
dos, les Kabyles insultent le missionnaire ; il a 
fallu 'eur donner desremedes pour rien. 

C'est en effet comme medecins que les Peres 
ont gagne la confiance de ces pauvres malheu- 



432 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

reux : les Marabouts ont vu que ces confreres 
allaient leur faire perdre tout leur prestige, 
aussi ils ont redouble* d'aetivite et fait un grand 
eloge de leurs amulettes. II y a aussi des sor^ 
cleres qui veuleat lutter avec le missionnaire. 
Un jour, on apporta a une de ces vieilies deux 
pauvres petits Sires absolument sans forces 
la guerisseuse se fit remettre dix oeufs et les 
cassa en leur presence : les neuf premiers furent 
gates, le dixieme fat bon : les deux petites crea- 
tures peuvent maintenant aller en paix, le djinn 
a et6 expulsS et ils gueriront in cha Allah (s'il 
plait a Dieu.) 

D'autres leur font une concurrence par trop 
deloyale : quelques Marabouts, en effet, ayant 
plus de confiance dans les remedes des mission- 
naires quo dans leurs amulettes et prieres, vien- 
nent leur demander des remedes. Un jour, un 
Marabout entra sans plus de fagon audispensaire : 
Marabout, donne-moi du remede. Pour qui? 

Pour ma femme. Qu'elle vienne. Tu sais 
bien que la femme du Marabout ne sort jamais. 

Et les remedes non plus. Et le missionnaire 
faisait bien ; le perfide se serait servi de ce re- 
mede pour combattre 1'influence du Marabout 
francais. 

o 

Tous ces fails montrent 1'antipathie et la haine 
du Marabout et Khouan contre le missionnaire. 
Ils savent bien que leur influence diminue cha- 
que jour et diminuera encore en proportion du 
bien qu'opereront les soldats de Jesus-Christ. 
De plus, dans ces fails que nous avons cite"s, les 
Marabouts n'etaient que de vulgaires sorciers ; 
mais quand c'est Gheikh-Aly qui est consulte, 



LE DI ABLE CHEZ LES MUSULM AN S 433 

les choses ne se passent pas ainsi. Un jour, un 
pauvre malheureux vint lui demander un re- 
mede : il avait ete mordu par un chien enrage ; 
connaissant le sort qui 1'attendait, il se resignait 
avec la soumission d'un Musulman ecrase sous 
le poids du decret e"ternel d' Allah. II voulut 
cependant rendre une derniere visile a son 
Cheikh ; peut-Stre par un reste d'espoir que eel 
homme de Dieu opererait pour lui un prodige : 
Get homme sans conscience lui fit une reponse 
a laquelle il fallait s'attendre : Mektoub, 
c'etait e*crit. 11 fallait se resigner et mourir. 
Et le malheureux prit a la lettre les preceptes 
de son Gheikh : Garde-toi surtout, lui avait-il 
dit, d'aller trouver le Marahout Chretien; il 
essayerait des remedes pour te guerir. Et 
le Kabyle expira dans les horribles convulsions 
de la rage. Comment apprecier une pareille 
conduite, et que penser d'un homme qui a pris 
une telle influence sur ses subordonnes jusqu'a 
leur faire preferer la mort a la vie. 

Elle est done bien grande encore Finfluence 
des Rahmanya sur 1'esprit des Kabyles. Apres 
plus de vingt ans, ils se reievent aujourd'hui plus 
fiers et plu's terribles que jamais. Ils attendent 
un moment favorable. Ainsi, au moment de la 
guerre du Tonkin, ils suivaient avec la plus 
grande attention les peripeties de la guerre. Ils 
venaient trouver le Marabout pour lui demander 
des nouvelles ; quand le missionnaire leur 
annoncait les victoires de nos troupes, la tris- 
tesse se peignait sur leur visage. Ils connais- 
saient nos defaites bien mieux que les paysans 
de notre patrie. Quand ils avaient acquis la 

LK UIABLE CHEZ LES MUSULMANS 13 



434 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

certitude que nos armies avaient eprouve une 
defaite, ils venaient cauteleusement trouver en- 
core le Marabout francais : Marabout, di- 
saient-ils, ont-ils ete vainqueurs ? Et comme le 
prgtre etait embarrasse pour leur repondre : 
Babas, tu ne mens jamais, toi; mais comme tu 
aimes tes freres, tu ne veux pas dire qu'iis ont 
ete vaincus : ton visage est triste, ton oeil est 
sans vie ; oui, Marabout, tes freres ont ete vain- 
cus, car Allah les a maudits. Et une joie fe- 
roce iiluminait leur visage. 

Ils sont prets pour la revanche, et nous, le 
le sommes-nous ? Quels sont nos nioyens de de- 
fense pour arreler toute cette population qui se 
levera comme un seul horn me et marchera droil 
a 1'ennemi? Qae pourrons-nous opposer au cou- 
rage indomptable de ces feroces montagnards 
qui se precipiteront du haul de leurs montagnes 
sur nos colons effares de la plaine comme 1'aigle 
sur la colombe ? Que pourrons-nous quand, au 
fanatisme du Musulman, il joindra la haine du 
Khouan, et qu'il saura que son Gheikh est la qui 
le regarde, 1'examine, et qu'au moindre mouve- 
ment il tombera mort par la main d'un frere. 
Nous ne pourrons pas seulement compter sur 
notre armee ; la France pourra-t-elle, en effet, 
laisser 60.000 hommes en Afrique, alors qu'elle 
verra ses frontieres menacees par des milliers 
de soldats? Un chemin de fer, il est vrai, traverse 
maintenant la Kabylie de part en part. La ligne 
d'Alger a Gonstantine passe par les gorges de 
Palestro, Bouira, etc., tandis que deux lignes 
secondaires pe"netrent au co3ur de ce pte de 
montagnes; celle de Minerville a Tizi-Ouzou et 



LB DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 435 

celle qui relie Bougie a la grande ligne. On sait 
combien il est facile d'intercepter une ligne de 
chemin de fer. II suffit de faire sauter le pont 
qui traverse 1'Isser a 1'entree des gorges de 
Palestro, pour empScher les communications 
avec la capitale de la colonie. De Paleslro a 
Gonstantine et a la mer, dans ce pate de mon- 
tagnes qu'on appelle la Kabylie, pate entoure de 
quelques plaines fertiles, nous devons compter 
plus de 100.000 Rahmanya, tous ennemis jures 
de notre domination. Le Cheikh a besoin de toule 
son autorite pour les maintenir dans 1'ordre et 
leur defendre de proclamer la guerre sainte . 
Us ecoutent leur Gheikh parce que, a leurs yeux, 
c'est un Stre humain se rapprochant presque de 
Dieu. A la premiere occasion, a la premiere de- 
claration de guerre en Europe, ils se leveront 
tous contre nous, et le Khouan qui obeit au 
Moqaddem de Nephta ecoutera avec doeilite la 
voix de celui des Beni-Ismai'l. 

Nous ne saurions, en effet, trop le repeter : 
entre les affilies, il n'y a pas de division; ils ne 
connaissent pas, eux, toutes ces distinctions que 
nous avons du faire pour bien connaitre 1'ordre ; 
beaucoup m&ne d'entre eux nesa vent pas s'il y a 
desMoqaddemindependants de celui auquel ils ont 
jure obeissance; a leurs yeux, il n'y a qu'un seul 
ordre, qu'un seul diker, qu'un seul but, tous sont 
soumisaux mmes obligations, et s'il n'y a pas un 
superieur general, a notreavis, c'est un danger de 
plus. S'il n'y avait, en effet, qu'un seul superieur 
re"sidant soit auxBeni-Isma'il, soil a Nephta, nous 
pourrions jouir de la.paix et etre surs de lui, s'il 
etait envers nous dans de bonnes dispositions ; 



436 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

s'il etait anime de dispositions hostiles, nous 
pourrions ou le faire changer ou le surveiller. 
Rien de tel : cinq on six hommes commandent et 
sont egaux dans cette congregation : chacun 
veut e"tre Gheikh et Triqa et aucun ne vent se 
soumettre a un superieur. Aussi, pour satisfaire 
les passions d'un homme, 1'ordre entier pourra 
etre entraine dans une gaerre contre nous. Si un 
jour Gheikh Aly veut faire preuve de son cou- 
rage et de sa puissance aupres de Dieu, il appel- 
lera a la Djihed tous les affllies, et non settlement 
ceux qui dependent de lui, mais encore ceux 
dependant d'un Moqaddem ennemi de Gheikh 
Aly se leyeront en masse pour voler a son 
secoars. G'est ce qu'on a vu en 1871 ; le Gheikh 
de Seddouk a ete soutenu dans la guerre sainte 
par celui de Maatka avec lequel il avait vecu en 
inimitie. 

Ici nous nous arretons : nous pourrions bien 
encore faire connaitre certaines pratiques, 
comme par exemple le don de communiquer aux 
autres des maladies, etc. , mais ce sont des pra- 
tiques qui se re"clament pliitdt de Tislamisme 
que des societes secretes . Nous croyons avoir 
atteint notre but ; cet ordre n'est pas satanique 
comme celui de Ben-Ai'ssa, mais il est surtout 
dangereux pour notre domination, car il compte 
une foule d'inities qui sont prts a prendre les 
armes pour nous repousser. II nous semble qu'il 
n'y en a pas de plus a craindre ni de plus a sur- 
veiller en Algerie ; les Ouled-sidi-Cheikh,malgre 
leur immense celebrity, perdent de jour en jour 
de leur influence, et voient tomber le prestige 
dont etait entoure" le nom de leur aieuL Les 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 437 

Aissaoua ne sont pas bien a craindre, relative- 
merit, pour notre domination ; ils ne se lanceront 
jamais seals dans une entreprise comme serait 
celle de nous declarer la guerre : ils ne se jugent 
pas assez forts, et aiment mieux jouir en repos 
dans letir zaouia du doux bonheur de 1'extase. 
Les Rahmanya, au contraire, semblent n'avoir 
qu'un but : assurer llndependance de la Kabylie, 
et, a ce point de vue, ils sont pour ces montagnes 
ce que sont les Taibya pour le Maroc. Leur but 
est done de nous nuire par tous les moyens 
licites et illicites : leur desir, leur seul desir 
est de nous chasser de ces montagnes le plus 
t6t qu'il leur S3ra possible ; aussi, nous ne 
cesserons de repeter que le grand danger, dans 
1'Afrique du Nord, pour notre domination, c'est 
1'ordre des Rahmanya ; ils feront, dans le Sahel, 
ce que feront les Snoussya dans le Sahara : 
peut-Stre une fois qu'ils nous auront expulse"s 
ils ne pourront s'entendre ; mais nous sommes 
certains d'avance que leur esprit et leur coeur 
ne feront qu'un quand il faudra nous combattre. 



GHAPITRE VII. 
Snoussya. 

Nous voila enftn parvenu acetordre quiest 
appele a jouer le premier r61e dans la franc-ma- 
connerie musulmane. Tout ce que nous avons dit 
et ecrit jusqu'ici peut n'tre considereque comme 
une introduction a ce chapitre. Nous ne voulons 
pas promettre plus que nous ne pouvons tenir ; 
mais nous ne craignons pas de dire qu'en ce 
moment les Snoussya sont les maitres du sud 
de la Tripolitaine ; que le Gai'macan de Tripoli 
mme est humblement soumis a un ordre de 
Djegboub ; que, des bords de la mer Rouge jus- 
qu'au Senegal, tout ce vaste territoire est sou- 
mis a celui que nous pourroiis nommer, sans 
emphase, le sultan de Djegboub. Snoussi est un 
Albert Pike, non certes en petit, et nous ne crai- 
gnons pas de dire qu'il egale, s'il ne surpasse 
pas, le celebre macon. De son vivant, il a 
fonde plus de ciuquante zaouia de La Mecque au 
Maroc, et son successeur voit aujourd'hui son 
diker recite par plus de dix millions d'hommes, 
ou, plutdt, disons que jamais personne ne con- 
naitra le nombre des affilies, car il faudrait 
connaitre le nombre d'habitants que renferment 
les royaumes des environs du lac Tchad. 

G' est, en effet, par le moyen des ordres reli- 
gieux que I'lslamisme s'est introduit dans le 
centre de 1'Afrique ; nous avons deja vu que les 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 439 

Tidjanya, aux jours de leur puissance, avaient 
su penetrer chez les Touareg et jusqu'au pays 
du Soudan, et, qu'en retour du bienfait de 
I'lslamisme (pour parler comme quelques explo- 
rateurs qui voient le salut de TAfrique dans la 
conversion de ses habitants a 1'Islam), qu'en re- 
tour de ces pretendus bienfaits, ils avaient acca- 
pare", a leur profit, le commerce du Sahara. Les 
missionnaires arabes se faisaient a la fois pre- 
dicateurs et marchands, c'est ainsi qu'ont tou- 
jours agi les prophetes de 1'erreur. II est certain 
que leurs progres furent immenses, et Ton 
compte que, depuis 1830, plus de 50.000.000 
d'Africains ont abandonne leur religion pour la 
doctrine de Mahomet. Cette permutation leur a 
e*te d'autant plus facile, que la pratique qui cou- 
tait le plus a ces peuplades etait la circoncision ; 
une fois circoncis, ils pouvaient faire un heureux 
melange de leurs doctrines fetichistes et de 
celles du Goran ; pourvu qu'ils ne mangeassent 
pas du pore, qu'ils ne fissent pas une trop grande 
consommation de vin (Mahomet ne connaissait 
pas l'eau-de-vie ni 1'absinthe, et, suivant le prin- 
cipe theologique : odiosa sunt restringenda, 
les Musulmans en boivent, et en boivent, non 
pas les plus fervents, cela va sans dire), et sur- 
tout qu'ils entretinssent dans leur coeur une 
grande haine contre les fideles de Jesus-Christ, 
c'etaient la les seules prescriptions obligatoires. 
Gertes, ce sont des casuistes bien relaches, mais 
qu'y faire ? Apres tout, pourquoi souffrir sur 
la terre pour souffrir encore plus dans 1'autre 
vie: 
Une telle doctrine a fait des progres immen- 



440 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

ses : partout 1'Arabe nous a precedes et il a 
apporte avec lui son immonde Goran. Les 
malheureuses populations qui n'ont pas voulu se 
soumettre ont ete menees en esclavage, et des 
pays autrefois fertiles et tres peuple's ne sont 
aujourd'hui qu'un desert ; qu'il y a loin de cette 
doctrine et de cette maniere de proceder a la 
doctrine qu'enseignent nos ApStres : nous voyons 
de pauvres sauvages comme dans 1'Ouganda 
etonner le monde par leur courage heroique 
devant la mort, tandis que leurs compatriotes 
devenus musulmans sont des monstres de 
cruaute et n'eprouvent dans le coeur aucune pitie 
pour ces innocentes victimes. 

Nous n'avons pas a nous occuper des progres 
que les ordres religieux ont fait faire a 
I'Islamisme en Afrique : nous voulons seulement 
nous arrester a FAfrique du Nord. Mais, qu'on le 
sache bien : partout, dans ce vaste continent, 
nous aurons a les combattre, et nous pourrions 
faire connaitre telle societe, les Bekkaya, tres 
puissante dans le Haut-Niger, dont le centre est 
a Tombouctou et qui etend jusqu'en Algerie ses 
vastes rameaux. Au Senegal et au Soudan, 
comme en Algerie, ce sont les ordres religieux 
qui nous font la guerre la plus acharne'e et se 
montrent animes envers nous de la haine la plus 
implacable. 

Ge vaste empire que Tidjani avait autrefois 
soumis a sa domination, oil il comptait un tres 
grand nombre d'afn'lies, est aujourd'hui entre les 
mains des Snoussya, qui y imposent leurs lois et 
commandent en maitres. 

Gheikh Snoussi, dont cousavons si sou VCD I cite 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 441 

le nom, et qai est 1'auteur par excellence, 
1'auleur sacre des ordres religieux musulmans,- 
est plutot un reformateur qu'ua fondateur d'or- 
dre. Pendant son sejour a La Mecque il se fit 
affilier aux Khadirya, el a la mort du dernier 
Gheikh uae partie des voix de ses confreres 
se porterent sur lui : mala il eut affaire a un ter- 
rible rival, et 1'ordre so scinda en deux. 

L'ordre de Khadirya, ainsi que Tindique son 
nom, est un ordre revele par El-Khadir. II y 
avait, raconte la tradition, un illustre v hallucine 
dans la ville de Fez : c'etait El-Arbi-el-Fichtali. 
Apres avoir passe ses jours dans la retraite et 
la solitude, vivant de la vie du Soufl; apres 
etre parvenu au dernier degrd de perfection 
auquel peut arriver un horn me sur la terre. il 
se sentit pres de mourir. La peste desolait 
1'Afrique du Nord et y faisait des ravages epou- 
vantables, le saint de Dieu en fat atteint. Sen- 
tant que sa fin approchait, ii fit appeler sa niece : 
Mektoub, c'etait ecrit, Dieu 1'avoulu, etaujour- 
d'hui je vais mourir. Dieu te donnera un 
enfant dans trois ans ; garde cstte Chechia et 
ces sandales noires, c'est la tout 1'heritage que 
je lui transmets, ce sera pour lui une richesse 
incomparable. Et la niece a garde precieuse- 
ment les sandales noires : et la Chechia, une 
Chechia toute crasseuse qui avait au moms servi 
a trois generations. 

Trois ans plus tard, naissait Abd-ei-Aziz-ed 
Debbar. Aussit6t que sa tete ftit assezgrosse 
poar porter la vieille Chechia de son grand-oncle, 
sa mere la lui donna pour coiffure ordinaire. 
II ne 1'eut pas plus t6t posee sur satete, qu'il sentit 

LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 13. 



442 /LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

naitre en lui un grand de"sir de s'adonner a 
la pratique du bien et de vivre dans le repos et 
la solitude, uniquement occupe a sanctifier son 
ame. Jeune et sans experience, il ne pouvait se 
diriger tout seul dans une voie aussi difficile ; 
aussi, courait-il apres tous les Gheikh qu'il enten- 
dait nommer : mais jamais son coeur n'etait 
satis fait, et il sentait tou jours en lui naitre le 
desir de monter plus haut. Les reponses que lui 
faisaient ses maitres ne satisfaisaient pas son 
intelligence ; sa precocite" d'esprit et sa perspi- 
cacite etait un effet de la vieille relique du grand- 
oncle. Depuis 1'age de quinze ans jusqu'a vingt- 
quatre, il resta dans cet etat qui, dit-il, le 
faisait beaucoup souffrir et le j etait dans la 
perplexite. 

Or, des sa plus tendre enfance, ii avait 
contracte certaines habitudes de piete qu'il prati- 
quait fidelement ; en particulier, il passait la nuit 
du jeudi au vendredi aupres du tombeau d'un 
saint, y recitant force prieres, en particulier le 
poeme appele Borda, qui a ete compose par un 
Gheikh eg yptien au xm e siecle de notre ere. Une 
nuit qu'il avait prie avec plus de ferveur que 
d'ordinaire, il rencontra a la porte de la mosquee 
un etranger qui lui revela quelques-unes de ses 
pensees les plus intimes : Abd-el-Aziz, a ce pro- 
dige, comprit qu'il avait devant lui un des plus 
grands saints de Dieu, peut-etre un G'outs, et 
aussitot il le pria de lui donner le diker. Pendant 
toute la nuit, le fervent Soufi pria i'etranger de 
lui accorder cette f aveur ; pendant toute la nuit, 
I'etranger fit semblant de ne pas entendre la 
demande de 1'honime de Dieu ; 1'aurore commen- 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 443 

cait a paraitre et celui-ci n'avait pas discontinue 
ses instances aupres de 1'etranger. Ge dernier 
fut vaincu : Me promets-tu, lui dit-il, de le re- 
citer tous les jours de ta vie ? Je le promeis, dit 
simplement le Soufi. Tous les jours, turepeteras 
sept miile fois ces paroles : mon Dieu, repan- 
dez vos nombreuses benedictions sur notre 
seigneur Mohammed-ben-Abd-Allah ! 6 mon 
Dieu, en vertu des merites de notre seigneur 
Mohammed-ben- Abd-Allah( que la benediction 
de Dieu et la paix soient sur lui), faites-moi la 
grace de le voiren cemonde avant dejouir de 
sa presence en 1'autre. Abd-el-Aziz promit ; 
pendantcinq ans, il recita sept mille fois par jour 
cette courte invocation : et pendant ces cinq ans, 
ii ne fut pas favorise de 1'objet de ses desirs. 

Pourquoi faut-il dire que son zele et sa piete se 
ralentirent ; il n'eut pas le don de perseverance, 
et cependant il avait recite pendant cinq ans 
sept mille fois par jour cette priere. Aussi, peu a 
peu, il diminua le nombre de fois, et il etait arrive 
a ne la dire presque plus. Ici nous voudrions 
placer une reflexion que nous croyons fort a 
propos. Gette priero comprend une longueur de 
pres de huit lignes d'un livre : multiplie par 
7.000 nous avons au total une somme de 56.000 
lignes que cet individu devait reciter par jour ; 
supposons que chaque page contmt 35 lignes, 
notre Soufi. aurait du chaque jour (et ii le faisait) 
reciter la valeur d'un livre de 2.000 pages. Sa 
disposition d'esprit etait bien toujours celle-ci : 
il faut que je voie le Prophete, et je suis stir qu'il 
m'apparaitra. Pendant cinq ans, il recita cette 
formule : pendant cinq ans, il s'astreignit a 



444 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

reciter chaque jour ses mille pages de prieres, 
et cependant jamais il n'eut une vision. D'ou 
nous croyons pouvoir conclure surement que les 
apparitions dont sont favorises les vrais Soufl, 
ceux qui se sont donnes a Lucifer, ne sont pas le 
produit de leur imagination seule, mais .qu'il y 
a apparition reelle. Ge qui ne detruit pas ce que 
nous avons dit qu'il y avait a peine un dixieme 
des affilies qui avaient le don des visions et des 
extases, et que les neuf dixiemes de ceux qui 
pretendaient tre en comoiunication avec les 
esprits ne voyaient dans leurs visions que 
le fruit de leur imagination. Ici le cas est 
tout different, et il nous semble que, naturel- 
lement parlant, un tel individu aurait du etre, 
au bout de quelques mois, completement hal- 
lucine. II n'en fut rien. 

II y avail quelque temps deja que sa Constance 
commen?ait a s'ebranler et qu'il perdait sa fer- 
veur premiere, lorsque tout a coup il fut saisi de 
1'Esprit et favorise de la vision tant attendue. Ge 
fat en pleiajour, le Sde redjeb 1125(juillet 1713), 
a Fez, Bab -el-Foutouk (porte des Victoires) que 
Dieu daigna se manifester a son fidele servi- 
teur. II Jui accorda le don de Tesarrouf (1), 
c'est-a-dire qu'il lui fit connaitre les mysteres 
de la nature, et lui accorda le don de faire des 
miracles. El-Abd-el-Aziz, rapporte toujours la 
tradition, en usa largement, et, dit son biographe, 
il ne se passait pas un seul jour sans qu'il n'operat 
quelque prodige. Alors se realisa la prophetie 
du vieil oncle mourant de la peste, quand il 

(}} Ce mot (Tesarrouf) siguifle litteralement : faculte d'agir a 
son gre. 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 445 



disait a sa niece de garder sa Chechia pour 
1'enfant qu'il luinaitrait : que cet heritage serait 
pour lui un tresor. En effet, la reputation d'Abd- 
el-Aziz fut grande, et il vit de aombreux 
disciples se presser autour de lui pour etre 
instruits dans la voie de la perfection. Les 
ennemis les plus ardenis eux-memes, comme 
Ahmed-ben-Mobarek qui 1'avait combattu, et se 
fit plus tard son plus ardent defenseur, ces- 
serent deles poursuivre de leurs sarcasmes a la 
vue de sa sagesse et de sa science. Mobarek lui 
sncceda meme et se fit 1'auteur de sa vie. 

Get ordre n'a pas produit de grands saints ni de 
grands docteurs comme celui des Qadyra ou des 
Chadelya; le fondateur etait un grand ignorant 
et tin naif et il nous fautaller jusqu'auqualrieme 
superieur general pour trouver un nomine 
important : G'ost Ahmed-ben Idris-el-F assy. Ne 
a Fez, ou ii acquit un grand renom de saintete, 
il fit son pelerinage a La Mecque, en 1797. 11 se 
plut dans cette contree, et aupres du tombeau 
du prophete oil il pouvait souvent aller faire de 
loogues visites. II faisait de rapides progres tant 
dans la piete que dans la science. Au centre de 
la religion musulmane, il se fit un grand renom 
a cause de ses doctrines. Des frontieres de la 
Chine aux bords de FAtlantique, sa reputation 
lui faisait acquerir de nombreux disciples, et sa 
chaire etait entouree d'une foule innombrable 
d'etudiants. Ses collegues dans Fenseignement, 
jaloux d'une tellerenommee, 1'accuserent d'here- 
sie. L'accusation portait sur une chose bien legere 
a nos yeux, niais tres grave aux yeux du 
pharisien musulman. Dans leurs prieres, ceux 



446 LB DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

qui suivent le rite male"kite doivent prier les bras 
colles au corps et allonges de toute leur lon- 
gueur, tandis que le maitre de Snoussi faisait 
prier ses disciples les bras croise"s surla poitrine, 
le poignet gauche pris entre le pouce et 1'index 
de la main droite. G'en fut assez pour qu'aus- 
sit6t il devint heresiarque, et flit oblige" de fuir 
la colere des docteurs de 1'Islam. 

Ahmed-ben-Idris se refugia alors, a quinze 
journees de marche de La Mecque,dans une ville de 
1'Yemea, appelee Sobia. Gette ville etait alors au 
pouvoir des Ouahabites. Le sejour presque force 
qu'il dut faire au milieu de ces fldeles observa- 
teurs de la religion primitive du Goran, ne fut 
pas saris influence sans doute, sur les doctrines 
du maitre de Snoussi. Ea faisant connaitre ces 
puritains de la religion musulmane, nous ferons 
une excursion en Arabic, et nous verrons que la 
aussi le demon s'est remue : la vraie doctrine 
politique du Goran nous apparaitra connue des 
peuplades de 1'Arabie qui portent tous leurs 
efforts vers 1'imamat et le panislamisme : en 
meme temps, nous verrons que la doctrine parti- 
culiere de ces Ouahabites n'est que celle du 
Goran, mais la doctrine vraie et comprise de cet 
immonde livre ; nous esperons pouvoir comple- 
ter, par ce moyen, ce que nous avons dit en par- 
lant des A'issaoua. 

Nous ne pouvons pas ici faire Thistorique de 
cette secte nouvelle qui, du fond de 1'Arabie, veut 
retablir dans sa purete el sa rigueur primitive, 
les doctrines du Goran. Mohammed-ben-Abd- 
el-Wahab naquit a Horeymelah, ville situee dans 
le centre de 1'Arabie par le 46 de longitude (est 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 447 

de Paris;, et un pen au-dessus du 26 de lati- 
tude, a eaviroQ 200 kilometres nord-est de La 
Mecque, presque a la meme latitude que Mediae . 
Comme le prophete dont il devait restaurer dans 
sa purete la doctrine du Goran, il se livra 
d'abord au commerce. A Damas, il se lia e"troite- 
ment avec quelques savants qui abhorraient de 
toute la force de leur ame les fakirs fanatiques 
qui ont introduit dans I'lslam les doctrines de la 
Perse et de 1'Inde. G'est, en effet, un point a 
noter que les Wahabites ne veulent point admet- 
tre chez eux et regardent co.mme des h6re"tiques 
et des impies tous les individus qui se font asso- 
cier aux societes musulmanes. Et cependantnous 
avons vu plus haut que ces mmes fanatiques 
ont recueiili chez eux le maitre de Snoussi. 
Mohammed-ben-Abd-el-Ouahab etait doue 
d'une intelligence superieure : dans ses nom- 
breux voyages, il avait beaucoup observe e 
beaucoup reflechi. II avait surtout remarque 
combien les Musulmans avaient des pratiques 
qui lui semblaient peu conformes avec la doc- 
trine du Goran, tel qu'il 1'expliquait. Les savants 
de Damas lui enseignerent la vraie doctrine et 
Taiderent surtout a trouver la clef de l'e"difice 
bati par Mahomet. Se reportant a onze siecles 
en arriere, au jour ou i'ange Gabriel venait 
annoncer au Prophete qu'il avait e"te elu par , 
Allah pour achever 1'oeuvre et clSturer la liste 
des Prophetes, il examina d'un coup tout Tediflce, 
et vit combien il etait different de celui de 
Mahomet : Des pratiques nombreuses avaient ete 
introduites, des doctrines erronees et subver- 
sives etaient venues s'aj outer a la saine doc- 



448 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

trine du Goran, et, sous le voile de 1'orthodoxie, 
elles cachaient les plus grandes monstruosites, 
aux yeux du fidele musulman. Helas ! en voulant 
sortir d'un gouffre, il tomba dans un autre- sem- 
blable ; et il ne fit que reproduire ce que nous 
avons vu plus Jiaut enseigne par Ben-A'issa : Un 
Dieu, un seul Etre. seul actif, seul souverain, 
aupres duquel les etres sont absolument irres- 
ponsables et se meuvent fatalement : un Dieu 
qui a cree le monde on ne sait trop pourquoi ni 
comment, faisant les uns pour le ciel, les autres 
pour 1'enfer, avec la mSme indifference qu'un 
potier fagonnant selon son bon plaisir, et sans le 
moindre romords des vases pour un bon ou un 
mauvais usage. Pas d'amour dans ce Dieu cruel, 
et aussi sterile que le sable du desert de TArabie. 
Toutes les creatures se soumettent egalement a 
son omnipotence sans misericordeni compassion : 
la pierre, la brute et 1'homme sont sur le me"me 
rang ; et cela va de soi du moment que rhomme 
n'est pas libre, mais sous 1'empire de la fatalite 
va se perdre soit dans 1'enfer soit dans ie ciel 
comme la goutte d'eau dans le vaste ocean. Au 
surplus Fliomme fait courber sous la meme loi 
inexorable les puissances superieures, et 1'ar- 
change et 1'ange sont ses egaux comme la brute 
et la pierre. G'est comme un dedommagement a 
notre avilissement. 

Cette doctrine affreuse qui n'est autre chose 
quo celle de Manes, comme nous 1'avons dit, est, 
au dire de Mohammed-ben-Abd-el-Ouahab, la 
vraie doctrine du Goran ; il 1'exposa tout au long 
dans les volumineux commentaires qu'il com- 
posa sur ce pre"tendu livre sacre. Ge fut avec le 



' LE. DIABLE CHEZ LES -MUSULMANS 449 

secours du sabre qu'il la propagea dans sa patrie 
ou, aujourd'hui, elle coinpte de nombreux et fer- 
vents sectateurs. 

Ge reformateur voulait purger 1'Islam de toutes 
cesfausses sectes, qui, en Orient, empruntent plus 
a 1'Inde qu'au Goran leurs doctrines mystiques. 
Le but qu'il se proposait etait la restauration de 
l)Islamisme primitif, avec sa legislation, son gou- 
vernement et ses pratiques religieuses. A son 
avis, I'lslamisme avait eu un grand tort' depuis 
son origine ; c'elait de n'etre pas reste station- 
naire : une religion est et opere selon la notion 
qu'elle a de 1'Etre Supreme auquel elle rend 
ses hommages et ses adorations. Le Dieu de 
Mohammed, le faux prophete, est un Dieu abso- 
lument sterile, vivant seul de toute eternite dans 
un perpetuel egoisme : le jour ou il a voulu jeter 
le monde dans 1'espace, ce fantome de Dieu n'a 
pas eu la force de produire un acte de vertu : 
Indolent, mechant, cruel, perfide, barbare, ii 
n'a aucune des qualites que nous aimons a trouver 
en nos semblables. Une religion qui rendun culte 
a un pareil tre devait necessairementse ressentir 
de cette indolence, de cette paresse, de ce man- 
que d'energie. 

L'ideal du gouvernement pour les Ouahabites, 
c'est done le gouvernement tel qu'il existait dans 
les premieres annees qui ont suivi la mort du 
Prophete de Satan. L'imamat, voila le meilleur 
de tous les gouvernements, et c'est vers ce but a 
atteindre que tous les Musulmans doivent porter 
tous leurs efiorts. Quel sera le respect que tout 
sujet devra avoir pour son souverain ? fividem- 
ment, il.dovrait 6tre nul. Admis, en effet, que tous 



450 LE DIABLE.CHEZ LES MUSULMANS 

les homines sont absolument e*gaux, que le roi 
n'est pas plus recommandable que le dernier des 
portefaix de sa capital e, que 1'homme ne peut 
acqueriraucune vertu puisque Dieu seul agit, que 
nousn'avons aucune part au bien qui est en nous, 
et que nous sommes ou bons ou mediants, 1'un 
ou 1'autre cecessairement, le Ouahabite, comme 
tout Musulman qui comprendrait sa religion de- 
vrait&re pleiude mepris pourl'autorite legitime. 
Disons qu'ils sont meiileurs que leurs principes : 
n'est-ce pas, en effet, ce qui arrive pour tous les 
hommes qui s'eloignent de la vraie voie . 

Puisque le reformateur nourrissait dans son 
coeur tant de haine contre les fakirs, il do}t alors 
ne pas avoir professe leurs doctrines : nullement, 
lui aussi il s'est laisse" influencer par la philoso- 
phic indienne et est tombe* dans le pantheisme. 
Par le fait meme qu'il a bien compris et inter- 
prete la doctrine du Goran, il a du tomber 
dans cette aberration. II n'ira pas se Jeter dans 
cette theorie incomprehensible ou I'dme, apres 
s'^lre degagee des liens terrestres, va se perdre 
dans I'lnfini d'ouelleestun jour sortie; sa theorie 
pantheistique sera plus claire, plus mathema- 
tique. La Ala ilia Allah (1) : il n'y a dans le monde 
qu'une seule force, qu'une seule puissance ; par 
de puissants ressorts, elle fait mouvoir toute la 
creation. Telle la machine a vapeur met en 
branle tous les wagons qu'elle traine ; si elle 
s'arr^te, tout s'arrele ; si elle marche, tout 
marche ; si elie devore 1'espace, les wagons la 
suivent; tout cela ue fait qu'un, il n'y a qu'une 

(1) 11 n'y a d'antre divinite que la divinite ou qne Dien. 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 451 

force, les wagons sont passif s et force"ment doivent 
obeir. Admettre que c'est Dieu qui opere en nous, 
ou nous qui agissons parce que nous sommes des 
parties de Dieu ; que c'est Dieu qui fait en nous 
le mal, ou que nous, parties de la divinite, nous 
faisons le mal,n'est-ce pas la meme chose, n'est- 
cepas toujours lepantheisme ? Je suisentre dans 
de longs developpements pour degager du livre 
saint de Tislamisme la veritable idee de Dieu, 
pour mettre a nu cette theologie monstrueuse 
qui pre"sente le Crdateur comme le plus despotique 
des tyrans, et ses creatures comme les plus vils 
des esclaves. Conclusion revoltante et pourtant 
necessaire des que Von aclmet V absorption pan - 
theisle de tout acte, de toute responsabilite en 
Dieuseul(lj. Dans un lei systeme, les actes bons 
ou mauvais de 1'homme, le meurtre, le vol, le 
parjureoul'exercicedes plus ha~i!es vertus, sont 

(1) Que le Iccteur nous permette de lui montrer. par une anecdote 
assez interessante, qne le peuple ouahabite met en pratique une 
telle doctrine. Palgrave, pendant son voyage, couvrait ses intentions 
en sefaisant passer pourdoctenr en medecine. Dans chaque ville ou 
ils'arretait, il soignait les malades et obtenait de la sorte beaucoup 
de renseignements, car les Arabes sont grands causeurs quand on > 
leur fait du bien. Un jour done, un homme du peuple vint le 
tronver dans sa demeure : Docteur, tout moa corps n'est que souf- 
france. Cette phrase etant trop generate pour etre exactement 
vraie, il poursuit son interrogatoire : A.vez-vous roal a la tete? 
Non. SoulTrez-vous du dos? Non. Des bras ? Non. 
Des jambes? Non. De I'estomac, des entrailles? Nou. Mais 
si vous ne soulFrez ni de la tete, ni de I'estomac, ni du dos, ni des 
bras, ni des jambes, comment pouvez-vous etre un compose de 
douleurs? Tout mon corps n'est que souttrance. 

Le docteur comprit enfin que son individu souffrait d'un rhuma- 
tisme chronique. 11 continue done : Quelle est la cause de votre 
maladie? La cause, Docteur. c'est Dieu. Sans doute, tout vient 
de Dieu; mais quelle eu a ete 1'occasion particuliere? Docteur, 
Dieu d'abord, et ensuite la viande de cliameau que j'ai mangee 
quand j'avais froid. Cette lucide explication ne me satistaisant 
pas : <f II n'y a pas autre chose Peut-etre bien ; j'ai bu du lait 
de chameau (sic) ; mais la cause de tout cela, c'est Dieu, je vous 1'ai 
dit, docteur. (Tome I, chap. IV, p. 145.) 



452 LE DIABLE CHEZ LES MU^ULMANS 

choses indifferentesauxyeuxdu grand autocrate 
pourvu que le droit inviolable de sa monarchic 
supreme demeure intact et soit regulierement 
pr Delame. Le desppte est satisfait quandl'esclave 
avoue sa dependance, et il n'exige rien de plus. 
Dieu et la creature passentenlreeuxune sortede 
compromis : Je vous reconnaitrai, dit 1'homme. 
pour mon Createur, mon seui seigneur et mon 
seul maitre, et j'aurai pour vous un respect, 
une soumission sans bornes. Afin de m'acquitter 
de cette obligation, je vous adresserai chaque 
jour cinq prieres qui coinprendront vingt-quatre 
prosternations, la lecture de dix-sept chapitres 
du Goran, sans oublier les ablutions preliminai- 
res, partielles ou totales ; le tout entremel6 de 
frequents La Ala ilia Allah et autres for- 
malites. De votre c6te, vous me laisserez faire 
ce qu'il me plaira pendant le reste des vingt- 
quatre heures et vous n'examinerez pas trop ma 
conduite personnelle el privee ; en recompense 
des adorations de ma vie entiere, vous me rece- 
vrez dans le paradis oil vous me procurerez la 
' chair des oiseaux si agreable au gout , de 
frais ombrages, des ruiSseaux de nectar. Quand 
bien meme raccomplissement de mes devoirs 
religieux laisserait a desirer, ma foi en vous et en 
vous seul, avec un devot La ila ilia Allah , 
sur mon lit de inert, suffira pour me sauver . 
Voila, sans periphrases, Tabrege, la substance 
de 1'islamisme orthodoxe (1). 

Puisque ce nouveau prophete a voulu ramener 
au type primitif la religion musulmane, puisque 

(1) Palgrave. Voyage en Arabic, traduit par Emile Jouveaux, 
torn. II. chap. X, page 78, 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 453 

d'apres 1'idee qu'il s'est faite de cette religion, 
celle-ci doit etre toujours stationnaire, les waha- 
bites doivent condamner a priori tout progres, 
toute innovation. La civilisation, partant le chris- 
tianisme n'a pas de plus terrible ennemi que 
ces fanatiques sectateurs de 1'Islamisme pur. 
Palgrave nous peint ainsi Abd-el-Latif, arriere- 
petit-fils du reformateur : G'est unhomme d'une 
beaute remarquable dont les manieres et le Ian- 
gage annoncent une certaine culture. Envoye en 
Egypte, il avait ete eleve au Gaire, et il doit, 
a son sejour au milieu d'un peuple plus eclaire 
que celui du Nedjed (1), 1'aisance et la variete de 
sa conversation, son apparence de liberalisme, 
et son de"dain fort surprenant choz un cadi de 
Riad, pour sa tantologie faligante et ampoulee 
de sa secte. Mais ilnefaut pas se laisser tromper 
par ces dehors brillants; la langue seule est 
egyptienne, le co3ur et 1'esprit sont wahabites. 
Je ne crois pas que Ton puisse rencontr er, dans 
1' Arable centrale, un homme plus dangereux, 
plus ennemi du progres qu' Abd-el-Latif . Jamais 
Namik -Pacha, Ali : Paeha, ou tout autre Pacha 
revenant du Bosphore apres des annees passees 
sur les bords de la Seine ou du Danube, n'ont eu 
le cceur plus rempli d'une haine jalouse centre 
la prosperite et la civilisation qui ont frappe 
leurs regards, et auxquelles ils ont la conscience 
de ne pouvoir atteindre. Le cadi de Riad, 1'an- 
cien etudiant du Caire, aujourd'hui chef des 
zelateurs nedjeens, est la personnification de 

(i) Province de 1'Arabie centrale comprise entre le 28- et le 25- de 
latitude, entre le 44- et le 47- de longitude Est de Paris. Riad en 
est la capitate. 



454 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

Tantipathie eternelle du mal pour le bien, anti- 
pathie non moins profonde que celle du bien pour 
le mal. (Palgrave, torn. II, page 87.) 

Gesquelqueslignes apportent une eclatante jus- 
tification a ce que nous avons dit plus haut, sur la 
haine que tout Musulman, s'il veut tre fidele a 
sa religion, doit avoir pour le progres et la civi- 
lisation. Et en conservant bien dans le coeur 
cette haine, ils sont consequents avec eux-mmes: 
car si Dieu seul est actif, rhomme doit rester 
sempiternellement dans 1'etat ou 1'a place la main 
de Dieu. Le diable seul, a leur avis, peut pousser 
rhomme a sortir de sa condition et a ne pas vou- 
loir toujours vivre d'une seule idee. Aussi, est-il 
curieux de voir combien fidelement ces descen- 
dants d'Ismael ont conserve les traditions de 
leurs anctres. Ils sont partout les me"mes : peu- 
ples, pasteurs, ils portent partout la desolation : 
Le Prophete u'a-t-ii pas dit que ragricutleur 
etait indigne des mains du fidele croyant ! 

Nous savons que nous enoncons ici bien des 
idees qui surprendront beaucoup de lecteurs qui 
pretendatent cependant elre bien instruits sur la 
loi et la religion musulmanes. Nous citerons les 
paroles memes du Prophete a sa concubine fa- 
vorite,. Eyshah : Les anges ne visitent pas une 
maison ou ils rencontreraient une charrue. Si 
nous ne craignions de nous arrgter trop longtemps 
sur cette secte des Ouahabites, nous citerions 
plusieurs curieuses pages ou Palgrave prouve 
que Mahomet defendit 1'usage du vin : premiere- 
ment, par haine de notre sainte religion et aussi 
parce que le vin rend le commerce, entre les 
hommes, plus agreable. Parle beaucoup qui a 



LE DiABLE CHEZ LES MUSULMANS 455 

bu, dit-on, dans moo pays, et tout meridional est, 
dit-on, un bon parleur et un bon camarade. Faii- 
drait-il attribuer ces qualites a la liqueur de 
Bacchus? II est certain que les poetes arabes ont 
chante cette douce liqueur avec un talent digne 
d'Anacreon, avantque Mohammed 1'eutproscrite. 

Enfln, comme derniere ressemblance entre les 
Khadirya-Snoussya et les Wahabites, nous de- 
vons mentionner 1'attitude que prennent dans la 
priere les deux sectes : les bras croises sur la 
poitrine. Et, a ce sujet, nous rapporterons 
un fait dont Palgrave a ete temoin dans son^ 
voyage en Arable ; les lecteurs jugeront, par la, 
de 1'importance que les Musutmans attachent a 
ces niinutieuses pratiques, qu'ils observent avec 
la plus rigoureus?* exactitude. Us y mettent loute 
leur attention, comme le grand maitre des cere- 
monies aux jours ou nos rois recevaient les 
ambassadeurs. 

Le Gheikh Mohammed el-Bekri, apres les mas- 
sacres qui ensanglanterent Damas, en 1860, pour 
luir la justice de son pays qui aurait dii, selon la 
loi naturelle, lui infliger un chatiment exem- 
plaire, car il y avait figure comme 1'un des plus 
grands massacreurs, avait fait un voyage dans 
r Arabie Gentrale. Parvenu a Riad au milieu 
des Ouahabites , il recut I'hospitalite chez 
Abd-el-Latif, arriere-petit-fils du reformateur. 
La politesse contint pendant quelques jours 
Tesprit de secte, mais le Syrien ne voulait jamais 
paraitre a la mosquee. 

Vint le vendredi : il se vit oblige* ce jour-la, 
d'assister aux prieres publiques et alia a la mos- 
quee ou son h6te devait pr^cher. De son mieux> 



456 LE DI ABLE CHEZ LES MUSULMANS 

il calma les remords 'de sa conscience, en 
condamnant interieurement les he"retiques avec 
lesquels il pactisait en ce moment : Helas ! de 
quel scandale, continue Palgrave, il allait etre 
temoin. Le Metowa, qui remplissait les fonctions 
d'iman, venait de reciter le Tekbir-el-Ihram et 
commencait la Fatihah, quand, chose horrible 
a dire ! il se permit de redresser le pli du 
col de sa tunique, an lieu de tenir decemment 
les bras croises sur sa poitrine. A cette vue, 
Bekri ne put retenir son' indignation : ii vaiait 
mieux omettre les prieres que de les reciter avec 
un Iman capable de meconnaitre ainsi ses de- 
voirs : Dieu, tu le vois, il faut que je quitte 
le temple, s'ecria-t-il a haute voix, et il sortit de 
la mosquee dans un acces de colere impossible 
a decrire . (Tom. II, p. 52.) 

Les Ouahabites ont encore bien d'autres parti- 
cuiarites : ils proscrivent impitoyablement le 
chapelet, les sortileges, les talismans, Tart divi- 
natoire, 1'interpretation des songes et .tant d'au- 
tres pratiques communes aux Orientaux. Nous 
regrettons de ne pas pouvoir nous etendre davan- 
tage sur cette secte inleressante : nous avons 
settlement voulu faire connaitre a nos lecteurs 
ce mouvementde 1'Arabie vers le Goran primitif 
et ses pratiques. 

Nous avons dit que les Ouahabites condamnent 
les derviches et les fakirs; cette condamnation 
s'applique surtout aux derviches ambulants de 
1'Orientj comme nous avons pu en juger par les 
quelques f aits que raconte Palgrave, et ils eprou- 
vent de profondes sympathies pour les ordres reli- 
gieux veritables, ennemis de tout progres et qui 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 457 

veulent faire revenir 1'Islam a sa purete pri- 
mitive. Ne voyons-nous pas Snoassi rejeler les 
Ai'ssaoua de son livre ou il prouve Forthodoxie 
de son ordre ? II les a rejetes, parce que beau- 
coup de charlatans abusent de ce nom pour 
tromper le peuple ; nous croyons qu'il en est de 
mme pour ies Ouahabites. Us meprisent, et 
avec raison, les faux derviches qui exploitent 
la charite publique, mais font alliance avec les 
vrais derviches inities a la saine doctrine de 
1'Islam. 

Devons-nous dire que Ahmed-ben-ldris avait 
de"couvert seul dans ses veilles sa doctrine qui 
le rapprochait tant de celle des Ouahabites, ou 
plutdt faut-il penser que, se voyant sans asile, 
il ne voulut pas se retracter devant ses disciples 
entho.usiastes, et qu'il prefera continuer dans 
cette voie et aller jasqu'au bout? Anotre avis, 
1'orgueil Temp^cha de se retracter, et se voyant 
sans abri, il embrassa completement la grande 
reforme qui convenait tant a son esprit, et 
la transmit a ses plus fideles disciples. Dela 
sorte, la doctrine des Ouahabites fit irruption en 
Occident, ou elle ne tardera pas a rencontrer de 
nombreux et fervents adeptes. 

Des les premiers temps de 1'islamisme, quel- 
ques fideles croyants, s'attachantfidelement a la 
lettre du Goran, ont opere ce que Mohammed- 
Abd-el-Waheb a fait dans 1'Arabie : ils ont vecu 
depuis la fondation de 1'islamisme conservant 
fidelement ces traditions et refusant de se 
meler aux autres Musulmans. Ce sont les parti- 
sans d'Ali, c'est-a-dire ceux qui proclamaient la 
necessite de 1'imamat. A leurs yeux, il n'y a eu 

LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS {3.. 



458 LE DIABLH CHEZ LES MUSULMANS 

de veritable islamisme que sous les trois premiers 
Khalifes ou Imam,, et ils se disent . les vrais 
continuateurs de Mohammed le Prophete. Tels 
sont, dans le Nord de 1'Afrique, les Mzabites et 
les habitants de 1'ile de Djerba. Ge sont les pre- 
curseurs de Mohammed-ben-Abd-el-Wahab et 
de Snoussi, et a ce titre meriteht ici quelques 
lignes. 

Les Mzabites et les habitants de 1'ile de 
Djerba, ce qui forme un total de plus de J 00.000 
habitants, ne sont heretiques que parce qu'ils 
veulent absolument le retablissementdei'imamat 
et ne reconnaissent pas d'autre Khalife que 
Abou-Taleb, Abou-Beker, et Omar. A leurs 
yeux, Ali est un traitre parce qu'il n'a pas 
voulu couquerir ce titre les armes a la main. 
Pour rester orthodoxes et n'etre pas pris au 
depourvu, ils ont invente, comme les protes- 
tants ont fait pour 1'Eglise, un etat latent 
dans lequel ils se trouvent a present; ne 
pouvant pas aujourd'hui reconstituer 1'imamat, 
ils esperent toujours que le moment viendra 
ou, les armes a la main s'il le faut, ils pourront 
avoir un seul souverain qui les administrera 
selon la loi ecrite dans le Goran. Leur dernier 
imam a ete Yacoub qui declara qu'apres sa 
mort il n'y avail plus possibilite de lui nommer 
un successeur (910 de 1'hegire : 1505 de J.-G.) 
G'est depuis ce moment qu'ils se trouvent dans 
1'etat de secret. 

L'etat de gloire a e"te bien court, il a dure" a 
peine quelques annees sous les trois premiers 
Khalifes. Le jour ou Ali transigea avec 
Moaouia (celui qui est connu dans nos his- 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 459 

toires sous le nom de Moaviah), et on il fat 
atteint par le poignard d'Abd-er-Rahman-Ibn- 
Moldjem, commenga pour les fideles sectateurs 
du Goran 1'etat de resistance. Ne pouvant sup- 
porter 1'outrage que leur faisaient les Kalifes de 
Damas en les appelant des Karedjiim (sortis 
de la vraie voie, de la vraie religion), ils en 
appelerent aux armes. Cefut nne vraie guerre 
de religion, avec ses cruautes et ses perfidies 
telles que nous en avons vues en France, sous 
Charles IX et Henri III. 

Quatre mille Ouahabitesavaientparu aNeh- 
rouan(l). Trenteans plus tard, on les comptait 
par dizaines de mille. Tousles Mahometans que 
la tyrannie des nouveaux Khalifes indignait on 
lesait, revenaient a la doctrine des purs. L'or- 
gueil des Omeyades qui e"tendaient les f rontieres 
de I'Empire jusqu'aux Pyrenees et jusqu'a 
1'Himalaya pour leur gloire personnelle, leur 
luxe qui consumait les ressources des pau- 
vres, leur cruaute toujours avide du sang le 
plus noble de 1'Islam en faisaient la race 
maudite qu' Allah fletrit dans son livre. La 
maison d' Allah, pres de laquelle il est defendu 
de tuer mme une colombe, reduite en cendres, 
et souillee par des massacres, des Mahometans, 
Berberes ou autres, vendus sur les marches au 
mepris des plus saintes lois ; les descendants 
d'Ali egorges, et leurs tetes moatrees en spec- 
tacle, cent autres pretextes agitaient sans cesse 
les Karidjites, dont les troupes flottantes, agre- 
gees par occasion, grossissaient et se dis- 
sipaient comme des tempgtes. 

(I) Masqueray. Chronique d'Abou-Zakaria ; preface, p. xxix. 



460 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMA.NS 

Pendant longtemps, ce fut une guerre cruelle 
entre les deux partis. Les Kharidjites voyaient 
leur nombre se grossir de tous les me'contents, 
et de tousles partisans d'Ali. Un des flls meme 
d'Ali parlit de La Mecque pour alier soulever 
1'Irak : il n'aboutit qu'a la fataie affaire de 
Kerbela, le plus poe'tique de tous les combats 
de I'lslamisme , dit encore Masqueray. 

Nous ne pouvons retracer Thistoire de cette 
guerre de religion ou. a la fin, les partisans 
d'Ali furent vaincus; ils abandonnerent peu a 
peu, leurs centres d'action, Goufa et Bosra, et 
se retirerent, les uns dans la peninsule arabique 
et le Nedjed la ou naquit, au milieu du siecle 
dernier, Mohammed- ben -abd- el -Ouahab, les 
autres dans FAfrique du Nord, ou ils fonderent 
Tiaret en 144 de 1'hegire (762 de J.-C.). 

Ces quelques notions preliminaires etaient ne- 
cessaires, croyons-nous, pour bien comprendre 
Toeuvre de Snoussi. On serait tente, en effet, de 
croire qu'une telie idee de panislamisme est une 
chose nouvelle ; de plus, ces notions nous mon- 
trent le diable se remuant au fond de la penin- 
sule arabique : or, qui sait ce que 1'avenir nous 
reserve? G'est de 1' Arable que se repandirent, sur 
I'Afrique etl'Earope, ces conquerants qui, a notre 
avis, n'ont pas encore eu leurs egaux. Napoleon 
les a surpasses peut-e"tre par la rapidite de la 
conquete, mais combien de jours a-t-il regne sur 
1'Europe ? Au contratre, nous voyons les Musul- 
mans, tenir 1'Espagne pendant sept siecles entre 
lears mains. 

Ge fut done au milieu de ces puritains, dans 
une ville soumise a leur autorite, que Gheikh 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 461 

Ahmed-ben-Idris recut une ge"nereuse hospitalite. 
Lui que les docteurs de La Mecque avaient 
accuse d'heresie fat le bienvenu au milieu des 
adeptes de Mohammed-ben-Abd-ei-Ouahab. Nous 
connaissons, au surplus, i'intolerance qui les ca- 
racterise; il fallait done, pour tolerer au milieu 
d'eux cet Stranger, qu'il y eut quelques points de 
ressemblance entre sa doctrine et la leur. Ge 
ful a Sobia qu'il mourut, vers Tan 1835 de notre 
ere. En mourant, il laissait un disciple qui allait 
continuer son oeuvre, et lui donner dans 1'occi- 
dent la plus grande extension : c'etait le grand 
Snoussi. 

Non loin de Mostaganem (dans la province 
d'Oran), se trouve un petit douar appele Thorchi, 
de la tribu des Ouled-Sid-abd-allah-ben-el-Khet 
tabi-el-Medjahiri. Ce fut dans cette tribu que 
naquit en I'an 1206 de 1'hegire (1791 de J.-G.) (1). 

La genealogie de cet individu interesserait fort 
pen nos lecteurs ; nous dirons settlement qu'il 
pretendait descendre en droite ligne du Pro- 
phete et ajoutait toujours a son nom les qualifi- 
catifs de El-Hassani, ou encore El-Idr^-si. 

De tres bonne heure, Mohammed-ben-si Ali- 
ben-Snoussi-el-Kliettabi, etc., montra beaucoup 
d'ardeur et d'aptitude pour 1'etude. Des pro- 
fesseurs remarquables ne manquaient pas alors 
a Mostaganem, le plus celebre etait Si-Ben- 
Gandouz. Sa reputation etait immense, a tel point 
qu'elle porta ombrage au bey d'Oran, Hassan, qui 
congut pour lui une veritable haine. 11 faut dire 
aussi, pour 6tre dans la verite, que ce brillant 

(!) Le fondatenr de 1'ordre qiii doit servir de trait d'tmion et de 
cohesion a tons les ordres musulaians. 

LE DIABLE CHEZ LES MCSCLMANS 13. . . 



462 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

professeur etait un Khouan fidele a ses obliga- 
tions, et nous avons vu deja par Fexemple de 
Tidjani et de Bou-Qobrein, la haine qui divisail 
les Tares et les Khouan. Les prem ers trouv'aient 
dans les fakirs des ennernis dangereux pour 
leur autorite. De la ces luttes contumelies entre le 
gouvernement turc et les adept es des ordres 
religieux. Un jour on vint prevenir Ei-Gandouz 
qu'il eiit a se mettre en siirete : II arrivera 
malheur aGandouz par sa faute, repondit-ii fiere- 
ment a cet ami fidele, mais il arrivera malheur 
aux Tares a cause de Gandouz. En effet, il lui 
arriva malheur. Hassan le fit arrSter et exe"cuter 
en 1829. Un an apres, le gouvernement turc 
s'ecroulait battu en breche par le canon de la 
France. Ge fut a cette ecole que Snoussi appritle 
mepris du Turc et de tout gouvernement. 

L'annee mme ou son premier mailre tombait 
sous le glaive du Turc, Snoussi montrait par un 
exemple e"clatant combien peu il etait condes- 
cendant aux desirs de 1'empereur du Maroc. 
En 1821, il avait abandonne 1'Algerie a la suite 
d'une discussion avec un de ses cousins ger- 
mains, qui, en plein medjales et devant 1'as- 
semblee des Eulema, s'etait oublie jusqu'a lui 
donner un soufflet; indigne, jugeant qu'il ne par- 
viendrait pas a se faire rendre justice, et aussi 
pris du gout des voyages et du desir de s'instruire 
davantage, Snoussi se retira a Fez. Pendant 
sept ans, il fut 1'auditeur le plus assidu et le plus 
docile des grands maitres de cette celebre uni- 
versite. Au milieu des Taibya, si devoues au pou- 
voir et a la famille regnante, ii ne puisa pas avec 
la science le respect pour 1'autorite. Snoussi etait 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMAWS 463 

alors dans toute la force de son a~ge, et sa reputa- 
tion comme savant commengait a eclipser pres- 
que les plus grands docteurs de la ville de Fez. 
Tout le monde connaissait 1'illustre etranger, 
mats on savait aussi que son orgueil etait egal a 
sa science, et qu'il ne courbait pas volontiers sa 
tele; en un mot, il n'etait pas courtisan, et bien 
que Ghe"rif et descendant du Prophete 'jomme la 
famille regnante onnele voyait jamais au palais- 
L'empereur voulait cependant s'attacher cet 
homme. Prevpyait-on deja qu'un jour il serait 
1'adversaire le plus ardent et le plus per- 
flde de tout gouvernement ? Prevoyait-on alors 
qu'un jour il fonderait cette societe secrete qui 
est actuellement une menace pour 1'Europe et la 
civilisation ? Toujours est-il que 1'empereur vou- 
lut le prendre par son c6te faible. II composa un 
manuscrit qu'ii fit orner magnifiquement, et Ten- 
voya a Snoussi pour conna'itre son avis, et qu'il 
le commentat. Malgre nous, ce trait nous rap- 
pelle Frederic II faisant corriger ses vers par 
celui qui etait 1'ennemi le plus acharne de notre 
religion, et dont les disciples devaient saper 
les bases de tous les gouvernements. Mais Snoussi 
avait plus de caractere sinon plus d'orgueil que 
le philosophe de Fcrney ; il ne voulut pas laver 
le linge sale de sa majeste cherifienne et partit 
pour faire son pelerinage a La Mecque. II avait 
alors trente-neuf ans selon notre maniere de 
compter, ou quarante annees musulmanes (1). 



(i) Les Mnaulmans suivent 1'annee lunaire, ils gagnent ainsi H 
jours par an, ou 363 tous les 33 ans. Au bout d'un siecle ils ont 
done gagne 3 ans plus quatre ou cinq jours. II arrivera done un 
jour, eloigne sans doule, ou ils nou? rattraperont. Ainsi en 1308 qui 



464 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

II ne ft t pas en devot seulement ce pelerioage 
que doit faire au moins une fois dans sa vie tout 
fidele musulman ; son but n'etait pas seulement 
de satisfaire sa piete et d'effacer ses peches, mais 
surtout de s'inslruire et de se faire affilier aux 
di verses societes secretes dontil visita la maison 
mere sur sa route. A Fez, pendant les sept annees 
qu'il y avait sejourne, il n'avait pas pendu son 
temps, il s'etait fait affilier a toutes les societes 
de 1'endroit, Qadrya, Djazoulya (A'issaoua), 
Derqaoua, etc., etc., mais ilrefusatouj ours d'en- 
trer dans celle des Taibya. Ge fut sans doute 
pour 1'y engager et attacher a son empire cette 
importante recrue que i'empereur essaya du 
stratageme raconte plus haul. 

A Laghouat, il ouvrit une ecole oil il professa 
quelque temps la grammaire et la jurisprudence. 
Sa reputation de savant fut bientSt grande dans 
la ville, et tous admiraient sa piete et son assiduite 
aux prieres. La population ne savait comment 
acquitter sa dette de reconnaissance, et le payer 
et des lecons qu'il donnail aux enfants et des bons 
exemples qu'il donnait a tous. Us crurent resoudre 
la question en lui achetant une femme : Menna- 
ben-Si Mohammed-ben-Abd-Errahman. Pauvre 
maiheureuse ! un jour quand il eut assouvi sa 
passion, quand elle ce fut plus pour lui qu'un far- 
deau incommode qu'il devait trainer dans ses 
voyages de ville en ville, il Fabandonna sous le 
futile pretexte qu'elle etait iafeconde. Elle ne 
1'etaitpas, disent les mechants. car peu apres sa 

correspondait a 1891, il n'y avail plus entre les deux eres / qu'une 
difference de 583 annees. La premiere annee de 1'liegire correspond 
a 1'annee C22 de Jestis-Ghrist. 



I.E DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 465 

repudiation elle eut une fille, Sa'ida qui etait 
encore en vie il y a une douzaine d'annees. 
Menna se remaria a un certain Mohammed dont 
elle eut des enfants. II va sans dire que Snoussi 
ne se preoccupa jamais ni de la mere, ni de la 
fille. Ce fut la sa premiere escapade. 

Nous ne voulons pas le suivre pendant toutes 
ses diverses peregrinations dans le desert. Lui- 
mme nous en a fait le recit plus tard dans les 
Prole"gomenes de son livre intitule le Fahrasa . 
J'ai eu, nous dit-il, la bonne fortune de rencontrer 
sur ma route des gens instruits, des orateurs 
habiles, des imams eminents. Les uns suivaient 
la voie qui devait les conduire a Dieu, les autres 
suivaient 1'enseignement ' des docteurs. J'en ai 
rencontre partout, de 1'Aradh aux confins du 
Djerid, dans la Tripolitaine et aux environs de 
Tunis,en Egypte tant au Gaire que dans les villa- 
ges environnants, Nous traitions ensemble dans 
un langage incomprehensible au reste des 
mortels de la quintessence des sciences, et ii en 
resultait entre nous une confraternite, une amitie 
veritable ayant le bien pour but unique. 

Apres avoir visite tous les centres intellectuels 
de Foccident et s'etre fait donner 1'ouerd de pres- 
que tous les ordres occidentaux.il voulut comple- 
ter son education a la Djemaa-Ei-Azhar. Gomme 
tous les docteurs eminents qui avaient enseigne 
dans cette universite, Snoussi fut en butte aux 
contradictions de ses ennemis qui ne reculerent' 
devant aucun moyen, pas meme devant Tempoi- 
sonnement, dit-on. 

Faut-il attribuer cette haine a la grande 
reputation qu'il avait acquise et a la jalousie des 



466 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

autres docteurs qui voyaient leurs disciples les 
abandonner pour suivre leur terrible adversaire, 
ou bien faut-ii attribuer cette guerre enlre 
docteurs aux doctrines plus ou moins orthodoxes 
de Snoussi ? A notre avis, il y a les deux causes. 

Nous avons dja vu, en effet, plusieurs fois ces 
memes docteurs poursuivre de leur haine des 
docteurs orthodoxes ; aucun Musulman n'osera 
dire que Ghadeli soit un heretique, et cependant 
il fut poursuivi de I'animadversion des docteurs 
de cetta universite. 

Nous croyons aussi que Snoussi prta le flanc 
a la critique : nous avons vu combien peu 
eorrecte avail ete sa conduite envers le sultan 
du Maroc, et on peut dire qu'il atteignit les 
dernieres limites du respect en cette occasion. 
Les docteurs et Eulema du Gaire etaient aiors a 
la solde du gouvernement et infeodes a celui-ci 
comme les Taibya a celui du Maroc. Ge fut done 
la un premier grief, car, parait-il, quandil parlait 
du gouverneur et du sultan de Stamboul, il en 
parlait avec tout le respect qu'il fallait pour 
n'etre pas accuse. Bien plus, un jour, il voulut, 
malgre la defense du Gheikh El-Hanich, preacher 
en public : il debita sur la vie mystique, sur 
les pratiques des Musulmans, sur les lois et 
les obligations des croyants, des ide'es si peu 
orthodoxes aux yeux des Eulema, que ceux-ci 
le denoncerent comme un reformateur, et le 
f rapperent de Tanatheme. Jugeant aussi combien 
cet homme e*tait dangereux, les Eulema vou- 
lurent le faire disparaitre, par le poison : ils 
echouerent ; mais Snoussi resta malade toute sa 
vie. 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 467 

Ses disciples se sont empares de ce fait, et y 
ont brode une belle legende. Jouant sur le mot 
hanech (serpent) qui etait le nom du Gheikh qui 
avail dirige 1'empoisonneur, Us oat vouia 
personnifier Tea vie et la jalousie. Bien que tous 
les ennemis de Snoussi, dit la legende, eussent 
lesyeux constamment ou verts sur lui pour trouver 
quelque chef d'accusation, sa conduite etait si 
correcte, et il observait si fldelement toules les 
prescriptions de la Souna (tradition) qu'ilfaisait le 
de*sespoir de ceux qui voulaient le perdre. Un 
jour, il sortait de la mosquee ouil avail accompli 
ses devotions selon la regie, quand il renconlra 
a la porle un homme que Snoussi appelle sainl, 
et dont evidemmenl le nom n'est pas connu. 
Avec les disciples nous appellerons ce saint 
El-Hanich (le serpent) : Tu es bien fier, Snoussi, 
lui dit ce saint, parce que tu observes fldelement 
la Souna. Gomme il convient a tout fidele 
musulman qui suit la loi de Dieu. N'as-tu done 
jamais viole cette loi, repliqua El-Hanich. 
Non. A voir ton orgueil, on le croirait; prends 
garde, un jour je te prendrai en faute. Qu'Allah 
me protege et me garde, repondit le Magrebin, 
et il sortit de la mosquee sans se preoccuper 
da vantage de ce mendianl. 

Or, dil la Souna, lout fidele musulman doit, la 
nuit, avant de s'endormir, couvrir tous les vases 
contenant de 1'eau. Une fois, Snoussi s'endormit, 
et, pour la premiere fois, il manqua a 1'obligation 
de la Tradition. Son ennemi veillait : il s'intro- 
duisit traitreusemenl dans sa demeure, et bava 
dans la cruche d'eau. Sans aucune crainle, a son 
rdveil, Snoussi bul de celte eau dans laquelle 



468 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

avait bave le mendiant sous la forme du serpent, 
et, dit la legende, ce fut depuisce moment qu'il f ut 
toujours maladif. 

Nous ne voulons pas nous arrSter a ce fait plus 
qu'il ne le merite, mais nous ferons remarquer 
que le brillant professeur recourait souvent a 
ces interpretations pour expliquer sa conduite ; 
s'il abandonne le Caire, s'il sort de La Mecque, 
c'est pour obeir a un ordre d'en haut. 

Pourtant Snoussine pouvaitplus resterdans une 
ville ou les docteurs de 1'Islam avaient prononce* 
contre lui rexcommunication ; desormais, dans 
les rues du Caire, malgre sa science et son elo- 
quence, ce n'etait qu'un herelique et un pertur- 
bateur de 1'ordre public. Ses ennemis lui portaient 
une haine a mort, et s'il ne voulait pas tot ou tard 
tomber dans leurs embuches, il devait aban- 
donner cette ville et chercher ailleurs un toit plus 
hospitalier. Partir ainsi apres une telle sentence 
c'etait s'avouer coupable, c'etait s'avouer vaincu, 
c'etait avouer qu'il avait ete dans 1'erreur : un 
Musulman ne se retracte pas : il meurt plutot pour 
defendre ce qu'il a avance. Get homme n'etait pas 
cependant a bout de ressources, et, afln que son 
depart ne ressemblat pas a une fuite, il imagina 
1'anecdote suivante: 

11 y avait quelques jours settlement que la ter- 
rible sentence pesait sur sa tte, quand, envenant 
de faire ses ablutions a la mosquee d'El-Azhar, 
il sortit par 1'etroite porte du midi. II etait alors 
plonge dans la contemplation de Dieu, et son 
esprit etait completement de'tache' des choses de 
ce bas monde : aussi ne fit-il pas attention a un 
pauvre fellah, qui en mme temps que lui sortait, 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 469 

voulaitentrerpar 1'etroite ouverture : Snoussi, 
dit 1'inconnu en appuyant sur ce mot, 6 Snoussi, 
pourquoi me pousses-tu ainsi ? D'oii connais-tu 
mon nom, repliqua leGheikh, et qui es-tu? Je 
suis le qqteb de Fepoque, dit le fellah ; sors de 
cette vilie ou tu n'as rien a apprendre, Allah le 
reserve pour accomplir de grandes choses. Va a 
La Mecque ; la tu trouveras ton maitre, celui qui 
doit te guider dans la voie sainte. 

Fier de cette reponse qui venait fort a propos 
pour le tirer d'embarras, Snoussi la repandit 
dans la ville : et quand il abandonna la capitale 
de Mehemel-Ali, ce n'etait plus en fuyard, mais 
en nomine obeissant aux decrets du ciel. 

Si-Snoussi etait alors dans la force de 1'age et 
de la reputation. Dans les nombreuses universi- 
tes qu'il a\ait frequentees, il avait contracte des 
amities nombreuses et solides. Beau, bien fait, 
d'un regard doux et avenant, il attirait tout le 
monde, et il suffisait de 1'avoir vu une fois et 
s'etre entretenu avec lui pour s'attacher a sa for- 
tune. Ge n'etait pas un parleur ; il connaissait 
trop les moeurs de ses coreligionnaires et il savait 
qu'auxyeuxdes Arabes surtout, trop parler nuit. 
11 s'enveloppait done dans cette demi-obscurite 
qui se laisse voir assez pour se faire desirer 
encore. De sa nature, il n'etait pas taciturne : 
d'un temperament bilieux, il etait ne pour 
commander. La doctrine qu'il professait assom- 
brit sans doute son caractere, le mysticisme qu'il 
pratiqua et dont il atteignit le dernier degre le 
rendit plus silencieux : mais ce silence etait 
encore un motif pour que le peuple le demandat. 
Tres severe pour lui-meine, il n'epargnait rien a 

LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 14 



470 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

ceux qui vivaient avec lui, et, comme il arrive 
toujours, cette seveYite lui fit perdre ses amis vul- 
gaires pour lui attacher les vrais et fideles amis. 
S'il etait reste dans sapatrie,ilaurait ete 1'adver- 
saire d'Abd-el-Kader, ou lui aurait impose sa 
volonte. Snoussi n'e"tait pas fait pour rester au 
second rang. Au physique, ii avail toutes les qua- 
lites qui dominent la populace : il avait une 
grande tailie : sur son front ride par les morti- 
fications et les jeunes excessifs, on voyait se 
refleter sa vaste intelligence; tandis que son 
regard vif, anime, etincelant, .pouvait supporter 
sanscrainte la reverberation des sables du desert, 
jamais personne ne put soutenir ce regard fou- 
droyant. Sa tenue etait noble et martiale ; tous 
ses gestes, tous ses mouvements etaient regies 
avec une precision digne du plus grand orateur; 
sa parole etait facile, elegante et abondante ; sa 
voix, claire et sonore, penetrait ceux auxquels il 
s'adressait : en un mot, Snoussi put, sans verser 
une goutte de sang, fonder un empire des plus 
vastes et des mieux organises, et, du fond du 
desert, le sultan de Stamboul lui-m^me se 
reconnut impuissant a se faire obeir. Voila, 
croyons-nous, le portrait du grand Snoussi ; a 
notre avis, notre siecle n'a qu'un seul homme qui 
1'a peut-etre egale, c'est O'Gonnell faisant sortir, 
par la seule force de son eloquence, sa chere 
Irlande du tombeau ; par son eloquence aussi, 
Snoussi fondera un vaste empire ; comme 1'ora- 
teur Irlandais il ne haranguera pas a la f ois une 
multitude innombrable d'hommes; son cercle 
sera plus restreint, mais sa parole ne sera pas 
moms efflcace. 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 471 

Snoussi obeit done le plus promptement qu'il 
put a 1'ordre que venait de lui transmettre au 
nom de Dieu le qoteb de 1'epoque. Ge fut dans 
la ville sainte qu'il fit la rencontre de I'homme 
qui devait avoir le plus d'influence sur sa vie, et 
auquel il devait un jour succeder dans la direc- 
tion de 1'ordre des Khadirya, nous voulons dire : 
Mohammed-ben-ldris-el-Fassy. Gelui-ci comprit 
la haute valeur de cet homme qui venait a lui sur 
1'ordre de Dieu ; il en fit son disciple de predilec- 
tion, lui devoila toute la doctrine de 1'ordre et 
n'eut plus pour lui aucun secret. A son tour, 
Snoussi s'eprit d'une grande affection pour son 
maitre, et lui temoigna toute sa reconnaissance 
par son attachement. Quand, poursuivi par la 
haine des docteurs et Eulema de La Mecque, 
Mohamed-ben-Idris dut quitter la ville saint?. 
Snoussi le suivit dans son exii, et lui demeura 
toujoursfidele. Ea retour, le maitre en fit son 
successeur spirituel et pria ses adeptes de le 
reconnaitre pour superieur general. 

Quelques-uns d'entre eux ne voulurent pas 
condescendre a ce desir. Le decret d'exil avail 
aussi atteint les disciples, et s'ils n'avaient 
pas dii abandonner la ville sainte, ils etaient 
au moms suspects d'heresie, et, cornice tels, 
soumis a une surveillance plus pumoins genante. 
Aussi, a la mort du Cheikh, vers 1'an 1835 
de Jesus-Christ, saisirent - ils avec empresse- 
ment 1'occasion de renier leur maitre et de se 
reconcilier avec les autorites universitaires. Ces 
quelques disciples tiedes, car le plus grand nom- 
bre resta fidele aux enseignements de Moham- 
med-ben-Idris, elurent comme successeur un 



472 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

indien, Mohammed-Salah-el-Mogherani, et de- 
vinrent les Mohammedein ou Mogharanya, ou 
encore Soualiah. Us se sont toujours, depuis, mon- 
tres les adversaires ardents des opinions de leur 
ancien maitre et les ennemis de leurs anciens 
freres qui devinrent les Snoussya. 
L 'antipathic des deux successeurs deMohammed- 
Ben-Idris commenga a se manifester par le 
choix que chacun fit de 1'endroit ou devait 
s'elever leur zaouia. El-Mogherani fut assez 
heureux pour acquerir un emplacement dans le 
quartier beni de Dar-Khaizaran (la maison de 
Khaizaran) : c'est le nom de la mere du Kalife 
Haroun-er-Rachid, qui acheta cet androit, ou se 
trouve la maison habitee par le Prophete pendant 
son sejour a La Mecque : G'est 1'endroit du globe 
entier le plus propice a la priere, car Allah 
exauce toutes les demandes qui lui sont deman- 
dees, de cet endroit, qui abrita son Prophete 
pendant son sejour sur la terre. 

Snoussi ne fut pas aussi heureux. II reussit 
cependant a acquerir la montagne d'Abou- 
Kobais, ou d'apres la legende arabe, sont enter- 
res nos premiers parents avec leur fils Seth, 

Tandis que son competiteur faisait de conti- 
nuelles concessions aux Eulema de la Mecque afin 
de pouvoir vivre en paix dans sa zaouia et trans- 
mettre a son fils le gouvernement de cet ordre 
que lui avait confie la tiedeur de quelques 
Khadirya, Snoussi continuait toujours les 
traditions que lui avait laissees son maitre, et 
comme lui, qu'il eclipsa bientSt, se fit de 
nombreux ennemis et de plus nombreux 
disciples. Geux-ci lui arrivaient de partout, 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 473 

attires par son incomparable reputation. Les 
persecutions dont un homme est 1'objet le font 
connaitre autant et ordinairement meme plus 
que ses propres merites ; et quand c'est un 
homme de la taille de Snoussi qui sail unir 1'elo- 
quence entrainante de la parole a 1'mflexibilite 
des principes, cet homme attire a lui non settle- 
ment les mecontents et les persecutes qui sont 
heureux de trouver un chef et un protecteur, 
mais aussi des amis veritables et des disciples 
fideles. Telles 'furent les deux causes du succes de 
Snoussi. II faut aussi enajouter une troisieme : 
il y a toujours eu dans la pauvre humanite un 
desir, nne volonte bien arrelee de tendre vers 
1'infini, vers la Perfection Souveraine : de la 
sont nes dans la religion calholique les ordres 
religieux qui sont aussi necessaires pour 
quelques ames d'elites que la nourriture dont 
elles soutiennent leur vie. Tous les hommes, a 
quelque religion qu'ils appartiennent, a quelque 
rang de la societe que la Providence les ait 
places, sentent cet imperieux besoin ; mais 
tandis que dans les ordres catholiques, la vie 
qu'on y mene est une vie de souffrances et de mor- 
tifications, non pas settlement corporelles, mais 
spirituelles, et aussi de lutte pour extirper les 
defauts et acque"rir la vertu ; dans les fausses re- 
ligions les ordres religieux sont une ecole 
de paresse et de sensualite. II suffit de connai- 
tre un peu ce que sont et font les lama du 
Thibet pour en etre convaincu. Pour ces 
hommes, c'est un moyen de vivre dans la plus 
parfaite mansuetude et tranquillite, et de se 
rendre inutiles a la societe. Aussi, du fin fond de 



474 LE DIABLK CHEZ LES MUSULMANS 

la Tripolitaine et des bords du Gange, une foule 
de paresseux, une armee roulante accourut 
vers la saiate montagne : la reputation de 
saintete du celebre fondateur etait telle, et la 
foi de ses disciples si grande qu'ils n'avaient 
nuldoutesur les moyens de leur existence. II. 
n'en f ut pas ainsi ; la zaouia n'e"tait pas riche, et 
toute cette bande qui venait se faire affilier 
etait aussi pauvre qu'ignorante. Le Gheikh 
avail dans 1'esprit trop d'ingeniosite pour ne 
pas en tirer profit, et nous verrons de quelle utilite 
ils lui furent. 

Snoussi n'avait jamais fleehidevantpersonne; 
a Fez, nous 1'avons vu refuser de corriger et de 
commenter le manurcrit de 1'Empereur qui vou- 
lait se servir de ce pretexte pour se I'attacher ; 
au Caire, nous 1'avons vu,plut6t que de retracter 
sa doctrine, porter tout le poids du courroux des 
Eulema, et ses epaules ne flechissent pas sous 
le lourd fardeau de Fexcommunication . A La 
Mecque, apres la mort de son maitre comme 
pendant les annees d'exil, il montra la meme 
inflexibilite dans ses principes et la meme 
tenacite a defend re ce qu'il croyait dtre la 
verite. Aussi, bientdt ii se vit en butte a la 
persecution, comme son maitre : ses moindres 
actions lui etaient imputees a crime, nieme les 
relations qu'il entretenaitavec les filsde Moham- 
med-ben-Idris et avec les amis que son amenite, sa 
douceur et sa science lui avaieat gagnes pen- 
dant son sejour chez les Ouahabites. Rien 
n'exaspere autant la mediocrite comme la fer- 
mete dans ce que nous savons 3tre la verite ; les 
autres fails ne furent que des motifs, mais la 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 475 

fermete de caractere de Snoussi fut la cause 
des tracas que lui susciterent ses ennemis. Us 
n'oserent pas cependant porter contre lui rex- 
communication, ou plutdt renouveler la sentence 
de 1'universite du Gaire ; sa reputation de savant 
et de saint e"tait trop grande, et ses nombreux 
disciples accourus autour de lui pour recevoir 
de ses levres quelques-uns la science, tous 
la direction dans la voie de la perfection, 
se seraient leves en masse pour le defendre. 
Ce n'e"tait pas un homme, en effet, pour ses 
disciples, c'etait presque I'egal d'un Prophete de 
Dieu, et jamais mortel, croyons-nous, n'exerca 
sur ses semblables une pareille autorite. 

Nous soinmes au mois de Janvier 1842; 
depuis pres de sept ans, Snoussi dirige la zaouia 
d'Abou-Korais; certes, sa reputation est immense, 
et, dans tout TOrient, iiest 1'hommele pluscelebre 
sinon le plus venere. A cette meme epoque, un 
Chretien, a la faveur d'un deguisement et sous le 
faux nom d'Omar-ben-Abd-Allah,a demande une 
audience au grand cherif de La Mecque ; il est 
accompagn d'un Moqaddem de 1'ordre des 
Tidjanya. II vient, porteur d'une fetoua qu'il a 
obtenue a Kairouan et au Gaire, et il veut en 
obtenir la confirmation : La question est grave : 
les Musulmans du Maghreb peuvent-ils mainte- 
nant deposer les armes et accepter le joug des 
Chretiens? Le cherif deLa Mecque, Sidi-Moham- 
med-Ebnou-Aoun, a reuni a Taif, pour cette 
importante solution, tous les grands docteurs de 
TOrient : De Damas, de Bagdad, de Medine, de 
La Mecque, tout ce que Tlslam possede de plus 
instruit et de plus sage, a re"pondu a Tappel du 



476 LE DIABLE.CHEZ LES MUSULMANS 

Pape de 1'Islam. Gelui-ci leur pose la question 
le plus clairement possible, apres avoir entendu 
les deiegues des Tidjanya, des Gheikkhya et des 
Taibya. Le motif qui a pousse les delegues de 
ces ordres de FOccident n'est pas la cause de 
1'Islam, tous soat animes d'une grande haine. 
contre 1'emir qui, depuis pres de dix ans, tient 
en e'chec la puissance de la France . II a, en effet, 
detruit la zaouia mere des Tidjanya, et les 
autres ordres sont jaloux de 1'influence qu'ii 
prend en Algerie au profit des Qadrya. Cest la 
le vrai motif de leur venue dans la Ville sainte. 

Dans ce medjeles reuni dans la demeure du 
grand Gherif, a Ta'if, tous les docteurs de 1'Islam 
sont d'avis qu'ii faut enfin deposer les armes. 
Alors un homme de grande taille, auquel 
personne ne semblait devoir faire attention et 
qui avail garde un profond silence, s'avanca 
gravement au milieu de la salle. Seul, il osa 
tenir tete a tout ce que 1'Islam avail de plus docte 
et de plus saint ; seul il osa proclamer 1'impe- 
rieuse loi ou se trouvaient les Musulmans de 
combatlre 1'Infidele jusqu'a ce que le dernier 
sectateur du Goran flit delivre du joug de 1'in- 
fidele et, malgre les sarcasmes et les railleries 
de ses collegues, il les ecrasa tous du poids de 
sa logique et de son intelligence. S'il ne reussit 
pas a mettre de son cote tous les opinants, c'est 
que Leon Roches avait repandu Tor a profusion. 
Ge fidele Musuiman, qui aura seul fait la lecon au 
grand Gherif et rappele leurs devoirs a tous les 
Musulmans, cet homme etait le chef de la zaouia 
d'Abou-Korais ; c'etait le grand Snoussi. 

Un tel courage et une telle conduito impres- 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 477 

~\ i 

sionnerent vivement les docteurs musulmans ; 
malgre les griefs nombreux qu'ils avaient centre 
ce chef de.zaouia, iis n'osaient cependant mettre 
la main sur lui, ou comme son. maitre le f rapper 
d'excommunication. Sa conduite sans doute 
etait an blame de la leur, mats Snoussi etait 
aime et venire de la foule ; il comptait de nom- 
breux disciples et' il est bien probable que 
devant une telle renommee, 1'influence mgme du 
grand Gherif eut essuye un echoc. Us avalerent 
1'affront non sans faire la grimace, et sans lan- 
cer force injures a celui qui les dominaitdetoute 
son intelligence et de tout son mepris. 

Snoussi vit alors qu'il jouait gros jeu, et que 
bientOt il pourrait tomber sous les coups de ses 
ennemis. II resolut done d'abandonner la Ville 
sainte oil ils 1'emp^chaient de faire tout le bien 
qu'il aurait desire. Son depart aurail trop ressem- 
ble a une f uite, et Snoussi voulait montrer qu'il ne 
craignait personne. De plus, depuis que la celebre 
fetoua avail 6te approuvee par les Eulema de 
1'Orient, il comprit qu'Abd-el-Kader etait perdu 
et que, desormais, grace a 1'appui des Tidjanya, 
I'lnfidele allait posssder en paix une province 
d' Allah. II resolut done de porter ses efforts 
dans le Sud de 1'Algerie, de la Tunisie et de la 
Tripolitaine, afln d'y preparer, dans 1'ombre, un 
vaste complot pour chasser le Roumi et delivrer 
le croyant. Enfin, il faut dire que ses disciples 
mouraient de faim, sous pretexte de jeuner, et 
que la faim les rendit ingenieux. Les aumones, 
en effet, etaient insufflsantes pour nourrir cette 
foule : les etudiants qui devaient assister a ses 
lecons avaient de quoi sufflre a lours besoins; 

LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 14. 



478 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

mais ces nombreux disciples illettres, et qui 
venaient a lui pour gagner le royaume du ctel, 
parce qu'ils n'avaient aucun moyen de subsis- 
tance dans le monde, etaient a la charge du 
brillant professeur. C'etait un embarras plut6t 
qu'un secours et il ne voyait en eux d'autre 
utilit^ que celle de se les attachor fidelement. 
Aussi, sous le fallacieux pretexte de mortifica- 
tions et de jeunes afin de dompter leurs passions, 
leur inaposail-il des jeunes tres prolonged pour 
soulager sa bourse et son budget. Beaucoup 
m'abandonneront, pensait-il, et bientSt je n'aurai 
avec moi que mes fideles disciples. Ge futtout 
le contraire qui arriva. Un jour, un de ces 
fanatiques etait a bout de forces : depuis deux 
ou trois jours, il n'avait rien pris ; il allait 
succomber. II se traina comme il put au torn- 
beau du Prophete, et la il se plaignit de ce que 
Dieu ne lui donnait pas la force necessaire pour 
accomplir les obligations que lui imposait son 
Gheikh. Le Prophete fut touche x de compassion, 
et son coeur s'emut de pitie ; aussitot ii apparut a 
Snoussi : Snoussi, lui dit la vision : ton coeur 
est cruel, et tu n'es pas louche des maux que 
souffrent tes disciples, leur priere est montee 
jusqu'a moi; je connais tes desirs et le but que 
tu poursuis. Va sans crainte, je serai avec 
toi; quitte cette vilie, prends avec tot tes 
disciples illettres, va dans le desert, et au lieu 
des jeunes et des mortifications, ordonne-leur de 
construire des zaouias, car ton ordre embrassera 
tous les pays de 1'Orient a 1'Occident. A ces 
mots, la vision s'evanouit. Snoussi, pour obe"ir 
aux ordres du ciel, aban donna la Ville sainte 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 479 

comme il avail abandon^ le Gaire. II emmena 
avec liii tous les illettres, laissant les Tolba a la 
garde de la zaouia de La Mecque, et, prenant en 
main le compas, 1'equerre et la truelle, il se fit, 
dit-on,un macon emerite. Dela sorte, lesFrancs- 
Macons musuimans mirent en pratique ce que 
leurs confreres d'Europe e"crivaient a pareille 
epoque seulement sur les couvertnres de leurs 
livres. 

Ce tut a partir de cette epoque que 1'ordre 
fat veritablement fonde. Uu grand nombre de 
zaouias s'eleverent comme par enchantement en 
Arabie, en Egypte, dans la Tripolitaine. Sans 
s'arr&er, il courut de La Mecque au desert de 
Barka et e"tablit dans le Djebel-Lakhdar le 
premier centre de son ordre. Au milieu de ces 
collines et sur ce rivage ou s'eleverent autrefois 
Ptole"mais et Gyrene, Snoussi construisit un 
grand nombre de zaouias : Ei-Beida, qui fut le 
chef-lieu de 1'ordre jusqu'en 1855; Tokra, 
Tolmeita (sur I'emplacement de 1'ancienne 
Ptolemai's), Grenna, ou les amateurs d'archeo- 
logie et d'etymologie voientFemplacement de 
Gyrene, Derna, El-Merdj, Soussa, etc., etc., 
s'eleverent rapidement. Snoussi etait devenu un 
habile architecte et un grand macon, et il etait 
admirablement seconde. A partir de cette 
epoque, il ne conserva avec La Mecque que les 
relations absolument necessaires et porta tous 
ses regards vers le Maghreb ou les armes de la 
France faisaient des progres continued. En 
quelques annees, tout le desert de Barka et tout 
le Djebel-Lakhdar furent peuples par des soli- 
taires qui n'etaient pas attires en ce lieu par 



480 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

1'amour de Dieu. Toutes les fois qu'il avait un 
homme capable de diriger un nouvel etablis- 
sement, Snoussi 1'envoyait dans un endroit 
propice, et un monastere s'y elevait. On se 
croirait revenu aux temps heureux ou saint 
Benoit, suivi d'une foule nombreuse et de 
disciples fideles, etablissait son ordre en Italic, 
en Franca, partout ou etait 1'Eglise catholique. 
Qui pourra jamais apprecier les bienfaits signa- 
les que les moines repandirent sur 1'Europe ; 
partout ou ilsvenaient s'elablir, la prosperity et 
la richesse venaientapres eux; etils etaient pour 
ces contrees autrefois incultes et insalubres une 
cause de benedictions, une source intarissable 
de richesses. G'est ainsi qu'a opere dans le 
desert Snoussi : la ou il a etabli une zaouia, 
il a fait creuser un puits, et, dans le 
desert, 1'eau c'est la richesse, la ou ii y a 
ce precieux element la fertilite renait. Par 
sa douceur et sa rigidite, il attira autour de lui 
et de ses etablissements des nomades qui vou- 
laient jouir de la paix ; moyennant quelques 
faibles redeiances et quelques journees de 
travail qu'ils devaient a la zaouia pour cultiver 
les immenses espaces qui lui appartenaient et 
recueillir la recolte, ils etaient consideres comme 
faisant partie de la zaouia et participant aux 
faveurs spirituelles de 1'ordre. 

Peu a peu, les limites de sa puissance s'eten- 
dirent; la Tripolitaine ne sufflsait plus a son 
zele ardent. Le Touat, A'in-Salah, Radames, 
R'at, 1'Egypte, 1'Arabie, le virent successive- 
ment conservaut, malgre ses soixante ans passes, 
la vigueur d'un jeune homme de vingt ans. Infa- 



.LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 481 

tigable, il s'etait voue-tout entier a 1'oeuvre qu'il 
croyait la meilleure et la plus agreable a Dieu : 
le desert n'avait pour lui aucun secret, et mieux 
que tous les guides il connaissait le moindre 
sentier de la mer de Sables ; monte sur sonmehari, 
ilexcitait lui-mme ses Khouan et les encoura- 
geait a la lutte de ses paroles ardeates : une fois 
meme, la premiere fois ou nous nous occupames 
de cette nouvelle secte, il avait paru dans le 
Djerid et etaitvenu fonder une zaouiaj usque 
dans le sud de la Tunisie. Se figure-t-on ce que 
doit causer de fatigues un voyage de plus de 
mille kilometres a dos de chameau? Snoussi 
avait plus de cinquante ans quand il commenca 
a etablir son ordre, et se retira a Benghazi 
apres son depart de La Mecque. Ge fut a cet age 
ou les hommes d'ordinaire ne songent qu'a 
consolider ce qu'ils ont institue, qu'il voulut 
fonder un ordre et lui donner des regies sures : 
que dis-je, un ordre, il fonda un empire, agrandi 
encore par les soins intelligents de ses deux flls. 
Quand il descendit dans la tombe, il n'y avait 
pas au monde un homme qui fut si puissant, 
si redoute et si obei. II avait e"tabli lui-meme 
plus de cinquante zaouias : les frontieres de son 
empire s'etendaient de la mer Rouge au Touat, 
de la Mediterranee au lac Tchad, et le roi du 
Wadai n'etait que son fldele disciple et sujet. 
En 1854, la Sublime Porte demanda a Snoussi des 
hommes pour combattre la Russie ; Snoussi 
re"pondit par un refus. 

Deja, dans 1'Islam, tous les savants et les doc- 
teurs commen<jaient a s'occuper de 'ce nouveau 
Prophete ; on connaissait quelques traits de sa 



482 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

vie : on savait que sa doctrine n'avait pas paru 
tres orthodoxe aux Eulema du Gaire, qu'il avait 
passe quelques annees avec son maitre chez les 
Ouahabites ; qu'enfin, devant 1'inflexibilite de ses 
priocipes, les Eulema de La Mecque, de"ses- 
perant de le ramener, 1'avaient force a abandon- 
ner la Vitle sainte. Mais encore on ne connais- 
sait pas Snoussi tei qu'il etait : cet acte de refus 
fit connaitre et son caractere et ses doctrines. A 
Constantinople, au milieu de ces ecoles subven- 
tionne"es par le gouvernement, tous blamerent la 
conduite de celui qui abandonnait la cause 
sainte de I'lslam, et empechait ses subordonnes 
de courir au seeours du Sultan. Le Gheikh 
comprit alors qu'il n'etait pas en surete .dans le 
desert de Barka. Le chef-lieu etait trop proche 
de la mer et ii etait facile, dans une nuit, d'enle- 
ver, au milieu de ses affilie's surpris, le cherif 
aussipeu soumis aux desirs et aux ordres de son 
maitre. L'oasis de Djeg'boub lui offrait un asile 
autrement sur que El-Beida, ou n'importe quelle 
zaouia du Djebel-Lakhdar . Loin de toute commu- 
nication, il pouvait facilement etsurtout surement 
organiser son ordre ; il pourrait, sans crainte 
de tomber entre les mains de ses ennemis, en- 
courager ses affilies dans la voie de resistance 
au gouvernement prevaricateur de Constan- 
tinople, qui, cette annee-la mme, s'etait allie 
avec la France, et a laquelle il devait faire des 
concessions pour avoir son alliance. Enfin, si 
ses ennemis voulaient franchir la distance de la 
mer a Foasis, il en serait toujours prevenu a 
temps par ses affilies, et, dans quelques jours, il 
aurait mis entre lui et ceux qui viendraient le 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 483 

prendre, toute la largeur du desert ; chez les 
Ouada'i, il n'aurait riena craindre; bien plus, il 
y serait le maitre. Gar cet homme infatigable 
ne s'etait pas contente de faire des adeptes 
dans le Nord de 1'Afrique, il avait penetre, bien 
avant les Europeens, dans le Soudan et y 
avait repandu son ordre. II etait a Djeg'boub 
depuis quelque temps, quand il apprit qu'une 
caravane, revenant du Soudan, et emmenant 
quelques esclaves de ce pays, avait ete pille*e par 
les ecumeurs de la mer de Sables, dans le sud 
de la Tripolitaine. Snoussi comprit tout le parti 
qu'il pourrait tirer de ces jeunes gens, et 
combien iis lui seraient plus utiles que ses 
Moqaddem pour repandre ses doctrines dans 
leur patrie. Ilre"solutde les acheter; et, quand 
ils f urent en sa possession, il les fit instruire et 
les initia a son ordre. Pour se les attacher, il 
les avait traites avec la plus grande bonte, et 
avant de les renvoyer dans leur patrie, se sou- 
venant que Dieu, en revetant de la ceinture 
symbolique les compagnons du Prophete, avait 
attache ensemble un pauvre avec un riche, un 
faible avec un puissant, etc..., pour montrer que 
tous etaient egaux, Snoussi les affranchit et les 
declara libres, descette liberte dont jouissent les 
fils de Satan. Leurs predications f urent couron- 
nees de succes ; et bientSt tous les hommes du 
Wadai, a com'mencer par le roi, n'etaientqueles 
serviteursdu Gheikh de Djeg'boub. 

Ge fut dans cette petite oasis, situee a quelques 
jours de marche seulement de 1'oasis de Syouah, 
ou s'eleva le fameux temple de Jupiter Ammon, 
que s'eteignit en 1859 le fondateur des Snoussya; 



484 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

il etait presque septuagenaire, et laissait a ses 
flls UQ vaste empire, eleve en moms de vingt 
ans. Son corps repose dans la zaouia de Djeg- 
boub, sous une Kouba magnifique, oil chaque 
jour la piete desfideles vient deposer de nombreu- 
ses offrandes. Djegboub n'est encore qu'une 
bourgade, mais un jour peut-etre, si elle continue 
a resterle chef-lieu de Fordre, elle sera regardee 
comme une des villes saintes de I'Tslam, et verra 
s'augmenter rapidement sa population, qui en 
ce moment peut atteindre, 8 a 10.000 ames. 
Comme toutes les villes arabes un peu impor- 
tantes, elle est entouree de murs creaeles sur- 
montes de tours, fortifications qui sont capables 
d'arreter des iiomades, mais quine r^sisteraient 
pas a nos moyens. La zaouia est au centre de la 
ville, et comme au moyen age nos peres batis- 
saient leurs demeures autour du couvent ou du 
chateau, ainsi les affllies aux Snoussya ont cons- 
truit autour de cet edifice. Quatre portes donnent 
acces dans la ville ; 1'une d'elles est plus grande 
et plus belle : c'est par ce chemin que passent 
les cara vanes quand elies viennent apporter a 
Djegboub les richesses du Soudan ou amenent 
de nombreux pelerins. 

La zaouia est immense et ne peut etre compa- 
re'e qu'aux monasteres elev^s au moyen age par 
la piete de nos peres. Quatre cents Khouan de 
tons les pays peuvent y habiter sans peine et y 
vaquer a leur aise a leurs exercices d'ascetisme 
et de contemplation. Une quinzaine seulement 
seraient maris, les autres vivraient dans le 
celibat. Nous pensons que ces Khouan, adonnes 
completement a la vie contemplative, rappellent 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 485" 

les hommes qui, dans les Indes et le Thibet, 
se consacrent au Dieu-Lucifer. Ge n'est qu'une 
hypothese, mais nous la croyons fondee. Les 
Snoussya, en effet, comme nous le montre- 
rons bientSt, sont, pour ainsi parler, la quintes- 
sence des ordres religieux musulmans. Toutes 
les pratiques que nous avons vues en honneur 
parrai les autres societes seront familieres 
a nos affilies, en particulier a ceux qui dirigent 
1'ordre. Qui osera jamais dire qu'aux jours 
malheureux que nous traversons depuis bientot 
un demi-siecle, Dieu n'ait pas indique a son 
Vicaire sur la terre par un moyen quelconque 
la voie a suivre. Quel est le politique le plus 
habile qui n'aurait ete a bout de ressources 
si on 1'avait mis au gouvernail de 1'Eglise ? Et 
cependant que voyons-nous? Un vieillard qui 
commande le respect et I'admiration meme a ses 
plus grands ennemis, qui eclaire le monde 
au moment oil ceux de son age descendent 
dans la tombe, ou se retirent loin des affaires 
qu'ils ne peuvent plus diriger, heureux encore 
quand comme Gladstone ils ont le courage de se 
faire cet aveu heroique. Nous ne voulons pas par- 
ler de sa vigueur corporelle et de sa sante : aux 
youxdes hommes de la science, c'est un prodige. 
Si Jesus-Christ agit de la sorte pour son Vicaire, 
croit-on que Lucifer se desinteresse absolament 
de ceux qui par tous leurs efforts veulent lui 
donner un continent tout entier? Gela ne se peut 
pas, et cela n'est pas. Jamais on ne mefera croire 
qu'un homme ayant atteint 1'dge de cinquante 
ans, puisse par ses seules forces, malgre toutes les 
inimitiesetleshaines des gouvernements, etablir 



486 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

un empire comme I'a fait Snoussi. Nous savons 
toute la durete de 1'Arabe, et nous savons avec 
quelle rapidite le mehari le transporte d'un lieu 
a un autre. Prenez un jour la carte de 1'Afrique, 
la derniere parue. Suivez la marchede Snoussi, 
suivez-le de sa premiere zaouia dans le Djebelt- 
Lakhar, suivez-le a travers les sables du desert, 
aujourd'huiaR.'at,demamaInsalah, apres-demain 
dans le Djerid-Tunisien; puis tout a coup sur les 
bords du Nil; voyez-le jeter de ci de la, mais 
avec une reguiarite surprenante, d'innombrables 
zaouias , calculez a vol d'oiseau le nombre de 
kilometres parcourus par cet homme, sexage"- 
naire, septuagenaire ; dites-nous maintenaut si 
c'est 1'oeuvre d'un homme seulement et si jamais 
ii n'y a eu quelqii'un pour le secourir, le soute- 
nir,le diriger? Nous ne voulons pas dire, certes, 
qu'il eut a sa disposition un demon particulier, 
mais nous ne serions nullement etonne d'appren- 
dre un jour que cet homme elait favorise 
ordinairement de la vision de Lucifer, son Dieu. 
Dans tout cet ouvrage, nous n'avons fait que 
citer les livres nombreux qu'il a composes pour 
faire connaitre les pratiques des Khouan. 
N'est-ce pas lui qui nous a diriges dans le dedale 
de 1'extase, qui en nous expliquant les rituels des 
Scherourdya et des Nakechibendya, nous a dit 
que 1'extase et la vision n'etaient plus qu'un jeu 
pour le fldeie initie, et que, quand il le voulait, 
Dieu se derangeait pour le diriger dans chacun 
de ses actes ? JS'est-cepas lui qui nous a explique" 
comment les adeptes pouvaient parvenir a evo- 
querles ames de leurs 1 cheikh? Et cet homme 
n'aurait pas connu, en pratique, ce qu'il nous 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 4.8*7 

enseignail si bien? Autant vaudrait dire que 
saint Paul, en nous decrivant le troisieme ciel, 
n'avait jamais e"le favorise d'une pareille 
vision . 

Et nous aussi, nous poserions une question a 
ceux qui nieraient ces apparitions, cette direc- 
tion donnee par 1'ange des lenebres a I'o3uvre 
des Snoussia. Que font dans leur zaouia ces 
quatre cents Khouan : ils nous rappellent les 
quarante composant leconseil ordinaire du grand 
maitre des Aissaoua, ayant le don de soulager 
toutes les maladies de ceux qui les approchent a 
la fete du Miloud . Nous avons dit plus haut ce 
que nous en pensions. II est certain que ces hom- 
mes n'honorent pas Dieu, le vrai Dieu, le Dieu 
bon, notre Dieu, Jesus Deus noster. Qui i/est 
pas pour Dieu est contre lui ; qui n'aimepas Jesus 
le combat. L'oauvre de Snoussi est-elle I'osuvre de 
Dieu? est-ellel'o3uvre de Jesus-Christ, noire Dieu 
Jesus, Deus noster ? 

Plus haut, nous avons raconte deux visions 
dont Dieu 1'aurait favorise. Nous avons dit alors 
que nous necfoyioas guere a leur contenu parce 
qu'elles etaient trop appropriees aux circons- 
tances, pour qu'elles fussent vraies. Elles arri- 
vaient la comme un Deus in machina pour le 
tirer d'embarras; mais ces deux fails nous 
montrenl combien celle croyance elait repandue 
parmi ses disciples ; tous etaient persuades que 
Snoussi 6tait en communication directe avec la 
Divinile : Snoussi, nous disait un jour un affilie 
aux Aissaoua, c'est un grand saint, un homme 
que Dieu a tou jours dirige dans la voie droite 
el inslruil dans lous ses actes ; dans les Aissaoua, 



488 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

on recoit tout le monde, meme les voleurs ; mais 
il n'en est pas de meme chez les Snoussya ; on 
n'y recoit que les hommes instruits et pieux. 
Telle est 1'idee que nous donnait de cet ordre 
un Musulman fanatique qui, dans les moments ou 
le fanatisme ne Fexaltait pas trop, disait que 
s'il etait bey de la Tunisie et de 1'Algerie, il 
ferait couper la tete a tous les Francais. Ge fer- 
vent Aiissaoui se reconnaissait pourtant indigne 
d'etre initie aux Snoussya. C'etait, on doit 
1'avouer, une exageration de sa part ; comme 
tous les ordres, Snoussi recrute partout, etprend 
tous les hommes ; mais ces paroles nous mon- 
trent la haute idee que les Musulmans ont de 
cette societ^ secrete. 

Ges quatre cents Khouan passeraient ainsi la 
vie dans le cloTtre, enformes pendant toute 
leur vie dans leur monastere, comme nos Trap- 
pistes ou nos Benedictins, et, chose encore plus 
etonnante, garderaient la chastete. Pour le coup 
nous n'y tenons plus ; il est aussi impossible a 
un Musulman d'AMque de garder cette vertu, 
qu'il est impossible de voir re"gner parmi eux 
la charite et les autres vertus evangeliques. Ge 
qui leur parait le plus incroyable, c'est que 
nos pretres et nos religieux n'aiant point de 
femme. Un jour, nous etions aux environs de 
Souk-Arras, et nous descendions sur Ghardi- 
maouq ; un gros oidi entra dans 1'une des 
gares intermediaires entre ces deux villes; 
je tie me souviens plus comment, la question 
tomba sur ce sujet, et mon interlocuteur 
qui comprenait tres bien le frangais (il lisait 
le Figaro et avait entre ses mains le dernier 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 489 

nuinero, achete a Davivier) ne croyait pas, pour 
sa part, au celibat de nos pretres, car, disait-il, 
ou vos pretres sont des hommes on des anges ; 
dans le second cas, il n'y a pas de merite ; dans 
le premiec, c'est impossible ; il m'avpua cepen- 
dant que la conduite de tous nos pretres qu'il 
avail vus en France ou en Afrique 1'avait frappe ; 
aussi, il ne pouvait s'expliquer cela. Et nous 
pouvons dire que ce qui a le plus contribue 
a donner du prestige aux Peres Blancs, c'est la 
pratique de cette vertu. Leurs domestiques en 
etaient tellement etonnes que, pendant les exer- 
cices des missionnaires, ils allaient fouiller les 
coins et recoins de la maison pour s'assurer si 
vraiment on n'y trouverait pas une femme. 

Nous saurons maintenant, apres ces deux 
anecdotes, ce que nous devons entendre quand on 
nous dit que presque tous ces tolba sont ceiiba- 
taires afln de pouvoir vaquer .plus facilement 
a leurs obligations et vivre dans le mysticisme 
le plus severe sous une regie inflexible (1). 
Les moines du Thibet gardent aussi le celibat ; 
mais on sait pourquoi, afln de mener une vie plus 
coupable. Et qu'on remarque bien encore ce mot 
mysticisme ; on sait ce que cela veut dire dans les 
ordres musulmans, il n'y a pas de saintete pos- 
sible sans visions et sans extases ; et ces quatre 
cents Khouan sont tous des tolba, mot a mot 
chercheurs, demandeurs, et par extension : 
savants : ils sont done inities a tous les secrets 



(i) Peut-etre devrions-nous dire que, pour les Suoussya 
comme pour les Tidjanya, le grand maitre est charge de leur 
tburnir des femmes ; ils vivraient ainsi dans la : plus immonde 
promiscuite. 



490 LE DI ABLE CHEZ LES MUSULMANS 

de i'ordre ; la foromle : il n'y a pas d'autre 
divinit^ que Allah n'a pas de mystere pour 
eux : ils en comprennent tout le sens. Snoussi 
a sejourne chez. les Ouahabites, et il leur a 
emprunte sa haine pour les gouvernements et 
son desir de retourner a rislamisme primitif . 
Nous avons dit que Dieu dans ce systeme est le 
seul etre actif et qu'il opere egalement et avec 
la meme facility et la mme aisance le bien et 
le mal. Avec une pareille theorie, on peut rester 
celibataire, sans de grandes craintes ni de 
grands scrupules. 

G'est a Djegboub qae se reunissent, au moment 
fixe, les Moqaddem ou ceux qu'ils ont designes a 
leur place, pour s'occuper des affaires de Tordre. 
Le fils de Gheikh Snoussi, connu sous le nom de 
Gheikh-Ei-Madhi, preside a la direction generate 
de I'ordre, tandis que son frere Sid-Mohammed- 
Cherif , grand jurisconsulte et grand theologien, 
est charge de Fenseignement de la zaouia; son 
conseil ordinaire etait compose des amis du fon- 
dateur, qu'il avait designes pour que I'ordre ne 
faiblit pas entre les mains debiles de deux enfants; 
aujourd'hui, ils ont choisi, parmi les Khouan les 
plus intelligents, des conseillers fideles. Le lee- 
teur n'aura qu'a ajouter ce que. nous avons dit 
dans la prerciere partie au sujet de 1'organisa- 
tion des societes en general; tolba, serviteurs 
negres, reggab, etc. Le grand maitre a, a sa dis- 
position, un personnel fixe et dont les fonctions 
sont bien distributes ; il n'y a qu'un fait a noter : 
c'est 1'existence de deux oukil portant ici le titre 
de vizir : Tun, assiste de deux ou trois toiba, est 
charge" de la centralisation de l'administration 



LE DIABLE CHEZ LES SIUSULMANS 491 

des zaouias : 1'autre, dont les deux filles ont 
epouse, 1'une Si-El-Madhi, et 1'autre Si Moham- 
med-Cherif, s'occupe plus particulierement des 
affaires de la zaouia de Djegboub et de celles 
de la famille du chef de 1'ordre . (RiNN, page 
506.) 

Afin que le chef de Tordre soit term toujours 
au couraut des nouvelles des pays civilises ou 
des zaou ; as, un systeme de courriers, faisant en 
mnie temps 1'offlce d'espions. est organise sur 
les grandes routes qui menent a Djegboub : 
aussi, personne n'arrive a la ville sainte sans 
tre signale longtemps a 1'avance. De plus, 
des puits sont disposes de distance en distance, 
connus de quelques affilies afin que le chef de 
1'ordre put, a un moment donne ou sa liberte , 
peut-etre sa vie, seraient en danger, prendre 
le chemin du Wada'i. Tout est done bien orga- 
nise", et nous ne croyons pas qu'il soit possible 
d'arreter le grand maitre; les moindres nou- 
velles sont vite connues a la zaouia, grace a ce 
systeme. 

Et maintenant, si un de nos lecteurs veut 
jamais risquer ce voyage, nous ne voulons pas 
dire que sa vie sera en danger, mais il doit 
6tre bien persuade qu'il ne verra que ce que 
les Snoussya voudront bien lui montrer, meme 
aurait-il apostasie, c'est-a-dire, prononce simple- 
ment ces mots dont tous savent maintenant le 
sens precis : il n'y a de divinite que Allah, 
et Mahomet est son prophete, qu'ii devra pror 
noncer un jour ou 1'autre, heureux encore si 
comme Leon Roches, il peut echapper a la 
circoncision, Voici done, au rapport de Rinn, 



492 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

toutes les precautions qui sont prises par 
rapport a Yetranger musulman, que le lecteur 
fasse attention a ce mot ; si on prend tant de 
precautions pour lui, que sera-ce pour le 
Chretien. 

En arrivant a Djegboub, Tetranger musul- 
man qui n'a ete ni mande par le chef de 1'ordre, 
ni prealablement accredite dans les formes vou- 
lues par uu Moqaddem, estsoumis aun examen 
minutieux. Installe d'abord dans une maison des 
holes, exterieure a la zaouia, il est interroge' sur 
son pays, sur le lieu de son depart, .et sur le but 
de son voyage. Au fur et a mesure qu'il repond 
a ces questions, faites avec toutelacourtoisie que 
comporte la politesse orientale, il est peu a peu 
entoure de tolba, ou de serviteurs originaires des 
endroits dont il a parle, et alors sous pre"texte de 
demander des nouvelles de parents et d'amis que 
Ton n'a pas vus depuis longtemps, les interroga- 
tions recommencent plus precises, plus serrees. 

Ge n'est qu'apres deux ou trois jours, quel- 
quefois plus, de cet examen, qu'on peut esperer 
voir un dignitaire de 1'ordre et, plus rarement, le 
CheikEl-Madhi. 

Gelui-ci, dureste, a pour recevoirles etrangers 
avec qui il ne tient pas a entrer en relations 
directes, un de ses Khouan, originaire de Biskra, 
et dont 1'emploi a la zaouia est de jouer le r61ede 
El-Madhi dans les audiences accordees a 
ces etrangers. II parait que la ressemblance de 
ce Biskri avec Gheik El-Madhi est surprenante 
(1). (Note de RINN, page507.) 

(I) II ne serait pas impossible que cethomine futl'eafantnaturel 
de quelque fllle des nomades de Biskra donnee en present a Gheikh 



LE DIABLE CHEZ LES MUSUIJtfANS 493 

Ge fut ce qui arriva a 1'explorateur allemand 
Rolhf, il avait le vif desir de voir le Chcik qui 
dirigeait un ordre si important : il vint jusqu'a 
Bir-es-Salem, a quelques journees de marche de 
Djegboub : le Biskri joua tres bien son r61e. 
MSmelorsqu'en 1 872 une deputation de Prussiens 
vint porter de nombreux presents a Cheikh- 
Ei-Madhi, afln qu'il excitat a la guerre sainte les 
'populations du Sahara Algerien, ils furent 
econduits poliment : le Biskri joua encore le r61e 
de.El-Madhi. 

Ghacune des zaouias est organisee comme celles 
de tous les ordres en general ; il y a un Moqad- 
dem qui en est comme le superieur local, ayant 
sous ses ordres, pourl'aider dans 1'accomplisse- 
ment de ses devoirs, un oukil des rekkab et des 
serviteurs ou esclaves negres. Chose particuliere 
a cet ordre, chaque zaouia a une ecole primaire 
et un cours d'adultes ; on dirait que le diable, 
dans un dernier effort, a voulu imitertout a fait 
nos monasteres du moyen age. Dans les princi- 
pales zaouia comme dans tous les ordres, pour 
pourvoir a la subsistance de ces nombreux affl- 
lies qui ont emmene avec eux leurs femmes et 
leurs enfants pour vivre en paix et remplir tran- 
quillement leurs obligations, les terrains envi- 

Snoussi pendant son voyage de Bou-Saada a Temaeinn. (Note de 
RINN.) 

Nous croyons qu'il serait plus probable d'admettre que c'est un 
flls de Snoiissi. Cheikh-El-Madhi n'avait guere plus de quinze ans 
quand la succession lui echnt. Or, le voyage de Bou-Saada u Tema- 
einn, au dire de Rinn, aurait eu lieu avant le voyage du grand 
Snoussi au Caire el a La Mecque, par consequent: vers 1830. Ce 
Biskri aurait done quinze ans de plus que Cheik-El-Madhi. 11 nous 
semble que dans de pareilles conditions il est diflioile de se ressein- 
blef beaucoup ; il nous semble plus naturel d'admettre, egalite d'age 
et meme pareute du cote du pere. 

LE DIABLE CHEZ LES MUSUL11ANS 14. . 



494 LE DIA.BLE CHEZ LES MUSULMANS 

ronnants appartiennent a lazaouia. Dansle desert, 
en effet, il sufflt de travailler pour avoir de belles 
recoltes ; la oii est 1'eau, la est la richesse. Rien 
de plus faux que de se representer le Sahara 
comme un pays absolument aride, dont jamais 
la main de l'homme ne pourra faire cesser laste- 
rilile : ce sable, cultive avec soin, devient une 
terre tres fertile. Si nous voulions montrer la 
verite de ce que nous avancons, nous decririons* 
le pays de Djerba, 1'oasis de Gabes et de Gafsa : 
a Djerba, on est etonne comment tant de beaux 
fruits peuvent pousser au milieu du sable : ilest 
vrai que 1'eau y est abondante et qu'il faut se 
donner un peu de peine, car les heureux habi- 
tants ne connaissent plus 1'heureux temps ou 
leurs aieux mangeaient le lotus tant vante par 
Homere et qui jouit de la douce faculte de faire 
oublier nos douleurs. 

Ghaque zaouia a done autour d'elle une pro- 
priety aussi grande que le veut le Moqaddem, et 
suffisante pour fournir aux heureux ascetes une 
bonne nourriture. Ges heureux mortels, plonges 
completement dans la contemplation, ne se sou- 
cient pas, derriere leurs epaisses murailles,d'aller 
cultiver leurs champs,ou.en ete.de faire la recolte; 
il est plus agreable de servir Dieu paisiblement 
a 1'ombre et de jouir du doux farniente. Les 
nomades doivent chaque annee quatre presta- 
tions : deux au temps du labour, deux au mo- 
ment de la re*colte ; et tout cela evidemment en 
plus de la dime religieuse, de la zekkat (ou taxe 
des pauvres deszaouias, etc., etc.). L'oasis de 
Djegboub est divisee en treize jardins, arroses 
chacun par un puits ; il y a quelques centaines 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 495 

d'oliviers, et environ 200 a 300 palmiers-dattes . 

Enfin, chaque zaouia possede un certain nom- 
bre de chameaux et de chevaux qu'on reconnait 
aunmot trace avec un fer rouge. Qaelques-unes 
en possedentjusqu'atrois etquatre cents, comme 
les zaouias d'Adjela et d'Aziat. 

Avant de continuer 1'historique de cet ordre, 
dela mortde Snoussi a nos jours, nous nous ar- 
reterons un instant pour faire connaitre lesdiver- 
ses pratiques de rituel, et la doctrine de cet ordre. 
De la Horte, on pourra apprecier avec plus de 
surety de jugement sur les fails particuliers, et 
voir combien les moyens ont ete choisis habile- 
ment pour alteindre le but que s'etait propose le 
grand Snoussi. 

Son ordre, dit-il, est a la fois le plus saint et le 
plus parfait de tous les ordres religieux : le plus 
saint, parce que plus facilement qu'aucun 
autre il conduit ses affilie"s aux joies de 
1'extase ; le plus parfait parce qu'il est mieux 
organise qu'aucun autre pour atteindre son but. 
Gertes, a notre avis, dumoins, ces paroles ne 
sont que Texpression de la verite. Snoussi 
se rendait un juste hommage. Et voici com- 
ment il prouve tout d'abord la saintete de son 
ordre. 

II apprecie la regie qu'il a donnee a ses affllies 
et son orthodoxie sur presque tous les ordres 
musulmans qui 1'ont precede, et se donne comme 
le continuateur de Si Ahmed-ben-Idris-el-Fassy. 
Nos lecteurs se souviennent que Tordre des 
Khadirya a pris ce nom d'El-Khadir, parce que 
cet tre surnaturel, sur la definition duquel les 
Arabes ne sont pasd'accord, avait un jour apparu 



496 LE DIAJBLE CHEZ LES MUSUlMANS 

a Abd-El-Aziz-ed-Debbar, et lui avait donne un 
diker a reciter tous les jours cinq mille fois. Nos 
lecteurs savent aussi combien les Musulmans 
sont exigeants sous le rapport de 1'orthodoxie 
des ordres musulmans; il faut que chacun eta- 
blisse, par une chame, qu'il a recu sa doctrine 
du Prophete ou d'un disciple du Prophete. 
Mais la foule, avide de merveilleux, donne plus 
abondamment et plus largement aux ordres 
reveles directement par Allah ; aussi voyons- 
iious quelques chefs d'ordre se reclamer de 
cette intervention divine afinque le peuple estime 
plus cet ordre que 1'ordre rival. II y a done la, 
comme on le voit, deux interets a sauvegarder : 
1'orthodoxie et surtout le ddsir qu'eprouve tout 
fondateur a voir son ordre prendre un grand 
developpement ; nous avons dit aussi plus haut 
que les docteurs de 1'Islam se montrent difflciles 
et exigent que le fondateur prouve 1'apparition. 
Snoussi done ayant surtout a coeur de bien 
montrer son orthodoxie (et encore beaucoup de 
savants musulmans, ceux qui sont pay 6s par les 
gouvernements lui jettent a la tete tout un tas 
d'injures, qu'ils resument toutes dans ce seul 
mot ouahabite) ; Snoussi done, en qute d'ortho- 
doxie, se recommande a 1'appui de soixante- 
quatre ordres ; et ceci est une ruse, car de la 
sorte il se -donne comme le resume de tous les 
ordres, et contrairement a ce qu'avait de"crete 
Tidjani, il affiliera a sa secte tous ceux des 
autres ordres qui lui paraitront avoir quelque 
valeur. Qui desormais osera done 1'accuser 
d'heresie, lui le descendant direct du Prophete 
par Hassen, flls deFathma ? autant vaudrait dire 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 497 

alors que tous les ordres sontheretiques, et nous 
croyons que celui qui le dirait aurait raison ; 
mais le peuple ne juge pas comme le marabout 
et le docteur qui ne orient si haut, au nonTcfe 
1'orthodoxie, que parce qu'ils voient la ziara 
prendre un autre chemin et que leur casuel 
diminue chaque jour. 

II y a aussi une autre raison : Snoussi a voulu 
seconformeral'ordre duProphete en enseignant 
quarante traditions a ses disciples : car 1'Envoye 
de Dieu a dit : Celui qui enseigneraaux Groyants 
quarante voies pour leur enseigner le chemin du 
ciel, sera eleve dans le ciel aussi haut que les 
plus savants et que les plus grands docteurs de 
la loi. Voila pourquoi Snoussi a voulu avoir 
pour appui toutes ces voies, qui toutes se reunis- 
sent a lui, en sorte qu'il pouvait dire sans 
orgueil et logiquement qu'il etait la voie du ciel. 
Ce n'etait pas trop d'orgueil, comme on voit ! 

Le diker des Snoussya est loin d'avoir la longueur 
de celui des Aissaoua ; leur but n'etant pas le 
mme, les moyens sont differents. Les affilies 
de Djegboub ont surtout pour but le retablis- 
sement de rimamat, le panislamisme, tandis 
que ceux de Mequinez veulent surtout entrer en 
relations avec les esprits ; c'est pour cela qu'ils 
s'etourdissent et s'abrutissent par des chants et 
des danses, tandis que Suoussi a proscrit ces pra- 
tiques. D'ailleurs, comme les fervents Ouahabites, 
il a defendu a ses disciples n'importe quel instru- 
ment de musique, meme le tambour, et aussi 
1'usage du tabac. Mahomet n'a pas cependant 
prohibe ce narcotique, mais disait a Palgrave, 
rarriere-petit-fils de Mohammed-ben -Abd-el- 

LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 14. .. 



498 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

Wahab que s'ill'avait connu il 1'aurait prohib6 ; et 
le voyageur fait remarquer, en effet, que ce narco- 
tique est doue d'une force merveilleuse et agit 
sur le cerveau autant que le via. A ce sujet, 
Palgrave fait la reflexion qu'il a faite sur le jus 
de la vigne : comme le vin, en effet, le tabac 
serait un lien de communication et d'amitie entre 
les hommes; or, c'est ce que Mahomet voulait 
eviter : il voulait que chacun restat chez soi, et 
que le Musulman de nos jours ressemblat a 
celui qui avait eu le bonheur de jouir de son 
agreable presence. Nousne voulons pasdiscuter 
cette theorie ; il est certain, cependant, que deux 
hommes qui ne se sont jamais vus parlent aussitdt 
a coeur ouvert, quand 1'un a offert du tabac a 
1'autre, et qu'ils ont aspire quelques bouffees de 
la precieuse plante. Nous laissons au malicieux 
Anglais toute la responsabilite de sa theorie. 

A ces defenses, il faut encore joindre 1'obli- 
gation faite par le fondateur, a tousles affllies,de 
porter le chapelet a la main et non suspendu au 
cou. G'est la un signe de reconnaissance. Le 
second est dans la position que prennent les 
affllies quand ils veulent prier. 

Tandis que tons les Malekites (l)prientles bras 
colle"s le long du corps, les Snoussya, semblables 
en cela aux Ouahabites, prient les bras croise"s 



(1) II y a, dans la rel'gion musulmane, plusieurs rites orthodoxes, 
ne dillerant entre enx que sur des questions secondaires soil de 
droit civil, soit de pratiques du culte; ils nous rappellent les divers 
rites de 1'Eglise catholique : ritegrec, latin, melchite, etc. ; ce sont, 
pour les Mussulmans : le rite Malekite pour 1'Afrique, moinsl'Egypte. 
ie rite Hanefite pour les Tares, ; il est aussi un peu repandu dans 
le norrl de 1'Afrique parmi les Tnrcs ou lenrs descendants ; le rite 
Chafeite, special a I'Egypte et a la Peninsule Arabique ; enfin, Ie 
rite Hanebalite clans 1'extreme Orient (Pei-se, fndes etc.). 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 499 

sur la poitrine, le poignet gauche entre le pouce 
et 1'index de la main droite. Gomme chaque 
ordre a une posture particuliere et differente 
des autres, les adeptes du mme ordre peuvent 
se reconnaitre Ires facilement. 

Voici maiatenani, d'apres Rinn, le diker de cet 
ordre : Le diker des Snoussya se compose des 
prieres suivantes : 

1 Lorsqu'on se recouche apres la priere du 
Fedjer (1) et que, etant couche sur le flanc droit 
Ton a la te~te appuyee sur la main droite, on dit 
40 fois : mon Dieu benissez moi au moment 
de la mort et dans les e"preuvei? qui suivent la 
mort. 

2 On dit cent fois, en egrenant le chapelet : 
J'ai recours au pardon de Dieu. 

3 Gent fois : II n'y a de divinite qu' Allah. 

4 Gent fois : mon Dieu, repandez vos gra- 
ces sur notre seigneur Mohammed le Prophete 
illettre, ainsi que sur sa famille et ses compa- 
gnons et donnez-leur le salut. 

La serie des trois chapelets (c'est-a-dire des 
oraisons 2, 3 et 4) doit Stre repetee trois fois. 

Au lieu de la deuxieme oraison, les inities 
privilegies peuvent encore, s'il n'y a pas d'audi- 
teurs etrangers a Tordre reciter cent fois la priere 
suivante, a laquelle sont attachees des graces 
speciales et qui doit rester secrete : 

II n'y a de Divinite qu' Allah : Mohammed est 
son Envoye". Que dans chaque regard et a chaque 
annihilation, Dieu repande ses benedictions sur 
notre seigneur Mohammed un nombre de fois 

(1) Le Ferljer correspond an moment fin matin qne nous appelons 
Aurore. (Note de I'Antenr.) 



500 LE DIA.BLE CHEZ LES MUSULMANS 

aussi incommensurable que 1'horizon de la 
science de Dieu. (RiNN, page 503.) 

Nous sommes loin, en verite, du nombre incal- 
culable de fois que les A'issaoua doivent reciter 
leurs prieres. En supposant, en effet, trente lignes 
a chaque page, on n'a qu'un total de quarante 
pages ou environ, c'estbien modere nous semble- 
t-il, quand on compare ce diker de celui des 
A'issaoua et des Qadrya, mais encore nous le 
trouvons bien long en comparaison des obliga- 
tions que Dieu impose a nous, Chretiens. 

Voila done cet ordre tel que 1'avait constitue 
Snoussi, et dont il devait se servir lui et ses suc- 
cesseurs pour arrester les progres du christia- 
nisme et de la civilisation en Afrique. Nous 
allons le voir a roeuvre, et comme son but avoue* 
est-surtoutle panislamisme, nous montrerons ses 
moyens et ses ceuvres, comment il a pu jus- 
qu'ici nous empcher de penetrer aussi vite que 
nous 1'aurions voulu, les moyens qu'il emploie 
quotidiennement, ses amis et ses ennemis. 

Jeune encore, n'etant pas meme moqaddem 
d'un seul ordre, Snoussi avait le coeur plein de 
haine pour la civilisation et le progres ; tous les 
gouvernements etablisetaient le point de mire de 
ses sarcasmes ; et deja autant qu'il etait en lui il 
travaillait a leur renversement. Son sejour chez 
les Ouahabites ne fut pas 1'occasion d'un change- 
ment. Au milieu de ces heretiques qui convaincus 
de la verite de leur principe : il n'y a pas de 
divinite que Allah, ne voulaient, entre Dieu et 
eux, ni ange, ni prophete, et enlevaient les ri- 
chesses du tombeau de Mahomet, parce que, 
disaient-ils, ce n'est qu'un homme et que tous les 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 



501 



hommes sont egaux sous la main egalitaire de 
ce monstrueux assemblage qu'ils onl fait Dieu ; 
au milieu de ces fanatiques, disons-nous, 
Snoussi vit encore accroitre sa haine centre toute 
autorite, et le desir de ramener a 1'islamisme 
primitif les populations musulmanes. Battre en 
breche tous les gouvernements, retablir 1'ima- 
mat ne fut pas pour sa vaste intelligence une 
oauvre au-dessus de. ses lorces, settlement, en 
politique habile, il ne poussa pas comme ses an- 
ciens amis, le principe jusqu'a ses dernier es 
consequences. 

Les Ouahabites, avons-nous dit, ont detruit le 
dogme de la communion des saints, desormais 
Fhomme de la terre communique directement 
avec Dieu dans le ciel : le Prophete Mahomet, ce 
n'est qu'un homme, et tout culte qu'on lui rend 
est un outrage fait a Dieu ; aussi, consequents 
avec eux-memes, quand ils se furent empares de 
la Mecque, ilscoururent a Medirie, et enleverent 
les richesses qui couvraient le tombeau du Pro- 
phete. Done point d'intercesseurs aupres de 
Dieu, comme derniere conclusion, ils devraient 
admettre Fanarchie dans le gouvernement. 
Snoussi ne pouvait pas aller jusqu'a cas dernie- 
res conclusions, au moins en public, s'il voulait 
tre autre chose qu'un simple disciple des Waha- 
bites. Les peuples d'Afrique auraient mis a 
mort, comme le fit le sultan de Stamboul a Abd- 
Allah, roi des Ouahabites, qui les avait guides 
au pillage du tombeau du Prophete, celui qui 
aurait me la grandeur de Mahomet le Prophete 
de Dieu. 

II prit done une autre voie ; et il emprunta aux 



502 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS ' 

Ouahabites la necessity de revenir a 1'islamisme 
primitif Ge moyen devait lui reussir a mer- 
veille : tous les Musulmans, en effet, sup- 
portent avec peine que les nations civilisees se 
melent de leurs affaires, et veuillent y faire la 
police quand, dans ce vaste empire, les lois 
humaines ne sont pas observees. De m6me que 
chez nous tout homme qui se leverait au nom de 
la patrie, et travaillerait uniquement pour sa 
gloire, serait acclame comme un sauvsur et un 
liberateur, ainsi dans Fempire d'Allah, tout 
homme qui se leve au nom de la religion 0{.pri- 
mee par les Intideles, car, dans leur esprit, patrie 
et religion ne font qu'un, est un sauveur, et 
comme tel acclame et aime par le peuple. Que 
pourront contre lui tous les gouvernements ? 
Rien; les persecutions dont il sera 1'objet de 
la part des personnages revetus d'un caractere 
offlciel tourneront a sa gloire, et sur son front 
le peuple verra la couronne du mar tyre endure" 
pour la patrie. Voila explique en peu de mots 
le succes immense de cet homme qui n'a peut- 
tre pas eu son pareil en ce siecle pour la surete 
du coup d'oeil et la vaste conception et orga- 
nisation de son empire ; car, nous le repetons, 
c'est UQ empire qu'il a fonde et non pas seule- 
ment un ordre, un empire dont les sujets 
sont entierement a la disposition du chef de 
Djegboub, et qui, sur un signal, se leveront 
tous en masse pour la guerre sainte, entralnant 
avec eux toutes les peuplades du Tchad et du 
Niger a laMediterranee. 

Et ce n'est pas dans 1'ombre, ce n'est pas en 
secret, comme des laches et des gens qui sont 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 503 

convaincus a Tavance de la faussete de leur 
principe, et par consequent de la certitude d'un 
echec, non, c'est en public, c'est en face qu'ils 
affichent leurs pretentious et leur but. On ne 
peut pas les comparer, sous ce rapport, a DOS 
francs-macons ; ceux-ci sont des laches et des 

o * 

poltrons : ils saventbien qu'ils sont dansl'erreur, 
et ilssaveutbien quele succes ne leur appartien- 
drapas ; aussi ilsse cachent ; c'est dansl'ombre 
que, semblables au serpent, ils essayent de 
mordre au talon, et pea a peu infiltrent dans la 
society lour poison mortel : le poignard fera 
leur oeuvre ; I'homme qui les genera disparaitra, 
et, comme 1'ange des tenebres, ils agiront dans 
la nuit. Nous savous bien qu'il y a, dans la Ma- 
connerie, des enthousiastes, des gens qui, comme 
ies Snoussya, croient a la legitimite de leurs pre- 
tentions, et qui mourraient heureux et contents 
pour le Dieu qu'ils adorent. G'est, croyons-nous, 
1'inflme minorite ; le calholicisme a, en effet, trop 
pene"tre le vieux monde pour que sa disparition 
ne laisse rien dans le coeur. L'Arabe commettra 
le mal sans remords parce que le Goran ne le 
lui defend pas ; mais 1'impie a, au dedans de lui 
quelque chose qu'il ne peut vaincre et qui lui 
dit : Ge que tu fais la est defendu. Voila pourquoi 
nos ennemis se sont toujours jusqu'ici caches 
dans 1'ombre et n'ont pas ose devoiler au grand 
jour leur but final. Les Snoussya aussi cachent, 
aux yeux du peuple arabe, leur doctrine secrete, 
mais ils affichent hautement ce qu'ils veulent 
obtenir. Ge ne sont pas des revolutionnaires 
faisant appel a des moyens iilegitimes ; ce sont 
des hommes exaltes, persuades de la verite ; 



504 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

que dis-je, de la saintete de leur cause pour 
laquelle ils se croient heureux de sacrifier leur 
vie : Ils appelleront a leur secours le poignard, 
c'est vrai : cela nous surprendra, nous Europeans 
qui avons garde une profonde teinte de chris- 
tianisme que, helas ! notre generation semble 
avoir voulurenier ; mais, aux yeux duMusulman, 
c'est le poignard qui fait le droit, c'est le poi- 
gnard qui legitime une cause ; cela nous semble 
un paradoxe : et celaestainsi. Un gouvernement 
qui n'a pas recours au sabre et ne fait pas 
decapiter tous ses ennemis, a leurs yeux c'est 
un gouvernement lache et incapable : sa genero- 
site c'est de la lachete, c'est de la faiblesse ; le 
Musulman ne comprend pas le pardon des 
vaincus : c'est une idee trop noble et trop cheva- 
leresque pour entrer dans ce cceur pourri par la 
luxure. Le sabre c'est le droit : le poignard c'est 
le meilleur soutien d'une cause, et pour tou- 
jours il la legitime. 

Voila pourquoi les Arabes n'ont jamais compris 
nos idees de conquete et de domination, et parce 
que nous n'avons pas fait usage du sabre, parce 
que nous n'avons pas verse a profusion le sang du 
vaincu, notre cause est mauvaise, et nous ne 
sommes que des laches et des gens timores. 
Nous avons raconte comment Flatters tomba 
sous leurs coups, et nous verrons plus loin comme 
les missionnaires d'Alger furent mis a mort 
par ces mdmes Snoussya ou leurs sbires. 

On nous objectera peut-tre que, depuis la mort 
de Flatters, il y a eu des voyageurs qui ont 
visite ces parages et n'ont pas subi un echec, 
au moins apparent : Monteil et Fourreau, dont 



' tfi DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 505 

tout r^cemment encore les journaux annoncaient 
1'heureux voyage, ont pu pe"netrer chez les Adjer, 
on traverser Tempire des Snoussya, comme 
Monteil. Nous croyons faire une reponse suffi- 
sante en disant qu'il y a loin de ces explorations 
a celle que tentait Flatters, et surtout a la 
mission entreprise par les Peres Blancs. Le 
colonel Flatters pene"trait dans leur pays en veri- 
table conquerant, et sans vouloir diminuer le 
merite des explorateurs reeents, nous dirons 
que si Flatters avait re"ussi, certes, son voyage 
d'exploration aurait eu pour la France des resul- 
tats autres que ceux des Monteil, des Mery et 
autres. Les Touareg le comprirent et virent 
bien que si cet nomine pene'trait chez eux, il 
pourrait dieter des conditions au lieu de les re- 
cevoir. Qu'on nous permette aussi une reflexion : 
est-il possible a un homme qui ne fait que tra- 
verser UQ pays de bien le connaitre ! Que de 
corrections n'ont pas faites les missionnaires qui 
se sont etablis dans les pays visiles par Stanley, 
et mme Livingstone. Or, dans le desert, nous 
ne saurions trop le repeter, on ne voit que ce que 
les guides veulent laisser voir. M . Brosselard 
le dit expressement dans sa relation du voyage 
de Flatters, et le colonel, au retour de sa premiere 
expedition, le disait dans une lettre a Duveyrier. 
Ce que nous avons dit la, nous le repeterons 
a fortiori pour les missionnaires. Ce sont eux 
qui doivent dtre, vu leur caractere sacre et le but 
qu'ils poursuivent, le point de mire de leur haine. 
Us ne sont pas des voyageurs ; ils ne par- 
coureht pas un pays, ils ne traversent pas une 
contre'e pour debarquer ensuite dans nos ports, 

LE DUBLE CHEZ LES MUSULMANS 15 



506 LE DtABLE-CftEZ LES MUSULMANS 

proclamant bien haul leur courage et les bienfaits 
semes sur leur passage. Denues de tout secours 
humain, abreuves chaque jour d'outrages, repan- 
dant partout des bienfaits, ils traversent les 
sables du desert, s'etablissent dans une oasis et 
commencent sans bruit une vie d'austerites et de 
souffrances, dont nous ne pou vons nous faire une 
idee. Leur charite ne fait qu'attirer la haine des 
mediants, qui voient en eux leur plus terrible 
adversaire, et ils ont raison, et ils sont logiques. 
Quand on est engage dans le mal, il faut se 
defaire de ceux qui veulent nous arreter sur la 
pente glissante, et qui, en retour des injures 
dont nous les abreuvons, ne nous font que du 
bien : comme le dit saint Paul, ils jettent sur la 
tete de ces ingrats et de ces pervers des charbons 
ardents. 

Pour atteindre un but aussi gigantesque par 
des moyens legitimes a leurs yeux, il fallait aux 
Snoussya des hommes doue*s d'une intelligence 
rare et d'un grand talent d'administration ; des 
hommes roues, politiques, fins matois, pour ne 
pas se laisser tromper par de fausses pro messes, 
et ne pas s'engager dans de folles aventures 
qui auraieot compromis 1'existence de 1'Ordre. 
Snoussi fut admirablement seconde, et, malgre 
la jeunesse de ses fils, 1'ordre s'apercut a peine 
de la disparition de celui qui en avait jete les 
fondements. 

Gelui qui fut son principal collaborates, son 
disciple de predilection, celui qui devait succeder 
a la place mSme de ses deux fils, fut Si-Abdallah. 
No" dans le Touat, il s'etait attache a Snoussi qui 
lui avait confix la direction de la zaouia d'Abou- 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 507 

Kobdla : c'etait lui qui, parmi ses nombreux 
disciples, avail le mieux saisi le but du fondaleur, 
c'etait lui qui avail le mieux compris la doctrine 
du reformateur; c'e'tait, on peut le dire, son 
alter ego, et Snoussi se reposait en lui sans tris- 
lesse, du gouvernement de Fordre quand il serait 
dans la tombe. II devait 1'y preceder. 

En 1851, il f ut tue a Sapa, pres de Medine, 
laissant ainsi la succession preventive a un petit 
enfant de sept ans, celui ci, un vrai prophete au 
dire de ses partisans, el qui, depuis la creation 
du monde, n'a eu que Irois pareils : Mo'ise, Jesus- 
Christ et Mahomet. Ge serait le Madhi promis qui 
doit, a la fin des temps, reunir tous les fideles 
croyants sous le sceptre de Dieu. Faut-il n'y 
voir, en eifet, qu'un effet du hasard, ou. bien 
faut-il aussi y voir le demon operant dans 
1'ombre pour penetrer les secrets de Dieu ; tou- 
jours est-il que les docteurs musulmans qui 
s'occupent de la fin du monde diseat que nous 
la verrons dans le xiv siecle de 1'hegire ; 
or, nous sommes en Tannee 1318 Je 1'hegire; 
la fin du monde devrait arriver dans ce siecle. 

Parmi les aulres principaux collaboraleurs, il 
faut compter Abdallah Sunni qui fit construire 
sept zaoui'as dans le dislrict de Tripoli ; Si-Ali- 
ben-Abd-el-Moula, originaire des environs de 
Tunis, Si-Aloned-er-Rifi, marocain; enfin et sur- 
tbut Si-el-Madani-ben -Mostafa-ben-Ahmed-el- 
Tlemcani, qui remplaca Abdallah dans Taffection 
du fondateur, et fut designe par lui comme 
devant tre le tuteur et le guide des deux enfants . 
qu'il laissait pour diriger 1'ordre. 

Aussi, malgre" leur jeunesse et leur inexpe- 



508 LE biABLE CHEZ LES MUSULMANS 

rience, Ben-Ahmed-el-Tlemcani a su conserver 
a 1'ordre toute son importance et lui faire suivre 
la voie traced par le pere. Pourquoi a-t-on appele 
1'ame des deux heritiers El-Madhi? Faut-il n'y 
voir qu'une imposture, ou bien ce nom serait-il 
fonde? Les adeptes disent en effet qu'il a entre 
les deux epaules le signe du prophete, un noevus 
rond et bleuatre qui existait a la m^rne place 
sur le corps de Mo'ise, Jesus-Christ et Moham- 
med . Sera-ce lui vraiment qui sera ce farneux 
personnage qui doit reveiller les Musulmans en- 
dormis dans leur tiedeur et leur rendre leur 
ferveur primitive ? Sera-ce lui qui pre~parera la 
voie, comme disent les Musulmans, a Sidna 
A'issa a la fin des temps ? 11 est certain qu' il a 
un immense prestige dans tout le moride musul- 
man. Son nom, son age rapprocbes de certai- 
nes propheties le designent aux yeux des masses 
ignorantes comme devant etre le Madhi qui doit 
regenerer le monde au commencement du 
xrv siecle". (RiNN, page 494.) 

Gomme le pere, le n'ls travaille lentement mais 
surement a la renovation de 1'Islam : pour nous 
servir d'une belle comparaison de Rinn (page 
495; : c'est le coin qui s'enfonce lentement mais 
surement dans le vieil edifice vermoulu de 1'em- 
pire ottoman, et c'est la barriere qu'au nom 
d' Allah I'lslam regenere voudrait opposer aux 
sataniques innovations de la civilisation euro- 
peenne et de 1'esprit moderne . 

II est certain, en effet, que les Snoussya n'ont 
pas fait alliance directement avec nos ennemis : 
nous n'avons pas trouve leurs chefs mele"s a nos 
insurrections, mais nos ennemis vaincus ont 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 509 

trouTe" dans leur zaou'ia UQ refuge assure". II n'y 
a pas d'ordre qui, comme les affilies tfe Djegboub, 
semblent se desinteresser des affaires de la 
politique, et cependant c'est la leur but : delivrer 
les Musulmans du joug de 1'Infidele, renverser 
tous les gouvernements musulmans qui ont pac- 
tise" avec la civilisation et ont laisse penetrer le 
progres dans leur empire. C'est la un danger de 
plus pour nous ; nous nous tranquillisons sur leurs 
intentions et leurs projets, nous vivoiis dans une 
securite inquie'tante, et il vaudrait mieux, pour 
nous, l'e"tat de guerre. 

Si jamais El-Madhi n'a voulu pactiser avec 
nos ennemis, nous devons renoncer cependant a 
1'avoir pour allie. La Sublime Porte elle-mme 
n'a pas pu, dans sa derniere guerre contre la 
Russie, determiner un seul des Snoussya a entrer 
a son service. En surele derriere ses forteresses 
de Djegboub, ayant tout pret pour partir au pre- 
mier signal pour Tinterieur de TAfriquo, El- 
Madhi rit du sultau et de tous les gouvernements 
europeens. II est fler de voir son alliance recher- 
chee, et ilest fier de la refuser. Quand apres nos 
desastres de 1871, quand sur un signal du chef 
de Djegboub toutes les tribus du desert et de 
1'Algerie se seraient soulevees pour venger les 
Rahmanya vaincus et detruire ainsi en quelques 
mois 1'ouvrage ^difle avec tant de peines et 
tant de sang pendtintde si longues annees, le 
cheikh des Snoussya repondit par un refus cate- 
gorique, mais poli : il e"tait content de se voir si 
terrible et de sSvoir son alliance recherchee par 
ceux qui avaient ainsi abaisse notre puissance et 
Jmmilie notre drapeau ; mais dans son orgueil, 



510 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

il jugea indigne de lui de se presenter devant 
des chiens de Chretiens, et il les congedia sans 
leur permettre de voir 1'auguste face du prophete 
de Dieu au xiv e siecle de 1'hegire. 

Tandis que nos troupes entraient triomphale- 
ment a Tunis et se reposaient d'une si courte cam- 
pagne oil nous avions cueilli des lauriers sans 
verser presque une goutte de sang, et ajoute a 
notre empire une si belle province, un Italien par- 
courait le djebel Lakhdar, et voulaitvoir ie cheikh 
de 1'ordre si redoutable. La rapidite avec laquelle 
les operations furent conduites jeterent les Ita- 
liensdans une sorte dedesarroi difficile a de"crire : 
en quelques jours, notre influence remplacait 
completement 1'influence italienne. Nos ennemis 
veillaient : bientot, grace a leurs menees, une 
grande insurrection eclatait .dans le sud; ils 
reussirent a exciter contre nous les Khouan 
du Nefta qui, nous 1'avons dit, sont une branche 
des Rahmanya. Ils pre"voyaient bien qu'aban- 
donnes a eux seuls ils seraient vaincus t6t ou tard ; 
aussi, Gamperio se rendit dans le djebel Lakhdar 
pour pousser les chefs des Snoussya contre nous. 
Ge fut en vain, et toutes ses excitations ne servi- 
rent qu'a aigrir contre I'ltalie les chefs de 1'ordre. 

Enfln, quand le Madhi du Soudan appela aux 
armes tous les Arabes pour chasser les Anglais 
et leur infliger les sanglantes defaites que nous 
connaissons tous, le Madhi des Snoussya, traitant 
son homonyme et rival d'imposteur et autres 
epithetes, envoyait a tous ses affllies une ouassia 
(ou lettre de recommandation) defendant a tous 
ses affilies de prater le moindre secours a ce faux 
prophete qui usurpait des titres auxquels il n'a- 
vait nul droit. 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 511 

Ne croyons pas que ce fut par amour pour 
nous qu'il refusa, dans ces deux occasions, de 
prendre les armes pour combattre notre domi- 
nation. II y aplusieurs motifs danscette absten- 
tion du cheikh : il ne veut pas aider le rival qui 
combat les Anglais a Khartoum, afin de ne pas 
lui donner encore plus de prestige, et de se 
donner a lui le second rang : il ne veut pas nous 
combattre, d'abord pour montrer a nos ennemis 
qu'il est un homme important etque son alliance 
vaut quelque chose, mais surtout parce qu'il est 
un politique habile, et qu'il ne juge pas 1'occasion 
favorable. Rien ne sera laisse au hasard par 
ces hommes poursuivant avec energie un but 
qu'ils sont persuades d'atteindre : ils calculeront 
froidement le mal qu'ils peuvent faire a notre 
domination ; ils trameront, dans 1'ombre de leur 
zaouia, un complot centre nos missionnaires ou nos 
explorateurs, car ils savent bien qu'une menace 
passerainapergue, etque la France ne sera pas si 
folle que d'engager une guerre tres difficile pour 
ne pas dire impossible. S'ils nous attaquaient 
ouvertement dans une guerre reguliere, nous 
pourrions leur faire certainement beaucoup de 
mal, et s'il nous est impossible de penetrer 
jusqu'a Djegboub, il- ne nous serait pas aussi 
difficile de pe"netrer a Ghadames et a Ghat. Le 
temps n'est plus, ils le savent bien, ou avec 
quelques milliersde cavaliers hardis ils pour- 
raient, comme les premiers Musulmans.s'emparer 
de 1'Afrique du Nord sans eprouver une vigou- 
reuse resistance, surtout si la France n'est pas 
occupee ailleurs. 

Le jour ou ils se leveraient pour nous combattre 



512 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

nous aurions devant nous non plus les bandes 
indiscipline"es de Gheikh-Ei-Haddad et autres 
chefs Rahmanya, pleines de bravoure et d'en- 
thousiasme, mais manquant absolument de 
discipline, nous aurions devant nous une troupe 
re"guliere egalant au moiiis, si elle ne depassait 
pas en nombre, celle que nous pourrious leur 
opposer, etarmee comme nos soldats. Dans le' 
seul district de Ben-G-hazi, malgre" les ordres de 
la Sublime Porte, 25.000 hommes se leveraient 
pour obeir a la voix de leur Gheikh. Dans ce 
nombre evidemment ne figure pas le personnel 
des diverses zaouias. Au chef-lieu de Tordre, 
dans cette petite oasis qui ne renferme pas plus 
de trois cents palmiers et quelques oliviers, on 
ne compte pas moins de trois a quatre mille 
hommes pouvant porter les armes. G'est la que 
se trouve pour ainsi dire 1'arsenal de 1'ordre : 
c'est la que Cheikh-El-Madhi a e'tabli tout ce qu'il 
faut pour reparer et fabriquer les armes de 
guerre : vingt chambres sont remplies de poudre 
et de plomb : les fusils, les sabres, fabriques 
sur place ou venus d'Europe, remplissent les 
magasins de la zaouia, tandis qu'une quinzaine 
de bouches a feu achetees en Egypte com'pletent 
i'armementde cette forteresse. Supposons seule- 
ment que chaque zaouia puisse fournir un contin- 
gent de deux mille hommes armes ; actuellement, 
1'ordre compte plus de cent cinquante zaouias, 
re"pandues dans tout le desert, de la mer Rouge 
a TOcean; nous avonsla une armee formidable : 
au lieu de deux mille, reduisons a sept cents 
hommes seulement le contingent que peut fournir 
chaque zaouia, et nous aurons pour nous combat- 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 513 

Ire line arme"e supeVieure en nombre a celle que 
nous entretenons de Nemours au golfe de Gabes. 
Et co nombre va croissant chaque jour. Voila, 
croyons-nous, le plus grand ennemi de notre 
domination en Afrique, 1'ordre vraiment invente 
par Lucifer au milieu de ce siecle pour arreler 
nos progres, 

G'est vraiment une chose merveilleuse en effet 
que de voir les progres effrayants de cette 
congregation. II y a pres de cent quatre-vingts 
ans que la Franc-Magonnerie est publiquement 
connue et qu'elle affiche ses doctrines et son 
but : elle compte, dit-on, vingt et un millions 
d'adeptes dans le monde entier. Voila un ordre 
fonde, ii y a soixante ans a peine, qui deja e"tend 
ses branches vigoureuses sur 1'Afrique tout 
entiere ; dans celte seule partie du monde, sans 
recourir a des moyens illegitimes aux yeux 
des Musulmans, dvoquant la grande voix de la 
patrie et de la religion et rappelant a I'islamisme 
primitif ces populations endormies, un ordre s'est 
forme, qui comptait a peine un millier d'aieptes 
a ses debuts, quand Snoussi abandonna la Mecque, 
et qui aujourd'hui se nombre par millions et 
millions. Que faut-il conclure de ce mouvement, 
que faut-il penser de cet ordre ? Chacun y repon- 
dra selon les idees que la lecture de ce que 
nous avons dit fera surgir de son cerveau ; pour 
nous, nous croyons que c'est la le seul danger 
vraiment a redouter pour notre colonie. 

Nous irons aussi plus loin : et nous dirons que 
c'est un danger pour I'Europe chretienne. Qui 
nous dit que tot ou tard cette societe" ne fera pas 
jonction avec la franc-maconnerie universelle, 

J,E DIABLE CHEZ LES MUSULHANS 15. 



514 LE DIABLB CHEZ LES MUSULMANS 

comme firent les heretiques au moyen age, et 
alors nous verrons nos missionnaires massacres, 
nos explorateurs si etroitement surveilles, qu'ils 
ne verront que ce qu'on voudra leur montrer, 
et des barrieres infraachissables etablies centre 
la vraie civilisation, la civilisation chretienne et 
catholique. Gela me"rite 1'attention de tous les 
gouvernements, non seulement des gouverne- 
ments des pays Chretiens, mais aussi des pays 
musulmans. II nous semble en effet que plus on 
examine la marche des soeietes secretes 
d'Europe et des societes secretes d'Afrique, on 
est frappe de les voir tendre toutes a un seul 
but : renverser tous les gouvernements, les 
uns pour etablir la Republique universelle, les 
autres pour etablir I'imamat qui, au fond, n'est 
qu'une Republique : les moyens different peu : 
seul le champ d'action est different et le plan 
d'attaque a dii varier. 

L'emigration, voila un autre moyen pre'conise 
par les Snoussya, que dis-je, ordonne par les 
chefs de cet ordre, qui s'appuient pour soutenir 
cette theorie sur le Goran : que tous les Musul- 
mans fideies abandonnent ce qu'ils possedent 
dans un pays soumis au joug de 1'Infi.dele, qu'ils 
emportent avec eux toutes leurs richesses, et 
aillent s'etablir dans le desert, loin de tout roumi, 
afin de pouvoir un jour tous se reunir et recon- 
querir ce qui leur a ete enleve. Gette doctrine, 
c'est la doctrine du Goran ; elle est enseignee en 
public dans les mosquees de Constantinople et 
jusque dans la grande mosquee d'Alger. Heureu- 
sement le gouvernement y a mis le hola, et le 
personuage a ete expulse de la colonie. Nous 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 515 

avons entendu dire souvent qu'il faudrait faire 
pour les Arabes ce que les Americains ont fait 
pour les Indiens, les exproprier de leurs biens 
et les parquer comme des troupeaux dans un 
territoire bien limite d'ou ils ne pourraient pas 
sortir. Une telle conduite nous repugne tellement 
a nous Frangais, que jamais un tel acte ne sera 
mis a execution. Qu'on n'ose jamais dire que le 
Francais n'est pas colonisateur, qu'on dise plu- 
t6t qu'il n'est pas un exploiteur comme 1'Anglais 
et TAmericain. Partout ou a passe le drapeau de 
la patrie francaise un grand peuple 1'a suivi ; et 
n'aurions-nous que le Canada pour refuter une 
pareille erreur enseignee meme dans nos geo- 
graphies, que ce serait une preuve sufflsante. 
Coloniser un pays ne consiste pas, en eff'et, a 
faire disparaitre la race qui 1'occupe pour se 
mettre a sa place, comme le font quotidienne- 
ment les Anglais ; coloniser un pays, c'est elever 
a un niveau superieur de bien-tre, soit intellec- 
luel soit mme materiel, le peuple qu'on a soumis 
a ses lois ; adoucir pen a peu ses coutumes bar- 
bares, detruire ses superstitions et le faire jouir 
d'un bonheur qu'il n'aurait pas connu j usque-la. 
II faut entendre le Tunisien vanter les bienfaits 
que nous lui accordons tous les jours, et TAlge- 
rien converti a notre foi, disant en parlant de la 
France, notre palrie, et cela en bel et bon 
francais, avec moins d'accent que le viilageois 
de la Gascogne. Non, qu'on ne nous dise pas que 
la France n'est pas colonisatrice, car nous repon- 
drions qu'elle est la premiere nation actuelle- 
ment pour coloniser un pays, dans le sens que 
nous avons dit : quand les Romains s'emparerent 



516 LE DIABLE CHEZ LES MtJSULMANS 

de la Gaule, parquerent-ils, dans .le centre de 
notre beau pays, nos anctres pour se partager 
a eux tout seuls le reste de la contre"e ? Non ? 
mais pour s'attacher, pour s'assimiler a eux le 
peuple vaincu, ils le comblerent de bienfaits, et 
bientSt la Gaule fut si bien assimilee qu'elle 
donna a Tempire des empereurs, et aux ecoles 
de Rome les meilleurs rhe"teurs. II nous semble 
que c'est une gloire pour notre patrie d'entendre 
des Anglais dire que nous n'y entendons rien, 
que nous devrions suivre leur systeme. Et nous 
ne le savons que trop ; aujourd'hui, on compte en 
Algerie plus de trois millions de Musulmans. 
Laissez venir 1'Anglais, 1'Anglais dont 1'ombre 
seule empoisonae les plantes qu'elle touche, et 
dans un siecle, nous compterons a peine en 
Algerie trois cent mille Arabes. Et s'ii y a des 
lecleurs un peu enthousiastes de la politique 
coloniale anglaise, nous les prions de prendre 
une geographie un peu detaillee de 1'Amerique 
du Nord, et de comparer les chlffres de la popu- 
lation indigene en 17t>3, c'est- a-dire en I'annee 
nefaste ou 1'inepte Louis XV abandonna, de 
gaite de coeur, le plus beau fleuron de la cou- 
ronne de France a nos ennemis, a ceux de 
I'annee 1897. 

Revenons aux Snoussya. Nous disions que ces 
fanatiques, s'appuyant sur le Goran, ordonnaient 
a tous les Musulmans d'abandonner leurs biens, 
pour Mr le joug de 1'Infldele : a ce propos, pour 
bien prouver ce fait, nous citerons un passage 
d'un document adresse aux freres par un Mo- 
qaddem de cet ordre, en 1869, Si-El-Habib-ben- 
Ammas, chef de la zaouia de Nedjila. 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 517 

Gpnfiez-vous, mes freres, entierement a 
Dieu, au Livre et a la tradition, suivant le central 
primitif sur lequel il faut toujours se reposer. 
C'est vers Dieu qu'il vous faut aller, c'est en lui 
que nous devons chercher un appui... faites ce 
qu'il vous aprescrit de faire, absteuez-vous de ce 
qu'il a defendu, aimez sa parole cherie. Laissez 
la les individus occupes des choses de ce monde, 
les menteurs qui s'ecartent de la porte de Dieu. 
Laportede Dieu est ouverte : celuiqui Taouverte 
est noble, est genereux... Si quelqu'un recherche 
la Verile, il lui sera donne ce qu'il n'a pas, parce 
qu'en Notre-Seigneur il n'y a pas d'avarice : 
Laissez la les creatures et ce qu'elles disent : 
Dieu veut qu'elles soient comme elles sont. 
Dieu ne se revele forcement ni a un Arabe ni a un 
etranger. Le but c'est Lui, 1'unique, le seul, qui 
n'engendre pas, et n'a pas ete engendre, a qui nul 
n'est pareil. O mes freres ! si vous en avez le 
pouvoir, ne negligez ni nous ni vos cheikhs. Dieu 
a dit dans son livre cheri : Au jour qui equi- 
vaut a cinquante mille annees (Goran, LXX, 
vers. 4.) Est-ce que la terre de Dieu n'est point 
vaste ? Ghangez done de residence sur cette 
terre : quant a ceux-la (ceuxqui n'emigreront 
pas), leur demeure sera 1'enfer et combien triste 
sera leur depart (pour s'y rendre). Mais les fai- 
bles, hommes et femmes qui n'ont pu trouver ni 
ressources pour emigrer, ni personne pour leur 
indiquer le chemin, peut-tre Dieu leur pardon- 
nera-t-il. Et celui qui quittera sa patrie pour 
suivre la voie de Dieu trouvera sur la terre des 
asiles nombreux et commodes . Quant a celui qui 
sortde sa demeure, Emigrant pour aller vers 



518 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

Dieu et son envoye, et que la mort surprend 
en chemin, Dieu a deja prepare sa recompense. 
(Goran, iv, vers. 99, 101):.. Mais si Dieu sail que 
vous avez de bonnes pensees dans le coeur, il 
vous donnera plus qu'il ne vous a ete enleve et ii 
vous pardonnera (Goran, vm, vers. 71), etcela 
quand bien mme vous seriez dans le pays des 
Infldeles, si vous ne trouvez pas moyen d'en sor- 
tir ; mais si vous y restez parce que vous tenez 
peu a nous, nous nous rencontrerons le jour ou 
ni les richesses, ni les enfants ne serviront de 
rien, sice n'est a celui qui viendra a Dieu avec 
un coeur pur (Goran, xxvi, vers. 88, 89). 

. . .Dieu tres grand a dit dans son noble Livre : 
Geuxquientrerontd'abord auParadis ce seront 
\Qspremiers Centre les emigres (de la Mecque) 
et les auxiliaires de Medine et ceux qui les ont 
suivis dans les pratiques du bien. Dieu a ete satis- 
fait d'eux et ils ont ete satisfaits de lui. II leur a 
prepare des jardins au-dessous desquels courent 
des fleuves et ils y demeuferonteternellement. 
(Goran, ix, vers 10.) 

Gertes, Dieu rachete aux croyants leur ame et 
leurs biens a condition de leur donner le paradis. 
(Goran, ibid., verset 112.) Dieu tres grand adit : 
Dieu a ete propice au Prophete ainsi qu'aux 
emigres et aux auxiliaires et a ceux qui 1'ont 
assiste a 1'heure de la disette ; au moment ou 
le coeur allait faillir a une partie d'entre eux, 

c'est alors que Dieu se tourna vers eux 

(Goran, ibid., verset 118.) Enfin, si vous aimez 
Dieu et l'Ap6tre, sutvez-moi, Dieu vous aimera, 
et vous pardonnera vos peches. (Goran, ra, 
vers. 29.) 



LE DIABLE GHEZ LES MUSULMANS 519 

Nous ajoutero.ns avec Rinn cette reflexion 
pour bien faire juger les tendances de cet 
ordre : On remarquera, dans cette instruction 
(ouassia), combien le redacteur a eu soiii de 
s'eiFacer pour laisser le plus possible la parole 
au Livre de Dieu. G'est qu'en effet la constante 
preoccupation des chefs des Snoussya est 
d'effacer leur personnalite derriere le Livre 
revele ou les paroles des saints, dont 1'ortho- 
doxie est incontestable. (RiNN, page 498 499.) 

Get appel que font les Snoussya a 1'emigration 
sera toujours trop entendu par les fldeles 
musulmans, et nous les verrous abandonner nos 
villes pour se retirer plus au sud, afin detrouver 
sous un regime musulman la liberte pleine et 
entiere de suivre leur religion. G'est ainsi que 
se manifesto la tendance de cet ordre a englober 
tous les autres ordres musulmans, a appeler a 
lui tous les sectateurs du Goran, a leur en faire 
une obligation. Snoussi ne commettra pas la 
faute de Tidjani; nous avons dit, en effet, que 
celui qui etait affilie aux Tidjanya ne pouvail 
se faire affllier a un auti e ordre, et que s'il avail 
ete affilie auparavant, il devait renoncer a cette 
premiere initiation. En un mot, 1'ordre des 
Tidjanya est un ordre exclusif : celui des 
Snoussya au contraire est un ordre universel, et 
cela se comprend : en agissant de la sorte, il ne 
fait que repondre a son but. Get ordre a pour fin 
principale derameneral'islamisme primitif toutes 
les populations de 1'empire du Goran. Depuis 
plus de huit siecles, dit-il, la ferveur primitive 
a disparu : les preceptes du Livre Sacre ne sont 
plus observes, les marabouts eux-memes, qui 



520 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

auraient dii conserver intactes les traditions, 
sont les premiers a mepriser la loi sainte, et se 
font les de"fenseurs d'un gouvernement qui 
pactise avec les ennemis de 1'Islam : malgre la 
defense du Goran, ilsrecoiventune pension pour 
les fonctions du culte, pour 1'enseignement des 
sciences sacrees ; malgre la defense du Goran, 
les gouvernements musulmans suivent la m6me 
voieque les nations chretiennes avec quills font 
alliance, et qu'ils laissent s'immiscer dans leurs 
affaires, et tant d'autres griefs qu'il serait trop 
long d'enumerer ; et tandis que 1'islamisme officiel 
est tout entier plonge dans la tiedeur, tandis que 
les docteurs de 1'Islam ont permis aux popula- 
tions musul manes de deposer les armes au lieu 
de nous combattre, tandis que le sultan de 
Stamboui voit demembrer peu a peu les provinces 
de son empire et laisse les nations europe'ennes 
y etablir sans difficultes aucunes leur domina- 
tion, lui Snoussi a veille, a appelea son secours 
tous les peuples et tous les ordres. 

Que les affilies de chaque ordre se reunissent 
tons comme en un seal faisceau pour former 
une ligue formidable, une barriere infranchis- 
sable, plus redoutable et plus a craindre que la 
ceinture de sable dont la nature entoure leur 
zaouia. Qu'ils soient Qadry, A'issaouy, Derqaouy, 
Ghadely, qu'importe ? N'ont-ils pas tous la mme 
doctrine? n'emploient-ils pas les memes moyens? 
n'ont-ils pas le meme but? Que tous se reunissent 
done sous une m&ne regie, sous une meme domi- 
nation, pour travailler tous ensemble a 1'etablis- 
sementdu regne d' Allah, a ladelivrance des Mu- 
sulmans, et a la fondation de I'imamat. Voila 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 521 

le cri qui s'echappait de la poitrine du grand 
fondateur : il voulait qu'on laissat de cole les riva- 
lites mesquines d'ordre a ordre, qu'On n'eut 
qu'un seal cosur pour ne poursuivre qu'un but. 
Tous ne 1'ecouteront pas, et ces avis ne plairont 
pas a tous, stirtout a ces vils stipendies qui met- 
tent an service des dominateurs de 1'Islam, et 
leur intelligence et leur savoir : ces gens, 
pionges tout entiers dans la matiere qui ne de 
mandent qu'a jouir, ne voudront pas perdre les 
beaux ecus que leur paie chaqne mois le gouver- 
nement f rancais ou turc ; mais ce sera 1'infime 
minority, et les vrais Musulmans, ceux qui font 
passer avant tout les inte'rels de leur religion et 
de leur patrie suivront ses conseils : ils resteront 
Aissaoua, Derqaoua, sans doute, mais la doc- 
trine du panislamisme aura gagne une recrue 
de plus, et peu a peu 1'ordre tout entier sera 
impregne de cette doctrine, et les Snoussya trou- 
veront des aides la ou ils croyaient n'avoir que 
des indifferents. 

Nos lecteurs n'ont qu'a se rappeler la parole 
que nous avons rapportee plus haut : cet indi- 
gene, affllie aux A'issaoua, exagerait sans nul 
doute en disant que les voleurs et les menteurs ne 
pouvaient etre affiiies a Tordre de Djegboub, mais 
seuiement ceux'qui suivaient fldelement les pres- 
criptions du Goran et menaient une vie exem- 
plaire. La pensee de mon interlocuteur etait 
claire cependant au milieu de son exageration, 
il reconnaissait cet ordre plus saint et plus par- 
fait que celui des A'issaoua auquel il etait affilie, 
et se reconnaissait indigne d'y etre initie. Nous 
pouvons cependant assurer que nous avons vu 



522 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

bien peu de Musulmans praliquer aussi bien que 
lai leur religion, et aucun ne nous a e"tonn6 comme 
lui par son fanatisme. Que doit-il done etre des 
Snoussya? Si un homme qui tuerait de sa main 
.tous les Chretiens de 1'Afrique du Nord, s'il en 
avait le pouvoir, se juge indigne d'entrer dans 
1'ordre de Djegboub, que doit-ce 6tre de ces 
derniers ? 

G'est done un ordre appele a jouer un grand 
role dans la prochaine insurrection, et deja tous 
ceux qui ont voulu penetrer dans le desert 
savent quelle est sa puissance. Dans la Tripo- 
litaine, ou la Sublime Porte pretend faire res- 
pecter ses droits, les Snoussya commandent en 
mailres : les veritables gouverneurs ne sont 
pas les caiimacans ou mutessarif turcs de 
Tripoli ou de Ghadames, ce sont les Moqaddem 
des zaouias de ces villes . Tandis, en effet, que 
les" malheureux habitants doivent payer des 
impdts exorbitants au gouvernementturc, tandis 
que chaque employe, depuis le gouverneur jus- 
qu'au dernier mutessarif, reclame son bakchich, 
les affllies a 1'ordre des Snoussya se prome- 
nent le front haut, et jouissent de tous les avan- 
tages de lasociete sans payer aucune rede vance. 
C'est ainsi sans doute qu'ils veulent pratiquer 
1'egalite entre ies hommes ; mais que faut-il 
penser d'un tel gouvernement qui commet ainsi, 
au su de tout le monde, de lelles injustices. II 
veut, dit-on, s'attacher ces revolutiohnaires qui 
veulent le renverser : et nous lui predisons qu'il 
ne reussira jamais. 

Le sultan de Stamboul est pris entre deux feux : 
s'il n'est pas tue par Tun, 1'autre ne le manquera 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 523 

pas : 1'Europe, d'un cote, demands chaque jour 
des concessions, et se montre d'autanl plus exi- 
geante que deja elle en a obtenu beaucoup. Elle 
le menace de le rejeter en Asie s'il ne condes- 
cend pas a ses de"sirs. Les ordres religieux au 
contraire, unifies dans les Snoussya, lui font un 
crime de ses concessions, et chacune de ses 
reformes et de ses condescendances est un nou- 
veau grief contre ce gouvernement trop faible 
pour chercher resolument son salut d'un cote ou 
de I'autre. Aussi, dans la Tripolitaine, 1'influence 
turque a diminue et est presque nulle : les em- 
ployes turcs sont la pour la forme, pour dire 
aux nations europeennes que le gouvernement 
de Constantinople reclame la suzerainete : mais 
c'estune suzerainete purement nominate, et nous 
verrons bientot le gouverneur de Tripoli se 
reconnaitre impuissant a proteger les missiou- 
naires qui veuleut aller a Ghadames et a GhaL 

Plus le gouvernement turc fait des concessions 
aux Snoussya, plus leurs exigences augmentent. 
II les a exemptes d'impdts, cela ne suffira pas, 
il faudra qu'il paie encore les Moqaddem et les 
chefs de 1'ordre. A Ben-Grhazi, avons-nous dit, 
dans la premiere ville ou s'arrSta Snoussi en 1843, 
quand de La Mecque il vint jeter dans le Djebel 
Lakhdar les fondements de son ordre, le pro- 
cureur de 1'orJre recoitdu gouvernement turc une 
petite pension de 500 piastres par an. G'est un petit 
pecule qui n'est pas a dedaigner, et Men des em- 
ployes de notre colonie n'ont pas chaque annee 
de 3 a 4.000 francs. Bien plus, nous dit encore 
Rinn, en juin 18S4, un certain Abd-Allah-ben- 
Zenad, Moqaddem de 1'ordre, etait a la fois et chef 



524 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

de la zaouia et agent du pacha de Tripoli et du 
gouvernement turc. 

Si jamais il y eut un gouvernement aveugle, 
ce fut bien celui de Stamboul : a-t-on jamais vu 
quelqu'un remettre ses interets aux mains de ses 
plus perfides ennemis ? Et cependant il en est 
ainsi : car ce serait une erreur tres grave de 
croire que les Snoussya et les ordres religieux 
ne poursuivent que le renversement des pouvoirs 
Chretiens ; non, ils comprennent, dans une meme 
haine et dans une mme malediction, tous les 
gouvernements musulmans ou Chretiens; ce. 
qu'ils veulent, ce qu'ils poursuivent avec energie, 
ardeur et intelligence, c'est le retour des popula- 
tions musulmanes a 1'islamisme primitif , heureux 
temps ou il n'y avait qu'un seul chef et ou les 
fideles croyants, encore dans 1'ardeur de leur foi 
primitive, franchissaient les obstacles les plus 
insurmontables et terriflaient les peuples, tout 
cela pour etendre jusqu'aux fins de la terre les 
limites du royaume d' Allah. II faudrait n'avoir 
aucune compassion pour ces gens, et- le sultan 
de Stamboul devrait faire de Gheikh-El-Madhi 
ce qu'il a fait du chef des Ouahabites : le faire 
executer. 

Nous allons maintenant, en racontaut la mort 
tragique de trois mission naires d'Alger, monlrer 
1'impuissance des Turcs et la puissance des 
Snoussya, de mSme que nous avons montre par 
le massacre de Flatters et de sa colonne combien 
les Tidjanya e"taient dechus de leur premiere 
splendeur, tandis que les affllies de Djegboub 
les avaient remplaces partout dans le Sahara. 
Partout le missionnaire s'attire la haine de ceux 



LE D1ABLE CHEZ LES MUStfLMASS 525 

qui ne connaissent pas le vrai Dieu, et la cause 
-de cette haine n'est pas'parce qu'il fait le mal, 
mats parce qu'il fait le bien ; on ne bait pas en 
effet un scelerat et un criminel, on 1'abhorre, on 
le fuit ; on bait au contraire celui qui nous gene, 
soil en nous faisant du bien, et alors cette haine 
montre la bassesse de notre caractere, soil en 
s'opposant a notre action de faire le bien. 

La Societe des Peres Blancs, fondee par le 
Cardinal Lavigerie pour 1'evangelisation du 
Sahara, et puis sur un ordre du Saint-Pere, pour 
celle de 1'Afrique equatoriale, avail a peine quel- 
ques annees d'existence que deja trois de ses 
membres succombaient sur la route d'Insalah, 
a quelques kilometres de nos avant-postes. Nous 
pensons que, dans ce massacre, les societes 
secretes musulmanes n'y furent pas etrangeres, 
mais comme nous n'avons pas de documents 
pour prouver ce que nous avancons, nous aimons 
mieux ne pas parler de la mort de ces premiers 
martyrs qui arroserent le sable aride du grand 
de"sert. 

La route du Soudan paraissait fermee du cote 
de 1'ouest, et, apres une telle aventure, c'eut ete 
exposer volontairement des hommes a la mort 
saas aucun profit. Alors on resolut de tenter la 
penetration du Soudan par la voie de Ghadames 
et Ghat. 

Agissant ton jours avec prudence, lessuperieurs 
pensaient qu'en s'etablissant d'abord a Ghadames, 
sous la protection du pavilion turc, les mission- 
naires pourraient nouer des relations avec les 
tribus, et s'avancer peu a peu, de ville en ville, 
jusqu'a Kouka.Ils croyaient que, voyageant sous 



526 LE DlABLE CHEZ LE& MUSULMANS 

la protection du consul francais de Tripoli et du 
pacha turc de la meme ville, iis n'auraient rien 
a craindre des ecumeurs de la mer de sable. Or, 
quand les premiers missionnaires voulurent se 
rendre de Tripoli a Ghadames, ils durent, pour 
calmer les apprehensions du consul et sauver 
sa responsabilite, lui donner un ecrit certiflant 
qu'ils avaient voulu, malgre ses avis, se rendre 
dans celte ville. Le pacha vouiut Men aussi 
leur donner un firman et des lettres de recom- 
mandation pour le Moutessarif du Djebel et 
les ca'imacans de Ghadames et deGhat; mais il 
exigea aussi un ecrit comme le consul pour sau- 
vegarder sa responsabilite. C'est done aleurs 
risques et perils que les missionnaires entrepre- 
naient ce voyage, et le sultan de Slamboul leur 
disait par la voix de son pacha qu'il se reconnais- 
sait incapable de les protege r en dehors des 
mursde Tripoli et de Ghadames. 11 suffit de Jeter 
un coup d'oeil sur la carte pour voir la difference 
qu'il y a entre notre domination et celle de la 
Turquie. Ghadames est situee par le 3O de lati- 
tude nord, a peu pres a la m&ne latitude que 
El-Golea ; tout le monde aujourd'hui peut voyager 
sans danger partout ou flotte notre drapeau, et 
des frontieres du Touat au golfe de Gabes, il 
n'y a pas plus de danger que de Nemours a 
Tunis. Etdire que la Sublime Porte veut encore 
faire respecter ses droils sur un pays ou elle n 
peut faire respecter les etrangers ? 

Cependant, grace a la protection divine, les 
missionnaires parvinrent sans encombre jus- 
qu'a Ghadames, ou ils devaient etablir leur 
premier poste avant de penetrer peu a peu dans 



LE DIABLE CHEZ LfiS MUSULMANS 52? 

le desert. Us surent acquerir, sur les habitants 
de cette ville, unegrande influence enpratiquant 
la charite et distribuantdes remedes aux malades. 
Bien souvent meme ils parvinrent a apaiser des 
dissensions entre les tribtis, et a arreter 1'effusion 
da sang. Dans les nombreux voyages que le Pere 
Richard entreprit dans le desert, il se lia avec 
quelques nomades qu'il croyait avoir gagnes a sa 
cause et dont il se croyait sur. II envoyait suppli- 
que sur supplique pour lemander 1'autorisation 
de partir pour le Soudan avec deux autres 
compagnons de voyage. 

Souvent, dans leurs lettres de Ghadames, les 
missionnaires se plaignent soit de 1'incurie 
des employes, soit plut6t de I'impuissance des 
gouverneurs. Chose curieuse cependant, on ne 
les voit jamais parler des societes secretes. Pas 
une seule fois on ne trouve le mot de Snoussya 
dans leurs lettres. Nous ferons la meme remarque 
pour les autres missionnaires des divers postes. 
Jusqu'en 1884 ou 85, ils ne mentionnent pas ces 
perturbateurs qui leur ont fait tant de mal et 
chaque jour mettent de nouveaux obstacles a 
I'evangelisationde 1'Afrique. Depuis cette epoque, 
au contraire, les missionnaires de Kabylie se plai- 
gnenttres souventdes agissements desRahmania, 
empechant les fils de Khouan de venir a 1'ecole, 
etc. Nous ne saurions attribuer ce fait qu'a la cir- 
conspection des affllies, prenant bien garde de ne 
pas laisser transpirer le secret meme de leur 
existence et la cachant de leur mieux comme 
1'ont fait si longtemps nos francs-macons ; unjour, 
cependant, grace a leurs menees, les moins clair- 
voyants doivent ouvrir les yeux, et les mission- 



528 LE DIABLE CHEZ LES MUStfOtANS 

naires du Sahara avouent eux-memes que leg 
missionnaires de Ghadames furent tue"s par 
1'ordre du Gheikh de Djegboub. 

Nous regrettons de ne pouvoir nous arreler 
longuement sur cette statioa, faire connaitre les 
oeuvres des missionnaires, les tracasseries aux- 
quelles ils sont en butte de la part du ca'imacan, 
leur douieur quand ils entendent chaque soir les 
musulmans hurler leurs prieres, etc., etc. Les 
missionnaires se montrerenttrop confiants envers 
les Touaregs et les Chaamba : Flatters et son 
escorte venaient de perir miserablement sous le 
poignard de ces feroces nomades, et nous croyons 
que le momentne semblait pas venude s'aventurer 
ainsi dans le desert. C'etait sans doute un grand 
missionnaire que ce P. Richard, qui ne pouvait 
voir sans pleurer les caravanes de rnarchands 
partir pour le Soudan et en revenir, tandis que 
les ministres du Dieu de paix devaient rester sur 
le bord de la mer de sables : c'e"tait un coeur 
noble et genereux, n'ayant au coaur que deux 
affections : celle de Dieu et de la France, celui 
qui ne pouvait voir sans tristesse des voyageurs 
p6netrer jusqu'au Ouadai, et c'etaient des Alle- 
mands, et c'etaient des Prussiens ! 11 croyait ne 
plus en entendre parler dans le Sahara, disait-il 
dans une lettre. 

Apres avoir repandu a profusion les bienfaits 
dans cette ville de Ghadames, les Peres croyaient 
avoir gagne a eux non pas certes toute la popu- 
lation, mais au moms une partie. G'etait un desir 
bien legitime ; avoir, pendant trois ans, soigne* 
toutes les maladies les plus rebutantes, et il faut 
avoir vecu au milieu des Arabes, pour s'en faire 



tE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 529 

une ide"e; avoir nourri les malheureux mendiants 
repousses de la porle des riches habitants de 
1'oasis, paraissait a ces coeurs gene*reux un 
motif suffisant de s'attirer ieur reconnaissance. 
Or, voici ce qui arriva au retour d'un voyage du 
P. Richard dansle sud afiu de nouer des relations 
avec les Touareg pour aller plus surement a Ghat. 
Le missionnaire rentrait dans la ville et recevait 
1'accolade de ses freres dans la foi, quand un 
Ghadamesien : Comment, dit-il aux guides, 
comment on ne les a pas tues I Quelques jours 
auparavant, la m&ne parole avail ete dite a un 
des Imeugassaten. Les missionnaires apprirent 
alors qa'un complot avait ete trame centre Ieur 
vie : un des plus riches habitants des Beni-Tusco 
avait fait tout son possible pour detourner les 
Ifougas de servir de guide aux deux mission- 
naires et consentait me"me a payer sur-le- 
champ les sommes qu'ils devaient recevoir a 
Ieur retour de 1'expedition. 

11 faul avoir 1'ardente foi du missionnaire et 
son zele pour ne pas reculer dans de pareilles 
entreprises. Parcourir le desert avec deux amis 
surs, deux ou trois guides qui sont a la disposition 
de quiconque voudra payer assez cher Ieur 
trahison, c'est vraiment avoir lafolie de la croix 
et il n'y a que le coeur noble et genereux du 
missiounaire qui puisse concevoir un tel projet. 

Nous savons bien que quelques-uns de ces gens 
qui passent tranquillement Ieur vie au coin du 
feu, d'ou iis suivent avec attention les progres 
que la civilisation fait en Afrique par 1'energie des 
autres,trouveront a critiquer etle colonelFlatters 
et les trois missionnaires. Nous admirons et le 

LE DIABLE CBGZ LES UUSULJIANS 15. .. 



530 LE DIABLE CHEZ LES .MUSULMANS 

colonel et les troismissionnaires, et leurs services 
effacent bien les petites imprudences dont ils 
out pu se rendre coupables. Ceux-ci cependant, 
comme le colonel ,eurent soin de se munir de lettres 
de protection du marabout de Temacinn. Un jour, 
a Ghadames, le Fere Richard les montra a des 
Touareg Ifougas : aussit6t ceux-ci embrasserent 
le papier, baiserent le cachet pieusement et lui 
dirent : Comment restes-tu ici ? la porte du 
Sahara t'est ouverte avec ce passe-port. Montre-le 
dans le desert etjamais personne n'osera te tou- 
cher ni porter les mains sur toi. Ge fut peut- 
6tre ce papier qui fut la cause de leur perte ; ils 
crurent en effet qu'avec un tel passe-port, ils pour- 
raient franchir sans obstacle le Sahara et arriver 
an Soudan, oil, pensaient-ils, comme le colonel 
Flatters, les Tidjanya avaient de nombreux 
affilies qui, en voyant le cachet de leur muitre, 
mettraient aussitOt tout a leur disposition. Ils 
oublierent eux aussi que les Snoussya avaient 
remplace' dans le desert 1' influence des Tidjanya ; 
ils devaient en faire la cruelle experience. 

Apres une magnifique supplique que le 
P. Richard adressa a ses supeVieurs pour leur 
demander 1'autorisalion d'avancer toujours dans 
le desert jusqu'a Ghat, ou, disait-il, les disposi- 
tions des Touareg n'avaient pas change a leur 
egard; que les Adjers etaient mecontents du 
massacre de Flatters par les Hoggar, qu'ils 
avaient recu du flls d'Ikhenoukhen (1) 1'assurance 
d'etre recus par tout avec beaucoup de conside- 

({) Que nos lecteurs se souviennent que c'est ce meme Ikhenou- 
khea qui ne repondit pas a Flatters lors de la premiere expedition. 
(Voir plus haut.) 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 531 

ration ; apres avoir assure leurs supeYieurs des 

bonnes dispositions des Touareg a leur sujet, 

les missionnaires, heureux enfln, purent partir 

pour 1'objet taut desire de leur voyage. Mais 

avant de quitter la ville de Ghadames, ils durent 

signer un ecrit constatant que c'etaient eux- 

memes qui avaient voulu quitter la ville, et au 

lieu d'un firman du sultan de Stamboul qui au- 

rait du les proteger jusqu'au coeur de 1'Afrique, 

ce furent eux qui durent signer un billet pour 

sauver la responsabilite du ca'imacan. Le traitre, 

il les livrait pieds et poings lies a leurs ennemis, 

sans aucune defense, et il voulait avoir entre 

ses mains un papier constatant son innocence, 

lui qui avait paye les meurtriers. Sa conduite 

n'avait ete rien moins que bonne, et il avait 

souvent fallu le spectre de la France pour 

que les Peres pussent se faire rendre justice. 

Une fois meme qu'un Ghadamesien leur devait 

de Targent, ils recoururent en vain a 1'autorite 

du ca'imacan, qui ne s'executa que lorsque les 

Peres 1'eurent menace de 1'autorite du consul. 

Une autre fois (c'etait de mauvaise humeur sans 

doute car il avait appris son changement grace 

au consul de France pour ses tracasseries envers 

les missionnaires), il proposa en plein conseil 

1'expulsion des trois Francais. Que le lecteur se 

souvienne seulement que le ca'imacan avait recu 

Fannonce de son changement, et qu'il avait des 

lors senti sa haine redoubler a leur endroit. 

Nous sommes arrives a 1'epoque du massacre- 

Quand Hadji Ikhenoukhen, chef des Touareg- 

Adjers, vit que les Peres avaieat pris au serieux 

les propositions qu'il leur avait faitesde traverser 



532 LE DIA.BLE CHEZ LES MUSULMANS 

son pays, il leur annonca pour la, premiere fois 
qu'il leur fallait un firman du sultan de Stamboul 
pour voyager en securite dans le Sahara, c'est- 
a-dire que le chef des Touareg semblait les 
mettre dans 1'impossibilite d'accomplir leur 
voyage. Les Peres ne voulurent pas en tenir 
compte : ils marchaient sous la protection de la 
Croix : leur protecteur c'etait Dieu. 

Ils trouverent les guides qu'ils jugeaient ne"ces- 
saires pour ce voyage et le depart fut fixe au 
13 decembre 1881. Les malheureuxcouraient a la 
mort. Un complot avait ete ourdi a Ghadames 
mme, aussitdt que le ca'imacan avait su que les 
Peres voulaient partir : les Snoussya furent Tame 
de ce complot, comme ils le furent pour le 
guet-apens dans lequel Flatters tomba malheu- 
reusement. II fallait a toutprix empecher la civi- 
lisation de penetrer dans le Sahara ; et qui etait 
plus a craindre que ces trois vaillants qui allaient 
resolument sans escorte dans un pays ou avait 
echoue une colonne ? II nous semble qu'ils repre- 
sentaient bien la lutte du bien contre le mal, de 
Dieu contre Lucifer, de Jesus-Christ contre 
Mahomet : sans armes, sans secours humain, 
ils marchaient au-devant de leurs ennemis armes 
de pied en cap. Les missionnaires de Tripoli 
ecrivaient a cette epoque que le complot avait 
e"te" execute par les Touareg, dirige par le 
caimacan avec la protection de 1'ancien gou- 
verneur Nasif-Pacha. Quand le massacre fut 
annonce a Ghadames, le gouverneur se garda 
bien de faire son rapport pour 1'envoyer a son 
superieur hierarchique : mais ce no fut pas le 
seul grief . 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 533 

Ge fat done le 13 d^cembre 1881 que les trois 
missionnaires , les Peres Richard , Moral et 
Pouplard quitlerenl Ghadames, apres avoir fait 
une visile d'adieu au ca'imacan : Grois-moi, ne 
pars pas, disail celui-ci, lu sais bien comment 
le colonel Flatters a peri, les Touareg sont des 
Iraitres, ils te tueront. Et leur mort avail 616 
decre"tee en conseil, et le cai'macan venait de 
donner 1'argent aux assassins ! que f aut-il penser 
d'une telle conduile ? et ce monstre osa encore 
demander au Pere Richard un billet pour degager 
sa propre responsabilite du crime qui allait tre 
commis. Ici nous emprunterons le recit du massa- 
cre a la deposition faite par Saik-ben-bou-Said, 
le 21 Janvier 1881, au camp d'El-Armooh : 

Au bout de quatre jours, la caravane se mil 
en marche, le 21 decembre, vers une heure de 
Tapres-midi. Elle etait composee du P. Richard, 
du P. Moral, du P. Pouplard, des trois Touareg 
et des negres que je vous ai cit^s, de moi et de 
mes deux coinpagnons charnbi : Elle compre- 
nail dix chameaux porleurs loues a El-Khadjem. 
Le P. Richard etait ache val, les deux autres sur 
des chameaux avec une parlie des bagages. 

La caravane emporlail trois gheraas d'orge 
pour le cheval, de 1'eau, une can tine de medica- 
menls, Irois tonnelets de vin f abrique par les Peres 
a Ghadames, une charge et demie de sucre, une 
charge de couscous, des conserves de viande, 
legumes, etc. Les bagages personnels des Peres 
se composaient de deux canlines pour chacun 
d'euxconlenant leur lit, des effets, des livres, des 
instruments. Le P. Richard pouvait avoir surlui 
une somme d'environ 4.500 francs. 

LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 15. . . 



534 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

Lorsque la caravane fut sur le point de sortir 
de la ville, le caimacan vint trouver le Pere 
Richard et lui dit : Puisque tu as voulu partir 
absolument, je te recommande de te mefier des 
Touareg, car ils te trahiront ; prends-y garde. 

Son fils nous accompagna jusqu'a deux kilo- 
metres environ de la ville avec une douzaine de 



cavaliers. 

Afin de depister les malfaiteurs, la caravane 
se dirigea d'abord sur la route d'Ouargla pour 
prendre a travers les dunes de 1'Erg. 

Le premier jour, elle coucha a Messezouda, 
un peu au sud de cette route. Le lendemain, on ne 
partit de ce camp que vers dix heures du matin. 
Dans la matinee, on apercevait des gens en assez 
grand nombre dans le loin tain. Les Peres 
resterent longtemps a regarder avec leurs 
longues-vues, et Ton ne quitla le campement 
que lorsqu'on eut acquis la certitude que Ton 
avait affaire seulement a des indigenes de 
Ghadames qui venaient faire du bois avec des 
anes. 

Le surlendemain, on arriva a Ras-Mareksan, 
Dans la journee, le P. Richard, qui avait une 
grande confiance dans le Targui Ai'ssa, lui prSta 
son cheval. La caravane avait ete rarnene'e par 
les Touareg et, malgre mon avis, vers la route 
directe de R'adames a R'at, ce que je voulais 
e"viter. J'en fis la remarque au P. Richard, qui 
prefera suivre le conseil des Touareg. 

Le lendemain troisieme jour du depart, alors 
que nous n'avions fait encore qu'une vinglaine de 
kilometres environ, on fit sejour, sur le conseil 
du Targui Ai'ssa, qui demanda instamment qu'on 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 535 

1'attendit pendant qu'il irait voir aux environs si 
Ton pourrait se procurer de 1'eau. Nous n'avions 
pas encore besoin d'eau, et je trouvai cepretexte 
tout au inoins etrange : jefls partde mes reflexions 
au P. Richard, qui me dit que les chameaux 
appartenaient aux Touareg, que c'etaient eux 
qui les conduisaient, et qu'ils etaient seuls juges 
du moment ou 1'eau leur serait necessaire. II 
tranquillisa les deux autres Peres qui, comme 
moi, etaient etonnes qu'au bout du troisieme jour 
de marche on eut encore fait si peu de chemin. 

A'issa ne revint quele soir, vers le ooucher du 
soleil ; il raconta que pendant sa marche, il avait 
rencontre un mouflon, et que la chasse qu'ii lui 
avait donnee 1'avait mene fort loin, et dans ua 
pays difficile. On se contenta de cette explica- 
tion, et le depart fut fixe au lendemain. 

Le soir, apres le diner, je me trouvais dans 
latente avec le P. Moral, A'issa et El-Khadjem. 
A quelques metres de la, le P. Richard etait 
dehors, avec mon frere Hamma aupres d'un 
grand feu. Djadour alia rejoindre ce groupe. 
puis Mohammed-Betikka. Quant au P. Pouplard 
et a Abd-Allah ils etaient alle"s se coucher tout 
pres de la egalement. Toutes les armes etaient 
reunies dans la tente avec les selles a meharis. 
Je sortis pour faire ma priere, et j'entendis a ce 
moment les Touareg parler entre eux dans leur 
langue ; puis A'issa poussa un cri, se precipita 
sur le P. Morat qui etait pres de lui, et le frappa 
de deux coups de poignard (draia) qu'il tenait 
cache sous son burnous. 

Au mSme moment et en un clin d'reil, 
Mohammed Betikka sortit un fusil a deux coups 



536 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

qu'il dissimulait e"galement sous ses vStements 
et le dechargea a bout portant sur le P. Richard 
qui eut a peine le temps de pousser un cri et 
tomba foudroye, frappe en pleine poitrine. 
Djadour se jeta sur lui et le frappa de plusieurs 
coups de couteau. 

Le P. Pouplard, entendaot cette double deto- 
nation, se leva precipitamment avec Abd-Allah. 
A environ trente metres de la, il tomba dans 
une embuscade et fut tue par un nomme Zedda, 
ou Imanghassaten, le meme qui avait autrefois 
assassine deux missionnaires sur la route 
d'In-Salah. 

Gette embuscade etait composee de huit 
Touareg, parmi lesquels je puis citer encore 
Hamma et Bou-Keddi, tous deux des Ifaghas. 
Au signal donne par Ai'ssa, ces huit hommes 
elaient sortis de leur cachette et s'e'taient preci- 
pites sur notre campement. Bou-Keddi, en arri- 
vant, tira un coup de tromblon sur le corps du 
P. Morat, renversg a terre. Les cadavres furent 
aussitot fouilles et depouilles par les Touareg... 

Le lendemain matin, arriva un negre de 
R'adames, porteur d'une mission pour les Peres. 
Les Touareg ne voulurent pas le laisser ap- 
procher. A'issa se rendit aupres de lui et le 
somma de lui remettre cette missive qu'il sup- 
posait devoir contenir de 1'argent. Ge negre fit 
d'abord quelques difficultes ; mais, quand il apprit 
que les Peres etaient morts, il donna la lettre 
dont ii e*tait porteur ; j'ignore ce qu'elle conte- 
nait. Le negre, en apprenant le massacre des 
Peres, dit aux Touareg : On vous a recom- 
mande aussi de tuer tous les Ghambaa; pourquoi 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 537 

les avez-vous epargnes ? Tuez -les egalem ent . . , 
Us consentirent a nous relacher, en nous ren<lant 
nos armes, prealablement de"charge"es par eux, e.t 
un mehari que j'avais amene d'Ouargla et qui 
appartenait auP. Richard. 

Nous marchames aussitSt sur FTadam&s, ou 
nous arrivames dans le courant de la nuit. Nous 
dumes attendre le lever du soleil pour pe"ne"trer 
dans la ville, les portes e"tant encore fermees. 
Nous aMmes aussitSt annoncer la fatale nou- 
velle an P. Kermabon. Pendant que nous lui 
exposions ce que nous avions vu, le caimacan, 
qui de son c6te avait appris la.mort des mission- 
naires, vint trouver les trois Peres dans leur 
maison ; je profltai de sa presence et lui demac- 
dai de me confler dix de ses cavaliers pour me 
lancer a la poursuite des meurlriers. MAIS IL ME 
REFUSA NET. II consentit cependanfc a nous louer 
deux chevaux de son maghzen et trois chameaux, 
avec des negres qu'on envoy a le jour mme 
pour rapporter les corps des victimes. Ge resul- 
tat ne fut pas atteint, et les negres dirent que les 
cadavres avaient e"te" trouves en trop rnauvais 
6tat, sur tout celui du P. Richard, pour qu'on put 
les transporter..... 

Je crois que le crime ae"te"commisarinsudu 
caimacan de R'adames. Gelui qui a forme le 
complot est un nomme El-Hadj-Mohammed-ben- 
Tseni, Kebir de Tsenian, homme tres influent ; 
il a paye Iui-m6me les assassins, avec lesquels il 
etait venu de Tripoli quelque temps auparavant. 
G'est, du moins, ce qu'un homme de Sinaoun a 
dit au P. Kermabon, et le bruit qui court dans 
la ville de R'adames. 



538 LE DIA.BLE CHEZ LES MUSULMANS 

Voila le rapport fait par un des temoins du 
massacre quelques jours a peine apres la mort 
des missioanaires. II nous semble que ce que 
nous avons deja dit suffit pour etablir la culpabi- 
lite du ca'imacan. Pourquoi, en effet, n'a-t-il pas 
consent! a donner a ce Ghaamba des hommes 
pour poursuivre les meurtriers ? La re"ponse du 
negre qui apportait une lettre est d'ailleurs 
bien categorique ; 1'ordre avait e"te donne de 
luer les missionnaires et les guides. Qui avail 
donne Tordre ?il n'y avait que le ca'imacan. 
Pourquoi celui-ci vient-il a deux reprises repeter 
aux Peres de ne pas s'aventurer dans le desert, 
parce qu'ils seront tue"s, s'il ne connaissait pas 
le complot ; il voulait de la sorte sauver les 
apparences, montrer qu'il n'etait pour rien dans 
le massacre ; mais ces reiterations sufflsent 
pour prouver qull etait de connivence. II est 
necessaire de remarquer que les Peres avaient 
avec eux un passe-port du marabout de Tema- 
cinn, et qu'il ne leur fut d'aucune protection. 
En somme, d'apres les derniers renseigne- 
ments, le complot fut trame a Ghadames meme, 
quelques jours avant le depart des Peres : les 
Touareg accuserent les Ghaamba, et recipro- 
quement. Celui-la m6me dont nous avons rap- 
porte le recit du meurtre fut accuse d'avoir et3 
Tun des plus ardents a tuer les Peres. Ge qni 
ressort le plus de tout cela, c'est que la Sublime 
Porte est incapable de faire respecter les Euro- 
peens sur son propre territoire, que les Snoussya 
sont a peu pres independants et maitres du 
pays, que les caimacans y sont plutot toleres 
et que leur pouvoir est a peu pres mil, lorsqu'ils ne 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 539 

veulent pas executer les ordres de Djegboub (1). 
Si on prenait a la lettre les pages que nous 
venons d'ecrire, on pourrait croire que les 
Snoussya exercent, sans conteste, leur autorite 
souveraine sur tout le Sahara, et que bientSt ils 

(1) Nous ne sommes pas les seuls a dire que les Snoussya 
eniploient le poignard pour arriver a leur but : Voici ce qu'a ecrit 
M. Largeau dans son livre Le Sahara algerien : 

Parmices ordres religieux, il en est nn, celui d'Es-Snoussi, qui 
est fort dangereux pour son fanatisme : il a ete institue dans le but 
precis d'opposer une digue aux conquetes de la civilisation euro- 
peenne. Tout Europeen qui voyage dans le Sahara doit se tenir soi- 
gneasement en garde centre ses adherents : ils ne recnlent devant 
aucun moyen, meme devant i'assassinat, pour amiter 1'infidele 
qui souille de sa presence le territoire sacre de I'lslam (Ch. vi, 
p. 99). 

Peut-etre aussi ferons-nous plaisir a quelques lecteurs en leur 
montrantpar un exemple com'iieu, en Orient, les ordres religieux, 
les Qadrya en particulier dont nons avons parle, sont peu respec- 
tuenx de 1'autorite et ne reculent pas devant le meurtre du sou- 
verain : ils ne connaissent pas encore la dynamite, pent-etre sera- 
ce la seule invention qu'ils consentiront a nous emprunter. Voici 
done quell e fut la mort d'Abd-el-Aziz, chef des Wahabites (verslSOS 
de J.-C.), frere d'Abd-Allah, qui lui succeda et pilla le tombeau du 
Prophete : 

Les sectes dissidentes auxquelles ont donne naissance les querel- 
les d'Ali etde ses successeurs sont nombreuses et variees; mais, de 
temps immemorial, elles s'accoident toutes sur un poiut : la justi- 
fication et la pratique de I'assassinat Musalmans et Chretiens, 

sumites et polytheistes ont, chacuu a son heure, goiite comme 
disait un Arabe, da poiguard des shiites, les prototypes da carbo- 
naro en Orient. Abd-el-Aziz allait maiutenunt apprendre qae Ton 
ne doit pas dedaigner les societes secretes de 1'Orient. 

* Un fanatique onginaire de la province de Ghilan, pays dans 
lequel, dix siecles auparavant, Abd-el-Kadt-r (ED jilani) s'etait fait 
rendredes honneurs presque divins, s'offrit pour I'oeuvre du sang. 
Apres avoir rec.u ses instructions a Teheran, il partit pour Meshid- 
Hoseyn, ville sacree de la devotion shiite. 11 y recut, avec 1'alisolu- 
lion ecritede ses peches,un papier signe et sielle qui lui assurait 
la jouissance des joies eternelles, s'il reussissait a purger la terre 
dn tyran nedjeon. Muni de ce document soigneusement fixe comme 
une amulette autour du bras, il se rendit a Dereyah, deguise en 
marchand, ety attendit I'occasion de meriter la recompense promise 
a la trahison. 

Wahabite sincere, Abd-el-Aziz ne manquait pas un seul jour 
d'assister aux prieres publiques dans la grande mosquee de la 
ville. La, sans armes, et absorbe par les pratiques de piete qui ne 
permettent pas de Jeter un regard autour de soi, il pouvait elre 



540 LE DIABLE CHEZ LES MtlStLMANS 

seront arrives a leur but : fonder en un seul 
ordre tous les ordres religieux, pour travailler 
tous au m6me but, sous un meme chef, une 
mme loi et une meme direction. 

Personne ne peut nier leurs progres etonnants 
et extraordinaires : peut-etre qu'en ce moment 
Us comptent plus de dix millions d'adeptes. II 
n'en est pas en effet en Afrique comme dans nos 
pays civilises. Si le pere de la famille est affilie 
a un ordre, ses enfants le seront, ses proches 
parents le seront. La tribu suivra le chef de la 
tribu. Ainsi, dans la province d'Alger, on compte, 
comme Rahmanya, des tribus entieres ou 1'Ordre 
ne comprend cependant que quelques individua- 
lites, mais celles-ci sont iraportantes, et occupent 
les premieres places de la tribu. En cas d'insur- 
rection, tous ces hommes suivront leur chef, et 
ce sera pour 1'Ordre des aides aussi surs que si 
chacun en particulier etait affilie. Ainsi, du 
moment que le roi du Wada'i est affilie aux 
Snoussya, ceux-ci dominent dans tout le 
royaume, et chacun des habitants peut tre 
regarde comme affilie reellement a Tordre. 

Malgre tout leur prestige, les Snoussya ren- 
contrent de terribles ennemis qui ne leur cedent 
le terrain que pas a pas, mais nous ne cesserons 
de le repeter, ils triompheront. L'lslam, en ce 



facilement immole. Le Persan ne 1'ignorait pas. Quancl un sejour 
de plusieurs semaiaes et (['observation scrupuleuse des rites ortho- 
doxes lui eurent gagn| la conflance des habitants, il se plaga pen- 
dant la priere du soir, derriere Abd-el-Aziz, et au moment ou le 
sultan se prosternait pour 1'adoration, il lui plongea dans le corps 
la lame aigue d'uii poignard Khourasan., L'acier peuetra enlre 
les epaules et ressortit du cote oppose. Abd-el-Aziz expira sans 
pousser une plainte, sans faire un mouvement. (Palgrave 
Tome II, pages 106 et 107.) 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 541 

moment, est agite de ses dernieres convulsions, 
et, joue sa derniere carte. Tot ou tard il faudra 
que 1'empereur de Constantinople choisisse le cote 
ou il voudra combattre : il le sait bien, et c'est ce 
qui nous explique ses tergiversations, ses conces- 
sions faites aujourd'hui a 1'Europe, retirees 
demain en cachette. Nous n'en voulons pour 
preuve que la loi sur 1'esclavage : comme toutes 
les nations europeennes, il a signe le traite qui 
abolit 1'esclavage dans le monde. Ge n'est 
cependant un mystere pour personne, qu'il est 
encore pratique dans ses etats, non plus ouver- 
tement et en public, mais en cachette : il veut, 
comme on dit vulgairement, menager la chevre 
et le chou, et il ne reussira a contenter personne. 
De plus, quiconque s'est tenu au courant des 
affaires musulmanes, et a suivi avec attention les 
progres de la civilisation dans 1'empire ottoman, 
a ete frappe de voir avec quel dedain les 
Turcs et les Arabes meprisent nos progres. 
Toutes les nations de 1'Europe sont en ce 
moment sillonnees de chemins de fer ; le tele- 
graphe, le telephone transmettent rapidement 
notre pensee, et il y a dans le monde civilis^ un 
tel mouvement d'affaires, que dans une annee 
nous accomplissons ce que nos ancetres fai- 
saient en cinq ans, dix ans. La Turquie seule 
est reside en arriere : ses chemins de fer (et ils 
sont .bien rares) ont etc fails par des compa- 
gnies etrangeres. Atix yeux des fervents, ces 
concessions sont de trop : 1'Islam est une reli- 
gion qui n'admet pas le progres : 1'homme doit 
y rester stationnaire ; les generations passeront, 
1'Arabe aura toujours son chameau, son burnous 

LE DIABLE: CHEZ LES MUSULMANS 4t> 



542 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

et sa tente ; les generations passeront, et 1'Arabe 
sera nomade comme aux jours de Mahomet. Nos 
lecteurs doivent maintenant concevoir la cause 
de cet etat ; le peuple, en effet, quoique ne 
sachant pas le dernier mot du sens de la formule : 
II n'y a pas de divinite que Allah ! en connait 
suffisamment le sens, de meme que nos paysans 
expliquer le mystere de la Trinite, connaissent 
parfaitement son existence. 

On ne saurait trop reflechir sur 1'influence 
qu'exerce sur un peuple la notion qu'il a de 
Dieu : le Dieu des Chretiens est un Dieu essen- 
tiellement actif, engendrant de toute eternite un 
Fils egal ami; il aime ce Fils eternel, 11 aime 
aussi les creatures qui ne sont que comme le 
reflet de son Verbe; aussi, le peuple Chretien sera 
essentiellement actif ; la generation qui nous sui- 
vra rira de nous, comme nous rions de nos peres. 
obliges, de se servir du coche, ou de la voile. 
La notion, au contraire, que 1'Arabe a de Dieu, le 
reduit a 1'impuissance d'agir : Mektoub, c'est 
ecrit, Dieu 1'a voulu, vous repond-il toujours ; 
et avec ce Mektoub, le frere etouffe en son coeur 
les sentiments les plus sacres ; la femme adultere 
surprise par son mari meurt en disant : Mektoub ; 
et le malheureux, mine par la fievre, expire en 
murmurant le noni d'AHah et son eternel : 
Mektoub. G'etait ecrit, pourquoi vouloir echap- 
per a la loi du destin. 

Si done le peuple ne connait pas -les theories 
philosophiques du Soufi ; s'il .ne peut pas ana- 
lyser scientifiquement la formule sacree de 
Tlslam pour en comprendre tout le sens mons- 
trueux, dans la pratique il ne differe guere des 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 543 

savants et couvre tout le mal qu'il fait de son 
Mektoub. II sera done facile de 1'exciter contre 
le progres et la civilisation, de lui moutrer que 
la construction de belles routes, des chemins de 
fer, la fondation des postes, etc., etc., sont 
autant de moyens inventes par le Roumi pour 
detruire 1'Islam. Vous, cher lecteur, quiriez de 
la naivete de ce pauvre peuple, songez que, dans 
notre Europe qui se pretend si civilisee, nous 
avons vu des choses aussi droles. Quand, par 
exemple, lord Chesterfield voulut, en Angleterre, 
faire adopter la reforme gregorienne, le peuple, 
furieux de vieillir de deux mois en un jour, ne 
le poursuivit-il pas en lui criant : Rendez-nous 
nos deux mois ? Que d'autres faits nous pour- 
rions citer qui montreraient combien le peupie 
tient a ses coutumes, quand bien mme celles-ci 
seraient condamnees scientifiquement, et rej etees 
par les hommesde la science. 

Get etat d'esprit du peuple arabe, cette volonte 
ferme et arrtee de ne pas abandonner la voie 
tracee par leurs peres, mais de suivre Forniere 
coute que coute, voila la force des Snoussya : ils fe- 
ront vibrer toutes les fibres des coaurs musulmans 
en leur montrant que les Chretiens ne doivent 
pas se meler de les civiliser, que les progres de 
la civilisation sont des inventions de Satan le 
lapide ; ils seront suivis par tous les Ordres, 
excepte celui des Taibya, car tous, nous ne 
cesserons de le repeter, n'ont qu'un but : le 
retablissement de 1'Imamat. 

Gependant, ne croyons pas que les Ordres 
abandonneraient leur influence an profit des 
Snoussya, si ceux-ci voulaient tellement s'iden- 



544 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

tifler les divers Ordres, qu'ils n'en formassent 

tous qu'un seul, et fussent ainsi comme un 

premier essai du retablissement de llmamat. 

Les Snoussya e'choueraient et nous, sommes 

certain qu'ils n'essaieront jamais. Les Qadrya, les 

Ghadelya, les Tidjanya, les Rahmanya ne vou- 

dront jamais, surtout les chefs, devenir les 

fideles serviteurs du sultan de Djegboub. Que 

nos lecteurs se rappellent la lettre par laquelle 

Gheikh Aziz se recommandait a 1'attention 

bienveillante d'un consul de France en Orient, 

et le priait d'interceder pour son rappel. El- 

Madhi lui avail offert un refuge dans sa zaouia ; 

la, il eut ete en surete, mais il aurait du neces- 

sairement reconnaitre I'autorite de ce Gheikh : 

son orgueil ne pouvait y consentir. M&ne dans 

la Tripolitaine, les Madanya, tout en les servant 

fidelement et avec plus de bonne volonte qu'ils 

ne le font pour le sultan, n'abandonneront pas 

entre ses mains leur autorite, leur prestige et 

leurs richesses. Et n'est-ce pas un desir bien 

legitime que de vouloir jouir d'une oeuvre qu'on 

afondee avec beaucoup de peines? 

Aussi, surs d'echouer s'ils essayaient de tous 
les Ordres, les Snoussya font, parmi les congre- 
gations niusulmanes, ce que fait la Haute-Ma- 
connerie. Snoussi etait le grand- maitre, et son 
ills encore plus que lui, des Ordres musulmans. 
Jamais, en effet, il n'a puentrer dans 1'esprit 
du fondateur que les superieurs generaux des 
divers Ordres abdiquassent leur autorite entre 
ses mains; il connaissait trop,certes, ses core- 
ligionnaires pour leur supposer un tel desin- 
teressement, et il etait trop fin politique pour 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 545 

le leur demander et voir son influence decroitre 
aupres de ses adeptes, par suite d'un refus 
qu'il etait assure de recevoir. II fallait trouver 
une cause sainte entre toutes, qui put reunir 
tous les coeurs et tous les esprits ; il fallait que 
tous les Musulmans, n'importe a quel Ordre ils 
appartinssent, fussent unis sur un point : il etait 
facile a trouver. Partout, en effet, ou il y a des 
hommes, il y a du bien et du mal, et au fond de 
toutes les questions, de toutes les haines et de 
toutes les affections, nous trouvons ces deux 
mots : bien, ou mal. Snoussi montra a tous les 
Musulmans le mal qu'il fallait combattre avec la 
mme ardeur que leurs ancetres : le mal, c'etait 
1'Europe chretienne ; le mal, c'etait la civilisation, 
le Gatholicisme. Voila quel devait tre 1'objectif 
de tous les efforts des particuliers et des gouver- 
nements. Quiconque ne s'unissait pas a ces nou- 
veaux saints de 1'Islam, pleins de zele pour la 
cause de leur Dieu, n'etait plus dans la voie 
droite, Dieu Vavait egare, et il devait tre traite 
comme le Roumi. En mettant en avant cette 
doctrine, Snoussi etait sur du triomphe ; le Musul- 
man est Musulman avant tout, et pour lui, il n'y 
a pas de patrie : la patrie pour lui, c'est la terre ; 
soumise a Dieu, comme le royaume Test a son 
roi. Allah, voila le souverain legitime, et chaque 
croyant doit verser jusqu'a la derniere goutte de 
son sang pour retablir ce royaume . 

Les Snoussya ne demandent done pas que les 
Aissaoua, par exemple, en s'affiliant a leur 
Ordre, renon cent a leur premier titre ; non, il 
suffira qu'ils promettent d'aider leurs nouveaux 
confreres dans 1'oeuvre de regeneration entre- 



546 . LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

prise dans 1'Islam ; il sufpra qu'ils promettent 
de s'unir a eux pour faire la guerre aux chre- 
tiens, retablir 1'Imamat et recevoir fidelement et 
docilement les in'structions que le Gheikh de 
Djegboub ieur transmettra. pour 1'execution du 
projet. Nos lecteurs nous demanderont si nous 
croyons qu'ils reussiront dans ce projet, et si 
vraiment ils ne demandent pas aux autres 
congregations beaucoup plus qu'elles ne peuvent 
tenir. Nous avouerons, en effet, que ces novateurs 
demandent beaucoup en exigeant cette soumis- 
sion de la part d'individus affilies a un autre 
Ordre. Mais qu'on n'oublie pas qu'il s'agit de 
combattre Dieu et son Eglise, et que les ennemis 
du catholicisme montrent autant de haine a nous 
poursuivre que nous, nous montrons d'amour a 
defendre notre Mere la sainte Eglise. Ne voyons- 
nous pas chaque jour les francs-macons frangais 
sacrifler les interets les plus sacres de la patrie, 
sur un simple desir venu des chefs de la franc- 
maconnerie? Ne les voyons-nous pas poursuivre 
sans relache aucun, et cela depuis plus d'un 
siecle, 1'Eglise et la societe qu'ils enveloppent 
dans une meme haine, car la societe revee dans 
les loges sera une societe de loups qui se devo- 
reront et non d'hommes unis par les liens de la 
charite ? Et loin de diminuer, ne voyons-nous pas " 
cette haine s'accroitre chaque jour, et nous 
abreuver continuellement de nouvelles avanies ? 
Soyons bien persuades que les francs-macons 
musulmans feront ce que font leurs congeneres 
d'Europe on d'Amerique. . 

La conception d'un tel plan,samisea execution, 
la facilite prodigieuse avec laquelle les adeptes 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 547 

ont ete recrutes, tout prouve que Satan n'est pas 
etranger dans une lelle ceuvre, qu'il la dirige 
et la gouverne. Les Musulmans ont Textase, 
1'extase satanique, procuree par des moyens 
artificiels, et avec une precision mathematique. 
Que le diable se montre a 1'appel qu'on lui fait 
et en pronongant une formule magique, ou bien 
qu'il se montre aussitOt qu'on se met en 
prieres, il n'y a qu'une difference de temps. 
Les Snoussya reussiront done dans leur oeuvre. 
Ge sera en vain que les Marabouts locaux 
et salaries. par 1'Etat, leur appliqueront toutes 
sortes d'epithetes insultantes ; en vain vou- 
dront-ils arreter le courant qui entrame les peu- 
ples musulmans vers ses liberateurs, il sera em- 
porte par ce courant, et s'il ne veut pas etre un 
pasteur sans, brebis, il devra se rallier a ceux 
qu'il a, auparavant, appeles Ouahabites. Ge mot 
resumait dans son esprit toutes les raisons qui 
lui faisaient detester ces novateurs. Ouahabites, 
oui, les Snoussya le sont, mais ils ont mitige les 
doctrines de cette secte qui ne connait pas de 
milieu, et qui, d'un exces est tombee dans un 
autre. Ouahabites, oui, ils le sont, et c'est pour 
expliquer le sens de cette injure que les Mara- 
bouts du nord de 1'Afrique et quelques Musul- 
mans epicuriens et libres-penseurs jettent conti- 
nuellem.ent a la face des Snoussya que nous 
avons dit un mot de cette secte ; nous avons aussi 
constate que dans 1'Orient il y a un mouve- 
ment de retour a Tislamisme primitif ; ii s'en est 
fallu de bien peu que le fils de Mehemet-Ali ne 
detruisit compietement cette secte ; et nous avons 
deja dit qu'Abdallah leur roi, celui-la meme qui 



548 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

avail pille a Mediae les tombeaux du Prophete, 
d'Abou-Beker, de Fathma, etc., apres avoir reta- 
bli I'islanrisme primitif a la Mecque, avait eu la 
tete tranche's par ordre du sultan de Stamboul- 
Nous nous arretous la ; nous croyons avoir 
fait connaitre suffisamment cet Ordre; nousavons 
montre sa source chez les Ouahabites, sa forte 
organisation par un homme d'une intelligence 
superieure, et son action sur le monde musulman. 
Le massacre de la mission Flatters, le martyre 
des trois Peres Blancs, Richard, Morat, et 
Pouplard, a vingt kilometres seulement de 
Ghadames nous ont montre la haine de ces 
sectaires centre notre patrie et la civilisation. 
Malgre nous, nous ne pouvons nous defendre 
d'un sentiment de crainte a la vue de ce formi- 
dable mouvement organise par le Gheikh de 
Djegboub. Etuous ne sommes pas le premier. 
Quand le cardinal Lavigerie, ecrivantau congres 
reuni a Bruxelles pour la suppression de la traite 
disait que les Snoussya etaient le seul danger que 
la France eut a craindre, mais un danger reel et 
terrible, ii n'exagerait rien. II prevoyait, avec sa 
surete de coup d'oeil ordinaire, sa profonde 
connaissance des peuples musulmans, que la-bas 
un grani complot se trame non seulement 
contre la domination de la France, mais ' contre 
la civilisation. Jamais, jusqu'ici, nous n'avons eu 
a les combattre les armes a la main, parce que 
1'occasion n'a pas ete propice; mais le jour 
viendra, et malheur alors, si la France n'a pas 
prevu les coups qu'allait lui porter ce terrible 
adversaire. 
Qu'on n'oublie pas surtout que ce mouvement 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 549 

est dirige aussi biea contre les Tares que centre 
les Francais, que le Gheikh de Djegboub disait 
a un visiteur qui lui demandait contre qui il 
voulait se servir de cet armement : Centre les 
Turcs et les Chretiens, dit-il, je les detruirai tous 
les deux. Que nos homines d'Etat, que ceux 
qui sont charges de veiiler sur notre belle colonie 
ne se laissent pas surprendre : Les Snoussya, en 
effet, et c'est la notre dernier mot, resument en 
eux tous les autres ordres, ils les englobentet les 
dirigent tous contre nous: ce sont eux qui pen- 
sent et forment les plans pour leurs coreligion- 
naires qui ne sauront qu'obeir a leurs ordres. 



GHAPITRE VIII. 

CONCLUSION. Moyens a employer pour 
arreter les progres des ordres religieux 
musulmans. 

G'est avec regret que nous devons nous arreter 
ici, sans avoir pu dire le dernier mot sur les 
Ordres musulmans. Nous croyons cependant 
avoir dit des choses peu conmies de la plupart 
de nos lecteurs ; et mme beaucoup d'Algeriens, 
quiont passe des annees et des annees dans notre 
belle colonie, seront etonnes d'apprendre ces 
choses. Beaucoup d'arabisants seront surpris de 
voir quel est le vrai sens de la formule : II n'y a 
pas d'autre divinite que Allah, et comprendront 
quelle fut la sagesse du concile tenu en 1873 a 
Notre-Dame d'Afrique, oil Mgr Lavigerie et les 
autres eveques africains enseignerent que pro- 
noncer cette formule, meme des levres seule- 
ment, constituait un acte d'apostasie. 

LE DIABLE CHEZ LES MUTLMANS 1C. 



550 LE DIABLE CHEZ JLES MUSULMANS 

Avant de lire les dernieres conclusions et de 
montrer les moyens a prendre pour enrayer ce 
mouvement de panislamisme, nous voudrions 
resumer en quelques lignes tout 1'ouvrage pour 
bien montrer Funite de ce plan vraiment sata- 
nique, pour montrer avec quel acharnement les 
Musulmans suivent une ligne de conduite 
parfaitement tracee pour arriver a leur but : 
fermer au catholicisme les portes du continent 
Noir. 

Les ordres religieux, avons-nous dit, ont deux 
buts : procurer a leurs affilies le bonheur de 
1'extase, et retablir dans toute sa purete 1'Isla- 
misme primitif ; on pourrait mme dire qu'ils 
n'ont qu'une fin : retablir I'lmamat, c'estra-dire 
la doctrine religieuse et politique telle que 1'avait 
concue le Prophete Mohammed. Pour arriver 
a ce but, tous les fondateurs d'Ordre ont vante 
le bonheur et les joies de 1'extase, tous ont 
voulu dominer par ce moyen leurs subordonnes. 
Entre leurs mains, ces hommes ont perdu 
ce qu'ils avaient de plus beau et de plus 
noble en eux : leur liberte a ete annulee a tel 
point que la plupart, pour ne pas dire la totality 
des Khouan, repeteraient la parole de 1'ourad 
Rahmany : Je ne sais s'ily a un Dieu, ni ce qu'il 
nous a commande, jo ne sais que ce que m'or- 
donne le Cheikh . Leur intelligence a perdu sa 
vigueur : le kif et 1'opium ont mis leur imagina- 
tion en delire, et ont acheve 1'oeuvre nefaste 
commencee par le diker; il est certain, en effet, 
que reciter des prieres un aussi grand nom- 
bre de fois que nous 1'avons indique, ne peut 
conduire qu'a 1'abrutissement et a 1'aneantis- 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 551 

sement de 1'intelligence. Et a ces prieres sans 
nombre, joigaez les jefmes les plus rigoureux, 
les mortifications les plus extraordiuaires, et le 
lecteur jugera de 1'effet produit sur ces corps 
debilites par le soleil brulant de 1'Afrique, par ce 
climat qui anemie les plus fortes constitutions, 
et developpe le systeme nerveux. Une telle 
invention ne peut pas etre une invention 
humaine . Jamais 1'homme ne mettra son plaisir 
et son bonheur, ne depensera sa vie a avilir 
ainsi ses semblables, si Satan ne le pousse a 
cette oeuvre de defiguration de 1'ouvrage le plus 
beau, sorti des mains de Dieu. 

Nous ne saurions le repeter assez ; nous 'ne 
voulons pas dire que tous les affilies soient 
favorises d'extases ; evidemmerit, pour le plus 
grand nombre, les visions dont leur esprit est 
hante ne sont que le produit de leur imagina- 
tion en delire ; mais il n'en restera pas moins 
vrai que le fait de Fextase existe, que les qua- 
rante Khouan composant le Conseil du Cheikh 
de Mequinez, que les quatre cents Khouan vivant 
dans le celibat, dans la zaouia de Djegboub, que 
les principaux chefs d'ordre, sont favorises de 
la vue de Lucifer, qui les dirige lui-meme dans 
toutes les actions importantes de leur vie. Les 
neuf dixiemes des affilies ne sont affilies que 
de nom ; ils se contentent de payer la ziara qui 
est toujours obligatoire, et de temps en temps, 
dans leurs jours de ferveur, de dire les nom- 
breuses formules de prieres. Les Moqaddem ne 
demandent pas davantage : il suffit, en effet, que 
1'individu soit toujours sous leur main, qu'ils 
puissent compter sur lui ; peu importe qu'il soit 



552 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

un fervent : la ziara emplit les coffres de 1'Ordre, 
et 1'adepte au besoin se recommandera de la 
protection du saint Marabout ou fondateur. 

Voila quelle est Tessence de tous les Ordres re'li- 
gieux; au fond, c'est la philosophic indienne dont 
1'influence a determine dans I'lslamisme ce grand 
mouvement, non pas vers i'unite de gouverne- 
ment, mais vers 1'extase... les communications 
avec les esprits. Chaqute ordre a su s'approprier 
cette doctrine ; tous ont pris le Dieu du Goran, 
cet assemblage monstrueux du principe du bien 
et du principe du mal en un seul etre ; ils ont 
ainsi voulu donner 1'orthodoxie a la doctrine de 
Manes, et nous devons avouer qu'ils ont si bien 
reussi, que bien d'arabisants ont e"te peut-Stre 
jusqu'a ce jour sans connaitre le vrai sens de la 
formule. Cependant, nous croyons n'avoir rien 
avance qui ne soil bien sur, et la doctrine fata- 
liste que professent les Musulmans n'est que la 
consequence d'un tel principe. Qu'on se sou- 
vienne d'ailleurs de la parole de Ben-ATssa, le 
fondateur des A'issaoua : Dieu, tu es le seul 
principe actif et de la theorie de Tidjani sur la 
non existence du mal dans 1'atome, par conse"- 
quent dans le monde. 

Le danger le plus grand pour la civilisation 
n'est pas dans ce commerce avec les esprits, 
mais bien dans ce mouvement de panislamisme 
que nous avons signale : mouvement essentiel- 
lement patriotique aux yeux des Musulmans,, et 
qui leur tient tant a coeur, autant que le salut et 
la prosperite de la patrie, au coeur de tout bon 
Francais. G'est, en effet, la difference qu'il y a 
entre nous et les Musulmans : la patrie et la reli- 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 553 

gion se confondent dans leur esprit, ou plutdt 
il n'y a pas de patrie pour le sectateur d'Allah ; 
la terre est le royaume de Dieu ; le croyant est 
citoyen de 1'univers ; et il . faut que 1'univers 
entier ou au moins tous les pays habites par un 
Musulman soient soumis a 1'autocratie de ce 
souverain. Les Snoussya rdsument toutes ces 
aspirations ; ils sont appeles a englober tous 
les Ordres religieux, qui, s'ils ne disparaissent 
pas, recevront tout au moins la direction supreme 
de Djegboub. 

Apresce resume succinct de tout I'ouvrage, nous 
allons indiquer les moyens, que nous croyons les 
plus aptes a reprimer ce mouvement, et a sauver 
notre colonie de la funeste influence des ordres 
religieux. Nous ne voulons pas nous rneler de 
diriger DOS gouvernants ; ce sont des conseils 
que nous voudrions cependant voir mis en pra- 
tique par ceux qui sont charge's par la Provi- 
dence de veiller aux interels de notre grande 
nation. Est-il digne de la France de proteger 
un de ces Ordres, est-ce possible, vu nos idees 
modernes ? Pouvons-nous fonder en Algerie une 
religion nationale musulmane, ou bien si nous 
voulons fonder un grand peuple, devons-nous 
convertir au catholicisme les Musulmans de 
1'Algerie. Nous prenons la question de haul ; 
nous ne voulons pas nous arr^ter en effet a ces 
petites questions d'int^r^t purement actuel, a ces 
persecutions mesquines dont on a abreuve nos 
missionnaires, ou bien encore a ces faveurs 
qu'on a repandues a profusion sur le clerge 
indigene ; non, nous voulons nous occuper du 
principe, est-il digne de la France, de la nation 



554 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

catholique par excellence, de se faire la pro tec- 
trice d'une religion aussi ignoble que celle fondee 
par Mahomet ? 

Nous re"pondons : une telle conduite n'est pas 
digne, une telle conduite n'est pas possible, 
une telle conduite n'amenera aucun resultat 
serieux : il n'y a qu'un moyen, un seul : 1'assi- 
milation des Arabes par le catholicisme ; alors 
le progres et la civilisation penetreront dans 
1'Algerie- et nous verrons un grand peuple 
s'elever de cette terre courbee jusqu'a ce jour 
sous le joug humiliant de 1'Islam. 

Quand une nation a ecrit son histoire comme 
1'a fait notre patrie, en combattant toujouis pour 
la bonne cause, et se montrant tou jours le bon 
soldat du Christ, est-il digne que cette meme 
nation devienne la protectrice officielle et 
reconnue, d'un culte et d'une religion ennemis 
du catholicisme ? G'est notre patrie qui, dans les 
plaines de Poitiers, sur les bords du Jourdain et 
du Nil, a porte a 1'Islam ces coups si terribles 
qui lui ont fait perdre le plus pur de son sang, 
et Font pour ainsi dire anemie ; c'est notre 
patrie qui a sauve le monde civilise du joug 
degradant du croissant qui marchait a la 
conquele du monde. Les epees de don Juan et de 
Sobieski se fussent brisees sans entamer le 
colosse si auparavant la France n'avait paye du 
plus noble de son sang le resultat si grand des 
croisades. Et ce serait cette meme nation dont 
toute 1'histoire n'est que le recit des Gestes de 
Dieu par son intermediaire qui.... nous n'ache- 
vonspas. Notre orgueil national serevolte a la 
seule pensee qu'un jour nous souiilerions de la 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 555 

sorte notre gloire, en etablissant ea Algerie une 
eglise Rationale musulmane, une eglise qui 
serait I'egale du catholicisme. II n'y a de progres 
veritable et de veritable civilisation que par le 
catholicisme ; la France n'est pas i'Angleterre ; 
la ou flotte notre drapeau, c'est le signe de la 
resurrection d'un peuple, qui se reveillera et 
marchera dans la voie du progres et de la civili- 
sation. Laissons aux Anglais leur negoce ; 
laissons-les exploiter a leur profit, au mepris de 
toutes les lois divines et humaines, les contrees 
du monde que le sort leur a donnees en partage ; 
nous, Francais, nous avons regu pour mission de 
Dieu, de rendre les peuples plus heureux, en les 
elevant a notre niveau, au lieu de les faire 
disparaitre. 

Supposons qu'un jour nos gouvernants s'ou- 
bliassent jusqu'a ce pointj nous disons que c'est 
une pure utopie et que jamais nous ne reussirons 
a fonder une eglise nationale musulmane en 
Alge'rie. En vain nous voudrons nous attacher 
ces populations fauatiques en repandant les 
bienfaits sur leurs Marabouts, nous ne reussirons 
qu'a faire des ingrats. Le peuple meprisera ces 
individus assez oublieux d'eux-memes pour se 
laisser payer par le Roumi : ie Marabout salarie 
ne sera a leurs yeux qu'un homme vil et sans 
honneur, trafiquant honteusement de son metier 
Ge ne sera plus a leurs yeux 1'homme d' Allah 
charge de veiller a 1'observation fidele de ses 
commandements et relevant quelquefois (de 
Dieu mme), les ordres qu'il doit transmettre. 
Quand le pauvre mais fidele sectateur du 
Goran verra passer dans la rue etroite et 



556 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMAN 

tortueuse de sou douar le Marabout traitre a 
sa patrie et a sa religion, majestueusement 
drape dans sou burnous plus blanc que le lait, le 
pauvre se redressera de toute la hauleur de son 
de"dain, et, lui jetant a la face la faible aum6ne 
qu'il avail versee dans sa main, ii 1'appellera 
chien, fils de chien, et le Marabout tombera sous 
le poids du mepris public : son prestige sera nul. 

Nous savons bien qu'on nous objectera que le 
gouvernement paye les Marabouts de nos villes 
du littoral, oil cependant ils jouissent de 1'estime 
de tous les gens de bien et de la veneration de 
leurs fideles. Et nous repondrons : Ce n'est pas 
dans les villes qu'il faut precisement aller 
chercher les bons Musulmans ; de mme que, 
dans notre France, c'est surtout dans les cam- 
pagnes que le peuple a .conserve les saines 
traditions du christianisme de mme, dans 
notre colonie, il faut aller loin de tout grand 
centre europeen pour retrouver le vrai Musul 
man. Au contact quotidien avec 1'Europeen (et 
Dieu sait ce que valent la plupart de nos colons), 
1'Arabe perd sa foi et ne pratique plus sa religion ; 
ii mange du pore, il boit du vin ; et a partir de ce 
moment il est Francais, et il le dit hautement : 
Est-ce done toute la civilisation que nous devons 
lui donner ? Se figure-t-on un Musulman civilise 
parce qu'ii ri'aura plus horreur du pore et boira 
du jusdelat'eille? 

Mais la oil le Musulman a conserve toute sa 
foi, il y a, nous le repe*tons, un mouvement 
tres accentue verslepanislamisme,une recrudes- 
cence de haine centre le Roumi. Nous avons 
assiste, dans notre siecle, a la reconstitution de 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 557 

trois nationalites : les nationalites grecque, 
italienne et allemande ; on dirait que le mgme 
souffle qui a pousse ces trois peuples a demander 
leur unite ou leur independance, a passe aussi sur 
I'lslamisme. Si nous voulions fonder une eglise 
musulmane nationale, nous meconnaitrions le 
veritable esprit de I'lslamisme. Nous jugeons les 
Musulmans d'apres nos idees, et nous croyons 
qu'avec de 1'argent nous pourrions arriver a 
jouer en Algerie le role de Luther ou de 
Henri VIII. Nous ne pouvons pas nier que nous 
ne trouvions en Algerie des Marabouts qui 
n'accepiassent avec plaisir nos pensions ; mais 
c'estle peuple qui fait la religion, et vice versa ; 
on n'impose pas a un peuple la verite a coups 
de sabre ; on pent lui imposer 1'erreur et la 
verite" pour quelque temps, mais c'est toujours 
celui qui a impose qui perdla partie. Une nation 
a ses tendances, ses besoins; vouloir lui en lever 
ses tendances, vouloir, par d'autres moyens que 
ceux qu'elle a employes jusque-la, subvenir a 
sesbesoins, c'est la jeter dans la necessite et le 
malheur. 

En Algerie, nous avons affaire a un peuple qui 
a des tendances autres que les notres, des 
besoins autres que les notres. Vouloir ds 
aujourd'hui, sans preparation, faire jouir ses 
habitants des bienfaits de la civilisation, c'est 
combattre ses tendances, lui donner des besoins 
qu'elle ne pourra satisfaire ; c'est, pour nous 
servir d'un mot vulgaire. mais tout a fait expres- 
sif, en faire un peuple declasse. Tandis que nous 
Francais, nous tendons continuellement vers le 
progres, TArabe ne demande qu'une choso, le 



558 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

statu quo; ce qull veut, ce qu'il desire, c'est ce 
qu'ont voulu, ce qu'ont desire ses ancelres : il n'a 
au coeur qu'une haine, la haine du Chretien qui 
1'a vaincu, la haine du Chretien qui a fait reculer 
les limites du royaume d' Allah ; il n'a qu'un 
seul desir, c'est de noas chasser de 1'Afrique. 
Aux yeux du Musulman, il ne peut pas exister 
de religion nationaie : ii n'y en a qu'une et c'est 
la mme pour tous. 

Gette religion doit en meme temps tenir lieu 
de code politique : quand 1'Arabe nous combat, 
il ne se bat pas comme nous, pour sa patrie seu- 
lement, mais surtout pour sa religion. Aussi, 
toute guerre est-elle une guerre sainte, et tous 
ceux qui meurent dans les combats sont des 
martyrs, de meme que nous appelons martyrs les 
vaillants tombes sur les collines de Gastelfidardo. 
Nous devons done renoncer a cet etablissement ; 
une religion musulmane nationaie ne peut 
qu'e'tre le produit d'un cerveau europeen qui 
juge les choses d'Afrique a la mSme mesure que 
les choses d'Europe, et pense que, parce que 
nous avons en France une religion officielle 
reconnue par 1'Btat, dont les ministres sont sub- 
ventionnes, une telle legislation peut regir le 
Musulman. G'estune chose impossible : 1'essayer, 
ce serait courir a un echec certain. 11 n'y a done 
plus qu'un moyen a employer, et nous allons 
I'indiquer encore succinctement, sachant bien 
qu'il faudrait de gros volumes pour traiter a 
fond une question d'une telle importance. 

Pour tout homme qui veut reflector sans parti 
pris, c'est une verite hors de tout conteste que 
tout peuplequi veut sortir de son abaissement, ne 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS " 559 

peut s'eleveraun degre superieur s'il ne devient 
catholique. L'histoire en main, nous pourrions 
montrer que partout ou rhomme civilise s'est 
etabli, le sauvage a du disparaitre, si celui-ci 
n'a pas eu le bonheur de connaitre la verite de 
1'Evangile. La religion chretienne est si bien 
faite pour le bonheur des peuples, que, grace a 
sa protection lutelaire, tous les peuples qu'elle a 
trouves dans Fenf ance, elle les a conduits a 1'age 
mur et leur a fait operer de grandes choses. 
Nous ne reussirons, en Algerie, a fonder un 
grand peuple, que si nous savons amener les 
infldeles a notre sainte religion. 

II n'est pas possible, en effet, de civiliser un 
peuple qui refuse absolument de se servir des 
produits de notre Industrie et de tous les progres 
que nous avons faits depuis dix-huit siecles, 
quand c'est la religion de ce peuple qui' le main- 
tient ainsi dans cet etat permanent et qui 1'em- 
pSche de d^velopper son intelligence pour ame- 
liorer son sort; tout nomine sense verra la 
necessite ou nous sommes, pour civiliser ce peu- 
ple, de lui faire changer de religion. Une religion, 
en effet, qui atrophie les forces de rhomme, lui 
defend d'agir, lui montre le progres comme une 
invention diabolique, et pr6ne le doux farniente 
comme la derniere limite de perfection, ou peut 
atteindre rhomme, une telle religion ne peut 
pas etre la vraie ; et nous qui sommes dans la 
voie droite, nous devons faire tout ce que no as 
pouvons pour ramener ces egares, si vraiment 
nous a/ons a coeur leur bonheur. 

Or, que le Musulman soil inconvertissable, 
c'est une proposition qui, theoriquement, est 



560. LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

1 

heretique, car tout horn me f>eut se convertir, et 
Dieu ne lui refuse pas' sa grace ; pratiquement, 
cette proposition est encore fausse; la verite 
devrait, a notre avis, etre ainsi exprimee : II 
est difficile de convertir un Musulman. Nos 
lecteurs seront peul-etre contents d'apprendre 
tout le bien quo les Peres Biancs ont fait en 
Algerie, et deja nous en entendons beaucoup 
nous di~e : Gombien done en ont-ils eonvertis ? 
Ghers lecteurs, voila pres de vingt ans que les 
Peres Biancs travaillent a ce coin qui est, nous 
ne craignons pas de le dire, le moins attrayant 
du vaste champ du pere de famille. Pendant la 
grande famine de 1867, on avail recueilli pres 
de deux mille orphelins ; sur ce nombre, quel- 
ques centaines refuserent le bienfait du baptSme, 
et 1'archeveque d'Alger, respectant leur liberte, 
leur permit de rentrer dans leur famille, regret- 
tant de ne pouvoir leur sauver la vie de 1'ame . 
comme celle du corps. Geux qui survecurent et 
vouiurent rester avec leur pere adoptif, apres 
avoir ete recus. dans les orphelinats tenus par 
les Peres Biancs pour les garcons, par des soeurs 
pour les filles, se marierent et fonderent ainsi les 
deux premiers villages Chretiens qui existent en 
Algerie. A notre avis, c'est 1'oeuvre la plus belle 
du cardinal Lavigerie ; sans doute, sa congrSga- 
tion de Peres Biancs lui fera toujours grand 
honneur et sera le plus beau joyau de sa cou- 
ronne, mais par la fondation de ces deux villages, 
il resolvait la question agitee depuis 1830, de 
1'assimilation des indigenes. 

Nous regrettons sincerement de ne pouvoir en 
parler a nos lecteurs, et leur faire admirer la 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 561 

grande oeuvre da Cardinal. Deux villages, 
dira-t-on, c'est bien peu ; c'est peu quant au 
nombre, c'est immense quant au resultat. Qu'un 
etranger prenne un jour le chemin de fer qui 
relie Alger a Qran. Vers midi, il arrivera a 
une station : Saint-Gyprien-des-Attafs ; qu'il y 
descende ; il sera etonne" de se trouver au milieu 
d'un tel village ; tout le monde y parle francais ; 
tous disent, en parlant de la France : NOTRE 
PA TRIE : et cependant quand vous leur demandez 
s'ils sont Francais : Oui, nous sommes Francais, 
mais nous sommes Arabes, aussi ; nous sommes 
Francaispar le coeur,nouscomprenonssalangue ; 
nos enfants la parlent ; nous adoptons peu a peu 
ses mo3urs et ses coutumes, nous suivons ses lois ; 
mais nous sommes surtout Frangais parce que 
nous sommes Roumis. Mais s'ii vous fallait choi- 
sirentre combattre les Frangais oules Arabes?... 
Nous n'avons pas a choisir ; nous sommes 
Chretiens; nous sommes Francais ; nos enfants 
defendront un jour noire patrie coinme nous la 
defendrions s'il le faliait. G'est le langage que 
tiennent ces gens nes tous dans 1'Islamisme, et 
dont le bapt^me n'a pas efface, cela va sans dire, 
toute 1'impetuosite du caractere : mais ce n'est 
pas au xix e siecle que nous verrons refleurir 
1'age d'or. 

La fondation de ces deux villages peuples 
environ par cinquante menages en tout (chaque 
menage compte actuellement de six a sept 
enfants en moyenne) n'est qu'une bien faible 
partie des oeuvres des missionnaires d'Alges 
dans notre colonie. 11s ont repris a la suite 
de nos colonnes et proteges par nos armees, 



562 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

leur mission du Sahara. Mais c'est surtout 
dans la Kabylie que leur action est efflcace. 
Nous ne sommes pas au temps des ApStres ou, 
a la voix de saint Pierre, des milliers depersonnes 
venaient se faire baptiser. II n'y a pas dans le 
inonde 1 entier, la Chine peut-Stre exceptee, de 
mission plus difficile, disons le mot, plus de"cou- 
rageante au point de vuehumain, que la mission 
aupres des Arabes. La simple prudence defend 
de precher ouvertement notre religion. Mgr 
Lavigerie lui-meme 1'a reconnu ; mais il 
est faux, absolument faux que la presence du 
missionnaire attise le fanatisme du Musul- 
man ; c'est une allegation absolument gratuite, 
inventee par nos francs-macons algeriens sou- 
tenus par ceux de la metropole aim d'interdire 
au prStre catholique Taeces de la Kabylie et du 
Sahara. 

Le missionuaire, en effet, se contente, pour le 
moment, de faire la classe aux enfants, et de 
soigner les malades. Voila toute la mission. La 
classe se fait comme dans nos communes de 
France, et cependant, sans vouloir leur enseigner 
directement le catechisme, le Pere, qui n'est pas 
un instituteur la'ique et ne connait pas 1'ecole 
neutre, trouve moyen de leur faire quelques 
lecons de morale, voire mme de dogme. En leur 
apprenant par exemple que le Temple de 
Jerusalem a ete detruit pres de 40 ans apres la 
inort de Jesus-Christ, pres de 500 ans avant la 
naissance de Mahomet, il leur fait tirer la 
conclusion que leur Prophete est un menteur et 
qu'il n'a jamais pu visiter ce Temple. En leur 
apprenant la grandeur des etoiles, il leur fait 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 563 

tirer cette conclusion que jamais Mahomet n'a 
pu faire descendre la lune dans sa poche. En 
leur faisant un petit cours de morale naturelle, 
le missionnaire arrive a leur faire beaucoup de 
Men, a leur donner des idees plus relevees que 
celles que professent ordinairement les Musul- 
mans (l)i Aussi, beaucoup de ces petits enfants 
demandent-ils d'eux-m&nes a s'instruire de 
notre religion. Mais que nousplaignons ce pauvre 
missionnaire ; est-ce la 1'ideal que nous nous en 
faisons ? quelie vie hero'ique ! quelle vertu ne 
faut-il pas avoir, devenir, instituteur, faire la 
classe a de petits enfants auxquels vous nepouvez 
faire connaitre Jesus-Christ comme vous le 
voudriez. 

De 1'ecole allez au dispensaire : la, tout est 
do tine gratis, et avec quelle charite ! Les Arabes 
ont des plaies dont nous n'avons qu'une bien 
faible idee, et cependant le missionnaire s'age- 
nouille devant cet homme qui 1'a maudit bien 
des fois, et qui le maudira peut-etre encore 
apres avoir e"te panse. Malgre les maledictions 
que le Musulman appellera sur sa tete, le mis- 
sionnaire donnera toujours, ii ne refuse que 
dans deux cas, quaiid un malade lui dit que 
c'est le gouvernement qui paie les remedes; 
quand c'est un marabout du lieu qui vient 
chercher du remede afin de guerir des malades 



(1) Ainsi, un jour, le Marabout avail clit a quelques enfants frequen- 
tant 1'ecole, qu'il etait permis cle voler les Peres. Le Pere qui 1'aisait la 
classe en cut connaissance par les enfants : Votre Marabout, 
leur clit-il, vons dit qu'il est permis de me voler, et il vons recom- 
pensera ; moi je vous dis qu'il n'est jamais peruiis de voler, 
meine votre Marabout, et je punirai ceJui qui s'onbliera sur ce 
point. Le fait est historique. 



564 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

et donaer plus de credit a ses amulettes. Grace 
a cette vie de patience, de douceur et de charite, 
malgre toutes les tracasseries auxquelles ils 
son! en butt 3 de la part des Khouan et Marabouts 
qui, comme nous 1'avons dit, ne veulent pas en- 
voyer leurs enfants a 1'ecole du Pere, et ne veu- 
lent pas recevoir le remede, 1'ceuvre fait chaque 
jour des progres, progres imperceptibles, il est 
vrai, mais que tout oeii exerce peut constater. 
Quelques conversions ont eu lieu, meme parmi 
les adultes, et c'est deja beaucoup d'avoir un 
petit noyau, un petit grain de seneve. 

Nous voulons aussi elrejustes : ilest certain 
que les missionnaires ont trouve aupres des 
autorites, non pas peut-tre la protection qu'iis 
etaient en droit de demander et d'obtenir, mais 
une certaine bienveillance qui les a aides dans 
leur oeuvre. Toutes les autorites militaires, en 
general, se montrent pour eux animes des 
meilleures intentions : nos officiers superieurs 
voient en eux des aides pre*cieux pour la coloni- 
sation de la France africaine. Le gouverne.ur 
general ! M. Cambon, depuis son arrivee a Alger, 
les protegea et leur laissa une liberte qu'iis 
n'avaient pas connue avani lui. Bisons meme 
qu'il les favorisa beaucoup, et qu'il vit en eux 
de precieux auxiliaires. Nous ne croyons pas 
nous avancer trop en disant que personne 
jusqu'ici n'avait autant fait que lui pour 1'assi- 
miiation des indigenes. 

Le cardinal Lavigerie avait en cfiet fonde, 
dans ces villages arabes-chretiens, un hdpital 
exclusivement pour les Musulmans. Gomme nos 
c olons sont dans rimpossibilite de se faire 



LE DIABLE, CHEZ LES MUSULMANS 565 

soigner ailleurs, on les y admet aussi, mais a 
litre d'exception. Gette.fondation fait une grande 
impression sur le coaur des Arabes. Au 
commencement de 1893, le gouverneur general 
voulut voir de ses yeux les ravages de la famine ; 
il se rendit sur les bords du Chelif ; il constata 
que tons les Arabes se retiraient dans ce qu'ils 
appelaient leur maison, qui n'etait autre que 
1'hopital ou ils etaient assures de trouver du 
pain. II connaissait deja pas ou'i dire le bien que 
faisait cet hopital ; mais quand il apercut de ses 
yeux tous ces pauvres gens \enant la comme 
chez eux chercher leur nourriture, faire soigner 
leurs plaies, il comprit le bien que pourrait faire 
pour le progres de la colonisation la fondation 
de deux ou trois aulres hdpitaux en Algerie. II 
decida d'en creer un dans la Kabylie meme, 
un autre dans la province de Constantine, et un 
Iroisieme dans celle d'Oran. Les homines peu 
habitues au caractere arabe trouveront etrange 
une telle fondation, et se demanderont quelle 
utilite si grande nous pourrons en retirer pour 
notre influence. On ne nie pas que dans 
1'endroit m&ne, ou tout au plus a 20 kilometres 
a la ronde, 1'influence francaise n'y gagne 
beaucoup, mais qu'y gagnerons-nous sur les 
populations qui habitent 100 a 200 kilometres ? 
En Afrique les choses ne se passent pas comme 
en France. Un missionnaire nous racontait qu'il 
n'etait pas rare de voir des malades faire un vo- 
yage de plus de 30 kilometres, uniquement pour 
se faire soigner une plaie, et s'en retourner aus- 
sit6t. Les nouvelles se repandent avec une rapi- 
dit^ prodigieuse en Algerie : une telle oauvre f era 

LE DIABLE CHEZ LES 1IUSUL3JANS ' 16.. 



566 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

aimer la Fraace, car nos Arabes ne comprennent- 
pas une telle charite : faire du bien sans, 
reclamer de 1'argent est pour eux une chose 
impossible. 

Ce n'est pas d'ailleurs tant la fondation des 

trois hopitaux uniquement pour les indigenes 

que 1'ere nouvelle de protection et de liberte que 

le gouvernement general semblait annoncer. En 

Algerie comme par tout, 1'Eglise eatholique ne 

demande pas de protection ; elle demande la 

liberte de faire du bien, de soulager les maux, 

et de rendre les peuples heureux. Certes, nous 

n'ignorons pas la haine que le Khouan porte a 

nos missionnaires ; nous en avons cite plus d'un 

fait quand sous avons parle des Rahmanya. 

Malgre tous ces obstacles, nous croyons pou- 

voir affirmer que si depuis Finsurrection, depuis 

que les missionnaires sont etablis au milieu de 

cas populations, le gouvernement avait seule- 

ment laisse la liberte d 'action avec la prudence 

et Fintelligente activite qui ont signale Fepis- 

copat du cardinal Lavigerie, nous pourrions 

compler aujourd'hui, au lieu de quelques cen- 

taines de catechumenes plus ou moins devoues 

a nos interets, des milliers de Kabyles Chretiens 

ou catechumenes qui, en parlant de la France 

diraient notre Patrie, comme les enfants des 

Arabes Chretiens des Attaf. Supposons que nous 

n'eussions que cinq ou six villages dont nous 

puissions elre bien stirs , qui se battraient coura- 

geusement pour notre cause, croit-oii que ce ne 

serait pas le meilleur garant ; croit-on que ce ne 

serai t pas un petit secours en cas d'insurrection, 

au moment ou la France, pour defendre ses 



LE DI ABLE CHEZ LES MUSULMANS 567 

f rontieres,devra peut-6tre enleverles trois quarts 
de son armee d'Afrique ? Nous le repetons, ce 
n'est pas une utopie : ce qu'a fait le cardinal 
Lavigerie, avec ses maigres ressources, le 
gouvernement.aurait pu le faire facilement sans 
depenser beaucoup ; il suffirait de donner, a ces 
nouveaux convertis, des terrains, une maison et 
les choses necessaires a une premiere installa- 
tion. Que d'argent n'a-t-on pas employe a batir 
des mosquees dans des centres ou il n'y avait 
que quelques Arabes, alors que des milliers de 
catholiques et de Francais demandaient en vain 
une eglise. 

Voila, croyons-nous, le premier moyen, disons 
mieux, le seul moyen capable d'arreter ce mou- 
vement de panisiamisme. G'est d'ailleurs la 
conclusion logique de lout 1'ouvrage; puisque 
nous posons en principe indiscutable, et admis 
par tout le monde,quele christiauisme developpe 
1'intelligence et fait avancer 1'homme continuel- 
lement de progres en progres, il faudra, par tous 
les moyens. faire participer a cette lumiere 
divine un peuple que nous voulons faire jouir 
de tous nos avantages et de notre bonheur. Le 
Musulman ne veut pas du progres ni des inven- 
tions modernes parce que sa religion les 
coudamne; faisons-le changer de religion, car 
la sienne est fausse. PI fit a Dieu que la France 
comprit cette mission; plut a Dieu qu'elle eut 
compris, aussitot apres 1'insurrection de 1871, ou 
etaient ses vrais interdts. Aujourd'hui, une partie 
de la Kabylie serait chretienne; dans toute 
TAlgerie, grace au denouement heroi'que de nos 
missionnaires qui ne demandaient que la liberte 



568 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

de faire aimer leur patrie, nous verrions une 
partie de notre colonie, bien miQime sans doute 
encore, aimer et benir la France comme nous 
1'aimons et la benissons. 

Tandis que le drapeau, flottant vaiuqueur au 
sommet du Djurdjura et sur la derniere oasis 
da Sahara, abriterait dans ses plis la croix et le 
salutdeces peuples,tandis que ncs missionnaires 
suivraient les vainqueurs pacifiques en semant le 
bien sur leur passage, d'autres viendraient 
encore apres eux, pour faire connaitre peu a 
peu a ces peuples les bienfaits de notre civilisa- 
tion. Partout nous verrions des locomotives, 
reliant entre elles les principales villes de 
1'Algerie et penetrant jusqu'au Soudan. Surs 
desormais d'une partie de la population, nous 
verrions ce noyau grandir chaque jour, ne fut-ce 
que par les naissances ; quand les insurrections 
eclateraient, nous combattrions non pas' en pays 
ennemi, mais en pays ami aussi bien que dans 
notre France, 

Qu'on ne dise pas que ce que nous avancons 
la soit une chose impossible. Qu'on laisse la 
liberte a nos missionnaires, surtout en Kabylie, 
que le gouvernement leur laisse la liberte d'en- 
seigner toujours avec la plus grande prudence, 
et nous verrons bientSt se realiser ce que nous 
avancons. G'est ce que disait un jourunvieux 
Kabyle a un Pere Blanc : Nous autres, 
Marabout, nous sommes trop vieux pour 
changer dereligion ; nous mourrons dans celle 
que nous ont donnee nos peres ; mais nos fils 
seront Chretiens comme toi et prieront comme 
toi. 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 569 

Qu'a-t-on fait, au contraire, depuis vingt ans 
pour combattre ce mouvement qui, un jour, s'il 
n'est pas arrete promptement, nous arrachera 
notre plus belle colonie ; OQ a cree des chemins 
de fer ; on a fond 6 des ecoles ; on a appele de 
nombreux colons, aueun de ces moyens ne peut 
produire un heureux resultat ; aucun ne peut 
amener 1'Arabe a s'assimiler a nous. 

Appeler des colons pour leur dormer des ter- 
rains a exploiter n'est pas, tout le monde en 
conviendra, le moyen. de rendre le Musulman 
algerien meilleur qu'il n'etait. Le colon, ordinai- 
rement, ne voit que ses interets, et c'esttout dire ; 
peu lui imporle que 1'Arabe devienne plus heu- 
reux ; il exploite sa propriete ; il emploiera des 
Indigenes parce que la journee de travail lui re- 
viendra a bon marche", et souvent il maltraitera 
le malheureux Arabe ou se rendra coupable 
envers lui d'injustice. Raison de plus pour 1'indi- 
gene de detester ce Roumi, et, a la premiere 
occasion, il tirera vengeance de cette insulte et 
de cette injustice en 1'assassinant. Evidemment, 
ce n'esl pas le moyen de nous rendre les Arabes 
plus devoues a nos interests . 

On a construit en Algerie des chemins de fer. 
Une grande ligne qui va de Tlemcen a Tunis, 
parallele au littoral, nous assure la possession 
du Sahel. La grande ligne d'Ain-Sefra et celle 
de Biskra nous permettent de transporter nos 
soldats en une journee a 300,400 kilometres dans 
rintarieur. G'est un grand avantage pour notre 
securite et pour celle de nos colons ; les indigenes 
Je savent bien ; aussi, ils ne voient pas de bou ceil 
tous ces traces, tous ces chemins de fer, ou les 

LB DIABLE CHEZ IBS MCPULMANS 16... 



570 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

voitures, disent-ils, sont trainees par le feu. Si, 
en 1871, il y avait eii le chemin de fer qui unit 
Alger a Constantine, nous n'aurions pas eu les 
massacres de Palestro ; si nous avions pu, en 
douze heures, transporter nos colonnes a Tizi- 
Ouzou, Fexpeditio.n n'aurait pas dure plus de 
quinze jours ou trois semaines. Mais, encore une 
fois, ce n'est pas avec les chemins de fer quo 
Ton civilise un peuple ; nous avons donne au 
Musulman une haute idee de notre puissance, 
mais nous ne nous en sommes pas fait aimer par 
ce moyen. Nous avons seulement terrorise 
les indigenes sans les attirer a notre cause. 
G'est ce que disait encore un Kabyle, quand 
il vit la premiere locomotive sortir du tunnel 
de Tune de ses montagnes : Ces Frangais, 
disait-il avec rage, ces Francais irien ne peut 
les arrester ; ils trouvent un oued (riviere), 
ils font un pont en fer ; ils trouvent une 
montagne, ils la percent; ils sont bien forts : 
Mektoub, c'elait ecrit, mais la poudre parlera 
bientot, et Dieu sera avec nous. Voila tout le 
resultat que nous avons obtenu sur les esprits 
des indigenes en construisant des chemins de 
fer. Ils seront pour nous d'une utilite incontes- 
table ; mais, nous le repetons, nous ne devons pas 
viser seulement a terrifler les Alge*riens, nous 
devons nous les assimiler, nous ne serons vrai- 
ment maitres de cette France africaine que 
lorsque les Arabes diront avec nous en parlant 
de la France : notre Patrie. 

Enfln, le gouvernement a etabli de nombreuses 
ecoles, nous croyons que c'est le moyen le meil- 
leur, nous dirions meme le seul moyen de nous 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS . 571 

assimiler la generation actuelle, si ces ecoles 
n'etaientpas athees ou musulmanes. Ge sera sans 
doute un grand pos vers 1'assimiiation quand 
nous pourrons parler dans notre langue avec les 
Algeriens, que nous pourrons leur faire partager 
nos idees ; la langue en effet n'est que le miroir 
d'un peuple. II est certain que depuis vingt ans 
de grands efforts ont ete faits dans ce but, et 
qu'actuellement on rencontre de jeunes Arabes 
parlant assez bien notre langue. Les ecoles 
doivent, croyons-nous, operer dans 1'esprit des 
indigenes ce que ne peuvent faire ni nos armes 
ni nos chemins de fer. Puisque nous ne voulons 
pas adopter le systeme de colonisation pr6ne 
par les Anglais et les Americains, puisque 
fidele a la vocation que la France a recue de 
civiliser les peuples, nous voulons nous abaisser 
jusqu'a eux pour les elever jusqu'a nous, nous 
ne croyons pas qu'il y ait un moyen plus apte 
que de developper les ecoles. Du jour, en effet, ou 
les parents consentiront a envoyer dans ces mai- 
sons leurs enfants, ce sera une preuve qu'ils ont 
conflance en nous et qu'ils commencent a aban- 
donner leurs vieux prejuges. G'est par 1'enf ant que 
nous nous emparerons de TAlgerie ; c'est en lui 
faisant sucer nos idees presque avec le lait que 
nous pourrons avoir une influence sur son esprit, 
et lui faire comprendre les avantages de notre 
civilisation. Ne demandez pas davantage ; si 
vous avez reussi aupres du Kabyle a lui faire 
frequenter votre classe, si vous avez reussi a lui 
lui faire parler francais, et si vous avez su, dans 
une juste mesure, lui faire gouterkis bienfaits du 
progres, c'est un homme qui a perdu toutes ses 



572 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

preventions et s'est depouille de presque tout son 
fanatisme. 

Pourquoi sommes-nous oblige de dire que les 
ecoles telles que les a constitutes le gouverne- 
ment sont appelees a faire plus de caal que de 
bien. Remarquons bien, en effet, que 1'Arabe est 
essenliellement religieux : il ne comprend pas 
un honime sans religion, et nos lecteurs savent 
que Abd-el-Kader etait plein de mepris pour 
nous, parce qu'il ne voyait pas nos soldats prier ; 
iis savent aussi que lorsque le gouvernement 
declara qu'une mosque"e d'Alger serait affectee 
au culte catholique, les Arabes, loin de s'en 
offusquer com me on pourrait le croire, en 
furent tres satisfaits : Les Chretiens maintenant 
vont prier, disaient-ils. Et nous nous souvenons 
que, nous trouvant un jour en voiture avec un 
conseiller municipal d'Alger, il ne put s'em- 
peeher de nous dire que, quoiqu'il fut Musulman, 
il n'approuvait pas les mesures vexatoires prises 
chaque jour par ses collegues ; il nous, disait 
que dans une discussion : a savoir si on main- 
tiendrait une allocation aux Petites-Soeurs des 
Pauvres ou si Ton donnerait une somme 
pour la construction d'une eglise (nous ne nous 
souvenons plus lequel des deux), il nous dit : 
Tous les Chretiens ont vote contre 1'allocation ; 
tous les Musutmans ont vote" pour. Et cet 
homme droit ne pouvait s'empcher de faire la 
meme reflexion qu 1 Abd-el-Kader. N'est-ce pas 
triste et ecoeurant ! 

Bien plus, en 1894, tous les journaux de 
1'Algerie ont proteste contre un fait qui s'est 
passe a 1'ecole normale. Le Vendredi- Saint, 



' LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 573 

les oleves ont saucissonne grace a la per- 
versite du directeur. Sous pretexte qu'il y avait 
des Musulmans, les Chretiens ont du manger de 
la viande ou rester a joun. Les catholiques ne 
meritent done pas autant de respect qu'un Musul- 
man ! Est-il done un paria, ou plutot n'est-il pas 
le fils du vainqueur? Ges ecoles, qui e"taient.appe- 
lees a faire tant de bien en Algerie, qui devaient 
nous faire aimer des indigenes, et changer leur 
haine en amour, ne seront-elles pas un foyer 
d'animosite contre nous, et ne sont-elles pas 
appelees a nous faire plus de mal que de bien (1) ? 
Elles ne feront tomber les prejuges des Mu- 
sulmans que si nous savons, en suivant fidele- 
ment notre religion, respecter leurs croyances. 
Si, au lieu de faire des Chretiens de ces jeunes 
gens, nous en faisons des athees, des homines 
sans moeurs, le jour ou ils rentreront dans leurs 
tribus ils seront un objet de mepris de la part 
de leurs compatriotes, qui se montreront les uns 
aux autres cet avorton brevete et n'auront pour 
lui-que des railleries et des sarcasmes. Personne 
n'enverra ses enfants a Tecole si le gouverne- 
ment ne les force et si nos indigenes ne crai- 
gnent pas I'amende ou la prison. 

Multiplions les ecoles, oui, multiplions-les ; 
c'est le seul moyen de nous assimiler les indi- 
genes : faisons en sorte que to'ite tribu, tout cen- 
tre un peu important ait son ecole et son institu- 
teur. Depensons, ce sera autant de gagne sur le 



(1) En 1871, les eleves de 1'Ecole d'Arts et Metiers, etablie eu 
Kabylie, farent les plus ardents a nous combattre, et se servirent 
de leur science pour diriger lenrs compatriotes a 1'assaut da 
Fort national. 



574 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

budget de 1'avenir, autant de moins a depenser 
pour 1'entretieu de nos troupes. Mais sachons 
que 1'Arabe ne connait pas 1'ecole sans Dieu, et, 
sans hesiter, nous proposons comme modeles les 
ecolestenues par les Peres Blancs en Kabylie. On 
verra avec quelle prudence ces hommes de Dieu, 
objet de la haine des francs-masons musulmans 
qui refusent de leur confier 1'education de leurs 
enfants, savent s'y prendre pour infiltrer goutte 
a goutte a ces petits coeurs 1'amour de la France 
et de Dieu ; voila vingt ans qu'ils sont au coeur 
de la Kabylie, et, -de jour en jour, le Kabyle 
apprend a les aimer et a les estimer ; ah ! c'est 
que ce ne sont pas des instituteurs ordinaires : 
ils savent que si le moment n'est pas encore 
venu de precher en public la religion do. Christ, 
ils sement dans le coeur de la generation pre- 
sente la bonne semence qui portera ses fruits. 

Gagnerions-nous a persecutor ces Ordres reli- 
gieux, a detruire leurs zaouia, a murer leurs 
Marabouts et lieux de pelerinage ? ou bien vau- 
drait-il mieux elre avec eux dans des rapports 
de paix et d'amitie ? 

Nous avons dit que la France ne pouvait pas 
choisir un Ordre pour en faire ce que nous 
appellerions une religion nationale, et proposer 
aux Musulmans son superieur general comme 
le Gheik-el-Islam, un rival de celui de la Mecque 
ou de Constantinople^. Nous avons montre par le 
fait de Tidjani que les Musulmans sont pleins de 
mepris pour ceux qui se font les allies des chre- 
tiens. Nous eprouverions un echec : nous 
croyons 1'avoir assez demontre en refatant 
Rinn et en le mettant en contradiction avec lui- 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 575 

. Tout Ordre qui voudra se faire notre allie 
et favoriser notre cause, verra bientot son 
influence diminuer. Les Tidjanya en sont une 
preuve. 

D'un autre c6te, poursuivre incessamment de 
nos tracasseries soit les Rahmanya, soit les 
Derqaoua, soit tout autre Ordre, c'est redou- 
bler leur influence et leur popularite. Nous 
devons combattre a outrance les Ordres religieux 
musulmans, ce sont nos pires ennemis, mais 
nous devons les combattre par des moyens qui 
n'en fassent pas des martyrs. Que, pendant la 
guerre, nous detruisions leurs zaouia, nous 
murions leurs Marabouts pour les punir de 
leur revolte, et etouifer ainsi le germe de 
toute insurrection, ce sont des moyens rigoureux 
mais necessaires, et nous trouvons fort exage- 
rees les plaintes poussees par la presse de la 
colonie toutes les fois que nos officiers ont du 
sevir de la sorte. 

II est facile de composer $ a Fabri de 1'ardeur 
du soleil d'Afrique, un article sur la severity et 
1'intolerance de nos generaux implacables envers 
les revoltes, quand c'est grace a eux que nous 
jouissons de cette securite et de ce bonheur. 
Dans ce cas, on ne doit ecouter que les lois de 
la guerre et le bien general ; quand on connait 
un foyer pestilentiel, tout le monde doit a la 
societe" de le detruire le plus vite possible. 
En dehors des epoques d'insurrection, il faut 
combattre les Ordres musulmans en luttant d'in- 
fluence avec eux. 

Aidons nos missionnaires qui sont les aides les 
meilleurs que la Providence nous ait dorines 



576 LE DI ABLE CHEZ LES MUSULMANS 

pour coloniser 1'Algerie, Iaissons4eur toute 
liberte de faire le bien, cTetablir des villages 
Chretiens, de fonder des oeuvres pour la conver- 
sion des Musulmans. Non, 1'Arabe n'est pas 
inconvertissable ; il suffit de voir tout le bien 
que les Peres Blancs ont fait en Kabylie et partout 
ou ils ont pu s'etablir pour tre convaincu de la 
verit^ de cette assertion. Si nous les avions 
favorises, nous aurions actuellement, dans le 
Djurdjura des homines devoues a notre cause 
comme les Chretiens des Attafs ; nous les verrions 
combattre a nos c6tes avec tout le courage du 
turco, et surtout avec plus d'amour et defidelite", 
car ils serviraient leur patrie. Peut-tre le grou- 
vernement comprendra-t-il enfin ses vrais inte- 
rets ? La fondation des hdpitaux, parmi lesquels 
un, celui de Kabylie, est presque termine, 
semble annoncer une ere nouvellepourlacolonie. 
Nous la saluons, et nous remercions 1'intelligent 
gouverneur, a qui on le doit, M. Gambon. 

Si nos progres ne sont pas plus grands qu'ils 
ne Tont ete depuis vingt ans, si nous continuons 
a marcher dans la voie ou nous a follement en- 
gages un gouvernement athee, craignons pour 
notre colonie. Sans doute, nous sommes actuelle- 
ment assez bien etablis ; notre puissance semble 
assez consolidee pour que nous n'ayons pas a 
craindre d'etre expuises par les Musulmans re- 
voltes. Sommes-nous cependant capables de pro- 
teger tout ce vaste pays soumis a notre domina- 
tion, ou nous ne rencontrons presque pas ua 
coeur ami parmi les indigenes. Ils sont bien rares 
les colons etablis au dela de quatre cents kilome- 
tres des c6tes, et cependant nous avons des pos- 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 577 

tesa plus de mille kilometres dans I'intelrieur. 
Que feronl nos pauvres soldats dans une insurrec- 
tion? qu'il sera facile de couper leurs lignes de 
retraite? Soyons-en sur, ce sera une guerre de 
tirailleurs, mais une guerre a mort etsans merci. 
Le jour ou les Snoussya paraitront sur ce champ 
de bataille pour aider les Rahmanya, les 
Derqaoua et les autres sosietes reunies pour le 
moment, nous n'aurons pas a. combattre des 
bandes indisciplinees, mais des hommes de 
coeur et de courage, luttant avec toute 1'ar- 
deur de leur foi. Derriere ces deux cent mille 
hommes auxquels nous ne pourrons opposer 
que quelques colonnes, nous aurons toute la 
population indigene que nous n'aurons pas su 
nous atlacher, et par notre faute. Tandisque nos 
soldats, extenue*s de faim, de soif et de fatigues, 
combattront dans le desert un etinemi superieur 
en nombre, la guerre sera rallumee sur nos der- 
rieres par une population en f urie. Heureux 
alors serons-noussi nous ne sommes pas obliges 
de reculer aa dela de Laghouat et de Tebessa- 
De quelle utilite seront nos chemins de fer? 
Supposons une ligne allant jusqu'a El-Golea, 
sera-ce le moyen de vaincre ? Qu'il est facile de 
couper une ligne! Sans doute, nos troupes seront 
plus vite sur le theatre de la guerre; mais une 
fois vaincus, ils devront reculer ; le pays sera 
perdu. Bien fous nous sommes de hasarder ainsi 
ausortd'une bataiile notre coloniequand nous 
pouvons maintenant, dans le temps de paix, nous 
assurer de sa possession. Voyons comment font 
les Russes dans la Pologne, les Allemands en 
Alsace-Lorraine : le Musulmanne nousopposera 

LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 17 



578 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

jamais la resistance bieD legitime du Polonais 
qui veut, avec sa langue, conserver sa religion. 
II y a, en effet, entre le Polonais et 1'Algerien, 
cette difference : c'est que 1'un est dans la verite 
et veut la garder, tandis que le second est dans 
1'erreur et veut en sortir . 

II n'y a qu'un moyen, qu'un seul, de combattre 
1'influence des Ordres religieux et de faire pene- 
trer le progres et la civilisation dans ce peuple, 
c'est d'en faire des Francais. Nous ne reussirons 

o 

qu'en employant les moyens que nous a indiques 
le Cardinal Lavigerie : instruire les enfants, en 
faire des Chretiens, fonder des villages quand 
nous les aurons maries, et nous verrons notre 
influence se developper rapidement. Fondons 
beaucoup d'ecoles, mais que ce soit des ecoles 
chretiennes ; non pas qu'on doive y enseigner 
le catechisme, . ce n'est pas la notre pensee ; 
mais y expliquer la morale naturelle, et montrer, 
par des faits historiques, que Mahomet n'est 
qu'un imposteur, que Jesus-Christ au contraire 
est le bienfaiteur de 1'humanite, etc. Les meilleurs 
instil uteurs, ceux qui sont appeles a former ce 
malheureux peuple, ce sont les Peres Blancs. 
Favorisons-les ; ils ne nous demandent qu'une 
chose, la libertede faire du bien; donnons-laleur. 
Voici, done en quelques mots, les moyens que 
nous croyons les plus propres a nous attacher 
les indigenes, a nous les assimiler ; nous devons 
fonder partout des ecoles, repandre dans les 
tribus notre langue qui introduira avec elle et 
nos idees et nos moeurs. Laissons la plus grande 
liberte a nos missionnaires, modestes ouvriers, 
mais-tres utiles, qui travaillent pour nous, sans 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 579 

nous demander aucune recompense ; laissons-les 
repandre les bienfaits : ils font aimer notre 
patrie. Le gouverneur general, M. Gambon a 
fonde trois hopitaux : c'est encore un excellent 
moyen, car, de la, le gouvernement pourra 
repandre partout ses faveurs et se faire aimer. 
Enfln, developpons nos voiesferrees; sansdoute, 
ce n'est pas un moyen de noiis assimiler les 
habitants ; mais c'est un moyen de nous trans- 
porter vite sur le lieu de I'lnsurrection, et de 
donner ainsi aux Musulmans une haute idee de 
notre puissance. 

Puisse Dieu, qui a permis que la France s'em- 
parat de cette porte du continent noir, faire que 
notre patrie ne defaille pas a sa mission. Puisse 
Dieu, en accordant toujours la victoire a notre 
glorieuse armee, lui permettre d'amener ce 
peuple a la connaissance du vrai Dieu, pour 
qu'on puisse toujours dire de nos grandes 
oeuvres : Gesta Dei per francos. Souvenons- 
nous aussi que si nous voulons reussir dans 
cette oauvre gigantesque ; si nous voulons voir 
notre drapeau flotter victorieux au milieu du 
Sahara, il faut que nous le fassions aimer de ces 
peuples ; alors settlement nous n'aurons rien a 
craindre des Ordres religieux qiie lorsque les 
Algeriens, devenus Chretiens, s'uniront a nous 
pour fter les gloires de notre drapeau, et en le 
voyant flotter majestueux au sommet du 
Djurdjura ou du Djebel-Amour, sentiront leur 
coeur battre a 1'unisson du n6tre, et diront, en le 
saluant : Voila le drapeau de notre France ; 
voila le drapeau de notre Patrie ! 

FIN 



APPEND ICE 



UNE GREVE 

Voici ce que me transmettait uii de mes amis : 

Au mois de juillet (1893), nous agrandissions. 
notre poste, quand tout a coup les ouvriers flrent 
greve; les missionnaires furent obliges de 
prendre de nouveaux ouvriers, or presque tous 
les gre"vistes e talent Khouan. 

On parle beaucoup, ici (Ouad'hias en Kabylie), 
des Khouan de Sidi-Amari; depuis longtemps, 
ils sont e"tablis a Taguemount-el-Djedid, ou ils 
ont une zaouia en regie ; mais, depuis quelque 
temps, ils travaillent beaucoup a faire des recraes 
dans les villages voisins de chez nous, surtout 
dans les villages d'Aiit-Halal et Beni-Rergei. On 
dit que ces Khouan sont tous plus ou moins 
idiots, et je le crois ; il faut l'tre pour payer a 
ces contorsionnistes, sans se faire tirer 1'oreille 
et de gait6 de coeur, des sommes aussi rondes 
aux gros bonnets qui dirigent la society. 

Un autre jour (aout 1893), un missionnaire 
alia faire une visite a Taguemount-el-Djedid, pour 
soigner les malades : Parmi ceux-ci, il s'en 
trouva un qui avail entre les epaules la cicatrice 
non ferm^e encore d'une gran.de brulure : 
Qu'as-tu la ? lui demande-t-on. Je me suis 
brule. L'endroit est mal choisi, comment done 
as-tu fait? Je me suis brule. Ne serais-tu 
pas des Khouan de Sidi-Amar-Bousemur (les 



582 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

missionnaires savent en effet que ces energu- 
menes se passaient du feu sur le corps dans 
leurs ceremonies)? Le malade se tut, mais un 
Kabyle sympathique aux Peres, leur affirma que 
c' etait la verite. 
II s'agit e videmment de la secte des A'issaoua. 

ORDRE DES TIDJANYA 
Le fondateur de la Zaouia de Temassinin. 

G'est Sidi-Moussa qui a fonde Temassinin. 
Vous voyez (c'est le descendant du fondateur 
qui parle) encore tout autour du jardin les ruines 
de la zaouia. Elle etait florissante a cette epoque ; 
on y venait du Touat et deGhadames. Les Tolba 
e"taient renommes ; les gandouz (disciples) s'em- 
pressaient a leurs lecons a tel point qu'au lieu 
de Fappeler Temassinin, elle s'appelait alors 
Maskenine (les deux demeures), parce qu'on y 
venait demeurer de Test et de 1'ouest. Tout cela 
passa, ajouta-t-il avec un soupir tres fort : Dieu 
est le plus fort. Ahmed, frere de Sidi-Moussa, 
etait mon a'ieul. Un an environ apres la mort de 
son bienheureux frere, Ahmed etait au Touat 
pour ses affaires, lorsqu'un jour, ii fut pris, au 
milieu de la journee, d'un sommeil irresistible, 
et Sidi-Moussa luiapparut vivant et beau, comme 
lorsqu'il enseignait aux croyants la voie du bien. 

Ahmed, lui dit-il, pourquoi as-tu laisse 
ensevelir mon corps sur la gara ou ii se trouve ? 

mon saint frere, grand serviteur de 
Dieu ! Tu affectionnais ce lieu pour y faire ta 
priere. Nous avonscruque tu y reposerais volon- 
tiers apres ta mort. 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 583 

Insense! je ne suis pas mort! je me 
repose. Mon esprit n'est pas separd de mon corps. 
Si done vous voulez que mon esprit continue a 
tre avec vous, apportez mon corps pres de vos 
disciples. Et puis n'ayez pas 1'inconvenance de 
le laisser ainsi expose au soleil et au vent. G'est 
une irreverence. Ahmed, entends-moi, je te 
defends de mettre ta tte a 1'ombre, tant que la 
mienne ne sera pas elle aussi a 1'ombre d'un 
tombeau digne d'elle. 

Ahmed revient du Touat sans perdre une 
seule journee et raconta lamerveille aux disciples 
de Sidi-Moussa. Aussitdt les plus pieux d'entre 
eux monterent a mehari, et le lendemain, de 
bonne heure- ils etaient sur la gara, ouvraient 
le tombeau et le trouverent vide. Quelle decon- 
venue I Ils se regarderent deconcertds, quand 
Fun d'eux. plus avise", remarqua : 

Mais, mes freres, il me semble que, dans 
notre gieux empressement, nous avons oublie de 
faire la priere du fedjer (aurore). 

Ils s'acquitterent de leurs devoirs religieux, 
apres quoi ils revinrent a la tombe : miracle ! le 
corps du saint Marabout n'avait voulu @tre 
touche par leurs mains que sanctiflees par 
1'ablution et la priere. 

II etait la souriant, frais, exhalant une odeur 
de muse et de roses. Les Tolba, pleins de joie et 
d'admiration, le placerent avec respect sur une 
chamelle blanche et reprirent le chemin de la 
zaouia. 

Vers le milieu de la journee, ils s'arr&erent 
pour manger quelques dattes a 1'ombre d'un 
talha (gommier epineux), et laisserent paitre les 



584 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

chameaux comme c'est 1'habitude en voyage. : 
Tout a coup, 1'un d'eux poussa un cri d'epou- 
vante : la chamelle blanche s'est ensrage"e entre 
des buissons de jujubier qui vont de"chirer son 
preeieux fardeau. Maisune nouvelle merveillea 
frappe leurs yeux etonnes. Sur le point d'etre 
atteint par les epines de 1'arbuste, Sidi-Moussa 
s'est derange, a ramasse ses jambes a lui, s'est 
mis legerement sur le c6te, et passe indemne, 
continuant son paisible sommeil. 

Pleins d'enthousiasme, les Tolba se pre*cipi- 
terent, lui demandant pardon de leur negligence, 
et quelques heures plus tard, ils le deposaient an 
milieu des siens. La Koubba s'eleva bientSt, 
recouvrant un riche mausolee, et c'est la que 
dort Sidi-Moussa depuis bien des annees. 

Souvent encore il se leve de son tombeau. II 
n'est pas rare de le rencontrer quand on se pro- 
mene a I'ombre des palmiers du jardin. Je 1'y ai 
rencontre moi-m^me mainte et mainte fois ; je 
lui ai parle ; mais... il n'est pas bon de rabonter 
ces choses-la. 

On 1'entend aussi reciter le Goran, mais 
sur tout on ressent sa protection efficace quand on 
I'implore sincerement. Personne ne l'a dedaigne* 
sans en etre cruellement puoi et pas un voyageur 
ne s'est confle en vain a sa grande jouissance. 
(Lettre d ; un missionnaire : Missions catholiques, 
Vendredi 4 mai 1894. page 212.) 

ENCORE LE BOUG. 

Voici ce que nous lisons dans une sorte de 
manifeste lance dans 1'Aures, en 18SO, pour 
appeler les Musulmans a la re volte. 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 585 

...Apres la formule ordinaire : Gpmmande- 
ments de Dieu ! Ges prescriptions s'adressent a 
Si-Lahsen, imam de la mosquee de Sidi-Okba... 
au chef de la corporation religieuse des 
Rahmanya, et enfin a tous les habitants de Sidi- 
Okba. Apres avoir recommande d'invoquer 
Dieu, voici comment le nouveau prophete pres- 
critla maniere de le faire : il faut d'abord ache- 
ter Tin bouc de couleur noire..., ecourtez-lui 
1'oreille gauche et promenez-le dans le village 
aux quatre points cardinaux. II est bien entendu 
que la depense sera repartie entre tous les habi- 
tants, savoir : chaque famille un sou. Quant a la 
peau de ranimal, vendez-la et achetez, avec le 
produit de la vente, de la viande. Le sacrifice 
sera accompli dans la maison, au puits, et a 
Tendroit ou est place le settal (chaudiere) qui 
sert a chauffer 1'eau. Prenez le sang et la peau 
de ce bouc et mettez-les dans 1'endroit pre"cite. 
Quant aux entrailles, repartissez-les entre les 
enfants s'il y en a, sinon, faites-les cuire pour 
les pauvreset les indigents. Le bouc sera egorge 
par El-Hadj-Mohammed-ben-Khellad, qui fera 
ses ablutions completes avant cette pieuse ope- 
ration, et vous repartira ensuite la viande de 
Tanimal. Le plat fourni aux Marabouts sera pre- 
pare dans Tendroit ou les Tolba font leur cuisine. 
Vous donnerez de la nourriture aux pauvres et 
auxindigents sur la mosquee. Vous, 6 Si-Lahsen, 
appropriez-vous et mettez des odeurs aroma- 
tiques sur toute votre personne. Couvrez-vous 
aussi de vos plus beaux v&ements et allez visitor 
les tombeaux des Marabouts. (Cite par RINN : 
page 136.) 

LE DIABLE CHEZ LES M0SDLMANS 17. 



586 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

Lahsen etail affilie aux Rahmanya, et depen- 
dait de la zaouia de Nefta, dans le sud Tunisien, 
la meme qui devait, quelques mois plus tard 
(dix-huitmois a peu pres), soulever coutre nous 
le sud de la Regence, grace aux menees d'agents 
italiens. 

EN VOYAGE 

Je voyageais un jour sur la ligne de Constan- 
tine a Alger, et la lenteur du chemin de fer 
algerien me faisaitregretter les locomotives de 
France, devorant Fespace a toute vitesse : Se 
flgure-t-on une locomotive franchissant en dix- 
huit heures la distance qui separe ces deux 
villes, la moitie a peine de la distance de Paris 
a Marseille. Vous etes presque toujours seul 
dans le compartiment, et si vous n'avez eu soin 
de vous munir de bons amis avant votre depart 
vous risquez fort de vous ennuyer. Ge jour-la, 
j 'avals emporte avec moi quelques bons livres, 
un Virgile, un Bossuet, et un petit Moliere, 
format in-32, tres commode, et qu'on peut 
mettre en poche ; je le recommande aux voya- 
geurs-litterateurs . 

J'^tais occupe avec ces amis et plonge tout 
eutier dans leur intimite quand, vers sept heures 
du soir, entre dans mon compartiment un homme 
habille de blanc que je pris tout d'abord pour 
un riche Arabe ; mais ses belles manieres, son 
pur accent francais quand il me dit : Bonsoir, 
Monsieur, et son Rosaire suspendua son cou, me 
montrerent que je me trouvais en face d'un 
Francais, d'un Pere Blanc. 

Laconversation s'engageabien vite, etcomme 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMAN S 587 

j'aime beaucoup a causer de tout ce qui peut 
interesser les progres de la civilisation en Algerie 
et dans tout le continent noir : 

Avez-vous, mon Pere, beaucoup de diffi- 
cultes, dans votre mission de Kabylie. 

Oh ! Monsieur, c'est la comme partout 
ailleurs ; le missionnaire est en butte aux tracas- 
series et aux persecutions plus ou moins ouverles 
de ceux qui font 1'oeuvre de Satan. 

Vous n'avez pas cependant toutes les diffi- 
cultes qu'eprouvent les missionnaires dans 
1'Extreme-Orient ? 

Je comprends ce que vous voulez dire. 
Soyez convaincu, Monsieur, que le Diable pour- 
suit partout la mme oeuvre et qu'il emploie 
presque partout les memes moyens, 

Gependant, aucun missionnaire n'a ete mis 
a mort, et vous n'avez pas contre vous et un 
gouvernement essentieliement hostile, et des 
affilies aux Societes secretes comme dans 1'Inde, 
le Tonkin et la Chine. 

Deja six de mes confreres ont arrose de 
leur sang le sable du desert, mis a mort par les 
ordres et les sbires des chefs de la franc-macon- 
nerie Musulmane. 

Et le missionnaire appuyait sur ce mot, il sem- 
blait repondre a une partie de la question que j'a- 
vais pose^, et voir Teffet que cette parole produi- 
rait sur moi. Comme je ne repondais pas contre son 
attente , mais que mon silence semblait 1'interroger. 

Ne vous etonnez pas, Monsieur, que ce 
mot soit venu sur mes levres d'une maniere irre- 
flechie. J'en connais toute la portee ; on connait 
peu en Europe ies Societes secretes musulmanes ; 



588 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

voila cinquante ans que nous les combattons en 
Afrique, et nous n'avons encore etudig ni leurs 
constitutions ni leurs progres. Dans la Kabylie, 
il y a un de ces ordres : les Rahmanya, dont les 
ramifications s'etendent sur la province d'Alger 
et de Gonstantine ; ils ont mSme une zaouia a 
Nefta, dans la Tunisie ; c'est centre eux que nous 
avons du diriger 1'expedition de 1871, ce sont les 
affllies de Nefta qui ont 6te les chefs de 1'insur- 
rection du sud tunisien, lors de 1'occupation de 
la Tunisie. Ge sont ces Rahmanya qui nous font 
le plus de mal. Ils sont bien nombreux dans ces 
montagnes ayant dans le coeur une haine egale 
pour la civilisation et le catholicisme. Je n'en 
finirais pas, Monsieur, si je voulais vous raconter 
toutes les persecutions qu'ils dirigent contre 
nous. Ils n'attentent pas a notre vie, c'est vrai 
parce qu'ils savent que notre mort serait venge"e, 
et qu'on ne porte pas en vain ses mains sur un 
Francais; mais nous aimerions mieux qu'on nous 
arrachat notre vie que nos enfants. 

Auriez-vous, mon Pere des orphelins, 
qu'on vous aurait enieves de force ? 

Ge n'est pas la le sens de mes paroles. 
Nous n'avons pas d'orphelins en Kabylie ; nous 
avons seulement des ecoles. Les Ourad, c'est 
ainsi qu'on appelle en Kabylie les affilies a ces 
societes, ailleurs on les appelle Khouan, nous 
font une guerre sans trve ni merci. .Tout 
re*cemment encore, dans la station ou je me 
trouvais, ils ont decrete" qu'aucun enfant de 
Khouan ne pourrait venir a Tecole. Jusque-la, 
nous en avions eu quelques-uns qui montraient 
mme une grande aptitude et une grande assi- 



LE DIA.BLE CHEZ LES MUSULMANS 589 

duite. Le lendemain, nous constations 1'absence 
de tous ces enfants. Cependant, a midi, ils vin- 
rent jouer avec ceux qui avaient frequente la 
classe le matin : He bien ! Ali, dis-je a Tun, 
pourquoi ce matin n'es-tu pas venu a I'ecole ? 
L'enfant baissa les yeux comme pour fuir 
mon regard scrutateur ; et comme il ne repon- 
dait pas : Tu. es alle jouer, mon petit, allons, 
comme c'est la premiere fois, et que toujours tu 
as 3te" bien studieux, je te pardonne, mais atten- 
tion a ne pas manquer ce soir. Deux larmes 
coulerent sur ses joues ; cet enfant, que j'avais 
toujours vu si gai, etait maintenant dans un etat 
de tristesse que je ne pouvais m'expliquer. 11 ne 
repondait rien ; je soupconnai quelque chose, 
et, le prenant un peu a 1'ecart : Voyons, mon 
ami, pourquoi n'es-tu pas venu a 1'ecole ? Ah ! ... 
mon pere ne le veut pas. Pourquoi ne le 
veut-il pas ? Je ne sais pas ; mais, hier soir, il 
est venu bien tard a la maison ; ii sortait de la 
djemaa, et il m'a dit que desormais je n'irais plus 
chez les Marabouts francais; c'est pour cela que 
ce matin, me dit 1'enfant en me regardant, tu as 
remarque I'absence de quelques-uns de mes 
condisciples . Dans la soiree, nous apprimes 
qu'une.telle decision avait e"te portee pour arr- 
ter notre influence. Depuis ce moment, ces 
enfants viennent encore quelquefois jouer avec 
ceux qui fre"quentent l'e"cole, mais au moment 
ou la cloche les appelle, ils s'en vont. Vous ne 
sauriez croire, Monsieur, quelie peine c'est pour 
le coeur du missionnaire : c'est en effet le seul 
moyen que nous ayons de faire du bien a nos 
Kabyles et meme de les convertir ; le diable le 



590 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

salt bien ; aussi il enleve a ces pauvres enfants 
le bonheur de frequenter notre ecole. 

Vous pensez done, mon Pere, que par 
rinstruction on pourrait arriver a convertir ces 
pauvres populations ? et que vraiment ces mesu- 
res dont vous tes 1'objet de la part de ces franc- 
m aeons seraient des mesures aussi sataniques 
que celles de Julien 1'Apostat ? 

Loinde moi, Monsieur, la pensee de soutenir 
que nous pourrions du jour au lendemain faire 
changer ces populations ; il n'est pas impossible 
de convertir un Musulman, mais c'esttres difficile > 
il n'y a qu'un moyen de reussir, c'est d'instruire 

des enfants, de leur faire perdre peu a peu les 
prejuge"s que tout Musulman nourrit contre le 
progres, la civilisation et le Catholicism pour 
arriver a d'heureux resultats. Aussi je pense 
qu'une telle mesure est satanique et le digne pen- 
dant de toutes les lois nefastes portees dans notre 
patrie. Si je ne craignais d'etre importun, je vous 
montrerais, par des fails, les heureux fruits de 
notre ministere d'instituteur, et vous pourriez 
juger par la de la faussete de tous ces bruits 
repandus sans cesse, ou notre presence est pre~ 
sentee comme une cause perpetuelle de trouble 
et de surexcitatioii de fanatisme musulman. 

Tout ce qui intoresse les progres du catho- 
licisme et de ma patrie me touche de pres et 
je 1'ecouterai avec plaisir. 

Je veux done vous citer un fait qui vous 
montrera tout le bien que font nos missionnaires 
et toutes les manoeuvres de Satan pour faire 
e"chouer leurs efforts. 

Les regies de la prudence ne nous permettent 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 591 

pas d'acceder tou jours au desir de ceux de nos 
eleves qui nous demandent le bapteme ; mais au 
moment de la mort ou plus tard, quand ils sont 
libres, les raisons n'existent plus et nous pouvons 
les satisfaire. G'est ainsi que nous avons agi 
envers le jeune Kaci, mort il y a pres de deux 
ans, et dont la belle mort a fait sur moi la plus 
grande impression. Get enfant etait le fils d'un 
des plus grands fanatiques d-3 la conlree ; eleve 
par les Peres, il avait puise aupres d'eux la 
vente. Sur ses instances, il fut baptise parcequ'il 
etait en proie a une maladie qui ne devait pas 
lui pardonner. Void les fails extraordinaires qui 
se passerent a son lit de mort ; je ne veux pas 
les discuter. Prelre de Dieu, j'y crois et je suis 
certain que cet enfant n'a pas menti et qu'il n'a 
pas joue un role. 

Trois jours avant sa mort, un ange lui apparut 
jamais cet enfant n'avait eu le delire, il avait 
done I 1 usage de toutes ses facultes). Get ange lui 
annonca que bientot ii mourrait et qu'il viendrait 
le rejoindre dans le cielou il serait son frere. Le 
jeune Kaci ne garda pas le secret pour lui ; il 
raconta sa vision a ses parents. Son pere etait 
deja etonne du calme de cet enfant en face de la 
mort : pas une plainte ne sortait de sa poitrine ; 
un sourire illuminait toujours son visage ; en 
un mot, c'etait un ange plutdt qu'un enfant ordi- 
naire. Le pere ne pouvait croire qu'un tei etat 
fut naturel, et comme le Pere missionnaire, avant 
de baptiser son enfant, lui avait parle du demon, 
comme il savait en outre que les missionnaires 
ont une eau speciale pour chasser 1'ange des 
tenebres, ii n'y eut pas de doute pour le pere que 



592 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 1 - " - ~ 

ce ne fiit un demon qui se fut empare" de fon flls," j 
et il fit appeler te missionnaire . 

Le missionnaire arriva en effet, bien persuade ; 
que ce n'etait pas le demon qui poursuivait le : 
jeune Kaci ; le Pere lui presenta en effet de 1'eau 
benite ; 1'enfant, au lieu de s'irriter a son contact 
et a la vue du missionnaire, souriait. Bien sou- 
vent, en effet, les missionnaires ont pu constater 
quelle est 1'efficacite de 1'eau benite ou la puis- 
sance du signe de la croix : un affilie" a la secte 
des Aissaoua disait naguere a un missionnaire 
qu'il pouvait, par un signe de croix, 1'empgcher 
de faire les prodiges qui font toute la reputation 
des affilies a cette secte, et tons les Kabyles savent ; 
qu'au contact de cette eau, ceux qui sont posse"des 
du demon s'agitent, orient, hurlent, etc. Le jeune 
Kaci, vrai predestine, se sentait au contraire a ; 
1'aise a c6te" du prtre et prenait avec plaisir de 
1'eau benite pour faire sur sa personne le signe " 
de notre salut. 

Le missionnaire comprit bien vile qu'il n'etait 
pas en presence d'un possede : Ou est-il cet ange 
que tu vois ? Comment est-ii ? Et 1'enfant au 
visage radieux : Tu ne le vois pas, Marabout ? 
il est la a c6te de moi, et il montrait le c6t 
droit de son doigt, mais je ne puis te dire 
comme il est ; il me montre le ciel, me parle et 
me dit que bientSt j'irai avec lui au cielaupres de 
Dieu... Et apres quelques instants de silence 
qu'it passa dans le recueillement les yeux fixes 
au ciel : Oh ! qu'il est beau le ciel ! Et s'adres- 
sant a sa mere : Toi lu viendras au ciel avec 
moi, mais auparavant tu devras passer par le 
feu, et tu me rejoindras avec mon petit frere. 



^ ,-~ LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 593 

Admirez, Monsieur, la perspicacite de cet en- 
fant ; ce petit frere qu'il voit dans le ciel avait ete 
baptise quelques annees auparavant a rarticle.de 
la mort, a I'insu de la famille : c'est le seul tre 
qu'il apercut dans le ciel. 

Le pere ne voulut pas se rendre aux raisons du 
missionnaire ; jamais il n'avait vu pareille chose ; 
e*videmment, on etait en presence d'un d6mon ; 
puisque le Marabout francais ne voulait pas le 
chasser, il fallait appelerle Marabout musulman ; 
ce qui fut fait; on appela ce dernier, veritable 
possede, lui, et chef en mme temps des Khouan 
de 1'endroit; c'est dire qu'il etait anime contre 
nous des plus mauvaises dispositions et qu'il 
e*tait heureux d'une pareille circonstance pour 
nous faire eprouver un echec. 

Tous les sortileges en usage f urent employes ; 
le pauvre pelit ange dut souifrir un vrai martyre 
pendant que le Marabout mettait tout en oeuvre 
pour le dkivrer de ce pretendu demon. Tandis 
que, avec un chalumeau, il dirigeait sur la bouche 
et le nez de 1'enfant la flamme d'une lampe et 
brulait cette partie du corps, en lui disant : 
Maudis le demon que tu possedes. L'enfant, 
sans ecouter les paroles de ce cruel, disait a son 
pere : O mon pere, jamais tu ne m'as mal- 
traite pendant ma vie, poufquoi me fais-tu souf- 
frir ainsi au moment de la mort. Et s'adressant 
au Marabout: Gruel qui me fais souffrir pour 
chasser un de*mon que je n'ai pas ; sache que je 
hais Satan, tandis que toi, tu le sers. Tu es le 
savant de la tribu ; tu devrais distinguer 1'oeuvre 
du demon de celle des Anges ; si je ne respectais 
ton caractere de chef, je t'insulterais... ; mais, 



594 LE DIA.BLE CHEZ LES MUSULMANS _ . 

desormais, toutes les amulettes que tu ecriras pour 
les malades seront sans effet ou seront nuisibles. 
Le Marabout fut surpris d'une aussi gran.de 
sagesse, et se retirn. confus ; car 1'enfant venait 
encore de montrer I'endroit ou etait son ange, 
qui ne partait pas malgre toutes les fumigations 
et les sortileges. Quelques jours apres, le jeune 
Kaci s'eteignit pieusement, et tous ceux du 
village qui purent 1'approcher demandaient de 
mourir d'une pareille mort. 

Vraiment, mon Pere, c'estunfait bien ex- 
traordinaire et qui montre tout le bien que vous 
pouvez faire sur ces enfants. Pourquoi faut-il 
que les Societes secretes dont vous m'avez parle 
vous opposent de tels obstacles en empchant les 
enfants de venir a votre ecole. Vous faites une 
trop belle oeurre pour que le demon n'y mette 
des entraves. 

Je pourrais, Monsieur, vous citer bien d'au- 
tres f aits. Les enfants qui nous ont quittes apres 
avoir passe quatre, cinq, six ans chez nous, ont 
emporte un bon souvenir des Peres, et bien que 
nous n'ayons pu leur enseigner le catechisme 
ainsi que nous le voudrions si la prudence nous 
le permettait, nous savons cependant leur ensel- 
gner la morale naturelle, et puis nous semons, 
afin qu'un jour, qui est peut-etre encore eloigne, 
nous puissions recolter. 

Tandis que nous operons ainsi lentement 1'oeu- 
vre de Dieu, Satan se remue dans les antres qu'il 
s'est choisis au milieu de ses fldeles disciples, 
les Rahmanya. Plus haut, je vous disais que les 
francs-macons musulmans n'avaient pas encore 
ose attenter a notre vie. Pour etre dans la verite, 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 595 

Monsieur, il faudrait dire plutot qu'ils n'ont pas 
encore essaye de nous tuer avec un fusil ou un 
poignard. Je veux vous citer un fait qui ferait, j'en 
suis certain, sourire les impies et beaucoup de 
catholiques et qu'ils rangeraient parmi ces fables 
du Moyen age dont on ne fait plus de cas aujour- 
d'hui. G'est une operation magique que, je crois, 
on appelait autrefois envoutement. 

Dans une de nos stations, deux des mission- 
naires tomberent malades coup sur coup, a quel- 
ques jours d'intervalle ; les missionnaires ne 
virent la rien que de tres naturel, et ne s'inquie- 
terent nullement si la maladie leur venait par 
sortilege. Les derviches de 1'endroit publierent 
alors que cette maladie etait leur oauvre, que, 
chaque soir, ils faisaient des prieres et des sorti- 
leges centre les Peres, afin que leur oeuvre fut en-' 
travee et qu'ils ne pussent pas voir croitre leur 
influence. Depuis plusieurs nuits, disent-ils dans 
le village, nos anaes luttent avec les ames des 
Marabouts francais ; ils oat terrasse celle d'un de 
nos peres qui venait de mourir et les autres ne 
tarderaient pas a se ressentir de leurs sorti- 
leges. En effet, le premier des missionnaires qui 
tomba malade se vit en proie a la fievre et au 
delire et son corps se couvrit d'une infinite de bou- 
tons. Le docteur francais, appele le plus t6t qu'on 
le put, ne sut pas comment expliquer cette erup- 
tion, et, quelques jours plus tard, il dit que cette 
maladie le deroutait. Tandis que ce missionnaire 
commencait a alier mieux, un autre tomba ma- 
lade. Or, le jour ou celui-ci sortait de I'hopital de 
Fort-National et rentrait au poste, un autre mis- 
sionnaire rencontra, dans la rue du village, un 



596 ' LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS ; " v":^ ^^ ^ "I 

moribond appuye le long d'une muraille. Etonne ~~ 
d'une telle rencontre, il ne put s'empe~cher de 
demander aux assistants : Qui est ce malade ? 
Quoi, Marabout, tu as oublie ce que les der- 
viches ont dit il y a quinze jours ; mais c'est 
celui dont 1'ame s'est battue avec celle du mis- 
sionnaire. Le confrere eut pitie de ce pauvre 
malheureux et, dans un mouvement de charite, il 
se pencha vers lui : N'est-ce pas que ce son! des 
calomnies inveritees par ces hommes contre toi ? 
Mais lui amassant sur son visage toute sa haine 
contre le Marabout : Oui, Marabout, c'est 
vrai, mon ame c'est battue avec celle des mis- 
sionnaires ; j'ai donne debons coups de baton, j'en 
ai regu aussi beaucoup ; le combat est reste in- 
decis. G'etait ecrit. Allah 1'a voulu ainsi. Et main- 
tenant je meurs ! 

Vraiment, mon Pere, j 'admire comment 
Satan agit dans tous les pays a peu pres de la 
mdme maniere; mais je vois que vos Musulmans 
n'ont rien a apprenire de aos francs-maeons et 
impies. On parle beaucoup de leurs amulettes* 
de la grande conflance qu'ils y attachent, de 
la grande influence qu'ont usurpee quelques Ma- 
rabouts. Groyez-vous, mon Pere, qu'en verite 
toutes ces histoires aient un fondement serieux ? 

Je pense, Monsieur, que, la plupart du 
temps, toutas cesamulettes n'ont aucune influence 
surl'acte pour lequel on les emploie; jeparierais 
bien, en effet, neuf contre un que la plupart du 
temps le Marabout devine bien a faux toutes les 
fois qu'on le consulte, et que le diable n'exerce 
pas vraimentune bien grande action parlesamu- 
lettes dont s'affublent ces ignorants. 



^ : ; ^ 597: 

^ Vous ne crpyez done pas qu'en general 
le diable ne se mette de la partie ? 

Nier absolument serait, je crois, tomber dans 
le faux; j'aivu descas, eneffet, et j'en aientendu 
raconter a mes confreres, ou il faut admettre, je 
crois, rintervention du de*mon. Dans les moyens 
employes, line faudra pas demander cette science 
qu'y mettent nos spirites ou gens qui s'adonnent 
a Tetude des sciences occultes. Le Musulman 
sera plus simple, sans tre moins pervers; une 
eoquille d'oeuf sur laquelle il e"crira un mot qui 
n'aura pas de sens, une feuille de papier sur 
laquelle il e"crira un verset de son immonde 
Goran, quelques herbes qu'il fera bruler et dont 
11 recueillera la cendre, voila les amuiettes les 
plus ordinaires que vous voyez mme suspendues 
au cou des animaux. Evidemment, en tout cela ? 
je crois qu'ii n'y a rien de diabolique, et c'est un 
commerce fort lucratif pour le faiseur et le ven- 
deur d'amulettes. 

Maisvoiciun fait que je veux vous citer, vous 
le jugerez comme vous voudrez, et ce sera une 
occasion pour moi de vous parler des devins et 
des moyens qu'ils emploient. Le fait s'est passe" 
a R'adames, au mois de juin 1880. 

Je vois, mon Pere, que notre conversation sera 
interessante, et que nous passerons agreable- 
ment les quelques heures que nous devons rester 
ensemble. Je vous ecoute avec plaisir. 

Un cherif ou descendant du Prophete 
Mohammed elait venu a R'adames et y avait usS 
pendant plusieurs mois de rhospitalite des habi- 
tants. La veille de les quitter, il oublia sans 
doute sa noble origine et la saintete de sa descen- 



598 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

dance, quelque diable aussi le poussait sans 
doute; enfin, il vola au Tr^sor du gouvernement 
une somme assez ronde. Jugez de la deconvenue 
et du desespoir du ca'imacan quand il s'apercut 
qu'on 1'avait vole; c'etait la mort pour lui. Dans 
sa perpl^xite", il recourut au devin fameux dans 
le pays ; celui-ci decouvrit le coupable, qui fut 
arrele et mis en prison ; ayant reussi a s'echap- 
per, ii croyait pouvoir compter sur une caravane 
pour fuir, et il 1'attendit dans le desert; la cara- 
vane fut obligee de retarder son depart, et le 
malheureux descendant du Prophete expia son 
crime en mourant de soif dans le desert. 

V raiment ce n'estpas glorieux pouruncherif , 
etles Musulmansdulieudurentetrebien mortifies. 

Quelle honte, en effet, surtout, que ce fait 
fut arrive dans une ville ou demeuraient des 
Marabouts Chretiens ! Mais ce qu'il y a surtout 
d'interessant . pour nous, c'est de connaitre la 
maniere dont se servit le devin pour connaitre le 
coupable. Longtemps, dit-on, il se fit prier, disant 
qu'il n'etait qu'un ignorant et ne connaissant rien 
aux choses cachees. Grce sans doute a quelques 
pieces d'argent, il se resolut a ecrire quelques 
formules sur un morceau de papier, le donna au 
secretaire du Tresor qui devait, selon la recom- 
mandation, placer sous sa tte cet e"crit pendant 
son sommeil. L'effetne devait pas tarder a se 
manifester, et le devin expliquerait le sooge qu'il 
aurait eu. 

Le secretaire se conforma fidelement aux pres- 
criptions du devin ; a peine fut-il endormi, qu'il 
apercut un homme respectable, ayant, place de- 
vant lui, un bassin en or rempli d'eau. Plusieurs 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 599 

hommes, qu'il ne reconnut pas, vinrent apporter 
dans le bassin un billet qui s'enfoncait aussit6t 
jusqu'au fond ; a leur file et les derniers, parurent 
deux hommes que le secretaire, tout etonne, re- 
connut facilement : c'etaient le fameux cherif et un 
jeune homme des meilleures families de la ville. 
II ne s'expliquapas cependant pourquoiles billets 
des deux derniers surnageaient. A son reveil, il 
courut aussitot informer le devin et lui raconta 
fidelement tout ce qu'il avait vu : L'explication 
est facile, repritcelui-cid'un ton inspire. Les pre- 
miers que tu n'as as reconnus sont les innocents ; 
leurs billets sont alles au fond, preuve de ce que 
j'avance ; ceux au contraire que tu as reconnus 
et dont les billets ont surnage malgre tout ce 
qu'ils ont fait pour les enfoncer, sont les cou- 
pables. Ainsi fut fait ; on les saisit ; le cherif 
aurait expie son crime, qu'il avoua, s'il ne se filt 
echappe, tandis que, eu egard a 1'honorabilite de 
la famille de son complice, grace aussia quelques 
rouleaux de douros, car la justice se rend tou- 
jours ainsi en Afrique, le jeune homme parvint a 
echapper a la punition j ustement meYitee. 

- Vous connaissez, sans doute, mon Pere, les 
autres moyens employes par les Musulraanspour 
connaitre les chqses cachees ? 

En effet, outre revocation des songes, il y a 
celui de la fumigation. Voici comment precede 
le devin : II prend une cassolette avec des char- 
bons ardents, et place dessus des graines de mou- 
tarde. II trace dans le creux de la main un cercle 
noirci a 1'encre et les place sur la cassolette 
etendues sur le dos. Alors le devin commence a 
reciter ses formules, tandis que le voyant, ayant 



600 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS _ --v^ 

toujours les mains etendues sur la f ume"e, regarde- 
si rien n'apparait dans le cercle noir. Quancl 
toutes choses sont a point, ou, pour parler le Ian- : 
gage des hommes verses dansl'art, quand Tes- 
prit est dans le cercle, celui-ci se transforme en- 
miroir, et le voyant apercoit sur sa main la figure 
des personnes qu'il veut voir ou la tournure que: 
prendront les evenements futurs. 

Je crois, mon Pere, avoir lu, dans Gorres, 
qu'un pareii procede est employe* en Egypte; ce 
sera peut-tre de ce pays que ce moyen de 
connaitre 1'avenir se sera introduit enKabylie et 
dans le Sahara. 

Je le crois aussi, Monsieur ; a mon avis, en 
effet, tout le mal nous est venu de 1'Orient; cher- 
chez bien, et vous verrez que la franc-maconnerie 
actuelle ne sera que la continuation du mani- 
cheisme et de 1'islamisme. 

Mais je n'ai pas fini tout ce qui concerne les 
devins ; quelquefois, ils operent seuls ; voici le 
proced^ : Quand un individu vient demander a ua 
devin ou il pourrait trouver celui qui lui a vole" 
telle somme ou tel animal, ou encore ou il pour- 
rait trouver une chose perdue, le devin trace sur 
le sable un carre, qu'il subdivise ensuite en 
quatre carres ; chacun de ces carres represente 
une ville ou un lieu, ou encore un quartier d'une 
ville, selon le bon plaisir du devin, ou, pour 
parler comme lui, selon que 1'esprit le lui souffle. 
Une fois le carre" choisi, il subdivise toujours a 
angle drMt, jusqu'a ce qu'il arrive a 1'endroit 
precis ou se trouve en ce moment le voleur ou la 
chose perdue. 

Jouissent-ils d'une grande consideration, ces 



; et pnt-ils^ pair des fails, gagnig la confiance 
?<leurs clients ? 

Beaucoup, Monsieur, ne sont que des char- 
latans semblables en tout a ces homines qui cou- 
rent, en France, de foire en foire, disant la bonne 
aventure moyennant la modique somme de 50 cen- 
times; c'estun commerce assez lucratif et qui 
ne trompe que les na'ifs. Mais le cas cite plus 
haut et bien d'autres que j'ai entendu raconter 
montrent que vraiment il se passe quelquefois des 
choses bien extraordinaires, oil, a mon avis, le 
diable doit mtervenir. Je ne sais, en effet, com- 
ment nos physiciens pourraient expliquer ce qui 
se produit au moyen de la fume"e des graines de 
moutarde;rappantion dela personne cherehee 
ou de 1'objet d^sir6, dans un cercle noirci a 
1'encre dans le creux de la main, ne me parait 
pas un fait bien naturel. 

Quel est sur ce point le sentiment des 
Musulmans ! 

Oh ! Monsieur, il ne faut pas prendre ce 
sentiment pour regie de notre conduite ; eux, 
evidemment, croient avec une grande foi qu'un 
esprit apparait ; il faut ajouter qu'il n'y a pas de 
peuple plus superstitieux, et que, mme pour des 
choses que nous pouvons expliquer, ils voient 
To3uvre d'un esprit. Ainsi, par exemple, la folie, 
1'epilepsie sont chez eux des maladies qui rendent 
le patient fort honorable etdigne des respects de 
tous. Pourquoi? Parce que c'est un esprit qui 
habite ce malheureux; un pauvre idiot ne sera 
jamais larisee des enfants, comme nous le voyons 
sisouvent dans nos villages de France. Pourquoi? 
Parce que c'est 1'ceuvre d'un esprit, et personne 

IiK DIABLE CHEZ LES UUSULMANS . 47.. 



602 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

n'ignore que, s'il le voulait, il pourrait porter 
malheur. J'ai choisi ces faits pour vous montrer 
que nos Arabes sont vraimeni trop cre"dules et 
voient partout un esprit. Aussi ne faut-il jamais 
ajouter foi entiere aux recits merveilleux qu'ils 
rapportent, a moins qu'ils ne soient racontes par 
des temoins dignes de foi. 

Jls craignentaussi beaucoup 1'influence du sor- 
cier. A leurs yeux, tout homme qui sort un peu 
du commun, ou idiot, ou imbecile, ou un peu ex- 
travagant, etc., tout homme d'une telle espece 
peut porter malheur ou bonheur. 

N'appellent-ils pas les gens de cette espece 
derviches, et ceux-ci ne vivent-ils pas retires 
loin du monde en communication avec les 
esprits ? 

Le derviche, Monsieur, n'est pas toujours 
idiot ; il y en a parmi eux qui ont le plein usage de 
leurs facultes, et qui se servent de leur titre pour 
exploiter les pauvres gens. Le derviche est vrai- 
ment le roi du village, et preleve chez qui il veut, 
et comme il le veut, un imp6t que nos Musulmans 
ont decore du beau titre d'offrandes. Le derviche 
peut n'etre, en effel, qu'un original, c'est-a-dire un 
homme qui ne fait rien comme les autres, et avoir 
ce que nous appellerions un tic, mais un tic bien 
prononce ; a ce titre, il est tres revere de ses core- 
ligionnaires qui le croient possede d'un esprit. II 
delivre des amulettes ; il y en a de toute espece, 
de toute couleur, et de toute forme : les unes sont 
simplement une feuille de papier sur laquelle le 
derviche a ecrit quelque verset du Goran, et 1'a 
renfermee tres precieusement dans un petit sac 
de cuir. Ghaque Musulman a son amulette ainsi 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 



603 



suspendue, comme tout bon catholique son scapu- 
laire ; bien sou vent mme, vous les voyez sus- 
pendues au cou des animaux . D'autres ont des 
formes les plus bizarres, et represented les ani- 
maux les plus fantastiques ; ceites, on ne peut 
mieux representer le diable. Pour toute chose a 
atteindre, il y a une amulette speciale ; chaque 
danger estprevu, mSmele moment de la mort. et 
si on meurt c'est, au dire de nosgens, que leder- 
viche n'etait pas assez saint pour vous delivrer 
de ce malheur ; car I'aomlette a plus ou moins de 
vertu, selon le degre de saintete du derviche qui 
1'a fabriquee. II y a de ces gens conflants qui se 
disent et se croient invulnerables grace au pre- 
cieux talisman que leur a delivre le Marabout ; la 
balie, le poignard, le scorpion n'ont nul effet sur 
eux, et ils sont meme plus heureux qu'Achille. 

Vous ne me dites rien,mon Pere, de 1'in- 
fluence du mauvais oail. Hier, j'ai visite une mai- 
son tres riche ; on m'a presente les enfants, je 
les ai caresses, je leur ai donne de beaux jouets, 
et je m'apprStais deja a jouer avec eux, et a feli- 
citer 1'heureux pere d'avoir de tels enfants, quand 
tout a coupcelui-ci a mis sa main devant ma 
bouche et a fait disparaitre les enfants. Vous 
jugez un peu de mon etonnement. Un de mes 
amis m'a explique* cette conduite en disant que le 
pere craignait pour ses fils 1'influence du mau- 
vais oeii. 

En effet, Monsieur, les Musulmans crai- 
gnent beaucoup le regard de 1'homme; ils ne 
peuvent tolerer qu'un etranger caresse leurs 
enfants et meme leur dise des paroles de bene"- 
dictions. Le mauvais ceil peut venir de n'importe 



~^- 
604 LE D1ABLE CHEZ LBS MUSULMANS '-_- _- ,/ 

ou; pour le donner, ilsuffit de considered une . 
chose avec des yeux d'admiration sans prononcer 
en mSme temps des mots, comme ceux-ci : don 
d' Allah, que Dieu le protege.... que Dieu aug- 
mente son bien...., et autre formule de ce genre. 
Tout ce qui est jeune est sujet a celte influence 
fatale.et d^perit bientSt. Le ble en herbe, la ten- 
dre pousse d'olivier ou du dattier,l'herbe des 
champs, les arbres ea fleurs qui promettaient une 
magniflque recolte, tout peut elre victime.d'un 
regard de Thomme ; un champ sem^ d'orge vient- 
il a p6rir, jamais on ne Tattribuera soit a la gelee 
soitatoute autre cause, mais bien au mauvais 
oeil. Presque tous les malheurs qui frappent nos 
populations musulmanes sont par elles attribue"s a 
ce mauvais oeil, comme en Europe nos paysans 
1'attribuent a la lune. Un champ qui promettait 
une belle recolte vient-il tout a coup a perir, 
quelqu'un se sera arrSte devant Tenclos, un en- 
vieux, cela va sans dire, etaura dit : quelle belle 
recolte, quel beau froment, quels beaux fruits, 
sans ajouter don d' Allah ou qu'Allah les fasse 
croitre , et aussitdt ces paroles flatteuses sorties 
d'un co3ur jaloux auront arrSte la vegetation. 
G'est pour cela, Monsieur, que vous ne verrez 
jamais ou du moms presque jamais une mere 
porter avec elle, sans le cacher, 1'enfant qu'elle 
nourrit ; elle craint le mauvais ceil. 

G'est peut-elre aussi pour le m<3me motif 
que les Arabes ferment si soigneusement leur 
jardin pour empScher les regards indiscrets, et 
qu'ils construisent m^me un mur devant la porte 
d'entreie pour que personne ne puisse voir m^me 
par les fissures? 




parMtement, Monsieur. 

Quelles spnt les amulettes delivre"es par les 
derviches pour detruire I'effet du mauvais ceil? 

G'est pour cela, Monsieur, que les Arabes 
suspendent au cou des animaux des amulettes de 
la mme espece, de formes que j'ai mentionne'es 
plus haut, bien que quelquefois aussi Us placent 
ces amulettes soil pour qu'une vache leur donne 
plus de lait, soit pour qu'elle mette bas plus tot, etc. 
Mais le spe"cifique centre le mauvais osilc'est: 
ou une main placee sur la fagade de la maison, ou 
un fer a'cheval, ou des comes de bouc et de 
gazelles. Le maitre de famille pense que, par ce 
moyen, quiconque le regarderait avec le mauvai 
oeil serait aveugle", et 1'influence detruite. 

Sottes gens, certes, mon Pere. 

Monsieur, tout nomine qui ne suit pas la 
vraie religion tombe necessairement dans la 
superstition; car enfintoutes ceschoses n'en sont 
que le produit. Je regrette, Monsieur, quebientdt 
il faille nous quitter, car nous sommes deja a la 
Maison-Blanche, et dans un quart d'heure je 
descendrai a la Maison-Garree, et je ne vous ai 
rien dit ni de la croyance aux ge"nies, aux fees, 
aux revenants. Enfin surtout, je ne vous ai fait 
connaitre qu'a moitie le derviche ; je ne vous ai 
pas parledes Societe"s secretes musulmanes : c'est 
la qu'il faut aller etudier Toeuvre de Satan : la 
vraiment, Monsieur, vous pourrez comparer les 
Societes secretes d'Europe et cellos d'Afrique ; il 
me semble que toutes ont le inme but, et recoi- 
vent la mme direction; a mon avis, Satan n'a 
fait que changer de tactique suivant les divers 
pays, mus partoutil est le mme; il a une haine 

- us DIABLE CHBZ'LES MUPCLMANS 17... 



606 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 

e"gale de Dieu, du catholicisme et du progres. II " 
n'a qu'un but: ramenerleshommes aupaganisme, 
c'est-a-dire a ladegradation. Remarquez, en effet, 
que partout le missionnaire est 1'objet de la 
haine de ceux qu'il va e"vangeliser : en Chine, en 
Ame*rique, en Afrique, celui que Dieu a charge* 
de porter la lumiere aux nations et de les ins- 
truire, est en butte a toutes les persecutions. Sur 
la terre, Monsieur, il n'y a que deux camps, 
deux cites : la cite de Dieu et la cite du de*mon; 
une guerre perpe"tuelle est engagee entre elles; 
le demon dit par ses sectateurs qu'il 1'empor- 
tera ; vous savez, Monsieur, la verite. 

lei, la locomotive du chemin de fer jeta un 
cri strident : Je suis arrive, me dit le Mission- 
naire ; vous serez bientSt a Alger, bon voyage. 

Merci, mon Pere, de votre interessante 
societe ; je n'oublierai pas ce que vous m'avez 
dit. 

J'etais bien seul dans mon compartiment ; 
tandisque j'ecoutais ce bon missionnaire, le temps 
m'avait paru bien court, et je n'avais pas songe 
a la distance parcourue ; j'avais cependant appris 
des choses nouvelles. II ne m'avait pas tout dit, 
faule de temps, mais pourquoi ne me livrerais-je 
pas a une etude sur ce sujet? G'est contre les 
Societes Secretes que nous avons du lutter, m'a- 
vait dit ce missionnaire, ce sont elles qui ont 
fourni les chefs aux insurrections ; il avait fini 
enfln en disant que le demon agissait partout par 
les mSmes moyens qu'il adaptait seulement aux 
circonstances et au peuple. J'ai voulu verifier 
par moi-mme la verite" de cette parole que le 
mal nous est venu de 1'Orient comme le bien r et 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 607 

que la frane-maconnerie actuelle n'est que la 
suite du manicheisme et de 1'islamisme ; que la 
franc-maconnerie n'a paru sur la scene du monde 
que quand rislamisme a disparu, brise par 1'epee 
de Sobieski et de don Juan d'Autriche. 

Depuis, j'ai poursuivi mes recherches avec au- 
tant de perseverance que j'ai-pu. Dans Tisla- 
misme, il y a ce que je n'hesite pas a appeler un 
culte a Lucifer. Sans doute, la religion exterieure, 
offlcielle, ne croit qu'en un seul Dieu, el les 
Marabouts enseignent bien que ce Dieu n'est pas 
Lucifer ; mais il faut penetrer 1'ecorce du Goran, 
il faut voir le vrai sens de la forntmle islamique, 
il faut coniiaitre les Societes secretes avec leur 
but final et bien avoue, la destruction de toute 
civilisation chretienne ou, si on veut, le reta- 
blissement de 1'imamat correspondant a la 
republique universelle de nos francs-macons;il 
faut, dis-je, connaitre tout cela pour etre bien 
convaincu que, de nos jours, Lucifer a de nom- 
breux adorateurs en Afrique aussi bien qu'en 
Europe. 

Le missionnaire n'avait fait que mentionner. la 
croyance des Musulmans aux genies, aux fe"es, 
aux revenants. Gertes, nous ne croyons guere a 
toutes ces sornettes de vieilies femmes, et a tous 
ces contes fantasliques que notre mere racoutait 
a notre enfance, le soir, quand, apres nous 
avoir mis au lit, nous ne von lions pas nous 
endormir. 

Nous citerons toutefois un fait arrive dans 
le desert, et raconte dans les Missions Catholi- 
ques (vendredi 4 mai 1894, page 210). Ge fait est 
tire (Tune lettre d'un missionnaire d'Alger, dans 



608 LE 'pIABLE CHEZ tES 




laquelle 11 raconte quelques 
voyage dans lo Sahara, en compagnie 
Mokkaddem de 1'ordre des Tidjanya, et autres, 
Musulmans. La caravane s^tait arrtee pour 
passer la nuit, et chacun se croyait en surete 
quand tout a coup i'alarme se re*pandit dans le 
camp : Tandis que nous savourions le cous- 
cous quotidien, ecrit le missionnaire, dument 
pimente et assaisonn de suif ranee, nous aper- 
cumes,a une heure et demie de marche derriere 
nous, sur le plateau, un feu parfaitement visible. 
Pas d'erreur possible : c'e*tait un feu de bivouac, 
et cela sur notre route; il n'y avail pas de cara- 
vane derriere nous a si faible distance; c'est done 
une troupe tres legere qui nous rejoint. Des amis 
voyant notre trace si fraiche, n'auraient pas cou- 
che si pres sans camper avec nous. Ge ne peut 
6tre qu'un razzi et solidement arme pour oser 
nous braver de la sorte. 

Le nom d'Amar-bou-Kechba vole de bouche 
en bouche, accompagne de toutes les maledic- 
tions qu'un Arabesait trouver en pareille circons- 
tance 

Pendant que six des plus prudents partaient en 
reconnaissance, les autres ebauchaient rapide- 
ment, a 1'aide des bagages et des accidents de 

terrain, un essai de fortification Vis-a-vis de 

nous, le Mokkaddem, un peu sorcier comme tous 
les Marabouts musulman?, debitait des formules 
d'incantation, tracait en 1'air des lignes prohi- 
bitoires qui devaient maintenir 1'assaiilant a une 
distance respectueuse, puis, ramassant de lapous- 
siere, la jetait aux quatre coins du ciel, predisant 
le sort reserve aux audacieux pillards. 



^dit enfin le Mokkadr^ 
il n'y aura rien/ 

plait a Dieu, repondis-je ; mais tout ce 
le ciel nous enverra sera le bienvenu. Si ces 
impies viennent chercher la diffa nocturne, 
nous les rassasierons avec du ploinb. 
f j"A la v^rite, nous e"tions surpris de ne rien 
entendre ; notre patrouille devait tre parvenue a 
rendroit critique, et cependant la poudre ne parlait 
pas. Mais la surprise se changea presque en incre- 
jljjlite quand noseclaireursnous affirmerent, quel 
ques instants apres qu'iln'y avait ni homme ni 
?eu,, ni traces d'aucune sorte. Nous etions en 
presence d'un ph^nomene rare dans le desert 
pour que les Sahariens eux-mmes s'y trompent, 
mais bien propre a exciter leur imagination et 
leur esprit superstitieux. 
] Chacun, bien enteadu, hasarda son explica- 
tion. Les peureux affirmaient que I'ennsmi, ne se 
crpyant pas si pres de nous, avait flnipar remar- 
quer nos feux, et que, saisi d'une frayeur salu- 
taireen presence de pareils guerriers, il avait 
pris la fuite. 

En emportant les laissees des chameaux, et 
les cendres du foyer dans le pan de son burnous, 
n'est-ce pas nigaud ? observa ironiquement Abd- 
en-nebbi (le Mokkaddem) : Oh! mes amis. Vous 
parlez comme des petits enfants; toute cette 
region est hantee par des genies qui abusent les 
"voyageurs et leur creent toutes sortes d'illu- 
sibns..... La hammadade Tingerl appartient aux 
gSnies, -cela est connu de toutle monde. Je savais 
1t)ieh, moi , qu'ii n'y avait ni feu ni homme . (Mis- 
catholiques, 4 mai 189 1 . ) 



-610 LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS ~ 

Et pour les convaincre de ce qu'il avangait, il 
leur raconta un fait qui lui etait arrive il y avail 
quelque temps, a son retour d'Insalah, en com- 
pagnie d'untaleb et de son neveu. tls etaient a 
puiser de 1'eau quand, aux environs du puits, 
apparurent deux cavaliers: Les mehara etaient 
tout pres ; les cavaliers semblaient, par le cos- 
tume et 1'equipement, tre des Arabes du Touat, 
j'auraispuleur parler; deja je les vx>yaisapprter 
leurs armes. Je m'assurai des miennes pendant 
qu'ils disparaissaient derriere un petit sif 
qu'ils avaient a tourner. Puis j'attendis, j'atten- 
dis, j'attendis, et nos deux maudits ne sortaient 
pas de derriere leur sif. Ne sachant que penser, 
je fis agenouiller . mon mehari, je Fentravai et 
rampai tout doucement jusqu'a 1'ar^te d'ou j'au- 
rais du les voir. Rien... Je descends le flanc 
oppose : Rien... Je m'avance vers 1'endroit ou 
je les avais apergus tres distinclement : pas une 
trace sur le sable. C'e"tait le seul endroit ou le 
sol n'etaitpas foule... Groyez-moi si vous voulez, 
moi je dis que c' etaient des genies ou des reve- 
nants, et Dieu est plus savant que nous. 

Nous laissons au lecteur le soin d'apprecier 
ces deux fails comme bon lui semblera. Quel- 
ques incr^dules, plus savants, diront que c'esl un 
effet de mirage : a eux la reponse du Moqaddem 
qui certes ne manque pas de sel. 

Quanl a nous, sans vouloir nous prononcer sur 
ces deux faits ou 1'oeil si exerce du Saharien a 
ei6 pris en defaut, nous pensons qu'il serail bien 
te"meraire de dire que, dafls ce vaste empire de 
Satan, qai s'etend de 1'Ocean Atlantique a la 
Mer rouge, 1'ange des Tenebres ne vienne jamais 



LE DIABLE-CHEZ LES MUSULMANS 611 

se promener dans ces vastes solitudes, image, 
par leiir st^rilite", de 1'etat de soname. Quelques- 
uns deceux qui nieront, ne voudront pas trancher 
la question ni expliquer ce fait : ils aimeront 
mieux laisser ce probleme irresolu. Malgre 
nous, cela nous rappelle 1'histoire d'un prtre, que 
nous connaissons bien, qui avait dans sa maison 
uh epileptique qui lisait dans un livre place sur 
sa tete. Quand je lui disais que ce fait n'etait pas 
naturel, car nos yeux ne peuvent lire dans un 
livre qu'ils n'apercoivent pas, il preferait laisser 
le probleme sans le resoudre, plutot que de dire 
que dans ce cas il fallait voir I'o3uvre de Satan. 
Que d'excellents catholiques agissent de mme ! 



ERRATA 



, ' P. 97, ligne 8, au lieu de religion, lisez religieux. 

P. 154, ligne 31, au lieu de trois "cents, lisez treize cents. 

P. 176, ligne 11, au lieu de institute, lisez intitulee. 
'' P. 184, ligne 11, au lieu de Magrel, lisez Magreb. 

* w 

-< P. 200, ligne 30, au lieu de reculs, lisez secrets. 

; P. 241, ligne 29, mettre un point apres : grand-pere. 

}, P. 317, ligne 16, au lieu de servants, lisez savants. 

| P. 381, ligne 28, au lieu de confirmer, lisez infirmer. 

t 



LE DIABLE CHEZ LES MUSULMANS 18 

; 






' * J - l , ' * 

I/ - * 



TABLE DES MATlMES 



PREFACE . . . . . . . . 

PREMIERE PARTIE . 

. Les Societes Secretes Musulxnanes . 
' en, general 

GHAPITRE PREMIER. Caractere general des 
Societes secretes musulmanes 5-1-1 

Histoire du mal dans le monde : paganisme, mahometisme, 
franc-maconnerie . 

GHAPITRE II. Panislamisme. Tolerance 
des Chretiens 1 1-19 

Imam et Imainat : Aversion du Musulman pour tout 
\progres. ' , 

GHAPITRE III. Soufisme. Extases et 
visions. . . 20-50 

Le Soufisme .vient de Tlnde. El-Djenidi. Essence du 
; Soufisme. Ses martyrs. Visions et extases. - Une 
fete du Mouled. Rhouan Mohammedi et Khouan 
Touhidi. Moyens preconises par les auteurs musul- 
mans pour arriver a 1'extase. Degres dans 1'extase. 
Interptetation des songes. 



CHAPITRE IV; Ordres 
Ortkodoxie. 




Necessity de 1'orthodoxie. La chaine. 
historique. La chaine mystique. 

CHAPITRE V. Recrutement, organisation et 
fonctionnement des Ordres reUgieux. 61-134 

Inscription. Noviciat. Les soeurs. Cheikh-el-Trigua, 
ou supSrieur general. Son election. Moqaddem et 
Zaouia. Initiation du Khouan. Dipl6mes. Devoirs 
du Khouan envers 1'ouerd, envers ses superieurs, envers 
ses confreres. Obligations du Khouan. Fuite du 
monde. Le diker ; ses avantages. Ziara. Avanta- 
ges que le Khouan retire de ces associations. 

CHAPITRE VI. Ennemis des ordres reli- 
gieux. Taibya 135-151 

Marabouts independants et marabouts salaries. . Attaques 
dirigees contre les Khouan. Mouley-Ismail et Ben- 
A'issa. Mohammed IV et Mahmoud en Turquie. 
Execution des Bektachya. Madanya en Tripolitaine. 
Taibya au Maroc. 



DEUXIEME PARTIE 

Ordres les plus importants dans 1'Afrique 

du Nord 

CHAPITRE PREMIER. Les Qadrya. . . 153-190 

Naissance d'Abd-el-Kader-el-Djilani ; anecdotes. Sa 
science, ses vertus. Qadrya et Francs-Macons. 
Diker et pratiques. Gouvernement de TOrdre. 
Doctrines de 1'Ordre. Principes egalitaires. Haine 
contre les Chretiens. Abd-el-Kader-Mahi-ed-din, 
son elevation, ses guerres contre les Francais, ses pro- 
jets' apres la bataille de Vlsly ; I ses extases, Appuye 



linya. r^Leon Roches obtient - cqhtre ; Jui , 
!,; au Caire et a la Mecque, la decision religieuse :f ^ 
les 'derniers coups a sa puissance. ; 



[I. Les Chadelya. ...... 197-238 

~' >Cfipaib-el-Andalousi transporte le Soufisme dans I'Afrique 
^:> T .;."du.-.i/Nord . Ses vertus. Chadeli : sa naissance, ses 
voyages. Persecutions ; protection divine ; son portrait; 
5 7sjon influence. Affiliation a son Ordre. Diker. 
s Ceremonies. 11 y a une doctrine secrete. Obeis a 
; ^ tori Cheikh avant d'obeir au souveraih temporel. Leur 
Jpg.? - V- mepris de toute autorite. Les Derqaoua : leurs entre- 
'" 'prises contre les Turcs et les Francais ; leur Diker. 



=f :>;-.- '_ 

-I, -1,1 , --"* 

^?'-i' 
Hv; 



HI. . Les Mssaoua. .: 239-298 

es de bien parler de cet Ordre. Ben-Aiissa: sa 
'naissance, sa celebrit6, sa lutte contre le sultan de 
Mequinez. II choisit quarante de ses disciples pour le 
conseil de 1'Ordre et ieur transmet le pouvoir de guerir. 
^ Conjurations pour chasser les maladies. Alssaoua 
charlatans. Doctrine de 1'ordre : Diker. Reunions, leur 
miisique. -r Evocation de 1'ume des cheikhs chez les 
AJssaoua, les Seddikya, les Djenidya et les Aouissya. 
Le Dieu des Alssaoua. L'existence et le neant se 
/^confondent. Le pantheis'me dans les Societes secretes 
musulmanes. Precurseurs des Alssaoua. Sacrifice 
du bouc. Theorie de 1'amour. Leur influence poli- 



CHAPITRE IV. Les Cheikhya ...... 299-310 

Leur origine. Naissance du grand Sidi Cheikh : sa repu- 
tation. Sesjheritiers. Leurs guerres fratricides. -~ 
Leur defaite par le colonel de Sonis. 

GHAPITRE V. Les Tidjanya. ...... 311-372 

Naissance de Tidjani. Ses voyages. Sa lutte contre les 
Turcs. Sa mort. Ses deux flls lui succedent. Us repous- 
sent les Turcs. Les Hachem tuent 1'aine. .Mohammed 




618 TABLE DES MUSULMANS 

Sr'ir, seul grand maitre. Sa lutte contre Abd-el-Kader.x 

Madhi. Prise de la ville par 1'emir. Marey-Monge. ' 

Mort de Mohammed Sr'ir. Decadence de 1'Ordre . 
avec Ryan. Sonis arrete les fils de Mohammed Sr'ir 
et les envoie a-Alger. Leur voyage en France. 
Description de la zaouia de Teinacinn Doctrine : Diker. 
-7 Le Kounache. Initiation. Toute-pnissance du 
grand maitre. Le mal n'existe pas. Leur haine 
de toute autorite. Leurs rapports avec les Francais. 
Lettre du grand maitre et de Si-Ahmed pour accrediter le 
colonel Borgnis-Desbordes au Soudan. Flatters et les 
Tidjanya. Notre protection ne les eut pas sauves de la 
ruine. 

GHAPITRE VI. Les Khelouatya et les 
Rahmanya 373-437 

Fondation des Khelouatya : leurs doctrines. Abd-er- 
Rahinan : sa naissance, ses voyages, son retour en 
Kabylie dans la tribu des Beni-IsmaiU II. enseigne a 

. Alger. Difficultes avec le gouvernement turc. Sa 
mort. Bilocation de son cadavre. Aissa-el-Magrebi, 
chef de 1'Ordre. Abd-el-Kader et Lalla-Kadidja. 
Divisions dans 1'Ordre. Les Francais s'emparent de la 

- Kabylie : role des Rahmanya. Doctrines de 1'Ordre. 
Initiation. Diker : visions de Abd-er-Rahman. Au- 
torite du Cheikh. Les Rahmanya preparent la guerre 
contre nous. Revolte de Cheikh-el-Haddad . Sou- 
mission du cercle de Dra-el-Mizan. -Massacre de 
Palestro. Defaite des Khouan. II y aura toujpurs 
antagonisme. Cheikh- Aziz, echappe de la Nouvelle, 
demande grace. Guerre a nos colons.. Guerre a nos 
missionnaires . Cheikh-Aly. Nouveau danger pour 
nous.. . 

GHAPITRE VII. Snoussya 438-549 

Importance de cet Ordre. Origine des Khadirya. Abd- 
el-Aziz-ed-Debbar. Ahmed-el-Fassy. Les Ouahabites. 

Leurs doctrines. Leur but. Idiee duDieu du Goran. 

Attitude pendant la priere. Les partisans d'Ali. 
Mzabites et-Djerbistes. Naissance de Snoussi.: Sejour 



lp|p?;v^;'^ le 'disciple, de Ahmed-ei-Fassy : . ^-r- >> 

Wsjzj&j ; v "Division derOrdre des Khadirya. Snoussi et L6on v 
|^5 I;;-:- Roches. II quitte la Mecque. Djegboub. L'alle- ; 
Ur \' r v . maud Rolhf a Djegboub.^ Orthodoxie de cet Ordre. 
",:>; Diker: cause de son succes. Aides de Snoussi. ' 

?:-{'v ;''-' .'; :,.-. Pourquoi Snoussi ne nous a pas combattu. Progres. ; 
&-; j Emigration. Massacre de trois missionnaires. 
f:^y':^ '' Snoussya et le peuplc. Snoussya et les autres Ordres 
^'- > ,- religieux. 

GHAPITRE VIII. Conclusion 549-579 

Resume de tout Touvrage. Moyens pour combattre les 
ordres religieux. Le gouvcrnement ne peut songer a 
etablir une religion nationale musulmane. Le cardinal . 
/Lavigcrie et la conversion de 1'Algcrie. Missionnaires. 
llopitaux. \ r oies de communication. Ecoles. 
Assimilation. 



APPENDIGE. 

Une greve 581 

Le fondateur de la zaouia de Temassinin 582-584 

Encore le bouc. 584-586 

En voyage 586-611 



PELHOMMB ET 

^W ' - -' : 3;jMWV^ 

_ <** ^^ 



AU POINT DE-VJJE-;pES'|ft||;ti 
Par le.R P/ Albert Maria 

Tradnite. de 1'alUmand sir 
Premiere partie : L'HOMME 



EIS^ 

ir Ja ;2^tmab^:ii5^a|li^aiart COLLH %2pS% 
MKLOT^^cbjfetax yofcinrS. .Pi ix; .' ^- jfeTfrp 



ASTRONOMI 

onrerrear gdocentrique ,la plarali 

Pap,'le.R. P. Th. ORTOLAN, 
Docteur en lhologie et en droit canonique, Iaur6at de rinsUtut catbolique-i 

de Paris dans le concours d'apologetique de 
: .-Utt-beau vol. ih-8. ' ' 

' 



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