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Full text of "Saint François d'Assise (1182-1226) [microform]"

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L'auteur et les éditeurs déclarent réserver leurs droits de reproduction et de 
traduction en France et à l'étranger. 



Cet ouvrage a été déposé au ministère de l'intérieur (section de la librairie) 
en mai 1892. 



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SAINT FRANÇOIS 

D'ASSISE 



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Avec approbation d.u Révérendissime Père Qénéral 
de r Ordre des Frères Mineurs Capucins. 



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SAINT FRANÇOIS 



D'ASSISE 



(1182-1226) 




PARIS 

LIBRAIRIE PLON. 

E. PLON, NOURRIT et G'% IMPRIMEURS-ÉDITEURS 

10, RUE GARANCIÈRE 

1892 

Tous dî'oits j'éservés 






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SAINT FRANÇOIS 



D'ASSISE 



CHAPITRE PREMIER 

NAlSSAiN'GK ET JEUNESSE DE SAINT FRANÇOIS. 

(1182-1205) 



x\u centre de l'Ombrie, sur un des premiers contreforts 
de rApeniiin, dans un site pittoresque, s'élève une cité 
antique, encore toute crénelée, que Dante a chantée dans 
son poème du Paradis. Suspendue aux flancs du mont Sou- 
base , elle plane sur des paysages d'une beauté incompa- 
rable. A ses pieds, une vallée grandiose et riante, des 
bouquets d'oliviers, des vignes grimpées dans les ormeaux, 
des champs ensoleillés à travers lesquels coulent le Ghiagio 
et le Topino; une richesse de végétation qui surprend et 
réjouit, au sortir du désert de la campagne romaine. En 
face, Montefalco et ses sombres collines fermant l'horizon 
du côté du Tibre. A droite et à gauche, la chaîne bleuâtre 
des Apennins, d'un azur si doux que le regard ne peut s'en 
rassasier. La petite ville aérienne du mont Soubase domine 
ce paradis terrestre, dont les deux entrées sont gardées, au 
nord par Pérouse, au midi par Spolète. C'est d'elle que le 
poète florentin a dit : « Que ceux qui veulent parler de ce 

1 



2 SAINT FRANÇOIS D'ASSISE. 

lieu ne l'appellent point Assise; ce nom dirait trop peu. 
Mais qu'ils l'appellent Orient, s'ils veulent employer le mot 
propre (1). » 

Orient, c'est-à-dire lumière et soleil des peuples. L'image 
est hardie; elle n'est pas disproportionnée, depuis qu'Assise 
a donné le jour au séraphique Patriarche dont nous écrivons 







VUE D ASSISE AU TEMPS DE SAINT FRANÇOIS. 

la vie, et qu'elle est devenue le point de départ d'un mouve- 
ment de renaissance chrétienne sans égal dans l'histoire. 

C'est en 1182 (le 26 septembre, d'après les traditions 
locales), sous le pontificat de Lucius III, que naquit le petit 
enfant qui devait donner dans la suite tant de lustre à son 
pays natal. 

Son père, Pierre-Bernard Moriconi, plus connu sous le 
nom de Pierre Bernardone, était un riche marchand origi- 



(1) Paradis, chant xi. 



CHAPITRE PREMIER. 3 

naire de Lucques, récemment établi à Assise et faisant un 
P^rand commerce avec la France, où il allait vendre ces 
tissus, taffetas, brocarts et velours, pour lesquels les artisans 
de Sienne et de Florence étaient alors sans rivaux. Sa mère, 
Pica, delà noble famille des Bourlemont de Provence, méri- 
tait par sa piété de devenir la mère d'un saint. Pica n'eut 
que deux enfants, François et Ange. Ce dernier fit souche à 
Assise, où les Moriconi subsistaient encore , d'après Wad- 
ding, dans la première moitié du seizième siècle. Le Ciel, 
qui avait d'autres vues sur François, se plut à entourer de 
prodiges extraordinaires et de présages célestes le berceau 
de cet enfant prédestiné. 

On montre à Assise, à quelques pas de l'ancienne habita- 
tion des Moriconi, un oratoire dédié à notre héros sous le 
vocable de San-Francesco il Piccolo (Saint-François le Petit). 
C'était autrefois une étable, et l'on ne manque pas de rappe- 
ler au touriste comment, sur l'avis d'un pèlerin mystérieux, 
Pica s'y réfugia et y mit au monde, sur une jonchée de 
paille , au milieu de concerts angéliques , celui qui devait 
être la copie fidèle et le héraut de l'Enfant de Bethléhem (1). 
Pieuses croyances, traditions vénérables dont il est difficile 
d'apprécier la valeur, parce qu'au delà du quinzième siècle 
nous perdons la trace de leur origine (2). 

Ce qui est absolument certain, c'est que le nouveau-né fut 
porté au baptistère du dôme de Saint-Rufin et qu'on lui 
imposa le nom de Giovanni, Jean, conformément au désir 
de Pica , qui avait une dévotion particulière pour le saint 
précurseur. Ce qui n'est pas moins certain, c'est qu'une 
étonnante prédiction, dont les confidents du saint Patriarche 

(1) Sur la porte de l'oratoire, on lit cette inscription latine : 

Hoc oratorium fuit bovis et asini stabulum 
In quo natus est Franciscus, mundi spéculum. 

(2) Voir Saint François et les Franciscains , par le P. Pamphile de 
Magluno, t. I. 



4 SAINT FRANÇOIS D'ASSISE. 

se sont faits les échos, projeta dès lors sur son berceau les 
premières lueurs d'une mission providentielle, d'une mission 
de paix. C'était ait retour du baptistère de Saint-Rufin. Un 
inconnu, un envoyé de Dieu, frappant à la porte des Mori- 
coni, demanda instamment et comme une faveur à voir le 
gracieux enfant. Tout heureux d'être exaucé, il le prend 
dans ses bras, comme un autre Siméon, et saluant dans cet 
enfant régénéré un élu de Dieu, un frère puîné , un futur 
compagnon de sa gloire, il le couvre de douces caresses et 
de baisers- puis il le rend à la nourrice en lui disant : 
« Aujourd'hui sont nés dans cette ville deux enfants dont 
l'un, celui que je tiens dans mes bras, deviendra un grand 
saint, et l'autre un grand pécheur (1). » Ayant achevé ces 
mots, l'étranger disparut. On eut beau chercher par toute la 
ville, on ne put le retrouver. 

Ces commencements, même dégagés de toute légende, 
sont pleins de fraîcheur et de poésie, comme une belle 
matinée de printemps. L'histoire en atteste l'authenticité; 
une nature enchanteresse leur sert de cadre; l'action de la 
grâce les illumine, les pénètre, les revêt d'un attrait tout- 
puissant auquel l'incrédule lui-même ne saurait longtemps 
rester insensible. Ils n'ont rien que de croyable, et tout 
homme de bonne foi n'y verra avec nous que les dignes pré- 
mices d'une vie qui doit occuper tant de place dans l'histoire 
du treizième siècle. 

Pierre Bernardone voyageait alors en France pour son 
commerce. A son retour, il eut une grande joie d'apprendre 
qu'un fils lui était né; et la Légende des trois compagnons (2) 
nous dit que dès ce moment, et en souvenir du beau royaume 
de France, il donna au petit Jean le surnom de Francesco, 
François : « marque d'amour pour la terre hospitalière d'où 

(1) Très socii, c. i. 

(2) G. I. 



CHAPITRE PREMIER. 



il revenait et qui lui avait donné la douce compagne de sa 
vie et l'ornement de sa maison (1) » . 

D'autres auteurs prétendent qu'il ne le lui donna que plus 




LA CAÏIIICDnAI. K D A S S I S K. 



tard, à cause de la facilité avec laquelle l'enfant apprit notre 
langue, et de la grâce qu'il mit à la parler. Quel que fût le 
mobile qui le dirigeait, « l'obscur vendeur de drap était loin 

(1) GniSTOFANi, Storia d'Assisi, liv. II. 



6 SAINT FRANÇOIS D'ASSISE. 

de penser que ce nom de son invention serait invoqué par 
l'Église et porté par des rois (1) » , Quant à P'rançois (c'est 
ainsi que nous l'appellerons désormais), il eut toujours pour 
la patrie de sa mère une affection toute filiale, et la France 
peut à bon droit se glorifier de lui comme d'un fils adoptif. 
Ses premières années s'écoulèrent, calmes et tranquilles, 
à l'ombre du toit paternel. Eurent-elles un côté piquant? 
Nous l'ignorons; car Pica, comme la plupart des mères, a 
gardé dans le secret de son cœur ces premiers sourires, ces 
premiers bégayements, ces premiers épanchements de la 
vie, qui n'étaient que pour elle. Et les vieux historiens de 
François, si attentifs à nous dépeindre le fondateur d'Ordre, 
le thaumaturge et le Saint, n'ont jeté que quelques traits 
épars et comme au hasard sur cet intérieur de famille, l'en- 
fance de notre Saint et le rôle qu'y joue l'épouse de Bernar- 
done. Toutefois, il nous est facile d'entrevoir, à travers leurs 
expressions, dans quelle atmosphère chrétienne ils nous 
transportent. Les trois compagnons et le poète contempo- 
rain qui chanta l'épopée franciscaine louent sans réserve la 
piété douce et simple de Pica (2). Seul, Thomas de Gelano, 
dans sa première Légende, enveloppe d'un blâme énergique 
l'éducation molle, sensuelle, de l'époque, sans excepter celle 
de François; mais dans sa seconde Légende, il semble se 
rétracter et s'accorde à dire avec les autres biographes que 
si Pica entoura le berceau de son fils de toute la tendresse 
d'une jeune mère pour son premier-né, ses actes furent 
imprégnés de toute la piété d'une chrétienne qui prépare 
une âme pour le ciel. Il l'appelle une dame accomplie et très 
vertueuse (3). N'est-ce pas déclarer en termes implicites 

(1) OzANAM, les Poètes franciscains, p. 54. 

(2) « Matrem lionestissimam. » {Très socii, c. I.) — « Mater lionesta siinplex 
et clemens. » (Poema, c. v.) 

(3) « Quœ mulier, totius honestatis arnica, quoddam virtutis insigne prseferebat 
in moribus. » [Vita secunda, p. 1, c. i.) 



CHAPITRE PREMIER. ^ 

qu'envisageant la maternité comme une sorte de sacerdoce 
limité au foyer domestique, elle en accepta la charge aussi 
bien que les honneurs? N'est-ce pas avouer qu'elle remplit 
consciencieusement les hautes obligations qui s'imposent 
avec autorité à toute mère digne de ce nom, et qu'aucune ne 
peut trahir impunément? Nourrir elle-même son fils, ha;bi- 
tuer ses lèvres à la prière, développer les heureuses inclina- 
tions qu'elle remarquait en lui, sans les contrarier jamais, 
mettre son innocence à l'abri du souffle empesté du vice, en 
un mot veiller avec soin sur le dépôt que le Ciel venait de 
lui confier solennellement, tous ces devoirs furent donc, on 
n'en saurait douter, l'objet de ses constantes préoccupa- 
tions. Justes et fécondes sollicitudes qui trouvaient, pour y 
correspondre, une nature vive et enjouée, une intelligence 
précoce, un cœur ardent ! Dès l'aube de la vie, l'âme de l'an- 
géliqiie enfant s'ouvrait avec bonheur aux doux enseigne- 
ments de sa mère, comme la fleur ouvre son calice aux pre- 
miers rayons du soleil; et déjà l'on pouvait prévoir que cette 
plante bénie porterait un jour des fruits délicieux. 

Nos lecteurs ont vu la part active de Pica dans l'éducation 
de notre Saint. Le peu que nous en avons dit suffit à sa gloire ; 
car les vertus du fils sont avant tout l'œuvre de la mère, 
instrument naturel de la Providence dans le travail du déve- 
loppement moral. Si donc plus tard François devient l'amant 
passionné des pauvres, si l'amabilité forme le trait saillant 
de sa physionomie, s'il se montre toujours attaché par toutes 
les fibres de son âme au Pontife de Rome, si enfin le Fils de 
Dieu, l'honorant des stigmates de sa Passion, peut les impri- 
mer sur une chair virginale, nous n'hésitons pas à le dire, 
c'est à Pica qu'en revient tout d'abord la gloire! Heureuses 
les familles qui conservent ainsi les traditions chrétiennes et 
placent l'honneur et la vertu au-dessus des richesses ! Heu- 
reuse la mère qui se souvient que l'impulsion donnée dans 



8 SAINT FRANÇOIS D'ASSISE. 

l'enfance se fait sentir jusque sous les glaces de la vieillesse, 
et qui s'attache en conséquence à former le cœur de ses 
enfants; le cœur, c'est-à-dire le principal ressort de la vie, 
ce qui imprime à nos actes leur direction bonne ou mau- 
vaise, ce qui crée les sublimes dévouements ou les odieuses 
abjections ! Plus heureux encore le fils à qui la Providence 
donne une telle mère! Et quand ce fils s'appelle François, 
on doit supposer qu'il sut reconnaître le dévouement de Pica, 
et que les sublimes expressions de gratitude qui débordaient 
de l'âme de saint Augustin se pressèrent plus d'une fois sur 
ses lèvres : « Soyez béni, ô Dieu éternel, de m'avoir donné 
une telle mère! Car c'est d'elle que j'appris, tout enfant, à 
vous aimer. Déjà, dans ce lait, qu'elle me dispensait sans 
mesuré, comme elle le recevait sans mesure de votre main, 
je buvais avec délices l'adorable nom de Jésus, votre Fils et 
mon Sauveur; et ce nom pénétra si avant dans mon âme, 
que tout livre d'où il était absent n'avait plus de charmes 
pour moi (1). » 

L'heure était venue de former l'esprit de François. Ses 
parents, voulant qu'il reçût une instruction en rapport avec 
leur fortune comme avec les goûts du temps, le confièrent aux 
pieux ecclésiastiques qui dirigeaient l'école Saint-Georges. 
Pour lui, inclinant par tempérament vers l'action, il goûta 
médiocrement les charmes des belles-lettres, et « sa culture 
littéraire laissa à désirer (2)» . Cependant, doué par la nature 
d'une excellente mémoire et d'une prodigieuse facilité (3), il 
acquit une connaissance suffisante du latin et apprit aisé- 
ment la langue française, « déjà considérée en Italie comme 
la plus délectable de toutes et la gardienne des traditions 
chevaleresques qui polissaient la rudesse du moyen âge (4)» . 

(1) Confess., liv. I, cli. vi; liv. III, ch. iv. 

(2) 11 Post aliqualein litterarum notitiarii. » (Bokav., c. I.) 

(3) « Meinorià luculentus. » (Tu. de Gklano, Vita prima, p. 1, c. xxix.) 

(4) OzASAM, les Poètes franciscains, p. 55. 



CHAPITRE PREMIER. 9 

Dès qu'il eut atteint l'âge de quatorze ans, Bernardone l'as- 
socia à ses opérations commerciales. Tous deux exerçaient 
leur profession avec activité, mais dans un esprit tout diffé- 
rent. Le père était un homme dur, âpre au gain, toujours 
en quête de gros bénéfices. Le fils avait des sentiments plus 
élevés : il était affable, compatissant, généreux jusqu'à la 
prodigalité, plus avide de gloire que de richesses, et forte- 
ment attiré vers ces fêtes chevaleresques dont le goût, intro- 
duit au nord par les empereurs d'Allemagne, et au midi par 
les rois normands de Sicile, devenaitdeplusenplus vif dans 
toute la Péninsule. Dans les vingt dernières années du dou- 
zième siècle, en effet, les petites cours féodales d'Esté, dé 
Vérone et de Montferrat rivalisaient d'ardeur avec Flo- 
rence et Milan pour donner les spectacles alors en vogue, 
tournois, carrousels, salles richement décorées, où les plus 
illustres troubadours de la Provence, Bernard de Ventadour, 
Cadenet, Raimbaud de Vaqueiras et Pierre Vidal, « célé- 
braient avec une verve entraînante tantôt l'amour, le cou- 
rage exalté, les manières courtoises, tantôt les romanesques 
aventures des héros de la Table ronde ou des preux de 
Charlemagne (1) ». Ces jeux équestres de la noblesse, ces 
récits naïfs ou raffinés des jongleurs, ces chants guerriers, 
tous ces plaisirs excitaient dans les générations jeunes et 
ardentes du moyen âge un enthousiasme dont nous avons 
peine à nous faire une idée, et exerçaient sur les mœurs 
publiques une influence plutôt utile que désastreuse. « Ils 
entretenaient, en des temps réputés si barbares, la culture et 
la politesse des esprits (2). » 

Il n'est pas étonnant qu'avec son humeur facile et son 
caractère aventureux, François se soit pris d'enthousiasme, 
lui aussif pour ces fêtes de l'esprit et des yeux. Peut-être 

(1) L'abbé Le Monnieii, la Jeunesse de saint François d'Assise, p. 12. 

(2) OzANAM, les Poètes franciscains, ch. i, p. 93 



10 SAINT FRANÇOIS D'ASSISE. 

foiida-t-il dans sa patrie une de ces joyeuses associations, 
Corti ou cours d'amour, vouées au gai savoir et à la poésie. 
S'il n'en fut pas le fondateur, du moins il lui imprima un 
nouvel élan (1). Bon nombre déjeunes gens d'Assise ou des 
environs adoptèrent ses vues, et lui-même, attiré par la 
conformité des idées et des goûts, ne se plaisait plus que 
dans leur compagnie. Dès qu'ils l'appelaient, il quittait tout 
pour les suivre, au risque d'attrister sa famille par ce départ 
précipité. Souvent il les réunissait le soir dans de somptueux 
festins, et au sortir de table il parcourait avec eux les rues 
de la ville, en fredonnant les poésies des troubadours pro- 
vençaux, chansons de geste, fabliaux ou sirventes (2); Il ne 
voyait alors aucun mal dans des divertissements que les 
anciens chroniqueurs réprouvent et qu'il devait lui-même 
plus tard juger sévèrement. 

Cette vie de plaisir n'absorbait pas seulement tous ses 
gains avec une grande partie de son temps; elle l'entraînait 
tout naturellement dans un autre goût non moins commun à 
cette époque, non moins périlleux, le goût du luxé et des 
parures. Bientôt il ne trouva plus d'étoffes assez soyeuses ni 
d'habits assez élégants, et il se mit à porter les vêtements 
les plus bizarres, moins encore pour se plier aux exigences 
ou aux fantaisies de ses jeunes associés, que pour satisfaire 
cet insatiable besoin de pompe et d'opulence qui s'était 
emparé de son âme (3). 

Bernardone voyait avec peine les profusions de son fils, 
et il ne pouvait s'empêcher de lui en témoigner son mécon- 
tentement. « En vérité, lui disait-il, on te prendrait pour le 
fils d'un roi plutôt que pour le fils d'un marchand ! » Mais il 
n'osait aller plus loin, de peur de le contrister. Sa mère lui 

(1) Très socii, c. m. 

(2) Il Super omnes coœtaneos suos... incentor malorum. » (Th. de Gelano, 
Vita prima, p. 1, c. I.) 

(3) Tfi. DE Celano, Vita prima, loc. cit 



CHAPITRE PREMIER. 11 

laissait plus de liberté d'action ; quelquefois même elle pre- 
nait sa défense, et quand les amis de la famille faisaient allu- 
sion à la vie dissipée de François, elle répondait : « Atten- 
dez un peu! Pour moi, j'augure bien de lui, et je lui vois 
jusque dans ses amusements une noblesse de caractère qui 
me fait concevoir les plus belles espérances pour l'ave- 
nir (1). » Qui lui inspirait nn langage si hardi? Peut-être la 
tendresse d'une mère croyant malgré tout à l'âme de son fils 
et à l'innocence de divertissements couverts par la faveur 
publique; peut-être aussi le souvenir de la prédiction de 
l'Ange, planant comme une bénédiction du Ciel sur la vie de 
cet enfant prédestiné. 

Au fond, tous deux l'aimaient tendrement; et tout en 
regrettant ses prodigalités, ils étaient flattés de ses succès 
et de la sympathique admiration qu'il éveillait autour de 
lui. 

Nous touchons au moment où François sort de l'adoles- 
cence pour entrer dans l'âge toujours si critique de la jeu- 
nesse, et où il va être appelé à son tour à prendre sa part de la 
vie publique. Mais avant de le suivre dans ses triomphes et 
ses épreuves, arrêtons-nous un instant au seuil de cette nou- 
velle phase de sa vie, pour contempler cette figure angé- 
lique que les peintres ne se lassent pas de reproduire, comme 
les peuples ne se lassent pas de l'aimer. 

Voici le portrait que nous a laissé de lui Thomas de 
Gelano, son disciple et son confident; on y reconnaît le type 
si fin, si distingué, des populations de l'Ombrie. « Sa taille 
était au-dessous de la moyenne et bien prise. Il était maigre 
et d'une complexion fort délicate. Il avait le visage ovale, le 
front large, les dents blanches et serrées, le teint brun, les 
cheveux noirs, les traits réguliers, la figure expressive, les 

(i) Très socii, ci. 



12 SAINT FRANÇOIS D'ASSISE. 

lèvres vermeilles et le sourire charmant. Ses beaux yeux 
noirs étaient pleins de feu, de douceur et de modestie; la 
paix, l'innocence et la beauté de son âme se reflétaient sur 
son visage. A ces avantages extérieurs il joignait ces qua- 
lités qui achèvent de rendre un jeune homme aimable : un 
esprit enjoué, une imagination vive, un cœur compatissant 
et généreux. Il savait en toutes choses garder la juste mesure : 
sévère pour lui-même, indulgent pour les autres; doux et 
affable, mais en même temps actif, entreprenant et capable 
de grands desseins : nature souple et pleine de contrastes, 
d'une courtoisie toute chevaleresque, et d'une droiture de 
caractère qui ne se démentit jamais (1). » 

A un ensemble si parfait de dons naturels et de vertus 
naissantes s'ajoutait l'ascendant que donnent toujours le 
talent et la fortune. Aussi, à dix-huit ans, François exer- 
çait-il sur ses jeunes compatriotes une sorte d'empire que 
personne ne songeait à lui disputer. Ils l'avaient mis à leur 
tête : il était l'âme de leurs réunions, le héros de toutes 
leurs fêtes, leur chef dans tous les exploits aventureux; et 
la foule, qui sourit toujours aux réputations naissantes, 
l'acclamait sur son passage comme « le roi de la jeu- 
nesse (2) » . 

Chose étonnante ! Pendant cette période de son existence, 
qui va de son adolescence à sa conversion et qui ne com- 
prend pas moins de dix années (1196-1206), le fils de Ber- 
nardone est mêlé aux agitations de la foule, il respire l'en- 
cens des louanges, s'enivre des poésies du temps, trempe 
ses lèvres à la coupe d'or que lui présente le monde et où 
tant d'autres à ses côtés boivent la mort; il est dans toute 
la fraîcheur de la jeunesse et recherché de tous. Et cepen- 

(1) « Rigidus in se, pius in aliis, discretus in omnibus. » (Th. de Celano, Vila 
prima, p. 1, c. xxix.) 

(2) Wadding, t. I, p. 23. 



CHAPITRE PREMIER. 13 

daiit, il passe à travers ces périls et ces vanités sans souiller 
son âme, comme le voyagem^ qui passe à travers les préci- 
pices sans y tomber! On le voit manifester hautement son 
horreur pour les mauvaises mœurs, s'interdire toute parole 
malséante, répondre par un visage sévère aux propos licen- 
cieux de ses compagnons, et ainsi garder intact, au milieu 
d'un siècle connu pour sa corruption, l'inestimable trésor 
de la pureté. Voilà le témoignage unanime que rendent de 
sa jeunesse ses compagnons et ses premiers historiens, 
Thomas de Celano, le Frère Léon et saint Bonaventure. 
Une telle constance dans une vertu, si délicate, et surtout 
avec un tempérament si avide d'émotions et de jouissances, 
dépasse les forces de la nature; et la grandeur d'âme ou 
tout autre motif humain ne suffisent point à l'expliquer. Il 
faut donc ici, avec le Docteur séraphique, remonter jusqu'à 
Dieu, source de toute grâce, et le bénir d'avoir orné le cœur 
de l'impétueux adolescent du plus divin des privilèges, et 
son front de la plus belle des couronnes, la couronne et le 
privilège de la virginité (1). 

François trouvait d'ailleiu^s au fond de son âme un autre 
don de Dieu, qui lui servait de sauvegarde contre les 
séductions du monde et contre les tentations de la chair : 
c'était l'amour des pauvres, amour de prédilection dont il 
avait savouré les douceurs dès sa plus tendre enfance, et qui, 
grandissant avec l'âge, devait opérer tant de prodiges. Il 
chérissait les. pauvres comme ses frères, et se plaisait à leur 
faire l'aumône , surtout lorsqu'ils la demandaient pour 
l'amour de Dieu. A ces mots : « Pour l'amour de Dieu », 
son âme frémissait comme sous le coup d'un archet mysté- 
rieux, et quoique encore mondain, il se sentait profondé- 
ment remué. Une seule fois, tout absorbé par les affaires, il 

(1) » Superno sibi assistente praesidio. » (Bokav., c. i.) 



14 SAINT FRANÇOIS D'ASSISE. 

repoussa un mendiant qui pourtant avait employé la sainte 
formule. Mais aussitôt une pensée, rapide comme l'éclair, 
cruelle comme un remords, lui traverse l'esprit. « François, 
se dit-il, si cet homme s'était présenté de la part de quelque 
puissant comte ou baron, tu l'aurais accueilli avec faveur; 
et quand il t'implore au nom du Roi des rois, tu le rebutes 
ainsi ! « Et le repentir dans l'âme, les larmes dans les yeux, 
il court après le mendiant, lui met de grosses pièces d'ar- 
gent dans la main, et prend sur l'heure la ferme résolution 
de ne plus jamais refuser l'aumône, lorsqu'on la sollicitera 
pour l'amour de Dieu (1) : résolution à laquelle il demeura 
fidèle jusqu'à son dernier soupir, et qui lui valut une effu- 
sion plus abondante des grâces et des bénédictions du 
Ciel (2). C'est ainsi que, jeune encore, il avait le sens caché, 
le sens chrétien, de l'indigence, et qu'il réparait noblement 
un moment d'oubli. 

A voir ses allures chevaleresques, on eût pu croire qu'il 
était destiné à devenir le héros de quelque épopée militaire, 
et peut-être à rougir de son sang, avec les croisés, les champs 
de bataille de la Palestine, ou avec Baudoin de Flandre les 
rives du Bosphore ; mais qui eût pu pressentir qu'il dût 
être le sauveur de son siècle et le principe du plus grand 
mouvement de renaissance chrétienne qui ait été imprimé 
à l'humanité? Tels étaient pourtant les desseins de Dieu 
sur lui, et dès lors on comprend la persistance de l'in- 
tervention directe du Très-Haut en sa faveur. Ne fallait-il 
pas l'entourer de prodiges si évidemment divins qu'on ne 
pût se méprendre sur le sens de sa mission, et si éclatants 
qu'on fût obligé d'écouter sa voix ? Aussi cette intervention 
est-elle incessante : elle s'ouvre sur son berceau, se déroule 
avec les événements, et l'enveloppe comme d'une atmo- 

(1) Très socii, ci. 

(2) BONAV., CI. 



CHAPITRE PREMIER. 



15 



sphère de surnaturel. Nous l'avons admirée dans les pre- 
mières années de son enfance ; nous la retrouvons ici dans 
deux faits dont l'authenticité nous est garantie par saint 
Bonaventure et par les trois compagnons. 




Devant le temple de Minerve, à Assise, un homme inspiré de Dieu étend son 
manteau sous les pas de François. (D'après Giotto.) 

Un habitant d'Assise, homme simple et sans doute inspiré 
d'en haut, faisait au saint jeune homme une ovation dont 
on ne trouve pas d'exemple dans l'histoire. Toutes les fois 
qu'il rencontrait le fils de Bernardone dans les rues d'Assise, 
il étendait son manteau sous ses pas, en criant aux passants 



16 SAINT FRANÇOIS D'ASSISE. 

étonnés . « Vous ne sauriez rendre trop d'honneurs à ce 
jeune homme : il s'illustrera entre tous ses compatriotes, et 
sera vénéré de tous les fidèles. » Quant à François, il écou- 
tait ces paroles prophétiques, mais sans en comprendre le 
sens divin ni la portée (1). 

Vers la même époque et sous la même inspiration, un 
autre de ses compatriotes, un autre homme du peuple, 
parcourait les rues de la vieille cité en criant : « Pax et 
bonum ! Paix et bien ! » Il continua pendant plusieurs 
années cet office de précurseur et se tut après la conversion 
du Saint (2). 

Les honneurs de la prospérité sont une liqueur enivrante 
qui trouble les meilleurs esprits. Peut-être eût-elle corrompu 
aussi l'âme du pieux adolescent, si Dieu n'eût pris soin d'y 
mêler le breuvage amer, mais salutaire, de l'épreuve et de 
la douleur. 

L'épreuve fut aussi longue qu'inattendue. Elle lui vint à 
l'issue de la guerre qui éclata en 1199 entre Assise et 
Pérouse : guerre dont un écrivain moderne, suppléant au 
silence des biographes du Saint, a mis en lumière l'origine 
et les motifs, en se fondant sur les archives municipales 
d'Assise (3). 

Depuis un demi-siècle, la Péninsule était divisée en deux 
grandes factions qui se disputaient le pouvoir, les Guelfes 
et les Gibelins. Les Guelfes étaient les partisans de l'indé- 
pendance italienne et de l'autorité pontificale; ils s'ap- 
puyaient principalement sur le clergé et la bourgeoisie; et 
partout où ils étaient les maîtres, les cités s'érigeaient en 
communes imitées du municipe romain, ou plutôt en répu- 
bliques autonomes. Les Gibelins étaient les partisans des- 

(1) BONAV., C. I, 

(2) Très socii, c. viii. ., 

(3) CnisroFAm, Histoire d'Assise, liv. II, p. 84-98. 



CHAPITRE PREMIER, 



17 



Holienstauffen et du régime féodal. La ligue de Milan, la 
victoire de Legnano (1176) et la paix de Constance avaient 
assuré la prépondérance aux Guelfes, mais sans terminer la 
querelle ; les deux nationalités, malgré leurs accords par- 
tiels, restaient toujours en présence avec leurs antipathies 
originelles, leurs intérêts opposés et leurs implacables ven- 
geances. 








VUE DU CHATEAU FKODAL D ASSISE. 



, Toutes les cités de la Toscane et de l'Ombrie, érigées 
en autant de républiques sous la suzeraineté du pontife 
romain, avaient pris parti dans la querelle. Assise s'était 
rangée du côté des Guelfes. Enlevée au Saint-Siège en 
1160 par Frédéric Barberousse, elle ne supportait qu'en 
frémissant le joug de l'usurpateur. En 1177, sous les yeux 
de Conrad Liitzen, grand feudataire d'Allemagne, duc de 
Spolète et comte d'Assise, elle institua des consuls chargés 



18 SAINT FRANÇOIS D'ASSISE. 

de défendre ses intérêts. En 1198, à F avènement d'Inno- 
cent ni, elle alla plus loin : elle prit les armes, et ses milices 
assiégèrent, emportèrent d'assaut et rasèrent sur-le-champ 
la redoutable citadelle qui depuis sa fondation avait servi 
d'instrument à la tyrannie de l'étranger. Enflammée par ce 
premier succès, elle releva les remparts de la ville, convia 
tous les grands vassaux de l'empire à faire la paix avec elle, 
et les menaça, s'ils s'y refusaient, de démolir leurs châteaux 
forts. L'exécution de cette menace amena la guerre dont 
nous ignorions l'origine. Une dizaine de barons, de ceux 
qui, par esprit de caste, faisaient fi des sommations de la 
commune, se voyant chassés de leurs terres et à la veille d'une 
ruine inévitable, prirent un parti désespéré : ils se jetèrent 
dans les bras de Pérouse, la rivale séculaire d'Assise. Il n'y 
eut qu'une voix dans Assise pour blâmer leur déloyauté, 
leur félonie, et proclamer qu'il en fallait tirer une éclatante 
vengeance (1). 

Si François avait été un ambitieux, il aurait épousé la 
cause des grands feudataires , assurés de vaincre avec le 
concours de Pérouse ; mais il n'écouta que le cri du droit 
méconnu et de la justice outragée, et se rangea sous la ban- 
nière communale. 

L'an 1201, les milices d'Assise, plus braves que pru- 
dentes, sortirent de la ville, et se portèrent, enseignes 
déployées, au-devant de l'ennemi. La mêlée fut terrible ; 
mais, finalement, le sort des armes fut contraire aux défen- 
seurs de la commune d'Assise. Plusieurs d'entre eux périrent 
sur le champ de bataille ; d'autres furent faits prisonniers 
et emmenés à Pérouse. Au nombre de ces derniers il faut 
compter le fils de Bernardone, « qu'on enferma parmi les 
chevaliers, parce que, remarquent ses biographes, il avait 

(1) CuiSTOFAKi, Histoire d'Assise, loc. cit. 



CHAPITRE PREMIER. 19 

les mœurs et Fallure de la noblesse (1) » . La captivité fut 
longue : elle dura toute une année ! 

Rien n'est douloureux, à cet âge, comme la privation de la 
liberté ; rien n'est froid comme les murs d'un cachot. Aussi 
les jeunes seigneurs tombèrent-ils, dès les premières semaines 
de leur détention, dans une profonde tristesse et un irrémé- 
diable abattement. Seul, François ne perdit rien de son 
égalité d'âme et de sa franche gaieté. Il essaya même de 
relever, par ces bons mots qui lui étaient familiers, le cou- 
rage de ses compagnons d'infortune ; mais sa tentative 
n'eut pas de succès auprès de ces cœurs aigris par la défaite 
et irrités par les souffrances d'une détention dont ils n'en- 
trevoyaient pas la lîn. Ils s'offensèrent d'un entrain qui 
contrastait si vivement avec les angoisses de leur position, 
et leur mécontentement s'exhala un jour en reproches 
amers. « Je vous plains, mes amis, répliqua François; pour 
moi, je sais loin de partager votre désespoir. Aujourd'hui, 
vous me voyez chargé de chaînes ; un jour, vous me verrez 
honoré par tout l'univers (2). » Quand il parlait de la sorte, 
ce n'était point chez lui fol orgueil ou vaine ostentation ; il 
ne faisait que rappeler à leur souvenir la prédiction de ce 
vieillard d'Assise dont nous avons parlé précédemment. 

Il est probable que les jeunes chevaliers goûtèrent assez 
peu ce genre de consolation. Quoi qu'il en soit, François ne 
cessa de leur donner des preuves de l'esprit de charité qui 
l'animait, surtout dans une circonstance que ses premiers 
historiens n'ont pas manqué de relater. L'un des prison- 
niers, d'un caractère porté à la violence et encore aigri par 
le chagrin, ayant injurié ses camarades, tous le délais- 
sèrent. Notre doux adolescent les exhorta d'abord au par- 
don; puis, voyant que ses efforts n'aboutissaient à rien, il 

(1) Ti-es socii, c. ii. 

(2) Ibid., loc. cit. 



20 SAINT FRANÇOIS D'ASSISE. 

se tourna vers le coupable, lui tint compagnie, l'apaisa et 
le rendit tout à fait sociable : si bien qu'à la fin, subjugués 
partant de patience et de mansuétude, tous ses compagnons 
d'infortune lui vouèrent une estime et une affection sans 
bornes. L'an 1202, la paix fut conclue entre les deux cités 
rivales, et nos prisonniers recouvrèrent la liberté (1). 

Là se termine pour François sa vie bruyante et mondaine, 
cette vie qu'il appellera désormais sa « vie de péché » , pleu- 
rant ces années de dissipation et remerciant Dieu de l'avoir 
miraculeusement arraché aux périls du monde. 

Quelques auteurs du seizième et du dix-septième siècle, 
interprétant trop à la lettre cette expression du Saint : « Ma 
vie de péché » , ont supposé qu'il avait imité saint Augustin 
dans ses écarts, avant de l'imiter dans son retour. C'est 
là une erreur manifeste que réfutent d'avance, ainsi que 
nous l'avons déjà constaté, les assertions de ses plus anciens 
biographes , qui étaient si bien à même de le connaître. Tous 
attestent que François conserva, jusqu'à la fin de sa carrière, 
son innocence baptismale ; et le Frère Léon assure l'avoir 
appris par révélation. « Je vis en songe, raconte-t-il, notre 
Bienheureux Père debout sur la cime d'une montagne au 
milieu d'un parterre de fleurs et tenant un beau lis à la main ; 
et comme je demandais quel était le sens de cette vision, 
une voix céleste me répondit que ce lis était le symbole de 
l'angélique pureté de François (2). » 

Pureté angélique! Innocence baptismale! Que faut-il 
entendre par ces expressions? Est-ce à dire que François 
n'eut aucune imperfection, aucune défaillance? Ce serait 
une folie de le prétendre. Un seul juste, en effet, fut impec- 
cable par nature et ne tomba jamais : c'est celui devant qui 

(i) Très socii, c. ii. 

(2) Behnard DE Besse, De laudibus B, Fr., c. v, ms. de Turin; et Chronique 
des vingt-quatre généraux. — Cf. Bonav., c, v. 



' l-'-r ■ 



CHAPITRE PREMIER. 21 

tout genou doit fléchir, le Désiré des nations, le Prince de 
la paix, le Fils du Très-Haut. Une seule sainte fut impec- 
cable par privilège et n'eut aucun grain de poussière sur sa 
robe immaculée : c'est celle que tous les siècles invoquent 
sous les titres de Mère du Sauveur, de Reine des vierges, 
d'avocate du genre humain (1). Tous les autres saints ont 
hérité comme nous des suites de la chute originelle; tous, à 
moins d'un privilège exceptionnel, ont eu des tendances 
dangereuses et subi des défaites partielles, avant d'arriver 
au triomphe qui a couronné leurs combats; le fils de Bernar- 
done, comme les autres. Il a donc pu se passionner à l'excès 
pour les rêves de la gloire ou pour les plaisirs qu'il poursui- 
vait avec la fougue de ses vingt ans, sans eii soupçonner les 
périls; il a pu commettre quelques fautes légères, de ces 
fautes qui' relèvent de l'esprit plus que du cœur. Mais ce 
qu'affirment ses disciples, c'est que, jeune, il sut résister 
aux entraînements du monde, et, dans l'âge mûr, aux sollici- 
tations delà chair; ce qu'ils affirment, c'est que jamais le 
souffle du vice impur ne vint ternir « le beau lis de sa virgi- 
nité ». Il demeura toujours chaste. Ce fut son mérite, et 
c'est ce qui projette sur son visage un si doux éclat. Ce 
joyau est attaché pour toujours à sa couronne immortelle et 
marque sa place dans la famille des saints. 

Parmi tant de myriades d'élus, en effet, qui peuplent le 
ciel, il n'y a au fond que deux sortes d'âmes, les saint Jean 
et les sainte Marthe d'un côté, les saint Pierre et les sainte 
Marie-Madeleine de l'autre, c'est-à-dire les âmes pures et 
celles qui, ayant failli, se redressèrent et reconquirent dans 
les larmes de la pénitence une beauté nouvelle. Saint Fran- 
çois est du nombre des premières. Si, dans son testament et 
ailleurs, il s'accuse d'avoir dissipé la fleur de sa jeunesse 

(1) BoNW., Serm. II de B. V. 



22 



SAINT FRANÇOIS D'ASSISE. 



dans les vanités et les folies du monde, c'est qu'il parle 
la langue des saints, qui ne pleurent pas seulement leurs 
fautes, mais aussi les jours passés dans la tiédeur et l'oubli 
de Dieu. Nous tenions d'autant plus à donner dès à présent 
cette explication et à ne laisser planer aucun nuage sur 
l'intégrité des mœurs du jeune François, même au milieu 
du siècle, que la solution de ce point délicat emporte toutes 
les splendeurs de l'avenir. 

Quelle n'est pas la joie du voyageur, lorsque, après une 
nuit d'orage, il aperçoit l'aube blanchissante et les premières 
lueurs du matin! Telle et plus douce encore est notre émo- 
tion, lorsque, nous transportant par la pensée au milieu 
d'une époque si semblable à la nôtre pour les douleurs de 
l'Eglise et les crimes de la patrie, nous assistons au lever de 
ces grandes lumières que Dieu suspend au firmament de son 
Église et qu'on appelle « les Saints » . Le Patriarche d'Assise 
est une de ces lumières , la plus attrayante , la plus resplen- 
dissante du moyen âge. Quoi de plus gracieux que l'aurore 
de sa vie, ces merveilles qui entourent son berceau, cette 
pureté de son enfance et jusqu'à ces aventures de sa jeunesse, 
entremêlées de tant d'amour de Dieu et des pauvres ! Nous 
pressentons que cet astre s'élancera d'un bond dans la car- 
rière ouverte devant lui par la main du Créateur, et qu'il la 
parcourra à pas de géant. 




Médaille de VAlbei-o de Sienne. 



CHAPITRE II 

SA CONVERSION. 
(1205-1207) 



Le fils de Bernardone menait depuis plusieurs années 
cette vie de plaisirs et d'affaires qui apparaissait à la jeunesse 
d'Assise comme l'idéal du bonheur. La longue captivité de 
Pérouse avait, il est vrai, jeté une note sérieuse dans ce con- 
cert; mais, après la délivrance des prisonniers, les réunions 
et les fêtes bruyantes des Cours d'amour avaient repris leur 
entrain. Dieu, qui voulait arracher François à ce milieu frivole 
pour donner à sa vie une direction plus haute et meilleure, 
lui envoya, vers l'an 1205, une nouvelle épreuve ou, pour 
mieux dire, une nouvelle grâce, destinée à le rendre plus 
souple et plus docile à l'action de l'Esprit-Saint : la souf- 
france ! Une longue et cruelle maladie le cloua sur un lit de 
douleur, le sevra malgré lui des délices du commerce de ses 
amis et, achevant l'œuvre de séparation commencée par le 
malheur, changea le cours de ses pensées. 

Sa première sortie nous met à même de mesurer l'étendue 
de ce changement. Dès qu'il se sentit assez de force pour 
marcher, il sortit de la ville, appuyé sur un bâton. Il avait 
hâte, comme tous les convalescents, de reprendre possession 
de la vie, de la lumière et de la société des hommes; et d'ail- 
leurs, il se berçait d'une espérance qui ne nous étonne point 



24 SAINT FRANÇOIS D'ASSISE. 

chez un de ces habitants de l'Ombrie, si sensibles aux beautés 
de la nature. Il s'imaginait que l'air pur de la campagne, les 
senteurs du printemps, les riantes perspectives de la vallée, 
allaient rendre la joie à son âme et la vigueur à ses membres. 
Mais, à son grand étonnement, toutes ces magnificences 
qu'il avait tant de fois admirées, cette plaine si fertile, ces 
vignes s'enlaçant autour des ormeaux, ces bouquets d'oli- 
viers semés sur la colline, ce coucher si ravissant du soleil 
qui semble embraser «de ses feux mourants le sommet des 
Apennins, cette brise du soir si douce aux convalescents, 
tout cela lui sembla décoloré, triste et froid (1). 

Le voile était tombé : il se trouvait en face de la créature 
seule, et il en sondait avec effroi le vide et le néant. Alors, 
un sentiment inconnu pour lui, le désenchantement, envahit 
son âme, pour ne plus le quitter pendant le reste de sa pro- 
menade. Il comprit, à cette heure, que c'était folie de s'atta- 
cher à des biens si fragiles, que le cœur réclame, pour être 
heureux, un bien qui soit durable, une beauté qui ne se flé- 
trisse pas, et que ce bien, cette beauté, ne sont autres que 
Dieu. L'impression fut si vive, « qu'il s'étonnait lui-même 
du changement opéré dans le cours de ses idées. Jetant un 
regard sur le passé, il ne pouvait s'expliquer comment ses 
compagnons de plaisir et lui en étaient venus à ce point 
d'aberration de céder à la fascination des créatures et de se 
laisser prendre à ce mirage trompeur (2). » 

Cette impression ne s'évanouit pas, comme il arrive trop 
souvent, avec le retour à la santé. Elle porta ses fruits dans 
l'âme du fils de Bernardone. Il entra dès lors davantage, en 
effet, dans le sérieux de la vie, se tint plus près du cœur de 
Dieu et se pencha avec plus de tendresse vers la misère des 
pauvres, devenus ses amis privilégiés. Ayant rencontré, à 

(1) Th. de Celano, Vita prima, p. 1, c. ii. 

(2) Tii. DE Gelano, loc. cit. 



CHAPITRE II. 



2S 



quelque temps de là, un homme de guerre, noble, mais sans 
fortune et misérablement vêtu, il vit ef il aima en lui la pau- 
vreté du Christ, et avec cet élan spontané qui le carac- 
térise, il se dépouilla de ses riches habits pour l'en revêtir à 
l'instant (1). 




François voit un palais rcuipli d'armes marquées du signe de la croix. 

(D'après Giolto.) 

« Il avait imité la charité de saint Martin jetant la moitié 
de son manteau sur les épaules nues du pauvre d'Amiens; 
il mérita comme lui d'être récompensé d'un acte également 



(1) Tu. DE GELiNO, Vita secunda, p. 1, c. ii. 



26 SAINT FRANÇOIS D'ASSISE. 

méritoire par im songe prophétique (1). » « La nuit sui- 
vante (2) )' , il se trouva tout à coup transporté dans un 
magnifique palais, rempli d'armes marquées du signe de la 
croix. «Pour qui ces armes et ce palais? » demanda-t-il tout 
hors de lui. Une voix lui répondit aussitôt : « Pour toi et tes 
soldats (3)! » Dès la pointe du jour, il se leva, tout émerveillé 
de cette vision et plein de confiance dans les promesses du 
Seigneur; mais, encore novice dans les voies mystérieuses 
de la grâce, il ne rêvait que hrillantes prouesses et hardis 
coups de main (4). Les circonstances semblaient, du reste, 
favoriser ses espérances et ses goûts belliqueux. C'était 
en 1205. La lutte séculaire entre les Guelfes et les Gibelins 
venait de se raviver au sud de la péninsule Italique, où Gau- 
thier m, comte de Brienne, surnommé par ses contempo- 
rains le gentil comte, c'est-à-dire le courtois et noble comte, 
revendiquait au nom de sa femme la principauté de Tarente, 
et au nom d'Innocent III la tutelle du jeune Frédéric II et le 
royaume de Sicile usurpé par deux aventuriers allemands, 
Markwald et Thiébaud. Le héros français y continuait avec 
succès une campagne inaugurée parla prise de Capoue, de 
Lecce (1201), de Barletta (1202); la victoire, fidèle à son 
drapeau, donnait une sorte de consécration à ses droits, et 
dans les provinces du nord aussi bien que dans celles du 
midi, tous les esprits soucieux de l'honneur national faisaient 
des voeux pour le triomphe de ses armes. Dès le principe, 
toutes les sympathies de François avaient été, nous l'avons 
vu, pour la cause pontificale; en 1205, après la symbolique 
vision du palais, il résolut d'y apporter un concours actif. 
La cause de Gauthier n'était-elle pas celle du droit et de la 



(1) Tir. DE Celano, Vita secunda, p, 1, c. ii. 

(2) BONAV., c. I. 

(3) Tu. DE Gelano, Vita secunda, p. 1, c. ii. 

(4) Id., ib. — Cf. Vita prima, p 1, c. ii; et Très socii, c. ii. 



CHAPITRE II. 27 

liberté? L'avenir n'était-il pas à lui? Et dès lors, quelle 
gloire de combattre sous les ordres du plus loyal des gen- 
tilshommes et d'être armé chevalier de sa main! Ainsi pen- 
sait le fils de Bernardone. Ayant appris qu'un des plus 
illustres chevaliers d'Assise allait offrir son épée au comte 
de Brienne, il sollicita l'honneur de le suivre, et partit avec 
lui, en brillant équipage, son petit bouclier de page au bras, 
pour rejoindre l'armée pontificale dans la Fouille. Il débor- 
dait de joie, annonçant à sa famille et à ses amis qu'il devien- 
drait un grand prince (1). 

Sa chevauchée ne fut pas longue. Il fut arrêté à Spolète, 
c'est-à-dire, à une douzaine de lieues seulement d'Assise, 
par un nouveau songe qui lui expliqua le sens allégorique du 
premier. Dans un demi-sommeil, il entendit une voix céleste, 
la même qu'il avait entendue à Assise, lui dire à l'oreille : 
« François, lequel des deux peut te faire le plus de bien, du 
maître ou du serviteur, du riche ou du pauvre? — C'est le 
maître et le riche, répondit-il. — Pourquoi donc, reprit la 
voix, délaisses-tu Dieu, qui est le maître et le riche, pour 
courir après l'homme, qui n'est que le serviteur et le pauvre?» 
Et François de s'écrier : « Ah! Seigneur, que voulez-vous 
que je fasse? — Va, poursuivit la voix, retourne dans ta 
ville natale, où tu apprendras ce que tu dois faire ; car c'est 
dans un sens spirituel qu'il faut entendre la vision que tu as 
eue (2). » François, comme Saul, fléchit sous le glaive du 
saint amour. Sa réponse est identique à celle du grand 
Apôtre; sa récompense sera la même. 

Dès les premières lueurs de l'aube, le saint jeune homme, 
renonçant à son voyage dans la Fouille, quitta Spolète en 
toute hâte et reprit le chemin d'Assise, sans nul souci des 

(1) « Scio me magnum principem affuturum. » (^Tres socii, c. ii.^ — 
Th. de Gelano, Vita prima, p. 1, c. ii. 

(2) Très socii, c. ii. — Cf. Tii. de Celano, Yita secunda, p. 1, c. ii. 



28 SAINT FRANÇOIS D'ASSISE. 

jugements du monde et sans autre préoccupation que d'exé- 
cuter les ordres du Très-Haut. A son retour, ses compa- 
gnons de plaisir, non moins joyeux que surpris et ne soup- 
çonnant aucun changement dans ses idées, vinrent le prier 
d'être, comme parle passé, l'ordonnateur de leurs fêtes. Il les 
accueillit avec sa courtoisie habituelle, et les réunit dans un 
festin qui devait être le dernier. Il les traita avec une magni- 
ficence princière ; mais le sourire de la joie ne fit qu'effleurer 
ses lèvres : son coeur était plus haut. Après le repas, ils s'en 
allèrent riant et devisant à travers les rues de la ville ; le 
roi de la fête, François, marchait derrière eux, le bâton du 
commandement à la main, l'âme plongée dans une profonde 
rêverie. Soudain les nues se déchirent, et l'Esprit de Dieu 
fond sur lui, comme la trombe fond sur le vaisseau qu'elle 
surprend. La vision céleste l'inonde d'une lumière si douce 
et si forte, qu'il demeure sans voix et sans mouvement. Il 
raconta lui-même dans la suite que, durant cette extase, on 
eût mis tout son corps en lambeaux qu'il n'en eût rien senti, 
tant son âme était ravie en Dieu ! Ses compagnons, le voyant 
immobile, s'approchèrent de lui avec frayeur; mais bientôt, 
lorsqu'il eut repris ses sens, ils continuèrent leur frivole con- 
versation et lui dirent en plaisantant : « Où donc avais-tu 
l'esprit? Est-ce que tu songeais à prendre femme? — Oui, 
répondit-il gravement, je veux prendre une épouse, mais la 
plus riche, la plus noble, la plus belle qui fut jamais (1) ! » 
Il avait en pensée la Pauvreté de l'Évangile, « restée veuve » 
depuis que son premier Epoux était monté sur le gibet du 
Calvaire (2). 

C'était là la fiancée dont l'Esp rit-Saint venait de lui décou- 
vrir l'incomparable beauté! C'était là l'épouse mystique, 
trop longtemps méprisée du monde, à laquelle François 

(1) Très SQcii, c. m; et Tii. de Celano, Vita secunda, p. 1, c. m. 

(2) Dante, Paradis, ch. xi. 



CHAPITRE II. 29 

allait s'unir par des nœuds sacrés et indissolubles, pour en 
faire son unique compagne, sa dame et sa souveraine! 

Alors il dit adieu aux vanités du siècle et abandonna les 
soucis du négoce paternel. Il éprouvait ce besoin de fuir le 
tumulte des affaires, cette nécessité de se rej^lier sur soi, 
qui se rencontrent daiis toute existence tourmentée, après 
les grands coups de la grâce comme après les grands deuils 
delà vie. Une grotte sauvage du mont Soubase, aux envi- 
rons d'Assise, lui offrit ce qu'il cherchait, l'ombre, le silence 
et le recueillement. Il s'y cacha pendant un mois. Là, seul 
avec Dieu, il le conjurait avec larmes de lui pardonner les 
années d'oubli de sa jeunesse et de diriger désormais ses pas 
dans les droits sentiers de la perfection. Quand il sortait de 
cette caverne, il était pâle et défait, comme s'il se fût livré 
à un travail au-dessus de ses forces. En revanche, son âme 
était remplie d'une joie qu'il épanchait quelquefois, en mots 
voilés, dans le sein d'un ami, un des jeunes gens de son âge, 
le seul qui lui fût resté fidèle. « J'ai trouvé un trésor, lui 
disait-il, j'ai trouvé un trésor. « Ce trésor, dont il n'indiquait 
pas la nature, c'était cette perle précieuse dont il est parlé 
dans l'Évangile et pour laquelle on doit abandonner tout le 
reste : c'était le royaume de Dieu, perle immatérielle dont 
l'éclat cajDtivait le regard de son âme, et qu'il tenait en si 
haute estime que, pour l'acheLer, il se sentait prêt à tout 
vendre, atout sacrifier. Seulement, il ne savait comment en 
acquérir la possession, et il priait (1) ! 

C'est une loi de l'ordre surnaturel que, lorsque Dieu 
admet une âme aux joies de ses communications intimes, il 
permette aussi aux anges dès ténèbres de s'approcher d'elle 
pour la tenter : loi rigoureuse, mais parfaitement sage, qui 
fait de la lutte l'indispensable élément de la victoire, agran- 

(1) Th. de Celano, Vita prima,/^. 1, c. m. 



30 SAINT FRANÇOIS D'ASSISE. 

dit le champ de la liberté humaine et a pour but derétabhr 
dans le cœur de l'homme, en le purifiant, l'équilibre rompu 
par le péché. Saint François ne fait point exception à la 
règle. Favorisé de la visite des an(jes, il fut immédiatement 
exposé aux assauts des démons, qui entreprirent, pour ainsi 
dire, une lutte corps à corps avec lui, pour le ramener sous 
ce joug- du monde qu'il venait de secouer. Tantôt ils lui rap- 
pelaient à l'esprit ce qui pouvait l'enchanter, ces fêtes, ces 
heures de délices où il était le roi de la jeunesse (et l'on sait 
la puissance de pareils souvenirs sur une imagination de 
vingt ans) ; tantôt ils le menaçaient de le rendre laid et dif- 
forme. Il sut résister à la violence de leurs attaques et ne se 
laissa détourner ni par leurs infâmes suggestions, ni par 
leurs menaces, de la poursuite de ses généreux desseins (1). 
A cette victoire sur le génie du mal succéda une appari- 
tion qui fut comme la récompense]de la prière persévérante 
du jeune pénitent. « Un jour qu'il redoublait de ferveur et 
qu'il était tout abîmé en Dieu, le Sauveur lui apparut 
attaché à la croix. A cette vue, le coeur de François se fon- 
dit de douleur et d'amour, et le souvenir de la Passion s'im- 
prima si avant dans son âme, qu'à dater de ce jour, à la 
seule pensée de Jésus crucifié, il ne pouvait retenir ses 
larmes et ses sanglots, comme il l'avoua lui-même à ses 
confidents vers la fin de sa vie (2). » 

Cette troisième apparition marque une dernière étape 
dans les progrès d'une conversion qui commence avec la 
vision du Palais, continue avec celle de la Pauvreté et 
s'achève ici. Aux rayons des divines clartés, François entre- 
voit sous les traits de Jésus souffrant l'idéal de toute gran- 
deur; il comprend que la perfection chrétienne consiste à 
suivre, d'un pas résolu, le Rédempteur gravissant la cime 

(1) Très socii, c. iv; et Tu. de Gelano, Vita secunda, p. 1, c. v. 

(2) Légende des trois compagnons, c. iv; et Bonav., c. ii. 



CHAPITRE II, 3i 

du Calvaire, sans jamais le laisser seul sous le pesant far- 
deau de sa croix, et il se met généreusement en marche. 

Un nouvel horizon s'ouvrait devant lui. Dès lors, nous le 
voyons sortir plus souvent de sa caverne, tantôt pour dis- 
courir des choses du ciel avec son unique ami, tantôt pour 
se livrer aux oeuvres de charité. Distribuer aux pauvres de 
l'argent, des vivres et jusqu'à ses propres vêtements ; com- 
patir à leurs peines, jusqu'à n'en renvoyer aucun sans l'avoir 
consolé ; secourir avec une délicatesse exquise les prêtres 
indigents ; décorer les autels délaissés : voilà quelles étaient 
ses occupations et ses délices ! Il était vraiment le père, le 
patriarche des pauvres, selon la belle expression de saint 
Bonaventure. En l'absence de son père, il chargeait la table 
de pains à l'heure des repas ; et comme sa pieuse mère lui 
demandait un jour : « Pour qui tant de provisions? — Mère, 
répondit-il avec un sourire angélique, c'est pour les pauvres 
de Dieu ; car je les porte tous dans mon cœur ! » Et Pica, 
heureuse et attendrie, attachait sur son fils des regards 
pleins de complaisance (1). 

Cependant, toutes ces bonnes œuvres, si excellentes 
qu'elles fussent, ne réalisaient pas encore l'idéal qu'il s'était 
fait de la perfection chrétienne, et n'apaisaient pas sa soif 
de dévouement. Il était résolu, affirment ses biographes, à 
se vaincre lui-même et à s'essayer, dans une ville « où le 
nom de sa famille serait inconnu (2) « , à la vie de dénue- 
ment et de privations qu'il rêvait. Mais où et comment?... 
Réflexion faite, Rome lui parut le théâtre le plus propice à 
ses desseins. Il annonça donc à sa famille, qui n'en manifesta 
aucun étonnement, son projet de faire un pèlerinage au 
tombeau des Apôtres, et se mit en route. Arrivé dans la Ville 
éternelle, il courut immédiatement se prosterner sur le pavé 

(1) Très socii, c. m. 

(2) « ïanquùui incognitus. » [Très socii, \oc. cit.) 



32 SAINT FRANÇOIS D'ASSISE. 

de Saint-Pierre et y pria longtemps. S'étant relevé, il 
remarqua avec peine combien étaient chétives les offrandes 
des pèlerins pour l'achèvement de ce majestueux édifice. 
« Eh quoi! s'écria-t-il, la dévotion s'est-elle donc refroidie à 
ce point? Comment les hommes ne s'offrent-ils pas eux- 
mêmes, dans un sanctuaire où reposent les cendres du Prince 
des Apôtres? D'où vient qu'ils n'ornent pas avec toute la 
magnificence possible cette pierre sur laquelle Jésus-Christ 
a fondé son Église? » Et puisant l'argent à pleines mains 
dans son aumônière, il le jeta sur le marbre du tombeau (1). 
Trois siècles après, un de ses fils spirituels, le pape Sixte- 
Quint, devait réaliser ses vœux, et donner à la reine des 
basiliques son dernier couronnement. 

Au sortir de la basilique, François aperçut une multitude 
de pauvres qui imploraient la charité des fidèles. Il courut 
se joindre à eux, échangea ses vêtements contre les haillons 
du plus nécessiteux, et resta jusqu'à la fin du jour sur les 
degrés du portique, demandant l'aumône en français (2). 
Un acte si héroïque arrache à la grande âme de Bossuet ce 
cri d'admiration : « Ah ! que François commence bien à 
faire profession de la folie de la croix et de la pauvreté évan- 
gélique (3) ! » 

Le lendemain, le pieux pèlerin reprit la route del'Ombrie 
et regagna promptement Assise. C'est là que le Sauveur 
l'attendait pour lui manifester clairement sa vocation ; car, 
par une condescendance rare, même dans la vie des saints, 
il daignait se faire lui-même le précepteur et le guide de 
François dans les voies spirituelles. L'heureux disciple, de 
son côté, ne consultait que ce maître des maîtres ; et sachant 
qu'il n'est pas bon de révéler les secrets du grand Roi, il ne 

(1) Très socii, c. m. 

(2) Ibid. 

(3) Panégyrique de saint François d'Assise. 




A genoux devant l'autel de saint Damicn, François écoute le Christ, qui lui dit 
de réparer son Ejjlisc. (D'après Giotto.) 



34 SAINT FRANÇOIS D'ASSISE. 

les dévoilait à personne, excepté toutefois à l'évêque d'As- 
sise, son Père spirituel et le directeur de sa conscience (1). 

Un matin qu'il se promenait sous les murs d'Assise, il 
entra, poussé par un mouvement de l'Esprit-Saint, dans 
l'église Saint-Damien, église antique et délabrée qui mena- 
çait ruine. Là, seul, à genoux devant une peinture byzan- 
tine représentant Jésus en croix (2), il prononça cette belle 
prière, qu'il répéta souvent depuis : « Grand Dieu, plein de 
gloire, et vous. Seigneur Jésus, je vous supplie de m'éclai- 
rer, de dissiper les ténèbres de mon intelligence et de m'ac- 
corder une foi pure, une ferme espérance et une parfaite 
charité. Faites, ô mon Dieu, que je vous connaisse si bien 
que je n'agisse jamais que selon vos lumières et conformé- 
ment à votre sainte volonté. » 

Il disait, et, les yeux baignés de larmes, il contemplait 
amoureusement l'image du Sauveur, quand tout à coup le 
Christ s'anime et lui adresse par trois fois ces mystérieuses 
paroles : « Va, François, et répare ma maison, que tu vois 
tomber en ruine (3). » Il ne peut douter que cette voix ne 
soit partie du ciel; mais sous le coup d'une émotion dont il 
n'est pas maître, il demeure quelque temps immobile, 
éperdu, pâle d'effroi : tant il est naturel à l'homme déchu 
d'avoir peur de Dieu ! Revenu à lui et prenant à la lettre les 
ordres du Tout-Puissant, il sort en toute hâte pour les 
mettre à exécution. A la porte de l'église, il rencontre le 
prêtre qui la desservait, don Pietro (c'est le nom que lui 
donne Wadding) : « Don Pietro, lui dit-il en lui présentant 
sa bourse, prenez cet argent pour acheter de l'huile, et 
entretenez une lampe devant l'image du Christ (4). » Et 
sans lui donner d'autre explication, il s'en va, rentre à la 

(1) Trex socii, c. m. 

(2) C'est une toile appliquée sur bois. 

(3) Très socii, c. v; et Tu. de Celano, Vita secunda, p,A, c. vi. 

(4) Très socii, c. v. 



CHAPITRE II. 35 

demeure paternelle, saisit un paquet d'étoffes précieuses, 
monte à cheval, court à Foligno, y vend cheval et marchan- 
dises, et rapporte aux pieds du prêtre le produit de cet 
« heureux négoce (1) «. 

Le chapelain accéda au désir que lui témoigna François 
de demeurer quelques jours chez lui ; mais redoutant la 
colère de Bernardone, il refusa l'offrande du jeune homme. 
Et le saint, ne faisant pas plus de cas de cet or, devenu 
inutile, que de la poussière du chemin, le jeta avec mépris 
sur un des meubles du sanctuaire (2). 

Les âmes qui aspirent à la perfection et se proposent de 
se consacrer à Dieu doivent s'attendre à voir toutes les 
puissances de ce monde et de l'enfer se soulever contre 
elles. La persécution s'attache immédiatement à leurs pas 
et semble être devenue leur apanage naturel; mais, ajoutons- 
le tout de suite, elle devient en même temps un de leurs 
plus beaux titres d'honneur : n'est-elle pas un héritage 
sacré, l'héritage du Calvaire ? Cette nouvelle gloire ne man- 
quera pas au fils de Bernardone, et elle lui viendra d'abord 
de sa propre famille. 

Pierre Bernardone était absent depuis plusieurs mois 
pour ses affaires commerciales. Apprenant, au retour de 
son voyage, la conduite, les aumônes et surtout le brusque 
changement de vie de son fils aîné, il fut outré d'indignation 
et courut sur-le-champ à Saint-Damien avec quelques-uns de 
ses amis. Au bruit de leurs pas et de leurs voix menaçantes, 
François, encore peu aguerri dans ce genre de combats, eut 
peur : il s'enhiit et se cacha dans la chambre de son hôte (3). 
Après leur départ, il alla se réfugier dans une caverne, 
sans doute celle que lui rendait chère et sacrée l'apparition 

(1) BONAV., C. II. 

(2) Très socii, c. vi. 

(3) Tu. DE Celako, Vita prima, p. 1, c. v. 



36 SAINT FRANÇOIS D'ASSISE. 

de Jésus en croix. L'antre obscur qui l'abritait n'était connu 
de personne, excepté d'un des serviteurs de la maison, qui 
lui portait chaque jour en secret les aliments nécessaires; en 
vertu de quels ordres? Les biographes ne le disent pas. 
Mais comment s'y méprendre et ne pas saluer, derrière le 
visage du serviteur dévoué, la suave et fortifiante image de 
celle qui l'envoie, l'oeil vigilant d'une mère, le cœur tendre 
et compatissant de Pica? A part cette visite furtive, une 
solitude absolue enveloppait de son ombre les journées du 
jeune fugitif, qui, pendant un mois, n'osa sortir de sa prison 
volontaire. 

La solitude est une puissante éducatrice ; elle rapproche 
de Dieu, épure le cœur, trempe le caractère et prépare la 
race des vaillants. Elle fut pour le fils de Bernardone le 
seuil de l'action. Il en sortit transformé, se reprochant tout 
haut ce qu'il nommait « sa couardise et sa lâcheté », et 
décidé à prendre sa revanche, c'est-à-dire, à remplir coûte 
que coûte, sans se laisser arrêter par les oppositions du 
siècle, la mission dont il avait conscience d'être investi (1) : 
semblable au soldat qui, après avoir réparé ses forces, 
reprend les armes et recommence la lutte avec une nou- 
velle ardeur. Il reparut donc dans Assise, le visage pâle 
et défait, les joues creusées par ses pleurs continuels, 
mais sans crainte, le cœur haut et fier, avec l'énergie 
d'un preux chevalier du Christ. A son aspect, la foule 
s'arrêta, muette d'abord d'étonnement et de pitié; puis, 
aussi mobile que les flots de la mer, éclatant tout d'un 
coup en murmures, en railleries, en rires méprisants, 
elle jeta des pierres à cette idole qu'elle avait naguère por- 
tée sur le pavois et que la veille encore elle adorait. « Il 
est fou! » cria-t-on de toutes parts. inconstance de la 

(1) Tu. DE Celano, Vita prima, ip. i, c, v; et Très socii, c, vi. 



CHAPITRE II. 37 

faveur populaire! Et, chose navrante à redire! au premier 
rang des insulteurs du saint jeune homme se trouvaient ses 
anciens compagnons de plaisir. Pour lui, il poursuivait 
tranquillement son chemin au milieu de ces huées, répon- 
dant aux acclamations par le silence, aux injures par le par- 
don, à la haine par l'amour. Il était fou, non de la manière 
qu'on pensait, mais de cette sublime folie de la croix qui a 
sauvé le monde (1). 

Bernardone ne tarda pas à être informé de ce qui se pas- 
sait. Cette nouvelle fut pour lui comme un coup de poi- 
gnard, et cela se conçoit. Un père est chatouilleux à l'excès 
sur tout ce qui touche à l'honneur de ses enfants; comment 
supporterait-il qu'ils soient tramés dans laboue et deviennent 
l'objet de la risée publique? Bernardone accourt donc sur la 
place, mais avec tous ses préjugés : il ne vient pas pour 
défendre son fils et l'arracher à cette sorte d'émeute, mais 
pour mettre un terme à ce qu'il nomme un scandale. L'oeil 
en feu, les lèvres frémissantes de colère, il se jette sur lui, 
l'accable de coups et de reproches, sans garder aucune 
mesure, le somme, au nom de l'autorité paternelle, de 
cesser enfin de pareilles extravagances ; et le voyant insen- 
sible aux menaces comme aux prières, il l'entraîne à la 
maison, l'enferme dans un obscur cachot et jure de l'y lais- 
ser jusqu'à ce qu'il ait changé de vie (2). Les compagnons 
du Saint, qui laissent percer une vive émotion en racon- 
tant cet acte de violence, ajoutent que toutes ces rigueurs 
n'aboutirent qu'à un seul résultat : affermir et faire éclater 
la vertu du jeune captif. A tous les outrages de son père, 
il n'opposa, en effet, qu'une douceur inaltérable, heu- 
reux de souffrir pour la justice, uniquement désireux d'ac- 
complir l'œuvre de Dieu, et se contentant de répéter pour 

(1) Th. de Cklano, Vita prima, p. 1, c. v. 

(2) Très socii, c. vi. 



38 SAINT FRANÇOIS D'ASSISE. 

sa défense ce que le Prince des Apôtres avait répondu aux 
magistrats de Jérusalem : « Il vaut mieux obéir à Dieu 
qu'aux hommes. » 

Nous ignorons combien de temps dura sa captivité (il est 
probable qu'elle ne se prolongea pas au delà d'un ou deux 
mois); mais nous savons comment la Providence y mit fin. 
Pica, silencieuse et désolée, souffrait autant que son fils des 
mauvais traitements qu'on lui infligeait. Usant de ce pou- 
voir de médiation qui dans la famille appartient naturelle- 
ment à la mère, elle tenta d'amener une réconciliation entre 
deux êtres qu'elle chérissait également. L'entreprise était 
difficile. Le premier des deux auquel elle s'adressa, Bernar- 
done, ne voulut rien entendre. Rebutée de ce côté, elle ne 
perdit pas courage et se tourna vers le pauvre prisonnier. 
Profitant un jour de l'absence de son mari, elle pénètre 
dans le cachot, s'assied aux côtés de François et cherche, 
dans un long entretien et par les motifs les plus pressants, 
à le déterminer à rentrer dans la vie de famille. Elle déploie 
toutes les ressources de la tendresse maternelle ; mais larmes 
et caresses, tout est inutile, et le jeune prisonnier lui oppose 
victorieusement la volonté du Très-Haut manifestée par les 
paroles du crucifix miraculeux. A la fin, comprenant, avec 
ce tact et cette rapidité d'intuition dont le Créateur a doté 
la femme, qu'elle a devant elle une vocation évidemment 
surnaturelle, et pensant qu'il serait impie d'aller contre les 
desseins de Dieu, elle prend une décision aussi sage que 
hardie : elle brise les liens du captif, lui ouvre les portes de sa 
prison, et, après l'avoirtendrement embrassé, le laisse suivre 
en toute liberté la voie extraordinaire où Dieu l'appelle (1). 

Elle avait agi en mère, et en mère chrétienne. 

François rendit grâces à Dieu de sa délivrance, remercia 

(1) Très socii, c. vi. 



CHAPITRE II. 39 

Pica, qui en avait été rinstrument, et retourna sur l'heure 
à l'église de Saint-Damien. Pierre Bernardone, à son retour, 
se répandit en sanglants reproches contre sa femme. « Pour- 
quoi soutenir votre fils? s'écria-t-il. Il ruine notre maison 
par ses prodigalités et la déshonore par ses folies! J'irai 
moi-même le chercher et le ramènerai parmi nous, ou le 
chasserai du pays. » Et il courut tout en colère à Saint- 
Damien. Ainsi, par un contraste qui n'est que trop fréquent, 
lui qui avait fermé les yeux sur les profusions de François 
encore mondain et qui lui avait permis de s'équiper bril- 
lamment pour aller guerroyer au loin sous les ordres du 
comte de Brienne, ne pouvait souffrir que ce même fils, une 
fois converti, fît des aumônes, ni qu'il se consacrât au ser- 
vice de Dieu ! 

Le saint jeune homme ne s'enfuit pas cette fois; il se pré- 
senta bravement devant son père, écouta ses plaintes et lui 
répondit avec une respectueuse fermeté : « Trêve aux" 
injures et aux menaces! Je les compte pour rien et suis prêt 
à tout souffrir pour le nom de Jésus-Christ. » Bernardone, 
le voyant inébranlable dans ses résolutions et semblable au 
rocher contre lequel les vagues de la mer viennent se briser 
inutilement, ne songea plus qu'à rentrer en possession du 
prix des étoffes et du cheval. Il retrouva l'argent sur le 
meuble où François l'avait jeté, le saisit d'une main avide 
et s'en retourna, le dépit dans l'âme, furieux de n'avoir 
réussi qu'à moitié. Chemin faisant, le démon de la cupidité 
lui suggéra la pensée d'arracher à ce fils rebelle une renon- 
ciation complète et juridique à sa part d'héritage; et Ber- 
nardone, cédant à cette tentation, alla porter plainte contre 
lui, d'abord devant les magistrats dont François déclina la 
compétence, puis devant l'évêque d'Assise (1). 

(1) Très socii, c. vi. 



40 SAINT FRANÇOIS D'ASSISE. 

L'évêque, qui était alors don Guido Secondi, cita le pré- 
tendu coupable à son tribunal. François respectait trop 
l'autorité pour résister un seul instant à pareille sommation. 
« Oui, répondit-il aux envoyés, j'irai trouver l'évêque, 
parce qu'il est le père et le pasteur des âmes. » Le digne 
prélat, qui avait eu plus d'une fois l'occasion d'apprécier le 
mérite et les vertus de l'accusé, le reçut avec la bonté d'un 
père bien plus qu'avec la sévérité d'un juge. « Mon fils, lui 
dit-il, ton père est grandement irrité contre toi. Si tu veux 
servir Dieu et accomplir toute justice, rends-lui l'argent qui 
lui. appartient. Aie confiance en Dieu, agis francliement, ne 
crains pas. Dieu sera ton aide et daignera pourvoir à tes 
besoins, pour le bien de son Église. » Encouragé par ces 
paroles, François se lève; et dans un transport de ferveur, 
comme enivré de l'Esprit-Saint, il réplique en ces termes : 
« Seigneur évêque, je rendrai à mon père tout ce qui est à 
lui, et même les vêtements que je porte. » Aussitôt il se 
retire dans une chambre voisine, se dépouille de ses liabits 
et revient, la chair recouverte seulement d'un ciliée , les 
déposer aux pieds du prélat; puis il s'écrie d'un ton inspiré 
qui fait tressaillir tous les assistants : « Ecoutez et compre- 
nez : jusqu'à ce jour j'ai appelé Pierre Bernardone mon père ; 
désormais je puis dire hautement : Notre Père qui êtes aux 
cieux, dans le sein duquel j'ai déposé tous mes trésors et 
placé toutes mes espérances (1). » 

Les témoins de cette scène ineffable pleuraient d'atten- 
drissement et d'admiration. L'évêque était, lui aussi, visi- 
blement ému, et de grosses larmes coulaient sur son visage. 
Il descendit de son siège, couvrit de son manteau la sublime 
nudité du Saint, et lui ouvrant ses bras, le tint longtemps 
pressé sur sa poitrine. Gomme la mère de François, il com- 

(1) Très socii, c. vi. 



CHAPITRE IL 



41 



prit, en présence d'un sacrifice si héroïque, que Dieu con- 
duisait ce jeune homme par des voies extraordinaires ; il 
l'assura de son dévouement et de sa protection, et lui promit 
une large part dans ses affections. 

On apporta le manteau d'un pauvre paysan qui était au 
service de l'évêque; François l'accepta avec reconnaissance, 
y traça une croix blanche avec du mortier, et s'éloigna, 




En présence de l'évêque d'Assise, François renonce à l'héritage paternel. 

(D'après Giotto.) 



dépouillé de tout, le plus pauvre, mais aussi le plus joyeux 
des hommes, heureux de n'avoir d'autre bien que Dieu, de 
n'attendre rien que de Dieu, de ne rien recevoir que pour 
l'amour de Dieu (1)! « Oh! la belle banqueroute que fait 
aujourd'hui ce marchand ! homme digne d'être écrit dans 
le livre des pauvres évangéliques et de vivre dorénavant sur 
les fonds de la Providence (2) ! » 

C'était au mois d'avril 1207. François avait alors vingt- 

(1) Très socii, c. vi ; et BoNW., c. ii. 

(2) BOSSUET. 



42 



SAINT FRANÇOIS D'ASSISE. 



cinq ans (1) : vingt-cinq ans, c'est-à-dire l'âge où l'homme 
prend possession de lui-même, l'âge des courageuses réso- 
lutions et des sacrifices irrévocables ! 

(1) Bernard de Besse, de Laudibus B. Fr.,Ms. de Turin; Jourdain de Giano, 
Chi-onique, p. 2; et Vincent de Beauvais, Miroir historique. 




^^l/^^ru/ 



La cordelicrc de sainl François et le vol du cygne. 
(Château de Blois.) 



CHAPITRE III 

SA VOCATION. 
(1206-1209) 



Libre de toute entrave, joyeux comme le passereau 
échappé au filet du chasseur, François cherchait les lieux 
solitaires pour mieux entendre la voix de Celui qui l'appe- 
lait. Il parcourait les bois et les montagnes situés au nord 
d'Assise; et sous l'action du feu divin qui l'embrasait, sou- 
vent il chantait. Il était beau de l'entendre alterner des 
cantiques français avec ce cri de reconnaissance du saint roi 
David : « Merci, mon Dieu, d'avoir rompu mes chaînes ! 
Je vous offrirai en retour un sacrifice de louanges et bénirai 
votre saint nom (1). » Des voleurs le rencontrèrent et lui 
demandèrent : « Qui es-tu? — Je suis le héraut du grand 
Roi «, répliqua-t-il avec un accent prophétique. « C'est un 
pauvre fou! « crièrent ensemble les bandits ; et après l'avoir 
cruellement battu, ils le jetèrent dans une fosse remplie de 
neige , et lui adressèrent cet adieu ironique : « Reste là, 
chétif héraut de Dieu ! » Les voleurs une fois partis, il sortit 
de la fosse, tout rayonnant d'allégresse, et reprit ses chants 
et ses prières (2). 

Il alla frapper à la porte d'un monastère voisin, y 

(1) Ps. cxv. 

(2) Th. de Gelano. Vita prima, p. 1, c. vu. 



44 SAINT FRANÇOIS D'ASSISE. 

demanda l'aumône et y demeura quelques jours, employé 
aux plus vils offices de la cuisine. De là il se rendit à Gubbio, 
où l'un de ses amis de jeunesse, — dont les archives de cette 
ville nous livrent le nom, Frédéric Spadalunga (Longue- 
Épée) (1), — prenant en pitié sa misère et ses haillons, lui 
donna le costume ordinaire des ermites : une tunique courte, 
une ceinture de cuir, des souliers et un bâton (2). C'est sous 
cet habit de pénitence qu'il se consacra, l'espace de deux 
ans, au service des déshérités de la terre et surtout des 
lépreux. 

Aujourd'hui que la lèpre reparaît et sévit avec une nouvelle 
fureur sur plusieurs points du globe, à Lahore, à Cuença, 
aux îles Molokaï, il ne sera pas sans intérêt d'examiner sous 
quel point de vue le moyen âge envisageait ce fléau et ce 
qu'il tenta pour le conjurer (3), 

Cette horrible maladie, qui recouvre de pustules et 
d'écaillés sanglantes tout le corps de ses victimes , revêtait 
alors un double caractère : elle était à la fois contagieuse et 
sacrée; contagieuse, par suite d'un mystérieux arrêt de la 
justice divine; et sacrée, à cause du rôle symbolique qu'elle 
joue dans l'Ancien et le Nouveau Testament. Isaïe n'avait-il 
pas représenté le Messie comme un lépreux frappé de Dieu 

(1) Archives de la cathédrale de Gubbio. V. Lipsin, Comp. liist. S. Fr. et 
Annales franciscaines, juillet 1891. 

(2) Th. de Celano, Vita prima, p. 1, c. vu. 

(3) Que n'ont pas dit Michelet et les romanciers de son école sur la lèpre et, à 
propos de la lèpre, contre le catholicisme, qu'ils déclarent responsable desravajjes 
de ce fléau? Peintures fantaisistes, accusations mensongères, qu'un érudit impar- 
tial, Abel Lefranc, vient de mettre à néant par la simple publication des statuts 
de la maladreric de Noyon au treizième siècle {^Mémoires de la Société acadé- 
mique de 5atHf-ÇueH<Ju), analysés dans l'Univers, n" du 11 mars 1890! « On 
s'est plu, écrit-il, à représenter les léproseries comme un séjour effrayant où ne 
vivaient que des malheureux soumis aux règles les plus dures et les plus impi- 
toyables... Leur situation ne fut ni si sombre ni si terrible. » Elle était même 
souvent enviée! Les faits sont une réponse excellente aux calomnies de la libre 
pensée; mais les saint François, les saint Louis, les Damien de Veuster y ont 
opposé une réfutation plus éloquente encore, celle d'un dévouement aussi persé- 
vérant que désintéressé. 



CHAPITRE III. 45 

et humilié? Et le Messie lui-même , durant sa vie mortelle, 
n'eut-il pas pour les lépreux la plus prévenante tendresse? 
Crainte et vénération, tels sont les deux sentiments dont 
s'inspirèrent ces siècles de foi. Le sentiment de répulsion 
qu'inspire naturellement la vue des plaies de ces infortunés 
faisait place à une sorte de dévotion puisée aux divines clar- 
tés de la religion. On les appelait les malades du bon Dieu, 
les pauvres du bon Dieu. 

Ces grands maudits du paganisme étaient devenus , au 
soleil de l'Europe chrétienne, une caste bénie, une caste 
privilégiée. Us formaient une corporation placée sous l'au- 
torité immédiate de l'évêque. Celui-ci, en recevant l'anneau 
et la crosse, acceptait en même temps et remplissait de grand 
coeur la charge de pourvoir à leurs besoins. 

Les fidèles, découvrant, eux aussi, soùs leur visage 
ensanglanté l'adorable face du Rédempteur, ne passaient 
jamais à côté de leur hutte sans déposer une obole dans leur 
sébile et sans se recommander à leurs prières. Les barons et 
les nobles dames dotaient richement les maisons qui abri- 
taient leur douleur ; et, chose plus admirable encore! l'Église 
enfantait des légions de chevaliers et de vierges pour les 
mettre à leur service : les chevaliers de Saint-Lazare , qui 
avaient un lépreux pour grand maître, et les Sœurs hospita- 
lières de Saint-Jean de Jérusalem. 

Cette dévotion « aux malades du bon Dieu » se répandit, 
avec la lèpre elle-même, d'Orient en Occident. Toutefois, 
si populaire qu'elle fût au temps des croisades, le fils de 
Bernardone, avant sa conversion, éprouvait pour les lépreux 
une répugnance invincible; au seul aspect de leur voile 
blanc, au son de leur crécelle, il frissonnait d'horreur et 
s'enfuyait dans une autre direction. Rien de plus admirable 
que de voir comment Notre -Seigneur se charge de le 
redx'esser et de l'instruire, et comment il finit par asseoir le 



46 SAINT FRANÇOIS D'ASSISE. 

règne de la grâce sur les ruines de la nature. Les premières 
communications surnaturelles remontent à l'année 1206. 
Peu de temps après la vision de Spolète et un an environ 
avant la scène du palais épiscopal, le saint jeune homme, 
étant en oraison, entendit la voix du Rédempteur qui lui 
disait : « Mon fils, situ veux connaître ma volonté, il faut 
que tu méprises et que tu haïsses ce que tu as aimé et désiré 
selon la chair. Que ce nouveau sentier ne t'effraye point ; 
car, si les choses qui te plaisent doivent te devenir amères, 
celles qui te déplaisent te paraîtront douces et agréables (1). » 
Il eut bientôt occasion de mettre en pratique les leçons 
du divin Maître. Gomme il chevauchait dans la plaine qui 
s'étend au pied d'Assise, il aperçut un lépreux qui s'avan- 
çait vers lui. A cette rencontre inattendue, un grand com- 
bat se livra dans son âme. Sa première pensée fut de rebrous- 
ser chemin ; mais bientôt, se reportant aux projets de 
perfection qui le préoccupaient déjà, et se souvenant que la 
plus glorieuse en même temps que la plus difficile des 
victoires , c'est de se vaincre soi-même , il surmonte son 
dégoût, descend de cheval, s'approche du lépreux, et lui 
remet une obole en lui baisant la main. Puis, étant remonté 
à cheval, il cherche du regard le cher pauvre du bon Dieu ; 
mais c'est en vain : il se voit seul au milieu de cette plaine 
immense et poursuit sa route, plus joyeux encore qu'é- 
tonné (2). Le Sauveur des hommes ne s'était-il pas montré 
plus d'une fois sous la figure d'un lépreux ? 

Mais dans cette rencontre inopinée, il y avait eu un 
moment d'hésitation, et dès lors il semblait au fils de Ber- 
nardone que la victoire avait été incomplète. Résolu à aller 
jusqu'au bout dans cette voie, il voulut quelques jours 
après recommencer l'épreuve. Cette fois, il prit les devants. 

(1) T]-es socii, c. iv. 

(2) Ibid., loc. cit. 



CHAPITRE III. 47 

Il se rendit à l'hôpital des lépreux , les fit tous assembler et 
leur remit à chacun une aumône, en leur baisant la main. 
« En ce moment-là, ajoutent les trois compagnons, il se 
sentit remué jusqu'au fond des entrailles et transformé en 
un autre homme (1). » C'est, du reste, ce qu'il affirme lui- 
même dans son testament, en tête duquel il écrit les lignes 
suivantes : « Voici comment le Seigneur me fit la grâce de 
commencer à faire pénitence. Lorsque j'étais dans ma vie 
de péché, le seul aspect des lépreux soulevait dans tout 
mon être une répugnance invincible. Mais le Seigneur me 
conduisit vers eux, et j'exerçai la charité à leur égard; et 
quand je me retirai, ce qui m'avait paru amer se changea 
pour moi en douceur pour l'âme et pour le corps (2). » 

Baiser la main d'un lépreux! Cet acte, répété dix fois, 
vingt fois, avec la même aisance, sans affectation, sans for- 
fanterie, nous en dit long sur le courage de celui qui en était 
capable. Quand on triomphe ainsi de soi-même, on est 
maître de l'univers. 

Pourtant, l'héroïque jeune homme n'avait pas encore 
quitté le monde, et sa marche était gênée par les intérêts et 
les préoccupations delà terre. Mais l'année suivante (1207), 
lorsqu'il eut fait devant l'évêque d'Assise l'abandon public, 
absolu, de son patrimoine, il donna un libre essor à ses désirs 
de sacrifice et de dévouement. Nous avons vu qu'en sortant 
du palais épiscopal, il s'était rendu à Gubbio. Dans cette 
ville, il ne se contenta pas de visiter les léproseries ; il fit ses 
délices, selon la remarque du Docteur séraphique, d'habiter 
ces hôtels de la douleur, soignant les corps dont il nettoyait 
les plaies purulentes, et les âmes dont il consolait les longs 
désespoirs. On ne saurait dire combien il aimait ses malades. 
Jamais il ne les quittait sans leur avoir adressé une de ces 

(1) T]-es socii, c. iv. 

(2) Ibid., loc. cit.; et Testant. S. Fr. 



48 SAINT FRANÇOIS D'ASSISE. 

paroles du cœur qui sont plus douces que tous les secours. 
C'est ainsi qu'il se préparait à devenir le médecin des 
âmes (1). Le Très-Haut récompensa cette charité par le 
don des miracles. Voici le premier et peut-être le plus écla^ 
tant de ces prodiges. 11 est tiré du même biographe, qui 
déclare l'avoir choisi entre cent autres du même genre. 

« Un habitant du duché de Spolète était atteint d'un 
affreux cancer qui lui rongeait la bouche et les joues. En 
vain il avait eu recours à l'habileté des médecins ; en vain il 
était allé à Rome prier sur le tombeau des Apôtres : la plaie 
augmentait de jour en jour. Ayant entendu parler de Fran- 
çois, il vient trouver le serviteur de Dieu. Il veut se proster- 
ner à ses pieds, mais François l'en empêche, le serre dans 
ses bras. et le baise au visage. prodige! l'horrible mal 
disparaît sous les lèvres du Saint, et la guérison si longtemps 
demandée est enfin obtenue. En vérité, s'écrie le narrateur 
ému, je ne sais ce qu'on doit le plus admirer, d'un tel baiser 
ou d'une telle guérison (2). » 

La dévotion aux lépreux, une dévotion tendre, héroïque: 
tel est donc le cachet distinctif de la conversion de Fran- 
çois ; il le gardera toute sa vie et l' étendra à tout son 
Ordre. Disons-le tout de suite ici, son exemple franchira 
les grilles du cloître et les limites de l'Ombrie, se répandra 
au loin comme un parfum de suave odeur, et ranimera la 
ferveur, même au milieu du siècle. Une légion d'âmes 
héroïques se lèvera sur ses pas, et l'on verra les Louis IX de 
France et les Henri liï d'Angleterre, les Elisabeth de Hon- 
grie et les Angèle de Foligno marcher sur ses traces et 
comme lui se faire un honneur de soigner « les malades du 
bon Dieu ». 

On croit communément qu'il ne passa guère plus d'un 

(1) BONAV., C. II. 

(2) Jd.) ibid. 



CHAPITRE III. /<-9 

mois dans la léproserie de Gubbio, et qu'il s'achemina de 
nouveau vers Assise dans le courant du mois de mai 1207. 
La voix du crucifix miraculeux retentissait nuit et jour à ses 
oreilles, et il se sentait pressé d'exécuter l'ordre qu'il avait 
reçu de restaurer l'église Saint-Damien. Qui pourrait 
dépeindre son émotion, quand il revit les murs de cette ville 
natale qu'il avait naguère éblouie par l'éclat de son opu- 
lence et où il avait appris à connaître l'inconstance et l'in- 
gratitude du monde?... Mais faisant taire tous les souvenirs 
d'autrefois et foulant aux pieds tous les conseils delà sagesse 
humaine, il y entra comme les prophètes de l'ancienne 
loi rentraient dans l'ingrate Jérusalem : il s'en alla par les 
rues, publiant les grandeurs de Dieu et les souffrances de 
l'Église, mendiant des pierres pour l'amour de Jésus-Christ 
sans affectation, mais aussi sans honte, et disant avec une 
admirable simplicité : « Qui me donnera une pierre aura 
une récompense 5 qui m'en donnera deux en aura deux; qui 
m'en donnera trois en aura trois (1). » 

Grand fut alors l'émoi dans toute la cité. Parmi ses com- 
patriotes, les sentiments étaient fort partagés : les uns le 
poursuivaient de leurs injures et de leurs railleries ; les autres 
passaient sans lui répondre; d'autres, enfin, pensant qu'on 
ne pouvait attribuer qu'à Dieu un si complet changement 
de vie, l'aidaient de leurs propres mains ou de leurs 
aumônes à relever les ruines du sanctuaire de Saint-Damien. 
Pour lui, il recevait avec une égale reconnaissance les 
affronts et les offrandes, les affronts pour le bien de son âme, 
et les offrandes pour la restauration du vieux monument. 
On vit alors ce jeune homme de bonne famille, habitué aux 
délices de la vie, porter sur ses épaules, comme un ma- 
nœuvre, les matériaux nécessaires à la construction. Il tra- 

(1) Très socii,c. vu. , 



50 SAINT FRANÇOIS D'ASSISE. 

vaillaitsans relâche, si bien que ses membres, exténués par 
les jeûnes et les rigueurs de la pénitence, ployaient sous le 
fardeau. Le prêtre qui desservait cette église (c'était toujours 
don Pietro) eut pitié de lui ; et, malgré son peu de res- 
sources, il lui préparait un bon repas à la fin de ses jour- 
nées. François accepta d'abord cette généreuse hospitalité; 
mais au bout de quelques jours, il se fit ces réflexions : 
« François, trouveras-tu partout un prêtre qui t'accueille 
aussi cordialement? Est-ce là, du reste, cette pauvreté que 
tu as choisie pour ta compagne? Non. Va-t'en désormais 
mendier de porte en porte, à la façon des pauvres, une 
écuelle à la main, pour recueillir les restes qu'on te don- 
nera; car c'est ainsi que tu dois vivre pour l'amour de Celui 
qui est né pauvre, a vécu dans la pauvreté, a été attaché nu 
sur la croix et a été enseveli dans un tombeau d'emprunt. » 
Le lendemain, il va quêter sa nourriture, et s'assied dans la 
rue pour prendre son repas. A l'aspect de ce mélange dégoû- 
tant, il sent la nature se révolter et détourne ses regards par 
un mouvement instinctif; mais aussitôt, triomphant de cette 
répugnance comme il a triomphé des autres, il se met à 
manger avec plaisir. Il déclara depuis qu'il n'avait jamais 
eu de plus délicieux festin. Le soir, il dit d'un air enjoué à 
don Pietro : « Ne vous mettez plus en peine de ma nourri- 
ture; j'ai trouvé un excellent économe, un habile cuisinier, 
qui sait mieux que personne assaisonner les mets (1). » 

Il est encore parlé ici de Pierre Bernardone, et c'est 
pour la dernière fois dans le cours de cette histoire ; hélas ! 
nous devons ajouter que ce n'est point à sa gloire. Ne com- 
prenant rien aux mystérieux appels de la grâce, ni aux 
saintes folies de la croix, il était exaspéré^ de voir son fils 
vêtu en mendiant et devenu le point de mire des traits, tou- 

(1) Très socii, c. vu; et Tu. de Gelano, Vita secunda, p. 1, c. ix. 



CHAPITRE III. 5f 

jours acérés, de la malignité publique. Le rencontrait-il sur 
son chemin, il se détournait d'un air courroucé; quelquefois 
même, il allait jusqu'à le maudire. Le cœur se serre à cette 
pensée! Sans doute le ciel ne ratifiait point les malédic- 
tions du père ; mais elles n'en faisaient pas moins à l'âme 
tendre et sensible du fils une profonde blessure, la plus 
cruelle peut-être qu'il ait jamais ressentie. Pour mettre un 
baume sur cette plaie saignante, il arrêta un vieux men- 
diant au cœur simple et droit, et lui dit : « Viens, je serai 
ton fils ; chaque fois que mon père selon la nature me mau- 
dira, toi, mon père adoptif, tu me donneras ta bénédic- 
tion. » Et le vieillard accéda avec empressement à cette 
demande (1). 

Ange, l'unique frère du Saint, semble avoir hérité à la 
fois de la fortune et de la dureté paternelles : qu'on en juge 
par le trait suivant. Par une froide journée d'hiver, notre 
Bienheureux était en prière dans une église, grelottant de 
froid sous son vieil habit d'ermite. Ange, passant près de 
lui, dit en se moquant à l'un de ses amis : « Va le prier de 
te vendre quelques gouttes de sa sueur! — Non, répliqua 
François en langue française, je ne vendrai pas ma sueur 
aux hommes; je la vendrai plus cher à Dieu (2). » 

Au milieu de tant d'épreuves, notre Saint continuait son 
œuvre avec courage, en prévision de l'avenir. « Venez, 
criait-il aux passants, aidez-nous à finir; car vous verrez 
fleurir ici un monastère de pauvres dames, dont la sainte 
vie et la réputation feront glorifier le Père céleste dans 
toute l'Église. » Prophétie qui se réalisa cinq ans après, 
lorsque Claire et ses compagnes vinrent se fixer en ce 
lieu (3). 



(1) Tressocii, c. vn. — Cf. Tu, de Gel\no, Vita secunda, p. 1, c. vu. 

(2) Ibid. 

(3) Ibid. ■■■■ ■ .C-... • ; :■:-:. .. :... 



52 SAINT FRANÇOIS D'ASSISE. 

C'est ainsi que Fi^ançois acheva ramiée 1207, dans le 
travail, la prière et le dénuement le plus absolu. Après 
l'église Saint-Damien, il entreprit de réparer deux autres 
sanctuaires, situés, comme le premier, aux portes d'Assise. 
L'un était dédié à saint Pierre; et notre Bienheureux, qui 
avait une dévotion très tendre pour le Prince des Apôtres, 
voulut ouvrir l'année 1208 par la restauration de cet 
édifice, restauration qui ne lui demanda que fort peu de 
temps, grâce aux abondantes aumônes de ses conci- 
toyens. L'autre était une chapelle fort pauvre et très 
ancienne. Bâtie l'année 352 par de saints ermites, venus 
de la Palestine, successivement occupée, à partir de 516, 
par les moines du Mont-Cassin, de Cluny et de Cîteaux, on 
l'avait tour à tour nommée Sainte-Marie de Josaphat, à 
cause d'une précieuse relique du sépulcre de la sainte 
Vierge ; puis la Portioncule, parce qu'elle s'élevait sur une 
parcelle de terrain qui appartenait aux Bénédictins du 
mont Soubase; enfin, Notre-Dame des Anges, en raison des 
apparitions célestes dont elle était fréquemment le théâtre. 
Lieu de pèlerinage autrefois célèbre, mais pour le moment 
abandonné, elle tombait en ruine, et ses murailles déla- 
brées servaient de refuge aux pâtres et aux troupeaux 
dans la mauvaise saison. Notre Saint déploya toutes les 
ressources de son zèle pour arracher à l'oubli des peuples 
et aux outrages du temps un sanctuaire si vénérable. 
Avant la fin de l'année 1208, il l'avait rendu à son culte 
séculaire, et l'avait rétabli dans sa primitive splendeur. 
Cependant sa tâche n'était qu'ébauchée; car, selon la 
judicieuse réflexion, de ses historiens, ces trois temples 
n'étaient que la figure des trois Ordres qu'il était appelé à 
fonder (1). 



(1) Très sociiy c. xiv; et Bonav., c. ii. 



CHAPITRE III. 53 

De ces trois sanctuaires, — soit souvenir du passé, soit 
pressentiment de l'avenir, — l'iiomme de Dieu préférait la 
Portioncule : c'était son oratoire de prédilection et sa 
demeure habituelle. Prenant la Reine des Anges pour son 
avocate, humblement agenouillé devant son image, il la 
suppliait nuit et jour de lui faire connaître les voies 
de la perfection évangélique où il devait marcher. Car, . 
depuis deux ans, il suivait, il est vrai, tous les mouvements 
de la grâce, mais sans avoir aucun pressentiment de sa 
véritable vocation, semblable à ces marins audacieux qui 
voguent sans crainte sur les flots d'un océan inexploré, mais 
qui cherchent un port où ils puissent jeter l'ancre. Ce port 
tant désiré. Dieu le lui montra enfin; voici dans quelles cir- 
constances. 

Le 24 février 1209, — fête de l'apôtre saint Mathias, — 
François, à genoux dans son sanctuaire favori, assistait au 
saint sacrifice de la messe qui y était offert sur sa demande. 
A l'évangile, lorsque le célébi-ant eut lu ces paroles : 
« Allez, ne portez ni or, ni argent, ni monnaie dans votre 
bourse, ni sac, ni deux vêtements, ni souliers, ni bâton», l'in-^ 
telligence du jeune pénitent en fut vivement frappée. Après 
la messe, il en demanda l'explication au prêtre, et dès qu'il 
eut appris que c'étaient les instructions données par Notre- 
Seigneur à ses disciples pour les former à la vie aposto- 
lique, il tressaillit; son regard s'illumina, sa figure devint 
radieuse : « Voilà ce que je cherchais! s'écria-t-il. Voilà ce 
que j'appelais de tous mes vœux! » Enfin, il touchait au 
port; sa vocation était dessinée : c'était la prédication 
apostolique, avec la pauvreté pour hannière! Alors, il ne se 
possède plus de joie; il jette avec une sorte d'horreur sa 
bourse, son bâton, ses chaussures, se revêt d'une grossière 
tunique, de couleur gris cendré, et part immédiatement 
pour Assise, les pieds nus, les reins ceints. d'une corde, 



54 SAINT FRANÇOIS D'ASSISE. 

pour y prêcher la pénitence et reconquérir les âmes à Celui 
qui les a rachetées (1). 

Puissance merveilleuse de la parole de Dieu ! Au troisième 
siècle, un jeune noble égyptien, saint. Antoine, entend ce 
passage de l'Évangile : « Si tu veux être parfait, va, vends 
tout ce que tu as, donnes-en le prix aux pauvres, et tu auras 
un trésor dans le ciel; viens et suis-moi. » (Matth,, xix.) Et 
mettant ce conseil à exécution, il devient le père de la vie 
monastique en Orient. Dix siècles plus tard, François, le fils 
d'un marchand d'Assise, entend lire une autre parole de 
l'Évangile, se sent à son tour subjugué parla grâce, et devient 
le père d'une nouvelle famille religieuse. C'est en ce jour, en 
effet, que se célébrèrent les noces mystiques du séraphique 
Patriarche avec la sainte Pauvreté, et que l'Ordre des Frères 
Mineurs prit naissance. 

Dans ses premières prédications, François eut le même 
succès que dans ses quêtes; il recueillit beaucoup d'affronts 
pour lui, et quelques âmes pour le Père céleste, mais de 
belles âmes, comme nous le verrons bientôt. Il continua ce 
genre de vie pendant près de deux mois, partageant son 
temps entre la prière et le ministère de la parole, et rece- 
vant chaquejour l'hospitalité du chapelain de Saint-Damien. 

Cependant Notre-Dame des Anges avait toujours pour lui 
un attrait particulier. Là, il méditait plus à son aise la Pas- 
sion du divin Maître ; là, il en savourait mieux toutes les 
amertumes; là, quand il se sentait seul, protégé par l'ombre 
et le silence, il entrait avec Dieu dans d'inénarrables épan- 
chements, et laissant un libre cours à la douleur qui l'op- 
pressait, il gémissait et sanglotait tout haut. Un de ses 
anciens amis, ayant un jour entendu ses cris de détresse, 
entra dans la chapelle, et, surpris de le voir tout en pleurs, 

(1) Th. de Celano, Vita prima, p. 1, c. ix; et Très socii, c. vin. 



CHAPITRE III, 



55 



lui demanda : « Quel est donc le sujet de votre chagrin? 
— Ah! je pleure la Passion de mon Seigneur Jésus-Christ, 
répondit François, et je ne rougirais pas de la pleurer ou- 
vertement par toute la terre (1)! » Belle parole, hien digne 
d'un cœur si tendre et si aimant, et qui dans la bouche de 
François avait la valeur d'une prophétie ! 

Nous venons de parcourir la période de la vie cachée et 
pénitente de notre Saint ; nous allons maintenant entrer dans 
sa vie publique, et considérer, à travers la trame des événe- 
ments, la haute action qu'il exerça au moyen âge sur l'Église 
et sur la société. 

(1) Très socii, c. v. 




Sceau de la province des Sept-Martyrs (Calabre). 
Quinzième siècle. 



CHAPITRE IV 

COMMENCEMENTS DE L'ORDRE DES FRÈRES MINEURS. 

(1209) 

Il y a, dans l'ordre divin, deux choses qui ajoutent au front 
de riiomme un rayon de grandeur sans égale : la gloire 
d'être apôtre et celle d'être fondateur d'Ordre. Heureux 
ceux que Dieu signale au respect et à la vénération des 
peuples par l'un ou l'autre de ces dons excellents! Plus for- 
tunés encore ceux qui portent au front les deux auréoles 
mêlant leurs feux! Saint François a ce rare privilège; chez 
lui, l'énergie créatrice et les autres qualités propres au fon- 
dateur n'étouffent point la flamme du zèle apostolique. 

Fondateur d'Ordre, il ne recherchera point la grandeur 
attachée à ce titre : elle viendra à lui. Les besoins de l'Église 
et des âmes seront son unique préoccupation; les circon- 
stances et la Providence feront le reste. Mais laissons les 
chroniqueurs du moyen âge nous retracer, dans leur style^ 
simple et naïf, les origines de l'Institut séraphique, et avec 
eux transportons-nous par la pensée dans les montagnes de 
rOmbrie, au commencement du treizième siècle. 

Un riche habitant d'Assise, qu'intriguaient depuis quelque 
temps les actions du lils de Bernardone, Bernard de Quin- 
tavalle, voulut contempler sa vertu de plus près ou peut- 



CHAPITRE IV. 



57 



être la mettre à l'épreuve , et les premières relations se 
nouèrent (1). La Chronique des vingt-quatre généraux y 
ajoute une anecdote qui, 
sans avoir le même de- 
gré de certitude, cadre si 
bien avec le caractère du 
Bienheureux que nous ne 
nous faisons aucune diffi- 
culté de l'enregistrer ici. 
« Un soir, Bernard invita 
le saint à partager son re- 
pas et à passer la nuit sous 
son toit. François accepta 
de bonne grâce. Après le 
souper, Bernard lui donna 
unlitdans sa propre cham- 
bre ; et, la nuit venue, il 
feignit de dormir profon- 
dément , pendant qu'en 
réalité il observait tous 
les mouvements de son 
hôte, à la lueur de la 
lampe qui éclairait l'ap- 
partement. Trompé par 
ce pieux artifice, François 
se lève , se met à genoux 
sur la terre nue; et, les 
bras en croix, les yeux au 

ciel , le visage baigné de (Peinture mmale exécutée de son vivant 

par le Frère Eudes.) 

larmes, il prononce ces 

paroles, qu'il répète toute la nuit : Deus meus et omnia : Mon 




L K 1 niiiii-; i-ii ANcoi s. 



(1) Tu. DE Celano, Vita prima, p. 1, c. x, et Vita secunda, p. 1, c. x. 



58 SAINT FRANÇOIS D'ASSISE. 

Dieu et mon tout. Un tel spectacle toucha Bernard jusqu'au 
fond de l'âme. « Vraiment, se dit-il, c'est là un homme de 
Dieu (1)! » Mais il ne s'en tint pas là. Quand le jour parut, 
il appela François, et, sans lui laisser pressentir le dessein 
qu'il nourrissait intérieurement, il lui posa, disent Jes trois 
compagnons^ la question suivante : « Si un serviteur avait 
reçu de son maître un trésor pour de longfues années, et 
qu'avant le terme assigné il n'en eût plus besoin, que devrait- 
il faire? 

— Le rendre à son maître. 

— Or, ce serviteur, c'est moi. Dieu m'a confié d'immenses 
richesses, bien au delà de mes mérites; aujourd'hui je veux 
les lui rendre, et je les remets entre ses mains pour vous 
suivre. » François fut ravi de voir que le Seigneur lui 
envoyait un si digne sujet pour jeter les fondements de son 
œuvre. « Mon frère, lui dit-il, ce n'est pas là un projet de 
médiocreimportance! Il faut consulter Dieu; allons à l'église, 
entendons la sainte Messe, et l'Esprit-Saint nous indiquera 
ce que nous avons à faire. » Le lendemain, ils se rendirent 
à l'église Saint-Nicolas. Chemin faisant, un chanoine de 
l'église cathédrale, Pierre Gattani, homme d'une science et 
d'une sainteté éminentes, se joignit à eux. Après la Messe, 
le prêtre qui desservait Saint-Nicolas ouvrit trois fois le livre 
des saints Évangiles, conformément à l'usage du temps. La 
première fois, il lut ces paroles : « Si tu veux être parfait, va, 
vends ce que tu as, et donnes-en le prix aux pauvres >» ; la 
seconde : « Ne portez rien en voyage... «• la troisième : 
« Si quelqu'un veut venir après moi, qu'il se renonce lui- 
même, qu'il porte sa croix et qu'il me suive. » « Mes frères, 
dit François à ses deux compagnons, voilà notre vie, voilà 
notre règle et celle de tous ceux qui voudront s'adjoindre à 

(1) Chronique des vingt-quatre généraux^ fol. 1. 



CHAPITRE IV. 59 

nous ! Allez donc et faites ce que vous venez d'entendre (1). » 
C'était, selon la Chronique des vingt-quatre généraux, le 
16 avril 1209. Tous deux s'en allèrent, vendirent leurs biens, 
en donnèrent le prix aux pauvres, puis revinrent trouver le 
saint fondateur pour ne plus le quitter. Après les avoir 
revêtus d'une tunique semblable à la sienne, François con- 
struisit à la hâte une petite cabane à l'ombre de la Portion- 
cule, pour y vivre avec eux sous le regard de Notre-Dame 
des Anges (2). 

Une semaine ne s'était pas écoulée, qu'un autre habitant 
d'Assise, nommé Gilles (ou Égide), homme de haute nais- 
sance et de grande droiture d'esprit, ayant appris la con- 
version de ses deux amis, Bernard de Quintavalle et Pierre 
Cattani, concevait le projet de les imiter. Mais où se trou- 
vait leur asile, il l'ignorait. Dans la matinée du 23 avril, en 
la fête de saint Georges, après avoir entendu la sainte Messe 
dans l'église de ce nom, il se mit en chemin, confiant le succès 
de sa démarche à la bonté de la Providence, et arriva droit 
à l'humble cabane de la Portioncule. François, qui priait 
dans un bosquet voisin, vint à sa rencontre. Aussitôt Gilles, 
se prosternant à ses pieds, le pria très humblement de l'ad- 
mettre en sa compagnie. « Mon frère, lui répondit le Saint, 
tu demandes que le Seigneur te reçoive pour son serviteur 
et son chevalier : ce n'est pas là une petite grâce ! Si l'empe- 
reur passait par Assise et qu'il voulût s'y choisir un favori, 
chacun se dirait : Plaise au ciel que ce soit moi ! A combien 
plus forte raison ne dois-tu pas bénir le grand Roi du ciel 
d'avoir jeté son regard sur toi! » Puis, le relevant, il l'em- 
brassa avec effusion, et le présenta à Bernard et à Pierre, en 



(i) Très socii, c. vin. — Cf. Bonav., c. m, et Chronique des vingt-quatre 
généraux. 

(2) Très socii, c. ix. — « In eo Minorum Ordo princlpium sumpsit. « 
(Tii. DE Celano, Vita secunda, p. 1, c. xii.) — Bonav., c. h. 



60 SAINT FRANÇOIS D'ASSISE. 

leur disant : « Voici un bon Frère que Dieu nous envoie. » 
Apr-ès une modeste réfection prise en commun, le saint fon- 
dateur, suivi de son nouveau disciple, se dirigea vers Assise 
dans le dessein de lui procurer une robe de bure. Ils ren- 
contrèrent en chemin une femme qui leur demanda l'au- 
mône. François, se tournant vers Gilles, lui dit avec une 
expression angélique : « Frère, donne à cette pauvresse, 
pour l'amour de Dieu, le manteau que tu portes. » Gilles le 
donna sur-le-champ, et il lui sembla voir cette aumône mon- 
ter jusqu'au ciel. Le cœur inondé de joie, tous deux pour- 
suivirent leur route, mendièrent dans la ville une étoffe 
grossière, et revinrent à Notre-Dame des Auges. Gilles reçut 
l'habit des mains du saint fondateur, et lui abandonna dès 
lors complètement la conduite de son âme (1). 

François, considérant la sainte Pauvreté comme la clef de 
voûte de son édifice, visa tout d'abord à endurcir le front de 
ses disciples contre une fausse pudeur. Il les envoya donc à 
Assise quêter de porte en porte ; ils y reçurentplus d'outrages 
que d'aumônes, et leurs parents ne furent pas des derniers à 
les tourner en ridicule. Lui-même alla trouver l'évêque, qui, 
effrayé de leur genre de vie, lui dit avec bonté : « Il est trop 
dur, mon fils, de renoncer à toute possession ! — Pour moi, ré- 
pliqua le serviteur de Dieu, je trouve bien plus fâcheux encore 
de posséder quelque chose ; car on ne peut conserver son bien 
sans se créer une foule de soucis, de querelles et de procès; 
quelquefois même il faut recourir aux armes pour le défendre, 
et tout cela éteint ordinairement l'amour de Dieu et du pro- 
chain. » La réponse plut au digne prélat, qui réitéra aux 
pauvres du Christ l'assurance de sa paternelle protection (2). 

On comprend tout ce qu'exige d'énergie virile, d'esprit 
d'abnégation, un but si élevé au-dessus des données de la 

(1) Chronique des vingt-quatre généraux. — Cf. Très socii, c. xi. 

(2) Très socii, c. ix. — Don Guido gouverna l'église d'Assise de 1206 à 1228, 



CHAPITRE IV. 61 

sagesse humaine. Les disciples ne le poursuivaient pas avec 
moins d'ardeur que le maître. Aussi François comprit-il dès 
la première heure qu'ils étaient capables de tous les sacri- 
fices, et résolut-il d'employer leur zèle au profit des âmes. 
L'heure n'était-elle pas venue, pour ces nouveaux cheva- 
liers du Christ, d'entrer en lice et de combattre à leur tour 
les bons combats du Seigneur? Il envoya donc, dès les pre- 
miers jours de mai, Bernard et Pierre en Emilie, pendant 
qu'il se dirigeait lui-même avec Gilles vers la Marche d' An- 
cône (1). Cette première course apostolique servit à mettre 
en lumière tout l'héroïsme de leur vertu. Manquant de tout, 
bafoués par la populace, couverts de boue, ils s'estimaient 
heureux de souffrir pour le nom de Jésus-Christ. Toutefois 
ce ne fut qu'un essai; et au bout d'une dizaine de jours, ils 
rentrèrent dans leur solitude, pour se préparer dans le silence 
et la prière à de nouveaux combats. 

Il n'était pas à craindre que les vocations manquassent; 
le parfum qui s'échappait de Notre-Dame des Anges était 
trop pur et trop suave pour n'y pas attirer une foule d'âmes 
éprises, comme François, d'amour de Dieu et d'esprit de 
sacrifice. Avant la fin du mois, trois nouveaux disciples 
s'étaient rangés sous sa conduite : c'étaient Sabbatino, 
Morico le Petit et Jean de Capella, tous les trois d'Assise (2). 

Vers la fin du printemps (1209), le saint fondateur des- 
cendit avec sa petite troupe dans la vallée de Rieti. Il s'ar- 
rêta sur une roche isolée, en vue de Poggio-Buscone. Une 
grotte d'ermite qu'il y aperçut et qui était alors inhabitée;, 
lui parut favorable à la méditation des vérités éternelles ; il 
en fit le lieu de son repos, et c'est là qu'il se retirait chaque 
soir avec ses Frères, après avoir été prêcher et demander 
l'aumône à Poggio-Buscone oudans les environs. Or, un 

(1) Très socii, c. ix. 

(2) BoNiiv., c. m. ■ ■ ■ ■ ■'■ ' ■• ■■ ■;:■. •^-■ - 



62 SAINT JFRANÇOIS D'ASSISE. 

jour qu'il était en oraison sur cette roche, repassant dans 
Tamertume de son âme les années de dissipation de sa jeu- 
nesse, il eut un ravissement où l'Esprit-Saint lui révéla deux 
choses également consolantes : l'entière et pleine rémission 
de tous les péchés de sa vie, et la prodigieuse extension de 
son Ordre. Le soir, quand les pieux missionnaires furent de 
retour, il leur dit d'un ton inspiré : « Prenez courage, réjouis- 
sez-vous dans le Seigneur, Que votre petit nombre ne vous 
attriste point j que ma siiiiplicité et la vôtre ne vous alarment 
pas ; car Dieu m'a révélé qu'il dilaterait nos tentes jusqu'aux 
confins de la terre. Je voudrais taire ce que j'ai vu, mais la 
charité m'oblige à vous en faire part. J'ai vu une grande 
multitude venant à nous pour revêtir les mêmes livrées 
et mener la même vie. J'ai vu tous les chemins remplis 
d'hommes qui marchaient de ce côté et se hâtaient fort. Les 
Français accourent, les Espagnols se précipitent, les Anglais 
et les Allemands suivent de près ; toutes les nations s'ébran- 
lent, et voilà que le bruit des pas de ceux qui vont et viennent 
pour exécuter les ordres de la sainte Obéissance, retentit 
encore à mes oreilles (1). » Ainsi chantait le prophète Isaïe, 
lorsqu'il annonçait, sept siècles à l'avance, l'établissement et 
la miraculeuse propagation de l'Église. L'analogie est frap- 
pante, et tous les historiens de l'Ordre l'ont signalée. 

Pendant les quelques jours que François passa dans cet 
ermitage de Poggio-Buscone, une foule de visiteurs y accou- 
rurent, attirés par le parfum de sainteté qui s'en exhalait. 
L'un d'eux, touché de la grâce, demanda à s'enrôler dans 
la nouvelle milice. C'était Philippe, surnommé le Long à 
cause de sa taille. Le saint fondateur en fit le septième de 
ses compagnons. 

Après, cette conquête, il lc;S ramena à "Notre-Dame des 

(1) Tu. DE Gelano, Vita prima, p. 1, c. x, . ' ,. . . .,j 



CHAPITRE IV. 63 

Anges, pour les y former à la vie intérieure. Quels progrès 
ne devaient-ils pas faire à l'école d'un tel maître ! Après l'es- 
prit de prière et de sacrifice, il fit passer dans leur âme une 
étincelle du zèle apostolique qui était le noble tourment de 
la sienne, et les exhorta à prêcher aux peuples par l'autorité 
de l'exemple plus encore que par l'éloquence de la parole; 
puis, debout au milieu d'eux, comme un général au moment 
d'engager l'action, il leur traça la ligne de conduite qu'ils 
devaient tenir en qualité de champions de la vérité. « Allez, 
et que rien ne vous intimide. Dans peu de temps, les nobles 
et les savants se joindront à vous, pour prêcher devant les 
peuples et les rois (1). — Honorez les prélats, les vieillards 
et les pauvres. N'ayez garde de juger les riches qui vivent 
dans le luxe et la mollesse ; car Dieu est leur souverain aussi 
bien que le nôtre, et il peut les appeler et les justifier. Nous 
devons les honorer comme nos frères et nos maîtres : comme 
nos frères, puisqu'ils tiennent la vie du même Créateur; 
comme nos maîtres, puisqu'ils fournissent à nos besoins tem- 
porels. Comportez-vous de telle sorte au dehors, que rien 
qu'à vous entendre ou à vous voir, on soit porté à glorifier 
le Père céleste. Ayez la paix sur les lèvres, ayez-la plus 
encore au fond du cœur. Ne provoquez personne à la colère 
ni au scandale ; mais souvenez-vous que votre vocation est 
de convier les esprits à la concorde et de ramener au ber- 
cail les brebis égarées. Il en est qui vous paraissent aujour- 
d'hui les ennemis de l'Évangile et qui demain en feront la 
règle de leur vie (2). » 

Aussitôt, par une illumination soudaine, il donne le signal 
du départ. Tous s'inclinent sous sa parole, lui baisent les 
pieds, comme au représentant de Dieu, et attendent ses 
ordres. François leur partage l'univers en forme de croix, 

(1) Très socii, c. x. 

(2) Ibid., c. XIV. ■•' /^ 



64 SAINT FRANÇOIS D'ASSISE. 

les envoie deux à deux dans trois directions différentes, se 
réservant la quatrième pour lui et son compagnon, et dit à 
chacun en particulier : « Mets ta confiance dans le Seigneur, 
et lui-même prendra soin de toi (1). » 

Suivons un instant par la pensée les pas de ces anges de 
paix et de bénédiction. A tous ceux qu'ils rencontraient, ils 
adressaient cette salutation que leur Bienheureux Père leur 
avait enseignée : « Que le Seigneur vous donne sa paix! « 
Dès qu'ils apercevaient une église, leur premier soin était 
d'aller s'y prosterner et d'y réciter cette belle prière, qu'ils 
tenaient également de saint François : « Nous vous adorons, 
ô Seigneur Jésus-Christ, ici et dans toutes vos églises qui 
sont par toute la terre, et nous vous bénissons d'avoir racheté 
le monde par votre sainte croix. » Leur demandait-on quel 
était leur pays, leur profession, ils répondaient humble- 
ment : « Nous sommes des pénitents venus d'Assise (2) « ; 
car ils n'osaient pas encore se donner le nom de Religieux. 
Leur prédication était simple et sans recherche : ils se con- 
tentaient de rappeler brièvement quel est le chemin du ciel. 
Ils acceptaient avec reconnaissance le pain qu'on leur offrait, 
mais jamais d'or ni d'argent, priaient pour leurs persécu- 
teurs, et, quand ils se trouvaient sans abri, se félicitaient 
d'avoir ce trait de ressemblance de plus avec Celui qui 
n'avait pas où reposer sa tête. 

Cette mission fut, comme la précédente, de courte durée. 
François, guidé par le divin Maître, revint le premier à sa 
chère habitation de la Portioncule, où il reçut quatre nou- 
veaux postulants, tous d'Assise : Jean de Saint-Constant, 
Barbare, Bernard de Viridante et un quatrième, probable- 
ment le prêtre Silvestre, dont l'admission dut être retardée 
pour des considérations de ministère pastoral. 

(1) Ps. LIV. 

(2) Très sociiy c. x. 



CHAPITRE IV. 65 

Cependant, le Bienheureux Père, désireux de revoir sa 
petite famille, s'adressa au ciel pour obtenir cette faveur. 
Celui qui entend le moindre cri du passereau solitaire prit 
plaisir à exaucer la prière de son fidèle serviteur; et peu de 
jours après, à leur grand étonnement, les sept missionnaires 
arrivèrent tous ensemble à la Portioncule. Considérant leur 
nombre et leur ferveur, et jugeant que le moment était venu 
de les constituer régulièrement en famille religieuse, Fran- 
çois les assembla et leur dit : « Bien-aimés frères, vous 
voyez comment notre Société naissante croît et se multi- 
plie sous les bénédictions de Dieu. Il est temps de choisir 
une forme de vie, et il est opportun de la soumettre au 
jugement du Saint-Siège ; car je suis persuadé qu'en matière 
de foi et d'Ordres religieux, on ne peut rien faire de stable 
sans son agrément et son approbation. Allons donc trouver 
notre Mère la sainte Église romaine, et rendons compte au 
Souverain Pontife de ce que le Seigneur a déjà fait par 
notre entremise, afin que nous poursuivions selon sa volonté 
et sous ses ordres l'œuvre que nous avons commencée (1). « 

Voilà bien le saint Patriarche d'Assise avec sa filiale 
dévotion au Siège de Pierre, en même temps qu'avec cette 
pureté de foi qui voit dans la Papauté le foyer des lumières, 
la pierre fondamentale de l'Église catholique, l'infaillible 
interprète de l'Évangile, la sauvegarde de tous les intérêts 
et l'espérance de l'avenir! Aucune loi ecclésiastique n'obli- 
geait alors les Ordres religieux à demander cette approba- 
tion de Rome, qui ne fut imposée que six ans plus tard, au 
quatrième Concile de Latran ; mais le saint fondateur savait 
que les autres colonnes de l'Église peuvent s'écrouler, et 
qu'à Pierre seul il a été dit : « Tu es Pierre, et sur cette 
pierre je bâtirai mon Église, et les portes de l'enfer ne pré- 

(1) 2'res sociiy c. xii : « Dixït illis undecim... » 



66 SAINT FRANÇOIS D'ASSISE. 

vaudront pas contre elle. « Son plan était aussi simple que 
profond. Planter la croix dans les cœurs, la poser au som- 
met de l'édifice social, et pour cela assembler, discipliner 
tous les éléments du bien, en faire une armée permanente, 
et lui donner pour chef le Vicaire de Jésus-Christ : voilà en 
deux mots le projet qu'il conçut, et au succès duquel il 
consacrera tout le reste de sa vie. Qu'on y voie un trait de 
génie ou le fruit d'une inspiration divine, peu importe ! Les 
conséquences sont les mêmes. Par là il mettait à jamais ses 
enfants dans l'obligation de recevoir des lèvres de Pierre 
la pure doctrine de l'Évangile; par là il leur assurait le 
bénéfice de l'infaillibilité pontificale et de l'immortelle durée 
de l'Église. 

Ses compagnons, épousant ses vues et ses espérances, 
applaudirent à sa proposition. Le Saint écrivit aussitôt une 
Règle composée de quelques sentences de l'Évangile et 
prescrivant, outre les trois vœux ordinaires de pauvreté, 
d'obéissance et de chasteté, une renonciation totale à toute 
possession, même en commun. Dès que la rédaction en fut 
terminée (dans le courant du mois de mai 1209, d'après 
Cristofani), tous prirent le chemin de Rome sous la conduite, 
non de saint François, trop humble pour se mettre en avant, 
mais de Frère Bernard de Quintavalle. 'Qu'il est beau de 
voir ces dix pèlerins entourant leur Bienheureux Père 
comme les apôtres entouraient le Sauveur sur les chemins 
de la Judée, marchant pieds nus, sans bourse ni bâton, sous 
les rayons d'un soleil brûlant, et charmant la longueur de 
la route par de ferventes prières ou par de pieux entre- 
tiens (1) ! 

Dans ce voyage, nous n'avons que deux incidents à noter. 
Le premier, c'est la conversion d'Ange Tancrède. Traver- 

(1) BoNAv., c. m. 



CHAPITRE IV. 67 

sant les rues de Rieti, François avise un brillant chevalier, 
et, sans qu'il l'ait jamais connu, il l'aborde et lui dit : 
« Frère Ange, il y a assez longtemps que tu portes le bau- 
drier, l'épée et les éperons. Il faut maintenant que tu aies 
pour baudrier une grosse corde, pour épée la croix de 
Jésus-Christ, pour éperons la poussière et la boue. Suis- 
moi, et je te ferai soldat du Christ. « Le vaillant officier se 
joint immédiatement à la phalange des pauvres volontaires, 
où il prend le rang et le titre de onzième compagnon de 
saint François (1). 

Le second incident fut une vision consolante qu'eut le 
jeune fondateur. Dieu lui montra la Papauté sous la figure 
d'un beau palmier dont les branches s'inclinaient gracieuse- 
ment vers lui. Cette apparition le combla de joie, et le récit 
qu'il en fit à ses Frères ranima leur courage (2). 

A Rome, François eut le bonheur de retrouver lé vêque 
d'Assise, qui lui fit l'accueil le plus affectueux et lui pro- 
cura la protection ^d'un des cardinaux les plus influents, 
Jean de Saint-Paul, évêque de Sabine. Cependant, la même 
Providence qui lui ménageait l'appui d'un personnage si 
considérable lui réservait aussi, pour accroître ses mérites, 
une petite humiliation. La première audience qu'il eut au 
palais de Latran ne lui fut pas favorable. Innocent III, pre- 
nant cet homme chétif pour un solliciteur importun, ou 
songeant peut-être aux faux pauvres de Lyon, à ces Vau- 
dois dont les crimes ensanglantaient encore le midi de la 
France et dont l'orgueil avait osé réclamer l'approbation 
apostolique, le renvoya sans vouloir l'entendre. Mais la nuit 
suivante, il eut un songe mystérieux : il vit croître à ses 
pieds, peu à peu, une palme qui devint un bel arbre. Il se 
demandait ce que pouvait signifier cette vision, lorsque Dieu 

(1) Wadding, t. I, p. 80. 

(2) Tu. DE Gelano, Vita prima, p. 1, c. xiii. 



68 SAINT FRANÇOIS D'ASSISE. 

a 

lui fit comprendre que cette palme était l'emblème du pauvre 
qu'il avait rebuté la veille. A son réveil, il donna l'ordre 
d'aller immédiatement à la recherche de cet étranger. On 
trouva l'humble pèlerin dans une des salles de l'hôpital 
Saint- Antoine, et on l'amena au palais de Latran. Dans cette 
seconde audience. Innocent III, pontife d'une sagesse qui 
n'avait d'égale que sa vertu, le reçut au milieu des cardi- 
naux, et l'écouta avec une bienveillance marquée. Admirant 
la candeur, le courage et le zèle du saint, il inclinait à lui 
octroyer sa demande, lorsque plusieurs membres du Sacré 
Collège représentèrent à Sa Sainteté que l'institut des Péni- 
tents d'Assise constituerait une innovation dans l'Église, et 
que d'ailleurs il était au-dessus des forces humaines. Alors 
le cardinal Jean de Saint-Paul leur repartit avec beaucoup 
d'à-propos : « Seigneurs, si nous rejetons la demande de ce 
pauvre, sous prétexte que sa Règle est nouvelle et trop dif- 
ficile, prenons garde de nous attaquer à l'Evangile lui-même, 
puisque la Règle qu'il présente à l'approbation du Saint-Père 
est conforme aux enseignements de l'Evangile; car soutenir 
que la perfection évangélique ou le vœu de la pratiquer 
renferment quelque chose de déraisonnable ou d'impossible, 
c'est blasphémer contre Jésus-Christ, auteur de l'Evan- 
gile (1). » 

Frappé de la justesse de ces raisons, le Souverain Pontife 
dit à François : « Mon fils, prie le Seigneur de nous faire 
connaître sa volonté, afin que nous puissions favoriser tes 
désirs. " Le serviteur de Dieu obéit avec la simplicité d'un 
enfant; il alla se mettre en prière, puis revint proposer la 
parabole suivante : « Très Saint Père, il y avait ime fille 
très belle, mais pauvre, qui habitait un désert. Un grand roi 
la vit, et fut tellement épris de sa beauté qu'il la prit pour 

(1) BoNAV., c. III. — Cf. Clu'onique des vingt-quatre généraux, fol. 73. 



CHAPITRE IV. 



69 



son épouse. Il demeura quelques années avec elle, et en eut 
des enfants qui unissaient les traits de leur père à la beauté 
de leur mère; puis il retourna à son palais. La mère éleva 
ses enfants avec un grand soin; et quand ils eurent grandi, 




Saint François devant le pape Innocent III. (D'ajirès Giotto.) 

elle leur parla en ces termes : Mes enfants, vous êtes nés 
d'un grand roi; allez à sa cour, et il vous recevra avec tous 
les égards dus à votre naissance. — Les enfants vinrent 
donc à la cour du roi. Celui-ci, voyant la beauté de leur 
visage, leur dit : De qui êtes-vous fils? — Nous sommes, 
répondirent-ils, les enfants de cette pauvre femme qui 



70 SAINT FRANÇOIS D'ASSISE. 

habite au désert. — Aussitôt le roi les embrassa avec ten- 
dresse, en leur disant : Ne craignez rien, vous êtes mes fils; 
et si je nourris, mes officiers des mets de ma table, combien 
n'aurai-je pas plus de soin de vous qui êtes mes enfants ! 

« Ce roi, Très Saint Père, c'est Notre-Seigneur Jésus- 
Christ; cette fille aimable et belle, c'est la Pauvreté, qui, 
méprisée de tous, se trouvait dans ce monde comme dans 
un désert. Le Roi des rois, descendant des hauteurs du ciel 
et venant sur la terre, eut pour elle tant d'amour qu'il 
l'épousa dans la crèche. Il en eut plusieurs enfants dans le 
cours des siècles : les apôtres, les anachorètes, les cénobites, 
et enfin, dans les temps malheureux que nous traversons , 
votre petit serviteur et ses disciples. Et lui-même m'a donné 
l'assurance qu'il pourvoirait à notre subsistance comme il a 
pourvu à celle de nos frères aînés ; et il m'a dit : Si je nour- 
ris les mercenaires et jusqu'aux ennemis de mon nom, à 
plus forte raison prendrai-je soin de ceux qui sont mes fils 
et mes héritiers ! Et si je fais luire mon soleil même pour les 
pécheurs et leur distribue les biens de la terre, à plus forte 
raison donnerai-je le pain de chaque jour à ceux qui font 
vœu de suivre les conseils de l'Évangile (1). » 

« Ah! véritablement, voilàl'homme qui soutiendra l'Église 
de Dieu par sa doctrine et par ses œuvres ! » s'écria le Pape, 
faisant allusion à une vision qu'il avait eue quelques jours 
auparavant, et qu'il prit plaisir à raconter en présence des 
cardinaux. « Il me semblait, dit-il, que la basilique de Saint- 
Jean de Latran chancelait sur ses bases, et je m'efforçais 
vainement d'en conjurer la chute, lorsqu'un homme pauvre 
et chétif s'avança et la soutint de ses épaules. » Alors il 
embrassa François avec effusion, et, sans plus délibérer, il 
approuva de vive voix, dans toute sa teneur, la Règle qui 

(1) Très socii, c. xii. 



CHAPITRE IV. 



71. 



lui était présentée. De plus, en vertu de la plénitude de 
l'autorité apostolique, il établit le jeune fondateur supérieur 
général de la congrégation naissante, chargea le cardinal 
Jean de Saint-Paul de lui conférer, à lui et à ses onze com- 
pagnons, la tonsure, afin qu'ils pussent jouir des privilèges 
des clercs, les reçut à la profession religieuse et leur adressa 




Saint Pierre apparaît à Innocent III et lui montre saint François soutenant 
l'église de Latran. (D'après Giotto.) 

ces paroles encourageantes : « Allez, prêchez partout libre- 
ment la pénitence, selon que le Seigneur lui-même vous 
l'inspirera; et quand votre petite société aura grandi, vous 
reviendrez, et nous vous accorderons volontiers de plus 
grandes faveurs. » Puis, leur ayant donné la bénédiction 
apostolique, il les congédia (1). 

(1) Très socii, c. xii. 



72 SAINT FRANÇOIS D'ASSISE. 

Nos pieux pèlerins étaient au comble de leurs vœux. La 
sanction pontificale, n'était-ce pas l'approbation, par le plus 
haut tribunal qu'il y ait au monde, de la pauvreté abso- 
lue qu'ils avaient embrassée? La bénédiction 'apostolique, 
n'était-ce pas la rosée du ciel tombant sur leur œuvre pour 
y semer la vie et la fécondité? Aussi leur premier soin fut-il 
d'aller se prosterner en action de grâces sur le tombeau des 
Apôtres. Ils quittèrent ensuite la Ville éternelle, emportant 
dans leur cœur d'immenses consolations et des espérances 
plus grandes encore, et jurant un dévouement sans bornes 
et pour jamais au Vicaire de Jésus-Christ. . 

Saint Bonaventure raconte un trait charmant qui signala 
leur retour. Un soir, après une longue journée de marche, 
épuisés de fatigue, les Frères s'assirent au bord du chemin; 
la faim les pressait, mais ils étaient sans vivres et loin de 
toute habitation. La Providence ne leur fit point défaut : un 
beau jeune homme leur apparut tout à coup, déposa près 
d'eux un pain blanc, et disparut. Les Frères mangèrent, et 
la vertu de ce pain céleste répara les forces de leur corps, 
pendant que la pensée de la délicate attention de la Provi- 
dence pour ses pauvres volontaires inondait leur âme d'une 
indicible allégresse (1). Le lendemain, ils s'arrêtèrent en 
face d'Orte, à la jonction du Tibre et de la Nera, dans un 
joli vallon qu'abrite le mont Cimino. L'hérésie des Patarins 
infectait cette contrée, d'Orte à Orvieto. Nos missionnaires 
eurent la joie de faire rentrer dans le bercail de l'Église un 
grand nombre de ces brebis égarées (2). Au milieu de ces 
travaux, ils agitèrent résolument une question qui, dès le 
principe, s'était posée devant eux : devaient-ils vivre en 
ermites ou en apôtres, dans la solitude ou bien au sein des 

(1) BONAV., C. IV. 

(2) Il Hic Patarinorum multos seduxerat error; — Sed Christi Franciscus oves 
ad ovile reducit. « (Poema, c. lxxxviii.) 



CHAPITRE IV. 



73 



villes? François, après avoir prié, se prononça pour le 
second parti, « parce que, disail-il, notre mission est de 
regagner à Dieu l'âme des pécheurs (1) » . Ils quittèrent donc, 
au bout d'une quinzaine de jours, ce climat d'ailleurs trop 
énervant, remontèrent le cours du Tibre, et vinrent se fixer 
dans une masure peu distante des murs d'Assise, sur la 
route de Foligno à Pérouse, au bord d'un torrent fameux 




Saint François propose à ses premiers conipaf[nons la croix, comme le livre qui 
renferme toute la science du salut. (D'après Sermei.) 

qui descend du mont Soubase et qu'on nomme le Rivo-Torto 
(Ruisseau tortueux). Suivons-les dans cette solitude. 

La cabane était si étroite et si délabrée, qu'ils avaient à 
peine assez de place pour s'y asseoir, et que François fut 
obligé d'écrire sur les poutres le nom de chaque Frère, afin 
qu'ils pussent plus commodément se livrer à leur attrait 
pour l'oraison. Ils y vivaient d'aumônes et du produit de 
leur travail; quelquefois ils étaient réduits à se nourrir de 



(i) Tu. DK Celako, Vita prima, p. 1, c. xiv. 



74 SAINT FRANÇOIS D'ASSISE. 

racines. N'importe! Ils gardaient un visage joyeux au milieu 
de ces privations qui effrayent notre délicatesse, et trou- 
vaient plus de douceur dans les larmes de la pénitence que 
les mondains n'en trouvent au sein de leurs délices et de 
leur félicité d'un jour. N'ayant point encore de bréviaires 
pour réciter l'office, ils s'assemblaient autour d'une croix 
de bois qui leur tenait lieu de livre; et là, assis sur un banc 
de pierre, ils écoutaient la parole enflammée du saint fon- 
dateur ou méditaient en silence sur la Passion de l'Homme- 
Dieu(l). 

Trois faits principaux se rattachent à ces temps héroïques 
de Rivo-Torto. Le premier est un miracle où l'on admire 
l'opportunité de l'intervention divine, et dont la haute por- 
tée n'échappera à personne. Si dociles que fussent les dis- 
ciples à la voix du fils de Bernardone, un doute aurait pu 
se glisser dans leur esprit sur l'étroitesse et l'étrangeté de 
la voie où il les entraînait. Dieu prévint le doute par un 
prodige. François, devant prêcher un dimanche matin dans 
l'église cathédrale d'Assise, monta dès la veille au palais 
épiscopal, et se retira le soir sous un appentis dans le jardin 
des chanoines, pour y vaquer à l'oraison; car il avait la 
pieuse habitude de passer la nuit en prières. Or, vers 
minuit, un char de feu sur lequel était un globe de lumière 
aussi resplendissant que le soleil, pénétra dans le réduit des 
Frères à Rivo-Torto, et en fit trois fois le tour. On ne sau- 
rait dépeindre leur étonnement à la vue de ce char de feu ; 
leur admiration s'accrut encore, quand ils se virent éclairés 
au dedans comme au dehors, et que chacun put lire dans la 
conscience de ses compagnons comme dans un livre ouvert. 
Il était impossible de s'y méprendre, ce char de feu, ce 
globe de lumière, cet Élie du Nouveau Testament, c'était 

(1) Th. de Gelano, Vita prima, p. 1, c. xvi. 



CHAPITRE IV. 



75 



le guide de leur âme, c'était leur Bienheureux Père. Du 
reste, s'il leur fût resté quelque doute sur la réalité du sens 
de cette apparition, il eût été vite dissipé par la conduite et 
le langage du Saint; car, dès son retour à l'ermitage et 




Les compagnons de saint François voient leur Père porté, coiniae un autre Élie, 
sur un char de feu. (D'après Giotto.) 

comme pour compléter la vision précédente, il leur décou- 
vrit les replis les plus cachés de leur conscience et leur pré- 
dit les glorieuses destinées de l'Ordre. Ils constatèrent ainsi 
par leur propre expérience que l'Esprit de Dieu reposait sur 



76 SAINT FRANÇOIS D'ASSISE. 

leur humble fondateur. C'était assez pour les autoriser à 
conclure qu'ils pouvaient suivre sans crainte sa doctrine et 
ses exemples (1). 

Le second fait n'est pas moins remarquable. C'était vers 
la fin de septembre (1209). Othon IV, seul maître de la Cer- 
manie par suite de l'assassinat de Philippe de Souabe, son 
compétiteur, traversait l'Ombrie, se dirigeant avec une 
brillante escorte vers Rome, pour s'y faire couronner empe- 
reur par le pape Innocent III. François ne sortit ni ne se 
détourna pour voir passer le faste et l'orgueil du César alle- 
mand; mais il chargea l'un de ses Frères de lui porter ce 
message : « Sache, ô prince, que ta gloire ne durera pas 
longtemps! » La prédiction déplut au prince; mais elle ne 
s'en accomplit pas moins (2). On sait la triste fin de cet 
empereur : il fut excommunié l'année suivante par le même 
Souverain Pontife, perdit la couronne impériale, tombée 
aux mains du jeune Frédéric II, fut battu à Bouvines par 
Philippe-Auguste, le 27 juillet 1214, et périt misérablement 
quatre ans après. 

liC troisième événement fut l'arrivée de ce Silvestre dont 
nous avons déjà parlé. C'est le premier prêtre de l'Ordre, et 
sa vocation fut des plus extraordinaires. Il avait vendu des 
pierres à saint François lors de la restauration de Saint- 
Damien; mais, quoiqu'il en eût reçu le prix, il se plaignit 
d'avoir été lésé dans ses droits, profitant pour cela du 
moment où notre Saint présidait à la distribution des biens 
de Bernard de Quintavalle (avril 1209). François, qui avait 
en horreur les procès et les contestations, prit de l'or dans 
un sac et le donna à pleines mains au prêtre cupide, en lui 



(1) BoNAV., c. IV. — Thomas de Celano et Jean de Geperano placent le même 
fait à la Portioncule. Saint Bonaventure a-t-il voulu corriger une erreur ou s'est- 
il trompé? Nous laissons à d'autres le soin de trancher la question. 

(2) Tu. DE Gelano, Vita prima, j). 1, c. xvi. 



CHAPITRE IV. 



77 



disant : « Yoici pour le payement que tu réclames, et que je 
ne te dois pas. » Silvestre s'en alla, humilié, mais content. 
Le soir, réfléchissant à l'indignité de sa conduite, il eut 
des remords, et promit à Dieu de réparer son injustice. Un 
songe mystérieux acheva de dissiper les préventions qu'il 
nourrissait au fond de son cœur contre les pauvres de Jésus- 
Christ. Pendant la nuit, il vit d'abord un énorme dragon 




Saint François refuse d'aller ù la rencontre de l'empereur Otlion et lui fait 
annoncer sa fin procliainc. (D'après Serinei.) 

s'abattant sur la ville d'Assise et s'apprêtant à en extermi- 
ner tous les habitants; puis, la radieuse figure de François, 
et dans la bouche du saint une croix d'or dont le sommet 
atteignait le firmament et dont les bras s'étendaient aux 
deux pôles; enfin, l'éclat de cette croix mettant le dragon en 
fuite. Trois fois il eut la même vision. A la fin, comprenant 
que c'était un avertissement du ciel, il courut se jeter aux 
pieds de François, lui raconta sa vision, et le conjura non 
seulement de lui pardonner sa faute, mais encore de l'ad- 
mettre en sa compagnie. Le saint fondateur lui répondit, en 



78 SAINT FRANÇOIS D'ASSISE. 

l'embrassant avec effusion : « Mon fils, je t'accorde volon- 
tiers l'une et l'autre faveur. « Toutefois (nous ignorons pour 
quel motif), ce ne fut qu'au mois de septembre de la même 
. année, après l'approbation verbale d'Innocent III, que le 
postulant revêtit les livrées de la pénitence. Thomas de 
Celano et saint Bonaventure, auxquels nous empruntons ce 
récit, ajoutent qu'à dater de cette heure, la vie de Silvestre, 
vie toute d'oraison, de pénitence et de pauvreté, rendit 
témoignage à la vérité de la visipn que nous avons racontée. 
Il est le douzième compagnon du Bienheureux Patriarche, 
et son arrivée met le dernier trait de ressemblance entre le 
nouvel institut et le Collège apostolique (1). 

C'est ainsi que le Tout-Puissant entourait l'humble cabane 
de Rivo-Torto de la triple auréole de la sainteté, des 
miracles et des prophéties. 

Après un mois de séjour à Rivo-Torto, François réunit 
ses douze compagnons (2) et leur dit : « Le Seigneur a 
daigné me faire connaître qu'il voulait multiplier notre 
petite famille. Il nous faut une demeure plus vaste, une 
église pour l'office canonial, un cimetière pour les morts. 
Allons donc trouver l'évêque d'Assise, et prions-le de pro- 
curer un asile à notre Ordre naissant. » L'évêque ne put 
satisfaire aux désirs du saint ; celui-ci fut plus heureux 
auprès des Bénédictins du mont Soubase, qui lui concé- 
dèrent de la meilleure grâce du monde la chapelle de Notre- 
Dame des Anges, avec la maison attenante et quelques par- 
celles de terrain, à la condition que ce couvent serait 
toujours regardé comme le berceau et la maison mère de 
l'Ordre des Frères Mineurs. François accepta volontiers le 
présent et la condition (3) ; il était au comble de ses vœux. 



(1) Très socii, c. ix. — Bonav., c. m. 

(2) Bonav., c. iv. 

(3) Très socii, c. xiii. 



CHAPITRE IV. 79 

Sa reconnaissance a traversé les siècles, et ses fils se plaisent 
à redire aujourd'hui, comme il y a six cents ans, que c'est aux 
disciples de saint Benoît qu'ils sont redevables de leur pre- 
mier établissement, de leur premier lieu de prière. 

François vint immédiatement avec ses Frères occuper la 
Portioncule, pour y continuer la vie de pénitence qu'il y 
avait inaugurée l'année précédente. Ah! qu'elles furent 
douces, les émotions qui firent battre son coeur, lorsqu'il 
prit possession, au nom de la Reine du ciel, de ce petit coin 
de terre trois fois béni 1 Qu'ils furent brûlants, les accents de 
gratitude qui montèrent alors de cette chapelle vers le trône 
de la Vierge immaculée ! Le choix même du lieu rappelait 
tant de souvenirs, excitait tant d'espérances dans le cœur 
du serviteur de Dieu ! C'était là que Pica l'avait consacré 
d'avance à Marie ! C'était là qu'il avait fait ses premières 
armes dans les rudes combats de la pénitence, et que son 
œuvre était née d'un sourire de Marie ! C'était de là qu'il 
était parti pour aller se prosterner aux genoux du Vicaire 
de Jésus-Christ! Tant de bienfaits ne proclamaient-ils pas 
assez haut que Marie entendait rester la patronne de son 
Ordre, après en avoir été la mère? N'était-ce pas à son 
ombre et sous son manteau d'azur que ce même Ordre 
devait croître et prospérer ? 

Telles étaient les pensées qui roulaient dans son esprit. 
Pour mieux s'assurer la protection de celle qui est l'avocate 
du genre humain, il voulut dès la première heure lui confier 
ses joies pour le passé, ses sollicitudes pour l'avenir; et 
transportant dans la vie religieuse uq des usages les plus 
sacrés de la chevalerie, il fit sa veillée d'honneur et passa la 
première nuit en prières aux pieds de sa Souveraine, comme 
s'il eût dû être armé chevalier de Jésus et de Marie : il le 
fut en effet. L'auguste Vierge lui apparut environnée d'une 
multitude d'esprits célestes, et, lui souriant avec amour, lui 



80 



SAINT FRANÇOIS D'ASSISE. 



fit entrevoir les glorieuses destinées du sanctuaire d'où 
devait sortir la rénovation du treizième siècle. Au point du 
jour, il se leva et s'écria à l'exemple du patriarche Jacob : 
« Véritablement, c'est ici un lieu saint qui devrait être habité 
par des anges plutôt que par des hommes ! Tant que je le 
pourrai, je n'en sortirai pas. Il sera pour moi et les miens 
un monument éternel de la bonté divine (1). » 

(1) Waddikg, t. I, p. 90. 



















m-: 



l^iïi^iiiiP^ 



La cordelière soutenant l'hcrinine couronnée. (Cluitcau de Blois.) 



CHAPITRE V 



SAINT FllANÇOlS ET SES PllEMIERS COMPAGNONS. 



Le douzième siècle venait de s'éteindre et de rentrer dans 
la nuit des temps : siècle qui avait eu ses gloires, mais dont 
le déclin léguait à la génération suivante un héritage gros 
de crimes et de périls. « Les débauches et la tyrannie de 
Henri H d'Angleterre, l'assassinat de saint Thomas Becket, 
la captivité de Richard Cœur de lion, les violences de Phi- 
lippe-Auguste contre sa femme Ingelburge , les atroces 
cruautés de l'empereur Henri VI en Sicile (1) », avaient 
déchaîné toutes les passions mauvaises et amené le triom- 
phe général du mal sur le bien, de la chair sur l'esprit, de 
la force brutale sur la foi catholique. Le treizième siècle 
recueillait le fruit de ces désordres, et dès la première heure 
il paraissait ouvrir l'ère des douleurs et des ruines. En Asie, 
Jérusalem était retombée au pouvoir des Musulmans ; les 
dissensions des Templiers et des Hospitaliers compromet- 
taient le sort du reste de la Palestine , et Gengis-Khan 
accourait avec la vitesse de l'aigle des extrémités de 
l'Orient. 

En Europe, la situation n'était guère moins lamentable. 
Au dedans, des luttes fratricides, où Arthur de Bretagne et 
Philippe de Souabe périssaient, traîtreusement assassinés. 

(1) MoNTALEMiiEUT, Histoire de sainte Elisabeth de Hongrie. Introduction, 
p. 12. 

6 



82 SAINT FRANÇOIS D'ASSISE. 

Au dehors, de nouvelles invasions de barbares : les Maures 
en Espagne, les Tartares aux portes de la Livonie et de la 
Prusse. La corruption des mœurs marchait de pair avec 
l'anarchie politique, et les clercs et les moines eux-mêmes 
se laissaient entraîner dans ce mouvement de décadence, 
auquel ils auraient dû résister. L'Eglise en deuil pleurait, et 
saint Bernard n'était plus là pour mettre une digue aux flots 
impurs du scandale, qui, montant toujours, envahissaient 
jusqu'au seuil du sanctuaire (1). 

Une hérésie fameuse mettait le comble à tant de maux et 
menaçait de tout détruire : c'était l'hérésie des Albigeois. 
Ces sectaires, qui avaient couvert de sang et de ruines tout 
le sol de la France méridionale, prolongeaient leurs ramifi- 
cations jusqu'au cœur de l'Italie et tendaient la main aux 
hérétiques de tout nom, Patarins, Cathares et Vaudois, 
pour se ruer sur le clergé féodal, lui faire un crime de son 
autorité temporelle plus encore que de ses immenses pos- 
sessions, et lui dénier tout pouvoir spirituel. On connaît 
leur doctrine, mélange monstrueux où le dualisme de 
Manès s'alliait aux erreurs plus récentes de l'Arabe Aver- 
roès et du Juif Maimonide. Partant de cette idée qu'il y a 
deux principes, l'un bon, l'autre mauvais, et que le second 
est l'auteur de la création, ils devaient aboutir logiquement 
au fatalisme brutal qui détruit la responsabilité de la con- 
science, et au sensualisme le plus révoltant. Ils formaient 
plus qu'une école ; c'était une société savamment organisée, 
qui grandissait dans l'ombre et commençait à prendre place 
au soleil de l'Europe chrétienne. Protégés par la loi du 
secret contre les vindictes de la conscience publique, sou- 
tenus par Raymond VI, le puissant comte de Toulouse, et 
se croyant à la veille d'un triomphe définitif, ils finirent par 

(1) Voir les Lettres d'Innocent III, année 1204. 



CHAPITRE V. 83 

lever le masque. Ils affichèrent hautement, avec leurs pré- 
tentions, -leur mépris de toute autorité, et alors, comme au 
temps de Luther, comme aujourd'hui, le monde entier 
retentit de leurs déclamations contre l'Église romaine, qu'ils 
appelaient la grande prostituée de Babylone, et de leurs 
prophéties sur sa chute prochaine. Des menaces passant aux 
actes, ils promenèrent la torche incendiaire à travers les 
provinces de la Guyenne et du Languedoc j et partout sur 
leur passage le sang des prêtres, les débris fumants des 
églises et des monastères attestèrent que le sang de Pierre 
de Gastelnau et de Pierre Parenzo n'avait point assouvi 
leur rage. C'étaient les socialistes du temps. Supposez le 
succès de leurs armes, et c'en était fait de l'Europe, de la 
chrétienté, de la civilisation. 

Ainsi, partout l'idée chrétienne était attaquée, et partout 
la croix penchait, sans que le veilleur d'Israël pût voir d'où 
viendrait le salut. Mais pourquoi désespérer, lorsque le 
Verbe incarné, vainqueur de la mort et de l'enfer, a promis 
d'assister son Eglise et de veiller à ses destinées immor- 
telles? L'heure des désespoirs, voilà l'heure de Dieu par 
excellence, c'est-à-dire le moment pour lui de se montrer et 
de sauver ce qui semblait perdu ! Et pour opérer ce prodige 
dans l'ordre social, il n'a besoin que de produire un phé- 
nomène semblable à celui qu'il produit tous les jours dans 
les profondeurs de l'Océan. Là, tout à coup le vent souffle, 
la mer monte, et ses flots ont bientôt couvert les sables du 
rivage. Il en est de même dans l'ordre moral : à un moment 
donné. Dieu envoie un souffle divin qui agite les masses, les 
pousse vers le Christ, et renouvelle la face de la terre. Ce 
souffle divin passait alors sur l'Europe occidentale, et sou- 
dain l'on voyait apparaître, comme autant de libérateurs. 
Innocent III sur le siège de Rome, Louis IX sur le trône de 
France, la douce Elisabeth de Hongrie en Allemagne et 



84 SAINT FRANÇOIS D'ASSISE. 

Simon de Montfort, « ce type de la loyauté chevaleres- 
que (1) », dans les champs du Languedoc. En même temps, 
et pour accuser nettement son intervention par le contraste 
entre la faiblesse des moyens et la grandeur des résultats. 
Dieu suscitait deux hommes providentiels, l'un en Espagne, 
l'autre en Italie, Dominique et François, deux pauvres, qui, 
sans se connaître, poursuivaient le même but : réformer le 
monde par l'esprit de sacrifice, en opposant aux passions qui 
dégradent l'humanité les vertus qui la relèvent, à l'orgueil 
l'humilité, à l'amour désordonné des richesses la pauvreté 
évangélique, à l'égoïsme la charité. Le plan divin n'était-il 
pas assez sublime, assez miséricordieux? Dans l'exécution 
n'éclatera pas moins cette souveraine sagesse du Très-Haut 
qui sait proportionner le génie et la sainteté des ouvriers à 
la grandeur de l'entreprise. 

Pour accomplir cette œuvre de réformation, François 
n'était pas seul ; car quel homme peut étendre son action 
à tout l'univers? Il avait des auxiliaires pénétrés de sa 
pensée, imprégnés de ses vertus, douze pauvres, douze 
apôtres, qui sont comme les colonnes de l'édifice francis- 
cain. De ces figures, qu'a grandies leur contact avec le saint 
Patriarche, nous n'esquisserons que les trois principales, 
Bernard de Quintavalle, Pierre Gattani et le Frère Gilles. 

Modèle de patience et d'humilité, favorisé des dons les 
plus précieux, transporté par la main des Anges d'une rive 
à l'autre d'un grand fleuve d'Espagne (l'Ebre), souvent ravi 
en extase au milieu des forêts de l'Apennin, chéri de Dieu et 
de saint François, qui l'appelait son premier-né : tel était 
Bernard de Quintavalle. Saint Bonaventure déclare qu'il 
était le plus éminent en sainteté comme le premier élu à la 
vocation franciscaine. Saint François lui prédit qu'il serait 

(1) Expressions d'un adversaire, Guillaume de Puy-Laurens, chapelain et bio- 
graphe de Raymond VII. Voir RoiiRnAcuER, Hist. de l'Ec/lise, liv. 72. 



CHAPITRE V. 85 

purifié commeror au creuset des tribulations, qu'il serait en 
butte aux tentations de l'esprit malin, et qu'à la dernière 
heure il recouvrerait le calme et la paix : ce qui eut lieu, en 
effet (1). Sur son lit de mort, il disait à ses Parères éplorés : 
« Consolez-vous; je ne voudrais pas pour mille mondes avoir 
servi un autre maître que Notre-Seigneur Jésus-Christ! Et 
maintenant, sur le point de vous quitter, je vous demande 
deux choses : souvenez-vous de mon âme devant Dieu, et de 
plus aimez-A^ous les uns les autres, suivant l'exemple que je 
vous en ai donné. » A cette heure, un rayon du ciel sembla 
passer sur son visage, et son âme échangea les douleurs de 
l'exil contre les joies de lapatrie (2). 

Le second disciple, Pierre Cattani, était très versé dans 
les questions de théologie et de droit canon. Nous verrons 
dans la suite à quel point il possédait la confiance du saint 
fondateur et comment il eut l'honneur d'être choisi pour le 
premier vicaire général de l'Ordre. Disons se idem eut ici que 
l'obéissance fut toujours sa vertu favorite, et de quelle ma- 
nière elle le suivit au delà de la tombe. Comme des miracles 
éclatants s'y opéraient chaque jour, et que l'affluence des 
visiteurs troublait la retraite des Religieux, le saint fonda- 
teur se pencha sur la tombe du Bienheureux et lui parla 
comme on parle à un vivant : i< Frère Pierre, tu m'obéissais 
toujours pendant ta vie ; je désire que tu m' obéisses de même 
en ce moment. Ceux qui acconrent ici nous incommodent au 
plus haut point : ils sont cause que la pauvreté est blessée, 
et le silence mal gardé. Je te commande donc, au nom de 
la sainte obéissance, de cesser de faire des miracles. » Le 
Fils de Dieu acquiesça au désir de son fidèle serviteur, et à 
dater de ce jour il ne se fit plus de miracles sur la tombe du 

(1) Tu. DE Celaxo, Vita secunda, p. 2, c. xvii. 

(2) BAnTiiÉLEMY DE PiSE, Livre des Conformités, col. lx (éd. de Bologne, 1590). 
Ouvrage écrit en 1399. 



86 SAIIST FRANÇOIS D'ASSISE. 

Bienheureux Pierre Cattani. Ce silence éternel, succédant 
tout d'un coup à tant de prodiges, renfermait une haute 
leçon que saisirent tous les disciples de notre Saint. Ils com- 
prirent que Dieu manifestait par là tout le prix qu'il attache 
à l'obéissance religieuse, et ils se montrèrent de plus en plus 
zélés pour l'observance de cette vertu (1). 

Gilles, le troisième compagnon de François, est une des 
figures les plus gracieuses de la famille franciscaine. Le 
séraphique Patriarche, admirant son esprit d'abnégation, 
disait de lui, en faisant allusion aux romans de la chevalerie : 
(t C'est un des paladins de ma Table ronde. » Le témoi- 
gnage de saint Bonaventure est plus explicite encore : « Je 
l'ai vu de mes propres yeux et plus d'une fois ravi en extase, 
écrit-il; et je ne crois pas aller trop loin en affirmant qu'il 
menait la vie d'un ange plutôt que la vie d'un homme (2). » 
Il fut à la fois le grand pèlerin et le grand extatique du 
moyen âge. Pèlerin, il entreprit les voyages de Saint- 
Jacques de Compostelle, de Bari, du mont Gargano, de 
Jérusalem. Extatique, il faisait l'étonnement de ses contem- 
porains; il suffisait, pour lui causer des ravissements, de 
prononcer devant lui les mots de Dieu ou de paradis. 

Toutes les perfections divines se reflétaient dans son âme 
comme dans un pur cristal et rayonnaient au dehors, avec 
un cachet de candeur et d'aimable simplicité qui lui appar- 
tient. Un jour, il alla trouver saint Bonaventure, alors 
ministre général de l'Ordre, et lui adressa la question sui- 
vante : « Mon Père, Dieu vous a comblé des dons de sa 
grâce; mais nous, simples et ignorants que nous sommes, 
que ferons-nous pour être sauvés? — Mon Frère, répondit 

(1) Livre des Conformités, col. lxiv. — Cf. Jourdain de Giano, Chronique, 
p. 4, n" 11; et Chronique des vingt-quatre généraux. 

(2) BoNAV., c. m. — Cf. la Chronique des vingt-quatre généraux, qui repro- 
duit intégralement la Vie du Frère Gilles, écrite, au témoignage de Salimbéné, par 
le Frère Léon; et les Acta SS., 23 avril. 



CHAPITRE V. 87 

le Docteur séraphique, quand Dieu ne vous aurait donné 
que son amour, cela suffirait à votre salut, — Mais, mon 
Père, continua le Frère Gilles avec une naïveté char- 
mante, un ignorant peut-il aimer Dieu autant qu'un savant? 
— Assurément, répliqua le Père; une pauvre vieille femme 
peut aimer Dieu autant et plus qu'un docteur en théologie. » 
Aussitôt Frère Gilles, ne pouvant contenir les élans de son 
enthousiasme, court au jardin, et, la face tournée vers la 
ville, se met à crier de toutes ses forces : « Femmes pauvres, 
simples et ignorantes, aimez le Seigneur votre Dieu, et vous 
pourrez devenir plus grandes que Frère Bonaventure. » 

Qui ne connaît le beau miracle des trois lis? Un docteur 
en théologie, de l'Ordre de Saint-Dominique, était depuis 
longtemps torturé par un doute sur la virginité perpétuelle 
de la Mère de Dieu. La pensée lui vint, pour mettre fin au 
scrupule qui l'obsédait, d'aller chercher aide et lumière 
auprès de l'humble Mineur. Celui-ci en fut prévenu miracu- 
leusement ; il marcha à sa rencontre, et sans lui laisser le 
temps de parler, il lui dit, en frappant la terre de son bâton : 
« Frère Prêcheur, Marie est vierge avant son enfantement.» 
Et un beau lis sortit de terre au même moment. Frappant 
de nouveau la terre, il reprit : « Frère Prêcheur, Marie est 
vierge dans son enfantement. » Un second lis s'éleva de terre. 
Enfin, donnant un troisième coup de bâton en terre : « Frère 
Prêcheur, s'écria-t-il, Marie est vierge après son enfante- 
ment. » Et un troisième lis, d'une blancheur éblouissante, 
comme les deux premiers, se dressa devant eux. Et le Reli- 
gieux dominicain, non moins frappé de l'autorité de sa 
parole que du triple miracle des lis, se retira, emportant 
dans son âme cette paix divine qu'il avait jusqu'alors vai- 
nement cherchée. 

Est-il rien de plus ravissant que de lire dans les auteurs 
contemporains la vie de ces hommes de Dieu? Et ne croi- 



88 SAINT FRANÇOIS D'ASSISE. 

rait-on pas retrouver nnè page, perdue depuis des siècles, 
de l'Évangile ou des Actes des Apôtres? Sur un signe de 
François, comme autrefois sur un signe du Sauveur, les dis- 
ciples accourent. L'illusion est complète : même nombre, 
mêmes vertus, mêmes miracles dans ce nouveau collège 
apostolique que dans le premier. Rien n'y manque, pas 
même, hélas! la trahison de Judas! Bernard de Besse nous 
a livré le nom flétri de ce traître : c'était Jean de Capella, 
le sixième compagnon de saint François. Chargé du soin de 
distribuer aux Frères les aumônes reçues, il reprit peu à peu 
les goûts du monde et perdit l'esprit de prière et de pau- 
vreté. En vain le séraphique Père l'avertit du péril que cou- 
rait son âme; en vain il essaya, tantôt par des exhortations 
paternelles, tantôt par de vertes réprimandes, de le ramener 
dans la voie de l'abnégation; en vain il le menaça des châti- 
ments du ciel. Jean n'écouta que sa passion. Alors, selon la 
prédiction du serviteur de Dieu, la justice divine éclata, 
prompte et terrible. Une lèpre affreuse couvrit tout le corps 
du coupable, le torturant nuit et jour. Il n'eut pas le cou- 
rage de supporter cette épreuve : il quitta le saint habit de 
la pénitence, rentra dans le siècle, et se laissant aller au 
désespoir, il se pendit comme Judas (1). C'était en l'année 
1212, comme nous le verrons plus tard. Une des pierres 
fondamentales de l'édifice venait de rouler dans l'abîme. A 
cette triste nouvelle, François, qui était alors à Rome, fut 
brisé de douleur; à l'exemple du vieux patriarche Jacob, il 
ne voulait pas recevoir de consolations. Ses compagnons 
n'osaient lui parler, lorsqu'un nouveau postulant vint frapper 
à la porte : c'était un fils de la lointaine Angleterre. Son 
entrée dans l'Ordre coïncidait trop bien avec l'apostasie de 

(i) « Qui Ordine exiens, leprosus factus, laqueo ut alter Judas mteriit. » (Bern. 
DE Besse, De laudibus B. Fr.) La Ch-onique des vingt-quatre généraux se sert 
d'exj)ressions identiques. 



CHAPITRE V. 89 

Jean de Capella, pour n'y pas voir un secret dessein de la 
Providence. A l'instant même, et d'un commun accord, il 
fut résolu que Frère Guillaume prendrait parmi les douze la 
place du sixième compagnon, comme autrefois Mathias 
avait pris la place du disciple infidèle. Ainsi s'ajoutait un 
nouveau trait de ressemblance entre la fondation du nouvel 
Ordre et celle du collège apostolique. 

Les disciples de la deuxième heure — ceux qui viennent 
immédiatement après les douze premiers compagnons — 
forment également un groupe à part, nombreux, compact. 
Dans ce groupe, quatre figures en relief : ce sont les Frères 
Léon, Rufin, Masseo et Junipère, restés plus populaires, par 
ce motif qu'ils vécurent davantage de la vie du saint fonda- 
teur. Junipère, célèbre par son amour pour les humiliations, 
et dont un mot piquant de François nous laisse deviner toutes 
les perfections : « Plût au ciel que nous eussions un bois de 
pareils genévriers (1)! » Masseo Marignani (2), en qui 
s'unissaient harmonieusement une diction concise, une 
incomparable suavité pour parler de Dieu, et de plus une 
si parfaite obéissance, qu'il remplissait volontiers les plus 
vils offices du couvent. Rufin, issu d'une noble famille d'As- 
sise et cousin de sainte Claire ; fleur séraphique dont les 
parfums réjouissaient l'Eglise de Dieu; nature d'élite dont 
le saint Patriarche disait : « Le Seigneur m'a révélé que c'est 
une des âmes les plus fidèles et les plus pures qu'il y ait au 
monde, et même je n'hésiterais pas à lui donner dès cette 
vie le titre de saint, puisqu'il est déjà canonisé là-haut, j? 
Enfin, Léon de Viterbe, l'angélique Frère Léon, celui que 
saint François appelait, à raison même de sa candeur, la 
petite brebis du bon Dieu, la pecoretla di Dio, esprit lim- 

(1) Juniperus, {genévrier. 

(2) GiACOBELLi (Fî'e {les Saints de l'Ombr'ie, 17 novembre) préteiid que Mari- 
gnani était le nom patronymique de Masseo. 



90 SAINT FRANÇOIS D'ASSISE. 

pide et paisible comme ces lacs inconnus qui sont perdus 
dans les montagnes des Alpes et où se mirent en silence 
toutes les splendeurs du firmament j âme naïve et pure, et 
par conséquent heureuse ; car n'est-il pas écrit dans l'Évan- 
gile : « Bienheureux les cœurs purs , parce qu'ils verront 
Dieu ! » 

Léon tient une place à part dans l'histoire des Frères 
Mineurs. Compatriote, secrétaire et confesseur du Saint, 
confident intime auquel le séraphique Patriarche ouvrait 
tous les trésors de son âme, il fut, qu'on nous permette cette 
expression, le saint Jean du Collège séraphique, et mérita, 
après avoir été si étroitement uni à notre Saint pendant les 
jours de son pèlerinage terrestre, de n'être point séparé de 
lui après sa mort : on déposa ses restes à côté de la tombe 
du séraphique Père, 

Le maître et le disciple avaient ensemble des conversa- 
tions toutes célestes, dont quelques-unes, celles qui capti- 
vaient davantage l'imagination jeune et ardente de ces 
temps, ont échappé à l'oubli. Transmises de vive voix par 
la première génération, elles ont été recueillies par l'auteur 
anonyme des Fioretti, qui a su en composer un bouquet 
d'une fraîcheur exquise. Ne cherchons point les preuves 
de leur authenticité. Ce sont des fleurs, fleurs de poésie, 
fleurs embaumées qui trahissent leur saison, c'est-à-dire le 
printemps de l'institution séraphique. Nous en cueillerons 
deux : la Joie parfaite et le Bréviaire de saint François, 
pour les offrir à nos lecteurs . 

Par une froide journée d'hiver, François et le Frère Léon 
se rendaient de Pérouse à Notre-Dame des Anges ; le Frère 
Léon marchait un peu en avant, absorbé dans sa médita- 
tion. Saint François l'appela : « Frère Léon, lui dit-il, 
plaise au ciel que les Frères Mineurs donnent à toute la 
terre un grand exemple de sainteté! Néanmoins, chère 



CHAPITRE V. 91 

brebis du bon Dieu, sache que ce n'est point là la joie 
parfaite. » Un peu plus loin, il reprit : « Frère Léon, 
quand les Frères Mineurs rendraient la vue aux aveugles, 
chasseraient les démons, feraient parler les muets ou resâus- 
citeraient des morts de quatre jours, sache que ce n'est 
point là la joie parfaite. » Plus loin encore : « O Frère Léon, 
si les Frères Mineurs savaient toutes les langues et toutes les 
sciences, s'ils avaient le don de prophétie et celui du discer- 
nement des cœurs, sache que ce n'est point là la joie par- 
faite. » Et un peu plus loin : « Chère brebis du bon Dieu, si 
les Frères Mineurs parlaient la langue des Anges , s'ils con- 
naissaient le cours des astres, la vertu des plantes, les secrets 
de la terre, et la nature des oiseaux, des poissons^ des hom- 
mes, des animaux, des arbres, des pierres et de l'eau, sache 
que ce n'est point là la joie parfaite. » Puis, à quelques pas 
plus loin encore : « Frère Léon, quand même les Frères 
Mineurs réussiraient par leurs prédications à convertir à la 
foi chrétienne tous les peuples infidèles, sache que ce n'est 
point encore là la joie parfaite. » Il continua à parler ainsi 
l'espace de deux milles. Enfin, son compagnon, étonné, lui 
demanda : « Père, je vous en prie au nom de Dieu, dites- 
moi donc en quoi consiste la joie parfaite. » Le Saint répon- 
dit : « Quand nous arriverons à Notre-Dame des Anges, 
mouillés, transis de froid, mourant de faim, et que nous 
frapperons à la porte, supposons que le portier nous dise : 
« Vous êtes deux fainéants, qui courez le monde! Vous êtes 
des voleurs d'aumônes, partez d'ici! » S'il nous laisse à la 
porte pendant la nuit, à la neige et au froid, et que nous 
endurions tout avec patience, sans trouble ni murmure, 
dans la pensée que le portier nous traite selon nos mérites 
et que tout cela nous arrive par la permission de Dieu, 
crois-moi, ô Frère Léon, c'est là ime joie parfaite! Et si, 
pressés par la nuit, le froid et la faim, nous supplions le 



92' SAINT FRANÇOIS D'ASSISE. 

Frère 3 les mains jointes et pour l'amour de Dieu, de nous 
laisser entrer dans 1q couvent, et que, sortant tout en colère, 
un gros bâtoii noueux à la main, il nous jette dans la neige 
et nous renvoie couverts de plaies; si nous supportons en 
paix tous ces mauvais traitements , dans la pensée que nous 
devons participer aux souffrances de notre béni Seigneur 
Jésus-Christ, crois-riioi, ô Frère Léon, c'est bien là la joie 
parfaite ! Car de tous les dons spirituels que l'Esprit-Saint 
répand dans les âmes, le plus excellent, c'est le don de se 
vaincre soi-même et de souffrir volontiers pour l'amour de 
Dieu (1). » ■■■:■' 

Un autre jourj dans les premiers temps de l'Ordre, saint 
François voyageait encore avec Frère Léon. N'ayant pas de 
livre pour réciter l'office canonial, il dit à son compagnon : 
« Chère brebis du bon Dieu, c'est riieure des Matines, et 
nous n'avons pas de bréviaire pour les réciter. Et pourtant, 
il nous faut chanter les louanges de' Dieu. Voici ce que nous 
ferons. Je dirai : « Frère Fraiiiéois, tu as commis tant de 
péchés, lorsque tu étais dans le monde, que tu mérites 
d'être précipité au fond des enfers. » Et toi. Frère Léon, tu 
répondras : « Il est vrai que tu mérites d'être précipité au 
fond des enfers. » Et le Frère Léon dit avec la simplicité 
d'une colombe : « Volontiers, mon Père. « Mais, au lieu de 
répondre comme le voulait François , il dit^ au contraire : 
« Dieu fera par vous tant de bien, que , vous irez en paradis. 55 
Le Saint le reprit : « Il ne faut pas dire ainsi, Frère Léon; 
mais, quand je dirai : « Frère François, tu as tellement 
multiplié tes iniquités contre le Seigneur, que tu n'as droit 
qu'à ses malédictions », tu répondras : « Il est vrai que tu 
mérites d'être au nombre des maudits, » Mais le Frère Léon 
dit : « Frère François , Dieu vous fera grâce ; et vous 

(1) Fioretli, ch. vin 



CHAPITRE V. m 

serez béni entre tous les élus. » Alors le Saint lui 4it avec 
une douce colère: «Pourquoi as-tu, la hardiesse de trans-^ 
gresser le précepte de l'obéissance', et de répondre tant de 
fois autrement que je ne te Tai ordonné? — .Très, cher Père, 
répondit Léon, Dieu m'en est témoin, j'ai voulu répéter les 
paroles que vous m'avez prescrites, mais liii-même me fait 
parler comme il lui plaît et contre ma voloiité. — Cette fois, 
au moins , reprit François , réponds comme je te l'ensei- 
gnerai. Je dirai : « Frère François , petit homme miséra- 
ble, après tant de crimes, oses-tu bien encore espérer que 
Dieu te pardonnera? » Et toi, chère petite brebis, tu répon- 
dras : « Non, tu n'as aucun droit à sa miséricorde. » Ges 
derniers mots étaient entrecoupés dé sanglots j çt se frap- 
pant la poitrine, les yeux tout baignés de larmes, il attend 
dait que son compagnoji répétât les mêmes paroles. Mais 
Frère Léon répondit : « Dieu vous comblera de grâces insi- 
gnes; vous serez exalté et glorifié éternellement; car celui 
qui s'abaisse sera élevé. Je ne puis dire autrement; c'est 
Dieu qui parle par ma bouche. » 

Et cette lutte entre l'humilité de l'un et les prophétiques 
promesses de l'autre se prolongea depuis minuit jusqu'à 
l'aube du jour (1). 

Ces dialogues intimes n'enveloppent pas seulement des 
charmes de la poésie les origines , au caractère par ailleurs 
si grandiose, de l'institut séraphique; ils éclairent encore 
l'histoire et nous aident à pénétrer plus avant, soit dans 
l'esprit lumineux du maître, soit dans l'âme simple et con- 
fiante des disciples. 

Parmi ces derniers, nous avons nommé les principaux ;. 
Bernard de Quintavalle, Pierre Cattani, Gilles, Léon, Rufin, 
Masseo et Junipère, fleurs delà vie mystique, cœurs enthou- 

(1) Fioretli, cb. ix. 



94 



SAINT FRANÇOIS D'ASSISE. 



siastes parce qu'ils étaient purs, courages magnanimes 
qu'attirait le dévouement, comme le péril attire le soldat! 
C'est avec ces élus de la première et de la deuxième heure 
que le Patriarche d'Assise va entreprendre le grand œuvre 
de la régénération de l'ItaUe. 




Sceau de la custodie de Gubbio. 



CHAPITRE VI 

EN TOSCANE. 
(1210-1212) 



Ce qui frappe clans la vocation clu Patriarche cV Assise, 
c'est la netteté avec laquelle elle se dessine, sans ombre 
d'hésitation, d'un bout à l'autre de son existence. On sent 
que devant lui se dresse constamment l'idéal qui lui a été 
montré dans la matinée du 24 février 1 209 et dans la vision 
de Poggio-Buscone. Cet idéal, c'est une chevalerie spiri- 
tuelle s'attachant à la poursuite des erreurs , comme la 
chevalerie militaire s'attache au redressement des torts ; 
c'est une milice d'avant-garde, pacifique, envahissante, 
ayant la croix pour armure et la conquête des âmes pour 
objectif. 

Certains publicistes modernes saluent dans le fils de Ber- 
nardone un continuateur d'Arnaud de Brescia et de 
Pierre Valdo. Rien n'est plus opposé à son caractère. 
Jamais il n'attaque ni la féodalité, ni la richesse, ni la forme 
politique des Etats. Non, il n'est ni un tribun ni un révolté ; 
et il ne devient un grand réformateur social .que par voie de 
conséquence et pour avoir tout d'abord accompli la réforme 
essentielle, celle des mœurs. Combattre les passions qui 
troublent la paix des familles et amènent la chute des 
empires, saisir la croix et la replanter au sommet de l'édi- 



96 SAINT FRANÇOIS D'ASSISE. 

lice social, voilà, il ne le dissimule pas, le but de sa noble 
ambition, parce que la croix, emblème de nos espérances, 
est à ses yeux la source de toute civilisation. 

L'année 1210 nous fait assister à l'aurore de cette action 
à la fois relifjieuse et sociale. La vocation de Bernard de 
Quintayalle, la conversion plus étrange encore de Silvestre, 
ce qu'on racontait de Rivo-Torto et de la Portio'ncule, tous 
ces prodiges qui entourent le berceau de l'Ordre et, qui 
charmaient l'imagination des peuples, toujours avides de 
mystérieux et d'inconnu, avaient prévenu l'opinion publique 
en faveur du fils de Bernardone. Une émeute sortie de la 
classe infime de la société nous montre quel était déjà le 
prestige de son nom. Les serfs, réduits au désespoir par les 
exactions des seigneurs, secouèrent le joug de fer qui pesait 
sur leurs épaules , montèrent tumultuairement au palais 
communal et réclamèrent l'abolition des droits féodaux. 
L'intervention du clergé et des Frères arrêta l'effusion du 
sang, et les barons signèrent la charte d'affranchissement, 
où l'on retrouve l'esprit et jusqu'aux expressions du réfor- 
mateur ombrien (1). 

Cet acte de pacification, qui honore notre saint, prélude 
a l'oeuvre qu'il avait reçu mission d'accomplir. La société 
chrétienne était agonisante : il fallait la sauver sans retard. 
Mais comment atteindre, comment soulever lé monde des 
âmes, si ce n'est avec le levier de la parole divine? Et où 
trouver des hommes animés de l'esprit des prophètes? 
François tremblait, et avec raison, devant une entreprise 
qui dépasse les forces humaines. Cependant, ses craintes 
cédèrent devant le désir de remédier au mal. Au commen- 
cement de l'année 1211, se souvenant de l'autorisation 
accordée par Innocent III et mettant toute sa confiance en 

(1) Cristofani, Histoire d'Assise, liv. II, p. 122-130. 




LE COUVENT DES CELLE, PRES DE CORTONE. 



98 SAINT FRANÇOIS D'ASSISE. 

Celui qui donne la parole aux muets et rend éloquente la 
langue des ignorants, il réunit ses compagnons et leur par- 
tagea l'Italie. Il partit lui-même avec Frère Silvestre pour 
la Toscane. Il s'arrêta quelques jours à Pérouse, où Dieu 
récompensa son zèle par la conversion d'un grand nombre 
d'âmes et par la vocation miraculeuse d'un jeune seigneur 
de cette ville. Celui-ci se promenait aux environs de la cité, 
tout préoccupé du désir de répondre à l'appel de la grâce 
et de se consacrer à Dieu, lorsque le divin Maître lui appa- 
rut et lui dit : « Homme de désirs, si tu veux jouir de la 
paix que tu souhaites et faire ton salut, entre en religion et 
suis-moi. — Ehl Seigneur, dans quel Ordre faudra-t-il 
entrer? — Dans l'Ordre naissant de François d'Assise. — Et 
quand j'y serai, qu'aurai-je à faire pour être plus agréable 
à vos yeux? — Le voici : mènes-y la vie commune, n'aie 
point de liaisons particulières, ne t'occupe point des défauts 
des autres, et ne forme point de jugements à leur désavan- 
tage. » Le jeune gentilhomme courut se jeter aux pieds de 
François, qui lui donna l'habit de son Ordre et lui imposa le 
nom de Frère Humble, en raison de la profonde humilité 
qu'il avait discernée au fond de son cœur (1). 

De Pérouse, nos deux missionnaires se rendirent à Cor- 
tone, cité fameuse par ses monuments étrusques, qui se 
dresse fièrement, comme Assise et Pérouse, sur le versant 
occidental des Apennins. Le serviteur de Dieu y reçut plu- 
sieurs novices, entre autres Elle d'Assise, personnage d'un 
rare mérite dont il sera plus d'une fois question dans la 
suite, et le Bienheureux Gui Vagnotelli de Cortone, jeune 
homme de qualité qui tint à honneur de donner l'hospitalité 
au Pénitent d'Assise, et dont François prédit ainsi la voca- 
tion : « Mon frère, dit-il à Silvestre, ce jeune homme s'en- 

(1) Wadding, t. I, p. 108. 



CHAPITRE VI. 



99 



rôlera aujourd'hui même dans notre milice, et il se sancti- 
fiera dans sa patrie. « Ce qui eut lieu. Le Saint leur bâtit, à 
un mille de la cité, dans une des déchirures du mont Saint- 
Gilles, au bord d'un torrent qui ne tarit jamais, le pitto- 
resque couvent des Celle. Quand arriva le Carême, il confia 
au Frère Silvestrele gouvernement de la nouvelle fondation, 
partit le mercredi des Cendres dès le point du jour, avec 




deux petits pains pour toute provision, descendit à Passi- 
gnano , et de là se fit transporter dans une île du lac de 
Pérouse (ou lac Trasimène), en recommandant au batelier 
de ne révéler à personne le lieu de sa retraite, et de ne 
venir le chercher que le mercredi de la semaine sainte. 
Resté seul dans ces lieux inhabités, il s'achemina vers un 
buisson, où des ronces entrelacées et des branches d'arbres 
formant berceau lui servirent de cellule, et près duquel la 



100 SAINT FRANÇOIS D'ASSISE. 

Providence avait placé comme exprès une fontaine limpide, 
qui lui fournit son breuvage. L'eau de cette fontaine guérit 
dans la suite une foule de malades. Les Frères Mineurs ne 
tardèrent pas à bâtir, à côté du buisson témoin des pénir- 
tences du Saint, un couvent autour duquel se groupèrent 
peu à peu de gracieuses habitations de pêcheurs. 

C'est dans cette île que le fils de Bernardone passa tout le 
Carême de 1211 ; il y garda un jeûne si rigoureux qu'il ne 
mangea que la moitié d'un pain. Le mercredi saint, le bate- 
lier vint le reprendre. Une tempête s'étant élevée pendant 
la traversée, François l'apaisa d'un signe de croix, comme 
autrefois Jésus avait calmé celle du lac de Génésareth. Ce 
qui le ramenait à l'ermitage des Celle, c'était le désir de 
passer au milieu de ses Frères les grands jours de la semaine 
sainte, et de faire la sainte communion, dont il était privé 
depuis quarante-deux jours. Le jeudi saint, il vint le pre- 
mier, avec la ferveur d'un séraphin , recevoir le pain des 
Anges, j)uis tous ses disciples après lui (1). 

Le zèle ne laisse point de repos à ceux qu'il possède. 
Après les fêtes de Pâques, François se dirigea sur Arezzo, 
toujours en compagnie du Frère Silvestre. En entrant dans 
cette ville, il la trouva divisée en deux factions prêtes à en 
venir aux mains, et aperçut une armée de démons qui 
volaient de rang en rang pour exciter les citoyens à 
s'entr'égorger. Aussitôt, il se tourne vers son compagnon, 
et lui commande d'aller sur les remparts pour chasser les 
démons. Silvestre obéit, et plein de cette foi qui transporte 
les montagnes, il crie de toutes ses forces : « Tout ce que 
vous êtes ici d'esprits immondes, fuyez au loin; je vous 
l'ordonne au nom du Dieu tout-puissant et de François son 
serviteur. » Au même moment, les anges de ténèbres s'en- 

(1) RODOLPUE DE TossiGSANO, Histoire sérapliique. Venise, 1586. 



CHAPITRE VI. 



101 



fuient; les haines s'apaisent dans les cœurs, et les deux par- 
tis se réunissent autour de François; Tardent apôtre leur 
parle de paix et d'amour, avec une éloquence qui fait tom- 
ber les armes des mains des combattants; et au nom de 




Saint François en prière commande à son compagnon de chasser les démons de 

la ville d'Arezzo. (D'après Giotto.) 

l'Évangile, il réconcilie des passions trop souvent irréconci- 
liables (1). 

D'Arezzo, l'homme de Dieu se rendit à Florence. Cette 



(1) Tir. DE Gelaxo, Vita sccuiula, p. 3, c. ii. 



102 SAINT FRANÇOIS D'ASSISE. 

grande cité, si renommée dès lors pour son commerce, et 
qui devait un siècle plus tard, sous les Médicis, jeter un si 
vif éclat, ne se montra pas moins empressée que ses voisines 
. à entendre la parole du Saint. Le séjour de François y fut 
d'assez courte durée, mais il fut signalé par plusieurs évé- 
nements qui méritent d'être rapportés. Les habitants firent 
don au saint fondateur du petit couvent de San-Gallo, situé 
aux portes de la ville ; et dès la première heure la Provi- 
dence se plut à susciter de nombreuses vocations, dont la 
plus célèbre est sans contredit celle de Jean Parent (1). 

Savant jurisconsulte , homme d'un mérite supérieur, il 
avait été le premier magistrat de Citta-Castellana, et on lui 
avait décerné le titre de citoyen romain. Un soir qu'il se 
promenait aux environs de cette ville, il vit un pâtre qui 
s'efforçait de faire entrer un troupeau de porcs dans leur 
étable, et qui, tout en colère de ne pouvoir réussir, se mit à 
crier, en les poussant avec la pointe de son bâton : « Allons 
donc, pourceaux! Entrez dans votre étable comme les juges 
entrent en enfer! » Et les animaux obéirent à l'instant. 
L'insolente apostrophe du porcher, que lui avait sans doute 
su^ggéréele souvenir d'anciens démêlés avec la justice, fut le 
moyen dont la Providence se servit pour toucher le cœur du 
savant magistrat. Il revint tout pensif, méditant sur la lourde 
responsabilité des fonctions publiques et sur les dangers du 
monde ; il ne tarda pas à se démettre de sa charge, et vint 
se retirer à Plorence. C'est là, dans les épanchements d'une 
conversation intime avec l'apôtre ombrien, que la grâce le 
saisit, sans miracle, mais avec une force irrésistible. Fran- 
çois, « qui se plaisait à honorer ses visiteurs selon leur rang 
et leur mérite (2) », l'accueillit avec cette distinction et cette 
courtoisie qu'il avait gardées des relations de sa jeunesse; 

(1) Chronique des vinqt-ejuatre généraux. 

(2) Tu. DE Celano, Vita prima, p. 1, c. xx. 



CHAPITRE VI. 103 

et l'ancien magistrat fut si cliarmé de l'entretien qu'ils 
eurent ensemble, qu'il prit la courageuse résolution d'imiter 
la vie pénitente dont il avait l'exemple sous les yeux. Son 
fils unique reçut la même vocation. Tous deux, ayant donc 
distribué leurs biens en œuvres pies, revêtirent avec joie 
l'habit des Frères Mineurs. Ainsi commençait à se réaliser 
la promesse du Saint : « Dans peu de temps, les nobles et 
les savants se joindront à vous pour prêcher devant les 
peuples et les rois. » 

Pendant que saint François était à l'ermitage de San- 
Gallo, trois habitants de la ville vinrent lui faire visite : ils 
amenaient leurs fils pour qu'il les bénît. Notre Bienheureux 
alla, sans rien dire, cueillir cinq figues au jardin, en donna 
une à chacun des deux premiers enfants, remit les trois 
autres au dernier et lui dit en le caressant : « Toi, mon 
enfant, tu seras un jour un des miens. » L'enfant devenu 
jeune homme entra dans l'Ordre des Frères Mineurs et 
reçut, en effet, le nom de Frère Ange qu'il justifia par une 
vie toute céleste (1). 

Ces diverses excursions à travers la Toscane avaient 
occupé une grande partie de l'année 1211. L'absence du 
vénéré fondateur s'était prolongée plus que de coutume. Il 
était impossible, à une date si rapprochée des origines de 
l'Ordre, qu'elle ne se fît pas sentir à la Portioncule, où les 
disciples accouraient, mais où manquait la direction ferme 
et lumineuse du maître. François le comprit. Il avait hâte, 
d'ailleurs, de revoir le sanctuaire privilégié de Marie. Il lui 
tardait aussi de revoir ses compagnons de la première heure 
et cette jeunesse, nombreuse, enthousiaste, sur qui repo- 
saient les espérances de l'avenir. 

Quelques mois après son retour à la Portioncule, il fit la 

(1) Wadding, t. I, p. 115. 



104 SAINT FRANÇOIS D'ASSISE. 

conquête d'une nouvelle recrue :■ conquête qu'on peut con- 
sidérer comme le fruit et le couronnement de sa mission de 
Toscane. Saint Bonaventure a pris soin de nous en décrire 
minutieusement les détails, non sans motif; car elle est un 
témoignage convaincant de l'idée de sainteté et de bonté 
compatissante qui s'attachait dès lors au nom du fils de 
Bernardone. 

Un religieux, du nom de Morico et de l'Ordre des Croi- 
siers , languissait dans un des hôpitaux qui avoisinaient 
Assise. De l'avis des médecins, la mort était imminente. 
Dans cette extrémité, il lui vint à la pensée de se recom- 
mander aux prières de l'homme de Dieu. Sa confiance ne 
fiit pointtrompée. Le Saint priapour lui; puis, ayant trempé 
de la mie de pain dans l'huile de la lampe de Notre-Dame 
des Anges, il dit à ses Frères : « Portez ce remède à notre 
Frère Morico. Non seulement, par la vertu du Christ, il le 
guérira, mais il fera de lui un des plus robustes soldats de 
notre milice. » Pour Morico, comme pour l'enfant de San- 
Gallo, la prédiction s'accomplit de tout point. Il s'enrôla 
sous l'étendard de son bienfaiteur, et offrit longtemps encore 
à sa nouvelle famille le double spectacle d'une pénitence 
héroïque et d'une santé que semblaient épargner les infir- 
mités de l'âge (1). 

Avec le saint fondateur et sa nouvelle recrue pénétrons 
dans l'intérieur du couvent de la Portioncule : couvent de 
bien chétive apparence, mais d'où est parti un grand mou- 
vement de rénovation religieuse. Au témoignage de Thomas 
de Gelano, il offrait tous les contrastes. Au dehors, les pri- 
vations et le dénuement ; au dedans , une sainte allégresse 
et l'union des volontés. Au dehors, le soin des lépreux et les 
offices les plus pénibles à la nature; au dedans, la joie du 

(1) BONAV., C. IV. 



CHAPITRE VI. 



105 



devoir accompli et les consolations spirituelles prodiguées. 
Au dehors, les apparences d'une prison; au dedans, une 
sorte de paradis terrestre où régnait l'opulence de la paix, 
parce que Dieu y régnait en maître. Nulle trace de ces noirs 
chagrins, de cette oppression des coilsciences, de ce fana- 
tisme aveugle que la libre pensée reproche aux cloîtres ! 

Coin de terre vraiment privilégié, le Très-Haut y semait 
ses bénédictions. « Les vocations affluaient; clercs et 
laïques, patriciens et plébéiens accouraient à l'envi », heu- 
reux de se donner à Dieu, heureux de se dévouer au service 
de leurs frères. Un grand souffle de foi les soulevait jusqu'à 
la hauteur d'un héroïsme quotidien; et dans cette vallée 
d'Assise germaient toutes sortes de vertus, qui ne deman- 
daient qu'à s'épanouir au grand soleil pour répandre leurs 
parhmis et donner tous leurs fruits. « Et c'est au zèle du 
réformateur ombrien qu'était due, après Dieu, cette riche 
floraison monastique » qui embaumait la terre et réjouissait 
le ciel (1). 

(1) Th. de Celano, Vita prima, p. 1, c. xv. 




Sceau de l'abbaye de Loiigchaïups, (1266.) 



CHAPITRE VII 

SAINTE CLAIRE ET LES PAUVRES DAMES. 

(1212) 



« Il semble, depuis sainte Hélène et Constantin, que rien 
de grand ne puisse paraître dans TÉglise, sans quune 
femme y ait part (1). » Cette réflexion d'Ozanam s'applique 
avec une parfaite justesse à la grande épopée franciscaine. 
A l'homme de sa droite, au réformateur ombrien déjà si 
puissant par lui-même, la Providence associe une coadju- 
trice digne de lui, l'illustre vierge Glaire, qui sera la mère 
des Pauvres Dames, comme il est le patriarche des Frères 
Mineurs. Et le lieu choisi d'en haut pour être le berceau 
de ce second institut, c'est encore la Portioncule : tant il 
est manifeste, dès le principe, que les deux fondations sont 
nées du même acte créateur et qu'elles sont sœurs dans la 
pensée de Dieu comme dans l'histoire ! 

Claire naquit à Assise. Ses parents, Favorino et Ortolana, 
avaient uni les blasons des deux plus antiques maisons de 
cette ville, les Scefi et les Fiumi, et comptaient parmi leurs 
alliés les Bienheureux Silvestre et Rufin. Favorino possédait 
sur la pente méridionale du mont Soubase le château de 
Sasso-Rosso. Ortolana, femme d'une piété éminente, avait 



(1) OzANAM, le Purgatoire de Dante, p. 568. 



CHAPITIIE VII. 107 

entrepris par dévotion les pèlerinages de Terre Sainte, du 
mont Gargano et de Saint-Pierre de Rome. A son retour, 
Dieu la visita dans sa miséricorde, et Ortolana, comme la 
mère de Samuel, obtint, par la vertu du jeûne et de la 
prière, une enfant qui devait immortaliser le nom des Scefi. 
Un jour qu'elle était agenouillée devant son crucifix et 
qu'elle conjurait le Seigneur de bénir le fruit de ses entrailles, 
elle entendit une voix qui lui disait : « Ne crains rien, Orto- 
lana, tu mettras heureusement au monde une lumière qui 
éclairera tout l'univers. « L'enfant prédestinée naquit quel- 
ques jours après. Elle reçut l'eau régénératrice sur les 
mêmes fonts sacrés où François avait été baptisé douze ans 
auparavant, et sa mère voulut qu'on lui donnât le beau nom 
de Claire (1), symbole et présage de sa grandeur future. En 
ce jour-là, le ciel et la terre se réjouirent. C'était le 16 juil- 
let 1194. 

La fille des Scefi fut toujours un ange d'innocence et de 
piété. Dès l'adolescence elle se livrait à diverses pratiques 
de mortification, et portait un ciliée sous ses riclies vête- 
ments. Intelligence bien douée, cœur aux viriles énergies, 
elle réunissait dans sa personne ces charmes extérieurs dont 
le monde est toujours affolé : une taille élancée, un port 
majestueux, le teint frais et vermeil, les traits fins et déli- 
cats, encadrés par une jolie chevelure blonde. Ses parents, 
ravis de voir en elle de si grands avantages, ne songeaient 
qu'à l'établir dans le monde; mais la jeune fille avait des 
désirs plus élevés, et, à dix-huit ans, elle méditait d'offrir 
au Roi des rois la fleur brillante de sa virginité. Dieu vint à 
son secours en l'adressant au Bienheureux Patriarche. Pen- 
dant le Carême de l'an 1212, le Saint prêchait à Assise dans 
l'église Saint-Georges. C'était sa première prédication solen- 

(1) Clara, lumineuse, illustre. Acta SS., 12 août, Vie anonyme de sainte 
Glaire. 



108 



SAINT FRANÇOIS D'ASSISE. 



nelle; et quoiqu'il soit écrit que nul n'est prophète en son 
pays, François tenait ses propres compatriotes sous le 
charme d'une parole neuve, énergique et pleine d'onction, 
Claire, désireuse de connaître un apôtre dont on racontait 
tant de merveilles, obtint un jour d'aller avec sa mère et sa 
sœur Agnès assister à l'une de ses instructions. Elle le voit, 
l'entend, l'admire, et dès ce moment le choisit pour le 
directeur de sa vie. Elle s'ouvre de son dessein à une veuve 




0USÈQTJJ5S SOLENNELLES DE SAINTE CLAIRE. (D'aprcS GiotlinO.) 

digne de toute sa confiance, Bona Guelfucci, sa tante, et se 
rend avec elle dans le plus grand secret à Notre-Dame des 
Anges. François, sachant par révélation qu'il a devant lui 
un trésor dont le monde n'est pas digne, dévoile à Claire le 
prix de la virginité, les beautés ravissantes du céleste Epoux 
et les joies inénarrables d'une union que le temps ne détruit 
pas(l). 

Vers la fin du Carême, elle revint trouver le saint Pa- 
triarche. Elle était impatiente de se donner toute à Dieu, et 



(1) WADDn-G, t. I, p. 124. 



CHAPITRE VII. 109 

les jours qui la séparaient de l'alliance de son bien-aimé 
Jésus lui paraissaient des siècles. De son côté, François, 
craignant que cette fleur si délicate et si belle ne se flétrît 
au souffle empoisonné du monde, pensait qu'il était temps 
de la transplanter dans le jardin fermé de la vie religieuse. 
On convint que ce grand acte s'accomplirait le dimanche 
des Rameaux (19 mars 1212). La jeune vierge, ornée de 
tous ses atours, se rendit à la cathédrale d'Assise; mais au 
lieu d'aller, selon la coutume italienne, recevoir les rameaux 
bénits, elle resta à sa place, les yeux modestement baissés. 
L'évêque, s'en apercevant, descendit les degrés du sanc- 
tuaire et vint lui apporter une palme, emblème des victoires 
qu'elle allait remporter sur le monde. La nuit suivante, à 
l'heure où tout était plongé dans le sommeil, Claire sortit 
de la maison paternelle, parée comme une fiancée au jour 
de ses noces et accompagnée de Bona Guelfucci, et se diri- 
gea en toute bâte vers Notre-Dame des Anges, pour s'y 
offrir en holocauste sur l'autel du divin amour. La scène de 
ses fiançailles spirituelles empruntait à la solitude du lieu, 
au silence de la nuit, à la lueur des cierges brûl^mt surFau- 
tel de la Madone, un caractère imposant de solennité. Pen- 
dant que les religieux célébraient les noces mystiques de 
l'Agneau, la fille des Scefi, .à genoux, les pieds nus, dépo- 
sait ses riches habits, qu'elle destinait aux pauvres. Fran- 
çois lui coupa les cheveux, en signe de renonciation aux 
vanités de la terre, la revêtit d'une robe de bure de couleur 
cendrée, la ceignit d'une corde et lui couvrit la tête d'un 
voile épais. Alors, immolant à Dieu les charmes de sa jeu- 
nesse, non avec le fol enthousiasme que suppose un monde 
incrédule et railleur, mais avec un courage que l'amour seul 
rendait supérieur aux entraînements de la nature, elle choi- 
sit le Christ pour son Epoux, llii jura fidélité et promit de 
le suivre dans les âpres sentiers de la pénitence. Elle n'était 



110 SAINT FRANÇOIS D'ASSISE. 

qu'à son dix-huitième printemps, et déjà elle tenait sous ses 
pieds le monde vaincu. Victoire admirable qui élevait son 
âme à des hauteurs inconnues de l'antiquité et donnait à 
son visage quelque chose d'angélique! Agnès et Cécile 
n'avaient pas plus de charmes, lorsqu'elles consacraient à 
Dieu, dans les ténèbres des catacombes, le blanc lis de leur 
virginité. 

Après la cérémonie, le serviteur de Dieu conduisit Claire 
au monastère de Saint-Paul, situé, d'après Cristofani, dans 
la plaine d'Assise, sur les rives du Chiagio; et cette fois 
encore, pour le second Ordre comme pour le premier, ce 
fat saint Benoît qui lui fournit un asile. 

Les épreuves ne manquèrent pas à notre sainte. Son père 
et sa mère accoururent à Saint-Paul, et n'épargnèrent ni 
prières ni menaces pour l'en arracher; mais Claire, leur 
montrant sa tête rasée et s'attachant avec force aux colonnes 
de l'autel, finit par triompher de toutes leurs attaques. 
François, pour la mettre à l'abri d'un nouvel orage, la fit 
transporter à Saint-Ange du Panso, autre couvent de Béné- 
dictines, bâti dans l'enceinte des remparts d'Assise (1). 

Claire fut la première fleur du virginal parterre des 
Pauvres Dames. Agnès, sa sœur, en fut la seconde. C'était 
une jeune fille de quatorze ans, pure comme un lis, douce 
comme un agneau. Claire conjurait Celui qui se plaît au 
milieu des lis de jeter un regard de miséricorde sur sa jeune 
sœur et de l'admettre à son tour au banquet des vierges. 
Sa prière fut exaucée j peu de jours après, Agnès vint la 
rejoindre et lui dit : « Ma sœur, je veux servir Dieu avec 
vous. » 

Pendant qu'un si doux spectacle réjouissait le monastère 
de Saint-Ange, la maison paternelle était témoin d'une 

(1) Clvonicjue des vingt-quatre ge'neraux; et Gristofaki, Histoire de saint 
Damien, ch; x. 



CHAPITRE VII. 



111 



scène toute différente. Là, c'étaient des cris de douleur et 
de rage; Favorino était exaspéré. Bieritôl il assemble ses 
amis, et leur fait partager ses sentiments. Douze d'entre eux 
prennent les armes, et jurent de lui ramener sa fille, morte 
ou vive. Sans respect pour la sainteté du lieu, ils enva- 
hissent le cloître; l'un d'eux saisit Agnès par les cheveux, et 
la traîne brutalement à travers les rochers jusqu'au bas de 
la montagne; mais soudain le corps de cette enfant devient 




OBSÈQUES SOLICNNiaLKS DE SAINTE CLAIUE. (D'api'ès GiottinO.) 

si lourd que les ravisseurs, forcés d'avouer leur impuis- 
sance, l'abandonnent sur les bords du ravin. Un de ses 
oncles, Monaldo, lève sur elle une main sacrilège, et va la 
percer de son épée; mais il ne peut consommer son crime : 
son bras s'arrête, immobile et desséché. Glaire arrive sur 
ces entrefaites; elle conjure ses parents de lui laisser au 
moins les restes ensanglantés d'Agnès. Les chevaliers, 
poursuivis par le trouble et le remords, finissent par s'éloi- 
gner du champ de bataille, tandis que les deux sœurs, se 
félicitant mutuellement d'avoir été jugées dignes de souffrir 
pour le nom de Jésus, entonnent le cantique de la déli- 



112 SAINT FRANÇOIS D'ASSISE. 

vrance. Hâtons-nous d'ajouter que cette coupable opposi- 
tion de la famille se cliang^ea bientôt en une admiration sans 
bornes. Monaldo guérit miraculeusement^ et, sachant qu'il 
était redevable de sa guérison aux prières de ses nièces, il 
devint leur plus zélé défenseur; Favorino se soumit à la 
volonté de Dieu, et s'endormit peu de temps après du som- 
meil des justes. 

Saint-Ange du Panso n'était qu'un abri provisoire. Dès 
que le saint fondateur eut imposé le voile à Agnès, il établit 
les deux sœurs dans la maison qui touche à l'église Saint- 
Damien, la première des trois églises qu'il avait réparées. 
Ainsi se vérifia la prophétie que le Bienheureux avait faite 
cinq ans auparavant, annonçant que là fleurirait un couvent 
de Pauvres Dames. Claire s'enferma dans cette prison 
volontaire, et elle n'en sortit que pour l'échanger contre les 
splendeurs du ciel. Saint-Damien devint donc pour les filles 
de saint François, pendant un demi-siècle, ce qu'était la 
Portioncule pour ses fils, un jardin fermé, un parterre 
mystique où ne manquent ni les lis de la virginité ni les 
roses du martyre de la pénitence. Qui pourrait dire combien 
de fleurs célestes s'y épanouirent sous le regard de Dieu, 
combien d'anges terrestres s'envolèrent de là vers les col- 
lines éternelles?... Contentons-nous de rappeler ici que la 
sainte abbesse vit accourir sous sa houlette une phalange 
d'âmes séraphiques, parmi lesquelles on est heureux de 
compter Ortolana, sa mère, devenue veuve; Béatrix, sa 
seconde soeur, et cette Bona Guelfucci dont les conseils 
avaient guidé son enfance. 

L'Ordre des Pauvres Dames, qu'on appela dans la suite 
l'Ordre des Clarisses, était fondé. François, ayant écrit 
pour ses filles spirituelles une règle calquée sur celle des 
Frères Mineurs, leur donna pour supérieure la vierge Claire, 
et pour visiteur ce Frère Phifippe le Long, dont il est dit 



CHAPITRE VII, 113 

qu'à la Portioncule un ange lui purifia les lèvres avec un 
charbon ardent (1). Il voulut que cette nouvelle famille 
reposât, comme son aînée, sur le roc inébranlable de cette 
absolue pauvreté qu'il aimait tant. Des exhortations qu'il 
leur adressait à ce sujet, il ne nous reste qu'une lettre, aussi 
expressive que laconique, que nous enchâssons avec bon- 
heur dans notre récit: « Moi, votre tout petit frère Fran- 
çois, je veux suivre la vie et la pauvreté de notre très haut 
Seigneur Jésus et de sa très sainte Mère, et y persévérer 
jusqu'à la fin. Je vous prie aussi, vous toutes que je consi- 
dère comme mes Dames, et je vous conjure instamment de 
vous conformer toujours à cette vie et à cette glorieuse pau- 
vreté. Gardez-vous bien de vous en écarter jamais et d'écou- 
ter là-dessus des maximes et des conseils contraires (2). » 

La vierge séraphique était digne d'entendre un si noble 
langage. « Venez, disait-elle gracieusement à ses filles après 
la lecture de cette lettre , venez comme des colombes vous 
abriter dans le petit nid de la sainte pauvreté. » Elle ne se 
montra pas moins jalouse que le saint Patriarche d'observer 
ce vœu, qui confond la sagesse humaine, de renoncer à per- 
pétuité pour elle et pour son Ordre à toute propriété; et 
l'on sait avec quelle invincible fermeté elle résista, plutôt 
que d'y contrevenir, aux pressantes sollicitations des Souve- 
rains Pontifes eux-mêmes. Grégoire IX alla un jour jusqu'à 
la presser d'accepter quelques possessions pour son Ordre, 
à cause du malheur des temps. « Si c'est votre voeu qui 
vous arrête, ajouta-t-il, nous vous en délierons. — Saint 
Père, répondit-elle,je serais heureuse d'être délivrée de mes 
péchés, mais je ne veux pas d'une absolution qui me dispen- 
serait de suivre les conseils évangéliques (3).» Enfin, à 



(1) Chronique des vingl-quatre généraux. 

(2) OEuvrex de saint François d'Assise, p. i, ép. v; et Testant. S. Fr. 

(3) Acta SS., Vie de sainte Claire, 12 août, p. 758. 



114 SAINT FRANÇOIS D'ASSISE. 

force d'instances, elle obtint d'Innocent IV le privilège de la 
pauvreté perpétuelle, le seul qu'on n'ait jamais sollicité en 
cour de Rome. Le temps a consacré ce privilège par une 
sorte de miracle permanent. Voilà six siècles que les filles 
de sainte Glaire s'abandonnent totalement aux soins de la 
Providence; et, depuis six siècles, la Providence veille avec 
une tendre sollicitude aux besoins des pauvres recluses. 

Leur institut a grandi parallèlement à celui des Frères 
Mineurs, et il a subi les mêmes vicissitudes. Nous les voyons 
s'établir en France, du vivant de sainte Claire, qui en 1240 
envoie un essaim de ses religieuses à Béziers. En 1254, 
Marseille les appelle à son tour. L'année suivante, le saint 
/oi Louis IX bâtit pour elles à Longchamps un célèbre 
monastère, où sa sœur, la Bienheureuse Isabelle , prend le 
voile et fait profession, préférant au trône impérial qu'on lui 
offrait les austérités et l'humilité du cloître , et apprenant 
ainsi à ses contemporains que toutes les fêtes et délices de 
la terre s'effacent devant l'unique bonheur de cette vie, qui 
est d'aimer Dieu et de s'immoler pour lui. L'exemple de 
cette princesse donna une grande impulsion à l'Ordre dans 
tout le royaume. 

Au quinzième siècle, l'institut des Clarisses fut réformé, 
ou plutôt ramené à sa ferveur primitive, par une Française, 
sainte Colette de Corbie. Aujourd'hui, ses monastères s'élè- 
vent dans toutes les contrées soumises à l'Evangile, et il 
offre toujours un asile aux âmes avides de sacrifices et 
d'immolation, en même temps qu'un grand exemple de foi 
à une génération tout imbue de matérialisme. 

« Chaque jour, parmi nous et partout, des filles de grande 
maison et de grand cœur, et d'autres d'un cœur plus grand 
que leur fortune, se donnent dès le matin de la vie à un 
Époux immortel. C'estla fleur du genre humain, fleur encore 
chargée de sa goutte de rosée, qui n'a encore réfléchi que le 



CHAPITRE VII. 



115 



rayon du soleil levant et qu'aucune poussière terrestre n'a 
encore ternie... C'est la fleur, mais c'est aussi le fruit; c'est 
la sève la plus pure- c'est le sang le plus généreux de la tige 
d'Adam; car chaque jour ces liéroïsmes remportent la plus 
étonnante des victoires, grâce au plus courageux effort qui 
puisse enlever la créature aux instincts terrestres et aux 
liens mortels. Quel spectacle! Et où en trouver un qui mani- 
feste plus visiblement la nature divine de l'Église , qui fasse 
mieux oublier les misères et les taches dont sa céleste splen- 
deur est parfois voilée?. . . 

« Ce Jésus, dont la divinité est tous les jours insultée ou 
niée, la prouve tous les jours, entre mille autres preuves, 
par ces miracles de désintéressement et de courage qui s'ap- 
pellent dés vocations (1). » 

Ces pieuses phalanges remplissent dans le monde une 
mission plus visible aujourd'hui que jamais. Leur vita- 
lité, qui résiste à toutes les persécutions, leur multitude 
innombrable, malgré le dépérissement de la foi, et surtout 
la virginale existence de leurs membres, désignent à tous les 
regards la véritable Épouse du Christ, la vraie religion, dont 
elles sont le plus magnifique ornement. 

Respect à ces légions de la prière et du dévouement, qui 
complètent d'une manière si exquise les enseignements du 
sacerdoce catholique! Celui-ci nous fait connaître la vérité; 
celles-là nous la font aimer. 

(1) MoNTALEMBERT, les Moiiies d' Occicleiit, t. V, p. 385-393. 




CHAPITRE VIII 

L'APOTRE. — CONCILE DE LATRAN. 
(1212-1215) 



« Sauver les âmes est une œuvre excellente, une œuvre 
divine entre toutes, puisque c'est dans ce but que le Fils de 
Dieu est monté sur la croix (1). » Le saint Patriarche se 
servait fréquemment de cette pensée pour soutenir le cou- 
rage de ses frères au milieu des luttes de l'apostolat. Sauver 
les âmes, c'était à coup sûr leur vocation; mais était-ce bien 
la sienne? Il avait des doutes à ce sujet, se sentant person- 
nellement plus d'attrait pour la vie contemplative que pour 
la vie active. 

Ne sachant à quoi se résoudre, il assembla ses frères et 
leur dit : « Mes frères, je viens vous demander votre avis 
sur cette question : Lequel des deux vaut le mieux pour 
moi, de m'adonner à l'oraison ou d'aller prêcher? Il semble 
que l'oraison me convienne mieux; car je suis un homme 
simple et inhabile dans l'art de bien dire, et j'ai reçu le don 
de la prière plus que celui de la parole. La prière purifie 
nos affections, nous unit au souverain bien, affermit notre 
volonté dans la vertu ; par elle, nous conversons avec Dieu 
et avec les Anges , et nous menons une vie qui tient plus du 

(1) Tu. DE Gelano, Vita secunda, p. 3, c. cviii. 



CHAPITRE VIII. 117 

ciel que de la terre. La prédication, au contraire, rend pou- 
dreux les pieds de l'homme spirituel; elle distrait, dissipe et 
mène au relâchement de la discipline. Ainsi l'une est la 
source des grâces, l'autre est le canal qui les distribue. 
Néanmoins, il est une considération d'un ordre plus élevé 
qui me fait pencher vers la vie apostolique : c'est l'exemple 
du Sauveur des hommes, qui a joint la prière à la prédica- 
tion. Puisqu'il est le modèle que nous nous sommes projDOsé 
d'imiter, il paraît plus conforme à la volonté de Dieu que je 
sacrifie mes goûts et mon repos pour aller travailler au 
dehors. » 

Afin d'avoir de plus amples lumières, il députa deux de 
ses disciples vers sainte Claire et vers le Frère Silvestre, 
alors retiré sur les hauteurs du mont Soubase, pour les 
prier de consulter le Seigneur à ce sujet. Quand les deux 
religieux, Philippe et Masseo, furent de retour, François les 
reçut comme des ambassadeurs de Dieu : il leur lava les 
pieds, les embrassa et leur servit lui-même à manger. Puis, 
les menant dans un bois voisin, il se mit à genoux devant 
eux, la tête nue, les bras croisés sur la poitrine, et leur dit : 
« Mes frères, apprenez-moi ce que mon Seigneur Jésus- 
Christ me commande de faire. — Père, dit Masseo, voici la 
réponse de Silvestre et de Claire; c'est la réponse du ciel. 
Va et prêche, dit le Seigneur, car ce n'est pas seulement 
pour ton salut qu'il t'a appelé, c'est aussi pour le salut de 
tes frères, et pour eux il mettra ses paroles dans ta bouche. » 
A ces mots, François, saisi de l'esprit de Dieu, se lève en 
s'écriant : « Allons au nom du Seigneur. « Et plein d'un 
saint enthousiasme, il part sur-le-champ avec deux de ses 
disciples, Masseo Marignani et Ange de Rieti, pour prêcher 
Dieu à toute créature (1). 

(1) BoNAv., c. XII : Wadding, t. I, p. 130. 



118. SAINT FRANÇOIS D'ASSISE. 

Un prodige aussi touchant qu'extraordinaire marqua la 
première journée de cette course apostolique. Le Saint 
approchait de la petite ville de Bevagna, lorsque, levant les 
yeux, il aperçut une multitude d'oiseaux qui voltigeaient 
d'arbre en arbre, au bord de la route. Cette vue le rem- 
plit d'admiration, et il dit à ses deux compagnons de 
voyage : « Attendez-moi ici; il faut que j'aille prêcher mes 
frères les oiseaux. » A sa voix, tous les oiseaux se réu- 
nirent autour de lui, et il leur parla en ces termes : « Chers 
oiseaux, mes petits frères, le Créateur vous a comblés de 
bienfaits, et vous devez l'en bénir à toute heure et en tout 
lieu. C'est lui qui vous a revêtus de votre beau plumage et 
vous a donné des ailes avec la liberté de voler où il vous 
plaît; c'est lui qui a conservé votre race dans l'arche de 
Noé, et qui vous a assigné pour séjour les régions sereines 
de l'air. Il vous nourrit sans que vous ayez besoin de semer 
ni de moissonner; il vous a donné l'eau des rivières et des 
fontaines pour étancher votre soif, les montagnes et les 
vallées pour vous servir de refuge, les arbres pour y poser 
vos nids; et il veille sur votre petite famille. Ah! puisque 
votre Créateur vous aime tant, gardez-vous bien, mes petits 
frères, de vous montrer jamais ingrats; appliquez-vous, au 
contraire, à faire sans cesse monter vers lui le tribut de vos 
louanges. » Pendant qu'il leur adressait ce gracieux dis- 
cours, les oiseaux allongeaient le cou, battaient des ailes, 
inclinaient la tête jusqu'à terre, pour montrer l'extrême 
plaisir qu'ils prenaient à l'entendre. De son côté, le servi- 
teur de Dieu passait familièrement au milieu d'eux, admi- 
rant leur nombre et leur variété, et les caressant des franges 
de sa robe. Enfin, il leur donna sa bénédiction, et sur un 
signe de sa main, tous s'envolèrent vers les quatre parties du 
monde, en faisant retentir l'air de leurs chants harmonieux. 
Quand il eut rejoint ses frères, plein de cette belle simpli- 



CHAPITRE VIII. 119 

cité qui est l'apanage des âmes pures, il s'accusa de négli- 
gence devant eux pour n'avoir pas prêché jusqu'à ce jour à 
ses frères les oiseaux, qui écoutaient avec tant de respect la 
parole de Dieu (1). 

Ce prodige n'était qu'un prélude à des miracles plus 
éclatants, par lesquels le Tout-Puissant allait sceller la 
vérité de sa mission apostolique. 

Arrivé à Bevagna, le Saint fit un discours plein d'élo- 
quence sur l'amour de Dieu, et guérit une jeune fille aveugle 
en lui mettant trois fois de sa salive sur les paupières et 
en invoquant la très sainte Trinité. Un grand nombre de 
pécheurs sortirent des voies de l'iniquité, et quelques-uns 
de ses auditeurs se joignirent à lui pour devenir à leur tour 
des apôtres de la pénitence et de la paix. Il eut alors la 
pensée de tourner ses pas vers les contrées infidèles de 
l'Orient pour y porter le flambeau de la foi, et aussi dans 
l'espérance d'y cueillir la palme du martyre. Il se dirigea 
vers Rome, afin d'obtenir du Pape l'autorisation nécessaire. 
En route, il prêchait dans les villes et les bourgades, et il 
passait, comme le divin Maître, en faisant le bien et en 
semant les miracles sur ses pas. 

A Rome, il eut une audience du Souverain Pontife. Inno- 
cent III apprit avec bonheur la rapide propagation de son 
Ordre, ainsi que les travaux et les vertus de ses frères, et il 
lui accorda volontiers l'autorisation d'aller prêcher les 
mahométans. Deux fois la Ville éternelle entendit la voix 
du Saint, et deux fois la bonne semence tomba dans un ter- 
rain bien préparé : plusieurs nouveaux disciples s'attachè- 
rent à lui, entre autres le Frère Guillaume, dont nous avons 
raconté la vocation et qui fut substitué à Jean de Capella, 
de si triste mémoire. Le Bienheureux Patriarche se lia aussi 

(1) Tir. DE Gelano, Vita prima, p. 1, c. xxi. 



120 SAINT FRANÇOIS D'ASSISE. 

d'une étroite et sainte amitié avec une dame romaine 
nommée Giacoma de Settesoli, d'une des plus nobles et des 
plus opulentes familles du Mont-Palatin (1). Cette pieuse 
veuve et la vierge Claire sont les deux seules femmes avec 
lesquelles il ait eu des relations suivies, même pour la direc- 
tion spirituelle (2); encore y mit-il une extrême réserve. 
Nous devons ajouter qu'elles se montrèrent dignes l'une et 
l'autre d'une telle prédilection, et que leur affection. pour 
le Saint, plus pure que la neige, demeure l'image parfaite 
de ces affections transfigurées que Marthe et Marie-Made- 
leine avaient pour Notre-Seigneur. L'esprit le plus prévenu 
n'y trouve rien à reprendre ; et quant au vrai chrétien, ah ! 
comme il se sent heureux de rencontrer ainsi dans l'histoire, 
« parmi ces flots d'amour coupable qui corrompent le 
monde..., quelques gouttes au moins de ce chaste amour 
que l'homme a perdu avec l'innocence, que nous retrouve- 
rons un jour dans le ciel, et dont nous pouvons déjà, dans 
l'histoire des Saints, respirer quelquefois d'avance le vir- 
ginal parfum (3) » ! 

Giacoma, à l'exemple des saintes femmes de l'Évangile, 
donnait généreusement l'hospitalité aux pauvres de Jésus- 
Christ, toutes les fois qu'ils venaient à Rome, et elle se fai- 
sait un bonheur de pourvoir à tous leurs besoins. Ce fut 
grâce à son intervention que les Bénédictins de Saint-Côme, 
au delà du Tibre, cédèrent aux Frères Mineurs, l'an 1229, 
l'hôpital Saint-Biaise ; c'est aujourd'hui le couvent de San- 
Francesco a Ripa, On y voit encore la chambre qu'habita le 
Saint, et la pierre qui lui servait d'oreiller. 

Après un court séjour dans la Ville éternelle, François 

(1) Histoire de la basilique de Saint-François d'Assise, par G. Fu\tini. Prato, 
d882. Fratini dit qu'elle avait été mariée à Sancio Frangipani, seigneur de Ser- 
moneta. 

(2) Tu. DE Celano, Vita secunda, p. 3, c. lv. 

(3) Mgr BoucAUD, Histoire de sainte Chantai, t. I, p. 249. 



CHAPITTIE VIII. 121 

regagna la Portioncule. Il s'ouvrit à ses frères de son pro- 
jet d'aller en Orient, leur laissa Pierre Gattani pour supé- 
rieur en son absence, et fit voile vers la Palestine. Mais 
l'heure de la Providence n'était pas encore venue. Jeté par 
des vents contraires sur les côtes de l'Esclavonie, il dut 
renoncer pour le moment à ce lointain voyage. Un miracle 
signala son retour. Ils s'étaient embarqués, lui et son com- 
pagnon, à l'insu du capitaine et malgré les rebuts de l'équi- 
page, sur un vaisseau qui partait pour Ancône. Comme la 
traversée était longue et pénible, et que toutes les provisions 
étaient épuisées à bord, il multiplia miraculeusement les 
vivres qu'un envoyé du ciel avait apportés pour les deux 
pauvres de Jésus-Christ, si bien que le capitaine et les mate- 
lots, émerveillés, se jetèrent à ses genoux, le remerciant de 
leur avoir sauvé la vie malgré eux (1). 

A peine débarqué, l'infatigable apôtre reprit ses courses 
à travers l'Italie, répandant partout la parole de vie, récon- 
ciliant les familles divisées, convertissant les manichéens, 
guérissant les corps et les âmes et entraînant les foules à sa 
suite. Son genre de prédication nous donne la raison de 
l'enthousiasme universel qu'il commençait dès lors à exci- 
ter. Point d'apprêts dans sa personne; mais la robe de bure 
qui le couvrait, ses pieds nus, sa tête rasée, son visage 
amaigri par les austérités, tout pariait en iui, avant qu'il 
eût ouvert la bouche , selon le langage expressif du plus 
ancien de ses biographes (2). Sa prédication était un modèle 
d'éloquence populaire. Dédaignant les fleurs du beau lan- 
gage et les artifices de la sagesse humaine comme indignes 
d'un ambassadeur de Dieu, et protestant avec énergie 
contre le mauvais goût de l'époque, il se faisait gloire, 

(1) Th. de Gelano, Vila prima, p. 1, c. xx. 

(2) Il De toto corpore fecerat linguam. » (Tu. de Gelano, Vita p7-iina, p. 2, 
c. IV.) 



122 SAINT FRANÇOIS D'ASSISE. 

comme l'Apôtre des nations, de ne connaître que Jésus, et 
Jésus crucifié. Néanmoins, il savait user à propos des 
talents dont la nature Tavait doué. Sa voix était claire et 
vibrante, douce et sonore, harmonieuse et sympathique. Sa 
parole, lucide et chaleureuse, captivait, passionnait son 
auditoire. « Il était né orateur (1) », remarque le même 
historien ; la vue de tant d'hommes égarés , peut-être plus 
malheureux que coupables, avait allumé dans son cœur une 
flamme qui ne devait s'éteindre qu'avec la vie : la flamme 
du zèle apostolique. Il avait des illuminations soudaines, des 
inspirations célestes, des élans sublimes, qui leur arrachaient 
tantôt des cris d'admiration, tantôt des larmes de repentir. 
En un mot, on reconnaît en lui la vraie éloquence, cette 
éloquence qui jaillit du cœur, commande aux passions, 
entraîne les masses, et à laquelle l'art seul ne saurait 
atteindre ; car elle se puise à deux sources surhumaines, la 
sainteté et les miracles. 

Quand l'apostolat réunit ces deux conditions, il exerce un 
attrait irrésistible. Aussi est-ce par milliers qu'il faut comp- 
ter les âmes que François retirait des sentiers du vice, ou 
qui s'attachaient à sa personne pour ne plus le quitter. A 
Ascoli, pour ne citer qu'un exemple entre mille, il gagna 
trente disciples en un seul jour (2). Au milieu d'une moisson 
si abondante, nous ne pouvons rien faire de mieux que de 
choisir çà et là quelques épis ; aussi bien sont-ce des épis 
d'or. De ce nombre est un célèbre poète de ce temps, Guil- 
laume de Lisciano , trouvère couronné par l'empereur 
Frédéric II, qui l'avait surnommé le Roi des vers. Ses 
poésies, acclamées par une société frivole et sensuelle, 
n'étaient peut-être pas sans mérite littéraire ; mais, à coup 
sûr, sa vocation à la vie franciscaine lui a valu une gloire 

(1) « Facundissinms liomo. » (Tii. de Ceuno, Vita prima, p. 1, c. xxix.) 

(2) Ib., p. 1, c. xxu. 



CHAPITRE VIIT. 123 

meilleure et plus pure. Voici, d'après les chroniques con- 
temporaines, le récit de sa conversion. 

Il était allé dans la Marche d'Ancône, — à San-Severino, 
dit expressément saint Bonaventure, — pour visiter une 
de ses parentes. Par une coïncidence qu'on ne saurait attri- 
buer au hasard, le grand thaumaturge de l'Ombrie s'y 
trouvait en même temps. Il prêchait dans un monastère de 
recluses et exposait les magnificences de la croix devant un 
auditoire avide de le voir et de l'entendre. Le poète se mêla 
à la foule, et comme elle, les yeux fixés sur l'orateur, il 
écoutait avec une attention soutenue. Tout à coup, l'esprit 
de Dieu fondit sur lui. Il aperçut deux glaives de feu qui se 
croisaient sur la poitrine du Saint; en même temps un rayon 
de la grâce illuminait son intelligence. Stupéfait, il médite en 
son cœur de se convertir à la première occasion favorable 
qui se présentera. Mais François le serre de plus près, et 
négligeant le reste de son auditoire, il tourne vers lui la 
pointe à deux tranchants du glaive de la parole divine. 
Après le sermon, il le prend à part, l'exhorte d'abord dou- 
cement à mépriser les vanités du monde, puis lui lance au 
cœur, comme un trait brûlant, la pensée des jugements de 
Dieu. « Père, s'écrie le poète subjugué, qu' est-il besoin de 
discourir plus longtemps? Il faut en venir aux actes. Arra- 
chez-moi donc au monde et rendez-moi à mon Créateur. » 
Le lendemain, le Bienheureux le revêtit de la robe de bure, 
et le voyant passer si soudainement des agitations du siècle 
à la paix du Christ, il le nomma Frère Pacifique (1). 

La conversion du Roi des vers fit sensation parmi les 
savants et les lettrés, et fut aussi complète, aussi durable 
qu'elle avait été prompte. Non seulement il se dépouilla du 
vieil homme, mais, comme l'aigle, il puisa dans la solitude 

(1) Th. de Celano, Vita secunda, p. 3, c. xlix. Cf. Bonav., c. iv. 



124 SAINT FRANÇOIS D'ASSISE. 

du cloître un renouvellement de jeunesse et de force, et, 
guidé par François, cet aigle de sainteté, il s'éleva d'un vol 
rapide aux plus hautes cimes de la perfection. Parmi les 
communications surnaturelles dont il fut favorisé, il en est 
deux qu'il importe de connaître, parce qu'elles se rappor- 
tent directement à la personne du réformateur ombrien. 

Dans la première, il vit le front du Saint marqué du signe 
Tau, figure biblique de la Croix (1). Dans la seconde. Dieu 
lui dit, en lui montrant, au milieu des splendeurs du ciel, 
un trône étincelant d'or et de pierreries : « Ce trône qui fait ' 
ton admiration et qu'un ange a perdu par sa révolte, est 
destiné à l'humble François d'Assise. » Dès qu'il eut rejoint 
le saint Patriarche, il lui dit familièrement : « Père, que 
pensez-vous de vous-même? — Je pense, répondit François, 
que je suis le plus misérable et le dernier des pécheurs. — 
Comment osez-vous le dire ou même le penser? répliqua le 
Frère. — Oui, s'écria le Bienheureux, d'un ton qui ne lais- 
sait aucun doute sur la sincérité de son langage, je suis 
intimement convaincu que si n'importe quel scélérat avait 
reçu les mêmes grâces que moi, il en aurait dix fois mieux 
profité. » Pendant que le Frère réfléchissait sur une réponse 
si conforme à ce qu'il avait appris d'en haut, il entendit une 
voix intérieure qui lui disait : « C'est l'orgueil qui a perdu 
le trône de gloire qui t'a été montré; c'est l'humilité qui le 
reconquerra (2). » 

Pacifique ne crut pas devoir garder pour lui seul des 
révélations qui lui semblaient s'adresser à tous. Il en fit donc 
part à ses frères, avec discrétion, en vue du bien général 
de l'Ordre. La publication de ces insignes faveurs leur 
causa, en effet, une grande joie, et elle eut pour résultat, 
selon les desseins de Dieu, de les attacher plus étroitement 

(1) Tu. DE Gelano, Vita secundo, p. 3, c. xlix. — Bosav., c. iv. 

(2) Tu. DE Gelano, Vita secunda, p. 3, c. lxiii. 



CHAPITRE VIII. 125 

encore à la doctrine comme à la personne de leur fonda- 
teur. 

Nous retrouverons plus loin le converti de San-Severino, 
en qui nous saluerons le premier Provincial de France. 




Comment, saint François étant en prière, un an{je montra au Frère Pacifique le 
trône de gloire réservé au sérapluquc Père. (D'après Giotto.) 

Mais il est temps de revenir à notre héros principal, à saint 
François, et de reprendre le fil de son histoire. 

Vers la fin d'octobre de l'année 1212, il quitta le versant 
de l'Adriatique, franchit les Apennins au col Fiorito et 
redescendit dans la vallée de Spolète. Ses biographes font 



126 SAINT FRANÇOIS D'ASSISE. 

ici une remarque que nous ne pouvons omettre. A partir de 
cette mission dans la Marche d'Ancône, écrivent-ils, il se fit 
autour de son nom un mouvement de plus en plus accentué. 
Sa réputation d'orateur et de saint le précédait et lui ouvrait 
les cœurs. Lorsqu'il entrait dans une ville, le clergé et le 
peuple, les hommes et les femmes, un rameau à la main, 
accouraient à sa rencontre, au chant des cantiques. Les 
cloches sonnaient à toute volée. La foule se pressait autour 
de lui. Les uns touchaient le hord de sa robe, les autres lui 
baisaient les mains, tous s'estimaient heureux de le voir, 
excepté les hérétiques, qui se cachaient, n'osant résister en 
face ni à la force de ses arguments ni à l'éclat de ses 
miracles (1). N'était-ce pas, sous tous les rapports, une 
image touchante de l'entrée du Messie à Jérusalem? 

L'impulsion était partie de la Marche d'Ancône. Elle 
s'étendit bientôt à l'Ombrie et au delà, et l'on ne peut dou- 
ter qu'Assise n'ait fait également, vers cette époque ou un 
peu plus tard, une réception triomphale au plus illustre de 
ses fils. Elle dut y mettre d'autant phis d'empressement 
qu'elle avait à cœur de lui faire oublier les outrages dont on 
l'avait abreuvé lors de sa rupture avec le monde. 

Que faisait le serviteur de Dieu au milieu de ces ovations 
populaires et de ces acclamations enthousiastes? Il restait 
calme, impassible, sans faire aucun effort pour s'y sousi- 
traire. Un jour, son compagnon, surpris, presque scandalisé 
d'une attitude qui contrastait si vivement avec ses leçons 
sur l'humilité, ne put s'empêcher de lui en faire la remarque. 
« Mon frère, répliqua le Saint, ne te malédifie pas de ma 
manière d'agir. Tous ces hommages, je les renvoie à Dieu 
seul, sans m'en réserver la moindre parcelle, comme une 
statue renvoie à l'original tout l'honneur qu'on lui rend. 

(1) Th, dk Celano, Vita prima, p. 1, c. xxii. 



CHAPITRE yill. 127 

D'un autre côté, tout ce peuple y gagne, parce qu'il honore 
le Seigneur dans la plus vile de ses créatures. » Telle était 
la sainte indifférence de François. Le trait qu'on va lire 
prouve encore mieux jusqu'à quel excès il poussait le mé- 
pris de lui-même et la recherche des humiliations. 

Il avait alors trente et un ans. Il aurait dû être dans la 
vigueur et la force de l'âge ; mais, miné sourdement par ses 
jeûnes continuels, il fut atteint de fièvres intermittentes qui 
le réduisirent à une extrême langueur. On craignit pour ses 
jours, et don Guido le fit transporter, malgré ses résistances, 
au palais épiscopal pour lui donner les soins que réclamait 
son état. Le malade n'y resta pas longtemps; dès qu'il eut 
repris un peu de forces, il se reprocha très amèrement ce 
qu'il appelait un retour aux délices du siècle. « Non, 
s'écria-t-il, il ne convient pas que le peuple me regarde 
comme un homme austère, tandis qu'en secret je suis traité 
comme un prince. » Là-dessus, il se lève et se rend à la 
cathédrale, suivi de plusieurs de ses frères et d'une multi- 
tude de fidèles. Il ordonne au vicaire de son couvent de lui 
mettre une corde au cou comme à un criminel, et dé le traî- 
ner à demi vêtu jusqu'au lieu des exécutions. Là, tout 
tremblant de fièvre et de froid, il harangue ainsi le peuple : 
« Mes frères, je vous assure que je ne dois point être honoré 
comme un homme spirituel. Je suis un homme charnel, 
sensuel et gourmand, que vous devez tous mépriser (1). » 

« sublime folie sous laquelle François cherchait à cacher 
les dons de Dieu, de peur qu'ils ne devinssent pour lui une 
pierre d'achoppement (2) ! » Ses compatriotes devinèrent sa 
pensée, et le reconduisirent en silence à Notre-Dame des 
Anges. Toutefois, ils ne purent contenir jusqu'à la fin le 
sentiment d'admiration qui débordait de tous les coeurs. 

(1) Th. de Celano, Vita prima, p. 1, c. xix. 

(2) BOKAV., c. VI. 



128 SAINT FRANÇOIS D'ASSISE. 

« C'est un saint! « murmurait-on à demi voix. « Taisez- 
vous! répliqua l'homme de Dieu. Il ne faut point canoniser 
les hommes, tant qu'ils peuvent se damner (1). 3> Ces heu- 
reuses reparties lui étaient habituelles. Lorsqu'il fut de 
retour à la Portioncule, il expliqua nettement sa pensée à 
ses disciples. « Fils bien-aimés, leur dit-il, ne nous laissons 
point enivrer par l'encens des louanges humaines ; car ne 
voyez-vous pas que ce serait de la démence de savourer un 
éloge immérité? Or, il est un point où vient échouer toute 
notre puissance : pauvres pécheurs que nous sommes , nous 
avons beau prier, gémir, macérer notre chair, nous ne pou- 
vons nous promettre de marcher toujours dans les sentiers 
de la vertu. Donc, loin de nous la pensée de nous glorifier 
en quoi que ce soit, si ce n'est dans la Croix de Jésus et dans 
la fidélité au service de Dieu (2) ! » C'est au milieu de ces 
actes héroïques et de ces profonds enseignements que 
s'achève l'année 1212. 

Au mois de janvier de l'année suivante, la fièvre reprit le 
saint Patriarche. Elle épuisa ses forces; et sa santé, déjà 
compromise par les austérités et par les travaux apostoliques, 
fut si profondément altérée, qu'il ne fit plus guère jusqu'à 
sa mort que traîner une vie languissante. On ne saurait dire 
avec quelle sérénité d'âme il accepta cette nouvelle épreuve, 
bénissant « sa petite sœur la souffrance ?> , comme il l'appe- 
lait, et affirmant que l'ardeur de la fièvre était mille fois 
préférable au feu des tentations de la chair. Sa seule peine 
était de ne pouvoir travailler efficacement au salut des âmes. 
Mais la charité des serviteurs de Dieu, vaste comme le monde, 
sait prendre toutes les formes. Ne pouvant prêcher, François 
se sentit inspiré d'écrire. De son lit de douleur il envoya à 
tous les enfants de l'Église deux circulaires qui sont une 

(1) Tu. DE Gelano, Vita secunda, p. 3, c. lxxiii. 

(2) BOKAV., c. VI. 



CHAPITRE VIII. 129 

pressante exhortation à servir Dieu fidèlement. Il termine la 
seconde par un tableau saisissant de la mort de l'impie qui 
a prospéré sur la terre. « Malheur à ceux qui ne font pas 
pénitence et qui suivent les désirs de la nature corrompue ! 
Ils courent sciemment à leur perte. Ouvrez donc enfin les 
yeux, ô pécheurs, aveugles volontaires qui les fermez à la 
lumière de l'Evangile ! Comprenez que vous êtes le jouet de 
Satan, cet éternel ennemi de Dieu et des hommes ! Vous 
vous imaginez posséder longtemps les biens épliémères de 
ce monde; et l'heure approche où vous en serez dépouillés, 
heure fatale, que vous ignorez, et à laquelle vous ne pensez 
pas! Voyez ce riche de la terre qui va mourir. Son épouse 
et ses enfants éplorés entourent son lit; et lui-même, tout 
ému, leur lègue sa fortune avec ses derniers souvenirs. On 
fait venir un prêtre qui exige la restitution des richesses 
injustement acquises. — Restituer! C'est impossible, s'écrie 
le moribond. Ce serait la ruine de ma famille ! — Cepen- 
dant le malade s'affaisse ; il perd l'usage de la parole , et il 
expire dans la haine de Dieu. Aussitôt les démons s'empa- 
rent de son âme pour la torturer, pendant que les vers ron- 
gent sa chair et que ses proches se disputent ses trésors, 
tout en maudissant sa mémoire. Et c'est ainsi que ce misé- 
rable, pour s'être laissé séduire par les vains appas du 
monde, auraperdu son corps et son âme pour l'éternité (1) ! i> 

Ces deux épîtres, répandues à profusion et accueillies 
avec avidité, franchirent les Alpes et allèrent au loin rani- 
mer la foi et la ferveur. 

S'étant senti un peu mieux au retour du printemps, le 
vaillant apôtre forma le projet de pénétrer jusque dans 
l'empire musulman du Maroc. Ayant confié le gouverne- 
ment de son Ordre à Pierre Cattani, il partit avec Bernard 

(1) Œuvres de saint François d'Assise, p. 1, ép. i et n. 



130 SAINT FRANÇOIS D'ASSISE. 

de Quintavalle et quelques autres Frères. Ce voyage ne fut 
qu'une série continuelle de miracles, de succès apostoliques 
et de fondations de couvents , avec mille incidents divers 
dont nous relaterons les principaux. 

A Terni, dans les Etats pontificaux, Févêque, après avoir 
entendu prêcher le Saint, monta en chaire et dit au peuple : 
« Le Seigneur a souvent éclairé son Eglise par des docteurs 
et des savants; aujourd'hui, il vous envoie ce François d'As- 
sise, homme pauvre, sans lettres, à l'air méprisable, afin de 
vous édifier par ses paroles et par ses exemples. Moins il 
est savant, plus on voit éclater en lui la puissance de Dieu, 
qui choisit ce qui est insensé selon le monde pour confondre 
la sagesse humaine. 5) Le compliment eût paru étrange à 
tout autre; François en fut ravi; il alla se jeter aux genoux 
du prélat, lui baisa la main et lui dit : « Merci d'avoir si 
sagement distingué le précieux d'avec le vil, le digne d'avec 
l'indigne, le saint d'avec le pécheur, en rapportant, comme 
il convient, toute gloire à Dieu seul et non à moi, qui ne 
suis qu'un homme chétif et misérable. >> L'évêque, encore 
plus charmé de son humilité que de sa prédication, l'em- 
brassa tendrement (1). 

Dans cette même ville de Terni, le Bienheureux opéra 
plusieurs miracles dont voici le plus éclatant. On lui apporta 
un jeune homme qui venait d'être écrasé par la chute d'une 
muraille; François se mit en prière, s'étendit sur le cadavre, 
comme autrefois le prophète Elisée sur le fils de la Sunamite, 
le ressuscita et le rendit à sa mère, en présence de la foule 
émerveillée. 

A Lnola, le zèle de l'apôtre fut un instant arrêté par une 
épreuve d'où le fit sortir son caractère aimable et enjoué. 
Comme il demandait à l'évêque la permission de prêcher 

(1) Tu. DE Celano, Vila sccunda, p. 3, c. lxxk. 



CHAPITRE VIII. 131 

à son peuple : « Je prêche, répondit sèchement le prélat, et 
cela suffit. 5> L'humble missionnaire baissa la tête et se retira 
sans répliquer; mais, une heure après, il revint se présenter 
devant Tévêque, qui, surpris de le revoir, lui demanda ce 
qu'il désirait encore. « Seigneur évêque, répliqua le Saint, 
quand un père chasse son fils par une porte, il faut que le 
fils rentre par une autre. )■> Le prélat, vaincu par tant de 
confiance et d'humilité, lui dit en le serrant sur son cœur : 
« Désormais , toi et tes Frères , prêchez dans mon dio- 
cèse (1). 55 

Est-ce par terre, est-ce par mer que les deux messagers 
de la bonne nouvelle effectuèrent le reste de leur voyage? 
A vrai dire, nous n'avons pas de documents contemporains 
qui tranchent la question; mais, à leur défaut, certains 
monuments postérieurs et une constante tradition nous 
autorisent à croire, avec Wadding, qu'ils suivirent la route 
des Alpes, traversèrent Gap, Avignon, Lunel et les pays 
récemment soumis à la domination de Simon de Montfort, 
et pénétrèrent en Espagne par les défilés de la Navarre. 
Quoi qu'il en soit, ils se rendirent directement à la cour 
d'Alphonse IX, père de Blanche de Gastille. Alphonse IX 
était ce héros, ce nouveau Charles-Martel qui, dans la célèbre 
journée de las Navas de Tolosa (16 juillet 1212), avait 
sauvé l'Europe de l'irruption de quatre cent mille musul- 
mans. Sachant qu'en Espagne l'œuvre de l'affranchisse- 
ment national était inséparable de l'unité de religion, il 
accueillit notre Saint avec bienveillance, et lui permit volon- 
tiers d'établir une maison de son Ordre dans la Gastille. 

Avant de passer chez les Maures, François alla s'age- 
nouiller sur les dalles du célèbre sanctuaire de Saint-Jacques 
de Gompostelle. Là, d'après la Chronique des vingt-quatre 

(1) Tu, DE Celano, Vita secunda, p. 3, c. lxxxv. 



132 SAINT FRANÇOIS D'ASSISE. 

généraux, il eut une vision qui modifia ses projets. Notre- 
Seigneur lui ordonna de retourner en Italie pour étendre, 
affermir et défendre son institut, encore si près de son ber- 
ceau. L'humble missionnaire n'hésita point : renonçant à 
cette évangélisation des Maures qui avait souri à son zèle, 
il reprit le chemin de la patrie, avec cette promptitude, cet , 
esprit d'abnégation et ce joyeux abandon à la Providence 
qui caractérisent toutes ses démarches. 

Il ne fit qu'apparaître à Guimaraëns en Portugal, où il 
ressuscita la fille de son hôte, et remonta vers les Pyrénées 
par Avila, Madrid, Tudela et Barcelone. Nous constatons 
ici avec bonheur qu'une foule de monuments attestent 
encore de nos jours son passage dans la catholique Espagne, 
et que cette contrée a conservé mieux que toute autre le 
souvenir de ses vertus et de son apostolat. 

François s'arrêta quelque temps à Perpignan. A Mont- 
pellier, il annonça qu'on bâtirait un couvent de son Ordre 
dans l'hôpital où il était logé : prédiction qui s'accomplit 
six ans après (1). En traversant le bas Languedoc, il dut 
entendre parler de la glorieuse journée de Muret, où Simon 
de Montfort avait écrasé, en 1213, la puissance sociale de 
l'hérésie, et de cette ville de Toulouse, où saint Dominique, 
le rosaire à la main, domptait la puissance religieuse de 
l'hydre albigeoise; mais il ne s'arrêta point dans cette con- 
trée, sans doute parce qu'elle était le champ destiné aux 
fécondes sueurs du fils des Gusman. Enfin, après mille fati- 
gues et d'incroyables succès, notre Saint rentra au couvent 
de la Portioncule vers la fin de l'année 1214, ou peut-être 
au commencement de l'année 1215. 

Grande fut alors la joie à Notre-Dame des Anges. Les 
disciples se félicitaient du retour de leur Bienheureux Père, 

(1) Chronique des vingt-cjuatre généraux. 



CHAPITRE VIII. 133 

et le Saint se réjouissait de retrouver le nombre de ses 
enfants plus que doublé, et les vertus religieuses en honneur 
parmi eux. Cependant, un nuage vint assombrir ce beau 
ciel : François, ayant remarqué, à côté du monastère de 
Notre-Dame des Anges, un somptueux bâtiment que Pierre 
Cattani avait fait élever en son absence, fut vivement peiné 
de cette infraction à la sainte pauvreté. En vain lui assura- 
t-on que cette maison était uniquement affectée au service 
des pèlerins, qui affluaient de tous côtés. « Mon Frère, dit-il 
d'un ton sévère à Pierre Cattani, ce couvent est la règle et 
le modèle de tout l'Ordre. Je veux que les étrangers, aussi 
bien que les Frères, souffrent les incommodités de la pau- 
vreté, afin qu'ils puissent dire ailleurs combien on vit pau- 
vrement à Notre-Dame des Anges. » Et il lui enjoignit de 
démolir l'édifice, tant il était persuadé que la pauvreté est 
le diamant de la vie religieuse, diamant dont le monde n'ap- 
précie pas la valeur, mais dont l'éclat efface aux yeux de 
Dieu toutes les richesses de la terre ! Il ne révoqua cet ordre 
que par déférence pour les consuls, qui lui représentèrent 
que ce logement appartenait à la commune, et que le suppri- 
mer, ce serait porter atteinte aux devoirs les plus impérieux 
de l'hospitalité (l). 

A ces difficultés d'intérieur succédèrent des préoccupa- 
tions plus graves encore, causées par les événements du 
dehors. L'institution franciscaine traversait en ce moment 
une crise que toutes les œuvres saintes sont condamnées à 
subir à leur berceau. Plus elle était florissante et bénie des 
peuples, plus elle avait le don d'exciter la malveillance de 
certains esprits jaloux, surtout en Allemagne; déjà le vent 
de la persécution soufflait contre elle. D'ailleurs, il lui man- 
quait une dernière consécration, l'approbation définitive et 



(1) Th. de Celano, Vita secunda, p. 3, c. m. 



134 SAINT FRANÇOIS D'ASSISE. 

solennelle des Souverains Pontifes. Pour toutes ces raisons, 
François se rendit à Rome. 

Les événements contemporains allaient donner du poids 
à sa démarche. C'était l'heure où le pape Innocent III 
ouvrait ce quatrième concile de Latran, qui devait si bien 
couronner son glorieux pontificat et contribuer si puissam- 
ment à l'extinction des hérésies, à la réformation des mœurs 
et au recouvrement de la Terre Sainte. 

Le 11 novembre 1215, la basilique de Saint-Jean de 
Latran renfermait dans ses murs la plus auguste assemblée 
de l'univers. On y voyait assis soixante-dix primats et métro- 
politains, quatre cent douze évoques, plus de huit cents 
abbés et prieurs, ainsi que les ambassadeurs des empereurs 
et des rois chrétiens, les députés du comte de Montfort, le 
comte de Toulouse et son fils (1). Au-dessus de tous brillait 
l'imposante figure d'Innocent III, héritier du génie et conti- 
nuateur des œuvres de Grégoire VIL Dans ces solennelles 
assises de la chrétienté, on traita toutes les questions dog- 
matiques de l'époque pour les résoudre j on en sonda toutes 
les plaies pour les guérir. Le Concile s'occupa de l'Orient 
pour enrayer les progrès de l'islamisme, réforma la disci- 
pline monastique et défendit de fonder de nouveaux Ordres 
religieux, de peur qu'une trop grande diversité de règles et 
de costumes n'apportât de la confusion dans l'Eglise. Cepen- 
dant, par une faveur exceptionnelle, Innocent III dérogea 
tout de suite au dernier décret. Après avoir solennellement 
anathématisé les sectes des Vaudois, des Albigeois et 
leurs fauteurs, il leur opposa les deux milices providentielles 
que Dieu envoyait au secours de son Église, et déclara 
devant tous les Pères du Concile qu'il avait déjà approuvé 
de vive voix en 1209 et qu'il approuvait de nouveau l'Ordre 

(I) Histoire de France, par Ed. Demolins, t. II, p. 120. 



CHAPITRE VIII. 135 

et la règle des Frères Mineurs. Il agréa de même l'Ordre 
des Frères Prêcheurs, toutefois avec cette clause expresse 
que saint Dominique, leur fondateur, choisirait une des 
règles anciennes et l'adapterait à son institut. Le Concile 
oecuménique n'avait duré que vingt jours; mais le Pape et 
le Concile avaient assez fait en assurant la régénération 
morale de l'avenir. 

C'était l'heure choisie de Dieu pour unir les deux apôtres 
du treizième siècle, Dominique et François. Comment ne 
pas admirer ici, en passant, les harmonies intimes que le 
ciel avait établies entre ces deux hommes, à leur insu, et qui 
devaient tôt ou tard opérer leur rapprochement? Tous deux 
avaient presque en même temps jeté les fondements de leur 
institut, l'un au pied des Apennins, l'autre au pied des 
Pyrénées ; pour tous deux un antique sanctuaire dédié à la 
Mère de Dieu, Notre-Dame des Anges et Notre-Dame de 
Prouille, avait été la pierre angulaire de leur édifice ; tous 
deux, s'intitulant les chevaliers de Marie, faisaient remonter 
jusqu'à leur auguste protectrice tout l'honneur de leurs vic- 
toires surhumaines, et de leurs poitrines s'échappait natu- 
rellement ce cri que l'Église met sur nos lèvres : « Gaude, 
Maria Virgo! cunctas liœreses sola interemisti in universo 
mundo : Gloire à vous, 6 Vierge Marie ! C'est vous qui avez 
broyé toutes les hérésies sur la surface du globe ! » 

Autres rapprochements entre les deux saints fondateurs. 
L'un et l'autre avaient eu la pensée d'obtenir de Rome l'ap- 
probation de leurs Ordres. Innocent III avait d'abord mal 
accueilli leur demande ; puis, à la suite de la même vision 
miraculeuse, il avait également béni leur entreprise. Tous 
deux ressuscitèrent l'estime et la pratique de la sainte pau- 
vreté ; tous deux fondèrent un Ordre essentiellement aposto- 
lique, pour combattre, l'un plus directement le paganisme 
germanique, l'autre l'hérésie albigeoise ; et chacun d'eux. 



136 SAINT FRANÇOIS D'ASSISE. 

embrassant dans son zèle tous les temps et tous les peuples, 
tous les âges et toutes les conditions, réunit trois milices 
distinctes sous un seul étendard. Un même cardinal, Hugo- 
lin, eut la charge de Protecteur des deux Ordres; un même 
pape, Ilonorius lïl, confirma leurs Ordres par des bulles 
apostoliques; un autre pape, Grégoire IX, les inscrivit au 
catalogue des Saints. « Enfin, les deux plus grands docteurs 
de tous les siècles fleurirent ensemble sur leurs tombeaux, 
saint Thomas sur celui de Dominique, saint Bonaventure 
sur celui de François (1). » 

Et cependant, chose étonnante ! malgré la fraternité de 
leur vocation, ces deux hommes ne se connaissaient pas. Ils 
arrivaient à Rome pour Fouverture du Concile, sans que le 
nom de Fun eût jamais frappé l'oreille de l'autre. Il entrait 
dans les desseins de Dieu qu'un prodige extraordinaire fût 
le nœud de leur céleste amitié. 

Une nuit que le Patriarche des Frères Prêcheurs était en 
oraison dans une des églises de Rome (on ignore laquelle), 
il vit le Sauveur des hommes irrité contre la terre, brandis- 
sant trois dards enflammés et s'apprêtant à exterminer les 
orgueilleux, les avares et les impudiques, et Marie, son 
auguste Mère, qui implorait le pardon des coupables et 
désarmait son bras, en lui présentant deux pauvres avec 
cette promesse : « Ces deux fidèles serviteurs feront refleurir 
partout la foi et les vertus évangéliques. » Dominique s'était 
reconnu pour l'un des deux, mais il ignorait qui était l'autre. 
Seulement, l'image de son compagnon était restée profon- 
dément gravée dans sa mémoire. Le lendemain, il sortait de 
la basilique, lorsque, levant les yeux, il aperçut sous un froc 
de mendiant la figure de ce mystérieux ami que le Ciel lui 
avait montré. Aussitôt, il court à lui, et les deux saints, se 

(1) Vie de saint Dominique, par LACOnoAinE, cli. vu. 



CHAPITRE VIII, 



isr 



reconnaissant sans s'être jamais vus, se tiennent longtemps 
embrassés sans rien dire. Enfin, Dominique rompt le silence, 
et raconte la vision dont il a été favorisé la nuit précédente; 
puis il ajoute : « François, tu es mon compagnon : nous 
travaillerons de concert. Demeurons unis, et personne ne 
pourra prévaloir contre nous (1). » 










* -1 



"Rencontre de saint Dominique et de saint François. (D'après Angelico da Fiesole.) 

« Le baiser de Dominique et de François s'est transmis 
de génération en génération sur les lèvres de leur posté- 
rité (2) » , et l'inaltérable amitié qui les unissait se survit 
toujours dans le cœur de leurs enfants. Les Frères Prêcheurs 
et les Frères Mineurs ont planté leurs tentes sous tous les 



(1) Wadding, t. I, p. 252; et Chronique des vingt-quatre généraux. 

(2) Vie de saint Dominique, par Lacordaiue, eh. vu. 



138 SAINT FRANÇOIS D'ASSISE. 

climats ; ensemble ils ont prié, ensemble ils ont défriché la 
vigne du Seigneur, et plus d'une fois le sang de leurs mar- 
tyrs s'est mêlé dans le même holocauste pour la foi. Ils ont 
peuplé à l'envi la terre de leurs couvents, et le ciel de leurs 
saints; mais jamais le souffle de la jalousie n'a terni le cristal 
sans tache de leur amitié six fois séculaire. 

Cette union des deux Ordres s'est traduite dans leur 
liturgie respective, et jusque dans les traditions de la vie 
privée. Chaque année, lorsque le temps ramène la fête de 
saint Dominique, l'office solennel des Frères Prêcheurs est 
chanté par un Père franciscain. Après la messe, les religieux 
des deux Ordres rompent en commun, dans de fraternelles 
agapes, le pain que la Providence leur envoie ; dans le chant 
d'actions de grâces qui suit le repas, ils répètent alternati- 
vement ce refrain : « Serapliicus Pater Franciscus et evan- 
gelicus Pater Dominicus ipsi nos docuerunt lecjem tiiam, 
Domine : François, le Père séraphique, et Dominique, le 
Père évangélique, nous ont enseigné votre loi, ô Sei- 
gneur! » Le 4 octobre, jour de la fête de saint François 
d'Assise, on fait l'échange de ces cérémonies dans le cou- 
vent des Frères Mineurs. Ainsi en est-il dans toutes les villes 
où les couvents des deux Ordres sont assez rapprochés 
pour que les religieux puissent se rendre tour à tour ce 
témoignage de réciproque affection. Touchant usage qui 
nous reporte aux plus beaux jours de l'Eglise, et qui pré- 
sente aux regards de la génération moderne le spectacle 
inimitable de milliers d'hommes n'ayant qu'un cœur et 
qu'une âme ! 

S'il est peu de scènes plus gracieuses que celle de la ren- 
contre des deux saints Patriarches, nous n'en connaissons 
pas de plus grandiose que celle de leurs adieux sur les col- 
lines de Rome. Debout sur le mont Aventin, douze siècles 
après que saint Pierre et saint Paul en ont pris possession. 



CHAPITRE VIII. 139 

ces deux pauvres de Jésus-Christ, un regard vers le ciel, un 
autre vers la terre, conçoivent un plan d'une audace plus 
qu'humaine : ils se partagent l'univers pour le reconquérir 
au divin Roi. Leur ambition, comme celle des deux Apôtres, 
embrasse toutes les nations; leurs succès dépasseront égale- 
ment toutes les prévisions humaines. Ils ramèneront, en 
effet, les peuples sous le joug de l'Évangile, et cela, par les 
deux forces les plus grandes qu'il y ait au monde, la science 
et l'amour. Dominique et ses enfants, qui semblent tenir 
dans l'Église militante le rang qu'occupent les Chérubins 
dans la hiérarchie céleste, propageront la science divine et 
défendront la vérité: François et ses fils, tout embrasés de 
l'ardeur des Séraphins, verseront dans le monde des tor- 
rents de lumière et d'amour. 

Quoique étrangers l'un et l'autre à notre patrie, les deux 
saints Patriarches lui avaient également voué un filial amour. 
Par instinct ou par suite de l'étude de l'histoire, ils avaient 
compris qu'étant la fille aînée de l'Église catholique, elle a 
une mission privilégiée dans le monde, qu'elle est la terre 
classique des Ordres religieux, et que « sans elle on ne fait 
rien de grand (1) » . Aussi leur esprit se reportait-il souvent 
vers cette contrée malheureuse que Dominique n'avait pu 
soustraire entièrement au joug de l'hérésie, et leurs pleurs 
se mêlaient-ils fréquemment au récit des ruines sociales et 
morales amoncelées par les sectaires. En relisant dans nos 
anciens biographes les scènes de leur rencontre et de leurs 
adieux, nous étions tout naturellement amené à penser 
qu'ils durent concerter ensemble les moyens de remédier à 
tant de maux, et que Dominique pressa François d'apporter 
son concours à l'œuvre si difficile de la conversion des 
peuples du Languedoc ; mais ce n'étaient que des con- 

(i) Pie II. 



140 SAINT FRANÇOIS D'ASSISE. 

jectures. Par bonheur, un manuscrit du dix-septième siècle, 
que le duc de Mirepoix a eu l'obligeance de nous communi- 
quer et qui fait partie des archives de sa famille, est venu 
inopinément illuminer cette page, changer nos conjectures 
en certitude et nous indiquer nettement la part active de 
notre Saint dans la croisade contre les Albigeois (1). De ce 
document, qui nous paraît d'une authenticité incontestable, 
nous n'extrayons que les passages relatifs à l'Ordre séra- 
phique. 

Guy de Lé vis, vaillant capitaine que Simon de Montfort 
avait créé marquis de Mirepoix (1209), et loyal chrétien à 
qui saint Dominique avait déjà décerné le beau titre de 
MarécImL de ta Foi, se rendit à Rome, sans doute pour 
défendre devant le Saint-Siège les droits des Croisés fran- 
çais. Mis en relation avec le réformateur ombrien (et com- 
ment douter que ce ne fût à l'instigation et par l'entremise 
du Patriarche des Frères Prêcheurs, soit pendant, soit après 
la tenue du Concile?), il résolut d'attirer en France un si 
saint personnage pour l'opposer aux progrès de l'hérésie, et 
sollicita près de la cour romaine la faveur de l'emmener 
avec lui. Le Souverain Pontife accéda volontiers à cette 
demande ; François, de son côté, y souscrivit avec amour 
comme à l'objet de ses vœux les plus ardents, et il fit ses 
préparatifs dans ce sens. 

Fort des bénédictions du Ciel et de la haute sanction du 
vicaire de Jésus-Christ, l'âme remplie d'espérance et de 
consolation, il quitta la Ville éternelle vers la fin de 
décembre 1215 ou au commencement de l'année suivante, 
et s'en retourna joyeux en Ombrie pour ouvrir à Notre- 
Dame des Anges le Chapitre annuel de la Pentecôte. Chemin 
faisant, il évangélisa les principales villes du littoral de 

(1) Briève explication du titre de Maréchal de la Foi, par Guillaume Besse, 
avocat au Parlement de Toulouse. Ms. du château de Léran (Ariège). 



CHAPITRE VIII. 141 

l'Adriatique, Ascoli, Cameriiio, Maçerata, Monte-Gasale, 
Ancône et Fabriano . 

Assise avait le droit d'être fière d'un fils dont le concile 
de Latran avait proclamé le mérite et la sagesse, et dont 
tant de populeuses cités racontaient les prodiges. Elle ne 
fut pas sans lui préparer quelque fête, quelque ovation, et 




CODVENT JDKS CAUCEIU, PllKS D ASSISE. 



nous en trouvons comme un écho dans une inscription lapi- 
daire du temps. Comme le retour de François coïncidait 
avec l'achèvement de l'abside de l'église Sainte-Marie 
Majeure, on grava son nom à côté de celui de l'évêque, soit 
qu'on le considérât comme associé à la même œuvre ou 
comme le plus assuré de passer à la postérité (1). 

(1) Cette inscription est gravée en latin sur une pierre incrustée dans les arca- 
tures de l'abside. En voici la traduction : « L'an 121(5, indiction 4", l'an 10" du 



■142 SAINT FRANÇOIS D'ASSISE, 

Vers la même époque, les Bénédictins, à qui il était déjà 
redevable du couvent de Notre-Dame des Anges, lui offrirent 
un second monastère, connu depuis sous le nom de Carceri 
(les Prisons). Cet ermitage pittoresque, perché comme un 
nid d'aigle au sommet du Soubase, à trois milles environ 
d'Assise, cet ermitage avec sa forêt de chênes verts, ses 
ravins infranchissables et ses cavernes taillées dans les 
entrailles du rocher, répondait trop bien aux goûts de notre 
Saint pour qu'il n'acceptât pas avec reconnaissance une 
pareille donation. Dans la suite, il y monta souvent, « Il 
aimait à s'y retirer au lendemain de ses travaux aposto- 
liques, pour se mieux recueillir devant Dieu. Là, diligente 
abeille au sein même de l'oraison, il cueillait sur les fleurs 
du Ciel un suc abondant et en formait un miel délicieux 
qu'il distribuait ensuite, dans ses prédications, aux âmes 
affamées de Dieu (I). » 

Ces grottes sévères sont encore tout embaumées du par- 
fum de sa présence et de ses prières; et, depuis six siècles, 
les pèlerins y montent sans interruption pour vénérer son 
oratoire, sa cellnle, la pierre qui lui servait de lit, le puits 
dont l'eau jaillit à sa prière des entrailles du rocher, le chêne 
séculaire sur lequel les oiseaux venaient se percher pendant 
quilles haranguait, l'abîme que se creusa le démon lorsque, 
chassé par le Saint, il rentra dans le séjour du pleur éternel, 
les cavernes illustrées par des pénitents dont la plupart sont 
connus de nos lecteurs, Silvestre, Bernard de Quintavalle, 
Masseo, Gilles, Rufin, André de Spello, saint Bernardin de 
Sienne, l'apôtre du saint nom de Jésus, saint Jacques de la 
Marche, le marteau des musulmans, et le Bienheureux 
Antoine de Stroncone. 



temps de Vévêque Gui et du Frère François. » Voir les Annales Franciscaines, 
juin 1889, p. 295. 

(1) Marc de Lisbonne, Chronique. 



CHAPITRE VIII. 



143 



En Tannée 1216, François ne séjourna pas longtemps 
dans les cavernes de l'Apennin. Il descendit bientôt à la 




LES GROTTES DU COUVENT DES GAUCEKl 

Sanctifiées par le séjour de saint François et de ses premiers compagnons. 

Portioncule, où le poussaient comme malgré lui une main 
invisible et le désir chaque jour plus ardent de recueillir une 



144 



SxiINT FRANÇOIS D'ASSISE. 



plus ample moisson de grâces pour les pécheurs. Sa con- 
fiance était sans bornes, car il avait appris de la Reine des 
Anges elle-même qu'elle se plaisait à répandre ses dons 
dans ce sanctuaire (1). Il était loin pourtant de se douter 
des merveilles que Dieu lui préparait. Nous allons raconter 
ces merveilles, en prenant pour guides deux auteurs dont 
on ne saurait, sans injustice, suspecter ni la compétence ni 
la sincérité, Tliéobald et Conrad, tous deux évêques d'As- 
sise (2). Mais avant d'approcher du buisson ardent de la Por- 
tioncule, arrêtons-nous un instant et délions, comme Moïse, 
les courroies de nos chaussures, c'est-à-dire, élevons nos 
esprits, purifions nos cœurs ; car la terre que nos pieds fou- 
leront est sainte, et les spectacles que nos yeux contemple- 
ront sont dignes de l'admiration des Anges. 

(1) Tu. DE Celano, Viia secuncla, p. 1, c. xii. 

^^2) Acta SS., 4 oct., Analecta, p. 111, §§ 1 et 2. Pour l'authenticité des deux 
diplômes, voir les Annales franciscaines, août 1890, p. 950. 




La cordelière entoui-ant l'écusson de France et de Bretagne. 
(Château d'Auiboise.) 



CHAPITRE IX 

INDULGENCE DE LA PORTIONCULE 
(1216-1217) 



C'était en 1216, par une belle nuit d'été (1). Le saint 
Patriarche, à genoux dans sa cellule, un crucifix entre les 
mains, une tête de mort à ses pieds, priait avec ferveur. Au 
moment où ce séraphin de la terre, mêlant ses brûlantes 
adorations à celles de ses frères du Ciel, implorait la clé- 
mence du Très-Haut pour les pauvres pécheurs, il entendit 
comme la voix d'un Ange qui lui criait: « François, à la cha- 
pelle ! à la chapelle ! » Aussitôt il se lève et vole à la chapelle 
de Notre-Dame des Anges, où le spectacle le plus inouï vient 
frapper ses yeux. Sur l'autel, au-dessus du tabernacle, au 
sein d'une clarté surhumaine, se tenait le Verbe fait chair, 
non l'homme de douleurs, non la victime sanglante du 
Calvaii-e, comme dans les visions précédentes, mais le 
Christ triomphateur, tenant dans sa main le sceptre du 
monde, symbole de sa royauté absolue. Son visage rayon- 
nait d'une beauté qui défie tout pinceau et qu'il faut renon- 
cer à décrire ; car, dans ce monde déchu, où les rayons du 
beau sont épars, brisés et ternis par le péché, comment nous 
former une image, même affaiblie, de Celui qui est la splen- 



(1) V. Prodromus ad opéra S. Bonav., p. 64. 



10 



146 SAINT FRANÇOIS D'ASSISE. 

deur éternelle du Père des lumières? Disons seulement que 
son regard, d'une mansuétude infinie, pénétrait comme un 
trait enflammé l'âme du Bienheureux, et que ses lèvres sem- 
blaient prêtes à s'entr'ouvrir pour prononcer le mot de 
pardon. A sa droite était Marie, sa glorieuse Mère, et tout 
autour une radieuse ceinture d'esprits célestes. L'ineffable 
lueur qui remplissait le sanctuaire ne blessait point les 
yeux comme l'éclat du soleil ; elle était, au contraire, vive 
et douce comme les premiers rayons de l'aurore, et le 
regard de François se baignait avec délices dans ces flots 
de lumière, pendant que son âme, subjuguée, entraînée 
comme hors d'elle-même, s'écoulait en Dieu dans les enivre- 
ments de l'admiration et de l'amour. 

Le torrent de délices qui inondait son cœur n'entravait 
pas le jeu de sa liberté. Il se jeta la face contre terre, plus 
d'esprit que de corps, selon la remarque de Conrad, et il 
adora avec les Anges. « François, lui dit le Fils de Dieu, je 
sais avec quel zèle, toi et tes Frères, vous procurez le salut 
des âmes. En récompense, demande-moi pour elles et pour 
l'honneur de mon nom telle grâce qu'il te plaira, et je te 
l'accorderai ; car je t'ai donné au monde pour être la lumière 
des peuples et le soutien de mon Église. » Enhardi par une 
telle bonté, le saint Patriarche Lui adressa cette confiante 
supplication : « Dieu trois fois saint, puisque j'ai trouvé 
grâce à vos yeux, moi qui ne suis que cendre et poussière 
et le plus misérable des pécheurs, je vous conjure, avec 
tout le respect dont je suis capable, de daigner accorder à 
vos fidèles cette grâce insigne, que tous ceux qui, confessés 
et contrits, visiteront cette église, y reçoivent l'indulgence 
plénière et le pardon de tous leurs péchés. » Puis il conti- 
nua, en se tournant vers Marie : « Je prie la Bienheureuse 
Vierge, votre Mère, l'avocate du genre humain, de plaider 
ma cause devant vous. » scène admirable, que la langue 



CHAPITBE IX. 147 

humaine, comme le pinceau de l'artiste, est impuissante à 
reproduire! Marie intercède, et Jésus, qui ne peut rien 
refuser à sa Mère, incline vers elle un regard plein d'amour, 
qu'il reporte immédiatement sur son serviteur. «François, 
lui dit-il, ce que tu demandes là est grand; mais tu obtien- 
dras des faveurs plus grandes encore. Je t'accorde l'indul- 
gence que tu sollicites, à condition qu'elle soit confirmée et 
ratifiée par mon Vicaire, à qui seul j'ai donné plein pouvoir 
de lier et de délier ici-bas. » A ces mots, la vision s'éva- 
nouit, et Jésus, suivi de sa Bienheureuse Mère et de la cour 
angélique, rentra dans le sanctuaire inaccessible où réside 
l'auguste Trinité. 

Dès le point du jour, François partit avec le Frère Masseo 
pour Pérouse, résidence du nouveau pape Honorius ÏII, qui 
venaitde monter sur le trône si glorieusement occupé pendant 
dix-huit ans par Innocent III (18 juillet 1216), « Très Saint 
Père, lui dit-il avec sa charmante ingénuité, j'ai réparé, il y 
a quelques années, une petite église de vos domaines, qui 
est dédiée à la Mère de Dieu, et je supplie Votre Sainteté 
de l'enrichir d'une précieuse indulgence, sans obligation 
d'aumône. — J'y consens, répondit le Souverain Pontife; 
mais dis-moi le nombre d'années que tu requiers pour ce 
pardon. — Saint Père, qu'il plaise à Votre Sainteté de 
m'octroyer, non des années, mais des âmes. — Tu veux des 
âmes! Et comment? — Je désire, si Votre Sainteté l'agrée, 
que tous ceux qui, repentants et absous, entreront dans 
l'église de Notre-Dame des Anges, reçoivent l'entière rémis- 
sion de leurs péchés pour ce monde et pour l'autre. - — 
François, ce que tu demandes là est grand et tout à fait 
inusité en cour de Rome. — Aussi, Très Saint Père, ne 
vous le demandé-je point en mon nom, mais au nom de 
' Jésus-Christ qui m'a envoyé, » Alors, le Souverain Pontife 
répéta par trois fois : « Au nom du Seigneur, il nous plaît 



148 



SAINT FRANÇOIS D'ASSISE. 



que tu aies cette indulgence. « Sur l'observation de quel- 
ques cardinaux, qu'une telle faveur nuirait aux pèlerinages 
de Rome et de Jérusalem, Honorius répliqua : « Nous ne 
pouvons révoquer ce que nous avons librement concédé : 
nous pouvons seulement en déterminer la durée. » Puis, se 
tournant vers François, il ajouta : « Nous voulons que cette 
indulgence soit valable à perpétuité, pendant la durée d'un 




ÉGLISE DE NOTRE-DAME DES AXGES OU DE LA POUTIOXCULE. 

jour complet, depuis les premières vêpres jusqu'aux vêpres 
du jour suivant. » 

François remercia le Pape, s'inclina et se retira modeste- 
ment. Honorius, voyant qu'il s'en allait, le rappela et lui dit 
en souriant : « Homme simple, où vas-tu, et quel témoi- 
gnage emportes-tu de cette indulgence? — Saint Père, votre 
parole me suffit; que Jésus-Christ soit le notaire, la Sainte 
Vierge la charte et les Anges les témoins. Je ne réclame 
point d'autre acte authentique, et je laisse à Dieu le soin de 



CHAPITRE IX. 149 

prouver que cette œuvre vient de Lui. » Après cette réponse 
d'une sublime naïveté, il partit de Pérouse avec la bénédiction 
du Souverain Pontife pour s'en retourner à Notre-Dame 
des Anges. S'étant arrêté en route dans une léproserie pour 
y prendre un peu de repos, il eut une vision. A son réveil, 
il appela Masseo et lui dit : « Réjouissons-nous, mon Frère j 
car, je te l'affirme, l'indulgence que le Souverain Pontife 
vient de m'accorder est ratifiée au Ciel. » 

Cependant, le jour du grand pardon n'était pas fixé. Le 
serviteur de Dieu attendait et priait, plein de confiance ; son 
espoir ne fut point déçu. Six mois après la première appari- 
tion, par une froide nuit d'biver (1), il priait dans la cellule 
du jardin, à quelques pas du sanctuaire de Notre-Dame des 
Anges, et flagellait durement sa chair innocente. Le démon, 
qui veille sans cesse pour perdre les âmes, s'approche de 
lui sous la forme d'un Ange de lumière, et lui suggère cette 
pensée : « A quoi bon consumer ainsi ta jeunesse en mor- 
tifications excessives ? Ne sais-tu pas que le sommeil est le 
grand réparateur da corps? Crois-moi, conserve tes jours, 
afin de servir Dieu plus longtemps. » François, découvrant 
la rase de Satan, se précipite hors de sa cellule, ôte sa tuni- 
que, et, poussé par cette soif d'immolation qui est l'indice 
de la victoire et la meilleure moitié de l'amour, il se roule 
dans la neige et dans un buisson plein de ronces et d'épines, 
en disant à son corps ensanglanté : « Mieux vaut souffrir ces 
douleurs avec Jésus-Christ, que de se laisser prendre aux 
perfides caresses du serpent ! » A peine a-t-il accompli cet 
acte héroïque que toute la nature se transforme autour de 
lui. Une lumière éblouissante l'environne; les épines rougies 
de son sang se couronnent de roses blanches et rouges, 
symbole de sa pureté et de sa charité. Les Anges du Ciel 

(1) Janvier 1217. Conrad indique le mois, sans fixer l'année. 



150 SAINT FRANÇOIS D'ASSISE. 

jettent sur ses épaules déchirées une tunique plus blanche 
que la neige, des plus riches parmi celles qui se tissent dans 
les ateliers du ciel; puis, d'une voix suave, près de laquelle 
pâliraientles plus harmonieux concerts de ce monde, ils l'in- 
vitent à les suivre : « François, hâte-toi d'aller à l'église ; le 
Sauveur des hommes t'y attend avec sa Bienheureuse Mère. » 
François se penche pour cueillir vingt-quatre de ces roses 
apportées des jardins du ciel, douze blanches et autant de 
rouges, et se rend à la chapelle par un chemin qui lui semble 
couvert de tapis soyeux. 

Jésus était là, comme dans la première apparition, sur un 
trône de lumière, avec la Reine du ciel à sa droite et une 
escorte d'anges. François, après une profonde adoration, 
déposa les roses sur l'autel et les offrit à Notre-Seigneur par 
les mains de la Vierge Immaculée. « François, lui dit le Fils 
de Dieu, pourquoi ne rends-tu pas à ma Mère le tribut 
d'hommages que tu lui as promis ? » François, comprenant 
qu'il s'agissait des âmes que devait sanctifier la grande in- 
dulgence de la Portioncule, lui répondit avec l'accent d'une 
confiance toute filiale : « Dieu trois fois saint, souverain 
Maître du ciel et de la terre et Sauveur du genre humain, 
daignez, dans votre infinie miséricorde et pour l'amour de 
votre glorieuse Mère, déterminer le jour de l'indulgence 
plénière dont vous avez enrichi ce saint lieu. — Je veux que 
le pardon s'ouvre aux vêpres du 1" août, et qu'il ne se ferme 
qu'aux vêpres du lendemain. — Mais, Seigneur, comment 
les hommes ajouteront-ils foi à mes paroles? — Ne crains 
rien, va trouver de nouveau celui qui est mon Vicaire sur 
la terre, afin qu'il publie lui-même cette indulgence. — 
Mais, Seigneur, quelle confiance votre Vicaire pourra-t-il 
avoir en un pauvre pécheur comme moi? — Prends avec 
toi quelques-uns de tes compagnons qui ont entendu ma 
voix, emporte quelques-unes de ces roses miraculeuses, et 



CHAPITRE IX. 



151 



va ; ma grâce fera le reste. » Dans ce mystérieux colloque 
entre le Créateur et sa créature, un don ineffable venait 
d'être fait à la terre; les chœurs angéliques entonnèrent le 
Te Deum en action de grâces, et la vision disparut. 

Dès le lendemain, le Bienheureux partait pour Rome, 




Comment saint François présenta au pape llonorius III des roses blanclies et des 
roses roujjes, pour attester devant lui la vérité de l'Indulgence. (D'ajn'cs 
Tiberio.) 

accompagné des trois Frères qui avaient été témoins auri- 
culaires du prodige : Pierre Cattani, Bernard de Quintavalle 
et Ange de Rieti. Introduit au palais de Latran devantj^le 
Pape et les cardinaux assemblés, il raconta naïvement sa 
merveilleuse vision, et présenta son bouquet de fleurs, trois 



152 , SAINT FRANÇOIS D'ASSISE'. 

roses blanches et trois roses rouges, comme im témoignage 
irrécusable de sa véracité. Honorius, considérant ces fleurs 
si belles, si fraîches, si parfumées (on était au cœur de 
l'hiver), et admirant plus encore la sainteté de François, 
accueilHt favorablement sa requête. Il fixa la grande indul- 
gence au 2 août, et manda aux évêques d'Assise, de Pé- 
rouse, de Todi, de Foligno, de Nocera, de Spolète et de 
Gubbio, de la promulguer solennellement en la fête de saint 
Pierre aux Liens. François alla lui-même porter les lettres 
pontificales à leurs destinataires. 

Au jour indiqué, les sept prélats, ayant à leurs côtés le 
Bienheureux Patriarche, montèrent sur une estrade dressée 
à la porte du sanctuaire. Une foule immense, haletante et 
recueillie, couvrait la plaine. Le saint, après avoir rappelé 
l'origine et l'excellence de la faveur divine qu'il avait reçue, 
déplia un parchemin et lut ces paroles : « Je veux vous faire 
aller tous en paradis. Je vous annonce une indulgence plé- 
nière que j'ai obtenue de la bonté céleste et qu'a rati- 
fiée le Souverain Pontife. Vous tous qui êtes venus ici le 
cœur contrit, confessés et absous, vous aurez la pleine 
rémission de la peine due à vos péchés ; et il en sera de 
même tous les ans, à perpétuité, pour tous ceux qui se 
présenteront dans les mêmes dispositions. Je souhaitais 
que cela durât huit jours; mais je n'ai pu l'obtenir. » 
En entendant ce mot « à perpétuité » , les évêques s'ému- 
rent, et ils convinrent entre eux de réduire à dix ans la 
susdite indulgence. Don Guido prit le premier la parole, 
mais il ne put s'empêcher de prononcer « à perpétuité » . La 
même chose arriva aux six autres prélats, qui reconnm^ent à 
j3q trait la miséricordieuse volonté de Dieu. « Des témoins 
dignes de foi, Pierre Gattani, le Frère Léon et le patricien 
Pierre Zelfano d'Assise, attestèrent l'authencité de ces faits. 
Les Frères Oddo d'Aquasparta et Marin déclarèrent égale- 



CHAPITRE IX. 



153 



ment les avoir appris de la bouche du Frère Masseo (1). » 
Le lendemain, 2 août, les sept évêques consacrèrent 

l'humble chapelle de Notre-Dame des Anges. 

On vient de lire l'historique de la célèbre indulgence que 




Comment saint François prêcha l'Indulgence devant les sept évêques désignés par 

le Pape. (D'après Tiberio.) 



les peuples vénèrent sous le nom de Grand Pardon d'Assise. 
Il ne sera pas inutile, par ces temps de scepticisme univer- 
sel, de réfuter les dénégations de l'école rationaliste, de ces 
critiques à outrance, français ou allemands, qui proscrivent 

(1) Lettre de Conrad, évêque d'Assise. Acta SS., 4 octobre, Analecta, 
p. 3, §2. 



154 SAINT FRANÇOIS D'ASSISE. 

le surnaturel au nom de la science moderne. Ils ont imaginé 
de combattre la vérité de l'indulgence, en traitant de rêve- 
ries l'apparition qui en est la base. 

Pour être bref, contentons-nous de poser un principe 
admis de tous, c'est que la concession de l'indulgence est 
un fait, avant d'être une grâce. Dès lors, comme tous les 
faits, elle se prouve par le témoignage. Or, ici, les voix ont 
assez de poids et sont assez nombreuses pour porter la con- 
viction dans les esprits. C'est, en première ligne, le héros 
lui-même, seul capable de donner des détails précis sur 
l'apparition. Ce sont, en seconde ligne, les témoins oculaires 
ou auriculaires, Masseo, Pierre Cattani, Bernard de Quin- 
tavalle et Ange de Rieti ; et après eux ceux de la génération 
suivante, le patricien Zelfano d'Assise, les Frères Marin, 
neveu de Masseo, Benoît et Rainier d'Arezzo, « dont plu- 
sieurs, dit Théobald, sont encore vivants (1) » , et au témoi- 
gnage desquels il ne craint pas d'en appeler. Ce sont enfin 
les divers historiens qui ont relaté le fait : Théobald, dont 
la circulaire est une réponse vengeresse aux perfides insi- 
nuations des incrédules du temps; Bartholi, lecteur au cou- 
vent de la Portioncule; Conrad, successeur de Théobald sur 
le siège d'Assise; Giunta Bevegnati, dans sa Vie de sainte 
Marguerite de Gortone (2), et le vénérable Jean de l'Al- 
verne, transcrivant une déposition dont la touche particu- 
lièrement attendrissante fera impression sur tout esprit 
impartial. 

« L'an 1309, un vieillard plus que centenaire, des envi-r: 
rons de Pérouse, et fervent Tertiaire, avait fait plus d'une 
lieue à pied pour se rendre à la Portioncule et gagner l'in- 
dulgence du 2 août. Jean de l'Alverne, son confesseur, ne 

(1) « Ex quibus plures liodie vivunt, qui liœc omnia protestantur. » Cf. Wad- 
DIKG, t. V, p. 24. 

(2) G. Bevegnati, c. ix, §§ 49 et 50. 



CHAPITRE IX. 155 

put s'empêcher de louer le zèle du pèlerin dans un âge si 
avancé. — Mon Père, répondit le vieillard, si mes jambes 
me refusaient leur service, je viendrais à dos de mulet plu- 
tôt que de perdre le profit d'un si beau jour. — Et pour- 
quoi? — Parce que c'est un souvenir sacré pour moi. J'étais 
présent lorsque saint François, se rendant à Pérouse, vint, 
selon sa coutume, nous demander l'iiospitalité. Il nous dit 
qu'il allait prier le Pape de confirmer l'indulgence qu'il avait 
obtenue d'en haut. Depuis cetemps-là,je n'ai pas manqué une 
seule année de descendre ici au jour du Grand Pardon (1). » 

Ainsi les preuves abondent, lumineuses, irréfutables; car 
que peut-on y opposer de raisonnable? Qui osera dire que 
saint François fût un niais ou un imposteur (2)? Qui osera 
accuser ses disciples de mensonge ou d'hypocrisie? Qui 
osera enfin reléguer parmi les fables un fait attesté par des 
témoins de toute condition, patriciens désintéressés, reli- 
gieux austères, historiens éclairés et consciencieux? Non, 
ce n'est pas folie que de l'admettre; c'est simplement un 
acte d'équité. Non, saint Antonin ne s'avance pas trop, 
quand il déclare que les sacrés stigmates imprimés plus tard 
sur la chair de notre Bienheureux sont comme une bulle du 
Pontife éternel approuvant l'Ordre de la Pénitence et le 
Grand Pardon d'Assise. Non, .Bourdaloue n'est pas trop 
hardi, quand il affirme que « détentes les indulgences, celle 
de Notre-Dame des Anges est une des plus assurées et des 
plus authentiques qu'il y ait dans l'Eglise, parce que c'est une 
indulgence accordée immédiatement par Jésus- Christ (3) » . 

Terminons ce débat qu'exigeait la justification de notre 

(1) Waddinc, ad ann. 1309. 

(2) Renan a osé écrire : « Ceux qui font des miracles ou qui les admettent sont 
des esprits crédules ou des imposteurs. » [Intr. à la Vie de Jésus, p. 3.) Une 
pareille fatuité n'est pas pour nous déplaire ; car, entre ces prétendus imposteurs 
qui se nomment Bossuet, Fénclon, Pascal et un Renan qui les insulte, l'hésita- 
tion ne saurait durer longtemps. 

(3) Sermon sur la fête de IN.-D. des Anges. 



156 SAINT FRANÇOIS D'ASSISE. 

récit, et qui ne, sera pas sans fruit pour nos lecteurs. S'ils 
hésitaient, il fera pénétrer la lumière, et la conviction dans 
leur intelligence; s'ils croyaient, il servira du moins à les 
mettre davantage en garde contre les déclamations de cette 
critique moderne qui veut écrire l'histoire sans les docu- 
ments de l'histoire. 

La concession de l'indulgence par le Christ est certaine; 
celle de sa ratification par le Saint-Siège ne l'est pas moins. 
Vingt fois, d'Honoriiis III à Léon XIII, les Souverains Pon- 
tifes ont élevé la voix dans ce sens. Ils ont étendu cette 
faveur aux églises des trois Ordres, et, par une faveur 
exceptionnelle, ils l'ont laissée subsister dans les années 
jubilaires, et même en temps d'interdit. Aussi tous les 
peuples sont-ils venus avec confiance visiter cette modeste 
chapelle de la Portioncule, qui est devenue, avec la Santa 
Casa de Lorette, l'un des joyaux de l'Italie et l'un des sanc- 
tuaires les plus vénérés du monde. Là, tous les ans, du 1" au 
2 août, des milliers de pèlerins accourus de tous les pays 
viennent prier où pria le Séraphin d'Assise, chercher le par- 
don qu'il obtint pour eux, et reconquérir avec la pureté et 
l'innocence baptismale les joies, seules désirables, du divin 
amour. Le pavé de la chapelle est littéralement usé par les 
genoux des fidèles, et les murailles ont gardé l'empreinte 
des baisers brûlants de six générations. En vérité, n'est-on 
pas forcé de convenir que ces lieux bénis sont abreuvés de 
gloire, et que ce champ de bataille de la pénitence éclipse 
tous les champs de bataille de l'ambition humaine? On se 
demande s'il est dans l'histoire de l'Église une page plus 
consolante pour les pauvres pécheurs, et l'on ne sait ce 
qu'il faut le plus admirer ici, ou du zèle de saint François 
pour le salut des âmes, ou de la puissance de Dieu qui se 
joue de la superbe des hommes et choisit ce qui est faible 
pour combattre ce qui est fort. 



CHAPITRE IX. 



157 



Une chose non moins étonnante, c'est le soin jaloux avec 
lequel la Providence veille sur les pierres de cet humble 




I . 



1." l'^y-'^'^'^ ^ 




ÉGLISE DE NOÏllE-DAME DES ANGES (iNïÉUIEnu). 

L'édicule qu'on aperçoit à l'entrée du sanctutiirc est la petite chapelle de la 
Portionculc, restaurée par saint François. 

monument. Deux fois, en 1832 et en 1833, des tremble- 
ments de terre ont fortement endommagé la splendide 



158 



SAINT FRANÇOIS D'ASSISE. 



basilique dont le seizième siècle l'a recouvert comme d'un 
manteau royal; cent fois les révolutions politiques ont bou- 
leversé le pays; la Portioncule est toujours debout, intacte, 
avec le doux parfum de pauvreté qui s'exbale de ses murs 
nus et grossiers. 

Tant de grâces obtenues dans ce sanctuaire privilégié 
étaient de nouveaux titres à la vénération de François. Aussi 
parlait-il avec bonheur de la sainteté de ce lieu, et, faisant 
allusion aux faveurs célestes dont il avait été l'objet, se plai- 
sait-il à répéter à ses disciples : « N'abandonnez jamais ce 
temple. Si l'on vous chasse par une porte, rentrez-y par une 
autre ; car ce lieu est saint, c'est la maison de Dieu. C'est 
ici que nous avons grandi sous la bénédiction du Très-Haut ; 
c'est ici qu'il a illuminé nos esprits des clartés de sa sagesse, 
et qu'il a embrasé nos cœurs du feu de son amour. Qui- 
conque y priera dévotement sera exaucé; quiconque y 
outragera la majesté divine sera plus sévèrement châtié. 
Honorez donc toujours ce sanctuaire, et ne cessez d'y faire 
entendre les louanges du Seigneur (1). » 

(1) Tu. DE Cela.so, Vita prima, p. 2, c. vii ; et Vita secunda, p. 1, c. xii. 




Saint François sortant d'un lis. (D'après Callot.) 



CHAPITRE X 

PREMIERS CHAPITRES GÉNÉRAUX. 
(1217-1219) 



De 1212 à 1216, le saint fondateur dut être fidèle à la 
résolution qu'il avait prise de tenir chaque année deux ses- 
sions capitulaires. Mais ces premières réunions g^énérales 
n'ont laissé aucune trace dans l'iiistoire. Les Trois compa- 
gnons nous disent seulement qu'elles avaient lieu à la Pen- 
tecôte et à la Saint-Michel, et toujours au pied de Notre- 
Dame des Anges (1). 

Le premier Chapitre général qui ait fixé l'attention des 
biographes est celui de l'année 1217, et avec raison; carie 
Saint y prit deux mesures aussi fécondes en résultats que 
décisives pour l'avenir de l'Ordre , Il divisa l'Italie en plu- 
sieurs provinces, et envoya le Frère Élie en Toscane, Benoît 
d'Arezzo dans les Marches, Jean de Strachia en Lombardie, 
Augustin dans la Terre de Labour, Daniel dans la Calabre, 
et un autre religieux dans la Pouille. Il s'occupa ensuite des 
ouvriers évangéliques qui devaient franchir les limites de 
l'Italie, et désigna Bernard de Quintavalle pour l'Espagne, 
Jean de Penna avec soixante Frères pour l'Allemagne, 
Jean Bonelli avec Monald de Florence pour la Provence, et 
Bonencontre, prêtre romain, pourleBerry. Il s'était réservé 

(1) G. XIV. 



160 SAINT FRANÇOIS D'ASSISE. 

pour lui-même Paris, le nord de la France et les Pays-Bas, 
et il n'avait pas caclië à ses Frères les motifs de son choix. 
Il aimait la France, parce que c'était le pays où le culte 
eucharistique était le plus florissant (1); il l'aimait encore 
parce qu'il savait par révélation qu'elle lui donnerait bientôt 
de nombreux disciples et qu'il y serait lui-même un jour 
l'objet d'une ardente dévotion; il en aimait aussi la langue 
claire et sonore, et il en faisait usage lorsqu'il était comme 
emporté par les ardeurs de l'Esprit-Saint (2). Comme saint 
Benoît, comme saint Dominique, comme tous les fondateurs 
d'Ordres religieux, il sentait que si Rome est la tête de l'hu- 
manité régénérée, la France en est le cœur, et qu'une œuvre 
d'apostolat ne peut prendre tout son essor avant d'avoir 
respiré l'air de la France. Beau témoignage rendu aux desti- 
nées providentielles de la fille amée de l'Eglise et à son esprit 
de prosélytisme ! 

Avant de quitter la Portioncule, le saint Patriarche bénit 
ses enfants, leur donna le baiser de paix et d'adieu, et les 
missionnaires sortirent de Notre-Dame des Anges, comme 
les Apôtres étaient sortis du cénacle au lendemain de la 
Pentecôte, pour aller semer aux quatre vents du ciel la 
bonne semence de l'Évangile. La douleur de la séparation 
était. adoucie par la certitude d'aller là où l'obéissance les 
envoyait, .et. par l'espérance de donner Jésus-Christ aux 
âmes affamées de lumière et d'amour., Lui-même partit avec 
Frère' Masseo pour. la mission de France. Du coteau d'As- 
sise, il porta un regard plein d'espérance vers ce 'beau 
« royaume des lis » dont le seul nom faisait battre son cœur 
des plus douces émotions, et qu'il lui tardait d'arracher aux 

r '■■•''*•■ - . . - ... 

(1) Diligebat propierea Fi'anciani ut amicani corpôris Domini, atque in ea 
mori pvàpter sacrôruin. reverentiam'cupiehat. ■ ('Sa.' de Gelano, Vita secunda, 
p. 3, c. cxxix.) — Voir la Chronique des vingt-quab'C généraux : « Anno 
1217, etc. » 

(2) Tu. DE Celano, Vita secunda, p. 1, c. vin. 



chapithe X. 161 

fureurs de l'anarchie. Qui dira les ma(jnifiques projets qu'il 
nourrit alors dans son esprit? Projets qui naissent comme 
d'eux-mêmes dans toute âme ardente, dans toute âme 
d'apôtre. Il ignorait qu'un autre que lui devait les réaliser. 

Ayant appris que le cardinal lîugolin se trouvait à Flo- 
rence en qualité de légat, François, fidèle à sa coutume de 
saluer les évêques et les princes de l'Église, alla présenter 
ses hommages à l'éminent prélat. Ce fut une heureuse 
inspiration. Ils ne se connaissaient encore que de réputation, 
dit Thomas de Celano ; mais dès la première entrevue, il 
s'établit entre eux un courant d'admiration sympathique et 
de réciproque vénération qui tourna au profit d'un institut 
encore mal affermi (I). Le cardinal dissuada François d'un 
si lointain voyage, en lui faisant comprendre que son œuvre 
était un arbre au jet vigoureux, mais trop tendre encore 
pour ne pas réclamer la présence et les soins de celui qui 
l'avait planté. L'homme de Dieu, toujours humble et docile, 
lors même qu'il lui fallait sacrifier ses désirs les plus chers, 
se soumit à l'autorité d'un protecteur si bienveillant, d'un 
ami si éclairé, et il envoya à sa place, non sans envier leur 
bonheur, le Frère Pacifique avec Ange et Albert de Pise 
dans le nord de la France, et Christophe de Romagne avec 
le Frère Pierre dans le midi. 

Fidèle aux instructions du séraphique Père, Christophe 
s'établit d'abord à Mirepoix, au pied des Pyrénées. Il créa 
ensuite divers foyers de vie franciscaine dans le Languedoc 
et la Guyenne, fut le grand auxiliaire de saint Dominique 
dans ses efforts contre l'hérésie albigeoise, et mourut au 
couvent de Cahors, le 3 octobre 1272, après avoir opposé 
aux calomnies des sectaires la plus irréfutable des réponses, 
l'exemple d'une vie sainte et mortifiée. 

(1) Tu. DE Celano, Vita prima, p..l,c. xxvu. 

11 



162 SAINT FRANÇOIS D'ASSISE. 

Outre l'intérêt qui s'attache aux faits considérés en eux- 
mêmes, la mission de Christophe dans les provinces infectées 
par le manichéisme revêt à nos yeux une importance consi- 
dérable. Qu'on la rapproche de la démarche de Guy de 
Lévis auprès de saint François, et l'on verra qu'elle projette 
une vive lumière sur les origines de l'Ordre en France et 
qu'elle résout la question que nous avons posée plus haut 
sur la cause de son introduction. L'histoire devra donc 
désormais, pour être juste, mentionner les travaux de 
Christophe de Romagne, de saint Antoine de Padoue, des 
Bienheureux martyrs Etienne de Narhonne et Raymond de 
Carbonne, à côté des travaux de saint Dominique et de ses 
religieux dans le Languedoc, et reconnaître que les Frères 
Mineurs y furent précisément appelés pour combattre 
l'hérésie albigeoise, comme elle est obligée de reconnaître 
que la pacifique croisade des uns et des autres fît plus pour 
la destruction de l'hérésie que les lances des croisés et les 
sentences de l'Inquisition. 

Quant à saint François, il reprit, dès qu'il le put, ses 
courses apostoliques; seulement, ce fut la vallée de Rieti, 
au lieu de la France, qui fut le principal théâtre de son zèle, 
de 1217 à 1219. De temps à autre cependant, il interrompait 
ses travaux apostoliques, pour retourner à Notre-Dame des 
Anges se retremper dans la prière, prendre soin de ses 
Frères et de ses novices, ou visiter les nouvelles fondations. 
Un fait d'une importance capitale domine cette époque 
de sa vie; nous voulons parler du. second Chapitre général, 
dont il avait fixé l'ouverture au jour de la Pentecôte de 
l'année 1219. Lui-même pressentait que cette assemblée 
plénière déciderait de l'avenir de son institution. Aussi ne 
voulut-il rien entreprendre sans avoir consulté son protec- 
teur, le cardinal Hugolin. Il se rendit à Rome, soit en 
l'année 1217, soit en 1218 (les chroniqueurs ne le disent 



CHAPITRE X, 163 

pas), afin de concerter avec lui les lois et les mesures qu'on 
proposerait dans cette assemblée. Saint Dominique assistait 
à cette conférence, « Ne trouvez-vous pas bon, leur de- 
manda, entre autres choses, le cardinal, que quelques-uns 
de vos disciples soient promus aux dignités ecclésiasti- 
ques? » — Les deux patriarches donnèrent la même réponse. 
« Pour moi, dit saint Dominique, je ne connais pas de plus 
grand honneur que d'être les porteurs de la parole divine 
et les boucliers de la foi. Laissez donc les Frères Prêcheurs 
dans leur vocation. » — « Seigneur, dit à son tour saint 
François, mes enfants s'appellent Frères Mineurs, parce 
qu'ils occupent le dernier rang dans l'Église. C'est là leur 
poste d'honneur; gardez-vous bien de les en arracher, sous 
prétexte de les faire monter plus haut (1). » Le cardinal 
ne partagea point leur sentiment, mais leur esprit d'abné- 
gation n'en fut pas moins pour lui un sujet de grande édifi- 
cation. 

Au rapport du Frère Léon, qui accompagnait son Bien- 
heureux Père, il fut aussi question, dans cette entrevue, de 
fondre les deux Ordres en un seul; mais le séraphique 
Patriarche s'y opposa. « La volonté de Dieu, dit-il, c'est 
qu'ils demeurent séparés, afin que chacun puisse embrasser 
à son gré l'une ou l'autre des deux règles. » Dominique le 
pria alors de lui donner au moins, comme symbole de la 
charité fraternelle qui les unissait, eux et leurs familles spiri- 
tuelles, la pauvre corde qui lui ceignait les reins. « Je la 
porterai toujours, lui dit-il, sous ma robe blanche. » François 
refusa longtemps par humilité, mais les instances du pieux 
solliciteur finirent par l'emporter. Les adieux furent pleins 
d'une fraternelle tendresse; ils se recommandèrent aux 
prières l'un de l'autre. En sortant, le Patriarche des Frères 

(1) Th. de Gelako, Vita secundo, p. 3, c. lxxxvii. 



164 SAINT FRANÇOIS D'ASSISE. 

Prêclleurs dit à ses compagnons : « En vérité, la sainteté de 
François est si éminente,' que tous les religieux devraient 
s'attacher à ses pas (1). » Telle fut l'origine d'une dévotion 
qui se répandit promptement par toute l'Église, et que 
Sixte-Quint, de l'Ordre des Frères Mineurs, érigea trois 
siècles plus tard en arcliiconfrérie, sous le nom à' Archicon- 
frérie du Cordon de Saint-François (2). 

Après avoir réglé les affaires de l'Ordre, de concert avec 
le cardinal, le Saint prit congé de ses deux amis et revint à 
Notre-Dame des Anges. 

Enfin, l'époque du Chapitre général arriva : c'était le 
26 mai 1219, journée à jamais mémorable, et qui a laissé 
une trace lumineuse dans les annales de l'Ordre. En ce jour- 
là, tout invitait les Frères à l'allégresse : l'Église célébrait 
les solennités de la Pentecôte et avait pris ses ornements 
de fête; la nature, elle aussi, avait revêtu sa plus riche pa- 
rure du printemps : l'air était frais et pur, le soleil se levait 
radieux et plein de majesté sur le sommet des Apennins, et 
versait des torrents de lumière dans la vallée de Spolète. Le 
voyageur qui fût descendu d'Assise à cette heure matinale 
eût pu contempler un spectacle peut-être unique au monde : 
des centaines de cabanes s'élevant dans la plaine et cinq 
mille religieux réunis autour du modeste sanctuaire de la 
Portioncule (3), A les voir recueillis comme des anges, le 
front incliné comme sous un souffle divin, il eût naturelle- 
ment supposé qu'il se passait quelque chose d'étrange daïis 
cette chapelle, et il ne se fût point trompé. Quelle scène, 
en effet ! Le cardinal Hugolin , debout sur les marches de 
l'autel, officiant pontificalement; François assistant au saint 

(i) Tu. DE Gelano, Vila secunda, p. 3, c. lxxxvii. 

(2) Bulle du 19 novembre 1585. 

(3) Thomas EcclesïON (coll. VII, éd. cit., p. 232) donne le cliiffre de cÙ2(7 
mille, en s'appuyant sur la déposition du Frère Martin de Barton, qui avait 
assisté au Chapitre. 



CHAPITRE X. 



105 



sacrifice avec cinq mille de ses Frères ; les anges montant 
vers le trône du Père éternel pour Lui offrir le sang de la 
Victime sans tache, ainsi que les prières des hommes, et 
descendant ensuite vers la terre chargés de grâces et de 
bénédictions ; enfin, tout le ciel attentif aux prières des 
pauvres de Jésus-Christ : quelle scène, encore une fois, et 







LE CHAPITRE DES NATTES. 



comme^elle repose doucement le regard, au milieu de tant 
d'autres qui l'attristent et le fatiguent ici-bas (1) ! 

Après la messe, le cardinal ouvrit solennellement le Cha- 
pitre et le présida. Le soir, il vouhit, comme un général 
d'armée, passer en revue les nombreuses phalanges des 
soldats du Christ, qui logeaient dans la plaine sous des 
cabanes de feuillage et de nattes (de là le nom de Chapitre des 
Nattes). Il les trouva rassemblés par groupes de soixante ou 



(1) Tressocii, c. xiv ; et Bonav., c. iv. 



166 SAINT FRANÇOIS D'ASSISE. 

de cent, racontant les joies et les souffrances de leur apo- 
stolat, se redisant les uns aux autres les œuvres de leur Bien- 
heureux Père ouïes prodiges qu'ils avaient opérés sous ses 
auspices, et se répétant ce mot des disciples de Notre-Sei- 
gneur au retour de leur première mission : « Les dénions 
mêmes nous obéissaient en son nom. » 

A cette vue, le vénérable vieillard s'écria dans son admi- 
ration, comme autrefois le patriarche Jacob : « Frères 
Mineurs, en vérité, c'est ici le camp de Dieu. » C'était, 
eh effet, l'armée d'élite du grand Roi, armée pacifique et 
conquérante, sans armes et toute-puissante, admirable de 
discipline et d'héroïsme, à laquelle on pouvait appliquer ce 
mot des Saintes Ecritures: « Que tes pavillons sont beaux, ô 
Jacob! Que tes tentes sont belles, ô Israël! » François, 
levant vers le ciel un regard plein de reconnaissance, et 
remerciant le Seigneur d'avoir multiplié ses fils comme les 
grains de sable de la mer, laissa tomber de son cœur et de 
ses lèvres quelques paroles brûlantes, qui ravivèrent dans 
l'âme de ses disciples l'amour de Dieu et de leur vocation, 
le zèle des âmes et le dévouement à l'Église romaine. On 
croit que ce fut dans cette circonstance qu'il prononça les 
paroles suivantes : « Mes Frères, dit-il en terminant, nous 
avons promis de grandes choses; on nous en a promis de 
plus grandes encore. Gardons les unes, soupirons après les 
autres ; le plaisir est court, la peine est éternelle ; les souf- 
frances sont légères, la gloire est infinie. Beaucoup d'appe- 
lés, peu d'élus : chacun recevra selon ses mérites (1). » 

Des esprits timides auraient pu se demander : « Où pren- 
dre des vivres pour nourrir tant de personnes? » Le saint 
Patriarche et ses enfants n'éprouvèrent point de ces défiances 
ni de ces inquiétudes. Ils étaient là, dénués de tout, mais 

(1) OEuvres de S. Fr, d'Assise, p. 3, ch. xxxui. — Cf. Tu. de Cëlano, Vita 
secunda, p. 3, c. xxxi. 



CHAPITRE X. 167 

remplis de confiance, attendant du Créateur, comme les 
oiseaux du ciel,leurnomTiture de cliaquejour. La Providence 
ne leur manqua point. On vit accourir d'Assise, de Pérouse, 
de Foligno, et jusque de Spolète, des hommes de toutes 
conditions, clercs et laïques, chevaliers et gens du peuple, 
qui, non contents d'apporter aux pauvres de Jésus-Christ 
toutes les provisions nécessaires, poussèrent la charité jus- 
qu'à vouloir les servir de leurs propres mains. Ces secours 
durèrent autant que le Chapitre (1). 

Une foule de personnes étaient venues par pure curio- 
sité, attirées par la nouveauté du spectacle ; Dieu en profita 
pour toucher leurs cœurs. Parmi tant de visiteurs, les uns 
étaient surtout frappés delà vie austère des Frères Mineurs; 
ils se disaient : « Voilà qui nous montre bien que le chemin 
du ciel est étroit, et qu'il est difficile aux riches d'entrer dans 
le royaume de Dieu! Nous nous flattons de faire notre salut, 
sans rien retrancher de nos aises ni des délices du siècle, 
tandis que ces bons Frères se privent de tout et tremblent 
encore. Nous voudrions mourir comme eux, mais nous ne 
voulons pas vivre comme eux; et cependant, on meurt 
comme on a vécu. » Les autres observaient plutôt la céleste 
expression de leur physionomie, le gracieux sourire de leurs 
lèvres, leur empressement à se rendre de mutuels services, 
la paix divine qui se reflétait dans la douce lumière de leurs 
regards. « Ce sont des anges, pensaient-ils; ils ne touchent 
la terre que par les extrémités des pieds, et déjà leurs pen- 
sées et leurs affections sont dans la céleste patrie. Qui nous 
empêche de partager leur bonheur? » Et bon nombre 
d'entre eux (ils étaient plus de cinq cents) dirent adieu au 
monde, s'agenouillèrent aux pieds de François et revêtirent 
les glorieuses livrées de la pénitence. C'est ainsi que la 

(1) Wadding, t. I, p. 282-286. 



168 SAINT FRANÇOIS D'ASSISE. 

bonne odeur des vertus des Frères remplissait toute la vallée 
de Spolète et y produisait des fruits de vie. 

Il est bon de remarquer ici qu'autant le saint fondateur 
était ami de la simplicité, autant il était ennemi de l'exagé- 
ration. iVyant appris que plusieurs de ses disciples se livraient 
à des mortifications immodérées, il ordonna d'apporter les 
instruments de pénitence, cottes de mailles et ceintures de 
fer, et interdit, dans les jeûnes, veilles et macérations, tout 
ce qui pouvait être préjudiciable aux travaux du ministère 
apostolique (1). 

Le renouvellement de l'esprit religieux, l'accroissement 
de la ferveur et la conquête de nouveaux disciples ne furent 
pas les seuls résultats du Chapitre des Nattes (2). On y dressa 
trois statuts importants, qui fixèrent les glorieuses des- 
tinées de l'Ordre. Les voici : 

1" « On fera une mention expresse des saints apôtres 
Pierre et Paul dans les oraisons : Protège nos, Domine, et 
Exaudi nos,Deiis (3). » Par cette prière liturgique, François 
ne resserrait pas seulement les liens qui rattachaient l'Ordre 
dès sa naissance à l'Église romaine, mère et maîtresse de 
toutes les Eglises ; il inaugurait encore parmi ses enfants 
cette dévotion au Pape, qui devait être et demeure toujours 
le trait distinctif de sa triple famille. 

2° « On ne recevra ni couvent ni église qui ne soient con- 
formes à la sainte pauvreté que nous avons promise dans la 
règle. » Sage décision qui fermait l'entrée des couvents 
franciscains à la passion du luxe et des richesses, cause 
ordinaire de relâchement et de ruine dans la discipline 
régulière. 



(1) Tj'cx socii, c. XIV. 

(2) Ce fut à ce Chapitre que François accorda aux Provinciaux le pouvoir 
(l'admettre les novices à la profession religieuse. (V. Très socii, c. xvi.) 

(3) BEmSAno de Besse, de laud. B. Fr, 



CHAPITRE X. 169 

3° « Tous les samedis, on célébrera clans tous nos cou- 
vents une messe solennelle en l'honneur de la Bienheureuse 
Vierge Marie Immaculée. » Par cette prescription, due à 
l'initiative du séraphique Patriarche, et renouvelée par 
saint Bonaventure au Chapitre général de Pise (1263), 
l'Ordre des Frères Mineurs prenait la Vierge Immaculée 
pour sa protectrice et sa patronne, et se déclarait, six siècles 
à l'avance, le héraut du grand dogme de l'Immaculée Con- 
ception. C'est là sa gloire dans l'Église et peut-être, dans la 
pensée de Dieu, le principal motif de sa création. 

Le fait est enregistré dans les annales de l'Ordre , mais 
qui nous en dira la cause? Qu'un homme peu versé dans les 
saintes lettres et qui se pique de n'avoir d'autre science que 
celle de la croix- que l'humble diacre d'Assise, en im mot, 
jette tout d'un coup comme une gerbe de lumière sur une 
des vérités les plus longtemps voilées de la religion catho- 
lique; qu'il la montre aux peuples en la faisant passer dans 
les traditions privées et dans le culte public de toute 
une famille religieuse ; qu'il donne ensuite la raison 
du mystère, en posant devant ses fils ce principe iné- 
branlable : «Ne craignez point d'attribuer à Marie tout 
ce qui ne répugne pas à sa dignité de Mère de Dieu », 
est-ce là un prodige humainement explicable? Et ne 
faut-il pas admettre, avec un savant de Sienne, de l'Ordre 
des Frères Prêcheurs, que la théologie de ce saint homme, 
portée sur les ailes de la pureté et de la contemplation, 
s'élevait comme le vol de l'aigle, et qu'il l'avait puisée tout 
entière dans les communications surnaturelles de l' Esprit- 
Saint? Dès lors, instruit par ce Docteur des docteurs, assuré 
de la place que tient Marie dans le plan divin, François 
pouvait-il mieux faire que de léguer cette vérité à ses enfants, 
comme le plus précieux trésor de leur héritage? Son espoir 
ne fut point trompé. Ses disciples défendirent et propa- 



170 SAINT FRANÇOIS D'ASSISE. 

gèrent la doctrine de l'Immaculée Conception avec une fidé- 
lité qui ne s'est jamais démentie ; ils se l'approprièrent à 
tel point qu'on l'appelait la « tlièse franciscaine » . 

De son côté, la Reine du Ciel semblait prendre plaisir à se 
susciter dans l'Ordre une légion de docteurs et d'apôtres 
qui fussent capables d'assurer le triomphe de sa cause, et 
l'on vit, sous son inspiration, les Guillaume Ware, les Duns 
Scot, les François de Mayronis, les Bernardin de Sienne, 
les Léonard de Port-Maurice, les Thomas de Charmes et les 
d'Argentan descendre tour à tour dans la lice et se faire 
honneur d'être les chevaliers de Marie. Lutte six fois sécu- 
laire, dont notre siècle a vu le glorieux dénouement. C'était 
le 8 décembre 1854. En ce jour d'éternelle mémoire, un 
pape du Tiers Ordre séraphique, l'immortel Pie IX, posait 
au front de Marie le plus beau diamant de sa couronne, en 
proclamant à la face de l'univers qu'elle a été, « par l'ap- 
plication anticipée des mérites de son Fils, préservée de la 
souillure originelle et conçue sans péché (1) » . Signalons ici 
un détail relatif à l'Ordre séraphique. Au moment de la 
promulgation du dogme dans la basilique de Saint-Pierre, 
et par une faveur insigne, le Pape permettait aux généraux 
des Frères Mineurs de lui présenter une rose et un lis 
d'argent; puis il faisait déposer aux pieds de saint F'rançois, 
sur une plaque de marbre commémorative, le texte même 
delà définition, comme pour indiquer la part que l'Ordre y 
avait prise. C'était la plus belle récompense dont il pût 
honorer le zèle delà famille franciscaine à publier les gran- 
deurs et les privilèges de Marie, en même temps que la con- 
séquence logique des prescriptions du Chapitre des Nattes, 
auxquelles il est temps de revenir. 

Ces célèbres ordonnances concernaient la vie intime de 

(1) Bulle Ineffabilis. 



CHAPITRE X. 171 

l'Ordre, l'esprit qui doit l'animer, les croyances confiées à 
sa garde. Cependant, le saint Patriarche ne pouvait oublier 
l'extérieur, c'est-à-dire l'évangélisation des peuples. Le 
but principal de sa mission providentielle n'était-il pas 
d'arborer partout la croix? Il dressa donc, dans le même 
Chapitre, un vaste plan de campagne qui embrassait les dif- 
férentes parties du globe. Il déclara qu'il prenait l'Egypte 
pour lui et assigna aux autres leur destination. Parmi tant 
d'ouvriers évangéliques, contentons-nous de nommer les 
principaux chefs de mission : Frère Élie, qui partit pour la 
Syrie (I); Frère Bérard, pour le Maroc; Jean Parent, pour 
l'Espagne; Frère Luc, pour la Roumanie; Christophe de 
Romagne, qui revint évangéliser la Guyenne; Frère Paci- 
fique, qui retourna dans l'Ile-de-France avec Ange de Pise, 
et Frère Electus, qui fut envoyé dans le Maine. Leurs obé- 
diences ou lettres de créance devaient être conçues dans 
les mêmes termes que celle que François donnait cinq ans 
plus tard au Frère Ange de Pise, la seule qui ait échappé 
aux ravages du temps : « Moi, Frère François d'Assise, 
ministre général, je te commande, au nom de l'obéissance, 
à toi. Frère Ange de Pise, d'aller en Angleterre, et d'y 
exercer l'office de ministre provincial. Adieu. » C'était peu, 
et c'était assez; car c'était Dieu qui les envoyait. 

L'entreprise était hardie, mais tout à fait conforme à l'es- 
prit de prosélytisme qui distingue la véritable Eglise de 
Jésus-Christ. Honorius lïl, alors à Viterbe, l'approuva et la 
sanctionna de son autorité, en remettant aux Frères une 
lettre de recommandation. Les chefs de mission portaient, 
en outre, deux circulaires du séraphique Patriarche, avec 
recommandation de les répandre avec zèle. La première, 
adressée à tous les prêtres, renferme de touchantes instruc- 

(1) Jourdain de Giano, Chronique, p. 3, n" 7. 



172 



SAINT FRANÇOIS D'ASSISE. 



tions sur le culte dû à l'Eucharistie, avec ce remarquable 
conseil sur les paroles delà Sainte Écriture : « Si vous trouvez 
en des lieux peu décents le très saint nom du Seigneur ou 
quelque passage de la Bible, je vous prie de les recueillir 
avec respect et de les placer en un endroit convenable (1). » 

La seconde invite tous ceux qui ont en main une part 
d'autorité publique, consuls, juges, magistrats, à gouverner 
leurs sujets selon les prescriptions de la loi divine (2). 

Munis de ces deux lettres, forts de la triple bénédiction 
du Ciel, du Souverain Pontife et de leur Bienheureux Père, 
les messagers de la paix évangélique se rendirent en hâte 
dans leurs missions respectives. 

(1) OEuvres de saint François d'Assise, p. 1, ch. xiii. 

(2) Ibid., p. 1, ch. XV. 




Sceau de la province cVAra^jon. (Quinzième siècle.) 



CHAPITRE XI 

MISSIONS D'ORIENT ET DU MAROC. 
(1219-1221) 



Ce serait une erreur de croire que les saints demeurent 
étrangers aux événements politiques de leur siècle. Ils les 
suivent d'un œil attentif; mais ils ont leur manière à eux de 
les envisager. Au fond des débats de l'humanité , ils dis- 
cernent une cause qui domine tout, qui les passionne et à 
laquelle ils s'identifient : c'est la cause de l'Eglise. On com- 
prend dès lors avec quel intérêt l'héroïque chevalier du 
Christ suivait les progrès et les vicissitudes de cette grande 
question d'Orient que le Concile de Clermont avait ouverte, 
et où la vie de l'Eglise, non moins que la liberté des peuples, 
était si fortement engagée. 

Depuis la prise de Jérusalem par Godefroy de Bouillon, 
l'Europe était un camp toujours armé; et depuis plus d'un 
siècle, l'histoire militaire de la chrétienté n'était guère autre 
chose que le récit, de l'interminable bataille livrée par les 
soldats du Christ aux farouches disciples de Mahomet. Au 
lieu de s'arrêter. à la surface des événements, le serviteur de 
Dieu allait au fond des choses. Derrière les combats cheva- 
leresques où brillait le courage des preux de l'Occident, il 
découvrait une lutte plus haute, la lutte de la Croix contre 
le Croissant, du vrai Dieu contre le faux prophète, de la 



174 SAINT FRANÇOIS D'ASSISE. 

civilisation chrétienne contre la barbarie musulmane ; et sa 
foi, d'accord avec son patriotisme, lui inspirait des vœux 
ardents pour le succès d'une entreprise colossale qui suffi- 
rait à elle seule à faire l'honneur des Papes et la gloire du 
moyen âge, même à n'en juger que par les résultats. Ne 
réussit-elle pas, en effet, à sauver l'Europe et à refouler 
dans les sables du désert les sectateurs de l'islamisme, avec 
leurs doctrines abrutissantes, résumé de toutes les erreurs 
et de toutes les corruptions, fatalisme, triomphe de la chair, 
avilissement de la femme, esclavage et tyrannie? 

Quatre fois déjà l'Occident s'était levé en masse pour 
voler à la conquête des Saints Lieux; mais, malgré la bra- 
voure et les efforts héroïques des successeurs de Godefroy 
de Bouillon, la ville sainte n'avait été soumise que par 
intervalles à leur sceptre; et à l'heure où nous en sommes, 
elle venait de retomber sous le joug odieux des Abbassides. 
A cette nouvelle, qui fut regardée comme uiie calamité 
publique, l'Europe tressaillit de douleur. Bientôt elle reprit 
les armes à la voix du pape Honorius III, et plus de quatre 
cent mille hommes se réunirent sous la bannière d'André II, 
roi de Hongrie, et de Jean de Brienne, frère de Gauthier de 
Brienne et roi nominal de Jérusalem. Mais cette fois, au 
lieu d'attaquer directement la Palestine, les Croisés, voulant 
frapper au cœur l'empire musulman, fondirent sur l'Egypte, 
et mirent le siège devant Damiette. Ils ne faisaient, du 
reste, qu'exécuter le plan stratégique d'Innocent III. Le 
plan était hardi, mais difficile; aussi tous les peuples 
avaient-ils les regards fixés sur l'Orient, attendant avec 
anxiété l'issue de cette lointaine expédition. 

A ce moment, une lueur d'espérance traversa l'esprit du 
Patriarche d'Assise, qui rêvait toujours, comme nous l'avons 
vu, la conversion des Musulmans. Les circonstances lui 
parurent favorables. Ou il replanterait la croix, pensait-il, 



CHAPITRE XI. 



175 



sur ces plagies autrefois catholiques, ou du moins il les fécon- 
derait de son sang : double alternative qui l'attirait. 11 partit 
donc d'Ancône, au mois de juin 1219, avec Illuminé de 
Rieti et quelques autres Frères, cingla vers l'Egypte, 




Saint François célèbre la Nocil à Grcccio. (D'après Giotto.) 



mouilla à Saint-Jean d'Acre, où il laissa quelques-uns de 
ses disciples pour soutenir le courage et la foi des catho- 
liques, durement opprimés par les Sarrasins, et débarqua en 
vue de Damiette. Il marcha droit au camp des Croisés, où 



176 SAINT FRANÇOIS D'ASSISE. 

régnaient alors la discorde et la confusion. Les chevaliers 
et les fantassins, réunis depuis plus d'un an sous les murs 
de cette place sans pouvoir s'en emparer, s'accusaient réci- 
proquement de trahison et de lâcheté; les têtes s'échauf- 
fèrent de part et d'autre, comme dans une émeute popu- 
laire, et les deux partis, pour donner la mesure de leur 
valeur, demandèrent à grands cris la hataille. Jean de 
Brienne céda à leurs folles instances, et l'assaut fut décidé 
pour le lendemain (29 août 1219). 

Averti d'en haut qu'en punition de leur orgueil et de 
leurs divisions intestines, ils allaient essuyer une défaite 
sanglante, le serviteur de Dieu chercha le moyen de pré- 
venir un tel malheur : « Mon Frère, dit-il à son compa- 
gnon, le Seigneur m'a fait connaître que si l'on en vient aux 
mains, les chrétiens seront battus. Si je le dis tout haut, 
je passerai pour un fou; si je ne le dis pas, ce secret me 
pèsera comme un remords. Qu'en penses-tu? — Mon 
Père, répondit le Frère Illuminé, ne vous arrêtez point au 
jugement des hommes; ce n'est pas d'aujourd'hui qu'on 
vous regarde comme un insensé. Déchargez votre con- 
science, et craignez plus Dieu que les hommes. » Fortifié 
par ce conseil, le héraut du Christ pénètre sous la tente du 
général ; il conjure les chefs de l'armée de résister aux 
funestes inspirations de la jalousie, et leur annonce de 
grands revers s'ils persistent dans le dessein de livrer le 
combat. Prières, menaces, tout est inutile. La passion 
aveugle et trouble les esprits ; on prend pour des rêveries 
les prédictions de notre Saint, et le combat s'engage par une 
chaleur torride. On sait le reste. « En cette journée fatale, 
dit saint Bonaventure, les chrétiens perdirent six mille 
hommes tués ou faits prisonniers. A la lueur de ce désastre, 
ils comprirent qu'ils avaient eu tort de mép'riser la sagesse 
du Pénitent d'Assise; car l'œil du juste découvre quelque- 



CHAPITRE XI. 177 

fois mieux la vérité que sept soldats posés en sentinelles sur 
la crête de la montagne (1). " 

L'intrépide missionnaire, sans se laisser décourager par 
ce revers momentané, résolut de poursuivre son entreprise. 
Vainement on lui représenta que sa vie était en jeu, et que 
le Soudan avait promis un besant d'or (cinquante francs) à 
quiconque lui apporterait la tête d'un chrétien; rien ne put 
ralentir sa course. Persuadé avec l'Apôtre que la mort est 
un gain, et que le martyre est lapins désirable des couronnes 
de ce monde, il s'avança vers le camp des Sarrasins, en 
chantant ce cantique du Prophète royal : " Le Seigneur me 
conduit. Lors même que je marcherais au milieu des ombres 
de la mort, je ne craindrais aucun mal, ô mon Dieu, parce 
que vous êtes avec moi (2). » Chemin faisant, il aperçut 
deux brebis; cette vue le réjouit grandement, et il dit à son 
compagnon : « Ayons confiance dans le Seigneur ; car nous 
voyons l'accomplissement de cette parole de l'Evangile : 
Voici que je vous envoie comme des brebis au milieu des 
loups. » Quelques pas plus loin, en effet, une bande de 
Sarrasins se précipitant sur les deux serviteurs de Dieu, 
comme des loups sur des brebis, les accabla d'injures et de 
coups, puis les chargea de chaînes. « Je suis chrétien, 
s'écria François d'une voix ferme; menez-moi à votre maî- 
tre. 5> Les soldats obéirent, et traînèrent les deux prison- 
niers devant le Soudan Mélek-el-Kamel (ou Mélédin). Dès 
que celui-ci les aperçut : « Qui vous envoie? demanda-t-il 
brusquement. Et qu'êtes-vous venus faire ici? » Le Saint lui 
répondit sans s'émouvoir : « Ce n'est point un homme, 
c'est le Très-Haut qui m'envoie pour vous annoncer, à vous 
et à votre peuple, la bonne nouvelle de l'Évangile et les 
vérités du salut. » Aussitôt il se mit à lui expliquer les 

(1) BosAV., c. IX. — Cf. Tu. DE Gëlano, Vita prima, ^. i, c. ix. 

(2) Ps. xxu. 

12 



178 SAINT FRANÇOIS D'ASSISE. 

mystères de la religion catholique, et il le fit avec tant de 
force, qu'en lui se vérifiait une fois de plus cette promesse 
' du divin Maître : « Je vous donnerai une éloquence et une 
sagesse auxquelles vos adversaires ne sauront ni résister ni 
contredire, jj 

Le prince barbare était suspendu aux lèvres du Saint et 
saisi d'une émotion dont il ne se rendait pas compte. Cette 
mâle intrépidité , ce dévouement surhumain dont le spec- 
tacle s'offrait pour la première fois à ses yenx, subjuguaient 
son âme et l'inclinaient à la clémence. Il écouta ainsi Fran- 
çois pendant quelques jours, au grand ctonnement de tons, 
et l'invita même à demeurer près de lui. « Si vous et votre 
penple, répondit l'homme de Dieu, vous voulez vous con- 
vertir au Christ, je resterai volontiers parmi vous. Si vous 
balancez entre la loi chrétienne et la loi de Mahomet, faites 
allumer un grand feuj j'y entrerai avec vos prêtres, et vous 
jugerez par les effets de quel côté se trouve la vérité. — 
Je ne crois pas, répliqua Mélédin, qu'aucun de nos imans 
consente à affronter les flammes et les tourments pour la 
défense de sa foi. » Il parlait ainsi, parce qu'il avait remar- 
qué qu'à la seule proposition de François, l'un d'eux, des plus 
âgés et des plus considérables, s'était prudemment esquivé. 

Notre Bienheureux alla plus loin ; il dit au Soudan : « Si 
vous me promettez, en votre nom et au nom de votre 
peuple, d'embrasser la religion catholique, j'entrerai seul 
dans le bûcher. Si les flammes me dévorent, vous l'impute- 
rez à mes péchés ; mais si j'en sors sain et sauf, vous recon- 
naîtrez Jésus-Christ pour le seul vrai Dieu et pour le Sau- 
veur des hommes. )^ — Le Soudan, faible comme le sont 
tous les despotes, et tremblant devant ceux qui tremblaient 
à ses pieds, n'osa pas accepter cette épreuve du feu, dans 
la crainte d'une sédition populaire. En revanche, il offrit au 
Saint de riches présents; mais il eut beau faire des instances, 



CHAPITRE XL 179 

François, uniquement préoccupé du salut des âmes et ne 
voyant pas poindre dans le cœur du prince infidèle le désir 
de s'appliquer à la recherche de la vérité, repoussa d'un 
geste dédaigneux l'or et les étoffes précieuses. Mélédin, loin 
de s'offenser de ce refus, sut apprécier la noblesse d'un si 
pariait détachement, et sentit croître en lui le respect et 
l'admiration qu'il avait voués, dès la première entrevue, au 
serviteur de Dieu. Et après lui avoir dit en secret : « Priez 
pour moi, afin qne le Très-Haut me fasse connaître quelle 
est la vraie religion » , il le fit reconduire avec honneur au 
camp des chrétiens (1). 

François, voyant ses espérances brisées et ne sachant 
quelle ligne de conduite adopter, eut recours, selon son 
habitude, à la prière ; et le Docteur séraphique, de qui nous 
tenons tous ces détails, ajoute que ce ne fat point en vain. 
Une vision céleste vint, en effet, lui apporter lumière, paix 
et consolation. Dans cette vision, le Fils de Dieu lui intima 
l'ordre de retourner en Italie, en l'assurant que ce n'était 
point en Egypte, ni sous le tranchant du glaive, qu'il devait 
cueillir cette palme du martyre tant ambitionnée. Le Bien- 
heureux fit part à son compagnon de la révélation qu'il 
avait eue, et voici les paroles brûlantes d'amour que notre 
grand Bossuet met à cette occasion dans sa bouche : « Sor- 
tons d'ici, mon Frère ; fuyons, fuyons loin de ces barbares 
trop humains pour nous, puisque nous ne pouvons les obli- 
ger ni à adorer notre Maître, ni à nous persécuter, nous qui 
sommes ses serviteurs. Dieu! quand mériterons-nous le 
triomphe du martyre, si nous trouvons des honneurs, même 
parmi les peuples les plus infidèles ? Puisque Dieu ne nous 
juge pas dignes de la gloire du martyre, ni de participer à 
ses glorieux opprobres, allons-nous-en, mon Frère ; allons 

(1) IjO>AV., C. IX. 



180 SAINT FRANÇOIS D'ASSISE, 

achever notre vie dans le martyre de la pénitence, ou cher- 
chons quelque endroit de la terre où nous puissions hoire à 
longs traits l'ignominie de la Croix (1), » 

Combien de temps passa-t-il sous la tente des Croisés? 
Quelle fut l'étendue de son influence pour rétablir. parmi 
eux l'esprit de concorde et de discipline? Visita-t-il la 
Palestine à son retour d'Egypte? A ces trois questions, nous 
ne pouvons répondre que par des conjectures. Voici seule- 
ment ce que nous lisons dans un auteur du temps, aussi 
impartial que bien informé, Jacques de Vitry, évêque de 
Saint-Jean d'Acre et légat du Saint-Siège auprès de l'armée 
chrétienne : 

« Nous avons vu, écrit-il à ses amis de Lorraine au lende- 
main de la prise de Damiette (2), nous avons vu le fondateur 
des Frères Mineurs, François, homme d'une extrême ama- 
bilité et vénéré de tous, même des infidèles. Plusieurs de 
nos amis, entre autres dom Rainier, prieur de Saint-Michel, 
et Mathieu, à qui nous avions confié le gouvernement de 
notre diocèse, sont décidés à entrer dans ce nouvel Institut; 
et nous apprenons qu'il étend déjà ses rameaux par tout 
l'univers, précisément parce qu'il est l'imitation parfaite de 
la vie des Apôtres et des premiers chrétiens. » 

S'il en faut croire Albert de Stade, Mathieu Paris et saint 
Antonin, l'entrevue du Saint avec le Soudan eut les consé- 
quences les plus heureuses pour les Croisés. Mélek-el- 
Kamel, ayant repris Damiette deux ans après, montra dans 
sa victoire une clémence inaccoutumée : il laissa aux pri- 
sonniers la liberté de retourner dans leur pays, s'occupa 
des chevaliers pauvres ou malades, et rendit la vraie croix 
enlevée par Saladin (3). 

(1) BossuET, Panégyrique de saint François. 

(2) 5 novembre 1219. Voir J. de y iiry, Ilistoii-e d'Occid.J'iY . III, ann. 1219. 

(3) M. Paris, ann. 1228. — Cf. Albert de Stade, ann. 1221; — saint Akto- 
KIK, Chronique, lit. xix, c. Vlii. 



CHAPITRE XI. 181 

D'après mie tradition immémoriale, consignée dans les 
principaux écrivains de l'Ordre, François, à son retour 
d'Egypte, visita Ptolémaïs, Antioche et Jérusalem. Selon 
Mariano de Florence, les religieux d'un monastère béné- 
dictin de la Montagne-Noire, près d' Antioche, conçurent 
tant de vénération pour sa personne, qu'ils se rangèrent 
sous la règle séraplîique (1). 

Vers la fin de l'année 1219, il reprit le chemin de l'Eu- 
rope, où le rappelaient les affaires de l'Ordre. Il s'embarqua 
siir un de ces navires vénitiens qui étaient alors les rois de 
la mer Méditerranée, et qui la sillonnaient sans relâche 
pour porter des secours aux Croisés. Ainsi se termina la 
pacifique croisade de saint François en Orient. Qu'elle ait 
été féconde en résultats, l'histoire est là pour l'attester. Qui 
pourrait nier aujourd'hui que la courte apparition du Saint 
dans la Palestine n'ait été comme une prise de possession 
de la Terre Sainte ? Dieu ne semble-t-il pas l'y avoir conduit 
pour lui dire, comme autrefois à son serviteur Abraham : 
« Parcours présentement toute l'étendue de cette contrée, 
parce que je te la donnerai un jour! » François venait, en 
effet, de fonder un royaume plus durable que celui de Gode- 
froy de Bouillon. A partir de cette époque, nous trouvons 
les Frères Mineurs solidement établis dans le Levant. 
Robert, roi de Sicile, et Sanche, sa femme, achetèrent du 
sultan d'Egypte les sanctuaires de la Palestine et les cédè- 
rent à Clément VI, qui en confia la garde aux Franciscains 
(Bulle du 21 novembre 134^). Les sultans du Caire et de 
Constantinople ont plusieurs fois sanctionné par leurs 
firmans la légitimité des possessions dévolues au Saint-Siège 
et aux Pères de Terre Sainte. 

Les fils du Patriarche d'Assise sont là depuis le règne de 

(1) Waddikg, t. I, 325-328. 



182 SAINT FRANÇOIS D'ASSISE. 

Jean de Brienne, et ils y remplissent une fonction aussi 
sublime que difficile. Après la résurrection du Sauveur, 
c'était un Ange qui défendait l'entrée de son tombeau; 
depuis le treizième siècle, ce sont les enfants du séraphique 
Patriarche qui veillent sur ce glorieux monument, pour le 
mettre à l'abri de toute profanation. Deux fois massacrés 
jusqu'au dernier, en 1244 et en 1368, et aussitôt remplacés 
par leurs frères, bravant tour à tour le cimeterre des Maho- 
métans et la haine fratricide des sectaires de Photius et de 
Luther, sentinelles infatigables, ils sont toujours prêts à 
répandre leur sang plutôt que de déserter le poste d'hon- 
neur que leur a mérité l'incomparable amour de François 
pour Jésus crucifié. Grâce à leur constance héroïque, l'ac- 
tion des croisades persévère; Sion, le mont des Oliviers, le 
Thabor, Bethléhem, Nazareth, sont encore respectés, et 
Jérusalem toujours accessible à la piété des pèlerins de 
l'Occident. 

Ils possèdent une vingtaine de maisons qui servent d'hô- 
telleries, d'écoles et d'hospices. A leur tête se trouve le 
Révérendissime Père , auquel les Souverains Pontifes ont 
décerné les titres les plus glorieux ; il est préfet des Missions 
de Syrie, de Chypre et d'Egypte, gardien du mont Sion et 
du Saint Sépulcre, et Custode de la ville sainte. Il avait 
même le titre et les fonctions de vicaire apostolique jusqu'à 
ces derniers temps, où Pie IX, d'immortelle mémoire, a 
rétabli le siège patriarcal de Jérusalem, et renoué dans la 
personne de Mgr Valerga, après une interruption de six 
cents ans , la chaîne des successeurs de saint Jacques et de 
saint Siméon. C'est ainsi que les Franciscains continuent en 
Asie Mineure la mission inaugurée au moyen âge par leur 
Bienheureux Père (1). 

(1) Bécits d'un pèlerin, par le T\. P. Ubald, îles Frères Mineurs Capucins, 
sixième soirée. 



CHAPITRE XI. 183 

Pendant que le saint Patriarche évangélisait les peuples 
du Levant, sans pouvoir cueillir la palme du martyre qu'il 
convoitait, cinq de ses enfants, plus heureux, souffraient 
cruellement pour la foi chez les musulmans d'Espagne et 
d'Afrique, et donnaient au monde le spectacle d'une con- 
stance héroïque dans les tourments. Bérard, Pierre, Othon, 
Adjut, Accurse, tels étaient les noms de ces hommes prédes- 
tinés que Dieu s'était choisis comme les prémices du sang 
franciscain. Frère Vital, que saint François avait mis à leur 
tête, tomba malade en Aragon et dut renoncer à suivre ses 
Frères. Les cinq Religieux, après avoir passé quelques jours 
dans la solitude au couvent d'Alenquer, bâti par saint Fran- 
çois, se rendirent à Coïmbre, où se tenait alors la cour de 
Portugal, La reine Urraque, épouse d'Alphonse II, et San- 
che, sœur du Roi, les reçurent comme des envoyés du ciel, 
et les aidèrent à pénétrer chez les infidèles. Après avoir 
enduré toutes sortes d'outrages et de mauvais traitements à 
Séville , qui était à cette époque sous la domination des 
Maures, ils s'embarquèrent pour la ville de Maroc, capitale 
et repaire de l'empire musulman dans l'Afrique occidentale. 
Don Pedro, infant de Portugal, qui s'était réfugié chez les 
Maures, à la suite de quelque différend avec Alphonse II, 
son frère, accueillit avec respect ces vaillants confesseurs de 
la foi, et leur donna l'hospitalité dans son propre palais; il 
les adjura seulement de modérer leur zèle , pour ne pas 
s'exposer à de nouvelles persécutions. Mais comment arrê- 
ter le cerf qui court se désaltérer aux sources limpides de 
la montagne? Comment éteindre dans l'âme de l'apôtre la 
soif de sacrifice qui le dévore? L'amour est plus fort que la 
mort. Le lendemain, nos missionnaires sortirent dès l'aube 
de la maison de leur hôte , et parcoururent les rues et les 
places publiques de la cité, en prêchant la divinité de Jésus- 
Christ. 



184 SAINT FRANÇOIS D'ASSISE. 

Le Frère Bérard, qui parlait assez facilement l'arabe, 
apercevant un groupe d'infidèles, alla droit à eux et leur 
démontra que Mahomet n'était qu'un imposteur. Pendant 
qu'il parlait, le chef des Maures vint à passer, se rendant, 
selon la coutume orientale, au tombeau de ses ancêtres. Il 
prit l'orateur pour un fou et le iît reconduire, lui et ses com- 
pagnons, en pays chrétien. Mais les missionnaires échap- 
pèrent à la surveillance de leurs guides, et rentrèrent dans 
la ville infidèle, Ij'émir, informé de leur retour, les fit enfer- 
mer dans un sombre cachot, où il les laissa vingt jours sans 
aucune nourriture. En vain Dieu multiplia les prodiges en 
faveur de ses serviteurs ; en vain on les vit sortir de leur 
prison, comme saint Jean de sa chaudière d'huile bouillante, 
plus robustes qu'auparavant; en vain Bérard, nouveau 
Moïse, frappant la terre de son bâton, fit jaillir une source 
miraculeuse au milieu des sables du désert pour désaltérer 
les soldats qui mouraient de soif. Le cœur du tyran semblait 
s'endurcir en proportion des bienfaits ; l'ien ne put lui des- 
siller les yeux, et pour la seconde fois, dans les premiers 
jours du mois de janvier 1220, il jeta nos cinq apôtres dans 
les fers. Là, pour comprendre ce qu'ils eurent à souffrir, il 
suffit de savoir qu'ils eurent pour geôlier un renégat. Le 
juge, les trouvant inébranlables dans la foi, ordonna qu'ils 
fussent séparés et livrés à trente bourreaux. On les traîna 
sur le pavé, la corde au cou, les pieds et les mains liés; après 
les avoir fi^appés avec violence jusqu'à mettre leurs entrailles 
presque à nu, on les roula sur des têts de verres et de bri- 
ques, et le soir, on versa du vinaigre sur leurs plaies sai- 
gnantes. Pour eux, au milieu de cet horrible supplice, ils 
louaient le Seigneur et répétaient à l'envi le cantique des 
trois enfants d'Israël dans la fournaise de Babylone. Pendant 
la nuit, le Sauveur leur apparut et les consola. Les gardes, 
apercevant une grande lumière et craignant une évasion. 



CHAPITRE XI. 185 

accoururent épouvantés. Quel ne fut pas leur étonnement 
de les trouver calmes et priant Dieu avec une grande fer- 
veur! 

Le lendemain, l'émir les fait venir en sa présence. tJn 
infidèle, se trouvant sur leur passage, donne un rude soufflet 
au Frère Odion, qui lui tend l'autre joue en disant : « Dieu 
vous pardonne ! car vous ne savez ce que vous faites. » Une 
fois arrivés au palais, l'émir leur dit d'un ton irrité : « Ëtes- 
vous donc ces impies, ces insensés qu'on accuse de mépri- 
ser la vraie foi et de blasphémer contre le prophète d'Allah? 
— Prince, répliquent-ils, loin de nous la pensée de mépri- 
ser la vraie foi! Nous sommes prêts, au contraire, à souffrir 
et même à mourir pour la défendre; mais nous avons hor- 
reur de ta loi et du scélérat qui en est l'auteur. » Le tyran 
essaye alors de la tentation la plus puissante sur le cœur 
humain, celle des honneurs et des plaisirs; et, leur mon- 
trant des femmes richement parées : « Si vous voulez suivre 
la loi de Mahomet, leur dit-il, je vous donnerai ces femmes 
pour épouses avec de grandes richesses, et vous serez puis- 
sants dans mes États. Sinon, vous périrez parle glaive. — 
Prince, nous ne voulons ni de tes femmes ni de tes hon- 
neurs; nous te les laissons pour ne garder que Jésus-Christ. 
Tu peux inventer toutes sortes de tortures, tu peux nous 
ôter la vie; toute peine nous semble légère, quand nous 
pensons à la gloire du ciel. » Et pendant qu'ils prononcent 
ces paroles, leur regard s'illumine d'espérance, et leur âme 
s'abreuve d'immortalité. Le tyran se lève, exaspéré, saisit 
des deux mains son lourd cimeterre et leur fend le crâne. 
C'était le 16 janvier 1220. 

Dans le même moment, la princesse Sanche, qui était en 
prière, les vit monter au ciel, la palme du martyre à la main. 
Leurs corps mutilés, traînés dans la boue par les infidèles, 
furent pieusement recueillis par les chrétiens; don Pedro 



186 SAINT FRANÇOIS D'ASSISE. 

renferma ces reliques dans deux châsses d'argent, et revint 
en Europe avec ce précieux d^pôt. Alphonse II alla lui- 
même en grande pompe au-devant des corps sacrés, et les 
déposa dans l'église des chanoines réguliers de Sainte-Croix 
de Goïmbre. La reine Urraque, qui assistait à ce retour 
triomphal, mourut peu de temps après, ainsi que les saints 
martyrs le lui avaient prédit; et, à la première nouvelle de 
leur victoire. Vital, qu'ils avaient été obligés de laisser à 
Saragosse, rompit dans un suprême effort d'amour les liens 
qui l'attachaient encore à la vie, et les alla rejoindre dans 
le sein de Dieu. Mais rien ne peut dépeindre les transports 
d'allégresse du saint Patriarche, lorsqu'il apprit les souf- 
frances et la mort de ses fils. Regardant son Ordre comme 
à jamais consacré par ce baptême de sang, et pleurant de 
joie : « Maintenant, s'écria-t-il, je puis dire en toute assu- 
rance que j'ai cinq vrais Frères Mineurs. » Puis, se tournant 
du côté de l'Espagne, il salua et bénit le couvent d'Alen- 
quer, d'où ils étaient partis pour aller au martyre. « Mai- 
son sainte, terre sacrée, tu as produit et offert au Roi des 
cieux cinq belles fleurs empourprées et de la plus suave 
odeur. maison sainte , sois toujours habitée par des 
saints (1)! » 

Bérard et ses compagnons sont les premiers-nés de cette 
nombreuse lignée de martyrs que l'Ordre de Saint-François 
a fournie à l'Église, et qui fait sa gloire devant Dieu et 
devant les hommes. Ils sont moissonnés avant d'avoir pu 
planter la croix sur ces plages inhospitalières de l'Abaque; 
mais leur holocauste ne demeure pas stérile. Leur sang est 
une semence féconde, et sur leur tombe s'élève un lis 
immortel dont l'éclat et les parfums réjouissent la catholi- 
cité tout entière. Nous voulons paiier de saint Antoine 

(1) chronique des vingt-quatre généraux, fol. 35. 



CHAPITIIE XI. 187 

de Padoue, le plus illustre des disciples de saint Fran- 
çois. 

Au couvent de Sainte-Croix de Coïmbre vivait un jeune 
religieux appelé Fernando de Bouillon, de la famille des 
Godefroy de Bouillon, et petit-fils de ce Vincent de Bouillon 
qui, lors de la prise de Lisbonne par les Croisés sur les 
Maures, en 1147, avait été nommé gouverneur de la ville 
conquise. Fernando avait pour fonction de recevoir les 
hôtes, et c'est en cette qualité qu'il avait contracté avec les 
futurs héros du Maroc une étroite amitié. Lorsqu'il vit 
revenir leurs restes tout resplendissants de l'auréole des 
miracles et de la vénération des peuples, la pensée lui vint 
d'entrer dans un Ordre qu'il considérait comme une école 
de martyrs. Une apparition miraculeuse de saint François 
acheva l'œuvre de sa vocation à la vie franciscaine. Un soir 
qu'il était seul dans la chapelle du couvent, répandant son 
âme et ses aspirations au pied du tabernacle, le Patriarche 
d'Assise lui apparut, et, d'un geste impérieux, lui com- 
manda de revêtir les insignes de la pénitence. Fernando 
obéit. Dès le lendemain, muni de l'autorisation de son 
prieur, il se présentait au monastère franciscain de Saint- 
Antoine d'Olivarez, et y prenait l'habit de saint François, 
avec le nom d'Antoine, nom sous lequel les peuples le con- 
naîtront et l'invoqueront désormais. Il était prêtre et avait 
alors vingt-cinq ans (juillet 1220). Au bout de quelques mois 
de probation, il sollicita et obtint de ses supérieurs la per- 
mission de passer en Afrique jDour évangéliser les Maures. 
Mais la Providence l'appelait ailleurs, et lui destinait un 
autre champ à cultiver. A peine arrivé au terme de son 
voyage, il se vit en proie à de cruelles douleurs; compre- 
nant par là que le Ciel s'opposait à ses desseins, il s'embar- 
qua au printemps (1221) pour revenir en Portugal, dans 
l'espérance que l'air de la patrie raffermirait promptement 



188 SAINT FRANÇOIS D'ASSISE. 

sa santé. Cette fois encore, une violente tempête déjoua ses 
plans, et le jeta sur les côtes de la Sicile (1). 

Privé de la palme du martyre, il s'en dédommagea à la 
manière des saints, c'est-à-dire, en cherchant la solitude et 
l'oubli des hommes. Ayant été envoyé à Bologne (1221), il 
vécut un an loin du bruit, au fond d'une grotte solitaire du 
couvent de Monte-Paolo, se livrant tout entier à la mortifi- 
cation des sens et à la méditation des Saintes Écritures : 
tant le Seigneur est fidèle à son habitude de former dans 
le silence de la retraite les apôtres qui doivent verser dans 
le monde des torrents de vie, de vérité et d'amour! Une cir- 
constance extraordinaire mit en lumière les talents du. jeune 
religieux. Désigné par l'évêque de Forli pour adresser aux 
ordinands une pieuse exhortation, Antoine développa ce 
texte de nos saints livres : « Le Christ §'est fait obéissant 
jusqu'à la mort, et à la mort sur la croix. » Sa parole, 
d'abord timide, presque hésitante, devint bientôt rapide, 
entraînante, enflammée, majestueuse j ses traits s'illumi- 
nèrent, et son visage devint si expressif qu'on y lisait les 
divers mouvements de son âme. Les assistants, surpris, 
hors d'eux-mêmes, croyaient entendre un écho de la voix 
des prophètes, et versaient des larmes de bonheur. A la 
nouvelle de ce succès oratoire, François tressailUt de joie; 
il comprit que la Providence venait de lui envoyer une 
intelligence d'élite, un apôtre au coeur d'or; et par une 
exception qui l'honore autant que celui qui en était l'objet, 
il envoya aussitôt au jeune profès l'autorisation non seule- 
ment de prêcher, mais encore d'enseigner la plus haute des 
sciences, la théologie (1223). Voici sa lettre : 

« A mon très cher Frère Antoine, Frère François, salut 
en Jésus-Christ. Il me plaît que tu enseignes à nos Frères 

(1) WADDl^G, t. I, p. 359; et Clironique des vingt-quatre généraux. 



CHAPITRE XI. 189 

la sainte théologie, de manière toutefois à ne pas laisser 
s'éteindre en toi et dans les autres l'esprit de sainte oraison, 
selon la Règle que nous professons. Adieu (1). » 

En vertu de cet ordre, Antoine enseigna la théologie à 
Bologne, à Montpellier, à Toulouse, à Padoue, Sa science 
n'avait d'égale que son humilité, et François, qui connais- 
sait l'une et l'autre, lui écrivait, avec un respect mêlé 
d'affection : « A Antoine, mon évêque (2). » Le jeune Por- 
tugais inaugurait vers le même temps cet apostolat qui 
allait devenir si fécond et donner tant de prestige à son 
Ordre. 

Thaumaturge, il excitait l'enthousiasme des foules. 
Apôtre, il parcourait la Toscane, le Berry, la Provence, le 
Languedoc, et confondait les Manichéens ou les faisait ren- 
trer dans le giron de l'Église, toujours sur la brèche, tou- 
jours embrasé d'un zèle que le ciel lui-même sanctionnait, 
au rapport de Thomas de Gelano, par un prodige significatif. 

Au Chapitre provincial d'Arles, tenu au mois de septem- 
bre 1226, d'après Azzoguidi, le jeune Portugais prêchait 
avec une ardeur toute séraphique sur le titre de la croix : 
Jésus de Nazareth, roi des Juifs. Au milieu de son discours, 
le saint Patriarche apparut, comme pour donner plus de 
poids à la doctrine de son disciple, et il bénit avec effusion 
le prédicateur et les assistants. En ce moment, tous se sen- 
tirent remplis de consolation et renouvelés dans l'esprit de 
leur vocation, qui se résume tout entière dans l'amour de 
Jésus crucifié. François avoua lui-même à ses confidents la 
réalité de cette apparition, symbole, disait-il, de l'étroite 
union qui l'attachait à ses Frères (3). 

Saint Antoine de Padoue est, après saint François d'As- 



(1) Chronique des vingt-quatre généraux, fol. 29. 

(2) Tu. DE Gelano, Yita secunda, p. 3, c. cxix. 

(3) Vita prima, p. 1, c. xvm. 



190 



SAINT FRANÇOIS D'ASSISE. 



sise, une des plus grandes figures du treizième siècle. Comme 
saint, il n'occupe que le second rang dans les annales de 
l'Église; mais comme théologien, comme thaumaturge, 
comme apôtre surtout, il est au premier. Il faut lire les 
chroniques du temps pour se rendre compte de l'enthou- 
siasme qu'il provoqua, tant en France qu'en Italie. Et 




Coinuicnt, au CliajDitrc d'Arles, saint François apparut à ses Frères et les bénit. 

(D'après Angelico da Ficsole.) 



cependant, quand on parcourt le recueil de ses sermons, on 
les trouve pâles et froids. C'est là le sort de l'orateur. Cet 
homme qui a passionné toute une génération descend avec 
elle dans le même silence ; sa voix et la voix des multitudes 
qui l'applaudissaient vont s'évanouissant dans le temps, 
comme le son s'évanouit dans l'espace. Mais ce qui reste, 
c'est l'impression produite dans les âmes, c'est l'abondante 



CHAPITRE XL 



191 



moisson d'oeuvres et de vertus qui a germé sous la vivifiante 
chaleur de la parole sacrée. 

Saint François avait-il le pressentiment de ce glorieux 
avenir, lorsqu'il envoyait Bérard à Maroc et Antoine à 
Bologne? Peut-être! Dans tous les cas, ces deux saints 
apportaient à l'Ordre les deux auréoles qui honorent le plus 
l'humanité, celles du martyre et de l'apostolat. Aussi nous 
sommes-nous complu à retracer les plus touchants épisodes 
de leur vie, sans avoir cru pour cela nous écarter de notre 
sujet; car c'est du vénérable fondateur qu'ils ont reçu leur 
mission, leur autorité; c'est à lui peut-être qu'ils doivent 
leurs triomphes, et d'ailleurs, dans la famille spirituelle 
comme dans la famille naturelle, la gloire des fils rejaillit, 
éclatante, immortelle, sur le front de leur père. 



r^^^^êê^^^^^^È. 




Frères Mineurs cliantant l'office. 
(Miniature d'un manuscrit du quatorzième siècle.) 



CHAPITRE XII 

RETOUR DE SAINT FRANÇOIS EN ITALIE. 
(1220-1221) 



Pendant que Bérard et ses compagnons tombaient sous 
le cimeterre, des musulmans d'Afrique, François, n'ayant 
pu ni ramener l'Orient à la vérité, ni y cueillir la palme du 
martyre, repassait promptement les mers pour continuer 
son apostolat en Italie. Il débarqua à Venise. Cette grande 
cité, l'opulente et gracieuse reine de l'Adriatique, était alors 
à l'apogée de sa puissance. Les navires de toutes les nations 
se dirigeaient vers elle et versaient dans son port les richesses 
de l'Orient et de l'Occident. Ses doges étaient des rois, et 
' ses marchands égalaient les princes en faste et en magnifi- 
cence. Comment l'humble mendiant d'Assise eût-il pu faire 
entendre sa voix au milieu d'une ville où les affaires et 
les plaisirs se succédaient sans relâche? Il s'éloigna donc 
du centre trop tumultueux de la métropole, et alla passer 
quelques jours dans un de ces nombreux îlots qui émergent, 
brillants comme la nacre, de la nappe azurée des lagunes. 
Au moment où il mettait le pied dans l'île, il aperçut une 
volée d'oiseaux qui chantaient. « Nos frères les oiseaux 
louent Dieu, dit-il à son compagnon; allons au milieu 
d'eux réciter l'office divin. » Mais comme le gazouillement 
le troublait, il se tourna vers eux et leur dit : « Mes frères 



CHAPITRE XII. 193 

les oiseaux, suspendez vos chants jusqu'à ce que nous ayons 
payé à Dieu le tribut de nos louanges, » Ils se turent à 
l'instant même, et ne reprirent leur bruyant ramage que 
lorsque le Saint leuren eut accordé la permission (1). 

Le bruit de ce prodige attira l'attention des Vénitiens, 
dont la foi se réveilla et qui surent apprécier le trésor qu'ils 
possédaient; et ce fut pour perpétuer le souvenir de ce 
miracle, qu'un patricien, nommé Jacques Micliieli, s'em- 
pressa de bâtir dans cette île, pour le saint Patriarche et ses 
Frères, le couvent de Saint-François du Désert (2). 

S'il faut en croire Jourdain de Giano(3), François, averti 
par un de ses Frères que Mathieu de Narni, Grégoire de 
Naples et plusieurs anciens religieux cherchaient, sinon à 
détruire l'Ordre, du moins à le modifier par de fâcheuses 
innovations, fut vivement peiné de cet abus de pouvoir. 
Cependant, quelle que fût l'étendue du mal, il attendit, sans 
doute pour y porter un remède plus efficace, le prochain 
Chapitre général, qui devait se tenir à la Portioncule, en la 
fête de saint Michel. Dans l'intervalle, il résolut d'aller visi- 
ter le couvent de Bologne, fondé huit ans auparavant par 
son premier disciple, Bernard de Quintavalle. Sur sa route, 
il évangélisa la plupart des villes de la Lombardie, Padoue, 
Bergame,Brescia,Mantoue, Crémone, où, selon sa coutume, 
il rétablit la paix, et qu'il ne quitta qu'après avoir accepté 
les résidences offertes pour ses Frères. 

A Crémone, il rencontra saint Dominique; ce fut pour 
les deux Patriarches une des plus douces consolations que 
la Providence leur eût ménagées sur la terre. Ils purent 
conférer ensemble sur la bonté de Dieu, sur l'état florissant 
de leurs Ordres, sur le mouvement qui entraînait les peuples 

(1) BoNAV., c. VIII ; Gonzaga; Dandolo, Histoire de Venise. 

(2) Pietro Ziani, doge de Venise, approuva cette donation. 

(3) Chronique, p. 4, n. il. 

13 



194 SAINT FRANÇOIS D'ASSISE. 

vers le Dieu du Calvaire. Un miracle termina ce suave 
entretien. Les religieux du monastère (c'était un couvent 
de Frères Mineurs) étaient venus les prier de bénir un puits 
dont l'eau était trouble et insalubre. Les deux amis se 
regardèrent, chacun invitant l'autre à répondre. Alors 
Dominique dit aux Frères : « Allez nous puiser de l'eau. » 
Ils allèrent en chercher dans un vase et l'apportèrent; et 
Dominique dit à François : « Père, bénissez cette eau au 
nom du Seigneur. — Non, répondit François, bénis- 
sez-la vous-même; car vous êtes le plus grand. » Cette 
pieuse contestation dura quelque temps entre les deux 
saints; à la fin, Dominique, vaincu par l'humilité de Fran- 
çois, fit le signe de la croix sur le vase, et ordonna qu'on 
versât l'eau dans le puits, dont la source fiit purifiée pour 
toujours (1). 

De Crémone, saint François se dirigea vers Bologne 
la Savante. Il avait conçu une haute idée de la vertu des 
Bolonais, depuis que Bernard lui avait écrit : « Mon Père, 
tout est bien disposé à Bologne. Mais envoyez d'autres reli- 
gieux à ma place; car je n'espère plus y faire aucun bien; 
j'ai même tout lieu de craindre d'y perdre mon âme, tant 
on m'y comble d'honneurs ! 55 Mais il était loin de s'at- 
tendre à la réception triomphale dont il allait être l'objet. 
Au premier bruit de son arrivée, toute la cité se porta au- 
devant de lui. Étudiants et professeurs, riches et pauvres, 
tous voulaient voir le Saint, l'entendre, recevoir sa bénédic- 
tion. Ils lui firent un cortège d'amour, comme les rois et les 
empereurs de la terre n'en connurent jamais; il ne parvint 
qu'à grand'peine jusqu'à l'immense place du Petit-Palais. 
Là, il prêcha d'une manière si sublime, qu'on croyait enten- 
dre un séraphin plutôt qu'un homme. Au reste, voici, 

(1) Waddjnc, t. i. p. 334. 



J'iaiifia: DEVfÏÏLE M';:;^'^. 




MAITRE-AUTEL EN MAIIBUE DE h EGLISE DE S AI NT-FIl A NO I S , A BOLOGNE 

(Partie supérieure). 



196 SAINT FRANÇOIS D'ASSISE. 

d'après la déposition d'un témoin oculaire, la fidèle peinture 
de l'impression que produisirent sa personne et son allo- 
cution : « Moi, Thomas, citoyen de Spalatro et archidiacre 
de l'église cathédrale de la même ville, étant étudiant à 
Bologne, l'an 1220, en la fête de l'Assomption de la Mère 
de Dieu, j'ai entendu saint François prêcher sur la place 
publique, devant le Petit-Palais, où toute la ville était 
assemblée. Il partagea ainsi son discours : les anges, 
les hommes, les démons. Il parla de ces êtres intelUgents 
avec tant d'exactitude et d'éloquence, que les gens de lettres 
qui T écoutaient admirèrent mi si beau langage dans la 
bouche d'un homme simple. Il ne suivit point la marche 
ordinaire des prédicateurs ; mais, parlant à la façon des ora- 
teurs populaires, il ramena tout à ce seul point, l'extinction 
des inimitiés et de l'esprit de vengeance, le rétablissement 
de la paix et de la concorde entre concitoyens. Son habit 
était vil et grossier, sa personne chétive, son visage défait; 
mais Dieu donnait une telle efficacité à ses paroles, qu'un 
grandnombrede gentilshommes, extrêmement animés les uns 
contre les autres, et dont la fureur avait déjà répandu beau- 
coup de sang, se réconcilièrent publiquement. L'atfection et 
la vénération pour le Saint étaient si universelles et allaient 
si loin, que la foule courait à lui et qu'on s'estimait heureux 
de pouvoir seulement toucher le bord de sa robe (1). ^ 

L'archidiacre de Spalatro raconte ensuite les merveilles 
opérées par notre Saint. Les Bolonais revinrent aux prati- 
ques de la foi chrétienne ; plusieurs revêtirent les livrées de 
la pénitence, entre autres Nicolas Pepoli, donateur du cou- 
vent de cette ville, Bonizio et deux jeunes étudiants, Pelle- 
grino Falleroni et Rizzier de Muccia. François fit plusieurs 
miracles ; il rendit la vue à un enfant, en faisant sur lui un 

(1) Wadding, t. I, p. 337. 



CHAPITRE XII. 19r 

grand signe de croix; il en guérit un autre de répilepsie, en 
lui faisant appliquer sur la poitrine un parchemin sur lequel 
il avait écrit une prière. Ces deux adolescents revêtirent 
plus tard la bure franciscaine. i 

François, après avoir pris congé du peuple bolonais, alla 
tout d'abord présenter ses hommages au cardinal Hugolin, 
envoyé comme légat en Lombardie ; puis il se rendit au 
couvent de Sainte-Croix, occupé par les Frères Mineurs. 
Quelle ne fut pas sa surprise, quand il se trouva en 
face d'une belle et vaste maison ! Son mécontentement 
augmenta encore, quand il apprit que Jean de Stracchia, 
Provincial de Bologne, y avait ouvert, sans le consulter, 
un cours de théologie et d'éloquence sacrée. Indigné de cette 
double infraction à la discipline régulière, il réprimanda 
vertement le coupable : « Quoi donc ! s'écria-t-il, c'est là la 
demeure des pauvres évangéliques ! Des Frères Mineurs 
logent dans ce palais ! Pour moi, je ne reconnais pas 
cette maison pour nôtre ; et ceux qui l'habitent, je ne 
les regarderai pas comme mes Frères. C'est pourquoi je 
vous commande, au nom de l'obéissance, d'en sortir au 
plus vite. » Les religieux lui obéirent sans répondre un mot; 
les malades eux-mêmes, parmi lesquels se trouvait Thomas 
de Celano, le narrateur du fait, furent transportés ailleurs. 
Mais le cardinal Hugolin, étant survenu, finit par apaiser 
la colère du Saint, en lui disant : « Mon fils, n'aie point 
de scrupule d'accepter cette maison; il faut pour les 
infirmes un peu plus d'air et d'espace ; et quant à la pro- 
priété, elle reste au donateur et à la sainte Église romaine.» 
Le conseil était sage; François, le suivit, et faisant taire 
ses répugnances, il pardonna aux infracteurs repentants, 
et leur permit de rentrer dans le monastère (1). Toutefois, 

(1) Th. de Celano, Vita secunda, p. 3, c. iv. — Cf. Wadding. 



liD8 SAINT FRANÇOIS D'ASSISE. 

il refusa d'y passer la nuit, et alla prendre un peu de repos 
au couvent des Frères Prêcheurs, afin que la leçon portât 
ses fruits. « Une indulgence qui favoriserait le crime, 
disait-il, ne serait point de l'indulgence, mais de la com- 
plicité. Je ne veux point autoriser par ma présence la faute 
qu'on à commise contre la sainte pauvreté. « Quanta l'école 
dé théologie, il la ferma, et il défendit formellement au Pro-^ 
vinciàl de la rouvrir sans sa permission (1). 

Le lendemain, ayant dit adieu à son ami saint Dominique, 
il reprit le chemin d'Assise, pour y présider le Chapitre 
général. C'était le soldat rentrant sous la tente, après dix 
années de luttes et de victoires. Ici se termine, en effet, à 
proprement parler, sa vie militante, sa vie apostolique. Il 
ne sortira plus guère du couvent, à cause de ses nombreuses 
infirmités ; et les quelques années qu'il lui reste encore à 
passer dans l'exil de ce monde seront partagées entre la 
Contemplation, les besoins de son Ordre et la souffrance. 

Nous l'avons suivi dans ses longues pérégrinations à tra- 
vers l'Italie, l'Espagne et l'Egypte, de 120^ à 1220; nous 
avons assisté à ses triomphes, les plus nobles qu'un homme 
puisse remporter, puisque là où il plantait le drapeau de la 
Croix, c'était le règne de la vérité et de la vertu qu'il réta- 
blissait. Nous n'y reviendrons pas. Nous préférons en 
chercher la cause, qui est signalée en passant dans un docu- 
ment contemporain, dans un diplôme émané du municipe 
de Poggi-Bonzi, portant la date de 1220 et commençant 
par ces mots : « Nous accordons à un homme du nom de 
François, ^we tout le monde vénère comme un Saint, une 
maison pour qu'il y établisse des religieux de son Ordre (2). » 

Cette déclaration des magistrats de Poggi-Bonzi est-elle 
autre chose qu'un écho de l'opinion publique ? François 

(1) Wadding, t. I, p. 339. 

(2) Wadding, ad ann. 1220. - 



CHAPITRE XII. 199 

partout acclamé comme un être exceptionnellement chéri 
de Dieu, subjuguant les peuples par ses miracles, se les 
attachant par sa bonté compatissante, et profitant d'une 
influence si légitimement acquise pour apaiser les querelles 
et transformer les mœurs farouches du moyen âge, voilà 
donc, on ne peut le nier, la note qui domine dans les pièces 
officielles de l'époque aussi bien que dans les chroniques de 
l'Ordre. C'est au même ordre d'idées que se rattache une 
légende qu'on relit toujours avec plaisir, la légende du 
Loup de Giibbio. 

Gubbio, petite ville de l'Ombrie, située au nord d'Assise, 
sur la rampe escarpée des Apennins, à l'entrée des gorges 
rocheuses du mont Calvo, Gubbio tremblait devant un loup 
dont la taille, aussi bien que la férocité, était monstrueuse. 
Il ne s'attaquait pas seulement aux animaux; il dévorait 
aussi les enfants etleshommes. Les habitants étaient dans la 
. consternation, et les plus hardis n'osaient plus s'aventurer 
sans armes en dehors des murs de la ville. Le Saint, touché 
de compassion, résolut d'aller trouver le loup. Il gravit la 
montagne sans crainte, mettant toute sa confiance en Dieu; 
et, suivi de loin par la multitude anxieuse, il s'avança vers le 
repaire du loup. Troublée dans son repos, la bête fauve 
s'élance d'un bond, la gueule béante, vers l'homme de Dieu. 
Celui-ci marche à sa rencontre, fait sur elle le signe de la 
croix, l'appelle à lui et lui dit d'une voix vibrante : « Viens 
ici, frère loup, et, au nom du Christ, ne me fais aucun mal, 
à moi ni à personne. » 

Aussitôt le loup s'arrête, ferme la gueule et vient, doux 
comme un agneau, se coucher aux pieds du Saint. « Frère 
loup, poursuit François, tu as commis de grands crimes. Tu 
n'as pas seulement égorgé des animaux. Tu as poussé la 
cruauté jusqu'à dévorer des hommes créés à l'image de 
Dieu. Tu mérites la mort ! Tout le monde murmure contre 



200 SAINT FRANÇOIS D'ASSISE. 

toi, et tu es un objet d'horreur pour tous les habitants de la 
contrée. Mais, je le veux, frère loup, tu vas signer un traité 
de paix avec eux. Je sais que la faim est la seule cause de tes 
crimes; promets-moi donc de mener une vie innocente ; et 
de leur côté, les habitants te pardonneront le passé et pour- 
voiront désormais à ta subsistance. Y consens-tu? « Et le 
loup, baissant la tête, indique par ses mouvements qu'il 
accepte le contrat. 

Alors François revint vers la ville avec le loup, qui le 
suivait comme un chien suit son maître. Et comme toute la 
population était accourue sur la place publique pour être 
témoin d'une scène si étrange, François, montant sur une 
pierre, harangua la foule en ces termes : « Mes frères, 
c'est en punition de vos péchés que le Seigneur a permis 
ce fléau. Mais, songez-y, si la gueule d'un pauvre animal, 
qui, après tout, ne peut tuer que le corps, a suffi pour jeter 
l'effroi dans votre ville et dans toute la contrée, combien 
plus ne devez-vous pas craindre cet abîme de l'enfer qui 
dévore éternellement ses victimes ! Ah ! convertissez-vous, 
faites pénitence, et alors Dieu vous délivrera, non seulement 
de la rage d'un loup dans cette vie, mais encore des flam- 
mes éternelles après votre mort. » Après ce discours, le 
Saint demanda publiquement aux magistrats et à tous les 
habitants s'ils agréaient les conditions du traité de paix avec 
le loup, c'est-à-dire pour eux la promesse de le nourrir, et 
pour lui la promesse de ne nuire à aucune créature. Ils 
acceptèrent d'une voix unanime ; le loup, de son côté, pour 
attester et ratifier ses engagements, posa sa patte dans la 
main de François. A cette vue, l'admiration ne connut plus 
de bornes ; des acclamations enthousiastes, bruyantes 
comme les flots de la mer, s'échappèrent de toutes les poi- 
trines. Puis la foule se dispersa, en louant et bénissant Dieu 
de lui avoir envoyé François, qui, par ses mérites, l'avait 



CHAPITRE XII. 201 

délivrée de la gueule d'une bête si cruelle. Le loup vécut 
encore deux années à Gubbio, allant familièrement déporte 
en porte, entrant dans les maisons, sans faire ni recevoir 
aucun mal. Chacun s'empressait de lui fournir ce qui était 
nécessaire à sa subsistance ; et quand il traversait la cité, 
jamais les chiens n'aboyaient après lui. Enfin^ deux ans 
après sa conversion, frère loup mourut de vieillesse, et les 
habitants le regrettèrent vivement ; car, rien qu'à voir cet 
animal traverser les rues avec la douceur d'un agneau, ils 
se rappelaient avec bonheur le miracle et la sainteté du 
célèbre thaumaturge de l'Ombrie (1). 

Enfin, après une absence de plus d'une année, François 
rentra au couvent de Notre-Dame des Anges. C'était très 
probablement dans la première quinzaine du mois de sep- 
tembre 1220. Sa présence était devenue nécessaire, pour 
les motifs que nous avons indiqués plus haut, et son retour 
était ardemment désiré de ses douze premiers compagnons. 

Quelques jours avant la Saint-Michel, le Bienheureux 
Patriarche d'Assise eut une vision qui le frappa vivement. Il 
vit une statue colossale, à la tête d'or, aux bras d'argent, 
auxjambres d'airain, aux pieds d'argile, et il comprit que 
ces divers métaux signifiaient les différents âges de la famille 
franciscaine et les relâchements de l'avenir (2). Ce fut sous 
le coup de ces impressions et dans le but de conserver à 
l'Ordre sa beauté primitive, qu'il ouvrit à Notre-Dame des 
Anges, le 29 septembre 1220, le troisième Chapitre géné- 
ral. Il y prit deux mesures réclamées par les circonstances. 
Il commença par réprimander sévèrement Grégoire de 
Naples et Mathieu de Narni, et abolit leurs innovations. Il 
alla plus loin encore, s'il faut en croire Wadding, pour Jean 
de Stracchia, qui, malgré sa défense formelle, avait eu 

(1) FlOUETTI, cil. XXI. 

(2) Tu. DE Celako, Vita secunda, p. 3, c. xxvii. 



20â SAINT FRANÇOIS D'ASSISE. 

l'audace de rouvrir à Bologne le cours de théologie. Il ne se 
contenta pas de le dépouiller de sa charge de Provincial ; 
connaissant par une lumière surnaturelle l'endurcissement 
du coupable, il le maudit publiquement. En vain les Reli- 
gieux, atterrés, le supplièrent-ils de retirer cet anathème. 
« Je ne le puis, répliqua-t-il ; je ne puis bénir celui que le 
Seigneur a maudit ! » Chose navrante à redire ! le malheu- 
reux persévéra dans sa coupable résistance, et il expira peu 
de temps après, en jetant le cri des désespérés : « Je suis 
damné ! Je suis maudit pour l'éternité (1) ! » 

François, d'un naturel si doux et si aimable, se montra, 
dans ces pénibles conjonctures, d'une fermeté inébranlable. 
N'était-ce pas son droit et son devoir d'extirper les abus et 
de retrancher du cep de vigne les branches nuisibles? Du 
reste, après s'être acquitté de l'office de supérieur, il tira de 
son cœur ému les paroles les plus affectueuses. Au blâme 
mérité par le zèle intempérant de quelques-uns, il mêla les 
plus sages conseils sur la prédication. Puis, à la dernière 
session capitulaire, croyant clore par là les actes de son 
administration, il dit aux vocaux réunis : « Désormais, je 
suis mort pour vous. Voici votre supérieur, Pierre Cattani; 
c'est à lui que nous obéirons tous, vous et moi. » Et se pro- 
sternant aux pieds de Pierre Cattani, il lui promit respect et 
obéissance en toutes choses, comme au Ministre général de 
l'Ordre. Puis, toujours à genoux, les yeux levés vers le ciel 
et baignés de larmes, il fit cette prière avec un inexprimable 
accent d'amour : « Seigneur Jésus, je vous recommande 
cette famille qui vous appartient et que vous m'avez 
confiée jusqu'à ce jour. Vous savez que mes infirmités 
me mettent hors d'état de la gouverner; je la laisse donc 
entre les mains des Ministres généraux. S'il arrive que, par 

(1) Wadding. t I. p. 339, n. XVI. 



CHAPITRE XII. 203 

suite de leur négligence, de leurs scandales ou dé leur 
excessive rigueur, quelqu'un des Frères Mineurs vienne à 
périr, ils vous en rendront compte. Seigneur, au jour du 
jugement (1). » 

La démission du saint fondateur fut acceptée, mais sous 
d'honorables réserves. Il fut convenu que, tout en restant 
soumis à son Gardien, il retiendrait toujours le titre et les 
droits de Ministre général, et que, de son vivant, ses suc- 
cesseurs porteraient seulement le nom de Vicaires géné- 
raux. La mort de Pierre Gattani, survenue le 10 mars 1221, 
le força d'intervenir de nouveau dans les affaires de 
l'Ordre (2). Au Chapitre de la Pentecôte (23 mai 1221), où 
se trouvaient trois mille Frères, un évêque et le cardinal 
Raniero Gapoccio, il confia au Frère Élie la charge de 
Vicaire général et s'assit à ses pieds. Sa voix était si faible 
qu'on ne pouvait l'entendre. ÉUe transmettait ses ordres. Il 
commença ainsi : « Voici ce que dit le Frère (c'est par cette 
dénomination respectueuse qu'il désignait le vénérable 
fondateur). Il est une contrée dont les habitants, à la foi 
robuste, de longs bâtons à la main, de grandes bottes aux 
pieds, traversent nos cités et se dirigent vers le tombeau des 
Apôtres, sous l'ardeur du soleil, au chant des cantiques. 
Gomme nos premiers missionnaires ont été maltraités 
dans ce pays, le Frère n'imjDose à personne l'obligation 
d'y aller; mais si quelques Religieux, mus par la gloire de 
Dieu et le salut des âmes, se sentent cette vocation, il 
leur assure le même mérite qu'aux missionnaires d'outre- 
mer. Qu'ils se lèvent. » Quatre-vingt-dix Frères se levè- 
rent, comme pour aller au martyre. François en choisit 
seulement vingt-sept, quinze laïques et douze clercs, 

(1) Th. de Cela.no, Vita secunda, p. 3, c. lxxxi. 

(2) Voici l'épitaphe très antique gravée sur la tombe de Pierre Cattani : 

t ANN. DNI. M.CCXXI. VP ID'MARTII. 



204 SAINT FRANÇOIS D'ASSISE. 

parmi lesquels Thomas de Celano, Conrad le Teutonique, 




ImaoD ïj:a.tti& Eliac. Miniftri Genra.lis' iniiipejrjû.nEcclcliapDnueii 
tiTaliiTniCvbi corpus S.PH'cluciIci recjuieÊit)repei:ta' bcaGiunta 
Pi(anoAnnom36indi(5l9 deîineata 

Le Frère Elie de Cortone, à genoux au pied du crucifix. 

Jean de Piano-Carpino, le diacre Jourdain de Giano et 



CHAPITRE XII. 



205 



Césaire de Spire, qu'il établit Provincial d'Allemagne (1). 
Césaire, homme de grand savoir et de grande piété, 
redoutant les idées novatrices du Frère Élie, à la parole 
ardente duquel pourtant il devait sa conversion, s'approcha 
du saint Patriarche et lui dit : « Mon Père, j'ai pris la ferme 
résolution d'observer exactement jusqu'à mon dernier sou- 
pir, avec la grâce de Dieu, le saint Évangile et notre Règle. 
Mais j'ai une grâce à vous demander; je vous parlerai en 
toute simplicité. S'il arrive jamais que des Religieux trans- 
gressent la Règle, accordez-moi d'avance votre bénédiction, 
pour que je me sépare d'eux et que je me joigne au groupe 
des Religieux fervents. » A ces mots, François, rempli d'al- 
légresse, l'embrassa, le bénit et lui dit en lui posant la main 
sur la tête : « Sache, ô mon fils, que ta prière est exaucée; 
tu es prêtre pour l'éternité, selon l'ordre de Melchisédech » ; 
ce que nous pourrions traduire par ces mots : « Je te bénis; 
car tu es un prêtre selon le cœur de Dieu. » Quinze ans 
après, Césaire de Spire se montra, avec.Aymond de 
Faversham et Bernard de Quintavalle (2), le plus ardent 
antagoniste du Frère Elie, c'est-à-dire de son relâchement 
et de sa mauvaise administration comme Ministre, général 
(1236-1239). 

■ (1) Chronique de Jourdain dk Giano, p. 6-8. 
(2) Thomas Egcleston, De adv, F. M. in Angl., coll. xii. 




CHAPITRE XIII 

LE TIERS ORDRE. 

(1221) 



Douze ans à peine s'étaient écoulés depuis la fondation 
de rOrdre séraphique, et déjà les Frères Mineurs possé- 
daient des couvents en Italie, en Espagne, en Portugal, en 
France, en Allemagne et jusqu'en Palestine. La bénédiction 
du ciel leur avait donné grâce pour se multiplier et s'étendre 
en tous lieux. L'institut des Clarisses, de trois ans plus 
jeune, n'était pas moins florissant que son aîné. L'exemple, 
la prédication, les miracles de saint François avaient remué 
l'Europe, réveillé la foi et imprimé un élan universel vers le 
cloître. De tous les rangs de la société sortaient des âmes 
généreuses qui, aspirant à une vie plus parfaite, cherchaient 
un refuge sous l'étendard de la pauvreté volontaire. 

Les clercs et les simples fidèles que retenaient des liens 
sacrés ou les obligations de leur état, s'affligeaient de ne 
pouvoir prendre part à ce mouvement. « Ils venaient con- 
sulter le saint Patriarche sur les moyens de vivre chrétien- 
nement au milieu du siècle : ils lui demandaient une règle 
de vie tracée de sa main, afin de marcher plus sûrement 
dans les voies de la perfection évangélique (1). » Saint 

(1) A. DE SÉGUR, Histoire populaire de saint François d'Assise, ch. vu. 



CHAPITRE XIII. 207 

François leur promit de composer mie Règle qui calmerait 
leurs craintes et leur apporterait quelque chose de la paix et 
des avantages du cloître. Il tint parole, et c'est pour eux 
qu'il institua son troisième Ordre ou Tiers Ordre, dont nous 
allons raconter brièvement les origines, les progrès et les 
gloires. 

Cette œuvre, comme toutes celles de François, ou plutôt 
comme toutes celles de Dieu, naquit dans l'ombre et sans 
bruit. Passant à Poggi-Bonzi en Toscane, sur la route de 
Florence à Sienne, le Saint rencontra un de ses amis de jeu- 
nesse, le marchand Luchesio. Cet homme, jadis avare et 
dur, n'était plus reconnaissable depuis quelques mois : il 
édifiait par ses larges aumônes ceux qu'il avait scandalisés 
par son égoïsme. On le voyait secourir les indigents, soi- 
gner les malades dans les hôpitaux, ouvrir sa maison aux 
pèlerins, défendre les droits du Saint-Siège. Dans l'ardeur 
de son prosélytisme, il essayait, mais en vain, d'inspirer les 
mêmes sentiments à Bona Donna, sa compagne. Femme 
pieuse, mais écoutant trop la prudence de la chair, elle 
était du nombre de ces mères de famille qui craignent tou- 
jours que la terre ne leur manque sous les pieds; elle blâ- 
mait donc avec acrimonie les prodigalités de son époux. Un 
miracle la convertit. Un jour que Luchesio, après avoir 
distribué tout le pain qui se trouvait à la maison, la priait 
de donner encore quelque chose aux pauvres qui se présen- 
taient : « Tête sans cervelle et troublée par les jeûnes, 
s'écria-t-elle tout en colère, tu négligeras donc toujours les 
intérêts de ta famille ! » Luchesio, sans s'émouvoir de ces 
injures, la supplia doucement d'ouvrir le meuble destiné 
aux provisions de bouche, pendant qu'au fond de son cœur 
il invoquait Celui qui avait multiplié les pains dans le désert. 
Bona Donna finit par obéir, et, à sa grande stupéfaction, 
elle trouva une grande quantité de pains. A dater de ce jour, 



208 SAINT FRANÇOIS D'ASSISE. 

son cœur s'ouvrit aux pensées du ciel, et il y eut entre ces 
deux âmes, converties à des heures différentes, une géné- 
reuse émulation dans leis œuvres de miséricorde (1). 

La demeure de ces deux pénitents était prédestinée à 
devenir le berceau du Tiers Ordre. En y entrant, François 
leur dit : « Beaucoup de personnes vivant dans le. monde 
me prient de leur tracer une voie de perfection appropriée 
à leur état. J'ai donc songé, pour répondre à leurs désirs, à 
instituer un troisième Ordre, où elles pourront servir Dieu 
d'une manière parfaite, sans rompre les liens du mariage ; 
et je crois que vous ne sauriez mieux faire que d'en être les 
prémices. » Ils accueillirent avec joie une proposition si 
conforme à leurs aspirations les plus intimes, et conjurèrent 
le Saint de les admettre dans le nouvel institut. Il les revêtit 
de la tunique grise et les ceignit du cordon, qui devait 
demeurer à jamais la marque distinctive de ses institutions. 
Il initia à cette même forme de vie plusieurs personnes de 
Poggi-Bonzi et de Florence. Le Tiers Ordre de la pénitence, 
le plus ancien de tous les Tiers Ordres, était institué (1221). 
Ainsi s'accomplissait sans bruit un des grands événements 
du moyen âge. 

Quelques mois après, le saint Patriarche rédigea pour les 
Tertiaires une Règle dont la législation large et simple 
s'adapte à toutes les positions de la vie sociale, sans distinc- 
tion de temps ou de nationalité, et dont le but est de venir 
en aide aux âmes que des devoirs impérieux contraignent à 
vivre dans le monde, de raviver en elles l'esprit du christia- 
nisme, et de les faire participer aux vertus comme aux bien- 
faits de la vie religieuse, llègle facile ; car elle n'est au fond 
qu'une sage application des lois évangéliques, « qui ne sau- 
raient paraître trop dures à un chrétien (2) j) . Elle n'oblige 

(1) Acta Sanctorurn, 16 avril. 

(2) Encyclique Auspicato, de Léon XIII, du 17 septembre 1882, 



CHAPITRE XIII. 209 

point SOUS peine de péclié, et n'a d'autre sanction que 
l'amour. 

Elle fut accueillie non seulement a^ec faveur, mais avec 
un véritable enthousiasme. « Le monde se peupla déjeunes 
filles, de veuves, de gens mariés, d'hommes de tout état qui 
portaient publiquement les insignes d'un Ordre religieux et 
s'astreignaient à ses pratiques dans le secret de leurs mai- 
sons. L'esprit d'association qui régnait au moyen âge, et 
qui est celui du christianisme, favorisa ce mouvement. De 
même qu'on appartenait à une famille par le sang, à une 
corporation par le service auquel on s'était voué, à un peuple 
par le sol, à l'Église par le baptême, on voulut appartenir 
par un dévouement de choix, à l'une des glorieuses milices 
qui servaient Jésus-Christ dans les sueurs de la parole et de 
la pénitence. On revêtait les livrées de saint Dominique ou 
de saint François; on se greffait sur l'un de ces deux troncs, 
pour vivre de leur sève, tout en conservant encore sa propre 
nature; on fréquentait leurs églises, ^n participait à leurs 
prières, on les assistait de son amitié, on suivait d'aussi près 
que possible la trace de leurs vertus. On ne croyait plus 
qu'il faillit fuir du monde pour s'élever à l'imitation des 
Saints ; toute chambre pouvait devenir une cellule, et toute 
maison une Thébaïde (1). » 

Le Tiers Ordre séraphique venait de naître, et déjà la 
voix du peuple, se faisant l'écho de la voix du Vicaire de 
Jésus-Christ, proclamait que c'était l'œuvre du Très-Haut 
et le fruit le plus suave du zèle de saint François. Son his- 
toire, sous le rapport religieux et social, forme assurément 
une des plus belles pages de l'histoire du moyen âge. 

Il se propagea avec la rapidité de la flamme qui dévore 
une forêt. Il franchit les montagnes et les mers, s'étendit 

(i) Vie de saint Dominique^ par LACOnoAiRE, ch. xvi. 



210 SAINT FRANÇOIS D'ASSISE. 

jusqu'aux extrémités de l'empire chinois, et contribua puis- 
samment à la rénovation du treizième siècle. Plus tard, il 
pénétra dans le nouveau monde avec les premiers Francis- 
cains qui accompagnaient Christophe Colomb. Enfin, depuis 
son origine jusqu'à nos jours, il n'a cessé de produire, sous 
tous les climats et à tous les degrés hiérarchiques de la vie 
humaine, à l'envi des déserts et du cloître, une admirable 
floraison de Saints ; et cette fécondité est le principal motif 
qui a déterminé les Souverains Pontifes à faire pleuvoir sur 
lui l'abondante rosée de leurs faveurs spirituelles. 

De l'innombrable phalange de héros et de Saints qui l'ont 
illustré, le premier, en suivant l'ordre chronologique, est ce 
Luchesio dont nous avons raconté la conversion et à qui 
Dieu accorda le don des miracles et celui de l'oraison jus- 
qu'à l'extase (1); mais le plus célèbre est sans contredit 
Louis IX : Louis IX qui jDartout sut commander le respect 
et l'admiration, sous le chêne de Vincennes en rendant la 
justice, à Damiette en refusant la couronne offerte par les 
Musulmans, à Tunis en mourant sur la cendre, et mérita 
de devenir le patron des Frères du Tiers Ordre francis- 
cain (2). 

Plusieurs Souverains Pontifes : Grégoire IX, Jules II, 
Léon X, Paul V, Innocent XII, Pie VI et Pie IX, auxquels 
il faut joindre Sa Sainteté Léon XIII, actuellement régnant, 
unirent à l'éclat de la tiare les livrées de la pénitence; des 
rois et des empereurs, comme Michel Paléologue, Rodolphe 
de Habsbourg; Louis VIÏI, père de saint Louis; saint Fer- 
dinand, roi de Castille; Charles-Quint, Philippe II et Phi- 
lippe lïl, rois d'Espagne ; Bêla IV, roi de Hongrie ; Jagel- 
lon, roi de Pologne; Jean, roi d'Aragon; Charles IV, roi de 



(1) Lucliesio mourut le 28 avril 1241 et fut béatifié par Pie VI. 

(2) On conserve au musée du Louvre une médaille représentant le saint Roi 
sous les livrées de la pénitence. 



. , CEAPITRE XIII. 211 

Bohême ; Charles II et Robert, rois de Sicile et de Jéru- 
salem; Amédée VII, duc de Savoie; d'opuleiits seigneurs, 
comme saint Elzéar de Sabran et saint Roch de Montpellier ; 
des prêtres et des évêques, comme saint Yves, saint Charles 
Borromée, saint François de Paule, saint Ignace de Loyola, 
saint Vincent de Paul, M. Olier, le cardinal de BéruUe ; et 
de nos jours, le curé d'Ars, Mgr de Ségur, don Bosco, 
Mgr Freppel et le cardinal Alimonda, s'inscrivirent éga- 
lement parmi les Tertiaires (I). Les mis et les autres se fai- 
saient gloire de porter les livrées franciscaines, et le cardinal 
Alimonda n'était que leur interprète, lorsque, à l'occasion 
des fêtes du septième centenaire de saint François, il profes- 
sait ainsi publiquement sa tendre vénération pour celui qu'il 
nommait son père et son modèle (2) : « Je ne cesse de bénir 
le jour où j'ai ceint la corde du Patriarche d'Assise. Tout 
jeune encore, je me sentais déjà attiré vers ce grand ser- 
viteur de Dieu, quand ma pieuse mère me parlait de lui. Je 
l'aimais parce qu'on me le dépeignait épris d'amour pour 
tout ce qui charmait mon enfance : le printemps, les 
fleurs, les oiseaux, les petits oiseaux auxquels il préparait 
leur nourriture sur le toit de son couvent, et les gémis- 
santes tourterelles qui accouraient, dociles à son appel, se 
poser familièrement dans ses mains. Mon admiration ne fit 
que croître avec l'âge, et lorsque je me destinai au sanc- 
tuaire, saluant dans saint François l'ami des petits et des 
faibles, le défenseur des opprimés, le consolateur de ceux 
qui souffrent, le héraut de l'Évangile, l'apôtre intrépide qui, 
les pieds nus posés sur les remparts chancelants de la patrie, 
cherchait à la sauver, je le pris pour modèle. Aujourd'hui que 
les clameurs et les sarcasmes de la libre pensée retentissent 
à mes oreilles, je ne dédis point mes premières bénédic- 

(1) Consulter les Gloires du Tiers Ordre. 

(2) Discours du 4 octoHre 1882. . . 



212 SAINT FRANÇOIS D'ASSISE. 

tions et n'ai point honte d'appartenir au Tiers Ordre. Tout 
au contraire, je m'en fais gloire j car je vois que ses membres 
m'invitent à prendre mon vol, — avec une plus ferme assu- 
rance de la protection divine, — vers tout ce qui est grand, 
vers tout ce qui est beau et avantageux à mes contemporains. 
Avec Volta et Galilée, je puis traiter des sciences expéri- 
mentales; avec Cbistophe Colomb, courir à la recherche 
des rivages inconnus; avec Raymond LuUe, aborder les 
plus hautes sphères de la philosophie; avec Cimabué et 
Giotto, Michel-Ange et Raphaël, manier l'ébauchoir et le 
pinceau ; avec le Dante, cultiver la poésie et célébrer ce pas- 
teur admirable dont la vie se chanterait mieux parmi les 
gloires du cze/ (1). » 

Le cardinal Alimondanous découvre ici, en passant, une 
des faces les plus brillantes de l'institution franciscaine : 
nous voulons dire l'empressement, le saint enthousiasme 
avec lequel la science et le génie s'inclinèrent devant la sain- 
teté. Raphaël, Murillo, Pétrarque, Galvani, Christophe 
Colomb, Lope de Véga, Cervantes, Ferdinand Gaillard, le 
rénovateur de la gravure au dix-neuvième siècle, — pour 
ne citer que les noms les plus célèbres, ■ — tous ces grands 
hommes ne furent pas seulement, en effet, des croyants; le 
Séraphin d'Assise les compta parmi ses disciples. Et la 
tunique du Tertiaire, sous laquelle ils avaient combattu, fut 
aussi le glorieux linceul dans lequel ils voulurent être ense- 
velis, persuadés, non sans motif, que le jugement de Dieu 
leur serait alors plus doux, et que la foudre, qui n'épargne 
pas les lauriers de l'artiste et du poète, respecterait le vête- 
ment du p auvre . 

Mais nulle part le Tiers Ordre n'excita plus d'enthou- 
siasme que parmi les femmes. Trop souvent déçues dans 

(1) Paradis, chant xi. 



CHAPITRE XIII. 213 

leurs plus légitimes affections, elles se tournaient vers saint 
François, dans l'espoir de trouver sous l'habit de la péni- 
tence la paix et le bonheur qu'elles demandaient vainement 
au monde. Le monastère venait à elles, puisqu'elles ne pou- 
vaient aller à lui. Se bâtissant dans quelque réduit de la 
maison paternelle ou conjugale un sanctuaire mystérieux, 
tout plein de l'Epoux invisible qu'elles aimaient unique- 
ment, elles épanchaient librement devant Lui es flots d'a- 
mour dont le cœur de la femme chrétienne est 1*^ réservoir 
sans fond. Le Tiers Ordre satisfaisait à leurs aspirations les 
plus idéales, en même temps qu'il les dédommageait de la 
tyrannie de leur position ; en retour, elles l'enrichissaient 
du trésor de leurs vertus, de leurs sacrifices et de leur sain- 
teté. Le lecteur nous saura gré de placer sous ses regards 
quelques-unes de ces fleurs embaumées, celles qui ont été 
plantées les premières dans le parterre séraphique et qui en 
forment à jamais le plus bel ornement. 

Au-dessus de toutes, brille sainte Elisabeth de Hongrie, 
qui eut une place à part dans le cœur du Séraphin d'Assise, 
comme elle en a une dans l'amour du peuple chrétien. Mariée 
au pieux Louis, landgrave de Thuringe, Elisabeth, alors 
dans toute la fleur de son innocence et de sa beauté, offrait 
sur le trône le spectacle de toutes les vertus que saint Fran- 
çois estimait le plus. En J.221, au moment où ses destinées se 
lient à celles de l'Ordre, elle ne comptait que quatorze prin- 
temps, et son jeune cœur, ouvert àtoutes les nobles inspira- 
tions, allaitprésenterun champ fertile à ces semences de vie et 
de force que la main de François répandait surl'univers chré- 
tien (1). Lorsque, en cette même année, les Frères Mineurs 
se présentèrent pour la seconde fois en Allemagne, ils 
trouvèrent auprès d'elle encouragement et sympathie. Elle 

(1) Histoire de sainte Elisabeth de Hongrie, par le comte de Montalembeut. 
— Cf. la Chronique de Saxe, par Baudoin de Buunswick. 



214 SxiINT. FRANÇOIS D'ASSISE. 

leur jDâtit un couvent au sein de sa capitale, à Eisenacb, et 
choisit pour son confesseur le Frère Rodinger, l'un des pre- 
miers Allemands qui eussent embrassé la Règle séraphique,. 
Ayant connu par ses nouveaux hôtes l'existence du Tiers 
Ordre en Italie, elle fut frappée des avantages qu'offrait à 
une chrétienne fervente cette affiliation, et elle s'empressa de 
s'y agréger, heureuse de donner par là une sorte de consé- 
cration aux mortifications et aux pratiques de piété qu'elle 
s'était imposées de son propre mouvement. Elle est la pre- 
mière en Allemagne qui se soit associée au Tiers Ordre, et 
l'on peut croire que l'exemple d'une princesse si haut pla- 
cée par sa naissance et si renommée pour sa piété ne fut 
pas sans influence sur la rapide extension de l'institution 
franciscaine. 

Le saint Patriarche, informé de la précieuse conquête 
que ses missionnaires venaient de faire, fut au comble de la 
joie. Lui qui défendait si expressément « de canoniser les 
gens pendant leur vie », ne tarissait pas en éloges sur les 
vertus de la jeune princesse. L'humilité exemplaire d'Elisa- 
beth, son austère piété, son dévouement pour les lépreux, 
formaient le sujet ordinaire de ses conversations avec le car- 
dinal riugolin. Un jour, le cardinal le pressa défaire passer 
un gage de son affection à celle qu'il pouvait à si bon droit 
nommer sa fille ; et en même temps il lui enleva de dessus 
les épaules le vieux manteau qui les couvrait, en lui enjoi- 
gnant de l'envoyer sur-le-champ à l'humble princesse. 
« Puisqu'elle est pleine dé ton esprit, lui dit-il, je veux que 
tu lui laisses le même héritage qu'Elie à son disciple Elisée. » 
Le Saint obéit : il fit rèmetti'e à la duchesse ce modeste pré- 
sent, accompagné d'une lettre, où il la félicitait des grâces, 
dont le Ciel l'avait prévenue dès le berceau et du bon usage 
qu'elle en faisait. 

Éhsabetlî reçut avec autant d'esprit de foi que de recon- 



CHAPITRE XIII. 215 

naissance le manteau du nouvel Élie ; elle le prouya parle 
prix qu'elle attacha toujours à la possession de cet objet, et 
plus encore par l'imitation des vertus qu'il lui rappelait. 
Dieu, qui voulait qu'elle unît la majesté de la douleur à la 
majesté royale, la jeta dans le creuset des tribulations. 
Veuve à vingt ans, chassée du château de Wartbourg, 
errant avec ses enfants dans les rues d'Eisenach, aban- 
donnée de tous et dépouillée de ses domaines, cette fille de 
roi ne put qu'à grand'peine trouver un asile dans une étable 
à pourceaux. Au milieu de si poignantes angoisses, elle se 
conduisit en vraie disciple de saint François : pas un mot de 
récrimination contre ses persécuteurs, pas un murmure, 
pas un gémissement, mais une patience inaltérable et une 
espérance invincible. N'est-il pas écrit que plus on aura 
participé ici-bas aux souffrances du Rédempteur, plus on 
participera là-baut à sa gloire? Ayant entendu sonner à 
minuit la cloche des Franciscains, la jeune veuve se rendit 
à leur office et les pria de. chanter le Te Deum en action de 
grâces pour les afflictions que le ciel lui envoyait. 

Quelques années après, le Seigneur versa une goutte de 
< joie dans le calice de ses amertumes. Grégoire IX, qui venait 
de canoniser le Patriarche d'Assise, envoya à la princesse 
quelques gouttes du sang qui s'était échappé du flanc trans- 
percé de son ami. Elisabeth déposa la précieuse relique 
dans l'hôpital qu'elle venait de faire construire à Marbourg. 
Jusque-là, elle n'était encore qu'agrégée à l'Ordre; elle 
résolut de donner à cette affiliation un caractère irrévo- 
cable et solennel, et reçut l'habit du Tiers Ordre des mains 
de Frère Burckhard, le vendredi saint de l'année 1229 
(ou 1230). Elle consacra le reste de ses jours au soin des 
malades et des lépreux. Sur le point de mourir, elle se fit 
apporter le manteau de saint François et le légua à l'une de. 
ses suivantes, en lui disant : « Ma fille, voici le plus pré- 



216 SAINT FRANÇOIS D'ASSISE. 

cieux de mes bijoux. Je te déclare que toutes les fois que je 
m'en suis parée, Jésus, mon Bien-Aimé, m'a inondée de ses 
délices. » Ame toute sérapliique, déjà mûre pour le ciel 
(elle n'avait que vingt-quatre ans!), Elisabeth s'envola vers 
les collines éternelles le 19 novembre 1231, cinq ans après le 
Patriarche d'Assise. Grégoire IX la canonisa le 26 mai 1235. 
Elle est pour les Sœurs la patronne de ce Tiers Ordre dont 
elle fut la première fille en Allemagne, et dont elle reste la 
gloire la plus pure. 

Groupons autour de sainte Elisabeth quelques-unes des 
saintes femmes qui lui servent de cortège dans l'histoire de 
l'institution fransciscaine : En France, Blanche de Gastille 
avec toute la famille royale; la Bienheureuse Delphine, 
épouse de saint Elzéar de Sabran, femme héroïque qui 
garda dans les liens du mariage le précieux trésor de la vir- 
ginité; Jeanne de Valois, fondatrice de l'Annonciade; Anne 
d'Autriche, Marie-Thérèse et Jeanne-Marie de Maillé. — 
En Espagne, la reine Isabelle, la protectrice de Christophe 
Colomb. — Dans les Pays-Bas, Isabelle-Claire-Eugénie, 
gouvernante de cette province. — En Suède, sainte Brigitte, 
célèbre par ses révélations. — En Portugal, sainte Elisabeth, 
que ses sujets appelaient la messagère de la paix, la mère 
de la patrie. — En Italie, Pica, la pieuse mère de notre 
Saint; la Bienheureuse Viridiane, l'humble recluse de Cas- 
telfiorentino, que saintFrançois visita en 1221 et qu'il admit 
au Tiers Ordre; la Bienheureuse Humiliane Cerchi de Flo- 
rence, qui voulut être enterrée dans l'église àe Sainte-Croix, 
où elle avait reçu l'habit de la pénitence; sainte Rose de 
Viterbe, cette angélique enfant qui, sur Tordre de la Sainte 
Vierge, revêtit à dix ans l'habit du Tiers Ordre, prêcha la 
pénitence à la manière des prophètes, eut l'insigne honneur 
d'être exilée par Frédéric II, et, à dix-huit ans, alla s'épa- 
nouir parmi les splendeurs du ciel, après avoir prédit la 



' Chapitre xiii. 217 

chute de l'Empereur et le prochain triomphe de l'Église; la 
Bienheureuse Angèle de Foligno, la pénitente de l'Ombrie; 
et enfin, la grande pécheresse de la Toscane, Marguerite de 
Cortone, qui, après avoir imité la pécheresse de l'Évan- 
gile dans ses égarements, l'imita aussi dans son retour et 
mérita d'être appelée la Marie-Madeleine de l'Ordre séra- 
phique(l). 

Ajoutons qu'entre toutes ces grandes âmes, si différentes 
par la nationalité, le caractère et la position sociale, il y a 
un trait de famille qu'elles tiennent de saint François : c'est 
l'esprit d'apostolat. Toutes, à peine revêtues de l'habit de 
la pénitence, s'adonnent avec ardeur aux bonnes œuvres; 
toutes sentent le besoin de conquérir des âmes à Dieu. Rien 
de beau comme de voir la pénitente de Cortone, pour ne 
citer qu'elle, soignant d'abord les plaies des malades, puis 
arrachant les jeunes gens au. vice, les jeunes jfilles au déshon- 
neur, et devenant ainsi le salut de sa patrie. Il en fut de 
même en Sicile, en France, en Allemagne, partout où s'im- 
planta le Tiers Ordre; partout il exerça une influence aussi 
profonde que bienfaisante sur les idées et sur les mœurs. Il 
remit en honneur, parmi les femmes, des vertus trop long- 
temps délaissées, la modestie, la fidélité conjugale, l'esprit 
d'abnégation, et réussit à extirper une lèpre contre laquelle 
les lois somptuaires avaient été impuissantes, la lèpre du 
luxe, mère de la corruption et de la débauche. La femme 
reprit au foyer domestique la place d'honneur que le chris- 
tianisme lui assure et d'où l'abandon de ses devoirs ne 
manque jamais de la faire descendre. 

La loi de l'association portait ses fruits, au delà même 
des prévisions du réformateur ombrien. Le sensualisme 
païen était refoulé; la famille, sous la douce influence de la 

(i) Voy. notre vie de Sainte Marguerite de Cortone, cli. lu. 



218 SxlINT. FRxiNÇOiS D'ASSISE. 

femme, se ressouvenait des serments du baptême; l'Évan- 
gile répandait sa bonne odeur au milieu, du monde, et l'es- 
prit de Dieu, après avoir fleuri dans les solitudes, s'épa- 
nouissait sur les grands chemins et jusqu'au sein des cours. 
L'Europe était sauvée. 

Le Tiers Ordre obtint un autre résultat, qui ne fut que 
passager et propre à l'Italie, mais qui n'en mérite pas moins 
l'admiration des siècles. Uni à celui de saint Dominique, il 
défendit les droits du Saint-Siège et déconcerta les pi'ojets 
impies des empereurs d'Allemagne. Ce résultat est constaté 
dans un rapport adressé d'Italie, par quelque clerc ou prélat 
courtisan, à Pierre des Vignes, chancelier de Frédéric II. 
« Les Frères Mineurs et les Frères Prêcheurs se sont élevés 
contre nous. Us ont réprouvé publiquement notre vie et nos 
entreprises; ils ont brisé nos droits et nous ont réduits au 
néant; et voici que pour achever de détruire notre prépon- 
dérance et de nous enlever l'affection des peuples, ils ont 
créé deux nouvelles fraternités, qui embrassent universelle- 
ment les hommes et les femmes. Tous y accourent; à peine 
se -trouve-t-il quelques personnes dont le nom n'y soit pas 
inscrit (1). » Ce document est précieux; il jette une vive 
lumière sur un des points historiques les plus obscurs, et 
nous explique la victoire définitive des Guelfes par l'esprit 
d'association mis au service du patriotisme et de la foi. Les 
Tertiaires puisèrent dans cet esprit d'association des secours 
énergiques pour refouler l'invasion des barbares du Nord et 
amener peu à peu le triomphe du droit sur la force brutale. 

La force brutale était alors représentée par Frédéric II, 
empereur d'Allemagne et roi de Sicile, prince ambitieux et 
fourbe, qui, après avoir été le pupille d'Innocent III et avoir 
donné de belles espérances à l'Église, flétrit la dernière 

. (1) Petr. de Vineis, episc, 1. I, c. xxxvn. 



CHAPITRE XIII. 219 

moitié de son règne par le sensualisme oriental de ses 
mœurs et par la guerre injuste qu'il fit à la papauté. Enivré 
de sa puissance, il rêvait d'absorber le sacerdoce, c'est-à- 
dire, la souveraineté temporelle et spirituelle des papes, et 
de rétablir à son profit l'empire universel des Césars (1). 
Qui donc, pensait-il, oserait se mesurer avec lui? Les Ter- 
tiaires franciscains l'osèrent, pour rester fidèles à leur Règle, 
Nés du plus pur zèle de saint François, animés du même 
souffle divin, ils rallumèrent dans le corps social le véritable 
esprit du christianisme, qui est l'amour du droit et la 
défense de la justice outragée, s'enrôlèrent hardiment sous 
la bannière pontificale, et résistèrent aux sacrilèges empié^ 
tements du despote avec un courage persévérant qui leur 
mérita d'être appelés par Grégoire IX les Macchabées de la 
nouvelle alliance. Non content de leur décerner ce titre, le 
même Pontife les exempta du service militaire et les couvrit 
de sa protection (2). Ses successeurs l'imitèrent, et l'entente 
entre les chefs et les soldats amena ce résultat final, qui 
paraissait impossible, le renversement du colosse impérial. 
Fureur des guerres civiles apaisée, populations miies 
dans la résistance à l'oppression des consciences, projets 
insensés de l'empereur d'Allemagne réduits à néant, qui 
avait préparé ces triomphes, sinon le Patriarche d'Assise? 
C'est lui qui avait donné le coup de mort à la féodalité et à 
la tyrannie impériales, en édictant cette loi qui plaçait les 
Tertiaires sous la juridiction du Saint-Siège : « Les Frères 
ne porteront pas d'armes offensives, si ce n'est pour la 
défense de l'Église romaine, de la foi catholique et de leur 
pays. » Etles Frères, c'était la bourgeoisie, c'était le peuple. 



(1) IIuiLLARD-BnÉOLLES, IUst, cliplom. Frider. II, t. V. 

(2) M. l'abbé Le Monnier est le premier qui ait mis en lumière ce point d'his- 
toire, l'exemption du service militaire pour les Tertiaires d'Italie. — Voir son 
Histoire de saint François d'Assise, cli. xiii. 



220 SAINT FRANÇOIS D'ASSISE. 

c'étaient toutes les forces vives de la nation, ainsi que l'at- 
teste le rapport adressé à Pierre des Vignes. Aussi un publi- 
ciste de nos jours, Frédéric Morin, a-t-il raison de déclarer, 
dans son étude sur saint François et les Franciscains, « que 
l'Europe moderne ne sait pas tout ce qu'elle doit à saint 
François ». Toutes les nations de l'Europe; l'Italie en pre- 
mière ligne. Elle lui doit tout, la conservation de sa foi, son 
indépendance nationale, une législation plus équitable et, 
par un progrès logique, rémancipation de la bourgeoisie et 
du peuple. Mais le même auteur se trompe, lorsqu'il pré- 
tend que le tiers état est sorti du Tiers Ordre; car, le 
tiers état,- entendu au sens moderne, est la négation du 
principe d'autorité qui sert de base à toutes les entreprises 
du réformateur ombrien. 

Après six siècles d'existence, l'institution franciscaine est 
toujours vivante. Son rôle politique et religieux est-il fini, 
comme le pensent quelques-uns, ou faut-il croire avec d'au- 
tres que la similitude entre le moyen âge et notre époque 
lui crée une place marquée dans la lutte gigantesque où se 
débattent les destinées de l'Eglise et de la patrie? Un regard 
jeté sur l'état de la société moderne nous aidera à résoudre 
la question. Aux mille formes de l'hérésie antique a succédé 
une erreur plus monstrueuse encore, où revivent le dualisme 
de Manès, l'hypocrisie de Raymond VI , les violences de 
Luther, les haines de Calvin, et qui poursuit dans l'ombre 
et le mystère, parles séductions, la calomnie et le poignard, 
une. œuvre satanique, la destruction du christianisme. Cette 
erreur, qui se nomme la Révolution, est le règne absolu du 
mal, comme l'Église est le règne absolu du bien. Elle s'est 
incarnée dans la franc-maçonnerie. Léon XIII, dans l'En- 
cyclique Ilnmanum genus, a dénoncé, démasqué, anathé- 
matisé la secte ; mais la réprouver ne suffit pas, il faut la 
vaincre. Ôr, à cette ligue infernale qui menace la société, à 



CHAPITRE XIH. 



221 



ee chancre qui dévore les deux mondes, qu'opposer, sinon 
l'association chrétienne, c'est-à-dire l'union des énergies 
viriles et des dévouements spontanés se serrant autour de 
la Croix pour la défense du droit outragé et de la vérité 
méconnue? Et quelle association est plus apte à ce dessein 
que le Tiers Ordre, où le prince et l'avocat coudoient le 
travailleur? Et s'il a déjà sauvé le moyen âge des folies du 




Saint François rend la santé au Frère Sylvestre en partageant avec lui une 
{trappe de raisin. (D'après Sermei.) 



manichéisme, pourquoi ne préserverait-il pas le dix-neu- 
vième siècle des horreurs de la démagogie ? Ces vues sur le 
passé, ces espérances pour l'avenir, ont guidé Léon XIII 
dans les conseils qu'il adresse à tous les évêques de l'uni- 
vers, et où le Tiers Ordre franciscain est nommément 
désigné. 

« Vénérables Frères, leur écrit-il, déployez tout votre zèle 
pour propager et affermir une institution qui a pour but, 
dans l'esprit! du fondateur, d'attirer les hommes à l'imita- 
tion du Christ, à l'amour de l'Eglise, à la pratique des 



222 SAINT .FRANÇOIS D'ASSISE. 

vertus chrétiennes. Elle pourra vous être d'un grand secours 
pour faire disparaître la lèpre des sectes maçonniques. Que 
le Tiers Ordre fasse donc chaque jour de nouveaux pro- 
grès. Parmi les nombreux avantages qu'on est en droit 
d'attendre d'une si sainte association, il en est un qui prime 
tous les autres : c'est qu'elle est une école de liberté, 
d'égalité, de fraternité, trois mots dont la franc-maconnerie 
abuse étrangement, mais en réalité trois grandeurs appor- 
tées au monde par le divin Rédempteur et précieusement 
gardées par saint François. Nous voulons parler de cette 
liberté des enfants de Dieu qui refuse de porter le joup- 
odieux de Satan et des passions ; — de cette fraternité dont 
la source se perd en Dieu, notre commun Créateur et Père ; 
— de cette égalité qui, fondée sur les droits de la justice et 
de la charité, loin de rêver l'abolition des distinctions 
sociales, fait delà variété même des conditions et des devoirs 
un concert harmonieux, tout au profit des intérêts et de la 
dignité des peuples (1). » 

L'institution séraphique.sera-t-elle pour la franc-macon- 
nerie le grain de sable où s'arrêtent toutes les fureurs de 
rOcéan? Avec le chef de la catholicité nous l'osons croire; 
car, en toutes choses, le dernier mot est à Dieu, qu'aucune 
puissance ne peut détrôner et qui fait servir les crimes de 
ses ennemis, aussi bien que la fidélité de ses serviteurs, à 
l'accroissement de sa gloire et à l'exaltation de son Église. 

(1) Encyclique Uumanum genus, du 20 avril 1884. 




'Jfkà 



CHAPITRE XIV 



APOSTOLAT DU SAINT DANS L'ITALIE MERIDIONALE. 
APPROBATION DE LA RÈGLE. 



(1222-1223) 



Eli raiiiiée 1222, notre Saint, toujours dévoré du zèle des 
âmes, lit une longue excursion à travers l'Italie méridionale, 
la seule partie de la Péninsule qu'il n'eût pas encore évan- 
gélisée. Descendant par Rome, Gaëte et Naples, il s'avança 
jusqu'à la pointe de la presqu'île pour visiter en passant la 
grotte du mont Gargano, si célèbre par l'apparition de 
l'archange saint Michel; puis il remonta vers l'Ombrie, en 
longeant le littoral de l'Adriatique. Il serait difficile de le 
suivre dans tous les détails de cette course apostolique; mais 
nous avons à cœur d'en rapporter les principaux incidents, 
pour en faire jouir nos lecteurs. 

A Toscanella, notre Bienheureux, logeant dans la maison 
d'un gentilhomme dont le fils unique avait les deux jambes 
paralysées, guérit le jeune malade d'un signe de croix (1). 

A Rome, il lia connaissance avec le prince Matthieu de 
Rossi, de la famille patricienne des Orsini. Matthieu était 
un de ces hommes comme on en trouve dans tous les siècles, 
qui savent garder au milieu des splendeurs et des séductions 

(i) Tu. DE Gelano, Vifa prima, p. i, c. xxiii. 



224 SAINT FRANÇOIS D'ASSISE. 

du monde un cœur détaché de tout. Aux pratiques de la 
piété il joignait l'habitude des œuvres de miséricorde, et 
sa porte était toujours ouverte aux indigents. Dès la pre- 
mière rencontre, il s'établit entre ces deux personnages 
une de ces affections qui, nées de l'harmonie des goûts 
et des mystérieuses affinités de l'âme, ne font que croître 
avec le temps. Un fait que nous raconterons dans toute 
sa simplicité nous montre toute l'estime, toute la véné- 
ration que le prince avait pour le Pénitent d'Assise. Il 
avait invité le Saint à dîner chez lui, en lui indiquant 
l'heure précise du repas ; mais étant arrivé un peu en retard, 
il ne trouva plus François à la maison. Il le fit chercher 
partout, déclarant qu'il ne se mettrait pas à table que le 
serviteur de Dieu ne fût présent. Déjà il était inquiet, lors- 
qu'il l'aperçut parmi la foule de ses pauvres familiers. 
Touché de cet acte d'humilité, il descendit en toute hâte et 
vint se placer aux côtés du Bienheureux, en lui disant : « Je 
viens m' asseoir à votre table, puisque vous n'avez pas voulu 
vous asseoir à la mienne. » Et le prince et le Saint, humble- 
ment assis par terre, prirent leur repas ensemble dans la 
compagnie des pauvres (1). 

L'amitié des saints porte bonheur. Avec François, les 
bénédictions du Ciel étaient descendues sur la maison de 
son hôte. Il les y affermit par une prédiction qui toucha 
tous les cœurs. Le prince avait un fils encore à la mamelle ; 
il pria le Saint, en qui il avait toute confiance, de le bénir. 
Françoit bénit donc le petit Jean (c'était le nom de l'en- 
fant prédestiné) ; puis il le prit dans ses bras, le couvrit de 
caresses, et attachant sur lui des regards pleins de bien- 
veillance, il s'écria : « Cet enfant ne sera pas un reli- 
gieux de notre Ordre, mais il en sera le protecteur. On 

(1) Waddisg, t. II, p. 36. 



CHAPITllE XIV. 225 

ne le comptera pas parmi les fidèles, mais on le reconnaîtra 
pour le Pasteur universel, et nos Frères auront une grande 
joie de vivre à l'ombre de son autorité (1). » Quarante ans 
après, Jean des Ursins était nommé Cardinal protecteur 
des Franciscains, et en 1277 il montait sur le trône ponti- 
fical sous le nom de Nicolas III. Ainsi se vérifiait la pro- 
phétie de notre Saint. 

Avaiit de se séparer du séraphique Père, le patricien 
désira être agrégé à sa famille spirituelle, et il fut tout 
heureux de recevoir de ses mains l'habit de la pénitence. 
Son entrée dans le Tiers Ordre fit éclat, et son exemple 
attira dans la nouvelle milice plusieurs personnages de dis- 
tinction. 

De Rome, notre Bienheureux se rendit à Subiaco pour 
visiter la grotte de saint Benoît, l'illustre fondateur de la vie 
monastique en Occident. On lui montra le buisson épineux 
où six siècles auparavant, dans une tentation semblable à la 
sienne, saint Benoît avait amorti le feu de la concupiscence. 
Considérant ces ronces comme une sorte délit triomphal où 
avait brillé l'héroïsme de ce vaillant athlète, il les baisa avec 
respect, y greffa deux rosiers, fit dessus le signe de la croix, 
et sous sa bénédiction les rosiers fleurirent. Ils subsistent 
encore de nos jours comme un témoin séculaire de la vertu 
des deux grands Patriarches et un symbole vivant de la 
défaite du démon. Des fresques antiques et un autel dû à la 
munificence de Grégoire IX rappellent le passage du thau- 
maturge ombrien. 

De là, il vint à Gaëte, port antique et célèbre où le Ciel 
autorisa sa mission par un prodige dont toute la ville fut 
témoin. Il prêchait sur la place publique, en face de la 
rade, et la foule s'attroupait autour de lui pour toucher 

(1) Wadding, t. II, p. 35. — Cf. Beunaud de Besse, ms. de Turin. 

15 



226 SAINT FRANÇOIS D'ASSISE. 

le bord de ses vêtements ; pour échapper à ces démonstra- 
tions importmies, il monta seul dans une barque. Au grand 
étonnement de tous, la barque s'éloigna du rivage sans 
effort de rame, et comme si elle eût obéi au bras d'un pilote 
invisible; puis elle s'arrêta, immobile au milieu des flots, 
pour permettre au Saint de continuer sa prédication, et 
revint d'elle-même au rivage après la fin du discours, pen- 
dant que la multitude s'écoulait lentement, silencieuse et 
ravie d'admiration. Qui donc, s'écrie à ce propos saint 
Bonaventure (1), aurait eu le cœur assez dur, assez obstiné 
dans l'erreur, pour mépriser la doctrine d'un apôtre auquel 
les créatures inanimées elles-mêmes se soumettaient avec 
empressement, comme si elles eussent eu conscience de 
son autorité ? 

Gaëte, Capoue, Amalfi, Montella, Lecce, Bari et vingt 
autres villes remuées par sa parole voulurent avoir des mai- 
sons de son Ordre. Il fit droit à leur requête, persuadé 
qu'étendre sa famille spirituelle, c'était travailler de la 
manière la plus efficace à la réforme des mœurs et au relè- 
vement de sa patrie. 

Son excursion dans le midi de la Péninsule avait duré de 
six à sept mois. Dans le même temps, les ouvriers évan- 
géliques qu'il avait dispersés sur la surface de l'Europe 
fécondaient de leurs travaux et de leurs sueurs le sol qui 
leur avait été assigné. C'était Jean Parent en Espagne, 
Zacharie en Portugal, Césaire en Allemagne, Pacifique, 
Bonelli et Christophe en France, Ange de Pise en Angle- 
terre. A la fin du volume, nous jetterons un coup d'œil sur 
l'ensemble de leurs succès ; mais il nous semble à propos, 
auparavant, d'étudier la Règle qui fut le principe et l'âme 
de leur apostolat. 

(1) G. XII 



CHAPITRE XIV. 227 

La Règle primitive, celle qui avait été approuvée de vive 
voix par Innocent III, n'était qu'une ébauche, et François 
sentait la nécessité de la retoucber et de la compléter, pour 
fermer la porte aux innovations. Une apparition de Notre- 
Seigneur le décida à exécuter le projet qu'il méditait depuis 
son retour d'Orient. Quoique les anciens chroniqueurs ne 
nous aient indiqué ni l'endroit ni la date précise de cette 
apparition, l'enchaînement des faits et les habitudes du 
Saint nous portent à croire qu'elle eut lieu fort peu de temps 
après son retour de Bari (1223), et dans son sanctuaire de 
prédilection, Notre-Dame des Anges. 

Une nuit qu'il était resté en oraison, il se sentit enveloppé 
d'une lumière surnaturelle. La terre lui semblait couverte 
de miettes de pain qu'il recueillait respectueusement pour 
les distribuer à ses Frères affamés, et les miettes étaient si 
petites qu'il tremblait de les voir s'échapper de ses doigts. 
Une voix céleste, le rassurant, lui dit : « François, réunis 
toutes ces parcelles en une seule hostie, et donnes-en à tous 
ceux qui voudront en manger. » Il le fit, et tous ceux qui 
recevaient leur part avec mépris ou sans dévotion lui 
paraissaient infectés de la lèpre. Le matin, il raconta sa 
vision en présence de ses Frères, mais en s'affligeant avec 
eux de n'en pas comprendre le sens mystérieux. Le jour sui- 
vant, pendant qu'il priait, la même voix céleste retentit au 
fond de son âme et lui dit : « François, les miettes de pain 
représentent les paroles de l'Évangile; l'hostie figure la 
Règle, et la lèpre l'iniquité (1). » Il comprit que c'était là la 
réponse du ciel à ses projets, et prenant avec lui deux de ses 
Frères, Léon et Bonizio, il se retira dans le creux d'un 
rocher à Fonte Colombo, près de Rieti, pour mieux se pré- 
parer dans lejeîme et la prière à la nouvelle rédaction de sa 

(1) Th. de Gela.no, Vita secunda, p. 3, c. cxxxvi. 



228 SAINT FRANÇOIS D'ASSISE. 

Règle. Illafitécrire parmi de ses compagnons; puis il revint 
au bout de quarante jours la communiquer au Frère Élie, 
vicaire général, afin que celui-ci la méditât et la fît observer. 
Élie la trouva trop austère, et au lieu de la rendre, il feignit 
de l'avoir perdue par mégarde; il espérait la supprimer. 

Mais que pouvaient l'incurie ou la malice contre un homme 
convaincu, comme François, du côté providentiel de sa 
mission? Il retourna à son rocher et y dicta une seconde fois 
sa Règle. Néanmoins, la conduite d'Élie et la prévision des 
défections de l'avenir le rendaient anxieux. Ce fut, croyons- 
nous, à cette occasion que le Fils de Dieu lui adressa les 
reproches mêlés de consolations dont parle Thomas de 
Celano dans sa Seconde Légende (1) : « Fils de Bernardorie, 
pourquoi te troubler ainsi? Ne sais-tu pas que je suis avant 
toi le fondateur et le père de l'institut dont je t'ai établi le 
pasteur? C'est moi qui l'ai posé dans l'Eglise ; c'est moi qui 
l'y maintiendrai. Les tempêtes le secoueront, mais sans 
jamais pouvoir l'abattre. » 

En descendant de la montagne, le législateur de la famille 
franciscaine avait, comme un autre Moïse, le visage rayon- 
nant de lumière. 

Il revint à Notre-Dame des Anges, pour proposer la nou- 
velle Règle à ses Frères. « Je n'y ai rien mis de moi-même, 
leur déclara-t-il , je n'ai fait que l'écrire sous la dictée du 
Très-Haut (2). » Ils l'acceptèrent d'une voix unanime, et le 
pape Honorius III, l'ayant reçue des mains de François, 
l'approuva solennellement par une bulle datée de Rome, le 
29 novembre 1223 (3). « C'est l'Esprit-Saint qui l'a inspirée 
au Bienheureux P>ançois v , écrit le pape Nicolas III dans 
son exposition de la Règle. 

(1) Yita secunda, p. 3, c. xciv. 

(2) BONAV., c. IV. — Cf. Très socii, c. xvi : « Christo docente. » 

(3) Bulle Solet annuere. 



CHAPITRE XIV. 



229 



Il ressort de ces témoignages autorisés que là Règle séra- 
phique est le fruit d'une inspiration céleste. Le saint 
Patriarche renouvelle dans son testament la même affirma- 
tion, et plus d'une fois, dans les trois dernières années de sa 
vie, il se servit de ce motif pour exhorter ses frères à porter 
avec amour les chaînes volontaires qu'ils s'étaient impo- 
sées. « Béni soit le Religieux qui s'attache à la Règle! Car 
elle est le livre de vie, l'espérance du salut, la moelle de 




Le 23ape llonoriiis III approuve la llèyle tles Frères Mineurs. (D'après Giotto.) 

l'Évangile, le chemin de la perfection, la clef du Paradis, le 
nœud d'une alliance éternelle. Portez-la dans votre cœur, 
tous, toujours, partout; et que rien ne vous en sépare, ni la 
vie ni la mort. Alors, elle sera le plus éloquent mémorial 
des serments de votre profession et votre meilleure conso- 
lation dans les jours mauvais de votre pèlerinage ter- 
restre (1). » En prononçant ces paroles, ajoute le bio- 
graphe qui les rapporte, le ton du Patriarche d'Assise était 
si pénétrant, qu'un de ses auditeurs, un simple Frère lai, 

(1) Tu. DE Gelano, Vita secunda, p. 3, c. cxxxv. 



230 SAINT FRANÇOIS D'ASSISE. 

martyrisé plus tard par les Sarrasins, voulut mourir la 
Règle à la main (1). 

Sublimes sont donc les origines de la Règle ; sublimes en 
sont aussi les prescriptions, qui tendent à la consommation 
de la charité par la consommation du sacrifice. 

Ce fut probablement dans le courant de la même année 
1223, et peu de temps après la vision des miettes de 
pain, que le vénérable fondateur obtint du Saint-Siège 
qu'un Cardinal protecteur fût chargé des intérêts spirituels 
de l'Ordre; voici à quelle occasion et dans quelles circon- 
stances. A la mort de l'illustre cardinalJean de Saint-Paul, 
les demi-chrétiens, comme il s'en trouve à toutes les épo- 
ques de l'histoire, ceux qu'effrayait la hardiesse du réforma- 
teur, relevèrent la tête, et, à force d'intrigues, ils réussirent 
à gagner à leur cause plusieurs membres de la cour ponti- 
ficale. A la nouvelle de ces trames et de ces sourdes machi- 
nations, si opposées à son caractère franc et loyal, le fils de 
Bernardone éprouva une peine profonde, et il ne put s'em- 
pêcher d'exhaler ses plaintes amoureuses devant le divin 
Maître. Celui-ci daigna le consoler en lui indiquant, à la 
fois, dans un songe mystérieux, le mal et le remède. Fran- 
çois vit durant son sommeil une poule noire, aux pattes de 
colombe (2), qui s'efforçait vainement de rassembler sous 
ses ailes ses nombreux poussins pour les défendre de l'at- 
taque d'un milan; elle ne pouvait les couvrir tous, et plu- 
sieurs, prenant leurs ébats autour d'elle, étaient en grand 
péril. Mais voici qu'au-dessus d'elle vint se placer un autre 
grand oiseau qui protégeait, de ses larges ailes, la poule et 
les poussins. A son réveil, le Saint pria naïvement Notre-Sei- 
gneur de lui expliquer le sens de cette allégorie, et il apprit 
que la poule aux pattes de colombe et les poussins représen- 

(1) ïii. DE Celano, Vila secunda. 
f2) Très socii, c. xvi. 



CIIAPITRE XIV. 231 

taient sa propre personne et ses enfants, et que l'oiseau aux 
larges ailes figurait un Cardinal protecteur, qu'il fallait de- 
mander au Souverain Pontife. Aussitôt, il appela ses Frères, 
leur, fit part de sa vision, et termina son entretien par ces 
mémorables paroles ; « L'Église romaine est la mère de 
toutes les Églises et la souveraine de tous les Ordres reli- 
gieux. C'est à elle que je m'adresserai pour lui recomman- 
der mes Frères, afin qu'elle réprime par son autorité ceux 
qui voudraient leur nuire, et qu'elle assure aux enfants de 
Dieu une entière et pleine liberté. Quand ils seront sous 
sa protection, personne n'osera plus les inquiéter, et les 
artisans d'iniquité ne ravageront plus impunément la vigne 
du Seigneur. La sainte Église romaine aura du zèle pour 
maintenir la gloire de notre pauvreté ; elle ne souffrira pas 
non plus que la vertu d'humilité soit obscurcie par les 
nuages de l'orgueil. Elle saura punir avec rigueur les fauteurs 
de dissensions, et rendra indissolubles parmi nous les liens 
de la paijc et de la charité. Sous ses yeux, l'observance de 
la Règle fleurira toujours, et nos pratiques religieuses 
répandront partout une odeur de vie (1). » 

Quelque temps après, François partit pour Rome. Il y 
retrouva le cardinal Hugolin, évêque d'Ostie, qui arrivait 
de sa légation de Florence, et s'ouvrit à lui de son dessein 
de le demander au Saint-Père pour Cardinal protecteur de 
son Ordre. Le Cardinal, après avoir favorablement accueilli 
sa proposition, l'exhorta vivement à prêcher devant le Pape 
et le Sacré Collège, pour se concilier leurs bonnes grâces. 
François, malgré son humilité, dut céder aux instances 
réitérées du prélat. Bref, aidé de ses conseils, il composa un 
beau discours et mit de longues heures à le fixer dans sa 
mémoire. Mais, peu habitué à ce genre d'éloquence étudiée, 

(1) Tu. DE Celano, Vita secunda, p. 1, c. xvi. 



232 SAINT. FRAîNÇOIS D'ASSISE. 

— lions dit saint Bonaventure (1), — - au moment d'ouvrir la 
bouche, il oublia tout. Cette mésaventure, qu'il avoua ingé- 
nument, fut loin d'avoir un mauvais résultat. Elle servit 
plutôt à mettre en lumière les mille ressources cachées de 
son esprit; car le discours prépai^é, idont le texte ne nous 
est pas parvenu, fut avantageusement remplacé par une de 
ces chaudes improvisations dont il avait le secret et dont 
une chronique contemporaine nous livre les détails, inédits 
jusqu'à ce jour (2). 

« Mettant toute sa confiance en Dieu )>, il ouvrit au 
hasard le psautier qu'il tenait à la main. Ses yeux tombèrent 
sur ce verset du psaume XLiii : « Le sujet de ma douleur est 
sans cesse devant mes yeux, et ma face est couverte de con- 
fusion. " Il commenta ce verset, et le mettant dans la bouche 
de l'Eglise, il fit entendre les plaintes amères de cette nou- 
velle Eve, épouse mystique du Christ et vraie mère des 
vivants, dont la beauté intrinsèque est impérissable, sans 
tache et sans déclin, « mais dont le visage est comme voilé 
et souillé par les scandales de ses enfants, surtout quand 
ces souillures lui viennent de ceux-là mêmes qui sont le 
plus rigoureusement astreints par état à donner le bon 
exemple » . L'orateur touchait ainsi aux questions qui trou- 
blaient ces malheureux temps : les débordements des clercs, 
et le parti qu'en tiraient perfidement les hérétiques, Vaudois 
et Albigeois, pour nier les pouvoirs spirituels du. sacerdoce 
et saper l'autorité temporelle des évêques. Le sujet était 
délicat: François le traita en termes si mesurés et en même 
temps avec tant d'énergie, qu'on sentait battre, sous les 



(1) BONAV., C. XII. 

(2) Anecdotes hislorùjues cI'Etienke de BounBOs, p. 215 et 407. Le récit de 
S. Bonaventure était incomplet. Etienne de Bourbon est le premier et le seul qui 
ait donné à la présente anecdote sa véritable physionomie, en nous indiquant le 
sujet traité parle Patriarche d'Assise. 



CHAPITRE XrV. 233 

hardiesses de son langage, le cœur d'un fils défendant Tlion- 
nenr de sa mère odieusement outragée- (1). « Subjugués par 
les accents de cette éloquence inspirée, reprend saint Bona- 
venture, ses nobles auditeurs reconnurent que ce n'était pas 
lui qui parlait, mais que c'était l'Esprit-Saint qui parlait par 
sa boucbe (2). » 

Le discours achevé, François présenta sa i^equête au Pon- 
tife. Honorius, à qui la personne du réformateur ombrien, 
sa mission providentielle et la vision d'Innocent III étaient 
connues, agréa sans difficulté une supplique qui était 
pourtant une innovation, et il confia à l'évêque d'Ostie le 
titre et la charge de Cardinal protecteur de l'Ordre des 
Frères Mineurs. 

Le cardinal Hugolin ! Arrêtons-nous un instant devant la 
majestueuse figure de ce vieillard. Il nous appartient à 
toutes sortes de titres, puisque, au dire de Bernard de 
Besse (3), il fut non seulement l'ami personnel du Patriarche 
d'Assise, mais son conseiller intime dans la rédaction de 
ses trois Règles, et l'intrépide défenseur de ses Frères 
contre des attaques sans cesse renouvelées. 

De l'illustre maison .des comtes de Segni, neveu d'Inno- 
cent III, homme d'un grand esprit et d'un cœur plus grand 
encore, docteur, jurisconsulte, orateur, il réunissait en sa 
personne toutes les qualités qui font les grands hommes. 
Dès qu'il eut pénétré dans l'âme de François, il s'établit 
entre eux une amitié qui, pour le charme des relations 
comme pour la distance des rangs, rappelle celle de David 
et de Jonathas (4). Cette intimité tournait au profit spirituel 
de l'un et de l'autre. Le Cardinal attestait lui-même que 



(1) Aneccl. liistoi:, p. 215 et 409. 

(2) BONAV., C. XII. 

(3) De laudibus B. Fr. 

(4) Tu. DE Celano, Vita prima, p. 1, c. xxvii. 



234 SAINT FRANÇOIS D'ASSISE. 

quelles que fussent ses angoisses d'esprit, elles se dissipaient 
en présence du Saint. Aussi l'aimait-il tendrement, et quand 
ils étaient seuls, c'était le prince de l'Église qui baisait la 
main du diacre (1). Etendant son estime à tous les enfants 
du saint Patriarche, il se plaisait non seulement à favoriser 
l'extension de leur institut, mais encore à visiter leurs 
monastères et à partager leur vie pénitente. « Que de fois 
ne l'a-t-on pas vu déposer les insignes de sa dignité, revêtir 
la robe de bure des Religieux, suivre pieds nus leurs exer- 
cices et leur parler de Dieu! De son côté, François avait 
pour lui tous les sentiments de la plus vive piété filiale, 
et il se reposait sur lui de toutes les sollicitudes tempo- 
relles, comme l'enfant se repose en paix sur le sein de sa 
mère (2). » 

Ayant su par révélation que ce vieillard monterait un 
jour sur le trône pontifical, il redoubla de respect et de 
vénération pour lui. En tête des lettres qu'il lui écrivait, il 
avait coutume de mettre : « Au seigneur Hugolin, chef et 
pasteur suprême de l'Église universelle (3). « Un jour, 
averti que le Cardinal venait lui rendre visite, il s'enfuit et 
se cacha dans l'épaisseur d'un bois. Le prélat, ayant fini 
par découvrir le lieu de sa retraite, lui demanda d'un ton 
bienveillant la raison de sa fuite. « Mon Seigneur et mon 
Père, répondit l'humble François, dès que j'ai su que Votre 
Seigneurie voulait m'honorer de sa visite, moi le plus pauvre 
et le dernier des hommes, j'ai été couvert de confusion, et 
me suis trouvé absolument indigne de recevoir un tel hon- 
neur. >' 

Nous ne f)ouvons résister au plaisir de reproduire une 
autre anecdote, puisée dans la seconde légende de Thomas 

(1) Th. de Gelano, Vita prima, p. 2, c. v; et Très soc'ii, c. xvi. 

(2) Th. de Gelano, Vita prima, p. 2, c. v. 

(3) Id., ib., p. 2, c. V. 



CHAPITRE XIV. 235 

de Gelano (1); elle nous initie mieux que la précédente au 
secret des relations intimes qui unissaient ces deux person- 
nages, et met dans tout leur jour la simplicité de l'un et la 
bonté de l'autre. Le Saint, invité à dîner chez le Cardinal, 
alla auparavant mendier par la ville quelques morceaux de 
pain; puis, les déposant sur la table de son hôte, il les dis- 
tribua aux convives, prélats, chevaliers et chapelains. Après 
le repas, le Cardinal le prit à part et l'embrassa en lui 
adressant cet aimable reproche : « Pourquoi me faire cet 
affront de recourir à l'aumône, lorsque ma maison est à toi 
et à tes Frères? — Seigneur, répliqua François avec un 
doux sourire, je ne vous ai fait ni honte ni outrage; je vous 
ai fait, au contraire, un grand honneur en invitant chez 
vous Notre-Seigneur Jésus-Christ, le parfait amant de la 
pauvreté volontaire. Voilà pourquoi il m'est plus doux de 
m' asseoir à une table pauvre, couverte des dons de la cha- 
rité, qu'à une table somptueuse, chargée de viandes et de 
mets succulents. — Va, mon fils, s'écria le Cardinal, et fais 
ce qui te semble bon; car je vois que le Seigneur est avec 
toi. » Ces quelques faits que nous avons groupés autour de 
la figure dn vénérable Cardinal, suffisent à montrer combien 
il était digne de la charge qu'il avait acceptée. 

La nomination officielle d'un Cardinal protecteur et l'ap- 
probation solennelle de la Règle par le Saint-Siège donnaient 
assurément un grand prestige aux constitutions francis- 
caines; et pourtant, là n'est pas le secret de leur vitalité. 
Par elles-mêmes, elles sont une lettre morte, une statue 
muette. C'est en dehors d'elles, c'est dans l'esprit de l'Ordre 
qu'il faut chercher le principe qui les vivifie et la sève vigou- 
reuse qui les rend immortelles. Quelle est cette force 
latente? Toutes les voix de l'histoire répondent : C'est l'es- 

(1) Vita secunda, p. 3, v.. xix. 



236 SAINT FRANÇOIS D'ASSISE. 

prit de pauvreté. Inutile d'insister sur une vérité connue de 
tous. Mieux vaut nous demander : « Pourquoi le Patriarche 
d'Assise a-t-il voulu et imposé cette expropriation radicale? 
Pourquoi a-t-il éliminé la richesse qui est une force et un 
élément de succès, et choisi la pauvreté comme instrument 
de réforme sociale? » Pourquoi? Lui-même nous fournit la 
réponse dans une de ces répliques qui sont une des formes 
de son génie. 

C'était en 1222, lors de son excursion à travers le royaume 
de Naples. Son compagnon de voyage (le ton du récit nous 
incline à croire que c'était l'angélique Frère Léon) aperçut, 
au bord de la route, en vue des remparts de Bari, une 
bourse énorme qui paraissait gonflée d'or et d'argent. Son 
premier mouvement fut de solliciter du sérapliique Père la 
permission de la ramasser pour la reverser dans le sein des 
pauvres. François refusa. Nouvelle instance du Frère Léon, 
qui finit par obtenir l'autorisation désirée. Alors, il retourne 
joyeux sur ses pasj mais quand il se baisse pour saisir la 
bourse, il en sort un serpent monstrueux. Et le Saint, se 
tournant vers son compagnon, lui dit avec douceur : « Sou- 
viens-toi que, pour le religieux, l'argent et le démon, c'est 
tout un (1). » . 

- Ce mot du vénérable fondateur nous livre le secret de sa 
pensée. A ses yeux, l'or et le démon ne font qu'un ; c'est par 
le mirage des richesses que Satan demeure le prince de ce 
monde. Détrôner l'un, c'est donc détruire l'empire de l'au- 
tre. Et la pauvreté parfaite sera, dans la main du moine- 
apôtre, le levier qui renversera les autels du Veau d'or. 
Voilà pourquoi le fils de Bernardone répète sous toutes les 
formes à ses disciples : « Armez-vous de ce leAder ; déployez 
ce drapeau, et vous vaincrez. » 

(1) BoSAV., c. XII; et Celako, Vita secunda, p. 3, c. xiv. 



CHAPITRE XIV. 237 

Idée juste, puisqu'elle n'est que l'application littérale du 
Beati pauperes spiritu : Bienheureux les pauvres d'esprit! 
Idée féconde, mais qui, comme toutes les vérités de l'Évan- 
gile, a rencontré et rencontrera toujours de nombreux contra- 
dicteurs, même parmi les catholiques ! Ceux-ci reprochent, 
en effet, à saint François la bassesse du moyen employé. 
« La pauvreté, nous crient-ils, blesse les droits de la dignité 
humaine; le progrès moderne l'a condamnée. » 

Le progrès moderne l'a condamnée, mais le Fils de Dieu 
l'a absoute! Bien plus, en l'épousant, il l'a ennoblie, déifiée, 
comme il a déifié le travail et la douleur en les touchant. 
Répudierez-vous donc l'Évangile? Renierez-vous donc le 
Christ? 

Il est faux, d'ailleurs, que la pauvreté blesse les droits de 
la dignité humaine. Il serait plus juste de dire qu'elle les 
rétablit et qu'elle est une grandeur. Elle est une grandeur, 
parce qu'en étouffant l'orgueil et la cupidité, elle coupe le 
mal par la racine. Elle est une grandeur, parce qu'en resti- 
tuant à l'âme son empire sur les sens, elle ouvre la porte à 
tous les sublimes dévouements, comme la richesse et la soif 
des jouissances l'ouvrent à toutes les décadences, à toutes 
les trahisons. Elle est même un bienfait social, un bienfait 
immense, d'autant plus appréciable de nos jours que l'anta- 
gonisme des classes nous menace d'effroyables bouleverse- 
ments. « En se faisant pauvre, écrit à ce sujet Frédéric 
Ozanam, le Pénitent d'Assise honorait la pauvreté, c'est- 
à-dire la plus méprisée et la plus générale des conditions 
humaines. Il montrait qu'on y pouvait trouver la paix, la 
dignité, le bonheur. Il calmait ainsi les ressentiments des 
classes indigentes; il les réconciliait avec les riches, qu'elles 
apprenaient à ne plus envier. Il apaisait cette vieille guerre 
de ceux qui ne possèdent pas contre ceux qui possèdent, et 
raffermissait les liens déjà relâchés de la société chrétienne. 



238 SAINT FRANÇOIS D'ASSISE. 

en sorte qu'il n'y eut pas de politique plus profonde que 
celle de cet insensé, et qu'il avait eu raison de prédire qu'il 
deviendrait un grand prince (1). « 

Et cette politique profonde, ses disciples la continuent à 
travers les âges. Sortis pour la plupart des rangs du peuple, 
ils retournent au peuple pour l'instruire et le consoler. Et 
après les avoir entendus, la haine s'éteint dans le cœur du 
pauvre; la bêche paraît plus légère sur l'épaule du labou- 
reur ; l'espérance rayonne dans l'échoppe de l'ouvrier, et le 
mineur, privé d'air et de soleil, ne maudit plus sa destinée. 
Peut-on, équitablement, après de pareilles victoires sur les 
passions les plus violentes, reprocher à ces hommes aposto- 
liques le drapeau qu'ils ont déployé, l'arme dont ils se sont 
servis, leur robe de bure et leurs pieds nus, c'est-à-dire 
leurs sacrifices et leur désintéressement? 

Mais ces semeurs de la bonne nouvelle, qui les soutiendra 
à leur tour dans les moments de défaillance? Qui les empê- 
chera de tomber, désespérés, sur le sillon qu'ils creusent? 
Toujours les hautes pensées de la foi. Ils regardent leur cru- 
cifix, et retournent à leur tâche, alertes et vaillants, parce 
que pour eux, comme pour leur fondateur, le poids de la 
souffrance disparaît sous les joies de l'amour. 

Quelquefois aussi la Providence intervient directement, 
et l'on est obligé de convenir qu'elle s'est montrée particu- 
lièrement prodigue à l'endroit des Frères Mineurs. Parmi 
tant de faveurs singulières, qu'il nous soit permis d'en choisir 
une, de préférence à toutes les autres, parce qu'elle met en 
scène les deux héros de la pauvreté, le fils des Gusman à 
côté du fils des Moriconi, Un auteur espagnol, disciple et 
contemporain de saint Dominique, nous a transmis cet épi- 
sode, dont son témoignage nous garantit suffisamment l'au- 

(1) Les Poètes franciscains, p. 67. 



CHAPITRE XIV. 239 

thenticité. « Notre vénérable fondateur, écrit-il, alla visiter 
saint François dans le couvent d'une petite ville, où celui-ci 
tenait un Chapitre de son Ordre. On sait de quelle étroite 
amitié ils s'étaient liés à Rome, et combien ils aimaient à 
discourir ensemble des choses de Dieu. Quand vint l'heure 
du repas, on avertit les deux Saints que les provisions fai- 
saient complètement défaut pour le dîner. L'un et l'autre se 
mirent alors en prière; et se sentant exaucés, ils firent 
assembler les Religieux au réfectoire. On récita les prières 
de la bénédiction avec plus de joie encore que de coutume, 
et l'on s'assit. Dominique et François étaient aux places 
d'honneur, les yeux levés vers le ciel. Quelques minutes 
s'étaient à peine écoulées, qu'on vit entrer dans la salle 
vingt jeunes hommes, qui déposèrent sur la table les pains 
renfermés dans les plis de leurs manteaux, puis s'en retour- 
nèrent deux à deux avec une modestie qui n'avait d'égale 
que leur beauté. Après le repas, notre Père saint Dominique 
fit une chaleureuse exhortation aux Frères, pour les inviter 
à ne jamais se défier de la Providence, même dans la plus 
extrême pénurie (1). » 

Les annales séraphiques sont émaillées de traits analo- 
gues, plus nombreux à l'origine, toujours gracieux comme 
un sourire du ciel. Ainsi le Verbe incarné prenait à cœur le 
succès d'une institution née d'un décret de sa miséricorde ; 
les secours se multipliaient, proportionnés aux difficultés 
de la Règle ; les conseils de l'Evangile refleurissaient en face 
d'un monde étonné, et le Patriarche d'Assise, aidé de ses 
Frères, parvenait, à force de persévérance, « à relever les 
ruines de la maison de Dieu » . 

L'œuvre est grandiose; admirons donc aussi l'homme 



(1) Apud Waddinc, t. II, p. 290. — Cf. Ed. Voigt, Biogr. de saint François 
d'Assise. Tubingue, 1810. 



240 



SAINT FRANÇOIS D'ASSISE. 



providentiel qui en fut l'artisan et y dépensa toutes ses 
forces. 

Déjà, en effet, à peine k^é de quarante-deux ans, il 
touche au terme de sa carrière apostolique, si courte aux 
yeux des hommes, si remplie devant Dieu, si féconde en 
résultats pour la société. Bientôt nous raconterons les 
merveilles étonnantes qui la couronnent; mais auparavant, 
donnons-nous la consolation de contempler une dernière 
fois les traits de ce visage irradié par l'amour. 




La cortlclièrc de saint Françiiis entourant le cygne percé d'une flèclic. 

(Cliàteau de Blois.) 



CHAPITRE XV 

PORTRAIT MORAL DE SAINT FRANÇOIS. 



Raphaël a saisi et bien rendu, dans sa Madone de Foligno, 
le caractère mystique du thaumaturge ombrien. Évidem- 
ment, il s'est inspiré du portrait tracé par Thomas de Celano. 
Le Saint est à genoux, les yeux fixés sur la Reine des anges; 
encore robuste, dans la maturité de l'âge. Sa barbe, noire et 
peu fournie, est inculte et négligée. Ses traits émaciés 
portent l'empreinte de la lutte; mais le visage n'est pas de 
ceux qui ont été troublés par les violentes passions. Il reflète 
la bonté et la beauté : la bonté d'un cœur resté toujours 
jeune, toujours enthousiaste du bien, et la beauté d'une âme 
tout angélique. C'est dire que dans cette âme brillent à un 
degré héroïque les dons les plus éminents, toutes les splen- 
deurs de l'ordre moral, toutes les vertus monastiques : 
l'oubli de soi, la pureté, l'esprit de dévouement et, par-dessus 
tout, l'amour de Dieu, ce principe vivifiant d'où naissent tous 
les héroismes sublimes, comme le ruisseau naît de sa source 
et le rayon de son foyer.. 

Cette charité divine était si brûlante, si généreuse en 
saint François, que l'Eglise et les peuples l'ont surnommé 
« le Séraphin d'Assise » . Il était tout pénétré de Dieu, et, 
pour ainsi parler, tout transformé en Dieu, comme le char- 
bon qui, jeté dans le feu, en prend l'éclat et la chaleur. 
C'est cette ardente charité qui le poussait à courir au-devant 

16 



242 SAINT FRANÇOIS D'ASSISE. 

des humiliations, à s'anéantir totalement, à rechercher la 
palme du martyre. C'est elle qui le jetait dans de longues et 
profondes extases, ou qui lui arrachait des accents enflammés 
comme ceux-ci : « Je voudrais vous aimer, Seigneur très 
saint ! je voudrais vous aimer. Dieu d'amour, je vous ai 
consacré mon cœur et mon corps ! Si je pouvais connaître 
le moyen de faire davantage pour vous, je le ferais, et je le 
souhaite ardemment. » 

Par suite de ces séraphiques ardeurs, sa vie était comme 
un prélude de cette vie du ciel où toute l'occupation est 
d'aimer. « Elle montait tout entière et perpétuellement vers 
Dieu, comme un sacrifice d'agréable odeur. Il immolait son 
corps par les rigueurs de la pénitence, et son âme par l'ar- 
deur de ses désirs (1). » Il disait à ses disciples : « Soyez 
tout amour; faites tout par amour. » La charité divine 
débordait de son cœur; et de là tant d'actes héroïques, tant 
de paroles sublimes qui émaillent chaque page de cette his- 
toire. On s'étonnait un jour qu'avec un habit aussi pauvre 
que le sien, il pût supporter les rigueurs de l'hiver. « Ah ! 
s'écria-t-il, si nous sentions au dedans de nous le feu du 
divin amour, nous n'aurions pas de peine à supporter le froid 
du dehors (2). » Dans une de ses extases, il entendit Notre- 
Seigneur lui dire : « François, ton amour va jusqu'à l'excès, 
jusqu'à la folie ! Tu attends de moi l'impossible, et jamais 
personne ne m'a demandé les mêmes faveurs que toi. — 
Seigneur, mon doux amour! répliqua François, est-ce à 
vous de me reprocher cet excès, à vous qui, pour l'amour 
de moi, vous êtes anéanti, avez pris une chair semblable à 
la nôtre et nous avez aimés jusqu'à la folie de la Croix ? » 

Il cherchait et poursuivait sans cesse son Bien-Aimé, dont 
il n'était d'ailleurs séparé que par la muraille de son corps; 

(i) BONAV., 6. IX. 

(2) Id., c. V. 



CHAPITRE XV. 



243 



et lui-même avouait à ses compa^ffnons qu'il le trouvait par- 
tout. Remontant à l'origine première des choses, et consi- 




Saint Fi'ançois, par les trois vœux de religion, triomphe des trois {jrandes forces 
du mal. (Tableau du quinzième siècle.) 

dérant toutes les créatures, même celles qui ne sont pas 
douées de raison, comme sorties du sein paternel de Dieu, 



244 SAINT FRANÇOIS D'ASSISE. 

il les appelait avec une tendresse ineffable « ses frères et ses 
sœurs «. Les impies ne voient Dieu nulle part; François le 
voyait partout. Toute la nature était pour lui comme un 
clavecin harmonieux dont toutes les notes exaltaient ses 
perfections. Il y mêlait sa voix. Héritier de l'esprit des pro- 
phètes, il invitait tous les êtres de la création, « les fleuves 
et les mers, les montagnes et les vallées, les prairies et les 
troupeaux de bêtes, les hommes et les anges, à louer leur 
Créateur; et il demeurait au centre de ce concert, comme 
un musicien inspiré, résumant dans son âme toutes les 
sublimes harmonies, pour les faire remonter en adorations 
brûlantes vers Celui qui est la source de toute harmonie et 
de toute beauté (1) » • 

Vers la fin de l'année 1224, s'étant retiré à cause de ses 
infirmités dans une pauvre petite cellule, voisine du monas- 
tère de Saint-Damien, il eut une extase où l'esprit de Dieu 
l'assura de son salut éternel, et à la suite de laquelle il 
ordonna à Frère Léonard, son compatriote, de prendre la 
plume et d'écrire. Alors, il entonna le Cantique du Soleil, 
sublime improvisation que « le roi des vers 75 , Frère Paci- 
fique, réduisit peut-être à un rythme plus harmonieux ou 
plus exact, et que Thomas de Celano mentionne sous le titre 
d'Hymne de la création (2). En voici la traduction : 

CANTIQUE DU SOLEIL 

« A VOUS, très haut Seigneur, appartient la louange, la gloire, 
'honneur et toute bénédiction. On no les doit qu'à vous, et nul 
homme n'est digne de vous nommer. 

« Loué soit Dieu mon Seigneur par toutes les créatures, et spécia- 
lement par mon frère le soleil, qui nous dispense la lumière et le 
jour! Il est beau et i-ayonnant d'une vive splendeur, et il rend témoi- 
gnage de vous, ô mon Dieu. 

(1) Tu. DE Celano, Vita prima, p. 1, c. xxix. 

(2) Tu. DE CEh,\.J<iO, Vita secunda, Tp. 3, c. cxxxviii. 



CHAPITRE XV. 245 

u Loué soit mon Seigneur par notre sœur la lune et par les "étoiles, 
qu'il a suspendues, comme autant de lampes claires et brillantes, à 
la voûte du firmament. 

« Loué soit mon Seigneur par notre frère le vent, par l'air, par le 
temps calme et par les tempêtes, et par toutes les saisons par lesquelles, 
ô mon Dieu, vous entretenez la vie de vos créatures. 

« Loué soit mon Seigneur par notre sœur l'eau, qui est très utile, 
humble, précieuse et chaste. 

a Loué soit mon Seigneur par notre frère le feu, qui dissipe les 
ombres de la nuit, et qui est beau, agréable à voir, indomptable et 
puissant. 

« Loué soit mon Seigneur par notre mère la terre, qui nous porte, 
nous nourrit, et produit une si belle variété d'herbes, de fleurs et de 
fruits. » 

Peu de jours après, un conflit éclata entre l'évêque 
d'Assise et les magistrats de la cité. Don Guido fulmina 
contre eux l'interdit, et, de leur côté, les consuls mirent le 
prélat hors la loi. François, affligé d'une pareille dissension, 
ajouta à son cantique la strophe suivante, que ses Frères 
chantèrent à deux chœurs devant les deux partis, et qui 
rétablit aussitôt la concorde : 

a Loué soit mon Seigneur par ceux qui pardonnent facilement pour 
son amour et qui supportent patiemment les maladies et les tribula- 
tions. Bienheureux ceux qui vivent en paix, parce qu'ils seront cour- 
ronnés dans le ciel ! » 

Enfin, lorsque Notre-Seigneur lui eut révélé, au couvent 
de Foligno, qu'après deux ans de souffrances, il serait 
délivré de la prison de son corps et transporté dans le séjour 
de l'éternel repos, il termina son hymne d'amour par ce cri 
de reconnaissance : 

« Loué soit mon Seigneur par notre sœur la mort corporelle, à 
laquelle nul enfant des hommes ne saurait échapper. Malheur à qui 
trépasse en état de péché momel ! Bienheureux, ô mon Dieu, ceux 
que la mort trouve dociles à vos très saintes volontés, parce que la 
seconde mort ne pourra les atteindre! 



246 SAINT FRANÇOIS D'ASSISE. 



« Louez et bénissez mon Seigneur, vous qui êtes ses d'éatures; 
rendez-lui grâces et le servez en toute humilité. » 

Tels, sous l'inspiration divine, les trois jeunes gens Ana- 
nias, Mizaèl et Azarias, se promenant au milieu des flammes 
de la fournaise de Babylone, comme on se promène sous 
la bise rafraîchissante du matin, entonnaient ce cantique 
débordant de poésie : 

OEuvres du Seigneur, bénissez-le, louez-le, exaltez son nom dans tous 

les siècles ! 
Cieux, bénissez le Seigneur ! 
Étoiles du ciel, bénissez le Seigneur ! 
Pluie et rosée, bénissez le Seigneur! 
Vents et tempêtes, bénissez le Seigneur! 
Feux des étés, bénissez le Seigneur ! 
Froids des hivers, bénissez le Seigneur! 
Lumière et ténèbres, bénissez le Seigneur! 
Eclairs et nuages, bénissez le Seigneur! 
Montagnes et collines, bénissez le Seigneur! 
Herbes et plantes qui germez en terre, bénissez le Seigneur! 
Sources et fontaines, bénissez le Seigneur ! 
Eaux des mers et des fleuves, bénissez le Seigneur ! 
Poissons qui respirez sous les eaux, bénissez le Seigneur ! 
Oiseaux du ciel, bénissez le Seigneur! 
Bêtes sauvages et troupeaux, bénissez le Seigneur ! 

Le Cantique du Soleil était tout à la fois un hymne et une 
prière. Le vénérable fondateur voulait que ses Frères l'ap- 
prissent et le récitassent chaque jour. Ce poème est bien 
court, et cependant toute l'âme du Saint, la richesse de son 
imagination, la hardiesse de son génie ont passé dans cette 
œuvre, et l'on y sent comme un souffle de ce paradis ter- 
restre de l'Ombrie, où le ciel est si doré et la terre si chargée 
de fleurs. 

Pour cet homme séraphique, la création rentrait dans le 
plan primitif de la Providence, si douloureusement brisé par 
le péché. Pour lui, tout chantait dans la nature. Les fleurs 



CHAPITRE XV. 247 

et l'encens de leur corolle, les astres du firmament et leur 
éblouissante lumière, tout prenait une voix pour exalter son 
Seigneur et Maître. Delà son attention aux secrètes harmo- 
nies du globe. « Ses heures se passaient quelquefois à louer 
Findustrie des abeilles, et lui qui manquait de tout leur fai- 
sait donner en hiver du miel et du vin, afin qu'elles ne 
périssent pas de froid (1). « 

Il aimait à proposer pour modèle à ses disciples la vigi- 
lance des alouettes. Voyant un jour une troupe de ces 
oiseaux, à la robe grise comme la sienne, s'élever dans les 
airs en chantant, à mesure qu'ils avaient pris quelques 
grains sur la terre : « Considérez ces douces créatures, dit-il 
à ses Frères. Elles nous apprennent à rendre grâces à notre 
. commun Père qui nons donne le pain de chaque jour, à ne 
manger que pour sa gloire, à mépriser la terre et à nous 
élever au ciel, où doit être notre conversation. » Les 
alouettes étaient ses oiseaux de prédilection \ il louait en elles 
leur détachement de la terre, comme il blâmait dans les 
fourmis leur zèle excessif à faire des provisions pour l'hiver. 

Un soir, au moment où il allait prendre son repos dans 
son ermitage de l'Alverne, il entendit le chant d'un rossi- 
gnol. Tout joyeux et vivement ému, il pria son compagnon 
de chanter alternativement avec l'oiseau les louanges du 
Très-Haut. Sur le refus du Frère Léon, qui s'excusa sur sa 
mauvaise voix, il se mit à répondre lui-même au chantre 
ailé des bois, et il continua ainsi jusqu'à une heure fort 
avancée de la nuit. S'étant trouvé à bout de force le pre- 
mier, il fit venir le petit oiseau sur sa main, le caressa dou- 
cement, le félicita d'avoir remporté la victoire, et dit au 
Frère Léon : « Donnons à manger à notre frère le rossignol, 
' car il le mérite mieux que moi. y> Le rossignol mangea quel- 

(1) Tir. DE Celano, Yita secunda, p. 3, c. ci. 



248 SAINT FRANÇOIS D'ASSISE. 

ques miettes de pain dans la main du séraphique Père, et 
s'envola avec sa bénédiction (1). 

Après les oiseaux, le Saint chérissait d'une affection toute 
particulière les brebis et les agneaux, jîarce qu'ils lui rap- 
pelaient l'Agneau sans tache, immolé sur le Calvaire pour 
la rédemption des hommes. Rencontrait-il ces bêtes innof- 
fensives, lorsqu'on les menait à la boucherie, il pleurait d'at- 
tendrissement, et ne s'en allait pas qu'il ne les eût rachetées 
de la mort. Apercevant un jour une pauvre petite brebis qui 
paissait seulette au milieu d'un troupeau de boucs, il dit à 
ses Frères en poussant un profond soupir : « C'est ainsi que 
notre doux Sauveur était au milieu des Juifs et des Phari- 
siens! » Ses compagnons résolurent d'acheter la brebis; 
mais ils n'avaient pas d'argent et ne possédaient rien au 
monde que leurs manteaux. Un marchand qui passait s'émut 
de leur peine, payala brebis et la donna à François ; le Saint 
emmena la brebis avec lui et la confia aux soins des reli- 
gieuses de San Severino (2). 

« A Notre-Dame des Anges, on lui fit présent d'une autre 
brebis, qu'il accepta avec le même bonheur. Il l'avertissait 
de se montrer attentive à louer Dieu et à ne jamais offenser 
les Frères; et celle-ci obéissait fidèlement aux recomman- 
dations de son maître. Dès qu'elle entendait les Religieux 
chanter au chœur, elle accourait d'elle-même à l'église, se 
rendait à l'autel de la Sainte Vierge et saluait par ses bêle- 
ments la Mère du véritable Agneau. A la messe, au moment 
où le prêtre élève la sainte Hostie, elle ployait les genoux et 
inclinait la tête, comme pour inviter les fidèles à venir adorer 
leur Créateur et pour reprocher aux incrédules leurs irré- 
vérences envers l'auguste sacrement de nos autels. — Pen- 
dant son séjour à Rome en 1222, François menait toujours 

(1) Bautiiélemy DE PiSE. 

(2) Th. de Celano, Vita prima, p. 1, c. xxviii. 



CHAPITRE XV. 



249 



avec lui un petit agneau. Avant de faire ses adieux à la Ville 
éternelle, il confia cet agneau à son illustre et pieuse amie, 
Giacoma de Settesoli. L'agneau se fit Finséparable compa- 




-7'"iiiisg5?1!5û^ I iiii'mii lijii 11 H 'i 



Prédication tle saint François aux oiseaux. 
(Miniature d'un psautier du treizième siècle.) 



gnon de la noble dame, la suivant à l'église, y restant et en 
revenant avec elle. Le matin, était-elle endormie ou moins 
diligente à se lever? Il allait à son lit, la réveillait par ses 
bêlements, comme pour lui rappeler que l'heure était venue 
d'aller servir Dieu. Aussi Giacoma conservait-elle avec un 



250 SAINT FRANÇOIS D'ASSISE. 

amour mêlé d'admiration cet agneau merveilleux qui, de 
disciple de saint François, était devenu pour elle un maître 
en dévotion ( 1 ) . » 

N'oublions pas un autre détail qui n'est petit qu'en appa- 
rence, car rien n'est petit aux yeux de la foi. Notre Bien- 
heureux écartait d'une main délicate les vers qu'il rencon- 
trait sur le chemin, de peur qu'ils ne fussent écrasés sous les 
pieds des passants. Le Psalmiste n'avait-il pas dit du Christ : 
« Je suis un ver, et non pas un homme «? 

Aux yeux de François, les créatures inanimées avaient un 
langage et un sens mystérieux. Il aimait notre sœur l'eau, 
parce qu'au baptême elle porte le sang de Jésus-Christ; et 
quand il se lavait, il cherchait un endroit où, en tombant, 
elle ne pût être souillée. Il révérait dans les pierres la figure 
de Celui qui est la pierre angulaire de l'Evangile. Il recom- 
mandait à ses Frères, lorsqu'ils coupaient le bois sur la 
montagne, de laisser de forts rejetons, en souvenir du Verbe 
incarné qui a voulu mourir pour nous sur l'arbre de la Croix. 
Il s'arrêtait devant une fleur, longuement, avec admiration; 
mais son esprit se reportait aussitôt à cette fleur mystique, 
sortie de la tige de Jessé, et dont le parfum réjouit l'uni- 
vers (2). 

Un de ces mots heureux qui lui échappaient souvent, 
nous semble résumer toute sa pensée sur ce sujet.. On se 
souvient avec quel respect il relevait tout lambeau d'écri- 
ture tombé dans la poussière, de peur de fouler aux pieds 
quelque passage qui traitât de Dieu ou des perfections 
divines. Comme un de ses disciples lui demandait un jour 
pourquoi il recueillait avec le même scrupule les écrits des 
païens : " Mon fils, répliqua-t-il, c'est parce que j'y trouve 
les lettres dont se compose le glorieux nom du Seigneur; 

(1) BONAV., C. VIII, 

(2) Tu. DE Celano, Vita prima, p. 1, c. xxix. 



CHAPITRE XV. 251 

car le bien que renferment ces écrits n'appartient pas au 
paganisme ni à l'humanité, mais à Dieu seul, auteur et 
source de tout bien (1). » « Et en effet, s'écrie à ce propos 
Frédéric Ozanam, toutes les. littératures sacrées et profanes 
sont-elles autre chose que les caractères avec lesquels Dieu 
écrit son nom dans l'esprit humain, comme il l'écrit dans le 
ciel avec les étoiles (2)? » 

Esprit droit et ami du beau; cœur d'une tendresse exquise, 
même pour les créatures privées de raison, s'intéressant à 
ce que les plus chétives d'entre elles eussent la part de bon- 
heur qui leur est propre, la plante son rayon de soleil, 
l'oiseau son nid et sa couvée; grand amant de la nature, 
non pour elle-même, mais parce que derrière le voile de la 
fragile créature, sa foi découvre Celui qui, chaque jour, sème 
à pleines mains dans l'univers la vie et la fécondité : voilà 
bien saint François tel que nous le dépeignent ses histo- 
riens les plus autorisés, « Virum christianissimum (3) » , 
chrétien en tout, jusque dans les moindres détails, et se 
servant de la nature comme d'un échelon pour monter jus- 
qu'à Dieu. 

C'est l'amour qui fait les justes et mesure leur degré de 
perfection ; c'est l'amour qui place les séraphins au sommet 
des hiérarchies angéliques. Que dire, dès lors, de la sain- 
teté du Séraphin d'Assise? Sainteté éminente; tout inté- 
rieure, il est vrai, mais qui rayonne au dehors et dont les 
reflets sont admirables! A force d'humilité, de larmes et 
surtout d'amour, il avait pour ainsi dire reconquis l'inno- 
cence primordiale et semblait avoir recouvré les privilèges 
dont jouissaient nos premiers parents au jour de leur créa- 
tion. Il était parfaitement soumis à Dieu ; et la créature infé- 

(1) Tii. DE Gelano, loc. cit. 

(2) Ozanam, les Poètes franciscains, p. 55. 

(3) BoNAv., c. XIV. Cf. Th. de Gelano, Vila prima, p. 1, c. xxix. 



252 SAINT FRANÇOIS D'ASSISE. 

rieure, à son tour, rentrant pour lui dans l'ordre détruit 
par le péché, se montrait si docile à sa voix, que pour 
retrouver une pareille obéissance, il faut remonter jusqu'à 
l'âge d'or du paradis terrestre. Sans doute, avant lui, plu- 
sieurs Saints avaient plus ou moins ressaisi le sceptre tombé 
des mains d'Adam : les Pères de la Tliébaïde étaient servis 
par les corbeaux; les lions du désert venaient lécher les 
pieds d'Andronicus et se coucher devant Vite, Modeste et 
Crescence ; saint Gall commandait aux ours des Alpes ; 
saint Golomban, traversant la forêt de Luxeuil, était réjoui 
par le chant des oiseaux, et voyait les écureuils descendre 
des arbres pour se poser sur sa main; mais ancun n'a égalé 
le thaumaturge de l'Ombrie. Cet ancien empire de l'homme 
avant sa chute, François l'exerçait, non en passant, mais 
d'une manière permanente; et c'est un fait acquis à l'his- 
toire, qu'il commandait en maître à toute la nature, et que 
toute la nature lui obéissait comme si elle eût été douée 
d'intelligence. 

Lorsqu'il sortait du couvent de Notre-Dame des Anges 
pour parcourir les plaines de l'Ombrie, les animaux 
saluaient en lui le roi de la création. N'apercevant plus que 
l'empreinte divine sur cette figure amaigrie, où il n'y avait 
presque plus rien de terrestre, et n'éprouvant plus dès lors 
cette horreur instinctive que leur inspirent notre état de 
déchéance et notre dureté, ils entouraient le Saint pour 
l'admirer et le servir. Les lièvres et les lapins se réfugiaient 
dans les plis de sa robe. Traversait-il un pâturage, les bre- 
bis, s'entendant saluer du doux nom de sœurs, levaient la 
tête et accouraient vers lui, laissant les bergers stupéfaits. 
Et lui-même, sevré depuis si longtemps des jouissances de 
la compagnie des hommes, prenait plaisir à ces fêtes que 
lui faisaient les animaux des champs. 

Sur les bords du lac de Rieti, un pêcheur lui offrit un 



CHAPITRE XV. 253 

oiseau de rivière vivant; François l'accepta de g^rand cœur, 
le tint quelque temps dans ses mains, puis les ouvrit pour 
lui rendre la liberté. Mais l'oiseau ne s'envola point. Alors, 
le Saint, dans un transport de reconnaissance et d'amour 
envers Dieu, leva les yeux au ciel et demeura plus d'une 
heure en extase. Etant revenu à lui, il bénit son frère le 
petit oiseau, et lui commanda de gagner les plaines de l'air, 
pour y chanter les louanges du Créateur; et aussitôt l'oiseau 
battit des ailes et s'enfuit dans une joyeuse envolée. 

Sur ce même lac, un batelier lui présenta un jour un 
gros poisson qu'il venait de prendre. François garda 
quelque temps le poisson entre ses mains, puis le remit 
à l'eau. Au lieu de se sauver, le poisson demeura au 
même endroit, jouant à fleur d'eau en présence du Saint, 
comme s'il n'eût pu se séparer de lui. Il ne plongea au 
fond du lac que sur l'ordre du séraphique Père et après 
avoir reçu sa bénédiction (1). 

Prêchant dans le village d'Alviano, et ne pouvant se 
faire entendre à cause des hirondelles qui avaient leurs 
nids près de là, François leur dit : « Hirondelles, mes 
sœurs, vous avez assez parlé. Laissez-moi parler à mon 
tour. Écoutez la parole de Dieu, et gardez le silence 
pendant le temps que je prêcherai. » Elles ne dirent plus 
un seul petit mot, et ne remuèrent pas même les ailes. 
Saint Bonaventure, à qui nous empruntons tous ces détails 
intéressants, ajoute que, de son temps, un jeune étudiant 
de Parme, troublé dans son travail par le gazouillement 
d'une hirondelle, dit à ses condisciples : « Voilà sans doute 
une de ces babillardes qui troublaient le Bienheureux 
François dans sa prédication et auxquelles il imposa 
silence! » Et, se tournant vers l'hirondelle, il lui dit : 

(i) BOiSAV., C. VIII. 



254 SAINT FRANÇOIS D'ASSISE. 

« Au nom de saint François, je t'ordonne de garder le 
silence et de venir à moi. » Elle se tut et vint à lui. 
L'écolier fut tellement surpris de ce prodige, qu'il demeura 
immobile et ne songea pas à la retenir. L'oiseau s'envola 
et ne l'importuna plus (1). 

Au couvent de Notre-Dame des Anges, une cigale vint 
à chanter sur un figuier, tout près de la cellule de François. 
Il l'appela; elle accourut aussitôt se placer sur sa main. 
« Ma sœur la cigale, lui dit-il, chante et loue le Sei- 
gneur. » Sur-le-champ, elle se mit à chanter, et elle ne 
s'arrêta que sur l'ordre du Bienheureux. Elle demeura 
ainsi pendant huit jours, allant et venant de son figuier à 
François. Au bout de ce temps, il dit à ses compagnons : 
« Il y a assez longtemps que notre petite sœur la cigale nous 
invite à louer Dieu, donnons-lui son congé. » Au même 
moment, elle se retira, et ne reparut plus (2). 

Plus tard, sur le mont Alverne,' un faucon dont l'aire 
était voisine de la grotte du Saint, s'attacha singulièrement 
à sa personne et s'établit, pour ainsi dire, son veilleur de 
nuit. Quand venait l'heure des Matines, il ne manquait pas 
de chanter à la porte de François et de l'éveiller longtemps 
avant l'aube. Les infirmités du Saint étaient-elles plus 
grandes? l'intelligent oiseau tardait jusqu'au lever du soleil, 
et encore ne chantait-il qu'à mi-voix (3). 

Dans les dernières années de François, pendant qu'il était 
à Sienne, un chevalier lui envoya un beau faisan. Dès que 
la charmante bête eut vu le serviteur de Dieu et entendu sa 
voix, elle le prit en telle affection qu'elle ne voulut plus se 
séparer de lui. Plusieurs fois on la porta dans les vignes 
pour lui rendre sa liberté; elle revenait d'un vol rapide vers 

(1) BONAV., C. XII. 

(2) Id., c. VIII. 

(3) Ici., c. VIII, 



CHAPITRE XV. 255 

le séraphique Père. On la donna à un seigneur qui aimait 
beaucoup saint François et venait souvent le visiter; elle 
refusa toute nourriture. Rapportée au Bienheureux, elle 
manifesta sa joie par mille gentillesses et se mit à manger 
avec appétit (1). 

Les bêtes fauves elles-mêmes se sentaient attirées vers 
riîumble Pénitent d'Assise; elles respectaient en lui un 
reflet de la puissance primitive d'Adam et de l'idéale beauté 
du Créateur, et en sa présence elles perdaient leur férocité. 
On se souvient de la « conversion du loup de Gubbio » . 
Mais combien d'autres exemples du même genre!... Un 
jour que le saint Patriarche se rendait de Cotanello à Greccio, 
il promit à son guide que les loups qui infestaient la mon- 
tagne ne lui feraient aucun mal. Rassuré par cette promesse, 
le paysan conduisit le Saint jusqu'à Greccio; à son retour, 
au moment où il s'engageait dans les gorges de la montagne, 
deux loups débouchèrent delà forêt, s'approchèrent de lui, 
lui léchèrent les pieds et l'accompagnèrent jusqu'à son 
logis, comme font les chiens pour leurs maîtres. — « Les 
habitants de Greccio, ayant appris l'arrivée du célèbre 
thaumaturge, vinrent le supplier avec larmes de les délivrer 
du double fléau qui les désolait, les loups et la grêle. Touché 
de compassion, François leur dit : « A l'honneur et à la 
gloire du Dieu tout-puissant, je vous promets que si vous 
faites de dignes fruits de pénitence, ces calamités disparaî- 
tront. Mais, je vous le prédis en même temps, si vous payez 
d'ingratitude les bienfaits de Dieu, si vous imitez le chien 
qui retourne à son vomissement, l'Eternel sévira contre 
vous et doublera le châtiment. » Les habitants de Greccio 
s'engagèrent publiquement à faire pénitence, et le Ciel se 
chargea d'exécuter l'autre partie du contrat. Tant qu'ils 

(1) BoNAv., loc. cit. Tu- DE Celano, Vita secunda, p. 3, c. ciii-ûvii. 



256 



SAINT FRANÇOIS D'ASSISE. 



demeurèrent fidèles à leur promesse, ni les loups ne déci- 
mèrent leurs troupeaux, ni la grêle ne dévasta leurs mois- 
sons (1). 

Tel est l'ensemble des qualités, des vertus et des privi- 
lèges de saint François, ensemble si harmonieux, si ravis- 
sant, si élevé au-dessus de toute beauté terrestre, que cette 
figure séraphique n'a point d'égale dans l'histoire des 
siècles, et que les grands maîtres de la peinture l'ont 
regardée comme le type de l'homme régénéré. A six siècles 
de distance, elle a encore le don de nous émouvoir, de 
nous enthousiasmer, de nous ravir; et quand nous cherchons 
à traduire nos sentiments d'admiration, nous sommes obligés 
d'emprunter nos expressions au Prophète royal et de nous 
écrier avec lui : « Mirabilis Deus in Sanctis suis : Dieu est 
admirable dans ses Saints », qui sont le chef-d'œuvre de sa 
grâce et l'idéal de la nature humaine guérie par le sang 
rédempteur de la Victime du Calvaire. 

(1) Tu. DE Celano, Vita secunda, p. 2, c. v; et Bonav., c. viii. 




Invention du corps de saint François. (Médaille frappée sous Pie VII.) 



CHAPITRE XVI 

LE MONT ALVEUNE, 

(1224) 



Au fond de la Toscane, au centre des Apennins, à moitié 
chemin entre Arezzo et Florence, s'élève une roche dont la 
tête sourcilleuse domine les montagnes environnantes, et 
dont le pied est baigné à l'orient par le Tibre, à l'occident 
parl'ArnOjle GorsaloneetlArchiana : c'est l'Alverne, mon- 
tagne bénie que nous appellerions volontiers, s'il nous était 
permis de nous servir des souvenirs de l'Evangile, le 
Thabor et le Calvaire de saint François. C'est là, en effet, 
que son esprit goûtera les plus enivrantes délices de l'union 
mystique, et que sa chair sera transpercée par le glaive de 
feu du Séraphin. 

Le séjour du Bienheureux sur cette montagne et les 
faveurs spirituelles qu'il y reçut ont tracé dans l'histoire 
un sillon trop lumineux pour ne pas attirer nos regards et 
ne pas fixer notre attention. 

C'est en l'année 1213 que le nom de l'Alverne est pro- 
noncé pour la première fois dans l'histoire de notre Saint. 
Celui-ci était alors en route pour se rendre en Espagne, et de 
là au^Maroc. Il lui arriva, durant le trajet, de passer au pied 
du château de Montefeltro, au moment où l'on se préparait 
à yr^donner un tournoi. Déjà la bannière seigneuriale flottait 

n 



258 . SAINT FRANÇOIS D'ASSISE. 

sur la porte d'entrée; la cour d'honneur retentissait sous 
le pas des palefrois, et le son des trompettes, partant du 
haut des tours crénelées, annonçait au loin l'ouverture de 
la fête. Un jeune comte de Montefeltro, ayant fait sa veillée 
d'armes dans l'antique chapelle de ses pères, s'avançait 
pour être armé chevalier en présence de toute la noblesse 
florentine. François, qui aimait ces sortes de fêtes à la fois 
religieuses et militaires, dit à son compagnon de voyage : 
« Frère Léon, montons au château ; nous y ferons, Dieu 
aidant, un chevalier spirituel. « Lorsque les cérémonies 
furent terminées et les chevaliers réunis sur la cour d'hon- 
neur, François monta sur un tertre et développa magnifi- 
quement devant son noble auditoire ces deux vers italiens : 

« Tanto è il bene ch'io aspetlo, 
u Cliogni pena raè diletto. » 

«Le bien que je désire est si grand, 
« Que toute peine m'est un plaisir. » 

Il cita tour à tour l'exemple des Apôtres, puis des martyrs 
et des confesseurs de la foi, qui s'exposaient volontiers à 
toutes sortes de supplices pour conquérir le ciel. Les sei- 
gneurs, pénétrés d'une émotion involontaire, recueillaient 
toutes ses paroles avec le même respect que si elles fussent 
tombées des lèvres d'un Ange. L'un d'eux, le comte Orlando 
deChiusi diGasentino,une de ces âmes d'élite qui sont dans 
le monde sans être du monde, se détache du groupe à l'issue 
de la prédication, aborde le Saint, et, le tirant à l'écart, lui 
dit : « Père, il y a longtemps que je soupire après cette 
heure ; je désire tant m' entretenir avec vous du salut de 
mon âme ! » François, aussi discret que zélé, lui répond 
avec un aimable sourire : « Volontiers, mais pas mainte- 
nant; assistez d'abord à la fête, et après le repas, nous 
converserons ensemble tant qu'il vous plaira. » Orlando 



CHAPITRE XVI. 259 

suivit le conseil du Saint. Le banquet une fois terminé, il 
accourut près de François, et ils discoururent longtemps 
ensemble du bonheur du ciel et des moyens d'y parvenir. 
A la fin de cet entretien tout céleste et trop court à son gré, 
le comte Orlando dit au Bienheureux : « J'ai dans mes 
domaines une de ces montagnes sauvages qui portent l'esprit 
au recueillement. Visitez-la ; si elle vous plaît, je vous la 
donnerai de grand cœur, à vous et à vos compagnons, pour 
le salut de mon âme. » François accepta la proposition, et 
promit d'envoyer immédiatement deux de ses Frères pour 
visiter le mont Alverne, pendant qu'il poursuivrait sa route 
vers l'Espagne (1). 

Les deux Religieux choisis par le saint Patriarche mon- 
tèrent au château de Chiusi, vieux manoir dont on aperçoit 
encore aujourd'hui les ruines imposantes sur les bords de 
la petite rivière de la Rasina, à un mille de l' Alverne. Le 
comte Orlando les reçut avec bonheur, rassembla une 
escorte de cinquante hommes armés, pour se défendre des 
bêtes fauves et des brigands, et se mit lui-même à la tête de 
la petite caravane. L'ascension de la montagne est pénible, 
mais sans monotonie. Ses premiers mamelons sont d'une 
extrême aridité ; çà et là, des ravins, des blocs de granit 
jetés comme au hasard, des chênes rabougris qui ont peine 
à grandir assez pour donner leur ombre au voyageur. Aux 
deux tiers de sa hauteur, la montagne change d'aspect; la 
pente devient moins raide, et le sol moins infécond. Puis, 
tout à coup, se dresse à pic devant vous le géant de ces 
montagnes, roche immense aux parois perpendiculaires 
comme une muraille et couronnée d'une luxuriante forêt de 
hêtres et de sapins; c'est l' Alverne. Cette nature âpre et 
sauvage, effrayante et sublime, plut aux deux Frères explo- 

(1) Fioretti, première considération sur les stigmates. 



260 



SAINT FRANÇOIS D'ASSISE. 



rateurs. Ils acceptèrent au nom de François la donation que 
leur fit Orlando, et se bâtirent à la hâte une cabane et un 
oratoire, où ils psalmodièrent l'office divin, pour prendre 
possession de la montagne par la prière (1). 

C'était, d'après les documents pontificaux, le 8 mai 
1213(2). 

A son retour d'Espagne, François se fit rendre compte 




LE MONT ALVERNE. 



de ce qui s'était passé. Les Frères lai dépeignirent cette 
solitude sous de si belles couleurs, qu'il dit à ceux qui 
l'entouraient : « Chers fils, le carême de la Saint-Michel 
approche j je crois que Dieu nous appelle à le passer sur 
cette montagne, pour la consacrer par la pénitence au Sau- 
veur, à sa glorieuse Mère et aux saints Anges. « Et il se mit 
aussitôt en route, accompagné de quatre Frères, qui étaient 

(1) Fioi'etti, loc. cit. 

(2) Bref iicef is [liullar. francise., t. IV, p. 156, n. 4j. 



CHAPITRE XVI. 261 

chargés de le protéger contre les indiscrétions des visiteurs, 
et que Thomas de Gelano (1) désigne suffisamment par 
leurs qualités respectives : Léon, Rufin, Ange et Masséo. 
« Mon fils, dit-il à Masséo, tu seras notre supérieur pendant 
tout le voyage. En chemin, nous garderons les usages du 
couvent, en récitant l'office divin, observant le silence et 
nous confiant à la garde de la Providence pour le ^îte et le 
couvert. » Les trois Religieux inclinèrent la tète, et Masséo 
prit la direction de la petite troupe. La première nuit se 
passa dans un couvent de l'Ordre, La deuxième nuit, le 
mauvais temps et la fatigue obligèrent nos voyageurs à 
chercher un abri dans une des églises de Capraro, au pied 
de l'Alverne. Là, les quatre compagnons du Saint s'endor- 
mirent d'un profond sommeil. François seul demeura en 
prière ; mais il eut à subir un terrible assaut de la part des 
démons. Ces malins esprits, furieux de voir qu'il ruinait 
leur empire, lui apparurent sous des formes effrayantes, se 
précipitèrent sur lui, le frappèrent à coups redoublés et le 
laissèrent à demi mort sur le pavé. Au plus fort du combat, 
François, semblable au soldat qui se bat vaillamment sous 
les yeux de son capitaine, tenait son cœur élevé vers l'invi- 
sible Roi des siècles. « Seigneur Jésus, s'écria-t-il, je 
vous rends grâces pour tous vos bienfaits, et particulière- 
ment pour celui-ci, qui m'est un gage manifeste de votre 
amour. Vous punissez mes péchés en ce monde, pour m'é- 
pargner dans l'autre. Mon cœur est prêt à souffrir mille 
fois plus, si c'est votre sainte volonté (2). » 

Le lendemain matin, François se trouvait réduit à un tel 
état de faiblesse qu'il ne put continuer le voyage à pied. 
Ses compagnons allèrent au village voisin, et rencontrèrent 



(1) Vita sccunda, p. 2, c. ii. 

(2) Tii. DE Gelano, Vita secunda, p. 3, c. lxiii ; et Fioretti, loc. cit. 



262 SAINT FRANÇOIS D'ASSISE. 

un brave laboureur qui leur prêta volontiers son âne pour 
leur Bienheureux Père et se joignit à leur compagnie. On se 
remit en route; le saint Patriarche ouvrait la marche^ assis 
sur sa paisible monture; le paysan et les Frères le suivaient 
à quelque distance. Tout en gravissant les premiers mame- 
lons de la montagne, lé paysan dit à François : « Père, 
dites-moi la vérité , êtes-vous vraiment ce François d'Assise 
dont on parle tant? — Oui, répondit le Saint. — Eh bien! 
reprit cet homme, croyez-moi, appliquez-vous à être aussi 
bon que les gens le disent, afin qu'ils ne soient pas trom- 
pés dans leur confiance. » Charmé de tant de simplicité, 
l'humble François descend de sa monture et lui baise les 
pieds, en le remerciant de son bon conseil; puis il remonte 
sur son âne (1). 

Cependant, à mesure que l'on avançait dans les gorges 
sinueuses de l'Alverne, la montée devenait plus rapide, le 
sentier plus abrupt, le soleil plus brûlant. Le paysan, exté- 
nué de soif et de chaleur, s'écria tout à coup : « Je n'en puis 
plus! Je me meurs, si je ne trouve à boire. » Mais il n'y 
avait pas une goutte d'eau dans ce désert. François eut 
pitié du pauvre laboureur, et, les bras tendus vers le ciel, il 
se mit à implorer le secours de la Providence, avec cette 
pleine confiance qui est le plus sûr garant du succès. N'est- 
il pas écrit que Dieu est un père, le meilleur et le plus 
tendre des pères, et qu'il s'incline aux moindres désirs de 
ceux qui l'aiment? Bientôt, sentant que sa prière était 
exaucée, le Bienheureux se tourna vers le paysan, et lui 
dit en lui montrant du doigt un bloc de pierre : « Vois-tu 
cette roche? Vas-y ; tu trouveras une source limpide que 
le Sauveur, dans sa miséricorde et sa bonté pour toi, vient 
d'en faire jaillir pour te désaltérer. » Cet homme crut à la 

(1) Fioreltl, première considération sur les sti{;mates. 




Comment saint François, montant à l'Alverne, fit jaillir une source pour apaiser 
la soif de son guide. (D'après Giotto.) 



264 SAINT FllANÇOIS D'ASSISE. 

parole du Saint; il le reg^ardait comme un nouveau Moïse 
tout-puissant sur le cœur de Dieu. Il courut à l'endroit indi- 
qué, et y trouva, en effet, une eau fraîche et délicieuse. 
Lorsqu'il eut étanclié sa soif, la fontaine miraculeuse cessa 
de couler et disparut pour toujours (I). 

Nos voyageurs atteignirent enfin la crête de la montagne, 
et le bonheur d'être arrivés leur fit oublier les fatigues de 
l'ascension. François s'assit sous un hêtre aux rameaux 
touffus, et, contemplant de là l'immense panorama qui se 
déroulait sous ses yeux, il fut ravi de la beauté du site. 
La solitude de l'Alverne lui plut; l'austère majesté des mon- 
tagnes l'enchanta. Au même moment, une nuée d'oiseaux 
s'abattirent autour de lui, Voltigeant sur sa tête, sur ses 
mains, sur ses épaules, et lui souhaitant la bienvenue par 
leurs cris et leurs battements d'ailes. Quoique habitué à 
leurs caresses, il fat tout émerveillé de ce spectacle, et dit 
à ses compagnons : « Je vois qu'il nous faut rester ici, 
puisque notre arrivée cause tant de joie à nos frères les 
oiseaux (2). » 

Orlando, ayant appris que François était sur les hauteurs 
de l'Alverne, y accourut en toute hâte, accompagné de ses 
hommes d'armes et muni des provisions nécessaires. Il 
trouva les Religieux en prière. Le saint Patriarche se leva 
aussitôt pour aller au-devant de son noble visiteur, et le 
conduisant sous un très beau hêtre, à un jet de pierre envi- 
ron des cellules des autres Frères : « Merci, lui dit-il, de 
nous avoir fait don de cette sainte montagne ! Et maintenant, 
si vous voulez mettre le comble à vos bienfaits, construisez- 
moi une petite cabane faite de branchages et qui ait pour 
voûte les rameaux de cet arbre. » Le comte donna immé- 
diatement ses ordres pour satisfaire au désir du Saint. On 

(1) Tu. DE GiïLANO, Ylta sccunda, p. 2, c. xv; et Bonav., c. viï. 

(2) BoNAV., c. vm. 



CHAPITRE XVI. 265 

comprend combien un tel oratoire, ayant pour piliers les 
troncs vigoureux d'un hêtre séculaire, pour ogives les bran- 
ches entrelacées de l'arbre, pour parure un feuillage aux 
mille nuances, doré par le soleil couchant, pour tapis le 
gazon émaillé de renoncules d'or et de polygalas bleus, et 
laissant une échappée sur l'azur du ciel, devait plaire à un 
esprit contemplatif comme celui de François d'Assise. Le 
soir, quand vint l'heure du départ pour le comte Orlando, 
notre Bienheureux le remercia en termes chaleureux de sa 
visite et de son dévouement, et le bénit, ainsi que tous les tra- 
vailleurs. Au moment du dernier adieu, le gentilhomme, pre- 
nant les Religieux à part, leur dit : « Je ne veux pas que, 
, sur cette montagne sauvage, les nécessités de la vie vous 
empêchent jamais de vous livrer tout à votre aise à la médi- 
tation des choses célestes. Je veux, et je vous le dis une fois 
pour toutes, je veux que vous veniez chercher dans ma mai- 
son tout ce dont vous aurez besoin. Si vous agissiez autre- 
ment, j'en éprouverais beaucoup de peine. » Il dit, et il 
descendit l'Alverne avec ses hommes pour regagner le 
château de Chiasi(l). 

Après son départ, Léon, Rufin, Ange et Masséo vinrent 
s'asseoir sur la mousse, auprès dé leur Bienheureux Père, 
pour recevoir ses instructions. Depuis longtemps déjà, le 
soleil avait disparu derrière la cime des Apennins 5 les étoiles 
scintillaient au firmament, et envoyaient à la terre leur lueur 
vacillante; une brise légère s'était élevée et rafraîchissait les 
visages; les bruits du monde venaient s'éteindre au pied de 
la montagne. Ici, l'âme se sentait plus près de Dieu, Les 
Frères gardaient le silence, comme s'ils eussent craint de 
réveiller les échos de la montagne ou de troubler F oraison de 
leur Père. Enfin, celui-ci prit la parole : « Mes Frères, leur dit- 

(1) Fioretti, deuxième considération sur les stigmates. 



266 SAINT FRANÇOIS D'ASSISE. 

il, ne faites pas trop de fond sur la généreuse proposition du 
seigneur Orlando, de peur de porter atteinte à votre vœu de 
pauvreté. Soyez sûrs que si vous êtes de vrais pauvres, le 
monde aura compassion de vous. Si vous embrassez étroite- 
ment la sainte pauvreté, on vous fournira libéralement le 
pain de chaque jour, au lieu que si vous vous en écartez, on 
vous délaissera. N'est-ce pas Dieu qui vous a appelés à cette 
forme de vie pour la conversion des peuples? Et dès lors, 
n'y a-t-il pas comme un pacte implicite entre vous et lui, 
qui oblige également les deux parties contractantes? A vous 
donc d'offrir aux peuples le pain de la vérité et le spectacle 
de vos vertus; aux peuples, qui sont ici les mandataires de 
Dieu, de vous donner en échange le pain matériel. Soyez 
fidèles à remplir vos obligations, et gardez la pauvreté 
évangélique, parce qu'elle est la perfection et le gage des 
richesses éternelles (1). » 

Les Cellules des Frères, n'étant que de feuillage, ne pou- 
vaient les protéger suffisamment contre l'intempérie des 
saisons; d'ailleurs, ils n'avaient point d'habitation conve- 
nable pour y loger le Dieu de l'Eucharistie. Le saint Patriar- 
che songea donc à bâtir une église et un petit couvent; et 
dès qu'Orlando revint sur la montagne, il lui fît part de ses 
desseins. ÏjO comte les approuva; il amena, peu de jours 
après, quelques ouvriers des environs, et fit exécuter le 
plan tracé par le Saint. 

Pendant qu'on travaillait à cette construction, François 
parcourait la montagne dans tous les sens, recherchant de 
préférence les endroits les plus favorables à la contempla- 
tion. Bientôt il se trouva en face de roches granitiques aux 
larges déchirures, dont il ne pouvait s'expliquer l'origine. 
Selon son habitude, il eut recours à Celui pour qui la natnre 

(1) Fîoi'etti, deuxième considération sur les sti{{rnates, Cf, Tu. de Celano, Vita 
secunda, p. 3,* c. xvi. 



CHAPITRE XVI. 267 

n'a pas de secrets, et il lui fut révélé que ces phénomènes 
s'étaient produits au moment du tremblement de terre qui 
accompagna la mort du Sauveur (1). Alors il descendit de 
cette roche tourmentée, plein d'admiration pour un si 
grand souvenir, mais sans se douter qu'elle offrirait bientôt 
au monde une plus saisissante image du Calvaire. 

C'est au comte Orlando qu'il devait la forêt de l'Alverne 
et un couvent si bien approprié à ses goûts. Une pouvait 
manquer de lui en témoigner sa reconnaissance. Il le fit à 
sa manière. Dans une autre de ses excursions sur la mon- 
tagne, — probablement en 1222, au lendemain de la créa- 
tion du Tiers Ordre, — il l'agrégea à sa famille spiri- 
tuelle et voulut lui-même lui imposer la tunicelle grise des 
Pénitents (2). 

L'ermitage de l'Alverne, comme celui de la Portioncule, 
était devenu pour le Patriarche d'Assise un lieu sacré. Il y 
retourna cinq fois. Son sixième voyage, qui est le der- 
nier, mérite plus encore que le premier d'être raconté 
tout au long; car il marque l'apogée de la gloire et des 
grandeurs mystiques de notre héros. 

C'était au mois d'août 1224. François, âgé de quarante- 
deux ans, exténué de veilles et de fatigues, mais de plus en 
plus avide de lumière et d'amour, fut poussé par l'Esprit de 
Dieu à gagner de nouveau les hauteurs de l'Alverne. Malgré 
les chaleurs excessives, il partit sur-le-champ de Notre- 
Dame des Anges, emmenant avec lui ses deux compagnons 
ordinaires, Léon etRufin(3).Décidé à s'envelopper d'ombre 
et de silence pour se livrer sans réserve aux mouvements 
de la grâce, il s'enfonça dans l'épaisseur de la forêt et se fixa 



(1) Fioretti, deuxième considération sur les stigmates. 

(2) BuUarium francise, t. IV, p. 156. Le Bullairene fixe pas l'époque. 

(3) « Léon et Masséo » , disent les Fioretti. Thomas Eccleston, mieux informé, 
nomme Léon et Rufin (coll. xiii). 



268 ^ SAINT FRANÇOIS D'ASSISE. ' 

dans une grotte isolée, la plus sauvage qu'il put découvrir 
sur la pente australe de la montagne. Durant le long séjour 
qu'il y fit, — de la fête de l'Assomption à celle de l'Exalta- 
tion de la Croix, — - il fut plus que jamais favorisé de com- 
munications surnaturelles, parmi lesquelles nous relevons 
les suivantes. 

La première concerne un de ses deux compagnons, 
« homme d'une piété angelique » , remarque saint Bonaven- 
ture : désignation un peu vague, que précisent Thomas 
Eccleston et les Fioretti(l). Il s'agit du Frère Léon. Caché, 
lui aussi, dans un creux de rocher, il y fut assailli par une 
tentation qui lui mit l'esprit à la torture pendant plusieurs 
jours, et qu'il n'osait découvrir à son Bienheureux Père. Il 
désirait seulement avoir quelque pieuse sentence écrite de 
sa main, persuadé qu'il serait délivré par ce moyen de la 
tentation qui l'obsédait. Le saint Patriarche, connaissant 
par révélation l'épreuve et le désir du Frère, écrivit la 
bénédiction suivante , qu'il parafa de la lettre Tau : 
ii Benedicat tibi, Dominus, et custodiat te ; ostendat faciem 
suam tibi, et misereatiir tiii; convertat vultum suumad te, 
et det tibi suampacem. T. Dominus benedicat te, Frater Léo. 
Que le Seigneur te bénisse et te garde ; qu'il te montre sa 
face, et qu'il ait pitié de toi ; qu'il tourne son visage vers 
toi, et qu'il te donne sa paix. T. Que le Seigneur te bénisse. 
Frère Léon. » — « Prends cette feuille, lui dit-il, et conserve- 
la toute ta vie. » Frère Léon ne l'eut pas plus tôt reçue que 
la tentation s'évanouit (2). Saint Bonaventure affirme que 
plusieurs malades ont été miraculeusement guéris au seul 
contact de ce parchemin. 

(i) BoxAV., c. xiii; Tu. Ecci.esïon, coll. xiii; ot Fioretti, troisième considé- 
ration sur les stijjiiiates. 

(2) Fioj-ctti, deuxième considération sur les stigmates. Tu. de Celano (Vita 
secunda, p. 2, c. xviu et saint BoNAVEXTunE (c. xm) rapportent le même fait, 
moins le nom du Frère et la formule de bénédiction. 



CHAPITKE XVI. 269 

Quelques jours après, un Ange apparut assis sur le bloc 
de pierre où le Saint prenait son repas, et il s'entretint fami- 
lièrement avec lui, comme un ami avec son ami. A la suite 
de cette vision, François, tout pénétré du sentiment de la 
majesté divine, appela le Frère Rufin et lui dit: « Il faut 
laver cette pierre sanctifiée par la présence d'un Ange et 
l'oindre d'huile (1). » Et aussitôt, ajoutentles Fioretti (2), 
le saint Patriarche, à l'exemple de Jacob, consacra cette 
pierre au Seigneur, en y versant de l'huile et en prononçant 
ces paroles : « Vraiment, c'est ici l'autel de Dieu! » Cette 
pierre est exposée à la vénération des peuples dans un ora- 
toire dont elle fait le seul ornement. 

L'apparition de l'Ange fut accompagnée d'importantes 
révélations dont le Bienheureux emporta le secret dans la 
tombe. Il fit seulement connaître trois promesses relatives 
à l'avenir de sa famille spirituelle : promesses inoubliables 
et trop consolantes pour que nous n'en donnions pas le texte 
authentique, tel que nous le recueillons des lèvres du Frère 
Léon, l'heureux dépositaire de cette confidence. Le saint 
Patriarche lui dit : « Voici trois promesses qne le Seigneur 
m'a faites. Notre Ordre subsistera jusqu'à la fin dés temps, 
dégagé de la scorie des scandaleux qui n'y pourront persé- 
vérer. Ses persécuteurs ne vivront pas longtemps. Enfin, de 
ceux qui l'aimeront sincèrement, aucun ne sera damné (3).)' 
Ne croirait-on pas entendre un écho lointain de la voix 
puissante de Jéhovah appelant Abraham et lui . disant : 
« Je bénirai ceux'qui te béniront, et je maudirai ceux qui 
te maudiront. » 

La première des trois promesses divines, cet air de 

(1) Tu. EccLESTON, coll. xiu (déposition du Frère Léon devant le Frère 
Pierre, provincial d'Angleterre). 

(2) Troisième considération sur les stigmates. 

(3) « Multa revelata... Et dixit ei (Leoni) quod Ordo suus duraret usque ad 
finem mundi et nullus malœ voluntatis diù durare posset in Ordine, et quod 



270 SAINT FRANÇOIS D'ASSISE. 

radieuse jeunesse imprimé au front de l'institut séraphique, 
cette bénédiction s'étendant aux âges les plus reculés, une 
pareille faveur ne pouvait échapper à l'attention de notre 
vieux chroniqueur, d'ordinaire si bien renseigne, Thomas 
de Celano. Il l'a consignée, en effet, dans sa seconde 
légende. Voici les paroles qu'il place dans la bouche de 
Notre-Seigneur ; « François, fo?z Ordre subsistera jusqu'à la 
fin des temps, renfermant dans son sein quelques hommes 
d'une vertu héroïque, à côté de beaucoup d'imparfaits. Et 
que cette pensée ne te trouble pas; car l'éclat jeté parles 
premiers fera oublier les autres, comme le soleil, en mon- 
tant à l'horizon, dissipe les vapeurs du matin (1). n 

Une seconde apparition suivit de près celle de l'Ange. Le 
Frère Léon, étant venu vers minuit frapper à la porte de 
François, et n'entendant point de réponse, eut la curiosité 
de s'avancer et de regarder à travers les planches de la porte 
ce qui se passait. prodige ! La grotte était inondée d'une 
clarté céleste. François était à genoux, les bras croisés sur 
la poitrine, selon sa coutume. Un vif rayon de lumière, tom- 
bant du ciel, éclairait son front ; et ses yeux étaient fixés 
sur un être invisible dont ils ne pouvaient se détacher,comme 
s'ils eussent rencontré Celui qu'il chantait dans ses vers. Le 
Maître et le serviteur échangeaient quelques paroles; mais 
le Frère Léon ne pouvait saisir le sens de ce divin dialogue. 
Il remarqua seulement que le Saint répétait de temps 
à autre : « Qui êtes-vous Seigneur, et qui suis -je? » 
Puis il le vit se relever, mettre la main dans sa poitrine, 
à trois reprises différentes, et l'étendre chaque fois vers 
la flamme mystérieuse. Après quoi les voix se turent. 



nuUus odiens Ordinern diù viveret, et quod nullus veraciter aniçins Ordinem 
suum, malum finem liaberet. " (Déposition du Frère Léon, apud Th. Eccleston, 
coll. xm.) 

(1) Vita secunda, p. 3, c. xciv. 



CHAPITRE XVI. 271 

la lumière disparut, et tout rentra dans le silence et les 
ténèbres. 

Le Frère Léon éprouva comme le sentiment d'un homme 
ébloui par les éclairs qui sillonnent la nue au milieu d'une 
tempête. Il regarda autour de lui. C'était toujours le même 
paysage ; les hêtres allongeaient leurs ombres effrayantes, 
les roches grisâtres reflétaient les rayons argentés de l'astre 
des nuits , les étoiles scintillaient au firmament ; mais tout 
lui parut plus terne, plus sombre qu'auparavant. Il reporta 
ses yeux sur la caverne; elle avait repris son aspect austère, 
et nulle trace n'y était restée de la visite divine : elle n'était 
plus la porte du ciel. 

Le Frère, ayant conscience de son indiscrétion, voulut 
se retirer sans bruit; mais François, qui l'avait entendu, 
l'appela et lui adressa ce doux reproche: « Chère brebis du 
bon Dieu, pourquoi as-tu cherché à connaître ce qui devait 
rester caché? »Le Frère avoua sa faute, et en ayant obtenu le 
pardon, il ajouta: «De grâce, mon Père, pour la plus grande 
gloire de Dieu, expliquez-moi le sens de la vision que vous 
avez eue. » Le Saint y consentit par esprit d'obéissance et 
d'humilité ; l'angélique Léon était son confesseur et son 
confident. « Mon frère, lui dit-il, le Seigneur m'a apparu 
dans cette flamme que tes yeux ont aperçue. Il m'a commu- 
niqué une si haute connaissance de ses perfections et de mon 
néant, que je n'ai pu m'empêclier de m'écrier : « Mon Dieu, 
qui êtes-vous, et qui suis-je? D'où vient que vous daignez 
abaisser vos regards sur moi qui ne suis qu'un ver déterre? » 
Le Seigneur Jésus m'a dévoilé des mystères si élevés que 
l'esprit humain ne peut les comprendre. Avant de remonter 
au ciel, il m'a dit pour adieu : « François, en échange de 
tous les biens que tu as reçus de moi, offre-moi quel- 
que présent. — Eh ! Seigneur, vous savez que je n'ai 
plus rien au monde, et que depuis longtemps je vous appar- 



272 



SAINT FRANÇOIS D'ASSISE. 



tiens sans réserve. — Mets la main dans ton sein, et donne- 
moi ce que tu y trouveras, w J'ai obéi; trois fois j'ai mis la 
main dans ma poitrine, et chaque fois j'en ai retiré une belle 
pièce d'or, que je me suis hâté de lui offrir. Stupéfait, je lui 




BKtfaTOiîm.s wjmj?am^ 



Le clievalier de Celano est frappé de mort pendant le repas auquel il avait convié 

saint François. (D'après Giotto.) 



ai demandé ce que signifiaient ces trois pièces d'or miracu- 
leuses. « Elles sont, m'a-t-il répondu, le symbole des trois 
vœux de pauvreté, d'obéissance et de chasteté, que tu as su 
garder à l'abri de toute souillure. » Et il a rempli mon âme 



CHAPITRE XVl. 273 

d'une telle abondance de grâce, que je ne veux cesser de le 
louer et de le bénir pour les bienfaits dont il m'a comblé. » 

Ayant achevé ces mots, François congédia son compa- 
gnon, en lui défendant de jamais divulguer le secret de ces 
apparitions et de chercher désormais à voir ce qui se passait 
entre Dieu et lui (1), 

Grâce à ces révélations, l'Alverne était devenu un autre 
Thabor, mais un Thabor momentané; car la vie des Saints 
ne se compose pas seulement de délices spirituelles, mais 
aussi et bien plus de cet esprit de sacrifice et d'immolation 
dont le Calvaire demeure à jamais le modèle et le foyer. 
Aussi est-ce là, sur la montagne des douleurs, que le saint 
Patriarche revenait toujours, au sortir de ses extases. Il y 
montait en esprit et se tenait au pied de la croix, abîmé 
dans le souvenir de la Passion ; et plus il pénétrait avant 
dans les plaies béantes de l'Homme-Dieu, plus son cœur 
devenait un brûlant foyer d'amour; plus, en un mot, il se 
sentait enflammé du désir de ressembler à son divin modèle. 
Ayant appris de la JDouche d'uQ Ange qu'il trouverait dans 
les oracles de TÉvangile ce que le Seigneur attendait de 
lui, il fit venir le Frère Léon. Trois fois Léon ouvrit le livre 
des Évangiles, et trois fois il tomba sur la scène de la Pas- 
sion de Jésus-Christ. Dès lors, François comprit qu'après 
avoir imité le Sauveur dans sa vie cachée et dans son apo- 
stolat, il devait lui ressembler encore dans son ineffable 
martyre, et il s'écria tout joyeux : « Mon cœur est prêt, 
Seigneur; mon cœur est prêt (2). v 

Nous touchons ici à l'apogée des ascensions mystiques 
d'un grand Saint. Il siérait mal à un pauvre pécheur comme 
nous de décrire de si célestes merveilles. Taisons-nous donc 



(1) Fioretli, troisième considération sur les stigmates. 

(2) Fioretti, loc. cit. — Cf. Bonav., c. xiii. 

18 



274 SAINT FRANÇOIS D'ASSISE. 

pour écouter la voix d'un docteur expert en ces matières, 
celle du Docteur sérapliique. 

« A l'aube du jour, vers la fête de l'Exaltation de la 
Croix (I), l'angélique François était en prière sur le pen- 
chant de la montagne. Tout à coup il vit descendre des 
hauteurs du ciel un Séraphin aux six ailes de feu, éblouis- 
santes de clarté. L'Ange vola d'un vol rapide tout près de 
lui, et demeura suspendu dans les airs; et alors apparut 
entre ses ailes l'image de Jésus crucifié. A cette vue, l'âme 
de François fut saisie d'une stupeur indicible. La joie et la 
douleur la remplissaient tour à tour : la joie, parce qu'il 
avait en face de lui le Dieu de son cœur, le Dieu d'amour 
sous la forme d'un Séraphin ; la douleur, parce que c'était 
Jésus souffrant, les mains et les pieds attachés à la croix, 
et le cœur percé de la lance. Il avait sous les yeux un 
mystère insondable, et son étonnement était extrême ; car 
comment concilier les humiliations du Calvaire avec les 
gloires de la vision béatifique? Enfin, il découvrit, à la lumière 
céleste, le sens caché de cette vision, et il comprit que ce 
n'était point par le martyre du corps, mais bien par le feu 
de l'amour, qu'il devait se transformer entièrement en son 
Bien- Aimé. 

« La vision disparut, mais elle laissa dans son cœur une 
ardeur merveilleuse, et dans sa chair la trace non moins 
merveilleuse de l'empreinte divine. Tout aussitôt, en effet, 
apparurent sur ses membres les cinq plaies qu'il venait 
d'adorer dans l'Apparition. Ses mains et ses pieds semblaient 
transpercés par de gros clous, dont la tête ronde et noire 
était très visible, et dont la pointe, longue et comme rabat- 
tue, dépassait le dessus des mains et la plante des pieds. La 
plaie du côté, large et béante, laissait voir une cicatrice de 

(1) Le jour même de la fête, d'après BautiiÉlemy de Pise (liv. III, fr. 3). 




LK UOCHFIll DE l.A STIGMATISATION, A I; ALVKU^'E.' 



276 SAINT FRANÇOIS D'ASSISE. 

couleur vermeille, d'où le sang découlait souvent sur les 
vêtements du Saint. 

a II portait donc les sacrés stigmates, visiblement impri- 
més sur sa cil air. Cette faveur du ciel le jeta dans une grande 
perplexité : devait-il la révéler, ou devait-il la taire? Il ne 
savait à quel parti s'arrêter; car, d'une part, il ne pouvait 
la dérober longtemps aux regards de ses plus intimes com- 
pagnons; et, de l'autre, il appréhendait de publier le secret 
du Seigneur. Il manda quelques-uns de ses disciples, et leur 
proposa son doute en termes vagues et généraux, comme 
s'il se fût agi d'un autre. Mais l'un d'eux, le Frère Illuminé 
(le même qui l'avait accompagné en Orient), comprenant, à 
son émotion, qu'il avait dû recevoir quelque grâce extraor- 
dinaire : « Père, lui dit-il, sachez que ce n'est pas pour vous 
seul, mais aussi pour le prochain, que les mystères du ciel 
A^ous sont dévoilés. Si vous les gardez exclusivement pour 
vous, vous aurez tout lieu de craindre, ce me semble, 
que Dieu ne vous demande compte un jour du talent 
enfoui. » 

« Cet avis fit impression sur le séraphique Père ; et quoi- 
qu'il répétât habituellement : « Secretiim meuin milii : C'est 
« mon secret w , cette fois il raconta tout au long, non sans 
crainte, la vision qu'il avait eue, ajoutant cependant que le 
Séraphin lui avait révélé des choses que, de sa vie, il ne 
découvrirait à personne. Peut-être les discours de l'Ange 
furent-ils si divins, que la langue humaine serait impuissante 
à les traduire ! Saint François, ayant terminé son carême en 
l'honneur de saint Michel, descendit de la montagne, tout 
transfiguré par le divin amour et portant l'image du Cru- 
cifié gravée, non sur la pierre ou sur le bois, mais dans sa 
propre chair, par le doigt du Dieu vivant. Il s'efforçait de 
cacher « le secret du grand Roi » ; mais Dieu, à qui il appar- 
tient de donner de l'éclat à ses œuvres, opéra de nouveaux 



CIIAPITBE XVI. 



27r 



prodiges pour attester la réalité et l'origine de ces mysté- 
rieuses blessures. 

« François avait beau tenir ses mains toujours couvertes 




SAINT FRANÇOIS POUTANT LES MAHQOKS DE LA PASSION DU SAUVKL'H. 

(Fresque du quatorzièuie siècle.) 

et marcher avec des chaussures, il ne pouvait parvenir à 
celer entièrement les trésors du ciel. Un grand nombre de 
Frères, plusieurs Cardinaux et le pape Alexandre IV lui- 
même ont affirmé, sous la foi du serment, avoir vu de leurs 
propres yeux les vénérables stigmates du Saint, pendant 



278 SAINT FRANÇOIS D'ASSISE. 

qulïl vivait encore. A sa mort, plus de cinquante Frères, 
l'illustre vierge Claire avec ses sœurs, et d'innombrables 
séculiers, y ont pieusement collé leurs lèvres et les ont tou- 
chés de leurs mains, afin que rien ne manquât à la force de 
leiir témoignage. 

« Quant à la blessure du côté, François la cacha si bien, 
que, de son vivant, nul ne put la voir qu'à la dérobée. Un 
Frère, qui lui rendait des soins assidus, le pria un jour de 
quitter sa tunique, sous prétexte de la laver; grâce à cette 
pieuse industrie, il vit et considéra la plaie; et y posant 
légèrement trois doigts, il en mesura la largeur. Le Vicaire 
général (le Frère Élie) réussit de la même manière à la voir. 
Un autre compagnon du Saint (le Frère Rufin), homme 
d'une parfaite simplicité, lui oignant les épaules pour le 
soulager en ses infirmités, atteignit par mégarde la plaie, 
du cœur; François en ressentit une si vive douleur, qu'à 
dater de ce jour, il porta mie ample tunique qui lui couvrait 
les flancs. Les Frères qui lavaient ses vêtements, les trou- 
vaut teints de sang, ne purent plus douter de l'existence 
de cette plaie; enfin, après la mort du séraphique Père, ils 
purent satisfaire leur dévotion et contempler à loisir l'ou- 
verture du côté et les autres stigmates du serviteur de Dieu. 

« Ainsi orné des sacrés stigmates, ô François! tu es 
cet ange de l'Apocalypse que saint Jean a vu s'élever à 
l'Orient et qui portait aufront le signe du Dieu vivant (1). » 

Le fils de Bernardone portait donc, visibles sur sa chair, 
avec leurs couleurs de carmin et leurs émanations embau- 
mées, les divines empreintes du Séraphin : miracle inouï 
dans les âges précédents, miracle dont les peuples de l'Om- 
brie furent témoins pendant plus de deux années, prodige inei- 
fable d'amour par lequel Dieu voulait à la fois honorer dans 

(1) BoNAv., c. XIII. — Cf. ïii. DE Celano, Vïta prima, p. 1, c. m; Vita 
secunda, p. 3, c. i.xxv-lxxvii ; et Très socii, c. xvii. 



CHAPITRE XVi; 279 

François le législateur des pauvres évaiigéliques et raviver 
dans l'esprit d'une génération croyante, mais perdue d'or- 
gueil et de volupté, le souvenir de la grande scène du Cal- 
vaire ! Tous voulaient, en effet, contempler cette image 
vivante du divin Crucifié; tous auraient voulu baiser les 
clous de ses mains, si son extrême humilité ne s'y fût 
opposée. Pour y parvenir, il fallait toute une stratégie de 
ruses innocentes, capables de tromper sa vigilance. Voici 
un exemple de ces pieuses industries. 

- Un Religieux de Brescia, venu à Sienne pour conférer 
avec le vénéré fondateur, avait un vif désir de voir, avant 
de s'en retourner, les rubis célestes qui ornaient, sa chair; 
mais il ne savait comment s'y prendre. Il consulta le Frère 
Pacifique. « Voici ce qu'il faudra faire, lui dit le roi des 
vers. Au moment où nous prendrons congé du Père, je 
solliciterai sa bénédiction et la permission de lui baiser les 
mains. Il les avancera, et tu en profiteras pour jeter un 
regard sur ces miraculeuses empreintes. » Le Brescianite 
suivit le conseil de son introducteur, et il goûta, en effet, 
le bonheur qu'il avait convoité. Mais le saint Patriarche 
eut un vague soupçon du péché de curiosité commis à son 
endroit. Il rappela aussitôt le P'rère Pacifique et lui dit : 
« Que Dieu te pardonne, mon Frère ! car tu me fais beau- 
coup de peine en ce moment ! — Quelle peine, vénéré Père? » 
répliqua Pacifique en se prosternant à ses genoux. Fran- 
çois ne répondit pas, et les deux visiteurs se retirèrent, 
s'applaudissant du succès de leur petit complot (1). 

L'humilité du Saint comprimait l'élan des disciples aussi 
bien que la légitime curiosité des fidèles; mais, après sa 
mort, il n'en fut plus de même : de sorte que ce privilège 
des stigmates, qui est le couronnement des faveurs sans 

(1) Tu. DE Celano, Vita secunda, p. 3, c. i.xxvi. 



280 SAINT FRANÇOIS D'ASSISE. 

nombre accumulées sur la tête du réformateur ombrien, 
demeure en même temps un des faits les plus avérés. On 
ne saurait le révoquer en doute sans nier toute certitude 
historique. Il a pour narrateurs des hommes d'une véracité 
inattaquable, Thomas de Gelano, Thomas Eccleston et 
saint Bonaventure, et pour garants une nuée de témoins 
qui se lèveraient, au besoin, pour répéter ce qu'un des 
compagnons du Saint, le F'rère Boniface, affirmait solen- 
nellement au Chapitre général de Gênes, en présence de 
Jean de Parme et des Pères capitulaires : « Ces stig- 
mates, je les ai vus de mes yeux; je les ai touchés de mes 
mains (1). » 

IjC fait une fois admis, il faut bien admettre aussi le mi- 
racle. Accuser le Frère Élie de supercherie, comme le 
fait Renan (2), c'est recourir à une imputation calomnieuse 
pour repousser le surnaturel. Ne voir dans ce phénomène, 
avec Alfred Maury (3), que le fruit d'une imagination 
exaltée par la méditation des mystères de la croix, c'est 
contredire ouvertement l'expérience et le sens commun ; 
car, quelle que soit la puissance de l'imagination, elle ne 
peut jamais traduire en caractères visibles sur la chair les 
impressions de l'âme, ni retenir à son grêles flots de la vie 
après une lésion au cœur qui, de sa nature, entraîne la 
mort. Supercherie, imagination, hallucination, toutes ces 
explications tentées par la science aux abois sont donc 
fausses ou insuffisantes ; et dès lors, la conclusion s'impose : 
le dernier mot de ce phénomène est dans l'intervention 
d'une puissance supérieure (4). Quel est le caractère de 
cette puissance ? Il appartenait à Rome, et à elle seule, 



(1) Th. Eccleston, coll. xiii. 

(2) Nouvelles Études d'histoire religieuse, François d'Assise, etc. 

(3) La Magie et l'Astrologie, 4° éd., p. 343-422. 

(4) Consulter la Mystique divine, par M. RdiET, t. II, p. 484-505. 



<, >^^^'l^ 













Le Frère Léon panse les plaies des stigmates. (D'après Yan Sclnippen.) 



282 SAINT FRANÇOIS D'ASSISE. 

d'évoquer cette cause et de prononcer sans crainte d'er- 
reur. C'est ce qu'elle a fait dans plusieurs diplômes et après 
un examen qui défie la critique. Écoutons d'abord Gré- 
goire IX, dont le témoignage a une double valeur, comme 
Souverain Pontife et comme intime ami du Saint. 

« Grégoire, évêque, serviteur des serviteurs de Dieu, à 
tous les chrétiens qui verront ces Lettres, salut et béné- 
diction apostolique. 

« Nous croyons inutile de vous exposer dans ces Lettres les 
grands mérites qui ont conduit à la céleste patrie le glorieux 
confesseur saintFrançois, puisqu'il n'y apresquepasdefidèles 
qui n'en soientinformés. Mais nous avons jugé qu'il convenait 
de vous instruire tous, plus particulièrement, de la merveil- 
leuse et singulière faveur dont il a été honoré par Notre- 
Seigneur Jésus-Christ, qui est la gloire et la splendeur 
des Saints. Par un effet de la puissance créatrice de Dieu, 'û. 
a reçu pendant sa vie les stigmates aux mains, aux pieds et 
au côté; et l'on a pu en constater encore l'existence après sa 
mort. La connaissance certaine que nous et nos frères les 
cardinaux en avons eue, aussi bien que de ses autres mira- 
cles, dûment certifiés par des témoins très dignes de foi, a 
été le principal motif qui nous a porté à l'inscrire au cata- 
logue des Saints, de l'avis de nos frères les cardinaux et 
de tous les prélats qui étaient alors réunis autour de nous. 
Comme donc nous souhaitons vivement que cela soit cru de 
tous les fidèles, nous vous prions, vous conjurons, et au 
besoin vous enjoignons de fermer l'oreille à tout ce qu'on 
pourrait dire de contraire, et d'avoir pour ce saint confesseur 
une vénération et une dévotion qui vous le rendent propice 
auprès de Dieu, afin que, grâce à ses mérites et à son inter- 
cession, le Seigneur vous accorde de prospérer en ce monde 
et d'être éternellement heureux en l'autre. Donné à Viterbe, 
le deuxième jour d'avril, l'an onzième de notre pontificat, w 



CHAPITRE XVI. 



283 



En rannée 1255, le pape Alexandre IV adressa aux Frères 
Mineui^s une autre bulle qui n'est pas moins précieuse que la 
précédente. Dans cette lettré, il déclare qu'il prend sous sa 
protection sjDéciale « l'Alverne, cette montagne visitée par 
les Séraphins, théâtre d'une immolation mystique, nouveau 




Saint François découvrant la plaie du côté. (Fresque du quinzième siècle.) 

Calvaire où l'étendard du salut, déployé par la main des 
anges, a récemment brillé sur l'Occident, comme il rayonna 
jadis sur les plages orientales 5> . Il recommande instamment 
aux Frères de n'en jamais abandonner les cimes sacrées et 
d'entretenir à perpétuité le monastère fondé par leur Bien- 
heureux Père (1). 



(1) Wadding, t. III, p. 370. 



284 SAINT FRANÇOIS D'ASSISE. 

Cinq ans après, le 20 août 1260, FAlverne était témoin 
d'une cérémonie imposante et tressaillait d'allégresse. Saint 
Bonaventure, alors général de l'Ordre, y campait avec plus 
de mille Frères Mineurs, et une foule de pèlerins couron- 
nait les hauteurs de la montagne. En ce jour-là, les évêques 
d'Arezzo, de Florence, de Fiesole, de Pérouse, d'Assise, 
d'Urbino et de Città di Castello consacrèrent, sous le titre 
de Notre-Dame des Anges, l'église édifiée en 1215 par le 
comte Orlando, et où reposent aujourd'hui les cendres de 
cet ami de saint PVançois; pais, faisant processionnellement 
le tour de la montagne, ils la bénirent sous le nom de « mon- 
tagne séraphique « . 

Benoît XI ordonna que la fête des stigmates de saint 
François fût célébrée chaque année, le 17 septembre, dans 
toutes les maisons de l'Ordre ; et Paul V étendit cette fête à 
tout l'univers catholique. Les Souverains Pontifes ont ainsi 
confirmé de leur autorité apostolique l'authenticité du 
miracle. Aussi la montagne séraphique est-elle depuis plus 
de six siècles le rendez-vous des pèlerins, et le courant de la 
foi qui entraînait les populations du moyen âge vers ce Cal- 
vaire franciscain ne s'est-il jamais ralenti, excepté dans les 
jours d'épreuve que nous traversons. 

« Sur l'Alverne, le cœur se nourrit d'un seul souvenir : 
les stigmates de saint François. Tout lui parle de ce miracle 
des miracles de la vie mystique, l'affluence des pèlerins, les 
merveilles de l'art naïf de Luca délia Robbia, la piété des 
Religieux, le gémissement doux et triste du vent dans les 
sapins sombres, les sublimes beautés de cette nature gran- 
diose et tourmentée, aussi bien que le lieu sacré où, 
prosterné, l'enfant de saint P'rançois d'iVssise lit à travers 
ses larmes cette prière gravée sur le marbre : 

SlGNASTI IIIC SERVUM TUUM FrAKGISCUM 
SICSIS ReDEMPÏIOîSIS NOSTKylî. 



CHAPITRE XVI. 



28( 



« L'esprit se repaît à loisir du souvenir de ce grand évé- 
nement; il en repasse avec une joie intime etprofonde toutes 
les circonstances. Et cependant, il craint de donner jour à 
ses pensées, comme si un instinct secret l'avertissait qu'il est 
des faits sacrés que toute parole profane, et des sentiments 
sacrés qui ne doivent naître et s'épanouir que sous les 
regards de Dieu (1). » 

Baisons donc par la pensée cette terre où François a 
prié, souffert et pleuré ; et pour adieu suprême, jetons-lui 
ce cri du Prophète royal : « Salut, ô montagne fertile en 
grâces et en miracles! Le Seigneur t'a choisie entre toutes 
pour y établir sa demeure : il y habitera à jamais (2). « 

(1) Pèlerinage aux sanctuaires franciscains de l'Ombrie et de la Tosca7ie, par 
le R. P. ExuPKUE, Capucin, p. 155. 

(2) Ps. LXVII. 




Saint François recevant les sti{fmates. (Vespéral du treizième siècle.) 



CHAPITRE XVII 

DERNIÈRES ANNÉES ET MORT DE SAINT FRANÇOIS. 

(1224-1226) 



La poésie seule peut rendre les grandes passions de l'âme. 
Aussi avons-nous vu François, en face des beautés de la 
nature, improviser son heau Cantique du Soleil. Mais si des 
créatures périssables et fragiles lui ont arraché de tels cris 
d'admiration, que sera-ce donc, après que les yeux de sa 
chair ont contemplé Celui qui est l' éternelle et substantielle 
beauté, et que son cœur a reçu des mains mêmes de 
l'amour une blessure profonde, ineffaçable, dont il ne vou- 
drait pour rien au monde guérir? Comment pourra-t-il con- 
tenir les sentiments impétueux qui débordent de son cœur, 
comme un fleuve qui a rompu ses digues? Ayant trouvé 
sur la croix Celui qu'il demandait aux forêts de l'Alverne, 
Celui qu'il aime, il le chante, et son enthousiasme se traduit 
par deux odes qu'on dirait écrites dans le feu des ravisse- 
ments divins. 

Saint Bernardin de Sienne, qui nous les a léguées, les 
attribue toutes deux à saint François ; et nous n'avons point 
de motifs suffisants pour contredire l'opinion d'un si fidèle 
interprète des traditions franciscaines. D'autres historiens 
les rangent parmi les œuvres du Bienheureux Jacopone de 
Todi, autre disciple de François et le fameux auteur du 



CHAPITRE XVII. 28T 

Stabat. Pour nous, nous partageons l'avis du savant Oza- 
nam. I^e premier chant, qui est le plus beau, et qui a pour 
refrain : « In foco l'amor mi mise : L'amour m'a mis dans 
un foyer d'amour » , ne paraît pas avoir été retouché par 
une main étrangère. Tout au plus Jacopone lui a-t-il donné 
un rythme plus classique, comme le Frère Pacifique l'avait 
fait pour le Cantique du Soleil. L'auteur n'a pas signé son 
œuvre, il est vrai ; mais il a voilé son nom sous les ardeurs 
de sa flamme et les riches couleurs de son imagination. 
' L'idée fondamentale et le ton belliqueux de cette tenson 
trahissent le jeune x4.ssisien qui rêve de s'illustrer sous l'éten- 
dard du gentil comte de Brienne, puis y renonce soudain 
pour devenir le gonfalonier d'un prince plus puissant et le 
chevalier errant de l'amour divin. Il représente son extase 
sur l'Alverne sous la figure d'un assaut d'armes, où lui- 
même fait une chevauchée sur la terre du Christ j blessé à 
mort, il rend les armes et se lie par amour et sous la foi du 
serment à son vainqueur. 

Le second poème est beaucoup plus long ; on n'y retrouve 
plus ce tour original et bref qui est le cachet des œuvres de 
saint François. On peut donc admettre que le Bienheureux 
Jacopone paraphrasa, avec son abondance naturelle, une 
belle et grande pensée empruntée à quelque vieux cantique 
du séraphique Patriarche, comme les disciples d'un musi- 
cien reproduisent dans une suite de variations le motif 
donné par le maître. Quoi qu'il en soit, ce poème étincelle 
de beautés. Ecoutons les accents de cette poésie italienne. 

ce 0, amour, pourquoi blesser ainsi mon cœur? Je suis 
tout hors de moi; la flamme que tu as allumée en mon sein 
me consume, et elle va toujours grandissant. 

û Je ne puis fuir ni trouver de repos : je suis le prisonnier 
de l'amour. 

« Pour acquérir l'amour, j'ai tout quitté; et après avoir 



288 SAINT FRANÇOIS D'ASSISE. 

sacrifié le monde sans réserve et sans retour, je me suis 
donné moi-même. Si tout l'univers était en ma possession, 
je le donnerais sans hésiter en échange de l'amour. 

« Je ne saurais désormais arrêter mes regards sur les 
créatures ; je n'ai plus d'yeux ni de voix que pour mon 
Créateur. En présence du Christ mon Amour, toute beauté 
me paraît une fange impure ; le ciel et la terre perdent leurs 
attraits, le soleil sa splendeur, le chérubin ses lumières, le 
séraphin ses ardeurs. 

« Toutes les créatures me répètent sans cesse que je dois 
aimer. Je les entends murmurer à mes oreilles : « Aime de 
« tout ton cœur, aime Celui qui nous a créées pour t'attirer à 

« lui. 53 

« Beauté ancienne et toujours nouvelle, ô Jésus, tu 
m'as ravi mon cœur, et tu entraînes mon âme tout entière 
je ne sais où. Je n'ai plus de cœur que pour t' aimer! 
Amour après qui je soupire, ah ! fais-moi mourir d'amour! 

« Toi-même, tu ne sus pas te défendre de l'amour. Par 
amour tu descendis sur la terre, et tu cachas tes grandeurs 
natives, ta sagesse et ta puissance. Souvent tu cheminais 
parle monde comme un homme enivré; l'amour te menait 
comme un homme vendu. En toutes circonstances, tu ne 
montras qu'amour, un amour sans mesure, avec im complet 
oubli de toi-même. 

« Donc, que nul ne me reprenne, si je suis ivre d'amour 
et que l'amour semble m'ôter la raison. Comment aurais-je 
la force de résister à ses attraits? Non, je ne le puis. La sen- 
tence en est portée, je dois mourir d'amour. Je ne veux ' 
d'autre consolation que de mourir d'amour, jj 

Dans les dernières stances, le poète répète sans cesse : 
Amour ! amour ! Il s'est donné pour toujours à Celui qui l'a 
marqué des glorieux stigmates de sa Passion; il persévé- 
rera dans sa résolution. Et commela passion hâte les batte- 



CHAPITRE XVII. 289 

ments du cœur, fait haleter la poitrine et ne permet plus 
d'autre langage que de brûlantes exclamations, son amour 
s'exhale à la fin en sons rapides, harmonieux, semblables à 
ceux d'une harpe éolienne qui obéit à un souffle céleste et 
dont les accords pressés croissent, décroissent, meurent, 
renaissent et se prolongent longtemps encore (1). 

Gœrres a écrit tout un volume sur saint François trouba- 
dour ; il a eu raison. A travers les strophes qu'on vient d'en- 
tendre, en effet, court un souffle lyrique, puissant, inconnu, 
sous la pression d'un seul sentiment. Ce sentiment, le plus 
spontané, le plus pur, le plus violent qui puisse faire vibrer 
les cordes du cœur humain, et par là même le plus poétique, 
c'est l'amour divin, le même amour qui a enfanté les mar- 
tyrs du Colisée. François cède aux transports de cet amour ; 
il chante comme chantent les séraphins du ciel, et le moindre 
de ses soupirs dépasse toute l'antiquité païenne, qui connut 
Dieu, mais ne l'aima pas. 

On nous pardonnera de nous être quelque peu étendu sur 
ce sujet. « Premiers vagissements,, de la muse italienne (2) » , 
cris sortis d'une extase, ces poésies sont des riens, si on les 
compare aux œuvres et aux vertus du Saint; mais ces riens 
ont du prix cependant, parce qu'ils reflètent quelque chose 
des ardeurs d'une âme séraphique, comme la goutte de 
rosée reflète les premiers feux du jour. 

Lorsque le poète del'Alverne eut dicté ses odes et célébré 
la fête de l'archange saint Michel (3), il quitta la montagne 
miraculeuse et s'achemina lentement vers Assise. Il était 
monté sur un âne, humble monture qu'il préférait à toute 
autre, en souvenir de l'entrée triomphale du Sauveur à 
Jérusalem, et dont il fut obligé de se servir pendant les 

(1) Saint Françolt troubadour, par Goerres. Spire, 1826. 

(2) LÉON XIII, Encycl. Auspicalo. 

(3) BoKAv., c. XIV ; — Waddikg, t. II, p. 95-96. 

19 



290 SAINT FRANÇOIS D'ASSISE. 

deux dernières années de sa vie. Quand il descendit de 
ce nouveau Calvaire, il ne put, malgré les efforts de son 
humilité, se soustraire au regard et à l'admiration de la 
foule. Les habitants des villes et des villages qu'il traversa 
crurent voir en lui un crucifix vivant ; et l'entourant avec 
cet enthousiasme qui distingue le peuple italien, ils véné- 
rèrent ses plaies sacrées, et baisèrent ses mains baignées 
d'un sang miraculeux (1). 

Rentré au couvent de Notre-Dame des Anges, il n'y 
séjourna pas longtemps. " Car, dit saint Bonaventure, non 
seulement il brûlait pour Dieu d'un amour séraphique, mais, 
comme la victime du Calvaire, il avait une soif immense du 
salut des âmes. Ne pouvant plus marcher à cause des clous 
qui lui transperçaient les pieds, il se faisait conduire, tout 
languissant et à demi mort, à travers les bourgades, pour 
exciter les peuples à porter dignement la croix. Il disait 
souvent à ses disciples : « Mes Frères, commençons enfin à 
servir le bon Dieu; car jusqu'à présent nous n'aA^ons, pour 
ainsi dire, rien fait pour lui. » Tout usé qu'il était par les 
fatigues de l'apostolat, il désirait ardemment revenir aux 
humbles pratiques des premiers temps de sa conversion, 
servir les lépreux et s'imposer toutes sortes de macérations. 
Si ses membres étaient abattus par la souffrance, son 
esprit conservait toujours la même vigueur. 11 rêvait de 
nouveaux combats contre l'ennemi du salut; il espérait de 
nouveaux triomphes, et se proposait d'étendre par toute 
la terre le règne de la vérité; car l'amour, quand il sert 
d'aiguillon, ne laisse ni trêve ni repos, et presse toujours 
de marcher en avant (2). » 

A cette belle page du Docteur séraphique, ajoutons 
l'éloge plus court, mais non moins admirable, que trace à 

(1) Wadding, t. II, p. 96. 

(2) BONAV., C. XIV. 



CHAPITRE XVII. 291 

son tour Thomas de Gelano. « Le zèle de PVançois ne con- 
naissait point de limites : il embrassait tout l'univers, et le 
Saint eût voulu porter en tout lieu le flambeau de l'Évan- 
gile. Ouvrier infatigable, on le voyait quelquefois, malgré 
son extrême faiblesse, parcourir en un seul jour cinq ou six 
des petites villes de l'Ombrie : tant son corps était soumis à 
sa raison, et sa raison à Dieu ! tant la vertu était devenue 
pour lui une seconde nature (1)! » Il parlait peu, sans 
doute; mais l'accent de sa voix, ses pressants appels et 
la vue des sacrés stigmates imprimés sur sa chair n'étaient- 
ils pas pour tous la plus émouvante des prédications? 
Ainsi passait-il au milieu des populations, image saisis- 
sante du Dieu crucifié qu'il prêchait, apôtre jusqu'à la der- 
nière heure, vase d'élection répandant plus que jamais 
autour de lui, et toujours à son insu, une odeur de vie qui 
donnait la vie, un parfum semblable aux vapeurs de l'en- 
cens dans les jours d'été. Excursions fructueuses, quoique 
de bien courte durée. Un des faits qui remplissent cette 
période de son existence mérite d'être signalé à cause de 
son importance historique. Il s'agit de la guérison d'un 
enfant destiné à une grande célébrité. 

Selon toutes les probabilités, saint François traversait la 
Toscane et passait par Bagnorea, en 1225, lorsqu'on lui pré- 
senta un petit enfant dont on n'attendait plus que le dernier 
soupir. Sans espoir du côté des hommes, les parents, Jean 
de Fidanza et Maria Ritelli, tous deux illustres par leur 
noblesse et plus encore par leur piété, tournèrent un 
regard plein de foi vers le ciel. Ils eurent recours à l'in- 
tercession de ce François d'Assise que toute l'Italie invo- 
quait déjà comme un Saint, et dona Maria fit vœu de 
donner son petit Jean, s'il revenait à la santé, à l'Ordre des 

(1) Th. de GelanOj Vita prima, p. 2, c. IV. - 



292 SAINT FRANÇOIS D'ASSISE. 

Frères Mineurs. Notre Saint, touché des larmes dé la mère, 
se mit en prière et lui rendit son fils parfaitement guéri. 

Saint Bonaventure rappelle lui-même ce miracle dans la 
préface de sa Ze^e/26/(?. « Je craindrais, écrit-il, d'être taxé 
d'ingratitude, si je' ne publiais la vie et les vertus de celui 
qui m'a arraché dans mon enfance aux portes de la mort. » 
A la vue du charme angélique répandu sur le visage de 
l'enfant et des hautes destinées que Dieu lui réservait dans 
l'Église, François s'écria comme s'il eût trouvé le trésor 
qu'il cherchait : « O buona ventura! la bonne rencontre ! » 
Buonaventura, Bonaventure, ce sera le nom sous lequel le 
fils de Jean de Fidanza sera connu du monde entier et qu'il 
illustrera comme cardinal évêque d'Albano, comme doc- 
teur, comme saint. 

Après avoir constaté le miracle, admirons les merveilleux 
desseins de la Providence en cette rencontre. François et 
Bonaventure, que de gloire en ces deux noms ! L'un est le 
fondateur des trois Ordres de la Pénitence ; l'autre en sera le 
restaurateur et comme le second père. Le saint Patriarche a 
restauré l'Église, qui tombait en ruine ; le Docteur séra- 
phique en sera la lumière. Ils ont chacun leur mission et 
leurs vertus spéciales; niais tous deux appartiennent à la 
famille des âmes séraphiques ; tous deux brillent d'un éclat 
immortel au firmament invisible des élus. Et de ces deux 
astres, l'un était alors à son aurore, et l'autre sur son 
déclin. 

François, en effet, succombait sous le poids des labeurs, 
apostoliques, auxquels s'ajoutaient de cruelles infirmités. 
Trois maladies implacables, une ophtalmie, une hépatite, 
une gastralgie, dont il ressentait depuis longtemps les pre- 
mières atteintes, s'appesantirent à la fois sur lui et le con- 
damnèrent à un repos absolu. Il revint à Assise pour souffrir. 
Sous les étreintes du mal, son pauvre corps fut bientôt 



CHAPITRE XVII. 293 

réduit à l'état de squelette, « d'un squelette endolori (1) ». 

Un jour qu'il adressait au ciel une fervente prière pour 
demander, non la santé, mais la patience et la résignation, 
une voix céleste lui répondit aussitôt : « François, que 
serait le monde entier — fût-il converti en or pur — mis 
en parallèle avec la gloire et les richesses du Paradis ? Et si 
la souffrance était l'arrhe et le gage de ce royaume de 
gloire, est-ce que tu ne l'endurerais pas volontiers? — Oh ! 
avec une joie extrême. Seigneur. — Réjouis-toi donc; car 
les infirmités qui affligent ta chair en ce moment formeront 
là-haut un des fleurons de ta couronne (2). » A ces mots, le 
malade se sentit fortifié et plein d'une nouvelle ferveur. Il 
fit venir ses compagnons et leur redit, de sa vision, ce qui 
était le plus propre à les consoler dans les jours d'épreuves, 
c'est-à-dire, le prix de la douleur chrétiennement acceptée. 
Mais qui dira avec quelle sainte allégresse il marchait lui- 
même dans cette voie du Calvaire? Qui dira avec quelle 
docihté il s'abandonnait à l'action de la Providence? C'était 
le diamant se laissant tailler et polir par le ciseau de l'ar- 
tiste. 

Cependant, l'ophtalmie faisait des progrès alarmants, sans 
que le saint Patriarche consentît à employer aucun remède. 
Il fallut, pour fléchir sa résolution à cet égard, toute l'au- 
torité du. Vicaire général. Frère Élie, auquel il était sincè- 
rement attaché et qui le lui rendait largement (3). » Il 
accepta donc, par esprit d'obéissance, les secours de la 
médecine, et porta les chaussures confectionnées tout 
exprès par la vierge Claire pour lui faciliter la marche. Elie 
n'épargna rien pour rétablir une santé si nécessaire au bien 
des peuples. Ce n'est pas qu'il se fît illusion sur létat du 

(1) Tu. DE CelaxO, Vila prima, p. 11, c. iv. 

(2) Ici., Vita secunda, p. 3, c. cxxxviii. 

(3) Témoignage de Thomas de Gelano et des trois compagnons. 



294 SAINT FRANÇOIS D'ASSISE. 

malade; car, en 1224, étant à Folignô, il avait été averti en 
songe que François n'avait plus que deux années à passer 
sur la terre (1). Mais il voulait du moins adoucir l'amer- 
tume des dernières souffrances. 

Comme le mal résistait à tous les efforts, il fut décidé 
qu'on irait à Rieti consulter un oculiste renommé. Hono- 
rius III résidait alors avec sa cour dans cette petite ville 
protégée par ses montagnes. Le Patriarche d'Assise s'em- 
pressa d'aller saluer le successeur de Pierre; et de leur côté 
les princes de l'Église, principalement le cardinal Hugolin 
et le Pape lui-même, « le reçurent avec bienveillance, affabi- 
lité et de grandes marques d'honneur (2) ». 

Il en fut de même de l'évêque de Rieti, qui lui offrit 
l'hospitalité avec un empressement et une cordialité qui le 
touchèrent jusqu'aux larmes. C'est dans cette ville qu'il 
entendit cette mélodie angélique dont parlent Thomas de 
Celano et saint Bonaventure. 

Nature sensible et délicate, il aimait la musique, cette 
lyre enchanteresse, tantôt joyeuse, tantôt plaintive, toujours 
pleine d'émotion, « qui élève l'âme, calme la douleur, et 
qu'il faut ramener à sa destination première, qui est de louer 
Dieu, et non d'enflammer les passions j) (ce sont ses propres 
expressions) (3). Un jour qu'il souffrait davantage de son 
hépatite, il appela son compagnon, qu'il savait habile citha- 
riste, et lui dit : « Prends un luth et joue en ma présence, 
afin d'alléger un peu les souffrances de ce pauvre corps. 
— Je n'ose, repartit le Frère ; j'ai peur que nos hôtes ne 
soient scandalisés de voir cet instrument profane entre les 
mains d'un religieux. — Renonçons-y donc, reprit le ma- 
lade ; car il vaut mieux se priver d'une consolation que de 

(1) Tu. DE Celano, Vita prima, p. 2, c. viii. 

(2) Id., loc. cit., c. V. 

(3) Jd., Vita secunda, p. 3, c. i.xvi. 



CHAPITRE XVII. 295 

malédifier le prochain. 5? Il eut ainsi le mérite d'un sacrifice 
généreusement offert, mais sans être frustré de la consola- 
tion désirée. Seulement, elle lui vint d'en haut, au lieu de 
lui venir des hommes. Pendant la nuit, un ange lui apparut, 
une viole à la main; et laissant glisser l'archet sur son instru- 
ment, il en tira des accords si doux, si harmonieux, si puis- 
sants, que l'âme du Saint en était comme enivrée et ses 
sens comme suspendus (1). 

Tous les détails de ce prodige sont d'un charme infini. Et 
pourtant, la réflexion du Bienheureux, au sortir de son 
extase, est plus délicieuse encore. « Je me croyais au ciel» , 
s'écria-t-il. Hélas! il était redescendu sur la terre, et il s'en 
apercevait à l'acuité des souffrances qui tourmentaient son 
corps amaigri. 

Ses médecins étaient inquiets. Ils furent d'avis, pour sou- 
lager son mal d'yeux, de lui appliquer un fer rouge aux 
tempes. Le remède était atroce, l'opération excessivement 
douloureuse; François y consentit néanmoins, heureux qu'il 
était de souffrir pour l'amour de Jésus crucifié. Il se berçait 
d'ailleurs de l'espérance, s'il recouvrait la vue, de pouvoir 
recommencer ses travaux évangéliques. Quand il vit le fer 
rougi au feu, il ne put se défendre d'un premier mouve- 
ment de crainte. Pour vaincre cette répugnance de la nature, 
il se mit à parler au feu comme on parle à. un ami : « Mon 
frère le feu, toi que le Seigneur a fait brillant, utile et beau, 
sois-moi propice en ce moment. Je prie le grand Dieu qui 
t'a fait de tempérer ta chaleur, afin que je puisse la sou- 
tenir. 55 Puis, ayant fait le signe de la croix devant le fer 
incandescent, il présenta sa tête au chirurgien, qui promena 
son instrument dans les chairs crépitantes, depuis l'oreille 
jusqu'au sourcil. Le patient demeura impassible. L'opéra- 

(1) Tu. DE Celano, loc. cit.; etBoKAV., c. v. 



296 SAINT FRANÇOIS D'ASSISE. 

tion terminée, il dit à ses Frères : « Louez le Seigneur ; 
car, je vous raffirme, je n'ai senti ni l'ardeur du. feu, ni 
aucune douleur. » Et, se tournant vers l'oculiste, il le 
pria de recommencer, s'il supposait la cautérisation incom- 
plète. Cet homme, admirant une telle force d'âme, ne put 
s'empêcher de s'écrier : « En vérité, c'est aujourd'hui la 
journée des miracles ! « Ce médecin, homme de science et 
plus encore homme de foi, s'était affectionné à son malade. 
Il le soignait avec un dévouement au-dessus de tout éloge, 
refusant tout salaire et n'épargnant ni ses veilles ni son or 
pour tâcher de le guérir. Comme le don des larmes, que Fran- 
çois avait reçu dans une mesure vraiment extraordinaire, 
était la principale cause de son mal d'yeux, il lui dit dans 
ime de ses visites : « Père, je vous en prie, cessez de pleurer; 
autrement, vous perdrez complètement la vue. » Le Saint 
lui fit alors une réponse digne de lui. « Eh quoi ! mon frère, 
répliqua-t-il, pour garder cette vue corporelle qui nous 
est commune avec les mouches, je m'exposerais à perdre 
les effusions de la lumière divine ! Non, non ; car ce n'est 
pas pour la chair, mais pour l'esprit, que le bienfait de la 
vue nous a été donné (1). « 

Transporté du palais épiscopal à l'ermitage de Fonte- 
Colombo, aux jDortes de Rieti, et voulant donner au méde- 
cin quelque témoignage de sa reconnaissance, François l'in- 
vita à partager le dîner des Frères; et comme ceux-ci lui 
représentaient qu'ils n'avaient rien de convenable à offrir 
à un homme de sa condition : « Allez, leur dit le Saint, et 
ayez confiance. 5) An même moment, en effet, une dame 
frappait à la porte du couvent et apportait dans une cor- 
beille des mets excellents, des poissons, du pain blanc, des 
gâteaux, un rayon de miel et des grappes de raisin que 

(1) Box AV., C. V. 



CHAPITRE XVII. 29r 

François, joyeux, fît servir à son hôte. Celui-ci ne put s'em- 
pêcher de dire aux Rehgieux : ' « Mes Frères, nous n'avons 
pas une assez haute idée de la sainteté de notre malade ; et 
vous-mêmes, qui êtes ses familiers, vous ne sauriez concevoir 
jusqu'à quel point la vertu divine habite en lui (1). » 

Les bons offices du médecin ne demeurèrent point sans 
récompense. Une magnifique maison qu'il venait de faire 
bâtir était déjà lézardée et menaçait ruine ; sa chute parais- 
sait imminente. Il résolut alors de recourir aux moyens sur- 
naturels, et posa dans la fente du mur une mèche des che- 
veux du Saint. Sa foi obtint un miracle ; le lendemain matin, 
la crevasse avait disparu, et les murs s'étaient solidement 
rejoints (2). 

L'oculiste ne fut pas le seul à s'applaudir de la pré- 
sence d'un tel malade ; les habitants des environs de Rieti 
eurent aussi à s'en réjouir. Une épizootie, ce grand fléau des 
campagnes, dévastait alors leurs troupeaux. Un paysan se 
sentit inspiré de prendre quelques gouttes de l'eau dont le 
thaumaturge s'était servi pour se laver les mains. Il en 
aspergea ses brebis et ses bœufs, qui furent à l'instant 
guéris. Son exemple fut imité; l'épidémie disparut entiè- 
rement, et le nom du saint Patriarche fut en bénédiction 
dans toute la contrée (3). 

Le thaumaturge semait les bienfaits et les miracles sur 
ses pas; mais pour lui-même sa guérison se faisait toujours 
attendre, et les médecins avaient même perdu tout espoir. 
Sur leur conseil;, il quitta Rieti pour Sienne, où il trouverait 
un climat plus doux et peut-être des oculistes plus expéri- 
mentés. Il arriva dans cette ville au moment où le prin- 
temps étalait sa royale parure (1226). Il respira l'air pur et 

(1) Tu. DE GiiLANO, Vita secunda, p. 2, c. xin. 

(2) BOKAV., c. VII. 

(3) Id., c. VIII. 



298 SAINT FRANÇOIS D'ASSISE. 

les fortifiantes senteurs de ses collines, mais, hélas! sans en 
retirer aucun soulagement. Changement de lieu, soins et 
remèdes, tout fut inutile. Les plaies des stigmates cruci- 
fiaient toujours sa chair innocente; les poumons et le foie 
étaient atteints, l'estomac délabré, les yeux presque éteints. 
De plus, il fut pris d'un vomissement de sang qui le réduisit 
à la dernière extrémité. 

Averti de cette rechute, le Frère Elie ne douta plus que 
l'heure du dénouement ne fût proche. Il accourut à Sienne, 
et sur le désir du Saint lui-même, il le ramena presque 
mourant en Ombrie. A leur arrivée. Assise fut en liesse, plus 
que si on lui eût annoncé une victoire sur l'ennemi : le 
trésor qu'elle avait failli perdre, ce corps honoré des sacrés 
stigmates dont Sienne, Cortone, Pérouse, lui enviaient la 
possession, lui était restitué! Don Guido, ami et protecteur 
de François jusqu'à la fin, revendiqua l'honneur de lui 
donner l'hospitalité dans son palais. De leur côté, les ma- 
gistrats d'Assise apostèrent des gardes et firent le guet jour 
et nuit autour de leur précieux trésor, pour le mettre à 
l'abri d'un coup de main (1). 

Quant au malade lui-même, loin de craindre la mort, 
cette funèbre messagère dont le seul nom nous glace d'ef- 
froi, il lui souriait comme un ami sourit à son ami. N'était-ce 
pas elle qui allait lui ouvrir les portes de la cité de la paix et 
l'introduire près du trône de son Bien-Aimé? Aussi laissait-il 
percer à travers ses angoisses je ne sais quelle joie qui n'est 
pas de ce monde. Et quoique ses souffrances fussent si 
aiguës, si continuelles, qu'il lui eût semblé plus tolérable 
(lui-même l'avouait) de passer sous la main du bourreau, 
cependant il trouvait encore assez de force pour consoler 
ceux qui l'entouraient. Où puisait-il cette énergie surhu- 

(1) Tu. DE Gelako, Vita prima, p. 2, c. vu. 



CHAPITRE XVII. 299 

maine? Le trait suivant donnera la réponse à cette ques- 
tion. 

Un jour que ses douleurs l'oppressaient plus cruellement 
encore que d'habitude, un petit Frère infirmier, touché de 
compassion, lui dit : « Mon Père, priez donc le Seigneur 
de vous traiter un peu plus doucement ! Il semble que sa 
main s'appesantisse trop durement sur vous! — Si je ne 
connaissais ta simplicité et la droiture de tes intentions, 
répliqua François avec une sainte indignation, j'aurais hor- 
reur de demeurer avec toi, qui trouves à redire aux juge- 
ments de Dieu sur moi. » Et aussitôt, rassemblant toutes ses 
forces, il se jette sur le pavé, et le choc est si violent que ses 
membres endoloris en sont tout froissés. Puis il baise la terre 
en s'écriant : « Seigneur, je vous rends grâces pour toutes 
mes souffrances. AjoLitez-en cent fois plus encore, si c'est 
votre bon plaisir; car mon unique bonheur est d'accomplir 
votre très sainte volonté (1). » Le séraphique Patriarche se 
peint tout entier dans ce mot. Aimer Dieu sans mesure, 
accomplir en tout sa très sainte volonté, et mettre en cela 
tout son bonheur, voilà la clef de sa belle vie et de sa belle 
mort. 

Sentant que le terme de son pèlerinage approchait et que 
la tente de son corps allait bientôt être repliée, il réunit ses 
disciples autour de sa couche dans la salle du palais épisco- 
pal ; et, à l'exemple de Jacob, il étendit ses bras l'un sur 
l'autre en forme de croix pour bénir tous les fils de son 
amour. Il demanda sur quel front reposait sa main droite : 
« Sur la tête du Frère Elie, répondirent les Frères. — 
C'est bien, reprit-il. Mon fils, je te bénis, en tout et pour 
tout; de même que sous ta main le Très-Haut a multi- 
plié mes enfants, de même je les bénis tous en toi. Que Dieu, 

(1) BOSAV., C. XIV 



o 



300 SAINT FRANÇOIS D'ASSISE. 

le souverain Maître de l'univers, te bénisse clans le ciel et 
sur la terre ! Pour moi, je te bénis autant et plus que je ne le 
puis. Je conjure Celui qui peut tout, de suppléer à mon 
impuissance : qu'il se souvienne de tes œuvres, qu'il exauce 
tous tes voeux, et qu'il te donne part un jour à la récompense 
des justes (1). » Dieu devait plus tard, à la dernière heure 
du Frère Élie, se souvenir de la prière et des mérites de 
François mourant. 

Le vénérable fondateur ne pouvait oublier ses chères filles 
de Saint-Damien ; il envoya donc à sainte Claire et à ses com- 
pagnes une dernière bénédiction. A ces témoignages d'une 
exquise délicatesse, on reconnaît bien l'aimable François 
d'Assise, qui pouvait dire de ses enfants spirituels ce que, 
jeune encore^ il disait des pauvres : « Je les porte tous dans 
mon cœur. » Et l'on y voit le signe de la vraie piété, car 
c'est le propre de la religion de transformer tout ce qu'elle 
touche, d'élever les pensées et de purifier, d'agrandir, de 
perfectionner toutes les légitimes affections en les surnatu- 
ralisant. Après avoir ainsi appelé les faveurs du ciel sur son 
immense famille, François pria ses Frères de le transporter 
à Notre-Dame des Anges, lieu béni entre tous, qui était le 
berceau de son Ordre et son séjour de prédilection; « car 
il voulut, dit Thomas de Celano (2), rendre le souffle de sa 
vie mortelle dans ce même sanctuaire où il avait reçu le 
souffle divin de la grâce » . C'était dans les derniers jours 
de septembre 1226. Le Saint était porté sur un brancard. 
Quand on lut dans la j^laine, à peu près à moitié chemin 
entre la ville et le couvent, il demanda si l'on était vis-à-vis 
de l'hospice où, dans les commencements de sa conversion, 
il aimait tant à soigner les lépreux. Sur la réponse affir- 
mative : « Tournez-moi, dit-il, vers la cité. » Puis, se sou- 

(1) Th. de Celaxo, Vita prima, p. 2, c. vu. 

(2) Jd., ibid. 



CHAPITRE XVII. 301 

levant avec effort, le bras gauche appuyé sur l'un des 
Frères, la main droite étendue vers Assise et les yeux au 
ciel, il prononça ces paroles solennelles : 

« Sois bénie de Dieu, ô cité d'Assise, parce que beaucoup 
d'âmes seront sauvées en toi et par toi. Le Très-Haut 
comptera d'innombrables serviteurs dans l'enceinte de tes 
murailles, et bon nombre de tes enfants seront choisis pour 
les tabernacles éternels. Que la paix soit avec toi (1). » 

A toutes ces bénédictions se mêle un nom plein de doux 




Saint François mourant se tourne vers la ville d'Assise et la bénit. (D'après 

Benouville.) 

souvenirs, celui de Giacoma de Settesoli, sa grande bienfai- 
trice de Rome et sa fidèle imitatrice. Dès qu'il fut arrivé à 
la Portioncule, il songea à Jui envoyer un message où il lui 
exprimait le désir qu'il avait de la voir avant de mourir. 
Mais au moment où le courrier allait partir, on entendit un 
grand bruit de chevaux à la porte dn couvent; c'était Gia- 
coma qui arrivait avec une suite nombreuse. Elle lui raconta 
comment elle avait reçu d'un ange l'ordre de partir, et tous 
deux se réjouirent de la grâce et de la joie que la Providence 
leur ménageait. Giacoma, voyant l'état du malade, et ne 
pensant pas qu'il fût si près de sa fin, voulut renvoyer une 

(i) Bautiiélesiy de Pise, Conformités, liv. I, vi. 



302 SAINT FRANÇOIS D'ASSISE. 

partie de ses serviteurs; mais le Saint l'en empêcha. «Ma 
fille, lui dit-il, gardez-les près de vous. Samedi soir^ je retour- 
nerai à Dieu. Quand vous aurez rendu les derniers honneurs 
à ce pauvre corps, vous pourrez reprendre le chemin de 
Rome avec tout votre monde (1). 35 Elle fut ainsi prévenue 
de l'imminence de la catastrophe redoutée, et fut admise, 
en attendant, à contempler le crucifié de l'Alverne, à lui 
prodiguer ses soins, à baiser les plaies saignantes de ses 
pieds et à les arroser de ses larmes : glorieuse exception et 
consolation immense que lui avait valu son inépuisable 
charité pour les serviteurs du Christ. 

Les derniers moments du Patriarche séraphique nous 
offrent d'autres scènes non moins mémorables ; il semble 
même qu'à mesure qu'on avance, elles s'imprègnent d'un 
cachet plus intime et plus émouvant. Ses disciples l'en- 
tourent de leurs soins les plus affectueux, sans pouvoir ni 
s'abandonner à leur affliction de peur de l'attrister, ni con- 
tenir dans leur sein la douleur qui les oppresse. Pour lui, il 
reste toujours calme, toujours maître de lui-même. Son 
visage rayonne d'une douce allégresse, et « son cœur 
chante » , selon la remarqae de son premier historien (2) : 
c'est l'invité qui se prépare aux noces de l'Agneau! Les 
apprêts sont tels qu'on les attend de l'amant de la pau- 
vreté. Dépouillé de sa tunique, étendu sur la terre nue, les 
yeux au ciel, où s'envolent tous ses désirs, et la main sur la 
plaie de son cœur pour en dérober la vue, il dit à ses 
compagnons : « J'ai fait mon devoir; faites le vôtre, jj Et 
les Frères, devinant son intention d'être fidèle jusqu'au 
bout à sa dame la Pauvreté, lui présentèrent un froc et 



(1) Bernard de Besse, T)e laudibus B. Fi\ 

(2) Il Mortem cantando suscepit. » Vita secunda, p. 3, c. cxxxiK. 



CHAPITRE XVII. 303 

une corde d'emprunt, qu'il accepta avec de grands senti- 
ments de reconnaissance (1). 

Chose admirable! le corps était à tonte extrémité; mais 
l'esprit rayonnait en sa plénitude, et dans cette lampe qui 
allait s'éteindre, la lumière de l'intelligence, fernip et pure, 
projetait encore tout son éclat. A cette heure suprême, 
François tirait encore de son cœur les accents les plus 
enflammés sur l'amour de Dieu, avec les plus sages conseils 
sur l'observation de la Règle. Mieux encore : il dictait son 
testament, œuvre magistrale où il peint lui-même à grands 
traits les diverses phases de sa vie, suave effluve d'amour 
qu'il laisse tomber de ses lèvres défaillantes pour l'éternelle 
consolation de ses disciples. Le Frère Auge de Rieti écri- 
vait; les autres Religieux écoutaient avec un filial attendris- 
sement. 

Le testament demandait une clôture, la bénédiction dti 
testateur. " Venez, mes fils bien-aimés, murmura doucement 
le saint Patriarche ; venez, que je vous bénisse avant de 
mourir. » Et il étendit. la main sur leur tête, en déclarant 
expressément qu'il bénissait dans leur personne tous ses 
disciples présents et à venir. Puis, en témoignage de son 
affection et comme symbole d'union fraternelle, il rompit et 
leur distribua un pain qu'il avait bénit (2). Malgré l'immensité 
de leur affliction, les Frères ne pouvaient ni détacher leurs 
yeux du visage de leur séraphiqae Père, ni se lasser d'admirer 
cette lucidité d'esprit, cette patience inaltérable, cette union 
continuelle avec Dieu, ces touchantes exhortations qu'il 
murmurait encore d'une voix presque éteinte. Et si l'on se 
rappelle, en effet, au milieu de quelles angoisses il conser- 
vait cette fraîcheur d'idées, cette sérénité d'âme, on ne peut 
se défendre de partager leur admiration ; les larmes mon- 

(1) Vita secunda, loc. cit.; et Vila prima, p. 2, c. viii. 
• (2). /A.,. loc. cit. 



304 SAINT FRANÇOIS D'ASSISE. 

tent à la paupière, et l'on tombe à genoux pour remercier 
Dieu d'avoir couronné la vie d'un tel homme par une si 
belle fin, et d'avoir ordonné à la mort de respecter jusqu'au 
dernier moment ses facultés mentales, comme il a souvent 
défendu contre la corruption du tombeau les corps des 
Saints, dont le mal n'a jamais terni la virginale pureté. 

Les différentes scènes qu'on vient de lire nous condui- 
sent jusqu'au vendredi 2 octobre. Le lendemain matin, c'est- 
à-dire le samedi, jour consacré à cette Vierge immaculée 
dont il aimait à se proclamer le dévot serviteur, muni du 
Pain des forts, oint de l'buile des mourants — (car on ne 
peut douter qu'il n'ait demandé les derniers sacrements, 
quoique ses historiens n'en parlent pas), — le vénérable 
fondateur porta ses pensées au delà de la mort. Voulant que 
sa dépouille mortelle, son frère le corps, comme il l'appe- 
lait, tombât dans un profond oubli, il désigna d'avance pour 
le lieu de sa sépulture la « Colline d'Enfer » , colline d'igno- 
minie où l'on exécutait les criminels : tant il avait faim et 
soif de mépris et d'humiliations, et tant il était destiné à 
devenir en sa mort, comme en sa vie, la parfaite image du 
Verbe incarné ! Après cela, rentrant en lui-même et regar- 
dant autour de lui, il pensa que tout était prêt pour le grand 
voyage de l'éternité, et il demeura en repos. 

Le soir, au moment où les crêtes de l'Apennin commen- 
cent à incliner leurs ombres vers la plaine, il rassembla ses 
disciples pour la dernière fois autour de son grabat, les 
consola par des paroles pleines de tendresse et les exhorta 
à garder fidèlement la pauvreté, la patience et l'amour de 
Dieu. Puis il les bénit en disant : « Adieu, mes enfants!... 
Adieu à tous !... Je vous laisse dans la crainte du Seigneur. 
Demeurez-y toujours, inviolablement attachés à votre Règle; 
car l'heure des tribidations est proche, et dans la tourmente 
il y aura des défections et des scandales. Heureux qui per- 



CHAPITRE XVII. 305 

sévérera ! Pour moi, je vais à Dieu: j'y vais avec joie, j'ai 
hâte de le voir ; j'y vais avec confiance, je l'ai servi de toute 
l'énergie de mon âme (1). Je vous recommande tous à sa 
grâce (2). j? Les Frères ne pouvaient répondre que par 
leurs larmes et leurs sanglots. Dès qu'il eut fini ses adieux, il 
oublia la terre pour ne plus penser qu'au ciel. Cependant, sur 
son désir et comme pour élever plus facilement son âme 
vers Dieu, les Frères Ange et Léon chantèrent le cantique 
du Soleil et de sa sœur la Mort, à laquelle il souhaitait ainsi 
la bienvenue. Il les pria ensuite de lui lire la Passion 
selon saint Jean. Après cette lecture, il entonna lui-même 
et récita de sa voix mourante le psaume Clxi, qui commence 
par un cri de détresse et finit par un cri d'espérance : 

i<- J'ai élevé la voix pour crier vers le Seigneur, j'ai élevé 
la voix pour implorer son secours. 

« Je verse mes prières en sa présence, et j'expose devant 
lai mon extrême affliction. 

« Quand mon cœur se sent défaillir, vous connaissez mes 
voies. Ils m'ont tendu un piège en secret, dans les sentiers 
où je marchais. 

« Je considérais à ma droite, et je regardais ; et il n'y 
avait personne qui me connût. La fuite m'est fermée, et nul 
ne cherche à me sauver la vie. 

« J'ai crié vers vous, Seigneur, et j'ai dit : Vous êtes mon 
espérance et mon partage dans la terre des vivants. 

« Prêtez l'oreille à ma prière, parce que je suis humilié 
jusqu'à l'excès. Délivrez-moi de ceux qui me persécutent; 
car ils sont devenus plus forts que moi. 

« Tirez mon âme de sa prison, afin que je puisse glorifier 



(1) Tir. DE Celano, Vita prima, p. 2, c. vu; et Vita secunda, p. 3, c. cxxxix, 

(2) BosAV., c. XIV. 



306 SAINT FRANÇOIS D'ASSISE. 

votre nom. Les justes attendent que vous m'accordiez l'éter- 
nelle récompense. 3) 

A ces mots, sa bouche se ferma pour toujours/etson âme 
s'envola dans le sein de Dieu. C'était le 3 octobre, une 
heure après le coucher du soleil (1). 

(1) Tu. DE Gklano, Vita prima, p. 2, c. viii. — Cf. Bonav., c. xiv. 




La cordelièi'e entourant le diiffre d'Anne de Bretafjne. 
■ (Château de Blois.) 



CHAPITRE XVIII 

MAGNIFICENCES DE SON TOMBEAU. 
(1226-1230) 



Il est écrit dans rÉvaiigile: « Quiconque s'abaisse sera 
élevé. » Cette divine promesse s'est-elle jamais plus littéra- 
lement accomplie que dans l'histoire posthume du fils de 
Bernardone? Quel homme, pendant sa vie, méprisa plus la 
gloire? Quel homme, après' sa mort, en fut plus abreuvé ? 
Dès la première heure, sa dépouille mortelle s'entourait de 
nouvelles et mystérieuses splendeui's, dont celles de la grâce 
avaient été le principe et le germe. 

Au moment où il expirait, un vol d'alouettes s'abattait sur 
le toit de Notre-Dame des Anges, et ses « petites sœurs » 
ailées, qu'il avait naguère si gracieusement invitées à célé- 
brer avec lui les louanges du Créateur, rompant avec leurs 
habitudes, — elles qui ne gazouillent jamais que dans un 
rayon de soleil, — se mettaient à chanter avec une mer- 
veilleuse douceur, comme pour fêter son couronnement 
dans le ciel (1). 

Le Frère Augustin d'Assise, Provincial de la Terre de 
Labour, homme de mérite et d'une saiiiteté consommée, vit 
l'âme du saint Patriarche monter au firmament sous la 
forme d'une étoile resplendissante ; et se soulevant avec 

(1) BONAV., C. XIV. 



308 SAINT FRANÇOIS D'ASSISE. 

effort sur la couche où la douleur l'avait cloué : « Mon Père, 
cria-t-il, attendez-moi, je m'en vais avec vous. » Et son âme, 
brisant la frêle enveloppe de son corps, fit cortège à celle de 
son Bienheureux Père, Saint François apparut également à 
son illustre ami Guido, évêque d'Assise, qui revenait alors 
du pèlerinage du mont Gargano et se trouvait à Bénévent : 
« Je quitte ce lieu d'exil, lui dit-il, et m'en vais à la 
patrie (1). » Tous ces événements se passaient dans la nuit 
du 3 au 4 octobre. 

Le corps du défunt était une relique sans prix. Aussi les 
Frères l' entourèrent-ils des marques de la plus profonde 
vénération. Giacoma de Settesoli, cette pieuse matrone en 
qui le P. Orlando salue une suave image de sainte Marie- 
Madeleine (2), pourvut aux frais des décorations funèbres 
et de l'inhumation; et grâce à sa munificence, le corps, 
revêtu d'une tunique neuve ouverte au cœur, et entouré 
d'essences et de parfums auxquels se mêlait une odeur toute 
céleste, fut étendu sur de magnifiques tapis pour être exposé 
à la vénération du peuple. 

La nouvelle de cet événement se répandit avec la rapidité 
de la foudre dans la ville d'Assise. « Le Saint est mort! le 
Saint est mort! 55 criait-on de toutes parts. Le soir même, 
les habitants descendirent à la Portioncule pour vénérer les 
restes de celui qu'ils avaient invoqué commeun Saint, même 
de son vivant. Chacun put alors les contempler à loisir et 
satisfaire sa dévotion. « Autant François s'était fait petit et 
humble, dit saint Bonaventure, autant Dieu prenait plaisir 
à le glorifier après sa mort. Son âme avait franchi les par- 
vis célestes, et buvait à longs traits aux sources de la vie; 
mais en se séparant de son corps, elle lui avait laissé dans 

(1) BONAV., C. XIV. 

(2) Saint François d'Assise, par le R. P. G. Orlando, S. J. (Voir la Sicilia 
cattolica, 4" art., septembre 1882.) 



CHAPITRE XVIII. 



309 



r empreinte des sacrés stigmates un gage certain de résur- 
rection glorieuse. Dans ses mains et dans ses pieds, on 
voyait des clous miraculeusement formés de sa chair et 
tellement adhérents, que, poussés d'un côté, ils avançaient 
de l'autre, comme des nerfs fort durs et d'une seule pièce. 
Rien n'empêchait plus de voir la plaie du côté qu'il cachait 
avec tant de soin pendant sa vie, cette plaie que la main de 
l'homme n'avait point faite et qui rappelait à l'esprit celle 



■!■ ■ ■" 







Saint François mourant se fait lire la Passion. — Il apparaît à l'évêque d'Assise 
et le convainc de la vérité des sti{;mates. (D'après Giotto.) 



du Seigneur Jésus. Les clous avaient la couleur grisâtre du 
fer ; mais la blessure du côté, avec sa couleur vermeille et 
ses bords repliés, ressemblait à une belle rose fraîchement 
épanouie. Le teint du saint Patriarche, naturellement brun, 
un peu basané, avait recouvré l'éclat et la fraîcheur du 
premier âge, et ses membres la souplesse de l'enfance : 
autant de symboles de la pureté de son âme! On eût dit 
un autre Christ descendu de la croix et prêt à être enseveli 
dans le tombeau. 



310 SAINT FRANÇOIS D'ASSISE. 

« Cependant, parmi les fidèles qui vinrent baiser les stig- 
mates, on remarqua un chevalier de grande réputation, 
nommé Jérôme, incrédule comme l'apôtre saint Thomas : 
comme lui, il examina minutieusement et palpa du doigt les 
cinq plaies du Bienheureux Père, et comme lui aussi, il fut 
délivré de tout doute à cet égard. Il devint dans la suite 
l'un des plus chauds défenseurs de la réalité du miracle. 
Pendant toute la nuit, les Religieux, les Tertiaires et les 
amis du Saint chantèrent sans interruption des psaumes et 
des cantiques devant sa dépouille mortelle : si bien qu'on 
eût cru assister à la fête d'un Ange plutôt qu'aux funérailles 
d'un homme (1). » 

Le lendemain dimanche, 4 octobre, eurent lieu les obsè- 
ques, ou plutôt le triomphe du fidèle serviteur de Dieu. 
Laissons un témoin oculaire, Thomas de Celano, nous en 
retracer les scènes imposantes. 

Dès le matin, le clergé et les consuls d'Assise se rendirent 
à Notre-Dame des Anges pour transporter solennellement 
les restes de leur compatriote. Toute la ville était là; de 
plus, une foule innombrable, accourue de tous les points 
de l'Ombrie, encombrait la plaine. Le convoi défila lente- 
ment et avec ordre. Les trompettes guerrières ouvraient 
la marche, selon l'usage du temps ; puis venaient les 
fidèles portant des rameaux d'olivier, et après eux les 
Frères, tenant des torches ardentes à la main. Deux magis- 
trats et deux Frères Mineurs portaient le corps sur leurs 
épaules. Le clergé fermait le cortège, et s'avançait au chant 
des psaumes et des hymnes de l'Église. Au lieu de prendre 
le chemin le plus direct, on choisit le sentier détourné qui 
mène au monastère de Saint-Damien. On déposa le corps 
dans la chapelle des Pauvres Dames, afin qu'elles eussent la 

(1) BOSAV., C. XV. 



CHAPITRE XVIII. 



311 



consolation de contempler une dernière fois le visage trans- 
figuré de leur fondateur. On ouvrit la grille à travers laquelle 
on leur donnait la sainte communion; et Claire, malade, 




Obsèques de saint François. — Le cortège s'arrête à Saint-Damien pour donner 
à sainte Claire et aux Pauvres Dames la consolation de vénérer le corps inanimé 
de leur Père. (D'après Giotto.) 



portée dans les bras de ses filles, put vénérer, toucher et 
baiser, non sans verser beaucoup de larmes, les cinq plaies 
du stigmatisé de l'Alverne. Elle essaya d'arracher un des 
clous miraculeux pour le conserver comme relique ; mais 



312 SAINT FRANÇOIS D'ASSISE. 

a 

voyant qu'elle n'y pouvait réussir, elle se contenta de 
tremper un linge dans le sang qui coulait de la blessure, et 
de prendre la mesure exacte de la taille du Saint pour faire 
peindre son portrait dans le chœur des Religieuses. 

« Lorsque le convoi se remit en marche, les servantes du 
Christ éclatèrent en gémissements j jamais orpheline pleu- 
rant sur la tombe de sa mère ne fit entendre des plaintes plus 
déchirantes. — O l'amère séparation! s'écriaient-elles en 
sanglotant... notre Père!... Notre Père, que ferons- 
nous? Qu'allons-nous devenir?... Tout notre bonheur s'en- 
vole avec vous !... Ainsi leur cœur était partagé entre la 
tristesse et la joie, la tristesse d'avoir perdu celui qu'elles 
aimaient, etlajoie de le savoir déjà couronné dans les cieux. 
Cependant, on emporta la précieuse dépouille, et la porte 
du monastère se referma pour ne plus s'ouvrir jamais à de 
pareilles douleurs (1). » 

Le cortège traversa les rues d'Assise, tendues de dra- 
peries et de guirlandes de verdure, jusqu'à l'église Saint- 
Georges, où la dépouille mortelle fut déposée dans une 
châsse en cyprès. « C'est là que notre Saint avait été initié 
à l'étude des lettres chrétiennes; c'est là qu'il avait pour la 
première fois prêché la pénitence et l'amour de Dieu : là 
devait être aussi son premier lieu de repos (2). » 

Le PVère Elie, dont les pouvoirs de Vicaire général furent 
prorogés jusqu'au Chapitre général d'Assise (1227), s'em- 
pressa d'envoyer à tous les supérieurs la nouvelle de la 
mort du saint fondateur. Sa lettre, écrite sous le coup de 
la première émotion, est un modèle d'oraison funèbre; et 
nous nous faisons un devoir d'en reproduire les passages les 
plus importants. 



(1) Tu. DE Celano, Vita prima, p. 2, c. xv. 

(2) BO-NAV., c. XV. 



CHAPITRE XVIII. 313 

« Au Frère Grégoire, Provincial de France, Frère Elie, 
pécheur. Salut, 

« Avant de commencer à parler, je pleure, et ce n'est pas 
sans motif. La douleur envahit mon âme comme un torrent 
débordé. Hélas ! le malheur que je redoutais a fondu sur 
nous : celui qui nous consolait n'est plus. Chéri de Dieu et 
des hommes, il est monté au séjour de la lumière, lui qui 
enseignait à Jacob la loi de la science et de la vie, et qui a 
laissé à Israël le testament de la paix. Nous ne saurions trop 
nous réjouir pour lui; nous ne saurions trop pleurer sur 
nous-mêmes, privés que nous sommes de sa présence et 
comme ensevelis à l'ombre de la mort. La perte est pour 
tous ; le péril n'est que pour moi, à cause des soucis et de 
l'affliction qui m'oppressent. Ma douleur est sans ifiesure; 
voilà pourquoi, mes frères, je viens vous conjurer de la par- 
tager, comme je partage la vôtre. Nous sommes orphelins 
et privés de la lumière de nos yeux. Oui, notre Père était 
vraiment une lumière envoyée par la vraie Lumière pour 
iious et pour les gens du siècle, une lumière éclairant les 
hommes assis dans les ténèbres de la mort, afin de diriger 
leurs pas dans les voies delà paix. Semblable au soleil dans 
son midi, il éclairait les esprits, et il échauffait les cœurs du 
feu de son amour, prêchant partout le royaume de Dieu et 
préparant au Seigneur une génération nouvelle. Son nom 
s'est répandu jusqu'aux îles les plus lointaines, et les diffé- 
rentes contrées de la terre ont admiré ses œuvres. 

« Ne vous attristez pas outre mesure ; car Dieu, qui est le 
père des orphelins, ne nous refusera pas ses fortifiantes 
consolations. D'ailleurs, François est passé à une vie meil- 
leure; et avant de mourir, il a béni tous ses enfants, comme 
un autre Jacob, leur pardonnant toutes les fautes qu'ils 
auraient pu commettre contre lui. Et maintenant, voici que 
je vous annonce une grande joie et un prodige inouï jusqu'à 



314 SAINT FRANÇOIS D'ASSISE. 

nos jours. C'est que peu de temps avant sa mort, notre Père 
a reçu et porté dans sa chair les stigmates de Jésus crucifié. . . 
Bénissez donc le Dieu du ciel et de la terre; louez-le de ses 
éternelles miséricordes, et souvenez-vous de notre vénérable 
Père en Dieu. Priez pour lui, c'est son dernier désir; et 
invoquez-le lui-même, afin de mériter de participer à sa 
gloire. Il est mort samedi soir, 3 octobre, une heure après la 
tombée de la nuit. Priez-le de mettre à notre tête un autre 
lui-même, un chef vaillant comme les Macchabées, poumons 
conduire au combat. Et parce que c'est une pensée salutaire 
de prier pour les défiints, priez pour le repos de son âme. 
Chaque prêtre dira trois messes, chaque clerc le psautier, 
les fi'ères laïques cinq Pater; les clercs chanteront avec solen- 
nité les' vigiles des morts. — Frère ÉUe, pécheur (1). » 

On est heureux de retrouver un tel éloge de notre Saint 
dans la bouche du Frère Elie, dont le témoignage ne saurait 
être suspect. 

Par respect pour les dernières volontés de leur Père, les 
PVères Mineurs ne mirent aucune épitaphe sur sa tombe ; 
mais le Très-Haut allait se charger lui-même de rendre cette 
tombe à jamais illustre, à jamais éloquente, à force de pro- 
diges et de bienfaits. A peine était-elle fermée, qu'elle deve- 
nait un foyer d'action surnaturelle et par suite un centre de 
pèlerinage. 

Ici, c'est une jeune fille d'Assise qui a la tête monstrueuse- 
ment retournée sur l'épaule, et qui se relève guérie ; là, c'est 
un vieillard, compatriote et ami du Saint, et aveugle depuis 
cinq ans, qui recouvre soudainement la vue (2). 

« A Capoue, un enfant, jouant sur la rive du Volturno, 
tombe dans le fleuve et s'y noie. Bientôt la foule s'attroupe 

(1) Saint François et les Franciscains, par le P. Pajipuile, t. I, c. vin, 
n. XX. 

(2) Tel de Celano, Vita prima, De canon. 



CHAPITRE XVIII. 



315 



autour du cadavre ;Jes chrétiens et les Juifs eux-mêmes, 
émus de la douleur du père de cet enfant, invoquent le nom 
de saint François. Et sur-le-champ le mort ressuscite, se 
jette dans les bras de son père, et le prie de le conduire à 
l'église du saint Patriarche, auquel il se reconnaît redevable 
de la vie (1). 




Saint François ressuscite une jeune fille. (D'après Giotto.) 

« A Pennaco, dans la Fouille, une mère pleure sur le 
cadavre de sa fille unique, et s'oppose aux funérailles, dans 
l'espérance que saint François ne l'abandonnera point dans 
une pareille affliction. Sa prière n'est point perdue : le Saint 
lui apparaît, et lui rend sa fille pleine de vie et de santé. 

« Autre prodige plus surprenant encore. A Monte Marano, 
près de Bénévent, une femme venait d'expirer, et déjà les 
clercs récitaient l'office des morts autour de sa couche fu- 



(1) BoNAv. , Z?e ??i£/ac. 



316 SAINT FRANÇOIS D'ASSISE. 

nèbre. Tout à coup, au milieu de la nuit, elle soulève le drap 
mortuaire, appelle un des prêtres, son parrain, et lui dit : 
Mon Père, je veux me confesser. Morte, j'étais réservée 
au supplice sans fin des ténèbres extérieures, pour avoir 
caché un péché mortel en confession. Grâce à l'intercession 
de saint François d'Assise, pour qui j'ai toujours eu la 
plus vive dévotion. Dieu m'a renvoyée sur la terre pour 
compléter ma confession. Dès que vous m'aurez entendue 
et absoute, j'irai au séjour du repos qui m'a été promis. » 
Elle se confesse en tremblant au prêtre, qui tremble plus 
qu'elle-même; et dès qu'elle a reçu le divin pardon, elle se 
rendort, cette fois, dans le baiser du Seigneur, et c'est pour 
toujours (1). » 

L'Ombrie avait le bonheur de posséder la dépouille même 
du Saint. On accourait de loin pour la vénérer. En France, 
on accueillit avec enthousiasme une relique beaucoup plus 
modeste, l'oreiller sur lequel avait reposé sa tête mourante. 
« Le Roi, la Reine et les seigneurs, avec les savants et les 
lettrés dont Paris est depuis longtemps le berceau ou le 
rendez-vous, accoururent au-devant de cette relique et la 
baisèrent avec respect, par dévotion pour le Saint. Non sans 
raison ; car François avait véritablement, plus que personne 
au monde, le caractère franc et noble (2). » 

En Italie, en France, en Allemagne, partout les miracles 
se multipliaient, si nombreux, si éclatants, que pour le -puis- 
sant thaumaturge la question de canonisation se posa au 
lendemain, pour ainsi dire, de son trépas. 

Honorius lïl était mort le 18 mars 1227. Dès le lende- 
main, le cardinal Ilugolin était élu Pape par acclamation, 
et prenait le nom de Grégoire IX. Ainsi l'Ordre naissant 

(i) BoyAv., De mhac. 

(2) Il Vere Franciscus, qui super omnes cor francum et nobile gessit. » (Tn. de 
Celano, Vita prima, p. 3, c. i.) 



CHAPITRE XVIII. 317 

perdait un protecteur, pour en retrouver un autre encore 
plus intimement lié à la famille franciscaine. 

C'est à Grégoire IX que la Providence réservait, comme 
une consolation dans sa vieillesse et une force dans ses 
épreuves, l'honneur et la joie de proclamer l'iiéroïsme des 
vertus du sérapliique Patriarche. Les commencements de 
son pontificat furent orageux. En 1228, dans le temps des 
fêtes pascales, une sédition fomentée par les émissaires de 
l'empereur d'Allemagne, et soutenue par cette fraction de 
l'aristocratie romaine qui jalouse toujours la puissance des 
Papes, contraignit l'auguste vieillard à prendre le chemin 
de l'exil. Il chercha un refuge au milieu des populations 
fidèles de l'Ombrie, d'abord à Rieti, puis à Spolète, d'où, il 
se rendit à Assise pour visiter le monastère des Pauvres 
Dames de Saint-Damien, et peut-être plus encore pour 
recommander à leur saint fondateur la barque de Pierre si 
violemment agitée. Sur les instances des habitants, qui d'une 
voix unanime le pressaient d'inscrire au catalogue des Saints 
celui qu'ils appelaient « l'ange d'Assise, l'apôtre de l'Italie, 
le grand thaumaturge de son siècle » , il ordonna de com- 
mencer inimédiatement les procédures d'usage. Avant de 
partir pour Pérouse, où l'appelaient ses démêlés avec Fré- 
déric II, il chargea les évêques d'Ombrie de faire dans leurs 
diocèses respectifs l'enquête juridique sur la doctrine et sur 
les actes de François, et nomma une commission spéciale, 
composée des cardinaux les moins favorables à la cause (1), 
pour examiner toutes les pièces du procès. 

On abrégea les délais ordinaires des béatifications ; et 
cette mesure ne surprendra personne : toute la chrétienté 
retentissait du bruit des miracles de notre Bienheureux, et 
les témoins vivaient encore ! Le Vicaire de Jésus-Christ, 

(1) BONAV., C. XV. 



318 SAINT FRANÇOIS D'ASSISE. 

agissant avec cette maturité que l'Église apporte dans toutes 
les questions de foi et de discipliné, examina lui-même en 
plein consistoire la validité de la procédure, approuva les 
rapports, et, usant de la plénitude de son pouvoir, fixa au 
dimanche 16 juillet 1228 la solennité de la canonisation. 
Il tressaillait de joie, en voyant l'Église renouvelée et 
consolée par des vertus et des miracles qui rappelaient les 
premiers temps du christianisme (1). 

Le 15 juillet, il quitta PérOuse, escorté de toute sa cour, 
et fit une entrée triomphale dans la patrie du Saint, où l'at- 
tendaient F évêque diocésain et Jean Parent, récemment élu 
Ministre général au Chapitre d'Assise (1227), et succes- 
seur immédiat du séraphique Patriarche (2). Thomas de 
Celano se plaît à nous redire avec quels transports de joie 
la vieille cité lui ouvrit ses portes, et comment elle fut obli- 
gée, en ce jour-là, de dilater son.enceinte, trop étroite pour 
contenir les flots de peuple, de prélats et de gentilshommes, 
que l'annonce de cette fête avait attirés de tous ]es points 
de l'Italie (3). 

Le lendemain dimanche, 16 juillet, l'église Saint-Georges, 
où reposait le corps béni, était richement décorée pour la 
circonstance, et Grégoire IX s'y rendait en grande pompe. 
Autour de lui se pressaient les cardinaux, les évêques, les 
abbés mitres, les prêtres, les fils et aussi les filles du saint 
Patriarche. Après une fervente prière, le Pontife monta sur 
le trône qui lui avait été préparé, voulut pujDlier lui-même 
les louanges de celui dont il avait été si longtemps le pro- 
tecteur et l'ami, et prit pour texte de son allocution ces 
paroles du Sage : « Il a brillé dans le temple de Dieu, 



(1) Tu. DE Celano, Vita prima, p. 3, c. i. 

(2) Saint François et les Franciscainx, par le P. Pampuile de Magliano, t. I, 
c. XVII. 

(3) Tii. DE Celano, Vita prima, De canonis. — Cf. Très socii, c. xvii. 



CHAPITRE XVIII. 319 

comnie le soleil brille en son midi. » Le cardinal Octa- 
vien,. cousin d'Innocent III, lut ensuite, à haute voix, la 
relation des miracles juridiquement constatés. Cette lecture 
donna lieu à une scène des plus émouvantes, et peut-être 



Saint François dans la gloire. (D'après Puccio Capanna.) 

sans exemple dans l'histoire. La plupart des personnes 
sur qui s'étaient opérés ces prodiges étaient présentes 
dans l'auditoire; elles auraient pu répondre, n'eût été la 
sainteté du lieu : « C'est vrai!... C'est à moi que cela 
est arrivé ! » Elles gardaient le silence, mais ce silence 
éloquent où le visage rayonnant d'allégresse traduit les sen- 
timents qui emplissent le cœur. Toute l'assemblée parta- 



320 SAINT FRANÇOIS D'ASSISE. 

geait leur enthousiasme, et chaque fois qu'un nouveau 
nom était prononcé, c'était un nouveau fréniissiement d'ad- 
miration. 

Un second orateur, le cardinal Rainerio Capoccio, jadis 
intimement lié avec les saints Patriarches Dominique et 
François, raconta à son tour ce qu'il savait sur la vie de ce 
dernier. L'assistance était frémissante d'émotion. Enfin, le 
Souverain Pontife, les mains et les yeux au ciel, en face de 
la foule haletante et recueillie, prononça ces solennelles 
paroles : 

« A la gloire de Dieu tout-puissant. Père, Fils et 
Saint-Esprit, de la Bienheureuse Vierge Marie et des 
saints apôtres Pierre et Paul, et à l'honneur de l'Église 
romaine, — Nous avons résolu, de l'avis de nos frères les 
Cardinaux et les autres prélats, d'inscrire au catalogue des 
Saints, le Bienheureux Père François, que Dieu a glorifié 
dans le ciel et que nous vénérons sur la terre. Sa fête sera 
célébrée le 4 octobre (1). » 

Alors, il entonna le chant du triomphe, le Te Deum, que 
continuèrent les cardinaux et les Frères Mineurs. Le peuple 
y répondit par d'immenses acclamations, et les joyeuses 
volées des cloches annoncèrent au loin la promulgation du 
décret de canonisation. Grégoire IX, descendant ensuite de 
son trône, alla se prosterner devant la châsse du nouveau 
Saint, y colla ses lèvres, y déposa son offrande, selon 
l'usage, puis revint offrir le saint sacrifice de la messe. Les 
fils du saint Patriarche, un cierge ou une branche d'olivier 
à la main, formaient une couronne autour de l'autel et chan- 
taient en chœur : 

« Franciscus pauper et humitis cœlum dives ingreditur ; 
hymnis cœlestibus lionoratur : L'humble et pauvre François 

(1) Tu. DE Gelaso, Vita prima^ De canon. 



CHAPITRE XVIII. 321 

monte riche de mérites au ciel; les chœurs angéliques célè- 
brent son triomphe. » 

Après la messe, le Saint-Père bénit la foule, qui se retira 
émerveillée. 

La canonisation des Saints est toujours ime ovation sans 
égale, une ovation qui se tient, pour ainsi dire, sous les por- 
tiques du temple éternel. Celle du séraphique Père se dis- 
tingue pourtant, entre toutes, par plusieurs circonstances 
exceptionnelles que nous ne pouvons passer sous silence. 
C'était la première fois qu'en dehors de Rome, un Pape 
accomplissait ce grand acte sur la tombe même du nouveau 
Saint; de plus, le Saint-Siège portait un jugement définitif, 
moins de deux ans après la mort de l'élu de Dieu, Enfin, s'il 
faut en croire certaines traditions (1), Pica, la vieille mère 
de François, était présente à ces triomphales cérémonies. 
Vivante ou morte, la mère était couronnée dans le fils. 

Trois jours après la cérémonie, Grégoire IX expédia à 
tous les fidèles de l'univers la bulle de canonisation, datée 
de Pérouse (19 juillet 1228), bulle qui n'est pas seulement 
un monument de la plus haute autorité, mais aussi le plus 
splendide panégyrique du Saint. 

Avant de mourir, François avait désigné la Colline d'En- 
fer pour le lieu de sa sépulture. Quand le Frère Élie se mit 
en devoir d'exécuter les dernières volontés de son Bienheu- 
reux Père, toute la cité se récria contre lui, regardant le 
choix de cet emplacement comme un outrage pour elle- 
même et pour la mémoire du plus illustre de ses fils. Il 
fallut en appeler à la décision du Pape. Grégoire IX ap- 
prouva les idées et les plans d'Élie; mais, par une inspiration 
vraiment admirable, il décréta que dorénavant la Colline 

(1) Pica survécut-elle à son fils ou le précéda-t-elle dans la tombe ? Les auteurs 
contemporains n'ont pas touché cette question, et les écrivains postérieurs sont 
partagés. 

21 



322 SAINT FRANÇOIS D'ASSISE. 

d'Eufer se nommerait la Colline dn Paradis. En même temps, 
il commanda au Frère Élie de bâtir une basilique digne du 
trésor qu'elle allait contenir, et en bénit lui-même la pre- 
mière pierre au lendemain des solennités de la canonisa- 
tion. Trois mois après, il la plaçait sous la juridiction immé- 
diate du Saint-Siège, moyennant une redevance annuelle 
d'une livre de cire, et l'établissait mère et maîtresse de 
toutes les églises de l'Ordre (1). Sa dévotion à saint François 
se traduisait encore par d'autres largesses; car, malgré le 
malaise général causé par la révolte de Frédéric II, il con- 
tribuait royalement de ses propres deniers à l'érection du 
mausolée. A son offrande vinrent se mêler l'or des princes 
et l'obole du pauvre. 

Avec de si hauts encouragements et l'aide de l'architecte 
le plus renommé de cette époque, Jacques l'Allemand, le 
Frère Élie était à même de pousser les travaux avec acti- 
vité. On ne peut se le dissimuler, l'entreprise était gigan- 
tesque. La « Colline du Paradis » , adossée aux remparts, à 
l'extrémité occidentale de la ville, n'était qu'une masse de 
roches plus ou moins irrégulières. Il fallut arracher du sol 
une montagne énorme pour poser dans cette crypte le tom- 
beau de saint François. Sur les sommets granitiques de la 
colline, nivelés avec art, Jacques l'Allemand assit solide- 
ment une église qui renferme autant de merveilles que de 
pierres. 

Dès le printemps de l'année 1230, le Ministre général, 
qui était toujours Jean Parent (2), après a voir rendu compte 
à Grégoire IX de l'état des travaux et avoir pris ses ordres, 
écrivit à tous les Frères Mineurs et à tous les princes chré- 
tiens, pour leur annoncer que la translation du corps de 
saint François, de l'église Saint-Georges dans la nouvelle 

. (1) Brei Becoleiites (22 octobre 1228), et bulle Is qui Ecdesiam (22 avril 1230). 
(2) Bernard de Besse, De laud. B. Fr. 



CHAPITRE XVIII. 323 

basilique, aurait lieu le 25 mai de la même année, et qu'il 
ouvrirait le même jour le Chapitre général. 

Le Pape promit d'aller, en personne, présider la céré- 
monie, et, le 16 mai de la même année, il publia le hre£ Mi- 
rificans, où il laissait déborder à flots l'allégresse de son 
âme et invitait les fidèles à venir en foule gagner les indul- 
gences qu'il accordait à cette occasion. " Mais, retenu par la 
gravité des événements politiques (1) », il se fit remplacer 
par des légats, et nomma commissaires apostoliques pour la 
circonstance le Ministre général et quelques autres Reli- 
gieux du même Ordre (2) . 

Le nom de Frère Elie n'est pas prononcé dans l'ency- 
clique pontificale. Il fut même alors vertement réprimandé 
parle Général pour avoir, de son propre chef, invité tous 
les Frères à assister au Chapitre de la Pentecôte (3). 'Mis 
à l'écart, il en conçut un dépit mortel, qu'il ne sut pas répri- 
mer. Son plan de vengeance fut vite arrêté. Il était dans les 
meilleures relations avec les magistrats d'Assise ; il alla les 
trouver et leur représenta qu'il y avait un intérêt majeur à 
prévenir l'arrivée d'étrangers en nombre si considérable; 
qu'il fallait à tout prix soustraire la dépouille du Saint aux 
convoitises et à la rapacité des cités voisines, et que le parti 
le plus sage était de la déposer secrètement dans un caveau 
creusé à cet effet sous l'emplacement de l'autel de la nou- 
velle basilique. 

Si étrange que fût la proposition, elle fut acceptée. En 
conséquence, le 22 mai, c'est-à-dire trois jours avant le 
jour fixé pour la solennité, les archers de la ville enlèvent 
clandestinement de Saint-Georges le sarcophage de pierre 
avec les ossements qu'il renferme, le transportent sur la 

(1) Bernard de Besse, Ioc. cit. 

(2) Bulle 5/)eravi?mt.9, 16 juin 1230.. 

(3) Tii. Eccleston, coll. xiii. 



324 SAINT FRANÇOIS D'ASSISE. 

Colline du Paradis, et le recouvrent d'une double dalle 
et d'une maçonnerie solide, le tout sans clergé ni témoins 
officiels (1). 

- Les saintes reliques se trouvaient ainsi à l'abri de toute 
profanation ; mais une translation faite dans des conditions si 
irrégulières n était-elle pas la plus audacieuse des profana- 
tions? Ce fut le cri universel des habitants d'Assise, aussi 
bien que le sentiment intime de Jean Parent et des légats, 
lorsqu'ils apprirent ce qui s'était passé (2). 

Cependant, lesfêtesdelaPentecôteapprochaientjlesFrères 
Mineurs arrivaient par groupes, et derrière eux des centaines 
de pèlerins, encombrant la cité et les alentours (3). Il fallait 
prendre une décision. Pouvait-on condamner cette multitude 
d'étrangers à une cruelle déception? On ne le crut pas, et il 
fut décidé que les fêtes auraient lieu quand même, et au jour 
désigné par Grégoire IX, c'est-à-dire le 25 mai, veille de la 
Pentecôte. « Elles se firent malgré tout, remarque le chro- 
niqueur allemand, avec une grande magnificence (4). » Il 
entend par là sans doute qu'on ne retrancha rien au pro- 
gramme projeté, et que la procession traversa triompha- 
lement les rues de la ville, de l'église Saint-Georges à la 
basilique de Saint-François. Les légats exprimèrent publi- 
quement le regret de Grégoire IX de ne pouvoir présider 
lui-même ces fêtes religieuses, et ils lurent la lettré aposto- 
lique où il racontait, pour leur consolation et à la louange 
de saint François, un miracle insigne récemment obtenu en 



(1) « Corpus S. Francisci, tertià die antequam Fratres convenissent, translatuiii. 
erat. " (Tu. Eccleston, coll. xiii.) — « Fecit Frater liclyas, quioinnia perpoten- 
tiam sœcularein exequebatur, non obstante quod Frater Johannes Parens Ordini 
prœsidebat, eamdein B. Francisci translationcin fieri occulte. » (Glassbeiigeu, 
apud Analecla Franciscana, t. II, p. 49.) Cf. la Chronique des vingl-quatre 
généraux, 

(2) Glassdeuger, Ioc. cit. — Cf. Bulle Speravimus, 

(3) Beunard de Besse, De laud. B. Fr, 

(4) Glassbeugëu, Ioc. cit. 



CHAPITRE XVITI. 325 

Allemagne, la résurrection d'un mort (1). Ils présentèrent 
ensuite les dons qu'il destinait au nouveau sanctuaire : une 
croix d'or, enrichie de pierres précieuses et contenant une 
parcelle de la vraie croix, des vases sacrés, des ornements 
précieux et une grosse somme d'argent pour l'achèvement 
de l'édifice (2). 

Dieu daigna montrer, par « de nombreux miracles (3) » , 
combien lui étaient agréables ces hommages rendus à la 
mémoire de son serviteur. Saint Bonaventure en cite un 
que nous rapportons dans sa touchante simplicité. Un dis- 
ciple du séraphique Patriarche, le Frère Jacques d'Iseo, 
était atteint depuis son enfance d'une infirmité incurable 
qu'il avait réussi à dissimuler au moment de son admission 
dans l'Ordre. Il prenait part à l'ovation décernée à son 
Bienheureux Père; mais sa foi réclamait une joie plus com- 
plète. Il s'approche donc du mausolée qui contenait les 
ossements sacrés, prie le Saint avec toute la ferveur de son 
âme, et se relève subitement et radicalement guéri (4). 

Ainsi, l'absence du corps vénéré n'avait pas empêché les 
manifestations publiques ni refroidi la piété des pèlerins. 
Néanmoins, l'inqualifiable conduite du Frère Elle et des 
magistrats d'Assise méritait une punition. Elle ne se fit pas 
attendre. Le 16 juin, Grégoire IX, blessé au cœur par des 
procédés si inconvenants, jetait l'interdit sur la nouvelle 
basilique, menaçait de la dépouiller de ses privilèges et 
défendait aux Frères d'y tenir chapitre, si le Siège aposto- 
lique, gravement outragé, n'obtenait satisfaction dans un 

(1). Glassbeuger. — Cf. Bref Mirificans, 16 mai 1230. 

(2) Très socii, c. xviii. 

(3) it Miracula plurima. » (Bokav., c. xv.) 

(4) Jcl., De miracul. — Salirnbèné raconte le même fait et y ajoute la même 
réflexion : » Multa etiam miracula fccit eaclem die Deus per servum suum Fran- 
ciscum. 1) [Ch)'on. Parm., p. 29.) L'exjiression eaclem die ne se rapporte-t-elle 
pas plus naturellement à la solennité officielle du 25 mai qu'à la translation 
clandestine ? > 



320 SAIINT FRANÇOIS D'ASSISE. 

délai de quinze jours (1). La vieille cité ne s'endurcit point 
dans les voies de la révolte, et le Pontife pardonna sans peine 
une faute dont la responsabilité retombait principalement 
sur le Frère Élie (2). 

Ajoutons à la charge de celui-ci que la translation clan- 
destine du 22 mai eut des conséquences aussi durables que 
fâcheuses : on resta plus de six siècles sans connaître le lieu 
précis où reposaient les reliques du saint Patriarche. L'ima- 
gination des peuples eut beau jeu pour composer les plus 
gracieuses légendes sur l'attitude et les qualités du corps 
stigmatisé j mais la certitude faisait défaut. Ce n'est qu'au 
dix-neuvième siècle qu'on a déchiré le voile qui recouvrait 
ce mystère, et voici dans quelles circonstances. En 1818, 
Pie VII autorisa le Père Joseph de Bonis, général de l'Ordre 
des Conventuels, à faire des fouilles dans les flancs rocheux 
de la montagne, sous le maître-autel de l'église inférieure. 
Après un travail secret de cinquante-deux nuits, on décou- 
vrit enfin la grille de fer ; et dans la nuit du 12 décembre, la 
châsse apparut en entier. Le squelette était intact et répan- 
dait une odeur suave j lès bras étaient croisés sur la 
poitrine, la châsse était en travertin, et d'une grandeur 
disproportionnée à celle du corps ; une pierre placée sous 
la tête du squelette tenait lieu de coussin mortuaire. On 
sait que c'était là l'oreiller ordinaire de notre Saint. Autour 
du tombeau gisaient dans la poussière un anneau d'argent 
avec une cornaline antique encastrée dans le chaton, des 
débris d'étoffe, des pièces de monnaie du temps, et vingt- 
huit grains de chapelet, douze en ambre et seize en ébène. 
Il n'y avait pas d'inscription tumulaire ; mais aussi bien à 
quoi eût-elle servi ? La basilique ne portait-elle pas le titre 

(1) Bulle Speravimus. 

(2) « Elie se retira dans un ermitage et trompa tout le monde par les dehors 
d'une pénitence qui n'était rien moins que sincère. « (Tu. Eccleston, coll. xiii.) 



CHAPITRE XVIII. 327 

de « Sépulcre de saint François "? Et le nom du séraphique 
Père ne se lit-il pas sur tous les murs? Néanmoins, Pie VII 
délégua les évêques d'Assise, de Nocera, de Spolète, de 
Pérouse et de Foligno, pour faire une enquête sur l'identité 
du corps. Puis, après avoir lu lui-même toutes les pièces, il 
déclara, dans un bref daté du 5 septembre 1820, qu'il con- 
stait de la validité de la procédure et de l'identité du corps, 
confirma les privilèges accordés par ses prédécesseurs, et, 
ce qui ne se lit dans la vie d'aucun autre Saint, choisit saint 
François pour protecteur de la papauté (1). Quatre ans 
après, Ijéon XII instituait la fête de l'Invention du corps de 
saint François. En même temps, le caveau était transformé 
en un glorieux sanctuaire, auquel on donnait le titre d'église 
sépulcrale. C'est là que reposent, sous la même grille, dans 
la même urne et le même emplacement qu'autrefois, ces 
reliques si longtemps dérobées aux regards et à la vénéra- 
tion des chrétiens. La crypte est décorée de marbres de 
toutes couleurs; un autel est placé au-dessous de la châsse et 
adossé à la colonne qui soutient l'édifice; dix bas-reliefs en 
terre cuite ornent les parois du mur; dans l'hémicycle, situé 
entre la crypte et le jardin, le pèlerin admire deux belles 
statues en marbre blanc, représentant Pie VII et Pie IX. 
En vérité, ne dirait-on pas que dans ces deux augustes sen- 
tinelles, la Papauté est là, debout, pour veiller sur le monu- 
ment qu'elle a édifié? 

Grâce au sceau pontifical et à la piété des habitants d'As- 
sise, le corps du stigmatisé de l'Alverne est demeuré intact 
dans son urne de pierre, où il n'a subi d'autre mutilation 
que celle du temps. Il nous reste de lui bon nombre d'autres 
reliques précieuses, dont nous ne pouvons mentionner que 
les principales. Au Sagro Convento, on conserve deux de 

(1) Saint François et lex Papes, par le JX. P. Orlando, S. J. (Voir la. S ici lia 
cattolica, septembre 1882.^) 



328 SAINT FRANÇOIS D'ASSISE. 

ses tuniques ; une feuille de parchemin teint du sang qui 
coulait de sa plaie latérale; la planche qui lui servait de lit, 
ornée de son portrait par Giunta de Pise ; deux paires de 
chaussures, l'une en peau de chamois, Fautre en feutre, con- 
fectionnées par sainte Claire ; un cilice en poil de chameau ; 
l'original de la bulle d'Honorius IIÏ et l'autographe de la 
bénédiction donnée au Frère Léon. — A Notre-Dame des 
Anges, une corde. — A Sainte-Claire, le tableau miraculeux 
de Saint-Damien, le bréviaire de saint François, ainsi que 
l'aube et le manteau de laine blanche qu'on a retirés du 
tombeau de sainte Claire, caché lui aussi pendant six siècles 
et découvert en 1850, trente ans après celui du séraphique 
Père. — A Saint-Pierre de Rome, quelques gouttes du sang 
des stigmates. — A San Francesco à Ripa, une corde. — A 
Florence, l'habit que le Saint donna au comte de Monte 
Acuto. — Au couvent de l'Alverne, une tunique, quelques 
cheveux, quelques gouttes de sang coagulé et l'obédience 
du Frère Ange de Pise. — Enfin, à Paris, dans la rési- 
dence des Pères Capucins, un ample manteau de laine grise. 
Dépouilles opimes de la pénitence, dépouilles sacrées qui 
ont ouvert aux fidèles de nouvelles et intarissables sources 
de grâces, où des milliers de pèlerins sont venus, dans les 
jours d'épreuves, puiser la force ou la résignation. 

Ne nous en séparons pas sans jeter un coup d'oeil sur le 
culte dont saint François est l'objet et sans considérer les 
magnificences de son tombeau. 

Son culte se répandit bientôt sur toutes les plages de 
l'univers, jusqu'aux îles les plus lointaines; et après la 
découverte du nouveau monde par Christophe Colomb, 
il régna sur les deux hémisphères. Toutefois, la France 
et l'Espagne, ces deux nations qu'il avait aimées d'un 
amour de prédilection et qui avaient entendu avec sa 
voix les battements de son cœur d'apôtre, se distinguèrent 



CHAPITRE XVIII. 329 

entre toutes les autres. Elles rivalisèrent de zèle avec l'Ita- 
lie, pour lui rendre leurs hommages et célébrer ses vertus. 
Les rois et les hauts barons donnèrent son nom à leurs 
fils; les peuples lui bâtirent des autels ; les déshérités de ce 
monde implorèrent le secours de sa puissante médiation ; 
et Dieu se plut à autoriser leur confiance par une foule de 
bienfaits de tout genre, qu'on peut lire dans les chroniques . 
de l'Ordre. 

Cependant, quelle que soit la dévotion des différentes 
contrées du monde envers cet amant de la pauvreté, il est 
une cité qui, sous ce rapport, éclipse toutes les autres : cité 
tellement identifiée avec son héros que son histoire semble 
commencer avec lui. Nos lecteurs la connaissent depuis 
longtemps : c'est Assise, c'est la patrie du Saint. Assise a 
perdu son cachet de cité étrusque, de municipe romain, 
pour demeurer « la cité séraphique » . Ses autres illustrations 
sont tombées dans l'oubli, les vaillants capitaines qui durent 
la défendre contre les armes de Totila, de Didier, de Char- 
lemagne, de Frédéric Barberousse, parce qu'elle est sur le 
chemin de Rome, aussi bien que le poète Métastase, qui 
s'éleva si haut avec Mozart sur les ailes de l'inspiration 
chrétienne. Seule, la mémoire de François a survécu à toutes 
les révolutions; seule, elle est toujours aussi vivante en 
Ombrie que s'il était mort d'hier. 

Parcourons cette ville, à laquelle les maîtres du jour n'ont 
point enlevé sa physionomie du moyen âge. Sur la princi- 
pale porte d'entrée, vous lisez une inscription complètement 
étrangère aux tumultueuses agitations de ce monde et douce 
comme une voix du ciel. : c'est la bénédiction que saint 
François, aveugle et mourant, donna à sa patrie. Vous 
franchissez les bastions et les murs, jadis témoins de tant de 
combats, et vous saluez de loin les ruines imposantes du 
château fort, au pied duquel la ville semble dormir. Hormis 



330 SAINT FRANÇOIS D'ASSISE. 

quelques chants populaires, que des voix sonores fredon- 
nent aux heures du soir, vous n'entendez guère que la psal- 
modie aérienne des cloches des monastères, lés ébats de 
l'enfance, ou le doux ramage des oiseaux qui gazouillent 
dans les jardins. 

Sans commerce, sans industrie. Assise n'a rien de la civi- 
lisation bruyante de nos grandes villes de France. Elle vit 
d'une tradition, d'un tombeau j c'est une cité funèbre, mais 
funèbre à la manière de Rome et de Jérusalem, sur lesquelles 
plane l'ombre des martyrs et du divin Crucifié. Mille sou- 
venirs sacrés peuplent cette solitude, et ce qui ravit votre 
âme, c'est qu'ils s'harmonisent entre eux dans une parfaite 
unité. Ces rues étroites que vous gravissez, ces fresques 
antiques qui décorent la façade ou le vestibule des maisons 
gothiques des treizième et quatorzième siècles, ces monas- 
tères, ces églises qui forment le centre et comme l'âme de 
la cité, tout vous parle du héros en qui Dante salue la 
lumière de l'Occident. 

Parmi tant de monuments, le premier qui frappe vos 
regards, c'est le tombeau du Saint, véritable merveille de 
magnificence et d'architecture, qui devint dès l'origine un 
centre d'attraction et d'inspiration nouvelle pom^ les arts 
et pour les lettres. Nous avons vu comment Grégoire IX avait 
daigné en poser la première pierre, et au prix de quels efforts 
de génie le Ministre général l'avait fait jaillir, pour ainsi 
parler, des entrailles rocheuses de la colline du Paradis. Les 
travaux ne furent entièrement terminés qu'au bout de treize 
ans (1243); et ce fut un autre successeur de Pierre, le 
pape Innocent IV, qui vint en personne consacrer la basi- 
lique. En mémoire de cette cérémonie et du séjour de l'au- 
guste Pontife, le monastère fut désigné sous le nom de Sagro 
Convento. L'église reçut plus tard, de Benoît XIV, le titre 
de chapelle papale. 



CHAPITRE XVIll. 



331 



Le Sagro Convento est un des bijoux artistiques de l'Italie. 
« Il n'a point d'égal; avant de l'avoir vu, on n'a pas l'idée 
de l'art et du génie du moyen âge. Joignez-y Dante et les 
Fioretti de saint François, c'est le chef-d'œuvre du christia- 
nisme mystique (1). » 

Le monastère, bâti au sommet d'une éminence abrupte, 
sur un double rang d'arcades superposées, porte le cachet 




LE SACnO CONVENTO D ASSISE. VUE D ENSEMBLE. 

d'un autre âge. Ses créneaux, ses arceaux de briques, ses 
terrasses et ses cloîtres suspendus lui donnent l'aspect d'un 
manoir féodal. Sur sa partie occidentale, il surplombe un 
précipice ; à ses pieds roule un torrent (le Tescio) qui tour- 
noie au loin à travers les grèves de cailloux roulés. La galerie 
du midi, œuvre de Sixte IV, avec sa vue sur la vallée et son 
horizon fait à souhait pour arrêter et retenir le regard, est 
unique au monde. 



(1) Taine, Voyage en Italie. 



332 SAINT FRANÇOIS D'ASSISE. 

A côté du monastère, au j3out d'une cour bordée de fines 
colonnettes, se dresse la basilique, qui se compose de trois 
sanctuaires superposés. : l'église supérieure, l'église infé- 
rieure et la crypte. Les deux premières sont l'œuvre de 
Jacques Lapo, surnommé l'Allemand ; la dernière est l'œuvre 
du Romain Pascal Belli. Le style des trois sanctuaires offre 
un contraste frappant à l'œil, mais dont on saisit bien vite le 
sens profond : ils sont l'image des trois phases de la vie du 
Saint. A la base, vous avez la croix. L'église inférieure, au 
style roman, grave et sévère, vous rappelle la pénitence et 
les austérités du fils de Bernardone. L'église supérieure, 
avec ses ogives élancées et sa pleine lumière, ses rosaces et 
ses vitraux, ses stalles chargées de sculptures et sa merveil- 
leuse broderie de formes élégantes qui s'enchevêtrent comme 
une parure de fiancée, vous le fait entrevoir glorieux et cou- 
ronné dans le ciel. La première vous fait venir les larmes 
aux yeux ; la seconde vous porte à cette espérance plaintive 
qui est le plus fécond élément de la prière; la troisième, 
symbole de l'extase et de la transfiguration, vous donne un 
avant-goût de l'éternelle félicité. Ainsi tout s'harmonise dans 
un ensemble vraiment admirable, pour raconter dans un 
poème de pierre les espérances, les luttes et la victoire défi- 
nitive du Séraphin d'Assise. 

Douze couvents d'hommes et de femmes,, occupés par les 
diverses branches de l'Ordre, s'échelonnent comme autant 
de tentes à l'ombre du pavillon patriarcal oà repose le séra- 
plîique Père. Chacun de ces couvents rappelle une des 
périodes de son existence; mais tous se rapportent à une 
seule tombe, et sont rangés autour d'elle comme des enfants 
autour de leur mère. Rivo-Torto, où le serviteur de Dieu 
composa sa première Règle; Notre-Dame des Anges, avec 
son dôme qui brille comme un phare au milieu de la plaine 
et fait penser à Bramante et à Vignole ; Saint-Damien, qui 




BiSlLIQUE DE SAHST-FU^NoOIS, A ASSISE. 

(Vue de l'église supérieure et du porche de l'église inférieure.) 



334 SAINT FRANÇOIS D'ASSISE. 

montre sur les premières ondulations de la montagne ses 
murailles basses et noircies par le temps; Sainte-Claire, 
belle église ogivale du treizième siècle, due au génie du 
Frère Mineur Philippe de Cambello de Spolète; la Cliiesa 
Nuova (l'Église Neuve), église grecque surmontée de cinq 
coupoles en mémoire des cinq stigmates de François, et 
bâtie par Philippe III, roi d'Espagne, sur l'emplacement de 
la demeure des Moriconi ; enfin, au-dessous des ruines pen- 
dantes de la citadelle, la modeste chapelle des Pères Capu- 
cins : autant d'arcs de triomphe élevés parla foi catholique 
snr la route qui conduit au tombeau patriarcal (1). 

L'humble François n'avait demandé en mourant qu'un 
peu de terre, et encore dans un lieu déshonoré ; et voici 
qu'une triple basilique recouvre ses ossements, qu'une ville 
entière lui sert, pour ainsi dire, de mausolée, et que son 
tombeau devient un foyer de vie et de lumière, et bientôt un 
des plus vénérables sanctuaires de la catholicité. 

L'architecture avait fait son œuvre sur la tombe du Saint. 
« Mais les hommes du moyen âge ne pensaient pas avoir 
achevé un monument pour l'avoir élevé pierre sur pierre. Il 
fallait que ces pierres parlassent, qu'elles parlassent le lan- 
gage de la peinture, qui est entendu des ignorants et des 
petits ; il fallait que le ciel s'y rendît visible, et que les saints 
et les anges y demeurassent présents par leurs images, afin 
de consoler et de prêcher les peuples (2). » La peinture se 
présenta donc à son tour. Les voûtes des deux églises supé- 
rieures furent couvertes d'un champ d'azur semé d'étoiles 
d'or; et sur les parois se déroulèrent, en face des révélations 
bibliques, les scènes de la vie du Pénitent d'Assise., Mais 
comme s'il eût été impossible d'approcher sans profit de ces 

(1) Voir l'Étude sur les monuments cf Assise, far M. l'abbé IlicuE. (Trad. des 
Fioretti.) 

(2) OzANAM, les Poètes franciscains, p, 89. 



CHAPITRE XVIII. 335 

murs bénis, la basilique devint le berceau d'une école nou- 
velle ; et l'art^ rajeuni, vivifié par un souffle d'en haut, 
s'élança de cette colline pour se répandre des Alpes à la baie 
de Naples. Après Giunta de Pise et Giovanni Cimabue de 
Plorence, après ces représentants de la vieille école byzan- 
tine, vint enfin Giotto : Giotto, petit pâtre qui fut l'élève de 
Cimabue et surpassa son maître ; Giotto, qui fit en peinture 
ce que Jacques l'Allemand avait fait pour l'architecture, une 
véritable révolution : il découvrit la nature et prit pour idéal 
les formes exquises des régions supérieures. 

Giotto écrivit son poème avec le pinceau sur les voûtes 
de l'église inférieure, comme Dante, son contemporain et 
son ami, l'avait tracé avec la plume dans sa. Divine Comédie. 
On y sent le même souffle inspirateur, et les immortelles 
fresques du peintre vous font rêver malgré vous aux pages 
sublimes du poète. On est saisi d'admiration, envoyant avec 
quelle vigueur de sentiment chrétien l'artiste a conçu son 
plan, et avec quelle harmonie dans les tons et les couleurs 
il l'a exécuté. A ses yeux, les vertus religieuses sont le prin- 
cipe des grandeurs de son héros, la base de la restauration 
sociale dont il est l'ouvrier, le motif de son éternelle glori- 
fication. Le pinceau doit donc les représenter hardiment, 
sous le caractère qui guérit le mieux et élève le plus haut la 
nature humaine, quoiqu'il l'épouvante, c'est-à-dire, sous les 
trois vœux monastiques, l'obéissance, la pauvreté et la 
chasteté. La traduction de cette pensée remplit les trois 
premières fresques du transept. Le poème a son couronne- 
ment dans la quatrième fresque, qui représente François 
assis sur un trône étincelant d'or, vêtu d'une riche dalma- 
tique, tenant à la main une oriflamme rouge, à la hampe 
fleurdelisée, et entouré d'un chœur d'anges qui exaltent 
l'excellence de ses œuvres. Il faut voir ces peintures par une 
belle matinée de printemps, lorsque les verrières s'animent 



336 SAINT FRANÇOIS D'ASSISE. 

SOUS les joyeux reflets du soleil. Gomme on en goûte alors 
la fraîcheur, le suave coloris çt l'harmonieux agence- 
ment ! 

Giotto meurt; mais loin que son art meure avec lui, les 
progrès ne s'arrêtent plus parmi ses disciples : Adone Doni, 
Ghirlandaio, Giovanni Spagna et ce Pietro Cavallini dont le 
Crucifiement y avec son Christ mourant et ses anges si tristes 
recueillant dans des coupes d'or le sang divin, vous pro- 
sterne à genoux dans l'extase de la prière. Enfin, avec Fra 
Angelico, le Pérugin et Raphaël, l'école mystique d'Ombrie 
arrivait à son plein épanouissement. Et ces princes de la 
peinture, puis à leur suite les Bellini, les Garrache, les Guido 
Reni, les Zurbaran, les Murillo, les Overbeck, les Benou- 
ville, offraient au séraphin d'Assise l'hommage de leur pin- 
ceau, dans l'espérance qu'un rayon de sa gloire rejaillirait 
sur leurs oeuvres. 

Le mouvement de rénovation qui emportait l'Italie attei- 
gnit aussi la langue nationale, mais à travers des obstacles 
qui paraissaient insurmontables. A cette époque régnait en 
Sicile, où la cour de Frédéric II donnait le ton, une poésie 
langoureuse, née du gai savoir provençal et des fictions 
mauresques, flattant toutes les aspirations de la chair et 
habituant la jeunesse italienne « à passer sa vie aux genoux 
des femmes, dans l'oubli delà patrie et de la liberté (1) ». 

Les Franciscains osèrent résister au courant qui entraînait 
la littérature vers la fange du sensualisme païen. Ils chan- 
tèrent les mystères et les beautés du christianisme. Saint 
Bonaventure célébra, dans un rythme cadencé, d'une dou- 
ceur inexprimable, les grandeurs de la Reine des Vierges ; 
Jacopone la fit gémir dans son Stabat, « cette complainte si 
douce qu'on y reconnaît bien une douleur toute divine et 

(1) OzANAM, les Poètes franciscains, p. 50, 



CHAPITRE XVIII. 337 

consolée par les anges; si simple dans son latin populaire, 
que les femmes et les enfants en comprennent la moitié par 
les mots, l'autre moitié par le chant et le coeur (1) ». Puis, 
Oiacomino de Vérone, dans V Enfer et dans le Paradis, et le 
même Jacopone, dans ses Canzone, se rapprochèrent davan- 
tage de la foule. Ils saisirent des mains de la muse sicilienne 
l'idiome aulique, national, qu'elle profanait, et le purifièrent 
en cherchant ailleurs la source de leurs inspirations : ail- 
leurs, c'est-à-dire au vif du cœur humain, dans les harmonies 
de la nature éclairée d'un rayon divin, dans la conscience 
remuée par la foi et le repentir, dans cet insatiable besoin 
de vie et de félicité infinies qui fait à la fois notre tourment 
et notre honneur. Le peuple, pour qui ils chantaient, se 
tourna vers eux, et c'est ainsi que leur exemple fraya le che- 
min de l'immortalité à Dante, à Pétrarque, au Tasse, aux 
génies soucieux du beau, du vrai, du divin. 

Ils ; contribuèrent puissamment au triomphe de la renais- 
sance chrétienne; mais on n'oublia pas d'où était parti l'élan, 
et l'on fit justement remonter au poète de l'Alverne l'hon- 
neur d'avoir importé dans les lettres, comme dans les 
arts, un sentiment jusqu'alors latent ou à l'état d'ébauche, 
l'amour séraphique. 

Il nous plaît de redire, avec les pliis éminents critiques de 
nos jours, que l'humble Mendiant d'Assise, que cet homme 
passionné pour les petits et les déshérités de ce monde, qui 
se dépouilla de tout pour mieux se consacrer au service de 
ses frères, fut en même temps le père de l'art chrétien, le 
créateur de la littérature italienne, l'auteur de la plus grande 
épopée dont les annales de l'ère chrétienne aient gardé le 
souvenir. Il nous plaît de redire aussi que la postérité se 
montra reconnaissante envers lui, et que, par un contraste 

(1) OzKViku, les Poètes franciscains, Tji. i%'2i. ;^< 

22 



338 



SAINT FRANÇOIS D'ASSISE. 



étrange, la gloire favorisa entre tous celui qui l'avait le plus 
méprisée. Il exerça une sorte de royauté sur tout le haut 
moyen âge, qui prit plaisir à exalter son génie, ses vertus, 
son influence sociale, et ne craignit pas d'appeler le siècle 
auquel il appartient le siècle de saint François. Cette royauté 
intellectuelle, quoique moins éclatante aujourd'hui qu'aux 
âges de foi, n'est pas à son déclin; les fêtes du septième 
centenaire à Assise, à Naples, par toute la chrétienté, en 
ont été une preuve éclatante. Mais il ne faut pas que ce 
rayon de gloire attaché à la vertu nous porte à prendre le 
change sur la source et l'essence de cette souveraineté. Le 
fils de Bernardone n'est pas grand parce qu'il fut poète ou 
parce qu'il inspira le ciseau de Jacques Lapo, le pinceau 
de Raphaël, l'éloquence de Bossuet, ni même parce qu'il fut 
orné de privilèges extraordinaires et favorisé de communi- 
cations mystiques. Il est grand parce qu'il fut le héros de 
l'amour divin et le type le plus achevé du dévouement. Ce 
sont ses vertus et ses œuvres qui font sa gloire, et telle 
est l'excellence des unes et des autres, que les éloges des 
hommes, les chefs-d'œuvre de l'art et [même les honneurs 
des autels seront toujours inférieurs à des mérites que Dieu 
seul peut récompenser. 




Médaille frappée par ordre de Sixte-Quint. (1588.1 




La cordelière entourant l'F couronné. 
(Château de Chanibord.) 



TABLE DES MATIÈRES 



CHAPITRE PREMIER 

NAISSANCE ET JEUNESSE DE SAINT FRANÇOIS. 

(1182-1205) 

Description de l'Ombrie 1 

Naissance et baptême de saint François 3 

Sa première éducation 6 

Les Corti d'Assise 10 

Portrait du Saint . 11 

Son amour pour les pauvres 13 

Ovation. — Première épreuve 15 

Pureté du Saint . : 20 

CHAPITRE II 

SA CONVERSION. 

(1205-1207) 

Nouvelle épreuve 23 

Vision du palais. — Départ et retour 26 



340 TABLE DES MATIERES; 

Vision de la pauvreté 28 

Assauts du démon. . .■ 29 

Le trésor , 29 

Apparition de Jésus-Christ 30 

Pèlerinage de Rome 31 

Le tableau miraculeux de Saint-Damien 34 

Violences de Bernardone 37 

Pica rend la liberté à son fils 38 

François au tribunal de l'évêque 40 



CHAPITRE III 
SA VOCATION. 

(1206-1209) 

François est maltraité par des voleurs 43 

La lèpre 44 

Deuxième apparition de Jésus-Christ 46 

Saint-Damien 49 

Bernardone. : — Ange, frère du Saint ^0 

Saint-Pierre et Notre-Dame des Anges 52 

Comment notre Saint pleure sur la Passion 54 



CHAPITRE IV 

COMMENCEMENTS DE l'oRDRE DES FRERES MINEURS. 

■ . (1209) 

Commencements de l'Ordre 56 

Vision de Poggio-Buscone 61 

Le Saint devant Innocent III 67 

Orte. — Rivo-Torto. — Portioncule 72 



CHAPITRE V 
SAINT FRANÇOIS ET SES PREMIERS COMPAGNONS. 

Etat de l'Eglise au treizième siècle . 81 

Premiers compagnons du Saint 84 

Lai Joie parfaite 90 

Le bréviaire de saint François 92 



TABLE DES MATIERES. 341 
CHAPITRE VI 

EN TOSCANE. 
(1210-1212). 

Affranchissement des serfs 95 

Vocation des Frères Humble, Élie et Gui 98 

Le carême dans une île du lac de Pérouse 99 

Frère Silvestre à Arezzo. — Jean Parent 100 

Ermitage de San Gallo. — Fr. Morico 103 

Le noviciat de Notre-Dame des Anges 104 

CHAPITRE VII 

SAINT FRANÇOIS ET LES PAUVRES DAMES. 

(1212) 

Naissance et vocation de sainte Claire 106 

Fondation du couvent de Saint-Damien 112 

L'Ordre des Clarisses 112 

CHAPITRE VIII 

l'aPOTRE. — CONCILE DE LATRAN. 

(1212-1215) 

François consulte sainte Glaire et le Frère Silvestre sur sa vocation 116 

Il prêche les oiseaux 118 

Quatrième voyage à Rome. — Giacoma de Settesoli 119 

Genre de prédication du Saint. — Départ pour l'Orient 121 

Frère Pacifique. — Retour à Assise 122 

Lettres du Saint 128 

Missions d'Italie et d'Espagne , 129 

François réprimande Pierre Cattani 133 

Cinquième voyage à Rome. — Quatrième concile de Latran 134 

Rencontre de saint Dominique et de saint François 135 

Le couvent des Garceri 142 



CHAPITRE IX 
INDULGENCE DE LA PORTIONGULE. 

(1216-1217) 

Première vision relative à cette indulgence 145 

Deuxième vision 149, 



3'i2 TABLE DES MATIÈRES. 

CHAPITRE X 

PREMIERS CHAPITRES GÉNÉRAUX. — CHAPITRE DES NATTES. 

(1217-1219) 

Premier chapitre général de l'Ordre. . . : 159 

Mission de France 160 

Saint Dominique et saint François à Rome 162 

Chapitre des Nattes 165 

CHAPITRE XI 

MISSIONS d'orient ET DU MAROC. 

(1219-1220) 

Mission d'Orient " 173 

Saint François en présence du soudan 177 

En Palestine 180 

Les martyrs du Maroc 183 

Saint Antoine de Padoue 187 



CHAPITRE XII 

RETOUR DE SAINT FRANÇOIS EN ITALIE. 
(12^0-1221) 

Le Saint à Venise 192 

A Crémone, à Bologne 194 

Le loup de Gubbio 199 

Troisième chapitre général. — Jean de Strachia 201 

pierre Cattani ; sa mort 202 



CHAPITRE XIII 

LE TIERS ORDRE. SON RUT ET SES DESTINÉES. 

(1221) ■ 

Origine et but du Tiers Ordre. — Luchesio 207 

Règle du Tiers Ordre 208 

Son influence ; ses gloires 209 



TABLE DES MATIERES. 343 



CHAPITRE XIV 

APOSTOLAT DU SAINT DANS l'iTALIE MÉRIDIONALE. 

(1222-1223) 

Excursion au sud de la Péninsule 223 

François devant Honorius III ' 231 

Portrait du cardinal Ugolino . 233 



CHAPITRE XV 

PORTRAIT MORAL DE SAINT FRANÇOIS. 

Portrait du Saint 241 

Son amour pour Dieu 241 

Cantique du Soleil 244 

Empire sur la nature. 251 



CHAPITRE XVI 

LE MONT ALVERNE. 

(1224) 

L'Alvernc 257 

Premier voyage au mont Alverne 260 

Sixième voyage. Impression des stigmates 267 



CHAPITRE XVII 

DERNIÈRES ANNÉES ET MORT DE SAINT FRANÇOIS. 

(1224-1226) 

Cantiques du Saint 286 

Il retourne à Notre-Dame des Anges 290 

Saint Bonaventure . 292 

Son séjour à Rieti; miracle de la vigne 294 

L'ange et la viole . Les pointes de feu 295 

Fonte-Colombo 296 

Dernières courses apostoliques 296 

Saint Fi-ancois à Sienne 297 

Retour à Assise 298 

François bénit Assise 301 

Ses derniers instants et sa mort . ;. , 302 



344 



TABLE. DES MATIERES. 



CHAPITRE XVIII 

MAGNIFICENCES DE SON TOMBEAU. 

(1226-1230) 

Miracles à sa mort , 307 

Sa canonisation ; 317 

;La colline du Paradis , 321 

Translation des reliques 322 

Découverte de la châsse 326 

Culte public de saint François 327 

Son tombeau est le foyer des arts et de la poésie 330 



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Fransciscàines au chœur. 
(Miniature d'un manuscrit du quatorzième siècle.) 



PARIS. TYPpCnAPUIE DE E. PLON, NOURniT ET C'', KTJE GARANCIÈRE, .8. 



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